BIBLIOTHECA ACADEMIAE CATHOLÏCAE HUNGARICÀE SECTIO PHILOSOPHICO - THEOLOGICA - Vol. III —- : - P. STANISLAS JÂKÏ, O.S.B. LES TENDANCES NOUVELLES DE L’ECCLESIOLOGIE € CASA EDITRICE HERDER ROMA BIBLIOTHECA ACADEMIAE CATHOLICAE HUNGAR1CAE MODERANTE P. ÏNNOCENTIO DAm, O.F.M. SECTIO PHILOSOPHICO-THEOLOGICA VOLUMEN TeRTIUM P. STANISLAS JÂKI O.S.B. LES TENDANCES NOUVELLES DE L’ECCLESIOLOGIE CASA EDITRICE HERDER ROMA 1957 Dissertationem Domlni Stanlslai Jaki O.S.B. cul tltulus est : « Les Tendances actuelles de l’Eccléslologie » vidlmus et approbamus. D. Cyprianus Vagaggini O.S.B. D. Gerardus Békés O.S.B. Ex Pontlficio Instltuto S. Anselmi de Urbe, die 20 februaril 1957. Imprimi potest: Roinae, die 21 februaril 1957 P. Augustinus Mayer O.S.B. Hector Inst. Pontlf. S. Anselmi de Urbe Imprimatur: Sublaci, die 28 februarii 1957 4* Simon Laurentis Salvi O.S.B. Ep. tit Diocaesarlen. et Abb. Ord. PROPRIETES LITTERARIA Roma - Tlpografla de! Senato dcl dott. Gioyannl Baril TABLE DES MATIEBES pag. INTRODUCTION. 6 CHAP. I — Les origines des tendances actuelles de Pecclésiologie . 19 I Le romantisme. L’Ecole de Tubingue. Moehler. 21 II J. H. Càrd. Newman. 36 III F. Pilgram et son école . 44 IV Le naturalisme et le mystère de l’Eglise. 64 V Le renouveau spirituel et le mystère de l’Eglise. 61 VI Les déviations et mises au point. 73 CHAP. II — Les ccclésialogies non-catholiques. 82 I L’ecclésiologie protestante récente. 83 II La réponse catholique: critique et intégration. 93 III L’ecclésiologie orthodoxe récente. 99 IV La réponse catholique: critique et intégration.116 V L’ecclésiologie du mouvement oecuménique.129 VI La réponse catholique: critique et intégration.139 VII Le mouvement missionnaire et l’ecclésiologie catholique . . 160 CHAP. III — Le retour aux sources .164 I Recherches récentes sur l’ecclésiologie do la Bible .... 166 II Recherches récentes sur l’ecclésiologie des Pères.170 III Recherches récentes sur Pecclésiologie de la Scolastique. . . 191 CHAP. IV — Recherches systématiques sur l’Eglise ....... 204 I Le mystère de l’Eglise.206 II La structure de l’Eglise.221 III La médiation universelle de l’Eglise.239 IV La définition de l’Eglise.248 V La portée de Pecclésiologie dans la théologie.261 CONCLUSION.261 ABREVIATIONS.266 BIBLIOGRAPHIE.267 NOMS DES AUTEURS.269 INTRODUCTION Il est devenu courant depuis auelques dizaines d’années de parler du renouveau de 1’eeclésiologie. Dans tous les domaines de la théologie catholique une idée, à coup sûr traditionnelle, mais négligée depuis longtemps, a reçu de nouveau une attention particulière: l’idée du Corps mystique du Christ. (1) Ce n’est pas que l’Eglise aurait cessé vivre de ce mystère, «mais les récents mouvements d’idées l’avaient fait passer au premier plan de l’enseignement distribué couramment aux fidèles ». (2) Donc on ne s’étonnera pas si l’on trouve, en feuilletant quelque peu n’importe quel ouvrage récent sur l’Eglise, des affirma¬ tions semblables à celle du P. de Lubae : « Dans la ferveur avec laquelle se propage et se vit aujourd’hui la doctrine traditionnelle du Corps Mystique, c’est bien le Souffle de l’Esprit divin, croyons-nous, qu’il convient de reconnaître. » (3) Il est intéressant de voir que même les cercles non-catholiques ont constaté de bonne heure ce changement dans notre théologie. Le traité de l’Eglise, écrit La Piana, est devenu dans le système catholique le centre, d’où toute la théologie reçoit sa lumière et vers lequel se concentrent toutes les lignes du dévelop¬ pement. (4) Mais en dehors de l’Eglise catholique aussi on assiste à une revalorisation de l’idée de l’Eglise: citons par exemple le nom de S. Boulgakov parmi les orthodoxes, qui, tout en admettant que « pour l'exposition des principes fondamentaux de l'orthodoxie on peut choisir différents points de départ», est aussi d’avis que «pour notre époque, c’est la doctrine sur l’Eglise, qui semble du point de vue dogmatique la plus importante et essentielle». (5) Parmi les protestants, l’évêque luthérien, O. Dibelius, a appelé, à bon droit, notre siècle, le siècle de l’Eglise, (6) et les mots du théologien de Zürich, E. Brunner, ne sont pas moins heureux en ce qui concerne l’orientation de la théologie (1) Cf. A. Wisenhauser: Die Kirche als der mystische Leib Christi nach dera Apostel Paulus. Münstcr (W) 1937. p. 2. (2) P. G altier: L’Encyclique sur le corps mystique du Christ et la spiritualité. RAM 22, (1946) p. 44. (3) Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme. Paris 1941. 2e éd., pag. 251. (4) Rccent Tendencies iu Roman Catholic Theology. HTR 15, (1922) 267. (5) Thcsen über die Kirche, dans Procès Verbaux du premier Congrès de théologie orthodoxe à Athènes, 26 nov. - 6 déc. 1936, publiés par H. 8. Alivisatos, 1939. Athènes, p. 127. protestante: «La question de l’essence de l’Eglise est une question décisive pour la théologie »(7). Le théologien catholique, Brinktrine, a eu donc raison de dire qu’aucun thème n’est aussi actuel < intra et extra muros», que celui de l’Eglise (8). Bref, l’existence des tendances nouvelles dans l’ecclésiologie est un fait désormais indiscutable. Comme preuve mentionnons une littérature vaste, bien entendu pas toujours de la même valeur, mais qui s’impose néanmoins à celui qui entend aborder en théologien le mystère de l’Eglise. Ce qui est le plus caractéristique dans ces ten¬ dances nouvelles, c’est l’intention de dépasser les limites de l’ecclésio- logie posttridentine. Cette réaction domine tellement ces tendances, que sans connaître la structure d’un traité écrit sur l’Eglise en esprit apologétique, on ne peut point pénétrer leur véritable signification. Il faut d’ailleurs noter que l’ecclésiologie posttridentine n’est qu’une phase, bien que la plus décisive, d’un long développement théologique, partant du Bas Moyen-Age et finissant au XIX* siècle. Sous la pression des luttes entre l’Eglise et l’Etat, de la réforme protestante et de la laïcisation progressive de la civilisation occidentale, la pensée théologique devait prendre une conscience plus approfondie du mystère de l’Eglise et en le distinguant de la « culture chrétienne », devait mieux élaborer sa relation correcte à l’ordre naturel. Il nous semble donc que les tendances nouvelles de l'ecclésiologie, malgré l’op¬ position apparente entre elles et l’ecclésiologie posttridentine, ne sont que l'aboutissement et la réalisation de la logique interne qui a travaillé dans l’ecclésiologie catholique pendant plusieurs siècles. Découvrir et retracer, du moins en grandes lignes, cette logique interne, voilà un des résultats précieux des nouvelles recherches de l’ecclésiologie. C’est le P.J. Leclerq qui a décelé cette idée sous-jacente en ce qui concerne la première phase de ce long développement préparatif des tendances actuelles. Ses recherches sur la pensée ecclésiologique de Jean de Paris (9) attirent notre attention sur le dééquilibre qui a caractérisé la relation entre les deux ordres, naturel et surnaturel, avec la prépondérance trop accentuée de celui-ci. La tradition augusti- nienne a présenté de fait l’Etat, uniquement en fonction de l’ordre surnaturel, comme un châtiment du péché originel. L’estimation plus objective de l’ordre naturel, en somme l’influence de la philosophie d’Aristote, (10) ne pénètre d’abord que les écoles théologiques; «l’ec- clésiasticité » domine encore pour longtemps si bien l’atmosphère médiévale, que le mystère de l’Eglise ne s’offre pas aux théologiens comme l’objet d’une analyse particulière. C’est une des raisons impor- (7) Dos Gebot und die Ordnungcn, Zürieh 1932. p. 508. (8) Von der Struktur und dem Wesen der Kirclie. TG 26, (1934), p. 21. (9) Jean de Paris et l’ecclésiologie du XIII' siècle. Parii 1942. (10) La Politique d’Aristote, traduite en 1260, va servir de base pour les !“■ 1 * I ) J J I I tantes, pour laquelle on chercherait en vain chez Saint Thomas un traité distinct sur l'Eglise, bien que son œuvre théologique soit un trésor d’idées ecclésiologiques profondes. Le conflit entre Philippe le Bel et Boniface VIII devait venir montrer aux théologiens les changements radicaux en marche dans la structure de l’ecclésiasticité médiévale et provoquer leur refléxion sur l’Eglise opposée, sinon de droit, du moins de fait, à la société laïque (11). C’est ainsi que déjà les premières ébauches d’une ecclésiologie, séparée des autres traités, justifient la comparaison du P. Congar : le traité de l’Eglise a été élaboré comme le Temple des Juifs a été construit après l’Exil: glaive en main. A première vue, les œvres produites pendant ce conflit sont con¬ centrées autour du problème du pouvoir temporel des pontifes romains, mais au fond ce sont les idées dogmatiques qui commandent la solution. Pour défendre l’idée du pouvoir direct, Gilles de Rome s’appuie sur la tradition augustinienne ; (12) Jacques de Viterbe, qui élabore le premier les notes de l'Eglise en tant que royaume surnaturel, hésite à prendre une position nette dans la querelle (13), mais Jean de Paris se prononce nettement en faveur de l’idée, du pouvoir indirect (14). Ses raisons prennent racine dans la considération christologique de l’Eglise: cette dernière doit reproduire et prolonger l’humanité du Christ, qui n’a pas exercé le pouvoir séculier, donc les deux hiérarchies, ecclésiastique et séculière, doivent être distinctes dans la pratique aussi. De même, étant donné que l’unité de l'Eglise réside avant tout dans un rattachement à la Tête du Corps mystique, les facteurs temporels de l’unité n’y peuvent jouer qu’un rôle secondaire. Mais, en ce qui concerne le côté pratique de l’établissement d’un équilibre entre le Pape et le roi, Jean de Paris cède à une sagesse trop humaine: c’est à un troisième parti, le concile, qu’il assigne le rôle d’arbitre. Premier à constater «que le régime cesse d’être sacral», Jean de Paris veut « substituer, comme moyen d’influence de l’Eglise sur l’Etat, le pouvoir d’ordre et de magistère au pouvoir de juridiction. Ce qu’il propose... c ’est la formation chrétienne, par la foi et les sacraments, des laïcs, qui feront eux-mêmes une politique chrétienne, ou plus exacte¬ ment, qui feront chrétiennement une politique vraiment humaine, qui appliqueront en matière contingente les principes immuables du droit humain restauré par le Christ et respecté par l’Eglise» (15). Malheureusement le développement tranquille de ces idées a été rendu impossible par l’exagération des «spirituels» de l’ordre francis- (11) Of. J. Rivière: Le problème de l’Eglise et de l’Etat au temps de Philippe le Bel. Paris 1926. (12) De ecclesiastica potestate libri très. Ed. à Florence, 1908. (13) De regimine christiano, réédité récemment par X. Arquillière: Le plus ancien traité de l’Eglise. Paris 1926. (14) Cf. J. Leclerq: Op. oit. passim. (15) Op. cit.^ p. 164. I I 1 I cain (16) qui est aussi à la base de l’œuvre ecclésiologique d’un Oc- cam (17). Plus tard Wicleff (18) et Hus (19) ne font qu’élargir et synthétiser ces erreurs et forcent les théologiens à mettre l’accent sur l’aspect extérieur de l’Eglise. C’est dans ce sens que se meuvent les idées du carme Thomas Netter (20), adversaire le plus en vue de ces hérésies. Les théories conciliaires en vogue au cours du XV' siècle n’ont pas tardé à contribuer à rendre suspect l’aspect intérieur de l’Eglise à tel point que le cardinal Turrecremata limite sa Summa de Ecclesia aux points suivants: l’Eglise universelle, l’Eglise romaine, la primauté du Souverain Pontife, les conciles œcuméniques, les schismatiques et les hérétiques (21). Tout en se posant comme le défenseur de la primauté romaine, Turrecremata, avec sa doctrine sur la « potestas ex consé¬ quent » du siège de Rome, se rattache à ceux qui avaient déjà désiré une certaine restriction du pouvoir pontifical en matière civile (22). En somme nous pouvons dire que les résultats majeurs de cette première phase de 1 ’ecclésiologie catholique se ramènent à deux : une forte mise en avant-plan de l’aspect extérieur de l’Eglise et la tendance de la distinguer de l’ensemble de la civilisation médiévale (23). L’œuvre ecclésiologique de Luther, qui a déterminé la position de ses adversaires catholiques et aussi la voie de 1’ecclésiologie catholique, est étroitement liée aux problèmes de l’époque précédente que nous venons de voir. Il était l’héritier d’un augustinisme interprété sous le spectre du nominalisme et ne pouvait pas éviter non plus l’influence du spiritualisme hérétique de Hus, dont le De Ecclesia a été lu par lui justement en octobre 1519. Luther, de fait, a poussé à l’extrême la distinction entre l’extérieur et l’intérieur. Celui-là va être identifié avec l’ordre naturel, corrompu par le péché, tandis que celui-ci signifiera la totalité de l’ordre surnaturel. Donc Luther est resté fidèle à ses principes quand il a comparé le corps mystique à une (16) Cf. E. Benz : Ecclesia spiritual». Kirchcnidce und Gcschichtsthcologie der frnnziskanischen Reformation. Stuttgart 1934. (17) «Dialogua» de 1343; Super potestate Summi Pontifie» octo questionum decisiones, (entre 1339 et 1342), éd. par M. Goldast: Monarchia romani imperii, 3 vol. Amsterdam 1631. Cf. aussi A. Hammam: La doctrine de l’Eglise et de l’Etat chez Occam. Paris 1942. (18) Tractatus de Ecclesia, 1378-9. Ed. par J. Loserth. London 1886; De po- testatc Papae, éd. par J. Loserth, London 1908. (19) Liber egregius de unitate Eeclesiac, 1413. Imprimé à Mayence en 1520. The Church by J. Hus, translated with notes and an introduction by D. S. Scbaff. New York 1915. (20) Doctrinale antiquitatum Eidei Ecclesiae Oatholicae adversus Wiclevitas et Hussitas, composé en 1415-1429. (21) Summa de Ecclesia, Bomae 1489. (22) Cf. J. Leclerq: L’idée de la Boyauté du Christ pendant le Grand Schisme et la crise conciliaire. AHDLMA 17, (1949), 249-265. (23) Voir, P. Theeuws: Jean de Turrecremata. Les relations entre l’Eglise et le pouvoir civil d’après un théologien du XV® siècle. Louvain 1943. — y — âme, à une société strictement invisible, comme W. Wagner nous le montre dans son étude sur l’idée du corps mystiaue chez le jeune Luther (24). Donc la Réforme avec sa négation farouche de toute médiation des sacrements, du sacerdoce, de l’épiscopat, de la primauté romaine, ne pouvait pas ne pas mettre en relief du côté catholique une ecclésiologie où la hiérarchie et la démonstration apologétique de l’Eglise visible l’emportent sur tout autre problème. Le chef-d’œuvre catholique de cette époque, les Disputationes de Bellarmin (25), trahit déjà par sa structure même, combien les problèmes polémiques y tiennent la pre¬ mière place. Le Souverain Pontife, l’Eglise réunie en concile, les membres de l’Eglise militante, souffrante et triomphante, voilà les aspects principaux d'un livre qui n ’a pas cessé d'exercer une influence profonde sur l’ecclésiologie catholique. Certes, il serait exagéré de dire que cette époque ne connut que le côté extérieur de l’Eglise. J. Willen, dans une étude sur l’idée du corps mystique dans la théologie catholique du XVI* siècle (26), arrive à constater que, même si l’on ne trouve pas chez la plupart de ces théologiens un exposé systématique sur le corps mystique, leurs pensées n’en sont pas moins aussi précieuses que les écrits de notre époque (27). Il est vrai que ces théologiens, préoccupés de montrer que les pécheurs ne cessent pas de rester membres du corps mystique, ne pouvaient pas donner l'aspect le plus profond de ce mystère; on peut aussi dire qu’ils donnent trop souvent libre cours à leur fantaisie en cherchant un parallélisme minutieux entre les membres du corps humain et les fonctions diverses de l’Eglise. Mais il ne reste pas moins vrai que ces auteurs ont voulu rester fidèles à la tradition et que leur doctrine a été souvent sous-estimée ou dépréciée par les tendances actuelles (28). Le souhait de Willen (29) que les recherches un peu générales du P. Mersch sur cette époque (30) soient complétées par des études spé¬ ciales, a été réalisé du moins dans une certaine mesure. Ces recherches, conduites en majeure partie sous la direction du P. Tromp, ont abouti à des résultats variés. A propos de l’ecclésiologie de A. Pigge, L. Pfeifer (31) a dû constater qu’on ne trouverait chez lui ni les grandes (24) Die Kirche aie Corpus Christi Mysticum beim jungen Luther. ZKT 61 (1937) 29-98, voir surtout pp. 84-85. (25) Disputationes de eontroversiis christianae fidei adversus hujus temporis hacreticos. Cours professé au -Collège Romaine de 1576-1588. (26) Zur Idée des Corpus Christi Mysticum in der Théologie des 16. Jahrhun- derts. Ca 4 (1935) 75-86. (27) Art. cit., p. 76. (28) Art. cit., p. 86. (29) Ibid. (30) B. Mersch: Le Corps Mystique du Christ. Etudes de théologie historique. Paris 1951. 3* ed., pp. 159 sv. (31) Ursprung der katholischen Kirche und Zugehorigkcit zur Kirche nach Albert Pigge. Würzburg 1938. p. 54. — 10 — lignes d’une théologie du corps mystique, ni une considération systé¬ matique du mystère de l’Eglise, à l’encontre de l‘opinion de IL Jedin qui voit justement dans l'idée du corps mystique le pivot de la théologie de Pigge (32). Une autre étude sur F. Toledo (33) illustre plutôt-les distinctions recherchées de l’Ecole des Salmantieenses en çe oui con¬ cerne la relation entre la Tête et les membres. C’est encore l'œuvre théologique de Suarez qui a offert la plus abondante matière à cet égard. Mais ici aussi la conclusion de F. Spanedda (34) ne reflète qu’une idée assez générale. Il est à regretter que son ouvrage ait négligé un devoir très important: mettre en relief l’influence de Suarez sur Pas- saglia et Franzelin et à travers ce dernier sur le Schéma De Ecclesia du Concile du Vatican. En dernière analyse on ne pourrait pas montrer davantage, que les idées traditionnelles ont survécu dans cette époque. Même si l’on prend le Catéchisme Romain, les écrits de St. Pierre Canisius, du franciseain J. A. Delphini (35). du eard. Hosius (36) et les plus belles parties des controverses de Bellarmin (37). le jugement du P. Merseh sur cette époque reste plus ou moins définitif : « Au total ils ont parlé peu, et de façon peu énergique du corps mystique» (38). Les siècles suivants n’étaient pas plus favorables à une meilleure compréhension de l'Eglise. Contre le jansénisme, épris d'une restaura¬ tion chimérique des premiers temps de l’Eglise, on a mis l’aecent sur le pouvoir central (39). La reprise maladroite des idées de saint Augustin par les jansénistes (40) a discrédité pour longtemps une remise en u (32) Btudien über Sehriftstellertàtigkeit Albert Pigges. Mnnster « 73 O doctrin, Antonü Delphini A^JarÏi. ( ) ’ “ lmii theolo « i «.ncilio Tridentino. Pylône IMS? par “c 0 ^ - - «-P- «« a'r , B.™SS ST S’m^miSS" C " TorU Qmiti (3«) Op. au Ed. 3, vol. 11 , p Ur - “ 8 ‘ 9 - 290 -. 1-étude de M. Ramsauer sur — C eat d'ailleurs aussi U conclusion de corp. my.Uque, (Die Kirehe in don g'fV de * faté<,Ui * me3 P“s«ndentins sur le 313-346): Katechiamen. ZKT 73 (1961) PP . 129-169: (39) Un décret de Rome du 24 janrt M. de Barcoa: «De l’autorité de Saint r. 1043 '““damne deux écrit, du janséniste maine >, ParU 1B45 - ef. DB. 1091 -1 W*”®* et « La grandeur de l'Eglise ro- J, Habert: De cathedra son primatû «• 1>an “i les réfutateura U suffit de noter ■tollca et romana, libri duo. Paris ltu« gulaïi ®- Pétri in ecclesia catholiea apo- (40) Cf. les thèse* condamnées fTp',- et des prédestinés. DB. 1422-1427. V * 7 ) de P. Quesne) sur l’Eglise des justes — Il honueur I Intérieur de l'KglUc l>e fsli nu Concile «lu Vatican plusleur» évèqura oui dénoncé l'expression «Corps Mystique» A cause « ilt* hh naveur Janséniste » (41). la* laie lame ri labaolutlaïup «»l»lhpu* du XVIII* siècle amenèrent A leur tour une forte mise en relief tir l’Wglixe comme société autonome I>( parfaite 1 '•> 1 1 ** tendance h M,lt achèvement dan» lu définition dp l'Infaillibilité du Pontife Humain ri dan* uue insistance particulière mtr Ir magistère contre lu modernisme Poussée par In Réforme, l’cecléslologle pimttrldeullno semblait prendre uur tmaltion strictement apologétique. MnU cr> it'élall qu'eo apparence. Kit réalité oetto eccléslolngle était un ensemble oascs hétéro¬ gène dr pidntH dr VUO dogmatiques rl apologét Iqura. Im M^piirHliutl nrtlr dr era deux aspects n’u ru llru qu'après un long développement motivé, d’une part pur Ira changements effectués nu sein du imitntHiitUiue et, d’autr* part pur Ira effort* ininterrompus dra eoeléelolugura catholique* en fnre dra l)muiu!i nouveaux. L'aspect peut-être le pIllN évident dr OCtte solution rat Dilatoire dra nuira dr l'WglIse (4SI). Ku fait, drpula le XVII* MltVdo un aiwiHte A un rétrécissement continuel rn er qui non- rrrne lr contenu dr cm unira, comme preuve* apologétiques, Quant A lu note dr la sainteté un nombre considérable d'apuluglntra a trouvé bon d’eu éliminer la sainteté de l'enseignement et dra moyeu», pour s’appuyer plutôt mtr t’héroYoité dra aaluti canonisé», Dana la note de l'unité ee sont l'unicité, l'exclusivité et la primauté romaine qui tien¬ nent la place prépondérante. A propoa de la notion de la catholicité, ou préféré parler de la catholicité qualitative et on n'attribue plus une importance décisive A la catholicité quantitative et apatiale. De même la triple apoatolioité d'origine, de doctrine et de auceeralon hlérarehhiue ne rétrécit de plus en plutt, en tant que note apologétique, A la sucomMiiou dra l'ont ifes Humains. Fautdl attribuer cca changement», qui n'accentuaient surtout nu couni dra cent dernlérea nnnéra, uniquement A l'iilfluenue de l’rapril moderne, ai méfiant dra discussions apologétique» et al incliné A une aorte de symbolisme et do relativisme f Ou bien fautdl ajouter A eea causes, sans doute importantes, la nouvelle situation Intcrooufewbmielle, A savoir, les tarifes (troupes protestants devenus tulngniutlqucs au eours du siècle passé; le mouvement uuiuninte et la renaissance indiseutable do certaines communautés non-onthollquraî flan» vouloir minimiser l'importance de cm motifs, il ne faut pus oublier que la uécésaité d'in¬ sérer In matière ecclésiologique, éliminée d’un bon nombre de nos traités apologétiques, dans un système dogmatique est allée parallèle avec une prise de conscience plus nettement dirigée ver» le mystère surnaturel. Ce n'rat pas un cas fortuit que ce renouveau théologique soit en partie (4.1) Voir (tans Mnnsl vol. LI (fil) eol. 7(11. (03) 0. Tiirujt !■*»» mites (le l'ifigllse dsn» l'apologétique catholique depuis le Réforme, ûemldoux 1007, — 12 — une réaction contre le siècle passé dominé si fortement par le na¬ turalisme. Mais en même temps l’exposition scolaire de l’idée de l’Eglise, telle qu’elle est présentée dans les manuels De Ecclesia, est restée dans les cadres traditionnels depuis la Réforme, donc surtout apologétiques. Prenons au hasard quelques uns parmi les manuels récents. J. Bain- vel (43) divise son traité en deux parties: l’Eglise en elle-même et le Souverain Pontife. Dans la première partie il distingue une section plutôt apologétique, concernant l’institution et les notes de l’Eglise (44) et une autre section, plutôt scolastique, qui comprend la nature, les membres et les pouvoirs de l’Eglise et ses rapports avec la société civile (45). Le mystère proprement dit de l’Eglise y est restreint à peu de pages (46). La deuxième partie du livre est consacrée en entier à la primauté romaine, développement uniquement apologétique (47). On peut dire sans exagérer que les manuels De Ecclesia reflètent, presque sans exception, la position de Bainvel : développements pour la plupart sur l’aspect extérieur, hiérarchique, sociologique de l’Eglise, avec quel¬ ques annotations sur son mystère. En d’autres mots: à côté des déve¬ loppements détaillés sur la structure de l’Eglise, la vie, que ccttc struc¬ ture doit servir, est presqu'entièrement négligée. Des manuels qui se flattent d’avoir suivi le Docteur Angélique, ne forment pas une exception non plus: ils sont loin d’avoir pénétré sa pensée véritable sur l’Eglise. Sans discuter en détail l’intention de J.V. de Groot qui a pensé pouvoir trouver dans les œuvres de saint Thomas tous les éléments d’un traité apologétique de l’Eglise (48), il nous sem¬ ble que le livre de G. Paris (49) ne montre pas non plus une compréhen¬ sion suffisante des idées ecclésiologiques de saint Thomas. Ce jugement ne paraîtra pas trop sévère si l’on voit l’auteur renvoyer la doctrine sur le corps mystique dans un bref appendice (50). Parmi les manuels publiés au cours de ces dernières années, il suffit de citer celui de Zapelena (51) et celui de Vellico (52), pour se convaincre que le tour (43) De Ecclesia Christi. Paris 1925. (44) pp. 23-81. (45) pp. 82-176. (46) pp. 91-98: l’Eglise dans son rapport au Christ, & l’Esprit, & Marie. Cf. encore les pp. 111-118 sur la communion des saints. (47) pp. 177-233. (48) Suinuia apologctica de Ecclesia catholica ad mentem S. Thomae Aqui- natis. Ratisbonae 1906. Ed. 3. (49) Ad mentem S. Thomae Aquinatis tractatus do Ecclesia Okristi. Taurini 1929. (50) ^ Op. cit., pp. 63-64. (51) T. -Zapelena: De Ecclesia- Christi.--Romae. Pars apologetica 1946.— Il faut noter que l'édition revue et augmentée du deuxième volume de cct ouvrage pré¬ sente d’une façon beaucoup plus adéquate le mystère de l’Eglise: De Ecclesia Christi, Pars altéra apologetico-dogmatica. Ed. altéra emendata. Romac 1954. Ed. 4. Pars dogmatica (ad usum auditorum) 1940. (52) A. M. Vellico: De Ecclesia Christi. Tractatus apologetieo-dogmatieus. Romae 1940. — 13 — d'horizon des manuels ne s’est pas bcaeoup élargi. A côté des déve¬ loppements apologétiques on trouve quelques remarques, tout au plus quelques thèses, sur le mystère de l’Eglise. Cette insuffisance des traités courants de l’Eglise a été marquée à maintes reprises dans la littérature ecclésiologique récente. Les criti¬ ques exagérées, réprouvées d’ailleurs par l’Encyclique Humam Generis, nous ne les faisons pas nôtres (53), mais avec Mgr. Journet (54) et le P. Congar (55) nous sommes d’avis, que le souci de vouloir garder fidèlement les valeurs indiscutables de ces traités ne peut fermer les yeux du théologien devant les défauts incontestables des mêmes traités et que ce rétrécissement de l’horizon de nos traités sur l’Eglise a réagi aussi sur d’autres traités, ce qui était tout à fait selon la logique des choses. A propos de la puissance unitive de l’Eucharistie au sein de l’Eglise ,Dom J. Simon devait signaler, non sans une déception pro¬ fonde, que «si l’Année Liturgique (de Guéranger) et quelques rares ouvrages mystiques n’avaient pris soin de la remettre en circulation, ce serait de nos jours une doctrine bien oubliée » (56). En tout cas ce que Dom Simon a cherché en_vain dans les traités sur l’Eucharistie, il l’aurait trouvé encore moins dans les manuels sur l’Eglise. C’est- d’ailleurs aussi le jugement du P. Tyszkiewicz, qui après avoir passé en revue les manuels les plus remarquables, doit constater, que l’idée de la divino-humanité de l’Eglise, autrement dit son mystère, n’est pas encore suffisamment éclairci par ces auteurs, ou bien l’exposé en est encore trop vague (57). C’est pourquoi nous ne pouvons pas souscrire à la qualification de ces manuels faite par ce même Père, sans une certaine réserve, quand il les appelle : « nos bons traités sco¬ laires De Ecclesia » (58), parce qu’ils ne sont excellents qu’au point de vue apologétique. Et même sous cet aspect apologétique le P. Tysz- kiewicz doit admettre que « nos traités De Ecclesia ne rapprochent pas les pravoslaves de l’Eglise catholique» (59). Que manque-t-il alors à nos manuels! Pour répondre à cette question, nous empruntons à l’épilogue de l’ouvrage de Bainvel un passage très caractéristique où il avoue ce qu’il n’avait pas dit sur l’Eglise: « Sed quis dicat pulchritudinem sponsae Christi, qualis nobis et ostenditur in Scriptura et intuentibus apparet : ' Pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut castrorum acies ordinata; qualis ostensa est Joanni : mulier amicta sole et luna sub pedibus ejus et in capite ejus corona stellarum duodecim; vel qualem eam describit idem: civitatem (53) AAS 42 (1950) 563. (54) L’Eglise du Verbe Incarné I. Paris 1941. p. XVII. (55) Bulletin d ’eeclésiologie. BSPT, 31 (1947) 275. (56) L’Eucharistie, sacrement d'unité. BT 20 (1912) 583-603, pp. 583-4. (57) S. Tyszkiewicz: Où on est chez nous la doctrine de la divino-humanité de l’Eglise? OOP 7 (1941) 370-405. (58) S. Tyszkiewicz: La sainteté de l’Eglise christoconforme. Borne 1945. p. 4. (59) Op. cit., p. 6. — 14 — sanctam Jérusalem novam deseendentem de coelo a Deo, ornatam sicut sponsam viro suo... Quis ejus utilitatem... quis maternam in suos amorem?» (60). A lire ces lignes, est-il encore exagéré de répéter avec le P. Congar, que dans nos manuels c’est le sens eschatologique qui fait défaut? (61). Voici le but des tendances nouvelles dans l’ecclésiologie: elles se pro¬ posent de combler l’unilatéralisme de l’ecclésiologie posttridentine. L’ec¬ clésiologie nouvelle en élaboration se distingue avaDt tout par un ef¬ fort d’intégration de tout ce qui peut enrichir notre connaissance sur l’Eglise. Si cette ecclésiologie sollicite un retour aux sources, elle ne le fait plus dans le sens de la théologie positivo-scolastique : elle ne limite pas la notion de «source» à l’Ecriture, aux Pères, au magistère actuel, « mais d'une façon plus large, à toutes les grandes œuvres de la pensée chrétienne capables de féconder et d’alimenter la réflexion théo¬ logique » ( 62). Notre devoir consistera donc à donner un tableau de tout ce qui caractérise ces tendances nouvelles. Nous allons voir quelle est leur inspiration foncière, leur point de départ, leur acheminement, leur progrès, leurs défauts et les points déjà acquis. Avant d’entreprendre un tel travail, il faut se rendre compte, que ces tendances nouvelles présupposent une idée nouvelle de la science théologique, assez différente de celle de la théologie positivo-scolastique. Il est impossible de juger équitablement les tendances nouvelles de l’ecclésiologie sans prendre position dans le problème méthodologique. Nous pensons que la science théologique ne se limite pas à la méthode de la théologie scolastique, bien qu’elle la suppose à titre essentiel comme son fondement. Sans vouloir caractériser la théologie scolastique d’une façon superficielle, comme «métaphysique surnaturelle», per¬ sonne ne contestera que la théologie positivo-scolastique a eu raison de remonter plus résolument aux textes des Pères et d’introduire dans la théologie une méthode historique. En outre il faut admettre que le renouveau théologique s’exerçant depuis quelques dizaines d’années et les justes aspirations de la pensée moderne ont apporté également une contribution non-négligeable à l’élaboration d’une plus vaste syn¬ thèse sur l'Eglise. Le théologien ne peut pas passer sous silence le fait, que les sciences différentes analysent aujourd’hui la réalité non seule¬ ment en elle-même, mais aussi comment elle se manifeste dans la con¬ science subjective. En outre à côté de l’essence immuable de la vérité on cherche aujourd’hui aussi les lois de son engagement dans l’histoire, dans l’action, donc son développement et son enrichessement continuel. La science, ainsi conçue soit qu’elle théologique ou profane, com¬ prendra donc beaucoup plus d’objets que dans sa définition « clas- (60) Op. cit., p. 235. (61) Bulletin d'ecclésiologie, RSPT 31 (1947) p. 275. (62) Bulletin d'ecclésiologie, ESPT 31 (1947) p. 81. siquc ». Par conséquent elle aura besoin aussi d’une méthode considé¬ rablement renouvelée (63). Tout cela est d’une importance capitale pour comprendre l’ecclé- siologie récente, car il ne s'agit nas seulement de l’élaboration d’un traité dogmatique sur l'Eglise : ce traité dogmatique doit être en outre une ecclésiologie vivante. Il doit embrasser le côté existentiel, vital, concret du donné révélé sur l’Eglise; il doit refléter l’unité de l’objectif et du subjectif, aspiration primordiale de la pensée théologique mo¬ derne. Pour écarter tout malentendu et éliminer l’accusation d’anti¬ intellectualisme, il nous faut souligner aue cet aspect existentiel, vital, concret n’a rien de commun avec la position de la philosophie existen¬ tialiste non-chrétienne. Cette manière de concevoir le travail théologique s’oppose à trois déviations: elle veut exclure, pour reprendre les mots de l’Encyclique Mediator Dei, non seulement l’attitude des inertes et des arriérés, mais aussi celle de ceux, qui « sont trop avides de nouveauté et se four¬ voient hors des chemins de la saine doctrine» (64). Ensuite elle dés¬ approuve, en principe, n’importe quel relativisme sous prétexte de l’intégration des valeurs nouvelles, mais reste ouverte à un perfection¬ nement continuel de la science sacrée (65). Notre travail alors ne reprendra pas les études de critique d’Oeh- men (66) de Koster (67), de Deimel (68), de Lialine (69), de Holzer (70) et de Bouyer (71) sur l'ecclésiologie actuelle. Ces études d’ailleurs bien méritantes, n’embrassent qu’un des aspects du renouveau ecclésiologique. Deimel se limite plutôt à l’ecclésiologie de Saint Paul; Lialine n’envisage que la discussion autour de l'expression «Corps Mystique»; Oehmen ne parle que de la tension entre l’Eglise juridique et mystique; l’article de Bouyer ne touche qu’une partie des publications en langue française: la critique de Holzer est restreinte à une certaine tendance exagérée des ouvrages allemands d'importance secondaire". Nos recherches ne seront pas non plus la reprise des déve¬ loppements de Koster, parce que d’une part nous essayons de donner une image complète de ces tendances et d'autre part nos critères d ’ana- (63) Of. Y. Congar: Vraie et fausse Réforme dans l'Eglise. Paris 1950. pp. 8-12. (64) Trad. française dans La Documentation Catholique, 45 (1948) col. 197. (65) Cf. L’Encyclique Humani Generis; trad. fr. dans La Documentation Catholique 47 (1950) col. 1157. (66) N. Oeiimen: L'ecclésiologie dans la crise. Questions sur l’Eglise et son Unité. Gembloux 1943. pp. 1-11. (67) D. Koster: Ekklesiologic im Werdcn. Paderborn 1940. (68) L. Deimel: Leib Christi. Freiburg (Br) 1940. (69) C. Lialine: Une étape en ecclésiologie. Réflexions sur l’Encyclique «Mys- tici Corporis». Ir 19 (1946) 129-152; 283-317; 20 (1947) 34-54. (70) O. Holzer: «Christus in uns». Ein kritischcs Wort zur ncueren Corpus- Cliristi-Mysticum Literatur. WW 8 (1941) 24-35; 64-70; 93-105; 130-136. (71) L. Bouyer: Où en est la théologie du Corps Mystique? Rev. SR 22 (1948) 313-333. lyse sont assez différents de ceux de Koster. En d’autres mots, nous ne nous limiterons pas à la critique, d’autant plus, qu’une fois admise cette notion plus large de la théologie que nous venons de proposer, on trouvera beaucoup moins à critiquer dans ces tendances nouvelles, qu 'on ne le pense. En outre en ce qui concerne la critique, il faut distinguer soigneusement entre la critique d’un auteur isolé et le mouvement gé¬ néral ecclésiologique en cours depuis plusieurs dizaines d’années, sinon depuis Moehler. La théologie, on l’admet volontiers, n’est pas l’œuvre d’un on deux auteurs, par conséquent, pour juger équitablement d’un grand renou¬ veau, il n’est pas permis de parler des ouvrages particuliers sans avoir en vue l’acheminement général des aspirations nouvelles et légitimes. Si le travail théologique requiert un certain délai pour confronter, pour clarifier les idées, il en est de même de la critique. Les mots de Newman nous en avertissent : une des plus grandes fautes de certains esprits critiques dans l’Eglise est le manque de patience... Cette patien¬ ce,, condition par laquelle on peut arriver à une information objective et large sur l’ensemble des tendances nouvelles dans l’ecclésiologie, nous préservera de parler trop facilement d’une crise dans l’ecclésiologie récente. L’Encyclique Mystici Corporis, à notre avis, est avant tout le couronnement de ce renouveau ecclésiologique. Les erreurs qu’elle dénonce ne touchent presque jamais la « grande ecclésiologie » (72). Notre travail ne sera donc, ni une théorie nouvelle, ni une histoire de ces tendances, ni une sorte de bulletin d'ecclésiologie, nous visons à étudier cette nouvelle orientation dans ce qu’elle a de spécifique: sa mentalité générale, l’idéal théologique qu’elle suppose, le tut qu’elle se propose, les problèmes auxquels elle s’intéresse, ses apports pour un enrichissement de notre fhéologie sur l’Eglise, ses déficiences aussi et les dangers qu’elle présente. Ces tendances nouvelles se sont accentuées surtout depuis la première guerre mondiale. Un esprit clairvoyant com¬ me A. Palmieri a prédit alors d’une façon presque prophétique l’avè¬ nement d’une nouvelle époque dans l’ecclésiologie. «Mea quidem sen- tentia aetas veniet...», a-t-il écrit en 1913 (73) et en fait les tendances nouvelles sont arrivées à leur apogée vers 1930. C’est cette époque qui constitue l’objet essentiel de notre travail. Pour bien réussir à caractériser ces tendances, les points de cris¬ tallisation devaient être trouvés. Avant tout il s’est avéré indispen¬ sable d’en relever le point de départ. C’est pourquoi nous débutons par le Romantisme, en particulier par Moehler. Etroitement lié au Roman¬ tisme, l’élément, peut-être le plus décisif dans les tendances nouvelles, est un besoin d’ordre vital qui veut rendre le mystère de l’Eglise un mystère vécu par les fidèles. La réponse à ce besoin intérieur se trouve (72) C’est par cette expression que nous distinguons les ouvrages scientifiques de ceux de vulgarisation. (73) Theologia dogmatica ortodoxa. Ploreutiao 1013. vol. II, p. 166. — 17 — dans tes ouvrages qui entendent donner une explication du rôle que tient l'Eglise dans la vie chrétienne. C’est aussi dans ce cadre que les déviations et la «crise» de 1 ’ecclésiologie trouvent leur place logique. Voilà donc l’objet du premier chapitre de nos investigations. En outre les ecclésiologues se sont trouvés en face d’un renouveau de l’ecclésiologie au sein des chrétientés séparées, en face du mouve¬ ment oecuménique. Les réponses à donner ont sollicité une position nou¬ velle en matière ecclésiologique. Cette nouvelle orientation de notre ecclésiologie, évoquée par le besoin d’une confrontation oecuménique, constituera le deuxième chapitre de notre travail. La troisième préoc¬ cupation principale des tendances nouvelles est le retour aux sources. Les ouvrages qui nous présentent l’un ou l’autre aspect de l’ecclésiolo- gie de la Bible, des Pères, des Scolastiques trahissent une aspiration remarquablement commune-et leur analyse formera la troisième partie de nos recherches. Enfin nous parlerons des études qui abordent plutôt spéculativement le mystère de l’Eglise. On comprendra que toute systématisation fait une certainè violence à la réalité. Surtout dans notre cas, où nous avons eu à encadrer les ouvrages et les auteurs dans l’un ou l’autre groupe. Quelquefois le point de vue historique devait céder à celui de systématisation, quelquefois nous avons été forcés de distribuer les idées d’un auteur en plusieurs chapitres. La source de ces difficultés et de ces répétitions réside dans une littérature extrêmement riche, ce qui est inévitable, croyons-nous, dans un travail de ce genre. Chapitre I. LES ORIGINES DES TENDANCES ACTUELLES DE L’ECCLESIOLOGEE I. - Le Romantisme. L’Ecole de Tubinguo. Moehler Nous venons de dire que l’élément le plus décisif dans le renouveau ecclésiologique est d’ordre vital et nous l’avons appelé une expérience de l’Eglise. C’est un fait d’ailleurs assez universel que toutes les épo¬ ques ont leurs propres idées sur l’Eglise. C’est ainsi que l’époque patristique a vu l’Eglise à travers l’idée du peuple nouveau et que la même Eglise se reflète dans la pensée du Moyen Age, comme le principe de l’ordre et da la paix. L’époque d’après la Réforme a développé l’idée d’une Eglise militante ce qui était tout à fait conforme aux be¬ soins du temps (1). Sans doute la raison de ces diversités doit être cherchée dans l’attitude spirituelle propre à chacune de ces grandes périodes de l’histoire de l’Eglise. De même n’importe quelle revitali¬ sation s’enracine à titre essentiel dans une nouvelle expérience et par conséquent, si nous vivons le mystère de l’Eglise autrement que l’époque précédente, c’est à cause d’un changement de mentalité qui s’est produit dans ce domaine (2). Si nous cherchons l’origine et les propriétés de l’expérience mo¬ derne sur l’Eglise — de cette expérience qui est dominée par l’élément intérieur, voire mystique et par un désir de reintégrer dans l’Eglise toutes les valeurs créées — il nous faut remonter à coup sûr au Roman¬ tisme. Cet enraciment romantique de l’ecclésiologie récente a été sou¬ vent mis en lumière du côté catholique et protestant également. On y a vu à la fois la source de ses valeurs (3) et la cause de ses déviations(4). D’ailleurs il est facile de comprendre que le Romantisme, phénomène très complexe, a pu devenir l’objet d’interprétations si opposées. Toute¬ fois ces interprétations différentes s’accordent en ce qui concerne l’essence de la pensée romantique: son concept de la vie. C’est justement par ce concept de la vie, que le Romantisme exerce une influence immense sur la pensée moderne. Cette influence, au dire de (1) Cf. P. Lippert: Die Kirche Christi. Preiburg (Br) 1931. pp. 29-48: «Die geschichtliche Entwicklung des Kirchenerlebnisses ». Il est suivi par K. Feckes: Das Mysterium der heiligçn Kirche. Paderborn 1934. pp. 8-13. (2) K. Feckes: Op. cit. p. 8. (3) Voir surtout: J. H. Gbiselmann: Geist des Cliristeutums uud des Katho- lizismus. Ausgewahlte Schriften katbolischer Théologie im Zeitalter des deutschen Idealismus und der Komantik. Mainz 1940. (4) Cf. E. Przytvaba: Corpus Christi Mysticum: Eine Bilanz. ZAM 15 (1940) 197-215. Du côté protestant: E. Wolff: Communio Sanctorum. Erganzungen zur Bomantisierung des Kirchcnbcgriffs.. Thcologische Blatter 34 (1942) 12-25. M. P. Sciacca est si grande, qu'elle constitue les quatre cinquièmes de la philosophie contemporaine sous les noms de vitalisme, volonta¬ risme, subjectivisme et irrationalisme (5). La notion de vie est la notion centrale du Romantisme. Supé¬ rieure à la raison théorique, elle attire dans son orbite les sphères intuitives, mystiques, indéfinissables de l’existence humaine. Elle re¬ pousse également le rationalisme géométrique avec ses idées rigides et voit la réalité dans une force intérieure, cachée sous les phénomènes. Ce qui est important, c’est que le Romantisme entend donner à la notion de vie non seulement un sens psychologique, pratique, mais aussi métaphysique, pour réduire dans une synthèse supérieure l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, entre l’unité et la multiplicité etc. (6). C’est par cette notion de vie que le Romantisme aborde la société, l’histoire, le problème de l’évolution et au lieu de séparer les objets divers de la pensée humaine, cherche les liens organiques entre eux. Le Romantisme religieux, qui nous intéresse plus spécialement, fait partie de cette orientation de l’esprit moderne. Sans continuer les discussions rationalistes sur le problème de la foi, sur le surnaturel en général, le romantisme religieux cherche à présenter le christianisme sous son aspect concret et vital, comme l’unité vécue du donné révélé. C’est ce romantisme, pris dans un sens plutôt religieux, qui constitue l’inspiration foncière de tous les efforts théoriques et pratiques qui ont voulu remettre en honneur l’aspect vital de l’idée de l’Eglise. Les fruits de ces efforts sont différents selon que la mentalité moderne ou l’inspiration chrétienne a prévalu dans la mise au point des idées. Cela explique le fait que les idées ecclésiologiques que nous allons analyser dans ce chapitre ne sont point de la même valeur, bien qu’elles trahissent toujours la même inspiration foncière. Il nous semble donc qu’en traitant dans le même chapitre des ecclésiologues séparés les uns des autres par un siècle entier, nous ne faisons injustice ni à la méthode ni aux faits. C’est ainsi que le lecteur trouvera ici des théologiens qui se connaissaient relativement peu, comme Moehler et Newman, ou bien des théologiens qui sans avoir jamais formé une école, représentent néanmoins la même orientation. Pour mieux entendre la pensée de Moehler il faut passer en revue brièvement ses devanciers immédiats, les premiers théologiens de l’Ecole de Tubingue. Ce sont eux qui ont introduit, les premiers, la pensée romantique dans la théologie. Il n’est pas difficile d'entrevoir, qu’une (5) La filosofia oggi. Dalle origini romantiche délia filosofia contemporanea ai problemi attuali. Verona 1945. p. 15. (6) Cf. W. Bi etak : Lebenslehre und Weltanschauung der jüageren Romantik. Leipzig 1936. Voir surtout les chapitres: « Lcbensgefübl und Lcbenspbilosophie » et « Katholische Glaube ». Ce volume précieux de la section « Romantik » de la collection « Deutsche Litcratur » publiée sous la direction de P. Kluckhohn, com¬ mence son investigation sur l’idée romantique de vie par une analyse des «oppo¬ sitions» (Gegcnsatze) romantiques. — 23 — telle orientation théologique devait être ecclésiocentrique. Quand ils cherchent «l’esprit» (Geist) du christianisme, ils ne font que pénétrer l’existence communautaire du donné révélé, c’est-à-dire, le mystère de l’Eglise. Le « Geist » en effet est la vérité vivante, le sentiment profond (Gemüt), la vie même d’une communauté étendue dans l’espace et dans le temps. A leurs yeux l’essence du christianisme consiste dans l’union des données objectives et de l’expérience subjective. Ainsi le mystère de l’Eglise devient pour eux la synthèse concrète de l’élément tran¬ scendant et immanent, pensé et vécu (7). On retrouve déjà chez J. M. Sailer l'insistance sur la notion de vie, sa continuité, sa nouveauté et sa force (8). L’Eglise à ses yeux, n’est pas autre chose que la continuité et la communication du message divin, autrement dit, la Tradition vivante. Il est caractéristique, que' Sailer, l’initiateur de cette tendance nouvelle de comprendre l’Eglise, était plutôt directeur spirituel, que théologien. C’est par lui, dit Goyau, que « la religiosité allemande, tant protestante que catholique, réapprit à prier » (9). Cette remarque met en lumière une fois de plus le rôle exercé par l’engagement romantique dans la vie concrète chrétienne sur la réflexion théologique. L’opuscule de Gügler, « Quelques paroles sur l’esprit du christia¬ nisme et de la littérature » (10) abonde aussi de thèmes romantiques sur l’Eglise. Il faut mentionner surtout la loi de la permanence et croissance organique de l’Eglise, qui sont à la base des conditions de la véritable orthodoxie. Selon lui, l’orthodoxie est liée à titre essentiel à une unité ecclésiale, une unité, qui est à la fois une continuité vivante dans le temps et un lien mystique dans l’espace. Ce n’est pas au plan exclusi¬ vement intellectuel, que l’hérétique commet son erreur, mais plutôt en rompant avec la communauté, qu’il se détache de ceux qui possèdent la vérité vivante. Donc au lieu de l’individualisme excessif de l’époque précédente, le romantisme considère le chrétien avant tout dans l’orga¬ nisme communautaire. C’est là et seulement là, que l’individu peut par¬ ticiper à la continuité vivante de l’Eglise (11). (7) C’est J. Geiselmann qui a réuni les études caractéristiques de ces théolo¬ giens dans le gros volume intitulé: Geist des Cbristentums und des Katholizismus. Ausgewâhlte Schriften katholischer Théologie im Zeitalter des deutschen Idealismus und der Bomantik. Mainz 1940, publié dans la série: Deutsche Klassiker der katholischen Théologie aus neueror Zeit. Band Y., introduit et expliqué par J. Gei¬ selmann. On consultera avec profit les articles du P. Chaillet sur cet ouvrage dans BSPT 26 (1937) 483-498; 713-726. (8) Voir son discours: «Die Lehre von dem Heile des Menachen, ein schones Ganze» de 1813; chez Geiselmann pp. 39-44. (9) G. Goyau : L’Allemagne religieuse. Le catholicisme 1800-1848. Paris 1905. I. vol. p. 294. (10) Ecrit en 1810. «Einige Worte über den Geist des Christentums und der Litcratur»; chez Geiselmann pp. 63-93. (11) L’article de Goiger: «Die katliolischo Kirche», met en relief surtout la continuité vivante de la parole de Dieu dans l’Eglise. (Chez Geiselmann pp. 45-52). — 24 — L’idée de l’Eglise conçue d’une telle manière ne pouvait pas manquer d’élargir le rôle méthodologique de l’ecclésiologie dans tout le terrain de la théologie. D'ailleurs le romantisme, comme époque de transition, a sollicité un examen de conscience dans tous les domaines de la pensée (12). Quant à la théologie, c’est le maître de Moehler, Drey, qui a tenté de proposer des méthodes nouvelles dans son livre, « Révision de l'état présent de la théologie » (13). Il croit devoir constater avant tout que la théologie du Moyen Age était la science de la vie chrétienne et non celle de la spéculation pure (14). Plus tard seulement, surtout depuis Kant, la théologie fut compromise entièrement, en perdant son contact avec la vie chrétienne. En un mot, le grief principal de Drey contre la théologie de son époque se ramène au fait que la science sacrée ne remplit plus sa fonction essentielle; présenter la vie de l’Eglise. Le seul remède, conclue-t-il, est de faire dominer la théologie par l’idée de l’Eglise. Drey a poursuivi ses réflexions dans son Journal (15) où il aborde tour à tour, la question de l’unité (16), le principe d’opposition entre le catholicisme et le protestantisme (.17), la formation progressive de la hiérarchie (18), l’idée du développement dogmatique (19), la tradition vivante (20), les rapports entre religion, révélation et Eglise (21), problèmes de toute première importance, qui susciteront beaucoup de discussions un siècle plus tard. On y voit aussi, combien le point de convergence de sa pensée est la réalité de l’Eglise, qui, pour lui, de même que pour les autres théologiens romantiques, est la synthèse par excellence de courants si différents, comme l’idéalisme et le réalisme, le rationalisme et l’empirisme. A ces idées d’une théologie vivante et ecclésiocentrique s’en rattache une troisième; le rapport vital de l’Eglise d’aujourd’hui avec l’Eglise primitive. Dans son article sur «L’Esprit et l'essence du catholi¬ cisme » (22), Drey met en évidence que ce ne sont ni la philosophie, ni (12) Par exemple; «Leçons sur la méthode des Études académiques», cours professé par Schelling à Jéna en 1803. De même les « Cours sur la Littérature et l'Art » de Schlcgel et les « Traits caractéristiques du Temps présent » de Fichte de 1803-1804.. ■ (13) Chez Geiselmann pp. 83-97. (14) Cf. p. 92. «Jetzt konnte es nicht mehr das lebendige Christentum sein, wic es sicli mit dem Laufe der Zeit unter der Leitung des gottlichcn Geistes entwik- kelt batte, wie es in der Kirche leibte und lebte was die Théologie als Wisscnschaft und System wiedergeben sollte... ». (15) « Aus den Tagebüchcrn über philosôphische, theologisclic und historische Gegénstande », chez Geiselmann pp. 99-192. (16) Cf. Op. cit. p. 105. (17) Chez Geiselmann Op. cit. p. 130. (18) Op. cit. p. 141. (19) Op. cit. p. 165. (20) Op. cit. p. 183. (21) Op. cit. p. 187. (22) « Vom Geist und Wcscn des Kntholizismus ». Chez Geiselmann pp. 193-234. — 25 — les recherches archéologiques, qui assurent la continuation, mais la conscience que l’Eglise a d’elle-même. La tradition ne s’épuise pas dans les textes anciens: elle embrasse toute l’Eglise. Mais il faut souligner que cette insistance sur la conscience communautaire, comme essence intérieure de l’Eglise, n’amène point Drey à une sorte d’immanentisme. Le même postulat, que nous allons découvrir chez un Moehler aussi, lui fait dire que la révélation ne trouve son expression adéquate que dans l’Eglise visible et donc l’unité ne peut pas se passer d’une autorité centrale et suprême. Il était nécéssaire de passer en revue les idées des devanciers de Moehler, non seulement à cause de leur propre valeur, mais aussi pour pouvoir mieux comprendre le principal représentant de l’Ecole de Tu- bingue et l’inspirateur le plus important des tendances actuelles de l’ecclésiologie. Ses œuvres nous montrent un penseur, pour lequel la recherche historique et l’approfondissement systématique vont toujours de pair. Déjà ses cours sur l’histoire ecclésiastique (23) trahissent un chercheur en théologie de l’histoire de l’Eglise. Ses deux chefs-d’œuvre, L’unité dans l’Eglise (24) et la Symbolique (25) veulent donner également une synthèse de l’érudition historique et de l’analyse théolo- ' gique. C’est cette force de synthèse, qui rend raison non seulement de son originalité indiscutable, mais aussi de son influence permanente, qui se fait sentir aujourd’hui plus que jamais (26). Il est vrai que beaucoup de ses idées se retrouvent chez les théologiens de Tubingue, comme nous venons de le voir, mais c’est chez lui seul, qu’on rencontre toutes ces idées particulières réduites à un seul principe, sur lequel toute sa pensée de l’Eglise est bâtie. Pour Moehler le mystère de l’Eglise est avant tout une réalité vécue, une expérience de la vie surnaturelle qui vient d'une force supé¬ rieure surnaturelle, en dernière analyse de l’Esprit même, donné pleine¬ ment aux fidèles (27). Cette vie mystique, comme la vie en général, veut être communiquée d’une façon homogène aux autres. C’est là que réside le fondement de l’unité et de l’unicité de l’Eglise: ses membres ne sont vivants qu’en s’unissant les uns aux autres, donc en (23) L’histoiro de l’Eglise (publiée par le R.P. Gams OSB; trad. de Bélet) Paris 1868. (24) Die Eiulieit in der Kirche oder das Prinzip des Katholizismus darge- stcllt im Geiste der Kirchenvàter der drei crsten Jahrhunderte. Tübingen 1825. Trad. fr.: L’unité dans l’Eglise. Paris 1938, (cité: Unité). (25) Symbolik oder Darstellung der dogmatischen Gegcnsatze der Katholiken nnd Protestantes nacli ihren offentlichen Bekenntnissckriften. Mainz 1832. 7* éd. de 1864. C’est cette édition que nous utilisons. (26) Le meilleur exemple en est le recueil d’études «L’Eglise est Une - Hom¬ mage à Moehler», publié par le P. Chuillct, avec la collaboration des ecclésiolo- gues allemands et français. Paris 1939. (cité: EU). La même collection fut publiée en allemand aussi sous la direction de H. Tiichle: Die eine Kirche. Paderborn 1939. (27) Unité, par. 1. - Dans une note, Moehler rejette "d'avance l’interprétation de ceux qui ont voulu y découvrir les traces de l’immanentisme. - 26 — s’unissant à l’unique courant de vie, circulant d’un membre à l’autre. Supposée l’unicité de la révélation, il ne peut exister qu’une seule communauté dans la vie surnaturelle (28). Le point d’appui pour la communication de la vie surnaturelle, œuvre par excellence de l’Esprit, est le «Gemüt», c’est-à-dire une expérience vécue des réalités surna¬ turelles. Supposée l’authenticité de cette expérience, la vie peut suivre ses propres lois d’épanouissement: former les notions intellectuelles de cette expérience et réaliser le contact extérieur avec tous ceux, qui participent à la même vie. Cette notion de vie, d’expérience vécue gouverne les quatre thèmes principaux de l’Unité: l’unité ecclésiale dans le temps et l’espace, le schisme, la diversité dans l’Eglise et la structure ecclésiale. Selon Moehler l’unité dans l’espace, donc la profession de la même vérité, dépend à titre essentiel de l’identité du « Geist» dans les chré¬ tiens et elle n’en est que l’expression notionelle, quoique nécéssaire et indispensable. Par conséquent l’unité dans la foi est avant tout un fait d’ordre moral et ne peut pas exister sans la pénétration mutuelle de la vérité et de l’amour. Comme telle, elle reproduit analogiquement l’unité trinitaire où la Vérité et l’Amour sont inséparables. De même le miracle de la diffusion de l’Esprit serait selon Moehler l’apparition d’un sentiment d’affinité dans ceux qui ont participé à la même vérité, au même Esprit. « La foi ou la connaissance et la charité qui réalise la communion des croyants sont inséparablement liées l’une à l’autre. Là où, grâce à la venue du Saint-Esprit, s’est développée la foi, là aussi se manifeste une même force divine, oui unit les hommes» (29). Les pas¬ sages de ce genre abondent dans l’Unité, mais on les retrouverait même dans la Symbolique, dominée d’ailleurs par une autre idée: «... que dire de l’Eglise, expression de la vérité éternelle manifestée en Jésus-Christ, transformée en amour par l’esprit du Christ: dans la communauté des fidèles cette Vérité est devenue vivante dans l’humanité» (30). L’unité dans le temps, ou la tradition, découlé également de la notion de vie. Le christianisme, en tant que communication de vie, reste toujours actif et, à la fois, identique à lui-même. Etant donné que cette communication de vie est exclusive et unique, on comprendra qu’au- dehors de l’Eglise il ne peut pas y avoir une tradition proprement dite. De plus, parce que la tradition est une chose plutôt d’ordre moral, elle ne peut être prouvée qu’à ceux qui y participent d’abord. C’est dans ce sens, qu’on doit prendre certaines phrases peu balancées de l’Unité où la foi basée sur l’autorité va être distinguée du témoignage intérieur de l’Esprit Saint (31). (28) Unité, par. 2. (29) Unité p. 20. (30) Symbolique p. 337. (31) Voir surtout le chapitre intitulé: «Der Katholik tur Zeit Zyprians». — 27 - La théorie moehlérienne de l'imité organique de l’Eglise n’est donc qu’un autre aspect, comme nous -venons de le dire, de l’unité dans l’espace et dans le temps. En ce qui concerne l’unité dans le temps G. Goyau écrit justement que « Moehler veut acquérir le sentiment et de ce qu’est l’église et de l’identité de sa conscience de croyant avec la con¬ science collective de la primitive Eglise» (32). L’unité dans l’espace aboutit non moins à l’idée d’une communion organique. Selon Moehler, « l’individu, à l’aide d’une intuition spontanée, prend conscience de sa position dans un tout organique, où il doit se considérer comme un membre et agir en conséquence. Il est obligé d’accepter les rapports et les relations qui le lient...-Cette unité de vie avec l’univers est en même temps la vraie vie en Dieu, condition de la véritable connaissance de Dieu créateur de cet univers, car l’univers comme tel est enraciné en Dieu dont il est une sorte de révélation globale et que l’indi¬ vidu, en tant que partie d’un tout organique, basé sur Dieu, ne peut connaître Dieu que dans le tout » (33). Cette unité organique de l’Eglise peut être détruite de deux ma¬ nières : où bien par un intellectualisme exagéré qui remplace la priorité de l’amour par celle de la raison (34), où bien par une sorte d’égoïsme qui n’est pas satisfait de sa condition de membre dans l’Eglise. Par conséquent le péché d’hérésie, pour Moehler, n’est pas en premier lieu le refus d’une formule, d’un pouvoir, mais l’égoïsme d’une expérience inorganique qui ne veut rien savoir de la primauté de la communion fraternelle dans l’amour. En d’autres termes, la disjonction établie entre l’élément vital et le principe intellectuel constitue l’essence de l’hérésie. « L’hérésie est, généralement, la tendance à expliquer le chris¬ tianisme par un simple effort de pensée... sans se soucier de la mettre en rapport avec la vie communautaire chrétienne et avec tout ce que comporte cette vie. C’est pour cette raison, qu’on est en droit d’appeler l’hérésie une doctrine qui tout en s’intitulant chrétienne se développe toujours dans le sens opposé à la communion des fidèles » (35). Donc l’hérétique prend le christianisme comme un système, il veut le com¬ prendre avant de le croire ; il veut être libre avant de se soumettre aux conditions de la vie. L’hérétique méconnaît le caractère concret et vital du christianisme et il se forge des arguments de critique textuelle et historique. L’Eglise à son tour, renvoie sans cesse au principe de la continuité organique dans la foi; argument qui force les protestants à abandonner la position prise par la Réforme. La notion de vie est réfractaire non seulement à l’hérésie, mais aussi à une uniformité anormale. Ce n’est pas l’uniformité seule, qui traduit l’unité: la diversité légitime dans le culte, dans la discipline (32) « Textes choisis de Moehler ». Paris s.d. 2* éd. pp. 25-26. 1 ère éd. de 1903. (33) Unité p. 93. (34) Voir surtout les paragraphes 19-25. (35) Unité p. 57. - 28 - et dans la doctrine, la manifeste avec autant de force, parce que toutes les deux se ramènent également au principe mystique de l’unité. Ce dernier est un principe de vie et comme tel ne produit pas toujours et partout les mêmes formes, mais s’épanouit dans la richesse de la diver¬ sité. Par conséquent l’individu, en entrant dans la communauté, ne peut pas y perdre sa personnalité, qui est connaturelle à ses aspirations communautaires. La vitalité de l’expérience de l’Eglise permet ainsi une évolution double, mais qui n’entraîne pas une séparation; à savoir, le développement libre des personnalités, des initiatives particulières, des groupes et des époques distinctes, parallèlement à une tendance ferme vers l’unité extérieure visible. Voyons enfin comment cette expérience vécue qui est au fond de l’essence de l’Eglise, rend raison de la structure visible de l’Eglise. Pour mieux comprendre la pensée de L’Unité en cette matière, citons d’abord le texte le plus caractéristique à ce point de vue: «Aussitôt que le saint principe, formateur d’unité, est devenu actif dans l’âme des fidè¬ les, ceux-ci se sentent tellement attirés les uns vers les autres et tendus vers l’union de tous, que leurs désirs intérieurs ne sont satisfaits que quand ils voient leur unité représentée, concrétisée dans une image, L’évêque est cette image visible de l’union invisible des chrétiens » (36). Cette expérience ecclésiale, partie de l’essence du christianisme, consti¬ tue le devoir majeur du chrétien, à savoir « de transformer et rendre véritablement sienne dans sa propre contemplation l’expérience reli¬ gieuse de la communauté» (37). Par suite la structure de l’Eglise, son aspect intérieur et extérieur s’expliquent d’une façon nouvelle, vue à travers cette expérience fondamentale. Le magistère et les fonctions ecclésiastiques se soumettent à la prédominance absolue du principe de l’Amour, dont ils ne sont que les manifestations nécéssaires. Le corps de l’Eglise est la forme d’une expérience, d’une force agissante au- dedans et par conséquent elle s’organise de l’intérieur et non du-dehors, non comme un bloc inorganique dépourvu de vie et d’esprit. Ce serait détruire la vraie idée de l’Eglise que de vouloir expliquer le mystère de la vie par des causes extérieures et accidentelles (38). Donc le côté extérieur de l’Eglise, la hiérarchie principalement, n’est qu’un effet nécéssaire de cette expérience produite par l’Esprit. Le principe surnaturel, vécu dans l’expérience intime, doit arriver à la visibilité en fonction « d ’un type comprenant et dépassant toutes les formes d’être et de vie» (39). On chercherait en vain dans VUnité la justification de cet axiome sur la nécéssité de cette manifestation visi¬ ble. On n’y trouve qu’une insistance très marquée sur le principe sui¬ vant: «Partout où il y a des forces de quelque genre qu’elles soient. (36) Unité J). 171. (37) Op. cit. p. 12. (38) Op. cit. p. 187. (39) Op. cit. p. 162. - 29 — elles se rendent visibles chacune selon son caractère propre. Il s’ensuit, que l’apparition parmi nous de cette foi nouvelle qu’est l’Esprit divin, réclame de quoi s’extérioriser à sa manière» (40). Nous avons déjà vu comment ce principe organique, vital s’incarne dans l’évêque, qui devient ainsi l’image de l’amour mystique des fidèles. Pour Moehler, l’église dans sa structure, « est avant tout un effet de la foi chrétienne, le résultat de l’amour vivant des fidèles réunis par l’Esprit Saint» (41). Par conséquent il ne peut éviter de présenter le pouvoir d’ordre et celui de la juridiction comme l’épanouissement de l'amour mutuel des chrétiens. Sous ce point de vue l'ordination suppose déjà la communication de la grâce et exprime plutôt le jugement de la communauté sur la dignité de l’ordinand. Il est considéré désormais capable « de représenter l’amour d’un certain nombre de chrétiens et d’être le trait d’union entre eux et l’Eglise entière» (42). Tout cela pose évidemment une question grave : où réside le critère de la vérité dans l’Eglise? La réponse s’offre d’elle-même en vertu des présupposés: plutôt que le magistère enseignant, c’est le lien organique et vital, l’expérience commune, qui joue le rôle de critère de la vérité révélée. Mais il serait injustifié de penser que Moehler rejette simple¬ ment la primauté du magistère. Seulement il a en vue la forme plénière de la foi, son plein épanouissement où il n’y a aucune différence entre l’attitude et les aspirations des fidèles et les directives du magistère. Moehler souligne à plusieurs reprises que deux facteurs contribuent à la connaissance de la vérité surnaturelle: l’Esprit, participé à travers l’expérience ecclésiale et la hiérarchie. Sans subordonner d’une façon catégorique la dernière à l’expérience subjective, il n’éclaircit pas suffi¬ samment dans l’Unité leur juste interrclation en détail. A coup sûr sa préoccupation lui fait « un peu » laisser en arrière- plan l’importance de la structure hiérarchique de l’Eglise. «La vérité, comme la vie divine du Christ, écrit-il en protestant contre sa mise au rang des faux idéalistes, nous est donnée du dehors par l’Eglise, car nous serions incapables de les développer par nous-mêmes. Du reste, nous recevons les deux en même temps : à la connaissance de la vérité, entendue dans l’Eglise est attachée la participation à la vie supérieure qui y est répandue. Donc le fait d’entendre précède un peu, mais la possession dans une pleine conviction et la force d’en faire bénéficier les autres ne peuvent que suivre la vie divine engendrée en nous » (43). Ce passage montre bien que le souci de Moehler de représenter la vie de l’Eglise sous sa forme plénière, mystique, aboutit en somme à une position où la relation de la hiérarchie à l’œuvre de l’Esprit Saint n’est pas suffisamment éclairée. Donc il faut admettre que l’Unité ne par- (40) Unité p. 163. (41) Ibid. p. 161. (42) Ibid. p. 213. (43) Ibid. pp. 22-23. vient pas, malgré ses valeurs incontestables, à présenter dans un juste équilibre les deux côtés, intérieur et extérieur de l’Eglise. Le système ecclésiologique de l’Unité, basé sur l’expérience ecclé¬ siale, a été l’objet de fortes discussions depuis quelques dizaines d’an¬ nées. Entre autres, Moehler fut accusé d’avoir subi complètement l’influence de Schleiermaeher et E. Vermeil l’appelle justement à ce titre «le père du modernisme catholique» (44). L’article «Moehler» dans le Dictionnaire de Théologie catholique, pigné A. Fonck dénonce également le modernisme prétendu de l’Unité (45). K. Eschweiler, à son tour, dans une étude qui se distingue avant tout, par la finesse d’analyse, des courants philosophiques du romantisme, arrive à la conclusion que l’Unité est une sorte d’hégélianisme, sauvée pour l’ortho¬ doxie catholique par un bon nombre de ses inconséquences heureuses (46). Toutes ces critiques n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur les mots de Moehler, qui plus tard avoua lui-même son mécontentement au sujet de son œuvre de jeunesse. «Ce livre, écrait-il, m’a laissé un souvenir désugréable. C’est l’œuvre d’une jeunesse enthousiaste qui en usait franchement avec Dieu, avec l’Eglise, et avec le monde; mais il renferme quantité de choses, dont je ne voudrais plus me porter garant ; tout n’y est pas convenablement digéré, ni exposé arec assez d’agré¬ ment» (47). D’autre part un bon nombre de théologiens en vue voient juste¬ ment dans cet ouvrage le point de départ du renouveau ecclésiologique. C’est ainsi que la critique de Vermeil et de Fonck a été rejetée par L. Grandmaison (48), suivi dans cette voie par Loisy lui-même (49). Lôsch montre à son tour que ce n’est pas l’idéalisme allemand qui est la source immédiate de Moehler, mais plutôt J. B. Kastner (50). La critique d'Eschweiler n’a pas tardé non plus à recevoir une réponse difficile¬ ment contestable de J. Geiselmann (51). Contre l’interprétation de plusieurs théologiens néoslavophiles, qui en évoquant l’admiration de Khomiakov à l’égard de l’auteur de l’Unité, ont essayé d’opposer l’œu¬ vre de jeunesse de Moehler au dogme du Vatican, c’est le P. Tyszkiewicz qui a mis en évidence l’inspiration foncièrement catholique de Moeh¬ ler (52). Au coup sûr un tel jugement favorable peut s’appuyer à bon (44) J.A. Moehler et l’école catholique de Tubingue. Paris 1913. (45) DTC. vol. X. 2. col. 2048-2063. (46) Mochlers Kirchenbegriff. Braunsberg 1930. (47) Cité par A. Fonck DTC X. 2. col. 2063. (48) Jean-Adam Moehler. BSR 9 (1919) 387-409. (49) A. Loisy: Mémoires pour servir à l’histoire religieuse de notre temps. Paris 1931. vol. III. pp. 267-270. (50) «L’organisation visible do l’Unité». EU pp. 230-231. (51) J. A. Moehler und die Entwicklung seines Kirchonbegriffs. TQ 112 (1931) pp. 1-90. (52) «La théologie moehlérienne de l’Unité et les théologiens pravoslaves» EU pp. 270-294. - 31 - droit sur le fait que le premier Schéma sur l’Eglise du Concile du Vatican cite Moehler parmi ses sources (53). Mais tout en admettant l’inspiration foncièrement catholique de Moehler, il est incontestable que l’Unité pose un bon nombre de pro¬ blèmes, dont la solution n’est point facile. A notre avis il ne suffit pas de dire que l’Unité ne propose pas la relation des deux côtés de l’Eglise d’une façon dûment approfondie. Il est vrai que c’est justement cette relation qui y constitue le problème principal, mais il faut ajouter aussi que ce problème ne peut être encadré dans le « status quaestionis » de la théologie scolastique ou positivo-scolastique. L 'Unité, pensons-nous, a introduit une nouvelle nuance quant à la méthode de traiter une idée théologique et cette nouvelle nuance visé à titre essentiel la mise en relief du côté existentiel, expérimenté, du donné révélé. C’est pourquoi nous ne pouvons pas souscrire complètement à la solution proposée par Mgr. Journet, qui, sans contester l’intuition ca¬ tholique de Moehler, y ajoute quelques précisions d’ordre spéculatif. Selon lui, il faudrait introduire quelques distinctions dans le concept « obscur » de Moehler sur la vertu surnaturelle de la charité. Celle-ci, entendue du Saint-Esprit, comprend tous les dons accordés à l’Eglise, mais ne peut être identifiée en sa qualité de vertu surnaturelle avec les autres dons spirituels et les charismes. En ce qui concerne la force intérieure de l’Eglise, il faudrait faire également une distinction: se référant à l’Eglise entière, magistère et fidèles, elle comprend les vertus surnaturelles et les pouvoirs hiérarchiques: dans l’autre cas, s’il s’agit de l’Eglise croyante, elle est la charité, mais sous sa forme sacramen¬ telle, orientée (54). Pour perspicaces qu’elles soient, ces remarques ni atteignent pas les racines du problème moehlérien, cependant elles ne sont pas seule¬ ment de « simples précisions ». L’ecclésiologie de Moehler dans l’Unité, en tant que position méthodologique, échappe à la perspective de la science théologique, telle que la conçoit le positivo-scolasticisme. Le tra¬ vail théologique doit intégrer en luhmême l’aspect concret, vital du donné révélé. Le preuve en est simple et toute l’évolution de la science profane l’atteste: l’être, l’existence concrète, sa manifestation expéri¬ mentale peut être l’objet d’une connaissance scientifique. Tenter de résoudre les problèmes ecclésiologiques posés par Moehler à l’aide des distinctions classiques, serait renfermer leur développement dans un système qui ne saurait guère les assimiler. Cette remarque ne prétend minimiser ni la valeur de la théologie scolastique, ni les imprécisions de Moehler; elle vise seulement le fait, que Moehler a fait ressortir l’aspect vital de l’Eglise, sans avoir réussi à le concilier avec les résultats de la théologie traditionnelle. (53) Mansi, vol. 51. col. 553. (54) L’Eglise du Verbe Incarné. Paris 1941. Excursus IX.: «La hiérarchie dans le livre de Moehler sur L’unité dans l’Eglise ». pp. 630-641. - 32 - Selon Moehler l’aspect vital, expérimenté d’une vérité surnatu¬ relle ne peut être mieux étudié que dans sa réalisation plénière, mysti¬ que. C’est là que tout devient intériorisé, vécu et spontané et c’est là qu ’on peut observer le mieux 1 ’enraeiment et la manifestation psycholo¬ gique du donné révélé. La voie choisie par le P. Rouzet nous semble donc mieux adaptée à pénétrer le problème dont nous parlons (55). Moehler, écrit-il, tout en respectant l’aspect institutionnel de l’Eglise, ne se lasse pas d’affirmer que cet aspect ne révèle point l’idée divine sur l’Eglise dans son sens plénier. Pour nous en faire une idée approximative, continue-t-il, il faudrait évoquer la désignation par acclamation de quelques uns des évêques de l’Eglise ancienne où l’unité vitale de l’évêque et de son peuple s’exprima d’une façon bien impressionante. Quant aux évêques, poursuit-il, l’histoire de l’Eglise ancienne nous fournit des exemples à profusion; en ce qui concerne la primauté du pape, la prise de conscience subit une évolution plus lente par la nature, des choses. « Tout le génie de Moehler aura été de chercher, sous le signe et dons ce signe, la réalité absolue qui le fonde. Dans son language, c’est le « noumène » livré par l’expression directement perceptible du « phé¬ nomène », expression sacrée et réelle, mais qui ne doit pas, dans sa fixité nécessaire, nous dérober la présence adorable de l’Esprit» (56). Rien ne caractérise mieux les chemins nouveaux frayés par les tendances actuelles dans l’eeelésiologie que le grand nombre des études sur l’idée de l’Eglise dans l’Unité. Ce fut surtout le centenaire de la mort de Moehler qui éveilla l’intérêt théologique sur son œuvre (57). Le recueil d’études déjà cité: L’Eglise est une — ttommage à Moehler, est une documentation importante qui montre bien les directions principales, dans lesquelles, selon l’affirmation de ces études, l’Unité peut contribuer au dépassement de l’ecclésiologie posttridentine. Tout d’abord il faut mentionner la remise en honneur de l’aspect mystique de l’Eglise (58), ensuite le concept plus intériorisé de l’unité de l’Eglise dans l’espace et dans le temps (59), la structure de l’Eglise vue à travers son essence invisible (60), la question d’une décentralisation non-schismatique dans l’Eglise (61), un nouveau plan pour la conver¬ sation oecuménique (62) et enfin le retour aux Pères dont nous par¬ lerons en détail plus tard. (55) G. Rouzet: L’Unité organique du catholicisme d’après Moehler Ir. 12 (1935) 330-350; 457-485. (56) Art. cit. p. 469. (57) Cf. P. Chaillet: Centenaire de Moehler. RAp 61 (1938) 513-540. (58) P. Chaillet: Le principe mystique de l'Unité. EU pp. 194-220. (59) S. Losch: L’organisation visible de l’unité. EU pp. 221-233. (60) J. Rantt: La tradition vivante: Unité et développement. EU pp. 102-126. (61) Y. de Montcheuil: La liberté et la diversité dans l’Unité. EU pp. 234-254. (62) Y. Congas: Le déchirement de l’unité. EU pp. 255-269. J. Geiselmann: J. A. Moehler. Die Einheit der Kirche und die Wiedenereinigung der Konfcssio- ncn. Ein Bcitrag zum Gcspriich zwisclien den Konfessionen. Wien 1940. — 33 - Mais l’influence de Moehler peut être relevée aussi chez d’autres théologiens de renom, qui sans le mentionner explicitement, suivent de près la voie tracée par lui. Mettre en relief l’aspect mystique de l’Eglise est une position à coup sûr moehlérienne chez le P. Mersch (63), non moins que la manière de relater les deux côtés de l’Eglise dans l’ouvrage fameux de K. Adam (64). Ce dernier prend non seulement l’expérience ecclésiale comme son point de départ (65), en renvoyant « à notre inoubliable Moehler » (66), mais en outre il utilise largement VUnité quando il s’agit de montrer le développement progressif , de l’exercice du pouvoir pontifical au cours de l’histoire (67). Comme pour Moehler, pour lui aussi «l’évolution» de l’exercice du pouvoir des papes est une prise de conscience toujours plus explicite de l'Eglise sur son unité foncière. A voir cette influence profonde de Moehler, faut-il accuser avec le P. Przywara ces théologiens et d’autres de ne pas avoir suffisamment pesé les corrections que Moehler lui-même a apporté à son système ecclésiologique comme nous le trouvons dans l’Unitét (68). A notre avis, le fait que les ecclésiologues de nos jours se soient tournés plutôt vers l’Unité que vers la Symbolique, doit être expliqué d’une autre façon. C’est dans l’Unité qu’ils ont trouvé ce qui manque à l’ecclé- siologie posttridentine. Cela ne veut pas dire que la Symbolique que nous allons voir, soit moins précieuse du point de vue ecclésiologique, mais elle n’était jamais destinée par Moehler à suppléer aux pages si touchantes et originales de l’Unité dont l’intuition fondamentale « est authentique, profonde, aussi ancienne que le christianisme, éter¬ nellement féconde» (69). Les apports du romantisme ont ouvert de fait des horizons nou¬ veaux à l’ecclésiologie, mais ils l’ont exposée en même temps au danger de renfermer la vérité objective et surnaturelle dans le cercle souvent vicieux de la psychologie religieuse. A coup sûr l’ecelésiologie conçue d’une telle façon ne peut plus posséder un critère sûr pour distinguer les « corporisations » essentielles et de celles qui sont conditionnées par l’histoire. Moehler a découvert de bonne heure que l’idée-maîtresse de l’Unité est exposée au danger du système de Schleiermacher où la volonté de réduire l’Eglise à une expérience surnaturelle ou simple¬ ment religieuse aboutit logiquement au panthéisme. Il a donc aban¬ donné sa position de jeunesse en s’efforçant de remettre en honneur (63) La théologie du Corps Mystique. Paris 1946. 2" éd., voir surtout le chapitre «L’Eglise et ses fonctions» dans le vol. II. pp. 241-273. (64) Das Wescn des Katholizismus. Düsseldorf 1946. 11» éd. (65) Op. cit. p. 12. (66) Op. cit. p. 27. (67) Op. cit. pp. 50-52. (68) E. Przywara : Corpus Christi Mysticum. Eine Bilanz. ZAM 15 (1940) p. 201. (69) Cii. Journet: L’Eglise du Verbe Incarné. Paris 1941. vol. I. p. 640. — 34 - l’aspect visible de l’Eglise dans un ouvrage, qu’un Soloviev appelait «admirable» (70) et qu’un Newman considérait comme identique avec les idées principales de sa théorie sur le développement du dogme (71). A l’encontre du primat de l’amour, Moehler insiste dans la Sym¬ bolique sur le fait de l’Incarnation pour mettre en lumière le double caractère de l’existence humaine et l’inclusion de l’invisible dans une structure visible. En vertu d’une loi générale, un lien organique et nécessaire existe entre vérité intérieure et réalité extérieure, doctrine et action, idée et histoire, témoignage intrinsèque et extrinsèque i de même la religion comme expérience intérieure et l’Eglise comme structure visible sont inséparables, suivant le principe de l’Incarna¬ tion (72). La visibilité de l’Eglise s’enracine ainsi dans l’humanité du Christ, instrument des communications divines. Le côté visible de l’Eglise continue à son tour la médiation de l’Humanité du Christ, il en est le prolongement. Par suite une sorte de communication des idiomes s’établit entre le Christ et l’Eglise. C’est ainsi que la religion, plus précisément la religion chrétienne, doit se présenter essentiellement sous la forme de l’Eglise visible, expression concrète de l’union inté¬ rieure des fidèles. L’expérience ecclésiale, l’idée-maîtresse de l’Unité, Teçoit peu de considération dans un tel cadre. Mais il y a des indices dans la Symbolique qui montrent que Moehler n’a pas renoncé entièrement à son inspiration romantique. Par exemple il écrit à propos du côté visible de l’Eglise qu’il correspond parfaitement aux sentiments et à la faculté créatrice du chrétien, en lui montrant l’univers réconcilié avec son Créateur dans la beauté de l’union des éléments divers et multiples. Ensuite il satisfait la raison: la vérité divine devait s’incarner dans le Christ, pour arracher efficacement le genre humain au scepticisme païen. Enfin il comble les vœux d’unité du genre humain déchiré par des désaccords (73). Donc la relation entre l’Eglise visible et invi¬ sible est en sens inverse de celle, qu’il avait présenté dans l’Unité. Dans la Symbolique, c’est l’Eglise invisible, qui sort de l’Eglise visible. « A la place de la communauté universelle de l’Amour, au sens roman¬ tique, c’est l’Eglise comme une institution autoritaire, qui forme et qui éduque...» (74). Une orientation vers l’objectivité de la révélation se dessine à travers la Symbolique, où l’expérience dans l’amour cède à l’idée d’un corps moral soumis à l’autorité par la vertu d’une stricte obéissance. Moehler n’avait pas eu l’occasion d’établir une eeclésiologie "synthétique inspirée également par l’idée-maîtresse de l’Unité et de (70) V. Soloviev: La Russie et l’Eglise universelle. Paris 1922. 4* éd. pp. 34-35. (71) Cf. Essay on the Development of Christian doctrine. Ed. Longmans p. 37. (72) Symbolique p. 344. (73) J. Geiselmann: art. cit. EU p. 179. (74) Symbolique pp. 337 sv. — 36 — la Symbolique. Le milieu des sciences théologiques et philosophiques ne favorisa guère à cette époque la réussite d’une telle tentative; toute¬ fois son œuvre ecclésiologique, malgré son inachèvement, en fait le grand initiateur du renouveau ecclésiologique. Bien sûr, il ne l’est pas au même titre par l’Unité que par la Symbolique. Dans VTJnité, c’est la première élaboration de l’aspect vital concret de l’Eglise, que nous possédons. Il y donne témoignage d’un effort d’intégration de tout ce qui lui semblait appréciable dans la pensée moderne. La Symbolique, au contraire, relève les déficiences et les dangers d’un vitalisme unila¬ téral. Moehler y donne une leçon à l’eeelésiologie récente par le refus énergique d’un intériorisme vague; par l’estimation du côté visible de l’Eglise, enfin par sa sincérité scientifique, qui lui fait apporter des retouches considérables à son système antérieur. C ’est ainsi que Moehler représente dans sa personne le problème réel devant lequel se trouve notre ecclésiologie récente : trouver dans une synthèse unique le juste équilibre entre l’aspect subjectif et objectif de l’Eglise. Certains indi¬ ces montrent qu’il a pensé réaliser cette synthèse (75), mais sa mort prématurée l’sn a empêché. H. - J. H. Card. Newman Mgr. Journet a appelé naguère Moehler et Newman «les antennes sensibles» de l'ecclésiologie nouvelle (76) et nous venons de voir com¬ bien ces paroles sont vraies de Moehler. Les pages qui suivront, tâche¬ ront de montrer que les idées de Newman sur l’Eglise ne sont pas moins significatives. Bien que la Symbolique de Moehler jouît de la plus grand estime de Newman, à tel point que Newman identifia son point de vue avec celui de Moehler (77), toutefois, comme H. Tristram l’a montré, on chercherait en vain des relations directes entre eux (78). Il reste néanmoins incontestable, que Newman, de même que Moehler, ait abordé le mystère de l’Eglise du côté du « sujet religieux » (79) en cherchant à montrer comment la vie de l’Eglise se fait jour dans l’expérience personnelle et vécue. Tandis que l’ecclésiologie de Moehler a été l’objet d’un grand nombre d’études, celle de Newman n’a pas reçu encore une élaboration complète et synthétique. Ceux qui se sont donné la tâche d ’en retracer les lignes essentielles, sans manquer de donner des contributions pré¬ cieuses, sont loin d'avoir dit le dernier mot en cette matière. C ’est ainsi (75) Of. le chapitre ajouté à la 2* édition de la Symbolique. (7G) Ch. Journet: L’Eglise du Verbe Incarné. Paris 1941. pp. XVII-XVIII. (77) Cf. note 71, p. 34. (78) Cf. «J. A. Moehler et J. H. Newman» KSPT 27 (1938) 184-204. (79) Y. Congar: Vraie et fausse réforme dans l’Eglise. Paris 1950. p. 9. — 36 - que l’étude de W. H. van de Pol (80) suit plutôt la voie chronologique de la pensée de Newman et se meut plutôt dans les cadres apologétiques. O. Karrer qui a receuilli et traduit les passages de Newman sur l’Eglise (81), dans les introductions qui précèdent les deux volumes, devait se contenter de développements assez généraux (82). Il est encore plus curieux que le centenaire de la conversion de Newman tout en ayant stimulé un bon nombre d’études sur la théologie de Newman, n’ait vu aucune étude sur son eeclésiologie. Cela est vrai non seulement des deux recueils d’études publiés en langue anglaise (83), mais aussi des « Newman-Studien » (84), dont la liste presque complète (85) des ouvrages et des articles publiés jusqu’ici sur Newman ne contient aucun titre d’importance quant à son eeclésiologie à l’exception du livre déjà mentionné de W. H., van de Pol (86). Cette absence d’une étude en profondeur de l'eeclésiologie de Newman est l’autant plus regrettable que l’ouvrage tout récent du P. Bouyer (87) a réussi à mettre puissamment en relief combien la pensée de Newman a été avant tout ecclésiocentrique (88). Il serait vain de s’efforcer de composer un traité sur l’Eglise avec les passages de Newman. Karrer est aussi d’avis que certaines parties manqueraient complètement (89). La raison en est simple: Newman n’a jamais abordé d’une façon systématique le mystère de l’Eglise. En quoi Newman est-il cependant l’initiateur d’une nou¬ velle compréhension de l'Eglise! Tout d’abord par son vitalisme, son eonerétisme, sa mystique sur l’Eglise. Pour lui la recherche de l’idée authentique de l’Eglise prend la source dans sa mystique personnelle. « Demeurer dans la pensée de deux êtres et deux seulement, (80) De Kcrk in het Leven en Denken van Newman. Nijkerk 1936. 2* éd. (cité: de Pol.). (81) Kardinal Newman : Die Kirche I-II. Einsiedeln-Koln 1945-46. (82) «Newmans personlicher Weg zur Kirche» vol. I. pp. 35-88. «Newmans Weg in der Kirche » vol. II. pp. 9-26. (83) « American Essaya for the Newman Ccntennial », édité par J. K. Ryah et E. D. Bénard. Washington D.C. 1947. « A Tribute to Newman », édité par M. Tierney. Dublin 1945. (84) Newman-Studien. Erste Polge. Nürnberg 1948. édité par H. Fries et W. Becker. (85) Op. cit. pp. 301-326. (86) L’étude de W. Becker: Newman uud die Kirche (pp. 236-250) est évi¬ demment trop brève pour un tel sujet. (87) Newman. Sa vie. Sa spiritualité. Paris 1952. (88) Nous citons les ouvrages de Newman selon l’édition de Longmans. Ses lettres, écrites jusqu’à sa conversion, se trouvent dans «Lettres and correspondance of John Henry Newman during liis life in the English Church » édité par A. Mozley, 2 vol. London 1903 (cité: Lctt.). Puisque l’idée de Newman sur l’Eglise est liée étroitement à l’histoire de sa conversion, sa biographie, composée par W. Ward, est également d’une grande utilité: «The Life of John Henry Cardinal Newman», 2 vol. London 1913. (89) Op. cit. Vol. I. p. 30. - 37 - absolu et lumineusement évident: moi-même et mon Créateur...» (90), écrit-il dans son Apologia. Ces mots fameux, malgré toute apparence, ne doivent pas être interprétés en faveur d’un « splendid isolation» au plan de la vie spirituelle. Au contraire, ils contiennent la clé pour découvrir l’importance ecclésiologique de Newman. Pour Newman la structure sacramentelle de l’Eglise et le sens religieux personnel ne sont pas deux choses isolées l’une de l’autre, mais sont deux facteurs également indispensables pour mener à la perfection de la vie surna¬ turelle. Cette intuition primordiale de Newman sur l’unité foncière du sens religieux et de la révélation sous sa forme plénière nous explique pourquoi sa mystique personnelle va de pair avec un amour passionné à l'égard de l'Eglise. Sa devise : « Myself and my Creator » n 'est donc pas l'expression d'une religiosité abstraite : pour lui « tout se passe dans le concret. Ni lui, ni son Créateur ne sont des abstractions. Il est né, lui, dans une société chrétienne, et son créateur est ce même Dieu qui s’est incarné pour faciliter aux âmes l’entrée du royaume céleste. Dans la plus simple affirmation de sa conscience, Newman retrouve indirectement, non pas seulement le dogme de la Trinité- mais l’existence de l’Eglise» (91). Cette expérience apprend à'Newman la réalité d’un Dieu concret qui se révèle de quelque façon déterminée. « Il peut arriver que nous ayons un sens de la présence d’un Etre suprême, qui n’a jamais été obscurci par une nombe même passagère, qui a toujours habité en nous, depuis que nous pouvons avoir quelque souvenir, et dont nous ne pou¬ vons imaginer la perte» (92). Cette union intime entre l’idée de Dieu et celle de la révélation est d’une importance capitale pour comprendre Newman. Elle nous fait saisir pourquoi Newman met tous ses efforts à rechercher la Révélation sous sa forme concrète et plé¬ nière; un dilemme se pose devant lui: ou une révélation concrète, présente, actuelle, ou rien (93). Une de ses lettres nous montre combien ce dilemme était vécu par lui: «I see no resting place for the sole of my foot between ail and none » (94). A côté de l’aspect vital, concret, de la pensée de Newman, c’est le problème de la sainteté de l'Eglise qui doit, chez lui, retenir notre atten¬ tion. Au moment où en 1839 il fut frappé par les mots de St. Augustin (90) Apologia pro vita sua, p. 23. (91) H. Bbjémond: Newman. Essai de biographie psychologique. Paris 1906. p. 397. (92) Grammar of Assent. p. 178. (93) Van de Pol: Op. cit. p. 3. «Het dilemma was: ôf geen Opcnbaring ôf eon concreet-gcgevcn Opcnbaring... ». (94) Correspondcncc of J. H. Newman with J. Kedle and others 1839-1845. Ed. Longmans p. 25. Van de Pol voit, à bon droit, dans ce passage la manifes¬ tation par excellence du réalisme mystique de Newman. Op. cit. p. 176. — 38 — sur le catholicisme contre les donatistes (95), un double travail était accompli déjà par lui: à côté d’une sévère critique sur l’Eglise angli¬ cane, il avait développé une nouvelle idée sur l’Eglise, appelée Via Me¬ dia. Jusqu’à cette année là il avait pensé qu’il était possible de ramener l’Eglise anglicane à l’idéal de l’Eglise primitive et sauver ainsi les fidèles anglicans du cancer du libéralisme (96). Tandis que ses Parochial Sermons critiquent sans aménité l’esprit bourgeois et la religion mondaine de l’anglicanisme (97), ses études sur l’Eglise des Pères reproduisent un tableau complet de la sainteté de l'Eglise primi¬ tive. «C’est la sainteté qui est la grande note de l’Eglise», écrit-il à l’Evêque d’Oxford pour justifier sa critique de l’anglicanisme dans le Tract 90 (98). On peut donc dire sans exagération que les œuvres de sa période anglicane sont des pierres pour l’édifice magnifique de l’idée de l’Eglise chrétienne basée sur la notion de sainteté. Ceci est vrai non seule¬ ment des ouvrages mentionnés ci-dessus, mais aussi d’une œuvre assez sous-estimée jusqu’ici, les Lectures on Justification. Ces conférences, comme l’écrit le P. Bouyer, «préparent, si même elles ne produisent pas déjà à l’avance tout ce que les développements de la théologie du Corps Mystique au XX* siècle devaient révéler de plus fécond » (99). Comme la justification par l’Eglise et la sainteté dans l’Eglise sont des notions étroitement corrélatives, de même la vie dans la structure de l’Eglise est une vie de sainteté à titre essentiel. Les Lectures on the Prophetical Office of tlie Church veulent rétablir justement le fait que la tradition, le sens ecclésial, ne peut être possédé qu’en adoptant l’esprit ou l’éthos de l’Eglise apostolique. Donc il s’agit d’un devoir essentiellement d’ordre moral. Une fois de plus c’est la saintéte d’un petit groupe d’anglicans qui est devenu le dernier refuge pour Newman contre la nécéssité de plus en plus menaçante d’entrer dans l’Eglise de Rome. Les Sermons on Subjects of the Day nous montrent l’Eglise anglicane schismatique sans doute, mais ayant, à l’exemple de Samarie, un droit d’existence à cause du Reste, des sept mille, qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal » (100). (95) «Sccurus judicat orbis terrarum bonos non esse qui se dividunt ab orbe terrarum in quacumque parte orbis terrarum ». Contra Epist. Parmen. M.L. 43. col. loi. Lib. III. cap. 4. n. 24. Passage cité par N. Wiseman dans sa réponse à « Tracts for the Times ». 