ru i-n un m ;_D cr  ŒUVRES   DE  Ï^:\INT FRANÇOIS DE SALES évï'quh hi pkinch dh gknèvh HT DOCIEUR DE l'église  EDinON COMPLblt OArntS LES Al-TOGRAPMfcS ET LES l-l;lTIONS ORIGINALES ENRICHIE DE NOMBREUSES PIECES INEDITES DÉDIÉE A N: S. P. LE PAPE LÉON XIII HONORÉE DE DEUX BREFS PONTIFICAUX ET COURONNÉE PAR l'aCADÉMIE FRANÇAISE puMLiKi: SUR l'invitation de m"^" isoaru, icvêquf: d'anni cy V.\R LES SOINS DES RELIGIEUSES DE LA VISITATipN DU 1" MONASTÈRE d'aNNECY  TOME X SERMONS - VOLUME IV  ANNPXY MONASTÈRE DE LA VISITATION IMPRIMERIE F. ABRY & C'« MDCCCXCVm  Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa  http://www.archive.org/details/oeuvresdesaintfr10fran  ŒUVRES  DE  SAINT FRANÇOIS DE SALES  ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENEVE  DOCTEUR DE L'ÉGLISE  TOME DIXIEME  SERMONS  IV' VOLUME  ^W%  Propriété  Genève — H. TREMBLEY, Libraire, rue Corraterie, 4 Dépositaire principal Annecy — ABRY, Libraire, rue de L'ÉvÊcHé, 3 Paris — Victor LECOFFRE, rue Bonaparte, 90 Lyon — Emmanuel VITTE, Place Bellecour, 3 Bruxelles — SOCIÉTÉ BELGE DE LIBRAIRIE, rue Treurenberg, 16 Marseille -- LIBRAIRIE SALÉSIENNE, rue des Princes, 78  Recto   cFac-dlmile 2 a (^etmon pOil conàczvé au ytanc-^ètni. (Voix Le  cF  Verso  «  rrWf *, • ~^'. '".*'»  rrn---r^. -rx   'I' d     '/VV>t4#va— ^    ŒUVRES  nie  SAINT FRANÇOIS DE SALES HVÈaUF. HT PRIXCH DI- GF.NKVr: ET DOCTEUR DE l'ÉGLISE  ÉDITION COMPLÈTE d'après les autographes et les éditions originales enrichie de nombreuses pieces inedites DÉDIÉE A N. S. P. LE PAPE LÉON XIII ET HONORÉE d'uN BREF DE SA SAINTETÉ PUBLIÉE SUR l'invitation DE M^"* ISOARD, ÉVLQUE d'aNNECY, PAR LES SOINS DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION DU I^"* MONASTÈRE d'aNNECY  TOME X SERMONS — VOLUME IV  m  ANNECY IMPRIMERIE J. NIÉRAT RL'E DE LA RÉPL'BI.iaUE MDCCCXCVIII Droits de traduction et de reproduction rcscriès  ETUDE  SUR  SAINT FRANÇOIS DE SALES  P R i: D I C A T E U R  La divine Providence, en faisant à saint François de Sales de si brillantes destinées dans son Eglise, l'avait rempli, pour correspondre à ses desseins, de toute sagesse et de toute intelligence spirituelle O. Et, afin que les talents dont il était enrichi fussent utiles à un plus grand nombre, Dieu les couronna par celui de l'éloquence. Cette éloquence qui, au témoignage du grand Evéque d'Hippone.v^ est u la suivante de la sagesse inspirée, »> s'attacha i\ la parole de notre aimable Docteur et devint l'un de ses titres de gloire les mieux mérités, et néanmoins le plus contesté de tous par l'ignorance ou la mauvaise foi. Il importe donc de faire valoir ici ses droits à être mis au premier rang des prédicateurs qui dès le commen- cement du XVII' siècle ont illustré la chaire française ; il ne sera pas moins facile de démontrer comment, par ses enseignements et son exemple, l'Evéque de Genève a préparé l'épanouissement complet de l'éloquence sacrée en E>ance ; ce sera le but de cette Etude.  ( 1 ) Coloss., I, 9. (a) Z)# Doctritfa Chri'fijvn, lib. IV, c.ip. vi;  VI Sermons recueillis Elle pourrait être en partie superflue pour le lecteur intelligent et réfléchi qui a étudié les quatre volumes de Sermons avec l'attention qu'ils méritent. Il lui aura sufli de méditer ces pages, dont un grand nombre sont inédites, et dont les autres ont été trop négligées jus- qu'ici, pour constater chez l'Auteur toutes les qualités qui constituent l'orateur distingué et le signalent à l'admi- ration de la postérité : érudition immense, tact exquis, vigueur communicative, habitude de parler avec précision et clarté. De ces observations on peut conclure de quels soins a été entourée la formation oratoire de l'homme de Dieu et par quel travail assidu il a développé dans la suite ses précieuses facultés ; on peut deviner ses mé- thodes et se rendre compte de l'influence qu'il dut exercer sur ses contemporains. Mais ces observations mêmes feront naître chez plusieurs le désir de s'éclairer d'autres lumières, et ils nous sauront gré de leur venir en aide pour compléter les notions qu'ils ont acquises et affermir l'opinion qu'ils se sont faite. Afin que nos appréciations ne soient pas suspectes, nous les appuyerons sur les témoignages les plus autorisés, et nous céderons souvent la parole soit aux auditeurs du saint Prélat, soit aux critiques qui ont le plus sainement jugé ses Œuvres. François de Sales parut à une époque de transition où, en France, les règles du goût restaient encore à for- muler et les véritables secrets de l'art à retrouver. Sa gloire est d'avoir pressenti et appliqué ces règles et de les avoir recommandées, alors que la plupart des prédica- teurs se fourvoyaient dans des routes tout opposées : cela seul est une preuve incontestable de supériorité morale et intellectuelle. L'Evêque savoyard est de la race des grands orateurs ; et, sans vouloir établir de parallèle, on peut dire qu'il part des mêmes principes et marche dans la même direction. Massillon « est tout esprit, » a dit un éminent critique(0; « Bourdaloue, tout raison, Bossuet, tout génie, » et, reprend à son tour l'Evêque d'Angers (2), ( r) L'abbé Lebarq, Histoire critique de la prédication de Bossuet, p. 372. (s) Mgr Freppel, Cours d'éloquence sacrée (publié en 1893), IV^ Leçon.  Etude sur saint Fkançois de 5ai.es pri^dicateur vu saint François de Sales « est un m^Mange ineffable de grâce et de tendresse. » « Je ne suis pas étonné, » continue M'^'" Freppel , « de rencontrer au seuil de cette grande époque (le XVir siècle), un homme qui par la naïveté charmante, le tour vif et gracieux, les formes j)ittores(jues de son style, raj^pclle tout ce f[u'il y a eu dans la littérature française au xvi* siècle de verve et d'originalité ; tandis que d'autre part un goût plus sûr, des sons moins heurtés, des lignes plus régulières, une diction plus polie et plus châtiée annoncent sous sa plume ou dans sa parole, la manière simple et grande du xvir siècle, dont il est un des premiers et des plus glorieux représentants ; un homme qui résume à lui seul tout ce qu'on peut recueillir, dans l'histoire des lettres chrétiennes, de plus fin, de plus délicat, de plus spirituel ; un écrivain qui, promenant à travers toutes les sécheresses, toutes les aridités de la doctrine, son imagination brillante et fleurie, a su porter le charme jusque dans la controverse... un orateur dont la belle fune s'épanche en paroles d'exquise tendresse et de douceur infinie ; un homme enfin, en qui la sainteté la plus parfaite est venue couronner tous les dons de l'esprit, toutes les qualités du cœur, et dont il suffit de prononcer le nom pour embaumer l'àme du parfum délicieux qui s'échappe de ses écrits : cet homme, c'est saint François de Sales. » « C'est assurément quelque chose de bien étrange, » poursuit l'auteur que nous continuons de citer en l'abré- geant, « de voir paraître sur la même scène, à peu de distance l'un de l'autre, deux hommes en qui se person- nifient deux doctrines si diverses, en qui s'incarnent, pour ainsi dire, deux esprits si contraires : Calvin, dont la verge impitoyable nous range sous la souveraineté de Dieu... comme des esclaves sous le fouet d'un t3'ran ; François de Sales, qui ne trouve pas dans la langue humaine des sons assez doux pour réveiller dans les âmes la confiance filiale. Comme si le catholicisme rassemblant sur un seul point tout ce qu'il y avait eu dans le cœur de ses Ambroise, de ses Augustin, de ses Bernard, de  viii Sermons recueillis tendresse et de suavité, avait voulu par ce mélange de force et d'onction désarmer l'hérésie, en essayant contre elle ses plus divines séductions, en laissant tomber sur elle, de la figure de François de Sales, un reflet de la bonté et de la mansuétude du Christ. » C'était d'une manière plus directe encore que l'Evêque de Genève allait combattre le protestantisme. Pour lutter avantageusement contre cette hérésie, il fallait employer les mêmes armes auxquelles elle devait ses victoires, c'est-à-dire le ministère de la parole. On avait été trop longtemps à le comprendre, et, pendant que Vhomme ennemi semait V ivraie à pleines mains dans le champ du Père de famille, les serviteurs dormaient (O sans se préoccuper du péril. Les fougueux prédicants répan- daient audacieusement leurs erreurs, et en négligeant d'y opposer la doctrine évangélique, les ministres sacrés laissaient l'avantage à leurs adversaires, qui les stigma- tisaient du nom de chiens muetsi^). Calvin, Zwingle, de Bèze étaient doués de talents oratoires incontestables ; leur prédication avait « la vigueur d'une argumentation nerveuse avec la sobriété d'un enseignement austère (3). » Aussi, fiers de leurs succès, ils jetaient à la face de l'Eglise les plus insolentes provocations, et se flattaient que personne ne relèverait leur défi. Mais quelque abaissée qu'elle paraisse, l'Eglise a toujours dans ses rangs des David pour entrer en lutte avec les Goliath de l'hérésie et de l'impiété. Le xvi' siècle à son tour allait en donner la preuve. Aux envahissements du protestantisme, la Providence opposa toute une légion d'apôtres : c'était aux premiers rangs, saint Philippe et ses Oratoriens, et surtout saint Ignace et la Compagnie de Jésus (4). Ces deux Sociétés ( i) Matt., XIII, 25. (3) Is., Lvi, 10. {^) Le seizième Siècle en France, Tableau de la Littérature et de la Langue, par MM. Darniesteter et Hatzfeld, Section !■■«, chap. i. (4) Parmi les premiers compagnons de l'illustre Fondateur, saluons en passant deux compatriotes de saint François de Sales, Pierre Lefèvre et Claude Le Jay qui, l'un et l'autre, combattirent avec succès le luthéranisme en Alle- magne. Le premier, qui prêchait avec égale facilité en sept langues^ venait  Rtudf. sur saint François dr Sai.f.s pkkdicatrur ix n'avaicMit j)as seuhMncnt iv)iir but (h; prrchcr partout V Hvijnjr/Ic de f>c2ix ( ' ), mais encore do former une école de prédicateurs qui trouveraient dans la simplicité de langage mise au service d'une érudition profonde et d'un zèle ardent, les secrets de la véritable élo(iuence. Ce que firent ces grands hommes pour l'Italie, la Suisse et l'Allemagne, l'Kvèque de (reurve devait le faire avec avantage pnur la l-Vance et la Savoie, si t(jutefois dans la question ([ui nous occupe on peut distinguer entre les deux pays. Pour faire mieux apprécier les services qu'il rendit à la chaire, nous allons, dans la première Partie de cette Etude, examiner la formation oratoire du Serviteur de Dieu et les travaux apostoliques qui remplirent sa vie, et dans les trois Parties suivantes, le considérer comme Maître, comme Modèle et comme Réformateur de l'élo- quence sacrée.  Forniat/on oratoire et vie apostolique de saint François de Sales Saint François de Sales sembla prédestiné, par les circonstances du temps et du lieu de sa naissance, à exercer une influence universelle dans la chrétienté. Comme nous l'avons dit plus haut, il paraît à une époque troublée, où l'ardeur de la lutte grandit les courages et attire sur le champ de bataille les athlètes les plus dignes de s'opposer aux empiétements de l'hérésie et au débor- dement des vices. (( La Providence, toujours admirable et merveilleuse en sa conduite, le fait naître dans un lieu qui est comme le centre des royaumes chrétiens, » pour d'être choisi, au moment où la mort le surprit, pour premier théologien de Paul III au Concile de Trente. Le second y assista en qualité de représentant du Cardinal d'Augsbourg, Othon Truchsess. (i) Ephes,, ult., 15.  X Sermons recueillis qu'il soit à même de faire « entendre plus aisément dans toute l'Eglise la douceur de sa parole (0. » C'est en effet dans cette terre de Savoie, où les plus pittoresques beautés de la nature se réunissent comme pour provoquer les plus nobles élans de l'âme, que naquit saint François de Sales. La demeure seigneuriale où Dieu plaça son berceau était l'asile des traditions chevaleresques et des vertus chrétiennes. M. de Boisy, son père, s'appliquait à la fois par ses paroles et par ses exemples à rendre les siens dignes de recueillir ce double héritage. Un jour, pour s'assurer que ses leçons étaient bien comprises, il voulut prendre au dépourvu son fils aîné, alors âgé de quatre à cinq ans. a Fran- çois, » lui dit-il, « à quoi pensez-vous ? — Mon père, » répondit l'enfant, sans hésitation ni embarras, « je pense en Dieu et à estre homme de bien (2). » Ainsi travaillait-il dès ses premières années à asseoir dans son âme les fondements de la véritable éloquence en même temps que ceux de la sainteté, car Cicéron définit l'orateur un (( homme de bien, habile dans l'art de la parole. » A côté des virils enseignements de son père, l'enfant recevait les pieuses instructions de sa mère, qui ne voulut céder à personne la joie de l'initier aux éléments de notre foi. Elle était écoutée non seulement avec attention mais avec une sorte d'enthousiasme. Ravi des merveilles qui s'offraient à sa jeune intelligence, François sentait déjà s'allumer dans son cœur la flamme du zèle qui fait l'apôtre. Dès que M""^ de Boisy avait fini de parler, il réunissait les compagnons de ses jeux et leur communi- quait avec autant de grâce que d'entrain ce qu'il venait d'apprendre. Sa naïve éloquence s'animait surtout lors- que groupant le petit auditoire autour des fonts sacrés, il s'essayait à lui prêcher les gloires de l'adoption divine et les devoirs qu'elle impose à toute âme baptisée. Puis, revenant auprès de sa mère, comme s'il eût voulu lui faire recueillir les fruits de la semence qu'elle avait { i) M. Olier, Sermon sur saint François de Sales. (2) Déposition de M™<^ Lhuillier de Villeneuve, veuve Marcel (Process. remiss. Parisiensis, ad art. 33).  Etude sur saint François de Sales prédicatiuk xi jetée en son C(rur, il lui parlait de Dieu et lui rappelait, au milieu de ses sollicitudes domestiques, comment tout est conduit par la divine Providence. Aux collèges de La Roche et d'Annecy, où il passa tour à tour, l'Vançois se ])r('-j)ara mieux enror(.' par le développement simultané de la piété et du savoir à la mission (pie Dieu lui réservait dans son I^glise. « Parce (pi'il a\()il une action })leine, n(3])le et majestueuse, » dit son neveu, Charles-Auguste de Sales (0, « un corps bien faict, un visage attra^'ant et une très-bonne voix, son pédagogue et son régent le faisoyent souvent décla- mer. Il a esté toute sa vie ennemy du pedantisme » (ceci est à remarquer, car c'est une des caractérisques de son éloquence autant que de sa sainteté), « et ne faisoit point d'action qui ne fut naifve et bien séante. » Tel nous le voyons dans les modestes institutions de Savoie, tel nous le retrouverons au collège de Clermont, à Paris, où son père l'envoya en 1580. « Rien de plus touchant que la manière de vivre de ce jeune gentil- homme qui partage son cœur et son temps entre l'étude et la prière... Nul peut-être ne mit plus d'ardeur à s'ap- proprier toutes les sciences divines et humaines ; et c'est là encore, dans les études du premier iige, qu'il faut chercher les origines de l'écrivain, de Torateur; c'est le germe de son avenir, le secret de son développement. » « C'est à la Bible, » poursuit M^'"" Freppel (2), à qui nous continuons de céder la parole, « c'est à la Bible qu'il demande, avec la flamme de l'inspiration , les formes vivantes de son style ; c'est de ce livre unique qu'il extrait les sucs les plus doux, qu'il recueille les parfums les plus suaves, pour les répandre dans ses écrits. La littérature ecclésiastique à son tour lui ouvre ses trésors ; il s'y plonge avec toute l'ardeur de son àme... Voilà ce qui nourrit, ce qui échauffe, ce qui façonne son propre génie. Et c'est ainsi que François de Sales, fécondant ces connaissances acquises par ce qu'il y avait en lui de souffle créateur et (i) Histoire du B. Fr.inioi<; de S îles (Lyon, La Bottière et Julliard, MDCXXXIV), liv. I. (a) Ouvrage et Leçon cites p. vi.  XII Sermons recueillis d'originalité, méritera d'être appelé par les docteurs de Sorbonne, qui s'y entendaient à coup sûr, le plus savant théologien de son temps, et d'être rangé par l'Académie française au nombre des pères de notre littérature nationale. » Tout en menant de front l'étude de la philosophie et celle de la théologie, le jeune gentilhomme, dans le double but de nourrir sa piété et de former son goût, allait assidûment entendre les prédicateurs les plus renommés. Il est vrai que s'il avait eu le jugement moins droit et le sens littéraire moins sûr, cette assiduité eût été pour sa formation oratoire un danger plutôt qu'un avantage. A cette époque de laborieuse transition, « le sacré et le profane ne se quittaient point, » dit La Bruyère i^\ « ils s'étaient glissés ensemble jusque dans la chaire : saint Cyrille, Horace, saint Cyprien, Lucrèce parlaient alter- nativement... on parlait latin, et longtemps, devant des femmes et des marguilliers ; on a parlé grec. Il fallait savoir prodigieusement pour prêcher si mal. » Mais si ce n'était pas parmi les orateurs en vogue qu'on pouvait chercher des modèles, on en trouvait encore dans les chaires de plusieurs couvents, et même dans celles de quelques églises paroissiales. Toutefois il faut avouer que ces prédicateurs devaient le succès moins à la transcen- dance du talent qu'à la sainteté de leur vie. Citons en passant Jean de la Barrière, Fondateur des Feuillants, et surtout le Jésuite Edmond Auger, non moins apprécié par la cour que par l'Université. Sa parole ardente enthou- siasmait à la fois les hommes du plus grand monde et les étudiants, les entraînant ensemble dans ces processions de pénitents, que François de Sales devait établir plus tard à Annecy. Celui-ci, du reste, sépara le vil du pré- cieux^^), et sut s'approprier les qualités des orateurs qu'il entendait sans imiter leurs travers. Son propre génie lui fut sous ce rapport une sauvegarde plus utile que n'eussent pu l'être l'influence de M. Déage, son  ( I ) Caractères, chap. xv : De la Chaire, (a ) Jereni., xv, 19.  llILDL bUK SAINT [•KAN(;*)IS Uh SaLKS PKhUICAIHUR Xlll précepteur, ni même les leçons du fameux P. Sirmond, son r(\i4ont ( ' K « Le sieur Deat^e m'a dit , » dépose au Procès de Béatification, André de Sau/éa, l'.vêfiue do Ii(''thléem ( '), « que parmy ses estudes de philosophie, il al loi t ouyr les (lisput(vs pul)li(iues de theolog^ic, et })our cela ([u'il ([uittoit souvent ses repas, et ([u'il rapportolt des disputes à son dict maistre, ensemble les argumens et distinctions, comme un grand théologien. Comme aussy des sermons, il rcdigeoit par escript les choses les plus remarquables, lesc^uelles le Bienheureux m'a depuis communiquées. » Un autre déposant, Noël Kog^et, ajoute: « Je me souviens d'avoir ouy dire au sieur Deage son précepteur, que pen- dant le temps ([u'il faisoit ses estudes aux Universités, il frc, mais ilz se preschent eux « mesmes. » La troisième partie de ce petit Traité, qui est la plus remarquable par son importance et par son étendue, est consacrée à étudier quelle doit être la matière du dis- cours évangélique ; elle se subdivise en trois considéra- tions principales : les sources, la façon de les exploiter et la disposition des idées. Ambassadeur et mandataire de Dieu, le prédicateur doit transmettre au peuple chré- tien la divine, l'immuable parole de Celui qui l'envoie : donc la première de ses obligations est de puiser dans les Saintes Ecritures, dans ce Livre où, selon Bossuetv^), nous entendons notre Dieu parler u sa langue naturelle. » C'est à la fois le devoir essentiel autant que la garantie de l'orateur sacré, car, ainsi que le constate saint Augus- tin (3\ « un homme parle avec plus ou moins de sagesse à proportion du plus ou moins de progrès qu'il a fait dans l'intelligence des Ecritures. » Après la Bible, les Œuvres des Pères de l'Eglise, les Vies des Saints doivent être soigneusement étudiées : dans les premières, on (i) I Cor., I, 21. ( 2 '. Sermon pour le in"^ Dimanche après Pâques (1656', Proposition, (3) De Doctrinal Christiana, lib. IV, cap, v,  XXXII Sermons recueillis trouve le commentaire et l'explication de l'Evangile, dans les secondes, on le voit mis en action. Si l'Evangile est un pain, les Pères nous le rompent ; s'il est une musique, les Saints nous la chantent. Il est un autre livre dans lequel on peut trouver les plus fécondes inspirations, il est ouvert sous les yeux de tous, et pourtant très peu s'appliquent à y lire ; c'est le grand livre de la nature, qui raconte si éloquemment la gloire de Dieu (0. Créé par la parole du Seigneur, l'uni- vers redit à tous cette divine parole ; mais, distraits par d'autres pensées, les hommes se soucient peu de l'en- tendre. C'est donc au prédicateur d'en écouter les accents dans la méditation, pour les expliquer à ses auditeurs avec la patiente sollicitude d'une mère qui articule len- tement à l'oreille de son petit enfant des sons qu'il perçoit sans les comprendre. Les histoiresprofanespeuvent être quelquefois rappelées en chaire, « mais fort peu, pour seulement resveiller « l'appétit, » et encore faut-il être attentif à « les faire (( entièrement servir a l'Evangile. » Quant aux « fables « des poètes, » elles doivent être soigneusement écartées ou ne paraître que « si peu et si a propos que chacun « voye qu'on n'en veut pas faire profession. » Cette dernière recommandation, qui nous paraît aujourd'hui superflue, mérite d'être remarquée ; c'était de la part de l'Auteur un trait de hardiesse, car on sait jusqu'à quel point la mythologie faisait à cette époque invasion dans la chaire chrétienne. Mais si les extravagants récits des anciens doivent être impitoyablement exclus, leurs vers méritent plus d'indulgence, et saint François de Sales tolère qu'ils soient cités quelquefois avec discernement, autorisé en cela par l'exemple de saint Paul et de saint Bernard qui n'ont pas dédaigné de s'en servir. Ces règles générales posées, notre Saint revient au « fondement de l'édifice, » à l'Ecriture inspirée et aux différentes manières de l'expliquer. Il distingue d'abord les quatre sens que l'on peut découvrir dans les divers ( I ) Ps. XVIII, I.  EtUDF. sur saint FkANÇOIS [)H SaI.F.S PKHOICATRUR XXXIII passag"es do la l'ihlc : le sons liit('Tal, ra'l(''^^ori4ue, l'ana^ojrique et le sens moral ou tn^poloj^iiiuc « Pour le regard du sens littéral il se doit puiser dans « les Commentaires des Docteurs, c'est tout ce fju'on en « peut dire: mais c'est au j)redicateur de le faire valoir, « de peser les uK^tz, leur propriété, leur emphase. » Sur l'interprétation du sens all(\L;()ri(jue ou mysti([ue l'Auteur s'étend beaucoup jdus et formule cin(j observations, dont les deux premières sont surtout importantes. Il exige d'abord que le rapprochement « ne soit point trop forcé,» et, cela étant admis, il insiste sur la reman^ue suivante. On ne saurait mieux faire (pie de le citer textuellement : « Ou il n'y a pas une très grande apparence que l'une « des choses ayt esté la figure de l'autre, » dit-il, « il ne « faut pas traitter les passages l'un comme figure de (( l'autre, mais simplement par manière de comparayson ; « comme par exemple, le genévrier sous lequel Helie « s'endormit de détresse est interprété allegoriquement « par plusieurs de la Croix ; mais moy j'aj'merois mieux (( dire ainsy : Comme Helie s'endormit sous le genévrier, « ainsy nous devons reposer sous la Croix de Nostrc « Seigneur par le sommeil de la sainte méditation ; et <( non pas ainsy, qu'llelie signifie le Chrestien, le gene- « vrier signifie la Croix. Je ne voudrois pas asseurer « que l'un signifie l'autre, mais je voudrois bien compa- « rer l'un a l'autre, car ainsy le discours est plus ferme « et moins reprehensible. » Les cinq règles données sur l'emploi du sens allégorique doivent être également appliquées au sensanag(\gique, qui « rapporte les histoires (' de l'Kscriture a ce qui se passera en l'autre vie, » et au tropologique, qui u les rapporte a ce qui se passe en (( l'ame et conscience. » (( Apres les sentences de l'Kscriture, -^ poursuit le saint Evcque, (( les sentences des Pères et Conciles tiennent (( le second rang. Kt pour le regard d'icelles, je dis « seulement que... il faut les choisir courtes, aiguës et <( fortes. » Puis, se souvenant qu'il parle à un Dijonnais, il ajoute avec l'à-propos qui le distingue : << lîn vostre u saint Bernard il y en a une infinité ; mais il faut, les Sbr«. IV c  XXXIV Sermons recueillis « ayant citées en latin, les dire en françois avec efficace, « et les faire valoir, les paraphrasant et déduisant vi- « vement. » Ce ne sont pas seulement de courtes sentences que l'on peut emprunter aux écrits des Docteurs, mais encore des raisonnements et des preuves en faveur des vérités qu'il faut établir ou des vertus à recommander ; on les trouve « chez saint Thomas plus aysement qu'ailleurs. » Toutefois il n'est permis de les employer qu'à la condi- tion de savoir « clairement se faire entendre, au moins « aux médiocres auditeurs. » Rendre la prédication intelligible à tous , c'est la grande et continuelle préoccupation de notre Saint, et probablement une des raisons pour lesquelles il insiste sur l'utilité des exemples et des similitudes. « Les exem- (( pies, )) écrit-il, « ont une force merveilleuse et donnent « un grand goust au sermon ; il faut seulement qu'ilz « soyent propres, bien proposés et mieux appliqués. » Et, donnant une nouvelle teinte locale à son ensei- gnement, après avoir dit : « Les exemples des Saints « sont admirables, » notre aimable Docteur ajoute : « sur « tout ceux de la province ou on presche, comme de saint « Bernard a Dijon. » Passant ensuite aux similitudes : « Elles ont, » poursuit-il, « une efficace incroyable a bien « esclairer l'entendement et a esmouvoir la volonté. On « les tire des actions humaines. . . des histoires naturelles, . . « de la philosophie et en fin de tout. Les similitudes des « choses triviales estans subtilement appliquées sont « excellentes, comme Nostre Seigneur fait en la parabole « de la semence. » L'orateur sacré doit rester toujours dans les bornes de la simplicité et mettre sa parole au niveau de toutes les intelligences ; mais il peut faire l'un et l'autre sans devenir jamais vulgaire. A l'appui de ce principe, qu'il suppose sans l'énoncer, l'Evêque de Genève indique un procédé qu'il appelle « un secret extrêmement prouffitable « au prédicateur. » Lui-même en connaît l'utilité par expé- rience, et c'est en partie à ce moyen qu'il doit l'avantage de rester toujours neuf, même quand il traite de sujets  Etude sur saint François df Sai.f.s pKKDiCAThUR xxxv qiK' tl'aiitrrs avant lui oui cru ('-piiisfr. « C'est (\o faire « lies siniilitiKlcs tirt'tvs di' l'I\.se:ritiirp, ilc certain'^ lieux « ou ]icu (le j^ens les sçavent remar(iuer; et cecy se « fait par la iiKulitation des paroles. .. Suivent des appli- cations praticjues très inl(''r(vssantes, mais troj) ('-tendues pour être citées. lin terminant ses préceptes sur la manière d'appliquer les divines Ecritures, l'Auteur sig-nale en passant l'usage qui peut être fait du sens accommodatice, mais non pas sans avertir aussitôt ([ue <- en cccy, il faut « astre discret et sobre. » Demander à la Bible et aux Pères le fonds de l'ensei- gnement ([u'il c()n\i(*nt de dispenser aux fidèles, l'orner des exem])les et des comparaisons les plus propres à le mettre en relief et à le rendre accessible à tous les écou- tants, ce n'est que la première partie de la préparation que doit s'imposer le héraut de la di\ine parole. Les éléments du discours une fois réunis dans l'étude et la méditation, il reste à les disposer avec ordre, de sorte que chaque argument, chaque preuve produise tout l'effet qu'on peut en attendre. C'est de cet important objet, « la disposition de la matière, » que saint François de Sales va maintenant instruire son disciple, et il débute en posant comme principe qu'il (( faut tenir méthode sur « toutes choses ; il n'}' a rien qui ayde plus le predica- « teur, qui rende sa prédication plus utile et qui aggree « tant a l'auditeur. » Puis, avec une autorité magistrale, il tranche en quel- ques mots une question fort débattue. On se faisait un mérite non pas absolument de négliger la méthode et l'ordre dans la distribution du discours, mais de les voiler de telle sorte, que l'assistance eût à faire un laborieux effort pour les découvrir. Notre Docteur proteste ainsi qu'il suit contre cette prétention : « J'appreu\e que la (( méthode soit claire et manifeste et nullement cachée, « comme font plusieurs qui pensent que ce soit un grand « coup de maistre de faire que nul ne connoisse leur « méthode. Dequoy, je vous jirie, sert la méthode, si (( on ne la voit et que l'auditeur ne la connoisse? » Mais il ne faut pas que cette méthode soit inflexible, uniforme  XXXVI Sermons recueillis pour tous les genres ; elle doit avec souplesse se plier aux exigences de chacun, diriger le travail de l'orateur afin de soutenir l'attention de l'auditoire, et non pas comprimer l'action de l'un et de l'autre. Il y a des dis- tinctions à observer, et le saint Auteur, puisant dans son expérience personnelle et son tact parfait le sentiment de toutes les nuances, esquisse de main de maître les traits qui doivent caractériser quatre spécialités dans le vaste champ de la méthode générale. Il distingue la manière dont il faut traiter : i. un mystère de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; 2. une sentence de l'Ecri- ture ayant trait à l'acquisition d'une vertu ou à la répres- sion d'un vice; 3. Thomélie; 4. l'histoire, ou le panégyrique d'un Saint. Il serait trop long d'anal3^ser les conseils donnés pour chacun de ces genres ; ceux qui s'appliquent au second sont particulièrement remarquables. Pour discourir avec fruit d'une vertu il faut en considérer la nature, « les « vrayes marques d'icelle, ses effectz et le moyen de « l'acquérir ou exercer, » et notre Saint conclut en déclarant que cette méthode a toujours été la sienne. Quelque sages que soient ces règles, l'habile Maître ne prétend point obliger son disciple à s'y conformer inva- riablement ; il sait que l'habitude de la chaire développe chez tout prédicateur, fùt-il même assez médiocrement doué , des aptitudes spéciales qui dessinent sa person- nalité. Il faut donc que, tout en étudiant les modèles, l'orateur sacré reste toujours lui-même. Telle est la raison pour laquelle cette série de conseils se termine ainsi qu'il suit : « Voyla bien asses de méthodes pour commencer ; « car après un peu d'exercice vous en feres d'autres qui « vous seront propres et meilleures. » C'est selon le même principe que l'on doit « remplir « les pointz » du sermon, c'est-à-dire disposer les matières dont chacun de ces points sera composé. Avant de puiser chez autrui, il faut demander à son propre fonds tout ce qu'il est capable de fournir, et ensuite seulement recourir à ces procédés bien connus des lévites et des jeunes prêtres qui font leurs premiers essais dans la  Rri'DK SUR SAisT Fkan(;<)is [)b Sai.ks i'kf.dicatkuk xxxvir chaire. On s'étonnera peut-être que de tels expédients soient si^rnalés à un Archevéciue ; mais il ne faut pas perdre de vue que M*^' Frc'mvot ayant ôtr ('levé presque soudainement et sans pr('parati()n iin-alable au faite des dii^nités ecclésiasti([ues , il n'était pas hors de propos de le rcnscit^ner comme un commençant. Ce n'est cer- tainement point par oubli (jue le recc^ursaux Sermonnaires n'est pas conseillé ; car l'imitation ser\ile do discours définitivement rédigés est j)r()})re à paralyser le tak-nt et non pas à le développer. Au contraire, la lecture assidue des Pères et des thf'olo- giens, médités, puis commentés et appliqués discrètement, est un moyen sûr de former le goiît et de centupler les ressources personnelles du prédicateur. Longue est la nomenclature des auteurs dont l'étude est recommandée dans V Epistre. C'est d'abord entre les Pères, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire et saint Bernard. Saint Augustin n'est pas nommé, probablement parce qu'il est sous-entendu que, tenant le premier rang i)armi les maîtres, nul ne peut se dispenser de lui demander des enseignements et des exemples. Peut-être encore est-il jugé moins élémentaire que les Docteurs précités, et pour cette raison n'est-il pas signalé à un débutant; ou bien serait-ce par inadvertance que saint François de Sales aurait oublié de le mentionner. Quoi qu'il en soit, cet oubli n'infirmerait en rien la confiance qu'il a tou- jours eue dans la doctrine de l'Evéque d'PIippone et l'admiration qu'il avait vouée à son génie et à sa sainteté. Les théologiens plus spécialement recommandés sont : saint Thomas, saint Antonin et Guillaume « Kvèque de Lyon (0, » auxquels il faut ajouter trois Commentateurs renommés : les Jésuites Salmeron et Barradas et le Franciscain Stella. Louis de Grenade, cjue notre Saint  ( I ) Guillaume Perrault qui était, au xiii*' siècle, suflfragaut et Vicaire-général de Philippe de Savoie, Archevêque de Lyon. Ce dernier n'ayant j.iinais reçu les Ordres, son Vicaire-général se trouvait être de fait le chef spirituel du diocèse, et, comme il avait l'habitude de signer Guîielmus Episcopus, on en vint dans la suite â considérer Guillaume comme ayant été Evèque de Lyon;  XXXVIII Sermons recueillis cite si souvent dans ses écrits, est indiqué ensuite. Il conseille de plus la lecture des Sermons du Jésuite Jean Osorius et du Franciscain Maurice Hylaret, ceux surtout de Philippe Diez dont il fait grande estime, et qu'il loue dans les termes suivants : « Entre tous ceux qui ont « escrit des sermons, Diez m'aggree infiniment : il va a « la bonne foy, il a l'esprit de prédication ; il inculque « bien, explique bien les passages, fait de belles alle- « gories et similitudes, des hypotyposes nerveuses ; prend (( l'occasion de dire admirablement et est fort dévot « et clair. » En énumérant les qualités de cet auteur, l'Evêque de Genève décrit à son insu celles qui brillent dans ses propres sermons ; remarquons toutefois que son admiration pour Diez ne l'empêche pas de signaler en lui un défaut assez important : « Il luy manque, » dit-il, « ce qui est en Osorius, qui est l'ordre et la méthode, (( car il n'en tient point ; mais il me semble qu'il se le « faut rendre familier au commencement. Ce que je dis «. non pour m'en estre fort servi, car je ne l'ay veu « qu'après beaucoup de tems , mais parce que je le « connois tel, et me semble que je ne me trompe pas. » Après avoir encore indiqué la Sylva allegoriarum du Bénédictin Laurétus et les Concordances ou la Sumina Peccatorum du Franciscain Benedicti, il conclut cette longue énumération par ces mots : « Voyla, ce me sem- « ble, le principal de ce qui me vient maintenant en « mémoire pour la matière. » Notons ce mot : « le prin- (( cipal, » car le prédicateur ne peut fixer de terme à sa studieuse activité ; canal de la vérité qu'il a mission d'ap- porter aux âmes, il doit acquérir incessamment comme incessamment il doit dispenser. Aussi notre Saint, loin de se borner aux profondes études de sa jeunesse, s'était fait une loi de consacrer chaque jour de sa vie plusieurs heures au travail. C'est de la sorte qu'il se familiarisa non seulement avec les auteurs qu'il vient de recomman- der, mais encore avec nombre d'autres, tels que Tolet, Maldonat, Corneille de la Pierre, qu'à tout instant il cite dans ses sermons, avec autant d'aisance que d'à-propos. On a pu remarquer le ton d'autorité qui domine dans  l'AVDl: SUR SAINl l-KANO>IS DL SaI.F.S l'RHDlCATEUR XXXIX les conseils que nous vcncjns d'analyser. Le N\aitrc se révèle dans toute l'indépendance de son génie ; on sent que, sûr de sa méthode, il n'a i)as à se demander si elle est en harmonie avec la pratii^ue de ses contemporains. Mais il fera plus encore; en expliquant <' comme il faut (( prescher, » il déclare hardiment ([u'il va rompre avec les préjut»"és universellement suivis. « C'est icy, » dit-il en commençant, « ou je désire plus de créance qu'ailleurs, « parce que je ne suis pas de l'opinion commune, et que « néanmoins ce que je dis c'est la vérité mesme. » La matière du discours, quelque soij^meusement préparée qu'on la suj^pose, ne demeure pas moins à ses yeux comme un corps inerte ([ue l'orateur doit vivifier en y incarnant, pour ainsi parler, sa propre âme ; c'est ce que l'Auteur va nous expliquer : « La forme, dit le Philosophe, « donne l'estre et l'ame a la chose. Dites merveilles, « mais ne les dites pas bien, ce n'est rien ; dites peu et « dites bien, c'est beaucoup. » Mais pour bien dire, il ne suiïït pas de s'énoncer avec élégance et clarté ; la vigueur et la précision du style ne constituent que l'un des mérites de la forme : « Pour devenir orateur, pour se faire une éloquence, un style, un geste, le capital est de se faire une âme ; c'est là le dernier mot de la saine rhétorique, la condition maîtresse que rien ne supplée et qui supplée au besoin tout le reste -O. » Ainsi l'entendait notre Saint ; après avoir proscrit tout ce qui sent la pédanterie, (^u'il nomme « la « peste de la prédication, » il recommande de » parler « aflfectionnement et dévotement, simplement et candi- ce dément et avec confiance ; estre bien espris de la « doctrine qu'on enseigne et de ce qu'on persuade. » Ces derniers mots méritent d'être spécialement remarqués; ils expriment la condition principale, essentielle de la vérita- ble éloquence. D'après l'Evoque de Genève, en voici une autre : « Le souverain artifice, » dit-il, « c'est de n'avoir « point d'artifice. Il faut que nos paroles soyent enflam- « mees non pas par des cris et actions démesurées, mais (i) La Pr^Jic\ition : j^r.inJs M.iitres et grandes Lois, par le R. P. Longhaye, S. J. (Paris, 1888), Epilogue, § i.  XL Sermons recueillis « par l'affection intérieure ; il faut qu'elles sortent du (( cœur plus que de la bouche. On a beau dire, mais le « cœur parle au cœur et la langue ne parle qu'aux « oreilles. » Suit rénumération des qualités que doit avoir l'action : il faut qu'elle soit « libre, noble, généreuse, naïfve, forte, « sainte, grave et un peu lente... Le langage doit estre « clair, net et naïf, sans ostentation de motz grecz, (( hébreux, nouveaux, courtisans. La tisseure doit estre « naturelle, sans préface, sans ageancement. » Une série d'autres observations d'un véritable intérêt, bien qu'elles soient d'une importance secondaire, termine les conseils donnés par le Saint à son ami : elles concernent les appellations qui peuvent être employées en parlant au peuple chrétien, l'usage des exclamations, la vigueur qu'il convient de donner à la péroraison, puis la prépa- ration prochaine à la prédication : « J'appreuve, » dit-il, « qu'elle se fasse des le soir, et que le matin on médite « pour soy ce que l'on veut dire aux autres. » Héraut du Roi souverain, l'homme apostolique doit apprendre de lui ce qu'il a mission d'enseigner aux fidèles ; c'est à la condition seulement de mettre son cœur en contact avec le Cœur de Jésus qu'il pourra réaliser la recom- mandation du Prince des Apôtres (O : Si quelqu'un parle, qu'il paraisse que Dieu parle par sa bouche. C'est pourquoi, non seulement « on ne doit jamais « prescher sans avoir célébré la Messe ou la vouloir (( célébrer, » mais encore est-il bon de faire la prépara- tion immédiate en présence du Saint-Sacrement. Identifié avec les pensées de son adorable Maître, ressentant en lui-même les sentiments du Seigneur Jésus i^), le prédicateur n'aura plus qu'à laisser déborder son âme dans celle de ses auditeurs ; il sera persuasif, éloquent, parfois sublime, parce qu'il sera rempli de Dieu. Mais alors, qu'il sache surveiller et modérer cette abondance même, et pour cela un dernier conseil est donné : la brièveté. « Il est tous-jours mieux que la prédication ( r ) I Ep., IV, II. (2 ) Philip., II, 5.  Etude sur saint Frasçois dp. Sales prédicateur xu « soit coiirto (juc lon^'-iic; en quoy, » ajoute l'Auteur avec une aimable franchise, « j'ay failli jus([iies a jjresent... « Pourveu qu'elle dure demi heure, elle ne peut estre « trop courte. » Rien de i^racieux et de touchant à la fois comme la manière dont notre Saint s'excuse d'avoir «( escrit a « course de plume, sans aucun soin ni de paroles ni « d'artifice, porté, » dit-il à son correspondant, •< du seul « désir de vous tesmoigner combien je vous suis obeis- « sant... Je me suis allégué moy mesme ; mais c'est « parce que vous voules mon opinion et non celle des « autres; et quand je la prattique moy mesme, pourquoy « ne le diray-je pas ? » Aveu précieux à recueillir, et qui résume tout ce qui nous reste à exposer sur la méthode qu'employait le saint Invoque de Genève. Ce qu'il conseillait à autrui, il le faisait lui-même. Lire son Epistre sur la Prédication c'est le voir, c'est l'entendre dans la chaire de vérité, traitant avec un succès égal les sujets les plus divers. Et parce qu'il venait de se peindre au naturel dans cette Lettre, qu'il s'y révélait tout entier, il ajoute cette prière: « Je vous conjure, Monsieur, de ne la point faire « voir a personne duquel les yeux me soyent moins « favorables que les vostres. » Puis un mot qui, d'après M^' Freppel (0, n vaut à lui seul toute une rhétorique, » tombe de la plume du Saint, ou mieux jaillit de son cœur : (( Il n'est rien d'impossible a l'amour... Il suffit de bien « aymer pour bien dire. » Tel est l'épilogue qu'il donne à ce chef-d'œuvre, rédigé en deux jours, sans avoir sous la main aucun livre relatif à ces matières. L'expérience et la sagesse mêmes, éclairées par un goût exquis, parlent dans ces pages admirables, à travers lesquelles s'exhale d'un bout à l'autre le parfum de la sainteté. Peut-être n'existe-t-il pas un seul ouvrage sur la rhétorique sacrée (et ceux qui en traitent sont innom- brables) dans lequel des enseignements aussi pratiques soient condensés dans un espace aussi restreint. Nous ( I ; Ouvrage cité p. vi, V« Leçon.  XLii Sermons recueillis ne voulons pas dire assurément que cette Lettre épuise le sujet, mais du moins résume-t-elle, avec autant de nerf que de clarté, tout ce qu'il importe au prédicateur de connaître et d'observer pour annoncer fructueusement la parole divine. On y trouve ces vues d'ensemble, ces aperçus larges et sûrs sans lesquels les règles de détail ne sont que d'une très médiocre utilité. Notre apprécia- tion est partagée par quiconque a médité l'œuvre dont nous parlons. Déjà en 1637, le P. Caussin considérait « cette pièce comme une des plus instructives qui se puissent voir ou désirer sur cette matière si importante, et en laquelle la pointe et la solidité du jugement de ce Bienheureux paroissent hautement, de mesme que l'équité de ses beaux et bons advis, avec la force, l'elegance et le rai- sonnement de son stile, et la grande expérience qu'il avoit en ce sainct exercice (0. » « Bien que notre écrivain n'ait pas voulu faire un traité sur la matière, » dit à son tour un auteur contemporain très estimable (2), « nous ne savons pas si beaucoup de rhétoriques à l'usage des prédicateurs sont plus complètes, renferment plus de bons conseils, d'aperçus élevés, de règles utiles, que cette Lettre écrite à un ami dans toute la simplicité et l'abandon d'une causerie intime. » Cette Epistre vraiment magistrale n'est pas la seule pièce du même genre que l'Evêque de Genève nous ait laissée sur la prédication. Le 3 juin 1603 il en avait adressé une fort remarquable à Antoine de Revol, Evêque de Dol, dont il avait fait la connaissance à Paris l'année précédente. Les enseignements qu'il lui donne étant comme un sommaire de ceux que nous venons d'anal3^ser, méritent d'être reproduits : « Vous deves en « toute façon, » dit notre Saint, « prendre resolution de « prescher vostre peuple. Le très saint Concile de Trente,  ( I ) Traicté de la Conduite spirituelle selon l'esprit du B. François de Sales, Evesque et Prince de Genève, par le R. P. Nicolas Caussin, de la Compagnie de Jésus (Paris, Sebastien Chappelet, m.dc.xxxvii), p. 591. ( 2 ) L'abbé Sauvage, Saint François de Sales Prédicateur. Thèse présentée à la Faculté des Lettres de Paris (1874), chap. iv.  Etude sur sAisr Fkan(;ois di- Salf.s puédicaihur xi. m « après tous les anciens, a déterminé (^iie le premier et « principal olHce de riivesiiue est de prescher ; et ne « vous laissés emporter a pas une considération cjui vous « puisse destourner de ceste resolution. Ne le faites pas « pour devenir jrrand prédicateur, mays simplement « parce que vous le deves et ([ue Dieu le veut. Le sermon « paternel d'un I'A'(\siiue vaut mieux ([ue tout l'artifice des (( sermons elabourés des prédicateurs d'autre sorte. Il « faut peu de chose pour bien prescher a un Evesque ; « car ses sermons doivent estre des choses nécessaires et « utiles, non curieuses ni recherchées ; ses paroles sim- (( pies, non affectées ; son action paternelle et naturelle, « sans art ni soin ; et, pour court qu'il soit et peu qu'il « die, c'est tous-jours beaucoup. Tout cecy soit dit pour le « commencement ; car le commencement vous ensei- « gnera par après le reste. Je voy que vous escrives si « bien vos lettres et fluidement, qu'a mon advis, pour peu « que vous ayes de resolution , vous feres bien les « sermons. Et néanmoins je vous dis. Monsieur, qu'il n'en (( faut pas avoir peu de resolution, mais beaucoup, et de « la bonne et invincible. » Après ces conseils écrits à des Evoques, écoutons les leçons orales que saint François de Sales donnait à de simples prêtres; elles ne dénotent pas moins de charité, de sagesse et d'esprit d'observation. Le P. Philibert de Bonneville, qui fut son premier historien, a déposé ce qui suit lorsqu'il fut appelé à donner son témoignage pour le Procès de Béatification du Serviteur de Dieu ' O : « J'admiray sa charité le Caresme premier que j'eus le bien de prescher en sa présence ; car il vint tout exprès à Sainct Dominique en la présente ville, me disant qu'on l'eust diverty en son logis, me donnant plusieurs adver- tissements remarc^uables pour prescher fructueusement, ce qu'il fit avec une charité plus ([ue paternelle. Me tirant en un cabinet à part, se mit contre la table, disant quel- ques périodes pour m'enseigner la façon de gouverner la (i Process. remiss. Gebfun. (I\ ad art. ay.  XLiv Sermons recueillis voix et faire les actions et gestes, m'advertissant de ne charger pas tant mes prédications de sentences, mais de les peser davantage, et avec une doulceur non pareille me donnoit courage de m'employer sérieusement à la pré- dication. )) Mais cette application doit être pure de toute préoccupation personnelle : « Il ne faut pas avoir tant de soin de bien faire, » disait encore le Saint au Religieux que nous venons de nommer, « mais il faut purement chercher le salut des âmes, etlhors, comme la prédication est une œuvre de Dieu, il ayde par une faveur spéciale à la sainctement exercer. » Le P. Jean-François Rendu, Religieux Franciscain, reçut, sous une autre forme, les mêmes enseignements : «En 1612, » dit-il (0, « le Serviteur de Dieu me donna une pieuse méthode pour prêcher fructueusement au salut et à la conversion des âmes, disant que toute vanité de paroles doit être bannie des sermons, et que le Christ crucifié ne devait pas être annoncé au peuple par les discours persuasifs de la sagesse humaine, mais par les effets sensibles de V esprit et de la vertu (2). Et il ajouta ces paroles très précieuses que j'ai conservées dans mon cœur afin de me les rappeler pour toujours : « Père Jean-François , c'est en vain qu'un prédicateur prêche s'il n'est embrasé des flammes de la charité. » La charité, tel est bien le suprême ressort de la véritable éloquence et la raison des succès prodigieux qu'ont obtenus les Saints dans le ministère évangélique. De ces grands principes, notre aimable Docteur redes- cendait à toutes les observations pratiques dont son expé- rience lui avait fait connaître l'utilité ; c'est ce qu'assure le célèbre Vaugelas (3), qui eut le bonheur d'entretenir avec lui des relations très intimes. Le Bienheureux « ne pouvoit bonnement approuver, » dit-il, « la façon de prescher de ceulx qui parlent tousjours d'un mesme ton de voix, sans jamais la fleschir ny la ployer en aulcune sorte. Car oultre, disoit il, qu'ilz s'incommodent bien fort eux (i) Process. remiss. Gebenn. (II), ad art. 7. (1 ) I Cor., H, 4. (3) Process. remiss. Pàrisiensis, ad art; 35.  Etude suk saint François dp. Sai.f.s pRF.DiCATP.tm xi.v nu'sinos et se travaillent t^^randcinent les flânez et les poulnions, ilz n'ont partie de faire une si forte impression sur les espritz de ceulx qui les escoutent cjue s'ilz varioient leur voix, la haussant et baissant selon qu'ilz jugeroient à propos ; d'autant (pie par ce moyen il semble à chaque auditeur que c'est à luy à qui s'addresse la parolle de celuy qui presche; car quand on parle à toute une assistance du mesme ton dont on parleroit à une seule personne, on applique bien plustost à soy mesme l'instruction du pré- dicateur qu'on ne faict pas l'oyant esclater en une voix haulte qui, ne variant point, semble n'estre prononcée que pour frapper l'air et non pis la conscience d'un cha- cun des auditeurs en particulier. Ce bienheureux Prélat appelloit ceste façon de mesnager sa voix allô qui hojiii- ncDi, c'est à dire parler à son homme, et faire que chacun prist pour soy ce qui estoit départ}^ à toute l'assistance en gênerai. » L'Evêque de Genève s'attacha d'une manière spéciale à la formation de plusieurs prêtres, auxquels il donna, selon l'expression de Jean -François de Blonay et du P. Rendu, « un Directoire pour prescher fructueuse- ment. » I,es jeunes prédicateurs surtout étaient de sa part l'objet de sollicitudes attentives : il allait souvent les entendre pour être mieux en mesure de leur indiquer les défauts dans lesquels ils tombaient ; d'autres fois il les appelait auprès de lui et leur recommandait principa- lement une application soutenue k l'étude, et la fuite de toute prétention, de tout vain étalage d'érudition dans la chaire sacrée. Saint François de Sales a exposé lui-même ses pro- cédés et ses méthodes ; il va nous en montrer la pratique dans sa vie apostolique. Nous l'avons entendu tracer des règles; il est temps de nous convaincre qu'il s'y est con- formé en toutes choses, constatation aussi agréable que facile, puisque une partie de ses Œuvres oratoires nous sont parvenues. Il serait fastidieux de répéter tout ce qui a été dit dans les Avant-Propos des trois volumes précédents sur la  XLVi Sermons recueillis double série de Sermons : les Autographes et ceux qu'on est convenu de désigner sous le nom de Sermons recueillis. Le lecteur se souvient de la distinction faite dans la première Série, entre les discours de la jeunesse ecclésiastique de François de Sales, et ceux de son épis- copat. Chacune de ces deux classes de Sermons a son genre de mérite : dans les premiers, écrits presque en entier de sa main, on entend parler le Saint ; dans les seconds, on le voit travailler ; peu s'en faut que nous ne disions : on le sent penser. Ce ne sont plus, il est vrai, que des ébauches, mais ébauches tracées par un pinceau d'artiste, et selon les règles formulées dans les divers enseignements que nous avons analysés. On peut y constater le développement progressif des talents de l'Auteur, et voir au prix de quels patients labeurs il l'a obtenu. Assurément nous ne prétendons pas offrir ces canevas comme des types irréprochables ; ils sont esquis- sés à grands traits, ainsi qu'il convient à un homme de génie qui a droit de compter beaucoup sur les ressources que fournissent, au moment du débit, une longue habitude de la parole et surtout le feu de Tinspiration. Inutile encore de répéter ici les indications contenues dans l'Avant-Propos de notre tome IX sur le caratère, le mode de transmission, l'authenticité des Sermons recueillis. Il suffit de rappeler que les imperfections qu'on peut 3^ remarquer sont imputables bien plus aux Religieuses qui les ont écrits qu'au saint Evêque qui les a prononcés. Ces observations faites, il nous reste à examiner de plus près comment, dans la pratique, saint François de Sales s'est conformé aux divers conseils qu'il proposait lui-même aux prédicateurs. Et d'abord, voyons-le à l'œuvre dans l'emploi du Texte sacré. Qui a pu lire les quatre volumes de ses Sermons sans être frappé de la richesse des citations bibliques dont ils sont émaillés ! Les pièces autographes, à elles seules, n'en comptent pas moins de quatre mille. Ce qui est plus remarquable encore, ce sont les interprétations qu'en donne le Saint, les déductions qu'il en tire, les applications qu'il en fait.  Etude sur saint François de Sai.rs prhdicateur xlvii On ne peut les inrditcr sans avcnier, après ceux qui eurent le bonheur de rentendre, qu'il explique « merveilleuse- ment bien les passa}4"es de la Sainte l'-scripture ('), » ou encore, qu'il est '< si consommé dans rintelligence des Escriptures, ([u'il seml)le (jue son esprit soit transformé en elles {^\ » « 11 sait et comprend l'I^criture d'une façon merveilleuse, » écrit le Cardinal Pie<3); <( il s'en inspire toujours, il la commente, l'élucide et l'applique avec non moins de sûreté que de grâce. Sur ce chef, l' Evoque de Genève ne semble point au dessous de ces premiers Pères et grands Docteurs de l'antiquité, dont le discours n'était que comme une ])roderie courant sur le tissu de la parole divine : il est en particulier de l'école et de la famille de saint Ambroise et de saint Bernard. » Quels sens aussi neufs qu'ingénieux ne trouve-t-il pas dans des textes dont il semblait qu'on eût épuisé la fécondité ! Qu'on lise, par exemple, le Sermon prêché à Chambéry le iMercredi des Cendres 1612 ; l'esprit va de surprise en surprise ; le cœur, de ravissement en ravissement. Ce n'est pas avec moins de charme que par- lant dans le wSermon suivant de la première rencontre d'Isaac et de Rébecca, notre vSaint en déduit les senti- ments dans lesquels l'Eglise doit aller au devant du Christ son Epoux. Et pour nous résumer, citons ce mot d'un auteur qui, ayant fait allusion aux querelles de parti trop souvent portées dans la chaire chrétienne, ajoute : « L'exégèse de saint Erançois n'est pas plus soumise à la vulgarité qu'à la haine ; la pureté et l'onction en furent toujours les principaux caractères (0. » I^lais loin de se fier ordinairement à ses propres inter- prétations, toujours si justes et si lumineuses, notre Docteur va souvent demander aux Commentateurs les plus autorisés l'explication du sens littéral. Parmi les Pères, il se plaît surtout à consulter saint Augustin et saint  (l) Déposition de M. Michel Favre (Process. remiss. Gehfnn.'l), .iJ art. js). (a) Déposition de M. André de Sauzéa (Process. rcmiss. Paristi/isis, ad art. 44). (3) Coticessio tituli Doctoris S. Franc. Saîesii, postulatio xxvii. (4) L'abbé Sauvage, ouvrage cité p. xi,ir, chap. m, § ii.  XLviii Sermons recueillis Jean Chrysostome, dont l'un, selon le mot de Bossuet(0, « élève l'esprit aux grandes et subtiles considérations, et l'autre le ramène et le mesure à la capacité du peuple. » Après eux, viennent saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, saint Ambroise, saint Bernard. De plus, on sent, en lisant ses Sermons, que l'Orateur a continuellement sous la main la Grande Bible avec la Glose ordinaire et les annotations de Lyra, ainsi que la Chaîne d'o7' de saint Thomas. Il lui arrive souvent d'emprunter ses citations à ce dernier ouvrage, quoique non moins fréquemment il remonte aux sources. En outre des auteurs que nous avons indiqués ci-devant (pp. xxxvii, xxxvili), il faut encore signaler Rupert, Hugues de Saint-Cher, Géné- brard, Bellarmin et les grands exégètes grecs. Parmi les Commentateurs qui ont concentré leurs travaux sur quel- que partie de l'Ecriture, notre Saint allègue de préférence Péreira sur la Genèse, Pinéda sur les Livres de Salomon, Ribéra, Sa, sur le Cantique des Cantiques, Viegas sur l'Apocalypse. S'il se plaît à en appeler au témoignage des Pères pour l'interprétation de la Bible, TEvêque de Genève le pro- duit plus rarement quand il parle sur d'autres sujets, comme on peut en juger par les Sermons écrits en entier de sa main. Ainsi, dans les trois premiers, qui compren- nent soixante-cinq pages, on rencontre seulement neuf citations patristiques ; trois dans le long Sermon pour TAssomption 1602 ; pas une seule dans l'Oraison funèbre du duc de Mercœur. Autant il aime à citer directement les Saintes Ecritures, autant il a l'habitude de s'appro- prier la doctrine des Pères sans s'astreindre à la rendre par les expressions mêmes dont il^ se sont servis. Peut-être, en considérant les ébauches de ses discours, accusera-t-on l'Orateur de se mettre dans la pratique en contradiction avec ses théories relativement à l'emploi des histoires profanes. Mais il faut se rappeler que ces ébauches ne sont qu'un répertoire préparé d'avance, dans lequel, au moment voulu, il aura puisé avec autant ( I ) Lettre au Cardinal de Bouillon ^ i6-jO,  KruDiî SUR SAINT Fkan(;()is de Sales pKtDiCATF.UK xlix de sobriété que de circonspection. 11 est évident, par exemple, (jue les indications réunies aux pages 1 1 et 294 de notre tome VIII n'ont pas été exploitées dans une seule prédication. De plus, si parfois notre Saint évoque l'opinion des anciens, tels cju' l'^pictéto et Plutarque, Aristote et Sénèque, c'est jîrincipalement h^rscjuc quel- ques-uns de leurs axiomes j)euvcnt mettre en relief l'auto- rité et la beauté des vérités évangéliques. Kt encore dans ce cas a-t-il soin d'user d'une sorte de correctif : (( Connois-toy toy-mesme, » dira-t-il, « est une maxime « des philosophes, mais elle a esté appreuvee par les « docteurs chrestiens. » Une autre fois : « Je cite cecy « de Seneque, je voudrois que ce fust saint Augustin. » Ou bien il aimera à recommander a le Ijon I''pictete, qui « probablement mourut chrestien. » Les allusions mythologiques, contre lesquelles Fran- çois de Sales a si énergiquement protesté dans V Epistre, sont généralement bannies de ses sermons. « Le Maître, en cela, » dit }>\.^' Frcppel (•), u devançait quelque peu son époque. Un sens plus droit, un goût plus vif, })lus délicat lui faisait trouver comme par instinct le premier mot de la réforme, que Bossuet reprendra pour l'achever avec l'autorité du génie. » Quelquefois seulement, au début de son ministère, il évoquera certaines réminiscences de la fable ; mais ces écarts sont bien excusables si l'on tient compte de la jeunesse de l'Orateur, des exemples dont il était environné; ce sont des exceptions qui confirment la règle. Par contre, il profite assez facilement de la liberté qu'il accorde aux autres de citer en chaire quelques vers des grands classiques. Bossuet lui-même^' reconnaîtra plus tard ([ue la lecture des poètes est de « grand secours » pour la formation de l'orateur sacré. Malgré l'austérité de leurs principes, les Oratoriens de Naples, autorisés par le célèbre Tarugi, ne dédaignaient pas d'user de moyens semblables pour soutenir l'attention de l'auditoire. Les comparaisons dont la brillante imagination de  (i) Ouvrage cite p. vi, VII' Leçon. ( 3 ) Lettre citée p. xlvmi. Sbrm. IV  L Sermons recueillis l'Evêque de Genève savait trouver matière dans toute la création paraissent avec un merveilleux éclat dans ses Sermons. On pourrait en recueillir plus de mille dans ceux qui ont été récemment découverts. S'il en est quel- ques-unes qui ne sont pas d'un goût irréprochable et d'une justesse parfaite, combien plus nombreuses sont celles qui se font admirer par une originalité, un charme ravissants ! Quoi de plus neuf, pour nous borner à quelques exemples, que le rapprochement établi (tome VIII, p. 99) entre les larmes que l'amour et la compassion font jaillir des yeux de Jésus sur le tombeau de Lazare, et l'eau de rose qui s'échappe de l'alambic sous l'action du feu ! Et cette autre comparaison (p. 146) entre la rose dépouillée de ses pétales et le cœur du prélat privé de l'amour de ses subordonnés, n'est-elle pas frappante d' à-propos et de grâce? On aura remarqué aussi cette double image qui se trouve dans le Sermon LXXVIII (p. 53) : « Le meilleur « baume va au fond du vase, l'huile d'olive surnage au- (( dessus : la charité produit les bonnes œuvres, l'humilité « les conserve. Les abeilles font le miel, et pour le « conserver, produisent la cire. » Il est aisé de constater que notre Saint fut fidèle à se conformer aux règles qu'il formule sur la disposition des matières ; quelque vagues qu'elles puissent sembler, les divisions qui se dessinent dans les Autographes en sont la preuve incontestable. Malgré l'étendue de son savoir, la facilité de sa parole, il se trace d'avance un cadre sûr dans lequel ses idées se rangeront ensuite selon l'ordre qui doit les mettre le mieux en relief. Ce plan néanmoins ne sera pas toujours définitif; il arrivera que de nouvelles considérations viendront le modifier, en sorte que le sermon prêché offrira des divergences plus ou moins considérables avec le discours écrit. Il est facile d'en juger en rapprochant les Pièces XCV et CV de la première Série, des Sermons I et VII de la seconde, qui en sont le développement. On se souvient que notre Docteur distingue quatre o-enres principaux à traiter en chaire : l'exposition d'un mystère de notre foi, l'explication d'une sentence de  Etude sur saint I'rançois df. Sales prkdicatrur li rKcriturc ayant trait à l'acquisition d'une vertu ou à la correction d'un vice, l'honiclie proprement dite et le panrj^yrique, à (pioi il faudrait aj()ut<'r trois autres genres plus fortement tranchés : le sermon de controverse, la conférence aux Religieuses et l'oraison funèbre. Il serait très intéressant de répartir entre ces différentes catégo- ries les deux cent trente-deux Sermons qui nous sont par- venus. Une bonne partie entrerait dans la première ; plus nombreuses encore sont les homélies sur les Evangiles de l'Avcnt et du Carême ; trois ])anégyriques sont restés à l'état de sommaires ou de canevas. Quant aux sermons sur l'acquisition et la pratitjue des vertus, il en est peu dans lesquels la méthode tracée par le Saint puisse être nettement distinguée ; toutefois, s'il ne s'y conforme pas entièrement, on sent qu'il ne la perd pas de vue. Nous ne parlons pas des sermons de controverse, qui ont été entre tous l'objet d'une préparation spéciale, non plus que des nombreuses conférences adressées aux Filles de la Visitation, et recueillies par elles. Les biographes de saint François de Sales ne men- tionnent que deux oraisons funèbres prononcées par lui ; celle du duc de iMercœur, qu'il condescendit à livrer à l'impression, et celle de la duchesse de Nemours, Anne d'Esté, dont rien ne nous a été conservé. Cette sorte de discours répugnait fort au saint Fvèque, parce que, disait- il, « si l'on n'}' prend garde, l'esprit mondain monte dans « la chaire sacrée, s'y respand en louanges mensongères, (( indignes du lieu saint, et la flatterie des cours prend « la place de la parole de vérité (0. » La simplicité, le naturel, telles sont les qualités maî- tresses aux yeux de l'aimable Orateur; elles brillent dans le fonds de ses prédications ; elles sont l'un des agréments delà forme; toujours il se montre tel qu'il est, et il peut le faire avec avantage, car rien de plus noble, de plus pur, de plus attachant que sa personnalité. L'homme de génie ne fait jamais oublier le Saint ; et c'est à cette sain- teté si attrayante qu'il dut en partie le succès prodigieux (i ) Ancien Manuscrit de VA>nu'f S.iinfc Je la Visitation^ 37 juin.  LU Sermons recueillis de son ministère. Sa parole est toujours animée de cette ferveur ardente et communicative à qui la piété chrétienne a fait un nom spécial, « l'onction. » Son cœur est possédé de Tamour de Dieu et des âmes, et ce double amour l'inspire, Témeut, le transporte, au point que ses auditeurs ont déposé l'avoir vu souvent en chaire « resplendissant comme un séraphin. )> Il ne faut donc pas s'étonner que l'on sente circuler dans ses sermons la chaleur et la vie et que des fruits de conversion répondissent partout à l'ardeur de son zèle ; car, écrivait-il (0, « il n'est point (( de terre si ingrate que l'amour du laboureur ne fœ- « conde. » Aussi pouvait-on lui appliquer la belle parole tombée un jour de ses lèvres (tome VIII, p. 289) : « Rien « ne manque aux Pasteurs qui aiment... Deux mots « inspirés par l'amour sont suffisants. » Mais il n'a garde de se contenter de » deux mots. » Ses sermons sont l'objet d'une préparation soigneuse : dans sa jeunesse il les écrit en entier, comme nous avons dit ; quand la multitude de ses affaires ne lui en laisse plus le loisir, du moins trace-t-il encore des canevas et des notes, et s'étudie à faire passer chez ses auditeurs les sentiments dont il est animé ; et si dans son travail préliminaire il lui semble ne pas y avoir suffisamment réussi, on le surprend ajoutant à travers ces notes des parenthèses ainsi conçues : « Ceci doit être fortement inculqué... Cette histoire doit u être racontée aussi nettement que possible. » C'est que, pour lui, l'assistance n'est pas une sorte d'abstraction, un être collectif ; son esprit la décompose et se met en face de chaque individualité; son âme entre en communication avec chaque âme : il prévient ses objections, répond à ses plus secrètes pensées, s'identifie avec elle, de sorte que toujours il s'applique à alloqtii hominem. Et cet homme, cette âme qu'il prend ainsi à partie, c'est la plus humble, la moins bien douée de l'auditoire. Dans chacun de ses sermons le saint Evêque aurait pu dire ce que nous lisons dans l'un des derniers qu'il ait écrits (tomeVIII, p. 400) : « Vous voyes des-ja la plus part ce que je veux ( I ) Lettre à Mgr Camus.  Htude sur saint I-kan(;ois dh Sales prr[)Icatkur lui « dire, inays il est cxjx'dicnt (jiio je rrxjjli([U(' pour les <( simples. » Mt c'est l.'i un trait caract('*risti(iue du véri- table talent oratoire autant cjue de la sainteté : Savoir se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus- Christ (0.  m Saint François de Sales Modèle de l'éloquence sacrée Saint François de Sales, ainsi c[ue nous venons de le voir, a tracé d'une main sùrc et appliqué avec constance et succès, les véritables lois de la prédication évangélique. Il a donc le droit d'être considéré comme ^Maître et, à ce titre, suivi en toute confiance. Mais de là on ne pour- rait pas conclure rigoureusement et sans autre preuve qu'il fût un Modèle. Un orateur peut donner un ensei- gnement puisé aux meilleures sources, être irréprochable sous le double rapport du style et de l'élocution, sans mériter ce nom. Le travail, la bonne volonté, l'effort personnel aussi persévérant qu'on le suppose ne sauraient suppléer toujours à ce qu'a refusé la nature. Celui qui n'a pas le don de pénétrer, de toucher, peut être un parleur agréable, il ne sera jamais un grand prédicateur. L'élo- quence se trouve là seulement où l'on <( rencontre un cœur qui palpite, une àme qui tressaille, une àme vivement éprise du vrai, du beau, du bien, et qui exprime avec bonheur ce qu'elle sent avec force (2). » Que saint François de Sales soit du nombre de ces personnalités ainsi richement douées, et que ses brillantes facultés aient été dirigées et perfectionnées par les règles de l'art oratoire, il sera incontestablement un Modèle; c'est ce que nous allons démontrer. Pour cette démonstration il suffira de produire le témoignage de ses contemporains ( I ) I Cor., IX, iq, 33. ( a ) Mgr Freppel, ouvrage cité p. vr, II* Leçon.  Liv Sermons recueillis et de prouver qu'il possédait toutes les aptitudes intel- lectuelles et morales qui constituent le grand orateur. Ensuite il sera facile de faire évanouir les restrictions qu'ont apportées certains auteurs aux louanges données à cette partie des Œuvres de l'Evêque de Genève. Pour faire rayonner d'un plus vif éclat les qualités et les vertus de son Serviteur, la Providence l'avait mis en relation avec une foule d'esprits supérieurs, capables de reconnaître et d'apprécier en lui tous les genres de mérite : c'était en Savoie sainte Jeanne-Françoise de Chantai et le président Favre ; c'étaient à Paris des hommes d'église et des courtisans : de BéruUe, du Val, Vincent de Paul, Vaugelas, Des Hayes ; c'était Henri IV lui-même, qui se glorifiait d'être l'ami de « Monsieur de Genève, » comme on disait alors. Qu'on ne nous objecte pas que cette estime , cette admiration compromettent l'impartialité des témoignages. Ils sont tellement una- nimes et si multipliés qu'il n'est pas possible d'en sus- pecter la sincérité. Et d'abord, personne n'aura l'envie de contredire au célèbre Antoine Favre qui, par son seul mérite, obtint la plus haute dignité de son pays : la charge de premier Président au souverain Sénat de Savoie. Ce grand juris- consulte, dont la réputation devint européenne, parle ainsi de notre Saint dans la Préface de son Codex Fabrianus : « Comme prédicateur, non seulement il s'énonce extrê- mement bien (dïserlïssïmus), ce dont beaucoup sont capables ; mais il est très éloquent (eloquentïssïmus), ce qui est le mérite du petit nombre. On ne sait en quoi il excelle, ou dans la profondeur de la doctrine, la beauté de la diction, la majesté de l'expression, ou dans le choix des sujets les plus appropriés aux circonstances. » Sou- vent dans sa correspondance privée, l'illustre magistrat, bon juge en telle matière, répète en d'autres termes les mêmes éloges. Ils sont l'expression non de l'enthou- siasme mais d'une profonde conviction, car il parle en témoin auriculaire. Bien plus, il appréciait à tel point les sermons de son saint Ami qu'il voulut en transcrire plusieurs de sa propre main. Ces copies, qui furent  lÎTUDE SUR SAINT FRANÇOIS DR SaLES PRhDICATEUR LV retrouvrcs j)liis tard (hms les archives de la famille Favre, aidèrent le Président pour la composition d'un ouvrage mentionné par l'Evéciue de (îenève dans une lettre adres- sée à sainte Jeanne-l'Vançoise de Chantai, à la date du II février 1607 : << Je vous envoyé, » écrit-il, « le livre « ci joint auquel vous verres beaucoup de beaux traitz, « qui furent en partie faitz sur mes premières précdica- « tions par M. le Président de cette ville, homme de rare (( vertu et fort chrestien. » Un autre contemporain et ami de notre Saint, dom Jean de saint François, Général des Feuillants, lui a rendu ce témoignage (0 : « Il avoit la voix forte, intel- ligible et posée, le style très élégant ; les termes bons, propres et naïfs, accommodez à ses pensées qui estoient claires, nettes et nullement confuses ni enveloppées: ses conceptions rares, hautes et divines, mais traitées par lui d'une façon commune et si facile que chacun en étoit capable, jusques au plus simple peuple qui retenoit aisé- ment ses sermons à cause de la facilité qui se rencontroit en sa méthode, et du grand ordre et arrangement qu'il y apportoit et observoit. Plusieurs... qui ne sçavent pas combien ceste facilité est difficile, aprez l'avoir entendu s'imaginoient qu'ils en eussent bien fait autant que lui ; et c'est en quoi consiste le dernier point de l'excellence de celui qui parle en public , que de tromper ainsi la présomption de son auditeur. Il accompagnoit tout cela d'un geste grave et majestueux, mais qui ne tenoit en rien du fastueux ni du severe. Il avoit tant de grâce et tant d'attrait en ses sermons que, qui l'avoit entendu une fois, à peine en pouvoit-il gouster d'autres... Il ne préchoit point d'une façon trop recherchée ; mais, de l'abondance de son cœur et du grand fons de la doctrine qu'il avoit acquise par labeur, ou que par oraison la grâce lui avoit infuse, procedoient les paroles de vie ^ qui sortoient de sa bouche, toute respirante d'amour et de sainteté. » ( I ) Za Vie du Bien-hcureus Mre François de Sales, Evesjue et Prince de Genève... par le R. P, Dom Jean de S. François, Supérieur General de la Congreg. des Feuillans (Paris, Michel Soly, m Dc.xxiv}, liv. II. (a) Joan., vj, 64, 69.  Lvi Sermons recueillis La conversion du Chablais prouverait à elle seule, et d'une manière éclatante que, dès sa jeunesse, François de Sales fut puissant en parole (0. D'autres mission- naires avaient, avant lui, tenté cette œuvre difficile ; pour tous, l'échec fut complet. Le Prévôt parait ; les hérétiques, subjugués déjà par le charme de sa vertu, sentent qu'ils ne sauraient échapper à la divine séduction de son éloquence ; une abstention rigoureuse est imposée par les ministres sous les peines les plus sévères. Ne pouvant se faire écouter, François réussit à se faire lire. Les défiances diminuent, les préjugés tombent ; on se rapproche de lui, on s'enhardit à l'entendre, et bientôt cette florissante province est rendue à l'Eglise. Un des coryphées de l'erreur, le colonel de Brotty, avouait que les promesses et les menaces du Duc de Savoie, son souverain, l'avaient laissé insensible ; les invectives virulentes de certains prédicateurs, moins pru- dents que zélés, l'avaient affermi dans son obstination ; mais devant les « agréables discours » du Prévôt, lui et ses adeptes avaient senti diminuer leur « totale aver- sion » pour sa religion (2), et tous finirent par rendre les armes, que nul autre jusque là n'avait pu arracher de leurs mains. Ainsi l'Apôtre vérifiait-il la parole qu'il insérait dans les Controverses (3) en traitant de la fécondité de l'Eglise : Cette fécondité « se faict principa- « lement par la prédication, comme dict saint Pol (4) : « Per Evangelium ego vos genui. » Et, révélant comme à son insu, la cause des succès prodigieux qu'il devait obtenir, il ajoute : « La prédication donques de l'Eglise « doit estre enflammée : Ignitum eloquitim tuiim , « Domine (5) ; et qu'y a il de plus actif, vif, pénétrant « et prompt a convertir et bailler forme aux autres ma- « tieres que le feu ? » La prédication du saint Missionnaire était vraiment  ( I ) Lucae, ult., 19. (3) Process. remiss. Gebenn. (I), ad art. ri et 40. (3) Tome P"" de notre Edition, Partie I, chap. m, art. xix. (4)1 Cor., IV, 15. ( 5 ) Ps. cxviii, 140.  Htudr sur saint François de Sales pri-dicateur i.vii enflainnK'O j^arcp que liii-inriiie, selon hi bolle expression d'un aiit(Mir ' ' ), ('tant <( comme enfermé dans le Verbe, sa vie presclu)it devant sa parolle. Il soufFroit les choses divines, comme escrit sainct Denys (^/, devant que de les dire, et le tri()m])he de son elo(juence estoit la conversion de ses auditeurs. » Ce mai^-nifique triomphe, le seul que puisse légitimement ambitionner un ministre de l'Kvan- gile, le Coadjutcur de Genève l'obtint à Paris, où il fit en 1602 le séjour dont nous avons parlé plus haut. T,e président Favre, qui se trouvait pour lors dans cette ville, écrivit à M^' de (îranier le zH mars 1602 : « Monsieur mon frère » (c'était le titre que notre Saint et le célèbre jurisconsulte se donnaient réciprociuement) » Monsieur mon frère ne laisse de se faire admirer par les doctes et belles prédications qu'il fait en divers lieux. » Et en date du 10 avril : u Vous ne pourriez croire... combien tous les princes et princesses de la cour favorisent mon frère pour les mérites qu'ilz recognoissent en luy et pour la réputation que luy ont acquise tant de belles et doctes prédications... Il est tenu pour le premier prédicateur que la France aye veu des longtems en ce grand théâtre. » « A Paris, il annonçait la parole de Dieu avec grande ferveur, aux applaudissements de tous les Parisiens, mais spécialement de la cour de Henri IV, » dit le célèbre du Val, docteur de Sorbonne (3); « plusieurs changèrent de vie et tous furent puissamment portés à la piété. Des hommes qui avaient jusqu'alors vécu dans l'hérésie, l'abjurèrent immédiatement, entre autres un marquis d'illustre naissance, dont la conversion porta un grand coup au parti hérétique et augmenta considérablement l'influence du parti catholique. L'éloquence de notre François étoit douce, son langage grave, son action sobre, son aspect vénérable ; il était fort persuasif, pressant, contraignant presque ses auditeurs à l'amendement de leur vie ou à l'abjuration de l'hérésie par la force de ses raisons puisées dans les Saintes Ecritures ou le trésor de ( I ) Le P. C.iussin, ouvrage cité p. xiii, Section vu. (2) Z)«r divin. Nom., cap. m. (;) Process. remiss. Parisiensis, ad art, 35.  