<4fc /'■ * « Ê 1 :*a •.•'*' ^1 G^v Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Toronto http://www.archive.org/details/tudessurlona03duhe ÉTUDES 8UR LEONAIIII DE VINCI l'A H Pierre DUHEM CORRESPONDANT DE L'iNSTITUT DE FRANCE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE BORDEAUX TROISIÈME SÉRIE LES PRÉCURSEURS PARISIENS DE GALILÉE PARIS LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE A. HERMANN ET FILS Libraires de S. M. le Roi de Suède. G, RUE DE LA SORBONNE, 6 I 9 l3 Si 03 • * •»::• ÉTUDES SUR LEONARD IIE VINCI PAR Pierre DUHEM CORRESPONDANT DE L'iNSTITUT DE FRANCE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE BORDEAUX TROISIÈME SÉRIE LES PRÉCURSEURS PARISIENS DE GALILÉE PARIS LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE A. HERMANN ET FILS Libraires de S. M. le Roi de Suède. 6, RUE DE LA SORBONNE, 6 I9l3 & touQUç JUN 1 1 labS g/ O 3 A. M. G. MECHANICAE NOSTRAE SCIENTIAE VERE GENITRICIS, FACULTATIS ARTIUM QUAE IN UNIVERSITATE PARISIENSI XIY° SAECULO FLOREBAT PREFACE A la troisième série de nos Études sur Léonard de Vinci, nous donnons un sous-titre: Les précurseurs parisiens de Galilée. Ce sous-titre annonce l'idée dont nos précédentes études avaient déjà découvert quelques aspects et que nos recherches nou- velles mettent en pleine lumière. La Science mécanique inaugurée par Galilée, par ses émules, par ses disciples, les Baliani, les Torricelli, les Descartes, les Beeckman, les Gassendi, n'est pas une création; l'intelligence moderne ne l'a pas produite de prime saut et de toutes pièces dès que la lecture d'Archimède lui eut révélé l'art d'appliquer la Géométrie aux effets naturels. L'habileté mathématique acquise dans le commerce des géomètres de l'Antiquité, Galilée et ses contemporains en ont usé pour préciser et développer une Science mécanique dont le Moyen-Age chrétien avait posé les principes et formulé les propositions les plus essentielles. Cette Mécanique, les physiciens qui enseignaient, au xiv e siècle, à l'Université de Paris l'avaient conçue en pre- nant l'observation pour guide ; ils l'avaient substituée à la Dynamique d'Aristote, convaincue d'impuissance à « sauver les phénomènes ». Au temps de la Renaissance, l'archaïsme superstitieux, où se complaisaient également le bel esprit des Humanistes et la routine averroïste d'une Scolastique rétro- grade, repoussa cette doctrine des « Modernes ». La réaction fut puissante, particulièrement en Italie, contre la Dynamique . U 5 î VI PRÉFACE des « Parisiens », en faveur de l'inadmissible Dynamique du Stagirite. Mais, en dépit de cette résistance têtue, la tradi- tion parisienne trouva, hors des écoles aussi bien que dans les Universités, des maîtres et des savants pour la maintenir et la développer. C'est de cette tradition parisienne que Galilée et ses émules furent les héritiers. Lorsque nous voyons la science d'un Galilée triompher du Péripatétisme buté d'un Gremonini, nous croyons, mal informés de l'histoire de la pensée humaine, que nous assistons à la victoire de la jeune Science moderne sur la Philosophie médiévale, obstinée dans son psittacisme ; en vérité, nous contemplons le triomphe, longuement préparé, de la science qui est née à Paris au xiv e siècle sur les doctrines d'Aristote et d'Averroès, remises en honneur par la Renaissance italienne. Nul mouvement ne peut durer s'il n'est entretenu par l'action continuelle d'une puissance motrice, directement et immédiatement appliquée au mobile. Tel est l'axiome sur lequel repose toute la Dynamique d'Aristote. Conformément à ce principe, le Stagirite veut, à la flèche qui continue de voler après avoir quitté l'arc, appliquer une puissance motrice qui la transporte ; cette puissance, il la croit trouver en l'air ébranlé; c'est l'air, frappé par la main ou par la machine balistique, qui soutient et entraîne le pro- jectile. Cette hypothèse, qui nous semble pousser l'invraisemblance jusqu'au ridicule, parait avoir été admise presque à l'unanimité par les physiciens de l'Antiquité ; un seul d'entre eux s'est clairement prononcé contre elle, et celui-là, que le temps place aux dernières années de la Philosophie grecque, se trouve, par sa foi chrétienne, presque séparé de cette Philosophie; nous avons nommé Jean d'Alexandrie, surnommé Philopon. Après avoir montré ce qu'a d'inadmissible la théorie péripatéticienne du mouvement des projectiles, Jean Philopon déclare que la flèche continue de se mouvoir sans qu'aucun moteur lui soit appliqué, parce que la corde de Parc y a engendré une énergie qui joue le rôle de vertu motrice. Les derniers penseurs de la Grèce, les philosophes arabes PRÉFACE Vil n'ont même pas accordé une mention ;« la doctrine de ce Jean le Chrétien pour qui an Simplicius ou an \verroes n'ont eu que des sarcasmes. Le Moyen Age chrétien, pris par L'admira tion naïve (pic lui inspira la Science péripatéticienne lorsqu'elle lui fut révélée, partagea d'abord, à L'égard de L'hypothèse de Philopon, le dédain des commentateurs grecs et arabes; saint Thomas d'Aquin ne la mentionne que pour mettre en garde contre elle ceux qu'elle pourrait séduire. Mais à la suite des condamnations portées, en 1277, par l'évêque de Paris, Etienne ïempier, contre une foule de thèses que soutenaient « Aristote et ceux de sa suite», voici qu'un grand mouvement se dessine, qui va libérer la pensée chré- tienne du joug du Péripatétisme et du Néoplatonisme, et pro- duire ce que l'archaïsme de la Renaissance appellera la Science des « Modernes. » Guillaume d'Ockam attaque, avec sa vivacité coutumière, la théorie du mouvement des projectiles proposée par Aristote ; il se contente, d'ailleurs, de détruire sans rien édifier; mais ses critiques remettent en honneur, auprès de certains disciples de Duns Scot, la doctrine de Jean Philopon ; Y énergie, la vertu motrice dont celui-ci avait parlé, reparait sous le nom d'impetus. Cette hypothèse de Yimpetus, imprimé dans le projectile par la main ou par la machine qui l'a lancé, un maître séculier de la Faculté des Arts de Paris, un physicien de génie, s'en empare; Jean Buridan la prend, vers le milieu du xiv e siècle, pour fondement d'une Dynamique avec laquelle « s'accordent tous les phénomènes » . Le rôle que Yimpetus joue, en cette Dynamique de Buridan, c'est très exactement celui que Galilée attribuera à Yimpeto ou momento. Descartes à la quantité de mouvement, Leibniz enfin à la force vive; si exacte est cette correspondance que pour exposer, en ses Leçons Académiques, la Dynamique de Galilée, Torricelli reprendra souvent les raisonnements et presque les paroles de Buridan. Cet impetus, qui demeurerait sans changement, au sein du projectile, s'il n'était incessamment détruit par la résistance du milieu et par l'action de la pesanteur, contraire au mouve- VIII PREFACE ment, cet impetus, disons-nous, Buridan le prend, à vitesse égale, comme proportionnel à la quantité de matière première que le corps renferme; cette quantité, il la conçoit et la décrit en des termes presque identiques à ceux dont usera NeAvton pour définir la masse, A masse égale, Y impetus est d'autant plus grand que la vitesse est plus grande; prudemment, Buridan s'abstient de préciser davantage la relation qui existe entre la grandeur de Yimpetus et celle de la vitesse; plus osés, Galilée et Descartes admettront que cette relation se réduit à la proportionnalité; ils obtiendront ainsi de Yimpeto, de la quantité de mouvement, une évaluation erronée que Leibniz devra rectifier. Gomme la résistance du milieu, la gravité atténue sans cesse et finit par anéantir Yimpetus d'un mobile que l'on a lancé vers le haut, parce qu'un tel mouvement est contraire à la ten- dance naturelle de cette gravité; mais dans un mobile qui tombe, le mouvement est conforme à la tendance de la gra- vité; aussi Yimpetus doit-il aller sans cesse en augmentant et la vitesse, au cours du mouvement, doit croître constamment. Telle est, au gré de Buridan, l'explication de l'accélération que l'on observe en la chute d'un grave, accélération que la science d'Aristote connaissait déjà, mais dont les commenta- teurs hellènes, arabes ou chrétiens du Stagirite avaient donné d'inacceptables raisons. Cette Dynamique exposée par Jean Buridan présente d'une manière purement qualitative, mais toujours exacte, les vérités que les notions de force vive et de travail nous permettent de formuler en langage quantitatif. Le philosophe de Béthune n'est pas seul à professer cette Dynamique; ses disciples les plus brillants, les Albert de Saxe, et les Nicole Oresme, l'adoptent et l'enseignent; les écrits français d'Oresme la font connaître même à ceux qui ne sont pas clercs. Lorsque aucun milieu résistant, lorsque aucune tendance naturelle analogue à la gravité ne s'oppose au mouvement, Yimpetus garde une intensité invariable ; le mobile auquel on a communiqué un mouvement de translation ou de rotation PRÉFACE II continue indéfiniment à se mouvoir avec une vitesse inva riable. C'csi sous cette forme que la Loi d'inertie se présente à l'esprit de Buridan ; c'est sous cette même forme qu'elle sera encore reçue de (ialilée. De cette loi d'inertie, Buridan tire un corollaire dont il nous faut maintenant admirer la nouveauté. Si les orbes célestes se meuvent éternellement avec une vitesse constante, c'est, selon l'axiome de la Dynamique d'Aris- tote, que chacun d'eux est soumis à un moteur éternel et de puissance immuable; la philosophie du Stagirite requiert qu'un tel moteur soit une intelligence séparée de la matière. L'étude des intelligences motrices des orbes célestes n'est pas seulement le couronnement de la Métaphysique péripatéti- cienne; elle est la doctrine centrale autour de laquelle tour- nent toutes les Métaphysiques néoplatoniciennes des Hellènes et des Arabes, et les Scolastiques du xiii siècle n'hésitent pas à recevoir, en leurs systèmes chrétiens, cet héritage des théo- logies païennes. Or, voici que Buridan a l'audace d'écrire ces lignes : « Dès la création du monde, Dieu a mû les cieux de mouve- ments identiques à ceux dont ils se meuvent actuellement; il leur a imprimé alors des impetus par lesquels ils continuent à être mus uniformément; ces impetus, en effet, ne rencon- trant aucune résistance qui leur soit contraire, ne sont jamais ni détruits ni affaiblis... Selon cette imagination, il n'est pas nécessaire de poser l'existence d'intelligences qui meuvent les corps célestes d'une manière appropriée. » Cette pensée, Buridan l'énonce en diverses circonstances ; Albert de Saxe l'expose à son tour; et Nicole Oresme, pour la formuler, trouve cette comparaison : « Excepté la violence, c'est aucunement semblable quand un homme a fait une horloge, et le lesse aller et estre meu par soy. » Si l'on voulait, par une ligne précise, séparer le règne de la Science antique du règne de la Science moderne, il la faudrait tracer, croyons-nous, à l'instant où Jean Buridan a conçu cette théorie, à l'instant où l'on a cessé de regarderies astres comme mus par des êtres divins, où l'on a admis que les mouvements PREFACE célestes et les mouvements sublunaires dépendaient d'une même Mécanique. Cette Mécanique, à la fois céleste et terrestre, à laquelle Newton devait donner la forme que nous admirons aujourd'hui, la voici, d'ailleurs, qui, dès le xrv e siècle, tente de se constituer. Durant tout ce siècle, les témoignages de François de Meyronnes et d'Albert de Saxe nous l'apprennent, il se trouva des physi- ciens pour soutenir qu'en supposant la terre mobile et le ciel des étoiles fixes immobile, on construisait un système astro- nomique plus satisfaisant que celui où la terre est privée de mouvement. De ces physiciens, Nicole Oresme développe les raisons avec une plénitude, une clarté, une précision que Copernic sera loin d'atteindre ; à la terre, il attribue un impetus naturel semblable à celui que Buridan attribue aux orbes célestes; pour rendre compte de la chute verticale des graves, il admet que l'on doit composer cet impetus par lequel le mobile tourne autour de la terre avec Yimpetus engendré par la pesanteur. Le principe qu'il formule nettement, Copernic se bornera à l'indiquer d'une manière obscure et Giordano Bruno à le répéter; Galilée usera de la Géométrie pour en tirer les conséquences, mais sans corriger la forme erronée de la loi d'inertie qui s'y trouve impliquée. Pendant que l'on fonde la Dynamique, on découvre peu à peu les lois qui régissent la chute des poids. En i368, Albert de Saxe propose ces deux hypothèses: La vitesse de la chute est proportionnelle au temps écoulé depuis le départ; — la vitesse de la chute est propor- tionnelle au chemin parcouru. Entre ces deux lois, il ne fait pas de choix. Le théologien Pierre ïataret, qui enseigne à Paris vers la fin du xv 6 siècle, reproduit textuellement ce qu'avait dit Albert de Saxe. Grand lecteur d'Albert de Saxe, Léonard de Vinci, après avoir admis la seconde de ces deux hypothèses, se rallie à la première; mais il ne parvient pas à découvrir la loi des espaces parcourus par un grave qui tombe; d'un raisonnement que Baliani reprendra, il conclut que les espaces parcourus en des laps de temps égaux et successifs sont comme la série des nombres entiers, PRÉFAC1 XI tandis qu'ils sont, on vérité, comme la série «les nombi impairs. On connaissait depuis Longtemps, cependant, la règle qni permet d'évaluer l'espace parcouru, en un certain temps, par un mobile mu d'un mouvement uniformément varie; que cette règle ait été découverte à Paris, au temps de Jean Buridan, ou à Oxford, au temps de Swincshcad, elle se trouve clairement formulée dans l'ouvrage où Nicole Oresmc pose les principes essentiels de la Géométrie analytique; de plus, la démonstration qui sert à l'y justifier est identique à celle que donnera Galilée. Du temps de Nicole Oresme à celui de Léonard de Vinci, cette règle ne fut nullement oubliée; formulée dans la plupart des traités produits par la Dialectique épineuse d'Oxford, elle se trouve discutée dans les nombreux commentaires dont ces traités ont été l'objet, au cours du xv e siècle, en Italie, puis dans les divers ouvrages de Physique composés, au début du xvi e siècle, par la Scolastique parisienne. Aucun des traités dont nous venons déparier n'a, cependant, l'idée d'appliquer cette règle à la chute des corps. Cette idée, nous la rencontrons pour la première fois dans les Questions sur la Physique d'Aristote, publiées en i545 par Dominique Soto. Élève des Scolastiques parisiens, dont il a été l'hôte et dont il adopte la plupart des théories physiques, le dominicain espagnol Soto admet que la chute d'un grave est uniformément accélérée, que l'ascension verticale d'un projectile est unifor- mément retardée, et pour calculer le chemin parcouru en chacun de ces deux mouvements, il use correctement de la règle formulée par Oresme. C'est dire qu'il connaît les lois de la chute des corps dont on attribue la découverte à Galilée. Ces lois, d'ailleurs, il n'en revendique pas l'invention; bien plutôt, il semble les donner comme vérités communément reçues; sans doute, elles étaient couramment admises par les maîtres dont, à Paris, Soto a suivi les leçons. Ainsi, de Guillaume d'Ockam à Dominique Soto, voyons-nous les phy- siciens de l'École parisienne poser tous les fondements de la Mécanique que développeront Galilée, ses contemporains et ses disciples. XII PREFACE Parmi ceux qui, avant Galilée, ont reçu la tradition de la Scolastique parisienne, il n'en est aucun qui mérite plus d'attention que Léonard de Vinci. Au temps où il vécut, l'Italie opposait une ferme résistance à la pénétration de la Mécanique des «Modérai», des « J uniores » ; là, parmi les maîtres des Universités, ceux-là mêmes qui penchaient vers les doctrines terminalistes de Paris se bornaient à reproduire, sous une forme abrégée et parfois hésitante, les affirmations essentielles de cette Mécanique; ils étaient bien éloignés de lui faire produire aucun des fruits dont elle était la fleur. Léonard de Vinci, au contraire, ne s'est pas contenté d'admettre les principes généraux de la Dynamique del'impetus; ces principes, il les a médités sans cesse et retournés en tout sens, les pressant, en quelque sorte, de donner les consé- quences qu'ils renfermaient. L'hypothèse essentielle de cette Dynamique était comme une première forme de la loi de la force vive; Léonard y aperçoit l'idée de la conservation de l'énergie, et cette idée, il trouve, pour l'exprimer, des termes d'une prophétique clarté. Entre deux lois de la chute des corps, l'une exacte et l'autre inadmissible, Albert de Saxe avait laissé son lecteur en suspens; après quelques tâtonne- ments que Galilée connaîtra, lui aussi, Léonard sait fixer son choix sur la loi exaete; il l'étend avec bonheur à la chute d'un poids le long d'un plan incliné. Par l'étude de Yimpeto composé, il tente, le premier, l'explication de la trajectoire curviligne des projectiles, explication qui recevra son achè- vement de Galilée et de Torricelli. Il entrevoit la correction qu'il conviendrait d'apporter à la loi d'inertie énoncée par Buridan et prépare l'œuvre qu'accompliront Benedetti et Descartes. Sans doute, Léonard ne reconnaît pas toujours toutes les richesses du trésor accumulé par la Scolastique parisienne ; il en délaisse quelques-unes dont l'emprunt eût donné à sa doctrine mécanique le plus heureux complément; il méconnaît le rôle que Yimpetus doit jouer dans l'explication de la chute accélérée des graves ; il ignore la règle qui permet de calculer le chemin parcouru par un corps mû de mouvement uniforme- PRÉ1 A M Mil ment accéléré. Il n'en est pas moins vrai que ^ ou * l'ensemble de sa Physique le mot au nombre de ceux que les Italiens d<- son temps appelaient Parisiens. Ce titre, (railleurs, lui serait justement donné; les princip de sa Physique, en effet, il les tire de La lecture assidue d'Albert de Saxe, probablement aussi de La méditation des écrils de \ieolas de Gués; oi\ Nicolas de Gués fut, lui aussi, un adepte de la Mécanique de Paris. Léonard est donc à sa place parmi les précurseurs parisiens de Galilée. Jusqu'à ces dernières années, la Science du Moyen-Âge était tenue pour inexistante. Un philosophe, qui connaît admira- blement l'histoire de la Science dans l'Antiquité et durant les temps modernes, écrivait naguère 1 : « Supposez que l'imprimerie eût été trouvée deux siècles plus tôt; elle eût aidé à renforcer l'orthodoxie, et eût servi surtout à propager, en dehors de la Somme de saint Thomas et de quelques ouvrages de ce genre, les bulles d'excommuni- cation et les décrets du Saint-Office. » Aujourd'hui, croyons-nous, il nous est permis de dire : « Si l'imprimerie avait été trouvée deux siècles plus tôt, elle eût publié, au fur et à mesure qu'elles étaient composées, les œuvres qui, sur les ruines de la Physique d'Aristote, ont posé les fondements d'une Mécanique dont les temps modernes sont justement fiers. » Cette substitution de la Physique moderne à la Physique d'Aristote a résulté d'un effort de longue durée et d'extra- ordinaire puissance. Cet effort, il a pris appui sur la plus ancienne et la plus resplendissante des Universités médiévales, sur l'Université de Paris. Gomment un parisien n'en serait-il pas fier? Ses promoteurs les plus éminents ont été le picard Jean Buridan et le normand Nicole Oresme. Gomment un français n'en éprouverait-il pas un légitime orgueil? Il a résulté de la lutte opiniâtre que l'Université de Paris, i. G. Milhaud, Science grecque et Science moderne (Comptes rendus de l'Académie des Sciences morales et politiques, 190/1). — G. Milhaud, Études sur la pensée scientifique chez les Grecs et les Modernes, Paris, 1906, pp. 268-269. XIV PREFACE veVfeble gardienne, en ce temps-là, de l'orthodoxie catholique, mena contre le paganisme péripatéticien et néoplatonicien. Gomment un chrétien n'en rendrait-il pas grâce à Dieu? i Les études qui vont suivre ont paru soit dans le Bulletin Italien, soit dans le Bulletin Hispanique ; à M. G. Radet, Doyen de la Faculté des Lettres de Bordeaux, à nos collègues, M. E. Bouvy et M. G. Cirot, nous sommes redevable de. cette large hospitalité accordée à nos recherches ; qu'ils daignent accueillir l'hommage de notre gratitude. Pierre DUHEM. Bordeaux, 2k Mai igi3. XIII JEAN I BURIDAN (DE BÉTHUNE) ET LÉONARD DE VINCI P. IX HEM. JKAN I MiltlDAN (DE BÉTHUNE) i.i LEONARD Di: VINCI Une date relative a Maître Albert de Swe. L'importance des écrits scientifiques d'Albert de Saxe avait passé complètement inaperçue, au cours des temps modernes, jusqu'au jour où Thurot, retraçant l'histoire du principe d'Ar- chimède, fut amené à la signaler 1 . A ce propos, le savant auteur mentionnait que la Bibliothèque Nationale possède, sous le n° 1/17 23 du fonds latin, une copie des Subtilissimœ quses- liones in llbros de Cœlo et Mundo composées par Albert; cette copie, disait-il, est de l'an 1378. Sur la foi de Thurot, nous avions reproduit cette indication en l'élude que nous avons intitulée : Albert de Saxe et Léonard de Vinci 2 . Or, nous Talions voir, cette indication était erronée. L'Administration de la Bibliothèque Nationale a bien voulu confier pendant trois mois à la Bibliothèque Universitaire de Bordeaux le manuscrit cité par Thurot; cette obligeance nous a permis d'examiner avec grand soin les pièces contenues en ce recueil ; c'est de cet examen que sont nées la présente étude et l'une de celles qui lui feront suite. Le manuscrit latin 1/4723 de la Bibliothèque Nationale est un volume épais; il contient près de trois cents feuillets de fort 1. Ch. Thurot, Recherches historiques sur le principe d'Archimède. 3° article {Revue archéologique, nouvelle série, t. XIX; pp. 1 19-123). 2. P. Duhem, Albert de Saxe et Léonard de Vinci, I (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, I ; première série, p. /»). 4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI papier vergé que couvre, sur deux colonnes, une écriture semi- cursive du xv e siècle, souvent très fine, et où les ligatures abondent; il est relié en parchemin vert, et sur le premier plat sont frappées les armes de l'abbaye de Saint-Victor; il provient, en effet, du fonds Saint-Victor, où il figurait sous le n° 712. Au recto du second feuillet, en bas, on retrouve les armes de l'abbaye de Saint-Victor avec cette devise : Ihs — Maria — S. Victor — S. Auguslinus. Au-dessous, se lit cette indication : Tabulam hic contentorum repe ries folio 270. En effet, le recto du folio 270 et dernier porte une sorte de table des matières dont voici la teneur : Que secuntur hic habentur, scilicet : Questioncs totius libri phisi- corum édite a Magistro Johanne Buridam. 2. — Questiones super totum librum de celo et mundo composite a Magistro Alberto de Saxonia. 113. — Questiones super très primos libros melheororum et super majorem partem quarli a Magistro Jo. Buridam. Î64. — X scilicet tercii nec continuit B quiafrixata C. 269 et usque 272. Le manuscrit a, d'ailleurs, été mutilé, de nouveau, depuis la rédaction de cette table, car les folios 260 à 269 ont disparu. Au folio 1 13, col. a, de ce manuscrit, commence, sans aucun titre, le texte mentionné par Thurot; au folio 162, col. b, ce même texte prend fin, et voici la formule qui le termine : Et sic cum Dei adjutorio finile suut questiones super totalem librum de celo et mundo per Magistrum Alberlum de Saxonia juxta Ma que didicil a Magistris suis. Parisius in facultate arcium anno Domini M°C e G e G°LXVIIJ. C'est donc de l'année i368 que ce texte est daté, et non pas de l'année 1378, comme une faute de copie ou d'impression l'a fait dire à Gh. Thurot. Mais à quoi cette date se rapporte-t-elle? Est-ce, comme le pense Thurot, à l'œuvre du copiste? S'il en était ainsi, le copiste qui a achevé, en i368, de transcrire les questions d'Albert de Saxe, ne saurait être celui auquel nous devons le manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale. L'écriture de ce texte accuse nettement le xv e siècle, et une preuve encore plus convaincante nous contraint de faire descendre jusqu'à cette époque la composition du recueil autrefois possédé par JEAN i muiDVN (DE iu'tiii m i il LÉONARD DE VINCI 5 L'abbaye de Saint Victor; les trois pièces <|ui forment ce recueil soni visiblement de La même main, et L'examen qu'en une étude suivante nous ferons de La troisième de ces pièces, nous montrera qu'elle reproduit un écrit du xv" siècle. Si donc la date de i368 est celle (Tune copie, elle est celle d'une ancienne copie dont le manuscrit conserve à la Biblio thèque Nationale nous présente une réplique; le scribe auquel nous devons cette réplique aurait religieusement conservé la mention inscrite par le copiste primitif. Cette hypothèse, toute gratuite, est rendue fort peu vraisem- blable parla teneur même de cette mention; celle-ci, en effet, fait remonter aux maîtres d'Albert de Saxe l'honneur des doc- trines qui sont exposées dans les Quxstiones in llbros de Cxlo et Mundo; il paraîtrait bien osé, le copiste assez irrévérencieux pour dépouiller de tout mérite personnel l'auteur dont il repro- duit l'œuvre; le cas serait fort rare, croyons-nous, et peut-être unique en tout le Moyen-Age. Combien cette mention semble naturelle, au contraire, si nous l'attribuons à Albert de Saxe lui-même ! Nous y voyons, alors, une preuve de la modestie de l'auteur et de la gratitude qu'il vouait à ceux dont il avait suivi les leçons. Ces sentiments , d'ailleurs , nous savons qu'Albert les éprouvait. Lisons, en effet, la préface par laquelle débutent, en notre manuscrit, les Quxstiones in libros de Cxlo; cette pré- face, que toutes les éditions imprimées ont reproduite, se termine ainsi : « Secundum exigentiam islarum materiarum Domino conce- dente quasdam conscribarn questiones super totalem librum Ares- tolelis antedictum. In qaibus si quid minus bene dixero bénigne correctioni melius dicentium me subjicio. Pro bene dictis autem non mihi soli sed magistris meis reverendis de nobili facultate arcium parisiensi qui me talia docuerunt peto dari grates et exhi- bitionem honoris et reverentie. » Celui qui plaçait cette déclaration au début de son ouvrage n'est-il pas bien évidemment le même qui inscrivait, à la fin, la mention faussement attribuée au copiste par Ch. Thurot? Cette mention, c'est la signature même d'Albert de Saxe. 6 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI De cette signature, il résulte qu'Albert a rédigé en i368 ses Quœstiones in libros de Cœlo et Mundo et qu'à cette époque, il appartenait à la Faculté des Arts de l'Université de Paris. Une opinion très répandue identifie Albert de Helmstedt, surnommé Albert de Saxe, avec Albert de Ricmerstorp qui quitta Paris en i365, pour devenir le premier recteur de l'Université de Vienne. En une autre étude 1 , nous avions montré tout ce que cette opinion renfermait d'invraisemblable ; les documents contenus au Chartularium Universitatis Parisiensis et au Liber procuratorum nationis Anglicanx nous avaient permis d'établir, croyons-nous, qu'Albert de Helmstedt et Albert de Ricmerstorp étaient deux personnages distincts. Le texte que nous venons d'étudier ne laisse plus aucun doute à cet égard; en i368, Albert de Helmstedt appartenait encore à la Faculté des Arts de l'Université de Paris, tandis qu'à cette époque, Albert de Ricmerstorp était, depuis deux ans, évêque d'Halberstadt. II Jean I Buridan (de Béthuïse). Au début comme à la fin de ses Quœstiones in libros de Cœlo et Mundo, Albert de Saxe prend soin de proclamer qu'il doit beaucoup à ses maîtres; cette modestie fort louable n'est pas, sans doute, dénuée de raisons; nous devons croire qu'en effet, renseignement d'Albert reflète fréquemment celui qu'il avait reçu « en la noble Faculté des Arts de l'Université de Paris ». Est-il, d'ailleurs, un seul maître dont les leçons ne soient, en grande partie, l'écho de celles qu'il a entendues alors qu'il n'était que disciple? L'aveu d'Albert nous pose un problème : Parmi les théories qu'il expose en ses divers écrits, quelles sont celles qu'il tient de ses prédécesseurs, quelles sont, au contraire, celles qui lui sont personnelles? En particulier, lorsque Léonard de Vinci i. P. Duhem, Albert de Saxe, II (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu; VIII. Première série, pp. 3a7-33i). JEAN i BURIDAN (i»i: m'iiii m.) i: i LÉONARD DE \i\m 7 puisait, pour alimenter le coins 870, pp. 3oG-3o7. 2. L'année, à cette époque, ne commençait qu'à Pâques; cette date correspond donc au 9 février 1828, octave de la Purification. 3. Iieg. Vatican. Comm. Joh. XXII, an. XIII, p. h, ep. 3iGg. — Cité par Deniile et Châtelain, Chartularium Universitatis Pariensis, tomus II, sectio I, p. 307, en note. h. Reg. Vatican. Comm. Joh. XXII, an. XIV, p. 1, ep. 950. — Cité par Deniile et Châtelain, lbid. 5. Joannis Buridani In librum Aristotelis de sensu et sensato quœst. III. (Quœs- tiones et decisiones insignium virorum Alherti de Saxonia, Thimonis, Buridani... Pari- sius, per Jodocum Badium Ascensium et Conrardum Resch, MDXVI et MDXVIII, pars III, fol. XXX, col. a. — On trouvera la description de cette édition dans nos Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, première série, p. 5, en note.) JEAN i iiihiiiW (DB HÉTHUNE) ET LÉONARD i»i VINCI <| pape Jean ; par la belle discussion (jii il soutint devant les cardinaux, il obtint qu'il lui pourvu à sa subsistance Sur l« vc\ omis d'une abbaye. » Le pontificat de Jean Wll a dure de [3l6 à [334. Il n'\ aurait donc aucune invraisemblance à ce (pic Buridan eût été député vers lui, en une de ees missions qui assuraient de constants rapports entre l'Université de Taris et la (Joui- ponti- ficale. Une difficulté surgit, cependant; le passage cité parle de la Curkt Romana, et Jean Wll résidait à Avignon; assu rément, on peut prétendre que Caria Romana signifie simple- ment la Cour pontificale, que celle-ci peut avoir été désignée de la sorte alors même qu'elle se trouvait à Avignon; mais une telle impropriété de termes surprend quelque peu dans la bouche d'un maître habitué aux subtiles précisions de la Scolastique; d'ailleurs, nous n'avons jamais trouvé le mot Caria Romana dans les nombreux documents, relatifs aux rapports de l'Université avec les papes d'Avignon, que nous avons pu lire au Chartalariam Universitalis Paris ie ns is ; au contraire, ce mot se rencontre à chaque instant dans les lettres échangées entre les papes de Rome et l'Université. Nous verrons que les Quœstiones in libram Aristotelis de lon- gitadine et brevitate vitœ que Georges Lokert, dans les mêmes éditions, attribue à Jean Buridan, n'étaient assurément pas du Philosophe de Béthune; nous serons amené, en une pro- chaine Étude, à les attribuer à un maître qui enseigna à Paris pendant le premier quart du xv e siècle. D'ailleurs les questions sur les divers traités d'Aristote que l'on nomme Parva natu- ralia, et aussi les questions sur le De anima, réunies sous le nom de Jean Buridan dans les diverses éditions données par Georges Lokert, forment un ensemble très homogène de style et de doctrine; il est bien difficile de ne pas en faire l'ouvrage d'un même auteur. Les Quœstiones in librum de sensu et sensato ont donc été rédigées, sans aucun doute, par le maître qui, au xv e siècle, a composé les Quœstiones in librum de longitudine et brevitate vitœ; le pape Jean mentionné au premier de ces deux écrits n'est pas Jean XXII, qui résida à Avignon, mais Jean XX 111, qui passa plusieurs années en la Curia Romana, IO ETUDES SUR LEONARD DE VINCI où l'Université de Paris entretenait auprès de lui des nonces chargés d'incessantes négociations 1 . Pour retrouver un document authentique qui concerne le Philosophe de Béthune, il nous faut arriver jusqu'à l'an i34o; en cette année-là, selon le Livre des procureurs de la Nation Anglaise *, « Maître Jean Brudan (sic), de la Nation Picarde, » fut, de nouveau, nommé recteur de l'Université de Paris. Le 19 juin i3^2, « alors qu'il enseignait à Paris les livres de la Physique, de la Métaphysique et de la Morale, » il fut nommé chanoine d'Arras 3 . Plusieurs fois recteur, chanoine d'Arras, maître JeanBuridan était assurément un très notable personnage de l'Université de Paris; un exemple, que nous empruntons à Du Boulay^, nous montrera dans quelle estime il y était tenu. En i344, pour faire face aux dépenses de la guerre contre les Anglais, Philippe VI de Valois créa l'impôt sur le sel et les marais salants. La gabelle fut, dès l'origine, d'une impopularité extrême; nul n'en était exempt, pas même l'Université. Contre cette charge nouvelle, l'Université protesta. « A cette occasion, Maître Jean Buridan, philosophe de grand nom et de grande réputation, plusieurs fois nommé procureur de la Nation Picarde, à laquelle il appartenait, et deux fois élu recteur de l'Académie, fut chargé de haranguer le roi. Mais, » ajoute Du Boulay, « nous ignorons quelle fut l'issue de cette harangue. » De cette grande estime en laquelle était tenu Maître Jean Buridan, il allait bientôt recevoir un nouveau témoignage. En i3o8, Maître Jehan de ïhélu, docteur en droit, avait légué une certaine somme pour qu'une charge de chapelain fût fondée à l'église Saint-André-des-Arcs. C'est seulement le 22 novembre i347 que les exécuteurs testamentaires de Symon Vayret mirent l'Université en posses- 1. Dcnifle et Châtelain, Chartularium Universitalis Parisiensis, ann. i'ho scqq. ; tomus IV, ab anno MCCCLWXXJV ad annum MCCCCLII, pp. 1 83 seqq. 2. Deniile et Châtelain, Auctarium Chartularii Universilatis Parisiensis ; Liber procu- ratorum Nationis Anglicanse, tomus I, ab anno MCCCXXXI1I ad annum MCCCCVI, col. t\\. 3. P.eg. Comm. Clément. VI, n° 1/49, fol. 37G. — Cité par Deniflc et Châtelain, Char- tularium Universitatis Parisiensis, tomus II, sectio I, p. 307, en note. 4. Bulaeus, Historia Universitatis Parisiensis, tomus IV, ab anno i3oo ad annum i4oo, p. 282, h \\ i BURIDAN (DE BÉTHUNE) El LÉONARD DI VINCI il sion ' de La somme Léguée par Jehan de Thélu; N niversib lit aussitôt m» devoir de satisfaire à la volonté du docteur en droit; le 5 août r348, elle présenta u discretum uirum Johannem Buridan, magistrum in artibus», ;'i Faucon, évêque de Paris, afin que celui ci lui conférai Le Mire de chapelain de Saint \ndrr des Arcs; le 10 octobre de la même année, Faucon ratifia le choix de l'Université ". Jean Buridan nous apparaît, d'ailleurs, comme un maître zélé en ses fondions, toujours dévoué aux intérêts de l'Université et, spécialement, de la Nation Picarde. Le 22 décembre 1V17, il figure :i parmi les maîtres qui règlent, en un statut, une série de mesures, d'ordre pratique et financier, relatives à la Nation. Les rôles remis au pape, à Avignon, le 22 mai i34q, mention- nent le nom' 1 de ce maître, non point parmi les « nichil actu habentes » ni parmi les « modicum habenies », mais parmi les « secundum statum eorum et sufficientiam modicum habentes » ; c'étaient les maîtres les plus fortunés. Le temps, en prolongeant le séjour de Maître Jean Buridan à l'Université, ne fit qu'accroître sa réputation et l'ascendant qu'il exerçait sur ses collègues; il était, en toute négociation délicate, le représentant de la Nation Picarde. Le 19 février 1807, la Nation Anglaise, dont Jean de Mynda était alors procureur, eut à juger un cas embarrassant 5 ; un nommé Jean Mast, du diocèse de Liège, après avoir subi chez les Picards l'examen de déterminance, souhaitait de subir auprès des Anglais l'épreuve de la licence. Maître Thémon, le fils du Juif, voulait que cette requête fût rejetée; l'écolier devait rester invariablement lié à la nation dont dépendait le 1. Dcniile et Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, tomus II, sectio I, ab anno MCCLWWI adannum MGCGL, pièce n° ii55, pp. 619-620. 2. Toutes les pièces relatives à cette présentation, extraites des Livres des procu- reurs des Nations de Gaule et de Picardie, sont reproduites dans : Bulœus, Historia ( niversitatis Parisiensis, tomus IV, ab anno i3oo ad annum 1A00, pp. 3o3-3o8. — Dcniile et Châtelain (Chartularium Universitatis Parisiensis, tomus II, sectio I, ab anno MCCLXXXVI ad annum MCCCL) reproduisent la présentation de Jean Buridan faite par l'Université à Faucon, évoque de Paris (pièce n° n5G, pp. G2 1-622). 3. Denille et Châtelain, Chartularium. Universitatis Parisiensis, tomus II, sectio 1, p. 608, pièce n° n46. \. Denifle et Châtelain, Ibid., p. 645, pièce n° n65. .). Denifle et Châtelain, Auctarium Chartularii Universitatis Parisiensis; Liber pro- euratorum Nationis Arujlicanse, t. I, ab anno MCCCXWIII ad annum MCCCCVI, COl, 2O0, 12 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI lieu de sa naissance; à quoi Jean Mast répliquait que Liège n'était pas plus picard que flamand. Au cours de ce débat, deux maîtres picards se présentèrent, non comme délégués de leur nation, mais à titre privé et comme amis du Liégeois ; leur conférence amiable avec les maîtres de la Nation Anglaise eut bientôt apaisé la querelle; Jean Mast fut admis, selon sa requête, à prêter serment auprès des deux nations et à partager entre elles les redevances qu'il devait solder. Les deux émis- saires conciliants qui avaient obtenu cette transaction avaient nom Johannes Juvenis et Jean Buridan. Le litige qu'ils avaient heureusement contribué à aplanir était de ceux qui se peuvent reproduire; pour en éviter le retour, il importait que l'on fixât avec rigueur la commune frontière des deux nations. Approuvé par le procureur de la Nation Picarde, Buridan rédigea une pièce où une telle délimi- tation se trouvait proposée; le 29 juin i357, il présenta 1 cette pièce à la Nation Anglaise assemblée sous la présidence de son procureur, l'écossais William de Spyny. La proposition de Buridan donna lieu, entre les deux Nations, à d'activés négo- ciations; celles-ci aboutirent à un concordat où la ligne de séparation entre Anglais et Picards était marquée avec préci- sion; ce concordat, dont le texte nous est conservé en double par les livres des procureurs des deux Nations^, fut arrêté en présence de maîtres picards et anglais appartenant aux diverses Facultés ; les maîtres es arts qui figuraient au nombre des témoins étaient : Jean Buridan, Nicolas de Soissons, Kobert fils de Godefroi et Albert de Saxe. Selon le Livre des procu- reurs de la Nation Anglaise, ce document fut lu devant la Nation assemblée, et scellé de son sceau, le 12 juillet i358. Ce document, où le nom du vieux maître es arts Jean Buridan figure à coté de celui d'Albert de Saxe, son jeune collègue, est en même temps le dernier qui mentionne la pré- sence, à l'Université de Paris, du Philosophe de Béthune. 1. Dcnifle et Châtelain, Op. cit., col. 212. 2. Bulœus, Historia Universitatis Parisiensis, tomus IV, p. 346. — Denifle et Châ- telain, Chartularium Universitatis Parisiensis, tomus 111, ah anno MCCCL usque ad annum MCCCLXXXXIIII, pp. 56-5g, pièce n" îa'io. — Denifle et Châtelain, Auctarium Chartularii Universitatis Parisiensis ; Liber procuratorum Nalionis Anglican.e, tomus I, ab anno MCCCXXXUI aJ annum MCGGCVI, coll. a33-a35. .ir.AN i iiiimiiw du; BÉTHINE) i.i LÉONARD DE VI!I< I I Selon la tradition, il aurait Légué à II ni ver si té, où il avait si Longtemps enseigné, une maison «ju'il avajt achetée de ses deniers el que L'on montrait encore an temps DE VINCI 17 miiis, (mi même temps, il est fort con triste de la perte des objets qu'il lui faut jeter à ta mer pour être sauvé; il veut donc les jeter à la mer et, de fait, il finit par les v jeter; mais il s \ résout avec grande douleur et tristesse, et il met fort Longtemps à s'y résoudre; la cause en est aux divers actes volontaires cj 11 i se combattent l'un l'autre; il veut échapper à la tempête et il veut aussi sauver son bien. » En la question suivante, Buridan répèle 1 que «la volonté combat parfois contre elle-même, comme il arrive en un mariage volontaire », puis il reprend l'exemple que nous venons de lui entendre développer; de l'âne sollicité par l'attrait de deux bottes de foin, il n'est nullement question. Voici encore une circonstance ' où cet exemple célèbre eût pu être invoqué et où il ne l'a point été. Il s'agit de prouver que l'âme sensitive des animaux joue, en la sensation, un rôle actif, et non pas seulement un rôle passif : « Nous voyons, en effet, que le cheval ou le chien, à l'aide du sens, compose, divise et fait des raisonnements discursifs comme s'il usait du syllogisme. S'il voit son maître de l'autre côté d'une mare ou d'un fossé, il juge qu'il ne peut l'atteindre en suivant la ligne droite, mais seulement par un chemin courbe, et il contourne l'obstacle. Il n'est pas croyable que l'objet suffise à produire une telle opération discursive; l'objet n'a point d'autre vertu que d'imprimer sa species au sein du milieu; or ces actes outrepassent ce dont une telle impression est capable. » Ne serait-ce pas bien le cas de faire remarquer qu'un sens pure- ment passif laisserait l'âne mourir de faim entre les impres- sions équivalentes de deux picotins parfaitement égaux? Aux Questions sur l'Éthique à Nicomaque, notre philosophe examine tout spécialement le problème du libre arbitre, qu'il formule en ces termes 3 : « La volonté étant placée entre deux partis opposés, et 1. Joannis Buridani Quœstiones in libros de anima; in lib. I quaest. VI ; édit. cit., fol. vnr, col. c. 2. Joannis Buridani Quœstiones in libros de anima, in lib. II quœst. XIII ; édit. cit., fol. xii, col. a. 3. Proemium Ioannis Buridani in questiones super X libros Aris. ad Nicomachum. Colophon : Hue usque producte sunt questiones Buridani morales : robustiori etati precipue perlegende quas Egidius delfus socius Sorbonicus : atque in sacris litteris P. DU HEM. 2 l8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI toutes choses étant d'ailleurs parfaitement égales, peut-elle se déterminer tantôt vers l'un des partis et tantôt vers l'autre?» L'auteur des Questions sur l'Éthique ne trouve pas, en la Philosophie, de raison péremptoire pour ou contre le libre arbitre; s'il adhère à l'opinion qui répond affirmativement à la question posée, c'est surtout, dit-il, pour se soumettre à l'autorité de l'enseignement chrétien, autorité confirmée tout particulièrement par l'une des condamnations prononcées à Paris en 1277. Au cours de sa longue et intéressante discussion, il n'invoque aucunement l'argument de l'âne. « Je puis aller de Paris à Avignon soit par Lyon, soit par Dun-le-Roi » ; telle est l'alter- native qui lui sert d'exemple concret. Ailleurs, il examine ce problème 1 : « Les actes qui se font par crainte, en ce sens qu'ils ne se feraient pas sans cette crainte, tel l'acte de jeter des marchandises à la mer pendant une tempête, sont-ils des actes involontaires? » « Prenons, dit-il, exemple de cette action qui consiste à jeter des marchandises à la mer. On peut, en premier lieu, deman- der d'une manière générale si l'action de jeter des marchan- dises à la mer est un acte volontaire; dans ce cas, on doit purement et simplement répondre non... On peut demander, en second lieu, si l'on fait un acte volontaire en jetant des marchandises à la mer, pendant une tempête, pour son propre salut et pour celui des autres; on doit alors répondre oui. » Cet exemple, nous l'avions déjà rencontré, à deux reprises, en parcourant les Quœstiones in libros de anima. A vrai dire, cette discussion ne prouve pas que Buridan n'ait pas, au xiv e siècle, invoqué le cas demeuré célèbre de cet âne dans l'embarras. Nous ne relevons aucune allusion à cet argument dans les Quœstiones in libros de anima; mais ces baccalarius formatus emendatius imprimi curavit. Impressore vuolfgango hopyl. Anno incarnationis domini MCCCCLXXXIX décima quarta die Iulii. In lib. III quaest. I : Utrum sit possibile quod voluntas, caîteris omnibus eodemmodo se haben- tibus, determinetur aliquando ad unum oppositorum, aliquando ad aliud. Éd. cit., fol. XL vi, col, c. 1. Joannis Buridani Quœstiones in X libros Aristotelis ad Nichomachum ; lib. III, quaest. VIII : Utrum operationes qua? propter metum fiunt, scilicet quod alias non fièrent, sunt involuntariœ, ut in tempestatibus maris si mercedes ejiciantur. Édit. cit., fol. lviii, coll. a et b. m vn i m iui>\n (DE m iiii \i i i i LÉONARD DE \ im i l£ Quœstiones sont elles du Philosophe de BéthuneP Elles Bem blent intimement liées aux Quœstiones in parva naturalia que Georges Lokert a publiées en même temps; un seul et même auteur paraît bien avoir rédigé ces questions ci et celle- Là. Or, en une prochaine élude, nous reporterons ;m début du xv* siècle la composition des Quœstiones in parva naturalia. Ne devons- nous pas agir de même au sujet des questions sur le De anima? C'est, en effet, la conclusion à laquelle nous serons amené. Nous serons amené, également, à penser que les Questions sur l'Éthique à Nicomaque sont de l'auteur qui a rédigé les Quxslionrs in libros de a/iitna et les Quœstiones in parva naturalia. Ce (pic nous venons de dire semble bien prouver que cet auteur n'a pas imaginé l'argument de l'âne ; mais nous n'en saurions conclure que le Philosophe de Béthune n'ait pas proposé cette comparaison célèbre. Venons donc à l'examen d'un ouvrage qui soit indubitablement de ce philosophe ; nous voulons parler des Questions sur la Métaphysique d'Arislote. En cet ouvrage Buridan examine la question que voici l : « Assigne-ton bien la différence entre les puissances ration- nelles et les puissances irrationnelles, lorsque l'on dit : La puissance rationnelle est également capable de deux actes opposés ; il n'en est pas de même de la puissance irrationnelle; elle ne peut produire qu'un seul acte. » Quelle alternative Buridan propose -t- il à cette puissance rationnelle qu'est notre volonté? « Pour que la volonté, dit-il, produise l'acte de volition, il faut que la raison ait auparavant jugé du bien et du mal. Imaginons donc que l'intellect voie une somme d'argent; il juge que cet argent serait utile, profitable, nécessaire, et qu'il serait bon de prendre cette somme ; d'autre part, il juge que cet argent ne lui appartient pas, qu'il serait malhonnête et 1. In Metaphysicen Aristotelis Quœstiones argutissimœ Magistri ïoannis Buridani in ultima prœlectione ab ipso recognitœ et emissœ : ac ad archetypon diligenter repositse : cum duplici indicio : materiarum videlicet in fronte : et quœstionum in operis calce. Vœnundantur Badio. Colophon : Hic terminantur Metaphysicales quaestiones brèves et utiles super libros Metaphysice Aristotelis quae ab excellentissimo magistro Ioanne Buridano diligentissima cura et correctione ac emendatione in formam redactœ fuerunt in ultima prœlectione ipsius Recognitœ rursus accuratione et impensis lodoci Badii Ascensii ad quartum idus Octobris MDXVI1I. Deo gratias. 20 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI injuste de s'en emparer. Ces jugements étant posés, et toutes les autres choses du monde se comportant d'une manière semblable à l'égard de l'un et de l'autre parti, en l'absence de toute autre cause déterminante, la volonté peut se décider à prendre ce qu'elle juge utile; elle peut aussi se décider à ne pas le prendre, parce qu'elle a jugé qu'il serait injuste et malhonnête de le faire; elle peut encore demeurer en suspens, sans produire ni l'acte de vouloir ni l'acte de ne pas vouloir; elle peut différer sa décision jusqu'au moment où l'intellect aura plus longuement considéré les deux partis et en aura plus complètement délibéré. L'intellect ne suffît donc pas à déterminer la volonté; la volonté tient sa détermination de sa propre liberté. « Considérons, au contraire, l'appétit sensitif ou toute autre puissance non libre; si cette puissance est indifférente à deux actes opposés l'un à l'autre, par exemple à l'acceptation ou au refus, jamais elle ne se résoudra ni à l'un ni à l'autre de ces deux effets, à moins que quelque autre cause ne l'y détermine. L'appétit sensitif du cheval ou du chien est donc déterminé à l'acte par le seul jugement du sens. Aussitôt que le cheval ou le chien juge, par le sens dont il est doué, qu'une chose est bonne, qu'elle lui convient, l'appétit l'incline vers cette chose. A la vérité, on voit parfois concourir ici comme des jugements contradictoires du sens. Un chien, par exemple, est à jeun ; il est affamé; il voit de la nourriture et désire ardemment s'en emparer ; mais aussi il voit son maître qui tient un bâton ; il juge donc qu'il serait mauvais de s'emparer de cette viande, et il craint de le faire. Mais celui de ces deux jugements : il faut prendre cette nourriture, il ne faut pas la prendre, qui sera le plus fort, déterminera l'acte le plus puissant de l'appétit, que suivra à son tour l'acte extérieur. » Cette opposition entre les puissances rationnelles et les puissances irrationnelles est-elle appuyée d'arguments irréfu- tables? « Il me semble, déclare Buridan, que pour admettre une telle différence entre la liberté de notre volonté et la privation de liberté dont est frappé l'appétit sensitif du chien, il vaut mieux se fier à la foi qu'à la raison naturelle. Il ne il \N i BURIDAN I DE BÉTHINB) m LEONARD i>i WHC1 SI soi ii i i \)n< bien aisé de démontrer que notre volonté esl entiè remeni indifférente à deux actes oppo [u'elle peut, ce que ne peul L'appétit du chien, Be décider ;» l'un <»u ;i L'autre parti sans que rien d'étranger ne l'\ | >< >rtc. » A.u cours du débat que termine colle très prudente conclu sion, un philosophe moderne cul sans doute fail quelque allusion à L'embarras de l'âne; Buridan n'en parle pas Aucun texte, donc, ne nous permet d'attribuer cette compa- raison célèbre ni à Jean Buridan de Béthune ni au philosophe son homonyme peut être, qui, au déhut du xv* siècle, corn menta le De anima et {'Éthique à Nicomaque. L'un ou l'autre, ou bien l'un et l'autre, ont pu remployer en l'exposition orale des débats relatifs au libre arbitre. L'ont- ils fait? Nous ne saurions ni l'affirmer ni le nier. Jean Buridan de Béthune et Albert de Helmstcdt, sur- nommé Albert de Saxe, enseignaient à la même époque en la Faculté des Arts de l'Université de Paris; le premier y était, de beaucoup, plus ancien que le second; l'enseignement de celui-là a donc pu influer sur les opinions de celui-ci. De cette influence nous retrouverons les traces manifestes si nous comparons les divers écrits d'Albert de Saxe qui ont la Physique pour objet aux Quœstiones totius lihri Physicorum de Buridan. Ces questions se trouvent conservées au manuscrit dont le S i contient la description; elles en occupent 112 feuillets. Elles ont été imprimées à Paris, en i5oq, par Pierre Ledru, aux frais du libraire Denis Roce. et sous la direction de Jean Dullaert. de Gand 1 . Nous n'avons pu consulter cette édition. Nous avons déjà dit. et nous montrerons en une prochaine étude, que bon nombre d'écrits attribués à Buridan doivent être reportés au xv e siècle. On ne saurait craindre qu'un tel sort fut réservé aux Quœstiones totius tibri Physicorum; ces Questions 1. Acutissimi philosophi reverendi magistri Johannis Buridani subtilissime questiones super octo phisicorum libros diligenter recognite et revise a magistro Johanne Dullaert de Gandavo antea nusquarn impresse. Venum exponuntur in edibus Dkmisi Roce. Parisius. in vico divi Jacobi, sub divi Martini intersignio. Colophon : Hic finem accipiunt questiones reverendi magistri Johannis Buridani super octo phisicorum libros, impresse Parhisiis opéra ae industria magistri Pétri Ledru. impensis... Dionisii Roce... anno millesimo quingentesimo nono. octavo calendas novembres. 2 2 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI ont été sûrement rédigées au xiv c siècle ; un savant libraire de Munich, M. Jacques Rosenthal, nous a signalé la présence entre ses mains d'une copie sur vélin des Questiones supra libros phisicorum Aristotelis novissime Parisiis disputate, et cette copie est datée de l'an 1371 . Les Questions sur la Physique de Jean Buridan débutent par un proœmium 1 ; en ce proœmium, le Maître nous apprend qu'il a rédigé son ouvrage à la prière d'un grand nombre de ses collègues et de ses disciples; moins modeste qu'Albert de Saxe, il a conscience que certaines inventions s'y trouvent contenues, et il réclame la gratitude de ceux à qui ces inven- tions auront plu : « Bonum, ut habetur primo Ethicorum, quanto est multis communius, tanto est melius et divinius ; propter quod multorum de discipulis seu sodalibus meis precibus inclinatus, aliquot scribere prœsumpsi de difficultatibus libri Physicorum et hanc illis scripturaux communicare, quia non possent, ut débet, multa in scholis audita sine aliquo scripturœ admonilorio memoriœ commandare ; super quibus peto et supplico de obmisso et minus bene dicto obtinere veniam; de inventis autem, si quœ faciunt convenientiam, multas habere grates. » Quelles sont ces inventions, au sujet desquelles le Philo- sophe de Béthune réclamait la reconnaissance de ses lecteurs? Notre objet n'est point ici de les rechercher. Plus restreint de beaucoup, il consiste à examiner si quelques-unes des idées dont nous avons attribué la découverte à Albert de Saxe, ne lui ont pas été suggérées par Buridan. Afin que cette étude n'excède pas de justes limites, nous bornerons notre recherche aux deux théories d'Albertutius qui ont le plus vivement attiré l'attention du Vinci : la théorie du centre de gravité, et la théorie de Yimpetus. 1. Ms. cit., fol. 2, col. b. JEAN i BURIDAN (DE m'rniM) 11 LÉONARD i»i VINCI III Que la théorie du centre de gravité, enseignée par ALBERT DE S AXE, N'EST AUCUNEMENT EMPR1 vil i; \ JEAN BURIDAN. Albert de Saxe a soutenu, au sujet du centre de gravité, une doctrine qui prend, dans ses écrits, la plus grande impor- tance 1 . Cette doctrine, nous l'avons vue naître du besoin de résoudre certains problèmes. Si nous voulons apprécier le rôle exact que Jean Buridan et Albert de Saxe ont pu jouer en la création de cette théorie, il nous faut marquer d'une manière précise où en était la solution de ces problèmes au moment même où ces deux maîtres ont commencé de s'en inquiéter. Le premier de ces problèmes peut être formulé en ces termes : Le lieu naturel de l'élément terrestre est- il la surface concave de l'eau ou bien le centre du Monde? Sans rapporter ici tout ce qui a été répondu à cette question depuis le temps où Aristote l'a posée 2 , voyons ce qu'on en disait, à l'Université de Paris, immédiatement avant Buridan et Albert de Helm- stedt; Walter Burley va nous renseigner à cet égard. Selon Burley 3 , le lieu naturel de l'élément terrestre n'est pas la surface interne de l'élément de l'eau; « la terre n'est en son lieu naturel que si sa sphère a pour centre le centre du Monde. » « De même, l'eau n'est en son lieu naturel que si sa sphère a pour centre le centre du Monde, qui est le même i. Albert de Saxe et Léonard de Vinci; II. Quelques points de la Physique d'Albert de Saxe (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, 1; première série, pp. 8-i5). 2. On trouvera un résumé de ces réponses en notre ouvrage : Les origines de la Statique, t. II, pp. io-i3. 3. Burleus Super octo libros physicorum, Colophon : Et in hoc finitur expositio excellentissimi philosophi Gualterii de Burley Anglici in libros octo de physico auditu Aristotelis Stagerite (sic) emendata diligentissime. Impressa arte et diligentia lioneti Locatelli Bergomensis, sumptibus vero et expensis nobilis viri Octaviani Scoti Modoetiensis... Venetiis, anno salutis 1^91, quarto nonas decembris. 93* fol. (non numéroté). 24 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI que celui de la terre. » On peut en dire autant des autres éléments : « Aucun élément n'est en son lieu naturel si son centre n'est au centre du Monde. » a Une portion de la terre, libre de tout obstacle, se meut vers le centre du Monde et non vers la surface interne de l'eau. » Une difficulté, il est vrai, se présente : « Lorsque la terre a pour centre le centre du Monde, chacune de ses parties se trouve violentée, car, libre de toute entrave, elle se mouvrait naturellement vers le centre. » « De même si la terre était percée, de part en part, d'un trou passant par le centre, une motte de terre, jetée dans ce trou, se mouvrait jusqu'à ce que son milieu vienne au milieu du Monde; une moitié de cette masse serait alors d'un côté du centre du Monde et l'autre moitié de l'autre côté ; mais cela ne peut se faire à moins qu'une partie de cette motte de terre ne s'éloigne du centre de l'Univers pour se rapprocher du Ciel; or, ce dernier mouvement est un mouvement vers le haut, donc un mouvement violent, ce qui est impossible. » A cela Burley répond « qu'une partie de la terre, détachée de son tout, est violentée lorsque son milieu n'est pas le centre du Monde, car, délivrée de tout obstacle, elle se mouvrait vers le centre du Monde; mais lorsqu'elle est unie au reste de la terre, elle peut, sans être violentée, reposer hors du centre du Monde, car elle est en repos, non par elle-même, mais en vertu du repos de l'ensemble. » L'origine du second problème doit être cherchée dans les écrits de Roger Bacon. Aristote n'avait rien conçu, en sa Physique, qui fût analogue à notre notion de masse; pour qu'un corps, soumis à une certaine puissance, pût se mouvoir avec une vitesse finie, il fallait qu'une certaine résistance le retînt ; en l'absence de toute résistance, il parviendrait instantanément au terme de son mouvement. Un grave, par exemple, soumis à sa seule pesanteur, atteindrait le sol au moment même qu'il serait libre de tomber; si sa chute dure un certain temps, c'est qu'une certaine résistance lutte contre la gravité dont il est doué. Cette résistance, Aristote l'attribue entièrement à l'air ambiant; cette doctrine lui fournit un de ses principaux U- JBÀN i m iud\n (DE DÉTHUNE) ii LÉONARD DE HHCl arguments contre la possibilité «lu vide; dans le \i3, fol. GO, col. c). 3. Jean Buridan, loc. cit., fol. G7, col. a. 1 1 , v n I BURIDAN ihi. BÉTHUNE) ii LÉONARD DI \imi 'J\) milieu du Monde n'est aucunement une chose Indivisible, semblable au point que L'on peul imaginer sur une ligne, Le centre ou milieu du Monde esl une chose qui a une certaine grandeur, qui est longue, Large et profonde; c'est, par exemple, toute la lerre ou une partie possédant un certain volume (pars quaniitativa) de celle même terre. Le lieu inférieur, le lieu le plus bas, ce n'es! pas le centre [indivisible] du Monde; bien plutôt, ce lieu contient ce centre [indivisible] du Monde. Un homme qui tombe n'a pas inclination, ne se dirige pas vers le centre indivisible du Monde. Bien plus! S'il n'y avait aucun corps grave à l'endroit vers lequel tombe cet homme, s'il y avait seulement de l'air là où se trouvent actuellement la terre et l'eau, cet homme aurait inclination et tendance à devenir [en son entier] milieu du Monde; c'est à cela, et à cela seule- ment, que ses diverses parties auraient toutes ensemble incli- nation et tendance, à savoir que [le corps entier de] cet homme devînt le milieu du Monde ; en cela, les parties ne se gêneraient aucunement l'une l'autre. » D'ailleurs, cet homme, pris en son ensemble, se mouvrait beaucoup plus rapidement que ne se mouvrait une de ses parties prises isolément; bien loin donc que ses diverses parties s'empêchent et se retardent l'une l'autre, elles se rendent mutuellement plus vives et plus vites. » De même, en une grande masse d'eau continue, une partie n'aspire pas à descendre au-dessous d'une autre partie, si elles ont toutes deux même degré de pesanteur ou de légèreté. Voilà pourquoi un marin qui descend au fond de la mer ne sent pas la pesanteur de l'eau, bien qu'il en ait sur les épaules cent tonnes ou mille tonnes; cette eau, en effet, qui se trouve au- dessus de lui, ne tend pas à descendre davantage. Elle aurait, au contraire, une semblable inclination par rapport à l'air, si cet air se trouvait au-dessous d'elle. » Lors même que cette masse d'eau ne se trouverait pas en son lieu naturel, qu'elle serait fort élevée en un vase placé en un sommet terrestre, une partie de cette eau ne tendrait pas davantage à se placer au-dessous d'une autre partie. Suppo- sons, en effet, qu'en un tel lieu, un homme se trouve dans un 3o ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI bain et que sa jambe soit au fond de ce bain, surmontée d'une quantité d'eau que, dans l'air, cet homme ne pourrait porter; l'homme, cependant, ne sentirait pas le poids de cette eau, car cette eau n'aurait aucune inclination à se placer au-dessous de l'eau qui l'entoure ou qui lui est sous-jacente. » J'en dis autant de la terre tout entière, qui est le centre du Monde. Non seulement la partie centrale de cette terre se trouve naturellement en repos, mais il en est de même de ses parties extrêmes; celles-ci n'éprouvent aucune inclination vers ce point milieu que l'on imagine être le centre de la terre. La terre entière, et ses diverses parties toutes ensemble, tendent, par une inclination continuelle, à occuper autant d'espace qu'elles en occupent actuellement; c'est pourquoi elles se meuvent en ligne droite sans que ni les parties centrales, ni les parties extrêmes, s'empêchent mutuellement ou résistent les unes aux autres. » Les principes que le Philosophe de Béthune expose en ces divers passages se trouvent encore formulés par lui en un autre lieu 1 . Lorsqu'au premier livre des Physiques, il examine si tout être admet par nature une limite supérieure, il est amené à formuler et à discuter cet argument : Si l'opinion soutenue était exacte, « une fourmi, tombant à terre, mettrait en mouvement la terre entière. Cette consé- quence est absurde, et cependant elle est logiquement déduite. Nous supposons, en effet, que la terre se trouve exactement équilibrée en son centre. Si nous imaginions, en effet, que l'on partageât la terre au moyen d'un plan passant par son centre (j'entends son centre tel que le conçoivent les mathématiciens), chacune des deux parties de la terre aurait même poids; cha- cune d'elles tendrait à placer son milieu au centre du Monde si l'autre ne l'en empêchait; mais aucune de ces deux parties ne peut mouvoir l'autre, car elles concourent toutes deux au même but et sont exactement égales en puissance et en rési- stance. Si l'on ajoutait à l'une d'elles le poids d'une seule i. Magistri Johannis Buridam Questiones primi libri Physicorum. Duodecimo que- ritur utrum omnia entia naturalia sint determinata ad maximum (Bibl. Nat., fonda latin, ms. 1A723, foll. 16, col. d, et 17, col. a). JEAN I BURIDAN | i>i BÉTHUNB) m LÉONARD DE \iv.l Il fourmi, il n > aurait plus cuire l<^ deux parties relation d'éga lii( ; ; la partie qui porte I « » fourmi surpasserait l'autre; elle mettrait donc en mouvement L'autre moitié, jusqu'à ce que le tout fut en équilibre, comme précédemment. » Voici ce que Buridan répond à cet argument : «Ce raison nement suppose un principe faux, à savoir que toutes [es parties de la terre tendent ou ont inclination vers un centre que l'on imagine indivisible. Or, cela est faux. Lorsque la terre entière se trouve en son lieu naturel, de telle sorte qu'aucune de ses parties ne se trouve au-dessus de l'eau, de l'air ou du feu, cette masse entière de la terre n'a plus aucune incli- nation à descendre davantage ; elle tend seulement à demeurer en repos là où elle se trouve ; et il en est de môme de chacune de ses parties. Lorsqu'au contraire une partie de la terre se trouve au-dessus d'une certaine partie de l'eau, de l'air ou du feu, alors cette partie a inclination à venir se placer au-dessous de cette eau, de cet air ou de ce feu. Mais le reste de la terre, qui ne se trouve au-dessus d'aucune partie de l'eau, de l'air ou du feu, est beaucoup plus grande; elle a, pour résister, une puissance qui surpasse de beaucoup la puissance motrice des parties situées au-dessus de corps plus légers. Une petite partie de la terre ne suffît donc pas à mouvoir la terre entière. Il faudrait une masse de terre très grande pour vaincre la rési- stance de toute la terre, résistance qui provient du désir de rester en repos en son lieu naturel, car elle est en son lieu naturel selon sa totalité et aussi par toutes celles de ses parties qui ne se trouvent pas au-dessus d'un élément plus léger. » Ici Buridan paraît nier même la théorie péripatéticienne de la gravité, fondement du système géocentrique ; sa pensée pourrait, semble-t-il, se résumer en ces mots, qui sont de Léonard de Vinci 1 : « La terre n'est pas au milieu du cercle du Soleil, ni au milieu du Monde, mais bien au milieu de ses éléments, qui l'accompagnent et lui sont unis. » Et ces mots, reflets des doc- trines de Nicolas de Gués 2 , préparaient la théorie de Copernic. i. Les Manuscrits de Léonard de Vinci; ms. F de la Bibliothèque de l'Institut, fol. 4i, verso. 2. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XIV (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, XI ; seconde série, pp. 260-268). 32 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI Le principe occamiste selon lequel un point mathématique ne peut avoir aucune réalité, selon lequel le centre physique du Monde doit être non pas un point, mais un corps, guide Buridan en toute discussion analogue à celles que nous venons de rapporter. Par exemple, en ses Questions sur la Métaphysique d Aristote 1 , il est amené à définir ce que les astronomes désignent par les noms de sphères homocentriques et de sphères excentriques ; voici la précaution qui précède cette définition : « Il faut savoir que, dans le Monde, le centre naturel est la terre elle-même. On ne saurait y supposer un centre indi- visible, si ce n'est par imagination. Imaginons toutefois un point au milieu de la terre et regardons-le comme centre du Monde. Alors, toutes les sphères qui auront pour centre ce centre de la terre seront dites homocentriques... » Buridan n'admet pas la théorie du centre de gravité qu'Albert de Saxe devait enseigner après lui ; il ne la réfute pas non plus d'une manière formelle; il semble qu'au temps où il com- posait ses Questions sur la Physique et sur la Métaphysique, cette théorie n'était pas encore constituée, qu'elle ne formait pas un corps de doctrine. En tout cas, Buridan eût-il connu cette doctrine en la plénitude de son développement, que ses principes occamistes l'eussent obligé à la rejeter comme dénuée de sens. La théorie de la pesanteur soutenue par Albert de Saxe a exercé la plus grande influence, non seulement sur les recher- ches mécaniques de Léonard, mais encore sur tout le dévelop- pement de la Statique jusqu'au milieu du xvn e siècle 2 . En outre, c'est cette théorie qui a engendré le système géologique i. In Metaphysicen Aristotelis. Quœstiones argutissimœ Magistri Joannis Buridani in ultima prœlectione ab ipso recognitœ et emissœ: ac ad archetypon diligenter repositœ: cum duplice indicio : materiarum videlicet in fronte; et quœstionum in operis calce. Vœnun- dantur Badio. Colophon : Hic terminantur Metaphysicales qua^stiones brèves et utiles super libros Metaphysice Aristotelis quae ab excellentissimo magistro Ioanne Buridano diligentissima cura et correctione ac emendatione in formam rcdacta3 fuerunt in ultima prœlectione ipsius Becognitae rursus accuratione et impensis Iodoci Badii Ascensii ad quartum idus Octobris MDXVII1. Deo gratias. Lib. XII, quacst. X: Utrum in corporibus cœlestibus ponendi sunt epicycli. fol. lxxiii, col. b. 2. P. Duhem, Les origines de la Statique, Ch. XV : Les propriétés du centre de gravité, d'Albert de Saxe à Evangelista Torricelli. — Ch. XVI : La doctrine d'Albert de Saxe et les Géostaticiens. T. II, pp. i-i85. il \n i BUB1DAN (DE hÎ.iimm.) 1.1 LÉONARD DE VIMCI adopté pa* le Vinci 1 , !<• système qui .1 porté ce grand artiste vers L'étude des fossiles où il devail entraîner Cardan et, par Cardan, Bernard Palissy. Il est donc peu de doctrines qui aient jour, en La formation de La Science moderne, \i\\ rôle plus important que celle théorie. \ La composition de cette théorie, Buridan n'a aucunement participé. Après avoir joui Longtemps d'une vogue que sa fécondité justifiait, la théorie du centre de grnvité enseignée par Albert de Saxe a fini par être chassée de la Science; le principe sur lequel elle reposait, après avoir été regardé comme une « vérité de lumière naturelle », comme « un premier principe dont jamais personne n'a douté», s'est vu reléguer au rang des erreurs inadmissibles. Le premier qui ait osé douter de ce principe est Jean Kepler 3 . Or, certaines des attaques que Kepler a dirigées contre la proposition d'Albert de Saxe semblent n'être qu'un écho de l'enseignement d'Ockam et de Jean Buridan : « Un point mathématique*, que ce soit le centre du Monde ou que ce soit un autre point, ne saurait mouvoir effective- ment les graves; il ne saurait non plus être l'objet vers lequel ils tendent. Que les physiciens prouvent donc qu'une telle force peut appartenir à un point, qui n'est pas un corps, et qui n'est conçu que d'une manière toute relative! » Il est impossible que la forme substantielle de la pierre, mettant en mouvement le corps de cette pierre, cherche un point mathématique, le centre du Monde par exemple, sans souci du corps au sein duquel se trouve ce point. Que les phy- siciens démontrent donc que les choses naturelles ont de la sympathie pour ce qui n'existe pas! » Au xvn e siècle donc, les discussions qui mettaient aux prises les initiateurs de la Science moderne subissaient encore les i. Albert de Saxe et Léonard de Vinci, IV (Études sur Léonard de Vinci, I; première série, p. 33) — Léonard de Vinci et les origines de la Géologie (Études sur Léonard de Vinci, XII; deuxième série, p. a83). 3. Léonard de Vinci, Cardan et Bernard Palissy (Études sur Léonard de Vinci, VI; première série, p. 223). 3. P. Duhem, Les origines de la Statique, ch. XVI; t. II, pp. i5a-i56. 4. Joannis Kcpleri De motibus stellx Martis commentarii, Prag-ae, 1609 (Kepleri Opéra omnia, éd. Ch. Frisch, t. III, p. i5i). P. DUHEM. 3 34 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI influences diverses des enseignements que l'Université de Paris donnait au xiv e siècle. IV La Dynamique de Jean Buridan. Jean Buridan n'a rien écrit qui ait directement influé sur le développement de la Statique; la théorie du centre de gravité qu'Albert de Saxe a enseignée ne lui était empruntée d'aucune manière. En revanche, le système de Dynamique qu'il a adopté, en ses Questions sur la Physique, était appelé à orien- ter, pendant deux siècles, la pensée de l'École nominaliste parisienne. Accueilli, non sans grande résistance, par les Géomètres italiens qui, à la Renaissance, luttaient contre l'Aristotélisme et l'Averroïsme routiniers des Universités, il devait se développer grâce à leur science mathématique, et engendrer la doctrine mécanique de Galilée et de ses émules. C'est assez dire l'importance qu'a, pour l'histoire de la Méca- nique, l'étude de la Dynamique du Philosophe de Béthune. Non pas, sans doute, que la théorie de Yimpetus, qui est le fondement de cette Dynamique, soit due en entier à Buridan. Nous avons vu ailleurs 1 comment elle avait été nettement formulée par Jean Philopon; comment certains penseurs arabes, tel l'astronome Al Bitrogi, semblaient l'avoir adoptée; comment Saint Thomas d'Aquin et Walter Burley y avaient fait allusion pour la rejeter; comment, enfin, Guillaume d'Ockam lui avait accordé une adhésion formelle et fermement établie par une vigoureuse discussion. Nulle part, cependant, cette théorie n'a été exposée avec autant d'ampleur, de suite et de détails qu'en la douzième question 2 posée par le Philo- i. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci; IX. La Dynamique de Nicolas de Gués et les sources dont elle découle. (Études sur Léonard de Vinci, XI, deuxième série, pp. 189-193.) 2. Magistri Johannis Buridam Questiones octavi libri physicorum. Queritur 12 utrum projectum post exitum a manu projicientis moveatur ab aère, vel a quo moveatur. Bibl. nat., fonds lat., ms. 1A723, foll. 106, col. a, et 107, col. b. .1 i:\\ I iti lu i» \ \ ( i»i m' i ni \ OB IRD i»i \ IN( i sophe de Béthune au sujet du huitième livre En la table qui se trouve au début du huitième livre, les matières Iraitécs en celle question sont énumérées dans Les termes suivants : « Duodecima questio. Utrutn projectum post exitutn a manu projicientis tnoveatur ab aère, vel a quo movealur? Quare longius projicio lapidera quam plumarn vel lanlumdem de ligno? Quod movetur ab impela ei impresso a molore. Quare molus nalurales gravium suai velociores in fine quam in principio. An oporlel ponere inlelligentias ad movendum corpora celestia? Que res est ille motus? Quare pila de chordaQ) longius reflectitur quam lapis veloeius motus? » Ce sommaire donne, dès l'abord, une idée de la gravité des problèmes qu'aborde Buridan en cette partie de son œuvre. Les solutions qu'il propose de donner à ces problèmes font de cette douzième question l'un des monuments les plus impo- sants de la Science médiévale. Aussi croyons-nous devoir en donner la traduction textuelle et complète. «Il paraît, » dit Buridan, que le projectile, après avoir quitté la main qui le lance, une peut être mû par l'air; l'air, en effet, qui doit être divisé par ce projectile, semble plutôt résister à son mouvement. » En outre, vous direz peut-être que celui qui lance le pro- jectile meut, au début du mouvement, non seulement ce projectile, mais aussi l'air voisin, et que cet air ébranlé meut ensuite le projectile jusqu'à une certaine distance. Mais, à cela, on fera cette réponse : Qu'est-ce qui meut cet air après qu'il n'est plus mû par celui qui lance le projectile? La difficulté est la même pour cet air que pour la pierre projetée. » Àristote, au VIII e livre du présent ouvrage, soutient l'opinion contraire, et cela en ces termes : Si les projectiles i. x\Is. cit., fol. g5, col. b. 36 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI continuent de se mouvoir après qu'ils ont subi le contact de ce qui les lance, c'est ou bien par àviMcepCcrraffiç.* comme certains le prétendent, ou bien parce que l'air pressé par le projectile pousse, à son tour, d'un mouvement plus rapide, l'air qui se trouve devant lui. Aristote répète la même chose au VIP livre du présent ouvrage, en ce VIII e livre et au III e livre du De Cœlo. » Cette question est, à mon avis, fort difficile, car, à ce qu'il me semble, Aristote ne l'a pas bien résolue. » Aristote examine deux opinions. » La première invoque ce qu'il nomme l'âvRiueptataoïç. Le projectile quitte rapidement le lieu où il se trouvait. La Nature, qui ne permet pas l'existence d'un espace vide, envoie avec la même vitesse de l'air derrière le projectile. Cet air, animé d'un vif mouvement, rencontrant le projectile, le pousse en avant; le même effet se reproduit jusqu'à ce que le corps mû par- vienne à une certaine distance. » Cette théorie n'a pas l'approbation d'Aristote ; il la réfute au VIII e livre de cet ouvrage, disant : L'àvTn:ep(I<^ que si je poussais cet air rers vous avec celle même vitesse, il devrait vous faire subir une impulsion impétueuse et très sens ih le ; or, nous ne peree\ on s pas qu'il 611 soit ainsi. » Hem, il en résulterait que vous projetteriez une plume plus loin qu'une pierre, et un corps moins pesant plus loin qu'un corps de plus grande pesanteur, leurs figures et leurs volumes étant d'ailleurs Identiques; or, nous expérimentons que cela est faux; et, cependant, la conséquence découle mani- festement des principes, car l'air ébranlé soutiendrait, porterait et mouvrait plus aisément une plume qu'une pierre, un corps léger qu'un corps lourd. a Item, à cette explication, on objecterait cette question : Par quoi l'air est-il mû après que celui qui a lancé le projectile a cessé de le mouvoir? A cette question, le Commentateur répondra que cet air est mû par sa légèreté, qu'il est dans la nature de l'air de retenir la force motrice lorsqu'il est ébranlé; ainsi, c'est par ce mouvement de l'air que le son, avec le temps, se propage au loin; nous devons, en effet, nous repré- senter ce phénomène à l'image de ce que nous voyons dans l'eau; que l'on projette une pierre en l'eau d'un étang parfai- tement tranquille ; l'eau en laquelle tombe la pierre meut tout autour d'elle l'eau qui lui est voisine, celle-ci en meut une autre, et nous voyons se former ainsi des ondes circulaires qui se succèdent jusqu'à ce qu'elles atteignent la rive; en l'air donc, il se forme des ondes du même genre, et ces ondes se propagent plus rapidement qu'en l'eau dans la proportion où l'air est plus subtil et plus aisément mobile que l'eau. » A cette réponse nous objecterons que la légèreté n'a point la propriété de mouvoir si ce n'est vers le haut, tandis qu'un mobile peut être projeté en toute direction, vers le haut, vers le bas, ou de n'importe quel côté. » Item, ou bien cette légèreté est celle-là même que l'air possédait avant que le mobile fût lancé et qu'il conservera après le mouvement du projectile, ou bien elle est une autre chose, une disposition différente imprimée à l'air ébranlé par celui qui a projeté le mobile, disposition qu'il a plu au Com- ^O ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCÏ mentateur de nommer légèreté. Si cette légèreté est celle-là même que l'air possédait auparavant et qu'il gardera ensuite, l'air avait donc, avant le moment où le mobile a été lancé, la même force motrice qu'à ce moment; il devait donc, avant ce moment, mouvoir le projectile comme il le meut après, car, en la nature, toute puissance active, dès là qu'elle est appli- quée au patient, doit agir et agit en effet. Si, au contraire, cette légèreté est autre chose, si c'est une disposition nouvelle, propre à mouvoir l'air, qui lui est imprimée par celui qui lance le projectile, nous pouvons et nous devons dire de même qu'une telle chose est imprimée à la pierre ou au mobile projeté, et que cette chose est la vertu qui meut ce corps; il est clair qu'il vaut mieux faire cette supposition que de recou- rir à l'air qui mouvrait le projectile ; bien plutôt, en effet, l'air semble résister. » Voici donc, ce me semble, ce que l'on doit dire : Tandis que le moteur meut le mobile, il lui imprime un certain impe- tus, une certaine puissance capable de mouvoir ce mobile dans la direction même où le moteur meut le mobile, que ce soit vers le haut, ou vers le bas, ou de côté, ou circulairement. Plus grande est la vitesse avec laquelle le moteur meut le mobile, plus puissant est Yi/npetus qu'il imprime en lui. C'est cet impetus qui meut la pierre après que celui qui la lance a cessé de la mouvoir; mais, par la résistance de l'air, et aussi par la pesanteur qui incline la pierre à se mouvoir en un sens contraire à celui vers lequel Y impetus a puissance de mouvoir, cet impetus s'affaiblit continuellement; dès lors, le mouve- ment de la pierre se ralentit sans cesse; cet impetus finit par être vaincu et détruit à tel point que la gravité l'emporte sur lui et, désormais, meut la pierre vers son lieu naturel. » On doit, ce me semble, tenir pour cette explication, d'une part, parce que les autres explications se montrent fausses et, d'autre part, parce que tous les phénomènes s'accordent avec cette explication -ci. » Dira-ton, par exemple : Je puis lancer une pierre plus loin qu'une plume, et un morceau de fer ou de plomb adapté à ma main plus loin qu'un morceau de bois de même gran- JEAH I BURIDAN (DE BETHl'NE) RT LÉONARD DE VTHCA l\ I deur. Je réponds que la cause en est la suivante : Toutes les formes et dispositions naturelles sont reçues < i n la matière et en proportion de la [quantité de] matière; partant, plus un corps contient de matière, plus il peut recevoir de cet impetus, et plus grande est L'intensité avec laquelle il peut le recevoir; or, dans un corps dense et grave, il y a, toutes choses égales d'ailleurs, plus de matière première qu'en un corps rare et léger; un corps dense et grave reçoit donc davantage de cet impetus, et il le reçoit avec plus d'intensité [qu'un corps rare et léger]; de même, un certain volume de fer peut recevoir plus de chaleur qu'un égal volume de bois ou d'eau. Une plume reçoit un impetus si faible, que cet impetus se trouve détruit aussitôt par la résistance de l'air. De même, si celui qui lance des projectiles meut avec une égale vitesse un léger morceau de bois et un lourd morceau de fer, ces deux morceaux ayant d'ailleurs même volume et même figure, le morceau de fer ira plus loin parce que Y impetus qui se trouve imprimé en lui est plus intense. C'est pour la même cause qu'il est plus difficile d'arrêter une grande meule de forgeron, mue rapidement, qu'une meule plus petite; en la grande meule, en effet, il y. a, toutes choses égales d'ailleurs, plus d'impetus qu'en la petite. Toujours en vertu de la même cause, vous pourrez lancer plus loin une pierre d'une livre ou d'une demi-livre que la millième partie de cette pierre; en cette millième partie, en effet, Y impe- tus est si petit qu'il est tout aussitôt vaincu par la résistance de l'air. » Cela semble aussi être la cause pour laquelle la chute naturelle des graves va en s'accélérant sans cesse. Au début de cette chute, en effet, la gravité mouvait seule le corps ; il tom- bait donc plus lentement; mais, bientôt, cette gravité imprime un certain impetus au corps pesant, impetus qui meut le corps en même temps que la gravité; le mouvement devient alors plus rapide; mais plus il devient rapide, plus Y impetus devient intense; on voit donc que le mouvement ira continuellement en s'accélérant. » Celui qui veut sauter loin recule et court avec vivacité, afin d'acquérir par cette course un impetus qui, durant le saut, l\1 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI le porte à une grande distance. D'ailleurs, durant qu'il court et saute, il ne sent nullement que l'air le meuve, mais il sent, au-devant de lui, l'air qui lui résiste avec force. » On ne voit pas dans la Bible qu'il existe des intelligences chargées de communiquer aux orbes célestes le mouvement qui leur est propre; il est donc permis de montrer qu'il n'y a aucune nécessité à supposer l'existence de telles intelligences. On pourrait dire, en effet, que Dieu, lorsqu'il a créé le Monde, a mû comme il lui a plu chacun des orbes célestes ; il a imprimé à chacun d'eux un impetus qui le meut depuis lors; en sorte que Dieu n'a plus à mouvoir ces orbes, si ce n'est en exerçant une influence générale, semblable à celle par laquelle il donne son concours à toutes les actions qui se produisent; c'est ainsi qu'il put se reposer, le septième jour, de l'œuvre qu'il avait achevée, en confiant aux choses créées des actions et des passions mutuelles. Ces impetus que Dieu a imprimés aux corps célestes, ne se sont pas affaiblis ni détruits par la suite du temps, parce qu'il n'y avait, en ces corps célestes, aucune inclination vers d'autres mouvements, et qu'il n'y avait non plus aucune résistance qui pût corrompre et réprimer ces impetus. Tout cela, je ne le donne pas comme assuré; je demanderai seulement à Messieurs les Théologiens de m'en- seigner comment peuvent se produire toutes ces choses. » Mais à l'occasion de cette opinion se présentent des diffi- cultés qui ne sont pas petites. » Première difficulté. La pierre jetée en l'air est mue par un principe intrinsèque, à savoir par Y impetus qui lui a été imprimé; il ne paraît pas que cela soit vrai, car tout le monde s'accorde à regarder ce mouvement comme un mouvement violent; or, selon le III e livre de Y Éthique, ce qui est violent provient non d'un principe actif intrinsèque, mais d'un prin- cipe extrinsèque. » Deuxième difficulté. Cet impetus, qu'est- il? Est-ce le mouvement lui-même, est-ce autre chose? Si c'est autre chose que le mouvement, est-ce une réalité purement succes- sive, comme le mouvement lui-même, ou bien une chose de nature permanente? Quelle que soit, en effet, l'affirmation que JEAN i BURTDÀN (DB m : :im ni:) ET LÉONARD DE \i\<:i 43 l'on adopte, on \<>H apparaître des arguments en sens contraire qui sont difficiles à résoudre. » Au sujet de la première difficulté , on peut dire que le grave jeté on l'air se meut bien par un principe in jLrinsfrque qui lui est inhérent; on dit toutefois que ce mouvement est violent, parée que ce principe, savoir V impetus, est violent et non naturel au mobile; il ne convient pas à la nature formelle de ce corps; c'est un principe extrinsèque qui l'a imprimé par violence en ce grave ; la nature du grave incline au mouve- ment opposé et à la destruction de cet impelus. » Au sujet du second doute, qui est fort difficile à dissiper, il me paraît que l'on doit répondre en posant trois conclusions. » La première conclusion est la suivante : Cet impelus n'est pas simplement le mouvement local selon lequel se meut le projectile '. Cet impelus, en effet, meut le projectile, et le moteur engendre le mouvement; cet impetus produit donc le mouve- ment, tandis que le mouvement ne saurait s'engendrer lui- même. o Item, tout mouvement provient d'un moteur qui est présent au mobile, qui coexiste à ce mobile; si donc cet impelus était mouvement, il faudrait assigner un autre moteur dont ce mouvement pût provenir, et l'on serait ainsi ramené à la difficulté du début; il n'aurait servi à rien de poser l'existence d'un tel impetus. )) Quelques-uns ergotent à ce sujet. Ils prétendent que la première partie du mouvement, celle qui lance le projectile, engendre une autre partie du mouvement, celle qui suit immé- diatement la première; et ainsi de suite jusqu'à la cessation de tout mouvement. Mais cette opinion ne saurait être approuvée ; ce qui produit une autre chose doit exister au moment où cette autre chose est faite; or, la première partie du mouvement n'est plus lorsque la seconde partie existe, comme nous l'avons dit ailleurs. La conséquence que nous établissons ainsi peut i. L'opinion que Buridan réfute en cette conclusion est celle que soutenait Guillaume «J'Ockam. Voir : Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, W : La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI ; seconde série, pp. 192-193). ^4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI encore être rendue évidente par ceci, que nous avons dit ailleurs : Être mû consiste uniquement dans le fait même d'être produit ou d'être détruit ; le mouvement n'existe donc pas quand il est fait, mais bien quand il se fait (Motum esse nihil aliud est quam ipsum fiert et ipsum corrumpi; unde motus non est quàndo factus est, sed quando fit). » Voici la seconde conclusion : Cet impetus n'est pas une chose purement successive ; le mouvement, en effet, est une réalité purement successive, comme nous l'avons dit ailleurs, et nous venons de déclarer que cet impetus n'était pas identique au mouvement local. » Item, toute réalité purement successive se détruit conti- nuellement, il lui faut donc être sans cesse produite; or, on ne peut assigner à cet impetus quelque chose qui l'engendre sans cesse, car ce quelque chose lui serait semblable. » La troisième conclusion est donc que cet impetus est une réalité permanente distincte du mouvement local selon lequel se meut le projectile. Cette conclusion résulte des deux précé- dentes » et de ce qui a été dit auparavant. Il est vraisemblable que cet impetus est une qualité dont la nature est de mouvoir le corps auquel elle a été imprimée; de même dit-on qu'une qualité imprimée dans le fer par l'aimant meut ce fer vers cet aimant. Ceci est également vraisemblable : De même que cette qualité a été imprimée dans le mobile par le moteur en même temps que le mouvement, de même est-elle affaiblie, détruite et empêchée par toute résistance et toute inclination contraire qui affaiblit, empêche et détruit le mouvement. » De même qu'un corps lucide qui engendre de la lumière donne de la lumière réfléchie si un obstacle lui est opposé, de i. Le raisonnement du Philosophe de Béthune suppose essentiellement qu'il n'existe que deux sortes de réalités, les réalités permanentes et les réalités succes- sives. C'est, du reste, ce que Buridan semble toujours admettre lorsqu'il discute, par exemple, de la nature du mouvement (Phys. lib. III, qu.-rst. VII). On peut, de cette remarque, tirer argument pour prouver que les Quœstiones in libros de Anima ne sont pas du Philsophe de Béthune. L'auteur de ces questions, en effet, admet qu'il existe non seulement des réalités purement permanentes et des réalités purement succes- sives, mais encore des réalités qui sont permanentes d'une certaine manièreet succes- sives d'une autre manière; c'est dans cette dernière catégorie qu'il range la lumière. (Johannis Buridani Quœstiones in Aristolelis libros de anima ; in lib. II quaest. XIX; éd. Parisiis i5i6, fol. xvi, col. c.) JEAN i BURIDAH (DE iiiiiiimi m LÉONARD DE \i\m i » même, à la rencontre d'un obstacle, cet impetus produit un mouvement réfléchi. Il est vrai que d'autres causes concourent avec cet impetus à produire un mouvement réfléchi de long parcours. Par exemple, une de ces causes est celle grâce à Laquelle une de ces halles dont nous nous servons pour jouer à la paume rebondit plus haut qu'une pierre, après avoir frappé la terre, cl cela alors même (pie la pierre est tombée à terre avec plus de vitesse et d'impétuosité. Beaucoup de corps, en effet, peuvent être courbés ou comprimés sur eux-mêmes par violence ; ces corps ont la propriété de revenir très rapidement à leur rectitude première ou à la disposition qui leur convient ; en ce retour, ils peuvent tirer ou pousser avec impétuosité un corps qui leur est joint; c'est ce qui apparaît en l'arc. Ainsi, lorsque la balle frappe la terre dure, elle est comprimée sur elle-même à cause de Yimpetus de son mouvement; immédia- tement après, elle revient à sa sphéricité; en se relevant ainsi, elle acquiert un impetus qui la meut en l'air à une grande hauteur. » De même une corde de cithare que l'on a fortement tendue et que l'on a frappée demeure longtemps agitée d'un tremble- ment grâce auquel elle émet un son d'une certaine durée, et voici comment cela se fait : Après que le coup dont elle a été frappée l'a incurvée violemment d'un certain côté, elle revient si rapidement à sa rectitude première qu'elle dépasse cette rectitude, à cause de Yimpetus, et s'en écarte en sens contraire; elle revient alors en arrière et recommence un grand nombre de fois. C'est par une cause semblable qu'une cloche continue à se mouvoir tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, fort longtemps après qu'on a cessé d'en tirer la corde; on ne peut l'arrêter facilement ni rapidement. » Voilà ce que j'avais à dire sur cette question; je me réjouirais que d'autres trouvassent à lui faire une réponse plus probable. » On ne saurait trop admirer la précision avec laquelle Buridan a défini cette qualité à laquelle il donne le nom &' impetus. Pour un mobile donné, cet impetus est d'autant plus grand 46 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI que la vitesse communiquée à ce corps est plus grande. « Plus grande est la vitesse avec laquelle le corps meut le mobile, plus est puissant ïimpetus qu'il imprime en lui. » D'autre part, à vitesse égale, à A r olume égal, Yimpetus est plus grand en un corps lourd qu'en un corps léger : « Si celui qui lance des projectiles meut avec une vitesse égale un léger morceau de bois et un lourd morceau de fer, ces deux mor- ceaux ayant, d'ailleurs, même volume et même figure, le morceau de fer ira plus loin parce que Yimpetus qui se trouve imprimé en lui est plus intense. » En effet « toutes les formes et dispositions naturelles sont reçues en la matière et en proportion de la [quantité de] matière; partant, plus un corps contient de matière, plus il peut recevoir de cet impetus et plus grande est l'intensité avec laquelle il peut le recevoir. » Le sens de cette phrase est bien net : En des mobiles diffé- rents, lancés avec une même vitesse, les intensités de Yimpetus sont entre elles comme les quantités de matière que renferment ces divers mobiles. Cette matière, qu'est- elle? Buridan la nomme matière pre- mière, materia prima. Ce n'est pas, cependant, ce ne saurait être la matière première d'Aristote. Absolument indéterminée, celle-ci n'est pas quantifiable. La matière première dont parle Buridan, c'est donc cette matière première déjà pourvue de dimensions et quantifiable en laquelle Saint Thomas place le principe d'individuation «. Comment se mesurera cette quantité de matière première contenue en un corps déterminé? « Dans un corps dense et grave, il y a, toutes choses égales d'ailleurs, plus de matière première qu'en un corps rare et léger. Modo in denso et gravi, cœteris paribus, est plus de materia prima quam in raro et levi. » Forcerions- nous la pensée de Buridan en traduisant ainsi cette proposition : La quantité de matière contenue en un corps est proportionnelle au volume et à la densité de ce corps? i. On remarquera l'analogie de la pensée exprimée ici par Jean Buridan avec celle que le R. P. Bulliot a émise touchant l'identité de la matière première et de la masse, telle que les mécaniciens modernes la définissent. — Cf. : A. Gardeil, La Philosophie au Congrès de Bruxelles (Revue Thomiste, 2' année, 189A-1895, pp. 751-758). .1 1; \ n i BURIDAN (m: i-.i'iiiimi m LÉONARD DE VINCI '\~ Si nous éprouvions quelque crainte à cet égard, il serait aisé de calmer celle crainte. En une de ses questions sur la Mêla physique d'Aristote, Buridan se pose à lui même cette objection ■ : « La densité et la rareté sont en raison de la quantité de matière (ratîone materise); un corps dense est celui qui a beau- coup de matière sous un faible volume (sub pauca magnitudine seu quaniitate), un corps rare est celui qui contient peu de matière sous un grand volume. » A cette objection, le Maître répond : u On peut fort bien accorder que les corps qui ont une matière dense sont ceux qui contiennent plus de matière sous un moindre volume. » Mais cette densité elle-même, par quoi se mesure-t-elle? Au temps où Jean Buridan composait ses questions, on étudiait couramment dans les Écoles un petit ouvrage qui provenait certainement de la science hellène et que l'on attribuait faussement à Archimède. Ce Liber Archimedis de ponderibus, nommé parfois : Archimedis de incidentibus in humidum, se trouve reproduit en un grand nombre de manu- scrits du xui e siècle et du xiv e siècle 2 . Ce traité a été paraphrasé, d'une façon assez malheureuse d'ailleurs, par Jean de Murs; sous ce titre : De ponderibus et i. In Metaphysicen Aristotelis Quœstiones argutissimse Magistri Joannis Buridani. Lib. VIII, quaest. unica : Utrum crclum habeat materiam subjectam formée sub- stantiali sibi inhaerenti. Éd. cit., foll. LV et LVI. a. Par exemple, aux manuscrits suivants du fonds latin de la Bibliothèque natio- nale : Ms. 8680 A (xiii* siècle); Mss. 7215 et 7377 B (xiv e siècle). — Il a été imprimé à deux reprises, au cours du xvi" siècle, dans les ouvrages suivants : Sphera cum commentis in hoc volumine contentis : Cichi Esculani cum textu, etc. Venetiis, hered. Octaviani Scoti ac soc. i5i8. Iordani opusculum de ponderositate Nicolai Tartalex studio correction. Venetiis apud Curtium Troianum. MDLXV. Fol. 16, v°, à fol. 19, v°. En i565, l'abbé Forcadel, de Béziers, en publiait une traduction française, dont les démonstrations étaient légèrement paraphrasées, sous le titre suivant : Le livre cf Archimède des pois qui aussi est dict des choses tombantes en Vhumide, tra- duict et commenté par Pierre Forcadel de Bezies lecteur ordinaire du Roy es Mathé- matiques en l'Université de Paris. Ensemble ce qui se trouve du Livre d'Euclide intitulé du léger et du pesant traduict et commenté par le mesme Forcadel. A Paris. Chez Charles Perier.... i565. Le titre adopté par Forcadel est la traduction exacte de celui-ci, qu'une main du xm* siècle a mis en marge du texte contenu au Ms. lat. 8680 A de la Bibliothèque nationale (fol. 12, r°) : De ponderibus Archimedis et intitulatur de incidentibus in humidum. Ce titre est relatif à un passage où il est traité de la vitesse des corps tombant dans 48 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI metallis, il forme la quatrième partie de YOpus quadriparlitum numerorum l auquel le géomètre normand mit la dernière main, comme il nous l'apprend lui-même, le i3 novembre i343. Ce même texte a été cité par Albert de Saxe 2 en ses questions sur le De Cœlo d'Aristote. Enfin, au début du xv e siècle, Biaise de Parme l'a cité à son tour 3 et s'en est inspiré en la rédaction de la troisième partie de son Tractatus de ponderibus. Tous ces traités définissaient la notion de poids spécifique, qu'ils nommaient gravitas secundum speciem; ils enseignaient à comparer les poids spécifiques des divers corps soit par la méthode dite de la balance hydrostatique, soit à l'aide de l'aréomètre. Nul doute que Jean Buridan n'ait, en son esprit, rapproché la notion de densité, au moins pour les solides, les liquides et les gaz, de la notion de poids spécifique, si bien élucidée au temps où il enseignait; nul doute qu'il n'ait admis l'égalité entre le rapport des densités de deux corps et le rapport des les fluides. Ce passage manque à tous les textes imprimes et à la plupart des textes manuscrits, notamment à celui que renferme le Ms. 8680 A dn fonds latin de la Bibliothèque nationale. Il termine le texte contenu au Ms. 7377 B du même fonds. Ce titre est également celui que Biaise de Parme, en son Tractatus de ponderibus, donne au même écrit : « Nullum elementum in ejus propria regione pondérât. Hoc dicit Alaminides in tractatu de incidentibus in liquido ». (Bibliothèque nationale, fonds latin, Ms. 10252, fol. 167, v°.) Tout semble indiquer que cet ouvrage, comme le De levi et ponderoso attribué à Euclide, est d'origine antique. Il est visiblement incomplet et se terminait sans doute par une description de l'aréomètre. Le texte complet existait peut-être encore au xiv* siècle et au xv* siècle, car Albert de Saxe et Biaise de Parme font suivre d'une grossière description de l'aréomètre les considérations théoriques qu'ils empruntent au soi-disant traité d'Archimède. Ainsi complété, ce traité représenterait probablement la source à laquelle a puisé l'auteur latin du Carmen de ponderibus a . Maximilian Curtze, qui ignorait tout de cette histoire, a publié b , en le donnant comme un monument inédit de la Science du xiv' siècle, le texte qui nous occupe; ce texte était extrait du Ms. Db. 86 de la Bibliothèque de Dresde, où il porte le titre De insidentibus aquae. 1. Quadriparlitum numerorum Magistri Johannis de Mûris (Bibliothèque nationale, fonds lat., Ms. n° 7190). 2. Quœstiones subtilissimœ Magistri Alberti de Saxonia in libros De Cœlo et Mundo ; lib. I, quaîst. 111. 