4 vols. London 1833-38. DE 7 (1839) pp. 139-180. (96) Cf. W. E. Lamm: The spiritual legacy of Newman. Milwaukee 1934. pp. 1-28: « Newman’s problem and purpose ». (97) Cf. Vol. I. pp. 32, 115-116 et surtout le sermon X. pp. 359-364. «Holiness is the great end » in Lett. I. p. 76. « No one will deny that most of my sermons are on moral subjects, not on doctrinal, still I am leading my hearers to the primi¬ tive Church, but not to the Church of England ». Lettre écrito en 1840, reproduite dans l’Apologie, p. 229. (98) «Sanctity is the great note of the Church... » lettre reproduite dans The Via Media, vol. II. p. 422. (99) Op. cit. p. 222. (100) Bouyer: Op. cit. p. 278. - 39 - Si Newman s’occupe beaucoup de la continuité historique de l’Eglise, il ne le fait qu’en rapport avec sa sainteté. Comme pour les ecclésiologues romantiques, pour Newman aussi le problème historique de l’Eglise est un problème de continuité vitale et pas seulement une question d’ordre apologétique. Guitton dit à bon droit que ce n’est pas l’apologétique, qui a converti Newman, mais «les muettes leçons de l’histoire» (101). C’est là que réside la vraie significa¬ tion d’une œuvre, peut-être autodidactique du point de vue de la recherche historique, telle que Les Ariens du IV * siècle. C’est une vision de l’Eglise toujours vivante «d’abord ressaissie chez un Atha- nase, un Basile, un Grégoire, que Newman va essayer de définir pour la réinfuser à l’anglicanisme contemporain» (102). Newman n’a jamais cessé d’insister sur la sainteté de l’Eglise. Pour lui elle est la note par excellence de l’Eglise qui tranche la ques¬ tion de savoir où se trouve la véritable société fondée et animée par le Christ. Cette préoccupation de Newman nous fait également com¬ prendre, pourquoi Newman, même dans sa période anglicane, ne pouvait pas ne pas professer la doctrine catholique sur la divinisation. Dans ses notes autobiographiques nous trouvons la remarque suivante sur ce point : «... la rémission du péché nous est accordée non par une simple imputation, mais par l’implantation de l’habitus de la grâce» (103). Par conséquent il assure une place prépondérante à l’aspect sacramentel de l’Eglise. L’Eglise est à titre essentiel l’instru¬ ment de la continuité de la vie de la grâce. Les apôtres ne sont que les canaux de la grâce et puisque ils sont seuls à pouvoir communiquer la grâce, ils possèdent aussi le pouvoir de gouvernement (104). Le simple fidèle à son tour, bien qu’il ne puisse voir, toucher le Christ, jouit néanmoins de la possession spirituelle du Christ, parce que la sainteté de l’Eglise actuelle témoigne de la présence du Christ. C’est le grand don du Père céleste à l’Eglise, la présence du Christ, comme source de sainteté, invisible aux sens mais saisi par la foi, grâce à l’opération du Saint-Esprit (105). En précisant les deux buts du Mouvement d’Oxford, la lutte pour la doctrine de la succession apostolique et pour l’intégrité du Book of Common Frayer (106), il ne fait que défendre cette continuité sacramentelle de la vie surnaturelle dans l’Eglise. « Chaque évêque de l’Eglise que nous contemplons, est un descendant direct de saint (101) La philosophie de Newman. Paris 1933. p. XV. « Newman a fait face au problème qui paraît bien au XIX' siècle être le noeud do tous les autres: celui de la signification de l’histoire», p. XXXVI. Problème, dirions-nous, plus spécifi¬ que de la pensée romantique. (102) Bouter: Op. cit. p. 210. (103) Lett. I. p. 106. (104) Cf. Parocbial and Plain Sermons, Vol. VI. p. 197. (105) Cf. Parocbial and Plain Sermons, Vol. VI. pp. 121-127. (106) Cf. Lett. I. p. 379. - 40 — Pierre et de saint Paul dans l’ordre de la naissance spirituelle » (107). C’est l’évêque qui représente le passé de l’Eglise et c’est lui qui est la base de son avenir : « La présence de chaque évêque suggère une longue histoire de luttes et d’épreuves, de souffrances et de victoires, d’espérances et de craintes, à travers de nombreux siècles. Sa présence en ce jour est le fruit de tout cela. Il est le vivant monument de ceux qui sont morts. Il est l’assurance d’un combat courageux et d’une bonne confession et d’un joyeux martyre maintenant, s’il le faut, comme ceux d’autrefois en ont donné l’exemple» (108). C’est dans et par les évêques que le Christ accomplit sa promesse de rester toujours dans son Eglise (109). Une telle insistance sur le rôle de l’évêque suppose évidemment une foi sans ambage dans les sacraments. L’efficacité des sacrements, selon Newman encore anglican, est une vérité basée sur le témoignage des Ecritures : Scripture truth. Us sont les canaux des privilèges chré¬ tiens et non seulement les sceaux de l’Alliance (110). La présence de la grâce de Dieu s’incarne d’alors d’une façon spéciale dans la liturgie; c’est par la liturgie que l’unité de l’Eglise céleste et terrestre s’opère: «Nous venons à l’Eglise, dit-il, pour nous unir aux Saints» (111). Le devoir principal de l’Eglise consiste, selon lui, dans une prière commune et continuelle (112). C’est ainsi que l’Eglise devient véritablement le refuge des croyants, où ils trouvent la présence du Dieu vivant (113). Donc l’Eglise est pour Newman une sorte d’incarnation de la sainteté, une réalité sacramcntelle-mystiquc, concentrée autour de la présence du Christ historique et eucharistique. Même ses amis anglicans ont reconnu d’une façon spontanée que «ce noble idéal d’une Eglise vivante, dans sa réalité et dans sa puissance, est le plus précieux héritage qu’il nous laisse» (114). Et l’on comprend aussi pourquoi l’œuvre ecclésiologique de sa période anglicane pouvait être retenue presque complètement même après sa conversion. Nous venons de voir, comment Newman était poussé vers le catho¬ licisme par l’idée de la sainteté de l’Eglise. On ne s’étonnera donc pas, que la conversion de Newman trahit la même adhésion au principe de la vitalité pratique, que toute la construction ecclésiologique de sa période anglicane. A coup sûr il ne faut pas mésestimer l’importance (107) Parochial and Plain Sermons, Vol. III. p. 247. Dans une lettre à J. W. Bowden, nous trouvons la même idée: «Our objeets are... to inculcate the Apostolical Succession and to defend the Liturgy». Lctt. I. p. 394. (108) Parochial and Plain Sermons, Vol. III. p. 248. (109) Ibid. (110) Parochial and Plain Sermons, Vol. II. p. 310. (111) Parochial and Plain Sermons, VIII. p. 12. (112) Parochial and Plain Sermons, III. p. 306. (113) Parochial and Plain Sermons, IV. p. 196. (114) Lettre du doyen Lakc au Guardian, le 27 août 1890, au lendemain de la mort de Newman; chez Brémond p. 403. - 41 — des recherches historiques et théologiques faites par lui en vue de retrouver l’Eglise véritable. Mais au fond, c’est l’aspect vital de la question qui domine tout. Newman lui-même avoue peu avant sa mort, dans une lettre intime adressée à Mozley, qu'il pensait toujours, que l’essence du christianisme consiste avant tout dans un système moral. A l’encontre des communautés protestantes, ce principe vivant de la sainteté n’est resté prédominant que dans l’Eglise catholique «Sans cela le catholicisme, poursuit-il, ne tarderait pas à s’effondrer et c’est à ce signe qu’il se fait recconnaître comme divin» (115). De fait, ses écrits à partir du Tract 90 (1841) jusqu’à son entrée dans l'Eglise catholique en 1845, nous révèlent une préoccupation foncière de la sainteté de l’Eglise. Dans le Tract 90 il défend l’aspect sacramental de l’Eglise avec la doctrine de la transsubstantiation (116). L’inspiration fondamentale de ce Tract, telle qu’il nouria livre dans une de ces lettres, est bien cet « éthos » de 1 ’esprit chrétien qui ne se trouve plus que dans l’Eglise catholique. « Elle seule, au milieu des erreurs et des vices de son organisation pratique, a donné libre cours aux sentiments de crainte religieuse, de mystère, de tendresse, de révé¬ rence, de dévotion et aux autres sentiments, que l’on peut spécialement appeler catholiques» (117). Dans un sermon, en mai 1840, il constate que l’Eglise anglicane ne possède plus la note de la persécution, mais seulement la note de l’amour de la prospérité terrestre (118). Plus tard il déplore la détresse de son Eglise, en soulignant que la vie de son Eglise ne témoigne guère la présence du Sauveur (119). La seule question qui se pose pour lui est la suivante: « Is ïïe hereî » (120). Même dans son Essai sur le développement il est en quête non tant d’une démonstration logique, que d’un organisme vivant, d’une Eglise sainte. Newman lui-même fait après sa conversion une allusion claire à cet aspect de son Essai: «Je ne cessais de me demander ce qu’à ma place auraient fait les Pères... Ma théorie (d’un anglicanisme res¬ tauré) faisait bonne figure sur le papier. Mais qu’auraient pensé de tout cela les Athanase, les Basile, les Grégoire, les Hilaire et les Am¬ broise? Plus je ruminais cette question, plus il me semblait, qu’ils me donneraient tort. J’ai exprimé ce sentiment dans mon Essai sur le développement » (121). Il s’agit de ce passage fameux où, dans une (115) Publiée par Mozley dans la Contemporary Review, sept. 1899; chez Bré- mond p. 403. (116) Le Tract 90 s'intitule: Remarks on certain Passages of the Thirty-nine articles - inséré dans l'édition Longmans dans le deuxième volume de la Via Media, pp. 259-356. (117) «A letter adresscd to the Rev. R. W. Jelf DD. in cxplanation of the Ninetieth Tract ». Dans la Via Media, Vol. II. p. 386. (118) Sermons on Subjects of the Day; Sermon XVIII. p. 272. (119) Ibid. p. 316. p. 354. (120) Ibid. p. 323. (121) Essaya critical and historical. Vol. II. p. 74. - 42 - vision poétique, il ressuscite les deux saints, Athanase et Ambroise, qui sans hésitation reconnaissent dans l’Eglise catholique leur commu¬ nion (122). Donc il nous semble que l’opinion qui voit, et non sans raison, l’importance de l’idée de l’apostolicité dans la conversion de Newman (123), doit être complétée par la connexion de la catho¬ licité avec l’amour catholique, réfractaire à n’importe quelle forme de séparation du tout. La Via Media a été proposée comme une Eglise apostolique, malgré sa séparation de l’Eglise entière. Or justement cet acte conscient de séparation, de schisme, qui la détruit, la ferait con- dammer à coup sûr par les Pères, qui n’auraient jamais justifié « l’op¬ position du tout et de la partie, du corps vivant dans l’unité et de membres se retranchant dans la mort» (124). Résumons-nous, l'idée de Newman sur l’Eglise se nourrit de son expérience mystique sur le Dieu-Révélateur. Cette expérience le pousse à la recherche d’une Eglise où la présence de Dieu se manifeste sans équivoque dans la sainteté des membres. En d’autres termes, il cherche la reproduction de l’Eglise des Pères, une église de sainteté où soient en pleine vigueur la dévotion et le sacrifice, substances de l’Evangile. Il quitte son Eglise au moment, où il n’y trouve plus la réalisation de cet idéal. Chez Newman on trouve aussi des passages profonds sur l’identité du chrétien avec l’Eglise entière, où il parle des effets « ecclésiaux » de la grâce et montre comment la grâce authentique pousse l’individu vers la communauté, parce que la divi¬ sion des Eglises, au fond, est la corruption des moeurs (125). D'ailleurs un coup d’œil rapide sur le recueil des textes ecclésiologiques de Newman présenté par O. Karrer, suffira pour nous convaincre que tous les thèmes modernes de l’eeelésiologie se trouvent chez le plus illustre fils d'Oxford : des passages saisissants sur le rôle des laïques, sur le rapport entre les religions naturelles et l’Eglise, sur l’engage¬ ment d’une Eglise sainte dans le domaine profane, sur la signification dogmatique de l’histoire de l’Eglise, sur la piété catholique et sur l’aspect eschatologique de l’Eglise. La manière dont Newman exprime sa pensée est plutôt platonique qu 'aristotélicienne : il préfère la psychologie à la présentation systéma¬ tique, l’expérience vécue à l’abstraction. Le caractère anglais l’y pré¬ disposait (126). Bien que les facteurs volontaires, émotifs, esthétiques occupent une place importante dans la position de Newman il serait injustifiable de voir en lui un moderniste latent, d’autant plus que le (122) Ibid. p. 138. (123) Cf. Ch. Journet: L’Eglise du-Verbe Incarné. Paris 1941. pp. 682-688. «L’apostolicité, raison de la conversion de Newman au catholicisme ». (124) L. Bouter, Op. cit. p. 254. (125) Sermons on Subjects of the Day, Sermon X. pp. 130-134. (126) Cf. O. Karrer, Op. cit. Vol. I. pp. 18-19. - 43 — mouvement d’Oxford avait été lancé sous le signe du combat contre le subjectivisme du libéralisme religieux (127). La grandeur de Newman est précisément d’avoir montré la relation et la correspondance entre la voix de la conscience et celle de l’autorité ecclésiastique. Brémond relève à son tour l’aspect moral, l’individuel, de son idée de l’Eglise; Przywara met en relief plutôt l’im¬ portance du magistère dans cette idée (128). Les deux thèses, à notre avis, ne s’opposent point, mais se complètent mutuellement. Aux yeux de Newman la recherche de la sainteté sans magistère infaillible n’ar¬ rive pas à son but, tandis que le magistère infaillible est au service de la sainteté. s Il nous reste encore à dire quelques mots de l’influence de Newman sur l’ecclésiologie récente. On peut constater que son influence s’exerça plutôt dans un sens apologétique que dogmatique. En tout cas, chez un grand nombre d’auteurs, on remarquera facilement une dépendance directe à l’égard de Newman. C’est surtout dans les cercles théologi¬ ques allemands qu’on peut constater une renaissance newmanienne (129). D’ailleurs il en est autrement de l’influence de Newman sur l’ecclésiologie récente que de l’influence de Môhler. Les ouvrages de Newman, la Grammaire et le Développement exceptés, n'étaient pas élaborés d’une façon systématique. Donc l’influence de VUnité de Môhler est plus reconnaissable que celle de la pensée de Newman, parce qu’il s’agit, chez le premier, d’un ouvrage bien circonscrit, tandis que chez l’autre de pensées dispersées un peu partout dans ses écrits (130). Pour bien préciser l’importance de Newman dans l’ecclésiologie, il ne faut pas oublier les étapes de sa vie et l’influence que l’exemple d’une vie tellement concentrée sur le mystère de l’Eglise pouvait exercer. Vie doublement grandiose: par sa recherche de l’Eglise véri¬ table et par l'horizon vraiment catholique de son oeuvre. « Il a, non certes parfaitement mais exceptionellement, réussi la synthèse, à quoi s’efforce notre temps, entre ces valeurs toutes saintes et nécessaires: foi et raison, vie spirituelle et intellectualisme, histoire et pensée, psy¬ chologie et dogme, prophétisme et vie dans l’Eglise, sujet et objet, progrès et tradition, réflexion et poésie... » (131). (127) Cf. E. Przywara: Einführung in Np.w mn.n i Wesen und Werk. Preiburg (Br) 1922. pp. 82-83. (128) Cf. E. Przywara: Einführung in Newmans Wesen und Werk. Preiburg (Br) 1922. p. 35. (12.) Voir «Newman Studien» cité plus haut, publié sous la direction d’un groupe de théologiens allemands, le Newman-Kuratorium. Il y a presque trente aus que M. Laros a constaté l’importance de l’idée de Newman sur l’Eglise, sans entrer eu détail. (Lexikon für Théologie und Kirche, « Newman ». Vol. 7. col. 533). (130) Cf. O. Kabrer, Op. cit. I. p. 30. (131) Y. CoNQAJt : Bulletin d’ecclésiologie, BSPT 31 (1947) p. 96. HT. - F. Pilgram et son école Aux yeux de beaucoup il est probablement audacieux de juxtaposer à Môhler et à Newman un théologien laïque du XIX* siècle, F. Pilgram. Sous-estimé dans son temps et assez peu lu de nos jours, Pilgram reste néanmoins la source par excellence pour une série d’ecclésiologues allemands oui, inspirés par les idéals du Romantisme, se sont approchés du mystère de l'Eglise d'une façon plutôt philosophique et sociologique que théologique. Empêché par ses développements trop laborieux de devenir un auteur populaire, Pilgram n’a jamais été oublié dans cer¬ tains cercles théologiques et l’insertion de son chef-d’œuvre sur l’Eglise, la Physiologie der Kirche (132) dans la série des Classiques allemands de la théologie prouve assez la vitalité de sa pensée. Peurt-être serait-il exagéré d’essayer d’établir une connexion directe entre lui et Max Scheler, qui a réussi à populariser les mêmes idées cinquante années plus tard, mais à vrai dire tous les deux ont puisé leur inspiration dans la même source: le courant philosophique du romantisme et la tendance, assez générale au sein du catholicisme allemand, de présenter le mystère de l’Eglise, comme la synthèse de l’aspect personnel et communautaire de l’existence humaine. Mais même si l’on ne trouve pas chez Scheler de références explicites à Pilgram, le disciple de celui-ci K. Neundôrfer, y renvoie souvent, quand il parle de la nécessité de considérer l’Eglise comme l’union organique entre les individus (133). De même Guardini commence ses fameuses conféren¬ ces sur l’Eglise par une idée chère à Pilgram: «Ce sera le devoir de l’époque à venir de découvrir la juste relation entre l’Eglise et la personnalité humaine. Pour cela les considérations sur la communauté (Gemeinschaft) et la personnalité deviennent de nouveau très impor¬ tantes» (134). Pour voir en détail les éléments romantiques qui déterminent la pensée de Pilgram il faut mentionner avant tout sa théorie de la connaissance. Désirant unir le mieux possible la pensée abstraite et la réalité, il présente la certitude comme la synthèse vitale d ’une connais¬ sance concrète et totale. Donc la connaissance dépasse nécéssairement le domaine de la raison abstraite : elle consiste à saisir et à reconnaître la réalité par la concrète personnalité (135). En d’autres termes: la (132) Physiologie der Kirche. Mainz 1860. Bcéd. par H. Getzeny dans la série « Deutsche KJassiker der Katholischen Théologie ans ncuerer Zeit ». Mainz. 1981. (133) «Die Kirche als gcsellschaftliche Notwendigkeit » in « Zwischen Kirche und "Welt. Ausgewâhlte Aufsatze ans seinem Nachlasz. Herausg. von L. Neundôrfer und W. Dirks. Frankfurt 1926. p. 77. (134) Vom Sinn der Kirche. Mainz 1922. pp. 22-23. (135) « ...Ergreifcn und Anerkennen durch die wirklich reale Personlichkeit ». De la correspondance do Pilgram avec W. Zekender, publié par celui-ci. «Nach Vierzig Jahren ». Leipzig 1895. p. 23. — 45 — réalité qui ne peut pas être démontrée par la raison abstraite, peut être saisie par la personnalité concrète (136). Dans sa correspondance avec W. Zehender, Pilgram ne tarda pas à affirmer que c’était Hegel qui avait uni le premier dans la philosophie moderne la pensée philoso¬ phique avec la réalité (137). Constituée d’un élément rationnel et d’un élément irrationnel (mystique, personnel) la vraie connaissance peut pénétrer l’unité mys¬ tique du spirituel et du matériel, l’unité mystique des choses entre elles, en un mot, l’unité mystique qui est la loi fondamentale de tout l’univers. Sans Dieu, réalité suprême, cette unité mystique dans l’uni¬ vers est simplement inconcevable, raisonne Pilgram, qui voit le couron¬ nement de cette unité dans l’Eglise. Par conséquent l’Eglise est incom¬ parablement plus qu ’ une somme d ’ idées abstraites. Egalement, l’expression, Eglise, instrument du salut, est très loin d’exprimer sa réalité complète. Ce qui est l’Eglise, c’est l’unité mystique de tout l’univers destiné à la vie surnaturelle dans l’union parfaite avec Dieu (138). Il est intéressant de noter que Pilgram ramène à Moehler sa manière de considérer l’Eglise avant tout comme un fait universel: « C ’est Môhler, écrit-il, qui a découvert au fond des réalités dogma¬ tiques un principe universel et qui a mis en lumière leur propriétés générales dans la connexion totale avec la réalité » (139). Penseur romantique, Pilgram cherche à pénétrer la signification complète des faits suivants: la révélation donnée à l’homme entier et non seulement à sa raison ; la révélation dirigée non tant à seul individu, mais au genre humain entier; la révélation solution du rapport entre l’Esprit et la nature, entre l’individu et la communauté (140). Guidé par ces préoccupations, Pilgram élimine un bon nombre de définitions de l’Eglise comme insuffisantes. L’Eglise, instrument du salut, l’Eglise assemblée des fidèles, comme définitions ne donnent, selon lui, qu’une description matérielle et n’excluent point la possi¬ bilité de la pluralité des églises. Au contraire la vraie définition doit contenir d’une façon immédiate toutes ses propriétés (141). L’idée du corps mystique tout en étant une expression parfaite de la communion des hommes avec Dieu et entre eux dans le Christ, ne met pas, selon Pilgram, suffisamment en relief la liberté des personnes dans cette communion (142). La définition parfaite de l’Eglise sera donc basée (136) Cf. Bosenthal: Konvertitcnbilder aus dem 19. Jalirhundert. Schaffliau- sen 1866. I. p. 1069. (137) Op. cit. p. 142. (138) « Quasi-katliolische Glaubens- und Lebensansichten protestantischer Per- sonlichkeiten », in Hist. Polit. Blàtter 34 (1853) 354-55. (139) Ibid. p. 391. (140) Physiologie der Kirchc. éd. par Getzeny, p. XLVI1Ï. (141) Physiologie der Kirche. éd. 1860. p. 9. (142) Op. cit. p. 10. — 46 - sur l’idée de la « Gemeinschaft », qui exprime d’une façon eonnaturelle l’équilibre entre les facteurs personnels et communautaires (143). Cet équilibre vient du lien organique par lequel la personnalité se rattache à l’univers sans perdre sa liberté par laquelle elle affirme d’une manière spontanée sa réalisation. Le lien organique avec l’univers est donc une tendance naturelle, mais toujours libre, de la personne vers l’univers et ce désir de trouver l’union avec les autres est la loi fonda¬ mentale de l’existence humaine. Vue sous cet angle l’Eglise a toujours existé comme la communauté humaine ayant une relation avec Dieu, relation qui a été rendue de plus en plus parfaite dans les phases succes¬ sives de la révélation, en particulier dans le fait de l’Incarnation, réali¬ sation suprême de la communion entre Dieu et le genre humain (144). Parce que la communication de vie contient toujours en elle-même l’acte de recevoir cette vie, la communion humaine naturelle et surna¬ turelle se constitue hiérarchiquement, c’est-à-dire que l’action de donner et de recevoir établit à titre essentiel une subordination du côté de ceux qui reçoivent vers ceux qui sont la source de la communication. Sans vouloir justifier la comparaison minutieuse entre la hiérarchie et la bureaucratie, même prise dans un sens idéal, l’idée sous-jacente de Pilgram a sa valeur en tout cas. Penser l’Eglise dans les termes de vie, de communion organique, ne s’oppose point à l’idée de la hiérarchie mais la suppose et la justifie (145). Par conséquent la succession aposto¬ lique dépasse bien les cadres des notions juridiques : elle est avant tout génératrice de vie. Influencé par la même philosophie que Moehler, Pilgram se refuse à parler de deux côtés de l’Eglise: intérieur et extérieur. Pour lui l’aspect institutionnel de l’Eglise, la basileia ecclésiale, n’est qu’une manifestation nécessaire de son essence invisible (146). Cette nécessité est basée selon Pilgram sur la relation générale entre l’essence et sa forme, et sur le parallélisme qui existe entre la Gemeinschaft de l’ordre naturel et l’Eglise. Puisque la Gemeinschaft se réalise dans des formes extérieures aussi, l’Eglise aussi doit être manifestée d’une façon visi¬ ble (147). A ce propos une note de Getzeny renvoie à bon droit à plu¬ sieurs passages de Hegel, qui montrent une affinité très évidente avec la pensée de Pilgram (148). En mettant à la première place la sainteté parmi les autres pro¬ priétés de l’Eglise, Pilgram prouve bien qu’il est un initiateur des (143) Op. cit. p. 15. (144) Op. cit. chap. III. Vorgeschichte der Kirche. pp. 31-48. (145) Op. cit. cliap. IV. Die wirkliche Kirche in ihrem Bau und Verfassungsor- ganismus. pp. 48-70. (146) « Politeia, basileia zu sein ist also nicht blosz die allgemeine Seite dor Kirche, es ist überhaupt keine Seite derselben, sondera es ist diese Bestimmung ihre Wescnheit selbst, und diese Bestimmung enthiilt die Anstaltlichkeit nur als ein besonderes Moment und Seite ihrer selbst an sich ». Op. cit. p. 114. (147) Op. cit. p. 186. (148) Ed. de 1931. p. 451. — il — tendances actuelles dans 1 ’ecclésiologie. «La notion de la sainteté de l’Eglise, écrit-il, s’identifie avec la notion de l’Eglise elle-même, avec son existence et son essence. Au fur et à mesure que l’Eglise, commu¬ nion entre Dieu et le genre humain, se réalise, elle est sainte et l’huma¬ nité est sainte en elle parce que sa sainteté existe non seulement dans sa fin mais avant tout dans son essence, dans sa communion (149). C’est de cette communion que les autres propriétés de l’Eglise décou¬ lent : la communion, une et unique par sa nature, tend nécéssairement à embrasser tout l’univers; comme un influx ininterrompu elle sup¬ pose une source intarissable d’où viennent l’apostolieité et la suc¬ cession apostolique; comme un influx total et complet, elle exige l’in¬ faillibilité (150). Toutefois l’intuition de Pilgram laisse beaucoup à désirer, quand il s’agit des précisions de détail. L’identification troup étroite de l’es¬ sence de l’Eglise avec la grâce sanctifiante fait adopter à Pilgram la distinction entre l’âme de l’Eglise à laquelle tous les non-catholiques justifiés appartiendraient et le corps ou structure de l’Eglise. D’ail¬ leurs ce principe est laissé par Pilgram dans la même imprécision qu’on le trouve chez les théologiens du XIX* siècle, nommément chez Perrone, cité par Pilgram comme sa source (151). Mais il faut noter que Pilgram évite soigneusement de séparer l’âme de l’Eglise de l’Eglise visible. Les non-catholiques justifiés ne sont que les membres invisibles d’une réalité dont l’Eglise romaine est la forme extérieure unique. De plus il donne les premières ébauches d’une théorie récemment renou¬ velée par le P. Rahner, selon laquelle l’Eglise ne peut avoir de membres absolument invisibles. La communion des non-catholiques justifiés avec Dieu est ordonnée à l'Eglise et leur union « invisible » avec Dieu et leur relation imparfaite à l’Eglise se manifestent du moins dans la pratique des vertus naturelles, élevées à l’ordre surnaturel par le fait de l’Incarnation (152). L’eeclésiologie actuelle qui cherche si avidement la relation exacte entre les deux communautés, naturelle et surnaturelle, certainement ne peut se passer de l’étude rigoureuse de Pilgram. Nous venons de voir l’essence de l’Eglise, comme une communion de vie, ses propriétés déduites organiquement de son essence. La troisiè¬ me section du livre de Pilgram est consacrée à l’activité de l’Eglise, qui va être expliquée également dans la lumière de l’essence de l’Eglise: sainteté et communion organique (153). C’est pourquoi la prière litur¬ gique de l’Eglise comme un acte communautaire reçoit la primauté (149) Op. cit. p. 134. (150) Passvm, mais surtout pp. 125-197. «'Wesen und Eigenschaftcn der Kirche». (151) Op. cit. p. 141. cf. Pebrone: Kompendium der Dogmatik. Deutsche Ausgabe. Landshut 1852. I. p. 67. (152) Op. cit. p. 192. (153) Op. cit. pp. 199-284. - 48 - à l’égard de la prière individuelle. C’est ainsi que Pilgram insiste sur l’importance de la sainteté personnelle dans l’enseignement: puisque l’Eglise est un fait surnaturel, l’enseignement ne reçoit son efficacité complète que dans et par telles personnes qui possèdent parfaitement cette vie. Pilgram rappelle à bon droit le fait que l’Eglise a souvent investi les laïques ardents d’une mission d’enseignement (154). En ce qui concerne la doctrine ascétique, Pilgram est d’avis qu’elle doit être replongée dans l’idée de la communion ecclésiale, parce que la vie spirituelle est une vie communautaire à titre essentiel. Sans vouloir contester le droit d’une relation immédiate entre Dieu et l’âme individuelle, Pilgram ne cesse pas d’insister sur la primauté de l’aspect communautaire dans notre relation avec Dieu et il fait preuve, à coup sûr, d'une clairvoyance remarquable en écrivant ces mots presque prophétiques: «... l’ecclésiologie à venir aura le devoir d’expliquer en détails le rapport mystique qui existe entre l’existence de l’Eglise et les âmes ordonnées directement vers Dieu» (155). Quelques dizaines d’années plus tard un bon nombre de théologiens seront engagés dans cette œuvre. Il est intéressant de voir comment l’idée de l’Eglise en tant que vie organique communautaire a mené Pilgram vers l’aspect liturgique de l’Eglise. En fait la troisième partie de son livre que nous venons d’analyser n’est qu’un traité sur l’Eglise dans sa fonction liturgique. Mais ce qui jette une lumière particulière sur la valeur des développements de Pilgram à ce sujet, est la connexion étroite de l’aspect liturgique de l’Eglise avec l’idée de l’Eglise céleste (156). Cette Eglise céleste qui embrasse non seulement les âmes arrivées à la vision de Dieu mais aussi les anges et tout l’univers destiné à la glorification finale, est le centre du Royaume de Dieu et l’achèvement de l’Eglise d’iei-bas. Tandis que le style lourd et le raisonnement trop laborieux de Pilgram ont empêché la diffusion de ses idées, les écrits de M. Schelcr ont parfaitement réussi à répandre la même inspiration parmi les théologiens allemands à tel point que le P. Przywara (157) et R. Aubert (158) considèrent son influence dans l’ecclésiologie d’après guerre comme un fait de première importance. Les idées ecclésiologi¬ ques de Scheler sont éparses un peu partout dans ses ouvrages (159) (154) Op. oit. p. 231. (155) Op. cit. p. 388-389. (156) Cf. Chap. XXI. Verlialtnis der Kirche zum Bcichc Gottes und don über- irdischen Spharen dessclben. pp. 285-315. (157) Cf. E. Przywara: Corpus Christi Mysticum. Eine Bilanz. Z AM 15 (1940) 197-215. (158) B. Aubert: Les grandes tendances tliéologique9 entre les deux guerres. Coll. Mechl. 16 (1946) 23. (159) L’article: Die cliristiche Gemeinschaftsidee und die gcgenwârtige Welt. (Hl. 14) 1916-7, I. (641-672) est inséré dans son livre: Vom Ewigon im Mcnsclien. Leipzig 1921. pp. 124 sv. Cet ouvrage est le plus important du point de vue ecclésiologique. — 49 — qui datent d ’une période où la question de la conversion au catholicisme attira fortement son attention. Bien que ses idées du poiut de vue ecclésiologique n’atteignent pas la valeur de Moehler et de Pilgram, toutefois ses théories sur la connaissance, sur l’idée de Dieu et sur la personne trahissent les mêmes caractéristiques que nous avons con¬ statées chez ses grands devanciers. Il faut noter enfin que Scheler resta avant tout un philosophe (160), les questions théologïques, voire ecclé¬ siologiques n’entrent dans ses développements que secondairement. La primauté de l’amour sur la raison, la connaissance concrète de Dieu dans la valeur suprême de la bonté impliquent aux yeux de Scheler, que toute religion ou connaissance de Dieu soient nécéssairement communautaires (161). Sous cet angle l’idée de l’Eglise, en tant que connaissance organique et communautaire de Dieu, est un postulat d’ordre naturel. De plus le caractère communautaire de la connaissance de Dieu réclame l’importance majeure de l’amour fraternel dans cette connaissance. Dieu, amour et bonté suprême, ne peut être saisi par l’homme qu’en vertu de l’amour, qui embrasse Dieu avec tous ceux auxquels Dieu s’est communiqué à n’importe quel titre. De sorte qu’on aurait tort de vouloir comprendre Dieu en dehors de la voie de l’amour solidaire; au lieu de retrouver la véritable religion, ce serait s’exposer à l’hérésie (162). Aux yeux de Scheler, la base de l’hérésie réside non pas tant dans une attitude intellectuelle, que dans un défaut d’amour: l’hérésie est avant tout une méconnaissance de Dieu en tant qu’ Amour (163). Il serait aisé de constater la coïncidence parfaite entre les vues de Moehler et celles de Scheler quant à la définition de l’héresie: tous les deux y voient une attitude religieuse privée de son élément orga¬ nique et vital. La notion de « personne », si importante dans la pensée de Scheler, a également beaucoup de ressemblance avec celle de Pilgram. Selon Scheler la personne tend de tout son poids vers le contact avec la Personne concrète, infinie, pour participer de ses perfections, en parti¬ culier de sa sainteté, modalité suprême dans l’échelle des valeurs. Mais la prise de possession des valeurs exige de la part de la personne une intention de portée universelle pour devenir connaturelle au caractère illimité des valeurs. Donc le salut individuel doit être solidaire du salut de tous. C’est ainsi que l’individu et la communauté s’enracinent (160) Voir G. Gurvitoh: Les tendances actuelles de la philosophie allemande. E. Husserl - M. Scheler - E. Lask - M. Heidegger. Paris 1949. pp. 67-152. (161) Cf. Vom Ewigen im Menschen, p. 460. (162) Op. cit. p. 461. (163) «Der Haretiker irrt nicht zuerst darum, weil er materiell Ealschcs liber Gott behauptet; er musz vielmehir religios Falschcs wesensnotwendig behaupten, ivei] er seine formate Grundcinstclluug auf Gott dem Wesen des Gdttlichen und darum erst auch seiner moglichen Erkenntnis überhaupt ividerstreitet ». Op. cit. p. 693. — 50 — dans le même principe: ce n’est pas un donné historique ou biolo¬ gique (164) qui rend la personne membre de la communauté, mais son idée éternelle, sa destination vers les valeurs. Les aspirations commu¬ nautaires ont alors leur source dans la personnalité même et par suite la personne exige à titre essentiel son encadrement dans une commu¬ nauté. Mais les communautés d'ici-bas, limitées aux valeurs finies, ne sont pas capables de satisfaire complètement l’individu; de plus elles ne servent leur finalité qu’en laissant ouverte la voie vers la source de toutes les valeurs, vers la Personne infine (165). C’est l’idée de l’Eglise, communauté parfaite avec Dieu, qui révèle le véritable sens des communautés d’ordre plus inférieur. En fait tout le dogme catho¬ lique professe que le salut individuel ne peut faire abstraction de la responsabilité solidaire. Il suffit d’évoquer des dogmes comme ceux de la catholicité de l’Eglise, du péché originel, de la résurrection au dernier jour, du Corps mystique du Christ, de la communion des saints etc. (166). Aux yeux de Scbeler, toutes les sociétés humaines ne sont qu’un reflet plus ou moins imparfait du Corps mystique et comme telles, elles ne peuvent réussir, en de nombreux cas, à réaliser l’équilibre parfait entre l’individu et la collectivité, ce qui est la marque divine de l’Eglise. Les aspirations communautaires de notre époque, poursuit Scheler, sont sur le point de subir un échec tant sur le terrain politique que sur le terrain économique à cause du désordre entre l’individu et la société, entre la personne ordonnée directement à Dieu et entre le lien organique des personnes (167). Selon Scheler, le genre humain, abstraction faite de l’ordre surnaturel, peut s’appeler d’une certaine façon « Eglise », c’est-à-dire, la communauté des personnes dans la participation à la Bonté Suprême. Vu que la Bonté divine se commu¬ nique toujours, partout et infailliblement, cette communauté, dont nous parlons, devient dans un certain sens indéfectible et universelle. A plus forte raison il en est ainsi de la communauté d’ordre surnaturel. On voit alors que Scheler entend rapprocher le mieux possible l’ordre naturel et surnaturel et les deux communautés basées sur eux. Par conséquent, pour Scheler, la nécéssité, l’indéfectibilité, 1 ’infallibilité (164) « In der Idee einer Liebcs- und Geistesgemeinschaft mit einer unendlichcn Person, die zugleich der Ursprung, der Stiftor und der Oberlicrr aller moglichen geistigen Gemeinschaften, auch aller irdischen und faktischcn ist. ». Art. cit. p. 646. (165) « Des Menschen Geistes- und Personsgemeinschaft ist vielmebr cigcnen und hoberen Recbts und eigenen und zwar boberen TJrspmngs, als diese Lebensge- meinschaft. Sie ist gottlicb geistigen Ursprungs, wie gottlich sanktioncllen Becbtes. > Art. cit. Hl. p. 645. (166) ff. Art. cit. p. 648. (167) « ...eine Nachbildung der starken und docli so fruclitbaren Spannung... die zwischen der gottgeschaffenen und zu Gott hinbestimmten, selbstandigen, freien ïndividual- und Personalseele und der urspninglichen organiseben Verbundenheit aller diesen Personen in einer sie umfassenden Korporation immer und notwendig besteben musz. ». Art. cit. p. 653. — 51 — et les notes de l’Eglise s’enracinent dans les «propriétés» du genre humain. Sous cet angle la fondation historique de l’Eglise, son caractère christologique, n’y ajoutent qu’un signe positif. On comprend facilement qu’une telle synthèse est exposée à uu bon nombre de difficultés philosophiques et théologiques. Quant à la connaissance de Dieu, le raisonnement abstrait y est trop poussé à l’arrière-plan; en ce qui concerne la distinction entre l’ordre naturel et surnaturel, Scheler ne donne point une solution nette. Bien que le P. Przywara soit d’avis (168) que Scheler, malgré le flottement de ses expressions, ne supprime pas la distinction entre les deux ordres, il ne reste pas moins vrai que pour Scheler c’est l’expérience naturelle de l’individu en son profond engagement dans le collectif, qui constitue la base de l’idée de l’Eglise. La communauté en Dieu, dans le Christ, est alors une vie communautaire éthique, une responsabilité • mutuelle vécue, un échange d’idées, mais avant tout une union d’amour dans les valeurs. Le salut, les actes religieux de l’homme, sont également conditionnés par leur rapport à la communauté. Par ailleurs Scheler pense que c’est seulement le christianisme primitif, qui a réussi à réaliser parfaitement cet idéal de vie communautaire; pour la géné¬ ration de nos jours cela se pose comme un devoir ardu (169). L’accomplissement de ce devoir ardu est réclamé d’une façon bien exigeante par l’esprit de notre époque, comme Guardini l’a mon¬ tré dans une série de conférences qui ont exercé une impression pro¬ fonde sur le catholicisme allemand (170). Selon lui le problème ecclé¬ siologique actuel est conditionné à titre essentiel par les mouvements d’esprit de nos jours: d’une part le rationalisme du XIX' siècle est dépassé par une métaphysique intuitive et d'autre part l’individua¬ lisme a été remplacé par un instinct communautaire. Il est évident qu’une telle orientation d’esprit se tourne avidement vers la religion et l’Eglise comme les formes les plus nobles de l’intuition et de la vie communautaire respectivement. C’est ainsi qu’il faut chercher le vrai sens de ces mots devenus classiques: «Un événement religieux d’une portée immense est en train de s’accomplir: l’Eglise connaît un réveil dans les âmes » (171).. L’époque est donc arrivée à laquelle Pilgram a assigné le devoir de montrer et de réaliser la relation objective de la personne à la com¬ munauté et Guardini, à son tour, ne veut pas atteindre dans ses confé¬ rences un autre but que d’esquisser la voie à suivre. Le fondement de cette relation entre personne et communauté est l’attraction connatu- (168) Cf. E. Przywara: Religionsbogründung, Max Scheler - J. H. Newman. Freiburg (Br) 1923. p. 183. (169) Cf. M. Scheler.: Soziologische Neurorientierung und die Aufgaben der Katholiken naeh dem Krieg. Hl. 13 (1915-16 I.) 385-406, 682-700, - 13 (1915-16 II.) 188-204, 257-294. (170) B. Guardini: Vom Sinn der Kirche. Mainz 1922, (171) Op. cit, p. 1. — 52 — relie par laquelle la personne tend vers la communauté organique et la veut réaliser. Pour apprécier combien le fait de l'Eglise est l’accom¬ plissement des exigences de la personne une sorte d’intuition est nécessaire de la part du théologien, dit Guardini. «Que ceci s’impose à nous : plus je suis une personnalité chrétienne, plus je suis membre de l’Eglise et plus l’Eglise est vivante en moi. Si je lui parle, alors je dis dans un sens très profond non pas ”Tu”, mais ” Je ” (172). L’homme de notre époque se refuse d’âimer l’Eglise avec un enthou¬ siasme superficiel ou avec des sentiments vagues, et le simple fait qu 'il est né au sein de l’Eglise ne lui suffit pas pour s’abandonner totale¬ ment à l’Eglise (173). Guardini est d’avis que peut-être l’esprit d’au¬ cune époque n ’a jamais été aussi adapté que le nôtre pour attirer les hommes vers le mystère de l’Eglise. Toutefois il ne manque pas de réaliser le danger de considérer l’Eglise comme le produit de cette attraction. Il est intéressant de voir qu’il défend expressément à ce propos Pilgram dont la pensée a été interprétée par plusieurs comme la négation implicite de l’ordre surnaturel (174). C’est le mystère de l’Eglise qui sauvera la personne des menaces de notre époque telles que le collectivisme, le tyrannisme de l’Etat et les manifestations du relativisme: relativisme dans la philo¬ sophie, dans les sciences et dans les arts. De même le désespoir méta¬ physique de l’âme moderne, causé par la perte de l’Absolu, ne peut être guéri que par l’Eglise qui possède la vérité absolue dans ses dogmes, la loi suprême dans sa morale et la vie éternelle dans sa liturgie. Sans être insérée dans l’Eglise, la personne devient la prison¬ nière de l’unilatéralisme de l’époque: elle sera conditionnée et absolu¬ ment dominée par le milieu, par les courants en vogue et comme telle, elle ne pourra pas trouver la vraie liberté qui est la vie vécue dans une dépendance totale à l’égard de Dieu. Donc l’idée de « Sentire cum Ecclesia » est la voie de l’unilatéralisme vers la plénitude... la voie de l’individualisme vers la personnalité. L’homme n’est catholique que dans la mesure où il ne vit pas dans la sphère étroite de sa vie privée mais dans la plénitude et la totalité de l’Eglise. Il n’est catholique qu’en tant qu’il est devenu l’Eglise même (175). Devenir l’Eglise et participer à cet équilibre qu’est l’Eglise, dépasse bien les seules forces de la raison parce que l’Eglise est avant tout un fait, une vie, construite par les sacramcnts, selon les lois du Corps mystique. L’image de l’Eglise, dessinée par Guardini est sans doute une des plus réussies de l’ecelésiologie moderne. Connaiseur profond de 1 ’esprit de notre époque, il ne reste pas moins un théologien de grande envergure qui tout en utilisant les avantages d’une approche moderne (172) Op. cit. p. 33. (173) Ibid. (174) Op. cit. p. 23. (175) Op. cit. p. 73. — 53 — de l’Eglise, ne cède jamais à l’unilatéralisme. De même les données de la psychologie et de la sociologie moderne ne lui font pas perdre de vue le mystère surnaturel et c’est ainsi que ses conférences auront une valeur permanente et une atmosphère toujours inspiratrice. Tous souserireront volontiers à ses mots: < C'est la plus grande grâce aujourd’hui pour nous, que nous puissions aimer l’Eglise » (176). A côté des mouvements d’esprit que nous venons de voir, la sociologie contemporaine aussi a forcé les théologiens catholiques à présenter l'idée de l'Eglise comme le lieu organique de la personne dans la société. La thèse fondamentale qui était en jeu fut formulée par Tônnies pour qui l’individu n’existe qu’en fonction du tout (177). Pour réfuter les erreurs manifestes d’une telle position, et pour éviter à la fois la tentation d’aller à l’autre extrême, l’idée organique de l’Eglise a semblé particulièrement adaptée à une position modérée. C’est ainsi que les idées de Pilgram et de Scheler ont été reprises par plusieurs ecclésiologues allemands qui sans y ajouter de développements essentiellement nouveaux, les ont proposées sous un angle directement sociologique. C’est à travers la dialectique entre l’intérieur et l’extérieur que Rademacher montre combien le mystère de l’Eglise est capable d'har¬ moniser de telles valeurs opposées: l’individuel et le collectif, l’amour et le droit, Oppositions qui trahissent les deux aspects de l’existence sociale: communion organique (Gemeinschaft) et organisation sociale (Gesellschaft) (178). Cela ne veut pas signifier que l’Eglise serait réduite au plan des phénomènes sociologiques, parce que, comme Rade- macher le fait remarquer (179), cela signifierait l’adoption de la posi¬ tion de Kant à l’égard de l’Église. Selon ce dernier l’Eglise n’est qu’une organisation religieuse privée de tout élément surnaturel, mais est-il possible d’expliquer la fonction sociologique sans pareille de l’Eglise, si l’on fait abstraction de sa fondation divine? L’application des principes sociologiques en matière ecclésiologique a été poussée à fond par un des disciples de Rademacher, N. Monzel. Selon lui la sociologie doit figurer dans la théologie comme « Strukturwissenschaft », c’est-à-dire fournir les principes pour une sys¬ tématisation des formations et des rapports sociologiques au sein de l’Eglise. Ceci est important surtout en méthodologie, parce que la doctrine chrétienne n’est autre que la conscience que prend l’Eglise de sa structure, sociologique (180). En outre Monzel assigne un rôle (17(5) Op. cit. p. 33. (177) Cf. son œuvre « Geist der Ncuzcit». Leipzig 1935. (178) A. Rademacuer: Die Kirelie als Gemeinschaft uml Gcscllscliaft. Augsburg 1931. (179) Cf. Op. cit. p. 143. (180) N. Monzel: Struktursoziologie und Kirchenbegriff. Bonn 1931. «Die Glaubenslchre niebt anderes als das Bewusztscin der Sozialverbindung der Eirche von sich selbst... », p. 245. — 54 — décisif à la sociologie dans l’explication du développement des dogmes, parce que c’est à la sociologie qu’il appartient de démontrer la con¬ nexion entre la doctrine et sa porteuse, la communauté (181). Enfin la nature même de l’Eglise ne peut pas être comprise sans la sociologie si l’on admet avec Monzel, que c’est plutôt la compréhension de la structure que la pénétration de son but, qui nous fait vraiment con¬ naître une société (182). Pour défendre sa position, Monzel renvoie (183) à K. Eschweiler qui a jugé très important un travail de ce genre, en particulier contre l’ecclésiologie protestante qui rejette le côté visi¬ ble de l’Eglise (184). Mais cette tâche apologétique requiert-elle des développements si compliqués et parfois si obscurs que ceux de Monzel? (185). En conclusion nous pouvons dire que tons ces auteurs qui ont suivi Pilgram d’une façon ou d’une autre, rendent témoignage au fait que les tendances nouvelles de l’ecclésiologie sont inséparables de l’expé¬ rience que le catholique de nos jours veut rencontrer la réalité totale de la vie humaine. Il est vrai que le rapprochement de la théologie avec la pensée actuelle comporte des inconvénients et des avantages; on peut aussi dire que les résultats particuliers de ces ouvrages attendent encore d’être insérés dans une synthèse supérieure; de plus il est incontestable que parfois ils sont plutôt des ébauches que des développements achevés, mais tout cela ne leur enlève point le mérite d’avoir contribué par des éléments précieux à une plus compréhensive présentation du mystère de l’Eglise (186). IV. - Le naturalisme et le mystère de l’Eglise A côté du romantisme, le naturalisme du siècle dernier a poussé également, quoique d’une manière toute opposée, les penseurs catho¬ liques vers une plus profonde prise de conscience du mystère de l’Eglise. Le romantisme était loin de pouvoir arrêter la continuelle laïcisation du monde, commencée à la Renaissance. Tandis que le déisme et l’athéisme doctrinal de l’Illuminisme ne pouvaient pas pénétrer les lar¬ ges couches de l’humanité, dès le début du XIX' siècle la pensée (181) Cf. Op. cit. p. 264. (182) Idée sans doute exagérée et quelque peu contestable... (183) Cf. Op. cit. p. 242. (184) K. Eschweiler: Die zwei Woge der neueren Théologie. 1926. (185) Monzel a défendu sa position récemment dans un article: Die Soziologie und die Theologen. Hl. 41 (1949) 259-272. (186) Voici encore quelques ouvrages à propos d’une eeclésiologie sociologique, mais ils n’ajoutent rien de particulier aux ouvrages analysés ci-dessus: H. Keller: Zur Soziologie der Kirclie, Sch. 8 (1933) 243-250; J. Tnurus: Vom Gemeinschafts- glaubcn der Eürche. Ein Beitrag zur Soziologie des gesamtkirchlichen Lebcns, Sch. 10 (1935) 1-30. — G. Neyron: L’individualisme et Catholicisme, Eev. Ap. 65 (1937) 385-397, 528-545. — 55 — «laïque» se présente, comme la croyance générale au progrès et devient — au dire de Dawson — « un idéal capable de transporter les foules et de soulever un véritable enthousiasme religieux» (187). On ne s’étonnera donc point que, pas à pas, se soit dessiné un univers athée, dont le mot d’ordre fut formulé par La Mettrie d’une façon poignante: «L’univers ne sera jamais heureux, à moins qu’il ne soit athée» (188). A envisager la pensée de ceux qui en ont poussé la logique jusqu’à ses dernières conséquences, il est intéressant de constater que ce sont les mystères de l’Incarnation, de l’Eglise, de la divinisation chré¬ tienne, qui constituent en dernier ressort l’objet des attaques de l’athéisme moderne. Chez Feuerbach, dogmaticien du matérialisme, l’homme est le seul objet de la philosophie et partant le critère de la moralité ne peut être que la félicité précaire de l’individu. Donc les idées religieuses avec leur transcendance privent l’homme de sa béatitude réelle à tel point que la notion de Dieu doit être regardée comme la grande aliénatrice du genre humain. Selon Feuerbach l’en- richessement de Dieu est bâti sur le dépouillement de l’homme et la religion est en vérité le vampire de l’humanité. Pour éliminer cette tra¬ gédie de la vie de l’humanité les grandeurs attribuées à Dieu doivent être référées à l’humanité et c’est ainsi qu’on arrivera au tournant de l’histoire où « l’homme prendra conscience que le seul Dieu de l’homme est l’homme même. Homo homini Deus » (189). C’est le christianisme qu’il dénonce le plus parmi les religions parce que dans l’idée de l’In¬ carnation « l’homme traduit ses plus hautes pensées, ses sentiments les plus purs » (190). Marx à son tour va plus loin. Il reproche à Feuerbach de ne pas avoir dépassé la critique abstraite. Selon Marx ce n’est pas dans les désirs subjectifs mais dans les conditions sociales, qù’il faut chercher les motifs qui ont donné naissance à la religion. Plus précisé¬ ment la religion est une invention des classes supérieures pour retenir la majorité des hommes dans l’état de servitude. Il y a une seule classe, celle du prolétariat, qui est capable de libérér l’humanité et la rendre à elle-même. Donc « la religion des travailleurs est sans Dieu, parce qu’elle cherche à restaurer la divinité de l’homme» (191). La pensée de Marx aboutit à une idolâtrie sociale, où l’Etat athée se (187) Chr. Dawson: Progrès et religion. Une enquête historique. Trad. de P. Belperson. Paris 1935. p. 186. (188) La Mettrie: L'homme-machine. 1748. Cité par G. Combès : Le retour of¬ fensif du paganisme. Paris 1938. p. 22. (189) G. Feuerbach: Wcscn der Beligion, 1845. Trad. française: « La religion ». p. 112. Cité par H. de Lubac: Le drame de l’humanisme athée. Paris 1945. 3® éd. p. 27. (190) Op. cit. p. 45-46. (191) Cf. sa lettre à Hardmann; dans de Lubac, p. 38. — 56 — réclame d'un amour messianique (192). Le marxisme veut répondre à toutes les questions de l’existence humaine et tend de tout son poids vers la société future qui remplacera à son tour la Divinité. Marx ne manque pas de brosser à grands traits le tableau de cet humanisme nouveau où s’efface la différence « entre l’homme et la nature... entre l’existence et l’essence, entre l’objectivation et l’affirmation de soi, entre la liberté et la nécessité, entre l’individu et l’espèce» (193). Ce que la propagande communiste inspirée par Marx veut substituer à la religion chrétienne n’est pas le rationalisme des penseurs occi¬ dentaux, mais «l’antique espérance des apocalypses judeo-chrétiennes, transposée en langage marxiste où le rôle de la Providence est joué par la dialectique immanente des événements et celle du peuple élu, par la classe souffrante et finalement triomphante du proléta¬ riat » (194). L’athéisme plus individualiste de Nietzsche coïncide au fond avec 1 ’idée-maîtresse de Feuerbach et de Marx. Selon Nietzsche, la religion dépouille l’individu de sa grandeur, à tel point, que le christianisme, religion par excellence, fait de l’homme un néant (195). Pour affran¬ chir l’homme de cet esclavage, il ne suffit pas de preuves abstraites: il faut montrer, selon lui, comment l’idée de Dieu à évolué. En possession de cet argument historique on sera en état de proclamer «la mort de Dieu». La mort de Dieu, fruit d’un acte «héroïque» de volonté dépasse bien l’horizon d’un athéisme vulgaire; elle exige la force des «Sur-hommes». L’athéisme volontariste de Nietzsche s’atta¬ que avant tout à la morale chrétienne. « Dionysos en face du Cruci¬ fié » (196) voilà sa devise. A ses yeux, les questions théoriques sur la vérité du christianisme sont un problème très accessoire, « tant que l’on ne met pas en question la valeur de la morale chrétienne» (197). La morale du Sur-homme fait appel à une vie créatrice, puissante, héroïque, à la dureté, à la noblesse des héros grecs, à la vie orgiaque de Dionysos (198). Sans doute, le néopaganisme, inspiré par Nietzsche, allait exercer une influence toujours plus grande et non moins que le marxisme, il marque l’apostasie des masses. Si puissants qu’il soient en eux-mêmes, le marxisme et le néopa- ganisme ne sont qu’un bras du grand courant positiviste, qui a déferlé sur notre époque. A coup sûr, le positivisme complet, tel que nous le (192) «Un point sur lequel il est bon (l’insister, c’est que cette communauté politique n’est pas athée accidentellement et passagèrement; elle est athée constitu- tivement et foncièrement». Cf. Journet: L’Eglise et les communautés totalitaires. NV 10 (1935) p. 438. (193) K. Marx: Morceaux choisis. Ed. NEF. p. 229. (194) L. Bougie» : La mystique soviétique. Bruxelles 1935. p. 79. (195) Cf. Volonté de puissance. Trad. par G. Bianquis. Paris 1947. I. p. 108. (196) Ecce homo, p. 177. (197) Volonté de puissance. I. p. 140. (198) Cf. de Lubac, Op. cit. p. 122. — 57 — trouvons dans les ouvrages de Comte (199), garde uu certain caractère ésotérique, mais l’esprit positif s’est si intimement mêlé à la pensée générale de notre temps, qu’on ne l’y remarque presque plus comme on ne remarque pas l’air qu’on respire (200). La loi des trois états, idée-maîtresse de Comte, met en lumière l’athéisme de ce système. Le genre humain, selon lui, est soumis à l’évolution, qui le conduit de l’état théologique à travers l’état métaphysique, vers celui du principe positif. Notre époque, au dire de Comte, peut se flatter de voir l’avè¬ nement final de l’âge positif. Voilà le dogme historique du positivisme. Le dogme théorique de ce système a trouvé une expression caracté¬ ristique dans une des lettres de Comte, où il indique que « le positivisme seul peut nous rendre systématiquement libres; c’est-à-dire, subor¬ donnés à des lois immuables et connues, qui nous affranchissent de tout empire personnel» (201). L’affranchissement de l’ordre transcendant va de pair dans le positivisme avec la subordination complète à l’im¬ mense organisme de la machine sociale. Pour l’individu il n’y a plus qu’à se plonger sans réserve dans le relativisme universel de la société. Fait curieux, mais bien caractéristique, que Comte ait cherché à trouver une alliance provisoire avec le catholicisme pour arriver dans un temps relativement bref à cette « sociolatrie » absolue. Comte, à son tour, a distingué avec soin entre le message de Jésus et celui de saint Paul à tel point, que ce dernier aurait renversé complètement la religion des évangiles en lui substituant un système strictement sacerdotal. C’est là que se trouve selon Comte le mérite historique du catholicisme : la soumission des masses à une forte disci¬ pline sociale. Désormais le catholicisme historique doit céder au catho¬ licisme positif, dirigé par le sacerdoce des savants. C’est ainsi que l’Eglise positiviste que Comte ne tarda pas à fonder, transféra à l’humanité les prérogatives de Dieu pour prendre le contrepied du christianisme. Le culte de cette nouvelle « église » est la « physique sociale », qui aide à établir le royaume « messianique » sur la terre. Nous pensons ne pas avoir tort, si nous indiquons dans cette « ecclé- siasticité » l’aspect synthétique de l’athéisme moderne. On comprend alors, que les catholiques, — hiérachie, théologiens et laïques, — aient été contraints de repenser et de revivre mieux le mystère de l’Eglise. De fait, dès le début du siècle dernier, les ecclésiologucs avertis et les documents pontificaux, à partir du Concile du Vatican, soulignent très fréquemment que le véritable antidote contre ces déviations est le mystère vécu de l’Eglise. Déjà L’Unité de Moehler voulait servir, entre autres, ce but. Il nous révèle dans la préface de la Symbolique, que son premier ouvrage (199) On trouvera un expoBé sur le rapport entre le positivisme et lo christia¬ nisme dans de Lubac, op. cit. pp. 134-278. (200) Cf. de Lubac, Op. cit. pp. 137-138. (201) Lettre à Henri Dix Hutton; dans de Lnbne, p. 177. — 58 — visait à faire ressortir l’aspect mystique, surnaturel de l’Eglise contre les tendances du naturalisme (202). La pensée de Newman aussi trahit la même préoccupation. Lui, dont la conversion est fondée sur l’impossibilité de trouver une «Via Media» entre l’athéisme et le catholicisme (203), constate dans une de ses lettres que les eaux de l’infidélité se sont élevées comme un déluge et il ajoute: «J’entrevois pour après ma mort, le moment où seuls les sommets des montagnes apparaîtront comme des îles dans ce désert des eaux ». C 'est la grande catastrophe du libéralisme protestant qu’il veut prédire, en soulignant aussitôt, que ce n’est qu’au prix d’un immense effort, fourni par les leaders catholiques, que l’Eglise pourra éviter cette grande cala¬ mité (204). Les pères du Concile du Vatican avaient constamment en vue le danger du naturalisme et le Schéma De Ecclesia a présenté le mys¬ tère de l’Eglise comme un remède aux maux de l’époque, d’autant plus que l’idée sublime de l’Eglise, selon le Schéma, s’est estompée parmi les fidèles. Ce n’est plus la négation protestante de l’aspect visible de l’Eglise qui est à réfuter, nous rappelle le Schéma, mais c’est contre le naturalisme, qu’il faut revendiquer la société surnaturelle, organisme du salut (205). Dans les écrits du Cardinal Pie, on trouve un vigoureux écho des idées qui animaient le Concile en ce qui concerne le mystère de l’Eglise en face du naturalisme. « Ces vérités (le naturalisme), écrit-il, sont tellement entrées dans l’humanité, que toutes les impiétés de l’heure présente n’en sont guère que le travestissement» (206). Le cardinal dénonce tour à tour le principe du naturalisme (207), son opposition foncière vis-à-vis du christianisme (208), Son exécrable blasphème de s’élever en un système universel, sa tendance à rendre illusoire l’extension déifique de l'Incarnation (209). Pour atteindre le natu- (202) Cf. Symbolique, p. XI. (203) Selon A. Cccil (Six Oxford Thinkers. London 1909.p. 62) c’eet l’antinomie entre l'athéisme et le catholicisme qui aurait motivé en dernière analyse la conversion de Newman. (204) Lettcr to Mrs. Maskell, Jan. 6tli, 1877; chez Ward: The Life o£ J. II. Card. Newman, 1913. IL p. 416. (205) «... notum est omnibus ipsam in primis esse mjstici corporis speciem quae nunc inter homines adeo carnales ac mundanos aut penitus ignoratur, aut, uti oportet non attenditur; quare ilia videbatur ante omnia in animis fidelium cxci- tandn». Mansi, 51. col. 554. (206) Oeuvres de Monseigneur l’évêque de Poitiers. Poitiers, 1807 vol. V. p. 168. (Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent). (207) «... il est clair (pour le naturalisme), que nous sommes divins par le fait même de notre existence, que l’humanité est divine, que par sa solidarité avec la race humaine chaque individu est déifié. Et parce que la race humaine tient à tout et résume tout, elle est l’expression la plus parfaite de la divinité ». Op. rit. vol. VII. p. 195. (Instr. syn. sur la première constitution du Concile du Vatican). (208) Op. rit. vol. VII. pp. 193-194. (209) Cf. Op. rit. vol. V. p. 169. ralisme contemporain dans toutes ses positions et dans tous les retran¬ chements qu’il occupe «il serait nécessaire, écrit-il, de remettre en lumière l’enseignement de l’Eglise... sur le prolongement de cette union déifique dans toute la race humaine par l’ordre de la grâce et de l’adoption divine » (210). Plus le naturalisme envahit les divers secteurs de la vie humaine, plus le système complet du Christ (211) est à propager ; plus l'athéisme veut gagner de terrain, plus on doit insister sur la déification chrétienne, « qui rejaillit sur toute la création angé¬ lique et terrestre, dont l’homme est le centre et le trait d’union; déifi- ; cation obligatoire et commandée tellement, que celui-là sera trouvé trop léger, qui posé dans la balance céleste n’y apportera pas cet appoint surnaturel et cet ajouté divin» (212). La doctrine du Corps mystique, opposée aux erreurs du temps et présentée comme une synthèse de l’existence chrétienne, se rencon¬ tre souvent dans l’enseignement des Papes. Les allocutions et les ency¬ cliques de Pie IX et de Léon XIII font allusion à plusieurs reprises au fait que l’athéisme moderne s’efforce de détruire l’Eglise et au contraire les défenseurs de l’éducation religieuse et de la liberté de l’Eglise justement rendent possible la participation de l’humanité à la vie divine. Ce sont surtout les encycliques de Pie XI qui mettent en relief l'actualité de la doctrine du Corps mystique avec le plus de force. Dès sa première encyclique, Ubi arcano, il attira l’attention du monde sur les maux « que l’homme animal ne perçoit pas, mais cepen¬ dant ils doivent être comptés parmi les plus grands de ces temps; maux que nous disons proprement commis dans la catégorie des choses spirituelles et surnaturelles auquelles est liée la vie des âmes » (123). Une plus profonde-prise de conscience du sacerdoce royal, de l'expia¬ tion dans le Corps mystique est'-indiquée dans son Encyclique Misètyn- tissimus Rêdcmptor, comme facteur important pour tirer l’Eglise de';sa situation difficile (214). C’est, de nouveau la doctrine du Corps mystique - qui se présente comme là fin et' - l’épanouissement de l'éducation chré¬ tienne dans son encyclique Divini ülius magistri (215). De même au fond des problèmes sociaux, c'est la divinisation chrétienne, qui est en jeu, au dire du grand Pape (216), et la solution ne s’effectuera que « lorsque les fractions de la société se sentiront intimement membres (210) Op. cit. vol. V. pp. 53-54. (211) Op. cit. vol. V. p. 135. (212) Ibid. (213) AAS 14 (1922) pp. 679-680. (214) Cf. AAS 20 (1928) p. 176. (215) Cf. AAS 22 (1930) p. 83. (216) « Les désordres économiques et sociaux ue montrent que la sÙTfaco; au fond se trouve la grande question: l’humanité voudrait vivre désormais aVèc ou sans Pieu; si la réponse des classes et des nations était celle des sans-Dieu, une époque désastreuse suivrait...». (Encyclique Quadragesimo Anno, AAS 23 (1931) p. 223). — 60 — d’une seule grande .famille et fils d’un même Père céleste; bien plus un seul corps dans le Christ, de telle façon que si un membre souffre, tous compatissent avec lui (217). Contre la propagande satanique et dans la persécution, fait-il remarquer, il ne reste rien d'autre que de vivre les vérités chrétiennes, parmi lesquelles la plus importante pour le moment, est « la fraternité humaine divinisée dans le Christ et dans son Corps mystique, dans l’Eglise » (218). Le Souverain Pontife revient souvent sur les mêmes idées dans les encycliques Divini Redemptoris, Mit brennender Sorge, Nos es muy conocida, en soulignant le sens véritable de ees grandes déviations, qui s’opposent si foncièrement à la destinée immuable de l’homme, à sa dignité de fils adoptif de Dieu dans le corps mystique (219). Parmi les motifs de l’Encyclique Mystici Corporis figurent éga¬ lement « les circonstances du temps où nous vivons» (220), les attaques lancées contre l’Eglise par le néopaganisme (221). Le Souverain Pon¬ tife dénonce aussi le rationalisme et le naturalisme qui tiennent pour absurde tout ce qui dépasse les forces de l’esprit humain et qui ne voient dans l’Eglise que des liens purement sociaux (222). Pour exciter beaucoup de chrétiens, charmés par les séductions du monde et « pour répondre aux désirs d’un grand nombre, Nous voulons remettre, dit le Saint Père, sous les yeux de tous et célébrer la beauté, les mérites et la gloire de notre Mère l’Eglise...» (223). A lire les dernières phrases de l’Encyclique où il s’agit de l’amour à l’égard de l’Eglise, on ne peut pas ue pas sentir l’immense besoin de l’Eglise qui agite l’humanité con¬ temporaine. Après avoir vu l’enseignement des papes sur ce point qu’on nous permette d’évoquer la pensée de quelques auteurs récents à propos du grand dilemme qui vient de l’antagonisme entre ces deux sortes de divinisation. Selon J. Maritain à l’origine de l’athéisme moderne il y a un profond ressentiment contre le monde chrétien, voire contre le christianisme lui-même (224). Mgr. de Solages constate à son tour que le spectacle offert par les mauvais chrétiens déconcerte ceux, qui sont en quête de l’Eglise véritable et leur fait penser que l’idéal évangé¬ lique se trouve alors en dehors de l’Eglise catholique (225). De plus le marxisme est né à l’époque, fait .-justement remarquer le P. Lavaud, où les chrétiens ont servi le système économique le plus païen: le capita- (217) Ibid. (218) AUocutio ad Filios Hispaniac, AAS 28 (1936) p. 378. (219) Cf. Divini Kedemptoris, AAS 29 (1937) p. 78. (220) Ed. cit. p. 22. (221) Ed. cit. pp. 23-24. (222) Ed. cit. p. 28. (223) Ed. cit. p. 24. (224) Cf. Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d ’une nouvelle chrétienté. Paris 1947. Ed. nouv. p. 49. (225) Cf. Pour rebâtir une chrétienté. Paris 1938. p. 238. — 61 — lisme. Selon lui « c 'est la pratique uou-chrétienne des baptisés empressés au service de Mammon » qui a poussé Marx à prétendre que l’Eglise est liée au capitalisme et qu’elle abandonne le prolétariat à son triste destin (226). On peut alors souscrire à la conclusion de Berdiaiev, selon laquelle la position du monde chrétien en face du communisme n’est pas seule¬ ment la position de celui qui porte en soi la vérité éternelle et absolue : elle est aussi la position du coupable, qui n’a pas su réaliser cette vérité. « S’il n’y a pas de fraternité dans le Christ que règne donc la camara¬ derie dans l’Antéchrist. Le peuple russe a posé ce dilemme avec une puissance extraordinaire devant le monde entier» (227). Rien n’est donc plus facile que d’entrevoir les deux termes de ce dilemme: essor ou déclin de l’Eglise, pour reprendre l’expression devenue classique du Card. Suhard (228), et en même temps estimer à son vrai prix l’effort ecclésiologique qui vise précisément par la présentation complète du mystère de l’Eglise à réprimer l'incroyance moderne et à faire revivre dans les âmes des fidèles ce mystère. T. - Le renouveau spirituel et le mystère de PEglisc Nous venons de voir comment le romantisme, et la lutte contre le naturalisme ont amené la pensée catholique vers une attitude qui se nourrit du mystère de l’Eglise. Mais le facteur principal qui a poussé les fidèles vers l’expérience mystique de l’Eglise, est le renouveau de la vie intérieure dans l’Eglise. A ce point il s’avère une fois de plus que le mysbère de l’Eglise était déjà un mystère vécu par de larges couches de chrétiens, avant que le renouveau ecclésiologique soit arrivé à son apogée entre les deux guerres. Parmi les facteurs pratiques qui ont eu une répercussion sur l’approfondissement de cette expérience de l’Eglise, il faut signaler le mouvement liturgique, la spiritualité christocentrique, la remise en honneur de la dignité des laïcs et le mouvement social chrétien. Il est intéressant de constater que les origines du renouveau litur¬ gique remontent au romantisme. Selon une remarque de O. Casel (229), c’est en plein romantisme que les germes du mouvement liturgique allemand de nos jours sont à chercher. Bien que Moehler ne s’occupât pas directement des questions pratiques de la restauration liturgi- (226) Autireligion communiste et athéisme militant, NV 8 (1933) p. 395. (227) N. Berdiaiev: Un Nouveau Moyeu Age. Paris 1927. p. 292. (228) Lettre pastorale de Carême, 1947. - Doc. Catli. 29 (1947) p. 384. (229) Cf. art. « Liturgische Bewegung» dans Die Religion in Geschichte und Gegenwart. III. p. 1699. — 62 — que (230), toutefois son ecclésiologie en est devenue la grande inspira¬ trice (231). C’est Moehler qui a rendu accessible les sources de l’esprit liturgique, la pensée patristique, en dépassant les réformes artificielles d’inspiration janséniste du concile de Pistoie. Avant tout 1’ecclésiologie de Moehler a influencé dans un sens favorable les projets pratiques en matière liturgique d’un Sailer et d’un Hirscher. Tout cela est d’autant plus facile à comprendre si on se rappelle la préoccupation prin¬ cipale de Moehler qui vise à démontrer la continuité organique entre l’Eglise primitive et l’Eglise actuelle qui se manifeste le plus puissam¬ ment à travers le culte chrétien. C’était ce culte chrétien que Moehler appellait l’expression des « générations puissantes, la manifestation par excellence du Christ vivant dans son Eglise » (232). Newman encore protestant n’a pas manqué d’insinuer le rôle im¬ portant que la liturgie pourrait jouer dans la conversion d ’un anglican à l'Eglise de Rome et il s’est étonné souvent des vues courtes de certains apologistes catholiques qui ne se souciaient pas de présenter la liturgie, si pleine d’excellence et de beauté, comme la dévotion romaine par excellence (233). On sait le rôle joué par la liturgie dans sa conversion personnelle à tel point que la liturgie est restée toujours un élément fondamental de son idée de l’Eglise: c’est le divin service qui mani¬ feste la Communion des saints et qui rend possible la vie spirituelle (234). Pilgram, à son tour, n’est pas moins énergique, comme nous l’avons vu, sur ce point. Il faut d’ailleurs noter que l’esprit du XIX e siècle a beaucoup empêché le développement du renouveau liturgique. L’Eglise était forcée de concentrer son attention sur d'autres problèmes, tels que le renforce¬ ment de son organisation et de son activité culturelle. C’est ainsi que pendant longtemps la floraison du renouveau liturgique s’est limitée aux cercles monastiques et c’est là qu’on trouvera les premiers rappro¬ chements entre la liturgie et l’idée de l’Eglise (235). Les deux figures principales en cette matière sont sans doute Dom Guéranger et Dom Wolter, fondateurs des congrégations monastiques de Solesmes et de Beuron. Les grandes publications, Institutions liturgiques et L’année liturgique, trahissent à chaque pas, combien une nouvelle compréhen¬ sion de l’Eglise y est impliquée. Guéranger présente ses Institutions, (230) Sauf la brève .période de 1823 à 1826 où il souhaitait dans les articles de la Tübingcr Quartalschrift l’usage du calice pour les laïcs, la liturgie en langue nationale etc. - Cf. O. Rousseau : Histoire du mouvement liturgique. Paris 1945. p. 85. (231) Cf. A. L. Mayer: Liturgie, Romantik und Restauration. JL 10 (1930) p. 141. (232) E. Viernbisel: L'actualité religieuse de Moehler, EU pp. 304-05. (233) Cf. L. BeauduiN: La piété de l’Eglise. Principes et faits. Louvain 1914. p. 43. (234) Cf. Van de Poi/: Op. cit. p. 130. (235) Cf. A. L. Mayer, Art. cit. p. 142. — 63 — « où sont racontées les mistérieuses beautés et les harmonies célestes que l’Esprit Saint a répandues sur les formes du culte divin » (236). Son Année liturgique, dont les projets sont indiqués, viserait préci¬ sément à l’initiation des fidèles à la piété catholique, à « sentire cum Ecclesia » (237). La préface de L’année liturgique insiste sur le rôle du Saint-Esprit dans l’Eglise: «il est le principe de ses mouvements; il lui impose ses demandes, ses voeux, ses cantiques de louange, son enthousiasme et ses soupirs. De là vient que depuis dix-huit siècles elle ne se tait ni le jour ni la nuit; et sa voix est toujours mélodieuse, sa parole va toujours au cœur de l’Epoux» (238). On comprend alors les mots du Card. Pitra selon lesquels Guéranger était le théologien qui pénétrait le plus le mystère de l’Eglise (239). Dom Wolter à son tour développe plutôt sur le plan monastique l’aspect liturgique de l’Eglise. Selon lui la vie hiératique et liturgique d’une abbaye représente la réalisation idéale de l’Eglise. L’office divin célébré d’une façon solennelle nous met sous les yeux dans toute son évidence la communion des saints, le Corps mystique du Christ (240). Pour mettre en relief l’importance majeure de ce rapprochement mo- nastico-liturgique de l’idée de l’Eglise, il faut citer le P. Rousseau: «... il semble bien, écrit-il,, qu 'entre la conception liturgique du mona¬ chisme guérangiste et beuronien et l’ecclésiologie orthodoxe ait été effectué en son temps et comme par hasard le meilleur des rapproche¬ ments possibles entre les deux Eglises » (241). Nous ne voulons pas nous arrêter longtemps au développement pratique du mouvement liturgique soutenu par le renouveau monasti¬ que. Que ce dernier ait excité bon nombre de chrétiens à un amour plus surnaturel de l’Eglise, n’a pas besoin d’être démontré plus longue¬ ment. Les adaptations pratiques, les efforts pour une meilleure éduca¬ tion religieuse des fidèles, surtout en Belgique avant la première guerre mondiale (242), n’ajoutent rien de spécial à notre sujet. Cela est vrai également des « Semaines liturgiques » tenues en Belgique dès le len¬ demain de la première guerre mondiale. La riche documentation qu’on possède sur elles sont les Cours et Conférences des Semaines liturgi¬ ques (243). En Allemagne c’est Pius Parsch qui a contribué le plus visiblement parmi les fidèles à une meilleure compréhension de l’Eglise à travers sa liturgie, tandis qu’en France ce sont les cahiers Maison- (236) Institutions liturgiques. Paris 1878. 2* éd. I. p. LXVII. (237) Cf. Op. cit. pp. LXXVIII-LXXIX. (238) L’Année liturgique. Paris 1890 sv. I. p. X. (239) Cf. Don Delatte: Dom Guéranger, Abbé de Solesmes. Paris 1909. II. p. 443. (240) Praecipua Ordinis monastici Elementa. Bruges 1880. cliap. II. (241) O. Rousseau, Op. cit. p. 196. (242) Cf. O. Rousseau, Op. cit. chap. VII.: Les origines du mouvement litur¬ gique en Belgique, pp. 131-150. (243) Par les soins des moines de l'abbaye du Mont-César. Louvain 1922 sv. — G4 — Dieu qui sont les documentations les plus en vue de cet apostolat ecclésio-liturgique. C’est surtout aux collaborateurs de la collection Ecclesia Orans que nous devons nous adresser pour trouver les expositions systémati¬ ques sur l’aspect ecclésiologique de la liturgie. Il est bien significatif que le premier volume de cette collection ait été présénté par Dom I. Herwegen, abbé de Maria-Laach, comme une mise en relief et un retour à l’expérience de l’Eglise dans la prière liturgique (244). A ce point de vue ce n'est pas une exagération de dire avee Guardini que le pro¬ blème de la liturgie est le problème de l’Eglise dans son aspect cultu¬ relle? (245). Ce problème fondamental est approché par les auteurs de Ecclesia Orans sous deux angles: qu’est-ce que l’objet de cette expé¬ rience et quels sont ses traits principaux? L’objet de cette expérience est l’Eglise comme communauté orga¬ nique dans le mystère du culte. L’Eglise, sous cet aspect, n’est ni une religion, ni une confession, ni un système de vérité et de précepts moraux, mais le «mystère» même. «Elle n’est certainement pas con¬ stituée, écrit J. Pinsk, par le dogme et la discipline, mais par Vactio Christi in mysterio tel qu’il est célébré dans la messe et dans les sacre¬ ments » (246). Le premier, qui a condensé tout le christianisme dans uu seul mot, mysterium, était Saint Paul lui-même, nous avertit Dom Casel, et ce mysterium est identique avec Christus, désignant à la fois la personne du Sauveur et son Corps mystique qui est l’Eglise (247). Le christianisme vu sous cet angle est la révélation dans des faits et dans des gestes théandriques, il est la communication de la grâce et l'acces¬ sion de l’humanité auprès du Père céleste. Le mystère du culte présente l’Eglise dans sa naissance continuelle, dans son union vitale avec son Chef à travers les sacrements. On est enclin à parler d’une création continuelle de l’Eglise dans ses membres. Cette création s’opère avant tout dans l’assemblée liturgique dont l’action par excellence est la messe. La messe est la forme classique de la vie mystérieuse de l’Eglise et la réalisation de l'idée paulinienne, «corps du Christ», au dire de Th. Michels (248). Une communauté organique naît ainsi qui satisfait à merveille les aspirations de l’époque: « La communauté liturgique est un idéal, une flamme lumineuse, qui jaillit puissamment de notre monde. Un courant mystique vers la communauté parcourt notre temps. (244) R. Guardini : Vom Geist der Liturgie. Preiburg (Br) 1918. Introduction "■par Dom. I. Herwegen, pp. VII-XIII. (245) Cf. R. Guardini: Das Objektive im Gebetsleben. JL 1 (1921) pp. 117-125. (246) Die Liturgie als Grundlage für die rcligiosc Wirklickkeit von Kirelie, Diozcse und Pfarrei, LZ 4 (1931) 427. (247) Le mystère du culte dans le christianisme. Paris 1946. p. 22. (248) Die Liturgie im Lichte der kircliliclien Gemeinschaftsidec. JL 1 (1921) 109-116. Of. surtout les pp. 109-110. — 65 — On découvre de nouveau que la communauté nous offre quelque chose d’incomparable, qu’elle est un bien suprême, inégalable » (249). C’est une idée chère à plusieurs auteurs de dépeindre l’Eglise sous l’image de l’assemblée liturgique. Parmi les auteurs de l’Ecclesia Orans, c’est chez Panfoeder que nous la trouvons (250), mais ses développe¬ ments n’ajoutent guère à ceux de H. Gréa (251). Ce dernier reprend la pensée de Saint Ignace d’Antioche qui dessine la figure de l’évêque comme le centre de l’Eglise, le foyer et la source de la sanctification pour son peuple réuni autour de lui dans le sacrifice et dans la prière. Donc l’idée d’un diocèse dépasse bien les notions juridiques, comme J. Pinsk le fait remarquer: L’évêque est avant tout le liturgos dans son diocèse, son rôle par excellence est de communiquer la grâce, la vie du Christ (252). Par conséquent des faits comme l'érection d’un nouveau diocèse ou la fonction du chapitre de la cathédrale contiennent une si¬ gnification profonde ecclésiologique. C’est Wintersig qui a appliqué les mêmes idées à la vie paroissiale (253). La paroisse est en vérité l'organe par lequel le chrétien entre en contact avec la Rédemption ; la relation entre l’évêque et son diocèse se reproduit, toutes proportions gardées, dans celle entre le prêtre et sa paroisse. Les actions liturgiques réservées au curé, la bénédiction des fonts baptismaux etc., mettent bien en relief ce parallélisme. C ’est en vertu de leur ressourcement dans le mystère liturgique de la paroisse que les œuvres de charité ne per¬ dent pas leur caractère surnaturel et seulement une intense vie litur¬ gique de la paroisse pourra réprimer les tensions sociales parmi les paroissiens. Donc on aurait tort de voir la solution des problèmes pa¬ roissiaux dans des méthodes d’organisation; le ressourcement liturgi¬ que seul peut y apporter une réponse finale. L’aspect liturgique de l’Eglise dans le temps se reflète à travers l’année liturgique, lien entre l’Eglise soumise aux changements et celle de l’éternité immuable. C’est l’année liturgique qui exprime pour les fidèles, selon Casel, le rapport entre le Christ glorifié et son Corps mystique (254). Ce lien avec l'Eglise céleste à travers la liturgie expli¬ que en dernière analyse pourquoi le mystère liturgique est toujours total: la Pâque se retrouve en entier dans chaque fête particulière. «L’Eglise dont la tête se trouve au ciel, même si ses pieds, ses mem¬ bres inachevés, marchent encore sur terre, n’est pas soumise à l’éternel (249) Die Kirclie aïs liturgische Gemeiusckaft. Mainz 1924. p. 111. (250) Op. cit. passim. (251) De l’Eglise et de sa divine constitution. Paris 1907, 2* éd. II. pp. 13-21. Voir aussi H. Clérissac: Le mystère de l'Eglise. Paris 1925, 3* éd. cliap. IV. «La vie hiératique de l’Eglise» (pp. 61-84) et chap. IX. «Les Fêtes du mystère de l'Eglise», (pp. 169-187). (252) Pfarrci uud Mysterium. JL 5 (1925) 136-143. (253) Die Liturgie als Grundlage flûr die religiosc Wirklichkeit von Kirclie, Diozese und Pfarrei. LZ 4 (1931) 426-437. (254) Op. cit. p. 131. changement propre aux choses caduques de ce monde. Dans la nature "tout coule”, tout change et tout se transforme, tout naît, disparaît sans cesse, tout vient à la vie pour mourir ensuite. Avec le Christ, 1 'Ecclesia sancta est au-dessus de ces fluctuations, elle se trouve dans le règne de l’Esprit éternel» (255). L’horizon de l’Eglise s’élargit ainsi dans le temps et dans l’espace. Dans le temps, c’est l’éternité qu’elle rencontre dans l’année liturgi¬ que (256), dans l’espace, en vertu des sacrements et des sacramentaux, le monde devient l’univers consacré. De cette idée dernière Pinsk donne une synthèse magnifique (257). Donnée la portée universelle de l’In¬ carnation rien ne reste en dehors du pouvoir sanctificateur de la litur¬ gie. Cette consécration de l’univers se réalise par l’application des signes et des actions sacrées. C’est ainsi que le monde matériel entre dans la sphère du surnaturel. La liturgie consacre non seulement les expressions matérielles de l’activité de l’esprit, la langue et l’écriture, mais aussi les instruments les plus banals de la Aie quotidienne. En mettant en relief que la consécration du monde suppose toujours le sacrifice, la souffrance, la liturgie n’oublie pas que le monde matériel reste tout de même une voie analogique vers Dieu. L’œuvre de la liturgie consiste donc, sous ce; point de vue, à préparer et à anticiper l’achèvement de cette consécration selon la manière cachée de la vie divine dans le Verbe Incarné et dans le Christ répandu: l’Eglise. Plus on participera à la liturgie, plus on aura une expérience profonde de ce qu’est l’Eglise et plus on aura la garantie que l’achèvement final de cette consécration cosmique ne défaillera pas (-258). Il est évident que les traits principaux de cette expérience litur¬ gique sur l’Eglise sont bien caractéristiques. Selon Hammenstede (259) la spiritualité liturgique, basée à titre essentiel sur le mystère de l’Eglise, diffère des autres spiritualités par son collectivisme, histori¬ cisme et dogmatisme (260). A vrai dire ce sont les éléments d’un huma¬ nisme chrétien que Hammenstede pense retrouver dans cette expérience liturgique que les fidèles font de l’Eglise. Au lieu d’un individualisme religieux la spiritualité liturgique vise avant tout les intérêts du roy¬ aume de Dieu; elle tend vers la communion des saints et met en harmonie le monde surnaturel et la culture d’ici-bas. L’attitude apolo- (255) O. Casel: Op. cit. p. 132. v (256) Cf. J. Panfoeder: Op. cit. p. 51: «Die Liturgie betraclitct diesen Zu- sammenschlusz mit der himmliachon Kirclie uicht als nebensiichlicli, sondera als boebst wesentlicli ». (257) j. Pinsk: Die sakramentale Welt. Ecclesia Orans 22. Prciburg (Br) 1938. (258) Op. cit. pp. 201-202. (259) Die Liturgie als Erlcbnis. Ecclesia Orans 3. Prciburg (Br) 1919. (260) Cf.. Op. cit. pp. 6-7. — 67 — gétique y cède à l’orientation dogmatique et comme spiritualité ancien¬ ne, elle nous fait revenir vers l’Eglise des premiers siècles (261). Herwegen voit à son tour dans cette expérience liturgique de l’Eglise la conciliation de l’attitude classique et moderne (262). L’hom¬ me antique, plongé dans l’harmonie d’une ambiance statique; aimait l'objectivité et classifiait les êtres selon leur type. Au contraire l'homme moderne s’attache par instinct au concret, à l’expérience immédiate. La même divergence s’exprime, selon l’auteur, dans le fait, que tandis que l’antiquité chrétienne fixait son regard sur la sainteté ontologique de l’Eglise entière, l’homme moderne cherche plutôt la sainteté morale des membres. Egalement dès le réveil du sens concret, au lende¬ main du Bas Moyen Age, poursuit Herwegen, se fait jour le désir de voir le principe constitutif de l’Eglise dans un élément subjectif: dans la loyauté des fidèles envers l’Eglise. Sans vouloir forcer cet antago¬ nisme entre l’antique et le moderne, entre «romanisme» et «germa¬ nisme» (263), il faut reeconnaître que ces deux attitudes sont plus complémentaires que contradictoires et ce serait tomber dans un unilatéralisme grossier, que de vouloir sacrifier l’une à l’autre. En fait rien ne reste aussi impérieux que la néeéssité d’une synthèse englobant le devenir et l’être, l’activité et la contemplation, l’objectif et le subjec¬ tif. Selon Herwegen, c'est le corps mystique du Christ qui réalise cette synthèse supérieure grâce à son centre vital, le mystère du culte. Her¬ wegen insiste fortement sur le caractère surnaturel d ’une telle synthèse, parce que la grandeur de la tâche transcende une attitude purement humaine, si universelle soit-elle (264). C’est D. von Hildebrand qui montre à propos du problème de la formation de la personnalité, combien l’expérience liturgique est ca¬ pable de réaliser l’unité organique des valeurs subjectives et objecti¬ ves (265). La liturgie, écrit-il, dans sa structure classique répand vers les participants l’esprit de révérence, de franchise et de discrétion et c’est ainsi qu’elle rend un service sans pareil à la formation de la vraie personnalité. Suivant les principes de Scheler, Hildebrand base ses développements sur deux idées: d’une part n’importe quelle valeur exige une réponse adéquate du côté de la personne (266) et d’autre (261) Voir surtout pp. 1-31. «Aus dem Subjektiveu und Persijnlickon will ich 2 um Objektiven uud Allgemeingültigen vordringen, die Fonn des eigenen IcU aufopfern und in die Seele der KircUe, in ihren Gottesdienst, in ibre Gcmcinscbaft, in den mystischen Leib, in Christus das Haupt hineinwachsen. « Panfoeder, op. cit. p. 162. (262) « Antike, Gcrmanentum und Ckristentum ». Salzburg 1932. (263) Cf. Op. cit. p. 36. (264) Cf. Op. cit. p. 73. (265) Lâturgy and Personality. New York 1943. C'est la traduction anglaise de l’original allemand que nous utilisons. (266) Cf. Op. cit. p. 76. Ce principe, écrit Hildebrand, est réfractaire à n’im¬ porte quelle démonstration directe; comme un axiome il doit être saisi d’une façon immédiate, intuitive. — 68 — part le monde des valeurs authentiques est la force suprême uni¬ fiante (267). En communiquant les réalités, les valeurs suprêmes, la liturgie transforme l’individu en une personnalité dans laquelle, grâce, au contact vital avec les valeurs, on ne trouvera plus trace d’égocen¬ trisme, de superficialité et d’indiscrétion. La personne ainsi formée, devient le type de l’attitude chrétienne classique dont la manifestation par excellence, est le saint vivant en union parfaite avec Dieu et avec l’univers en vertu du mystère du Corps du Christ (268). Combien les traits saillants de l’expérience liturgique sont cherchés avidement par la génération de notre temps, rien ne le montre mieux que les études de W. Becker (269) et de Th. Kampmann (270). Becker constate avant tout la présence d’un nouveau romantisme dans les aspi¬ rations modernes à l’égard de l’Eglise (271). Ce nouveau romantisme va de pair avec la faim de réalité et avec la volonté de prendre possession de toutes les valeurs par et dans l’Eglise. Kampmann à son tour souli¬ gne que la devise « revivre la réalité » ne signifie point un vague senti¬ mentalisme, mais la prise de possession de la réalité en soi: la réalité sacramentelle. Cette réalité, force formatrice de personnalité se situe plus profondément que la structure sociale de l’Eglise et que la for¬ mation intellectuelle de ses dogmes ; elle est la réalité ecclésiale incarnée dans la liturgie (272). Essayer d’assimiler les valeurs offertes dans l’expérience liturgique d’une façon conforme à la mentalité moderne est tout à fait légitime (273) pourvu qu’on ne s’expose pas aux dévia¬ tions dangereuses, telles que la séparation des deux aspects de l’Eglise ou bien un immanentisme moderniste (274). On peut donc dire sans exagérer que le mouvement liturgique a conduit à une nouvelle compré¬ hension de l’Eglise. Il nous découvre l’Eglise pour que nous en vivions et en devenions les membres vivants. «C'est par-là, pour emprunter les mots frappants du P. Jungmann, que le Corpus Christi Mysticum est devenu la doctrine préférée de toute une génération (275). Après le mouvement liturgique, il convient de signaler l’influence de la spiritualité christocentrique en faveur de l’approfondissement d’une connaissance plus vive de l’Eglise dans de larges couches de (267) Cf. Op. cit. p. 44. (268> Cf. Op. cit. p. 217. (269) « Z uni Kirchenbild einer jungen deutschon Génération >, dans « Cliristli- che Verwirklichung ». Komano Guardini zum fiinfzigsten Geburtstag dargebrackt. Würzburg 1935. pp. 84-101. ” (270) «Liturgie und die Jugend der Gegenwart». Hl. 33 (1936) II. pp. 481-496. (271) Cf. Art. cit. p. 84. (272) Th. Kampmann: Art. cit. p. 482. (273) Ibid. (274) Th. Kampmann : Art. cit. p. 495. (275) J. A. Jungmann: L’Eglise dans la vie religieuse d'aujourd’hui. EU p. 340. — 69 — fidèles. «Lélément le plus décisif... dans le renouveau ecclésiologique actuel a été, écrit le P. Congar, un approfondissement de la vie inté¬ rieure, surtout par le côté où elle regarde la personne de Jésus-Christ et où elle s’alimente aux sacrements, principalement dans la commu¬ nion eucharistique. Nous sommes convaincus, que c’est l'attention por¬ tée avec une plus grande ferveur sur le Christ lui-même, qui a mieux