Lviii Sermons recueillis la théologie. Henri IV était si touché par le Bienheureux qu'il parlait souvent de lui à ses courtisans, et voulait le pourvoir de quelque évèché dans son royaume. » (( J'ay appris du sieur Antoine Favre, premier Président de Savoye, et du sieur Des Hayes, maistre d'hostel de Sa Majesté, » dépose à son tour le marquis de Lullin (O, (( qu'il fut receu du Roy et de toute la cour et révéré comme un Ange ; que ce grand Prince, qui estoit le plus esclairé de toute la terre, ne le nommoit que le phœnix des Prelatz, l'unique en la personne duquel il admiroit toutes les qualitez d'un parfaict Evesque assemblées... Il prescha le Caresme dans la salle du Louvre avec l'admi- ration de toute la cour ; les plus sçavans docteurs Tescou- toient comme un oracle, et publioient qu'il estoit le plus éloquent et le plus sçavant homme de son siècle ; le Roy luy mesme déclara qu'il n'avoit jamais ouy un si puissant prédicateur. » En conséquence, le Monarque conçut le désir de rete- nir à Paris le Coadjuteur de Genève pour l'envoyer de là tenter la conversion du Roi d'Angleterre, Jacques 1"" (2). Ce projet devait sourire à l'âme de l'Apôtre, qui eut toute sa vie une prédilection spéciale pour l'île des Saints ; mais s'il ne lui fut pas donné d'arroser cette terre de ses sueurs, il la féconda de ses prières ; certainement elles contribuèrent de loin, et pour une large part, à préparer le beau mouvement de retour qui réjouit l'Eglise à la fin de notre xix^ siècle. Les tentatives faites alors pour attirer François de Sales à Paris se renouvelèrent plusieurs fois inutile- ment dans les années qui suivirent. De son côté, il n'oubliait pas la sympathie dont les Parisiens l'avaient entouré, et il serait bien volontiers revenu les évan- géliser. C'est ce qu'on peut inférer d'une lettre qu'il écrivit à Des Hayes, en date du 5 octobre 161 2 : « Dieu  (i) Process. remiss. Gehenn. (II), ad art. 20. ( 3 ) Henri IV confia la négociation de cette affaire à son confident, Zamet, en présence du duc de Bellegarde, qui dans la suite raconta le fait au P. Rendu, Religieux de Saint-François, lequel l'a déposé au Procès de Canonisation de notre Saint. (Process. remiss. Gebenn. (II), ad art. 7.)  Etude sur saint I-rançois dh Sales prédicateur lix « sçait bien, » lui nuindait-il , <( que je praeparois un « cœur tout nouveau, plus grand ce me semble que le « mien ordinaire pour aller la prononcer ces saintes et « divines paroles... et si, je me i)romettois, par un certain « excès d'amour a ce dessein, que preschant maintenant <( un peu plus meurcment, solidement, et pour le dire (( tout en un mot entre nous, un peu plus apostolique- u ment que je ne faysois il y a dix ans, vous eussies « aymé mes praedications, non seulement pour ma consi- « deration, mais pour elles mcsmes... Il faut confesser « la vérité, j'ay un'extreme passion en cett'occurrence. » Les regrets qu'éprouvait ri^vé([ue de Genève étaient partagés par les amis et les admirateurs nombreux qu'il s'était faits dans la capitale. Marie de .^lédicis elle-même fut désappointée de ce contre-temps, et se promit bien de profiter de la première circonstance favorable pour le rencontrer. La question de savoir s'il ferait partie de l'ambassade qui devait aller traiter à Paris le mariage de Christine de France avec le Duc de Savoie fut assez longtemps discutée à Turin. Richelieu intervint (O en signifiant que son Souverain serait fort mécontent si on lui refusait la satisfaction de connaître l'homme de Dieu. La volonté divine était bien que l'humble Prélat parût encore une fois dans la grande ville où tant d'âmes allaient être à la fois subjuguées par le charme de son éloquence et par le prestige de sa sainteté. Il devait à Paris revoir le Cardinal de Bérulle, qui avait autrefois si vivement désiré son concours pour la fondation de l'Oratoire ; faire la connaissance de saint Vincent de Paul et contracter avec lui une amitié telle qu'en quit- tant la capitale il lui léguerait ce qui lui tenait le plus au cœur : ses P'illes de la Visitation. (^On sait que le saint Prêtre fut pendant quarante ans leur Supérieur.) Enfin il allait nouer des relations avec Georges Froger, curé de Saint-Nicolas du Chardonnet, et surtout avec le célèbre M. Bourdoise son vicaire, le « restaurateur de la vie commune. » Celui-ci avait depuis peu transféré sur (i) Lettre du i8 janvier ibiy.  Lx Sermons recueillis le territoire de Saint-Nicolas la petite communauté qu'il avait fondée primitivement à Reims. C'est là que saint Vincent de Paul venait se consoler des contraintes que souffrait son humilité à l'hôtel de Gondi. Cette paroisse se trouvait être un foyer de ferveur dont le rayonnement se faisait sentir au loin. Un irrésistible courant de vie spirituelle pénétrait alors jusque dans les régions du grand monde : des femmes de la première distinction, des dames de la cour même se livraient aux pratiques les plus admirables de la piété et de la pénitence ; ainsi se préparaient-elles à prêter un concours efficace, quand le moment serait venu, aux hommes remarquables dont le Seigneur allait se servir pour régénérer la France. La plupart d'entre elles voulu- rent se prévaloir des lumières de l'Evêque de Genève et recourir à ses conseils. Nommons seulement M™'* de Maignelay, Séguier, de Vialart de Herse, d'Harcourt, de Villeneuve, de Villesavin. Il y aurait beaucoup à dire au sujet de ce que ces éminentes chrétiennes durent à saint François de Sales ; mais force nous est de passer rapi- dement sur ces souvenirs, car nous étudions ici le Pré- dicateur modèle et non pas le Directeur des âmes. A Port-Royal, il fut apprécié sous l'un et l'autre aspect, et partout les personnages les plus graves s'accordaient à lui décerner le titre de « Prédicateur apostolique. » « Sa ferveur, » dit saint Vincent de PauKO, « brillait surtout dans ses sermons publics, que je regardais comme l'Evangile parlant ; c'est là qu'il allumait dans son audi- toire de vives flammes de dévotion... Ses paroles m'ins- piraient tant d'admiration que, en les considérant, il me semblait que personne mieux que lui ne représentait le Fils de Dieu conversant parmi les hommes. » Après cette déclaration d'un grand Saint, écoutons celle d'un homme du monde, d'un compatriote de l'Evê- que de Genève, Vaugelas, l'un des fondateurs de l'Aca- démie française. « Il est certain, » dit-il (2), « qu'en  ( I ) Process. remiss. Parisiensis, ad art. 17* ( 3 ) Ibid., ad art. 30^  F/lUfiK SUR SAINT FRANÇOIS DH SaI.KS l'Rh[)ICATtUK l XI rcxcrcice de lu prédication » le liienheureux « a plustost recherché de se voir humilié que loué, veu qu'estant extrêmement docte et elocjuent, ainsy que j'ay appris des plus doctes et des plus eloqucntz hommes de nostre siècle, de Messieurs le Cardinal du Perron, le Cardinal de I^erulle, Monsei^^neur CoefFetau, Iwesque de xVlarseille, et Monseigneur Fenouillot, lù-esque de Montpellier, il n'affectoit point neantmoins de paroistre ny l'un ny l'autre; au contraire, il se rendoit si familier et si intelli- gible, que ceulx ([ui n'estiment en matière de discours que ce cju'ilz n'entendent pas, se plaignoient de sa trop grande facilité qu'ilz osoient appeller bassesse... Je luy ay ouy dire quelques fois que la lent^nir cjui paroissoit en ses prédications et ccste difficulté qu'il sembloit avoir de s'expliquer, ne procedoit pas de stérilité d'esprit, mais au contraire d'abondance, d'autant qu'il se presentoit à luy tant de choses et de parolles à la fois, que le doute du choix le faisoit ainsy hésiter. » Il est à remarquer que cette lenteur d'élocution est mentionnée par ceux-là seulement qui étaient accoutumés à la volubilité dont les orateurs des grandes villes se faisaient un mérite. Vaugelas continue (^ : « Je n'ay jamais ouy de pré- dicateur qui m'ayt ravi ny qui m'ayt touché si douce- ment ny si sensiblement que luy. Je prenois un singulier plaisir à l'entendre. Premièrement il se proposoit le vray but du prédicateur, qui est la conversion des âmes, à laquelle il travailloit plustost par la voye de l'amour de Dieu que par celle de la crainte de l'enfer. Il monstroit un jugement admirable à observer exactement toutes les circonstances requises, soit du lieu, du temps, ou des personnes devant lesquelles il preschoit ; il ne disoit pas un mot qui ne servist , et tout son discours estoit si judicieux et si bien ordonné qu'encore que j'aye fort mauvaise mémoire, il m'eust esté aisé de retenir tout son sermon par cœur, pour peu de soin que j'y eusse voulu apporter. Son langage estoit net , nerveux et puissant en persuasion, mais surtout il excelloit en la (i) Ad art. 35.  LXii Sermons recueillis propriété des motz, dont il faisoit un choix si exquis que c'estoit ce qui le rendoit ainsy lent et tardif à s'expliquer. Il ne pouvoit souffrir ceste façon de parler fardée que tant de gens affectent aujourd'huy, et que plus de gens encore prennent à faulces enseignes pour la vraye éloquence. » (( Au reste, il abondoit en belles pensées, et estoit si fertile en conceptions que plusieurs grans personnages consommez en une longue lecture, ont advoué de ne l'avoir jamais ouy prescher qu'ilz ne luy eussent entendu dire des choses toutes nouvelles et qu'ilz n'avoient jamais auparavant ny leuës ny ouy dire à personne. Mais c'estoient des pensées toutes judicieuses, et jamais extravagantes ny trop recherchées, mais qui touchoient l'ame et l'entendement, et non pas simplement l'imagi- nation de l'auditeur. Ce qui me ravissoit davantage c'estoient les fréquentes et admirables applications qu'il faisoit sur toutes sortes de choses, dont il tiroit de riches comparaisons qu'il ramenoit à son subject... Il faisoit bien aussy paroistre qu'il possedoit parfaictement cest art en ce qu'il sçavoit tourner un subject de tous costez et le regarder à toutes sortes de visages, si bien qu'il n'en rencontroit jamais de si stérile ny de si aride où il ne fist naistre des fleurs et dont il ne recueillist des fruictz capables de nourrir les âmes. » Philippe Cospéan, Evêque de Nantes, connut aussi et apprécia François de Sales N. Ce Prélat, l'un des premiers qui devait discerner le génie de Bossuet, était à coup sûr juge compétent en fait de mérite oratoire ; or, son admi- ration pour notre Saint se traduit par ce mot qui vaut à lui seul de longs éloges : « C'était un excellent prédi- cateur, animé du zèle le plus ardent pour la foi (2). » Il ( I ) Dans une lettre non datée, mais qui d'après son contexte doit être de novembre 1621, sainte Jeanne-Françoise de Chantai écrivait à saint François de Sales au sujet de Mgr Cospéan : « Le très bon Monseigneur de Nantes aime cet Institut parfaitement ; mais de vous, je n'oserais écrire ce qu'il en dit; c'est sa douceur et ses délices que de parler de vous et de vous considérer, mais il le fait avec admiration. » (Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantai, sa Vie et ses Œuvres (Paris, Pion, 1877), tome IV, Lettre cccliv.) (3) Process. remiss. Parisiensis, ad art. 35.  Etudf sur saint I-kançois DR Salfs prf':dicatfur i.xiii était surtout cntlamnir des ardeurs de ki divine charité, et savait, ainsi (jue le dépose Cîeorges Froger, enlever les âmes dans les célestes hauteurs qu'habitait la sienne. « Le Serviteur de Dieu, » dit-il ' ), « prêcha fré(iuem- ment dans notre église ; une fois entre autres, la mitre en tête et revêtu de la chape, il le fit avec un talent et une force si remarquables, ou plutôt sous l'inspiration de riîsprit de Dieu, à tel point que, pendant toute la durée de son sermon, il nous semblait être transportés dans le Ciel. C'était en la fête de la Translation de saint Nicolas, Patron de notre paroisse. » Et afin de choisir des témoignages dans tous les rangs du clergé, recueillons celui d'un célèbre Jésuite, le P. Caussin ; si l'on en croit Jacquinet, il aurait été le premier Religieux de la Compagnie qui en France revint aux véritables règles de la prédication évangélique. Il pouvait donc parler en connaissance de cause quand il affirmait que « les prédications » du Serviteur de Dieu « estoient sçavantes, pieuses, intructives, nerveuses et pleinement apostoliques ( = ). » Nous serions en mesure de produire encore de nombreuses citations ; mieux vaut nous résumer en disant que tous les contemporains de saint François de Sales s'accordent à le proclamer le Modèle des prédicateurs. Quelque concluantes que puissent être ces preuves extrinsèques, nous ne saurions nous en contenter, puis- qu'il est facile d'en avancer d'autres beaucoup plus con- vaincantes , c'est-à-dire de constater chez notre Saint toutes les qualités naturelles ou acquises qui constituent le parfait orateur. Pour mériter ce titre, il faut posséder la double puissance d'éclairer et de toucher ; il faut faire voir et faire vouloir. La solidité de la doctrine, la profon- deur des pensées, la justesse des démonstrations, une exposition claire et méthodique satisfont l'intelligence ; mais la volonté pour se rendre demande davantage : elle  l) Process. remiss. Parisiensis, ad art. 35. (a) Ourrage cité p. XLii, Section vu.  Lxiv Sermons recueillis cède à celui-là seul qui saura la dominer ou l'émouvoir. Or, pour y parvenir, il est nécessaire d'user de la force dans le sens général du mot, ou de cette force spéciale comprise sous le terme de pathétique. La première de ces qualités est facilement à la portée de l'homme de caractère qui, doué d'un jugement sûr et habitué à une argumentation serrée, sait dégager de la vérité toutes les conséquences pratiques qu'elle comporte. Un esprit de cette trempe est spécialement apte à trouver dans la prédication des mystères les plus terribles de notre foi le secret de convertir les pécheurs. Le pathéti- que procède autrement, si toutefois l'on peut parler de procédé quand il est question d'une puissance propre à celui qui, par une divine contagion, sait faire passer dans les âmes de ses auditeurs toutes les nobles et saintes émotions dont la sienne est remplie. Pour atteindre la raison et gagner la volonté il agit d'abord sur la sensi- bilité et l'imagination ; avec le concours de ces facultés mitoyennes, il pénètre, touche, remue la conscience jusque dans ses dernières profondeurs, et détermine la conver- sion. Afin d'obtenir ce résultat, qui est en définitive le plus beau triomphe de sa grâce, le Seigneur ordinairement ne s'associe que des Saints ou des hommes d'une éloquence consommée : François de Sales était l'un et l'autre. Ses Sermons, étudiés avec soin et attention, en don- neraient la preuve dans une certaine mesure ; mais encore ne pourront-ils jamais permettre déjuger exacte- ment le mérite de leur Auteur. Si l'homme qui rédige des discours éloquents peut n'être pas capable de les prononcer éloquemment, à plus forte raison l'orateur de talent sera-t-il imparfaitement représenté par ce que l'on nomme « ses restes. » A cette réserve générale vien- nent souvent s'en ajouter plusieurs autres provenant des circonstances de temps et de lieux dans lesquelles se trouve le prédicateur, de la composition de l'auditoire, des occasions qui le déterminent à prendre la parole, et qui peuvent ou comprimer le talent ou lui donner lieu de se produire avec éclat. Cette dernière observation est une de celles qui fournissent la base la plus solide pour une  Etude sur saint François de Sales pr^dicathur lxv appréciation équitable. Srrnhi oppnrtîiiuis , dit le Sag-e ('), est optinnis. Ne serait-il pas (U'-pourvu de sens celui qui voudrait juj^^er le génie de liossuct d'après les exhortations familières c^ue ce grand lioinnic adressait à des villageois au cours de ses visites pastorales ? Les conclusions tirées des discours écrits sont donc assez souvent mal fondées. Si l'on peut constater ([ue le prédicateur a laissé des chefs-d'œuvre, comme firent les célèbres orateurs qui illustrèrent en France la seconde moitié du xvir" siècle, la discussion est close ; sinon, une enquête devient nécessaire. Pour reconnaître et admettre la supériorité qu'on attribue à ces hommes, les critiques ont droit d'exiger que sur tous leurs travaux ils aient apposé le sceau d'un talent peu commun. Si toute- fois il est possible d'invoquer en leur faveur des preuves extrinsèques, il suffit que les preuves tirées des discours écrits n'y contredisent pas; c'est ce qui a lieu pour notre Saint. De tous les Sermons qu'il a prêches durant les vingt années de son épiscopat, alors qu'il était dans la pleine maturité du talent, nous n'en avons pas un seul rédigé in extenso. Le témoignage des contemporains sup- plée à ce défaut en attestant que, pendant cette période, TEvôque de Genève fit des prodiges d'éloquence ; donc, il eut à un degré éminent le don d'éclairer et de toucher. Nous savons qu'il fut richement doué de toutes les facultés solides et brillantes qui permettent d'exercer une irrésistible action sur l'intelligence et la volonté d'autrui. Kt d'abord, nous l'avons dit dans la seconde Partie de cette Etude, rien n'égale la force et la justesse de son argumentation, si ce n'est l'heureux usage qu'il fait des saintes Lettres. D'après le Cardinal Pie ('), » la Bible est plus que la règle de ses pensées : on peut dire qu'elle en est devenue la substance. >^ Or, « les Ecritures, » déclare notre Saint-Père le Pape Léon XIII (3), « ont pour vertu propre et singulière de donner à l'orateur  (i) Prov., XV, av (2) Lettre poslulatoire citée p. xlvh, note (3). (3) Lettre Encyclique Providentissimus Deus, 18 novembre 1893. Sbrm. IV -  Lxvi Sermons recueillis sacré l'autorité, la liberté apostolique du langage, l'élo- quence nerveuse et triomphante. » Mais pour exploiter les richesses contenues dans cette mine inépuisable, l'étude ne suffit pas ; elle doit être fécondée par la méditation, qui, mettant l'intelligence humaine en contact immédiat avec Dieu, la rend capable d'être surnaturellement illuminée. Ainsi le comprenait et pratiquait excellemment notre Saint ; la méditation est même le grand ressort et de son action personnelle et de l'effort correspondant qu'il exige de l'auditeur. Déjà il l'avait insinué dans son Epître « a Messieurs de Thonon (^) : (( Lises mes raysons attentivement... puys prenes tems « et loysir de rassoir vostre entendement. » D'après lui, les Docteurs méritent leur couronne « par la méditation, » comme « les Martyrs par la constance (2). » De là vient l'insistance avec laquelle dans ses deux chefs-d'œuvre ascétiques, il conseille, recommande et déclare indispen- sables l'oraison mentale, « la considération ; » c'est ce qu'il répète souvent dans les Sermons sous des formes diverses. Ces Sermons ainsi préparés par l'étude et la prière contiennent une doctrine profonde, et présentée toujours avec la plus parfaite clarté. Les Autographes, ceux-là surtout qui demeurèrent inédits jusqu'à présent, complè- tent l'enseignement donné dans les Controverses sur la Tradition, sur l'infaillibilité de l'Eglise et du Souverain Pontife; on peut le constater principalement dans ce qui nous reste du Carême prêché à Grenoble en 161 7. Les discours préparés pour cette station offrent aussi de remarquables leçons de théologie morale : telles sont, par exemple, celles que contiennent sur l'avarice le Sermon CXXXI, et sur la charité fraternelle le Sermon CXXX V. François de Sales était donc parfaitement à même d'éclai- rer les intelligences. Il n'était pas moins puissant à subjuguer la volonté, par les deux armes irrésistibles que nous avons indiquées plus haut : la force proprement dite et le pathétique. (i) Voir Les Controverses, tome P"" de notre Edition, p, 6. [3) Lettre à une Religieuse de saint Bernard pour la fête de tous les Saints,  Etude sur saint François dr Salfs prkdicatkur i.xvn Kt d'abord, la force oratoire n'est cjue le reflet et la conséquence de la force de caractère. Peu d'historiens ont su reconnaître cette qualité dans notre saint ]*r<'(li- cateur. A les en croire, la douceur lui serait naturelle et n'aurait coûté nul effort à son âme bonne et aimante. Mais il n'en alla pas de la sorte ; car cette douceur accjuise au prix de vingt-deux annérs de lutte contre soi-même est en réalité le triomphe de sa force. Ainsi l'avait compris le P. de Neuville, un des panég-y- ristes de notre Saint. Il n'hésite même pas à déclarer (') que les avantages dont la nature lui avait été prodigue, étaient chez lui autant d'obstacles à la douceur : « Pour s'en convaincre, il ne faut, » assure-t-il, « que jeter les yeux sur ses écrits où règne une certaine impétuosité, qui, en nous montrant ce que saint François de Sales fut par le naturel et le tempérament, nous fait admirer davantage ce qu'il devint par l'étude, par la réflexion et surtout par l'opération divine. Il fut donc doux et paci- fique parce qu'il voulut l'être; la nature, si vous voulez, avait ébauché l'ouvrage , mais la nature avait laissé beaucoup à faire à la grâce, elle lui avait même laissé tout à faire pour que sa douceur fût digne de Dieu. » Un autre Jésuite, le P. Caussin, que nous avons déjà cité (^), avait dit bien avant le P. de Neuville : « Plusieurs bonnes âmes » qui ont connu le Bienheureux « seulement par rapport et réputation, se sont grandement mespris au jugement qu'ils ont faict de son esprit, qu'ils ont creu naturellement facile et un peu bien condescendant. Ce qu'il en faisoit estoit par... des forces incroyables sur luy mesme. » iMais nous allons encore plus loin, et, après avoir établi que la force est le fondement de la douceur du saint r^êque, nous ajoutons que cette douceur le cédait en lui à une autre vertu toute militante. Ainsi l'affirme l'âme qui sur terre connut le plus intimement la sienne : au témoignage de sainte Jeanne-Françoise de Chantai (3), { r ) Panégyrique de saint François de Sales, I""' Partie, (a) Page xlii. (3) Lettre au R. P. dom Jean de Saint-François, sur les vertus de saint François de Szlcs (Œuvres, tome III).  Lxviii Sermons recueillis la vertu dominante de son bienheureux Père était le zèle ; le zèle, cette ardeur enflammée, dont l'office est de (( haïr, fuir, empescher, détester, rejetter, combattre et « abbattre, si l'on peut, tout ce qui est contraire à Dieu, « c'est a dire a sa volonté, a sa gloire et a la sanctifica- « tion de son nom (0. » Cette énergie, ce zèle éclate dans les Sermons avec une impétuosité qui surprend de prime abord. Nous avons fait remarquer ailleurs (2) l'autorité, la noble indépendance avec laquelle le Saint débute dans la chaire évangélique. Encore simple minoré, il dénonce sans réticence les dérèglements des magistrats aussi bien que ceux du peuple, et rend les uns et les autres égale- ment responsables des calamités qui désolent le pays. Moins apparente dans d'autres discours, cette force ne demeure pas moins très visible à tout esprit observateur. Elle se révèle principalement dans ce qui nous reste des stations de Chambéry et surtout de celles de Grenoble. Ce Prédicateur, que l'on se figure si indulgent et facile, annonce les vérités redoutables de notre foi avec une vigueur qui terrifie. Et si la simple lecture de ses ébauches est capable de transpercer le cœur de la crainte des jugements divins, que devait-ce être quand de tels ensei- gnements étaient animés par le ton, le geste, le regard d'un homme singulièrement puissant à rendre ses convic- tions transparentes dans ses paroles ! Jusqu'au terme de sa carrière on sent son âme frémissante à la pensée de l'arrêt mystérieux qui doit fixer les destinées éternelles de chacun. Cette impression paraît même devenir plus vive à mesure qu'il approche de sa consommation, comme le prouvent, par exemple, les Sermons de la seconde Série pour la fête de saint Mathias et pour le Vendredi- Saint 1622. L'Evêque de Genève, qui avait le don de prendre pour ainsi dire la volonté d'assaut, de la subjuguer par la force, excellait dans ce pouvoir beaucoup plus appré- ciable de la saisir par le pathétique. Cette puissance ( I ) Iraittê de V Amour de Dieu, Livre X, chap. xiv. (2) Voir plus haut, p. xvi, et TAvant-Propos de notre tome VII, p. xi.  Etude sur saimt François de Sales prédicateur i.xix résultait en lui d'un heureux assemblage d'énergie, de sensil)ilité, d'onction portées au plus haut degré. C'est surtout dans les sujets qui traitent plus directement de la Personne ou des mystères de Notre-Seigneur Jésus- Christ et de sa sainte Mère, que l'on se sent gagné soi- même par l'émotion qui remplissait l'àme du Prédicateur. A ce point de vue, les Pièces PXXXVIII, XCV et Cil de la })reinière vSérie se recommandent spécialement à l'attention du lecteur. Plus remarquable encore est le Sermon XCVIII, prêché en la fête de la Nativité de la très Sainte Vierge 1614. C'était au soir de ce même jour où, pendant la Messe pontificale, une colombe écla- tante tle blancheur était venue se reposer sur la tête du saint l^véque, à la vue de toute l'assistance émerveillée d'un tel prodige. On s'explique donc sans peine le ton singulièrement émouvant d'un discours prononcé sous une telle impression. Mais encore une fois , les fragments qui nous restent ne sont qu'un pâle reflet de ce que devait être sur les lèvres de l'Orateur cette parole tout enflammée de l'amour divin. C'est ce qu'insinue éloquemment Bourdaloue dans son Panégyrique de saint François de Sales '^) : « Ah I si la morale de ce saint Prédicateur seulement tracée sur le papier est encore si puissante, que ne pouvait-elle point quand elle était vivante et animée ? Et lorsqu'elle partait immédiatement de ce cœur embrasé du zèle le plus pur et le plus ardent, quel feu ne devait-elle pas répandre partout ? » l^on nombre de déposants au Procès de Béatification parlent de l'irrésistible empire que François de Sales exer- çait sur ses auditeurs, et saint Vincent de Paul le fait en des termes tels qu'ils pourraient nous dispenser d'invoquer toute autre preuve. « Le Bienheureux, m'a dit, » atteste le Fondateur de la Mission ^\ <( qu'il sentait lorsqu'il prêchait (i) D'après une récente découverte, due au R. P. Chcrot, S. J., ce Pané- gyrique a été prononcé au !«'' Monastère de la Visitation de Rennes, le 16 juin 1668, à louverture des fêtes célébrées à l'occasion de la Canonisation de saint François de Sales. (Etudes publiées par des Pères de /.» Comp.ignie de Jésus, 20 janvier i89S.> ^a) Process. remiss, Parisiensis, ad art. 34.  Lxx Sermons recueillis quand quelque auditeur était intérieurement touché de la grâce par sa parole, parce que, assurait-il, je m'aperçois que sans préméditation, sans intention, il sort de moi quelque chose que je ne connais pas, mais qui me prouve que j'ai parlé par impulsion divine. C'est ce que l'événe- ment justifiait toujours ; car après la prédication, ceux dont le cœur avait été touché de componction allaient le lui avouer, citant les paroles qui les avaient pénétrés. Et j'affirme, » poursuit Vincent de Paul, « que véritable est le témoignage de cet homme, qui non seulement enflammait les autres par ses paroles, comme par autant de torches ardentes, mais qui, de plus, faisait autant de sermons qu'il faisait d'actions. » « Lorsque le Bienheu- reux passait par les rues de Paris, » dit à son tour le docteur du Val(i), « l'on s'arrêtait pour regarder atten- tivement celui qu'on avait entendu fulminer en chaire et dont on savait la vie sans blâme, pour s'enflammer à la piété à son seul aspect. » Dans sa Lettre sur la prédication, saint Alphonse de Liguori insère l'extrait suivant emprunté à Gallitia (2) : « Une femme du grand monde, la duchesse de Montpen- sier, disait que Monseigneur de Genève lui avait causé un dommage irréparable, parce qu'elle ne pouvait plus goûter aucun autre prédicateur : — « Les autres s'élèvent dans les airs par leurs beaux discours, » ajoutait-elle, (( mais lui, fond sur sa proie, et, comme véritable orateur du saint amour, atteint immédiatement le cœur, et s'en rend maître. » C'était assurément le triomphe de son éloquence, mais c'était encore et surtout l'eflFet de sa sainteté. La sainteté n'est autre chose que l'envahissement de l'âme humaine par la vie divine ; et la perfection de la sainteté consiste, selon le mot de l'Apôtre aux Ephésiens (3), ^3: être rempli de toute la plénitude de Dieu. Cette plénitude ne saurait se contenir, elle déborde, elle agit au dehors avec impé- tuosité ; le Saint peut n'être pas puissant en paroles, (i) Process. remiss. Parisiensis, ad art. 32. (2) Vie de saint François de Sales, liv. IV, chap. i. (3) Cap. m, 19.  Etudr sur saint François de Sales prédicateur i.xxi il le sera toujours en œuvres i^). Notre siècle railleur et scepti(|ue n'a-t-il pas vu un pauvre Curé de campagne ébranler la France et les contrées environnantes, et opérer des conversicjns plus éclatantes et plus nom- breuses ([ue n'en oljtinrent les célèbres orateurs (jui illustraient à la même époque la chaire de Notre-Dame de Paris ? Pour augmenter la confiance que l'Iivéque de Genève inspirait à tous, il plut à Dieu de manifester sa sainteté par des prodii^es au temps même où il enseignait la parole divine. Plus d'une fois, u il devint à la veué de tous les assistans rayonnant comme un soleil , et environné d'une telle splendeur qu'à peine le pouvoit-on plus discerner, et sembloit estre tout converty en clarté (2). )) Nous pourrions citer une foule de merveilles semblables par lesquelles le Seigneur autorisa la mis- sion de son Serviteur, et répéta pour ainsi dire sur sa personne le Ipsum aiidite du Thabor(3). Si la sainteté de notre Docteur est incontestée, il n'en est pas de môme de son mérite oratoire. Quelques critiques ont voulu l'amoindrir, en produisant contre les Sermons trois griefs principaux : à les en croire, ils offrent des applications forcées du Texte sacré, des comparaisons dépourvues d'à-propos et de justesse et une trop grande familiarité. Nous allons rapidement examiner ces trois chefs d'accusation. Quant au premier, Jacquinet ne craint pas de ranger notre Orateur parmi les hommes qui avaient coutume « de chercher partout dans les saints Livres l'envers du sens apparent (*<). » A l'encontre d'une assertion si aven- turée s'élèvent non seulement les préceptes formulés dans YEpistre sur la Prédication, mais la pratique  ( I ) Lucx, ult., 19. ( 3 ) Za Vie du Vénérable Serviteur de Dieu François de Sales Evesque et Prince de Genève... par Messire Henry de Maupas du Tour, Evesque et Seigneur du Puy (Paris, Jacques Langlois, m.dc.lvii). Partie IV, chap. xni. { 3 ) M.itt., XVII, 5. {4) Des Prc'dicateurs du XVIU sihle avant Bossuet ;Paris, 1863), chap. i.  Lxxii Sermons recueillis même du saint Evêque. C'est avec réserve, presque avec hésitation, qu'il touche au sens accommodatice ; aussi dans le Sermon pour l'Assomption 1601, a-t-il bien soin de noter qu'il appliquera seulement ^^r simi- litudinem l'Evangile du jour au mystère dont on fait mémoire. Et vingt ans plus tard il commence ainsi le sommaire d'un autre discours préparé pour la même fête (tome VIII, p. 403) : « J^ai la coutume de suivre dans « mes sermons le sens littéral ; mais ici l'autorité de (( l'Eglise me persuade d'en agir autrement... Raconter « l'Evangile et ajouter ensuite : l'Eglise emploie cette a comparaison. » Le docteur Froger, que nous avons déjà cité, nous a conservé quelque chose des enseignements que, durant son séjour à Paris, le Serviteur de Dieu donnait à « divers et très nombreux ecclésiastiques, abbés, religieux, curés, docteurs, les portes de l'église fermées. » Or, parmi les instructions faites à cette grave assemblée, la suivante est à remarquer : « Il nous enseignait, » dit le déposant, « la meilleure manière de lire, comprendre, employer les textes de la Sainte Ecriture, c'est à savoir, de regarder le sens littéral auquel parle le Saint-Esprit, expliqué par l'Eglise et les Pères (O. » Nous ne disconviendrons pas néanmoins qu'en pratique notre Orateur semble parfois s'éloigner des règles qu'il pose. Mais il faut observer qu'il s'accorde cette licence dans le cas seulement où le texte même ne saurait être pris littéralement, ou bien encore quand il s'adresse à un auditoire d'élite qui a droit de s'appliquer le sens mystique du Texte sacré. Il est universellement admis que parmi nos saints Livres il en est plusieurs dont une partie assez considérable ne peut être entendue au sens littéral : c'est, en outre du Cantique des Can- tiques, Job, la Sagesse, les Prophètes, l'Apocalypse. De plus, les enseignements didactiques de la Bible, les plus simples et les plus élémentaires, les préceptes évangéliques eux-mêmes sont souvent présentés dans (i) Process. remiss, Parisitnsis, ad art, 35 et 46.  Etude sur saint François de Sai.es prédicateur lxxiii un style fij^urc'', ot alors, le pri-dic^iteur a non seulement le droit, mais le devoir d'en explitiuer la signification au peuple chrétien. Selon que le fait remarquer saint Jérôme ('', « c'est le sens mystérieux (^u'y attache le Saint-Ksprit cju'il faut rechercher dans ces passades sym- boliques, les expressions en elles-mêmes sont d'une im- portance secondaire. » Mais en faisant des applications libres, l'orateur procédera toujours avec une prudente réserve, et s'assurera que ses adaptations personnelles ne sont pas en opposition avec la pensée des Pères et le sentiment de l'Eg-lisc. C'est de la sorte que l'Evéque de Genève garantissait ses jugements, et l'on peut entendre des autres Livres de l'Ecriture ce qu'il dit sur la manière d'interpréter le Cantique des Cantiques. Après avoir déclaré que les termes sont « fort rarement littéraux, » et qu'il est « bien (( difficile de les y connoistre, » il ajoute : « Nous n'avons (( rien entrepris sans imitation des meilleurs autheurs et <( sans apparente convenance entre le terme signifiant « et le signifié ('). » En commentant ce divin épithalame notre Saint s'attache de préférence au sens qu'y décou- vrirent Ghisler, Soto, Sa, saint Bernard ; à celui qu'y trouvèrent Hugues et Richard de Saint- Victor, Rupert et Raban Maur, qui suivent saint Grégoire le Grand, saint Grégoire de Nysse et saint Ambroise. Du reste, il est rare que dans ses sermons publics il emprunte des allégories au Cantique, si ce n'est pour célébrer les louanges de la Sainte Vierge et de son chaste Epoux. Ces images ne pourraient être plus justement appliquées, car dans les solennités consacrées à Marie et à Joseph « on n'entend résonner dans toute l'Eglise que la céleste mélodie du sacré Cantique (3). » On veut encore protester contre la facilité avec laquelle François de Sales attribue une signification mystérieuse à certains noms évangéliques, tels que Nazaréen, Caphar- îidlini, etc. x^lais on oublie que saint Bernard et plusieurs (O Contra Luc if. , § 38. (a) Préface de la Dicl.iration Mystique du Cantique des Cantiques, {}) Bossuet, Exorde du Sermon pour l'Assomption, 1663,  Lxxiv Sermons recueillis autres Pères s'accordaient de semblables libertés, dont personne ne songe à les blâmer. Du reste, ces attributions ingénieuses ne sont pas chez notre Docteur un simple jeu d'imagination. Il part toujours d'un principe. C'est ainsi que s'il fait un rapprochement un peu inattendu au sujet du mot Boanerges (tome VII, p. 385), il a soin d'ajouter que ce « nom ayant esté imposé par Nostre Seigneur, ne « peut estre sans mistere. » Alors même qu'il paraît subtil, l'Evêque de Genève ne cesse pas d'être profond. On s'étonne, par exemple, de voir que, dans les matériaux préparés pour l'Avent de 161 6, après avoir consacré de nombreuses pages à disserter sur les interprétations auxquelles est sujet le mot corne, il s'arrête encore longuement à examiner si la trompette dont les lévites se servaient pour annoncer au peuple juif l'année jubilaire était faite d'une corne de bélier. Mais c'est là précisément que se trouve la clef du symbolisme, puisque d'après saint Thomas (0, d'accord avec la tradition hébraïque, le bélier substitué à Isaac sur le bûcher du Moria était la figure du Christ immolé sur le Calvaire. De plus, c'est principalement dans les discours de la seconde Série que se rencontrent les attributions soi- disant trop hardies du Texte sacré. Mais ces conférences tout intimes faites par le Fondateur à ses Religieuses, étaient plutôt des méditations que des sermons. Il pou- vait librement annoncer les mystères du Royaume de Dieu (^) à ces âmes affranchies déjà par la souveraine Vérité de Tesclavage de la chair et des passions. « Que « toute leur vie et exercices soyent pour s'unir avec « Dieu, » telle est la base que le saint Instituteur donne à leur perfection, la loi qui régit leur destinée (3) ; elles doivent, au milieu des vicissitudes du temps, commencer les contemplations de l'éternité ; vivant sur la terre, il leur est permis, ordonné même de n'avoir de conversation ( I ) Summa, I* II*, quaest. eu, art. m. ( 2 ) Matt., XIII, II. (3) Coustumier et Directoire, Article i*"^ : Inientions générales pour les Soeurs.  Etude sur safnt François df. Sai.f.s pri';dicateur lxxv que (fans h Ciel ('). Emprunter les chastes alléj^orios du Cantic^uedes Cantiques pour dépoindre à ces vieri,'-es les délices de l'union avec le Verbe leur Fpoux, c'était entrer dans rintcntion d(î ^I^^'•lise et tlonner à leur cœur l'aliment cjui lui convenait le mieux. Le second reproche que fait à notre Saint l'auteur nommé ci-dessus ('), c'est <( qu'à côté d'images simples, justes et charmantes, » il on est d'autres qui présentent « un détail de comparaison minutieux et alambicjué. » Il est vrai que, pour se faire pardonner un jugement aussi hasardé, M. Jacquinet a soin d'ajouter, quelques lignes plus bas : Chez l'Iivéciue de Genève « les pensées subtiles, les images raffinées n'ont rien de pédantesque... c'est un tribut involontaire payé à la mode par une imagina- tion vive et brillante ; c'est, si l'on veut, le jeu innocent d'un esprit fin, ingénieux et fécond, auquel ont manqué les leçons d'une forte discipline littéraire, et qui s'est développé à l'école de saint Bonaventure au moins autant qu'à celle des Pères et des classiques anciens. » On sait, d'après ce qui a été dit plus haut sur la forma- tion de François de Sales, ce qu'il faut penser de cette dernière assertion, et la critique dont elle devait être le correctif tombe de soi quand on lit les Sermons. Alors même qu'elles reposent sur les données quelque peu fantaisistes généralement admises à cette époque, les images dont ils sont émaillés restent toujours naturelles, gracieuses, et préparent des conclusions d'une admirable justesse. Et nous l'entendons de celles que l'on veut trouver trop naïves ou « quintessenciées, » telles que le loriot attirant à soi la maladie de l'homme, ou l'oranger de la côte de Gènes, portant à la fois des feuilles, des fleurs et des fruits. On a avancé de plus que notre Orateur a coutume de prodiguer les comparaisons. Une telle affirmation perd toute sa force depuis que le classement des Sermons d'après l'ordre chronologique permet de constater que les discours incriminés remontent aux débuts de sa carrière (i) Philip., III, 30. (a) Ouvrage et chapitre cités p. lxxi.  Lxxvi Sermons recueillis oratoire, et ne peuvent par conséquent fournir la base d'une appréciation générale. Il nous reste à dire un dernier mot sur ce qu'on nomme chez François de Sales une trop grande familiarité. Dans un prédicateur tel que lui, écrit l'abbé Sauvage (0, « Texquise urbanité du gentilhomme et la douceur inalté- rable du Saint allaient opposer une digue insurmontable au torrent envahisseur de la licence et du mauvais ton... Cependant si ces avantages mirent une grande distance entre lui et les grossiers déclamateurs de son temps, suffirent-ils à le préserver de toute négligence ? Tout en s'interdisant la raillerie ou la malice, s'est-il assez dé- fendu contre une simplicité excessive ? » Nous osons répondre affirmativement. Les règles qui déterminent la distinction du langage sont essentiellement relatives et se modifient d'après le temps, le lieu, les personnes. Ce qui serait choquant à une époque et devant un certain auditoire peut être par- faitement convenable à un autre âge ou dans des cir- constances différentes. A cinq siècles de distance, on est surpris, presque scandalisé des licences que s'accordait en chaire saint Vincent Ferrier ; et cependant aucun de ses auditeurs ne jugeait triviales des expressions qui, de nos jours, offenseraient les oreilles les moins délicates. Le docte éditeur des Œuvres de Bossuet (2), parle « des com- paraisons familières à l'excès » dont sont parsemés ses sermons à une certaine époque ; nul pourtant n'accusa jamais ce grand homme de méconnaître les convenances et la dignité de la parole évangélique. Le principe le plus sûr pour juger équitablement en matière si discuta- ble nous paraît être celui-ci : Tant qu'un prédicateur ne heurte en rien la moyenne d'un auditoire intelligent et cultivé, on ne saurait l'accuser de vulgarité. Après avoir mis aux justes louanges données à notre Saint la timide réticence que nous avons signalée tout-à- l'heure, l'abbé Sauvage se range au sentiment des meil- leurs critiques, en avouant que « la distinction de son  (x) Ouvrage cité p. xlii, chap. m, § i. ( 3 ) L'abbé Lebarq, ouvrage cité p. vi,  p. VI, Conclusion.  Etude sur saint François dl Sales prêdicatiuk lxxvm esprit l(î maintient à un ni\oau Ijicn siipcrieur à celui de ses contemporains. S'il tente tic tlescendre à de rares intervalles, c'est qu'il le croit bon pour son sujet. Il veut instruire, enseij^ner les choses utiles, nécessaires; comme il aimait à le dire lui-même, il parle fort simplement et catéchistiqucment, et voilà comment nous, qui ne nous mettons pas assez à la ])lacc de ses auditeurs, nous sommes exposés à rencontrer tles expressions ({ui nous chocpient. Pour lui, qui n'a pas à redouter ces suscepti- bilités du goût , qui veut avant tout être simple et compris de tous, l'expression lui importe peu. Ces mots que nous regrettons ne lui déplairont pas, s'ils sont amenés naturellement, et surtout ne d(''plairont pas aux fidèles qui ont été habitués à en entendre bien d'autres. » En somme, puisc^ue le bien absolu ne se trouve pas en ce monde, et que nul grand homme n'est exempt d'im- perfections, nous répétons que celles attribuées à saint François de Sales sont non seulement contrebalancées, mais dépassées de beaucoup par ses éminentes qualités. Plusieurs des Pères de l'Eglise, entre lesquels il mérite de figurer, ont des défauts plus considérables que les siens, et ne laissent pas pour cela d'être proposés comme des modèles. Cette même gloire nous la revendiquons en toute justice pour notre éloquent Docteur.  IV  Saint François de Sales Restaurateur de Véloquence sacrée  Après avoir écouté le xMaître et contemplé le xM.odèle, il nous reste à considérer le Restaurateur de l'éloquence sacrée. Pour démontrer combien justement notre Saint mérite ce titre, il est nécessaire d'exposer d'abord en quel état de décadence était tombée la prédication ; nous  Lxxviii Sermons recueillis constaterons ensuite dans quelle large mesure l'Evêque de Genève contribua à lui restituer sa splendeur. Un grave jurisconsulte, du Vair, avait écrit plusieurs années avant La Bruyère, dont nous avons cité plus haut l'appréciation : « Quant à l'autre (éloquence) qui habite es chaires publiques, qui devroit estre la plus parfaicte, tant par la dignité de son subject que le grand loisir et liberté de ceux qui la traictent, elle est demeurée si basse que je n'ay rien à en dire (0. » En portant un jugement si sévère, ce magistrat avait probablement présentes à la pensée les fougueuses haran- gues, les insolentes provocations que les troubles de la Ligue firent passer de la tribune politique à la chaire sacrée. Parmi les orateurs oublieux de la sainteté de leur état et de la dignité de leur ministère, bornons-nous à nommer Boucher, Rose, Aubry, Commelet, Porthaise; ils se sont acquis « une odieuse célébrité que l'histoire leur conserve et leur inflige aujourd'hui comme châti- ment (2). » Heureusement ces hommes n'ont pas fait école ; le genre belliqueux qu'ils avaient mis en vogue disparut avec les agitations populaires qui lui avaient donné naissance. Il en fut de même de la bouffonnerie et de la trivialité qui tentèrent à leur tour d'avilir la prédication évangélique ; car le bon sens public ne tarda pas à en faire justice. Mais si ces écarts accidentels ne laissèrent pas de traces, il en est d'autres contre lesquels la lutte fut plus longue et la victoire plus difficile ; il fallut beaucoup de temps et d'efforts pour avoir raison de trois défauts qui infestaient alors la chaire : l'abus de la scholastique, le mélange du sacré et du profane et une fausse rhétorique. La méthode scholastique qui , en disciplinant au Moyen-Age l'esprit de nos pères, avait protégé l'épanouis- sement de la pensée et garanti la sûreté du jugement, conservait évidemment le droit d'exercer un contrôle sur l'éloquence. Seulement, de justes limites étaient à ( I ) De l'éloquence française et des raisons pourquoi elle est demeurée si basse, i'J94. (3) Histoire du règne de Henri IV, par A. Poirson, livre II, chap. iv.  Etude sur saint François de Sales prédicateur lxxix poser, et l'on ne sut pas les établir à la distance voulue. Au lieu de demander à la lo^i(iuc un frein utile, on se fit tle ses r(\i4^1os une? entrave t^rnante ; c'était passer de l'usage à ral)us. T.e sermon devint un tissu serré de déductions abstraites, d'argumentations subtiles, un réseau inextricable de divisions et de subdivisions ([ui fati- guaient l'attention sans éclairer l'intelligence. A côté de ce défaut, qui s'explique et s'excuse même dans une certaine mesure, il en était un second auquel la critique ne saurait infliger de blâme trop sévère. Nous l'avons indiqué, c'est l'emploi des allusions mythologi- ques dans la prédication. Au lieu d'emprunter à la Bible la majestueuse allure du style, l'éclat des couleurs, la force de la pensée et la grâce des images, le prédicateur allait cueillir des fleurs sur le Parnasse, ou transportait de l'Olympe des récits qui avilissaient son ministère et deshonoraient sa parole. Vainement le Concile de Trente s'était élevé contre ce scandale. Le mal était si universel que, pour un temps, ses protestations parurent n'être pas entendues. Et cependant, beaucoup de ceux qui tombaient dans ce travers étaient doués d'un mérite incontestable ; quelques-uns même, comme Jean-Pierre Camus, l'ami de saint François de Sales, recevaient des avis qui auraient dû les soustraire à l'influence du mauvais exemple (0. Il n'en fut rien pourtant, et ce n'est pas sans  (i) Il ne sera pas hors de propos de relever ici une assertion de Sainte- Beuve, reproduite inconsciemment par quelques auteurs au sujet des rapports du Saint avec l'Evéque de Belley. A les en croire, celui-ci se serait formé à l'école de François de Sales, que l'on voudrait ainsi rendre responsable de toutes les extravagances de son ami. Jacquinet (ouvrage et chapitre cités p. LXxT, avance avec le plus grand sang-froid que chez les deux Prélats « la méthode se retrouve à peu près pareille; le genre est le même. »> Comme si jamais Camus avait suivi de « méthode ! » Comme s'il avait connu d'autre « genre » que les fantaisies d'une imagination bizarre et intempérante! Il raconte lui-même combien ses efforts pour imiter le geste et le débit de notre Saint avaient été infructueux. Du reste, quand il fit en 1609 la connais- sance du saint Evéque, la formation littéraire et oratoire de Camus était complètement achevée. Les quatre premiers volumes de ses DiversiU:^, qui ont été publiés vers cette époque, en donnent la preuve. Ainsi qu'il parlait et qu'il écrivait alors, il parlera et il écrira quarante ans plus tard. Saint Fran- çois de Sales eut le mérite de supporter et le regret de ne pouvoir réformer cet esprit, qui en vérité n'était pas capable de réforme, puisqu'il s'avoua  LXxx Sermons recueillis une profonde stupéfaction que l'on recueille sur les lèvres de TEvêque de Belley, prêchant contre la simonie aux Etats-Généraux de 1614, des accents tels que ceux-ci : « Vraie chimère, » dit-il, en tonnant contre ce vice, « bi- garrée de trois compositions : de chèvre qui broute sur les hauts rochers... de lion et de dragon, gardien vigilant des pommes d'or... Et n'aurons-nous jamais de Bellerophon, c'est à dire de prince qui porte sur le Pégase d'un saint zèle de la maison de Dieu les bulles fulminées contre cette contagion par nos saints Pères ! N'aurons-nous jamais de courageux Horace qui terrasse pour la romaine liberté ces trois outrecuidés Curiace ; d'Hercule, qui estrangle ce Cerbère à trois gosiers, qui estouffe ce triple Geryon ! » Le Prélat qui s'exprimait d'une manière si choquante pour des oreilles chrétiennes , loin de soup- çonner l'extravagance d'un tel langage, se piquait au contraire de rester dans les termes de la simplicité ! Il sait, dit-il, « que les paroles fardées et frisées sont indignes d'entrer en l'ingrédient de la chaste parole du Ciel. » Et cependant, combien d'alliages indécents et ridicules, lui et ses contemporains, faisaient entrer encore dans la prédication de cette divine parole ! Avec les divinités fabuleuses, c'étaient tous les héros de l'antiquité qui  lui-même totalement dépourvu de jugement. Il est donc aussi injuste de rendre notre Saint responsable des erreurs de goût de son ami, qu'il le serait d'im- puter à saint Vincent de Paul les erreurs doctrinales de Saint-Cyran. On prétend de plus rattacher à François de Sales une certaine école de pré- dicateurs français, au style recherché et emphatique, contemporains et émules de Camus. S'il est vrai que ces hommes aient pris pour modèle l'Evéque de Genève, il faut donc ou qu'ils aient souvent entendu ses prédications, ou du moins qu'ils aient pu les lire et les étudier. Or, ils n'ont pu assister aux sermons de la jeunesse du Saint qui, nous en convenons nous-mêmes, ne sont pas absolument irréprochables; et quand, en i6ig, l'Orateur revint à Paris dans toute la maturité du génie et la plénitude de la sainteté, chacun admirait la simplicité tout apostolique avec laquelle il annonçait la parole de Dieu. Il resterait donc que ces prédicateurs se fussent formés sur les Sermons imprimés, parmi lesquels ils auraient choisi pour types ceux des premières années de la carrière oratoire de François de Sales. Mais comment Tauraient-ils pu, ces Sermons ayant été publiés seulement en 1641 pour la première fois ? Jusqu'à cette époque ils demeurèrent absolument ignorés du public, et par conséquent, ne pouvant être lus, ils n'ont pu être pris pour modèles.  Etcdf. sur saint François nn Sai.f.s prédicateur i.xxxi comparaissaient tour à tour sous les yeux de l'auditoire, que la Renaissance avait familiarisé avec un tel langage. Nous ne prétendons pas (|ue l'orateur sacré n'ait droit d'emprunter quelquefois aux littératures classiques les grâces de la forme, le moule de la pensée; mais il doit se borner à cela, tandis ([u'au XVP siècle c'était un bi/arre étalage d'érudition païenne qu'on transportait dans la chaire évangélique. De là « une affectation de ton qui fuit la simplicité, et un grandiose de style qui vise à l'effet pour atteindre au ridicule ' . » C'est le troisième abus que nous avons signalé. « Ainsi, » dit Mgr Freppel i^\ ♦< au point de vue de l'art et de la saine criti([ue, la prédication, dans les premières années du xvir* siècle, était entachée des plus graves défauts. On y abusait de tout : formes du raison- nement, richesse d'érudition, figures de rhétorique, tout était prodigué sans ordre et sans mesure... Non pas certainement qu'il n'y ait dans ce chaos des éléments forts, vigoureux, mais il y règne une telle confusion, qu'il est presque impossible de prévoir ce qui pourra en surgir de grand et de beau... On fait des efforts, on marche à tâtons, on cherche à l'aventure le vrai ton de la chaire, mais les uns le cherchent trop bas, et ils rampent dans la trivialité, les autres se perchent trop haut, et ils se perdent dans l'enflure. Nul ne rencontre le droit chemin parce que tous s'éloignent du naturel. » L'autour que nous citons ne parle évidemment que de la France ; car, nous l'avons dit plus haut ' 3, les Oratoriens et les Jésuites avaient, en Italie, commencé depuis plu- sieurs années la réforme de l'éloquence sacrée. Possevin ne donnait pas seulement à ses élèves l'exemple d'une prédication grave et tout apostolique ; il en indiquait les lois dans sa BibliotJieca Selccta, dont François de Sales put lire le .^lanuscrit durant son séjour à Padoue\4).  (i) Mgr Freppel, ouvrage cité p. vi, VII« Leçon, (a) Ibid. (3) Pages VIII, IX. (4) Voici un résumé de ces préceptes qui se reflètent dans VEptsife sur la PrcJic.ition. Ils sont extraits Ju cliap. xvii du IV* Livre de louvrage Serm. IV F  Lxxxii Sermons recueillis Cet ouvrage, qui fut imprimé aux frais du Pape Clé- ment VIII, parut en 1593. L'illustre Jésuite, dans les règles qu'il trace, ne fait que suivre les traditions de la Société à laquelle il appar- tient. Saint Ignace avait, avant lui, recommandé à son Concionator de méditer beaucoup et d'écrire assidû- ment. Et saint François Xavier écrivait au P. Barzée : « Assez de ce fatras des écoles : étudiez l'homme en lui- même ; c'est le vrai sujet de la prédication. » Ces données étaient de tous points conformes aux principes que posait saint Philippe de Néri pour élever « une digue au torrent d'orgueil et de vanité qui, gonflé d'exagérations dans les images et d'étrangetés dans le style, envahissait la prédication (0. » On sait avec quelle simplicité tout évangélique et quel succès prodigieux il annonçait les vérités divines dans la métropole du monde chrétien. Ses disciples suivirent ses méthodes et obtin- rent de semblables résultats. « Leur parole, » dit Gallo- nio(2), « était simple et sans ornement, mais éloquente d'une éloquence tout intérieure. » C'est ce que Tarugi avait expliqué d'un mot : Le but de « notre Institut est de parler au cœur (3). » Les deux influences que nous venons de signaler devaient en France réagir sur la disposition des esprits ; sus-nommé : Lire avec soin l'Evangile sur lequel on va prêcher, réduire le tout à deux ou trois points ; fermer alors porte et fenêtre, et se livrer à la méditation des personnes, des temps, des lieux, de l'intention, de l'applica- tion. Par ce moyen la Sainte Ecriture sera interprétée selon le sens de l'Esprit qui Ta inspirée. Puis écrire le résultat de ses méditations afin de le repasser dans sa mémoire. Il faut prendre ensuite les Harmonies sur la concordance des Evangiles, de Cornélius Jansens, pour apprendre le sens littéral; ajouter brièvement le sens moral et le sens mystique. En divisant le sujet, indiquer les endroits où l'on introduira les différents mouvements. Il est bon de se prêcher d'abord à soi-même son sermon ; quant à la forme et au style, qu'ils soient simples, catéchistiques, à la portée du peuple. (i) Capecelatro, Vie de saint Philippe de Néri, liv. II, chap. i. (2) Cité par Capecelatro, ibid. (3) Lettre à saint Philippe de Néri (Capecelatro, ibid., liv. III, chap. vu). On peut se rendre compte des procédés de la Congrégation en parcourant un livre publié en 1613 par l'un de ses membres, le P. F. Giustiniani, sous ce titre : De S. Scriptura et sacro Concionatore. Les affinités que présente ce petit Traité avec VEpistre sur la Prédication sont frappantes, et l'on ne peut s'em- pêcher de croire que l'auteur ne se soit inspiré des idées de François de Sales,  Etude sur saint François dr Sales prédicateur i.xxxiii des hommes émincnts j^ar hnir doctrine et leur sainteté furent en général les premiers à les accej)ter, non pas toutefois sans quelque (h'-tiance. Le séjour de deux ans (ï59^^ Ï597) ançois de Sales à Annecy, les Salésiens à Turin, les Oblats de saint François de Sales à Troyes, les Prêtres de saint François de Sales à Paris. Toutes ces Sociétés, dont plusieurs étendent leur apostolat dans les missions lointaines, s'inspirent de la doctrine et de l'esprit de leur saint Patron ; et, en suivant ses exemples et sa manière oratoire, s'efforcent de prêcher réellement « à l'évangélique. » ( i) Lettre du 30 juillet.  xcvi Sermons recueillis L'influence de saint François de Sales sur la chaire chré- tienne continue également à se faire sentir à l'étranger. Saint Alphonse de Liguori l'a rendue prépondérante en Italie à la fin du siècle dernier, et actuellement encore les professeurs d'éloquence sacrée ne cessent d'en appeler aux préceptes contenus dans le Traité de la Prédication. L'Allemagne catholique rivalise avec ITtalie d'admi- ration pour notre Saint et de confiance en ses méthodes oratoires ; elle place « ses prédications pleines de feu » sur la même ligne que « ses excellents écrits. » Déjà en 1667, un auteur allemand (0 proclamait François de Sales « le meilleur Pasteur et Prédicateur des âmes. » M^"" Sailer, en insérant VEptstre que nous venons de mentionner dans ses Lettres de tous les siècles ^ affirme que cette « Lettre pleine d'onction, de mansuétude et d'expérience, est un modèle de théologie pastorale à l'usage des prédicateurs. » Et de nos jours, un célèbre professeur, M. Jocham, atteste que l'Allemagne connaît et vénère particulièrement le saint Evêque comme Pré- dicateur. « Ses Sermons, » dit-il (2), « qui lui ont procuré la réputation de Docteur de l'Eglise dans son diocèse et dans une partie considérable de la France, lui ont acquis le même titre et le même honneur en Allemagne, et certes aux mêmes droits que nous y vénérons le grand modèle qu'il s'était proposé, saint Jean Chrysostome. Sa longue Lettre adressée à un Prélat sur la vraie manière de prêcher, traduite en allemand par M^"" Sailer, a été depuis réimprimée, du moins en abrégé, dans presque tous les traités de théologie pastorale qui ont été publiés. En conséquence, le saint Evêque de Genève est devenu en Allemagne Maître et Docteur des prédicateurs. » Mais pourquoi nous restreindre à citer des autorités privées, quand nous pouvons entendre la voix infaillible du Souverain Pontife proclamer à son tour le mérite oratoire de saint François de Sales ! Tout ce qui a été (i) Le docteur Gaspard Stadler. (Dédicace de sa traduction des Vrays Entretiens spirituels, 1667,) (2) Concessio tituli Doctoris S. Franc, Salcsii, Responsio ad animadv., )).  Etudi sur saint François dh Saies prhdicatkur xcvii «lit dans cette Ktude rt tout «r (jiii rcstrrait à «lire pâlit devant l'élo^re suivant, extrait du Wroï par UniucI Pic IX concède à ce grand Saint le titre de Docteur de l'Kglise universelle : « Le grand amour (pie le saint l'rclat portait à rFglise, » est-il dit dans ce Href, .■ h; /«'-le brûlant dont il était animé pour sa défense lui inspirèrent la méthode de prc'dication (pi'il adopta, soit j)()ur annoncer au peuple chrétien les éléments de la foi, soit pour former les mœurs des plus instruits, soit pour conduire les âmes d'élite sur les sommets de la perfection. Se reconnaissant redevable aux doctes et aux igno- rants^, et se faisant tout à tous^\ il sut se mettre à la portée des simples, en même temps (ju'il parlait la sagesse parnn' les parfaits ^ . « Il donna aussi les enseignements les plus sages sur la prédication, et, en remettant en honneur les exemples des Pères, il contribua dans une large mesure à rappeler à son ancienne splendeur l'éloquence sacrée, qui avait été obscurcie par le malheur des temps. De cette école sortirent les orateurs éminents qui ont produit des fruits si merveilleux de salut dans l'Eglise universelle. C'est pourquoi saint François de Sales mérite d'être reconnu de tous comme Restaurateur et Maître de l'éloquence sacrée. » DoM B. MACKEY, O. S. B.  ( 1 ) Rom., I, 14. (2)1 Cor., IX, ai {}) Ibid., II, b.  SlRM. IV  AUTEURS POSTHRIBURS AU XIII" SIliCI.I- MENTIONNl^S l'AK sAlM FRAX(,(.)IS DE SALES DANS SES SERMONS  • Lfs tMciiijfions placées h la suite du nom de l'auteur ou du titre de ses ouvrages se rapportent à la présente Edition des Œlvrhs de saint François db Sales.  I. — CATHOLiaUES Abulensis (Alfotuo Tostatiis), espagnol, évoque d'Avila, né vers le commencement du xv« siècle, mort en 145 v Commentarius in I Regum librum. Voir VIII, 213.) Baronius César, oratorien italien, cardinal (i ^38-1607). Annales Ecclesiatici, a Christo nato iisqii^ ad annum iigS, auctore Cœsare Baronio. Romie, 1 588-1607 (2*' édition). Voir VIII. 156, 141, 369 .-j Barradas Sébastien, jésuite portugais (11543-1615). Commentarii in Concordiam et Historiam Evangelicam. Conimbricae, etc., I S99-1612. (Voir VIII, 349, 2S3, 372, 281, 286, ^,04. Bellarmin Robert, jésuite italien, professeur au Collège Romain. puis cardinal et archevêque de Capoue (1 542-162 i). Dispiitationcs Rohcrti Bellarmini Politiani, de Controz'ersiis Chris- tiana- fidei. Editio secunda, Ingolstadii, Sartorius, 1588-1593. (Voir VII, 352, VIII, 308, 3SS, 406.) Explanatio in Psalmos. Roma?, Zannettus. 161 1. ^ Voir VIII, 218, 130, 548.) Borchardus (Burehardus, Brochard), dominicain allemand, mort au commencement du xiv» siècle. Veridica Tenœ Sanctœ... ac in eis mirabilium descriptio. Venetiis, 15 19. ,Voir VIII, 339.)  c Auteurs postérieurs au xiii® siècle Bressius ou Bressieu Maurice, dauphinois, professeur de mathé- matiques au Collège Royal, mort vers la fm du xvi^ siècle. (Voir VII, 415.) Brigitte (Sainte), suédoise, abbesse de Wastein (i 302-1373). ReveJationes S. Brigittce. (Voir VIII, 127, IX, 142, X, 5.) BuRGENsis (PauJus de Sancta Maria), juif espagnol converti, évêque de Burgos (i 350-1435). Additiones ad Glossam Ordinariam Nicolai de Lyra. (Voir VII, 184, 274 ;X, 435.) BusÉE (Busœus) Jean, jésuite allemand (i 547-161 1). Viridarium Christianarwn Virtutum. Moguntiae, Albinus, 1610. (Voir VIII, 170.) BusÉE Pierre, jésuite allemand (i 540-1 587). Opus Catechist'cum, sive de Summa Doctrince Christianœ D. Pétri Canisii , Scripturce testimoniis sanctorumque Patrum sententiis illustratum, opéra D. Pétri Busœi, Noviomagi. Colonias, Gervinus Calenius, 1569, \^']0. (SfoiY Canisius.) BusTi (Bustis) Bernardinus de, franciscain italien, mort à la fm du xve siècle. Mariale, seu Sermones in singulis Festivitatibus B. Marice Virginis. Milan, 1493, 1594, etc. (Voir IX, 62?) Cajetanus (Thomas de Vio), dominicain italien, cardinal et archevêque de Palerme (1469-1534). Commentarius in Pentateuchum Moy si. [Voir YIII, ^S6.) Calepinus Ambroise, augustin italien, mort en 15 10. Amhrosii CaJepini Bergomensis , Ordinis Eremitarum Sancti Au- gustini , Dictionarium septem linguarum. (Voir VIII, 48? 147, 163.) Camus Jean-Pierre, français, évêque de Belley (i 584-1652). Homélies Quadragesimales de Messire Jean-Pierre Camus, Evesque et Prince de Belley. Paris, 1615. (Voir VIII, 319.1 Canisius Pierre (le Bienheureux), jésuite allemand, recteur du collège de Fribourg. (Voir Busée Pierre.) Summa Doctrince Christianœ per qnœstiones tradita, et in usum Christianœ puer itiœ nunc primum édita. Viennae Austrias, 1554, etc. (Voir VIII, 00, 139). De Sacrosancta Firgine Maria Deipara Dissertatio (tomus poster ior Commentariorum de Verhi Dei corruptelis). Ingolstadii, Sartorius, 1583. (Voir IX, 158?)  MF.NTIONNHS DANS l.KS SkKMONS CI Capilua (Cj/^/i;//*!, Capilla) Andrc, chartreux cspa^ii<»L morl en i6i(). Mciiitiitious sur Us Evaiigilfs des dimainhfs et feries de Caresme, cti . Divisées en trois parties, composées en espagnol par le P. Dom Atidrê Capiglia, prieur de la Chartreuse dit te Porta Cœh\ nouvellement traduites en françoys par R. G. A. G. Paris, de la Noue, 1601. Voir VIII. jiS., Cathkrine Dt SiENNh (Sainte), dominicaine italienne (1 347-1580). yita et Dialogi S. Cath. Senens., (2olonia\ i^^}. La première tra- duction française de cet ouvrage est intitulée : La doctrine spiri- tuelle di'scripte par forme de dialogui' de l'excellente l^ierge saincte Caterinc de Sienne... quelle a dicte en vulgaire italienne... avec la yic et Canonisation d'icelle. Traduit en français par des reli- gieuses de Sainct-Dominiquc du couvent de Paris. Paris, Mallot, 1 580. Voir VII, 17s.) CoRNhi.ius a Lai'IDE (van den Steeii), jésuite llamand (i 566-1637). Commentaria in omnes S. Pauli Epistolas, auctore Cornelio Cornelii a Lapide. Antverpia\ apud ha^redes M. Nutii et J. Meursium, 16 14. I Voir VIII, 389. 393, 393, 407. .|f>9-) Comment, in Pentatcucbum Moysis. Antverpiœ, apud eosdem, 1616. i Voir VIII. 1S7, 409.) Delrio (Voir Rio). DiEz Philippe, franciscain portugais, mort en 1601. Conciones Qjiadrupliccs in Evangelia. Salmantica?. 1582. Voir VII, 390 •'- Summa Pradicantium ex omnibus Locis coniniunibus completissima. Salmantica\ 11588. (Voir VIII, aoi-) Erasme Désiré, liollandais, professeur à Rotterdam ( i4(-)6-i 536). Annotationes in Novum Testamentum, apud inchtam Rauracorum Basileam, mdxxvii. Voir VII. 229. Gai. VAN François-Ferdinand, prédicateur espagnol, arcliidiacre de Villanova de Ce\era, mort vers is^o. Sermones des /estas dos Santos. Seville, Gamarra. 161 s ■ Voir VIII, 343.) GÉNÉBRARD Gilbert, bénédictin français, professeur d'hébreu au Col- lège Royal, puis archevêque d'Aix ( 1 s 37- 1 S97). Psalmi Davidis, cum Commcntariis et calendario Hchra'o... exornati. Paris, Lullier. 1S77. ^''^''' ^'^^ '^^ '^9» ^^^- ^^^^' i*^s. 204, 214. 220, 378, 410 ; X, 41s •' GiSLER (Ghisler) Michael, théatin italien (i s6;-i64t)). Comnientarium in Cant. Cantic . Salomonis. Romas , 1009. Voir VIII. isg, ^73.^ Sbsm. IV o*  cil Auteurs postérieurs au xin'' siècle Granatensis (voir Louis de Grenade). Gretserus Jacques, jésuite allemand (i 562-1625). De Sancta Cruce lihri qtiinque. Ingolstadii , Sartorius , 1598. (Voir VIII, 100, 184.) Hesselz Jean, flamand, professeur de théologie à Louvain (1522- 1566). Tractattis de cathedrœ Pétri perpétua protectione. Lovanii, 1562. (Voir VII, 267.) Hylaret Maurice, franciscain français (i 539-1 591). Sacrée Décades quinquepartitœ. Conciones Quadragesimahs atque Paschales numéro quinquaginta, etc. Collectore F. Mauricio Hyla- reto, Franciscano Engolimensi . Lugduni, apud haeredes Gulielmi Rovilii, sub scuto Veneto. mdxci. Réimpression des Sermons Catholiques, etc. Paris, 1586, yVoir VIII, 48.) Jansénius Cornélius, flamand, évêque de Gand (15 lo-i 576). Comment a riorum in Concordiam suam ac totam Historiam Evange- lica?n Partes IF. , Voir VIII, 395.) Lapide (a). Voir Cornélius. Lauretus Jérôme, bénédictin espagnol, mort vers 1580. Sylva Allegoriarum totius Sacrée Scripturœ, autore F. Hier. Laureto, monacho in cœnobio Montisserati. Barcelonas, 1570. (Voir VIII, 298.) LoRiNi Jean, jésuite italien (i 569-1634). Joannis Lorini, Societatis Jesu, Commentariorum in Lihrum Psalmo- rum tomi III. Lugduni, sumptibus Horatii Cardon, 16 12-16 16. (Voir VIII, 36?) Louis DE Grenade, dominicain espagnol (i 504-1 588). Introduction au Symbole de la Foi. Voir VIII, 35.) Lyra (de) Nicolas, de Lyre en Normandie, franciscain (1270-1340). Postillœ perpétuée, seu brevia Commentaria in universa Biblia (aliter Biblia cum Glossis). (Voir VIII, 140, 142, 198, etc.) Maffeius Jean-Pierre, jésuite italien (i 535-1603). Historiarum Indicarum Libri XVI. Selectarum item ex India episto- larum, eodem interprète, Libri IV. Florentine, 1588. (Voir VII, 75? 235? 379?) Maldonatus Jean, jésuite espagnol (15 34-1 583). Commentarii in quatuor Evangelistas. Mussiponti, ex typographia Stephani Mercatoris , mdxcvi - mdxcvii. (Voir VIII, 3, 49, 147, 217, 237, etc. ; IX, 162.)  MENTIONNÉS OAn> ii^ FERMONS Clll Makimis Marc, prêtre de Dalmatic, mort vers 1540. Miitii MjiuU opus lit- r^lifriosi' vivendi institutions, pfr exanpla ex ^et. Novoqiie Testamcnto collecta, ex nutoribus qitoque Jivo Hiero- nvnto, etc. Apiid sanctam Cloloniam, mdxxxi. Voir VIII, 198.; Nausea Frédéric, alleniaïul, arch vêquc de Vienne en Aiitriclie. né vers 1480, mort en 1552. Centitri.v FriJerici Nanuw BLinci-Cainpiam... l^'icniicnns luilcsij: cojJ/ittoris... fivanfrelicce veritatis Homiliarum Centuria' quatuor, jam iterwn atquc itcrum ab ipso aiictore fideliter recognito". Coloniae, ducntcll, MDXL. i,Voir VII, 36s.) Oleasthr Jérôme, dominicain portugais, mort en i^i^»}. Commentarii in Pentateuchum. Olyssipone, Riberius, 15^6-1^58. Voir VIII, i()o.) OsoKius,j.ioniinicainj)ortugais, évèque de Sylves (1506-1580). lyé^ehus Hmmanuelis, Ltisita nia' régis. ( Voir VII, 2 ^s h pANiGAKoi.A F^Vançois, franciscain italien, évoque d'Asti ( 1 54S- 1 594). Oratone Ji R. P. Fratc Fr. Panigarola, Minore os ne riante, in morte et sopra il corpo dcll'Ill. Carlo Borromeo. Roma, mdlxxxv. (Voir VIII. ISS.) Paulus de Sancta Maria (voir Burgensis). Pereira Benoit, jésuite espagnol (15^5-161 o). Commentarii et Dispiitationcs in Genesim. Romiu. Ferrarius, etc., 1592-1598. Voir VIII. 7^ ri.}' 142. 1.^7,189., PiNEDA (de) Jean, jésuite espagnol (i 548-1628). Joannis de Pineda Hispalcnsis ad suos in Salomonem Commcntarios Salomon Pra'vius, id est, de Rébus Salomonis Régis libri octo. Lugduni, Cardon, 1609. Voir VIII. so, in., ris. V17. RiBERA (de) François, jésuite espagnol (1514-1591). De Templo et deiis quœad Templum pertinent libri quinque. Antverpiic, apud Petrum Bellerum. 1593. ^Voir VIII. 217. 218.1 R. P. Francisci Ribera' in duodecim Propbetas Minores Commentarii, sensum eorumdem bistoricum, moralem, allegoricum complet tentes. Romas, apud Jacobum Tornarium, 1590. ^Voir VIII. :--,7. ;v). Rio (del), jésuite, né à Anvers de parents espagnol^ on i:,:;i. m<)3). Grfg. de yaUntia Commentai ionim Theologuorum Tomi IV . In quitus omni's materiiV qua' continentur in Summa D. Thomce explicantur. Ingolstadii, Sartorius, 1591. iVoir VIII, 20^) ViEGAs jiLaise, jésuite portugais, mort en 1^99. Conimentarii exegetici in Apocah'Psim Joannis Apostoli. Eborie. de Lyra, 160 1. Von- VIII, no, 187, 11^.)  — HERETiaUES  Bartas (du), calviniste français (1543-1S90). La Scpmaine ou Création du Monde, de Guillaume de Saluste, sei- gneur du Bartas. [Genève,] par Jaques Chouët, 1593 (édition de Goulard). La seconde Sepma i ne (cd'iùon de Goulard). (Voir VII, 121,1 BÈzE (de) Tiiéodore, français, disciple et successeur de Calvin à G:nève (1^19-1605). (Voir Gehennenses.) Confession de la foy(Confessio Christianœ Fidei).]. Bona Fides, 1560. VoirVn.22i.V Calvis Jean, français, auteur de la secte qui porte son nom, principal ministre de Genève (1509-1564). Commentarii in Epistolas canonicas. Gène vie , Crispini , mdli. ^Voir VII, 2S3.) Harmonie Evangelique, c'est-à-dire Commentaires sur la concordance des trois Evangelistes. Genève, Blancliier, mdlxmi. Voir VII. 241, ui ? Institution de la Religion Chrestienne, Basle, 1535. (Voir VII , 213- 220, 221, 22S. 2SO, 273, 312, 347, VIII, 2SO.) Instructio contra fanaticam et furiosam sec tant Lihertinorum. qui se spirituales vocant. Inter Opuscula, i^^2. Voir VII. 201. Ultima admonitio J. Calv. ad Joachinum IVestphalum. IS57. "^^^^ VII, 33'-;  cvi Auteurs postérieurs au xiii® siècle Carlostadt André, allemand, pasteur à Wittemberg, ensuite à Bâle (1483-1541). De abusu antichristiano Dominici partis et calicis. Basle, 1524. (Voir VII, 347-) Centuriateurs de Magdebourg. Société de luthériens qui publia l'histoire de TEglise par centuries, ou siècles. Ecclesiastica Historia... per aliquot... viros in urhe Magdehurgica. Basikce, per Joannem Oporinum, 1559-1574. (Voir VII, 46.) Chopinus (Coppinus), flamand qui fut, en 1525, l'un des fondateurs de la secte des Libertins. (Voir VIII, 21.) Farel Guillaume, calviniste français (1489-1565). (Voir VII, 257.) Gebennenses. La Bible,. . le tout reveu et conféré sur les textes Hebrieux et Grecs par les Pasteurs et Professeurs de l'Eglise de Genève : [T. de Bèze, A. La Paye, S. Goulart, etc.] Genève, 1588. (Voir VIII, 116, 136, 213, 239, 305, 324, 327.) Gentil (^G^M^z7/sJ Jean- Valentin, socinien italien ( 1 520-1 566). ( Voir VII, 257.) Husjean, hérésiarque de la Bohême (1373-141 5). Luther Martin, hérésiarque allemand, fondateur de la prétendue Réforme, ministre à Wittemberg, Saxe (1483- 1546). Contra cœl estes prophetas. Wittemberg^, 1525. (Voir VII, 347.) De abroganda Missa Privata. 1521. (Voir VII, 230.) De captivitate Babylonica Ecclesiœ. 1520. (Voir VII, 230.') De Potestate Papce (Resolutio super propos. XIII Lipsica). 15 19. (Voir VII, 283.^ Quodhœc verba Christi, « Hoc est corpus nieum, » adhuc firniiter stent, contra svermericos spiritus (schwermgeister). 1527. (Voir VII, 347.) Marlorat Augustin, français, pasteur à Rouen (i 506-1 561). Novi Testamenti Catholica expositio Ecclesiastica, sive Bibliotheca expositionum N. T. Editio secunda. H. Stephanus, Genevae. MDLXI. (Voir VII, 234.) MuscuLus Wolfgang, lorrain, professeur de théologie à Berne (1497-1563). Locis communes in usuni Sacrœ Theologiœ candidatorum parati. 1560. (Voir VII, 221.) ŒcoLAMPADE Jean, allemand, principal ministre à Bàle (1482-153 i). De genuina verborum Doniini, « Hoc est corpus meum, » exposi- tione. Basileae, 1525. (Voir VII, 331, 347.)  MBNTIONNF.S DANS LES SrRMONS CVll Pierre Martyr (f^^crtni^li), italien, professeur de théologie à Zurich et à Cambridge (141)9-1 <)62). Di'ffnsio doctrimr vettris et apostolkœ dt sacrosartito Htuharistue SiuriVtwnto, D. Pétri Martyris t^crmilii Florcntini... adversus Sti-pbani Gardincri libritm. Tigiiri. ISS9. Voir VII. m, jîs-j QuiNTiNUs. français, l'un des fondateurs de la secte des Libertins, mort en i S3<> Voir VIII, ai.) Saluste (voir Bar tas). ScHWENCKFELD (Svfnfi'ld) Gaspard (de), allemand, propagateur du système de l'inspiration particulière (1490-1 561). vVoir VIII, 31, 33a.; Servetus Michel, hérésiarque espagnol (1509-1553). De Trinitatis crroribus, Ubril^ll. Hagucnau, 1531. Voir VII, i-,;. ViKHT Pierre, calviniste suisse (i 5 i i-i^ji). Voir VII, 2S7.1 WiCLEFF (de IVycliifc) Jean, hérésiarque anglais (i 324-1 384). ^Voir VII, 277, VIII, 167. ZwiNGLE Ulric, suisse, principal ministre a Zurich ( 1484-153 1). Subsidium sivc coronis de Eiubaristia. Tiguri, 1525. Voir VII, 347.)  AVIS AU LECTEUR  Pour tout ce qui concerne la provenance et le classement des matières contenues dans ce volume, voir V Avant-Propos du tome précèdent (pp. xiu- xviii) et la Table de correspondance qui figure à la fin de celui-ci, pp. 4^ç, 440. Deux Sermons autographes, découverts après l'impression de la première Série, ont été placés à la fin de la seconde sous forme d'Appendice; ils sont reproduits d'après les procédés adoptés pour la Série à laquelle ils appartiennent. En outre de la Table de correspondance mentionnée ci-dessus, ce tome est enrichi d'une Table liturgique et chronologique de tous les Sermois publiés dans la présente Edition des Œuvres de saint François de Sales; il contient de plus une Table bibliographique des divers auteurs dont il est parlé au cours de ce volume et des trois précédents.  sECONon si-Rir  SERMONS RECUEILLIS PAR LES RELIGIEUSES DE LA VISITATION  XLIII SERMUX POUR LK DKUXIKME DIMANCHE APRÈS L'KPIPIIANIE COÏNCIDANT AVIX LA FETE DK SAINT ANTt)INE ABBÉ 17 janvier 1621 (O Nous lisons en la .^lesse d'aujourdhuy deux Kvang-iles : l'un est celuy des Confesseurs'^; l'autre, celu}' du pre- • Lvk-.t, xu, 35-40. mi(^r miracle que fit Xostre Seigneur aux noces de Cana en Galilée*. C'est sur iceluy que je vous parleray en ce • J'^^n., u, i-n. petit discours ; car de le faire sur saint Antoine il n'y auroit point d'apparence, veu qu'il en a esté excellem- ment parle'' au oTand sermon, auquel on a dit presque tout ce qui s'en pouvoit dire. Je m'arresteray donques sur le dernier où il est fait mention du premier miracle ( I ) La date de ce sermon est déterminée p.Tr la coïncidence de la fête de saint Antoine avec le deuxième Dimanche après l'Epiphanie. Il est vrai que cette occurrence avait eu lieu déjà en 1616; mais à cette époque la Sœur Claude-Agnès de La Roche tenait la plume, tandis que l'on ne peut méconnaître ici le style de la Sœur Marie-Marguerite Michel. Skum. IV ,  2 Sermons recueillis ou, selon saint Jean, du premier signe que Nostre Seigneur fj pour manifester sa gloire. Nous verrons d'abord la cause du miracle, c'est à dire comment il a esté fait, et en second lieu, par qui il a esté fait et quelles personnes sont intervenues en iceluy. L'Evangeliste dé- clare que ce fut icy le premier signe que Jésus fit pour manifester sa gloire. Je sçay bien néanmoins que plusieurs raysons et disputes s'eslevent de part et d'autre entre quelques Docteurs pour monstrer que ce miracle ne fut pas le premier que fit Nostre Seigneur ; mais puisque non seulement saint Jean l'atteste, ains encores * Sermo viii, § 4. saint Ambroise *, et que la pluspart des autres anciens Pères tiennent cette opinion, nous nous y arresterons et la suivrons. Or, à fin de mieux establir le sentiment de saint Ambroise et des autres Pères, nous escarterons avant tout deux difficultés qui rendroyent leur opinion moins recevable, et nous ferons par après une considé- ration pour la consolation de nostre foy. Disons d'abord que ce miracle fut le premier signe que le Sauveur luy mesme donna pour manifester sa gloire. Plusieurs prodiges, il est vray, se sont opérés avant celuy-cy, les uns par Nostre Seigneur, les autres en Nostre Seigneur et les autres pour l'avènement de Nostre Seigneur, comme celuy de l'Incarnation qui est le plus grand de tous et la merveille des merveilles. Mais ce miracle estoit invisible, secret et occulte ; c'estoit une œuvre si haute qu'elle surpasse infiniment tout ce que les Anges et Archanges en peuvent comprendre , et partant ce n'estoit pas un signe qui manifestast la gloire de Dieu comme celuy qui se fit aux noces de Cana en Galilée, ainsy que dit l'Evangeliste. Ce très haut m3^stere de l'Incarnation est si profond que jamais il n'estoit entré et ne pouvoit entrer dans l'esprit des anciens payens et philosophes ; voire mesme les docteurs de la Loy de Moyse, quoy qu'ils maniassent la Sainte Escriture, ne l'ont peu comprendre parce qu'il estoit invisible et d'une telle hauteur qu'il surpasse tous les entendemens humains et angeliques. Nous le cro3^ons bien en cette vie mortelle parce que la fo}^ nous l'enseigne, mais là haut au Ciel  XLIII. Pour i.i- ii^ Dimanchf- aimus i.'