3. Tractatus de ponderibus secundum Magistrum Blasium de Parma. (Bibl. nat., fonds lat., Ms. n° 10262.) a) Melrologicorum scriptorum reliquiœ. Éd. F. Hullsch, Lipsis, 1866; vol. II, pp. 96-200. h) Maximilian Curtze, Ein Beitrag zur Geschichte der Physik im 14. Jahrhundcrt (Bibliotheca Mathematica, 1890, p. 43). JEAN I BURIDAN (DE BÉTHUNE) ii LÉONARD DE VINCI V| poids spécifiques de /Ce s deux mêmes corps. Voilà pourquoi, en la question dont nous avons rcprodiiil la traduction, non- Le voyons unir, comme synonymes, Les deux adjectifs: densum et grave, et, aussi, les deux adjectifs : rarum et levé. On pourrait doin- très certainement traduire en langage moderne ce (pic Jean Buridan pensait de Yimpetus commu- niqué à un corps pesant en disant que L'intensité de cet impetus était égale, pour lui, au produit de trois facteurs: une fonction croissante de la vitesse, le volume du corps, et une densité proportionnelle au poids spécifique. Si on lui eût demandé de préciser la forme du premier facteur, il l'eût sans doute pris proportionnel à la vitesse, et il eût ainsi identifié Y impetus à ce que Galilée devait nommer un jour impeto ou momento, et Descartes quantité de mouvement. Mais tous les corps ne sont pas pesants ; la substance céleste, en particulier, ne l'est pas; et cependant, Buridan n'hésite pas à attribuer un impetus aux orbites du Ciel. L'intensité de cet impetus est- il, pour ces orbites, déterminable par une règle semblable à celle qui a été imposée aux corps pesants? La solution de cette question est rendue singulièrement délicate par l'opinion que notre auteur professe au sujet de la substance céleste. Nous avons vu 1 combien, au Moyen- Age, les opinions avaient été divergentes touchant la nature de la cinquième essence. On peut les réduire à trois chefs principaux : i° Le Ciel n'est pas composé de matière et de forme; c'est une substance simple. C'est la doctrine d'Averroès, reprise par Jean de Jandun en certains de ses ouvrages. 2° Le Ciel est composé de matière et de forme; mais il n'y a pas identité de nature entre la matière céleste et la matière sublunaire; ces deux matières sont seulement analogues. C'est l'avis de Saint Thomas d'Aquin auquel Jean de Jandun s'est parfois rangé. 3° Le Ciel est composé de matière et de forme; la matière du i. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XIV : La nature des astres selon Nicolas de Gués et Léonard de Vinci (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, XI; seconde série, pp. 255 -aôy). P. 1)1 HEM. '| 00 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI Ciel est de même nature que la matière des corps soumis à la génération et à la corruption. C'est l'hypothèse soutenue avec une précision croissante par Saint Bonaventure, par Gilles de Rome, par Jean de Duns Scot et par Guillaume d'Ockam. Jean Buridan rompt nettement avec cette doctrine qui paraissait avoir triomphé à l'Université de Paris. « Gilles, » dit-il 1 , « oppose à Saint Thomas des arguments très forts ; il lui prouve que la matière du Ciel et la matière des êtres inférieurs ne peuvent pas être substantiellement différentes. Mais on peut aussi prouver contre Gilles que ces deux matières ne sauraient être de même nature. » Gilles, en effet, se persuade bien que cette matière céleste n'est affectée d'aucune privation, qu'elle ne désire aucune forme autre que la sienne, parce que celle-ci contient virtuel- lement en elle-même toutes les autres formes. Mais il est une difficulté à laquelle il ne saurait échapper, et voici quelle elle est : La matière des êtres inférieurs est privée de cette forme céleste et, cependant, elle a une puissance naturelle à la recevoir; elle ne possède pas cette forme, et, cependant, sa nature intrinsèque la rend apte à être soumise à cette forme céleste ou à une forme analogue, tout comme y est soumise la matière que Gilles place dans le Ciel, puisque ces deux matières sont de même nature. Ainsi la matière de ces êtres inférieurs aurait appétit à acquérir la forme substantielle des corps cé- lestes; et comme il est impossible qu'elle soit jamais soumise à cette forme, sa puissance et son appétit naturels se trouve- raient frustrés pour l'éternité, ce que nul ne peut admettre. » La solution à une telle difficulté paraît tout indiquée; elle consiste à revenir à la doctrine du Commentateur et à nier qu'il y ait, en la substance céleste, une matière soumise à une forme. D'ailleurs, la seule raison pour laquelle Aristotc a admis une matière dans les êtres sublunaires est tirée des transformations substantielles auxquelles ces êtres sont soumis; la supposition i. In Metaphysicen Aristotelis Quscstiones argutissimœ Magistri Joannis Buridani. Lib. VIII, qusest. nnica : Ulrum c.vliim babcat materiam siibjectam tonna' sub- stantiali sibi inhœrenti. Kd. cit., lbll. lv et lvi. JEAN i m kidav (DE r.iVi iii m.j El LÉONARD DE VINCI >i d'une semblable matière parait superflue au sein des cieux, exempts i r examiné les opinions d'Âristote et de ses commentateurs, poursuit-il en ces termes • : u On peut encore imaginer une autre hypothèse, mais je ne sais si elle n'est pas extravagante (nescio an s'il fatua). Beaucoup de physiciens, vous le savez, supposent que le projectile, après avoir quitté le moteur qui l'a lancé, est mû par un impetus que ce moteur lui a donné; il se meut tant que ['impetus reste plus fort que la résistance; cet impetus durerait indéfiniment (in inflnitum duraret impetus) s'il n'était diminué et détruit par quelque chose de contraire qui lui résiste ou bien par quelque chose qui incline le mobile à un mouvement contraire. Or, dans les mouvements célestes, il n'y a rien de contraire qui résiste. En la création du Monde, donc, Dieu mut chaque sphère avec la vitesse que sa volonté lui assignait, puis il cessa de la mouvoir; dans la suite des temps, ces mouvements ont toujours persisté en vertu des impetus imprimés aux sphères elles-mêmes. C'est pourquoi il est dit que Dieu se reposa, le septième jour, de toute l'œuvre qu'il avait achevée. Je ne dis pas, toutefois, qu'il cessât d'agir au point de ne pas continuer cette influence générale hors laquelle un homme même, Socrate par exemple, ne pourrait marcher; on dirait une erreur, en effet, si Ton prétendait que quelque chose peut se mouvoir, ou même seulement exister, hors de cette influence générale. » Buridan conclut cet exposé de son audacieuse hypothèse par les mots suivants : « Vous voyez que les opinions des philosophes, précédemment rapportées, diffèrent grandement de la vérité de la foi catholique. » Sa théorie du mouvement des sphères célestes, où notre principe de l'inertie se trouve en puissance, paraît à ses yeux comme le commentaire méca- nique du texte où la Genèse contemple le repos divin, au septième jour de la Création. i. In Metaphysicen Aristotelis Qusestiones argutissimœ Magistri Joannis Buridani. Lib. XII, quaest. IX : Utrum quot sint motus cœlestes, tôt sint intelligentiœ et ecou verso. Édit cit., fol. lxxiii, col. a. 54 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Que la Dynamique de Léonard de Vinci procède, par l'intermédiaire d'Albert de Saxe, de celle de Jean Buridan. — En quel point elle s'en écarte, et pourquoi . les diverses explications de la chute accélérée des graves qui ont été proposées avant Léonard. Jean Buridan attachait assurément une extrême importance à l'hypothèse selon laquelle les orbes célestes continuent à se mouvoir en vertu de Yimpetus que le Créateur leur a imprimé à l'origine; en attribuant un grand poids à cette opinion, son jugement ne le trompait pas. Nous avons vu 1 que cette doc- trine avait été reproduite par Albert de Saxe; nous avons reconnu aussi tout ce que cette théorie avait suggéré à Nicolas de Gués et, par Nicolas de Gués, à Jean Kepler. Son influence ne devait même pas s'arrêter là. La permanence de Yimpetus, rectiligne ou circulaire, dans le cas où la tendance de cet impetus ne se trouve contrariée ni par la résistance du milieu, ni par la gravité naturelle du mobile, est l'hypothèse qui porte toute la Dynamique de Galilée^. Descartes devait parvenir à un énoncé plus correct de la loi de l'inertie; mais en rédui- sant, comme on l'a dit, à « une première chiquenaude » le rôle du Créateur dans le mouvement de l'Univers, il pouvait s'autoriser de Jean Buridan. D'ailleurs, cette théorie sur le mouvement des sphères célestes n'est pas le seul passage qui mérite d'être remarqué en la Question que nous venons de citer; il n'est aucune partie de cette question qui ne soit grosse de découvertes que la Science moderne se chargera de mettre au jour. L'histoire de la Dynamique nous montrerait la notion i. Nicolas de Cucs et Léonard de Vinci, IX et X (Etudes sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, XI; deuxième série, pp. 180-21 1). 2. Emil Wohlwill, Die Entdeckung des Beharrungsgesetzes, Il (Zeitschrift fur Volker- psychologie und Sprachivissenschaft, Bd. XV, pp. 96 sqq.) JEAN i BURIDAN (DE BETHUNE) m LÉONARD m \ i n« i d'impetus traversant deux siècles et demi sans rien acquérir que le Philosophe de Béthune ae lui eût déjà donné; elle nous la montrerait ensuite se dépouillant de sa forme pure- ment qualitative pour revêtir une forme quantitative plus précise; (die nous la montrerait évaluée, tout d'abord, d'une manière incorrecte et devenant ainsi le momeido de Galilée, la quantité de mouvement de Descartes; elle nous la ferait enfin reconnaître, sous sa figure mathématique correcte, dans la force vive de Leibniz. La même histoire nous dirait que Newton n'avait pas, de la masse, une idée bien différente de celle que Buridan a définie; ouvrons, en effet, le livre des Principes, et lisons les lignes par lesquelles il débute : « Définition I. — La quantité de matière est la mesure de cette matière obtenue en multipliant la densité par le volume. La quantité d'air de densité double que contient un espace double est quadruple; un espace triple en contient une quantité sextuple. Entendez la même chose de la neige et des poussières que l'on peut condenser par liquéfaction ou par compression. Il en est de même pour tous les corps qui sont susceptibles de se condenser de diverses manières par l'effet de causes quelconques... C'est cette quantité qu'en ce qui va suivre, je désignerai parfois par les noms de corps et de masse. Elle se manifeste, en chaque corps par le poids de ce corps; en effet, à l'aide d'expériences très exactement faites sur des pendules, j'ai trouvé qu'elle était proportionnelle au poids, comme on l'enseignera plus loin. » Définition II. — La quantité du mouvement est la mesure de ce mouvement obtenue en multipliant la vitesse par la quantité de matière. » Assurément la pensée de Newton est, ici, bien proche encore de celle du Philosophe de Béthune; et, d'ailleurs, ce que le vieux maître es arts a dit de la masse porte en germe la méthode la plus claire et la plus naturelle que nous puissions trouver aujourd'hui pour introduire cette notion en notre Energétique. Or, depuis le jour où Jean Buridan l'a proposée, cette notion de masse, mesure de l'intensité à'impetus qui correspond à 56 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI une vitesse donnée, n'a cessé d'être définie 1 de la même manière, en France, en Allemagne, en Italie, par tous les Nominalistes, par les Albert de Saxe, les Marsile d'Inghen, les Jean Dullaert, les Frédéric Sunczel, les Gaétan de Tiène, tandis que les Averroïstes, les Vernias et les Achillini, contri- buaient à la faire connaître en la combattant. Kepler l'a accueillie, il l'a nettement formulée et en a assuré la trans- mission à NeAvton. Enfin de l'explication présentée par Buridan pour rendre compte de la chute accélérée des graves, une filiation continue a fait sortir cette grande vérité de la Mécanique moderne : Une force constante produit un mouvement uniformément accéléré 2 . Cette Mécanique, si riche en fécondes pensées, que Buridan enseignait rue du Fouarre au voisinage de l'an i35o, les maîtres de l'École terminaliste de Paris en ont, pendant tout le Moyen-Age, jalousement gardé le dépôt. Au début de la Renais- sance, elle s'insinue en Italie, où les Averroïstes de Padoue ei de Bologne lui avaient fait, jusque-là, un fort mauvais accueil; désormais, elle y trouvera des adeptes que la lecture des anciens a formés aux habiles procédés de la Géométrie, qui la traduiront en langage mathématique, qui expliciteront ainsi les vérités qu'elle contenait en puissance et la détermi- neront à produire la Science moderne. Dans les écrits de Léonard de Vinci, nous saisissons cette science parisienne au moment même où elle passe de l'esprit médiéval à l'esprit moderne. Cette Mécanique, en effet, à laquelle le grand artiste songe sans cesse, qu'il tente d'appliquer à tous les problèmes dont sa pensée est hantée, qu'il célèbre comme « le paradis des sciences mathématiques », c'est la Dyna- mique de Buridan; et la Question que nous avons reproduite est en quelque sorte le thème dont les notes du grand peintre développeront les variations. i. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci; X. La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Kepler (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XII; seconde série, pp. 201-207). 2. P. Duhcm, De l'accélération produite par une force constante ; notes pour servir à l'histoire de la Dynamique (Congrès international de Philosophie tenu à Genève en VM)U; rapports et comptes rendus, pp. 85o, seqq.), JEAN I MiiiDW (Dl m'nii \i i il LÉONARD DE VINC! .~>~ N'allons pas conclure de là à mie influence directement exercée sur le Vinci par le philosophe de Béthune; aucun indice ne nous permet -jQ ce grave. Le problème posé par la chute accélérée des corps pesants 86 transformait donc aussitôt, pour les anciens philo sophes, en celui ci : 1 quoi est verso. 6o ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI fur et à mesure que ce mobile progresse, il acquiert une gravité plus intense. Or, nous avons enseigné ailleurs qu'aucun corps fini ne peut posséder une force infinie; il ne peut donc pas se faire que les corps qui se meuvent aient, vers les lieux auxquels ils tendent, une propension infinie; partant, ils ne pourront jamais acquérir une vitesse infinie; dès lors, il est conforme à la raison que les lieux naturels se trouvent à des distances limitées. » 11 est difficile d'exprimer mieux que Thémistius ne le fait en ce passage, le principe essentiel de toutes les explications que nous allons passer en revue. La vitesse avec laquelle un mobile déterminé se meut dans un milieu déterminé est proportionnelle à la force qui tire ce mobile; l'accélération de la chute d'un grave suppose donc que le poids de ce grave croisse sans cesse; l'existence de cet accroissement ne fait point de doute; tout le problème consiste à en découvrir la cause. A la question ainsi formulée, on a fait des réponses très nombreuses et très diverses. Voici d'abord l'opinion que paraît avoir conçue Aristote : La pesanteur est une qualité par laquelle le grave tend vers son lieu naturel, c'est-à-dire vers le lieu où sa forme atteint sa perfection, où sa propre conservation est le mieux assurée. Plus le grave approche de ce lieu, plus cette qualité devient intense; en d'autres termes, plus il s'approche du sol, plus il devient pesant. Que telle soit bien l'opinion d' Aristote, il n'est pas aisé de le prouver par des citations formelles; tout au plus peut-on dire que cette opinion n'est point en désaccord avec tel passage de ses écrits 1 . Mais ses plus fidèles commentateurs ont ainsi interprété la pensée du Stagirite; Simplicius, notamment, la formule 2 en ces termes : « 'Àpipro'uéXityç. . . vo|j.{Çet... (âapcuç yoOv lUpOffÔTQlOj TYJV 7YJV OaTTGV ©ÉpEaÔa'. TUpèç TO) \)ÂZU) YlVOJJLSVYJV. » D'ailleurs, que cette opinion soit ou non celle du Philo- i. Cf. Aristote, J lsp\ Oùpavoû xo A, t\ (livre I, ch. VIII). — (Édition Didot, vol. II, p. 38o.) 2. Simplicii in Aristotelis de Cœlo commentât ia edidit J.-L. Ileiberg, Berolin, MDCGCXCIV, p. 2G4. (Comm. in de Cœlo, lib. I, cap. VIII.) .il \\ i BURIDAN M)i. l . l l 1 1 ( Ni) il LEONARD DE VIWC1 01 Bophe, elle ;> été nettement formulée par Thémistius : « Les mouvements rectilignes, dit-il 1 , qui sont produits par une Impulsion et une violence contre nature ne soni certainement pas uniformes. Mais il en est \\ (DE iu'iiii \i ! i i LÉONARD DE VINCI (i l L'auteur grec inconnu explique ce phénomène 66 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VÎNCI fluide qui se trouve derrière lui et met en mouvement le fluide qui se trouve au-dessous, à son contact immédiat; les parties du milieu ainsi mises en mouvement meuvent celles qui les suivent, de telle sorte que celles-ci, déjà ébranlées, opposent un moindre obstacle au grave qui descend. Par le fait, celui-ci devient plus grave et donne une plus forte impulsion aux parties du milieu qui cèdent devant lui, au point que celles-ci ne sont plus simplement poussées par lui, mais qu'elles le tirent. Il arrive ainsi que la gravité du mobile est aidée par leur traction et que, réciproquement, leur mouvement est accru par cette gravité, en sorte que ce mouvement augmente continuellement la vitesse du grave. » Il semble bien que, des opinions professées par les Hellènes touchant la chute accélérée des graves, nous n'ayons aucun texte plus récent que celui-là. Averroès ne nous dit pas comment il rendait compte de cette accélération et ce qu'il dit nous le laisserait malaisément deviner. En termes presque aussi explicites que ceux de Thémistius, il déclare 1 « que la cause pour laquelle des choses diverses se meuvent avec des vitesses différentes est la diversité qui existe en leur inclination, c'est-à-dire en leur gravité ou en leur légèreté; il en résulte que plus un corps est grave ou léger, plus il se meut rapidement; il est, d'ailleurs, manifeste que cette proposition peut être renversée et que, plus le corps est rapide en son mouvement, plus il doit être grave ou léger; s'il en est ainsi, lorsque la vitesse sera infinie, la pesanteur ou la légèreté sera aussi infinie. » Mais Averroès ne suit pas davantage l'avis de Thémistius et de Simplicius; il n'admet pas que le poids d'un corps varie avec sa distance au centre du Monde. « Sachez à ce sujet, » dit- il 2 , « que la proximité et l'éloignement n'ont aucune influence, si ce n'est dans les mouvements des corps qui se meuvent sous l'action d'une cause extérieure, car alors ces corps i. Aristotelis De Cœlo... cum Averrois Cordubensis variis... commenta r us, lib. I, summa V11I, cap. IV, comm. 88. 2. Averroès, loc. cit., cap. III, comm. 8i. — Cf. Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, seconde série, pp. 66-67. JEAN I M'iunw (hi. BÉTHUNE) ii LEONA&D DI VIWC1 <>7 peuvent être pioches ou éloignés de leur moteur. » Lorsqu'un morceau i VINCI - i lion qu'en son traité De ponderibus, le Précurseur ;» cependant, entre ces deux mouvements, cette différence que le fer, placé à une distance convenable de l'aimant, en reçoil une certaine altération, tandis que le mobile n'en reçoit aucune de la pari, du lieu. » Item, à la Un, la matière a, pour la forme, un appétit plus puissant, qu'au commencement; cependant la forme ne meut pas la matière à litre de cause efficiente; il se peut donc qu'ici il en soit de même. » Voici ce qu'il faut dire : De près comme de loin, la vertu du lieu meut le corps à titre de fin aimée et désirée; mais de loin, cette vertu ne meut pas le mobile à titre de cause efficiente; elle ne le meut à ce titre qu'en deçà d'une certaine distance. Par suite de la convenance qui existe entre le grave et son lieu propre, le grave se meut a toute distance vers ce lieu ; il y tend naturellement, il se meut vers lui à quelque distance qu'on le place. Mais, à partir du moment où le grave n'est plus qu'à une distance déterminée du lieu, il reçoit de ce lieu une certaine vertu qui produit en lui une altération par laquelle il se meut plus rapidement. Le fer n'a pas, de soi, un tel appétit vers l'aimant; il est seulement apte à éprouver cet appétit; entre sa nature et celle de l'aimant, il n'y a pas une convenance telle qu'il désire de soi-même se joindre à l'aimant et qu'il se meuve vers ce but; la convenance qu'il y a entre le fer et l'aimant rend seulement le fer apte à recevoir la vertu émanée de l'aimant; c'est seulement lorsqu'il a reçu cette vertu qu'il désire l'aimant et se meut vers lui. » Les propositions formulées par les divers auteurs qui ont pris part à ce débat pourraient, dans le langage de la Méca- nique moderne, se formuler à peu près ainsi : Selon Thémistius et ses sectateurs, le poids d'un grave varie avec la distance de ce grave au centre du Monde; il diminue lorsque cette distance augmente ; les affirmations de Simplicius reviennent à déclarer que le poids est inversement propor- tionnel à la distance au centre. Selon Averroès, si une force d'attraction augmente lorsque le mobile se rapproche du centre attirant, cette force doit 74 ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI s'annuler lorsque la distance du mobile au centre surpasse une certaine limite; c'est, croit-il, ce qui a lieu pour l'attraction exercée par l'aimant sur le fer; il admet, d'autre part, qu'une pierre demeure pesante à toute distance du centre du Monde; il faut donc que le poids de cette pierre demeure indépendant de la distance au centre du Monde. Par une synthèse des deux opinions, Roger Bacon admet que le poids d'un grave est la somme de deux forces : l'une de ces forces est indépendante de la distance du grave au centre du Monde ; l'autre est nulle tant que cette distance surpasse une certaine limite; lorsque, inférieure à cette limite, cette distance diminue, la seconde force devient de plus en plus grande . Ces discussions ont été d'un grand intérêt en ce qu'elles ont habitué les philosophes à considérer des forces attractives variables avec la distance ; au jour où les Kepler et les Gilbert tenteront de fonder une Mécanique céleste sur l'emploi de telles forces, ils trouveront, soigneusement conservées par l'enseignement des Écoles, les idées que les discussions du xui e siècle avaient analysées et éclaircies, et ces idées four- niront les matériaux premiers et essentiels de leurs théories. Mais en revanche, la théorie de Thémistius, inspirée par Aristote et généralement adoptée au xiir" siècle, donnait de la chute accélérée des graves une image entièrement fausse. Selon cette théorie, la vitesse d'urt poids qui tombe dépendrait non pas de la durée écoulée depuis le début de la chute ni du chemin parcouru pendant ce temps, mais de la distance du corps pesant au centre du Monde. Les observations les plus courantes suffisaient à prouver qu'une telle conséquence était grossièrement erronée; nous ne voyons pas, cependant, qu'aucun maître de Scolastique en ait fait la remarque avant Richard de Middleton; mais celui-ci a donné à cette remarque une précision extrême. Voici, en effet, ce que le Franciscain anglais écrivait 1 , dans i. Clarissimi theologi Magistri Ricardi de Media Villa Seraphici ord. min. couvent. Super quatuor libros Sententiarum Pétri Lombardi Quœstiones subtilissiinop, Nunc tiemum post alias editiones diligentius, ac laboriosius (quod fieri potuit) recognita\ et ab erroribus innumeris castigatae, necnon condusionibus, ac quotationibus ad .m \\ i MiunvN ii>i nriiii m i ii LÉONARD m \imi 7") les dernières années «lu mm siècle, en commentanf lea Livra des Sentences : « Certains prétendent que les corps sont mus par une vertu émanée du lieu opposé à leur lieu naturel, vertu qui l< i > repousserait. » Mais on ne peut dire que ce soit là la cause propre du mouvement des corps pesants; plus, en effet, ces corps seraient éloignés du centre, plus ils se mouvraient rapidement, car ils seraient plus fortement atteints par la cause qui les meut; or, il est certain que le mouvement des corps graves ou légers est plus rapide vers la fin qu'au commencement. » D'autres disent que la cause de leur mouvement est une vertu attractive émanée du lieu naturel, en sorte que le mouvement des éléments vers leur lieu propre est un mou- vement de traction. » Mais, à rencontre de cette opinion, on peut produire l'argument que voici : Le Commentateur dit qu'une attraction en laquelle le corps attirant demeure immobile tandis que le corps attiré est seul en mouvement n'est pas une attraction réelle et véritable; en ce cas, le corps attiré se meut de lui- même vers le corps attirant, afin d'atteindre sa perfection, tout comme la pierre se meut vers le bas et le feu vers le haut. » Contre la théorie de Thémistius, visée dans les lignes que l'on vient de lire, Richard de Middleton produit cet argument tiré de l'expérience : « Prenons deux corps de même poids et de même figure; faisons commencer la chute du premier d'un lieu élevé et la chute du second d'un lieu plus bas, et cela de telle sorte qu'au moment où le second (celui qui part du lieu le plus bas) commencera à descendre, le premier (celui qui part du lieu le plus élevé) soit déjà parvenu à une distance du sol singulas Qurestiones adauctae, et illustrât», a R. P. F. Ludovico Silvestrio a S. Angelo in Vado, Doctore Theologo, et ejusdem instituti professore. Cum indice generali, ac locupletissimo totius operis. Ad Illustrissimum et Reverendiss. D. D. Marcum Antonium Gonzagam, Marchionem, Principemq. Rom. Imperii, et Episco- pum Casalensem. Brixiae, de consensu Superiorum, MDX.GI. Lib. II, dist. XIV, art. III, quaH. IV; tomus secundus, p. 180. 76 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI égale à celle à partir de laquelle le second commence à se mouvoir. Le grave qui est parti du lieu le plus élevé viendra à terre plus rapidement que l'autre grave; et cependant lorsqu'ils se trouvaient à égale distance du sol, ces deux corps se comportaient de même à l'égard de l'influence du lieu. » Cette objection ruine l'explication que Thémistius avait proposé de donner de l'accélération en la chute des graves. A cette explication, quelle est celle qu'il convient de sub- stituer, au gré de Richard de Middleton? Celle qu'en son traité De ponderibus, donnait le Précurseur de Léonard de Vinci. Richard écrit, en effet : « Voici donc, à mon avis, ce qu'il faut dire : Bien que les divers éléments aient été déterminés par ce qui les a engendrés aux mouvements qui leur sont naturels, cependant c'est par leur propre vertu et [non pas] par la participation de quelque influence siégeant en leurs lieux naturels, qu'ils exécutent les mouvements auxquels la cause génératrice les a déter- minés... Mais l'efficacité de ce mouvement est aidée par l'ébranlement du milieu même, ébranlement produit par le corps grave ou léger qui se meut. » L'hypothèse d'Hipparque était assurément bien connue dans les Écoles au moment où écrivait Richard de Middleton ; la traduction, donnée par Guillaume de Moerbeka, du commen- taire au De Cœlo que Simplicius avait écrit, le commentaire De Cœlo que Saint Thomas avait entrepris, n'avaient pu manquer d'attirer l'attention sur les considérations du grand astronome. Ce sont, sans doute, ces considérations qui ont conduit Richard à écrire 1 , au sujet d'une fève que l'on jette en l'air, les lignes suivantes : « Il faut savoir que le mouvement ascensionnel de la fève est un mouvement violent; je dis donc qu'après que le mouvement de la fève est devenu quelque peu éloigné de 1. Quodlibcta Doctoris eximii Ricardi de Media Villa, ordinis minorum, quœstiones octuaginta continentia. Brixun, apud Vinccntium Sabium, MD\CI. Ouodlibctum II, art. Il, quaest. XVI : Utrum faba ascendens obvians lapidi molari quiescat; pp. 54-56. — Cf. : Éludes sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu. seconde série, uote II, pi' '1 ïa-443. JEAN i BURIDAIN ii»i iuiiiimi il LÉONARD DE VINCI 77 son principe, la \ cri 1 1 grâce à Laquelle la fève monte va en s'alTai hlissan I ; aU8SJ I»' nionvemenl violent est-il pins I < • 1 1 1 vers la fin qu'il n'étail au commencement; celle vertu finit par être tellement affaiblie qu'elle ne sullii plus à mouvoir la lève vers le haut; elle suffil encore, cependant, ii en empêcher la descente; et alors il faut (pie la fève demeure, de soi, immobile; plus tard, cette vertu s'affaiblit au point qu'elle ne peut plus empêcher la descente; la vertu naturelle de la fève l'emporte alors sur celle-là, et la fève tombe. » En la théorie d lïipparque, Richard de Middleton a introduit quelque chose de nouveau; il a considéré le premier cette période de repos qui séparerait le mouvement d'ascension, qui est violent, du mouvement de descente, qui est naturel ; nous avons dit ailleurs 1 quelle fortune avait eue cette doctrine de la qaies média et comment, par l'intermédiaire de la théorie de Yimpeto composé de Léonard de Vinci, elle avait préparé l'explication du mouvement des projectiles que Galilée devait donner un jour. La théorie de Thémistius semble bien avoir été frappée à mort par les objections de Richard de Middleton; les auteurs qui écrivent un peu avant l'an i3oo ou après cette date ne l'invoquent plus pour rendre compte de l'accélération que l'on observe en la chute des graves. Gilles de Rome enseigne 2 que le mouvement naturel est plus rapide vers la fin, tandis que le mouvement violent est plus vite au commencement. « Il faut remarquer, » ajoute-t-il, « que le mouvement naturel commence à partir d'un repos violent, tandis que le mouvement violent part d'un repos naturel. Donc plus le mouvement naturel s'éloigne du repos à partir duquel il a commencé, plus il s'approche du centre; c'est 1 . Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XI : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Léonard de Vinci. Théorie de Yimpeto composé (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 211-212). 2. Egidii Romani in libros de physico auditu Aristotelis commentaria accuratissime emendata : et in marginibus ornata quotationibus textuum et comentorum. ac aliis quam- plurimis annotationibus : Cum tabula questionum in fine. Ejusdem questio de gradibus formarum. Cum privilegio. Colophon : Preclarissimi summique philosophi Egidii Romani De gradibus formarum tractatus Venetiis impressus mandato et expensis Heredum Nobilis viri domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis. per Bonetum Localclkim presbyterum. 12* kal. Octobr. i5o2. Lib. V1I1, comm. 76, fol. 189, col. c. 78 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI pourquoi ce mouvement se fortifie sans cesse par l'éloignement de l'état de repos d'où il est parti. Dans le mouvement violent, c'est le contraire qui a lieu. » Peut-être serait-on tenté de voir, dans les lignes que nous venons de citer, une vague allusion à la théorie de Thémistius; on est porté toutefois à les interpréter d'une tout autre manière lorsqu'on les rapproche de celles-ci 1 , où Gilles de Rome examine « ce que c'est qu'un repos violent et comment un tel repos peut être engendré : « Il faut dire que ce repos violent est engendré par le mouvement violent. Mais on admet en général que tout ce qui est engendré par un tel mouvement a plutôt une cause négative (privativa) qu'une cause positive. Si, par exemple, une pierre est jetée en l'air, elle se reposera au sommet d$ sa course; mais ce repos provient d'un principe négatif, savoir du manque d'impulsion, bien plutôt que d'un principe effectif et positif. Nous devons imaginer, en effet, que lorsqu'une pierre est jetée en l'air, il lui faut, pour se mouvoir rapide- ment, une impulsion plus forte que pour se mouvoir len- tement, et aussi qu'une impulsion plus forte est nécessaire pour la faire progresser vers le haut que pour la maintenir seulement au lieu qu'elle a déjà atteint. Or, au début, l'im- pulsion est grande et forte; puis elle s'affaiblit continuellement; la pierre donc, ou tout autre objet qu'on lance violemment vers le haut, se meut tout d'abord avec force; puis, au fur et à mesure que l'impulsion fait défaut, le projectile se meut plus faiblement; il arrive que cette impulsion devient si faible que l'air ainsi poussé ne suffit plus à faire monter la pierre davantage, bien qu'il suffise à la maintenir en la place élevée qu'elle a atteint; enfin, en une dernière période, la poussée de l'air s'affaiblit tellement qu'elle ne peut plus soutenir le corps grave que Ton avait lancé vers le haut; il faut, dès lors, que ce corps retombe. On voit bien qu'un tel repos est causé par une privation et un défaut bien plutôt qu'il ne procède d'une cause positive et efficiente... Par là, on peut résoudre 1. jEgidii Romani Op. cit., lib. VI, comm. 64, dubium primum; éd. cit., fol. 117, col. ci. JEAN i iiiitinw (DE iiktih ni ) ET LEONARD DE vi\\\ ii»i il m i i i LEONARD i>i \ i n * : i 83 L'agitation de l'air ambiant; mais entre Les \\ (i.i. 1:1.1111 \i ) i i LÉONARD DE \in< I manière que la génération du repos naturel. Ce qui cause le repos naturel, c'est l;» nature môme du mobile; c'est elle aussi qui cause le mouvement naturel; le repos naturel ei le mouvement naturel ont doue pour cause une même nature. Le repos violent, au contraire, est causé par une vertu vio Lente, lorsqu'elle vienl à l'aire défaut. La vertu violente est très forte au commencement du mouvement; elle est assez puis sante pour empêcher le mobile de se mouvoir vers son lieu naturel et pour le mouvoir en sens contraire. Plus tard, à la fin du mouvement [ascensionnel |, la vertu violente est tellement affaiblie qu'elle ne suffit plus à mouvoir le mobile dans la même direction ; elle suffit seulement à le maintenir au lieu qu'il occupe; elle lui donne alors un repos violent. En effet, pour empêcher le mobile de prendre le mouvement naturel, il faut une moindre vertu que pour le mouvoir d'un mouvement contraire ; lors donc que la vertu qui violente le mobile est tellement débilitée qu'elle ne peut plus le faire progresser, elle empêche encore le mouvement en sens contraire et oblige le mobile à demeurer en repos. Lors- qu'ensuite la vertu qui violente le mobile devient si faible qu'elle ne peut plus obliger ce corps à progresser dans le sens primitif, ni empêcher le mouvement naturel, alors le mobile commence à se mouvoir de son mouvement naturel. Voilà pourquoi la pierre, jetée en l'air, se repose au point de réflexion, à moins qu'elle n'en soit empêchée. La force proje- tante est cause de ce mouvement en ce qu'elle ne suffit plus à faire monter le mobile, mais seulement à l'empêcher de quitter le lieu qu'il occupe et de se mouvoir vers son lieu naturel. C'est sans doute ce qu'entendent certains philo- sophes lorsqu'ils disent que dans le mouvement violent est engendré par défaut, tandis que dans le mouvement naturel, la génération du repos est effective. » Toutes ces considérations sur le repos violent portent, très profondément imprimé, le sceau de Gilles de Rome. Venons au passage 1 où Walter Burley explique la chute i. Gualterii Burlaei Op, cit., lib. VIII, tract. III, cap. III, in quo ostenditur quod motus localis est primus motuum; éd. cit., fol. sign. DD, coll. c. et d. 86 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI accélérée des graves. Ce passage débute par une phrase textuellement empruntée à Gilles de Rome : « Il faut remarquer que le mouvement naturel commence à partir d'un repos violent, tandis que le mouvement vio- lent part d'un repos naturel. Donc, plus le mouvement naturel s'éloigne du repos à partir duquel il a commencé 1 , plus ce mouvement devient rapide, par suite de la distance à l'état de repos d'où il est issu. Dans le mouvement violent, c'est le contraire qui arrive. » Ce texte de Gilles Colonna, Burley le commente en ces termes : a Cette proposition, donc : tout mobile se meut d'autant plus vite qu'il s'éloigne davantage du repos, doit s'entendre du mouvement naturel ; en effet, tout corps qui se meut de mouvement naturel se meut d'autant plus vite qu'il s'éloigne davantage du repos, c'est-à-dire du lieu où il demeurait immobile par violence. On peut aussi l'appliquer aussi bien au mouvement violent qu'au mouvement naturel; il faut alors l'entendre ainsi : Tout corps mû de mouvement naturel se meut d'autant plus vite qu'il est plus distant du repos vio- lent à partir duquel il a commencé à se mouvoir; et tout corps mû de mouvement violent se meut d'autant plus vite qu'il est plus distant du repos violent auquel tend son mouvement. » On dit communément que le mouvement naturel s'accé- lère vers la fin par suite de la proximité du terme auquel il tend; il faut bien comprendre que cela n'est pas vrai; ce n'est pas uniquement parce qu'il s'approche du centre qu'un grave se meut plus rapidement. Prenons, en effet, deux corps de même poids, et supposons toutes choses égales d'ailleurs; nous voulons dire par là que ces deux corps sont de même figure, de même grandeur, et qu'ils possèdent au même degré tous les caractères qui ont rapport au mouvement; soient A et B ces deux corps ; plaçons le corps A très haut en l'air, i. Le texte de Gilles de Rome intercalait ici ces mots: «Plus il s'approche du centre, » qui pouvaient sembler une allusion à la théorie de Thémistius. Burlrv :i effacé ces mots qui prêtaient à confusion. .1 1-: v n i BUR1DAN (DE BÉTHUNE) BT LÉONARD i»l VINCI 8" en un Lieu donl La distance à la terre soit de dii stades, el ^>ii C ce Lieu; quant à B, plaçons le en un I i« a n donl, La distance ù La terre soit seulement d'un stade, et soit D ce Lieu. Que l<' corps A tombe et, au momenl <>ù ce corps \ viendra en un lieu qu'un stade sépare du sol, que le corps B commence à descendre; soit E L'instanl où ces corps A et l> sont séparés du sol par la distance d'un stade. Il est clair qu'après L'instant E, le corps A descendra plus rapidement que le corps B; et cepen dant, à l'instant E, ces deux corps sont également près de la terre. Ce n'est donc pas le plus proche voisinage du lieu naturel qui cause la plus grande vitesse du mouvement naturel, mais bien la plus grande distance au repos violent à partir duquel le mouvement a débuté. A l'instant E, en effet, et pendant toute la durée du mouvement après cet instant, le corps A est plus éloigné du repos violent à partir duquel il a commencé à se mouvoir que ne l'est le corps B du repos violent d'où sa chute a débuté; aussi, après l'instant E, le corps A se meut-il plus rapidement que le corps B, bien que ces deux corps se trouvent équidistants de la terre et équidistants de leur lieu naturel. C'est donc cette distance au repos violent à partir duquel le corps s'est mis en mouvement qui est la cause de la continuelle accélération du mouvement naturel. » Mais c'en est là, semble-t-il, la cause éloignée; aussi faut-il en assigner une cause plus prochaine et plus explicite. » C'est pourquoi certains prétendent que le grave, en sa chute, acquiert continuellement une nouvelle gravité acci- dentelle; il devient continuellement de plus en plus lourd; son mouvement s'accélère donc sans cesse. Il en est de même d'un corps léger; en son mouvement vers Je haut, il acquiert sans cesse une nouvelle légèreté accidentelle. Partant, plus ces corps sont éloignés de l'état de repos violent à partir duquel ils ont commencé à se mouvoir, plus ils se meuvent rapidement. » Pour moi, il me semble que l'air est grave avec les corps graves et léger avec les corps légers. Lorsqu'un corps grave tombe, la masse d'air qui se trouve devant lui et qu'il pousse vers le bas est toujours de plus en plus grande, tandis 88 ÉTUDES SLR LÉONARD DE VINCI que la masse d'air qui suit son mouvement croît, elle aussi, continuellement; le mouvement s'accélère parce que le milieu qui se trouve en avant du mobile et qui lui cède le passage est de plus en plus grave, et que le milieu qui suit le poids devient, lui aussi, de plus en plus grave et donne à ce corps une impulsion de plus en plus forte ; ainsi le mobile se meut d'autant plus vite qu'il vient de plus loin, parce que son mouvement est, de plus en plus, secondé par le milieu, aussi bien en avant qu'en arrière. » L'explication que Burley vient de développer est une sorte de synthèse où concourent les pensées de maint auteur de l'antiquité. Nous y reconnaissons, tout d'abord, la théorie péripatéti- cienne qui attribue au milieu la continuation du mouvement des projectiles. Nous y retrouvons, ensuite, l'analogie entre l'accélération du mouvement naturel et le ralentissement du mouvement violent, telle qu'Hipparque l'avait signalée, au dire de Simplicius. La résistance décroissante du milieu qui précède le mobile y est invoquée comme elle Tétait par certains physiciens anté- rieurs à Simplicius et, plus récemment, par Durand de Saint-Pourçain. Enfin, l'impulsion croissante du fluide qui suit le grave y est admise comme elle l'était par le Précurseur de Léonard de Vinci. Cette synthèse est le résultat d'efforts continus dont l'œuvre de Richard de Middleton d'abord, les écrits de Gilles de Rome, de Jean de Jandun et de Durand de Saint-Pourçain ensuite nous ont apporté le témoignage. Ces efforts remplissent toute une période du lent dévelop- pement qu'a subi la théorie de la chute accélérée des graves. En une période précédente, illustrée par les grands docteurs scolastiques du xui e siècle, l'explication de Thémistius avait été généralement admise. De Richard de Middleton à Walter Burley, les maîtres dont les tentatives caractérisent la seconde période débarrassent la science de cette doctrine inadmissible de Thémistius; ils met- tent clairement en évidence cette vérité : la vitesse de chute JEAN l m KIDW (DE BÉTIIUNE) i.i LÉONARD Dl VINCI d'un grave ne dépend |>;is de la distance d<* ce grave au centre du Monde, nuiis bien de La distance du poids : ,i sa position initiale; ils sont moins licincu \ Lorsqu'il s'a^ii d'expliquer L'accroissement de celle vitesse; ions, ils en cherchent La raison en L'influence urle\ nous annonce l'oux ■erlui e d'une troisième période de L'histoire que nous retraçons ici. Burley a fait allusion à certains philosophes qui attribuent L'accélération du mouvement naturel au continuel accrois- sement d'une gravité accidentelle. Or, au Moyen-Age, ce nom de gravité accidentelle était assurément pris comme synonyme d'impetus. «Certains,» dit Gaétan de Tiène 1 , «donnent le nom de gravité ou de légèreté accidentelle à cette vertu communiquée par le moteur au mobile, mais on l'appelle plus communément impetus. » Gaétan était, d'ailleurs, un lecteur assidu de Burley que ses écrit citent constamment. Donc, au temps de Burley, il était des physiciens qui demandaient à un impetus croissant d'.accélérer la chute des graves. Quels étaient ces physiciens ? Nommé chanoine d'Évreux en i3/i2 2 Walter Burley vivait certainement encore en i343 ; il terminait sa carrière alors que Jean Buridan commençait la sienne; l'allusion que contiennent les commentaires aux Physiques composés par le Maître anglais pourrait donc, à la rigueur, viser l'enseignement du Maître picard; il est plus probable qu'elle a trait à l'opinion de phy- siciens plus âgés, contemporains de Burley, dont Buridan a été le disciple et dont il a adopté et développé les doctrines. Nous avons déjà cité, au paragraphe précédent, un passage où Buridan explique, à l'aide d'un impetus sans cesse croissant, la vitesse accélérée d'un grave qui tombe; cette explication, il la donne également en un autre endroit 3 , alors que le pro- i. liecollectœ Gaietani super octo libros Physicorum cum annotationibus textuum, fol. 5i. Colophon : Impressum est hoc opus per Bonetum Locatellum, jussu et expensis nobilis viri Domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis. Anno Salutis 1496. 2. Denifie et Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, tomus II, pars prior, p. i54- 3. Magistri Johannis Buridam questiones totius libri Phisicorum ; lib. VIII, quaest. IV : Utrum actu grave existens sursum moveatur per se post remotionem prohiberais, vel a quo moveatur. Bibl. nat., fonds latin, ms. 14723, fol. 92, col. d. — Cf. : Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont tu, seconde série, pp. 420-421. 90 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI blême de l'origine de la pesanteur l'amène à poser cette affir- mation : Un grave ne devient pas plus pesant lorsqu'il s'ap- proche de son lieu naturel. « Vous allez dire, » écrit Maître Jean Buridan, « que ce raisonnement doit être rétorqué en sens contraire; il est mani- feste, en effet, qu'un grave, en sa chute, se meut d'autant plus vite qu'il approche davantage de son lieu; il ne semble pas que cela puisse s'expliquer, sinon parce que le lieu exerce auprès une vertu d'attraction plus grande qu'au loin. » A cela je réponds que, toutes choses égales d'ailleurs, un grave ne tombe pas plus vite lorsqu'il est voisin du lieu infé- rieur, lorsqu'il en est, par exemple, distant de trois pieds ou de dix pieds, que lorsqu'il en est éloigné et séparé par cent pieds ou par mille pieds. Supposons, en effet, qu'un homme se trouve au sommet de l'une des tours de Notre-Dame, et qu'une pierre, située à dix pieds au-dessus de lui, tombe sur lui; cette pierre ne blesserait ni plus ni moins cet homme que s'il se trouvait au plus bas lieu d'un puits profond, et que cette même pierre lui tombât dessus de dix pieds de haut. On voit bien par là que la pierre ne se meut pas plus vite en ce lieu-ci, qui est si bas, qu'en ce lieu-là, qui est si élevé. » Partant, il est manifeste que si un grave se meut plus vite ou plus lentement, ce n'est pas parce qu'il est plus proche ou plus éloigné de son lieu; mais, comme nous le disons plus loin, c'est parce que le corps pesant acquiert de soi-même un certain impetus qui se joint à sa gravité pour le mouvoir; le mouvement devient ainsi plus rapide qu'au temps où le corps pesant était mû par sa seule gravité; plus le mouvement devient rapide, plus Yimpetus devient vigoureux; au fur et à mesure donc que le poids continue à descendre, son mouve- ment devient de plus en plus rapide, parce qu'en continuant à descendre, il s'éloigne de plus en plus du point à partir duquel il a commencé de tomber ; que cette chute se produise, d'ailleurs, en un lieu plus haut ou en un lieu plus bas, il n'importe. » Quel va être, au cours des vicissitudes par lesquelles passera renseignement de la Scolastique, le sort de cette théorie pro- posée par Buridan ? JEAN i BU RIDA II I DE m.iinvi.) il LÉONARD DE VINCI <>l Albert de Saxe adopte, en son entier, La Dynamique i VINCI \ liesse, cllr moiivi'ii la moitié de <<• mobile aVÔC une \iltsse double; laquelle chose ne me paraît pas [exacte] n La conclusion d'Âlberl de citer. Des trois textes que nous avons empruntés à Aibertutius, deux au inoins ont été sous les yeux du Vinci. Mais, Faut- il l'avouer? Si ces textes portent l'empreinte bien reconnaissais de l'enseignement de Buridan, cette empreinte y est pourl.au! trop ellacée pour attirer vivement l'attention; en lisant les divers écrits d'Albert de Saxe, Léonard a fort bien pu n'at- tacher qu'une médiocre importance à ce qui s'y trouvait exposé touchant la chute accélérée des graves. Il semble, d'ailleurs, que les Terminalistes, tout en admettant l'explication du mouvement des projectiles par la théorie de ïimpetus, ne se soient guère souciés de l'application que l'on pouvait faire de cette même théorie au mouvement des corps pesants; cette application, Marsile d'Inghen n'en parle aucu- nement en ses Questions sur la Physique d'Aristote; d'ailleurs, en ces questions, c'est à peine si l'on découvre quelques vagues et rares allusions à la Dynamique de Vimpetus. Cette Dynamique trouve au contraire un exposé assez étendu, et visiblement inspiré de Buridan et d'Albert de Saxe, dans les Abbreviationes libri Physicorum* du même Marsile d'Inghen. Aussi rencontre-ton, en cet ouvrage, une allusion à la chute accélérée des graves et à l'explication qu'en donne la théorie de Vimpetus. Marsile d'Inghen vient d'affirmer que la pesanteur n'était pas une attraction du lieu naturel; il ajoute : « On demandera peut-être si ce n'est pas parce qu'il est attiré par le lieu que le grave se meut plus rapidement vers la fin i. Incipiunt subtiles doctrinaque plene abbreviationes libri phisicorum édite a prestantis- simo philosopho Marsilio Inguen doctore parisiensi. (Ce livre, imprimé avant l'an i5oo, ne porte aucune indication touchant le nom de l'éditeur, la date ni le lieu de l'édition. Les feuillets ne sont pas paginés.) La théorie de Vimpetus occupe les deux derniers feuillets. Cf. : Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle découle; X : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Kepler; XI : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dyna- mique de Léonard de Vinci. Théorie de Vimpeto composé (Études sur Léonard de Vinci, ceux (ju'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 195-197, 2o3-2o/j, 2 1 3 — 2 1 4 ) - Ç)4 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI de sa course. Nous répondrons que cet effet provient de Yim- petus acquis par suite du mouvement. » Mais que cette allusion est brève et peu explicite 1 ! Si Marsile d'Inghen a glissé rapidement sur la chute accé- lérée des graves, en revanche, il s'efforce 2 d'expliquer un phénomène tout imaginaire, la prétendue accélération qu'éprouverait un projectile après qu'il vient de quitter la main ou l'instrument qui l'a lancé 3 . JeanBuridan et Albert de Saxe n'avaient pas parlé de cette accélération dont, probable- ment, l'existence leur paraissait douteuse ou niable. Marsile d'Inghen n'a garde d'imiter leur prudente réserve; voici le passage qui termine ses Abbreviationes : « Mais, direz -vous, Yimpetus a sa plus grande puissance auprès de ce qui produit la projection; la flèche devrait donc frapper, tout près de l'arc, plus fort qu'à une certaine distance ; or cela est contraire à l'expérience. » Cette question est bien difficile; aussi ne lui donnerons- nous qu'une réponse évasive et probable. » On peut, en premier lieu, répondre que celui qui lance un projectile lui imprime un impetus en commençant à partir du degré nul; que, tandis qu'il le lance, il imprime une certaine puissance à l'air ambiant; que cet air se meut avec le projectile, et que, jusqu'à une certaine distance, il augmente l'intensité et la force de Yimpetus communiqué au mobile par celui qui a projeté ce corps. » On peut répondre, en second lieu, que Yimpetus a, en effet, sa plus grande puissance au moment où celui qui lance le projectile cesse de toucher ce corps, mais qu'il ne lui est pas aussi bien appliqué que plus tard; ce mode d'application s'améliore sans cesse jusqu'à ce que le mobile ait parcouru une certaine distance; or, une meilleure application de la force aide grandement à la vitesse du mouvement. On dirait i. Marsile d'Inghen, Op. cit., col a. du fol. qui suit le folio signé K. 3. 2. Marsile d'Inghen, Op. cit., dernier folio, col a. 3. Au sujet de cette prétendue 'accélération, voir : Bernardino Baldi, Roberval et Descartes, I : Une opinion de Bernardino Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, IV; première série, pp. 127-139). JEAN I itininw hiiiimi ii LEONARD DE VINCI doue que c'est la nature môme i VINCI \)~ écrit, Pierre Tataret se donne pour Scotiste; m;iis, bien souvent, ses préférences délaissent Les doctrines <1n Docteur Suhiil et vont aux théories enseignées par les Nominalistes parisiens. Ainsi, vers la lin de son commentaire au huitième livre des Physiques, Pierre Tatarel explique par Vimpetus la continuation du mouvement des projectiles. D'une manière Tort sommaire, mais exacte, il indique comment cette hypothèse permet de rendre compte de divers phénomènes : le rebondissement d'une balle qui a frappé la terre, la rotation d'une meule que l'artisan a cesse de tourner, le mouvement de la toupie que l'enfant a lancée; « si une fève, dit- il, ne peut être lancée aussi loin qu'une balle de plomb, c'est par défaut d' impetus, car on ne peut, en cette fève, imprimer un impetus aussi grand qu'en la balle de plomb. » Ce résumé fidèle de la Dynamique parisienne se poursuit en ces termes, où ni Buridan ni Albert de Saxe, n'eussent con- senti à reconnaître l'expression de leur pensée : « On deman- dera peut-être pourquoi le corps ainsi mû par Vimpetus se meut parfois vers la fin ou au milieu de sa course plus vite qu'au commencement; on répondra qu'en voici la raison : Au début, cet impetus n'est pas imprimé à toutes les parties du mobile, mais seulement aux parties qui avoisinent le moteur; c'est par l'intermédiaire de ces parties qu'il se com- munique aux parties éloignées, jusqu'à ce qu'enfin Vimpetus se trouve réparti par tout le mobile; alors celui-ci se meut d'un mouvement plus rapide. » Si Tataret a abandonné, au sujet de la chute accélérée des graves, la tradition de Buridan et d'Albertutius, il nous est facile de dire quelle influence l'a entraîné; cette influence est celle de Marsile d'Inghen; il s'est borné à étendre à l'accé- lération du mouvement des graves ce que Marsile avait imaginé pour expliquer la prétendue accélération initiale du mouvement des projectiles. bibliographicum de Hain, sept éditions de ce manuel existaient avant l'an iooo; elles continuèrent à se multiplier pendant le premier quart du xvi e siècle; il en fut encore donné au xvn° siècle. r. DLHEM. g8 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI En son commentaire au second livre du De Caelo, Pierre Tataret revient à l'étude de la chute accélérée des graves; il cherche à énoncer la loi quantitative à laquelle cette accélé- ration obéit et, à cet égard, il reproduit une remarquable page due à Albert de Saxe; mais au sujet de la cause qui déter- mine cet accroissement de vitesse, il se borne à cette décla- ration : « Gomment Yimpetus ou qualité motrice augmente sans cesse d'intensité dans le mobile, nous l'avons vu ailleurs. » Si Pierre Tataret, en dépit du Scotisme qu'il affirme, garde quelque chose de l'enseignement des Nominalistes, d'autres affectent l'indifférence et le mépris pour cet enseignement qu'ils jugent de date trop fraîche; délaissant tout ce qu'ont pu dire les moderniores, les juniores, ils ne veulent s'autoriser que de Saint Thomas d'Aquin ou de Duns Scot. Jean Versor de Paris, mort vers i48o, est un Thomiste convaincu; aussi, à l'exemple de son maître, le Docteur Angé- lique, admet-il pleinement la théorie de Thémistius. Lorsqu'il déclare, par exemple, que la pesanteur n'est pas due à une attraction exercée par le centre du Monde sur le corps grave, il écrit ces lignes 1 , dont la suite logique laisse grandement à désirer: « Il en résulterait qu'une masse de terre qui tombe ne descendrait pas plus vite à la fin de sa chute qu'au commen- cement; en effet, les corps qui se meuvent par traction se meuvent d'autant plus lentement qu'ils sont plus éloignés de ce qui les pousse; or il est manifeste aux sens que la terre se meut d'abord plus lentement, et que son mouvement s'accélère d'autant plus qu'elle descend davantage. Aussi, selon Saint Thomas, le mouvement naturel est-il plus rapide à la fin qu'au commencement parce que plus le mobile approche du lieu naturel où se trouve la vertu qui l'engendre et le conserve, plus sa puissance motrice se fortifie; c'est pourquoi, vers la fin, il se meut plus rapidement. » i. Questiones magistri Johannis versoris super libros de celo et mundo cum textu Arestotelis. Colopbon : El sic tcrminantur questiones versoris super duos libros de generatione et corruptione Arestotelis secundum processum ejusdem versoris dili- gentissime correcte. Anno incarnationis dominicc MCCCCLXXXIX penullimo die Maii. Lib. I, quacst. XII, fol. XIII, col. d. — Ce même ouvrage fut imprimé en i485, i488 et i4g3. JEAN i BUR1DAN DE I'.iiimm.i il LÉONARD DE \ivci 99 Ce que Verso r d il ici d'après Sainl Thomas, il le prend à son compte en un autre passage 1 où, plus conséquent avec lui même, il attribue au lieu une vertu attractive analogue à celle de L'aimant: « Le mouvement naturel recti ligne, » écrit il, « lorsqu'il se produit en un milieu uniforme, est plus rapide à La lin qu'au commencement... Nous disons: Lorsqu'il se produit en milieu uniforme; dans ce cas, en effet, La rési- stance demeure constante tandis que la puissance augmente sans cesse. Si le milieu n'était pas uniforme, s'il offrait à la fin une résistance plus grande qu'au commencement, il se pourrait que ce mouvement fût aussi lent ou même plus lent à la fin qu'au commencement. Si l'on demande quelle est la cause de cette accélération, on répondra qu'elle provient d'une vertu attractive du lieu; naturellement, ce lieu attire d'autant plus puissamment le corps qu'il peut loger que ce corps est plus proche; de même, l'aimant attire un morceau de fer avec d'autant plus de vitesse que ce fer est plus proche. » Le Franciscain Nicolas Dorbellus ou de Orbellis, qui mourut en i455 après avoir professé à Poitiers, était un Scotiste convaincu; il a donné de tous les livres d'Aristote et des Sam- mulx de Petrus Hispanus un bref commentaire, rédigé selon l'esprit du Docteur Subtil; ce commentaire, maintes fois imprimé 2 , a longtemps servi, dans les écoles franciscaines, de manuel de Philosophie. En ce manuel sec et routinier, il n'est plus question d'attri- buer à ïlmpetus ni la chute accélérée des graves, à laquelle il n'est fait aucune allusion, ni même le mouvement des projec- tiles. « Bien que la pierre, » y est-il dit 3 , a ne demeure pas toujours contiguë à la main qui la lance, elle demeure sans 1. Johannis Versoris Op. cit., lib. II, quaest. VIII, fol. xxvm, col. a. 2. L'édition que nous avons consultée est la suivante : Cursus librorum philosophie naturalis venerabilis magistri Nicolai de Orbellis ordinis minorum secundum viamdoctoris subtilis Scoti. — Colophon : Eximii ac peritissimi artium ac sacre théologie magistri Nicolai Dorbelli ordinis minorum preclarissima logice expositio : parva quidem volumine : maxima vero doctrine copiositate. Quod opus sicuteeteris logice volumi- nibus est emendatius : ita profecto omnibus logice libris volentibus in dialectica : et precipue secundum doctrinam doctoris subtilis erudiri est utilius : Imprcssum Basilee : Anno domini millesimo quingentesimotertio. — Le même ouvrage avait été publié auparavant sous le titre: Philosophiae peripateticae ad mentem Scoti compendium; Bononiae, per Magistrum Henricum de Harlem et Matheum Grescentinum, i485. ô. Nicolai de Orbellis Op. cit., Physicorum lib. Vil, cap. 11. IOO ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI cesse au contact d'une certaine partie d'air qui est, pour elle, le moteur prochain. En effet, celui qui lance la pierre, en même temps qu'il communique une impulsion à cette pierre, en communique également une à l'air, et l'air qui a reçu cette impulsion continue à pousser la pierre... » Ainsi, dans les écoles françaises, on oublie tout ce que les méditations des Nominalistes avaient découvert. Laissons-les pour écouter les enseignements des Universités de langue allemande. L'enseignement donné par Marsile d'Inghen avait grande- ment contribué à répandre en Allemagne les doctrines nomi- nalistes ; Frédéric Sunczel est un des maîtres qui se réclament le plus volontiers des théories professées par le Recteur de Heidelberg. A l'étude du mouvement des projectiles, Sunczel a consacré une importante question l où nous reconnaissons le résumé de ce qu'ont écrit Buridan et Albert de Saxe; nous retrouvons même, en cette question, une courte allusion à l'hypothèse que ces auteurs ont proposée touchant le mouvement des sphères célestes : « Une meule de forgeron, dit Sunczel, que Ton a mue, puis cessé de mouvoir, tourne pendant un certain temps; cependant, ce n'est pas l'air qui la pousse, car il ne saurait mouvoir une telle masse; la meule se mouvrait encore lors même que celui qui la tournait aurait, depuis longtemps, cessé de le faire. Semblablement, certains anciens philosophes disaient qu'au commencement, le Premier Moteur a produit dans le ciel un tel impetus. » Or, au sujet de la chute accélérée des graves, le même Sunczel s'exprime d'une manière extrêmement vague. En ses propos aussi concis qu'obscurs, nous devinons un pâle reflet de l'idée émise par Buridan et par Albert, et un reflet un peu plus net de la doctrine que Marsile d'Inghen nous a fait connaître. i. Collecta et cxercitata Friderici Sunczel Mosellani liberalium sludiorum magistri in octo libros Phisicorum Arestotelis: inalmo studio Ingolstadiensi. Cum adjectione textus nove translationis Johannis Argiropoli bizatii (sic) circa questiones. Colophon : ...Impressa sub hemisperio veneto Impensis Leonardi Alantse Bibliopolc viennensis Arte vero et ingénie- Pétri Lichtenstein Goloniensis anno MDV1 Die XXVIII Mensis madii Maximi- ^liano primo Romanorum Rege faustissime imperante. Lib. VIII, qua-st. XI. m \\ i BURÏDAN (Dl BÉTH1 \i i i LÉONARD DB \i\<;i [01 « On demandera peut-être, dit le professeur d'Ingolstadt, -i Vimpetus csi plus fort au commencement \N (i>i BÉTHUNE) ii LÉONARD Dl VINCI K)3 L'effort par Lequel il tend à la félicité. Or, le Lieu naturel est La lin à Laquelle tend le corps qui s\ doit Loger. » Celle opinion se réfute ainsi: Si le grave, à La fin \\ (ni. iu.iiiim;) ET LEONARD i»i \in n s s < - de La Dynamique averroïste à la Dynamique parisienne ou s'il a subi une con- version de sens inverse. En tout cas, qu'il soutînt ou qu'il combattît la Mécanique des Parisiens, il en révélait les prin- cipes à ses élèves de Padoue. « Paul de Venise, nous dit Pomponacc<, fut le précepteur de Gaëtan de Tiène. » Parmi les maîtres qui enseignaient, au xv" siècle, dans les Universités italiennes nul, plus que Gaëtan de Tiène, ne s'est montré soumis aux tendances parisiennes. En son commen- taire à la Physique d'Aristote, Gaëtan a donné % du mouve- ment des projectiles, une explication très conforme aux prin- cipes développés par Jean Buridan. Mais lorsqu'il s'agit d'ex- pliquer la chute accélérée des graves, le célèbre professeur de Padoue hésite entre l'hypothèse proposée par Buridan et celles qui avaient ravi l'adhésion de Richard de Middleton, de Durand de Saint- Pourçain et de Walter Burley. Voici, en effet, ce que nous lisons en la partie de son commentaire 3 où il s'efforce de prouver que la pesanteur n'est pas due à l'attraction exercée sur le corps grave par le lieu naturel : « Cette supposition est en défaut lorsqu'elle se propose d'as- signer la cause pour laquelle le mouvement naturel finit par s'accélérer; cette accélération, en effet, ne se produit pas pour la raison qu'elle donne, mais bien parce qu'en la continuation de son mouvement naturel, le corps grave ou léger acquiert par sa propre nature une gravité ou une légèreté accidentelle ; i. Pétri Pomponatii Mantuani. Tractatus acutissimi, utilissimi, et mère peripatetici. De intensione et remissione formarum ac de parvitate et magnitudine. De reactione. De modo agendi primarum qualitatum. De itnmortalitate anime. Apologie libri très. Contradic- toris tractatus doctissimus. Defensorium autoris. Approbationes rationum defensorii, per Fratrem Chrysostomum Theologum ordinis predieatorii divinum. De nutritione et aug- mentatione . Colophon : Venetiis impressum arte et sumptibus heredum quondam domini Octaviani Scoti, civis ac patricii Modoetiensis : ac sociorum. Anno ab incar- natione dominica MDXXV calendis Martii. Tractatus de reactione, fol. 27, col. a. 2. Recollecte Gaietani Super octo libros Physicorum cum annotationibus textuum. Colo- phon : Impressum est hoc opus Venetiis per Bonetum Locatellum jussu et expensis nohilis viri domini Octaviani Scoti Modoetiensis. Anno salutis 1^96. Nonis sextilibus. Augustino Barbadico Serenissimo Venetiarum Duce. Lib. VIII, foll. 5o, col. d, et 5i, col. a. 3. Gaétan de Tiène, Op. cit., lib. VIII, fol. 46, col. d. loO ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI celle-ci s'ajoute à la gravité ou à la légèreté naturelle qui préexistait, et elle rend le mouvement plus rapide; ou bien encore parce qu'à la fin du mouvement, le mobile a derrière lui une quantité du milieu plus grande qu'au commencement, et que ce milieu pousse le mobile et aide au mouvement. » Le plus parisien des maîtres italiens n'osait se rallier fran- chement à la théorie de la chute accélérée que Buridan et Albertutius avaient proposée. Au sujet de cette théorie, les Averroïstes de Bologne et de Padoue gardaient, en général, le silence. En sa Question touchant les corps graves et légers 1 , Nicolô Vernias de Chieti déclare « qu'Albertutius et les autres ïermi- nalistes s'écartent à la fois d'Aristote et de la vérité lorsqu'ils prétendent que le mouvement des projectiles est dû à un impetus conféré par celui qui les a lancés à ces projectiles mêmes, et non pas à l'air ou à l'eau qui les entoure. » Les corps solides, en effet, ne peuvent recevoir un tel impetus; seuls, les corps fluides, comme l'ont voulu Averroès, Walter Burley et Jean de Jandun, sont aptes à cet objet, parce qu'ils peuvent se comprimer, puis, en se détendant pour revenir à leur état naturel, communiquer à un autre corps l'impulsion qu'ils ont reçue. Vernias admet la prétendue accélération qu'éprouverait un projectile au début de sa course; il admet que le trait lancé par une baliste frappe à une certaine distance plus fortement qu'auprès de la machine; il explique cette préten- due observation, que Gaëtan de Tiène avait eu le bon sens de déclarer fausse, en attribuant une propriété toute semblable à Yimpetus communiqué au milieu. Mais en cette question consacrée au mouvement des corps graves et légers, il n'est i. Nicoleti ïheatini in celeberrimo studio Patavino ordinarii philosophie legentis Questio de gravibus et levibin ad integerrimum Philosophum et Medicorum principeni Gerardurn Holderium Veronensem. Cette question s'étend du fol. 91, verso, au fol. 93, verso, en l'ouvrage suivant : Acutissime Questiones super libros de Physica auscultatione ab Alberto de Saxonia édite : jam diu in tenebris torpentes : nuperrime vero quain dili- gentissime a vitiis puryate : ac summo studio emendate : et quantum aniti ars potuit fideliter impresse. — Nicoleti Verniatis Theatini philosophi perspicacissimi contra perversam Averrois opinionem de unitate intellectus : et de anime fclicitate Questiones divine : nuper casligatissime in lucem prodeuntes. -- Ejusdem etiam de gravibus et levibus questio subtilissima. Colophon : Venetiis sumptibus heredum q. D. Octaviani Scoti Modoe- tiensis : ac Sociorum. 21 Augusli. i5i(i. .Ii;\\ I III KIDAN (l)B ItKIIIIM i II LBONARO DB VINCI i<>~ fait aucune mention <) peins à L'aide .. Augustini Niphî Exposilio super oclo libros de physico audilu, lib. VIII; éd. cit., P 645 Il8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI jeter plus loin qu'une pierre. Mais notre auteur ne prend même pas la peine de résoudre ces difficultés ; « comme toutes ces choses ont été exactement traitées dans nos commentaires, passons outre, » dit-il. En exposant la Physique, Nifo n'a pas parlé de la chute accélérée des graves; il traite i ce sujet en son exposition du De Cdelo. Il reproduit tout d'abord, d'après Simplicius et Saint Thomas d'Aquin, ce que les anciens ont pensé de cette accélération; il y ajoute même quelques renseignements; il désigne, par exemple, « Jamblique et d'autres Platoniciens » comme étant ces physiciens dont Simplicius nous avait tu les noms et qui attribuaient l'accélération de la chute des graves à la diminution de l'épaisseur du milieu résistant. Que cette supposition soit inadmissible, notre Averroïste le montre en reprenant l'argu- ment que, depuis Richard de Middleton, l'École de Paris n'avait cessé de faire valoir: « Supposons, » dit-il, «que le mobile M se meuve vers son lieu naturel G en parcourant la ligne ABC. Au moment où M arrive en B, supposons qu'un mobile R, de même espèce et de même nature que le mobile M, commence, lui aussi, à se mouvoir; il est clair que M arrivera en G plus vite que R, bien que l'épaisseur d'air à traverser, BG, soit la même pour tous deux ; ce n'est donc pas l'épaisseur du milieu qui cause la vitesse plus ou moins grande du poids. » Nifo présente alors l'explication de Saint Thomas d'Aquin à laquelle il identifie, bien à tort, celle d'Alexandre d'Aphrodisie; la raison qui lui a fait rejeter la précédente supposition est tout aussi valable contre cette dernière; notre auteur, cependant, ne semble plus la regarder comme aussi péremptoire, car il s'exprime en ces termes : « Je pense avec Alexandre et Saint Thomas qu'un grave se meut plus vite lorsqu'il est voisin de son lieu propre que lors- qu'il en est éloigné, parce que la gravité de ce corps est alors plus grande ou, en d'autres termes, parce qu'elle est fortifiée, accrue et augmentée. Mais je ne crois pas, comme eux, que i. Augustini Niphi Expositio in libros de Cœlo et Mundo, liber I, éd. cit.., fol. 5o, coll. a et 6, LA TRADITION DE BUBIDAN 1T LA SCIENCE ITALIENNE m IVT imii. i m, la seule cause de ce renforcement soit le voisinage du lieu naturel; à partir d'une même position, en effet, un mobile qui n'était pas mû auparavant se meut plus Lentement qu'un autre corps déjà en mouvement, bien que ces deux mobiles soient également proches du Lieu naturel. n 11 y a lieu de remarquer à ce sujet qu'il existe deux soi les de gravités. L'une est la gravité naturelle; elle a été don née au corps, par l'intermédiaire de la forme, en La génération de ce corps et par l'agent naturel qui l'a produit. . . L'autre est la gravité accidentelle ou adventice; elle est accidentellement produite dans le poids par des causes extrinsèques; quelques- uns la nomment impelus, et avec raison. » Nous pourrions, à la lecture de ce passage, croire que Nifo, toujours si prompt à changer de sentiment au gré de son septicisme intéressé, s'est converti à la doctrine parisienne et qu'il adhère maintenant à l'hypothèse de Y impelus. Singulière adhésion, en tous cas, et qui s'allie avec une connaissance bien imparfaite de l'explication adoptée ! Voici, en effet, comment Nifo la présente : « Le fait qui nous occupe n'a pas pour seule cause le voisinage du lieu, comme Alexandre et Saint Thomas parais- sent le croire ; il me semble qu'il admet trois causes : )> La première et principale cause est le mobile lui-même que sa forme rend apte à se mouvoir de la sorte. » La seconde cause est une cause dispositive; c'est le voisi- nage du lieu; le voisinage du lieu dispose, en effet, le mobile à la génération d'une telle gravité. » La troisième cause est une cause instrumentaire et indispen- sable (sine qua non); c'est le mouvement naturel, par lequel le mobile se meut et s'approche du lieu ; sans ce mouvement, cette gravité accidentelle ne saurait exister ; la preuve en est que le mobile, une fois au repos, n'est pas plus lourd qu'auparavant. » Et l'auteur d'un tel verbiage a lu les claires et concises explications qu'Albert de Saxe donnait en ses Qusestiones in libros De Cselo! Quelques lignes plus bas, il cite cet ouvrage d'à Albertillus » ; c'est, il est vrai, pour s'écrier tout aussitôt ; « Cet homme se trompe, errât hic virl » 120 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI Les Averroïstes n'étaient pas, au début du xvi e siècle, les maîtres incontestés de l'opinion au sein des Universités ita- liennes. Devant eux, un parti nouveau venait de surgir. Les Alexandristes tenaient Averroès pour un très infidèle inter- prète de la pensée d'Aristote, particulièrement en la question de l'immortalité de l'âme; le dépositaire de la véritable pensée du Philosophe, ce n'était plus, pour eux, le Commentateur; c'était Alexandre d'Aphrodisias. Les Alexandristes reconnaissaient pour chef le successeur de Vernias à l'Université de Padoue, Pierre Pomponazzi de Mantoue. Transféré en la chaire de Philosophie de Bologne, Pomponace y soutint contre Nifo des débats demeurés célèbres. La lecture des écrits de Pomponace nous montre qu'il connaissait fort bien certaines des théories en vogue à l'Uni- versité de Paris, en particulier celles qui concernent l'intensité des formes, l'action et la réaction, la conservation des formes dans le mixte. Gaétan de Tiène paraît avoir été, dans les Écoles italiennes, le plus actif introducteur de ces discussions; il semble qu'elles aient surtout trouvé crédit auprès des médecins; Gaétan était lui-même médecin; ses principaux continuateurs ou contradicteurs, tels que Jacques de Forli ou Jean Marliano, l'étaient également. Pomponazzi a profondément étudié les théories parisiennes; mais, dans la plupart des cas, c'est pour les mieux réfuter et faire prévaloir plus sûrement les doctrines d'Aristote et de ses commentateurs grecs. Les jugements qu'il porte sur les maîtres de l'École terminaliste sont, bien souvent, fort sévères; du moins sont-ils exempts des sarcasmes et des sobriquets que Nifo substitue si volontiers aux arguments. Le traité De intensione et remissione formarum que Pom- ponace composa et fit imprimer à Bologne en 1 5i 4 ' est consacré en entier à combattre certaines conclusions de Pun i. Pétri Pomponalii Mantuani Traclatus, in quo disputalur pênes quid inlensio et remissio formarum intendantur, nec minus parvitas et magniludo. Bononi;i>, apud II. Pla tonidem, iGifi. — Pétri Pomponalii Mantuani. Traclatus acutissimi, utilissimi, et mère peripatetici. De intensione et remissione formarum ac de parvitale et magnitudine. De reactione. De modo agendi primarum qualitatum. De immortalitate anime. Apologie libri très. Contradictoris tractatus doclissimus. Defensorium antoris. Approhationes rationiii" i.\ TRADITION DE BURIDAN BT LA SCIENCE ITALIENNE m \m SIÈCLE 13 I des auteurs les plus lus et les plus commentés par les Logicien parisiens, de Richard Suiseth le Calculateur. Cet auteur, Pomponace le reconnaît 1 pour «un homme à L'esprit ti aiguisé », et eVsi avec courtoisie qu'il en discute les opinions auxquelles il préfère celles des philosophes de l'Antiquité. Les disciples de Pomponace gardaient, d'ailleurs, moins de réserve que le maître; en une épître adressée à l'auteur par- Jean \ irgile d'Urbin ! , il est parlé de gens « si bien entortillés par les replis et les détours de ce Suiscth, qu'il leur est impossible de voir la vérité ». Au traité De rcaclione que Pomponace fit imprimer en 1 5 1 5 , le ton de la discussion devient plus acerbe. La tbéoric d'Aiis- tote à ce sujet avait été, dit le professeur de Bologne 3 , admise sans conteste par tous les commentateurs grecs et par les anciens commentateurs latins. « Mais ceux qui sont venus ensuite et, en particulier, les Anglais, ont élevé, contre la proposition universellement accordée, des doutes si subtils et des arguments si difficiles, que les hommes les plus célèbres ont peiné pour les résoudre et qu'à mon avis ils n'y sont pas V parvenus d'une manière entièrement satisfaisante. » Sans doute, en ce traité De reactione, nous trouvons parfois \ cités avec éloges, les noms des maîtres qui sont regardés comme les chefs de la secte parisienne; ces noms sont ceux d'Albert de Saxe, de Marsile d'Inghen, de Paul de Venise, de Jacques de Forli, de Gaétan de Tiène, que Pomponace nomme constamment Gaétan de Yicence. Mais ce ne sont pas toujours des éloges qui accompagnent les noms des Nominalistes trop attachés, au gré de Pomponace, à leurs propres doctrines, trop dédaigneux de celles d'Aristote. defensorii per Fratrem Chrysostomum Thcologum ordinis predicatorum divinum. De nutritione et augmentât ione . Colophon : Venetiis impressumarteetsumptibusheredum quondam domini Octaviani Scoti, civis ac patritii Modoetiensis : etsociorum. Anno ab incarnatione dominica MDXXV calcndas martii. (Xos citations et renvois se rap- portent à cette édition.) i. Pétri Pomponatii Tractatus de intensione et remissione formarum; prohemium ; éd. cit., fol. 2, col a. 2. Pétri Pomponatii Tractatus utilissimi...; éd. cit., fol. i, verso. 3. Pétri Pomponatii Tractatus de reactione; proemium; éd. cit., fol. ai, col. a. k- Pétri Pomponatii Tractatus de reactione, sect. I, cap. VI; éd. cit., fol. 23, col. c. tl>id., sect. I, cap. XII; éd. cit., fol. 2G, coll. a et 6 122 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI Suiseth le Calculateur reçoit la plus forte part des brocards que lance Pomponace : « Si le Calculateur veut bien me le permettre », je lui dirai : Ce propos est d'un homme qui ignore les premiers rudiments de la Philosophie... Il est clair et évident que cette conclusion est d'un homme fort peu exercé aux paroles d'Aristote... Que ce si savant homme lise donc Aristote! » Parfois, Jacques de Forli partage avec Suiseth les méchants compliments de Pomponace 2 : « Il est étrange que ces très savants personnages adhèrent aux conclusions du raisonnement plutôt qu'au témoignage des sens. Aristote, cependant, au IIP livre de la Génération des Animaux, vers la fin du 9" chapitre, dit qu'il vaut mieux se fier aux sens qu'au raisonnement...; au VIII livre de la Physique, il déclare que la recherche du raisonnement et le délaissement des sens sont une preuve de faiblesse intellec- tuelle... Ces hommes -là, rien ne les peut ébranler, ni le » témoignage des sens, ni les arguments, ni une autorité, quelle * qu'elle soit; ils ne se fient qu'à eux-mêmes et demeurent fermement attachés à leurs fantastiques imaginations. Ils ne sont pas seulement en contradiction avec Aristote, mais aussi avec Galien et avec Avicenne; enfin ils détruisent toute la Médecine. » Suiseth et Jacques de Forli ne sont pas seuls à s'entendre traiter de la sorte. Guillaume d'IIeytesbury (Hentisberus) est appelé 3 « le plus grand des sophistes ». Quant à Gaétan de Tiène, l'écrit qu'il a composé contre Jean Marliano est jugé avec la dernière sévérité ^ : « Une chose m'étonne en cet homme si savant et si célèbre; les vérités qui se manifestent aux sens, que démontrent les raisons les plus évidentes, que proclame la claire et grande voix d'Aristote, il les délaisse, les rejette et les nie. Des opinions à peine imaginables sont celles qu'il poursuit. S'il était permis de parler ainsi d'un homme 1. Pétri Pomponatii Op. cit., sect. \, cap. III; éd. cit., fol. 22, col. b. 2. Pctri Pomponatii Op. cit., sect. I, cap. III; éd. cit., fol. 22, coll. b et c. 3. Pétri Pomponatii Op. cit., sect. I, cap. VIII; éd. cit., fol. 23, col. d. !\. Pétri Pomponatii Op. cit., sect. I, cap. XI; éd. cit., fol. a/j, col. d et fol. 25, col. a. LA PRÀDITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE AU XVI' in.ir | dont la réputation est si étendue, je dirais ; A.gir rrm\ DE m mi)\N M i.\ scii \< i i i Mil \\r. \i w i n < Ll avec Les Scotistes et les Nominalistes; c'est pour cette raison seulement, par respect, donc, pour II diversité «le Paris, que je n'ai point voulu poser ma conclusion, si ce D'est comme probable. » Ces Lignes nous montrent quelle était, auprès des catho liques italiens, L'autorité de l'Université assauts du Péripalétismc et du Néoplatonisme hellènes ou musulmans; pour pénétrer les doctrines des théologiens de Paris, les Humanistes consentaient à apprendre le langage dont ils avaient usé. Ainsi avait fait Jean Pic de la Mirandolc : « Il avait, » nous dit son neveu Jean-François Galeotti Pic 1 , «une connaissance approfondie des théologiens modernes, de ceux qui usent de ce style communément nommé style parisien. Telle était cette connaissance que si l'on venait, à Fimproviste, à lui demander l'explication d'une question abstruse et peu explicite formulée par Fun de ces théologiens, » il en donnait aussitôt la plus parfaite exposition. Jean Pic de la Mirandole allait plus loin; contre les Huma- nistes que rebutait le langage de l'École de Paris, il osait prendre la défense de cette terminologie technique. « Que l'on considère, à titre d'exemple, la production d'un homme par le Soleil; nos auteurs vont dire : hominem causari. Aussitôt, » écrit Jean Pic à Hermolao Barbaro 2 , «vous allez vous écrier : Gela n'est pas latin. Jusque-là, vous dites vrai : Gela n'est pas romain. Mais vous ajoutez : Donc c'est incorrect. Votre argument pèche; un Arabe, un Égyptien pourront dire la môme chose ; ils ne le diront pas en latin, mais ils le diront correctement... Qui empêche ces philosophes que vous nommez barbares d'avoir établi d'un commun accord une cer- taine règle de langage et de la tenir pour consacrée, comme 1 . Joannis Plci Mirandulcc, viri omni disciplinaruni génère consummatissimi, vita per Joanncm Franciscum Illustris Principis Galeotti Pici filium édita (Joannis Pici Mirandulae Omnla opéra). 2. Lettre (déjà citée) de Jean Pic de la Mirandole à Hermolao Barbaro, Florentiae, 111 nonas Junias MCGGGLXXXV. I2Ô ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI la langue romaine l'est pour vous? Pourquoi diriez-vous que leur langage n'est pas correct et que le vôtre l'est? Il n'y a, pour cela, aucune raison, puisque cette imposition de noms est tout arbitraire. Si vous ne voulez pas que ce langage mérite le nom de romain, appelez -le français, anglais, espagnol, ou encore parisien, puisque c'est ainsi que le vulgaire le nomme. Lorsque ceux qui l'emploient en useront avec vous, il leur arrivera maintes fois d'être moqués, maintes fois de demeurer incompris; mais la même chose vous arriverait si vous parliez au milieu d'eux; 'Avàx«P^Ç Tuap' 'Àôiqvaioiç uoXoiKt'Çei, 'AOyjvoïci oï rcapà ExuÔaiç, Anacharchis fait des solécismes chez les Athéniens, les Athéniens en feraient chez les Scythes. » L'orthodoxie des Parisiens sauvait, auprès des Humanistes chrétiens, la barbarie de leur langage et la subtilité de leur dialectique; les Padouans auraient vainement compté sur une semblable indulgence, eux dont tout l'effort allait à soutenir «les dogmes impies 1 d'Alexandre, d'Averroès et de plusieurs autres philosophes anciens ». C'est donc aux Averroïstes, autrement nombreux et influents que les Nominalistes sur les chaires des Universités italiennes, que s'attaquaient surtout les Humanistes. Le langage des Averroïstes, émaillé de mots arabes, surpassait en rudesse le style des Parisiens et, plus encore que celui-ci, offusquait l'oreille délicate; le culte étroit et intolérant qu'ils professaient pour Aristote et ses commentateurs révoltait les Platoniciens. Le nom d'Averroès devint ainsi comme le symbole de tout ce qui choquait l'Humanisme. Voici, par exemple, Giorgio Valla de Plaisance; c'est un lettré qui a enseigné l'éloquence à Milan, à Pavie en 1470, à Venise en 1^81; c'est un helléniste qui a traduit plusieurs des ouvrages d' Aristote, de Cléomède, de Ptolémée, de Plutarque, de Proclus; c'est un latiniste raffiné qui a annoté et édité les Tusculanes; de plus, c'est un chrétien orthodoxe; il est fidèle aux enseignements des grands docteurs catholiques, d'Albert, de Saint Thomas d'Aquin, de Duns Scot, de Gilles de Rome, i; Apologia Joannis Pici Mirandulœ, in fine. LA TRADITION DB BURIDA.N ET LA SCIENCE ITALIENNE \u \m BIÈ4 LE i :<7 <|ii il cilc avec vénération; tout le disposée être an fougueui adversaire de l'Ecole averroïste; il l'est, en effet; ('coulons en quels termes 1 il parle d'Aristote et de son Commentateur: k Ceux qui considèrent les choses d'un regard pénétrant ne doivent guère s'étonner qu'Âristote, halluciné en celte cir- constance, ait professé de semblables erreurs; il a donné bon nombre de doctrines fort inférieures encore à celle-là; et, à ce sujet, les Platoniciens lui reprochent son ignorance et son manque de rectitude dans le jugement. C'est pourquoi on l'a laissé longtemps de côté, gisant sous la rouille; on ne célébrait alors que le seul Platon et la doctrine platonicienne. Mais bientôt on vit émerger de la vase un barbare, un goinfre absolu- ment stupide, cet Averroès au cerveau puant (Aliquanlo posl Barbarus quidam ineptissimus lurcho, putidlque cerebro e lato effossas Averroès); se complaisant aux discussions captieuses, il parvint, à l'aide de sophistiques chicanes, à présenter un Aristote à ce point platonicien que l'on ne connaît aucun philosophe qui le fût autant. » Cette haine fougueuse d'Aristote et de son Commentateur pouvait prédisposer Georges Valla à faire bon accueil aux nouveautés antipéripatéticiennes de l'École nominaliste ; aussi devine-t-on, en ses écrits, une sorte de reflet de la Dynamique parisienne ; mais comme ce reflet est pâle et vague ! Nous le percevons, ce reflet, en ce qu'enseigne notre huma- niste 2 au sujet de ce temps de repos par lequel la chute d'un projectile serait séparée de l'ascension de ce corps : a Si un mouvement dirigé en ligne droite se réfléchit, il pro- duit, il est vrai, deux mouvements contigus, mais non pas deux mouvements qui se continuent l'un l'autre. Entre ces i. Gcorgii Vallae Placentini viri clariss. De expetendis etfugiendis rébus opus, in quo haec continentur... In fine tomi secundi: Venetiis in aedibus Aldi Romani impensa ac studio Joannis Pétri Vallae filii pientiss. Mense Decembri MDL — Totius operis liber XXIII et Physiologiac quartus ac ultimus, de Coelo, quodque Mundus non sit aeternus, et Aristotelis argumentorum confutatio; c. I. — Cette volumineuse compi- lation, l'un des chefs-d'œuvre typographiques sortis des presses Aldines, a été publié par Jean-Pierre Valla deux ans après la mort de son père; celui-ci, en effet, était mort à Venise en 1/199. 2. Georgii Vallae Placentini Expetendorum ac fugiendorum quem struebat liber vigesimus secundus, Physiologiac vero tertius, quartae hebdomadis liber primus. De naturalibus principiis et causis. Gap. VI: De motu, et quiète. 128 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI deux mouvements, en effet, un repos se produit, qui inter- rompt la continuité. Le premier mouvement prend fin, puis le second s'accomplit comme à partir d'une autre origine; entre la limite ultime du premier et le début du second, se trouve un repos intermédiaire... Ainsi le terme de l'ascension de la pierre jetée en l'air se distingue du début de la descente de ce corps, qui tombe avec vitesse; cette distinction correspond à l'écoulement d'une certaine durée; un certain repos s'observe donc entre les deux mouvements opposés de la pierre. » Si Valla admet l'existence de ce repos intermédiaire dont Léonard de Vinci, au même temps, faisait sortir la notion féconde d'impelo composé, il ne dit rien du raisonnement par lequel tous les maîtres parisiens, de Richard de Middleton à Marsile d'Inghen, avaient tenté d'en donner la cause. Avec l'École nominaliste, et contre le sentiment unanime des Péripatcticiens et des Averroïstes, Valla attribue le mouve- ment des projectiles à une force imprimée (vis indita) au mobile. Mais il n'attribue pas l'accélération du mouvement naturel à un accroissement d'bnpetus; il adopte, au sujet de ce mouvement, l'explication^ d'Aristote et de Thémistius. C'est ce que nous voyons au passage suivant: Seul le mouvement circulaire « possède l'uniformité qui lui est apparentée et naturelle. Tous les corps qui se meuvent en ligne droite, que ce soit par nature ou contre nature, se meuvent à la fin avec une autre vitesse qu'au commencement. Si un corps se meut contre nature par l'effet d'une traction, il commence par se mouvoir plus lentement; puis il va plus vite au fur et à mesure qu'il approche du moteur qui le tire, car alors la puissance de ce moteur domine davantage. Au contraire, les corps qui sont jetés se meuvent tout d'abord plus vite, puis plus lentement lorsque vient à se détruire la force qui leur avait été imprimée par celui qui les a jetés... Enfin les corps qui se meuvent de mouvement naturel vont plus vite lorsqu'ils sont voisins de leurs lieux propres; ils désirent, en effet, atteindre leur intégrité, et de cette intégrité, ils tirent de nouvelles forces, comme s'ils se trouvaient plus largement pourvus de forme. Tout corps donc qui se meut de mouvement LA TRADITION DE iiimnw ET tk SCIENCE iTALUBIflf 1 i\ IVI* SIECL1 rectiligne, que ce soil par nature ou contre nature, fournil une course inégale. » Pic de la Mirandole « n'a rien ignoré »>, nous dit sou bio graphe Jean François l'ic ■ , « de toul ce < | < i i louche aux roueries, aux sophistiques chicanes, aux broutilles à la Suiseth, que l'on nomme calculs (captiunculse cavillœque sophistarum et sulsseticœ quisquilide, quse calculationes vocantur); ce sont des considéra lions mathématiques que l'on applique à des théories physiques extrêmement subtiles et, dirai-je, extrêmement bizarres (moro- siores). 11 était fort érudit eu ces matières et il avait lu beaucoup décrits de ce genre, écrits que, peut-être, l'Italie ne connaît pas bien... Toutefois, il semblait haïr et détester ces questions. » Georges Yalla n'avait probablement pas, des calcalaliones de Paris, la connaissance approfondie que Jean Pic avait acquise et qui était, au témoignage de son biographe, fort rare en Italie; mais sans doute, comme Jean Pic, il les détestait, et sa Physique s'en ressent; elle garde soigneusement des erreurs que les Parisiens avaient réfutées depuis longtemps. Nifo a passé, moqueur, devant la Dynamique du captiuncu- lator Albert de Saxe; Georges Valla l'a sans doute ignorée; Léonard de Vinci, mieux inspiré, n'a cessé de méditer les enseignements de cette Dynamique; presque seul parmi les savants de son pays et de son temps, il a eu le très grand mérite de deviner la plupart des idées fécondes que renfermait cette Physique parisienne tant décriée. II L'esprit de la Scolastique parisienne au temps de léonard de vlnci. Tandis que la plupart des Italiens, bien loin d'imiter le génial artiste, s'attachaient, avec la routine d'un Nifo, aux théories surannées de la Mécanique d'Aristote et du Commen- i. Joannis Pici Mirandulœ.... vita per Joannem Franciscum illustris principis Galeotti Pici filium édita. P. DLIIEM. Q i3o études sur lêonard de vinci tateur, que faisaient les Parisiens, ces Moderniores, ces Juniores, ces Terminalistes, ces Captiunculatores et Sorticolœ? Qu'ensei- gnait-on, durant les premières années du xvi e siècle, sur les rives de la Seine? Quel était l'esprit qui animait cet enseigne- ment à l'heure même où Léonard abandonnait l'Italie et venait mourir en France ? A l'Averroïsme étroit de Bologne et de Padoue, Paris oppo- sait l'éclectisme le plus large. De cet éclectisme, nous trouvons la preuve constante dans les écrits des docteurs en Sorbonne et des maîtres de la Faculté des Arts; mais il nous paraît inté- ressant de l'entendre définir et justifier par l'un d'eux. Sur les chaires de la Sorbonne et de la rue du Fouarre siégeaient alors de nombreux Espagnols. L'un de ceux-ci, Pedro Sanchez Cirvelo,de Daroca (province de Saragosse), était assurément, vers la fin du xv e siècle et au début du xvi c , un des maîtres les plus actifs de la Faculté parisienne des Arts. On lui doit un traité d'Arithmétique pratique » et un commentaire à la Géométrie spéculative de Bradwardin 2 . On lui doit, surtout, un commentaire au traité de la Sphère de Jean de Sacro-Bosco; joint au texte même de la Sphère et aux Quatorze questions que Pierre d'Ailly avait compo- sées au sujet de ce même écrit, ce commentaire forma une sorte de manuel astronomique qui fut fréquemment imprimé 3 à la fin du xv e siècle et au début du xvi e siècle. Le commentaire de Pedro Girvelo de Daroca est suivi d'un i. Pétri Cirveli Darocensis Hispani Tractatus Arilhmelice practicc qui dicilur Algorismus. Imprcssus Parisius in Bellovisu, Anno Domini i5o5, die 29 aprilis. — Id., Imprcssus Parisius per Anthonium Ausourt pro Johanne Lamberto. Anno Domini i5i3. 2. Thoine Brcuardini Geometria speculativa recoligens omnes conclusiones geometricas... Colophon : Et sic explicit Geometria Thome Brcuardini cum tractatu de quadratura circuli benc revisa a Petro Sancliez Girvelo, expensis bonesti viri Johannis Petit, diliirentissime impressa Parisiis in campo Gaillardi. Anno Domini i5n, G Marcii. 3. Johannis de Sacro- Bosco Sphaerae mundi opusculum una cum additionibus per- opportunc insertis ac familiarissima textus expositione Pctri. Parisiis, per Wolfgangum Ilopyl, 1/19/I. Johannis de Sacro -Bosco Uberrimum sphère mundi commentum insertis etiam ques- tionibus D"' Pctri de Aliaco. Parisius, in campo Gallardo, oppera atquc impensis magislri Guidonis Mercatoris, anno 1/198 (certains exemplaires portent 1/1G8 ; au lieu de la marque Guy Marchand, ils offrent celle de Jehan Petit, Johanncs Parvus). Johannis de Sacro-Busco Sphera cum additionibus et commentis Pctri Cirveli insertis questionibus Pétri de Aliaco, Parisiis, i5o8, i5i5, i5aG; Gompluti, i5aG. LA. TRADITION Dfi BURIDAN El LA SCIENCE ITALIENNE AI \\T im.ii dialogue ■ entre Darocensis, qui < i si L'auteur, el Burgensis, qui rsi son ami Gonzalve (iillrs, de Burgos. Darocensis chercha à établir le bien fondé des innovations que renferme son traité; il est amené, par Là, à discuter \v degré . 1. Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, seconde série, p. kot\. 1. Joannis Majoris doctoris theologi in Quartum sententiarum quœstiones utilissimx ... vaenundantur a suo impressore lodoco Badio. Colophon : ... in chalcographia Jodoci Badii Ascensii. Anno a virginco partu Millesimo quingentesimo decimosexto : circiter Calcndas Decembris. Deo Gratias. — Lettre de Joannes Major (sic) imprimée an verso du litre. 3. Johannis Dullaert Questiones in libros Phisicorum Arislotelis. Colophon : Hic linem accipiunt questiones phisicales Magistri ioliannis dullaert de gandavo quas (îdidit in cursu artinrn regentando parisius in collegio montisacuti impensis honesli \iri Oliverii senant solerlia vero ac caracteribns Nicolai depratis viri hujus artis impressorie solertissimi prout caractères indicant anno domini millesimo quingente- simo sexto vigesima tertia martii. /j. Physicœ perscrutationes magistri Ludovici Coronel Ilispani Segoviensis. Prostanl LA TRADITION M<: BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE M m IBCLE [35 D'ailleurs, si Montaigu gardait avec fidélité les traditions de Buridan et d'Àlberl de Saxe, il n'en était pas le seul déposi taire; à Sainte-Barbe, notamment, ces traditions étaient tenues en grande estime; nous en avons pour témoin l'Espagnol Juan de Cclaya ; au titre même de son Exposition et «le ses Questions sur la Physique d'Aristote 1 , imprimées à Paris en 1517, cet auteur affirme son éclectisme, car il y déclare suivre c< la triple voie de Saint Thomas, des Réalistes el des domina- listes ». Au livre de Jean de Celaya, le lexle d'Arislotc est encore reproduit et accompagné d'une exposition ou commentaire littéral; c'est seulement après ce commentaire que l'auteur annonce par ce titre : sequitur glosa la discussion détaillée des opinions plus modernes. Jean Dullaert abandonne entièrement le commentaire du texte d'Aristote; à l'exemple de Jean de Jandun, de Jean le Chanoine, de Buridan, d'Albert de Saxe et de Marsile d'ïnghen, il se borne à examiner une suite de questions soulevées par les divers chapitres de l'œuvre du Sta- girite. Louis Coronel va encore plus loin; son écrit affecte la forme d'un traité original sur la Physique; seul, l'ordre dans in edibus Joannis Barbier librarii jurati Parrhisiensis académie sub signo ensis in via regia ad divum Jacobum. — L'ouvrage ne porte pas de colophon. Le folio qui suit le titre débute par une lettre : Ludovicus Nunius Coronel illustrissimo viro Inacho de Man- docia; cette lettre, non datée, est écrite de Paris. Elle est suivie d'une autre lettre : Simon Agobertus Bituricus fratri Joanni Agoberto. En cette lettre, datée : Parrhisiis, MDXI, Simon Agobert parle avec de grands éloges de son précepteur Luiz Coronel qui enseignait la Philosophie au Collège de Montaigu. — Il existe une seconde édition de cet ouvrage : Physice perscrutationes egregii interpretis Magistri Ludovici Coronel... Lugduni, in edibus J. Giunti. i53o. Nous n'avons pu consulter cette seconde édition. i. Expositio magistri ioannis de Celaya Valentini in octo libros phisicorum Aristo- telis : cum questionibus eiusdem, secundum triplicem viam beati Thome, realium, et nominalium. Venundantur Parrhisijs ab Hemundo le Feure in vico sancti Jacobi prope edem sancti Benedicti sub intersignio crescentis lune commorantis. Cum gralia et Privilegio régis amplissimo. Colophon : Explicit in libros phisicorum Aristotelis expositio a magistro Joanne de Celaya Hyspano deregno Valentie édita : dum regeret Parisius in famatissimo dive Barbare gymnasio pro cursu secundo anno a virgineo partu decimo septimo supra millesimum et quingentesimum. vu idus Decembris. diligenter impressa arte Johannis de prato et Jacobi le messier in vico puretarum prope collegium cluniacense commorantium : Sumptfbus vero honesti viri Hemundi le feure in vico sancti Jacobi prope edem sancti benedicti Sub intersignio crescentis lune moram trahentis. Laus deo. En i5i8, Jean du Pré et Jacques le Messier imprimaient, Hémond le Fèvre mettait en vente V Expositio magistri ioannis de Celaya Valentini, in quattuor libros de celo et mundo Aristotelis : cum questionibus eiusdem, et aussi VExpositio magistri ioannis de Celaya Valentini, in libros Aristotelis : de gêner alloue el corruptione : cum questionibus eiusdem. l36 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI lequel se présentent les dh r erses matières révèle l'influence de la $u?txT) âxpoaaiç. D'ailleurs, en dépit de cette variété de forme, c'est bien le même esprit qui anime les ouvrages de ces trois auteurs. Les problèmes qui y jouent un rôle prépondérant sont ceux qu'ont posés ou renouvelés les grands Nominalistes parisiens, les Guillaume d'Ockam, les Grégoire de Rimini, les Buridan, les Albert de Saxe; la Logique, en ceux de ses chapitres qui touchent aux Mathématiques, la Science de l'équilibre et du mouvement, les principes de la Physique générale, au sens que ces mots ont pris de nos jours, sont les sujets de la plupart de ces problèmes. Sans doute, la forme sous laquelle la solution en est proposée est faite, bien souvent, pour choquer nos habitudes ; nous avons parfois quelque peine à suivre la pensée de Fauteur au travers des videlur quod sic, des sed contra, des arguilur, des confirmatur, chicanes auxquelles la logique plus simple des Buridan et des Albert de Saxe ne nous avait pas accoutumés, et auxquelles se complaisent ces trop habiles dialecticiens ; sans doute, nous voyons Sortes constamment placé en des cas hypothétiques que la Toute-puissance divine pourrait seule réaliser et dont l'intérêt, parfois, nous échappe; mais si nous nous enhardissons jusqu'à pénétrer sous celte forme surannée, jusqu'à mettre à nu l'idée qu'elle cache ou qu'elle affuble, nous nous étonnerons bien souvent de trouver cette idée si jeune encore et si vivante. En particulier, «il nous sera malaisé de ne point éprouver cet étonnement en étudiant ce que les Jean Dullaert, les Louis Coronel et les Jean de Gelaya ont enseigné au sujet de la Dynamique. Cette Dynamique que l'on professe à Montaigu ou à Sainte- Barbe, au début du xvi e siècle, c'est celle des chefs de l'École nominaliste du xiv c siècle, de Guillaume d'Ockam, le Venerabilis inceptor, de Jean Buridan, d'Albert de Saxe. En ces deux collèges, on réfute minutieusement les arguments que les Averroïstes italiens ont opposés à cette Dynamique; parfois, on relève vertement les sarcasmes des Padouans à l'adresse des maîtres vénérés de l'Université de Paris. u Avant de mettre fin à cette question de Yimpetus, nous LA TRADITION DE BURIDAN B1 LA BCIBlfCl itaiiinm. \i IV! BIECL1 i'»7 voulons, dii Louis Goronel», traiter ici de l'opinion de Nicole de Chieti ; celui-ci occupe la première chaire de Philosophie ordinaire à L'Université de Padoue et, connue il nous rapprend Lui-même, il y enseigne sans concurrent. Il a public' sur le mouvement du grave et du Léger une certaine petite question qui nous esi parvenue récemment. Il > expose les opinions d'un grand nombre de philosophes et, après les avoir réfutées, du inoins à son avis, » il en soutient une selon laquelle le #ravc qui tombe, aussi bien (pie le projectile, est mu par l'air ambiant. « Il affirme que cet avis est celui d'Yristote et du Commentateur. Il traite avec mépris le très subtil Albert de Saxe et le nomme Albertutius; il donne à nos autres docteurs le nom de Termi- nistes... Il s'étonne qu'un certain maître Gaétan ait voulu soutenir de pareilles erreurs. » Nous, nous ne changerons pas le nom de ce maître, par respect pour lui ; mais nous montrerons simplement qu'il se contredit... Si, pour parler comme Salluste, il a pris quelque volupté à réprimander les autres, il la perdra en s'entendant réprimander lui-même, pourvu toutefois que cet écrit lui parvienne. » Lorsque Louis Coronel écrivait ces lignes, Vernias était mort; mais de la leçon qu'elles renfermaient, Nifo eût pu faire son profit. III La Dynamique parisienne au temps de Léonard de Vinci. La Dynamique que Jean Dullaert 3 et Louis Coronel^ 1 ensei- gnent à Montaigu, que Jean de Celaya 5 professe à Sainte- i. Ludovici Coronel Op. cit., lib. III, pars I : De motu locali, fol. LU, col. b. 2. Luiz Coronel dit: IS'icoleti de Thienis (de Nicolô de Thiène) au lieu de Nicoleti Theatini (de Nicolô de Chieti). S. Joannis Dullaert de Gandavo Op. cit., Physicorum lib. VIII, quaest. II : Quaeritur secundo utrum projectuin, dum reflectitur, in puncto reflexionis quiescat. 