fait comprendre son Corps mystique» (276). A l’encontre des «Vie de Jésus» parues au siècle dernier, les ouvrages de ce genre publiés récemment laissent de côté les discussions déjà surannées de la critique rationaliste et présentent le Maître divin avant tout dans sa relation à ceux qu’il est venu racheter. Ce sont les développements plutôt méditatifs de la vie du Sauveur qui sont les plus caractéristiques à ce point de vue. Prenons par exemple l’un des chefs-d’œuvre de la littérature spirituelle moderne, Le Christ dans ses Mystères de Dom Marmion (277), dont le thème fondamental est la participation des membres aux les mystères de leur Chef divin. Plus la vie terrestre de ce Chef divin progresse, plus l’idée du corps mystique se dessine à 1 ’avant-plan. Cela est vrai surtout dans les points culminants de l’œuvre de la rédemption: les membres qui souffrent, meurent, retournent à la vie et montent au ciel avec leur Chef, voilà l’idée-maîtresse de ces conférences spirituelles devenues classiques. C ’est cette union des membres et de la Tête dans une personne mystique qui constitue le point central d’un article très remarqué lors de sa parution, du P. Chardon (278) et c’est sur ce plan que le mystère de l’Eglise est devenu non seulement un des points principaux de la médi¬ tation (279), mais tout simplement le fondement de la théologie ascéti¬ que et mystique (280). La doctrine du Corp mystique était loin de rester l’idée chère de cercles limités. Elle a pénétré le domaine des catéchismes qui ont été composés, même de nos jours, selon la mentalité apolo¬ gétique posttridentine. C’est dans ce sens que l’archvêque "Wil¬ liams (281) a voulu faire une révision des catéchismes courants et la mise en œuvre d’une telle requête, si bien fondée, ne pouvait pas être retardée pendant longtemps, comme le montrent des publications même (276) Y. Congar: Autour du renouveau de 1’ecclésiologie. Vint H. t. LXI. (iO janv. 1939) pp. 10-11. (277) Paru eu 1917. (278) L. Chardon: Que par la subsistance mystique les âmes saintes font une seule personne mystique avec Jésus. Vie Spir. 30 (1932) 298-307. (279) J. Leclerq : Méditations sur l’Eglise. Liège 1926. — Mentionnons en¬ core: Mgr. Guerry: Dans le Christ total. Elévations sur le mystère de l’Eglise. Paris 1952. (280) Cf. A. Tanquerey : Les dogmes générateurs de la piété chrétienne. Paris 1926. (281) A plea for the revision of the Catecliism. Clergy Review 1 (1931) 453-162, — 70 — illustrées pour mener à une compréhension plus facile de ce mys¬ tère (282). Il est très aisé d’entrevoir qu’un tel renouveau de la spiritualité ne pouvait pas être sans effet sur les hommes encore hors de l’Eglise et sur les catholiques troublés dans leur foi par des difficultés de différen¬ tes sortes. Une longue série de grands convertis et de penseurs catholi¬ ques a trouvé dans l’idée du Corps mystique l’irrésistible pôle d’attiran¬ ce, selon les mots de Mauriac : « Comme beaucoup de catholiques trou¬ blés... les difficultés d’ordre historique m’inclinaient à chercher ailleurs que dans l’histoire les fondements de cette croyance... Le Christ vivant dans l’Eglise, vivant dans les Saints et en chacun de nous authentifiait le Christ de l’histoire... C’est la connaissance du fleuve qui m’a détour¬ né de toute inquiétude au sujet de la source, c’est la grande arbre épa¬ noui et plein d’oiseaux qui me fait considérer le grain de sénevé avec des yeux simples » (283). Bien sûr tout cela atteste que le Christ ne se trouve qu’au sein de son Eglise et que la recherche d’un Christ isolé de son Eglise ne conduit pas à son terme. Donc la théologie, au dire de Ceriani, en synthétisant le donné révélé autour du Corps mystique ne fait que rendre compte d’une aspiration foncière de notre époque (284). Rien ne caractérise mieux combien le mystère de l’Eglise est devenu le bien commun des plus vastes cercles de la chrétienté, que la remise en honneur des laïcs dans l’Eglise. Pour se faire une idée de la mesure du changement en ce qui concerne le rattachement actif des simples fidèles à l’Eglise, qu’on nous permette de nous référer à deux énoncés, un peu hyperboliques, mais bien frappants. Citons d’abord une lettre de Talbot, écrite d.e Rome en 1867, à son archevêque, Manning, à propos d’un article de Newman, où le futur cardinal défendait peut- être trop énergiquement le rôle du peuple fidèle dans la formulation des données de la foi. « Quelle est la part des laïcs ? Chasser, faire feu, se divertir. Voilà ce qu’il est à leur portée; mais s’immiscer dans les affaires ecclésiastiques, ils n’en ont pas le droit » (285). Un passage du discours du Card. Verdier, prononcé le 20 février 1931, devant un grand nombre - de prêtres et d’hommes d’œuvre, est aussi fort, mais à rebours: «Messieurs, si la mission que le Pape m’a donnée et par moi à toute la France catholique, d’organiser cette action générale des catholiques, se réalise, vous aurez un ministère un peu (282) Voir par exemple : E. R El choquer: Einigung mit Gott: Sckematisch- konstruktive Darstellung des Corpus Ckristi Myaticum. I. Band Grundlegcnder Tcil mit 16 farbigen Volltafeln und 5 Eiusclialtbildern. Freiburg (Br) s. d. v (283) Mauriac: Vie de Jésus. Paris 1936. Préface de l’édition nouvelle, p. IX-X. (284) G. Ceriani : Orientamenti tcologici nel Noveccnto. Milano 1938. p. 89. (285) Cité in W. Word: Tlie Life of J. H. Card. Newman London 1912. vol: IL pp. 146-147. - « Wliat is tlie province of the laityt To hunt, t* shoot, to entertaiu. Tbcse matters they understand, but to meddle with ccclesiastical matters tbéy havô no rigltt at ail ... and tliis affair of Newman is a inatter purely ccclesiastical ». — 71 — nouveau... Jusqu’ici vous étiez restés des maîtres incontestés, presque des rois de droit divin. Si demain le laïcat se place à côté de la hiérar¬ chie pour diriger l’Action catholique extérieure, vous serez désormais, des rois constitutionnels...» (286). Fait paradoxal à première vue, mai qui met en lumière la grandeur de la hiérarchie de l’Eglise: ce sont les Pontifs Romains une fois de plus qui sont les apôtres inlassables de cette remise en honneur de la dignité des laïcs. A partir de Pie IX, les Papes ne cessèrent pas d’incul¬ quer l’importance des laïcs dans la vie de l’Eglise. Lë mouvement des ouvriers chrétiens, inauguré par Léon XIII, l’organisation du laïcat dans l’ordre professionnel étendue par Pie X à toutes les catégories de la société, préludent à l’œuvre de Pie XI qui peut être nommé, à bon droit, le Pape de l’Action Catholique (287). C’est lui qui a mis si fortement en relief la base du mouvement laïque dans l’Eglise: le sacer¬ doce royal. C’était d’autant plus important que le manque de prise de conscience de la participation au Corps mystique, était la raison pour laquelle une large fraction du laïcat avait perdu le contact vital avec l’Eglise (288). Ce que l’Action Catholique vise avant tout, ce n’est pas l’activité des laïcs au service de l’Eglise, parce qu’une telle activité suppose déjà que le mot « laïc » soit rempli à nouveau de son contenu surnaturel, devenu depuis longtemps un terme purement sociologique. Une fois acquise cette conscience ecclésiale, les laïcs seront ramenés par l’Action Catholique « des frontières éloignées de la vie ecclésiastique dans la mouvance sacramentelle du Corps Mystique du Christ» (289). L’expression heureuse, proposée par la Comte Délia Torre à propos de cette restauration de la dignité laïque, mérite d’être cité: L’action catholique n’est pas seulement une réalisation sociale, mais un ”sensus Christi ” ou si l’on veut, le Tiers-Ordre de l’Eglise Elle-même (290). Aa coup sûr il y avait des exagérations dans cette matière, à tel point qu’un G. S. Huber a salué dans la remise en honneur du sacerdoce royal l’avènement du troisième royaume de l’Esprit, carac¬ térisé par l’abolition de l’autorité ecclésiastique (291). Ayant en vue des cas similaires bien que pas aussi graves, le P. Bouyer a pu dénoncer à bon droit l’apparition de l’idée d’une « sainteté laïque » qui voudrait substituer une « hiérarchie de sainteté individuelle » à la hiérarchie ecclésiastique (292). L’Encyclique Medidtor Dei n’a pas hésité à rejeter (286) Doc. Cath. 25 (1931). I. col. 588. (287) Sur le rôle dca Papes à propos de l’Action Catholique voir: P. Dabin: h 'action catholique. Essai de synthèse. Paris 1932. pp. 28 sv. (288) Cf. P. Dabi»: Op. rit. p. 242. (289) O. Bauhofer: Die Heimholung der Wclt. Freiburg (Br) 1936. p. 223. (290) Cf. Osservatore Jtomano, 10 mai 1930. (291) G. S. Hubeb: Vom Christentum zum Beich Gottes. Begensburg 1934 (mis à l’index). (292) Cf. L. Bouyer: Où en est la théologie du Corps mystique. BevSR 22 (1948) p. 321. ces erreurs captieuses, « jadis condamnées et récemment renouvelées », encourageant en même temps les aspirations justes et conformes à la tradition (293). Il serait inutile de nous attarder longtemps sur les réalisations multiples de ces aspirations justes, recommandées par le Souverain Pontife. Toutefois relevons-en quelques unes: avant tout une partici¬ pation plus approfondie au culte, en particulier au culte eucharistique. Il est facile d’entrevoir combien cela éveille le sens paroissial, ecclésial des fidèles. De même la vie familiale va être influencée au point que la famille devient une cellule du Corps mystique sous le signe du « sacer¬ doce » des époux chrétiens (294). Mentionnons encore la participation à l’œuvre de l’enseignement et de l’assistance sociale, l’activité dans les cercles paroissiaux, comme quelques unes des possibilités concrètes de l’épanouissement de la conscience ecclésiale du laïcat. A côté du mouvement liturgique, de la spiritualité christocentrique et de la remise en honneur du sacerdoce royal il ne faut pas oublier le mouvement social chrétien, secteur d’importance majeur de l’apostolat laïc. L’enracinement de ce mouvement dans l’idée du corps mystique est peut-être l’illustration la plus frappante de la rencontre du renouveau ecclésiologique avec les besoins de la vie concrète des chrétiens. Les ouvrages du Chan. Cardijn (295), fondateur de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, ne cessent jamais de renvoyer au dogme du Corps mysti¬ que. Pour fonder sur une base solide l’apostolat des jeunes travailleurs, le Chan. Glorieux (296) leur propose également cette doctrine. Selon lui la nécessité de prêcher la doctrine du Corps mystique du Christ dans les cercles ouvriers se trouve dans le fait qu’il est impossible de remplir une vocation d’apostolat dans des conditions difficiles sans avoir une idée assez haute du mystère central de la vie chrétienne. C’est cette doctrine qui les éclairerait le mieux sur leur sacerdoce royal et qui les aiderait puissamment dans leur milieu déchristianisé. «Ces ouvriers, aujourd’hui .jeunes travailleurs, demain fiancés et époux, pères et mères de nouveaux membres du Corps mystique du Christ, sont appelés tous à une mission et ont un apostolat personnel à remplir, apostolat irremplaçable et nécessaire pour l’accomplissement de l’œuvre rédemptrice du Christ» (297). (293) Doc. Cath. 45 (1948) col. 219. „ (294) Cf. M. Schlütkr-Hermkes : Die Fnmilie als Kirchc im Kleinen, StZ 133 (1938) pp. 286 sv. (295) Voir par exemple: «La JOC et la paroisse », 1925; «Le laïcat ouvrier», 1936. (296) P. Glorieux: Corps mystique et apostolat. Paris 1935. (297) R. Kotilen : La pensée et l'action sociale des catholiques. Louvain 1945. p. 361. — 73 — VI. - Déviations et mises au point Cetto expérience de l’Eglise, dont nous venons de voir les sources et les traits principaux, n’a pas été sans effet sur la pensée théologique en général. Non seulement les ecclésiologues, dont nous avons analysé l’œuvre en détail, en ont subi l’influence, mais tout cela s’est fait sentir d’une façon claire dans la pensée théologique en général. Les nouvelles systématisations des différents domaines de la théologie catholique en trahissent évidemment les traces, comme l’a montré le P. Przywara (298) qui énumère à ce propos le moraliste F. Tillman, les dogmaticiens M. Schmaus et A. StoLz, et la théologie kérygmatique. De même P. Weigl attribue (299) la redécouverte de la théologie de Scheeben au besoin de trouver un fondement dogmatique à cette expé¬ rience de l’Eglise. S’il en était ainsi dans les domaines non strictement ecclésiologiques, il ne faut pas s’étonner que l’expérience de l’Eglise ait semblé pour beaucoup arriver à une telle prédominance dans l’ec- clésiologie récente, qu’on ait commencé à parler de la crise de l’ecclé- siologie (300). Mais il faut souligner que la « grande ecclésiologie » si l’on peut ainsi la distinguer des ouvrages de vulgarisation, gardait toujours un juste équilibre. Les exagérations et les imprécisions suspec¬ tes ne viennent pas d’un domaine strictement théologique: elles ont leur origine plutôt dans les ouvrages de popularisation qui se sont tournés sans critique vers le courant contemporain du biologisme. Donc il serait évidemment faux d’attribuer ces déviations à un contact plus étroit avec la manière concrète de voir de la Bible et des Pères. Prenons tout d’abord les erreurs touchant le dogme. La source des déviations possibles a été, sans doute, l’insistance exagérée sur la qualité ontologique de la vie divine participée par les fidèles en vertu de l’action du Christ ressuscité, pneumatique. Le mot «pneumatique» interprété d'une façon trop « physique » a évoqué irrésistiblement pour un nombre de théologiens l’omniprésence somatique du Christ glorifié où ils pensaient trouver le fondement du Corps Mystique. C’est ainsi que F. Kastner dit à plusieurs endroits que la présence somatique du Christ ne cesse pas dans les membres du Corps mystique avec la disso¬ lution des espèces eucharistiques (301). Tandis que D. Haugg n’est pas aussi catégorique dans cette question (302), les développements de (298) Corpus Christi Mysticum. Einc Bilauz. ZAM 15 (1940) 197-215. (299) «Sclieebens Mysterien des Christeutums und die liturgische Théologie», dans Liturgisches Lebon, 5 (1938) 273-288. (300) N. Oehmen: L'ecclésiologie dans la crise. Questions sur l’Eglise et son Unité. Gcmbloux 1943. pp. 1-11. (301) Marianisclic Christusgestaltung der Welt. Paderbora 1936. 2* éd. pp. 8, 46, 215. (302) Wir sind dein Lcib. München 1937. J. Wittig (303) s’approchent beaucoup de ceux de IC. Pelz, dont l’ouvra¬ ge (304) représente le cas extrême en ce qui concerne les erreurs théori¬ ques récentes à propos du Corps Mystique. Selon ce dernier, le Christ, pneumatique, en vertu de son corps glorifié, est en nous et nous en lui d’une façon corporelle (305) et cette unité corporelle ne diffère point de la présence eucharistique dans les fidèles au moment de la commu¬ nion (306). A première vue il semble appuyer ses thèses erronées sur la sotériologie de saint Cyrille d’Alexandrie. Mais à y regarder de plus près, on verra, qu’il n’a connu la pensée de saint Cyrille que par les études tendencieuses de E. Weigl (307) et K. von Schazler (308). En outre il invoque l’autorité de Wikenhauser (309) aussi, mais on a décou¬ vert (310) de bonne heure que ses citations de Wikenhauser sont prises de l’œuvre moderniste de A. Schweitzer (311), véritable source de Pelz. C’est sous l’influence de Schweitzer que Pelz introduit une inter¬ prétation panthéiste de la mystique paulinienne dans l’ecclésiologie. Toutefois l’immédiate mise à l’index de cet ouvrage a laissé ouverte la question de savoir si la doctrine même de la présence somatique ou seulement ses exagérations panthéistes ont été condamnées. Trancher cette question était d’autant plus important que des théologiens connus comme M. Schmaus par exemple se sont prononcés en faveur de la doc¬ trine de la présence somatique (312). L’Encyclique Corporis Mystici a répudié, à son tour, un « faux mysticisme qui falsifie les Saintes Ecritu¬ res en s’efforçant de supprimer les frontières immuables entre les créa¬ tures et le Créateur»(313), mais la question de la présence somatique n’y a pas été touchée directement. Toutefois les commentateurs plus avertis de l’Encyclique ont pu constater à bon droit, que la présence somatique n’est point en conformité avec l’idée du corps mystique (314). Cette (303) Leben Jesu in Palastina, Schlesien und anderswo. München 1025. I-II. (Mis à l'index, Decr. S. Off. 22 juill. 1025). (304) Ber Christ aïs Christus. Berlin 1939, à l’instar de manuscrit. (Mis à l’index, Decr. S. Off. 30 oct. 1940). (305) Op. cit. p. 79. (306) Op. cit. p. 83. (307) Die Hoilslchro des hl. Cyrill. Maiuz 1905. (308) Die Wirksamkeit der Sakramente ex opéré opernto. München 1860. (309) Die Kirche aïs der mystisclie Leib Christi nach dem Apostel Paulus. Mün- ster (W.) 1937. (310) O. Holzer: Christus in uns. Ein kritisches Wort zur ueueren Corpus Christi mysticum Litcratur. WW 8 (1941) 24-35, 64-70, 93-105, 130-136. (811) Die Mystik des Apostels Paulus. Tübingen 1930. Voir surtout pp. 123 sv. (312) Katliolische Dogmatik m. 1. pp. 61, 191. (313) Ed. cit. p. 28. (314) Cf. K. Feckes: Der Ertrag der Enzyklika Mystici corporis für cine Théologie der Kirche. Théologie und Seelsorge 14 (1944) p. 8. - H. Sciiaufeiæ: Unsere Kirche. Bundschreibcn Mystici Corporis. 1946, p. 114. — 75 — interprétation n’a pas tardé à être confirmée par les mots explicites de l’Encyclique Mediator Dei (315). A côté des erreurs proprement dogmatiques produites par une attitude pour laquelle l’idée du Corps mystique n’était qu’une occasion de réduire toute la révélation à une sorte de mysticisme naturel, on a constaté dans l’ccclésiologie récente l’infiltration d’un collectivisme outrancier aussi, qui voudrait trouver sa justification dans l’idée du corps mystique. Cette tendance se flattait de voir dans le corps mystique la réalisation d'une société homogène où les intérêts personnels se subor¬ donnent absolument à ceux de la communauté. L’effacement des diffé¬ rences individuelles vient d’y être présenté comme l’avènement d’un ordre supérieur, comme la participation authentique à la vie « surna¬ turelle », comme si la réalisation d’une parfaite vie communautaire pouvait amener par elle-même à une vie plus sublimée (316). Fait curieux, l’autre extrême, le personnalisme immanentiste aussi énergiquement s’est réclamé de l’idée du corps mystique comme de son ultime fondement. Par exemple J. Wittig ne craint pas de montrer l’Eglise comme le produit de l'âme chrétienne, conformément à une thèse, selon laquelle l’âme créée pour elle-même la communauté. La raison en est que la fonction essentielle de l’âme consiste à absorber le monde, à assimiler à elle-même le monde extérieur, avant toutes les autres personnes. Comme Feckes le fait observer (317), Wittig en s’appuyant sur une sorte de biologisme, passe sous silence le fait de l’Incarnation en ce qui concerne la réalité du corps mystique, qu’il base sur un concept moderniste de la vie. J. Thomès (318) en soutenant que le royaume de Dieu consiste dans l’épanouissement d’un humanisme personnaliste, n’est en vérité qu’un écho lointain de Wittig. En tout cas ce personnalisme, même s’il veut rester sincèrement chrétien, ne peut pas être réconcilié avec la structure visible de l’Eglise, comme on le voit chez F. Ebner qui a tenté de réaliser au plan catholique ce qui est le point essentiel chez Kierkegaard: le dépassement de l’idéalisme par un existentialisme chrétien où tout est réduit à la rencontre exclu¬ sivement personnelle de « Moi » avec Dieu (319). Mais cette philosophie de « Moi - Toi », comme on résume la pensée de F. Ebner, est réfrac¬ taire non seulement à n’importe quelle preuve objective de l’existence (315) Voir S. Schmitt: Papstliclie Entsclieidung eiuer tlieologiachen Streit- frage: Kcine Danergegenwart der Mensckheit Christi in den Cliristen. BM 24 (1948) pp. 190 sv. (316) Voir la critique de cette tendance dans L. Deimel: Leib Christi. Frei- burg (Br) 1940. pp. 47 sv. (317) Bas Mysterium der heiligen Kirche. Paderborn 1934. pp. 132-138. (318) Moine Frcunde erbauct das Beich Gottes in Euch. Krailling 1939. (319) Das Wort und die geistigen Rcalitatcn. Innsbruck 1921. p. 21. — 76 — de Dieu (320), mais aussi elle exclue tous les élémeuts qui constituent la structure de l’Eglise (321). Nous pensons donc que la dévaluation de la structure de l’Eglise dans certaines tendances de l’eeclésiologie récente doit être ramenée à l’influence des aspirations unilatérales que nous venons de voir. Elles se manifestent sous de différents aspects comme par exemple sous celui d’une opposition forcée entre la communauté «libre» de l’Eglise et sa conception «juridique». Un Tyciak (322) ne parle que de l’aspect mystique, pneumatique de l’Eglise à propos de la relation de l’Eglise avec le Christ, et en outre il le fait en termes vagues, poétiques qui prêtent bien à équivoque (323). On a l’impression, pour reprendre les mots du P. Bouyer, que le rappel de la hiérarchie découle moins d'une conviction théologique que d’une sagesse humaine qui veut éviter les censures (324). De la même façon l’expression « corps mystique » sert chez plusieurs auteurs à désigner souvent « ce que le concept d'Eglise s’avère incapable de circonscrire. On ne sépare pas sans doute le Corps mystique de l’Eglise, mais on souhaite lui assurer la plus large mesure possible d’autonomie» (325). Les déviations de l’expérience prise de l’Eglise devaient nécessai¬ rement avoir leurs répercussions au plan de la spiritualité aussi. M. Kas- siepe tout en exagérant les fautes du mouvement liturgique, les caracté¬ rise d’une façon remarquable dans une étude qui a provoqué une ani¬ mosité en Allemagne. Selon lui la piété liturgique en mettant en relief l’élément ontologique surnaturel dans la vie spirituelle, a détourné l’at¬ tention de l’importance du péché originel. L’idéal de la piété liturgique, poursuit-il, oublie facilement les luttes intérieures inséparables de la vie et par conséquent l’ascèse chrétienne perd de son importance (326). Cette critique de la spiritualité liturgique sans être acceptable entière¬ ment, n’est pas dépourvue de tout fondement. Soit sous la forme de l’esthétisme, soit par une sorte d’engouement à l’égard des autres formes de la spiritualité chrétienne, on a proposé quelquefois de l’Eglise une image où les conditions humaines, la nécessité des efforts personnels semblent perdre leur signification. Non seulement on a introduit dans la spiritualité chrétienne une division trop accentuée entre la spiritua- (320) < Die Wirklielikeit Cliristi», dans Brenner 10 (1926) pp. 18 sv. (321) Ibid. p. 28. - Cf. A. Delf: Ferdinand Ebner ein Deiiker des christlichen T.ebens? StZ 132 (1937) 205-220. (322) J. Tyciak: Christus und die Kirche. Bcgcnsburg 1936. (323) H donne par exemple la définition suivante du Corps mystique : « Er ist ein musikalischer Bcgriff, eine Mélodie, die einc Wahrheit singt, deren Reiclitum unaussprechlicli, deren Harmonien unfaszbar sind». (324) h. Bouyer: Où en est la théologie du Corps mystique? EvSR 22 (1948) p. 321. (325) Ibûl. p. 323. (326) Irrwcge und Umwege im Frommigkcitsleben der Gegenwart. 1940. 2' éd. pp. 106-107. lité « liturgique-ecelésiale » et la spiritualité « individualiste-subjec¬ tive », mais eucore celle-là, présentée sous sa forme idéale, allait être opposée à celle-ci, qui n'aurait que des déviations (327). A cette séparation entre les deux formes de la piété chrétienne on peut ajouter une certaine mésestime de la prière individuelle, qu’on trouverait même dans une étude aussi méritante que celle de M. Festu- gière sur la liturgie (328). Evidemment la même erreur est commise quand on voit un changement «formidable» dans la piété chrétienne à partir du Moyen-Age (329). Ceux qui n’accepteront pas la critique de Kassiepe, ne refuseront pas d’admettre que des théologiens renommés, qui ne peuvent être suspects d’un manque de compréhension à l’égard du mouvement liturgique, n’ont pas tardé à désavouer ces exagérations. Dom Winzen est d'avis par exemple que la liturgie pour un bon nombre d’esprits peu équilibrés n’est que le « titulus coloratus», sous lequel ils ont voulu légaliser des idées unilatérales ou tout simplement fausses (330). la sous-estimation de l’ascèse chrétienne, ou la tendance vers une sorte de quiétisme a été dénoncée déjà de bonne heure par F. Jürgens- meier, pour lui l’idée de Corps mystique loin de favoriser le quié¬ tisme, exige une activité énergique en vue de son épanouissement concret et salutaire (331). J. Anger a souligné également qu’une connaissance superficielle du Corps mystique pourrait seulement entraîner la mé¬ fiance contre une ascèse solide et sérieuse (332). En ce qui concerne la séparation entre les deux formes de la spiritualité, Dom Winzen (333) et F. Jürgensmeier (334) sont unanimes à rejeter une telle opposition. Les vues de Herwegen sur le changement « formidable » dans la spiri¬ tualité chrétienne ont reçu une critique de la plume de l’illustre pro¬ fesseur de Tubingue,,K, Adam (335). Quant au problème de la prière, c’est un champion du mouvement liturgique, B. Guardini qui a criti¬ qué sévèrement la position de Festugière en nous mettant en garde contre les solutions simplistes : « Le problème liturgique, écrit-il, est tout autre que simple. Il est extrêmement complexe. C ’est le problème de l’objet dans son rapport au sujet, d’une communauté constituée en (327) Par exemple chez A. Hammexstede: Die Liturgie als Erlebnis. Prciburg (Br) 1919. pp. 1-31. (328) Essai de synthèse. La liturgie catholique. Maredsous 1913. (329) I. HmwEOEK: Kircbe und Scele, die Seelenhaltung des Mystorienkults und ilir Wandel iui Mittclalter. Ascheudorffs zeitgemasze Seliriften K. 9. 1920. p. 31. (330) D. Winzen in Ver Geistliche Fiihrer 4 (1933) p. 59. (331) Dcr mystische Leib Christi als Gruudpriuzip der Aszctik. Paderborn 1933. pp. 156-163. (332) J. Anoer: La doctrine du Corps mystique de Jésus-Christ d’après les principes de la théologie de St. Thomas. Paris 1929. pp. 408-411. (333) Loc. eit. (334) Op. cit. pp. 135-148. (335) K. Adam: Kircbe und Seele. TQ 106 (1926) 231-239. — 78 — face de la personne, posé sur le terrain particulier de la vie de prière » (336). R. Aubert avait également bien raison de constater un optimisme excessif, un excès de familiarité avec Dieu, une responsa¬ bilité diminuée, une ignorance plus ou moins complète des conséquen¬ ces du péché originel. L’homme moderne refuse, selon lui, dans son pélagianisme, la vallée de larmes et passe sous silence que la souffrance et le mal moral sont des faits non-négligeables (337). Les vues d’un telle critique ont été confirmées tout d’abord par la lettre circulaire de l’archévêque de Fribourg, Mgr. Qroeber, adressée à la hiérarchie allemande : « En pensant à ma charge pastorale, je me sens pressé de demander dans quelle mesure on sert le peuple fidèle en lui présentant surabondamment la mystique du Corps du Christ- Evêques grand-allemands que nous sommes, pouvons nous garder le silence? Rome pourra-t-elle le garder?» (338), Et Rome n’a pas tardé à corriger ces déviations captieuses. Les phrases initiales de la partie dogmatique de l’Encyclique sont à ce point de vue très significatives surtout par leur insistance sur le fait que c’est de la rédemption que naît, le Corps mystique. La famille humaine, privée « par le péché du premier homme de l’adoption de la famille divine », ne peut recevoir le pouvoir de devenir enfant de Dieu, que par l’Homme-Dieu suspendu à la Croix, dont l’Eglise est l’intermédiaire «dans la-distribution des fruits de la rédemption» (339). L’Encyclique d’ailleurs ne mentionne explicitement parmi les déviations que le « quiétisme malsain attribuant toute la vie spirituelle des chrétiens et leur progrès dans la vertu uni¬ quement à l’action du divin Esprit...» (340). L’Encyclique Mediator Dei à son tour a rendu plus explicite la doctrine de Mystici Corporis en affirmant en cette matière aussi d’une façon nette que la liturgie ne peut être opposée à d’autres formes de la piété catholique, inspirées également par le Saint-Esprit (341). Cette influence non-unilatérale du Saint-Esprit à laquelle l’ency¬ clique fait allusion, n’est en vérité qu’un autre aspect de la plénitude catholique. En dernière analyse c’est le manque du sens de la plénitude catholique qui peut mener à oublier que la double loi, dont Saint Paul a parlé, demeure même chez les chrétiens qui se flattent de vivre de la liturgie 'seule’, que la croissance 'organique’ dans l’expérience ecclé¬ siale ne peut se passer de règles, fussent-elles 'négatives’. C’est ainsi qu’on n’avait pas aperçu que la distinction rigoureuse entre attitude 'objective’ et 'subjective’, 'personnelle' et 'collective’ fait perdre de . (336) R. Guakdini: Das Objektive im ’ GcbetBleben. JL 1 (.1921) 117-125. (337) R. Aubert : Les grandes tendances tbéologiques entre les deux guerres. Coll. Mechl. 16 (1946) pp. 31 sv. (338) Le 18 janv. 1943. (339) Ed. rit. pp. 31-32. (340) Ed rit. t>. 98. (341) Doc. Catli! 45 (1948) col. 242-243. — 79 — vue en bien des cas la norme de la plénitude catholique. Cela est vrai surtout lorsqu’il s’agit de tendances qui ont passé sous silence, à propos d’une expérience ecclésiale 'joyeuse et optimiste’ le rôle primor¬ diale de la croix, source irremplaçable de la réalité catholique. Nous venons de voir le témoignage de l’ecclésiologie moderne sur un de ses problèmes majeurs. Le renouveau ecclésiologique qui est avant tout un effort d’intégration, se trouve devoir faire face à la question la plus agitée de la théologie actuelle, à savoir la possibilité et les métho¬ des concrètes d’une intégration des valeurs vitales dans le système théologique. Il nous semble qu’au sein de l’eeclésiologie actuelle ces exigences sont trop graves pour pouvoir être éludées. On peut reprocher avec D. Koster (342) à l’eeclésiologie récente toutes les déviations que nous venons de passer en revue. De plus, nous souscririons volontiers à sa critique sévère, s’il avait en vue tous les ouvrages analysés, aux pages précédentes. Mais en ignorant et rejetant cette expérience prise de l’Eglise, sous le prétexte des déviations périphériques, il risque d'exclure de la synthèse ecclésiologique des éléments précieux et traditionnels. Réduire tout le donné révélé sur .l’Eglise à cette expérience, équivau¬ drait à une sorte de modernisme, mais ignorer cette expérience ecclé¬ siale, conduirait à s’enliser dans l’abstraction. Nous sommes convaincus que le principe du catholicisme est capable d’accueillir toutes les nuan¬ ces du donné révélé sans se perdre pour autant dans une sorte de rela¬ tivisme. Les tentatives, que nous venons de voir, pour intégrer cette expérience dans l’ecclésiologie, certainement ne peuvent se flatter d’avoir résolu d’une manière parfaite ce problème délicat. Aucun de ces auteurs n’a écrit un traité systématique sur l’Eglise où l’aspect notionnel et l’aspect vital de la doctrine se trouveraient équilibrés. La description même de cette expérience laisse encore beaucoup à désirer, mais en tout cas, leur contribution à l’ecclésiologie nous paraît finale et permanente. (342) D. Koster: Ekklesiologic im Werden. Paderborn 1940, passim. Chapitre II. LES ECCLES10L0GIES NON-CATHOLIQUES L’allusion que nous venons de faire à propos de l’importance de l’intégration de l’expérience ecclésiale dans l’ecclésiologie paraîtra encore mieux fondée si l’on se rappelle que le renouveau ecclésiologique chez nos frères séparés se fait jour sous le signe d’une orientation net¬ tement vitaliste. Evidemment une telle tendance exige de la part de nos ecclésiologues non seulement la critique, mais aussi l’effort vers une compréhension de plus en plus large et concrète du mystère de l’Eglise. Une ecclésiologie tellement renouvelée rendra sans doute un rapprochement plus aisé entre les systèmes catholiques et non-catholi¬ ques. Devoir d’autant plus urgent pour l’ecclésiologie catholique, que le mouvement œcuménique devient de plus en plus une des caractéristi¬ ques prédominantes de notre époque. L'ecclésiologie posttridentine telle qu’elle évoluait au milieu des controverses, doit être complétée pour devenir plus apte à un dialogue avec les chrétientés séparées. Cette remarque ne veut contenir aucun préjugé contre une ecclésiolo¬ gie plutôt apologétique; mais il faut également reconnaître que le pro¬ blème ecclésiologique depuis quelques dizaines d’années a changé bien d’aspect. Ce ne sont plus des questions historiques ou critiques qui sont en jeu; un autre devoir s’impose: il reste à montrer que les valeurs spécifiques des chrétientés séparées, quelques partielles qu’elles soient, appartiennent de droit et de fait à la plénitude catholique. Ce qui fait l’objet du présent chapitre est précisément la tentative de l’ecclésiologie catholique d’intégrer, s’il est possible, les aspects et les valeurs nouvelles des ecclésiologies non-catholiques. En outre il ne sera pas inutile de voir que les tendances nouvelles de celles-ci reflètent la plupart les mêmes préoccupations que nous avons déjà constatée ou que nous constaterons encore à propos de notre ecclésiologie. On com¬ prend que tout cela exige du moins un résumé bref des idées des principaux auteurs non-catholiques, mais nous ne le faisons que secon¬ dairement. I. - L’ecclésiologie protestante récent© 1) Tous ceux qui ont étudié les voies nouvelles de l’ecclésiologic protestante, y ont noté l’influence d’une expérience existentialiste. Cette expérience remonte à la faillite du protestantisme libéral qui devait constater au lendemain de la première guerre.mondiale l’échec de son optimisme humaniste. Il s’avéra d’une façon vitale et concrète qu’on — 84 — ne pouvait pas résoudre les questions posées par une catastrophe histo¬ rique à l'aide d'une théologie qui a envisagé « la foi dans ses résonances rationnelles et psychologiques, la Bible ramenée à un témoignage d'expé¬ rience religieuse, le dogme à une description de la foi vécue et le sacrement à un symbole de la communion au Christ et de la vie commu¬ nautaire des chrétiens» (1). Dans une telle théologie la notion de l’Eglise devait s’éclipser et se transformer en un facteur générateur de progrès et de bien-être, dépourvue presque complètement de tout élé¬ ment surnaturel. La synthèse fameuse de Harnack sur le christia¬ nisme (2) désavoue cette idée de l’Eglise qui est passée également sous silence dans les réponses données du côté catholique (3). A cette époque les ouvrages d’ailleurs nombreux (4) qui suivent la voie frayée par la Symbolique de Moehler, n’éveillent plus beaucoup d’inté¬ rêt, parce que la question de supériorité entre le protestantisme et le catholicisme est discutée avant tout au plan des rendements culturels et économiques (5). Il serait inutile d’essayer de décider si les théolo¬ giens du « Consensus de 1880 », Harnack et son école, méritent encore le nom de chrétiens; en tout cas, aujourd’hui leur « déviation foncière » n’est plus contestée même par les protestants. La réaction de la théologie protestante d’après guerre devait donc être nécessaire et très importante. H. Stephan (6) en voit les motifs dans une série de courants mystiques et existantialistes, fruit de la crise idéo¬ logique, culturelle et économique. Beaucoup de théologiens protestants se sont tournés alors vers le valeurs mystiques du christianisme, con¬ servées le plus évidemment par le catholicisme. Leur effort visait la réalisation d’une synthèse entre les positions luthériennes et catholiques. Le mouvement de « Haute Eglise » suffit à lui seul à démontrer l’appré- (1) M. Thurian : Les grandes orientations actuelles de !a spiritualité protes¬ tante. Ir. 22 (1949) pp. 369-370. (2) A. Harnack: Das Weaen des Christentums. Leipzig 1900. (3) F. HetVinger: Die Krisis des Christonthums. Protesiantismus und die ka- tkolische Kirche. Preiburg (Br) 1886. (4) Cf. L. Fecutrut: Symbolik. Herder’s Kirchenlexikon. Preiburg (Br) 1899. Vol. 11. col. 1046-1050. (5) Le chef-d’œuvre de cette tendance du côté catholique est celui de J. Lu Balmès : El protestantismo comparado con el c&tolicismo en sus rclaciones con la civilizacién europea, 1844. (6) Cf. H. Stephan: Die Geschiclite der evangelischen Théologie soit dem dout- sçhen ïdealismus. Leipzig 1938. En ce qui concerne les orientations de la théologie protestante après la première guerre mondiale, on en aurait un bon tableau dans les ouvrages suivants: W. Brock: Contemporary Gcrmnn Theology. Cambridge 1935. W. M. Horton : Contemporary Continental Theology. Loadou 1938. - H. B. Mackintosh: Types of Modem Theology. London 1937. - E. E. Aubrey: Présent Theological Tendencics. New York 1936. Toutefois il faut noter que ces ouvrages ne disent pas grand chose des tendances récentes de l’ecclésiologie protes¬ tante. — 85 — ciation dont le catholicisme a commencé à jouir parmi les protestants (7). Sur le plan théologique les ouvrages de F. Heiler restent le témoignage par excellence de l’effort intellectuel au service de l’élaboration d’un catholicité non-romain (8). Mais dans les cercles extérieurs à la Haute Eglise allemande aussi, on pourrait constater un bon nombre de symptômes, qui sans être un acheminement vers Rome, doivent être comptés parmi les signes d’un retour vers les positions d’un luthéra¬ nisme orthodoxe. Le principe de l’inspiration, rejeté par la critique rationnelle, a été remis en honneur ; le service liturgique prend de nouvelles formes, plus concrètes et plus adaptées aux besoins du temps (9). Par conséquent la vie sacramentelle aussi a reçu une atten¬ tion plus explicite dans les églises protestantes (10). Tout cela a com¬ porté inévitablement le passage du centre de la vie ecclésiale aux communautés paroissiales (11). Fortifiées par une nouvelle prise de conscience sur le mystère de l’Eglise, elles commençaient courageu¬ sement à vivre sans la protection de l’Etat (12) et plus tard, sous le nom de Bekennende Kirche, elles ont résisté avec succès à la pression d’un régime expressément hostile à tout ce qui est chrétien. Il est inté¬ ressant de noter que les changements qui se sont effectués parallèlement au plan de l’ecclésiologie protestante, trahissent une affinité considé¬ rable avec le romantisme, dont ils ont hérité et les valeurs et les dévia¬ tions (13). Mais quoi qu’il en soit on ne peut désormais contester que le rationalisme théologique a été définitivement dépassé, et que le pro¬ blème de l’Eglise se dresse à l’avant-plan aussi bien dans le sens con¬ fessionnel qu’œcuménique (14). Du côté catholique tous ces changements ont été salués par une attention profonde surtout en ce qui concerne les idées ecclésiologiques élaborées par la théologie dialectique et le groupe de « Neue Consensus ». L’ecclésiologie dialectique a voulu répondre plutôt aux besoins existen¬ tiels de l’homme moderne, tandis que la préoccupation de «Neue Con- (7) P. Charles : La robe sans couture. Un essai de Luthéranisme catholique. La Haute Eglise allemande. 1918-1923. Bruges 1923. Voir aussi l’ouvrage plus récent de W. Stalilin: Katliolisicrende Neigungcn in der evangelischen Kirche. Stuttgart 1947. (8) F. Hbiler: Der Katholizismus. Seine Idee und seine Erscheinung. Mün¬ chen 1923. Urkirchc und Ostkirche. München 1941. (9) R. Wiul: Le mouvement de réforme cultuelle dans le protestantisme. RHPR 6 (1926) pp. 558-580. (10) W. Stahlin: Vom Gottlichcm Geheimnis. Kassel 1936. (11) F. Binde: Die Gcmeindc die Vollendung des Leibes Cliristi. Konstanz. (12) Cf. O. Dübelius : Dae Jahrhundert der Kirche. Berlin 1926. (13) Cf. E. Wolff: Communia Sanctorum. Erganzungen zur Bomantisierung des Kirchenbegriffs. TB 52 (1942) pp. 12-25. (14) Cf. H. Stephan. Op. cit. pp. 290-291. — Ce fait a été remarqué aussi du côté catholique par J. Hamer: Les grands thèmes doctrinaux du protestantisme contemporain. VSpir. Suppl. 1951, pp. 56-84. Cf. aussi l’article du pasteur M. Thu- rian: Les grandes orientations actuelles de la spiritualité protestante. Ir 22 (1949) pp. 368-394. sensus » a visé la solution des exigences communautaires de l'époque au plan de l’ecclésiologie protestante. 2) A l'origine de 1 ’ecclésiologie dialectique se trouve une expérience personnelle, si l’on veut une sorte de conversion, celle de K. Barth. D’abord disciple enthousiaste de Harnack et collaborateur de la « Christliche Welt », organe officiel du libéralisme, il a professé une sorte de socialisme de teinte religieuse, où la religion a été complète¬ ment subordonnée au progrès de la culture. Mais d’une part les événe¬ ments lui montraient le vrai visage de ce protestantisme naturaliste et pragmatiste, « qui n’avait à proposer pendant la catastrophe sanglante de la première guerre mondiale que son optimisme dérisoire, son christia¬ nisme décoloré » (15), en même temps il était au prise avec une série de courants mystiques et existantialistes dans une atmosphère philoso¬ phique où l’on s’occupait de préférence des problèmes religieux. C’était l’époque de la redécouverte de Kierkegaard et de la vogue de philosophies telles que celles de Heidegger, et de Jaspers (16). D’autre part, comme pasteur, il s’est trouvé en face de grands problèmes de l’existence humaine: «Je cherchais, écrit-il, à frayer mon chemin entre les problèmes de la vie humaine et le contenu de la Bible. Pasteur, je devais parler à des hommes aux prises avec les contradictions inouïes de la vie et leur parler du message non moins inouï de la Bible » (17). La théologie alors ne peut être autre chose, poursuit-il, «qu’un cri. jailli d’une grande détresse et qu’un grand espoir de salut » (18). Cette expérience le poussa alors à prendre un rôle de réformateur dans lequel il arriva à la hauteur de Luther et de Calvin. Ecrivain magnifique, pourvu d’une éloquence peu commune, il rappelle l’élan et la résistance de ces deux réformateurs, sans leurs déficiences de caractère (19). Barth pensait trouver la justification de son orientation nouvelle chez Kierkegaard. La préface à la deuxième édition de son «Rbmer- brief » ne laisse aucun doute sur ce point. A côté de Dostoïevski, c’est Kierkegaard, qui a exercé, de son propre aveu, l’influence décisive sur sa pensée philosophique (20). «Si j’ai un système, il consiste à avoir' gardé avec persévérence devant les yeux ce que Kierkegaard appelle la différence qualitative infinie du temps et de l’éternité...» (21). Qu’est-ce qu’il emprunte à Kierkegaard? Ce que Kierkegaard a voulu remettre en honneur contre les tendances idéalistes du libéralisme théologique, c 'est l'existence personnelle, religieuse et son corrélatif : (15) Ch. Journet: L’ecclésiologie de K. Barth. NV 24 (1949) p. 186. (16) Cf. H. Stephan, Op. cit. pp. 280 sw. (17) K. Barth : Parole de Dieu et parole humaine. Paris 1933. p. 128. (18) Ibid. p. 129. (19) Cf. Ch. Journet, Art. cit. p. 185. (20) K. Barth: Der Bomerbrief. München 1933. 2 e éd. p. VII. (21) Ibid. p. XIII. — 87 — La transcendance absolue de Dieu et le caractère également absolu du message chrétien. Selon Kierkegaard l’idéalisme fait oublier l’existence même. « Le malheur de notre temps, écrit-il, est qu’il a eu trop à savoir et qu’il a oublié ce que c’est que d’exister...» (22). Pour corriger cette déviation Kierkegaard met l’accent non sur le contenu doctrinal, mais sur l'assimilation personnelle de la vérité religieuse. Selon lui «la subjectivité est la vérité » (23) et la connaissance abstraite n’est que secondaire parce que entre le moi connaissant et la vérité absolue, objec¬ tive, infinie, qui est Dieu, la distance est infinie et réfractaire à n’im¬ porte quel contact permanent. Donc l’existence de Dieu ne peut pas être prouvée par la pensée abstraite, mais seulement par l’adoration. Bien que la personne du Christ réunisse les deux extrêmes, la foi dans le Christ reste malgré tout, à cause du péché, un saut désespéré dans le vide. La Bible ne reproduit pas non plus cette union mystérieuse, nous dirions théandrique, du divin et de l’humain et partant elle n’est plus la synthèse des deux extrêmes, mais seulement un instrument pour le dialogue entre l’âme et Dieu. Kierkegaard oppose alors au panthéisme de Hegel un dualisme absolu, mais grâce à sa mystique personnelle il trouve une solution sous-jacente de ce paradoxe dualiste dans l’amour de Dieu. Ou le voit, il n’y a pas de place pour une eeclésiologie propre¬ ment dite dans la pensée de Kierkegaard. Son individualisme l’exclut absolument. L’inspiration fondamentale de l’autre tenant majeur de la théo¬ logie dialectique, E. Brunner, se ramène également à une philosophie existentialiste assez voisine de celle de Kierkegaard, la philosophie de Moi-Toi, professée par M. Buber (24) et P. Ebner (25). Dans leur philosophie, qui constitue pour E. Brunner le tournant copernicieu dans l’histoire de la pensée humaine (26), la vraie réalité est toujours d’ordre existentiel ou plus proprement elle est basée sur la rencontre entre deux personnes. Ce n’est pas la correspondence entre l’objet et le sujet qui est la source de la vérité, mais la rencontre du Moi avec le Toi. K. Barth en soutenant que la transcendance entre Dieu et l’homme est dialectique, c’est-à-dire infranchissable, doit rejeter l'idée de 1 ’ana- logia entis qu’il considère d’ailleurs comme l’invention de l’Anté¬ christ (27). E. Brunner lui ne s’exprime pas avec une telle véhémence et ne rejette pas explicitement 1 ’analogia entis, mais n’attribuant qu’un caractère exclusivement personnel à la révélation, il la prive ainsi de (22) Kierkegaard: Post Scriptum aux Miettes philosophiques. Trad. de P. Pe¬ tit. Paris 1941. p. 179. (23) Ibid. p. 320. (24) M. Buber: ïch uud Du. Leipzig 1923. (25) Voir plus haut, pip. 75-76. (26) E. Brunner: Dogmatik. Dic christlichc Lehre vou Gott. ZüricU 1946. I. p. VII. (27) K. Barth: Kirchliche Dogmatik. München 1932. I.--1. p. Vin. toute qualité d’enseignement objectif (28). Un tel dualisme, commun à Barth et à Brunner, exclut, dirait-on à bon droit, toute possibilité d’une ecclésiologie basée sur la notion traditionnelle de la médiation. Toutefois l’ecclésiologie dialectique contient des idées ecclésiologiques qui méritent d'être regardées de plus près. A la base de l’ecclésiologie dialectique, chez Barth, se trouve la Parole de Dieu. Mais cette expression ne signifie plus, chez lui, en pre¬ mier lieu la prédication de la Bible, comme chez les réformateurs; au contraire elle est un événement spontané, discontinu et surtout mys¬ térieux. Elle s’identifie avec la prédestination et avec l’action souve¬ raine de Dieu qui suscite la foi dans les prédestinés. Etant donné la séparation absolue entre Dieu et l’homme, la souveraineté absolue de Dieu et le caractère discontinu de ses actions, la foi reste uniquement l’œuvre de Dieu. Cette position dualiste contraint Barth à abandonner certains thèmes protestants, tels que l’inamissibilité de la foi, parce que l’action de Dieu est discontinue. Il n’admet pas non plus la certitude de la prédestination personnelle, parce qu’on ne peut pas expérimenter la foi, action transcendante de Dieu. Pour l’homme il ne reste plus que la fiducia, basée sur le témoignage de la Bible. Mais l’autorité de la Bible ne peut réclamer le sceau divin, parce que la distance est infran¬ chissable. La position de Brunner, sur ce point aussi, ne diffère que par des nuances de la doctrine de Barth. L 'imago Dei, qu’est l’homme ra¬ cheté, est constituée par sa réponse personnelle à Dieu, mais parce qu ’il il n’y a qu’une identité indirecte entre la parole de Dieu et celle de la Bible, la réalité de la rencontre entre Dieu et l’âme reste toujours sujet à question (29). Fait paradoxal, mais Barth et Brunner insistent bien sur l’im¬ portance de l’Eglise visible et renvoient fréquemment au principe: extra ecclesiam nulla salus (30). C’est notre prédestination commune dans le Christ, qui opère selon Barth cette transition de la sphère invisible et individuelle à une église visible et communautaire. La prédestination dans le Christ suppose une communauté, un lieu, «où l’on croit en Lui, où par Lui et en Lui le témoignage que Dieu donne de lui-même, l’annonce de sa volonté bienveillante et de son œuvre salvatrice trouvent accueil et sont reçus dans la foi » (31). Brun¬ ner rejette également l’idée d'une Eglise strictement invisible en renvoyant à son axiome philosophique, selon lequel la personne ne (28) Cf. E. Brunner: Gott und Menseh. Ziirich. 1930. p. 20. Dogmatik I. p. 23. (29) E. Brunner: Dogmatik I. pp. 24-25. (30) «Wir haben also die Kirelie immer auf der Ebene der zeitlichen, sicht- baren, denk- und erfabrbaren Dinge zu suchen. Und das extra ecclesiam nvXla salus bcsagt also immer auch: die subjektive Wirklicbkeit der Offenbarung vollzieht sick für jeden jederzeit und übcrall auch in ciner zeitlichen, denk- und erfahrbaren Begegnung und Entscheidung». K. Barth: Kirchliche Dogmatik J. 2. p. 240. (31) Ibid. p. 256. — 89 — peut exister sans communauté (32). Mais tout cela n’enlève point l’ambiguïté foncière de l’ecclésiologie dialectique. L’Eglise visible repose sur des éléments humains, la fiducia chez Barth et l'engagement de la personne dans la communauté chez Brunner; éléments humains qui n’ont aucun contact avec la sphère divine. Par conséquent la rela¬ tion entre l’église invisible et l’église visible reste toujours dialectique, c’est-à-dire, sans un lien véritable. Puisque Barth est d’avis que depuis le péché originel l’être créé est séparé de Dieu par un abîme infranchissable et qu’il s’oppose foncièrement à l’influence divine, la structure ecclésiale ne doit avoir que le minimum d’éléments humains visibles, pour offrir le minimum de résistance à l’action divine. C’est l’assemblée locale, congrégationa- liste, qui représente selon lui cette structure idéale. Limitée par un groupement d’habitations, l’église congrégationaliste est constituée par ceux qui participent à un même culte dominical. Une telle commu¬ nauté ne connaît pas de subordination, de fonction, de ministère, de hiérarchie. Elle est parfaite en elle-même et comme communauté locale ne sera jamais subordonnée à une autorité supérieure, mais conservera toujours son indépendance absolue (33). Donc la sainte Eglise est une Eglise sans lieu, sans nom, sans histoire qui ne contient que la grâce, la vocation et la prédestination de Dieu (34). L’action de Dieu étant discontinue, l’église n’a jamais été fondée en vertu d’un acte institutionnel. Elle est sans cesse de nouveau fondée. Dépourvue de tout élément de permanence, elle existe sans succession apostolique au sens juridique et sacramentel. C’est le Saint-Esprit, qui confère à l’Eglise l’apostolicité par une actualisation continuelle du message apostolique, de telle façon que, grâce à cette actualisation transcen¬ dante, l’église d’aujourd’hui existe sans être liée à l’église d’hier. Con¬ sidérée du côté de son Seigneur, « l’église-événement » est toujours une, non sujette aux divisions. « Si elle croit pouvoir exister en dehors de l’avénement du Saint-Esprit, elle n’a d’église que l’apparence et son unité est nécessairement détruite» (35). Donc l’église visible ne peut que s’annihiler le plus possible en face de la sphère tran¬ scendante. Tout cela détermine nettement la pensée oecuménique de Barth. Comme nous venons de voir, Barth bâtit l’église sur la fiducia, qui repose à son tour sur l'autorité de la Bible. Mais cette dernière est une sorte de postulatum a priori dans la théologie de Barth, donc le cri¬ tère de l’unité de l’église l’est également; appartiennent à l’église du (32) E. Brunner: Um die Erneuerung dcr Kirche. Zürich 1934. pp. 12 sv. (33) « (Die Ortsgemeindon sind) jede für aich im Volisinn des Bcgriffes der Kirche ».■ Die Sohrift und die Kirche. Basel 1947. p. 39. . (34) Cf. K. Barth: Bomerbrief. p. 326. (35) K. Barth: La nature et la forme de l'Eglise. Lausanne 1948. p. 76. Christ ceux pour qui l’Ecriture devient na norme unique (36). C’est pourquoi l’union entre les luthériens et les réformés est réalisable, mais à l'égard du catholicisme « notre seule attitude, écrit-il, est celle de la mission, de l’évangélisation, mais non de l’union» (37). Brunner, à sou tour, ne va pas aussi loin que le théologien de Bâle et il essaie de réconcilier les conséquences logiques des principes dialectiques avec les points principaux de la tradition protestante. Donc tout en reprochant aux Réfox-mateurs de ne pas avoir appliqué leur principes dans tous les domaines de l’eeclésiologie (38), néanmoins il assigne, conformément à la Tradition protestante, un rôle majeur au baptême en ce qui concerne l’appartenance à l’Eglise (39). La même oscillation se manifeste sur tous les points où Brunner reprend un thème biblique, comme celui du Corps mystique. Cette idée est longue¬ ment utilisée par lui pour montrer le caractère communautaire de l’Eglise, mais en dernièi'e analyse elle se ramène chez Brunner à une éthique de 1 ’amour fraternel. Donc il va de soi que Brunner lui-même exprime ses doutes quant au rôle œcuménique d’un tel système ecclé¬ siologique. La transition de 1 ’ecclesiola à l’Eglise universelle s’avère impossible selon ses mots frappants: «Nous devons reconnaître deux ou trois églises comme les vraies églises du Christ » (40). Qu’une con¬ fusion doive résulter d’une telle situation, Brunner l’admet lui- même (41). Toutefois ce ne sont pas les principes dialectiques qui en ont la responsabilité, poursuit-il, mais la contradiction entre les prin¬ cipes et les donnés traditionnels. On trouverait chez Brunner des développements bien impressio- nants sur l’engagement communautaire des individus, sur l’atmos¬ phère pleine d’enthousiasme de 1 ’ecclesiola, mais c’est surtout la présentation vitale d’une expérience puissante quoique unilatérale de l’Eglise, qu’on trouve chez Barth qui a joué un rôle de tout premier ordre dans le renouvellement de la vie religieuse protestante (42). La puissante mise en relief de la gloire de Dieu, de sa transcendance incompréhensible, l’insistance sur le caractère absolu de la foi dans le Seigneur, dans le royaume eschatologique, voilà des thèmes qui vont de pair avec le rappel constant de la gravité du péché. Sous cet angle, ses pages, — au dire de Mgr. Journet, — sont vraiment libératrices (43), selon W. M. Horton, fascinatrices et abor- (36) Cf. K. Barth: Kirehliche Dogmatik. I. 1. chap. V. (37) K. Barth: Désordre de l'homme et dessein de Dieu. Introduction aux travaux de l'assemblée d’Amsterdam. Foi et Vie 46 (1948) p. 495. (38) E. Brunner-: Um die Erneuerung der Kirche. Züricli 1934. p. 6. (39) E. Brunner: Das Gebot uud die Oiduungen. Zurich 1932. p. 516. (40) Ibid. p. 514. (41) E. Brunner: Uni die Erneueruug der Kirche. Zürich 1934. p. 16. (42) Cf. L. Leuda: Le problème de l’Eglise chez K. Barth. Verbum Caro 1 (1947) p. 16. (43) Art. cit. p. 187. — 91 — dables seulement dans l'humilité naissant de la souffrance (44). A. Keller a bien raison en disant, que la méthode vive, énergique de Barth vise à faire ressortir, que Dieu n’est pas seulement un objet abstrait de la pensée; que l’homme en face de Dieu n’est pas un spectateur, un savant, mais avant tout le sujet d’une rencontre déci¬ sive. Barth, poursuit-il, veut répondre aux besoins religieux d’un cer¬ tain type d’homme, dessiné dans les romans de Dostoievski (45). Les vues de Barth, passionnément discutées en Allemagne, n’ont pas réussi à secouer l’engourdissement théologique en Norvège et en Danemark, mais l’orientation nouvelle prise par l’école de Lund, sous la direction de G. Aulèn s’est effectuée dans une certaine mesure sous son influence. Aux Pays-Bas il a trouvé également des disciples de renom, tels que Haitjema (46) et Visser’t Hooft (47), sans parler du mouvement œcuménique dont le Congrès à Amsterdam, en 1948, a repris beaucoup de ses idées. Le fait que la théologie de Barth a exercé une influence consi¬ dérable même au-delà des limites du protestantisme, doit être expliqué par ce qui constitue justement la grandeur de son œuvre: l’affirma¬ tion énergique du respect inconditionné à l’égard de la parole de Dieu. Par ce retour à la pensée vigoureuse de la Bible Barth a beaucoup contribué à la restauration œcuménique, selon les mots de E. Gilson : « Restituer la théologie à sa place et à sa propre essence, c ’est travailler pour tous les chrétiens...» (48). A coup sûr le calvinisme de Barth donne, malgré sa position décidément anti-romaine, plus de chances pour une conversation interconfessionnelle, que le calvinisme dilué du kantisme. De plus un catholique apercevrait mieux à travers la théolo¬ gie barthienne, « qu’une partie au moins du message de la Réforme, et qui n’est pas la moins précieuse, eût pu être délivrée dans cette Eglise et- entendue par elle» (49). (44) «... fuit o£ terror as well as glory, démons as well as angels and only to te knowu through suffering; yet so fascinating and compelling to those wto hâve known it tliat tliey would never agaiu be content in our plumbers paradise, nor exchange tbeir apocalyptic tonnent for an eternity of our bourgeois bliss ». W. M. Horton: Contemporary continental tlieology. London 1938. pp. XX-XXI. (45) A. Keller: Der tVeg der dialektischen Théologie durch die kirchlichc Vrelt. München 1931. p. 36. (46) Haitjema: Karl Bartlis kritische Théologie. 1926. (47) Die Not der Kirche und die Oekumenc. Basel. Trad. fr.: Misère et gran¬ deur de l’Eglise. Genève 1943. (48) Hommage et reconnaissance. Bccueil de travaux publiés à l’occasion du soixantième anniversaire de K. Barth. Neuchâtel-Paris 1946. Lettre d’Etienne Gilson du 15 janv. 1946, adressée au rédacteur des Cahiers théologiques de l'Actua¬ lité protestante, p. 41-42. (49) Ibid. — 92 — 3) L’autre grand courant dans l’ecclésiologie protestante, connu sous le nom de «Neue Consensus» (50) n’a pas la même originalité que 1 ’ecclésiologie dialectique; il n’a pas le même élan prophétique non plus. Néanmoins ses idées directrices peuvent contribuer à une meil¬ leure intelligence des tendances ecclésiologiques en général. L’intérêt accordé à l’aspect mystique de l’Eglise au dire de M. Goguel, (51) est une des marques de la nouvelle orientation. Parallè¬ lement, la conception individualiste de l’Eglise allait de plus en plus s’éclipser et laisser place à une conception plus collective de celle-ci, dans une mesure qui semble donner parfois l’impression d’une oppo¬ sition. Le «Neue Consensus» reproche à l’ecclésiclogie protestante du XIX" siècle d’avoir introduit un individualisme, voire atomisme spirituel, dans la notion d’église et de ne pas avoir conservé l’identité avec l’Eglise des premiers siècles (52). Pour rendresser cette déviation l’idée de peuple de Dieu doit être remise au centre de la vie chrétienne, comme le vrai sens commu¬ nautaire de l’Ecriture doit se substituer à l’exégèse des théologiens libéraux. Les travaux d’un K. L. Schmidt (53) surtout ne tardèrent pas à mettre en relief l’antériorité de l’Eglise universelle à l’égard des églises locales; on a reconnu les deux aspects de l'Eglise, exté¬ rieur et intérieur, comme «societas in cordibus et ritibus». Le rôle décisif des apôtres n’est plus désormais contesté par cette exégèse; on admet leur connexion intime avec le Christ: de plus on admet la conti¬ nuité entre les deux Testaments: selon Schmidt l’Eglise représente le nouvel Israël. Il ne s’agit plus de la prétendue opposition entre les églises pauliniennes et les communautés judéo-chrétiennes; on ne tire plus argument de l'existence des charismes pour contester la mission d’autorité des apôtres. Le problème eschatologique aussi a reçu des éclaircissements nou¬ veaux. Une position médiane vient de se former, qui a répudié non seulement les solutions rationalistes de J. Weisz et de A. Schweitzer mais aussi celles de l’ecclésiologie dialectique, oui à la suite de Kierke¬ gaard a proposé une solution « existentialiste », équivalant à un renver¬ sement total du rapport entre l’éternité et le temps (54). (50) L’ouvrage du P. Braun: Neues Licht auf die Kirtlie. Einsiedeln-Koln 1946, en donne un bon tableau. Les représentants principaux du « Neue Consensus » : Tr. Schmidt, A. Schlatter, M. Goguel, K. L. Schmidt, P. J. Leenhardt, O. Oullmann, G. Glocge. v (51) «Unité et diversité du christianisme primitif». B.HPB 19 (1939) 1. (52) Cf. A. W. Visshr’t Hooft: Misère et grandeur de l’Eglise. Genève 1943. p. 19. (53) «Pic Kirche des Urchristentums». Tübingen 1932. 2° éd.; Art. Basilea ThWNt I. 573-595; Art. Elclclesia ThWNt III. 502-539. (54) Cf. E. Stance: Die kommende Kirche. Presden 1925. O. Cullmann: Le retour du Christ. Espérance de l’Eglise selon le Nouveau Testament. Neuchâtel 1943. D'ailleurs, quant aux principes de fond, le « Neue Consensus » ne diffère guère de la position du protestantisme libéral: en effet, pour que l’éternité soit présente dans le temps, dans la personne du Messie, la divinité de celui-ci est indispensable. Mais les théologiens de « Neue Consensus » préfèrent plutôt ne pas toucher ce problème déli¬ cat: «Parce qu’il leur coûte beaucoup de confesser sans détour la divinité de Jésus au sens du Symbole des Apôtres, ils nous taisent donc, pourquoi et comment dans le Messie Jésus la liaison du futur et du présent s’est formée. Après s’être avancé sur beaucoup de points très audacieusement, il leur en coûte beaucoup de fournir l'explication dernière que nous serions en droit d’attendre d’eux» (55). Le même apriorisme protestant prévaut dans la question de la primauté de Pierre et de la succession apostolique, où malgré une investigation scientifique et objective des textes, ils n’abandonnent pas la position négative. II. - La réponse catholique: critique et intégration. 1) Parmi ces deux courants récents de l’ecclésiologie protestante, c’est la théologie dialectique, surtout sous sa forme barthienne, qui a rendu nécessaire une réponse détaillée du côté catholique. Nous venons de voir que les efforts de Barth et de Brunner pour présenter l’idée de l’Eglise sous son aspect concret et vital, s’accordent en bien de points avec les tendances de notre ecelésiologie. Mais le dualisme absolu de leur système met fort en danger, s’il ne la rend pas impossible, une expérience vraiment chrétienne, biblique de l’Eglise. Une expé¬ rience religieuse, basée sur la dialectique de Barth et de Brunner ne peut avoir de bons effets que par accident. Le plus souvent elle conduit au scepticisme où au désespoir. W. Stolz (56) met plusieurs fois en relief le fardeau insupportable d'un relativisme qui pèse sur l’inspi¬ ration profondément chrétienne de Brunner. Quant aux idées de Barth, G. Peuerer pense à bon droit que cette expérience non seulement mécon¬ naît la richesse de la révélation (en premier lieu l’amour de Dieu), mais détruit aussi la personnalité humaine' (57). La dialectique bar- (55) F. M. Braun: Op. cit. p. 148. (56) W. Stolz: Der dialektisch-protcstantische Kirchenbegriff. Kritisclie Studio zur Kircbenlehre Emil Brunners. I>T 28 (1950) pp. 292-312; 361-394. Die Wcscns- funktion der Kircho: Kritiseho Studio zu Emil Biunncrs Le lire von der Vcrkiin- digung des Wortes Gottes. DT 29 (1951) pp. 318-344; 457-481. Bekenntnis und Dogma. Darstellung und kritische Würdigung der Lehre Emil Brunners über Bil- dung und Geltungsanspruch von Bekenntnis und Dogma. DT 30 (1952) pp. 129-153. (57) Der Kirchenbegriff der dialektischen Théologie. Ereiburg (Br) 1933. pp. 132-133. Cet ouvrage, à part une introduction générale à la théologie dialectique, se divise en deux parties: la présentation et la réfutation détailléo de l’ecclésio¬ logie barthienne. Au fond toute son argumentation est une continuelle reprise de l’idée de Vanalogia entis. thienne, dit Mgr. Journet, est celle de la mort et « débouche sur une tragédie... Elle renvoie de Mani à Pelage, à Luther et à Calvin, de Calvin à Rousseau et à Schleieraacher, de Schleiermacher à Karl Barth » (58). J. Hamer souligne également qu’uue telle expérience ue peut jamais prendre au sérieux l’amour de Dieu (59). Mais il nous faut remarquer aussitôt que la plupart de ceux qui écoutent le message barthien sur l’Eglise et qui en bénéficient, sont loin de déduire toutes les conséquences de cette expérience dualiste. Ils n ’en retiennent que la forte mise en relief de la transcendance divine et la foi renouvelée dans la Bible. En ce qui concerne alors le côté pratique de 1 ’ecelésiologie dialecti¬ que, on peut dire, dans un certain sens, qu’il est moins loin du catho¬ licisme que le protestantisme libéral. Mais il n’en est pas ainsi de son aspect théorique. La critique des ecclésiologues catholiques ne laisse aucun doute sur le fait qu’entre l’eeclésiologie dialectique et la catho¬ lique un dialogue et un rapprochement sont impossible. Le dualisme barthien est considéré par Mgr. Journet comme une univocité existentialiste oui ne connaît pas la distinction entre essence et existence, nature et opération; univocité qui suivie rigoureusement, conduirait ou à l’athéisme ou à l’acosmisme (60). Une fois de plus c’est l’analogia entis, ou disons plus concrètement, la structure théan- drique de l’Eglise, qui est en jeu en face du barthisme (61). Le P. Hamer à son tour revendique la notion de la révélation médiate, la possibilité pour la raison humaine d’arriver à une con¬ naissance certaine de Dieu et l’harmonie entre la foi et la raison. Vérités capitales et certes jamais assez explicitées. Mais à notre avis ces argu¬ ments philosophiques, au point de vue pratique et surtout en face de l’agnosticisme barthien, ne sont pas toujours les plus efficaces pour faire prévaloir la position catholique. Contre le barthisme, et c’est le point faible des développements des auteurs catholiques en question, il faut montrer avant tout que (58) Art. cit. p. 189. (59) J. Hajier: Karl Barth. Paris 1949. p. 234. Le mérite principal de J. Ha¬ mer est d’avoir décelé les sources de 1’ecclésiologie dialectique: les réformateurs, mais surtout Kierkegaard. Par ailleurs il ne consacre que la troisième partie de son ouvrage à 1’ccclésiologie de Bartli. («La prédication de l’Eglise: matière de la dogmatique», pp. 117-166). (60) Cf. art. cit. p. 163.; p. 152. (61) Un disciple fervent de Barth, L. Leuba avoue de son côté, que la Bible parle non seulement de l’aspect vertical du donné révélé, (l’action instantanée, dis¬ continue de Dieu), mais aussi de son aspect horizontal (médiation humaine dans l’Ordre du salut): Toutefois cet aspect horizontal, institutionnel, sacramentel de l’Eglise n’est qu'un jeu de mot chez Leuba: il l’entend du lieu où l’événement divin peut se produire. Cf. art. cit. pp. 20-24. Un autre théologien protestant, M. Fitz- patrick, constate également que les principes de 1 ’ecclésiologic dialectique ne peu¬ vent rendre compte de l’idée de saint Paul sur le corps mystique. «Kierkegaard and the Church », dans The Journal of Religion 27 (1947) pp. 259-260. — 95 — sou prétendu biblicisme est en -vérité uu grand abus ae la révélation biblique. Il faudrait montrer longuement que la Bible ne voit point d’oppositiou entre les causalités divine et humaine; que selon la Bible l’autorité des apôtres n’éclipse pas la souveraineté de Dieu. Bref: l’idée-maîtresse de l’Ecriture Sainte est l’Incarnation, sceau suprême de l’harmonie entre l’ordre divin et humain, naturel et surnaturel. 2) Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, l’ecclésiologie dialectique a posé aux théologiens catholiques le problème de l’inté¬ gration. G. Feurer et E. Peterson ont entrepris ce travail en se plaçant à des points de vue différents. Quand nous parlons de l’intégration des thèmes de la théologie dialectique à propos du livre de G. Feuerer (62), nous le faisons, bien entendu, dans un sens assez large. A une citation explicite près, Feuerer ne mentionne pas le nom de Barth, mais précisément les idées de son introduction sur la « parole chrétienne » reflètent bien les préoc¬ cupations de Kierkegaard et de Barth (63). Selon Feuerer le devoir du théologien est double : ses paroles, ses développements ont à représenter non seulement l’Eglise dans son objectivité, mais à exprimer aussi la résonance de cette doctrine dans l’âme, les aspirations de l’époque à l’égard de l’Eglise objective. La parole chrétienne, les développements du théologien doivent être un effort pour traduire non pas une Eglise abstraite, mais une Eglise qui vit hic et nunc, dans la phase actuelle de sa vie (64). Cette union, la plus grande possible, entre objectif et subjectif fait dire à l’auteur que toutes les paroles chrétiennes, en tant qu’elles sont chrétiennes, expriment, communiquent une partie de la vie de l’Eglise. C’est ainsi que la parole subjective reçoit son objectivité en s’identifiant, en dernière analyse, avec la vie de l’Eglise et constitue le point de départ d’une nouvelle méthode vitale pour ' pénétrer le mystère de l’Eglise. Dans tous ses membres, dans toutes ses manifes¬ tations, même partielles, c’est l’Eglise entière, indivisible unité, qui opère secrètement. Tout est l’Eglise dans l’Eglise (65). Par conséquent la vérité détenue par l’Eglise, poursuit l’auteur, n’est jamais une for¬ mule abstraite, mais s’identifie avec l’être de l’Eglise, manière d’exister des vérités singulières. C’est pourquoi la vérité, en union étroite avec la vie de l’Eglise, a aussi un aspect dynamique: quelque chose qui est en train de se constituer et de transformer ceux qui l’écoutent. (62) Unsere Kirche im Kommeu. Einc Begegnung vou Jetztzeit und Endzeit. Freiburg (Br) 1937. (63) Cf. p. 6, où l’auteur allègue la Dogmatique de Barth (p. 19) et dit: cai¬ les Sprechen des Christen ist im Grunde ein Sich-sprecheu in seinem Insein in der Kirche... ». (64) Cf. Op. cit. p. 4. (65) Cf. Op. cit. p. 6. — 96 — C 'est ainsi que la religion chrétienne ne s'abaisse jamais à un système de concepts desséchés, mais demeure la parole puissante du Dieu -vivant. Après avoir analysé ce rôle vital, ecclésial de la parole de Dieu, Peuerer nous montre comment s’opère cette union de l’objectif et du subjectif à travers l’histoire et dans la communauté humaine et ecclé¬ siale. Quand, à ce propos, Peuerer aborde les thèmes: Eglise et histoire, Eglise et humanité, Eglise et culture, personne et commu¬ nauté, communauté et Trinité, il parle toujours du point de vue de l’individu croyant. Une ecclésiologie personnaliste, dirait-on à bon droit, en ajoutant, qu’aux yeux de Peuerer, la personne chrétienne doit revivre en elle-même la vie de l’Eglise, de la communauté entière. Nous avons vu combien l'ecclésiologie dialectique est concentrée sur la foi de l’individu. Le troisième grand thème de Peuerer, qui reflète le mieux les tentatives d’intégration, est celui de la tension de l’Eglise d'ici-bas vers son épanouissement eschatologique. L’auteur envisage le problème eschatologique comme un rapprochement continuel de l’Eglise de son idéal et chef: le Christ. Cette croissance de l’Eglise vers sa plénitude eschatologique suppose, selon Peuerer, que le Christ s’identifie de plus en plus avec son Eglise. Peuerer se refuse à voir dans l’enrichissement continuel de l'Eglise iine croissance des dons célestes seuls. C’est le Christ lui-même qui s’enracine de plus en plus dans l’Eglise (66). Pour illustrer cette tension, ce devenir continuel qui s'opère au sein de l’Eglise, il suffit d’évoquer quelques-uns des thèmes que l’auteur déve¬ loppe en détail: la vérité incarnée dans l’Eglise, la grâce contenue dans les éléments matériels des sacraments, ne peuvent être pénétrées que par degrés, donc le membre de l’Eglise doit déplus en plus revivre dans sa justification le gran fait de la miséricordic divine. L’Eglise, engagée dans l’histoire, ne peut transformer les structures humaines que pas à pas, la sanctification des cultures naturelles reste de même toujours un devoir nouveau, car le mystère de l’iniquité ne cesse jamais de se poser comme son antagoniste. Le devenir, l’évolution de l’Eglise en fin de compte est, aux yeux de Peuerer, un effort pour rapprocher notre existence subjective du donné révélé objectif. Le but que se propose l’auteur de donner ub tableau de l’aspect dynamique de l’Eglise, explique que ses développements n’abordent pas tous les aspects de celle-ci. A plus forte raison ce livre n’est pas un traité complet sur l’Eglise. Sa langue pathétique est plutôt au ser¬ vice d’une suggestion vitale, d’un enseignement prophétique, qui laisse parfois beaucoup à désirer, quant aux précisions doctrinales. (66) « Es gelit also nicht um sachliclie Beziehungen, um cm Anstcllcu von mes- sianischen Gaben an die Kirche, es geht um eine ncue Selbstsetzung Ohristi in seiner Kirclie, um eine endgiiltige Verpflichtung Christi auf die Kirche hin und der Kirche auf Cbiistue um cinen Selbsteinsatz Christi in seiner Kirche». Op. oit. p. 54. Il va sans dire que l’auteur ne conteste point l’union indissoluble entre le Christ et son Eglise. — 97 — Une autre tentative, très réussie, pour exposer la pensée dyna¬ mique sur l’Eglise de l’épître aux Romains, sans les exagérations de l’ecclésiologie dialectique (67), est constituée par l’étude de E. Peter- son: Die Kirche aus Juden und Heiden (68). C’est dans un capti¬ vant avant-propos, que l’auteur nous révèle par quelle face il veut aborder le mystère de l’Eglise: il cherche à faire revivre l’expérience de saint Paul sur l’Eglise. En faisant le commentaire des chapitres IX-XI de l’épître aux Romains, il soulève la question capitale: comment le peuple, que Dieu avait élu, peut-il ne plus être le peuple élu et comment l’Eglise a pris pour elle les promesses de Dieu? La descendance charnelle, répond l’auteur avec saint Paul, impuis¬ sante à détenir les promesses de Dieu, s’efface absolument devant le mystère de l’élection divine: c’est la foi, don de Dieu, qui fait apparte¬ nir au peuple de Dieu (69). A la différence de la Synagogue, le vrai peuple de Dieu n’émerge pas de l’ordre naturel; son nom « ecclesia », au dire des Pères, semble indiquer l’appel divin à sortir du monde, à quitter le monde, ses structures naturelles et ses créations sociologi¬ ques (70). Par conséquent ce qui détermine l’Eglise reste toujours d’ordre pneumatique: Dieu est absolument libre tant dans l’élection de son peuple que dans la formation de son Eglise. « Les Juifs ne pensaient qu’à ce qui s’élève sur le fondement: le Temple et la Loi. Et à cause du Temple et de la Loi, ils ont oublié le fondement: la Foi» (71). Saint Paul ne cesse de montrer aux fidèles de la Genti- lité, que ce n’est pas par leur propre mérite, qu'ils sont membres de l’Eglise; de plus s’ils perdent la foi, ils ne sont absolument plus rien. L’intensité croissante des expressions de saint Paul veut traduire fidè¬ lement l’action mystérieuse de Dieu, qui se manifeste «dans la voca¬ tion des juifs et des gentils à être le peuple de Dieu. Ainsi le secret de l’j Ecclesia ex Judaeis et Oentilibus n’est autre que le Secret de la miséricorde divine » (72). Ce style qui trahit un penseur tourmenté par les- problèmes de l’existentialisme chrétien, nous saisit encore dans son essai sur L’esprit de l’Eglise apostolique d’après l’Apocalypse (73). Cette étude veut esquisser une théologie de l’Eglise dans la persécution, au (67) Il faut penser surtout à Romerbrief de K. Barth. (68) Salzburg 1933. Trad. franç. : « Le mystère des juifs et des gentils dans l’Eglise. Suivi d’un essai sur l’Apocalypse». Paris s.d. Collection Courrier des Iles. N. 6. (69) Trad. oit. p. 16. (70) Ibid. p. 17. (71) Trad. cit. pp. 33-34. Deux aperçus intéressants de l’auteur méritent d’être signalés: les juifs ne peuvent être détruits par n’importe quel pouvoir hostile, étant réservés par Dieu pour les derniers jours; ensuite, les juifs ne peuvent descendre jusqu’au degré de barbarie où les peuples chrétiens s'abaissent, lorsqu’ils retombent dans le paganisme. (72) Ibid. p. 66. (73) Voir trad. cit. pp. 73-102. I I I I _ I II I travers de laquelle l'Eglise doit manifester le Seigneur. Ainsi expliquée, 1 ''Apocalypse nous fournit des idées profondes sur l’existence de l’Eglise, dont le devoir le plus important consiste à manifester, en face des pouvoirs hostiles, la gloire de Dieu. La destinée des êtres créés consiste en ce qu’ils doivent prendre position nette pour ou contre Dieu. En fonction de cette «loi d’airain» de notre destinée surna¬ turelle, une position neutre n’est plus possible entre le Christ et l’An¬ téchrist. Une soi-disant impartialité, ou bien devient attitude chrétienne, ou bien aboutit à une attitude antichrétienne. D’où vient cette lutte à mort? L’Incarnation dévoile le Diable dans l’ordre métaphysique, l’Antéchrist dans l’ordre politique et le Faux prophète dans l’ordre intellectuel. Etant donné que tous les trois tentent de maintenir leur régime tyrannique, les chrétiens, suivant l’exemple de Jésus, témoin fidèle par sa passion, sont tenus de subir le même sort pour rendre publique la gloire de Dieu. L’Eglise, à titre essentiel, est l’Eglise des martyrs, dans tous ses membres. On comprend alors les mots de l’auteur au terme de son étude: «Si quelque chose s’oppose à l’esprit d’une bourgeoisie confor¬ table, c’est le christianisme primitif, tel qu’il s’exhale de l’Apocalypse, nous brûlant comme un souffle de feu ». En prenant ainsi conscience du sens véritable de l’avénement de Jésus, de sa manifestation, les mots de saint Jean «viens vite Seigneur! » ne sont plus désormais un désir vers une béatitude trop humaine, mais les mots d’ordre de l’héroïsme des témoins de Jésus. — Même un tel résumé bref aidera le lecteur, espérons-nous, à sentir l’inspiration pleine de force de ce livre qui est parvenu à souligner les éléments qui doivent être intégrés dans notre ecclésiologie et dont la source principale est la révélation biblique sur l’Eglise. Nous venons de passer en revue les ouvrages catholiques les plus importants, qui représentent les diverses attitudes que doit prendre notre ecclésiologie à l’égard de l’ecclésiologie dialectique, phénomène caractéristique des récentes orientations protestantes. Comme système, l’ecclésiologie dialectique est foncièrement fausse et de ce point de vue la critique sévère présentée par G. Feuerer, Ch. Journet, J. Hamer et par W. Stolz ne nous semble point exagérée. D’autre part un effort d’intégration s’impose en deux sens: tout d’abord exploiter complètement l’enseignement biblique sur l’Eglise, surtout en ce qui concerne cet aspect vital, si l’on veut existentiel; ensuite voir concrètement l’Eglise au travers des aspirations, des expériences du croyant individuel. L’étude de Peterson est excellente à ce point de vue, mais l’ouvrage de Feuerer ne manque pas non plus de développements précieux. Parler d’un rapprochement de l’ecclésiologie protestante et de la conception catholique, pourrait être ambiguë. A vrai dire, en ce qui concerne quelques unes des questions secondaires, les recherches scien¬ tifiques protestantes aboutissent à des résultats concordant sur bien — 99 — des points avec les thèses catholiques, mais la séparation quant aux questions de principe, semble rester infranchissable. Aussi longtemps, qu’ils rejettent la structure sacramentelle de l’Eglise, sa médiation visible, il nous reste à montrer, que les aspirations vitales, commu¬ nautaires, eschatologiques, qui animent l’ecelésiologie protestante, ne trouvent une véritable satisfaction que dans l’idée catholique de l'Eglise. ni. - L’ecclésiologie orthodoxe récente 1) On pourrait dire sans crainte d’exagérer qu’aucun traité théo¬ logique n’a subi de changements aussi radicaux chez les orthodoxes, (lue l’ecclésiologie. A l’encontre du protestantisme, où les normes de l’enseignement théologique témoignent d’un flottement plus ou moins grand, l’ecclésiologie traditionnelle de l’orthodoxie ne cessait pas de professer une doctrine, dont les thèses ne diffèrent presque pas de celles de nos traités sur l’Eglise. A étudier cette ecclésiologie conser¬ vatrice, dont les représentants principaux sont M. Boulgakov, Ph. Gou.- milevsky, S. Malevansky, on retrouverait la distinction bien marquée entre l’Eglise terrestre et céleste, l’équilibre entre l’élément visible et invisible, l’aspect juridique et mystique, la distinction entre l’Eglise enseignante et enseignée etc. Par exemple la fameuse Théologie dogma¬ tique orthodoxe de M. Boulgakov (74), manuel classique pour longtemps dans les séminaires orthodoxes, expose la doctrine sur l’Eglise tout à fait selon les divisions de nos traités De Ecclesia. La question de l’institution de l’Eglise y est suivie par le traité de son organisation et sauf l’idée de la papauté, on rencontrera les arguments habituels de nos manuels. Toute l’exposition est couronnée par les notes tradi¬ tionnelles de l’unité, sainteté, catholicité et apostolicité de l’Eglise (75). « Bref, dans un schéma constitutif de l’Eglise ainsi caractérisé, il est impossible de découvrir la moindre trace de démocratisme ecclé¬ siologique » (76). Mais précisément cette œuvre de Boulgakov, accueillie avec un enthousiasme sans pareil par les membres de la hiérarchie orthodoxe, est devenue la cible des protagonistes d’une tendance nouvelle au sein de l’orthodoxie. Khomiakov a rejeté cet ouvrage comme scholastica fœtentem à cause des citations empruntées à saint Augustin, à cause des expressions latines, et l’a considéré comme la pétrification de (74) Métropolite de Moscou, mort en 1882. Cf. DTC vol. IX. col. 1343-1344. (75) Traduction française: Paris 1860. I-II. Sur l’Eglise voir Partie III. Section II. Chap. I. « De Dieu comme sanctificateur ». Art. I. De la Sainte Eglise comme l’instrument par lequel le Seigneur accomplit notre sanctification, pp. 219-290. (76) A. Pawlotvski : Idea Kosciola w. ujecim teologii i historiozofii rosyjskiej. 1935. (pp. 245-262, résumé français de l’ouvrage) p. 248. — 100 — toutes les idées vivantes (77). Plus tard un G. Florovsky n’a pas hésité à s’exprimer d’une façon assez ironique à propos de cet ouvrage: « La dogmatique de Macaire a toutes les apparences d ’un livre théolo¬ gique, mais ce n’est pas de la théologie, c’est seulement un livre » (78). Mais il ne faut pas penser que les théologiens laïcs néoslavophiles seuls se soient révoltés contre ce livre, représentant la section plus tra¬ ditionnelle de la théologie orthodoxe. Une figure non moindre de la hiérarchie orthodoxe contemporaine que le Métropolite Seraphim a fait sienne cette critique en renvoyant aux remarques similaires faites à cet égard par le Patriarche Serge et le Métropolite Antoine (Chrapo- ■witsky). Selon lui, la Théologie dogmatique de Macaire est l’exemple par excellence d'une théologie rationaliste. « La méthode en est analyti¬ que autant que rationaliste. L’exposition du dogme ne repose nullement sur l’expérience ecclésiastique; on n’en élucide pas davantage le con¬ tenu et la signification éthiques; tout se réduit à une déduction de syllogismes en série. Aussi cette théologie ne saurait ni frayer la voie à l’âme en quête de Dieu, ni étancher sa soif religieuse» (79). Quoi qu’il en soit, si l’on feuillète quelque peu les Procès Verbaux du Premier Congrès de la théologie orthodoxe à Athènes, il serait difficile de ne pas s’apercevoir, qu’un grand changement s’est produit dans l’ecclésiologie orthodoxe. Nous laissons pour le moment entière la question de savoir si le changement mentionné doit être considéré comme progrès ou déviation. Certes les cercles officiels, le Saint Synode par exemple, ont fait des efforts pour empêcher l’épanouisse¬ ment des orientations nouvelles à tel point que l’œuvre de E. Akvi- lonov (80), propagateur peut-être trop hardi de l’idée du Corps mysti¬ que, a été censurée. Mais quelques dizaines d’années plus tard la protestation des ecclésiologues néoslavophiles à propos de la con¬ damnation de S. Boulgakov par le Métropolite Antoine (81) a été très énergique et de nos jours ils se posent en représentants des ten¬ dances actuelles de l’orthodoxie elle-même. Le Congrès d’Athènes, ayant choisi pour sujet de discussion le problème de l’Eglise, a manifesté la conviction générale, qui s’affermit (77) Z. V. Zavitnevic: A. S. Kliomiakov I-II. Kiev 1902. Vol. I. pp. 973-974. Gf. J. Zet/f.n-ka: Doctrina de Eeclesia Macarii Boulgakov. Borne 1941. p. 14. (78) Dans Puti russkago logoslovijo, (Chemins de la théologie russe). Paris 1937. p. 222. (79) Métropolite Seraphim: L'Eglise orthodoxe. Les dogmes, la liturgie, la vie spirituelle. Paris 1952. p. 13. (80) E. Akvilonov: Cerkov: nauesnija opredlylcnija Cerkvi i apostolskojc uesenie o nei kak o tele krisztovom. L’Eglise: les définitions scientifiques de l'Eglise et la doctrine apostolique sur l’Eglise commo le Oorps mystique du Christ. (81) Cf. J. Danzas: Les réminiscences gnostiques dans la philosophie russe moderne. RSPT 25. (1936) 658-685. B. Schui/tze: Der gegenwartige Streit um die Sopliia, die gottliche Weisheit in der Orthodoxie. StZ (1940) 318-324. E. Behu- Sikgel: La Sopliiologie du Père Boulgakov. RHPR 19. (1939) pp. 130-158. — 101 — depuis Khomiakov, « que la divergence entre l’Eglise orientale et toutes les confessions occidentales, aussi bien celles de Rome que celles qui sont issues de Rome et ont révêtu la forme du protestantisme, ne porte pas tant sur des points dogmatiques, ou sur une partie du symbole de la foi, que sur quelque chose d’autre qui n’a pas encore été clairement défini, ni exprimé. Toute la différence consiste dans une façon opposée de comprendre ou de définir l’essence même de l’Eglise» (82). D’autres affirmations semblables pourraient être citées à profusion, qu’il suffise de nous référer à A. Palmieri, aux yeux duquel la racine du schisme résiderait dans la notion d'Eglise (83), ou bien à S. Boulgakov, qui a indiqué au Congrès d’Athènes la posi¬ tion centrale du mystère de l’Eglise pour éclaircir les principes de l’othodoxie (84). L’ecclésiologie slavophile et néoslavophile, sans doute, est un faisceau d’idées très complexes. Non seulement le grand nombre de ses adeptes lui donne une grande variété, mais la nouveauté de ses prin¬ cipes aussi en fait l’objet d’ardentes discussions. Il faut alors se défen¬ dre des solutions simplistes, qui voudraient trancher la question par un enthousiasme, ou par un désaveu catégorique. Notre méthode en cette matière sera celle même que nous avons suivie à l’égard de l’ecclésio- logie protestante. Après une esquisse des traits principaux de 1’ecclé¬ siologie orthodoxe, plus exactement de l’ccclésiologie slavophile et néoslavophile, nous envisagerons les attitudes diverses que nos ecclé- siologues ont pris à son égard et finirons par proposer quelques refléxions critiques. 2) Ecclésiologues orthodoxes et catholiques sont d’accord pour souligner l’influence capitale de A. S. Khomiakov, qui a déterminé sur bien des points l’aspect définitif de cette ecclésiologie. Les autres théologiens slavophiles lui doivent beaucoup; les deux grands traités philosophiques de Soloviev, Critique des principes abstraits et Principes philosophiques de la connaissance intégrale s’inspirent de la théorie de Khomiakov sur la connaissance (85); c’est chez lui que Soloviev a puisé l’idée de « 1 Uni-totalité » (86). Soloviev à son tour a inspiré Dostoievski dans la théologie des Frères Karamazov, (82) A. S. Khomiakov: Lettre à W. Palmer; dans Oeuvres, t. II. p. 362. cité d’après P. Baron: Un théologien laïc orthodoxe russe au XIX' siècle. Alexis-Sté- panovitch Khomiakov. (1804-1860). Borne 1940. p. 82. (83) Of. «Theologia dogmatica orthodoxa». Plorcntiae 1913. t. II. p. 160. (84) Cf. Pr. V. p. 127. (85) Cf. A. Gratieux: A. S. Khomiakov et lo mouvement slavophile. Paris 1939. t. II. p. 252. (86) «Die.Kirche Khomiakovs ist fiir Soloviev die vollkommenste Form der Vereinigung, in weleher allô Wesen nicht ihre Grenze, sondera ihro Fiille und den absoluten Sinn in der Einheit mit Allom (All-Einlieit) errcichen». P. Bobic: Solovievs Auffassung von den zentralcn kirchlichen Autoritat. Borne 1944. p. 18. — 102 — dont le chapitre intitulé Qu'il devienne reflète les idées de Khomiakov sur l’Eglise (87). Berdiaiev a consacré un ouvrage entier au Père de l'ecclésiologie slavophile qu’il loue de s’être refusé à enfermer la notion d'Eglise dans les limites d’un concept, car c’est un organisme vivant, l’unité de l’amour qui s’échappe à toute définition formelle... (88). De plus, Khomiakov se flatte à bon droit que la lettre écrite par les patriarchevS et évêques d’Orient à Pie IX trahit l’idée même sur l’Eglise qui était en train de se développer en lui depuis longtemps (89). Le Congrès d’Athènes se déroula de même sous signe (90). Comme aux débuts de l’ecelésiologie dialectique on retrouve l’expérience personnelle de Barth, de même l’ecclésiologie slavophile se ramène à la personne de Khomiakov, à son expérience intime, vécue, d’une Eglise libre, unie dans l’amour. Rempli d’un optimisme débordant, Khomiakov offrait dans sa personne le phénomène original et très rare de la plus pleine liberté de la conscience religieuse. « Plei¬ nement libre, pleinement franc dans sa convinction, il réclamait aussi pour les autres la même liberté, le même droit d’être franc » (91). Il regarde cette liberté organique, comme valeur absolue, comme source de lumière et de progrès moral pour les membres d’une société vivant entre eux dans l’unité de l’amour mutuel. Khomiakov a pensé retrouver la réalisation naturelle de cet organisme libre dans la vie communau¬ taire des peuples slaves, à laquelle le christianisme apporterait son plein épanouissement et sa garantie surnaturelle (92). C’est sur une expérience mystique, optimiste, qu’il établit son système philosophique et ecclésiologique. Une primauté de l’amour, de l’expérience mystique sur l’intelligence, que nous avons eu l’occasion de constater chez Moehler et chez Scheler, est l’âme même de la théolo¬ gie de Khomiakov. L’amour est un mode de connaissance pour lui; la sommunion dans l’amour seule donne le possibilité de retrouver la vé¬ rité. Khomiakov a vu dans ce principe le trait caractéristique che l’or¬ thodoxie que la distingue du rationalisme religieux occidental, tant sous sa forme romaine, que sous sa forme protestante. S. Bolshakov (93) (87) Cf. J. Luska: Adnotationes ad conceptum Ecclesiae apud Th. K. Dos¬ toïevski. Acta Acad. Velehr., 19 (1948) pp. 315-349. (88) N. Berdiaiev: A. S. Khomiakov. Moscou 1912 (ea russe). Cf. A. Gra- tieux op. cit. I. p. 83. (89) Cf. l’Eglise latine et le protestantisme au point de vue de l'Eglise d’Orient. Lausanne et Vevey 1872. pp. 48-49. (90) Bien ne montre mieux cette influence que la position prédominante, des congressistes laïques, qui ont énergiquement protesté contre l’archimandrite Scri- ban, qui a contesté leur compétence en matière théologique: cf. Pr. T. p. 134. (91) G. S auarine: Préface aux œuvres théologiques de A. S. Khomiakov. Paris 1939. p. 50. (92) Ibid. (93) «The Whole philosopha of Khomiakov is here sununed up. His ecelesio- logy is built on the idea that the ultimate Bealitv is the Bational Will of which — 103 — et N. Berdiaiev (94) y voient également son originalité et son impor¬ tance. Sans lui, dit Berdiaiev, la théologie néoslavophile verrait le sol se dérober sous ses pas. Cette intuition fondamentale de Khomiakov ne tire pas seulement son origine de sa propre personnalité, mais résulte aussi de l’influence de l’idéalisme allemand, oui était la philosophie en vogue à son époque en Russie, et plus particulièrement de l’influence de J. A. Moehler. La dépendance de Khomiakov à l’égard de Moehler ne fait pas de doute. Khomiakov mentionne expressément Moehler (95) et ses déve¬ loppements révèlent beaucoup d’identités avec ceux du théologien de Tubingue. Mais au dire de L. Bouyer, ce sont les failles du système de Moehler oui seront élargies absolument chez Khomiakov (96). Après avoir vu l’importance, l’idée-maîtresse et les sources de l’ec- clésiologie de Khomiakov, jetons un rapide coup d ’œil sur son système ecclésiologique (97). Sa position philosophique où il revendique une identité entre la raison et la volonté, entre l’objectif et le subjectif, contraint Khomiakov à présenter la révélation du Verbe Incarné, comme un fait essentielle- the human mind is a reflexion. The truth cannot be understood by tho logical reason aloue but in agreement witk tho will expressed in love». The doctrine of the Unity of the Church in the Works of Khomiakov and Moehler. London 1946. p. 56. (94) Of. «L’idée roligieuse russe » dans L’âme russe. Paris 1927. pp. 16-17. (95) Cf. «L’Eglise latine...», p. 69. (96) Cf. «Orthodoxie et protestantisme», Ir 15 (1938) 228. (97) Les études de Khomiakov, concernant l’Eglise écrites ou traduites eu français, se trouvent dans le volume: «L’Eglise latine et le protestantisme au point de vue de l’Eglise d'Orient». Lausanne et Yevey 1872. Ce volume contient les opuscules suivants : 1. Quelques mots par un chrétien orthodoxe sur les communions occidentales, à l’occasion d’un article de M. Laurentie, 1853 (pp. 3-88). 