|-i-if'IIânih 3 nous le verrons et ro sera une partie de noslre otornelle félicité. Il se fit oncor d'autres miracles en cette Incarna- tion, dont le plus jrrand est que le Verbe divin fut conceu et na([uit d'iiiH» femme, que cette femme fut vierj^'e et mère tout enstMuhle. Plusieurs iner\('illes accompagnè- rent la naissance du Sauveur, comme l'apparition de cette estoile qui amena les Matées d'Orient*. .Niais bien que • .Matt., n, i, 3. ces signes fussent faits j)our manifester la gloire de Nostre Seigneur, ce n'estoit pas luy qui les operoit, ains le Père et le Saint Ksprit les faisoyent pour luy. Je sçay bien qu'il les faisoit aussi entant que Dieu, car ce que fait 1(^ Père, le l-"ils et le Saint I-"sprit l'ojierent de mcsme; mais quant au miracle de. Cana c'est proprement le Fils qui le fait. l'ai deuxiesme lieu, il faut expliquer ce qu'avancent les anciens Pères*, à sçavoir, que nostre divin Sauveur • Vide Maidnnat., n^ -, • j- / A. '^ j. A. 1 1. 1 j- Barradnrn, alios,in fit plusieurs prodiges (et il est très probable, car diverses joan., n, 3. histoires en sont toutes remplies) pendant qu'il demeura en Kg\'pte et mesme en la mayson de ses parens ; mais ils furent très secrets et invisibles, parce que Nostre Seigneur n'estoit point conneu en ce temps-là; de sorte que, bien qu'il en operast un grand nombre, le signe de Cana en Galilée, duquel parle l'I^vangeliste, fut vraye- ment le premier qu'il fit pour manifester sa gloire. Mais quelle considération tirerons-nous de cecy pour la consolation de nostre foy ? ^"ovoz-^■ous, ce premier miracle se fit par la conversion et transmutation de l'eau en vin, tout ainsy que le dernier opéré par Jésus Christ en ce séjour mortel fut le changement du vin en son sang au très saint Sacrement de 1 ' Kucharistie. Or, puisque nous qui vous annonçons la parole de Dieu, sommes obligés de vous dire sur chaque mystère les choses qui peuvent servir à la consolation de nostre foy quand les occasions s'en présentent, comme à ce coup icy de celuy de l'Eucharistie, j'en toucheray ce qui fait à nostre propos. Et cela, non point pour vous l'enseigner, car vous le croyez assez, non point pour vous confirmer et affermir en vostre croyance, car vous voudriez mourir pour maintenir cette vérité, mais pour resjouir vostre  4 Sermons recueillis cœur et luy causer une certaine suavité que l'on trouve en parlant de ces grans mystères. *Apoc.,i,8,nit.,i3. Nostre Seigneur est le premier, V Alpha et VOmega'^, c'est à dire le commencement et la fin de toutes choses. C'est pourquoy les Egyptiens voulant représenter la Divinité et la faire comprendre en quelque façon, ils * Cf. Aiciat., Em- peignoyent un serpent qui mordoit sa queue *, ce que bleina cxxxiii. r • ^ -i • i . . . , taisant, il estoit tout rond et ne se pouvoit voir en iceluy ni commencement ni fin : sa teste, qui estoit le commen- cement, touchoit la fin qui estoit la queue. Ainsy Nostre Seigneur, qui de toute éternité est le commencem.ent de toutes choses, en sera la fin pour toute éternité. Remarquez comme il a tousjours fait le commencement tel que la fin, et le merveilleux rapport qui existe entre *Cf.tom.viihujus l'une et l'autre*. Quand Dieu créa Adam il donna le 35.^ vpp- 10, 11,34, premier signe de cette création en changeant le limon de la terre au corps de l'homme ; de mesme, lors que Jésus Christ le recréa, le premier signe de cette récréation fut la transformation d'une substance en une autre, le changement de l'eau en vin. Ouy, le Sauveur vint pour recréer Thomme, car il s'estoit perdu : Je viendray, dit-il, pour refaire un homme nouveau ; car l'homme s'estoit tellement anéanti par le péché qu'il ne paroissoit plus ce qu'il estoit en sa première origine. C'est pourquoy Nostre Seigneur venant le renouveller, commença cette récréation comme il avoit fait la création. Considérez en effect ce merveilleux rapport. En la création de Thomme Dieu, comme nous l'avons desja touché, changea la terre en chair humaine et opéra une admirable transmutation ; car après avoir dit : Faisons Vhomme à nostre image et semblance, il prit de l'argile et en forma un corps qui n'estoit alors qu'une masse de terre. Ensuite il souffla dans ce corps, et lors cette masse fut convertie en chair *Gen., 1,26,27, 11,7. et en sang, c'est à dire, il en fit un homme vivant*. Ainsy, en la récréation, Nostre Seigneur commença par la transformation de l'eau en vin, donnant ce signe pour manifester sa gloire. Il a tousjours monstre ce rapport en toutes ses œuvres; car si nous le prenons dès sa première entrée au monde,  XI III. Pour i.K W Dimanciih ai'KI.s i/Rimi-manih 5 nous verrons ([u'il iKi(|iiit tout nii l.'IîlMPU ANIR 9 voulu (lir.' : .Mon Sci^nrur cl niou Fils, ces ^^ens icy sont pauvres, et (luoy c^ue hi pciuvretc? soit grandement ayma- l)le et vous soit fort aggreable, si est-ce qu'elle est de soy grandement honteuse, car elle réduit souvent son hoste à d'extrêmes mespris et confusions devant le monde. Ces bonnes gens qui vous ont invité s'en vont tomber en une grande ignominie si vous ne les secourez; mais je srav ^[ur vous c.^tcs tout puissant, (pie vous ])our- voirez à leur nécessité et empescherez qu'ils ne reçoivent une telle honte et abjection. De plus, je ne doute point de vostre charité et miséricorde ; souvenez- vous de l'hospitalité qu'ils nous ont faite de nous convier à leur banquet, et fournissez, s'il vous plaist, ce qui leur manque. Néanmoins la Sainte Vierge n'eut pas besoin de faire un si long discours à son Fils pour luy représenter la nécessité de ces noces ; aussi, comme très avisée et sçavante en la manière de bien prier, elle usa de la plus courte mais de la plus haute et excellente façon de prier qui soit et qui puisse estre, disant seulement ces deux paroles : Mon Fils et mon Seigneur, ils n'ont point de vin. Vous estes, vouloit dire cette sacrée Vierge, si doux et si charitable, vous avez un cœur si clément et plein de pitié ; condescendez donques, s'il vous plaist, et faites ce de quoy je vous requiers pour ces pauvres gens. Prière certes très excellente , en laquelle cette sainte Dame parle à Nostre Seigneur avec la plus grande révérence et humilité qui se peut imaginer; car elle s'en va à son Fils non point avec asseurance ni avec des paroles pleines de présomption, roniuK^ font j^lusieurs personnes indiscrètes et inconsidérées ; mais, avec une humilité très profonde, elle luy représente la nécessité de ces noces, tenant pour tout asseuré qu'il y pourvoira, ainsy que nous le dirons bien tost. C'est donques une bien bonne prière que celle cy de se contenter de représenter ses nécessités à Nostre Sei- trneur *, les mettre devant les yeux de sa bonté et le * Cf. tom. VIII ^ ,., . hujus Edit., Serm. laisser faire, avec asseurance qu il nous exaucera selon lXxxvii. nos besoins, luy disant à l'exemple de la Vierge, quand on se trouve aride, désolé et desconforté : Seigneur, me  lo Sermons recueillis voicy, pauvre fille que je suis, désolée, affligée, pleine de sécheresses et aridités. Me voicy, Seigneur, pauvre homme que je suis, le plus pauvre de tous les hommes et rempli de péchés. Mais que demandez-vous? Hé que je demande? vous sçavez bien ce de quoy j'ay besoin ; il me suffit de vous faire voir ce que je suis, c'est à vous de pourvoir à mes misères et nécessités selon qu'il vous plaira. Je sçay bien toutefois que l'on peut prier Dieu non seulement pour le spirituel mais aussi pour le temporel ; il n'y a nul doute que cela ne se puisse et doive faire, puisque Nostre Seigneur le nous a luy mesme enseigné. En rOraison Dominicale que nous disons tous les jours, nous demandons premièrement que le Royaume de Dieu nous advienne, comme le but et la fin à laquelle nous visons, et puis, que sa volonté soit faite, comme l'unique moyen pour nous conduire à cette béatitude ; mais outre cela, nous faisons une autre requeste, à sçavoir, qu'il * Matt., VI, 9-13 ; nous donne nostre pain quotidien *. La sainte Eglise a ' ' ' mesme des prières spéciales pour demander à Dieu les choses temporelles, car elle a des oraisons propres pour impetrer la paix en temps de guerre, la pluye en temps de sécheresse et la sérénité en temps de trop grande pluye ; voire il y a des messes toutes particulières pour le temps de la contagion. Par quoy nous sommes enseignés qu'il n'y a point de doute ni de difficulté que l'on ne puisse et doive requérir de Dieu ses nécessités spirituelles et temporelles. Il y a deux manières de les demander à Nostre Sei- gneur : l'une est en la façon que fit la Vierge; l'autre est de le prier qu'il nous donne telle ou telle chose ou qu'il nous délivre de quelque mal, avec cette condition tou- * Lucae, xxii, 42. tcfois, qu'il fasse en cela sa volonté et non la nostre *. Mais pour l'ordinaire nous ne l'implorons pas ainsy. Vous verrez une personne toute confite en dévotion qui demandera en toutes ses prières de grandes douceurs. Que requerez-vous, ma chère fille ? Je demande des consolations. Ouy, cela est bon. Mais je demande encor l'humilité, car je ne suis point humble, et néanmoins je vois que l'on ne sçauroit rien faire sans cette chère vertu ; je demande aussi l'amour de Dieu, cette sacrée dilection  XI. m. l*ouK i.K II" DiMANciii-: Ai'Khs l'Efiphanik I I (jui rtMid toutes choses si douces et faciles. C'est bien fait de demander l'hunulité, car ce doit estre nostre chère vertu (jue celle là ; c'est une chose bonne de demander et sousjnrer après le divin amour, mais néanmoins je vous dis ([ue cette demande ([ue vous faites de Thumilité et de l'amour n'est pas bonne ; car ne voyez-vous pas que vous ne desirez j)as l'humilité, ains le sentiment de l'humilité? Vous voulez sçavoir et sentir si vous estes humble, si vous avez l'humilité. Or, il ne faut pas faire cela, car il n'est pas rec[uis pour avoir cette vertu d'en avoir le sentiment ; au contraire, ceux ([ui l'ont vérita- blement ne voyent ni ne sentent })()int c[u'ils sont humbles. De mesme, il n'est pas requis pour aymer Dieu de sentir qu'on l'ayme ; car son amour ne consiste pas à sentir, gouster et savourer sa douceur. Vous pouvez donques estre bien humble et aymer Dieu sans le sentir. Oh, je voudrois l'aymer comme une sainte Catherine de Sienne, comme une sainte ïherese. Vous vous trompez ; dites plustost : Je voudrois avoir les extases, les senti- mens d'amour et d'humilité d'une sainte Thérèse, d'une sainte Catherine de Sienne, car ce n'est point l'amour que vous demandez, ains le sentiment et la suavité de cet amour. Ce n'est que du manque de sentimens dont nous nous plaignons, car nous voulons tout gouster et savourer. O Dieu, attendez un peu, mes chères âmes, ce n'est pas icy le lieu des gousts et sentimens ; attendez d'estre là haut au Ciel où vous connoistrez si vous avez l'humilité et jouirez de ces suavités. Vous verrez alors comme vous aymez Dieu, et gousterez la douceur de son amour; mais en cette vie le Seigneur veut ([ue nous vivions entre la crainte et l'espérance, que nous soyons humbles et que nous l'aymions sans le sçavoir. Retournons à la très sainte Vierge : .Nlon Seigneur, dit-elle, ils n'ont point de vin. Ce qu'entendant, le Sauveur luy dit : Femme, qu'ave ^-vo us à de mes 1er avec moy? Mon heure n'est pas encores venue. Cette responce de prime abord semble bien rude ; voir un tel Fils parler ainsy à une telle .^lere ; un Fils si doux et si clément rejetter si rudement, ce semble, une prière  12 Sermons recueillis faitte avec tant de révérence et humilité. Quelles paroles icy entre le Fils et la Mère, entre deux cœurs les plus aymans et les plus aymables qui furent jamais ! Qu'ave^- vous à demesler avec moy, femme ? Ha, Seigneur, qu'a à faire la créature avec son Créateur de qui elle tient l'estre et la vie ! qu'a à faire la mère avec son fils, qu'a à demesler le fils avec la mère de qui il a receu le corps, c'est à dire l'humanité, la chair et le sang ! Ces paroles semblent estre bien estranges, et en effect estans mal entendues par des ignorans qui les ont voulu inter- préter, ils en ont formé trois ou quatre hérésies. Mais, o Dieu, qui est si hardi que d'y vouloir mettre la pointe de son esprit, pour aigu et subtil qu'il puisse estre, à fin d'en comprendre le vray sens, sans avoir receu la lu- mière d'en haut pour cela ? Cette responce estoit toute amoureuse, et la Sainte Vierge qui le sçavoit bien s'en sentit la plus obligée mère qui aye jamais esté. Ce qu'elle fit paroistre lors que, après icelle, son cœur demeura tout plein d'une sainte confiance, disant à ceux qui servoyent : Vous avez ouy ce que mon Fils m'a respondu, et pour cela, vous qui n'entendez pas le langage de l'amour, pourrez entrer en doute qu'il ne m'ayt esconduite. O non, ne craignez point, faites seulement ce qu'il vous dira et ne vous mettez en peine de rien, car asseurement il pourvoira selon vostre besoin. * Vide Maidonat., H y a parmi les Docteurs * une grande variété d'opi- Comm.in Joan., ad . i j at j_ o • r-t locum. nions sur ces paroles de Nostre Seigneur : Femme, qu'ave^-vous à dem,esler avec moy? Aucuns disent qu'il vouloit signifier : Qu'avons-nous à faire, vous et moy, de nous mesler de cela ? Nous ne sommes que des invités, nous ne devons donc point avoir soin de ce qui manque; et plusieurs semblables raysons. Mais demeurons fermes en celle que la pluspart des Pères tiennent, laquelle est que le Sauveur respondit à sa sainte Mère : Qu'ay-je à demesler avec vous ? pour apprendre aux personnes qui sont constituées en quelque bénéfice ecclésiastique, de prelature et autres telles dignités, à ne se point servir de ces charges pour gratifier les parens selon la chair et le sang, ou faire en leur faveur chose aucune qui soit  XLllI. l'oUR l.K II" DlMANCMH APRHS l.'RpIPHANIR l î tant soit i)(mi r('j)ii^nant(' à la lov de Dieu; car ils ne se doivent jamais oubliiT jus([iies là qu'à leur occasion ils vi(Minent à s'esloii^nor d(^ la droiture avec laquelle ils sont tenus à exercer l(Mirs offices. Or, nostre divin Maistre voulant faire cette leçon au monde, se servit du cœur do la très sainte Vierge ; en ([uoy certes il luy donna des prjHives tros grandes de son amour, comme s'il disoit : .^\a très ehere Mer(\ en vous respondant : (^)ii' dVc:^-VOUS l1 denieslcr avec }}ioy ? ]o ne veux point vous esconduire en vostre demande ; car qu'est-ce que peut refuser un tel Fils à une telle Mère, la plus aymée et la plus aymante qui ayt jamais esté ? Mais d'autant que vous m'aymez parfaitement, aussi vous aymé-je souverainement; et cet amour que je vous porte et celuy duquel je sçay que vous m'aymez m'a fait prévaloir de la fermeté de vostre cœur pour donner cette leçon au monde, estant tout asseuré que ce cœur très amoureux ne s'en esmouvra point. Combien qu'en apparence elle soit un peu rude, ce n'est rien pour vous qui entendez le langage de l'amour, lequel ne s'explique pas seulement par les parolles, mais aussi par les yeux, par les gestes et par les actions. Et quant aux yeux, les larmes qui en descoulent sont des preuves de l'amour; c'est en cette façon que le Psalmiste donnoit des tesmoignages du sien lors qu'il respandoit une grande abondance de larmes devant son Dieu*. • Pss. vi,;, xxxvm, L'Espouse, au Cantique des Cantiques*, disoit : Mon «o^^^ Amy fn'est tin faisceau de myrrhe, je le prendray et le mettray au milieu de mes ma m m elles, c'est à dire au milieu de mes affections ; et la goutte de cette myrrhe venant à tomber, fortifiera et confortera mon cœur. Aussi cette divine Amante, la très sacrée Vierge, prit les paroles de Xostre Seigneur comme un faisceau de myrrhe qu'elle mit entre ses mammelles, au milieu de son amour ; elle receut la goutte qui descouloit de cette myrrhe, laquelle raffermit son cœur en telle sorte qu'en entendant la responce qui aux autres sembloit un refus, elle creut sans aucun doute que le Sauveur luy avoit accordé ce qu'elle luy dcmandoit ; et pour cela elle dit aux officiers : Faites tout ce qicil vous dira.  ,ap. I, 12.  î4  Sermons recueillis  Quant à ces paroles : Mon heure n'est pas encores venue, quelques-uns ont pensé que Nostre Seigneur entendoit que le vin n'estoit pas encores failli. Il y a plusieurs autres interprétations et sentimens des saints * Vide Maidonat., Peres sur cc sujct *, mais je ne veux pas m'y arrester. in locum. j^ ^^^ vray qu'il y a des heures ordonnées de la divine Providence desquelles dépend tout nostre bien et con- version. Il est vray aussi que Dieu avoit déterminé de toute éternité l'heure et l'instant de faire deux grans miracles : celuy de l'Incarnation et celuy de donner au monde le premier signe pour la manifestation de sa gloire ; mais c'estoit d'une façon générale et non point en sorte qu'estant prié il ne peust avancer cette heure. Je veux rapporter un exemple pour me faire mieux entendre. Voyla Rebecca et Isaac qui desiroyent tous deux des enfans ; mais le malheur estoit que Rebecca estant stérile n'en pouvoit naturellement avoir. Cepen- dant, Dieu avoit veu de toute éternité que Rebecca concevroit et auroit des enfans, mais avec cette condition qu'elle les obtiendroit par ses prières ; et si elle n'eust prié avec son mary Isaac elle n'eust point conceu. Voyant donc qu'ils ne pouvoyent avoir des enfans à cause de sa stérilité, elle et son mary s'enfermèrent en une chambre et prièrent si fervemment que Dieu les ouyt, les exauça, et Rebecca devint grosse de deux jumeaux, Esaù et *Gen., XXV, 21. Jacob *. Ainsy, les souspirs d'amour de Nostre Dame, • VideS.Bonav.,in commc disent les anciens Docteurs *, avancèrent l'Incar- aîutqïV;Si!iareï; nation de Nostre Seigneur. Ce n'est pas pour cela qu'il inliiam partem s. s'iucamast devant le temps qu'il avoit preordonné, non ; Thom., qu. ii, Dis- a a a put. X, sent. VI. mais en son éternité il avoit veu que la Sainte Vierge le conjureroit de haster le moment de sa venue au monde, et que l'exauçant, il s'incarneroit plus tost qu'il n'eust fait si elle n'eust prié. Il en est tout de mesme de ce premier miracle que Nostre Seigneur a fait aujourd'huy aux noces de Cana en Galilée. Mon heure n'est pas encores venue, dit-il à sa sainte Mère, mais puisque je ne vous puis rien refuser, j'avanceray cette heure pour faire ce que vous me de- mandez. Il avoit donc veu de toute éternité qu'il la devoit  XI. m. PoUK I> II- DlMASCIIF Af'Kl'.S I.'ÎÎIMI'JIANIK I5 (Icwinrcr à la faxciir des ])ri(^r»'s dp Xo^tre» I)am(\ O (\\\r bionheiinnise est l'iinirr de la divinr l'rovidence en laquelle Dieu a voulu nous départir tant df j^raccs et de biens ! () (|ue l)i(Miheureuse est l'ame (jui attendra avec patience et qui s(^ préparera ])our correspondre avec fidélité à icelle ([uand elle arrivera 1 Certes, ce fut l'heure de la IVovidence divine celle en laquelle la Samaritaine se conv(Mtit. C'est aussi de cette heure que dépend nostre conversion et transmutation, et l'on doit avoir un g-rand soin de s'y l)i<'n disposc^r, à fin ([ue Nostre Seig'neur venant, nous puissions estre prcsts à bien correspondre à sa çrace. Le Sauveur commanda aux serviteurs de remplir six cruches (fr pierre qui estoyent là pour la purifica- tion des Juifs, d'autant qu'ils se lavoyent quand ils avo3'ent touché quelque chose défendue par la Loy ; car ils faisoyent force cérémonies extérieures auxquelles ils estoyent grandement exacts, mais ils ne se soucioyent gueres de purifier leur intérieur*. J'ay veu une de ces •'^t.itt.,xxiii. 3^,26; cruches à Paris en une mayson de Religieux de l'Ordre * ^^^'' ^"' ^'^' de Cisteaux : elles sont fort grandes et ont en icelles des caractères hébreux, mais je ne les leus pas, parce que je ne la vis que de loin. Ces officiers furent très soigneux de faire ce que la sacrée Vierge leur avoit ordonné, car si tost que le commandement fut fait ils rewpliroit ces cruches si pleines, que, comme nous lisons dans le Texte sacré, l'eau alloit surnageant tout autour. Lors Nostre Seigneur dit une parolle intérieure que personne n'entendit, et à l'instant toute cette eau fut changée en très bon vin. Cette parolle fut semblable sans doute à celle par laquelle il créa de rien toutes choses, donna la vie et l'estre à l'homme, et par laquelle aussi en ce dernier bancpiet qu'il fit avec ses disciples, il changea le vin en son sang au très saint Sacrement de TKucharistie. Vin très excellent que celuy cy dont nous sommes nourris, car c'est par la réception du corps et du sang du Sauveur que nous sont appliqués les mérites de sa 3lort et Passion. Les roys et grans princes ont pour l'ordinaire tousjours  i6 Sermons recueillis avec eux de la poudre de la corne de licorne qui est propre à garantir du venin ; et quand ils ont quelque incommodité ils prennent de cette poudre dans du vin pour s'en préserver. L'esprit humain est admirable ! Plusieurs disputent s'il y a des licornes ou non et si la poussière de leur corne a cette vertu. D'aller chercher les raysons de telles disputes cela n'est point propre pour nous ; mais tenons-nous à cette heure du costé de ceux qui disent qu'il y a des licornes et que leur poudre a la propriété de chasser le venin. Tous peuvent avoir de cette poudre aussi bien que les princes ; néanmoins ces derniers ont cet advantage par dessus les autres qu'on leur fait des gobelets de cette corne, et ils prennent dans iceux la poudre de la licorne. Le pretieux sang de Nostre Seigneur est comme la licorne, qui chasse le venin du péché lequel empoisonne nos âmes; car par le Sacrement de l'Eucharistie nous est appliqué, comme nous l'avons dit, le fruit de nostre Rédemption. Ce Sacrement nous a esté figuré par les miracles qui se sont faits en l'ancienne Loy. Moyse avoit une verge par laquelle il operoit des choses merveilleuses et espouvantables ; car elle se chan- geoit en serpent et couleuvre, et puis, quand il vouloit, * Exod., IV, 2-4. elle retournoit en sa première forme *. Il faisoit au moyen *Ibid., xviij 5, 6. d'icelle, sortir de l'eau des rochers*, il convertissoit les * ibid., VII, 19, 20. eaux en sang *, en somme il faisoit des prodiges qui tous estoyent des figures de ceux qui devo3^ent arriver en la * Cf. I Cor., X, 4,11. loy de grâce *. Mais avant de finir, disons que puisque Nostre Dame a tant de crédit, il nous faut addresser à elle, à ce qu'elle représente nos nécessités à son Fils. Il nous la faut inviter à nostre festin, d'autant que là où est le Fils et la Mère le vin n'y manque point ; car elle dira infailliblement : Mon Seigneur, cette mienne fille n'di point de vin. Mais, mes chères âmes, quel vin demandez-vous? O certes, non autre que celuy des consolations, c'est celuy que nous voulons et pas un autre. Je vous feray entendre cec}^ par un exemple familier. Voyla une bonne femme qui a un fils malade; o Dieu, il faut employer le Ciel et la terre, car cet enfant est unique, c'est le fruit de mon sein, c'est  XLlll. I\)UK Lh IV l)lMAN(:ilh Al'Kh^ l.'HlMI'HANlH I7 vn liiv 4»i(' j'ay mis toiiic mon espérance ; et ([iiand les remèdes humains n'y peuvent plus rien on recourt aux vœux qu'on fait aux Saints ", Ccda est bon, c'est bien fait "Cf. Tr.dt l'Am.de ... • 1 «.- • • 1. /^/<'M,prarfat.,adfi- de se s('r\ir de 1 invocation des Saints; mais, ma chère ncm; Iniroj. a u fille, pourquoy demandez-vous tant la santé de ce fils? ^^'^xm '^^^^'*'^^^' (Juand il se portera bien tju'en ferc/.-vous? Je le mettray sur l'autel tle mon cœur et je l'encenseray. Or voyez-V(jus, si la Vier<^e eust demandé dn \in à fin ([ue ceux ([ui estoyent aux noces s'enivrassent, sans doute Xostre Seigneur n'eust i)oint opéré cette transmutation de l'eau en vin. Si nous voulons que Nostre Dame demande à son Fils (ju'il ihange l'eau dv' notre tepidité au vin de son amour il nous faut faire tout ce qu'il nous dira; c'est icy un bon point. Ces officiers furent grandement prompts à accomplir tout ce ([u'il leur commanda, ainsy ([ue nostre divine Maistresse leur avoit conseillé. Faisons bien ce que le Sauveur nous dira, remplissons bien nos cœurs de l'eau de pénitence, et l'on nous changera cette eau tepide en vin de fervent amour ; faites soigneusement ce que vous avez aujourd'huy entre les mains, et demain on vous ordonnera autre chose. Voulons-nous avoir une longue et fervente oraison ? T^ntretenons-nous parmi la journée en de bonnes pensées, faisant des fre([uentes oraisons jaculatoires. Voulez-vous estre bien recueillie en l'oraison ? Tenez-vous hors de l'oraison comme si vous y estiez et n'employez pas le temps à des reflexions inutiles tant sur vous que sur ce qui se passe autour de vous ; ne vous amusez pas à des niaiseries. Vous voudriez avoir quelque lumière de la fov ])our comprendre le mys- tère de l'Incarnation; entretenez-vous le long du jour en de dévotes pensées sur la bonté infinie de nostre Dieu. En somme, mes chères Sœurs, prattiquez bien ce qui vous a esté enseigné jusr^u'à présent et vous reposez en la pro- vidence de Dieu, car il ne manquera pas de vous fournir ce que vous aurez besoin *. Benissez-le en cette vie et vous • Ps. nv, 23; l Pe- lé glorifierez avec tous les Bienheureux au Ciel, où nous '^'' " ' ^' conduisent le Père, le Fils et le Saint Fsprit. Amen.  Seri». IV  XLIV SERMON DE VÊTURE POUR LA FÊTE DE SAINTE BRIGITTE, VIERGE 1^1' février 1621 (0 (Inédit)  *Matt.,xiii, 45, 46. L'Evangile* fait mention d'une parabole ou similitude en laquelle il est dit qu'un certain négociateur qui cherchait des perles en trouva une d'un si grand prix qu'il vendit tout ce qu'il avoit pour V acheter. Or, d'autant que cette similitude renferme et enclôt une milliace d'advis et clocumens très excellens pour parve- nir à la perfection chrestienne, je m'en serviray pour ce petit discours auquel nous verrons qui est ce négocia- teur qui cherchoit des perles, quelle est cette perle * CL tom. prœced. et ce qu'il faut faire pour l'avoir*. hujus Edit., Serm. . . XX. Quant au premier point, tous les nommes sont ces mar- chans et négociateurs qui cherchent des perles, lesquelles ne sont autre chose que la félicité et béatitude. Ce n'est pas seulement le commencement, mais aussi la fin de *Ethic.,adNicom., la doctrine d'x\ristote *, que tout homme cherche à estre bienheureux ; et ce philosophe a très bien dit qu'il y a dans l'homme un certain mouvement naturel qui tend à la félicité. Que s'il s'en rencontre quelques uns qui ne sont pas bienheureux, ce n'est pas faute de cette prétention générale, ains de la particulière; car bien qu'ils tendent à cette félicité, si est-ce qu'ils la mettent en des choses où elle ne se trouve pas. L'avare la cherche dans les richesses, (r) Vèture de Sœur Jeanne-Ignace du Poysal. (Voir l'A?inJe Sainie des Religieuses de la Visitation Sainte Marie, tome II, p. 569.)  Xl.lV. PoUK LA FKTE DF. SAINTK HkICITTI-.. ViERGE I9 mais il ne l'y sraiiroit Iromor, d'autant <|U(' les richesses ne sont (jii'anKTtiiinc ; d'aiitrcs la cherchent dans les voluptés, mais ils ne l'y peuvent rencontrer, car les volupt(''s sont ])lus propres aux hestes (|u'aux hommes, et au lieu de contenter le eo'ur elles l'ahrutissent ; d'autres recherchent leur félicité dans les honneurs et satisfac- tions de cette vie, mais ils nr l'y trouvent pas non plus, car tous les playsirs sont sujets à milh? vicissitudes et accidens, et ceu\ (|iii possèdent !<■ j)his de ces biens l'expérimentent journellement ; les plus g-rans roys et princes le ressentent mesme tous les jours, voire bien sou\"ent av(*c ])lus de rii^ucur que le reste des hommes. iMais je passe ce premier point sans en dire davantage, parce que ce n'est pas là où je me veux arrester. Il y a 7ni iicfrociatciir qui cherche des perles, lequel est par dessus tous les autres. Il en cherchoit plusieurs, mais il ucn trouVii ([n'i/nc, laf[uellc estoit si belle qu'/7 vendit tout ce qu'il iivoit pour Vaclictcr. Voicy en cette para- bole d'admirables documens pour la perfection chres- tienne, que nous verrons clairement prattiqués en la vie de sainte Brigide dont nous célébrons aujourd'huy la feste en ce diocèse. Tous les Chrestiens sont ces chercheurs de perles, c'est à dire tous ont un apj)etit et mouvement par lequel ils appetent et recherchent le bien, la félicité et béatitude. C'est ce que vouloit signifier le royal Prophète par ces paroles* : Q^ui me monstrcra le bien après 'Ps. iv, 6. lequel j'halette et souspire ? Comme s'il vouloit dire : O Seigneur, tout homme appete le bien et désire qui le luy monstre ; et je ne suis pas du nombre de ceux qui ne l'apî^etent pas, car j'ay bien observé en moy un certain instinct naturel qui me porte et me fait tendre au bonheur, h'n un autre endroit* le mesme Psalmiste 'Ps. xv, S-n. s'escrie : O Dieu, mon cœur s\\^t tout resjoui quand il a sceu que vous estiez sa félicité ; et nostre grand Père saint Augustin disoit * : « O Dieu, mon cœur est créé 'Confess.,!. I,c. i. pour vous, il n'aura jamais repos ni tranquillité qu'il ne jouisse de vous. » Nous voyons par ces paroles comme le cœur humain tend naturellement à Dieu qui est sa béatitude.  20 Sermons recueillis Il est vray que l'homme est créé pour la félicité et la félicité pour l'homme ; car l'homme ne peut estre content s'il ne jouit de la félicité, et la félicité, ce semble, ne peut estre félicité si l'homme ne la possède. Elle a une telle convenance et rapport avec le cœur de l'homme qu'il ne sçauroit trouver de repos qu'en la possédant ; de mesme, si je l'ose dire, elle, par un amour réciproque, ne semble pas estre vraye félicité qu'entant que l'homme la possède, car Dieu l'a faite pour la jouissance de l'homme, et la luy a tellement promise qu'il s'est obligé de la lu}^ donner. Mais il ne luy a pas fait cette promesse pour aucun sien mérite, ni estant meu ou excité par aucune chose sinon par sa seule bonté et miséricorde. A cause du rapport et de la convenance qu'elle a avec l'homme, il estoit en quelque façon raysonnable que * Cf. Tr.de rAm.de Dieu luy donnast cette félicité*; il y avoit encores de la Z)^V«,l.I,c.xv,l.II, , . ,,, , , , ce. XV, XVI. bienséance que 1 homme la possedast, voyla pourquoy il s'obligea de la luy bailler. Or, bien que cette promesse n'ayt pour fondement que sa bonté, il s'ensuit néanmoins que cette obligation est de justice, mais d'une justice toute miséricordieuse, car c'est par pure miséricorde que Dieu s'est engagé de donner sa gloire à sa créature, gloire qui n'est autre que l'union de nos âmes avec luy. Cette union à laquelle nous tendons tous naturelle- ment, comme j'ay desja dit, est et sera éternelle et inséparable. Mais pour y parvenir, il faut, pendant que nous sommes en cette vie, prendre, embrasser et recher- cher les moyens qui nous y peuvent conduire. La grâce nous 3^ dispose, et la charité est comme la racine qui engendre et cause l'union ; à mesure que nous aurons plus de grâce en cette vie, nous aurons aussi plus de gloire au Ciel, et par conséquent plus d'union. La charité donques produit l'union icy bas ; c'est elle qui retire et resserre les affections, qui relie et reunit tout ce qui est désuni, en somme c'est par cette union temporelle que l'on arrive à l'éternelle. C'est ce qui nous a esté monstre par les anciens Religieux, lesquels furent nom- *Videtom raced "^^^ moines, ce qui signifie reliés, c'est à dire unis et hujus Edit., p. 50. resserrés*. C'est un beau nom que celuy de moine, nom  58.  XI. IV. F\)i'R lA fAth i->f. saintp. BKit-.inF. Vikrgr 21 tout in\-^l(Ti(Mi\ (lui nous fait cette hclU' Irrou de tendre' à l'union , île nous relier et restreindre pour i)ouvoir justement aspirer à la félicité. Le ncfrociatcur de nostre Kvan^ile clicrchoit donques des perles; il r<'presente tous les r'hrestiens. Mais quelles sont ces ])erles sinon les vertus et bonnes œuvres qui sont comme des perles et pierres ])retieuses '^ Or, d'où viir. (Il est hors de doute qu'il y a des li(ni\ où les honiuies naissent plus l)eaux qu'ail- leurs. Or, r Escosse a cet advanta^^e par dessus les autres païs du monde, mais d'en vouloir déduire les raysons il n'est pas à propos icy : tout cela importe peu, pourveu que nous allions en Paradis c'est assez.) Donques, parmi les filles de cette contrée, qui sont naturellement belles, sainte Hrigide l'estoit singuliere- mcMit; c'est j)our([uoy, bien (pi'elle fust de basse extraction selon sa mère, elle fut recherchée en mariage par les plus advantageux partis de toute l'Escosse, lesquels s'oubliant de la bassesse de son origine, la desiroyent pour son extraordinaire beauté qui la rendoit fort aggrea- ble. .Mais cette grande Sainte, qui estoit choisie et esleue pour estre l'espouse de Nostre Seigneur, fut esclairée de la lumière intérieure, et sentant en son cœur un appétit et mouvement qui tendoit continuellement après le sou- verain Bien, elle descouvrit la perle de la perfection religieuse : considérant ensuite la rare beauté d'icelle, elle se délibéra de l'acheter et de vendre tout ce qu'elle avoit à fin de l'acquérir. Elle renonça don . i XIV; tom.prseced. ruenccr et nnir, car la volonté propre n est qu une hujusEdit., pp.76, formiliere de petits vouloirs, inclinations et humeurs, lesquelles on doit toutes assujettir à l'obéissance et a la rayson ; autrement elles font un desordre et rébellion tant à la loy et volonté de Dieu qu'à celle des Supé- rieurs. Or, comme il ne suffit pas en Religion d'observer les commandemens de Dieu, ains encores ses inspirations particulières et générales qui sont marquées dans les Statuts, Règles et Constitutions, pour les prattiquer il faut nécessairement renoncer à sa propre volonté. Mais ce n'est pas tout, il y a encores une autre pièce aussi difficile à quitter que l'autre : c'est le propre jugement. Il s'en trouve encores qui se desprennent de la propre volonté, mais ceux qui renoncent entièrement au propre jugement sont fort rares. On veut bien faire le bon playsir de Dieu, mais non pas en tout, ains en ce qui sera conforme au nostre. Je feray bien telle chose, mais je vois qu'il seroit mieux autrement; mon Dieu, on me dit que je la fasse ainsy, et cependant je vois que j'en  XI. IV. Tol-K lA KKTH Dh .^AINIh liKHilIIh, VlhKGh 29 tirerois Ixmucouj) plus de jjroffil si jr la fai.sois on cette sorte; un tt'l exercice» me .scroit bien i)lus j)r()flritable pour mon avancement ([ue non |)as cet autre. \\n somme, il est très malaysé de faire mourir ce propre jui^-cment et de ne plus user d(» sa liberté. Certes, cpiand le jugement et la volonté jjrojjres .sont renonces, tout est fait; niais il faut bien travailler pour en arriver là, et ne j)as s'cstoiinrr des diffi('ult(''s ou de la peine (pie l'on esprouvc tant ])our les ruiner comme pour ac(iuerir les vertus, car on nit les .sçauroit avoir sans travail. Or, de penser parvenir à ce point de perfection sans j)eine et d'obtenir les vertus sans diffi- culté, c'est une hérésie plustost qu'autre chose, car la sainte Eglise a déclaré*, et c'est une vérité infaillible, • Concii. Ephcsin., ,,, .... . Pars II. Act. vu. Cf. que 1 homme sera toute sa vie sujet a d(\s passions, tom.viiihuj.Edit., changemens et vicissitudes ; de sorte que pour aller ÇcvrciVca med^'*^° contre ces passions, pour demeurer ferme et esgal parmi ces variations et marcher avec la pointe de l'esprit et de la rayson, il faut de nécessité supporter du travail et de la peine. C'est ce que nous a voulu faire entendre le grand Apo.stre lors qu'il disoit* : Je sens en moy deux ' Rom., vu, 23, 2.». lois, la loy de la chair et celle de l'esprit, lesquelles sont toutes contraires l'une à l'autre; ce cpii me fait souvent gémir et m'escrier : O moy îiiiscrahle, qui nie délivrera de ce corps de mort? car je sens un appétit en ma chair qui appete le mal que mon esprit abhorre. Xous })ouvons juger par ces parolles du violent combat que ce saint Apostre tant favorisé de Dieu souffroit en sa chair, qui repugnoit à l'esprit. Voyla donqiies comme cette grande sainte Brigide cjuitta les honneurs, biens, richesses et playsirs, les biens de fortune, les biens naturels et soy mesme, assu- jettissant pour jamais sa liberti'' et sa volonté à celle d'autruy, à fin de trouver et avoir cette unique perle, l'union temporelle de son ame avec Dieu, pour parvenir à l'éternelle en l'autre vie. Quand est-ce que nous ven- dons tout ce que nous possédons pour acquérir cette perle sinon quand nous nous dédions au service de Dieu? Quand on prend l'habit de Religion on commence  post médium.  30 Sermons recueillis à tout rejetter, on quitte les biens, les honneurs, les parens, renoncemens fort difficiles à faire pour quelques uns ; et néanmoins l'amour et amitié des proches est bien foible et fade parce que, s'il n'a point d'autre fondement que la nature , il se perd pour le moindre accident qui arrive. Mais on passe encores plus outre, et on commence à se quitter soy mesme, à s'assujettir à la direction d'autruy et à renoncer sa propre volonté et son jugement, c'est à dire son propre sens, son propre esprit; on se sousmet à la correction et reprehension, qui est le dernier essay et le plus important de la perfection ♦Cf. Entretien IX, religieuse*. C'est pourquoy la correction règne en toute Religion bien reformée et y est perpétuellement prattiquée ; de là vient le bon ordre qu'on y trouve, d'autant que par icelle on redresse, nettoyé et corrige tout ce qui ne va pas bien ou qui est tant soit peu imparfait. Pour nous autres mondains personne ne nous reprend ; nous mar- chons par les grandes rues de ce monde avec des robes toutes boueuses, et pas un ne nous dit mot ni s'essaye de nous nettoyer ; on nous laisse aller nostre chemin sans nous rien dire, ce qui fait que nous demeurons tousjours tout crotteux. Mais il n'en est pas ains}^ en Religion, ains l'on y souffre les reprehensions continuelles. Or, bien que cela se commence à prattiquer quand on se dédie au service de Dieu, si est-ce qu'il se fait bien plus entièrement quand on prononce les vœux. C'est alors qu'on n'entreprend pas seulement de tout quitter, mais on quitte tout à fait toutes choses et s'oblige-t-on à ne plus vivre en sa liberté et selon sa volonté, ains en l'obéissance et sousmission. On renonce à ce qui est inutile et se contente-t-on du nécessaire pour l'entretien de la vie, embrassant la sainte sobriété qui retranche le superflu et donne ce qui fait besoin, sans permettre que l'on en souffre aucune grande disette ; car si on trouve en quelque lieu ce qui est requis pour la conservation de cette vie misérable, c'est bien en la Religion où il se départ plus soigneusement que par tout ailleurs. Au reste , quand mesme nous quitterions de grans biens  XLIV. 1\)UR LA FKFE DE SAINTE BRIGITTE, ViERGR 3I pour aller souffrir eu Krli^^ion toutes les disettes et les incommotlitrs ijuc la pauvreté traisne après soy, o Dieu, que ce seroit bien peu au prix de ce que Nostre Sei- gneur a (piitté pour nous ! ear ne pouvant estre pauvre au Ciel, où il n'y a ni ])eut a\()ir aucune disette, il s'est humanisé et il est venu en ce monde endurer la plus grande pauvreté des choses nécessaires à l'usage de sa vie, et ce, ])our nous (Mirichir et donner des preuves de son amour *. O {[uc vous sercv. heureuse, ma ch(,Te l'ille, si aujour- d'huy que vous voulez vous dédier à Dieu vous vous donnez toute à luy sans aucune reserve, et si, à l'imitation de sainte Brigide, vous quittez et renoncez toutes choses pour acheter cette périt' tinique de la perfection reli- gieuse ! Vous serez bienheureuse si de bon cavuv vous venez chercher en cette mayson la vraye paix et tran- quillité d'esprit, qui consiste et se trouve non pas dans les consolations ou mignardises, comme plusieurs pensent lesquels se trompent, mais dans le renoncement parfait et absolu de vostre propre volonté et jugement, en la sujétion et sousmission de vostre liberté, vous laissant conduire et gouverner par autru}-. Vous suivrez ainsv l'exemple de sainte Brigide qui estoit entre les mains de ses Supérieurs comme une boule de cire, prenant toutes les impressions qu'on luy vouloit donner et se laissant manier au gré des autres sans aucune résistance. Je vous dis derechef que vous serez heureuse, ma chère Fille, si vous vous donnez tellement à Dieu que désormais vous viviez n(^n jilus selon vos humeurs et fantasies, mais selon les Règles et Constitutions et la volonté de ceux qui vous gouverneront. Or, vous ayant sommairement raconté la vie de sainte Brigide, il est bien raysonnable que je vous die encores quelques uns de ses miracles ; je vous en rapporteray seulement deux qui sont propres à ce sujet, avec les- quels je fi.'rmcray ce discours. Le premier est de quelques lépreux ([u'elle guérit ; le secontl est d'une fille à qui elle rendit la veué. Certes, la renommée de la vertu de sainte Brigide s'estoit tellement espanchce qu'on luy amenoit  II Cor., vm,  ^i Sermons recueillis des malades de toutes parts, car Nostre Seigneur luy accordoit tout ce qu'elle luy demandoit. Aussi c^estoit son céleste Espoux lequel ne luy pouvoit rien refuser ; et parce qu'elle luy donnoit tout ce qu'il requeroit d'elle, luy de son costé, par un amour réciproque, l'exauçoit selon ses désirs ; car Dieu ne refuse rien à ceux qui font * Psaim. cxLiv, 19; en tout sa sainte volonté*. Si vous voulez qu'il vous '' '^ " octroyé ce que vous desirez, donnez -luy donques ce qu'il vous demande. Vous le priez que sa volonté soit faite, car c'est en icelle que consiste tout nostre bien ; * Matt., VI, 10. puis encores, que son Royaume nous advienne'^ pour jouir de cette éternelle félicité après laquelle nos cœurs aspirent et parpillent continuellement. Or, si vous voulez qu'il vous accorde cela, donnez-luy aussi ce qu'il vous demande, qui est que vous gardiez sa loy et obéissiez à ses conseils. Voicy donques ces lépreux venir à nostre Sainte pour estre guéris, laquelle les voyant, print de l'eau toute claire, la bénit, puis leur commanda de se laver les uns les autres. Lors le premier trempa ses mains dans cette eau fraische et commença de laver son compagnon qui devint plus blanc que la neige. Or sus, dit la Sainte, prenez aussi de l'eau et lavez vostre compagnon. Mais celuy qui estoit net ne se soucia point de Tautre, ains se voyant si blanc : O Dieu, respondit-il, je ne l'oserois pas toucher, car à cette heure que je suis guéri il est dangereux que si je le touche je ne devienne derechef lépreux. Voyez-vous, celuy-cy fut guéri le premier, et néanmoins c'estoit un grand ladre. Aussi cette sainte vierge, esclairée de la lumière intérieure : Hé bien, mon amy, reprit-elle, la guerison de la ladrerie extérieure vous a causé la lèpre intérieure ; oh ! il n'en sera pas ainsy, car vous redeviendrez ladre. Ce qui arriva soudain, parce que Dieu vouloit tout ce que la Sainte souhaittoit. Ensuite elle luy commanda de laver son compagnon, après quoy, ayant esté lavé encores une fois des autres, il fut guéri. Mais à quel propos ce miracle, et pourquoy est-ce que je le dis ? Parce qu'il est beau et qu'il me semble devoir  XI. IV. PuUK l.A ïi.H: :>\: AISIF i',KICilT I I. . VifcRGK }} estre rapporté à cause îles exccUcns (locuincns ([ui y sont compris. \''oyez-voLis ce ([ue fait cette Sainte, j^uid<''e de TKsprit (1<* Dieu, pour guérir ces lépreux? I^dle leur dit : Lavez-vous les uns les autres*. \\n (juoy elle nous fait 'Cf. Joan., xm, 14, une belle leçon de la charité et dilection mutuelle qui doit rejï'ner parmi les Chresticns, et cjui doit estre tout particulièrement i^raNc'c 'f", l.V, C. M, et Or, tilt la chère amante? , tes amours qui sont tes tom. pricccd. hujus mammelles, o mon Hien-Aymé, produisent une certaine j'j||[|^; *^'''"' liqueur odoriférante ([ui recrée merveilleusement mon ame, si que je n'estime nullement la bonté des vins plus pretieux et délicats des playsirs de la terre; ils ne sont rien en e()nii)cirais()n, ce sont plustost des ennuis. Le vin, qui rcsiouit et fortifie le cœur*, fii^ure, selon ' Judic, ix, i^ ; Ps. c;iii, is. les Docteurs*, les joyes et les contentemens terrestres, «s. Bcm., scmi. x Les amours de Nostre Seigneur ont, au dessus de tous les communîter.'^' ^^ playsirs terriens, une force incomparable et une propriété indicible pour recréer le cœur humain, non seulement ])lus que toute autre chose, ains rien n'est capable de luv (lonntT un ])arfait contentement ([ue le seul amour de Dieu. Prenez, si vous voulez, tous les plus grans de la terre et considérez leur condition les uns après les autres ; vous verrez qu'ils ne sont jamais vrayement satisfaits, car s'ils sont riches et eslevés aux plus hautes dignités du monde ils en désirent tousjours davantage. L'exemple d'Alexandre, que les mondains appellent le Grand, certifie assez mon dire. Il avoit presc[ue la seigneurie universelle de toute la terre, il en estoit quasi maistre absolu, de sorte que tout le monde observoit le silence en sa présence * et les princes n'osoyent souffler * l Machab., , 3. mot ; tout trembloit, par manière de parler, sous son authorité, pour la grande révérence qu'on luy portoit. Néanmoins, entendant un jour un certain sot philosophe asseurer ([u'il y avoit plusieurs mondes cju'il n'axoit ])as conquis, Alexandre se print à pleurer comme un enfant. Mais de quoy? Hé, disoit-il, parce que, y ayant plusieurs mondes, il n'en avoit pas conquis entièrement un seul ; si qu'il desesperoit de ne les pas tous avoir en sa domi- nation*. Folie très grande! •Plutarc.DeTran- T ,, , . ' . r • 1 ,- quill. .\nimi. c. iv. L homme se plaist extrêmement a taire un grand trafic cf. Tr.Je lAm.de en cette vie pour trouver du contentement et du repos, p"'".i-m.cx. et » * tom. praecca. liujus et pour l'ordinaire ce trafic est vain, d'autant qu'il n'en Edit.. p. 120. tire nulle utilité. N'estimeroit-on pas bien fol et de  44 Sermons recueillis peu de jugement un marchand qui travailleroit beau- coup à faire quelque commerce dont il ne luy revien- droit que de la peine? Donques, je vous prie, ceux dont l'entendement estant esclairé de la lumière céleste sçavent asseurement qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse donner un vray contentement à leurs cœurs, ne font-ils pas un trafic inutile logeant leurs affections aux créatures inanimées ou bien à des hommes comme eux ? Les biens terriens, les maysons, l'or et l'argent, les richesses, voire les honneurs, les dignités que nostre ambition nous fait rechercher si esperduement, ne sont-ce pas des trafics vains? Tout cela estant périssable, n'avons-nous pas grand tort d'y loger nostre cœur, puisque, au lieu de luy donner un vray repos et quiétude, il luy fournit des sujets d'empressement et d'inquiétude très grande, soit pour les conserver si on les a, soit pour les accroistre ou Cf. supra, p. 22. acquérir si on ne les a pas *? Je veux que nous logions nos affections et nostre amour aux hommes, qui sont créatures animées, capables de rayson ; qu'est-ce qui nous en reviendra ? Nostre trafic ne sera-t-il pas vain, puisqu'estans hommes comme nous, esgaux en la nature, ils ne peuvent que nous rendre un contreschange en nous aymant parce que nous les aymons ? Ma,is, ce sera tout, car n'estans pas plus que .nous, nous ne ferons nul profit, et ne recevrons pas plus que nous ne leur donnons : nous leur donnerons nostre amour et ils nous donneront le leur, et l'un pour l'autre. Je passe plus avant et veux que nous aymions les An^es ; parlant communément, quel gain en tirerons- nous ? car ce sont comme nous des créatures, esgalement sujettes à Dieu, nostre commun Créateur. Nous peuvent- Cf, Matt., VI, 27. ils eslever de deux doigts, comme l'on dit'''? Nullement. Les Chérubins et les Séraphins n'pntaucun pouvoir de nous aggrandir jii de nous donner un contentement parfait, d'autant que Dieu s'est réservé cela, ne voulant pas que nous trouvions à loger nostre amour hors de luy, tant il en est jaloux. Je vous diray à ce sujet un exemple très aggreable. Sa Sainteté avoit un chantre qu'elle aymoit extrêmement,  XI.VI. POUK lA FHTE DH l'AnNONCIAI ION 45 car il chantoit inrrveilleusement bien. Quoy (lue ce chantre fust tant chéri de son niaistre, il ne laissa pas d'estre fantasque, de sorte (lu'il liiv j^rit un jour une fantasie de s'en aller et de sortir de sa cour, ce (ju'il fit, laissant son bon maistre fort marry de sa sortie. Or, le Pape pensant en soy nicsmc par quel moN'en il le jiourroit ravoir, s'avisa de cet artifice : il lit es(Tire à tous les princes et à tous les i^rans que si ce chantre s'en alloit présenter à eux ils n(» le receussent point à leur service, jugeant fjue ne trouvant point d'autre meilleure retraitte, le pauvre chantre retourneroit en fin à luy. Il arriva comme le Pape l'avoit désiré ; car se voyant rejette par tout, il revint servir en l'incomparable chapelle de sa Sainteté. Le cœur humain est_un chantre infiniment aymé de Dieu, qui est la souveraine Sainteté ; mais ce chantre est fort bigearre, et fantastique plus qu'il ne se peut dire. Vous ne sçauriez croire combien Dieu se recrée à ouyr les louanges qui luy sont données par le cœur qui l'ayme ; il se plaist grandement aux eslans de nos voix et en l'harmonie de nostre musique*. Néanmoins il prend 'Cf. Tr.deJ Am.de à ce cœur la fantasie de s'en aller promener, ne se con- tentant pas de contenter son Seigneur s'il ne se contente aussi soy mesme. Folie insupportable ! car quel bonheur, ains quel honneur, quelle grâce et quel sujet d'un parfait contentement que d'estre aymé de Dieu et de demeurer enjajpa^'son de sa divine 31ajcsté, c'est à dire d'avoir logé en luy tout nostre auK^ur, sans autre prétention ([ue de luy estre aggreable 1 Kt cependant, voyla que ce cœ^ur humain se laisse emporter à sa fantasie et s'en va de créature en créature, de mayson en mayson pour voir s'il ne pourra point trouver quelqu'un qui le veuille recevoir et luy donner du contentement parfait ; mais en vain, car Dieu, qui s'est réservé ce chantre pour luy seul, a commandé à toutes les créatures, de quelque nature qu'elles soyent, de ne lu}' donner satisfaction ni consolation quelconque, à^.fin que par ce moyen il soit contraint de retourner à luy qui est ce niaistre bon d'une incomparable bonté. I^t si bien ce chantre revient plus  Dieu, 1. IX, c. IX.  46 Sermons recueillis souvent par force que par amour, au lieu de le rebrouer il ne laisse pas de le recevoir et de luy donner le mesme office cju'auparavant en sa chapelle, voire mesme, ce semble, davantage. O que la bonté de nostre Dieu est grande ! C'est pourquoy l'Espouse à juste ra)^son s'escrie : O mon Bien-A3^mé, que meilleures sans comparaison sont tes mammelles, que tes amours et tes délices sont mille fois plus aggreables que celles de la terre ! car les créatures, fussent-elles des plus hautes et relevées et des Anges mesme, fussent-elles des frères ou des sœurs, elles ne nous sçauroyent satisfaire ni contenter. Diejiajmisen^. nostre pouvoir racquisitlQii,de son pur amour~£[ui.nDiis,.peut mfi- nirnent relever au dessus de nous mesme, il le donne àjqui luy donne- le.,sienLpourquoy donques nous amusons-nous autour des créatures, espérant quelque chose au trafic que nous ferons en la recherche de leurs affections ? O que cette sainte Amante, nostre Dame et Maistresse, avoit bien gousté la douceur de ces divines mammelles lors ciu'en l'abondance des consolations qu^elle recevoit en la contemplation, toute transportée d'a3^se et d'un contentement indicible, elle se prit à les louer ! Elle nous incite par son exemple à quitter toute autre prétention des satisfactions de la terre, à fin d'avoir l'honneur et la grâce de les succer, et recevoir le lait de la miséricorde qui en distille goutte à g'outte sur ceux qui s'en appro- chent pour le recevoir. Mais l'Espouse ne s'arreste pas là, car poursuivant elle dit que le nom de son Bien-Aymé est comme un huile respandu, composé de plusieurs excellentes odeurs, les- quelles ne se peuvent imaginer, voulant signifier : Mon Bien-Aj^mé n'est pas seulement parfumé, ains il est le * Cf. Tr.de VAm.de parfum mcsme ''"' ; c'est pourqitoy, adjouste-t-elle, les tom.'prœcèd.'hujus jeunes filles Vont aymé. Qu'est-ce que la divine amante Edit.,p. 126. désire que nous entendions par ces jennes filles ? Les jeunes filles représentent en ce sujet certaines jeunes âmes qui n'ayans encores logé leur amour nulle part, *Cf Tr de VA d ^^^'^^ merveilleusement propres à a3^mer le céleste Amant Dieu, 1.x, ce. IV, V. de uos CŒurs, Nostre Seigneur Jésus Christ *. Je ne veux  XIA'l. l*(tl»K l\ MM. 1)1-. I .XNNoNt.lA I 1'/*. .\'J pas (lire c(»p('n(lant fpic si celles f[ui l'ont tlonnt' à ([ucl- (|u'un vi<*nnent à l'en retirer pour le consacrer à l)if'ii, que ce sacré I'"sp()iix nr le reçoive «le bon conir «-t «lu'il n'accepte ce don de leurs affections; mais pourtant il apj^réc ii^randement ces jeunes aines qui se dédient tout à fait à la ])erfection de son amour. Ton nom, poursuit la sainte l'.spou^e. respand des odeurs si délicates (|U(; les Jeunes filles t'ont (lynir, te dédiant toutes leurs amours et toutes leurs affections. () Dieu, «pudle g-race de reser- ver tout nostre amour ])our (eluy (pii nous recompense si bien en nous donnant le sien ! l'.n donnant nostre amour aux créatures nous ne recevons nul ^''ain, d'autant qu'elles ne nous rendent pas plus que nous ne leur d(Minons ; mais nostre divin Sauveur nous donne le sien, i[ui est comme //// baume pretieux lc([uel respand des odeurs souveraines en toutes les facultés de nostre ame. O que cette jeune fillette Xostre Dame ayma sou\e- rainement le divin Kspoux ! Aussi en fut-elle souveraine- ment aymée, car à mesme temps qu'elle se donna à luy et luy consacra son cœur, qui fut lors qu'elle prononça ces paroles : Voicy la servante du Seigneur, me soit fait eomme vous dites^, ou comme il luy plaira, voyla ' Vide supm, p.4=. que soudain il descendit dans ses chastes entrailles et se rendit fils de celle qui se nommoit sa servante. Or, je sçay bien que nul ne peut jamais parvenir à un si haut degré de perfection que de dédier aussi absolument son amour à Dieu et à la suite de sa divine volonté comme fit Xostre Dame : mais pourtant nous ne devons pas laisser de le désirer, et commencer le plus tost et le plus parfaittement possible selon nostre capacité, qui est in- comparablement moindre que celle de cette sainte Vierge. Elle est cette unique fillette qui a plus excellemment aymé le divin Kspoux que jamais nulle créature n'a fait ni fera; car elle commença à l'aymer dès l'instant de sa conception glorieuse aux entrailles de la bonne sainte Anne, se donnant à Dieu et luy dédiant son amour dès qu'elle commença d'estrc. 1/Kspouse sacrée passant plus outre en l'entretien qu'elle fait avec son divin Ivspoux : Tire^-mow dit-elle,  48 Sermons recueillis et nous courrons. Les saints Pères s^arrestent à consi- dérer ce que cette Espouse veut signifier par ces paroles : Tire^-moy et nous courrons, d'autant que c'est comme si elle disoit : Bien que vous ne tiriez que moy, nous serons toutefois plusieurs qui courrons. Quelques-uns *VideS. Bernîird., pensent * que quand elle prie son Bien-Aymé de la tirer, serm. XXI in Gant.; ,, ^ ^ -.. , n 1 • n ^ j Soto, Sa,iniocum. elle proteste parla quelle a besoin d estre prévenue de ""CLTr. de r Am.de sa gracc sans laquelle nous ne pouvons rien faire *; mais Z)/V«, 1. II, ce. xiii, 1 11 1. , » ^ > XXI, et Entretien I, quaud elle adjouste nous courrons, c est a sçavoir, vous ^r^œT hû'^Vdi^t"' ^^ "^^3% mon Bien-A3^mé, nous courrons par ensemble, p- 135- Ou bien, comme quelques autres cro\^ent * : plusieurs * Vide apud aucto- , . , . , res citatos supra. courront avcc moy, a mon imitation, a ma suite ; plu- * ci.Tr.deVAm.de sicurs amcs VOUS suivrout à V odeur de vos onguens^. Z)Z>M,1. VII, c. II. T^y . . ^ - ' 1> ^ ^-1 Nous voicy maintenant a 1 autre partie de nostre exhortation, qui est la Profession et dédicace que ces filles viennent faire de leur cœur à la divine Majesté, dédicace et offrande qu'elles n'eussent pourtant jamais eu volonté de faire si le souverain Espoux de nos âmes ne les eust attirées et prévenues de sa grâce. Aussi, sans l'ayde de cette divine grâce et des Constitutions que Ton garde céans sous la conduite de nostre sacrée Mère et Maistresse la Sainte Vierge, elles ne parvien- droyent jamais à ce haut degré d'espouses de Jésus Christ. O qu^heureuses sont les Religieuses qui vivent sous l'Institut de cette divine Abbesse et qui sont instruites par cette grande Doctoresse, laquelle a puisé la science dans le cœur mesme de son cher Fils nostre Sauveur, *Eccii.,i, 5. qui est la sapience du Père éternel * (0 Nous ferons nostre troisiesme considération sur ce que Nostre Dame fut trouvée toute s.e.ule dans sa cham- bre quand l'Ange la vint saluer et luy apporter cette (i) Evidemment il y a ici une lacune dans nos Manuscrits, dont aucun ne donne le développement du deuxième point. Pour combler cette lacune, l'éditeur de 1641 a introduit un long passage qui est certainement de saint François de Sales, tant on y reconnaît ses pensées et son style; mais on ne saurait dire d'où ce passage est extrait. Peut-être appartiendrait-il à une allocution prêchée à Annecy pour cette même fête de l'Annonciation l'année 1620, à l'occasion d'une double cérémonie de Vèture et de Profession. Cette allocution ne se rencontre dans aucun des Manuscrits que nous suivons ; elle sera reproduite d'après le texte de 1641 à la fin de ce discours (voir p. 54).  XLVI. Pour i.a vi-.Th dk l'Annonciation 49 heureuse et tant gracieuse nouvelle de rincarnation du Verbe de Dieu dans ses saintes et chastes entrailles. Les Religieuses que font-elles autre chose sinon de se tenir dans leurs chambres? ains, non contentes de cela, elles s'enfoncent en elles mesnies pour demeurer plus seules, et par ce moyen se rendre plus capables de jouir de la conversation de leur lispoux. l'dles se retirent dans le fond de leur cœur comme dans un céleste cabinet où elles vivent en solitude. .Niais V(jus avez beau vous cacher, les Anges vous sçauront bien trouver ; ne voyez- vous pas que Nostre Dame estant toute seule fut bien trouvée par saint Gabriel? Les vierges et les Religieuses ne sont jamais mieux à leur contentement que lors qu'elles sont toutes seu- lettes pour contempler à leur ayse la beauté du céleste Amant. Elles se ramassent en elles mesmes parce que tout leur soin est en cette beauté intérieure, pour laciuelle conserver et accroistre elles sont tousjours attentives à fin de retrancher à tout propos ce qui la pourroit tant soit peu ternir ou enlaidir. La beauté de la fille de Sion est atcdedans, dit le Psalmiste*, parce qu'elle sçait bien . ps^ ^uv, 14. que le divin Lspoux regarde luy seul le dedans, tandis "^ que les hommes ne voyent que le dehors *. Or, cette • i Reg., xvi, espouse bien-aymée est l'ame qui se consacre à la suite ^^• de ses divines amours et qui ne veut plaire qu'à luy ; c'est pourquoy elle s'enfonce toute en elle mesme pour luy préparer une demeure aggreable. De là vient qu'en la Religion on recommande tant l'exercice de la présence de Dieu, qui est d'une utilité incomparable. Nous en voyons la preuve en ce que Nostre Dame le prattiquant et demeurant retirée mérita au mesme temps d'estre choisie pour 3lere de Dieu. Cette sacrée Vierge fut donques une très parfaite Religieuse, ainsy que nous avons dit; aussi est-elle la particulière protectrice des âmes qui se dédient à Nostre Seigneur. .Niais considérons un peu à part, je vous prie, les vertus qu'elle prattiqua et ht paroistre plus excel- lemment que toutes autres au jour de sa glorieuse Annon- ciation, vertus que je ne feray que marquer en passant et Sfrm. IV  VU, 10.  50 Sermons recueillis puis je finiray. Premièrement, une virginité et pureté qui n'a point de semblable entre les créatures; secondement, une souveraine et profonde humilité, jointe et unie insé- parablement avec la charité. La virginité et absolue chasteté est une vertu ange- lique ; mais bien qu'elle appartienne plus particulièrement aux Anges qu'aux hommes, si est-ce pourtant que la pureté de Nostre Dame surpassa infiniment celle des Anges, a3^ant trois grandes excellences au dessus de la leur, mesme de celle des Chérubins et Séraphins. Je toucheray seulement ces trois points, laissant le surplus aux considérations que vous ferez une chacune en parti- culier le long de cette octave. La pureté et virginité de Nostre Dame eut cette excel- lence, ce privilège et cette sureminence au dessus de celle des Anges, que ce fut une virginité féconde. Celle des Anges est stérile et ne peut avoir de fécondité ; celle de nostre glorieuse Maistresse, au contraire, a esté non seulement féconde en ce qu'elle nous a produit ce doux fruit de vie, Nostre Seigneur et Maistre, mais en second lieu, en ce qu'elle a engendré plusieurs vierges. C'est à son imitation, comme nous l'avons dit, que les vierges ont voué leur chasteté ; mais la virginité de cette divine Mère a encpres cette propriété de restablir et reparer celle mesme qui auroit esté souillée et tachée en quelque temps de leur vie. L'Escriture Sainte tesmoigne que du temps qu'elle vivoit elle appella desja une grande quantité de vierges, si que plusieurs l'accompagnoyent par tout où elle * Cf. Luc, VIII, 2, 3 alloit* : sainte Marthe, sainte Marcelle, les Marie et tant cum Joan., xix, 25 et Act., I, 14. d'autres. Mais en particulier, n'est-ce point par son moyen et par son exemple que sainte Magdeleine , qui estoit comme un chaudron noirci de mille sortes d'immondicités et le réceptacle de l'immondicité mesme, fut par après enroollée sous l'estendart de la pureté de Nostre Dame, estant convertie en une fiole de cristal toute resplendis- sante et transparente, capable de recevoir et retenir les plus pretieuses liqueurs et les eaux plus salutaires ? . La virginité de nostre divine Maistresse n'est donc point stérile comme celle des Anges, ains elle est tellement  XLVI. Pour ia fhth dp. l'Annonciation 51 féconde (jiK' (1rs l'instant (iirrllc fut voiirc à Dion jusqu'à maintenant elle a tousjours fait de nouvelles productions. lit non seulement elle produit elle mesme, mais elle fait encores que la virginité ([u'elle engendre en produise des autres; car une ame (jui se dédie j^arfaittement au divin service ne sera jamais seule, ains en attirera plusieurs à son exemple, i) la suite trcsse a une virginité digne d'estre exaltée, d'autant qu'elle est choisie, esleue et vouée ; et si bien elle fut mariée à un homme, ce ne fut point au préjudice de sa virginité, parce que son mari estoit vierge, et avoit comme elle voué de l'estre tousjours. O que cette très sainte Dame ayma chèrement cette vertu ! c'est pourquo}^ elle en fit le vœu, elle s'accompagna tous- jours de vierges et les favorisa ])articulierement. Sa virginité surpassa encores celle des Anges entant qu'elle fut combattue et esprouvée, ce qui ne peut estre pour celle des Esprits célestes, parce qu'ils ne sçauroyent descheoir de leur pureté ou recevoir en façon quelconque tare ni espreuve. Nostre glorieux Père saint Augustin dit, parlant aux Anges*: Il ne vous est pas difficile d'estre Ci. scrm. cxxxn, vierges, o Esprits bienheureux, puisque vous n'estes \Vra' Virgm!!' ^n point tentés et ne le pouvez estre. On trouvera peut estre ^^ppend-H § v ; s. . . , -.-r ^ Bcrn.. cpist. cxni, estrange ce que je dis, que la pureté de Nostre Dame ad Sophiam, § 5. a esté esprouvée et combattue ; mais pourtant cela est, et d'une espreuve très grande. A Dieu ja ne plaise que nous pensions que cette espreuve ressemble aux nostres, car estant toute pure et la pureté mesme, elle ne pouvoit  52 Sermons recueillis recevoir les attaques que nous recevons et qui nous tour- mentent nous autres qui portons la tentation en nous. Ces tentations n'eussent pas seulement osé approcher les murs inexpugnables de son intégrité. Elles sont si * II Cor., XII, 7, 8. importunes que le grand Apostre saint Paul escrit * qu'il pria par trois fois Nostre Seigneur de les luy oster, ou bien d'en modérer de telle sorte la fureur qu'il peust y résister sans offense et sans cheute. Toutefois la sacrée Vierge receut une espreuve quand elle vit l'Ange en forme humaine. Hé, ne le remarquons- nous pas en ce qu'elle commença à craindre et se trou- bler, si que saint Gabriel le connoissant luy dit : Marie, * Lucae, i, 29, 30. ne crains point^ ; car si bien, vouloit-il signifier, vous me voyez en forme d'homme, je ne le suis pourtant pas, ni moins vous veux-je parler de leur part. Ce qu'il dit s'appercevant que la pudeur virginale de Nostre Dame commençoit à entrer en peine. La pudeur, escrit un *Tertuii.,De Cuitu saint personnage *, est comme la sacristaine de la chas- Famin., 1. II, ci. ^, . . .... ,. Cf.tom.viiihujus teté. Et tout amsy que la sacnstame dune église a un Edit., p. 401. grand soin de bien fermer les portes, de peur que l'on ne vienne à despouiller ses autels, et regarde tousjours autour d'iceux si on n'a point pris quelque chose, de mesme la pudeur des vierges est sans cesse aux aguets pour voir si rien ne viendra point attaquer leur chasteté ou mettre en péril leur virginité, de laquelle elle est extrêmement jalouse ; et dès qu'elle apperçoit quelques choses noires, quand ce ne seroit que l'ombre du mal, elle s^esmeut et se trouble comme fit la très auguste Marie. Mais elle ne fut pas seulement vierge par excellence au dessus de tous autres, tant Anges qu'hommes, ains encores plus humble que tous autres ; ce qu'elle mons- tra excellemment bien le jour de l'Annonciation. Lors elle fit le plus^grand acte d'humilité qui ait jamais esté fait et qui se fera jamais par une pure créature ; car se voyant exaltée par l'Ange, lequel la salua disant qu'elle estoit pleine de grâce et qu'elle concevroit un fils qui seroit Dieu et homme tout ensemble, cela l'esmeut et la * Lucae, i, 28-32. fit craindre *. Certes, elle estoit familière avec les Anges, mais elle n'avoit néanmoins jamais esté louée par eux  XI VI. \\)[-R lA FHTR DR l'Annonciation si ju^(|irà cette heure là. d'aiitciiit que ce n*est ])oiiU leur C(ni.stuine de louer personne, si ri' n'est quelquefois pour encourager en (piclc^ue ^ranchî entreprise*. Oyant donc • Cf. tom. prxccd. ,.',.,,, , . ,. hujus Hdit.,pp.i 39, saint (labriel luy donner une louant(e si extraordi- jgf nair(\ cela la mit en souci, ])our inonstrer aux filles (jui prennent playsir à estre cajolées (ju'elles courent g-rande fortune de recevoir queUpie tare en leur viri^dnité et pureté ; car l'humilité est compa_L,'-ne de la vir^^dnité, et telltMiient compa^-ne que la virL;init('' ne demeurera jamais loni^uement en l'ame ([ui n'aura pas l'humilité. Bien qu'elles se puissent trouver l'une sans l'autre, comme on voit communément dans le monchî , où plusieurs per- sonnes mariées vivent humblement, si faut-il confesser pourtant que ces deux vertus ne sçauroyent subsister l'une sans l'autre es vierges, c'est à dire es filles. Nostre Dame estant rassurée ])ar l'Ange et ayant appris ce que Dieu vouloit faire d'elle et en elle, fit ce souverain acte d'humilité disant : Voicy la servante du Seigneur, me soit fait selon ta parole. V.We se voyoit eslevée à la plus haute dignité qui jamais fut et sera ; car quand il plairoit à Dieu de recréer derechef plusieurs mondes, il ne sçauroit pourtant faire qu'une pure créature fust plus (|ue la Mère de Dieu *. Cette dignité est incom- ' Cf. ibu., p. 115. parable, et cependant la sacrée Vierge ne s'enfle point, ains elle asseure qu'elle demeure tousjours servante de la divine Majesté. Et pour monstrcr qu'elle l'estoit et qu'elle la vouloit estre : Qu'il me soit fait, dit-elle, tout ainsy qu'il luy plaira, s'abandonnant à la merci de sa divine volonté, protestant que par son choix et par son élection elle se tiendra tousjours en bassesse et qu'elle conservera l'humilité comme compagne inséparable de la virginité. Mais si ces deux vertus se peuvent trouver l'une sans l'autre, cette séparation ne peut exister entre l'humilité et la charité, car elles sont indivisibles et tellement con- jointes et unies ensemble que jamais l'une ne se rencontre sans l'autre, pourveu qu'elles soyent vrayes et non feintes. Dès que l'une cesse de faire son acte, l'autre 'CrEotretienVlII, la suit immédiatement ; dès que l'humilité s'est abaissée, •" fine enom_prae- ' ced. hujus hdit. , la charité se relevé contre le Ciel*. Ces deux vertus sont pp. no, 334-226.  54 Sermons recueillis semblables à l'eschelle de Jacob sur laquelle les Anges •Gen.,xxviii,i2,i3. montoyeut et descendoyenf^. Ce n'est pas à dire que d'elles mesmes elles ne puissent descendre et monter tout à la fois ; ce que ne faisoyent pas ces Anges, car ils montoyent pour descendre derechef. L'humilité sem- ble nous esloigner de Dieu qui est appuyé sur le haut de l'eschelle, parce qu'elle nous fait tousjours descendre pour nous avilir, mespriser et ravaler; mais néanmoins c'est tout au contraire, car à mesure que nous nous abaissons, nous nous rendons plus capables de monter au sommet de cette eschelle où nous rencontrons le Père éternel. Nostre Dame s'humilia et se reconneut indigne d'estre eslevée à la haute dignité de Mère de Dieu ; c'est pour cela qu'elle fut rendue sa Mère, car elle n'eut pas plus tost fait la protestation de sa petitesse, que, s'estant abandonnée à luy par un acte de charité incomparable, elle devint Mère du Très Haut, qui est le Sauveur de nos âmes. Si nous faisons ainsy, mes chères Filles, et que nous unissions la virginité avec l'humilité, l'accompagnant soudain de la très sainte charité qui nous eslevera au haut de l'eschelle mystique de Jacob, nous serons indu- bitablement receus dans la poitrine du Père éternel, qui nous comblera de mille sortes de consolations célestes. Lors, en la jouissance d'icelles, nous chanterons, après Nostre Dame et très sainte Maistresse, le cantique des louanges de ce Dieu qui nous aura fait tant de grâce de la suivre en ce monde et de batailler sous son estendart. Ainsy soit-il. ADDITION DONNÉE PAR L'ÉDITEUR DE 1641 (l)  . , . Sans [la grâce] nous ne pouvons rien faire, ainsy Gant., 1, 3. que nous l'asseure la divine amante, quand elle dit * : Trahe me, tire^-moy, à quoy elle adjouste : Curre/nus, nous courrons. ( I ) Voir ci-devant, p. 45, note ( i ).  Ps. LXXVIII,  XI \'I l\)l'K I.A FKIK OK I.'AnNONCIAIION 55 I.a tros sainte Vierge fut tirée seule et la première par le céleste Ivspoux pour se consa( rer et se deilier totale- ment à son service, car elle fut la première qui consacra son corps et son ame par le vœu de virginité à Dieu ; mais soudain qu'elle fut tirée elle tira quantité d'ames, qui luy ont fait offre d'elles mesmes pour marcher sous ses ausj)ice.s sacrés en l'observance d'une parfaite et inviolable virginité et chasteté; si (jue despuis qu'elle a tracé le chemin, il a tousjours esté couvert et chargé d'ames qui se sont venues consacrer par les vœux au service de la divine Majesté. Ames très chères, lesquelles la glorieuse Vierge regardoit ([uand elle disoit : Nous courrons, asseurant son Bien-Aymé que plusieurs sui- vroyent son estendart pour batailler sous son authorité contre toutes sortes d'ennemis pour la gloire de son nom *. O quel honneur pour nous autres de pouvoir batailler sous cette vaillante Capitainesse ! Mais le sexe féminin semble avoir une obligation particulière à suivre cette vaillante guerrière qui l'a infiniment rehaussé et hon- noré *. Oh I si la Mère de Dieu eust esté de la nature * Ci. tom. pr»ccd. ang^liq^ue, combien les Cheruljins et les Séraphins s'en 3J" ' -.pp-j-ii. glorifieroyent et tiendroyent honnorés ! Nostre Dame est bien aussi l'honneur, le prototype et le patron d^s hommes et des femmes qui vivent vertueusement, et des vefves ; mais pourtant nul ne peut nier que les filles n'ayent une certaine alliance avec elle plus particulière que non pas le reste des hommes, parce que cette ressem- blance de la virginité, ([ui est du sexe et de la condition, y apporte une grande capacité et un grand advantage pour s'en approcher de plus près. Et pour moy, je pense que ce qu'on a fait de tout temps une feste plus grande pour leur entrée et Profes- sion en Religion qu'on ne fait pas pour les hommes, n'est pour autre ra\'son sinon que le sexe estant plus fragile et faisant un acte de si grande vaillance comme est celuy qu'elles font entrant en Religion, qu'il requiert aussi plus d'honneur, et Dieu mérite plus d'estre hon- noré et admiré en cette solemnité, que non pas en la  56 Sermons recueillis * Cf. tom. praeced. profession que les hommes font de vivre en Religion *. Et ujus 1 ., p. . p^^^ ^•j.g ig^ vérité, les hommes ne font pas un si grand renoncement de leur liberté comme font les filles, qui se tiennent resserrées dans les célestes prisons de Nostre Seigneur, qui sont les Religions, pour passer le reste de leurs jours sans en pouvoir jamais sortir, si ce n'est pour de certaines occasions fort rares et signalées, comme d'aller establir et fonder des monastères. Les hommes qui entrent en Religion y entrent bien pour y vivre en obéissance selon les Règles et Statuts d'icelle ; mais si faut-il confesser que le renoncement qu'ils font de leur liberté n'est pas si extrême que celuy des filles, d'autant qu'ils ont encores la liberté de sortir, d'aller de couvent en couvent, de prescher, de confesser et faire ainsy plusieurs autres exercices qui leur servent de divertissement. Ils quittent voirement bien le monde d'affection, car tous les Religieux le doivent faire; mais néanmoins on les void tousjours avoir quelque conversa- tion avec les personnes du monde, ce qui soulage un peu la rigueur des lois qui sont dans l'enclos du monastère. Où les filles qui se viennent dédier à Dieu, rejettent et abandonnent tout cela, renonçant à cette dernière pièce que la nature veuille quitter, qui est la liberté ; si que nous pouvons bien dire que ces filles font une chose au dessus de la nature, estant besoin que Dieu leur donne une force surnaturelle pour faire cet acte si parfait de se dédier à son divin service par un renoncement si grand comme est celuy qu'elles font. Car on ne les trompe point, leur disant qu'estans Religieuses, Nostre Seigneur leur don- nera du sucre, comme l'on fait aux petits enfans, pour les amadoiier ; on ne leur dit point non plus qu'on les conduira sur la montagne de Thabor où elles diront avec • Matt., XVII, 4. saint Pierre : Bonum est nos hic esse ; Il fait bon icy *. Au contraire on leur dit, soit qu'elles veuillent faire Profession ou entrer au noviciat : Il vous faudra aller sur « le mont de Calvaire, » où, avec Nostre Seigneur, *Constit.xxxiii, il faudra que vous soyez « crucifiées *, » attachant et XLIV . crucifiant vostre entendement pour restreindre toutes vos pensées, pour n'en admettre volontairement aucunes que  XLVI. VouR i.A fAtk du l' Annonciation 57 colles (jiii \()iis scToiit iii;ir(|U(''cs selon la vocation que vous choisissez *. 