'i. Ludovici Coronel Op. cit., lib. III, pars I : De motu locali; éd. cit., fol. L, col. c seqq. (En titre courant: De impetu.) 5. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VIII, cap. XI, quaest. III : A quo movetur projec- tum post separationem illius a quo projicitur; fol. CC, col. d et fol. CCI. (En titre courant : De motu projecli.) l38 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Barbe, c'est la Dynamique de Jean Buridan et d'Albert de Saxe, c'est la Dynamique de Yimpetus. Comment le projectile se meut-il après qu'il a quitté la main ou la machine par laquelle il a été lancé? Tous rejettent les explications qui attribuent à Fair la continuation de ce mouve- ment, que l'action invoquée soit une poussée de l'air qui tourbillonne à l'arrière du mobile ou une attraction de l'onde condensée qui se propage à l'avant. « A rencontre de ces deux manières de dire, » écrit Dullaert, a j'élève un seul et même argu- ment: Un mobile peut se mouvoir d'un mouvement de rotation, et cela en demeurant toujours au même lieu; il n'est assuré- ment mû ni par l'air qui le pousse, ni par l'air qu'aurait ébranle celui qui l'a lancé; ces deux explications sont donc insuffisantes. La conséquence résulte clairement de l'anté- cédent, et celui-ci est rendu manifeste par le mouvement du sabot... » Bien que l'une de ces deux opinions paraisse avoir été celle du Philosophe, on en tient communément une troisième, que voici : Après le repos du moteur qui l'a lancé, le mouvement du projectile est produit par une certaine vertu imprimée en ce mobile; c'est-à-dire que le premier moteur donne au pro- jectile la vertu de se mouvoir dans telle direction qu'il vise, de même que l'aimant, nous l'avons dit plus haut, donne au fer la vertu de se mouvoir » vers lui. Louis Coronel rejette également, par divers arguments, les théories qui attribuent au mouvement de l'air la continuation du mouvement des projectiles; l'un de ces arguments est le suivant: « Cette explication ne rend pas compte dune manière satisfaisante du mouvement de rotation de la roue que personne ne tire et qui, en son mouvement, demeure toujours en contact avec le même air; on ne peut dire, en effet, dans ce cas, que les parois de Tair viennent se réunir après avoir été séparées, puisque pendant toute la durée du mouvement, la roue demeure au même lieu. » Coronel nous apprend ensuite que « beaucoup de savants s'accordent à imaginer un impelus distinct du mobile; en premier lieu, lorsqu'un corps pesant est projeté en l'air ou ï,A rit LDI HOU in: BURIDAN El LÀ SCIENCE ITALIEN!*] m ^ \ i n ■ i i horizontalement, il ne pourrait, après avoir été lancé, continuer à se mouvoir si l'on n > supposail une certaine qualité motrice que L'instrument de projection \ a imprimée et que l'on nomme impetus; si l'on n'admettait pus l'existence de cette qualité, les physiciens ne sauraient quel moteur donner à ce mobile. » Dullacrt nous apprend non seulement que cette explication est communément reçue, mais encore que l'on donne habituel lemcnl à cette vertu imprimée dans le mobile le nom de gravité accidentelle lorsque le projectile est lancé vers le bas, et de légèreté (tccidenlelle lorsqu'il est lancé vers le haut. Ces déno- minations ne lui plaisent pas; en un corps, en effet, que l'on lance horizontalement, cette vertu ne peut être dite ni gravité ni légèreté; il vaut donc mieux, dans tous les cas, l'appeler impelas. Ce vœu paraît avoir été exaucé à Paris, car Coronel et Celaya n'emploient plus, pour désigner cette vertu imprimée au mobile, d'autre terme que celui à' impelas. Quelle est, selon nos auteurs, la nature de cette vertu? Nous passerons en revue, tout à l'heure, leurs opinions à cet égard. Suivons, pour le moment, l'emploi qu'ils en font, d'après Buridan et Albert de Saxe, pour expliquer les divers phéno- mènes de la Dynamique. « Une pierre, a dit Dullaert, « reçoit plus de cette vertu que n'en reçoit une plume; elle peut donc être lancée plus loin. » Jean de Celaya, à l'imitation de Buridan, précise davantage : « Vous demanderez peut-être pourquoi, selon cette opinion, une pierre lancée se meut plus longtemps qu'une plume. On répondra que la raison en est telle : La pierre a plus de matière et est plus dense que la plume; elle reçoit donc un impetas plus intense, et elle le retient plus longtemps ; dès lors, il n'est pas étonnant qu'elle se meuve plus longtemps. » A cette explication, Celaya prévoit une objection: « Un pro- jectile de grandes dimensions se mouvrait donc plus rapidement qu'un projectile plus petit ; cette conséquence est contraire à l'expérience;... cependant, on la prouverait ainsi: U impetus imprimé au grand projectile est plus considérable que Y impetus. l4o ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI imprimé au petit; le grand projectile se meut donc plus vite que le petit. )) A cette réplique nous répondrons que la conséquence est faussement déduite. Pour le démontrer, il nous faut distinguer que Yimpetus imprimé à un projectile peut être plus considé- rable ou bien intensivement (et nous nierons qu'il en soit ainsi dans le cas considéré), ou bien extensivement ; nous accorderons que ceci a lieu dans le cas considéré; mais alors nous nierons la conséquence ; il n'y a, en effet, aucun inconvénient à ce qu'un impetus qui est extensivement moindre qu'un autre impetus, mais qui est intensivement plus considérable, produise un mou- vement plus rapide que ce dernier. » Les distinctions, si familières à la Scolastique, que marquent les mots extensive et intensive, trouvent leur traduction adéquate en cet énoncé de forme toute moderne : L'impetus total d'un corps résulte d'impetus attribués à chaque élément de ce corps; toutes choses égales d'ailleurs, Yimpetus élémentaire est d'autant plus intense que la vitesse de l'élément est plus grande. La lecture de l'ouvrage de Jean de Celaya nous montre que l'on songeait, à Paris, à la distribution extensive de Yimpetus en la masse d'un corps; on y était, d'ailleurs, conduit par les opinions de Marsilc d'Inghen que nous avons rapportées en notre précédente étude l et que, tout à l'heure, nous verrons discutées par Louis Coronel. Nous savons 2 comment cette notion de la distribution extensive de Yimpetus a conduit Léonard de Vinci et Bernardino Baldi à concevoir l'existence d'un centre de la gravité accidentelle et, par là, à préparer la voie à Roberval, à Descartes et à Huygens. « Lorsqu'un corps est jeté en l'air, » déclare Dullaert, « il se meut plus vite au commencement qu'à la fin, et plus vite 1. Jean 1 Buridan (de Déthune) et Léonard de Vinci, V : Que la Dynamique de Léonard de Vinci procède, par l'intermédiaire d'Albert de Saxe, de celle de Jean Buridan. — En quel point elle s'en écarte, et pourquoi. — Les diverses explications de la chute accélérée des graves qui ont été proposées avant Léonard, pp. 9/1-96. 2. Léonard de Vinci et Bernardino Baldi, IV : Les emprunts de Bernardino Baldi à la Mécanique de Léonard de Vinci (suite). Le centre de la gravité accidentelle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, III ; première série, p. 108, seqq.) — Bernardino Baldi, Boberval et Descaries (ibid., IV; première série, p. 127, ieqq.). LA TRADmON DE BUIUDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE Al \\i IÈCLE i '\ \ au milieu de sa course qu'à la fin, et cela pane que la vertu imprimée en lui s'affaiblit sans cesse et de plus en plus. » « Certains disent, » écrit le même auteur, « que VimpetUB, causé par la violence, se corrompt par suite Nous répondons à cette réplique en refusant de reconnaître la valeur du raisonnement, et cela parce que nous nions l'antécédent. Cet impetus, en effet, est détruit tantôt par le milieu résistant, tantôt par la forme ou par la vertu du projectile qui exerce une action résistante, tantôt enfin par un obstacle. »... Lorsque l'on jette un grave en l'air, la forme de ce grave ne coopère pas au mouvement ascensionnel; elle y résiste, au contraire, et elle diminue ïimpetus imprimé en ce mobile. » Uimpetus devrait donc durer indéfiniment s'il n'avait à lutter contre aucune des trois causes de destruction qui ont été énumérées; c'est bien ce qu'admet Celaya : « Selon cette opinion, il ne serait pas nécessaire de supposer autant 1^2 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI d'intelligences qu'il y a d'orbes célestes; il suffirait de dire qu'il y a en chaque orbe un impetus^ que cet impetus y a été imprimé par la Cause première, et qu'il meut cet orbe; cet impetus ne se corrompt pas, car un tel orbe céleste n'a aucune inclination au mouvement contraire. » Lorsque Buridan avait émis, au sujet des mouvements célestes, cette audacieuse hypothèse, il avait humblement sollicité le jugement des théologiens. Voici que par la voix de Jean Majoris 1 , la Théologie déclare que cette supposition est recevable. Jean Majoris soutient que le Ciel est composé de matière et de forme. A rencontre de cette opinion, il prévoit l'ob- jection suivante : « Si le Ciel était ainsi composé, il n'aurait nul besoin d'un moteur extrinsèque, ce qui est pourtant l'avis de tous les sages; donc il n'est pas ainsi composé. » Nous répondrons que cet argument contredit à tous ceux qui ont traité du mouvement du Ciel. S'il n'y avait aucune objection à redouter que celles qui concernent le mouvement, je dirais qu'il n'y a pas inconvénient à ce que le Ciel fût mû par sa forme substantielle ; ou bien encore à ce qu'il fût mû par une forme accidentelle qui lui serait connaturelle, de même que le grave descend par sa pesanteur. Nous voyons la meule du forgeron tourner par Y impetus qui lui a été imprimé; nous ne devons donc pas nier que Dieu ait pu produire un accident capable de mouvoir le Ciel d'un mouvement circu- laire, naturellement et continuellement; il en faut dire autant de la forme substantielle. » Ainsi, dès le début du xvi c siècle, la Théologie de l'Uni- i. In secundum Sententiarum disputationes Theologicx Joannis Majoris Hadyngtonani denuo recogn'dx et repurgatœ. Vœnundantur lodoco Badio et loanni Parvo. Colophon : Finis disputa tionis Joannis Majoris natione scoti et professione Theologi Parrhi- siensis penitus recognite et aucte Impresse impensis communibus Joannis Parvi et Jodoci Badii Ascensii. Opéra ipsius Ascensii anno domini MDXXVIII circiter XV calcndas septembres. Dco gratias. — Cet ouvrage débute par deux lettres, l'une de Joannes Majoris à deux autres théologiens du Collège de Montaigu, Noël Bèdc et Pierre Tempestc; l'autre de Pierre Peralta à Pierre Desjardins (ab Ilortis); en ces deux lettres, il est fait allusion à une première édition du même livre donnée, « il y a un grand nombre d'années », par les soins d'Antoine Coronel. — In dist. XII quacst. III : Utrum cacluin sit ex materia et forma conflatum; éd. cit., fol. XXXIX. col. c. LA TRADITION DE BURIDAN ET LA CIRNCE ITALIENNE AU XVI in.u. il'! versité Çeiv :à çaivojieva. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée (Annales de Philosophie chrétienne, 79" année, 1908, et Paris, 1908). \ <>ir, en particulier, la conclusion de ce travail. 2. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, X : La Dynamique de Kepler (Études sur Léonard de 1 inci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 207- 211). 1^4 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI pousser le mobile vers le haut; elle résiste toutefois à la gravité qui tire ce corps vers le bas. Enfin, elle atteint une faiblesse telle qu'elle ne suffît plus à résister. Je prends l'instant où cette vertu [cesse de mouvoir vers le haut mais où elle] suffît à résister, et l'instant où elle ne suffît plus à résister; pendant la durée intermédiaire, le corps demeure en repos. » Louis Goronel reproduit explicitement le calcul fait par Marsile d'Inghen. Il a si grande confiance en ce calcul qu'il n'hésite pas à en tirer la conclusion suivante, dont la naïveté prête a sourire : « Il résulte clairement de là que l'on peut imaginer des cas où une pierre jetée en l'air y demeurerait en repos pendant une heure, ou pendant deux heures, ou pendant trois heures. Mais, direz-vous peut-être, on ne perçoit point ce repos de la pierre, en l'air. Cette objection ne conclut pas ; la trop grande distance peut nous empêcher de percevoir ce repos; ou bien encore, il peut se faire que la pierre demeure seulement immobile pendant un temps imperceptible. » Cette théorie tenait assurément une grande place en l'en- seignement de la Physique au Collège de Montaigu; aussi, ceux-là mêmes qui quittaient ce Collège, profondément dégoûtés des leçons qu'ils y avaient reçues, demeuraient-ils convaincus de cette quics inler média qui tenait le projectile en suspens. Écoutons ce qu'en dit 1 , en i53i, Juan Luiz Vives, cet élève de Jean Dullaert de Gand dont les imprécations contre la Philosophie parisienne retiendront bientôt notre attention : « Le mouvement courbe ou circulaire est un ; le mouvement brisé est multiple; la brisure du mouvement correspond à un arrêt ou à un interstice... » Qu'une interruption se place entre les deux parties d'une telle trajectoire, non seulement la raison l'enseigne, mais i. Jo. Ludovici Vivis Valcntini De prima plrilosophia, sive de intimo naturœ opijicio liber secundus (Jo. Lodovici Vivis Valcntini Opéra, in duos dislincla tomos : quibus omnes ipsius lucubrationes , quotquot unquam in lucem éditas volait, complectuntur : prœler Commentarios in Augustinum De civitate Dei, quorum desiderio si quis afficiatur, apud Frobenium inveniet. Basileae, anno MDLV. In fine: Basilea^ per Nie. Episcopimii juniorem, anno MDLV. Tomus I, pp. 504-505). — Le De prima philosophia est daté: Brugis, anno MDXXXI. r,A TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE kV \vi" SIÈCLE i /|5 encore les sens le perçoivent fréquemment. Toute chose, en effet, se meut naturellement on par violence. Si elle se meuf naturellement, elle demeurera en repos Lorsqu'elle aura atteint sa lin. Si elle se meut par violence, entre La fin de la violence et Le commencement de l'inclination naturelle, un certain intervalle viendra se placer, intervalle pendant lequel la violence fléchit tandis que la nature reprend le dessus; ainsi en est-il de la pierre jetée en l'air. D'un mouvement violent et d'un mouvement naturel, en effet, ne se peut former un mouvement qui soit unique et d'un seul tenant. Toutes les fois qu'une force nouvelle prend naissance et renverse le sens du mouvement, il se produit un certain intervalle, encore que trop bref pour être perçu, pendant lequel la première force, fatiguée, cède la place à la force nouvelle qui entre en vigueur; durant cet intervalle se produit un combat, une lutte, qui ne saurait se passer en un simple instant indivisible, qui exige un certain temps; à cette action très rapide suffît un temps très bref, mais cependant divisible. 11 est des cas où nous pouvons, à l'aide de nos sens, constater ce repos; ainsi en est- il de la flèche tirée en l'air; au moment de retomber, elle s'arrête quelque peu, puis commence son second mouvement. » Vives, en ce passage, s'exprime à peu près comme Georges Valla; ce qu'il dit de la lutte entre la violence et la nature rappelle également les considérations par lesquelles Léonard de Vinci a été conduit à la notion à'impeto composé 1 . La pensée de cette lutte s'est fortement imposée à l'esprit de l'Humaniste espagnol, car il y revient un peu plus loin 2 : a En toute action, il y a effort pour parvenir au but; il y a donc une distance entre le commencement et la fin de cette action; c'est en cet intervalle que s'exerce l'effort et, sans cet intervalle, l'effort serait inutile. Lorsque l'action est contraire à la nature du patient, la lutte est continuelle; elle a lieu au i. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XI : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Léonard de Vinci. Théorie de Vimpeto composé (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, XI ; seconde série, pp. 215-222). 2. Luiz Vives, loc. cit., p. 5G8. P. DUHEM. 10 l46 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI commencement, au milieu, à la fin ; la violence de l'agent et la nature du patient ne sont jamais sans se combattre. Lorsque, au contraire, l'action est selon la nature du patient, il n'y a point de lutte au début du mouvement; ce mouvement, en effet, est excité par la nature même du mobile, et cette nature ne combat pas contre elle-même. Mais lors même que la force est naturelle, aussitôt qu'elle entre en action, le milieu au sein duquel elle agit entre en lutte avec l'agent; l'agent ou le moteur, en effet, veut pénétrer le milieu pour atteindre sa fin ; et le milieu, si mou soit-il, résiste à la pénétration; toute péné- tration, en effet, est une sorte de division, et la division est le commencement de la corruption, tandis que l'union aide à la conservation. Plus le milieu est dur, plus ses parties sont étroitement unies, et plus aussi ses forces sont grandes et sa résistance puissante; c'est pourquoi le mouvement est plus difficile dans l'eau que dans l'air, et plus difficile dans la vase que dans l'eau pure. » Ce passage ne porte pas seulement la trace de ce que Vives avait entendu enseigner, au Collège de Montaigu, touchant le mouvement violent; lorsque l'Humaniste espagnol nous montre « la nature excitant le mouvement naturel », il se souvient assurément de ce que ses maîtres lui ont dit de la chute accélérée des graves. Mais avant de rechercher nous- même ce qu'ils pensaient à ce sujet, il nous faut examiner ce qu'ils disaient de la nature même de Yimpetus. A ce sujet, les maîtres de l'Université de Paris avaient le choix entre plusieurs doctrines. La première était celle de Guillaume d'Ockam 1 . Pour le Venerabilis Inceplor, il n'y a, au sein du projectile, aucune entité, aucune vertu réellement existante que l'on puisse regarder comme le moteur de ce projectile. D'ailleurs, le mouvement n'est pas, lui non plus, une entité distincte du mobile. Pour le chef de l'École nominalistc, moteur, mou- vement, mobile ne sont ici qu'une seule et même chose; il n'y i . Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Gués et les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, XI; seconde série, pp. 192- 196). LA TRADITION DE BURIDAN ET LÀ s<;ii;m:i nu.nwi \i \m m mi 1^7 a pas un impetus engendrant un mouvement en un corps ; il y a seulement un corps mû impétueusement. Buridan, nous l'avons vu, rejetait résolument celte théorie de Guillaume d'Ockam. Pour lui, dans le projectile en mouvement, il y a trois choses coexistantes, mais réellement distinctes les unes des autres : en premier lieu, le mobile; en second lieu, une réalité purement successive, une forma Jlucns, qui est le mouvement local; en troisième lieu, une réalité permanente, Yimpetus, qui produit le mouvement local dans le mobile et joue ainsi le rôle de moteur. Quelle est la nature de cette entité? Buridan n'essaye pas de le deviner. Albert de Saxe, qui admet en sa plénitude la théorie du mouvement local et de Yimpetus proposée par le Philosophe de Béthune, hésite fort 1 à trancher cette difficile question qui ressortit plutôt, selon lui, à la Métaphysique qu'à la Physique; il se décide cependant à déclarer que « Y impelas est une qualité de seconde espèce, consistant en une certaine aptitude et facilité au mouvement. » C'est en conformité avec cette opinion, explicitement professée en ses Quœstiones in libros de Caelo et Mundo, qu'Albert, en sa Physique, s'exprimait, au sujet de la chute accélérée des graves, dans les termes suivants 2 : « Le mobile animé du mouvement naturel acquiert une certaine aptitude à ce mouvement, et cette aptitude acquise, en s'unissant à la gravité, meut plus rapidement le mobile. » Marsile d'Inghen trouve 3 que Yimpetus doit être rangé à la fois parmi les qualités de première espèce (habitus vel dispo- sitio) qui s'acquièrent soit par la production même du sujet, soit par sa disposition vers le mieux ou vers le pire, et parmi les qualités de troisième espèce (actio vel passio). 1. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Gués et les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, p. 19G). 3. Albcrti de Saxonia Quœstiones in libros de physica auscultatione ; in librum VII quaîst XIII. — Cf. h'ernadino Baldi, Roberval et Descartes, I : Une opinion de Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, IV ; première série, p. i3o). 3. Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, IX : La Dynamique de Nicolas de Cues et les sources dont elle découle (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 196-197). l48 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI La comparaison de Yimpetus à une aptitude acquise, à une habitude, avait sans doute attiré l'attention de Léonard de Vinci lorsqu'il lisait les écrits d'Albert de Saxe; nous trouvons en cette comparaison l'explication des derniers mots de cette pensée 1 : ce Si une roue dont le mouvement est devenu de plus en plus violent donne d'elle-même, après que son moteur l'aban- donne, beaucoup de tours, il paraît clair que si ce moteur persévère à la faire tourner en sus de la dite vitesse, cette persévérance peut avoir lieu avec peu de force. Et je conclus que pour vouloir maintenir ce mouvement, le moteur n'aura toujours que peu de fatigue et d'autant plus que, par nature, il se fixera. » Cette assimilation de Yimpetus à une aptitude acquise, à une habitude, était assurément bien connue, au temps de Léonard, dans les écoles de Paris où les ouvrages d'Albert de Saxe et de Marsile d'Inghen avaient grande vogue. Jean Dullaert de Gand nous apprend que « de l'avis de certains physiciens, Yimpetus engendré par violence se corrompt peu à peu par suite de l'absence de sa cause, comme la connaissance intuitive se corrompt par l'absence de son obj et » . Jean de Gelaya pense que Yimpetus est une qualité seconde au sens large; il le compare « aux connaissances et aux dispo- sitions de l'âme ». Mais c'est à Louis Goronel qu'il nous faut adresser pour connaître les arguments de ceux qui prétendaient, par cette assimilation, justifier l'hypothèse d'un impetus distinct du mobile et du mouvement local : « Lorsque certains objets se sont mus, à plusieurs reprises, de mouvement local, ils deviennent plus aptes à ce mou- vement; il reste donc en eux une certaine aptitude, une certaine disposition qu'ils ont acquise tandis qu'ils se mouvaient; par conséquent, pendant la durée du mouvement, une certaine entité actuelle était produite en ces corps; c'est cette entité i. Les manuscrits de Léonard de Vinci; ms. B de la Bibliothèque de l'Institut) fol. 26, verso. LA TUA ON DE BURIDÀN ET LA SCIENCE ITALIEN*] il KVI" SIECLE i V) qui a engendré Ladite aptitude, el cette entité était distincte du mouvement local... » L'antécédent de celle proposition est rendu manifeste par un grand nombre d'expériences . En premier lieu, Lorsque les doigts sont habitués à écrire, ils exécutent le mouvement d'écrire beaucoup mieux qu'auparavant. » Et Coronel déve loupe d'autres exemples, entre autres celui d'une connaissance acquise par la répétition d'une même perception. « Mais, » ajoute-t-il, « celui qui comprend bien cet argument dira que l'on en conclut aussi bien le faux que le vrai. Si la répétition de mouvements actuels produisait une aptitude au mouvement, une pierre que Ton aurait jetée en l'air à plusieurs reprises acquerrait une certaine aptitude à se mouvoir vers le haut; par conséquent, toutes choses égales d'ailleurs, il serait plus facile de la jeter en l'air qu'il notait auparavant; l'expé- rience nous enseigne le contraire... » Cette remarque ne supprime pas la force de l'argument. En un homme qui a pris de mauvaises habitudes d'intempé- rance, des actes répétés de tempérance ne suffisent pas à engendrer l'habitude de la tempérance. De même, en une pierre où la forme substantielle et la gravité résistent au mouvement vers le haut, la répétition de plusieurs jets actuels ne produit pas d'aptitude à se mouvoir vers le haut. L'argument semble donc garder sa force. » Nous venons d'entendre comparer Yimpetus à la disposition physiologique par laquelle des doigts, habitués à écrire, écrivent plus aisément. Nous ne nous étonnerons plus lorsque Kepler enseignera 1 que Yimpetus imprimé par le Créateur à la Terre a engendré, au sein de cette Terre, une organisation anatomique, a produit un agencement de fibres circulaires qui assurent la permanence du mouvement de rotation ; il ne fera que suivre une opinion bien connue à Paris, au début du xvi e siècle. Nous savons maintenant quelles opinions divergentes, touchant la nature de Yimpetus, sollicitaient, à cette époque, t . Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, X : La Dynamique de Nicolas de Cues et la Dynamique de Kepler (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, W\ seconde série, pp. 208-211), IÔO ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI l'adhésion des maîtres parisiens. Entre ces partis divers, les uns demeuraient en suspens ; les autres se portaient soit d'un côté, soit de l'autre. Des deux avis en présence, Jean de Celaya n'en mentionne qu'un, celui qui assimile Vimpetus à une aptitude, à une dispo- sition, qui en fait une qualité et, partant, une entité permanente distincte du mobile; c'est assurément à cet avis qu'il se range. Jean Dullaert connaît «l'autre avis, selon lequel on tient que Vimpetus n'est pas une qualité réellement distincte de la chose ou du corps qui est mû... Lorsqu'une flèche est lancée violem- ment par une baliste, ...elle est mue par ce mouvement violent et impétueux et non par une qualité nommée impetus, et l'on en doit dire autant dans les autres cas. » Après avoir exposé les arguments que l'on faisait valoir pour ou contre cette opinion, le philosophe gantois semble demeurer en suspens. Goronel, qui attache, semble-t-il, à cette discussion plus d'importance que Dullaert et, surtout, que Celaya, prend une position intermédiaire entre celle d'Ockam et celle de Buridan. Avec Ockam il admet que Vimpetus est identique au mouvement local, mais avec Buridan il pense que le mouvement local est une entité distincte du mobile. Citons ses propres paroles, dont la netteté est parfaite : « Remarquez qu'entre Vimpetus et le mouvement local, je n'assignerais pas d'autre différence qu'une différence du plus au moins, en sorte que tout impetus serait un mouvement local, mais que la réciproque ne serait pas vraie; Vimpetus est un mouvement très intense. D'ailleurs, que le mouvement soit intense ou faible, nous pourrions dire que tout mouvement est impetus; il n'en résulterait pas que tout ce qui se meut, se meuve avec impétuosité (impetuose) ; mais nous n'y verrions pas d'inconvénient; il n'est pas nécessaire que tout ce qui se meut avec impetus se meuve avec impétuosité... Volontiers, nous aurions nommé impetus la qualité motrice lorsqu'elle est pro- duite par une cause extrinsèque, tandis que nous l'aurions nommée mouvement (motus) lorsqu'elle est produite par une cause intrinsèque, si Vimpetus ne pouvait aussi être produit par la forme substantielle et par la gravité d'un poids qui LA TRADITION i»i BURIDAN BT LA BCIENGE ITALIENNE i\ \\i im.i.i l5l tombe. Que l'on s'exprime (rime manière <>u de L'autre, non n'en prendrons point souci, car la difficulté est toute verbale. » Sachez, en second lieu, que le moteur produit dans le mobile une certaine entité sans laquelle il ne pourrait se mouvoir, et qui est une sorte d'instrument nécessaire requis par la nature ; cette entité est le mouvement local. Le poids qui se meut vers le haut n'a pas en lui d'autre mouvement que Yimpetus] en un poids qui tombe, la forme substantielle el la gravité produisent un mouvement que l'on peut nommer impelus lorsqu'il est suffisamment intense. Bref, nous pouvons dire qu'en toutes circonstances on un impelus est produit, un mou- vement local est engendré; ...et tout ce qui se doit dire de V impelus quanta sa production soit instantanée, soit successive, se doit dire aussi du mouvement. » Goronel eût pu traduire exactement sa pensée en donnant à Yimpetus le nom de quanlilé de mouvemenl que Descartes lui attribuera un jour. h'impelus étant identique au mouvement local, les raisons qui conduisent à distinguer Yimpetus du corps qu'il meut établissent aussi la distinction entre le mouvement local et le mobile. « On peut formuler l'argument suivant : L' impelus est distinct de la chose qui se meut impétueusement; donc le mouvement local est distinct du mobile. On peut justifier cette conséquence de la manière suivante : Tout inconvénient qui résulterait de la supposition d'un impelus distinct de la chose qui se meut impétueusement (s'il en résultait quelqu'un), découlerait aussi de l'hypothèse que le mouvement est distinct du mobile, et inversement; et l'une des conséquences s'expli- querait tout aussi bien que l'autre. » Parmi les arguments propres à établir que Yimpetus est réellement distinct du mobile, Goronel place l'explication de la chute accélérée des graves. Il est donc temps d'examiner ce que les maîtres de Montaigu ou de Sainte-Barbe enseignaient au sujet de cette explication. Jean Dullaert écrit : « Certain impelus est causé par la violence ; certain autre impelus est engendré naturellement. Il faut remar- quer, à ce sujet, que si un grave est retenu en l'air et si l'on IÔ2 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI écarte ce qui l'empêchait de tomber, ce grave tombe plus vite à la fin du mouvement qu'au commencement, donné que la résistance soit uniforme. La cause en est que, dans le mouve- ment de ce grave, Yimpetus du mobile part d'une intensité de degré zéro (a non gradu intensionis) , commence à croître en intensité, et croît sans cesse d'une manière continue jusqu'à la fin du mouvement. » Le philosophe gantois ajoute cette phrase digne de remarque: « En des graves de grandeurs différentes, Yimpetus croît-il pro- portionnellement à la grandeur du grave ou non? Ce serait une sérieuse difficulté à examiner, mais je n'en parle pas. » Il n'insiste pas davantage sur la cause qui fait croître Yimpetus au cours du mouvement naturel. Coronel est plus explicite. Il rejette l'explication de la chute accélérée des graves qu'ont donnée Aristote et Thémistius. Les raisons qu'il fait valoir contre cette explication sont, parfois, d'une singulière naïveté; il pense 1 que si la pesanteur était une vertu émanée du lieu naturel, il suffirait de recouvrir la terre d'un vêtement pour empêcher cette vertu de passer; les corps placés au-dessus de ce vêtement cesseraient de peser vers le centre du monde. Coronel fait, d'ailleurs, cette autre remarque plus heureuse que la théorie de Thémistius n'explique pas le ralentissement du mouvement d'un projectile jeté en l'air. L'hypothèse de Yimpetus, au contraire, sauve aussi bien l'accélération du mouvement naturel que le ralentissement du mouvement violent : a Un poids, en effet, qui tombe en un milieu uniforme descend plus vite à la fin de son mouvement car, pendant la durée de sa course, la gravité, ou bien sa propre forme substantielle, ou toutes deux ensemble, ont produit en lui un certain impetus, qualité qui le meut vers le bas; et comme cet impetus est, alors que le mobile approche de son terme, plus intense qu'il n'était au début du mouvement, le poids tombe plus vite vers la fin de sa chute. » Un peu plus loin, Coronel répète: « En descendant, la gravité produit un impetus; ...pendant la durée successive de la des- y. Ludovici Coronel Op. cit., lib. IV, pars I: Do loco; éd. cit., fol. kXXXUll, col. c. LA. TRADITION DE BURIDAN BT LA SCIENCE ITALIEN!*] U IYI ii'.u [53 ccn le, la gravité produit an impetus. < C'est donc exclusivement à la gravité ou à la forme substantielle du corps pesant qu'e I dévolue celle génération d'un impetus de plus en plus intense. Ce principe n'était pas affirmé avec une suffisante netteté dans les écrits «les maîtres anciens; certaines tournures de phrases employées pat* eux auraient pu donner à penser que l'accroissement éprouvé par V impetus durant un certain momenl avait pour cause Y impetus ou le mouvement local qui existait aussitôt avant ce mouvement. Buridan, par exemple, avait écrit: «...Le mouvement devient alors plus rapide; mais plus il devient rapide, plus Y impetus devient intense. » Et aussi : « Plus le mouvement devient rapide, plus Y impetus devient vigoureux. » Plus explicitement encore, Summenhard disait : « Vers la fin du mouvement, Yimpetus s'accroît par suite de la vitesse du mouvement précédent. » Certains auteurs semblaient donc attribuer à Yimpetus ou au mouvement local (pour Coronel, c'est tout un) qui existe à un instant donné une part en l'accroissement ultérieur de Yimpetus; ils préparaient ainsi une doctrine que nous avons vue formulée par Bernardino Baldi 1 et adoptée par Roberval 2 . Louis Coronel eût formellement rejeté l'opinion de ces der- niers auteurs ; il leur eût objecté ce qu'il objectait, comme nous le verrons tout à l'heure, à une théorie de Marsile d'Inghen : « U impetus produit après le lancement du projectile serait donc engendré par un autre impetus, par celui qu'a produit l'auteur du lancement ; Yimpetus serait, par conséquent, une qualité active, capable de produire une autre qualité de même espèce qu'elle-même. » En ce point, Jean de Celaya est, nous Talions voir, du même avis que Louis Coronel. Celaya traite à plusieurs reprises de l'accélération du mou- vement naturel. i. Bernardino Baldi, Boberval et Descartes, I: Une opinion de Bernardino Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, IV; première série, pp. i38-c3c)). 2. Ibid., III : Bernardino Baldi et ïlpberyal (Op. cit., pp. 1 4/4-1 45), l54 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Voici un premier passage 1 : « Si vous demandez par quoi sont mus les corps graves inanimés quand ils descendent et les corps légers quand ils montent, nous répondrons qu'un corps pesant est mû par sa forme substantielle à titre de principe et par sa gravité à titre d'instrument... Vous direz peut-être : Nous voyons par l'expérience qu'un grave se meut plus vite à la fin de son mouvement qu'au commencement; mais à la fin de sa chute, il est plus proche de son lieu naturel; il semble donc que ce lieu naturel imprime au corps pesant une certaine vertu qui le meut plus rapidement. Nous répondrons que la cause de cette plus grande vitesse n'est pas une vertu émanée du lieu naturel. La cause de cette vitesse croissante est Y impelas qui est acquis au cours de la descente; uni à la gravité, il pro- duit vers la fin un mouvement plus rapide que celui que la gravité seule produisait au début. » Voici un second passage a où le même sujet est traité de nouveau : u Lorsqu'un certain être se meut naturellement, une certaine qualité est causée en cet être ; cette qualité, que l'on nomme impetus, concourt au mouvement d'une manière active; au début du mouvement, cette qualité n'existait pas; plus le mobile avance, plus cette qualité devient intense et plus fort est son concours à ce mouvement. Donc... le mouvement naturel est plus rapide à la fin qu'au commencement. Cette conclusion est évidente, car, à la fin, le mobile possède un impeius qui lui vient en aide et, au début, il ne le possède pas. » A cette explication de la chute accélérée des graves, Jean de Gelaya, poursuivant son exposition, en ajoute une autre, que l'on avait déjà proposée avant Simplicius et que Durand de Saint-Pourçain avait recueillie : « En outre, à la fin du mouvement, le milieu oppose à sa propre division une moindre résistance (je veux parler de i. Joannis de Celaya Op. cit,, lib. VIII, cap. V, quaest. II : An animal niovealur ex se; fol. CLXXXVIII, col. b. i. Joannis de Celaya Op. cit., lib. VII, cap. X, quœst. III : An motus naturalis sit velocior in fine quam in principio; fol. CXCVIII, col. 6. LA TRADITION i>r. BUBIDAK BT LA scnvi iim.ii \m. \i \\i mi cm sa résistance accidentelle) qu'au début; le milieu àtravei ei est, en effet, moins ('puis vers la fin du mouvemenl qu'il n'était au commencement; or, il < i si certain qu'un milieu ;i que peu d'air divisé ; vers La Un, au contraire, La quantité de l'air ébranlé est grande, mais Vimpetus est très faible; à une distance modérée, enfin, Vimpetus est bien intense cl l'air ébranlé est en bonne quantité; la blessure est doue moins (brie au commencement et vers la fin du mouvement; cVsl au voisinage du milieu de la course que le coup est le plus violent. » Déjà Gaétan de ïiène avait hésité entre cette théorie et celle de Marsite d'Inghen. En un mouvement naturel, Vimpetus croît sans cesse; il diminue continuellement en un mouvement violent ; de cette proposition, qui résumait toute sa Dynamique, Buridan avait fait une remarquable application aux mouvements vibra- toires; le va-et-vient d'une corde écartée de sa position d'équilibre, les oscillations d'une cloche ébranlée lui avaient servi d'exemples. Albert de Saxe avait delà même théorie déduit un autre corol- laire 1 : «Supposons, avait-il écrit, que la terre soit perforée de part en part et que, par le canal ainsi creusé, un grave descende très rapidement vers le centre; au moment où le centre de gravité de ce corps sera devenu le centre du Monde, ce corps continuera à se mouvoir au delà et à se diriger vers la partie opposée du Ciel grâce à Vimpetus qu'il a acquis et qui ne sera pas encore corrompu; lorsqu'en l'ascension du corps, cet impetus viendra à manquer, le grave se remettra à descendre; il ira ainsi, oscillant autour du centre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus en lui aucun impetus; alors, il s'arrêtera. » Nous avons vu 2 que ce passage d'Albert de Saxe semblait avoir inspiré une pensée de Léonard de Vinci. i. Albcrti de Saxonia Quœstiones in libros de Cxlo et Mundo; in lib. II quœst. XIV, apnd cdd. Vcnetiis, 1^92 et i52o. Cette question ne se trouve pas dans les éditions données à Paris en i5i6 et en i5i8. 2. Léonard de Vinci et la pluralité des Mondes, VIII : Commentaire aux réflexions sur la pluralité des mondes données par Léonard de Vinci (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, X ; seconde série, p. 95). l58 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI En i5i6, l'Écossais Georges Lokert, régent au Collège de Montaigu, donna une édition des Quœstiones in libros de Cselo et Mundo de Maître Albert de Saxe; en cette édition, deux questions dont l'importance est extrême pour l'histoire de la Dynamique furent omises, entre autres celle qui contient le passage précédent. N'allons pas en conclure que cette conséquence de la Méca- nique de Buridan et d'Albert de Saxe fût ignorée au Collège où professait Maître Georges Lokert; elle y était assurément enseignée et commentée, au point de frapper les esprits les plus rebelles à la Scolastique parisienne ; Didier Érasme de Rotterdam qui fut, aux dernières années du xv c siècle, élève du Collège de Montaigu, va nous en fournir le témoignage. En i522, Érasme publiait à Baie, chez son ami Froben, ses Colloquia, dont le succès fut extraordinaire 1 . Or, voici ce que nous lisons au neuvième dialogue, intitulé Les questions 2 : « Alphius:... C'est le contraire dans le mouvement violent, qui, plus prompt au commencement, se ralentit peu à peu; ce qui est tout opposé au mouvement naturel... » Curion : Mais dites-moi : si quelque Dieu s'avisoit de percer la Terre par la moitié,... en jetant une pierre par ce trou-là, où iroit-elle? » Alphius : Elle décendroit jusqu'au centre de nôtre Globe; puis elle auroit la bonté de s'y reposer; car ce Centre est le Siège de tous les Corps pesans... » Cuiuon : Je raisonnerois autrement : vous m'avez dit que le mouvement naturel, quand il ne trouve point d'obstacle, augmente de plus en plus, par le progrès; si votre thèse est soûtenable, la Pierre ou le Plomb qu'on jctleroit par le trou de la Terre, se trouvant près du Centre, dans un mouvement très rapide, passeroit infailliblement plus loin, et alors ce seroit un mouvement violent. i. L'existence d'une édition antérieure à 1022 est peu probable (voir : Brunct, Guide du libraire et de l'amateur de livres, 5° édition, 18G1, t. il, col. 10/n). ?. Les Colloques d'Erasme, Ouvrage très intéressant, par la diversité des sujets, par l'Enjoûmenl, et pour l'Utilité Morale. Nouvelle Traduction par Mons r Gueudevillc, Avec des Notes, et des Figures très ingénieuses. Tome cinquiesme, Qui contient, Les trois principaux Mobiles de l'Homme; le Culte, la Nature et l'Art. A Leide, chez Pierre vander Aa et Boudouin Jansson vander Aa Marcbands Libraires. MDCCXX; pp. 179-181. LA TRADITION DE BUR1DAN ET LA SCIENCE ITA.L1EWFU m \m im.ii | » Alphius : Pour Le Plomb, il feroit mauvoia yoïa ar, se fondant nécessairement en chemin, il n'arriveroit que goutte à goutte; mais si I;» pierre à cause de I « t rapidité de son mouvement, n<> pouvoit pas s'arrêter au Centre, elle commen ceroil aussitôt à se mouvoir plus lentement : et retourneroit au Centre de I;» même manière qu'une Pierre jetée en l'air retombe sur la Terre. » Cuiuon : Mais comme ce scroit par mouvement naturel que la Pierre retourneroit vers le Centre, elle passcroit encore par la raison de la grande vitesse et ainsi cette pauvre Pierre sera condamnée au mouvement perpétuel; elle n'aura jamais de repos. » Alphius : Elle se reposera enfin, après avoir couru et recouru, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à l'équilibre. » La vogue des Colloques d'Érasme fut prodigieuse. La pre- mière édition, tirée à 2/1,000 exemplaires, fut enlevée à Paris en quelques semaines. Les éditions et les traductions se succé- dèrent, innombrables jusqu'à la fin du xvm c siècle. Par elles, le problème d'Albert de Saxe se trouvait répandu partout. C'est par les Colloques d'Érasme, nous le verrons, que l'abbé Maurolycus, à Messine, connut ce problème parisien. Un Didier Érasme, un Louis Yivès, pourront bien tourner en dérision les maîtres sous lesquels ils ont étudié à Montaigu et l'enseignement que ces maîtres leur ont donné; ils ne parviendront pas à oublier les leçons qu'ils y ont reçues ; lorsqu'ils revêtent d'élégante latinité une théorie de Méca- nique, il nous suffit d'écarter le manteau dont ils l'ont affublée pour reconnaître quelque antique pensée d'Albert de Saxe, soigneusement conservée en la Faculté des Arts de l'Université de Paris. Telle est la Dynamique que l'on enseignait à Paris au début du xvi e siècle. Elle est l'héritière directe de la Dynamique professée par Jean Buridan; depuis le milieu du xiv e siècle, quelques points se sont précisés; d'autres se sont légèrement obscurcis; l'ensemble est demeuré le même. Si nous comparons cette Dynamique à celle qu'au même moment, le Vinci consignait en ses notes, nous constatons IÔO ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI entre ces deux doctrines de nombreuses et frappantes ana- logies. Parmi les régents de Montaigu ou de Sainte-Barbe, bien plus que parmi les maîtres de Bologne ou de Padoue, Léonard eût rencontré des hommes dont les pensées eussent fait écho aux siennes. Entre la science des Parisiens et la science de Léonard, si nous cherchons les différences, nous en trouvons une qui est tout à l'avantage du grand peintre. Lorsqu'un mobile est jeté en l'air, la pesanteur et Yimpetus luttent entre eux pendant toute la durée du mouvement; c'est une proposition qu'admettent également le Vinci et les conti- nuateurs de Buridan ; mais ceux-ci invoquent cette proposition pour en tirer une conclusion fausse, l'existence d'un temps de repos entre la marche ascendante et la marche descen- dante du projectile; celui là aperçoit cette idée féconde : 17m- peto composé rend compte de la courbure de la trajectoire. En revanche, les Parisiens pourraient montrer avec fierté qu'en plusieurs de ses parties, leur doctrine surpasse celle de Léonard ; résolument, ils nient qu'un projectile lancé hori- zontalement commence par accélérer sa course; et surtout, ils demandent à Yimpetus acquis l'explication correcte et féconde de la chute accélérée des graves. IV La décadence de la Scolastique parisienne après la mort de Léonard de Vinci. Les attaques de l'Huma- nisme. Didier Erasme et Louis Vives. Le 2 mai i5iq, Léonard de Vinci mourait à Amboise. A l'heure où disparaissait un de ses plus pénétrants disciples, et qu'elle n'avait pas connu, la Scolastique parisienne ressen- tait les premières atteintes de la décrépitude; après avoir si puissamment contribué au progrès de la Science moderne, elle allait renoncer à la promouvoir. Pour discuter avec clarté et précision les grands problèmes LA TRADITION DE BUAtOAR ET LA SCIENCE ITALIENNE Al IV! SIÈCLE l6l do la Physique, ai qui détourne les écoliers de s'adoniîer à la Théologie. A peine oui ils terminé L'étude des Summulss que les jeunes Parisiens, issus \\ i i LA 8CIENC1 i i \i n 11IWB m IVI* mi'mi r65 Pauvres théologiens parisiens, régents de Montaigu, docteurs en Sorbonne, collègues de Johannes Majoria ! Ecoutons ce qu'en dii la Folie 1 , BOufOée par Erasme : a Parlerai je des Théologiens ?... J'ai ordonné à ma Philautie, à la Déesse Amour propre, de les favoriser plus que les autres hommes; el effectivement, ils sont ses Mignons; comme si ces Au^es corporels étaient établis dans le troisième Ciel, ils regar- dent du faîte de leur élévation tous les Mortels comme des bêtes rampantes; el ils en ont pitié; environnez d'une Troupe de définitions magistrales, de conclusions, de corollaires, de propositions explicites et implicites, ce qui compose la Milice de l'École sacrée, ils trouvent tant de moïens d'échapper que Vulcain même ne pourrait les retenir... Il n'y a point de nœu que ces Messieurs ne coupent du premier coup avec le couteau du Distinguo, couteau formé de tous ces termes monstrueux qui sont nez dans le sein de la subtilité Scolastique... » Ils ont encore bien d'autres subtilitez plus pointues : les instants de la Génération Divine, les notions, les relations, les formalitez, les quidditez, les eccéités, tant d'autres chimères de cette nature : je défie qui que ce soit de les apercevoir, à moins qu'il n'eût la vue assez perçante pour distinguer à travers les ténèbres les plus épaisses des objets qui ne sont nulle part... » Ce qui subtilise encore ces très profondes subtilitez, ce sont toutes ces différentes routes de l'École : vous sortiriez plus aisément d'un labirinte, que vous ne vous débarrasseriez des enveloppes des Réaux, des Nominaux, des Thomistes, des Alber- tistes, des Occanistes, des Scotistes; ah ! je pers haleine : et cependant, ce ne sont là que les principales sectes de l'École; vraiment, il y en a bien d'autres ! Combien pensez-vous qu'il y ait de science et d'épines dans tous ces partis là ? » ...Ces Ergoteurs sont si enflez du vent et de la fumée de leur érudition vuide, et toute verbale, qu'ils n'en démordront point : occupez jour et nuit à goûter la douceur de leur chicane, i. L'Éloge de la Folie, composé en forme de déclamation par Érasme de Rotterdam... Pièce qui, représentant au naturel l'homme tout défiguré par la Sottise, lui apprend agréa- blement à rentrer dans le bon Sens et dans la Raison: traduite nouvellement en François par M. Gueudeville. A Leyde, chez Pierre van den Aa, 17 13. — La préface d'Érasme, adressée à Thomas Morus, est datée du 10 juin j5o8, pp, 177-195. l66 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI ils ne se donnent même pas le temps de lire une fois l'Évangile ou les Épîtres de Saint Paul. Cependant, appliquez à ces Sotises dans leurs Écoles, ils ne laissent pas de s'imaginer que l'Église tomberoit dès qu'ils cesseroient de la soutenir, ils s'en croient les apuis et les Atlas... » Nos Éplucheurs ont la cervelle si remplie, si agitée de toutes ces fadaises, que Jupiter n'étoit pas plus gros du cerveau, lorsque voulant accoucher de Pallas, il implora la hache de Vulcain. Ne vous étonnez donc pas si, dans les Disputes publi- ques, ils ont grand soin de se parer la tête de tant de bandes ; c'est pour empêcher, par ces liens honorables, que leur cervelle, surchargée de science, ne rompe de tous cotez. Je ne puis m'empêcher de rire... quand j'écoute ces illustres Person- nages : ils béguaïent plutôt qu'ils ne parlent; ils ne se réputent tout à fait Théologiens que lorsqu'ils savent parfaitement leur barbare et vilain jargon : il n'y a que ceux du métier qui puissent les entendre; mais ils en font gloire, disant arrogam- ment qu'ils ne parlent pas pour le vulgaire profane. C'est, ajoutent-ils, c'est avilir la dignité de la sainte Écriture, de l'assujettir aux règles de la Grammaire et aux vétilles du Purisme. Admirons la majesté des Théologiens ! A eux seuls permis de faire des fautes dans le langage; et il n'y a tout au plus que la canaille qui ait le droit de leur disputer cette prérogative. » Trois sentiments inspirent cette déclamation d'Érasme. Le premier de ces sentiments est la lassitude profonde qu'a causée une dialectique subtile et pointilleuse à l'excès. Le second est le désir de voir la Théologie délaisser l'appareil logique, inutile et compliqué, qu'elle manœuvre sans relâche comme sans fruit; le désir de la ramener aux études qui fécondent et vivifient la foi, à la méditation des Écritures. Ces deux sentiments, déjà Johannes Majoris nous les avait montrés chez ses élèves; chez Érasme, ils ne sont peut-être pas les plus puissants inspirateurs de l'esprit anti-scolastique; un troisième sentiment lui souffle, plus violemment encore, la haine des études auxquelles on a voulu assujettir sa jeunesse, e* celui-là, c'est l'horreur du style technique dont l'Ecole fait LA TRADITION DE BU RIDA H 11 i \ SCIENCE ITALIENNE il VTt SIECLE i(>7 usage, o'est Le goût du beau Langage ef le culte de I - « Grammaire, c'est le Purisme. Le souci d'élégance dont ne saurait se départir L'humaniste de Rotterdam lui a interdit de mettre, eu ses diatribes, une précision exagérée; il n'a pas voulu montrer du doigt ceux qu'il tournait en dérision; il n'a pas expressément, désigné ses maîtres et ses condisciples de Paris. Le bouillant Vives n'aura pas de tels scrupules. A la fin du xv° siècle et au début du xvi" siècle, les Espagnols tenaient grande place en l'Université de Paris. Nous avons eu occasion de signaler l'activité de Pedro Cirvelo, de com- menter l'enseignement que Jean de Gelaya donnait à Sainte- Barbe. Jean Majoris comptait plusieurs Espagnols au nombre de ses élèves préférés. En un de ses écrits 1 , il cite avec affection le nom de Louis Goronel, dont les Physicx perscrutationes ont retenu notre attention; le nom d'Antoine Goronel, frère de Louis, auteur de nombreux écrits, et éditeur de plusieurs ouvrages du Théologien d'Hadington; enfin, le nom de Gas- pard Lax, de Sarinyena en Aragon, qui, en i5i2, fit imprimer à Paris trois livres de Logique, sur les Termini, les Obligationes et les Insolubilia. Comme un grand nombre de ses compatriotes, Juan Luiz Vives, né à Valence en 1/192, s'était acheminé vers Paris, attiré par la grande réputation de l'Université ; il avait pris place parmi les élèves du Collège de Montaigu, où il eut pour maîtres deux des disciples préférés de Jean Majoris, l'Espagnol Gaspard Lax et le Gantois Jean Dullaert. Brillant humaniste, Vives ne sut pas supporter bien longtemps la rude discipline de ces logiciens minutieux; en 1519, nous le trouvons professeur à Louvain, d'où il accable de sarcasmes l'Université parisienne, les maîtres 1. Magister Johannes Majoris Scotus. Omnia opéra in artes quas libérales vocant a perspicacissimo ac famatissimo uno sactarum (sic) litterarum prof essore prof andissimo ma- gistro Johanne Majoris, majori accuratione elaborata, atque castigata quam antehac in lucem prodita sint majorique precio comparanda quam quispiam persolvere possit si ea ab equo judice pensiculantur. Venumdantur vero a Michaele Augier cive Cadomensi ac Religator Universitatis ejusdem juxta pontem Sancti Pétri et a Johanne Mace Redonis commorante e vestigio Sancti Salvatoris sub divo Johanne Evangelista degente. Colo- phon : Impressum Cadomi per Laurentium Hostingue impensis virorum indus- triosorum Michaelis Augier prope pontem ejusdem Cadomi commorantis et Johannis Mace e regione Sancti Salvatoris Redonis residentis. l68 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI qui y enseignent et les leçons qu'ils y donnent. En Angleterre, où il passe au sortir de Louvain, à Bruges, où il revient mourir en i54o, il ne cesse de mener avec violence le combat de l'Humanisme contre l'antique Scolastique. Pauvres logiciens de Montaigu ! Ils ne se recrutaient pas, David Granston nous l'a dit, parmi les fils de familles aisées ; leurs examens délaissés ne versaient plus, en leur bourse plate, qu'une infime contribution de droits, et les étudiants, trouvant encore ces droits trop onéreux, s'ingéniaient à s'y soustraire; aussi nos régents vivaient-ils besogneux et loque- teux. Écoutons ce dialogue, que Vives fait tenir 1 par Nugo et Gracculus : « Gracculus : Je tiens un sujet digne d'un poète. n Nugo : Quoi donc, n'est-ce pas un sujet digne d'un philo- sophe que tu attendais? Demandes en un à ces fameux nouveaux maîtres Parisiens. » Gracculus : Pour la plupart, c'est de costume qu'ils sont philosophes, non de cerveau. » Nugo : Philosophes de costume ? On dirait plutôt des cuisiniers ou des muletiers. » Gracculus : C'est qu'ils portent des vêtements crasseux, râpés, déchirés, crottés, immondes et pouilleux. » Nugo : Ce seront donc des philosophes Cyniques? » Gracculus : Pis que cela! Des philosophes Punais 2 ; ils affectent de passer pour Péripatéticiens, mais ils ne le sont pas, car Aristote, le chef de la secte, était des plus cultivés. Pour moi, si je ne puis être philosophe d'autre manière, je vais dire adieu à la Philosophie, et pour longtemps. » Le portrait que Vives nous trace des maîtres parisiens n'est, sans doute, guère flatté; en tout cas, il n'est pas flatteur. Les études auxquelles ces maîtres président ne lui ont pas laissé un meilleur souvenir. En un écrit qu'il compose à Louvain dès i5iq, il accable ces études des plus violentes diatribes i. Lodovici Vivis Excrcilationes linguse latinss. Garrientes (lo. Lodovici Vivis Valcn- tini Opéra in duos distincta tomos... Basilca*, per Nicolaum Episcopium juniorcm. An no MDLV. Tomus I, p. 21. — A la page 5g, ces Exercitationes portent la date ; Breda? Brabanticœ, die Visilationis divae Virginis MDXXXVI1I). a, Il y a ici, sur les adjectifs cynici et cimici, un jeu de mo]:s intraduisible. LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE itu.ii.wi M IV1 [ECL1 I0g dont ses compatriotes, les maîtres espagnols, sont copieusement éclaboussés. u De ce Paris, » dit-il ', « devrait rayonner la Lumière de la civilisation la plus complète. Or, on y voit des hommes embrasser avec acharnement la barbarie la plus sordide et, en outre, se livrer à des études qui sont de véritables monstres; tels les sophismata, comme ils les nomment eux-mêmes; rien de plus vain, rien de plus sot que ces études. Si, parfois, un homme intelligent s'y livre avec quelque attention, ses qualités intellectuelles vont à leur perle; ainsi des champs fertiles que l'on ne cultive pas procréent-ils une foule d'herbes inutiles. Ces gens révent; ils imaginent des inepties; ils inventent une langue nouvelle qu'ils sont seuls à comprendre. » De cet état de choses, la plupart des gens instruits rejettent la faute sur les Espagnols qui se trouvent à Paris; hommes in- vincibles, ils gardent vaillamment la citadelle de l'ignorance... »Y a-t-il, dans le langage des hommes, proverbe plus rebattu que celui-ci : A Paris, on forme la jeunesse à ne rien savoir, mais à délirer en un bavardage insensé? Dans les autres Universités, on étudie assurément quelques questions vaines et futiles ; mais on apprend aussi bon nombre de choses solides; à Paris, on n'apprend que les plus creuses des balivernes. » Ces Espagnols et tous leurs sectateurs, on devrait ou bien les contraindre de s'adonner à des sciences meilleures ou bien, par édit public, les bannir comme corrupteurs et des mœurs et de la civilisation. » Vives met l'enseignement de Paris fort au-dessous de celui que donnent les autres Universités; est-ce donc qu'il voudrait voir les Parisiens adonnés à l'Averroïsme, comme leurs émules de Padoue et de Bologne? Non, sans doute, si Ton en croit la violence avec laquelle il invective Àverroès 2 : « Dis-moi, je te prie, Averroès, qu'avais-tu donc pour i. Jo. Lodovicus Vives In pseudodialecticos ; cette pièce porte la date: Lovani, MDXIX (Jo. Lodovici Vivis Opéra, tomus I, p. 272). 2. Joannis Ludovici Vivis De causis corruptarum artium liber V : De philosophiœ naturœ, medicinoe et artium corruptione ; De philosophia naturrc, Pièce datée : Brugis, anao MUXX.KI (Jo. Lodovici Vivis Opéra, tomus I, p, ^jaV I7O ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI ravir ainsi l'esprit des hommes ou, plutôt, pour le leur ôter? Certains auteurs ont pu entraîner beaucoup de gens par la grâce du discours et la cajolerie des mots; mais rien n'est plus hideux, plus inculte, plus obscène, plus puéril que toi... Ils sont dignes de l'admiration et de la louange universelle ceux qui ont formé des âmes, ceux qui ont enseigné à bien vivre. Mais toi, rien n'est plus scélérat, plus irréligieux que toi; quiconque s'adonne avec trop de véhémence à tes pré- ceptes ne peut manquer de devenir un impie et un athée. » Ce que Vives reproche à ses anciens maîtres, ce n'est donc pas leur aversion pour l' Averroïsme ; cette aversion, il la partage. Ce qu'il leur reproche, en premier lieu, c'est ce dont Jean Forman se plaignait en sa conversation avec Dullaert, ce qui excitait les doléances de Gauvin de Douglas en présence de David Cranston, ce qui, très certainement, lassait et dégoûtait au plus haut point les étudiants de Paris : La subti- lité d'une Logique qui, longuement et minutieusement, analyse des problèmes purement abstraits, résout des difficultés tout hypothétiques, discute, selon le mot que Jean Majoris prête à Forman, « des cas possibles pour Dieu, mais qui n'arrivent jamais ». Écoutons les sarcasmes par lesquels Vives fait écho aux plaintes des étudiants en Logique contre leurs régents » : « Ce que ces gens pouvaient tirer des livres d'Aristote était fort peu de chose; maintes discussions l'avaient déjà broyé, agité, secoué à l'excès; aussi ce genre de combat semblait-il des plus connus, môme aux conscrits; on a donc cherché une nouvelle manière de faire la guerre et un nouveau sujet de batailles. Ils se sont mis alors à chicaner de sottes subtilités, qu'ils nomment eux-mêmes des calculs (calculationes) . C'est l'Anglais Roger Suiseth qui a donné un grand développement à ces calculs; aussi, Jean Pic avait-il accoutumé de les appeler les broutilles à la Suiseth (quisquilix Suicelicx) ; c'est un nom qui leur convient fort bien; ces calculs, en effet, ne s'appli- quent ni à la science, ni à aucun usage pratique. » Que ces subtilités n'aient aucun usage pratique, je ne vois personne qui en doute, pas même les plus grands parmi 1. Louis Vives, loc. cit., pp. U 1 2-/1 1 3. LA TRADITION DE BURIDÀH BT LA SCIENCE ITALIENNE ai \vi SIECLE 171 ceux qui les professent, parmi ceux que l'on estime pane qu'ils ont de ces calculs une connaissance approfondie. » Quant à la science, que peut-elle être «n de tels sujets si éloignés, si complètement séparés de Dieu, d'une part, L'Humanisme! Ce nom désigne l'ensemble de répulsions et d'aspirations qui entraînent, au début du xvi c siècle, les écoliers de l'Université de Paris! Fuir les disciplines abstraites parce qu'on n'en perçoit pas l'utilité immédiate, parce qu'elles requièrent une minutieuse et laborieuse précision, parce que cette précision réclame un langage technique dédaigneux de ce qui charme l'oreille; s'adonner aux études dont l'emploi est tout proche; recueillir en sa mémoire des observations concrètes dont l'acquisition ne bande pas jusqu'à la fatigue les ressorts de l'intelligence; à la langue qui fait bon marché de l'harmonie, pourvu qu'elle définisse la pensée avec une rigoureuse netteté, préférer le discours qui arrondit en périodes oratoires ou voile d'images poétiques les contours de la vérité; en un mot, délaisser la raison pour embrasser l'ima- gination qui leur semblait plus belle; tel était le rêve de maints bacheliers, en la bruyante rue du Fouarre, en l'austère Sorbonne; et pour courir à la réalisation de ce beau rêve, ils jetaient leurs cahiers, ils déchiraient les commentaires aux Summulae de Petrus Hispanus, aux Cale ulatio ries de Suiseth, aux Sentences de Pierre de Lombard. Si puissamment s'exerçait cet attrait de l'Humanisme que les maîtres eux-mêmes, ceux qui avaient vécu dans l'ensei- gnement de la Dialectique, éprouvaient les séductions des 1. Louis Vives, loc. cit., p. 284. 1^4 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI études nouvelles et se désespéraient d'être trop vieux pour s'y livrer : « On les entendait 1 donner au diable la folie qui avait entraîné leur intelligence, déplorer le temps qu'ils avaient inutilement usé à traiter ces vaines bagatelles. Bien souvent, » poursuit Louis Vives, «j'ai entendu mes anciens maîtres, Dullaert et Gaspard Lax, se plaindre avec une pro- fonde douleur d'avoir gaspillé un si grand nombre d'années en des études aussi futiles et aussi creuses. » Les maîtres parisiens ne s'attardaient pas tous, comme Dullaert ou Lax, à pleurer le temps et la peine qu'ils avaient donnés aux épineuses discussions de la Logique et de la Physique; résolument ils se détournaient de ces anciennes méthodes pour courir avec ardeur dans les voies nouvelles; dédaigneux des connaissances péniblement acquises et minu- tieusement analysées par les docteurs du Moyen Age, leurs prédécesseurs, ils regardaient comme impur tout savoir qui n'était pas puisé à la source même et refusaient de s'en abreuver; écartant la foule des commentateurs, ils voulaient que la Métaphysique leur fût immédiatement enseignée par Platon et par Aristote; faisant table rase de toute la Théologie scolastique, ils entendaient éclairer leur foi par la seule étude des Saintes Lettres; en tout ordre de choses, ils souhaitaient de séduire l'imagination et émouvoir le cœur bien plutôt que de convaincre la raison. Depuis longtemps, un tel mouvement avait commencé de se produire, détournant de la Scolastique nominaliste certains maîtres de F Université de Paris; dès le début du xv e siècle, nous trouvons, à la tête de ce mouvement, les deux personnages les plus considérables de cette Université, le cardinal Pierre d'Ailly et le chancelier Jean Gerson. L'un et l'autre s'indignent de voir les Théologiens délaisser l'étude de l'Écriture, véritable fondement de leur science, pour ne plus chercher en celle-ci qu'un prétexte à discussions purement profanes. Pierre d'Ailly ne reproche pas seulement à ces « Pseudo- I. Louis Vives, loc. cit., p. a84. LA TRADITION DE BURIDAJ! ET LA. SCIENCE ITALIENNE Al I \ i llECLE 17.') pasteurs »>' lom" peu (\r goût pour L'étude de la science sacn mais encore leurs habitudes d'intempérance; et l«' s officiels Livres des procureurs des diverses nations semblent bien prouver qu'en ce point, les reproches de l'évoque de Cambrai, si brutale qu'en fût la forme, portaient juste : Tour ces Pseudo pasteurs, dit 11, « plus d'étude de la Sainte Écriture, plus d'entretien sur la divine sagesse; ils s'occupent uniquement de la sagesse de ce monde, qui est folie aux yeux de Dieu. Et en effet, s'il leur arrivait par hasard, à Paris, de murmurer quelques mots touchant la Sainte Ecriture, ils ne le faisaient qu'en face des plats et entre les pots, dans les dîners et les banquets; ce n'étaient plus pensers d'esprit à jeun, mais éructations de ventre gavé. ...0 quelles viles disputes sur toutes sortes de questions! quel inutile conflit d'arguments! Là, plus souvent que de juste, la question puait le vin et la solution était gonflée de venin. On y blasphémait, on y condamnait les sentences les mieux prouvées. » Dune manière plus précise, Jean Gerson blâme l'envahis- sement de la Théologie par les infinies subtilités de la Logique des Modernes, et ses reproches sont exactement ceux qu'en leurs doléances, les élèves de Jean Majoris reprendront un siècle plus tard : « Pourquoi, » disait, en ses leçons sur Saint Marc 2 , le Chan- celier de l'Université de Paris, h pourquoi les théologiens de notre temps sont-ils traités de sophistes verbeux, à l'ima- gination déréglée? Uniquement pour la cause que voici : Ce qui serait utile et intelligible, étant donnée la qualité de leurs auditeurs, ils le laissent de côté pour s'adonner à la pure Logique ou à la pure Métaphysique, voire même à la Mathématique; alors, en un temps et en un lieu où cela n'a que faire, tantôt ils traitent de l'intensité des formes, tantôt de la division du continu; aujourd'hui ils exposent des sophismes que voilent à peine des termes théologiques ; i. Domini Pétri de Alliaco Invectiva contra Psendo-pastores, écrit inédit cité par Launoy (Joannis Launoii Constantiensis, Paris. Theologi, De varia Aristotelis in Academia Parisiensi fortuna, tertia editio, Lutetiae Parisiorum, apud Edmundum Marti nu m, MDCLXH, pp. 97-98). a. Cité par Launoy (Launoii, Op. laud.> éd. cit., pp. 98-99). 176 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI demain, ils distingueront, dans les choses divines, des priorités, des mesures, des durées, des instants, des signes de nature et autres semblables notions. Quand même tout cela serait vrai et solide, ce qui n'est point, cela ne servirait le plus souvent qu'à bouleverser l'esprit des auditeurs ou à exciter leur rire, et non point à édifier leur foi avec rectitude. » Pierre d'Ailly et Jean Gerson accusent la Logique nomi- naliste de nuire à l'étude des Saintes Lettres ; qu'à ce reproche vienne s'en joindre un autre, celui de fausser le sens des philosophes antiques, et l'Humanisme chrétien aura formulé tout son programme. Dès la fin du xv c siècle, les Humanistes chrétiens compo- saient, à l'Université de Paris, un parti puissant dont Jacques Lefèvrc d'Étaples peut être regardé comme le chef 1 . Parmi les écrits de Lefèvre d'Étaples, il en est peu qui aient été aussi goûtés que ses Paraphrases des écrits philosophiques d'Aristote ! . Habitués à ne connaître la pensée du Philosophe qu'au travers des commentaires, des gloses, des questions que les Grecs, les Arabes et les maîtres de l'École latine avaient multipliés à profusion, les lecteurs de Lefèvre s'imaginaient que la doctrine du Stagirite venait d'être découverte et leur était révélée pour la première fois. Ecqutc Stagirites cœcis occlusa latebris Abdiderat, clarum simt habitura dicm écrivait Jossc Glichtove de Nieuport, docteur en Sorbonne, dans la pièce de vers dont il accompagnait les Paraphrases de 1. Sur Lefèvre d'Étaples, humaniste chrétien, voir P. Imbart de la Tour, Les Origines de la Réforme, t. II, ch. I. 2. Jacobi Fabri Stapulensis In ArisloLelis octo Physicos libros Paraphrasis. Colophon : Impressum Parisiis Anno domini millésime- quingentesimo nonagesimo secundo (Per Jobanncm Iligman). — In hoc opère conlinenlur iotius phylosophix naturalis para- phrases : hoc ordine digestx. Introductio in libros Physicorum. Octo Physicorum Aristo- lelis: paraphrasis. Quatuor de Cœlo et Mundo complctorum : paraphrasis. Dtiorum de Generatione et corruptione : paraphrasis. Quatuor Meteorum complctorum : paraphrasis. Introductio in libros de Anima. Trium de Anima completorum : paraphrasis. Libri de Sensu et Sensato : paraphrasis. Libri de Sommo et Vigilia : paraphrasis. Libri de Longi- tudinc et Brevilate vitœ : paraphrasis. Dialogi insuper ad Physicorum, tum facilium turn difficilium intelligentiam introduclorii : duo. Introductio Metaphysica. Dialogi quatuor, ad Metaphysicorum intelligentiam introduclorii. Impressum in aima Parrhisiorum acha- demia per Ilcnricum Stephanum in vico clausi brunclli cregionc Scbole decretorum. Anno Ghristi piissimi Salvatoris, entis entium, summique boni. i5ia. Pridie Kalen- das Fcbruarii. LA TRADITION DE BURIDAN BT LA SCIENCE H ILIBIflfE M' wi 8IBC1 B 177 son maître. Dans une lettre écrite à Paris et datée de l5o4j qui accompagne certaines éditions de cet ouvrage, Mariua Acquicolus d'Oliveto disait au cardinal François Soderino, évêque de Yolterra : « Désormais, garde qui voudra ses Tlié- mislius, ses Alexandre, ses Siinplicius ; Marins se contenter;! de son cher Lefèvre. » Ces propos ne sont nullement flagor- neries de flatteurs; ils peignent avec fidélité l'accueil enthou- siaste qu'a reçu l'écrit de l'humaniste d'Etaples. Or, lorsque nous parcourons la Paraphrasls libri Physicorum, nous ne pouvons nous empêcher de trouver singulièrement insipide cet exposé limpide, mais incolore, du grand traité d'Aristote. Certes, les Commentaires et les Questions des Burley, des Ockam, des Buridan, des Albert de Saxe n'avaient point cette simplicité ; la pensée d'Aristote y était souvent comme enfouie sous la luxuriante végétation à laquelle elle avait donné nais- sance; mais c'est précisément par cette poussée scolastique que la philosophie péripatéticienne devait être féconde; ces branches touffues nortaient les fruits dont la science moderne devait un jour exprimer le suc. Pour dégager la souche et la manifester aux yeux de tous, l'humanisme de Lefèvre d'Étaples a brutalement arraché cette ramure embroussaillée qu'il prenait pour ronces parasites; sur le sol déblayé, il ne nous montre plus qu'un tronc desséché. Lefèvre d'Étaples avait pour disciple préféré Josse Clichtove 1 . Né à Nieuport (Flandre occidentale) en 1472, docteur en Sor- bonne, puis chanoine de Chartres, Clichtove mourut en i543. Contemporain de Jean Majoris, il se trouva souvent aux côtés de celui-ci dans les discussions théologiques; mais, en général, en de telles disputes, Clichtove et Majoris ne tenaient pas pour le même parti; le théologien écossais défendait, nous l'avons vu, les antiques méthodes de la Scolastique parisienne; il ne cédait que pied à pied, et de mauvaise grâce, aux exi- gences de l'Humanisme; le théologien flamand, au contraire, s'était élancé avec ardeur dans la voie que Lefèvre d'Étaples lui avait ouverte. 1. J.-Al. Clerval, De Judoci Clichtovei Neoporluensis doctoris theologi Parisiensis et Carnotensis canonici vita et operibus (i472-i5A3). Thèse de Paris, 189/j. P. DUHEM. 12 I78 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Glichtove avait enrichi de Scholies les Paraphrases péripaté- ticiennes de son maître; ainsi complétées, ces Paraphrases eurent une vogue extraordinaire 1 . Or, au début de la Paraphrasls libri Physicorum, Glichtove avait mis une préface; en cette préface, l'auteur jugeait et condamnait les discussions d'une si pointilleuse logique auxquelles, jusqu'alors, la Physique donnait lieu dans les écoles de Paris ; à l'égard de ces discussions, il s'exprimait en termes moins violents, mais aussi sévères que ceux dont usait Louis Vives. a A dessein, disait Glichtove, je me suis montré sobre lors- qu'il s'agissait de discuter des questions à la façon des modernes, de secouer à tout vent des arguties contraires aux preuves éprouvées de la Philosophie ; ces choses-là n'engen- drent pas la véritable science; elles engendrent plutôt un bavardage futile, un importun caquet qui abhorrent la tran- quille et modeste Philosophie et s'en éloignent; en commen- tant toutes ces petites raisons qui luttent contre la vérité des sciences, on ne conduit nullement l'esprit à embrasser ces sciences en leur certitude et en leur sincérité ; on l'en détourne plutôt, on le fait tomber en des discussions captieuses et sophistiques qui n'ont aucun commerce avec la véritable doc- trine; imbus de ces discussions, les esprits des adolescents, alors qu'ils devaient être poussés à recueillir le fruit mûr des sciences, se dessèchent entièrement et produisent en vain des herbes stériles. . . En ces scholies que nous avons jointes [à la Paraphrase de Lefèvre d'Étaples], nous résolvons parfois, il est vrai, des questions que pose la matière même du sujet et qui méritent d'être agitées; mais nous ne les résolvons pas de cette façon barbare, rebutante et grossière que l'on voit employer de nos jours lorsque l'on veut examiner ces questions dans l'enseignement. » 1. Totius philosophiez naturalis Paraphrases, adjecto ad litteram familiari commen* tario declarato. Selon M. l'abbé Clerval (Op. cit., p. i5), les éditions complètes, conte- nant la Paraphrasis libri Physicorum, sont les suivantes : Parisiis, W. Hopylius, i5oa; H. Stephanus, i5io et 1612; Simon Colinaeus, i5ai et i53i; Pet. Vidoue, i533; Joh. Parvus, i53(j. — Parisiis et Gadomi, Fr. Regnault et Pet. Vidove, i5a5. — Friburgi Brisgoite, Fab. Emmeus, i5/jo. — Lipsiai, Jac. Thanner, 1006. — Cracoviu.', J. Hallcr, i5io; Hier. Victor, i5i8; J. Haller, i5a2. iv i K umiion m: m iui>\\ i;i LA SCIENCE ITALIENNE AI \vi BIECL1 i '» \insi, drs le début u des Vives n'étaient guère propres à retenir Longtemps la faveur ) et 37/» (marquée 373). LA THADITIOH DE BURIDAN BT LA SCIENCE ITALIENNE AU xvi mi.ci.i-. [85 plicillS est plus solide et fournil plus aisément I « i solution (Je tous Les doutes qui peuvent naître à propos de cette question. Vicomercati a rejeté avec la plus sommaire désinvolture la théorie du mouvement des projectiles que soutenaient les Parisiens. L'explication de la chute accélérée; des graves, pro- posée par Jean Buridan, est encore moins favorisée; Vico- mercati n'en parle même pas. Contarini avait fait à cette explication une courte allusion suivie d'une non moins brève réfutation; Vicomercati biffe cette allusion et cette réfutation; cela fait, il reproduit «, à peu près textuellement, ce qu'avait dit le Cardinal; il déclare admettre les deux causes « qui ont été approuvées, en son livre De démentis, par le Cardinal Contarini, cet homme qu'ont paré les sciences et une foule de vertus, ce philosophe doué d'un grand jugement et d'une science profonde. Cependant, » poursuit Vicomercati, « de ces deux explications, j'approuve surtout la première, bien que Contarini soutienne de préférence la seconde. Sans doute, à mon avis, celle-ci est de quelque poids, mais elle en a beaucoup moins que la première. » C'est donc à la diminution d'épaisseur du milieu que le grave doit traverser que Vicomercati attribue le principal rôle en l'accélération de la chute des graves; l'impulsion produite à l'arrière du projectile par l'air qui s'y précipite en tourbillons lui paraît être d'un effet plus douteux ; de deux explications inadmissibles, il s'empresse de choisir la plus sotte. Gaspard Contarini, Francesco Vicomercati sont des esprits particulièrement routiniers; les seuls enseignements dont leur Dynamique consente à tenir compte sont ceux d'Alexandre, de Simplicius et d'Averroès. Entre ces physiciens retardataires et ceux qui admettent les doctrines plus modernes de l'École parisienne, il en est qui suivent un moyen terme; ils imitent l'éclectisme assez étrange et peu rationnel dont Léonard de Vinci a donné l'exemple ; ils attribuent à un impetus impressus la continuation du mouvement des projectiles; mais à l'action de l'air ébranlé, ils demandent d'expliquer toutes les accéléra- tions, non seulement l'accélération que l'on observe réellement i, Vicomercati, loc. cit.; éd. cit., pp. 367-368. l86 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI en la chute des graves, mais encore et surtout l'accélération imaginaire qu'un projectile éprouverait au début de sa course. Entre la pensée de ces physiciens et celle de Léonard la ressem- blance est si grande qu'il est permis de voir en celle-là un écho de celle-ci; cette supposition est, d'ailleurs, d'autant plus vraisemblable que le premier des géomètres qui aient suivi, en cette question, les traces du Vinci est Tartaglia, un bandit des Mathématiques 1 ; que le second est Jérôme Cardan, dont le De subtilitate est nourri d'emprunts clandestins 2 faits à l'ami de Fazio Cardano. En la Dynamique de Nicolo Tartaglia, on peut distinguer deux phases : l'une correspond à l'exposé que l'auteur a donné, en i537, au cours de sa Nova scientia; l'autre à ce qu'il enseigne, en i5/i6, en ses Qaesiti et inventioni diverse; à neuf ans de distance, le géomètre de Brescia se contredit à peu près sur tous les points. La première Dynamique de Tartaglia, celle de la Nova scientia^, est purement péripatéticienne; on n'y perçoit aucun reflet des doctrines de Léonard de Vinci. De ce que le choc d'un corps est d'autant plus violent que le corps tombe de plus haut, Tartaglia conclut cette propo- sition k : « Si an corps également grave se méat de mouvement naturel, plus il va s' éloignant de son principe ou Rapprochant de sa fin, plus il va vite. » Au sujet de cette accélération, Tartaglia ne donne point d'explication autre que celle-ci : « La môme chose se vérifie pour quiconque va vers un lieu désiré; plus il va, approchant de ce lieu, plus il se presse et s'efforce de cheminer; comme il paraît en un pèlerin, qui vient d'un lieu lointain : plus il est proche de son pays, plus il s'efforce de cheminer de toute sa puissance, et cela d'autant plus qu'il vient d'un pays plus lointain; ainsi fait le corps grave; il se hâte i. P. Duhem, Les Origines de la Statique, ch. IX, t. I, pp. 194-202. 2. Léonard de Vinci, Cardan et Bernard Palissy (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, VI; seconde série, pp. 223-245). 3. Nova scientia inventa da Nicolo Tartalea. Vinegia, Steph. da Sabio, MDXXXVII. 4. Nicolo Tartaglia, La nova scientia, primo libro, propositione prima. — 11 appelle corps également grave celui qui, en raison de la gravité de sa matière et de sa ligure, n'est apte à éprouver, d'une façon sensible, l'opposition de l'air à aucun de ses mou- vements (déf. 1). i.v TRADITION DE BUHIDAN ET r.A SCIENCE ITALIENNE il IW s " ' LE 187 (!<' même vers s loc. cit.; éd. cit., fol. 33, recto. LA TRADITION m BURlDAtt ET LA SCIENCE ITALIENNE au xvi su -i i. 196 ment afin qu'elle jouisse le plus vite possible de L'immobilité au sein des corps <|ui lui sont apparentés. » Tartaglia et Cardan sont vraiment, en Dynamique, disciples de Léonard de Vinci; Tclesio se rapproche du grand peintre en ce qu'il attribue à un impetus imprimé au projectile la conti- nuation du mouvement de celui-ci, tandis qu'il n'invoque pas cet impetus pour expliquer l'accélération de la chute des graves. Les physiciens qui acce[)taient, à ce sujet, la doctrine des Parisiens, étaient assurément fort rares, en Italie, au déhut du xvi' siècle. Il serait peut-être téméraire de prendre pour une adhésion formelle à cette doctrine l'allusion que fait Maurolycus à Y impetus créé par le poids. En sa Cosmographia, qu'il acheva le 21 octobre i535, mais qu'il publia seulement en i543, le savant abbé de Messine insère le dialogue suivant 1 : « Antimaque : Si les graves disposaient d'un chemin qui leur permît d'accéder au centre, de quelque endroit qu'on les laissât tomber, ils concourraient en ce point. » Nigomède : Sans doute, mais je vais vous éprouver à l'aide de cette question : Faites que la terre soit percée de part en part, comme pourrait l'être une boule de bois, d'un trou passant par le centre; dans ce trou, laissez tomber une lourde pierre; jusqu'où pensez- vous qu'elle ira ? » Antimaque : Ne sera-ce point au centre ? » Nicomède : C'est précisément ce que dirait un homme qui ne connaîtrait pas à fond cette matière. Mais sachez que cette pierre, ainsi abandonnée à elle-même, ne s'arrêterait pas tout d'abord au centre. Emportée par Y impetus du poids, elle dépasserait le centre d'une certaine longueur et monterait vers l'hémisphère opposé; elle retomberait alors et, de nouveau, dépasserait le centre, remontant au delà d'une longueur moindre que la précédente; elle irait et reviendrait ainsi, sui- 1. Cosmographia Francisci Maurolyci Messanensis Siculi, In très dialogos distincta : in quibus de forma, situ, numeroque tam cœlorum quam elementorum, aiiisque rébus ad astronornica rudimenta spectantibus satis disseritur. Ad Reverendiss . Cardinalem Bembum. Venetiis MDXXXXIII. In fine : Completum opus Messanae in freto siculo die Jovis XXI Octobris Vllll indictionis anno salutis MDXXXV. quo die Carolus V Cresar ab africana expeditione reversus Messanam venit. Venetiis apud haeredes Luca?' antonii luntae Florentini mense lanuario MDXL1II. Dialog. I, pp. i5-iG. 196 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI vant un trajet qui décroîtrait sans cesse, tandis que ïimpetus s'affaiblirait peu à peu, jusqu'au moment où elle se reposerait au centre. De même, un plomb suspendu par un fil que Ton a écarté de la position verticale ne revient pas immédiatement à cette position; il la dépasse, tout d'abord, d'un certain écart, puis il va et revient un certain nombre de fois; chaque fois, la force qui le meut est plus faible et l'écart plus petit; il finit par demeurer en repos dans la position verticale. » Antimaque : Vous avez raisonné d'une manière très péné- trante et vous appuyez votre spéculation d'un exemple fort bien adapté. Je me souviens maintenant qu'en ses Colloques, Érasme de Rotterdam propose la même question. » Maurolycus se souvenait, sans doute, d'avoir lu cette ques- tion en un autre écrit que les Colloquia d'Érasme. Le dialogue où il nous la présente est tout rempli de considérations sur le centre de gravité de la terre et sur la convergence des verticales qui sont empruntées au De Cœlo d'Albert de Saxe. Mais si un érudit italien pouvait sans honte, en i535, faire allusion aux écrits de Didier Érasme, eût-il pu, sans rougir, avouer qu'il demandait ses inspirations à un traité composé, au xiv e siècle, par un scolastique de Paris? L'année qui vit imprimer la Cosmog raphia de Maurolycus vit également paraître l'immortel traité de Copernic. Il est piquant de remarquer que ce traité renfermait lui aussi une brève allusion à Yimpetas engendré par le poids : « Les corps qui sont mus vers le haut ou vers le bas, » écrit le chanoine de Thorn 1 , « n'accomplissent pas un mouvement simple, uniforme et égal. En eux, en effet, on ne peut régler la légèreté ou ïimpetus causé par leur propre poids. Tous les corps qui tombent éprouvent, au début, un mouvement très lent; puis, en tom- bant, ils accroissent leur vitesse. » Les allusions à ïimpetus ponderis que nous avons trouvées en la Cosmographia de Maurolycus, sans impliquer une adhésion formelle et complète à la doctrine parisienne de la chute accé- lérée des graves, nous montrent toutefois que cette doctrine n'était pas inconnue de l'Abbé de Messine. i. Nicolai Gopernici De revolutionibus orbium cœlestium libri VI ; lib. I, cap. VIII. LA TRADITION Dl BURIDAH BT I ^ SCIENCE ITALIENNE ai \\i SIÈCLE lûn Aiessandro Piccolomini, en s;i Paraphrase aux Questions mécaniques d'Aristote, dont La première édition esl de I547S admet nettement cette théorie de Buridan ei d'Albert de Saxe. Aristote ou L'auteur, quel qu'il soit, des MYj%«vtxi -. wr ;y x avait déjà comparé', en un corps qui tombe, La gravité (jâapoç) et le mouvement (©cpà ou kévyjwç); très vaguement d'ailleurs, il avait paru indiquer que le mouvement peut s'ajouter au poids et l'accroître; ce sont ces pensées llottantes et indécises que Piccolomini, en sa Paraphrase, interprète à l'aide de la doctrine parisienne; cette doctrine, d'ailleurs, il se garde bien d'en nommer les auteurs; à la façon dont elle est présentée par lui, on la croirait issue de la Science hellène. Cette doctrine il l'expose, en même temps que toute sa théorie du mouvement violent, dans son XXXVII e Chapitre, consacré à l'examen de la trente-deuxième question d'Aristote. « Il faut remarquer, » écrit Piccolomini, « qu'il y a deux sortes de pesanteurs : l'une qui a sa source dans la nature même du corps; l'autre, superficielle, que les Grecs nomment ImiroXatav. Celle-ci n'est point autre chose qu'un certain impetus non permanent qui peut, ou bien s'acquérir dans le corps même mû par sa propre tendance (qui vel acquiritur in re ipsa ex suo nutu mota), ou bien être imprimé par un moteur mou- vant violemment. » En effet, lorsqu'une pierre tend vers le bas, elle devient sans cesse plus rapide, parce que sans cesse, par suite du mouvement, elle acquiert une plus grande pesanteur (j'entends parler de la pesanteur superficielle)... » De même, lorsqu'une pierre est projetée violemment, elle reçoit une certaine gravité ou une certaine légèreté superfi- cielle imprimée par ce qui la projette. Ce n'est pas autre chose qu'un impetus accidentellement acquis, qui meut la pierre violemment et qui la rend comme mobile d'elle-même, jusqu'à ce que cet impetus vienne à s'alanguir et à s'évanouir... » Pas plus pour Piccolomini que pour Léonard de Vinci, i. Alexandri Piccolominei In mechanicas quaestiones Aristotelis paraphrasis paulo quidem plenior, ad Nicholaum Ardinghellum Cardinalem amplissimum. Excussum Romac, apud Antonium Bladum Asulanum, MDXLV1I. a, Aristote, M*)xavixà upop)>^p.aTa, XVIII et XX (éd, Didot, t. IV, pp. 64 et 65). ig8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Yimpetus n'est, de soi, perpétuel : « Cette pesanteur ou légèreté superficielle ne saurait devenir durable ni parfaite, car la forme substantielle du corps qui la subit, à savoir, la pesanteur ou légèreté qui est naturelle à ce corps, s'oppose à ce qu'elle s'im- prime parfaitement et profondément. » Ce qui affaiblit Yimpetus et finit par le tuer, ce n'est pas seulement la résistance des obstacles extérieurs, c'est la gravité naturelle : « La vertu impulsive prend fin, ce qui peut arriver soit par la résistance de quelque objet qui repousse le mobile, soit par la tendance du mobile lui-même, effort qui résulte de sa propre nature et qui devient plus puissant que cette gravité ou légèreté superficielle. « Aussitôt que la véritable pesanteur surpasse, par la puis- sance de son effort, Yimpetus que le moteur a imprimé dans la pierre, celle-ci cesse de se mouvoir violemment et, par son mouvement propre, elle tend en bas 1 . » La Dynamique des Parisiens , presque universellement ignorée des Italiens, va se rappeler à leur attention sous une forme qui ne sera exempte ni de violence, ni d'amertume; c'est un Italien émigré en France, Jules-César Scaliger, qui en sera le porte-parole; par la voix de Scaliger, elle opposera ses théo- ries nettes et cohérentes aux indécisions et aux contradictions de Cardan. En i557, Jules -César Scaliger publie 2 , du De Subtititate de Cardan, qui trouvait en France une vogue extrême et que Richard Le Blanc venait de traduire en français, une critique des plus vives ; cette critique, que Scaliger donne comme for- mant le XV e livre de ses Exotericx exercitaiiones, est intitulée : De Subtititate ad Hieronymum Cardanum. Comme l'ouvrage dont il donnait la plus malveillante des critiques, l'écrit de Jules- César Scaliger fut extrêmement lu 3 . Scaliger est un admirateur fanatique des maîtres de l'Ecole 1. Piccolomini, loc. cit.; cf.: cap. XXXVIII, quaest. trigesimatertia. a. Julii Cœsaris Scaligeri Exotericarum exercitationum liber XV. De Subtilitate ad Hieronymum Cardanum. Lutetiae, apud Vascosanum, MDLVII. 3. Outre la première édition : Lutotia^, apud Vascosanum, i557, nous avons eu entre les mains les éditions suivantes : Francofurti, apud A. VVechelum, 1G01 ; Fran- cofurti, apud A. Wechelum, 1612; Lugduni, apud A. de Harsy, 161 5. LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIBNCl iimiinm m wi SIECLE 19g parisienne; un»' citation nous donnera la mesure de cette admiration extraordinaire. Au \\ I livre De lù Scaliger marque clairement, au sujet du mouvement accéléré qu'engendre un moteur constant, l'idée que Piccolomini avait seulement l'ait entrevoir à son lecteur: « Les corps pesants, une pierre par exemple, n'ont rien qui favorise la mise en mouvement; ils y sont, au contraire, tout à fait opposés. La pierre que l'on met en mouvement sur un plan horizontal ne se meut pas de mouvement naturel... Pourquoi donc la pierre se meut-elle plus aisément après que le mouvement a commencé? Parce que, conformément à ce que nous avons dit ci-dessus au sujet du mouvement des pro- jectiles, la pierre a déjà reçu l'impression du mouvement. A une première part du mouvement en succède une seconde; et, toutefois, la première demeure. En sorte que, bien qu'un seul moteur exerce son action, les mouvements qu'il imprime en cette succession continue sont multiples. Car la première impul- sion est gardée par la seconde, et la seconde par la troisième. » Bien que Scaliger ait fort clairement exposé la théorie pari- sienne de la chute accélérée des graves, il s'en faut qu'il soit parvenu à la faire communément recevoir en Italie ; il n'a même pas pu convaincre Cardan. Lorsqu'en i56o, Cardan publie la troisième édition de son De Subtilitate$, il y joint une Apologie contre un calomniateur^, apologie destinée à répondre aux critiques de Scaliger. i. Julii Caesaris Scaligeri Op. cit., exercitatio LXXVI : Quare sidéra motu non frapguntur. Quare non fatigant motores suos. ■i. Julii CsBsaris Scaligeri Op. cit., exercitatio LXXVI1 : Quamobrem mota rota i'acilius moveatur postea. 3. Hieronymi Gardani Mediolanensis medici de Subtilitate libri XXI. Ab authorc plusquam mille locis illustrati, nonnullis etiam cum additionibus. Addita insuper Apologia advenus calumniatorem, qua vis horum librorum aperitur. Basileae. In fine : Basilea?, ex ofïicina Petrina, anno MDLX. Mense Martio. '». Hieronymi Gardani Mediolanensis medici In calumniatorem librorum de Subtili- tate actio prima ad Francisçum Ahundium, S, Abundii Commendatarium perpetuum. Éd. cit., pp. 13 05 seqtj. 202 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI La riposte n'est pas moins vive que l'attaque. Pour affubler Scaliger d'un costume qui soit particulièrement déshonoré aux yeux des Humanistes italiens, Cardan habille son contradicteur non pas en Parisien, mais en Averroïste 1 . « Que direz-vous de son jugement?» s'écrie-t-il. «Toutes les fois qu'il veut disputer de la Philosophie naturelle, il s'appuie aux principes et à l'auto- rité d'Aristote et d'Averroès ; or, ceux-ci prouvent l'éternité du Monde, supposition qui enlève au Christ sa divinité et, à tous, l'espoir d'une juste rémunération des bonnes et des mauvaises actions. Et après cela, il ose m'accuser d'impiété ! » Si Cardan accuse Scaliger d'un attachement trop opiniâtre à l'avis d'Aristote et d'Averroès, il se refuse à partager, envers les maîtres de l'École nominaliste, la fervente admiration de son contradicteur 2 : « Quel souci un âne peut-il avoir dune lyre, et pourquoi vanter la marjolaine à des pourceaux? Il admire l'extrême subtilité d'Ockam et d'Hentisber 3 ; ils les place plus haut que le faîte de l'humanité. Sans doute, ils ont écrit sur tout d'une manière ingénieuse et claire; mais en eux, l'invention est nulle; niez-leur une seule proposition, quinze pages vont vous écraser. Mais comme ces auteurs sont fort bien accommodés aux disputes des écoles, il sourit à cela et le comble d'éloges. Il est clair qu'il ne les comprend pas; mais il loue pour se donner l'air de comprendre. » Encore qu'il ne partage pas l'avis d'Aristote au sujet du mouvement des projectiles, Cardan n'épargne pas ses sarcasmes à l'expérience par laquelle Scaliger a prétendu réfuter cette théorie 4 : « Si soigneusement que cette roue ait été exécutée, il ne voit pas, tant il est stupide, que la manivelle est entraînée par l'air en un mouvement de rotation et, avec la manivelle, la roue elle-même... Il eût mieux fait de la faire tourner sans l'aide de manivelle, avec le doigt qu'il eût soudainement retiré. » Quant à l'explication du mouvement accéléré que prend une i. Hieronymi Cardani Apologia; éd. cit., p. 1268. 2. Hieronymi Cardani Apologia, art. 32&; éd. cit., p. 1412. 3. C'est-à-dire de Guillaume d'Heytesbury, dont Scaliger n'a point parlé. /j. Hieronymi Cardani Apologia, art. 29; édit. cit., p. i3o/i. LA TRADITION DE BU RIDAIS 1:1 LA SCIENCE ITALIBNNB il] IVÏ SIECLE ">•> meule soumise à une action constante, explication < i n laquelle Scaliger n'a fait que suivie L'enseignement de Paris, voici ce qu'en pense Cardan 1 : « Il se trompe du tout au tout; ce n'esl pas seulement celle roue, mais tout mobile, «pii se meut avec plus de facilité et de rapidité lorsqu'il a déjà pris une certaine vitesse, et cela, comme nous l'avons enseigné au second livre, parce que l'air du premier mouvement vient en aide au mouve- ment suivant. » Aussi, en 1570, en son Opus novum de proporlio/ilbus, Cardan persistait-il, nous l'avons vu, à expliquer l'accélération de la chute des graves par l'impulsion de l'air ébranlé. Si Scaliger n'a pas converti Cardan, il n'a pas convaincu davantage Bento Pereira d'embrasser la Dynamique parisienne. Né à Valence en i535, Bento Pereira' entra de bonne heure dans la Compagnie de Jésus; il vint alors à Rome où s'écoula son existence et où il mourut le 6 mars 16 10. C'est à Rome que Bento Pereira publia, en i562, la première édition de ses quinze livres sur la Physique 3 . Cet ouvrage eut une très grande vogue ; de nombreuses éditions le répandirent en tous lieux^; Galilée, qui l'avait étudié dans sa jeunesse, le cite en ses premiers écrits 5 . Bento Pereira consacre tout un chapitre 6 de son ouvrage à exposer les diverses explications du mouvement violent des projectiles; parmi ces explications, il n'a garde d'oublier celle que soutenait l'École parisienne. « Certains philosophes, » dit-il, « qui ne sont ni peu nombreux, ni des moindres, mais nobles entre les premiers, soutiennent ceci : Lorsqu'une pierre est jetée, par la force et l'impulsion qui la lancent, celui qui la 1. Hieronymi Gardani Apologia, art. 77; éd. cit., p. 1020. 2. Nouvelle Biographie générale publiée par Firmia Didot frères, t. XXXIX, p. 571, 1862. 3. Benedicti Pererii, societatis Jesu, De communibus omnium rerum naturalium prin- cipiis et ajjectionibus libri quindecim, qui plurimum conferunt, adeos octo libros Aristotelis, qui de Physico auditu inscribuntur, intellig endos ; Pioma% impensis Venturini Tramezini, apud Franciscum Zanettum et Bartholomœum Tosium, MDLXII. k. Outre la première édition, nous avons relevé les suivantes: Roma>, 1076; Parisiis, 1579; Romœ, i585; Venetiis, 1609. 5. Le opère di Galileo Galilei ristampate fedelmente sopra la edizione nationale, vol. I, Juvenilia; Firenze, 1890; pp. 2/i, 35, i/|5, 3i8, &11. 6. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. IV : De caussa motus violenti eorum qui projiciuntur. 204 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI met en mouvement imprime en elle une certaine vertu motrice qui demeure inhérente à cette pierre et qui continue à la mouvoir après qu'elle s'est séparée de celui qui l'a pro- jetée. » Notre auteur fait connaître les principaux arguments dont se prévaut cette opinion et, à cette occasion, il cite les Exercilationes de Scaliger. Mais, tout aussitôt, un nouveau et long chapitre vient réfuter 1 cette théorie et sauver l'opinion péripatéticienne. L'explication parisienne de la chute accélérée des graves est moins heureuse que la théorie de Yimpetus; Bento Pereira ne l'honore même pas d'une mention. Au sujet de cette chute accélérée, notre auteur expose avec beaucoup de soin 3 les diverses hypothèses antiques que Simplicius nous a conservées; il y joint la supposition qui attribue cette accélération à l'impulsion de l'air ébranlé à l'arrière du projectile, supposition au sujet de laquelle il cite Walter Burley et Gontarini. « Ce dernier avis, » ajoute-t-il, « me paraît être le plus probable. En premier lieu, les autres opinions se trouvent réfutées par des raisons manifestes et nécessaires, tandis qu'à l'encontre de celle-ci, on ne saurait même imaginer quelque argument probable. En second lieu, cette explication ne suppose rien qui ne s'accorde parfai- tement avec la raison et l'expérience, rien qui ne soit tiré de la nature même des choses. En cette opinion, plus qu'en toute autre, mon esprit se complaît, en celle-là seule il goûte un profond repos. » Bento Pereira est de l'École des Contarini et des Vicomer- cati ; en cette École, la Dynamique parisienne est tenue pour nulle et non avenue; ou bien, si l'on en tient quelque compte, c'est pour en réfuter les assertions. De cette École sont aussi Césalpin et Borro. En ses Quxstiones peripateticœ, dont la première édition parut à Florence en i56(), André Césalpin ne dit que quelques i. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. V: Refellitur opinio faciens caussam motus projectorum, virtutem quandam impressam projectis. a. Benedicti Pererii Op. cit., lib. XIV, cap. III : Tractatur secunda divisio motus in naturalem et violentum, LA TRADITION DE BURÏDAfl BT LA SCIENCE ITALIENNE ai; xvf mi ui |o5 mots 1 du mouvement des projectiles; m.iis ces quelques mots sont une adhésion formelle à la théorie d'Aristote . Girolamo Borro était d'Arezzo, comme Gésalpin. En 1676, il publia un traité assez volumineux consacré en entier .ni iiidii- veinent des graves 5 . \u début de ce traité, Borro donne la liste des « noms des anciens philosophes dont les Opinions sont, en ce livre, soit admises, soit réfutées. » Cinquante noms de sa^cs grecs ou latins, parmi lesquels on trouve même ceux d'Homère et d'Orphée, sont accompagnés des noms de quatre philosophes arahes: Algazcl (Al (Jazali), Avempace (Ibn Badja), Averroès et Avicenne ; mais pas un philosophe chrétien n'obtient même l'honneur d'une citation. Ce mépris, poussé jusqu'à l'oubli absolu, de la Science chrétienne occidentale, de ce colossal mouvement intellectuel 1. Andreae Gaesalpini Aretini medici clarissimi, atque philosophi subtilissimi peritissimique Peripateticarum Qusestionum libri quinque. Ad Potentissimum et fœlicis- simum Franciscum Medicen Florentiae Et Senarum Principem. Cum Privilegiis. Venetiis, Apud Iuntas. MDLXXI. Lib. IV, qurcst. I, fol. 70, recto et verso. — Nous n'avons pu consulter la première édition de cet ouvrage. 