2. Quelques mots par un chrétien orthodoxe sur les communions occidentales à l’occasion d’un Mandement de Mgr. l’Archévêque de Paris, (pp. 89-187). 3. Encore quelques mots par un chrétien orthodoxe sur les confessions occi¬ dentales à l’occasion de plusieurs publications religieuses, latines et protestantes, (pp. 189-308). 4. Lettre à M. Bunsen, précédée d’une lettre au rédacteur du journal de ■l’Union Chrétienne, 1860 (pp. 309-367). 5. Lettre à Monseigneur Loos, évêque (janséniste) d’Utrccht, 1860. (pp. 369-387). 6. Lettre au rédacteur de l’Union Chrétienne, à l’occasion d’un discours du Père Gagarine, jésuite; 1860 (pp. 389-400). U faut encore noter son premier ouvrage théologique, «L’Unité de l’Eglise.» écrit en russe et traduit en allemand : « Die Einheit der Kirche » dans N. Bubnov- H. Ehrenberg: Oestlickes Christentum IL pp. 1-27. Cet ouvrage a été traduit et publié dans l’étude de A. GratieUX : Le mouvement sl&vophilc d la veille de la révolution: Dmitrj A. Khomiakov. Suivi du traité de A. S. Khomiakov, L’Eglise est une. Paris 1953. (Unam Sanctam, 25). Sa correspondence anglaise avec W. Palmer se trouve dans W. J. Birkbeck: Eussia and the Englisli Church. London 1917. 2* éd. pp. 193-222. — 104 — ment et exclusivement moral. Dieu se révéla «comme l’Etre moral unique» dans son Fils (98). C’est ici que Khomiakov commet la pre¬ mière erreur dans ses développements, en identifiant la révélation avec la sainteté, sans préciser en détail les degrés et les aspects divers de cette identification. D’où vient que Khomiakov doit chercher un sujet « saint » et irréprochable pour la sauvegarde dans le temps et dans l’espace de la Révélation. A ses yeux, les individus, toujours enclins au péché, ne correspon¬ dent point à une telle exigence (99), parce que la Révélation vise avant tout le domaine moral. Par conséquent « la Vérité ne peut exister que là où est la sainteté sans tâche, c’est-à-dire dans la totalité de l’Eglise universelle, qui est la manifestation de l’Esprit divin dans l’huma¬ nité» (100). C’est la descente de l’Esprit sur la communauté des apôtres, qui fournit à Khomiakov la preuve dogmatique de cette identification de la révélation avec la sainteté. «L’Esprit de Dieu descendit sur la tête des apôtres réunis dans l’unanimité de la prière et leur rendit la pré¬ sence de leur Seigneur, non plus une présence saisissable aux sens, mais une présence invisible, non plus extérieure, mais intérieure... L’Eglise possède (le Christ) et l’obtient constamment par l’action intérieure de l’amour sans demander un fantôme extérieur du Christ, comme le croient les Romains » (101). Les principes une fois posés, Khomiakov en déduit logiquement toutes les conséquences: c’est l’Eglise entière, qui prend la place de la hiérarchie pour décider en matière de foi, selon la loi de l'Eglise an¬ cienne, où «l’Eglise tout entière acceptait ou rejetait les décisions de ces assemblées (conciles) selon qu’elle les trouvait conformes ou contrai¬ res à sa foi et à sa tradition et nommait œcuménique ceux des conciles qu’elle reconnaissait pour être l’expression de sa pensée intime » (102). L’attitude fortement mystique de Khomiakov l’a amené à un au¬ tre grave unilatéralisme, à savoir, à une notion de la sainteté et de l’amour, qui ne sait plus estimer l’élément extérieur dans la révélation et dans la loi morale. A ses yeux, l’autorité extérieure est un pur rationalisme qui rend les hommes esclaves (103). «Ni Dieu, ni le Christ, ni son Eglise, poursuit-il, ne sont l’autorité qui est chose extérieure. Ils sont la vérité, ils sont la vie du chrétien, sa vie intérieure ; ils sont plus vivants en lui que le cœur qui bat dans sa poitrine et que (98) Op. cit. p. 259. Cf. encore p. 126: «Le verbe divin se manifeste comme l'être moral par excellence, comme l’être moral unique». (99) «...la foi dans l’homme individu, soumis au péché est éminemment subjective et par-là même comporte un doute constant: elle sent en elle-même la possibilité de l’erreur». Op. cil. p. 240. (100) Op. cit. pp. 52-53. (101) Op. cit. p. 112, cf. encore pp. 164-65. (102) Op. cit. p. 32. (103) Cf. op. cit. p. 39. — 105 — le sang qui coule dans ses veines; mais ils ne sont sa vie au'autant que lui-même vit de la vie universelle d’amour et d’unité, qui est la vie ecclésiastique» (104). L’autorité extérieure sépare, selon Khomiakov, la vérité religieuse de la vie de la sainteté (105). Le même mysticisme unilatéral fait dire à Khomiakov qu’au lieu de l’autorité enseignante, «c’est Dieu lui-même qui nous enseigne» (106) et conclut: «il n’y a point d'Eglise enseignante dans l’Eglise véri¬ table» (107). L’enseignement de la parole logique est un rationalis¬ me et pour écarter ce danger il faut avoir recours à l’enseignement de la vie sainte où il n ’y a plus de distinction entre évêque et laïc. « Tout homme... tour à tour enseigne et reçoit l’enseignement; car Die dis¬ tribue les dons de sa sagesse à qui il lui plaît » (108). D’où vient que la recherche de la vérité est la fonction de la vie de sainteté, parce que la vérité divine «n’est pas la connaissance seule, mais la connaissance et la vie en même temps... Elle n’est pas pensée ou sentie, mais pensée et sentie à la .fois » (109). Dans la question de foi on ne peut admettre la distinction entre magistère et fidèles, parce que cela détruirait «l’unité libre de la foi vivante qui est la manifestation de l’Esprit de Dieu» (110). Bref, c’est l’harmonie des pensées indi¬ viduelles éclairées par la grâce de Dieu, qui constitue la pensée géné¬ rale de l’Eglise» (111). Etant donné que les écrits de Khomiakov sur l’Eglise servent sans exception d’apologie de l’orthodoxie contre les chrétientés occiden¬ tales, il sera fort utile de résumer ses vues sur l’Eglise catholique. C’est en introduisant le «Filioque» dans le Symbole, que l’Eglise romaine a commis un péché très grave contre l’amour fraternel. Elle a déclaré par ce fait que « le monde oriental n’était plus qu’un monde d'îlots dans la foi et la doctrine» (112). Cet acte de Rome constitue aux yeux de Khomiakov la première hérésie contre l’universalité de l’Eglise, en lui enlevant sa base morale, c’est-a-dire l’amour frater¬ nel (113). C’est le « fratricide moral » commis par Rome (114). Rome en substituant l'infaillibilité pontificale à l’infaillibilité de l’amour a trahi l’unité de l’Eglise basée uniquement sur la loi morale (115). (104) Op. cit. p. 40. (105) Ibid. (106) Op. cit. p. 282. (107) Op. cit. p. 49. (108) Op. cit. p. 50. (109) Op. cit. p. 51. (110) Op. cit. p. 62. (111) Op. cit. pp. 283-4. (112) Op. cit. p. 35. (113) Cf. op. cit. p. 86. (114) Cf. op. cit. p. 86. (115) Cf. op. cit. p. 107. Il est logique, que Khomiakov n’admette point l’existence des notes de l’Eglise. S’appuyer sur les notes serait abandonner la garantie surnaturelle de l’Eglise: la foi et l’espérance (116). En conclusion il faut souligner de nouveau que l'unilatéralisme et les erreurs souvent trop graves de Khomiakov proviennent de son aspiration à donner une réponse pleine de vie à ses contemporains russes troublés par le rationalisme. Il en cherche le remède dans une idée de l'Eglise, où tout est idéalisé, où l'homme « se retrouve lui-même, non plus dans la faiblesse de son isolément spirituel, mais dans la force de son union spirituelle et intime avec ses frères et son Sauveur. Il s’y retrouve dans sa perfection, ou plutôt il y retrouve ce qui est parfait en lui, l’inspiration divine qui se perd constamment dans l’im¬ pureté grossière de chaque existence individuelle. Cette épuration s'opè¬ re par l’invincible puissance de l’amour mutuel des chrétiens en Jésus- Christ; car c’est l’amour, c’est l’esprit de Dieu... la particule matérielle, qui a été assimilée à un corps vivant, reçoit elle-même un sens nou¬ veau et une vie nouvelle de l’organisme dont elle est devenue partie intégrante. Tel est l’homme dans l’Eglise, qui est le corps du Christ, dont l’amour est le principe organique» (117). La même préoccupation anthropologique se traduit dans un autre long passage, où il représente l’Eglise comme la réalité réfractaire à toute erreur et incertitude, comme l’union intime de l'élément subjectif et objectif, comme le monde organique et vivant, « dont la loi n’est ni une abstraction, ni une chose d’invention humaine, mais une réalité di¬ vine, Dieu lui-même dans la révélation de l’amour mutuel. C’est l’Egli¬ se» (118). 3) Eu vérité les ecelésiologues néoslavophiles (119) ne font que propager ou élargir les idées de Khomiakov. Le mot-clé de ces ecclésio- logues est la sobornost, dont l’idée domine les ouvrages de Khomiakov, mais dont il ne fait usage qu’une fois (120). Boulgakov y voit l’essence de l’Orthodoxie qui «s'oppose à la fois à l’autoritarisme et à l’indivi- (116) Cf. op. cit. p. 46. (117) Op. cit. pp. 116-117. (118) Op. cit. pp. 240-421. (119) Nous pensons surtout aux membres de l’Ecole théologiquo russe à Paris, existant depuis la révolution russe. (120) C’est dans sa lettre à propos d'un discours du P. Sagariue, que Klio- miakov donne la raison pour laquelle l’Orthodoxie a préféré le mot sobornost au mot catholique. L*. motif eu était selon Khomiakov do souligner que la catho¬ licité de l’Eglise n’est point une chose extérieure, géographique, mais une valeur intime (cf. op. cit. 389 sv.); «le mot qu'ils ont choisi est celui de sobomoï. Sobor implique l’idée de l’assemblée non pas nécessairement réunie dans un lieu quel¬ conque, mais existant virtuellement sans réunion formelle. C’est l’unité dans la pluralité... L’Eglise catholique, qui est selon tous, ou selon l’unité de tous, l’Eglise de l’unanimité libre, de l’uuanimité parfaite, l’Eglise où il n’y a plus de natio¬ nalités». (Op. cit. p. 398). dualisme; elle est unanimisme, une synthèse de l’autorité et de la li¬ berté dans 1 ’amour qui rassemble les croyants. Le mot sobornost exprime tout cela » (121). La sobornost, vie de l’Eglise, poursuit Boulgakov, est indéfinissable rationellement, « car elle ne se découvre qu’au-delà des limites de la pensée rationnelle » (122). La sobornost, vie dans la vérité, est la source de la connaissance dogmatique de l’Eglise, «mais de caractère supra - rationnel, intuitif, la source du 'savoir par le voir’».. La sobornost , catholicité intérieure de l’Eglise, en est la suprême réalité, le véritable corps mystique, vécu dans l’expérience de l’unité de plusieurs en un seul (123). Les autres ecclésiologues néoslavophiles professent la même doc¬ trine presque mot pour mot et ne cachent point leur méfiance à l’égard de tout ce qui est notionnel à propos de l’Eglise. Selon Plorensky le fait que l’Eglise est indéfinissable est la meilleure preuve en faveur de sa vitalité. Doue il existe d’autant moins, une fonction qui réunirait en elle-même tout ce qui est l’Eglise. De la même façon on aurait beau, poursuit-il, essayer de renfermer la vie de l’Eglise en des formules abstraites: «L’idée de l’Eglise n’existe point, mais elle-même existe et pour chaque membre vivant de l’Eglise la vie ecclésiastique est la chose la plus définie et la plus palpable de tout ce qu'il connaît » (124). La vie ecclésiale, conclut-il, ne relève pas de concepts juridiques et archéo¬ logiques, mais de la biologie et de l’esthétique. La pensée de N. Arse- niev (125) trahit le même mélange d’intuitions justes et profondes avec un unilatéralisme simplement tragique. L’idée de l’unité de l’Eglise, dit-il, n’admet aucune formule juridique, de même elle est réfractaire à n’importe quel pouvoir juridique. L'Eglise orientale ne connaît pas un autre chef que Jésus-Christ, tête du Corps mystique, et pour elle ni Jésus-Christ, ni les apôtres, ni les conciles ne constituent une auto¬ rité juridique. « Qu’on ne mentionne pas, écrit-il, l’autorité à propos de l’unité de l’Eglise, parce qu’il n’y a qu’un inépuisable courant de la vie de la grâce, ayant sa source dans le Christ et dans lequel chacun, comme une goutte, comme une onde est entraîné » (126). La pensée de G. V. Plorovsky est encore plus hardie : « Ce que nous propageons, écrit-il, n’est ni une expérience subjective, ni une conscience mystique solitaire, ni l’expérience des fidèles séparés, (121) S. Boulgakov: L’Orthodoxie. Paris 1932. p. 84. (122) Op. cit. p. 88. (123) Op. cit. p. 94. (124> P. Floimeîsky: Der Pfeiler und die Grundfeste der Wahrheit. Dans Oestliches Christentum. Dokumente herausgegeben von N. Bubnov und H. Ehren¬ berg. Münich 1925. II. p. 30. (120) N. Aksbniev : Die Kirche des Morgenlandes WeltaJiscliauung und From- migkeitslcben. Berlin-Leipzig s.d. Sammlung Goschen N. 918. Voir surtout le chap. VI.: Die grosze Gemcinschaft. Eucharistie und Kirche. pp. 79-93. (126) Ilid. p. 89. — 108 — mais l’expérience vivante de l’Eglise catholique, l’expérience catholi¬ que et la vie ecclésiale... Cette expérience n’est épuisée ni dans les Ecritures, ni dans la tradition orale, ni dans les définitions» (127). S. Zankov, à son tour, ne montre pas mois d’enthousiasme, à ce sujet (128). De nouveau c’est l’idée de la sobornost qui serait seule capable, selon A. Karpov, de résoudre un problème discuté déjà en profondeur par les ecclésiologues catholiques: celui delà personne (129). Pour G. P. Pedotov c’est l’agrément avec l’âme de la sobornost qui constitue le critère suprême des sciences théologiques (130) et N. M. Zernov y voit la voie unique vers l’union chrétienne, irréalisable par les notions individualistes des églises catholiques et protestantes (131). Comme chez Khomiakov son orientation mystique exagérée ne pouvait pas ne pas entraîner une sorte de dépréciation envers la hiérarchie, de même les théologiens orthodoxes que nous venons de citer, trahissent plus ou moins ouvertement lx même attitude à propos du rôle doctrinal et autoritaire des évêques. Tandis que Flo- rensky, Florovsky et Fedotov se contentent de proposer à ce sujet des idées sciemment peu précises, Zankov réduit explicitement leur rôle à celui de pars in ioto (132), de plus Arseniev dénie ouvertement leur infaillibilité en s’appuyant sur l’autorité de Khomiakov (133). Selon l'exemple donné par Khomiakov, ces théologiens remplacent le rôle de la hiérarchie par l’interprétation théologique de la liturgie. Depuis que Khomiakov a posé la compréhension de la liturgie comme la condition d’une authentique connaissance de l’Eglise, les théologiens orthodoxes s’engagent de plus en plus volontiers sur la voie qui mène vers l’esthé¬ tisme et le vitalisme liturgique. Un Boulgakov le trouve essentiel à l’Orthodoxie (134). Une autre idée capitale de Khomiakov, celle de l’Eglise comme réalité dernière ee suprême et comme amour embrassant tout être créé, a reçu un accueil également favorable parmi ses disciples. L’unilatéra¬ lisme, avec lequel Khomiakov insiste sur la notion de la vie et sur l’unité entre la connaissance et l’amour, sans se soucier de leur distinc- (127) G. V. Florovsky: Sobornost. The catliolicity of the Church. Dans The Church of God. An Anglo-russian symposium. London 1934. éd. par E. L, Ma- scall. p. 67. (128) S. Zankov: Das orthodoxe Christentum des Ostens. Sein Wescn und seine gcgemvàrtige Gestalt. Berlin 1928. Voir surtout pp. 87-91. (129) A. Karpov: Personality and the Church. The problem of personality in the light of Christian teaching. Dans The Church of God, pp. 135-154. (130) G. P. Fedovov: Ortliodoxy and historical criticism. Dans The Çhurch of -God, pp. 91-104. (131) N. M. Zernov: The Church and the Confessions. Dans The Church of God, pp. 211-227. (132) Op. cit. p. 91. (133) «Nun versteht die Kirche, der die Liturgie begrcift». Cité dans Oesttir elles Christentum, Vol. II. p. 25. (134) Cf. Op. cit. pp. 180-182. — 109 — tion, devient chez Soloviev et les néoslavophiles une théorie voisine du panthéisme. En d’autres termes, c’est par l’idée de la divinisation uni¬ verselle qu’ils entendent représenter l’Eglise. Soloviev pense que c’est «l’incarnation sociale de la divinité dans l’Eglise universelle», c’est-à- dire la sophiologie que la « Russie nouvelle » doit propager dans le monde (135). La ”Sophia” divine « étant l’unité accomplie du tout en Dieu, elle devient aussi l’unité de Dieu et de l’existence extra-di¬ vine » (136). Chez le P. Florovsky la Sagesse divine prend déjà les acceptations suivantes: Sainte Trinité, Verbe, Mère de Dieu, Virginité, Eglise, Hu¬ manité entière, Grand Etre d’Auguste Comte. Il pense que ces idées se complètent mutuellement (137). Chez N. Berdiaiev on retrouve égale¬ ment l’idée de la divinisation cosmique, fonction de l’Eglise (138). C’est lui qui appelle l’Eglise l’âme du monde, précisément à cause de son rôle dans la sanctification du cosmos (139). Le P. Boulgakov va encore plus loin. Il semble admettre sous l’idée de la Sophia un certain être intermédiaire entre la Divinité et le monde créé. « La Sophia, dit-il, dans le Créateur et dans la création est le point qui unit Dieu et l'homme » ; dans les deux natures du Christ un seul principe se reflète « en deux images, celle de la plénitude divine et celle du devenir matériel » (140). Bien que l’inspiration des néoslavophiles soit chrétienne sur ce point, il n’en reste pas moins vrai, que leurs développements sont mê¬ lés d’éléments philosophiques non-chrétiens. Soloviev parle déjà d’un certain processus théogonique à propos de l’Incarnation (141), du «principe féminin» représenté par Marie (142); de plus il veut dé¬ duire l’idée de la Trinité de la notion de l’Etre (143). La synthèse du P. Florensky, que nous venons de voir, est assez éloquente déjà en el¬ le-même. Berdiaiev s’inspire principalement de l’idéalisme allemand. La condamnation de Boulgakov, rapidement suivie de sa réhabilitation par différentes autorités orthodoxes et le fait que Boulgakov fut admis (135) La Bussic et l'Eglise universelle. Paris 1922. 4* éd. p. 264. (136) Op. cit. p. 241. (137) P. Florensky : Der Pfeiler und die Grundfeste der Wahrheit; chez Bubnov-Ehrenberg op. cit. II. pp. 28-194. passim. (138) «Die Kirche ist der verchristlichte Kosmos» cité de l'original russe de «Die Philosophie des f reion Geistcs» par B. Schultze: Die Schau der Kirche bei N. Berdiaiev. Borna 1938. p. 92. (139) Cf. chez Schultze op. cit. p. 98. (140) Voir, chez Danzas, art. cit. p. 672; cité de l’autorécension de Boulga¬ kov sur son livre «L’Agneau de Dieu» dans Put’ N. 41. (nov.-déc. 1933). Voir E. Behr-Sibgel: La Sophiologie du Père Boulgakov. BHPB 19 (1939) pp. 130-158. S. Tyszkiewicz: Die Lelire von der Kirche beim russischorthodoxen Thcologen S. Boulgakov. ZKT 51 (1927) pp. 82 sv. (141) Cf. op. cit. p. 269. (142) Cf. op. cit. p. 257. (143) Cf. op. cit. p. 213. — 110 — au Congrès d’Athènes et qu’il put y propager une «ontologie ecclé¬ siale » (144), montrent clairement combien ces doctrines vagues ont déjà envahi 1 ’eeelésiologie néoslavophile. Pendant longtemps l’influence de Khomiakov s'est exercée presque exclusivement dans les cercles des théologiens russes. Les recherches soi¬ gneuses de P. Gavin (145) sur les orientations de la théologie grecque entre 1890 et 1920 n’y signalent point l’influence de l’ecclésiologie de Khomiakov, mais beaucoup plus celle de Macaire Boulgakov (146). En fait le théologien le plus représentatif de la nouvelle théologie grecque, aux yeux de Gavin, Androutsos, suit de près la méthode de Macaire Boul¬ gakov dans sa synthèse dogmatique: Théologie dogmatique de l’Eglise orientale orthodoxe (147). La critique sévère du futur participant du Congrès d’Athènes, D. Balanos (148), à propos de cet ouvrage est mo¬ tivée plutôt par les points de vue de la théologie protestante libérale, que par ceux de l’eeclésiologie de Khomiakov, comme A. Palmieri (149) et M. Jugie (150) l’ont montré peu après la discussion des théologiens grecs entre eux. Mais le Congrès d’Athènes a manifesté sans équivoque l’adoption de l’ecclésiologie de Khomiakov non seulement par les théo¬ logiens russes, mais aussi par de larges groupes de théologiens des autres églises autocéphales. Cela ne veut pas dire naturellement que la voie traditionnelle de la théologie orthodoxe ait perdu toute son importance. De plus, il a semblé à plusieurs observeurs des orientations récentes de la théologie ortho¬ doxe que l’insistance sur l’autorité épiscopale s’affermit (151); même on pourrait citer des théologiens orthodoxes qui s’efforcent de diminuer l’importance de Khomiakov et oui tâchent de remettre en honneur les principes traditionnels tout en évitant la « contamination » du « ratio¬ nalisme scolastique » (152). Malgré tout, c’est la pensée de Khomiakov (144) «Thesen über die Kirche », Pr. V. pp. 127-135. (145) F. Gavin: Some aspects of Contemporary Greek Orthodox Thought. Milwaukee-London 1923. (146) Cf. Op. oit. pp. 235-267. (147) AoyiMCTixT) TÎjç èpttoSdÇu àvaToXixTjç ’ExxXTjotaç. Athènes 1907. (148) Kplaiç -rijç AoypaTixfy; voè K. ’AvSpoÙTcou. Nia Luhv, 5 (1907) pp. 669-705. (149) A. Palmieri: Theologia dogmatica orthodoxa. Plorentiae 1911. Vol. I. pp. 149-151. (150) M. Jugie: Une nouvelle dogmatique orthodoxe, trois théologiens gTecs en présence. EO 11 (1908) pp. 146-154, 257-264. (151) G. Dejaifve: Sobomost ou Papauté. I. La notion de l’Eglise dans l’orthodoxie contemporaine. NET 84 (1952) pp. 355-371. II. La notion catholi¬ que de la Papauté. NET 84 (1952) pp. 466-484. Cf. aussi: W. Winooradow: 'Die russische orthodoxe theologischc Wissensehaft als Vertreterin der authentischen Théologie der orthodoxen Kirche Buszlands. MTZ 3 (1952) pp. 125-135. (152) Par exemple l’Archimandrite Cyprien Kern écrit: «...tout en se dé¬ tournant de la scolastique, il ne faut pas chercher chez le seul Khomiakov les armes qui préservent de tous les maux du rationalisme, ni faire appel à la légende du grand Inquisiteur comme à une source de la connaissante théologique ». (Tsev- kovny Viestnik, 1950 n. 4., cité dans Russie et Chrétienté, 1950. n. 1-2. p. 78). —111 — qui est le facteur décisif, aujourd’hui plus que jamais, daus la théologie orthodoxe, à tel point que les membres de la hiérarchie orthodoxe l’acceptent en nombre de plus en plus croissant. Un ouvrage récent sur l’Eglise orthodoxe, publié sous la direction du Métropolite Seraphim, en est un exemple éclatant (153). La partie la plus importante de cet ouvrage ayant poiir objet la dogmatique orthodoxe, a été écrite par le chef spirituel de la vaste province ecclésiastique orthodoxe comprenant toute l’Europe centrale, Métropolite Seraphim lui-même, dans un esprit tout à fait néoslavophile. La doctrine sur l’Eglise (154) qui y est donnée, est l’écho fidèle de l’enseignement (154) des auteurs néoslavo- philes que nous venons de voir, tandis que les deux courtes pages consa¬ crées à l’idée de la hiérarchie évitent avec soin de mentionner la question de l’autorité des évêques (155). Il nous semble donc qu’il n’y a aucune raison de croire que la théologie orthodoxe suivra dans un avenir proche une autre voie que celle présagée par le Père du sla- vophilisme (156). 4) Le Congrès d’Athènes peut être considéré, comme une prise de conscience définitive de la part de la théologie orthodoxe des tendances nouvelles qui cherchent leur épanouissement dans son sein. Les comptes- rendus et les communications publiées dans les Procès Verbaux, por¬ tent témoignage des idées des théologiens qualifiés de l'Orthodoxie, qui se concentrent sur le mystère de l’Eglise. Bien d’autres problèmes théo¬ logiques qui préoccupent aujourd’hui les théologiens orthodoxes, sont en rapport avec celui-là. Avant tout, c’est la position et la nature de la science théologique dans l’Eglise orthodoxe, qui a retenu l’attention du Congrès. Cette ques¬ tion implique, on le sait, le problème du critère de la connaissance religieuse et c’est ici que l’ecclésiologie entre à titre essentiel. Les explications qu’on a données de cette question, se ramènent à l’idée de sobornost. Kartashov y a recours pour concilier la liberté des recher¬ ches scientifiques et théologiques avec l’autorité ecclésiastique (157). Boulgakov en a également profité pour résumer à grands traits ses idées déjà connues par ailleurs. On peut constater une tendance nette (153) Métropolite Seraphim: L’Eglise orthodoxe. Les dogmes, la liturgie, la vie spirituelle. Paris 1952. (154) Ibid. pp. 44-51. (155) Ibid. pp. 54-56. (156) L’influence des idées ecclésiologiques de Kliomiakov se fait sentir même dans des questions d’organisation ecclésiastique, comme la réforme de la législation deB paroisses orthodoxes russes le montre assez clairement. Cf. P. Metthodius Prichodjko: Die Pfarrei in der neueren Gesetzgebung der rus- sischen Kirche. Brixen 1947. (157) « Die Preiheit der theologisch-wissenschaftlicbeu Porschuug und die kirchliche Autoritüt» Pr. V. pp. 175-185; dans le même sens: B. Vcllns: .Bibel- kritik und kirchliche Autoritât, Pr. V. pp. 135-143. — 112 — chez D. Balanos (158) à réduire à un petit nombre les normes absolues qui s’imposent au travail théologique. Le théologien, à ses yeux, ne dépend dans ses recherches que des vérités « fondamentales », qui se manifestent dans les décisions des conciles oecuméniques et dans la doctrine unanime des Pères (159). La même tendance se trahit chez E. Antoniadis, qui n’admet que l’inspiration relative et partielle (160). En outre une forte orientation vers la mentalité pàtristique se fait sentir parmi les congressistes. Selon Bratsiotis, ce n’est pas le principe théandrique qui est en premier lieu l’idéc-maîtresse de l’orthodoxie, mais plutôt la spiritualité de l’ancienne Eglise catholique, non-divisée (161). A ce point de vue, c’est le P. Florovsky (162) qui va le plus loin. 11 rappelle que la théologie officielle de l’orthodoxie a oublié la mentalité des Pères : l'idée de la divinisation, le caractère universel de la résur¬ rection. Au lieu des citations, c’est le milieu spirituel des Pères qui doit être revivifié; c’est là que réside la véritable valeur méthodologique des Pères. Selon le P. Florovsky les Pères ont créé une philosophie nouvelle, différente de celle de Platon et d’Aristote, qui ne peut être pénétrée par la philosophie bergsonienne ou par n’importe quelle philosophie moderne, mais seulement par une profonde compréhension du christia¬ nisme. Cette compréhension du christianisme, dit Plorovsky, n’est pas une question de style, mais d’expérience de la plénitude catholique. Cette expérience chrétienne s’exprime surtout à travers l’atmosphère hellénistique. Pour en fournir une preuve, il se réfère aux travaux de l’Ecole de Maria-Laach, en particulier à ceux du P. Casel (163). L’esprit de l’Eglise, conclut Plorovsky, a une structure hellénistique au point que l’hellénisme s’est avéré un élément essentiel de l’existence chrétien¬ ne. Le devoir de notre génération consiste alors à faire siens les trésors spirituels du monde hellénistique, parce que au fur et à mesure qu’on devient plus grec, on devient plus catholique et plus orthodoxe (164). Les influences subies par l’orthodoxie de la part des autres chré¬ tientés ne pouvaient pas ne pas être abordées au Congrès. Mgr. Chry- sostomc, archevêque d’Athènes, tâchait de mettre en lumière les influen- (158) «Die nouera orthodoxe Théologie in ihren Verhâltnis zur patristischen Théologie und zu deu neueren theologischen Auffassungen und Methoden ». Pr. V. pp. 232-237. (159) Cf. p. 236. (160) « Die orthodoxen hermenoutischen Grundprinzipien und Methoden der Auslegung des Neuen Testaments und ibre theologische Voraussetzungen ». Pr. V. pp. 143-174. (161) P. Bratsiotis: Die Grundprinzipien und Hauptmerkmale der ortho¬ doxen Kirche. Pr. V. pp. 115-126. (162) «Patristics and Modem Thcology». Pr. V. pp. 238-242. (163) Cf. p. 241. (164) «... let us be more Grcek, to be truly catholic, to be truly ortho- dox! » p. 242. — 113 — ces qui ont atteint l’orthodoxie au cours des XVII' et XVIII' siècles (165). La manière par laquelle il veut parer les difficultés soulevées à ce pro¬ pos, nous semble un peu dépourvue de fondement: à ses yeux ces influences sur la théologie orthodoxe ne seraient que « superficielles ». La communication du P. Florovsky (166) au sujet des influences des philosophies modernes se montre plus caractéristique, quant à la prise de position de l’orthodoxie. Au lieu de répudier les divers courants de la mentalité moderne occidentale, il faut les dépasser, les intégrer par un retour «créateur» aux sources propres de l’Orthodoxie. C’est le vrai antidote contre le poison du latinisme et en général des tendan¬ ces occidentales. Ce souci de dépasser l’occidentalisme est l’on des buts principaux des slavophiles, à partir de Khomiakov. „ D'autre part le Congrès a accordé un intérêt particulier à la con¬ statation du fait que l’Occident montre une compréhension, qui va en s’augmentant, à l’égard de l’Orthodoxie. Selon Arseniev le renouveau des chrétientés occidentales doit beaucoup à un contact plus étroit avec l’Orthodoxie depuis quelques dizaines d'années (167). Il mentionne eh particulier la dépendance de la théologie barthienne à l’égard des idées de Dostoievski, où le péché joue un rôle de premier plan. L’importance accordée à l’Incarnation chez B. Brunner (168) trouverait également sa source dans un contact avec l’orthodoxie. Même constatation pour Aulèn et Künneth, qui ont mis au premier plan l’idée de la victoire chré¬ tienne et de la résurrection. De même la théologie anglicane, où depuis la première guerre mondiale les pensées de Khomiakov trouvent un accueil de plus en plus favorable, a vu un renouveau basé sur l'idée de l’Incarnation (169). Arseniev trouve de son côté que l’idée de l’Eglise glorifiée peut s’avérer le véritable point pour un rapprochement des Eglises sépat rées (170). Il constate avec satisfaction que le protestantisme montre une sympathie toujours croissante à l’égard de l’idée organique de l’Eglise, plérôme du Christ ressuscité. Le changement en cette matière s’opéra, pour ainsi dire, d’une façon instantanée au sein du protestan¬ tisme, surtout si l’on tient compte du fait que le protestantisme libéral a perdu presque complètement le sens d’une telle vision de l’Eglise(171). Parmi les eeclésiologues catholiques, poursuit Arseniev, ce sont Moehler, (165) «Die auszcren Einflüsse auf die orthodoxe Théologie iu XVI. uud XVII. Jahrhundert ». Fr. V. pp. 193-208. (166) «Westliche Einflüsse in der russischen Théologie». Pr. V. pp. 223-231. (167) «Das christliche Abcndland der Gegenwart und der Geist der ortho- doxen Kirche». Pr. V. pp. 342-347. (168) E. Brunner: Der Mittler. Tübingcn 1937. 3° 6d. (169) Cf. N. Hicks: The fulness of Sacrifice. London 1930. Arseniev allè¬ gue encore l'ouvrage de Thornton: The Incarnate Lord. London 1929. (170) Cf. p. 344. (171) Arseniev Be réfère à ce propos aux paroles émouvantes de W. Monod, de 'W. Zollner, de W. Stahlin sur l'Eglise. Scheeben et l’Ecole de Marie-Laach, qui trahissent le plus de parenté avec l’ecclésiologie orthodoxe (172). Plusieurs participants du Congrès ont pris conscience des devoirs qui s’imposent à la théologie orthodoxe pour remplir sa mis¬ sion: l’éclaircissement de la conscience ecclésiastique. B. Dimitrie- vitch (173) assigne à la théologie le devoir d’affirmer le sens ecclésiasti¬ que des fidèles. Ses paroles caractéristiques méritent d'être citées : « La science théologique doit faire l’objet de la principale et de la plus intime collaboration du clergé dans ses efforts accomplis en vue d'éclairer la conscience confessionnelle et de fortifier l’attachement des fidèles à leur Eglise » (174). Plusieurs parmi les théologiens du Congrès ont abordé des thèmes, qui s’ordonnent autour des problèmes missionnaires de l’Eglise ortho¬ doxe, en avouant la grande négligence de l’orthodoxie en cette matière et en se déclarant enclin à se mettre à l’école des Eglises qui ont toujours fidèlement rempli ce devoir imposé par le Seigneur (175). D. Moraï- tis (176) préconise énergiquement des méthodes modernes pour l’éduca¬ tion et la psychologie religieuse, en vue de satisfaire les justes exigences de l’homme moderne. Sa pensée s’accorde avec la formulation frappante de B. Ispir : « Les problèmes actuels sont beaucoup moins d’apologie et de dogmatique que de culture intégrale et de sociologie éthique » (177). Le problème du rapport entre la culture et l’Eglise fait l’objet des conférences de Th. M. Popescu (178) et de B. Zenkovski (179). Leur position est de souhaiter l’engangemeut de l’Eglise dans les mouve¬ ment sociaux et culturels, si désirable à l'orthodoxie; mais d’autre part, ils insistent sur une certaine antinomie entre les deux ordres et sur la primauté absolue de la destinée surnaturelle. P. Bratsiotis d’ailleurs refuse, à son tour, les griefs de Harnack et de Steffes sur le désintéressement de l’orthodoxie en matière sociale et culturelle. D’autre part une série de conférences vise à combler une lacune incon¬ testable à ce propos. On a traité des rapports de l’Eglise et de l’Etat, sous l’optique de l’orthodoxie (180); on a mis en relief les principes bibliques et dogmatiques qui imposent à l’Eglise de reprendre sa mission (172) Cf. p. 345. (173) «La mission de la science théologique pour l’éclaircissement de la conscience ecclésiastique». Pr. V. pp. 242-249. (174) p. 247. (175) Of. H. Alivisatos: Die Prage der auszeren und inneren Mission der orthodoxen Kirche. Pr. V. pp. 328-331. . (176) «Aus der inneren Mission der orthodoxen Kirche Gricchenlands. (Pre- digt und Katechese)». Pr. V. pp. 332-339. (177) «La mission dans l'Eglise orthodoxe». Pr. V. p. 341. (178) «L’Eglise et la culture». Pr. V. pp. 347-360. (179) «Eglise et culture». Pr. V. pp. 361-370. (180) H. Alivisatos Kirche, Staat und Volk vom orthodoxen Standpunkt aus. Pr. V. pp. 370-389. — 115 — sociale (181); de plus le rapport entre l’Eglise orthodoxe et le Droit international n’échappait pas non plus à l’intérêt du Congrès (182). Ces travaux, en conclusion, rendent témoignage aux tendances qui, au sein de l’Orthodoxie, visent à dépasser cet unilatéralisme trop attaché à la vision d’une Eglise céleste. Mais le Congrès ne pouvait pas ne pas trahir, malgré ses efforts généreux vers un renouveau ecclésiologique, l’aspect déconcertant de ses vues sur l’Eglise. Nous pensons aux conférences et aux communica¬ tions ayant trait à un concile oecuménique éventuel, duquel on attend, à l’umanité, une renaissance dans la vie de l’Eglise. La solution dési¬ rable de plusieurs problèmes pratiques y figurerait également, à savoir : la réforme du calendrier, la codification du droit canonique de l’Eglise universelle (183). Quant aux questions théoriques concernant un Concile éventuel les communications des congressistes conduisent à une impasse absolue. La théorie de la sobornost de l’Eglise s’avère une fois de plus incapable de surmonter les difficultés qui se présentent. H. Alivisatos ne tient pas pour possible même la convocation d’un concile oecuménique (184). Sa thèse découle logiquement de l’idée de la «sobornost», réfractaire à tout critère d’autorité du donné révélé. Les considérations de S. Zan- kov (185) à ce propos donnent au lecteur une impression encore plus pénible et montrent clairement la confusion théologique effectuée par l’unilatéralisme ecclésiologique de Khomiakov. IV. - La réponse catholique: critique et intégration 1) Après avoir vu les tendances de l’ecclésiologie orthodoxe récente, il nous reste encore à envisager l’attitude de l’ecclésiologie catholique à ce sujet. Il va de soi, que celle-ci avait un double travail à accomplir. D’abord une critique objective qui a mis en lumière les déviations quel¬ quefois graves du système orthodoxe, ensuite une compréhension, un effort d’intégration des valeurs, qui peut-être ne sont pas encore assez explicitées dans nos traités sur l’Eglise. (181) H. Alivisatos: Die biblische und historisch-dognmtische Begründuug der sozialethiscben Aufgabe der Kirche vom orthodoxes Standpunkt. Fr. T. pp. 427-435. Cf. dans le même sens les communications de S. Jonescu et de S. Pascheff sur le problème social. (182 ) M. Zyzykine considère dans cette conférence en premier lieu l’aspect social du dogme de la Trinité. (183) Cf. V. Sesan : Die Einberufung einer okumenischen Synode. Pr. V. pp. 288-297. (184) « Ist die Einberufung einer okumenischen Synode moglich? » Pr. V. pp. 256-264. (185) « Die prinzipiellen Schwierigkeiten der Abhaltung eines okumenischen Konzils», Pr. V. pp. 269-283. — 116 — La critique commence avec Soloviev. Mais est-il permis d’insérer ce grand russe parmi les théologiens catholiques? Respecté par les orthodoxes, réclamé par les anthroposophistes (186), peut-on l’appeler avec d’Herbigny (187) le Newman russe sans être en danger de simpli¬ fier un problème extrêmement compliqué? En tout cas il faut admettre que Soloviev n’a pas été un catholique romain dans le sens commun du mot. Il est établi qu’il est mort réconcilié avec l’Eglise ortho¬ doxe (188) au sein de laquelle il est né. Mais il est incontestable aussi qu'après sa période antiromaine (jusqu’à 1881) et sa croyance dans une église universelle (1881-1883), il a reconnu avec une lucidité peu commune la primauté romaine (189), qu’il n’a pas rejetée, même dans les années de 1889 jusqu’à sa mort. Ces années, dominées d’ailleurs par une préoccupation fortement sophiologique, ont ru Soloviev renon¬ cer, non à la primauté romaine, mais à la possibilité pratique de l'union des églises. Son dernier ouvrage, Les trois entretiens, paru peu avant sa mort, exprime justement la vision d’une chrétienté unie sous la direc¬ tion de l’Eglise de Rome à la fin des temps (190). Donc l’ecclésiologic de Soloviev, telle que l’on trouve dans La Russie et l'Eglise universelle, nous présente l’essence de son ecelésiologie. Bien que cet ouvrage con¬ tienne non seulement la critique de l’ortodoxie et l’apologie du catholi¬ cisme, mais aussi une théorie sophiologique sur l’Eglise universelle, la netteté de sa pensée proprement ecclésiologique n’en souffre guère. Le mérite de Khomialcov en matière ecclésiologique est reconnu par Soloviev d’une façon spontanée: « Comme idée générale de l’Eglise sous l’aspect d’un organisme moral, écrit-il, la doctrine des slavophiles est parfaitement vraie et ils ont le grand mérite d'avoir insisté en prin¬ cipe sur l’uuité essentielle et indivisible de cet organisme, si méconnue par nos théologiens officiels et par nos dissidents» (191). Mais il ne cesse pas d’insister non plus sur leur erreur, fondamentale qui fait croire à ces « soi-disant orthodoxes » que « le vrai moyen d'arriver au port c’est de s’imaginer qu’on y est déjà» (192). Selon Soloviev les slavophiles ne distinguent pas suffisamment les sphères diverses de l’Eglise et confondent la perfection modeste des moyens avec la per¬ fection complète de l’Eglise céleste. L’origine de cette erreur doit être cherchée d’après lui non seulement dans l’aspiration mystique des sla- (186) Cf. L. Walton : W. Solovjov. Du B 115 (1951) pp. 39-53. (187) M. D’Herbigny: Un Newman Eusse: Wladimir Soloviev. 1853-1900. Paris 1925. Voir surtout les pp. 156-284, sur la théologie de Soloviev. (188) Cf. Streuooukhoff : VI. Soloviev et son œuvre messianique. Stras¬ bourg 1936. (189) Cf. P. F. Qossuann: Der Kircheabegriff bei Soloviev. Würzburg 1934, et P. Itonic: Solovievs Auffassung von den zentralen kirchlichen Autoritiit. Borne 1944. (190) Cf. H. de Visscher: Vladimir Soloviev et l’Eglise universelle. NET 85 (1953) pp. 33-47. (191) V. Soloviev: La Bussie et l’Eglise universelle. Paris 1922. 4” éd. p. 34. (192) Op. cit. p. 36. — 117 — vophiles, mais aussi dans leur absence de foi positive dans l’Eglise universelle. Ce refus des slavophiles d’accepter l’idée d’une Eglise universelle, existant d’une façon concrète et visible, vient de la recon¬ naissance instinctive du fait, qu’une telle Eglise ne peut exister sans une autorité suprême, vivante et personnelle. Qu’une telle autorité doive être personnelle, rien ne le montre mieux que l’autorité des huit pre¬ miers conciles oecuméniques, qui est devenu la proie de l'interprétation capricieuse des théologiens individuels. Cette faiblesse de leur système, les slavophiles entendent la couvrir, pour reprendre le mots de Soloviev, par le « voile transparent d'une théorie idéaliste de l'Eglise dans son unité libre et vivante, basée sur la grâce divine et la charité chrétien¬ ne » (193). Mais cette position, fait remarquer Soloviev, en minimisant le rôle de l’autorité ne peut pas faire justice à l’aspect visible de l’Egli¬ se et court le risque d’oublier la structure théandrique de l’ordre du salut, basée sur le fait de l’Incarnation. Selon Soloviev c’est une consé¬ quence de l’Incarnation que l’Eglise ait un corps sociétaire parfait, parce que «Jésus-Christ a voulu s’unir à l’humanité comme à un être social et politique» (194). La raison en est que l’ordre sociétaire ne peut rester en dehors des effets de la Rédemption (195). En outre, l’amour, la liberté, l’unité, pour ne pas devenir « des sentiments vagues, purement subjectifs et impuissants », doivent se traduire par une action constante et déterminée qui donne au sentiment intérieur une réalité objective» (196). En abandonnant le véritable théandrisme et le prin¬ cipe d'instrumentais, l’Eglise orthodoxe n’est plus capable de remplir sa vocation: sanctification de la société entière. Par ailleurs il faut noter que plusieurs idées de ce livre de Solo¬ viev ne satisfont guère la pensée catholique. Par exemple ses développe¬ ments sur l’Etat chrétien au service de l’Eglise, l’idée de la monarchie de Saint Pierre, l’incarnation sociétaire de la Sagesse divine, etc. Au fond il exagère parfois la portée du principe théandrique et de l’aspect visible de l’Eglise à tel point qu’en dernière analyse il assigne deux corps sociaux à l’Eglise: la structure hiérarchique, présidée par le pape et l’état chrétien gouverné par un prince idéal, mais à peu près absorbé par l’Eglise. .Sous ce point de vue « Soloviev nous fait un grand tort aux yeux des pravoslaves: sa théocratie pré¬ sente le catholicisme sous un jour qui le rend inacceptable pour eux» (197). Mais même s’il est regrettable que Soloviev n’ait pas réussi dans l'aspect positif dé sa tâche : élaborer une ecclésiologie com¬ plète et synthétique, il ne reste pas moin£ v vrai que personne, avant et (193) Op. cit. p. 34. (194) Op. cit. p. 106. (195) Op. cit. p. 115 et p. 129. (196) Op. cit. p.125. (197) S. Tyszkie-wicz : La théologie giens pravoslaves. EU p. 290. inoehlérienne de l’unité et les théolo- — 118 — après lui, n'a mis en relief avec une telle profondeur le principe de la christoconformité qui doit commander une ecclésiologie unioniste et qui seul est capable d’intégrer et de développer les aspirations justes de la pensée slavophile et néoslavophile en matière ecclésiologique. 2) Dans l’Eglise latine, une tentative de réponse aux idées ecclé¬ siologiques de Khomiakov et des néoslavophiles n’a pas tardé à se faire jour. En premier lieu parlons de ceux, qui se distinguent par une attitude de compréhension à l’égard de l’orthodoxie slavophile et néosla¬ vophile. Ce sont I. Urban (198), E. Bourgeois (199), Ch. Pfleger (200) et le P. Congar (201), que nous rangeons dans ce groupe. Avant tout, ils dénoncent l’information insuffisante des ecclésiologues catholiques sur l’orthodoxie. En plus d’une information meilleure, un grand effort d’adaptation leur semble désirable de la part de nos ecclésiolo¬ gues (202). Us sont d’accord également pour constater qu’au lieu de controverses dogmatiques moins fécondes, il faut faire état du fonde¬ ment anthropologique du système orthodoxe (203). Cela entraîne néces¬ sairement une prise de conscience sincère des lacunes de notre ecclé¬ siologie (204). Us soulignent que nos idées juridiques sont inaptes à faire comprendre la position catholique. La raison en est que l’âme ortho¬ doxe, en particulier l’âme russe, ne porte guère d’intérêt à des con¬ cepts juridiques (205). Pfleger dit la même chose en affirmant que l’orthodoxie ne peut se comprendre qu’à travers la mystique (206). Le moyen pour une meilleure compréhension de l’orthodoxie consisterait dans une remise en honneur de l’idée du Corps mystique, en veilleuse depuis le XVI e siècle dans l'ecclésiologie catholique (207). Voici selon Bourgeois la différence entre les deux ecclésiologies : chez les catholiques quelques cent pages sur l’aspect juridique extérieur de l’Eglise et une page sur le Corps mystique en scholion; chez les (198) « De iis, quae theologi cntholici praestare possint ae debcant erga ccclasiam russicam ». Acta I. Conventus Velehradcnsis. Pragac Bohemorum 1908. pp. 13-35. (199) « Psycliologica russorum ad occidentalcm culturam rclatio quomodo in¬ fluât in eorum conceptum de Eeclesia». Acta Conventus Pragcnsis. Olomucii 1930. pp. 173-185. (200) « Sinn und Deutung des neuorthodoxen Denkens » dans Der Christli- chc Osten. Gcist und Gestalt. Begcnsburg 1939, publié par J. Tyciak, G. Wun- derle et P. Werhun. pp. 259-274. (201) Chrétiens désunis. Paris 1937. pp. 266 sv. (202) Cf. Urban art. cit. pp. 14-15. (203) Cf. Bourgeois, art. cit. p. 175. (204) Cf. Bourgeois, art. cit. p. 168. (205) Bourgeois cite à ce propos (p. 182) un auteur anonyme russe qui consta¬ te, eu 1912, le manque presque complet d’intérêt à l’égard des sciences du droit. (206) Cf. art. cit. p. 260. (207) Cf. Urban art. cit. p. 20. — 119 — orthodoxes c’est l’inverse (208). De plus le P. Mersck pense que la notion du Corps mystique n’est pas encore chargée de notes proprement latines et juridiques et qu’elle a conservé «à peu près le même sens pour bien de nos frères séparés et pour nous. En lui gardant son sens particulier, on conserve la possibilité de conversations, d’échan¬ ges de vue et — qui sait? — de .formule d’union. Ce ne doit pas être sans raison que la Providence l’a préservée et, que de nos jours, elle le met à l’avant-plan » (209). Par conséquent, ces auteurs préfèrent parler plutôt du caractère incomplet de l’ecclésiologie orthodoxe, que de ses erreurs. Urban veut soutenir une appartenance réelle, bien qu’incomplète des orthodoxes à l’Eglise catholique (210). Pfleger conteste, à tout prix, l’infiltration du modernisme chez les ecclésiologues néoslavophiles et défend le bien- fondé d’une théologie basée sur l’empirisme vital et mystique (211). Le P. Congar tout en admettant que l’ecclésiologie orthodoxe tient insuffi¬ samment compte du mode humain de la réalité ecclésiastique (212), conclut que malgré « sa méconnaissance plus ou moins radicale des réalités institutionnelles et juridictionnelles», l’ecclésiologie orthodoxe «n’est pas tant fausse qu’incomplète» (213). Cette position, caractérisée par une bienveillante compréhension et par un respect des valeurs concrètes, vitales, psychologiques, nous semble aller un peu trop loin. Elle peut donner lieu à une attitude quelque peu superficielle en matière doctrinale où la distinction nette entre le vrai et le faux est le seul moyen de ne pas les confondre. La lecture attentive de Khomiakov ou des Procès Verbaux du Congrès d’Athènes ne laissent aucun doute sur le fait qu’à côté de valeurs respectables, il y a aussi des tendances bien dangereuses et des notions complètement erronées. C 'est pourquoi nous pensons que la position méthodologique de ces théologiens sera heureusement complétée par celle de A. Pawlowski(214), de A. Scheptyckij (215) et de leur grand précurseur, A. Palmieri (216). Leur application principale consiste à mettre en relief les dévations doctrinales chez les orthodoxes et leur rapprochement des thèses protes- (208) Cf. art. cit. p. 179-180. (209) La théologie du Corps mystique. PariB 1946, 2» éd. II. p. 197. On peut mettre en doute, surtout après l’encyclique Mystici Çorporis, cette identité de la signification du Corps mystique chez nous et chez beaucoup d’orthodoxes, surtout néoslavophiles. (210) Cf. art. cit. pp. 24-25.' (211) Pfleger en donne la définition suivante: «Sie ist ein mit ratselhafter Plotzlichkeit und Gewalt aus der russischen Spiritualitat empordrangender speku- lativer Ausbruch der uralten pneumatischcn Sehnsucht ». art. cit. p. 266. (212) Cf. op. cit. p. 268. (213) Op. cit. p. 272. (214) Op. cit. plus haut, p. 101. (215) Introduction, dans Der Christliche Ostcn, pp. 11-16. (216) Op. cit. plus haut, p. 114. — 120 — tantes, voire modernistes. Ces théologiens défendent farouchement la primauté des questions théoriques tout en conservant une atmosphère amicale et en respectant l’importance des facteurs psychologiques en ce qui concerne les discussions elles-mêmes. Palmieri dénonce une sorte d’irénisme qui veut se passer de la polémique et conteste le bien-fondé de l’opinion de Calvet à propos de l’œuvre unioniste de l’abbé 6. Morel. Selon Calvet «moins l’on fera de polémique et mieux cela vaudra. Les relations courtoises entre chré¬ tiens n’ont pas seulement pour résultat qu’on se connaît mieux, elles en ont un autre: c’est que l’on s’estime, et quand on en est là, le désir de l’union grandit et l’on travaille avec une toute autre ardeur à la réaliser » (217). Palmieri est aussi en complet désaccord avec plusieurs auteurs catholiques qui se refusent d’admettre une véritable opposition entre les deux Eglises (218) et qui vont jusqu’à dire « qu’il n’y a en fait de divergence que des sentiments privés de certains auteurs qui ont interprété selon leur vues particulières tels ou tels point du dogme... et qu’il ne reste plus qu’une identité absolue dans les croyances des deux Eglises» (219). Selon Palmieri l’attitude de l’ecclésiologie catho¬ lique à l’égard de l’orthodoxie ne peut pas être autre que celle indiquée par les mots de Saint Paul: Veritatem. facientes in cantate... Parmi les questions dogmatiques c’est l’idée de l’Eglise qui doit retenir le plus l’attention du théologien unioniste, insiste Palmieri. Malheureusement la théologie catholique a déployé, trop souvent, son énergie pour des problèmes secondaires, incapables de décider l’issue de la lutte, tandis que l’idée centrale, l’Eglise, est restée dans l’oubli (220). La tâche qui s’impose est si grande que seule une nouvelle époque théologique pourra la résoudre, poursuit-il, et cette nouvelle époque théologique devra élaborer la notion de l’Eglise dans tous ses aspects: «In dogmate enim de Ecclesia enucleando semen illud zizaniae latet, quod in lugendum excrevit dissidium » (221). Toute¬ fois, la place primordiale des questions dogmatiques sur l’Eglise ne fait pas oublier à Palmieri l’importance des problèmes psychologiques, histo¬ riques et culturels. C’est un fait déplorable, écrit-il, qu’on n’ait presque rien écrit des différences qui caractérisent la vie religieuse en Orient et en Occident (222). En outre, un respect sincère des coutumes ortho¬ doxes, une attitude d’amitié dans les discussions aideront puissamment l’ecclésiologie catholique à prendre conscience du fait, que catholiques et orthodoxes, sont un dans la plupart des questions et c’est ainsi que les discussions seront menées non par le désir de vaincre à tout prix, (217) Calvet: L’abbé Gustave Morel. Paris 1907. p. 297. (218) A. Palmieri: Op. cit. vol. II. pp. 169-196. (219) P. Michel: L’Orient et Rome: Etude sur l'uniou. 1894. p. 262. (220) Cf. op. cit., vol. II. op. 160-161. (221) Md. p. 166. (222) Md. p. 161. mais par l’amour de la vérité (223). En signalant les tendances nouvel¬ les de l’ecclésiologie orthodoxe, Palmieri insiste sur l’épanouissement de l’horizon de notre ecclésiologie et souhaite ardemment la venue de travailleurs résolus qui ne vacilleront pas sous la critique des esprits arriérés. « O felix aetas, quae hanc genuit sobolem Ecclesiae » (224). L’urgence à mettre en première place les questions dogmatiques en matière unioniste sera encore plus évidente si l’on se rappelle le témoignage de l’archevêque Scheptyckij à propos d’un soi-disant mou¬ vement d’Oxford chez les orthodoxes. Selon lui, on rencontre au lieu d’une telle tendance une forte attirance ehez les intellectuels russes en général et parmi la jeunesse en particulier vers le protestan¬ tisme. « Ce mouvement, dit-il, n’attirera peut-être pas beaucoup de Russes à l’anglicanisme ou au protestantisme authentique. Mais il con¬ tribuera sûrement à pénétrer les idées, les désirs et même la dogmatique des concepts protestants ou modernistes, ce qui éloignera puissamment les intelligences russes de l’Eglise catholique» (225). Si l’absence de rigueur dans le jugement est quelquefois pardon¬ nable, l’enthousiasme sans critique de J. Tyçiak (226.) reste toujours dangereux. Il 'dénonce le ràtionalisme de l’Occident, incapable de re¬ trouver son équilibre sans l’aide de l’Orient qui se nourrit encore aujourd’hui des profondeurs du mystère du culte. La scolastique, selon lui, a perdu depuis Saint Thomas le sens « pneumatique » et la métho¬ dologie des Pères. Pour retourner à nos sources authentiques, il faut remettre en valeur les notions augustiniennes sur le Corps mystique, vues qui seules expriment l’esprit de l’Eglise et qui permettent de dissiper les préjugés des orthodoxes. Ceux-ci, tout en répudiant une Eglise juridique, accueillent favorablement les idées d’un Bernard, d’une Hildegarde, d’un Bonaventure, d’un Nicolas de Cues, d’un Bé- rulle etc. Enumération caractéristique et sur laquelle il y aurait bien à dire... La même attitude inadmissible se trahit dans la manière avec laquelle JT. Casper (227) et J. Tyciak (228) abordent l’eeclésiologie ortho¬ doxe sous son aspect liturgique. Epris, l’un et l’autre, de l’idée johan- nique de l’Eglise orthodoxe, ils pensent trouver dans la liturgie orien¬ tale le meilleur élément de travail en vue d’un rapprochement entre (223) Ibid. p. 690. (224) Ibid. p. 167. (225) Ibid. pp. 14-15. (226) «Die Théologie des Ostcns und dns Abondland » dans Der Christliche Ostcn pp. 38-58. L’ouvrage plus récent de Tyciak trahit la même' orientation: « Wcge ôstlieher Théologie ». Bonn 1946. (227) Weltverklarung. im lituigisclien Gciste der Ostkirche, « Ecclesia Orans » XXII. Freiburg (Br) 1939. (228) Die Liturgie als Quelle ostlicher Frômmigkeit. Freiburg (Br) 1937. les deux Eglises (229). Ces deux livres manifestent non seulement un enthousiasme souvent sans critique vis-à-vis de l’Eglise « johannique », mais aussi dressent une opposition arbitraire entre l’Orient chrétien et l’Occident juridique, entre la divinisation de l’homme dans l’Eglise orientale et le rationalisme occidental. On ne peut se soustraire à l’im¬ pression que l’Occident rationaliste, juridique, signifie en dernière ana¬ lyse l’Eglise catholique, autrement les oppositions perdraient leur force démonstrative. Tyciak, à son tour, ne cesse pas de combler d’éloges la philosophie religieuse des slavophiles, qui auraient été les premiers à saisir la vie de l’Eglise (230). De plus il voit dans la doctrine de la «Sophia» un hymne ravissant sur l’Eglise, l’aspect céleste de celle-ci (231). La sophio- logie ne trahit, à ses yeux, aucune dévation: elle se situe «au-dessus des cimes et des abîmes sans perdre l’équilibre» (232). C’est l’Eglise orientale qui conserve, poursuit Tyciak, les traits de l'Eglise ancienne. Non seulement la liturgie de l’Orient reflète l’ère patristique, mais tout l’ensemble de sa pensée religieuse et philosophique s’ordonne autour des grands mystères du christianisme (233). On comprend alors qu’un tel unilatéralisme enlève beaucoup de valeur à leurs explications et la critique sévère de K. Adam paraît pleinement justifiée à l’égard de Tyciak (234). En outre leur position sans nuance peut facilement compromettre les services que la mise en avant-plan de l’idée de l’Eglise céleste par la liturgie doit rendre dans l’œuvre unioniste. C’est pourquoi nous répétons les mots catégoriques du P. Muckermann: «L’enthousiasme superficiel à l’égard de la chré¬ tienté orientale, nous ne pouvons le faire nôtre » (235). La raison théo¬ logique en est, comme le P. Lialine le fait justement remarquer, que le vitalisme liturgique, au point de vue psychologique, doit attirer l’at¬ tention des travailleurs catholiques de l’union, mais au point de vue dogmatique, est « contraire à la doctrine catholique qui ne peut admet¬ tre de confusion entre expérience religieuse et vertu de foi » (236). (229) « Weun ivir wissen wollen, was die Ostkirche ist, fragcn wir ihre Liturgie. In allen iliren ergreifenden Symbolen und Bildern, Worten und Handlungcn sielit die Ostkirche eine herrliche Theoplianie: Gott erscheint dem Menscbon ». J. Casper, op. cit. p. 1. (230) Cf. op. cit. p. 115. (231) Cf. op. cit. p. 122. * (232) Op. cit. p. 110. (233) « ...ailes religiose Denkcn des Ostens steht im Bann des Mystcriums... » p. 109. (234) Cf. TQ 120 (1939) pp. 140 sv. (235) Tlieol. Revue. 1926. p. 201. (236) « Rite, Spiritualité et Union » Ir 12 (1935) p. 162. — 123 — 3) Un courant optimiste et un courant plus critique se trahissent parmi les ouvrages qui s’occupent des ecclésiologues orthodoxes ré¬ cents (237). La collection Unam Sanctam, qui sc distingue par son attitude compréhensive et optimiste à l’égard des Chrétientés séparées, a publié l’œuvre de A. Gratieux (238), qui, sans critique et sans polémique, bros¬ se un tableau du mouvement slavophile et de ses répercussions sur 1 ’ee- clésiologie de Khomiakov. L’auteur se propose de servir par son attitude irénique la cause de l’union dans l’esprit de Khomiakov, oui, selon lui, « en étudiant, en affirmant, en glorifiant le haut idéal de l’Eglise mys¬ tique, faisait œuvre d’apologétique vivante, de celle qui est si néces¬ saire vis-à-vis de l’incrédulité moderne et qui n'est pas moins utile à la défense de l’Eglise catholique qu’à celle de l’Eglise orthodoxe (239). Gratieux défend l’orientation foncièrement chrétienne de Khomia¬ kov tout en admettant une nuance de protestantisme dans quelques unes de ses expressions. Selon lui, Khomiakov reste encore sur un terrain solide quant à sa théorie de la connaissance et à son ecclésiologie : les constructions fantaisistes de la sophiologie ne peuvent passer pour la continuation légitime de la pensée de Khomiakov (240). A notre avis, Gratieux ne se rend pas toujours compte qu’il est extrêmement facile de glisser d’une attitude compréhensive à un faux irénisme si dangereux à la cause de l’union. Quelques uns de ses juge¬ ments sont difficilement soutenables, comme par exemple le suivant: «... c’cst dans Khomiakov lui-même, dans sa vie et dans sa pensée tout entière, c’est là, dans sa doctrine sur le rôle de la vie manifestée par l’unité et la liberté de l’amour et réalisée dans le Corps mystique du Christ... qu’il faut chercher un point de départ pour de nouveaux rap¬ prochements » (241). L’œuvre de Khomiakov, à notre avis, a fait s’éloi¬ gner l'ecclésiologie orthodoxe de la vérité catholique malgré, certaines valeurs de sa doctrine. Dans la même collection on a publié la traduction de la Préface aux œuvres théologiques de A. S. Khomiakov écrite par G. Samarine, (242) qui comble d’éloges le grand slavophile pour avoir donné à l’idée de l’Eglise une expression pour ainsi dire «stéréotypée à laquel¬ le on ne peut plus rien ajouter et de laquelle on ne peut rien retran- (237) L’ouvrage de B. Schultze: Ruasisehc Denker. Wien 1950, contient des renseignements très éclaircissants sur l’attitude des figures principales de l'esprit russe à l’égard du Ohrist et de l’Eglise. Mais, ces développements veulent servir plutôt la cause d’une information idéologique que celle de l'ecclésiologie propre¬ ment dite. (238) A. Gratieux: A. S. Khomiakov et le mouvement slavophile, I. Les hom¬ mes, II. Les doctrines. Paris 1939. (239) Op. cit. n. p. 103. (240) Op. cit. II. p. 255. (241) Op. cit. II. p. 255. (242) Paris 1939. (Unam Sanctam. 7). — 124 — cher» (243). Le traducteur, A. Gratieux, fait de nouveau remarquer le grand mérite de Khomiakov et de Samarine « d'avoir mis la raison totale au-dessus du raisonnement et d’avoir montré dans la synthèse, c’est-à-dire dans la vie, le point de départ et le point d’arrivée de l’analyse », même s’ils n’avaient pas fait pleine justice à l’Eglise exté¬ rieure (244). Par contre les thèses de P. Baron (245) et de 6. Pasa (246) se montrent en général plus sévères vis-à-vis de Khomiakov. Baron tout en reconnaissant les valeurs positives de son ecclésiologie (247), ne manque pas d'attirer l'attention sur « le drame de la logique », qu 'on y décèle (248). De même il fait observer que les préoccupations théo¬ logiques des slavophiles sont souvent entachées d ’un nationalisme reli¬ gieux dû au manque d’une théologie différenciée et d’une philosophie chrétienne (249). Cela expliquerait pourquoi ces vues sur l’Eglise visi¬ ble ont une analogie avec les doctrines protestantes (250), et pourquoi ne disparaît pas du système slavophile le dualisme religieux, l’idée d’un monde mauvais incarné dans l’Occident (251). Baron tranche aussi à sa façon le problème si discuté de l’influence de Hegel sur Khomiakov. Sans nier l’influence de l’idéalisme allemand, il affirme que Khomiakov tout en s’inspirant de Hegel a pris le contre- pied de ses principes (252). Baron ne dissimule point que Khomiakov n’admet pas la preuve de l’Eglise par les signes, qu’il rejette toute apologétique à son propos et qu’il interprète la nature de l’Eglise en fonction d’un système destiné à justifier un christianisme russe idéal en face d’un catholicisme imaginaire (253). Baron relève à plusieurs reprises les contradictions et les équi¬ voques où aboutissent les développements de Khomiakov : lorsque Kho¬ miakov ne veut pas paraître protestant et quand il affirme la distinc¬ tion entre les pouvoirs ministériels et la sainteté personnelle de ceux qui les exercent, il se contredit, conclut à bon droit Baron. «... Il ne reste plus rien de l’argumentation qu’il échafaude pour condamner l’infaillibilité pontificale, puisqu'elle était entièrement fondée sur la liaison essentielle qu’il établissait entre la foi et la charité, entre la sainteté et l’enseignement infaillible de la doctrine révélée» (254). (243) Op. cit. p. 72. (244) Op. cit. p. 78. (245) Un théologien laïc orthodoxe russe au XIX" siècle. Alexis Stépano- vitch Khomiakov. (1804-1860). Rome 1940. (246) Homjakovi doctrina de Ecclcsia. Zagrebiae 1943. (247) Voir surtout pp. 62 sv. - (248) Cf. p. 15. (249) Cf. p. 39 et p. 43. (250) Cf. pp. 135-137. (251) Cf. p. 126. (252) Cf. pp. 58-59. (253) Cf. p. 128. (254) Cf. p. 213. — 125 — L’originalité de Khoniiakov, aux yeux de Baron, consiste dans son opposition à l’égard du catholicisme, dont il n’avait d’ailleurs qu’une conception absolument fausse. « Cela facilite sa défense et lui permet de cacher, sous l’apparence d’une construction positive, un exclusivisme incompatible avec la réalité de l’Eglise, telle que le Christ l’a voulue, telle qu’elle doit se présenter au monde pour le convertir, le sanctifier et le sauver» (255). L’ouvrage de Pasa est une étude surtout apologé¬ tique et n’offre guère de points de vue nouveaux. C 'est le P. Schultze qui a consacré une étude en profondeur à la pensée ecclésiologique de N. Berdiaiev (256). Il met particulièrement bien en relief la tension qui résulte de l’opposition entre l’attachement fidèle à la tradition chrétienne et les développements, philosophiques audacieux, qui caractérisent les ouvrages de Berdiaiev. Celui-ci propose une philosophie de l’identité où la différence entre le sujet et l’objet doit s’évanouir dans l'intuition, tandis que les données de l’ordre objectif : le droit, le pouvoir, la loi, les sciences, la culture trouveraient leur achèvement dans un regard intuitif, existentiel, dans la possession immédiate de toute réalité (257). A pousser aux extrêmes conséquences ces principes, on supprime toute autorité et toute obéissance extérieure. La révélation, chose tout à fait spirituelle, sera qualifiée comme absolument réfractaire à n’impor¬ te quelle matérialisation: «L’interprétation de la révélation, qui voit en elle une autorité, est une forme de matérialisme » (258). En identi¬ fiant avec le matériel ce qui est statique et avec le spirituel ce qui est dynamique, Berdiaiev érige une Eglise où tout est prophétique, inachevé jusqu’à la fin des temps. A coup sûr, il est en partie vrai que. la « vérité chrétienne se révèle dans un processus dynamique et créatif et ce processus est encore inachevé dans le monde, il ne peut s’accomplir avant la fin des temps. La révélation de la vérité chrétienne dans l’humanité suppose une éternelle dynamique de la conscience, une éternelle tension créatrice de l’Esprit » (259). Mais ce serait à la fois supposer que l’Eglise pourrait revêtir sur cette terre une forme d’exis¬ tence absolument intériorisée. D'ailleurs les notions fondamentales de l’ecclésiologie de Berdiaiev, comme Ch. Journet le fait observer (260), manquent d’une précision indispensable: la notion de la révélation prophétique doit signifier à la fois la révélation conceptuelle et l’expé¬ rience profonde, mystique, de la vie chrétienne. Mais pour Berdiaiev la (255) Op. cit. p. 129. (256) B. Schui/tzk: Die Schau der Kirchc bei N. Berdjajeff. Borna 1936. (257) «Bcrdjajeffs Auffassung von der iiuszcren, sichtbarcn Kircbe nimmt teil an der ganzen Fragvrürdigkeit, Problematik sciner Schau der Auszenwelt, die als Objektivierung aua der Existenz hinausfüllt, aber als Identitat Kosmos und Gcist innerhalb des Lebensstroms der Wirklichkcit blcibt». Op. cit. p. 97. (258) N. Berdiaiev: Esprit et liberté. Paris 1933. p. 113. (2.59) Jlid. p. 131. (260) Ch. Journet: L’Eglise du Verbe Incarné. I. Paris 1941. p. 153. — 126 — foi ardente va toujours de pair avec le prophétisme et le magistère avec la médiocrité, et par conséquent il doit diviser le christianisme en deux parties: l’uue conservatrice et l’autre créatrice. Pour justifier sur le plan philosophique une telle division, voire opposition, Berdiaiev est contraint de substituer la tension entre néces¬ sité et liberté au principe de Yaetus et polentia. Sa philosophie et son eeclésiologie sont caractérisées par le dynamisme, par un mouvement continuel entre le monisme et le dualisme : théologie kataphatique et apophatique, le petit Logos et le grand Logos, le Christ historique et Verbe éternel, voilà quelques unes des oppositions qui commandent sa pensée. Enorme, dit en conclusion le P. Sehultze, est l’effort déployé par Berdiaiev pour soutenir les voûtes de sa théologie sans l’aide de l’idée de Vanalogia entis. Il semble néanmoins que, malgré son appa¬ rence moderniste, il veuille maintenir sérieusement les deux aspects de l’Eglise, l’aspect conservatif-sacramentel et créateur-prophétique. A propos du Congrès d’Athènes, c’est l’étude du P. Sehultze qui mérite d’attirer l’attention (261). Avant tout il dénonce la tendance anticatholique du Congrès. Le Congrès, selon lui, témoigne d’un esprit de défiance à l’égard de l’Eglise catholique; esprit qui se manifeste surtout dans l’adoption des thèses, telles que la conception subjective d’un consensus universel, critère de la vérité. Les théologiens du Con¬ grès semblent ne pas être encore fixés sur les points essentiels du systè¬ me ecclésiologique catholique: phénomène peu rassurant, à leurs yeux le latinisme équivaut à un faisceau de déviations. C’est la théologie scolastique en particulier qui devient l’objet de critiques sévères de la part de Boulgakov et d’Arseniev. Au point de vue dogmatique, pour¬ suit le P. Sehultze, la hiérarchie n’est plus considérée par aucun des participants comme la source de la vérité: on s’efforce bien plutôt de démontrer que l’orthodoxie est restée immuable malgré la « défaillance » de la hiérarchie orientale au Concile de Florence. Le Congrès se base essentiellement sur l’idéologie de Khomiakov, héritier spirituel de Syro- pulos (262) dont l’idée-maîtresse à ce point de vue demeure expressé¬ ment protestante (263). 4) En passant en revue l’ecclésiologie orthodoxe récente et les réponses données par les catholiques, il n’est pas difficile de voir (261) B. Schultzk: Problemi di tcologia presso gli ortodossi. OCP 7 (1941) pp. 149-205. (262) Auteur grec de XVI* siècle, qui à l’aide d’une présentation faussée du Concile susdit, a opposé le premier la défaillance de la hiérarchie orientale à l’orthodoxie du peuple: « Vera historia unionis non verac inter Graecos et Latinos, sivo Concilii Florentini exactissima narratio ». Gracce scripta per Sylvestrum SGUROPULUM... transtulit in sermonem latinum Bobertus CREYGHTON. HA- GAE - Comitis. 1660. (263) «L’ideologia di Syiopulos, degli autori dell’enciclica, di Chomjakov, è in fondo protestante ». art. cit. p. 187. combien la critique est un problème délicat, à plus forte raison une œuvre d’intégration. C’est ainsi que l’ouvrage du P. Tyszkiewicz (264), qui veut rendre justice à certains éléments de la notion orthodoxe sur la sainteté de l'Eglise, malgré ses efforts sincères d’intégration a plutôt le caractère d’une critique. L’auteur y démontre combien sont mal fondés les griefs des orthodoxes contre l’Eglise catholique, qui par son juridisme, par sa structure autoritaire rendrait impossible l’épanouissement de la sainteté. Par contre la thèse principale de l’auteur veut inculo.uer que la sainteté de l’Eglise ne peut être que christoconforme te partant, elle doit correspondre à la structure christoconforme, théandrique de l’Eglise (265). Connaisseur o.ualifié de ses adversaires, il aborde de plusieurs côtés son thème: il exige au nom de la sainteté, que l’Eglise soit une société humaine parfaite et qu’elle remplisse sa mission de toute la plé¬ nitude de son être collectif (266). L’Eglise, plérôme du Christ, doit manifester sous sa forme sociétaire son être théandrique ; les moyens de l’Eglise doivent être, suivant ce principe, également spirituels et maté¬ riels; l’Eglise doit se sacrifier, comme Jésus-Christ le fait, dans sa nature visible, d’autant plus que les «églises spirituelles» ne sont jamais persécutées. Il serait trop long de redire les arguments de l’auteur, il nous suffit de signaler la richesse de ses points de vue. Le principe théandri¬ que implique la soumission de la volonté à une autorité extérieure, donc l’idée d’une liberté sans obéissance, conçue à la manière des orthodoxes, s’oppose, à titre essentiel, à la sainteté. Si la sainteté est une vie par excellence, poursuit le P. Tyszkiewicz, elle doit être protégée par un réseau de lois qui lui rendent possible une évolution homogène. Les sacrements pas plus que la prière ne communiquent la grâce si la vo¬ lonté ne manifeste pas une soumission sans condition aux commande¬ ments de Dieu. Le principe universel de la causalité instrumentale plaide pour la nécessité d’un instrument suprême dans la vie de l’Eglise en vue de garder son unité. Le principe de l’unidiversité suppose, dans la diversité des êtres, une destinée commune vers une fin commune: partant ffes nuances multiples dans l’aspect extérieur, humain, de l’Eglise per¬ draient leur raison d’être, si elles n’étaient coordonnées par un centre d’unité supérieure. La vocation de l’Eglise est de réaliser l’unité des individus rachetés; mais la grâce ici, comme partout, suppose un point (264) «La sainteté do l’Eglise christoconforme». Borne 1945. (265) Dans la première partie de son ouvrage, l’auteur énumère les ccclésio- logues catholiques qui voient dans le théandrisme le Leitmotiv de 1’ecclésiologie, mais sans entrer dans les détails, (voir pp. 53-55). (266) Cf. op. cit. p. 111. — 128 — de départ naturel pour une élévation surnaturelle. Donc l’unité surna¬ turelle exige l’aspect juridique de l’Eglise. Une profonde analyse de la christologie et de l’ecclésiologie démon¬ tre que le théandrisme perd sa valeur, si la hiérarchie fait place à un concept vague de liberté; de même la notion véritable du sacrifice exige l’obéissance sous sa forme parfaitement humaine. L’ordre moral chrétien doit embrasser non moins réellement toutes les manifestations de la vie humaine ; les trois vertus théologales, ne peuvent exister et se dé¬ velopper que sous leur forme théandrique, c ’est-à-dire avoir pour objet la réalité divine sous des formes humaines, quelquefois repous¬ santes. L’Eglise, théophanie de l’amour divin, ne peut manifester la gloire de Dieu, que sous le voile de la faiblesse humaine, à l’exemple de Jésus- Christ, son Chef divin. C’est l’Eglise catholique qui a reconnu le sens plénier de l’Incarnation, en estimant le plus le rôle de Marie dans l’Eglise. Le droit naturel, l’humanisme chrétien, y ont trouvé également leur juste estimation. Le développement du dogme s’avère impossible dans la sobornost, de l’avis même d’un Rosanov et d’un Tolstoï, qui ont reconnu, qu’un christianisme dogmatique et la papauté sont insépara¬ bles. La leçon fournie par l’hagiographie orientale s’oppose aux idées des slavophiles qui mésestiment la valeur de l’obéissance (267). Voilà quelques unes des idées essentielles du livre du P. Tyszkie¬ wicz, démonstration convaincante du fait qu’en dehors de l’Eglise catho¬ lique la sainteté christoconforme ne peut arriver à sa signification plé¬ nière et que les aspirations les plus nobles de l’orthodoxie ne trouveront leur réalisation authentique qu'au sein de l’Eglise catholique (268). Toutefois il aurait été très désirable que l’auteur marquât avec plus de précisions les éléments de l’idée orthodoxe de la sainteté de l’Eglise, qui ne sont pas assez développés ou manquent simplement dans nos traités de l’Eglise. Tels sont donc les traits saillants de l’ecclésiologie orthodoxe nou¬ velle, qui ont suscité récemment quelques réactions notables chez les ecclésiologues catholiques. Nous venons de voir que l’ecclésiologie slavophile et néoslavophile trahit une tendance fortement mystique et que le fond philosophique qu’elle emploie pour essayer de s’expliquer et de se justifier est sous le signe de l’idéalisme romantique et de son héritier: l’existentialisme philosophique; l’une et l’autre prenant d’ailleurs des teintes bien per¬ sonnelles en passant par l’âme d’un Khomiakov ou de ses nouveaux dispiples. (267) Cf. S. Tyszkiewicz: Spiritualité et sainteté russe pravoslavc. Gr 15 (1034) pp. 351-376. (268) Cf. S. Tyszkiewicz: L’attitude des saints russes à l’égard du catho¬ licisme. Gr 23 (1952) pp. 292-298. C’est pourquoi la complexité de l’ecclésiologie orthodoxe ne souffre aucune prise de position simpliste, fusse-t-elle enthousiaste ou sévère. Elle n’est à proprement parler ni du protestantisme, ni l’esprit con¬ servé de l’Eglise primitive mais un bloc erratique aurifère pour re¬ prendre les mots de Pie XI, cherchant, même incosciemment, la pléni¬ tude catholique. Il ne suffit pas de juger cette ecclésiologie selon les catégories de nos traités apologétiques De Ecclcsia qui se limitent pour la plupart à l’aspect terrestre, militant, de l’Eglise tandis que l’ecclé¬ siologie slavophile définit l’Eglise par les seuls éléments de sa sub¬ stance éternelle. L’ecclésiologie catholique a, sans doute, une mission importante envers les Eglises orientales : elle doit leur conférer les éléments doctri¬ naux qui compléteront ce que leur ecclésiologie actuelle peut avoir de faux, d’unilatéral et d’incomplet; mais elle ne peut remplir cette mis¬ sion qu’à condition de sortir de l’unilatéralisme apologétique de bien des traités De Ecclesia encore en vogue et de présenter la doctrine révélée sur l’Eglise d’une manière plus dogmatique et irénique en intégrant, du même coup, l’aspect vital de l’idée idc l’Eglise (269). On remarque chez nos ecclésiologues, tout au moins chez les plus équilibrés d'entre eux, un souci de critique objective contre tout ce qui, dans la nouvelle ecclésiologie orthodoxe, tend à subtiliser l’aspect visible et hiérarchique de l’Eglise. Sur ce point l’attitude des ecclésiologues catholiques est d’autant plus compréhensible que la lointaine filiation protestante de cet aspect de la mentalité slavophile n 'est pas contestable. D’autre part il ne manque pas de théologiens catholiques qüi veulent rendre sincère justice à bien des aspects de l’ecclésiologie slavophile. Mais il faut avouer que jusqu’ici, nous n’avons encore que les principes généraux bien posés d’une intégration à réaliser. Y. - L’ecclésiologie du mouvement oecuménique 1) Parmi les facteurs majeurs extérieurs qui ont exercé une in¬ fluence profonde sur l’orientation de l’ecclésiologie catholique récente, une place tout à fait importante doit être réservée au mouvement œcu¬ ménique. Ce mouvement, qui apparaît aujourd’hui comme caractéristi¬ que par excellence du christianisme contemporain, (270) se ramène aux besoins vitaux qui se faisaient jour au siècle passé dans le protestanti¬ sme harassé par le nombre toujours grandissant de ses divisions. C’est (269) C’est dans ce sens surtout que les études sur la chrétienté orientale auront une influence très avantageuse sur l’enrichissement de la théologie catho¬ lique. Cf. G. Wunderle : Die religiose Bedeutung der ostkirchlichen Studien. Würz- burg 1950. 3' éd. (270) Cf. A. Bademaciibr: Dér religiose Sinn unserer Zeit und der ôkume- nischc Gcdanke. Bonn 1939. — 130 — la mentalité d’agir sans délai du protestantisme américain qui a décou¬ vert le premier que les missions protestantes sont vouées à un échec sans une coopération effective aux pays de mission. Cette volonté de coopérer a été stimulée puissamment par la formation de Evangelical Alliance (London, 1846), organisation basée sur l’acceptation de quel¬ ques dogmes fondamentaux. C’est dans l’esprit de rendre l’action missionnaire plus efficace, que la Convention Générale de l’Eglise épis- copalienne protestante, tenue à Chicago en 1886, a proposé un plan, qui, après plusieurs modifications, nous est connu maintenant sous le nom de Lambeth Quadrilatéral. Les mouvements de jeunesse (YMCA, 1878; YWCA, 1894), et d’étudiants protestants (SCM, 1895) ont beaucoup contribué aussi à une action unifiée du front protestant en vue de faire prévaloir les principes chrétiens dans la vie moderne. C ’est ainsi que le Fédéral Council of the Churches of Christ in America a été constitué en 1908 à Philadelphie avec un programme d’action sociale. Ces trois facteurs de l’esprit oecuménique protestant: missionnaire, théologique, et social, acheminaient spontanément vers la formation d’une organi¬ sation supérieure mondiale: La Conférence Missionnaire Mondiale (Edinburgh, 1910). Au plan de la coopération missionnaire, les étapes majeures de l’activité de la Conférence sont les réunions impo¬ santes de Jérusalem (1928) et de Madras (1938). Quant à la coopé¬ ration en matière sociale, culturelle et charitable, connue comme le secteur Life and Work, la Conférence a réussi à préparer et à con¬ voquer, avec l’aide des autres facteurs, le Congrès œcuménique de Stock¬ holm (1925). Les groupes avides ayant tout d’une unité doctrinale, le secteur Faith and Order, se sont réunis pour la première fois à Lau¬ sanne en 1927. La deuxième réunion de ces deux secteurs a eu lieu en 1937 à Oxford pour le Life and Work et à Edinburgh pour le Faith and Order. Mais au cours des discussions il s'avéra de plus en plus vrai, que les questions pratiques et théoriques de la réunion étaient étroite¬ ment liées et par conséquent on a trouvé bon d’unir les mouvements Faith and Order et Life and Work sous une direction commune, appelée le Conseil des Eglises. Ce Conseil, sans avoir un rôle autoritaire sur les Eglises, est néanmoins chargé de préparer et diriger les Congrès œcu¬ méniques, dont le premier a été tenu à Amsterdam en 1948. Mais il faut noter que le mouvement Faith and Order a conservé une certaine autonomie et continue de tenir ses réunions sous les auspices du Con¬ seil des Eglises. (Lund, 1952). Il est caractéristique de l’activité énergi¬ que du Conseil que l’année 1954 a vu déjà, à Evanston, le deuxième congrès oecuménique (271). (271) En ce qui concerne l’histoire du mouvement oecuménique protestant, on consultera avec profit l’ouvrage du théologien protestant: W. A. Beown: Toward a united Church. New York 1946. Cf. aussi M. Pribillà: TJm kirchliche Einheit, Stockholm, Lausanne, Borne. Fréiburg (Br) 1929, et Y. Congaji: Chré¬ tiens désunis. Paris 1937. Mentionnons enfin l’œuvre éditée tout récemment par — 131 — C’est depuis la conférence de Stockholm que le mouvemeut œcu¬ ménique protestant a fait sentir fortement son influence dans l’ecclé- siologie catholique, bien que la situation des Eglises protestantes aux Etats-Unis et aussi en Europe ne soit pas telle qu’on puisse attendre une orientation dogmatique de la conférence de Stockholm (272). En Europe, les thèses luthériennes battues en brèche par le courant libéral, ont perdu leur valeur aux yeux des masses protestantes, ce qui a amené un grand dépeuplement de ces églises. Cet adogmatismc ne pou¬ vait plus combler le vide qui existait entre la vie moderne et la mo¬ rale chrétienne, au point que les Eglises protestantes ont cessé, dans une forte mesure, d'exercer une influence sur la moralité du peuple. La représentation prédominante des Eglises américaines' à la conférence a augmenté encore la teinte pragmatiste de celle-ci à tel point que, laissant de côté quelques déclarations d’allure religieuse, la conférence s’est occupée, presque uniquement, à résoudre lés problèmes sociaux et internationaux du monde chrétien. Toutefois la conférence de Stockholm n’est pas sans mérite: elle a porté un certain témoignage du christianisme devant une civilisation pratiquement incroyante, elle a reconnu humblement le morcellement du christianisme et a eu le courage d’avouer la responsabilité des chré¬ tiens. Mais, malgré tout, elle n’est pas sortie des cadres de la mentalité protestante dont les racines se trahissent par des indices divers (273). En premier lieu le nominalisme, qui disjoint la réalité de la connaissan¬ ce abstraite, et donc la religion, de son statut doctrinal, la religion « spirituelle », des formes dogmatiques et cultuelles. La plupart des participants de la Conférence se recrutaient parmi les disciples de Schleiermacher et de Ritsehl, Sôderblom en tête, cheville ouvrière de la Conférence. Us s’en tenaient à leur rationalisme philosophique aux termes duquel les Symboles restent les expressions toujours réformables de l’expérience spontanée de l’âme religieuse. Le pragmatisme, à son tour, ne faisait que renforcer cette tendance en subordonnant le christia¬ nisme à une politique sociale humanitaire et en substituant une philo¬ sophie religieuse à la foi surnaturelle. La Conférence de Lausanne (1927), qui se proposait d’être plus dogmatique, reposait sur la théorie des « branches », sur la distinction entre les dogmes essentiels et acces¬ soires, position qui implique la thèse protestante du libre examen. 2) Ce caractère pragmatique, basé sur l’expérience religieuse, a dominé le mouvement œcuménique de la conférence de Stockholm, jusqu’à celle d’Evanston. On a commencé à regarder les différentes B. Bouse et S. Ch. Neill: Hiatory of the Ecumenical Movement 1517-1948. London 1954. (272) Sur les motifs de la conférence cf. Pribilla op. cit. p. 25 sv. Cf. aussi Ch. Journet : L’union des-Eglises et le christianisme pratique. Paris 1927. (273) Cf. Congar op. cit. pp. 156 av. — 132 — Eglises chrétiennes, comme des expériences irréductibles du christia¬ nisme, si riche en ses aspects divers. Une bonne partie des ecclésiologues orthodoxes se montra, comme elle se montre encore aujourd’hui, favorable à cette tendance. Une inté¬ ressante documentation à ce sujet se trouve dans le recueil d'études : La réunion chrétienne. Le problème oecuménique dans la conscience orthodoxe (274). A côté des communications qui reflètent plutôt les thèses de 1 ’ecclésiologie orthodoxe traditionnelle (275), d’autres, comme celles de Boulgakov, Berdiaiev, Zenkovski et Kartashov, traitent le pro¬ blème oecuménique à la manière d’une Weltansclmiung. Le P. Boulgakov (276) envisage la question de l’union dans le cadre de l’antinomie «évangélique» de l’institutionalisme et de la li¬ berté, deux possibilités de revivre le christianisme authentique, sous- jacent, indivisible, qui persiste dans son unité, nonobstant les divisions confessionnelles. Il ne distingue pas, à dessein, les facteurs ecclésiasti¬ ques objectifs et subjenctifs, les moyens et les effets de la grâce, les points de vue dogmatiques et psychologiques, parce que, à ses yeux, ces distinctions ne sont que les manifestations diverses, mais légitimes, d’une seule réalité: l’expérience ecclésiastique. V. Zenkovski (277) propose une théorie sur ce qui est absolu et sur ce qui est relatif dans l’Eglise; le facteur absolu, c’est l’expérience prise de la vie sacramentelle, qui révèle la valeur absolue de l’Eglise pour le salut, mais qui n’empêche pas un relativisme légitime. N. Ber¬ diaiev, à son tour, montre la voie vers le superconfessionalisme, en d’autres termes, vers l’expérience spirituelle, unique domaine de l’union. Ses idées-maîtresses: la primauté de la mystique, la grandeur de la liberté humaine, ne lui permettent qu’une union dans le subjectif. A. Kartashov est de l’avis que n’importe quelle union formelle sup¬ pose, à titre essentiel, une ecclésiologie erronée, infectée de juridisme latin; au contraire, le mouvement œcuménique lie peut viser qu'une réunion sur un pied d’égalité où les Eglises garderaient leur dignité mystique intérieure (278). Diffirent avec l’attitude souvent beaucoup plus réservée de la hiérarchie orthodoxe à l’égard du mouvement oecuménique, cette posi- (274) Paris 1933. (275) Mqr. Gennadios : Les problèmes dogmatiques principaux dans la réunion des Eglises, pp. 39-52. S. Zankov: L’unité ecclésiastique dans le monde contemporain, pp. 121-130. H. Alivisatos: Comment réaliser effectivement l’union des Eglises, pp. 131-140. -cf. aussi l'article du P. Lialine : « Orthodoxie & propos d'Oecuménisme » Ir 10 (1933) pp. 304-334. (270) «Puits de Jacob» op. cit. pp. 9-32. (277) «Le mouvement oecuménique et le travail religieux avec la jeunesse»; op. cit. pp. 142-166. (278) «L’union des Eglises à la lumière de l’histoire», pp. 82-120. — 133 — tion très conciliante et presque relativiste est restée générale parmi les théologiens orthodoxes en matière oecuménique (279). Les théoriciens du mouvement oecuménique ne manquaient pas de bien distribuer les rôles théologiques à jouer dans le mouvement par les différentes confessions, en vue de réaliser le catholicisme non- romain, facteur majeur de l’histoire religieuse contemporaine, au dire de Visser’t Hooft. La mission de l’orthodoxie serait, selon lui, de porter témoignage à la « primauté spirituelle de l’Eglise visible » (28D), de conserver l’héri¬ tage du catholicisme primitif sur le réalisme de l’Eglise visible. Dans le mouvement oecuménique, qui est une tension vers l’enrichissement mutuel, l’orthodoxie représenterait l’Eglise traditionnelle, basée sur les sacrements, à la manière d’une société divino-humaine, tout en évitant les exagérations sacerdotalîstes du catholicisme romain. L’orthodoxie affirmerait au sein du mouvement oecuménique le principe : in Ecclesia salus, sans y ajouter le extra ecclesiam nulla salus. Visser’t Hooft a vu d’ailleurs clairement que la partie conservatrice des orthodoxes, surtout la hiérarchie, ne s’engagerait pas dans cette voie, c’est pourquoi il n’a en vue que les disciples de Khomiakov, qui représenteraient l’ecclé- siologie caractéristique de l’orthodoxie (281). Le message protestant constituerait le contrepied d’une tendance qui voudrait rendre absolus les moyens du salut, en professant la li¬ berté souveraine de la Parole de Dieu. «Tenir pour assuré que Dieu agit et agit nécessairement d’une certaine façon et à un certain moment, nous fait courir le risque très dangereux de ne pas l’écouter, quand il parle et de nous faire illusion à nous-mêmes en croyant avoir entendu, quand il ne parle pas » (282). Tout en laissant à l’Eglise visible d’être la porteuse de la grâce, la vérité serait reléguée exclusivement dans le domaine mystique. Bien que les ecelésiologues néoslavophiles veuillent maintenir, même au prix de contradictions, la valeur absolue de leur Eglise visible, une attitude intuitive les fait approcher de la position de Visser’t Hooft, à tel point que « de côté et d'autre nous sommes en présence d'une philo¬ sophie religieuse plutôt que d’une théologie» (283). Que les orthodoxes aient adopté, dans une certaine mesure, ce rôle que leur a assigné le catholicisme non-romain, les discussions sur les sacrements et sur la grâce à la conférence d’Edimbourg (1937) en font (279) Citons & titre d'exemple: N. Akseniev: Die Ostkirehe und die okume- niscke Bewegung. IKZ 20 (1930) pp. 176-180. S. Zankov: Die orthodoxe Kircke des Ostens in ôkumeniseker Sicht. Kirchlûshe Zeitfragen. 17. Zürick 1946. (280) Le catholicisme non-romain. Parie 1933. Cf. aussi le compte-rendu do cet ouvrage par le P. Ll aline: Ir 11 (1934) pp. 35-50.’ (281) Cf. op. cit. pp. 71-72. (282) Op. oit. p. 122. (283) P. Lialine: art. cil. p. 48. — 134 — foi (284). En matière sacramentelle du côté orthodoxe on a con¬ staté l’incompréhension des protestants (285): le sacerdoce s’avéra une fois de plus la ligne de démarcation entre les deux confessions. C’est ainsi que les orthodoxes s’assignaient la mission d’ouvrir les yeux des protestants sur la réalité sacramentelle. Mais pour la discussion sur la grâce ils semblent déjà consentir à partager les rôles théologiques en laissant au protestantisme le soin de porter témoignage sur la gratuité absolue de la grâce et en se réservant de souligner la réalité de la divinisation chrétienne et l’efficacité de la grâce. Au dire d’Arseniev les luthériens ont pu voir ainsi, que le combat spirituel ne diminue pas la grâce, que la sanctification réelle de l’homme n 'enlève point la gratuité des dons de Dieu. Les échanges de vues entre les luthériens et orthodoxes, aux yeux du même auteur, étaient émou¬ vants, instructifs et donnaient l’impression d’un grand et réel rappro¬ chement réciproque (286). 