11 tauilra i\r. inesmo crucifier vostre * Cf. supra, p. jS. mémoi re, pour n'admettre jamais aucun ressouvenir de ce que vous avez laissé au moiKh*. Il faudra en lin (jue vous crucifiiez et attachiez à la Croix de Nostre Seigneur vostre volonté particulière, pour n'en avoir jamais plus pour vous en servir à vostre j^ré, ains il vous faudra vivre en parfaitte si^u^mission (;t obéissance tout le temps de vostre vie. l3ites-moy d(^ii([ues, s'il vous plaist, n'est-ce pas un acte de très j^randfi considération, et digne d'estre hon- noré, que celuy que font ces filles en passant outre, bien qu'on ne leur représente que croix, qu'espines, que lances, cjne clous et en fin que mortifications en la Reli- gion ? O âmes grandement généreuses et qui monstrez qu'en vérité vous bataillez et marchez sous les auspices de nostre sainte et glorieuse Maistresse, qui est la très sainte Vierge ! O sans doute, il faut bien ([ue ces filles ayent considéré que c'est le propre de l'amour de rendre léger ce qui est pesant, doux ce qui est amer et facile ce qui est insupportablement difficile sans amour. Vostre glorieux Père saint Augustin a grandement bien exprimé cette vérité *, disant que celuy qui ayme ne trouve rien * De Boao ViJuit., -, , ,m -1 , 1 -1 T c. XXI. Cf. Tr. de de fascheux, de ditncile ou de trop grand travail : « l.e z-^^,. de Dieu, l. travail, » dit-il, <( ne se trouve point en l'amour, ou s'il Viil,c.v,adfiuem. s'y trouve, c'est un travail bien aymé. » Allez donc, mes chères Filles, ou plustost venez amou- reusement vous dédier à Dieu et au service de son très pur amour; et bien que vous rencontriez du travail, la peine vous en sera bien aymée, en l'asseurance que vous contenterez Dieu et vous rendrez aggreables à vostre chère Patronne, laquelle bien qu'elle n'aye pas eu le nom de Religieuse, n'a pas laissé pourtant d'en pratti- quer les exercices, et laquelle, bien qu'elle soit Protec- trice de tous les hommes et de chaque vocation en gênerai, s'est néanmoins rendue particulière Protectrice des vierges qui se sont dédié ,\s au service de son Fils en la Religion, d'autant qu'elle a esté comme une Abbesse qui leur a monstre l'exemple de tout ce qu'elles  58 Sermons recueillis devoyent faire pour vivre religieusement. Et qu'ainsy ne soit, je vous presenteray seulement trois points à consi- dérer, sur lesquels je ne feray que passer en courant, pour preuve de mon dire, que je trouve dans l'Evangile de ' Lucae, 1, 26-38. ce jour*, auquel il est dit que l'Ange s'addressant à cette sainte Vierge pour luy annoncer le mystère incomparable de l'Incarnation du Verbe éternel, il la trouva en Galilée, et en la ville de Nazareth, retirée et seule dans sa chambre. Quant au premier point, qui est que Nostre Dame estoit au païs de Galilée, Galilée est une diction hebraï- ' Vide supra, p.37. que qui vaut autant à dire que transmigration*. Sur quoy il faut que vous sçachiez qu'il y a de deux sortes d'o^^seaux, les uns qui sont passagers et les autres qui ne le sont pas. Ceux qui sont passagers font la trans- migration, d'autant qu'ils passent d'un lieu à l'autre, comme font les arondelles et les rossignols qui ne demeu- rent pas ordinairement en ces quartiers, ains ils n'y sont qu'au temps des chaleurs et du printemps, et l'hiver venant ils font la transmigration, se retirans aux autres païs où le printemps et les chaleurs sont en mesme temps que nous avons icy les froidures de l'hiver ; mais nostre printemps revenant, ils reviennent et font derechef la transmigration, c'est à dire le passage d'une contrée à l'autre, nous venant recréer par leur petit gazouillement. Les Religieux et Religieuses ne sont-ils pas au païs de transmigration, et ne font-ils pas le passage du monde en la Religion, comme en un lieu de printemps, pour chanter les divines louanges et pour s'exempter de souf- frir les froidures et les gelées du monde? Hé! n'est-ce pas pour cela qu'ils entrent en la Religion, où il n'y a 'Malach.,uit., 2. que printemps et que chaleur, le Soleil de justice* dardant fort ordinairement ses rayons sur les cœurs des Religieux, lesquels il n'eschaufife pas moins en les esclai- rant qu'il les esclaire en les eschauflfant ? Et qu'est-ce que le monde sinon un hiver extrêmement froid, où il n'y a que des âmes gelées et froides comme glace PJ'entens ceux qui estans au monde vivent selon les lois du monde, car je sçay bien qu'on peut vivre parfaittement en toutes sortes de vocations, mesme dans le monde, aussi bien  Xl.VI. l'ol'R lA FFTF I)H !.' AnSONCIATION 59 qu'en K('liL;i 1 1 U 1 /^/>M, 1. VII, C. V, 1 amour de Dieu est ce solen qui donne de la chaleur au cœur humain quand il est disposé pour la recevoir, et sans ce feu sacré il demeure plus froid qu'il ne se peut dire. Nostre Dame donques, comme les Religieuses, estoit au pais de transmigration; mais, o Dieu, qu'elle fit admirablement bien cette transmigration, passant d'un degré de perfection en un autre degré plus haut! Bref, sa vie ne fut autre chose qu'un passage continuel tle vertu en vertu *, en quoy toutes les Religieuses la * Ps. Lxxxm, 6, 8. doivent imiter le plus parfaittement qu'elles pourront, puisqu'elles sont celles qui l'approchent de plus près que tout le reste des créatures ; car c'est sans doute qu'elles sont de ces vierges dont parle le Psalmiste quand il dit* • Ps. xliv, is. qu'elles seront ainenées au Roy, les plus proches d'elle : Adduceiitur Régi virgines post eam, proxi- mœ ejus. L'amour ne dit jamais : C'est assez, sufficit ; il veut que l'on aye le courage de vouloir tousjours aller plus avant en la voye des volontés du Bien-Aymé. La seconde remarque que je fais sur les paroles de l'Evangile est que Nostre Dame fut trouvée par l'Ange en la cité de Nazareth. Or, Nazareth veut dire fleur * ; * vuc ad caicem ,, r 1 .1 ^ •' . j n n • Bibl. Cf. toni. prx- elle fut donc trouvée en la cite des tleurs ou tleurie. ccd. hujus Edit., O que cette cité représente bien à propos la Religion ! ^' ^7 • car qu'est-ce que la Religion, sinon une rnaison ou une cité fleurie et toute parsemée de fleurs, d'autant qu'on n'y fait chose quelconque, quand on y vit selon les Règles et Statuts d'icelle, que ce ne soyent autant de fleurs ? Les mortifications, les humiliations, les oraisons, bref, tous les exercices, qu'est-ce autre chose que des pratti- ques de vertus, qui sont comme de belles fleurs qui  6o Sermons recueillis respandent une odeur extrêmement suave devant la divine Majesté ? Or, qu'est-ce que la Religion sinon un parterre tout semé de fleurs très aggreables à la veuë et d'odeur très salutaire à ceux qui les veulent odorer ? Il est donc dit de la très sainte Vierge qu'elle estoit en la cité fleurie; mais qu'estoit-elle elle mesme, sinon une fleur choisie entre toutes les autres fleurs pour sa rare beauté et son excellence ? fleur qui par son odeur très suavement incomparable a la propriété d'engendrer et de produire d'autres fleurs. Et ne sçavez-vous pas que * Cap. IV, 12. c'est elle qui est ce jardin clos et fermé du Cantique*, lequel en est tout emperlé et esmaillé? Hortus conclu- sus, soror mea sponsa, hortus conclusus ; répétition *Cf.s.Hieron.,adv. qui n'est pas sans mystères *. A qui appartiennent, je s°Aug., De BapV. VOUS prie, tant de fleurs dont l'Eglise a esté remplie et contra Don., 1. V, ^ gg^^ ^^j^^ embellie et ornée, sinon à la très sainte c. xxvn, in fine. Vierge, l'exemple de laquelle les a toutes produites ? Et n'est-ce pas par son moyen que l'Eglise a esté parsemée des roses des Martyrs invincibles en leur constance, des soucis de tant de saints Confesseurs et des violettes de tant de saintes Vefves, qui sont petites, humbles et basses comme ces fleurs, mais qui respandent une très bonne et suave odeur ? Et en fin, n'est-ce pas à elle à qui appartiennent plus particulièrement tant de lys blancs, tant de puretés et de virginités toutes candides et toutes * Cf. tom. VIII innocentes*? d'autant que c'a esté à son exemple que tant hujus Edit., p. 146. , . , de vierges ont consacre leurs cœurs et leurs corps a la divine Majesté, par une resolution et un vœu très indis- soluble de conserver leur virginité et pureté. "^ Vide Dionys. Car- Il y a Quelques Docteurs * qui tiennent qu'elle a thus., in I Sent., . ^. , , . , ^,, , ,,, , Dist. xvi,qu.ii. Cf. institue des congrégations de filles, et qu estant allée a faÎMarkna^c!^lit ^P^^^® ^^^^ ^^^ ^^^^ ^7"^^ ^^^ adoptif saint Jean, elle §vi. en dressa une à laquelle elle donna mesme des Règles et Constitutions. O quelle divine Abbesse ! O que ces Religieuses estoyent heureuses d'avoir esté instituées par cette divine Doctoresse  XLVII SKKMON POl'R LA FKTK DK LA VISITATION DE LA SAINTL VILR(iL 2 juillet 1621 (i) Dieu, ([ui rst un, ayme l'unitc'' et l'union, et tout ce qui n'est point uni ne luy est point aggreable, dit le grand Apostre saint Paul *. Mais s'il ayme souveraine- • Gaiat., m, ao ; ^ . ^ . • ^ -1 ^ 11 Ephes., IV, s, 6. Cf. mont ce qui est uni et conjoint, il est ennemy de la Traitté de i' Am.de desunion, car ce qui est désuni est imparfait, la desunion ^^"•«> "bi supra, p. n'estant causée que par rim])errection. Nostre Seigneur estant donques maistre et amateur de l'union en a fait trois admirables en la sacrée Vierge Nostre Dame, sans y comprendre l'union naturelle de l'ame et du corps. Or, celle cy est si excellente que tous les philosophes n'ont point encores fini ni résolu leur admiration, en voyant comme Dieu a conjoint l'ame et le corps, mais d'une jonction tellement estroitte que le corps, sans lais- ser d'estre corps, et l'esprit, sans laisser d'estre esprit, ne font néanmoins qu'une seule personne. Cette union natu- relle est une chose si haute qu'elle ne sçauroit assez estre adm[rée ; aussi est-elle l'œuvre d'un Dieu très haut et amateur de l'unité. Mais ce n'est pas de cette union naturelle de l'ame et du corps en Nostre Dame que je veux parler, d'autant qu'elle est générale et commune au reste des hommes ; ains je me veux arrester sur trois autres unions mer\^eil- leuses que Dieu a fait en elle. La première est celle de ( I ) Ce sermon, étant certainement rédige par la Sicur Marie-Marguerite Michel, remonte par conséquent à 1631, puisque au commencement de juillet de l'année suivante saint François de Sales se trouvait à Turin.  62 Sermons recueillis la nature divine avec la nature humaine dans ses sacrés flancs, laquelle est si eslevée qu'elle surpasse infiniment tout ce que les entendemens humains et angeliques en peuvent concevoir ou comprendre. Jamais la pensée d'une telle et si admirable jonction n'eust osé entrer dans l'esprit d'aucun Ange, Chérubin ni Séraphin, car ces deux natures divine et humaine sont si esloignées l'une de l'autre, il y a une si grande distance entre icelles, qu'onques aucune créature angelique n'eust peu penser que Dieu eust voulu faire cette union. La nature divine est ce qu'il y a de plus relevé, et la nature humaine ce qu'il y a de plus bas ; la nature divine est la souve- raine perfection, et l'humaine la souveraine misère. Ce sont donc deux extrémités que celles icy, et deux grans contraires ; néanmoins Dieu a opéré dans le ventre de la Vierge une si admirable conjonction de ces deux natures, qu'elles n'ont fait qu'une personne, en sorte que l'homme est Dieu, et Dieu, sans laisser d'estre Dieu, " Videtom.praeced. est homme*. hujus Edit., Serra. t , . i'^ r '^ •nt^t-\ i. • l^ XLI. Da seconde union qu il a fait en Nostre Dame a este celle de la maternité avec la virginité, union qui est absolument hors du cours de la nature, car c'est joindre deux choses qu'il est naturellement impossible de trouver ensemble. En efifect, jamais il ne s'estoit veu ni n'avoit esté mesme pensé qu'une mère fust vierge, et qu'une vierge, sans laisser d'estre vierge, fust mère. C'est donc une union miraculeuse et surnaturelle, faite par la main toute puissante de Dieu, qui a donné ce privilège à nostre glorieuse Maistresse ; et comme cette union a esté opérée en elle seule, aussi demeurera-t-elle seule à jamais vierge et mère tout ensemble. La troisiesme union est celle d'une très haute charité et d'une très profonde humilité. L^union de ces deux vertus est certes admirable, d'autant qu'elles sont fort esloignées l'une de l'autre, si qu'il semble qu'elles ne se pourroyent jamais rencontrer en une mesme ame. La charité esleve l'ame en haut, et plus elle croist et se perfectionne, plus aussi elle va rehaussant et relevant l'ame où elle loge. L'humilité fait tout le contraire : elle  XlA'll. IVjlk la hkif. ue la Visitation 63 rabaisse Tame au dessous d'elle mesmc et de toutes les créatures, ayant cela de propre, que plus elle est j;^ran(le plus elle ravale à ses propres yeux l'aiiK; dans la ' chose sans prendre son parti. Regardez-la à la mayson de Simon le Pharisien qui voulant faire du maistre se print à murmurer contre elle, taxant Nostre Seigneur de ce qu'il la soufFroit près de luy. Mais il le tança en prenant la querelle de cette sienne servante, luy mons- • Lucae, vu, 39-48. trant qu'elle le surpassoit en mérite et charité*. La voyla aux pieds de son Maistre pendant que sa bonne sœur Marthe s' empressait à fin d'apprester ce qu'il failloit pour le vivre du Seigneur. Celle-cy se plaint de Marie au Sauveur, comme la voulant desapprouver de ce qu'elle ne faisoit pas comme elle ; mais il ne le peut souffrir, ains reprend Marthe de son empressement, comme s'il luy disoit : Garde-toy bien de blasmer Magdeleine , laquelle n'a en soy aucune chose digne de reprehension ; car elle a choisi la meilleure part , et toy tu t'em- presses trop. Une seule chose est 7iecessaire, qui est • Ibid., X, 39-42. celle que Marie a choisie *; sçache donques que si tu la viens desapprouver, tu encourras toy mesme le blasme. Remarquez combien il l'aymoit tendrement : il la voit pleurer au monument, il luy apparoist en forme d'un • Joan., XX, 14, 15. jardinier et l'interroge pourquoy elle pleure *, comme ne pouvant soufFrir de se voir plus long temps chercher par cette sienne et toute pure amante. Sainte Magdeleine se peut donc nommer à bon droit la reyne de tous les Chrestiens en la façon que nous avons monstrée. Que vous serez heureuses, mes chères âmes, si vous la suivez ; car elle donne exemple à tous, mais particulièrement aux Religieuses, pour ne parler à cette heure que d'elles. Elle leur enseigne comme il faut qu'elles fassent pour entrer en Religion, c'est à dire pour quelle fin elles y doivent entrer, qui n'est pas seulement pour aymer Dieu. Tous les Chrestiens doivent l'aymer  Xl.VllI. I^OUK LA FhTR Dk SAINTR MaKIH-MaDELRINE 87 cl s(Mit ohli^rs (le faire ce <[u'ils font |)ar le motif do l'aiiKHir, et si ce n'est avec tant de i)ureté, c*est du moins avec (juelque amour intéressé ; car il faut de nécessité aymer Dieu et le prochain pour cstre sauvé et j^our aller en Paradis, autrement Ton ira aux enfers. Mais d'auiani ([iie les tracas du monde refroidissent et mettent en hazard la charité, l'on entre en Religion. Kt i)our(juov ? Peut-estre pour aymer Dieu? O non, mais pour le mieux a\iner. \\t ])our estre sauvé? Non, mais pourestre mieux sauvé; non pour plaire à Dieu, mais pour mieux luy jdaire *. Non point pour avoir des extases, 'Cf. Entretien VI, j 1 .. . ^ ,, , toni.VI hujusEdit., des révélations, suspensions ou telles autres choses, pp. 8<;, 90; tom. o non certes ; tant d(.' mouvemens, de lumières, de senti- praeccd. hujusEdit., •11- , • . P- ''•^• mens sensibles, qui sont presque communément désires de tous, ne sont pas nécessaires à nostre salut ni requis pour entretenir et perfectionner nostre amour. Il y a de grans Saints et Saintes au Ciel en de très hauts degrés de gloire qui n'ont jamais eu ni visions ni révélations ; comme au contraire il y en a plusieurs aux enfers qui ont eu de ces gousts et choses extraordinaires *. Ce n'est •Cf.lniroJ.ahVù point, mes chères Filles, ce qu'on doit chercher en Reli- c.xiu- Tr.de l'Am'. gion, ains il faut, à l'exemple de cette grande .^lagdcleine, <'''C)x^M,i.vll,c.vn. venir pour y estre basses, petites et tousjours aux pieds de Nostre Seigneur, comme nostre unique refuge. Cette Sainte fut admirable en cecy, parce que dès l'instant de sa conversion jusqucs à la mort elle ne quitta i)oint les pieds de son bon l^laistre. Je ne me souviens pas d'avoir veu en aucun lieu qu'elle soit jamais sortie de ces sacrés pieds : à sa conversion, elle entra par derrière et se jettant à ses pieds, les lava de ses larmes et les essaya de ses cheveux* ; quand elle l'alla ' Lucx, vu, 38. trouver au festin qui se fit après la résurrection du l^azare, elle portoit la boéte de parfums et onguens pre- tieux et se prosterna encores à ses pieds*. Il est vray 'Videsupra^p.Si. qu'une fois elle prit cette confiance amoureuse d'espandre son nard et rompre sa boëte sur son auguste cJief*, à * Matt., xxvi, 7; fin que de là il s'espanchast sur son sacré corps et '^''^•' ^'^' 3- descendist par tout ; mais elle s'estoit premièrement jettée à ses pieds, et puis elle y retourna incontinent.  88 Sermons recueillis A la mort du Sauveur, lors qu'il fut attaché à la croix, * Joan., XIX, 25. elle demeura tousjours sous ses pieds*, et quand on le descendit elle les gaigna promptement. En sa resur- *Ibid.,xx, 17. rection elle se jetta tout aussi tost à ses pieds*, les luy voulant bayser comme de coustume ; en somme, elle ne les quitta jamais, ains elle 3'' a constamment tenu son cœur et ses pensées, vivant en très profonde humilité et bassesse. O Dieu, quelle erreur et tromperie se trouveroit en nostre siècle si quelqu'un vouloit, après quelques années de Religion, se tenir pour parfait et profes ! Un jour un grand serviteur de Dieu demanda à un bon Religieux *Cf. s. Ath., Vita ce qu'il desiroit estre toute sa vie*. Il luy respondit qu'il S. Ant., §§ 16, ar ; , . .^ ^ . Vitœ Patrum 1. V desiroit se tenir comme un novice, aussi petit, sousmis, hbeii. X, §8. mortifié et sujet à de continuelles censures, reprehen- sions et mortifications; en un mot, qu'il ne vouloit jamais pour rien au monde, laisser les pieds de Nostre Sei- gneur. O qu'il estoit heureux! Et que vous serez heureu- ses, mes chères Filles, si toute vostre vie vous ne quittez pour rien que ce soit ces sacrés pieds, si vous vivez en humilité et sousmission, imitant et suivant vostre reyne, et encores plus la Reyne de toutes les reynes, la sacrée Vierge, nostre chère Maistresse, à laquelle sainte Magde- leine fut si dévote qu'elle ne l'abandonna jamais. Nostre Dame aussi l'aymoit grandement et plus qu'aucune des femmes qui la suivoyent. Elle l'accompagna à la mort de son Fils, à la sépulture, à son retour, en fin elle ne s'en sépara point jusques à ce qu'elle s'en alla à la Sainte Baume près de Marseille, pour parachever sa pénitence. Là elle mena une vie plus divine qu'humaine, estant sept fois le jour eslevée par les Anges, sans que pour cela son cœur sortist des pieds de son Sauveur. Ne venez donques pas en Religion pour estre conso- lées, ains pour vous sacrifier, pour estre les panetières et cuisinières de Nostre Seigneur, voire ses parfumeuses, quand il luy plaira et non quand il vous plaira. O que vous serez heureuses si vous faites des sacrifices entiers de vous mesme à la divine Majesté , si vous ne vous reservez l'usage d'aucune chose, pour petite qu'elle soitl  XlAlll. Pul'K LA FMH l)l-. SAISI h MaKH- MaDHI.KINK 89 Dirii vous (lemando cela. Xoiis voyons (juc les hoiniiu^s estaiîs offenccs exij^ent (lu'oii leur satisfasse selon l'of- fence ; par exemple, si on leur a desrolxl' un cscu, ils veulent (pTcni leur rende un escu ; si on a apporté dom- mai^e à autruy, il re([uiert satisfaction à l'esj^al de la perte (pTon a causée. Kn l'ancienne Loy *, celuy qui donnoit un soufflet à • Exod.,xxi,a^,3^ , . .,,.,' , . . , Lcvitic, XXIV, 2(j son prochain estoit o])lii]^e d en subir un autres; a cfduy Dcut , xix. uii. ([ui arrachoit une dent à son frer(3 on luy en arrachoit ' ^'' ^ ' aussi une. Or, bien (pK^ cette loy soit entièrement abolie entre les hommes, si se pratti(iue-t-elle encores aujour- d'huy entre Xostre wSei^neur et ceux qui se consacrent à luy. Il l(Mir fait les mesmes demandes, à sçavoir, qu'on luy rende, autant qu'on peut, à l'esgal de la faute com- mise; c'est à dire, il veut que nous fassions autant pour luy que nous avons fait pour le monde. Ce n'est point trop exiger de nous que cela, car si nous avons tant fait pour le monde, nous laissant attirer par ses vains attraits, que ne devons- nous faire pour les attraits de la grâce qui sont si doux et si suaves? Certes, ce n'est pas nous faire tort que de demander cela de nous ; c'est pourquoy, comme on a employé son cœur, son ame, ses affections, ses yeux, ses paroles, ses cheveux pour le monde, il les faut aussi employer et sacrifier au service de la dilection sacrée. Il s'en trouve bien qui donnent leurs cheveux, mais ils ne donnent pas leurs yeux ; d'autres donnent encor leurs yeux, mais pour leurs paroles, nullement; d'autres don- nent les trois ensemble, mais ils ne donnent pas leurs parfums. Puisque vous avez tout donné au monde, il faut tout donner à 1 )ieu et ne vous reserver aucune chose. Qu'est ce que les cheveux? C'est ce qu'il y a de plus vil et abject au corps humain, les excremens de la nature, une super- fluité et chose de nul prix; on n'en tient aucun compte, non pas mesme de ceux des roys, car on les foule aux pieds comme n'ayant nulle valeur, et néanmoins l'esprit humain constitue sa gloire en iceux. Nostre Seigneur demande donc les cheveux. Or, que nous representent-ils, sinon les pensées non seulement mauvaises, mais aussi  9© Sermons recueillis inutiles, lesquelles il faut couper et retrancher ? (0 C'est ce que doivent entendre ces filles quand on les leur coupe; car pourquoy pensez-vous qu'on tonde les Reli- gieuses? On dit que cela est sain ; je le crois, mais cette cy n'est pas la principale cause, ains pour leur apprendre que comme elles sont retirées des objets qui leur pour- royent donner des mauvaises pensées, elles ne doivent non plus courir après les choses vaines et mondaines qu'elles ont laissées, mais oublier tout pour s'appliquer totalement à Dieu. Il leur est facile de se divertir des cogitations coulpables, parce que n'ayans plus d'occasion présente et estans en des lieux où elles ne voj'ent rien que des sujets pieux, où elles ne lisent que des bons livres, où elles n'entendent parler que de Dieu et des choses spirituelles, elles s'en rendent plus facilement quittes. Mais cela n'est encores rien, il faut de plus sacrifier ses yeux ; car pourquoy croyez-vous qu'on vous aye mis des voiles sur la teste, sinon à fin de vous apprendre à ne vous plus servir de vos yeux pour voir et pleurer que *Constit.XLIV.Cf. quand la grâce vous y excitera*, et non pour les niaiseries supra, p. p. ^^ tendretés pour lesquelles les femmes sont sujettes aux larmes, larmes folles et vaines, certes ! Je voudrois bien faire telle chose, mais je ne peux. Que faire à cela ? Oh ! il faut pleurer. Et pourquoy ? Hé Dieu, parce que je ne fais pas ce que je veux. L'on me contredit, l'on me corrige et mortifie ; le remède c'est qu'il faut pleurer. Grande misère que celle cy ! Vous verrez une femme tout esplorée ; on lu}^ demande : De quoy pleurez-vous? Oh! je pleure mon mari qui est mort. Helas, quelles larmes inutiles ! comme si à cause d'icelles Nostre Sei- gneur estoit obliofé de ressusciter vostre mari. Une autre pleure de ce qu'elle a perdu son procès. Quelle folie ! comme si par ce mo3^en la sentence devoit estre révoquée. Une autre pleure de ce que sa mayson est bruslée ; hé, pauvres gens, pensez-vous esteindre par vos larmes le ( I ) La suite de cet alinéa est inédite, ainsi que les lignes 4-10, p. 91 ; 37-39, p. 92 ; 1-15, p. 93 ; 9-39, p. 94 ; 1-5, 31-39, p. 95 ; 1-4, p. 96, et s-12, p. 97.  XLVIIl. Pour ia fktr dr saintf. Mahir-Madf.i.f.inr 91 feu (jiii a (Icsja l)riisl('- vostro inaNson 'i l'oiitrs tr'llfs v\. seinl)laljlL's larmes sont vaincs et inutiles; il ne s'en faut donc plus ser\ ir, aiiis mortifier ces tendretés et mollesses. Il est vray tjue la nature est un peu excusable : vous verrez, par exemple, une fille qui sera bien mélancoli- que ; et qui n'excusera cela ? Une autre sera bien joyeuse, et pour ce elle excédera (|uel5 I'"t sainte Agnes, cjui, aagi'-c seulement de treize ans, triompha ilii montle et de la chair, donnant son sang ])()ur son l'ispoux c^deste ! O c^ue vous serez heureuses si vous imitez ces Saints et Saintes en leur mespris des créatures et d'eux mesmes ! Il faut de nécessité faire une parfaite abnégation pour parvenir à la perfection, et ne pL'nser plus au monde ni à vos parens ; je veux dire aux maysons des{|uell(\s vous estes sorties, car je n'en- tens j)as que vous oubliiez de prier pour eux. là ne dites point : O Dieu, tousjours vivre icy ! et le moyen ? (Peut estre que cela ne vous viendra pas en teste pendant vostre noviciat, mais puis après il pourroit sur- venir des fantosmes (jui vous estonneront.) Ressouvenez- vous des paroles de saint Paul * : J'ay tellement mesprisê 'Gaiat., n, 19, 20, le monde ([ue je le tiens comme un pendu et il me tient comme un pentlard ; je suis crucifie au monde et le monde m'est crucifié ; je n'ay pas de vie pour moy, ni pas un bouton pour le monde ; car si bien je vis, je ne vis pas ?noy, mais c'est Jésus Christ qui vit en moy. Considérez Ijien les paroles de ce grand Apostre et regardez comme elles vont tousjours croissant. 11 dit que le monde luy est crucifie et qu'il est crucifié au monde ; j^uis, en suite de cela : Je vis, mais pliistost je ne vis pas, aiiis c'est Jésus Christ qui vit en moy. Je vis de la mort ; or, c'est la mort de moy mesme qui fait que mon Sauveur vit en moy. Que vous serez heu- reuses si vous mourez de la mort de saint Paul, pour vivre de sa vie, mourant à vous mesme à ce que Jésus Christ vive en vous. Je vais finir en vous demandant quel nom vous voulez, mes chères Filles. Dorothée , me direz-vous. Or sus, Dorothée, qui veut dire don de Dieu, ains}- soit-il. Bona- venture, car vous avez receu aujourd'huy une bonne adventure, et si vous estes fidelle vous en recevrez encor de très bonnes ; Bonaventure donc, ainsy soit-il. Agnes, qui signifie aigneau. Que vous serez heureuse si vous vous rendez simple et douce comme un aigneau ! Or sus, Agnes, ainsy soit-il. Mais outre ces trois noms je vous en veux donner un quatriesme qui vous sera commun et duquel je  96 Sermons recueillis vous appelleray en finissant. C'est celuy des deux grandes reynes, vos maistresses et protectrices, à sçavoir la sacrée Vierge Marie vostre Mère, et Marie Magdeleine, les- quelles sont toutes deux nommées Marie, qui signifie estoile de mer ou mer amere, dame exaltée, illustrée ou * Vide ad calcem illustratrice *. Puissicz-vous, mes chères Filles, estre DeNom.Hebr., dé toutcs dcs Marie, c'cst à dire des lumières par vos bons R^rnoi' i^ii^c'lx' exemples, et ayder les autres par vos prières à parvenir s. Bern., homii. 11 au port de salut ; des mers, pour recevoir les amples super Mtssus est, . , . , § uit. bénédictions que Dieu communique a ceux qui se consa- crent à son service ; ameres, avalant et dévorant les difficultés qui se rencontrent en l'exercice de la vie spirituelle; des dames exaltées, pour avoir excellemment mortifié vos puissances, vos appétits, vos sens et incli- nations, leur commandant d'un pouvoir absolu; illustrées par la lumière céleste, et illustratrices par une vraye humilité et mortification. Je conclus ce discours en vous souhaittant, mes chères Filles, l'une des bénédictions de sainte Marie Magdeleine ; et si, je ne vous souhaitte point d'extases, de ravissemens, ni d'estre eslevées par les Anges comme elle fut à la Sainte Baume, ni de vous apparoistre comme elle fit à plusieurs, ni de jetter une grande abondance de larmes, ni le don très excellent de la contemplation. Non, mes chères Filles, ne faites point les contemplatives ni les extatiques ; mais bien vous souhaitté-je de demeurer tout le temps de vostre vie aux pieds de Nostre Seigneur, d'avoir un grand courage pour dévorer toutes les diffi- cultés qui vous empescheroyent de jouir de vostre Dieu et qui vous pourroyent tant soit peu séparer de lu}'. Cherchez-le tousjours et ne cessez jusques à ce que vous l'ayez trouvé ; cherchez-le pendant cette vie mortelle, non point glorifié, mais mort et crucifié. Préparez vos espaules pour porter volontiers sur icelles la croix et le Crucifié ; il sera pesant, il est vray, mais bon courage, car il vous fortifiera pour le porter. Voyez la Magdeleine qui vous provoque par son exem- * Vide supra, p.92. pie*. Elle cherche son Sauveur dans le monument et le demande au jardinier : Hé, respond-elle, Monsieur,  XlA'Ill. l'olK lA IKIK DR SAINIK M ARIF-M ADELHINE 97 si 7()//,v l\ivt'i f^r/s, ilitrs-}>ioy oit vous lavei fïiis et je re>n[^orterdy. X'oycz-voiis riuimilité de cette Sainte? VA\c (lit : Domine, Monsieur, i) i[ncn ce temps icy Ton se garJeroit bien (l'a})peller Monsieur un jardinier ! Vous rencontrerez parmi h» monde des femmes qui sont si co- quettes (|u'cllcs font mille difficultés de nommer iMonsieur et Madame celuy cy vi celle là*; il faut tant d'examens, •Ci.ie^F.ntrfttens, . ^ , . . . " , . , . tom.VI.htijusEdit., tant de niaiseries pour s asseurer si celuy cy est monsieur p. ^33. ou non ! Or v(nis, mes chères I'"illes,(|uan(l vous serez hum- bles comme Ma^ilcleine vous appellerez tous Monsieur, c'est à dire vous obéirez à tous sans exception de personne, donnant à un chacun le pouvoir de vous commander. Je Vemportcray, dit-elle. Vous l'emporterez? Mais il est parmi les Juifs et soldats; vous n'estes qu'une femme, comment ferez-vous ? O Dieu, respond-elle, ne craignez point cela, car je l'iray prendre au milieu des Juifs et je Vemporteray ; ]c me sens assez de force pour le faire. y\iùs Celuy que vous cherchez est mort; comme pourrez- vous porter un corps mort qui est très pesant ? Oh ! eust-elle dit, l'amour me donne assez de force pour l'aller prendre et pour m'en charger. Ce que voyant ce jardinier, qui estoit Celuy-là mesme qu'elle cherchoit, ne pouvant davantage laisser navrer de son amour le cœur de cette amante, Tappella : Marie. Kt elle, tout illuminée, s'escria : Rabboîiiy Maistre, demeurant toute accoisée et resjouie. Allez à la bonne heure, mes chères Filles, chercher le Sauveur crucifié avec JNlagdeleine. Ne craignez point de l'emporter et de vous en saisir par tout où vous le trouverez. Xe vous cstonn(v, point de sa pesanteur; et si bien il vous semble que vous estes trop foibles pour vous charger d'un mort crucifié, aggrandissez vostre courage et ne laissez de prestcr vos espaules, car la glorieuse AMagdeleine vous viendra au secours, et joignant ses espaules avec les vostres, son amour avec le vostre, vous triompherez de toutes les difficultés et demeurerez victo- rieuses. \'ous serez par après bien heureuses si le Sau- veur, tesmoin de vos labeurs et travaux pris pour son amour, vous appelle en fin par vos noms : Marie ! ame Serm. IV' -  98 Sermons recueillis forte, vaillante, courageuse et persévérante. Et, comme Magdeleine, vous respondrez : Rabboni, mon Maistre! Maistre que nous avons suivi, Maistre auquel nous avons obéi, Maistre auquel nous nous sommes conformées, et pour et avec lequel nous nous sommes « crucifiées, pour Constit. XLIV. « apres cette vie estre glorifiées avec luy * » en l'éternité Rom., VI, 6-8, VIII, de la vie bienheureuse*, et là chanter avec nostre reyne sainte Magdeleine les cantiques éternels par tous les siècles des siècles. Amen.  29, 30  XI. IX si:rm(^x vovk i.a k/^/ie dk saint atci-stix 28 août 1621 ( « ) ( Ikédit)  Non in commeaationibuSf etc. Non point d.ins les dcsbauches, etc. Rom., XIII, 13, i-i- Ce sont les paroles desquelles la divine Providence s'est servie pour convertir tout à fait le glorieux saint Augustin*. Ce pauvre jeune homme sentoit en son cœur • Confess., 1. viii, de rudes combats, d'autant qu'il abusoit misérablement de tous les dons de nature et de grâce que le Seigneur luy avoit libéralement départis; car estant entre autres choses doué d'un grand esprit, d'un bon jugement ac- compagné d'une heureuse mémoire, il s'en servoit pour se bander contre Dieu, comme il raconte luy mesme, disant * : Je me servois de mon esprit humain pour • Ci. ibid.. 1. III, ,. . ,,^ ,., ^ , ... 1 -1 c. VI, sub finem. résister au divin, r.t encores qu il eust un bon naturel, il estoit néanmoins tout corrompu par les mauvaises habi- tudes, il vivoit en toutes sortes de libertés, se vautrant es impudiques playsirs, estant attaché à ses vicieuses cous- tumes en telle sorte qu'il compare les liens de son iniquité à une chaisne de fer*, laquelle il luy sembloit •Ibid.,l.vllI,cc.T, ne pouvoir aucunement rompre et qu'il luy estoit impos- hujus EdlV.Î'p^^s* sible de s'en jamais affranchir. Or, se sentant quasi comme accablé sous le faix de  ( I ) D'après la rédaction, ce sermon appartient à l'une des deux dernières années de la vie de saint François de Sales, Or, à la fin du mois d'août ibaa le Saint étant malade, il doit donc remonter à l'année précédente.  loo Sermons recueillis ses péchés, et d'autre part une forte inspiration divine le poursuivant de près, il se retira tout alarmé sous un figuier. Là, pressé de cette violente conteste qui se passoit entre son homme intérieur et l'extérieur, il commença, comme un autre saint Paul, d'exprimer sa douleur par Rom., VII, 24. les paroles du mesme Apostre* : Qui ^^i& délivrera de ce corps de înort, et qui m'affranchira de cette incom- parable convulsion que je ressens es deux parties de mon ame ? Oh ! qui me délivrera de cette chair si Ibid., ;^. 23. contraire à V esprit"^ ? Hé, Seigneur, disoit-il (car ce sont ses propres mots, comme il raconte luy mesme au Lib. VIII, c. XII. livre de ses Confessions'^), jusques à quand, jusques à quand serez-vous courroucé contre mo}^? jusques à quand vous souviendrez-vous de mes péchés? O cieux, jusques à quand serez-vous irrités contre moy? jusques à quand y aura-t-il un si grand divorce entre vous et moy, et quand vous reconcilierez-vous avec mon ame? Au plus fort de ses plaintes, il entendit chanter ces paroles derrière la muraille où il estoit : « Prens et lis, prens et lis ; » puis, prestant l'oreille pour mieux escouter, il ouyt encores : u Prens et lis. « Et pensant en soy mesme si ce ne seroit point une compagnie de filles qui repetoit cette chan- son , il taschoit de se resouvenir s'il n'en couroit point pour lors auxquelles on trouvast ces paroles : « Prens et lis. » Car, comme vous sçavez, et si vous ne le sçavez pas vous l'apprendrez, en toutes les villes il court tousjours quelques chansons parmi le vulgaire et menu peuple, qui certes devroyent plustost estre mesprisées qu'escoutées. C'est cela que saint Augustin croyoit entendre. Or, oyant cette fréquente répétition, il prit le livre des Epistres de saint Paul qui estoit auprès de luy, et l'ouvrant, sans aucune pensée ni souci de ce qu'il faisoit, il leut ces paroles que j'ay prises pour mon thème : Non in commessationihiis, et ce qui suit. O mes enfans, dit le grand Apostre escrivant aux Romains, levez-vous, quittez vos desbauches, vos jeux et festins, l'ivrognerie et la gourmandise, sortez de vos couches sensuelles et voluptueuses j devestez-vous de vos vestemens et de vos habitudes, et vous reveste^ des vestemens et habitudes  XI. IX. l'ol'K l.A FF.TR DR SAINT Ai;r,tJSTIN lOI de fi'sus Christ. O m feins de la liimicrc*, dospouillez- ^ {"'"••jj.*'.'n,ç^,t ' vous de vos h.il)illoin(Mis de nuit, gardez-vous ])ien de y, s.' paroistre en l.i hnniere avec iceux. Je feray donc sur ces paroles trois petites considérations esquelles nous verrons, mais courtement et fort briefvement, toute la vie de saint Auj^ustin divisée en trois parties. Kn la première, ses desbauches et sa pur^ation, suivanl ce texte : Sor- tez de vos cotichcs sensuelles et voliiptunises : en la seconde, comme il se revostit des habits et habitudes de Jésus Christ, et m la troisicsme, comme il ne parut plus en la lumière avec ses vestemens de la nuit. Or, pour entrer en mon premier point, vous sçavez toutes, je m'en asseure, qu'il y a trois sortes d'hommes qui sont arrivés à la sainteté, c'est à dire qu'ils ont esté saints en des aages et manières différentes. Les uns n'ont rien eu en eux que de saint, suave et aggreable ; ils ont fait des commencemens très fervens, des progrès et des fins pretieuses. Tout a esté bon en eux, les feuil- les, les fleurs et les fruits : leur enfance, leur jeunesse et le reste de leur vie. Combien de Saints et de Saintes se sont dès leur enfance dédiés et consacrés au service de Dieu, lesquels ont persévéré constamment jusqu'à la fin, portant des fruits très délicieux; entre autres, le glorieux saint Jean Baptiste duquel nous célébrerons demain la Décollation. Il a esté très admirable en toute sa vie, et il ne s'est rien trouvé en icelle qui ne fust excellent ; vous en pouvez penser de mesme de bon nombre de Bienheureux. Nous voyons plusieurs plantes desquelles tout sert à quel([ue chose, les feuilles, les fleurs et les fruits. Mais pour ne vous parler que d'une, à fin d'estre plus court, considérez la vigne. Ses fleurs sont non seulement belles à la veiie, ains propres à résister au venin du serpent ; et son fruit, qui n'estant encores meur ne laisse de servir à l'usage de l'homme (car c'est d'iceluy que l'on fait le verjus très utile à sa santé), va tousjours faisant des accroissemens jusques à ce c^u'il soit arrivé à sa matu- rité, en laquelle il nous rend alors du vin très proffitable  102 Sermons recueillis et aggreable. Il y a d'autres arbres qui portent voirement de bons et gracieux fruits, mais ils n'ont point de fleurs. Tels sont les figuiers : leur commencement est rude et n'a rien de doux ; leurs fruits sont certes fort aspres avant leur maturité, ils n'ont aucune saveur, au contraire ils sont insipides. Mais estans meurs, il n'y a rien de si doux et gracieux que la figue, laquelle est alors d'autant plus aggreable au goust qu'elle estoit insipide en son commen- cement. Telle est la seconde sorte de Saints, du nombre desquels a esté saint Augustin. Aussi n'est-ce pas sans mystère que la divine Providence voulut qu'il se con- vertist tout à fait à l'ombre d'un figuier, pour monstrer ~5ùe si bien le début de sa vie avoit esté rude et très mauvais, néanmoins ses fruits estans venus à maturité, elle deviendroit ensuite très pretieuse. Le voyla donques sous ce figuier, lisant les Epistres de saint Paul, lesquelles luy sembloyent dire au cœur : O Augustin, te voicy desja en Tan trente troisiesme de tes jours ; jusques à quand demeureras-tu couché dans le lit de tes voluptés et sensualités? Sors, quitte ces jeux, ivrogneries, gourmsindises, contentions et envies.Yoyez vous comment le Saint Esprit va de prime abord mettre le coup de lancette dans l'apostume de son cœur, comme en la source et origine de toute sa maladie ? Car il est * Confess., 1. VIII, vray, ainsy que saint Augustin le raconte luy mesme *, ce. V, XI, xtr. qu'il estoit grandement adonné à ce détestable péché de la chair ; il luy sembloit impossible de se passer de ces playsirs sensuels et illicites, qui estoyent la cause des plus grandes résistances qu'il faisoit à TEsprit de Dieu, ne se pouvant résoudre à quitter ces voluptés ni à se desvelopper de ces liens. Il estoit encores contentieux, car ressentant de violens combats entre la chair et l'esprit, il disputoit avec l'Esprit de Dieu et resistoit à iceluy. Mais non seulement il se monstroit contentieux en cela, ains aussi es disputes qu'il soustenoit, contrecarrant et réfutant avec tant de subtilité et une si admirable éloquence tout ce qui estoit proposé, qu'il se faisoit craindre de tous. Il s'efiForçoit avec un style d'heretique, tel qu'il estoit, de renverser  XI. IX. Pol/'K lA FhTP. DE SAINT AuGUSTIN lOj ceux ([ui (U'fViuloyc^nt la vcritr*, d'autant (iii'il avoit plus d'esj^^ird aux erreurs île sa secte qu'au sens de ri-lscriture Sainte hK^uelle a un lant^aj^-e plus simple que ccluy des ManicluM'ns *. Il contestoit encores avec ceux os(juels il • Confcss., i. m, conv("rs()it. jiarce ([ue, coninKî il estoit (Idui'î d'un ^rand et ^' ^' bel esprit, il ne vouloit cetler à personne, ains pretendoit tousjours avoir le tlessus. Or, quoy que son esprit fust non seulement beau ains encores bon et accompagné d'un excellent naturel, si est-ce qu'il avoit enté sur iceluy une très mauvaise plante, à sçavoir la vanité et appétit de sa propre j^loire, qui le rendoit hautain, querelleur, envieux, contentieux et tellement amateur de son excel- lence qu'il surpassoit en cecy les l^hilippe et les Alexan- dre desquels les humanistes parlent tant, nous les représentant esgaux en la vaine gloire. Aussi estoyent-ils fiers , bien qu'avec cette différence, qu'Alexandre ne vouloit point recevoir de louanges que pour des choses de grande valeur en elles mesmes, tandis que pour les menues actions qu'il faisoit ou pour les qualités qui estoyent en luy il n'en pretendoit point ; au contraire, Philippe ne tiroit sa gloire que des actions basses et petites, comme à bien sçavoir jouer du luth et telles autres bagatelles *. • piutarchus. Vita Saint Augustin avoit voirement un courage généreux inurum^^^'' *^*'^" comme un autre Alexandre, qui cherchoit de la gloire aux actions hautes et relevées, mais encores en prenoit il aux petites, comme Philippe; et passant plus outre, il en tiroit aussi des choses qui de soy estoyent mauvaises, voire du mensonge mesme, ainsy qu'il le raconte au livre de ses Confessions *. Il dit en effect qu'il se glo- • uh. ir, c. m. rifioit parmi ses compagnons et jeunes libertins en des œuvres très mauvaises, vilaines et insolentes, et qu'il rougissoit de n'avoir commis les mesmes impertinences et meschancetés dont les autres se vantoyent, a3Mnt honte de ne se trouver aussi vicieux. Il disoit avoir fait des insignes meschancetés desquelles il n'estoit point coulpable, à fin de s'en glorifier et estre estimé par ces desbauchés un homme courageux, vaillant et généreux. Remarquez un peu que c'est des misères de l'esprit  104  Sermons recueilus  C. XXXI.  humain, en quelle extrémité va la desbordée jeunesse et de quoy se prisent les troupes des escoliers qui vivent sans crainte et sans retenue. On le voit lors qu'en hiver ces jeunes fols s'assemblent et vont par les rues faisant milles bouffonneries et tintamarres ; celuy là est tenu parmi eux pour le plus brave qui fait davantage le fol et le * Cf. Entretien IV, fantasque * ; c'est en de telles actions qu'ils mettent leur tom.VIhujusEdit., , . o • , a ,• r • •. i * • -i p. 55, (i). gloire. Saint Augustin en faisoit de mesme * ; mais il en * Confess., 1. III, -j-jj-qj^ aussi de ses larcins. Il escrit * qu'estant encor petit *lbid.,l. I,c. XIX. il se vantoit et glorifioit de ce qu'il desroboit les fruits des jardins de ses voysins , s'en estimant d'autant plus que le larcin, quoy que léger, estoit subtil et secret ; car en le racontant il faisoit voir les ruses et inventions de son esprit. Quant à ce qui est d'estre ivrogne et gourmand, je n'ay pas remarqué qu'on l'en accuse, du moins n'en ay-je Vide ibid., 1. X, pas bonne mémoire *. Cependant les paroles de saint Paul qu'il trouva à l'ouverture de son livre, et qui luy estoyent envoyées par le Saint Esprit, nous font conjecturer qu'il estoit encores entaché de ce vice. Desportez-vous, dit le grand Apostre, de vos ivrogneries et gourmandises. Il y a aussi deux autres raysons qui nous pourroyent faire supposer qu'il en estoit atteint et qu'il s'en glorifioit. La première est la participation qu'il avoit avec sa mère sainte Monique, laquelle avoit cette tare, et se fust bien souvent enivrée si une bonne femme, qui estoit sa gou- vernante en sa jeunesse, ne l'eust fait changer. Or, il est bien croyable que son fils participoit à cette inclination et affection de sa mère ; tout ainsy que nous autres ne participons que trop à cette nature qui nous est si voy- sine. Combien y en a-t-il qui font gloire de ce vice ! Mais la seconde rayson et la plus probable est celle cy, qu'Augustin estant sujet au péché de la chair, aussi l'estoit-il à celuy de Tivrognerie et gourmandise ; car ces deux péchés ne vont jamais guère l'un sans l'autre, et qui s'adonne à l'un, difficilement se peut-il empescher de tremper dans l'autre. C'est pourquoy nous lisons en la Sainte Escriture que tous ceux qui ont esté chastiés pour le premier ont esté aussi taxés du second. Voyla  XLIX. l'oUK LA FHTh DE SAINT AUGUSTIN lOÇ iloïKlurs en partie l'ancienne vie de saint Au^^ustin ([ui certes estoit clei)loral)le et dij^^nc de compassion ; c'est pitié de lire ce ([u'il (mi raconte en ses Confessions. Mais le Saint Ksprit luy inspire sa pur^ration pour faire une entière conversion, et après l'avoir sollicité de se retirer de son péché il l'invite non seulement à se despouiller de ses vestemens, mais encores à se revestir des habits et habitudes de Jcsiis Christ. Qu'est-ce se devestir de ses habits pour se revestir de Jcsîis Christ? De^pouillez-vous, dit l'Apostre*, de vos habitudes, cpii • Rom., xm, 12, et , • ^ 1 ubisupr.i, p. oj. sont vos vestemens; car les vestemens environnent de toutes parts celuy qui en est couvert, et les habitudes en font de mesme au cœur que les vestemens au corps. Devestez-vous de la gourmandise, et vous reveste:^ de la sobriété en vous rendant austères ; devestez-vous de la sensualité, quittez vos couches pretieuses, et vous rêves- tez de la chasteté, et priez sans cesse*: devestez-vous • Ephes., uit., 18; * . . r ' .1 Thess., ult., 17. des contentions, envies et courroux, et vous reveste^ de la douceur et debonnaireté *. Par les vertus opposées 'Coioss., in, 12. à nos vices nous connoistrons les habitudes de V homme et celles de Nostre Seigneur, celles desquelles il nous faut despouiller d'avec celles que nous devons revestir et dont il faut nous couvrir. Nous dirons un mot sur chacune, bien que courtement et briefvement, car je ne feray que les toucher, vous les laissant ruminer et digérer à part vous, chacune à vostre loysir. Soye^ sobres, dit l'Apostre*, vous rendant austères. * a. i Tim., m, a, Il met l'austérité comme gardienne de la sobriété, car il {'p'elri', v| 8."'^' ' est bien difficile d'estre sobre parmi les bombances et affluences. La sobriété, en elle mesme, est à proprement parler le retranchement de la superfluité au boire et au 1 manger; mais, parlant spirituellement, sobriété veut dire pauvreté, et c'est ce langage qu'il faut employer en ce lieu. C'est en quoy saint Augustin l'a tout particuliè- rement prattiquée, il l'a aussi fort recommandée à ses enfans , taschant de la leur inculquer si avant dans l'esprit que c'est chose admirable de voir comme il en parle dans sa Règle* en termes très exprès, par lesquels '.A/i/^rEp.ccxi.gv il défend que nul ne « puisse avoir, sous quel prétexte  io6 Sermons recueillis *Constit. V. (( que ce soit, » aucune (( chose en propriété*. » De sorte que pour estre vray enfant de saint Augustin il faut avoir un grand amour à la pauvreté. Vous sçavez toutes comme il l'a chérie, car il ne voulut aucune richesse ; et quoy qu'il exerçast une noble pro- fession , qu'il fust d'une honneste mayson, et qu'avec la grandeur de son esprit et sa singulière éloquence il peust acquérir beaucoup d'honneurs et de biens, parce que l'éloquence estoit grandement recherchée et estimée en ce temps là, il renonça et quitta néanmoins tout cela, se retirant en un logis champestre où il vivoit en une extrême pauvreté. Là il commença ses deux Ordres de Religieux : il envoya les uns au désert pour y prattiquer plus facilement cette pauvreté ; ensuite il fonda en l'église episcopale qui luy estoit escheûe une assemblée de prestres ou chanoines réguliers auxquels il donna sa Règle. C'est sous cette Règle que plusieurs Ordres se sont mis du despuis, car elle est si douce et suave qu'elle peut servir à toutes sortes de personnes. Aussi est-ce pour cela que ce Saint l'avoit dressée. Mais tant aux uns qu'aux autres de ses enfans spirituels, il preschoit gran- dement la pauvreté, ne voulant pas mesme que les livres auxquels ils estudioyent fussent en particulier , ains *Ep.quasupra,§i2. ordonna* qu'on les demandast à l'obéissance et qu'on les rendist à celuy qui en avoit le soin. Pour son particulier, il ayma tant cette vertu qu'après sa conversion il refusa de se marier avec une fille très riche, laquelle on luy avoit destinée. Despuis qu'il fut prestre et Evesque , il prattiqua la pauvreté en telle sorte qu'il ne se laissa rien, donnant tout son vin et son blé aux pauvres, jusques là qu'il vendit les tapisseries et ornemens de l'église pour subvenir à leurs nécessités ; ce qu'il faisoit par une inspiration particulière de Dieu, d'autant qu'il n'est pas loysible de devestir l'autel pour nourrir les indigens, sinon en cas de besoin. Quand il n'avoit plus rien pour leur donner il s'addressoit à son peuple et luy disoit avec une simplicité, candeur et liberté du tout admirable : Mon très cher peuple, je n'ay plus rien pour pourvoir aux misères des pauvres, j'ay donné  XI. IX. Pour la hêtr de saint Augustin 107 tout ce que j'avois, j'ay mesme vendu les ornemens de l'église pour ce sujet. Maintenant donc^ues je vous prie de les ayder tle vos moyens, les leur communiquant libéralement de vos propres mains, ou bien me donnez les aumosnes que vous leur voulez bailler et je les leur distril)uoray *. Ce que ce bon peuph? faisoit, car il luy • RibaJen., Vita S. , , . , . , , . , -11 Aui^. circa fiticiu. sembloit ([ue ses chantes n estoyent ]:)()nU t)onnes si elles ne passoyent par les mains de ce saint et digne Prélat. Remarquez, je vous prie, la candeur et simplicité de ses paroles, la grande confiance et liberté avec laquelle il parloit à son troupeau et l'estime que celuy cy en avoit. O certes, il failloit bien, pour traitter en cette sorte, que ce fust entre un cœur de père et des cœurs de fils : un cœur de père en saint Augustin, et de fils en ses sujets. Voyla donques comme il garda la sobriété. Je ne parle pas de la frugalité de sa table ni de sa pauvreté en ses vestemens, qui estoyent tousjours de vile estoffe ; car bien qu'il s'habillast honnestement selon que requeroit sa charge episcopale, si est-ce que le reste de ses habits estoit très pauvre. Tant en son manger qu'en son vestir il se contentoit de ce qui estoit nécessaire pour l'entretien de la vie humaine; aussi, à l'imitation du grand Apostre*, il ne demandoit que du pain et de l'eau * I Tim., uit., 8. pour son entretenement et une robe pour couvrir sa nudité, disant avec le mesme saint Paul*, que tout le • lh\d.,ff. 6,-j. reste c'estoyent des superfluités. Il mourut en ce dénue- ment, car il ne fit point de testament, n'ayant chose aucune sinon son esprit pour envoyer au ciel et son corps pour laisser en terre*. Vovla comme il se revestit de la * Cf. tom. praced. , i ', • . ' . r^, hujus Edit., p. 338. pauvreté en gardant la sobnete et austérité. C est ce que vous méditerez, car je ne fais que passer sur ces considérations. La seconde chose que dit saint Paul, est celle cy : Rcvestc^l-vous de la chasteté et pric^. Quant à ce point, nostre glorieux vSaint a excellé. Il a gardé avec tant de soin sa chasteté, il l'a tant estimée et louée qu'il en a composé des livres dignes de l'admiration de tous ceux qui les lisent, lesquels ils rendent amateurs de cette belle vertu. N'ayant pas sa virginité, il estoit d'autant plus  io8 Sermons recueillis jaloux de conserver sa chasteté, en sorte qu'il surpasse plusieurs vierges; tout ainsy que sainte Magdeleine, laquelle, toute impure qu'elle avoit esté auparavant, surpassa néanmoins en chasteté plusieurs vierges en leur virginité, et n'y en a pas une qui ayt tant esté honnorée en sa virginité comme sainte Magdeleine l'a esté en sa chasteté, hormis la sacrée Vierge qui est hors de toute ♦ Cf. supra, p. 85. comparaison*. Donques nostre glorieux Père parut plus beau en cette vertu que s'il ne l'eust point flestrie; aussi la garda-t-il avec un soin et une diligence nompareille, s'esloignant fort soigneusement de tout ce qui luy estoit contraire. Mais la chasteté est un don de Dieu qui ne s'acquiert pas à force de bras et qui ne peut estre conservé par artifice et industrie ; car les dons de Dieu ne s'arrachent pas de ses mains par force ni par contrainte, ils se *Matt., X, 8. donnent gratuitement* et selon la disposition du cœur. Que faut-il donques faire pour acquérir et attirer ce don des mains de Dieu, puisque nul ne peut estre chaste si le • Sap., VIII, uit. Seigneur ne luy en fait la grâce*? Priez, dit l'Apostre** ; **Ubi supra, p. 105. , , ^ ^' ^ , , . , - , , .,. , c est a dire, demandez-la en esprit de profonde humilité, car c'est par la prière que vous l'obtiendrez, et que, l'ayant receuë, vous la conserverez. Je sçay bien que le jeusne, la haire, la discipline et la sobriété (qui ne consiste pas seulement à retrancher la gourmandise, mais encores à se priver des viandes exquises et par trop nour- rissantes, à se contenter de ce qui est nécessaire et à user d'alimens simples et grossiers), je sçay bien, dis-je, que tout cela est bon pour conserver la chasteté infuse dans une ame ; mais certes, ce seroit peu s'il n'estoit accom- pagné de l'humble prière, parce que c'est à l'humilité que sont attachés tous les dons de Dieu. Aussi saint Augustin s'en servoit-il pour conserver cette chasteté par laquelle il surpassoit la virginité des vierges ; et, poussé de l'Esprit divin, de l'amour et connoissance qu'il avoit de la beauté et grandeur d'icelle, il en composa des livres, comme nous avons dit, addressés aux vierges et aux vefves, lesquels ravissent en admiration et portent à l'amour de cette vertu tous ceux qui les lisent.  XI.IX. Pour la i htf. df saint Au<;ustin 109 Il estoit (l<)n(|in's adiiiirablcinriit chaste parce fiu'il estoit extrcineiiH'iU hiiinhlc L'inimilit/* est la vertu des vertus, puis(|ue c'est elle (jui attire et conserve les autres en l'aine. Ce fjue ce i»-lorieux Saint fit voir lors qu'estant interroj^é (luelle estoit la première vertu il respondit : C'est l'humilité. là la st^-onde ? C'est l'humilité. Kt la troisiesme? C'est l'iiumilité*. 11 eust tousjours respondu * Epist. cxvm, ad ainsy si on eust poursuivi les demandes. Cette vertu, vouloit-il dire, bien que petite en apparence, est néan- moins la plus ^rrande, sans icelle toutes les autres ne sont rien ; et de mesme c[ue l'orgueil et la vaine gloire est la pépinière de tous les péchés et la mère nourrice de tous les vices, l'humilité est la nourrice de toutes les vertus. Ce grand Saint donna des preuves de sa très profonde humilité en plusieurs choses très remarquables qui peu- vent e.stre utiles et proffitables au lieu où je suis ; c'est pourquoy je ne me sçaurois empescher de les dire. Lais- sant donques le reste de mon discours, je m'arresteray icy. Chacun sçait que saint Augustin est l'un des grans esprits qu'on ayt jamais veu et qu'il estoit encores doué d'une science admirable. Or, je ne parle point de ces grans hommes qui vivoyent en l'Ancien Testament, je parle de ceux de la Loy nouvelle, entre lesquels il peut estre compté pour l'un des premiers. Je n'ignore pas qu'es escoles les uns disent que Platon estoit le plus grand esprit, d'autres, que c'estoit Ciceron. Certes, tous deux ont excellé entre les philosophes payens, mais je ne veux point traitter de ceux-cy. Je ne fais non plus comparaison de nostre glorieux Père avec l'Apostre saint Paul, car à celuy-cy la science fut infuse du Ciel par une voye du tout extraordinaire. Mais en dehors de cela, il est notoire à tous que saint xVugustin est tenu pour le plus grand esprit entre nos anciens Pares, lesquels ne se feignent point de l'appeller le phœnix des Docteurs. Vous aurez ouy dire que l'humilité se trouve rarement avec la science qui d'elle mesme enfle*, mais encores • I Cor., vm, i. moins avec une aussi haute science que celle de saint Augustin : néanmoins elle estoit chez luy accompagnée d'une si profonde humilité qu'on ne sçait s'il avoit plus  110 Sermons recueillis^ de science que d'humilité ou plus d'humilité que de science. Il possedoit asseurement plus de science que nul autre Docteur, car il en estoit le phœnix ; cependant son humilité estoit plus grande encores : voyez-le vous mesmes, je vous prie. Il avoit une tare en son sçavoir, il ignoroit la langue grecque ; car bien qu'elle soit plus moelleuse en son sens que la langue latine, si est-ce que le style n'en est pas si délicat, et pour cela saint Augustin, qui s'arrestoit plus au style qu'au sens, ne la *Confess.,i.l,c.xin. voulut pas apprendre lors qu'il estudioit*. Or, il ne cacha point cecy, ains le confessa ingenuement et franchement, disant qu'il se regardoit pour le moindre de tous, d'autant qu'il ne sçavoit rien de la langue grecque laquelle est * DeTrinit.,1. III, pourtant la plus riche de toutes*. ^^°°^"^' O Dieu, quelle humilité et quelle sincérité est celle cy ! Certes, il en sçavoit bien un peu, mais il estimoit cela n'estre rien, et il estoit bien ayse de le reconnoistre et confesser pour donner place à l'amour de son abjec- tion. S^il n'eust avoué qu'il ignoroit cette langue, qui l'eust deviné en oyant ses disputes ou en lisant ses escrits pleins d'une si profonde science ? Et s'il ne Teust dit, qui l'eust onques sceu ? Personne, car chacun eust creu qu'il y estoit versé comme en la latine. Mais son humilité estoit trop grande pour cacher ce défaut, c'est pourquoy il le voulut hautement et librement confesser. Voyons maintenant si nostre sainteté est semblable à celle de ce vSaint. O non certes, car en ce temps ceux qui sçavent deux ou trois mots de grec ne veulent point employer d'autre langue, et nos prédicateurs, comme le dit très à propos N. {sic), pour peu qu'ils en sçachent, le crachent, * Cf. Les ContfO' pour aiusy parler*. Edit!^' Partie H,^ c! Secondement, saint Augustin monstra une grande I, art. VI. humilité en se sousmettant à la censure de ses escrits et de sa doctrine, censure faite non seulement par ceux qui lu}' pouvoyent estre supérieurs et esgaux, ce qui est la marque d'une très profonde humilité, mais encores par ceux qui luy estoyent inférieurs et en sçavoir et en dignité. C'est en quoy il monstra qu'il surexcelloit en cette *Epist. cv. vertu. Saint Hierosme*luy fait une correction non point  Xl.lX. Pour la fhth dh saint Algl'stin i i i petite ni en le flattant , mais i^randc et dii^iKi de la généreuse humilité du cd'ur d'Au^uslin. il le trailte comme un maistre et pédagogue traitteroit son disciple et escolier ; il ne le mouche point avec un mouchoir de lin, mais avec un d'estoupe, et bien rudement. Que fait alors nostre glorieux Saint? Il rcroit la reprehension avec une admirable sousmission. Vx (jue dit-il à saint llie- rosme * ? Je sçay bien, luy cscrit-il, (jue le prestre est ' Epist.Lxxxii,§ jj. moindre que l'Kvesque, et que moy ([ui suis Kvesque je suis plus que toy qui n'es que simple prestre ; cependant cela regarde seulement la dignité que nous tenons en l'Eglise de Dieu, car pour le reste je sçay, o Hierosme, que tu m'es supérieur. Mais remaniuez cette humilité : Kt partant, adjouste-t-il, je me sousmets et reçois de bon cœur la censure et correction que tu me fais, confessant que tu as juste rayson de me la faire. Considérez, mes chères Sœurs, la candeur, simplicité et humilité des paroles de ce glorieux Père. O Dieu, en ce temps cy nous ne voulons point de correction ; c'est beaucoup (^uand nous la souffrons de nos Supérieurs, mais des esgaux on ne le peut supporter, le cœur s'enfle et bondit, car celuy cy m'estant esgal n'a nulle authorité de me reprendre. Pour les inférieurs, o certes, il n'en faut pas parler : si cela m'estoit dit par un de mes Supé- rieurs je le soufifrirois encores, mais par un tel je ne l'entlureray pas, je ne luy donneray point cette authorité sur moy. Néanmoins c'est là où gist un des principaux points de l'humilité et de la perfection de la vie chres- tienne*. Nous voulons bien avouer : Je suis cecy et cela, 'Cf. supra, p. 30. mais de souffrir c^u'on nous le die, cela ne se peut. On le souffriroit peut estre encores de quelqu'un qui nous seroit supérieur, mais des autres, o non certes ! Job, assis sur son fumier, tout couvert de playes, ressembloit plustost à un monstre qu'à un homme ; il estoit là comme un chien ou un cheval mort et puant ; il prenoit quelques tests et se racloit le pus qui estoit sur ses playes, n'ayant personne qui luy voulust faire cet office de charité, car il estoit abandonné de tous. Sa femme mesme ne luy vouloit pas rendre ce service, car  1 1 2 Sermons recueillis Job, II, 7-9. elle se mocquoit de luy et le haïssoit * ; ses amis en fai- soyent de mesme. Certes, nous serions bien heureux nous autres si nous empoignions le test de la correction pour nettoyer les ordures de nos consciences ; mais vous estes bien plus heureuses, mes chères Sœurs, d'habiter en une mayson où Ton fait la correction avec tant d'exactitude que par le moyen d'icelle on vous corrige des moindres petites imperfections. O Dieu, quel bonheur sera le vostre si vous la recevez en esprit de sousmission comme le glorieux saint Augustin. En troisiesme lieu, ce Saint monstra son humilité en la confession de ses fautes. Il fut certes du tout admira- ble en cecy, comme on le voit par la sincérité et naïfveté avec laquelle il a escrit le livre de ses Confessions, qu'il fit à la fleur de son aage, et où il raconte non en gros, ains par le menu, toutes ses fautes, ses humeurs, ses habitudes et inclinations vicieuses. Pourquoy cette con- fession? pour la dire peut estre à l'oreille d'un confesseur? O non, car il l'avoit fait avant d'escrire son livre. Seroit ce point pour la monstrer à ceux de son temps qui, l'ayant conneu, excuseroyent facilement sa jeunesse, ayant esgard à la beauté de son esprit et aux advantages qu^il avoit receus de la nature ? Non certes. Seroit ce point pour la faire voir au peuple de sa contrée ou de son diocèse lequel, pour l'estime qu'il avoit de sa sainteté, tiendroit pour rien ces actions de son jeune aage, au prix des vertus qui reluisoyent en luy de ce temps-là? Ou bien peut estre fit-il cette confession pour estre loué des justes qui sçauroyent asseurement contrepointer la conduite qu'il avoit tenue despuis sa conversion avec celle de sa jeunesse ? O non, ses Confessions ne s'addressent point à telles sortes de gens. Mais à qui donques? A tous les hommes en gênerai : jeunes et vieux, doctes et ignorans ; à ceux qui admireront son humilité et s'en édifieront, et à ceux qui se mocqueront de luy et qui s'en scanda- lizeront ; aux hommes et aux femmes ; en somme il veut que la misérable vie qu'il a menée en sa jeunesse soit déclarée et manifestée à toute créature. O Dieu, que la sainteté de nostre temps est esloignée de celle-là, car elle  XI. IX. Pour i.a fAtf. dp. saint Augustin in ne consiste ([u'à caclier ses fautes, mcsme au confesseur. C'est certes là la sainteté de cet aa^^^e, comme aussi de ne les point connoistre ni souffrir la correction d'icelles. Je finiray icy puisque l'heure passe. J'eusse bien voulu, pour mon dernier point, dire un mot sur la douceur de ce grand Saint, mais le temps me manque; c'est pouniuoy je le laisseray et lur contenteray, ])()ur fermer ce discours, d'adjouster deux ou trois mots encores sur ces paroles de saint Paul : Revcstc^-vous des habitudes de Jésus Christ. Nous parlons en ceste façon de ceux qui sont habillés et disons : Voyla un homme ([ui e.st vestu de soye ; celuy-là est vestu de peau de buttle, celuy-cy de chameau. Or, dit l'Apostre, ne vous revestez point de soye, de peau de butïle ni de chameau, mais rcvcstc^i-vons des ha])i- tudes de Jésus Christ, de la Passion de Nostre Seigneur, reveste^-vous du sang du Sauveur ; et tout ains}' cjue les vestemcns environnent le corps, cn\'ironnez aussi tout vostre cœur et vos affections du Sauveur, c'est à dire ne vous appu^-ez point sur vos mérites, mais sur les mérites de sa .^lort et Passion. C'est un advertissement que le grand saint Augustin donnoit à tout le monde en gênerai de ne se point appuyer sur ses mérites ni de penser que l'on puis.'-e entrer au Ciel par sa propre industrie, sans estre aydé de la grâce divine. Il refutoit ainsy l'heresie des Pclagie^ns^ tant par ses disputes que par son livre De la Grâce, où il monstre que nous ne pouvons rien sans icellc. Non, mes chères Sœurs, n'ayez point de prêt 'ntion ni pour le Ciel ni pour la terre que par les mérites du sang et de la mort de nostre Sauveur. Ne pensez point entrer au Ciel par vos bonnes œuvres, car personne n'y entrera qu'en la vertu du sang et de la Passion de Jésus Christ. Ne faites pas ce que vous faites pour avoir beaucoup de mérites et ne vous informez point si vous en aurez en faisant cecy oa cela. Cecy a desja esté dit plusieurs fois > ' •, (i) Voir, dans la présente Edition, l'Iutroduction au Traiitè de iWmonr di Dieuy tome IV, p. lxix ; la Préface des Vray$ Entretins spirituels, tome VI, p. xLix, et les p-iges 89, variante >), 9^, ^28 du même volume. Cf. aussi \ci pages 81, 1.44 du tome précédeût et 87 c'e celui-ci, SWM. IV M  114 Sermons recueillis mais il ne sçauroit l'estre tant qu'il n'aye besoin d'estre répété. Nous le devrions tous avoir gravé en nostre esprit, d'autant que parmi les hommes l'on n'entend autre chose sinon : Vous aurez bien du mérite à faire cecy ou à laisser cela ; ou encores : Je meriteray ou ne meriteray rien en cecy ou en cela. Il semble que le Ciel nous soit deu seu- lement pour ce que nous méritons en prattic[uant ce que nous devons prattiquer ou en omettant ce qu'il ne convient pas de faire. Oh ! je vous en prie, ne dites point cela, mes chères Sœurs, si vous voulez estre vrayes filles non seu- lement de la Vierge, car c'est sous icelle que vous estes érigées, mais encores de saint Augustin, puisque vous estes sous sa Règle. Appuyez-vous tousjours sur les mérites du sang de Nostre Seigneur, et après avoir tout fait fidellement, Lucœ, XVII, 10. dites que vous estes serviteurs inutiles *. Que si vous le confessez, Nostre Seigneur ne le dira pas, car il vous recompensera à l'esgal de la fidélité que vous aurez eue à son service ; et quoy que vous ne travailliez pas pour les mérites, vous ne lairrez pas d'en avoir au Ciel la recom- pense. Ne dites point : Voyla un homme qui par ses œuvres aura bien du mérite ; mais plustost : O que Dieu a fait de grandes grâces à cette personne là ! O que grande a esté sa miséricorde en son endroit ! N^ayez point d'autre fin que de chercher la gloire de Dieu, car c'est pour cela que vous estes entrées en Religion, et non pas seulement pour vous retirer du tracas du monde ; les philosophes payons faisoyent bien ce renoncement, à fin d'avoir par ce moyen plus de temps pour vaquer à l'estude des sciences humaines. Vous n'y estes pas venues non plus pour devenir plus riches ; oh ! rien de cela, car c'est icy où l'on se fait pauvre. Non point pour mériter davantage, cette fin seroit trop basse. Et pourquoy donques ? Pour plaire à Dieu en toutes vos œuvres, ains pour davantage Cf. supra, p. 87. luy plaire*; pour vous revestir des mérites de la Passion et du sang pretieux de Jésus Christ. O les pretieux ves- temens que ceux qui sont faits du sang du Sauveur, sans lequel toutes nos œuvres ne sont point méritoires ! Il est vray qu'en donnant un verre d'eau pour Tamour de  XI. IX. POCR I.A FKTF DR SAINT Al.'ClJSTIN II5 Dieu on mérite la vie éternelle * ; mais d'où prend-il sa ' Matt., x. uit. valeur sinon île la Passion du Sauveur fjui rend méritoire cet acte de charité ? Haussant donques vos cœurs et vos affections, n'estimez point méritoires les i/rsïrs de îa chair, c'est à dire les désirs de ceux qui vivent en cette chair *, mais fondez toutes vos espérances en ceux du ' R^ni., vm, Fils de Dieu, ([ui vit et règne en l'eternitc avec le Père '"*^^'' "• ^• et le Saint I^sprit. Amen.  SERMON DE PROFESSION POUR LA FETE DE SAINT LUC  18 octobre 1621 (0  Luc^ le très excellent et très cher médecin vous salue. CoLOSS., ult., 14. Saint Paul escrivant aux Colossiens, de Rome où il estoit, les saluoit de la part du glorieux saint Luc ; et entre toutes les autres salutations que l'on trouve dans cette Epistre on y remarque celle cy : Luc^ le bien aymé disciple, le très excellent et très cher médecin, vous salue. Il ne dit pas : Luc le médecin, ou Luc seulement, mais Luc, le très aymé et le très cher médecin, vous salue. Et vous, mes très chères Filles, ayant aujourd'huy fait la sainte Profession, j'ay formé cette imagination que vous estes saluées de cette mesme salutation et que l'on vous peut addresser ces paroles que le grand Apostre a mis dans ses Epistres : Luc, le très excellent et très cher médecin, vous salue, parce que cette sorte de salutation est merveilleusement propre tant pour vostre Profession que pour vostre condition, comme aussi pour la condition de celles qui demeurent au lieu où vous estes. Saint Luc vous salue donques en qualité de médecin et encores de peintre ; car bien que saint Paul ne le nomme pas ♦Ad c st Cab Peintre, si est-ce que selon la tradition ecclésiastique § 6 ; Ad Theoph. il Testoit, comme le disent saint Damascene * et Nice- *H?st.,i.n,c.xLiii. phore*; et c'est luy qui a peint la sacrée Vierge, nostre ( I ) Profession des Sœurs Claire-Françoise Deterno et Marguerite-Scholas- tique Favrot. (Pour cette dernière, voir l'Année Saintf^ tome XII, p. 340, et notre tome IX, note (i), p. 355.)  L. Pour la lAik df saisi Lie 117 More et Maistrcsso. (^r, il vous SliIuc on cos deux (jua- lit("'S à tin ([ue vous apjjrcniez et deveniez non seulement medecineuses et j^^'uerisseuses, mais encores peintresses, puisque la profession que vous faites et la Religion où vous estes n'est autre chose, comme disent les anciens Pères*, qu'une maladiere, une assemblée de g"uerisseurs 'VUcEuseb ,Hist., et de gens qui ne font ([ue se medeciner et guérir. L'on • • ' y exerce aussi l'art de peinture, car après s'estre accusé et purgé de ses fautes, l'on vient à peindre sur son ame, comme sur un tabhMu, riinage de Nostre Seigneur cruci- fié. Je feray dont[ues ce petit discours sur ce sujet, lequel je diviseray en deux points : au premier nous verrons comme vous devez estre désormais des guérisseuses, et au second, des peintresses. Quant au premier, je me souviens fort bien vous en avoir desja parlé * et vous avoir monstre que la Religion •Vid.topj.viii huj. est une maladrerie toute pleme de gens malades, qui sont ix.pp. $0,210, 24a. néanmoins tous médecins, car ils se guérissent les uns les autres, voire aussi eux mesmes, et ce continuellement, en s'accusant et purgeant de leurs défauts. Je dis qu'ils se guérissent continuellement parce qu'ils sont conti- nuellement malades ; car tandis que nous sommes en cette vie mortelle, tant plus nous guérissons tant plus nous descouvrons d'infirmitf'^s en nous. Il ne faut donques point perdre courage de se traitter, car c'est là nostre mestier et exercice pour tout le temps que nous serons en cette vallée de misères. Nul ne se peut dire exempt de cecy, pour saint et parfait qu'il soit, comme en ce séjour mortel il n'y a homme qui jouisse d'une pleine et entière santé, ou du moins qui en jouisse long temps. Que si bien l'on en voit quelques uns qui ayent une longue santé, quoy que penchante tousjours de quelque costé, l'on dit que c'est un présage d'une future grande maladie. L'homme, disent les philosophes, est composé de plu- sieurs humeurs , lesquelles les médecins réduisent à quatre principales, à sçavoir : la colère, le flegme, le sang et la mélancolie. Or, quand ces quatre humeurs sont en bon ordre tout va bien, et l'on jouit d'une pleine santé ; comme au contraire, quand l'une prédomine sur  ii8 Sermons recueillis l'autre on est malade, et à mesure que la predomination est grande la maladie l'est aussi. Par exemple, quand le flegme vient à surabonder, il réduit l'homme à de graves infirmités ; ainsy en est-il des autres humeurs peccantes de nostre corps. Mais comme elles ne peuvent aller si juste qu'il n'y en ayt tousjours quelqu'une qui passe l'autre, il s'ensuit que la santé ne se voit presque jamais pleine et entière, ains penche tousjours de quelque costé. Il en prend tout de mesme de la santé de nos cœurs et de nos esprits; car certes, ils sont remplis d'un grand nombre de meschantes et malignes humeurs, à sçavoir des passions et inclinations vicieuses, qui nous causent plusieurs graves et dangereuses maladies, pour la gue- rison desquelles il nous faut continuellement veiller et combattre. Les maistres de la vie spirituelle réduisent toutes ces humeurs à quatre principales : la crainte, * Vide Tr. de TAm. l'esperance, la tristesse et la joye *. Quand l'une de ces e teu, . , c. IV. p^gJQj^g prédomine sur les autres elle cause des maladies en l'ame ; et parce qu'il est extrêmement difficile de les tenir en règle, de là vient que les hommes sont bigearres et variables, et que l'on ne voit que fantasies, inconstan- ces et niaiseries parmi eux. Aujourd'huy on sera joyeux * Cf. Entretien III, à l'cxces , et tost aprcs on sera démesurément triste*. Edit.?pp'^To^3t4M, -^^ temps de carnaval on verra des joyes et liesses 443> 446. qui se monstrent par des actions badines et folastres, et bien tost après vous verrez des tristesses et ennuis si extrêmes que c'est chose horrible et, ce semble, irrémé- diable. Tel aura à cette heure trop d'espérance et ne pourra craindre chose quelconque, lequel peu après sera saisi d'une crainte qui l'enfoncera jusques aux enfers. En somme, du détraquement de ces passions procèdent toutes nos maladies spirituelles. Je sçay bien qu'il y en a de mortelles : ce sont celles auxquelles on néglige d'appliquer ce que l'on connoist estre nécessaire pour s'en guérir et purifier. Or, le prin- cipal remède à tout cecy c'est de veiller continuellement sur son cœur et sur son esprit pour tenir les passions en règle et sous l'empire de la rayson ; autrement on ne verra que bigearreries et inesgalités. Pour obvier à tel  L. Pour la fltk de saini Luc 119 inconvénient l(\s Pcrcs de la vie spirituelle ont opposé à ces passions la paix et tran^.rP-io3.