3. Nous avons vu Buridan admettre que Vimpetus d'un corps, mû avec une vitesse donnée, était proportionnel à la quantité de matière première de ce corps; cette pro- position, il la tirait de ce principe : Receptio omnium formarum et dispos itionum natura- lium est in materia et ratione materise. Nous avons cherché à montrer que la quantité de matière première considérée ici par Buridan était, du moins dans le cas des corps graves, le produit du volume par une quantité proportionnelle au poids spécifique, qu'elle était donc identique à la quantité de matière ou masse définie par Newton. Que telle soit bien l'idée attachée par les Scolastiques à ces mots : quantité de matière, nous en trouvons la preuve singulièrement nette en une question examinée par Césalpin (lib. IV, quaest. II; éd. cit., fol. 71, verso, à fol. 7/i, verso), question dont le titre est précisément: Omnem virtutis intensionem remissionemque ex mater iœ quantitate provenir e. « Une vertu,» dit Césalpin (fol. 72. recto), « n'est pas mesurée par le volume ou l'étendue de la masse, mais parla quantité de matière; celle-ci, en effet, étant par elle-même indéterminée, peut tantôt se reserrer en des bornes plus étroites, et tantôt s'étendre en un plus ample volume... Tous les corps qui se portent simple- ment vers le centre (fol. 74, verso), c'est-à-dire tous les corps qui sont simplement graves [ceux qui ne sont pas formés par la mixtion d'un ou plusieurs éléments graves avec un élément léger], tous ces corps, dis-je, sont plus graves les uns que les autres à cause de la quantité de matière qu'ils renferment; le plomb est plus lourd que la pierre parce qu'en ce plomb il y a plus de matière grave qu'en une pierre de même volume ; il est, en effet, plus dense. On peut comparer également entre eux des graves d'espèces différentes [des solides, des liquides, des gaz], de l'eau et de la terre par exemple, mais en un lieu, tel que l'air, où ils sont graves tous deux ; il est encore vrai que le plus grave est celui où se trouve le plus de matière. » Cette quantité de matière demeure, d'ailleurs, invariable en toutes les transfor- mations que les corps graves peuvent éprouver : « Si une poignée d'eau se transforme en dix poignées d'air, il y aura même vertu en dix volumes d'air qu'en un volume d'eau, car de part et d'autre il y aura une égale portion de matière » (fol. 7a, recto). 3. Hieronymus Borrius Arretinus De Motu Gravium, et Levium. Ad Franciscum Medicem Magnum Etrurias Ducem II. Florentiae, In Officina Georgii Marescotti. MDLXXVI. 2o6 ÉTUDES SUR LEONARD t>E VINCI qui a reçu le nom de Scolastique est la marque propre de l'Averroïsme italien. Que Borro soit un fervent averroïste, il l'affirme à chaque page de son écrit. Le nom d'Averroès s'y présente auréolé des épithètes les plus flatteuses. « Averroes, omni génère laudis abundans philosophus . . . J . » « Philosophas nunquam satis laudatus Averroes... 2 . » « Averroes divinissime pro- bavit...*.» Toute la doctrine de notre auteur peut se résumer en ces termes : Aristote est infaillible; Averroes est le défen- seur jaloux et autorisé de cette infaillibilité. D'ailleurs, ce résumé de sa pensée, c'est Borro lui-même qui nous le fournit 4 : « Averroes, qui in Aristotelem erroris notam, nec levissi- mam illam quidem, ab alio quovis inuri non patitur, sed eundem ab omni injuria nunquam non vindicat, ne in hac parte indefensus relinquatur. . ., ait. . . » Ce n'est pas en un tel écrit, assurément, que nous verrons triompher les doctrines dynamiques des Parisiens ; en fait, à ces doctrines Borro n'accorde même pas la plus légère allu- sion ; tout ce que les Nominalistes ont pu dire au sujet du mouvement des projectiles ou de la chute des graves n'existe aucunement pour lui; évidemment, il est convaincu qu'entre Averroes et lui, l'humanité a cessé de penser. Ce qui maintient le projectile en mouvement, c'est, bien entendu, pour Borro 5 comme pour Aristote, l'air dont l'ébran- lement se propage au-devant du mobile. Le physicien d'Arezzo ne paraît pas même se douter que cette absurde expli- cation ait été cent fois réfutée. L'ébranlement du milieu joue aussi son rôle en l'accélération du mouvement naturel 6 , Borro expose 7 les diverses expli- cations qui ont été proposées en vue de rendre compte de î. Girolamo Borro, Op. cit., p. 5i. i. Girolamo Borro, Op. cit., p. 184. 3. Girolamo Borro, Op. cit., Index, indication de la question traitée à la page iSlt. 4. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, cap. XXV : Demonstratio, quam Aristoteles libro septimo Physicorum literis consignavit, ad veritatis trutinam examinatur; p. 371. 5. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, cap. XIII : Quomodo elementorum motus a medio pendeat; pp. 234-235. 6. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, cap. XIII: Quomodo elementorum motus a medio pendeat. 7. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, capp. XIV, XV et XVI. LA TRADITION DE BURIDAN BT LA SCIENCE ITALIENNE au xvi' BIECLE ">; cette accélération; en cette exposition, cela % ; i «le soi, il n'est fait aucune allusion à La théorie des Parisiens; notre auteur résume en ces termes 1 L'opinion qu'il adopte : « La gravité ou la Légèreté des éléments est accrue par le plus grand nombre des parties du milieu qui se précipitent à lanière du mobile; par la moindre résistance du milieu à la lin du mouvement; par la plus forte impulsion de l'air qui suit le mobile; par la perfection que les corps graves ou légers acquièrent, d'autant plus complète qu'ils s'approchent davan- tage de leurs lieux naturels. L'accroissement que la gravité ou la légèreté reçoit vers la lin du mouvement accroît ce mouvement et le rend plus rapide. » Que l'on ait, plus de deux siècles après Jean Buridan et Albert de Saxe, écrit à Rome, à Florence, des livres comme ceux de Bento Pereira, d'André Gésalpin, de Girolamo Borro; que l'absurde théorie du mouvement des projectiles, proposée par Aristote, ait pu être regardée comme sauve de toutes les objections qui lui avaient été faites ; bien plus, qu'elle ait été traitée comme une doctrine incontestée et incontestable, c'est un fait bien digne d'arrêter l'attention; il donne la mesure de l'opiniâtre résistance que le Péripatétisme italien savait opposer à la pénétration de toute idée nouvelle. Cette même résistance, nous la constatons, d'ailleurs, chez des hommes de situations fort diverses : un Jésuite dont la doctrine religieuse est des plus orthodoxes; un médecin, professeur d'Université, qui donne fort dans le Panthéisme averroïste ; un philosophe, non moins grand admirateur d'Averroès, mais étranger aux Universités; un peu plus tôt, nous l'avions constatée à la fois chez un Vénitien, prince de l'Église, comme Gaspard Gontarini, et chez un humaniste milanais comme Vicomercati. L'état d'esprit qu'elle caractérise est assurément très général en l'Italie du xvi e siècle. En dépit de cette résistance, les principes que les Parisiens avaient donnés à l'étude de la Dynamique parvenaient quel- i. Girolamo Borro, Op. cit., pars III, cap. XVI: Quae sint verae Peripateticorum causae, propter quas ca, quœ natura moventur, velocius in fine, quam in principio moveantur ; p. 24^. 208 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI quefois à s'insinuer en la Science italienne; vers le milieu du xvi e siècle, nous les avons vus se glisser parmi les écrits d'Àlessandro Piccolomini; durant le dernier quart de ce même siècle, nous allons les retrouver dans l'œuvre de Bernardino Baldi, dans celle de Gianbattista Benedetti. C'est en i582 que Bernardino Baldi avait rédigé ses Exercices sur les Questions mécaniques (TAristote. Cet écrit fut imprimé seulement en 162 1, vingt-huit ans après la mort de l'auteur. Nous avons étudié autrefois les Exercilationes composées par l'abbé de Guastalla; nous y avons signalé 1 la marque particu- lièrement reconnaissable du Vinci; nous avons dit également 2 comment certaines idées que Baldi tenait de Léonard avaient attiré l'attention de Mersenne et provoqué Boberval et Descartes à d'importantes découvertes. Si Baldi dissimule l'influence qu'il a éprouvée de la part du Vinci, il avoue celle qu'Alessandro Piccolomini a exercée sur lui. C'est en une question 3 où se trouve citée avec éloge la Paraphrase de Piccolomini que nous lisons ce passage : « Les projectiles cessent de se mouvoir parce que l'impres- sion dont Yimpelus et la vertu les portent n'est point une pro- jection naturelle ; elle est purement accidentelle et violente ; or, rien de ce qui est accidentel et violent, rien de ce qui est non naturel, ne saurait être perpétuel. Cette impression accidentelle prend donc fin; tandis qu'elle cesse peu à peu, le mouvement du projectile s'alanguit et le corps parvient enfin au repos. » Baldi n'attribue pas seulement à ïimpetus la continuation du mouvement des projectiles; avec les Parisiens et avec Piccolomini, il attribue ^ l'accélération de la chute des graves à un continuel accroissement de cet impetus. 1. Léonard de Vinci et Bernardino Baldi (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, III ; première série, pp. 89, seqq.). 2. Bernardino Baldi, Boberval et Descartes (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, IV; première série, pp. 127, seqq.). 3. Bernardini Baldi Urbinatis Guastallae Abbatis In Mechanica Aristotelis proble- mata exercilationes : adjecta succincta narralione de autoris vita et scriptis. Moguntiae, Typis et Sumptibus Viduœ Joannis Albini. MDCXXI. Quajst. XXXII : Quaeritur hic, cur ea quae projiciuntur, cessent a latione? P. 279. 4- Bernardino Baldi, Op. cit., quaest. XXXI : Cur facilius moveatur commolum quam manens, veluti currus commotos citius agitant, quam moveri incipientes? Hoc quaeritur. Pp. ^78-279. LA TRADITION DE BURIDAII BT LA BC1BNCE ITALIENS! \i Vf] BIBCL1 '"><> « Par là se résout celle question < | n i est tenue, parmi i physiciens, pour très difficile : Pourquoi, dans le mouvement naturel, la vitesse est elle constamment accrue? [ci, en effet, c'est la nature qui meut; eoinine elle est inséparable du mobile, elle le presse continuellement, d'abord lentement, puis, pour la cause que nous axons dite, de plus en plus rapidement. Le mouvement donc est produit dans le mouve- ment même; et comme ce mouvement se trouve toujours accru à la fois par le moteur et par le mouvement, il progresse à l'infini. Personne, je pense, ne niera que la cause de cette accélération ne soit celle-là, à savoir que la puissance mou- vante meut le mobile alors que celui-ci est déjà en mouvement. En effet, le corps mû acquiert une certaine pesanteur acciden- telle; et comme cette pesanteur est accrue par le mouvement, elle rend ce mouvement plus facile et plus rapide. » Nous avons dit ailleurs 1 comment Baldi avait étendu cette explication à la prétendue accélération qu'un projectile éprou- verait au début de sa course. Nous ne reviendrons pas ici sur cette théorie. Il semble bien qu'au passage dont nous venons de donner la traduction, Baldi identifie la gravité accidentelle au mou- vement lui-même ; le mouvement y est traité comme une puissance motrice; et cette opinion, qui est celle qu'Ockam avait soutenue, semble conforme à la pensée de l'auteur même des Questions mécaniques. Précisant cette pensée, Bernardino Baldi n'hésite pas à regarder non seulement le mouvement comme une puissance motrice, mais encore le repos comme une puissance résistante. Quelques lignes avant le passage que nous venons de citer, il écrit 2 : « La résistance de l'objet que l'on fait passer de l'état de repos à l'état de mouvement est semblable à un certain mouvement en sens opposé. Le contraire arrive à celui qui meut un mobile qui se trouve déjà en mouvement; dans ce cas, il est grandement aidé par le mouvement même du i. Bernardino Baldi, Roberval et Descartes : I. Une opinion de Bernardino Baldi touchant les mouvements accélérés (Études sur Léonard de Vinci, ceuxqu'il a lus et ceux qui l'ont lu, IV; première série, pp. i38-i3g). 2. Bernardino Baldi, loc. cit., pp. 177-178. p. duhem. 1 '» 2IO ETUDES SUR LEONARD DE VINCI mobile; le mouvement coopère à l'action que le moteur exerce sur le mobile. Le mobile augmente en une certaine mesure la puissance du moteur; ce que ce mobile éprouverait de la part du moteur, il le fait de lui-même. » Ces lignes portent la marque d'une influence autre que celle de Piccolomini; elles rappellent fort exactement, en effet, un passage qu'au sujet de la même question, Cardan avait écrit en son Opus novum de proportionibus l : « Imaginons, » dit Cardan, « un corps pesant en équilibre, reposant, par exemple, sur le sol; si nous voulons le soulever, il opposera au mouvement violent une certaine résistance ; pourquoi cela? Parce qu'il se meut d'un certain mouvement naturel occulte; la puissance de ce mouvement mesure la force avec laquelle le corps résistera au mouvement contraire. » On comprend, dès lors, pourquoi les navires et les chars s'émeuvent tout d'abord lentement et difficilement; lorsque ensuite ils ont commencé à se mouvoir, leur mouvement devient plus rapide; ils résistent en effet par le mouvement naturel occulte, et celui-ci avait sa plus grande intensité alors qu'ils étaient en repos, comme l'enseigne Aristote en ses Mécaniques ; ce mouvement occulte est, en effet, un mou- vement naturel et contraire au mouvement violent. Lorsque le corps a commencé à éprouver le mouvement violent, il est animé d'un moindre mouvement naturel et il résiste moins. » Galilée devait un jour accueillir ces pensées de Cardan et de Bernardino Baldi sur la mise en mouvement d'un corps qui se trouve au repos 3 . La théorie de la chute accélérée des graves, donnée par l'Abbé de Guastalla, nous présente comme un reflet de la théorie parisienne; mais ce reflet est singulièrement déformé et obscurci. C'est sous une forme autrement claire et nette que nous reconnaissons, dans les écrits de Gianbattista Benedetti, les principes de la Dynamique qu'ont enseignée Jean Buridan et Albert de Saxe. i. Hieronymi Cardani Opus novum de proportionibus, prop. XXXVIIII, p. 4». 2. Galilei De motu {Le opère di Galileo Galilei, ristampate fedelmente sopra la Eduione nazionale. VoL I. Juvcilia. Firenze» successori Le Monnier, 1890, p. 3 18). iv TRADITION DE BURIDAM il LA SCIENCE ITALIENNE \v IVÏ SIÈCLE ail Ces écrits, composés sans doute à des époques diverses el qui ne nous sont point connues, ont été réunis par L'auteur, on [585, sous ce titre : Spéculations diverses de Mathématiques et de Physique 1 ] c'est en ce recueil que nous relevons de fréquents emprunts à la Mécanique des Parisiens. Toujours le mou veinent des projectiles abandonnés par le moteur gui les a lancés y est attribue à une impressio impetus 3 , à une impression, naturelle, à une impétuosité reçue par le mobile. Cet impetus meut tout d'abord le corps en ligne droite; puis, lorsqu'il est assez affaibli, la pesanteur commence à exercer son action et à détourner le mobile de la trajectoire rectiligne. « Cet impetus impressus 3 décroît peu à peu et conti nuellcment; alors l'inclination de gravité du corps s'insinue en lui, se mêle peu à peu à l'impression acquise; elle ne permet pas que la trajectoire demeure longtemps droite; elle l'oblige à s'incurver; le corps est mû simultanément par deux vertus: d'une part, la violence imprimée; de l'autre, la nature; et cela contre l'opinion de Tartalea qui niait qu'un corps pût être animé à la fois d'un mouvement violent et d'un mouvement naturel. » L'opinion soutenue ici par Benedetti contredit, en effet, celle que Tartaglia a exposée dans sa Nova scienlia, mais elle concorde avec celle que ce même géomètre a professée en ses Quesiti et inventioni diverse, et qui est celle de Léonard de Vinci, de Piccolomini et de Cardan. Benedetti a fort clairement affirmé qu'un moteur constant devait engendrer un mouvement accéléré : « Dans les mou- vements naturels et rectilignes, » dit-il *, « Y impressio, Yimpe- tuositas recepta croît continuellement, car le mobile a en lui- même la cause mouvante, c'est-à-dire la propension à se i. Io. Baptistae Benedicti Patritii Veneti Philosophi. Diversarum Speculationum Mathematicarum, et Physicarum Liber. Quarum séries sequens pagina indicabit. Ad Sere- nissimum Carolum Emmanuelem Allobrogum, et Subalpinorwn Ducem invictissimum. Taurini, Apud Hseredem Nicolai Bevilaquae, MDLXXXV. 2. Benedetti, Op. cit., De Mechanicis, cap. XVII, p. 160. — Disputationes de quibusdam placitis Aristotelis y cap. XXIV, p. i84. — Responsa physica et mathematica , p. 287. 3. Benedetti, Op. cit., De Mechanicis, cap. XVII, p. 160. k. Benedetti, Op. cit., Disputationes de quibusdam placitis Aristotelis, cap. XXIV, p. 18/,. 2 12 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI rendre au lieu qui lui est assigné; Aristote n'aurait pas dû déclarer qu'un corps est d'autant plus rapide qu'il s'approche davantage de son but (terminus ad quem), mais bien plutôt que ce corps est d'autant plus prompt qu'il s'éloigne davantage de son point de départ (terminus a quo). Car Vimpressio croît au fur et à mesure que le mouvement naturel se prolonge, le corps recevant continuellement un nouvel impetus; en effet, il contient en lui-même la cause du mouvement, qui est l'incli- nation à regagner son lieu naturel hors duquel il se trouve placé par violence. » Ailleurs 1 , traitant du mouvement de la roue qui sert à hisser un seau hors d'un puits, Benedetti écrit ceci : « Tout corps grave, qu'il se meuve naturellement ou violemment, reçoit en lui-même un impetus, une impression du mouvement, de telle sorte que, séparé de la vertu mouvante, il continue à se mouvoir de lui-même pendant un certain laps de temps. Lors donc que ce corps se meut d'un mouvement naturel, sa vitesse augmen- tera sans cesse ; en effet, Y impetus et Vimpressio qui existent en lui croîtront sans cesse, car il est constamment uni à la vertu mouvante. De là aussi il résulte que si, après avoir mis la roue en mouvement avec la main, on enlève la main, la roue ne s'arrête pas de suite, elle continue à tourner un certain temps. » C'est à Jean-Baptiste Benedetti que les auteurs les mieux informés de l'histoire de la Mécanique ont attribué 2 , en général, cette explication du mouvement accéléré produit par un moteur persistant. Combien cette opinion s'éloigne de la vérité, nous le savons. Cette explication était connue de Walter Burley en la première moitié du xiv e siècle ; au milieu de ce même siècle, Jean Buridan et Albert de Saxe l'ensei- gnaient; elle était communément admise à l'Université de Paris au début du xvi e siècle; Scaliger, au milieu du xvi e siècle, i. Benedetti, Op. cit., Physica et mathematica responsa, p. 287. 2. Emil Wohlwill, Die Entdeckung der Beharrungsgesetzes (Zeitschrift fur Vôlkerpsy- chologie und Sprachwissenschaft, XVl ter Band, p. 3g4). Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Benedetti sul moto dei gravi (Bendiconti dell' Accademia Beale délie Scienze di Torino, 1897-1898). Ernst Mach, La Mécanique, exposé historique et critique de son développement; Paris, 1904, p. 120. LA TRADITION in: m iuiun i.i LA SCIBlfCB mai.ii.nm; \i \\i Bit» Ll avait vivement reproché à Cardan de ne s'y être point rallié; à la création de eette théorie, Benedetti n';i en absolument aucune part; mais il est le premier qui, en Italie, ail donné à celte doctrine nue franche et complète adhésion; Aiessandro Piccolomini et Bernardino Baldi lavaient paraphrasée bien plutôt que nettement formulée. Benedetti a-t-il connu la théorie que Bernardino Baldi pro posait pour rendre compte de la prétendue accélération qu'un projectile éprouverait au début de sa course? Il est malaisé de répondre péremptoirement à cette question. Mais ceci mérite d'être remarqué : Benedetti a proposé la même explication que Baldi, tout en indiquant qu'il ne tenait pas pour assuré le phénomène auquel elle prétend s'appliquer. C'est en une lettre où notre auteur corrige diverses erreurs de Tartaglia que se trouve le passage suivant ' : « La raison que Tartaglia invoque... est absolument vaine; l'air qui était primitivement enfermé dans la bombarde en est tout aussitôt chassé; il cède devant le boulet, il est divisé par ce corps... Que le boulet se meuve à une certaine distance plus rapidement qu'au début de sa course, si cela était vrai, cela dépendrait d'une autre cause ; cette cause serait en partie sem- blable à celle qui, dans les mouvements naturels, rend les corps d'autant plus vites qu'ils sont plus éloignés du terme à partir duquel ils ont commencé à se mouvoir naturellement; le long d'une certaine distance, ce corps se mouvrait de la même manière que s'il était emporté par son mouvement naturel. » Gomme Bernardino Baldi, Benedetti croit pouvoir donner à la théorie des Parisiens une extension illégitime et contre laquelle Jean Dullaert avait protesté d'avance ; il sera mieux inspiré en d'autres propositions qu'il rattachera à cette même théorie. i. To. Baptistae Benedicti Diversarum speculationum liber; Physica et mathematica responsa, p. 209. 2l4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI VI Des premiers progrès accomplis en la Dynamique PARISIENNE PAR LES ITALIENS. GlOVANNI BaTTISTA BeNEDETTI. Du jour où un géomètre italien, répudiant la routine des Péripatéticiens et des Averroïstes, osa recevoir en leur pléni- tude les principes de la Dynamique parisienne, son génie, exercé à la précision par l'étude d'Euclide et d'Archimède, leur fît produire des fruits qu'ils n'avaient pas portés jus- qu'alors. Aux doctrines de Buridan et d'Albert de Saxe, Benedetti apporta tout d'abord un complément d'une extrême importance. Bappelons ce passage 1 où Albert de Saxe expose une idée particulièrement chère au Philosophe de Béthune : « Supposons que l'on fasse rapidement tourner une meule de forgeron très grande et très lourde, puis que l'on cesse de la mouvoir; elle continue à tourner très longtemps, ce qui ne peut se faire, semble-t-il, que par un certain impetus intrin- sèque qu'elle a acquis, qui lui a été imprimé par celui qui l'a mise en mouvement. Si l'on cesse de tourner cette meule, son mouvement diminue continuellement et s'arrête enfin, et cela parce que la forme naturelle de cette meule a une tendance opposée à ce mouvement... Et, peut-être, si cette meule ainsi mise en mouvement pouvait durer toujours, sans éprouver aucune diminution, aucune altération; s'il n'existait, non plus, aucune résistance capable de corrompre Yimpelus qui a été ainsi engendré, peut-être, dis-je, que cette meule serait mue perpétuellement par cet impelus. Si cette supposition était agréée, il ne serait plus nécessaire d'imaginer que des intelli- gences meuvent les orbes célestes. On pourrait dire, en effet, que Dieu, au moment où il créa les sphères célestes, a com- mencé à mouvoir chacune d'elles comme il lui a plu, et i. Magistri Alberti de Saxonia Subtilissimx quxstionts in Ubros de Cœlo et Mundo , lib. II, quœst. XIV. l.\ TRADITION DE Bl RIDA \ Il LA SCIENCE ITALIENNE 10 x VI su < i i | i » qu'elles se meuvent encore par Vimpetus que Dieu leur;» alors donné; en ces corps, <••'( impetus ne subit ni corruption, ni diminution, car le mobile n'a aucune inclination opposée au mouvement qui le porte. » Albert de Saxe, connue Jean Buridan, ne reconnaît que deux causes capables de détruire V impetus: la forme naturelle, qui inclinerait le mobile à un mouvement opposé; les résistances extérieures telles que la résistance de l'air et le frottement des supports. En une meule exactement centrée, le poids ne ferait aucune opposition au mouvement de rotation; sans la rési stance de l'air, sans le frottement de l'axe sur les coussinets, ce mouvement durerait indéfiniment. Cette proposition, qui est fort juste, Benedetti n'y veut point souscrire; mais pour soutenir sa négation, qui est une erreur, il est amené à formuler une vérité essentielle et que personne, semble t-il, n'avait encore clairement aperçue 1 . Benedetti ne veut pas que le mouvement de la meule soit perpétuel, même dans les conditions idéales qu'Albert de Saxe a imaginées; il lui faut donc découvrir, en la propre substance de cette meule, une cause intrinsèque de résistance au mouvement de rotation, une cause capable de corrompre Y impetus ; et voici, selon lui, quelle est cette cause : « Ce n'est pas à un mouvement de rotation, c'est à un mouvement recti- ligne que chacune des petites parties de la meule serait entraînée par son impetus, si elle était libre; pendant le mou- vement de rotation, chacun de ces impetus partiels est violenté et, partant, il se corrompt. » « Imaginons, » dit Benedetti 3 , « une roue horizontale, aussi parfaitement égale que possible et reposant sur un seul point; imprimons-lui un mouvement de rotation avec toute la force que nous pourrons employer, puis abandonnons-la; d'où vient que son mouvement de rotation ne sera pas perpétuel? » Cela a lieu pour quatre causes. i. Giovanni Vailati est, croyons-nous, le premier qui ait signalé ces décou- vertes de Benedetti (Giovanni Vailati, Le speculazioni di Giovanni Benedetti sul moto dei gravi. Accademia fieale délie Scienze di Torino, anno 1897- 1898). 3. Jo. Baptistœ Benedicti Dioersarum speculationum liber; De mechanicis. cap. XIV, p. 169. 2l6 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI » La première est qu'un tel mouvement n'est pas naturel à la roue. » La seconde consiste en ceci que la roue, lors même qu'elle reposerait sur un point mathématique, requerrait nécessai- rement, au-dessus d'elle, un second pôle capable de la main- tenir horizontale, et ce pôle devrait être réalisé par quelque mécanisme corporel; il en résulterait un certain frottement, d'où proviendrait une résistance. » La troisième cause est due à l'air contigu à cette roue qui la refrène continuellement et, par ce moyen, résiste au mouvement. » Voici maintenant la quatrième cause : Considérons cha- cune des parties corporelles qui se meut elle-même à l'aide de Yimpetus qui lui a été imprimé par une vertu mouvante extrin- sèque; cette partie a une inclination naturelle au mouvement rectiligne, et non pas au mouvement curviligne; si une parti- cule prise en la circonférence de ladite roue était disjointe de ce corps, il n'est point douteux que, pendant un certain temps, cette partie détachée se mouvrait en ligne droite au travers de l'air; nous pouvons le reconnaître en un exemple tiré des frondes à l'aide desquelles on jette des pierres; en ces frondes, Yimpetus du mouvement, qui a été imprimé au projectile, décrit, par une sorte de propension naturelle, un chemin rectiligne; la pierre lancée commence un chemin rectiligne suivant la droite qui est tangente au cercle qu'elle décrivait tout d'abord, et qui le touche au point ou la pierre se trouvait lorsqu 'elle a été abandonnée, comme il est raisonnable de l'admettre. » Cette même raison fait que, plus une roue est grande, plus grand est Yimpetus ou l'impression que reçoivent les diverses parties de la circonférence de cette roue; aussi arrive-t-il bien souvent, lorsque nous voulons l'arrêter, que nous n'y parve- nions pas sans effort ni difficulté; plus est grand, en effet, le diamètre d'un cercle, moins est courbe la circonférence de ce cercle... Le mouvement des parties qui se trouvent sur ladite circonférence approche donc d'autant plus du mouve- ment conforme à l'inclination que la nature leur a attribuée, inclination qui consiste à se déplacer suivant la ligne droite. » LA TRADITION DE BU1UDAK il LA SCIENCE iiaiunni \i wi gltCLl ■>. \ 7 Ces pensées, assurément, plaisaient fort à Benedetti; il y revient à deux reprises; il les complète et les précise, (railleurs, en ces deux circonstances, eu y joignant l'affir- mation d'une importante vérité ; Cette tendance '.U sions l'autorité du Philosophe el celle du Commentateui mais dès là qu'il esi question de la puissance de Dieu, ces opinions ne sauraient aucunemenl être reçues, s Le problème de L'infini paraît avoir longuement préoccupé Louis Goroncl ' sans que ses méditations l'aient pu l'cnin'iiicnl attacher à l'une des solutions proposées par ses prédécesseurs. Il semble, cependant, que ses préférences soient celles qu'il marque en ce passage ,J : « Lorsque nous formulons des propositions au sujet de l'infini, considéré à l'égard de la puissance divine (et c'est seulement en tenant compte de cette puissance que nous traitons ici de l'infini), nous admettons les sens qui consistent à affirmer ceci : Dieu peut produire un infini syncatégorique; et à nier ceci : Dieu peut produire un infini catégorique. Presque tous les anciens docteurs ont été de cet avis; il ont admis qu'un infini ne pouvait d'aucune manière être doué d'existence actuelle. » Parmi ces anciens docteurs, il en est un dont l'opinion semble, à Louis Coronel, particulièrement respectable, et ce maître est Jean Buridan; lisons, en effet, ce que notre philo- sophe espagnol dit du problème célèbre de la ligne spirale infinie; après avoir rapporté les propos d'Hentisber et de Gaétan de Tiène, il poursuit en ces termes 3 : « Tout bien considéré, voici, semble-t-il, ce qu'il faut dire : Buridan a fait preuve, en règle générale, d'un jugement très droit touchant les questions qu'il a traitées en ses écrits; son intelligence, naturellement amie de la vérité, acquiesçait avec raison à cette proposition : Il existe une ligne spirale infinie au sens syncatégorique, mais il n'existe pas de ligne spirale infinie au sens catégorique k . Mais il s'est trouvé en défaut lorsqu'il s'est agi de la prouver. » Après avoir traité une première fois de la question de l'in- i. Ludovici Coronel Physicx perscrutationes, lib.VIII, pars II. De infînito : Nullum infinitum magnitudine continetur sub orbe Lune. Éd. cit., fol. cxx, col. c. 2. Ludovici Coronel Op. cit., éd. cit., fol. cxx, col. d. 3. Ludovici Coronel Op. cit., éd. cit., fol. cxxim, coll. b et c. U. Coronel emploie ici la manière de parler introduite par Albert de Saxe; il dit : Infinita est linea girativa et nulla linea girativa est infinita. 232 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI finiment grand à l'égard de la puissance divine, Louis Coronel revient à cette question, à la demande, nous dit- il, de Maître Simon Agobert, son élève préféré. Il formule alors ces con- clusions, qui semblent contradictoires les unes aux autres 1 , mais qui ne le sont pas, car, nous dit l'auteur, « le mot infini est pris au sens catégorique dans les premières et au sens syncatégorique dans lés secondes. » a Même par pouvoir surnaturel, aucun corps de grandeur infinie n'a d'existence actuelle. » Même par pouvoir surnaturel, il ne peut exister actuelle- ment aucune multitude infinie qui ne constitue pas un tout unique. )> Même par pouvoir surnaturel, il n'existe actuellement aucun accident corporel d'intensité infinie. » Pour sauver la vigueur infinie de la Cause première, il n'est pas nécessaire d'accorder quelle puisse produire un effet infini [catégorique]. » Pour sauver la vigueur infinie de la Cause première, il faut accorder qu'elle peut produire un effet infini [syncatégorique]. » Par puissance surnaturelle, une grandeur infinie peut être produite. » Par puissance surnaturelle, une multitude infinie peut être produite. » Par puissance surnaturelle, un accident d'intensité infinie peut être produit. » Ces conclusions, qui s'opposent à celles de Jean de Celaya, sont fort nettes; la discussion, assez diffuse et confuse, par laquelle Louis Coronel les appuie décèle une fermeté moindre en la pensée intime de l'auteur. Cette incertitude se révèle encore en une sorte de repentir de deux feuillets que l'auteur ajoute à son ouvrage, après le colophon : « Je reviens, » dit-il 2 , « à la question qui concerne l'infinie vigueur du premier Moteur; c'est à l'égard de cette vigueur infinie que j'ai, ici, traité de l'infini; je dis que l'opinion qui le déclare capable de produire l'infini n'implique i. Ludovici Coronel Op. cit., éd. cit., fol. cxxxvi, col. d, et fol. cxxxix, col. 6. 2. Ludovici Coronel Op. cil., éd. cit., fol. cl, col. a. i \ TRADITION DE BUMDA.H il LA ICIENCE 11 ILIElflfE m IVÏ BIBCLE aucune contradiction, bien que sa vigueur Infinie puisse le manifester autrement. » Il est visible que Coronel n'est point absolument décidé à refuser à Dieu le pouvoir de créer un infini actuel e( catégorique. Que l'on vienne donc affirmer l'existence, au delà du Eutycherus : C'est, je pense, pour la même raison. » Theorericus : Pour la même raison; savoir, pour que la bonté suprême se pût répandre et propager à l'infini. Mais cette opinion n'est pas sensée. Tandis, en effet, que cette masse corporelle met obstacle à la plénitude de la perfection, ils ne voient pas qu'ils la font égale à la souveraine plénitude; bien plus, qu'ils égalent l'entité totale de ce monde infini à l'entité infinie de Dieu, et l'unité du monde à l'unité de Dieu. Sinon la suprême entité, la suprême unité et la suprême bonté ne se répandraient pas et ne se communiqueraient pas à l'infini, comme ils le veulent. Mais leurs suppositions et celles des philosophes précédents se heurtent à des difficultés qu'Aristote a signalées. » Contre les thèses de Bruno, les disciples de Lefèvre d'ÉtapIes affermissaient la Physique d'Aristote à l'aide de la Métaphy- sique de Nicolas de Cues; pour soutenir cette même Physique, les disciples de Mélanchthon invoquaient les textes de l'Écriture. Pour démontrer que le monde est fini, Mélanchthon résume brièvement quelques-uns des plus faibles arguments d'Aristote 1 . i. Initia doctrinœ physicx, Dictata ia Academia Vuitebergensi. Philip. Melanth. Iterum édita, Wittergre, per Iohannem LufFt. i55o. Lib. I. Gap. intitul. : Est ne 2/jO ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI (( Cette démonstration manifeste,» dit-il, « convainc à la fois les yeux et l'esprit de toute personne saine et la contraint d'avouer que le monde est fini. » Contre la pluralité des mondes, Mélanchthon rappelle 1 , d'une manière très concise, quelques arguments péripatéticiens : « Ces conséquences absurdes, » dit -il, « suivraient l'affirmation de celui qui imaginerait plusieurs mondes; il en résulte donc qu'il existe seulement un monde unique... » « Mais pour nous, qui sommes dans l'Église, nous avons une preuve plus facile et plus certaine pour affirmer l'existence d'un monde unique. La science céleste, en effet, nous affirme que ce monde en lequel Dieu s'est manifesté, en lequel il a livré sa doctrine aux hommes, en lequel il a envoyé son Fils au genre humain, a été fondé par Dieu. Ensuite, elle ajoute expressément que Dieu s'est arrêté et qu'il n'a créé ni d'autres corps ni d'autres êtres animés. En effet, au second chapitre du premier livre de Moïse, il est dit : Cessavit ab omni opère suo, ce que l'on doit comprendre ainsi : Il n'a pas créé d'autres mondes, ni d'autres êtres animés, ni aucune espèce nouvelle. Il est donc nécessaire qu'il y ait un monde unique et qu'il n'existe pas plusieurs mondes. » Mélanchthon n'a point, contre la Philosophie d'Aristote, la bouillante hostilité qui anime Pierre La Ramée, plus connu sous le nom de Petrus Ramus. On sait que les violentes attaques de Ramus contre le Stagirite lui avaient valu une condamna- tion de l'Université avant que son fanatisme huguenot ne le fit chasser de cette même Université. Réfugié en Allemagne, il continuait à combattre avec acharnement les doctrines péri- patéticiennes. En i562, ses Scholx physicx entreprenaient tout particulièrement de réformer ce qu'Aristote avait enseigné au sujet de l'infini; mais la réforme proposée par Ramus ne ressemblait pas, tant s'en faut, à celle que Giordano Bruno allait proclamer. Ramus veut que la notion d'infiniment grand et celle d'infiniment petit n'aient aucune place hors des mundus finitus an infinitus? — La première édition de cet ouvrage, qui en eut un grand nombre, est de i54g; nous n'avons pu la consulter. — Éd. cit. fol. 38. i. Philippi Melanchthonis Op. cit., lib. 1, cap. intitul. : Quomodo confirmari potest unum esse mundum, et non plures; éd. cit., foll. 1*9. et /«3. LA TBADIT10N DE BU RIDA H ET LA SCIENCE ITALIEN* H Al \\i BIECL1 3 'i I Mathématiques. En la réalité physique, tout est essentielle ment fini « Non seulement en la nature des choses, il n\ ;i nul Infini en acte"...; mais il n'y a pas davantage d'infini en puissance; rien de physique, rien de sensible n'esl infini ; tout ce qui est physique et sensible est fini cl n'est susceptible que de division finie... Et toutefois, Àrislole mérite une éternelle reconnaissance, car s'il a conçu le mal, il a aussi montré le remède de ce mal à ceux qui savent regarder avec attention. Ce mal, en effet, avait fait irruption dans nos écoles en même temps que cette peste du sophisme, la plus mortelle qui fût jamais pour la religion chrétienne. Mais j'aborde les autres parties de la Physique d'Aristote l'âme remplie d'une grande joie et d'une vive gaîté ; maintenant que nous avons émoussé, ou plutôt radicalement écrasé cette corne de l'infini, on dirait que le reste n'est plus que jeux et badinages auprès de ce monstre sans pareil produit par l'impiété. » Humanistes catholiques et Humanistes réformés étaient donc fort peu disposés à souscrire aux thèses de Giordano Bruno sur l'infinie grandeur de l'Univers ou sur la pluralité des mondes; leur sentiment à l'égard de ces propositions ne différait guère, sans doute, de l'opinion des Averroïstes les plus endurcis; seuls, les Scotistes et les Nominalistes devaient écouter ces affirmations sans effroi et les discuter sans parti pris. L'hypothèse de la multiplicité des Mondes entraîne le rejet de la théorie de la gravité proposée par Aristote ; les corps graves qui se trouvent en ces divers mondes ne peuvent tendre tous vers un même point. Jean de Bassols écrit donc 2 : « Il n'est pas nécessaire que la terre de l'un de ces deux mondes se porte naturellement vers la terre de l'autre monde, ni même qu'elle puisse se mouvoir ainsi vers l'autre terre; la tendance d'une terre vers le centre i. P. Rami Schollarum physicorum libri octo, in totidem acroamaticos libros Aristotelis. Recens emendati per Joannem Piscatorem Argent. Francofurti, apud haeredes Andréas Wecheli, MDLXXXIII. Lib III in tertium physicum, in cap. VIII ; pp. 97-98. a. Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, seconde série, pp. 4 16-4 17. P. DUHFM. 16 242 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI ne dépasserait pas, en effet, les bornes de son propre monde... Si vous me dites qu'en ce cas, la terre de l'autre monde ne serait pas de même espèce que cette terre-ci,-je réponds qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit de même espèce. Mais en admettant que cette seconde terre fût de même espèce que la notre, la terre de chacun de ces deux mondes ne se mouvrait pas vers le centre de l'autre monde, mais seulement vers le centre du monde dont elle fait partie, en sorte que l'appétit naturel de cette terre ne s'étendrait pas au delà du tout auquel elle appartient. » « Un grave, placé en l'un des deux mondes, » écrit à son tour Robert Holkot 1 , « se mouvrait naturellement vers le centre de ce inonde au sein duquel il se trouve; un autre grave, placé en l'autre monde, tendrait vers le centre de ce dernier monde. » Enfin, il y a un instant, nous avons entendu Jean de Celaya : « Il n'est pas nécessaire que la terre d'un monde se porte vers le centre de l'autre monde, car c'est au centre de son propre monde que résiderait la vertu qui la conserve. » Louis Goronel corrige d'une manière différente et, dirai-je* plus moderne, la théorie péripatéticienne de la gravité; selon lui, une masse de terre, placée hors des centres des divers mondes, se dirigerait vers le centre le plus voisin; c'est, du moins, l'opinion que l'on conclura bien aisément de ce que Coronel dit 2 au sujet du mouvement du feu : « A supposer qu'il existât plusieurs mondes, on pourrait poser la question suivante : Le lieu naturel au feu de l'un de ces mondes conviendrait-il également au feu d'un autre monde? Si l'on répond affirmativement, il faudrait dire aussi, semble-t-il, que le feu de l'un des mondes se doit mouvoir vers le feu de l'autre monde ou vers le lieu de ce feu. C'est ainsi, d'ailleurs, qu'argumente Àristote au premier livre Du Ciel... Il semble qu'on ne saurait nier cette proposition > puisqu'aux lieux semblables, pris en des mondes différents, i. Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, seconde série, p. Z,Kj. 2. Ludovici Coronel Physicx perscrutationes, lib. IV, pars prima quai est de loco; éd. cit., fol. LXXX1V, col. c. LA TRADITION m m m h an i i i v Bi tl m.i. 1 1 ILIENlfE ai xvi' in.n se trouveraient Les mêmes qualités de conservation... M dans le cas présent, il faut dire que les êtres naturels s'efforcent d'acquérir ec qui leur convient, < i qu'ils s'efforcent de l'acquérir par le moyen qui leur es1 le plus faeile dans le coneours de eireonslances où ils se trouvent; c'est pour cela qu'un grave, en l'absence de tout empêchement, descend par la ligne droite, et non par la ligne courbe qui est plus longue; de même, s'il existait un autre monde, la concavité de l'orbe lunaire de cet autre monde serait un lieu convenable pour le feu de notre monde; ce feu-ci, cependant, ne se mouvrait pas vers ce lieu-là, car il lui serait plus facile de se loger en l'orbe lunaire de notre monde. » Les disciples de Jean de Bassols, de Robert Holkot, de Jean de Gelaya n'étaient-ils pas tout disposés à accueillir favora- blement les pensées suivantes, que Giordano Bruno conçoit' sous l'inspiration de Copernic? « Elles sont dénuées de sens et bien éloignées de la contem- plation de la nature, ces paroles d'Aristote : Si quelqu'un transportait la Terre là où la Lune se trouve à présent, chacune des parties de la Terre se porterait non pas vers celle-ci, mais vers son lieu propre. Bien mieux! Nous disons que les parties d'une terre n'ont pas plus le pouvoir de devenir parties d'une autre terre, que les parties d'un certain animal n'ont le pouvoir de devenir les parties d'un autre animal. » Bruno poursuit en ces termes : « Le mouvement rectiligne n'est naturel à aucune des sphères ; il est seulement naturel à une partie d'une sphère lorsque cette partie est située hors de sa région propre ; lorsque cette partie se trouve au sein même de sa sphère, elle ne se meut plus de mouvement rectiligne » et dirigé vers le centre. Comment le Philosophe de Noie confirme-t-il 2 cette pensée? « Les diverses parties de la terre », dit- il, « ont un mouvement circulaire. . . Il y a continuellement, en la terre, un flux divergent i. Jordani Bruni Nolani Camœracensis acrotismus, art. LXXIV (Jordani Bruni Opéra latina, tomus I, pars I, p. 186). 2. Giordano Bruno, loc. cit. 244 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI et un flux convergent des diverses parties, semblablement à ce qui a lieu pour les particules des animaux. Aussi, les parties qui se trouvaient au centre finissent-elles par arriver à la circonférence, pour retourner ensuite de la circonférence au centre ou à quelque lieu différent. De là un changement continuel en la face de la terre ; tantôt on voit la mer occuper les régions où se trouvait la terre ferme, tantôt des montagnes apparaissent là où des vallées se creusaient... En tous ces changements, je ne saurais accorder qu'il y ait rien de violent; je n'y reconnais qu'un mouvement absolument naturel ; je n'appelle violent, en effet, que ce qui est étranger ou contraire à l'œuvre de la nature et à la fin à laquelle elle tend. Il est donc contre nature que toutes les parties de la terre ne viennent pas, à tour de rôle, en occuper le centre, qu'elles ne se trouvent pas toutes, à un moment ou à un autre, à la surface... La nature veut que tout ce qui est né pour se mou- voir d'un mouvement centrifuge soit également né pour se porter vers le centre. On ne voit pas les particules de la terre demeurer en repos, non plus que les parties d'un animal. » En cet argument que Bruno semble avoir développé avec une sorte de prédilection, ne reconnaissons -nous pas la théorie d'Albert de Saxe touchant les mouvements incessants de la terre, cette théorie dont Léonard de Vinci avait tiré toute sa Géologie? N'allons pas nous imaginer, d'ailleurs, qu'il s'agisse là d'une théorie oubliée depuis le xiv e siècle et que Bruno ressuscite; jamais cette théorie n'a cessé d'être étudiée dans les écoles de Paris; acceptée ou rejetée, elle y était sans cesse discutée. Jean de Gelaya, par exemple, nous donne, en son écrit sur le De Cœlo, un exposé très clair 1 des principes sur lesquels repose cette théorie; en des termes qui sont presque textuel- lement empruntés à Albert de Saxe, il distingue, en la terre, le centre de gravité du centre de grandeur; il enseigne que le centre de gravité est au milieu du Monde, tandis que le centre de grandeur est excentrique au Monde ; il en conclut qu'une i. Joannis de Celaya Expositio in libros de Cela et Mundo, lib. II, cap. XIII, fol. xli, col. d et fol. xlii, col. a. LA TRADITION DE BURIDAN El LA SCIBNC1 mmiiwi ai wi'micii partie de La terre, que la chaleur du soleil et de l'air maintien 1 plus légère, émerge de la sphère des eaux, dont le (-entre est au centre; du Monde; il rejette, en effet, et par les mêmes raisons qu'Albert de Saxe, l'opinion qui place au centre du Monde le centre de gravité commun de la terre et de l'eau. C'est de ces principes qu'Albertutius avait conclu aux mouvements incessants de la terre; par deux fois, Jean de Celaya fait emprunt à ce qu'il en avait dit. En son Exposition à la Physique, il écrit 1 : « Il peut se faire que, continuellement, l'excès de la pesanteur de l'une des parties de la terre sur la pesanteur de l'autre partie soit si grand que le poids de la première moitié surpasse le poids de la seconde moitié augmenté de la résistance de l'air qui recouvre cette dernière ; s'il en était ainsi, la terre se mouvrait continuellement. » A cette remarque, il répond : « Il n'est pas nécessaire que la terre soit en continuel mouvement; bien plus, peut-être ne se meut- elle pas actuellement. Cette conclusion est évidente; en effet, alors même qu'une moitié de la terre serait plus pesante que l'autre moitié, il n'en résulterait pas nécessai- rement que la première repousse la seconde vers le haut, et cela, à cause de la résistance de l'air qui entoure la moitié la moins grave. » Ce doute avait également fait hésiter Albert de Saxe qui, cependant, avait fini par le rejeter; Celaya, lui aussi, en son écrit sur le De Cxlo, nous donne une conclusion plus ferme 2 : « Il est vraisemblable que la terre, selon certaines de ses parties, se meut de mouvement rectiligne; cette conclusion est évidente; en effet, de cette terre élémentaire, en la région qui n'est pas couverte par les eaux, continuellement des parties sont entraînées par les fleuves jusqu'au fond de la mer; la terre s'accroît ainsi en la partie couverte par les eaux tandis qu'elle décroît en la partie émergée; elle se meut donc sans cesse, par ses parties, d'un mouvement rectiligne. » i. Joannis de Celaya Expositio in libros phisicorum, lib. VIII, cap. V, fol. cltxxvii, coll. c et d. a. Joannis de Celaya Expositio in libros de Celo et Mundo, lib. II, cap. XIV, fol. xli, col. 6, 246 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI Ce transport des terres par les eaux pluviales est, en effet, selon Albert de Saxe, auquel les lignes précédentes sont textuellement empruntées, la cause qui alourdit sans cesse une moitié du globe aux dépens de l'autre, qui force la partie allégée à s'éloigner du milieu du Monde, qui finit par amener à la surface les parties terrestres qui se trouvaient au centre ; Jean de Celaya enseignait, à Sainte -Barbe, tous les prin- cipes de cette doctrine qui devait si puissamment solliciter l'attention de Léonard, et dont Giordano Bruno devait se faire une arme contre la théorie péripatéticienne de la gravité. Selon la doctrine d'Albert de Saxe, on devait distinguer en la terre deux régions : l'une, plus légère, émergée en sa plus grande partie; l'autre, plus lourde, presque entièrement submergée. Les grandes découvertes géographiques, en mon- trant que la constitution des terres et des mers n'avait pas une semblable régularité, amenèrent les physiciens à modifier cette opinion ; ils pensèrent que le centre de gravité de la terre était peu distant de son centre de grandeur; cette manière de voir fut, en particulier, celle de Copernic. A Paris, certains adversaires de la Philosophie d'Albert de Saxe et des Modernes profitèrent de ce changement pour contester les mouvements incessants que les Nominalistes avaient attribués à la masse terrestre. De ce nombre fut Jean Fernel, premier médecin d'Henri II. En un écrit publié en 1628, Jean Fernel opposa 1 cette quasi-identité des deux centres de la terre à la théorie en faveur parmi les philosophi juniores; selon lui, la terre, ainsi disposée, demeure absolument immo- bile; par là se trouve rejetée l'opinion de nos philosophes « selon laquelle, contrairement à la doctrine d'Aristote, la terre pouvait se mouvoir hors du centre ». Ainsi préparée par la discussion de la théorie d'Albert de 1. Joannis Fernelii Ambianatis Cosmotheoria, libros duas complexa. — Prior, mundi totius et formant et compositionem : ejus subinde partium (qux elementa et cœlestia sunt corpora) situs et magnitudines : orbium tandem motus quosvis solerter référât. — Posterior ex motibus, siderum loco et passiones disquirit : interspersis documentis haud pxnitendum aditum ad astronomicas tabulas suppeditantibus. Hxcque seiunctim tandem expedite prœbet Planethodium. — Cuique capiti, perbrevia, demonstrationum loco, adiecta sunt scholia. Parisiis, in aedibus Simonis Golini, i5a8. Cosmotheoriae liber primus, et elemen torum, et cœlestium corporum magnitudines, situs, motusque universim aperiens. — De omnimoda terrae et maris dispositione, cap. I. LA TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIBHC1 inmwi 11 KVl* SlfeCLI :\- Saxe, La Scolastique parisienne ne devait poinl s'étonner outre mesure que Copernic <>.sài attribuer à la terre des mouvements varies cl que Giordano Bruno acceptai ces hypothèse Ce n'est pas à dire que le système de Copernic comptât <'n Il niversité de Paris, au xw" siècle, des adeptes notoires; loin de là; le système de Ptolémée régnait sans conteste en Va/t/ui Parisiorum Academia; on y admettait donc que la Terre est immobile, que le Ciel suprême tourne d'un mouvement de rotation uniforme qui est le mouvement diurne ; mais à ces hypothèses, on attribuait une valeur et un sens tout différents de la valeur et du sens que leur reconnaissaient les Péripaté- ticiens 1 . Pour Aristote, le Ciel suprême est contraint, par sa nature propre, de se mouvoir en une rotation uniforme et éter- nelle; la possibilité même de cette rotation exige que le point autour duquel elle s'effectue appartienne à un corps fixe par essence. Nier le mouvement de rotation uniforme du Ciel, nier l'immobilité de la Terre, c'était formuler deux propositions frappées d'absurdité métaphysique, de contradiction logique; le premier moteur lui-même était incapable d'arrêter le Ciel ou d'en modifier le mouvement ; et, en son écrit Sur le mouvement des animaux, le Stagirite faisait sienne l'affirmation contenue en ce vers d'Homère : Tous les dieux et toutes les déesses, en réunissant leurs efforts, ne pourraient ébranler la Terre. Le Commentateur avait accru encore la rigueur de ces enseignements du Philosophe, et les Péripatéticiens averroïstes avaient renchéri sur le dogmatisme absolu des maîtres auxquels ils attribuaient une infaillible omniscience. L'orthodoxie catholique ne pouvait admettre que de telles limitations fussent imposées par la Physique péripatéticienne à la toute-puissance de Dieu. En 1277, l'évêque de Paris, 1. Nous nous bornons à résumer ici en quelques lignes un chapitre d'histoire de la Physique que nous avons complètement traité ailleurs; le lecteur désireux de connaître les textes qui étayent nos assertions les trouvera dans l'étude intitulée : Le mouvement absolu et le mouvement relatif, essai historique, qu'a bien voulu publier la Bévue de Philosophie, en ses numéros qui portent les dates suivantes : i" septembre 1907» 1" octobre 1907, 1" décembre 1907, 1" février 1908, 1" mars 1908, 1" avril 1908» 1" mai 1908, 1" juin 1908, 1" août 1908, 1" septembre 1908, 1" novembre 1908, 1" décembre 1908, i ,r février 1909, 1" mars 1909, 1" avril 1909, 1" mai 1909. 2^8 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI Etienne Tempier, et les théologiens de l'Université mirent au nombre des articles qu'ils condamnaient les deux propositions suivantes : Dieu ne pourrait donner au Ciel un mouvement de trans- lation. Les théologiens se trompent lorsqu'ils prétendent que le Ciel peut s'arrêter. Il est difficile de mesurer l'importance qu'eut cette décision et le changement qui en résulta en l'opinion des philosophes touchant les mouvements célestes. A Paris, à Oxford, en toutes les Universités qui prenaient le mot d'ordre de ces deux illustres académies, on continua de penser que le Ciel se mouvait d'un mouvement de rotation uniforme, que la Terre était immobile; mais on cessa de regarder ces deux propo- sitions comme des vérités nécessaires, de nécessité métaphy- sique ou logique; on les regarda comme des vérités de fait, purement contingentes; on admit qu'il était possible de les nier sans contradiction ; il fut permis de les discuter sans passer pour fou. Après 1277, les Parisiens crurent encore au repos de la Terre, mais ils y crurent en vertu d'une expérience 1 : une pierre, jetée verticalement en l'air, retombe exactement au lieu d'où elle a été lancée; ils ne savaient comment concilier le résultat de cette expérience avec l'hypothèse du mouvement de la Terre. Ils crurent surtout à l'immobilité de la Terre parce que cette immobilité était un des postulats du système de Ptolémée et que ce système était le seul qui permît de décrire et de calculer les mouvements des astres, le seul qui sauvât les phénomènes célestes 2 . Mais, en leurs discussions sur la nature du mouvement local, les Scotistes et les Nominalistes parisiens n'hésitent point 1. Au sujet de cette expérience, voir: Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XIII : La Mécanique de Xicolas de Cues et la Mécanique de Léonard de Vinci. L'hygromètre, le sulcomètre et le mouvement de la terre (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI; seconde série, pp. 267-250). 2. A ce sujet, nous renverrons le lecteur à l'étude que nous avons publiée sous ce titre : EoôÇeiv xk çatvotxeva. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilér (Annales de Philosophie chrétienne, mai 1908, juin 1908, juillet 1908, août 1908, sep- tembre 1908, et Paris, A. Hermann, 1908). LA. TRADITION DE BURIDAN ET LA SCIENCE ITALIENNE M \u" SIÈCU i'i<| à étudier des hypothèses où Dieu aurail imprimé à la Terre ou au Ciel des mouvements différents de ceux que leur attribuait la Physique péripatéticienne. Richard de Middleton examine le cas où Dieu donnerail au Ciel un mouvement de translation; Jean île Duns Scot traite de l'hypothèse où l'Univers sérail réduit à une sphère homogène douée de rotation ; Guillaume d'Oekam, Jean Buridan, Albert de Saxe admettent que la Terre aurait pu être animée d'un mouvement de rotation, identique ou non à celui qu'ils attribuent au Ciel. Ce n'est pas seulement à titre d'hypothèse philosophique et pour discuter de la nature du mouvement local que les Pari- siens du xiv e siècle admettaient le mouvement de la Terre ou le repos du Ciel; il s'en trouvait qui n'eussent point répugné à prendre cette supposition comme fondement d'un système astronomique. « Un de mes maîtres, écrit Albert de Saxe 1 , semble vouloir soutenir cette opinion: On ne saurait démontrer que l'hypo- thèse du mouvement de la Terre et du repos du Ciel ne s'accorde pas avec les faits ; mais, sauf le respect que je lui dois, c'est le contraire qui me semble vrai, et cela pour la raison suivante: En supposant que le Ciel est immobile et que la Terre se meut, nous ne pourrions aucunement sauver les conjonctions et les oppositions des planètes, non plus que les éclipses de Lune et de Soleil. Il est vrai que mon maître ne pose ni ne résout cette objection, bien qu'il pose et résolve plusieurs autres arguments destinés à prouver que la Terre est immobile et que le Ciel se meut. » Le maître dont parle Albert de Saxe attribuait sans doute à la Terre un simple mouvement de rotation diurne ; assurément, une telle supposition ne suffisait pas à sauver tous les phéno- mènes célestes ; n'est-il pas bien remarquable, cependant, qu'à la Faculté des Arts de l'Université de Paris, en la première moitié du xi\' siècle, on ait pu regarder cette supposition comme une hypothèse astronomique défendable? Albert de Saxe, d'ailleurs, a éprouvé quelque velléité d'attri i. Alberti de Saxonia Subtilissimœ quœstiones in libros de Cselo et Mundo; lib. If, quaest. XXVI. aÔO ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI buer le phénomène de la précession des équinoxes non plus à un mouvement d'une sphère céleste spéciale, mais à un déplacement lent de la Terre. « On peut soutenir, a dit-il 1 , a qu'il n'existe que huit orbes... et que, cependant, la huitième sphère ne se meut pas de plusieurs mouvements ; si cette sphère semble se mouvoir de plusieurs mouvements, cela provient de la combinaison sui- vante : Tandis que la huitième sphère tourne d'orient en occident sur les pôles du Monde, la Terre elle-même tourne d'occident en orient autour d'une ligne imaginaire que termi- nent les pôles du zodiaque ; et ce mouvement est tel qu'en cent ans, la Terre ait tourné d'un degré. » Comment, dira-t-on peut-être, sauverez-vous le mouvement d'accès et de recès de la huitième sphère, mouvement que Thâbit a imaginé? Je répondrai que ce phénomène pourrait, lui aussi, être sauvé en attribuant à la Terre un autre mouve- ment à l'image de celui que Thâbit attribue à la huitième sphère. On déclarerait ainsi que, par ce double mouvement de la Terre, la huitième sphère semble animée, outre le mouve- ment diurne, de deux autres mouvements, savoir, d'un mou vement par lequel elle semble tourner, d'occident en orient, d'un degré en cent ans, et du mouvement que Thâbit nomme mouvement d'accès et de recès; la huitième sphère, cependant, se mouvrait d'une seule rotation uniforme d'orient en occident. » Cette théorie ne semble pas absolument sûre ; en effet, ce qui fait ainsi mouvoir la Terre n'apparaît pas à première vue; toutefois, si quelqu'un consacrait ses efforts à défendre cette opinion, peut-être concevrait-il aisément un moyen d'éviter cette difficulté et trouverait-il plusieurs raisons capables de donner à cette théorie une forte teinte de vérité. » Cela s'écrivait « en la Faculté des Arts de l'Université de Paris et en la MCCCLXVIIP année du Seigneur ». Ces enseignements, d'ailleurs, non plus que le livre où ils étaient consignés, n'étaient oubliés à Paris, au début du xvi e siècle; c'est à ce livre, par exemple, que Jean de Celaya *** r. Alberti de Saxonia Op. cit., lib. II, quaest. VI. i.\ TRADITION DE BU B IDA H il LA SCIBNC1 ITALIEN!* B M w f SIK4 Ll 3 M empruntait presque textuellement les passages dont nous pallions il \ a un instant. De oe que l'on pensait communément à Paris, quelque temps ayant VAcrotismus Camœracensis : du système astrono mique d'Aristarque et de Copernic, Duhamel nous fournit un précieux témoignage. Duhamel était « mathématicien royal », c'est à dire profes- seur de mathématiques au Collège royal, où Giordano Bruno devait enseigner quelques années après lui. En i.'joy, Duhamel donna 1 un commentaire à VArénaire d'Archimède. C'est en cet ouvrage que le grand Syracusain nous fait connaître le sys- tème astronomique d'Aristarque de Samos, première ébauche du système de Copernic; les calculs de VArénaire sont conduits comme si le lecteur admettait l'exactitude de ce système. Ce système, Duhamel ne le croit pas recevable : « Que la Terre, » dit-il % « soit privée de tout mouvement d'ensemble, qu'elle se trouve au centre du Monde, que le Soleil soit doué d'un double mouvement, que les étoiles fixes et la sphère qui les porte embrassent le reste de l'Univers, on peut, par des démonstrations très claires, le prouver et réfuter les hypo- thèses contraires, comme je l'ai montré en un autre ouvrage. Je crois donc qu'une seule tâche me reste et convient à mon présent objet; c'est d'exposer comment nous déduirons la même grandeur pour le Monde, comment nous conclurons des apparences fort peu différentes, que nous ayons adopté l'une ou l'autre supposition ; soit que, conformément à ce qui est, nous regardions la Terre comme immobile et située au centre du Monde, soit que nous attribuions ces propriétés au Soleil et que nous transférions à la Terre la sphère et les mouvements qui sont ceux du Soleil. » Ces paroles sont celles d'un adversaire du système de Copernic. Duhamel pensait avoir de bonnes preuves à opposer à ce système; il ne songeait nullement à le traiter comme une i. Paschasii Hamellii Begii mathematici Commentarius in Archimedis Syracusani prœclari Mathematici librum de numéro arenœ, multis locis per eundem Hamellium emendatum. Lutetiae Apud Gulielmum Cavellat, sub pingui Gallina, ex adverse» collegii Cameracensis, 1567. 3. Paschasii Hamellii loc. cit., pp. 10-11. nf Hl£Dl4£"V.) 2 52 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI impossibilité métaphysique ou comme une absurdité logique, à regarder comme des fous ceux qui adoptaient une opinion contraire à la sienne. Les sentiments qui animaient les Parisiens à l'égard de l'hypothèse du mouvement de la Terre se peuvent encore deviner, croyons-nous, si l'on compare l'attitude de Pierre Ramus à celle de Mélanchthon. Membre de cette Université de Wittemberg qu'illustrent de nombreux astronomes, où enseigne Érasme Reinhold, Mélanchthon n'ignore ni l'œuvre de Copernic, ni l'importance astronomique de cette œuvre. Mais s'il consent à ce que l'on disserte du mouvement de la Terre, c'est à la condition que cette discussion sera un pur jeu d'esprit, un pur exercice de géomètres. « Les hommes de science à l'esprit délié, dit-il à ce sujet 1 , se plaisent à discuter une foule de questions où s'exerce leur ingéniosité; mais que les jeunes gens sachent bien que ces savants n'ont point l'intention d'affirmer de telles choses. Que ces jeunes gens accordent donc leurs faveurs, en premier lieu, aux avis qui bénéficient du commun consentement des gens compétents, avis qui ne sont nullement absurdes; et dès là qu'ils comprennent que la vérité a été manifestée par Dieu, qu'ils l'embrassent avec respect et qu'ils se reposent en elle. » Mélanchthon s'efforce alors de prouver que la Terre est véri- tablement en repos; non seulement il résume dans ce but les raisons que fournit la Physique péripatéticienne, mais encore et surtout, il accumule les textes tirés de l'Écriture Sainte ; raisons et textes sont exactement ceux que l'Inquisition invo- quera pour déclarer, contre Galilée, que l'hypothèse du mou- vement de la Terre est \falsa in philosophia et formaliter hœretica. Ramus, élevé à Paris, et dont la vie s'est passée en grande partie à y enseigner, professe une opinion toute différente. Dirons-nous qu'il regarde le système de Copernic comme une vérité assurée? Ce serait peut-être forcer sa pensée. Mais à coup i. Initia doctrinae physicae dictata in Academia Vuitebergensi Philip. Melanth. Iterum édita Witebergae, per Johannem Lufft, i55o. — Nous n'avons pu consulter la première édition de cet ouvrage, qui est de i54ç). — Lib. I, cap: Quis est motus mundi? i.\ TRADITION DE Bl mi>.\\ BT LA SCIENCE itu.ii.wi. 40 IVf BIECLE 9 5 3 sur, il le regarde, en [56a, comme une hypothèse physique ment plausible; et il n'hésite pas à opposer à la Physique d'Aristote la possibilité d'une le 1 1 < * supposition. Aiisioïc a prétendu que le temps était I;» mesure m- l< principes que Gassendi devait adopter, en [64i, en ses EpisloUe fres de molu impresso a motore translate). L'année où La cène .» gnol Louis Vives, accabler de persiflages et d'injures l< s maîtres qui enseignaient à Paris cl, les doctrines qu'ils professaient. Soto n'alla pas jusqu'aux extrémités où se portail son compatriote; il ne s'abaissa pas à envelopper en des périodes cicéroniennes impeccables dos calembours de laquais et des grossièretés de goujat; il ne donna pas dans l'Humanisme et demeura philosophe scolastique; mais il se posa en adversaire convaincu du Nominalisme. Quétif et Échard nous montrent le jeune professeur d'Alcala occupé à chasser de l'enseignement de l'Université « les opinions ou, pour mieux dire, les nuages des Nominalistes » qui y régnaient. Plus tard, alors que Soto, depuis de longues années déjà, enseignait la Théologie à Salamanque, le corps académique de cette ville, désireux « d'éliminer de ses collèges la secte des Nominalistes », demanda au savant dominicain de l'y aider. Celui-ci rédigea dans ce but les Questions sur la Physique d'Aristote que nous nous proposons d'étudier 1 . Nous avons reconnu, d'ailleurs, quelle extraordinaire autorité Soto avait acquise parmi les Dominicains; nous nous étonne- rions donc de ne pas voir ses préférences philosophiques se porter, en la plupart des problèmes, vers les solutions 1. Selon Quétif et Échard (Scriptores ordinis prœdicatorum, t. II, p. 172), la première édition des : In octo libros physicorum commentarii et quœstiones, fut donnée à Sala- manque en 1 545. Nous avons consulté la seconde des éditions mentionnées par Quétif et Échard; elle est ainsi intitulée : Reverendi Patris Dominici Soto Segobiensis, Theologi ordinis Praedicatorum in inclyta Salmanticensi Academia professons ac Caesareae Maiestati a sacris confes- sionibus super octo libros Physicorum Aristotelis Commentaria. Tertia aeditio nuperrime ab Authore recognita, multisque in locis aucta et à mendis quàm maxime fieri potuit repurgata. Cum Privilegio. Salmanticae, In aedibus Dominici a Portonariis, Cath. M. Typôgraphi. MDLXXII. Le tome second est intitulé : Reverendi Patris Dominici Soto Segobiensis Theologi ordinis prœdicatorum super octo libros Physicorum Aristotelis Quœstiones. Salmanticae. In aedibus Dominici a Por- tonariis, Cath. M. Typôgraphi. MDLXXII. Quétif et Echard citent encore deux éditions postérieures à celle-là, savoir : Salmanticae, per [ldephonsum a Terranova et Neyla, i582. Duaci, unà cum Dialeclica, curis Jacobi Howerii Hoogstratani ordinis Prafdicatorum. 272 ÉTUDES SUR LÉONARD DÉ VÈNCt thomistes qui ont toujours été tenues, par les Frères prê- cheurs, en une estime particulière. Mais on se tromperait fort si l'on pensait trouver en lui un thomiste exclusif et obstiné, déterminé à embrasser, en tout sujet et jusqu'aux extrêmes limites, les opinions de l'Ange de l'École; on se tromperait également si l'on s'attendait à lui voir condamner sans pitié toutes les doctrines professées par les Nominalistes parisiens. Bien souvent, et même en des questions de très grande importance, nous le verrons aban- donner les positions que Saint Thomas avait tenues, et défendre celles qu'avaient choisies les Buridan et les Albert de Saxe. Cette manière de faire, d'ailleurs, était bien dans l'esprit de la Scolastique parisienne. Largement éclectiques, les Parisiens redoutaient fort l'attachement opiniâtre à l'opinion d'un seul maître 1 ; de leur éclectisme, un Espagnol, Pedro Ciruelo, formulait, à la fin du xv c siècle, la très décisive affirmation; et au temps même où Soto étudiait à Paris, un autre Espagnol, Juan de Celaya, affectait d'éclairer son enseignement de Phy- sique par la triple lumière que projettent le Thomisme, le Scotisme et le Nominalisme. Pendant son séjour aux rives de la Seine, Soto a appris de ses maîtres à pratiquer cette justice intellectuelle qui se garde de trancher un débat avant d'avoir entendu et pesé les avis des parties en litige. Aussi, ce dominicain en qui ses biographes nous montrent un adversaire résolu et persévérant du Nomi- nalisme est-il merveilleusement informé des traités composés par les maîtres dont les Nominalistes se réclamaient le plus volontiers ; ses Questions sur la Physique d'Aristote révèlent une connaissance approfondie non seulement des livres de Walter Burlcy et de Paul de Venise, mais encore de ceux qu'ont écrits Guillaume d'Ockam, Grégoire de Rimini, Marsile dTnghen et Joannes Majoris. Le désir de combattre sur leur propre terrain les philosophes dont il se propose de réprimer les doctrines excessives le con- duit à suivre de très près, en la rédaction de son ouvrage sur 1. La tradition de Jean Daridan et la Science Italienne au XVI e siècle, II : L'esprit de la Scolastique parisienne au temps de Léonard de Vinci; pp. i3o seqq. DOMINIQUE BOTO ET LA BGOLA8TIQUE PARISIEN!!] la Physique, l'ordre et La méthode qu'avaient adoptés les Nominalistes de Paris. Cet ouvrage offre une analogie m* aisément reconnaissable avec tes Physicse perscrutaliones que Luis Goronel avait publiées en i5n; les questions traitées et les arguments vises en ees deux écrits sont bien souvent les mêmes, encore que les solutions adoptées soient, en nombre de cas, différentes. Il arrive même que, pour rendre plus serrée son escrime contre les Nominalistes, Soto en vienne à emprunter leur jeu. Désireux de disserter d'une manière convaincante contre des adversaires très subtils, il est souvent réduit à rivaliser de subtilité avec eux. Par là, sa dialectique antinominaliste devient quelquefois aussi entortillée, aussi chicanière que celle des Nominalistes; en lisant ses Questions, Louis Vives eût sans doute retrouvé les souvenirs exécrés de l'enseignement qu'il avait reçu à Montaigu. Ce n'est pas seulement par la modéra- tion d'un Thomisme accueillant aux solutions plus modernes que Soto montre les liens qui l'attachent à l'école de Joannes Majoris; c'est encore par la forme de son argumentation, bien voisine de celle qui avait cours aux disputes de la Sorbonne. A quel point le Thomisme de Soto se teintait de Nominalisme parisien, et cela dans les thèses même les plus essentielles, nous Talions voir en passant en revue quelques-unes de ses opinions et, tout d'abord, en rapportant ce qu'il enseignait au sujet de l'infini. IV L'Infini potetstiel et l'Infini actuel. Au sujet de l'infini, les docteurs de la Scolastique se divisent en trois partis principaux 1 . Le premier parti tient pour la thèse d'Aristote et de son commentateur Averroès : La grandeur infinie est irréalisable i. Léonard de Vinci et les deux infinis (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, seconde série, pp. 3-53). — Sur les deux infinis (lbid., pp. 368-407). p. dlhkm. 18 2 74 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI parce que contradictoire; non seulement aucune grandeur infinie n'existe d'une manière actuelle, mais encore à la grandeur infinie, on ne peut attribuer l'être en puissance; aucune grandeur ne saurait être accrue de manière à sur- passer toute limite. Saint Thomas d'Aquin avait admis cette doctrine péripaté- ticienne; même à la toute -puissance de Dieu, il déniait le pouvoir de réaliser ni une grandeur infinie actuelle, ni une grandeur infinie potentielle, car si Dieu peut tout ce qui n'implique aucune contradiction, il ne peut réaliser l'absurde. La logique raffinée introduite en l'École de Paris par les Summulae de Petrus Hispanus ne se contenta pas de substituer aux notions d'infini actuel et d'infini potentiel les notions quelque peu différentes d'infini catégorique et d'infini synca- tégorique; elle donna en outre naissance, au sujet de l'infini, à deux théories bien différentes de la théorie péripatéticienne. De ces deux théories, il en est une qui s'oppose, de la manière la plus absolue, à la doctrine d'Aristote, d'Averroès et de Saint Thomas d'Aquin; elle tient pour exempte de toute contradiction l'existence de la grandeur infinie et de la mul- titude infinie soit syncatégoriques, soit même catégoriques; Dieu peut donc créer un volume catégoriquement infini, une multitude catégoriquement infinie; il peut diviser d'une ma- nière actuelle un continu en une infinité de parties infiniment petites. Proposée tout d'abord, semble-t-il, par Jean de Bassols, disciple immédiat de Duns Scot, cette opinion fut soutenue, avec une prodigieuse vigueur logique, par Grégoire de Rimini. Entre la doctrine péripatéticienne et la doctrine de Grégoire de Rimini, il est possible de tenir un parti intermédiaire; on peut prétendre que l'infini catégorique ne saurait être réalisé sans contradiction, mais que la réalisation de l'infini syncatégorique est exempte d'absurdité. Selon cette manière de voir, Dieu ne saurait produire ni une multitude ni une grandeur qui fût catégoriquement infinie; mais la production d'une multitude ou d'une grandeur qui croisse au delà de toute limite, la division indéfinie d'un continu en parties dont DOMINIQUE BOÎO BT LA 8GOLA8TIQUE PARISIEN M la grandeur finisse par tomber au dessous de toute limite sont choses qui sont en sa toute-puissance. Proposée dès la fin loppait à Montaigu, rue du Fouarrc cl à la Sorbonne. Com ment, d'ailleurs, en pourrait il être autrement? La thèse que notre auteur entreprend de réfuter, en la combattant pied à pied, c'est celle de Grégoire de EUmini; il n'est donc pas étonnant que le nom et les raisons de ce grand nominalistc s'offrent presque à chaque page. Contre ces raisons de Gré goirc de Rimini, comment ne point user des ripostes imaginées par Jean Buridan et par Albert de Saxe, puisque c'est leur opinion qu'il s'agit de faire prévaloir? Nous ne saurions donc nous étonner lorsque nous trouvons, en l'ouvrage de Soto, de longues discussions sur la division de l'heure en parties proportionnelles et sur cette ligne hélicoïdale « de qua tam se anxie afjUgunl malti » l . L'Équilibre de la Terre et des Mers. En voyant Dominique Soto délaisser la doctrine d'Aristote et de Saint Thomas d'Aquin pour s'attacher à l'une des opinions reçues par les Parisiens, alors que la question en litige est une des plus graves de la Métaphysique, nous mesurons toute la profondeur de l'impression que l'enseignement nominaliste avait marquée en la raison du futur professeur de Salamanque. Nous ne nous étonnerons plus lorsque notre auteur se montrera fidèle disciple des philosophes modernes en certaines théories de Physique où l'autorité de la discipline péripatéticienne n'avait presque aucune occasion de s'exercer. C'est ainsi que nous pouvons noter, en une des questions traitées par Soto 2 , une adhésion pleine et entière à la théorie i. Dominici Soto Op. laud.; in lib. III, quaest. IV; éd. cit., t. II, fol. 55, col. c. 2. Dominici Soto Op. laud.; in lib. IV, quœst. II : Utrum omne corpus locum sibi vindicat naturalem, atque adeo, omne ens necessario sit in loco uno ; Art. 1: Pe naturajibus locis corporum. 278 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI de l'équilibre de la terre et des mers qu'Albert de Saxe avait sinon imaginée, du moins grandement développée 1 . Soto admet 2 que la terre est en son lieu naturel lorsque le centre de gravité de cette masse est au centre du Monde : « Les mots : lieu naturel n'expriment pas simplement, comme les mots : lieu mathématique, une surface contenante ; ils expri- ment en outre une vertu conservatrice ; cette vertu conser- vatrice, sans doute, a son siège dans tout l'espace qui se trouve borné par la surface concave de l'eau et aussi par la surface concave de l'air, en toute la région où la terre n'est pas couverte par l'eau ; mais elle réside de la manière la plus parfaite au centre de gravité de la terre ; et c'est pourquoi la terre se meut vers le centre du Monde. » Voici maintenant 3 la raison pour laquelle une partie de la terre émerge au-dessus de la sphère de l'eau : « Ne vous étonnez pas que la sphère de l'eau se trouve plus basse que notre continent; cette partie de la terre qui est émergée est beaucoup plus légère que la partie qui est recou- verte par les eaux, car elle est plus sèche; aussi le centre de gravité de la terre n'est-il pas le même que le centre de gran- deur ; ce centre de gravité est beaucoup plus voisin de la surface terrestre recouverte par les eaux qu'il ne l'est de notre continent. Gomme, d'ailleurs, le centre de gravité coïncide avec le centre du Monde où la terre descend, que la sphère de l'eau doit être partout équidistante du centre du Monde, voici ce qui arrive : Si, du côté où se trouve la mer, la surface de l'eau est, par exemple, à cent mille pas de ce centre, de notre côté, le lieu naturel de l'eau s'étendra aussi jusqu'à cent mille pas du centre de gravité ; de notre côté, ce qui reste de la terre, [au delà de ces cent mille pas, émerge, et la terre] occupe une grande partie de la sphère naturelle de l'eau. » 1. Albert de Saxe et Léonard de Vinci, II : Quelques points de la Physique d'Albert de Saxe (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, I; première série, pp. 7 seqq.) — Léonard de Vinci et les origines de la Géologie, X : Albert de Saxe (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XII ; deuxième série, pp. 337 seqq.). 2. Soto, loc. cit.; éd. cit., t. II, fol. G2, col. b. 3- Soto, loc. cit.; éd, cit., t. Il, fol. 03, col. a,. DOMINIQUE BOTO 11 LA SCOLASTIQUl PAR18IBMN1 -i 7 chute par la moyenne entre la vitesse initiale et la vitesse finale. Ces deux l«>is dominent toute La théorie de la chute des corps. La découverte en est, ordinairement, attribuée à Galilée. Nous allons voir, cependant, que Dominique Solo en admet formel lement L'exactitude; il L'admet, qui plus est, comme vérité courante, à la façon donl il admettrait une proposition commu- nément reçue, en son temps, dans les écoles. Et en effet, ces deux lois ne devaient guère être révoquées en doute, dans les Universités espagnoles, au début du xvT siècle, car elles résul- taient fort naturellement de l'enseignement des Nominalistes parisiens. Mais cet enseignement, dont Dominique Soto et ses contem- porains pouvaient tirer de tels corollaires, s'était lui-même constitué par des progrès successifs dont nous allons nous efforcer de retracer l'histoire. Il nous faut tout d'abord examiner comment s'est éclaircie la notion de mouvement uniformément accéléré. Les physiciens et les astronomes de l'Antiquité, ceux du Moyen-Age jusqu'au milieu du xiv c siècle, n'ont considéré avec quelque attention que deux sortes de mouvements : le mouve- ment de translation uniforme et le mouvement de rotation uniforme. Parfois, à la vérité, il leur arrivait de rencontrer, au cours de leurs spéculations, un mouvement qui n'appar- tint à aucune de ces deux catégories ; Aristote savait fort bien, par exemple, qu'un grave se meut de plus en plus vite au fur et à mesure que sa chute dure davantage, et bien d'autres après lui avaient écrit sur ce mouvement accéléré; mais ceux qui en parlaient se contentaient d'indications purement qua- litatives; ils ne cherchaient pas à décrire avec une précision géométrique ce changement de vitesse. En deux translations uniformes, la comparaison des vitesses se fait, pour ainsi dire, d'elle-même; les vitesses des deux mobiles sont entre elles comme les longueurs décrites, pendant le même temps, par un point du premier mobile et par un point du second mobile; il n'est pas nécessaire de préciser davantage le temps durant lequel les deux longueurs sont 292 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI décrites, ni de désigner, en chacun des deux mobiles, le point dont on mesure le chemin. La comparaison de deux rotations uniformes peut se faire non moins aisément, en évaluant le rapport des deux vitesses angulaires ; la notion de vitesse angulaire en une rotation uni- forme s'est présentée si simplement et si naturellement à l'esprit des astronomes, qu'on la trouve, dès l'origine de l'Astronomie grecque, implicitement présente en tous les écrits consacrés à la Science des mouvements célestes, sans qu'il en soit donné aucune définition formelle. Qu'est-ce que la vitesse en un corps dont les diverses parties se meuvent d'une manière différente, ou bien qui ne se meut pas de même à des époques différentes? Cette question ne s'est explicitement posée à l'esprit des physiciens qu'en un temps fort tardif. Elle paraît avoir, tout d'abord, revêtu cette forme : Que faut-il appeler vitesse en un corps dont toutes les parties ne sont pas animées d'un même mouvement et, spécialement, en un corps animé d'une rotation uniforme? Répondre à cette question est, en effet, l'objet d'une jDièce anonyme que l'imprimerie, croyons-nous, n'a jamais repro- duite, et qui se trouve en un manuscrit de la fin du xin c siècle conservé à la Bibliothèque Nationale 1 . Cette pièce semble devoir être placée à l'origine de tout le mouvement intellectuel que nous nous proposons d'étudier. Ce court traité débute, à la manière Euclidienne, par l'énoncé de sept postulats que nous allons reproduire en leur texte latin : Qux magis removentur a cenlro, magis moveniur, et qux minus, minus. Quando linea xqualiter, et uniformiter, et œquidistanter move- tur, in omnibus partibus suis et inpunctis ipsis xqualiter movetur. Quando medietales xqualiter et uniformiter moveniur a se invicem, totum xqualiter movetur sux medietati. 1. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. n° 8G80 A. La pièce en question com- mence au bas du fol. 6, r°, par ces mots : Que magis renoventur [lisez : removentur] a centra magis moventur et que minus minus. Elle finit en bas du fol. 7, r°, par ces mots : Residuurn igitur quod est . g. f. equale est duplo . c. d. et linee . o. b. In tant uni erit . h. a. DOMINIQUE smii r.T LA BCOLÀS PARISIBNTff Inter lineas reclus sequales sequalibus temporibus motas, quse majus spatiurn transit et ad majores terminos, magis movetur, et r<-lur. Quod née majus spatiurn née ero Leonardi et Luce Alantse fratrum Anno domini MCCCCCXV. Decimo- nono die Maii. 3. Bibl. Nat., fonds latin, Ms. n" 655g. — Les Proporciones Bradewardyn com- mencent au fol. kg, col. a, et finissent au fol. 58, col. a. DOMINIQUE BOTO ET LA SCOLAS I puuminm ».,- exclusivement de pièces écrites par des maîtres d'Oxford, nous offrira de sérieuses garanties d'intégrité et d'exactitude. La théorie arithmétique < M o II i.a SCOLÀSTIQUE PARISIENNE 3oi stante et à une résistance constante se meul d'un mouvement uniforme dont la vitesse est proportionnelle à La grandeur de la puissance et 6H raison inverse de l;i grandeur i i position qui nous paraît Bingulièrement étroite; une infinité d'autres lois nous apparaissent comme également possibles. Que l'on puisse concevoir d'autres lois de La chute des graves, Albert ne L'ignore pas et, tout à L'heure, il va en définir qu'il discutera. Mais ces qualre là, par leur plus grande simplicité, séduisent particulièrement son attention et lui semblent les plus probables. Et d'ailleurs, Huygens, en i646», ne regardait- il pas encore comme certain que la ebute des corps dût suivre l'une de ces quatre lois, et ne lui paraissait-il pas suffisant de décider, par l'exclusion de trois d'entre elles, que la quatrième était exacte? Albert de Saxe se propose un objet analogue à celui que Cbristiaan Huygens devait, un jour, s'efforcer d'atteindre. Pour fixer son choix, il invoque, à titre d'axiome, une proposition qu'il regarde comme l'expression de la pensée d'Aristote : Si un grave était placé infiniment loin du centre du Monde et si on le laissait tomber, la vitesse de ce grave croîtrait au delà de toute limite, et elle deviendrait infinie avant que le mobile eût atteint le centre de l'Univers. Fort de cet axiome, notre auteur exclut les lois de chute de la seconde forme, car selon ces lois, quelque grande que soit la durée de la chute ou quelque long que soit le chemin parcouru par le mobile, la vitesse ne pourrait jamais dépasser une certaine limite assignable d'avance. Une considération du même genre lui permet d'exclure certaines autres lois que l'on pourrait proposer; on pourrait imaginer que la vitesse crût en progression arithmétique alors que les accroissements successifs du temps formeraient une progression géométrique de raison fractionnaire, de raison ~ par exemple, ou bien encore, alors que les accroissements successifs de l'espace parcouru suivraient une semblable progression. Ces hypbthèses, en effet, permettraient à la vitesse de chute de prendre toute valeur, si grande soit-elle, avant la fin du mouvement, et cela quelque petite que soit la durée de ce mouvement ou quelque petit que soit l'espace par- i. Huygens et Roberval, Documents nouveaux, par G. Henry; Leyde, 1880. Lettre de Cljristiuan Huygens à Mersenne en date du 38 octobre 164O. 3l2 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI couru, ce qui est absurde : « Nam tune sequeretur quod quilibet motus naturalis qui per quantumeunque tempus parvum duraret, vel quo quantumeunque parvum spatium pertransiretur, ad quemeunque gradum veloeitatis pertingeret ante finem ; modo est falsum. » Il est permis d'admirer la finesse et la précision avec laquelle, au milieu du xiv e siècle, un maître-ès-arts savait mettre en évidence l'absurdité de certaines suppositions touchant la loi de la chute accélérée des graves. A la discussion que nous venons d'analyser, Albert donne la conclusion suivante : « Il faut donc entendre que l'intensité du mouvement du grave devient double, triple, etc., dans le sens suivant : Quand un certain espace a été parcouru, ce mouvement aune certaine intensité (vitesse); quand un espace double a été parcouru, la vitesse est double; quand l'espace parcouru est triple, elle est triple, et ainsi de suite. Et ideo teriia conclusio intelligitur, quod intendilur per duplnm, triplum etc., ad istum inlellectum quod, quando ipso pertransitum est aliquod spatium, est aliquantus; et quando ipso est pertransitum duplum spatium, est in duplo velocior; et quando ipso pertransitum est triplum spatium, est in triplo velocior; et sic ultra. » La loi ainsi formulée par Albert de Saxe comme loi possible de la chute des graves n'est pas la proportionnalité de la vitesse à la durée de la chute; c'est la proportionnalité de la vitesse à l'espace parcouru par le mobile. On sait que cette loi devait séduire Galilée dans sa jeunesse et qu'il en devait, plus tard, démontrer l'absurdité. Mais on doit remarquer qu'en l'analyse d'Albert, Yextensio secundum tempus est, constamment, mise en parallèle de Yextensio secundum distant iam; sauf en la conclusion que nous venons de citer, notre auteur a toujours soin de répéter de l'une ce qu'il a dit de l'autre; la concision seule de son exposé l'a, sans doute, détourné de prolonger cette répé- tition jusqu'à la fin, et de signaler comme également reccvable la proportionnalité de la vitesse à la durée de la chute ; entre cette loi exacte et la loi erronée, son choix, très certainement, demeurait suspendu; l'attention d'un lecteur intelligent pouvait DOMINIQUE SOTO El LA 8COLA8TIQUE PARISIElfltl 3l3 Be porter aussi bien sur la loi exacte qu'Alberl n'avail pai formulée que sur la loi erronée dont il ;i\;iii donné l'énoncé explicite. Chez aucun des contemporains ni des successeurs immé- diats d'Albert de Saxe nous n'avons rien trouvé qui précisât la loi selon laquelle croit la vitesse «de chute d'un grave. M « « î - la grande vogue des Quœstiones in libros de Cselo composées par notre auteur suffît à nous assurer que l'Ecole de Paris, au cours du Moyen -Age, ne demeura pas ignorante de ce qu'il avait enseigné touchant cette importante question. L'impri- merie se chargea d'ailleurs, au moment de la Renaissance, de donner à cet enseignement une plus grande extension. À la vérité, deux éditions des Quœstiones in libros de Cselo, celles qui furent données à Paris en i5i6 et en i5i8, ont omis la question où se trouve étudiée la loi d'accroissement de la vitesse en la chute accélérée d'un grave; mais les éditions données à Pavie en i/j8i, à Venise en 1/192, en 1/497 e * en I ^ 2 ° suffisaient à réparer cette omission. Qu'à la fin du xv e siècle, qu'au début du xvi e siècle, on lût attentivement les Questions rédigées par Maître Albert de Saxe, les témoignages en sont innombrables; que le passage dont nous venons de faire l'analyse eût, à cette époque, attiré l'attention de certains scolastiques, nous en pouvons citer une preuve convaincante. Vers la fin du xv e siècle, le Parisien Pierre Tataret rédige un manuel de Philosophie intitulé : Clarissima singulàrisque totius Philosophie necnonMetaphysicœ Aristotelis exposilio, ou bien encore : Comment ationes in libros Aristotelis secundum Subtilis- simi Doctoris Scoli sentenliam. Gomme bon nombre de ceux qui, au xv e siècle, enseignaient la Théologie en Sorbonne, Pierre Tataret, par ses doctrines métaphysiques, se rattache à l'École scotiste, tandis qu'il emprunte ses théories de Méca- nique à l'École nominaliste parisienne et, en particulier, à Albert de Saxe ou à Marsile d'Inghen. C'est ainsi que son manuel, en ce qui touche la loi suivant laquelle s'accélère la chute d'un grave, se borne à reproduire textuellement T ce 1. Pétri Tatareti, Op. laud., De Cselo et Mundo lit». ïl us , tract. II, circa finem. 3l4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI qu'Albertutius avait écrit en ses Quœstiones in libros de Caelo et Mundo. Or le résumé de Philosophie composé par Pierre Tataret eut une vogue extrême ; le Repertorium bibliographie um de Hain en mentionne sept éditions incunables, et d'autres éditions, fort nombreuses, furent imprimées pendant le pre- mier tiers du xvi e siècle. Par là, la doctrine d'Albert de Saxe reçut une nouvelle et très considérable diffusion. Nul ne l'ignorait, sans doute, parmi les maîtres parisiens, au temps où Léonard de Vinci vint en France terminer sa glorieuse existence, au temps où Soto recueillit les enseignements de l'Université parisienne. Lors donc que nous entendrons Léonard de Vinci d'abord, Dominique Soto, ensuite, enseigner que la chute d'un grave est un mouvement uniformément accéléré, nous serons en droit de penser que leur affirmation a été suggérée par les suppositions qu'Albert de Saxe avait indiquées. Nous aurons ainsi, semble-t-il, découvert la source de l'une des lois essentielles de la chute des corps. D'où provient la seconde loi, celle qui relie l'espace parcouru par le mobile à la durée de la chute ? C'est ce que nous allons maintenant rechercher; et cette recherche nous amènera à reconnaître le très grand rôle qu'a joué, en cet acte du progrès scien- tifique, un savant contemporain d'Albert de Saxe, Maître Nicole Oresmc. XII De intensione et remissione formarum Quantité et qualité constituaient, pour Aristote, deux catégories essentiellement distinctes. Discontinue, comme le nombre, la quantité est une somme d'unités ; le nombre croît par l'addition de nouvelles unités à celles qui le compo- saient déjà. Continue, comme la longueur, la surface ou le volume, la quantité est une juxtaposition de parties ; les parties d'une grandeur ont, toutes, même nature les unes DOMINIQUE BOTO ET LA SCOLA8TIQUE PARItlBHNl 11 » que les autres et même nature <|n<' l;» quantité formée par leur réunion ; toutes lni des surfai toutes les parties d'un volume sont des volumes; une quantité croit par l'addition de parties nouvelles aux parties préexis- tantes, et les parties ajoutées sont de même espèee que les parties auxquelles elles s'ajoutent. Qu'il s'agisse donc de la quantité discontinue ou de la quantité continue, certaines propositions demeurent égale- ment vraies; des quantités de grandeurs différentes peuventetre cependant de même nature, de même espèce; elles sont toutes deux formées par la réunion de parties homogènes les unes aux autres ; seulement, la plus grande des deux quantités contient un plus grand nombre de parties que la plus petite ; elle peut être engendrée, à partir de cette plus petite quantité, par l'addition de nouvelles parties absolument semblables à celles qui formaient cette plus petite quantité; dans la quantité plus grande ainsi obtenue, la quantité plus petite demeure contenue; l'opération par laquelle on l'a fait croître, simple juxtaposition de parties nouvelles, ne l'a ni détruite, ni modifiée. La catégorie de la qualité est essentiellement distincte de la catégorie de la quantité; rien de ce qui peut être dit de celle-ci ne saurait être témérairement étendu à celle-là. Il peut arriver que deux qualités de même sorte n'aient pas même intensité ; un corps peut être plus chaud qu'un autre; au premier corps, cette forme qualitative qu'est la chaleur est plus intense (intenditur) ; au second, elle est plus atténuée (remittitur). Gardons-nous bien de répéter au sujet de Yintensio et de la remissio de la chaleur ce que nous sommes en droit de dire de la grandeur et de la petitesse d'une quantité. Ni la chaleur intense ni la chaleur atténuée n'est une réunion de parties de chaleur qui soient toutes de même espèce, qui soient toutes homogènes à des chaleurs plus intenses qu'elles fourniraient en s'ajoutant les unes aux autres; la chaleur plus intense ne saurait aucunement être engendrée en prenant, sans la détruire ni la modifier, la chaleur moins intense 3i6 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI et en adjoignant à celle-ci de nouvelles parties de chaleur; la chaleur moins intense n'existe pas, actuellement et réelle- ment, en la chaleur plus intense de la même manière que le contenu plus petit existe, actuellement et réellement, à l'inté- rieur du contenant plus grand. Chaque chaleur d'une intensité donnée est une chaleur d'une espèce déterminée, et cette espèce est distincte de l'espèce à laquelle appartient toute chaleur d'une autre intensité ; une chaleur atténuée ne peut être regardée comme une partie d'une chaleur plus intense; toute chaleur d'intensité donnée est quelque chose d'essentiel- lement indivisible. . Puisqu'une chaleur atténuée ne se transforme pas en chaleur intense par l'addition de nouvelles parties de chaleur, à la façon d'une grandeur qui croît, comment donc se produit cette transformation ? Cette question pose le problème de l'exaltation d'intensité et de l'atténuation des formes qualita- tives, de intensione et remissione formarurn, qui a si longue- ment préoccupé la Scolastique médiévale. Elle se rattache par des liens fort étroits et fort apparents à certaines discussions do la Physique moderne; pouvons-nous, par exemple, définir ce qu'il convient d'entendre par le mot température sans analyser de nouveau, comme les analysaient les maîtres du Moyen-Age, les caractères qui distinguent la catégorie de la qualité de la catégorie de la quantité ? Avides des précisions que marque la Logique comme des vérités que découvre la Science positive, les théologiens du Moyen-Age recherchaient volontiers, en l'étude du Dogme, l'occasion de montrer leur subtilité de dialecticiens ou leurs connaissances de physiciens; aussi la Science moderne a-t-elle, bien plus que l'Apologétique, tiré profit de mainte discussion dont les docteurs en Théologie ornaient ou surchargeaient leur enseignement. Ainsi en a-t-il été du problème de intensione et remissione formarum. En son premier livre des Senlenees, Pierre Lombard avait fait cette remarque 1 : «En l'homme, la charité augmente i. Pétri Lombardi Episcopi Parisiensis Sententiorum libri IV, Lib. I, Dist. XVII ; De missione Spiritus sancti qua invisibiliter roittitur. DOMINIQUE SOT0 El LA 8GOLA8TIQUE PAM8IEWN1 3l^ ou diminue et, à des époques diverses, elle y esi plus ou moins Intense, n Ce texte «< fourni aui docteurs en Théologie un prétexte qui leur permit LA BC0LA8TIQU1 P IRISIBlflll distinction subtile miiis qui j< n j<* un rôle d'une extrême impoi tance en la Métaphysique du Docteur Angélique el de continuateurs. En ce débat, Henri de < ■;< n< 1 (1217 1293) se range nettement au parti de Saint Thomas d'Aquin : « U intensif) et 1;» remise io des formes, » dit-il ■ , « se doivent produire en leur essence et par leur nature même, car en leur essence même, elles possèdent une certaine latitude (lalittido). Ce n'est donc pas en la nature du sujet, mais en la nature même de la forme, considérée en soi, qu'il faut chercher la raison et la cause de l'augmentation dont cette forme est susceptihle. » En son essence même, cette forme est capable de plusieurs degrés; chaque degré inférieur est en puissance du degré plus élevé; la mise en acte de ce degré plus élevé constitue lac croissement de la forme. Henri de Gand ne s'interdit pas de dire que chaque degré est une certaine quantité de la forme, que le degré inférieur est une partie du degré supérieur; mais ces termes, il les entend assurément au sens métaphorique, au sens où l'on peut dire que l'existence en puissance est une partie de l'exis- tence en acte, que cette existence- ci est plus grande que celle-là. Il se garde bien de croire que l'accroissement d'une forme se fasse comme l'augmentation d'une grandeur, qu'elle résulte de l'apposition de parties nouvelles à des parties préexistantes. « L'augmentation des formes, dit-il, ne se fait pas par une apposition de parties en leur substance ou en leur essence; c'est un accroissement de force (in virtute), grâce auquel la forme augmentée devient plus efficace en sa propre opération, ce que ne saurait produire l'addition du semblable à son semblable; une tiédeur ajoutée à une tiédeur égale ne fait pas une chaleur plus grande. » L'exemple dont le Docteur Solennel vient d'user pour mettre en évidence la distinction qui existe entre l'augmentation d'une grandeur et l'exaltation 1. Quodlibeta Magistri Henrici Gocthals a Gandavo doctoris Solemnis : Socii Sorbo- nici: et archidiaconi Tornacensis. cum. duplici tabella. Vcnundantur ab Iodoco Badio Ascensio, sub gratia et privilcgio ad fine m explicandis. — Colophon : In chalcogra- phia lodoci Badii Ascensii... undecimo kalcndas Septembres Anno domini MDXVI1I. Quodlibetuin V, quapst. XIX; fol. excv, r° etv°. 320 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI d'intensité d'une qualité va être d'un constant usage dans les discussions scolastiques. L'essence même de la forme, selon la doctrine thomiste, comprend divers degrés dont chacun, plus parfait que les degrés inférieurs, possède en acte quelque chose qui était seulement en puissance dans les degrés inférieurs; imitant mieux la perfection divine que ne l'imitent les degrés infé- rieurs, le degré supérieur est plus grand d'une grandeur de perfection (magnitudo perfectionis) et non d'une grandeur de masse (magnitudo molis) 1 . Afin de faire comprendre les rapports qu'ont entre eux les degrés de plus en plus parfaits d'une même forme qualitative, Hervé de Nédellec (f i32 2) use d'une comparaison 2 qui met bien en évidence la pensée essentielle de la doctrine thomiste: « le degré atténué, » dit le Docteur breton, « est contenu dans le degré plus intense, comme l'âme végétative est impliquée en l'âme sensitive et celle-ci en l'âme intellectuelle. » Sous la plume d'Henri de Gand,nous avons rencontré, pour la première fois, ce terme nouveau : latitude d'une forme (lalitudo formas); ce terme désigne la propriété essentielle par laquelle cette forme est plus ou moins voisine de son terme suprême, plus ou moins parfaite, partant plus ou moins intense; ce mot nouveau, nous Talions voir prendre une singulière vogue en la Scolastique du xiv e siècle. L'expression lalitudo formas est nettement délinie en une Somme de Logique que l'on rencontre parmi les Opuscules de Saint Thomas d'Aquin, mais qui fut sûrement rédigée long- temps après l'époque où vécut le Docteur Angélique 3 . Voici ce que nous lisons en cette Somme [i : i. Hcnrici a (iandavo Quodlibeta; Ouodlibetuin V, quœst. Il 1 ; éd. cit., fol. CLVi, v°. 2. Sublilissima Hervci Natalis Britonis... quodlibeta undecim cum octo ipsius profun- dissimis tractatibus... De beatitudine, De verbo, De eternitate mundi, De maleria celi, De rclatione, De pluralitate formarum, De virtutibus, De motu angeli. — Venctiis, i5i3. Quodlibctum VII, quœst. XV11. 