3) Le Congrès d’Amsterdam, tout en renonçant aux compromis doctrinaux (287), resta dans le sens de la conférence de Stockholm, ce que le pasteur protestant J. Jézéquel a exprimé, à l’emporte-pièce: « A Stockholm, aucune Eglise n’est venue dire: J’ai toute la vérité et je possède l’organisation parfaite; l’union ne peut donc se faire que dans mon sein » (288). Le rapport officiel du Congrès (289) constate que le désaccord au sein de la chrétienté se ramène à l'opposition de deux concepts géné¬ raux: «catholicisme» et «protestantisme», c’est-à-dire à deux façons antinomiques de concevoir le christianisme. Le « catholicisme » insiste sur la médiation sacramentelle de l’Eglise visible (aspect horizontal de l’Eglise), tandis que le «protestantisme» souligne le contact immédiat avec la Parole de Dieu, (aspect vertical de l’Eglise). Le rapport conclut en constatant que «lors même que le dialogue s’engage entre gens qui (284) Cf. L. Hodgson: The. Second World Conférence on Faith and Ordor, lield at Edinburgh. August 3-18, i937. New York 1938; voir surtout les pp. 220-278. (285) Cf. N. Abseniev: La doctrine des sacrements et de la grâce à la confé¬ rence d'Edimbourg, Ir 15 (1938) pp. 29-43. (286) 11 faut noter, pour la vérité, que les délégués orthodoxes se refusèrent A souscrire à la formulation de la doctrine de la Conférence, qu’ils trouvaient pro¬ testante d’esprit, mais malgré cela la présence des orthodoxes impliquait une ferme et irénique proclamation de nombre de vérités catholiques devant une assemblée protestante. Sur le rôle de l'orthodoxie dans le mouvement oecuménique ef. L. Bourrai: Catholicisme et oecuménisme, Vint 13 (1945) pp. 6-30. (287) Les trois méthodes oecuméniques employées jusqu’ici sont: celle des points fondamentaux, celle des compromis doctrinaux et celle do l’unité pragma¬ tique, fruit de l’agnosticisme, mais précieuse comme propédeutique. (288) Christianisme social. Paris. (1925). p. 979. (289) «L’Eglise universelle dans le dessein do Dieu». Neuchâtel-Paris 1949. pp. 303-312. — 135 — se font confiance et se comprennent, il subsiste un noyau irréductible de divergences entre deux manières totalement différentes de saisir la nature de l'Eglise du Christ » (290). Cette constatation est suivie par l’aveu de l’impossibilité qu’il y a à résoudre cette antinomie. La position du Congrès demeure une expression nette du catholi¬ cisme non-romain, d’autant plus qu’elle suppose que divers groupes de la chrétienté partagent la vérité unique et indivisible sur l’Eglise. Il ne manque pas d’ecclésiologues catholiques qui sont enclin à y voir un énorme progrès par rapport aux Conférences antérieures (291). Mais il ne faut pas oublier qu’à côté du P. Florovski, K. Bartb y a joué également un rôle de première importance. Un disciple de ce dernier, R. Paquier, interprète les résultats doc¬ trinaux du Congrès d’Amsterdam dans un article, dont le titre est à lui-seul révélateur: Des théologies confessionnelles à une théolo¬ gie oecuménique (292). L’auteur y fait appel à la contribution des confessions pour bâtir la maison théologique universelle, en fonction d’un détachement généreux de la position étroite imposée aux groupes chrétiens par des événements historiques. Ce détachement généreux implique, non seulement un retour aux sources chrétiennes, mais aussi un esprit de renoncement qui consenti¬ rait à ne plus voir dans les définitions dogmatiques que des formules verbales. Parmi ces définitions l’auteur énumère à titre d’exemples: la condamnation du monophysisme, la doctrine de la transsubstantiation, les définitions du Concile de Trente, aussi bien que la solo fides de Luther. Dans cette perspective, aux yeux de l’auteur, le thème anglican de l’Incarnation, la doctrine barthienne de la Parole de Dieu, les valeurs restaurées par le mouvement liturgique catholique tendent vers la même perfection, vers la plénitude du Christ. L’évolution tout récente du mouvement oecuménique nous montre clairement ce qu’on peut et doit attendre de ce soi-disant plérôme inter¬ confessionnel sur le plan de la doctrine. En fait la conférence de Lund, en 1952, a suggéré fortement que l’union est possible seu¬ lement pour ceux qui sont prêts à réduire les points doctrinaux importants à quelques affirmations générales. C’est pourquoi la con¬ férence de Lund s’avéra totalement impuissante sur les questions concernant la grâce, le sacerdoce et les sacrements. On ne s’étonnera donc pas que le Congrès oecuménique, à Evanston, ait rendu compte du fait qu’il est tout à fait vain, dans la situation présente des Eglises protestantes, d’aborder directement le problème de l’union. Au lieu de ce problème on a choisi un thème eschatologique : le retour du Christ à la fin des temps, comme l’objet des discussions. Au fond, le Congrès (290) Ibid. p. 305. (291) Comme par exemple, R. Rouquette: La première assemblée du Conseil oecuménique. Amsterdam, 1948. Et. 82 (261) (avril, 1949) pp. 3-29. (292) Voir dans Verbum Caro 2 (1948) pp. 3.-14. — 136 — d’Evanston marque l’importance toujours grandissante du protestan¬ tisme américain, organisme actif, plein d’esprit missionnaire, mais peu soucieux des questions dogmatiques. Ce n’est pas à nous de porter un jugement sur le mouvement oecuménique de nos frères protestants. Malgré plusieurs facteurs décon¬ certants du point de vue catholique, l’Eglise catholique, qui n’a jamais participé à ces discussions pour des raisons trop connues, se réjouit de voir la purification continuelle du mouvement oecuménique.- La voie, de Stockholm à Evanston, reste toujours le témoignage du fait que le protestantisme veut dépasser sincèrement la position du libéralisme pour lequel la divinité du Christ n’existait plus et veut interpréter toute l’histoire selon un événement strictement surnaturel: le retour du Christ, Seigneur des siècles. Mais, même du point de vue strictement théologique, le mouvement oecuménique n’est pas sans effet sur l’ecclé- siologie catholique. Il l’a rendue plus sensible à l’égard des questions qui concernent l'enracinement du dogme dans 1 ’âme des fidèles. 4) Après ce que nous venons de dire, on comprendra facilement pourquoi les conférences oecuméniques ne furent pas suivies par des débats dogmatiques du côté catholique, mais plutôt d’une nette prise de conscience de l’importance des facteurs anthropologiques, culturels et psychologiques, sous-jacents à la séparation des Eglises chrétiennes. Parmi nos théologiens qui s’engagaient dans cette voie, il faut men¬ tionner, avant tout, le P. Congar qui analyse d’une façon remar¬ quable ce que représentent les divisions de la chrétienté (293). Selon, lui, l’anglicanisme s’est lié de plus en plus étroitement au tempé¬ rament national, les slavophiles tendent à substituer aux motifs politi¬ ques et dogmatiques du schisme « une séparatisme culturel, selon lequel le seul vrai christianisme est le christianisme oriental en tant qu’orien¬ tal » jusqu’à « une opposition radicale irréductible et inexplicable entre deux manières de concevoir l’Eglise ou le christianisme en leur tota¬ lité » (294). Ce fait expliquerait pourquoi les orthodoxes, en bon nombre, se sentent plus proches du protestantisme que de l’Eglise catholique, malgré l’identité presque absolue de dogmatique, qui existe entre eux et nous. Le protestantisme représente à leurs yeux la forme parfaite de la position du christianisme suivant un type de mentalité, position vers laquelle 1’ecclésiologie slavophile tend de tout son poids. Ce qui nous divise alors, ce n 'est pas la solution des problèmes, mais leur posi¬ tion, « moins les articles de foi, que la manière de concevoir l'acte de la foi... moins les éléments à articuler les uns avec les autres, que la (293) Y. Congar.: Chrétiens désunis. Paris 1937, Voir surtout pp. 1-57. (294) Op. cit. p. 46. — 137 — manière de les articuler et de les construire » (295). On aboutit alors à un problème d’anthropologie parce que les chrétiens séparés sont devenus des hommes différents. Les schismes sociologiques, le refus de se soumettre sur tel ou tel point doctrinal au magistère, sont devenus des schismes de mentalité (296). D’ailleurs la tentative de réduire l’opposition entre catholiques et protestants à un principe philosophique ou anthropologique, n'est pas récente (297). Chemnitz a vu, de son côté, la racine profonde des divergences, dans la volonté farouche des catholiques d’exprimer la doctrine de la justification en termes philosophiques. D'autre part, Bel- larmin a vu un nestorianisme latent dans la christologie de Luther et dans sa thèse sur la companatio. Calvin serait, selon lui, arien dans sa doctrine de la Trinité; bref, les protestants, de l’avis de Bellarmin, ne peuvent pas ne pas dissocier absolument l’ordre transcendant de l’ordre immanent. Bossuet, à son tour, a volontiers reproché aux protes¬ tants une sorte de monisme, tandis que son grand adversaire, Leibniz, renvoyait toujours à l’irréductibilité des deux terminologies antagonis¬ tes: celle du réalisme et celle de l’idéalisme. C’est le protestantisme qui représenterait, selon lui, l’aspect vital, purement spirituel, mais non- métaphysique du christianisme, tandis que le catholicisme y apporterait ce qui est plutôt métaphysique, tout en étant engagé dans le monde. Schleiermacher, à son tour, cherche la justification de ces différences à l’aide d’une vue caractéristiquement romantique et idéaliste: selon lui, l’être idéal, un à son origine, va être différencié dans l’espace et le temps, à cause de son développement inévitable. De même le christiani¬ sme, un à son origine, se manifeste d’une façon multiple au cours de l’histoire, en produisant des différentes dénominations. Parmi les plus récents, Troeltsch, Dielthey réduisent également ces différences à une catégorie anthropologique, à celle des Weltanschauungtypen, tandis que Nygren en voit la racine dans deux formes de l’amour: l’une anthropo¬ centrique (eros) et l’autre théocentrique (agapé). C’est L. Lambinet qui a résumé dans une synthèse magnifique(298) tout ce qu ’on a écrit du point de vue phénoménologique à propos des di¬ visions entre le protestantisme et le catholicisme. Sur le plan naturel, le (295) Op. cit. p. 47. (296) «A l’origine des grandes sécessions il y a généralement un sentiment spirituel authentique et en ce qu’il a de positif et de pur, authentiquement catho¬ lique», dit le P. Congar (op. cit. p. 49). Cette explication psychologique, si l’on veut anthropologique de l’hérésie, paraît à Ch. Journet ( L’Eglise du Verbe Incarné. Paris 1941. pp. 55-59) trop optimiste et généreuse et due à la circonstance, que le P. Congar semble envisager les hérésies, en particulier le protestantisme, très théoriquement. (297) L. Lambinet dans son livre: Dt w Wesen des Icattiolisch-protestantischen Gegensatzes. Einsiedcln-Kôln 1946, a fait l'analyse des opinions des théologiens distingués des deux confessions de la Réforme jusqu’à aujourd’hui. (298) L. Lambinet: Op. cit. — 138 — catholicisme s’opposerait au protestantisme, comme la culture méridio¬ nale à la culture nordique. Quant à l'évolution de la pensée occidentale, la mentalité antique aurait été suivie par l’attitude moderne de l’homme protestant. Du point de vue de l’histoire des religions, l’opposition catholique-protestante reproduirait la différence entre les religions sacerdotales et prophétiques. Sur le plan surnaturel il y a un bon nombre d'indices dans la révélation néotestamentaire qui, à première vue, semble justifier le désir de retrouver une mentalité à la fois catho¬ lique et protestante, en d’autres termes un christianisme pétrinien et paulinien (299). Il est facile de voir que toutes ces divisions relèvent d’un domaine surtout psychologique et sont particulièrement aptes pour une description phénoménologique. Pourtant il y a une différence notable entre catholiques et protes¬ tants en ce qui concerne l’interprétation théologique de ces divisions phénoménologiques. Pour les théoriciens protestants du mouvement oecuménique et de la Brcmch-theory, ces divisions représentent des ma¬ nifestations également justifiables du christianisme et c’est pourquoi ils ne trouvent aucune difficulté à assigner des rôles différents aux Eglises séparées dans une Eglise réunie et universelle. La justification philosophique de la considération phénoménologique comme catégorie suprême, on la chercherait en vain chez eux. Mais cela ne signifie point qu’il n’y a pas de vérité dans la phénoménologie dênominationelle. En tout cas il faut noter que ces différentes manifestations du christianisme ne sont pas de droit égal, comme Lambinet nous en avertit. Les raisons en sont nombreuses. Avant tout, les déviations possibles au sein du protestantisme sont, l’histoire nous le montre, beaucoup plus dangereuses que dans le type catholiqqe du christianisme. En outre le principe catholique s’est montré toujours capable d’intégrer et de s’enrichir, tandis que lé protestantisme, sans se renier lui-même, ne pouvait jamais adapter et assimiler des éléments « catholiques ». Mais, ce qui est le plus important, c’est le fait que le mystère de l'Incarnation ne peut être inséré avec toutes ses conséquen¬ ces que dans un système que la phénoménologie religieuse appelle l’Eglise de 1 ’analogia entis, du réalisme, ou bien, pour reprendre l’ex¬ pression de Schelling, l’Eglise pétrinienne qui est sans doute celle de Rome (300). Sans adopter cette voie médiane de Vanaloçjia entis en matière anthropologique, philosophique, culturelle, les meilleures intuitions (299) Voir surtout l’ouvrage récent de L. Lbuba: L’institution et l’événe¬ ment. Les deux modes de l’œuvre de Dieu selon le Nouveau Testament. Leur différence, leur unité. Neuchâtel-Paris. 1950. (300) L’ouvrage de W. H. Van de Pel: Het Christelijk Dilcmma, Katholicke Kerk - Reformatio. Rocrmond 1948, publié à l’occasion du Congrès d’Amsterdam insiste également sur l’importance de la mise en relief des principes philosophi¬ ques, culturels et théologiques, sous-jacents au catholicisme et au protestantisme. Voir surtout le chapitre: Psychologisclie Beletselen, pp. 170-231. — 139 — mêmes sont vouées à un échec, comme l’histoire du protestantisme l’illus¬ tre. La Réforme tout en s’appuyant sur des principes aussi fondamen¬ talement chrétiens que la primauté absolue de la grâce, de la gloire et de la Parole de Dieu, ne pouvait pas ne pas se séparer de l’Eglise, parce qu’elle alliait à ces principes une mentalité diamétialement opposée à l’esprit de la Révélation, celle de l’occamisme avec tout ce qu’il implique. L’ouvrage tout récent du P. Bouyer, Du Protestantisme à l’Eglise (301), donne des développements très pénétrants sur le conflit continuel qui a été ainsi évoqué au sein du protestantisme. D’autre part tout cela est une leçon unioniste de première importance pour les catholiques, qui doivent déployer tout l’effort possible pour que le vrai visage de l’Eglise ne s’obscurcisse jamais, que les principes fondamen¬ taux de la Révélation chrétienne, si puissamment mis en relief par la Réforme, ne soient pas placés à l’arrière-plan. TI. - La réponse catholique: critique et intégration 1) Le mouvement oecuménique protestant n’a fait qu’augmenter l’intérêt profond que l’Eglise catholique a toujours montré à propos de la réunion chrétienne. Les témoignages par excellence en sont les énon¬ cés pontificaux qui depuis un siècle ont abordé de plus en plus fré¬ quemment le problème oecuménique (302). Parallèlement avec cela, les ouvriers catholiques de la cause de l’unité chrétienne ont fait un effort remarquable pour attirer l’attention de larges couchçs de fidèles sur l’importance majeure de ce problème du point de vue ecclésiastique, historique, culturel et sociale (303). Les octaves de prière pour l’unité, les conversations officieuses avec des autres Eglises non-catholiques et la présence des observateurs catholiques aux conférences œcuméniques ont également contribué beaucoup à l’approfondissement de l’intérêt unioniste. Sur le plan strictement ecclésiologique aussi, les problèmes de réu¬ nion ont posé de nouveaux devoirs aux les théologiens catholiques. En face des principes du catholicisme non-romain, qui aurait bien voulu ramener le rôle de l’Eglise catholique à celui de témoin de l’aspect juridique dans la chrétienté entière, il a fallu montrer la plénitude et (301) L. Bouyer: Du Protestantisme à l’Eglise. Paris 1954. (302) Cf. B. Aubert: Le Saint-Siège et l’Union des Eglises. Bruxelles 1947. J. Schweigl : De unitate Ecclesiac orientales ot occidentalis restituenda, docu¬ menta S. Sedis ultimi sacculi (1848-1938) illustrata. Periodica de re morali, cano- nica, liturgies, 34 (1939) >pp. 209 sqq. E. C. Messenger: Borne and Bcunion. London 1934. (303) En ce qui concerne la littérature vaste sur la question de l’unité, voir: A. Liuenteld: Pour l’union. Documents ot bibliographie. Prieuré d’Amay 1927. A. Senaud : Christian Unity. A bibliography. Genf 1937. H. B. Brandrbth: Unity and reunion. A bibliography. London 1945. - A. Bomero: Nota informativn-biblio- grafica sobre el Ecumenismo. Sev. espan. Teol. 12 (1952) pp. 153-172. — 140 — la richesse mystique de l’idée catholique sur l’Eglise. Le mouvement oecuménique, comme M. Pribilla l’a fait remarquer, a évoqué une prise de conscience d'elle-même plus explicite de 1 ’ecclésiologie catholique. En d’autres mots, on a reconnu généralement la nécéssité d’élaborer plus soigneusement l’aspect intérieur de l’idée de l’Eglise, la méthode unio¬ niste, et le contenu entier de l’idée de la catholicité (304). En fait, des mouvements tels aue le renouveau liturgique, et l’action sociale catho¬ lique ont indiqué clairement, au dire de M. Pribilla, que « le Christ a communiqué à son Eglise non seulement les ligaments solides de la hiérarchie, mais qu’il a aussi prédit qu’il se trouverait toujours en elle des forces créatrices et vraiment charismatiques, qui fourniraient à l’Eglise, en toute soumission au magistère, un nouvel élan et exerce¬ raient une influence réformatrice. Une Eglise qui vivrait uniquemment de la loi et de prescriptions administratives serait une bureaucratie re¬ ligieuse et non le Christ continuant sa vie et son action mystérieuse¬ ment dans les âmes». Parallèlement à l’aspect intérieur de l’Eglise, il était également important d’examiner en détail les rapports multiples de cette essence céleste de l’Eglise à sa structure terrestre. On peut dire, à bon droit que la pierre de touche de tout travail ecclésiologique consiste à bien faire voir, que la vie divine ne nous est pas donnée en plénitude et selon sa condition à elle, qui est la gloire, mais adaptée à notre condi¬ tion terrestre, suivant les lois de la vie humaine, sensible, perfectible et sociale. Tout cela implique le double plan et la double logique de la vie divine introduite dans l’existence terrestre: la dualité de la sub¬ stance céleste déjà donnée et de l’œuvre à faire en collaboration. Cette position ecclésiologique veut éviter, avant tout, les conséquences moins heureuses d’une insistance unilatérale sur l’idée de l’Eglise comme société parfaite : insistance si familière à une méthode apologétique, qui risque souvent d'estomper la différence entre cette société en elle-même toujours parfaite et ce qu’elle est en fait, dans l’existence terrestre, chargée de faiblesses humaines. Problème d’autant plus capital que les divergences dans la chrétienté, comme nous venons de le voir, portent sur le mode d’existence humaine de la substance divine de l’Eglise. Les protestants, en vertu de leur thèse de la justification, ne croient pas au don réel, par conséquent les biens de l'Alliance ne sont pas encore pré¬ sents dans l’Eglise visible, dont le rôle s’épuise à annoncer et à promet¬ tre le Royaume à venir, mais elle ne peut prétendre être porteuse de la grâce. Les orthodoxes dédaignent l’Eglise visible pour des motifs oppo¬ sés: c’est la présence plénière des dons célestes, qui enlève pour eux ‘sa signification complète à l’Eglise visible. (304) M. Pribilla.: Um kirchliclic Einlieit. Stockholm, Lausanne Rom. < Frci- burg (Br) 1929. pp. 295 sv.). On trouverait beaucoup de remarques similaires sur la nécessité d’une nouvelle méthodologie de la part de 1 ’ecclésiologie catholique dans l’ouvrage de A. Rademacher: Die Wiedervereinigung der christlichen Kir- chen. Bonn 1937. — 141 — Il va de soi que le dialogue théologique avec le mouvement oecumé¬ nique favorise d’une façon singulière l’approfondissement de nos vues sur la note de catholicité. Cette tendance veut faire ressortir l’idée de l’universalité de la vérité au-delà d’une insistance quelquefois étroite sur la catholicité quantitative. C’est l’idée de l’intégration de toutes les miettes de vérité éparses dans l’humanité qui commande la présentation nouvelle de cette note de l’Eglise. Ce n’est pas sur la catholicité de fait, mais sur la capacité universelle de vérité de l’Eglise, qu’on aime désor¬ mais mettre l’accent (305). Une telle orientation permet alors au P. Congar de dire que, non seulement la catholicité de l’Eglise n’est qu'im¬ parfaitement explicite, mais que la réunion des chrétientés séparées peut apporter à l’Eglise un enrichissement réel (306). Sur ce plan il ne faut pas oublier que les grandes divisions de la chrétienté corres¬ pondent, en gros, à des collectivités éthniques et culturelles, donc que les nuances de valeurs, qui se développent au sein de tel peuple ou de telle culture, manquent actuellement à l’Eglise catholique et leur réintégration « enrichirait véritablement l’Eglise et la révélerait à elle-même: car l’Eglise, encore une fois, est un vivant, qui ne se con¬ naît lui-même, qu’en vivant et ne prend une.conscience explicite de sa propre loi et de ses possibilités, qu'en les exerçant» (307). Il n’est pas difficile d’entrevoir, combien l’élaboration concrète de cette idée pour¬ rait contribuer au succès de notre travail œcuménique. 2) La question se pose alors des devoirs du théologien en face de la complexité des problèmes nouveaux, que pose le mouvement oecu¬ ménique. Le devois existe et les efforts de l’ecclésiologie catholique ont été déjà l’objet de remarques intéressantes du côté protestant et ortho¬ doxe (308). Ce que le P. Pribilla a résumé en quelques mots frappants au len¬ demain de Stockholm et de Lausanne, mérite d’ê.tre cité, tant cela est (305) «L’Eglise propose tous les dogmes sur la totalité des choses, elle énonce des principes vrais pour tous, capables do rassembler dans la vérité des hommes de toutes catégories et de toutes conditions. Universalité de rédemption et de guérison pour l’humanité, universalité de réponse à ce qui est en l’homme appel total, assomption dans l’unité du bien dernier et rassassiant tout ce qui est en l’homme». Y. Congar, op. cit. p. 116. (306) Cf. op. cit. pp. 314 sv. (307) Op. cit. p. 317. Ce sont les principes que K. Adam applique d’une façon remarquable au problème d’une réconciliation éventuelle des luthériens avec l’Eglise catholique. (Una Sancta in katholischer Sicht. Düsseldorf 1948). Voir aussi l’ouvrage récent de M. Schaefbr: Die katholische Kirche inv Lichte der. evangclischen Anlicgen. Limburg 1953. (.308) «L’Eglise de Rome, à laquelle l’existance et la croissance du mouve¬ ment oecuménique posent une question insistante, fait des efforts pour se dégager de la rigidité des définitions de Trente et du complexe antiprotestant qui a déterminé scs réactions depuis quatre siècles. Moehlcr et Scheeben au siècle der¬ nier ont ouvert une voie où s’engagent maintenant les théologiens romains les plus avertis: par-delà une inféodation trop servile et trop exclusive au thomisme — 142 — caractéristique des aspirations de ce genre: pour servir la cause de l'union, un dilettantisme théologique ne suffit point ; « sans doute des dogmaticiens obtus, qui sans comprendre une manière de penser diffé¬ rente et sans égard pour la mentalité d’autrui, s’empressent de lancer des anathèmes, ne sont pas le moins du monde appelés à cette tâche. Celui qui en tant qu'apôtre veut aller aux hommes, doit avoir quelque chose de l’attitude de saint Paul à s'adapter à autrui» (309). Le P. Congar résume de la manière suivante le travail théologique qui s’impose aux ecclésiologues catholiques en vue de faciliter la cause de l’union: En premier lieu il souligne l’importance des enracinements psychologiques du travail ecclésiologique. Il faudrait mettre au net, dit-il, « les problèmes broussailleux de la psychologie des divers groupes chrétiens ». Les formes actuelles et passagères de l’erreur appellent également une discussion délicate, les incompréhensions exigent une explication fraternelle. Il faudrait suggérer des cheminements possibles entre les groupes séparés; «bref, dans tout ce qu’impliquent le contact direct avec nos frères séparés et le travail concret du rapprochement, il semble indispensable que des théologiens, c’est-à-dire des chercheurs investis d’une fonction par l’Eglise, mais sans mandat proprement hiérarchique, tâchent de planter des jalons, de marquer les grandes directions et les grands points de repère » (310). Ensuite il préconise une; attention large du. côté des ecclésiologues, quant aux engagements concrets du dogme abstrait. A l’encontre de la hiérarchie, dont le rôle est de porter témoignage au donné révélé, « il est du rôle des théologiens... d’élaborer la notion de la réalité chrétienne prise dans les conditions mêmes de son incarnation en humanité. La théologie doit son existence même à l’incarnation du révélé dans la vie de l'humanité croyante et pensante ; elle doit donner son attention non pas seulement à l’énoncé de la Révélation sur le mystère de l’Eglise, mais à la réalité incarnée de cette Eglise et aux conditions concrètes de son incarnation » (311). Cet appel à élargir l’horizon du travail théologique se fait sentir d’autant plus pressant que l’on prend en considération le développe¬ ment souvent unilatéral de notre théologie, en particulier de l’ecclésio- logie, depuis la grande rupture du XVI' siècle. «D’une manière générale, notre théologie s’est, tant sous une influence trop exclusivement ” sco¬ lastique”, que sous la pression des nécessités de la controverse, notable- et par-delà 1 ’institutionalisme juridique médiéval et surtout posttridentin, ils déga¬ gent une théologie et une ecclésiologie plus bibliques et plus patristiques, aidés sur le plan cultuel par le mouvement liturgique dos bénédictins». B. Paquier art. cil. p. 12. Il faut d’ailleurs noter que cette remarque contient en même temps qu’une part de vérité, des illusions regrettables sur le «juridisme et sur 1’apologétisme posttridentin... ». (309) Op. cit. p. 296. (310) Op. cit. p. XIV. (311) Op. cit. p. XTV. — 143 — ment spécialisée ; elle est devenue trop souvent unilatérale, développant l’aspect des choses le plus systématique et le plus opposé aux aspira¬ tions, même légitimes, des non-catholiques dissidents ou incro¬ yants » (312). L’hérésie s’est avérée, non seulement une occasion de développer le dogme, mais aussi, un risque pour les théologiens de con¬ sidérer ce même dogme sous un aspect trop partiel, celui qui est opposé à l’erreur condamnée. En effet les textes officiels des Conciles, les anathèmes portés par exemple contre les thèses d’un Ba.ius ou d’un Jansénius, se bornent toujours à un aspect de la vérité en question, sans prétendre exposer toute la doctrine révélée en la matière. C’est pourquoi les théologiens paresseux ou opportunistes, poursuit le P. Congar, qui ne se donnent pas la peine de poursuivre des études profon¬ des de l'Ecriture, de la liturgie, des Pères etc., « les apologistes enfin, qui par profession sont voués à combattre les erreurs du moment et à atteindre l’Eglise par ses côtés les plus extérieurs: la majorité, en somme, du moins la majorité de ceux qui parlent, écrivent et se font entendre, tient contre l’erreur une vérité durcie, incomplète si l’on en reste à sa formule occasionnelle: unilatérale et partielle» (313). C’est pourquoi il demande aux théologiens catholiques -une atti¬ tude d’âme dân^ les rapports'mutuels, l’abandon total des préjugés et du ressentiment, pour rendre possible un travail d'information sérieuse. Bref, une âme évangélique, fraternelle, amicale, qui ne cherche pas son «propre» triomphe, mais l’enrichissement d’autrui dans une loyauté allant de pair avec la»douceur et.l’humilité (314). 3) Cette méthode irénique, esquissée à grands traits par le P. Con¬ gar, a fait l’objet d’une étude en profondeur du P. Lialine qui mérite d’être analysée en détail. Les requêtes qui s’y manifestent en matière de méthode théologique trahissent une orientation très différente de celle qui caractérise la plupart de nos traités sur l’Eglise. Ses dévelop¬ pements se groupent en trois chapitres, pour expliquer en premier lieu la théorie de la méthode irénique, puis pour l’appliquer aux rapports interconfessionnels catholico-orthodoxes et enfin pour en déduire les caractères principaux de la théologie irénique. La dialectique de la méthode irénique consiste dans une information consciencieuse, qui ne souffre pas l’unilatéralisme conventionnel, mais, à l’aide d’un sérieux examen de conscience, vise à mettre bien à leurs places respectives le relatif et l'absolu. Grâce à cette méthode aux larges vues et dépourvue de toute allure faussement apologétique, les opposi¬ tions sans fondement disparaissent et les oppositions vraies apparaissent sous leur véritable jour. (312) Op. cit. pp. 33-34. (313) Op. cit. p. 35. (314) «De la méthode itéuique », Ir 15 (1038) pp. 3-28; 131-153; 236-255; — 144 — Il ne faut pas oublier que la méthode irénique est au service du catholicisme conçu à la manière que nous venons de voir dans l’expli¬ cation du P. Congar; par conséquent la méthode irénique s’applique non seulement à l’ecclésiologie proprement dite des chrétientés séparées mais à tout ce qui est en contact avec elle, à savoir: le domaine des réalités humaines terrestres, (politique, culture, éducation) surtout l’anthropologie philosophique, la psychologie et l’histoire. Sur le plan culturel, politique les oppositions irréductibles seront minimes, de l’avis du P. Lialine. Mais le domaine de la philosophie chrétien¬ ne, la vie religieuse des groupes chrétiens, contiennent des opposi¬ tions majeures en plus grand nombre. Il suffit de mentionner que c’est sur ce plan, qu’il faut aborder la philosophie de la religion subjective, la phénoménologie de celle-ci, l’esprit des dévotions différentes, les types divers de sainteté, problèmes sur lesquels il y a des divergences foncières. Le secteur le plus délicat de cette application est sans doute la question de l’attitude du théologien à l’égard de l’autorité: deux écueils sont à la fois à éviter: il faut d’un côté ne pas trop pousser la portée des décisions du magistère et de l’autre ne pas les minimiser. Une distinction s’impose à cet égard entre ce qui est .faillible et infailli¬ ble; ensuite il faut élaborer, dans sa richesse, la vérité infailliblement enseignée par le magistère ordinaire: travail fructueux, autant que difficile. Cette méthode irénique, en se référant à la Tradition complète, se propose soit d’élaborer une conciliation doctrinale soit au moins d’expliquer l’opposition. La théologie issue de la méthode irénique vise à restaurer les vraies proportions du dogme ; elle « considère, en vertu de son caractère théan- drique, la vérité divine dans son revêtement humain; et enfin elle réalise les requêtes d’une théologie vivante, parce qu’elle se rattache à la Tradition prise au sens plénier. Elle n’est pas une théologie flattant les chrétiens séparés, mal informée en Tradition apostolique et choses humaines, faite à l’aide... de Denzinger, employant des arguments de convenance, se limitant à un seul point de vue» (315). Le théologien irénique observe une loyauté envers l’action du Saint-Esprit, qui lui fera éviter une attitude indiscrète, soupçonneuse, craintive et qui le sauve des solutions simplistes à propos des problèmes historiques et psychologiques. Le théologien irénique «voudra se mettre à l’école des sensitifs, des voyants, des penseurs existentiels», ce qui lui permettra de devenir catholique dans un sens éminent (316). Les ébranlements produits par la théologie irénique sont tout d’abord théologiques en tant qu’elle pousse à «rechercher les vérités dispersées dans les différentes sociétés religieuses et appartenant toutes (3X5) Art. cit. p. 28. (316) Art. cit. p. 133. — 145 — à la même Tradition essentiellement sauvegardée dans la société hypo- thétiquemment vraie» (317). Elle n’exclue pas non plus la possibilité d’un certain enrichissement de l’ecclésiologie catholique, ni une marche convergente vers le plérôme eschatologique, animée par l’idée de «l’Eglise de l’avenir». (Zukunftkirche). Cette Eglise de l’avenir, aux yeux de l’ecclésiologie irénique, n’est pas un idéal, «une œcuménicité groupant les diversités humaines au gré de leurs goûts, mais une idée divine, toujours mieux comprise et mieux incarnée, une catholicité unissant les diversités dans une unité supérieure dont les modalités divino-humaines tomberaient encore par leur côté humain et en partie sous la discussion irénique entre catholiques romains et non- romains » (318). Dans la deuxième partie de son étude, l’auteur applique la méthode irénique aur rapports intcrconfessionnels catholieo-orthodoxes. Il dénon¬ ce les fautes méthodologiques: avant tout l’information insuffisante, qui prend une autocéphalie orthodoxe indépendemment des autres, au lieu de s’informer d’abord sur l'ensemble de l’orthodoxie. «L’unia- tisme » spirituel subit également une critique sévère de la part de l’auteur (319). La troisième faute méthodologique est commise, selon l’auteur par ceux qui accordent une trop grande importance aux choses périphériques, le langage liturgique ou la discipline. Quels sont alors les moyens d’échapper à ces pièges? Il faut, nous dit le P. Lialine, «se familiariser avec les herméneutiques des sciences de l’esprit, ( Geisteswissenschaften), des philosophies de la vie (Lebensphilosophien), des philosophies existentielles, etc., lesquelles, quelle que puisse être leur valeur proprement métaphysique, apportent des éléments très im¬ portants pour interpréter les phénomènes psychologico-historiques et y découvrir l’essentiel et l’accidentel véritables» (320). L’ecclésiologie irénique comprendra pourquoi l’idéal anthropolo¬ gique du catholique et du non-catholique moyen sont si différents; sur le plan philosophique elle montrera une compréhension particulière à l’égard de l’idéalisme allemand (321). Quant à l’étude des dévotions, des idcals mystiques-ascétiqucs, le P. Lialine, préconise une indispen¬ sable information pratique. Le défaut de celle-ci a amené la plupart des spécialistes occidentaux de l’orthodoxie à une défiguration du (317) Art. cit. p. 137. (318) Art. cit. p. 147. (319) L’erreur fondamentale de «runiatisme spirituel» consiste dans son apriorisme, identifiant le catholicisme avec les particularismes de l’Eglise latine. Cet apriorisme le pousse à découvrir à tout prix chez les orthodoxes des éléments latins... (320) Art. cit. p. 153. (321) Il ne sera pas sans intérêt de reproduire ici l’avis de l’abbé Baron et du P. Congar sur l’idéalisme allemand: «Peut on nier qu’aucune interaction ne sc soit produite entre les courants d’idées déterminés par la philosophie allemande et l’élaboration de la pensée de Khomiakovt Nous ne le pensons pas, et comme 10 — 146 — pneumatisme orthodoxe (322), à tel point que ces ouvrages ne représen¬ tent pas le « trezvenie », la sobriété, qui est la pierre de touche de la mystique orthodoxe et sans laquelle tous les pneumatismes ne sont, selon les « staretz », qu 'illusions « prelest » (323). Parmi les remèdes indiqués par l’auteur contre de tels défauts, la théorie de la connaissance intégrale, cœur du message slavophile, occupe une place de tout pre¬ mier ordre. La connaissance intégrale implique, en plus des éléments strictement rationnels, l’intuition, la connaissance affective, la con¬ naissance par connaturalité etc. «Le rôle cognoscitif de la charité irénique trouverait ici des précisions et pourrait conduire à une mise au point irénique des gnoséologies occidentale et orientale » (324). Cette ecelésiologie irénique, vivante, se distingue en outre par son attachement aux expériences révélatrices du réel, par sa vaste culture, qui prend sa source dans la vie vécue ensemble avec les sociétés et avec les hommes, « qui ont eu ou ont l’histoire; qui créent ou ont créé des valeurs spirituelles dans le sens le plus compréhensif du ter¬ me» (325). L’irénisme se développe «dans une solidarité profonde de toutes les créations humaines», parce qu’il est «lui-même solidarité dans son être et surtout dans son intention » (326). Une telle théologie correspondrait aux désirs des orthodoxes qui voudraient rencontrer du côté catholique une théologie créatrice, qui surmonte le développement notionnel et logique des idées, une théologie qui aboutisse à l’élabo¬ ration complète de la Tradition; une théologie qui ressorte de l’intelli¬ gence collective (sobornost) (327). Il découle de la structure de la théologie irénique que la vérité recherchée n’y est pas conçue d’une façon purement logique, mais sous son jour mystérieux, qui impose aux théologiens un respect ana¬ logue au sentiment du sacré. La théologie irénique, tout en procla¬ mant la primauté de la vérité, « dépasse l’intellectualisme étroit par son sens du mystère, du respect et de l’amour expurgé de tout senti- on l’a dit pour le théologien catholique Moehler ou pour V. Soloviev, Khomiakov a très bien pu s’inspiror de l’idéalisme allemand tout en prenant le contrepied de ses principes» (P. Baron op. cit. pp. 58-59). Selon le P. Congar, l’idéalisme alle¬ mand a apporté à la pensée religieuse «le stimulant d’une pensée spéculative, profonde, mystique et le cadre ou l’instrument conceptuel d’une conception organi¬ que et universaliste de la société et par suite de l’Eglise». («La pensée de Moehler et l'ecelésiologie orthodoxe» Ir 12 (1935) p. 325). (322) L’auteur y fait allusion à des ouvrages publiés en Allemagne au cours des trente dernières années. (323) Art. cit. p. 240. (324) Art. cit. p. 246. (325) Art. cit. p. 249. (326) Ilid. (327) Berdiaicv fait remarquer ( La réunion chrétienne, en russe - Paris 1933. p. 75) que ce sont les catholiques spécialistes de l’orthodoxie qui répugnent le plus aux orthodoxes et les livres co mm e Oh. PpI/EGEr: Geister, die uni Christus ringen, contribueront incomparablement plus à la question de la réunion, (d’après Lialine p. 249). — 147 — mentalisme» (328). C’est la vérité, une par nature, qui rend la théo¬ logie irénique, unioniste et qui l’invite à rétablir les manifestations relatives d’une seule vérité et à démontrer aussi leur unité ontolo¬ gique sous-jacente. La théologie irénique est « scientifique, créatrice, théologique, ecclésiologique, théandrique, (le naturel ne venant pas étouffer le surnaturel, l’inverse ne se produisant pas non plus) histo¬ rique, humaniste, personnaliste » (329). Elle est herméneutique au sens plénier, parce qu’elle respecte la vie qui ne systématise pas et ne veut rien sacrifier de la réalité, qu’elle respecte «jusqu’au diffé¬ rentiel impondérable qui peut parfois déclencher l’ébranlement iréni¬ que le plus ébranlant » (330). En conclusion nous pouvons dire que la méthode et l’idéal théolo¬ gique, ecclésiologique du P. Lialine dépassent largement les cadres de la théologie scolastique et positivo-scolastique. Au lieu de s’enliser dans une exposition « trop notionnelle et abstraite » du donné révélé, sa méthode fait appel à l’aspect vitaliste, concret, de la vérité. Sa préoc¬ cupation principale est d’embrasser tous les domaines de la réalité, pour faire ressortir la vérité plénière catholique. Ses exigences sont à ,1a fois bien fondées et elles ne méprisent point les valeurs déjà acquises par le travail théologique. Toutefois, il faut noter que l’appel fait par les divers auteurs en vue de l'intégration de n’importe quelle valeur non-catholique, s’arrête à mi-chemin du travail ecclésiologique. Il est indispensable de préciser ces éléments « intégrables ». Sans cela des requêtes semblables pourraient susciter le danger du relativisme. 4) A côté de l’élaboration des principes d’un oecuménisme catho¬ lique et de la méthode irénique, c’est la redécouverte de l’ecclésiologie de Mochler qui constitue le troisième caractéristique des tendances actuelles de l’ecclésiologie catholique en matière oecuménique. Nous avons eu l’occasion de voir dans le chapitre précédant, les caractères principaux de l’œuvre de Moehler: en particulier son concrétisme, son vitalisme. Il nous reste à résumer ici, à grands traits, lès motifs qui l’ont rendu, aux yeux de bon nombre d’ecclésiologues catholiques, le théologien par excellence de la réunion des églises. Après tout ce que nous venons de voir des orientations nouvelles de l’ecclésiologie protestante et du mouvement oecuménique, il ne sera pas difficile de deviner que l’apport oecuménique de Moehler consiste précisément à avoir mis en relief l’idée d’une Eglise vécue par les fidèles. Ses deux grands ouvrages furent rédigés en vue de servir la cause de l'unité, de faciliter une mutuelle compréhension entre protestants et catholiques et de fournir une preuve efficace que ce n’est que l’Eglise catholique (328) Art. cit. p. 253. (329) liid. (330) Art. cit. p. 255. — 148 — qui possède d’une façon organique les valeurs cherchées par le pro¬ testantisme. Selon le P. Congar (331) L’Unité excelle «par la grande largeur et la valeur assimilative des principes, qu’il met en œuvre, par la richesse, la profondeur et la fécondité des points de vue, qu’il intègre à sa vision » (332). Moehler, dit-il, ne dédaignait pas dans cet ouvrage de profiter dans une large mesure des points de vue nouveaux de la théologie protestante contemporaine, représentée par Schleiermacher et par Néander. Il reconnut la primauté de la vie, en introduisant dans la théologie catholique une certaine théorie de la connaissance, ce pourquoi il fut maintes fois considéré comme le Père du modernisme. Le retour aux Pères, préconisé par lui, poursuit le P. Congar, est devenu plus tard le mot d’ordre du mouvement oecuménique, com¬ me la primauté de l’amour dans la cause de l’union en est devenue une des devises (333). L’Unité, malgré ses imperfections, contient des intui¬ tions fondamentales si conformes à la tradition la plus ancienne, des points de vue si larges, « que l’ensemble a une réelle quantité catho¬ lique et une réelle valeur d’assimilation et de réponse à l’égard des points de vue ou des requêtes authentiques de nos frères séparés » (334). L’autre chef-d’œuvre de Moehler ne contient pas moins de valeurs authentiques pour un oecuménisme catholique. Nous pensos ici, en premier lieu, à son caractère irénique dans une controverse sérieuse, signe du réveil du sens confessionnel. Ces luttes loyales ont témoigné qu’on préférait la controverse théologique à l’indifférence et que les catholiques dépassaient leur torpeur spirituelle et s’engagaient sur la route de la compréhension mutuelle (335). La Symbolique, dit le P. Congar, est un exemple qu’il faut discuter non sur les personnes mais sur les idées, en supposant la bonne foi et la bienveillance des deux côtés, pour éviter les mensonges et les injures. L’auteur de la Symbolique a considéré dans la confession dissidente «une manière de réaliser le christianisme, un tempérament ou un génie particulier, dans lesquels certaines valeurs ont fait l'objet d’une perception aiguë et ont reçu un développement tout spécial » (336). Moehler en cher¬ chant l’essentiel du problème protestant dans l’anthropologie s’avéra sur ce point aussi le précurseur des orientations actuelles. (331) Y. Conoak: La signification oecuménique de l’œuvre de Moehler. lr * 15 (1938) 113-130. (332) Art. oit. pp. 121-122. (333) Cette influence importante des recherches patristiques sur la canse de l’union a été mise en relief par O. Rousseau: Tendances à l’unité en dehors dn mouvement oecuménique. VSpir 88 (1953) pp. 79-84. (334) Art. oit. p. 123. (335) Art. cit. pp. 115 sv. (336) Art. cit. p. 121. — 149 — Bien n’atteste mieux le rayonnement œcuménique de l’œuvre de Moehler parmi les catholiques que le recueil d’études de théologiens allemands et français, intitulé L’Eglise est Une, publié sous la di¬ rection du P. Chaillet (337). Le livre, selon ce dernier (338), non con¬ tent de donner une idée des pensées de Moehler concernant l’union, se proposait d’élaborer l’esquisse doctrinale de l’Unité catholique. A lire attentivement l’introduction, les idées-maîtresses du livre ne restent plus cachées: en premier lieu l’accent mis sur le sens histo¬ rique dans la théologie (339), la synthèse à faire entre la pensée moderne et l’héritage chrétien intégral (340), l’estimation positive à l’égard du romantisme comme courant mystique, et enfin la tendance à voir dans l’idéalisme la dialectique du progrès (341). Le P. Sertillanges (342) semble vouloir donner la philosophie d’une ecclésiologie en mettant en relief le rapport dynamique entre là religion naturelle et l'Eglise, en des phrases qui rappellent Bergson. K. Biehl- meyer (343) et .T. Ranft (344) évoquent à leur tour le caractère orga¬ nique, vital et ascendant de l’histoire de l’Eglise et de la Tradition, lies antres études que nous avons déjà vues au chapitre précédent trahissent les mêmes aspirations concrètes et vitales. Il faut d’ailleurs avouer que l’ouvrage avait en vue le grand public; circonstance qui lui enlève beaucoup de sa valeur strictement scientifique, à tel point que maints passages du livre semblent surchar¬ gés d’une rhétorique qui n’aide guère à la précision des idées. Mais ce qui est le plus répréhensible dans ce recueil d’études, c’est que la plupart des auteurs cèdent à un enthousiasme sans critique et passent sous silence les faiblesses non-négligeables du système de L’Unité. Si grandes que soient les valeurs de Moehler, — nous les avons mises bien en relief — elles n’autorisent pas une position théologique sans nuances. A coup sûr les études de Geiselmann et de Losch font bien apparaître l’autocritique de Moehler dans la Symbolique, mais on se demanderait à bon droit si le centre visible de l’unité de l’Eglise garde encore son rôle majeur dans le rapport de l’unité et de la diversité, objet de l’étude du P. de Montcheuil (345). (337) Paris 1939. (L’édition allemande, Die Eine Kirclie, publiée par H. Tilchlc. Padcrborn. 1930). (338) Cf. Introduction. (339) Cf. p. 9. (340) Cf. p. 10. (341) Cf. p. 14. (342) «Beligion et universalité» EU pp. 21-32. (343) «L’histoire de l’Eglise» EU pp. 82-101. (344) «La tradition vivante: Unité et développement» EU pp. 102-126. (345) «La liberté et la diversité dans l’Unité». EU pp. 234-254. Nous avons défendu de riotsc côté la justesse de fond de l’Unité de Moehler. Mais pour voir combien elle est susceptible d’une interprétation d’esprit protestant, qu’on lise — 150 — A vouloir donc énumérer les orientations nouvelles que l’ecclésio- logie catholique a prises en face du mouvement oecuménique, on voit comment, aux yeux de spécialistes catholiques de cette question, une élaboration de l’aspect intérieur de l’Eglise s’avère indispensable pour faciliter le rapprochement des chrétientés séparées avec Rome; on exige en outre un élargissement de la méthode théologique, en parti¬ culier ecclésiologique. Les qualités exigées du théologien se sont multi¬ pliées à cause de la complexité de la tâche qui se présente. En plus d’une information sur les questions apologétiques ou d’ordre métaphy¬ sique, les méthodes et les principes nouveaux que nous venons de voir, réclament également une orientation psychologique et anthropologique, une âme ouverte aux valeurs vitales, un sens historique, un retour aux sources chrétiennes et avant tout une objectivité contre l’étroitesse subjective. Au lieu des questions de critique textuelle, ce sont les prin¬ cipes de synthèse, la mise au point complète du théandrisme, qui doivent commander désormais les recherches. VIL - Le mouvement missionnaire et l’ccclésiologic catholique Il est très convenable de terminer ce chapitre consacré aux influen¬ ces ecclésiologiques, qui se font sentir du-dehors sur l’Eglise, par l’examen de l’interaction s’exerçant depuis une trentaine d’années entre le mouvement missionnaire et l’ecelésiologie. D’une part l’eeelé- siologie, en particulier l’idée du Corps mystique, a donné un fondament dogmatique à la missiologie, d’autre part, plusieurs problèmes soulevés par l’action missionnaire ont évoqué des réflexions précieuses parmi les travailleurs du renouveau ecclésiologique. Si l’on prend les œuvres les plus représentatives de la missiologie de ces trente dernières années, on y voit apparaître de plus en plus fréquemment un ou plusieurs chapitres sur le Corps mystique. Les ouvrages de B. Arens (346) et du P. Charles (347) en sont un témoignage clair. Cette tendance de la missio¬ logie récente est encore plus évidente dans la synthèse missiologique de A. V. Seumois (348), et même elle semble pénétrer les manuels du droit missionnaire (349). Cette orientation de la missiologie a été con¬ firmée par la doctrine de l’Encyclique Evangelii praecones, qui a les passages ironiques de F. Heiler sur la «catholicité prétendue* de Moehler. (1m Eingen uni die Kirclic. München 1931, cf. le chapitre intitulé: Die religiôsen Bewegungen im rômischen Katholizismus der Gegenwart, pp. 174-197). (346) B. Arens: Manuel des missions catholiques. Louvain 1925. (347) P. Charles: Missiologie. Paris 1939. Voir surtout les chapitres: «Dog¬ matique missionnaire fondamentale», (pp. 48-62); « L’Encyclique sur les mis¬ sions», (pp. 92-99); «La mystique de l’adaptation» (pp. 201-217). (348) A. V. Seumois: Introduction à la missiologie, éd. par l’Administration der Neuen Zeitschrift für Missionswisscnschaft. Schoncck-Beckenried, Suisse 1952. (349) Cf. X. Paventi : La Chiesa missionaria. I-II. Borna 1950. — 151 — suscité une réflexion missiologique non-négligeable (350). Bien qu’il soit vrai que les idées ecclésiologiques exposées dans ces ouvrages s’en tiennent aux généralités, en tout cas, du point de vue méthodolique, l’ecelésiologie figure désormais comme l’idée-maîtresse de la missiologie. Quant à l’autre côté de la question, c’est-à-dire l’influence exercée par les exigences de l’action missionnaire sur 1’ecclésiologie, on peut relever quelques répercussions doctrinales intéressantes. L’œuvre mis¬ sionnaire étant en grande partie l’adaptation aux races, aux cultures, aux idéologies encore non-assimilées et sanctifiées par l’Eglise fait appel à une attitude doctrinale éminemment compréhensive et souple. Ceci exige tout d’abord un renoncement aux intentions, même indirectes de vouloir transformer les indigènes en des hommes occidentaux (351) et, en même temps, une étude plus appro¬ fondie du rapport de l’Eglise et des cultures (352). C’est dans une idée de l’Eglise, basée sur son aspect dynamique, que l’action missionnaire plus intensive cherchera sa justification. Enfin, un contact plus intime avec les systèmes philosophiques orientaux rend urgent la tâche de distinguer d’une manière très nuancée ce qui est élément occidental dans le christianisme de ce qui est universellement valable (353). Une fois de plus, c’est la notion de la catholicité qui doit subir un remaniement profond en face des requêtes posées par l’œuvre missionnaire. Bien entendu, une attitude compréhensive, attentive aux valeurs des religions païennes et bienveillante dans ses jugements, ne sera pas sans quelques dangers, en particulier celui du relativisme. L’autre danger que la même attitude optimiste risque de faire courir serait de trop minimiser les conséquences du péché originel dans les religions païennes. La répercussion ecclésiologique en serait un certain oubli de l’importance de l’unité ecclésiastique et de la transcendance absolue de la surnaturalité de l’Eglise. C’est de nouveau une présen¬ tation équilibrée des aspects de l’Eglise qui aidera à éviter ces écueils. (350) F. Rommbrskirciien: Bibliographiae Encyclicae Evangeli Praecones. ED 5 (1952) pp. 320-326. (351) A. Huonder: Der Europàismus in der Missionsarbeit. Aachen 1921. (352) Cf. E. de Lubac: Le fondement théologique des Missions. Paris 1946. p. 73. (353) Cf. J. Dakiélou: Le mystère du salut des nations. Taris 1947. pp. 55 sv. Chapitre III LE RETOUR AUX SOURCES Dans les deux précédents chapitres on a vu quels sont les facteurs qui ont provoqué une nouvelle orientation dans l’ecclésiologie et on a pu constater également, dans quel sens ces facteurs ont joué. Ce sens est essentiellement celui de la mise en valeur de l’aspect intérieur, mystique, vital, dynamique, expérimental et subjectif de l’Eglise. Il était inévitable que tout cela eût ses répercussions sur la façon dont les ecclésiologues catholiques aborderaient l’étude des sources de la théologie de l’Eglise: l’Ecriture, les Pères et les Grands Scolastiques. Et de fait la renaissance ecclésiologique est caractérisée par une forte impulsion donnée aux études d’exégèse et d’histoire. Or ces études ont un caractère qui leur est propre. On n’aborde pas, à propos de l’Eglise, l’étude de l’Ecriture et de la Tradition avec la même mentalité qu’à l’époque précédente. Ce n’est plus une ecclé- siologie de controverse qui cherche son appui biblique et patristique : Ce sont plutôt les éléments d’un traité dogmatique, harmonieux et équi¬ libré de l’Eglise, qu’on veut retrouver dans la richesse de la Tradition. Parallèlement à ce mouvement d’intégration des valeurs dogmatiques de la Tradition, on s’efforce de dégager de la pensée biblique et pa¬ tristique les idées particulièrement chères à la mentalité moderne: l’aspect intérieur et mystique de l’Eglise, sa conscience vivante, son symbolisme etc. A vrai dire, n’importe quel retour aux sources comporte bien des dangers. Tout d’abord celui d’un historicisme romantique, la tentation de céder à la fascination de l’Eglise «primitive». En outre toute la difficulté réside dans le choix entre ce qui est vivant dans la Tradition et ce qui est lié entièrement à telle ou telle époque. C’est ainsi que l’élément traditionnel peut devenir une aide indispensable pour le progrès, mais aussi un empêchement à s’adapter aux exigences nouvelles. Bref, le retour aux sources est toujours un devoir ardu, parce qu’il doit suivre de près l’idée du Card. Newman à propos de la Tra¬ dition vivante de l’Eglise: «L’Eglise catholique ne perd jamais ce qu’elle a une fois possédé... Au lieu de passer d’une phase de la vie à l’autre, elle porte avec elle sa jeunesse et sa maturité jusqu’en sa vieillesse. Elle n’a pas changé ses possessions, mais elle les a accumulées et suivant l’expression, elle tire de son trésor du neuf et du vieux» (1). Notre tâche consistera donc à passer en revue les principaux ouvra¬ ges parus depuis environ 30 ans en cette matière. Il ne s'agira pas, bien (1) J. H. Card. Newman: Historical sketches. Ed. Longmaiis. Vol. II. p. 368. — 156 — entendu, de faire ici une espèce de compte-rendu du contenu complet de ces ouvrages, mais seulement de relever dans leur méthode et leur résultats principaux les points qui sont caractéristiques des tendances modernes de 1 ’ecclésiologie. Nous serons amenés à constater d’ailleurs un réel progrès, mais aussi un certain unilatéralisme. Pour assurer l’objectivité de notre jugement, nous ne devons pas perdre de vue l’avertissement de Mgr. Journet qui, en parlant des divers régimes de l'intelligence chrétienne, a émis l’opinion, que, bien q u 'également nécéssaires au travail théologique, ils ne pouvaient se trouver tous ensemble et simultanément chez chaque théologien indi¬ viduellement (2). En d’autres termes, l’unilatéralisme du théologien individuel étant inévitable, c’est dans l’ensemble du mouvement où il est inclus, qu’il doit être apprécié. Ce n 'est. qu ’un vaste tour d'horizon, qui nous permettra de consta¬ ter que, abstraction faite des déviations périphériques, on peut parler d’un certain unilatéralisme, mais non d’une crise dans l’ecclésiologie. Ni le problème paulinien, ni le problème augustinien de l’ecclésiologie récente, ne manifestent une crise de la « grande ecclésiologie », une fois admis que la théologie n’est pas seulement l’œuvre d’individus isolés, mais celle de la pensée commune des théologiens, où l’interdépendance et l’interaction jouent un rôle de tout premier plan. T. - Recherches récentes sur Pecclésiologio de la Bible 1) 'L’élaboration de la pensée biblique sur l’Eglise est de date assez récente. Les grands ecclésiologues du siècle passé se sont inspirés plutôt de la tradition des Pères grecs, comme le démontrent L’Unité de Moehler, le De Ecclesia de Passaglia ou Les Mystères de Scheeben. Les autres tentatives, ou bien ne dépassent pas les idées générales, comme la Dogmatique de Katschtaler (3) ayant pour centre l’idée du royaume de Dieu, ou bien abordent l’enseignement biblique sous l’angle apologétique (4). Même La théologie de saint Paul, écrite par H. Th. Simar (5), ne dit pas un mot du corps mystique, en énumérant les idées-maîtresses de la théologie paulinienne (6). Pour présenter l’idée paulinienne con¬ cernant l’essence de l’Eglise (7), l’auteur se limite à deux métaphores: (2) Ch. Journet: Introduction à la théologie. Paris 1947. p. 316. (3) Theologia dogmatica catholica specialis. 4. vol. Ratisbonac 1877-88. (4) Cf. Bartmank: Das Himmelreich und sein Konig nacli den Synopti- keni. Paderborn 1904 - ou bien du même auteur: Dns Reich Gottos in der lil. Schrift. Munster 1912. (5) Die Théologie des heiligen Paulus. Freiburg (Br) 1883. 2° 6d. (6) Cf. op. cit. pp. 21-25: les idées principales sont aux yeux de l’auteur: la catholicité et la justification. (7) Cf. op. cit. pp. 229-236. — 157 — celle du Temple et celle du corps du Christ, ne consacrant à cette der¬ nière que deux pages. D’ailleurs eet ouvrage s’occupe plutôt de ques¬ tions polémiques, en particulier des théories protestantes sur la justifi¬ cation chez saint Paul. Nous ne douvous partager l’avis de -T. Ranft (8) qui a considéré cette œuvre comme une contribution remarquable pour une meilleure connaissance de l’Eglise. L’article de J. Méritan (9) sur l’ecclésiologie de l’épître aux Ephé- siens n’atteint pas le vrai fond de la.pensée paulinienne sur cette ques¬ tion car il se contente de mettre en relief que, «la catholicité et l’uni¬ té sont les deux grandes données ecclésiologiques de cette épître », en constatant Que «la hiérarchie n’apparaît pas avec ses cadres et son personnel définitivement constitués. L’autorité suprême qu’on a appe¬ lée depuis la papauté est passée sous silence » (10). L’œuvre de E. Com- mer se limite à des analyses spéculatives à propos des images bibliques sur l’Eglise (11). Le tournant décisif a été opéré par l’article de F. Prat sur l’idée essentielle de la théologie de saint Paul (12); cet article, prélude à sa grande œuvre, La théologie de saint Paul, se distingue par son carac¬ tère positif, libre de tout apologétisme et met au centre de la pensée paulinienne l’idée du Corps mystique. Mais le premier qui ait réussi le mieux à exprimer l’idée profonde de l’ecclésiologie biblique, est le P. Mersch. Son œuvre bien connue (13) a exercé une influence sans pareille non seulement dans le domaine biblique, mais également sur les recherches patristiques et scolastiaues. On pourrait insister sur la valeur mystique de cette œuvre, sur sa meulière riche de s’exprimer et rappeler les récensions enthousiastes que cet ouvrage a suscitées (14), mais ce oui constitue sa plus grande valeur, c’est la redécouverte du premier objet de la révélation biblique, la remise en honneur « du mystère du Christ eu nous ». Le mystère, au dire du P. Mersch, est un prodige d’unité. « Cette unité prend notre être de toutes parts : elle nous unit à nous-mêmes, elle nous unit les uns aux autres, elle nous unit chacun et tous ensemble à Dieu, elle nous unit chacun et tous ensemble au Christ» (15). C’est cette union selon la grâce des hommes rachetés, entre eux et avec le Christ, qui constitue (8) Of. Die Stellung der Kirclie im dogmatischeu System. Aschaffenburg 1927. p. 131. (9) L’ecclésiologie de l’épître aux Ephésiens, BB 7 (1898) 343-369. (10) Art. oit. p. 369. (11) Die Kirclie in ihrem Wescu und Lcben. Wien 1904 - trad. italienne: L’csscnza délia Chiesa. Venczia 1905. pp. 35 sv. (12) L’idée-mdrc de la Théologie de saint Paul, Et 83 (1900) 202-223. (13) Le Corps mystique du Christ. Etudes de théologie historique. 2 vol. Paris 1933-1936. 2* éd. (14) A titre d’exemples, quelques unes des récensions catholiques: O. Rous¬ seau : Une étude sur le Corps mystique du Christ. Ir 8 (1933) 5-21 — L. Malbvez : Le Corps mystique du Christ à propos du livre du P. Mersch. NRT 61 (1934) 30-43. (15) Op. oit. p. XVII. — 158 — l’objet des recherches du P. Merseh; ou, eu des autres termes, c’est l’aspect mystique de l’Eglise qui domine la révélation biblique et dont l’expression la plus parfaite est la métaphore paulinienne: corps du Christ. 21 Les synoptiques, selon le P. Merseh, n’offrent guère de textes concernant l’idée du Corps mystique, mais toutefois les actions du Christ qu’ils présentent, visent le Corps mystique, puisqu’elles sont porteuses de grâce. La personne historique de Jésus est le centre d’où découlent le salut et la grâce : le Corps mystique et la vie terrestre du Christ sont en corrélation intime, de même que le royaume des cieux, centre de l’enseignement de Jésus, est en rapport étroit avec sa personne. Le Royaume n’est autre que le mystère de la vie intérieure, à tel point que l’auteur peut se demander à bon droit si le royaume et le corps mystique ne seraient pas identiaues (16). La hiérarchie, plus précisément les apôtres, n’agissent qu’au nom du Christ, c’est lui qui communique la force intérieure nécéssaire à leurs missions, c’est lui qui enseigne dans les paroles de ses disciples, c’est lui qui sanctionne les sentences ecclésiastiques. Le royaume survit à l’écroulement du monde grâce à la présence promise du Christ et au dernier jour, on constatera que stous les actes des chrétiens atteignent d’une façon mystérieuse le Christ lui-même. Les questions tant discutées, comme celle de la primauté de Pierre, ne figurent pas dans les perspec¬ tives du P. Merseh. Il ne s’intéresse pas non plus aux questions concer¬ nant la visibilité du royaume et sa structure eschatologique. Cette ecclé- siologie des synoptiques, aux yeux du P. Merseh, se ne résume pas « en théorèmes et en thèses » (17), elle est plus qu’un enseignement abstrait, « elle est, avant tout, Jésus-Christ, et Jésus-Christ l’enseigne non seule¬ ment en parlant, mais en étant » (18). Partant, l’ecclésiologue doit avant tout contempler la personne vi¬ vante du Christ, car pour connaître le Corps mystique, il doit connaître la plus grande donnée théologique: la vie du Maître. L’auteur se défend d’abandonner la méthode théologique et de se laisser entraîner dans la seule psychologie ; son souci est « de prendre la vérité chrétienne là où elle s’est trouvée en premier lieu et où elle reste en plénitude, dans la personne du Maître et dans sa vie » (19). La théologie, en notre cas 1 ’ecclésiologie, « a cela de spécial, qu’elle étudie une doctrine qui est en même temps un fait et qui tient toute en une personne » (20). (16) Cf. op. cit. eliap. II.: «Le Royaume de Dieu et le corps mystique dans les Evangiles synoptiques», pp. 22-70. (17) Op. cit. p.,28. (18) Op. cit. p. 28. (19) Op. cit. p. 29. (20) Ibid. — 159 — Donc la méthode théologique, poursuit-il, devant s’adapter à son objet, ne peut renoncer à la méditation et à la contemplation, elle ne peut se passer de revivre le récit évangélique, de s’y plonger; en un mot c’est la vie et l’âme qui doivent en être saisies. Cet engagement dans le concret, aux yeux du P. Mersch, est une œuvre délicate, mais nécessaire, au travail théologique. Sans doute il comporte le danger de glisser dans des conjectures et des probabilités, car «les procédés de contrôle que fournissent la philosophie et la dialectique ne peuvent guère s’y employer. Il n’y a plus à critiquer les textes, ni à peser des syllogismes; il n’y a qu’à laisser les faits se grouper en son esprit et en son âme et à se taire pour les laisser parler » (21). Rien ne démontre mieux combien le P. Mersch tenait à l’aspect invi¬ sible et pneumatique du Corps mystique que ses études sur saint Jean (22). Après avoir comparé la vision du premier chapitre de l’Apo¬ calypse à celle du chemin de Damas, il fait ressortir le rôle du Christ dans la vie des chrétiens. Selon l’auteur, les grandes métaphores: la lumière, la vie, la vigne, attestent une même vérité: le Christ, qui a vécu en Judée, est celui-là même qui vit en nous. C’est par lui que nous sommes vivifiés, comme l’illustrent le discours à Nicodème et le sermon sur le Pain de Vie. Cette vie en lui et par lui implique une unité qui se ramène à la Trinité même ; les paroles du Seigneur, «qu’ils soient un comme nous» prennent un relief spécial non seule¬ ment chez saint Jean, mais chez les Pères, pour exprimer d’une façon adéquate la grandeur de l’Eglise. Partant, l’unité, signe du Christ, est en dernier ressort l’amour trinitaire dans les chrétiens (23). Ces mêmes remarques valent aussi pour l’idée du corps mystique chez saint Paul, que nous verrons plus en détail. Bref, le P. Mersch affirme la concordance essentielle des notions de royaume, mystère, vie, caractéristiques des Synoptiques, de saint Paul et de saint Jean (24). Mais cette unité de doctrine ne supprime pas certaines différences : saint Paul regarde le mystère plutôt du côté des membres (25), tandis que saint Jean le place sous l’aspect trinitaire(26). C’est le corps militant qui est au premier plan chez saint Paul, tandis que l’Eglise est pour saint Jean «une réalité transcendante, apparte¬ nant plus aux deux qu’à la terre et dans laquelle se prolonge la gloire de 1 ’Homme-Dieu. En cela même consiste la particularité principale du quatrième Evangile. Plus que les autres, il montre, dans ” ceux du (21) Op. cit. p. 29. (22) Cf. chap. VIII-X. pp. 206-269. (23) Cf. pp. 261-264. (24) Cf. chap. XI. « Conclusion sur l’Ecriture sainte », pp. 270-281. (25) «Nous tous dans le Christ nous ne faisons qu’un corps, qu'un Christ mystique ». p. 271. (26) « Demeurant dans le Christ et lui en nous, nous vivons de lui, comme lui vit du Père, et nous sommes en lui comme lui est un avec le Père ». p. 271. — 160 — Christ” une réalité d’ordre théaudrique » (27). Il est vrai, le royaume des synoptiques parle plutôt d'une sujétion; saint Jean part de l’idée de l’existence nouvelle, de la régénération; saint Paul, lui, se regarde comme le héraut du mystère, du dessein caché; mais au fond ils disent tous la même chose: notre incorporation dans le Christ (28). Le plus grand mérite des recherches bibliques du P. Mersch est d’avoir fait ressortir l’enseignement de l’Ecriture sur l’aspect intérieur de l’Eglise, de plus il montre comment l’idée de notre incorporation dans le Christ est le centre de la révélation biblique. Mais il introduit une distinction considérable entre la notion de Corps mystique et celle de l’Eglise. Son hypothèse de travail, selon laquelle l’idée du Corps mystique s’épuise dans l’aspect intérieur de l’Eglise, ne se justifie guère. Le mystère chrétien est toujours théandrique: la structure de l’Eglise, son aspect hiérarchique etc., entrent à titre essentiel dans le mystère. L’un des aspects de l’Eglise ne s’explique qu’à l’aide de l’autre. Non que le P. Mersch ait fait une abstraction totale de l’aspect extérieur de l’Eglise, loin de là, mais il ne rend compte dans ses déve¬ loppements que de l’aspect intérieur du Corps mystique. Il a tort de vouloir retrouver dans la révélation et dans la tradition une idée du Corps mystique indépendante, dans une certaine mesure, de l’idée de l’Eglise visible. C’est ainsi que ses développements, extrêmement pré¬ cieux d’ailleurs par la mise en relief de l’aspect intérieur de l’Eglise, ont beaucoup renforcé une tendance qui va dans certains ouvrages de vulgarisation jusqu’à des imprécisions dangereuses: une séparation entre le corps mystique et l’Eglise. En parallèle avec cette attitude fortement orientée vers une primauté de l’intériorisme, signe des ten¬ dances nouvelles, le style du P. Mersch trahit également une adaptation au nouvel idéal théologique: langage qui veut unir à la précision tech¬ nique, si nécéssaire dans un ouvrage dogmatique, un certain dynamisme, et quelquefois un peu trop de lyrisme. Ces remarques s'appliquent aussi à ses développements ultérieurs (29). Nous avons analysé déjà plus haut, à propos de l’ecclésiologie dialectique, l’œuvre exégétique de Peterson. Parmi les ouvrages qui tentent de mettre en relief le caractère dogmatique, intérieur et vital de 1 ’ecclésiologie biblique, il faut mentionner avant tout l’étude du P. (27) Op. cit. p. 274. (28) Cf. op. cit. pp. 277-8. (29) Il faut noter ici, que l’étude de A. Klaus: Die Idee des Corpus Cliriati Mysticum bei den Synoptikern (TG 28 [1936] 407-417) n’ajoute rien de mar¬ quant aux idées développées par le P. Mersch. La même remarque vaut pour l’ar¬ ticle do H. Bleienstein: Der mystische Christus der hciligcn Sohrift, ZAM 9 (1934) 193 sv. Quant aux articles de A. Vitti, publiés dans le Gregorianum, ils ne relèvent pas de la tendance actuelle caractéristique de l’ecclésiologie. (Bassegna di TeolO' gia Biblica: Ecclesiologia, Gr 14 [1933] 588-603; Eccleaiologia doi Vangeli, Gr 15 [1934] 409-438). — 161 — Congar sur la doctrine de l’unité de l'Eglise daus l’Ecriture (30). Aux yeux de l’auteur, l’idée biblique de l’Eglise est d'une importance capi¬ tale non seulement à l’égard du mouvement unioniste, mais surtout pour arriver à une vue d’ensemble du mystère de l’Eglise où les élé¬ ments dérivés soient considérés à la lumière des éléments primordiaux auxquels il se rattachent. C’est l’idée biblique de l’Eglise qui pourrait permettre de préciser l’enchaînement de certaines notions importantes pour remettre en honneur quelques aspects négligés de l’ecclésio- logie (31). Les thèmes majeurs d’une eeclésiologie biblique envisagent l’Eglise comme le royaume de la vie éternelle dans le Christ où l’insertion des individus s’exerce par la .foi, par les sacrements et les «sacrements- personnes » (hiérarchie). La visibilité, l’aspect juridique de l’Eglise sont considérés au point de vue sacramentel: toute la structure de l’Eglise procure et conserve le bien commun : la grâce. « Toute sa vie extérieure, tout son appareil sociétaire ne sont qu’une expression et un instrument d’une vie intérieure qui est la vie du Christ. Toute l’activité extérieure et visible de l’Eglise ne va qu’à réaliser ce qui est sa substance intime: la vie de l’humanité dans le Christ » (32). Selon le P. Congar, la notion de vie domine l’idée biblique de l’Eglise et c’est en fonction de cette vie qu’elle se forme et se développe. Par conséquent cette théologie biblique et les problèmes historiques et critiques qu’elle suscite, ne se révèlent pleinement qu’à celui qui se trouve au-dedans de la vie de l’Eglise. Cette insistance sur l’idée de vie correspond à la perspective de l’Ecriture Sainte, ainsi que l’idée de communauté que constitue le centre des études de J. Daniélou (33) et de E. Hocedez (34). De plus, c’est à la lumière de la vie de l’Eglise au cours de son histoire qu’on trouve l’interprétation la plus authentique de la Bible, comme nous le suggère l’article de E. Closen (35). L’aspect mystique, vital, concret, communautaire que nous venons de signaler dans les œuvres ci-dessus, caractérise nettement les tendan¬ ces nouvelles de l’ecclésiologie dans le domaine biblique. Sans doute une tendance nouvelle ne signifie pas toujours un progrès incontestable, ce qui sc vérifie spécialement dans notre cas. Sans parler des imprécisions (30) Y. Congar : Esquisses du mystère de l'Eglise. Paris 1941; ouvrage con¬ tenant trois études, dont la première: L’Eglise et son unité, pp. 1-57. (31) Cf. op. cit. p. 5. (32) Op. cit. p. 57. (33) Le signe du temple ou de la présence de Dieu. Paris 1942. 13* éd. - C’est l'humanité du Sauveur, prise dans sa totalité, c'est-à-dire lo Corps mystiqne qui constitue le Temple total et définitif de Dieu dans l’histoire du salut. Cf. pp. 28-29. (34) Notre solidarité en Adam, Gr 13 (1932) 373-403. (35) Das Leben der Kirche als Deutung der kl. Schrift, ZAM 16 (1941) 167-182. 11 doctrinales, on déplore l’absence totale de travaux traitant l’ecclésio- logie biblique sous tous ses aspects. Nous ne sommes qu’aux débuts d’un travail d’intégration, dont nous ne voyons encore que les jalons. 3) L’aspect paulinien de l’Eglise étant par excellence l’objet des recherches récentes, nous ne pouvons nous en désintéresser. L’objet de notre étude n’est pas d'émettre un jugement précis sur l’exégèse des textes pauliniens. Nous voulons seulement mettre en lumière les résultats récents en cette matière, les tendances qu’ils manifestent et les influen¬ ces de la pensée moderne qu’on peut y relever. Les recherches récentes sur l’ecelésiologie de saint Paul ont parcouru les étapes suivantes: on a eu d’abord l’orientation mystique représen¬ tée par les travaux du P. Mersch (36) et de A. Wikenhauser (37). On a eu ensuite l’attitude réservée et critique de L. Deimel (38) et de-D. Koster (39). Entre les deux extrêmes plusieurs auteurs se sont montrés partisans d’une solution médiane. Enfin c’est l’étude en profondeur de L. Cerf aux (40) qui cherche à résoudre le problème dans une voie assez indépendante des recherches précédentes. Tous les auteurs souli¬ gnent, à l’unanimité, l’importance majeure des idées de saint Paul en matière ecclésiologique. Le P. Mersch appelle Paul « Apôtre du Christ mystique » (41), le P. Tromp évoque à son tour le rôle capital joué par les idées pauliniennes dans l’évolution ultérieure (42). Wikenhauser le tient pour le premier et le plus grand théologien de l’Eglise (43). Mais cette grande importance de saint Paul a amené, chez la plupart des auteurs, un rétrécissement de vues: ou bien ils considèrent les développements ultérieurs dans l’idée de l’Eglise, Corps du Christ, comme des déviations, ou bien ils s’efforcent d’introduire dans l’idée paulinienne. des éléments plus récents (44). (36) Cf. op. cit. cliap. IV-VII. pp. 87-206. (37) Die Kirclie als der mystisehe Leib Christi nach dem Apostel Paulua. Münster (W) 1937. (38) Leib Christi. Freiburg (Br) 1940. (39) Ekklesiologie im Werden. Paderborn 1940. (40) La théologie de l’Eglise suivant saint Paul. Paris 1943. (41) Op. cit. vol. I. p. 89. (42) Corpus Christi quod est Ecclesia. Introductio generalie. Iîomae 1946. 2* éd. p. 87. (43) « Tieferes ist über die Kirche nie gesagt worden und kann auch fibcr aie nicht gesagt werden ». Op. cit. pp. 1-2. Selon T. Soiron l’ecclésiologie paulinien¬ ne est particulièrement apte à contribuer aux solutions des problèmes de la société contemporaine. (Die Gcsellscliaftprobleme im Lichte paulinischer Théologie. KG 6 [1933] pp. 36-48). (44) A, propos de ces rétrécissements de vues il faut noter qu’ou a négligé assez généralement de mettre en relief combien l’existence de l’Eglise est liée au mystère de la Croix. L’Encyclique en a averti déjà et c’est pourquoi l’ouvrage récent de G. Sciarretta rendra des services très utiles pour combler cette lacune des études sur l’ecclésiologie paulinienne. (La Croce e la Chiesa nella Teologia di S. Paolo. Borna 1952). — 163 — Lïdée centrale de l’ecclésiologie paulinienne autour de laquelle s’ordonnent les recherches et les discussions théologiques, est le carac¬ tère mystique, ontologique et surnaturel de l’unité des chrétiens avec le Christ et entre eux. Aux yeux de Mersch(45) et de 'Wikenhauser (46), sans parler des auteurs moins importants (47), le « mystique » n 'exclut point le «réel», et la métaphore, manière nécéssaire de parler des objets de la foi, ne leur enlève rien de leur réalité. Leurs conclusions visent avant tout eette ontologie surnaturelle. Il est intéressant de citer à ee propos quelques unes de leurs défi¬ nitions. Voici l’opinion de Wikenhauser: «Le Pneuma que reçoivent les chrétiens est en eux tous substantiellement le même-. Il est l’essence spirituelle du Christ et celle-ci communique aux croyants une nouvelle manière d’être» (48). La personne mystique, qui, aux yeux du même auteur, constitue l’union des chrétiens avec le Christ, est fondée sur l’activité mystérieuse du Christ, par laquelle II insère les chrétiens dans son être et dans sa vie. « Cette unité des croyants avec le Christ est pourtant au fond quelque chose d’autre que ce que nous comprenons habituellement sous le nom de personne morale. Dans cette personne mystique c’est le Christ qui est le «Je » (il n’y a pas en elle de « Je- collectif»), c’est lui qui définit son essence. Elle résulte donc de ce fait, qu’il intègre les individus humains dans la communauté de son être et de sa vie propres» (49). L’essence de l’Eglise, exprimée par le mot « plérôme » ne peut être autre que la possession de la vie divine : «la liaison avec le Christ et la participation à sa vie divine qui en dépend est le point capital dans le concept paulinien de l’Eglise comme corps du Christ » (50). W. Koester parle à son tour d’une transformation surnaturelle- ontologique de l’homme, due à la participation au corps eucharis¬ tique du Seigneur qui fait d’une multitude un corps mystique (51). Jürgensmeier n’est pas moins énergique en ce qui concerne la réalité du corps mystique : « Le chrétien est lié au Christ de la façon la plus intime dans son être et dans sa vie. Et de Lui coulent continuellement sur les croyants des forces célestes au point que ceux-ci vivent entière¬ ment dans le Christ. Le Christ est devenu leur vie et ils vivent eux- mêmes en Lui. Le Christ et les croyants ' sont greffés dans un même (45) Le P. Hcrseh cite un bon nombre des auteurs catholiques et protestants qui professent la même réalité mystique surnaturelle . "Wikenhauser op. rit. p. 98. corps mystique du Christ, d’une personne collective que formerait l’Eglise» (85). A première vue cette solution ne s’identifie-t-elle pas avec celle de Wikenhauserî Non, car Cerfaux ne voit pas dans les mots de saint Paul: «l’Eglise qui est son corps» (86), une définition de l’Eglise. 11 souligne que dans cette équation, le mot « Eglise » conserve encore sa signification primordiale de peuple de Dieu. Par conséquent l’expres¬ sion ci-dessus marque directement la dualité de la nature de l’Eglise, son existence terrestre et son aspect céleste et mystique. C’est précisé¬ ment le secret de l’Eglise qu’elle possède une existence céleste cachée (87). Il faut noter cependant que cette solution ne tient pas compte de ce que la comparaison helléniste du « corps » n ’est pas si loin de la signification d’organisation, de corps sociétaire, que le pense Cerfaux. C’est d’autant plus remarquable que cette comparaison chez saint Paul s'applique toujours à une assemblée concrète de chrétiens et vise leur unité, leur ordre intérieur, extérieur à la fois et leur dépendance à l’égard de leurs supérieurs (apôtres etc.). Par conséquent l’interpré¬ tation ultérieure (88) qui voit dans la comparaison «corps» l’organi¬ sation visible de l’Eglise, ne fausse pas la pensée paulinienne, mais en développe le contenu (89). Bref, et ceci est le plus important, chez saint Paul les deux aspects de l’Eglise s’unissent intimement. A coup sûr le livre de Cerfaux aidera l’eeelésiologie à s’affranchir d’une vue unilatérale sur le Corps mystique. Nous ajoutons encore, qu’à l’encontre de Mersch et de 'Wikenhauser, Cerfaux refuse d’admettre que l’expression «dans le Christ » (in Xristo) signifie chez saint Paul toujours le contact onto¬ logique surnaturel du chrétien avec le Christ (90). Sur cc point le P. Mersch et 'Wikenhauser ont trop cédé à la tentation « mystique ». En conclusion il nous reste à signaler que le livre de Cerfaux reflète bien les tendances actuelles de l’eeelésiologie non seulement par (85) Op. cit. p. 215. (86) Epli. 1, 22. • (87) Cf. op. cit. pp. 286-287. (88) Cerfaux signale celle de saint Jean Chrysostome, de Pélage, de saint 1 Thomas. Cf. p. 210. (89) L’Encyclique, quand elle parle de l’aspect visible de l’Eglise, comme d ’un corps organique et hiérarchique, (6d. cit. p. 35) se réfère clairement & saint Paul. « Si l'Eglise est un corps, il est donc nécessaire qu 'elle constitue un orga¬ nisme un et indivisible selon les paroles de saint Pau): ” Bien qu’étant plusieurs, nous-ne faisons qu’un seul corps dans le Christ” (Bom. 12, 5)». Cf. aussi: L. Ma- levez : « L'Eglise Corps du Christ». Sens et provenance de l’expression chez saint Paul. Bech SB 30 (1944) pp. 27-94. (90) Cf. op. cit. p. 162. Que l’Eglise possède déjà ici-bas le noyau de sa future glorification en vertu de sa connexion étroite avec le corps glorifié du Christ, a été mis puissamment en relief à l’aide de nombreux textes pauliniens par P. Miciialon: Eglise, corps mystique du Christ glorieux. NBT 84 (1952) pp. 673-687. son objet, mais aussi par sa méthode. Dans l’introduction il ne manque pas de constater que les essais théologiques récents sont heureusement guidés non par l'individualisme mais « par un plus vaste mouvement de civilisation » (91). A côté de cette orientation vers le collectif, l’orga¬ nique, Cerfaux base ses développements dans une grande mesure sur l’analyse de la vie concrète de l’Eglise primitive et sur l’expérience de saint Paul lui-même (92). A considérer l’ensemble des études bibliques sur l’Eglise, que nous venons de passer en revue, on voit combien malgré leur richesse rela¬ tivement grande, leur orientation pèche par un certain unilatéralisme. De considérables lacunes s’y révèlent, surtout si l’on remarque que l’idée de la hiérarchie et en général la médiation théandrique de l’Egli¬ se attendent encore leur éclaircissement biblique. L’ecclésiologie des synoptiques est encore à élaborer; à cet égard les développements du P. Mersch se limitent à un seul aspect. Quant aux questions de métho¬ de, on peut constater qu’une sorte de lyrisme n’est guère favorable à la précision doctrinale. D’autre part l’exégèse de Peterson et du P. Mersch a bien réussi à intégrer l’aspect vital, concret, de la révélation biblique qui répondrait d’une façon efficace aux aspirations de notre époque. Toutes véhémentes qu’aient été les discussions sur le problème pauli- nien, elles ne permettent pas de parler d’une crise dans l’ecclésiologie. Nous venons de voir que la critique formulée par Deimel regarde des ouvrages non-catholiques et en ce qui concerne les idées de Koster sur le corps mystique, comme définition de l’Eglise, l’Encyclique ne permet plus d’opinions semblables. En définitive: élaborer l’aspect mystique de l’Eglise basé sur l’enseignement biblique n’est pas une crise, mais un progrès incontestable. II. - Recherches récentes sur l’ccclésiologie des Pères 1) Les tendances nouvelles qui se font sentir dans la théologie se distinguent en premier lieu par un retour aux Pères. « On a pris mieux conscience que, la théologie étant la science du révélé, il importe de faire toujours retour au révélé pour eu retrouver toute la richesse originale, pour en découvrir toutes les virtualités enco¬ re non dévéloppées, voire peut-être oubliées » (93). A vrai dire ce (91) Cf. op. cit. p. VI. (92) Due à des raisons bien connues, l’épître aux Hébreux n’était pas traitée par ces auteurs dans l’ecclésiologie paulinienne. Ce sont les études de T. da Castel S. Pietro qui montrent combien elle eBt pleine de réminiscences de l’idée paulinienne sur l’Eglise. (Alcuni aspetti dell’ecclesiologia délia lettera agli Ebrei. Biblica 24 [1943] pp. 125-161; 323-369. — La Cliiesa nella lettera agli Ebrei. To- riuo-Boma 1945). (93) B. Aubeet: Les grandes tendances tbéologiques entre les deux guerres. Coll. Mechl. 16 (1946) p. 20. — 171 — mouvement de retour aux Pères n’est pas d’une date récente. Les conir mencements du renouveau ecclésiologique au XIX' siècle s’inspirent déjà des Pères ; qu ’il suffise de citer Moehler (94), Passaglia et Seb.ee- ben. Les caractéristiques principales de ce retour se dessinent bien chez eux: au lieu de composer des répertoires d’arguments à l’aide des textes patristiques pour trancher des questions apologétiques, ils cher¬ chent à mieux comprendre l’esprit des Pères. Aux yeux de Moehler la société des Pères est un milieu spirituel et leur connaissance est un moyen de communier avec leur esprit. Ce n’est que par une intelligence vitale qu’on peut s’approcher des Pères, parce que leur doctrine est plongée dans la vie du christianisme pri¬ mitif, dans ses valeurs primordiales et germinatives. Pour Moehler, dans les écrits des Pères, c’est l’impression de nouveauté, de fraîcheur, de joie, qui ressort de toutes les pages, c’est la perpétuelle exultation de l’Eglise naissante, qui y domine. Certes la manière selon laquelle Moehler aborde l’histoire, la tradition, est foncièrement romantique. Il bénéficie de la thèse de Schleiermacher et met en premier plan le facteur communautaire dans l’interprétation de la Tradition, et consi¬ dère l’Eglise comme l’atmosphère de toute la vie religieuse des Pères. Sans doute une telle manière d’aborder le contenu doctrinal de l’œuvre des Pères est cause de cet unilatéralisme qui se décèle à chaque pas dans L’Unité. L’arrivée de Moehler à la position de la Symbolique doit beaucoup à une étude plus approfondie des Pères, ce qui montre que les Pères en plus de leur concrétisme et vitalisme ont aussi des élé¬ ments plus rationnels et strictement objectifs. Toutefois il ne faut pas rendre responsable l’esprit romantique seul de la prépondérance de l’idée de la vie quant à l’interprétation de l’ecclésiologie des Pères. Des études plus récentes, comme celles de G. Bardy (95) qui analysent l’ecclésiologie patristique de la même époque et qui ont pu utilisé les résultats des discussions autour de L’Unité de Moehler, arrivent à constater que l’idée de l’Eglise pendant les premiers siècles est plus vécue que pensée, plus réalisée que systématisée, parce que « les faits ont précédé la pensée, et celle-ci est encore rudimentaire » (96). Après Moehler, la restauration de la pensée traditionnelle sur l'Église prend un élan particulier par les figures principales de l'Ecole (94) Eu cc qui concerne cette orientation patristique (le Moehler, voir surtout l'étude du P. Congar: L’esprit des Pères d’après Moehler; dans Esquisses du mystère de l’Eglise. Paris 1941. pp. 129-148, et celle de G. Bardy: La voix des Pères, EU pp. 61-81. (95) G. Bardy: La théologie de l’Eglise de saint Clément de Borne à saint Irénée. Paris 1945. - La théologie de l'Eglise de saint Irénée au Concile du Nicée. Paris 1947. (96) G. Bardy: La théologie de l’Eglise de saint Irénée au Concile de Nicée. Paris 1947. p. 8. — 172 — de Rome, Passaglia et Franzelin (97), qui ont puisé surtout chez Petau et Thomassin et c’est à travers leurs œuvres qu’ils sont arrivés aux Pères grecs. Tandis que Passaglia (98) représente une théologie des images bibliques, patristiques et donne plutôt une analyse de notions, Scheeben, son grand disciple, reste toujours plus systématique et sans perdre la trempe mystique des Pères grecs, suit de près leurs explica¬ tions subtiles. Après Scheeben cette orientation de ressourcement a été interrompue pour plusieurs dizaines d’années. Les meilleures forces de la recherche patristique parmi les catholiques ont été retenues par une tâche apologétique, au tournant du siècle, dans un combat continuel contre les thèses de l’école de Harnack. Un peu plus tard, au lendemain de la première guerre mondiale, c’est la question de la primauté romaine qui attire plus l’attention à propos des conversations de Malines et fait engager de savants tels que P. Batiffol. Sa synthèse grandiose, embras¬ sant le catholicisme de l’Eglise naissante jusqu’aux temps de saint Augustin reste avant tout plutôt une œuvre d’orientation apologétique que dogmatique (99). En ce domaine aussi, c’est le P. Mersch qui est représentant le plus remarquable des tendances nouvelles avec son grand ouvrage qui contient une synthèse de la tradition patristique sur le corps mystique. Parmi les Pères, en particulier, ce sont saint Athanase et saint Augustin qui ont retenu le plus l’attention des ecclésiologues, et ce dernier au point qu’on a commencé à parler du problème augustinien de l’ecclé- siologie. La division de ce chapitre s’offre alors d’une façon naturelle: nous aborderons en premier lieu les recherches sur la tradition grecque et ensuite les recherches et les discussions sur 1’ecclésiologie de saint Augustin. 