=-isa46. perfection. Telle est vostre profession, mes chères Filles, c'est à quoy vous devez travailler et prétendre ; et certes, le glorieux saint Luc vous en a laissé de grans exemples. Il a fait paroistre tout le temps de sa vie une grande persé- vérance et fermeté en ce qu'il a entrepris ; car despuis qu'il fut avec saint Paul il ne le quitta ni abandonna jamais, ains le suivit par tout. Il n'a onques varié en ses entreprises et resolutions, ains les a tousjours gardées, tant en Testât du célibat comme en l'élection qu'il fit de suivre Nostre Seigneur sans chanceler jamais ni peu ni prou, d'un costé ou d'un autre, ce qui ne se lit pas des Apostres et de quelques autres disciples de nostre divin Sauveur. L'on trouve peu de personnes qui ayent esté exemptes de chanceler en quelque façon ; mais au glo- rieux saint Luc non, ains on l'a tousjours veu reluire en une admirable constance et esgalité en toutes choses emmi ses entreprises et adversités. C'est assez dit sur ce premier point de la salutation que ce glorieux Evangeliste vous fait en qualité de médecin ; passons au deuxiesme, qui est qu'il vous salue en qualité de peintre. Il estoit non seulement médecin mais encores peintre; non point pour en tenir boutique et gaigner sa vie par cette profession, o non, il ne faut pas entendre cela, car estant médecin honnorable il avoit  122 Sermons recueillis assez de quoy s'entretenir honnorablement. Mais, comme * Ubi supra, p.ii6. dit saint Jean Damascene *, ayant un bel esprit il faisoit aussi de beaux portraits pour se recréer ; et pour preuve de cela il en a légué un à la postérité, de la face de la sacrée Vierge. Néanmoins il en avoit fait plusieurs autres, car je sçay bien que l'on n'est pas maistre en cet art sans avoir fait plusieurs portraits ; mais il n'a laissé que celuy de Nostre Dame. O que vous serez heureuses, mes chères Filles, si après avoir bien médecine et purgé vos cœurs vous venez à peindre sur iceux ! Et quoy ? O Dieu, rien autre que Nostre Seigneur crucifié, à l'imitation de sainte Claire de Montefalco qui, par une vive imagination et affection d'amour et compassion intérieure, imprima en * Cf.Tr.derAm.de sou cœur l'image de la Croix de son Sauveur*. Certes, Dieu, \. vil, c.xiï, ■,•.... ^ ^ ^' j 1. X,c. V. ce doit estre toute nostre prétention de graver en nos *Cf.ibid., i.l, c.xiv, âmes Jésus crucifié et de crucifier avec lu)^ nostre amour *. l.XLc.xvi, et tom. ,, • i i i. r • r^» ^ prœcéd.hujusEdit, Mais nous parlerons de cecy une autre tois. C est pour- P- 4^- quoy je laisseray de costé ce sujet pour vous dire que la salutation que saint Luc vous addresse en qualité de peintre n'est qu'un advertissement qu'il vous donne de peindre dans vos cœurs. Et quoy encores ? Rien autre chose, mes chères Filles, que la face de la très sainte Vierge. Mais comment ? En gardant et observant ce qu'il a fait pour la peindre et tirer ; car ne pensez pas qu'il l'ayt seulement reproduite sur quelque toile ou autre matière propre à cet effect pour en gratifier la postérité. O non, mes chères Sœurs, ains il la peignit aussi fort soi- gneusement dans son cœur et dans son esprit. Que vous serez heureuses si vous en faites de mesme, et ce, par une vive et meure considération de ses vertus et perfec- tions, les imprimant en vostre cœur par une affection amoureuse, méditant sa sainte vie et conformant la vostre à icelle. Mais il faut que je vous dise ce qui s'observe pour faire un beau portrait et pour tirer au vif la face de ceux que l'on veut peindre ; c'est ce que saint Luc a prattiqué et ce que nous devons prattiquer nous mesmes pour l'imiter. Premièrement, il est nécessaire que la chose sur la- quelle on veut peindre soit nette et qu'il n'y ayt sur icelle  L. PoUK LA IhTE DK SAINT LuC 123 aucune antre jieintnre ; ear si cela estait, il la faudroit d'abord laver, d'antanl (jn'elle srroit incapable de rece- voir les traits du visaj^e que l'on prétend tirer. () qu'on seroit heureux si on entroit en Kelij^ion comme une toile ou autre matière bien nette et bien disposée à recevoir tous les traits i[uc, l'on nous xoudroit donn(?r, si on y entroit sans aucune affection aux biens et commodités, contre la pauvretc' ; aux playsirs et délicatesses, contre la chasteté ; aux volontés et désirs particuliers, contre l'obéissance, sans aucun attachement au monde, à ses vanités et sensualités. Mais helas ! cela ne se fait pas, car venant en Religion on y apporte des cœurs mar([ués de tant de traits, je veux dire qu'ils sont si rudes, orossiers, aigres, mal façonnés et peu civilisés que c'est pitié de les voir. Certes, tels cœurs ne sont nullement propres pour peindre la face de Nostre Dame, si premièrement ils ne sont lavés et nettoyés. C'est à quoy il est requis d'employer toute une année de noviciat pour se purger et purifier; et non seulement cela, mais encor tout le temps de sa vie, laquelle doit estre une continuelle purgation *. Il faut * Ci. La Entretiens, j . , , , ^ • A. j. toin.VI huiusEdit., donc avoir bon courage, car lors qu on sera lave et net on p ,^^^ ç^ tom. ix, recevra facilement les traits du visage de la Vierge. Serm.ll,init. D'autres viennent avec des affections mondaines ou grandement contraires à l'esprit de religion ; que si l'on ne se despouille de ces choses on ne possédera jamais la vraye paix des enfans de Dieu. C'est de ces personnes que les anciens Pères parlent avec tant de sévérité; car celuy qui quitte le monde et retient en son cœur les affections du monde est du tout incapable de recevoir les traits de la grâce et les consolations célestes. Mais voicy, ce semble, qui est un peu plus gracieux : on quitte bien les affections de ce siècle, mais on se reserve un certain amour pour soy qui nous fait tant chercher ce qui nous est propre et fuir ce qui nous incommode I On ayme tant sa vie et son propre interest, on a si grand peur de mourir! O la grande mollesse et tendreté que celle cy ! Il faut certes se bien purger et laver de semblables choses à fin d'estre disposé à recevoir les traits de la face de Nostre Dame.  124 Sermons recueillis Secondement, il ne suffit pas au peintre de bien net- toyer sa toile de ce qui est mauvais, mais encores faut-il enlever ce qui est bon ; car si on prend une estofFe teinte en quelque couleur, elle ne sera nullement suscep- tible de la peinture qu'on luy veut donner, non pas mesme quand elle seroit teinte en escarlatte , qui est la couleur la plus douce et unie qui se puisse trouver. Par où vous voyez que pour estre bonnes peintresses il ne suffit pas de purger vos cœurs de tout ce qui est mauvais, mais encores de toutes autres teintures des- quelles vous les auriez voulu enrichir. En efFect, quelques personnes entrent en Religion avec certaines habitudes de pieté très hautes et relevées ce leur semble ; elles se veulent gouverner à leur fantasie, se forgeant une devo- *ctlntrod.alaVie tiou toute extatîque et sureminente* qui n'ayme point les ^^î>., Partie III.c. II. - . ^ , , . , , t-. . . . . choses simples, basses et humbles. Dévotion imaginaire et niaise, nullement sortable à leur condition, et telle- ment meslée d'amour propre, que ces personnes mesmes, non plus que les autres, ne peuvent discerner ce que c'est de cela, et ne sçait-on si Tamour propre est leur dévotion ou si leur dévotion est amour propre ; fantasie et niaiserie, dévotion fade, molle, efféminée et propre aux femmes de peu de courage. Il se faut donques purger de telles choses, bien que bonnes en apparence, et s'assu- jettir à la conduite d'autruy, embrassant la simplicité et l'humilité qui se trouvent parmi les considérations basses des choses ordinaires, et non point se complaire dans les subtiles, excellentes et qui sont au delà de la portée de nos esprits. La troisiesme condition requise pour peindre est que ce qui est préparé pour recevoir la peinture soit attaché en sorte qu'il ne se puisse point remuer, ains demeure ferme et immobile à fin de recevoir les traits du pinceau. O que vous serez heureuses, mes chères Failles, si main- tenant que vous venez de faire et prononcer vos vœux, vous demeurez attachées avec une invariable fermeté à la Croix de nostre Sauveur et à vostre vocation ! car alors, comme sur des tableaux d'attente, on retracera dans vos cœurs et vos esprits la face de Nostre Dame.  I . Pnl'R I.A I-KIH DF. SAINT Ll)C 12$ Vous estes (lonquos fixées par vos trois vmix comme avec trois clous*, j)our ne jamais varier ni chanceler en Tj.introj.a i.tVie 1 élection que vous avez faite de cette vocation. O Dieu, Eait., p. 94*. quel bonheur et quelle grâce d'avoir nécessité d'estre atta- chés et cloués comme des tableaux d'attente, pour jouir et posséder en cette vie le bien (jui nous est offert et d(Min ', et (liKiiicl iKHis jouirons en l'clfriiitt'' ! 1 b'ias ! combien y a-t-il d'ames f[ui, s'il n'estoit point re([uis de se lier aux vocations esquelles elles ont esté appellées, vacilleroyent et les quitteroyent à la moindre difficulté, fantasie et bigearrerie dont leurs esprits se trouveroyent assaillis et préoccupés. Combien de mariap^es verrions nous se dissoudre s'ils n'estoyent affermis par le Sacre- ment cjui (^mpesche de varier en cette sorte de vie 1 Combien d'ecclésiastiques verrions nous quitter le sacer- doce et s'oublier de la promesse qu'ils ont faite à Dieu en recevant l'ordre de prestrise ! O Dieu, quel bonheur d'avoir eu nécessité d'estre attachés par ces vœux pour vous carder fidélité ! car sans cette nécessité nous n'eus- sions jamais esté disposés à recevoir les traits de la peinture spirituelle, d'autant que nous eussions tousjours esté mobiles et sans aucune fermeté en nos resolutions. La quatriesme chose requise pour bien peindre c'est d'estre en un lieu obscur et où il n'y ayt pas trop de clarté; que s'il yen a trop, le sage peintre ferme le vanteau de la fcnestre et ne laisse ouvert qu'un petit guichet, d'autant qu'une trop grande lumière l'empesche de bien asseoir son pinceau et de bien remarquer le visage qu'il veut tirer. O que bienheureux sont ceux qui n'apportent pas en Religion de beaux et grans entendemens I Ceux cy sont les meilleurs, parce que n'ayans pas tant de lumière naturelle ils sont plus propres pour recevoir celle du Saint Esprit qui leur est communiquée par autruy. l^lais ceux qui viennent avec tant d'entendement et de clarté, qui sçavent si bien comme il se faut conduire et auxquels il semble n'avoir plus besoin de la direction d'autruy, ne seront jamais bons peintres ; car cette trop grande lumière les empeschera de remarquer les traits de la face de Xostre Dame. Il faut donques qu'ils ferment  126 Sermons recueillis le vanteau en quittant cette lumière naturelle ou imagi- naire, à fin de recevoir la surnaturelle que Dieu commu- nique en l'obscurité de l'humilité intérieure. La cinquiesme chose nécessaire pour bien tirer un por- trait c'est que le peintre regarde plus d'une fois celuy qu'il veut tirer à fin de bien imprimer en son imagination toute la forme et les traits de sa face, et que celuy qu'on tire arreste sa veuë sur quelque objet. C'est pourquoy les peintres veulent qu'on les regarde et qu'on arreste l'œil sur eux. Or, saint Luc observa tout cecy en peignant Nostre Dame, car il la regarda et fut regardé d'elle, et pour cela il failloit bien que la Sainte Vierge s'apperceust quand il la tira. Je sçay bien que l'on peut peindre la face d'une personne à son insu, mais cela appartient à de grans esprits et personnes fort expérimentées en leur art. Quelques uns ont pensé que c'est en cette façon que le glorieux saint Luc prit la face de la Vierge, car, dit-on, elle estoit si humble que l'on n'eust jamais osé la prier de se laisser tirer ; cela fait, ce semble, un peu tort à son humilité, si que le bienheureux Disciple deut prendre son portrait comme en cachette. Ce Saint avoit à la vérité un grand esprit, et je ne doute point qu'il n'eust peu la peindre en cette façon ; néanmoins nous n^en sçavons rien d'asseuré, et certes, c'est une chose bien rare de voir un peintre tirer au vif la face d'une personne ne l'ayant veuë qu'une fois en passant. Il y en a un seul, que je sçache, qui l'aye fait : c'est Apelles, si chèrement aymé d'Alexandre le Grand, qui peignit sur le champ un hommie * Piin., Hist. nat., qui luy avoit despieu en quelque chose*. Mais il est plus xxxvi). ' ^' ^ ' '^ • probable que saint Luc se servit pour faire le portrait de la Sainte Vierge de la façon ordinaire des peintres, et qu'il la pria, ou quelque autre pour luy, de se laisser tirer. Elle, qui estoit une mère toute douce et bénigne, condescendit facilement à ce que ses enfans luy deman- doyent, d'autant qu'elle sçavoit fort bien que cecy ne faisoit aucune brèche à son humilité. De plus, ayant une simplicité de colombe, sans aucune finesse, elle ne fit pas tant de discours, ains se contentant de voir en cette  L. Pour la riir. dr saint I.t.'c 127 requisilion beaucoup d'IiuniilitL* et d'aiiunir, elle accorda tout bonnenieiit et siinplcnient ce ([u'on luy re(iueroit. Nostre glorieux Saint la r<'L;arda d()n(iu»'s j)lusi('urs fois à Hn de bien imprimer en son imaj^ination, et encores j)lus dans son ccrur, la forme et les traits de la face de cette sainte Dame, pour la inieuK rapporter au naturel sur son tableau d'attente, à la convoi. ition de tous les mortels. ni(Mi Dieu, ([ue de suavités receut ce Saint en son intérieur, arrestant sa vcur sur le front tle la bienheureuse Vierge ; et non senUMucMit sur le front, ains aussi sur tout ce doux et béni visa),(e. Quelle pudicité vir«^inale y apperceut-il ! Que si les filles, pour peu qu'elles soyent de bon naturel, monstrent leur pudeur en leur face, roussissant pour la moindre ])arole fju'on leur dise, o Dieu, quelle pensez-vous devoit estre celle qui se voyoit en la face de cette sainte Vieroe lors qu'elle estoit rep^ardée de son peintre ? Que d'admirables vertus il descouvrit en ce pudique et chaste regard ! Quel contentement de considérer celle qui est plus belle que le Ciel ou que la plaine diaprée de la variété de tant de fleurs, et qui sur- passe en beauté les Anges et les hommes ! Mais qui pourroit penser l'humilité avec laquelle saint Luc la pria de le regarder, et la douceur et simplicité avec laquelle Nostre Dame le fit ? O que de lumières il receut par ce regard sacré, que son cœur demeura enflammé de son amour, que de connoissances il tira quand les \'eux de cette douce Vierge s'arresterent sur lu}'! Ils imprimèrent alors en son cœur un si grand amour de la jnircté qu'il y persévéra constamment tout le temps de sa vie et garda le célibat. Comme nous avons dit, il receut aussi cette esgalité et fermeté d'esprit qui reluisoit singulièrement en la Sainte Vierge ; c'est pourquoy on a veu toutes ses entreprises accompagnéesd'une admirable constance et persévérance au bien une fois commencé*. Ce qu'il fit à l'endroit de * Cf. supra, p. m. saint Paul, lequel il ne quitta point, ains le suivit par tout, autant en l'adversité comme en la prospérité, parmi les chaisnes et les persécutions. Or, quoy que ce grand Apostre estant en prison et escrivant à son cher disciple  128 Sermons recueillis Timothée pour se consoler avec luy, le saluast luy disant : Je suis icy tout seul, ce n'est pas qu'il fust le seul qui creust en Jésus Christ, car il y en avoit plusieurs, mais il vouloit signifier qu'il estoit seul dans les fers. Il luy mandoit encores comme deux qui estoyent venus avec luy l'avoyent quitté, ne l'ayant voulu suivre en la prison, et que le seul Luc demeuroit avec luy. Il ne dit pas seulement : Luc est avec moy ; mais : Le seul Luc est *IlTim.,uit.,9-i2. avec moy"^. En quoy il monstre la grande consolation qu'il ressentoit en son ame de la constance avec laquelle ce sien disciple Taccompagnoit. Or, quand il escrivit cecy, l'Eglise estoit grandement persécutée, d'autant qu'elle *Cf. IPetri,uit,,i3. estoit captive à Rome comme dans une autre Babylone *. O Dieu , quelle suavité recevoit aussi nostre glorieux Saint de la compagnie de saint Paul ! combien de secrets luy reveloit-il, luy qui avoit esté ravi jusques au * II Cor., XII, 2. troisiesme Ciel^l II est certain que saint Luc avoit beau- coup appris de cet Apostre, car mesme en ses escrits il ' Lucae, I, 2, 3. dit* qu'il n'a pas veu tout ce qu'il rapporte, mais bien qu'il l'a ouy. Je finis, mais avant je vous diray encores cecy, que la Sainte Vierge enseigna entre autres choses à cet Evan- geliste la sainte humilité tant nécessaire aux Religieuses, particulièrement aux Filles de la Visitation qui ont une Cf.Constit.xXII. obligation particulière à la prattique de cette vertu *. Saint Luc n'a pas esté seulement instruit de saint Paul, mais encores de nostre divine Maistresse, laquelle luy apprit à escrire avec un style humble, quoy que plein d'une admirable science, et à traitter des mystères bas et cachés, comme de celuy de la Nativité de Nostre Sei- gneur, faisant voir ce petit Enfant dans les langes et maillots, parmi le foin et la paille. Il parle de la Visita- tion de Nostre Dame et de plusieurs autres choses qui appartiennent à sa vie. Il a donques esté l'Evangeliste de cette glorieuse Vierge, et a plus escrit d'elle que nul autre. Il ne commence point son Evangile comme saint Cap. I, I. Jean qui dit tout au début*: Inprincipio erat Verbum; ce qui ne peut estre bien compris des hommes, ains des Anges seulement. Mais il rapporte dans le sien des  L. Pour la kkte de saint Luc 129 mystères plus simples, (jui peuvent estre entendus par les Anges et par les hommes, pour nous apprendre que nous devons méditer et considérer ces mystères simples et humbles, et non ceux (jui sont au delà de nostre capa- cité, yuant à vous autres, mes chères Filles, vous devez souvent méditer la vie de cette sainte Dame et tousjours avoir devant les 3'eux ses vertus jjour les imiter, car c'est vostre Abbesse, vostre Supérieure et vostre Maistresse, laquelle vous devez suivre et ol:)eir. () Dieu, combien suave, douce, huinl)l(\ tran([uille est celle qui converse souvent avec la Sainte Vierge I que sa conversation est esgale, paisible et aggreable ! Mais voyez encores mieux ce que je vous veux dire touchant les escrits de saint Luc. Ce glorieux Saint estoit souvent envoyé en mission par saint Paul pour le bien de l'Kglise ; or, quand il raconte ses voyages, il le fait avec une simplicité et humilité admirables, sans ])arler des merveilles qu'il opcroit ni des peines qu'il souffroit, ains il dit simplement : Nous allasmes, nous vinsmes, nous retournasmes *. Mais de dire : Je fis cecy, ou : Je souffris * Act., xx, scq. cela, o certes, il s'en garde bien. Ce n'est pas qu'il ne fist de grandes choses et qu'il n'endurast beaucoup, mais son humilité ne lu}^ permet pas de le rapporter. Quand, aux Actes des Apostres *, il jjarle de l'élection • Cap. i, 13-36. qu'ils firent de saint 3lathias pour succéder à Judas, lequel vendit son ^Maistre et de desespoir se pendit, saint Luc dit que les Apostres et les disciples, les femmes dévotes et Nostre Dame estoyent assemblés. Pourquoy donques met-il la Sainte Vierge la dernière? 11 semble qu'il ayt commis une incongruité. lO Mais il faut d'abord que je die cecy en passant : Pourquoy est-ce que saint Luc escrit les Actes des Apostres ? Pour rapporter leurs actions et rien autre. C'est pourquoy il fait mention de l'élection de saint J^lathias, car Nostre Seigneur ne voulut point, avant que de monter au Ciel, nommer un Apostre pour mettre en la place de Judas, ains en laissa le choix et nomination au collège apostoli(iue pour dcstruire l'erreur (l) Ce qui suit, ju3qu'à Li fin de l'nliné.i. est inédit. Sfr*». IV  130 Sermons recueillis de ceux qui croyent que despuis rAsceiision du Sauveur la génération des Apostres a failli, ce qui n'est pas ; car Jésus Christ luy mesme a voulu que les Apostres se soyent assemblés pour eslire ceux qui leur devoyent succéder, à commencer par saint Mathias. Et celuy cy, entant qu'Apostre, en pouvoit nommer d'autres; ceux qui luy succedero3^ent, d'autres encores, et ainsy consé- cutivement. Le collège apostolique donques ne viendra * Cf. Les Contro- jamais à défaillir *, et bien que ce soit tousjours Nostre verses, iom.lh.n'ms r^ . . r. ^ ,. , ^. ^, Edit., Partie I, c. I, ocigneur qui tasse telles élections, comme Celu}'' qui art.iii(circa finem), presi^ie ^ux asscmblécs reunies pour ce sujet, c'est nean- c. II, art. III, et tom. ^ r J ' VIII, pp. 304, 305. moins tousjours par la voix des créatures que sont faites telles nominations. Or, encores que saint Luc nomme la Sainte Vierge la dernière, il ne commet pourtant aucune incongruité, ains c'est par le respect et l'honneur qu'il luy porte. En efîect, on trouve en cent endroits de la Sainte Escriture que les plus grans sont nommés les derniers ; voire mesme aux supplications que l'Eglise addresse à Nostre Seigneur par les mérites des x\postres, elle met saint Pierre et saint MnCanoneMissa?. Paul à la fin *. Ce n'est pas qu'ils soyent moindres que les autres, car saint Pierre est le prince et le premier de tous ; mais après avoir demandé au nom de tous les autres, elle nomme saint Pierre et saint Paul tout à part pour monstrer leur excellence. On en fait de mesme quand on parle du roy, d'autant qu'on dit : Là estoyent les princes, tout le peuple ou l'armée, puis le ro}^ ; mais ce n'est pas que le roy pour estre nommé le dernier soit au dessous des autres, o non, car chacun sçait qu'il est plus que tous; aussi le nomme-t-on tout à part. Donques, quand saint Luc escrit : Là estoyent les Apostres, les disciples, les femmes et puis Marie, Mère de Jésus, ce n'est pas à dire qu'elle soit moindre que les personnages desja mentionnés, ains il veut monstrer qu'elle seule *Cf.tom.vIlhujus vaut mieux que tous ceux là ensemble*. ^ *'^* ^^' Mais outre ce que dessus, il a pris encores de la très sainte Vierge cette manière de parler, car elle aymoit estre la dernière et choisissoit tousjours le plus bas lieu ; ce qu'elle avoit fort bien enseigné à son Evangeliste.  L. Pour la pêiF dr saint Luc 131 Sçachant donc cecy, et voyant qu'il la pouvoit contenter et suivre son intention, sans pour cela prejutlicier tant soit peu à l'honneur (ju'il luy devoit ni à l'estime qu'il en failloil a\()ir, il la nomma la dernière cl tout à part, décla- rant par là en mesme temps qu'elle estoit plus g-rande que les Apostres et disciples, voire mesme que tous les Anges et les hommes ensemble. Voyla comme saint Luc tira la face de Nostre Dame. Or, mes chères Filles, puisque vous avez fait la sainte Profession en ce jour que l'Kg-lise célèbre la feste de ce Saint, vous luy devez estre t^randement dévotes et fort soi};(neuses de l'imiter en tout ce qui vous sera possible, apprenant de luy à vous bien medeciner et guérir, et à peindre en vos cœurs la douce et désirable face de la très sainte Vierge en la façon que nous avons déduit, le regardant en cecy comme vostre maistre. Resouvenez vous des paroles du Psalmiste qui dit * que le bon ser- • Ps. cxxn, 2, 3. viteur a tousjours les y eux sur les }ïiciiiis de son maistre, et la bonne servante sur celles de sa matstresse. Saint Paul, qui a une merveilleuse grâce en tout ce qu'il escrit, exhorte quelquefois les serviteurs de Jésus Christ d'avoir les yeux sur les 3'eux de leur iMaistre, d'autres fois sur ses mains, et d'autres fois encores de ne point faire ce qu'ils font pour les yeux ni pour les mains d'iceluy *. Or, • Rom., xn, 17 ; quand il dit d'avoir les yeux sur les 3^eux, il veut signi- Coîoss.', nu'aî'ôV fier qu'ils fassent ce qu'ils font pour plaire à Dieu; et Yi^ic tnm. vi hujus ^ lit » F.dit.,p.26iettom. sur ses mains, qu'ils regardent ses œuvres à fin de viii, pp. ^2, 53. l'imiter. Mais quand il leur recommande de ne tenir point les yeux fichés sur les yeux de leur I^laistre il n'entend pas qu'ils ne fassent pas ce qu'ils font pour plaire aux yeux de Dieu et pour l'imiter, o non ; mais que, lors mesme c^u'ils ne seroyent pas regardés de leur Seigneur ils ne devroycnt pas laisser de faire ce qui luy est aggreable. La fidélité du serviteur se connoist en ce qu'il s'acquitte de ses devoirs en l'absence de son maistre aussi bien que s'il luy estoit présent ; car voit-on jamais un serviteur, pour négligent qu'il soit, ne point faire ce qu'il doit quand il sçait que les yeux de son maistre sont sur ses mains? Or, ne pas faire ce i^uc l'on fait pour les  Ï33 Sermons recueillis mains du Maistre, c'est agir par amour et non par crainte de chastiment. Ayez donques désormais les yeux sur vostre Maistre qui est Jésus Christ, et sur les mains de vostre Mais- tresse, la Sainte Vierge, imitant ses vertus, particulière- ment son humilité. Peignez son image dans vos cœurs et l'y conservez avec fidélité, persévérant constamment en ce que vous avez voué et promis, car c'est la persé- vérance qui rend nos œuvres aggreables à Dieu et qui *Matt.,x, 22,xxiv, les couronne*. Et maintenant, que vous reste-t-il plus, 13 ; Apoc, II, 10. . . , , . Sinon que vous vous prosterniez devant la très sainte Vierge, que vous la preniez pour vostre Mère et Mais- tresse, la suppliant de vous présenter devant le throsne de la majesté de vostre Espoux crucifié, et de vous donner sa très grande bénédiction en cette vie, pour puis après la recevoir en sa plénitude en l'autre, où nous conduisent le Père, le Fils et le Saint Esprit. Amen.  LI SKRMON POUR LA I-J^TK DK LA TOUSSAINT i" novembre 1621 (0  La première feste que l'on ayt jamais célébrée a esté une feste de complaisance. Il est dit dans la Genèse * que ' c^r- '. 4, 10, n- lors que Dieu eut créé le ciel et la terre, il les regarda, les trouva bien et s'y compleut ; car considérant la lumière il dit qu'elle estait bonne ; voyant ensuite la terre comme la pépinière des arbres, herbes et plantes, et la mer qui retenoit dedans soy tant de poissons, il dit derechef que cela estait ban. Mais, comme les anciens Pères remarquent *, lors que la divine Majesté eut ' Vide Pereiram, , , ,c • /- • 1 j- -7 Comni. in Gen., ad sépare la Mésopotamie et fait le paradis terrestre, // 11,8-14. créa l'homme *, puis il tira une de ses castes et en fit • Gen., i, 27. la femme * ; et regardant par après tout son ouvrage, il * Ibid. et n, ar, 11. le trouva non seulement bon, ains plus que très bon *. * Ibid., 1, uit. Voyla la complaisance*. 'Cï.Tr.der Am.de Or, la sainte Eglise qui non seulement est espouse de tom^praeced. hujus- Nostre Seigneur, mais encores son imitatrice, se voulant E^'^-.P<>9- en tout et par tout conformer à luy, célèbre les festes des Saints avec un playsir admirable. Lors qu'elle les consi- dère et les honnore en particulier, voyant la ferveur des Martyrs, l'amour des Apostres, la pureté des Vierges, elle dit à l'imitation du Créateur que cela est bien ; mais quand elle vient à tout ramasser et faire à tous ensemble (x ) D'après le genre de la rédaction, ce sermon appartient à l'une des deux dernières années de la vie de saint François de Sales, et il est peu probable qu'il soit de i6ia, puisqu'à cette date le Saint se trouvait accablé par les affaires que lui suscitait la proximité de son départ pour un voyage en France, d'où il ne devait plus revenir.  134  Sermons recueillis  une feste, contemplant les couronnes, les palmes, les victoires et triomphes de tous les Saints, elle en ressent une complaisance nompareille et s'escrie : O que cela * Cf. tom. praeced. est bon, ains plus quc très bon * / C'est cette feste que hujus it.,pp.5 , j^Q^g célébrons aujourd'huy. Il y a plusieurs raysons de l'institution d'icelle ; mais je me contenteray de vous en dire seulement une qui est fondamentale. C'est qu'elle est instituée pour honnorer plusieurs Saints et Saintes qui sont au Ciel, les noms desquels n'estans point conneus ça bas en terre, l'Eglise ne peut solemniser leur feste en particulier. Ne pensez pas que ce soyent les miracles et les vocations spéciales qui ont rendu saints tous ceux qui sont en Paradis ; o non certes, car il est vray qu'il y en a un nombre infini qui ont esté ignorés en cette vie, qui n'ont point fait de prodiges et dont on ne fait aucune mention sur la terre, lesquels néanmoins sont au dessus de ceux qui ont opéré beaucoup de merveilles et qui ont esté et sont honnorés parmi TEglise de Dieu. Ce fut à la vérité un coup de la divine Providence de révéler et faire con- noistre la sainteté de saint Paul premier hermite qui vivoit si caché et si peu estimé dans le désert. O Dieu, combien pensez-vous qu'il y a eu de Saints dans les cavernes, dans les boutiques, dans les maysons dévotes, dans les monastères, qui sont morts inconneus et qui à cette heure sont exaltés dans la gloire par dessus ceux qui ont esté bien conneus et honnorés sur la terre? C'est pourquoy l'Eglise considérant la feste qui se célèbre au Ciel en fait par conséquent une en terre, en laquelle elle exalte ceux qu'elle connoist et aussi ceux dont elle ne connoist ni les noms, ni les vies. On admire le merveilleux rapport et correspondance que la terre a avec le ciel, qui est tel que l'on peut dire que le ciel est le mari de la terre et qu'elle ne peut rien produire que par le moyen des influences qu'elle en reçoit. Je ne veux pas icy parler de ces influences dont traittent les astrologues, ce n'est pas pour ce lieu ; je parle de celles que, d'après les platoniciens, le ciel respand sur la terre, lesquelles luy font produire les fruits, les arbres  II. PuuK i.A hhiH Dii i.A Toussaint ij^ cl les plant<\s. Vx ([iio rend la terreau ciel en reroiniiense ? KUe liiy exî)()se ces plantes, ces fleurs et ces fruits, et elle luy renvoyé des vapeurs t[ui montent comme la fumée de l'encens bruslé, et le ciel les reçoit. Kn somme, c'est une chose aggreable de voir la correspondance qui existe entre le ciel et la terre. O Dieu, que c'est chose plus admirable encores de considérer le rapport qu'il y a entre la llierusalem céleste et la terrestre, entre l'I-'^lise trioiiiphantc* et la militante*! * Cf. Hcb., vm, v L'Kglise militante fait ça bas en terre ce qu'elle croit se faire là haut en la triomphante, et comme une bonne mère, elle tire tout ce ([u'elle peut de la llierusalem céleste pour en nourrir ses enfans. Elle tasche de les eslever et conformer en tout ce qui est possible aux habitans du Ciel ; c'est pourquoy considérant les festes qui s'y célèbrent pour le martyre et triomphe de chaque Saint en particulier, elle en fait de mesme icy bas. Comme chante-t-elle la ferveur et constance de saint Laurent, comme admire-t-elle un saint Barthélémy, et ain.sy des autres ! Mais outre cela, voyant qu'il se fait en Paradis une resjouissance pour tous en gênerai, elle a aussi establi une solemnité à cette fin ; c'est celle que nous célébrons aujourd'huy. Ce ([u'elle nous veut faire entendre au com- mencement de la sainte blesse du jour lors qu'elle dit : (( Resjouissons-nous pour la feste des Saints, » chantons leur triomphe et victoire, et autres paroles de joye et d'exultation. Je diray donques queU^ue chose, le plus briefvement qu'il me sera possible, touchant ce qu'il faut faire pour bien célébrer cette feste, le réduisant en trois points, le premier que je marqueray et les deux autres que je deduiray. Dieu, de toute éternité, a désiré de nous donner sa g-race et de nous faire ressentir les efFects de sa miséri- corde, et par conséquent de sa justice, par laquelle il nous veut donner sa gloire. Il veut pour cela que nous nous servions de l'invocation des Saints et Saintes, qu'ils soyent nos médiateurs et « que nous recevions par leur entremise ce que nous ne méritons pas d'obtenir » sans  136 Sermons recueillis * Oratio S. josephi icelle *. Or est-il que ces Esprits bienheureux, les Ché- rubins, les Séraphins et tous les autres Anges nous aymans souverainement, non seulement nous désirent, ains aussi nous procurent les célestes faveurs, poussés par le motif de la charité ; car l'amour du prochain procédant et naissant de l'amour de Dieu comme de sa source et origine, il s'ensuit que du grand amour des Bienheureux envers nostre Sauveur et Maistre procède un désir très ardent qu'il nous donne et départe sa grâce en ce monde et sa gloire en l'autre. A la vérité, nous recevons la grâce de sa miséricorde et la gloire de sa justice ; cepen- dant sa miséricorde est si grande qu^elle surnage par * Psalm. cxLiv, 9; dcssus tout *, partant nous obtenons la gloire de l'une et Jacobi, ir, 13. j i> .*/->> ^1 1 • .• 1 * Cî.Tr. de r Atn.de uc 1 autre ^. C cst le propre de sa justice de recompenser Dieu, 1. IX, c. I. ceux qui travaillent pour acquérir le Royaume de Dieu, cette divine Majesté nous ayant mis en cette terre où nous pouvons mériter et démériter ; néanmoins le loyer qu'il nous donne pour les travaux et labeurs que nous prenons est infiniment au dessus de nos mérites, et voyla où reluit sa grande miséricorde. Mais les Saints ont encores un autre motif qui leur fait demander et désirer que Dieu nous donne sa grâce : c'est qu'ils voyent en luy ce véhément désir qu'il a de la nous départir ; cela fait qu'ils nous la souhaittent et procurent avec un amour d'autant plus grand qu'ils le voyent grand en Dieu. C'est icy leur principal et plus excellent motif ; car sçachans que nous avons esté créés pour la gloire éternelle, que Nostre Seigneur nous a rachetés pour cela et qu'il ne désire rien plus sinon que nous jouissions du fruit de nostre Rédemption, ils con- forment leur désir et amour à sa divine Majesté en ce * Cf. ibid., 1. VIII, qui concerne nostre salut comme en toute autre chose*. O Dieu, c'est cet amour qui produit celuy du prochain et qui fait que l'on travaille pour l'ayder, que l'on s'oublie soy mesme pour le servir. Il faut donques prier et invoquer les Saints, et c'est en cette sorte que l'on doit célébrer leurs festes, implorant leur secours et l'employant pour obtenir les grâces et faveurs dont nous avons besoin. Nostre Seigneur a si  c. IV.  LI. Pour la flie de i.a Toussaint i37 aj^î^roablo ([ik* l'on se serve de l'invocation des Saints, ([lie voulant nous départir (jucl-iuc faveur il nous inspire souvent tle recourir à leur entremise à tin de nous accor- der ce que nous demandons. Luy mesme les provoc^ue à prier en leur tesmoi^nant 1(3 désir (qu'ils implorent les grâces dont nous avons besoin. Aussi l'Kj^lise conjurc- t-elle Nostre Sei^^neur de provoquer les Saints à prier pour nous *. Voyla donc comme nous devons nous addres- ' l" Oratione Festi '^ -^ .fi Oiiin. SS. ser à eux avec toute confiance, spécialement le jour de leur feste, car il n'y a point de doute qu'ils ne nous escoutent et fassent volontiers ce detjuoy nous les supplions. Mais d'autant que nous parlons de la prière, disons qu'il y a trois personnes qui interviennent en icelle : la première, celle que l'on prie ; la seconde, celle par qui l'on demande ; la troisiesme, celle qui prie. Quant à la première, qui est celle que l'on prie*, ce ne peut jamais 'Cf. tom. pnccd. ' ' ^ ^ * * -^ hujus £dit., p.65. estre que Dieu, car c'est luy seul qui possède en soy tous les trésors de la grâce et de la gloire. Pour cela, lors que nous prions les Saints nous ne leur demandons pas qu'ils nous accordent ou qu'ils nous départent quelque vertu ou faveur, mais bien qu'ils la nous impetrent, parce qu'il n'appartient qu'à Dieu seul de donner ses grâces comme il luy plaist et à qui il luy plaist. Or, on peut prier Dieu en deux façons, à sçavoir, im- médiatement et mediatement. Immédiatement c'est parler directement à Dieu sans l'entremise d'aucune créature, comme firent le centenier *, le publicain **, la Samari- ' Juxta Matt., vm, taine *, la Chananée **, et plusieurs autres que nous ••Luci, xvm, 13. lisons en la Sainte Kscriture, lesquels prièrent directe- "Matt.' xv, Va, 35, ment Nostre Seigneur et en receurent de grandes grâces '7- à cause de l'humilité dont ils accompagnoyent leurs demandes. Voyez ce bon Abraham ; que dit-il? /^ par- leray à mon Seigneur, encores que je ne sois que poudre et cendre *. Comme s'il vouloit dire : Helas ! il 'Gcn., xvni, 37. est vray que ce Dieu auquel je veux parler est très haut, et que moyje ne suis que poudre, cendre, poussière et chose de nul prix ; néanmoins je parleray à mon Sei- gneur, d'autant qu'il est mon Créateur et que je suis sa créature. Le publicain receut la remission de ses péchés ;  138 Sbrmons recueillis de mesme la Samaritaine et plusieurs autres, Dieu pou- vant donner ce qu'il luy plaist, sans avoir besoin de l'ayde et secours d'aucune créature. Prier Dieu mediatement c'est s'addresser à luy par le moyen des Saints et de la Sainte Vierge, comme fit le centurion, lequel envoya ses amis pour conjurer Nostre *juxtaLuc.,vii,3-7. Seigneur de venir guérir son serviteur*. La Chananée, après avoir prié immédiatement le Sauveur, se sentant rejettée par luy, luy parla mediatement par l'entremise *Matt.,xv, 23. des Apostres, les suppliant d'estre advocats pour elle*. Cette façon de prier est bonne et bien méritoire, car elle est humble ; elle procède de la connoissance de nostre indignité et bassesse, qui fait que n'osant approcher de Dieu pour luy demander ce de quoy nous avons besoin, nous nous addressons aux Saints ; ainsy nos prières, qui d'elles mesmes sont foibles et de peu de valeur, estans meslées avec celles de ces Bienheureux auront une grande force et efficace. La prière immédiate est toute filiale, pleine d'amour et de confiance ; elle s'addresse à Dieu comme à nostre Père et nostre Chef souverain. Nostre Seigneur nous a luy mesme enseigné cette méthode en l'Oraison Domini- Lu^œ"xi,r-4.^'^^ ' ^^^® *' ^^'^^ commence par cette parole : Nostre Père **. **Cf. tom. prœced. Q Dieu, que c'est une parole pleine d'amour que celle hujusEdit.,pp.270- ^ 273. cy, et qu'elle remplit le cœur de douceur et de confiance filiale ! Ce que vous verrez par les demandes qui se font en la mesme Oraison, en laquelle on parle immédiatement à Dieu ; car après l'avoir appelle du nom de Père on luy demande son Royaume et que sa volonté soit faite ça bas en terre comme elle se fait là haut au Ciel. O que ces requestes sont grandes, qu'elles sont amoureuses et confiantes ! La seconde personne qui intervient en la prière c'est *Cf.ibid.,pp.48,49. celle qui demande*. Remarquez que je ne dis pas que c'est celle qui prie, ains celle qui demande, car il y a bien de la différence entre prier et demander. Le maistre demande bien à son serviteur mais il ne le prie pas, ains au contraire en luy demandant quelque chose il luy commande en certaine façon de la luy donner. Un autre  LI. Pour la fkte db la Toussaint 139 (lemandora ce (|ui liiy est dcii ; reluy là ne prio pas comme i)ar foriiuî île j)ri('rc, ains il exij^e ce (iiii juste- ment luy aj)partient. C'est une question qui est débattue en la théologie scholasticjue, à sçavoir mon, si Nostrc Seigneur entant qu'homme prie maintenant pour nous, car il est nostre Advocal* et Médiateur ** ; aussi faut-il ' n^^n» ". \ que les advocats prient de mesme que les médiateur  s.  I Tiin.,ii,s; Heb., IX, i^, XII, 14. Cecy est fort discuté entre les théologiens*; mais il me • Vidctom.priccd. -, -, , , . ... hniiis lùiit.. pp. SI, semble cjue 1 on s en doit rapporter a ce (jue nostre divin ^3. Cf. Vasqucr, In Maistre a déclaré : Je ne dis pas que je prieray pour J^'.Tq^u.'xx^i'i.^DÎs'^; vous*^ ; car il y a différence entre prier et demander, lxxxu, ce i-iv. * • Joan., XVI, 26. comme nous venons de le voir. 11 n'y a point de doute que Nostre Seigneur Jésus Christ ne demande pour nous le Royaume des Cieux, qui luy appartient et qu'il nous a gaigné au prix de son sang et de sa vie, et pour ce il le demande comme chose qui luy est deuë par justice; de mesme pour toutes les autres demandes qu'il addresse à son Père. Or, soit que l'on objecte qu'il fait ces requestes par forme de supplication et prière, se rendant nostre Médiateur^ je ne suis pas homme de conteste; tant y a que ce qu'il demande pour nous luy appartient par droit de justice. La troisiesme personne qui intervient en la prière c'est la créature raysonnable. Mais laissant à part tout ce qui se pourroit dire sur ce sujet, nous ne parlerons que de nous qui sommes cette troisiesme personne. Nous autres Chrestiens, qui vivons en cette vallée de misères, prions et envoyons nos requestes et nos souspirs au Ciel, implo- rant le secours de Dieu et luy demandant sa grâce; pour cela nous nous servons de l'invocation des Saints, les suppliant d'intercéder pour ce qui nous regarde, nous qui sommes advenaires et pèlerins sur cette terre *y et • Ps. xxxvih, n; qu'ils nous aydent à parvenir à cette félicité de laquelle „ ^li'*''^^' ^^"' ils jouissent. Mais helas! nous sommes de pauvres gens; nos prières sont si froides, si foibles, lasches et tiedes ! Certes, il y a bien de la différence et disproportion entre celles des Bienheureux et les nostres. O Dieu, ces glorieux Saints prient continuellement et sans se lasser; leur félicité est  140 Sermons recueillis de perpétuellement chanter les louanges de Dieu, mais avec tant de ferveur, de profonde humilité, d'amour et de fermeté qu'elles sont d'un prix et d'une valeur incom- préhensibles. Et les nostres, chetifves, viles et impures, estans meslées parmi les leurs reçoivent une force et vertu admirable. Il en prend tout de mesme comme d'une goutte d'eau qui est jettée dans un tonneau de vin, la- quelle vient à quitter ce qu'elle estoit et à se convertir * Cî.Tr. de r Am.de en vin * ; aiusy nos prières estans présentées à la divine Z)ï>M, tom. V hujus ,, . , . ' ^ ., ,1 i r>. . , . i ^ Edit., p. 412. Majesté en union de celles des Saints glorieux, perdent leur foiblesse et prennent la force, vigueur et vertu des leurs. Par ce divin meslange elles se rendent encores pretieuses devant Dieu et méritoires pour nous et pour nos prochains, car la charité et l'amour divin ne veulent pas que Ton travaille seulement pour soy, ains aussi pour autruy. Les Saints au Ciel ne cessent, comme nous avons dit, de désirer et demander que nous jouissions du fruit de nostre Rédemption, et que par ce moyen nous arrivions à la félicité qu'ils possèdent ; ils sont poussés à ce faire * I Cor., XIII, 4. par cette charité vraye et non envieuse * qui n'a d'autre objet que la gloire de Dieu; de là vient qu'ils souhaittent que nous la possédions. Cecy estoit mon second point, que les Bienheureux prient d'autant plus ardemment et forte- ment pour nous qu'ils voyent davantage dans l'Essence divine combien sa Bonté désire nostre salut et béatitude. Nous en devons faire de mesme à l'endroit de nostre prochain, nous employant à son service et l'aydant à se sauver avec une charité non point envieuse ni jalouse, mais qui regarde Dieu seul, n'ayant point d'autre pré- tention que de le glorifier. Oh si nous pouvions un peu comprendre quelle est cette charité des Saints et de quelle ferveur et humilité ils accompagnent leurs prières! Certes, nous aurions bien sujet de nous confondre si nous venions à faire compa- raison du peu d'humilité qui se trouve en nos oraisons avec celle qu'ils joignent aux leurs, car nous verrions que pour grande que fust l'humilité qui accompagne nos prières, elle ne seroit rien au prix de celle qu'ils  LI. Pour la fête df. ia Toussaint 141 pratti(iiiont au Ciel. Celle des aines bienheureuses procède de la connaissance très claire (qu'elles ont, sans ombre ni fi^rure *, de la crandeur et essence de Dieu, de cette 'Cf. I Cor.,xiii, 12; '^ ° I Joan., m, a. distance infinie qu'il y a entre I)ieu et l'homme, entre la créature et le Créateur ; et plus ils ont de degrés de gloire ])lus ils connoissent cette distance infinie, et par conse- ([ueiit leur huinilité est plus j)r()f<)nde. Oue si, en cette vie, une personne, i)ar le fre(pient exercice des considé- rations et méditations sur la grandeur de Dieu et sur sa bassesse, vient à descouvrir une si t^rande disproportion et esloignement de l'une à l'autre qu'elle s'abaisse et humilie jusqu'au plus profond abisme de son néant, ne trouvant jamais de lieu assez bas pour s'y enfoncer, quelle doit estre, je vous prie, l'humilité de ces glorieux Saints qui voyent clairement la Majesté divine ? Certes, l'humilité de la sacrée Vierge a esté très grande en cette vie, car elle avoit plus de connoissance de Dieu qu'aucune créature. Quand elle dit * qu'il a regardé la ' Luc;p, i, 48. bassesse de sa servante, elle monstre qu'elle connoist et confesse la distance infinie qui existe entre Dieu et elle. L'humilité avec laquelle elle prononça ces paroles : Voyci la servante du Seigneur *, fut si excellente * ibu., t- 38- qu'elle estonna les Anges mesmes. Mais l'humilité que Nostre Dame a maintenant au Ciel est mille et mille fois plus grande qu'elle n'estoit icy bas parce qu'elle a mille fois plus de connoissance de la grandeur de Dieu qu'elle n'avoit alors. Cette connoissance de la Majesté divine, de ses grandeurs et perfections est le plus excellent et le plus fort motif pour nous humilier et abaisser en nostre propre néant. Voyla comme l'humilité se prattique dans la gloire; il n'y a donques point de doute que les prières des Saints, estans faites et accompagnées d'une telle humilité *, ne soyent bien méritoires et ne nous puissent * Cf. tom. pnccd. hujusEdit.,rp. ^3, beaucoup ayder. 54, loi. Mais avant d'en ressentir les effects il faut que nous sçachions nous en prévaloir; car si de nostre costé nous ne coopérons , asseurement nous nous rendrons inca- pables de leurs suffrages. C'est une plaisante chose de demander aux Saints qu'ils intercèdent pour nous et nous  142 Sermons recueillis obtiennent quelque grâce, si de nostre costé nous ne nous voulons disposer à la recevoir. Nous les prions de nous obtenir des vertus et nous ne voulons pas nous mettre en l'exercice d'icelles ni en faire aucun acte ; néanmoins nous prétendons que les Saints les nous obtiennent, nonobstant que nous fassions les actes contraires aux vertus que nous demandons. O quel abus est celuy cy ! Certes, la miséricorde de nostre Dieu veut que nous coopérions à sa grâce et à ses dons ; aussi, quand nous lu}^ requérons quelques vertus par l'entremise des Saints, il nous les accorde si nous commençons d'abord à les prat- tiquer. Car voyez-vous, nostre cher Sauveur et Maistre nous a créés sans nous, c'est à dire il nous a donné l'estre lors que nous n'estions rien ; mais il ne nous veut pas *S. August.,sermo sauver sans nous *, il ne veut point violenter nostre Bern.', de Grat. et liberté ni sauvcr personne par force, il luy faut nostre Lib. Arbitr., c. uit. consentement et coopération à sa grâce. Alors seulement s'accomplira nostre rédemption, sans laquelle nous ne sçaurions arriver au Ciel. Il n'y a point d'autre porte pour entrer en Paradis que celle de la rédemption du Sauveur ; c'est pourquoy l'Eglise termine toutes ses prières par le nom de Nostre Seigneur Jésus Christ, pour nous monstrer que les prières des Anges ni celles des hommes ne peuvent estre ouj^es du Père éternel *Joan.,xiv, i3,xvi, si ce u'cst au nom de son Fils*. Par conséquent aucune ^^' créature, non pas mesme la sacrée Vierge, quelles que soyent les prières qu'elle fasse, ne peut parvenir à la gloire sinon par la Mort et Passion de Nostre Seigneur qui nous Ta achetée et méritée par icelle. Les Saints donques prient à fin que le mérite de cette Passion nous soit appliqué. Or, à mesure que nous correspondons aux dons de Dieu il nous en départ de nouveaux, et par suite nous augmentons le plaj^sir qu'il prend de tousjours nous en donner. Aussi les Bienheureux supplient avec ferveur sa Bonté de se respandre sur nous, estans incités *Cf.supra, pp. 136, à ce faire, comme nous l'avons dit*, par le désir et le ^^'^' playsir qu'ils voyent que Dieu prend à se respandre et communiquer. Voyez-vous, si nous voulons nous rendre bien capables  LI. Pour la fêth dk la Toussaint i43 des suffrages des Saints et les esmouvoir à prier pour nou^, il nous faut fuiellcment prattic^uer les vertus que nous dtMnaiulons ])ar leur intercession, et nous bien dis- poser à recevoir les tlons du St-ij^^neur : c'est icy mon troisiesme point. l't pour ce faire nous devons aj^ir connue eux, à sçavoir, (inl»rassor l(\s préceptes que nostre Sau- veur a prononcrs sur Li montiiirtie où il se retira*, se * Matt., v, i-n. voyant suivi d'unt; grande multitude de peuple. Lors il dit ces sacrées paroles dans lesquelles est comprise toute la perfection chrcsiicnnc : Birnhciirciix les pauvres d'esprit, car le Royaume des cieux est à eux; bien- heureux les ilehofî/iaireSy car ils posséderont la terre ; bienheureux ceux i/ui pleurent, car ils seront consolés; bienhei/reux en fin ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume des deux est à eux. Voyci une estrange doctrine qui est directement contre Tesprit du monde ; mais vous l'entendrez mieux par la comparaison d} cette statue que Nabuchodonosor vit en songe, laquelle avoit la teste d'or, les bras d'argent, le ventre d'airain, les pieds de terre et tout le reste comme v^ous l'avez souvent ouy dire. Pendant que Nabu- chodonosor regardoit la beauté d'icelle il apperceut une petite pierre se destacher de la montagne, laquelle heurtant les pieds de cette statue la renversa par terre et la réduisit en cendre, et il n'en resta rien *. () • Dan., n, u-^s. mes chères Sœurs, c'est à vous à qui je parle, car si bien vous n'estes pas encores hors du monde, vous estes néan- moins comme des Nazaréens *, esloignées et séquestrées ' Num., vi. du monde et de la vanité. Qu'est-ce, je vous prie, cette statue sinon ce monde, ou plustost la vanité et orgueil d'iceluy, qui a la teste d'or et tout ce qui suit ? Kt cette montagne dont il est descendu une petite pierre n'est autre que Nostre Seigneur, de la bouche duquel est sortie cette pierre des huit béatitudes qui renverse la statue de la vanité, faisant que tant et tant de personnes ont quitté le siècle, ses richesses, honneurs et dignités, et se sont rendues pauvres, viles et abjectes. Il est vray qu(^ cette doctrine evangelique a esté res- pandue par toute la terre et embrassée de plusieurs.  144 Sermons recueillis Voyez comme cecy s'est fait. Nostre Seigneur dit : * Cf. tom. praeced. Bicnheiireux les pauvres d'esprit *; et le monde : Bien- 323, 238. heureux ceux qui sont riches, qui ont de lor, de 1 argent ; qu'heureux sont ceux qui ont toutes sortes de commodités en cette vie ! Comme au contraire, malheureux sont les pauvres qui n'ont rien de tout cela : on n'en tient aucun compte, on les estime dignes de compassion. Mais Nostre Seigneur voj^ant la folie et misère des mondains et en quoy ils constituent leur béatitude, jette cette pierre aux pieds de cette statue et dit en premier lieu : Bienheureux les pauvres d'esprit, car le Royaume des deux est à *Lucœ, VI, 24. eux ; et au contraire, malheur aux riches'^, car outre qu'ils ne posséderont point ce Royaume, ils seront mal- heureux, d'autant qu'ils n'auront pour recompense que l'enfer et la compagnie des diables. Je pourrois adjouster beaucoup de choses sur cecy si j'estois en un autre lieu, mais je passe outre, car je ne veux parler qu'à vous. Nostre divin Maistre poursuit : Bienheureux sont les débonnaires, car ils posséde- ront la terre. Or, d'autant que cette debonnaireté veut que l'on reprime les mouvemens de colère, que l'on soit doux, cordial et plein de mansuétude envers tous, que l'on pardonne à l'ennemy, que l'on supporte les mespris, la vanité du siècle, qui a un esprit tout contraire à celuy cy, dit : Bienheureux celuy qui se venge de son ennemy, qui se fait craindre et redouter de tous, auquel on n'ose- roit faire un affront ni addresser un mot de mespris ; qu'il est heureux celuy-là! tandis qu'elle regarde comme malheureux celuy qui est doux et bénin parmi les mes- pris et adversités. Nostre Seigneur jette derechef cette pierre et déclare : Bienheureux les débonnaires, car ils posséderont la terre ; et par ces paroles il destruit cette fierté et arrogance en laquelle le monde fonde sa béatitude. Il adjouste encores : Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Et le monde dit : Bienheureux ceux qui rient et se donnent du bon temps, ceux qui dan- sent aux bals, ceux qui vont en mascarade et qui suivent les playsirs et vanités ; malheur à ceux qui pleurent. Oh !  LI. POUK LA FÊTE DE LA TOUSSAINT M, que telles sortes de çrcns sont h plaindre ! En fin le Sau- veur continue : BieiîhcurcKx ceux qui ont faim et soif de justice ; bienheureux non seulement ceux cjui font justice, mais encor qui sont pci'secuti's pour la justice niesme. lù le monde ne dit-il pas tout au rebours ? Ne va-t-il pas constituant son bonheur en tout ce .qui est contraire aux préceptes de l'I'.vangile ? C'est pourcjuoy Nostre Seigneur considérant cette stattte, non point en songe comme Nabuchodonosor, ains en veriti', et voyant qu'elle n'avoit que des pieds de terre, c'est à sçavoir ([ue tout ce ([U(^ ce siècle j)ris(^ n'est fond*'* (pie sur des choses perissal)les et transitoires, il jetta, comme nous avons dit, cette pierre des huit béatitudes auxf[uelles est enclose toute la perfection chrestienne. Mais le monde voyant sa gloire renversée et qu'on le quittoit pour la pauvreté, les mespris, les larmes et la persécution, la prudence humaine s'y est glissée et a trouvé mille et mille interprétations de ces béatitudes; et c'est elle qui a tout gasté. O Dieu, dit-elle, véritablement les pauvres d'esprit sont bienheureux. Mais n'est-ce pas estre pauvre d'esprit que d'avoir l'usage des richesses, de posséder des biens et dignités, pourveu qu'on n'y attache pas trop son affection ? D'autres diront : Pour estre pauvre d'esprit il sufiFit d'estre Religieux et d'avoir quitté le monde, et choses semblables. Il est vray qu'on l'est dcsja en quelque façon par ce renoncement ; mais helas, ce n'est pas ainsy que l'entend Nostre Seigneur. C'est dequoy se plaint saint Augustin *, car il est bien difficile ' Ci. Ep. ccxi, j^ v de posséder beaucoup de biens et honneurs sans les affec- tionner, lié, dit-il, ce n'est pas tout de se faire Religieux : quitter tout pour avoir toutes choses à souhait, se faire pauvre en entrant en Religion et vouloir ([ue rien ne n(.)us manque, vouer la ])auvreté et ne vouloir en ressentir aucune incommodité, et ([ui pis est, rechercher en Reli- gion ce que nous n'avons pas peu trouver au monde, prétendre nonobstant ce vœu, d'avoir mieux nos ayses et commodités qu'avant d(» nous estre rendus pauvres, o Dieu, quelle pauvreté molle, fade et blasmable * ! Il est • Cf. tom. prseced. vray pourtant, et c'est un malheur, que les plus difficiles ^"J"' ^^^'^•' P- "^• Sf«m. IV ,^  146 Sermons recueillis à contenter dans les monastères ce sont ceux qui avoyent le moins de biens avant que d'3^ entrer. O certes, ce n'est point de telle pauvreté que Nostre Seigneur et Maistre veut parler; ce n'est point ainsy que luy et ses Saints Tout prattiquée. Il est mort tout nud, et ses Saints l'ont suivi en cette pauvreté, quittant tout et s'exposant courageusement à tous les mesa3^ses qu'elle entraisne après soy. Voyez le saint abbé Serapion duquel *Lib.i,VitaSjoan. il est parlé en la Vie des Pères *, qui délaissa toutes Cf!^Tom.' ^prœced! choscs et sc dcspouilla tout nud. Si on luy eust demandé : hujusEdit.,p. 42. Obon Saint, qui vous a réduit en tel point? O Dieu, eust-il dit, c'est cette aymable pauvreté à laquelle est promis le Royaume des deux; c'est elle qui m'a icy conduit et qui me fait patir de la sorte. Voyla comme la pauvreté nous porte à embrasser les incommodités qui la suivent. Or, ce que la prudence humaine trouve contre la pauvreté, elle le trouve de mesme de la debonnaireté, des larmes et en somme de toutes les autres béatitudes. Mais il ne faut point tant d'interprétations, il faut aller simplement et se tenir au pied de la lettre. Si nous vou- lons faire profession d'embrasser la pauvreté, embrassons de bon cœur les misères et incommodités qu'elle mené quant et soy ; soyons doux, cordials envers tous ; pleurons si nous voulons estre consolés, je veux dire, versons des larmes spirituelles. Je sçay bien que ces paroles : Bien- heureux ceux qui pleurent, s'entendent de ceux qui pleurent leurs péchés et ceux d'autruy parce qu'ils sont contre Dieu, ou encores pour l'absence de ce souverain * Ps. xLi, 4. ' Bien, comme faisoit David* qui detrempoit son pain de larmes quand on luy disoit : Oîi est ton Dieu ? Mais tous n'ont pas ces larmes, et elles ne sont pas nécessaires pour estre sauvé ; néanmoins tous peuvent avoir le désir d'icelles et demeurer devant la divine Majesté avec un •Ps. 1,19. cœur contrit et humilié *. Soyons justes, souffrons et endurons toutes sortes 6.e persécutions pour la justice, et en cette façon soyons-en altérés et affamés, et glori- fions par ce moyen le Père, le Fils et le Saint Esprit. Amen.  LU Si;R.Nf(»\ VOIR LA I-KTi: I)K hA CIRCOXCISIUN r"" janvier 1622 (O  Postquam comummati sunt dits octo ut circumcideretur Puer, vocatum est tiomen ejus Jésus. Le hnitiesme jour estant arriva auquel l Enfant devait estre circoncis, il receut le nom de Jésus. LuCiï, II, 21.  Les jours, les mo3s et les années appartiennent tous à Dieu qui les a faits et créés. Je sçay que les anciens avoyent tellement accommodé ces jours et années qu'ils les nommoyent et distinguoyent selon le cours de la lune, et leur donnoyent des noms propres et appartenans à leurs fausses deités, comme de J^lercure, de .^lars, de Jupiter et autres semblables. Cette superstition a passé si avant parmi les hommes que l'on a eu peine de l'arra- cher ; c'est pourquoy la sainte Kglise la voulant extirper a dédié ces jours aux Saints, et a mieux aymé nommer du nom de ferie ceux auxquels il n'escheoit point de feste dont elle fasse l'office, plustost que de se servir des noms dont les anciens prophanes usoyent. J^lais combien que l'on dédie les jours de l'année aux Saints, si ne laissent ils pas pourtant d'estre tous consacrés à Xostre Seigneur comme à Celuy qui les a faits et à c[ui ils appartiennent tous : c'est pour cela que l'Eglise luy dédie celuy d'au- jourd'huy, qui est le premier, et en icelu}- toute l'année. ( I ) Ce sermon a certainement été recueilli parla Sœur Marie-Marguerite Michel, il doit donc remonter à la fin de la vie de saint François de Sales. Le sommaire de celui qu'il prononça en 1621 pour la même fête nous a été conservé par un des témoins cités au Procès de Béatification ; il n'a rien de commun avec celui-ci, qui par conséquent ne peut être que de 1622.  148 Sermons recueillis Or, en ce jour nous faisons la feste de la Circoncision de nostre divin Sauveur, en laquelle, après avoir esté circoncis^ il récent le sacré nom de Jésus. L'histoire de la circoncision est très belle et admirable; elle est comme une image ou représentation de la circoncision spirituelle que nous devons tous faire. L'Evangile qui se lit aujour- = Luca, II, 21. d'huy *, quoy qu'il soit le plus court de tous ceux de Tannée, ne laisse pas d'estre très haut et très profond; car en iceluy il est fait mention du sang et du nom de Jésus, et en ces deux mots est comprise toute l'histoire de la circoncision. Je suivray donques ce qui est de l'Evangile et diviseray ce discours en deux points : au premier nous dirons ce que c'est que circoncision et comme il se faut circoncire spirituellement ; au second, comme il faut bien prononcer ce sacré nom de Jésus. Quant au premier point, la circoncision estoit une sorte * Gen., XVII, 10-14; de Sacrement de l'ancienne Loy * qui signifioit la purifi- evi ic, XII, 3. cation de la coulpe du péché originel ; c'estoit comme une profession de foy en l'attente de l'avènement de Nostre Seigneur, et ceux qui estoyent circoncis deve- noyent enfans et amis de Dieu, d'ennemis qu'ils estoyent auparavant. Nostre divin Sauveur n'avoit point besoin d'estre circoncis, car non seulement il estoit Législateur, mais il n'avoit point de tache ni de rouille de péché ; il estoit Fils de Dieu, et par conséquent très saint et sans * I Pétri, 1, 19. macule *. Dès Tinstant de son Incarnation il fut rempli de toutes sortes de grâces et bénédictions quant au corps et quant à Tame par cette estroitte union de l'humanité avec la Divinité, à cause dequoy il fut non seulement comblé de la plénitude des grâces, mais son ame fut encores toute glorieuse, jouissant de la claire vision de Dieu, de manière qu'il n'avoit aucun besoin de s'assu- jettir à la loy de la circoncision, et néanmoins il n^a pas voulu laisser de s'y sousmettre. Secondement, la circon- cision estoit comme une marque par laquelle le peuple de Dieu estoit reconneu d'entre les autres ; mais Nostre Seigneur n'avoit pas besoin d'estre marqué de cette marque, puisqu'il estoit luy mesme le sceau ou Z^ signacle  LU. Pob'K LA IHIK DE lA CIRCONCISION I49 ilii Vcrr ot(^rnol *. Il y a un rKHiihrc infini (rintfrprota- Mkh.,!, ). tions et de raysons pour inonstrcr ([mc le Sauveur n'estoit point sujet à cette loy, mais il faiidroit bien du temps pour les rapporter; il suffira donc de dire ([u'il n'y estoit aucunenuMit obli^r, et que s'il s'y est voulu assujettir c'a estr pour nous donner un rare exemple ^ ■^' ^■ circoncision spirituelle nous devons la faire en la partie la plus malade de toutes. Certes, c'est un grand malheur que plusieurs, et presque tous les Chrestiens, voulans bien se circoncire spirituellement pour avoir part à la feste d'au- jourd'huy, fassent cette circoncision en la partie la moins intéressée. Kn voyla qui seront enfoncés dans les voluptés sensuelles (je diray cet exemple un peu grossier jusqu'à ce que je m'en souvienne d'autres) et qui courront après ces playsirs brutaux ; ils veulent faire la circoncision spirituelle, ils tirent de l'argent de leur bourse et s'adon- nent à plusieurs aumosnes. C'est bien fait que de circon- cire sa bourse et de donner l'aumosne ; c'est une chose bonne que l'aumosne, dit l'Apostre *, elle est bonne en •cf.ITim.,uit.,i8; tous temps et saisons; mais ne voyez-vous pas que si bien ' " ^'' ' ' vous faites la circoncision spirituelle, vous ne la faites pas en la manière qu'il faut ? Ne circoncisez pas vostre bourse, car ce n'est pas là, o voluptueux et charnels, la partie que vous avez le plus malade, ains circoncisez vostre cœur. Retranchez ces discours, cette compagnie, ces conversations et amitiés, ces muguetteries et telles autres niaiseries, car c'est par là qu'il faut commencer si vous voulez faire une bonne circoncision. Mais ils ne le font pas, ains, suivans leurs brutales affections, ils pensent beaucoup faire de donner quelque aumosne et estiment avoir satisfait à tout. Il y en a d'autres qui sont avaricieux, cupides d'amas- ser et avoir des richesses, biens et commodités ; ils veulent  150 Sermons recueillis pourtant se circoncire, et pour cela ils font des veilles, de grans jeusnes et abstinences, se chargent de haires, de ceintures, et que sçay-je moy, et en faisant cela ils croyent estre à moitié saints. O Dieu, qu'est-ce que vous faites ? Ces veilles, ces jeusnes sont bons, mais vous ne faites pas bien la circoncision spirituelle, car vous ne commencez pas en la partie la plus intéressée : le mal est au cœur, et vous tuez le corps. Il faut circoncire vostre bourse, distribuant vos biens aux pauvres. Retranchez de vostre cœur tant d'affections desreglées qui s'y trouvent pour les richesses, honneurs et commodités; mettez asseu- rement et hardiment à ce cœur, à ces affections le couteau de la circoncision, et commencez par là comme par la partie la plus malade qui est en vous. D'autres feront de grandes pénitences et austérités, macérant leur corps par toutes sortes de peines et tra- vaux, mais ils ne se feindront point de tremper leur langue dans le sang du prochain en mesdisant et detrac- *ctlntrod.alaVie tant*. O pauvrcs gcns, vous pensez estre bien circoncis dev., artie , c. i. ^^ portant la haire, prenant la discipline et telles autres choses ; mais ne voyez-vous pas que la partie qu'il faut circoncire est la langue qui se baigne dans le sang de * Ps. Lxm, 4. l'innocent * ? Il s'en trouve encores qui circonciront bien la langue et qui se résoudront à garder un très grand et profond silence, mais ils iront tousjours grondant et grommellant dans leur cœur, ils l'auront tout plein de murmures et répugnances. Ah, mes chères âmes, que faites-vous ? Le mal est caché dans le cœur, ce n'est donques pas tout de circoncire la langue ; il faut faire la circoncision en cette partie intéressée d'où naissent ces grommellemens, murmures et sentimens, car la circoncision se doit faire en l'endroit le plus malade. Voyla donques en quoy consiste la circoncision spiri- tuelle, à sçavoir, à rechercher les passions, affections, humeurs et inclinations à fin d'en retrancher et couper les superfluités ; et pour cela il est besoin d'un soigneux et sérieux examen pour bien reconnoistre quelle est la partie la plus atteinte, quelle forte passion, inclination  LU. PoUK l.A n-IK DK LA ClKC» )N(:iSlON I51 et humour est en nous, à fin de commencer par là cette circoncision intérieure. La seconde remarque ([ue je fais est ([ue c'estoit une circoncision et non pas une incision. Il y a bien de la différence entre la circoncision et l'incision ; car l'incision est requise aux malades qui ont queU^ue playe ou apos- teme sur les([uels on appliciue le couteau ou le Utr pour les ouvrir et en tirer l'ordure ; mais il n'en est pas de mesme de la circoncision. La plusj)art des Chrestiens font des incisions au lieu de faire des circoncisions : ils donnent bien quelque coup au membre infecté, mais ils n'apportent pas le couteau pour couper et retrancher du cœur ce qui est superflu. Or, il faut que je vous dise cecy comme par manière de préface : tous sont obligés de faire la circoncision, mais différemment, non pas esgalement ; car les ecclésiastiques, Prestres, Evesques, Religieux et Religieuses ont une particulière obligation à la faire et d'une façon toute autre que ceux qui vivent dans le monde, d'autant qu'ils sont plus spécialement dédiés à Nostre Seigneur. Il y a des Chrestiens qui coupent tout ce qui les em- pesche de garder la loy de Dieu ; ils sont bien heureux ceux cy, car ils auront en fin le Paradis, puisque pour l'avoir il ne faut que bien garder et observer les divins commandemens *. Il y en a d'autres qui se contentent de 'Matt-.xix, 17. Cf. , • 1-1 -i-j-' ^j ^ tora. praeceii. hujus retrancher une passion ou habitude vicieuse et dressent Edït., pp. 196, 336, Ye combat contre icelle ; mais ils ne laissent pas de 393- croupir et se vautrer dans mille autres péchés contre la loy du Seigneur. Or, ceux cy ne font pas la circoncision v ains seulement une incision, car ils ne vont pas à la partie gastée pour couper ce qu'il faut à fin d'estre vra^^ement circoncis, mais ils se contentent de donner un coup à quelque membre intéressé, combien que pour l'ordinaire ce ne soit pas au plus malade; et néanmoins ils pensent faire ainsy une entière circoncision. De là vient que vous verrez dans le monde des personnes qui se vautrent dans la fange et le bourbier de mille péchés, qui sont liées de plusieurs passions et affections dépravées ; si vous leur demandez ce qu'elles font ou ce qu'elles ont  152 Sermons recueillis fait, elles respondront qu'elles n'ont point fait de mal. Oh ! disent-elles, nous n'avons point tué, nous n'avons point desrobé ; je ne suis ni larron ni homicide. Il est vray, mais ce n'est pas tout là ; il y a bien d'autres péchés que ceux cy, lesquels peut estre vous aurez commis, qui sont aussi dangereux que ceux que vous dites n'avoir pas fait. Dieu n'a pas seulement deux préceptes en sa loy, ains il y en a encores d'autres qu'il faut nécessairement observer pour estre sauvé, car manquer à un commande- ment de Dieu c'est se juger et condamner soy mesme aux peines d'enfer. Lors que le Seigneur donna sa Loy à Moyse il ne dit pas seulement : Celuy qui tuera mourra, ni celuy qui desrobera mourra, mais il fit aussi la mesme menace, et ordonna la mesme peine et le mesme chasti- ment à l'esgard des autres commandemens. C'est une vérité indubitable que nul n'entrera jamais * Matt., V, 19; Ja- en Paradis qu'il n'aye observé toute la loy du Seisfneur *. cobi, II, 10. T ,. , .?,.,-, Je dis toute, et non pas seulement une partie d icelle ; c'est pourquoy celuy qui n'aura fait qu'une incision, qui se sera contenté d'observer un commandement ou deux, retranchant la mauvaise coustume qu'il avoit d'y contre- venir, sans se soucier de circoncire les habitudes vicieuses qui le rendent refractaire aux autres préceptes de Dieu, il sera damné. Voyla donc comme il est nécessaire qu'un chacun fasse la circoncision spirituelle, non pas tous esga- lement et en une mesme façon; mais tous généralement doivent couper et aller avec le couteau non seulement en un lieu, comme ceux qui incisent, ains tout à l'entour, gardant et observant la loy entière sans en rien omettre. En faisant cela ils seront bien heureux, car estans mar- qués de cette marque, ils seront reconneus pour enfans de Dieu et en fin colloques en sa gloire. Quant aux personnes dédiées et consacrées au service divin, nous autres ecclésiastiques. Religieux ou Reli- gieuses, nous sommes plus obligés que les autres à cette circoncision spirituelle. Nous la devons prattiquer non seulement en la façon que font les séculiers, mais encor en une autre manière à laquelle ils ne sont pas tenus parce qu'ils n'ont pas comme nous les moyens propres à  LU. Pour la fkte dr la Circoncision 153 cela, et aussi parce qu'ils ne sont pas si particulièrement (Unliés à Nostre Sei^meur. Il ne suffit pas cjue les Rcli- j^ieux et Relis4^icusos se contentent de couper et combattre un vice ou une mauvaise inclination , mais ils doivent aller tout autour du cœur. Pour cela ils usent tl'un soin spécial à fin de re^^arder et remarquer exactement leurs passions, humeurs, propensions, aversions et habitudes pour les circoncire, employant à cet effect un soif(neux examen. Il se trouve encores aujourd'huy des Religieux et Religieuses (lui font cet examen deux fois le jour, à fin de voir et reconnoistre en c[uel estât est leur cœur, pour puis après racler avec le couteau de la circoncision tout ce qui est superflu et dangereux ; et non seulement ce qui est malade, mais ce qui peut causer quelque petite incommodité ou empeschement en la vie spirituelle. Ce couteau n'est autre qu'une bonne et forte resolution laquelle les fait passer au delà de toutes les difficultés pour entreprendre généreusement cette circoncision inté- rieure. Voyla pourquoy la Religion est appellée une maladiere et hospital * auquel on guérit non seulement 'Cf. supra, p. 117. les maladies périlleuses et mortelles, ains encores les petites et non dangereuses. Voire, l'on passe plus outre et l'on vient à s'y purger des moindres tares, des choses légères mais qui peuvent tant soit peu empescher la vie spirituelle et retarder la perfection. On oste mesme les causes du mal, et fait-on passer le couteau tout autour du cœur, qui est la partie qu'il faut tousjours couper pour cette circoncision intérieure, prenant garde à ce cœur et veillant sur luy pour voir quelles sont ses pensées, ses désirs, ses passions et inclinations, ses sentimens, répu- gnances et aversions à fin de les retrancher. Ceux qui font ainsy sont vrayement bien heureux. Mais quelqu'un me dira : Il est vray ; cependant j'ay desja plusieurs fois apporté le couteau pour couper telles passions et inclinations, telles répugnances et aversions que je vois estre en mon cœur incirconcis et qui me font une cruelle guerre ; et quoy que j'aye desja fait, ce me semble, tout ce que j'ay peu, que j'y aye employé beau- coup de temps avec tout le soin et diligence possible, je  154 Sermons recueillis ne laisse pas néanmoins de tousjours sentir de fortes et puissantes passions, aversions, degousts, répugnances et plusieurs autres mouvemens qui me travaillent et guer- royent. Hé, hé, mes chères âmes, leur respond-on, nous ne sommes pas venus icy pour jouir, ains pour patir ; attendez un peu, et vous serez un jour dans le Ciel où il n'y a que paix et joye ; vous n'y sentirez aucune passion, mouvement d'envie, aversion ni répugnance, ains vous posséderez une tranquillité et repos perdurables. C'est donc là où l'on jouira, et non en cette vie où il faut souffrir et se circoncire. Celuy qui seroit icy bas sans passions ne patiroit pas, ains il jouiroit desja ; or, cela ne se peut ni ne se doit, car tant que nous vivrons nous aurons des passions et nous n'en serons point quittes jusqu'à la mort, puisqu'au combat de telles passions et esmotions gist nostre victoire et nostre triomphe. C'est l'universelle opinion des Docteurs , qui est receuë de toute l'Eglise. Je sçay bien qu'il y a eu quelques hermites et anacho- rètes en la Palestine qui ont voulu soustenir que l'homme, par une soigneuse et fréquente mortification, pouvoit arriver jusques là que d'estre sans passions et esmotions de colère ; qu'il pouvoit recevoir un soufflet sans rougir, estre injurié, mocqué, battu sans le ressentir. Mais leur opinion a esté condamnée comme fausse et rejettée de * Cf. supra, p. 29. l'Eglise, laquelle a déclaré*, ce qui est vray, que tant t que l'homme vivra, rampera et traisnera sur cette terre il aura des passions, sentira des tremoussemens de co- lère, des soulevemens de cœur, des affections, inclinations, répugnances, aversions et telles autres choses auxquelles nous sommes tous sujets. Il ne se faut donc pas estonner si quand on nous dit nos fautes ou qu'on nous reprend, nous sentons promp- tement ou mesme assez long temps ces tremoussemens, si nous avons du degoust sur ce qui nous arrive ou qui nous est fait contre nos inclinations, ni moins si nous avons plus d'affection à une chose qu'à une autre. O non certes, car ce sont des passions naturelles, qui ne sont point péché en elles mesmes. Il ne faut pas penser quand  LU. Pour la fête de la Circoncision 155 vous sentez dos osmotions ot dos ropugnanccs que vous péchiez et ofToncicv. tant soit peu. O nullement, car cela est indcj)ondant de nous ; ces divers mouvemens ne sont point coulpables, ce n'est pas là sur quoy il faut poser le couteau de la circoncision. Plusieurs se trompent s'ima- ^inant que tout consiste à ne rien sentir, et quand ils esprouvent quelque rébellion des passions il leur semble ([uo tout soit perdu. Hé, pauvres gens, ne voyez-vous pas que ce n'est pas là la partie la plus malade et que ce n'est pas ce qu'il faut circoncire, puisque ces tremousse- mens ne sont pas en vostre pouvoir ? Mais que circonciray-je donques ? Voyez, circoncisez- moy ce qui se fait en suite de ces mouvemens, posez le couteau sur ces i)aroles de sentiment. Circoncisez, o mon- dains, ces blasphèmes, ces juremens, ces paroles inju- rieuses et pleines de detraction qui naissent de la colère, lesquelles sont véritablement péché et maladie mortelle; circoncisez, mes chères âmes, ces pensées de murmure, regardées, considérées et entretenues dans le cœur les jours, les semaines et les moys entiers, ces répugnances volontairement fomentées sur les obéissances contraires à vostre goust et fantasie. Allez donc, vous autres, tout à l'entour du cœur, regardez soigneusement vos passions, inclinations et affections, puis raclez et coupez tout cela nettement et absolument ; ne vous contentez pas de faire seulement des incisions, comme ceux qui vivent parmi le monde, mais faites de bonnes circoncisions spirituelles et intérieures. Voyla la seconde remarque que je fais sur nostre Evangile. La troisiesme est qu'en l'ancienne Loy celuy qui devoit estre circoncis ne se circoncisoit pas luy mesme, mais il l'estoit par la main d'autruy. Or, nostre Sauveur, qui se vouloit en tout et par tout conformer aux autres et s'assujettir à la Loy sans aucune exception, voulut aussi estre circoncis non de soy mesme mais par la main d'autru}', et quelle qu'elle fust. Je sçay bien qu'il y a diverses opinions des Docteurs et anciens Pères sur cecy, mais je ne les rapporteray pas maintenant ; j'en diray seulement une, qui est que Nostre Seigneur a voulu estre  156 Sermons recueillis circoncis par la main d'autruy pour nostre exemple, à fin de nous monstrer qu'encores que ce soit une bonne chose de se circoncire soy mesme il est encores meilleur d'estre circoncis par les autres. Certes, je sçay assez combien sont recommandables ces anciens hermites et anachorètes qui vivoyent parmi les déserts, et en quelle estime il les faut avoir pour les admirables triomphes et victoires qu'ils ont remportés en mortifiant ou circoncisant eux mesmes leur cœur et leurs passions intérieures, aydés à ce faire par la grâce de Dieu, et sollicités et poussés par l'inspi- ration du Saint Esprit, des Saints et de leurs bons Anges. Mais aussi sçay-je bien que la circoncision que nous autres souffrons des mains d'autruy va au dessus de *s. Basii.,Reg.fu- la leur*, parce qu'elle est plus douloureuse et partant sius tract, Interrog. , vii;cf. Platum, De pluS mcntOire. L°Cc.^xxxi^Vide Tous Ics Chrestiens sont sujets à se circoncire les tamen s.Thom.,!!» uns les autres. Néanmoins dans les familles et maisons II*,quaest.CLXxxvi, . . art. VIII. religieuses il y a tousjours des personnes qui, outre cela, se tiennent en attention et qui veillent continuellement sur leur propre cœur pour connoistre ce qu'il faut tordre et mortifier, et par conséquent elles ont le couteau entre les mains à fin de se circoncire elles mesmes ; ce qui ne les empesche pas pourtant de vouloir l'estre par autruy, et il n'y a point de doute que cette circoncision ne soit plus douloureuse et sensible que l'autre. Vous verrez des gens orgueilleux, hautains, fiers, grossiers; ils com- prennent bien qu'il est du tout nécessaire de circoncire ces passions, car elles sont un grand empeschement à la grâce de Dieu. Ils sont en l'oraison, et là leur cœur s'enflamme du désir de cette circoncision ; en effect, se tournant sur eux mesmes, ils commenceront à la faire, voire avec une telle ferveur qu'elle ne leur coustera rien, et avec tant de douceur et consolation qu'ils en jetteront une grande abondance de larmes qui descouleront de leurs )'eux avec une suavité nompareille ; en un mot, ce qui vient de nostre invention ou que nous faisons par nostre propre choix et élection ne nous couste quasi rien , tant les subtilités de nostre amour propre sont grandes. Mais si en ce temps là quelqu'un leur va dire ;  LU. Pour la fête de la Circoncision 157 Vous estes un lourdeau, un rusteau ou queUiue autre chose senil)!al)le, o certrs, tout le san^ se remue, l'on est tout troubli-, Ton sent pn^mptcincnt des mouvemens de colère ; cela ne peut estre su]:)i)orté et l'on trouve de beaux discours pour faire entendre et valoir ses raysons. Vous voyez don([ues combien il est nécessaire qu'un autre prenne en main le couteau pour nous circoncire, car il sçait beaucouj) mieux c^ue nous mesmes où il le faut apj)li(juer. Le premier des Apostrcs, saint Pierre, estant au jardin des Olives et voyant venir les soldats pour prendre son bon -Maistre, fut soudain saisi d'un trémoussement d'ire, et s'addressant à Xostre Seigneur il luy demanda s'il frapperoit du glaive, comme s'il eust dit : Je n'ay qu'un petit couteau, mais s'il vous plaist que je frappe ces canailles, je feray du carnage*. Kt ne pouvant attendre 'Cf. tom.viil huj. la responce, car il estoit fervent et bouillant, il frappa ' ' ^" ^^'^' l'un de ces soldats et luy coupa V oreille droite. Mais nostre divin Sauveur n'approuvant pas cette action, le reprit et tança, et prenant l'oreille de Malchus il la rat- tacha et remit en son lieu, puis il dit à saint Pierre* : Matt.,xxvi,si,s3; Remette^ vostre espce dans son fourreau; comme s'il joa^', xvni', loriV. eust voulu dire : Vous n'avez pas mis le couteau où il failloit, cette circoncision n'est pas bien faite, d'autant que ce n'est pas cette partie là qu'il failloit couper. Vous luy avez coupé l'oreille droite, qui est celle par laquelle on reçoit et on entend les choses spirituelles, les inspi- rations et bons mouvemens, et vous luy avez laissé la senestre de laquelle on entend les choses mondaines et vaines. Il luy failloit plustost abattre celle cy que l'autre, à ce qu'il fust plus apte et prompt à ouyr les inspirations et les parolles divines et célestes ; mais parce que vous avez agi tout au contraire, la circoncision n'en est pas bien faite. Voyla donques comme il importe de bien rencontrer et de bien poser le couteau sur la partie la plus coulpable et malade. Je finis, car le jour s'en va, et fcrmcray ce mien dis- cours par une histoire, vous disant toutefois un mot de l'autre partie de l'Kvangile. Le prédicateur qui a fait  158  Sermons recueillis  * Cap. XXXIII, XXXIV.  