3. Cari Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande, Leipzig, 1867; ^d. '"> PP« J ^°~ 20']. — 1\ Duhem, Le mouvement absolu et le mouvement relatif. Note : Sur une Somme de Logique attribuée à Saint Thomas d'Aquin (Revue de Philosophie, 9* année, 11° 4, 1" avril 1909; p. 43G). — P. Mandonnct 0. P., Des écrits authentù/ues de Saint Thomas d'Aquin; Fribonrg, 1910 (Extrait de la Revue Thomiste, 1909-1910). 4. Sancti Thoma; Aquinalis Opuscula; Opusc. XLVIII : Totius logic.r Aristotrlis summa; tract. II : De praîdicamentis; cap. IV. DOMINIQUE SOTO ET i\ SCOLASTIQU1 PARISIEN!!] i'Jï n La substance a, en commun avec certains accidents, deux caractères: Elle n'admel rien qui lui boH contraire, el elle n'est susceptible ni de plus ni de moins. Pour comprendre ces propositions, il Paul savoir que certaines formes sont doué* - de latitude ei d'autres non; el c'esl parce que certaines formes son! susceptibles de la susdite latitude qu'elles admettent un contraire, bien que cela ne soil pas vrai de toutes ces formes. » Afin de savoir ce qu'est celle latitude, remarquez que, pour les choses spirituelles, on conçoit L'augmentation pin- extension de ce que Ton sait de la grandeur des choses corpo- relles; or, lorsqu'il s'agit de quantité corporelle, on dit d'une chose qu'elle est grande lorsqu'elle approche de la perfection qui convient à sa grandeur; voilà pourquoi telle chose suscep- tible de quantité est dite grande en un homme qui ne serait point réputée grande en un éléphant. De même, lorsqu'il s'agit de formes, une chose est dite grande dans la mesure où elle est parfaite. » iMais la perfection d'une forme peut être considérée à deux points de vue, selon que l'on considère la forme elle-même, ou bien la participation du sujet à cette forme. Dans le premier cas la forme, est dite grande ou petite; on dira, par exemple, une petite blancheur. Dans le second cas, on emploie les mots plus ou moins; on dit d'un corps qu'il est plus ou moins blanc. Lorsqu'une forme est douée par elle-même d'une indé- termination telle qu'elle puisse être réalisée plus ou moins dans le sujet, c'est-à-dire d'une manière plus ou moins par- faite, on dit qu'elle est douée de latitude et qu'elle atteint tel ou tel degré d'intensité ou de rémission. » Henri de Gartd avait pris le mot latitude pour formuler la théorie thomiste de l'intensité des formes; il faisait de la lati- tude une propriété qui résidait en Y essence même de la forme. C'est au sens égidien que l'auteur de la Somme de Logique prend cette même expression; ce n'est pas par essence, mais par existence que la forme est douée de latitude; indéterminée par elle-même, elle est déterminée à telle ou telle latitude, à tel ou tel degré d'intensité, selon qu'elle se trouve mise en acte, au sein du sujet, d'une manière plus ou moins parfaite. P. DLHEM. 31 022 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI Vintensio de la forme, qui marque son degré de perfection, se doit bien distinguer de Yextensio, qui marque la grandeur du sujet où cette forme est réalisée; autre chose, pour un corps, est d'offrir aux yeux une blancheur plus ou moins intense, autre chose d'être un objet blanc d'étendue plus ou moins grande II est si naturel de faire cette distinction qu'on la trouve, plus ou moins nettement marquée, par tous les Scolasliques et, en particulier, par Saint Thomas d'Aquin. L'auteur de la Somme de Logique la signale à son tour; il a soin d'opposer la lalitudo à Yexten&k) : « La perfection ou l'imperfection de la quantité dépend de l'extension plus ou moins grande; c'est d'après cette extension qu'un objet est dit plus grand ou plus petit. Mais une exten- sion plus ou moins grande n'est pas toujours une cause suffi- sante pour que l'on dise d'une chose qu'elle est plus ou moins, car il se peut que Ton ne juge pas de son existence par l'ex- tension... Certaines formes, on le voit, sont susceptibles de plus ou de moins et certaines autres non; celles qui sont susceptibles de plus ou de moins, ce sont celles qui sont douées de ce que l'on a nommé latitude. » C'est un égidien, nous l'avons fait remarquer, qui vient d'user du mot latiludo formœ, alors qu'Henri de Gand s'en était servi pour formuler la théorie thomiste. Ce mot, nous le retrouvons constamment sous la plume de Durand de Saint- Pourçain qui, en son Commentaire sur les Sentences, rédigé vers i33o, adopte la théorie thomiste de l'intensité des formes 1 et combat vivement la théorie égidienne. Durand émet, en effet, des assertions telles que celles-ci : « II nous faut affirmer que l'intensité et la rémission de la forme dépendent des degrés divers de l'essence de cette forme. Cela peut se prouver de la manière suivante: Ce que l'exten- sion plus ou moins grande est pour la quantité, l'intensité plus ou moins grande l'est pour la qualité. Mais l'extension plus ou moins grande dépend de l'essence même de la quan- tité; celle-ci, en effet, a, en son essence, une latitude capable i. Durandi a Sancto Portiatio Super sentenlias Pétri Lombardi commentarii ; Lib. I, Dist. XVII, qurcst. V: Utrum charitas possit augeri ? 1 DOMINIQUE solo ici la BCOLASTtQI i PAfelSlBltftS de s'étendre plus ou moins. L'intensité plus ou moins grande dépend donc, elle aussi, de L'essence même de la qualité, en tanl que cette qualité est douée, à cet effet, d'une Latitude susceptible de degrés divers. n lui second lien, cela se voit encore de la manière suivante : l'indivisibilité dune forme est la raison pour laquelle cette forme n'est pas susceptible de plus ou de moins; de même, la divisibilité en degrés est la raison qui rend la forme capable de plus ou de moins; or l'indivisibilité d'une forme dépend de l'essence de celte forme; il en doit donc être de même de la divisibilité. » La divisibilité de la forme en degrés ne ressemble d'ailleurs aucunement, en la pensée de Durand de Saint-Pourçain, à la divisibilité d'une quantité en parties ; les degrés successifs désignent une perfection de plus en plus grande de la forme; chacun d'eux est virtuellement contenu dans le degré plus élevé; mais il n'en saurait être détaché comme une partie le peut être d'un tout; la division d'une forme en degrés doit être assimilée à la division d'un genre en espèces que l'on peut échelonner selon leur degré plus ou moins élevé de perfection. De cette comparaison, il est bien aisé de glisser à une doctrine que Durand combat vivement 1 , mais qui, avant comme après lui, eut de nombreux partisans. Tous les auteurs dont nous avons, jusqu'ici, analysé les opinions attribuent à une forme qualitative une certaine indétermination, une certaine latitude; par cette latitude, la forme peut, en un sujet, demeurer la même et, cependant, atteindre des intensités diverses, des degrés divers; soit que son essence approche plus ou moins de la perfection dont elle est susceptible, soit que cette essence, sans devenir ni plus ni moins parfaite, se trouve plus ou moins complètement réalisée dans le sujet. D'autres philosophes veulent, au contraire, qu'une forme ne soit affectée d'aucune indétermination; pas d'indétermination en l'essence de cette forme, par laquelle cette essence puisse i. Durandi a Sancto Portiano Op. laud., Lib. I, Dist. XVII, quaest. VII : Utrum eadem forma numéro possit esse intensa et remissa? 324 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI être dite plus ou moins parfaite; pas d'indétermination en l'existence, par laquelle le sujet puisse participer à la forme d'une manière plus ou moins complète. Chaque forme est entièrement déterminée et dans son essence, et dans son existence; elle n'est susceptible que d'une seule perfection et ne peut affecter que d'une seule manière le sujet en lequel elle est réalisée. Chaque forme, donc, est incapable d'une plus ou moins grande intensité; chacune d'elles possède un degré absolument invariable. Lorsque, par un langage vicieux, on parle des divers degrés d'une même forme, on veut, en réalité, désigner des formes diverses, spécifiquement distinctes les unes des autres, et appartenant seulement à un même genre; en ce genre, on les peut ranger de telle sorte que chacune d'elles soit plus parfaite que celle qui la précède et moins parfaite que celle qui la suit; mais aucune d'elles ne peut, par intensio, se transformer en celle qui la suit ni, par remissio, se réduire à celle qui la précède. Comment donc doit-on concevoir l'accroissement d'une qualité? Que sera, par exemple, un corps qui s'échauffe? Que l'on admette la doctrine thomiste ou que l'on adopte la théorie égidienne, en ce corps qui s'échauffe la chaleur est numériquement une, elle est toujours la même forme; seule- ment, d'instant en instant, l'essence de cette chaleur devient de plus en plus parfaite ou bien encore son essence est de mieux en mieux réalisée dans le corps échauffé. En ce corps qui s'échauffe, la théorie que nous exposons en ce moment voit non pas une seule et même chaleur qui acquiert successivement des degrés de plus en plus élevés, mais une infinité de chaleurs numériquement et spécifiquement distinctes les unes des autres. A chaque instant, une chaleur est détruite et, à sa place, une autre chaleur plus parfaite est engendrée; en la seconde chaleur, il ne subsiste rien de la première. L'échauflement n'est pas le mouvement par lequel l'essence d'une forme unique tend vers sa perfection; ce n'est pas non plus le mouvement par lequel une forme d'essence déterminée s'actualise de mieux en mieux en un certain sujet; c'est une continuelle succession de générations et de destruc- DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8TIQUE I'AHIsiinm. 3a5 lions par lesquelles une forme n'est produite que pour être tout aussitôt anéantie. Que cette opinion comptât déjà des partisans au temps de Saint Thomas d'Aquin, nous n'en saurions douter; !<• Docteur Angélique écrit, en effet 1 , en son Commentaire sur les Sentences : «Certains prétendent (pie la charité ne subit, par essence, aucune augmentation; que, Lorsque advient une charité plus grande, la charité moindre qui existait auparavant se trouve détruite; ainsi dit-on que les jours s'allongent lorsque des jours plus longs succèdent à des jours plus courts. » Cette doctrine est très certainement celle de l'auteur inconnu auquel on doit attribuer un traité De la pluralité des formes mis à tort 2 parmi les opuscules de Saint Thomas. Voici ce qu'on lit 3 , en effet, en ce traité, au sujet de l'accroissement des quantités et de l'opération qui exalte l'intensité d'une forme; la netteté de ce passage est digne de remarque : « De deux formes qui sont de même genre, il en est une, la plus parfaite, qui contient virtuellement l'autre, la moins parfaite; si une forme de moindre perfection était conjointe avec une forme plus parfaite, elle ne donnerait aucunement une forme encore plus parfaite; cette adjonction serait opéra- tion vaine. Or, dans la Nature, rien ne se fait en vain; il ne peut donc, entre espèces différentes, y avoir une addition telle qu'une forme préexistante demeure en même temps que la forme qui survient. Voici, dès lors, comment il faut com- prendre l'analogie dont nous avons parlé : Lorsqu'une forme plus parfaite survient, la forme préexistante est détruite, de telle sorte qu'une seule forme demeure dans le composé; cette forme unique contient la forme moins parfaite et contient davantage encore ; par conséquent, elle ajoute quelque chose à la forme moins parfaite; de même que le nombre plus grand contient en soi le nombre moindre qui existe aussi en dehors i. Sancti Thomae Aqviinatis Scriplum in libros Sententiarum ; Lib. I, Dist. XVII, pars II, quaest. I : Utrum charitas augeatur? 2. Sur la nature apocryphe de l'opuscule De pluralitate formarum, voir : P. Man- donnet O. P., Des écrits authentiques de Saint Thomas d'Aquin, Fribourg, 19 10, p. 95 (Extrait de la Revue Thomiste, 1909-1910). 3. Sancti Thomae Aquinatis Opuscula; Opusc. XLV : De pluralitate formarum, Cap. I. 32Ô ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI de lui, et qu'il y ajoute quelque chose; que, par exemple, le nombre quatre contient en soi, d'une manière virtuelle et quantitative, le nombre trois qui existe aussi à part, et qu'il y ajoute une unité; de même, la forme la plus parfaite ajoute une certaine perfection à la forme moins parfaite qu'elle contient virtuellement. Mais, en ce qui concerne les nombres, on peut, au plus petit nombre, au nombre trois par exemple, ajouter une unité nouvelle qui constitue, avec les trois unités précédentes, le nombre quatre qui est un nombre plus grand; au sujet des formes, une semblable opération n'est plus pos- sible; une nouvelle forme ne peut survenir et s'adjoindre à une forme déjà existante en la matière pour constituer une forme plus parfaite. » Et double est la raison de cette différence. L'addition du nombre au nombre se fait par parties entières et quantitatives qui représentent la grandeur de l'excès d'un nombre sur l'autre; et cet excès est d'une nature telle qu'il revient au même, pour obtenir le plus grand nombre, que nous prenions le plus petit nombre et que nous ajoutions quelque chose, ce qui fait du plus petit nombre une partie du plus grand, ou bien que nous formions le plus grand nombre d'une manière indépendante en réunissant toutes les unités dont il se com- pose; d'une manière comme de l'autre, le plus grand nombre surpasse le plus petit de la même quantité. Mais si une forme surpasse une autre forme de même genre, c'est en perfection [et non pas en quantité]; toute la perfection qui se trouve en la forme la moins parfaite est aussi, de soi, en la forme la plus parfaite; en cette dernière, donc, la perfection ne croîtrait aucunement si on lui adjoignait la forme moins parfaite. Toute forme est simple; aucune d'elles n'est composée de plusieurs formes; plus une forme est simple, plus elle est parfaite; or, en ce qui concerne les nombres, il en est tout au contraire, car un nombre est d'autant plus composé qu'il est plus grand ; il ne saurait donc y avoir addition d'une forme à une forme préexistante comme il peut y avoir addition d'un nombre à un nombre préexistant. » Voici la seconde raison de cette différence ; L,e nombre DOMINIQUE SOTO BT LA SCOLASTIQUI PARI8IBHN] .^7 n'est pas quelque chose <| u i soit simplement un; c'esl un agrégat d'unités; il est de sa nature d'avoir plusieurs parties dont chacune existe d'une manière actuelle; en sorte que, de quelque manière que L'on ajoute une partie à une autre partie, On obtient un nombre plus grand. Mais une substance maté rielle est quelque chose qui est simplement un; il ne peut donc, en elle, se trouver plusieurs réalités en acte. Voilà pourquoi lorsqu'une forme substantielle survient, il faut que la forme substantielle préexistante lui cède la place... De même en doit-il être de toute addition ou soustraction qui se fait en la substance des choses; lorsqu'une forme nouvelle advient, celle qui existait auparavant doit être anéantie. » Godefroid de Fontaines est ordinairement tenu pour un partisan déterminé de l'opinion qui vient d'être exposée; cependant, sa conviction à cet égard a dû éprouver des iluctuations. Ceux de ses Quodlibets qui ont élé publiés par MM. De Wulf et Pelzer contiennent une question 1 où l'auteur professe une opinion très opposée à celle de saint Thomas, très voisine de celle qu'a tenue Gilles de Rome. L'essence spécifique de la charité ou d'une qualité analogue est essen- tiellement indivisible, essentiellement incapable de plus ou de moins; elle ne peut s'approcher ou s'éloigner de la perfection qu'en changeant d'espèce. Si donc une qualité est capable de présenter des degrés divers, si elle est susceptible de plus ou de moins, ce ne peut être par essence, mais seulement par accident, en tant que le sujet participe plus ou moins à cette forme. « Si la blancheur était séparée de tout sujet, et si l'on supposait qu'il pût y avoir plusieurs blancheurs séparées, toutes ces blancheurs seraient également parfaites... Si donc elles peuvent avoir certains degrés virtuels, tandis que les formes substantielles ne sont pas considérées comme douées de tels degrés et comme susceptibles de plus ou de moins, voici ce que l'on doit certainement entendre par là : Ces qualités ont une nature et une vertu telles que le sujet puisse 1. Magistri Godefridi de Fontibus Qnodlibeta reportata; Quodlibelum II, quaest. II : Utrum cari ta s sive quicumque habitus possit augeri per essentiam? (Les philosophes belgps; textes et éludes. Tome II : Les quatre premiers quodlibets de Godefroid de Fontaines, par De Wulf et Pelzer; Louvain, 1904; pp. 1 3q seqq.) 328 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI participer d'elles à des degrés divers, soit plus, soit moins, ou encore que le sujet soit apte à recevoir d'elles une perfection plus ou moins grande. » C'est bien la doctrine égidienne que formulent ces lignes. En un autre Quodlibet encore inédit », Godefroid de Fontaines entendait ainsi l'accroissement de la charité : La charité moindre qui préexistait est anéantie; une autre charité est engendrée, qui contient virtuellement la première, mais qui la surpasse en perfection et qui, pour cette raison, est dite plus intense que la première. Gérard d'Odon, de Châteauroux, qui fut, en i32q, élu supé- rieur générai de l'ordre franciscain; qui devint, en i3/Î2, évoque de Gatane et, vers i348, patriarche d'Antioche; qui mourut enfin à Catane en i34g, Gérard d'Odon, disons-nous, avait adopté, touchant l'accroissement des formes qualitatives, la théorie dont nous venons de donner l'exposé. C'est, du moins, ce qu'affirme Jean le Chanoine : « Il faut savoir, » dit- il 2 , u que l'opinion de Gérard d'Odon est la suivante : lorsque quelque chose qui était blanc devient plus blanc ou moins blanc, la forme précédente est détruite en totalité et une forme nouvelle, qui est un individu nouveau, est engendrée. » Mais aucun scolastique n'a, plus fermement que Walter Burley, adhéré à cette opinion; toutefois, comme Godefroid de Fontaines, notre auteur a, d'abord, admis la théorie égidienne. Nous trouvons, en effet, un premier exposé des idées de Burley dans le Commentaire aux Catégories dCAristote que ce maître a composé ; voici cet exposé 3 : « Je dis qu'aucune forme n'est susceptible de plus ou de i. Godefridi de Fontibus Quodlibeta; Quodlib. VII, quaest. VII. Nous tirons ce renseignement de l'ouvrage suivant : Commentariorum in primum librum Sententiarum. Pars prima. Auctore Petro Aureolo Verberio. Rom;e. Ex typographia Vaticana. MDXCVI; p. 435, col. a. 2. Joannis Ganonici Quœstiones super VIII libros Physicorum Aristotelis; libri V qusest. III; quantum ad k m articulum. 3. Exposilio Burlei super libro predicamentorum ; coll. a et b du fol. qui suit le fol. signé e k en l'édition dont le titre est : Preclarissimi viri Gualterii Burlei anglici sacre pagine prof essor is excellentissimi super artem, veterem Porphyrii et Aristotelis expo- silio sive scriptum féliciter incipit. Le colophon est le suivant : Explicit scriptum pre- clarissimi viri Gualterii Burlei Anglici sacre pagine professons eximii. in artem veterem Porphyrii et Aristotelis. arte et diligentia Boncti de locatellis sumptibus vero D. Oclaviani Scoti Impressum Venetiis Anno i/|88. Octavo idus. Julii. DOMINIQUE BOTO BT LA SCO L ASTIQUE PAMSlEffXI moins, mais que la forme est plus ou moins reçue par le BUJet, en sorte que ce sujet est plus parfait ou moins parfait, aucune blancheur n'est susceptible de plus ou de moins, mais le corps blanc est susceptible (le L'être plus OU moins parce qu'il prend une blancheur plus ou moins parfaite quia suscipii albedinem magis perfectam et minus perfectam. » Les derniers mois de ce passage glissent déjà de la théorie de Gilles de Kome vers la théorie que l'on attribue communé- ment à Godefroid de Fontaines. Si aucune blancheur n'est susceptible de changer d'intensité, ils impliquent l'existence de blancheurs multiples, inégalement parfaites, et ils suppo- sent qu'en un corps qui devient plus ou moins blanc, ces blancheurs diverses se substituent les unes aux autres. C'est cette doctrine que Burley a ensuite développée en un traité spécial qu'il a intitulé : De intensione et remissione for- marum 1 . Ce traité a, plus que tout autre, contribué à faire connaître, parmi les Scolastiques, la théorie à laquelle nous venons de faire allusion. Le système de Godefroid de Fontaines, de Gérard d'Odon, de Walter Burley est celui où se marque au plus haut point l'opposition péripatéticienne entre la qualité et la quantité. Tandis que certains Scolastiques s'attachaient à défendre un tel système, d'autres s'efforçaient de rapprocher autant que possible la catégorie de la qualité de la catégorie de la quantité. Nous avons entendu Saint Thomas d'Aquin s'élever vive- ment, en son écrit sur les Sentences de Pierre Lombard, contre ceux qui, en l'accroissement de la charité, voient l'addition d'une charité nouvelle à une charité préexistante; il y avait donc, en son temps, des philosophes pour lesquels l'intensité d'une qualité s'exaltait par addition d'une partie à une autre partie, comme grandit une quantité. Ces philosophes vont devenir nombreux à partir des der- nières années du xni e siècle, au moment de la réaction anti- i. Burleus de intensione et remissione formarum. — Jacobus de forlivio de intensione et remissione formarum. — Trùctatus proportionum Alberti de Saxonia. — Colophon : Venetiis mandato et expensis nobilis viri domini Octaviani scoti civis Modoetiensis. i^gG. quarto kal. decemb. per Bonetum locatellum bergomensem. 330 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI péripatéticienne qu'ont provoquée ou signalée les condamna- tions portées, en 1277, par l'évêque de Paris, Etienne Tempier, et par les théologiens de la Sorbonne. L'un des promoteurs de la Scolastique affranchie du Péripa- tétisme fut le Franciscain Richard de Middleton, dont les Commentaires aux Sentences de Pierre Lombard furent probable- ment composés peu après l'année 1281. Richard de Middleton n'hésite pas à voir, en l'accroissement d'une forme qualitative telle que la charité, le résultat d'une addition de parties les unes aux autres ; l'analogie qui en résulte entre l'intensité d'une qualité et la grandeur d'une quan- tité ne lui échappe nullement; bien loin de cherchera dissimu- ler cette analogie, il la déclare de la manière la plus formelle *; à côté de la quantité entendue au sens d'Aristote, et qu'il nomme quantité de masse (quantitas molis), il place l'inlensité de la qualité, qu'il nomme quantité de force (quantitas virtutis). « La charité peut augmenter, dit-il, parce que toute quantité qui est imparfaite peut augmenter. Or il y a deux sortes de quantités, savoir : la quantité de masse (quantitas molis) et la quantité de force (quantitas virtutis); dès lors, il y a deux sortes d'augmentations, l'augmentation relative à la quantité de masse et l'augmentation relative à la quantité de force. La charité étant une quantité, elle peut augmenter en force tant qu'elle n'a pas atteint son terme. Et comme, par essence, la charité est force, de telle sorte que la charité et la force de la charité ne sont distinctes l'une de l'autre qu'en la seule raison, il faut admetlre que la charité croît par essence » La quantité de force ne se mesure pas seulement par le nombre des objets (soumis à l'action de celte force), ce qui en donne la mesure extensive, analogue à celle de la quantité discontinue; elle se mesure encore par l'intensité de l'acte produit en un même objet et, par là, elle ressemble davantage à la quantité continue. C'est de cette seconde manière que la charité augmente, non de la première. » 1. Clarissimi Theologi Magistri Hicardi de Modiavilla super quatuor Ubros Sententia- rum Pétri Lombardi, quœstiones subtiiissimx. Brixiœ, MDXCI.Lib. I,Dist. XVII, arl. II, quœsf. I : Utrum charilas possit augeri? Tum. I, p. 163, DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8TIQUE PARISIENNE Que, d'ailleurs, celle augmentation de La charité résulte de L'addition d'une charité nouvelle ;< une charité préexistante, Richard de Middleton va L'affirmer 1 : u L'ûmc devient plus charitable parce qu'à la charité qui préexiste en celle aine, la puissance divine ajoute un degré nouveau de celle essence qu'est la charité; de ce degré nouveau et du degré préexistant de cliarilé, une essence de charité plus parfaite se trouve constituée; le premier degré, en effet, était en puissance de recevoir le degré ultérieur, de la même manière qu'une chose incomplète est en puissance du degré plus complet. » « ... Si l'on oppose à cette opinion l'objection suivante : L ne chose simple ajoutée à une chose simple ne donne rien de plus grand, je réponds en ces termes : Bien que la charité soit simple en ce sens qu'elle n'a pas de quantité de masse, elle possède cependant une quantité de force. Bien plus! Elle est, à vrai dire, une certaine quantité de force (quantitas virtualis). De même qu'une certaine quantité de masse (quantum mole), ajoutée à une quantité semblable, donne quelque chose qui est plus grand en masse; de même un certain degré d'une quantité de force ajouté à un degré semblable produit quelque chose qui est plus grand en force. On peut dire également, selon l'opinion que le Philosophe expose au III e livre de la Métaphysique : Bien qu'un indivisible ajouté à un indivisible ne fasse pas quelque chose de plus grand, il donne néanmoins quelque chose de plus. En ce qui concerne la charité, bien que ce qui est ajouté soit simple et qu'il en soit de même de ce à quoi on l'ajoute, de cette addition résulte cependant quelque chose qui, en essence, est plus, parlant, quelque chose qui est meilleur et, par conséquent, quelque chose qui est plus grand; car, selon Saint Augustin (VI De Trinitate, capp. VII et VIII): Dans le domaine des choses qui ne sont pas grandes par la masse, être plus grand, c'est être meilleur. » Le franciscain anglais Guillaume Vare ou Varon commenlait assurément les Sentences vers la fin du xm e siècle ; il a été, i. Ricardi de Mediavilla Op. laud., Lib. I, Dist. XVII, quaest. II: Utrum charitas augeatur per additionem oovae charitatis? T. 1, pp. 162-164. 332 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI en effet, le maître de Jean de Duns Scot. En ses Questions sur l'écrit de Pierre Lombard 1 , il ne faut pas chercher la netteté et la vigueur de pensée qui se marque en celles de Richard de Middleton ; prolixe, confuse, peu ordonnée, la discussion de Guillaume Varon n'aboutit bien souvent qu'à des conclusions hésitantes, qui sont moins une synthèse des opinions émises par divers auteurs qu'une cote mal taillée entre ces opinions. La charité croît-elle par addition de quelque partie positive? C'est une des questions que Guillaume Varon discute comme l'ont discutée ses prédécesseurs 2 . En faveur de la réponse affirmative, certains présentent cet argument : « L'augmentation des qualités se comporte par rapport à la qualité exactement comme l'augmentation des quantités se comporte par rapport à la quantité; l'augmen- tation des qualités se fait donc par addition. » La réponse négative est, au contraire, commune à deux théories, que Varon décrit sans en nommer les auteurs, mais où nous reconnaissons sans peine la doctrine de Saint Thomas d'Aquin et la doctrine de Gilles de Rome. Selon cette doctrine-là, « lorsque Dieu a créé la première charité qu'il a, tout d'abord, infusée à un homme, il a créé en puissance, en cette charité, tous les degrés qu'elle est susceptible de prendre en acte; lorsqu'il plaît à Dieu d'ac- croître cette charité, il tire à l'acte un de ces degrés de charité qui étaient en puissance et ainsi, l'habitude totale en devient plus intense. » i. Nous avons lu ces Questions dans le manuscrit n° 1 63 de la Bibliothèque muni- cipale de Bordeaux. C'est un beau manuscrit du xiv* sièle, écrit sur parchemin, à deux colonnes, orné de capitales rouges et bleues; l'écriture est très lisible, malgré de nombreuses ligatures; malheureusement, le copiste, ignorant le latin aussi bien que le sujet traité, a semé son ouvrage d'une multitude de fautes; un lecteur du xiV siècle en a corrigé un bon nombre par des annotations marginales. L'ouvrage ne porte pas de titre; il commence (fol. i, col. a) en ces termes : Queritur utrum Jinis per se et proprias théologie ut est habitus scientificus perficiens viatorem sil cognitio veri vel dileclio boni. Quod cognitio boni videtur quia Johannis 3' dicitur La dernière phrase de l'ouvrage est : ... Quod non obstante quod sit cognocitivus qualitatum tangibi- lium, tamen patitur qualilatibus tangibilibus. Elle est suivie de ces mots : Explicit liber quartus Varonis. Vient ensuite une Summa omnium questionum hujus libri et une fteduccio precedentium questionum per alfabetam. 2. Guillelmi Varonis Quœstiones m libros Sententiarum ; quaest 67": Queritur utrum charitas augetur per additionem alicujus partis positiva?? (Circa Lib. I, Dist. XII; ms. cit., fol. 54, col. o, à fol. 56, col. a.) DOMINIQUE BOTO El LA SCOLASTIQUE PARISIENNE A. cette doctrine là, les partisans de l'autre doctrine ripostent que « la chaleur n'est pas, par Hic môme, <'m puissance d'une plus grande chaleur; cette puissance à une chaleur plus grande, c'est dans le Bujet même qu'elle se trouve; si l<- sujel ne possédait celle puissance au changement, il ne pourrait pas recevoir une chaleur plus grande; la chaleur plus grande se tire donc de la puissance du sujet, et non pas de la puis- sance de la chaleur. » De l'une comme de l'autre doctrine, les tenants refusent de voir en l'accroissement de la charité ou de la chaleur l'addi- tion d'une nouvelle charité ou d'une nouvelle chaleur à une charité ou à une chaleur préexistante. « Une telle addition d'une partie à une autre partie ne peut pas faire que la charité devienne plus grande. De même qu'une tiédeur ajoutée à une autre tiédeur ne fait pas une chaleur plus intense, de même, une partie de charité ou une charité tiède ajoutée à une autre charité tiède ne fera pas qu'elle devienne plus grande. » A cette argumentation, Varon répond en ces termes : « Ce que l'on dit ici de la tiédeur ajoutée à la tiédeur est sans valeur; voici, en effet, la raison pour laquelle une tiédeur ajoutée à une autre tiédeur ne fait pas une chaleur plus intense : Lorsqu'on ajoute ainsi une tiédeur à une autre, on ajoute en même temps le sujet de l'une de ces tiédeurs, de l'eau par exemple, au sujet de l'autre tiédeur; ces sujets, ajoutés l'un à l'autre, empêchent la chaleur de devenir plus intense. Si d'un corps tiède, on prenait ce qui est précisément la chaleur, si l'on prenait de même ce qui est chaleur en un autre corps tiède et que l'on plaçât ces deux chaleurs en un même sujet, je dis que cela ferait une chaleur plus grande. » Cette réponse vaut d'être notée; nous entendrons bientôt Jean de Bassols la reprendre avec plus de précision. Entre les diverses opinions qui ont été émises touchant l'addition des qualités, la raison de Varon demeure singuliè- rement flottante. Il admet que l'essence d'une qualité ne comporte pas de parties essentielles et formelles, mais qu'elle admet des parties matérielles et accidentelles ; ce sont ces der- nières parties qui, s'ajoutant les unes aux autres, rendent la 334 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCt qualité de plus en plus intense. D'autre part, il accorde à Gilles de Rome que le sujet, plus ou moins disposé à recevoir une qualité déterminée, contribue à l'intensité plus ou moins grande de cette qualité. La latiludo formée, selon Varon, ne se trouve pas en la forme en tant que cette forme est à son degré infime ou à son degré suprême; elle s'y trouve en raison des degrés intermé- diaires entre le premier et le dernier; ce n'est ni une latitude potentielle ni une latitude actuelle, mais une latiludo in consequenti; par ces mots, il entend quelque attribut où se rencontrent à la fois de la puissance et de l'acte. Lorsque la forme est à son degré suprême, sa latitude n'a plus rien de potentiel,; elle est en entier réduite à l'acte. Ce sont là pensées qui nous ramènent de nouveau à la doctrine thomiste; c'est bien ainsi, selon cette doctrine, que se doit concevoir la lati- tude de la forme. Plus ferme et plus cohérente que celle de son maître Guillaume Yaron, l'opinion de Jean de Duns Scot semble sêtre inspirée de la doctrine de Richard de Middleton dont elle n'égale cependant pas la netteté. Jean de Duns admet formellement, tout d'abord 1 , « que cette réalité positive qui existait en une charité moindre demeure réellement la même en une charité plus grande». Par là, le Docteur Subtil rejette la théorie selon laquelle ce que l'on nomme augmentation d'une qualité serait une suite inin- terrompue de destructions et de générations, une qualité étant, à chaque instant, anéantie et remplacée par une qualité plus intense. Après avoir ainsi repoussé le système de Godefroid de Fon- taines, Duns Scot argumente vivement contre celui qu'avait soutenu Gilles de Rome, et il conclut en ces termes : « La réalité positive qui préexiste en une charité moindre n'est pas toute la réalité positive qui existe en une charité plus grande. Bien plus! Je dis que si cette charité plus grande et cette charité moindre étaient toutes deux séparées du sujet où i. Primus liber Joannis Duns Scoti Doctoris Subtilis super S entent ias ; Dist. XVII, quaest. 111 . DOMINIQUE 30TO h iv BCOLÀ8TIQUB PABISIBMI] elles se trouvent, La plus grande aurait, en elle, La réalité posi tive de la plus petite et, en outre, une autre réalité ajoutée à celle là ; et cela en supposant, par impossible, que toute relation avec le sujet fût supprimée. De même, si L'on suppo sait que la quantité de musse (quantitas molis) fût séparée «le sou sujet et, par impossible, qu'elle n'eût aucune inclination vers ce sujet, une quantité étendue continuerait à être plus grande qu'une autre; la plus grande contiendrait toute la réalité positive de la plus petite et, en outre, quelque chose qui serait ajouté à cette réalité. » Gomme Richard de Middlcton, Duns Scot admet que la forme qualitative « est douée de la simplicité qui s'oppose à Lu quantité de masse; lorsqu'on ajoute une telle forme à une forme semblable, on n'obtient rien qui soit plus grand en masse (majus secundum molem)... Qu'on accorde donc à la forme cette simplicité opposée à la quantité de masse; il n'y aura rien là qui contredise à l'intensité, car celle-ci se rapporte à la quantité de perfection et de force (quantitas oerfectionis et virtutis) ». La théorie dont Richard de Middleton et Jean de Duns Scot ont tracé l'esquisse, nous la voyons dessinée en contours très fermes par l'élève préféré de Duns Scot, Jean de Bassols. Du premier coup 1 , la discussion de Jean de Bassols pénètre au cœur même de la question; elle définit le sens étroit du terme quantité en la Logique d'Aristote et le sens infiniment plus large que lui ont attribué Richard de Middleton et Jean de Duns. « Je dis, en premier lieu, qu'il y a deux sortes de quantités. n II y a, d'abord, la quantité de masse (quantitas molis) qui est un rapport d'étendue 2 , ou la quantité discontinue (quantitas discretionis) ; cette quantité-là est une catégorie; par le genre dans lequel elle se range, elle est une détermination de l'être. i . Opéra Joannis de Bassolis Docloris SubtUis Scoti (sua tempestate) fidelis Discipitti, Pkilosophi, ac Theologi profundissimi, In Quatuor Sententiurum Libros (crédite) Aureu... Vcnundantur a Francisco Regnault: Et Joanne Frellon. Parisiis. In fine : Anno JESL Aeterni Régis sesquimillesimo decimoseptimo Nono Idus Septembres. Lib. 1, Dist. XVII, quaest. II : Utrum charitas augeatur vel potest augeri? foll. cxim-cxvii. a. Au lieu de: extensionis, le texte, très fautif, porte : intensionis. 336 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI )> Il y a, d'autre part, une quantité transcendante; c'est la quantité de perfection en Vessence ou la quantité de force en l'action (quantitas perfectionis in essendo vel virlutis in agendo) ; cette quantité-là n'est d'aucun genre déterminé. » A l'appui de cette distinction, Jean de Bassols, comme l'avait fait Richard de Middleton, invoque ce texte de Saint Augustin : « Dico quod in hiis quœ non sunt mole magna, illud est majus quod melius. » Puis il poursuit en ces termes : « De même qu'il y a deux sortes de quantités, il y a deux sortes de mouvements de quantité. » L'un de ces mouvements va d'une quantité de masse imparfaite à une quantité de masse parfaite ou inverse- ment; c'est le mouvement que l'on nomme augmentation ou diminution. » L'autre va d'un degré imparfait qu'atteignait une forme en son essence ou une forme en son action à un degré parfait, ou bien il va en sens contraire; il est proprement nommé tension (intensio) ou détente (remiss io); mais on le désigne aussi par le même nom que le mouvement précédent, savoir augmentation ou diminution. » Après avoir réfuté les diverses opinions émises, au sujet de la tension et de la détente des formes, par Gilles de Rome, d'une part, et par Godefroid de Fontaines, d'autre part, notre auteur formule sa propre opinion : « La charité et, de même, toute forme susceptible de tension ou de détente augmente par l'apposition d'un nouveau degré réel, de même sorte que le degré préexistant; ce degré nouveau est ajouté au degré préexistant au sein du même sujet; ils forment alors un individu unique de la même forme, mais cet individu est plus parfait que celui qui existait auparavant. » En effet, « en toute forme spécifique, en toute qualité naturelle susceptible de tension ou de détente, il est possible de marquer des degrés multiples qui en sont les parties matérielles, au sens où Aristote, au septième livre de la Métaphysique, prend le mot parties matérielles » Par degré de charité ou d'une forme quelconque, j'entends un certain individu de cette forme; cette forme se trouve, en DOMINIQUE 80TO il i\ SCOLÀSTIQU1 PARISIEN!* 1 .'k'»7 cet individu, limitée el définie quantitativement de la manière qui lui est propre, de I « t manière selon laquelle <>n peul dire que la forme, en cet individu, ;i telle ou telle quantité déterminée. Je donne doue Le même sens, en la proposition qui m'occupe, aux mois : degré de forme, et aux mois : individu limité de celle forme ; il revient au même de comparer un sujet qui a un plus grand degré de celle forme à un autre sujet qui en a un moindre degré ou de dire que l'on a affaire à un individu plus parfait de cette forme et à un individu moins parfait. » De là resuite aussitôt la conséquence suivante : De même qu'un sujet unique ne possède en soi qu'un seul individu de la forme considérée, de même il ne possède cette forme, en un même temps, que sous un seul degré. Lors donc qu'en l'accroissement dont nous parlons, au degré de cette forme qui préexistait dans le sujet vient s'adjoindre un nouvel individu de la même forme, il est manifeste que du degré précédent et du degré nouveau se constitue un individu total unique, et l'on a la forme en un autre degré. » Un exemple précisera pour nous la pensée de Jean de Bassols. Considérons des corps échauffés. En chacun de ces sujets, la forme qualitative qu'est la chaleur aune certaine extension, qui dépend de la grandeur du corps échauffé, et une certaine intensité, qui fait dire que tel corps est plus chaud que tel autre sans que l'on tienne compte de leurs grandeurs respec- tives. Chacune de ces intensités est un individu de la même forme spécifique que nous nommons chaleur; elle est aussi un degré de chaleur. Ces chaleurs individuelles sont, d'ailleurs, plus ou moins fortes, ces degrés de chaleur sont plus ou moins élevés, selon que les divers sujets où nous les voyons réalisés sont plus ou moins chauds. Mais en un même sujet, à un même instant, il y a une seule chaleur individuelle, un seul degré de chaleur. Si nous prenons la chaleur individuelle ou le degré de chaleur qui était réalisé en un certain corps tiède ; si nous le supposons détaché du sujet où il se trouvait concrétisé P. DUHBH. 22 338 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI pour le transporter en un autre corps tiède, il va se joindre à la chaleur individuelle, au degré de chaleur qui préexistait en ce dernier sujet, et de ces deux chaleurs individuelles se formera une chaleur individuelle unique plus parfaite, partant plus intense, que chacun des deux individus composants ; de ces deux degrés de chaleur se constituera un degré unique plus élevé que chacun des deux degrés préexistants ; en ajoutant une tiédeur à une tiédeur, on aura produit une chaleur. Que Ion n'aille pas faire à notre auteur cette objection : De l'eau tiède ajoutée à de l'eau tiède ne donne pas de l'eau chaude; Guillaume Varon lui a appris à ne pas redouter cette objection; il répond, fort justement d'ailleurs, qu'après cette opération, les deux tiédeurs ne sont, pas plus qu'avant, au sein du même sujet : « Les deux corps chauds que voici sont quelque chose de plus que chacun d'eux; cela résulte clairement de l'effet qu'ils produisent, car, réunis, ils engendrent en un troisième corps une chaleur plus intense que celle que chacun d'eux y engendrerait isolément ; si donc on ajoutait la chaleur de l'un à la chaleur de l'autre, on produirait quelque chose de plus grand en intensité, de même que l'effet de ces deux chaleurs est plus intense que l'effet de chacune d'elles prise isolément. Cela se voit clairement en prenant exemple des poids; deux pierres ou deux graves pris ensemble pèsent plus que l'un d'entre eux, et cela d'une manière extensive: mais si l'on ajoutait la pesanteur ou gravité de l'un de ces corps à la pesanteur ou gravité de l'autre, et cela de manière à faire une seule pesanteur ou gravité par l'union des deux pesanteurs ou gravités, le résultat serait plus pesant en inten site que chacune des deux pesanteurs prise isolément ; et cela est naturel, bien qu'aucune de ces deux pesanteurs, considérée séparément, ne soit plus parfaite que l'autre. » Le choix de ce dernier exemple semble particulièrement propre à rendre la pensée de Jean de Bassols accessible à nos modernes intelligences; sous l'influence d'un texte de Saint \ugustin, et à l'imitation de Richard de Middleton et do bOMINlQUE son» h i.\ SC0LA8TIQUB r\iusu.\M I > t i i i s Scot, Bassols ;i distingué deux Bortei de quantités, la quantité de masse el la quantité de force; or, ici, il se trouve que L'extension, qui est une quanlitas molis, correspond pr< Bernent à ce que nous nommons masse, <'i que La quantilas virtulis est ce que nous appelons force. La netteté que nous venons d'admirer en La doctrine <1<- Jean «le liassols ne se retrouve pas toujours dans les théories de ses contemporains et de ses successeurs; d'ailleurs, parmi ceux-ci, plus d'un, même parmi les Franciscains ou parmi les disciples de Duns Scot, tendaient à abandonner la doctrine inaugurée par Richard de Middleton pour revenir à des opi nions plus voisines de celle de Saint Thomas. \insi, Antonio d'Andrès, en son Commentaire aux Sentences 1 . admet bien qu'en un corps qui blanchit, le degré préexistant de blancheur n'est pas détruit et que l'accroissement de blan- cheur est dû à l'addition d'une réalité nouvelle, d'un degré nouveau, qui s'unit au précédent pour composer une forme individuelle unique; mais son exposition est fort concise, forl peu explicite, en sorte qu'on la pourrait aussi bien solliciter- dans le sens de renseignement thomiste que dans le sens de l'enseignement scotiste. C'est vers le premier de ces enseignements que semble pencher Antonio d'Andrès lorsqu'il commente le Livre des six principes de Gilbert de la Porrée 2 . A cette question : « En l'essence d'une forme accidentelle, y a-t-il des degrés intrin- sèques et essentiels par lesquels se produise l'accroissement ou la diminution de cette forme? » il répond en ces termes : « La forme accidentelle considérée possède de tels degrés. Et j'ajoute que la raison précise qui permet à la forme de croître i. Anl. Andreae Conventualis Franciscani, ex Aragoniae provincia ac Ioannis Scoti Doctoris Subtilis dbeipuli celeberrimi In quatuor Sentenliarum Libros opus longe absoiu- tissimum... Venetiis, Apud Damianum Zenarum. MDLXXVIII. In. I Lib. Distinct. XVII, quaest. III, foll. 36 v° et 37 r<>. i{. Questiones Scoti Super Universalia Porphy. neenon Aristotelis Predicamenta ac Periarmenias — Item super libros Elenchorum. — Et Antonii Andrée super libro Ses firincipiorum — Item questiones Joannis Angelici super questiones universales eiusdem Scoti. Colophon : Subtilissime questiones... féliciter expliciunt. Impresse Venetiib pet. Philippum pincium Mantuanum. Anno Domini i5i2. die 1 Decembris. — Questiones clarissimi doctoris Antonii Andrée super sex principiis Gilberli Porretani. Ouest. XVII : Utrum in essentia forme accidentalis sit dare gradus intrinsecos < — <• n tiales secundum quos possit snscipere magis et minus ? fol. 61, coll. c et d. 34o ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI ou de diminuer est la latitude de degrés (latitado graduum) qui est en elle; cetle latitude n'est pas autre chose qu'une absence de limitation en la forme qui est susceptible de plus ou de moins. » C'est, semble-t-il, l'opinion thomiste qui inspire ces lignes où le mot latitado paraît employé au sens même que lui donnait Henri de Gand, que lui conservait Durand de Saint Pourcain. L'opinion qu'Antonio d'Andrès esquisse brièvement, le Franciscain Pierre Auriol la développe avec netteté en son second commentaire au premier livre des Sentences, commen- taire qui fut composé en i3i8 ou, au plus tard, en 1 3ig x . Pierre Auriol admet, en premier lieu 2 , avec Duns Scot, que toute forme dont l'intensité croît fait l'acquisition d'une certaine réalité nouvelle; il admet, en second lieu 3 , à ren- contre de l'opinion soutenue par Godefroid de Fontaines, que cette acquisition d'une réalité nouvelle n'entraîne la destruction d'aucune réalité contenue en la forme préexis- tante. Mais il n'admet pas en sa plénitude la doctrine soutenue par Richard de Middleton, par Jean de Duns Scot, par Jean de Bassols. « Cette réalité, dit-il*, par laquelle une charité moindre devient plus parfaite et plus intense n'est pas une charité entière, qui puisse être distinguée d'une manière précise; elle n'a pas reçu en partage la réalité, la raison spécifique que possède une charité individuelle; elle participe à la réalité, à la raison spécifique de la charité par reflet d'une sorte de réduction ; elle est, pour ainsi dire, une co-charité (concharilas). C'est une réalité qu'il est absolument impossible, soit d'une manière effective, soit par abstraction, de prendre séparément. La divine Puissance elle-même ne pourrait la produire d'une manière isolée; elle ne peut ni recevoir une existence distincte et déterminée, ni être conçue i. Noël Valois, Pierre Auriol, frère mineur (Histoire littéraire de la France, t. XXXIII, 1906; p. 485 et p. 5oo). 2 Commentariorum in primum librum Sententiarum. Pars prima. Auctore Petro Aureolo Vcrberio Ordinis Minorum Archiepiscopo Aquensi S. H. E. Cardinali. Ad Clementem VUI. Pont,. Opt. Max. Romae. Ex Typograpliia Vaticana. MDXGVI. Lil). I, Dist. XVII, pars tertia, artic. secundus, p. 435. 3. Pelrus Aureoli, loc. cit., p. 436. 4. Petrus Aureoli, loc. cit., p. 44 1. DOMINIQUE son. 1.1 i.\ BG0LASTIQU1 PARISIEN If I '\\i par L'intuition; elle n'est intelligible qu'autan! qu'elle < i st conçue avec autre chose qui la termine. L'intelligence même d'un ange ne pourrait, par intuition, diviser en deux charités distinctes la charité qui a subi une augmentation. Lorsque la charité augmente, elle se comporte comme nn être auquel <>n ajoute quelque chose qui n'esl pas une charité, mais qui fait partie de la charité (aliquid charitatis, non charitas . On doit comprendre de la même manière L'augmentation de la blan- cheur, de la chaleur et de toute autre forme. » Le Carme anglais Jean Bacon thorpc (f i346) emploie le mot lai lludo for mœ en le définissant comme l'ont défini Henri de Gand et Antonio d'Andrès : « La cause précise, dit-il 1 , pour laquelle une forme est susceptible de plus ou de moins, c'est la latitude que la forme possède, en son essence môme, d'acqué- rir ou de perdre des degrés. Si vous me demandez pourquoi la blancheur peut être, en un même sujet, tantôt plus intense et tantôt plus affaiblie, je dis que la cause précise en est la suivante : La blancheur peut tantôt affecter son sujet et tantôt le délaisser, de telle manière qu'elle y ait une existence plus intense ou moins intense. » De la théorie thomiste,' l'auteur semble glisser, en ce passage, à la théorie égidienne. Mais lorsqu'il s'agit de préciser de quelle manière se fait, en une forme qui croît, cette acquisition de degrés nouveaux, Baconthorpe admet pleinement la théorie de Pierre Auriol dont il invoque l'autorité 2 et dont il cite à peu près textuelle- ment les paroles. C'est contre cette opinion de Pierre Auriol, son confrère en l'ordre franciscain, que Guillaume d'Ockam argumente avec la netteté et la rudesse dont il est coutumier 3 ; et lorsqu'il veut, i. En Lector Doctoris resoluti Ioannis Bacconis Anglici Carmelitœ radiantissimum opus super quatuor sententiarum libris — Colophon du premier livre : Theologi excel- lentissimi Joannis Bacconis Anglici Carmelitae Questiones disputate in primum sententiarum. Explicite Mediolani. In officina libraria Leonardi Vegii auno MDX die XXIII Aprilis. Lib. I, Dist. XIV, qusest. I, art. V; fol. cvm, col. c. 2. Joannis Bacconis Op. laud.. Lib. I, Dist. XVI, quaest. I, art. III; fol. cxvn, col. 6. 3. Tabula ad diversas hujus operis Magistri Guilhelmi de Ockam super quatuor libros sententiarum annotationes et ad centilogii theologici e/usdem conclusiones Jocile re.pe- riendas opprime conducibiles. Colophon (à la fin des Questiones super quatuor senten- 3^2 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI avant de la réfuter, exposer cette opinion, ce sont les termes mêmes d'Auriol qu'il reproduit sans y rien changer. « Cette réalité qui advient à la charité préexistante, » répond le Venerabilis Inceptor, « est une véritable charité, tout comme une partie d'eau est de l'eau véritable, comme une partie de blancheur, abstraction faite du lieu qu'elle occupe et du sujet qu'elle informe, est une véritable blancheur. » Lorsqu'on ajoute l'une à l'autre deux réalités qui se trouvent en des sujets distincts, la somme a plus d'extension, mais non plus d'intensité que les parties. « Mais lorsque deux réalités de même espèce peuvent exister en un même sujet, l'addition de Tune de ces réalités à l'autre ne fait pas qu'une même chose devienne plus grande en extension, mais seulement en intensité ; on dit non que cette chose est devenue plus grande (majus taie), mais qu'elle est devenue plus de telle manière (magis laie)... » Entre l'augmentation d'une quantité et l'accroissement d'une qualité, il y a une ressemblance et une différence. La différence consiste en ceci : En l'augmentation de la qualité, il y a une certaine réalité absolue et totalement nouvelle qui, avec la réalité précédente, forme une chose unique; il n'en est pas de même en l'augmentation d'une quantité... » Contre ce que nous venons de dire, un certain docteur argumente de la sorte: Le semblable ajouté à son semblable n'en est point accru. Cela est évident, car si l'on ajoute une tiédeur à une autre tiédeur, la chaleur n'est point augmentée. L'augmentation ne peut donc être l'effet d'une telle addition... »> A cet argument, je réponds ainsi : Lorsqu'on ajoute une tiédeur à une autre tiédeur, ces deux chaleurs atténuées demeurent en des sujets distincts, comme auparavant ; aussi la chaleur n'en est-elle pas augmentée; mais elle serait accrue si l'addition des deux tiédeurs se faisait en un même sujet. » Entre la pensée de Jean de Bassols et celle de Guillaume d'Ockam, l'accord est parfait. liarum libros): Impressvim est autem hoc opus Lugduni per M. Johannem Trechsel Alemannum: virum hujus artis solertissimum. Anno domini nostri MCCGGXCV. Die vero décima menais Novembris. Libri primi Dist. XVII ; quaest.^VH : Item quoero iitrum in augmcntatione charitatis illud quod additur sit ejusdem speciei specialis- sime cum charitate pra^cedente separata ab ea? DOMINIQUE siini ii i\ (.(.i \si loi i PARISIEN!!] Forte, à La lois, de l'autorité de Duns Scol et de celle de Guillaume d'Ockam, ht théorie qui assimile l'accroissement d'une qualité à L'augmentation d'une quantité ne manqua pas de s'imposer aux maîtres Les plus célèbres de l'Ecole de Parii Jean le Chanoine nous apprend 1 qu'en l'opinion de certains docteurs, tout degré qui vient b' ajouter à une forme préexis- tante pour fortifier L'intensité de cette forme est plus parfait, pins riche d'existence actuelle que le degré précédent. Il com- bat cette opinion et, avec Guillaume d'Ockam, il soutient « qu'une forme clouée d'intensité comprend plusieurs degrés de même espèce, tels que le degré précédent et le degré sui- vant; que le degré suivant, pris d'une manière précise qui le distingue du degré précédent, n'est ni plus parfait, ni moins parfait que celui-ci; que si, au contraire, on considère ce degré comme comprenant en lui le degré inférieur, comme pris en même temps que ce degré inférieur, il est plus parfait que ce degré plus faible considéré isolément. » Il admet que deux tiédeurs font, lorsqu'on les ajoute entre elles, une chaleur plus forte, pourvu que l'addition se fasse au sein du même sujet. L' Augustin Grégoire de Rimini, en son célèbre commentaire sur les deux premiers livres des Sentences, qu'il acheva en i344, tient également pour la doctrine commune à Duns Scot et à Ockam; il admet 2 «qu'en toute tension d'une forme, quelle se produise successivement ou qu'elle ait lieu subite- ment, le sujet qui devient davantage de telle sorte (magis taie) acquiert une certaine partie de forme qu'il ne possédait pas auparavant; de même, en toute détente, le sujet perd une partie de forme qu'il contenait antérieurement. » Grégoire emploie toutes les ressources de sa très subtile et très puissante dialectique à réfuter les opinions contraires à cette théorie, particulièrement celle de Gilles de Rome et celle de Walter Rurley. Il termine son exposé par ces lignes, qui sont la con- tradiction formelle de ce que Saint Thomas avait dit de la i. Joannis Canonici Quœstiones super VIII libros Physicorum Aristotelis perutiles ; lu lib. V quaest. III; tertium dubium. 1. Gre^orius de Arimino In pr imam Sententiarum ; Dist, XVII, quaest. IV, 3^4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI question qui nous occupe : « Si l'on dit qu'une forme est d'autant plus imparfaite qu'elle est plus composée, je nie cette proposition; au sujet de la composition que j'admets, je prétends qu'une forme est d'autant plus parfaite qu'elle est plus composée. » En la première moitié du xiv e siècle, donc, les plus célèbres des Scotistes et des Nominalistes ont conspiré à l'achèvement de l'œuvre que Richard de Middleton et Jean de Duns Scot avaient inaugurée; délaissant la doctrine péripatéticienne, effaçant la distinction si tranchée qu'elle marquait entre la catégorie de la quantité et la catégorie de la qualité, ils ont établi une étroite analogie entre l'augmentation d'une quantité et la tension d'une forme qualitative; l'accroissement d'une intensité, comme l'accroissement d'une grandeur, résulte de l'addition de parties à d'autres parties de même espèce. Cette théorie entraine tout aussitôt un corollaire d'une extrême importance : L'intensité d'une qualité est désormais susceptible de mesure, comme l'est la grandeur d'une quantité; dé même qu'ils s'appliquent à de telles grandeurs, les raison- nements et les opérations de l'Arithmétique peuvent combiner entre elles les diverses intensités de formes de même espèce; il sera permis de considérer des latitudes multiples et sous- multiples les unes des autres. Sans même prendre la peine de formuler explicitement ce principe que leur doctrine justifiait, les Scolastiques se sont hâtés d'en faire un constant usage. Déjà, en i344, Grégoire de Rimini considère 1 des latitudes qui sont doubles l'une de l'autre ; déjà il parle de la vitesse avec laquelle se produit la tension d'une forme, distinguant le cas où ce changement est uniforme (uniformis) et se fait avec une vitesse constante du cas où cette vitesse change avec le temps ; le même langage arithmétique lui sert à traiter du mouvement d'altération et du mouvement local. A la fin de son Tractalus proportionum, après avoir traité du mouvement local et du mouvement de dilatation, Albert de Saxe traite du mouvement d'altération. «. Il faut savoir, dit-il, i. Grcgorii cje Arimino Op. laud., Lib, I, Dist, XVII, quaest. V. DOMINIQUE 80TO il LA SCO L ASTIQUE PARI61ENN1 qu'en L'altération, <>n peut considérer deux sortes «l<- suc< sions, la succession en extension et la succession en intensité. > Il admet, d'ailleurs, que, << dans le mouvement d'altération, la vitesse croit comme La qualité acquise en tant de temps... Si, par exemple, des sujets inégaux acquièrent en une heure des qualités égales, ils sont altérés avec une égale vitesse; si les qualités acquises sont inégales, ces sujets ne sont pas altérés avec une égale vitesse. » Le langage qui avait cours pour traiter du mouvement local ne tarde pas à s'étendre, afin qu'il soit possible de discourir des formes qualitatives. Walter Burlcy et Albert de Saxe nous ont appris qu'un mouvement devait être appelé uniforme (uniformis) lorsque la vitesse a même grandeur en tout point du mobile; s'il n'en est pas ainsi, le mouvement est difforme (dijformis) . Ces qualificatifs : uniformis, dijformis, nous les voyons bientôt servir à désigner une qualité selon qu'elle atteint ou qu'elle n'atteint pas même intensité en tous les points du sujet qu'elle affecte. L'Arithmétique, d'ailleurs, ne manque pas de préciser l'allure de certaines qualités difformes. Imaginons que le sujet informé par une certaine qualité ait la figure d'une simple ligne droite ; si l'accroissement que subit l'intensité de la forme qualitative, lorsqu'on passe d'un point à l'autre de cette droite, est proportionnel à l'augmentation de la distance entre le point affecté et l'origine de la droite, la qualité est dite uniformément difforme (uniformiter dijformis). Entre les latitudes uniformé- ment difformes, on distingue celles qui commencent à zéro (incipiens a non gradu) et celles qui commencent à tel ou tel degré. Ce langage va bientôt devenir courant dans les écoles. Les mots: chaleur uniforme, chaleur uniformément difforme (calor uniformis, calor uniformiter dijformis) se rencontrent déjà en l'une des questions qui sont adjointes aux Commentaires sur les Sentences composés par Robert Holkot 1 . Or le Dominicain i. Magistri Roberti Holkot Super quatuor libros senlentiarum questiones. Quedam conferentie. De imputabilitate peccati questio longa. Determinaliones quarundam aliarum questionum. Tabule duplices omnium predictorum. Colophon: Hujus operis diligenter irnpressi Lugduni a magistro Johanne Trechsel alemanno. anno salutis nostre. MCCCCXCVIJ. ad nonas Aprilis. Determinatio questionis I : De maximo et mioimo. 346 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI anglais Robert Holkot mourut en 1 3^9, après avoir enseigné à Oxford et à Paris. A la vérité, il est permis de mettre en doute l'authenticité des Determinatœ quœstiones qui lui sont attribuées ; en les publiant, Josse Bade les fait précéder de l'avertissement que voici : « Beaucoup supposent que ces questions ont été réunies par les disciples d'Holkot ou que celui-ci, au cours de son enseignement, les a professées en un gymnase public. » En tout cas, que la question Sur le maxi- mum et le minimum soit ou non d'Holkot, elle n'en témoigne pas moins que ces expressions : qualitas uniformis, qualitas unijbrmiter difformis étaient communément entendues, dans les écoles, vers le milieu du xiv e siècle; et ces expressions supposent de la manière la plus évidente que les formes quali- tatives puissent, comme les grandeurs, être soumises à la mesure et donner prise aux opérations de l'Arithmétique. Les réflexions des physiciens modernes sur la définition de certaines propriétés, telles que la température, nous ont appris à suivre le détour logique par lequel il nous est possible de repérer l'intensité de telles propriétés à l'aide de degrés, partant d'en discourir en langage mathématique, sans les dépouiller de leur caractère qualitatif, sans en faire des quantités compo- sées de parties et susceptibles d'addition et de mesure. Mais ce détour ne pouvait s'offrir, tout d'abord, à l'esprit des philoso- phes. Il est naturel que la faculté de soumettre les latitudes des formes qualitatives aux opérations arithmétiques ait été le prix de l'hypothèse qui assimilait les intensités de ces formes à des quantités. Ce que la Physique a gagné tout aussitôt par l'usage d'une telle faculté, nous Talions connaître en étudiant l'œuvre de Nicole Oresme. XIII NICOLE ORESME Dès i3/j8, nous voyons > Maître Nicole Oresme, du diocèse de Bayeux, étudier en Théologie à Paris. En 1 356, il est grand i. Denille et Châtelain, Chirtularium Universitatis Parisiensis, tomus II, pars prior (»3oo-i35o); pp. 638 et 6/ji, en note. D0MIN1Q1 E BOTO I I I l 3COLA.81 [Ql B r IRISU N il maître du Collège de Navarre, En i36a, déjà pourvu s ' élevé au rang <1<* doyen août 1 .' > 7 7 , il devient évêque de Lisieux. Il meurl à Lisieux le 1 1 juillet 1 <>82. A Maître Nicole Oresme, on doit un très grand nombre d'où v rages, les uns écrits en latin, les uns composés en un français clair, concis et savoureux '. De ces ouvrages, bon nombre oui été imprimés au temps de la Renaissance. D'autres, et non des moins importants, sont demeurés inédits; ainsi en esl il, en particulier, de l'important écrit sur les latitudes des formes qualitatives qui va nous occuper aux deux prochains paragraphes. Mais avant d'aborder l'analyse de cet ouvrage, il convient d'examiner jusqu'à quel point les pensées d'Oresme suivaient les tendances qui, de son temps, sollicitaient l'École de Paris. Un peu plus jeune que Jean Buridan, contemporain d'Albert de Saxe, Oresme partageait-il, sur les divers problèmes de la Physique, les opinions de ces deux maîtres? Nous serons fort exactement renseignés à cet égard par la lecture de deux des ouvrages que notre auteur a composés en français : Le Traité de la Sphère et le Commentaire aux livres du Ciel et du Monde d'Aristote. Le Traité du Ciel et du Monde, dont la Bibliothèque Nationale possède plusieurs textes manuscrits contemporains d'Oresme^, débute en ces termes 3 : « Ou nom de Dieu, cy commence le livre d'Aristote appelle 1. Voir, au sujet des écrits d'Oresme : Francis Meunier, Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme; thèse de Paris, 1857. — Traictie de la première invention des monnoies de Nicole Oresme, textes français et latin d'après les manuscrits de la Biblio- thèque impériale, et Traité de la monnoie de Copernic, texte latin et traduction française publiés et annotés par M. L. Wolowski; Paris, Guillaumin, 1864. — Charles Jourdain. Mémoire sur les commencements de l'Économie politique dans les Écoles du Moyjn-Age. (Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, t. XXVIII, 2 e partie, 187/i.) — Moritz Cantor, Vorlesungen iiber die Geschichte der Mathematik, 2" Aufl., Leipzig, 1900 ; II" 1 Bd., pp. 128-137. 2. L'un de ces textes (fonds français, n° 565), orné de miniatures, porte la signa- ture du duc de Berry, frère de Charles V, auquel il a appartenu; c'est sur un autre texte, de la même époque, et fort correct (fonds français, n° io83) que, grâce à l'obli- geance de M. Omont, conservateur du département des manuscrits à la Bibliothèque nationale, nous avons pu étudier cet ouvrage. 3. Bibl. .\at., fonds français, ms. n° io83, fol. i,col. a. 3^8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI du Ciel et du Monde, lequel, du commendement de très sou- verein et très exellent prince Charles le quint de cest nom par la grâce de Dieu Roy de France, désirant et amant toutes nobles sciences, » Je, Nicole Oresme, doyen de l'église de Rouen, propose translater et exposer en françois. » La fin du traité est la suivante l : « Et ainsi, à laude de Dieu, J'ay accompli le livre du Ciel et du Monde au commandement de très excellent prince Charles quint de ce nom par la grâce de Dieu roy de France, lequel, en ce faisant, m'a fait évesque de Lisieux. » Et pour animer, exciter et esmouvoir les cuers des joenes hommes qui ont subtilz et nobles engins et désir de science, affin que il estudient à dire encontre et à moy reprendre pour amour et affection de vérité, Je ose dire et me fais fort qu'il n'est homme mortel qui onques veist plus bel ne meilleur livre de philosophie naturelle que est cestuy, ne en hébreu, ne en grec, ne en arabic, ne en latin, ne en françoys. « Ecce librum celi Karolo pro rege peregi. Régi celés ti gloria, laus et honor, Nam naturalis liber unquam philosophie Pulchrior aut potior nullus in orbe fuit. » Cette fin nous fait connaître la date à laquelle fut écrit le Traité du Ciel et du Monde; Oresme le composait lorsqu'il fut nommé évêque de Lisieux, c'est-à-dire en 1377 ; ce fut, sans doute, sa dernière œuvre philosophique; elle n'a jamais été imprimée. Le Traité de la Sphère est plus ancien que le commentaire aux livres du Ciel et du Monde d'Àristote; en ce dernier ouvrage, en effet, Oresme cite, à plusieurs reprises 2 , le pre- mier; c'est ainsi qu'après avoir commenté le second livre d'Aristote, il écrit 3 : « Et ainsi, à l'honneur de Dieu et par sa grâce, J'ay accompli/ le premier et le secunt livres De celo et mundo, pour lesquelx 1 . Ms. cit., fol. 122, coll. a et b. ■j. Ms. cit., fol. 90, col. c. : « Et ce ai ge autrefois déclairé ou XXXIX chapitre du traictié en françois que je lis de l'espère. » 3. Ms. cit., fol. 95, col. d. DOMINIQUE BOTO BT LA SCOLA8TIQUE PARISIENNE mieulx entendre esi expédiant letraictiéde L'espère en françoii dontj'a^ faicte mention. Et seroit bien que il feus! mis en un volume ouvecquez ces II livres, el me semble que sera un livre de naturelle philosophie noble el 1res excellent. » Ce vœu de Nicole Oresme se trouve, d'ailleurs, exaucé dans le manuscrit où nous avons étudié le Traité du Ciel et du Monde, car le copiste a fait suivre cet ouvrage du Traité de In Sphère ' . En ce manuscrit, le Traité de la Sphère est suivi d'une série de traités astrologiques « translatés de latin en françois », série qui débute par ce préambule : u Ci commence le livre des jugemens d'Astrologie selon Aristole. Le prologue du derrenier translateur. » Aristote fist un livre des jugemens d'astrologie qui com- mence : Signorum alia sunt masculini generis alia femini etc. » Mais en le translatent de latin en françois pour très noble et puissant prince Charles, aizné fils du Roy de France, duc de Normandie et delphin de Vienne, l'avons autrement ordrené. » Ce recueil de traités astrologiques, traduits en français pour le dauphin qui devait être Charles VI 2 , est-il l'ouvrage de Nicole Oresme? Le style en lequel il est écrit, la place qu'il occupe, après le Traité du Ciel et du Monde et le Traité de la Sphère, en un même manuscrit contemporain d'Oresme, tout semble favoriser cette conclusion. Si elle était exacte, elle nous révélerait une œuvre d'Oresme que les érudits ne lui ont pas attribuée jusqu'ici. Mais revenons au Traité de la Sphère. Plus heureux que le Traité du Ciel et du Monde, il a été deux fois imprimé à Paris, par Simon du Bois; la première édition ne porte aucune date 3 ; la seconde est datée de i5o8. i. Ms. cit., fol. 126, col a, à fol. i£5, col. 6. 2. Les Pronosticacions d'Aristote en françois se trouvaient, en effet, en la Biblio- thèque de Charles VI (Inventaire de la Bibliothèque du Roi Charles VI fait au Louvre en 1 h 23 par ordre du régent; Paris, 18O7; n ° 620, P- i6i)« 3. Le traicte de la sphère : translate de latin en françois par maistre Nicole Oresme, très docte, et renomme philosophe. On le vent à Paris, en la rue Judas, chez maistre Simon du Bois, imprimeur: In fine: Imprime a Paris par maistre Simon du Bois. — C'est de cette édition que nous avons fait usage. 35o ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCÎ L'intention qu'Oresme se proposait de suivre en écrivant ce traité est définie dans la préface : « La figure et la disposicion du monde, le nombre et ordre dez élémens et les mouvemens des corps du ciel appartiennent à savoir à tout home qui est de france condicion et de noble engin; et est bêle chose et délectable, profitable et honeste; et avecques ce est nécessaire pour savoir philozophie et par espécial pour astrologie. Mais afin que engin humain peusl plus légièrement tele chose comprendre, les sages anciens composèrent entre lez autres un instrument qui est appelle espère matériel ou artificiel, lequel on peut regarder tout entour, mouvoir et tourner, et y considérer en partie la description et le mouvement du monde et du ciel aussi comme en un exemplaire duquel je veul dire en françois généralmenl et plainement ce qui est convenable pour savoir à tout home, sans moi profunder es démonstracions et es subtilités qui appartiennent aus astrologiens. » Oresme demandait que l'on réunît son Traité de la Sphère à son Traité du Ciel et du Monde; « et me semble, » ajoutait-il, « que ce sera un livre de naturelle philosophie noble et très excellent. » Si l'on songe que le Traité da Ciel et du Monde soutenait la possibilité d'admettre le mouvement diurne de la Terre 1 , qu'il prouvait cette possibilité par des arguments dont la clarté et la précision surpassent de beaucoup ce que Copernic a écrit sur le même sujet, on pensera qu'Oresme ne prisait pas trop haut la valeur de son œuvre. XIV La Dynamique d'Oresme et la Dynamique de Buridvn. C'est ce traité français de Philosophie naturelle que nous allons lire, afin de rechercher les traits de parenté que les doctrines d'Oresme offraient avec celles de Buridan et d'Albert de Saxe. i. Pierre Duhem, Un précurseur français de Copernic. Nicole Oresme (1377) (Revue générale des Sciences pures i5 app liguées, no> . 1909). bOMINIQI i. 8 Il i \ < "i \ i PARISIENNE D'ailleurs, nous ne porterons pas notre attention sur toutes Les Questions au sujet desquelles il était , col. d. 2. Isnelté = vitesse; isnel = rapide; isnelment = vivement. .'!. Nicole Oresme, loc. cit., fol. 17, col. n. 35 2 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI autres fois desclaré ou VII e de Phisique, et ceste qualité peut estre appelé impétuosité. » Et n'est pas proprement pesanteur; car se un pertuis estoit decy iusques au centre de la terre et encor oultre, et une chose pesante descendoit par cest pertuis ou treu, quant elle vendroit au centre, elle passeroit oultre et monteroit par ceste qualité accidentele et aquise, et puis redescendroit et iroit et vendroit plusieurs fois en la manière que nous voions d'une chose pesante qui pent par une longue corde, et doncques n'est ce pas proprement pesanteur puis qu'elle fait monter en hault. » Et telle qualité est en tout mouvement et naturel et vio- lent touttefïbis que l'isnelté va en croissant, fors ou mouve- ment du ciel. » Et tele qualité est cause des choses jettées quant elles sont hors de la main ou de l'instrument sicomme J'ay monstre autreflbis sus le VIT de Phisiques. » Nous retrouvons, en ce passage, tous les principes de Dyna- mique que professent et défendent les écrits de Buridan et d'Albert de Saxe; nous y trouvons même des considérations sur les oscillations d'une pierre qu'on laisse tomber en un trou qui perce la terre de part en part; ces considérations, fort analogues à une remarque faite par Albert de Saxe 1 , devinrent sans doute classiques à l'Université de Paris, où elles piquaient vivement la curiosité des étudiants; Didier Érasme, qui les avait apprises à Montaigu, les a reproduites en ses Colloques, et Maurolycus les a empruntées aux Colloques d'Érasme. Elles plaisaient singulièrement, d'ailleurs, à Maître Nicole Oresme, car il les a développées une seconde fois d'une manière un peu plus détaillée. « Je pose », dit il% « que la terre fust percée et que l'en veist par un grand treu tout de oultre en oultre sicques de l'autre part où seroient les antipodes si la terre estoit partout habitée. i. Léonard de Vinci et la pluralité des Mondes, VIII: Commentaire aux réflexions sur la pluralité des Mondes données par Léonard de Vinci (Étude sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, X ; seconde série, p. g5). 2. Nicole Oresme, Op. laud., livre II, chap. XXXI ; ms. cit., loi. g5, coll. b et c. DOMINIQUE son» m i\ BCOLASTlQUE PARISIENNE 153 .le di premièrement si l'en lessoit cheoir une pierre pai treu, elle descendroit et passeroil oultre ce centre en montant tout droit vers l'autre partie sicquea à un terme, et pois retourneroil Bicques oultrc le centre par *', i XV Le centre de gravité de la terre et le centre du Mon m La terre n'a pas partout la même densité, en sorte que son centre de gravité ne coïncide pas avec son centre de grandeur. La terre entière est en repos lorsque son centre de gravité coïncide avec le centre du Monde; partant, la surface qui la termine n'est pas partout équidistante au centre du Monde. Gomme l'eau est terminée par une surface sphérique concen- trique au Monde, une partie de la terre, celle qui est la moins dense, peut émerger, tandis que la partie la plus dense est recouverte par les eaux. Les déplacements de poids que diverses causes et, en parti- culier, l'érosion des rivières, produisent à la surface de la terre, déterminent un continuel changement de position du centre de la gravité terrestre; la terre se meut donc sans cesse afin que son centre de gravité regagne le centre du Monde. Par ces mouvements incessants, mais très lents, les conti- nents et les mers changent de place ; les parties de la terre qui sont actuellement submergées finiront par émerger et inver- sement. En outre, les parties centrales de la terre, au bout de longs siècles, parviendront à la surface. Ces propositions qu'Albert de Saxe a, sinon imaginées, du moins formellement enseignées, ont pris une importance extrême en l'enseignement de la Scolastique parisienne; elles ont vivement attiré l'attention de ceux que séduisait cette Scolastique et, particulièrement, de Léonard de Vinci, qui en a déduit toute sa Géologie 1 ; Soto ne les a pas ignorées 2 . Or, ces propositions, nous les retrouvons toutes dans les écrits d'Oresme; si elles n'y sont pas toujours affirmées d'une i. Léonard de Vinci et les origines de la Géologie, XI : Léonard de Vinci (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XII: seconde série, pp. 33s seqq.), 3, Voir $ V : L'équilibre de la terre et des mers. 36 2 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI manière catégorique, si certaines d'entre elles sont marquées d'un accent de doute, ce doute est de ceux qui ont également fait hésiter Albert de Saxe ; mais souvent l'hésitation sera plus puissante en l'esprit du docteur normand qu'en l'esprit du maître allemand. Voici, d'abord, au Traité de la Sphère 1 , un bref résumé de toute la doctrine : « Après la terre est l'eau ou la mer, mais elle ne couvre pas toute la terre; car aulcune partie de la terre n'est pas de si pesante nature comme l'aultre. Ainsi comme nous voions que estaing ne poise pas tant comme plomb. Et pource, la partie moins pesante est plus haulte et plus loing du centre; et des- couverte d'eau ; affîn que les bestes y puissent vivre ; et est ainsi comme la face et le visaige de la terre, tout descouvert; fors que parmy y a aulcunes petites mers, braz de mer et fleuves ; et tout le demourant est ainsi comme enchaperonné, vestu et affublé de la grant mer. » Au Traité du Ciel et du Monde, cette courte indication va se trouver développée et complétée, de telle sorte que toutes les parties de la théorie d'Albert de Saxe nous soient successi- vement présentées. Voici, d'abord, l'énoncé du principe sur lequel repose cette théorie 2 : « Le centre du monde est le lieu de la terre et de toute la masse des choses pesantes, car telle masse est là où elle doit estre, et en son propre lieu naturel, parce que le centre de sa pesanteur est en milieu du monde, et que tel centre et le centre du monde sont un mesme point, combien que ceste masse soit ou fust environnée et contenue de eaue ou de air ou de tous deux. » Est-ce le centre de gravité du seul élément terrestre ou bien le centre de gravité de toute la masse pesante qui se doit trouver au centre du Monde? Albert de Saxe avait hésité entre i . Le Traicté de la Sphère, translaté de latin en françois par Maistre Nicole Oresme. Ghap. I : De la figure du monde et de ses parties principales. a. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre I, cli. xvn; ms. cit., fol. i5, col. b. DOMINIQUE son» 1:1 i..\ SGOL ASTIQUE PAEWIEKlfl 363 ces deux partis avant de choisir le second 1 . Jean de Jandun avait déjà écrit quelques lignes qui semblaient avoir trait à ce débat*, et Thémon, le fils du Juif, lavait nettement défini 3 avant de prendre le même parti qu'Albert de Saxe. C'est vers l'autre parti qu'Oresme semble peneber dans le passage que nous venons de citer, et plus encore dans celui-ci, qui en est tout proche ^ : « Et selon ce, non pas seulement les parties de terre qui est élément, mes toutes choses pesantes tendent à un lieu telle- ment et afin qu'elles soient coniointes et unices à toute la masse de la pesanteur, de laquelle le centre du monde soit milieu et centre. » Cette théorie, Oresme ne paraît pas s'y être arrêté d'une manière définitive; il semble l'avoir abandonnée pour expli- quer, comme le faisaient Albert de Saxe et Thémon, l'équilibre de la terre et des mers; c'est, en effet, cette explication qu'il indique au Traité de la Sphère; c'est elle qu'il expose plus complètement dans le passage suivant du Traité du Ciel et du Monde^: « Je di que, en cest propos, trois centres sont à considérer, c'est assavoir le centre du munde, le centre de la quantité de la terre et le centre de la pesanteur; mes si elle estoit vers une partie de pur or et, vers l'autre, fust mixtionnée de plus légier mestal, le centre et le milieu de sa pesanteur ne seroient pas le centre de sa quantité ; ce centre de sa pesanteur, et ce seroit le centre du munde. » En un passage que le copiste a sans doute omis de repro- duire, le Doyen du chapitre de Rouen examinait, l'hypothèse où le centre de grandeur et le centre de gravité de la terre coïncideraient entre eux et, partant, avec le centre du Monde ; il poursuivait en ces termes : i. Albert de Saxe et Léonard de Vinci, II : Quelques points de la Physique d'Albert de Saxe (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, 1 ; première série, pp. i4-i5). 2. P. Duhem, Les origines de la Statique, t. H, p. i5. 3. Ibid., p. 5i. 4. Nicole Oresme, loc. cit. 5. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre II, chapitre xxxi; ms. cit., fol. 9^, coll. c. et d. 364 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI « Et doncques une partie quelconque de sa superfice ne seroit pas plus basse que l'autre et, par conséquent, il s'ensui- vroit qu'elle feust toute couverte de eaue, ce n'estoit par aventure le copeau d'une haute montaigne. » Et pource qu'il n'est pas ainsi, il s'ensuit que la terre est dessemblable selon ces parties, tellement que en la partie qui est descouverte d'eaue n'est pas si grande pesanteur comme en l'autre, pour ce, par aventure, que ce n'est pas terre pure, mes a en elle mixtion d'autres ellémens ; et Dieu et nature ont ordrené qu'elle soit descouverte afin que les hommes et les bestes y peussent habiter; et pour ce, ceste partie est la plus noble et est auxi comme le devant et la face ou visaige de la terre; et le demorant ou l'autre partie est enveloppée d'eau et vestu et covert de mer auxi comme d'un chaperon ou d'une coeffe; et de ce dit l'Escripture : Abyssus sicut vestimentum amictus ejus. Et le centre de la grandeur de la quantité de la terre [est A] ; et le centre de sa pesanteur est plus bas, ou centre du monde, en droit B, si comme l'en peut ymaginer en figure 1 ; et la superfice de la mer est concentrique au munde, et ont un meisme centre le munde et la mer. » Et parce que dit est, s'ensuit que si Dieu et nature faisoient que la terre, vers la partie habitable, devenist et fust faicte auxi pesante comme elle est vers l'autre partie, ou que la pesanteur de celle autre partie appetiçast tant que toute la terre fust uniforme et de semblable pesanteur en toutes ses parties, il conviendroit que la partie qui est habitable descendist et que toute la terre fust plungée en la mer et toute coverte d'eaue, auxi comme un homme queuvre son visage de son chapeau, et ainsi porroit estre un déluge, et sanz plue. » Je suppose que les élémens naturelment pevent, selon leurs parties, croistre et appeticer par généracion ou corrup- cion Et doncques, posé que par telle généracion feust faicte addicion notable en aucune partie de terre, si comme, pour exemple, en la partie où nous sommes, soubs le méridian i. Dans le manuscrit que nous avons consulté, les figures n'ont pas été tracées; les places qui leur étaient réservées sont demeurées blanches, D0MIÎUQ1 l -<»i«» il LA 8GOLA8TIQ1 i. l'WUMi \\i ou ligne du mydi, et soit celle partie de terre signée par li; ou que, par oorrupcion, feust faicte diminucion en la partie opposite; Je di que cest fait, il appert par Aristoi.e, ou chapitre précédent, que le lieu où nous sommes, appelé B, descendroit vers le centre du munde, appelé A, si comme l'en peut ymaginer en figure. » La moindre addition de poids à l'un des hémisphères sufïira-t-elle à déterminer un semblable mouvement de la terre? A cette question, voici la réponse 1 : u Si l'aer ne estoit, qui résiste au mouvement de la terre, si très petit de terre ou d'autre chouse pesante ne porroit estre adioustée ou engendrée d'une part de la terre plus que d'autre, qu'elle ne feust aucun petit meue tant que le centre de la pesanteur feust ou centre du munde. » Mes pour ce que l'aer résiste au movement de la terre, une petite addicion ne la peut faire movoir; mes elle porroit bien estre si grande qu'elle seroit plus forte que la résistance de l'aer qui contient la terre; et lors, pour certain, la terre seroit meue toute ensemble tant que le milieu de sa pesanteur fust ou centre du munde. » Albert de Saxe, lui aussi, s'était inquiété 2 de l'obstacle que la résistance de l'atmosphère pourrait apporter aux petits mou- vements du globe, causés par des déplacements de poids à la surface ; il s'était, à cet égard, exprimé dans les termes qu'Oresme vient d'employer. Àristote tenait que, dans le monde sublunaire, tout est soumis à la génération et à la destruction; il tenait aussi qu'un élément ne se corrompt point s'il ne se trouve au contact d'un autre élément doué d'une qualité contraire. Gomment concilier ces deux affirmations ? Les parties centrales de l'élément terrestre sont soustraites au contact de tout autre élément; il semble donc qu'elles ne se puissent jamais corrompre. En sa théorie des mouvements incessants de la terre, i. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre II, ch. XXX; ms. cit., fol. g3, coll. c. et d- a. Léonard de Vinci et les origines de la Géologie, XII: Léonard de Vinci et la tra- dition parisienne en Italie (Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui Vont lu, XII ; seconde série, p. 345). 366 ETUlJÈS SUR LÉONARD DE VINCi Albert de Saxe avait trouvé une réponse à cette embarrassante question : «La terre qui est maintenant au centre, » disait-il 1 , «viendra un jour à la surface et, partant, au lieu où elle se corrompt; et, en effet, de ce que certaines particules terrestres sont constamment entraînées par les fleuves qui s'écoulent vers la mer, il en résulte que la terre devient sans cesse plus lourde en l'hémisphère opposé au nôtre, tandis qu'en celui-ci, elle s'allège sans cesse; ainsi le centre de gravité de la terre change continuellement de place; ce qui, à un certain instant, était centre de la terre est constamment poussé vers la surface et parviendra un jour à cette surface de la terre. y> Nicole Oresme connaît cette solution proposée par Albert de Saxe, mais il ne paraît pas en être entièrement convaincu. « Et donques, » écrit le Doyen du chapitre de Rouen 2 , « peut estre que la terre en aucun costé de elle soit corrompue et apetissée, et l'autre costé ou partie soit creue, et ainsi elle pèsera plus d'un costé que d'aultre. Et quant ce sera notable- ment, il conviendra que la masse toute de la terre se meuve tellement que le centre de la pesanteur de elle, lequel estoit hors du centre du munde pour la mutacion dessus dicte, viègne ou centre du munde, et ainsi la partie de terre qui estoit ou centre se traira vers la circonférence, et par sembla- ble transmutacion en un aultre temps s'aprochera encore plus de la circonférence; et ainsi par procès de temps cette partie qui était ou centre vendra vers la circonférence siques au lieu où sunt faites altéracion et corrupcion, et sera corrumpue, et ainsi des aultres parties de terre par long procès de temps et par moult de milliers d'ans. » Après avoir exposé en ces termes la thèse d'Albert de Saxe, Oresme nous fait connaître ses doutes 3 : « Je di que c'est une belle ymagination que J'ay aultre foys pensée; mais l'en peut dire que elle prouve possibilité et ne i. Quaestiones subtilissimœ Magistri Alberti de Saxonia in libros de generatione et corruptione Aristotelis. In lib. II qua3st. VI. 2. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre I, chap. xxxvi; ms. cit., fol. 34, col. d, et fol. 35, col. a. 3. Ibid., fol. 35, coll. c et d. DOMINIQUE! 80TO i: - !' LA 9COLA8TIQUË I'\ii!mi\m .;».- arguë pas aécessitéde la corrupcion de la terre (jui est vers l<' centre; car, posé ' I nombre; ci doncques 1;» terre de L'autre inonde tendroit au centre de cestui. » .le respon que cesle raison a pou d aparanee, Considéré ee (pie dit est maintenant et ce que fu dit ou \\ M* chapitre, cai vérité est que, en cest monde, une partie de terre ne tent pas vers un centre et L'autre \ers un autre centre, niez toutes les choses pesantes de cest monde tendent à estre conjointes en une masse tellement que le centre [de pesanteur de cesle masse est uni au centre] de cest monde, et toutes sont un corps selon nombre, et pour ce ont elles un lieu selon nombre ; et se une partie de la terre de l'autre monde estoit en cestui, elle tendroit à estre coniointe à la masse de cestui et econverso. » Mes, pour ce, ne s'ensuit il pas que les parties de la terre ou les choses pesantes de l'autre monde, se il estoit, tendissent au centre de cestui; car en leur monde, elles feroient une masse qui seroit un corps selon nombre, et qui auroit un lieu selon nombre, et seroit ordenée selon hault et bas en la manière dessus dicte. » Le principe de cette nouvelle théorie de la pesanteur, Nicole Oresme l'a formulé avec une parfaite clarté : « L'ordenance naturèle des choses pesantes et des légières est telle que les pesantes toutes, selon ce qu'il est possible, soient au milieu des légières sans déterminer à elles aucun lieu immobile. » Qui ne voit les conséquences d'un pareil principe ? La pesanteur de la terre n'exige plus, comme en la Physique d'Aristote, que la terre demeure immobile au centre du monde; entourée de ses éléments dont les plus légers enveloppent les plus lourds, elle peut se mouvoir dans l'espace à la manière d'une planète; et, d'autre part, rien n'empêche que chaque planète ne soit formée par une terre grave qu'environnent une eau, un air, un feu analogue aux nôtres. La doctrine nouvelle permet de comparer entre elles la terre et les planètes, ce que la théorie péripatéticienne de la pesanteur interdisait d'une manière rigoureuse. Aussi l'opinion d'Oresme va-t-elle être adoptée par tous ceux qui voudront mettre la terre au nombre des pla- nèlcs; elle va être adoptée par Nicolas de Cues d'abord, par 372 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI Léonard de Vinci ensuite, puis par Copernic, enfin par Gior- dano Bruno qui en fera une de ses thèses favorites. D'ailleurs, cette théorie de la pesanteur, si fort opposée à la théorie péripatéticienne, elle n'est pas nouvelle en Physique; c'est celle que Platon soutenait au Timée ; et Platon en tirait, pour le mouvement naturel, une définition bien différente de celle que devait donner Aristote ; le mouvement naturel, ce n'est pas le mouvement qui se dirige vers le centre du Monde ou le mouvement qui s'en éloigne, selon que le mobile est grave ou léger; c'est le mouvement par lequel un corps tend à rejoindre l'ensemble de l'élément auquel il appartient et dont il a été violemment détaché pour être placé au sein d'un élément d'autre nature; ainsi l'air descend naturellement lorsqu'il est en la sphère du feu comme il monte naturellement lorsqu'il est environné d'eau, car, dans les deux cas, il cherche à se rapprocher de la sphère de l'air; ces deux mouvements contraires l'un à l'autre, le mouvement centripète et le mou- vement centrifuge, sont également naturels à l'air ou lui sont également violents; pour choisir celle des deux épithètes qu'il convient d'attribuer à l'un d'eux, il faut connaître le milieu au sein duquel l'air se trouve. Cette opinion, qui se déduit d'une manière forcée des prin- cipes posés au Timée, est en formelle contradiction avec la Physique d'Aristote; car, selon cette Physique, à un corps simple convient un seul mouvement naturel, toujours circu- laire, toujours centripète ou toujours centrifuge. Or, cette opinion, Oresme l'admet pleinement; il l'expose avec soin et il se plaît à faire ressortir l'opposition qu'elle offre à la théorie péripatéticienne du mouvement naturel. Le Doyen du chapitre de Rouen s'exprime en ces termes 1 : « Posé par ymagination que un tuel ou canal de cuivre ou d'autre matière soit si long que, du centre de la terre, il ataigne iusques à la fin de la région des élémens, ce est iusques au ciel. » Je dis que se ce tuel estoit plain de feu, fors un petit de aer qui fust par dessus tout au bout de hault, cest aer descen- 1. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre I, ch. IV; ms. cit., fol. 5, col. d. DOMINIQUE 80T0 BT LA BC0LA8TIQU1 PARIBIBlfltl droit iusques au oentre de la terre, car tOUSJOUTl l<' moins levier dcsccnl souhs le plus Ir^ier. » El se ecst tuel estoit plain d'eauc lors que cest tantet de aer fust près du centre, cet aer monterait iuscj nos au ciel, car tous jours monte aer en cauenaturclment. Et par ce appert que aer puet naturelment descendre et monter par le semi- dyamètre de l'espère des élémens. Et ces deux mouvemens sont simples et contraires, et doneques un simple corps est mouvable naturelment par deux simples mouvemens et contraires. » Je respons que, par adventure, l'en pourroit dire que le mouvement de cest tantet de aer, ou cas dessus mis, en descen- dant est naturel siques à tant que cest aer soit en droit la région où est le lieu naturel de aer. » Et après ce , cest aer descent encor en bas par violence pour ce que le feu, qui est plus légier, le foule et le met dessoubs soy, et ainsi ceste descendue est partie naturele et partie violence. » Semblablement, le mouvement de cest aer en montant en l'eaue est naturel iusques à tant que il monte du centre de la terre iusques à la région de l'aer, là où est son lieu naturel. » Et après ce, il monte par violence pour ce que l'eaue esliève cest aer et se lance soubz lui par sa pesanteur. » Et donques toute la descendue de cest aer et toute la montée, ces deux mouvemens, entant comme ils sont con- traires, un est naturel et l'autre violent. » Qu'un corps simple ne puisse prendre naturellement deux mouvements simples distincts l'un de l'autre, c'était, pour Aristote, l'une des raisons qui rendaient inadmissible le mou- vement diurne de la terre. Oresme sait bien que la ruine du principe entraîne la ruine de la conséquence ; et c'est surtout, sans doute, pour abattre celle-ci qu'il a sapé celui-là. Voici, en effet, comment il répond l à l'argument qu'Aristote invo- quait en faveur de l'immobilité de la terre : « Au premier argument où il est dit que tout corps simple a i. Nicole Oresme, Traité du Ciel et du Monde, livre II, ch, XXV; ms. cit., fol. 88, coll. b et c. 37/i ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI un seul simple movement, ie di que la terre, qui est corps simple selon soy toute, non a quelconque movement selon Aristote... )) Et qui diroit qu'un tel corps a un seul movement simple, non pas selon soy tout, mes selon ses parties, et seulement quant elles sont hors de leur lieu, contre ce est forte instance de Taer qui descent quant il est en la région du feu, et monte quant il est en la région de l'eaue, et ce sont deux simples movemens. » Et pour ce l'en peut dire moult plus raisonnablement que chascun corps simple ou ellérnent du monde, excepté par aventure le souverain ciel 1 , est meu en son ciel naturelment de movement circulaire. » Et si aucune partie de tel corps est hors de son lieu et de son tout, elle y retorne plus droit qu'elle peut, osté empeeschement. » Et ainsy seroit il d'une partie du ciel si elle estoit hors du ciel. » Et n'est pas inconvénient que un corps simple selon soy tout ait un simple movement en son lieu, et autre movement selon ses parties, en retournant en leur lieu. » Les mêmes principes de Mécanique ont permis à Nicole Oresme de soutenir, contre l'opinion d'Aristote, qu'il pourrait exister plusieurs mondes semblables à celui que forme notre terre entourée de ses éléments, et que notre terre pourrait tourner chaque jour sur elle-même; ces principes de Méca- nique étaient ceux du Timée, qu'une sorte de revanche exhu- mait du long oubli où le triomphe de la Physique péripaté- ticienne les avait ensevelis; ils sont ceux que les précurseurs de Copernic, que Copernic, que les premiers partisans du réformateur de l'Astronomie invoqueront en faveur de leur nouveau système; mais nul n'en aura donné avant Oresme, nul n'en donnera après lui une exposition aussi ferme, aussi claire, aussi complète que celle dont nous venons de lire des frag- ments. Oresme n'a pas été seulement précurseur de Copernic en défendant le mouvement diurne de la terre 2 contre les 1. L'Empyrée immobile. 2. Voir le fragment inportant du Traité du Ciel et du Monde que nous avons publié dans : Un précurseur français de Copernic : Nicole Oresme (1877) {Revue générale des Sciences pures et appliquées, i5 nov. 1909). DOMINIQUE BOTO il i,\ SC0LA8TIQU1 PARISIEN!*] argumenta péripatéticiens ; il L'a été aussi, et surtout, en formu Lant une théorie de La pesanteur qui rendît possible la révo- lution copernioaine. \udacieusement novatrice, car elle impose des axiomes identiques à la Mécanique des mouvements célestes et à la Mécanique des mouvements sublunaires, celte théorie sera celle des astronomes de la nouvelle école, jusqu'au jour où la théorie de la gravitation universelle, proposée pour la première fois par Kepler, viendra la supplanter. XVII Nicole Oresme inventeur de la Géométrie analytique. Nicole Oresme n'a pas été seulement le précurseur de Copernic, il a été aussi le précurseur de Descartes et le pré- curseur de Galilée; il a inventé la Géométrie analytique; il a établi la loi des espaces qu'un mobile parcourt en un mouve- ment varié. Ces deux grandes découvertes sont consignées en un écrit, rédigé en latin, qu'Oresme nomme lui-même le traité De dijfor- mitate qualitatum. « Si comme je déclaray autrefois en un traicté appelé De difformitate qualitatum, » écrit-il en sa traduc- tion des Politiques d'Aristote 1 . Cette phrase nous apprend que le traité en question était ancien déjà en l'an 1371, où Oresme « translata de latin en françois et glousa » les Politiques, à la demande et aux frais de Charles V 2 . Ce traité, il nous a été donné de l'étudier minutieusement en l'un des textes manuscrits 3 que possède la Bibliothèque Nationale. 1. Nicole Oresme, Les Politiques d'Aristote, livre VIII, ch. VIII et ch.XII. Cf. Fran- cis Meunier, La vie et les ouvrages de Nicole Oresme, pp. 3o-3i. 2. Francis Meunier, Op. laud., p. 17 et p. 87. 3. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 7371 (autrefois, Golbertinus /j65o). La Biblio- thèque Nationale possède encore, en son fonds latin, deux autres textes du même traité. L'un, intitulé De uniformitate et difformitate intentionum, continens très partes principales, se trouve au manuscrit n° 1 4579 (ancien fonds Saint- Victor, n° 1 1 1). L'autre, intitulé : De configuratione qualitatum, se trouve au manuscrit n" i458o (ancien fonds Saint-Victor, n° 100). Nous n'avons pas consulté ces deux textes mentionnés par F. Meunier, Op. laud., p. 3o. 376 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI A ce texte, une main plus moderne que celle du copiste a donné ce titre : De latitudinibus formarum ab Oresme • ; ce titre, dont nous reparlerons au paragraphe XIX, n'est assuré- ment pas de l'auteur. La titre véritable est : Tractatus de Jiguratione potentiarum et mensurarum difformitatum. Il précède une table des quatre- vingt-douze chapitres en lesquels l'ouvrage se trouve divisé. Ce titre est lui-même précédé d'un court préambule que nous transcrivons 2 : « Assit ad inceptam Sancta Maria meum » Cum ymaginationem veterum de difformitate et uniformitate intentionum ordinare cepissem, occurerunt mihi quedam alia que haie proposito sant consona, ut iste tractatus non solum excitatorie procéder et, sed etiam distinctive; in quo ea, que aliqui alii soient (?) circa hoc confuse sentire et obscure eloqui ac incon- venienter aptare, studui dearticulatim et clare tradere et quibus- dam aliis mater Us utiliter applicare. » A la fin du XIII e chapitre de la troisième partie 3 , Oresme met, en ces termes, fin à son écrit : a Multa quidem alia possunt ex predictis inferri. Sed hec, tanquam quedam elementa, sufficiunt, gracia exercii et exempli. Et hoc de uniformitate et difformitate dictum sit tantum. Et sic est finis hujus tractatus. Deo laus. Amen. » Le copiste, sans doute, éprouvait une grande lassitude d'avoir transcrit ce traité, car il exprime ainsi sa satisfaction d'avoir atteint le terme de sa besogne : u Explicit tractatus magistri Nicholai Oresme de uniformitate et difformitate intensionum. Deo gratias. Amen. Amen. Qui plus scribere vult, scribat. Ego nolo plus. » Le malheureux scribe n'était sans doute pas en état de comprendre et d'admirer les idées neuves et fécondes qui, en un ordre parfait, en une admirable clarté, se présentaient tour à tour au long des pages qu'il grossoyait. 1. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n* 7871, fol. 21&, r\ 2. Nous avons dû interpréter ou corriger certains mots, les uns illisibles, les autres dénués de sens. 3. Ms. cit., fol. 266 r\ DOMINIQUE BOTO BT LA SCOLA8TXQUE PARISIENNE '<~~ Oresme a divisé son ouvrage en trois parties principale! qu'il a ainsi intitulées : Piuma pars : De figurations et potentiarum uniformitate et difformitate. Segunda pars: De Jiguratione potentiarum successivarurn. Tertia pars : De acquisilione et mensura qualitatis et velocitatis. Nous n'analyserons pas ici les nombreux chapitres en lesquels ces trois parties se subdivisent; les problèmes les plus divers s'y trouvent traités; l'auteur y discute les questions les plus variées; il y pose les fondements d'une Esthétique musi- cale; il y argumente contre les principes de l'Astrologie et de la Magie. Laissant de côté tout ce qui ne concourt pas à notre objet, nous nous attacherons seulement à ce qui prépare la découverte que Soto formulera. Les philosophes qui, depuis Richard de Middleton, admet- taient que l'accroissement d'une qualité se fait par addition de parties avaient, pour la plupart, assimilé l'accroissement d'une qualité à l'augmentation d'une grandeur continue et, en particulier, d'une longueur. Cette pensée est celle qui va guider Oresme et servir d'introduction à son système. « A Fexception des nombres, écrit-il au début de son traité 1 , toute chose mesurable doit être imaginée à la manière d'une quantité continue. Pour la mesurer, il faut imaginer des points, des surfaces, des lignes; selon l'avis d'Aristote, en effet, ces objets sont ceux où la mesure ou la proportion se rencontrent immédiatement; dans les autres objets, la mesure ou proportion n'est connue que par analogie, en tant que la raison compare ces objets-ci à ceux-là » Donc, toute intensité susceptible d'être acquise d'une manière successive doit être imaginée au moyen d'une ligne droite élevée verticalement à partir de chaque point de l'espace ou du sujet qu'affecte cette intensité Quelle que soit la proportion qui existe entre deux intensités de même espèce, une proportion semblable doit se retrouver entre les lignes correspondantes et inversement. De même qu'une ligne est i. Magistri Nicholai Oresme Tractatus de Jiguratione potentiarum. Pars I, cap. I: De continuitate intensionis. Bibl. nat., fonds latin, ms. n* 7371, fol. 2i5 v e . 378 ÉTUDES SLR LEONARD DE VINCI commensurable avec une autre ligne et incommensurable avec une troisième ligne, ainsi en est-il des intensités; il en est qui sont commensurables entre elles et d'autres qui sont incommensurables. » Les diverses intensités d'une qualité d'espèce donnée peuvent donc être imaginées comme des longueurs de droites; « elles peuvent surtout, et de la manière la plus convenable, être représentées par des droites attachées au sujet et verticalement élevées à partir de ses divers points. La considération de ces lignes aide et conduit naturellement à la connaissance de chaque intensité Des intensités égales sont figurées par des lignes égales, des intensités doubles l'une de l'autre par des lignes doubles l'une de l'autre, et ainsi de suite, les intensités et les lignes procédant toujours suivant le même rapport. » Et cette représentation s'étend, d'une manière universelle, à toute intensité imaginable, qu'il s'agisse de l'intensité d'une qualité active ou d'une qualité non active, que le sujet ou l'objet affecté tombe ou ne tombe pas sous les sens » « L'intensité que désigne la ligne en question devrait pro- prement, » selon l'avis d'Oresme 1 , « être nommée longueur ou longitude (longitudo). » Notre auteur appuie cet avis de diverses raisons. Il ne juge pas convenable de donner à cette intensité le nom de largeur ou latitude (latitudo). « Beaucoup de théolo- giens, » remarque- t-il, « parlent de la largeur (latitudo) de la charité; en effet, par largeur, ils entendent l'intensité, en sorte que l'on peut avoir une largeur sans longueur. » Ce n'est donc pas l'intensité (intensio) d'une qualité qu'il faudrait nommer largeur (latitudo), mais bien l'extension (extensio) de cette même qualité. « Il convient 2 de nommer largeur (latitudo) d'une qualité étendue l'extension de cette qualité ; la dite extension peut être représentée par une ligne tracée au sein du sujet, ligne en chaque point de laquelle s'élève perpendiculairement la ligne d'intensité de la même qualité. Ainsi, comme toute qualité de ce genre a intensité et 1. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. II: De latitudine qualitatis. Ms. cit., fol. 216 r* et v. 2. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. III : De longitudine qualitatis. Ms. cit., fol. 216 v" et 217 r*. DOMINIQUE SOTO BT LA 8COLÀ8TIQUE PARISIBHlfl .'»7<) extension, dont il faut tenir compte pour la mesurer, si Ton donnée L'intensité le nom de Longueur (longitudo), on donnera à l'extension, qui est la seconde dimension, Le nom <1<* largeur (latitude). » Telles sont les dénominations qu'Oresmc aimerait employer; mais il remarque que « selon le langage communément usité, on attribue à l'extension la première dimension, c'est à-dire la longueur (longitude*), et la largeur (latitudo) à l'intensité. Or l'imposition de noms différents ou l'impropriété d'une locu- tion ne fait rien à la réalité; on peut, des deux manières, exprimer la même chose; je veux donc suivre la commune mode, de peur qu'une forme de langage inaccoutumée ne rende moins aisé à comprendre ce que je vais dire. » Oresme va étudier, tout d'abord, une qualité étendue suivant une ligne, soit que le sujet affecté par cette qualité soit en réalité linéaire, soit qu'en un sujet qui présente deux ou trois dimensions, il trace une ligne, et qu'il se propose d'étu- dier l'intensité de la qualité aux divers points de cette ligne. A une telle qualité, étendue seulement suivant une ligne, il donne le nom de qualité linéaire (qualitas linealis) 1 . Pour la représenter, il portera, sur une droite horizontale, une longueur ou longitude (longitudo) égale à ïextensio; en chaque point de cette droite, il élèvera une verticale dont la hauteur (altitudo vel latitudo) sera proportionnelle à l'intensité (intensio) de la qualité au point correspondant du corps. Il obtiendra ainsi une figure géométrique dont les propriétés correspondront exactement aux propriétés de la qualité qu'il s'agit d'étudier. Mais, par ce mode de représentation, l'étude de cette qualité sera rendue singulièrement plus aisée; les propriétés « en seront examinées plus clairement et plus faci- lement, dès là que quelque chose qui leur est semblable est dessiné en une figure plane, et que cette chose, rendue claire par un exemple visible, est saisie rapidement et parfaitement par l'imagination... Car l'imagination des figures aide grande- ment à la connaissance des choses mêmes. » i. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. IV: De quantitate qualitatis. Ms. cit., fol. 217 r* et v". 380 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Il est impossible de formuler plus exactement qu'Oresme ne l'a fait le principe des représentations graphiques fondé sur l'emploi des coordonnées rectangulaires, ni de mieux marquer l'extrême commodité de telles représentations. Toute qualité linéaire sera ainsi représentée par une figure plane ; inversement, toute figure plane bornée supérieurement par une ligne dont aucun point ne se projette hors de la base 1 peut représenter une qualité linéaire. L'étude géométrique des dispositions que peut affecter une semblable figure permettra de classer les diverses manières dont se peut comporter l'in- tensité d'une qualité. Procédant, en cette étude, du simple au composé, Oresme rencontre d'abord 2 le cas où la figure qui représente la qualité est un triangle rectangle et où la longitude est un côté de l'angle droit. La qualité que représente un tel triangle « est communément nommée qualité uniformément difforme ter- minée à une intensité nulle. — Qualitas uniformiter dijformis lerminata in intensione ad non gradum. » Tout autre triangle 3 représente l'ensemble de deux telles qualités de même espèce qui se succèdent l'une à l'autre. Un rectangle^ figure une qualité dont l'intensité est la même en tous les points de la ligne qui lui sert d'extension. « Une telle qualité est dite uniforme (uniformis) ou d'intensité égale en toutes ses parties. » Si la figure représentative est un trapèze dont les deux bases sont les deux perpendiculaires élevées à la longitude en ses deux points extrêmes, la qualité correspondante « est dite qualité uniformément difforme terminée de part et d'autre à un certain degré — Qualitas uniformiter dijformis utrinque terminata ad gradum ». « Toute autre qualité linéaire est dite difformément difforme i. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. V: De figuratione qualitatis. Ms. cit., fol. 218 r°. 2. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. VIII : De qualitate trianguli rectanguli. Ms. cit., fol. 219 r* et V. 3. Oresme, Op, laud., Pars I, cap. IX: De qualitate aliter triangulari. Ms. cit., fol. 220 r*. U. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. X: De qualitate quadrangulari. Ms. cit., fol. 220 V. r M£ ^ DOMINIQUE BOTO BT LA SC0LA8T1QUE PARISIENNE 38l (diJJorrnUer dijjormis) 1 . »> Mais en la multitude de ces qualité! uniformément difformes, Oresme cherche à introduire an certain ordre. Toutefois, le choix du principe qui \a servir à établir cette classification suppose que l 'on ait au préalable examiné une certaine difficulté; en cet examen, le sens logique de l'auteur va nous apparaître singulièrement sûr et affiné. «Toute qualité linéaire, dit-il 3 , peut être représentée par une figure élevée perpendiculairement sur la ligne qui lui sert d'extension, pourvu que la hauteur de la figure soit proportionnelle à l'intensité de la qualité. Une figure élevée sur la ligne informée par la qualité est dite proportionnelle en hauteur à l'intensité de la qualité lorsque toute droite élevée, en un point de la base, perpendiculairement à cette base, et prolongée jusqu'à la ligne qui termine supérieurement la figure, a une hauteur proportionnelle à l'intensité de la qualité qui affecte le même point... » Mais, sur une même ligne AB, on peut élever plusieurs figures planes qui soient, en hauteur, proportionnelles les unes aux autres, et qui soient les unes plus grandes et les autres plus petites... 11 en résulte que la même qualité de la ligne A B peut être indifféremment représentée par l'une quelconque de ces figures. » Toutefois, si cette qualité a été représentée à l'aide de l'une des figures dont il s'agit, tant que l'on gardera cette repré- sentation, une qualité dont l'intensité sera analogue à celle de la première, mais sera partout double de cette première intensité, sera représentée par une figure analogue à la précé- dente, mais deux fois plus haute; en quelque rapport que la seconde qualité soit plus petite ou plus grande que la première, en ce même rapport sera la hauteur de la seconde figure à la hauteur de la première. » Néanmoins, au début, la première qualité eût pu être représentée par une figure plus grande ou plus petite en telle proportion que l'on eût voulu choisir; ces diverses figures i. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. XI : De qualitate uniformi et difformi. Ms. cit., fol. 220 v*. 2. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. VII: De figurarum coaptatione. Ms. cit., fol. 218 V et fol. 219 r°. 38a ETUDES SUR LEONARD DE VIïVCl eussent pu être prises inégales en grandeur et dissemblables d'aspect; mais elles eussent été, les unes aux autres, propor- tionnelles en hauteur. » En langage moderne, nous traduisons ce passage en disant que la longueur par laquelle l'unité d'intensité sera représentée peut être choisie arbitrairement; que, par conséquent, une même qualité peut être représentée par une infinité de figures distinctes ; que toutes ces figures peuvent se déduire de l'une d'entre elles par une opération qui laisse les abscisses inva- riables et multiplie toutes les ordonnées par un même nombre arbitraire. Pour qu'une propriété de la figure qui représente une qualité puisse être regardée comme une propriété de cette qualité même, il faut que cette propriété demeure invariable lorsque la figure éprouve la transformation que nous venons de définir. C'est ce que Maître Nicole Oresme a vu avec une parfaite lucidité; avant de conclure d'une propriété de la figure repré- sentative à une propriété de la qualité même, il a toujours soin de s'assurer que la première propriété est caractère invariant en la transformation par multiplication des ordonnées. Par exemple, il ne déclare pas d'emblée que le fait d'être représentée par un triangle rectangle dont l'angle droit a la longitude pour côté, caractérise une certaine manière d'être de la qualité, celle que désigneront les mots : qualité unifor- mément difforme terminée à une intensité nulle. Il commence par établir 1 que « toute qualité représentable par un triangle rectangle dont l'angle droit a la longitude pour côté, peut être représentée par tout autre triangle rectangle qui aurait un angle droit placé de même, et ne peut être représentée par aucune autre figure ». Il raisonne de même 2 avant de définir la qualité uniforme. Il est des propriétés géométriques qui ne demeurent pas invariables en l'opération qui augmente ou diminue toutes les i. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. VIII : De qualitate trianguli rectanguli. Ms. cit., fol. 219 r'* 2. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. X : De qualitate quadrangulari. Ms. cit., fol. 220 v". DOMINIQUE BOTO Kl i.a RCOL ASTIQUE PARtSlENNB ordonnées dans un môme rapport ; cei propriétés-là ne peu- vent figurer une propriété de la qualité représentée. Supposons, par exemple «, qu'une qualité ait été représentée par un demi cercle dont le diamètre figure la ligne que cette qualité affecte. On pourra également représenter cette même qualité par une ligure plus haute que ce demi cercle, el plus haute en telle proportion que l'on voudra, ou bien par une figure moins haute, et moins haute en telle proportion que l'on voudra. Ces figures obtenues en augmentant ou en diminuant dans un certain rapport fixe toutes les ordonnées d'une demi- circonférence sont des demi-ellipses. Oresme n'était pas assez géomètre pour découvrir cette vérité; il n'a osé énoncer et prouver qu'une proposition moins complète : « La figure, moins haute que la demi -circonférence, par laquelle cette qualité peut être représentée, est-elle un arc de cercle? Je laisse ce point à discuter. Mais je dis qu'elle ne peut être représentée par aucune figure plus haute que le demi-cercle et qui soit une portion de cercle. » Cette proposition suffît cependant à justifier la conclusion que formule notre auteur : « La courbe qui termine cette figure plus élevée n'est pas circulaire et, toutefois, elle termine une figure qui est proportionnelle en hauteur à celle que termine une demi -circonférence; ainsi, deux figures dont l'une a une courbure circulaire et l'autre une courbure non circulaire peuvent être proportionnelles l'une à l'autre en hauteur. » Le fait d'être figurée par une ligne qui est une portion de cercle n'est donc pas un caractère intrinsèque de la qualité étudiée. Oresme n'y fera pas appel pour classer les qualités difïbrmément difformes. La difformité difforme simple (simplex difformis difformitas) sera caractérisée 2 par ce fait que la ligne figurative est formée par une seule ligne courbe qui, en tout son parcours, tourne i. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. XIV : De simplici difformiter difformi. Ms. cit., fol. 323 v° et fol. 223 r\ 3. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. XV : De quatuor generibus difformiter difformis. Ms. cit., fol. 223 r° et v\ 384 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI sa convexité dans le même sens. Convexe ou concave, cette ligne peut être rationnelle, c'est-à-dire circulaire, ou irra- tionnelle, c'est-à-dire non circulaire; mais une même qualité peut être représentée indifféremment soit par une ligne rationnelle, soit par une ligne irrationnelle. Si, laissant de côté les propriétés intrinsèques de la qualité, nous considérons seulement les propriétés géométriques de la représentation figurée, nous avons à distinguer quatre genres de difformités difformes simples : La difformité rationnelle convexe, La difformité rationnelle concave, La difformité irrationnelle convexe, La difformité irrationnelle concave. Si nous y joignons » : L'uniformité, La difformité uniforme, nous voyons que les figurations simples sont au nombre de six. Mais nous pouvons obtenir des figurations composées, en chacune desquelles se suivent deux ou plusieurs figurations simples. Ces figurations composées, Oresme les classe en espèces d'autant plus complexes qu'il faut, pour les former, emprunter des figurations simples à des genres plus nombreux. Ainsi chacune des espèces les moins complexes sera formée au moyen de figurations simples empruntées toutes au même genre ; pour former une figuration dont l'espèce appartienne au second degré de complexité, il faudra employer des figu- rations simples de deux genres différents; et ainsi de suite. « Dès lors, par les règles de l'Arithmétique, il en résulte ceci : De chaque genre simple pris isolément, on peut effectuer une et une seule combinaison et composition, ce qui nous donne 6 espèces de difformité difforme composée. Au moyen des genres simples pris deux à deux, il se forme des combinaisons et espèces composées jusqu'à i5. De ces genres pris trois i. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. XVI : De difformitate composita et qualitatc hujusmodi secundum species. Ms. cit., fol. aa3 v° et 22U r°. DOMINIQUE soin i: i i.a BG0LA8TIQ1 B i'AIiimiwi 385 h trois, il en naît ao. Des genres simples pris quatre à quatre, il en naît i5. De ces genres pris cinq ;» cinq, il <'n résulte 6 Enfin, do tous ces genres pris ensemble, il en résulte «nie, seule. Nous avons donc, en somme, 02 espèees de difformités difformes composées. » On le voit, au temps d'Oresme, la formule relative au nom- bre des combinaisons était regardée comme une règle courante d'Arithmétique ! . Jusqu'ici, nous avons vu Nicole Oresme étudier comment on peut représenter graphiquement, à l'aide de deux coordonnées rectangulaires, la longitude et la latitude, les variations d'une propriété mesurable; mais rien, dans ce que nous avons cité, ne permet de dire qu'il ait entrevu la Géométrie analytique, qu'il ait compris l'équivalence qui fait correspondre l'une à l'autre une certaine représentation graphique et une certaine relation algébrique entre les valeurs simultanément variables de la longitude et de la latitude. Pour parvenir au point d'où cet aperçu peut être saisi, un nouveau progrès est nécessaire. Que notre auteur ait au moins fait les premiers pas dans cette voie, il est, croyons-nous, difficile de le nier, après avoir lu les lignes suivantes % qui viennent aussitôt après les défini- tions géométriques des termes : uniforme, uniformément difforme : « Les dites variations des intensités ne sauraient être mieux, ni plus clairement, ni plus facilement expliquées et notées que par de semblables imaginations, rapports et figures; on en peut donner, toutefois, d'autres descriptions ou notifications qui, d'ailleurs, sont également connues par les figures que l'on imagine de la sorte. Ainsi, on peut dire que la qualité 1. Marsile d'Inghen était seulement de quelques années plus jeune que Nicole Oresme. Or, dans ses questions sur le De generatione, Marsile d'Inghen donne la règle qui fait connaître le nombre des combinaisons d'un certain nombre de termes deux à deux : Tôt sunt combinationes terminorum... quanta est medietas numeri qui surgit ex multitudine numeri terminorum in numerum immédiate precedentem. Il démontre cette règle exactement comme nous le faisons aujourd'hui. (Egidius cum Marsilio et Alberto de generatione. Golophon : Impressum venetiis mandato et expensis Nobilis viri Luceantonii de giunta llorentini. Anno domini i5i8 die 12 mensis Februarii. Questiones clarissimi philosophi Marsilii inguen super libris de generatione et corruptione. Lib. IT, queest. XII, fol. 116, coll. c et d). 3. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. XI : De qualitate uniformi et difformi. Ms. cit., fol. 220 v* et fol. 22i r°. P. Dl HKM. 25 386 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI uniforme est celle qui est également intense en toutes les parties du sujet ; que la qualité uniformément difforme est telle que, trois points quelconques [du sujet] étant donnés, le rapport de la distance entre le premier et le second à la distance entre le second et le troisième est comme le rapport de l'excès d'intensité du premier sur le second à l'excès d'intensité du second sur le troisième 1 . » Et notre auteur démontre que la représentation géométrique de l'intensité uniformément difforme exige, en effet, qu'elle soit douée de cette propriété. Traduisons en langage moderne la proposition formulée et démontrée par Oresme ; la traduction n'en peut être que celle-ci : Il revient au même de dire : L'intensité que l'on mesure varie avec l'extension, de manière à être représentée par une ligne droite inclinée sur l'axe des longitudes ou abscisses. — Ou bien de dire : Étant donnés trois points quelconques M,, M„ M 8 , dont x t , # 8 , x z sont les longitudes ou abscisses, et y t , y„ y, les latitudes ou ordonnées, on a sans cesse l'égalité g, — a?i yi — y« x t — x z y, — y 8 ' Et qu'est-ce là, sinon la mise en équation de la ligne droite, sous une des formes les plus usitées en notre moderne Géo- métrie analytique? N'est- il donc pas juste de dire que la Géométrie analytique à deux dimensions a été créée par Oresme? Il a été plus loin; il a conçu également la possibilité d'étendre aux figures tracées dans l'espace ce qu'il avait dit des figures planes. i. Vu le grand intérêt que ce passage nous paraît offrir, nous en donnons ici le texte latin, tel qu'il est dans le manuscrit: « Predicte differentie intentionum non melius nec clarius nec facilius declarari vel notari possunt quam per taies ymaginationes et relationes et figuras, quamvis quedam alie descriptiones seu notijîcationes dari possunt que etiam per hujusmodi figurarurn ymagina- tiones sunt note. Ut si diceretur : qualitas uniformis est que in omnibus partibus subjecti est equaliter intensa, qualitas vero uniformiter difformis est cujus omnium trium puncto- rum proportio distantie inter primum et secundum ad distantiam inter secundum et tertium est sicut proportio excessus primi super secundum ad excessum secundi super tertium in intentione. » DOMINIQUE SOTO ET LA SCOLA8TIQU1 PARISIEN!!] 387 Au Lieu de tracer seulement une ligne, dam le sujet, on > peut tracer une surface, par exemple une surface plane, et étudier la qualité qui Informe chacun des points de cette surface; on aura ainsi affaire non plus à une qualité Linéaire, mais à une qualité superficielle 1 . L'intensité de la qualité sera représentée par une droite perpendiculaire à la surface informée'; pour imaginer de quelle manière cette intensité varie d'un point à l'autre de La surface en question, on aura à considérer une figure géomé- trique à trois dimensions. Aux qualités superficielles ainsi représentées, on peut étendre ce qui a été dit des qualités linéaires. « De même que, parmi les qualités linéaires, on rencontre une qualité uniforme, une qualité uniformément difforme, une qualité difformément difforme, et cela de bien des manières différentes, ainsi en est-il, de toute semblable façon, des qualités superficielles. De même qu'une qualité linéaire uniforme est représentée par un rectangle, de même une qualité superficielle uniforme sera représentée par un corps qui présente huit trièdres trirectangles (angulos rectos corporeos); cette qualité, tout en demeurant la même, peut être représentée par un corps plus ou moins haut, selon ce qui a été dit de la qualité linéaire n Ce qui a été dit de la qualité linéaire uniforme ou difforme peut être répété de la qualité superficielle. Semblablement, en effet, la sommité de la figure qui représente une qualité uni- forme est une surface parallèle à la base tracée dans le sujet, base que l'on a imaginée plane. La sommité de la figure à l'aide de laquelle on imagine une qualité uniformément difforme est une surface plane non parallèle à la base. La sommité de la figure qui représente une qualité difformément difforme est une surface courbe, ou bien est composée de surfaces qui se coupent sous certains angles. » Mais la qualité superficielle n'épuise pas notre notion de î. Oresme, Op. laud., Pars I, cap. IV : De quantitate qualitatis. Ms. cit., fol. 217 v". 3. Oresme, Op. laud.. Pars I, cap. XVII : Dequalitate superficialis. Ms. cit., fol. 22k v° et aa5 r°. 388 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI qualité. Le sujet informé par cette qualité n'est, dans la réalité, ni une ligne, ni une surface, mais bien un corps ; c'est donc à une qualité corporelle que nous avons toujours affaire. Oresme, assurément, souhaiterait 1 que l'on pût imaginer une quatrième dimension de l'espace, afin que l'on pût étendre aux qualités corporelles le mode de représentation qu'il a employé pour les qualités linéaires et superficielles : « La qualité superficielle est représentée par un corps, et il n'existe pas de quatrième dimension; on ne saurait même en imaginer une. Néanmoins, il faut concevoir la qualité corpo- relle comme ayant une double corporéité; elle en a une véri- table, par l'effet de l'extension du sujet, extension qui a lieu suivant toutes les dimensions; mais elle en a aussi une autre, qui est seulement imaginée; elle provient de l'intensité de la qualité, qualité qui se trouve répétée une infinité de fois par la multitude des surfaces que l'on peut tracer au sein du sujet. » On préciserait sans doute la pensée d'Oresme beaucoup plus qu'il n'eût été en état de le faire, mais il semble qu'on ne la fausserait pas, en l'exprimant ainsi: Le sujet lui-même, et chacun des solides que Ton obtient en représentant la qualité superficielle de l'une des surfaces, en nombre infini, que l'on peut tracer au sein du sujet, sont autant de figures à trois dimensions tracées dans un même espace, purement idéal, à quatre dimensions. XVIII Gomment Nicole Oresme a établi la loi du mouvement uniformément varié. Non seulement Nicole Oresme a devancé Copernic en soute- nant contre la Physique péripatéticienne la possibilité du mouvement diurne de la Terre; non seulement il a précédé Descartes en faisant usage de représentations géométriques i. Oresme, Op. laud., Parsl, cap. IV: De quantitate qualitatum. Ms. cit., fol. 217 V* et fol. a 18 r\ DOMINIQUE soi'o BT LA SCOLAJTIQUB i*aiusii;\ni: 38û obtenues à l'aide de coordonnées rectangulaires ;« deux ou à Mois dimensions, et en établissant l'équation de la ligne droite; il a encore fait une découverte que l'on attribue communément à Galilée: il a reconnu la loi suivant laquelle croît, avec le temps, la longueur parcourue par un mobile qu'entraîne un mouvement uniformément varié; c'est cette dernière partie de son œuvre qui va maintenant retenir notre attention. La seconde partie du Tractatus de dijformltate qualitatum a pour titre: De figuratione et potentiarum successivarum uni/or mitate et difformitale . C'est à l'étude des vitesses que cette partie du traité est spécialement consacrée. Les principes de Cinématique dont Oresme se réclame ne diffèrent pas de ceux qu'Albert de Saxe a posés en son Tractatus proportionum et en ses Quœstiones in libros de Cœlo et Mundo, deux ouvrages qui, sûrement, furent à peu près contemporains du Tractatus de difformitate qualitatum, soit qu'ils l'eussent précédé, soit qu'ils l'eussent suivi. Après Walter Burley, et presque exactement dans les termes qu'a employés Albert de Saxe, Oresme nous apprend l que le mouvement a deux sortes d'extensions, dont l'une dépend de la distribution de la vitesse aux divers points du sujet, c'est-à- dire du mobile, et l'autre du changement de la vitesse au cours du temps. Comme Albert de Saxe, il voudrait que les épithètes : uniforme, difforme, servissent exclusivement à caractériser la distribution qu'affecte la vitesse au sein du sujet, tandis que les qualificatifs : régulier, irrégulier, indi- queraient de quelle manière les valeurs de la vitesse se succèdent dans le temps. Mais il observe qu'il est d'usage d'employer les mots uniforme et difforme même pour dési- gner la régularité et l'irrégularité dans le temps, et il déclare qu'il se conformera à cet usage. Notre auteur se demande ensuite 2 de quelle manière on doit, en chaque espèce de mouvement, définir la grandeur de i. Oresme. Op. laud., Pars II, cap. I: De difformitate motus. Ms. cit., fol. 336 r°. a. Oresme, Op. laud., Pars II, cap. III : De quantitate velocitatis; cap. IV: De diversis modis velocitatis. Ms. cit., fol. 237 r° et fol. a38 r\ 3gO ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI la vitesse ; la vitesse du mouvement local, la vitesse angulaire de rotation, la vitesse de descente, la vitesse de dilatation ou de contraction, la vitesse d'altération sont successivement consi- dérées et déterminées exactement comme elles le sont au Tractatus proportionum d'Albert de Saxe ; ici et là, les mêmes pensées se trouvent proposées, et éclaircies au moyen des mêmes exemples. Sans nous attarder à reproduire des considérations qui nous sont déjà connues, indiquons seulement une précision intro- duite par Oresme en la définition de la vitesse du mouvement local. Il dit d'abord «, comme Albert de Saxe: « Dans le mouve- ment local, un degré de mouvement (motus) ou de vitesse (velo- citas) est d'autant plus grand on plus intense que le mobile parcourt un plus grand espace ou une plus grande distance en un temps égal. » Mais cette définition devient insuffisante pour déterminer ce que l'on doit appeler vitesse à chaque instant, en un mouvement dont la vitesse change d'un instant à l'autre; il convient alors de la compléter en ajoutant ce membre de phrase : En supposant que, pendant tout ce temps, le mobile continue à se mouvoir avec la vitesse qu'il avait à cet instant. Cette addition, notre auteur ne la formule pas en général; mais elle est bien dans sa pensée, et il lui arrive de l'expliciter : « Le degré de la vitesse de descente. » dit-il 2 « est d'autant plus grand qu'en un temps égal, le sujet mobile descend davantage ou qu'il descendrait davantage si le mouvement continuait simplement (magis descendit vel des- cenderet si continuaretur simpliciter). » Ce qu'Oresme ajoute à la Cinématique d'Albert de Saxe, c'est l'emploi des coordonnées. Comment les coordonnées rectan- gulaires devront être employées en une telle étude, il le dit avec son habituelle clarté, au début de la seconde partie de son traité 3 : a On peut imaginer les deux extensions à la façon de deux i. Oresme, Op. laud., Pars 11, cap. III. Ms. cit., fol. 237 r°. 2. Oresme, Op. laud., Pars II, cap. IV. Ms. cit., fol. 237 v°. 3. Oresme, Op. laud., Pars II, cap. I : De difformitate motus. Ms. cit., fol. 236 r*. DOMINIQUE soin i:r i,\ BG0LA8TIQUE iuuminm ?>()i droites qui se couperaient orthogonalement, <*m sorte que L'extension relative au sujei sciait appelée latitude; L'intensité du mouveinoiii. pourrait alors être nommée altitude en un poinl (aliitudo localis) du mouvement f///.o/^ ou 1 1 ( > au même point; la latitude totale ainsi obtenue ;«, en tout point, la même Longueur. On se trouve ainsi avoir dressé, sur la Longitude qui représente l'extension, une figure reetan- gulaire; une Ligne divise ee rectangle en deux parties cjui représentent respectivement les deux qualités contraires associées Tune à l'autre au sein du sujet. « Cette opinion, » dit Marsile d'Inghen ', « m'apparaît probable; je ne sais si cela vient de ce que je me suis pris de passion pour l'opinion de mon Maître Jean Buridan, qui l'a proposée. » C'est au moyen de la représentation géométrique imaginée par Oresme que Marsile expose la théorie qui lui plaît si fort 3 . Marsile d'Inghen ne se contente pas de faire usage des coordonnées rectangulaires, de la longitude et de la latitude ; il connaît également et emploie la règle d'Oresme ; il la cite comme une vérité incontestée, d'usage courant, que l'on invoque à titre d'argument pour ou contre une proposition soumise à la discussion. C'est ainsi que cette règle se trouve rappelée 3 en une question sur le De generatione et corruptione ; « S'il n'en était pas ainsi, » lisons-nous en une argumentation, « une latitude uniformément difforme ne correspondrait pas à son degré moyen. » U Abrégé du livre des Physiques a certainement été composé par Marsile d'Inghen à Paris, partant avant l'année i386, où l'auteur était recteur de HeideLberg. Or, nous y trouvons plusieurs allusions à la règle de Nicole Oresme. En cet abrégé, par exemple, nous lisons, sur les vitesses des divers mouvements, des considérations qui sont, pour la plupart, empruntées au Tractatus proportionum d'Albert de Saxe. Elles en diffèrent cependant en un point; contre Bradwardine et Albertutius, Marsile reprend l'opinion soutenue au traité De proportionalitate motuum et magnitudinum ; il admet i. Questiones clarissimi philosophi Marsilii inguen super libris de generatione et corruptione. Lib. II, quaest. VI; éd. cit., fol. 106, coll. c et d, et fol. 107, col. a. 3. Marsile se sert encore, en un autre endroit du même traité, de la représentation par coordonnées rectangulaires (Marsilii Inguen, Op. laud., lib. I, quaest. XVIII; éd. cit., fol. 77, col. c). 3. Marsile d'Inghen, Op. laud., lib. I, quaest. XX; éd. cit., fol. 90, col. c. 4o4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI qu'en un corps dont les diverses parties se meuvent inégalement, la vitesse doit être mesurée par la longueur que décrit un point moyen ; or, à l'appui de cette opinion, l'auteur invoque 1 la raison que voici : « Une latitude difforme ne doit pas être dénommée par le point le plus intense, mais bien plutôt par le point moyen. » Ailleurs, Marsile se demande comment il faut entendre la proportionnalité, admise par la Dynamique péripatéticienne, entre la puissance qui meut un corps et la vitesse de ce corps, dans le cas où la puissance varie d'un instant à l'autre; il répond en ces termes 2 : « En ce cas, il n'y a pas de puissance 3 uniforme qui demeure toujours la même, mais il y a une puissance difforme constam- ment la même, dénommée par son degré moyen ; de même, il n'y a pas une vitesse qui demeure uniforme, mais une vitesse difforme, dénommée par son degré moyen, ou par un autre degré si elle n'est pas uniformément difforme. » En ses Questions sur la Physique, Marsile d'Inghen revient à l'opinion de Bradwardine et d'Albert de Saxe; il veut que la vitesse d'un corps soit la vitesse du point qui se meut le plus rapidement. La règle d'Oresme ne peut plus lui servir d'argument en faveur d'une telle opinion; mais, à l'encontre de cet avis, elle devient une objection qu'il faut examiner. Marsile a soin de formuler h cette objection : « La blancheur uniformément difforme n'est pas plus intense que son degré moyen. » Cette objection sommairement écartée, la question traitée par notre auteur se trouve extrêmement semblable, par le fond comme par la forme, au Tractatus proportionum d'Albert de Saxe. Les diverses indications que nous venons de recueillir nous montrent qu'au temps où Nicole Oresme, évêque de Lisieux, i. Incipiunt subtiles doctrinaque plene abbreviation.es libri phisicorum édite a prestan- tissimo philosopho Marsilio inguen doctore parisiensi (s. 1. n. d.) (Pavia, Antonius de Carcano, ca. 1/190), 3 e fol. (non paginé) après le fol. signé g 4, col. d. 2. Marsile d'Inghen, Op. laud., fol. signé i 3, col. 6. 3. Le texte, au lieu de puissance (potentix), dit proportion (proportio). k. Question.es subtilissime Johannis Marcilii Inguen; super octo libros Physicorum secundum nominalium viam. Lib. VI, quaest. V : Utrum velocitas motus sit attendenda pênes spatium in tante tempore pertransitum. DOMINIQUE SOTO BT LA 8GOLASTIQUI PABISIllflfl V> 5 vivait sos derniers jours, L'usage des coordonnées rectan gulaires, qu'il avait Imaginé et recommandé, s'était répandu dans les écoles de Paris; en particulier, la règle relative aux latitudes uniformément difformes, que justifiait l'emploi de ces coordonnées, était couramment invoquée dans les discussions de Physique. Nous allons voir que, vers le même temps, cette règle n'était point ignorée à l'Université d'Oxford; peut-être même l'y connaissait- on avant que Nicole Oresme l'eût exposée à Paris. XX L'École d'Oxford au milieu du xiv e siècle. — Guillaume Heytesbury. — Jean de Dumbleton. — Swineshead. — Le Calculateur. — Le traité De sex inconvenientibus. — Guillaume de Colligham. Au préambule de son traité De figaratione potentiarum et difformitate qualitatum, Oresme ne s'attribue pas le rôle d'in- venteur, mais le rôle plus modeste de celui qui apporte, en un sujet déjà traité, de l'ordre et de la clarté; cet ordre et cette clarté découlent de l'emploi des représentations géométriques dont il semble bien qu'il ait, le premier, imaginé d'user en semblable matière; mais les considérations sur la mesure des intensités, sur leur uniformité ou leur difformité étaient assu- rément familières avant lui à ceux qu'il nomme les veteres. Ces veteres, où devons-nous les chercher? Nous ne les avons pas rencontrés à l'Université de Paris parmi ceux, tel Jean Buridan, qui précédèrent immédiatement Oresme; il semble qu'il faille plutôt espérer de les trouver à l'Université d'Oxford. A l'Université d'Oxford, vers le milieu du xiv e siècle, nous voyons paraître une foule d'écrits où l'on dispute de l'inten- sité des formes, de leur longitude et de leur latitude, de leur uniformité et de leur difformité. Que certains de ces écrits soient antérieurs au traité d'Oresme et que le grand maître du 4o6 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Collège de Navarre en ait pu avoir connaissance, cela est extrêmement probable, encore qu'il soit fort difficile de pré- ciser plus exactement cette trop vague affirmation. Le traité d'Oresme n'est pas daté et les écrits, émanés de l'École d'Ox- ford, que nous aurons à lui comparer ne le sont pas davan- tage; lorsque ces écrits ne sont pas anonymes, ce qui arrive fort souvent, leurs auteurs sont, la plupart du temps, des hommes dont nous ne savons rien ou presque rien; il est bien difficile de décider si tel de ces écrits a pu inspirer l'auteur de tel autre et, en particulier, Nicole Oresme. Après donc que nous avons décrit le progrès accompli par certaines idées , en l'École de Paris , vers le milieu du xiv* siècle, nous allons suivre la marche que ces mêmes idées ont faite, vers le même temps, en l'École d'Oxford, sans qu'il nous soit possible de dire quelles furent les réactions mutuelles de ces deux mouvements. L'École des logiciens d'Oxford, au milieu du xiv e siècle, est dominée et comme personnifiée par William Heytesbury; ce dialecticien semble jouir, auprès des fellows du Merton Collège ou du Queen's Collège, d'un prestige semblable à celui qui entourait, un demi-siècle avant lui, la personne de Thomas Bradwardine. De ce personnage, la renommée passa, au xv e siècle, de l'Université d'Oxford aux Universités du continent; son nom devint des plus célèbres dans les écoles; mais en se répandant, il allait se déformant toujours davantage. Les documents anglais, contemporains de la vie de notre logicien, le nom- ment 1 Hethelbury, Hegterbury, Hegtelbury; les Scolastiques du continent, latinisant ce nom, en ont fait Hentisberus et, fréquemment, Tisberus; c'est sous cette forme que les Aver- roïstes et les Humanistes italiens le prenaient le plus souvent, en leurs diatribes contre la Logique d'Oxford. Les faits authentiquement connus de la vie de William Heytesbury se réduisent à fort peu de chose. En i33o, il est mentionné comme fellow du Merton Collège; i. R. L. Poole, art. : Heytesbury (William) in Dictionary of National Biography, edited by Sidney Lee ; vol. XXVI, pp. 337-328. DOMINIQUE soin r/r i.a B COL A S TIQUE PARI 81 EN NI V>7 en i338, il en est boursier 1 ; en «338 et i33g, on retrouve son nom dans les listes d'examens de ce collège En i3/|0, parmi les premiers follows du Qneens Collège, on trouve un William Heigh tilbury 3 qui n'es! au Ire, probable- ment, que lleytesbury. De i3£o à 1371, aucun document ne nous présente plus son nom; mais en KÎ71, nous retrouvons' 1 William Heighter bury ou Hctisbury docteur en Théologie et cbancelier de l'Université d'Oxford. De ce chancelier d'Oxford, nous n'avons que des ouvrages de Logique ; ces ouvrages sont au nombre de cinq : i° Le premier, très court, porte ce titre : De sensu composito et diviso. i° Le second est intitulé : Regulx solvendi sophismata; très célèbre dans les écoles, il y était simplement désigné par le nom de Regulœ. Il se compose, en réalité, de six petits traités qui sont ainsi désignés : De insolubilibus . De scire et dubitare. De relativis. De incipit et desinit. De maximo et minimo. De tribus prœdieamentis . Le dernier de ces traités se subdivise lui-même en trois parties : De motu locali. De motu augmentationis . De motu alterationis . 3° En ses Reguide, Heytesbury avance un certain nombre de propositions dont il ne donne pas la démonstration ; aussi a-t-il complété son premier ouvrage par un second écrit où sont données les preuves des assertions formulées aux Regulœ ; ce second écrit est intitulé : Probationes profundissimse conclu- sionum regulis positarum. 4° Un opuscule très concis traite De veritate et falsitate pro- positionis. 5° Enfin, l'ouvrage le plus étendu du chancelier d'Oxford a pour objet les Sophismata. Il est consacré à la discussion d'une suite de trente- deux sophismes. L'étude d'un texte 1. G. C. Broderick, Mémorial of Merton Collège, Oxford, i885; p. 207. Cf. R. L. Poole, art. cit. 2. J. E. Therold Rogers, History of Agriculture and Priées, vol. II, pp. 670-67/i; Oxford, 1866. Cf. R. L. Poole, art. cit. 3. Wood, History and Antiquities of Oxford; Collège and Halls; éd. Gutch, p. 139. Cf. R. L. Poole, art. cit. (t. Wood, Fasti Oxonienses, éd. Gutch, p. 28. Cf. R. L. Poole, art. cit, 4o8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale 1 nous fait croire qu'une première rédaction contenait seulement trente sophismes; l'auteur aurait ajouté plus tard les deux derniers : Necesse est aliquid condensari si aliquid raréfiât. — Impossibile est aliquid calefieri nisi aliquid frigefiat. L'imprimerie a reproduit, à plusieurs reprises, divers traités d'Hentisberus; mais une seule édition les réunit tous; en même temps, elle donne certains commentaires importants qu'ils ont provoqués, au xv* siècle, en Italie; cette édition, à laquelle nous aurons constamment à nous référer, fut imprimée à Venise en 1 494 2 - Au début du traité De insolubilïbus , qui ouvre les Regulœ, Heytesbury énumère 3 trois opinions relatives à la nature des sophismes; ces opinions, il n'en nomme pas les auteurs, car aucun nom ne se trouve jamais sous sa plume; mais Gaétan de Tiène, commentant les Regulse, nous fait connaître ces noms 6 : « La première de ces positions, dit-il, est celle de Suisset; la seconde est admise par Dulmenton, la troisième est de Richard G Menton en ses Sophismata. » Suisset, Dulmenton, Richard Glienton, voilà donc trois noms de logiciens qui furent, à n'en pas douter, parmi les prédécesseurs d'Heytesbury. Que savons-nous de ces hommes experts en subtile dialectique? « Ce Glienton nous est totalement inconnu, » écrit Prantl 5 . Prantl était mal renseigné; nous possédons le texte manuscrit des Sophismata auxquels Heytesbury et Gaëtan de Tiène i. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n* i6i3A ; fol. 81, col. a, à fol. i46, col. a. a. Tractatus gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso. — Régule eiusdem cum sophismatibus. — Declaratio gaetani supra easdem. — Expositio litteralis supra tracta- tum de tribus. — Questio messini de motu locali cum expletione gaetani. — Scriptum supra eodem angeli de fosambruno. — Bernardi torni annotata supra eodem. — Simon de lendenaria supra sex sophismata. — Tractatus hentisberi de veritate et falsitate proposi- tions. — Conclusiones eiusdem. — Colophon : Expliciunt probationes conclusionum acutissimi doctoris Gulielmi hentisberi una cum ceteris opusculis. ut in prima facie huius voluminis habetur. Que quidem omnia emendata ac in unum redacta fuere per preclarum virum dominum Joannem Mariam Mapellum vincentinum philoso- phum egregium accuratissimumque medicum. Impressa venetiis per Bonetum locatellum bergomensem : sumptibus Nobilis viri Octaviani scoti Modoetiensis. Millcsimo quadringentesimo nonagesimo quarto sexto Kalendas iunias. 3. Hentisberi De insolubilibus; éd. cit., fol. /», col. c. 4. Gaetani de Thienis Vicentini In régulas Gulielmi Hesburi recollecte; éd. cit., fol. 7, col. c. 5. Cari Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande, IV" r Bd., p. 90. DOMINIQUE soin 1:1 i.a BGOLABTIQUB PABISUTtltl ',<»'i luisaient allusion; à la vérité, L'autour se nommait Clymeton et non G lien ton. Le scribe qui, après avoir copié !<•* Sophie mata d'Albert de Saxe, et avant de reproduire les derniers Sophismata d'IIcylesbury, a transerit les Sophismata de Cly- meton, en un cahier aujourd'hui conservé à la Bibliothèque nationale», se nommait Jean; il a pris soin de dater sa copie, non sans ambiguïté, d'ailleurs; il la termine, en effet, en ces termes : Et sic est finis horum sophismatum scriptorum per manum cujusdam Johannis C. Et fuerunt compléta die lune post domini- cam septuagesime anno domini M CGG° LXXXIXP (sic). Explicit hoc totum; pro pena da mihi potum. Expliciunt sophismata Clymelonis, Deo gratias, per manum cujusdam Johannis. Ce Clymeton Langley (c'était, paraît-il, son véritable nom) fut célèbre en la Scolastique duxv e siècle et du commencement du xvi e siècle; l'Écossais Jean Majoris, régent du Collège de Montaigu au début du xvi c siècle, le place 2 au nombre des illustrations de l'Université d'Oxford. « Cette Université, dit-il, a donné autrefois des philosophes et des théologiens très célèbres, tels que Alexandre de Halès, Middilton 3 ; Jean Duns, le Docteur Subtil; Ockam, Adam Hibernicus, Ro. Holkot, Bokinkam, Eliphat, Climiton Langley, Jean Roditon, le moine anglais; Suisset, le calculateur très pénétrant; Hen- tisber, le dialecticien très exercé; Strodus, Bravardin et une foule d'autres. » De Climiton Langley, comme ils le nomment après Jean Majoris, Conrad Gesner^ et Pitse 5 font une courte mention. i. Bibl. Nat., fondslatin, ms. n° i6i34; fol. 56, col. b, inc. : Ad utrumque dubitare potentes facile speculabuntur verum et falsum...; fol. 73, col. a, des. : Per hoc satis faciliter potest ad alia insolubilia, in quocunque fuerint génère, respondere. 2. Hisloria maioris britannise, tam Angliœ quam Scotiœ, per Ioannem Maiorem, nomine quidem Scotum, professione autem Theologum, e veterum monumentis concinnata. Vaenundatur Iodoco Badio Ascensio. In fine : Ex officina Ascensiana ad Idus Aprilis MDXXI. Lib. I, cap. V, fol. VIII, recto. 3. C'est-à-dire Richard de Middleton. /». Bibliotheca universalis,... authore Conrado Gesnero Tigurino doctore medico. Tiguri, apud Christophorum Froschoverum, Mense Septembri, anno MDXLV. 5. Ioannis Pitsei Angli, S. Theologiae doctoris, Liverduni in Lotharingia, decani, Iielationum Historicarum de Rébus Anglicis Tomus primus. Parisiis, apud Rollinum Thierry, et Sebastianum Cramoisy, via Iacoba?a. MDGXIX, n° 56o, p. 46g. 4lO ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Ils le font vivre vers i35o et lui attribuent, outre ses Sophis- mata, des Replicationes scholasticse et un traité De orbibus astro- logicis. L'auteur qu'en France et en Italie on nommait Dulmenton se nommait en réalité Jean de Dumbleton. Au Collège de Merton 1 , à Oxford, se trouve, dès i324, un Thomas de Dumbleton; mais le nom de Jean de Dumbleton n'apparaît pas avant i33i sur les registres de ce Collège. Le 27 septembre i332, Jean de Dumbleton est présenté pour la cure de Rotherfield Peppard, près Henley, en l'archidiaconé d'Oxford; en i33/|, il résigne cette charge. En i338 et en i33(), nous le voyons prendre part à des assemblées du Merton Collège 2 . En février i34o (i34i style actuel), il est nommé parmi les premiers fellows de Queen's Collège, aux statuts originaux de ce collège. Nous le retrouvons de nouveau, en i344 et i3/l9, au Collège de Merton. De Jean de Dumbleton on cite et possède deux traités qui n'ont jamais été imprimés. L'un de ces traités, intitulé De logica intellectuali, est conservé en manuscrit au Merton Collège d'Oxford. L'autre, qui fut le plus célèbre, a pour titre Summa logicœ et naturalis philosophiœ ou bien encore Summa de logicis etnatu- ralibus; partagé tantôt en neuf livres, tantôt en huit livres, il est conservé en manuscrit en diverses bibliothèques d'Oxford, notamment au Merton Collège et au Magdalen Collège ; un manuscrit de Magdalen Collège lui donne le titre, peu conforme au contenu, de Summa de theologia major. Le nombre des manuscrits de la Summa de Dumbleton que l'on trouve dans les bibliothèques anglaises témoigne de la vogue dont cet ouvrage a joui au xiv e siècle. Cette vogue s'étendit jusqu'au résumé de cette Somme qui fut fait, plus tard, par John Chilmark. John Chilmark 3 fut membre du Collège de Merton et maître 1. R. L. Poole, art. Dumbleton (John of) in Dictionary of National Biography, édited by Sidney Lee; vol. XVI, p. i46. 3. Thorold Rogers. History of Agriculture and Priées, vol. II, pp. 670-674; Oxford, 1866. — Cf. R. L. Poole, art. cit. 3. R. L. Poole, art. Chilmark either Chylmark (John) in Dictionary of National Bio- graphy edited by Sidney Lee; vol. X, p. 257. DOMINIQUE son» RT i,.\ SCOLA8TIQU1 PÀBISIEIfTTE &I1 es arts; un compte, conservé dans les ;ircliivcs de l'Lxeter Collège, à Oxford, nous apprend' qu'en [386, on lui paya dix shillings « in parle solutionis scolarum bassarum iuxta scholas ubi Scammum situatur in medio ». Entre Merton Collège et Lxeter Collège, il se faisait un continuel échange de professeurs; en i386, John Chilmark, memhre de Merton, avait donné des leçons en des écoles qui dépendaient d'Exetcr. Les diverses bihliothèques d'Oxford possèdent, de John Chil- mark, les textes manuscrits de divers ouvrages; l'un d'eux est intitulé : Compendium de aclione elementorum ; d'autres traitent De motu, De augmenlatione, De alteralione . Or, le premier de ces écrits n'est qu'un résumé d'une partie de la Somme de Dumbleton; en un manuscrit de la Bodleian Library (cod. Digby 77). en effet, il porte ce titre : Compendium de actione elementorum abslraclum de quarta parte J. Dumbletoni. Il serait intéressant de vérifier si les traités De motu, De augmentatione, De alteratione, ne sont pas, eux aussi, des extraits de la Summa de Dumbleton, car cette Summa contenait des chapitres ainsi intitulés. Le manuscrit n° 166-21 du fonds latin de la Bibliothèque Nationale est un recueil de cahiers où, vers la fin du xiv e siècle, un élève de l'Université de Paris a consigné une foule de notes; le désordre de ces notes est grand et l'écriture en est tracée avec peu de soin; elles fournissent, cependant, de pré- cieuses indications à qui prend patience de les déchiffrer; celui qui les a rédigées, en effet, y a réuni tous les renseigne- ments qu'il avait pu recueillir sur les doctrines en vogue à l'École d'Oxford. Parmi ces renseignements se trouvent, en particulier, des extraits fort étendus de la Summa de Dulmenton ; c'est à ces extraits que nous avons dû, tout d'abord, la connaissance de certaines théories développées en cette Somme. Cette connaissance, nous les avons pu compléter ensuite par la lecture du texte même de la Somme. Ce texte, fort étendu, remplit cent quarante feuillets d'un 1. Wood, History and Antiquities of the University of Oxford, éd. Gutch, vol. II, pt, II, p. 74a. — Cf. R. L. Poole. art. cit. 4ï2 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI manuscrit 1 de grand format, à deux colonnes, écrit sur par- chemin, d'une écriture dont la forme indique la nationalité anglaise du copiste. Au début du prologue, l'auteur présente son ouvrage aux lecteurs en quelques phrases où il trouve occasion d'amener le nom d'Oxford; voici, en effet, quel est ce début 2 : « Plurimorum scribentium grati laboris dignique memoria particeps, ad mensuram mee facultatis doni, ex togicall materia commuai et philosophica quandam summam> veluti spicarum dispersarum manipulum quoquomodo materiatum et incompositum recolatum, recolegi, nequaqaam, tanto bénéficie* libato, ut remu- neratione eadem munificum me arbitratus, verum moderatam discretionem non alta tenentibus et lectione potius privata con- tentis ut degestam utilemque sensui offeram^. Itineranti via recta Oxoniam tendens a pluribus edocetur, precisus pedum spacii numerus nequaquam ostenditur. » En ce même préambule, Jean de Dumbleton nous apprend que sa Somme est divisée en dix parties 4 : « Hujus summule divisio decimembris. » Mais le manuscrit que nous avons consulté en contient seulement neuf, soit parce qu'il est incom- plet, soit parce que l'auteur n'a point terminé son ouvrage. A la fin de la neuvième partie et avant la table des chapitres, on lit 5 : Explicit nona pars Magistri Johannis Dombilton. En énumérant les logiciens de l'École d'Oxford dont Guil- laume Heytesbury discutait les opinions, avant de nommer Dulmenton et Richard Glienton, Gaëtan de Tiène avait cité Suisset. Ce nom était, dès l'époque de Gaëtan et, surtout, au xv e siècle et au xvi° siècle, des plus connus en France et en Italie; autant et plus encore que celui d'Hentisberus, il évo- quait la pensée de la subtile dialectique d'Oxford, si fort admirée des uns, si âprement dénigrée des autres. Cependant, du personnage qui portait ce nom, nous allons voir combien il est difficile de rien connaître de précis. i. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 16146. 2. Ms. cit., fol. 2, col. a. 3. Le manuscrit dit : ojjendam. li. Ms. cit., fol. 2, col. a. 5. Ms. cit., fol. i/iï, col. a. DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8TIQUB PAJUSIINNE 'i I 3 Le nom (ou le surnom) qu'il convient de lui attribuer n'est pas Suisset, mais Swineshead. Ce nom, que les manuscrits anglais orthographient souvent Swynshed, est devenu, sur Le continent, d'abord Suincet, puis Suieet, Suisset, Suisetb etc. Le premier renseignement authentique que nous trouvions au sujet d'un personnage portant ce nom est le suivant': En i34S, un Swineshead, membre du Merton Collège, est l'un des meneurs d'une émeute provoquée par l'élection du chancelier. Un second renseignement nous est fourni par les textes manuscrits d'ouvrages composés par Swineshead 3 . On cite des Quœstiones super Seulentias conservées à l'Oriel Collège; un traité, intitulé Descriptions moluum ou De molu cœli et simi- libus, dont le Caius Collège garde un exemplaire; enfin, un livre De insolubilibus qui est celui auquel Gaétan de Tiène faisait allusion. Ce livre De Insolubilibus n'est pas, sans doute, le seul écrit de Logique que l'auteur ait composé. En un manuscrit 3 dont le dernier feuillet est daté du i cr mars 1878, la Bibliothèque Nationale possède, outre la Logique d'Albert de Saxe, outre le De sensu composito et diviso de Richard de Belingham et le De prœdestinatione de Guillaume d'Ockam, un traité De obligationibus 11 à la fin duquel nous lisons 5 : Et in hoc termi- nantur obligationes Reverendi Magistri Jo. Swiinsed de Anglia doctoris in sacra theologia. Si nous en croyons ce colophon, Maître Swineshead, auquel nous devons divers traités de Logique, aurait reçu le prénom de John. Les cahiers de Philosophie où un étudiant parisien a, vers la fin du xiv e siècle, copié des fragments de la Summa de Dul- menton, contiennent également des extraits nombreux et 1. Wood, History and Antiquities of Oxford, I, p. 448. — Cf. G. L. Kingsford, art. Swineshead (Richard) in Dictionary of National Biography, edited by Sidney Lee, vol. LV, p. a3i. a. CL. Kingsford, art. cit. 3. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n* 167 15 (ancien S. Victor 717). 4. Fol. 86, col. c, inc. : Gum in singulis secundum materiam subjectam sit certi- tudo querenda, primo Ethycorum... Fol. 90, col. d, expl. : Igitur maie respondet, igitur non est a. 5. Ms. cit., fol. 90, col. d. 6. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 16621. 4l4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI étendus d'un ouvrage que notre étudiant attribue à Suincet ; à cet ouvrage, il donne constamment 1 ce titre: De primo motore. Il nous paraît probable que cet ouvrage ne diffère pas de celui auquel les manuscrits d'Oxford donnent comme titre Descriptlones motuum ou encore De motu cœli et similibus. Ce traité de Swineshead, qui se compose de huit dijferentiœ, porte, comme notre étudiant en a fait la remarque 2 , sur un grand nombre de sujets qu'étudiait également la Summa de Dum- bleton. Or, le dernier extrait de YOpus de primo motore est suivi de cette mention 3 : Explicit tractatus M. Rogero Suincet datas eximio. Le prénom de Swineshead ne serait donc plus Jean, mais Roger. La solution la plus simple de cette contradiction consiste- rait, semble-t-il, à admettre qu'il y a eu deux Swineshead, un Jean Swineshead qui serait l'auteur des traités de Logique De insolubilibus et De obligationibus, et un Roger Swineshead qui aurait composé le De primo motore. On peut aussi admettre que ces divers ouvrages sont du même auteur et laisser au compte des copistes ces variations de prénom. Ces variations, d'ailleurs, nous ne les avons pas encore toutes constatées. Au commencement de son Tractatas de reactione 1 *, Gaétan de Tiène dit: « Naper tractatas quidam in eadem materia recenter compilatus ad manus meas pervenit. » De ce traité récemment compilé, il ne nomme pas l'auteur. En ses commentaires à la Physique d'Àristote, Gaétan discutant une opinion qui se trouve émise au même ouvrage i. Ms. cit., fol. i3, V; fol. 35, v°; fol. Gli, v°. 2. Ms. cit., fol. 195, r». 3. Ms. cit., fol. 84, v°. 4. Habes solertissime lector in hoc codice libros Metheororum Aristotelis Stagirite peripatheticorum principis cum commentariis fidelissimi expositoris Gaietani de Thienis noviter impressos: ac menais erroribusque purgatos. Tractaturn de reactione. Et tractatum de intensione et remissione eiusdem Gaietani. Questiones perspicacissimi philosophi Thi- monis saper quattuor libros metheororum (s. 1. n d. — ca. i5o5). — Une seconde édition, donnée sous le même titre, porte le colophon suivant: Opuscula impressa fuerunt Venetiis nutu ac impendio heredum quondam nobilis viri domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis : ac sociorum. Anno salutis i522. Die 20 Novembris. DOMINIQUE soin 1:1 i.\ SG0LA8TIQU1 PÀMSIINÏII /j i 5 en appelle L'auteur Calculator, le Calculateur, sans men- tionner le nom auquel il accorde ce surnom. En ses commentaires aux Régula Decembris; c'est la date du jour où elles furent tracées. 5. Subtilissimi Anglici Doctoris Ricardi Suiseth. Opus aureum calculationum. Papie, i488. En son Repertorium bibliographicum (vol. II, pars II, p. 368, col. a, n* 16137), Hain cite cet incunable sans l'avoir vu. Au Guide du Libraire et de l'Amateur de livres (5 8 édition, t. V, i864; col. 087), Brunet cite l'édition de 1498 comme la première édition datée; il regarde donc celle de i488 comme n'existant pas. 6. Calculationes Suiseth Anglici. Colophon : Subtilissimi doctoris anglici Suiseth Calculationum liber. Per egregium artium et medicine doctorem magistrum Ioannem tollentinum veronensem diligentissime emendatum foeliciter explicit. Papie per Franciscum gyrardengum. MCCCCLXXXXVII1. die IIII. Ianuarii. 7. Calculator. Subtilissimi Ricardi Suiseth Anglici calculationes noviter emendate atque revise. Questio insuper de reactione juxta Aristotelis sententiam et commentarios. 4l6 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Or, les titres des éditions de i488 et de i52o donnent à Suisset le Calculateur le prénom de Richard; le colophon de l'édition de i52o transforme ce prénom en celui de Raymond. Jean, Roger, Richard, Raymond, entre ces quatre prénoms, les biographes de Swineshead n'auront que l'embarras du choix, mais cet embarras sera grand. C'est l'ouvrage de Raymond Suiseth que le dominicain Isidoro Isolani cite à la fin du Tractatus proportionum d'Albert de Saxe dont il vient de donner une nouvelle rédaction 1 . Louis Vives accuses l'Anglais Roger Suicet d'avoir donné de grands développements aux calculs dont il a horreur. Au xvi e livre De Sublilitate, Cardan classe les génies dont s'honore l'humanité; le troisième rang est occupé par Euclide, par Duns Scot et par l'Écossais « Jean Suisset que le vulgaire nomme le Calculateur » . Conrad Gesner 3 et John Leland*, qui n'ont, sur notre auteur, d'autre document que les diatribes de Louis Vives, le nom- ment Roger Suicet; Leland parle de Swineshead 5 , membre du Colophon : ... Magistri Raymundi Suiseth noviter impressus. Venetiis aère ac sollerti cura haeredum Octaviani Scoti et sociorum i5ao. (D'après Briïcker in : Jacohi Bruckcri Historia critica Philosophiae, tomus III, Lipsiae, MDCGXLIII, p. 85a). Brunet (loc. cit.) cite un extrait du colophon de cette édition : Explicit questio de reactione édita ab ... domino Victore Trincavello ... noviter impresse Venetiis ère ac sollerti cura heredum Octaviani Scoti ... ac sociorum anno ... millesimo quingente- simo vigesimo decimo Kal. Aprilis. i. De velocitate motuum. Preclara dogmata de omnium motuum velocitate; ingenuo Epitomate digesta a fratre Isidoro de Isolanis Mediolanense : ordinis predicatorum. Colophon : Expliciunt proportiones fratris Alberti de Saxonia ordinis predicatorum breviate. Qui a Thoma berduardi excipiens a nobis est breviatus : nihil minus: sed aliquid amplius dicentes. Scito quod hune Thomam vocat Raymundus Suiseth calculator in tractatu primo de intensione et remissione : Venerabilem magistrum Thomam de Berduerdino : cujus dicta veneratur et recipit. — Cet ouvrage, avec divers autres opuscules dTsidoro Isolani, est adjoint à l'ouvrage qui a pour titre: Clarissimi sacre Théologie doctoris Fratris Pauli Soncinatis vite regularie ordinis predicatorum : Divinum Epitoma Questionum in quatuor libros Sententiarum a principe Thomistarum Joanne Capreolo Tholosano disputatarum. His additis : que idem morte preventus perficere nequivit; per fratrem Isidorum de Isolanis Mediolanensem ejusdem predicatorie professionis. — Colophon: ... Lugdunique exactissima cura impressum persolertem virum Joannem Crespinum Annodomini Mcccccxxviij. a. Joannis Ludovici Vivis De causis corruptarum artium liber V: De philosophiœ naturse t medicinœ et artium corruptione ; Brugis, MDXXXI (Jo. Ludovici Vivis Opéra, Basilae, MDLV; tomus I, pp. /ua-4i3). 3. Bibliotheca universalis... authore Conrado Gesnero; ïiguri, MDXLV; p. 588, recto. 6. Commentarii de Scriptoribus Britannicis, auctore Joanne Lelando Londinate. Tomus secundus, Oxonii, MDCCIX; p. 38a, cap. CDXXXI. De Rogero Suicelo. 5. Leland, Op. laud., tom. II, p. 373, cap. CDXVI. De Suineshevcdo. DOMINIQUE BOTO IT LÀ BCOLA8TIQU1 PA1UBIBN1II /* 1 7 Mcrtou Collège et commentateur de Pierre Lombard; mais il n'identifie pas ce Siiincshevcdns à RogerUi Suicetuê ; seul, L*éditeur qui a dresse la table de son ouvrage a indiqué 1 cette assimilation comme probable. L'identité de Roger Suiset, Suicet ou Suinset avec Svvinsete ou Suinshed est admise par Gabriel Naudé 3 , par Visch 3 , par Pitse' 1 , par Baie 5 , par Fabricius . De ce Roger Swinesbcad ils font, on ne sait trop par quel renseignement, un moine cistercien. Le prénom de Jean, que Cardan donnait au Calculateur, trouve quelques autres partisans 7 ; mais c'est du « très subtil anglais Richard Suisset » que Casaubon se félicite 8 d'avoir pu lire, à Oxford, les Calculationes ; Briicker, qui a consacré au Calculateur un article extrêmement documenté 9 , se flatte d'avoir établi que le prénom de cet auteur était bien Richard; les auteurs du Dictionary of National Biography ont adopté cette opinion 10 . Jean, Roger, Raymond ou Richard Swineshead fut, grâce à l'ouvrage intitulé Calculationes, l'un des hommes les plus célèbres, les plus admirés, les plus décriés au xv e et au xvi e siècle; sa subtilité était portée aux nues par les adeptes de la Dialectique d'Oxford et de Paris; ses méticuleuses chicanes, les quisquiliœ Suiceticse, excitaient jusqu'à la fureur l'aversion que les Humanistes professaient pour les querelles stériles des Écoles. Et longue fut la vogue des Calculationes, i. Leland, Op. laud., index, art. Rogerus Suicetus. a. Naudaeus, Additiones ad Historiam Ludovici XI, p. 2i£. 3. Car. de Visch., De Scriptoribus Ordinis Cisterciencis, p. 292. l\. Ioannis Pitsei Angli Relationum Historicarum de Rébus Anglicis Tomus primus, Parisiis, MDCXIX; n° 575, p. 677. 5. Scriptorum illustrium Maioris Brytaniœ (sic), quam nunc Angliam et Scotiam vocanl : Catalogus... Authore Ioanne Baleo. Basileae, MDLIX. Pars I, Genturia sexta, cap. II : Rogerus Swinsete, p. 456. 6. Jo. Alberti Fabricii Lipsiensis Bibliotheca latina médise et infirme œtatis. Tomus V; Florentin, MDCCGLVIII; p. 4i8 : Rogerius Suiset. 7. Vossius, De Scientiis mathematicis, cap. XVIII, p. 78. Gaddius, De Scriptoribus non-ecclesiasticis, t. II, p. 326. 8. Wolfîus, Casauboniana, p. 24. 9. Jacobi Bruckeri Historia critica Philosophiae, Tomus III, Lipsiae, MDCGXLIII; p. 84 9 - 10. G. L. Kingsford, art. Swineshead (Richard) in Dictionary of National Biography edited by Sidney Lee; t. LV, p. 23 1. p. DUHUM. 27 4l8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI puisque Leibniz leur fit encore l'honneur d'en écrire à Wallis 1 et de souhaiter qu'on les réimprimât 3 . Or ce Calcalationum liber, cet Opus aureum calculationum, ces Calculatlones qui valurent une renommée si grande à Swines- head surnommé le Calculateur, ne portaient pas le titre de Calculatlones et n'avaient pas Swineshead pour auteur. Aucun des livres que nous avons lus ne signale l'existence du texte manuscrit du traité qui fut imprimé sous ce titre; de ce texte, cependant, il existe un exemplaire, à notre connais- sance; cet exemplaire est conservé, sous le n° 6558, au fonds latin de la Bibliothèque Nationale; écrit à la fin du xiv e siècle ou au commencement du xv* siècle, ce texte ne diffère que par d'insignifiantes variantes de celui qui fut imprimé vers i48o. Or, à la fin de ce traité 3 , le scribe qui l'a copié a écrit ceci : « Explicit tractatus datas a Magistro Riccardo de Ghlymi Eshedi. » Plus tard, une autre main a ajouté : « De Intensione et remis- sione for marum, de actione et reactione, et de velocitate et tarditate motus. » Les lettres hly qui figurent dans le mot Ghlymi sont sur- montées d'un trait horizontal, indice assuré d'une abréviation. Quel est le nom complet qu'il conviendrait de substituer au mot abrégé GhlymiP Nous n'avons pu le deviner, et bien d'autres avant nous n'ont pas été plus heureux. Au verso du premier folio (non numéroté), trois lecteurs ont, successive- ment, reproduit le titre du traité qui allait suivre. Le premier a simplement écrit : Tractatus de intensione et remissione per Riccardum. Le second a mis : De intensione et remissione etc. Riccardi de Ghlymi Eshedi. Le troisième, plus prolixe, a composé ce titre : Tractatus de intensione et remissione formarum, de actione et reactione, de velocitate et tarditate motus per Magistrum Ghlymum Eshedum editus. i. Lettre de Leibniz à Wallis (Jo. Wallisii Opéra, t, III, p. 673). 2. Leibniziana, p. 42. — Cf. Briicker, Op. laud., loc. cit. 3. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 6558, fol. 70, col. c. DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8T1QUE PARISIENNE f\\\) Les deux derniers ont, d'ailleurs, reproduit le trait horizontal tracé au-dessus des lettres lily. L'abréviation que ce trait signale, les auteurs du Catalogue des manuscrits latins de la Bibliothèque Royale ne sont pas parvenus, non plus, à l'expliciter, car le manuscrit dont nous parlons est décrit par eux en ces termes : Codex mernbranaceus, quo continetur Richardi de Ghlymi Eshedl Iractalus de intensione et remissione formarum, de aclione el reaclione, de velocitate et tarditate motus. Is codex decimo quarto sœculo videtur exaratus. A ce traité, donc, il semble que l'auteur n'ait donné aucun titre, et que les premiers lecteurs n'aient pas songé à celui de Calculationes ; de plus, si le prénom de l'auteur était Richard, comme l'ont admis certains imprimeurs, son nom n'était point Swineshead. D'ailleurs, la comparaison de cet ouvrage au traité De primo motore qui, lui, est incontestablement de Swineshead, montre, au premier coup d'œil-, que ces deux ouvrages ne sauraient être du même auteur. Le traité de Riccardus de Ghlymi Eshedi porte sur des questions qui, toutes, sont également examinées dans le traité de Swineshead ; un même auteur n'écrit pas deux livres qui portent si visiblement sur les mêmes objets et qui diffèrent si complètement dans tout le détail de la rédaction. L'œuvre composée par Riccardus de Ghlymi Eshedi appartient à la famille dont le De primo motore de Swineshead, dont la Summa de Dumbleton sont les types ; mais elle semble bien avoir été écrite après les ouvrages de Swineshead et de Dumbleton; on y peut, en particulier, noter de manifestes emprunts au traité De difformitate qualitatum de Nicole Oresme ; la lecture du De primo motore et de la Summa ne nous révèle aucun emprunt de ce genre. D'ailleurs, un juge particulièrement compétent en la matière, Pierre Pomponat, ce qui, au début du xvi e siècle, écrivit, comme nous le verrons, plusieurs traités sur les doctrines de Guillaume Heytesbury et du Calculateur, a fort bien discerné que celui-ci avait dû venir après celui-là ! « La seconde raison, et la plus puissante de toutes, dit-il quelque 420 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI part 1 , était celle qui a été apportée par le Calculateur, bien qu'avant lui (comme je le crois), Hentisberus ait donné cette même raison ; il [le Calculateur] semblait suivre, en effet, un parti qui avait déjà été tenu, tout en étant mû en même temps par des motifs contraires, comme on le pouvait déduire assez manifestement. » Nous avons tenté de découvrir quelques renseignements au sujet de ce Riccardus de Ghlymi Eshedi dont l'ouvrage, sous le faux nom de Suiseth le Calculateur, était appelé à une si grande vogue; tous nos efforts ont été vains. A peine osons- nous signaler un rapprochement qui nous semble fort douteux ; la bibliothèque de Charles VI contenait un traité d'Astrologie- intitulé : Summa Eskilde Anglici de judiciis; faut-il identifier Eshilde et Eshedi? Clymeton, Dumbleton, Swineshead représenteront, pour nous, l'opinion de l'École d'Oxford un peu avant le temps où Guillaume Heytesbury y développa la subtile agilité de sa Dialectique; un écrit anonyme nous fera connaître la pensée d'un disciple de ce Jogicien. Sous le titre de Tractatus de sex inconvenientibus, dont l'adap- tation au sujet de l'ouvrage nous échappe, cet écrit anonyme a été imprimé; il l'a été à Venise, en i5o5, en un recueil où se rencontre le Tractatus de latitudinibus formarum inspiré de Nicole Oresme; au § XIX, nous avons donné la description de cette édition. Ce n'est pas cette édition, mais deux textes manuscrits, que nous avons consultés. De ces deux textes manuscrits, il en est un qui nous renseigne plus complètement que l'autre sur l'ouvrage qu'il reproduit. i. Pétri Pomponatii Mantuani Tractatus de reactione, sect. I, cap. XIV (Pétri Pom- ponatii Mantuaai. Tractatus acutissimi, utilissimi, et mère pcripatetici. De intensione et remissione formarum ac de parvitate et magnitudine. De reactione. De modo agendi prima- rum qualitatum. De immortalitate anime. Apologie libri très. Contradictoris tractatus doctissimus. Defensorium autoris. Approbationes rationum defensorii, per Fratrem Chrysostomum Theologum ordinis predicatorii divinum. De nutritione et augmentatione. Golophon : Venetiis impressum arte et sumptibus tueredum quondam domioi Octaviani Scoti, civis ac patritii Modeotiensis : et sociorum. Anno ab incarnatione dominica MDXXV calendis Martii. Fol. 26, col. d.). a. Inventaire de la bibliothèque du Roi Charles VI fait au Louvre en 1523 par ordre du Régent, Duc de Bedford. Paris, 18G7; p. 187, n° 721. DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLASTIQUfl PARIBIBHH1 V' I Ce premier texte se trouve 8H un recueil de pièce! ' qui oui toutes été composées par des maîtres de L'Université d'Oxford ; vraisemblablement, si Ton en juge par L'orthographe des noms propres, le copiste ou les copistes riaient Anglais. En ce recueil, le traité qui nous occupe n'a pas de titre; il débute d'emblée : < par cette question : Ulrum in generatione formarum sit certa ponenda velocilas. En son état actuel, d'ailleurs, il est incomplet; il s'arrête brusquement au milieu d'une question 3 et l'appel qui suit les derniers mots' 1 permet de constater l'absence du cahier qui devait suivre. Mais au moment où le recueil a été constitué, le traité était complet, et le copiste avait composé une table des matières 5 qui nous en fait connaître le contenu. L'ouvrage entier comprenait onze questions ; en chacune des quatre premières s'inséraient, en outre, sous le titre d'articles, des questions subsidiaires qui y formaient comme des parenthèses. Ce que nous possédons aujourd'hui renferme les quatre premières questions et une partie de la cinquième; ce n'est guère que la moitié de l'ou- vrage, puisque ce fragment prend fin avec le fol. 48 et que la dernière question, la table nous l'apprend, commençait au folio 82. L'autre exemplaire manuscrit possédé par la Bibliothèque Nationale 6 est bien loin de combler cette vaste lacune; il a été copié sur un texte où elle existait déjà ; le copiste, désireux de ne reproduire que des questions complètes, a supprimé le début de la cinquième question et n'a gardé que les quatre premières. Il a disposé ses titres de telle sorte que les articles subordonnés aux questions paraissent avoir la même impor- tance que les questions mêmes. Aussi, sous le titre: Incipit tabula questionum G inconvenientium, un copiste, donnant le même rang aux articles et aux questions, a-t-il énuméré seize 1. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. n* 6559 (olim Colbert. 2094, Regius 38n s ). 2. Ms. cit., fol. 1, col. a. 3. Ms. cit., fol. ^8, col. d. h. Cet appel est : in movendo orbes; le fol. 49, qui portait dans le recueil complet la pagination 109, commence par ces mots : et per consequens. 5. Ms. cit., fol. 196, verso. G. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n" 6527. 42 2 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI questions groupées quatre par quatre sous ces titres : De genera- tione. De alteratione. De quantitate. De motu locali. Poussant plus loin l'erreur, le catalogue des manuscrits latins de la Biblio- thèque Royale a nommé l'ouvrage en question : Tractatus de sexdecim inconvenientibus. Plus exactement, le scribe qui l'avait copié avait donné le titre véritable en cet étrange explicit : Explicit tractatus de sex inconvenientibus. Finito libro sit laus et gloria Cristo. Dabitur pro pena scriptori pulchra puella. Ce copiste n'était point Anglais comme celui auquel nous devons le premier texte ; il a estropié plusieurs des noms propres anglais qu'il rencontrait sous sa plume; parfois même, il les a supprimés. Le texte imprimé du Tractatus de sex inconvenientibus est-il plus complet que les textes manuscrits que nous avons lus? C'est ce dont nous n'avons pu nous assurer. Que le traité De sex inconvenientibus émane de l'École d'Ox- ford, cela se voit clairement par ce fait que cette École et les maîtres qui y étaient en honneur se trouvent seuls cités par l'auteur. a S'il faut, dans le mouvement d'altération, définir une certaine vitesse, dit-il 1 , cette vitesse doit être prise en raison des latitudes des intensités, comme l'admettent l'École d'Oxford et Aristote au vn e livre des Physiques, comm. fai. C'est cette supposition... qu'il faut, je crois, regarder comme préférable aux autres, et la vérité même la préfère. » L'autorité de l'École d'Oxford est ici traitée sur le même pied que celle du Philo- sophe. Plusieurs fois sont invoquées 2 les opinions embrassées par Maître Thomas Bradwardine en son Traité des proportions. Nous apprenons, d'ailleurs, que les théories de Mécanique ébauchées en ce traité avaient été développées par d'autres i. Tractatus de sex inconvenientibus. Quaest. II : Utrum in motu alterationis velocitas sit signanda vel tarditas. Bibl. Nat., fonds latin, ms. a° G55g, fol. 16, col. b. 9, Ms. cit., fol. 28, col. c, et fol. 34, col. b» DOMINIQUE soin |.,r i,\ BCOLOBTIQVB PAMSIBlfW \> \ I maîtres es ails, notamment par un certain maître Adam Pipcwcll ou de Pippewell 1 . Non seulement, l'auteur du traité De sex inconvenientibus a écrit à racole d'Oxford, mais il y a écrit après Magister YVil lelmus ïlcthysbyry dont il cite le traité De mot m; qu'il ait été disciple de ce subtil logicien, on Le peut supposer lorsqu'on lit les épithètes admiratives dont il entoure 3 le nom de ce Maître: « Unus solcmnis Magister, polissimus et famosus Helhysbyry. » L'un des manuscrits de la Bibliothèque Nationale où se trouve le Trac talus de sex inconvenientibus, renferme, en outre, le Tractatus de proportionibas de Thomas Bradwardine, puis une série 4 , d'ailleurs incomplète 5 , de onze questions dont les sujets ressor tissent au De generaiione et corruptione ; les dix premières questions ne portent aucun nom d'auteur, mais la onzième se termine par ce colophon 6 : Et sic finitur questio prima Magislri Willelmi de Colymgam Oxoniensis. A la suite de cette question, on lit une exposition du texte d'Aristote qui ouvre le premier livre des Physiques et auquel Averroès a consacré son premier commentaire sur cet ouvrage; ce nouveau fragment porte, à son tour, le colophon suivant 7 : Et sic finis est questionum Colligham cum expositione commentarii primi primi Phisicorum. La rédaction de ce dernier colophon, non moins que la lecture des onze questions relatives au De gène- ratione et corruptione d'Aristote, nous a convaincu qu'elles étaient toutes du même auteur, de ce Guillaume Colligham ou de Colymgam, maître es arts de l'Université d'Oxford; seule- ment, le désordre des copistes a fini par mettre la première au dernier rang. Ces questions ne sont pas sans analogie avec diverses parties du De primo motore de Swineshead ou de la Summa de Dumbleton; elles pourraient être contemporaines i. Ms. cit., fol. 28, col. c, et fol. 33, col. b. — Le ms. n° 6527 du fonds latin de la Bibl. Nat. écrit, la première fois (fol. i58, col. c): Magister Adam Palpavie, et la seconde fois (fol. 161, col. c): Magister Adam. 2. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 6559, fol. 3G, col. a. 3. Ms. cit., fol. 22, col. c. U. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n" 655g, fol. 61. col. a à fol. i53, col. b. 5. L'appel qui se trouve au bas du fol. i32 (verso) ne correspond pas aux mots qui commencent le fol. i33; il manque là un ou plusieurs cahiers. 6. Ms. cit., fol. i53, col. b. 7. M», cit., fol. 190, col c. 424 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI de ces deux ouvrages; en leur contenu, nous n'avons rien trouvé qui nous pût fournir, à cet égard, une indication; hors les noms d'Aristote et d'Averroès, le seul nom propre que ces fragments nous aient présenté est celui de Lynconiensis, c'est-à- dire de Robert Grosse-Teste, évêque de Lincoln; l'écrit de cet auteur sur les Seconds analytiques est mentionné deux fois » dans le commentaire relatif au début de la Physique d'Aristote. XXI L'esprit de l'Ecole d'Oxford au milieu du xiv e siècle. I. La Physique. Avant de rechercher, dans les divers traités dont nous venons de parler, ce qu'ils enseignent touchant les questions qui nous occupent en cette étude, il ne sera pas inutile de leur demander quelques renseignements d'une nature plus géné- rale; par eux, nous nous efforcerons de démêler les tendances qui sollicitaient le plus fortement, vers le milieu du xiv e siècle, les logiciens de l'École d'Oxford; nous essaierons aussi de voir en quoi les doctrines qui avaient cours en cette Université ressemblaient ou différaient de celles qui, vers le même temps, étaient en vogue à Paris. Parmi les particularités qui distinguent les enseignements des deux écoles émules, on peut signaler, en premier lieu, l'usage, beaucoup plus fréquent à Oxford qu'à Paris, des divers traités de Mécanique composés par Jordanus de Nemore et par ses disciples. Sans doute, au xiv e siècle, les maîtres parisiens tels qu'Al- bert de Saxe n'ignorent pas l'œuvre des Auctores de ponderibus, et ils y font parfois allusion dans leurs propres écrits; mais ils ne l'invoquent qu'en de rares circonstances, tandis que certains maîtres d'Oxford paraissent en avoir fait un continuel usage. i. Ms. cit., fol. 162, col. c, et fol. i83, col. b. DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8TIQUB PARISIEN*! Cette vogue «levait être fort ancienne en Angleterre; coiïimeut expliquer autrement ce fait que Roger Bacon oon naissail déjà et citait volontiers plusieurs des haiiés De ponde ribus que ses contemporains du continent semblaient ignorer? Car Roger Bacon, en [*OpU8 nui/us, cite 1 Jordanns et son Commentateur; aux Communia naturalium, il mentionne- 1 le traité De pondérions attribué à Euclide et celui qu'a rédigé Thâbit ibn Kourrab. Déjà Bradwardine cite 3 la première conclusion du traité De ponderibus, attribué à Jordanus de Nemore, sans men- tionner, d'ailleurs, le nom de cet auteur. Il cite aussi^, mais sans en nommer davantage l'auteur, le traité De proportiona- litate motuum et magnitudinum que Ton trouve parfois associé aux écrits de l'École de Jordanus, et qui nous a occupés au § VIII. Le Tractatus de sex inconvenientibus cite à plusieurs reprises 5 le traité De ponderibus ou De pensis ponderibus ; il orthographie Jordanis le nom de l'auteur de ce traité. Il attribue également, nous l'avons vu au § VIII, à un certain Ricardus de Yersellis ou de Usellis un écrit qui était identique au De proportionalitate motuum et magnitudinum ou qui, du moins, soutenait les mêmes conclusions que ce dernier écrit. Mais s'il est, à l'Université d'Oxford, un maître qui semble avoir lu avec une particulière attention la plupart des opus- cules attribués aux Auctores de ponderibus, c'est assurément Jean de Dumbleton. En sa Somme, il consacre un chapitre 6 à discuter cette question : , et fol. 65, r° et V. 5. Ms. cit., fol. 212, v*. 6. Voir la table du cahier, au ms. cit., fol. ig5, r°. 43o ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI comprendre ce que les Anglais disent de l'accroissement des puissances par rapport aux résistances ont été donnés par Maître Clay, Magister Claius. » Ce Maître Clay, qui, sans doute, enseignait à Paris vers la fin du xiv e siècle, après avoir étudié à Oxford, apprenait aux Parisiens quelles doctrines étaient en faveur en la grande Uni- versité anglaise. Après avoir parlé à notre étudiant de questions de Dynamique, il discourait devant lui du mouvement de l'aimant 1 . Or, ce que Maître Clay enseigne touchant l'accrois- sement de la puissance ou de la résistance, ce sont quelques- unes des règles que l'on peut lire au Liber calculattonum ou bien encore au fragment copié par notre étudiant; et celui-ci en fait la remarque: « Ces deux règles sont énoncées autre- ment ci-dessus, » écrit-il 2 en marge des notes où il résume la conversation de Maître Clay; c'est peut-être de Maître Clay qu'il tenait l'original des pages où elles sont énoncées. En tout cas, notre étudiant, en une des tables des matières dont il parsème son cahier 3 , décrit ainsi ce fragment: « Aliqua dubia theologica per extraneum audita et cogitata ab aliis. » Nous savons donc qu'un étranger le lui avait fourni. Les renseignements donnés par Maître Clay nous ont appris que, vers la fin du xiv c siècle, l'Université d'Oxford était géné- ralement acquise à la Dynamique péripatéticienne telle que l'enseignait le Tractatus de proportionibus de Thomas Brad- wardine, telle que la développaient les règles formulées au livre du Calculateur. Clay, cependant, admettait, au moins à titre d'hypothèse, une doctrine toute différente; les notes de notre étudiant relatent 4 l'exposé de cette doctrine, les doutes qui faisaient hésiter le maître anglais, les raisons pour ou contre sa théorie que lui présentaient ses auditeurs; elles nous donnent de cette controverse un compte rendu succinct, quel- que chose comme le procès-verbal d'une séance que la Société de Physique aurait tenue vers la fin du xiv e siècle. L'opinion de Maître Clay est la suivante: Appliquée à un i. Ms. cit., fol. ai3, v*. 2. Ms. cit., fol. 212, V». 3. Ms. cit., fol. 64, v°. U. Ms. cit., fol. 2i3, r°. DOMINIQUE IOTO BT LA BGOLA8TIQUI PAEISIIBH1 /§ -'» i mobile donné, une puissance donnée lui communiquerait, en l'absence de tout milieu résistant, une vitesse déterminée. En un milieu résistant, la vitesse du mobile serait moindre que cette vitesse-là; elle serait moindre d'une quantité proportion nclle à la résistance du milieu. Si l'on raréfiait de plus en plus le milieu, la puissance demeurant constante, la vitesse du mobile ne croîtrait pas au delà de toute limite comme le pré- tendait Aristote; elle tendrait vers cette valeur déterminée dont il a été question tout d'abord. Selon cette hypothèse, donc, un mobile se mouvrait successivement dans le vide, et un des auditeurs de Maître Clay lui objecte la contradiction qui existe entre ce corollaire et la Physique péripatéticienne. Le Maître anglais, lui, est soucieux d'une autre difficulté, et ce souci fait grand honneur à sa perspicacité. En l'absence de toute résistance, la puissance donnerait instantanément au mobile cette vitesse déterminée dont nous avons parlé : « le mobile passerait infiniment vite du degré zéro de mouvement au mouvement total; » Maître Clay jugeait cette proposition difficile à admettre. L'opinion de Maître Clay dut, sans doute, trouver faveur à Paris. Nous voyons en effet qu'elle était reçue, au xvi e siècle, par Dominique Soto, dont la Physique a si grandement subi l'influence de l'enseignement parisien. Soto admet 1 que, dans le vide, un mobile ne se meut pas instantanément; il se heurte alors à cette objection formulée par Grégoire de Rimini et par d'autres auteurs : La suppres- sion du milieu ayant supprimé ce qui retarde plus ou moins le mouvement des divers corps, tous les graves tomberaient, dans le vide, avec la même vitesse; « un morceau de fer très lourd descendrait exactement dans le même temps qu'une éponge très légère. » Cette proposition est, pour nous, l'énoncé d'une loi fonda- mentale de la chute des corps. Pour Soto et nombre de ses contemporains, elle apparaît comme une inadmissible affir- I. Reverendi Patris Domini Soto Segobiensis... Super octo libros Physicorum Aristoielis Quœstiones. Salmanticae. In œdibus Dominici â Portonariis. MDLXXII. Lib. IV, quaest. III, fol. 67, coll. b et c. 432 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI mation, capable de ruiner toute théorie dont elle résulterait nécessairement. Pour montrer qu'elle ne découle pas forcé- ment de la sienne, Soto invoque le principe de Dynamique qui séduisait Maître Clay : « 11 faut, dit-il, admettre cette règle qu'à chaque puissance motrice naturelle correspond une certaine vitesse ou une certaine lenteur; cette lenteur peut croître par suite de la résistance du milieu; cette résistance supprimée, le mobile sera mû dans le vide avec cette vitesse même qui correspond à la puissance. C'est pourquoi un corps plus lourd descendra plus vite qu'un corps plus léger. » Maître Clay, d'ailleurs, ne devait pas être, vers la fin du xiv e siècle, le seul Anglais qui reconnût l'insuffisance de la Dyna- mique d'Aristote; à cette Dynamique, l'auteur du Traité des six inconvénients adresse des critiques ' analogues à celles que lui avait adressées Jean Buridan; il semble, toutefois, qu'aux prin- cipes de cette Dynamique Oxford se soit fié plus longtemps et plus fermement que Paris. Il est une question en laquelle Oxford parait être demeuré fort en arrière de Paris ; nous voulons parler de l'accélération en la chute des graves. L'explication de cette accélération à laide d'un impetus graduellement croissant paraît avoir trouvé peu de faveur en l'Université anglaise, si nous en jugeons, du moins, par les dires du Traité des six inconvénients. Un important article 3 de ce traité est consacre à l'examen de cette question : L'accélération du mouvement d'un grave provient-elle d'une cause certaine? L'auteur énumère les diverses causes qui peuvent être invo- quées, qui ont été effectivement invoquées pour rendre compte de cette accélération : La diminution de la résistance du milieu, la continuation du mouvement, la proximité croissante du mobile à son lieu naturel, l'impulsion du milieu ébranlé, la gravité accidentelle que le poids acquiert en descendant, enfin l'appétit par lequel il désire son lieu. i. Tractalus de sex inconvenientibus, Quanst. IV : Utrtim in motu locali sit certa assignanda velocitas; Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 655g, fol. a8, coll. c seqq.; ms. n* 6527, fol. 1 58, coll. c seqq. a. Op. cit., quaest. cit., Articulus 1 : Utrum velocitatio motus gravis sit ab aliqua causa certa. Ms. n" G55c), fol. 3i,col. d, à fol. 33, col. d. DOMINIQUE soi'o F r LA BCOLABTIQUE PARISIENNE 433 A l'cncontre de chacune de ces hypothèses, se dressent des objections que le Traité des six inconvénients examine cl discute. Cette discussion n'est pas exempte de paralogismcs ; en par- ticulier, les principes de la Statique formulés par Jordamifl de Nemore y jouent un rôle que des confusions verbales auto- risent seules. Ainsi, pour démontrer que la pesanteur d'un grave ne saurait croître lorsque ce grave, en descendant, se rapproche de son lieu naturel, notre auteur emprunte à Jor- danus cette proposition : La gravitas secundum situm d'un poids pendu à l'extrémité d'un fléau de balance diminue lorsque l'on relève ce fléau. Ailleurs il identifie formellement la gravitas secundum situm de Jordanus avec la gravité accidentelle que les Parisiens nommaient aussi impetus ; la même proposition lui sert alors à prouver que la gravité accidentelle ne peut croître tandis que le grave descend, comme le prétendent ceux qui invoquent cet accroissement de la gravité accidentelle pour expliquer l'accélération. Cette discussion, confuse et peu logique, conduit à la con- clusion suivante : « Comme conclusion de cet article, voici ce que je réponds à cette question : L'accélération du mouvement d'un grave dépend-elle d'une cause certaine? Si ce terme certaine est entendu avec une telle précision qu'il signifie : il y a une seule cause précise de l'accélération du grave, alors, à la question posée, je réponds : non. En effet, l'accélération que le grave éprouve en sa descente dépend de plusieurs causes. Mais il est une cause qui l'emporte sur les autres; aussi dis-je, avec Maître Adam de Pippewell, que la cause principale est la diminution de la résistance; quant à la continuation du mou- vement, à l'approche du milieu, à la gravité accidentelle, à cette inclination naturelle qu'est l'appétit, ce sont des causes partielles; chacune d'elles est une cause partielle et auxiliaire; mais aucune d'entre elles n'est une cause nécessairement requise pour l'accélération du mouvement du grave. » L'auteur du Liber sex inconvenientium s'est défendu de donner une conclusion précise; il est permis de penser qu'il P. DLHEM. 38 434 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI s'en est trop bien gardé, et qu'il eût agi plus sagement en concluant nettement dans le sens que lui prescrivaient les Buridan et les Albert de Saxe. En revanche, il est un point où il eût été bien inspiré d'imiter la sage réserve de ces deux auteurs ; il n'hésite pas à croire, en effet, qu'une flèche accélère son mouvement après qu'elle a quitté l'arc; voici comment il termine l'article que nous analysons : « J'accorde qu'une flèche frappe plus fort un objet placé à une distance plus grande qu'un objet placé à une distance moindre; dans ce cas, la continuation du mouvement contri- buerait beaucoup à cet effet; la puissance qui meut la flèche serait plus grande à plus grande distance, et croîtrait par la continuation du mouvement. » Adam de Pippewell et le Traité des six inconvénients ne font pas de Vimpetus graduellement acquis la cause essentielle de l'accélération d'un grave qui tombe; ils méconnaissent les idées par lesquelles Buridan, Albert de Saxe, Nicole Oresme préparaient la Dynamique moderne; ces idées paraissent avoir été entièrement ignorées ou méconnues à l'époque, contempo- raine peut-être d'Adam de Pippewell, mais antérieure assuré- ment à la rédaction du Traité des six inconvénients, où Jean de Dumbleton enseignait à Oxford. En sa Summa, Dumbleton consacre un long chapitre à l'ex- plication du mouvement des projectiles 1 . Il aborde cette explication par cette demande, qui semble étrange : « On se demande si l'eau ou l'air ambiant se meuvent naturellement en la projection des pierres et autres projectiles. » 11 com- mence, d'ailleurs, par des considérations semblables à celles auxquelles Nicolas de Cues et Léonard de Vinci accorderont, plus tard, une longue attention 2 . «A ce sujet, dit-il, il faut savoir, tout d'abord, que tout mouvement violent se ramène au mouvement naturel. Cela se voit ainsi : Que A soit mû de i. Johannis de Dumbleton Summa, Pars sexta, cap. IV". Bibl. Nat., fonds latin, ms. n* 16146, fol. 61, col. b, à fol. 6a, col. a. — Aucun extrait de ce chapitre ne se trouve au manuscrit n° 16621. 2. P. Duhem, Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, XI : Nicolas de Cues et Léonard de Vinci, XII ; seconde série, pp. 222 seqq. DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8TIQUE PARISIENNE 435 mouvement violent; comme en tout mouvement, le moteur accompagne le mobile, A a un certain moteur; soit li ce moteur. Ce moteur est mu de mouvement naturel ou non; si non, \\ a un certain moteur; soit G ce moteur. Gomme une suite de mouvements distincts ne peut procéder à l'infini, il est clair qu'il existe un moteur |mû naturelle- ment] par lequel tous les moteurs intermédiaires sont mus violemment. On voit donc qu'en tout mouvement violent, il faut arriver, en définitive, à un moteur naturel; et non pas seulement à un moteur naturel comme le serait la forme d'un élément [pesanteur ou légèreté], mais à un moteur qui soit naturel et volontaire. » L'air ou l'eau qui entourent le projectile se meuvent-ils donc naturellement? Dumbleton n'a pas de peine à prouver qu'il n'en est rien. Meuvent-ils le projectile par transport? Il faut alors admettre qu'une certaine forme a été induite en ce fluide par ce qui a, tout d'abord, lancé la pierre. Il semble bien, remarque fort justement Dumbleton, que ce soit l'opinion du Commentateur. Il indique incidemment aussi qu'une telle forme pourrait être induite au projectile et non pas au milieu ambiant; mais à cette théorie que va développer l'École de Paris et sur laquelle elle va asseoir les bases de la Dynamique moderne, il ne prête aucune attention. Il se contente de réfuter l'opinion d'Averroès, et de montrer que le moteur du projectile n'est pas une forme infusée, au début du mouve- ment, dans le milieu ambiant. Où donc va-t-il découvrir la cause qui maintient le projectile en mouvement après qu'il a quitté la main ou la machine balistique? En celle-là même qui empêche la production du vide dans la nature : « Un corps naturel, avait-il dit en traitant du vide 1 , peut avoir des mouvements de deux sortes. » Un de ces mouvements lui advient parce qu'il est de telle espèce; ainsi au feu, en tant qu'il est feu, il advient d'être mû par sa forme vers la concavité de l'orbe lunaire. » Le second mouvement lui appartient en tant qu'il est un i. Johannis de Dumbleton, Summa Pars sexta, cap. III". Ms. cit., fol. 60, col. c. 436 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI corps naturel ; et, sous ce rapport, tous les corps se comportent de même » Pour comprendre la seconde proposition, il faut supposer ce principe tiré de l'expérience. Tout corps, lors même qu'il serait en son lieu naturel, désire être conjoint à un autre corps. Et cela se prouve de la manière suivante : Il répugne que le vide soit, tandis qu'il ne répugne pas qu'un corps se trouve hors de son lieu propre ; en fait, il arrive souvent qu'un corps naturel se trouve hors de son lieu propre. Il est donc plus naturel qu'un corps se meuve pour demeurer au contact immédiat d'un autre corps plutôt que pour gagner son lieu propre; la nature d'un corps est d'être conjoint à un autre corps avant d'être en son lieu propre. Ce mouvement, par lequel un corps demeure au contact immédiat d'un autre corps, n'advient pas à un élément en tant qu'il est élément, mais en tant qu'il est simplement corps naturel. De cette manière, tout corps naturel est mobile vers tout lieu, que ce lieu soit en haut ou en bas ; tout élément est indifféremment mobile vers tout lieu afin de demeurer conjoint à un corps naturel. De même que l'aimant induit dans le fer une forme grâce à laquelle le fer suit le mouvement de l'aimant et s'arrête là où s'arrête l'aimant, de même le corps qui en suit un autre par ce mouvement, s'arrête lorsque cet autre corps demeure en repos. » Cette doctrine avait-elle Dumbleton pour auteur? Nous ne saurions le dire. Mais elle eut, après ce maître, une très grande et très durable fortune. Nous en trouverions un témoin, entre beaucoup d'autres, en Dominique Soto, qui nous parlerait • « de cet appétit universel à remplir le vide, de crainte que l'harmonie de l'Univers ne se trouve dissoute ». Nous retrou- verions cette même doctrine amplement développée, un peu plus tard, par Jules-César Scaliger ! . Elle fut cette hypothèse i. Dominici Soto Segobiensis Super octo libros Physicorum Aristotelis quœstiones. Lib. IV, quaest. 