2) Sans doute la tradition ecclésiologique des Pères grecs et la mentalité théologique actuelle se rencontrent sur bien des points. En pre¬ mier lieu il faut noter l’aspect synthétique de la rédemption, l’inclusion du genre humain dans le Verbe Incarné. A ce point de vue les idées- maîtresses de saint Irénée, de saint Athanase, de saint Hilaire et de saint Cyrille d’Alexandrie sont d’une importance primordiale. Chez saint Irénée (100), c’est l’idée de la récapitulation qui domine et qui est extrêmement riche en donnés ecclésiologiques. Elle représente (97) Cf. A. Kkrkvoorde: La théologie du Corps mystique au XIX e siècle. NRT 67 (1945) p. 419. (98) Selon Passaglia l’étude de la tradition «multo esse gravioris momenti ae . ii arbitrentur qui illam aut obiter negligenterque versant aut etiam funditus praetermittunt ». De Ecclcsia Christi. Ratisbonae 1853. p. 80. (99) En ce qui concerne le travail ecclésiologique de Batiffol, on trouvera des renseignements précieux dans l’article de G. Babdy: L’œuvre de P. Batiffol. RevSR 19 (1929) pp. 122-141. (100) Cf. chez Mcrsch, chap. intitulé: «Saint Irénée et la récapitulation», vol. I. pp. 315-348. — 173 — le Christ comme celui qui veut racheter, sanctifier et s’unir tous les êtres créés, tous les âges, toutes les choses matérielles et spirituelles pour donner à l’incarnation son sens plénier. Pour saint Irénée la «pléni¬ tude » du Christ, effet de la récapitulation, est l'Eglise ; par conséquent la récapitulation qui comprend « une théorie de la rédemption, une théorie de l’Eglise, une théorie de la grâce, une conception de la vie du Sauveur et une conception de la vie chrétienne» (101), peut être considérée à bon droit comme une doctrine synthétique sur le corps mystique. Cette manière d’introduire dans la pensée de saint Irénée, comme le fait le P. Mersch, l’idée du Corps mystique, qui est en réalité d’ori¬ gine plus récente, n’est pas sans inconvénients. Le P. Mersch qui voit dans le Corps mystique l’union invisible surnaturelle et ontologique des âmes au Christ et leur union entre elles, ne distingue pas toujours d’une façon nette la pensée des Pères de la sienne. Selon le P. Mersch la doctrine de la récapitulation chez saint Irénée a pour but de démontrer l’aspect mystérieux de l’unité ecclésiastique; elle exprime comment « dans l’Eglise, nous vient le salut et l’union à Dieu, comment dans l’unité de l’Eglise, nous sommes tous et tout entiers, même avec notre corps, unis les uns aux autres et tous ensemble à Dieu, dans le Sauveur qui récapitule tout» (102). L’ecclésiologie de saint Irénée est une sotériologie où le rôle principal est tenu par le Saint-Esprit. Le traité dogmatique sur l’Eglise, souci principal de 1 ’ecclésiologie d'aujourd ’hui, cherche à lier le plus étroitement possible l'Eglise à sa Tête, à son Sauveur et voit dans le Saint-Esprit l’âme de l’Eglise. On voit facilement l’accord entre les aspirations actuelles de l’ecclésiologie et les thèmes majeurs de saint Irénée (103). La doctrine de saint Athanase a retenu l’attention par son vitalisme et par le fait que toute sa théologie se base sur la doctrine de l’unité vitale entre le Christ et son Eglise. A côté des développements du P, Mersch, nous avons l’ouvrage du P. Bouyer. Le P. Mersch (104) suit (101) Op. cil. p. 336. (102) Op. cil. p. 337. (103) L’ecclésiologie de saint Irénée constitue l’objet de l’ouvrage de L. Spikowski: La doctrine de l’Eglise dans saint Irénée. Strasbourg 1926. Certes ce n ’est pas un livre inspiré de Moehler. Il concentre ses idées sur les questions apolo¬ gétiques, sur le problème du magistère, de l'autorité de l’Ecriture. Le côté mysti¬ que de l’Eglise, la grande synthèse de la récapitulation est passée presque com¬ plètement soufl silonce par l’auteur. Le chapitre touchant la constitution de l’Eglise universelle se limite à l’analyse apologétique du texte fameux: ad banc enim Ecclesiam... Quant au rôle sanctificateur de l’Eglise, c’est la réfutation du gnosticisme et da montanisme qui sont au premier plan, il y est peu question du Saint-Esprit. Nous pensons qu'un peu de contact avec les idées de Mocliler, dont L’Unité ne figure même pas dans la bibliographie, aurait sauvegardé l’auteur de l’unilatéralisme. (104) Cf. op. cit. cliap. IV : « Saint Athanase. Divinité du Verbe et divinisa¬ tion du corps mystique. L’arianisme», pp. 374-409. — 174 — l’ordre chronologique des œuvres de saint Athanase. Il trouve que c’est l'idée de la divinisation du chrétien qui embrasse pour saint Athanase tout ce qu’on entend aujourd’hui par le Corps mystique du Christ. De fait, le thème principal de sa lutte contre l'arianisme vise à démon¬ trer la divinité du Christ en renvoyant à la vie surnaturelle divine des chrétiens eux-mêmes. Aux yeux de saint Athanàse, dit le P. Mersch. la vie divine des chrétiens est «si abondante et si évidente qu’on peut acquérir la foi dans la résurrection du Christ rien qu’à, voir quelle vita¬ lité l’Eglise reçoit de son Chef» (105). C’est saint Athanase qui jette la base d’une nouvelle méthode d’exégèse qui interprète les Écritures et surtout les passages concernant le Christ en fonction de l’idée du «corps du Christ », Tête et eorps ensemble. Le Discours sur l’Incarnation dû Verbe représente l’Eglise comme le prolongement de l’Incarnation. Le P. Mersch souligne que la doctrine de saint Athanase sur l’Eglise est intimement liée à sa vie d’évêque. Le mystère de l’Eglise était pour lui un mystère vécu, comme le disait déjà Moehler : « Atha¬ nase. tenait à l’Eglise comme un arbre tient an sol dans lequel étend au loin et profondément ses racines ; il ne se considérait jamais que comme membre de l’Eglise, comme tenant à elle par toute son existence passée. Athanase avait pris, pour ainsi dire, de profondes racines dans l’Eglise. Il s’identifiait avec elle et le passé de l’Eglise était toujours présent à son esprit. Il enseignait que Jésus-Christ est intérieurement uni à son Eglise, comme il est uni à l’humanité qu’il ne fait qu’une seule personne avec elle et que l’Eglise est en quelque sorte le Christ lui-même» (106).’ L’ouvrage du P. Bouyer ne veut pas tirer une ecclésiologie systéma¬ tique des œuvres de saint Athanase (107), mais seulement trouver la clef pour une interprétation authentique de sa pensée. C 'est la préten¬ due hellénisation du christianisme par saint Athanase, thème des pro¬ testants libéraux, que le P. Bouyer entend réfuter. Il démontre que saint Athanase au lieu de transposer l’Evangile de la sphère de la vie à celle d ’un dogmatisme abstrait concentre tous ses efforts « pour gar¬ der à ce christianisme tout son caractère de vie nouvelle» (108). Etant donné que c’est l’unité de vie entre le Christ et les chrétiens qui est l’idée-maîtresse de la théologie de saint Athanase, on peut dire que cette théologie est éminemment christo- et eedésioeentrique et écrite en termes de vie et selon un « schéma vitaliste », pour reprendre l’expres- (105) Op. cit. p. 378. (100) Athanase le Grand et l’Eglise de son temps en lutte avec l’Arianisme. Trad. par J. Cohen. Paris 1840. t. I. pp. 184-185. (107) L’incarnation et 1 ’Eglise-corps du Christ dans la théologie de saint Athanase. Paris 1943. (108) Op. cit. p. 10. sion du P. Bouyer (109). Le Christ et l’Eglise constituent une unité indissoluble pour saint Athanase et pour inculquer cette unité il recourt constamment à l’expression paulinienne de corps du Christ (110). Le P. Bouyer ne manque pas de souligner qu’une telle théologie peut apporter plusieurs correctifs aux rétrécissements de nos vues théologiques. Avant tout il préconise l’unité entre la christologie et la sotériologie, quelquefois trop séparées l’une de l’autre dans les traités modernes (111). Il y a des questions, dit-il, où l’unité et la vue totale doivent l'emporter sur la multiplicité des détails. En outre il faudrait reprendre certains thèmes tels que la rédemption opérée déjà, d’une certaine façon, dans l’Incarnation, l’inclusione potentielle du genre humain dans le Verbe Incarné, l’Eglise en tant que préformée dans le Christ (112). On voit que l’apologétique de saint Athanase est une apologétique basée sur le réalisme de la vie surnaturelle. Sans doute, conclut le P. Bouyer, l’individualisme moderne, sur¬ tout sous sa forme exagérée, tel qu’il se manifeste dans le protestantisme libéral, ne pourra jamais comprendre l’affirmation fondamentale de saint Athanase: «les chrétiens et le Christ ne font qu’un seul être, l’Eglise (humanité régénérée) étant le corps du Christ avec toute la force réaliste de l’expression chez saint Paul» (113). Chez saint Hilaire, qu’on peut facilement rattacher aux Pères grecs, le P. Merseh (114) a mis en relief la doctrine sur le rapport de l’Incarnation au genre humain. Les expressions énergiques de saint Hilaire sur ce point lui ont valu déjà les accusations de ses contempo¬ rains; les historiens protestants du dogme lui ont reproché d’avoir perdu de vue l’aspect incommunicable de l'Incarnation; plusieurs parmi les catholiques ont pensé pouvoir le disculper en ayant recours à des impré¬ cisions oratoires. Au lieu de se contenter de solutions simplistes le P. Merseh fait ressortir l’unité foncière du genre humain qui justifie à ses yeux la pensée de saint Hilaire. Il ajoute, à bon droit, que plutôt qu’une forma¬ tion platonicienne, c’est la révélation chrétienne qui conduit saint Hilai¬ re à considérer les individus dans l’unité de leur espèce (115). L’origine chrétienne de cette position est d’autant plus incontestable que saint Hilaire regarde cette unité du genre humain, comme un sacramentum. (109) « Nous sommos bien ici au centre de la théologie d'Athanase,.. que nous devons vivre une vie véritablement divine et que cette vie littéralement la vie de Jésus-Christ en nous». Op. cit. pp. 46-47. (110) Cf. op. cit. p. 10. (111) Cf. op. cit. p. 124. (112) Cf. ses conclusions, pp. 124-131. (113) Op. cit. p. 127, cf. aussi pp. 147-148. (114) Cf. op. cit. chap. V. «Saint Hilaire. Divinisation par'inclusion mysti¬ que dans le Verbe Incarné. L’incarnation continuée par l’Eucharistie. Incarnation collective ou incarnation unique f » pp. 410-437. (115) Cf. op. cit. p. 420. — 176 — On comprend alors .facilement que ce rapport du Verbe Incarné au genre humain tout entier, l'amène à soutenir une divinisation physique où l'Eucharistie tient un rôle de premier ordre. Cette position centrale de l'Eucharistie dans le Corps mystique est également un des points qui attire le plus l’attention des eeclésiologucs modernes. Nous en verrons encore plusieurs exemples. L’idée-maîtresse de saint Hilaire sur le rapport de l’Incarnation et de l’humanité atteint sa perfection chez saint Cyrille d’Alexan¬ drie (116). Son attention « se porte exclusivement sur le Verbe Incarné, sur sa constitution interne, si l’on peut ainsi dire, et l’on voit mieux apparaître en lui' ce qui le rend capable de nous contenir tous mystique¬ ment pour nous diviniser » (117). Cette inclusion du genre humain dans l’Incarnation fait comprendre aue le Christ porte tous les hbmmes, dont la nature est en lui: ainsi en son Incarnation unique tous les hommes sont divinisés d’une certaine façon. A coup sûr il y a une forte ressemblance entre les théologies du Corps mystique d’un Anger, d’un Mura et d’un Mersch et cette insis¬ tance sur l’Incarnation, marque distinctive de la théologie de saint Cyrille. Ceci montre une fois de plus que le renouveau ecclésiologique, qui s’est opéré incontestablement sous le signe de l’idée du corps mysti¬ que, u'aurait, pas été réalisable sans un retour à la Tradition. C’est sous cet angle qu ’on trouverait le bien-fondé de phrases telles que celles du P. Mersch: «...au fond il n’y a que l’Incarnation. Toute la vie de l’Eglise, toute la splendide concordance de nos dogmes, tout cela ne vient que de la vie de l’unité du Sauveur. Il suffit de le prendre, lui tout entier, pour avoir tout le christianisme, comme il suffit de dire l'In¬ carnation toute entière pour exprimer toute la doctrine chrétienne» (118). Que cette contenance virtuelle de l’humanité dans le Christ puisse être sujette à des interprétations fausses, voire panthéistiques, comme nous l’avons montré à la fin du premier chapitre de notre ouvrage, personne ne s’en étonnera. Mais il est aussi vrai que cette universalité de la na¬ ture humaine du Christ, oui appartient à l’ordre intentionnel selon les scolastiques, peut et doit être assimilée par une théologie dont l’un des pivots est l’idée du Corps mystique (119). Tandis que les ouvrages ci-dessus se contentent de mettre en relief l’idée centrale de l’ccclésiologie de Saint Cyrille, une série d’articles du P. du Manoir a le mérite d’avoir mis en relief non seulement l’aspect intérieur de cette ecclésiologie, mais aussi de l’avoir relaté à sa structure extérieure. L’auteur a ainsi évité ce qui peut paraître unilatéral dans (116) Cf. op. eit. cliap. VIII. «Saint Cyrille d’Alexandrie. IVIncarnation et le Corps mystique ». pp. 487-524. (117) Op. eit. p. 489. (118) Op. eit. p. 524. (119) Cf. L. Malevez: L’Eglise dans le Clirist. RSR 25 (1935) pp. 257-291; 418-440; surtout les pp. 437-438. — 177 — les recherches récentes sur l'ecclésiologie des Pères (120). Quant à l’aspect intérieur de l’Eglise, l’auteur le présente sous l’image d’un organisme vivant. Cet aspect intérieur est la reproduction de l’unité trinitaire et l’idée paulinienne du corps du Christ en serait l’expression la plus adéquate aux yeux de saint Cyrille. A quel haut degré de per¬ fection sa doctriné est arrivée, rien ne le montre mieux que l’usage de l’expression union mystique, par laquelle il désigne l’union des mem¬ bres du Corps mystique. Il est d’une importance tout à fait secondaire qu’on ne trouve pas chez lui l’expression corps mystique. Sans employer cette expression, il enseigne son contenu (121). Les caractères principaux de l’organisme vivant qu’est l’Eglise, sont l’unité, la diversité, la com¬ munion des membres à la Tête et des membres entre eux, la croissance, la consommation dans l’unité. Il y a une forte insistance chez Saint Cyrille sur l’aspect dynamique de l’Eglise dont la portée est très consi¬ dérable pour une interprétation juste de sa pensée. C’est dans cet aspect dynamique de son ecclésiologie qu’on trouve un des arguments décisifs contre Harnack : saint Cyrille loin d’adopter l’idée d’une incar¬ nation universelle (panthéistique), parle toujours d’une Incarnation individuelle, unique, ayant une valeur universelle, un effet col¬ lectif (122). En passant à l’aspect extérieur de cette ecclésiologie, le P. du Manoir souligne que chez saint Cyrille « cette ecclésiologie est beaucoup plus vécue, que pensée et exprimée explicitement» (123). Les évêques, les métropolites, le corps épiscopal tout entier sont au service de la communication et de la conservation de la vie divine dans les fidèles. La mission de la hiérarchie est une diaconie de l’Esprit (124). En ce qui concerne la primauté romaine, le P. du Manoir démontre que les idées de saint Cyrille sur ce sujet étaient déjà très fermes bien avant sa dispute avec Nestorius et que, par conséquent, ses recours à Rome n’étaient point «intéressés». A côté de cet aspect synthétique de l’Eglise corps mystique, chez les plus grands des Pères grecs, nous n’avons que peu de choses à dire sur les recherches qui ont abordé, hélas trop hâtivement l’ecclé¬ siologie de saint Ignace d’Antioche d’ailleurs fort intéressante surtout en ce qui concerne l’aspect trinitaire et christologique de la hiérarchie. Selon le P. Mersch (125), pour saint Ignace l’unité visible de l’Eglise, (120) H. du Manoir: L’Eglise, Corps du Christ, chez Cyrille d’Alexandrie. Gr. 19 (1938) pp. 573-603; 20 (1939) pp. 83-100; 161-188; 481-506. Ces articles font maintemnt une partie intégrale de sa synthèse: Dogme et spiritualité chez Saint Cyrille d'Alexandrie. Paris 1944. Partie IV. pp. 287-366. (121) Cf. art. cit. pp. 84-85. (122) Cf. art. cit. p. 94. (123) Cf. art. dit. p. 162. (124) Cf. art. cit. p. 506. (125) Cf. op. cit. chap. intitulé «Ignace d’Antiochie et l’unité de l’Eglise dans le Chris 1 .» pp. 294-305. culminant dans l’évêque, exprime à la fois l’unité invisible des fidèles. Ces deux sortes d’unité sont inséparables l’une de l’autre parce qu’elles ne font que reproduire l’unité du Verbe Incarné. L’hérésie dénoncée par les lettres de saint Ignace ne reconnaissait précisément qu 'un Christ sans corps réel et qu’un christianisme sans évêques. La pensée de saint Ignace est un écho fidèle du message biblique: l’unité dans la Trinité se communique aux chrétiens et l’unité de ces derniers remonte jusqu’à la Trinité. Ce mouvement de la pensée de saint Ignace est à rete¬ nir (126). Le Didascalée d’Alexandrie (127) a peu de choses sur le corps mystique. L’idée synthétique élaborée par cette école est la sagesse qui marque d’un caractère moral leur doctrine sur le corps mystique. C’est la sagesse qui opère l’union au Christ et dans le Christ. Le corps mystique chez eux « est une réalité d’ordre intellectuel et ascétique et, somme toute, plutôt un esprit qu’un corps... Il est une sorte d’ambiance spirituelle, une atmosphère vitale constituée par une façon propre de penser et de vouloir » (128). Les Cappadociens cherchent plutôt le côté personnel, intime du corps mystique, la vie du Christ communiquée à ses membres par les mystères chrétiens (129). Saint Jean Chrysostome (130) se distingue par son réalisme concernant l’Eucharistie et l’aumône. Détails précieux qui appellent leur intégration dans l’ecclésiologie. Certes les développements du P. Mersch, tout en mettant en évi¬ dence les idées principales des Pères grecs à propos du corps mystique, ne sont pas exhaustifs. On a trouvé (131) et on pourrait encore trouver chez eux sur l’Eglise des doctrines importantes que le P. Mersch n’a pas relevées. Comme nous l’avons déjà dit à propos des recherches sur l’Ecriture Sainte, il serait très souhaitable d’étudier à fond la doctrine patristique sur la hiérarchie et sur l’aspect eschatologique de l’Eglise. Le livre du P. Mersch présente des lacunes, qui s’expliquent d’ailleurs du fait qu’il s’est limité à l’aspect mystique de l’Eglise et c’était son droit. Il serait excessif de l’accuser d’erreur; tout au plus pourrait-on (126) L'article de J. Vieujean: La doctrine de saint Ignace d’Antioche sur l’Eglise (Revue ecclésiastique de Liège 26 [1935] 253-258) ne dit rien de par¬ ticulier. L’article de M. Villain: Une vive conscience de l’unité du Corps mysti¬ que: Saint Ignace et saint Irénéc (RAp 56 [1938] 257-271) n'ajoute rien do spécial aux développements du P. Mersch. (127) Cf. chez Mersch, op. cil. pp. 349-373. (128) Op. cit. p. 358. (129) Cf. chez Mersch chap. VI. «Les Cappadociens» pp. 438-463. (130!) Cf. chez Mersch. chap. VII. « Saint) Jean Chrysostome, docteur de ‘l'Eucharistie et de l’aumône» pp. 464-486. (131) Nous pensons surtout aux recherches du P. Tronp: De Corpore Christi mystico et Actione Catholica ad mentem S. Joannis Chrysostomi. Romae 1933. Du même auteur: De Spiritu Sancto, anima Corporis mystici; I. Testimonia selecta e Patribus graecis; II. Eadem e Patribus latinis. Romae 1932; mais ces études constituent plutôt un répertoire de textes, instrument de travail. — 179 — lui reprocher d’être unilatéral en restreignant l’expression de «corps mystique du Christ » à l’aspect intérieur de l’Eglise ; encore ne pourrait- on relever chez lui aucune tentative de dissocier les deux aspects de l’Eglise. Il a rendu un service signalé à la cause de l’ecclésiologie en montrant les richesses traditionnellement incluses dans l’idée du corps mystique, par quoi son œuvre ne cesse pas d’être une des plus importantes contributions à l’ecclésiologie. 3) En ce qui concerne l’enseignement des Pères latins, il est diffi¬ cile de trouver des mots adéquats pour exprimer l’importance du docteur d’Hippone. Le développement de l’ecclésiologie patristique en Occident le prouve une fois de plus. En fait, les Pères latins qui précèdent saint Augustin, ne font que préparer les pierres pour l’édi¬ fice grandiose érigé par le génie de celui-ci et ceux qui le suivent, ne peuvent que répéter, expliquer et conserver ce qu’il a écrit et prêché à propos de l’Eglise. Comme les recherches l’ont montré, on ne peut pas attendre un enseignement riche sur l’Eglise chez ceux qui ont illuminé l’Eglise latine avant saint Augustin. On n’a relevé que chez Tertullien des passages marquants sur l’idée du Corps mystique (132) et même la pensée plus profonde de saint Cyprien à propos de l’unité de l’Eglise ne présente pas une solidité suffisante (133). Mais malgré ses déficiences, l’époque pré-augustinienne a des té¬ moignages éclatants, prouvant combien l’idée du corps mystique a été un dogme vécu et réel dans la vie quotidienne des chrétiens. La preuve majeure en est l’œuvre littéraire de deux grands hommes d'Eglise, saint Jérôme (134) et saint Ambroise (135). Ce qu’ils disent n’est pas original, ils l’ont appris chez les Pères grecs dont ils proposent l’enseignement essentiel avec une simplicité lucide. Mais la manière dont ils le proposent, mérite une attention particulière. Le réalisme de leur langage sur l’engagement du mystère du Corps mystique dépasse en profondeur, même les expressions inimitables d’un saint Augustin. Mais en fin de compte ce fut le docteur d’Hippone qui a dû retenir le plus l’attention de ceux qui ont cherché avant tout, par un retour à la Tradition, à dépasser l'unilatéralisme des manuels De Ecclesia. Ces recherches ont été dirigé par le souci de retrouver chez lui l’essence mystique de l’Eglise et de réapprendre l’at¬ titude religieuse qui convient à l’égard du mystère de l’Eglise (136). (132) Cf. E. Mersch. Op. cit. II. pp. Il sv. (133) Ibid. pp. 15 sv. (134) E. Son warzbauer : Die Kirche aïs Corpus Christi mysticum beim hl. Hyeronimus. Roma 1930. (135) J. Rinna: Die Kirche als Corpus Christi mysticum beim lil. Ambrosius. Borna 1940. (136) On trouvera chez F. Hoffmann la constatation de cette orientation des études récentes sur l’ecclésiologie de saint Augustin: «... naeh dem eigentlichen Wescn der Kirche und nach der rcligdoseu Ilaltung, die daraus folgt... » (Dcr Kirchenbegriff des hl. Augustinus..München 1933. p. VII). — 180 — Au fond de ce retour de l’ecclésiologie actuelle à la pensée de Saint Augustin il y a assurément quelque chose de l’attraction que, depuis sa mort, toutes les générations chrétiennes ont senti vers le Docteur d’Hippone. Comme sa vie, son œuvre pastorale et sa pensée étaient éminemment dynamiques, de la même façon son influence s’est fait sentir à travers les siècles dans un sens très caractéristique: Augustin et son œuvre sont restés pour toujours l’inspiration inépuisable des mouvements de réforme au sein ou au-dehors de l’Eglise. Que l’Eglise, surtout depuis les abus commis par Luther et par les jansénistes à propos de la pensée de saint Augustin, ait regardé avec réserve les orientations qui se réclamaient de saint Augustin, on le comprendra facilement, mais tout cela ne justifie guère que 1 ’ecclésiologie post- tridentine ait trop laissé dans l’oubli les idées de saint Augustin. Aujourd’hui où nous sommes de nouveau au prise avec un courant de réforme dans l’Eglise, l’ecclésiologie a dû nécessairement se tourner vers les écrits du Docteur d’Hippone, pour y trouver les éléments d’une ecclésiologie dont l’idée-maîtresse est un mouvement d’intériori¬ sation, une tendance dynamique du signe vers ce qu’il contient, de la structure de l’Eglise vers ce qu’elle protège, de la communio sacra- mentomm vers la communio sanctorum (137). En outre comme K. Adam l’a fait remarquer (138), 1’ecclésiologie de saint Augustin est tellement communautaire, qu’elle est particuliè¬ rement apte à inspirer et guider les aspirations de notre époque. C’est cette orientation dogmatique et la recherche des valeurs vitales qui distinguent le mieux les ouvrages nouveaux de ceux qui datent du tournant du siècle (139). Deux manières s’offraient aux auteurs d’aborder 1’ecclésiologie de saint Augustin : la méthode génétique et la synthèse systématique. En pratique, le P. Mersch (140) et P. Hoffmann suivent la voie parcourue par la pensée du docteur d’Hippone, sans manquer de faire des résumés systématiques, tandis que ,T. Vetter (141) vise à présenter l’ecclésiologie augustinienne sous sa forme la plus évoluée. A notre avis, un exposé synthétique à cause des phases si diverses de la théologie de saint Augustin, ne peut se passer d’une étude préalable de la genèse de son ecclésiologie. La méconnaissance de ce principe est précisé- (137) Cf. Y. Congar: Vraie et fausse réforme dans l’Eglise. Paris 1950. pp. 81-86. (138) K. Adam: Die geistige Entwicklung des heiligcn Augustinus. Augsburg 1931. p. 53. (139) A titre d’exemples: T. Speoht: Die Lchro von der Kirche nach dein kl. Augustinus. Paderbora 1892. P. Batiffol: Le catholicisme do saint Augustin. Paris 1920. (140) Voir op. oit. vol. II. chap. II-IV. « Saint Augustin ». pp. 35-138. (141) Der heilige Augustinus und das Geheimnis des Lcibes Christi. Mainz. 1929. — 181 — ment la raison pour laquelle l’ouvrage de Vetter n’a pas réussi à bien mettre en évidence les faiblesses de l’ecclésiologie de saint Augustin. Quant à la méthode théologique, parmi ces trois auteurs, Hoffmann n’a rien de ce qui est caractéristique de la méthode, enrichie d’éléments subjectifs, de l’ecclésiologie actuelle. Sa préoccupation consiste avant tout à rester fidèle à la pensée d’Augustin et à l’illustrer à l’aide du plus grand nombre possible de textes; son langage ne relève aucune trace de lyrisme. L’étude de Vetter, qui se rangerait plutôt parmi les ouvrages de vulgarisation que dans le genre des études techniques, trahit une nette orientation vers l’aspect concret, vital de la vérité. Mais le P. Mersch, qui exprime une fois de plus ses idées sur la méthode, à propos de ses développements sur saint Augustin (142), représente le mieux les tendances nouvelles de l’eeclésiologie en ce qui concerne la question méthodologique. Pour comprendre la doctrine de saint Augustin, il trouve indispensable de pénétrer l’âme riche en aspects divers du grand docteur ; à ses yeux le problème ecclésiologique d’Augustin est un problème d’âme et c’est là, dans l’âme de saint Augustin et dans le travail de Dieu en cette âme, qu’il veut chercher «une certaine explication des particularités de sa doctrine du corps mystique » (143). Il regarde l’idée du corps mystique chez saint Augustin « en rap¬ port si étroit avec les choses dii-dedans qu’il est spécialement utile pour bien comprendre l’idée qu’on s’en fait, de savoir comment on est fait au-dedans de soi-même » (144). La pensée consistant pour saint Augustin non tant à rapprocher des concepts qu’à chercher en soi-même la vérité, l’auteur se croit obligé de suivre dans cette voie le grand docteur et de retrouver la vérité non seulement par les formules, mais par les résonances suscitées au-dedans de l’âme (145). Cette estime de l’auteur pour l’aspect subjectif de son sujet se traduit dans son style, ce qui n’est pas toujours à l’avantage de la précision. Il n’est pas difficile de comprendre que les thèmes majeurs de l’ecclésiologie augustinienne, par leur nature même, ont attiré d’une façon spéciale l’attention de l’ecclésiologie actuelle. Cela expliquerait aussi pour une bonne part pourquoi nos auteurs se sont contentés de mettre en relief les points de la doctrine de saint Augustin qui les intéressaient en passant sous silence le fait que cette doctrine, telle qu’elle se trouve chez saint Augustin, laisse encore beaucoup à désirer. La démarche scrupuleusement scientifique de Hoffmann évite bien ce (142) Cf. op. eit. pp. 35-44: Introduction à la doctrine de saint Augustin; il y explique les origines psychologiques. (143) Op. eit. p. 37. (144) Ibid. (145) Cf. op. cit. p. 42. danger, mais le P. Mersch et Vetter disent peu de choses sur l’aspect inachevé de l’ecclésiologie augustinienne. Les grands thèmes de cette ecclésiologie se ramènent à l’aspect intérieur de l’Eglise. La grâce y est considérée comme l’essence de l'Eglise et c ’est l'idée de la prédestination qui y règle en dernière ana¬ lyse l’appartenance à l’Eglise. Ces trois auteurs sont unanimes en ce qui concerne l’origine paulinienne de cette ecclésiologie et tous les trois admettent que saint Augustin a eu raison en voyant dans la métaphore paulinienne du corps du Christ l’union mystique des chré¬ tiens avec le Sauveur (146). Les sources éternelles du Corps mystique se situent au sein de la Trinité et cela explique pourquoi saint Augustin n’insiste pas sur la distinction entre l’appartenance transitoire et éter¬ nelle au Corps du Christ. Cet aspect céleste de l’Eglise se rattache à la mentalité platoni¬ cienne de saint Augustin pour qui le véritable sens du Corps du Christ est une idée étemelle en Dieu et l’Eglise terrestre en étant une réali¬ sation imparfaite, doit tendre sans cesse vers son idéal absolu. Le rôle central de la charité, la sainteté pour ainsi dire métaphysique de l’Eglise, telles sont les idées de saint Augustin qui ont retenu l’atten¬ tion de l’eeclésiologie moderne. C’est le mérite du P. Mersch d’avoir consacré un chapitre à part (147) à l’étude de la prédication de saint Augustin où le Saint se montre le plus lui-même. C’est là, dans cette exposition psychologique et réaliste de la doctrine, que se manifeste sa vraie grandeur. « Si, dans la métaphysique du dogme, la première place peut être disputée à Augustin, il est sans égal lorsqu’il s’agit d’exprimer l’aspect intérieur et psychologique de nôtre foi » (148). Le P. Mersch fait bien remarquer le rôle du contact de saint Augustin avec ses fidèles dans l’approfon- (146) «Aussi, pas plus que Paul, Augustin ne veut-il considérer l'Eglise comme une foule faite d’éléments divers». (Mersch, op. cit. p. 121). P. Hoffmann voit précisément dans ce rapport à l’idée paulinienne la preuve décisive que pour saint Augustin, à la suite de saint Paul, l'unité de l’Eglise est une unité mystique (cf. op. cit. p. 152 et p. 421). J. Vetter considère les développements de saint Augustin sur le corps mystique, comme « eine geistesverwandte Entfaltung des paulinischen Gedankcn ». (Op. cit. p. 19). II est intéressant de noter & ce propos que les études de S. J. Grabowski sur l’ecclésiologie de saint Augustin arrivent à la même con¬ clusion que nous venons de voir chez Hoffmann et Mersch. Sans admettre avec Hoffmann (op. cit. p. 148) et avec Vetter (op. cit. p. 8) que l’idée du corps mystique serait le centre de la théologie de saint Augustin, il accepte volontiers que ce soit l’unité mystique des chrétiens qui domine l’ecclésiologie augustinienne. (Saint Au¬ gustine and the Mystieal Body of Christ. TS 7 [1946] pp. 72-125). Cet aspect intérieur de l’ecclésiologie de saint Augustin se trahit surtout dans le fait que Bclon saint Augustin les pécheurs n’appartiennent qu’à l’aspect extérieur, juridique de l’Eglise. (Sinners and the Mystieal Body of Christ according to Saint Augustine. TS 8 [1947] 614-667; 9 [1948] 47-84). (147) Cf. chap. IV. «La prédication. Le Christ vivant dans la vie intérieure de l’Eglise et des chrétiens», pp. 84-138. (148) Op. cit. p. 84. — 183 — dissement de sa doctrine sur le corps mystique. Selon lui saint Augustin demeure pour toujours le modèle du théologien qui ne veut penser et repenser sa foi que dans la plus complète identification avec la vie de l’Eglise. C’est chez saint Augustin que l’ecclésiologie actuelle trouvera le côté concret et mystique de l'Eglise, son application à tout le domaine de la vie intérieure : la prière, les souffrances, toute la vie du chrétien individuel sont toujours ordonnées à l’ensemble du Corps mystique. Comme nous l’avons dit plus haut, c’est la grâce qui domine la pensée ecclésiologique de saint Augustin et qui y introduit une sorte d’unilatéralisme. Le principe du théandrisme, la structure sacramen¬ telle de l’Eglise, l’importance de l’humanité du Christ, la hiérarchie n’y reçoivent pas encore assez de lumière. C’est de cette position théo¬ logique encore imparfaite que résulte le problème augustinien de l’ecclésiologie. J. Tyeiak réclame à son tour la restauration de l’esprit augusti¬ nien dans, l’ecclésiologie en l’opposant à la conception juridique de l’Eglise (149). Son livre, déjà mentionné plus haut, (15.0) est au fond une reprise sans critique et sans correction de l’ecelésiologie augusti- nienne. A côté de cette réclamation irréfléchie du système augustinien, on trouvera des critiques sévères et parfois injustifiées qui lui impu¬ tent « les déviations » de l’ecclésiologie actuelle et qui considèrent son ecclésiologie comme « tuée » par le Concile du Vatican (151). Selon le P. Koster le Schéma De Ecclesia du Concile du Vatican aurait été «rejeté» par la «plupart» des évêques, parce qu'il a représenté le concept augustinien sur la métaphore corps du Christ (152). Quand le P. Koster reproche à saint Augustin d’avoir méconnu le rôle du caractère en ce qui concerne l’appartenance à l’Eglise (153), à notre avis il exagère. Nous ne pouvons admettre non plus le grief de Koster contre les développements de P. Hoffmann, quand il accuse ce dernier d’avoir présenté le système de saint Augustin avec des (149) « Die Théologie des Ostens und das Abendlond », dans « Der Christliche Osten. Geist und Gesta.lt», par J. Tyeiak, G. Wundcrle, P. Werliun. (Begensburg 1939. pp. 38-58). (150) Christus und die Kirche. Begensburg 1936, cf. surtout pp. 104-107. (151) C’est le P. Koster qui interprète dans ce sens la phrase de K. Adam: « Endgültig wurde er, (der Kirchen- und Petrusbegriff der afrikanischen Théologie) erst 1870 getbtet ». (Gesammelte Aufsatzc. Augsburg 1936. p. 117). (152) Cf. « Ekklesiologje im Werden». Paderborn 1940. p. 48. Le lecteur est en mesure de porter un jugement sur l'affirmation suivante de Koster, selon laquelle Augustin aurait introduit la notion mystique dans la métaphore paulinienne. (153) «Hiitte Augustin vermocht, was Thomas vermochte, die Gleichbildung mit dem Priester Christus durch die Charaktere als gliedschaffende Teilnahme am Pricstertum Christi zur Konstituierung der Kirche zu unterschciden von der Gnaden- iihnlichkeit durch den Gnadenstand mit dem begnadeten Priester Christus zur Got- teskindwerdung der Eigen-Person und nicht den Charakter und seinen Sinn durch den immer wieder betonten Gnadenpersonalismus zu verschleifen, dann würde man¬ ches in Ekklcsiologic anders geworden sein ». Op. cit. p. 47. — 184 — corrections sans avoir mis en relief les contradictions et l’hérésie maté¬ rielle du saint Docteur (154). Nous admettrions la critique de Koster- si elle se dirigait contre les enthousiastes dont nous venons de parler, et non contre le seul Hoffmann. Ce dernier ne veut nulle part substi¬ tuer l’ecclésiologie augustinienne, telle qu’elle se présente, à l’aspect juridique de l’Eglise; il ne passe pas non plus sous silence les faiblesses de ce système (155). Au contraire ses développements montrent que la théorie sacramentelle de saint Augustin, malgré ses imperfections, se situe dans la ligne de l’évolution théologique et en constitue une étape d’une importance capitale. En un mot, il s’efforce de réintégrer dans le traité de l’Eglise les richesses de la doctrine augustinienne qui, malgré certains aspects moins réussis, font de son auteur le représentant le plus important de la tradition latine sur l’Eglise (156). 4) Que la plupart des études récentes sur la notion de l'Eglise chez les Pères ait été élaborée sous l’angle de l’idée du corps mystique, c’est tout à fait conforme à l’orientation majeure des tendances ré¬ centes de l’ecclésiologie. En outre, ces études s’occupent plutôt de la pensée de tel ou tel Père et non du développement de telle ou telle idée ecclésiologique à travers l’époque patristique. Toutefois nous pouvons signaler quelques tentatives qui ont essayé de suivre la pensée des Pères de cette façon. Prenons d’abord la section la plus longue de l’œuvre du P. Tromp (157), où l’on rencontre une riche variété de nuances sur l’idée du Corps mystique chez les Pères. Ils ont parlé du Corps mysti¬ que tantôt comme de l’union de toutes les créatures par le Logos, tantôt comme de la communion des saints ou bien comme de l’Eglise des deux Testaments, ou enfin comme du corps des fidèles sous leurs pasteurs légitimes, pour signaler les distances limites d’une idée extrê¬ mement riche en contenu. Qu’une telle richesse doctrinale ne favorise pas un oecuménisme irréfléchi, c’est trop évident, parce que les Pères tout en manifestant un esprit généreusement ouvert, rejettent et condamnent sans aménité le schisme, comme le mal le plus grave parmi les chrétiens. Mais en même temps la richesse des nuances sur l’idée du corps mystique chez les Pères peut avertir les esprits trop caté- (154) Cf. op. oit. p. 58. (155) II suffit do penser à la critique qu’il a fait de l'ontologie platonicienne de saint Augustin, source des déficiences de son système ecclésiologique (pp. 422 sv) ; il a mis également bien en relief le dualisme aigu entre visible et invisible chez saint Augustin (pp. 423-424). v (156) En ce qui concerne les recherches sur l’ecclésiologie des Pères latins après saint Augustin, nous n’avons que peu de choses à signaler. Ajoutons à la bibliographie citée par le P. Mersch (Op. cit. II. pp. 401-406) l’étude de J. P. Sagiies: La doetrina del euerpo mistico en san Isidoro de Sevilla. EE 17 (1943) pp. 227-257. (157) S. Tromp: Corpus Christi quod est Ecclesia. Borna 1946, 2* éd., pp. 102-160. — 185 goriques et avides de grouper tout dans des divisions commodes et superficielles, que la précision d’un aspect d’une question complexe ne doit pas mener à la supression des autres aspects. C’est d’ailleurs le profit que le P. Tromp a tiré, le premier, de son étude, en soulignant que l’église catholique : corps mystique du Christ, est la signification par excellence de cette expression (158). Qu’une telle conclusion soit proprement d’une importance majeure quant à l’interprétation solide de l’Encyclique Mystici Corporis, nous le verrons plus tard en détail. Il est facile d’entrevoir que la richesse de la pensée patristique sur le corps mystique peut contenir des vues profondes qui peuvent jeter de nouvelles lumières sur des problèmes qui ont été discutés - jusqu’à aujourd’hui plutôt d’une façon apologétique que dogmatique. C’est l’œuvre de Colson sur le développement de l’épiscopat dans l’Eglise ancienne qui montre que la prise de conscience des idées- maîtresses dogmatiques de la pensée des Pères peut donner une solution souvent plus satisfaisante que la critique textuelle seule (159). En fait ce sont l’universalité de la Rédemption et la visibilité réelle de l’Incar¬ nation, idées fondamentales de la théologie paulinienne et johannique, qui semblent gouverner les réalisations différentes des fonctions hiérar¬ chiques dans l’Eglise ancienne. A la lumière de ce point de vue dogma¬ tique, on comprendra mieux qu’à l’aide des analyses philologiques, pourquoi l’organisation des communautés établies par saint Paul n’était pas entièrement la même que celle des communautés fondées par l'apos¬ tolat johannique. C’était une conséquence naturelle de l’insistance paulinienne sur le Christ, unique Chef de l’humanité rachetée, que les églises particulières devaient refléter le mieux possible l’unité du corps mystique, c'est pourquoi elles n’étaient gouvernées que par les délégués apostoliques, lu contraire, l’accent mis par saint Jean sur la visibilité de l’Incarnation a postulé l’établissement de l’image de l’Incarnation visible: l’évêque d’une communauté locale. La tradition occidentale en suivant la pensée de saint Paul s’est donc développée sous l’emprise de l’idée che l’unité dans la Tête, et est arrivée ainsi, plus rapidement, à la prise de conscience de la primauté romaine. La tradition johan¬ nique à son tour, en insistant sur le mystère de l’épiscopat, image de l’Incarnation, est devenue le fondement pour les monarchies épisco¬ pales qui auraient à assouplir «le souci paulinien de l’unité de l’Eglise universelle en un seul Corps qui aurait pu risquer, à lui seul, de transformer en une sorte d'impérialisme ce qui est essentiellement une communion» (160). (158) Op. cii. p. 171. (159) J. Colson : L'évêque dans les communautés primitives. Tradition pau¬ linienne et Tradition johannique de l'Episcopat des origines à saint Irénée. Paris 1951. (160) Op. cii. p. 124. — 186 — On a mis aussi en relief que c’est justement la compréhension profonde de l’idée du corps mystique qui a aidé les Pères à parler sans timidité des péchés dans l’Eglise. A l’encoutre de l’apologétique posttridentine, les Pères ont parlé plus explicitement du rôle du pardon divin dans la sainteté de l’Eglise. L’explication de tels sym¬ boles comme celui de la lune anéantie devant le soleil (161) ou celui des pécheresses pardonnées (162) sont une occasion pour les Pères d’inculquer une considération plus dynamique de la sainteté de l’Eglise. A cause d’une telle attitude dogmatique, ils ont eu moins besoin d’expli¬ cations laborieuses d’ordre historique et psychologique à propos du péché dans l'Eglise. En outre une telle idée de la sainteté de l'Eglise leur inspirait toujours une action de réforme, parce que c’est la puri¬ fication continuelle de l’Eglise qui est l’une des preuves majeures de sa sainteté. Les recherches récentes sur l’ecclésiologie des Pères ayant pour objet principal l’aspect intérieur de l’Eglise ne pouvaient pas ne pas aborder ce que les Pères ont écrit de l’Eglise en tant qu’épouse (163) et mère (164). Mais cet aspect intérieur de l’ecclésiologie des Pères se manifeste surtout quand ils comparent l’Eglise à la Sainte Vierge. Les publications récentes en cette matière (165) suivent les lignes tracées par l’étude remarquable de A. Muller (166). Sa conclusion, particulièrement instructive pour l’ecclésiologic autant que pour la mariologie, a jeté une lumière peu commune sur la racine même de l’existence surnaturelle. Ce qui crée cette existence et qui lui assure sa fécondité, c’est la réception docile de la parole de Dieu. En d’autres termes: le mystère de Marie et de l’Eglise ne sont pas deux choses dif¬ férentes : au fond ils sont tous deux le même mystère, celui de la justi¬ fication (167) où la priorité de l’action appartient toujours à Dieu: élément « masculin », et où l’homme est toujours réceptif : élément « fé¬ minin ». La réalisation la plus parfaite de cette rencontre entre le divin et l’humain reste pour toujours la maternité divine de Marie. En tant que la justification est une divinisation, une participation au mystère du Verbe Incarné, fruit de l’Esprit divin et de l’humble Vierge, on peut dire que «Marie est l’Eglise parfaite, elle en est la pleine réali- (161) II. Rahner: Mysterium Lunae. Ein Beitrag zur Kirclienthcologie del Vaterzeit. ZKT 63 (1939) pp. 311-349; 428-442 ; 64 (1940) pp. 61-80; 121-131. (162) J. Daniéloü: Rahab, figure de l’Eglise. Ir 22 (1949) pp. 26-45. (163) L. Welserueimb : Das Kirchenbild der griechischen Vaterkommentare zum Hohen Lied. ZKT 70 (1948) 393-449. — H. Enobebdino: Die Kirche als Braut in der ostsyrischen Liturgie. OCP 3 (1937) 5-48. (164) J. Madoz: Mater Ecclesia. Devociôu a la ïglcsia en los primeros siglos. EE 16 (1942) 433-452. — J. C. Plumpe: Mater Ecclesia. Au Inquiry into the Con¬ cept of the Church as Mothcr in the Early Christianity. Washington D. C. 1943. (166) Etudes mariales. Marie et l’Eglise. I-II. Paris 1951-52. (166) A. Muller : Ecclesia-Maria. Die Einheit Marias und der Kirche. Frei- burg (S) 1951. (167) Op. oit. p. 222. — 187 — sation. Et d’autre part «le mystère de l’Eglise est essentiellement le mystère de Marie » (168). Tout simplement ce mystère n’est que l’aspeet le plus profond de la rédemption qui est, en dernière analyse, l’union maritale du divin et de l’humain (169). Donc c’est tout à fait selon la logique du mystère que d’appeller à la fois Marie et l’Eglise, épouse et mère (170). 5) Les siècles qui se situent entre saint Augustin et les grandes époques du Moyen-Age, ne promettent pas, à première vue, une richesse doctrinale suffisante pour attirer l’attention des chercheurs. Même le P. Mersch se contente d’un exposé fort sommaire (171), en se bornant à montrer que « pour ce qui concerne la doctrine du corps mystique, comme pour ce qui a trait à la théologie en général, l’influence de saint Augustin demeure forte et qu’en même temps des doctrines importantes s’ébauchent» (172). Bien qu’il se soit rendu compte du fait que le Haut Moyen-Age contient beaucoup de choses sur la relation de l’Eucha¬ ristie à l’Eglise (173), ses développements ne nous en donnent que quelques renseignements succincts. A côté de la relation entre l’Eucharistie et l’Eglise qui domine cette ecclésiologie, sans doute sous l’influence de saint Augustin, les développements ecclésiologiques qu’on y trouvent concernent pour la plupart des questions telles que l’existence de l’Eglise avant Jésus- Christ, l’appartenance des pécheurs à l’Eglise, la grâce de la Tête et la nécessité de l’Eglise au salut (174). Tout cela y est traité, comme on peut s’y attendre, avec une méthode qui utilise largement la théologie symbolique des Pères (175). Mais la dernière partie de l’époque devient le témoin d’un tournant décisif vers la méthode scolastique et c’est ainsi qu’on trouvera chez les prédécesseurs immédiats des grands docteurs scolastiques presque tous les éléments ecclésiologiques que ces (168) Op. cit. p. 232. (169) Op. cit. p. 217. (170) A la clarté d’une telle conclusion d’autres recherches ne peuvent con¬ tribuer que d’idées complémentaires. Signalons quelques unes à titre d’exemple: I. Rindor: Maria Mediadora y Madré del Cristo Mistico en los escritorcs ecclesiasticos de la primera unitad del siglo XII. EE 25 (1P51) pp. 181-218. — J. Huhn: Das Ma- riengelieimnis beim Kirclienvater Ambrosius. Dans Alma Socia Christi. Acta Con- gressus Mariologici-Mariani. Borna 1952. Vol. V. Fasc. I. pp. 101-128. (171) Cf. op. cit. chap. V. « Durant le Haut Moyen-Age. Echos de saint Au¬ gustin » pp. 139-157. (172) Op. cit. p. 140. (173) Cf. ibid. (174) J. Beümbr: Zur Ekklesiologie der Frühscholastik. Sch 26 (1951) pp. 364-389. Ekklesiologische Problème der Frühscholastik. Sch 27 (1952) pp. 183-209. (175) J. Chatillon: Une ecclésiologie médiévale: L’idée de l’Eglise dans la Théologie do l’Ecole de Saint-Vietor au XII* siècle. Ir 22 (1949) pp. 115-138; 395-411. — 188 — derniers exprimeront avec une plus grande lucidité et solidité doctri¬ nale (176). C’est l’ouvrage de P. Holbôck (177) qui a essayé le premier de résumer la doctrine de nombreux théologiens du Haut Moyen-Age sur ce point. Le sujet était d’un grand intérêt d’autant plus que, pendant des siècles, l’eucharistie et l’Eglise s’étaient appelées également « corps mystique », preuve de l'union foncière entre ces deux mystères de la foi. Le grands thèmes, dégagés par Holbôck, se réfèrent avant tout au symbolisme eucharistique de l’Eglise, basé tant sur les espèces eucha¬ ristiques que sur leur contenu (178). L’Eucharistie comme cause effi¬ ciente de l’Eglise, comme sacrifice du Corps mystique, telles sont les autres idées que Holbôck a trouvées .caractéristiques chez les théolo¬ giens du Haut Moyen-Age (179); c’est curieux, mais la bibliographie de l’ouvrage de Holbôck ne contient pas les articles du P. de Lubac, pubbliés en 1939 sous le titre Corpus Mysticum (180); sans doute ils lui auraient montré la portée théologique du changement qui s’opérait à cette époque dans la signification de l’expression « corpus Christi mysticum ». De même que Lattey (181) et le P. Tromp (182), il se limite à la simple constatation du fait de ce changement sans tenter d’en esquisser l’arrière-fond théologique (183). C’est le mérite du P. de Lubac d’avoir dégagé les vrais ressorts qui ont amené les théologiens à transférer l’expression « corpus mys¬ ticum » de l’Eucharistie à l’Eglise. Sans entrer dans les détails histo¬ riques en ce qui concerne les étapes hésitantes de cette transition, nous voudrions mettre en relief ces motifs tels qu’ils sont indiqués par le P. de Lubac. En premier lieu c’est le changement profond de la mentalité théologique qui se dessine au cours des siècles du Haut Moyen-Age. On assiste au déclin d’une attitude théologique qui se nourrissait de la théorie de l’illumination de saint Augustin et qui, au lieu de tâcher de résoudre les problèmes dialectiques posées par la foi, s’en tenait à la contemplation des mystères, basée sur le symbolisme de l’Ecriture et de la Tradition. Il n’était pas difficile de voir, poursuit le P. de Lubac, que la préoccupation dialectique de l’époque suivante, malgré (176) A. Landgraf: Die Lehro vom geheimnisvollen Leib Christi in den frühen Paulincnkommcntarcn und in der Frülischolastik. DT 24 (1946) pp. 217-248; 393-428. 25 (1947) 365-394; 26 (1948) 160-180; 291-323; 395-434. (177) Der eucharistischc und dor mystischc Leib Christi in ihren Bezichungen zneinander nnch der Lehre der Frühseholastik. Rom 1941. „ (178) Cf. op. cit. pp. 190-208. (179) Cf. op. cit. pp. 209-237. (180) H. de Lubao: «Corpus Mysticum». Etude sur l’origine et les premiers sens de l’expression. RSR 29 (1939) 257-302; 429-480; 30 (1940) 40-80; 191-226. (181) The Chwrch dans ”Papers from tlie Summer School of Catholic Studies”. Cambridge 1928. p. VII. (182) Cf. op. cit. p. 93. (183) Cf. op. cit. .pp. 187-189. — 189 — ses apports incontestables, ne pouvait conserver et apprécier les grandes valeurs ecclésiologiques de l’époque antérieure. Parmi ces valeurs il faut mentionner en particulier l’union étroite entre l’Eucharistie et l’Eglise, dans laquelle le symbolisme eucharistique vise la réalité de l’Eglise, tandis que la vie divinisée de l’Eglise évoque à son tour la présence réelle eucharistique, comme l’effet sa cause. Le mot mysticum conserve encore également sa signification traditionnelle, en servant à signaler trois réalités à la fois : le mémorial de la passion, la présence du Christ et l’Eglise vivant du Christ eucharistique. L’Eucharistie sous cet angle se tourne à la fois vers le passé, le Calvaire et vers l’avenir, l’édification de l’Eglise (184). «Si bien que dans cette perspective de totalité et d’unité on n’éprouve guère le besoin de chercher des formules ou des épithètes pour distinguer 'corps et corps’ (185). C’est l’idée de continuité réelle entre la Tête et les membres de l’unique Corps, qui commande chez eux l’idée de l’Eglise. Le mouvement de leur pensée dépasse toujours l’ordre sociologique de l’Eglise, pour regarder l’Eglise comme le «Corpus Ecelesiae vivifi- catum ». En d’autres termes, le corps ecclésial doit devenir en toute réalité corps du Christ, « corpus Ecelesiae conficiatur » (186) et de même que «pain et vin sont 'consacrés’ par le prêtre pour être changés au corps et au sang du Christ, ainsi la communion nous consacre-t-elle» (187). Après avoir mis en relief la richesse de cette tradition le P. de Lubac fait ressortir les contrastes en évoquant l’unilatéralisme de l’époque dialectique qui va suivre. Le rationalisme des controverses béréngériennes, le souci de faire prévaloir en tous les domaines de la foi la spéculation (188), l’oubli du sens traditionnel du mot mystique, la négligence du symbolisme, l’atténuation de la réalité ecclésiale, tels sont les griefs articulés par le P. de Lubac contre la scolastique. De plus il ne se fait pas faute d’évoquer les effets dangereux de la nouvelle idée sur l’Eglise, élaborée par les canonistes médiévaux qui ont tenté d’assimiler d’une manière excessive le corps mystique au corps visible «tout au bénéfice de l’élément le plus extérieur de l’Eglise en ses formes les plus contingentes, le pouvoir revendiqué par la papauté sur les choses temporelles. Imprudence qui sera chèrement payée... » (189). La réaction protestante ne tardera pas à dissocier totalement: corps mystique du Christ et corps visible de l’Eglise. (184) Cf. Corpus Mysticum. h 'Eucharistie et l’Eglise au Moyen-Age. Paris 1949. 2" éd. pp. 79-80. (185) Op. cit. p. 34. (186) Cf. op. cit. p. 103. (187) Op. cit. p. 97. (188) « L'intérêt doctrinal se déplace. Au besoin d’unité succède un besoin d’analyse et ce qui faisait l’objet d’une ferveur mystique, est de plus en plus ressenti comme une confusion périlleuse ». Op. cit. p. 112. (189) Op. cit. p. 131. Le langage énergique et quelquefois exagéré du P. de Lubac lui a valu de fortes critiques parmi lesquelles nous relevons celle du P. Nicolas (190). Il ne conteste pas les mérites du livre du P. de Lubac, ni l’opportunité de répondre aux aspirations de l’homme d’aujourd’hui, mais il fait remarquer que la pensée moderne, tout en se plaçant sous le signe de l’assimilation et de l’intégration, court le danger de devenir une théologie aussi partielle que celle dont elle veut s’évader. La méthode historique du P. de Lubac, en insistant sur les contrastes des époques successives, suggère aux yeux du P. Nicolas « une crainte perpétuelle d’une fixité de la vérité... Qu’on remanie, dit-il, si elle est partielle la théologie du Moyen-Age. Que tout ce qui est caduc, incomplet, limité en elle tombe! Mais qu’on ne dise pas qu’était vrai alors ou valable ce qui, depuis, a cessé de l’être pour nos esprits » (191). Dans l’avant propos de la deuxième édition de son livre (192) le P. de Lubac répond à la critique du P. Nicolas, en admettant le ca¬ ractère exagéré de son style, source des malentendus. Mais il rejette l’accusation d’être conduit par un mépris de la raison et en particulier de la scolastique. Il précise de nouveau ses desseins positifs : en premier lieu réagir contre une sorte de paresse de la spéculation théologique qui s’arrête à un certain schéma de la pensée, puis contre la suffisance moderne « qui fait croire à nos contemporains qu'ils ont plus d’esprit que leurs pères pour la seule raison qu’ils sont nés après eux... » (193) et enfin contre une dépréciation systématique de certaines époques de la Tradition. L’idée-maîtresse du livre du P. de Lubac est sans doute la com¬ préhension historique. Son effort d’intégration part du principe de M. Scheler qui réclamait que l’on prenne en considération la nature et la valeur propre de chacunes des phases de l’évolution, compte tenu de ce que le «développement n’est pas seulement progrès, mais qu’il est toujours et en même temps décadence» (194). Les valeurs par excellence de cette époque, aux yeux du P. de Lubac, sont la théorie augustinienne de l’illumination et le symbolisme ontologique. Quant à la première, dit le P. de Lubac, elle est beaucoup plus que la théorie d’un simple auteur, elle est le témoin d’un état de l’intelligence dont les époques postérieures n’ont pas dûment reconnu la valeur (195). Quant au symbolisme, il résulte des origines sacramentelles de la notion du Corps mystique, étant donné «que l'Eglise et l’Eucharistie se font (190) M. J. Nicolas: Théologie de l'Eglise. BT 46 (1946) 372-398. v (191) Art. cit. p. 387. (192) Cf. op. cit. pp. 7-10. (193) Op. cit. p. 9. (194) M. Scheler: Nature et forme do la sympathie (trad. franç. 1928) pp. 53-55; cité d’après le P. de Lubac, p. 264. (195) Cf. op. cit. p. 264. — 191 — chaque jour, l’une par l’autre» (196). Revenir au symbolisme est d’un grand intérêt, d'une nécessité urgente, d'autant plus « que sans lui, la force même des aspirations communautaires que l’on sent partout à l’heure actuelle au sein de l’Eglise et qui anime en particulier le mouvement liturgique, ne serait pas sans périls. Elle pourrait, ici où là, déchoir en une poussée naturaliste » (197). III. - Recherches récentes sur l’ccclésiologie de la Scolastique 1) Le P. de Lubac, en se défendant d’un mépris à l’égard de la scolastique, a tenu à faire remarquer combien la synthèse thomiste est « nourrie de la tradition et fortement équilibrée » (198). Il serait dif¬ ficile de mieux caractériser ce qu’on recherche maintenant dans l’ecclé- siologie scolastique. Le mouvement ecclésiologique d’aujourd’hui, qui a soumis à révision l’idée posttridentine de l’Eglise, «représente dans son ensemble une remontée au-delà des positions polémiques, antigalli¬ canes et antiprotestantes jusqu’aux positions beaucoup plus larges et plus profondes de la grande tradition théologique des Pères et des grands scolastiques, de saint Thomas en particulier » (199). Les ouvrages que nous allons analyser sur ce sujet sont une preuve que « de plus en plus on se rend compte que les grands théologiens du Moyen-Age n’étaient pas seulement des lecteurs d’Aristote, mais aussi des religieux qui pensaient leur foi dans une atmosphère spirituelle, à la lumière d’une tradition religieuse» (200). Bien sûr il y a un problème de la scolastique ; on peut y relever quelquefois une insistance vraiment excessive sur l’aspect rationnel du donné révélé; il est incon¬ testable que la préoccupation philosophique ait fait oublier souvent l’importance d’un contact plus direct avec les sources de la révélation, mais il serait également erroné de se méfier de la scolastique au nom de la théologie biblique et patristique. On doit bien se mettre en garde de sous-estimer « l’œuvre si probe, si humble, si rigoureuse, si reli¬ gieuse quand on la connaît bien d’un saint Thomas d’Aquin ou des autres grands docteurs scolastiques » (201). On peut dire que les ouvrages en question ont abordé en ce sens l’ecclésiologie de tous les grands scolastiques, en premier lieu celle de saint. Thomas. Le fait que les ecclésiologies des grands docteurs scolas¬ tiques s’accordent entre elles sur les grandes lignes de structure, explique que les ouvrages de recherche tombent aussi d’accord surtout au point de vue doctrinal, ce qui nous permet de les analyser simul¬ tanément. Au point de vue méthodologique il est important de consta- (196) Op. rit. p. 293. (197) Op. oit. p. 293. (198) Op. oit. p. 8. (199) T. Conqak: Esquisses du mystère de l’Eglise. Paris 1941. p. 60. (200) B. Aubert: Art. cit. p. 19. — 192 — ter que les ouvrages les mieux réussis sont ceux qui, malgré la rigueur de la méthode historique, n’ont pas perdu de vue les aspi¬ rations actuelles de l’ecelésiologie. Tout cela est assez évident dans les œuvres de Mersch et de Congar, mais il est intéressant de noter que Silic voit justement dans ce manque de contact avec les problèmes actuels la déficience de l’œuvre de Culhane, son devancier dans les recherches sur l’ecclésiologie de saint Bonaventure (202). On ne peut que regretter que les grandes synthèses scolastiques ne contiennent pas un traité séparé sur l’Eglise. Certes si saint Thomas revenait, comme le P. Gardeil le remarque (203), il ne manquerait pas d’insérer dans sa Somme théologique de longues questions sur l’Eglise et l’exemple du Docteur Angélique serait suivi sans doute avec empressement par les autres théologiens scolastiques, mais tout cela laisse la question entière, à savoir, pourquoi on ne trouve pas dans les Sommes théologiques des scolastiques un traité séparé sur l’Eglise? Ce fait a donné lieu à différentes explications. Elles reviennent toutes à constater que les principes théologiques de saint Thomas ne favorisent guère la formation d’un tel traité. Le P. Congar pense que c’est sciem¬ ment que saint Thomas ne l’a pas rédigé (204) et M. Grabmann va jusqu’à affirmer que la pensée ecclésiologique de saint Thomas ne peut être synthétisée selon les divisions des traités récents (205). En fait la scolastique a plutôt supposé l’idée intégrale de l’Eglise, sans l’expliquer dans tous ses aspects (206). La raison en est, comme J. Ranft le fait justement remarquer, que la mentalité médiévale a été tellement plongée dans une atmosphère ecclésiale que l’idée de l’Eglise y devait figurer comme une loi générale d’architecture et -non seulement comme une unique pierre dans un immense bâtiment (207). En outre il faut noter que l’Eglise, à l’encontre de la plupart de nos manuels De Ecclesia, est pour saint Thomas, avant tout, une vie, un corps au sens biologique du mot, et doit être conçue non selon les catégories sociologiques, mais dans l’ordre de vie (208). Donc les raisons qui expliquent l’absence d’un traité sur l’Eglise dans la Somme théologique, ne favorisent point les efforts qui essayent de compiler, à l’aide de textes choisis, un traité thomiste sur l’Eglise selon les cadres (201) Y. Congar: Bulletin d’ecclésiologie. BSP.T 31 (1947) p. 88. (202) R. Silic: Christua und die Kirche. Ibr Verhaltnis nach der Lehre des bl. Bonaventura. Breslau 1938. p. 1. 1 - D. Culhanb: De corpore mystico doctrina Serapliici. Mundclein (U.S.A.) 1934. (203) Cf. Ch. Journet: L'Eglise du Verbe Incarné. Vol. I. Paris 1941. p. XL (204) Y. Congar: L’idée de l’Eglise chez saint Thomas d’Aquin. Dans Esquis- " ses du mystère de l’Eglise. Paris 1941. pp. 59-92; cf. pp. 60-61. (205) M. Grabmann : Die Lehre des hl. Thomas von Aquin von der Kirche als Gottcswerk. Rcgcnsburg 1903. p. 68. (206) J. Ranet: Die Stellung der Lehre von der Kirche im dogmatischen System. Aschaffenburg 1927. p. 75. (207) Op. cit. p. 63. (208) Y. Congar: Op. cit. p. 65. — 193 — de nos manuels (209). Certaines parties y feraient totalement défaut et ce qui est encore plus essentiel, les textes choisis seraient destinés à servir des préoccupations assez différentes de leur contexte. Sans doute, c’est l’insistance sur le concept de la vie qui fait le mieux connaître le but des auteurs en question qui soulighent tous que l’Eglise, dans la pensée de saint Thomas, est une chose eoncrètç, réelle, vivante au sens strict du mot (210). Par conséquent c’est la grâce qui se présente au premier plan de l’idée thomiste sur l’Eglise, comme Grabmann l’exprime succinctement: «Tout dans l’Eglise est, soit un effet et une action de cette grâce du Saint-Esprit qui agit par l’inté¬ rieur, soit un acheminement, une disposition à cette grâce » (211). Selon Geiselmann, saint Thomas détermine l’idée de l’Eglise d’un point de vue strictement surnaturel: le principe de la grâce et celui de la participation dans la vie divine (212). J. Ranft n’est pas moins caté¬ gorique quand il écrit : « Ge que saint Thomas regarde comme primordial en ce qui concerne son système sur l’Eglise: c’est la grâce » (213). Les recherches sur l’ecclésiologie de saint Bonaventure ne manquent pas de constater cette primauté du spirituel : La communion dans la grâce, voilà l’idée-maîtresse de l’ecclésiologie du Docteur Séraphique, selon R. Silic (214), qui renvoie souvent aux mots frap¬ pants par lesquels le Docteur Séraphique a exprimé sa pensée sur l’essence de l’Eglise: abundans collatio gratiae Christi. Pour justifier cette insistance sur la primauté du spirituel dans l’ecclésiologie des scolastiques, on a mis fréquemment en relief ce texte do saint Thomas : « id quod est potissimum in loge novi testa¬ ment, in quo tota virtus ejus consistit, est ipsa gratia Spiritus Sancti... » (215). Mais le reste de l’article d’où est tiré ce passage n’est pas moins remarquable, comme K. Adam l’a montré: «Saint Thomas souligne avec force que dans la Nouvelle Alliance c’est le don de la grâce du Christ qui est l’élément principal (potissimum), en qui consiste toute la force de la religion chrétienne (in quo tota virtus ejus consistit); et par suite la doctrine (creden- da) et le culte (agenda) ne viennent plus qu’en second lieu (quasi sécundaria in lege nova) » (216). Donc il est tout à fait con- (209) Nous pensons à l’œuvre de G. Paris, citée plus haut, p. 12. (210) M. Gbabïiann: Op. rit. p. 71. (211) Op. rit. p. 90. (212) J. Geîsblmxnn: Christus und die Kirche nach Thomas. TQ 107 (1926) 198-222; 108 (1927) 233-255; cf. p. 203. (213) Op. cit. p. 74. (214) Op. cit. p. 12. (215) I-II. qu. 106. a.l. - Cf. encore: «Décor Eeclesiae principaliter in inte- rioribus consistit sed etiam exteriores actus ad eundem dccorem pertinent in quan¬ tum ab interiori progrediuntur et in quantum interiorem decorem conservant». (IV. Sent. dist. 15. q. 3. a.l. sol. 4). (216) K. Adam: Le mystère de l’Incarnation. Et. 238 (1936) p. 36. 13 — 194 — forme à la pensée de saint Thomas de dire avec le P. Darquennes que la structure juridique de l’Eglise chez le Docteur Angélique est néces¬ saire non pour elle-même, mais pour l’unité du Corps mystique (217). La substance de l’Eglise ne peut donc être que la vie surnaturelle, mais les scolastiques s'empressent d’ajouter que cette vie nouvelle se déve¬ loppe tout d’abord dans les vertus théologales. Partant la substance de l’Eglise, qui est son unité, son union mystique avec le Christ, est une vie concrète, grâce à l’enracinement psychologique de la foi, de l’espérance et de la charité. On comprend alors pourquoi les auteurs en question ont mis en relief avec un soin peu commun cette doctrine, qui 6ans diminuer la réalité objective de l’Eglise, la considère surtout sous son aspect vécu. L’Eglise, corps du Christ, écrit Kàppeli en inter¬ prétant la pensée de saint Thomas, est alors la communauté de ceux qui appartiennent à Dieu en vertu d’une connaissance et d’un amour surnaturels (218). Une fois établie une telle prédominance de la grâce dans l’idée de l’Eglise, on comprend que sa nature ontologique surnaturelle est professée à l’unanimité par les grands scolastiques et que le mouvement actuel vers une idée plus intériorisée de l’Eglise a pensé trouver chez eux un solide appui. Une unité qui repose sur la grâce (219), dont les prototypes sont la Trinité et l’Incarnation, dont le principe essentiel est le Saint-Esprit, source de grâce, ne peut être d’ordre purement moral. « L'Eglise ne paraît plus ainsi une simple unité morale maintenue par des liens sociaux et pourvue d'une vie collective qui s’épanouit par l’échange spirituelle entre ses membres, mais un organisme réel et mystique» (220). Partant «il fallait, dit le P. Mersch, que l’image d’un organisme mystérieux et de surnaturels échanges vitaux s’imposât impérieusement à leur esprit » (221). On comprend donc que chez les scolastiques la notion du Corps mystique est située avant tout au plan de la vie et non à celui de l’institution (structure de l’Eglise). C’est pourquoi, non seulement les catholiques sont ses membres, mais aussi toutes les créatures ration¬ nelles élévées à l’état de la grâce, les anges, et tous les justes à partir du premier homme, Adam. En cela les docteurs scolastiques ne sont que l’écho fidèle de la tradition patristique, si riche et variée en ce (217) A. Dabquennes: De Juridische Structuur van de Kcrk volgens Sint Thomas van Aquino. Leuvon 1949. p. 19. (218) T. Kappeli: Zur Lcbre des hL Thomas v. Aquin vont Corpus Christi mysticum. Freiburg-Paderborn 1931. p. 43. Cette connaissance surnaturelle est évidemment la vertu de foi qui devient ainsi le fondement de l’existence con¬ crète du Corps mystique. — O. Dominguez: La fe, fundamento dcl euerpo mistico 1 , en la doctrina del Angélico. CT 76 (1949) 550-586. (219) „Diese Einheit beruht... auf der Gnade, ist mystisclier nicht blosz mo- ralischer Natur “ (Kappeli, op. cit. p. 133). (220) Kappeli, op. cit. p. 109. (221) Op. cit. p. 183. — 195 — qui concerne les différentes acceptations de l’expression de corps mys¬ tique. Perdre de vue la différence entre la manière traditionnelle et moderne de définir le corps mystique, mènerait assurément à établir la même opposition forcée entre la doctrine de saint Thomas et celle de l’Encyclique, qu’on trouve dans l’ouvrage de Mitterer (222). Selon lui l’Encyclique aurait corrigé la doctrine de saint Thomas de la même façon que Pie IX l’a fait il y a un siècle à propos de la doctrine dû Docteur Angélique sur l’immaculée Conception. A notre avis, l’Ency¬ clique, en reprenant l’identification également traditionnelle de l’Eglise romaine avec le Corps mystique du Christ, n’a corrigé qu’une déviation: celle du mouvement oecuménique protestant qui a proposé 1 ’idée du Corps mystique comme embrassant toutes les églises séparées. Malheureusement Mitterer semble oublier le fait que, non seule¬ ment chez les autres scolastiques, mais aussi pendant toute l’époque patristique, l’idée du corps mystique n’a pas été proposée comme la signification exclusive, mais comme la notion par excellence de l'Eglise. Non seulement il serait difficile de supposer que l’Encyclique ait corrigé d’une telle façon toute la tradition, mais, dans la question de l’appartenance à l’Eglise où le problème culmine, l’Encyclique, comme nous le verrons, suggère elle-même un sens plus étendu du Corps mystique en admettant ainsi le rôle dominant de la notion de vie dans l’idée de Corps mystique. 2) La vie surnaturelle comme idée dominante de la notion de l’Eglise chez les scolastiques est liée intimément à un fondement chris- tologique, à la doctrine sur le Christ, Tête de l’Eglise. C’est l’ecclésio- logie de saint Bonaventure qui contient cette doctrine sous sa forme la plus développée. Comme l’ouvrage de Berresheim l’a montré, on trouve chez saint Bonaventure une richesse d’idées en ce qui concerne l’action de la Tête dans la fondation de l’Eglise, dans la fonction du magistère et dans le sacerdoce (223). Selon Berresheim l’idée de la Tête mystique domine la notion de l’Eglise visible à tel point que le grand Docteur en déduit les quatre notes, l’infaillibilité et l’éternité de l’Eglise (224). Saint Thomas, comme Kappeli l’a montré, écrit non moins extensivement sur la grâce de la Tête (225) et ce fait a suggéré, même au P. Mersch, de regarder les questions sur la grâce de la Tête, comme un véritable traité ecclésiologique chez les scolastiques (226). Les scolastiques, après avoir établi tous les détails qui concernent la fonction de la tête à l’égard du corps, les ont appliqués avec un (222) A. Mitterer: Geheimnisvoller Leib Christi nach St. Thomas Aquin und nach Papst Pius XII. Wien 1950. (223) II. Berresheim: Christus als Haupt der Kirche nach dem lil. Bona- ventura. Ein Beitrag zur Théologie der Kirche. Bonn 1939. pp. 154 sv. (224) Op. cit. p. 402. (225) Op. cit. pp. 45-58. (226) Op. cit. Vol. II. pp. 173-176. — 196 — soin minutieux au corps mystique du Christ. Ce parallélisme se réduit, en dernière analyse, aut fait qu’il y a une conformité entre le Christ et l’Eglise et que la Tête qui est le principe des membres, exerce un influx continuel sur eux (227). 11 faut noter toute¬ fois une idée particulière à Saint Bonaventure: le Christ comme cœur de l’Eglise. Tandis que chez saint Thomas et chez la plupart des scolastiques, c’est l’Esprit qui s’appelle le cœur de l’Eglise (228), le Docteur Séraphique a trouvé mieux d’appliquer la notion de cœur au Christ pour mettre en relief plus puissamment la position centrale du Christ dans l’univers contre l’averroïsme (229). «La doctrine de Bonaventure, Christus cor, est le fruit le plus mûr de sa théologie et de sa piété. Venue de la conception christocentrique de ses œuvres postérieures, elle trahit, mieux qu’aucune autre, le caractère de son esprit » (230). L’idée du Christ, comme Tête de l’Eglise, nous mène naturellement à la notion théandrique de l’Eglise qui rend compte en dernière ana¬ lyse de son existence dans une structure sacramentelle. A la base de cette théandricité de l’Eglise on trouvera le contact physique, qui existe, selon saint Thomas, en vertu des sacrements, entre notre corps et celui du Christ (231). Grabmann voit justement dans cette influence physique de Phumanité du Christ sur l’Eglise la raison qui l’élève dans une autre sphère d’être et qui fait d’elle le prolongement de l’Incarnation, corps mystique du Christ (232) « Cet influx, écrit le P. Mersch, n’èst pas simplement une entité morale, une communica¬ tion juridique de mérites et de satisfaction. Saint Thomas et son école, ainsi que de nombreux scolastiques, déclarent qu’il consiste en une activité d’ordre physique, per efficientiam. On dirait même, à lire certains passages, qu'il s’agit d’une causalité physiologique, par continuité vitale» (233). Mais cet influx «physiologique» n’est jamais séparé du fait de l’Incarnation, principe et norme de la grâce sur la terre qui sauvegarde saint Thomas de glisser dans une interprétation toute spiritualiste de l’idée de l’Eglise, comme Geiselmann le fait remarquer (234). Un saint Bonaventure voit, selon Berresheim, le fon¬ dement de la visibilité de l’Eglise justement dans sa conformité avec la double nature du Christ (235). (227) T. Kappeli: Op. cit., 45 sv. — B. SiMC: Op. cit. pp. 15-21. Il est évident que, pour saint Thomas, le Christ est la Tête du corps mystique avant tout en tant que son Bédcmpteur, comme E. Sauras le montre: Thomistic Soteriology and thc Mystical Body. Th 15 (1952) pp. 543-571. (228) S. Th. III. q. 8. a. 1. (229) B. Silic: Op. cit. p. 68. (230) Ibid. p. 74. (231) T. Kappeli : Op. cit. p. 115. (232) Op. cit. pp. 240-249. (233) Op. cit., Vol. II. pp. 185-186. (234) Art. cit. p. 211. (235) Op. cit. p. 147. — 197 — L’aspect christologique de l’Eglise, que nous venons de voir, se rattache essentiellement au mystère de l’Eucharistie. C’est là que le rapport du Christ avec son Eglise reçoit son couronnement. En fait les grands docteurs scolastiques conservent fidèlement l’héritage du Haut Moyen-Age en ce qui concerne les relations étroites entre l’Eglise et l’Eucharistie. Rien ne montre mieux l’importance de cette doctrine chez eux, selon Piolanti (236), que le fait qu’elle soit le centre de la théologie de saint Albert le Grand, qui ne sépare jamais la messe de l’idée du corps mystique. C’est là, dans la communion, comme Grabmann interprète saint Thomas, que le Corps mystique se réalise le plus parfaitement (237). La raison en est, selon Berresheim qui résume la doctrine de saint Bonaventure que «l’unité interne des membres avec le Christ et entre eux, réalisée par l’Eucharistie est une unité mystique. Elle repose sur l’identité de la justification. Les membres ont, en raison de la gratia capitis, une grâce semblable à la grâce du Christ et la même grâce entre eux» (238). Il est vrai que chacun des grands scolastiques conçoit d’une façon différente l’efficacité des sacrements, mais, sur les points essen¬ tiels, il y a une unanimité parmi eux. Qu’on pense seulement à la res sacramenti, unité du Corps mystique. Les espèces, sacramentum tantum, et le corps du Christ, res et sacramentum, sont ordonnées selon la structure sacramentelle à la production du res tantum, l'unité de l’Eglise. A propos de la présence eucharistique du Christ, Silic relève chez saint Bonaventure une idée qui aiderait la solution d’une question agitée dans l’ecclésiologie actuelle. Saint Bonaventure est le premier, écrit-il, qui voit dans la présence eucharistique du Seigneur une présence corporelle du Christ dans l’Eglise. C’est dans cette direc¬ tion qu’on devrait chercher, poursuit-il, l’explication théologique de cette présence attestée par le sens commun des fidèles. On aurait ainsi non seulement une solution plus profonde, mais aussi à la fois plus sûre qui éviterait les difficultés des solutions proposées récemment à propos de la présence pneumatique du Seigneur (239). Nous avons encore à parler, pour compléter les points doctrinaux qui ont attiré l’attention de l’ecelésiologie actuelle à l’égard des scolas¬ tiques, de la structure sacramentelle de l’Eglise. Les auteurs sont unanimes à signaler que chez saint Thomas les deux aspects ne se sépa¬ rent pas encore et que l’aspect juridique y est développé en subor¬ dination à la grâce. C’est justement à cause de cette subordination que Grabmann fait remarquer que le Docteur Angélique réclame de tous (23G) A. Piolakti : Il corpo mistico et le sue rclazioni con l’cucaristia in S. Alberto Magno. Borna 1939. pp. 196-201. (237) Op. àt. p. 270. (238) Op. eit. p. 323. (239) Op. àt. pp. 205-256. — 198 — les membres du clergé la contemplation au fur et à mesure qu’ils sont plus avancés dans la hiérarchie (240). Cette idée est encore plus explicite chez saint Bonaventure (241), qui voit dans les différents degrés de la hiérarchie l’image de la division tripartite de la vie de la perfection. Sans vouloir conditionner l’efficacité de l’action sacra¬ mentelle de la hiérarchie à la sainteté personnelle, cette position suit fidèlement la conviction profonde des scolastiques en ce qui concerne la primauté de la grâce et la vraie nature de la relation entre l’aspect intérieur et extérieur de l’Eglise. Cette unité foncière des aspects de l’Eglise est soulignée fortement par le P. Congar: « pour saint Thomas il n’y a qu’une Eglise dont la substance intérieure s’exprime en société organisée et dont l’appareil social a pour âme les réa¬ lités spirituelles de grâce et finalement le Saint-Esprit» (242). Le livre de Berresheim ne fait autre chose que relever cette interaction entre les deux aspects de l’Eglise dans la pensée de saint Bonaventure; ce rythme double dans l’Eglise a été signalé aussi à propos de saint Thomas (243). Conformément à la structure théandrique du Corps mystique, la grâce est communiqué à l’Eglise à travers des signes visibles (244). C’est sur ce point que saint Thomas corrige les faiblesses du système augustinien. La théorie thomiste sur l’efficacité des sacre¬ ments rend son importance au caractère sacramentel dans l’édification de l’Eglise, ce qui permet à Geiselmann d'appeler l’ecclésiologie de saint Thomas l’ecelésiologie du réalisme théologique (245). La doctrine sur la double mission a pour principal résultat de marquer de son côté l'aspect théandrique de l’Eglise, si étudié par les scolastiques, et si cher aux tendances actuelles de l’ecclésiologie. Aux yeux de Grabmann, c’est l’idée du corps mystique qui unit, selon la pensée de saint Thomas, ces deux missions dans l’Eglise, à savoir la mission de l’Esprit dans la hiérarchie et, par la grâce sanctifiante, dans les âmes individuelles (246). Il est bien caractéristique de ces recherches, qu'elles ont mis en relief la parenté de l’ecclésiologie des scolastiques avec l’idée paulinien- ne du Corps du Christ, avec les Pères grecs et avec l’occlésiologie de saint Augustin. Le passage du P. Congar cité plus haut, parlant du sens biologique mystérieux du mot « corps » chez saint Thomas, soutient la (240) Op. cit. pp. 98-99. (241) B. Siuc: Op. cit. pp. 34-54. (242) Op. cit. p. 85. ,(243) ”Die Gnadengemeinscliaft liier auf Erden, die eic-h auf Christus griindet, ist von cincm Doppelrtytlimen beherrscht, vom Sinnlich-Sichtbarcn, zum. übersinnlieh- Gnadentlichen, und vom Übersinnlich-Gnadentlichen hin zum Sinnlich-Sichtbaren Geiselmann art. cit. p. 208. (244) Cf. chez Êappeli: Les sacrements au service du Corps mystique, op. cit. pp. 85-98; (245) Cf. art. cit. pp. 254-255. (246) Cf. Grabmann op. cit. p. 183. — 199 — provenance paulinienne de eette expression. Selon Grabmann l’idée thomiste de l’Eglise est conçue du point de vue de la vie surnaturelle et comme telle se rattache directement à la pensée de saint Paul et de saint Augustin : « Le Docteur Angélique est ici encore en contact avec les Pères, notamment avec saint Augustin et avec saint Paul, dont la notion de l’Eglise: ecclesia corpus Christi est dominée par la considé¬ ration des forces vitales surnaturelles. L’Eglise est un organisme plein de forces vivantes, la continuation et le développement de la vie du Christ dans les hommes de tous les temps et tous les lieux » (247). Donc il est tout à fait conforme à l’orientation des recherches nouvelles que l’on se soit empressé de mettre bien en relief qu’un saint Thomas regarde, par exemple, le corps mystique comme l’idée centrale de la théologie de saint Paul (248). C 'est cette nouvelle manière de lire les scolastiques qui a fait décou¬ vrir à Geiselmann (249) et à Mersch que « la synthèse à laquelle arrivent les scolastiques est exactement, quant à toute sa substance, celle que formulait, huit siècles plus tôt saint Cyrille d’Alexandrie... Au voca¬ bulaire près et abstraction faite du mode d'exposition, plus homilétique d’un côté, plus déductif de l’autre, le système est exactement le même de part et d’autre» (250). Toutefois malgré le grand nombre de points d ’attache avec la tradition, les scolastiques diffèrent bien de la mentalité patristique, ils ne parlent plus le langage vigoureux et rempli de vie des Pères; en beaucoup de points la doctrine des Pères ne se retrouve plus dans les Sommes médiévales. C’est surtout le symbolisme ecclé¬ siologique de la tradition qu’on chercherait en vain dans sa richesse originale chez les scolastiques. Les motifs méthodologiques, le P. de Lubac les a dévoilés en détails, comme nous venons de le voir. Mais, même si l’on n’accuse pas tellement les contrastes entre l’ecclé- siologie patristique et scolastique, la voie d’un vrai progrès théologique ne peut être autre que celle tracée par le P. Mersch: la synthèse intégrale de ces deux aspects: le concret et le spéculatif (251). 3) Avant de terminer ce chapitre, nous avons à dire quelques mots sur la critique de Koster, à l’égard de ces recherches sur l’ecclésio- logie des scolastiques. Méfiant dans le domaine mystique, il leur . reproche en premier lieu d’avoir étudié l’aspect mystique de l’Eglise en le séparant de sa structure visible. A cela s’ajoutent les griefs suivants : une interprétation dans le sens biologique du mot corps chez saint Thomas ; une méconnaissance de ses passages proprement ecclésio- (247) Op. cit. p. 71. (248) J. Amqkr: La doctrine du Corps mystique de Jésus-Christ d’npris les principes de la théologie de saint Thomas. Paris 1929. p. 9. (249) Art. cit. p. 243. (250) Op. cit. Vol. II, p. 162. (251) Ibid. pp. 297-299. — 200 — logiques, l'imputation à saint Thomas d’une conception de l’apparte¬ nance à l’Eglise basée sur la grâce et non sur le caractère, enfin la présentation de la doctrine sur la grâce capitale, comme thème ecclésio¬ logique (252). Si les auteurs critiqués par Koster, nommément Geiselmann, Kâppeli et Merseh, parlent plus souvent de la vie mystérieuse de l’Eglise que de la structure de l’Eglise, ils le font parce que l’aspect extérieur de l’Eglise est subordonné à titre essentiel à l’aspect intérieur de celle-ci; en outre, le désir de remonter à la Traditios avait précisément pour but de remettre en honneur le mystère de l’Eglise. Quant à la séparation prétendue de ces deux aspects, nous avons pu constater le contraire: au centre de leurs recherches se situe le principe du théandrisme. Enfin, après ce que nous venons de dire du problème paulinien sur le corps mystique, l’objection de Koster n’a plus de fondement. Il est vrai que saint Thomas n’a jamais minimisé l’aspect juridique de l’Eglise et comme l’étude du P. Darquennes l’a montré, le Docteur Angélique a utilisé toute la richesse de la pensée sociologique de son temps pour donner une expression plus riche à la structure de l’Eglise. Mais tout cela n’enlève rien au fait que la primauté demeure avec l’aspect inté¬ rieur de l’Eglise. D’ailleurs l’opposition exagérée par Koster entre le caractère et la grâce, en ce qui concerne l’appartenance à l’Eglise, ne peut pas être dite heureuse parce qu’elle introduit nécessairement une double appartenance au Christ: dans l’Eglise et en dehors de l’Eglise, ce qui ne rend pas de compte de la médiation universelle de celle-ci. Quant à la «méconnaissance» d’importants passages ecclésiologiques de saint Thomas, la façon dont Koster distingue les textes importants, est assez arbitraire. L’assertion dernière de Koster, selon laquelle la doctrine sur la grâce capitale n’est pas un thème ecclésiologique, a été rejetée par l’autorité même de l’Encyclique dont l’idée-maîtresse est l’influence vitale du Christ sur son Eglise. Assurément on pourrait trouver des lacunes plus ou moins graves dans ces recherches; par exemple le rôle de l’idée du corps mystique dans la prédication médiévale n’a pas été encore élaboré (253). Mais quoi qu ’il en soit des lacunes de ces recherches, il faut admettre qu 'elles ont bien montré ce que l’ecclésiologîe actuelle doit prendre à l’école des docteurs scolastiques. Pour citer les mots du P. Congar : « En tout cas, n’est-il pas évident que s’il nous faut maintenant faire un traité De Ecclesia spécial et formel, ce traité ne doit pas être constitué des seuls éléments qui dans l’Eglise ne seraient pas théologiques, mais canoniques, juridiques, sociologiques. Sans négliger de compléter la (252) Op. cit. pp. 43 ssv. (253) Le plan original do l’œuvre de Culhane aurait consacré une place plus considérable à cette question, sans l’avoir mené à sa fin. Cf. Op. cit. p. 2. — 201 — doctrine plus mystique du Moyen-Age par l’étude des éléments qui se sont davantage affirmés et mieux dévoilés depuis (la fonction du sacer¬ doce, le rôle de la hiérarchie, apologie de vera ecclesia, Eglise-Etat), il doit surtout chercher à dégager ce que j'appellerais la dimension ou le moment ecclésiologique de tout le reste: Trinité et missions divines, anthropologie et morale, christologie, sacrements » (254). (254) y. Conqab: Esquisses... p. 90. Chapitre IV RECHERCHES SYSTEMATIQUES SUR L’EGLISE Dans les deux premiers chapitres nous avons examiné les facteurs qui ont donné origine au renouveau ecclésiologique. Les ouvrages qui y ont été analysés, se sont proposés de montrer la nécéssité de ce renouveau en faisant appel aux besoins internes et externes de l’Eglise. On a eu l’occasion de voir que ces besoins ont joué dans le sens d’une intériorisation de la théologie de l’Eglise. Le chapitre troisième nous a montré dans quelle direction s’est fait le retour aux sources depuis environ 30 ans en ce qui concerne les études exégétiques et historiques des théologiens catholiques sur l’Eglise. Il nous reste maintenant à examiner les ouvrages dans lesquels le souci d’un développement spécu¬ latif de la question sera au premier plan. C’est là qu’on aura l’occasion de voir quels sont, en fin de compte, les résultats de 1 ’ecclésiologie ré¬ cente au point de vue théorique. Il est bien entendu que bon nombre de ces donnés théoriques se trouvent déjà plus ou moins abordés dans les ouvrages analysés dans les chapitres précédents et par la nécessité même des choses nous n’avons pu nous dispenser d’y faire allusion au cours de notre enquête. Il s’agira maintenant de les mettre plus direc¬ tement en relief et surtout de montrer comment ils convergent vers certains points communs que les théoriciens récents de l’ecclésiologie tendent de plus en plus à présenter désormais comme acquis. I. - Le mystère de l’Eglise 1) C’est la question de la nature de l’Eglise qui fut au centre des études ecclésiologiques au cours de ce renouveau. «Le problème reli¬ gieux, écrit R. Grosche, consiste aujourd’hui dans l’essence et dans la réalité de l’Eglise» (1). Sans vouloir discuter l’importance du travail ecclésiologique d’entre les deux guerres, il faut reconnaître que les premières investigations dans ce sens datent du XIX’ siècle. Le Card. Billot en précisant les deux questions capitales de l’ecclésiologie: où est l’Eglise et qu’est-ce que l’Eglise, ne fait que reprendre la pensée de P. Pilgram qui avait indiqué avec précision, dix ans avant le Concile du Vatican, le devoir théologique de notre époque dans une compréhen¬ sion profonde de l’essence de l’Eglise (2). (1) Pilgerndc Kirclie. Freiburg (Br) 1938, p. 23. (2) Cf. Tractatus de Eeclesia Christi. Bomac 1921-22. 4* éd. I. $ 2. - F. Pil¬ gram: Physiologie der Kirche. Maiaz 1860. — 206 — Moehler, initiateur également dans ce domaine, a mis en relief l’aspect intérieur de l’Eglise, sans poser de questions ultérieures sur la nature de l’entité mystique de l’Eglise. Sa préoccupation n’était pas di¬ rectement spéculative parce que, tout en mettant en lumière le côté mys¬ tique de l’Eglise, il s’est limité à la description de la vie mystique de l’Eglise dans la conscience des fidèles. Plus tard seulement, dans la Sym¬ bolique, il a reconnu l’importance de l’idée du Corps mystique (3) qui est devenu ensuite, grâce aux travaux des théologiens de l’Ecole de Rome, l’idée-maîtresse du renouveau (4). Ce sont eux qui soulignent, les premiers, l’importance de l’expression corps du Christ pour une défini¬ tion de l’Eglise et déjà un Franzelin arrive à des conclusions qui ne diffèrent presque pas de celles des ouvrages tout récents. Passaglia, s’attacchant au témoignage de l’Ecriture et des Pères, voit dans la mé¬ taphore paulinienne la définition la plus profonde de l’Eglise (5). La définition donnée par lui met surtout en relief l’appartenance surnatu¬ relle de l’Eglise au Christ, comme à son Fondateur, à son Sauveur et Tête (6). Le Schéma du Concile du Vatican, rédigé par Schrader (7), com¬ mence avec la question de la nature de l’Eglise, qu’il appelle Corps mystique du Christ. Ensuite, la partie dogmatique du Schéma (8), le premier chapitre, présente l’Eglise sous son aspect sotériologique (9): l’Incarnation du Fils de Dieu est ordonnée à la réalisation d’un corps mystique pour faire participer les hommes à la grâce. La grâce les réunit à leur Chef divin, détruit les divisions et l’hostilité entre eux et fait d’eux un corps mystique par la foi, l’espérance et la charité. « Atque haec est — poursuit le Schéma — quae ut fidelium mentibus objiciatur altcque defixa haereat, satis nunquam commendari potest, praecellèns Ecclesiae species, cuius caput est Christus ex quo totum corpus compactum et connexum per omnem juncturam subministratio- (3) Cf. éd. cit. p. 332. (4) Perrone. Passaglia, Schrader, Franzelin, tous professeurs de l’Université Grégorienne. L’expression «Ecole de Rome» vient de A. Kerkvoordc: La théologie du corps mystique au XIX» siècle. NRT 67 (1940-45) 417-430. (5) Il faut noter qu'une méthapliore, comme telle, n’est jamais une définition stricte, mais une description par comparaison. (6) « Ecclesiam apte luculentcrque vocari corpus Christi mysticum, id est eoruin omnium coetum in quo se Christus manifestât Buamque vitam explicat per quem conspicuus inter homines degit et per quem salutaria ooconomiae opus ita profert atque continuât, ut per eum homines a captivitate liberct veritatem doccat, justitiam donet et ad sempiternam coronam perducat». De Ecclesia Christi. Ratisbonae 1853. p. 38. (7) Disciple de Passaglia, l’auteur de l’ouvrage: De Vnitate Bomana. 