Gen.  XXXIV, 3.  aujourd'huy le grand sermon a commencé sa prédication par un trait admirable que je ne lairray pas de vous rapporter, car c'est un mets bien propre pour servir à deux tables et il le sera aussi à conclure mon exhortation. , Il est dit en la Genèse* qu'un jour Jacob avec ses enfans et toute sa famille, qui estoit très grande, alla poser ses tentes et pavillons près de la ville de Sichem. Or Jacob avoit une fille fort belle, nommée Dina. Cette fille se trouvant proche de la ville royale, fut curieuse de l'aller visiter ; elle se résolut donc de sortir toute seule pour y faire un tour. Voyez-vous que c'est de l'esprit humain : elle alla non seulement pour regarder, mais certes aussi, comme je crois, pour estre regardée des autres, car elle estoit belle et elle le sçavoit bien. La voyla qui se pro- mené toute seule par cette grande ville de Sichem, consi- dérant de tous costés ses merveilles et singularités. Mais il advint que le fils du Roy estant lors à la fenestre l'apperceut, et la voyant douée d'une si rare beauté s'informa qui elle estoit. (Ce jeune prince se nommoit luy mesme Sichem, et son père s'appelloit Hemor.) Puis il en fut si espris qu'il la fit ravir ; ce qui luy fut facile, car les grans trouvent tousjours prou de gens qui les aydent et favorisent en leurs mauvais desseins. La fille estant enlevée fut deshonnorée par le prince Sichem ; dequoy il y eut grand bruit parce que le roy Hemor et son fils estoyent d'une autre nation que Dina. Le père sçachant ce qui estoit arrivé, voulut y porter remède, car il connoissoit combien son fils estoit amou- reux et passionné de Dina. L'Escriture dit en effect que Vame de Sichem estoit collée avec celle de Dina * ; mais c'estoit d'une colle qui n'estoit guère forte, c'estoit un amour de paille, tel que les amours du monde qui ne sont point solides et qui ne durent que trois jours. Il n'en est pas ainsy de l'amour de Dieu, car il persévère et ne sort jamais de l'ame où il est une fois entré, laquelle il va unissant et liant avec la divine Majesté, non pour deux ou trois jours comme l'amour mondain, mais pour J-'eternité. Cet autre amour, au contraire, est fol, dange- reux et damnable, n'ayant pour sa cause et entretien que  111. I*i)i'u i\ M-ir. DF. lA (Circoncision 159 des muj^^uetteries, sottises et niaiseries. Ilemor donques, voyant i[uo: pour le contontomeiit de son fils il en failloit venir jiis(jii('s là que do le marier avec Dina, il s'advisa dr traitter de cette affaire avec Jacob et 1«* fit a])j)eller pour (M'ia. Comme il estoit roy, plusieurs ^ens s'assem- blèrent et l'on apporta tant de raysons (|ue ce mariaj^'e fut quasi résolu. Mais les inventions de l'esprit humain sont estranges. Simeon et Levi , frères de Dina, sçachans c^ue Jacob leur père traittoit le mariage de leur sœur avec Sichem, tout offencés du déshonneur ([u'il luy avoit fait, ils s'adviserent de proposer une chose au Roy sans laquelle ils ne consentirovent point. Ils demandèrent donques i[ue s'il vouloit faire alliance avec leur nation tout le peuple fust circoncis. Il y eut d'abord beaucoup de difficultés sur cette proposition, mais en fin, après plusieurs représentations de part et d'autre, on résolut de proposer la circoncision au peuple de la terre de Sichem. Estans tous assemblés au lieu prefix pour les consultations, la circoncision leur fut proposée et on apporta plusieurs raysons pour les esmouvoir à aggreer ce que le Roy desiroit pour le contentement de son fils. On leur dit que Jacob estoit d'une bonne nation, qu'il se joindroit à eux avec son peuple et que par conséquent ils se fortifiero3'ent l'un l'autre, qu'il avoit beaucoup de troupeaux ; en somme, on représenta tant de choses que tous s'accordèrent de se sousmettre à cette circoncision. Mais comme elle estoit grandement douloureuse, la plus- part des hommes en demeuro3'ent tellement affoiblis qu'ils est03'ent presqu'à demi morts. Ce que sçachans, Simeon et Levi entrèrent dans la ville et firent un si cruel carnage qu'ils mirent tout à feu et à sang pour se venger du tort que le fils d'IIemor avoit fait à leur sœur. En toute cette histoire je remarque particulièrement la promptitude de ce peuple à condescendre à la volonté du R03', l'admirable sujétion qu'il fit paroistre en acquies- çant à la volonté d'iceluy, mettant ou bazardant sa propre vie seulement pour faire playsir à son fils. O Dieu,  i6o Sermons recueillis serons-nous si couards et si lasches de cœur, nous autres, que de fuir nostre circoncision spirituelle, voyant aujour- d'huy nostre cher Sauveur s'assujettir à la loy de la mesme circoncision pour nous en donner l'exemple? En respandant son sang il nous semond non point à verser le nostre, mais seulement à respandre nos cœurs et nos * I Reg.,1, 15; Ps. esprits devant luy *, Quoy, soufFrirons-nous qu'il nous Lxi, QiThren.,!, 19. . . , ..... „ invite a cette circoncision intérieure, non pour son proffit et playsir mais pour nostre bien, salut et utilité, et refu- serons-nous après cela de faire ce qu'il nous demande ? Aurons-nous bien le courage de voir ce peuple de Sichem se sousmettre à une si rude loy uniquement pour donner de la satisfaction au fils du Roy, et nous, d'estre si pol- trons et coiiards que de ne vouloir assujettir nos esprits à des choses si faciles et aysées ? Mais achevons en disant un mot du nom qui fut imposé à Nostre Seigneur, et nous fermerons tout cecy par une autre histoire. L'Evangile d'aujourd'huy donne à entendre que Feffusion du sang de Jésus fut la cause de son nom. C'est bien à propos qu'on luy donna ce nom au jour de sa circoncision, car il ne pouvoit estre Sauveur sans respan- dre du sang, ni donner du sang sans estre Sauveur. Il pouvoit à la vérité sauver le monde sans verser son sang, mais cela n'eust pas suffi à l'affection qu'il nous portoit. Il pouvoit asseurement satisfaire à la justice divine pour tous nos péchés par un seul souspir de son sacré cœur, mais il n'auroit pas contenté son amour qui vouloit qu'en prenant le nom de Sauveur il donnast son sang pour arrhes de celuy qu'il vouloit respandre pour nostre rédemption. Le nom de Sauveur luy a esté justement donné en ce jour, car il n'y a point de rédemption sans *Heb.,ix, 22. effusion de sang* et point de salut sans rédemption, personne ne pouvant entrer au Ciel que par cette porte. Aussi Nostre Seigneur, se faisant Sauveur et Rédempteur des hommes, commence, en prenant ce nom, à payer nos dettes non d'autre monnoye que de son sang pretieux. 'Matt.,i, 21. Il fut donc appelle Jésus ^ qui signifie Sauveur*. Nostre Seigneur, disent nos anciens Pères, outre ses divers noms et tiltres, en a trois qui luy appartiennent  LU. Pour la pète dh la Circoncision i6i <»<;«;rntiollomrnt. Lo prrmirr rst roliiy do souverain Kstro, (jui liiy est trllcMiirnt rrscrvr (jii'il ne so peut attribuer à pas un autre*; en ce nom il se connoist luy mesme par * Exod., m, 14, is i luv mesme. Le second est celuv de Créateur (lui ne peut estre aussi donné qu'à luy, car nul n'est créateur (lue luy ; en ce nom il se connoist soy mesme par soy mesme, mais il se connoist en cor es en ses créatures. Le troisiesme nom c'est Jésus, lequel semblablement n'appartient qu'à luy seul, puisque autre que luy ne pouvoit estre Sau- veur"*". Mais en outre, il en a encores un ([ui est celuy de 'Cf. Act.,iv, 13. Christ *, (jui sionitie i^rand Prestre, pint de Dieu. Or • Matt., i, 16. voyez-vous, nous autres Chrcstiens participons à ces deux derniers noms*. Nous portons à cette heure le nom de • I Pctri,n,o; Act. Christ, à sça\()ir ("hrestien, et jipus sommes tous oints " »supr.. parJes^Sacremens ([ue nous recevons ; quand nous serons au Ciel nous porterons celu}' du Sauveur, d'autant que là nous jouirons tous du salut et nous serons tous des sauvés. Voyla comme nous serons nommés de l'autre nom de Nostre Seigneur, car là haut nous serons appelles les sauvés. iO Mais comment faut-il prononcer çe._jiom sacré de Jésus à fin qu'il nous soit utile et profitable? C'est ce que je vous vay dire et monstrer par une histoire avec laquelle je finis. Ce nom ne doit pas c^tre seulement prononcé tel- lement quellement ; il n'est pas suffisant de sçavoir qu'il est composé de deux .syllabes, ni moins encores de le dire seulement de bouche ; les perroquets en font bien autant, les mahomctains et autres infidelles le nomment bien de la sorte, et ils ne sont ]:!oint sauvés pour cela. Xostre Seigneur nous monstre comme il le faut repeter lors qu'en le prenant il donne son sang, cnr il tesmoigne par là qu'il est prest à faire ce que ce saint nom signifie, à sçavoir sauver les hommes. Ce n'est pas assez de le redire de bouche, mais il le faut avoir gravé dans le cœur. O que nous serions heureux si nous avions en nous tout ce que nous signifient nos ni^ms ! Ce n'e^t pas le tout de  (1) Les deux almcas qui suivent sont inédits, ainsi que les lignes S- 15, p. is) ; 3^. '9» p- i*-; ; i--^. p- is**, et ^-lo. p. it}. Sfim. IV II  i62 Sermons recueillis se nommer Prestre, Evesque, Religieux ou Religieuse, mais il faut considérer si la vie que l'on mené est con- forme au nom que l'on porte, prendre garde à la charge qu'on exerce, à la vocation en laquelle on vit, quelle est nostre profession, en somme regarder comme sont réglées nos passions et affections, comme nostre jugement est * Cf. tom. praeced. sousmis, si nos œuvres s'accordent avec nostre estât *. hujusEdit.,pp.407, j^ ^^^ rapporté dans le Livre des Juges* que Jephté, * Cap. XI, xn. grand capitaine, remporta la victoire contre les x\mmo- nites par le vœu qu'il fit au Seigneur. Mais après avoir sacrifié sa fille et fait tout ce que porte l'histoire, alors qu'il pensoit estre en paix et en repos, voicy qu'une sédition s'esleve ; les enfans d'Ephraïm se prindrent à luy repro- cher qu'il ne les avoit pas invités ni menés avec lu}^ à la guerre, combien qu'ils fussent de braves soldats, et que sans doute il avoit agi ainsy pour les mespriser. Le bon Jephté, estonné de recevoir cette nouvelle esmo- tion, leur dit : Hé, mes chers amis, vous sçavez bien que voulant aller à la guerre je vous ay invités, mais vous vous estes excusés d'y venir ; c'est pourquoy, le moment arrivé auquel il me failloit de nécessité livrer la bataille, je Tay fait. Mais ceux d'Ephraïm ne voulans point enten- dre de raysons luy déclarèrent la guerre. Cependant, Dieu qui tenoit le parti de Jephté parce que sa cause estoit juste, le favorisa en telle sorte qu'il en massacra quarante deux mille, laissant Ephraïm et tout le reste du peuple bien estonné de se voir ainsy mis en vau de route. Or Jephté plaça un corps de garde et des senti- nelles sur le quay du Jourdain et leur donna le mot du guet, disant : Demandez à ceux qui voudront avoir le passage quels ils sont ; s'ils vous respondent qu'ils sont d'Ephraïm, massacrez-les, et s'ils le nient faites-leur dire vostre mot du guet : Scibboleth. Que s'ils prononcent sibboleth, mettez-les à mort, mais s'ils disent scibboleth, donnez-leur libre passage. Remarquez que scibboleth et sibboleth sont quasi un mesme mot (scibboleth signi- fie espi et sibboleth charge), mais scibboleth se dit * Ci.LesContyover- ^frassement et sibboleth se dit plus délicatement et Partie II, c.ijart.ii. mignardcment *.  LU. Pour i.a ff.te de la CiRCONCfSiON 163 O cjno iKHis scTons liciirciix si à l'heure de la mort et encor i)eiulant nostro vie nous prononçons bien le sacré nom du Sauveur, (\'ir il sera c -îî. Or, j'ay pensé (pi'il seroit proftitahle et a^^reable à vos CdHirs de vous dire (pieliiue chose sur ces trois noms. (Juant au premier, à sçaxoir la Teste do la Pre^r^ntation du l'ils de Dieu au Temj)le, je fais cette première consi- dération. De tous les sacrifices qui avoyent esté offerts à la divine Majesté dès le commencement du monde, aucun autre que celuy cy n'avoit esté esgalà ses mérites; d'autant que si bien on luy immoloit plusieurs holocaustes et victimes, c'estoyent des sacrifices de bestes viles et abjectes, c(Mnme de moutons, veaux, taureaux ou oyseaux*. * Ps. xxx.x, 7, 8; Mais en ce jour, le Fils de Dieu est offert à son Père, et •» • • en son Temple mesme. Cette offrande nous est merveil- leusement bien représentée par les cérémonies que l'on fait aujourd'hy en l'Eglise ; car la procession avec les cierges allumés nous rappelle cette divine procession de la Vierge, quand elle alla au Temple portant entre ses bras son Fils, qui est la lumière du monde*. Lors donc joan.i.^.viii, 12, que lesj Chrestiens portent les cierges en leurs main^. cela ne veut dire autre chose sinon que s'il leur estoit possible de porter Nostre Seigneur entre leurs bras comme firent Nostre Dame et le bienheureux Simeon, ils iroyent l'offrir au Père éternel d'aussi bon cœur comme ils portent ces cierges qui le leur représentent. Cette feste est la fin de toutes celles qui se célèbrent en l'hon- neur de l'Incarnation, car celles que nous solemniserons désormais ne regarderont plus ce mystère ni l'enfance du Sauveur, mais ouy bien sa Mort, sa Résurrection et Ascension ; en somme, ce seront les festes de nostre Rédemption. Je vous diray donques un mot de l'Incar- nation puiscju'il vient à mon propos. Ce mystère nous est bien représenté par les cierges que nous portons à ce jour, auxquels se trouvent trois natures fort différentes l'une de l'autre, qui néanmoins sont tellement jointes et unies par ensemble qu'elles ne  IX, s.  66  Sermons recueillis  hujus Edit., Ser mones I, XLI.  ■Cf. supra, p.  • Philip., II Heb., IV, 15.  font qu'un cierge : à sçavoir, la nature du feu, la nature Cf. tom. praeced. de la meche ou luminon, et celle de la cire*. Or, en Nostre Seigneur il se trouve aussi trois substances qui pourtant ne font que deux natures, et ces deux natures, quoy que bien distantes et esloignées l'une de l'autre, ne forment qu'une personne. Il existe mesme une telle liaison entre ces deux natures que les attributs, louanges et éloges que l'on donne à l'une sont aussi donnés à l'autre; en sorte que nous disons que par cette jonction Dieu s'est fait homme et l'homme a esté fait Dieu *. Ce- pendant Dieu a esté fait semblable à nous autres ; hommes* en esgalité de substance et de nature, mais non pas en esgalité de perfection, car en cela il nous surpasse infiniment. Le feu, qui est la première et la plus excellente na- ture du cierge, figure la Divinité. En cent endroits de la Sainte Escriture il est pris pour nous représenter la nature divine, car il y a mille rapports entre iceluy et la Divinité ; mais je me contenteray de vous en dire seule- ment quelques uns. D'abord, le feu est le premier de tous les elemens ; la Divinité est le prince ou principe de tout estre et nature. Le feu est subtil | la Divinité a cette subtilité en une façon beaucoup plus noble et excellente. Le feu fait sa demeure en la troisiesme région - de l'air *, il parpille tousjours en haut et jette ses estin- celles contremont, et si l'on ne l'attachoit à quelque matière on ne le pourroit retenir en terre ; nous ne le voyons pas tel qu'il est en la région qui luy est propre, car il est au dessus de l'air, et bien qu'il soit chaud il ne nous brusle pas parce que sa chaleur est mitigée par l'air. Dieu fait sa demeure en soy, son centre n'estant autre que luy mesme ; aussi, lors qu'il a voulu se communiquer à l'homme il est sorti de soy mesme : il a fait comme un effort, il j^^té comme en ravissement et en extase par laquelle il est §orti de soy pour se communiquer à sa créature*; mais il n'eust peu demeurer en terre ni estre veu des homJnes * s'il ne se fust attaché à jane nature qui luy servist en quelque façon de matière pour le retenir. Le feu parpille tousjours et s'eslance contre son centre,  * Vide Arist., Me teor., 1. I, c. II.  * Cf.Tr. de r Am.de Dieu, 1. X, c. XVII. * Baruch, m, 38.  LUI. l'oUR l.A PÈTE DH 1 A PURIFICATION l&J u\\\[\n{ jamais rcj-)()s rjn'il n'y soit ; mais Dieu est luy inesine son centre, il ne va ni ne vient, ains il remplit tout de sa Divinité et trouve son centre en tous lieux parce qu'il est tout en toutes choses*. Le feu est une * Cf.tom.vil huju$ lumière qui esclaire ; la Divinité est une lumtcre qui esclaire les ténèbres*, mais ce (jui est davantage, sa * J'^^n., i. s; cf. ii . , . , , ,, Pétri, I, K^. lumière est si lumineuse et esclattante qu elle en est toute ténébreuse et obscure, en sort(3 (qu'elle ne peut estre rci^ardée ni a]iperceu<' en cette vie ([ue par des ombres et figures*. Voyla comme la nature du feu nous repre- •Jo.m.i.iS; iTim., sente la Divinité; je laisse à part une infinité d'autres rapports. La seconde nature du cierge est celle du luminun, qui figure la nature de l'aine de Nostre Seigneur. Le luminon joint à la cire et au feu respand une lumière excellente ; mais si on vient à le joindre au feu sans qu'il soit uni à la cire, il ne jettera que de la fumée ou une flamme tout obscure. La nature du luminon est sans doute plus noble que celle de la cire, car les luminons sont faits pour l'ordinaire de coton, lequel croist sur des arbres grande- ment hauts ; au contraire, chacun sçait que la cire est recueillie comme le miel par les avettes dans les fleurs qui sont sur la terre. Certes, la nature de l'ame est beaucoup plus excellente que celle du corps : elle n'est point cor- porelle ni terrestre ; si elle ne vient point du ciel, elle vient moins encores de la terre ; elle est créée de Dieu au mesme instant qu'elle est infuse et respandue dans le corps, lequel elle ennoblit et embellit. En cette vie, l'ame sans le corps est bien ce qu'elle est, par manière de dire, mais elle est tout obscure, et ne peut faire pa- roistre ses passions et mouvemens, ses discours et pensées que par les organes, membres et sens d'iceluy. L'homme est donc en quelque façon double, et tout ainsy que le corps a besoin d'estre uni à l'ame pour devenir lumineux, aussi l'ame, par une certaine correspondance, recherche cette union (jui luy est nécessaire ; de mesme que le luminon a besoin d'estre uni à la cire pour esclairer, et qu'il faut esgalement que la cire soit jointe au luminon ou à la mèche pour rendre de la clarté. Or, quoy que,  i68 Sermons recueillis comme nous l'avons dit, la nature de la cire et celle du luminon so3^ent bien différentes l'une de l'autre, l'une venant de la terre et estant façonnée par les avettes, l'autre croissant sur de grans arbres sans avoir besoin de l'industrie d'aucune créature pour le façonner, ayant esté fait tel qu'il est par le Créateur mesme, néanmoins ces deux natures sont tellement unies et meslangées l'une dans l'autre es cierges que nous portons, qu'elles ne font qu'un seul cierge, ce qui certes est admirable. L'ame, ainsy que nous l'avons touché, est toute spiri- tuelle, elle ne croist point ça bas, elle est créée de Dieu seul, sans le concours d'aucune créature ; mais le corps vient de la terre, car nous sçavons que celuy du premier Gen., II, 7. homme fut pétri du limon de la terre *^ et despuis ce temps là le corps a esté formé de la substance de l'homme et de la femme, en sorte que, pour cette cause, il est leur œuvre. Or, bien que l'ame et le corps soyent si diflferens l'un de l'autre, ils ne font néanmoins qu'une personne que nous appelions homme ; voire mesme ils viennent à faire un tel meslange par cette union et jonction, que nous parlons des deux comme s'il n'y en avoit qu'un ; tout ainsy que quand on parle de la bonté, beauté, ou telle autre qualité du cierge on ne distingue pas la cire ni le luminon, ains on dit seulement et en un mot : Ce cierge est beau ou bon, parlant des deux natures qui se trouvent en luy comme s'il n'y en avoit qu'une seule. Le sacré corps de Nostre Seigneur ne fut pas spirituel, non plus que ceux des autres hommes, bien qu'il fust plus noble et excellent que les nostres, n'ayant point esté Matt., I, 20; Lu- conceu par œuvre d'homme, mais du Saint Esprit *, lequel print pour le former le plus pur sang de la Vierge ; de sorte qu'en vérité ce corps est esgal aux nostres quant à la substance. Mais sa très sainte ame fut créée par Dieu, qui au mesme instant de sa création, la respandit dans ce corps formé par la vertu du Saint Esprit ; et dès lors ces deux substances de l'ame et du corps demeurèrent tellement jointes et unies ensemble qu'elles ne firent qu'une seule nature parfaite. Le feu estant mis au cierge pour l'allumer, il se prend  cas, I, 35.  LUI. 1\)UR LA IKll-. DK l. I'L'KIFICATION 169 plus tost au luniiiion (pi'à la cir(? ; peut estre est-ce parce (pi(î sa naturt' est plus uohle rpK? colle do la rire, et par conséquent plus propre* à se joimlre la première à celle (lu feu. l\n rinrarnation, le feu dr la I)i\inité voulant s'unir à la nature humaine pour la rendre toute lumi- neuse, il commenva premièrement à se joindre au lumi- non, c'est à sçavoir à l'ame de Nostre Seigneur. Mais quand je dis qu'il commença premièrement à se joindre à son ame, représentée par le luminon, il ne le faudroit pas entendre en telle sorte t[uc nous voulant esclaircir sur ce mystère tle l'Inearnation, nous nous trompassions nous mesmes. Quand donc je dis ([ue la Divinité s'attacha d'abord à l'ame de Nostre Seigneur, il ne faut pas s'ima- giner qu'elle s'unit à icelle deux ou trois heures avant que de se joindre à son corps sacré; o non, car tout ainsy que le corps de nostre Sauveur fut formé le pre- mier, aussi ne demeura-t-il pas un moment sans estre uni à l'ame. De mesme, l'ame et le corps de Nostre Sei- gneur ne demeurèrent pas un seul instant sans estre unis à la_Diymité ; ains à l'heure mesme que la jonction de l'ame et du corps se fit au ventre de la Vierge, tout aussi tost la Divinité fut jointe à l'une et à l'autre. Néanmoins cette jonction s'attacha premièrement à l'ame comme à la plus noble, et d'icelle passa au corps; mais cela se fit si subtilement qu'ils furent tous deux, l'un aussi tost que l'autre, unis à la nature divine. Cecy nous est grandement bien représenté par la subtilité avec laquelle le feu se prend au luminon et à la cire, car bien qu'il s'attache en premier lieu au luminon, il se trouve cependant au mesme instant uni à la cire. Or, cette nature divine ainsy jointe et unie à l'humaine, elles ont fait une telle liaison et communication entre elles, que l'homme a esté Dieu et Dieu a esté homme ; de plus, les trois substances qui se trouvent reunies en la per- sonne de Nostre Seigneur ne forment que deux natures parfaites, à sçavoir la divine et l'humaine, lesquelles, quoy qu'infiniment esloignées l'une de l'autre, ne font néanmoins en l'Incarnation qu'une seule Personne. Voyla ce que j'avois à dire sur le premier nom de cette feste.  II, 3-  lyo Sermons recueillis Le second nom qu'on luy donne est celuy de la Puri- fication de la Vierge. Tout le monde est en un estonne- ment nompareil de voir que cette très sainte Dame se soit voulu assujettir à la loy de la Purification, elle qui estoit vierge, et qui par conséquent n'en avoit point besoin. Comment donc va-t-elle aujourd'huy au Temple pour se purifier? Certes, jusqu'à cette heure-là toutes les femmes qui devenoyent mères estoyent souillées, ce qui estoit une des conséquences du péché originel ; c'est pourquoy non seulement elles, mais aussi les enfans qui naissoyent en péché avoyent besoin de cette purgation, laquelle ils rece- voyent en une façon bien rigoureuse. Helas ! quoy que ce ne soit pas nous qui ayons péché, néanmoins nous avons tous esté entachés de la coulpe de nostre premier père Adam , et avons fait nostre entrée au monde comme enfans Ps. L, 7; Ephes., d'ire *, chargés du pesant faix de nos iniquités. Mais ce divin Enfant, non plus que sa Mère, n'avoit point besoin de purification, car non seulement il n'avoit aucun péché, ains ce qui est davantage, il n'en pouvoit point avoir ; il estoit impossible que le péché se trouvast en luy, en luy, dis-je, qui estoit venu pour le destruire ; luy mesme l'a * Joan., VIII, 46; protesté*. Je ne suis pas, auroit-il peu dire, sujet à la Rom., VIII, 3 ; II - , , .^ . . . -p^., 1 t^- ^ ^ ^ Cor., V, uit. loy de la purification, car je suis rus de Dieu, et partant je n'ay nul péché en moy. Cecy est une vérité infaillible. Or, le Fils n'en estant point souillé, la Mère ne l'estoit pas non plus ; car bien qu'il ne fust pas impossible que la Vierge n'eust quelque coulpe, et qu'estant née de père et de mère elle en eust peu estre entachée comme les autres enfans, néanmoins il n'eust pas esté séant que la mère d'un tel Fils eust esté souillée du péché originel. Voyla pourquo}^ par un privilège tout particulier, cette sacrée Vierge fut, par la grâce divine, conceuë sans aucun * Cf. tom. praeced. peché * : elle estoit donques très pure dès sa conception ujus it., p. 252. ^^ demeura pure en l'Incarnation, car ayant conceu par * Lucae, i, 35. l'obombration du Saint Esprit * elle demeura vierge en son enfantement et après iceluy. Comme est-ce donques que cette très sainte Dame, estant toute pure et sans macule, a voulu aller au Temple pour se purifier comme les autres femmes, veu que, outre  l.IIl. POL'R I.A FF-TF DP. lA PL'RIFICATIOW I7I tniit rr]:\, ('cltc Idv ir(*st()it pas une loy j^rn^Talo, ains sfuliMiiciU l(\L;\ilt', inslitu(''(; par Aloyst? ? Il y a mille et mille rays(Mis de cecy chez les anciens l*eres, c'est à dire chez les anciens Docteurs ; mais nous en trouvons en la Genèse desquelles je me serviray pour vous monstrer pourquoy la sacrée Vier^^^e, n'estant point obli^^ée à la loy de la purification, s'y est néanmoins voulu assujettir. Je vous diray domines briefvcmcnt l'histoire de la cheute de nos premiers père et mère, Adam et Kve * ; 'Gen.,!!. is-iy.ni. ' , • XT . t: • i-s.Cf. tom. VIII elle ne sera pas hors de propos, puisque A'ostre h(M,L(neur, huj.Edit.,pp.8a-84, dont il est fait mention en cette feste, est appelle le ** ^*^^'"- ^^'• nouve l^ Adam *, qui est venu pour réparer la faute du pre- • Rom., v, i^ ; I mier, et par son obéissance satisfaire à la désobéissance °'''*^' ^^• d'iceluy, et que Nostre Dame est nommée la nouvelle Eve*. Or, il est escrit** que Dieu avoit créé l'homme ^ G^en?"' ?7 f cf. eMa femme en la justice originelle, ce qui les rendoit Sap., n, 33. extrêmement beaux et tellement cjj^ables de la grâce qu'il n'y avoit point en eux de péché, ni par conséquent de, rébellion de la chair à l'esprit. Ils n'avoyent aucune répugnance ni aversion au bien, aucun appétit ni incli- nation au mal ; tout estoit paisible et tranquille, ils jouissoyent d'une douceur et suavité nompareille : ils vivoyent avec une pureté et innocence très grande, non pas en une pureté et innocence simple, mais revestue de la grâce. Le Seigneur les mit en cet estât là dans le paradis terrestre et leur fit un seul commandement et défense, à sçavoir qu'ils ne mangeroyent point du fruit de l'arbre de science du bien et du mal ; que s'ils en mangeoyent, ils mourroyent. Or Satarv^ cet esprit malin qui avoit tresbuché du Ciel par une désobéissance procédante de son amour propre et de sa propre estime, considérant la beauté de la nature humaine s'advisa d'essayer de la faire descheoir de cette justice originelle qui la rentloit si belle et aggreable ; et comme l'amour propre et l'estime de soy avoyent causé sa désobéissance et par conséquent sa perdition, il pré- senta la mesme, tentation 'i nos premiers parens pour voir si, movennant ses ruses, cet amour propre et vaine estime auroyent autant de prise sur eux comme ils en avoyent  172 Sermons recueillis » " Cf. tom. praeced. eu sur luv *. Le vojla, donques qu'il prend à cet efFect un hujus Edit., p. 297, .. , . et Serm. XXXIX, corps de serpenf, il s entortille a un arbre, et s'addressant ^°^^^°' à Eve comme à la partie la plus foible, il commence à l'arraisonner en cette sorte : Pourquoy Dieu qui vous a mis dans ce lieu vous a-t-il défendu de manger de tous les fruits qui y sont? Elle lu}^ respondit ainsy, mais certes tout effrayée et tremblottante : Il ne nous a pas défendu de manger de tous les fruits, mais seulement de ne point toucher ni manger de celuy cy. Grande tentation que celle cy, car c'estoit une tentation de désobéissance. Mais voyez-vous la malice et la ruse de cet esprit infernal et menteur? Pourquoy, dit-il, Dieu vous a-t-il défendu de manger de tous ces fruits ? Voyez-vous comme il exagère la défense de Dieu ? Il n'avoit pas défendu de manger de tous les fruits ains d'un seul, mais il parloit ainsy à Eve à dessein de luy faire haïr le commandement du Seigneur ; car le premier degré de la désobéissance c'est de haïr la chose commandée, et cette haine est une très grande tentation contre l'obéissance. Lucifer en sa cheute vint premièrement à se degouster du commande- ment avant de désobéir ; voyla pourquoy, connoissant la force de cette tentation, quoy qu^il sceust bien que Dieu n'avoit pas défendu à nos premiers parens de ne point manger de tous les fruits, il ne laissa pas de le leur dire à fin de leur faire haïr cette ordonnance. Remarquez, je vous en prie, combien cette tentation s'accroist par la responce d'Eve : Nous mangeons bien, dit-elle, de tous les fruits, mais pour celuy de science, il nous a défendu d'en manger et de le toucher ; et vous me demandez pourquoy ? C'est, adjouste-t-elle, de peur que nous ne mourions. Voyez un peu la grande menterie de la femme. Dieu avoit voirement défendu de ne pas manger du fruit de cet arbre, mais de ne^le pas toucher ni regarder il n'en avoit rien dit ; c'estoit un mensonge aussi grand que celuy du malin esprit, lors qu'il demanda ^owrgwc»;; Dieu leur avoit défendu de manger de tous ces fruits. C'est à quoy tendoit en premier lieu sa tentation, que de faire faire cette res- ponce'à Eve, car par icelle, elle tesmoignoit^'du degoust  LUI. Ï\)UR i.A fAtf. de la Purification 173 et de la baino, r(^mmo si rUc di^oit : Il ne nous a pas soiilrmcnt (Icfomlu if'rn nmn^cr, ains encor de le tou- cher, v\. par (Conseillent de le ro^rarder, ce qui est une chose bien estrange et severe. Voyla donrjues le degoust et la haine de l'obéissance qui est, comme nous l'avons monstre, le premier degré de la désobéissance. Or, nous voyons aussi que tous ces niis(Tal)l(s rjui se perdent en se retirans de l'Ft^lise passent par ce degoust et cette haine des comniandemens ; car Dieu a ordonné que les prestrivs et les ecclésiastiques garderoycnt in\ io- lablement la chasteté et virginité, et le diable est venu demander : Pourquoy a-t-on fait ce commandement ? Itt_yoyla qu'il parvient à le faire haïr et persuader à plusieurs de se retirer de TF-glise pour avoir la liberté de ne le pas observer. Cn autre viendra à haïr le jeusne, la confession, et à cause de cette haine il sortira aussi du giron de la très sainte Eglise, et escrira contre ses préceptes selon sa passion. Grand malheur que celuy cy et qui n'arrive que trop en ce siècle ! Je vous donneray quelques exemples pour vous faire voir la grandeur de cette tentation. Un père ou une mère aura défendu à une fille de ne pas aller au bal à ce carnaval, ou de ne pas aller en telle compagnie, et voyla que cette fille vient à haïr cette défense et dit : On n'oseroit regarder les bals ni les mascarades, ni on n'oseroit lever les yeux pour regarder un homme ; il vau- droit autant les avoir cousus, ou bien il nous les faudroit arracher, ou nous les boucher comme à des esperviers *. ' Ci. u^ Entretiens, Un autre qui fera profession d'estre bon Chrestien : Or, p^",",!, (^"^et tom! pensera-t-il,voicy le Caresme auquel il faudra jeusner, car ^'^^^ P- 'M- c*est un commandement de l'Eglise; oh, je le feray, mais si j'estois Pape j'abolirois le Caresme à fin de ne plus observer le jeusne. Et qu'est-ce que cela sinon monstrer le degoust que l'on a du commandement ? On l'observe parce ([u'il le faut, mais on ne l'ayme nullement, et si on pouvoit on l'aneantiroit. Une fille qui n'aymera pas le silence dira librement : Hé Dieu, tant de silence, à quel propos en tant garder? ne scroit-il pas mieux à cette heure de parler c[ue de se taire ? ^laintenant que j'ay une  Ï74  Sermons recueillis  si belle conception en l'esprit il me feroit si grand bien de la dire, elle causeroit tant de suavité à ceux qui l'en-^ tendroyent, et il n'est point loysible de la raconter! Néanmoins, si j'attens encor une demi heure je ne m'en souviendray plus et ne sçauray que c'est. Voyez-vous le degoust du silence comme il fait parler? Une autre qui n'aymera point aller à l'Office aux heures ordonnées sera dans sa cellule sur quelque bonne cogitation, et voyla le signe qui l'appelle pour aller au chœur : O Dieu, pensera-t-elle, ne seroit-il pas mieux de ne pas me rendre en tel lieu? j'estois en ma cellule sur une si bonne pensée, peut estre que si j'y eusse encor un peu demeuré j'eusse eu quelque ravissement, et cependant il me faut mainte^ nant aller chanter au chœur. On doit demeurer à table en silence jusques à la fin du repas pour entendre la *Constit. XVI. lecture qui s'y fait * : Hé Dieu, à quel propos tout cecy ? ne vaudroit-il pas mieux sortir quand on a achevé ? En somme, c'est le degoust des commandemens qui fait ray- sonner ains}^ et qui nous fait manquer à l'obéissance. Mais la sacrée Vierge s'assujettit volontiers à la loy de la purification parce qu'elle aymoit le commandement, et la chose commandée luy estoit si pretieuse, qu'encores qu'elle n'y fust pas obligée elle ne laissa pas de l'accom- plir à cause de l'amour qu'elle portoit à l'obéissance et *Cï.Les Entretiens, à Dicu qui avoit fait ce commandement*. Mais, o très PP%^/,Ï39"et^^^^^^ sainte Dame, vous n'avez nul besoin d'iceluy. Il est vray, IX, pp. 394, 395. fnais les autres femmes, desquelles je dois estre l'exem- ple, en ont besoin ; j'obéis donc à cette loy tant pour l'amour que je luy porte que pour le profit de celles qui y sont tenues. O que bienheureux sont ceux qui ayment les commandemens de Dieu, et qui ne font pas seulement ce qu'ils sont obligés de faire, mais encores ce qui ne les oblige pas, s'y sousmettant pour le bien et édification 'Cf. I Cor.,x,22-24. des autres * ! C'est cet amour que la sacrée Vierge portoit à l'obéissance et à l'édification du prochain qui la fit assujettir à la loy de la purification. La seconde tentation ou le second degré de la tentation de désobéissance (j'en pensois dire trois, mais je ne parleray que de deux) est le mespris non seulement du  LUI. I\)L'K i.A fAtf. dp i.A Purification 175 roiiimandonuMit, ain*^ aussi de rcluy qui coinmando. Or, (luaiul la tentation arrive jus([Uf's là que de faire haïr celuy qui coniniande, elle est dani^ercuse et extrêmement mauvaise *, sur tout nuand on vient à dire nue celuy fiui 'Cj.LeiF.ntretiem, , , . , r . j tom. VI huj. Edit., commande n a point eu rayson de faire cette ordonnance, pp. t, 7. que cela est hors de jiropos, et que Ton profère des pa- roles de In(^^p^i'^ d(^ la ehose coninian MKRCRKDI DICS CENDRES 9 février 1622 (0  Ces quatre premiers jours de la sainte Quarantaine sont comme la teste et le chef, la préface ou préparation que nous devons faire pour bien passer le Caresme et nous disposer à bien jeusner. C'est poun^noy j'ay pensé de vous parler en cette exhortation des conditions qui rendent le jeusne bon et méritoire, mais briefvement et le plus familièrement qu'il me sera possible ; ce que j'observeray tant aujourd'huy comme es discours que je vous addresscray tous les jeudys de ce Caresme, lesquels seront des plus simples et propres pour vos cœurs, si j'y puis rencontrer. Mais pour traitter à ce coup icy du jeusne et de ce qu'il est requis de faire pour bien jeusner, il faut sçavoir avant toute chose que de soy le jeusne n'est pas une vertu, car les bons et les mauvais, les Chrestiens et les payens l'observent. Les anciens philosophes le gardoyent  ( I ) La seconde phrase de ce sermon : «... ce que j'observcrny t.int aujourd'huy « comme es discours que je vous addresseray tous les jeudys de ce Caresme, •» prouve que le Saint prêcha régulièrement chaque semaine. Or, ce Carême ne peut être que celui de 1622, d'après l'allusion faite plus loin (Sermon LX) à la canonisation de saint François Xavier, laquelle, comme on le sait, eut lieu le Il mars de cette même année. De plus, on voit par le sermon du troisième jeudi de Carême que ce jeudi coïncidait avec la fête de saint Mathias, ce qui advint effectivement en 162a. Mais si nous avons des preuves certaines pour fixer la date des prédications du jeudi, il n'en est pas de même de celles du Dimanche. Pour ces dernières nous n'avons que des conjectures, et certaines circonstances pourraient même faire supposer que ces sermons seraient plutôt de l'année i6ao. Ils ne sont donc classés ici que sous toute réserve.  i83 Sermons recueillis et le recommandoyent : ce n'est pas qu'ils fussent ver- tueux pour cela, ni qu'ils prattiquassent une vertu en jeusnant, o non, puisque le jeusne n'est vertu sinon entant qu'il est accompagné des conditions qui le rendent aggreable à Dieu ; de là vient qu'il proffite aux uns et non aux autres parce qu'il n'est pas fait esgalement de tous. Nous voyons cecy es gens du monde, lesquels pensent que pour bien jeusner-le saint Caresme il ne faille sinon se garder de manger des viandes prohibées. Mais c'est une pensée trop grossière pour entrer dans le cœur des Religieuses, car c'est à vous à qui je parle, et aux personnes dédiées à Nostre Seigneur. Celles-cy sçavent bien qu'il ne suffit pas de jeusner extérieurement si l'on ne jeusne intérieurement, et si l'on n'accompagne le jeusne du corps de celuy de l'esprit. C'est pourquoy nostre divin Maistre, qui a institué le jeusne, a bien voulu dans son sermon sur la montagne Matt., VI, 16-18. apprendre à ses Apostres comme il le failloit prattiquer *, ce qui est d'un grand proffit et utilité (car il n'eust point esté séant à la grandeur et majesté de Dieu d'enseigner une doctrine inutile, cela ne se pouvoit faire) ; mais sçachant que pour tirer la force et l'efficace du jeusne il failloit observer autre chose que de s'abstenir des viandes prohibées, il les instruit, et par conséquent les dispose à recueillir les fruits propres du jeusne, qui sont plusieurs, et entre tous les autres ces quatre icy : le jeusne fortifie l'esprit, mortifiant la chair et sa sensualité ; il esleve l'ame en Dieu ; il abat la concupiscence et donne force pour vaincre et amortir ses passions ; en fin il dispose le cœur à ne chercher qu'à plaire purement à Dieu. Ce n'est donques pas inutile de déclarer ce qu'il faut faire pour bien s'acquitter du jeusne de la Quarantaine ; car quoy que tous soyent tenus de le sçavoir et prattiquer, si est-ce que les Religieuses et les personnes dédiées à Nostre Seigneur y sont plus particulièrement obligées. Or, entre toutes les conditions requises pour bien jeusner, je vous en marqueray trois principales, sur lesquelles je vous diray familièrement quelque chose. La première est qu'il faut jeusner de tout son cœur,  LIV. Pour le Mercredi des Cendres 183 c'est à (lire de bon (n'iir, d'un cuMir entier, j^eneralemfiit et eiiticrenient. Si je vous rapportt; les partjles de saint Hernard touchant le jeusne, vous sçaurez non seulement pourquoy il est institué, mais encores comme il se doit garder. Il (.lit donciues * que le ieusne a esté institué de Nostre ' Serm. m in Q.ua- Seii^neur pour remède a nostre bouche, a nostre gour- mandise et à nostre ^loutonie; car pour at (pie le péché est entré au monde par la bouche, il faut aussi que ce soit la bouche qui fasse pénitence par la privation des viandes prohibées et défendues par l'Kglise, s'abstenant d'icelles l'espace de ([uarante jours. Mais, adjouste ce glorieux Saint, comme ce n'est ])as nostre bouche seule qui a péché, ains encor tous nos autres sens, il est re(iuis que nostre jeusne soit gênerai et entier, c'est à dire que nous fassions jeusner tous les membres de nostre corps ; car si nous avons offensé Dieu par les yeux, par les oreilles, par la langue et par nos autres sens, pourquoy ne les ferons-nous pas jeusner? Et non seulement il faut faire jeusner les sens du corps, ains aussi les puissances et passions de l'ame, ouy mesme l'entendement, la mé- moire et la volonté, d'autant que l'homme a péché par le corps et par l'esprit. Combien de péchés sont entrés en l'ame par les yeux, que la Sainte Escriture * marque " I Joan., n, 16. pour la concupiscence de la veuë? C'est pourquoy il les faut faire jeusner, les portant bas et ne leur permettant pas de regarder des objets frivoles et illicites ; les oreil- les, les privant d'entendre les discours vains qui ne servent qu'à remplir l'esprit d'images mondaines ; la langue, en ne disant point des paroles oyseuses et qui ressentent le monde ou les choses d'iceluy. On doit aussi retrancher les discours inutiles de l'entendement, ainsy que les vaines représentations de nostre mémoire, les appétits et désirs superflus de nostre volonté, en somme luy tenir la bride à ce qu'elle n'ayme ni ne tende qu'au souverain Bien ; et par ce moyen nous accompagnerons le jeusne extérieur de l'intérieur. C'est ce que nous veut signifier l'Eglise en ce saint temps de Caresme, nous enseignant à faire jeusner nos  184 Sermons recueillis yeux, nos oreilles et nostre langue : pour cela elle quitte tous ses chants harmonieux à fin de mortifier Touye ; elle ne dit plus à! alléluia et se revest toute de couleur sombre et obscure. Et en ce premier jour elle nous addresse ces paroles : « Souviens-toy, o homme, que tu es » Gen., m, 19. cendre et que tu retourneras en cendre*; » comme si elle nous vouloit dire : O homme, quitte à cette heure toutes les ]oyes et liesses , toutes les considérations joyeuses et plaisantes, et remplis ta mémoire de pensées ameres, aspres et douloureuses, faisant par telles cogi- *Cf. tom.viiihuj. tations jeusner l'esprit avec le corps*. > •» pp- 7 > 79- C'est aussi ce que nous signifioyent les Chrestiens de la primitive Eglise, lesquels se privoyent en ce temps des conversations ordinaires avec leurs amis et se retiroyent en de grandes solitudes et lieux escartés du commerce du peuple pour mieux faire le Caresme. De mesme les anciens Pères et les Chrestiens de l'an 400 ou tant après la venue de Nostre Seigneur, estoyent si soigneux de bien faire la sainte Quarantaine qu'ils ne se contentoyent pas de s'abstenir des viandes prohibées, mais encores ils ne mangeoyent ni œufs, ni poisson, ni lait, ni beurre, ains se nourrissoyent d'herbes et de racines. Et non contens de faire jeusner le corps de la sorte, ils faisoyent jeusner l'esprit et toutes les puissances de Tame. Ils mettoyent un sac sur leur teste pour apprendre à porter la veuë basse ; ils respandoyent de la cendre sur leur chef en signe de pénitence ; ils se retiroyent en solitude pour mortifier la langue et Touye en ne parlant ni oyant aucune chose vaine et inutile. Ils prattiquoyent en ce temps de grandes et aspres pénitences par lesquelles ils matoyent leur corps et faisoyent jeusner tous les membres d'iceluy, et cela d'une franche liberté, non point forcée ni contrainte. Voyla comme leur jeusne estoit accompli d'un cœur entier et gênerai ; car ils sçavoyent bien que puis- que ce n'est pas la bouche seulement qui a péché, mais encores tous les autres sens de nostre corps et puissances de nostre ame, ses passions et appétits se sont par con- séquent trouvés remplis d'iniquités. Il est donques ray- sonnable, pour rendre nostre jeusne entier et méritoire,  I.IV. Pour i.k Mercredi des (Cendres 185 riu'il soit universel, c'est à dire prattiqué par le corps et j)ar resj)rit. C'est la prcMiiicriî condition (pi'il faut oIj^c.t- ver pour bien jeusner. I^ seconde est de ne point jeusner j)our la vanité* ains par huniilitt'*; car si nostre jeusne n'est fait avec hurni- •Cf.tom.VIIIhujus ,. , ., , , . f >• 'I' • Edit., pp. Si-Si. lite il ne sera point as^-^reable a Dieu, lous nos anciens Pères l'ont ainsy déclaré, mais particulièrement saint Thomas*, saint Ambroise**et le ^rand saint Augustin ***. IJ/'"*''^" ""''''"' Saint Paul en l'Kpistre (lu'il escrit aux: Corinthiens*, "DeEiia et Jejun., ... .ex. laquelle nous lisions Dimanche passé, déclare les condi- •••Scrm. ccvi, § i, tions recpiises pour se bien disposer au jeusne de la l^^„; ;;, Appcnd. Quarantaine. Voicy le Caresme cpii approche ; préparez 'lEp-, xm. vous à jeusner avec charité, car si vostre jeusne est fait sans icelle, il sera vain et inutile, d'autant que le jeusne, comme toutes les autres bonnes œuvres, s'il n'est pas fait en charité et par la charité n'est point aggreé de Dieu. Quand vous vous disciplineriez, quand vous feriez de grandes prières et oraisons, si vous n'avez la charité cela n'est rien ; quand mesme vous opéreriez des miracles, si vous n'avez la charité ils ne vous proffiteront point ; voire si vous souffriez le martyre sans la charité, vostre martyre ne vaudroit rien et ne seroit point méritoire aux yeux de la divine Majesté ; car toutes les œuvres, petites ou grandes, pour bonnes qu'elles soyent en elles mesmes, ne valent et ne nous profitent point si elles ne sont faites en la charité et par la charité. J'en dis maintenant de mesme : si vostre jeusne est sans humilité il ne vaut rien et ne peut estre aggreable au Seigneur. Les philosophes payens ont ains}^ jeusne, et leur jeusne n'a point esté regardé de Dieu. Les pécheurs jeusnent en cette sorte, mais parce qu'ils n'ont pas l'humilité cela ne leur profhte aucunement. Or, comme d'après l'Apostre, tout ce qui se fait sans la charité n'est point aggreé de Dieu, aussi dis je de mesme avec ce grand Saint, que si vous jeusnez sans humilité vostre jeusne ne vaudra rien ; car si vous n'avez l'humilité vous n'avez pas la charité, et si vous estes sans charité vous estes aussi sans humilité, d'autant qu'il est presqu'impossible d'avoir la charité sans estre humble et d'estre humble sans avoir la charité, ces deux  i86 Sermons recueillis vertus ayans une telle sympathie et convenance par ensemble qu'elles ne peuvent jamais aller l'une sans Cf. supra, p. 53. l'autre *. Mais qu'est-ce jeusner par humilité? C'est ne point jeusner pour la vanité. Or, comme est-ce que l'on jeusne pour la vanité ? En cent et cent façons qui nous sont marquées en la Sainte Escriture ; mais je me contenteray de vous en dire une, car il ne faut pas charger vostre mémoire de beaucoup de choses. Jeusner par vanité c'est jeusner par sa propre volonté, d'autant que cette propre volonté n'est point sans vanité, ou du moins sans tenta- tion de vanité. Et qu'est-ce que jeusner par sa propre volonté ? C'est jeusner comme on veut, et non point comme les autres veulent ; jeusner en la façon qui nous plaist, et non point comme on nous l'ordonne et conseille. Vous en trouverez qui veulent jeusner plus qu'il ne faut, et d'autres qui ne veulent pas jeusner autant qu'il faut. Qui fait cela sinon la vanité et la propre volonté? car tout ce qui vient de nous nous semble estre meilleur, et nous est beaucoup plus aysé et facile que ce qui nous est enjoint par autruy, quoy que plus utile et propre pour nostre perfection. Cela nous est naturel et naist du grand amour que nous nous portons. Mettons un chacun la main à nostre conscience et nous trouverons que tout ce qui vient de nous, de nostre propre sens, choix et élection nous l'estimons et aymons bien mieux que ce qui vient d'autruy. Nous y avons une certaine complaisance qui nous facilite les choses les plus ardues et difficiles, et cette complaisance est presque tousjours vanité. Vous trouverez des femmes qui veulent Cf. supra, p. 176. jeusner tous les samedis de l'année et non le Caresme * ; (0 elles veulent jeusner à l'honneur de Nostre Dame et non à celuy de Nostre Seigneur, comme si Nostre Sei- gneur et Nostre Dame ne tenoyent pas rendu à l'un le culte qui est déféré à l'autre, et qu'en honnorant le Fils par le jeusne fait à son intention l'on ne contentast pas  ( I ) Les neuf lignes suivantes sont inédites, ainsi que les lignes 15-39, P- ^93» et la p. 194 toute entière.  I.IV. l'oUK l.K MEKCKHDI DES CeNDRES 1 87 la Alcro, ou (ju'cn honnorant la V'icr^n; l'on n'ai^i^^rcast pas au Sauveur, (iraïuh^ folie (jue celle-là! Mais voyez que c'est (le l'esprit humain : parce (jue le jeusne ([ue ces personnes s'imposent le samedy à l'honneur nur l)i('U et ])Our aj^i^Teer à luy seul. Il ne faut pas se servir de j^rans discours et discrétion piMir entendre pounjuoy le jeusne est commandé, .s'il l'est pour tous ou seulement pour quelques uns. Chacun sçait qu'il est ordonné en expiation du péché de nostre premier père Adam, lequel i)rcvari(iua en romj)ant le jeusne (jui luy estoit enjoint j>ar la défense de manger du fruit de l'arbre de science ; pour ce, il faut que la bouche fasse pénitence en s'abstenant des viandes prohi- bées. Plusieurs ont des difficultés sur ce sujet ; mais je ne suis pas icy pour y respondre, ni moins p(;ur dire quels sont ceux qui sont obligés au jeusne. (J non, car nul n'ignore que les enfans n'y sont point tenus, ni les per- sonnes de soixante ans. Laissons donques cela, et vo3'ons plustost, par trois exemples que je vous rapporteray, combien c'est une chose dangereuse de vouloir faire les discrets sur les commandemens de Dieu ou de nos Supérieurs. Deux seront tirés de la Sainte Kscriture, et l'autre, de la Vie de saint Paco me. Le premier est celuy d'Adam, lequel ayant receu de Dieu le commandement de ne point man- ger du fruit défendu, sous peine de perdre la vie, le serpent vint conseiller à Eve d'enfreindre ce commande- ment ; elle Tescouta et emporta son mary. Et discourant sur la défense qui leur estoit faite : lié quoy, dirent-ils, encores que Dieu nous ayt menacés de la mort, si est-ce que pour cela nous ne mourrons pas, car il ne nous a pas créés pour nous faire mourir. Ils en mangèrent, et moururent de la mort spirituelle *. • Ocn.. m. i-6. Ci. Le second exemple est de certains disciples de Nostre '^*i'"' ^i'- '/^''Tv Seigneur lesquels, entendans qu'il parloit de leur donner sa chair et son sang en viande et breuvage, voulurent faire les discrets et prudens, demandant comment pour- roit-on manger la chair et boire le sang d'un homme? Mais comme ils vouloyent ray>onner là dessus, nostre divin *^laistre les rejetta *. * Joan., vi, 61-67.  194 Sermons recueillis *VitaePatrum,i.l, Le troisiesme est tiré de la Vie de saint Pacome'^. Celuy cy estant un jour sorti de son monastère pour quel- que affaire qu'il avoit dans la grande abbaye de son Ordre, où vivoyent trois mille moines, recommanda à ses Frères d'avoir soin de quelques petits Religieux qui estoj^ent venus à luy par une particulière inspiration. Comme la sainteté de ces Pères du désert s'estoit espanchée par tout, de pauvres jeunes enfans y accouroyent et prioyent le Saint de les recevoir en leur manière de vivre. Luy, connoissant qu'ils estoyent envo3^és de Dieu, les avoit receus et en avoit une sollicitude toute particulière ; c'est pourquoy en s'en allant il recommanda fort soigneuse- ment qu'on les recreast et qu'on leur fist manger des herbes cuites. Voyla toutes les mignardises qu'on faisoit à ces enfans. JMais le saint Père estant parti, les anciens Religieux prétendant estre plus austères, ne voulurent plus manger d'herbes cuites, ains se contentèrent d'en manger de crues. Ce que voyant, ceux qui les traittoyent pensèrent que c'estoit chose perdue d'en faire cuire puis- que nul n'en prenoit que ces enfans. Or, saint Pacome revenant, ils sortirent tous à guise d'abeilles, courant au devant de luy : qui luy baysoit la main, qui la robe, comme à leur cher Père. En fin un petit Religieux luy vint dire : O mon Père, qu'il me tar- doit que vous revinssiez, car nous n'avons point mangé d'herbes cuites despuis vostre despart ! Ce qu'entendant, il fut fort touché, et ayant fait appeller le cuisinier il luy demanda pourquoy il n'avoit point fait cuire d'herbes. Celuy cy luy respondit que c'estoit parce que nul n'en mangeoit c[ue ces enfans, et qu'il avoit pensé que c'estoit chose perdue; mais qu'il ne s'estoit pas reposé, ains avoit fait des nattes. Sur cela le saint Père luy fit en présence de tous une bonne correction, puis il commanda que l'on jettast au feu toutes ses nattes ou stoUes, disant qu'il failloit brusler ce qui estoit fait sans obéissance ; car, adjousta-t-il, je sçavois bien ce qui estoit propre pour ces enfans, lesquels il ne faut pas traitter comme les anciens ; et cependant vous avez voulu, contre l'obéis- sance, faire les discrets. Voyla comme ceux qui oublient  I.IV. l'ol'R l.K MKKCKIDI DhS (JNDHI-.S IQS les ordoiinancos et conimantUnnons de I)icu, (jiii font des interprétations ou qui veulent faire des prudens sur les choses (•(HUinandi'es se mettent <'n ])eril de mort ; ear tout leur travail a(^r(Mnpli seU^i la pr()i)re volontc'- ou la discrétion humaine n'est dii^^ne (jue du feu. C'est ce quo j'avois à vous . i*"' Di.MAMIUh UK ('\KIMM I97 (|iii nous f()iirnis> ^ § 6. Cf. tom. VII Mais voyons un peu, je vous prie, comme c est une hujusEdit.jp. 160. chose certaine que venant au service de Dieu nul ne peut éviter la tentation. Nous en pourrions donner beaucoup d'exemples , mais un ou deux me suffiront. Ananias et Saphira font vœu de se consacrer, eux et leurs biens, à la perfection dont tous les premiers Chrestiens faisoyent profession, se sousmettans à Tobeissance des Apostres. Ils n'ont pas si tost fait leur dessein que la tentation les attaque, ainsy que dit saint Pierre : Qiti * Act., V, 1-3. vous a tentés de mentir au Saint Esprit^? Et le grand Apostre saint Paul , dès qu'il se fut donné au service divin et rangé du parti du Christianisme, le voyla tout * II Cor., xir, 7. incontinent tenté pour le reste de sa vie *, luy qui tandis qu'il estoit ennemy de Dieu et qu'il persecutoit les Chres- tiens n'avoit jamais senti les atteintes d'aucune tentation ; au moins ne nous en tesmoigne-t-il rien par ses escrits, ains seulement dès qu'il fut converti par Nostre Seigneur. C'est donques un document fort nécessaire de préparer nostre ame à la tentation ; c'est à dire que, où que nous soyons et pour parfaits que nous puissions estre, il se faut tenir asseurés qu'elle nous attaquera ; partant Ton s'y doit disposer et se pourvoir des armes nécessaires pour combattre vaillamment à fin de remporter la vic- toire, puisque la couronne n'est que pour les combattans * II Tim., II, 5; et vainqueurs*. Nous ne nous devons jamais confier en Jacobi, I, 12. ^^^ forces ni en nostre vaillance et aller rechercher la tentation pensant la terrasser, mais si nous la rencon- trons où l'Esprit de Dieu nous a portés, il nous faut tenir fermes en la confiance que nous devons avoir qu'il nous fortifiera contre les attaques de nostre ennemy, pour furieuses qu'elles puissent estre.  I  LV. l'oUR Lh 1" DlMANCMK UK CaKK-MR 1 99 Pas.s("»n.s outre, ci consiilcrons un jx'u dr* (lUflles armes se servit Xostre S Tendez-luy la main et ne vous espouvantez point, car il vous sauvera et protégera contre tous vos ennemis. Ne voyez-vous pas que saint Pierre, quand il croyoit enfoncer dans la mer, après qu'il eut fait cet acte si généreux de s'y jetter et de marcher sur les eaux pour s'approcher plus promptement de nostre divin Sauveur qui l'appelloit, soudain qu'il commença à crain- dre et en mesme temps à s'enfoncer, Se/gneur, s'escria- t-il, sauve^-moy. Et tout incontinent son bon Maistre luy tendit la main, et par tel moyen le garantit du naufrage*. Faisons-en de mesme, mes chères âmes; si • Matt., xiv, 39-31. nous sentons que le courage nous manque et que nous enfonçons dans nos tentations, crions à haute voix pleins de confiance : Seigneur, sauve^-jnoy, et ne doutons pas que Dieu ne nous fortifie et nous empesche de périr. Il faut remarquer qu'il y en a aucuns, lesquels faisans les courageux (0 vont de nuit seuls en quelque part; mais dès qu'ils entendent tomber une petite pierre du plancher, ou qu'ils oyent seulement courir une souris se prennent à crier : O mon Dieu*! Qu'est-ce, leur di£-on, 'Cf.tom.viIIhujus 1 I -N Ti .. T- '^ -. T r\ Edit., p. 350. qu avez-vous trouvé ? J ay ouy. lit quoy ? Je ne sçay. Uu bien il s'en rencontre d'autres qui, allans aux champs, dès qu'ils voyent de loin l'ombre des arbres s'espouvan- tent bien fort, croyant que c'est quelqu'un qui les attend. Chimère et enfance très grande ! Telles sont bien souvent les personnes qui viennent nouvellement au service de Dieu : elles font les hardies, il semble qu'elles ne ( I ' Les neuf lignes suivantes «ont inédites.  304 Sermons recueillis mangeront jamais assez le crucifix et que rien ne leur sçauroit suffire ; elles ne pensent rien moins que de vivre tousjours'en repos et tranquillité, et que chose aucune ne pourra surmonter leur courage et générosité. C'est ce qui arriva au pauvre saint Pierre, lequel estant encores fort enfant en la vie spirituelle, fit cet acte de générosité dont je parlois tantost ; mais il en fit encores un autre par après qui luy cousta cher : ce fut lors que Nostre Seigneur annonçoit à ses Apostres comment il devoit souffrir la mort. Saint Pierre, qui estoit grandement prompt à parler mais lasche et coiiard à faire, com- mença à se vanter : Quoy, Seigneur, tu dis que tu dois *Matt.,xxvi,3i-35; aller à la mortPet moy aussi je ne t'abandonnerav jamais*. Marc, XIV, 27-31; -c^ 1 o • • ^ t r ^ '" t-^ Lucîe, XXII, 33 ; -t-t le beigneur poursuivant : Je seray fouette. Et moy joan., XIII, 37. aussi pour l'amour de toy. Je seray couronné d'espines. Et moy aussi de mesme. Bref, il ne cedoit en rien à son bon Maistre, et plus Nostre Seigneur encherissoit sur la grandeur de ses peines, plus aussi il s'eschauffoit à asseu- rer qu'il en feroit autant. O Dieu, qu'il fut bien trompé quand il se vit si lasche et craintif en l'exécution de ses promesses au temps de la Passion de son Sauveur ! Il eust bien mieux valu au pauvre saint Pierre de se tenir en humilité et de s'appuyer sur les forces de Nostre Seigneur, que non pas de se confier vainement en la *Cf.tom.vlllhujus ferveur qu'il sentoit pour lors*. 1 -y PP- 347» 34 • j)g mesme en arrive-t-il à ces jeunes âmes qui tesmoi- gnent tant d'ardeur en leur conversion : tandis que ces premiers sentimens de dévotion durent elles font des • Cf. tom. praeced. merveilles * ; il leur semble que rien n'est difficile au ujus it.,p. I. çj^gjy^in de la perfection et que rien ne peut attiédir leur courage ; elles désirent tant d'estre mortifiées, d'estre bien esprouvées à fin de monstrer leur générosité et le feu qui brusle dans leur poitrine ! Mais helas, attendez un peu, car si elles entendent courir une souris, je veux dire , si la consolation et les sentimens de dévotion qu'elles ont eus jusqu'alors viennent à se retirer, et si quelque petite tentation les attaque : Helas, disent-elles, qu'est-ce que cecy ? Elles commencent à craindre et à se troubler. Tout leur semble pesant si elles ne sont  LV. \\)V\l LP. I" Dl.MASCHH l)H CarAmR JOÇ t(Misj(Mirs dans Ir soin de Inir Wto rolosto, s'il no Iriir (lonno (les suavit(''s rt ne lient leur hoiiche fnHniell«''e ; elles ne peuvent vivre contentes ni en asseurnnce si elles ne reçoivent sans cesse des consolations et jamais de peines. O (jne ma condition est misérable! disent-elles; je suis au service de Xostre Seigneur où je pensois vivre en repos, et cependant les tentations, et de diverses sortes, sont venues et ne font que me travailler ; mes passi(Mis nrini])orlunent merveilleusement, bref, je n'ay pas une pauvre heure de vraye tranquillité. Pensez-vous, mes chères âmes, leur peut-on rcspondre, qu'en la solitude et en la retraitte il ne se rencontre point de tentations? O que vous estes bien trompées! Nostre divin Maistre ne fut point attaqué de l'ennemy tandis qu'il vivoit parmi les pharisiens et publicains, ains seu- lement lors qu'il se retira au désert. II n'y a aucun lieu où la tentation n'ayt accès ; ouy mesme dans le Ciel, où elle nasqiiit dans le cœur de Lucifer et de ses Ang-es, et les jetta quant et quant dans la damnation et perdition. L'ennemy la porta au paradis terrestre; avec icelle il fit descheoir nos premiers pères de la justice originelle dont Dieu les avoit doués. La tentation entra dans la congré- gation des Apostres mesmes : et pourquoy donques vous estonnerez-vous si elle vous attaque ? Si vous eussiez esté du temps de Xostre Seigneur, je dis tandis qu'il vivoit de sa vie mortelle, et que rencon- trant sa très sainte iMere, nostre glorieuse .^laistresse, elle vous eust laissé le choix d'un lieu pour faire vostre demeure, sans doute vous l'eussiez interrogée ainsy : Madame, où est vostre Fils ? Elle vous auroit respondu : Mon Plis est au désert ; il y doit demeurer quarante jours, en jeusnant, veillant et priant continuellement*. 'Matt., iv, i. O Madame, eussiez-vous reparti, je ne veux point d'autre lieu que le désert où est mon Sauveur. Mais si la Sainte Vierge vous eust demandé : Pourquoy desirez-vous ce lieu pour vostre demeure ? C'est parce que où est Nostre Seigneur tous biens abondent, la consolation n'y manque point et la tentation n'y peut avoir entrée. O que vous estes bien trompées! c'est justement parce que nostre divin  2o6 Sermons recueillis Sauveur y est que la tentation s'y trouve. Nous eussions bien eu de l'espouvante, car le diable y vint tout à des- couvert ; il ne fit pas avec Nostre ^Seigneur comme avec saint Pacome ou avec saint Antoine, lesquels il efFraya par des bruits et tintamarres qu'il fit autour d'eux, faisant fendre le ciel et la terre devant leurs yeux pour les faire craindre et frémir comme des enfans. Néanmoins ces saints Pères le rabattoyent et se moquoyent de luy et de ses artifices, prononçant quelques passages de l'Escriture *vitas Patrum,!.!, Sainte*. Mais voyant sur la face de nostre cher Sauveur Vita s. Ant., ce. XV- , ^ , "^ , . , ,, , XX, Vita S. Pach., Ici lorce, la constance, la générosité et 1 asseurance, le *^' ^'^"" diable pensa bien qu'il ne gaigneroit rien de le traitter de la sorte; si qu'il vint visiblement à luy pour luy pre- *Cf.tom.viiihujus senter ses tentations avec une impudence nompareille *. i.,p.249. Qq qu'il fit non seulement ces trois fois dont l'Evangile fait mention, ains plusieurs autres durant les quarante jours qu'il demeura au désert ; mais les Evangelistes * Matt., IV, 3-10 ; se sont contcntés de marquer ces trois *, comme estans Lucas, IV, 2-13. , , 1 . 1 1 • 1 ' les plus grandes et les plus signalées. Helas, disent ces jeunes apprentifs de la perfection, que ferons-nous? Mes passions, que je pensois avoir mor- tifiées par la fervente resolution que j'avois faite de ne les plus suivre, me tourmentent grandement. Helas ! il est vray ; tantost je suis pressé de chagrin, et un peu après il me semble qu'il n'y a pas moyen de passer outre, tant le descouragement me poursuit. Mon Dieu, la grande pitié que le seul désir de la perfection ne suffise pas pour l'avoir, mais qu'il la faille acquérir à la sueur de nostre visage et à force de travail ! Hé, ne sçavez-vous pas que Nostre Seigneur voulut estre tenté durant les quarante jours qu'il fut au désert, pour nous apprendre que nous le serions tout le temps que nous demeurerions au désert de cette vie mortelle, qui est le lieu de nostre pénitence? car la vie du parfait Chrestien est une continuelle peni- *Cf.tom.viiihujus tence*. Consolez-vous, je vous prie, et prenez courage, 1 •' P- ^99- çg n'est pas maintenant l'heure du repos. Mais je suis si imparfaite, dites-vous. Je le crois bien ; aussi ne pensez pas pouvoir vivre sans commettre des imperfections, d'autant que cela est impossible tandis que  I.\'. IVtUK i.K 1"^ DiMANcm: de (1aki"mh 207 vous serez en cette vie. 11 siiftit (jue vous ne les aymiez jKis et ([u'elles ne vivent point dans vostre cœur, c'est à (lire que nous ne les cominettie/ pas volontairement et (|ue vous ne veuilliez pas persévérer en vos défauts*. Cela 'C(.httroJ.aI.tVie estant, demeurez en paix et ne vous troublez point pour et Lei Hnùftieni, la perfrctinn ^\\\e vous désirez tant ; il sufru (pie vous p^/"'^! aïjb' ^^'^•• l'ayez en mourant. Ne soyez pas si craintifs, marchez asseurement ; si vous estes armés de ]\irtiir!tt'r ifr Li fov, rien ne vous sçauroit nuire. La troisiesme crainte nocturne est celle des délicats. Or, ceux cy ne craii^nent pas seulement ce qui les peut porter au mal, mais ce qui peut en quelque façon des- tourner ou tr(^nl)ler leur repos ; ils ne voudroyent pas qu'un seul petit bruit tle je ne sçay quoy se mist entre Dieu et eux, il'autant c[u'ils se sont fourré bien avant en l'imagination qu'il y a une certaine quiétude et accoise- ment tel que qui le peut avoir se trouve tousjours en paix et bien heureux. Partant ils veulent en jouir, demeurant tousjours aux pieds de Nostre Seigneur comme Mag-tle- leine, pour y savourer continuellement les suavités, les douceurs et tout ce ciui est emmiellé et qui distille de la bouche sacrée de leur .^laistre, sans que jamais 3larthe ne les vienne resveiller ni murmurer contre eux, pour prier Nostre Seig-neur de les faire travailler *. Cette sua- • Lucae, x, y), 40. vite les rend si habiles et si courageux, ce leur semble, que nul n'est comparable à leur perfection ; il n'y a rien de trop pesant pour eux, bref ils se voudroyent fondre pour plaire à leur Bien-Aymé, qu'ils ayment d'un amour si parfait. Ouy certes, pourvcu qu'il continue les consolations et à les traitter tendrement ; car au demeurant, s'il cesse de le faire, c'est tout perdu : il n'y a rien de si affligé qu'ils sont, leur peine est insupportable, ils ne cessent de se plaindre. O mon Dieu, qu'y a-t-il ? Helas, disent- ils, qu'il y a ? j'a}^ bien sujet de me plaindre, i^lais encor, qu'y a-t-il, je vous prie, qui vous tourmente? C'est que je ne suis pas sainte. Vous n'estes pas sainte ! et qui vous l'a dit que vous ne Testes pas ? Peut estre ce qui vous le fait penser c'est qu'on vous a reprise de quelque  2o8 Sermons recueillis défaut. Si cela est, ne vous mettez pas en si grand peine, car possible c'est parce que vous Testes qu'on vous a corrigée, à fin de vous rendre tousjours plus parfaite. Vous devez sçavoir que ceux qui ont une vraye charité ne peuvent souffrir de voir quelque défaut au prochain qu'ils ne taschent de l'arracher par la correction, et sur tout en ceux qu'ils estiment saints ou fort avancés en la perfection, parce qu'ils les croyent plus capables de la recevoir ; ils veulent aussi par ce moyen les faire croistre tousjours plus en la connoissance d'eux mesmes qui est si nécessaire à un chacun. Mais cela trouble mon repos. C'est bien dit, certes ; hé, cro3^ez-vous qu'en cette vie vous puissiez avoir une quiétude si permanente qu'elle ne doive point recevoir de divertissement ? Il ne faut pas désirer les grâces que Dieu ne fait pas communément ; ce qu'il a fait pour une Magdeleine ne doit pas estre souhaitté de nous autres. Bienheureux serons-nous si nous avons cette tranquillité *Ci.Les Entretiens, de l'ame en mourant, voire seulement après nostre mort*. tom.VihujusEdit., ^_. , , Tir , -, • , . . p. 377, et tom. IX, ^v e peusez pas non plus que la Magdeleme eust la jouis- pp. io6, 263. sance de cette tant aymable contemplation qui la tenoit en un si doux repos avant d'avoir passé par des espineuses difficultés, par la voye d'une aspre pénitence et avant d'avoir avalé les amertumes d'une confusion très grande; car allant chez le Pharisien pour pleurer ses péchés et en obtenir le pardon elle souffrit les murmures que l'on faisoit contre elle, la mésestimant et nommant pèche- * Lucae, VII, 37-39. resse et femme de mauvaise vie*. Ne pensez pas non plus vous rendre dignes de recevoir ces divines suavités et consolations, ni d'estre eslevées par les Anges comme elle l'estoit plusieurs fois le jour, si vous ne voulez pre- mièrement souffrir avec elle les confusions, les mespris et censures que méritent très bien nos imperfections, lesquelles nous exerceront de temps à autre, veuillons- nous ou non ; car cette règle est générale, que nul ne sera si saint en cette vie qu'il ne soit sujet à en commettre tousjours quelqu'une. Il se faut donques tenir ferme et tranquille en la connoissance de cette vérité, si nous voulons que nos  LV. Pour le i»"" Dimanche de Carême 209 imperfections no nous troublent point par la vaine pré- tention c[ue nous pourrions avoir de n'en point commettre. Kt comme nous élevons avoir une ferme et inViirial)le resolution (le ne pas nous rendre si lasches (pie d'en faire volontairement, aussi devons-nous estre inébranla- bles en cette autre resolution de ne nous pas estonner ni troubler voyant que nous sommes sujets à tomber en icelles, voire encores {[uc ce fust souvent, nous confiant en la bonté de Dieu c[ui pcjurtant ne nous en ayme pas moins. .Niais je ne seray jamais capable de recevoir les divines caresses de Nostre Seigneur tandis (pie je seray si imparfaite, puisc^ue je ne pourray m'approcher de luy qui est si souverainement parfait. Quelle correspondance, je vous prie, y peut-il avoir de nostre perfection à la sienne, de nostre pureté à la sienne, veu qu'il est la pu- reté mesme ? En fin, faisons de nostre costé ce que nous pouvons, et demeurons en repos pour le reste. Que Dieu nous face part ou non de ses consolations, il faut nous tenir sousmis à sa très sainte volonté qui doit estre la maistresse et conductrice de nostre vie ; après quoy nous n'avons rien à désirer. Le Psalmiste donques nous asseure, ainsy que l'inter- prète saint Bernard, que celuy qui a la foy et s'est armé de la vérité ne craindra point ces craintes nocturnes ni des paresseux, ni d(^.s enfans, ni moins des délicats. .Niais il passe plus outre, et dit qu'il ne craindra non plus les sagettes qui volent en plein jour ; et cecy est le quatriesme document que je tire du Psalme sus allégué. Ces sagettes sont les vaines espérances et prétentions que nourrissent ceux qui aspirent à la perfection. L^on en trouve qui n'espèrent rien tant que d'estre bien tost des Mères Thérèse, et mesme des saintes Catherines de Sienne et de (îenes *. Cela est bon ; mais dites-moy, quel 'CLLes Enfreiims, , ^ -, ^ ^, . tom.VI hujusEdit., temps prenez-vous pour vous rendre telles ? Irois moys, pp. ,3,^, i^o. respondez-vous, voire moins s'il se peut. \'ous faites bien d'adjouster s'il se peut, car autrement vous vous pourriez bien tromper. Ne vo3ia pas de belles espérances, les- quelles nonobstant leur vanité ne laissent pas de consoler beaucoup ceux qui les ont ? 3lais d'autant plus que ces Sbw*. IV 14  210 Sermons recueillis espérances et prétentions portent à la joye du cœur tandis qu'il y a lieu d'espérer, plus aussi la douleur des effects contraires apporte de la tristesse à ces esprits si fervens ; car se voyant estre non pas des saints comme ils pensoyent, ains au contraire des créatures prou im- parfaites, ils se trouvent bien souvent descouragés à la poursuite de la vraye vertu qui conduit à la sainteté. Tout beau ! leur peut-on dire, ne vous hastez pas tant ; commencez à bien vivre selon vostre vocation, douce- ment, simplement et humblement ; puis confiez-vous en Dieu qui vous rendra saints quand il luy plaira. Mes chères âmes, il y a encores d'autres sortes de vaines espérances, dont l'une est de vouloir tousjours des consolations, des suavités et des tendretés à l'oraison durant le cours de cette vie mortelle et passagère ; espé- rance frivole et niaise à merveille, comme si nostre perfection et bonheur dependoit de cela ! Ne voyons-nous pas que Nostre Seigneur pour l'ordinaire ne donne ces tendretés que pour nous amorcer et amadouer, comme 'Ctinirod.aiaVie OU fait les petits eufaus auxquels on baille du sucre*? dcVt Partie IV c xiii!' ' * Mais passons outre, car il faut finir. *Serm.viinPs. xc, Saint Bernard remarque par après* quelles sont ces .5§ 1,2 ; serm. XXXIII - ±- • r^ i «,1 n-i-r^i- in Gant., § ii. fiegoctations qn\ se font en la nuit, lesquelles le Psalmiste dit que ceux qui seront armés de la vérité ne craindront point. Pour moy il m'est advis (et cecy est le cinquiesme document que je vous présente) que ces négociations qui se font dans les ténèbres nous représentent l'avarice et l'ambition, vices qui font leur trafic en la nuit, c'est à sçavoir par dessous main et en cachette. Vo3^ez-vous, les ambitieux n'ont garde d'aller tout à descouvert au pourchas des honneurs, des prééminences, des charges ou des offices relevés; ils marchent en l'obscurité, craig*nans d'estre apperceus. Les avares ne peuvent non plus dor- mir, ains sont tousjours après à resver quels moyens ils pourront tenir pour accroistre leurs biens et remplir leur bourse. Mais ce n'est pas des avares temporels que je veux parler, ains de l'avarice spirituelle. Quant à ce qui est de l'ambition, malheur à ceux qui taschent d'estre promeus aux charges ou supériorités, et  I.\'. Wh'h ih 1'^ Dimanche de Carkmh 211 (jui les obtiennent par leurs poursuites du les ombrassent par leur choix, car ils cherchent la tentation ; c'est pour- quoy ils périront en icelle, s'ils ne se convertissent et n'usent par après avec humilité de ce qu'ils ont embrassé avec et par l'esjirit de vanité. Or, je ne parle pas de ceux qui sont eslevés non pas par leur élection mais par leur sousmission à l'obéissance fju'ils doivent à Dieu et à leurs Supérieurs; car ceux-là n'ont ri; 1 1-1^1, p. 227 ; 34-39, p. 228; i-S, 16-26, p. 22»); 3 s- 39, p. 231, et 1,3, p. 233.  