3 a : Utrum si quid moveretur per vacuum moveretur in instanti. Éd. cit., fol. 65, col. d. 3. Julii Caesaris Scaligeri Exotericararn exercitationum liber XV. De Subtilitate ad Hieronymum Cardanum. Lutetiar, apud Vascosanum, 1557. Kxcrcitatio V : De materia. De vacuo. DOMINIQUE son» m n SC0LA8TIQUE PA.RISIBHNH \ '>~ de ['horreur du vide que, seules, les mémorables expériences de Torricelli et de Pascal purent ruiner, et que l'on mit, après qu'elle eut été abandonnée, sous une Tonne ridicule qui n'était point sienne. Or, c'est à cette horreur du vide que Jean de Dumbleton va demander l'explication du mouvement des projectiles. « Les projectiles suivent l'air 1 , grâce à la forme qui leur est donnée en propre, afin qu'en un tel mouvement, il ne se produise pas de vide; en effet, suivant ce qui a été démontré, tout corps est naturellement mobile afin qu'il demeure au contact d'un autre corps naturel... De même que l'eau suit l'eau, que la fumée, qui est un corps igné, suit la fumée, et que la flamme suit la flamme, de même les projectiles suivent l'air ou tout autre corps qui est mû devant eux, comme le fer suit l'aimant... » Tout corps naturel a un double mouvement : Un premier mouvement qui appartient à ce corps en tant qu'il est de telle espèce, et un second mouvement par lequel ce corps suit un autre corps. C'est par ce second mouvement que les projectiles se meuvent en suivant l'eau ou l'air lancé devant eux; ensuite, l'eau ou l'air suit le projectile par derrière et, par là, contribue à le pousser. Cette pierre présente une surface qui est immé- diatement contiguë à l'air; lorsque l'air qui se trouve en avant de la pierre a été ébranlé par la main, et que la main est retirée, cet air continue à se mouvoir; si la pierre demeu- rait immobile, l'air ne pourrait, en un instant, se précipiter en toute l'étendue de la face antérieure de la pierre; donc, pour que la pierre ne cesse pas d'être immédiatement contiguë à un autre corps, il faut qu'elle se meuve. » A la fin de son exposé, Jean de Dumbleton énumère quel- ques observations, fort contestables d'ailleurs, qui semble- raient réclamer, du mouvement des projectiles, une explication différente de celle qu'il a donnée, a Mais, ajoute-t-il 2 , pour expliquer comment le milieu se meut lorsque l'impulsion i. Johannis de Dumbleton Summa, Pars sexta, Cap. lV m ; ms. cit., fol. 61, coll. c et d. a. Jean de Dumbleton, loc. cit. ; ms. cit., fol. 6a, col. a. 438 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI a cessé, il faut donner une autre réponse, à savoir la dernière, qui est la plus commune. » Il était donc courant, en l'École d'Oxford, d'attribuer le mouvement des projectiles à l'horreur du vide. Ces pensées d'un contemporain de Jean Buridan nous aident à mesurer la hauteur intellectuelle du Maître parisien. Les doctrines de la Dynamiques parisienne, inconnues de Dumbleton, semblent avoir été méconnues par le Calculateur. Jean Buridan, Albert de Saxe, Nicole Oresme ont su fort habilement user de la notion d'impetus pour expliquer com- ment un grave oscille de part et d'autre de sa position d'équilibre lorsqu'il en a été une fois écarté ; ce qu'ils ensei- gnaient à ce sujet, Soto ne manquera pas de le recueillir. Albert de Saxe et Oresme ont décrit, en particulier, comment un grave, écarté du centre du Monde, exécuterait des oscil- lations de part et d'autre de ce centre. La Terre serait immobile si son centre coïncidait avec le centre du Monde; écartée de cette position, elle se mettrait en mouvement afin que le centre de gravité regagnât le centre du Monde; ces deux points arriveraient-ils jamais à coïncider? C'est la question que le Calculateur formule en ces termes 1 : Ulrum ornni elemento locus naturalis aliquis conveniat, omnibus- que elemenlis ejusdem speciei. Il arrive à cette conclusion que le centre de la masse terrestre se rapprocherait indéfiniment du centre du Monde sans jamais l'atteindre ; au lieu d'être périodique, comme l'ont admis Albert de Saxe et Nicole Oresme, le mouvement de la Terre serait apériodique. Si Magister Riccardus de Ghlymi Eshedi obtient ainsi un résultat qui contredit à l'enseignement des Parisiens, c'est qu'il ne tient aucun compte de Yimpetus. En la partie du Tractatus de sex inconvénient ibus que nos textes manuscrits ne contiennent plus, une question, la sep- tième, avait pour titre ? : Ulrum omne corpus naturale kabeal locum naturalem. A cette question, l'auteur répondait-il comme i. Subtilissimi Doctoris Anglici Suiset Calculationum Liber. Éd. Paduae, ca. i&8o; 43' fol. a. Voir la table au fol. 194, v°, du ms. n° 655g du fonds latin de la Bibl. nat. DOMINIQUE SOTO F.T LA BCOLA8TIQDB l'AlUSM.NM \ 3< | le Calculateur répond à la question qu'il formule presque dans les mêmes termes? Il est permis de le croire. Ces renseignements divers et tous concordants autorisent, pensons-nous, cette affirmation : La Dynamique que l'on enseignait à Oxford, en la seconde moitié du xiv e siècle, différait grandement de celle que l'on professait à Paris vers le même temps; la notion d'impetus, qui dominait celle-ci, ne jouait presque aucun rôle en celle là. D'autres théories de Physique, au contraire, trouvaient auprès des deux Universités un accueil également favorable. Ainsi semble-t-il que les docteurs d'Oxford aient couramment admis ces mouvements de la Terre, très lents, mais incessants, auxquels Albert de Saxe attribuait une si grande importance. Guillaume Heytesbury regarde » la supposition suivante : « Toute partie d'un élément tel que la terre ou le feu peut être corrompue, car il n'en est aucune qui ne puisse être amenée au contact d'un élément contraire, et peut-être y sera-t-elle un jour amenée; supposons, en effet, comme cela est assez probable, que la terre soit en continuel mouvement ou, tout au moins, qu'elle se meuve fréquemment, en sorte que cette portion de terre qui est maintenant près du centre puisse peut-être, au cours du temps éternel, s'en trouver distante d'un grand nombre de milles ; alors, en fait, un corps qui lui est contraire pourra s'en approcher assez pour la pouvoir corrompre. » Lorsqu'il veut prouver que la continuation du mouvement ne suffit pas à accélérer ce mouvement, le Tractatus de sex inconvenientibas s'exprime ainsi 2 : « Si la continuation du mouvement était la cause qui accélère la chute du grave, comme la Terre, depuis qu'elle a commencé d'exister et que le Soleil a, lui aussi, commencé d'exister, est en mouvement continuel à cause de la chaleur du Soleil, elle aurait, dès le commencement, accéléré son mouvement; main- tenant, elle se mouvrait donc très vite, et son mouvement i. Sophismata Hentisberi; Sophismatum sextum. Ed. Venetiis, 1494, fol. 89, col. b. 2. Tractatus de sex inconvenientibas; Quaest. IV: Utrum in motu local i sit certa assignanda velocitas; art. I ; Utrum velocitatio motus gravis sit ab aliqua causa certa. 44o ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI serait sensible; la Terre aurait donc un mouvement continuel et sensible qui renverserait les grands monuments, les maisons et les châteaux. » Parmi les renseignements que Maître Clay donnait aux étudiants de Paris sur les doctrines de l'École d'Oxford, se trouvent diverses considérations relatives aux actions de l'aimant 1 . Ces considérations débutent par une phrase qui vaut la peine d'être notée. « Si le centre du Monde était un point, comme certains le pensent, et qu'il fût en mouvement, il est certain que tout grave, si grand soit-il, suivrait ce point avec une vitesse égale à celle de son déplacement, car ce point est le lieu universel des graves. » La place même qu'occupe cette réflexion nous montre que les tenants de cette opinion assimilaient cette marche du grave vers le centre en mouve- ment à la marche du fer vers un aimant qui se déplace. Bien connue sans doute à l'École d'Oxford, cette opinion n'y était pas universellement admise. Jean de Dumbleton prend soin de la rejeter 2 . Il marque une profonde distinction entre le mouvement des graves vers le centre du Monde et le mouvement du fer vers l'aimant. « Ces corps-là, dit-il en par- lant des graves, ne suivent pas ce vers quoi ils se meuvent, comme le fer suit l'aimant lorsque l'on meut ce dernier. Lors même que ce point qui est le centre du monde se mouvrait, la terre ne le suivrait pas. » Lorsqu'il émettait ou rapportait cette opinion, Maître Clay ne pouvait sans doute entrevoir la fortune à laquelle elle était appelée. Obligé de renoncer à la théorie aristotélicienne de la gravité, Copernic devait un jour concevoir, en chaque astre, un point qui se mût avec cet astre; il devait admettre que toutes les parties de cet astre tendaient constamment à ce point; plus tard, alors que cette vue de Copernic était adoptée par un grand nombre de physiciens, Guillaume Gilbert devait assimiler cette tendance qui porte les parties d'un astre vers un point de cet astre à la tendance qui porte le fer vers i. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n* i66ai, fol. 2i3, v!. 2. Johannis de Dumbleton Summa, Pars VI, cap. X. Bibl. Nat., ms. n* iGi4C. fol. 65, col. c. DOMINIQUE SOTO ET i.\ BCOLASTIQU1 PARISIENNE Vu L'aimant, il devait construire ainsi sa Philosophie aimantique, destinée à pavir les suffrages de François Bacon et d'Otto a méthode Bcolastique n'était que trop Favorable à cette dispo sition d'esprit. Née «lit Sic et non d'Abélard, elle n'aborde jamais la démonstration d'une proposition qu'elle n'ait soigneusement exposé toutes les opinions qui vont à l'en contre de cette proposition aussi bien que toutes les opinions qui penchent vers elle; il lui faut alors réfuter une à une toutes les objections des adversaires, et dresser à son tour des objec- tions contre chacune dès opinions qui devront être rejetées; la démonstration directe d'une vérité se trouve ainsi comme encadrée d'une foule de petites querelles accessoires. Assuré- ment, une telle méthode, lorsqu'elle est convenablement pra- tiquée, se montre frappée au coin d'une très nette loyauté; elle ne laisse rien ignorer de ce qui peut être opposé au parti que l'on tient; elle ne permet pas de l'embrasser avant qu'on ne l'ait lavé de toute accusation. Mais cette méthode présente des dangers ; en cette multitude de combats singuliers que com- porte toute démonstration, le champion de la vérité est gran- dement tenté de prouver qu'il est bretteur habile ; lorsque les adversaires viennent à lui manquer, il lui arrivera d'en susciter pour le plaisir de les battre ; contre l'opinion dont il est le tenant, il inventera de toutes pièces des objections sophis- tiques pour montrer qu'il sait les résoudre. A ce travers, les plus grands des scolastiques n'ont pas échappé. On devine sans peine à quels excès ce vice intellectuel a dû se porter en une École dont la dextérité dialectique semble avoir été tout le souci. Tout problème de Théologie, de Morale, de Physique est devenu un prétexte à imaginer des difficultés captieuses et à en triompher par de subtiles roueries. Bientôt, la démonstration directe, destinée à donner de la vérité une aperception immédiate et face à face, a complètement disparu; on s'est imaginé que l'on avait établi une opinion lorsqu'on avait réfuté, en les acculant à quelques inconve/iientia, les opinions, réelles ou fictives, que Ton avait énumérées à ren- contre de celle-là; on n'a plus employé que cette sorte de 446 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI démonstration par l'absurde, nullement convaincante d'ailleurs, car, bien entendu, rénumération des opinions possibles n'y était jamais complète ; tout raisonnement n'a plus été que chicane. L'idée, si féconde, que les intensités des diverses formes et qualités se peuvent mesurer ou, tout au moins, représenter par des nombres, est venue accroître encore l'épineuse subtilité de la Dialectique scolastique; en y introduisant les gradus, les formx uniformes, lesformœ uniformiter difformes, elle a donné à cette Dialectique une sorte d'accoutrement mathématique, et lui a fourni de nouveaux procédés pour forger des sophismes aussi bien que pour les briser; à ces arguties revêtues d'une parure arithmétique, on a donné le nom de calculationes. Les calculationes sont déjà nombreuses dans les Questions de Guillaume de Colligham, au De primo molore de Swineshead,en la Summa de Dumbleton ; elles enva- hissent tout, elles portent partout leur fausse précision et leur apparente rigueur, au Liber sex inconvenienlium et au traité de Riccardus de Ghlymi Eshedi, le Calculateur par excellence. Les calculationes pénètrent alors partout, disons-nous ; elles pénètrent même et surtout en des domaines qui semblent, par nature, échapper aux prises du calcul; telle la Théologie. D'ailleurs, n'est-ce pas en discutant sur l'accroissement de la grâce en l'âme du chrétien que les' commentateurs de Pierre Lombard ont conçu la pensée de représenter par des nombres les divers degrés d'intensité d'une forme ou d'une qualité? Tout naturellement, donc, les maîtres d'Oxford, fidèles à la tradition de Richard de Middleton, ont été conduits à con- struire une Morale et une Théologie mathématiques où la ferveur de la grâce, où la gravité du péché s'évaluent en nombres comme nous évaluons le degré de la température ou le poids d'un corps. Prenons, par exemple, certaines questions sur les Livres des Sentences ' que termine la formule suivante : Expliciunt questiones magislri Richardi Kyluxuton super librum sente ntiarum. i. Bibliothèque nationale, fonds latin, ms. n° 14576, fol. 117, col. a, à fol. 19g, col. d. DOMINIQUE BOTO BT la BCOLA8TIQ1 i i-wu-n nni /|'»7 Vinum scriptori debetur amène à parler .. Ms. cit., fol. 3g, r° et v% fol. ho, r\ 3. Ms. cit., fol. 4o, v». 454 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI ment ou presque entièrement recopiées par notre étudiant de Paris, sont celles qui doivent surtout retenir notre attention. Là sont étudiées les trois espèces de mouvements que reconnaissait la Physique péripatéticienne : le mouvement d'altération, le mouvement d'augmentation et le mouvement local. L'examen de ces trois prédicaments en lesquels le mouvement est possible était déjà l'objet principal du Tractatus proportionum d'Albert de Saxe, avec lequel les trois différences dont nous venons de parler offrent, parfois, quelque analogie. La huitième et dernière différence traite également dune question qui a grandement occupé Albert, celle des maxima et minima in quod sic et in quod non ' ; mais en cette question, elle n'apporte pas le souci d'extrême rigueur et d'extrême précision dont se piquait le Maître parisien. C'est en la cinquième différence, consacrée à l'intensité des formes et au mouvement d'altération, que Swineshead examine les propriétés de la latitude uniformément difforme 2 . Une telle latitude doit elle être évaluée à l'aide de son degré moyen ou de son degré extrême? Il ne peut y avoir d'hésitation, lui semble-t-il, qu'entre ces deux suppositions : « Igitur conclusio sequitur : Ista intensio vel remissio latitudinis pênes gradum médium vel extremum intensionis opportet altendi. » Mais, pour- suit-il, elle ne peut être évaluée par son degré moyen, car alors toutes les latitudes uniformément difformes qui ont même degré moyen seraient égales entre elles. C'est donc par son degré extrême qu'elle sera mesurée. Cette solution s'autorise évidemment, en l'esprit de Swines- head, de l'opinion, émise par Bradwardine et adoptée par Albert de Saxe, selon laquelle la vitesse d'un corps animé d'un mouvement de rotation, c'est la vitesse du point qui se meut le plus vite. Cette opinion, Swineshead la fait sienne 3 ; il déclare que la vérité en apparaît suffisamment à qui lit un certain chapitre du traité intitulé De proportionibus. En sa discussion sur le maximum et le minimum, il i. Léonard de Vinci et les deux infinis, II: L'infiniment petit dans la Scolastique (Études sur Léonard de Vinci, IX; seconde série, pp. 26 seqq.). 2. Ms. cit., fol. 62, r°. 3. Ms. cit., fol. 78, v°: Pênes quid attendatur velocitas in motu locali. DOMINIQUE BOTO BT LA SC0LA8TIQUE paiuminm \[^> considère 1 un mouvement uniformément difforme par rapport au sujet, ei il affirme que « ce mouvement ;» même i il esse que le degré qui Le termine». Pour justifier cette affirmation, il prend exemple d'une droite qui tourne autour de l'un <1<: ses points; selon la proposition précédente, la vitesse do cotte droite est la vitesse de son extrémité mue plus rapidement. Qu'il y a loin de tout cela aux considérations que nous avons admirées dans le traité de Nicole Oresme! Les passages que nous venons d'analyser ne paraissent pas exprimer ce qui a été la pensée définitive de Swincshead. L'étudiant ou le maître parisien qui nous renseigne au sujet de l'œuvre de cet auteur a griffonné sur une page de son cahier 2 une liste des écrits qui y sont reproduits ou résumés. En cette liste, immédiatement avant de nous annoncer le De primo motore, il mentionne un « quaterne » 3 consacré à Suincet, unus qualernus de Suincet, où se trouvent « une question sur le degré moyen et deux déterminations sur le maximum et le minimum ». Les trois questions ainsi annoncées se lisent, en effet, copiées à la suite l'une de l'autre, au manuscrit que 7 nous feuilletons. De ces questions, la seconde est formulée en ces termes ^: « Utrum sit dare maximum pondus quod Sortes potest portare. » C'était là un des problèmes que traitaient tous les Scolas- tiques parisiens; c'était, au fond, la notion de limite qu'ils approfondissaient sous cette forme; de leurs considérations à ce sujet, nous avons ailleurs 5 marqué l'importance; nous avons vu aussi qu'elles avaient retenu l'attention de Léonard de Vinci. Ce problème est intimement lié aux notions de maximum in quod non et de minimum in quod sic, dont Swineshead a déjà parlé en la dernière « différence » du traité De primo motore; il y revient au dernier des trois « doutes » 6 qui nous occupent. i. Ms. cit., fol. 81 v°. 2. Ms. cit., fol. 6/j, \°. 3. Groupe de quatre feuillets. li. Ms. cit., fol. 87, r\ 5. Léonard de Vinci et les deux infinis, II: L'infiniment petit dans la Scolastique (Études sur Léonard de Vinci, IX; seconde série, pp. 28-29 et pp. 52-53). 0. Ms. cit., fol. 88, v", à fol. 92, v<\ 456 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Le premier de ces doutes est formulé en ces termes l : « Utrum omnis motus uniformiter difformis correspondeat suo gradui medio. » Tout aussitôt, l'auteur présente une raison en faveur de l'affirmative, une autre raison pour la négative. Qu'il faille répondre oui, cela résulte de cette proposition: Un mouvement uniforme, correspondant au degré moyen, acquiert autant d'espace que le mouvement considéré. Qu'il faille répondre non, cela est suggéré par cette remar- que: Le mouvement du rayon du cercle est un mouvement uniformément difforme pour les divers points de ce rayon; cependant, il ne correspond pas à son degré moyen. Bradwar- dine, en effet, et Albert de Saxe après lui, voulaient que l'on prît pour vitesse de ce mouvement de rotation la vitesse du point le plus rapidement mû ; notre auteur ne cite ni Bradwar- dine ni, bien entendu, Albert de Saxe, mais il prend leur opinion pour assurée. Après une assez longue discussion, l'auteur conclut pour l'affirmative 2 . Toute sa démonstration repose, en dernière analyse, sur la première des raisons qu'il a invoquées et qu'il regarde comme une vérité établie; il la reprend, en effet, et lui donne le sixième rang 3 parmi les suppositions qu'il admet pour construire sa déduction. Au De primo motore, Swineshead rejetait formellement cette proposition : Une latitude uniformément difforme est mesurée par son degré moyen. Il semble que, plus tard, rédigeant les trois questions dont nous venons de parler, il ait changé d'opinion; et ce changement d'opinion lui aurait été dicté par cette proposition, qu'il regardait comme certaine: Deux mouvements de même durée, l'un uniformément difforme et l'autre uniforme, dont le second a constamment pour degré le degré moyen du premier, font parcourir des espaces égaux aux mobiles qu'ils déplacent. Ces trois questions que notre étudiant semble, nous l'avons i. Ms. cit., fol. 85, r*. 2. Ms. cit., fol 86, v°. 3. Ms. cit., fol. 85, r°. DOMINIQUE soin r.r i.\ BCOLASTIQU1 PAM8IBHH] '1-7 vu, attribuer à Swineshead, il les nomme ailleurs 1 les trois Doutes de Paris; il nous annonce, <'n effet, que l'on trouvera en son cahier : * Le De primo motore de Suincel en quatre qu a ter ne s, avec trois doutes de Paris (cum tribus dubiis pari siensibus), un sur ['uniformément difforme et deux sur le maximum et le minimum. » Nous devons donc supposer que Swineshead ou, peut être, quelqu'un de ses disciples après lui, avait fait suivre le lie primo motore des trois questions que nous venons d'analyser, mais qu'il les tenait pourproblèmes importés de Taris à Oxford. Par là, nous sommes, semblc-t-il, autorisés à penser que la loi des espaces parcourus en un mouvement uniformément varié avait été enseignée à l'Université d'Oxford par l'Université de Paris. Le nom de Règle de ISicole Oresme, que nous lui avons précédemment donné, serait loin d'être condamné par une semblable conclusion. Cependant, il paraît difficile de placer, dans le temps, Swineshead après Oresme ; il nous faut admettre, sans doute, qu'avant l'époque où ce dernier compo- sait le De difformitate qualitatum, la réduction à l'uniformité des latitudes uniformément difformes était déjà discutée à Paris. Or, de cette supposition, la lecture des Questions sur la Phy- sique, composées par maître Jean Buridan, nous a donné confirmation. Voici, en effet, le remarquable passage que nous avons rencontré en ces Questions 2 : « Je suppose qu'une colonne soit aussi longue d'un côté que de l'autre, de telle sorte qu'elle soit, des deux côtés, longue de dix pieds; je suppose qu'une autre colonne soit de longueur difforme, c'est-à-dire qu'elle ait dix pieds d'un côté et neuf pieds de l'autre; la première colonne sera d'un demi pied plus longue que l'autre, car la longueur d'un corps ne 1. Ms. cit., fol. i3, v°. 2. Acutissimi philosophi reverendi Magistri Johannis Buridani subtilissime questiones super oclo phisicorum libros Aristotelis diligenter recognite et revise A magistro Johanne dullaert de gandavo antea nusquam impresse. Venum exponuntur in edibus dionisii roce parisius in vico divi Jacobi sub divi martini intersignio. — Colophon : Hic finem accipiunt questiones reverendi magistri Johannis buridani super octo phisicorum libros impresse parhisiis opéra ac industria Magistri Pétri ledru Impensis vero honesti bibliopole Dionisii roce sub divo martino in via ad divum Jacobum Anno miilesimo quingentesimo nono octavo calendas novembres. Lib. I, quaest. XII : Utrum omnia entia naturalia sint determinata ad maximum, fol XV, col. c. 458 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI réside pas exclusivement en son côté droit ou en son côté gauche ou en son milieu, mais elle réside, à la fois, en son côté droit, en son milieu et en son côté gauche; on ne doit donc pas dire que tel corps est long ou a telle longueur en considérant purement et simplement son côté droit ou son côté gauche, mais en considérant conjointement son côté droit, son côté gauche et son milieu ; et s'il n'y a pas unifor- mité de longueur, il faut comparer le côté le plus long au côté le moins long, enlever quelque chose au côté le plus long et l'ajouter au côté le moins long, afin de trouver la moyenne (et si non sit uniformitas longlludlnis, oportet inferre longius ad minas longum, aaferendo de longiori latere et apponendo minas longo, ut inveniatur médium). » Buridan cite alors d'autres exemples que lui fournissent l'intensité lumineuse et la couleur, puis il poursuit en ces termes : « Donc pour dénommer simplement [une grandeur difforme] il faut faire une compensation entre les parties afin que la dénomination simple résulte de la moyenne; aussi est-il manifeste que ceux qui font des mesures pour connaître la grandeur d'une surface ou d'un corps, réduisent les difformités à l'uniformité. (Ergo ad simpliciter denominandum oportet recom- pensare inter partes ut a medio fiât simpliciter denominatio, et ideo manifestum est quod mensuranles superficiem quanta sit, vel corpus quantum sit, reducunt dijformitates ad uniformiiatem.) » C'est pourquoi il me paraît bon de conclure ceci, à titre de corollaire : Ce n'est pas par la vitesse du point situé sur la circonférence et mû le plus rapidement que doit être sim- plement dénommée la vitesse d'une sphère totale [animée d'un mouvement de rotation); beaucoup de gens, cependant, s'expriment communément ainsi, laissant de côté, en cette dénomination, tout le reste de la sphère, alors que ce reste surpasse infiniment en grandeur [ ce dont ils tiennent compte]. » Nous avons ici, ce n'est pas douteux, la première esquisse des considérations que Nicole Oresme devait, un peu plus tard, développer avec tant d'art. Nous avons aussi la preuve DOMINIQUE solo IT i.a BCOLA8TIQ0E PABISIBMI1 i5g qu'avant Nicole Ores me, on disputait, ;» l'mis, de I;» réduction des grandeurs difformes à L'uniformité. Mais il y a plus. Tout aussitôt après le passage « j n*- nous venons de citer, en la même question, Buridan examine de quelle manière il convient de définir la limite supérieure des effets dont une puissance aelive est capable. Cet examen L'amène à résoudre cette question : Peut-on assigner an poids maximum parmi ceux qu'un homme est capable de porter? Nous trouvons ainsi, ;i La suite l'un de l'autre, en une même question de la Physique de Buridan, les sujets des trois Doutes de Paris, et, de part et d'autre, ces sujets sont rangés dans le même ordre. Si Ton observe que le sujet du premier des Dubla parisiensia n'a, par lui-même, aucun rapport avec les sujets des deux derniers Dubia, on ne pourra manquer d'être frappé d'une telle coïncidence; malaisément on se défendra de formuler la conclusion suivante : Les trois Doutes de Paris que Swineshead prenait la peine de discuter à Oxford étaient issus de l'enseL gnement de Jean Buridan. Laissons de côté les trois Doutes de Paris pour revenir au De primo motore. Au commencement de la septième différence, qui est consa- crée à l'étude du mouvement local, Sivineshead écrit ce qui suit 1 : « Pour étudier les vitesses et les lenteurs dans les mouve- ments locaux, j'introduirai cinq latitudes que la raison seule y distingue : » La première est la latitude du mouvement local ; la seconde est la vitesse de cette première latitude; la troisième est la lenteur de cette même première latitude; la quatrième est la latitude de l'acquisition de latitude du mouvement local (latitudo acquisitionis latitudinis motus localis) ; la cinquième est la latitude de déperdition de la même latitude (latitudo déper- ditions ejusdem latitudinis). )) Que sont ces deux nouvelles latitudes adjointes par Swines- head à la vitesse et à la lenteur du mouvement local? Les dénominations mêmes qui servent à les désigner nous font deviner qu'elles correspondent à ce que nous appelons i. Ms. cit., fol. 74 V. 46o ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI l'accélération positive et l'accélération négative. Dès le temps donc où se composait le De primo motore, l'importance de la notion d'accélération s'était manifestée aux logiciens d'Oxford. Cette importance s'affirmera mieux encore dans les écrits de William Heytesbury. B. La Summa de Jean de Dumbleton. Les cahiers de Philosophie d'où sont extraits les renseigne- ments précédents nous ont donné la table des matières du De primo motore; de la Summa de Dumbleton, ils ne reproduisent pas la table; la reconstituer d'après les extraits que renfer- ment ces cahiers serait tache malaisée; heureusement, il nous a été donné, outre ces extraits, de consulter l'ouvrage lui-même. Pour présenter un aperçu des matières qui y sont traitées, nous ne pouvons mieux faire, croyons-nous, que de reproduire l'analyse donnée par l'auteur au préambule de sa Somme. Cette Somme, nous dit-il 1 , est divisée en dix parties. « La Première partie 9 traite quatre articles. » Au premier article, elle montre s'il existe quelque cause naturelle de la signification du terme et de son imposition au sujet; elle traite de diverses questions incidentes. » Au second article, elle examine ce que c'est, pour une vérité, d'en précéder une autre, d'être plus aisément connais- sable par nature ou pour nous; comment on peut connaître d'une manière plus confuse ou plus distincte; comment les vérités universelles sont mieux connues que les vérités particulières; elle compare .la connaissance delà définition à celle du défini et de ses parties. » Au troisième article, elle énonce quelques conclusions i. Johannis de Dumbleton Summa, Proœmium. Bibliothèque Nationale, fonds latin, Ms. n° i6i/»6, fol. 2, coll. a et b. 2. Cette première partie compte trente-neuf chapitres. Le premier chapitre com- mence, au fol. 2, col. b, du ms. cité, par les mots : Incipiendum est a primis. Minimus error in principio, in fine est maxima et maxime causa. Le dernier chapitre finit au bas de la col. b du fol. i4. DOMINIQUE 80TO II' i.\ BCOLA8TIQUI PARISIENNE 46 1 relatives aux principes ■ -pose des conclusions qui concernent le mouvement relatif aux trois prédicaments ; elle montre quelle proportion de mouvement résulte de la configuration et de la distance; elle décide de quelle manière doit être vrai- ment évaluée la vitesse du mouvement local, du mouvement d'altération, du mouvement d'augmentation et du mouvement relatif à la latitude de densité ou de rareté. » En dernier lieu, elle recherche par diverses raisons ce que sont le mouvement et le temps, quelles en sont les propriétés ; elle démontre, en cette même partie, que le mouvement uniformément acquis équivaut à son degré moyen, et quelques autres conclusions. » La Quatrième partie^, examinant, en un premier article, la nature des éléments, s'efforce de montrer si les éléments extrêmes possèdent au plus haut degré chacune des qualités, et comment agissent les qualités premières. » En un second article, elle traite de la réaction entre ces mêmes qualités; elle définit de quelle manière les qualités premières résultent naturellement des formes premières, de la 1. La seconde partie de la Summa contient quarante et un chapitres. Le premier chapitre commence, en la col.edu fol. i4, par ces mots: Post logicalia, naturalia aggredientes dubia... Le dernier chapitre prend fin en la col. b du fol. 26. 2. Cette troisième partie se divise en trente-huit chapitres ; au fol. 26, col. b, du ms. cit., le premier chapitre commence en ces termes: Quia singulorum noticia motu, tanquam signo naturali, nobis primum inesse [constat], superest aliquid de eodem dicere et de ejusdem principiis pertractare. Cette partie s'achève à la col. d du fol. 39. 3. La quatrième partie de la Summa de Dumbleton compte dix-sept chapitres. Au fol. 3g, col. d, le premier chapitre commence ainsi : Peracta determinacione materie communis, ad particularia descendamus, et de primis corporibus, scilicet elementis, pertractemus. Cette partie prend fin en haut de la col. b du fol. 5i. 462 ETUDES SUR LEONARD DE VINCl densité ou de la rareté extrêmement intense ou extrêmement affaiblie des corps ; elle examine enfin si ces qualités pre- mières sont réellement distinctes des autres qualités. » En un troisième article, cette quatrième partie montre comment les puissances des corps dépendent de leur grandeur; elle examine si les mixtes s'altèrent entre eux et s'ils sont plus pesants que les éléments purs. » La Cinquième partie 1 a pour objet l'action spirituelle; elle expose si la lumière appartient en propre à un élément, si elle est une qualité simple ou une qualité résultante. » En outre, cette même partie examine les doutes que l'on peut concevoir touchant la différence entre les formes supé- rieures et les formes inférieures capables de produire de la lumière, et touchant leur action uniforme ou difforme, soit à l'égard de l'agent, soit à l'égard du patient. » La Sixième partie 2 , qui traite des termes assignés aux puissances, enseigne d'abord à déterminer d'une manière définie une puissance active. » En second lieu, parmi les autres parties, cette sixième s'exprime particulièrement au sujet de l'action et du terme, pris d'une manière universelle, de ces formes que sont le repos et le mouvement; elle déduit si une telle forme est pro- prement mobile, et si la forme et le lieu sont attribués d'une manière égale au corps engendré. » Ensuite, cette même partie agite des questions relatives à la manière dont procède le Philosophe dans l'étude des mouvements et des moteurs des cieux; elle détermine com- ment les corps naturels sont limités en leur volume et si l'on doit les soustraire au premier mouvement; elle ajoute quels i. Cette cinquième partie compte, au ms. cité, six chapitres numérotés, auxquels il faut peut-être joindre, à titre de chapitre non numéroté, le développement qui commence au fol. 50, col. a, par : Quedam conclusiones in diversis materiis, admisso contrario principio, restant probande. Le premier chapitre commence au fol. 5i, col. b, de la manière suivante : Compléta determinacione de actione reali inter for- mas et qualitates sensibiles communiter, de actione spirituali inquiramus duobus requisitis. Cette partie prend fin en haut de la col. a du fol. 67. 2. Quatorze chapitres forment cette sixième partie. Le premier chapitre débute, au fol. 57, col. a, par cette phrase: Cum omnia finem appetunt, ideo de lïnibus potentiarum activarum et passivarum est equaliter determinandum ut, cum natura scire desideramus, in istis potentiis activis et passivis, veritatem, que finis est, attin- gamus. Le dernier chapitre, qui n'est pas numéroté, finit au fol. 70, col. b. iximimmi i; SOfO ht i.\ B COL ASTIQUÉ i'\ui n ',i» » sont ceux qui se meuvent d'eux mêmes e! quels en sonl incapables. o La Septième partie 1 indique quelle est La cause <|ui assigne un minimum aux individus et aux espèces soumis ;i la géné- ration ei à La corruption, < 1 1 1 ï détermine l'ordre des puissances de La matière ei tics agents; on > voit également si l'on peut prouver par raison philosophique qu'il existe mi premier Moteur de force infinie, cl que le Monde ;i commencé. » En la Huitième partie 3 , on traite, tout d'abord, de la gêné ration d'une substance à partir d'une substance semblable; on traite aussi de la génération des animaux parfaits et de ceux qui proviennent de la putréfaction. » Cette partie acbève sa tâche en établissant l'unité numé- rique de l'âme en un être animé pourvu à la fois du sens et de l'intelligence, et en examinant les opérations de la faculté intellective. » La Neuvième partie^ poursuit l'ordre selon lequel procède l'ouvrage, tranche les doutes relatifs à l'âme et aux cinq sens; elle examine également bon nombre de questions qui ont trait à la même matière. » La Dixième ei dernière partie 4 traite des universaux qui sont appelés idées dans Platon; elle étudie la passivité simple et complexe de l'intelligence humaine, touchant l'extension que peut recevoir sa propre opération; en concluant une sorte de somme de ces sujets, elle met fin à cette Samma même. » Ce résumé que Dulmenton nous donne de sa Samma suffit à nous laisser entrevoir qu'une foule de sujets divers se trou- veront étudiés en cet ouvrage; il nous fait également pressentir que l'ordre selon lequel ils se succéderont ne sera, bien sou- i. La septième partie compte dix-huit chapitres, dont trois seulement, les cha- pitres I, XV et XVI, sont numérotés. Le premier chapitre commence, au fol. 70, col. b, par ces mots : De primo principio et nobilissimo motore... Le dernier chapitre prend fin au bas de la col. c du fol. 85. 2. La huitième partie, qui commence avec la col. d du fol. 85, comprend dix-huit chapitres non numérotés. Le début du premier chapitre est: De actione et de molu naturali corporum taliter exposito... La fin du dernier chapitre est au fol. 112, col. a. 3. La neuvième partie comprend quarante chapitres non numérotés. Elle com- mence en ces termes : De virtute animali cognitiva que post vegetativam ponitur... Le dernier chapitre prend fin au bas de la col. a du fol. iki. Elle est suivie de la table qui occupe les trois autres colonnes du fol. i4i. k. Cette dixième partie fait défaut dans le manuscrit que nous avons consulté. 464 ETUDES SUR LEONARD DE VlNCt vent, ni très rationnel ni très rigoureux ; la lecture du traité même ne dément malheureusement pas ce dernier pres- sentiment. Ce manque d'ordre se marque tout particulièrement en ce que le logicien d'Oxford enseigne touchant la latitude unifor- mément difforme et son équivalence au degré moyen; il nous faut chercher en deux endroits différents de la Somme l'expo- sition de sa pensée; encore la lecture de ce double exposé ne nous évite-t-elle pas toute incertitude touchant le sentiment de l'auteur. La première des deux discussions auxquelles nous venons de faire allusion se trouve en la seconde partie de la Somme; elle y est précédée d'une étude générale sur l'intensité des qualités. « Il nous faut examiner, dit l'auteur 1 , comment les qualités premières peuvent se tendre ou se relâcher; touchant cette matière, il existe de nombreuses opinions. » Il consacre, en effet, cinq chapitres 2 à exposer trois opinions qu'il rejettera. Puis il poursuit en ces termes 3 : « La quatrième opinion, qui est celle qu'il faut tenir, est la suivante : Aucune qualité ne devient plus intense ni moins intense; c'est le sujet où réside cette qualité qui devient plus intense ou moins intense par une acquisition ou une déperdition réelle de qualités, de même que la quantité augmente ou diminue par apposition ou retranchement de parties. » Ni Richard de Middlelon ni Guillaume d'Ockam n'avaient plus formellement énoncé cette doctrine, que Jean de Dum- bleton développe en cinq chapitres^. C'est à la suite de ce développement qu'il aborde le problème qui nous intéresse particulièrement: « Ces principes posés, il nous reste à examiner, dit-il 5 , de quelle manière les qualités i. Johannis de Dumblcton Suinina, Pars II, cap. XXI m ; ms. cit., fol. ai, col.c. 2. Johannis de Dumblcton Summa, Pars II, capp. XXI m , XXIl m , XXlir, XXlV m et XX V m ; ms. cit , fol. 20, col. c, à fol. ai, col. c. 3. Johannis de Dumblcton Summa, Pars II, cap. XXVI m ; ms. cit., fol. ai, col. c. /,. Johannis de Dumblcton Summa, Pars II, capp. XXVI m , XXVIP, XXVIIl m , XXIX m et XXX m ; ms. cit., fol. ai, col. c, à fol. 22, col. d. 5. Johannis de Dumbleton Summa, Pars II, cap. XXXI m ; ms. n" 1 6 1 40, fol. 22, col. d. — Cf. ms. n* 1GG21, fol. 174, r* (En titre: De correspondent difformis cum uniformi). bOMINIQl i suit, ii i \ 8COLA3T1 'Auimi-.nm. difformes sont intenses ou atténuées; à voir comment la lati tude de ces qualités, en sa nature, par elle même et propre- ment, est pinson moins intense; à rechercher si elle corn pond à quelque degré qui lui Boil intrinsèque. » Il \ a, à ce Sujet, trois opinions. » La première dit (pic L'intensité d'une latitude ou qualil difforme dépend de la manière dont elle esl étendue on son sujet; par suite de cette extension, <-llt v peu! être égalée en intensité à chacun des degrés qui se trouvent en elle. » La seconde prétend que, proprement et par elle-même, elle correspond à son degré moyen, c'est-à-dire à sa moitir. » La troisième dit: Toutes les qualités de la même espèce, qu'elles soient uniformes ou difformes, constituent des lati- tudes, c'est-à-dire des distances qualitatives, et sont, en leur nature, de même intensité. » Selon la coutume scolastique, les opinions qui sont énumé- rées tout d'abord sont celles que l'auteur se propose de rejeter. Rien n'égale la faiblesse de l'argumentation 1 par laquelle Jean de Dumbleton prétend réfuter la seconde opinion; pour en donner une idée, citons un des arguments qui lui paraissent convaincants 2 . « Aucun mouvement de qualité difforme ne peut procurer l'acquisition d'une somme égale à celle qui serait acquise à laide du mouvement uniforme auquel ce mouvement difforme aboutit en son extrémité la plus intense, supposé qu'au mou- vement considéré, une partie uniforme termine la partie difforme. De tels mouvements ne sont donc pas et ne peuvent pas être équivalents en qualité, si la qualité est nécessairement affaiblie par la quantité ou par l'extension; le premier des deux mouvements est nécessairement plus faible que le second, car la vitesse en un mouvement est évaluée par l'espace acquis. » Le lecteur, impatienté, ne peut retenir cette exclamation : Mais qu'est-ce que cela prouve? Le maître parisien auquel nous devons des extraits de la Summa a évidemment ressenti i. Johannis de Dumbleton Summa, Pars II, cap. XXXII*"; ms. n° 16146, fol. *3, col. a. 2. Jean de Dumbleton, loc. cit., ms. cit., fol. 23, col. b. — Cf. ms. n° 16621, fol. 175, r*. p. duhem. 3o l\66 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI cette impatience. Après avoir reproduit ce que nous venons de citer, il a hâtivement écrit 1 : « Prouvons, cependant, qu'un mouvement uniformément difforme suffît à parcourir autant d'espace que le mouvement uniforme défini par son degré moyen. » Sa démonstration, fort confuse d'ailleurs, s'achève en ces termes : « Que ce mouvement soit équivalent à son degré moyen, cela est, car [lorsqu'on le remplace par le mou- vement uniforme], il est autant augmenté vers son extrémité la plus faible qu'il est diminué vers son extrémité la plus forte. » Cette phrase est une brève mais claire allusion à la démonstration de Nicole Oresme, démonstration que l'annota- teur connaissait, comme nous le verrons tout à l'heure. Jean de Dumbleton vient maintenant à la démonstration de l'opinion qu'il tient pour vraie et qui, en son énumération, prenait le troisième rang 2 . A ce sujet, il pose quelques préci- sions qui, poussées plus avant, eussent dissipé bien des malen- tendus et amené la pensée du maître d'Oxford à concorder avec celle de Nicole Oresme. « Expliquons maintenant, dit-il, la troisième opinion, qui est la vraie. Au sujet de cette opinion, il nous faut montrer que, conformément à l'usage, nous entendons de deux manières différentes cette proposition : Il existe une latitude en une qualité difforme. L'un de ces sens est le sens propre, et l'autre le sens impropre. » Nous parlons au sens propre lorsque nous entendons dire qu'elle contient tant, d'une manière intensive, sans la rapporter à quelque extension ou à quelque grandeur prise dans le sujet; lorsque nous voulons simplement dire qu'il existe telle distance qualitative entre les degrés à l'aide desquels on évalue le mouvement d'altération, de même qu'une ligne de deux pieds est une ligne dont les extrémités sont distantes de deux pieds; en ce sens, la latitude considérée, prise en sa totalité, est le degré suprême de son espèce. » C'est, au contraire, d'une manière impropre que Ton parle i. Ms. n° 16621, fol. 175, v*. 2. Johannis de Dumbleton Summa, Pars II, cap. XXX1I1 ,B . Ms. n° 161/46, fol. a3, col. b; ms. 1662 1, fol. 176, r°. IHIMIMQI I siilli II I \ ■• <>| \ - | inl I. I'\llhli;wi. 407 de la Latitude d'une qualité dont les parties qualitatives sonl inégalement intenses au sein du sujet ; h c'est * 1 « * cette raanièi < seulement qu'en parlent ceux d'un mouvemenl dont L'intensité croît uniformément (uniformiter intenditur) , ni d'une latitude uniformément difforme, mais d'une la titudo uniformiter acquisita vel deperdita; L'idée d'aci lération uniforme semble précéder en sou esprit celle de mouvement uniformément varié. Mais cette différence de langage que l'on peut noter ici entre les Regulae solvendi sophismala et les Probationes conclu- sionum nous peut suggérer un doute : Ces écrits sont-ils bien, tous deux, de William Heytesbury? Les Probationes constituent un commentaire suivi des Regulœ. Que le Chancelier d'Oxford se soit ainsi commenté lui-même, c'est déjà un juste sujet d'étonnement. C'en est un autre, et bien plus puissant, de constater une extrême différence entre les manières de raisonner et d'écrire dont aurait usé le même auteur selon qu'il composait les Regulae ou les Probationes. Les Regulx sont un type de cette argumen- tation désordonnée, enchevêtrée, sophistique, qui était de mode à Oxford et dont Heytesbury ne s'est point départi en ses autres écrits; par l'ordre, par la clarté, par la sobriété, par la rigueur, les Probationes rappellent les écrits de Buridan et d'Albert de Saxe; à ces maîtres, elles empruntent, la plupart du temps, et leurs raisonnements et leur style. Il nous paraît fort malaisé de ne pas regarder les Probationes conclusionum comme un commentaire composé par quelque maître parisien, par quelque disciple d'Albert de Saxe, sur les Regulœ solvendi sophismata dues à William Heytesbury. Quoi qu'il en soit de la supposition que nous venons d'émettre, les commentateurs italiens se chargeront de pré- ciser les indications, relatives à l'idée d'accélération, que le Chancelier d'Oxford a données. D. Le Tractatus de sex inconvenientibus. Jamais, à l'Université d'Oxford, l'évaluation du chemin parcouru dans un mouvement uniformément varié n'a revêtu 472 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI la forme si claire et si précise que Nicole Oresme lui avait donnée par l'emploi des coordonnées. Prenons, par exemple, ce Tractatus de sex inconvenientibus dont l'auteur écrit après Heytesbury et, partant, très certai- nement après Oresme. Ce traité appartient à la même famille que le De primo motore de Swineshead et que la Summa de Dumbleton ; pour nous en convaincre, il nous suffira de parcourir la table des matières de l'ouvrage complet, table que conserve un des textes manu- scrits de la Bibliothèque Nationale 1 . Voici cette table où plusieurs questions principales sont accompagnées d'articles, consacrés à des sujets connexes, qui y sont intercalés: Prima quœstio: Utrum in generatione formx sit certa ponenda velocitas. Articulus I : Utrum generans tantum loci contribuât quantum forma?. Art. II : Utrum ex coloribus extremis intermedii generentur colores. Art. III: Utrum cœlestia corpora génèrent qualitates primarias, lumine mediante. Secanda quœstio: Utrum in motu alterationis velocitas sit signanda vel larditas. Art. I: Utrum magnes suppositum sibi ferum sufficiat attrabere. Art. II : Utrum altéra tio medii luminosi sit subita in distanti. Art. III: Utrum quodlibet alterans in agendo repatiatur. Tertia quxstio : Utrum augmentalum continuum in augendo velocitet motum suum. Art. I : Utrum rarefactio sit possibilis. Art. II: Utrum rarefactio sit motus ad aliquam quantitatem. Art. III: Utrum rarefactio sit per rarum et densum. Quarta quœstio : Utrum in motu locali sit certa servanda velo- citas. Art. I. : Utrum velocitatio motus gravis sit ab aliqua causa certa. Art. II: Utrum velocitas motus sphaerae cujuslibet pênes punctum vel spatium aliquod attendatur. Art. III : Utrum velocitas omnis motus uniformiter difformis inci- piens a non gradu sit aequalis suo medio gradui. 1. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 6559, fol. 194, V. DOMINIQUE .s<»n> il LA BCOLASTIQU1 PARISIEttll r \~'\ Quinta qasestio : t trum cselum possii suo motu et lumine infe* riora corpora transmutare, Qusestio sexta : Utrum corporù gravia et levia in suis motibus requirant médium, Quxstio septima : Utrum omnc roi-pus naturelle habeat locum naturalem. Quœstio oc lava : Utrum tempus si/ conseillions motum. Qasestio nona: Utrum le ni pus sit numerus motus secundum prias et posterais. Quœstio décima : Utrum motus reperiatur in tribus generihus tantum. Quœstio undecima : Utrum omnis motus sit de contrario in contrarium. Gomme nous l'avons dit en l'article XXI, les deux textes manuscrits que nous avons eus en main sont incomplets; l'un 1 ne contient que les quatre premières questions; l'autre 3 pré- sente, en outre, le commencement de la cinquième question. C'est la quatrième question qui va, un instant, retenir notre attention. Le second article est consacré à l'examen de ce problème qui a préoccupé presque tous les Scolastiques d'Oxford : Que faut-il entendre par vitesse d'un corps animé d'un mouvement de rotation? L'auteur du Traité des six inconvénients énumère les diverses opinions émises avant lui. Il cite, en particulier, l'opinion de Magister Ricardus de Versellis ou de Uselis : La vitesse du rayon d'un cercle ou d'une portion de ce rayon, en une rotation autour du centre, c'est la vitesse du point milieu du segment qui tourne. Mais il ne regarde pas cette opinion comme démontrée par le maître qui la propose; il lui préfère la position prise par Maître Thomas Bradwardine en son Tractatus de proportionibus : La vitesse du corps animé d'un mouvement de rotation, c'est la vitesse du point de ce corps qui se trouve le plus éloigné de Taxe. La solution que l'auteur du Traité des six inconvénients a donnée de ce premier problème contraste avec celle qu'en son i. Bibl. Nat.. fonds latin, ms. n° 6527. 3. Bibl. Nat., fonds latin, ras. n* 6559. 474 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI troisième article, il va donner de cet autre problème : « La vitesse de tout mouvement local uniformément difforme est-elle équivalente à son degré moyen? » Celui qui voudrait saisir la différence extrême qui distingue, à cette époque, la Logique d'Oxford de la Logique de Paris ne pourrait rien trouver de plus propre à son objet que la compa- raison entre ce que le Tractatus de sex inconvenientibus écrit de ce problème et ce que le Tractatus de difformitate qualitatum en a dit. L'argumentation du premier de ces traités n'est qu'un pitoyable entassement de sophismata. Elle prend pour point de départ ce prétendu dilemme 1 : « Si la vitesse de tout mouve- ment local n'est pas équivalente à son degré moyen, elle est équivalente à son degré le plus intense. » Par une accumula- tion d'inconvenieniia, elle rend intenable la seconde position, et elle en conclut que la première est la bonne. Cet auteur donc, venu après Guillaume Heytesbury, n'a fait faire aucun progrès à la démonstration de cette proposition 2 : « En tout mouvement uniformément difforme qui commence au degré zéro et croît sans cesse, l'espace parcouru pendant un certain temps est égal à celui que ferait parcourir, pendant le même temps ou pendant un temps égal, son degré moyen de vitesse. » Bien au contraire ! Les semblants de démonstration des Dubla parisiensia ou de Jean de Dumbleton, pour insuffi- sants qu'ils fussent, offraient aux yeux, toutefois, un reflet de vérité; ce reflet, on le chercherait vainement en l'obscure dialectique du Tractatus de sex inconvenientibus. E. L'opuscule intitulé: A est unum calidum. L'auteur du Traité des six inconvénients avait pu lire le Tractatus de Jîguratione intensionum de maître Nicole Oresme; l'avait-il lu en effet? Si oui, il avait tiré si peu de fruit de cette lecture que rien, en son écrit, n'en garde le souvenir. Mais l'École d'Oxford va nous présenter d'autres ouvrages où i. Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 655g, fol. 38, col. c. 2. Ms. cit., fol. 39, coll. a et h. DOMTTfIQUI BOTO n LA COLASTIQU1 PÀR1SIWH1 kjû l'influence de Nicole Oresme a laissé une marque recon aaissable. En un manuscrit conservé à La Bibliothèque Nationale 1 , un certain Jean a réuni quelques uns des traités les plus célèbi sur les Sophismaia; les Sophismata d'Alberl de Saxe occupenl le début du recueil ; puis \ iennenl les Sophismata de Cl) melon : la copie de ces derniers a été achevée le lundi de La Septua gésime de l'an MCCCLXXXIX1 sic). \. ces copies, probablement faites à Paris, Jean a joint un cahier, venanl sans doute d'Oxford et écrit, comme le d'il la table qu'il a mise à la fin de son œuvre 3 , in littera anglicana veteri; ce cahier contient les trente premiers sophismes d'IIeytesbury ; les deux derniers ont été transcrits par Jean. Or, immédiatement après les Sophismata de Clymeton et avant les Sophismata d'Heytesbury, cette collection nous présente 3 , transcrite de la main de Jean, une suite de vingt- deux sophismes. Aucun nom d'auteur n'est joint à ce traité qui ne porte point de titre; il commence d'emblée par cet énoncé du premier sophisme : « A est unum calidum per totum qaod per horam alterabitnr e gvadu unijormi, et tamen per illam [horam] née alterabitnr nniformiter qnoad tempns nec qnoad partes snbjecti. » Les premiers mots de ce premier sophisme servaient de titre à la collection tout entière, comme en témoigne ce proposa par lequel Jean termine sa transcription: « Explicil iste liber qni intitnlatnr A est nnnm calidnm. Deo gratias. » Ce recueil de sophismes est un parfait modèle du genre de Logique qui était en vogue à l'École d'Oxford; les calculationes les plus chicanières n'y sont que trop fréquentes. Le vingt-deuxième et dernier sophisme est ainsi formulé 5 : « In aliquo instanti, extremo rémission [snbjecti] correspon- dent gradns snmmns caliditatis; et, immédiate ante illnd instans, terminabitnr latitndo caliditatis ad non gradum. » 1. Bibliothèque Nationale, fonds latin, ms. n° i6i34 (ancien fonds Sorbonne, ms. n° 848). 2. Ms. cit., fol. i4G, col. a. 3. Ms. cit., fol. 73, col. b f à fol. 80, col. d. 6. Ms. cit., fol. 80, col. d. 5. Ms. cit., fol. 79, col. d. 476 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI C'est en discutant ce sophisme que l'auteur est amené à formuler la proposition suivante 1 dont la démonstration termi- nera son traité : « Un mobile se meut pendant une heure qui a été divisée en parties proportionnelles, et son mouvement est de telle sorte : Durant toute la première partie proportionnelle, il se meut avec une certaine vitesse; durant la seconde partie pro- portionnelle, il accélère continuellement son mouvement, jusqu'à un degré double, en sorte qu'à la fin de la seconde partie proportionnelle, il atteigne une vitesse double de celle de la première partie; pendant la troisième partie proportion- nelle, il se meut continuellement, d'une manière uniforme, avec ce degré double de vitesse; au commencement de la quatrième partie, il commence à accélérer son mouvement et, pendant cette quatrième partie, il accroît continuellement sa vitesse, d'une manière uniformément difforme, de telle sorte qu'il ait à la fin une vitesse double de celle qu'il avait en la troisième partie, et quadruple de celle qui correspondait à la première partie; durant la cinquième partie proportionnelle, il se meut avec une vitesse uniforme; durant la sixième, il accélère uniformément son mouvement, comme ci-devant, jusqu'à une vitesse double; durant la septième, il se meut uniformément; et ainsi alternativement sans fin. Je dis qu'en l'heure entière, le mobile parcourra un chemin qui est trois fois et deux tiers de fois le chemin parcouru en la première partie proportionnelle. » Nous reconnaissons un des problèmes que Nicole Oresme a résolus en son Tractatus de Jîguratlone intensionum. La solu- tion donnée par le maître d'Oxford est équivalente, cela va sans dire, à celle qu'a donnée le Maître parisien; nous pour- rions dire plus exactement qu'elle lui est, au fond, identique; mais Oresme a fait, pour l'exposer, un très heureux usage de la représentation par coordonnées; le Logicien anglais ne veut pas user de cette figuration géométrique ; il veut que sa déduction conserve une allure purement arithmétique; il \. Ms. cit., fol. 80, col. b, Domimoi i 80T0 ii LA SCOLASTIQUÈ PAKlSIBïfHB /| 7 7 traduit donc en Langage arithmétique le raisonnement de forme géométrique qu'Oresme a donné. Le développement de ce raisonnement exige, 1 > i <- 1 1 entendu, l'évaluation de l'espace qu'un mobile parcourt pendant un certain temps lorsqu'un mouvement uniformément varié l'entraîne; tout ce que nous venons de dire montre assez que cette évaluation était alors familière aux Logiciens d'Oxford; aussi notre auteur se borne t il à la rappeler comme vérité banale : « Ipsa est uniformiter difformis; ergo est xqualis suo grudai medio. » VI. Le Liber calculationum de Riccardus de Ghlymi Eshedi. Venons enfin à celui des écrits, engendrés par la Logique d'Oxford, qui a connu, peut-être, la vogue la plus forte et la plus étendue, à ce livre dont l'auteur, regardé comme le Calculateur par excellence, a perdu son nom véritable de Riccardus de Ghlymi Eshedi pour emprunter, on ne sait comment, celui de Swineshead ou Suiseth. Le traité qui va nous occuper est divisé en chapitres ; dans la rédaction manuscrite que nous avons eue en mains et dans les plus anciennes éditions imprimées, ces chapitres ne portent pas de titres; l'édition donnée à Pavie, en i4q8, par Franciscus Gyrardengus, leur en a attribué; voici la liste, complétée, de ces chapitres: I. De intensione et remissione. — II. De difformibus. — III. De inlensione elementi. — IV. De intensione mixtorum. — V. De aug- mentatione. — VI. De reactione. — VII. De potentia rei. — VIII. De difficultate actionis. — IX. De maximo et minimo. — X. De loco elementi. — XI. De luminosis. — - XII. De actione laminosi. — XIII. De motu locali. — XIV. De medio non resistente. — XV. De medio uniformiter difformi. — XVI. De inductione gradus summi. — XVII. De acquisitione alterationis . La seule lecture de cfette table manifeste l'analogie qui existe entre le plan du traité du Calculateur et ceux de trois ouvrages décrits en ce qui précède : Le Tractatus de primo motore de 47§ ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Swineshead, la Samma de Jean de Dumbleton, enfin le Trac* latus de sex inconvenientibus ; nous sommes en présence de quatre traités de la même famille. La comparaison entre la table des matières du Liber calculationum et celle du Tractatus de primo motore suffirait également à démontrer, à défaut de témoignage direct, que ces deux ouvrages ne sauraient être du même Swineshead; un seul et même auteur n'écrit pas deux ouvrages si semblables par leur objet et si différents par leur composition. Le Liber calculationum nous présente, parvenus à leur plein développement, tous les défauts de l'École d'Oxford; les dis- cussions sophistiques en forment le fond constant; elles ont ravi d'admiration les ergoteurs pour qui la Philosophie n'avait plus d'autre objet que de fournir matière à dispute; en ce livre, ils trouvaient un véritable arsenal de roueries et de chicanes ; livre médiocre et sans originalité, d'ailleurs, où l'on ne saurait découvrir la moindre pensée qui n'ait été maintes fois agitée, retournée, examinée sous toutes ses faces par les docteurs de Paris ou d'Oxford, le Liber calculationum est l'œuvre dune Science sénile et qui commence à radoter; le succès prodigieux que cette œuvre va rencontrer à Paris, la grande vogue dont elle jouira auprès de tout un parti de maîtres italiens, {signalent vraiment la décrépitude de la Scolastique; les Humanistes ne s'y tromperont pas, et lorsqu'ils voudront cribler de traits mortels les universités et ce qu'on y enseigne, ils sauront où viser; les calculationes de Suiseth seront le point vulnérable vers lequel, de préférence, ils dirigeront leur tir. Cependant, les propos ennuyeux qu'un vieillard ressasse peuvent être bons à entendre et précieux à retenir; ils nous transmettent les connaissances acquises au temps où ce vieillard était jeune; ils sont la tradition, sans laquelle aucun progrès ne serait possible ; même en ce Liber calculationum, dont les arguties compliquées les rebutaient, les étudiants de la Renais- sance eussent pu trouver de précieuses vérités, héritage des maîtres nominalistes du xiv° siècle; ils y eussent reconnu, en particulier, les legs de Nicole Oresme. En effet, tout comme la collection de sophismes intitulée : ixmiMni i BOTO 1:1 LA 8C0LÀSTÎQUE PARI 'i7'i t est ii/iiuii calidum, le traité Ia i s<* de Parme, étail à peu près contera porain de Paul de Venise; docteur de l'Université de Pavie en 107/1, '' enseigna l'astrologie à Bologne de latitudes qu'il a caractérisées <'n commençant; nous ne croyons pas utile de l'y suivie. Puis il s'attache à développer des considérations géométriques très simples et à démontrer que la ligne qui joint les milieux de deux cotés d'un triangle est la moitié du troisième côté; que le parallélogramme qui a pour côtés cette ligne et le troisième côté du triangle est équi- valent au triangle; que le triangle détaché du triangle total par cette ligne est le quart du triangle total. » Il formule ensuite huit conclusions, parmi lesquelles nous citerons la troisième: En toute latitude uniformément difforme qui commence a non gradu ou qui se termine ad non gradum, le degré milieu est la moitié du degré le plus intense. Nous citerons également la cinquième conclusion : En toute latitude uniformément difforme, il y a une infinité de parties qui ont même degré moyen. Ces conclusions tendent, en substance, à montrer que le degré milieu n'existe pas toujours en la forme. » De cette règle : La latitude uniformément difforme correspond à son degré moyen, il n'est aucunement question au Tractatus de latitudinibus formarum. C'est sans doute, en lisant le Tractatus de difformitate qualitatum que Biaise de Parme en avait pris connaissance; de cette lecture, d'ailleurs, on doit, semble-t-il, reconnaître la trace en la démonstration géomé- trique qu'il a délayée à l'excès. Nous apprenons, en tout cas, aussi bien par l'enseignement de Biago Pelacani que par l'enseignement de Paolo Nicoletti, que les Universités italiennes, vers l'an i/j20, étaient au courant des doctrines de Nicole Oresme ; en particulier, on y connaissait la loi qui relie, en un mouvement uniformément varié, le chemin parcouru au temps employé à le parcourir. Les hésitations de la discussion de Biaise de Parme semblent marquer déjà l'influence de la Logique d'Oxford; cette même influence a sans doute exercé quelque action sur un auteur qui fut contemporain de Pelacani, sur Jacques de Forli. Giacomo délia Torre, né à Forli, et nommé, dans les écrits latins du xv e siècle, Jacobus de Forlivio 1 , est médecin à 1. Il ne faut pas confondre l'auteur dont nous parlons avec Jacques de Forli qui enseignait la philosophie à Bologne en 13/47. 486 ÉTUDES SUR LÉONARD DR VINCI Padoue en 1^02; il quitte quelque temps cette ville, puis y revient en 1407 1 ; en 1^09 et i4n, il enseigne la médecine à l'Université; le i5 mai M09 il est, avec Biaise de Parm», au nombre des examinateurs devant lesquels Prosdocimo de' Beldomandi subit les épreuves de la maîtrise es arts 2 ; le i5 avril i^n, il est un des juges qui -confèrent le doctorat en médecine au même Prosdocimo 3 ; il meurt à Padoue le 12 février d'une année qui, commençant à Pâques, portait alors le millésime de i4i3 et qui doit, aujourd'hui, être désignée comme l'année i4i4- Jacques de Forli a composé un traité intitulé De intensione et remissione formarum ; l'objet de ce traité était de discuter et de combattre les doctrines que Walter Burley avait soutenues en un écrit de même titre; aussi le livre de Walter Burley et le livre de Jacques de Forli ont-ils été imprimés ensemble, à Venise, en i/igô^. Pour réfuter les opinions de Burley, Jacques de Forli use 5 de tout ce qui avait été dit, en la seconde moitié du xiv e siècle, sur la latitude des formes, sur les degrés de cette latitude, sur l'uniformité et la difformité des qualités; bon nombre de théories, chères aux physiciens de Paris, sont invoquées par lui; ainsi, touchant la coexistence du chaud et du froid en chaque point d'un sujet inégalement chauffé, il admet, ce que ne fait pas Paul de Venise, l'opinion de Jean Buridan qui avait si vivement séduit Marsile d'Inghen. De la qualité uniformément difforme, Jacques de Forli donne la définition suivante: « Qualitas uniformiter difformis est Ma cujus, quibuscunque partibus duobus datis sequalibus, per tantam distantiam excedit extremum intensius in una extremum remissius ejusdem, per quantam in alia extremum intensius excedit 1 . Antonio Favaro, Intorno alla vita ed aile opère di Prosdocimo de' Beldomandi (Bulletino di Bibliograjia e di Sloria délie Scienze matematiche e fisiche, t. XII, 1879, pp. 27-28). 2. Antonio Favaro, Op. laud., p. 22. 3. Antonio Favaro, Op. laud., p. 23. h. Cette édition a été décrite au § XII. 5. Nous n'avons pu consulter l'ouvrage de Jacques de Forli ; ce que nous en disons est extrait des Perscrutation.es physicœ de Louis Coroncl; nous avons eu mainte occa- sion de contrôler l'exactitude parfaite des informations de cet auteur. DOllIIflQUl BOTO Wt i\ scoi.a^iidm: PAUfllIlflfl /187 extremum remissius ipsius. » Plus olaire que la définition proposée par Biaise de Parme, elle lui est, au Fond, identique. Jacques de Forli veut que cette latitude uniformément difforme soit aussi intense que I» 1 degré le plus Intense qu'elle contienne ou qui lui serve de terme; «exactement, remarque Louis Coronel 1 , comme Hentisber tient, en son traité du mouvement local, qu'un mobile se meut avec la même vite que son point le plus rapidement mû ». Le parti auquel se range Jacques de Forli, c'est, comme nous l'avons vu en l'ar- ticle précédent, celui que Swineshead tenait en son De primo motore. Selon l'observation fort juste de Louis Coronel, ce parti tire sa principale force de cette proposition : La vitesse d'un corps animé d'un mouvement de rotation, c'est la vitesse du point de ce corps qui se meut le plus rapidement. Nous avons vu que cette proposition, formulée par Bradwardine, avait ravi l'adhésion non seulement de toute l'École d'Oxford, mais encore d'Albert de Saxe. L'influence d'Oxford ne paraît pas s'être exercée seulement sur Jacques de Forli en le pressant d'adhérer à telle ou telle opinion particulière; elle semble lui avoir inspiré, par une action plus générale, un goût immodéré pour les calcu- lât iones. Jacques de Forli était médecin, et il a beaucoup écrit sur la médecine. On a de lui un commentaire 2 des passages où les Canons d'A.vicenne traitent d'embryologie. Mais trois ouvrages ont surtout rendu célèbre le nom de Giacomo délia Torre parmi les médecins, et cela jusqu'au milieu du xvr siècle. Ces trois ouvrages sont: un commentaire, suivi de questions, sur les Aphorismes d'Hippocrate 3 ; un commentaire, suivi de ques- 1. Physicae perscrutationes magistri Ludovici Coronel Hispani Segoviensis; lib.III, cap.: De difformibus. Éd. Parrhisiis, i5ii, fol. LXVI, col. a. 2. Jacobi de Forlivio Expositio in Avicennse capitulum de generationê embrii ac de extensione graduum formationis fœtus in utero. Hain, dans son Repertorium bibliogra- phicum, cite, de cet ouvrage, deux éditions incunables, l'une donnée à Pavie en 1/179, l'autre à Bologne en i485. 3. Jacobi de Forlivio Expositio in aphorismos Hippocratis. Le Repertorium bibliogra- phicurn de Hain cite, comme antérieures à i5oo, une édition sans aucune indication typographique; deux éditions, sans indication de lieu ni d'imprimeur, datées l'une de 1473 et l'autre de 1/477; P u * s ^ es éditions données à Pavie en i485, à Venise en iigo et 1 A95. Celle que nous avons consultée porte le titre suivant : Super aphorismos, 488 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI tions, sur le traité de Galien intitulé Mapoil^vY] 1 ; enfin un commentaire et des questions sur le premier livre du Canon d'Avicenne 2 . Ces traités médicaux, il est difficile de ne les point juger comme le faisait Louis Vives, et le jugement qu'il en portait est fort dur : « II faut voir, écrivait-il au sujet de la décadence de la Médecine 3 , les chicanes et les complications introduites par Jacques de Forli; elles ne sont ni moins épineuses ni moins inutiles que les discussions de Suicet; elles ne le cèdent à celles-ci ni pour la prolixité ni pour l'ennui. » Les cavillationes, les tricœ dont se plaint Louis Vives sont encore, aux Questions sur les aphorismes d'Hippocrate, con- tenues en de certaines limites ; elles débordent dans les écrits que Jacques de Forli consacre à Galien; là, les calculationes qui avaient si étrangement envahi et corrompu la Logique, la Physique et la Théologie de l'École d'Oxford commencent à s'emparer de la Médecine italienne. Il nous suffit d'ouvrir YExposition du Mutpoféx VY î de Galien pour y lire des raison- nements tels que celui-ci ^ : « Supposons que Sortes passe de A, qui est le degré extrême de sa santé, à G, qui est le degré extrême de la maladie la Iacobi Foroliviensis In Hippocratis aphorismos, et Galeni super eisdem commentarios expositio et quaesliones quamendatissimae. Additis Marsilii de Sancta Sophia interpreta- tionibus in eos aphorismos, qui a lacobo expositi non fuerant. Venetiis apud Iuntas MDXLVII. i. Jacobi de Forlivio Super I, II et III tegni Galeni. Outre une édition qui ne porte aucune indication typographique, et qui fut sans doute donnée à Padoueou à Venise, le Repertorium bibliographicum mentionne trois autres éditions incunables : Venetiis, 1/170; Paduae, 1^175 ; Papiae, 1687. L'édition que nous avons lue est la suivante: Iacobi Foroliviensis Medici Singularis expositio, et quaestiones in artem medicinalem Galeni quae vulgo techni appellatur quamemendatissime (sic). Venetiis apud Iuntas MDXLVII. 3. Jacobi de Forlivio Expositio in primum librum Canonis Avicennœ. Hain énumère les éditions incunables suivantes : édition sans indication typographique donnée à Milan; édition sans date donnée à Pavie; Venise, 1^79; Pavie, i£88; sans indication de lieu, i&g5; Venise, i/igô. Voici le titre de celle que nous avons consultée : Iacobi Foroliviensis Medici Singularis expositio et quaestiones in primum canonem Avicennae adjecta Iacobi de partibus in Vil et VIII cap. Doct. ij. Fen. iij. expositione, ac Ugonis qusestione, de malitia complexionis diversœ. Venetiis apud Iuntas MDXLVII. 3. Joannis Ludovici Vivis De causis corruptarum artium liber V us . Dejphilosophia naturae, medicina et artibus corruptis. De medicina (Io. Ludovici Vivis Opéra, Basileae, MDLV, p. Zn5). 4. Iacobi Foroliviensis Expositio super libros techni Galeni, lib. I, text. 6; éd. cit., fol. 6, col. d. DOMINIQUE 80TO R LA SCOLÀSTIQUB PARIfiIBNIf] ^89 plus proche, le degré <'<|ui distant des deux extrêmes A et C. Il est évident qu'avant d'atteindre l>, Sortes atteindra I « t disposition moyenne entre A et B; il est également évident «pie le degré B une \n\> acquis, il acquerra, avant d'atteindre C, la disposition moyenne entre \\ et C... » Voilà bien l'appareil de fausse rigueur, le langage inuti- lement grimé en style mathématique qui rendent insuppor table la lecture de Swineshead ou de Dumbleton, d'IIeytesbury ou du Calculateur. Les calculationes ne pourraient s'introduire dans le domaine de la Médecine si les notions propres à cette science n'étaient supposées mesurables, si l'on ne prétendait les exprimer en nombres, si l'on n'attribuait à la santé et à la maladie des latitudes divisibles en degrés; Jacques de Forli leur en attribue donc : « Voici évidemment 1 comment procède l'ordre selon lequel les corps doivent être placés en la latitude de la santé; au premier ordre, se place le corps toujours sain; au second ordre, le corps sain la plupart du temps; au troisième, le corps qui est, la plupart du temps, à l'état neutre ; au quatrième, le corps qui est toujours à l'état neutre; au cinquième, celui qui est malade la plupart du temps; au sixième, le corps toujours malade. » La santé et la maladie sont donc douées d'une latitude qui peut atteindre divers degrés, comme le sont les autres qualités, le chaud et le froid, le sec et l'humide; le raison- nement arithmétique a prise sur celles-là comme il a prise sur celles-ci; aussi le voit-on s'introduire en mainte question composée sur le MtxpoTs}çvTj de Galien, sur le Canon d'Avicenne. Ce que, par l'emploi des latitudes, les physiciens de Paris ou d'Oxford ont dit des qualités peut aussi s'étendre à la santé et à la maladie; c'est ce qui amène Jacques de Forli, en une de ses Questions sur le Canon d'Avicenne, à rappeler 2 une 1. Iacobi Foroliviensis Quœstiones super libros techni Galeni; liber I, quaestio XI; éd. cit., fol. 91, col. a. — Cf. quaest. XII; éd. cit., fol. 92, col. a. 2. Iacobi Foroliviensis Quxstiones saper duas primas f en primi canonis Abi halyabin sceni, quaest. VI; éd. cit., fol. 190, col. d. ftgO ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI théorie célèbre de Buridan : En un corps inégalement échauffé, le degré le plus intense de chaleur coexiste avec le plus faible degré de froid, le degré moyen de chaleur avec le degré moyen de froid. Cette théorie, il l'applique à la Physiologie en une de ses Questions sur Galien, ce qui l'amène à citer son propre traité De intensione formarum : « Les membres qui sont immédiatement contigus, » écrit-il 1 , « peuvent donc réagir les uns sur les autres d'une manière positive suivant les qualités contraires; pour recevoir, à ce sujet, un enseignement plus complet, voyez mon Traité de Vintensité des formes, où j'ai touché de la manière probable de sauver la réaction à l'aide de qualités douées d'intensité. » Louis Vives accuse Jacques de Forli d'avoir, le premier, introduit en Médecine ces discussions épineuses analogues aux calculationes d'Oxford 2 . Il semble que ce reproche ne soit pas tout à fait juste. Avant Giacomo délia Torre, les médecins italiens avaient accoutumé de raisonner sur la latitude de la santé et de la maladie; le médecin de Forli n'a fait, sans doute, qu'exagérer la fausse rigueur de ses prédécesseurs et que singer plus complètement la forme du raisonnement mathématique. Le propre témoignage de Jacques de Forli i. Iacobi Foroliviensis Quœstiones in librum techni Galeni; lib. II, quaest. XXXIII; éd. cit., fol. i ^a, col. c. 2. Parfois, les opinions de Jacques de Forli prêtent à certains rapprochements avec les doctrines qui avaient cours à Oxford; ainsi en est- il des opinions qu'il professe touchant l'horreur du vide: «Le vide ne produit pas d'attraction, si ce n'est dans ce sens... qu'une certaine attraction se produit afin d'empêcher le vide. On pourra argumenter en sens contraire et dire que cette attraction, dont l'effet est positif, doit être UDe certaine qualité positive; et comme elle n'est pas une qualité élémentaire manifeste, elle doit être un principe occulte ou une propriété occulte qu'il faut nommer forme ou vertu spécifique. A cet argument, nous répondrons que tout principe occulte ou toute propriété odculte ne doit pas être nommé forme ou vertu spécifique, car la forme spécifique, telle qu'on l'entend communément, concerne un agent déterminé et un patient déterminé; mais il n'en est pas ainsi de l'attraction qui se produit afin d'empêcher le vide; en effet, elle convient indiffé- remment à tout corps; bien qu'à cette attraction concoure un principe occulte qu'une vertu céleste a naturellement imprimé à tout être, principe par lequel la nature de cet être est porté à sauver la continuité des parties de l'Univers, car, par cette continuité, est sauvé l'ordre universel des corps qui constituent l'Univers, ce principe, toutefois, ne mérite pas proprement le nom de forme spécifique. » (Jacobi Foroliviensis Expositio super duas primas fen primi canonis Avicennx; Gan. 1, fcn. I, doct. VI; éd. cit., fol. G3, col. a). — C'est exactement la doctrine que Dum- bleton expose en sa Summa. DOMI!fIQtTE SOTO BT LA COl.\ nm i i-\ui il nm f\<)\ nous peul renseigner à cet égard. Ici 1 , il nous apprend que Les « anciens Polonais » distinguaient, pour les disposition naturelles, une distance de latitude el nue distance de nature : « par la première, ils entendaient la distance affectée de degrés dont nous avons parlé ci-dessus, et par la seconde, la distance en perfection». Là \ nous voyons des COnsidé rations de même nature attribuées « à Gentilis et aux Padouans ». Jacques de Forli cite fréquemment l'École de Padoue et, d'une manière incessante, les opinions de Gentilis. Un certain Gcntile de Foligno était médecin de Jean XXII; un autre Gentile de Foligno, qui était peut être fils du précédent, et qui exerça la médecine à Padoue, mourut à Pérouse le 12 juin i348; c'est de ce dernier que le nom revient si souvent sous la plume de Jacques de Forli. Ce Gentile de Foligno écrivit abondamment sur les choses de la médecine et ses écrits demeurèrent longtemps célèbres 3 . On a de lui une Exposition du second livre du canon d'Avicenne, une Exposition, composée en i3^6, de la première fen du quatrième livre du canon d'Avicenne, un écrit Sur le cinquième livre de ce canon, un traité De majoritate morbi qui est daté de 1 344? un Traité sur les proportions selon lesquelles il faut mélanger les médecines, un Traité des bains, un livre Sur les usages de l'eau du bain de Porretta. Il semble que ce fécond écrivain ait été, au moins pour une part, l'introducteur, en Tétude de la médecine, de ces discussions subtiles auxquelles s'est complu Jacques de Forli. Toutefois, les arguties de Gen- tilis sont infiniment moins compliquées que celles de Giacomo délia Torre et, surtout, elles ne se parent aucunement de la forme mathématique; le goût des calculationes n'avait pas encore passé d'Oxford en Italie. Si les cavillationes et les iricœ auxquelles se complaît Giacomo délia Torre nous semblent souvent mériter les i. lacobi Foroliviensis Quœstiones in librum techni Galeni; lib. I, quaest. XII; éd. cit., fol. 92, col. a. 2. lacobi Foroliviensis Op. laud., lib. I, quaest. XVI; éd. cit., fol. g5, col. a. 3. Le Repertorium bibliographicum de Hain énumère les multiples éditions incunables de ces écrits. [\Ç)2 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI sarcasmes dont les accablaient les humanistes et dont Louis Vives s'est armé à leur égard, il s'en faut bien qu'elles aient, à ce point, paru inutiles et fastidieuses aux médecins italiens du xv e siècle; elles plurent singulièrement, au contraire, à bon nombre d'entre eux; les opinions auxquelles cet auteur avait donné son adhésion se trouvaient souvent, dans la suite, embrassées par la foule des médecins, « tota medicorum caterva, » selon le mot de Louis Coronel 1 . C'est, sans doute, parmi ces médecins, admirateurs de Jacques de Forli, qu'il nous faut ranger Jean de Casai (Johannes de Casali), dont nous ne connaissons rien, sinon une Quœstio subtilis de velocitate motu alterationis qui fut imprimée en i5o5 2 avec le traité De latitudinibus formarum attribué à Oresme, les Quxstiones composées sur le même sujet par Biaise de Parme, et le Tractatus de sex inconvenien- tibus. En dépit des méprisantes critiques de Vives, la faveur avec laquelle les médecins italiens accueillirent les calculationes de Jacques de Forli procédait d'un désir très légitime; ces médecins souhaitaient ardemment de mettre, en leurs discussions, la précision et la rigueur des raisonnements mathématiques; la tentative par laquelle ils se sont efforcés d'y parvenir était assurément prématurée; elle le serait encore aujourd'hui pour la plupart des sujets qu'ils débattaient; du moins, peut-on leur savoir gré d'avoir clairement aperçu cette vérité : toute partie de la Science de la Nature accomplit un progrès consi- dérable au moment où elle devient apte à revêtir la forme mathématique; leur seul tort est d'avoir cru toute proche et tout aisée la réalisation d'un idéal qui nous semble, même aujourd'hui, immensément éloigné. i. Ludovici Coronel Op. laud., lib. III, cap. : De compossibilitate qualitatum ; éd. cit., fol. LX, col. c. 3. Cette édition a été décrite au $ XIX. DOMINIQUE SOTO BT LA SCOLASTIQU1 I'AIUmi.wi. ^(jZ \\\ Gomment les doctiunes de l'école d'Oxi'oiu) se sont répandus |.\ i talib. Si les tendances d'Oxford ont déjà, peut être, sollicité Jacques de Forli, les doctrines de la grande Université anglaise semblent avoir attendu un peu plus longtemps avant d'entrer de plain-pied dans la Science italienne; leur triomphe se marqua bientôt par la vogue extraordinaire des divers traités dus à Guillaume Heytesbury. Vers le milieu du xv e siècle et dans les années qui remplis- sent la seconde moitié de ce siècle, un grand nombre de philosophes et de médecins s'attachent à commenter les divers ouvrages du chancelier d'Oxford; malheureusement, la vie de la plupart de ces commentateurs nous est à peu près ou tout à fait inconnue. C'est ainsi que nous ne savons rien d'un certain Messino qui avait entrepris de commenter le traité De tribus prœdica- mentis inséré par Heytesbury en ses Regulœ solvendi sophismata. Messino mourut sans avoir achevé son commentaire ; il le laissa interrompu au milieu du chapitre consacré au mouve- ment d'altération; Gaétan de Tiène y mit une fin; le traité de Messino, ainsi complété, fut imprimé, en 1I19I1 1 , dans la collection des œuvres d'Hentisberus. Gaëtan de Tiène qui a terminé le traité que Messino n'avait pu achever, fut, des Universités italiennes, vers le milieu du xv c siècle, l'un des maîtres les plus réputés. Né à Vicence d'une famille illustre, Gaëtan fut, à Padoue, élève de Paul de Venise; il enseigna longtemps avec éclat en' cette même ville de Padoue, où il mourut en i465. Fière du lustre qu'il avait jeté sur elle, la famille de Tiène donna souvent, par la suite, à ceux qui naissaient d'elle, le prénom de Gaëtan; i. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., Venetiis, i4ç)4; fol. 6a, col. c, à fol. 62, col. d. — Cette édition a été décrite au paragraphe XX. &94 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI aussi un autre Gaëtan de Tiène naquit-il en i48o; après avoir fondé l'ordre de Théatins, celui-ci mourut en i547 ; il eut l'honneur de la canonisation. Le philosophe Gaëtan de Tiène a consacré une bonne part de son inlassable activité à commenter les divers traités de Guillaume Heytesbury. Non content d'avoir donné une fin à l'opuscule De tribus prœdicamentis qu'avait écrit Messino, Gaëtan a composé, sous le nom de Recollectae, une œuvre étendue où il commente de très près, et souvent phrase par phrase, les Regulx solvendi sophismata du Dialecticien anglais ; ce commentaire a été imprimé avec les Regulœ, en 1/49/1, dans la collection des œuvres de Guillaume Heytesbury 1 . Gaëtan de Tiène a également commenté, sophisme par sophisme, les Sophismata d'Hentisberus. Imprimé une première fois à Venise en 1^83, ce commentaire, joint à l'œuvre qu'il se proposait d'éclaircir, fut joint, en ihgh, à l'édition des traités d'Heytesbury 2 . Cette édition nous fait connaître, en outre, un certain nombre d'autres commentaires que les écrits du Logicien d'Oxford ont fait éclore en l'Italie du xv e siècle. Nous y voyons 3 , par exemple, qu'un certain Simon de Lendinara (de Lendenaria) a, comme Gaëtan de Tiène, com- menté, article par article, les trente-deux Sophismata du Maître. Nous y lisons également^ un traité Da mouvement local, composé par un nommé Ange de Fossombrone (Angélus Forsemproniensis) à propos de ce qu'Hentisberus a écrit sur le même sujet. Ce traité d'Ange de Fossombrone avait déjà été imprimé 5 ; i. Tractatus Gulielmi Ilentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 7, col. b, à fol. 02, col. b. 2. Tractatus Gulielmi Ilentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 81, col. b, à fol. 170, col d. 3. Tractatus Gulielmi Ilentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 171, col. a, à fol. i83, col. c. li. Tractatus Gulielmi Ilentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 64, col. a, à fol. 73, col. a. 5. Angeli de Fossambruno Tractatus de velocitate motus. Colopbon: Finis secundi tractatus de vellocitate motus augmentationis secundum angelum de fosambruno... s. 1. a et typ. nom. (Pavia, Hieronymus de Durantibus,circa 1 485) (Hain, Repertorium bibliographicum, n* 7309). D0MIWIQ1 i ' ET LA 8COLÀS1 niiiis, comme nous L'apprend la seconde édition 1 , cette pre mière édition ajoutait, au ir;iii< ; du mouvement local, un second traité sm- le mouvemenl d'augmentation qui avait été purement cl simplement emprunté à l'ouvrage de Messino. I ii médecin de Florence, morl en l'an r5oo, Bernard Torni ou Tornio, ayant lu ce traité d'Ange <1<* Fossombrone, > découvrit des assertions qui lui semblèrent erronées; afin de corriger ces défauts, il composa, à son tour, [nnotata sur le traite De motu locali d'Heytesbury; en ces Annotata, il ne se contentait pas de discuter les dires d'Ange de Fossom- brone, mais aussi ceux de Jacques de Forli; bien que déjà anciennes, les assertions de ce dernier étaient encore objets d'activés controverses, car Bernard Torni nous parle des discussions qu'il eut, à leur sujet, avec Jean-Pierre Apollinaire de Arculis 2 et le célèbre Jean Marliano, que nous retrouverons dans un instant. Les Annotata de Bernard Torni furent, tout d'abord, impri- més à Pise 3 , en i484, en même temps qu'un écrit d'un autre florentin, François Raphaël, intitulé : Verificatio universalis in régulas Aristotelis de motu; le traité de François Pvaphaèl était une discussion de la Dynamique qu'Aristote propose au VII e livre des Physiques. Les Annotata de Bernard Torni furent imprimés une seconde fois, en i/jg4, dans la collection des œuvres d'Hentisberus-'. Bien que spécialement consacrés au commentaire des écrits i. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., fol. 73, col. b. 2. C'est sans doute ce même Apollinaire qui eut, avec Pierre de Mantoue, une controverse touchant l'instant initial et l'état final, et composa, à ce sujet, un écrit daté du 2 décembre il\oo [Illustris philosophi et medici Apolinaris Ojjredi Cremonensis de primo et ultimo instanti in defensionem communis opinionis adversus Petrum Mantuanum. Imprimé à Colle, en 1^78, par Maître Bonus Gallus, et, peut-être à Pavie, en 1482, par un typographe inconnu (Hain, Repertorium bibliographicum, n° 12000, et T. de Marinis, catalogue de Manuscrits, autographes, incunables et livres rares, Florence, 191 1, n" 295 et 296.)! 3. Verificatio universalis in Régulas Aristotelis de motu non recedens a communi malhematicorum doctrina; prœced. : Auctoris Raphaelis Francisci Florentini ad Cas- parem Elephantucium Patricium Rononiensem scripta epistola — Bernardi ïornij Florentini Medici ac Philosophi in Capitulum de Motu Locali Hentisberi quedam annotata incipiunt. — Colophon : Finis quorundam dictorum supra capitulo de motu locali Hentisberi cum quibusdam conclusionibus per Bernardum Tornium Florentinum pisis impressa anno domini Mcccclxxxiiij. k- Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 73, col. c, à fol. 77, col. c. 496 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI d'Heytesbury, les divers traités que nous venons de citer ont, pour la plupart, éprouvé non seulement l'influence du Chan- celier d'Oxford, mais aussi celle du Calculateur; la vogue de celui-ci, en effet, suivit de près la vogue de celui-là; Gaétan de Tiène qui a si grandement contribué à répandre, dans les Universités italiennes, l'étude d'Hentisberus, paraît avoir introduit, en ces Universités, le traité de ce Calculateur que l'on allait confondre avec Swineshead. « Pênes qixtd habeant intensio et remissio qualitatis attendi? En fonction de quoi faut-il déterminer l'intensité ou la rémission d'une qualité? » C'est par l'examen de cette question que Riccardus de Ghlymi Eshedi inaugurait son traité. Un des chapitres de ce traité avait pour objet l'étude de la réaction des qualités contraires les unes sur les autres, du chaud sur le froid, du sec sur l'humide. Les opinions admises par le Calculateur touchant l'intensité et la rémission d'une part, touchant la réaction, d'autre part, eurent le don d'attirer, avec une singulière force, l'attention des philosophes italiens. Gaétan de Tiène avait écrit un traité De intensione et remis- sione Jormarum 1 , à la fin duquel il abordait également le problème de la réaction entre qualités contraires; il ne paraît pas qu'au moment où il rédigea ce traité, il eût connaissance de l'ouvrage du Calculateur, car il n'y fait aucune allusion; toute son argumentation vise le traité de même titre composé par Jacques de Forli. Gaétan remarque, au cours de cette argumentation, que Giacomo Fosinfronte a subi l'influence de l'École d'Oxford ; le médecin de Forli ayant soutenu, touchant réchauffement des corps, une opinion compliquée, « c'est, dit Gaétan 2 , une objection anglaise, — sed hœc oppositio est brilannica. » Pierre Pomponace, d'ailleurs, discutant plus tard certaines opinions de Jacques de Forli, fait également remarquer 3 qu'elles s'iden- 1. Nous avons décrit, au S XX, les deux éditions qui sont venues à notre connais^ sance, de ce traité et du traité De reactione. 2. Gaietani de Thienis Tractatus de intensione et remissione formarum ; cap. III; éd. i523, fol. 86, coll. c et d. 3. Pétri Pomponatii Mantuani Tractatus de reactione; sectio 1, cap. II; fol. 21, col. c de l'édition de i525 qui sera décrite plus loin. DOMINIQUE SOTO B1 i\ COLA I i"i I PARI H 4q7 tificnt avec celles que le Calculateur soutenait sur le même sujet. Quelque temps après avoir donné son Tractatus de intérim sione et remissione formaruni) Gaëtan a> croire que ceux ci eussent délaie les autres chapitres éci ils pur Le môme auteur et, spécialement, celui où il traitait du mouvement local. A ce chapitre, il est vrai, non plus qu'au reste du livre composé par Kiccardus de Ghlymi Bshedi, on ne trouve aucune allusion dans le traité De {films prxdicamcnlis qu'a écrit Messino ; il est permis de penser que celui-ci n'a pas eu connaissance du Calculateur. Gaétan de Tiène avait déjà lu cet auteur lorsqu'il commenta les Regulx d'IIeytesbury; en exposant, en effet, le traité inti- tulé : De incipit et desinit, il invoque x une opinion du Calculateur touchant l'intensité des formes; lorsqu'il traite du mouvement d'augmentation et de diminution, il fait connaître 2 certaine opinion du Chancelier d'Oxford et ajoute : « Il faut remarquer que le Calculateur est d'une opinion contraire... Il argumente d'un grand nombre de manières contre l'opinion de Tisberus. » Toutefois, en ce que Gaétan dit du mouvement local, nous ne reconnaissons rien qui soit emprunté à Ricardus de Ghlymi Eshedi. Jean Marliano s'est grandement intéressé au chapitre consa- cré par le Calculateur à l'étude du mouvement local. Il en a tiré parti en l'opuscule où il s'est occupé de la relation, objet constant des recherches des mécaniciens de ce temps, entre la puissance qui meut un mobile, la résistance qui le retient et la vitesse du mouvement pris par ce mobile ; imprimé à Pavie en i482 3 , cet opuscule fut ensuite reproduit dans la collection des écrits de Marliano. Cette collection ren- ferme, d'ailleurs, une autre pièce où le Médecin milanais t. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composilo et diviso..., éd. Venetiis, i^, fol. 29, col. b. 2. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 5a, col. b. 3. IohannisMarliani sua etate philosophorum et medicorum principis et ducalis physici primi de Proportione motuum in velocitate questio subtilisima incipit... Colophon : Impressum Papiœ per Damianum de comphalonerii de binascho. Die 16 Decembris anni M. 482. Amen. — Cette pièce est intitulée : Questio de proportionibus en la collection des œuvres de Jean Marliano. 500 ETUDES SUR LÉONARD DE VÎNCÎ s'attache à prouver une proposition que le Calculateur avait avancée en son chapitre De motu locali. Le nom du Calculateur, pas plus, du reste, qu'aucun autre nom, ne figure au traité De motu locali composé par Ange de Fossombrone; mais cet auteur formule 1 toute une suite de règles sur les changements qu'éprouve la vitesse d'un mobile lorsqu'on fait varier soit la puissance, soit la résistance; ces règles sont précisément celles auxquelles Riccardus de Ghlymi Eshedi avait consacré, dans son ouvrage, le chapitre du mouvement local. Bernard Torni, dans son opuscule De motu locali, cite à plu- sieurs reprises 2 le Calculateur; d'ailleurs, pas plus que Gaëtan de Tiène ni que Jean Marliano, il n'adjoint à ce surnom le nom de Suiseth. Nous trouvons, au contraire, ce nom et ce surnom unis ensemble en un écrit d'un averroïste célèbre, professeur illustre de l'Université de Padoue, Alessandro Achillini de Bologne (i A63-i5i 2). Cet écrit, intitulé De dislributionibus ac de propor- tione motuum, fut imprimé à Bologne, par Benedictus Hectoris, en i^h ; sous ce titre : De proportionibus motuum y il fut compris dans les éditions des Alexandri Achillini Opéra que Hieronymus Scotus donna à Venise en i545, i55i et i568 3 . En cette étude sur la relation qui lie la vitesse du mobile aux grandeurs de la puissance et de la résistance, Achillini cite à plusieurs reprises * le Calculateur; mais en une circonstance 5 , il le nomme Suiset le Calculateur ; en cette circonstance, il l'associe à Nicole Oresme et fait de tous deux des maîtres soumis à l'influence de Thomas Bradwardine. Très érudit, Achillini joint encore à ces noms ceux de Tisberus 6 (Heytesbury) et de Marliano 7 . 1. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., éd. Venetiis, 1 4g4 T fol. Gg, col. c, à fol. 70, col. d. 2. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., éd. cit., fol. 73, col. d, et fol. 76, col. a. 3. L'édition de ces mêmes Opéra donnée à Venise, sans nom d'éditeur, en i5o8, ne contient pas l'opuscule De proportionibus motuum. 4- Alexandri Achillini Bononiensis philosophi celeberrimi Opéra omnia in unum collecta... Venetijs apud Hieronymum Scotum MDXLV; fol. 190, col. c; fol. 191» col. a; fol. 193, col. b; fol. ig5, col. b. 5. Alessandro Achillini, ibid., fol. i85, col. c. 6. Alessandro Achillini, ibid., fol. 192, col. d. 7. Alessandro Achillini, ibid., fol. 192, col. c. dominkmje soin i;r i.\ BC0LA8TIQUI PARISIIKIfl DOl \cliillini, nous venons de le dire, a prononcé Le nom de Nicole Oresme; mois il n'a \ is<- que le Traité de$ proportionê composé par cet auteur. Bernard Torni, lui, connaît l<- traité De difformitate qualilatum, encore qu'il le désigne sout le titre inexact de Sophismata. A la lin iu (ocali, il écrit 1 : « Ces joins ci, comme je me trouvais en vacances, il me souvint d'une certaine conclusion que Nicole Oresme a démontrée dans ses Sophismata et qu'il dit être étonnante. La conclusion est belle, dirai-je, mais la démonstration en est extrêmement belle. » La conclusion, ou plutôt les deux conclusions de Nicole Oresme qui excitent à ce point l'admiration de Bernard Torni, ce sont celles que nous avons résumées en l'article XVIII; une heure a été divisée en parties proportionnelles de raison ~ ; pendant chacune de ces parties, un mobile se meut de mouve- ment uniforme ou bien, alternativement, de mouvement uni- forme et de mouvement uniformément accéléré; d'une partie à la suivante, la vitesse de ce mouvement croît suivant une certaine loi ; Oresme évalue le chemin qu'en l'heure entière, le mobile a décrit. Bernard Torni reprend les démonstrations de ces deux conclusions et il les modifie afin de leur donner une forme purement arithmétique, exempte de tout emploi des coordon- nées; il résout, en outre, par une méthode semblable, deux problèmes analogues : l'un où l'heure est divisée en parties proportionnelles de raison |-, l'autre où elle est divisée en parties proportionnelles de raison |-. « Sur le fondement qu'Oresme a établi, disait Bernard Torni, je ferai reposer quelques conclusions nouvelles, et je démontrerai les siennes par un autre moyen; mais j'estime que le principe est, à lui seul, plus de la moitié de l'œuvre; aussi, plutôt que de penser que tout est sorti de moi, j'aimerais mieux que vous crussiez que tout est venu de lui. » Cette modestie seyait d'autant mieux à Bernard Torni qu'il n'était pas le premier à mettre sous forme purement arithmé- i. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., éd. Venetiis, i^gA ; fol. 76, col. d. 502 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI tique les démonstrations de Nicole Oresme; cette tâche, le Calculateur l'avait accomplie pour le premier problème, et, pour le second, on la voyait menée à bien dans l'opuscule intitulé : A est unum calidum. Or Bernard Torni qui, comme tous ses contemporains, avait étudié le premier ouvrage, avait aussi lu le second; en son traité De motu locali, il citait 1 : « Illixd sophisma : A est unum calidum. » Par l'exemple de Bernard Torni, nous voyons à quel point les Italiens, durant la seconde moitié du Quattrocento, étaient curieux de tous les écrits parisiens ou anglais où l'on traitait de la latitude des formes; nous allons rechercher maintenant ce qu'ils avaient recueilli parmi les idées fécondes que ces écrits renfermaient. Bien que certains d'entre eux, comme Bernard Torni, connussent le traité De diffbrmitate qualitatum composé par Nicole Oresme, nous ne voyons pas qu'aucun d'eux eût, dans ses raisonnements, suivi la méthode géométrique inaugurée par ce traité. Comme les maîtres d'Oxford, les Italiens condui- sent toujours leur argumentation par une voie purement arithmétique qui ne requiert l'emploi d'aucune figure. Parfois, cependant, les auteurs de traités ou, tout au moins, les copistes ou les imprimeurs qui, au xv e siècle, ont reproduit ces traités tracent, à côté de la déduction arithmétique, la figure qui permettrait de la reprendre selon la méthode d'Oresme; cette figure devient ainsi une véritable illustration qui, sans être indispensable à l'intelligence du texte, fait collaborer l'imagination à cette intelligence. Les illustrations de ce genre abondent en l'édition qui fut donnée à Venise, en i4ç)4, du commentaire composé par Gaétan de Tiène aux Regulse de Heytesbury; elles sont adjointes non seulement aux éclaircissements rédigés par Gaétan, mais encore au texte même de Heytesbury, dont les manuscrits originaux ne contenaient assurément aucune figure. Un exemple nous montrera quelle sorte de relation était établie entre l'argumentation et l'illustration. i. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composite» etdiviso,.., éd. cit., fol. 76,001.3. DOMINIQUE BOTO R LÀ BGOI I ihut. PAUSIBRH] En ses Régulée, au traité De tribus prœdicamentis, Heytesbur) s'était exprimé en ces termes ■ : » Quant à L'espace qui doit rire parcouru par un mobile qui acquiert uniformément une Latitude de mouvement commen çant à zéro et aboutissant à un certain degré fini, on a dit plus haut que tout ce mouvement et que toute cette acquisition correspond à son degré moyen. » Gaëtan de Tiène ajoute: « Le Maître dit ici que l'on peut, à L'aide de ce qui précède, prouver et rendre évidente la règle suivante : Soit un mobile qui se meut d'un mouvement de plus en plus intense et uniformément difforme, depuis le degré zéro jusqu'à un certain degré; il parcourt le même chemin que si, pendant le même temps, il avait été mû uniformément, d'un mouvement égal au degré moyen de cette latitude uniformé- ment difforme qui commence à zéro et finit au degré qui la doit terminer. Cette règle, le Maître ne la prouve pas, mais il dit qu'elle peut être prouvée, et cela est vrai; je le démontre ainsi : Le degré moyen entre o et k est égal à 2, comme on l'a prouvé ci-dessus ; ajoute maintenant tous les degrés qui surpassent 2 aux autres parties qui n'atteignent pas 2 et tu auras 2. » Ce raisonnement ou, plutôt, ce semblant de raisonnement ne fait appel à aucune figure ; l'imprimeur, cependant, place immédiatement au-dessous le dessin que voici : Nous reconnaissons, en ce croquis, celui qu'il convient de tracer lorsque l'on veut déduire le raisonnement d'Oresme; et, en fait, ce que Gaëtan a dit est bien une sorte de résumé, grossièrement esquissé, de l'argumentation de Nicole Oresme. Fig. 2. Sans être des instruments de rai- sonnement, de telles figures parlent aux yeux et les contrai- gnent de seconder le travail de l'intelligence. L'usage en devint 1. Tractatus Gulielmi Hentiberi de sensu composite) et diviso..., éd. cit., fol. 4o, col. d, 5o4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI fréquent en Italie ; ainsi abondent-elles au traité De motu locali d'Ange de Fossombrone ; ainsi voyons-nous Achillini en user au quatrième Quodlibet 1 de son traité De intelligentiis , au troisième livre 2 de son traité De elementis. La remarque que nous venons de faire justifie, croyons-nous, cette première assertion : Sans échapper entièrement à l'influence parisienne, les logiciens italiens qui étudiaient la latitude des formes ont surtout suivi la méthode d'Oxford. Ajoutons, d'ailleurs, qu'ils Font suivie avec beaucoup plus d'ordre et de clarté que les maîtres anglais. Que faut-il entendre par vitesse, à chaque instant, en un mouvement non uniforme? Précisant une vague indication de Heytesbury 3 , Messino tente 4 de répondre à cette question; Ange de Fossombrone reprend 5 , d'une manière plus explicite et plus claire, ce que Messino avait dit. Reproduisons donc ici ce que contiennent d'essentiel les remarques d'Ange de Fossombrone : u En un mouvement qui, constamment, est difforme, la vitesse ne doit pas être évaluée par l'espace que le mobile parcourt pendant tout le temps que dure ce mouvement; mais à chacun des instants du temps qui mesure ce mouvement, le mobile se meut avec telle ou telle vitesse. La vitesse d'un tel mobile [à un certain instant] doit être évaluée au moyen de l'espace qu'il parcourrait en tant de temps si, pendant ce temps, il se mouvait uniformément avec le même degré qu'en cet instant. » On constate, sans étonnement d'ailleurs, que nos logiciens n'entrevoyaient aucunement l'idée de définir la vitesse instan- tanée comme la dérivée du chemin parcouru par rapport au temps employé à le parcourir; une telle pensée était encore bien éloignée de leur raison. En l'étude de la vitesse du mouvement local, le De primo i. Alexandri Achillini Opéra, Venetiis, 1 5^5 ; fol. 21, col. a. 2. lbid., fol. i32, col. b. 3. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., Venetiis, 1 4q4 ; fol. 38, col. d. 4. Ibid., fol. 54, col. a. 5. Ibid., fol. 06, col. c, à fol. G7, col. a. DOMINIQUE BOTO BT LA BGOLA8TIQU1 PAJUSIM 5û5 motore de Swineshead introduisait 1 cinq Latitudes diitinctei qu'il dénommait ainsi : Latitudo moins localti; Latitudo velocitatis latitudinis primée; Laliludo tarditatis ejusdem; Latitudo acquisitionis latitudinis moins localls; Latitudo deperdilionis ejusdem latitudinis. Nous avons dit * comment ces deux dernières latitudes nous paraissaient devoir correspondre à l'accélération «positive et à l'accélération négative, et nous avons entendu définir plus clairement ces accélérations par William Heytesbury. En son commentaire au traité De tribus prœdicamenlis de Guillaume Heytesbury, Gaétan de Tiène distingue 3 , comme le Chancelier d'Oxford, deux latitudes qu'il nomme latitudo motus et latitudo intensionis motus; en ce qu'il dit de la première, nous reconnaissons sans peine la vitesse instan- tanée; de la seconde, il arrive moins aisément à donner une définition précise ; mais que la notion d'accélération soit celle qu'il a en vue, nous n'en doutons guère lorsque nous l'entendons déclarer qu'en un mouvement uniformément difforme, Yintensio motus est uniforme; ou bien encore lorsque nous lui entendons dire : « Latitudo motus attenditur pênes spatium tanquam pênes ejfectum; latitudo intensionis motus attenditur pênes latitudinem motus partibiliter acquisitam. » Il résulte, en effet, de cette dernière formule que la latitudo intensionis motus est à la latitudo motus ce que celle-ci est à l'espace parcouru; en d'autres termes, que la latitudo inten- sionis motus est la vitesse de la vitesse. Gaétan de Tiène reprend, d'ailleurs, un peu plus loin 4 ces considérations sur la latitudo motus et la latitudo intensionis motus; il s'attache à démontrer ces deux conclusions : En un mouvement où la latitudo intensionis motus est uni- i. Bibliothèque Nationale, fonds latin, manuscrit n° 16621, fol. 7/4, v°. 2. Voir $ XXIII. 3. Tractatus Gulielmi Hentisberi de Sensu composito et di\iso..., éd. cit., fol. 43, coll. a et b. 4. Ibid., fol. 44, coll. c et d. 5o6 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI forme, la latitudo motus et, partant, le mouvement lui-même sont uniformément difformes. En un mouvement où la latitudo intensionis motus est unifor- mément difforme, la latitudo motus et le mouvement sont difformément difformes. Plus nettement que Gaëtan de Tiène, Messino précise 1 la distinction qu'il faut établir entre la latitudo motus et la latitudo intensionis motus; de plus, il donne la première comme syno- nyme de la vitesse (velocitas motus) et la seconde comme synonyme de l'accélération (velocitatio motus); écoutons-le : « De même que tout ce qui se meut, se meut d'une manière uniforme ou d'une manière difforme, ainsi tout mobile qui accélère (intendit) son mouvement l'accélère d'une manière uniforme ou d'une manière difforme. Il [Heytesbury] définit 2 donc ce que c'est qu'accélérer uniformément un mouvement; il dit qu'un mobile accélère uniformément un mouvement lorsque, en toute partie égale du temps, il acquiert une égale latitude de mouvement ou de vitesse; de même qu'il a été dit précédemment qu'un mobile se meut uniformément s'il parcourt un espace égal en toute partie égale du temps. Dans le cas qui nous occupe, on traite de Yintensio motus de telle sorte que Yintensio se comporte à l'égard du mouvement ou de la latitude du mouvement exactement comme le mou- vement ou la latitude du mouvement se comporte à l'égard de l'espace réel. » Aussi faut-il remarquer que Yintensio motus ne se nomme pas vitesse du mouvement (veloeitas motus) mais bien accélé- ration ou acquisition du mouvement (velocitatio^ vel acquisitio motus)... Lorsqu'une telle acquisition existe, on dit que le mouvement croît en intensité, car il est alors de plus en plus rapide (velocior et velocior), en sorte qu'il s'accélère (velocitatur). C'est pourquoi on distingue entre la vitesse d'un mouvement (velocitas motus) et l'accélération (velocitatio) de ce même i. Ibid., fol. 54, coll. a et b. 2. En réalité, on ne retrouve, dans le traité d'Heytesbury, aucune des précisions que Messino lui prête si heureusement. 3. En cet endroit, l'imprimeur, par une erreur qui saute aux yeux, a mis velocitas pour velocitatio; le mot velocitatio est correctement employé un peu plus bas. DOMINIQUE son» i.r LA 8COLA8TIQUB PARISIENS! ^07 mouvement. Gomme je l'ai prouvé ailleurs, la vitesse d'un mouvement peui être constamment de plus eu plus grande lundis (juc L'accélération en est de plus en plus petite. » La distinction entre la latitudo moins et la latitudo intensionis moins est reprise avec une grande netteté ' par Ange de I sombrone eu son traité De motu locali; traduisons ici quelques passages de ce traité : « Pour comprendre ce qui va suivre, il faut savoir que le mouvement (motus) diffère de Yintensio motus,... et que la vitesse du mouvement (velocllas motus) diffère également de la velocitas intensionis motus. Le mouvement et Yintensio motus diffèrent, car, parfois, il y a mouvement sans qu'il y ait intensio motus; c'est ce qui a lieu au mouvement uniforme, où le mou- vement ne devient nullement plus intense. De même la vitesse du mouvement et la velocitas intensionis motus sont différentes; on voit, en effet, que là où il y a vitesse du mouvement, il peut ne pas y avoir de velocitas intensionis motus; ainsi en est-il dans le mouvement uniforme, où le mouvement ne croît nullement en intensité. » Elles diffèrent encore pour une autre raison qui est celle-ci : L'effet de la vitesse du mouvement est l'espace qui a été par- couru ; mais l'effet de la velocitas intensionis motus est la latitudo motus qui a été acquise... » Remarquons à ce propos qu'un mobile est dit se mouvoir de mouvement local uniforme lorsque, toutes choses égales d'ailleurs, en des parties égales de temps, il parcourt des espaces égaux; de même on dit qu'il se meut avec un motus intensionis uniforme ou qu'il s'accélère (intenditur) uniformé- ment lorsqu'en des parties égales et quelconques du temps pendant lequel dure le mouvement, il acquiert des latitudes égales de mouvement... » Inversement, on dit que Yintensio motus est difforme ou que le mouvement s'accélère (intenditur) d'une manière difforme, s'il acquiert, en des temps égaux, des latitudes de mouvement inégales... )) Dès lors, il nous faut imaginer que la latitudo motus uni- 1. Jbid,, fol. G7, coll. c et d, 5o8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI formément difforme correspond à la latitudo intensionis motus uniforme et inversement; il y a là, en effet, latitude uniforme de Yinlensio et latitude uniformément difforme du mouvement » . Nous sommes désormais autorisé par les maîtres italiens eux-mêmes à substituer les mots : mouvement uniformément accéléré,, aux mots: mouvement uniformément difforme. Ces maîtres, que savaient-ils de la loi qui, en un mouve- ment uniformément accéléré, relie le chemin parcouru par le mobile au temps employé à le parcourir? Cette loi, elle était, nous l'avons vu, regardée comme vérité acquise par Paul Nicoletti de Venise; nous ne serons point étonnés de voir que ses successeurs la connaissent et en admettent l'exactitude. Élève de Paul de Venise, Gaétan de Tiène avait dû être, de bonne heure, instruit de cette règle; nous avons vu comment, au commentaire des Regulœ d'Heytesbury, il en esquissait une démonstration qui semblait inspirée de Nicole Oresme; mais il l'invoquait déjà en un écrit qui semble être de ses premiers, en son Commentaire à la Physique d'Aristote 1 ; il y repoussait un mode de définition proposé pour une qualité, « parce que la latitude uniformément difforme ne correspondrait pas à son degré moyen ». Messino admet 2 également l'exactitude de cette règle. « La seule raison, dit-il 3 , pour laquelle on affirme qu'une latitude uniformément difforme correspond à son degré moyen, c'est celle-ci : Son degré moyen lui est équivalent en ce qui concerne le chemin parcouru... Il n'est pas nécessaire de donner ici la démonstration de ce principe, car je l'ai suffisamment prouvé au second doute principal de la première conclusion. » La démonstration à laquelle Messino nous renvoie n'est guère qu'une assez obscure paraphrase 4 du raisonnement de Guil- laume Heytesbury. i. Recollecte Gaietani super octo libros physicorum cum annolationibus textuum. Colo- phon : Impressum est hoc opus Venetiis per Bonetum Locatellum iussu et expensis nobilis viri domini Octaviani Scoti civis Modoetiensis. Anno salutis 1^96. Nonissexti- libus. Augustino Barbadico Serenissimo Venetiarum Duce. Lib. Vil, text. commenti 3a, fol. A3, col. d. 2. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., Venetiis, 1A94; fol. 54, col. a; fol. 55, col. c. 3. Ibid., fol. 54, col. c. k. Ibid., fol. 53, coll. b et c. DOMiMiM B SOTO N iv 9C0LASTIQt7fl PAR] n 5oq Ange de Fossombrone écrit 1 : «C'est an principe communément reçu en cette matière que toute Latitude de mouvemenl uniformément difforme, soit qu'elle commence à zéro pour se terminer à un certain degré, soit qu'elle se trouve acquise uniformément ou perdue unifor mément, correspond à son degré moyen... o Par là, voici ce qu'il faut effectivement comprendre: Le mobile ainsi mû parcourt autant de chemin qu'il en serait parcouru par le même mobile ou par un autre s'il se mouvait, pendant le môme temps, d'un mouvement uniforme ayant pour degré le degré moyen du premier. » Ange de Fossombrone ne tente aucune démonstration de ce a commune principium in Ma matériel». De ce qui précède, écrit Bernard Torni 2 à Mariano Romano, à qui son traité est dédié, « vous déduirez facilement que toute latitude de mouvement uniformément difforme correspond d'une manière effective à son degré moyen; toujours, en effet, le mobile qui se meut sous une semblable latitude, se mouvra, en la seconde demi-heure, d'un mouvement qui surpasse le degré moyen; il se mouvra d'un mouvement uniformément difforme dont ce degré moyen pourra être dit son degré zéro ; il se mouvra ainsi jusqu'à un degré qui excédera le degré moyen autant que celui-ci surpasse le degré initial du mouve- ment qui a été accompli en la première demi-heure. Mais toutes ces choses sont communément reçues et vous sont très connues ». 11 est clair que Bernard Torni veut ici résumer en langage ordinaire la démonstration de Nicole Oresme, qu'il avait lue. Grâce à Nicole Oresme, à Guillaume Heytesbury et au Cal* culateur, les maîtres italiens connaissent tous, au milieu du Quattrocento, les lois du mouvement uniformément accéléré ou uniformément retardé ; mais il ne semble pas qu'aucun d'entre eux ait eu l'idée d'admettre que la chute des corps fût uniformément accélérée ni, partant, la pensée de lui appliquer ces lois. i. Ibid., fol. 68, col. a. a. Ibid., fol. 75, col. d. 5 10 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Léonard de Vinci, au contraire, a su et affirmé que la chute des graves était un mouvement uniformément accéléré; mais, par contre, il n'a pas songé à rechercher en ce mouvement les propriétés, si connues au temps où il vivait, de la latitude uniformément difforme. XXVI Léonard de Vinci et les lois de la chute des graves. Léonard de Vinci vivait en un temps où l'étude du mouve- ment local était, dans les écoles et parmi les doctes, un sujet classique de discussion; passionné pour la Mécanique, il ne pouvait pas ne pas prendre, à cette discussion, le plus vif intérêt; et il l'a pris, en effet, car nous voyons qu'il a lu presque tous les traités où l'on recherchait les lois des divers mouvements, presque tous les livres dont nous avons eu à parler en cet écrit. Feuilletons ses notes, en effet, et relevons les noms des auteurs dont il a consulté ou dont il cherche à se procurer les ouvrages. Voici d'abord 1 une liste de a livres de Venise»; nous y lisons : « Albertuccio et Marliano, De calcalalione. » Albert, De Cselo et Mundo. » Ce dernier livre, un de ceux qui ont le plus souvent inspiré Léonard, ce sont, nous l'avons amplement prouvé 2 , les Quœs- tiones subtillssiinx in libros de Cselo et Mundo composées par Albert de Saxe. Quant aux deux traités De calculatione dont la mention pré- cède celle du De Cselo et Mundo, ce sont le Tractatus propor^ tlonum d'Albert de Saxe, surnommé Albertutius, et, vraisem- i. Les manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson Mollien; ms. F de la Bibliothèque de l'Institut, verso de la couverture. 2. Études sur Léonard de Vinci, ceux qu'il a lus et ceux qui l'ont lu, l : Albert de Saxe et Léonard de Vinci. bOMIMQI i BÔfO m i\ ÔCOLA8TIQUB i'Uiimi.v \i. 5 1 I blablementj In Qasestio sublilissima de proportione motuum in velocitute oette partie. Pour qu'une semblable méthode pût oonduire ;» un résultat < v \;tH, il eût fallu faire croître indéfiniment le nombre des divisions prati quées en la (luire de chute, en même temps que chacune crelles se fût indéfiniment raccourcie, et effectuer an passage à la limite. Ce raisonnement infinitésimal ne semble aucune- ment s'être présenté à L'esprit du Vinci. Il professa donc constamment qu'en des parties de temps égales et qui se suivent depuis le début de la chute, un grave parcourt des chemins qui croissent comme les nombres entiers i, 2, 3, 4. Il pouvait lire, cependant, dans le Traité du mouvement local de Guillaume Ileytesbury la proposition suivante': a Lorsque l'accélération (intensio) d'un mouvement est uniforme et que ce mouvement part du degré zéro pour aboutir à un certain degré, le chemin parcouru pendant la première moitié du temps est précisément le tiers de celui qui est parcouru pen- dant la seconde moitié. » Cette proposition, Gaétan de Tiène avait développé 2 le calcul qui la justifie. Messino 3 , Ange de Fossombrone^ 1 et Bernard Torni 5 avaient, à l'envi, reproduit et commenté le théorème d'Heytesbury. Il suffisait de répéter indéfiniment le raisonnement dont ils avaient fait usage pour prouver que les chemins parcourus par un grave, en des temps successifs et égaux, sont entre eux comme les nombres impairs 1, 3, 5, 7... Ces vérités, les livres que Léonard lisait les criaient pour ainsi dire à ses oreilles. Il ne les a pas entendues. Ainsi que tous les auteurs dont nous avons lu les écrits en cette étude, Léonard parle toujours, comme de deux grandeurs distinctes, du mouvement, que les Scolastiques nommaient motus et qu'il nomme moto, et de la vitesse, que le Latin des premiers appelait velocitas et que l'Italien du second appelle velocità; toujours aussi, comme les Scolastiques, il admet 1. Tractatus Gulielmi Hentisberi de sensu composito et diviso..., Venetiis, i4g4, fol. &o, col. d. 3. Ibid., fol. tu, col. a. 3. Ibid., fol. 55, coll. a et b. U. Ibid., fol. 68, col. d. 5. Ibid., fol. 75, col. d. P. DUHEM. 33 5l4 ETUDES SUR LEONARD DE VINCI implicitement que, pour un mobile donné, ces deux quantités sont proportionnelles entre elles, en sorte que les mêmes lois régissent l'une et l'autre; on doit penser que le mouvement est le produit de la vitesse par la quantité de matière du mobile; c'est la relation que, déjà, Buridan semblait admettre 1 entre Yimpetus et la velocitas ; c'est celle que, plus tard, Galilée gardera entre Yimpeto ou moto et la velocità, que Descartes maintiendra entre la quantité de mouvement et la vitesse. Cette remarque éclairera les textes du Vinci que nous allons rappor- ter; elle permettra au lecteur de reconnaître en ces textes, sans aucune peine, les opinions que nous avons prêtées à leur auteur. Le premier des textes que nous allons citer 2 est précédé de ces mots : « A lieu dans l'air d'uniforme épaisseur, » c'est-à-dire d'uniforme densité; Léonard n'avait donc pas imaginé ce que nul, semble-t-il, n'a conçu avant Descartes, Beckman et Galilée, savoir que dans le vide seul, la chute des graves serait uniformément accélérée. Voici donc, réunis ensemble, les divers passages où Léonard a formulé tes lois de la chute des graves : « A lieu dans l'air d'uniforme épaisseur. » La gravité qui descend, à chaque degré de temps acquiert un degré de mouvement de plus 12345678 ij'j* ' * que le degré du temps passe, et O O o O o de môme un degré de vitesse de , plus que le degré de mouvement passé. Donc à chaque quantité doublée de temps, la longueur ° de la descente est doublée, ainsi O • que la vitesse du mouvement. q )> Ici se montre (fig. 3) comment telle proportion qu'a une quan- tité de temps avec une autre, telle aura une quantité de mou- vement avec l'autre, et une quantité de vitesse avec l'autre.» i. Jean I Buridan (de Béthune) et Léonard de Vinci, IV : La Dynamique de Jean Buridan. 2. Les manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Gh. Ravaisson Mollien; ras. M. de la Bibliothèque de l'Institut, fol. 44, verso. DOMINIQUE soin ii i.\ BGOtASTtQUH PAMSISlfHI « Preuve 1 iii toutes pyramidales, attendu qu'elles commencent à rien et \<>ni crois- sant par degrés Saxe, don! il reproduit presque textuel- lement certaines questions. En particulier, maître Jean llennon admet pleinement la Dynamique professée par Jean Buridan et par Albert de Saxe. A la fin de la Physique, par exemple, il examine 1 cette diffi- culté : Par quoi sont mus les projectiles? Après avoir exposé et discuté l'opinion péripatéticienne qui attribue à l'air ébranlé la continuation du mouvement de ces corps, il poursuit en ces termes : « Une seconde opinion dit que cette première explication est fausse. Cette seconde opinion est celle-ci : Celui qui lance le projectile lui imprime un impetus ou une vertu impulsive qui a son siège en ce projectile; à cet impetus font opposition la gravité du mobile et la résistance du milieu; le projectile se meut donc continuellement jusqu'à ce que cet impetus soit corrompu. » Et en effet, comme le dit cette opinion, il semble impos- sible que le sabot, la meule du forgeron ou tout autre mobile animé d'un mouvement de rotation sur place soit mû par l'air qui l'entoure ; il semble impossible que la flèche ou la lourde pierre que lance une machine de guerre puisse être mue par l'air aussi vivement qu'elle est mue, ni qu'elle puisse être soutenue si longtemps en Pair, si ce n'est par un tel impetus. » Jean Hennon n'ignore pas, d'ailleurs, qu'en se rangeant à cette opinion, il va directement à l'encontre de la doctrine d'Aristote. « Quoique cette opinion soit probable, dit-il, elle est simplement et manifestement contraire au Philosophe et i. Magistri Johannis Hennon Op. laud.; Physicorum lib. VIII, quaest. III: Quaeritur utrum primus motor qui simpliciter est immobilis et nullam babet magnitudinem, sit infinitae virtutis. Difïicultas secunda : A quo moventur projecta post recessum a primo motore projiciente? Ms. cit., fol. i46, coll. b et c. 532 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI fausse selon lui. » Il n'en réfute pas moins les objections que les Péripatéticiens avaient coutume d'élever contre la théorie de Yimpetus. L'exposition du De Cœlo amène notre auteur à rechercher 1 pourquoi le mouvement naturel est plus rapide à la fin qu'au commencement. Après avoir formulé et rejeté toutes les autres explications de l'accélération en la chute des graves, il pour- suit en ces termes : a Ils disent donc que ce qui cause la plus grande vitesse prise vers la fin par le mouvement naturel, c'est Yimpetus qui se trouve acquis au sein même du mobile ; en sorte que, par son mouvement, le grave gagne une certaine pesanteur acci- dentelle qui vient en aide à la pesanteur essentielle et naturelle, afin de mouvoir plus vite ce grave; il en est semblablement de la légèreté. En effet, par le fait même que le corps se meut plus longtemps, il acquiert un impetus plus grand et, par conséquent, il se meut continuellement plus vite, à moins qu'il n'en soit empêché par une résistance qui croisse plus fortement que Yimpetus acquis par le mobile. Un tel impetus est une qualité de la deuxième espèce; la forme substantielle du mobile, par l'intermédiaire du mouvement, engendre cette qualité; cette qualité se corrompt par l'absence de ce qui l'a engendrée, c'est-à-dire du mouvement. » Ces deux citations nous montrent qu'au xv e siècle, le scotiste Jean Hennon garde les principes essentiels de la Dynamique formulée, au xvi e siècle, par l'École nominaliste parisienne. Mais de ce que cette École et, en particulier, Nicole Oresme avaient enseigné touchant la latitude des formes, nous ne trouvons pas trace au traité de Philosophie que nous analysons; peut-être les problèmes sur l'unifor- mément difforme étaient-ils regardés comme trop compliqués pour qu'il en fût fait mention en un ouvrage aussi élémentaire. Les Commentarii in libros Philosophiœ naturalis et Meta- physicœ Aristotelis, publiés par Pierre Tataret, et dont la i. Johannis Hennon Op. laud., De Cœlo et Mundo lib. II, dubium III: Utrum omnis motus naturalis sit velocior in fine quam in principio. Ms. cit., fol. iG/j, coll. a, b et c. D0MINIQ1 i BOTO 1:1 i\ BCOLA nQUI 9 IRI8IEU 11 première édition parut «mi i'iu'iv procèdent exactement ù les calculationes y Imitées d'Heytes- bury, de Suiseth et coll. b, c et d. 520* ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCÏ uniforme et égale à 4. A la fin, le corps tout entier est chaud au degré 4; or, autant il a acquis de chaleur en une moitié, autant il en a perdu en l'autre; la chaleur d'un tel corps équivalait donc à f\... » De même, lorsque nos maîtres déposent entre les mains du chancelier, au sujet des candidats à la licence, des notes qui ne sont pas uniformes, il les faut réduire à l'uniformité; une moitié des notes assignerait à Sortes le premier rang; l'autre moitié lui donnerait le troisième rang; il y a alors autant de raison pour qu'il occupe le premier rang que le troisième; on le réduit au second rang. » Jean Majoris devait être habile vulgarisateur; à des étudiants en Théologie, probablement peu soucieux de Géométrie, il sait présenter sous forme concrète la substance du raisonne- ment de Nicole Oresme. Parmi les objections dressées contre la règle qu'il vient de formuler, Jean Majoris rencontre celle-ci : La vitesse d'une roue, c'est la vitesse du point qui se meut le plus vite. Tel était, nous le savons, l'enseignement de Bradwardine, d'Albert de Saxe, d'Heytesbury. Cet enseignement, notre théologien le repousse pour s'en tenir à l'antique opinion du Liber de proportionalitate motuum et magnitudinum : « La meule du forgeron, » dit-il, « se meut avec la même vitesse que le point qui se trouve au milieu de la longueur du rayon de la circonférence; et il en est de même de tout corps entre les diverses parties duquel le mouvement est réparti d'une manière uniformément difforme. » Les problèmes théologiques ne prêtaient guère à débattre longuement les propriétés des latitudes uniformes et difformes; Maître Jean Majoris en devait discourir plus à plein lorsqu'il traitait de la Physique; ce qu'il en disait, nous le saurons sans doute à fort peu près en lisant les écrits de ses disciples. L'un de ses élèves les plus marquants paraît avoir été Jean Dullaert de Gand qui, comme son maître et en même temps que son maître, régenta à Montaigu. Là, Jean Dullaert aimait à développer les calculationes de Suiseth, au grand ennui de l'élève Louis Vives. * hoMINinl I. -nln il |\ .,|\ llnll l> WU -II.VM. . r >27 Que L'argumentation de Jean Dullaert soit souvent fasti dieu se, on L'accorde volontiers à Vives Lorsqu'on lii l Questions sur la Physique (PAristote que Le maître gantoi publiées en i5ô6 x . Ces questions, cependant, \<>ni nous apporter de précieux renseignements au sujet des Leçons qui se donnaient, à Montaigu, sur Les latitudes des formes. Pour commenter ce qu'Aristote, au troisième livre des Physiques, dit du mouvcmenl, Dullaert déclare 2 « qu'il faut examiner diverses questions. Il faut examiner, tout d'abord, si le mouvement est une entité successive réellement distincte de toute chose permanente; il faut chercher, en second lieu, par rapport à quoi doit être évaluée la vitesse du mouvement local; en troisième lieu, par rapport à quoi doit être évaluée la vitesse du mouvement d'augmentation ; en quatrième lieu, par rapport à quoi doit être évaluée la vitesse du mouvement d'altération ». Laissons de côté la première question qui n'a pas trait à notre sujet. Les trois dernières vont constituer un Tractatus de tribus prœdicamentis , un traité de la vitesse dans les trois sortes de mouvements que reconnaît la Physique péripatéti- cienne. Si nous ajoutons que ce traité est précédé 3 d'une introduction mathématique sur les rapports et proportions, nous aurons suffisamment annoncé qu'il va être construit sur le même plan que le Tractatus proportionum d'Albert de Saxe. Des divers chapitres qui composent le petit traité de Méca- nique écrit par Albertutius, un seul n'a point ici son analo- gue ; c'est le premier, celui qui étudie la relation du mouve- ment avec les causes qui le produisent; Dullaert réserve l'examen de cette question pour le commentaire au VIP livre de la Physique. Si l'influence du Tractatus proportionum d'Albert de Saxe i. Johannis Dullaert questiones in libros phisicorum Aristotelis. Colophon : Hic finera accipiunt questiones phisicales Magistri iohannis dullaert de gandavo quas edidit in cursu artium regentando parisius in collegio montisacuti impensis honesti viri Oliverii senant solertia vero ac caracteribus Nicolai depratis viri hujus artis impres- sorie solertissimi prout caractères indicant anno domini millésime- quingentesimo sexto vigesima tertia martii. 2. Johannis Dullaert Op. laud., lib. III, quaest. I, fol. sign. fj, col. c. 3. Johannis Dullaert Op. laud., loc. cit., fol. sign. gj, col. c. 5a8 ETUDES SUR LÉONARD DE VINCI est bien reconnaissable en la rédaction de notre Philosophe gantois, une autre influence y a, plus profondément encore, imprimé sa marque ; c'est celle du Tractatus de tribus prœdi- camentis de Guillaume Heytesbury; le nom d'Hentisberus, d'ailleurs, apparaît souvent dans les discussions menées par Jean Dullaert 1 et, parfois, il apparaît tout auprès de celui d'Al- bertus de Saxonia 2 . C'est l'influence d'Heytesbury, c'est celle du Calculateur, dont le nom est également prononcé 3 , qui ont introduit, en l'argumentation du Régent de Montaigu, d'inces- sants sophismata ; dressés à titre d'objections contre chacune des opinions entre lesquelles il y a lieu de choisir, ces sophismes et les solutions qui en sont données mettent, en l'examen de la moindre question, une inextricable confusion; ce sont fagots d'épines qui entravent l'esprit désireux de courir à la rencontre de la vérité. Dullaert examine d'abord les problèmes relatifs à la distri- bution du mouvement au sein du sujet. Pour lui, comme pour Albert de Saxe, cet examen se réduit à l'étude du mou- vement de translation et à l'étude du mouvement de rotation. Pour définir la vitesse du mouvement de rotation, il refuse de se mettre du parti auquel Jean Majoris s'était rallié; reve- nant à l'opinion de Thomas Bradwardine et d'Albert de Saxe, il veut que cette vitesse soit celle du point qui se meut le plus vite parmi ceux qui appartiennent au mobile, « C'est, » dit-il 4 , « l'opinion d'Hentisber, et presque tous les calculateurs la suivent comme subtile. » Elle a surtout donné à Heytesbury l'occasion d'inventer et de résoudre de puérils sophismata que notre Gantois se délecte à reproduire. Il est plus heureusement inspiré lorsqu'il emprunte 5 à Albert de Saxe la distinction entre la vitesse des parties du mobile dans le mouvement de rotation et la vitesse angulaire de rotation. Ce qui mérite le mieux de retenir notre attention, dans le i. Johannis Dullaert Op. laud., loc. cit., fol. sign. giij, col. b et c; fol. sign. iiij, col. d; fol. suiv., col. a. a. Johannis Dullaert Op. laud., loc. cit., fol. sign. giij, col. a. 3. Johannis Dullaert Op. laud., loc. cit., fol. sign. iiij, col. d. li. Johannis Dullaert Op. laud., loc. cit., fol. sign. giij, col. c. 5. Johannis Dullaert Op. laud., loc. cit., fol. précédant le fol. sign. hj, col b. DOMINIQUE soin i:i LA BC0LASTIQU1 PARISIBMfl Tractatus ;h- rapport au temps. Pour représenter les diverses sortes ;uis, sous ce titre : Sequitur glosa, il discute Les opinions diverses e! formule celle ii être évaluée la vitesse en chacun de ces trois mouvements. L'analogie «!«' cette quatrième partie avec le Traité des proportions d'Alberl de Saxe es1 visible et, d'ailleurs, avouée par l'auteur. « L'étroitesse du temps, » écrit-il eu la terminant 1 , « me presse d'avancer avec rapidité; je ne m'attarderai donc pas plus longtemps en l'étude de la vitesse. Que ceux qui voudraient être informés plus à plain de cette matière voient ce qu'Ilentisberus et le Calculateur ont écrit sur le mouvement local, et ce qu'Albert de Saxe en a dit dans le petit livre Des proportions. » Ce passage nous apprend, à la fois, de quels auteurs Louis Coronel s'est inspiré, et quelle forme résumée il a donnée aux chapitres suggérés par eux. Les principales sources auxquelles il puise sont, en effet, celles qu'il vient de nommer : Le Tractatus proportionum d'Albert de Saxe, le Tractatus de tribus prœdicamentis de Guillaume Heytesbury, enfin le traité du Calculateur. Il a lu également, et cite volontiers, la Summa philosophie de Paul de Venise et le De intensione et remissione formarum de Jacques de Forli. Enfin, il a sûrement étudié les commentateurs italiens d'Heytesbury; il cite 2 une opinion émise « par Gaétan en son commentaire au traité du maximum et du minimum d'Hen- tisberus » ; et nous avons vu qu'il emprunte à Bernard Torni un théorème de Nicole Oresme. La documentation de Louis Coronel est donc identique à celle d'Alvarès Thomé et de Jean de Celaya; la doctrine qu'il en extrait est aussi toute semblable à celle qu'ils en avaient tirée; mais il ne lui accorde pas l'ample développement que ses collègues de Coqueret et de Sainte-Barbe lui avaient donné. De cette doctrine, le Bégent de Montaigu se borne à formuler les propositions qui lui semblent les plus importantes. Sur quelques problèmes de Nicole Oresme et de Bernard i. Ludovici Coronel Op. laud., lib. III, pars IV; éd. i5ii, fol. lxxx, col. b. a. Ludovici Coronel Op. laud., lib. II, pars III; éd. i5ii, fol. xl, col. a. 554 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Torni, Alvarès Thomé avait greffé une théorie mathématique assez étendue, ébauche de la théorie des séries; Jean de Celaya allait reproduire en entier cette théorie. Louis Coronel ne reprend ni les quatre problèmes exposés par Bernard Torni ni même les deux premiers, qui sont d'Oresme; il se borne à résoudre le premier de ces problèmes. En traitant de difformibus, Coronel énonce ' la règle par laquelle une qualité uniformément difforme correspond à son degré moyen; cette règle, il n'en produit aucune démons tration; il se borne à détruire une interprétation erronée que le Calculateur en avait donnée. Cette règle, il l'invoque encore pour réduire à l'uniformité une vitesse distribuée d'une manière uniformément difforme, soit au sein du sujet, soit au cours du temps; ce qu'il dit de cette réduction se termine en ces termes 2 : « Si l'un de ces deux mobiles ou tous deux se meuvent d'une manière uniformément difforme, ou bien encore si la vitesse est difformément difforme, la difformité devra être réduite à l'uniformité selon son degré moyen, et l'on dira que le mobile se meut d'une manière difforme avec ce degré de mou- vement. Presque tout ce qui a été dit des qualités difformes peut s'appliquer au mouvement difforme ; aussi n'insisté-je pas davantage sur ces considérations. Que l'on consulte les règles données par Heytesbury dans le Tractatus de motu locali; elles sont assez bonnes et faciles. Quant à celui qui désire user son temps en pure perte, qu'il voie les règles de Suiset; car, pour moi, je juge inutile d'insister plus longuement sur ces questions. » Le désir d'être bref n'a pas seul, semble-t-il, dicté ce propos; on y devine une grande lassitude de ces minutieuses chicanes auxquelles se complaisait le Calculateur. Cette lassitude, que les Humanistes portaient jusqu'au dégoût le plus profond, on en ressentait les premières atteintes, nous le savons 3 , jusqu'en 1. Ludovici Coronel Op. laud., lib. II F, pars II; éd. i5ii. fol. lxix, col. a. 2. Ludovici Coronel Op. laud., lib. III, pars IV; éd. i5n, fol. lxxix. col. b. 3. La tradition de Jean Baridanet la Science italienne au XVI" siècle, IV : La décadence de la Scolastique parisienne après la mort de Léonard de Vinci. Les attaques de l'Humanisme. Didier Érasme et Louis Vives. DOMINIQUE BOTO BT LA SC0LA8TIQUE PARISIEN*! r>T>5 L'entourage de Jean Majoris; au gré des disciples «lu Maître écossais, et de ce maître lui même, il étail temps d'imposer un terme aux excès dialectiques que l'influence d'Oxford avait misa La mode; il étail urgenl de simplifier La Logique cl la Physique. Les Perscrutationes physiese de Louis Coronel s'efforcent, d'une manière visible, à cette simplification. Mal heureusement, le départ entre La paille inutile et encombrante qu'il convenait d'abandonner et le grain fécond qu'il était bon de garder n'est pas, en ces Perscrutationes, toujours fait avec un entier discernement; bien des « broutilles à la Suiseth » ont été conservées, tandis que l'auteur rejette certaines théories dont l'avenir prouvera la fertilité ; pour que Louis Coronel évitât toute méprise de ce genre, il eût fallu qu'une prophétique intuition lui découvrît tout le progrès futur de la Science. XXX Dominique Soto et les lois de la chute des graves. Il est difficile de lire les écrits de Jean Dullaert, d'Alvarès Thomé, de Louis Coronel, de Jean de Celaya, sans faire une remarque, ni de faire cette remarque sans en être surpris. Tous ces auteurs, à la suite d'Heytesbury, du Calculateur, de leurs commentateurs italiens, traitent longuement du mouve- ment uniformément difforme; aucun d'entre eux ne prend soin de montrer par un exemple qu'un tel mouvement se rencontre ou peut se rencontrer dans la nature. L'exemple, cependant, paraissait être à l'immédiate disposition de nos régents de Montaigu, de Coqueret et de Sainte-Barbe. Albert de Saxe avait indiqué l'hypothèse du mouvement unifor- mément accéléré comme étant Tune des deux suppositions que l'on pouvait faire sur la chute des corps graves; cette opinion était reproduite dans les diverses éditions, alors imprimées, des Quœstiones in libros de cœlo et mundo; seules les éditions données à Paris, en i5i6 et en i5i8, allaient l'omettre. Nos 556 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI scolastiques, qui lisaient et citaient si volontiers Albert de Saxe, ne pouvaient guère n'y avoir pas rencontré cette hypothèse ; l'y eussent-ils laissé passer inaperçue qu'ils l'eussent retrouvée au manuel de Philosophie de Pierre Tataret, si souvent imprimé de leur temps, où elle était recopiée. Si étonnant que le fait puisse paraître, il est cependant de constatation sûre et facile; aucun maître parisien, au début du xvr 9 siècle, n'a eu la pensée de citer la chute des graves comme exemple de mouvement uniformément difforme. Vers le même temps, Léonard de Vinci, guidé sans doute par la lecture d'Albert de Saxe, s'est fortement attaché à proclamer cette vérité: La chute des graves est un mouvement uniformément accéléré. Mais, bien qu'il eût étudié les écrits d'Heytesbury, du Calculateur, d'Ange de Fossombrone, il ne paraît pas avoir tiré profit de ce que ces écrits enseignaient au sujet du mouvement uniformément difforme; il n'a pas su reconnaître avec exactitude la loi qui relie au temps écoulé le chemin parcouru en un mouvement uniformément accéléré. Au début du xvi e siècle, donc, les deux propositions qui règlent la chute des graves ont été formulées depuis cent cin- quante ans; depuis ce temps, chacune d'elles a été répétée un très grand nombre de fois; mais, toujours, ceux qui formulent la première de ces propositions semblent ignorer la seconde, ceux qui enseignent la seconde ne soufflent mot de la première; personne encore ne semble avoir songé à les réunir et, en les réunissant, à créer la théorie du mouvement des corps pesants. Qui donc eut, le premier, l'idée de souder l'une à l'autre ces deux propositions? Nous ne saurions le dire; mais en lisant les Questions de Soto, nous constatons que la soudure est faite; le savant Dominicain, d'ailleurs, ne paraît pas nous la présenter comme chose nouvelle et dont il soit Fauteur. Nous savons que Francisco Soto, lorsqu'il vint étudier à Paris, fut reçu par son compatriote Louis Goronel de Ségovie; nous ne serons donc pas étonné que Soto enseigne, touchant la difformité des latitudes, une doctrine semblable à celle que Goronel a professée; et en effet, si l'exposition que le professeur de Salamanque donne de cette question diffère de celle qu'a D0MINIQ1 i SOTO BT LA I PÂRX8I1 EfNB »'>7 donnée le régent Ubi enim moles ab alto cadit per médium uniforme, velocius movetur in fine quam in principio. Projectorum vero motus remissior est in fine quam in principio. Atque adeo primus unifor- miler dijformiler inlenditur, secundus vero uniformiter difformiter remittitur. » Une évidente inadvertance a introduit deux fois, en la dernière phrase, le mot difformiter qui n'y devrait pas figurer ; Soto veut que la chute du grave et l'ascension du projectile soient deux mouvements uniformiter difformes ; dès lors, comme Heytesbury le fait constamment, et une foule d'auteurs après lui, il aurait dû dire du premier uniformiter intenditur } i. Dominici Soto Op. laud. , quaest. cit.; éd. cil., fol. 92, col d. DOMINIQUE BOTO RI LA SCOLÀSTIQUI PARISIENNE 61 du second, imijonnilrr rcniii lilur . NOUS avons vu, ;m | XXIV, que Gaëtan de Tiène, Messino el ^nge de Foesombrone avaient, ions trois, insisté sur la synonymie de cei expressions avec la qualification uniformiter difformis* Ces expressions, nous les avons ainsi traduites : le mOUVe ment s'accélère uniformément, se retarde uniformément. Pour justifier L'exactitude de cette traduction, nous pourrions recourir à l'autorité de Messino; nous allons en invoquer une plus probante encore; Jeun de Gelaya va nous dire que ce sens est bien celui que l'on attribuait à de telles expressions parmi les maîtres espagnols de l'Université de Paris, au temps où Soto recueillait leurs enseignements. u II est une chose, dit Gelaya 1 , dont il faut être averti ; à parler proprement, on ne doit aucunement dire que le mouvement est intense (inlensus) ou faible (remissus), mais bien qu'il est rapide (velox) ou lent (tardas); mais la commune manière de parler en a décidé au contraire; or c'est l'avis du Philosophe qu'il faut parler comme la foule et penser comme le petit nombre; nous emploierons donc constamment ces termes : mouvement intense, mouvement faible, à la place de ceux-ci : mouvement rapide, mouvement lent; nous emploierons l'expression : croît en intensité (intenditar) à la place des mots : s'accélère (velocitatar) , les mots : s'affaiblit (remittitar) à la place des mots : se retarde (retardetar) . » Ces diverses explications ne nous paraissent laisser place à aucun doute; nous pouvons, avec assurance, attribuer ces deux propositions à Dominique Soto : La chute d'un grave est un mouvement uniformément accéléré. L'ascension d'un projectile est un mouvement uniformément retardé. En un tel mouvement, quelle loi fera connaître le chemin décrit parle mobile en un temps donné? Soto va maintenant nous le dire 2 : « Le mouvement uniformément difforme par rapport au 1. Magistri Johannis de Gelaya Expositio in Ubros Physicorum; fol. lxxxv, col. d. a. Dominici Soto, Op. laud. f quaest. cit.; éd. cit., fol. g3, coi. d et fol. 94, col. a. 560 ÉTUDES SUR LEONARD DE VÎNCI temps suit presque la même règle que le mouvement uniforme. Si deux mobiles, en effet, parcourent en un même temps des longueurs égales, bien que l'un se meuve uniformément et l'autre d'une manière difforme quelconque, décrivant par exemple un pied durant la première demi-heure et deux pieds pendant la seconde, du moment que ce dernier, en l'heure entière, parcourt juste autant de pieds que le premier, qui se meut uniformément, ces deux mobiles se mouvront éga- lement. » Mais ici survient un doute : La vitesse d'un mobile mû de mouvement uniformément difforme doit-elle être dénommée par son degré le plus intense? Si, par exemple, la vitesse d'un grave qui tombe pendant une heure croît du degré zéro au degré 8, doit-on dire que ce grave a un mouvement de degré 8? 11 semble que la réponse affirmative soit la vraie, car c'est bien là la loi qui semble suivie par le mouvement uniformément difforme quant au sujet mobile. Nous répon- drons néanmoins que la vitesse du mouvement uniformément difforme par rapport au temps s'évalue par le degré moyen et doit recevoir sa dénomination de ce degré. On ne doit pas raisonner à son égard comme à l'égard du mouvement uni- formément difforme quant au sujet. En ce dernier cas, en effet, la raison de la règle adoptée était la suivante: La ligne que décrit le point le plus rapidement mû, tout le mobile la décrit avec lui, en sorte que le tout se meut aussi vite que ce point-là. Tandis qu'un mobile mû de mouvement unifor- mément difforme par rapport au temps ne décrit pas un chemin aussi grand que s'il se mouvait uniformément, pendant la même durée, avec la vitesse qu'il atteint à son degré suprême; cela est évident de soi. Nous pensons donc que le mouvement uniformément difforme doit être dénommé par son degré moyen. Exemple : Si le mobile A se meut pendant une heure en accélérant constamment son mouvement du degré zéro jusqu'au degré 8, il parcourra juste autant de chemin que le mobile B qui, pendant le même temps, se mouvrait uniformément avec le degré 4. » 11 résulte de là que, toutes les fois que des mobiles sont DOMINIQUE 80TO ET LA BCOLAêTIQUE iwiumi.nm 56 1 mus de mouvement difforme, il faut réduire ces mouvements à l'uniformité. » De cette réduction, Oresme a donné des exemples, qui sont d'une analyse mathématique quelque peu relevée, et ees exem- ples ont été à l'envi multipliés et généralisés par Bernard Torni, Jean Dullaert et Alvarès Thomé; Jean de Cclaya avait reproduit la théorie de Thomé, mais Louis Goronel s'était borné à emprunter à Oresme un seul de ses problèmes, le pre- mier et le plus simple. En cette étude mathématique, Soto pénètre moins encore; il se borne à montrer, en traitant deux cas particuliers, comment on peut réduire à l'uniformité un mouvement de vitesse continue, formé par la succession de deux mouvements uniformément accélérés. Au cours de la lecture du passage qui vient d'être cité, deux remarques peuvent être faites : En premier lieu, la chute d'un grave y est prise comme exemple de mouvement uniformément difforme ; par là se trouve affirmée de nouveau cette proposition qu'une telle chute est uniformément accélérée. En second lieu, Soto discute si le degré moyen de mouve- ment doit servir à dénommer un mouvement uniformément difforme; mais au sujet de la règle qui permet de mesurer le chemin parcouru en un semblable mouvement, il n'éprouve aucune hésitation ; il affirme d'emblée que ce chemin est égal à celui que le mobile décrirait, dans le même temps, par un mouvement uniforme où la vitesse serait la moyenne entre la plus grande et la plus petite vitesse du mouvement unifor- mément difforme. De cette règle, Soto n'esquisse aucune démonstration; visiblement, il la regarde comme une vérité d'usage courant; la lecture de Jean de Gelaya nous a d'ailleurs montré que ceux qui la voulaient justifier savaient au besoin, en ce temps-là, reprendre les considérations développées par Nicole Oresme. Voici donc ce que le témoignage de Soto nous apprend : Avant le milieu du xvi e siècle, les Scolastiques parisiens et leurs disciples regardaient ces vérités comme banales : La chute libre d'un grave est un mouvement uniformément P. DLHEM. 36 562 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI r r r ACCELERE ; L ASCENSION VERTICALE D UN PROJECTILE EST UN MOUVE- MENT UNIFORMÉMENT RETARDÉ. En UN MOUVEMENT UNIFORMÉMENT VARIÉ, LE CHEMIN PARCOURU EST LE MÊME QU'EN UN MOUVEMENT UNIFORME, DE MEME DURÉE, DONT LA VITESSE SERAIT LA MOYENNE ENTRE LES DEUX VITESSES EXTRÊMES DU PREMIER MOUVEMENT. Le labeur immense dont les pages précédentes ont briève- ment retracé l'histoire avait porté ses fruits; on connaissait deux des lois essentielles de la chute des corps ; en faveur de ces lois, Galilée pourra bien apporter de nouveaux arguments, tirés soit du raisonnement, soit de l'expérience; mais, du moins, il n'aura pas à les inventer. XXXI Conclusion. La tradition parisienne et Galilée. Ces deux propositions, il est de règle d'en attribuer l'inven- tion à Galilée. Cette attribution est-elle légitime? Examinons successivement les titres dont elle s'autorise 1 . Le 16 octobre 160/i, Galilée écrivait à son ami Fra Paolo Sarpiune lettre bien connue 2 . Galilée déclare que, pour rendre compte des diverses particularités qu'il a observées dans la chute des graves, il lui manque, jusqu'ici, « un principe tota- lement indubitable » qui puisse être donné à titre d'« axiome ». « Je me suis contenté, » poursuit-il, « d'une proposition qui a beaucoup de naturel et d'évidence; cette proposition admise, on peut démontrer tout le reste, savoir ; que les espaces i. Nous n'examinerons pas ici l'ensemble des idées de Galilée sur la Dynamique et, en particulier, sur la cause de la chute accélérée des graves. Nous renverrons le lecteur désireux de connaître ces idées à notre étude intitulée : De l'accélération pro- duite par une force constante. Notes pour servir à l'histoire de la Dynamique. Cette étude a été publiée dans les Comptes rendus du 11° Congrès international de Philosophie, Genève, septembre 1904, pp. 859-915. 2. Cette lettre est la première de celles qui ont été reproduites en l'édition des Opère di Galileo Galilei donnée à Padoue en 17M (t. III, p. 3/ia). Elle a été repro- duite depuis dans l'édition d'Albèri, Firenze, 18A7 (t. VI, pp. a4-25) et dans l'édition nationale (t. X, p. n5). immiiinium: SOtO rr i.\ BCOLA flQUl i-uu-u.nm traversés par le mouvement naturel sont en raison doublée des durées de chute; par conséquent, que Le ices Franchis en «les temps égaux sonl entre eux comme les nombres impa successifs à partir de l'unité, etc. I-»' principe en question est celui-ci: Le corps qui se meut naturellement \a croissant de vitesse dans le même rapport qu'il s'éloigne du principe de son mouvement Ed il principio è questo, che il mobile naturelle vadia crescendo di vélocité, con quella proporzione^ che si discosta (lai principio del suo moto). » Afin qu'aucun doute ne demeure dans l'esprit de son corres- pondant, Galilée explique sa pensée à L'aide d'une figure; parti de A, le grave tombe verticalement en B, puis en G; « le degré de vitesse (grado di velocità) qu'il a en G est au degré de vitesse qu'il a en B, comme la distance G A est à la dis- tance B A. » Galilée ajoute que, si un projectile est lancé verticalement de bas en haut, les vitesses qu'il prend successivement seront exactement reproduites en ordre inverse lorsqu'il tombera. Donc, en i6o4, l'illustre Pisan connaît la loi qui relie au temps de chute le chemin décrit par un grave qui tombe; mais il admet, pour relier au même temps la vitesse qui anime ce grave, une loi qui est fausse et dont la première ne se pourrait déduire. Galilée affirmait à Sarpi que cette déduction était possible, sans lui dire, cependant, comment il s'y prenait pour l'effectuer. On a retrouvé, au xix e siècle, bon nombre de fragments et d'essais composés par Galilée; écrits de la main de Galilée ou recopiés par quelqu'un de ses amis, ils n'avaient jamais été imprimés. Ces fragments ont été soigneusement publiés en l'édition nationale des œuvres de Galilée; malheureusement, il est, en général, impossible de leur assigner une date déter- minée ni même d'en fixer l'ordre chronologique. Parmi ces fragments, il en est un, écrit en italien de la main même de Galilée, qui développe les pensées indiquées dans la lettre à Paolo Sarpi en leur conservant le même ordre et presque exactement la même forme; il est permis de penser que le fragment est à peu près contemporain de la lettre. 564 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Ce fragment va nous enseigner quelle était la démonstration employée par Galilée. Donnons la traduction des principaux passages 1 . « Je suppose (et peut-être pourrai-je démontrer) que le grave qui tombe va accroissant constamment sa vitesse en raison de l'accroissement de sa distance à son point de départ. Si, par exemple, le grave part du point A (fig. 7) et tombe par la ligne AB, je suppose que le degré de vitesse au point D surpasse le degré de vitesse au point G dans le rapport où la distance DA est plus grande que la distance G A; que, de même, le degré de vitesse en E est au degré de vitesse en D comme E A est à D A ; le grave se trouve ainsi, en tout point de la ligne AB, avec une vitesse proportionnelle à la distance de ce même point à l'origine A. Ce principe me paraît très naturel; il répond à toutes les expériences que nous constatons aux ma- chines et instruments dont l'œuvre est de frapper; en ces machines, en effet, la pièce qui frappe produit un effet d'autant plus grand qu'elle tombe de plus haut. Ce principe admis, je démontrerai le reste. » Que la ligne A K fasse un angle quelconque avec la ligne A F, et par les points G, D, E, F, que l'on tire les parallèles G G, DH, El, FK; puisque les lignes FK, El, DH, G G sont entre elles comme les lignes FA, EA, DA, C A, les vitesses aux points F, E, D, G sont donc entre elles comme les lignes FK, El, DH, G G. Les degrés de vitesse en tous les points de la ligne A F vont donc constamment en croissant selon l'accrois- sement des parallèles tirées de ces mêmes points. » En outre, comme la vitesse avec laquelle le mobile est venu de A en D est composée de tous les degrés de vitesse acquis en tous les points de la ligne AD, et que la vitesse avec laquelle il a franchi la ligne A G est composée de tous les Fig. 7 1. Le Opère di Galileo Galilei. Edizione Nazionale sotto gli auspicii di sua Maestà il Re d'Italia. Vol. VIII, Firenze, 1908. Frammenti attenenti ai Discorsi e Dimostrazioni matematiche intorno a due Nuove Scienze, pp. 373-374. DOMINIQUE BOTO BT LA B< I »i I ! I U \\ B PAB1 BRUNI 565 degrés de vitesse qu'il a acquis en ions les pointa de la ligne \ Gj l;i vitesse avec Laquelle il ;i parcouru la Ligne A I) a, ;■ La vitesse avec Laquelle il ;i parcouru La Ligne A G, un rapport égal à celui que toutes les parallèles tirées de ions Les points de la Ligne A I) jusqu'à la Ligne A II ont à toutes les parallèles tirées de ions Les points de La Ligne AC jusqu'à AG; et ce der nier rapport est celui du triangle ADN au triangle ACG, c'est-à-dire celui du carré de AD au carré de A G. Donc le rapport de la vitesse avec laquelle le mobile a parcouru la I ii^ ne A D à la vitesse avec laquelle il a franchi la ligne A G est le carré du rapport de DA à G A. » Mais le rapport de la vitesse à la vitesse est l'inverse du rapport du temps au temps, car le temps décroît en môme temps que croît la vitesse ; la durée du mouvement fait suivant AD a donc à la durée du mouvement fait suivant A G un rapport qui est la racine carrée du rapport de la distance A D à la distance A G. Les distances au point de départ sont ainsi comme les-carrés des temps; partant, les espaces parcou- rus en des temps égaux sont entre eux comme les nombres impairs successifs à partir de l'unité; cela répond à ce que j'ai toujours dit et aux expériences observées; toutes les vérités se trouvent ainsi d'accord. » Galilée poursuit en démontrant que son principe entraîne ce corollaire : Un projectile qui monte verticalement prend successivement toutes les vitesses qu'il reprendra en ordre inverse lorsqu'il retombera suivant la même ligne. Analysons le passage que nous venons de reproduire. Pour tirer de son principe faux une conclusion juste, Galilée a commis successivement deux graves paralogismes. En premier lieu, par cette proposition vague : « La vitesse [moyenne] avec laquelle le mobile a parcouru la ligne AD est composée des vitesses prises en tous les points de AD, » il a été conduit à regarder cette vitesse moyenne comme mesurée par l'aire du triangle ADH; c'est ce qui lui a permis de dire que le rapport des deux vitesses moyennes avec lesquelles le mobile a franchi successivement les distances AG, AD était égal au rapport des aires des deux triangles ACG, ADH. 566 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI En second lieu, Galilée a invoqué ce principe : Les durées sont en raison inverse des vitesses (La velocità alla velocità ha contraria proporzione di quella che ha il tempo al tempo). Il a oublié d'ajouter que ce principe compare les durées et les vitesses avec lesquelles un même chemin a été parcouru en des circonstances différentes. Il s'est empressé de l'appliquer à un cas où les deux chemins parcourus, AG, AD, sont différents. On est surpris de voir un tel génie commettre des erreurs que l'on condamnerait chez un débutant en Géométrie. Ces mêmes erreurs, nous allons les retrouver, du moins en partie, sous la plume d'un autre homme de génie, de Descartes. Le i3 novembre 1629, Descartes répond 1 à une question que Mersenne lui a posée au sujet du temps employé par un poids à descendre de diverses hauteurs. En guise de réponse, dans sa lettre qui est écrite en français, il insère un fragment qui est rédigé en latin. Selon MM. Adam et Tannery 2 , ce fragment doit avoir été composé lors du premier séjour de Descartes en Hollande, c'est-à-dire entre 1617 et juillet 1619. Descartes part de ce principe, cher à l'École terminaliste de Paris : Le corps qui tombe de A en B, puis de B en C « décrit beaucoup plus vite l'espace BG que l'espace AB, car, alors qu'il parcourt cet espace BC, il retient tout Yimpeius par lequel il se mouvait le long du chemin AB et, en outre, un nouvel impetus s'accroît en lui par l'effet de la gravité qui le presse de nouveau à chaque moment ». La puissance de la vitesse ainsi im- primée par cet impetus (vis celeritatis im- pressa) croît donc d'un moment à l'au- tre. Descartes poursuit en ces termes : « En quelle proportion augmente cette vitesse, c'est ce qui est démontré par le triangle ABCDE (fig. 8). La première ligne, en effet, dénote la puissance de 1. Descartes, Œuvres publiées par Ch. Adam et Paul Tannery, Correspondance, pièce n° XIX, t. I, pp. 69-73. 3. Note des éditeurs, ibid., p. 75. DOMINIQUE SOTO ET i.A BGOLA8TIQUI pamsienm 567 vitesse imprimée au premier moment; I - > seconde, La puissance imprimée au second momenl ; La troisième, La troisième puis- sance communiquée (vis indita e1 ainsi , E, F, G des Lignes droites parallèles à la hase BC ; alors, si Les parties marquées sur la Ligne AC sont des temps (^aux, nous admettrons que les parallèles m Urées par les points D, E, F, G représentent les degrés de la vitesse accélérée, degrés qui croissent également en des temps égaux... » Mais parce que l'accélération se fait con- tinuellement de moment en moment, et non pas d'une manière interrompue de telle durée en telle durée..., avant que le mobile ait atteint le degré de vitesse DH acquis au bout du temps AD, il a passé par une infinité d'autres degrés de plus en plus petits, gagnés aux instants en nombre infini que contient le temps DA, instants qui correspondent à l'infinité de points qui sont en la ligne DA; partant, pour représenter l'infinité des degrés de vitesse qui précèdent le degré DH, il faut imaginer une infinité de lignes, toujours de plus en plus petites, qui soient tirées, parallèlement à DH, des divers points en nombre infini de la ligne DA; à la limite (in ultimo), cette infinité de lignes repré- sente la surface du triangle AHD. » Achevons le parallélogramme entier A MB G et prolongeons jusqu'à son côté BM non seulement les parallèles qui ont été tracées dans le triangle, mais aussi les parallèles en nombre infini que l'on conçoit issues de tous les points du côté A G. La ligne BG, qui est la plus grande des parallèles tracées dans le triangle, représente le plus haut degré de la vitesse acquise par le mobile en son mouvement accéléré; la surface totale du triangle est la masse et la somme de toute la vitesse (la massa e la somma dl tulta la velocità) avec laquelle le mobile, dans le temps A G, a parcouru un tel espace. De même, le parallélo- gramme vient à être la masse et la réunion (la massa e aggre- galo) d'autant de degrés de vitesse, dont chacun est égal au 576 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI degré maximum BC. Cette masse de vitesses vient à être double de la masse des vitesses croissantes du triangle, de même que le parallélogramme est double du triangle. Par conséquent, si le mobile qui, en tombant, s'est servi des degrés d'une vitesse accélérée conforme au triangle ABC, a franchi en un tel temps un tel espace, il est bien raisonnable et probable qu'en se servant des vitesses uniformes qui répondent au parallélogramme, il eût dans le même temps, d'un mouve- ment uniforme, franchi un espace double de celui qu'il a parcouru par le mouvement accéléré. » Pour obtenir cette proposition, équivalente à celle qui était classique depuis le temps de Nicole Oresme, Galilée a, en résumé, raisonné de la manière suivante : L'aire de la figure qui a les durées de chute pour abscisses et les vitesses pour ordonnées représente quelque chose que Ton convient de nommer masse ou somme des vitesses. On postule que cette masse ou somme est identique à l'espace parcouru pendant le temps auquel elle se rapporte. On postule, disons-nous, et non pas on démontre, car est-il possible d'accorder le nom de démonstration à ce discours où une aire est censée formée par l'accolement d'une infinité de droites? Non certes, et la démonstration de Galilée, tout comme celle d'Oresme, repose en définitive sur un postulat implicite, sur le même postulat implicite que celle d'Oresme. Si elle diffère de celle d'Oresme, c'est par ces considérations illogiques où une aire est assimilée à une somme de droites juxtaposées. Pour le logicien, donc, elle est plus vicieuse que celle d'Oresme; mais pour l'historien, elle lui est supérieure, et par cela même qui la déprécie aux yeux du logicien; c'est, en effet, par de tels paralogismes que l'esprit humain a été orienté dans la direction où il devait découvrir le calcul intégral. En cette direction, d'ailleurs, Galilée eût pu, sans beaucoup d'efforts, progresser davantage. Ce que Beeckman avait dit, à ce même propos, était d'une autre exactitude et d'une autre perfection que les raisonnements du Mécanicien de Pise. Beeckman donc, ou Descartes, dont il se déclare l'interprète» DOMUflQUI SOTO BT LA BCOLASTIQUE PA1I81BNHE >77 est l(; véritable inventeur justifier la règle qui détermine Le chemin parcouru en un mouvement uniformément varié. M;»is cette découverte, que Descartes et Beeckman ont eux-mêmes méconnue, n'eut auoune Influence directe sur les démarches de la Dynamique; il fut nécessaire que Gassendi la refit. Kevcnons aux travaux de Galilée. De itio/j à 1600, Galilée a transformé en théorie exacte ses idées erronées sur la chute accélérée des graves, et cette transformation a eu pour effet de rapprocher la pensée du Pisan de la pensée des Scolastiques de Paris et d'Oxford; de i63o à i638, ce rapprochement va devenir plus étroit en même temps que la doctrine de Galilée va se préciser. En la troisième journée des Dialoghi délie sclenze nuove, est inséré un traité De motu naturaliler acceleralo. Dès le début de ce traité, Galilée admet que la chute des graves est un mouvement uniformément accéléré, et il n'en donne d'autre raison que la simplicité de cette hypothèse: «Nous sommes conduits comme par la main à l'étude du mouvement unifor- mément accéléré lorsque nous observons quel est l'usage, quelle est la règle que suit la nature en toutes ses autres opérations; pour les accomplir, elle use habituellement de moyens primitifs, les plus simples, les plus faciles; personne, je pense, ne croira que l'on pourrait nager ou voler par un procédé plus simple et plus facile que le moyen instinctif et naturel employé par les poissons ou par les oiseaux. Lors donc que je vois une pierre descendre du lieu élevé où elle se tenait en repos, et acquérir de nouveaux accroissements de vitesse, comment pourrai-je croire que ces accroissements ne suivent pas la loi la plus simple et la plus obvie? Et d'autre part, lorsque j'y réfléchis attentivement, je ne vois aucun procédé d'addition et d'accroissement plus simple que celui qui consiste à ajouter toujours de la même manière. » La loi qui rendrait la vitesse de chute proportionnelle au chemin parcouru par le grave ne serait pas moins simple, et elle avait paru la plus aisée à recevoir alors que Galilée commençait à traiter delà chute des corps pesants; mais, P. DUHBM. 37 5 7 8 ETUDES SUR LEONARD DE TI1NCI tC G maintenant, il a reconnu avec une admirable perspicacité, encore qu'il la démontre d'une manière peu convaincante, l'absurdité d'une telle loi. Voyons maintenant comment, de l'accélération uniforme attribuée à la chute des graves, Galilée va déduire cette conséquence qui est le Théorème I de son traité De motu naturaliter acceleralo : « Le temps qu'un mobile partant du repos et mû d'un mouvement uniformément accéléré emploie à parcourir un certain espace est égal au temps que le même mobile emploierait à parcourir le même espace d'un mouvement uniforme dont le degré de vitesse serait la moitié du degré suprême et ultime de la vitesse du mouvement uniformément accéléré. » Représentons par la longueur AB (fig. n) le temps pen- dant lequel le mobile, partant du repos en C, parcourrait l'espace CD; repré- sentons par EB le plus grand et le dernier des degrés pris par la vitesse qui a crû à chaque instant du temps AB ; élevons EB perpendiculairement sur AB ; joignons AE ; les lignes issues des divers points de la ligne AB et prolongées parallèlement à BE jusqu'à AE représenteront les degrés crois- sants de la vitesse à partir de l'instant A. Divisons BE en deux parties égales au point F et menons les parallèles FG, AG aux lignes BA, BF; le parallé- logramme AGFB ainsi construit sera équivalent au triangle AEB et, par son côté GF, il partagera en I la ligne AE en deux parties égales. Prolongeons jusqu'à GIF les parallèles tracées dans le triangle AEB; l'agrégat (aggrega- tum) de toutes les parallèles contenues dans le quadrilatère sera égal à l'agrégat de toutes les parallèles comprises dans le triangle; celles, en effet, qui sont dans le triangle IEF sont égales à celles qui sont contenues dans le triangle GIA ; quant à celles qui sont dans le trapèze AIFB, elles sont communes. i E F Fig. ii, B D DOMINIQUE SOTO El LA BC0LA8TIQUE PAEIBIBHN1 Gomme les points de La ligne Ali correspondent un >i un ;»nx instants du temps AB, et que les parallèles issues des divers points de ia Ligne M> el comprises dans Le triangle IEB repré sentenl Les degrés croissants de La vitesse accrue ; comme les parallèles contenues dans Le parallélogramme représentent tout autant de degré8 (l'une vitesse non pins accrue, mais uniforme, il apparaît qu'il a été consomme Ion! autant de moments de vitesse (totidem velocitatis momenta absumpta esse) dans le mouvement accéléré que représentent les paral- lèles croissantes du triangle Al] 15, que dans le mouvement uniforme représenté par les parallèles du parallélogramme GB. En effet, les moments qui manquent en la première moitié du mouvement accéléré (manquent, en effet, les mouvements représentés par les parallèles du triangle AGI) sont compensés par les moments que représentent les parallèles du triangle IEF. Il est donc évident que seront égaux entre eux les espaces parcourus dans le même temps par deux mobiles dont l'un, partant du repos, se mouvrait du mouvement uniformément accéléré, tandis que l'autre se mouvrait d'un mouvement uniforme avec un moment de vitesse sous-double du plus grand moment du mouvement accéléré ; c'est là ce qu'on avait l'intention de démontrer. » Dépouillons la pensée de Galilée de la forme qu'elle a revê- tue, forme qui demeurera inexacte, nous l'avons dit, jusqu'au jour où, par l'emploi du calcul intégral, Gassendi, reprenant la tradition de Descartes et de Beeckman, aura fait jaillir l'idée juste qu'elle cache. Que reste-t-il en ce que nous venons de citer, sinon des considérations que nous avons lues maintes fois à l'appui de cet adage : Latitudo uniformiter difformis gra- dui medio correspondet? Tout ce que Galilée vient de nous dire, ne l'avions-nous pas rencontré au Tractatus de Jlgura- tione potentiarum de Nicole Oresme, dans les notes qu'un écolier parisien mettait en marge de la Summa de Dumbleton, dans les Commentaires de Gaétan de Tiène aux Regulae d'Hey- tesbury, dans YExposUlo in libros physicorum de Jean de Celaya? Si quelque vue prophétique eût découvert les Dialoghi délie scienze nuove à Nicole Oresrne, celui-ci n'eût-il pas été en 58o ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI droit de regarder Galilée comme son continuateur, tandis que la révélation de la Géomécrie l'eût autorisé à revendiquer Des- cartes pour son disciple? Et maintenant, une dernière question se pose, inévitable : Ces livres, issus de la tradition de Paris ou de la tradition d'Oxford, qui préparaient l'œuvre de Galilée et de Descartes, Descartes et Galilée les avaient-ils lus? Touchant Descartes, nous n'avons trouvé aucun rensei- gnement qui nous permît de donner à cette question une réponse assurée. Mais il n'en est pas de même au sujet de Galilée. Des ouvrages qui avaient introduit en Italie les théories de l'École d'Oxford, des écrits italiens qui avaient commenté ces théories, Galilée avait lu bon nombre. Les monuments qui nous sont restés de la toute première activité intellectuelle de Galilée sont trois traités, ou plutôt trois fragments de traités, écrits en latin, que la plupart des éditeurs du grand géomètre pisan avaient dédaignés et qu'enfin M. A. Favaro a eu l'heureuse idée de publier en tête de l'édi- tion nationale. De ces traités, le premier, intitulé De Caelo, est une suite de questions toutes semblables à celles que les Scolastiques avaient coutume de débattre au sujet du llepl Oopavoti. Le second, sans titre, est consacré aux degrés des formes, à l'ac- tion et à la réaction, c'est-à-dire a des problèmes dont le De generatione et corruptione avait fourni le texte. Le troisième, enfin, est un traité De eletnentls, conçu dans le goût du traité d'Achillini, qui y est fréquemment cité, ainsi que les écrits de Paul de Venise. Nous y trouvons cité, en outre, une foule d'ouvrages. Quel- ques-unes de ces citations méritent de retenir notre attention. Voici, d'abord 1 , l'exposé d'une opinion soutenue par « Mar- sile, au second livre De Generatione ». Un peu plus loin 2 , au sujet du problème de l'action et de la i. Le Opère di Galileo Galilei ristampate fedelmente sopra la edizione nazionale. Volume I, Firenze, 1890, p. 1G7 {Tractalus de elementis, Sccunda disputatio : De pri- mis qualitatibus. Quaestio tertia : An omnes quatuor qualitates sint activae). 2. Galilée, loc. ci7.,p. 173 (Qua;stio quarta : Quomodo se habeant primae quali- tates in activitate et resistentia). DOMINIQUE BOTO BT LA BCOLA8TIQUE PARISIENNE f>-S i réaction, nous lisons ces lignes : « Secundo, dubilatio . quomodo se habént primae qualitates in activitate et resistentia. De hac re lege Calculatorem in tractatu De reactione, Hentisberum in sophismate An aliquidflat, Marlianum in suo introductorio De reactione, Buccaferri 2° de generatione '. De reactione a cap. 13, et a Met. dub, f i et 9, » Galilée ne s'était pas contenté de lire les traités des auteurs italiens, de Marliano, de Gaétan de Tiène, de Buccaferri et de Pomponazzi ; il avait abordé les écrits abstrus qu'Oxford avait vus naître ; il n'avait craint ni les épineux sophismes d'Iïeytes- bury ni les fastidieuses chicanes du mystérieux Calculateur. Mais peut être, en ces écrits, n'avait-il prêté aucune atten- tion aux passages où il est question de latitudes uniformes, difformes, uniformément difformes? Ne nous arrêtons pas à ce doutç. Voici, dans le traité dénué de titre, une Quaestio ultima : De partibus sive gradibus qualitalis ; et, en cette question, le passage suivant 1 dissipera notre incertitude : « Il faut remarquer qu'une qualité réside toujours en un sujet doué de grandeur; dès lors, outre ses degrés propres, elle participe à la latitude de cette grandeur et se peut diviser suivant les parties de la grandeur. Que l'on compare alors les parties de la qualité avec les parties de la quantité; ou bien, en toutes les parties de la quantité, il y aura des degrés égaux de la qualité, et la qualité sera, alors, dite uniforme; ou bien il y en aura des degrés inégaux, et elle sera dite difforme. Supposons que les excès [des degrés de qualité] qu'ont ces parties les unes sur les autres soient égaux entre eux; qu'il y ait, par exemple, en la première partie, 2 degrés, en la seconde 4, en la troisième 6 et ainsi de suite, l'excès étant toujours égal à i ; la qualité est dite uniformément difforme; s'il n'en est pas ainsi, elle est dite difformément difforme. Supposons maintenant que les excès inégaux de la qualité se comportent de telle sorte qu'il y ait, par exemple, dans la première partie, 4 degrés, dans la seconde 6, dans la i. Galilée, loc. cit., p. 120. 582 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI troisième 9, et ainsi de suite; on dira que la qualité est unifor- mément difformément difforme; si les excès ne sont pas proportionnels [c'est-à-dire ne forment pas une progression arithmétique] la qualité sera dite difformément difformément difforme. » Lorsque après avoir lu ce passage, nous entendrons Galilée établir, par la célèbre démonstration du triangle, la loi de l'espace parcouru en un mouvement uniformément accéléré, pourrons-nous, un seul instant, hésiter à reconnaître une réminiscence des théories enseignées par Heytesbury et par le Calculateur ? Galilée a connu la Cinématique de l'École d'Oxford et, de la manière la plus heureuse, il en a subi l'influence. A-t-il connu la Dynamique de Paris, cette Dynamique de Jean Buridan et d'Albert de Saxe avec laquelle ses propres pensées offrent souvent de si frappantes analogies ? En ses écrits de jeunesse, Galilée cite par deux fois les Docteurs Parisiens, Doctores Parisienses. Au traité De elementis, il nous dit 1 que « selon Aristote qu'ont suivi les Docteurs Parisiens», les volumes des éléments forment une progression de raison 10. Cette opinion est, en effet, exposée en détail et admise par Témon le fils du Juif, en la sixième question du premier livre de ses Météores. La seconde citation est plus précise. En son De Caelo, Galilée énumère les auteurs au sentiment desquels le Monde eût pu exister de toute éternité. « Cette opinion, dit-il 2 , est celle de Saint Thomas ,de Scot , d'Occam , et des Docteurs Parisiens en la première question du huitième livre de la Physique (Doclorum Paris iensium 8 Phys. q. p. a ). » Nous voyons ici que, par ce nom collectif, les Docteurs Parisiens, Galilée ne désigne pas, d'une manière générale et vague, une certaine école, mais, d'une manière précise, un certain ouvrage bien déterminé. 1. Galilée, loc. cit., p. 1 38 (Trac tatus de elementis, Pars prima: De quidditate et substantia elementorum ; quaestio quarta : An formae elementorum intendantur et remittantur). 2. Galilée, loc. cit., p. 35 (De Cœlo, tractatio prima de mundo, quaestio quarta : An mundus potuerit esse ab aeterno). DOMINIQUE BOTO ET i\ BCOLABTIQtJl PARISIEN Or nous constatons qu'en sa première question sur le huitième livre d(i la Physique, Albert de Saxe déclare, en effets que, l'en- seignement de la loi mis à part, le Monde et le mouvement eussent pu exister de toute éternité. Quel est donc cet ouvrage, composé par des Docteurs Parisiens, où, à propos d'une question relative aux Météores, se rencontre l'opinion que Témon a admise en ses Météores; qui, en la première question du huitième livre de la Physique, enseigne exactement ce qu'Albert de Saxe enseignait en la première question du huitième livre de sa Physique? Mais ce signalement ne laisse place à aucune ambiguïté; cet ouvrage, nous le con- naissons; c'est la collection, publiée à Paris, à deux reprises, en i5i6 et en i5i8, où Georges Lokert a réuni la Physique, le De Caelo, le De generatione et corruptione d'Albert de Saxe, les Météores de Témon, le De anima et les Parva naturalia de Jean Buridan. C'est cette collection que Galilée lisait au temps où il rédigeait des dissertations scolastiques; c'est par cette collec- tion qu'il a été initié à la Dynamique de Paris. Ne nous est-il pas permis maintenant d'invoquer le témoi- gnage même du génial Pisan pour saluer ces Docteurs Parisiens du titre de Précurseurs de Galilée? EltRATA Seconde série, p. 3o4, ligne 18, et p. 307, ligne 2, au lieu de: Alveredo, lisez: Alfred, c'est-à-dire Alfred de Séreshel. Troisième série, p. 69, ligne 18, effacez: sous; p. 49G, ligne 27, au lieu de : Giacomo Fosinfronte, lisez : Giacomo délia Torre. TABLE DES AUTEURS ET PERSONNAGES CITÉS EN LA TROISIÈME SÉRIE Abélard (Pierre), 445. Achillini (Alessandro), 56, 107, 108, m, (\\ 5, 5oo, 5oi, 5o4, 5n, 58o. Acquicolus d'Oliveto [Marias), 177. Adam (Charles), 566, 568. Adam Hibernicus, 409. A est unum calidum (Traité anonyme), 449, 474-477- Agobert (Jean), 547- Agobert (Simon), 1Z1, 547. Alatino (Moïse), 59. Albert de Bollstaedt, dit Albert le Grand, 67-70, 101, 102, 126, i33, 222, 283, 284, 359, 443. Albert de Gasaus, 269. Albert de Ricmerstorp, 6, i4- Albert de Saxe (A. de Helmstaedt, dit Albertutius), VIII-X, XII, 3-7, 12-14, 21-23, 26, 32, 33, 48, 54, 56, 57, 91-94, 96-98, 100, 104, 106, 108- 112, 1 i5-i 1 7, 119, 121, 123, 129, i33, i35-i39, i43, 147, i48, i55, 107-159, 177, 181, 196, 197, 200, 207, 210, 212, 214, 2i5, 218, 227, 23i, 237, 244-247, 249, 25o, 255, 263, 264, 268, 272, 275, 277-279, 281, 290, 296, 3o2-3i4, 329, 344, 345, 347, 35o, 352, 354, 355, 359-363, 365-369, 385, 389, 390, 397-399, 4oi-4o4, 4i3, 4i6, 434, 438, 43g, 443, 444, 449, 45i, 455, 456, 471, 475, 487, 5io-5i2, 517, 52i, 523, 524, 526-528, 532, 534, 535, 547, 54g, 553, 555-557, 582, 583. Al Bitrogi (Alpetragius), voir: Bitrogi (Al). Alexandre d'Aphrodisias, 62, 63, 1 18-120, 127, i33, 177, 184, i85, 190. Alexandre de Halès, 409. Alfred de Sereshel (Alveredus), 585. Algazel, voir: Gazali (Al). Alvarus Thomas, voir: Thomé (Alvarès). Amodeo (F.), 483, 484. Ambroise (Saint), 173. Anarque d'Abdère, 238. Ange de Fossombrone, 4o8, 494, 495, 5o4, 507,, 509, 5n-5i3, 524, 545, 546, 556, 559. Annand (Jean), 162. 588 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Antonio d'Andrès, 33g, 34i. Apollinaire d'Argoles (Jean-Pierre), 4g5. Apollinaire Offredus de Crémone, 4g5. Apollonius de Perge, 199. Archimède,V, 199, 214, 543. Archimède (Pseudo-), 47, 25 1. Archytas de Tarente, 199. Aristarque db Samos, 25l. Aristote, V-VII, IX, XIII, 19, 24-26, 35-38, 46, 5o, 52, 53, 57-60, 62, 63, 67, 69, 72, 74, 81, 106, 107, ni, 117, 120-123, 126-129, i32, i33, 137, i52, i55, 174, 176, 177, 184, 189, 190, 193, 194, 197, 199» 202, 205-207, 210, 212, 222, 224-226, 235, 239-241, 243, 247, 253, 255-257, 263, 273-277, 279-281, 283, 286-288, 290, 291, 298, 3o3, 3o4, 33i, 336, 347-349, 35i, 353, 35g, 365, 368- 375, 377, 4i4i 422-424, 4a8, 429, 43i, 495, 52o-523, 527, 545, 582. Augustin (Saint), 33 1, 336, 338. Auriol (Pierre), 3a8, 34o, 34i. Ave mp ace, voir: Irn Bâd.ta. Aventin, voir: Thurnmaïer (Jean). Averroès (Ibn Roschd), dit le Commentateur, VI, 39, 4o, 49, 5o, 66-68, 72, 73, 81, 104-107, 117, 120, 129, i33, 137, 169, 184, i85, 202, 205-207, 2 ^7» 253, 258, 273-275, 279, 290, 298, 4^3, 424, 428, 429, 445. Avicenne (Ibn Sinâ), 2o5, 487-491, 535. Bacon (Francis), 44i. Bacon (Roger), 24-27, 71-74, 425, 427. Bacon de Bacontmorpe (Jean), 34 1. Bade (Josse), 346. Baer (Joseph), 523. Baldi (Bernardino), i4o, i53, i55, 208-210, 2i3, 220-222. Bale (John), 417. Baliani (Giambattisia), V, X, 181, 2O4. Barbaro (Ermolao), 124, i25. Bassanus Politius, 399, 533. Bauemrer (Clemens), 442. Bède (Noël), 142, i63. Beeckman (Isaac), V, 264, 5i4, 570-574, 576-579. Beldomandi (Prosdocimo de'), 483, 486. Benedetti (Giambattisia), XII, 208, 210-227, 258, 264. Blaise de Parme, voir: Pelacani (Biagio). Bitrogi (Al) (Alpetragius), 34. Boëce, 297, 4oo. Bokce de Dacie, 443. bokinram ou bucringham, l^z, 409. Bonaventure (Saint) (Jean de Fidanza), 5o, 71. Bonus Dacus, 443. i m'.i.i. DES m i El H- Borro [Girolamo) ou Borrh i {Hieronymoi) t ïo5 307. Bradwardinb (T/ioma*), i3o, 2q4-3o5, loo, lo3, 4o4j 4og, r i 1 : > , 416, 4aa, 4a3, | • », iafl l3o, 'in. |56, 47-'i, A ;>.>, 536, 5^7, 557. Broderigi (G. C.)i / i<>7- BrÙCKER {Jacob), 4 1 7, li8. Brunkt {Charles), ii5, '|H>. Bruni d'Arbzzo (Leo/iarjdo), 45i. Bruno de Nole ^iinrJano), \, 227-230, 233, a>7- ^ 1 1 , a 43, a44, ''i , s 247, a5i, 253-209, s64i 372. Bi cgafbrri (Luigi), 58i. Bucer (Guillaume), 45 1. Buluaeus, voir: Du Boulât. Bulliot (R. P. J.), 46. Buridan (Jean /), VII-X, XII, XIII, 4, 6-57, 89-91, 93-97, 101, io4-io6, 108, m, 112, iiô, ia3, i33-i36, i38-i42, 1^7, i5o, i53, 157-160, 177, 181, i85, 197, 200, 2o5, 207, 210, 212, 214, ai5, 218, 227, a3i, 2/19, 255, 256, a5g, 263, 264, 268, 272, 275, 277, 279, 281, 295, 3oi-3o3, 3o6, 347, 35o, 352, 353, 355, 359, 36o, 368, 402, 4o3, 4o5, 432, 434, 438, 449, 457-459, 471, 48i, 486, 5i4, 52i, 58a, 583. Burlet ou Burleigh (Walter ou Gautier), 23, 20, 34, 80, 84-89, io5, 109, 112, 123, i33, 177, 204, 212, 234, a55, 272, 275, 3oo, 307, 328, 329, 343, 3^5, 38 9 , 443, 480, 535. Cahiers de Philosophie anonymes (Bibl. Nat., fonds latin, ms. n° 16621), 4n, 4i3, 426, 429-431, 449, 45o, 452-457, 46o, 465, 466, 468, 579. Calculateur (Suiseth le), voir: Ricardus de Ghlymi Eshedi. Câno (Melchior), 269. Canonio (Liber de) (Traité anonyme;, 427. Cantor (Moritz), 347, 4oo. Gapra de Novare {Paul), 218. Gapraeolus, voir: Du Ghevreul. Cardan {Girolamo Gardano, dit), 33, 186, 190-193, 195, 198, 199,201-203, 210, 211, 2i3, 221, 222, 284, 286, 36o, 4i6, 417, 5n. Gardano (Fazio), 186, 5n. Carmen de ponderibus (Traité anonyme), 48. Gasaubon, 417. Gavalieri (Buonaventura), 181. Gésalpin {Andréa Cesalpino, dit), 204, 2o5, 207. Châtelain (Emile), ioi3, i5, 346, 443. Chilmark (John), 4 10, 4n- Cicéron, 172, 173. Giruelo (Pedro Sanchez), i3o-i33, 167, 238, 265, 266, 272. Glay ou Claius, 43o-432, 44o, 44i> 448. Cléomède, 126. 5gO ÉTUDES SUR LÉONARD DE VOCI Clerval (J. AL), 177, 178. Glichtove (Josse), 176-179, 268, 270. Clienton (Richard), voir: Clymeton Langley {Richard). Cliqueton (Richard), voir: Kyluxuton {Richard). Clymeton Langley {Richard), 4o8, 409, 4 12, 4 2 o, 444, 475. Golligham ou de Colymgam (William), 4o5, 423, 446. Colomb (Christophe), 270. Colonna (Gilles), voir: Gilles de Rome. Commandin {Federigo Commandino, dit), 227. Commentateur (le), voir: Averroès. Commentateur péripatéticien de Jordanus de Nemore (le), voir: Jorda- nus de Nemore (Le Commentateur péripatéticien de). Contaruni (Gaspard), 182, i83, i85, 194, ao4, 207. Copernic (Nicolas), X, 3i, 196, 243, 246, 247, 25i-253. 257, 347, ^72, 374, 388, 44o. Coronel (Antonio Nunez), 142, 167, 265-267. Coronel (Luis Nunez), i34, i3G-i4i, 1 44, i48, 149, i5i-i53, 1 55, i56, 167, 179, 23i-a33, 235-237, 242, 200, 265-268, 273, 276, 283, 284, 486, 487, 492, 543, 546, 547, 552-556, 56i. Cranston (David), 162, 168, 170. Gremonint, VI. Clrtze (Maximilianj, 48, 399, 4oo. D Dante Alighieri, 237. Demfle (Le R. P. Ileinrich), io-i5, 346, 443. Descartes, V, VII, VIII, 54, i4o, 181, 208, 264, 388, 4oo, 5 1 4, 566-570, 572, 576, 577, 579, 58o. Desjardins (Pierre), 142. De Wulf (Maurice), 327. Dominique de la Croix, voir : Saavedra (Pedro Francisco de). Dorbellus {Nicolas), voir : Nicolas de Orbellis. Dubia parisiensia (Ouvrage anonyme, probablement de Swineshead), 45i, 455-459, 469, 48o. Du Bois (Simon), 349- Du BOULAY (BULAEUS), 10, 12, l3, l6. Du Chevreul (Gapraeolus), 535. Duhamel (Paschase) [Hamellius (Paschasius)], 25i. Dullaert de Gand (Jean), 21, 56, i34-i4o, i43, 1 44, i5o, i5i, i56, 161, 162, 167, 170, 171, 174, 179, ai3, 23o, 255, 268, 271, 275, 283, 457, 5ig, 526- 53i, 534, 54o, 546, 547, 552, 555, 557, 56i. Dulmenton, voir : Jean de Dumbleton. Dumas père (Alexandre), 16. Duns Scot (Jean de), voir : Jean de Duns Scot. Durand de Saint-Pourçain, 83, 84, 88, io5, i54, 322, 323, 34o. A BLE in 18 m iiih.s Eberhard le lUunu, coinic (li* Wurtemberg, 101, 102. Echard (Le P. Jacques), a66, 267, J71 , ^hk. Eliphat, Joq. Erasme (Didier), t 58- 160, 164, 166, 1(17, 180, 181, 196, 370, 35a, 5a5. Eshilde Anglicus, 4so. Espi 11/. Gampodarbe \Dcmclrio), ali.V Euclide, 48, 199, 4 16. Euglide (Pseudo-) (Auteur d'un traite De ponderibusj, 420, 534- Faber Stapulensis (Jacobus), voir : Lefèvre d'Étaples (Jacques) Fabricius (Jo. Albertus), 4 1 7- Faucon, évêque de Paris, 1 1. Favaro (Antonio), 483, 486, 58o. Ferabrich (Richard), 444, 45 1. Fermât (Pierre de), 181. Fernel (Jean), a46. Ferrari (Luigi), 189. Filesag (Jean), 228. Fine (François), 520. Forcadel de Béziers (Pierre), 47. Forman (Jean), 162, 170. Fosinfronte (Giacomo), 496, 585. Foucher de Gareil, 569. François de Meyronnes, IX. Gadius, 417- Gaétan de Tiène (Saint), 494- Gaëtan de Tiène ou de Vicence, 56, 89, io5, 106, m, 112, 120-122, 1 55, 157, a3i, 234, 4o8, 4i2-4i5, 4g3, 494, 496-499, 5o2, 5o3, 5o5, 5o8, 5i3, 524, 535, 545, 546, 553, 559, 579, 58i. Gaguin (Robert), 16. Gaillardet, 16. Galien, 488-491. Galilée, V-VIII, X-X1I, XIV, 34, 54, i4i, i43, 181, 2o3, 210, 252, 259, 264, 290, 291, 3i2, 353, 389, 4oo, 5i4, 517-519, 562-569, 574-583. Gardeil (Le R. P. A.), 46. Gassendi (Pierre Gasseind, dit), V, 181, 259, 264, 577, 579. Galvin de Douglas, 162, 170. 592 études sur léonard de vinci GazÂli (Al), 2o5. Gentile de Foligno, 491. Georges de Hepburn, 162, 525. Georges de Peurbach, i4, 296, 399. Gérard d'Odon, 328, 329. Gerson (Jean), 174-176. Gesner (Conrad), 409, 4i6. Ghirlngallo (Giovanni), 5 12. Giacomo della Torre, voir : Jacques de Forli. Gilbert (William), 74, 44o. Gilbert de la Porrée, 339. Gilles de Rome [Gilles Golonna (?), dit], 5o, 77-80, 82, 84-86, 88, 112, 127, i33, 3i8, 327, 332, 334, 336, 343, 385, 4oi. Giuntim (Francesco) [Junctinus (Franciscus)], 237, 238. Goddam (Adam), 173. Godefroid de Fontaines, 327-329, 334, 336, 34o. Gonzalve Gilles de Burgos, i3i, i32. Gratien, 235, 236. Grégoire de Rimini, 123, i33, i36, 173, 181, 226, 23o, 372, 274, 27a, 377, 343, 344, 43i, 535. Grosse-Teste (Robert), évoque de Lincoln, dit Lincolniensis, 424. Guericre (Otto de), 44 1. Gueudeville, i58, i65. Guidobaldo dal Monte, voir : Mointe (Guidobaldo dal). Guillaume de Golymgam, voir : Colligham (William). Guillaume de Moerbeke, 76. Guillaume d'Ockam, VII, XI, i4, 26, 28, 33, 34, 43, 5o, i33, i36, i46, 147, i5o, 173, 177, 199, 202, 209, 234, 2^9, 363, 264, 272, 275, 279, 281, 34i- 343, 368, 409, 4i3, 45i, 464, 582. H Hain, 4i5, 487, 488, 491, 494, 4g5. Hamellius (Paschasius) , voir: Duhamel (Paschase). Heinbuch de Hesse (Henri), i5. Hennequin (Jean), 228, 238, 252, 253, 256. Hevno.n (Jean), 520-523. Henri de Gand, 233, 255, 319-322, 34o, 34i. Henri de FIesse, voir: Heiinbuch de Hesse (Henri). Henri de Oyta, i5. Hervé de Nedellec (Hervaeus Natalis ou Brito), 32o. Heytesbury (William) (Hentisberus ou Tisberus), 122, 173, 202, 33i, 400-409, 4i3, 4i5, 419, 4ao, 423, 439, 44a, 444, 4^9, 45i, 46o, 468-473, 474, 47"), 48o, 487, 493-496, 499, 5oo, 5o2-5o6, 5o8, 509, 5n, 5i3, 524-526, 528, 53o, 534-536, 538, 53g, 545-547, 549, 55o > 553-557, 55<), 568, 569, 579, 58i, 582. IIh'parqi 1:, 6i-63, 69, 76, 77, 79, 82, 84, 88. Hippocrate, 487, 488. i \iu.i. DES \i i m j«j. Hispàni s Pefrat), \ « >i 1 Pibrri i i p ta roi . Holeot [Robert), i33, 1 16, lo, s34, s4a, 943, 345, 346, fa Homère, ao5, 247, HUYGENS (Christidiui), i 4o, 3ll, [bn Badjà (Avempace), ao5. Iu\ RosCHD, voir: AvERROis. Ibn SinÂ, voir: Avicenni;. Imbart de La Tour (Pierre), 176. Isolam (Isidoro), 4 16. Jacques de Forli, philosophe à Bologne, 485. Jacques de Forli (Giacomo della Torre), médecin à Padoue, 120-122, 171, 329, 485-493, 496, 5u4, 525, 535, 545, 55o, 553, 585. Jamblique, i 18. Jean (copiste de la fin du xiv e siècle), 409, 475. Jean XXI, pape, 99. Jean XXII, pape, 8, 9. Jean XXIII, pape, 9. Jean d'Alexandrie, dit Philopon, le Grammairien ou le Chrétien, VI, VII, 34, 62, 254, 256. Jean de Bassols, 226, 23o, 234, 241, 243, 274, 335-34o, 342. Jean de Casal, 399, 492, 535. Jean de Celaya, i35-i4i, i48, i5o, i53, i55, 167, 23o, 234, 235, 237, 238, 242-246, 25i, 255, 265, 266, 272, 275, 543-555, 557, 55g, 56i, 579. Jean de Dumbleton, dit Dulmenton, 4o5, 4o8, 4io 4i3, 419, 420, 423, 425- 429, 434, 437, 438, 44o, 444, 446, 44g, 460-469, 474, 478, 480, 491, 547, 579. Jean de Duns Scot, VII, 5o, 98, 99, 101, 127, i3i-i33, 173, 199, 23o, 249, 274, 332, 334, 335, 339, 34o, 343, 344, 409, 4*6, 52i, 535, 582. Jean de Fidanza, voir : Bonaventure (Saint). Jean de Gemlnden, 296, 399. Jean de Jandun, i3, 4g, 8o-83, 88, 106, 109, 112, i35, 363. Jean de Linières, i5. Jean de Meurs, 47, 48, 295, 3oo, 3oi, 4oo. Jean de Mynda, ii. Jean de Saint Thomas, 289. Jean de Saxe, i5. Jean de Thélu, 10, 11. Jean l'Anglais, 33g. Jean le Chanoine, i35, 328, 343. Jean Virgile d'Urbin, 121. Jeanne de Bourgogne, 16. p. dlhem. 38 5g4 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Jeanne de Navarre, 16. Jérôme (Saint), 173. Joannes de Beylario, 482, 483. Joannes de Monte-Regio, voir : Muller de Koenigsberg (Jean). Joannes de Sacro-Bosco, i3o, 237. JORDANUS DE NeMORE, 2()4, 2Q&, l\2l\-!\2'], 433. JORDANUS DE NEMORE (Le COMMENTATEUR PÉRIPATÉTICIEN DE), 225, 425, 427, 533. Jourdain (Charles), 347. Juliani (Pedro), voir : Pierre l'Espagnol. Junctinus (Franciscas), voir: Giuntint (Francesco) Juvenis (Joannes), 12. K Kepler (Jean), 33, 54, 56, 74, i43, 149, 354, 375. Kingsford (C. L.), 4i3, 417. Kyluxuton ou Gliqueton (Richard), 446, 447- La Ramée (Pierre), voir : Ramus (Petrus). Las Casas (Barthélemi de), 270. Launoy (Jean), 175. Lax (Gaspard), 167, 174, 265, 266, 271. Le Blanc (Richard), 190, ig3, 198. Lefèvre d'Étaples (Jacques), 176-179, 238, 23g, 268, 270, 533. Leibniz, VII, VIII, 55, 4i8, 56g. Leland (John), 4i6, 417- Léonard de Vinci, V, X-XII, 6, 22, 3i-33, 54, 56, 57, 65, 92, 93, 108-112, n5, i28-i3o, 137, 1 45, i48, 157, 159, 160, 181, i85, 186, 189-193, 195, 197, 208, 211, 220-225, 244, 246, 257, 264, 284-286, 3 1 4, 36o, 36i, 369, 372, 434, 455, 5io-5i9, 556. Léonard de Vinci (Le Précurseur de), voir : Précurseur de Léonard de Vinci (Le). Le Roux de Lincy, 532. Lincolniensis, voir : Grosse-Teste (Robert), évèque de Lincoln. Lokert (Georges), 8, 19, i33, i58, 583. Luther (Martin), 162. M Mach (Ernst), 212. Major Ecrius Suevus (Johannes), i63. Majoris (Joannes), de lladington, i33, i34, i4a, i43, 161-167, 170, 175, i un i des u i lins 5g 5 177, [79, 226, -'">«), a34j a37, 3Ô8, 370*973, 275, &og, 5ig, 5a5, 5a6, i 538, 555. Mandonnet (R. IV Pierre), 3 20, 3a5, 14a, i'i MaUIAINO HOMAM», :»(>»). Marinis (T. de), f\8-j, 4g5. Maruano {('iionmmi), 9a, lao, [sa, lg5, 497 5oo, 5io, 'M, 58i. Mahsu.k de Padoue, i3. Marsile d'Inghen (Jean), i3-i5, 56, 93-97, 100, 101, iai, 12K, i33, [35, i4o, i4->, [44i ' r i 7 ■> [48, [53, 1 T> 5 - 1 « r > 7 , -iyx, 275, 283, 3 1 3, 354, 36o, 4oi-4o4, 449,482, 487, 5i 9 , 535, 58o. Mast (Jean), n, 12. Mauhoijco (Franceseo) (Maurolycus), i5q, i<)5, 196,35a. Mediavilla (Rigardus de), voir : Richard de Middletoiv. Melanghthon (Philippe), 23g, 24o, 2Ô2. Menéndez Pelayo, 269 . Mersenne (Le P. Marin), 208, 566, 567, 56g, 572. Messino, 4o8, 493-495, 499, 5o4, 5o6, 5o8, 5i3, 559. Meunier (Francis), 347, ^5. MlLHAUD (G.), XIII. Monte (Guidobaldo dal), 225. Morus (Thomas), i65. MtfLLER DE KOExNIGSBERG (Jean) (JOANNES DE ReGIO-MoNTE OU REGIO- MONTANUS), l4- N Naudé (Gabriel), 417. Newton (Isaae), VII, IX, 55, 56, 2o5. Nicolas de Gués (Nicolas Krypfs, dit), XII, 3i, 54, 109, i43, 222, 229, 239, 257, 258, 354, 371, 434. Nicolas de Normandie, 443. Nicolas de Orbellis, 99. Nicolas de Soissons, 12. Nicoletti (Paal), voir : Paul de Venise. Nifo (Agostino) [Niphus (Auguslinus)], n5-iao, 129, 45o, 549. Omont, 347. Oresme (Nicole), V1II-XI, XIII, 181, 268, 290, 296, 3i4, 346-4o5, 4i5, 419, 420, 434, 444, 448-45o, 455, 45 7 -45g, 466-468, 472, 474-485, 492, 5oo-5o3, 5o8, 509, 5i2, 5i8, 52*3, 524, 526, 529-531, 533, 535-54i, 546-548, 55i-554, 56i, 568, 572, 576, 579. Orphée, 2o5. 5g6 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Palissy (Bernard), 33. Pappus, 227. Pascal (Biaise), 181, 437. Paul de Venise (Paul Nicoletti d'Udine, dit), io4, io5, 123, i33, i34, i 7 3, 272, 48i-483, 485, 486, 4g3, 5o8, 5 2 4, 535, 54g, 553, 58o. Pelacant (Biagio), dit Blaise de Parme, 48, 225, 398, 483-487, 492, 5i2. Pelzer, 327. Peralta (Pierre), 142, Pereira (Bento) (Benedictus Pererius), 2o3, 204, 207. Philopon (Jean), voir : Jean d'Alexandrie. Piccolomini (Alessandro), 197, 198, 208, 210, 211, 2i3. Pic de la Mirandole (Jean), 124, i25, 129, 170, 45o. Pic de la Mirandole (Jean-François Galeotti), 125, 129. Pierre d'Ailly, i3o, 174-176. Pierre d'Auvergne, 70, 443. Pierre de Mantoue, 495, 535. Pierre de Saint-Amour, 443. Pierre le Lombard, i3i, 173, 3i6, 329, 332, 355, 525. Pierre l'Espagnol (Petrus Hispanus, peut-être le même que Pedro Juliani, plus tard Jean XXJ, pape), 99, 161, 173, 274, 524- Pipewell, Pippewell ou Palpavie (Adam), 423, 428, 433, 434. PlTSE, 409, 4l7. Platon, 127, 174, 372. Pline le Naturaliste, 173. Plutarque, 126. Pomponace ou Pomponat (Pietro Pomponazzi), io5, 120-123, 419, 420, 45i, 496- / , 9 8, 58i. Poole (R. L.), !\o-, 4o8, 4 10, 4n- Prantl (Cari), S20, 4o8, 443, 45o, 45 1. Précurseur de Léonard de Vinci (Le), auteur anonyme d'un traité De ponderibus, 64, 65, 71, 76, 80, 88, 95, 109-112, 189, 428. Proclus, 126. Proportionalitate motuum et magnitudinum (De), traité ano- nyme, 290, 292-295, 3o5, 4a5, 536. Ptolémée (Claude), 126, 248, 253, 256. Purbachius, voir : Georges de Peurbach. Q Quétif (Le P. Jacques), 266, 267, 271, 288. I Mil I 1)1 M M I II »')7 R v BEL vis, [64. iumus (Petrus) (Pierre La Kvmée, .">:>. RiBETRO {Jean et Gonsaloe), 544' lii« ahi>us du Giilymi Bsheoi, dit Suisetii ou le Calculateur, 117. 11, iaa, iag, 170, 171, 173, 180, 181, 199, 4o5, 409, 4i4-4ao, iag, 438, 43g, 4 '17, 4^9*45 1, '177-/181, 496-5oo, 5o2, 509, 5n, 5a4i 5a6, 5a8, 53a-536, 53g, 545, j'17, 55o, 55i, 553-556, 58 1, 58a. RlCARDUS DE USELIS OU DE VeRSELLIS, 29."», /|25, 473. RlCIIARD DE BeLINGHAM, 4 1 3. Richard de Middleton (Ricardus de Mediavilla), 74-77, 79, 82, 83, 88, 91, io5, 112, 118, 128, 182, 233, 255, 275, 33o-332, 335, 330, 338-34o, 3'i4, 409, 440, 464. Robert de Lincoln, voir : Grosse-Teste (Robert). Robert fils de Godefroid, 12. Roberval (Gilles Personne de), i4o, i53, 208. Roditon (Jean), 409. Romeo (Francesco), 269. Rosenthal (Jacques), 22. Saavedra (Pedro Francisco), en religion Dominique de la Croix, 2G7, 268. Sarpi (Paolo), 562, 563, 574. Scaliger (Jules César), 198-204, 436. Sepûlveda (Ginés de), 269, 270. Sex inconvenientibus (De), traité anonyme, 295, 399, 4o5, 420-423, 425, 428, 432-434, 439, 446, 471-474, 478. SlGER DE BRABANT, 44 2 , 443. Simon de Lendinaria, 4o8, 494. Simplicius, VI, 26, 58-6o, 62-64, 66, 69, 76, 84. 88, 118, i54, 177, 184, i85. Soderino (Francesco), 177. Soto (Francisco et, en religion, Domengo), XI, 263, 266-273, 275-291, 3i4, 353, 354, 36o, 36i, 368, 43i, 432, 437, 438, 555-56i, 572. Straton de Lampsaque, 58. Strodus (Radulph), 409, 444. Suicet, Suincet, Suiseth, noms donnés à deux personnages : i° Swines- head; 2 Ricardus de Ghlymi Eshedi. Voir ces deux derniers noms. Summenhard (Conrad), ioi-io3, i53. 5û8 ÉTUDES SUR LÉONARD DE VINCI Sunczel (Frédéric), 56, ioo-io3. Swineshead (Roger?), dit Suincet ou Suisset, X, 4o5, 408, 412-417, 4i9, 420, 4a3, 428, 444, 446, 448, 449» 45i-46o, 469, 477» 478, 48o, 487, 496, 498, 5o5, 547. Tannery (Paul), 566, 568. Tanstatter (Georges), i4, i5. Tartaglia ou Tartalea (Nicolo), 186-189, 2II > 2I ^> 22I > 222 > 2 ^7, 2 ^4, 36o. Tataret (Pierre), X, 96-98, 3 13, 3i4, 522, 523, 556. Telesio (Bernardino), 193-195. Tempeste (Pierre), 142, i63. Tempier (Etienne), évêque de Paris, VII, 125, 233, 248, 253, 254, 33o. Thabit ben Kourrah, 25o, 4s5. Thémistius, 59, 6i-64, 66, 67, 69, 71, 73-77, 80, 82, 84, 86, 88, 98, 117, 128, i33, i52, 177, 182. Thémon le fils du Juif (Temo Judaei), 11, i3, i33, 3o6, 363, 4i4, 582, 583. Théophraste, 58. Therold Rogers, 407, 4n. Thomas d'Aquin (Saint), VII, XIII, i4, 26, 34, 49, 69-71, 76, 80, 81, 83, 98, 99, 101, 107, 109, in, 118, 119,124, i3i-i33, i35, 222, 23o, 272, 274-277, 279, 283, 284, 286-290, 317-320, 322, 325, 327, 329, 332, 339, 343, 359, 524, 535, 58 2 . Thomas d'Aquin (Pseudo-), auteur d'un traité De pluralitate for- marum, 325-327. Thomas d'Aquin (Pseudo-), auteur d'une Summa totius logicae, 320-322. Thomas de Dumbleton, 4io. Thomas de Villeneuve (Saint), 267. Thomé (Alvarès), 53i-55o, 552-555, 557, 56i. Thurnmaïer (Jean), dit Aventin, i3-i5. Thurot (Charles), 3-5. Tisberus, voir : Heytesbury (William). Tisserand, 532. Torni (Bernardo), 4o8, .495, 5oo-5o2, 5og, 5i2, 5i3, 524, 53o, 53i, 54o, 546-548, 553,554, 56i. Torre (Giacomo della), voir : Jacques de Forli. Torricelli (Evangelista), V, VII, XII, 181, 353, 437. Trojanus (Curtius), 189. Vailati (Giovanni), 212, 2i5. Valla (Giorgio), 126-129, i45. TABLE DES àUTEl \ iLOia (Noël), ."> i<>. Vareou \ iron (Guillaume), 33i-334< ; VaTRET Million), ni. Verni ta de ( Ihii i i ( \ir<>lù), ;>f;, 106, 1071 111,1 iti, 1 20, 1 '■'>-]. \ 1 rsoris (Joannes), 98, 99, 593, .">-',. Vioomercati (Francesco), [84, (85, 204, 'j<>7- \ ii.i.on 1 Françoû), 16. Vittori de Fa en z a (Benedetto), 296. Viscn (Cmolus de), /i 1 7 . VivÈs (Juan Luis), i44-i46, i54, 167-172, 17I, 179-181,265, ^fiO, 271, 273, |i6, i5o, 488, 490, 'i«i^, 5^5-5^7, 53 1 . Vossius, 417. w Wallis (John), 4 18. William de Spyny, 12. Wohlwill (Emil), 54, 212. Wolfius, 417. Wolowski (L.), 347. Wood, 407, 4n, 4i3. X Ximénès (Le cardinal), 266. Zamberti (Bartolomeo), 534. TABLE DES MANUSCRITS CITÉS DA\s LA TROISIÈME SÉRIE Les manuscrits inarqués d'un * n'ont pas été directement consultés. Bibliothèque Nationale; fonds français. *N» 565, p. 347. N° 1083, pp. 347-3Go, 3Gs-3 7 4. Bibliothèque Nationale; fonds latin. N° 6527, pp. 421, 423, 428, 432, 4t3. N° 6529, pp. 520-622. N° 6558, pp. 4i8, 419, 479, 48o. N° 6559, pp. 294-299, 421-424, 428, 432-434, 472-474. N° 7190, pp. 48, 3oo-3oi. N° 7215, p. 47. N° 7368, p. 295. N° 7371, pp. 375-397, 402. N° 7377 B, pp. 47, 48. N° 7378 A, pp. 65, 3o 2 . *N° 7380, p. 3oo. *N° 7381, p. 3oo. N° 8680 A, pp. 47, 48, 65, 292-294. N° 10252, p. 48, N° 14576, pp. 299, 446, 447- *N° 14579, p. 3 7 5. *N° 14580, p. 3 7 5. N» 14715, p. 4i3. N° 14723, pp. 3-7, 22, 27-31, 34-46, 52, 89, 3oi. N° 16134, pp. 4o8, 409, 443, 444, 475-477- N° 16146, pp. 4n, 425, 426, 428, 429, 434-438, 44o, 46o-468. N° 16621, pp. 299, 4n, 4i3, 4i4, 4a5-43a, 434, 443, 448, 452-45 7 . 464, 466-468. Bibliothèque Municipale de Bordeaux. N° 163, pp. 33 2 , 333. TABLE DES MATIÈRES DK LA TROISIÈME SÊlUt Prkfack V XIII. Jean I Buridan (de Béthune) et Léonard de Vinci. i I. Une date relative à Maître Albert de Saxe 3 II. Jean I Buridan (de Béthune). 6 III. Que la théorie du centre de gravité, enseignée par Albert de Saxe, n'est aucunement empruntée à Jean Buridan . . 23 IV. La Dynamique de Jean Buridan 34 V. Que la Dynamique de Léonard de Vinci procède, par l'in- termédiaire d'Albert de Saxe, de celle de Jean Buridan. En quel point elle s'en écarte, et pourquoi. Les diverses explications de la chute accélérée des graves qui ont été proposées avant Léonard 54 XIV. La tradition de Buridan et la Science italienne au xvi e siècle n3 I. La Dynamique des Italiens au temps de Léonard de Vinci . Averroïstes, Alexandristes et Humanistes. ....... n5 II. L'esprit de la Scolastique parisienne au temps de Léonard de Vinci 129 III. La Dynamique parisienne au temps de Léonard de Vinci. . 137 IV. La décadence de la Scolastique parisienne après la mort de Léonard de Vinci. Les attaques de l'Humanisme. Didier Érasme et Louis Vives 160 V. Comment, au xvi e siècle, la Dynamique de Jean Buridan s'est répandue en Italie 181 VI. Des premiers progrès accomplis en la Dynamique parisienne par les Italiens. Giovanni Battista Benedetti 214 VII. Des premiers progrès accomplis en la Dynamique parisienne par les Italiens (suite). Giordano Bruno 227 XV. Dominique Soto et la Scolastique parisienne 261 I. Avant-propos 263 II. Vie de Dominique Soto, frère prêcheur 267 6o4 ÉTUDES SUR LEONARD DE VINCI Pages. III. Dominique Soto et le Nominalisme parisien 270 IV. L'Infini potentiel et l'Infini actuel 273 V. L'Équilibre de la Terre et des Mers 277 VI. La Dynamique de Jean Buridan et la Dynamique de Soto . 279 VIT. Soto tente d'accorder les opinions d'Aristote et de Saint Thomas avec l'hypothèse de Yimpetus 286 VIII. Les origines de la Cinématique. Le traité De proportiona- lilate motuum et magnitudinum . 290 IX. Les origines de la Cinématique (suite). Thomas Bradwardine. Jean de Meurs. Jean Buridan , . . . 295 X. Les origines delà Cinématique (suite). Albert de Saxe. . . 302 XI. Albert de Saxe et la loi suivant laquelle s'accélère la chute d'un grave 309 XII. De intensione et remissione formarum ......... 3i4 XIII. Nicole Oresme 346 XIV. La Dynamique d'Oresme et la Dynamique de Buridan. . . 35o XV. Le centre de gravité de la terre et le centre du Monde ... 36 1 XVI. La pluralité des mondes et le lieu naturel selon Nicole Oresme 367 XVII. Nicole Oresme inventeur de la Géométrie analytique . . . 375 XVIII. Comment Nicole Oresme a établi la loi du mouvement uni- formément varié 388 XIX. L'influence de Nicole Oresme à l'Université de Paris. Le traité De latitudinibus formarum. Albert de Saxe. Marsile dTnghen . , 399 XX. L'École d'Oxford au milieu du xiv e siècle. Guillaume Heytesbury. Jean de Dumbleton. Swineshead. Le Calcu- lateur. Le traité De sex inconuenientibus. Guillaume de Colligham 4o5 XXI. L'esprit de V Ecole d'Oxford au milieu du xiv e siècle. I. La Physique 424 XXII. L'esprit de l'Éèole d'Oxford au milieu du xiv e siècle. II. La Logique 44 1 WIII. La loi du mouvement uniformément varié à l'École d'Oxford . 45 1 A. Le De primo motore de Swineshead et les Dubia pari- siensia 45 1 B. La Summa de Jean de Dumbleton 46o C. Les liegulœ solvendi sophismata et les Probationes de Guillaume Heytesbury 468 D. Le Tractatus de sex iuconvenientibus ........ 471 E. L'opuscule intitulé : A est unum calidum 474 F. Le Liber calculalionum de Ricardus de Ghlymi Eshedi. 477 XXIV. Comment les doctrines de Nicole Oresme se sont répan- dues en Italie 48 1 XXV. Comment les doctrines de l'Ecole d'Oxford se sont répan- dues en Italie 4q3 I \bi.i-: l>i> m \ i il ni s XXVI. Léonard de Vinci et les lois de la chute des grave ... 5io wyii. L'étude