1862, livre d ’un langage lourd mais d’une grande richesse d'idées sur la primauté romaine. (8) Mansi, vol. 51. col. 539 sv. (9) L’Encyclique Mystici Corporis a choisi le même point de départ. — 207 — nis, secundum operationem in mensuram uniuscuiusque membri, aug- mentum corporis facit in aedificationem sui in caritate » (10). La première annotation ajoutée au Schéma souligne que l'expres¬ sion « Corps mystique du Christ » non seulement est la plus fréquente mais aussi la plus parfaite parmi les définitions de l’Eglise (11). La deuxième fait savoir que le but de la définition est de mettre en relief l’essence intime de l’Eglise, sa force et son aspect divin (12). Le Schéma veut répondre ainsi aux griefs de certains acatholiques, en particulier à un passage tiré de l’ouvrage de M. Jurieu (13), qui reproche aux théolo¬ giens catholiques de définir l’Eglise sans mentionner la charité. La cri¬ tique d’un bon nombre des Pères du Concile contre le Schéma n’est pas certes un argument péremptoire contre une ecclésiologie basée sur le Corps mystique, comme le P. Koster l’a prétendu (14), mais le P. Mersch aussi exagère en voyant dans le Schéma l’opinion généralement admise du Concile (15). Il faut plutôt dire aver le P. Kerkvoorde, que le Schéma, sans être encore le reflet de l’opinion théologique générale, est néanmoins l'œuvre de théologiens « qui étaient à la hauteur de la pensée contemporaine » (16). Le problème spéculatif de l’essence de l’Eglise a été abordé très heureusement par Franzelin dont les formules ont été adoptées par le Magistère à plusieurs reprises (17). Franzelin, qui avait pris part à la ré¬ daction de la deuxième partie du Schéma, voit dans le Corps mystique la cause formelle de l’Eglise. En d’autres termes: l’essence de l’Eglise (10) Mansi, vol. 51. col. 539. (11) Voir ces annotations explicatives: col. 553-554. (12) «... eodem schemate continetur ipsa intima ecclesiae essentia et praestan- tissima, id est, divina eius species ac vis, a qua veluti a parte potiori ac nobiliori...», ibidem. (13) P. Jurieu : Le vray système de l’Eglise et la véritable analyse de la foy où sont dissipées toutes les illusions que les controvcrsistes modernes, prétendus catholiques, ont voulu faire au public sur la nature de l'Eglise, son infaillibilité et le juge des controverses, pour servir principalement de response au livre de M. Ni¬ cole, intitulé: «Les prétendus réformez convaincus de schisme etc.», avec une response abrégée au livre de M. Ferrand contre l’auteur. Dordrecht 1686. Cet ouvrage, un excellent représentant de la théologie protestante do cotte époque, est basé sur l’idée du corps du Christ. (14) Cf. Op. cit. p. 20, et p. 110. (15) Cf. Op. cit. vol. II, p. 354. (16) Art. cit. p. 428. (17) Sou ouvrage posthume: Theses De Ecclesia Christi. Bomae 1887; dans la troisième section de son livre, Franzelin analyse le rapport du Christ à son Eglise selon les divers ordres de la causalité; (thèses XVII-XIX, pp. 296-333). L’importance de cet ouvrage fut signalée déjà par J. Bellamy: La théologie catholique au XIX” siècle. Paris 1904. Cf. chap. X: Le traité De Ecclesia et la démonstration catholique (pp. 226-242); sur Franzelin voir pp. 230-231. Cf. aussi l’article de G.' Courtade: J. B. Franzelin. Les formules que le Magistère de l’Eglise lui a empruntées. BScR 40 (1951) pp. 317-325. — 208 — dans son union au Christ dépasse l’ordre moral: elle est intime, réelle et «secundum quid » physique (18). En ce qui concerne l’usage de la métaphore « corps mystique du Christ » dans une définition de l'Eglise, il pense que cette manière de considérer l’Eglise est commune non seule¬ ment parmi les Pères et les Docteurs, mais familière aux fidèles aussi, à tel point que cette définition est la définition chrétienne de l’Eglise (19). Mais c’est Scheeben, qui parmi les théologiens du XIX 0 siècle, a approfondi le mieux cet aspect mystique de l’Eglise. Sa Dogmatique étant inachevée, ce sont ses développements sur les mystères chrétiens qui contiennent sa pensée sur l’Eglise. Son ouvrage, Les Mystères du Chris- tiamsme, reste jusqu’à nos jours, de l’avis du P. Stolz, l’explication la plus profonde de l’essence mystique de l’Eglise. Le grand mérite de Scheeben, selon lui, est d’avoir concentré sous un seul aspect sa pensée sur l’Eglise et d’avoir cherché à la comprendre de l’intérieur (20). A notre avis, il serait mieux de dire que l’idée-maîtresse de l’ecclésio- logie de Scheeben est la loi de l’homogénéité entre le Christ et l'Eglise. Cette loi évoque une existence dans une double nature tendant de tout son poids vers son côté divin. Cette loi de l’homogénéité est déjà une preuve suffisante que Scheeben a professé l’essence mystique de l'Egli¬ se qui est pour lui « le noble lien qui renferme et unit tous scs membres, la force mystérieuse qui règne en elle et qui l’anime, le but céleste, qu’elle poursuit, sont inaccessibles à l’œil naturel de l’homme. Ils sont inconcevables, incompréhensibles» (21). Il n’est pas nécessaire de reproduire en détail, sur ce point, la doctrine des ecclésiologues de la fin du XIX' et du début du XX' siècle. Le souci principal de Gréa (22) est précisément de montrer comment se réalise, grâce à la médiation de Jésus-Christ et de la hiérarchie, l’essen¬ ce mystique de l’Eglise. Essence qui vient à l’Eglise de l’être même de Dieu et c 'est ainsi que le mystère trinitaire « se reproduit en elle par d’ineffables communications » (23). E. Commer a consacré un livre entier à l’essence de l’Eglise (24); une certaine hésitation s’y constate quant au vocabulaire. Il emploie le terme moral pour désigner l’entité surnaturelle-réelle de l’Eglise. En analysant la méthapore paulinienne il arrive à la conclusion que «l’Eglise est vraiment le corps du Christ (18) «Ista igitur unio intima, realis, secundum quid pliysica Christi Capitis cum Ecclesia corpore suo sane est in mysterio crodenda per fidem et recte dicitur mystica ne propterea Ecclesia Corpus ChrUti Mysticum ». Op. cit. p. 310. (19) «... ut fero dici possit christiana dofinitio Ecclesiao », p. 308. (20) Cf. M. J. Scheeben und dos Mysterium aer Kirche. KG 8 (1935) 116 sv. (21) Le Mystère de l’Eglise et de scs Sacrements (trad. A. Kcrkvoorde). Paris 1946. p. 542. (22) De l’Eglise et de sa divine constitution. Paris 1907. 2* éd. (23) Op. cit. p. 2. (24) Op. cit. plus haut (p. 157, note 11). au sens moral et partant, la plénitude du Christ même» (25). D’autre part il insiste sur l’union réelle créée par la grâce entre nous et le Christ et, en s’appuyant sur l’idée du mariage mystique entre le Christ et son Eglise, il conclut que la conjonction spirituelle dans la grâce doit être également physique (26). N’oublions pas qu’à cette même époque des ouvrages tels que ceux de Grabmann et de Prat ont dégagé cette essence surnaturelle de l’Eglise dans la théologie de saint Thomas et de saint Paul. Bien que le P. Clérissac n’aborde nulle part dans son ouvrage (27) le problème de l’entité de l’Eglise, la teneur de ses développements, ses expressions réalistes, vont dans ce même sens de l’entité mystique de l’Eglise, d’autant plus que le but de l’auteur est d’expliquer toutes les actions de l’Eglise à partir de son union foncière avec le Christ. Après la première guerre, le problème qui avait seulement retenu l’attention des esprit les plus avertis, s’est dressé à l’avant-plan de l’intérêt théologique. Le grand nombre d’articles et d’ouvrages con¬ cernant ce sujet en est une preuve. Le P. Bluett a fait un recueil presque complet des articles en question parus de 1890 à 1940. Suivant ce catalogue, on a publié autant d’articles entre 1920 et 1925 que durant les vingt années précédentes. Entre 1930 et 1935 les articles parus sont cinq fois plus nombreux (28). Nous avons déjà montré plus haut comment les recherches sur l’ecclésiologie de saint Paul ont convergé vers la question de l’entité mystique de l’Eglise. Les études sur la Tradition patristique et sur la Scolastique n’ont laissé eux aussi aucun doute sur le sens réaliste de l’interprétation des mots de saint Paul à travers les siècles. Le mérite du P. Merscli consiste « à avoir écarté définitivement la conception que lui-même appelle 'morale’ du Corps mystique; à avoir montré, sur la foi des textes patristiques très hardis et trop oubliés, que la tradition la plus sûre a proposé à l’égard du Corps mystique un réalisme non déguisé » (29). La pensée des partisans d’une théologie du Corps mystique, J. An- ger, E. Mura et E. Mersch, est très nette sur ce point. E. Mura, après avoir énuméré quelques solutions proposées avant lui, arrive à la con¬ clusion que, vue la nature complexe de l’union de l’Eglise au Christ, il faut parler au moins de sept sortes d’union, morale et physique éga¬ lement: union d’ordre juridique, union morale par la charité, union (25) Op. Ht. p. 42. (26) Of. op. cit. p. 66-67. (27) H. Clérissac: Le mystère de l'Eglise. Par» 1925. 3* éd. - le éd. de 1917. (28) J. Bluett: The Mystical Body: A Bibliography 1890-1940. TS 3 (194-2) 260-289, cf. p. 262. (29) L. MaleveZ: Le Corps mystique du Christ à propos du livre du P. Mersch. NRT 61 (1934) p. 40. — 210 — par la causalité efficiente, union sacramentelle, union dans le Saint- Esprit, union dans la cause exemplaire, union dans le Christ, cause finale universelle (30). Le P. Mersch qui parle relativement peu de cette question dans son ouvrage posthume (31), y reprend l’idée- inaîtresse de son étude historique. Un grand nombre d’auteurs pro¬ fessent la même doctrine. L. Kôsters, tout en rejetant la chimère d’un corps éthéré, admet la réalité mystique de l’Eglise et souligne que «l’union mystique avec le Christ est plutôt une union intérieure mais réelle de nos âmes» (32). C’est la réalité pneumatique de l’Eglise qui représente pour A. Vonier son essence. Définir l’Eglise sans le Pneuma, dit-il, c’est passer sous silence son élément essentiel (33). Enfin citons le P. Tromp qui parmi les auteurs récents a traité davantage d'une façon scolastique cette question : « Unio Corporis Mystici, utpote organisatio- uis socialis et juridicae fidelium, vivificatae a Christo per Spiritum suum in effusione variorum donorum, gratiarum et charismatum, mul¬ tipliées habet causas et aspectus; non est tantum moralis sed etiam physica, licet in ordine aecidentali » (34). L’Encyclique, tout en évitant d’appliquer le mot «physique-acci¬ dentel» à l’entité de l’Eglise, propose sous le mot «mystique» la doc¬ trine professée par la plus grande partie des théologiens. Le mot « mystique » exprime selon l’Encyclique la réalité de la grâce et comme tel est singulièrement apte à distinguer l’Eglise du corps du Seigneur, mais avant tout, ce qui est de grande importance, à cause des erreurs actuelles, il la distingue de n’importe quel corps naturel, soit physique, soit moral. Ce ne sont pas les éléments juridiques qui élèvent « la société chrétienne à un degré qui dépasse absolument tout l’ordre de la na¬ ture »; ils sont d’un ordre très inférieur comparés aux dons spirituels et à leur source divine, l'Esprit (35). Les commentateurs de l’Encyclique n’avaient pas beaucoup à ajouter à cette doctrine détaillée. Le P. Lialine y voit l’apport le plus important de l’Encyclique et pense que cette expression mystique a créé l’harmonie entre les deux concepts de l’Eglise, le concept paulinien, qui viserait plutôt l’existence concrète de l’Eglise et le concept augustinien, qui préfère considérer l’Eglise sous son aspect invisible, céleste (36). Selon le P. Malevez le mot mystique est particu¬ lièrement apte à exprimer l’union foncière entre le Christ et son Eglise, (30) Læ Corps mystique du Christ. Paris 1934. I. of. p. 35 et pp. 115-259. (31) La Théologie du Corps mystique. Paris 1946. II. cf. pp. 195 sv. (32) Op. oit. plus haut (p. 166, note 68.) pp. 151-52. (33) Das Mysterium der Kirche. Salzburg 1934. p. 35. (34) Op. cit. p. 24. (35) Ed. cit. p. 72. (36) Une étape en ecclésiologie. Béflexions sur l'Encyclique Mystici Corporis. Ir 19 (1946) p. 296. — 211 — dont nous ignorons le mode propre (37). Par contre, Th. Blanch y Sauret, un peu trop spéculatif, se plaint que l’Encyclique ne se sert que du mot mystique qui prête selon lui à équivoques. Il voudrait y retrouver plutôt l’expression •physique-accidentelle, qui est d’ailleurs, de son avis aussi, visée par le terme mystique employé par l’Ency¬ clique (33). 2) Nous venons de voir combien l’essence mystique de l’Eglise dépend de l’influx vital exercé par la Tête à l’égard des membres. On comprendra donc facilement que la nouvelle orientation, qui s ’est placée sous le signe du Corps mystique, ne pouvait pas ne pas approfondir l’aspect christologique de l’Eglise. Mais ce rapport du corps mystique à son Chef implique non seulement l’influx de la Tête à son corps, mais aussi leur conformité mutuelle, c’est-à-dire, le principe théandri- que, parce que cet influx du Christ à son corps s’exerce toujours d’une façon divino-humaine. L’orientation de Moehler dans la Symbolique nous est déjà connue. Le principe théandrique y remplit un rôle plutôt apologétique que dog¬ matique, toutefois ses traits principaux sont bien élaborés : la visibilité de l’Eglise s’enracine dans l'humanité du Christ, le côté visible de l’Eglise continue la médiation de celle-ci. L’aspect extérieur de l’Eglise entre alors dans la définition de son essence, à tel point que l’insertion au Christ et à l’Eglise se fait en même temps. Parmi les théologiens de l’Ecole de Rome, Passaglia analyse l’in¬ fluence du Christ sur son Eglise selon les quatre causes ; mais ces idées de valeur sont dispersées dans une quantité de donnés apologétiques, patristiques pas suffisamment synthétisés. Cela nous permet de passer à Franzelin dont les thèses déjà citées (39) envisagent successivement le Christ comme la cause efficiente, formelle et exemplaire de l’Eglise. C’est comme cause exemplaire que le Christ donne à l’Eglise une existen¬ ce théandrique, où tout est construit selon les lois de l’Incarnation. L’aspect visible de l’Eglise remplit donc la fonction d’un signe sacra¬ mentel qui communique, à travers la triple fonction de la hiérarchie, les dons invisibles de l’Esprit: la vérité, le salut et la sanctification. Cette conformité entre le Christ et l’Eglise ne cesse pas avec l’existence terrestre de l’Eglise. Le Christ ressuscité ne reste pas moins le type de (37) Quelques enseignements de l’Encyclique Mystici Corporis Christi. NET 67 (1945) 385-407; voir surtout pp. 386-388. (38) ComentarioB a la doctrina del cuerpo mistico de Cristo segun la Mystici Corporis. Barcelona 1944. Ce commentaire se limite à la première partie, théorique, de l'Encyclique et suit la plupart des développements du P. Tromp. Of. surtout les pp. 26-53, consacrées à une longue analyse de l'entité de l’Eglise. (39) XV1I-XX. Op. cit. pp. 296-346. — 212 — l’Eglise triomphante, surtout en ce qui concerne la résurrection et la glorification des membres (40). Scheeben, à son tour, nous offre sur ce point aussi des idées encore plus profondes. Le mystère théandrique de l’Eglise est, à ses yeux, «la communauté la plus intime et la plus réelle des hommes avec l'Homme- Dieu, telle qu’elle a, dans l’Eucharistie, son expression la plus réelle et la plus parfaite » (41). Cette unité intime suppose une homogénéité entre le Christ et son Eglise, une existence similaire dans la double nature, visible et invisible. Ce qui traduit pour Scheeben le plus fidè¬ lement l’union du Christ et de son Eglise c’est le mariage chrétien dont la signification ecclésiologique fut développée longuement par lui. « Qu ’est-ce que le chrétien î — se demande-t-il. Un membre que le caractère baptismal a introduit dans le Corps mystique de l’Homme- Dieu, auquel il appartient désormais corps et âme » (42). Autrement dit, le chrétien est conditionné dans toute son existence par les liens qui l’attachent à son Chef divin; il est un organe de Celui-ci, il ne peut agir qu’en vertu de son union avec Lui. Nulle part son union mys¬ tique à son Chef ne transforme autant ses activités naturelles que dans le mariage. L’union des époux «devient un membre organique de l’u¬ nion grandiose et variée du Christ avec son Eglise, ce membre est en¬ châssé dans cette alliance mystérieuse, pénétré et porté par elle » (43). C’est d’une façon qui lui est propre que Dom Gréa aborde l’aspect christologique de l’Eglise. Il met au centre de ses développements l’idée de la « hiérarchie » employée dans le sens large de la réduction du nombre à l’unité. En d’autres mots la hiérarchie est pour Gréa un prin¬ cipe d’ordre, d’unification et de communication, une voie établie par Dieu même. L’Eglise alors n’est pas autre chose que le retour des hommes au sein de la vie trinitaire, grâce à la médiation du Verbe Incarné, hiérarque par excellence. Cette médiation se prolonge dans la fonction des évêques, dans les sacrements ayant pour but d’agréger les hommes au Corps mystique, «afin que Jésus-Christ à son tour les porte en lui dans l’unité éternelle de Dieu et de son Fils» (44). Pour E. Commer, l’essence surnaturelle de l’Eglise culmine dans la présence en elle du Christ, Chef du Corps mystique. Cette présence communique à l’Eglise son caractère théandrique, et bien que la com¬ munion des saints soit réalisée par l’union des membres entre eux, c’est leur lien personnel avec le Christ qui reste, de l’avis de l’auteur, le principe constitutif de l’Eglise (45). Clérissac parle d’une sorte de (40) Cf. Thèse XIX. Verbum Incarnatum multipliciter est exemplar ad quod Ecclesia Christi cxpressa est. pp. 320-333. (41) M. J. Scheeben: Les mystères du Christianisme. Trad. cit. p. 541. (42) Op. cit. p. 602. (43) Op. cit. p. 606. (44) Op. cit. p. 69, cf. sur 1 'usage du mot « hiérarchie » : p. 16. (45) Cf. op. cit. 62-63. — 213 — communication des idiomes entre l’Eglise et le Christ à tel point que le mystère de l’Eglise résiderait «dans l’équation et dans la converti¬ bilité de ces deux termes: le Christ et l’Eglise» (46). Il serait inutile de citer les autres auteurs de cette époque. On constaterait en chaque ouvrage une ou plusieurs pages ou chapitres consacrés à l’aspect christologique de l’Eglise sans y trouver un déve¬ loppement systématique sur le Christ comme Chef de l’Eglise. Le pre¬ mier qui s’est rendu compte de cette lacune et tenté de la combler est K. Feckes. Son ouvrage (47), un des plus importants parmi les exposés théoriques sur l’Eglise, se divise en deux parties dont la première est un traité sur la Tête du corps mystique. Une large élaboration de l’enseignement biblique et patristi- que précède son exposition théorique sur la question. En ce qui concerne cette dernière, Feckes bénéficie dans une grande mesure de l’étude déjà vue de Grabmann sur saint Thomas. Le Christ comme Tête de l’Eglise opère la divinisation des membres, voilà l’effet princi¬ pal de son rôle exercé dans le Corps (48). Dans les chapitres suivants l’auteur développe les thèmes que voici: l’humanité du Christ comme source instrumentale de la grâce (49), la triple médiation du Chef (50), la relation des membres à leur Tête (51). Les idées de Mura en cette matière s’appuient complètement sur les recherches de Kappeli sur saint Thomas, tandis que chez le P. Tromp on ne trouvera que des renseignements succincts. Le P. Mersch ne s’arrête pas non plus longuement sur ce sujet. Mais Feckes a raison d’écrire que c’est le réveil de la conscience théologique prise du Christ en tant que Tête du Corps mystique qui est le fondement de l’expérience moderne sur l’Eglise. C’est là, continue- t-il, que nous trouvons le centre de l’Encyclique Mystici Corporis (52). En fait, l’Encyclique ne cesse d’insister sur le fait qu’il faut appeler l’Eglise «non pas un corps quelconque, mais le Corps de Jésus-Christ. Et ceci découle de ce que Notre Seigneur est le Fondateur, la Tête, le Soutien, le Sauveur de ce Corps mystique » (53). Les longues pages consacrées à la doctrine de la Tête en démontrent bien l’importance pour une meilleure compréhension de l’Eglise. Le Christ est alors la Tête de l’Eglise, suivant l’Encyclique, en raison de son excellence. Il la gouverne par les lois, la hiérarchie qu’il lui a données, mais aussi par une action actuelle, soit directe et invisible, soit par l’intermédiaire (46) Of. cit. p. 25. (47) Das Mysterium der heiligen Kirchc. Paderborn 1934. (48) Cf. Op. cit. pp. 15-52. (49) Ibid. pp. 53-54. (50) Ibid. pp. 65-88. (51) Ibid. pp. 89-102. (52) E. Feckes : Die Kirche aie Herrenleib, Kôln 1949. p. 72. (53) Ei. cit. p. 43. — 214 — de son Vicaire et des Evêques. Ensuite le Souverain Poutife traite la partie peut être la plus expressive de son exposé: la collaboration et la conformité entre la Tête et les membres d’un même corps. Les membres du Corps mystique doivent collaborer avec leur Chef pour accomplir l’œuvre de la Rédemption. Cette aide mutuelle entre les membres et le Chef est «un mystère redoutable, qu’on ne méditera jamais assez » (54). Cela nous fait comprendre une fois de plus, combien la notion véritable du Corps mystique s’oppose à n’importe quel quié¬ tisme ou semi-quiétisme. À ces raisons, l’Encyclique ajoute encore la conformité entre la Tête et le corps, la plénitude de grâce du Chef, source de vie pour le corps. En mettant en relief l’aspect théandrique de l’Eglise, dérivé de sa conformité avec son Chef, l’Encyclique confirme une doctrine ensei¬ gnée par les théologiens d’une façon unanime dans les temps récents. De fait, comme nous le montre un article instructif du P. Tyszkie- wicz (55), la plupart des ecclésiologues déduisent la divino-humanité de l’Eglise de son rapport intime avec le Verbe Incarné. Toutefois, comme il le fait remarquer, la doctrine n’est pas encore traitée dans sa totalité. Elle n’est mentionnée, dans la plupart des ouvrages, qu’en passant et les preuves n’en sont pas encore suffisamment établies et les exagérations possibles de cette doctrine ne sont pas encore assez mises en lumière. Le th'éandrisme ne se porte pas seulement à la constitution de l’Eglise, mais à tous ses facteurs et fonctions essentiels. Pris dans sou sens plénier, il comporte une distinction nette entre l'Eglise terrestre et céleste sans les séparer l’une de l’autre. Il implique également la ressemblance de l'Eglise à son Chef non seulement dans son être idéal, mais aussi dans son anéantissement de tous les jours, (kénosis). C’est le principe du théandrisme qui ne permet pas de voir dans l’Eglise la production des forces sociologiques naturelles, mais la ramène à son institution libre et positive de la part du Christ; enfin il explique également la tendance dynamique de l’Eglise terrestre vers son idéal céleste. C’est en s’appuyant sur ce principe que l’Encyclique rejette une déviation dangereuse, qui, sous le prétexte d’un idéal plus sublime, plus spirituel, dédaigne la nature visible de l’Eglise, et la sépare de sou essence mystique (56). Une fois établi ce lien étroit entre le Christ et son Eglise, il fallait l’exprimer en un terme qui pourrait bien traduire cette unité de vie (54) Ed. cit. p. 58. (55) S. Tyszkiewicz: Où en est chez nous la doctrine de la divino-humanité de l’Eglise 7 OOP 7 (1941) pp. 369-405. (56) «Ce n’est pas assez de dire: un et indivisible; il doit encore être concret et perceptible aux sens... C'est donc s’éloigner de la vérité dirine que d’imaginer une Eglise, qu'on ne pourrait ni voir, ni toucher, qui ne serait que 'spirituelle’ (pneu- maticum)... », éd. cit. p. 34. — 215 — et d’action. C’est l’idée de la personnalité mystique qui exprime le mieux, selon plusieurs auteurs, l’emprise directe du Christ sur son Egli¬ se. A ce propos, le P. Clérissae (57) dit que l’Eglise comporte trois ter¬ mes analogues: une nature humaine (la multitude de ses membres), une nature divine (son entité mystique), enfin le Saint-Esprit, à qui est attribué l’œuvre de la sanctification. On comprend alors que la personnalité de l’Eglise dépasse bien le concept d’une personne morale. C’est en constituant une personne mystique avec le Christ que l’Eglise offre un sacrifice d’une valeur infinie au Père, que les mérites du Christ se répandent dans son corps entier, que les mérites de l'Eglise se revêtent d’une valeur infinie. Les trois fonctions de l’Eglise, magis¬ tère, gouvernement, sacerdoce, manifestent également sa personne mystique. L’enseignement de l’Eglise, le développement des dogmes, réclament, à titre essentiel, la présence du Seigneur; l’accord entre les deux aspects de l’Eglise à travers l’histoire suppose une force supé¬ rieure, le Saint-Esprit. Autrement dit, ce sont toujours le Christ et le Saint-Esprit qui agissent dans et par l’Eglise et c’est ce qui constitue sa personnalité. Mura voit la personnalité mystique de l’Eglise dans sa dépendance absolue à l’égard du Christ, son Chef. De même que la personnalité se constitue, dans l’ordre substantiel, par la dépendance dans l’être même, où tous les éléments se trouvent par rapport à la subsistance, de même, toutes proportions gardées, notre dépendance à l’égard du Christ consti¬ tue une union qui peut s’appeler personne mystique (58). 3) A étudier l’inclusion de l’Eglise dans le Christ, on ne peut pas¬ ser sous silence le mystère ecclésiologique par excellence, le Saint-Esprit, âme de l’Eglise. Depuis que Léon XIII a écrit d’une façon concise: « il suffit d’affirmer, que si le Christ est la Tête de l’Eglise, le Saint-Esprit en est l’âme» (59), ce thème n’a pas cessé d’exercer l’esprit des ecclé- siologues. A première vue, il pourrait paraître qu’il est d’une impor¬ tance secondaire du point de vue théologique d’attribuer au Saint- Esprit tout ce qui nous est donné déjà par le Christ. Mais ce serait, à coup sûr, sous-estimer l’inclusion de l’Eglise dans la chaîne de la vie trinitaire et, ce qui est encore plus important du point de vue du renou¬ veau doctrinal, on renoncerait ainsi à baser le dynamisme surnaturel, au sein de l’Eglise, sur sa fondation réelle. Ce n’est pas par une simple coïncidence que c’est justement chez Moehler et Newman que l’on (57) Op. oit. cliap. III. «La personnalité de l’Eglise» pp. 43-59. (58) Cf. op. oit. voL I, pp. 246-259, ef. encore: Ch. Journet: Le Christ, per¬ sonnalité mystique rédemptrice de l'Eglise, NV 16 (1941) 416-452. Le Christ per¬ sonnalité mystique efficiente de l’Eglise, NT 17 (1942) 59-101; 164-215. Cette idée, que l’Eglise forme avec le Christ une personne mystique, se ramène sous plusieurs rapports à l’idée de saint Augustin sur le Christ total. (59) Divimm iIVud. ASS 29 (1897) 644-658; p. 650. — 216 — trouve les premiers cette appréciation profonde à l’égard de la place du Saint-Esprit dans la théologie de l’Eglise. L’histoire de la théologie est la preuve, écrit Vonier, que, chaque fois que le Saint-Esprit ne re¬ çoit pas une considération majeure dans la théologie, le mystère de l’Eglise reste également dans l’ombre (60). En d’autre mots, s’il est en vain de traiter du Saint-Esprit, sans parler en même temps de l’Eglise, il est également infructueux d’aborder le mystère de l’Eglise sans déve¬ lopper le rôle du Saint-Esprit dans l’Eglise. Il était nécessaire avant tout de montrer, comme Feckes l’a fait suivant l’Encyclique de Léon XIII, Divinum ülud (61), que l’Esprit du Verbe Incarné est à la fois l’Esprit des membres; c’est Lui, qui propage la vie de la Tête dans les membres en communiquant la vérité et la sainteté par la médiation du magistère et du sacerdoce de l’Eglise. C’est l’Esprit qui réalise la christoconformité de l’Eglise, à tel point que le P. Mersch appelle les chrétiens: membres du Christ- Spirateur (62). Il va de soi qu’une telle inclusion des chrétiens dans le mystère trinitaire trahit une union sans pareil entre l’Eglise et l’Esprit. Feckes va même affirmer que considérer l’Esprit comme l’Ame de l’Eglise n’est pas seulement une appropriation, mais une propriété de l’Esprit (63). A la suite du card. Manning qui parlait jadis d’une union quasi-hypostatique entre l’Eglise et l’Esprit, l’Abbé Vonier pro¬ pose l’idée d’une certaine hypostasiation de l’Eglise dans l’Esprit (64). Pour écarter tout malentendu cette «incarnation» de l’Esprit est la permanence des signes éclatants qui montrent la présence de l’Esprit dans l’Eglise (65). Mais ces signes éclatants sont chez Vonier plus que des notions apologétiques. Ils sont plutôt le lien essentiel entre la structure et la vie de l’Eglise. Comme il ne suffit pas de dire que l’Esprit réalise l’Incarnation sans ajouter la surabondance des grâces que l’Esprit répand sur l’humanité du Sauveur, de même il ne suffit pas de dire que l'Esprit conserve et maintient la structure de l’Eglise sans mentionner l’épanouissement merveilleux de la vie surnaturelle dans la structure de l’Eglise. Donc, du point de vue strictement théori¬ que, c’est le mystère de l’Esprit qui doit être la base du dépassement d’une ecclésiologie conçue d’une façon trop juridique; c’est le mystère de l’Esprit opérant d’une façon souveraine au sein de l’Eglise, qui montre, en dernière analyse, l’unilatéralisme d’une ecclésiologie, qui ne parle que de la hiérarchie. De la même façon, l’aspect prophétique et (60) A. Vonier: L’Esprit et l’Epouse. Paris 1947 % p. 11. (61) K. Feckes: Das Mysterium dcr heiligcn’ Kirche. Paderbon 1934. pp. 171-184. (62) E. Mersch: La théologie du Corps mystique. Paris 1946. Vol. II. pp. 141- 161. (63) Ibid. (64) Op. cit. p. 12. (65) Op. cit. p. 43. eschatologique de l’Eglise ne peut pas être expliqué sans l’activité immédiate de l’Esprit qui nous est donné par le Christ, justement en vue de pousser la vie ecclésiale à son plein épanouissement. Donc une œuvre telle que celle de Vonier, présentant l’Eglise dans sa relation à l’Esprit, devait fortement mettre en relief cet aspect de l’Eglise, qui peut paraître unilatéral, mais qui est assurément l’aspeet le plus profond du mystère de l’Eglise (66). L’Abbé de Buckfast y traite de l’épanouissement des dons de l’Esprit au sein de l’Eglise, surtout du point de vue de l’exercice parfait des vertus et des charismes. Sans vouloir minimiser le poids des péchés des membres de l’Eglise, une telle considération montre puissamment ce qui est à la base de l’existence indestructible de l’Eglise: l’assistance indéfectible de l’Esprit. En outre una étude plus soigneuse de l’activité de l’Esprit aiderait bien notre ecclésiologie à éviter le danger d’être réduite à une « hiérarchologie». «La tâche actuelle de l’ecclésiologie, rendue plus aisée par un grand nombre de travaux de valeur, par l’enseignement du Magistère et par la conjoncture spirituelle et apostolique présente, est de ne sacrifier aucun des deux pôles... même si une certaine tension doit demeurer entre les deux » (67). Il s’agit en particulier de l’explication des faits de l’histoire de l’Eglise, dans lesquels une influence directe de l’Esprit se manifeste, influence indépendante de la hiérarchie, mais au fond jamais opposée à celle-ci. Au plan strictement spéculatif, le reflet d’une considération plus adéquate de la relation de l’Esprit à l’Eglise s’est manifestée à travers les mises au point concernant la signification exacte de l’expression: l’Esprit est l’âme de l’Eglise. En général tous les auteurs s’accordent pour voir dans l’Esprit l’âme de l’Eglise et leurs développements suivent l’Encyclique de Léon XIII mentionnée plus haut. C’est Ch. Journet qui a essayé d’introduire des nuances de finesse dans la doc¬ trine commune. Selon lui, l’Esprit est l’âme de l’Eglise non seulement dans la ligne de la cause efficiente, mais aussi en vertu de sa présence d ’inhabitation, à tel point qu 'il exerce le rôle de forme dans l'Eglise ( 68). C’est pourquoi Journet distingue entre l’âme incréée (Esprit) et l’âme créée (grâce) de l’Eglise (69). Toutefois les critiques de cette distinction font remarquer que l’âme de l’Eglise est toujours individuelle et par¬ tant ne peut remplir la fonction de principe formel d’un organisme (66) A. Vonieb.: L’Esprit et l’Epouse. Paris 1947. (67) 1. CoNGiR: Le Saint-Esprit et le Corps apostolique réalisateurs de l’œuvre du Christ. RSPT 36 (1953) p. 47. (68) L’Esprit divinisateur de l’Eglise. NV 11 (1936) 47-102. (69) L’àmc créée de l'Eglise selon Cajétan. ET 17 (nov. 1934 - févr. 1935) 266-274 (numéro double consacré à Cajétan) cf. encore: Définition synthétique do l’âme créée de l’Eglise. RT 47 (1947) 197-243. Cf. aussi le deuxième volume de la synthèse ecclésiologique de Journet: pp. 565-579. Excursus III. «Sur la distinc¬ tion de deux âmes de l’Eglise, l’une incréée et transcendante, l’autre créée et inhérente ». — 218 — collectif (70). A cet argument, on peut ajouter, arec le P. Bluett, les arguments suivants : la grâce ne peut être l’âme du corps mystique parce qu’elle est une « chose » ; elle ne peut non plus expliquer l’infaillibilité; ensuite la grâce n’est pas le principe dernier en ordre surnaturel, mais l'Esprit Saint ; enfin, dans ce cas, les non-catholiques justifiés seraient les membres du Corps mystique (71). L’Encyclique n’envisage pas directement cette controverse, elle se contente d’exposer la riche doctrine de la Tradition sur l’Esprit Saint, âme du Corps mystique, confirmant ainsi les recherches récentes qui ont remis dans la conscience théologique cette doctrine si précieuse aux yeux des Pères et des Scolastiques (72). Toutefois, l’Encyclique souligne que le Saint-Esprit s’appelle âme de l’Eglise parce que c’est le Fils, conformément à la procession trinitaire de la troisième personne, qui le donne à son Eglise, comme «principe divin de vie et de force» (73). C’est ainsi qu’on comprendra l’insistance de l’Encyclique sur le fait que l’Esprit n’est l’âme de l’Eglise qu’en tant qu’il est l’Esprit du Christ. L'union des membres entre eux et avec leur Tête est à attribuer à l’Esprit qui réside «tout entier dans la Tête, tout entier dans le Corps» (74). D’ailleurs le Souverain Pontife fait allusion aux effets créés qui proviennent de cette force vitale, Esprit Saint, sans les ap¬ peler «l’âme créée de l’Eglise» (75). Parmi les commentateurs de l’Encyclique, Malevez (76) est d’avis que la question sur l’âme créée et incréée de l’Eglise est désormais tranchée, mais nous pensons qu’il est plus conforme à l’enseignement de l’Encyclique de dire que l’Encyclique, sans vouloir décider en cette matière, a visé simplement à mettre en évidence le rôle sans pareil de l'Esprit dans l'Eglise (77), le mystère ecclésiologique par excellence (78). 4) Après la Tête et l’Ame du Corps mystique Tient logiquement le rôle de Celle qui est au cœur de l’Eglise, la sainte Vierge (79). En fait, (70) Cf. op. cit. chap. VII, pp. 162-199. ”The soûl of tle Church must be pré¬ sent not only in individuals as separate units, it must dwell also both as a quasi-sub- stantial and as subsistent fôrm in the organism as a whole”. p. 171. (71) Mystical Body of Christ and Catliolic Church Exactly Coextensive. ER 103 (1940) 305-328; cf. pp. 317 sv. (72) „ Die Lelire vom Heiligen Geist als der geheimnistollen Seele des Corpus Christi durchzieht die ganze Vaterliteratur und gelit in die Sckolastik über “. Kap- peli op. cit. p. 103. (73) Ed. cit. p. 66. (74) Ed. cit. p. 68. (75) Ibid. (76) L. Malevbz: Quelques enseignements de l’Encyclique Mystici Çorporis Christi. NRT 67 (1945) p. 380. (77) K. Ekckes: Die Kirclie als Herrenloib. Kôln 1949. p. 71. (78) C. Li aline: Une étape en ecclésiologie. Réflexions sur l’Encyclique Uystici Çorporis. Ir 19 (1946) p. 301. Voir aussi: H. Stirnimann: Die Kirche und der Geist Christi. DT 31 (1953), pp. 3-17. (79) Cn. Journet : La Vierge est au cœur de l’Eglise. NV 25 (1950), pp. 39-95. — 219 — le développement puissant de l’ecclésiologie et de la mariologie allait de pair dès le commencement du renouveau théologique du milieu du XIX e siècle. De esprits clairvoyants tels que Scheeben, n’ont pas manqué de mettre en lumière, de très bonne heure, la relation étroite entre les deux dogmes promulgués par Pie IX, le dogme de l’immaculée Concep¬ tion et celui de l’infaillibilité pontificale. Dans une série d’articles écrits pendant le Concile du Vatican (80), il a souligné non seulement que les erreurs mariologiques mènent inévitablement à déformer la vraie notion de l’Eglise, comme cela est arrivé à la Réforme, mais aussi que l’approfondissement du mystère marial mène nécessairement à une meilleure connaissance de l’aspect intérieur de l’Eglise. La Dogmatique de Scheeben contient déjà les premières traces d’un exposé systématique de la relation entre la Sainte Vierge et l’Eglise. Il avait l’intention explicite de traiter la mariologie intimement unie à l’ecclésiologie (81). Les points de contact entre ces deux mystères, mentionnés par lui, visent surtout la maternité divine et la corédemption. C’est là que se trouve selon Scheeben le fondement d ’une comparaison entre l'Eglise et Marie. Ce n’est pas par hasard que Scheeben s’est engagé, le premier, dans cette direction : sa conaissance de la pensée des Pères grecs lui a ouvert ces nouveaux aspects de l’ecclésiologie. Les auteurs qui ont abordé ce sujet après Scheeben, ne pouvaient pas ne pas suivre ses développements courts, mais particulièrement, denses. Cela est vrai non seulement des auteurs allemands : J. Beumer (82), E. Commer (83), K. Peckes (84), mais aussi des théologiens français du Corps mystique, J. Anger (85), E. Mura (86) et le P. Mersch (87). En somme leur tendance générale est de développer la fonction universelle de Marie à l’égard de l’Eglise, ses prérogatives et sa sainteté parfaite. Ils considèrent la Mère de Dieu surtout comme la plus excellente parmi les membres et, comme telle, ordonnée à coopé¬ rer à l’œuvre de la Rédemption. « Telle est, écrit le P. Mersch la ma- riologie que ce travail doit proposer, une mariologie pour laquelle (80) Réédités par J. Schmitz sous le titre: Marie, Schutzkerriu (1er Kirckc. Paderborn 1936. (81) M. J. Scheeben: Haudbuch der Katkolischen Dogmatik. Frciburg (Br) 1927. III, p. 629. (82) J. Beumer: Die Aualogic Maria-Kircbe uud ilire Bedeutung fur die allgemcine Gnadcnvenmittlung der Gottcsmuttcr. Théologie und Seelsorge 1 (1943) 40-44. (83) E. Comme»; Mater Dei situe figura Ecclesiae quaeritur. Xenia Thomistica. Borna 1925. pp. 493-503. (84) K. Feckbs: Das Mysterium der beiligeu Kirclie. Paderborn 1934. p. 197. (85) J. Anger: La doctriue du Corps mystique de Jésus-Christ. Paris 1946. 8' éd. pp. 323-354. (86) E. Mura: Op. cit. Vol. II. p. 153, note 1. D y propose la notion d'une causalité intentionnelle physique à propos du rôle de Marie à l’égard de l’Eglise, sans expliquer en détail la nature d ’une telle sorte de causalité. (87) E. Mersch: La théologie du Corps mystique. Vol. I. pp. 205-233. la gloire de Marie est de ne faire qu’un avec le Christ, de ne faire qu’un avec la chrétienté, d’être la mère du Christ» (88). Sous cet angle les grandeurs de Marie, mère de Dieu et corédemptrice, « ne sont pas des éloignements, mais des possibilités de bonté pour tous, des totalités de raccordement à tous; elles sont l’expression d’une fonction catholique et d ’un service universel » (89). Tandis que la pensée de ces auteurs suit la voie de Marie vers l’Eglise, plusieurs synthèses mariologiques toutes récentes choisissent l’autre direction: elles vont de l’Eglise vers Marie, réalisation plénière de celle-là. Cette manière de concevoir la question, sans être opposée à la première, la complète par des nuances bien pa- tristiques. Sans doute ce sont les recherches récentes sur la ma- riologie dans la Tradition que nous avons vues au chapitre précédent, qui ont rendu possible une telle orientation de la mariologie. Selon O. Semmelroth (90) il y a une dualité au fond de la mariologie : Marie est à la fois corédemptrice et rachetée, mère et associée. Dualité qui ne peut pas être écartée sans la réduction de la mariologie à l’ecclésio- logie. Donc ce serait le mystère de l’Eglise qui expliquerait la maternité divine et Marie, dans toutes ses prérogatives, ne ferait qu’inaugurer, anticiper et rprésenter au le plus haut degré le mystère total de l’Eglise. Il serait encore difficile de prononcer le dernier mot dans cette question; en tous cas il est incontestable qu’un bon nombre de mariologistes de nos jours (91) font une option explicite en faveur de la tradition grecque. L’excellence incomparable de Marie et son rôle actif dans la rédemption, voilà le pivot de la mariologie « classique » ; Marie, prototype de l’Eglise, voilà l’idée-maïtresse de l’autre tendance. Les deux orientations sont parfaitement légitimes comme l’étude de C. Dillenschneider (92) l’a montré. Mais toutes les deux risquent de minimiser ou d'exagérer. En exagérant le rôle de Marie, une certaine insuffisance de la part du Christ peut être suggérée, en minimisant, c’est la tradition patristique qui protestera, cette tradition où la louange du Corps mystique va de pair avec les plus exubérants panégyriques sur la grandeur personnelle de Marie. Tandis qu’il est vrai que la mise au point des valeurs particulières comporte toujours un certain, et di¬ sons légitime, unilatéralisme, c’est justement ce «légitime» unilatéra¬ lisme que la synthèse finale doit éliminer le mieux possible. Cette syn¬ thèse est encore à venir, mais il est déjà évident que la mise en rapport (88) Ibid. p. 208. v (89) Ibid. p. 233. (90) O. Sbmmklroth : TJrbild der Kirche. Organische Aufbau des Mariengelieim- uisses. Würzburg 1950. (91) Citons à titre d’exemple: H. M. Kôster: Die Magd des Herm. Limburg an der Lahn 1947. - A. Muller : Um die G-rundlagen der Mariologie. DT 29 (1951) pp. 385-401. (92) C. Dillenschneider: Le mystère de la Corédemption mariale. Théories nouvelles... Appréciation critique. Synthèse constructive. Paris 1951. — 221 — du mystère de Marie avec celui de l’Eglise a servi l’enrichissement de l’ecclésiologie aussi bien que celui de la mariologie. IL - La structure de l’Eglise 1) Il est facile de comprendre que la forte mise en relief de l’aspect mystique de l’Eglise ait amené un bon nombre de théologiens à l’oppo¬ ser, sans les nuances souhaitables, à son aspect visible. Cette tension entre les deux aspects a joué dans un double sens: d’une part le rôle prépon¬ dérant attribué à la grâce dans l’essence de l’Eglise a posé le problème de savoir comment la grâce existant en dehors de l’Eglise se réfère à l’Eglise visible. D’autre part, la mise en avant de l’idéal de l’Eglise, autrement dit son aspect céleste, absolument parfait, a fait surgir la question sur le rapport de l’Eglise terrestre à l’Eglise céleste. C’est sur ce point qu ’on verra le mieux combien il était peu avantageux que la nouvelle orientation de l’ecclésiologie se plaçât parfois plutôt sous le signe de l’opposition à l’égard de l’ecclésiologie traditionnelle post- tridentine, que sous celui de son perfectionnement. De fait, en ce qui concerne la relation de l’Eglise au monde non- catholique, il est devenu courant d’opposer l’Eglise visible au Corps mystique. La raison en est que la notion du Corps mystique, pour la plupart des auteurs récents, ne signifie que l’aspect mystique interne de l’Eglise. L'n passage du P. Bouyer caractérise très bien cette attitude en parlant des spéculations « sans fondement ni scripturaire, ni patristi- que où le corps mystique au lieu de désigner comme le ’soma Christou’ chez saint Paul, l’Eglise visible elle-même, prolongée et expliquée par la réalité invisible qui n’en est pas détachable, devient je ne sais quelle autre réalité, d’abord distinguée de l’Eglise visible, puis séparée d’elle et en passe de lui être opposée » (93). A la fin du premier chapitre de notre ouvrage nous avons cité abondamment les auteurs qui ont commis ces erreurs grossières à propos du Corps mystique, mais la tendance s’est manifestée sous la forme d’une imprécision, même chez des théologiens dont l’orthodoxie est indiscutable. Le tâtonnement du P. Mura sur ce point est très signi¬ ficatif. Selon lui le Corps mystique déborde « quelque peu » les limites de l’Eglise visible (94). De plus il reprend une distinction malheureuse entre l’âme de l’Eglise et l’âme du Corps mystique (95). L’idée-maî¬ tresse du livre du P. Congar, Chrétiens désunis, consiste précisément dans une dialectique, dans une distinction quelquefois très accentuée entre la « structure » et la « vie » de l’Eglise. Le P. Mersch affirme à son tour que le Corps mystique et l’Eglise tout voisins qu’ils soient, (93) L. Bouyer.: Catholicisme et oecuménisme. Vint 13 (1945. 1.) p. 23. (94) Op. cit. I. p. 210. (95) Ibid. I I I sur cette terre ne se rejoignent pas parfaitement (96), et reproche au Schéma du Vatican l’identification trop étroite de l’Eglise et du Corps mystique. Vonier, à son tour, est aussi de l’avis que le Corps mystique est plus étendu que l’Eglise (97) et il le professe dans son étude consa¬ crée à la manifestation concrète de la visibilité de l’Eglise (98). Il n’est pas difficile de voir que pour tons ces théologiens, l’idée du Corps mystique a présenté la solution du fait indiscutable de la présence de la grâce au-dehors de l’Eglise. Un passage de Jürgensmeier résume à merveille cette tendance de distinguer entre l’Eglise visible et un Corps mystique universel, invisible : « Le Corps mystique ne se limite pas dans sa compréhension à l’Eglise visible, mais s’étend virtuellement aussi loin que la volonté salvifique de Dieu, c’est-à-dire à tous les hom¬ mes. De plus on ne doit pas limiter le Corps du Christ à l’appartenance visible à l’Eglise, aussi les membres de son corps sont-ils tous ceux qui sont avec le Christ en liaison vitale, interne. Ce Corps mystique du Christ, l’Eglise universelle, s’étend àu-delà des frontières de l’Eglise visible et de l’appartenance à cette Eglise. Elle comprend lë foule incalculable de tous les peuples, temps et religions... en ce qu’ils sont membres de l’unique corps mystique du Christ, l’humanité nouvelle dans le Christ» (99). On pourrait encore facilement multiplier les citations, mais tout cela semble déjà bien justifier le jugement concis de R. Grosche sur la situation d’avant l’Encyclique: Même aujourd’hui les deux concepts de l’Eglise restent encore plus ou moins sans lien organique entre eux (100). L’imprécision de l’attitude visée plus haut consiste dans le fait que n’importe quelle séparation entre l’Eglise visible et invisible, entre structure et vie, entraîne inévitablement la dépréciation de la structure sacramentelle du Corps mystique. C’est cette structure sacramentelle du christianisme, plus précisément de l’Eglise, que les documents ponti¬ ficaux, pour ne mentionner que Mortalium Animas (101) et Mystici Corporis, visent à défendre. La définition du Corps mystique donnée par l’Encyclique ne laisse aucun doute sur la correspondance parfaite entre les deux aspects de l’Eglise. « Or pour définir, pour décrire cette véritable église de Jésus-Christ, — celle qui est sainte, catholique, apos¬ tolique, romaine, — on ne peut trouver rien de plus beau, rien de plus excellent, rien enfin de plus divin, que cette expression qui la désigne comme le corps mystique de Jésus-Christ » (102). (96) La Théologie du Corps mystique. Paris 1946. II. p. 196. (97) L’Esprit et l’Epouse. Paris 1947. p. 53. (98) Le peuple de Dieu. Paris 1938, passirn. (99) Op. cit. p. 57. (100) II. Gros cnn: Pilgemde Kirche. Freiburg (Br> 1938. p. 41. (101) Texte latin et trad. franç., dans Ir-Collection 1928. IV. n. 1. (102) Ed. cit. p. 32. Evidemment une séparation entre l'Eglise et le Corps mystique, si ténue soit-elle, semblait offrir certaines facilités à résoudre le problème D’autre part il ne faut pas oublier que l’Encyclique admet explici¬ tement l’action salvifique mystérieuse de Dieu dans tous les temps et tous les lieux. C’est pourquoi la position qui a assigné déjà avant la parution de l’Encyclique les mêmes frontières au Corps Mystique et à l’Eglise romaine, sans donner des précisions ultérieures (103), n’a pas aidé essentiellement à trouver la solution du problème. Nous pen¬ sons que la question doit être formulée d’une façon différente; au lieu d’essayer de marquer les limites de l’Eglise, on doit insister plutôt sur la médiation universelle de l’Eglise visible, catholique, romaine, pour le salut de tous les hommes. Qu’une telle médiation soit très différenciée, nous le verrons plus tard. L’autre sens dans lequel la dialectique entre les deux aspects de l’Eglise a joué, consiste dans la tendance à faire prévaloir exagérément l’idéal céleste de l’Eglise sur sa réalité terrestre. Il ne serait pas difficile d’en relever les traces chez la plupart des auteurs, mais on ne le trouverait chez personne sous une forme aussi développée que chez Dom Vonier. Dans ses conférences données à la semaine universi¬ taire de Salzbourg (104), l’Abbé de Buckfast a esquissé une image de l’Eglise qui fait abstraction de la différence entre l’Eglise d’ici-bas et l’Eglise céleste. Aux yeux de Vonier, il n’y a qu'une différence accidentelle entre l’éon présent et l’éon futur, étant donné que l’Eglise possède déjà, dans la grâce, la vie éternelle (105). Pour nous faire une idée authentique de l’Eglise, poursuit l’auteur, il nous faut laisser de côté. Le plus possible la différence entre l’Eglise céleste et terres¬ tre. Par suite l’Eglise est considérée à titre essentiel comme une part de la glorification du Christ, à tel point que le concept de l’Eglise s’identifie au concept du Christ glorifié. La passion et la mort du Christ, dit l’auteur, n’ont pas de rapports directs à l’Eglise parce que «le Christ seul a traversé les portes de l’Enfer; l’Eglise est toujours et était toujours dans la lumière, parce qu’elle est l’épouse du Glorifié» (106). D’où la fondation de l’Eglise se limite, selon Vo¬ nier, au jour de la Pentecôte, grâce à la descente visible du Saint- Esprit (107). H va de soi qu’un tel rétrécissement de point de vue prête à bien des équivoques et be manque pas de donner lieu à la critique. La considération de l’Eglise céleste seule n’exprime qu’un côté de la vérité. La différence, si accidentelle qu’elle soit an point de vue ontolo- du rapport des non-catholiques à l’Eglise et du salut des infidèles. Ces solutions, nous les verrons à propos de la question de l’appartenance à l’Eglise. (103) J. Bldett : Mystical Body of Christ and Oatholic Church Exactly Coex¬ tensive. ER 103 (1940) 305-328. (104) A. Vonier: Das Mysterium dcr Kirche. Salzburg 1934. (105) Op. cit. p. 56. (106) Op. cit. p. 20. (107) Cf. op. cit. p. 10. Après l’Encyclique il est bien difficile de soutenir cette thèse. — 224 — gique ae la grâce, est essentielle en ce qui concerne la manifestation de la grâce dans l’Eglise terrestre et céleste. La présence réelle de la vie éternelle ne diminue point l’importance du fait que cette vie est soumise aux conditions terrestres. En d’autres termes, comme le fait observer Grosche (108), la théologie de la gloire ne rend jamais inutile la théologie de la croix. C’est dans ce sens que va l’étude de K. Adam (109) qui tâche d’éclaircir pourquoi un bon nombre de chrétiens sont indiffé¬ rents, dans une plus ou moins grande mesure, à l’égard de l’Eglise. Il en trouve la cause dans une théologie de la gloire qui passe sous silence le principe de l’Incarnation, le fait de « l'exinanition » du Christ. Le fidèle se croit alors autorisé à condamner tout ce qui le cho¬ que dans l’Eglise, comme opposé à son être véritable. C’est donc à l’ecclésiologie qu’il incombe de mettre en évidence que l’essence surna¬ turelle de l’Eglise se manifeste dans une condition d’esclave. Bien sûr la grâce du Christ, élément principal de la Nouvelle Alliance, et les signes sous lesquels elle s’exprime, ne constituent qu’une réalité, mais il ne faut pas oublier que le signe « risque toujours de dissimuler, ce qu’il signifie au lieu de le révéler, aux hommes qui n’en pénètrent pas la signification cachée et n’y recontrent qu’une occasion de chute, au lieu d’y trouver le salut et la résurrection » (110). Les divers domaines de cette « exinanition » de l'Eglise seraient selon l'auteur : la vérité éternelle exprimée dans les formules dogma¬ tiques, la justification de l’homme opérée sous les signes matériels, les phases successives de son histoire où le Corps mystique subit les influences les plus diverses. La théologie de la croix se base, en der¬ nière analyse, sur notre condition de créature, parce que «l’infini ne peut jamais apparaître dans le domaine du fini, le surnaturel dans la nature, l’éternel dans le temporel, si ce n'est avec une forme limitée, sous une ligne raccourcie, dans un rayon réfracté» (111). Mgr. Journet a fait également observer (112) que les synonymes du nom de l’Eglise ont à la fois deux sens, historique et analogique, qui se compénètrent et qui ne sont jamais tout à fait séparés l’un de l’autre. Au lieu de se limiter à une considération plus ou moins unila¬ térale de l’un ou de l’autre aspect de l’Eglise, il insiste sur l’ordon¬ nance dynamique de l’Eglise terrestre vers son idéal céleste. «Il faut attribuer au nom de l’Eglise et à chacun de ses synonymes, comme le faisaient spontanément saint Augustin et tous les anciens, une vertu dynamique, une signification de tension qui fît d’eux comme autant (108) Cf. op. cit. pp. 41-76, où Grosche critique les idées de Vonier. (109) Le mystère de l’Egliso: Du scandale à la foi triomphante. EU pp. 33-52. (110) Art. cit. p. 41. (111) Art. cit. p. 50. (112) Oh. Jour-nht: Les synonymes du nom de l’Eglise. NV 15 (1940) pp. 463-498. ' de flèches lancées par-dessus la distinction du temps et de l’éternité... Beaucoup de difficultés soulevées à notre époque sur le sujet de l’Eglise tomberaient si l’on tenait compte de ces quelques remar¬ ques... » (113). Nous pourrions encore nommer plusieurs ecclésiologues qui ont insisté fortement sur la nécessité de maintenir un équilibre entre les différentes tensions qui résident dans la notion et dans la réalité de l’Eglise. K. Feekes les a résumées dans un chapitre très réussi en mon¬ trant que c’cst la nature très complexe de l’Eglise même qui est au fond de ces tensions parfois si opposées (114). La nature de l’Eglise, écrit-il, selon les lois de l’Incarnation, inclut en elle-même l’éternel et le temporel, l’immensité et le lieu, l’impassibilité et la douleur dans une union indissoluble. Il est facile de deviner que sans l'usage prudent de Vanalogia entis on ne réussira pâs à maintenir dans une unité véri-, tablement organique l’infini et le fini, le divin et l’humain, l’éternel et le temporel, tout ce qui est engagé dans le mystère de l’Eglise. En outre, en ce qui regarde la proportion de ces deux aspects, on n 'oubliera pas la remarque sagace du P. Przywara, faite à la fin d’une étude critique sur les tendances actuelles de l’ecdésiologie: Vanalogia entis dit toujours l’identité et encore une plus grande diversité (115^. Par conséquent notre ecclésiologie, tant qu’elle reste « ecclesiologia viato- rum », ne se refusera jamais d’assurer une primauté bien entendue à l’aspect terrestre, à la structure hiérarchique de l'Eglise. 2) Avec une considération plus dogmatique du mystère de l’Eglise, l’aspect extérieur de celle-ci a reçu une nouvelle lumière. L’effet s’en est manifesté avant tout dans le fait que les notes de l’Eglise ont subi une présentation plus approfondie. Dans l’introduction, nous avons déjà indiqué combien ce changement est cohérent avec le long dévelop¬ pement de l'ecclésiologie posttridentine. Celle-ci a rendu inévitable le fait de repenser la force argumentative des notes, leur mutuelle relation et leur connexion avec l’essence de l’Eglise; bref, la théorie des notes en général. Il est devenu é.vident que la plus grande partie de la matière théologique contenue dans les notes, requiert une considération plutôt dogmatique. C ’est ainsi qu 'on a commencé à parler non seulement des no¬ tes de l'Eglise, mais aussi de ses propriétés. Parmi les auteurs qui ont tâché d’esquisser les grandes lignes de la signification dogmatique des notes, il faut mentionner avant tout le P. Mersch (116). Selon lui, les notes de l’Eglise continuent celles du Christ même et sont une manière de montrer la présence du Christ dans l’Eglise en nous renseignant (113) Art. cil. pp. 486-487. (114) K. Ff.Ckks : Das Mysterium der beiligen. Kirchc. Paderborn 1943. pp. 191- (115) Eine Bilanz... ZAM 15 (1940) pp. 213-214. (116) La Théologie du Corps mystique. II, pp.'203-211. — 226 — .sur l’œuvre de la grâce dans les âmes. Les notes vues du-dedans ren¬ dent compte également de « la nécessité de l’Eglise pour la vie intérieure du catholique et du caractère essentiellement ecclésiastique de cette vie intérieure» (117). Donc, pour autant que les notes manifestent une réalité surnaturelle, strictement une et unique, il s’ensuit, selon Journet, que les quatre notes ne sont distinctes que conceptuellement (118). Mais cette relation étroite entre les notes et la vie de la grâce n’em¬ pêche pas le P. Mersch de faire ressortir, d’une façon très caracté¬ ristique aux tendances nouvelles, la parenté des notes de l’Eglise avec les «notes» du genre humain. L’Eglise, humanité nouvelle, assume, selon lui, dans sa sphère surnaturelle, l’unité foncière du genre humain, son universalité répandue sous des formes multiples, sa sainteté se manifestant dans la loi naturelle (119). Ce rapproche¬ ment des deux ordres, naturel et surnaturel est une des caractéristiques du mouvement actuel de la théologie en général, mais il joue aussi un rôle important dans des questions agitées depuis longtemps dans l’ec- clésiologie. Comme nous le verrons, la solution proposée du problème du salut des infidèles s’appuie sur une forte mise au point de l’unité naturelle du genre humain. Il faut ajouter encore que les orientations récentes ont mis en relief l’aspect dynamique des notes, comme on le voit chez Feekes, qui souligne à bon droit, que les notes de l'Eglise ne sont pas pour elle des propriétés seulement, mais aussi des devoirs (120). A côté de cet aspect intérieur et dynamique des notes en général, il faut ajouter encore les vues intéressantes de Clérissae (121) sur l'en¬ racinement des notes dans la personnalité de l’Eglise. Pour lui les notes manifestent l’opération des personnes trinitaires au sein de l’Eglise et c’est ce reflet de l’influence de la Trinité que Clérissae appelle la personnalité de l’Eglise. «Si les quatre notes de l’Eglise suggèrent sa personnalité, c’est qu’elles ne s’animent pleinement, et n’ont toute leur force et leur portée qu’entendue dans un sens person¬ nel. Donnez à l’Eglise une conscience et une mémoire: vous entendez suggèrent sa personnalité, c’est qu’elles ne s’animent pleinement, et exiger sa sainteté. La mémoire de ses origines apostoliques l’empêchera d’y forfaire; et puisque le dépôt reçu des apôtres est définitif, et ne doit céder la place à aucune économie nouvelle, il est donc aussi univer¬ sel: l’Eglise se proclame catholique et elle se sait indéfectible » (122). Ce grand changement relativement à l’attitude apologétique se fait surtout sentir à propos de la note de catholicité. La nouvelle orientation se manifeste par une insistance sur la catholicité virtuelle (117) Ibid. p. 210. (118) L’Eglise du Verbe Incarné, II. p. 1255. (119) Op. cit. p. 211. (120) Pas Mysterium der heiligen Kircho, p. 162. (121) Op. cit. pp. 25 ev. (122) H. Clérissac: Le mystère de l’Eglise. Paris-Liège 1925. 3e éd. p. 55. — 227 — «le l’Eglise, taudis que la catholicité numérique passe en arrière-plan. A un certain point de -vue on pourrait dire que la catholicité est l’idée-maîtresse du renouveau ecclésiologique, en tant qu’il veut reprendre dans son sein tous les aspects de notre connaissance sur l’Eglise. Le point de départ de notre investigation a consisté justement à montrer les différentes tentatives de l’intégration de problèmes aussi vastes et délicats que l’expérience de l’Eglise. L’attitude de nos ecclésiologues à l’égard des chrétientés séparées et de leur ecclésiologie est également dirigée par une compréhension aux vues larges. La missiologie à son tour sollicite aussi une grande adaptation aux exigences diverses et légitimes des cultures non-chrétiennes. Les études historiques et théoriques de l’eedésiologie récente visent égale¬ ment une synthèse plus complète. Tout simplement, l’idée de la catho¬ licité s’est avérée dans le domaine entier de la théologie le but par excellence, vers laquelle tous les efforts convergent. Le Catholicisme du l\ de Lubac, un des chefs-d’œuvre de l'ecclésiologie récente, en est une preuve majeure. Cet ouvrage a réussi à mettre en évidence que c’était la solidarité universelle, donc catholique, qui a déterminé la pensée des Pères sur tous les points essentiels de l’enseignement chré¬ tien tels que le péché originel, la rédemption et la béatitude éternelle. De la même façon c’est la tendance vers la plénitude catholique qui montre, aux yeux des Pères, le sens de l’histoire (123). Donc ayant en vue les exigences théologiques de notre époque et le témoignage énergique de la Tradition, la note de catholicité a dû subir inévita¬ blement une réévaluation profonde. Depuis que A. de Poulpiquet a pris une position décidée en faveur de l’élargissement de la catholicité quantitative (spaciale et numérique) vers la catholicité qualitative (124), un bon nombre d’auteurs s’est don¬ né la tâche d ’en développer le contenu. Il est intéressant de voir que la catholicité qualitative va être liée, par la plupart des auteurs en ques¬ tion, au mysthère de l’Incarnation. K. Adam ramène la plénitude catho¬ lique à la plénitude de l’humanité du Christ (125). Le P. Merseh, à son tour, considère l’Incarnation comme le fondement du paradoxe qui se manifeste dans l’unité des éléments multiples de la diversité catholique (126). Pour le P. Congar le même mystère sert à montrer le double aspect de la catholicité qualitative: l’aspect ontologique et dynamique (127). Selon le P. de Lubac, c’est le. mystère de l’Incarna¬ tion qui est le fondement du respect chrétien à l’égard de toutes les (123) H. de Lubac: Catholicisme. Los aspects sociaux du dogme. Paris 1947. 4 e éd. (124) A. de Poulpiquet: La notion de catholicité. Paris 1910. (125) K. Adam: Le vrai visage du catholicisme. Paris 1931. pp. 205 sv. (126) La Théologie du Corps mystique. II, pp. 232-236. (127) Chrétiens désunis. Cf. le ehap. sur la catholicité de l’Eglise. valeurs des religions non-chrétiennes et de la nature humaine en général (128). En ce qui concerne les développements plus détaillés de cette note, K. Adam met bien en relief la plénitude qui se fait jour dans l’affir¬ mation intégrale du donné révélé et dans le respect par lequel l’Eglise veut satisfaire la nature humaine entière: l'âme et le corps. En fait l’Eglise reconnaît les droits de la raison en cultivant les sciences et la philosophie, et, par son système sacramentel, la matière reçoit un rôle essentiel dans l'œuvre de la sanctification. « Dans son essence intégrale, l’Eglise répond complètement et fortement à tout l’homme. Le Catholicisme est, en un mot, la religion positive, essentiellement thèse, affirmation dans le sens plein du mot et sans aucune suppres¬ sion » (129). La réalisation concrète du sens plénier du catholicisme devient ainsi un devoir immense, parce qu’elle suppose une adaptation continuelle, un refus de n’importe quel particularisme et surtout une attitude d’amour qui aide à écarter les écueils de la naïveté, du syn¬ crétisme et du libéralisme (130). C’est ainsi que le Catholicisme devien¬ dra dans toutes ses manifestations la Religion par excellence, la forme définitive et parfaite de l’humanité (131). La présentation nouvelle de la note de catholicité se distingue donc par son rattachement au mystère de l’Incarnation, par une affir¬ mation des valeurs humaines et enfin par les exigences qu’elle pose aux membres de l’Eglise quant aux efforts continuels d’adaptation et d’épanouissement (132). En face de ces résultats, on ne peut nier que les traités courants des manuels De Eeclesia doivent élargir leur horizon, encore trop restreint à la catholicité quantitative (133). Un défenseur non moins résolu de nos traités ecclésiologiques posttridentis, Mgr. Fenton, a dû admettre ce changement, disons plutôt cet enrichis¬ sement inévitable, en constatant les orientations nouvelles en cette matière : « Les positions de Thiels, Poulpiquet et Congar constituent un très sérieux problème devant la doctrine généralement admise sur la catholicité de l’Eglise. Si leurs assertions sont justifiées, les déve¬ loppements de la plupart de nos manuels doivent être sévèrement (128) Op. cit. pp. 241-244. (129) K. Adam: Op. cit. p. 23. (130) H. de Lubac: Catholicisme, p. 259. (131) md. p. 256. (132) Citons encore quelques auteurs qui trahissent la même orientation: O. Karrer: Das Beligiose in der Menschheit und das Christcntum. Frciburg (Br) 1934. pp. 219-237. G. Philips: La Sainte Eglise catholique. Tournai-Paris 1947. pp. 61-76. J. Lcclercy: La vie du Christ dans son Eglise. Paris 1947. pp. 90-107. (133) Cela vaut également de plusieurs de nos dictionnaires théologiques: H. Pourreau: Catholicité. DTC 2. col. 1999-2012. Y. do la Brière: Eglise. DAFC L col. 1268-1301. révisés. A coup sûr, nos théologiens n’ont pas le droit de passer sous silence leurs observations » (134). En ce qui concerne la note d’unité, nous avons déjà signalé combien les besoins apologétiques ont amené l’élimination de beaucoup d’élé¬ ments qui appartiennent justement à l’unité de l’Eglise, comme sa propriété. Dans la plupart des traités De Ecclesia ce n’est que l’aspect extérieur de l’unité de l’Eglise qui a été envisagé, comme unité de gouvernement, unité de foi, unité de communion et de culte. Seulement un petit nombre d’auteurs ont tenté de frayer des chemins nouveaux dans la présentation apologétique de cette note. Notons à titre d’exemple le Card. Billot, qui a puissamment mis en relief l’unité per se extans de l’Eglise, donc indépendante des gouver¬ nements civils. Il était naturel que la présentation générale de la note de unité devienne de plus en plus centrée autour de l’unité de gou¬ vernement, c’est-à-dire, la primauté romaine. Donc il était tout à fait selon la logique des choses que les tendan¬ ces nouvelles aient surtout essayé de remettre en honneur l’unité inté¬ rieure, mystique de l’Eglise. Avant tout il faut mentionner Moehler, dont l’influence en cette matière se reflète même dans le Schéma du Vatican. En outre, le mouvement oecuménique a évoqué une nouvelle attitude du côté catholique, en insistant sur l'unité mystique et déjà existante de la chrétienté, malgré les déchirures visibles parmi les égli¬ ses. De la même façon, la théologie du corps mystique a contribué largement à faire voir le mystère de l’Eglise dans l’union étroite des membres à leur Tête. Le pas décisif pour approfondir la présentation de cette propriété de l’Eglise a été fait par le P. de Poulpiquet qui assigne comme le prototype de cette unité l’unité des personnes trini- taires. L’unité de l’Eglise en est une participation mystérieuse, effectuant à la fois la conjonction intime des âmes et la conservation de leur individualité (135). Ces idées ont été développées par Journet, qui a bien mis en relief la double tension dans cette participation de l’unité trinitaire sous une forme sacramentelle: l’unité extrinsèque comme signe de la res sacramenti doit être toujours intériorisée ; ensuite cette participation dans l’unité trinitaire doit toujours s’aggrandir selon les lois du développement eschatologique (136). L’unité conçue d’urne telle façon a beaucoup de points communs avec la vertu de charité, comme l’observe le P. Mersch et comme telle, elle peut remplir effica¬ cement le rôle d'un contre-poids en ce qui concerne les dangers d ’une centralisation juridique (137). La théologie des controverses abordait la sainteté de l’Eglise sous deux points de vue principaux: d'abord il fallait revendiquer contre (134) J. Feston: The catholicity of the Chureh. ER 117 (1947) p. 294. (135) A. de Poulpiquet: L’Eglise catholique. Paris 1923. pp. 272 sv. (136) L’Eglise du Verbe Incarné. II. pp. 1205 sv. (137) La Théologie du Corps mystique. II. pp. 212-228. — 230 — les' novateurs le bien-fondé du culte des saints, eusuite on avait à insister sur la sainteté de l’Eglise, malgré les péchés des membres. Comme nous l’avons remarqué dans l’introduction, la sainteté de la doctrine et celle des moyens ne sont plus traitées dans la démonstration apologétique par plusieurs auteurs récents, admettant ainsi la néces¬ sité de séparer l’aspect apologétique et dogmatique en cette matière. Dans l'exposé courant des manuels De Ecclesia, la sainteté a été présen¬ tée nécessairement, plutôt comme un signe pour les non-croyants que comme une propriété dogmatique de l’Eglise. Au dire de Dom Vonier, les apologistes catholiques se sont efforcés de démontrer « la bonne im¬ pression » faite par l’Eglise devant le monde (138). Selon lui, l’origine de cette attitude unilatérale serait une fausse distinction entre l’élé¬ ment divin et humain dans l’Eglise. Il est fatal, dit-il, d’attribuer à cette distinction une valeur morale telle que l’élément humain repré¬ sente le péché, le mal dans l’Eglise. Au contraire il faut soutenir qu’à côté des pouvoirs surnaturels de l’Eglise, son engagement dans les affaires temporelles peut également porter témoignage de sa sain¬ teté, parce que l’Eglise ne peut faillir dans sa mission de soumettre l’univers entier au Christ à travers l’œuvre de la sanctification (139). Pour justifier cette position, on doit voir avec Vonier dans la sainteté de l’Eglise tous les dons surnaturels accordés à elle et à ses membres. La considération apologétique, au contraire, ne peut avoir en vue que les manifestations éclatantes de cette sainteté qui peuvent constituer un argument pour ceux qui n’admettent pas encore sa fondation surnaturelle par le Christ. Aux yeux de la foi, poursuit Vonier, la sainteté de l’Eglise est toujours en pleine vigueur et la mission visible du Saint-Esprit continue depuis la première Pente¬ côte (140). Autrement dit, l’aspect glorieux de l’Eglise, sa sainteté, sont présentes déjà ici-bas et doivent dominer notre idée de l’Eglise. Selon lui la sainteté de l’Eglise est une question de proportion entre sa substance sainte et ses péchés accidentels. Les péchés des membres ne pèsent d’aucun poids auprès du pouvoir de remettre les péchés, à tel point que le peuple se repentant et se soumettant au pouvoir de la rémission des péchés; est déjà dans la sphère du Christ glorifié (141). Le péché de schisme, d’hérésie, et d’apostasie doivent être considéré par rapport à la vitalité de l’Eglise qui sait toujours détacher d’elle-même les membres dissidents (142). On pourrait objecter que les développements de Vonier peuvent faire oublier l’importance de la sainteté concrète des membres et la triste réalité des péchés dans l’Eglise. En outre son intention de (138) Das Mysterium der Kirche. Salzburg. 1934; ci. pp. 51-52. (139) Cf. op. dt. p. 44. (140) Cf. op. dt. p. 53. (141) Cf. op. dt. p. 39. (142) Md. — 231 — corriger les défauts d’une considération apologétique le fait tomber quelquefois dans l’excès contraire. On lui a reproché de ne considérer qu’un aspect des rapports multiples entre l’Eglise céleste et terrestre en si acceptant par sa thèse selon laquelle la différence entre les chré¬ tiens déjà aux cieux et ceux d’ici-bas, en état de grâce, n’est/pas essen¬ tielle aux yeux de saint Paul, mais seulement accidentelle (143). Tou¬ tefois nous pensos que ces remarques, sans enlever les mérites de Vo- nier, nous aident à mieux apprécier son idée-maîtresse selon laquelle l’existence indéstructible du germe céleste dans l’Eglise doit gouverner en fin de compte notre pensée sur l’Eglise, et que tous les autres aspects et problèmes de la sainteté de l’Eglise doivent être regardées sous cette lumière. A l’encontre de Vonier, le point de départ du le P. Mersch en cette matière est la sainteté quotidienne et commune de l’Eglise. Cette sainteté prosaïque, comme il l’appelle, est un grand miracle, parce qu’elle exprime le message universel de l’Incarnation à propos de la sanctification des hommes même dans leur existence la plus banale. Une telle sainteté est, à titre essentiel, une sainteté de rédemption dans et contre le milieu du péché. C’est pourquoi la sainteté de l’Eglise doit aller toujours de pair avec la plus sincère humilité (144), et doit se manifester à travers une lutte continuelle vers son idéal céleste (145). Cette lutte pour la réalisation plénière de la sainteté de l’Eglise nous amène à une aspiration de première importance de l’ecclésiologie actuelle: l’élaboration de l'idée théologique de la réforme dans l’Eglise. Ce sont les mouvements de réforme en action dans l’Eglise depuis plusieurs dizaines d’années (146), qui ont évoqué cet aspect de la note de la sainteté, qui complétera heureusement le point de vue fonda¬ mental, mais plutôt statique, de Vonier. Bien que le Saint-Esprit, comme Vonier l’a mis puissamment en relief, ne cesse jamais de faire paraître la sainteté de l’Eglise, il ne reste pas moins vrai que la pro¬ portion entre les pécheurs habituels et les âmes ferventes peut varier selon les temps, pays et milieux sociaux (147). La raison en est que la relation entre la structure et la vie de l’Eglise comporte une double tension: celle entre l’élément extérieur et intérieur et celle entre l’élément temporel et éternel (148). Donc la sainteté, du côté des membres de l’Eglise, paraît toujours être un devoir de se réformer sans cesse et de s’approcher toujours mieux de la forme plénière de la sainteté de l’Eglise. (143) Cf. op. cit. p. 50. (144) La Théologie du Corps mystique. II. pp. 22S-232. (145) Cf. Ch. Journet: Bemarques sur la sainteté de l’Eglise militante. NV 9 (1934) pp. 299-323. (146) J. Lortz: Die Reformation als religioses Anliegen houte. Trier 1948. (147) Cf. Ch. Journet: Du problème de la sainteté de l’Eglise au problème de la nature de l’Eglise. NV 9 (1934) pp. 26-32. (148) Y. Conqab : Vraie et fausse réforme dans l’Eglise. Paris 1950. pp. 133-199. — 232 — A cause du rétrécissement du contenu de la note d’apostolicité, réduite de plus en plus au fait de la primauté romaine, on a senti qu’il est nécessaire de joindre plus étroitement cette note au mystère de l’Eglise. A la suite du P. Mersch (149) plusieurs théologiens proposent l’apostolicité de l’Eglise comme l’infaillible point de contact avec le Saint-Esprit, force intérieure toujours active qui prête à l’Eglise une constance surnaturelle. C’est donc l’idée du contact avec l’Esprit, vivifiant l’œuvre du Christ, l’Eglise, qu’on voit aujourd’hui dans l’apostolicité de l’Eglise. A travers le temps, c’est la force apostolique qui réalise l’accroissement continuel de l’Eglise dans ses conquêtes missionnaires et c’est la même force qui est présente dans le développement homogène du dogme chrétien. Envisagée dans le cadre des quatre causes, l’apostolicité s’enracine dans la cause effi¬ ciente et remplit le rôle d’instrument pour prolonger d’une façon ininterrompue et à la fois théandrique la vie divine et plus précisément la participation générale et hiérarchique dans le sacerdoce du Sauveur. Il y a donc une relation étroite entre la note d’apostolicité et le sacer¬ doce des chrétiens, qui est à vrai dire la raison d’être de l’Eglise (150). 3) Comme nous l’avons dit, l’Eglise existe d’une façon théan¬ drique, comme un signe sacramentel. Par suite des besoins posttrident ins, le côté extérieur de ce mystère, la hiérarchie, ou tout simplement la structure par excellence de l’Eglise, n’a été considérée que du point de vue apologétique et canonique, où la relation de la hiérarchie au noyau spirituel de l’Eglise est restée assez à l’arrière-plan. Cette manière générale de voir est parfaitement reflétée dans l’article de B. Dolhagary (151), dominé par des problèmes apologétiques et histo¬ riques, sans mentionner les manuels De Ecclesia, dont la position est assez connue. Toutefois il y a un renouveau dans ce domaine aussi. En ce qui concerne l’idée générale de la hiérarchie c’est Dom Gréa (152) qui a mis en relief que la notion de la hiérarchie s’enracine dans le mystère de la Trinité même et signifie au sens large le lieu de contact dans les communications de la vie divine. «Ainsi ce qui constitue le mystère de l’Eglise est vraiment une extension et une communication de la société divine et des relations qui sont en elle » (153). Cette vue constitue également le point de départ des développements de Clérissac et de la grande synthèse de Journet (154). En ce qui concerne la double fonction de la hiérarchie, le grand initiateur est assurément (149) Op. cit., pp. 237-240. (150) Ch. Journet: L’Eglise du Verbe Incarné. I. pp. 042-647. (151) Hiérarchie. DTC 6/2, col. 2362-2382. (152) H. Gréa: De l’Eglise et de sa divine constitution. Paris 1907. 2 e éd. (153) Ibid., vol. I. p. 28. (154) L’Eglise du Verbe Incarné. I. pp. 24 sv. — 233 — M. J. Scheeben. Pour lui l’activité de la hiérarchie est une activité organique au sens biologique du mot. Ses actions ne visent pas d’autre but que le maintien et l’épanouissement de la vie surnaturelle; par suite, la hiérarchie et le peuple de Dieu ont pour devoir de \a, procurer avec l’aide des actions sacramentelles, chacun selon sa manière propre. La hiérarchie remplit à son tour une fonction maternelle dans l’Eglise, elle est l’organe et le canal de la vie divine. Cette maternité, imitation et extension de la fécondité de Marie, constitue le point central du Corps mystique du Christ; c’est par elle que l’Eglise se développe et reste en union avec son Chef divin. Cette maternité imprime leur carac¬ tère surnaturel à toutes les activités sociales de l’Eglise, en sanctifiant les membres dans tous les domaines de leur existence. C’est !a maternité sacerdotale, poursuit Scheeben, qui donne sa vraie grandeur au pouvoir d’enseigner et de gouverner. Ces pouvoirs à leur tour défendent l’intégrité de la vie divine et empêchent les fidèles de perdre de vue le véritable usage des sources de la vie surna¬ turelle. Quand Scheeben fait remarquer que, sans avoir une idée sublime de l’Eglise, on aura toujours des difficultés à propos de l’infaillibilité du pape, il pense justement à ce lien étroit qui existe entre les deux pouvoirs. Sans l’avoir en vue, on ne comprendra jamais le véritable sens ni la nécessité d’une autorité infaillible dans l’Eglise et encore moins que la plénitude de ce pouvoir doive être déposée dans une seule personne (155). Tandis que Scheeben a expliqué les fonctions de l’Eglise dans leur rapports à la vie divine, en s’en tenant à un point de vue strictement sacramentel, la pensée du P. Mersch (156) trahit évidemment l’inspi¬ ration de Moehler. Il considère l’exercice de l’autorité et de. l’obéis¬ sance dans leur existence intériorisée, mystique. A ce point de vue, « entre l'autorité du Christ dans les pasteurs et la vie du Christ dans les âmes, l’union est parfaite. En principe elle se fait dans la spon¬ tanéité d’une vie unique» (157). C’est ainsi que l’autorité des pas¬ teurs n 'est plus un lourd fardeau pour les âmes jointes au Christ. Au contraire: pour les âmes dans lesquelles la vie de la grâce atteint son épanouissement plus ou moins parfait, l’obéissance devient une expres¬ sion spontanée de leur vie surnaturelle. En d’autres termes, la perfec¬ tion de la vie chrétienne inclut le sentiment d’être membre d’un grand organisme dans lequel le membre individuel doit être convaincu que c’est seulement en se soumettant à l’organisme entier qu’il servira ses pro¬ pres intérêts. L’Eglise ne peut s’exprimer en concepts anciens et païens. Elle n’est ni une monarchie, ni une démocratie. Elle a sa formule qui est d’être une « christologie» (158). C'est la loi de l’amour qui gouver- (155) Les Mystères du Christianisme, p. 558. (155) Théologie du Corps mystique. II. pp. 241-273. (157) IM., p. 256. (158) IM., pp. 266-267. — 234 — ne en fin de compte, le vie de 1 Eglise. Un comprend alors que le P. Mersch ne puisse passer sous silence les devoirs qui en résultent pour la hiérarchie et pour les gouvernés. Mais ces devoirs une fois remplis, les « inférieurs » sont « certains et fiers, avec allégresse, de ne faire jamais en obéissant la volonté d’autres hommes. Que maintenant dans la réalité quotidienne cette merveille de liberté, d’amour et de divi¬ nisation s’accomplisse rarement, est-ce. la faute du Christianisme ou des chrétiens»? (159). Pour excellente qu’elle soit, cette présentation de l’unité mystique de l’autorité et de l’obéissance n’enlève point le mystère de la croix, de la souffrance dans l’obéissance chrétienne (160). Il était tout à fait naturel qu’une telle insistance sur l’aspect dogmatique, voire mystique, de l’idée de la hiérarchie ait suggéré à plusieurs auteurs une certaine subordination du pouvoir juridictionnel au pouvoir sacerdotal. Chez le P. Congar cela vient du principe bien connu des tendances nouvelles de l’ecclésiologie: la primauté de la vie à l’égard de la structure de l’Eglise (161). Chez H. Keller cette subordination entre même dans la définition de l’Eglise. Il définit l’Eglise à travers son aspect cultuel, en particulier par les sacrements du baptême et de l’ordre (162). Bien que leur pensée n’ait rien de commun avec l’opposition entre l’Eglise du droit et celle de l’amour, néanmoins J. Brinktrine (163) est d’avis qu’une telle position passe sous silence l’élément formel d’une définition complète de l’Eglise: la primauté de juridiction. Selon lui le baptême renvoie à titre essen¬ tiel à la hiérarchie de l’ordre qui, à son tour, est intimément unie à la structure juridictionnelle de l’Eglise. Quoi qu’il en soit de ces arguments, il semble erroné de chercher à faire prévaloir à tout prix l’un ou l’autre des pouvoirs hiérarchiques, parce que cela pourrait faci¬ lement faire perdre de vue leur interdépendance mutuelle. En tous cas, la mise en relief de la grandeur de la hiérarchie du point de vue dogmatique n’a jamais signifié pour les tendances nouvel¬ les la transformation de l’ecclésiologie en une « hiérarchologie » au sens plus ou moins mécanique du mot, où nulle place ne serait laissée à l’œuvre charismatique de l’Esprit. Ici aussi les tendances nouvelles se distinguent par leur désir de présenter la réalité plénière. Il ne s’agit point de renouveler des hérésies jadis condamnées mais tout simple¬ ment de remettre en honneur au plan théologique l’œuvre charisma- (159) Ibid., p. 270 - Il faut noter que cette tendance de sublimer l’obéissance dans une spontanéité mystique ne contient qu’une partie de la vérité. La plupart des fidèles ne s’élèvent jamais au degré de cette intériorité mystique. (160) A. de Bovis: De l’obéissance à l’Eglise. NET 70 (1948) pp. 20-47. (161) Y. Congar: Ordre et juridiction dans l’Eglise. Ir 10 (1933) 22-31; 97- 110; 243-252; 401^08. (162) H. Keller: Kirche als Kultgemeinschaft. BM 16 (1934) pp. 25-38; 17 (1935) 183-195; 277-286; 347-361. (163) J. Brinktrine: Was ist die Kirchet T G- 28 (1936) pp. 190-196. - Yon der Struktur und dem Wesen der Kirche. TG 26 (1934) 21-29. tique de l’Esprit, toujours agissant dans l'Eglise (164). Il n’y a doue pas une opposition entre l’œuvre de l’Esprit à travers la hiérarchie et les dons charismatiques, mais une correspondance et une distinction qui exige la présentation de nuances multiples. C’est seulement à l’aide d’une analyse soigneuse de ce problème que la théologie catholiqu'e sera capable d’intégrer certaines tendances qui se font jour au sein du protestantisme et de l’orthodoxie et qui sont marquées par une incli¬ nation prononcée vers le domaine prophétique dans la théologie. C’est dans ce sens que l’étude profonde du P. Congar veut contribuer à l’ecclésiologie. Il y montre que l’unité indissoluble de l’Esprit et du Corps apostolique dans la réalisation de l’œuvre du Christ n’exclut point le fait bien établi que l’Esprit néanmoins garde une sorte de liberté ou d’autonomie, qui seule peut expliquer un des traits de l’histoire de l’Eglise. Cette action souveraine de l’Esprit, qui donne souvent une mission inouïe à des membres non-hiérarehiques de l'Eglise, comme on peut le voir dans la vie des saints, sans travailler à l’encontre de la hiérarchie, reste toujours un facteur majeur dans la vie de l’Eglise, et les ecclésiologues ne peuvent jamais assez le repenser (165). La mise au point de l’aspect dogmatique de l’idée de la hiérarchie a dû nécessairement entraîner des tentatives nouvelles pour compléter des notions devenues souvent trop juridiques dans la présentation cou¬ rante telle que celle de l’épiscopat. Déjà le Concile du Vatican avait inscrit dans son programme des définitions concernant le rôle des évê¬ ques dans l’Eglise. Empêché par des circonstances malheureuses, le Con¬ cile a dû se contenter de la définition de l’infaillibilité du pape et c’est ainsi que l’époque après le Concile peut être considérée comme la prise de conscience définitive de tout ce que la primauté romaine signifie. C’est l’histoire récente de l’Eglise qui montre que ce travail sans introduire une sorte de totalitarisme a préparé un fondement solide pour l’élaboration théologique de l'idée de l’épiscopat,. dont les pre¬ miers jalons ont été posés ces dernières années. Le chemin a été frayé, comme nous l'avons vu, par le mouvement liturgique qui a proposé une image très remarquable et surnaturelle du rôle des évêques. Des études historiques aussi ont commencé à contribuer tout récemment à une meilleure compréhension du mystère de l’épiscopat (166). A l’encontre (164) Cf. H. Duesbekg: Hiérarchie et prophétisme. NRT 84( 1952) pp. 372-389. (165) Y. Congar : Le Saint-Esprit et le Corps apostolique, réalisateurs de l’ceu- vre du Christ. RSPT 36 (1952) pp. 613-625; 37 (1953) pp. 24-48. (166) A titre d'exemples: W. Pitsch: Pas Bischofsideal des hl. Bcmhard von Clairvaux. Bottrop-on-W. Postberg 1942. - E. StomhkL: Die bischofliche Cathedra im christlichon Altertum. MTZ 2 (1952) pp. 17-32. - H. Jedin: Das Bischofsideal der katholischen Reformation. - On trouvera un bon nombre d'excellentes études exégétiques, historiques et pastorales sur l'épiscopat dans EPISCOPUS. Studieu iiber das Bischofsant. Seiner Eminenz Michael Cardinal von Faulhaber zum 80. Geburtstag dargebracht von der theol. Fakultat der TJniversitat München. Regcns- burg 1949. Relevons-en les plus saillantes: F. Stusimer: Gedanken über die Stellung des exposés de nos manuels et dictionnaires théologiques (167), concen¬ trés sur les questions apologétiques et juridiques, on s’efforce mainte¬ nant de mettre mieux en relief ce qui revient à la consécration épisco¬ pale (168) et qui doit se manifester d’une façon vitale et concrète dans la sanctification des fidèles (169). L’accent mis sur l’importance de l’épiscopat aidera non seulement à une meilleure compréhension de l’idée du diocèse, mais aussi à celle des paroisses. La théologie du dio¬ cèse et de la paroisse qui est en train de se dessiner (170), sera sûre¬ ment basée sur le rôle majeur de l’évêque et est ainsi les communautés paroissiales auront une relation plus vive avec le centre et la source de leur activité surnaturelle: l’évêque du diocèse (171). 