2i8 Sermons recueillis il luy survient quelque défaillance ou qu'il semble qu'elle ayt expiré, on luy met une plume sur les lèvres et la main sur le cœur ; si l'ame est encores là, on sent que le cœur bat, on voit à la plume qui est devant sa bouche qu'elle respire encores, et de là on conclud, comme chose certaine, que bien que cette personne soit mourante, elle n'est pas néanmoins du tout morte ; puisqu'elle fait des actions vitales, il faut de nécessité que l'ame soit unie avec son corps. Mais quand on s'apperçoit qu'elle ne donne plus signe de vie, alors on dit tout clairement que l'ame en est séparée, et partant que cette personne est trespassée. La foy morte ressemble à un arbre sec lequel n'a point d'humeur vitale; et pour ce, lors qu'au printemps les autres arbres jettent des feuilles et des fleurs, celuy cy n'en jette point, parce qu'il n'a pas cette sève comme ceux qui ne sont pas morts ains seulement mortifiés. Or, cecy est une autre chose, car combien qu'en hiver ils soyent pour l'apparence extérieure semblables aux arbres morts, si est-ce qu'en leur saison ils portent des feuilles, des fleurs et des fruits, ce que ne fait jamais * CLTr. de r Am.de celuv qui est mort *. Celuy c}^ est bien un arbre pareil aux Dieu, 1. XI, c. XII. ^ "^ •! ^ • -1 ^ ^ -1 j autres, il est vray ; néanmoins il est mort, car il ne donne jamais ni fleurs ni fruits. Ainsy la foy morte a bien la mesme apparence que la vivante, mais avec cette diffé- rence que la première ne porte point de fleurs ni de fruits de bonnes opérations, et que la seconde en porte tousjours et en toutes saisons. Il en prend tout de mesme de la foy et de la charité. On connoist par les opérations que fait la charité si la foy est morte ou mourante ; quand elle ne produit point de bonnes œuvres nous disons qu'elle est morte, et quand elles sont petites et lentes, qu'elle est mourante. Mais comme il y a une foy morte il faut qu'il y en ayt une vivante qui luy soit contraire. Celle cy est excellente, parce qu'estant jointe et unie avec la charité et vivifiée par icelle, elle est forte, ferme et constante, elle fait plusieurs grandes et bonnes opérations qui méritent qu'on la loue, disant : O que ta foy est grande ! soit fait tout ce que tu, veux.  lA'I. l\)iR n- jHL'Di APRhs i.H i"" DiMANCnR DR Cakkmi-: 219 Or, (iiiaml (hi dii (\uc cette foy est graiuie l'on ne veut pas sij^nificr (jii'clle a ([uatorze ou (juinze aunes de long; o non, il ne le faut pas entendre comme cela. HUe est jr/'iiNi/t' à cause des bonnes œuvres qu'elle opère, et aussi pour la multitude des vertus (jui l'accompaj^ment, lesquelles elle gouverne, faisant coninie une reyne ([ui travaille pour la défense et conservation des divines vérités*, lu en ce que ces vertus luy obéissent, elle mons- 'Cf. rr.dfi'Am.de .. . . . . Dieu. 1. II, c. XIV, tre son excellence et grandeur, tout ainsy que les rois 1. viii.c. vi, i.xi, ne sont pas grans seulement quand ils ont ])lusieurs '^^' ^'' "^* provinces et de nombreux sujets, ains (juand avec cela ils ont des sujets qui les ayment et leur sont sousmis. Que si, avec toutes leurs richesses, leurs vassaux ne tenoyent compte de leurs ordonnances ni de leurs lois, l'on ne diroit point qu'ils sont grans rois mais très petits. Ainsy la charité unie à la foy n'est pas seulement suivie de toutes les vertus, ains comme reyne elle leur commande, et toutes obéissent et combattent pour elle et selon son gré : de là vient la multitude des bonnes opérations de la foy vivante. En troisiesme lieu, il y a une foy veillante qui dépend encores de son union avec la charité ; mais il y en a aussi une qui est endormie, pesante et léthargique, et celle cy est contraire à la veillante. Elle est lasche à s'appliquer à la considération des mystères de nostre Religion, elle est toute engourdie, d'où il s'ensuit qu'elle ne pénètre point les vérités révélées ; elle les void bien et les entend parce qu'elle n'a pas les yeux tout à fait fermés, d'autant qu'elle ne dort pas, mais elle est dormante ou assoupie. Elle ressemble à ces gens tout endormis lesquels, quoy qu'ils portent les yeux ouverts, ne voyent toutefois presque rien, et encores qu'ils oyent parler ne sçavent ni ne comprennent ce que l'on dit. Pourquoy ? lié, parce qu'ils sont tout engourdis par le sommeil. Ainsy cette foy dormante a bien les yeux ouverts, car elle croit les mys- tères, elle entend assez ce que l'on en déclare ; mais c'est avec je ne sçay quelle pesanteur et engourdissement qui l'empesche de comprendre ce qu'il en est. Cette foy ressemble encores à ces personnes qui ont resi)rit lourd  220 Sermons recueillis et songear : à la vérité, elles ouvrent les yeux, vous les verrez bien pensives et, ce semble, attentives à quelque chose, mais elles ignorent que c'est. De mesme en est-il de ceux qui ont la foy dormante : ils croyent tous les mystères en gênerai, mais demandez-leur ce qu'ils en entendent, ils n'en sçavent rien ; et leur foy estant ainsy endormie est en grand danger d'estre assaillie et séduite par plusieurs ennemis, et mesme de tomber en de péril- leux précipices. Mais la foy veillante fait non seulement de bonnes opérations comme la vivante, ains elle pénètre et com- prend avec subtilité et promptitude les vérités révélées ; elle est active et diligente à rechercher et embrasser ce qui la peut aggrandir et fortifier ; elle veille et apperçoit de fort loin tous ses ennemis ; elle est tousjours aux aguets pour descouvrir le bien et éviter le mal; elle se garde de ce qui pourroit servir à sa ruine, et, comme veillante, elle marche fermement et s'empesche aysement de tomber en des précipices. Cette foy veillante est accompagnée des quatre vertus cardinales : elle a la force, la prudence, la justice, la tempérance; elle s'en sert comme d'une cuirasse d'armes pour donner la fuite à ses ennemis, et demeure parmi iceux ferme, invincible et inébranlable. Sa force est si grande qu'elle ne redoute rien, parce que non seulement elle est forte, mais parce qu'elle connoist cette force et sur quoy elle est appuyée, qui est la Vérité mesme. Or, * III Esdras, IV, 36. ji n'y a rien de si fort que la vérité * en laquelle consiste Cf. tom. VII hujus -^ ^ . _ Edit.,p.32o,ettom. la Vaillance de la foy*. Les hommes ont bien cette force, VTTT -^ *^^ ' ^' ^^* ils ont puissance et seisfneurie sur tous les animaux ; mais Cf. supra, pp. 202, ^ =» 203. parce que nous ne connoissons pas qu'elle est en nous, il s'ensuit que nous craignons comme foibles et coiiards, et fuyons comme des lourdeaux devant les bestes. La force de la foy, au contraire, consiste en partie en ce qu'elle la connoist ; de là vient qu'elle s'en sert aux occasions et met en fuite tous ses ennemis. Elle employé la prudence pour acquérir ce qui la peut fortifier et augmenter ; elle ne se contente pas de croire toutes les vérités révélées par Dieu et déclarées par  I.VI. Pour le jeudi après le i""" Dimanche de Carême 221 rFj^^liso, ce qui ost nécessaire pour estre sau\(''. mais cil*,' veille» ji(Mir. de j^lus en plus, en clescouvrir de nouvelles; et non seulement cela, ains aussi les pénètre à fin d'en tirer le suc et la moelle dont elle se nourrit, se délecte, s'enrichit et s'ai^j^randit. Or, cette; prudence n'est i)oint comme celle de plusieurs mondains, cjui sont fort soigneux d'amasser des biens, des honneurs et tels autres fatras qui les enrii hissent et relèvent aux yeux des hommes, mais qui ne leur proffitent de rien pour la vie éternelle. Fausse prudence que celle cy ! car bien qu'elle me fist gaigner les villes, les principautés et royaumes, de (juoy me proifitera-t-elle si avec cela je suis damné *? Que me 'Cf. Matt.,xvi,i6. servira ma vaillance si je n'use d'icelle que pour acquérir les choses transitoires de cette vie mortelle ? Certes, quand je serois le plus fort et prudent homme du monde, si je ne me sers de cette vaillance et prudence pour la vie éternelle cela n'est rien. Néanmoins il y a tant de prudence humaine ! L'on en prend en mille et mille façons, et certes nous voyons que la plus grande partie de nos maux ne viennent que de cette fausse prudence. Mais ne parlons à cette heure que de celle de la foy. La pluspart des hommes Chrestiens qui ont la foy (car il la faut avoir pour estre tels) croyent tout ce qu'il faut croire pour estre sauvés. Hé bien, vous le serez, dit saint Bernard *, si vous croyez et faites ce • Sermo xxiv in , ~ . . 1 . • 1 • Cant., sub finem, que la foy vous enseigne estre requis pour obtenir la vie et ubipagina versa. éternelle. Il faut peu de chose pour estre sauvé : croire tous les mystères de nostre Religion et garder les com- mandemens de Dieu*. La prudence de ces mondains s'en •Matt.,xix, 16, 17; contente, et ne veut rien faire davantage que ce qui est îicb., xi, 6.'* ' nécessaire pour avoir la vie éternelle et fuir ce qui leur peut causer la damnation. Vous ne travaillez donc pas pour Dieu ains seulement pour vous mesme, puisque vostre prudence ne s'estend pas plus avant qu'à faire ce que vous sçavez qui vous peut empescher de vous perdre. Vous n'estes pas de ces serviteurs veillans* qui ont • Lucx, xn, 37. tousjours Vœil ouvert sur les mains de leur luaistre *, * Ps. cxxn, 3. qui sont grandement soigneux et vigilans à faire tout ce qu'ils sçavent luy pouvoir rendre leurs services aggreables.  222 Sermons recueillis Ils monstrent bien par là qu'ils ne travaillent pas pour eux, ains pour l'amour qu'ils portent à leur maistre ; car ils employent toute leur prudence non seulement à remplir leur devoir envers iceluy, mais encores à faire * Cf. supra, p. 131. tout ce qu'ils descouvrent luy aggreer *. Ceux cy sont des *Matt., XXV, 21,23. serviteurs fidelles*, ils auront donc la vie éternelle, et de plus une grande gloire et suavité en la présence et jouissance de la divine Majesté. 'DePrœcept.etDis- Il y en a plusieurs, escrit saint Bernard*, qui disent : Cf^z^riviri/S]'. J^ garde les commandemens de Dieu. Hé bien, tu seras tom.vi hujus Edit., sauvé, vovla ta recompense. Je ne suis point larron. Tu p. 189, (g'), et tom. -^ r J ir- VIII, p. 10. ne seras pas pendu, voyla ta recompense. Je n'ay point fait d'homicide. Tu ne seras pas tué, voyla ta recompense. Je n'ay deshonnoré personne. Tu ne seras pas deslion- noré, voyla ta recompense. Je fais ce que je sçay qu'il faut faire pour estre sauvé. Hé bien, tu auras la vie éternelle, voyla ta recompense ; mais tu seras pourtant " Matt., XXV, 30. réputé un serviteur inutile *. Or, la foy veillante n'agit pas ainsy ; elle sert Dieu non en serviteur mercenaire, n\di\s fidelle, car elle employé toute sa force, prudence, justice et tempérance à faire tout ce qu'elle sçait et connoist estre aggreable à nostre Seigneur et Maistre. Elle n'observe pas seulement ce qui est requis pour le salut, mais elle recherche, embrasse et prattique fidelle- ment tout ce qui la peut plus approcher de son Dieu. Il y a une cinquiesme qualité de la foy, qui est d'estre attentive. Cette foy attentive est très grande et excellente, car outre qu'elle est vivante et veillante, elle vient, par cette attention, au plus haut point de la perfection. C'est celle-cy qu'avoit la Chananée ; voyons donques un peu comme la foy de cette femme est grande à cause de cette attention. Nostre Seigneur traversant les confins et fron- tières J^ Tyret de Sidon,et se voulant cacher pour ne pas manifester sa gloire, il cu3^da se retirer dans une mayson à fin de n'estre point veu ou apperceu ; car sa renommée allant de jour en jour croissant, il estoit suivi d'une grande multitude de peuple qui estoit attiré par les miracles et œuvres merveilleuses qu'il faisoit. Se voulant donques cacher, il entra dans une des maysons qui estoyent là  LVI. PoVR IF JFUni APKÎ-.S I.F. l" DlMANCMR DE CaRÉMR 22 3 auprès. .Mdis vovci une fcuinie payennc qui se tenoit aux escoutos, <|ui veilloit et prenoit soigneusement j^anle quand passeroit le Sauveur, (lu<|uel elle oyoit tant de merveilles. l'.Ue estoit en atteiitJDn comme un rhjcn (jui est attentif ou mis en relay pour j^f'uctter la proye qui doit s'eschai^per par là*; car c'est ainsv que l'on peut 'Crtom Viiihujus , , ,, * ' • , Ha.i.. pp. 369.370. interpréter les paroles de saint .>\are ^, (pu est un ir pour a\()ir receu des paroles de mespris de leurs j)rinces, ([uov ([u'elles leur fussent dites par le mou- vement ou surj)rinse de quel([ue passion. lù cette femme entendant Xostre Seii^neur n'en entra point en impa- tience, elle ne s'en attrista ni offença j)f)int, mais se pros- ternant à ses pieds elle respondit : // est vray, je suis une chienne, je le vous confesse ; mais je vous prens au mot, car les chiens suivent leurs maistres et se nour- rissent des miettes qui tombent sous leur table. Cette humilité fut la quatriesme vertu qui accompagna la foy et la prière de la Chananée ; humilité si a^L^reable au Sauveur qu'il lu\' accorda tout ce c[u'elle luy deman- doit, en disant : O femme, que ta foy est grande! qu'il te soit fait comme tu le veux. Certes, toutes les vertus sont bien chères à Dieu, mais l'humilité luy plaist par dessus toutes, et semljle ([u'il ne luy peut rien refuser. Or, cette femme fit voir la grandeur de la sienne en con- fessant qu'elle estoit une chienne et que, comme chienne, elle ner demandoit pas les faveurs réservées aux Juifs, qui estoyent les enfans de Dieu, ains seulement de ramasser les miettes qui tomboyent dessous la table. Il y en a plusieurs qui disent bien qu'ils ne sont rien, qu'ils ne sont qu'abjection, ([ue misère et telles autres choses (le monde est tout plein de cette humilité) ; mais ils ne sçau- royent supporter qu'un autre leur dise qu'ils ne valent rien, qu'ils sont des sots, et semblables, paroles de mes- pris. Ils l'advoueront tant que l'on voudra, mais gardez vous bien de le leur dire, car ils s'en offenceront *. 'Cf.lntroJ.ahVie J'adjousteray encores ce mot en passant, puisqu'il me etLs^Èn/rf/Ù^s, vient dans l'esprit: les confesseurs seroyent bien heureux tom.vihujusEdit., ^ -^ p. 401. s'ils pouvoyent tousjours faire confesser à leurs penitens qu'ils sont pécheurs ; mais non, encores qu'on leur monstre leurs fautes et que l'on s'essaye de leur faire  232 Sermons recueillis advouer qu'ils ont tort, bien souvent ils ne le veulent ni ne le peuvent croire. Quant à nostre Chananée, non seu- lement elle ne s'offença pas pour se voir appellée chienne, mais elle le creut, le confessa et ne demanda que ce qui appartenoit aux chiens ; en quoy elle fit paroistre une admirable humilité qui mérita d'estre louée de la bouche de Nostre Seigneur, ce qu'il fit disant : O femme, que ta foy est grande! soit fait comme tu veux; et en louant sa foy, il loua toutes les autres vertus qui l'accom- pagnoyent. Or sus, relevons donques nostre foy et la vivifions par le moyen de la charité et des prattiques et bonnes œuvres faites en charité. Veillons soigneusement à la conserver et aggrandir tant par la considération attentive des mys- tères qu'elle nous enseigne que par l'exercice des vertus dont nous avons parlé, particulièrement de l'humilité, par laquelle la Chananée a obtenu tout ce qu'elle desiroit. Imitons cette femme, à ce que persévérant tousjours à crier après nostre Sauveur et Maistre : Seigneur, fils de David, aye^ pitié de moy, il nous die à la fin de nos jours : Soit fait comme tu le veux, et à cause de ce que tu as fait, viens jouir de l'éternité. Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.  LVII SERMON POUR LK DEUXIK.NrK DIMANCHE DE CARÊME 20 février 1622  Scio hominem in Christo (sive in cor- pore sive extra corpus nescio, Deus scit), raptum hujusmodi usque ad iertium Calum, et audivit arcana verb.i quce non îicet homini loqui. Je cannois un homme dans le Chriit (si ce fut en son corps ou hors de son corps je ne sçay, Dieu le sçait), qui fut ravi au troisiesme Ciel, et quily ouyt des paroles mystérieuses lesquelles il n'est point loysible a rhomtne de rapporter. II Cor., XII, 2-4. Le grand Apostre saint Paul ayant esté ravi et eslevé jusqu'au troisiesme Ciel, ne sçachant si ce fut hors de son corps ou en son corps ^ dit qu'/7 71 est nulle- ment loysible ni possible à l'homme de raconter ce qu'il y vit, ni les merveilles admirables qu'il apprit et qui luy furent monstrées en son ravissement. Or, si celuy qui les a veuës n'en peut parler, si ayant esté ravi jus- qu'au troisiesme Ciel il n'en ose dire mot, beaucoup moins donques nous autres qui n'avons esté eslevés ni au premier ni au second ni au troisiesme. Le discours que nous devons faire aujourd'huy, selon nostre Evangile *, estant de la félicité éternelle, il faut • Matt., xvh, 1-9. avant toute autre chose que je vous représente une simi- litude. Saint Grégoire le Grand, ayant à traitter en ses Dialogues * des choses merveilleuses de l'autre monde, * Lib. iv, c i. dit : Imaginez-vous, de grâce, de voir une femme laquelle estant enceinte est mise en prison, où elledemeure jusques  234 Sermons recueillis à son accouchement, voire mesme elle y accouche; après quoy elle est condamnée d'y passer le reste de ses jours et d'y eslever son enfant. Cet enfant estant desja un peu grand, la mère le veut instruire, s'il faut ainsy dire, des choses de l'autre monde, car ayant tousjours vescu dans cette continuelle obscurité, il n'a nulle connoissance ni de la clarté du soleil, ni de la beauté des estoilles, ni de Tamenité des campagnes. La mère donques lu}^ voulant enseigner toutes ces choses, l'on dévale une lampe ou la petite lumière de quelque chandelle, par le moyen de laquelle elle tasche tant qu'elle peut de luy faire compren- dre la beauté d'un jour bien esclairé. Elle luy dit bien : Le soleil et les estoilles sont ainsy faits et respandent une grande clarté ; mais c'est en vain, car l'enfant ne le peut nullement entendre, n'ayant point eu d'expérience de cette clarté dont sa mère luy parle. En après, cette pauvre femme luy veut donner une idée de l'aménité des collines chargées d'arbres et de fruits divers : d'oranges, de citrons, de poires, de pommes et semblables ; mais l'enfant ne sçait que c'est que tout cela, ni comme il peut estre. Et bien que sa mère ayt en main quelques feuilles de ces arbres et qu'elle luy die : Mon enfant, ils sont couverts de telles feuilles ; et luy mons- trant une pomme ou une orange : Ils sont encores chargés de tels fruits, ne sont-ils pas beaux ? ne les fait-il pas bon voir? l'enfant néanmoins demeure en son ignorance, d'autant qu'il ne peut comprendre en son esprit ce que sa mère luy enseigne, tout cela n'estant rien au prix de ' Cf. Tr. de r Am.de ce Qui est en vérité*. Z)/V«, 1. VI, c. IV. J^ ., , De mesme en est-il, mes chères âmes, de ce que nous pouvons dire sur la grandeur de la félicité éternelle et des beautés et aménités dont le Ciel est rempli ; car il y a encores plus de proportion entre la lumière d'une lampe avec la clarté de ces grans luminaires qui nous esclairent, entre la beauté de la feuille ou du fruit d'un arbre et l'arbre mesme chargé de fleurs et de fruits tout ensemble, entre tout ce que cet enfant comprend de ce que sa mère luy dit et la vérité mesme des choses dont elle parle, que non pas entre la luniiere du soleil et la  I A'II. Pour i.h m'' Dimanciif. de Cakf.mr 235 cl.irtf'' dont jouissent les l'iriiluMirciix m la ^(Inirc; fiUre la beauté crime prairie iliapréi* au printemps et la beauté'' de ces campagnes eelestes, entre l'aménité de nos col- lines chargées de fruits et l'aménité de la félicité éter- nelle. Mais bien que cela soit ainsy, et que nous soyons asseurés cpie ce «jue nous en pouvons dire n'est rien au prix lie ce (pii est en vérité, nous ne devons pas laisser d'en toucher ([uelquc? chose. Ayant desja presché plusieurs fois*, et mesme en ce * Vide tom. vill • • ,,T' -1 it • 111 • •• hujus Hdit., Scrui. lieu, sur 1 r.vangne d aujourd huy et sur ce sujet, j ay cxxvii, et tom. pensé que je devois traitter d'un point durjuel je ne vous ^^' ^^^^"- ^^' eusse pas encor parlé. Mais avant que de le vous proposer il est nécessaire que je levé de vos esprits quelques dif- ficultés qui vous pourroyent empescher de bien entendre ce que je diray ])ar après ; et je le fais d'autant plus volontiers que je désire que ce point soit bien niasché, considéré et compris. La première difficulté est à sçavoir mon si les âmes bienheureuses estans séparées de leur corps peuvent en- tendre, voir, ouyr et considérer, bref avoir les fonctions de l'esprit aussi libres que si elles estoyent unies avec iceluy. Je responds que non seulement elles le peuvent comme auparavant, mais beaucoup plus parfaitement. Kt que cela ne soit, je vous présente l'histoire de saint Augus- tin, qui n'est pas un autheur auquel il ne faille adjouster foy. Il rapporte donques * qu'il avoit conneu un médecin 'Epist-cLix,^^ i,.<. à Carthage, qui estoit fort fameux aussi bien à Rome qu'en cette ville, tant parce qu'il estoit excellent en l'art de la médecine comme parce qu'il estoit un grand homme de bien, faisant beaucoup de charités, servant les pauvres gratis ; et cette charité qu'il exerçoit à l'endroit du pro- chain fut cause que Dieu le tira d'une erreur en laquelle il estoit tombé estant encores jeune homme. Dieu favorise grandement ceux qui prattiquent la charité envers leurs frères ; il n'y a rien qui attire tant sa miséricorde sur nous que cela, d'autant que Xostre Seigneur a déclaré que c'est son commandement *, c'est à sçavoir le sien ' Joan., xv, 13. plus chéri et plus aymé ; après celuy de l'amour de Dieu il n'y en a point de plus grand *. • Matt.,xxn,37-^Q  2}6 Sermons recueillis Or, saint Augustin dit que ce médecin luy avoit raconté qu'estant encores jeune il commença à douter que Tame séparée du corps peust voir, ouyr ou comprendre aucune chose ; et se trouvant en cette erreur il s'endormit un jour. Lors un beau jeune homme luy apparut pendant son sommeil et luy dit : Suis-moy. Ce que le médecin fit, et son guide le mena en une grande et spacieuse campagne où d'un costé il luy monstra des beautés incomparables, et de l'autre il luy fit entendre un concert de musique grandement délectable ; puis le médecin se resveilla. Quelque temps après le mesme jeune homme luy apparut derechef en dormant et luy demanda : Me connois-tu bien? Le médecin respondit qu'il le connoissoit fort bien et que c'estoit luy mesme qui l'avoit conduit en cette campagne où il luy avoit fait ouyr un concert si aggrea- ble. Mais comment me peux-tu connoistre et me voir, dit le jouvenceau ; où sont tes yeux? Mes yeux, repartit-il, sont en mon corps. Et où est ton corps ? Mon corps est couché dans mon lit. Et tes yeux, sont-ils fermés ou ouverts? Ils sont fermés. S'ils sont fermés ils ne peuvent rien voir. Confesse donques, que puisque tu me vois, tes yeux estans fermés, que tu me connois fort bien et que tu as ouy la musique quoy que tes sens soyent endormis, que les fonctions de l'esprit ne dépendent pas des sens corporels, et que l'ame estant séparée du corps elle ne lairra pas pourtant de voir, ouyr, considérer et entendre. Puis le sacré songe prit fin et le jeune homme laissa le médecin, lequel ne douta jamais plus de cette vérité. Ainsy le rapporte saint Augustin, lequel ayant dit que le médecin luy raconta qu'il avoit ouy cette divine musi- que qui se chantoit à son costé droit, dans la campagne dont nous avons parlé, mais certes, adjouste-t-il, je ne me souviens pas de ce qu'il avoit veu du costé gauche. En quoy nous remarquons combien ce glorieux Saint estoit exact à ne dire que simplement ce qu'il sçavoit bien estre de la vérité de cette histoire. Apres icelle nous ne devons plus admettre cette difiîculté en nos esprits, que nos âmes estans séparées de leur corps n'ayent une pleine et absolue liberté de faire leurs fonctions et leurs  lA'II. Pour i.e n« Dimaschr df. CarTme 237 actions. Par exemple, nostre entendement verra, consi- dérera et entendra non seulement une chose à la fois, ains plusieurs ensemble ; nous aurons plusieurs atten- tions, sans ([uc l'une nuise à l'autre. Icy nous ne pouvons pas faire cela, car (iuicon([ue veut penser à plus d'une chose en mesme temps il a tousjours moins d'attention à chacune, et son attention en est moins parfaite*. Tout de 'Cj.lr.ii^ lAm.de . r • 1 l^ieii, 1. I, c. X. mesme en est-il de la mémoire: elle nous fournira plu- sieurs souvenirs sans que l'un empesche l'autre. Nostre volonté voudra plusieurs choses et aura beaucoup de divers vouloirs sans que ces vouloirs divers soyent cause qu'elle les veuille ou qu'elle les affectionne moins ; ce qui ne se peut en cette vie, tandis que nostre ame réside dans nostre corps. Aussi nostre mémoire n'a pas une si pleine liberté en ses fonctions, de manière qu'elle ne peut avoir plusieurs souvenirs, au moins les avoir tous à la fois, sans que l'un empesche l'autre ; de mesme nostre volonté affectionne moins fort quand elle ayme plusieurs choses ensemble; ses désirs et ses vouloirs sont moins violens et ardens quand elle en a davantage. La seconde difficulté est touchant l'opinion que plu- sieurs ont que les Bienheureux dans la Ilierusalem ce- leste sont tellement enivrés de l'abondance des divines consolations, que cela leur oste l'esprit en l'esprit mesme, je veux dire que cet enivrement leur enlevé le pouvoir de faire aucune action. Ils pensent que c'en est de mesme que des consolations que l'on reçoit quelquefois en la terre, lesquelles font entrer l'ame en un certain endor- missement spirituel, en sorte que pour un temps il n'est pas possible de se mouvoir et comprendre mesme où l'on est, ainsy que le tesmoigne le Psalmiste royal en son Psalme In convcrtciido * .* Nous avons este faits, dit-il, * Ps- cxxv, t. comme consolés ; ou bien, selon le texte hébreu et la version des Septante, comme endormis, lors que le Seigneur nous a retirés de la captivité*. iMais il n'en -a. Tr.derAm.de . . 11- •,, , , , , Dieu, 1. IX, c. XII. est pas ainsy en la gloire ; car 1 abondance de la conso- lation n'ostera point la liberté à nos esprits d'avoir leurs veuës, de faire leurs actions et leurs mouvemens. La tranquillité est l'excellence de nostre action * ; or, au ("iel ' Cf. ibiJ.,i.v, cm.  V, I  238 Sermons recueillis nostre action n'empeschera pas la tranquillité, ains elle la perfectionnera de telle sorte qu'elles ne se nuiront point l'une à l'autre, voire elles s'entr'ayderont merveil- leusement à continuer et persévérer pour la gloire du pur amour de Dieu qui les rendra capables de subsister ensemble. Ne cro3'ons donques pas, mes chères âmes, que nostre esprit soit rendu stupide et endormi en l'abondance de la jouissance des bonheurs éternels ; au contraire, il sera grandement resveillé et agile en ses différentes actions. Et si bien il est escrit que Nostre Seigneur enivrera ses bien-aymés, disant : Beuve\, mes amis, et vous enivre^, Ps.xxxv,9;Cant., nies tves cliers"^, cet enivrement ne rendra pas Tame moins capable de voir, considérer, entendre et faire ses divers mouvemens, ainsy que nous l'avons déclaré, selon que l'amour de son Bien-Aymé luy suggérera; ains cela l'excitera tousjours davantage à redoubler ses mouve- mens et eslans amoureux, comme estant tousjours plus enflammée de nouvelles ardeurs. La troisiesme difficulté que je veux arracher de vos esprits est qu'il ne faut pas penser qu'en la gloire éter- nelle nous soyons sujets aux distractions comme nous le sommes tandis que nous vivons en cette vie mortelle. La rayson de cecy est que nous pourrons bien avoir, ainsy que nous venons de le dire, plusieurs diverses attentions en mesme temps, sans que l'une nuise à l'autre, ains elles se perfectionneront réciproquement. C'est pourquoy la multiplicité des sujets que nous aurons en nostre enten- dement, des souvenirs de nostre mémoire, ni moins les désirs de nostre volonté ne feront nullement que l'un em- pesche l'autre ni que l'un soit mieux compris que l'autre. Et pourquoy cela? Non pour autre rayson, mes chères Sœurs, sinon parce que tout est parfait et consommé dans le Ciel et en la béatitude éternelle. Cela estant donques ainsy, que dirons-nous maintenant, mais que dirons-nous de cette béatitude ? Le mot de béatitude et de félicité fait assez entendre ce que c'est ; car il nous signifie que c'est un lieu de toutes consola- tions, où tous bonheurs et bénédictions sont compris et  lA'll. l'ot'R iK II" Dimanche dp. Carême 239 rrtcniis *. Si (mi vc monde l'on estime bien heureux un *Cf.tom.viiiiiujus , . . . 1 r • • Edit., p. 378. esprit <[ui p 7» 7 huius EJit.,pp.ii7- il sera 1 II sera tel qu /Z n est pas loysible a l homme ijo. de le rapporter* ; ce sera un devis si secret que nul ne * Cf. supra, p. 233. le pourra entendre que Dieu et celu}^ avec lequel il se fera. Dieu dira un mot si particulier à chacun des Bien- heureux qu'il n'y en aura point de semblable. Mais quel sera ce mot ? Oh ! ce sera un mot le plus amoureux qui se puisse jamais imaginer. Représentez-vous tous ceux qui se peuvent prononcer pour attendrir un cœur et les noms les plus affectionnés qui se puissent ouyr, et puis dites en fin que ce n'est rien au prix de celuy que Dieu donnera à un chacun là haut au Ciel. Il nous donnera un nom *, il nous dira un mot. Supposez qu'il vous dira : ' Apoc, n, 17. Tu es ma bien-aymée, tu es la bien-aymt^e de mon Bien-Aymé, c'est pourquoy tu seras chèrement aymée de moy; tu es la bien choisie de mon bien choisi qui est mon Fils. Cela n'est rien, mes chères âmes, en comparaison de la suavité qu'apportera quant et soy ce mot ou ce nom saint et sacré que le Seigneur fera entendre à l'ame bienheureuse.  246 Sermons recueillis Ce sera alhors que Dieu donnera à la divine amante ce hayser qu'elle a si ardemment demandé et souhaitté, ainsy que nous disions tantost. Oh ! qu'elle chantera amoureusement son cantique d'amour : Qu'il me hayse, le Bien-Aymé de mon ame, d'un hayser de sa bouche. Et poursuivant elle adjoustera : Meilleur est sans nulle comparaison le lait qui coule de ses chères mammelles * Cant., 1, 1-3. que non pas tous les vins les plus délicieux, et le reste*. Quelles divines extases, quels embrassemens amoureux entre la souveraine Majesté et cette chère amante quand Dieu luy donnera ce bayser de paix ! Cela sera pourtant ainsy, et non pas avec une amante seule, ains avec un chacun des citoyens célestes , entre lesquels se fera un entretien admirablement aggreable des souffrances, des peines et des tourmens que Nostre Seigneur a endurés pour un chacun de nous durant le cours de sa vie mor- telle, entretien qui leur causera une consolation telle * Cf. Serm. xxii in que Ics Angcs, au dire de saint Bernard *, n'en sont pas ^° ■ ' capables ; car si bien Nostre Seigneur est leur Sauveur et qu'ils ayent esté sauvés par sa mort, il n'est pourtant pas leur Rédempteur, d'autant qu'il ne les a pas rachetés, ains seulement les hommes. C'est pourquoy ceux cy rece- vront une félicité et un contentement singulier à parler de cette glorieuse Rédemption, par le moyen de laquelle ils auront esté faits semblables aux Anges, ainsy que * Marc, XII, 25. nostrc divin Maistre l'a dit *. En la Hierusalem céleste nous jouirons donques d'une conversation très aggreable avec les Esprits bienheureux, les Anges, les Chérubins et Séraphins, les Saints et les Saintes, avec Nostre Dame et glorieuse Maistresse, avec Nostre Seigneur et en fin avec la très sainte et très ado- rable Trinité, conversation qui durera éternellement et qui sera perpétuellement gaye et joyeuse. Or, si nous avons en cette vie tant de suavité à ouyr parler de ce que nous aymons que nous ne pouvons nous en taire, quelle joye, quelle jubilation recevrons-nous d'entendre éternellement chanter les louanges de la divine Majesté que nous devons aymer et que nous a3^merons plus qu'il ne se peut comprendre en cette vie ! Si nous prenons  LVII. Pour i.t ir Dimanchr dp. Carême 247 tant dr playsir en la soiilc imaj^n'natiDn do la pordurabin felicitô, combien en aurons-nous davantage en la jouis- sance de cotte mcsme felicitô! félicité et gloire (jui n'aura jamais de fin, ains rjui durera éternellement sans que jamais nous on ])nissi()ns osiro rejettes. O cjue cette asseurance augmentera nostre consolation ! Marchons donques gayement et joyeusement, chere.s âmes, parmi les difficultés de cette vie passagère ; embrassons à bras ouverts toutes les mortifications et afflictions que nous rencontrerons en nostre chemin, j)uis([uc nous sommes asseurés que ces peines prendront fin et qu'elles se ter- mineront avec nostre vie, aj")ros laM, 1. II,cc.x-xii, Or, si c est tousjours 1 homme c[ui manque a la grâce i m^ c. iv, l. IV, et que jamais la prace ne nous manque, si l'on voit en ccv.vi ettom viii 1 J c> i ' huius hJit.. Scrm. toutes sortes d'estats, de conditions et de vocations un si CXLIII-CXLV. grand nombre de reprouvés et peu d'esleiis, qui s'asseu- rera et vivra sans appréhension de perdre cette grâce ou de lu}^ refuser son consentement? qui ne craindra de descheoir en ne rendant pas à Dieu le service qui luy est deu, chacun selon son devoir et obligation, puisi[ue si bien nous voyons un Lazare et un saint .Mathias au nombre des esleus, nous trouvons ce riche de l'Evangile et Judas parmi les reprouvés? Mais quo3^ le mauvais riche n'estoit-il pas appelle à une mesme vocation que le Lazare, et Judas à la mesme que saint Mathias ? Ouy, sans doute, cecy est tout clair en l'Evangile ; car le mauvais riche estoit Juif, puis(|u'il appelle Abraham père : Pcre Abraham, luy dit-il, le priant de luy envoyer le Lazare. Il estoit circoncis , et Dieu luy avoit tesmoigné qu'il l'aymoit en  250 Sermons recueillis luy donnant la jouissance de beaucoup de biens et de possessions, d'autant qu'il n'en prenoit pas en la Loy mosaïque comme en celle de grâce, en laquelle la pau- vreté est tant louée et recommandée. Nostre Seigneur n'avoit pas encores dit : Bienheureux sont les pauvres Matt.,v, 3. d'esprit'^ ; aussi en ce temps-là Dieu favorisoit ses amis en leur faisant part des richesses et commodités tempo- relles par lesquelles il les obligeoit à le servir. Nous voyons donques que ce riche estoit appelle de Dieu aussi bien que le Lazare, et qu'il avoit encores plus d'obligation que luy d'observer les divins commande- mens. Ce n'est pas que celuy cy n'y fust aussi tenu, mais d'autant que le riche avoit esté favorisé de beaucoup plus de biens que non pas l'autre, il avoit par conséquent plus de devoir de servir son Seigneur. C'est pourquoy, quand le Lazare ne l'eust pas servi, il n'auroit pas esté si condamnable que le mauvais riche ; il l'auroit esté, sans doute, mais beaucoup moins que luy. Néanmoins nous voyons en l'Evangile du jour que de ces deux hommes esgalement appelles de Dieu, celuy qui a le plus receu et qui est le plus obligé de le servir ne le sert point, ains vit et meurt misérablement, tandis que le pauvre Lazare le sert avec fidélité et meurt heureusement. L'un est porté au sein d' Abraham et l'autre enseveli au fond de V enfer. Mais laissons là ce mauvais riche et regardons la vocation de Judas et de saint Mathias, tous deux Apostres de Nostre Seigneur. Voyez d'abord comme la vocation et élection de Judas estoit advantageuse par dessus celle de saint Mathias ; car Judas, le plus meschant homme qui se puisse trouver, fut appelle à l'apostolat de la propre bouche de Nostre Seigneur qui l'appella mille fois par son nom ; il fut ins- truit de luy comme les autres Apostres, il l'entendit parler et prescher, il fut tesmoin des œuvres merveilleuses qu'il faisoit et comment il confirmoit sa doctrine par de très grans miracles ; son cher Maistre luy avoit fait beaucoup de grâces singulières lesquelles saint Mathias ne receut point, car il ne fut pas appelle à l'apostolat par Nostre Seigneur ni de son vivant, ains par les Apostres après  LVIII. l^OUR l.HJKUDl APKUS l.F. li' DlMANCHH DE CaRHMF. 25 I son Ascension *, do sorto qu'il vint comme un avorton ** ' Act., i, is-26. . ••! Cor., XV, 8. siirc(Mlor iï ce misérable Judas. Il ne fut j)as instruit par le Sau\{'ur nicsme et ne \it })()int s(>s miracles, car il n'estoit pas des Apostres (|ui le suivoyent ; néanmoins il persev(^ra tidellement et mourut très saintement. Judas, au ciHUrair(\ le plus frlon et desloyal homme (pii ayt jamais esté, d'Apostre devint apostat, commettant le plus exécrable péché et la plus grande perfidie en vendant son bon Maistre. (O Tous nos anciens Pères monstrent la pesanteur et gravité de ce ]>eché ; mais (pioy c[ue l'on en exagère la grandeur, si est-ce que l'on n'atteindra jamais à déclarer quelle est son enormit(*. Xostre Seigneur parlant de Judas le nomme //7i' de perdition *y ce que saint Paul •Joan.,xvn, 12. dit aussi de l'Antichrist*. Cecy est une phrase hébraïque. * II Thess., n, 3. Qui dit enfant de consolation veut signifier de la plus grande consolation ou de très grande consolation ; Jlls de joye s'entend de la plus grande joye ou de très grande loye* : de mesme ]m\^s estant tombé dans cette iniquité 'Cf. tom.vil hujus . . o . »c . 1- y-7 EJit., pp. 3S6, 187. que de vendre son Seigneur et Maistre, est dit jîls ou enfant de perdition, c'est à sçavoir de la plus grande ou très grande perdition, telle que celle des diables, car il estoit pire qu'un dialjle ; aussi brusle-t-il avec eux dans les flammes éternelles. Voyla comme celuy de ces deux Apostres qui avoit esté le plus favorisé a apostasie, et l'autre, qui fut appelle à l'apostolat après la mort de Nostre Seigneur, a persévéré, (irand sujet de craindre en toutes sortes d'estats et vocations, car par tout il y a du péril ! Quand Dieu créa les Anges dans le Ciel il les establit en sa grâce, de laquelle il sembloit qu'ils ne devoyent jamais descheoir ; néanmoins Lucifer vint^à se révolter, et luy et tous ses sectateurs refusèrent de rendre à la divine Majesté la sujétion et obéissance de leur propre volonté, disant qu'ils ne se vouloyent point sousmettre, ce qui fut cause de leur ruine. Lucifer traisna après soy ( I ) Les qu.itorze lignes suivantes sont inédites, ninsi que les lignes 8-27. p. 2^6; 37-39. P- 2sS ; i-i-;. p. 2Î9 ; 17-27, p. 260, et 7-1S, p. 263.  252 Sermons recueillis * Apoc, XII, 4. Cf. dans les enfers la troisiesme partie des Anges*, qui tom. praeced. hujus . - , . Edit.,p. 368. estoyent innombrables ; et ceux qui estoyent au sein mesme de la gloire devindrent diables et furent con- damnés aux peines éternelles. Voyla comme il y a eu du péril mesme dans le Ciel. Et l'homme dans le paradis terrestre, où Dieu l'avoit mis en sa grâce, ne vint-il pas à en descheoir ? car Eve, escoutant le serpent, print du fruit défendu, en présenta à son mary, et il en mangea * Gen., m, 1-6. Cf. contre la volonté de son Créateur *. supra, p. 205. Certes, c est une chose espouvantable que la cheute Cf.tom. VIII hujus de Salomon *. Luy, le plus sage de tous les hommes, Edit., p. 547. , . -r>.. ., . , , , _ . a qui Dieu avoit si amplement donne son Esprit, sa sapience et la connoissance de toutes choses, luy qui penetroit jusques au centre de la terre, traittant si haute- ment de tout ce qui s'y trouve, et qui montoit jusques au cèdre du Liban, luy qui parloit avec tant de sagesse non seulement des choses corporelles et matérielles mais * III Reg., 111,11,12, encores des spirituelles * ! Ce qui se voit en cet admirable 7^' 17-2^4.' ^^''^"' Livre de TEcclesiaste et en celuy de ses Proverbes qui sont tout remplis de sentences pleines d'une sapience telle que nous voyons clairement que personne n'en a jamais esté doué comme Salomon. D'autres ont peu parler avec plus de ferveur ou d'éloquence, mais quant à la sagesse, tant pour les choses transitoires que pour les spirituelles, il les a tous surpassés. Néanmoins il est *Videinfra, p.26r. descheu , comme nous dirons tantost *, et il est tombé dans l'iniquité, nonobstant toute la plénitude de l'Esprit * III Reg., XI, r-8; divin qu'il avoit receu *. ■' "' ■ Qui donques ne tremblera ? Y aura-t-il société. Reli- gion, Institut, Congrégation ou manière de vivre qui se puisse asseurer et dire exempte de crainte et appréhen- sion de tomber dans les précipices du péché ? Et quelle compagnie, assemblée ou vocation trouvera-t-on qui soit * Cf.Tr.de r Am.de exempte de péril? O Dieu, nulle que ce soit*. Il y a Les^ Controversel] V^^ ^out à Craindre et sujet de se conserver en grande tom, I hujus Edit., basscssc et humilité. Tenez-vous bien à l'arbre de vostre pp. 52, 53, et Les Enifettens,tom.Yi, profession chacun selon vostre vocation * ; mais ne laissez * I Cor., VII, 20. pas de cheminer craintifs et comme à taston tout le temps de vostre vie, de peur que voulant marcher avec trop  LVIll. Pour le jeldi après le m* Dimanche de Carême 253 (Vassourancc et de hardiosse vous ne tombiez dans les ruines du péché. Job, comme dit saint ( iregoire *, demeu- * In Job, iniiio. rant juste entre les meschans avoit receu une grande grâce de Dieu, car pour l'ordinaire l'on est tel que ceux avec qui l'on converse ; partant il avoit grand sujet de louer le Seigneur de cr ([u'il le maintenoit dans le bien parmi les impies. C'est une chose périlleuse de vivre dans le monde en la conversation des meschans ; c'est pour- quoy demeurer bon parmi iceux sans deseheoir de la grâce est une faveur très spéciale de Dieu, et pour ce, dit saint liierosme *, il en retire plusieurs hors de ce ' Ep. xiv, ad Hc- siecle et les appelle dans le désert où ils n'ont point la société des pervers. Or, ceux ([u'il a placés en quehjue bonne et sortable vocation ont un grand sujet de le louer et remercier, il est vray, car ils ont receu un singulier bénéfice d'estre séparés de la compagnie des meschans et associés avec les bons ; mais sont-ils hors de danger ? O non. Et pour- quoy ? Parce qu'il ne suffit pas d'estre en cette sainte vocation et admis avec les bons si l'on n'y persévère*. •Mntt.,^x. aa.xx^v, Or, ce bienfait de la persévérance est très grand, d'autant que quand on vient à manquer à la grâce en telle ma- nière de vie les cheutes en sont plus graves et périlleuses, comme ont esté celle des Anges dans le Ciel, celle d'Adam dans le Paradis terrestre et de Judas au collège de Nostre Seigneur. Chose estrange que dans l'Eglise triomphante (non pas triomphante pour lors, mais ange- lique), parmi des esprits si purs, doués d'une si noble et excellente nature, parmi une si sainte compagnie où il n'y avoit aucune occasion de péril, sans tentation ni suggestion des esprits malins, car il n'y en avoit point encores, il y ayt eu un si petit nombre d'Afîges qui a3'ent persévéré, et que la troisiesme partie se soit révoltée contre Dieu et ayt esté précipitée dans les enfers ! Chose espouvantable aussi que Judas, qui avoit esté appelle du Sauveur mesme à l'apostolat, ayt commis un si exécra- ble péché et une si estrange trahison que de vendre son Maistre au temps qu'il alloit en sa compagnie , qu'il oyoit sa parole et qu'il voyoit les œuvres merveilleuses  13; II Pétri, I, 10.  254 Sermons recueillis qu'il faisoit ! Ce sont des exemples qui doivent faire trembler toutes sortes de personnes, de quel estât, condi- tion ou vocation qu'elles soj^ent. Mais voyons encores la ressemblance qu'il y a au pro- grès de la vie du mauvais riche et de Judas. Le premier *Cf.tom.viiihujus estoit riche, dit l'Evangfile, et avaricieux *. Pour bien Edit.,Ser.CXXXI. ^ , -i r . entendre cecy il tant que vous sçachiez qu il y a deux sortes d'avarice : l'une est temporelle, et c'est celle par laquelle on a une avidité d'acquérir les biens, les hon- neurs et commodités de cette vie ; d'où vient que l'on en voit tant dans le monde qui ne pensent et semblent n'avoir autre chose à faire icy bas qu'à amasser des richesses et à mettre mayson sur mayson, pré sur pré, champ sur champ, vigne sur vigne, trésor sur trésor. *Is., V, 8. C'est à telles sortes de gens que le Prophète * dit à l'oreille : O fols que vous estes, cro3^ez-vous que le monde ne soit fait que pour vous ? Comme s'il disoit : O misé- rables, que faites-vous ? Pensez-vous tousjours demeurer en la terre, ou n'}^ estre que pour amasser des biens tem- porels ? O certes, vous n'estes point créés pour cela. Hé quoy, dit la prudence humaine, le ciel, la terre et par conséquent tout ce qui se trouve en icelle, n'est-il pas fait pour l'homme, et Dieu ne veut-il pas que nous en usions ? Il est vray que Dieu a créé le monde pour l'homme avec intention qu'il usast des biens qu'il trouve- roit en iceluy, mais non point à fin qu'il en jouist comme si c'estoit sa fin dernière. Il créa le monde avant que de créer l'homme, car il lu}^ voulut préparer un palais, une mayson et demeure dans laquelle il se peust loger ; ensuite il le déclara maistre de tout ce qui est en icelu}^, luy permettant de s'en servir, mais non pas en telle sorte qu'il n'eust point d'autre prétention, car il l'avoit créé pour une fin plus haute qui est luy mesme. Néanmoins la cupidité et avarice a tellement renversé le cœur de l'homme qu'il est venu à ce point de vouloir « jouir de ce dont il clevroit user et user de ce dequo}^ il devroit 'S. Aug., De Divers. jOuir *. » Q.uœst. octog. tri- /^> . j •^- ' ' • ^ i. 1 1 j 1 1 bus, qu.xxxT C est une grande pitie a qui taste le pouls de la plus- part des mondains et à qui regarde un peu de près les  lA'lll. l'oUR II- JRL'DI APRhS l.H II' DlMANCHF DH Car/-MR 2^5 inouveinens de leurs c(jnirs ! L'on dcscouvrc facilement ([u'ils veulent jouir du monde et de ce qu'il contient, mais quant ci Dieu ils se contentent d'en user. !)<• là vient que tout ce (qu'ils font n'est ([ue j)()ur la conservation des choses temporelles, et (ju'ils ne font (juasi rien pour acquérir la félicité éternelle. S'iN prient, s'ils j^ardent les comniandemens ou pratti(iuent ([uchiues autres bonnes œuvres c'est de crainte que Dieu ne les chastie par ciuel- que desastre ou infortune, ou à fin (^u'il leur conserve leurs m:iysons, leurs champs, leurs vignes, leur femme, leurs enfans desquels ils veulent jouir, se contentant d'user de Dieu pour ce sujet ou tels autres. C'est d'icy qu'arrivent tous nos maux. Si j'estois autre part j'en dirois davantage sur cette sorte d'avarice, mais celles à qui je parle n'en ont pas à faire. Il y en a une autre qui serre et ne veut point ([uitter pour quoy que ce soit ce qu'elle a. Celle cy est grande- ment dangereuse et se glisse par tout, mesme dans les Religions et dans les choses spirituelles. On se peut bien encores garder de la première, car on trouvera plusieurs personnes qui n'ont pas cette ambition d'amasser beau- coup de prés, de champs et maysons, mais peu qui quittent franchement ce qu'elles possèdent. On rencontrera des hommes qui ayans femme, enfans et une famille à en- tretenir, pour laquelle ils auroyent besoin d'acquérir quelques commodités à fin de la subvenir, lesquels néan- moins ne s'en soucient pas, ains mangent et dissipent toute leur substance, demeurant toute leur vie pauvres, chetifs et misérables; mais ils sont tellement avaricieux de leur liberté, qui est leur trésor, leur richesse et la plus noble pièce qu'ils ayent, ils la tiennent si ferme et de si près que pour rien au monde ils ne la veulent perdre, c^uittcr ni assujettir, ains en veulent jouir pour vivre selon leurs fantasies et se vautrer en toutes sortes de playsirs et voluptés. On verra des riches qui n'auront point cette première avarice d'amasser trésor sur trésor, mais ils enfonceront tellement leur cœur dans celuy qu'ils ont, à dessein de le mieux conserver, qu'il est presque impossible de les tirer de là. Un vilain aymera  2^6  Sermons recueillîs  *IOrat. contra Jul. § loo; Poem.,1. II Sectio I^, poem. i lineae 96-101.  tant sa volupté et la tiendra si chère qu'il ne quitteroit la délectation qu'il prend en icelle pour toutes les riches- ses et honneurs du monde. Il y a mesme des âmes spirituelles qui possèdent ce qu'elles ont avec tant d'attache et qui prennent tant de playsir à voir et regarder ce qu'elles font, qu'elles com- mettent une espèce d'idolâtrie, se faisant autant d'idoles que d'actions, lesquelles elles adorent. Saint Grégoire Nazianzene dit * qu'il délaissa facilement les biens et honneurs de cette vie, en sorte qu'il n'avoit point d'ambi- tion ni de tentation pour acquérir toutes ces choses ; mais il luy restoit un si grand désir de sçavoir et estudier que toutes les richesses ne luy est03^ent rien au prix de cette envie qu'il avoit d'apprendre les lettres. Ce désir luy estoit si cher qu'il ne trouvoit rien de si difficile à quitter pour Dieu, car il se fust plus aysement desfait et eust plus volontiers cédé tous les biens et playsirs du monde, s'il les eust eus, que cette passion de s'instruire. Il sem- bloit quasi que Dieu la luy laissast comme la dernière et principale pièce de son renoncem^ent ; néanmoins il se contenta de la resolution que saint Grégoire avoit de tout abandonner pour luy, le mettant en un lieu où il pou- voit estudier et quitter son désir sans le quitter. Ainsy il s'adonna à l'estude parce que son souverain Maistre l'avoit placé en un endroit où il luy estoit loysible de ce faire ; de sorte qu'en apprenant il acquiesça à la divine volonté. Judas et le mauvais riche estoyent avaricieux de ces deux sortes d'avarice dont nous venons de traitter. Ils estoyent avides d'amasser des richesses et de mettre argent sur argent, mais encores ils cacho3^ent et serro3^ent si fort les biens qu'ils avoyent et les aj^moient si déme- surément qu'ils les adoro3^ent et en faisoyent leur dieu. C'est une façon de parler de l'Escriture : l'avaricieux fait Ephes., v,j; Co- son dieu de son or et de son argent*, et le voluptueux de son ventre *. Il y a bien de la différence entre boire du vin et s'enivrer, entre user des richesses et les adorer. Celuy qui boit du vin selon sa nécessité ne fait point de mal, mais celuy qui en prend avec tel excès qu'il vient  loss., III, "5. Cf. tom VIII hujus Edit p. 95. * Philip., m, 19.  LVIII. Pour LEjhUDi apkhï) lk ii" Dimanchh ul Carlmh 257 à s'enivrrr offense Dieu niortcllement, perd le ju^^'inent, noyé sa rayson dans \c \in ([u'il boit, et s'il vcnoit à mourir en cet estât il se damneroit ; c'est comme s'il disoit en beuvant : Si je meurs je me veux perdre et damner éternellement. II y a aussi différence entre user des richesses et les adorer : en user selon son estât et condition, car il faut dire cela, c'est une chose permise ([uand on le fait comme il faut* ; mais de s'en faire d<3s •CJ.Infro./.alaVtr •11 » i. 1 .• .1 .• I ^ ei»um Comm m <=> i-i I- o ' locuin hphes.infra. ains seulement à la qualité de cette union, c'est à sçavoir, que nous nous devons aymer et estre unis par ensemble le plus purement et le plus parfaitement f[u'il se peut. J'ay pris d'autant plus de playsir à traitter de ce sujet aujourd'huy, que j'ay trouvé que saint Paul nous recom- mande cet amour du jirochain avec des termes admira- bles dans ri{pistre que nous avons leuë à la sainte Messe, en laquelle il dit escrivant aux Ephesiens * : Bien aymés, ' Cnp. v, i, 3. marcJiei en la voye de la dilection des uns envers les autres comme enfaiis très chers de Dieu ; marchez en icelle comme Jésus Christ y a marché, lequel a donné sa propre vie pour nous, s'offrant à Dieu son Père en holocauste et en hostie d'odeur et de suavité. Oh que ces paroles sont aymables et dignes d'estre consi- dérées ! Ce sont paroles toutes dorées, par lesquelles ce grand Saint nous fait entendre quelle doit estre nostre concorde et nostre dilection les uns envers les autres. Concorde et dilection est une mesme chose ; car le mot de concorde signifie union des cœurs, et dilection, élec- tion des affections, union des affections *. Il semble qu'il * cj. tom. ^r^ced. vouloit nous déclarer ce que le Sauveur entendoit quand "^"* ^^^'' ^'' "^^' il prioit son Père céleste que nous fussions tous un, c'est à dire unis, comme luy et son Père estoyent uji. Xostre Seigneur avoit esté un peu court en nous enseignant par paroles comme quoy il desiroit que nous prattiquassions  268 Sermons recueillis cette sainte et très sacrée union ; c'est pourquoy son glo- rieux Apostre s'estend davantage à nous l'exprimer, nous exhortant à marcher en la voye de la dilection comme enfans très chers de Dieu. Comme s'il disoit : De mesme que Dieu, nostre Père tout bon, nous a aymés *Eph.,i, 5;IJoan., si chèrement qu'il nous a tous adoptés pour ses enfans*, ainsy monstrez que vous estes vrayement ses enians en vous aymant chèrement les uns les autres en toute bonté de cœur. Mais à fin que nous ne cheminions point d'un pas d'enfant en cette voye de la dilection que Dieu nostre Père nous a tant recommandée, saint Paul adjouste : Marche^-y comme Nostre Seigneur y a marché, don- nant sa vie pour nous, et le reste qui s'ensuit. En quoy il nous monstre qu'il veut que nous marchions d'un pas de géant et non de petit enfant. Ayme^-vous les uns *Joan.,xiii, 34, XV, les autres comme Jésus Christ nous a aymés *, non pour aucun mérite qui fust en nous, ains seulement parce qu'il 'Vide supra, p. 266. nous a creés à son image et semhlance'^. C'est cette image et semblance que nous devons honnorer et aymer en tous les hommes, et non pas autre chose qui soit en eux ; car rien n'est aymable en nous de ce qui est de nous, puisque non seulement cela n'embellit pas cette divine ressemblance, ains l'enlaidit, souille et barbouille, en sorte que nous ne sommes presque plus reconnoissa- bles. Or, c'est ce qu'il ne faut nullement aymer dans le *Cf.Introd.alaVie prochain, Car Dieu ne le veut pas *. xxii'ettomfprœced! Pourquoy douc Nostre Seigneur a-t-il voulu que nous hujusEdit., p.aoï. nous aymassions tant les uns les autres, et pourquoy, * Cf. s. Chrysost., demandent la pluspart des saints Pères *, a-t-il pris \.yixn)ixiU^lt.l%['. ^^^^ ^^ ^^^"^ ^^ nous inculquer ce précepte comme estant * Matt., XXII, 39. semblable au commandement de l'amour de Dieu * ? Cecy fait grandement estonner, que l'on dise que ces deux commandemens sont semblables, veu que Tun tend à aymer Dieu, et l'autre la créature : Dieu qui est infini, et la créature qui est finie ; Dieu qui est la bonté mesme et duquel tous biens nous arrivent, et l'homme qui est rempli de malice et duquel nous viennent tant de maux ; car le commandement de l'amour du prochain contient  I.IX. l'oiK l.H III* DlMASCHE DH CaRÊMF. 3^9 aussi rdiiiour des rnncmis *. Mon Dieu, qucll»? (lispr(")i)f)r- * Matt., v, 43, 44. tion (Mitre les objets de ces deux amours ! et cependant les coniniandeniens sont senihlables, en telle sorte que l'un nr peut subsister sans l'autre; il faut nécessairement ([uc l'un périsse ou s'accroisse en mcsme temps que l'autre descroit ou aug-mente, ainsy que parle saint Jean *. * Jo.m., m, 30. Marc Antoine acheta un jour deux jeunes jouvenceaux que luy présenta un certain ma(iuii,mon ; car en ce temps là, comme il se fait enrorcs en (juelques contrées, l'on vendoit les enfans: il y avoit des hommes qui en faisoyent provision et usoyent de ce traffic comme l'on fait des chevaux en nos païs. Ces deux enfans se ressembloyent tellement et si parfaittement que le maquignon luy fit accroire qu'ils estoycnt jumeaux, n'estant pas croyable qu'ils peussent avoir une si parfaitte ressemblance autre- ment ; car estans se])arés l'un de l'autre l'on ne pouvoit nullement juger quel c'estoit des deux, rareté dont Marc Antoine fit un si grand estât qu'il les acheta fort chère- ment. Mais les ayant fait conduire chez luy, il trouva que ces deux enfans parloyent un langage très différent, d'autant que Pline raconte * que l'un estoit de ces quar- «Hist. nat.,i. vu, tiers du Dauphiné et l'autre de l'Asie, lieux si distans huj'us EditTs^rm^ l'un de l'autre c^u'il ne se peut presque dire. Ce que Marc XCix. Antoine ayant sccu, et que non seulement ils n'estoyent pas jumeaux, voire qu'ils ne venoyent pas de mesme païs, et qu'ils n'estoyent pas nés sous un mesme roy, il se mit grandement en colère et fut fort courroucé contre celuy qui les luy avoit vendus. Mais un certain jeune fripon luy ayant représenté que la ressemblance de ces esclaves estoit d'autant j)lus admiraîjle qu'ils estoycnt de diverses contrées et qu'ils n'avoyent point d'alliance par ensem- ble, il demeura tout apaisé et en fit tousjours despuis un si grand estât qu'il eust mieux aymé perdre tous ses biens que ces deux enfans, à cause de la rareté de leur ressemblance. Que veux-je dire par là, sinon que le commandement de l'amour de Dieu et celuy de l'amour du prochain se ressemblent autant que ces deux jouvenceaux dont Pline parle, quoy qu'ils soyent de païs extrêmement lointains;  270 Sermons recueillis car quel esloignement y a-t-il, je vous prie, entre l'infini et le fini, entre l'amour divin qui regarde un Dieu im- mortel et l'amour du prochain qui regarde l'homme mortel, entre l'un qui regarde le Ciel et l'autre, la terre? Cette divine ressemblance est donques d'autant plus admirable. C'est pourquoy nous devons faire comme Marc Antoine : nous devons acheter ces deux amours, comme jumeaux sortis tous deux des entrailles de la miséricorde de nostre bon Dieu, et ce en mesme temps ; car dès que *Videsupra,p.266. Dieu crea Vhomme à son image et semhlance'^ il or- donna à cet instant mesme qu'il aymeroit Dieu et son prochain aussi. La loy de nature a tousjours appris ces deux préceptes au cœur de tous les hommes ; de sorte que si Dieu n'en eust point parlé, tous néanmoins eussent sceu qu'ils est03^ent obligés de ce faire. Nous voyons cecy en ce que le Seigneur trouva extrêmement mauvaise la res- ponce du misérable Caïn,qui eut bien la hardiesse, quand il luy demanda ce qu'il avoit fait de son frère Abel, de *Gen.,iv, 9. dire qu'il n'estoit pas obligé de le garder*. Nul ne se peut excuser de ne pas sçavoir qu'il faut aymer nostre prochain comme nous mesme, Dieu ayant gravé cette vérité au fond de nos coeurs en nous créant tous à la ressemblance les uns des autres ; car portant tous en nous l'image du Créateur, nous sommes par conséquent l'image les uns des autres, ne représentant tous qu'un mesme portrait qui est Dieu. Cela estant donques ainsy, voyons un peu, je vous prie, en quels termes Nostre Seigneur nous a recommandé l'amour du prochain, sur lequel point j'establis ces con- * Joan., xm, 34. sidcrations.y^ vous donne^ dit-il parlant à ses Apostres*, un commandement nouveau, qui est que vous vous aymie\ les uns les autres. Et premièrement, pourquoy appelle-t-il ce commandement nouveau, puisqu'il avoit *Levitic., XIX, 18. dcsja esté donné en la Loy de Moyse *, et que mesme, comme nous l'avons ja veu, il n'avoit pas esté ignoré en la loy de nature, ains reconneu, voire observé par quelques uns dès la création de l'homme ? Nostre divin JMaistre appelle ce commandement nouveau d'autant qu'il  I.IX. l'uuK n: \ir DiMANCuH DR CarAme 271 le vouloit rcnouvcller * ; vt coinnic (|uanil on nu't du vin ' Cf. Scrm.notatum nouveau vu (luaiitiic dans un tonneau où il y en a encor un '' - P- ' '^ pou de vieux, Von ne dit pas que tel tonneau contient du vin viel ains du nouveau, parce (juo la cjuantitr' de celuy cy surpasse sans com[)arai.s()n celle de l'autre, de inesme Nostre Scij^neur aj)j)elle ce commandement )ioiivcaiiy d'autant (^ue, si bien il avoit esté donné auparavant, il n'avoit pourtant esté observé que par un fort petit nom- bre de personnes; si qu'il pouvoit le nommer tout 7iou- veaiiy parce qu'il vouloit qu'il fust tellement renouvelle que tous s'ay massent les uns les autres. Ainsy faisoyent les premiers Chrestiens, ([ui n'avoyent tous qu'un cœur et i\\i une anie*, entretenant une telle * Act., iv, 33. union par ensemble que jamais on ne voyoit entr'eux nulle division ; aussi jouissoyent-ils d'une consolation très grande par le moyen de leur concorde. Tout ainsy que de plusieurs grains de froment moulus et pétris ensem- ble on fait un seul pain, pain qui est composé de tous ces grains de blé qui estoyent auparavant séparés et qui ne sont plus separables maintenant, de manière qu'ils ne peuvent plus estre remarqués ni reconneus en parti- culier, de mesme ces Chrestiens avoyent un amour si fervent les uns pour les autres, que leurs volontés et leurs cœurs estoyent tous saintement confus et pesle meslés. Ma.\s cette sainte confusion et divin meslange n'y apportoit nul cmpesc^henicnt, car il no pouvoit y avoir de division ni de séparation ; de sorte que le pain pctri de tous ces cœurs estoit infiniment aggreable au goust de la divine Majesté. Et comme nous voyons encores que de plusieurs raisins pressurés les uns avec les autres se fait un seul vin, et qu'il n'est plus possible de remarquer quel est le vin sorti d'une telle graine ou d'une telle grappe, ains tout estant pesle meslé ne forme qu'un vin tiré de plusieurs graines de raisins, de mesme ces cœurs des premiers Chrestiens, esquels regnoit la sainte charité et dilection, n'estoyent qu'un vin composé de plusieurs cœurs comme de plusieurs raisins, .^lais ce qui establissoit une si grande union entr'eux n'estoit autre, mes chères âmes, sinon la  272 Sermons recueillis *Act.,ii,43;ICor., tres sainte Communion *, laquelle venant à cesser ou à X 17. se faire rarement, la dilection est venue par mesme moyen à se rafroidir entre les Chrestiens et a grande- ment perdu sa force et sa suavité. Le commandement de l'amour du prochain est donques nouveau pour la rayson que nous venons de dire, à sçavoir parce que Nostre Seigneur l'est venu renouveller, tesmoignant qu'il vouloit qu'il fust mieux observé qu'au- paravant. Il est nouveau aussi parce qu'il semble que le Sauveur ra3^t ressuscité, comme on peut appeller un homme nouveau celuy qui estant mort vient à ressusciter. Ce commandement estoit tellement négligé entre les hommes qu'il sembloit n'avoir pas esté fait, tant il y en avoit peu qui s'en resouvinssent ou du moins qui l'obser- vassent. Nostre Seigneur le leur redonne donques; par- tant il veut que, comme une chose nouvelle, comme un commandement nouveau, il soit prattiqué fidellement et fervemment. Il est nouveau aussi à cause des nouvelles obligations que nous avons de l'observer. Or, quelles sont ces nou- velles obligations que Jésus Christ a apportées au monde, de nous rendre souples en l'observance de ce divin pré- cepte ? Elles sont grandes certes, puisque luy mesme est venu nous l'enseigner non seulement de paroles mais beaucoup plus d'exemple ; car ce Maistre divin et tres aymable ne nous a point voulu apprendre à peindre qu'il n'ayt premièrement peint devant nous ; il ne nous a donné nul précepte qu'il ne l'ayt premièrement observé devant que nous le donner. Aussi, avant de renouveller ce commandement de l'amour du prochain, il nous a aymés et monstre par son exemple comment nous le devions prattiquer à fin que nous ne nous en excusassions point comme si c'estoit une chose impossible ; il s'est donné au tres saint Sacrement, puis il nous a dit : Aymez- * joan., XV, 12. vous les uns les autres comme je vous ay aymés*. Les hommes de l'ancienne Loy sont damnés s'ils n'ont pas aymé le prochain, car ou la loy de nature les y obligeoit ou bien celle de Moyse; mais les Chrestiens qui, après l'exemple que Nostre Seigneur nous en a laissé,  LIX. l'ouR i.K iir Dimanche df. CARf-MP. 273 ne s'a^'inent pas les uns les autres et n'observent ce divin précepte delà charité mutuelle seront damnés d'une damnation incomparablement j)lus grande. Les hommes d'autrefois, j(; veux dire ceux qui vivoyent avant la glorieuse Incarnation de nostre cher Sauveur et Maistre, peuvent avoir (juelques excuses, car si bien l'on sçavoit desja en ce temps là (jue Xostre Seigneur, unis- sant nostre nature humaine à la nature divine, vicndroit reparer par sa .Mort et Passion Vinuiirc et semhlance de Dieu imprimée en nous *, ce n'estoyent que quelques uns 'Vide supra, p. 266. des plus grans, comme les Patriarches et les Prophètes qui avoyent cette connoissance, les autres hommes l'igno- royent quasi tous. .Mais maintenant ijuc nous sçavons non pas qu'il viendra, ains qu'il est venu, et qu'il nous a recommandé tout de nouveau cette sainte dilection les uns envers les autres, combien serons-nous dignes de punition si nous n'aymons nostre prochain ! Se faut-il donques estonner si ce Bien-Aymé de nos âmes veut que nous nous aymions comme il nous a aymés, puisqu'il nous a tellement restablis en cette par- faitte ressemblance que nous avions avec luy qu'il semble qu'il n'y ayt plus aucune ditTerence ? Certes, nul ne peut douter que l'image de Dieu qui estoit en nous avant l'Incarnation du Sauveur ne fust grandement distante de la vraye ressemblance de Celuy que nous représen- tions et duquel nous estions les portraits ; car quelle proportion y a-t-il, je vous prie, entre Dieu et la créature? Les couleurs de ce portrait estoyent infiniment blasfardes et décolorées ; il n'y avoit simplement que quelques traits, quelques petits lineamens, ainsy que l'on voit en un portrait ou en un tableau qui est seulement esbauché, et où les couleurs n'estans encores posées.'^on n'y remar- que qu'un air bien petit et bien mince de celuy qu'il représente. Mais Nostre Seigneur estant venu au monde a tellement relevé nostre nature au dessus de tous les Anges, des Chérubins et de tout ce qui n'est point Dieu, il nous a tellement faits semblables à luy, que nous pouvons dire asseurcment que nous ressemblons parfait- tement à Dieu, lequel s'estant fait homme a pris nostre SiRM. IV ,S  274 Sermons recueillis semblance et nous a donné la sienne. O combien donques devons-nous relever nos courages pour vivre selon ce que nous sommes, et imiter le plus parfaittement qu'il se peut Celuy qui est venu pour nous enseigner ce que nous devions faire, à fin de conserver en nous cette beauté et divine ressemblance qu'il a si entièrement reparée et embellie en nous ! Or dites-moy donques, l'amour cordial que nous nous devons porter les uns aux autres quel doit-il estre, puis- que Nostre Seigneur nous a tous esgalement reparés et faits semblables à luy sans en exclure aucun ? On doit néanmoins tousjours se resouvenir qu'il ne faut pas aymer au prochain ce qui est contraire à cette divine ressem- blance ou qui peut ternir ce portrait sacré ; mais hors de là, ne devrions-nous pas, mes chères âmes, aymer chère- ment celuy qui nous représente si au vif la personne sacrée de nostre Maistre ? N'est-ce pas un des plus pre- gnans motifs que nous sçaurions avoir pour nous aymer d'un amour extrêmement ardent? Hé, quand nous voyons nostre prochain ne devrions-nous pas faire comme le bon Raguel quand il vit le jeune Tobie ? Celuy-cy, estant allé en Rages par le commandement de son père, fit ren- contre de ce bon homme Raguel, lequel le regardant : Hé, dit-il à sa femme, mon Dieu, que ce jeune homme me représente bien nostre cousin ïobie ! Sur quoy il luy demanda d'où il estoit et s'il ne connoissoit point Tobie; à quoy TAnge qui le conduisoit respondit : Celuy cy à qui vous parlez est son fils ; je vous laisse à penser si nous le connoissons ! Lors le bon Raguel, tout trans- porté d'a3^se, l'embrassa, et le caressant et baysant fort tendrement : O mon enfant, s'escria-t-il, que tiL es fils d'un bon père et que tu ressembles à un grand homnie de bien ! Puis il le receut en sa mayson et le traitta merveilleusement bien selon l'affection qu'il portoit à son * Tobiae, vu, 1-9. cOUSiu Tobic *. CA.Tr. deVAm.de tt - 1 » 1 • r • 1 £)/^M, 1. X, c. XI. He donques, n en devrions-nous pas faire de mesme quand nous nous rencontrons les uns les autres ? Oh, de- vrions-nous dire à nostre frère, que vous ressemblez à un grand homme de bien, car vous me représentez mon  LIX. l'OUR l.F MI" DlMANCHH DK CaRF.MR îyç Sauveur et mon Maistre ! V.t sur Tasseurance qu'il nous donne ou que nous nous donnerions les uns aux autres que nous reconnoissoiis trcvs bien la ressemblance du Créateur et ([ue nous soniines ses entans, quelles tendres caresses ne devrions-nous pas nous faire î Mais pour mieux dire, combien dcx rions-nous recevoir amoureusement le pro- chain, honnorant en luy cette divine ressemblance, re- nouant tousjours d(î nouveau ces doux liens de charité * * Coloss., m, 14. qui nous tienntMit liés, serrés et conjoints les uns aux autres. Marchons dontiucs m Li \o\c d<' la dilcctîo)i comme cnfiins trrs clicrs de Dieu, ainsy que nous admoneste le saint Apostre en ri''pistre d'aujourd'huy. Mais march(v-v, dit-il en poursuivant, comme Jc^iis Christ y a marché, lequel a il ou né sa vie pour nous, et s'est offert pour nous à son Père comme holocauste et hostie en odeur de suavité. De ces paroles nous tirons la connoissance du degré au([uel doit ])arvenir nostre amour mutuel et à quelle perfection il doit monter, qui est de donner les uns pour les autres ame pour ame, vie pour vie, bref tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons hors le salut ; car Dieu veut que cela seul soit excepté. Nostre Seigneur a donné sa vie pour un chacun de nous, il a donné son ame, il a donné son corps, en fin il n'a rien réservé; partant il ne veut pas que nous reservions rien du tout *, hormis le salut éternel. ' I Joan., m, 16. Nostre divin Maistre nous a donné sa vie non seule- ment l'employant à guérir les malades, faire des mira- cles et nous enseigner ce que nous devions faire pour nous sauver ou pour luy estre aggreables ; mais il l'a donnée aussi en fabriquant sa croix tout le temps d'icelle, souffrant mille et mille persécutions de ceux mesmes auxquels il faisoit tant de bien et pour lesquels il livroit sa vie. Il faut que nous en fassions de mesme, dit le saint Apostre, c'est à dire que nous fabriquions nostre croix, que nous souffrions les uns des autres comme le Sauveur nous l'a enseigné, que nous donnions nostre vie pour ceux mesmes qui nous la voudroyent oster, comme il fit si amoureusement ; que nous l'employions pour le prochain non seulement es choses aggreables, mais es  276 Sermons recueillis plus pénibles et desaggreables, telles que de supporter amoureusement ces persécutions qui pourroyent en quel- que façon attiédir nostre amour envers nos frères. Il y en a plusieurs qui disent : J'a3^me grandement mon prochain et voudrois bien luy rendre quelque ser- *DeConsid.,i.lV, vice. Cela est bien bon, dit saint Bernard *, mais ce n'est C. II. pas assez, il faut passer plus outre. Oh ! si je l'ayme ! Je l'ayme tant que je voudrois de bon cœur emplo3^er tous mes biens pour luy. Cela est davantage et desja meilleur, mais encores n'est-ce pas assez. Je l'ayme tellement, je vous asseure, que j'employerois volontiers ma personne mesme pour luy et en tout ce qu'il desireroit de moy. Voicy certes un très bon signe de vostre amour ; mais encores faut-il passer plus avant, car il y a un plus haut degré en cet amour, ainsy que nous l'apprend saint Paul * I Cor., XI, I. lequel disoit * : Soye^ mes imitateurs comme je le suis *II Cor., XII, 14,15, de Jésus Christ. Et en l'une de ses Epistres*, (i) parlant à ses enfans très chers, il escrit : Je suis prest à donner ma vie pour vous et à m'employer si absolument que je ne veux faire aucune reserve à fin de vous tesmoigner combien je vous ayme chèrement et tendrement ; ouy mesme je suis prest à laisser faire par vous ou pour vous tout ce que Ton voudra de moy. En quoy il nous enseigne que de s'employer, voire jusqu'à donner sa vie pour le prochain, n'est pas tant que de se laisser employer au gré *Cf. tom. prœced. des autres, ou pour eux, ou par eux *. * PhiHp.^ii' 8.^'^ ' C'est ce qu'il avoit appris de nostre doux Sauveur*, lequel s'estant employé soy mesme pour nostre salut et pour nostre rédemption, se laissa par après employer pour parfaire cette rédemption et nous acquérir la vie éternelle, se laissant attacher à la croix par ceux-là mesmes pour lesquels il mouroit. Il s'estoit employé luy mesme toute sa vie, mais à sa mort il se laissa employer et faire tout ce qu'on voulut, non pas par ses amis, ains par ses ennemis qui luy donnoyent la mort avec une rage insup- portablement meschante. Néanmoins il ne résista ni ( I ) La fin de cet alinéa et les lignes 7-38 de la page suivante, ont été inter- calées dans l'Entretien De la Cordialité. (Voir le volume précédent, p. 13, note ( I ), et au tome VI, les pp. 64, 65 et la Table de correspondance.)  LIX. I\)UK LE lir DlMANCHK DF. CaKÉME 277 sVxriisa de se laisser conduire et tourner à toute main, ainsy t[ue la cruauté su^^eroit à ces malheureux*; car il * I* . l, 5. rejrardoit en cela la volonté de son Père céleste, qui estoit qu'il mourust j)our les hommes, volonté à laciuelle il se sousmettoit avec un amour incomparablement ^rand et di^ne d'estre plustost adore ([u'ima^iné ou compris. C'est à ce souverain de^rré de perfection que les Reli- jrieux et Religieuses, et nous autres qui sommes consacrés au service de Dieu, c'est à ce degré de l'amour du pro- chain, dis-je, ([ue nous sommes aj)pellés et auquel nous devons prétendre de toutes nos forces. Il faut non seule- ment nous employer pour son bien et sa consolation, ains nous laisser employer pour luy par la très sainte obéis- sance tout ainsy que l'on voudra, sans que jamais nous résistions. Quand nous nous employons nous mesmes, ce que nous faisons par le choix de nostre volonté ou par nostre élection apporte tousjours beaucoup de satis- faction à nostre amour propre ; mais à nous laisser em- ployer es choses que l'on veut et que nous ne voulons pas, c'est à dire que nous ne choisissons pas, c'est là où gist le souverain degré de l'abnégation que nostre Sei- gneur et iMaistre nous a enseigné en mourant. Nous voudrions prescher, et l'on nous envoyé servir les mala- des ; nous voudrions prier pour le prochain, et l'on nous envoyé servir le prochain. .Mieux vaut tousjours sans comparaison ce que l'on nous fait faire (j'entens ce qui n'est point contraire à Dieu et qui ne l'offense point), que ce que nous faisons ou choisissons de nous mesmes. Aymez-vous donques les uns les autres, dit saint Paul, comme Nostre Seigneur nous a armés. Il s'est offert en holocauste : ce fut lors qu'estant sur la croix il res- pandit jusqu'à la dernière goutte de son sang sur la terre, comme pour faire un ciment sacré* ducjuel il devoit et * Coioss., i. ao. vouloit cimenter, unir, joindre et attacher l'une à l'autre toutes les pierres de son Eglise, qui sont les fidelles, à fin qu'ils fussent tellement unis, que jamais il ne se trouvast aucune division entre eux, tant il craignoit que cette division ne leur causast la désolation éternelle *. • Cf. supra, p. 365. O combien ce motif est pregnant pour nous inciter à  278 Sermons recueillis l'amour de ce commandement et à son exacte observance : nous avons esté esgalement arrousés de ce sang pretieux, comme d'un ciment sacré, pour serrer et unir nos cœurs les uns aux autres ! O que la bonté de nostre Dieu est * Ps. Lxxii, r. grande * / Nostre Seigneur a encores esté offert ou s'est offert pour nous à Dieu son Père comme hostie en odeur de suavité. Quelle divine odeur ne respandit-il pas devant la divine Majesté lors qu'il institua le très saint Sacre- ment de l'autel, auquel il nous tesmoigna si admirablement la grandeur de son amour ! Ce fut un parfum incompa- rable que cet acte de perfection incompréhensible par lequel il se donna à nous qui estions ses ennemis et qui luy causions la mort, et ce fut alors qu'il nous octroya le moyen de parvenir où il nous desiroit, à sçavoir d'estre *Videsupra,p.266. faits un avec luy, comme luy et son Père ne sont qu'un *, c'est à dire une mesme chose. Il l'avoit demandé à son Père céleste, ou il le vouloit demander, et par mesme voye et en mesme temps il trouva comment cela se pourroit faire. O Bonté incomparable, que vous estes digne d'estre aymée et adorée ! Jusqu'où s'est abaissée la grandeur de Dieu pour un chacun de nous et jusqu'où nous veut-il eslever ? Nous unir si parfaittement à soy qu'il nous rende une mesme chose avec luy ! C'est ce que Nostre Seigneur a voulu, pour nous enseigner que comme nous avons tous esté aymés d'un mesme amour par lequel il nous embrasse tous en ce très saint Sacrement, aussi veut-il que nous nous aymions de ce mesme amour qui tend à l'union, mais à une union des plus grandes et plus parfaites qu'il se peut dire. Nous sommes tous nourris d'un mesme * I Cor., X, 17. pain *, qui est ce pain céleste de la divine Eucharistie, la manducation duquel s'appellant Communion, nous représente, comme nous avons dit, la commune union "Cf. Les Entretiens, quc nous devous avoir ensemble *, union sans laquelle tom.VIhujusEdit., .^ , ^1 j» /- .