4) Après avoir vu les fonctions et les pouvoirs de l’Eglise, regar¬ dons à quelle lumière nouvelle on considère les membres nonhiérar- chiques de l’Eglise. Notre premier chapitre nous a montré combien le rattachement plus intime et plus conscient des laïcs à la vie de l’Eglise était rendu nécessaire par la force des besoins actuels de celle-ci. Nous y avons déjà indiqué que cette prise de conscience des laïcs de leur devoir à l’égard de l’Eglise ne pouvait pas se passer d’une mise en lumière plus dogmatique de leur état de laïc. C'est par là que le sacerdoce royal des fidèles est devenu un thème ecclésiologique. On sait que l’idée du sacerdoce royal après la Réforme a connu moins de faveur parmi les catholiques pour ôter toute possibilité de confusion avec le sacerdoce hiérarchique. La conséquence en fut que la notion courante du sacer¬ doce royal s’est séparée plus ou moins de la fonction des laïcs dans la messe et quel leurs sacrifices de chaque jour restèrent souvent sans lien conscient avec la vie sacramentelle (172). Pour y remedier, depuis plusieurs dizaines d’années on a insisté avec une force nouvelle sur la réalité du sacerdoce royal. L’attention des théologiens s’est portée, avant tout, sur l’aspect culturel de la des Ilohcnpriesters in der alttostamentlichen Gemeindo, (pp. 19-48). M. Schmatjs: Der Episkopat als Ordnungsgewalt in der Kircho nach der Lehre des heiligen Bonaventura. (pp. 305-336). E. Kienitz: Bischbfliche Jurisdiktion als pâpstlieher Auftrag, (pp. 296-304). J. Pascher: Die Hiérarchie im Sakramontalen Symbolik, (pp. 278-295). (167) E. Vai/ton’: Evêques. Questions théologiques et canoniques. DTC 5/2, col. 1701-1725. - F. Prat: Evêques. Origine de l’épiscopat. DTC 5/2, col. 1656-1701. (168) J. Lecuybr: La grâce de la consécration épiscopale. BSPT 36 (1952) pp. '389-417. - Du même auteur: Pentecôte et Episcopat. VSpir 86 (1952) pp. 451-466. (169) A. C. Martimort: De l’évêque. Paris 1946. (170) J. Colson: Qu'est-ce qu’un Diocèse? NRT 85 (1953) pp. 471-497. - Die Pfarre. Gestalt und Scndung. Wicn 1953. (Procès Verbaux de la Session de 1953 de l’Institut Pastorale de Vienne). (171) G. Diekmann: What is a Bishopî Worship 26 (1952) 238-247. (172) Cf. R. Grosche: Pilgernde Kirchc. Freiburg (Br) 1938. p. 203. — 237 — fonction sacerdotale des laïcs. Cet état des choses se reflète dans l’ouvrage de Niebecker qui a bien résumé les points acquis il y a deux décades. Reprenons ses conclusions : En premier lieu le sacerdoce r,oyal est un véritable sacerdoce, conféré par le baptême et qui dépasse de beaucoup le sacerdoce de l’Ancien Testament. Distinct du sacerdoce hiérarchique et subordonné à lui, il rend le chrétien capable de pré¬ senter à Dieu des sacrifices agréables et de participer activement à l’action du sacrifice de la messe. Il est facile de deviner quels sont les écueils que cette tendance a rencontrés sur sa route. Evidemment l’insistance sur la réalité du sacer¬ doce royal ne devait pas revêtir un tel caractère, qui, ne fût-ce que par des allusions déplacées, nuirait à la distinction établie par la foi entre la sacerdoce royal et le sacerdoce hiérarchique. C’est la question de la participation des fidèles à la messe, en raison de leur sacerdoce royal, qui a suscité la tentation d ’un nivelle¬ ment plus ou moins implicite entre les deux sortes de sacerdoce. Une fois admise et accentuée la réalité de leur participation active à la messe, il restait encore à préciser en quoi consiste cette participation active. Niebecker avoue de son côté que la réponse, d’ailleurs bien difficile à préciser, dépend essentiellement de la théorie qu’on adopte au sujet de la messe. Selon lui les théories basées sur l’idée de l’oblation sont à ce propos plus favorables que les autres (173). Dans l’enchevêtrement des insinuations et des imprécisions dan¬ gereuses, l’Encyclique Mediator Dei (174) a rétabli l’ordre. Après avoir souligné la différence entre les deux sortes de sacerdoce, l’Encyclique met au net le sens de la participation active des fidèles à la messe. Le mot offrir, en tant qu’il signifie « l’immolation non-sanglante par le moyen de laquelle, après les paroles de la Consécration, le Christ est rendu présent sur l’autel en état de victime », s’applique uniquement au prêtre. Mais en tant que le mot offrir exprime le fait que le prêtre présente la divine victime à Dieu le Père, il s’étend aussi à la participation des fidèles: d’abord «parce qu’ils offrent le Sacrifice par les mains du prêtre» et ensuite parce qu'ils unissent leur voeux «de louange, d’impétration, d’expiation et d’action de grâces aux voeux ou intentions mentales du prêtre et même du Souverain Prêtre, afin de les présenter à Dieu le Père » (175). (173) Das allgemeiTie Priestertvm der Gldubigen. Padcrborn 1936, pp. 143-145. - Dans cet ouvrage on retrouvera les résultats essentiels des nouvelles recherches sur le sacerdoce royal et la contribution de cette idée à une meilleure compréhension de l’Eglise jusqu’alors. Cela nous permet de passer sous silence une longue série d’études de moindre importance. (174) Ed. eit., cf. col. 219 sv. (175) Ed. ci (., col. 221. — 238 — La pratique consciente de cette participation des fidèles à la messe comporte une très précieuse signification ecclésiologique, au dire de la même Encyclique: elle démontre «d’une manière extérieure que de sa nature, le Sacrifice, étant accompli par le Médiateur de Dieu et des hommes doit être considéré comme l’œuvre de tout le Corps mystique du Christ » (176). Bien qu’il soit vrai que, par la mise au point de la nature de la participation des laïcs à la messe le plus essentiel ait été dit, toutefois, la question de la position des laïcs dans l’Eglise contient encore des aspects dont la portée ecclésiologique est de toute première impor¬ tance. En vérité c’est justement la mise au point complète du rôle des laïcs dans l’Eglise, qui est, sous des aspects divers, au fond des orien¬ tations récentes de l’ecclésiologie. C’est l’ouvrage du P. Congar: Jalons pour une théologie du laïcat, qui en a dévoilé les implications majeures et a tracé la route à suivre (177). Si l’on envisage la condition laïque au-delà des notions du droit canonique, on y découvre que ce sont les laïcs qui lient in concreto l’œuvre du salut dans tous les détails des évènements et des objets de la réalité terrestre. Donc l’œuvre fondamentale et primordiale de l'Eglise-institution, hiérarchie, doit être complétée par l’action des laïcs, pour atteindre la réalisation concrète de la sanctification de la société et de d’histoire. Sur le plain ecclésiologique tout cela sup¬ pose évidemment le dépassement des limites étroites d’une eeclésiologie qui, à cause des raisons historiques s’est développée surtout comme une « hiérarchologie ». En outre, e’est la remise en honneur du rôle apos¬ tolique des laïcs dans le monde qui seule empêchera que la réalisation du Royaume de Dieu sur la terre ne revêtisse la forme d’une Chrétienté hiérocratique. Cette activité des laïcs se situe sur le plan de différentes fonctions du sacerdoce royal. Les réalisations multiples doivent en être gouvernées par le principe de la catholicité prise dans un sens large: la vraie vie de l’Eglise doit s’épanouir de la manière la plus universelle. C’est ainsi que les fonctions de la hiérarchie recevront leur «plérôme» à travers l’activité apostolique des laïcs. Dans tout cela les laïcs ont la mission de faire la médiation entre l’Eglise et le siècle, en réalisant ainsi cette partie de l’œuvre de Dieu qui doit être remplie par des hommes de Dieu. La grâce une fois donnée dans le Christ doit pénétrer le vécu et l’agir des hommes, c’est là que les laïcs ont à remplir leur mission irremplaçable. Nous sommes donc au problème si fréquemment rencontré au cours de nos investigations: l’intégration de l’aspect vécu, concret, vital de la vie' de l’Eglise dans l’ecclésiologie. Sans la réalisation de toutes les possibilités de l’action des laïcs dans l’Eglise un des plus importants (176) Ed. eit., col. 225. (177) Paria 1953. (üiiam Sanctam, 23). — 239 — appuis ferait défaut au renouveau ecclésiologique. En d’autres ternies, le devoir pressant de la revalorisation des laïcs dans l’Eglise vient de la nécessité impérieuse de donner une réponse adéquate aux ques¬ tions posées par l’humanisme moderne. En fait, comme nous l’avons vu, le point de départ d’une conception distincte du mystère de l’Eglise, comme traité séparé, se trouve dans le mouvement lancé au Moyen-Age en quête des valeurs terrestres, mouvement qui émergeait à cette époque-là des les luttes concernant la vraie relation entre l’Eglise et l’Etat. Après de longs siècles de réflexions, de discussions le même problème du naturel et du surnaturel apparaît de nouveau dans des dimensions beaucoup plus larges et différenciées. Les symptô¬ mes semblent indiquer que la pensée chrétienne est mieux préparée que jamais à fournir les principes de solution, mais leur mise en oeuvre sera le devoir des laïcs et seulement une ecclésiologie plénière, équilibrée et respectueuse de tous les aspects des réalités ecclésiale et humaine pourra leur enseigner comment être à la fois au Monde et pas du Monde. III. - La médiation universelle de l’Eglise 1) La formation d’une idée nouvelle de l’Eglise, orientée par un effort remarquable vers la réalisation plénière du catholicisme, devait offrir, évidemment, une solution très approfondie en ce qui concerne le salut de ceux qui sont au-dehors de l’Eglise, c’est-à-dire la nature de leur relation avec l’instrument unique du salut: l’Eglise catholique romaine. Comme on le sait bien, pendant longtemps des solutions, avantageuses mais souvent superficielles, ont dominé la litté¬ rature théologique en cette matière, comme la distinction entre l’âme et le corps de l’Eglise, et plus récemment, une idée imprécise du corps mystique a paru pouvoir être une solution pour quelques auteurs peu avertis. La distinction entre l’âme et le corps de l'Eglise est due à Bellarmin (178), mais au cours des temps elle a revêtu un sens qui n’etait pas assurément celui de Bellarmin. On peut retrouver les jalons de cette évolution malheureuse chez Polman, Plessis d’Argentré et Tournely, qui ont proposé une notion de l’âme de l’Eglise qui n’était plus en contact avec le corps de l’Eglise. C’est ainsi que le terrain fut préparé pour l’idée d’une Eglise invisible, indépendante de l’Eglise visible, catholique, romaine et constituée par ceux qui sont en état de grâce. Pour d’autres c’était l’idée du Corps mystique qui semblait éclaircir la situation des chrétiens non-catholiques, ou simple¬ ment celle des dénominations non-catholiques (179). (178) Of. J. Tenton: The Meaniug of the Church’s Necessity for Salvation. ER 124 (1951) pp. 124-143; 203-221; 290-302; voir surtout pp. 203 sv. (179) On trouve cette utilisation moins correcte de l’idée du Corps mystique chez O. Kamusr: Das Religiose in der Menscliheit und das Ohristentum, Frankfurt — 240 — Toutefois il faut noter que ces positions peu solides n’ont été que périphériques dans la théologie catholique. C’est un des signes du renouveau ecclésiologique que, parallèlement avec la mise en relief de l’aspect intérieur de l’Eglise, l’axiome traditionnel, extra ecclesiam nulla salus, a été accentué d'une façon plus approfondie. C’est le respect à l’égard de cet axiome qui a poussé plusieurs auteurs à chercher la solution dans une idée dynamique du royaume de Dieu (180). A première vue cette solution semble bien fructueuse: en supposant l’identité entre le royaume de Dieu et l’Eglise, on voit que n’importe quel individu appartient ou bien au royaume du diable ou au royaume de Dieu. Seulement une question épineuse reste insoluble sur ce plan: la situation des catholiques en état du péché mortel, qui tout en devenant sujets du diable, ne cessent pas d’être membres de l'Eglise. La solution la plus satisfaisante et la plus généralement accep¬ tée aujourd’hui a dépassé le sens immédiat de l’axiome extra ecclesiam, sens concernant plutôt les limites de l’Eglise, et a mis en relief son sens sous-jacent: la médiation universelle de l’Eglise dans le salut de tous les hommes. C’est le Schéma De Ecclesia du Concile du Vatican qui formula le plus énergiquement ce sens de l'axiome : « Ad salutem obtinendam... Ecclesia Christi tantae est necessitatis, quantae consor¬ tium et conjunctio cum Christo capite et mystico ejus corpore... Idcirco doeemus Ecclesiam esse omnino necessariam et quidem necessitate non solum praecepti... verum etiam medii quia, in instituto salutaris pro- videntiae ordine, communicatio Sancti Spiritus, participatio veritatis et vitae non obtinetur nisi in Ecclesia et per Ecclesiam, çujus caput est Christus » (181). Dès lors ces mots sont cités dans les manuels comme l’expression de la pensée du Magistère et c’est sous cette lumière que la réaffirmation énergique de l’ancien axiome par Pie XI et Pie XII doit être interprétée. Il faut noter que l’Encyclique Mystici cor- poris se borne à son tour à l’affirmation de deux thèses: d’une part elle met en relief la médiation universelle de l’Eglise en identifiant d’une façon absolue le Corps mystique avec l’Eglise (182), d’autre part elle renvoie au fait que toute possibilité de salut n ’est pas refusée à ceux qui sont en dehors de l’Eglise. La position prise par l’Encyclique fut conditionnée de toute évidence par la doctrine du catholicisme non- 1934. pp. 240 sv. - D. Barry: A plea for a more comprehensive définition of the Church. The New York Rcview. 2 (1906-7) pp. 691-697. - Les mots de M. Nédoneelle sont très caractéristiques : « ...un membre séparé reste uni au corps mystique par les affinités réciproques qui subsistent entre eux deux. Aussi bien quand l’anglica¬ nisme est loin du corps mystique, le corps mystique n’est pas séparé de lui». L’an¬ glicanisme et le corps mystique. RAp 34 (1938) p. 670. (180) J. Fbnto.v : The meaning of the Church’s necessity for salvation. ER 124 (1951) pp. 290-302. - F. Stbotmann: Les membres de l’Eglise. Ir 25 (1952) pp. 249- 262. (181) Coll. Lac. VII. 569. (182) Cf. ed. cit., p. 77. — 241 — romain, selon laquelle ce n’est pas une église particulière, mais tous les chrétiens sans égard à leur confession, qui constituent sür un pied d’égalité la véritable « église du Christ»; une église qui, en dépit des divergences de foi, existe pourtant déjà; les schismes et lès hérésies au lieu de la déchirer n’ont fait que l’enrichir. Le P. Rahner observe à bon droit que cette doctrine, sans avoir pu pénétrer la littérature technique de la théologie (theologische Fachliteratur), a été présupposée et plus ou moins admise même par des catholiques adonnés à la cause de l’union. L’Encyclique tout en affirmant deux vérités cardinales de la doctrine traditionnelle, n’entre pas dans plus de détails (183). Cette manière d’interpréter ces textes pontificaux reçoit encore une fondation plus solide si l’on passe en revue les nombreux énoncés des derniers papes sur l’idée de la médiation universelle de l’Egli¬ se (184). On y verra que les papes ont accueilli favorablement tout ce que la théologie spéculative a pu élaborer à cet égard (185). Donc s’il est vrai, d’une part que la grâce de Dieu peut opérer mystérieuse¬ ment même au-dehors des limites visibles de l’Eglise et si l’on se rap¬ pelle, d’autre part, l’insistance de Pie XII sur le fait que l’Eglise transmet la totalité de la richesse de la rédemption, pour ne mention¬ ner qu’un exemple dé l’enseignement du magistère sur ce point (186), il ne reste plus qu’à conclure: l’Eglise doit jouer par nécessité .un rôle essentiel dans le salut de quiconque. Par conséquent on a été amené à proposer la possibilité de diffé¬ rents degrés quant à l’appartenance à l’Eglise. En fait cette idée depuis longtemps n’était pas étrangère à un bon nombre de théologiens de première importance. Un Franzelin par exemple a professé l’ap¬ partenance partielle (ex parte) à l’Eglise de non-catholiques qui seraient de bonne foi (187). Selon d’Herbigny cette appartenance à l’Eglise admet différents degrés (188), tandis que Bainvel parle des membres inchoatifs de l’Eglise (189). Pour De Guibert (190) et Billot (191) l’appartenance in voto à l’Eglise en traduit évidemment la réalisation partielle. E. Mura distingue entre l'appartenance nor¬ male et anormale à l’Eglise (192), et le P. Congar oppose l’incorpora¬ tion in voto dans l’Eglise à l’incorporation totale et pratique (193). (183) H. Rahner: Die Zugehorigkeit zur Kirche nacli (1er Lchre der Enzyklika Pius XII: Mystiei Corporia Christi. ZKT 69 (1947) p. 150. (184) Cf. F. X. Lawlor: The médiation of tko Church iu some pontifical documents. TS 12 (1951) pp. 481-504. (185) J. H. Nicolas: La médiation de l’Eglise. RT 44 (1946) pp. 411-433. (186) Plus XII: Allocutio, 2 juin 1944. AAS 36 (1944) p. 170. <- (187) Op. cit., p. 415. (188) Tlieologica de Ecclesia. Paris 1928. 3" éd. vol. II, pp. 272 sv. (189) De Ecclesia Christi. Paris 1925. p. 112. (190) De Christi Ecclesia. Rome 1928. p. 146. (191) De Ecclesia Christi. Romae 1927. 5* éd. vol. I, p. 332. (192) Op. cil., I, p.364. (193) Chrétiens désunis, p. 209. 10 — 242 — Selon Journet l’appartenance à l’Eglise est analogique et s’exprime en différents degrés (194). Les commentateurs de l’Encyclique écrivent également dans ce sens, bien que leur pensée ne soit pas toujours heureusement formulée. Cela vaut surtout pour la position de Lialine qui distingue entre les membres du Christ et ceux du Corps mystique (195), et pour la solution proposée par A. Liégé, qui parle d’une appartenance visible et invisible à l’Eglise (196). La termi¬ nologie de G. Morel est plus heureuse bien qu’elle ne puisse pas s’ap¬ puyer explicitement sur l’Encyclique: il distingue les membres au sens éminent et au sens simple du corps mystique (197). Il est important de noter que l’Encyclique elle-même contient un mot bien significatif qui peut justifier une telle approche du problème de la relation des non-catholiques à l’Eglise, comme A. Cha- vasse l’a montré (198). Le mot reapse qui qualifie l’appartenance totale des catholiques à l’Eglise, est employé par l’Encyclique pour distinguer la réalisation parfaite d’une chose des réalisations partielles. Il était donc impérieux d’essayer de montrer que les trois facteurs de l’ap¬ partenance totale à l’Eglise, profession de la foi apostolique, commu¬ nion dans les sacrements et soumission à la hiérarchie, peuvent communiquer la grâce, même si elles sont présentes seulement d’une façon imparfaite. C’est une étude originale du P. Sribomont qui a essayé de traiter en détail ce problème délicat (199). Son rdée-maîtressc est l’analogie profonde entre la structure de l’Eglise et celle des sacrements. Quant aux sacrements, on sait que les signes sacramentels et la grâce ne correspondent pas toujours parfaitement. L’efficacité objective (caractère) des sacrements peut subsister sans aller de pair avec la grâce sanctifiante; un obstacle peut retarder souvent l’effet du sacrement et en retour les théologiens admettent que le « votum sacramenti » peut suffire dans certains cas. En ce qui concerne l’ap¬ partenance à l’Eglise, poursuit le P. Gribomont, les conditions qu’elle requiert: la profession de la foi, le baptême, la communion ecclésias¬ tique, constituent une unité organique: l’une renvoie à l’autre. Par conséquent la négation faite par les schismatiques et les hérétiques est non seulement partielle, mais en même temps elle implique aussi une contradiction: ils doivent admettre pour sauvegarder ce qu’ils pro¬ fessent, l’idée de l’Eglise véritable du Christ, l’unité de l’Eglise, condi- (194) L’Eglise du Verbe Incarné. II, p. 1058. - Le.mot employé par le P. Roh- ner (cf. Art. cit. plus haut), Mehrschichtigkeit, traduit la même idée. (195) C. Lialine: Une étape en ecclésiologie. Ir 20 (1947) p. 44. ' (196) A. Liégé: L’appartenance à l’Eglise et l’Encyclique Mystiei Corporis Christi. RSPT 32 (1948) 351. (197) V. Morhl: Le Corps mystique du Christ et l'Eglise catholique romaine. NET 70 (1948) 703-726. (198) A. Chavassb: Ordonnés au Corps Mystique. NET 70 (1948) 690-702. (199) Du Sacrement de l’Eglise et de ses réalisations imparfaites. Ir 22 (1949) pp. 345-367. — 243 — tio sine qua non pour appartenir au Christ (200). Les développements de l’auteur veulent aboutir évidemment à démontrer que non seule¬ ment les chrétiens non-catholiques individuellement peuvent acquérir la grâce du Christ, mais que même les chrétientés séparées ont un certain caractère sacré (201), «un lien visible, mais imparfait, avec l’Eglise» (202). A l’encontre du P. Congar (203) l’auteur soutient que la question de la bonne foi ne se pose pas à propos de la communauté séparée, parce que comme telle, elle n ’a pas de conscience responsable, « une conscience secrète», mais elle doit être jugée sur ses actes en eux- mêmes. Or ces actes se contredisent parce que leurs négations supposent des affirmations implicites (204). De plus, selon lui, l’histoire ne peut que rarement démontrer la mauvaise foi de l’acte schismatique ou hérétique communautaire. Sa conclusion parle de «l’idée d’un sacre¬ ment réalisé analogiquement, imparfaitement » (205). La notion du sacrement valide mais illicite appuyerait encore cette thèse de l’avis de l'auteur. A coup sûr, le P. Gribomont cherche la solution dans une bonne voie. En outre, à vouloir exclure n’importe quel nivellement entre l’Eglise catholique et les chrétientés séparées, il les lui subordonne à titre essentiel et montre en même temps que, tout ce que les chrétientés séparées ont de sacré, elles ne le possèdent qu'en dépit de leur négations. Toutefois en ce qui concerne cette bonne foi prétendue des schismes et des hérésies comme telles, l’affirmation de l’auteur ne s’appuie pas sur des arguments. De plus le P. Gribomont passe sous silence le fait que si la négation consciente d’un seul dogme détruit au plan indi¬ viduel et subjectif complètement la vertu infuse de la foi, au plan objectif, elle laisse entier le fait du schisme et de l’hérésie, même si l’acte officiel du schisme et de l’hérésie implique des contradictions foncières. Des mises au point indispensables devraient encore circonscri¬ re plus en détail la nature des « réalisations analogiques » du sacre¬ ment de l’Eglise. Il serait souhaitable de préciser de quelle analogie il s’agit. En outre il faudrait insister davantage sur le fait que cette réa¬ lisation analogique n’est qu’un canal bien imparfait de la grâce. Autre¬ ment on arrive à des suggestions si équivoques, que cette idée de la réalisation analogique du Sacrement de l’Eglise amènerait, selon l’auteur, à des retouches qui étaient imprévisibles au moment de la décision irrévocable de Léon XIII concernant la validité des ordinations anglicanes... (206). (200) Cf. Art. cit., p. 365. (201) Cf. Art. cit., p. 364. (202) Art. cit., p. 357. (203) Cf. Chrétiens désunis, p. 301. (204) Cf. Art. cit., p. 360. (205) Cf. Art. cit., p. 365. (206) Cf. Art. cit., pp. 365-367. — 244 — 2) Si le problème du rapport des non-catholiques avec l’Eglise s’est avéré une question particulièrement délicate, la difficulté est plus grande encore avec le problème du salut des infidèles. Au fond des tendances qui en ont dominé les solutions on peut constater plusieurs motifs. Parmi eux, les plus importants sont un besoin nouveau apolo¬ gétique, une attitude psychologique actuellement plus conciliante et la remise en honneur de l’aspect dogmatique du mystère de l’Eglise. Le premier de ces motifs, le nouveau besoin apologétique prenait sa source dans l’élargissement de l’horizon mondiale non seule¬ ment dans un sens géographique, mais surtout dans un sens histo¬ rique, archéologique et ethnographique. En face des populations immenses restées en dehors du rayonnement des missions chrétiennes il s’avéra de plus en plus difficile, du moins au point de vue psycho¬ logique, de maintenir la thèse scolastique selon laquelle une illumi¬ nation intérieure serait toujours à la disposition des païens pour arriver à la connaissance explicite des mystères de l’Incarnation et de la Trinité. La science comparée des religions a mis aussi en relief, dans les religions non-chrétiennes, un grand nombre d’éléments qui ont demandé une interprétation nouvelle. En outre, il a fallu opposer une attitude de bienveillance chrétienne aux les attaques du déisme basées sur un humanisme immanentiste. C’est ainsi que, bien avant les récentes recherches d’ordre théo¬ rique, une nouvelle attitude psychologique s’est fait jour dans les écrits sur ce sujet. On a appliqué les principes traditionnels avec une bien¬ veillance notable, avec une compréhension pleine d’indulgence (207). Les conférences de Laeordaire, de Kavignan, de Monsabré, les traités mystiques de Paber, les lettres pastorales de Bougaud abondent d’expressions pleines de confiance à propos du salut de millions d’infi¬ dèles (208). La prise de conscience de l’attraction universelle de la grâce a entrainé le sentiment d’une fraternelle sympathie qui est devenu l’attitude caractéristique de uos générations vis à vis des infidèles. Attitude qui, non seulement dépasse la simple tolérance, mais est par¬ venue à concilier l’attachement intégral au christianisme avec le respect de la liberté des âmes. Elle répète sans cesse que « beaucoup font partie de la vraie Eglise bien avant que leur appartenance réelle à l’Eglise et au Christ ne soit traduite par une agrégation visible à la commu¬ nion catholique » (200). Cependaut les développements théoriques ne manquaient pas de laisser beaucoup à désirer. C’est surtout à propos de l’axiome: extra ec- clesiam nulla salus, que les apologistes catholiques ont proposé des inter¬ prétations moins correctes, en l’appliquant exclusivement à l’ensemble (207) Cf. L. Catéran: Le problème du salut dos infidèles. I. Essai historique; II. Essai théologique. Toulouse 1934. 2* éd. (208) Ibid., vol. I, p. 506. (209) Ibid., p. 544. — 215 — des sauvés, c’est-à-dire «à l’âme de l’Eglise». La théorie aussi, selon, laquelle chaque infidèle recevrait au moment de la mort une illumi¬ nation qui lui permettrait de décider librement de son sort étemel, a été proposée de nouveau, mais manquant d ’un fondement biblique, elle n’a pas eu un succès durable. De même la thèse du Card. Billot qui situe dans les limbes la plupart des infidèles, comme non-adultes au point de vue du salut, non seulement n’a pas reçu un accueil favorable (210), mais a été considérée du côté non-catholique comme une tentative désespérée de la théologie catholique pour dépasser les positions- « intenables » de la théologie scolastique (211). La solution véritable du salut des infidèles devait se baser, comme dans le cas des non-catholiques, sur l’idée de l’Eglise comme sacrement. La première démarche vers cette solution a consisté à établir la notion d’une appartenance secrète, disons invisible, à l’Eglise visible, unique moyen du salut. Bien qu’on trouve cette notion chez plusieurs théologiens du XIX* siècle, c’est la brochure substantielle du P. Bainvel (212) qui a été la plus déterminante de cette nou¬ velle prise de position qui s’est accentuée depuis une trentaine d’années. Au dire de Capéran: «Le sens traditionnel de la maxime, hors de l’Eglise pas de salut, a été remis en honneur, sans qu’il en résulte aucun exclusivisme janséniste» (213). Le P. Bainvel après avoir signalé l’embarras des apologistes catholiques à ce sujet, rejette la distinction entre âme et corps de l’Eglise, comme prêtant à équi¬ voque. Il rejette de même la distinction entre appartenance de moyen et de précepte au corps de l’Eglise, distinction qui ne peut invoquer en sa faveur la tradition. Selon lui, on doit harmoniser l’antinomie apparente de deux contradictoires: appartenance au corps de l’Eglise et possibilité du salut des infidèles. Bainvel propose comme solutiou la distinction entre la Providence ordinaire et extraordinaire, appar¬ tenance en fait et en désir, re et voto et la notion du désir implicite, sans oublier de conclure son article par un avertissement remarquable : ne pas « renoncer à la notion capitale de la visibilité essentielle dû Corps mystique » (214). Donc le changement décisif apparait une notion nouvelle: celle d’une appartenance réelle, bien qu’invisible à l’Eglise vi¬ sible. D’un côté on a précisé la doctrine du salut surnaturel offert à tous les hommes, c’est-à-dire l’universalité de l’appel au salut, le don de la grâce aux infidèles, la nécéssité d’un acte de foi et surtout (210) L. Billot: La Frovidenco de Dieu et le nombre infini d’hommes en dehors de la vie normale du salut. (Une série d’articles dans les Etudes, 1919-1922). (211) G. La. Piana: Art. cit., (p. s. note 4.) pp. 256-267. (212) Hors de l’Eglise pas de salut. Dogme et Théologie. ET 49 (1913) 289-313. (213) Op. cit., I, p. 544. (214) Art. cü., p. 313. — 246 — les qualités de cet acte de foi. D'un autre côté on s’est tenu avec fermeté à la médiation absolument nécéssaire de l’Eglise visible. Par¬ tant on a du affirmer que lorsqu'en raison « d’une ingnorance invinci¬ ble, l'incorporation dans la société catholique ne se réalise pas en fait, le désir même implicite d’en faire partie, supplée pour l’essentiel à l’in¬ corporation effective » (215). Mais étant donné que le premier élément de la visibilité de l’Eglise, comme sacrement efficace du salut est la profession de la foi, plusieurs théologiens se sont efforcés de montrer que la foi salvatrice, élémen¬ taire du païen n’est strictement invisible dans la plupart des cas. D’après eux, le désir implicite du salut se traduit, ou bien par des actions, par des signes extérieurs, ou consiste, au moins, dans le rapport intime à la solidarité du genre humain dans l’œuvre du salut. On a ren¬ voyé aux recherches d ’ethuologie religieuse qui ont porté leur témoigna¬ ge, en plein accord avec le dogme de la révélation primitive, sur l’u¬ nité foncière de la conscience religieuse et morale de l’humanité (216). La paléontologie et l’histoire des religions ont également constaté les manifestations innombrables de l’âme naturellement chrétienne. De plus, ce qui était encore plus favorable à cette thèse: même le milieu païen le plus grossier à révélé des traces d’une tradition ancienne selon laquelle la Divinité s’est mise en contact et demeure en relation avec les hommes. Le P. Sertillanges, s’appuyant sur ees apports, a tenté alors d’éta¬ blir un lien entre ces ébauches de religions non-chrétiennes et l’Eglise catholique visible. Avant tout, il souligne que toutes ces valeurs n’ap¬ partiennent point aux religions non-chrétiennes, mais à l’humanité qui reçoit toujours ses instincts religieux de Dieu. Par conséquent ces valeurs partielles ont un rapport direct avec l’Eglise catholique dans laquelle Dieu veut le service de l’homme envers Lui: «Notre Eglise catholique enveloppe selon son corps à titre de dépendance extrinsèque de son corps toutes les formes religieuses qui lui sont antagonistes, mais partiellement et par les moyens que je viens de dire, servants » (217). La connexion de l’anima naturaliter christiana des païens avec l’Eglise a été mise en relief d’une manière encore plus spéculative à tra¬ vers l’unité foncière du genre humaine en vue de la rédemption. Les re¬ cherches du P. de Lubac ont apporté le témoignage important des Pères (218), tandis que le travail précieux du P. Rahner a développé les fonda¬ tions philosophiques et théologiques (219). Selon le P. de Lubac, les Pères avaient constamment devant les yeux l'unité constituée par le genre humain à l’égard du salut. La preuve en est l’importance qu’ils (215) L. Càpéran: Op. oit., II, p. 105. (216) L. Capéran: Op. cit., I, p. 553. (217) L’Eglise. Paris. 5* éd. vol. II, pp. 119-120. (218) II. De Lubac: Catholicisme, pp. 192 ssv. (219) H. Rahner: Die Zugehorigkcit..., cité plus haut, p. 211, note 183. — 247 — donnent aux thèmes suivants: l’élévation de l’humanité à l’ordre surna¬ turel dans nos premiers parents, le péché originel et ses conséquences ; la nature humaine du Christ, comme représentant de l’humanité entière; l’efficacité universelle de la rédemption; l’entrée des gentils dans l’Eglise etc. Bref, dit en résumé le P. de Lubac, les infidèles pourront être sauvés, parce qu’ils font partie intégrante de l’humanité qui sera sauvée. Le P. Rahner se demande à son tour, en quel sens on peut attribuer une « visibilité » au désir implicite du salut. Selon lui, l'unité du genre humain a un caractère organique: elle est quelque chose de plus que la simple, juxtaposition numérique des individus. C ’est elle qui constitue le cadre concret des actes humains dans l’espace et dans le temps. Autrement dit, la personnalité, la liberté de l’homme, source du choix moral, ont toujours un rapport direct non seulement avec l’existence in¬ dividuelle du sujet, spirituelle et matérielle à la fois, mais en outre avec l’existence communautaire, organique du genre humain; il s’en suit que revêtus d’une certaine visibilité, ces actes moraux naturels qui décident de la vie future, seront dirigés vers un but surnaturel, parce que l'In¬ carnation assigne une destination surnaturelle à tout le genre humain dont les sujets de ces actes moraux sont une. partie organique. Ce genre humain appelé et mené vers la rédemption, consacré d’une certaine manière par l’Incarnation, se dirige vers son épanouisse¬ ment, l’Eglise, et constitue en virtualité «le peuple de Dieu». C’est ainsi que la bonne foi et la bonne volonté de millions d’infidèles attei¬ gnent à travers la réalité « du peuple de Dieu » (genre humain destiné à la vie surnaturelle et virtuellement consacré par l’Incarnation) l’Egli¬ se visible, à laquelle, de nécessité de moyen, il faut appartenir (220). On voit que c’est la structure théandrique, sacramentelle, ecclésiale de n’importe quelle grâce que ces solutions présupposent (221). Elles voient dans l’Eglise, avant tout, le «signe efficace de l'unité surnatu¬ relle du monde avec Dieu » (222). Toutefois il faut noter que cette appartenance ne peut évidemment pas avoir le même sens que celle des catholiques à l’Eglise. Des trois éléments de l’appartenance à l’Eglise: foi, sacrements, communion ecclésiastique, les infidèles ne peuvent pos¬ séder qu 'un seul : la foi prise dans un sens large : la foi en Dieu rému¬ nérateur. Les schismatiques et les hérétiques ont en plus, quoiqu’à des degrés divers, un second élément matériel: les sacrements; l’élément formel, la communion ecclésiastique, leur manque. C’est pourquoi ni les schismatiques, ni les hérétiques, ni les non-chrétiens, ne peuvent constituer l'Eglise, Corps mystique, Corps sacramentel du Christ, parce que l’élément formel de cette «Eglise-sacrement», la communion ec¬ clésiastique, leur fait défaut. (220) Art. cit., pp. 183-188. (221) Ibid., p. 175. (222) Ibid., p. 180. — 248 — C’est ainsi que les différents degrés d’appartenance à l’Eglise, sacrement du salut, donneut raison aux mots de saint Augustin : nomen mutatum est, non religio. C’est toujours le même plan divin de salut, la même Eglise, la même foi qui a sauvé les hommes partout et toujours et c’est toujours en vue du Médiateur Incarné et de sa prolongation, l’Eglise, que la grâce a été donnée aux hommes de bonne volonté et c’est toujours pour revêtir la mesure du Christ, que la grâce a été ac¬ cordée. Mais cette mesure plénière du Christ ne peut être atteinte que par l’appartenance totale à l’Eglise. Cela nous conduit au contenu mis¬ sionnaire de l’axiome extra ecclesiam et c’est cela précisément qui justifiera notre dernière remarque: On a eu l’occasion de voir combien les aspirations d’ordre vital ont poussé les chercheurs vers la solution la plus favorable pour les schismatiques, les hérétiques et les infidèles. Ces aspirations d'ordre vital ne servent plus la cause de ceux-ci, si sous le prétexte de compassion, de sympathie, elles contribuent, ne fût-ce que dans une mesure minime, à affaiblir l’importance de l’unique Eglise-sacrement: l’Eglise romaine, Corps mystique du Christ. TV. - La définition de l’Eglise En présence de la forte mise en relief de l’aspect intérieur de l’Egli¬ se, la définition bellarminenne de l’Eglise, qui a dominé pendant des siècles la pensée théologique sur l’Eglise, a commencé de s’avérer insuf¬ fisante pour exprimer l’essence véritable de l’Eglise. Il est devenu de plus en plus évident qu’une définition de l’Eglise doit suggérer plus que la notion d’une «société composée d’hommes unis entre eux par¬ la profession de l’unique et identique foi chrétienne et par la com¬ munion des mêmes sacrements, sous la juridiction des pasteurs légitimes et surtout du Pontife romain » (223). Mais la substitution de cette défi¬ nition par une autre plus adéquate n’a eu lieu qu'après une longue maturation de la réflexion théologique. C’est Passaglia qui a fait le premier pas, décisif à eet égard, en liant le côté mystique de l’Eglise à sa cause formelle. Tandis qu’un bon nombre de théologiens se sont contentés de suivre Passaglia, le théologien allemand laïc, Pilgram, com¬ me nous l’avons vu, a trayé des chemins nouveaux. Après avoir rejeté plusieurs définitions juridiques et apologétiques, comme insuffisantes, il a proposé hardiment que la vraie définition de l’Eglise embrasse toute la richesse de l’idée de l’Eglise dans un seul concept, dans celui de Gemeinschaft, qui contient selon lui la synthèse organique entre la personne et la communauté (224). (223) De Ecclesia, III, 1. (224) Voir plus haut, p. 45. — 249 — A partir du Concile du Vatican, les uns ont voulu faire prévaloir l’idée du Corps mystique, tandis que les théologiens opposés au Schéma redoutaient de glisser ainsi dans une sorte de mysticisme, où l’aspect, extérieur de l’Eglise ne garderait plus sa propre valeur. Ils auraient voulu voir dans le Schéma plutôt l’idée de peuple de Dieu ou celle de Royaume de Dieu, que celle de Corps mystique, comme définition de l’Eglise. Les remarques critiques d’un bon nombre des Pères (225) laissent croire, que l'expression « corps mystique » représentait pour eux le côté invisible de l’Eglise sans être suffisamment lié à la hié¬ rarchie. De fait, le premier chapitre du Schéma ne précise pas assez le sens du mot «corps» et la définition n’était pas assez expliquée pour lever tout malentendu. Au tournant du siècle, le théologien américain, D. Barry, a trouvé nécessaire d’élargir le plus possible les limites de la définition bellar- minienne pour dissiper l’accusation de rigidité portée contre le catholi¬ cisme à une époque de tolérance religieuse. Selon lui, tous les hommes en état de grâce appartiennent à l’Eglise, catholiques ou non. C 'est pourquoi la sainteté doit être le point essentiel d'une définition de l’Eglise (226). Après cètte tentative malheureuse pour dépasser l’uni- latéraiisme de la définition bellarminienne regardons de plus près les réflexions bien caractéristiques de Commer en cette matière. Son point de départ est également la correction de la définition de Bellarmin et sa conclusion aboutit à l’impossibilité de définir l’Eglise. Ses mots surprenants méritent d’être intégralement cités malgré leur longueur: « Si nous pouvions parfaitement pénétrer l’essence mystérieuse de l’Egli¬ se, nous serions en état de définir de façon strictement scientifique ce qu’est l’Eglise. Nous devrions alors la saisir dans un concept formel qui en épouse exactement toutes les propriétés. Mais dans l’histoire de la théologie on ne trouve aucune définition semblable qui suffisse selon les exigences de la logique à définir son essence et qui, partant, ne contienne aucune métaphore, mais tous les essais jusqu’ici ne sont plus ou moins que des descriptions, qui peuvent avoir une valeur pratique pour l’apologétique ou le droit canonique, mais n’équivaudront jamais à une définition stricte de son essence. Cela ne vaut pas seulement de la définition donnée par Bellarmin, mais aussi des essais plus récents, qui, par l’introduction du concept de sacramentalité, permettent bien d’approfondir notre connaissance de l’Eglise, mais n’en demeurent pas moins de simples descriptions par analogie et, comme telles, laissent le mystère entier » (227). L’impression immédiate du lecteur sera probablement que cette position mérite bien la critique sévère de Koster : « Il est impensable (225) Mnnsi, tom. 51, col. 751-763. (226) Cf. Art. dt. plus haut, p. 240. (227) B. Commer: Pas Leben der Kirche. DT 6 (1919)) p. 173. qu’on ait eu conscience de ce fait, quand on a écrit la dangereuse phrase ci-dessus » (228). Mais si l’on analyse les raisons qui ont fait écrire à Commer ces mots, sa position paraîtra sous une lumière entièrement différente. Tout d'abord il faut noter que Commer, tout en considérant la définition bellarminienne insuffisante, accepte l’opinion du grand. Docteur, selon laquelle l’Eglise est définissable de la même façon que la République de Venise... Mais une fois admise l’essence mystique de l’Eglise, il ne reste plus qu’à renoncer avec Commer à la définition de l’Eglise, parce que ce serait réduire le mystère de l’Eglise au plan d’une entité socio- logique naturelle, ce qui est évidemment inacceptable. L'autre motif de la position de Commer doit être cherché dans l’influence de Pilgram. Comme nous venons de le voir, Pilgram trouve dans la notion de Gemein- schaft une définition complète de l’Eglise. Mais cela signifie de nouveau pour Commer que l'idée de l’Eglise peut être exprimée, y compris son mystère, par les seules forces de la raison, ce qui est évidemment im¬ possible. Donc les définitions proposées jusqu’ici, écrit-il, « ne sont plus ou moins que des descriptions, qui peuvent avoir une valeur pratique, mais qui n’équivaudront jamais à une définition stricte de son essen¬ ce » (229). En outre ce sont les deux aspects de l’Eglise, visible et invi¬ sible, qui rendent impossible qu’une seule notion puisse embrasser et exprimer tout le contenu de l’idée de l’Eglise. Et cette dernière remar¬ que de Commer vient d’être acceptée par des ecelésiologues tels que Feckes et Congar. Il ne faut donc pas penser que Commer ait adopté une sorte d’antiintellectualisme théologique et qu’il ait méconnu la valeur des définitions des mystères, comme celle de l’Incarnation, des sacrements etc. C’est dans ce sens qup K. Adam rejette la critique de Koster en avertissant qu’on doit être content d’une description de l’essence de l’Eglise (230). Selon Feckes, le mystère de l’Eglise ne peut être exprimé qu’à l’aide de deux propositions basées respectivement sur les deux aspects de l’Eglise. La première définition doit venir de l’extérieur vers le mystère de l’Eglise et doit présenter l’Eglise comme «une institu¬ tion du salut, fondée par Jésus-Christ pour procurer la filiation adop¬ tive, dont les possesseurs forment par la médiation de la hiérarchie, le Corps mystique du Christ». L’autre définition va de l’intérieur vers l’extérieur en appelant ,1’Eglise le Corps mystique du Christ, à qui lTIomme-Dieu a donné l’existence par son sacrifice de grand-prêtre et qu’il vivifie et maintient pour toujours par le ministère de la hiérar- (228) Op. cit., p. 103. (229) E. Commer: Die Kirche in ilirem Wcsen und Leben. Wien 1904. o. 09. (230) K. Adam: Ekklcsiologie im Werdcn. Kritische Bemerkangen zu D. M. Koster Kritik an den ekklesiologischcn Versuehen der Gegcnwart. TQ 122 (1941) p. 150. — 251 — chie (231). Cette position de Feckes a été adoptée par le ?. Congar, pour lui: «dans l’Eglise nous nous trouvons en présence de deux aspects irréductibles et apparemment antagonistes: l’aspect institu¬ tionnel (Heilanstalt) et l’aspect: Corps mystique... On reste en présence d’une dualité relative qui ne permet pas d’aboutir à une définition tout à fait simple et unifiée » (232). Les tâtonnements à propos de la définition de l’Eglise ont été encore augmentés par les déviations bien connues qui s’appuyaient sur une mauvaise in interprétation du corps mystique chez saint Paul. Mais même à côté de cela on n’a pas reconnu toujours suffisamment que le « corps mystique du Christ » est avant tout une métaphore et comme telle, selon J. Vetter (233), n’est jamais une définition, mais une description par une image. Pour qu’elle devienne une définition stricte¬ ment dite, il faut que la valeur formelle des deux termes, « corps » et « mystique », soit déterminée par une explication ou par le contexte. C’est à la lumière de cette remarque qu’on doit interpréter la défi¬ nition donnée par l'Encyclique : « Pour définir, pour décrire cette véri¬ table Eglise de Jésus-Christ, — celle qui est sainte, catholique, aposto¬ lique, romaine — on ne peut trouver rien de plus beau, rien de plus excellent, rien enfin de plus divin, que cette expression qui la désigne comme le Corps mystique de Jésus-Christ ». Et si 1 ’on lit avec soin les explications ajoutées par l’Encyclique à cette expression, on admet que la définition proposée par l’Encyclique, en effet, n’est ni un terme unique, ni une métaphore, mais une proposition composée de plusieurs membres, longuement expliquée. L’Encyclique emploie le mot « corps » dans le sens de corporéité, société (234) pour revendiquer complètement l’aspect extérieur de l’Eglise; la dépendance absolue à l’égard du Christ y est indiquée par le terme «Christ», Tête de l’Eglise (235) et son entité surnaturelle par le mot «mystique» (236). La métaphore « Corps mystique du Christ » expliquée et précisée par l’Encyclique devient ainsi une définition analytique et veut dire: société fondée par le Christ et douée par Lui d'une entité surnaturelle. Y. - La portée de l’ecclésiologio dans la théologie La tendance nouvelle de l’ecclésiologie devait aboutir, parallèle¬ ment avec les recherches sur la nature mystique de l’Eglise, aux projets et aux solutions Nouvelles en ce qui concerné le traité de l'Eglise. (231) K. Feckes: Das Myafcerium der heiligen Kirche, pp. 154-155. (232) ESPT 26 (1937) p. 792. (233) J. Vetthb: Op. cit., p. 69. « Corpus Christi ist eigenfclich nicht Wesens- erklarung der Kirche sondera nur ihre Wcseusumschreibung durci ein Bild ». Iiid. (234) Of. éd. cit., pp. 33-41. (235) Ed. cit., pp. 43-70. (236) Ed. cit., pp. 71-75. Les premiers indices en cette matière remontent également au XIX* siècle. C’est sous l’influence de la Symbolique de Moehler, que les théologiens ont commencé à insérer l’idée de l’Eglise dans la méthodo¬ logie théologique comme fondamentale pour la compréhension du systè¬ me dogmatique entier (237). Mais pendant longtemps encore les ecclé- siologues, même les plus avertis, ne distinguèrent pas soigneusement entre le point de vue apologétique et dogmatique de l’Eglise. Nous avons déjà signalé ce mélange des deux points de vue chez Passaglia et Franzelin. Bellamy le tient comme la faute essentielle de l’ecclé- siologic du XIX” siècle (238). A. Delorme constate également que « sou¬ vent les traités apologétiques de l’Eglise, en mêlant ces deux points de vue, ont perdu la force de leur argumentation » (239). A côté de ce mélange des points de vue apologétique et dogmati¬ que, c’est le partage de la doctrine sur l’Eglise en deux traités, apologé¬ tique et dogmatique, qui a retardé l’élaboration d’un traité inté¬ gral, dogmatique de l’Eglise. Selon Bellamy la meilleure solution à ce propos est celle du Card. Billot qui envisage la fondation et les notes de l’Eglise sous le point de vue apologétique (240), tandis que la doctrine sur les membres et les pouvoirs de l’Eglise constitue la partie dogmatique (241). J. Bainvel soutient également que l’Eglise comme objet matériel d’un traité, se divise parfaitement entre points de vue apologétique et dogmatique (242). Tout récemment T. Zapelena a adopté le même plan. La partie dogmatique chez lui ne comprend que la hiérarchie (243) et quelques développements rapides sur le Christ-Tête, sur l’âme de l’Eglise, sur ses membres (244). Mêmes les théologiens qui ont assuré une place au traité de l’Eglise parmi les mystères de la rédemption (245), ont répété pour la plupart la doctrine de l’apologétique sur la hiérarchie. La Dogmatique de Th. Simar (246), par exemple, ne souffle mot de l’entité mystique de l’Egli¬ se. Malgré le grand nombre des pages consacrées à ce traité, ses dévelop¬ pements n’ont guère contribué à une compréhension plus dogmatique de l’Eglise (247). J. Ranft qui a esquissé la voie suivie par l’ecclésiologie depuis les Pères jusqu’à nos jours, pense avoir trouvé son véritable (237) Cf. J. Ranft: op. cit., pp. 116-127. (238) La théologie catholique au XIX' siècle. Paris 1904, cf. p. 227. (239) L’organisation d’un traité tbéologique de l’Eglise. RAP 60 (1935) p. 296. (240) Op. cit., pp. 56-272. (241) Op. cit., pp. 274 sv. (242) Cf. op. cit., p. 3. (243) De Ecclesia Ohristi. Pars apologetica. Rome 1946. 4' éd. Pars dogmatica (ad usum auditorum) Rome 1940. (244) Cf. Pars dogmatica, pp. 120-167. - L’édition tout récente du deuxième volume comble largement ces lacunes. (De Ecclesia Cliristi. Pars altéra apologetico- dogmatica. Ed. altéra emendata. Romae 1954). (245) Cf. J. Ranft: op. cit., pp. 127-139. (246) Dogmatik. I-II, Freiburg (Br) 1899. 4« éd. (247) Cf. vol. II, pp. 667-981. — 253 — lieu organique dans le système général dogmatique. Son ouvrage se divise en deux parties, dont la première est une recherche historique et dont la deuxième résume les arguments théologiques qui indiquent le lieu du traité de l’Eglise. Ses arguments, tirés de la considération de l’es¬ sence de l'Eglise, sont les suivants: la relation du Christ à l’Eglise, comme fondateur de celle-ci; le rapport entre le Christ et l’Eglise est celui de la tête et du corps; l’Eglise est l’épouse du Christ; l’unité du Christ et de l’Eglise est mystique; l’Eglise est porteuse des fruits de la Rédemption ; les sacrements s’enracinent dans le mystère do l’Eglise. En un mot, c’est l’intégrité du système dogmatique qui exige, que l'ecclésiologie soit intercalée entre la christologie et le traité des sacrements (248). Bien que les développements de Ranft ne laissent plus lieu à des doutes sur le lieu organique de l’Eglise dans le système dogmatique, l’élaboration du traité est encore l’objet de tentatives diverses. Le Schéma du Vatican ne consacre à l’idée dogmatique de l’Eglise que son premier chapitre. Scheeben fut empêché par sa mort de rédiger cette partie de sa Dogmatique; le continuateur de son œuvre, L. Atz- berger, se limite à l’aspect extérieur de l’Eglise (249). Bellamy indique comme points principaux du traité dogmatique : la doctrine sur les membres de l’Eglise, les pouvoirs de celle-ci; il passe sous silence des points tels que la nature de l’Eglise, ses rapports avec le Christ et le Saint-Esprit etc. (250). C’est chez Dieckmann, le premier, qu’on trouve un exposé plus détaillé d’un traité dogmatique de l’Eglise (251). Il fait observer que c’est le point de vue dogmatique qui nous révèle l’Eglise sous son véritable jour (252). Les trois parties du traité sout les suivantes: la relation de l’Eglise au Christ, à la Trinité et enfin sa nature et ses propriétés. La première partie comprend la triple fonction de l’Eglise par laquelle elle continue la mission du Christ; on y trouve encore l’ana¬ lyse de la relation entre le Christ et l’Eglise. La deuxième partie est consacrée presqu’en entier au Saint-Esprit, âme et sanctifi¬ cateur de l’Eglise. Dans la troisième partie, la nature et les propriétés de l’Eglise sont examinées selon les quatre causes. La méthode de Dieck- (248) Cf. op. cit., pp. 192-242. (249) Cf. op. cit. - Le 7' livre est consacré & la. continuation de l’œuvre du Christ: l’Eglise et les sacrements. L’Eglise y est en envisagée selon son but, dans ses notes essentielles, dans sa hiérarchie y compris la doctrine sur la primauté, pp. 279-458. (250) Cf. op. cit., chap. X. « Le traité De Ecclesia et la démonstration catholi¬ que». pp. 226-242. (251) H. Dieckmann: De Ecclesia. Tractatus historico-dogmatici I-II. Freiburg (Br) 1925; cf. vol. II, « Conspectus dogmaticus », pp. 206-258. (252) Cf. vol. II, p. 206. — 254 — manu est celle de Passaglia et de Franzelin, c’est-à-dire celle de la rhéologie positivo-scolastique (253). A l’encontre de Dieckmann, A. Delorme propose une méthode strie? tement spéculative qui prend pour point de départ la grâce capitale du Christ pour en déduire la doctrine sur l’Eglise. Il divise le traité de l’Eglise en quatre parties; l’Eglise y est considérée successivement dans le Christ, en elle-même, dans ses fonctions et dans son achèvement. La première partie, l’Eglise dans le Christ, comprend la doctrine de la grâce capitale, la fondation de l’Eglise, le sacrifice et la royauté du Christ. La définition, les propriétés, et le sacerdoce de l’Eglise con¬ stituent la deuxième partie, tandis que la troisième est consacrée aux sacrements en général et aux pouvoirs de l’Eglise. L’Eglise souffrante et l’Eglise triomphante sont les thèmes de la dernière partie (254). Mgr. Journet suit la voie des quatre causes, proposée jadis par A. Gardeil (255) et adoptée par A. de Poulpiquet (256). Son traité comprend, quatre livres, consacrés à chacune des causes. Le pre¬ mier (257) traite de la cause efficiente immédiate de l’Eglise, c’est- à-dire de la hiérarchie y compris la note de l’apostolicité. Le deu¬ xième volume (258) aborde la cause formelle ou âme de l’Eglise avec la note de l’unité. Les autres volumes encore à publier auront pour objet la cause matérielle ou les membres, avec la note de la catholicité; la cause finale ou l’ordre intérieur de l’Eglise avec la note de la sainteté. Le projet contiendrait encore une brève évocation de la pré¬ paration et de la consommation de l’Eglise (259). Cette synthèse avec une richesse extraordinaire de documentation a réussi dans une certaine mesure à garder la méthode traditionnelle scolastique en y intégrant les préoccupations de l’ecdésiologie moderne. Toutefois il faut noter que les deux volumes déjà publiés ne contiennent pas d’une façon suffisante la théologie biblique et patristique sur l’Egli¬ se. En particulier la méthode des quatre causes ne semble pas tout à fait apte à une intégration de l’enseignement biblique dans le traité de l’Eglise. Nous ne pouvons donc partager qu’avec une certaine réserve l’opinion du P. Nicolas «...le plan choisi par l’auteur va lui permettre de faire ressortir dans sa pleine lumière ce que l’ecclésiologie (253) « ...sive ex documents Ecclesiac, sivc ex effatis Patrum et Doctorum Ecclesiae et theologorum, sicut mos est theologiae dogmaticac demonstrare suas theses, quam methodum uti patet stricte servabimus» Ibid., p. 207. , (254) Art. cit. (255) A. Gardehl: Tractatus apologeticus de Ecclesia, visibili societate, secun- dum quattuor causas. 1885-86 (manuscrit). (256) A. de Poulpiquet: L’Eglise catholique. Paris 1923. pp. 145-192. (257) L’Eglise du Verbe Incarné. I. La hiérarchie apostolique. Paris 1941. - (258) L’Eglise du Verbe Incarné. II. Sa structure interne et son unité catho¬ lique. Paris 1951. (259) Vol. I, p. XI. — 255 — moderne a si fortement vu, à savoir que l’Eglise est un tout vivant » (260). Le plan de E. Przywara trahit une orientation bien différente (261). Selon lui un traité dogmatique de l’Eglise comprendrait les thèmes suivants: une théologie de l’Eglise: l’Eglise comme le corps de la Trinité; une christologie de l’Eglise: le Corps mystique du Christ; une ecclésiologie de l’Eglise: l’Eglise visible et ses fonctions; enfin une « christianologie » de l'Eglise, à savoir les membres de celle-ci, avec une mise en relief de la place des laïcs dans l’Eglise ( laicologie). A côté de ces tentatives autour du traité dogmatique de l’Eglise, plusieurs ecelésiologues ont pensé que ce mystère embrasse à tel point toute la théologie, qu’il doit constituer son objet formel. J. Anger, le premier, essaya d’écrire une théologie basée sur le corps mystique (262). Selon lui « le Corps mystique est le centre, le foyer de lumière de toute la théologie » (263). Sans cette doctrine les analyses restent frag¬ mentaires, parce que l’idée vraiment synthétique y fait défaut ; « il ne suffit pas, poursuit-il, que l’anatomie nous livre la connaissance par¬ faite des différents organes et membres du corps; il faut aussi étudier leur fonction et leur jeu dans l’organisme complet. Or rien de plus compréhensif, de plus apte à ramasser dans l’unité, à tout éclairer, aussi que la doctrine du Corps mystique» (264). E. Mura (265) veut sauvegarder l’objet formel de la théologie: Deus suh ratione deitatis, mais en même temps il affirme la primauté de l’idée du Corps mystique parmi les objets matériels dont traite la science sacrée (266). Au contraire le P. Mersch propose une solution qui veut résoudre sur le plan théorique les difficultés qui se présentent à propos de l’idée de Corps mystique, comme objet formel de la théo¬ logie. Il a expliqué sa pensée à plusieurs reprises et une certaine évolution se constate chez lui. D’abord il a vu simplement dans le Corps mystique ce qui donnerait l’unité à la vérité révélée: l’idée centrale de la théologie doit rendre compte à la fois de Dieu et de ses œuvres, en exprimant le contact entre la divinité et l’humanité. « Ainsi pourrait-on parcourir tous les dogmes; on verrait que tous nous disent comment se fait notre union avec Dieu dans le Christ, c’est-à-dire, comment les hommes étant mis entre eux dans le Christ, sont par-là unis au Fils et à Dieu » (267). Plus tard il a pensé trouver la solution (260) Théologie de l’Eglise. BT 46 (1946). cf. p. 390. (261) Das Dogma von der Kirche. Ein Aufbau. TQ 125 (1944) 81-83. (262) La doctrine du Corps mystique de Jésus Clirist d'après les principes de la théologie de saint Thomas. Paris, 1929. (263) Op. cit., p. 14. (264) Op. cit., p. 476. (265) Le Corps mystique du Christ. Paris 1937. 2* éd. (266) Cf. op. cit., vol. I, p. 27. (267) Le Christ mystique, centre de la théologie comme science. NET 61 (1934) p. 467. — 256 — dans la personne du Christ: qui constituerait l’objet dernier en tant que Dieu, tandis qu’il est «l’objet intégral et matériel en tant que Dieu et homme, tête et corps; les deux objets s’unissent en un et font de la science qui les étudie une science une parce que le Christ est un» (268). L’introduction de la Théologie du Corps mystique traduit une sorte d’hésitation: à côté de la distinction entre l’objet formel et matériel il semble soutenir que le Christ total est le premier intelligible de la science sacrée (269). Certes, la solution nouvelle se heurte au mystère de la Trinité. Selon Anger « pour les autres vérités révélées, la doctrine du Corps mystique nous sert à mieux les comprendre et à mieux saisir leurs relations mutuelles. Pour la Trinité rien de semblable. Nous constatons seulement la présence et l’action des trois personnes divines dans les membres du Corps mystique ; mais cette considération n 'apporte aucune lumière nouvelle sur le mystère lui-même qui reste dans son absolue transcendance » (270). Mura avoue également : « Si le dogme même de la Trinité n 'entre pas directement dans la théologie du Corps mysti¬ que, il y est envisagé, indirectement, comme le terme et l’objet de toute la vie du Christ plénier » (271). Nous allons maintenant toucher le véritable motif qui a poussé ces théologiens à défendre cette nouvelle thèse sur l’objet formel de la théologie. Pour Anger c’est par l’idée du Corps mystique que la théologie est remplie de vie, que la compénétration du dogme et de la morale s’opère parfaitement (272). Mura souligne à son tour l’impor¬ tance de l’enseignement biblique pour vivifier une théologie parfois sèche et abstraite « par cette onction du divin Esprit, qui imprègne les feuillets du Livre divin» (273). Il dessine un idéal vraiment vivant pour la théologie qui devrait aboutir, grâce à l’idée du Corps mystique, « à une espèce de métaphysique et de psychologie surnaturelles du Christ total, ou si l’on préfère, une théologie complète à la fois scolasti¬ que et positive tant dogmatique que morale ou pratique du Corps mystique du Christ» (274). Et cela d’autant plus qu'aujourd’hui la théologie doit plus que jamais servir l’apostolat et la vie spirituelle. Le P. Mersch est ici également le plus caractéristique. Selon lui le « primum intelligibile » de la théologie est une personne vivante et non une formule. La personne ne se révèle qu’à l’aide d’un contact immédiat et intime. Partant « le rôle de la théologie n 'est pas de donner l’explication dernière, mais de conduire à celui qui la donne» (275). (268) L’objet de la théologie et le Christus Totus. ESB 26 (1936) p. 151. <269) Op. cit., p. 59 et p. 63. (270) Op. cit., p. 112. (271) Op. cit., I, p. 27. (272) Cf. op. cit., p. 477. (273) Op. cit., I, p. 28. (274) Op. cit., I, p. 35. (275) Art. cit. NET 61 (1934) p. 473. — 257 — L ’iiituitioii foncière du P. Mersch se ramène à une identité entre le centre de la vie et de la pensée religieuses et cela détermine aussi sa méthode appelée par le P. Dejaifve « méthode d'immanence », si diffé¬ rente de la scolastique traditionnelle (276). Quelques remarques critiques s’imposent à ce propos: l’idée du Christ total ou du Corps mystique est absolument subordonnée au mystère de la Trinité, donc elle ne peut pas remplir le rôle de l’objet formel de la théologie. Toutefois elle est la plus synthétique parmi les objets matériels de la Révélation et partant une théologie du Corps mystique, sons la forme d’une monographie, rendra des services très précieux surtout en ce qui regarde l’aspect concret, vital, de la Révéla¬ tion. En particulier quant à la méthode d’immanence du P. Mcrsch il nous semble que toute souhaitable que soit une union entre la théo¬ logie et la mystique, cela comporte des dangers non négligeables. Sans vouloir diminuer l’importance de l’intégration de l’aspect vital, concret, du donné révélé dans le système théologique, nous pensons, qu ’une telle méthode risque de ne pas pouvoir conserver toujours le caractère stricte¬ ment scientifique de la théologie. Mais ces mises au point nécessaires ne veulent point diminuer le rôle important de l’idée du Corps mystique dans tous les domaines de la théologie. Nous pensons aux différents traités dogmatiques, surtout à propos de la grâce et de la mariologie. En ce qui concerne le traité De gratia, les mots du P. Rondet méritent d’être cités: « Pouvons-nous en effet, vivant au XX e siècle, ne pas donner dans la théologie de la grâce une place considérable à la théologie du Corps mystique? La grâce, quoi qu’il en soit de la possibilité d'un autre ordre de Provi¬ dence, ne nous vient-elle pas de Jésus-Christ, chef d’un corps vivant dont nous sommes les membres? Enfin si nous nous rappelons que le corps mystique du Christ, c’est l’Eglise fondée par lui, voici que l’ecclésiologie et la théologie sacramentaire apparaissent dans nos perspectives...» (277). Les services qu’une ecclésiologie renouvelée peut donner à la mariologie, R. Laurentin les a notés avec beaucoup de finesse. Selon lui un rapprochement entre l’idée de Marie et celle de l’Eglise ferait sortir la mariologie de son isolement et tiendrait dans les justes limites «la tendance à assimiler à l’excès Marie et le Christ» (278). Le renouveau de la théologie ascétique et mystique doit également beaucoup à la remise en honneur de l’idée du corps mystique. Jürgens- (276) G. Ddjaifvb: La théologie du Corps mystique du P. Mersch. NKT 67 (1945) p. 408. (277) H. Bondet: Gratia Christi. Essai d’histoire du dogme et de théologie dogmatique. Paris 1948. p. 17. (278) R. Lauehntin: Marie et l’Eglise. VSpir. 86 (1952) p. 305. — 258 — meier (279) et le P. Mersch (280) voient en elle l’idée-maîtresse. Dans l'ouvrage de Jürgensmeier l’ascétique générale et spéciale est précédée par un exposé de la doctrine biblique et dogmatique du Corps mystique. Selon Jürgensmeier, si cette idée est le centre de la révélation bibli¬ que (281), elle ne peut pas rester secondaire dans la théologie ascétique non plus. C’est à l’aide de cette idée que la vie spirituelle recevrait son caractère organique et sa libération d’un encadrement presque exclusi¬ vement psychologique. La théologie morale aussi a été envisagée sous l’angle du corps mystique par le P. Mersch et J. Anger. L’ouvrage du premier sans être une synthèse complète de la théologie morale basée sur l’idée du corps mystique, en donne des aperçus précieux (282). L’expôsé som¬ maire d’Anger se borne aux idées générales. Toutefois citons un pas¬ sage caractéristique: « A vrai dire c’est toute la morale chrétienne qui se trouve transfigurée par la doctrine du Corps mystique, elle devient divinement attrayante en même temps que se révèlent mieux ses très justes et très saintes exigences » (283). C. Noppel (284) nous donne une théologie pastorale basée sur l’idée de l’édification du Corps mystique, en alléguant les paroles de Pie XI : « la théologie pastorale d’alors ne suffit plus.» (285). Nous venons de voir les principaux points doctrinaux qui caracté¬ risent la tendance actuelle de l’eeclésiologie. La recherche de la nature mystique et théandrique de l’Eglise, la mise en relief de sa personnalité mystique, l’effort pour envisager ses notes et ses pouvoirs d’une façon plus dogmatique, les esquisses d’un nouveau traité, sa portée sur tous les domaines du donné révélé, sont des signes d’un incontestable progrès. Nous ne pouvons souscrire aux griefs du P. Kostcr qui ne voyait qu’une étape « préthéologique » (286) dans les apports de l’ecclésiologie récente. Selon lui l'ecclésiologie actuelle a subi complètement l’unilaté¬ ralisme de la pensée moderne, au lieu dé s’en tenir aux énoncés du ma¬ gistère et aux méthodes traditionnelles de la théologie scolastique. Cette critique, ce n’est pas difficile à deviner, prend sa source dans une certai- (279) F. Juegensmeier: Dcr mystische Leib Cliriati als Grundprinzip dor Aszetik. Paderborn 1933. (280) E. Mersch : Aszetik und mystischer Chriatus. ZAM 9 (1934) 97-106. (281) Op. cit., p. 114. (282) E. Mersch: Morale et Corps mystique. Bruxelles 1949. 3* éd. I-ÏI. Voir surtout les pp. 7-25 du vol. II: «La Morale et le Christ total». (283) Cf. op. cit., pp. 380-414; l’auteur y aborde la morale individuelle et sociale, le problème de la souffraucc, les grâces mystiques et la direction spirituelle. - cit. p. 380. (284) Aedificatio Corporis Christi. Aufrisz der Pastoral. Freiburg (Br) 1937. - L’auteur parle d’abord de là direction pastorale de la communauté, des pasteurs et des laïcs; la paroisse y est présentée sous l’aspect du Corps mystique; (pp. 1-134). La deuxième partie est consacrée à la direction des individus (pp. 137-198). (285) Cf. AAS 26 (1933) 628-633. (286) Cf. op. cit., p. 15. — 259 — ne conception du travail théologique en général qui s’épuise en des dé¬ ductions syllogistiques et qui ne prend pas assez en considération l’aspect vital du donné révélé. Il semble en outre négliger l’importance du magistère ordinaire pour le travail théologique. Nous avons souvent fait ressortir l’unilatéralisme, les déviations, les dangers des tendances nouvelles de 1 ’ecclésiologie, mais nous ne pouvons affirmer avec le P. Koster que pour 1’ecclésiologie actuelle ce n’est pas le magistère vivant qui constitue son critère majeur, mais les inclinations de notre époque. De même il est assez imprécis de dire que le devoir proprement dit de l’ecclésiologie se réfère uniquement à l’aspect visible de l’Eglise (287). Quand il aborde le problème de l’expérience de l’Eglise et en dénonce la mise au premier plan quelquefois excessive, il ne se soucie pas de chercher le moyen de l’insérer dans la science sacrée (288). D’ailleurs, après l’Encyclique, il n’est plus possible de soutenir, avec Koster, que l’idée du Corps mystique rapproche l’ecclésiologie du donatisme (289), que le Schéma du Vatican ne traduit pas la pensée du magistère. Il est vrai, d’une part, qu’à propos de l’idée du Corps mystique un certain tâtonnement se constate même chez les meilleurs auteurs, mais d’autre part, il ne manque pas d’ouvrages qui s’efforcent d’expliquer le point de vue principal de 1’ecclésiologie, le théandrisme. C’est là que l’Encyclique a sa plus grande importance: elle met au centre la structure sacramentelle de l'Eglise et sous cet angle on peut dire « que dans les écoles de théologie elle commandera désormais le traité De Ecclesia » (290). (287) Of. p. 125. (288) Cf. p. 138. (289) Cf. p. 130. (290) L. Maievez: Art . cit . p. 386. CONCLUSION Pour conclure nous voudrions regrouper en quelques points les principaux résultats de notre recherche. Nous avons pu constater com¬ bien est vaste la littérature qui s’offre à l’attention de quiconque aborde en théologien l’étude du mystère de l’Eglise. Après avoir analysé cette littérature on ne peut échapper à différentes impressions: d’abord il est vrai qu’elle doit une grande partie de sa valeur au fait qu’elle a élaboré de façon nouvelle plusieurs points doctrinaux, mais elle contient encore pour nous d'autres enseignements. Elle nous apprendra à éviter désormais certaines déviations et nous permettra peut-être de dégager les voies dans lesquelles devra s’engager 1’ecelésiologie de demain. Parmi les points doctrinaux mentionnons comme le plus important la distinction, désormais incontestable, entre une étude de l’Eglise à but purement apologétique et une ecclésiologie résolument dogmatique. Conjointement à ce premier résultat, nous voyons l'ecclésiologie dogma¬ tique élargir notablement ses horizons. Non contente de ne rien céder de son objet à l’apologétique, l'ecclésiologie dogmatique s’est au con¬ traire annexé de nombreuses considérations sur l’aspect vital et concret de l’Eglise. Le traité dogmatique doit être pensé dans le prolongement de la christologie et se rattacher en particulier à cet aspect du Christ par lequel II est Tête de l’Eglise. Les études sur les grands Scolastiques ont montré que leur pensée contient sur ce point des données fondamentales qu’on n’a plus le droit de négliger. C’est la grâce qui découle de la Tête dans tout le corps de l’Eglise qui constitue sa réalité mystique: ce point fondamental ressort surtout des travaux qui ont récemment approfondi l'ecclésiologie de Saint Paul. Et puisque c’est le Verbe Incarné qui est la source de cette grâce, la réalité mystique de l’Eglise fondée sur die, existe elle aussi dans un statut d’incarnation: c’est-à- dire indissolublement unie à une structure visible. L’Eglise, réalité théandrique, est animée par l’Esprit du Christ qui en est l’âme. Puisque c’est l’Esprit qui anime du-dedans toute la vie de l’Eglise, cette vie partout où elle est vraie sera conforme aux lois de l’Incarnation et c’est ici qu’apparaît l’importance de la hiérarchie. Seule cette hiérarchie visible peut donner aux fidèles la plénitude de la vie surnaturelle et de la sainteté. Inversement, plus cette vie est riche dans les âmes des chrétiens, plus elle se traduit par une soumission spontanée à la hiérarchie. On ne peut plus méconnaître que cette vie soit une réalité à la fois objective et subjective, un donné d’En-Haut, une expérience vécue; ceci nous fait estimer à leur juste prix la contribution des précurseurs des tendances actuelles de 1’ecclésiologie : Moehler et Newman. En outre, on ne peut plus négliger les manifestations multiples de la prise de conscience du mystère de l’Eglise par les fidèles, en fonction de leur sacerdoce royal et de leur dignité de laïcs. De plus, une fois cette expéri¬ ence de l’Eglise décrite en détail, l’essentiel est fait pour rendre ca¬ duque toute critique des non-catholiques à l'égard de notre ecclésiologie. C’est cette vie, infailliblement réalisée par le Saint-Esprit, qui confère à l’Eglise ses propriétés, qui nous fait voir qu’elle est une, sainte, catholique et apostolique et qui l’entraîne dans la voie d’un continuel épanouissement. Le dynamisme de l’Eglise atteindra ainsi tous les domaines de l’être créé pour les racheter et les consacrer. Ce dynamisme est à la fois centrifuge et centripète. D’une part, il place dans le rayon d’action de la grâce la société, l’histoire, bref toutes les valeurs humaines et, d’autre part, il est le centre d’attraction des valeurs naturelles et surnaturelles existant en dehors de l’Eglise. Ainsi on comprendra mieux les requêtes du mouvement missionnaire, la nécéssité d’une méthode irénique, la mise en valeur des thèmes sociologiques, anthropologiques etc. Enfin il ne faut pas oublier que la voie de cette conquête surna¬ turelle reste toujours la voie de la croix, que l’état de l’Eglise est l’état de kénose, que c’est par ses souffrances qu’elle enfante ses nouveaux fils, que sa véritable richesse est sa ferme espérance dans le retour du Seigneur. C’est ainsi que la considération de l’aspect céleste de l’Eglise pourra couronner les développements de l’ecclésiologue qui pourra utiliser dans une large mesure la richesse de la pensée de saint Augustin. Un tel regroupement des points doctrinaux mis en lumière par les tendances actuelles montre clairement combien ces tendances ont con¬ tribué à une meilleure compréhension de l’Eglise et à une élaboration de son traité dogmatique. C 'est un argument péremptoire en leur faveur. Une élaboration du traité dogmatique de l’Eglise doit apprendre, à l’école de ces tendances nouvelles, à éviter certaines déviations. C’est par une profonde prise de conscience de la signification de l’Incarna¬ tion qu’on évitera un mysticisme vague et méfiant de l’aspect visible, juridique de l’Eglise; un optimisme sans limite sous-estimant la phase terrestre de la vie de l’Eglise, sa kénose. De plus, une fois reconnu que le développement de la vie de l’Eglise à travers les âges montre le sens plénier de l’Incarnation, on réussira à écarter le danger d’apprécier les diverses époques théologiques selon des critères trop dépendants des aspirations de notre temps. D’autre part on se rendra compte que pour sauvegarder l’unité de ce développement cet épanouis¬ sement de la richesse de l’Incarnation suppose des principes et des vérités également valables pour toutes des époques. C’est ainsi qu’on évitera le relativisme historique. Ensuite, la remise en honneur de ces principes, ne permettra plus à un enthousiasme sans critique de cher¬ cher certaines valeurs surnaturelles, souvent essentielles, en dehors de l’Eglise, unique dépositaire des richesses de l’Incarnation. Enfin, dans les recherches, on se gardera de prôner une indépendance plus ou moins explicite à l’égard du magistère, puisque celui-ci continue la médiation du Verbe Incarné. L’analyse des tendances actuelles permettra en outre de dégager, dans une certaine mesure, les voies dans lesquelles devra s’engager 1 ’ecclésiologie de demain. Il s’avère absolument indispensable de mettre au point une méthodologie ecclésiologique : en d'autres termes d'établir un système sûr, sans être rigide, des aspects multiples de l’Eglise. La raison en est que parmi les objets de la réflexion théologique c’est l’Eglise qui a les aspects les plus nombreux et les plus divers. A la fois terrestre et céleste, temporelle et éternelle, présente et eschatolo- gique, humaine et divine, active et contemplative, collective et indivi¬ duelle, personnelle et supra-personnelle, unie dans l’amour et régie par des lois, visible et invisible, elle exige, pour être justement pensée, un système qui équilibre tous ces aspects. Des recherches suffisamment approfondies devraient en outre éla¬ borer l’ensemble de l’enseignement biblique sur l’Eglise. Ce travail donnerait une base solide à une explication de l’aspect vital de l’Eglise et mettrait plus en évidence son sens eschatologique en complétant l’attitude apologétique prédominante dans les ouvrages courants sur ce sujet. Les recherches concernant 1’ecclésiologie des Pères devraient consacrer plus d’attention à ce qu’ils ont pensé de la hiérarchie, du rôle des évêques et en général de l’aspect visible de l’Eglise. Cela per¬ mettrait de remettre en honneur la présentation dogmatique de la hiérarchie à côté des développements apologétiques et juridiques. Enfin on pensera désormais l’Eglise non seulement d’une façon statique mais aussi dynamique. C’est cet aspect dynamique de l’Eglise qui est appelé à créer la synthèse de 1’ecclésiologie en effet : il enseignera que les diverses faces de l’Eglise ne font qu’un seul organisme, que ses divers aspects sont dépendants entre eux, il montrera que le but final est l’Eglise céleste sans minimiser l’importance majeure de l’Eglise terrestre qui la prépare et la rend possible. De plus cet aspect dyna¬ mique de l’Eglise pourra atténuer les contrastes quelquefois trop poussés entre les conceptions apologétiques et dogmatiques de l’Eglise: en avertissant les tenants de l’une et de l’autre de ne pas trop exalter l’aspect visible de l’Eglise et de ne pas trop oublier sa condition terrestre. — 264 - C’est ainsi que l’ecclésiologie ne perdra jamais de vue que tout son effort ne doit servir qu ’un seul but : protéger et développer 1 ’amour surnaturel dans l’Eglise et par l’Eglise, selon les mots de saint Augus¬ tin : «Amemus Dominum Deum nostrum, amemus Ecclesiam ejus ; ilium sicut patrem, istam sieut matrem; ilium sicut dominum, hanc sicut ancillam ejus, quia filii ancillae ipsius sumus. Matrimonium hoc magna caritate compaginatur... Tenete ergo earissimi, tenete omnes unanimiter Deum patrem et MATREM ECCLESIAM! (2?1). (291) Enarr. in Ps. LXXXVIII, Sermo 2, n. 14. - ML 37, col. 1140-41. ABRÉVIATIONS ÂAS Acta Apostollcac Sedls ASS Acta Sanctae Sedis AHDLMA Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen-Age BM Benediktlnlsche Monatschrift Ca Cntholica Coll. Mechl. Collectanea Mechllniensla CT Clencia Tomista DAFC Dictionnaire apologétique de la fol ca¬ tholique DB J. Denzinger - C. Bannwart : Enchirldion Symbolorum Doc. Catli. La Documentation Catholique DR The Dublin Review DT Divus Thomas DTC Dictionnaire de théologie catholiqjue EE Estudios Eclcaiâsticoa ED Euntes Doeete EO Echos d’Orlent ER Tho American Ecclcaiastical Review Et Etudes ETL Epliemcrides Theologicae Lovanienses Gr Gregorianum HPB1 HIstorisch-politische Blâtter für das ka- tholische Deutschland Hl Hochiand HTR The Harvard Theological Review Ir Irénikon JL Jahrbuch fiir Liturglewlssenschaft JR The Journal of Religion KG Der Kathollsche Gedanke LZ Liturgische Zeitschrift MansI Sacrorum Conciliorum Nova et Amplis- sima Collectlo. 1901 svv. Mo The Month MTZ Münchener Theologische Zeitschrift NRT Nouvelle Revue Théoioglquc NV Nova et Vetera OCP Orientalia Christiana Periodlca Roma Roma Paris Beuron Paderborn Mallnes Salamanca Paris Frelburg (Br.) Paris London Frelburg (S.) Paris Madrid Roma Paris Washington Paris Louvain Roma München München Cambridge (Mass.) Chevetogne MUnster (W.) Chicago München Regensburg Paris London München Tournai Frelburg (S.) Roma RAM RAp RB Rev SR RHPR RSPT RechSR RT Sch StZ TB TG Th ThWNt TQ TS Vint VSpir WW ZAM ZKT EU Pr. V. Revue d’ascétique et de mystique Revue Apologétique Revue Biblique Revue des Sciences Religieuses Revue d’Histoire et de Philosophie Reli¬ gieuses Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques Recherches de Science Religieuse Revue Thomiste Scholastlk Stiinraen der Zeit Theologische Blâtter Théologie und Glaube The Thomist Theologisches Wôrterbuch zum Neuen Testament Theologische Quartalschrift Tlieologlcal Studies La Vie Intellectuelle La Vie Spirituelle Wisscnschaft und Weisheit Zeitschrift für Aszese und Mystik Zeitschrift fUr kathollsche Théologie Toulouse Paris Paris Strasbourg Strasbourg Paris Paris Paris Frelburg (Br.) München Jena Paderborn Washington Stuttgart Tiiblngen Woodstock (Md) Paris Paris Freiburg (Br.) Innsbruck Ionsbruck Nous abrégeons en outre le titre de deux ouvrages fréquemment cités: L’Eglise est One. Hommage à Moehler, publié par P. Challlét ; 193D. Paris Procès Verbaux du premier Congrès do théologie orthodoxe à Athènes, 26 nov- 6 déc. 1936, publiés par H.S. Alivisatos ; Athènes BIBLIOGRAPHIE* Adam, K. : Das Wesen des Kathollzlsmus. Düsseldorf 1927. 4* éd. Alivisatos, H.S. : Procès Verbaux du premier Congrès de théologie orthodoxe à Athènes, 26 nov.-6 déc. 1936. Athènes 1939. Anger, J. : La doctrine du Corps mystique de Jésus-Christ d’après les principes de la théologie de saint Thomas. Paris 1929. Kainvel, J.: Hors de l’Eglise pas de salut Et 132 (1913) 289-313. Baron, P.: Un théologien laïc orthodoxe russe au XIX e siècle. Alexis Stépa- novltch Khomiakov (1804-1860). Rome 1940. Boulgakov, S.: L’orthodoxie. Paris 1032. Bouyer, L. : L’incarnation et l’Eglise-corps du Christ dans la théologie de saint Athanase. Paris 1948. — Du protestantisme h l’Eglise. Paris 1954. Braun, F.M. : Neues Licht auf die Kirche. Die protestantische Kirchendogmatik in ihrer neuesten Entfaltung. Elnsledeln-Koln 1946. Capéran, L. : Le problème du salut des infidèles. I. Essai historique. II. Essai théologique. Toulouse 1934. 2* éd. Chaillkt, P. : L’Eglise est Une. Hommage à Moehler. Paris 1939. Conqar, V. : Chrétiens désunis. Principes d’un « Oecuménisme s- catholique. Paris 1937. — Esquisses du mystère de l’Eglise. Paris 1941. — Vraie et fausse réforme dans l’Eglise. Paris 1950. — Jalons pour une théologie du laîcat Paris 1953. Deimei,, L. : Leib Christ!. Frelburg (Br) 1940. Feckes, K.: Das Mystcrium dcr heiligen Kirche. Paderborn 1934. Feuerer, G.: Unsere Kirche in Kommen. Freiburg (Br) 1937. Geiselmann, J.lt. : Geist des Chrlstentums und des Kathollzlsmus. Ausgewühlte Sclirlften katholischer Théologie im Zeitalter des deutschen Ideallsmus und der Roinantik. Mainz 1940. Grabuann, M. : Die Lclire des hl. Thomas v. Aquin von dcr Kirche als Gotteswerk. Regensburg 1903. Guabdini, R.: Vom Slnn der Kirche. Mainz 1922. Hofmann, F. : Der Kirclienbegrlff des hl. Augustlnus ln selnen Grundlagcn und in seincr Entwicklung. München 1933. Holzer, O.: «Christus in uns». Ein kritisches Wort zur ncueren Corpus-Christi- Mysticum Literatur. WW 8 (1941) 24-35 ; 64-70 ; 93-105; 130-136. • Puisque les notes de cet ouvrage présentent une bibliographie assez abondante, la liste do cl-dcssus no contient que les travaux plus slgntûcatlts. Journet, Ch.: L'Eglise du Verbe Incarné. Essai de théologie spéculative: I. La hiérarchie apostolique. Paris 1941. - II. Sa structure interne et son unité catholique. Pnris 1951. JiiRGENSMEiEK, F. : Der mystische Leib Christ! aïs Grundprinzip der Aszetik. Pnderborn 1933. Karrer, O. : Kardinal Newman : Die Ivirche. Elnsledeln-ICôln 1945-46. Khohiakov, A.S. : L’Eglise latine et le protestantisme du point de vue de l’Eglise d’Orient. Lausanne et Vevey 1872. Koster, D. : Ekklesiologie im Werden. Paderborn 1940. Lambinet, L. : Das Wesen des katholiseh-protestantischen Gegensatzes. Ein- siedeln-Koln 1946. Lialine, C.: De la méthode irénlque. Ir. 15 (1938) 3-28; 131-153; 236-255; 450-459. Ludac, de H.: Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme. Paris 1947. 4* éd. — Corpus ra.vsticum. L’Eucharistie et l’Eglise au moyen-âge. Paris 1949. 2® éd. Mebsch, E. : Le Corps mystique du Christ. Etudes de théologie historique. Paris 1936. 2e éd. — La théologie du Corps mystique. Paris 1946. 2e éd. Moehler, J.A. : Die Einheit in der KIrche. Tüblngen 1825. — Symbolik, oder Darstellung der dogmatischen Gegensütze der Katholiken und der Protestauten nacli ihren Uffentllchen Bekenntnlsschriften. Mainz 1864. 7e éd. Müller, A. : Ecclesia-Maria. Die Einheit Marias und der Kirche. Frelburg (S) 1951. Mura, E. : Le Corps mystique du Christ. Paris 1937. 2e éd. Niebecker, E. : Das allgemelne Prlestertum der Glaublgen. Paderborn 1936. Pie XII : Encyclique sur le Corps mystique. Introduite et annotée par Mgr. Picard. Bruxelles 1944. Piloram, F. : Physiologie der Kirche. Mainz 1860. Pribilla, M. : Um klrchliche Einheit. Stockholm, Lausanne, Bom. Frelburg (Br) 1929. Pbzïwara, E. : Corpus Clirlsti Mysticum. Eine Bilanz. ZAM 15 (1940) 197-215. Rahner, IC. : Die Zugehôrigkelt zur Kirche nach der Lehre der Enzyklika Pius XII. Mystlci Corporis Christl. ZKT 69 (1947) 129-188. Ranft, J. : Die Stellung der Lelu-e von der Kirche im dogmatischen System. Aschaffenburg 1927. Scheeben, M.J. : Les mystères du Christianisme. Paris 1947, (trad. A. Kerk- voorde). Schultze, B. : Die Scliau der Kirche bel N. Berdlalev. Borna 1938. Soloviev, V.: La Russie et l’Eglise universelle. Paris 1922. 4e éd. Tromp, S.: Corpus Christi quod est Ecclesia. I. Introductio generalis. Borna 1946. 2e éd. Tyszkiewicz, S. : La sainteté de l’Eglise chrlstoconforme. Rome 1945. Vonier, A. : The Spirit and the Bride. London 1935. "W ikenjiauser, A. : Die Kircho als der mystische Leib Christi nach dem Apostel Paulus, Munster (W) 1937. NOMS DES AUTEURS Adam, K.-. 33, 77, 122, 141, 180, 183, 193, 224, 227, 228, 250. Akvilonov, E.: 100. AI/Ivisatos, h.: 5, 7, 114, 116, 132. AnDROUTSOS, K: 110. ANGE», J.: 77, 199, 219, 255, 266, 258. ANTONIADIS, E.: 112. ARENS, B.: 150. ArQUILLIÈRE, X.: 7. Arseniev, N.: 107, 108, 113, 114, 133, 134. ATZBERGER, II.: 253. Aubert, R.: 48, 78, 139, 170, 191. Aubrey, E. E.: 84. Augustinus Acr.: 37, 264. Bainvel, J.: 12, 13, 14, 241, 245, 252. Balanos, D.: 110, 112. Balmès, J. L.: 84. Bardy, G.: 171, 172. Baron, P.: 101, 124, 125, 146, 146. Barry, D.: 240, 249. Barth, K.: 86, 87, 88, 89, 90, 95, 97. Bartmann, B.: 156. Batifol, P.: 180. Bauhofer, O.: 71. Beaudoin, L.: 62. Becbier, W.: 36, 68. Behr-Siegel, E.: 100, 109. BÉLET: 25. Bellamy, J.: 207, 262, 253. Bellarmino, b.: 9, 248. Bénard, E. D.: 36. Benz, E.: 8. Berdiaiev, N.: 61, 102, 103, 108, 126, 132, 146. Berresheim, B.: 195, 197, 198. Beumer, Y.: 137, 219. Bianquis, G.: 56. Biehlmeyer, I.: 149. Bietax, w.: 22. Billot, L.: 206, 241, 245, 252. Binde, F.: 85. Birkbeck, W. Y.: 103. Blanch y Sauret, Tu.: 211. Bleeenstein, H.: 160. Bluett, J.: 209, 218, 223. Bolshakov, S.: 102. Boulgakov, S.: 6 , 99, 107, 108, 109, 110, 132. Bourgeois, E.: 118, 119. Bouyer, L.: 15, 36, 38, 39, 42, 71, 76, 103, 134, 139, 173, 174, 175, 221. Brandreth, H. R.: 139. Bbatsiotis, P.: 112. Braun, F. M.: 92, 93. Brémond, H.: 37. Brinktrine, J.: 6, 234. Brock, W.: 84. Brown, W. A.: 130. Brunner, E.: 6, 87, 88, 89, 90, 113. Buber, M.: 87. Bübnov, N. - H. Ehrenberg: 103, 107, 108. Calvet: 120. Canisius, P.: 10. Capjêran, L.: 244, 246. Cardijn: 72. Casel, O.:. 61, 64, 65, 66, 112. Casper, J.: 121, 122. Cecil, a.: 68. Cerfaux, L.: 162, 167, 168, 169, 170. Ceriani, G.: 70. Chaillet, P.: 23, 26, 32, 149. Chardon, L.: 69. Charles, P.: 86, 150. Chatillon, J.: 187. Chavasse, A.: 242. Chrysostomos: 112. CLÉRISSAC, H.: 65, 209, 212, 216, 226. Closen, E.: 161. Cohen, J.: 174. Colson, J.: 185, 236. CombÈS, G.: 65. Commer, E.: 167, 208, 209, 212, 219 249, 250. Comte, A.: 57. Congar, Y.: 13, 14, 15, 32, 35, 43, 69, 118, 119, 130, 131, 136, 137, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 148, 161, 171, 180, 191, 192, 198, 200, 201, 217, 221, 227, 231, 234, 236, 238, 241, 243, 251. COURTADE, G.: 207. Creyghton, R.: 126. Culhane, D.: 192. CüLLMANN, O.: 92. Dabin, P.: 71. DaniÉlou, J.: 151, 161, 186. Danzas, J.: 100. Darquennes, a.: 194. Dawson, Chr.: 55. De Barcos, M.: 10. De Bovis, A.: 234. De Groot, J. V.: 12. De Güibert, J.: 241. Dejaifve, G.: 110, 257. Deimel, I..: 15, 75, 162, 164, 165. De La Brière, Y.: 228. Della Torbe: 71. Dei.atte: 63. Delorme, A.: 252, 254. Delp, A.: 76. Delphini, J. A.: 10. De Lubac, H.: 5, 55, 56, 57, 151, 188, 189, 190, 191, 199, 227, 228, 246. De Montcheuil, Y.: 32, 149. De Poulpiquet, A.: 227, 229, 264. De Solages, B.: 60. De Turrecremata, J.: 8. De Visscher, H.: 116. D’Herbigny, O.: 116, 241. Dibelios, M.: 5, 86. Dieckmann: 236, 253, 254. DlLLENSCHNEtDER, C.: 220. Dimitrievitch, B.: 114. Doluagary, B.: 232. Dominguez, O.: 194. Drey: 24, 25. Duesberg, H.: 235. Du Manoir, H.: 177. Ebner, P.: 75, 76, 87. Engberding, H.: 186. Eschweiler, K.: 30, 54. Fechtrup, L.: 84. Feckes, K.: 21, 74, 75, 213, 214, 216, 218, 219, 226, 226, 250, 251. FEDOTOV, G. P.: 108. Fenton, J.: 228, 229, 239, 240. Festugière, M.: 77. Feuerbach, G.: 56. Feuerer, G.: 93, 95, 96. Fitzpatrick, M.: 94. Florensky, P.: 107, 109. Florovsky, G. V.: 100, 107, 108, 112, 113. Fonck, A.: 30. Franzelin, J. B.: 207, 208, 212, 241. Fries, H.: 36. Galtier, P.: 6. Gams, P.: 25. Garani, A.: 10. Gardbil, A.: 254. Gavin, F.: 110. GEIGER: 23. Geiselmann, J. H.: 21, 23, 24, 30, 32, 34, 193, 198, 199. Gennadios: 132. Getzeny, H.: 44, 45, 46. Gilson, E.: 91. Glorieux, P.: 72. Goguel, M.: 92. Goldast, M.: 8. Gôssmann, P. F.: 116. Goyau, G.: 23, 27. Grabka, G. M.: 10. Grabmann, M.: 192, 193, 196, 197, 198, 199. Grabowsky S. J.: 182. Grandmaison, L. M.: 30. Gratieux, a.: 101, 103, 123, 124. — 271 — Gréa, H.: 65, 208, 212, 232. GRIBOMONT: 242, 243. Groeber, C.: 78. Grosche, R.: 205, 222, 224, 236. GrUDEN, C. J:: 166. Guardini, R.: 61, 52, 64, 77, 78. Guérangeb, P. L. P: 62, 63. Guerrt: 69. Gdgler: 23. GüITTON: 39. Gdrvitch, G.: 49. Habert, J.: 10. Haitjeua: 91. H AMER, J.: 85, 94. HAMMAN, A.: 8. Hammenstede, A.: 66, 77. Harnack, A: 84. Hadgg, D.: 73. Heiler, F.: 85, 150. Herwegen, I.: 64, 67, 77. Hettinger, F. 84. HiCKS, W.: 113. Hildebrand, D.: 67, 68. Hocedez, E.: 161. Hodgson, L.: 134. Hoffmann, F.: 179, 182, 184. Holbôck, F.: 188. Holzer, O.: 16, 74. Horton, W. M.: 84, 91. Htjber, G. S.: 71. Huhn, J.: 187 . Huonder, A.: 151. Hus, J.: 8. Ispir, B.: 114. Jedin, H.: 10, 235. Jézéquel, J.: 134. Journet, Ch.: 13, 31, 33, 35, 42, 66, 86, 90, 94, 125, 131, 137, 156, 192, 215, 217, 218, 224, 225, 226, 229, 231,232, 242, 254. JüGlE, M.: 110. JUNGMANN, J. A.: 68. JÜRGENSME1ER, F.: 77, 163, 222, 258. JuRlEAU: 207. Kampmann, Th.: 68. Kappeli, T.: 194, 195, 196, 198, 218. Karpov, A.: 108. Karrrer, O.: 36, 42, 43, 228, 239. Kartashov, A.: 111, 132. Kassiepe, M.: 76. Kastner, J. B.: 30, 73. Katschtaebr, J. B..- 150. Kelrer, A.: 91. Keller, H.: 54, 234. Kerkvooede, A.: 172, 206, 207, 208. Kern, C.: 110. Khomiakov, A. S.: 101 102, 103, 104, 106, 106, 123. Kienitz, F.: 236. Kierkegaard, S.: 87. Klaus, A.: 160. Koester, W.: 162, 163, 165, 166. Koster, D. M.: 16, 79, 162, 165, 183, 184, 200, 207, 249, 258, 259. Küster, M.: 220. KÔsters, L.; 166, 210. Kothen, R.: 72. Lambinet, L.: 137. La Metrie, J.: 55. Lamm, W. R.: 38. Landgraf, A.: 188. La Piana, G.: 6, 245. Laros, M.: 43. Lattey,: 188. Laurentin, R.: 257. Lavaud, P.: 61. Lawlor, F. X.: 241. Leclerq, J.fc 6, 7, 8, 69, 228. Lecuyer, J.: 236. Leuba, L.: 90, 94, 138. Llaline, C.: 15, 122, 132, 133, 144, 145, 146, 147, 210, 218, 242. LiéGÉ, A.: 242. Lilienfeld, A.: 139. Lippert, P.: 21. Loisy: 30. Lortz, J.: 231. Lôsch, S.: 32. Luska, J.: 102. — 272 — Mackintosh, H. R.: 84. Madoz, J.: 186. Malevez, L.: 167, 169, 176, 209, 210 218, 259. Maritain, J.: 60. Marmion, C.: 69. Martimort, A. C.: 236. Maux, K.: 55, 56. Mascaix, E. L.: 100. Mauriac, J. 70. Mayer, A. L.; 62. Méritan, J.: 167. Mersch, E.: 9, 10, 33, 119, 157, 168, 159, 160, 162, 163, 167, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 184, 187, 194, 195, 196, 199, 207, 210, 216, 219, 220, 221, 225, 226, 227, 229, 231, 232, 233, 234, 255, 256, 258. Messenger, E. C.: 139. Michalon, P.: 169. Michel, P.: 120., Michels, Tii.: 64, 65. Mitterer, A.: 195. Moehlee, J. A.: 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 34, 35, 57, 58, 61, 62, 84, 148, 149, 166, 174, 206. Monzel, N.: 53, 54. Moraïtis, D.: 114. Morel: 246. Mozley, A.: 36, 41. Muckermann: 122. Müli.er, A.: 186, 187, 220. Mura, E.: 209, 216, 219, 221, 241, 265. Nedoncelle, M.: 240. Neill, S. Cii.: 131. Netter Th.: 8. Neundôrfer, L.: 44. Newman, J. H.: 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 58, 155. Neyron, G.: 64. Nicolas: 190, 241, 254. Niebecker, E.: 237. Nietzsche, F.: 56. Noppel, C.: 258. Occam, G.: 8. Oeiimen, N.: 15, 73, 164. Palmieri, A.: 16, 101, 110, 119, 120, 121 . Panfoeder, J.: 65, 66, 67. Paqoier, R.: 135, 142. Paris, G.: 12, 193. Parsch, P.: 63. Pasa, G.: 124. Pascher, J.: 236. Passaglia, c.: 156, 172, 206, 211. Paventi, X.: 150. Pawlowski, A.: 99. 119. Pelz, K.: 74. Perrone, G.: 47. Peterson, E.: 97. Pfeifer, L.: 9. Pfleger, Ch.: 118, 119, 146. Philips, G.: 228. Pie, L.: 68, 69. Pigge, A.: 9, 10. PlLGRAM, F.: 44, 46, 46, 47, 48, 60, 51, 52, 53, 54, 205, 248. PiNSK, J.: 64, 65, 66. PiOLANT, A.: 197. Pitsch, W.: 235. Plumpe, J. C.: 186. Popescu, Th. M.: 114. Pourreau, H.: 228. Prat, F.: 157, 236. Pribilla, M.: 130, 131, 140. Prichodjko, P. M.: 111. Prümm, K.: 166. Przywara, E.: 21, 33, 43, 48, 51, 73, 225, 255. Rademachek, A.: 53, 129, 140. Rahner, H.: 186, 241, 242, 246, 247. Rahsauer, M.: 10. Ranft, J.: 32, 149, 157, 192, 193, 252, 263. Reichgauer, E.: 70. Rindor, I.: 187. Rinna, J.: 179. Rivière, J.: 7. Robic, P.: 101, 116. Romero, A.: 139. Rommerskircuen, J.: 151. RONDET, H.: 267. Rosenthal: 45. — 273 — ROUGIER, L.: 56. Rouquette, R.: 135. Rouse, R.: 131. Rousseau, O.: 62, 63, 148, 157. Rouzet, G.: 32. Ryan, J. K.: 36. Sagiis, J. P.: 184. Sailer, J. M.: 23. S AMARINE, G.: 102, 123. Sauras, E. : 196. SCHAEFER, M.: 141. SCHAFF, D. S.: 8. SCHÀUFELE, H.: 74. SCHAZLER, K.: 74. Scheeben, M. J.: 156, 208, 212, 219, 233. Scheler, M.: 48, 49, 50, 61, 190. Scheptyckij, A.: 119, 121. Schlüter-Hebmkes, M.: 72. SCHMAUS, M.: 74, 236. Schmidt, E. L.: 92. SCHMITT, S.: 75. SCHMITZ, J.: 219. Schrader: 206. Schultze, B.: 100, 109, 123, 126, 126. SCHWARZBAUEB, E.: 179. ScitWEIGL, J.: 139. Schweitzer, A.: 74, 164, 165. SciACCA, M. P.: 22. Sciarretta, G.: 162. Semmelroth, 0.: 220. Senaud, A.: 139. SERAPHIM MÉTROPOLITE: 100, 111, Sertillanges, A. G. D.: 149, 246, SESAN, y.: 115. Seumois, V.: 150. Silic, R.: 192, 193, 196, 197, 198. SlMAR, Tn.: 156, 262. Simon, J.: 13. Soiron, Tii.: 162. Soloviev, V.: 34, 101, 109, 116, 117. Spanedda, F.: 10. SPECHT, T.: 180. Spiko-wski, L.: 173. Stàhlin, w.: 85. ST AN GE, E.: 92. Stephan, H.: 84, 85, 86. Stirnimann, H.: 248. Stolz, W.: 93, 208. Stommel, e.: 235. Stremooukhoff: 116. Strotmann, P.: 240. Stummer, P.: 235. SüHARD: 61. Syropui.os, S.: 126. T. da Castel S. Pietro: 170. Tanquerey, a.: 69. Ternus, J.: 54. Tiieeuws, P.: 8. Thiels, G.: 11. S. Thomas Aquinas: 193, 196. Thomès, J.: 76. Thurian, M.: 84, 85. Tierney, M.: 36. TÔnnies, P.: 53. Tristram, H.: 35. Tromp, S.: 9, 10, 162, 166, 178, 184, 185, 188, 210. Tüchle, H.: 25. Tyciak, J.: 76, 118, 121, 122, 183. Tyszkiewicz, S.: 13, 30, 109, 117, 127, 128, 214. Udvardy, J.: 10. Urjban, I.: 118, 119. Valton, E.: 236. VAN DE Pol, W. H.: 36, 37, 62, 138. VELLAS, B.: 111. Vellico, A. M.: 12. Verdier, J.: 71. Vermeil, E.: 30. Vetter, J.: 180, 182, 251. VlERNEISEL, E.: 62. VlEUJEAN, J.: 178. VlLLAIN, M.: 178. Visser’t Hooft, A. w.: 91, 92, 133- Vitti, A.: 160. Vonier, A.: 210, 216, 217, 222, 223, 230, 231. Wagner, W.: 9. Walton, L.: 116. Ward, W.: 36, 58, 70. Weigl, E.: 73, 74. Welserheinb, L.: 186. Werhun, P.: 118, 183. WlCLEFF, J.: 8. Wikennhauser, A.: 6, 74, 162, 163, 166, 168. Will, R.: 85. Willen, J.: 9. Williams: 69. WlNOGRÆO'W, W.: 110. WlNTERSIG, A.: 66. Winzen, D.: 77. Wiseman, N.: 38. Wittig, J.: 74. WOLFF, E.: 21, 85. Wolter, M.: 62, 63. Wdnderle, G.: 118, 129, 183. Zankov, S.: 108, 115, 132, 133. Zapelena, T.: 12, 252. Zavitnevic, Z. V.: 100. Zehender, W.: 44. Zelenka, J.: 100. Zenkovski, V.: 114, 132. Zernov, N. M.: 108. Zyztkike, M.: 116. Bans la même collection ont déjà parus: Vol. I. P. Titus Szap-u, OFM, DE SS. TRINITATE IN CREATURIS REFULGENTE. Doctrina S. Bonaventurae, 209 pp., 18,5 x 25,5 cm. Lire 2300. Vol. IL Dr. theol. Robert Markovics, GRUNDSÂTZLICHE VORFRAGEN EINER METHODISCHEN THOMASDEUTUNG, 124 Seiten, 18,5 X 25,5 cm. Lire 1600. Benedicto Gôelz, PAEDAGOGIAE CHRISTIANA'E ELEMENTA ad mentem Ency- clicae « Divini illius Magistri », XVI "+ 256 pp. Lire 1200. 1956. IIermanus A. P. Schmidt S. J., HEBDOMATA SANCTA, vol. I: contemporanei t ex tus liturgici, documenta piana et bibliographia. 20 + 300 pp. Lire 1300. 1956-vol. II: Fontes historici; commontarius histçricus, notis et indicibus, circa 700 p. Lire circa 2800.- Stephanus Sipos, ENCHIRIDION IURIS CANONICI, 912 pp., 18 + 25 cm.: ed. 6, recognovit L. Gàlos,, bross. Lire 5000; leg. Lire 5800. F.M. Pareja S. J., ISLAMOLOGIA, GeograFia, Storia, Istituzioni, Letteratura, Arti, Scienze, 842 pp., 19,5 X 27,5 cm. 48 cartine, disegni, speccbietti, acelta bibliografia, bross. Lire 4500; leg. Lire 5200. Igino Rogger, LE NAZIONI AL CONCILIO DI TRENTO DURANTE LA SUA EPOCA IMPERIALE 1545-1552, 274 pp., 16,5 x 24 cm. Lire 1400. Georg KokIa, DIE LEHRE DER SCHOLASTIKER DES XVI, UND XVII. JAHRHUN- DERTS, von der Grade und dem Verdienst deralttestamentlichen Gerechten, 278 pp., 18 X 25,5 cm., 1955. Lire 2200. Bernard J. Le Frois S.V.D., THE WOMAN CLOTHED WITH THE SUN (Ap. 12) 280 pp., 18 X 25,5 cm. Lire 2800. Bonaventura Kloppenburg OFM, DE RELATIONE INTER PECCATUM ET MOR- TEM, 216 pp., 17,5 x 25 cm. Lire 1600. Tiburtius Gallus S.J., INTERPRETATIO MARIOLOGICA PROTOEVANGELII (Gén. 3, 15) TEMPORE POSTPATRISTICO USQUE AD CONCILIUM TrIDENTINUM, 216, pp., 17 x 24,5 cm. Lire 1100. Card. Ernesto Ruffini, LA TEORIA DELLA EVOLUZIONE SECONDO LA SCIENZA E LA FEDE, 242 pp. 16 x 22 cm. Liro 10C0. s Odulfus Schaefer OFM, BIBLIOGRAPHIA DE VITA. OPERIBUS IOHANNIS DUNS SCOTI, SUBTILIS DOCTORIS AC MARIANI, Saeo. xix-xx, 221 pp., 18 x 25,5 cm. Lire 3600. Norbertus De Amato OFM, DOCTRINA SUMMAE PÀTRIS ALEXANDRI DE HALES DE IPSA NATURA A VERBO ASSUMPTA, Disquisitio Historico-Systematica, 100 pp. Lire 1250. Metstowicz V., LA RELIGION DANS LES CONSTITUTIONS DES ÉTATS MODERNES. Lire 800. CASA EDITRICE RERDÈR - ROMA