^ ^^ p. g^_ ^ nous ne mériterons pas de porter le nom d en/ans ae Dieu, puisque nous ne luy sommes pas obeissans. Les enfans qui ont un bon père le doivent imiter et suivre ses commandemens en toutes choses. Or, nous  IJX. Pour if. mi' Dimanche de Carême 279 avons lin Pcre meilleur ([ik» tout autre ot cluf[uol toute bontt* dérive*; ses commandemens ne peuvent estre ([uc 'Jacobi,!, 17. très parfaits et salutaires, c'est pouniuoy nous le devons imiter le ])lus parfaittement (ju'il se peut, et obéir de mesme à ses divines ordonnances. Mais entre tous ses préceptes il n'en est point ({u'il ayt tant inculqué ni dont il ayt tesmoi^né désirer une si exacte observance que celuy de l'amour du prochain ; non pas que celuy de l'amour de Dieu ne le précède, mais d'autant que pour la pratticjue île celuy de l'amour du prochain la nature ayde moins i[ue pour l'autre, il estoit besoin c^ue nous y fus- sions excités en une façon ])lus particulière. Aymons-nous doni[ucs de toute l'estendue de nos cœurs pour plaire à nostre Père céleste, mais aymons-nous raysonnablement : c'est à dire, que nostre amour soit conduit par la rayson ([ui veut c[ue nous aymions plus l'ame du prochain que son corps; puis que nous aymions encores le corps, et ensuite par ordre tout ce qui appar- tient au prochain, chaque chose selon qu'elle le mérite, pour la conservation de cet amour. Que si nous faisons cela, o qu'à bon droit nous pour- rons bien chanter, et non certes sans beaucoup de con- solation, ce Psalme * dont la considération estoit si suave ' Ps. cxxxu. au grand saint Augustin * : Ecce quam bonum ! O qu'il ' Ennrr. inhuncPs. ,, /, , ■ 1 ^ 1 1 •! / 7 Cf. Les Entretiens, fait bon voir les frères habiler ensemble en une tom.vihujusEdit., sainte iDiion, concorde et paix, car ils sont comme P- H (^ )• l'onguent pretieux que l'on respandit sur le chef du grand Prestre Aaron, lequel par après couloit le long de sa barbe et sur ses vestemens. Nostre divin Maistre est le grand Prestre sur lequel a esté incomparablement respandu cet onguent pretieux et odoriférant de la très • sainte dilection, soit envers Dieu soit envers le prochain ; nous autres, nous sommes comm^ ses cheveux et comme autant de poils de sa barbe. Ou bien nous pouvons con- sidérer les Apostres comme estant la barbe de Nostre Seigneur, qui est nostre Chef et dont nous sommes les membres"^, d'autant ([u'ils furent comme attachés à sa • i Cor.,xii.ia.37 ; face, puis([u'ils virent ses exemples, ses œuvres, et re- iJ'ss^V is'. ^^' °' ceurent ses enseignemens immédiatement de sa bouche  28o Sermons recueillis sacrée. Quant à nous autres, nous n'avons pas eu cet honneur, ains ce que nous sçavons nous l'avons appris des Apostres ; nous sommes donques comme les veste- mens de nostre grand Prestre, nostre Sauveur, sur les- quels néanmoins descoule encores cet onguent pretieux de la très sainte dilection qu^il nous a tant commandée et recommandée. Aussi son saint Apostre nous l'a-t-il plus particulièrement exprimé, ne voulant pas que nous nous amusions à imiter ni les Anges ni les Chérubins en cette prattique tant nécessaire, ains Nostre Seigneur mesme qui nous l'a enseignée beaucoup plus par œuvres que par paroles, principalement estant attaché à la croix. C'est au pied de cette Croix que nous devrions nous tenir continuellement, comme au lieu auquel les imita- teurs de nostre souverain Maistre et Sauveur font leur * Cf. tom. praeced. plus Ordinaire demeure*; car c'est de là qu'ils reçoivent rii^^A-j! ''^^■"°' cette liqueur céleste de la sainte dilection qui sort à grans randons, comme une divine source, des entrailles de la divine miséricorde de nostre bon Dieu qui nous a aymés d'un amour SI fort, si solide, si ardent et si persévérant que la mort mesme ne l'a pas peu attiédir, ains au con- traire l'a infiniment rehaussé et aggrandi. Les eaux des plus ameres afflictions n'ont peu esteindre le feu de cette * Cant., ult., 6, 7. dilection qu'il nous portoit *, tant il estoit ardent, et les persécutions envenimées de ses ennemis n'ont pas eu assez de force pour vaincre la solidité et fermeté incom- parable de l'amour dont il nous a aymés. Tel doit estre nostre amour pour le prochain : fort, ardent, solide et persévérant  LX  Al'Ri:.S LK TROISIKMK DIMAXCIIK Dli: CARÊME  3 mars 1622  En la première partie de l'Kvan^ile *, sur laquelle je * Luc*, iv, 38-44. dois et me veux arrcster, il est fait mention de la guerison de la belle mère de saint Pierre, opérée par Nostre Sei- gneur en Capharnaiim. Voyci le contenu de l'histoire : nostre divin Maistre estant en cette ville où il publioit les effects et grandeurs de la providence de son Père céleste, après avoir fait plusieurs guerisons et délivré un démoniaque*, c'est à dire une personne tourmentée du ' IbiJ., ^-fr. 3)-35- diable, il entra en la maysoii Je Simon et d'André et guérit la belle mère de Pierre qui estait travaillée des fièvres. Or, cela arriva ainsy : le Sauveur estant entré en cette mayson avant le disner, saint Jean, saint Jacques et saint André, avec son frère saint Pierre, s'ad- viserent ou accordèrent par ensemble, devant que se mettre à table, de luy demander la guerison de cette femme. Et luy ayant présenté leur requeste, Nostre Sei- gneur s'approcha du lit de la malade, et se penchant sur elle il la regarda, et V empoignant par la main^, 'Marc, i, 31. commanda à la fièvre de la quitter, ou, comme dit saint Luc, il tança la fièvre, et elle la quitta; lors cette bonne femme se voyant saine se leva et les servit à table. Je parleray d'abord de trois ou quatre points qui regardent la lettre, puis nous dirons le reste. Premièrement, IT^vangeliste escrit que Jésus entra en la mayson de Simon, qui estoit le grand Apostre saint Pierre, le premier des Apostres qui avoit suivi nostre cher  282 Sermons recueillis *Matt., IV, 18-20; Maistre avec son frère saint André*. Saint Matthieu le * Vers. 14. " tesmoigne clairement en son chapitre huitiesme*, et saint * Vers. 39. Marc indirectement en son chapitre premier*, bien qu'en l'Evangile que nous lisons aujourd'huy, saint Luc ne le dise pas, ains seulement que Jésus entrant en la mayson de Simon il guérit sa belle mère qui estait travaillée des fièvres. Plusieurs esprits bigearres en ont tiré qu'il failloit donques qu'en ce temps là saint Pierre ne gardast pas le célibat, et les huguenots ont dit que puisqu'il avoit une belle mère il devoit quant et quant avoir une femme, et partant qu'il estoit pour lors marié ; ce qui n'est point, car il n'eust peu suivre Nostre Seigneur s'il eust esté chargé d'une femme. Mais si l'on disoit que puisqu'il avoit une belle mère il devoit avoir eu une femme, et par conséquent une famille, cecy seroit autre chose et l'on auroit rayson. Aussi verroit-on par là que, bien qu'il n'eust pas tous- jours gardé le célibat, néanmoins il y estoit lors qu'il se mit à la suite du Sauveur, ce qu'il monstra par ces pa- rolles qu'il luy addressa : Noies avons tout quitté pour *Matt.,xix, 27. vous suivre ; quelle recompense nous donnere^-vous*? Nous avons tout quitté : il ne dit pas en partie, mais tout, sans reserve d'aucune chose ; et puisque nous avons tout quitté^ quelle sera la recompense que nous recevrons de vous ? Or, il n'eust peu parler de la sorte s'il eust eu une femme. Nostre Seigneur ayant choisi saint Pierre pour chef des ecclésiastiques, il estoit convenable qu'il vescust en *Advers. Heivid., célibat, d'autant que, comme escrit saint Hierosme *, la §2o;Advers.Jovin,, . • • . < • . j • ^ n -^ 1. 1, § 13. Vierge qui vient a se marier ne peut pas dire qu elle soit toute à Dieu. Elle le reconnoist bien tousjours pour son Seigneur, il est vray ; néanmoins elle a un seigneur su- balterne à qui elle appartient aussi et pour qui elle a de l'amour, et partant son cœur n'est pas entièrement à *Cf. I Cor., VII, }}, Jésus Christ, il est partagé, il est divisé*. Mais les eccle- ^^' siastiques qui se sont tout à fait dédiés à Dieu ne doivent point avoir d'autre Seigneur que luy ; c'est pourquoy ils se séparent de la créature quant à cette union qui se fait avec elle par le mariage, à fin de s'unir plus estroittement  1.x. I\)i;r i.H jf:udi ai'Khs i.k m' Dimanchf. df. Cari-mh 283 avec leur 1 )i(Hi ; car le Sacrement de Mariaj4:e est une union de la créature avec la créature, et celuy de !'( )rilre ecclesiasti} au clcfaiit il('s([ii('ls il ne in.in'iiit'ra jamais de nous sfcourir. Tandis i[uc nous avons nos Kej^les, nos Constitutions, dos personnes (jui nous ilisent ce que nous devons faire, n'attendons pas (pie Dieu fasse des miracles pour nous comluire à la ])«'rfe(lion, car il ne le fera pas. Mettez Abraham dans sa famille* et I^lie entre les IVophetes ; * Cf. ciin., xn, i. le Seii;neur n'opérera aucun prodige pour les nourrir. Pourquoy? Parce ([u'il veut ([u* Abraham fasse recueillir son blé, le fasse battre, moudre, et en fin en fasse du pain pour se sustenter. Il a des vaches, qu'il se nourrisse de leur lait; ou bien, s'il veut, qu'il fasse tuer ses veaux gras et qu'il (Ml fasse festin aux Ani;<'s *. .Mais au contraire, • Gcn., xvni, 7, 8. mettez lA'ie près du torrent Je Carilh ou bien dans le désert iJc Brrsrtbrc *\ et vous verrez ([ue là Dieu le •lllR.>g.,xvii, 3-6, sustente, (^n un lieu j)ar l'entremise des Anges, et en ''"'' ^' • l'autre par celle d'un corbccin ([ui 1 iiy apporte tous les jours des pains et de la ehair pour son entretien. Quand donc les appuis humains nous manquent, tout ne nous man'jue pas, car Dieu succède et prend soin de nous par sa spéciale providence. Ces pauvres troupes qui suivent aujourd'huy Xostre Seigneur ne furent secourues de luy qu'après qu'elles furent tout alangouries de faim. Il en eut une pitié extrême parce que, pour son amour, ils s'estoyent oubliés eux mesmes, de sorte qu'ils ne portovcnt quant et eux nulle provision, excepté le petit ^lartial '^ qui avoit l(\s cinq pains d'orge et les deux ' Vide Rih.idenei- 1111 10 ^1 1 r.im , Flores Vit. poissons, il semble que le Sauveur, tout amoureux des s.mct , ad dicm -,0 cœurs de ces bonnes gens, qui estoyent environ cinq J"°"- mille, disoit à part luy : Vous n'avez nul soin de vous, mais je le prcndray moy mesme. Partant, appellant à soy saint Philippe, il luy dit : Ces pauvres gens s'en vont défaillir si on ne les secourt de quelques vivres : où pourrions-n(nis trouver de quoy les sustenter? Ce ([u'il ne demandoit pas par ignorance, ains pour le tenter. Nous ne devons pas entendre que Dieu nous tente pour nous porter au mal, car cela ne se peut'*", ains il 'Jacobi. i, 13. tente les homnies et ses serviteurs les mieux aymés pour esprouver leur fidélité et l'amour qu'ils luy portent, à fin de leur faire accomplir quelques œuvres grandes et  304 Sermons recueillis esclattantes, comme il fit à Abraham quand il luy com- * Gen., XXII, r, 2. manda de luy sacrifier son fils tant aymable Isaac *. De mesme il tente quelquefois ses serviteurs en la confiance qu'ils ont en sa divine providence, permettant qu^ils soyent si alangouris, si secs et pleins d'aridité en tous leurs exercices spirituels qu'ils ne sçavent de quel costé se tourner pour se secouer un peu de l'ennuy intérieur qui les accable. Nostre Seigneur tenta donques saint Philippe, lequel n'estant pas encores confirmé en la foy et en la croyance de la toute puissance de son Maistre, luy respondit comme en rejettant la proposition : O vrayement, deux cens deniers de pain ne suffiroyent pas pour en donner à chacun un morceau. Cecy nous représente merveil- leusement bien certaines âmes qui n'attendent pas que Nostre Seigneur les plaigne, ains le font soigneusement elles mesmes. Il n'y a rien de si pauvre qu'elles sont; il n'y eut jamais, disent-elles, personne si affligé qu'elles. Les peines, les douleurs qu'un chacun a sont tousjours les plus grandes : ces pauvres femmes qui ont perdu leur mari estiment tousjours leur affliction plus griefve que celle de toutes les autres. De mesme en est-il des tribulations purement spirituelles, qui sont ces degousts, aridités, sécheresses, aversions et répugnances au bien que les âmes les plus adonnées au service de Dieu res- sentent fort souvent. Les passions m'inquiètent grande- ment, je ne puis rien souffrir sans répugnance intérieure, tout m'est extrêmement pesant ; j'ay un si grand désir d'acquérir l'humilité, et cependant je sens une si grande aversion à estre humiliée ; je n'ay point cette tranquillité intérieure qui est si aymable, d'autant que les continuelles distractions m'importunent fort. En fin l'exercice de la vertu m'est si difficile que je ne sçay plus que faire ; je suis affligée plus qu'il ne se peut dire, et n'ay pas assez de paroles propres pour exprimer l'incomparable peine *C{.Lestnfreiiens, que je SOufifrC *. tom.VI huiusEdit., -, , -, • 7 • 1 • ^ j t ' • -vt ^ o • pp.115,1 16,232,253! Il est bien vray, dit saint André a Nostre Seigneur, qw'il y a icy un jeune enfant qui porte cinq pains d'orge et deux poissons ; mais qu'est-ce que cela pour  I.XI. l'oUR l.K IV" OlMASCHF. DF. CaRHMR }0f, tiHit ilr nc'/is'^ Ilclas! disent ces pauvres aines attendries sur elles mesnics, mon allliction est telle que deux cens escus de consolations ne me suffiroycnt pas. Nous avons bien île bons li\Tes spiritutds, nous avons des prédica- tions, nous a\()iis du tenij)s pour \a<[uer à l'oraison, voire niesine il me vient bien de bonnes affections; mais qu'est-ce que cela ? Ce n'est rien. Chose estran^e (pie de l'esprit humain : cela n'est rien ! \\t que voudriez- vous d()n([ues de ])lus? (pic I )ien \-()Us enNoyast un Ani^'e pour vous consoler? () il ne le fera pas; vous n'avez, pas encores jeusné trois jours et trois nuits pour le suivre sur la nKmtatj^ne de la perfection, pour à laquelle parvenir il faut (jue \'ous vous oubliiez vous mesme, laissant à Dieu le soin de vous consoler ainsy que bon luy sem- blera, ne vous mettant en peine ni en soucy d'autre chose que d'aller après luy en escoutant sa parole comme ce bon peuple. Nostre Seigneur tenta saint Philippe pour le faire humilier, ce qu'il eut bien occasion de faire après avoir donné une response si pleine de prudence humaine, (îrand cas, que Dieu ayme tant l'humilité qu'il nous tente quelquefois non pour nous faire faire le mal, ains pour nous apprendre par nostre propre expérience quels nous sommes, permettant que nous disions ou fassions quelque grande folie ou aucune chose qui nous donne matière de nous abaisser. Or, ces plaintes et ces tendretés que nous avons sur nous me^me, ces doléances, ces difficultés à la poursuite du bien commencé, qu'est-ce autre chose qu'un sujet vrayement digne de nous humilier et reconnoistre pour foibles et encores enfans en ce (|ui esi de la vertu et de la perfection ? Oh ! il ne faut pas tant se regarder soy mesme, ains il faut penser en Dieu et le laisser penser en nous. Nous devons bien nous tenir en humilité à cause de nos imperfections, mais il faut que cette humilité soit le fondement d'une grande générosité, car l'une sans l'autre dégénère en imperfection. L'humilité sans générosité n'est qu'une tromperie et lascheté de cœur qui nous fait penser que nous ne sommes bons à rien et que l'on ne Se»-. IV  3o6  Sermons recueillis  * Cf. Entretien V.  doit jamais penser à nous employer à quelque grande chose ; au contraire, la générosité sans humilité n'est que présomption. Nous pouvons bien dire : Il est vray que je n'ay nulle vertu, ni moins les conditions propres pour estre employé à telle ou telle charge ; mais après il nous faut tellement mettre nostre confiance en Dieu que nous devons croire que quand il sera nécessaire que nous les ayons et qu'il se voudra servir de nous, il ne manquera pas de nous les donner, pourveu que nous nous laissions nous mesme pour nous occuper fidellement à louer et procurer que nostre prochain loue sa divine Majesté, et que sa gloire soit augmentée le plus que nous pourrons *. Nostre Seigneur, nonobstant que saint Philippe et saint André affirmassent que ce n'estoit rien des cinq pains et des deux poissons pour cette naultitude, ne laissa pas de dire qu'on les luy apportast, et commanda à ses Apostres de faire asseoir le peuple. Ce qu'ils firent tous fort simplement, en quoy certes ils furent admira- bles, car ils se mirent à la table sans qu'ils vissent rien dessus et sans apparence qu'on leur peust rien donner. Lors Jésus prit les pains ^ les bénit, les rompit et ordonna aux Apostres d'en faire la distribution, laquelle estant achevée il y en eut de reste, tous en ayant eu à suffisance pour se rassasier selon leur nécessité. Cette question a esté esmeuë entre plusieurs, à sçavoir mon, si tous mangèrent des cinq pains ou si Nostre Seigneur, par sa toute puissance, en fit des nouveaux lesquels on distribua au peuple *. Mais l'Evangeliste saint Marc, en l'histoire qu'il rapporte d'un autre miracle presque tout semblable à celuy cy, miracle qui n'est pas néanmoins le mesme, d'autant qu'il y avoit sept pains, * Cap. VIII, 6, 7, 20. ainsy qu'il le tesmoigne *, et saint Jean escrit qu'il n'y en avoit que cinq en celuy de ce jour, saint Marc donc dit expressément que tous mangèrent des sept pains et des deux poissons. Sur quoy il faut adjouster ce mot en passant. A la résurrection, comme se pourra-t-il faire qu'un chacun ressuscite en son mesme corps, puisque les uns  * Vide Barradam comm.in Concord. toni, 11,1. X, CI.  LXl. VnvR ip. IV* DiMANCHF. DR Carkmr 307 auront esté mant;(''s par les vors, los autres par les bestes far()urli(»s, (jui j)ar les oyseaux, d'autres en fin auront esté brush's et leurs eendres jett(''('s au vent? Comme (lon(iue.s se pourra-t-il faire qu'en mesme temps que l'Anj^e appel- lera un chacun pour venir au juj^ement, tous, dis-je, en ce mesme instant, sans aucun delay, se relèveront res- suscites en leur pr()î)re (iiair* ; nioy, en ce corps que je * I Cor., xv, ^2. porte à cette heure, le([uel ressuscitera par la toute puis- sance de Dieu qui le produira de nouveau? car comme il ne hiv a ]ias esté difficile de le produire tel (ju'il est, il ne le sera pas davantage de le reproduire derechef*. "Crtonj. Vllhujus Ainsy Nostre Seigneur ht que les cmq mille hommes viii, >. 23^ mangèrent tous des cinq pains et des deux poissons^ les reproduisant autant de fois qu'il estoit requis pour que chacun en eust une partie selon sa nécessité. Tous donc mangèrent de ces cinq pains et de ces deux poissons multipliés miraculeusement, excepté saint Martial ([ui, ne participant point à ce miracle, mangea là tout seul de son pain et non pas de celuy du Sauveur, d'autant qu'il avoit porté sa provision. Tandis que nous avons du pain Dieu ne fait pas des prodiges pour nous nourrir. Je considère en troisiesme lieu que Nostre Seigneur pouvant faire tomber la manne sur cette montagne, comme autrefois au désert pour les enfans d'Israël*, il * Exod., xvi.i^, i^ ne le fit néanmoins pas, ains dressa son festin avec des pains d'orge. Cependant ce peuple l'aymoit tant et ne murmuroit point comme les Lsraëlites, lesquels le fai- soyent mesme sans sujet, car rien ne leur manquoit, puisque la manne avoit le goust de tout ce qu'ils eussent sceu désirer*. Mon Dieu, qu'est-ce c[ue cecy nous repre- • Snp., xvi, 20. sente? Les IsracMites murnuirateurs sont sustentés du pain des Anges*, c'est à dire de cette manne qui estoit •ibid.,ctPs lxxvu, patrie par leurs mains ; et ceux qui suivoyent Nostre Seigneur avec une affection nompareille et un cœur tout bénin et despouillé du soin d'eux mesmes ne sont nourris avec luy que de pain d'orge. Cela nous signifie que les mondains, qui sont figurés par les Israélites, lesquels pretendoyent voirement bien d'acquérir et parvenir en la terre de promission terrestre, les mondains, dis-je, et  24, 35-  3o8 Sermons recueillis ceux qui vivent dans le monde mais qui désirent le Ciel, ne laissent pas pourtant de s'aggrandir en la terre, et de rechercher encores au delà de la nécessité leurs commo- dités et leurs ayses icy bas. Mais ceux qui prétendent de suivre Nostre Seigneur jusques sur la montagne de la perfection se doivent contenter de la suffisance en tout ce qui regarde les nécessités tant corporelles que spirituel- les, fuyant l'abondance et la superfluité en toutes choses, demeurant contens en la simple suffisance, voire mesme en estant privés du nécessaire quand il plaist à Dieu que * Cf. supra, pp. 8, cela arrive *. yuant a moy je vous diray ma pensée sur la question que je m'en vay vous faire : à sçavoir mon, lequel vous aymeriez mieux, ou d'estre nourries d'un peu de pain cuit sous la cendre avec le Prophète Elie dans le désert de Bersabée, ou bien avec le mesme Prophète, des pains et de la chair qu'il reçoit du bec ^iin corbeau près du * Vide supra, p. 303. torrcnt de Carith* ? Je ne puis sçavoir vostre pensée, mais quant à moy je vous diray bien franchement que j'aymerois mieux de la main de l'Ange le pain cuit sous la cendre, que non pas le pain, pour blanc qu'il fust, ni de la chair m'estant apportés au bec d'un cor- beau, qui est un oyseau infect et puant. Mieux vaut un morceau de pain d'orge de la main de Nostre Seigneur que la manne de celle d'un Ange. Plus honnorées mille fois sont ces pauvres troupes mangeant un morceau de pain d'orge à la table de nostre doux Sauveur, que d'estre nourries de perles et des viandes les plus exquises * Cf. loca notata du monde à celle de cette misérable Cleopatra *. bupra, p. 21. -j^^^ vrays amis de Dieu et ceux qui le suivent fidelle- ment par tout où il va, poussés de l'amour ardent qu'ils portent à sa divine Majesté, et, pour dire en un mot, les Religieux et les Religieuses, qui ont fait profession de l'accompagner par les chemins les plus difficiles et aspres jusques sur la montagne de la perfection, doivent à l'imi- tation de ce peuple, n'avoir plus qu'un pied en la terre, tenant toute leur ame avec toutes ses puissances et ses facultés occupée aux choses célestes, laissant tout le soin d'eux mesmes à Nostre Seigneur au service duquel ils se  39-  LXI. I*OUR l.P IV' DlMANCMR DR CaKKMP. 309 sont dédiés et consacrés ; partant ils ne doivent recher- cher ni désirer autre chose que simplement ce qui est nécessaire, et tout particulier('m(.'nt j)<)ur ce cjui regarde les besoins spirituels ; car (piaiit aux t('inj)orels cela est tout clair, puisipi'ils ont abandonné le monde et toutes les commo(lit('*s (ju'ils a\'ovoiit d'v vivre selon leur vo- lonté. Dieu, comuK^ nous axons dit*, nr roninianda pas * Vide p. 301. à VMc dans le désert de retourner entre les Prophètes pour estre sustenté, ains il luy envoya un An^e parce cpi'il estoit allé là par l'ordre de la divine Providence. De niesme il ne v(Hit pas (pie les Religieux retournent dans le monde pour rechercher de la consolation à fin d'entretenir leurs esprits, d'autant que c'est par son inspi- ration qu'ils sont venus en Religion*; ains il veut les ' Cf. supra, pp. 3S, nourrir là dans ces déserts non de Bersabée mais de sa divine Majesté. Il est vray que bien souvent ce n'est pas avec de la manne, qui avoit le goust qu'un chacun pouvoit désirer, mais avec un morceau de pain cuit sous la cendre ou bien avec un morceau de pain cV orge. ]e veux dire ainsy : (0 Nostre Seigneur veut que ces âmes choisies pour le service de sa divine xMajesté se nourrissent aucunefois d'une resolution ferme et invariable de persévérer à le suivre parmi les degousts, les sécheresses, les répugnan- ces et les aspretés de la vie spirituelle, sans consolations, sans saveurs, sans tendretés, mais en une très profonde humilité, croyant de n'estre pas dignes d'autre chose, prenant ainsy amoureusement ce pain non de la main d'un Ange ains de celle du Sauveur, qui nous le donne conformément à nostre nécessité ; car c'est une chose certaine que, si bien il n'est pas grandement savoureux au goust, il est néanmoins grandement proffitable à nostre santé spirituelle. Nostre Seigneur donna du pain d'orge parce que ce fut du pain d'orge que le petit Martial ])ortoit. Il ne le voulut donques point changer, ains se servit de cette  (i) Les sept lignes suivantes ont été intercalées dans l'Entretien De Lx Confiance. (Voir tome V'I de cette Edition, p. a;, lignes 10-16.)  310 Sermons recueillis provision pour faire son miracle à fin de nous apprendre que tandis que nous avons quelque chose il veut que nous le luy présentions, et que, s'il a à faire quelque miracle pour nous, ce soit en cela mesme que nous avons. Par exemple, si nous avons des bons désirs ou des bons docu- mens, et que nous n'ayons pourtant pas assez de force pour les prattiquer et mettre en effect, presentons-les-luy et il les rendra capables d'estre digérés ; si nous mettons nostre confiance en sa Bonté il reproduira ces désirs autant de fois qu'il sera nécessaire pour nous faire per- sévérer en son service. Nous ne sçavons si la volonté que nous avons mainte- nant de luy plaire nous demeurera tout le temps de nostre vie, disons-nous. Helas, il est vray, car il n'y a rien de si foible et changeant que nous sommes. Ne nous trou- blons pas pourtant, mais exposons souventefois cette bonne volonté devant Nostre Seigneur, remettons-la entre ses mains et il la reproduira autant de fois qu'il sera requis à fin que nous en ayons assez pour toute nostre vie mortelle. Apres icelle il n'y aura plus sujet de craindre ni d'avoir telles appréhensions, car Dieu aydant, nous serons en lieu de sûreté. Là nous ne pourrons jamais manquer de glorifier cette divine Majesté que nous aurons si chèrement aymée et suivie, selon qu'il nous aura esté possible, par les déserts de ce monde misérable jusques au plus haut de la montagne de la perfection, où nous parviendrons tous par sa grâce, pour l'honneur et gloire de Nostre Seigneur qui est nostre divin Maistre. Amen.  LXII si:rm()X roL'R lt: jkl'di APRÈS LE gUATRII.MH DIMANXIIK DE CARl^MI- lo mars 1622  Il y avoit en Galilée plusieurs belles montagnes sur lesquelles Nostre Seigneur faisoit beaucoup de mer- veilles ; entre icelles il y en avoit une appellée Thabor, et une autre nommée Hermon, au pied de laquelle estoit la petite ville de Xaïm. Cette cy se trouvoit à une petite lieue du Thabor, et là auprès, c'est à dire deux lieues plus loin, estoit la ville de Capharnaûm où le Sauveur faisoit sa principale résidence* et auquel lieu il operoit de très 'Cf.tom.viiihujus grans miracles. De là vient le reproche que luy en firent ^'^'^■' ^^' '^*^' ^^'^' les Nazaréens, se plaignant de ce qu'il n'en faisoit pas autant en Nazareth comme en Capharnaiim *. Or Nostre 'Lues, ,v, 33. Seigneur ayant honnoré cette ville en ce qu'il l'avoit choisie pour sa principale demeure, voulut aussi honnorer de sa présence celle de Naïm, laquelle quoy que petite, estoit néanmoins grandement belle ; c'est pour cela qu'on la nommoit Naïm qui veut dire belle *. • Vide ad caicem Nostre divin Maistre entrant au faubourg de cette f^'^l; ^^ ^^" ^''^^' ville, ainsy que nous le lisons en l'Evangile d'aujour- d'huy *, trouva que l'on portoit en terre un jeune homme ' Inc^, vu, n-iô. mort, et sa mère avec une grande multitude de gens le suivoyent. Ce jeune homme estoit fils unique de cette bonne vefve ; non seulement son unique parce qu'elle n'avoit que luy, mais aussi parce qu'elle n'avoit point eu d'autres enfans : c'est pourquoy elle estoit grandement affligée de sa perte et pleuroit fort amèrement. Nostre cher Sauveur rencontrant ces funérailles à la porte de  312  Sermons recueillis  Naïm, voulut faire un très grand miracle : il s'approcha donques de ceux qui portoyent le corps et toucha la bière, leur commandant d'arrester là et de ne pas passer plus outre, ce qu'ils firent soudain ; et tout le peuple estant en attention pour voir ce qui adviendroit, Jésus prononça cette parole toute puissante : Adolescent, je te dis, leve-toy. A l'instant il s'assit sur sa bière et parla, et Nostre Seigneur le print et le rendit à sa mère. Tous ceux qui virent ce prodige furent pleins d'estonnement et commencèrent à louer et à glorifier Dieu, disant qu'il avoit visité son peuple et que ce Prophète estoit la rédemption d'Israël. Voyla le sommaire de l'Evangile de ce jour, sur lequel je n'ay pas beaucoup à m'arrester pour l'esclaircissement du texte ; je diray donques seule- ment trois ou quatre paroles d'instruction. Premièrement, le miracle de la résurrection de ce jeune homme a esté l'un des plus grans que Notre Sei- gneur ayt opéré en Galilée, car il le fit de son propre mouvement, sans y estre incité que par sa seule bonté et miséricorde. La résurrection du Lazare fut encores un plus grand miracle, il est vray, et s'accomplit avec plus de cérémonies ; mais le Sauveur le ressuscita à la réqui- sition de ses sœurs*. La fille du prince de la Synagogue fut rendue à la vie par les prières de son père lequel supplia Nostre Seigneur d'aller à cet efFect en sa may- 19, son*; en somme, toutes les résurrections rapportées en l'Evangile furent demandées par quelques uns. Celle cy seule fut opérée par le propre mouvement de nostre cher Maistre, et par icelle il nous monstre comme toutes ses œuvres se font par sa seule bonté. Cette bonté infinie de nostre Dieu a deux mains par lesquelles il fait toutes choses : l'une est sa miséricorde, *Cf.tom.vIlIhujus l'autre sa justice*. Tout ce que font sa miséricorde et sa i-»p-204. justice procède de sa bonté, car il est souverainement bon quand il use de sa justice comme quand il fait misé- ricorde, il ne peut y avoir de justice ni de miséricorde où il n'y a point de bonté : or, comme Dieu est tousjours en soy la bonté mesme, aussi est-il tousjours juste et miséri- cordieux. C'est le propre de la bonté de se communiquer  *Joan., ,X1, 21-33 * Matt. , IX , 18,: 23-25.  LXll. Pour i.h jf.udi apkks i.h iv^ Dimanche de Carkme 3 1 3 car de sov iiu^^nic rll(^ est commiinirativp *, ot pour cot * s. Dionys.,tif Di- vin. Nom., 1. IV, effect elle se serl tic la niisericortlo et de la justice : de § xiv. la première ])()ur faire du bien, et de la seconde pour punir et arracher ce qui nous empesche de ressentir les effects de cette bonté de nostre Dieu dont la miséricorde est sa justice, et la justice sa miséricorde. T.a miséricorde nous fait embrasser le bien, la justice nous fait fuir le mal, et la bonté de Xostre Scis^-neur se communi(}ue par ces deux attributs, d'autant (ju'il demeure esj:jalement bon en se servant de l'un comme de l'autre. Ce fut donc poussé de cette seule bonté par laquelle il fait toutes choses qu'il ressuscita ce jeune adolescent, sans y estre meu ni excité d'aucun autre motif, comme nous l'avons dit, car j)ersonne ne le pria de ce faire. Secondement, il toucha la bière pour ordonner qu'on arrestast le corps, parce qu'il vouloit ressusciter ce jeune homme. L'attouchement du ^Sauveur n'estoit pas néces- saire pour ce miracle, non plus que pour aucun autre : il pouvoit bien, sans toucher la bière, faire arrester ceux qui la portoyent et ressusciter cet adolescent sans aucune cérémonie, par sa toute puissance et vertu divine ; mais il ne le voulut pas, ains se servit de l'imposition de ses mains pour monstrer quaiix jours de sa chair*, à • Heb., v, 7. sçavoir quand // conversoit en sa c\\?^\r parmi les hom- mes *, il exerçoit sa vertu et puissance divine par l'entre- * Baruch, m, uit. mise de son humanité. C'est ce que veut dire saint Jean en son chapitre premier* : Le Verbe s est fait chair et 'Vers. m. il a habité avec nous. Les anciens disoyent que Dieu habitoit avec eux, qu'il enseignoit et instruisoitson peuple à faire ce qui estoit de ses divines volontés; néanmoins, comme le disent nos saints Pères, il n'y habitoit pas visi- blement ains invisiblement. Mais despuis que le Verbe s'est incarné, /'/ a conversé avec nous visiblement, // a , habité parmi nous en sa chair*; et pour nous monstrer * Matt., i, 21. cela, il s'est voulu servir d'icelle, c'est à sçavoir de son humanité, comme d'un outil ou instrument pour accom- plir les œuvres qui appartenoyent à sa divinité. Kn troisiesme lieu, quant à ce qui est dit qu'il trouva ce }nort à la porte de la ville, c'est qu'on le portoit  314 Sermons recueillis hors d'icelle, car en cette ancienne Synagogue l'on en- terroit les morts hors des villes à cause de l'infection des corps et par crainte du mauvais air. Aussi, comme saint * Ep. cix, ad Ripa- Hierosme l'escrit en ses epistres *, la coustume de sepul- ^"™' ' * turer les Chrestiens dans les églises n'est venue qu'après l'Incarnation du Fils de Dieu et ne s'est prattiquée que despuis la mort de Nostre Seigneur, d'autant que par cette mort nous a esté ouverte la porte du Ciel. Il semble en efFect qu'il n'estoit pas raysonnable d'enterrer dans les temples ceux dont les âmes n'alloyent point en Paradis, ains descendoyent dans les enfers ou dans les Limbes. Mais despuis que la porte du Ciel a esté ouverte aux hommes on a trouvé le moyen d'enterrer les Chrestiens dans les églises ou dans des cimetières faits à l'entour d'icelles pour ce sujet. En quatriesme lieu, Nostre Seigneur dit : Adolescent, leve-toy. Cecy est un peu difficile à entendre, car qui appelle-t-il adolescent ? Le defunct ne Testoit pas ni quant au corps ni quant à l'ame, d'autant que l'ame n'est ni vielle ni jeune, elle ne croist ni ne descroist, elle n'est susceptible d'aucun temps ; le corps n'estoit non plus ado- lescent, puisqu'estant mort ce n'estoit qu'une charogne. Or, si l'ame de cet homme trespassé n'est sujette à aucune vicissitude, et si le corps estant séparé de son ame n'est plus qu'un cadavre, à qui donc nostre Sauveur parle-t-il en cette sorte : Adolescent, je te dis, leve-toy ? Voicy l'esclaircissement de cette difficulté. Il est vray que ce jeune homme mort n'estoit pas adolescent, ni quant au corps ni quant à Tame ; aussi Nostre Seigneur ne l'ap- pelle-t-il pas comme s'il l'estoit, mais comme une chose à qui il veut donner l'estre, monstrant en cela sa parole * Psaimi XXXII, 9, toute puissautc et efficace qui fait ce qu'elle dit* ; car cxLvm, 5. celuy qui n'estoit pas adolescent le fut aussi tost que le Sauveur eut prononcé ces mots : Adolescent, je te dis^ leve-toy. C'est avec une parole toute puissante que Dieu a créé le ciel et la terre, qu'il a tiré l'estre du non estre, d'autant *Rom iv,i7;iCor cette parole est operative, elle opère ce qu'elle dit, I, 28. Cf. tom. VIII ^ ^ , ,,». ' , 4t -KK • ^ hujus Edit., p. 240. et de ce qui n est pas, elle fait ce qui est"". Mais a qui  l.Xll. I'dUK l.HJKL'DI AF'KI-S I.K IV* DlMANCIIH Dh CaKKMH 3I5 parlc-t-il inaiiUt'iiaiU ? A un mort. Les morts n'entendent pas : (iiii (loïKiues luy respondra ? Il parle aux morts tout ains)' (|ue s'ils estoyent vivans , j)our inonstrer que la voix de Dieu n'est point seulement ouye de ceux qui ont des oreilles, mais encores par ce qui n\\st pas ; ([u'il a i)uissance sur les choses créées et sur les inc:reées, de sorte t^ue s'il addressoit sa voix aux choses increées elles luy respondroyent, tant sa parole est efficace. Le Sauveur voulut aussi parler à ce mort comme s'il eust esté en vie, nous faisant encores entendre par là la façon avec laquelle nous ressusciterons. Au jour du jut^e- ment, ou un peu devant iceluy, l'Archange viendra *, ({ui * I Thcss., iv, 15. par le commandement de Dieu dira : « Levez-vous, morts, venez au jugement*. » Et à cette voix tous les înorts ' R^g. Monach. ex •' ^ ,»..., Scriptis S, Hieron. ressusciteront* pour estre jugés. Mais a qui parle cet collecta, c.xxni. Cf. Archange? Aux morts qui sont dans les tombeaux, à des p°"\^"èt*tom^vn| charognes puantes, car nos corps ne sont que pourriture fP-^^J' ^^'^' quand ils sont séparés de l'ame. Et pourquoy l'Archange addresse-t-il ses paroles à ces cadavres tout réduits en cendre et poussière? Ne sçait-il pas que les morts n'enten- dent rien ? et s'il le sçait, pourquoy donc leur commande- t-il ainsy : u Levez-vous, morts ? » Comme se leveront-ils, puisqu'ils n'ont point de vie? Néanmoins c'est bien à ces carcasses mortes que l'Archange parle , et cette parole estant proférée par le commandement de Dieu, est telle- ment puissante et efficace qu'elle donne la vie à ceux qui ne l'ont pas ; en disant elle opère ce qu'elle dit, et de ce qui n'est pas elle en fait ce qui est, si que ces morts qui estoyent réduits en cendre se lèveront en corps et en ame, vrayement vivans, c'est à sçavoir ressuscites, tout ainsy que Nostre Seigneur ressuscita de soy mesme et par sa propre vertu au troisiesme jour. Mais comment se fait cecy ? Par la vertu de la parole de Dieu. Alors nous verrons cet admirable miracle de la transsubstantiation qui s'opère tous les jours au Sacre- ment de l'Eucharistie "* ; car en cette résurrection générale ' Cf. supra, p. 307. se fera la transsubstantiation des cendres qui estoyent dans les tombeaux ou ailleurs, en vrays corps vivans, lesquels en un instant* se trouveront au lieu destiné * I Cor.,ubisupra.  3i6 Sermons recueillis pour le dernier jugement. Donques, si la parole non de plusieurs Anges, ains d'un seul Archange, proférée par le commandement de Dieu est si opératrice qu'elle donne l'estre à ce qui n'est point, pourquoy ne croirons-nous pas à toutes les paroles de Dieu ? Pourquoy aurons-nous de la difficulté à croire que par icelles, qu'elles so3^ent dites par luy mesme ou par ceux à qui il en a donné la charge et le pouvoir, il ne puisse faire ce qui est de ce qui n'est pas^ encores que nous ne le comprenions point? Et quelle difficulté y a-t-il en cet article de la résurrec- tion des morts, puisqu'elle se fait par la toute puissance de Dieu ? Il n'y a donques nulle difficulté à concevoir comment ce garçon qui estoit dans cette bière n'estoit pas adoles- cent, mais qu'il le fut lors que nostre divin Maistre luy fit ce commandement : Adolescent, je te dis, leve-toy, et ressuscita tel que Nostre Seigneur l'avoit nommé. C'est ce qu'il estoit en quelque façon nécessaire de déclarer pour l'esclaircissement du texte de nostre Evangile, sur lequel je fais deux remarques. Je ne vous dis pas quelles elles sont, car vous pensez bien qu'elles traittent de la mort. La première est à sçavoir mon, s'il faut craindre la mort ou non. Il y a quelques philosophes anciens qui ont voulu soustenir qu'il ne la failloit point craindre, et que ceux qui la redoutoyent c'estoit faute d'entendement ou de courage. A quoy nos saints Pères ont respondu que cela ne peut estre ; car bien que les Chrestiens ne doivent point craindre la mort pource qu'ils doivent tousjours estre prests à bien mourir, néanmoins ils ne sçauroyent pour cela estre exempts de cette crainte ; car qui est-ce qui sçait s'il est en estât pour bien faire ce passage, puis- que pour bien mourir il faut estre bon ? Et qui est asseuré d'estre bon, c'est à dire d'avoir la charité nécessaire pour estre trouvé tel à l'heure de son trespas ? Personne ne le peut sçavoir s'il n'en a receu une révélation particulière ; et encores ceux là qui en ont eu n'ont pas esté exempts de craindre la mort. Les Stoïciens disoyent qu'il ne failloit pas l'appréhen- der, et que la redouter c'estoit une marque de défaut  I.XII. Pour if jfddi aj-ri-s if. iv" Dimancmf df Carfmr 317 d'cntciuleinonl et île courag'e. lù coiniiK.' le disoycnt-ils, puisciue les plus couraj^eux et sçavans philosophes d'entre eux, (^stans sur un bastciu, sont denicur('s tout pasles et transis voyant les tlots et tourmentes de la mer qui les inenaçoyent d'une mort prochaine? C'est ce fjue raconte saint Augustin *, adjouslant les j)aroles (juc respondil l'un * De Civit. Dci, d'eux en cette occurrence : Vous autres estes des canailles • '• • et gens qui n'avez point de cœur et point d'anie à perdre, car vous les avez ja perdus; mais moy, dit-il, je redoute la mort parce ([ue j'ay une ame et (pie je crains de la perdre*. Kt pour conclusion, nos anciens Pères disent • AulusGc•ll.,Noc- ,., ^ ^ -Il ^ ^ . r • 1 -1 Tï tfS Atticap, 1. XIX, qu d faut craindre la mort sans toutefois la craindre, rour c.t.C(.Tr.,ifrAm. vous faire entemlre cecy, je passe à mon second point. de Dieu, \.l, cm. Ceux qui veulent traverser des ruisseaux ou des rivières sur quelque planche sont en grand péril de se perdre s'ils portent des bericles ; car il y a deux sortes de bericles : les unes font les caractères plus grans qu'ils ne sont, les autres les font plus petits, et ceux qui ont la veuë courte en usent. Or, si ces gens voulant passer sur cette planche employent des bericles qui aggrandissent les objets, elles la luy représenteront beaucoup plus large qu'elle n'est ; si que s'asseurant là dessus ils se mettront en danger de poser les pieds hors d'icelle et par conséquent de se perdre, car rencontrant le vuide ils tomberont dans le précipice. Que s'ils se servent des bericles qui rapetissent les choses, elles leur feront pa- roistre cette planche si petite qu'ils n'oseront jamais entreprendre de passer sur icelle, ou s'ils y passent ils seront saisis d'une si grande frayeur qu'elle sera suffisante pour les perdre. Les extrémités sont tousjours très dan- gereuses et périlleuses. Or, pour éviter les inconveniens qui se trouvent en la considération de la mort, il faut, disent nos anciens Pères, la craindre sans la craindre. ' Il la faut craindre, car qui n'en auroit peur, puisque tous les Saints l'ont redoutée, et mesme le Saint des Saints, nostre Sauveur*? car la mort n'est pas naturelle 'Marc, xiv, 33. à l'homme, ains il a esté condamné à icelle à cause de son péché*. Or, despuis la faute d'Adam tous les hommes 'Gen.,!!!, i9;Sap. sont sujets au péché, et chacun sera jugé en Testât dans  3. M.  3i8 Sermons recueillis lequel il mourra, car on sçait qu'à cette heure là mesme il faudra rendre compte de toute sa vie et que l'on sera *Ps.Lxi,uit.;Matt., jugé sur ce que Von aura fait * ; de là vient que l'on ïràor.', v,To. ' "' ' appréhende la mort. Helas ! qui peut sçavoir s'il est digne *Eccies,,ix. r. d'aifiour OU de haine *^ s'il sera du nombre des esleus ? Donques celuy qui ne craint point la mort est en très mauvais estât et en grand péril, puisque nous sçavons que le lieu où nous irons après icelle est éternel et que nous serons sauvés ou damnés éternellement. C'est ce qui fait que les plus grans serviteurs de Dieu ont redouté ce passage comme une chose à la vérité très redoutable. Et que Ton ne me dise point que plusieurs Saints n'ont pas craint la mort, ains qu'au contraire ils l'ont souhaittée et demandée, voire se sont resjouis quand elle est venue, et que par conséquent il ne la faut point appréhender non plus d'autant que cette crainte est pleine de fra3^eur. Il est vray qu'il y a eu des Saints qui semblent l'avoir dési- rée, mais ce n'est pas qu'ils ne l'ayent crainte pour cela ni qu'ils n'ayent eu peur d'elle, car l'on peut bien désirer ce que l'on redoute et demander ce qu'on n'a3'-me pas. Quel est le malade qui ne craigne le rasoir quand il faut que le chirurgien s'en serve pour luy couper un membre pourri à fin qu'il n'infecte et gaste les autres? Mais quoy qu'il le craigne il ne laisse pas de le souhaitter et mesme demander, de peur que la gangrené ne se mette à son membre gasté ; c'est ce qui luy fait demander le rasoir qu'il craint, et se resjouir en quelque façon quand on rapproche. Ainsy, quoy qu'il y ayt eu des Saints qui ont désiré et demandé la mort il ne faut pas penser qu'il ne ra5^ent point appréhendée, car il n'y a personne, pour saint qu'il soit, qui ne l'ayt justement redoutée, si ce n'est ceux qui ont eu des asseurances toutes particulières de leur salut par des révélations très spéciales. Mais d'autant que peu ont eu de telles révélations, peu aussi ont esté exempts de crainte. Je vous proposeray néanmoins l'exemple de deux Saints qui ont eu ce privi- lège. Le premier est le grand Apostre saint Paul, qui receut des asseurances si certaines de la béatitude qu'il semble n'avoir eu nulle frayeur de la mort, car il dit  I.XII. l\)nR l.R JHUDI APRKS l.F. IV" DlMANCMP. DR CaRF.MF. 319 liiy mcsiiu' * : Jr nir srns prrssr tic ilciix drsirs du * Philip., i, avis- tout contraires, lesquels me travaillent sans cesse et me font l)ien (le la peine, dont l'un est de sortir de cette vie pour m'en aller jouir de la douce présence et veuë de mon Maistre. Oh ! (juand sera-ce tlonquos (jue je le verray face à face*? \\r , qui inc délivrera de ce corps ' l c*.r., xm, 12. de fNort* ? et plusieurs autres semblahles paroles par * Rom., vu, 2^. lestpielles le t^rand A})ostre veut exprimer la véhémente passion ((u'il a\()it d'esire diss()i{s et disjoint de son corps, a ce que son anie, (pii brusloit du désir de voir son vSei^neur, ne fust jias davantage retenue par sa chair. 11 luy tardoit infiniment, comme à un fidelle et bon serviteur''', d'aller trouver son cher Maistre et de •M.itt.,xxv, 21 21. jouir de sa douce présence, et il semble f[ue la vie luy estoit insupportable, puisqu'elle luy empcschoit l'accom- plissement de son souhait. Mais remarquez comme il parle avec asseurance disant que quand il sera dissous de son corps de mort il verra Dieu, car le désir qui le travaille est de voir son .^laistre. Ah ! qui me fera ce bien, s'escrie-t-il, que je meure à fin ([ue j'aille voir mon Seigneur Jésus Christ ! Par où il monstre qu'il n'avoit nulle appréhension d'estre séparé de luy en mourant, ains qu'il avoit une certitude très grande de sa part ([u'il iroit en la béatitude éternelle jouir de luy ; et i)our ce il desiroit et demandoit la mort. Notez cependant que par son autre souhait il marque cette condition, à sçavoir, si c'estoit la volonté tic Dieu ; car, dit-il, je suis retenu d'un autre désir, qui est de demeurer parmi vous, mes très chers enfans, parce que j'ay esté envoyé pour vous enseigner et instruire ; de sorte que pendant que ma présence vous sera tant soit peu nécessaire je suis pressé de ne me point séparer de vous et de me priver du contentement incomparable et inexplicable que j'attcns après la mort, plustost que de vous quitter, sçachant que je vous puis estre encores utile et qu'il y a tant soit peu du bon playsir de mon Maistre. Je ne désire point la mort pour estre délivré des travaux que j'endure, o non, ce n'est point pour cela ; ni moins encores pour estre quitte de la peine que  320 Sermons recueillis me cause la soif que j'ay de voir mon Seigneur, mais seulement je la souhaitte pour le voir, car je sçay bien qu'après cette vie je le verray. Néanmoins j'ay cet autre désir, de ne point mourir qu'il ne luy plaise, et par conséquent de demeurer avec vous tant qu'il luy plaira et qu'il connoistra que ma présence vous sera nécessaire. Si donques ce grand Saint souspiroit après la mort, c'est parce qu'il avoit asseurance de la félicité éternelle ; s'il la demandoit, c'estoit entant que ce seroit la volonté de *Cf. Tr.deVAm.de Dieu *. Dieu, 1. IX, c. IV. Ti 1 • -Il 1 « TVT 11 y a plusieurs personnes qui la demandent a Nostre Seigneur, et quand on les interroge pourquoy : C'est, respondent-elles , pour estre délivrées des misères de cette vie. Ouy, et sçavez-vous bien si estant délivrées des travaux de cette vie vous arriverez au repos de l'autre ? O non certes. De là vient que d'autres disent qu'il ne se soucieroyent pas de mourir pourveu qu'ils fussent asseurés d'aller en Paradis; et ils ont bien rayson, car avec telle asseurance la mort ne seroit pas à craindre. Mais quand vous seriez asseurés d'aller en Paradis il ne la faudroit pas désirer ni demander pour estre déli- vrés des misères de ce monde , ni sans cette condition de la volonté de Dieu. En somme, il ne faut ni désirer ni demander la mort, ni la refuser quand elle vient ; et en cecy consiste l'abbregé de la perfection chrestienne, *Cf.EntretienXXi, de ne rien demander ni rien refuser*, supra, p. 29 . (i) Ce grand personnage, Job, est un autre Saint qui paroist avoir souhaitte la mort et l'avoir trouvée plus douce que la vie ; car se voyant réduit en tant d'angoisses et de tribulations, il semble qu'il avoit plus de sujet de désirer la mort que la vie. Hé, qu'est-ce que l'excessive douleur où il se trouvoit abismé ne luy fit pas dire ? Certes, si les plaintes de Job ne fussent sorties d'un cœur extrêmement pressé d'angoisse elles eussent esté sujettes à de grandes censures. Considérez ces paroles, je vous prie : Que le jour périsse auquel je suis né, vi,8,9,viî,i5,i6,'2i." et celles qui s'ensuivent*, lesquelles l'auroyent rendu ( I ) Les six alinéas suivants sont inédits.  LXII. POUK LK JtUDI Al-Khi LE IV* DlMANCMH DE CaRÊME 32 I coulpablc si 1 )i(ii n'cust j)ris en main sa cause, et asseurê ([u'il ne jxHiia j)()int* en tout le temps c[u'il fut réduit *C»p.i,33,xLii,7,8. sur le tuniicr, attlii^é en toutes les façons ([ui se jx'uvent imaginer. Ces paroles, ([ui ])aroissent extravagantes, sont des paroles amoureuses lesquelles ne sont pas entendues de tous ; car ceux qui ne sçavent que c'est de l'amour n'ont point compris ce que ce saint homme vouloit dire. Il en prend de l'amour divin comme de l'amour humain ; sou- vent il arrive aux fols amoureux du monde de proférer des paroles qui certes seroyent ridicules si elles ne sor- toyent d'un cœur passionné ; ils disent ce que la f(jrce de l'amour leur fait dire, et ce langage n'est entendu que de ceux qui sçavent (jue c'est que d'aymer*. Il en est de * Ci.Tr.Je l'Am.de j ,, ... 1 r 1 ^ 1 r -^ 1 Dieu, 1. VI, c. i, mesme de 1 amour divm, la force duquel fait employer circa finem. des mots qui seroyent sujets à la censure s'ils n'estoyent compris par ceux qui connoissent le langage de ce céleste amour. Or donqucs, comme Job estoit un grand amoureux de Dieu, toutes les paroles qu'il prononça sur son fumier estoyent certes des paroles amoureuses ; la flamme qui embrasoit son cœur luy faisoit faire des extravagances, mais le Seigneur, qui penetroit le fond de ce cœur, voyoit bien que ce n'estoit ni l'ennuy ni l'impatience qui le faisoit parler de la sorte , ains l'amour dont il estoit animé ; car nostre cher .^laistre sçait bien que c'est que d'aymer, il connoist bien le langage de l'amour, et pour ce il déclare que Job n'a point péché en tout ce qu'il a dit. Il failloit qu'il conneust combien ce Saint l'aymoit, puisqu'il l'avoit choisi pour le donner comme un prodige de patience à la postérité ; aussi je pense qu'il luy faisoit comprendre qu'il le traittoit de la sorte pour le laisser comme un mirouër et exemplaire de sainteté à tout le ^ monde, et que les afflictions qu'il luy envoyoit et Testât où il le reduisoit procedoyent de l'amour qu'il luy por- toit : ce que ce saint homme entendoit fort bien. Je vous veux monstrer cecy par un exemple qui se trouve en l'Kvangile*. Lors que la vSainte Vierge, aux • Joan., n. i-v noces de Cana en Galilée, dit à Nostre Seigneur avec Serm. IV 3,  322 Sermons recueillis tant d'humilité et charité que le vin estoit failli, il la rejetta, luy respondant : Femme, qu'y a-t-il entre vous et moy? Pourquoy vous meslez-vous de cela, qu'en ay-je à faire ? et telles autres choses que pouvoit signifier la responce qu'il fit à sa Mère, responce qui semble bien rude et rigoureuse à ceux qui n'entendent pas le langage de l'amour. Aussi, tous ceux qui ne sçavent que c'est que d'aymer n^ont point bien rencontré en l'interpréta- tion de ces paroles, et sur icelles on a escrit plusieurs choses mal à propos. Mais la sacrée Vierge, qui sçavoit que c'est que d'aymer, entendit bien ce que son Fils vouloit dire, car elle estoit toute faite à son langage (0, s'entend par l'expérience qu'elle en avoit, et c'estoit elle qui luy avoit appris à parler. Elle ne s'estonna donques point de ces paroles par lesquelles il paroissoit l'esconduire de sa demande, ains elle creut qu'il feroit tout ce qu'elle desiroit, et, pleine de confiance, elle donna cet ordre aux serviteurs : Faites tout ce qu'il vous dira. Comme si elle eust voulu signifier : Si vous avez prins garde à la responce de mon Fils, vous penserez peut estre qu'elle est bien severe et qu'il veut m'esconduire ; mais il n'en est pas ainsy, ains j'ay conneu par icelle qu'il veut faire tout ce que je voudray ; pour ce, faites tout ce qu'il vous dira et ne craignez rien, car je suis asseurée qu'il m'exau- cera. De plus, ces paroles qui en apparence semblent estre rudes, sont les plus douces et obligeantes qu'un cœur amoureux puisse dire à une ame amoureuse ; et pour ce, je vous répète encores, faites seulement tout * Cf. supra, pp. Il- ce qu'H vous dira"^. ^^' Voyla donques comme l'amour a un certain langage que nul ne peut entendre que ceux qui sçavent que c'est qu'aymer. Or, le grand saint Job parle amoureusement quand il dit : Que le Jour périsse auquel je suis né, etc. Notez cependant que si bien par cette parole et autres semblables il paroist souhaitter et demander la  ( I ) On lit dans les Manuscrits : « faite à son jargon. » (Voir le Diction""® de Littré, au mot jargon : langage à double entente.)  l.XIl. 1\">UR l.KJF.l)DI APRÈS I.E IV' Dl.M ANCflF- DK CarAmM 323 mort, vo n'est jioint toutefois (ju'il inarKiue de résigna- tion cl (le sonsinivsion à la volontt- divine, car il ne la veut qu'entant (ju'il plaira à I)ieu; néanmoins l'amour luy fait (lire ces choses d'autant (ju'il sous])iroit de voir Celuy (jui le pressoit si fort de son amour*. Mais, * J"^, x"*, 37- nonobstant ces deux exemples (pii sont des exceptions, je dis pour conclusion (pie tous doivent craindre la mort. Outre ce (pie nous a\'ons déduit, nous voyons es paroles (jue le Seigneur addressa à nos premiers ])arens au para(.lis terrestre c^ue la mort est naturellement redoutée de l'homme ; car cpiand I )ieu défendit à Adam de manger du fruit de Varbrc de science, il luy dit : Je suis ton Seigneur, et })our ce il faut (pie tu m'obeisses ; or, comme ton Seigneur, je te fais un commandement qui est que tu îie manoes point du fruit de cet arbre, car si tu en manges tu niourrûs *. \'oyla le chastiment dont Dieu 'Gcn., n, 16, i menaça l'homme, comme estant le plus rude de tous et le plus contraire à sa nature. C'est ce que voulut signifier Eve quand le serpent la tentant de rompre le comman- dement, elle lu}' respondit : Mais Dieu nous a dit que si nous mangions de ce fruit nous mourrions*; en quoy • Ibid., m, 1-3. elle monstre la crainte qu'ils avoyent de la mort. Kt que l'on ne me vienne pas alléguer ce que disent plusieurs, qu'il faut en chasser le souvenir pour vivre joyeusement, d'autant que ce souvenir là est plein de frayeur ; car puisque une telle crainte n'est point mauvaise, ains bonne et utile, nous en devons quelquefois espouvanter nos âmes et les y porter à cause de nos péchés, pourvcu que cela se fasse de guet à pens. ^lais nos anciens Pères enseignent que nous devons craindre la mort sans la craindre : cjuc veut dire cecy ? C'est que, quoy qu'il faille la redouter ce ne doit pas estre d'une crainte excessive qui ne soit pas accompagnée de traniiuillité ; car les Chresticns doivent marcher sous l'estendart de la providence de Dieu et estre prests à embrasser tous les effects et evenemens de cette douce providence qui sçaura bien prendre soin de nous. Ne nous laissons donc point aller à des frayeurs inquiètes et chagrines, comme il arrive à quelque bonne femme  324 Sermons recueillis qui pour avoir pensé une matinée à la mort brouillera tout ce jour-là son mesnage, si que personne ne pourra avoir paix avec elle. Et pourquoy ? Pource qu'elle a pensé à la mort, et elle en est encores toute inquiétée. Ce n'est pas en cette façon qu'il faut y penser, ni moins avoir tant de soucy pour sçavoir quand nous mourrons et en quel lieu : si ce sera aux champs ou à la ville, sur mon cheval ou au pied d'une montagne, ou par quelque pierre qui m'assommera ; si je mourray dans mon lit, assisté de *Cî.lnirod.alaVie quelqu'un OU saus avoir personne *. De tout cela que i^p., Partie I,c. XIII. . .^t- ..-ii-- t-» -1 nous importe ? Laissons ce soin a la divine Providence qui s'occupe bien des oyseaux du ciel, desquels une *Matt.,vi, 26,x,29. seule plume ne tombe sans sa permission *. Dieu a *lbid., X, 30. compté tous les cheveux de nostre teste"^, il prendra * I Pétri, uit., 7. donques soin de nous*. Il me suffit que je sois tout à luy, non seulement par devoir mais encor par affection. Que me dois-je soucier du reste, sinon de m'abandonner aux effects de cette douce Providence laquelle ne me manquera point en la vie et en la mort ? Il faut donc que je craigne ce dernier passage, mais sans anxiété ni inquiétude, ains d'une crainte qui me prépare et tienne tousjours prest à bien mourir. Et comme *Serm.cii.Cf.tom. faut-il faire ? Ce qu'enseisrne saint Ausfustin vostre Père* VIII hujus Edit., "^ . ° . . , p. 283. par ces paroles qui sont assez triviales et communes, mais qui néanmoins contiennent beaucoup d'instruction. Il dit que « pour bien mourir il faut bien vivre : » telle est nostre vie telle sera nostre mort. Donques, pour bloquer tout ce discours, disons que la règle générale d'une bonne mort c'est de mener une bonne vie. Il est vray que mesme en vivant bien vous craindrez la mort, mais vostre crainte sera toute douce et tranquille, appu3^ée sur les mérites de la Passion de Nostre Seigneur, sans laquelle certes la mort seroit effro3^able et redoutable. Ceux qui meurent dans leur lit se desespereroyent sans doute s'ils ne voyo3^ent l'image du Crucifix qui les fait souvenir que le Sauveur a esté attaché pour eux à la croix, et s'ils ne luy parloyent ou penso^^ent en luy men- *Cf.supra,p.i63. talement *. L'horreur de ce dernier passage et la veuë de la multitude de leurs péchés les porteroyent au desespoir;  LXll. Pour le jeudi aprîs le \\" Dimanche de Carême 325 mais les mérites de la Passion de Xostre Sei^meiir les remplissent de confiance, d'autant c|uc par sa mort il a satisfait i)()iir ions nos mesfaits. Il fiuit doncjues craindre la mort sans la craindre, c'est à dire la craindre d'une crainte tranquille et pleine d'espérance, ]inis(iu(' Hicu nous a laissé tant de moyens pour bien mourir, et entr'autres celuy de la contrition qui est si j^eneral c[u'il peut effacer la coulpe de toute sorte de péchés. (Jutre cela, nous avons encores les Sacremens de la sainte Mj^lise pour nous laver de nos iniciuités, car ils sont comme des canaux par lesquels les mérites de la Passion du Sauveur descoulent en nous, si que par iceux l'on recouvre la grâce quand on l'a perdue. Cela estant ainsy, que reste-t-il sinon que nous demeurions abandonnés aux evenemens de la Providence divine, ne luy deniandant rien ni ne refusant rien*? car 'Vide supra, p. 310. je le répète, toute la perfection chrestienne consiste en ce point : ne rien demander à Dieu et ne rien refuser de Dieu ; ne luy demander point la mort, mais aussi ne la point refuser quand elle viendra. O que bienheureux sont ceux qui seront en cette sainte indifférence, et qui, en attendant ce que Dieu ordonnera d'eux, se prépareront par une bonne vie à bien mourir ! C'est ce qu'ont fait tous les Saints. Il y en a mesme eu qui ont prins pour prattique de destiner quelque temps de l'année pour s'appliquer tout particulièrement à la considération de la mort ; les autres tous les moys une fois, d'autres toutes les semaines et les autres tous les jours, prenant une certaine heure pour y penser, le soir ou le matin; et par ce fréquent souvenir ils se disposoyent à bien faire ce passage. C'est aussi une cogitation bien utile toutes les fois que l'on se va mettre au lit de penser, comme font quelques uns, que cela nous repré- sente comment on nous mettra dans le tombeau *, parce * Cf. le Directoire j^ spirituel pour les que de là on vient a tirer cette conséquence : Donques, ^,rurs Je L Visit., puisque le sommeil me représente la mort, il s'ensuit ^Jî' ^xf ""'"'""''' que je mourray, que je seray estendu dans le tombeau, et là couvert de terre et réduit en poudre et cendre. Kt moy qui me couche ce soir dans ce lit, je ne sçay si  326 Sermons recueillis demain je seray en vie. Il faut ainsy s'entretenir quelque heure de la journée en de semblables pensées, à ce que l'on soit tous les jours prest à mourir, employant celuy où nous vivons comme nous ferions si nous sçavions devoir en iceluy sortir de ce monde. A ce propos je vous raconteray deux petites histoires que je ne dirois pas si j'estois en une autre chaire ; mais en ce lieu il n'y a point de danger. La première je l'ay apprise d'un homme pieux que j'ay conneu ; la voic}^ Le Roy d'Espagne envoya faire la visite des Estats en une province dans laquelle tous les officiers de la police se trouvèrent coulpables en quelque chose, et pour cela les visiteurs se monstrerent fort exacts et sévères à les punir et chastier. Ils donnèrent aux uns des amendes, ils des- chargerent les autres de leurs fonctions, et mesme ils en envoyèrent quelques uns en galère. En somme, ils n'en rencontrèrent pas un auquel il n'y eust quelque chose à redire, sinon un bon viellard lequel ils ne trouvèrent reprehensible en rien. Les visiteurs le caressèrent fort et luy demandèrent comment il avoit fait pour demeurer si fidelle à son Prince qu'ils n'avoyent rien à reprocher en sa vie. A quoy il leur respondit qu'il n'avoit fait qu'une seule chose, à sçavoir de bien penser qu'on feroit la visite des Estats en la province et que sans doute il y viendroit des visiteurs qui s'acquitteroyent bien de leur charge ; que pour ce il s'estoit tousjours comporté comme il desi- reroit avoir fait lors que ces visiteurs se presenteroyent. Il s'estoit préservé en cette sorte, car la crainte d'estre trouvé en mauvais estât l'avoit fait vivre chaque jour comme si en iceluy il luy eust fallu rendre compte. O que nous serions heureux si tous les jours de nostre vie nous pensions tellement au compte qu'il nous faudra rendre, que nous nous tinssions continuellement au mesme estât auquel nous voudrions estre à l'heure de la mort ! Ce seroit un bon moyen de bien vivre et de n'estre point trouvés reprehensibles à ce dernier jour. L'autre histoire je la tiens d'une grande princesse qui, me parlant un jour de ses affaires, me dit qu'il y avoit un conseiller clerc lequel s'estoit retiré de la cour se  l.XIl. Pour le jf.ldi aprks le iv Dimanche de Carême 327 (Irschar^^caiU de t()iit(* s()llicitu(l(\ Je l'allay trouver, adjoasta-t-elle, jxjiir trailtcr avec liiy île quelque mien procès (hKiuel il avoit les pièces en main. Kstant en sa mayson je le fis demander; mais il me renvoya ces pièces, me niaiulant (^u'il s'estoit desjrajré de toutes les affaires de la roiir à tîn de prendre du temps pour penser à sa conscience et dresser ses comptes, et qu'il me rendoit mes papiers en priant Nostre Seii4"neur de donner une bonne issue à ma cause et de me tarder mon bon droit. Quelque temps après j'y retournay, et il me dit qu'il estoit tous- jours à dresser ses comptes en attendant le moment qui luy seroit assigné pour les rendre. Un an plus tard je m'informay si ce bon seii^neur estoit mort. L'on me res- pondit que non ; alors je le retournay voir, mais je le trouvay encores en cette mesme occupation, de sorte que je conclus de là qu'il feroit une heureuse fin. Que nous serions heureux si nous pensions ainsy au compte qu'il nous faudra rendre, et que, desoccupés de toute autre affaire, nous le tinssions tousjours prest pour le jour (pli nous seroit assigné pour cela*! Il le faut faire, •Cf.Matt.,xxv car la mort a des pieds de coton avec lesquels elle vient si doucement qu'on ne s'en apperçoit point, et comme cela elle nous surprend. C'est pourquoy il faut estre sur ses gardes, à ce que, quand elle viendra elle nous trouve prests *. Penser en elle sans peur ni crainte démesurée, 'Matt., xxiv, 44; mais nous résoudre à mourir puisque c'est une chose qu'il faut faire, et avec un cœur paisible et tranquille nous tenir tousjours au mesme estât auquel nous voudrions estre trouvés à l'heure de la mort : c'est le vray moyen dese préparer à bien mourir. Ce faisant, nous arriverons à l'éternité, et quittant ces jours de mort nous arriverons à ceux de la vie. Dieu nous en fasse la grâce. Ainsy soit-il, ainsy soit-il, ainsy soit-il.  Heb., IX, 37.  Apoc, XVI, 15.  LXIII SERMON POUR LE DIMANCHE DE LA PASSION 13 mars 1622  Q,ui ex Deo est verba Dei audit ; prop- terea vos non auditis, quia ex Deo non estis. Celuy qui est de Dieu escoute les pa- roles de Dieu ; c'est pourquoy vous ne les escoute:^ pas, parce que vous n'estes pas de Dieu. JOAN., VIII, 47. Une parole peut estre receuë ou rejettée pour trois raysons : pour la considération de la personne qui la dit, pour la parole qui est dite, ou bien à cause de ceux qui l'entendent. Pour que cette parole soit estimée et receuë, il faut que celuy qui la profère soit homme de bien, vertueux et digne de croyance ; autrement, au lieu * Cf.Tr.derAm.de d'cstrc reccuë elle sera rejettée et mesprisée*. En second ' ■ ' ■ lieu, il faut que ce qui est dit soit bon et véritable. Troi- siesmement, il faut que ceux qui l'entendent so3^ent bons et bien préparés pour la recevoir, à défaut dequoy elle n'est ni receuë ni estimée ni gardée. C'est ce que Nostre Seigneur nous apprend en l'Evan- *Joan., VIII, 46-59. gile que la sainte Eglise nous propose aujourd'huy *, où il est fait mention d'un reproche qu'il addressoit aux scribes et pharisiens dequoy ils ne recevoyent pas ses paroles, reproche par lequel il jette toute la faute sur eux, disant : Pourquoy ne croyez-vous pas à la vérité que je vous enseigne ? Il s'estonne grandement de cela, comme s'il eust voulu dire : Vous n'avez nulle excuse,  LXUI. VovR LF. Dimanche dp. la Passion 329 car ijtit d'entre vous nïaririicra de péché ? Pourqiioy (lonques ne me croyez-vous pas, puisque ce que;V vous dis est lii vérité mesinc ? Moy no pouvant errer, il faut inilubitableinent ([ue vostre mesehanceté en soit la cause, car le défaut n'est point en moy ni en la parole que je vous enseif^ne. Quant au premier point, il est donc^ues recjuis (jue la personne ([ui parle et ([ui annonce la parole de Dieu soit irrei)rochal)le et que sa vie soit conforme à son en- seignement ; autrement il ne sera i)as reeeu ni approuvé. C'est pouniuoy Dieu défend au pécheur d'annoncer sa parole*, comme s'il disoit : Misérable, oserois-tu bien • Ps. xux, 16, 17. enseigner ma doctrine par tes lèvres et la deshonnorer par ta mauvaise vie ? Hé, comment veux-tu qu'elle soit acceptée après avoir passé par une bouche si puante et si pleine d'infection et de meschanceté? Ja n'advienne que j'aye un tel proclamateur de mes volontés. Il est donques défendu aux pécheurs d'annoncer la sacrée parole, de crainte qu'elle ne soit rejettée par ceux qui l'ouyront. Mais l'on ne doit pas l'entendre des pécheurs tels quels, ains des grans et signalés pécheurs ; car autrement, qui l'annonceroit, veu que tous les hommes sont pécheurs et que quiconque dira le contraire mentira mescham- ment * ? Les Apostres mesmes n'ont pas esté sans péché ; * I Joan., 1, 8. celuy qui pretendroit n'estre point pécheur commettroit une très grande imposture, et feroit bien voir le contraire de son dire en mesme temps qu'il prononceroit ce men- soncre. Saint Aucfustin nous l'apprend tout clairement * • De Civit. Dei., lors qu'il escrit que cette demande du Fater noster que nous recitons tous les jours : Pardonnez-nous nos ojfenses'^y n'est pas seulement une parole d'humilité, • Matt.. vi, n. ains de vérité, car nous en commettons à tout propos à i cause de la fragilité de nostre nature ! Or, bien que tous les hommes so^^ent pécheurs, tous ne doivent pourtant pas se taire et ne point enseigner la parole de Dieu, ains seulement ceux qui mènent une vie du tout contraire à cette divine parole. Que si néanmoins il arrive qu'elle nous soit présentée par les meschans,  330  Sermons recueillis  nous ne la devons pas rejetter, ains la recueillir, et faire comme les abeilles, lesquelles cueillent le miel sur toutes les fleurs des prairies, excepté sur une ou deux ; et bien que quelques unes de ces fleurs soyent vénéneuses et ayent du poison en leur propre substance, elles en tirent * Cf. tom. prseced. dextrement le miel qui, estant une liqueur toute céleste *, hujusEdit., p. 450. > , • ^ ir 1 ' n est point mesle avec le venin. Pour confirmation de mon dire, je vous raconteray volontiers un bel exemple qui se trouve en la Vie du *ApudMetaphrast., grand saint Ephrem* ; je dis grand non seulement parce qu'il fut diacre de deux illustres Docteurs de l'Eglise, mais aussi parce qu'il fut grand Docteur luy mesme, ayant escrit des choses infiniment belles qui causent une merveilleuse suavité à ceux qui les lisent. Ce grand Saint donques fut eslevé fort soigneusement dès son enfance et nourri presque dès ses premières années en la vie heremitique. Apres avoir demeuré desja longuement dans les déserts, il fut un jour inspiré de Dieu de venir à Edesse, qui estoit sa propre ville ; et luy, qui avoit exposé son cœur devant la divine Majesté pour recueillir cette pretieuse rosée des inspirations célestes, et qui avoit tousjours eu une fidélité très grande à les recevoir et à leur obéir, se rendit fort docile à celle cy. Il s'achemina donc promptement du costé de la ville, laquelle vo5^ant il luy vint en pensée que Dieu ne vouloit pas sans quelque bonne rayson qu'il y allast et quittast son hermitage. Lors se prosternant soudain à genoux, il fit une prière fort fervente à fin qu'il pleust à sa Bonté luy faire la grâce qu'en entrant en cette ville il rencon- trast quelqu'un qui luy servist de directeur pour le con- duire en la vo3^e de ses volontés ; puis il se leva plein de confiance que le Seigneur l'exauceroit. Estant parvenu à Edesse il fit rencontre d'une femme desbauchée, ren- contre qui luy causa une si grande fascherie qu'il dit en soy mesme : Mon Dieu, je vous avois prié de me faire trouver quelqu'un qui m'enseignast ce que vostre bon playsir requiert de moy, et cependant j'ay rencontré cette misérable. Mais fichant ses yeux sur elle et la regardant fixement par forme de desdain, il s'apperceut  I.XIII. Pol'R IH niMANCIIH DE LA PaSSION 33 I qu'cllt,' le rc^ardoit aussi avoc beaucoup d'attonlion. Alors, outré de douleur de voir son effronterie, il luy dciuanda : rourtiuo)'. niiscraMr, nie rej^ardes-tu si atten- tiveuKMit ? A ([uoy elle respondit fort judicieusement et doctement : J'ay (pieKjue rayson de te rej^^arder, mais tu n'en as point de nie regarder. Ne sçais-tu pas que la femme fut tirc'e de la coste de l'homme*? partant je * Gcn., tt, ai-oi. regarde le lieu d'où je suis sortie commr* celuy de mon orijj^ine. .^lais l'homme fut créé de la terre*; pourquoy • Ibid., w, 7. doni[ues ne regardes- tu tou^jours la terre, puisque c'est d'elle que tu as esté tir/- ? Lors ce ^rand Saint fit un tel cas des documens que luy donnoit cette misérable femme, que non content de les recevoir humblement, il luy en tesmoigna mesme de la gratitude, la remerciant bien fort ; et despuis, il fit une si grande estime de ce document que non seulement il porta tousjours les yeux corporels bas et regardant la terre, mais beaucoup plus les yeux intérieurs et s])iri- tuels en la considération de son néant, de sa vileté et de son abjection, si qu'il fit un continuel progrès en la vertu de la très sainte humilité tout le reste de ses jours. Nous sommes donques enseignés par cette histoire comme nous ne devons pas mésestimer la parole de Dieu ni les bons enseignemens, quoy ([u'ils nous soyent présentés par des personnes de mauvaise vie. Le Seigneur voulut bien qu'un Prophète fust instruit par une asnesse * ; il •Num.,xxn, 28-30. permit bien que Pilate, qui estoit si meschant, nous prononçast cette grande vérité que nostre divin Maistre estoit Jésus, c'est à dire Sauveur *, tiltre qu'il fit poser ' Matt., 1, 21. dessus la croix, répétant : Cela est ainsy, c'est moy qui l'ay dit*. Caïphe, le plus misérable d'entre les hommes, • Joan., xix, 22. profera aussi cette parole tant véritable, qu'il estoit requis qu'un Jionuuc mourust pour le salut du peuple"^. * ibiJ., xi, 49. 50, Par ainsy nous voyons (\\ic combien qu'il ne faille '^^"'''•*' pas estimer ni approuver la mauvaise vie des hommes meschans et pécheurs, néanmoins nous ne devons pas mespriser la parole de Dieu qu'ils nous proposent, ains en faire nostre profit comme saint Ephrem. Nous ne devons . q^ ç^ q^^ ^^^ nous soucier, dit un grand Docteur*, que celuy qui nous in Job, v, 5.  }^2 Sermons recueillis monstre le chemin de la vertu soit bon ou mauvais ; pourveu que ce soit bien le vray chemin, nous le devons enfiler et y marcher fidellement.Que nous doit-il importer que l'on nous donne du baume dans un pot de terre ou dans un vase plus pretieux ? pourveu qu'il guérisse nos playes cela nous doit suffire. Nous ne devons point regarder la personne qui nous presche ou nous enseigne, ains seulement si ce qu'elle nous dit est bon ou mauvais; car il faut demeurer asseuré que la parole de Dieu n'est ni bonne ni mauvaise à cause de celuy qui nous l'expose ou explique, ains qu'elle porte sa bonté quant et elle, sans recevoir nulle tare pour la mauvaisetie de celuy qui la prononce. L'Escriture toute *Prov.,vi,6-8,xxx, sage nous tesmoigne encores cecy * lors qu'elle nous renvoyé aux bestes les plus infirmes, mesme les plus brutes, pour estre instruits de ce que nous devons faire, disant que nous allions aux fourmis à fin d'apprendre d'elles le soin et la prévoyance que nous devons avoir, d'autant qu'elles amassent tandis que le temps est beau pour se nourrir par après au temps qui n'est point propre à la cueillette. Et Nostre Seigneur mesme ne nous dit-il pas d'imiter la prudence et la finesse du serpent et la *Matt., X, i6. simplicité de la colombe *? Il en est ainsy en cent autres endroits de l'Escriture. Néanmoins, pour parler trivialement, il faut que celuy qui enseigne soit bon s'il veut que sa doctrine soit receuë et approuvée, autrement sa mauvaise vie fera rejetter et mespriser ce qu'il dira comme estant vituperable et mauvais. Nous devons tirer du fruit de la parole de Dieu n'importe par qui elle nous soit présentée; mais pourtant les pécheurs qui ne veulent pas s'amender, ains qui per- sévèrent en leur meschanceté, oflFencent grandement en l'exposant et en proférant les louanges de la souveraine Majesté, puisqu'ils mettent cette divine parole en danger d'estre mesprisée à cause de leur mauvaise conduite. C'est pourquoy Nostre Seigneur en l'Evangile d'aujourd'huy, demande aux scribes et aux pharisiens : Qui d'entre vous m'arguera de péché ? Vous dites que je suis un * Ibid., IX, II. samaritain, que je bois et mange avec les publicains *,  I XIII PoUK Ih DlMANCIIfc UH LA I'aSSION 333 (juc j«' suis //// h N vr u r (/(' i'/fi^,*[[U' ](i défends t/r pli Vt'r li' * Matt., xi, i.^. tribut il (IcSiW ^\ (|ii(' je n'oljscrvc pas le sal)hal ** ; vous * Luc», xxm, 1. me mettez ainsy à sus plusi(;urs calomnies et impostures, ^^J"^"»^»'^' ' •" mais responde/.-moy, qui est ccîuy li'rntrc vous autres qui nie repreui/rii île pecliê f J\)u/'qu<>y (ioiicpies ne me croyez-vous pas ^ Il tant sans doute que le mal soit tout en vous, car il n'y en peut avoir en moy. Nostre divin Maislre parloit Ires jusKîment, car il est impossible de joindre deux choses tant esloignées.sçavoir, Dieu et le péché. Dès cjuc l'on dit Dieu, ce mot exclut tellement le péché que jamais plus on ne doit estre en doute qu'il s'y jniisse trouver. I )()nques, entant que Nostre Seigneur est Dieu il estoit impossible qu'il peust pécher, et entant qu'il est homme cela ne se pouvoit non plus, parce que son ame humaine fut glorieuse en sa partie supérieure dès l'instant de sa conception au ventre sacré de Nostre Dame. Par conséquent il jouissoit en cette partie suprême de la claire veuè de la divine .Nlajesté, veuë qui fera nostre béatitude éternelle, et de laquelle resuite nécessairement une impossibilité de pécher, car il est impossible de voir Dieu sans l'aymer souveraine- ment : aussi l'amour souverain ne peut souffrir le péché, lequel deshonnore la divine Bonté et luy est infiniment desaggreable. Cela estant donques ainsy, Nostre Seigneur disoit très justement aux Juifs : Qjii d'entre vous me peut accu- ser de péché ? et sur ce il entroit en un grand estonne- ment de quoy ils ne croyoyent pas à ses paroles et ne suivoyent pas sa doctrine, veu que sa vie estoit irrépro- chable. Apres il adjouste : Si je vous presche la vérité, pourquoy ne l'embrassez-vous pas ? Comme s'il eust dit : Puisque je suis sans péché vous devez croire que je vous enseigne la vérité et que je ne me puis tromper. O combien cela est-il asseuré que nostre divin Maistre ne pouvoit se tromper, car il est luy mesme la vérité* * ibid., xiv, 6; à laquelle tous ceux qui ne croiront point périront indubitablement *. Tout le bien de l'homme consiste non * Marc, uit., i6, seulement à recevoir cette vérité de la parole de Dieu, mais à demeurer en icelle, comme au contraire tout le  334  Sermons recueillis  Ibid., I, 14.  Cap., I, I,  mal des Anges et des hommes provient dequoy ils sont *joan., VIII, 30-32. descheus de la vérité au lieu d'y demeurer*. Cecy est le second point de nostre discours. Si nous voulons que la parole annoncée soit receuë il faut qu'elle soit une vérité. Mais qu'est-ce que cette vérité ? Non autre, mes chères âmes, sinon la foy. Quand il est escrit* que Nostre Seigneur estoit plein de grâce et de vérité^ cela se doit entendre qu'il estoit plein de foy et de cha- rité ; non pas qu'il eust la foy pour luy mesme, car il n'en avoit pas besoin, ayant la claire vision des choses que cette foy nous apprend, mais il estoit plein de foy pour la distribuer à ses enfans qui sont les Chrestiens. L'Espouse, au Cantique des Cantiques*, déclare, ainsy que je disois l'autre jour, que son Bien-Aymé, qui est nostre cher Maistre, a deux mammelles remplies de parfums très pretieux qui respandent des odeurs très souefves. On a tiré diverses interprétations de ces paroles, mais disons ainsy : ces divines mammelles du Sauveur sont pleines de grâce et de vérité, c'est à dire de charité et de foy. Certes, il n'avoit pas besoin de ce lait très délicieux pour soy mesme, non plus que les femmes du lait qu'elles ont dans leur poitrine, lequel ne leur est donné de Dieu et de la nature que pour la nourriture de leurs enfans. Ainsy la grâce, ni moins la foy ne fut pas donnée à Nostre Seigneur pour luy, car il n'en avoit pas besoin, il estoit la grâce mesme et c'est à lu)^ de la distribuer ; la foy, il ne la pouvoit avoir non plus. C'est donques pour nous autres qu'il a esté rempli de ces dons * ; c'est pourquoy il se peinoit tant pour les faire recevoir aux scribes et aux pharisiens, et se courrouçant, Pourquoy, disoit-il, ne voulez-vous pas croire en mes paroles? elles ne sont point vaines, ains très véritables. L'homme et l'Ange, ainsy que nous disions tantost, faute de demeurer en la vérité, sont tombés en la vanité. C'est une règle générale que nous en faisons de mesme : dès que nous quittons la vérité nous choisissons quant et quant la vanité, car la vanité est un défaut de vérité qui nous fait tresbucher es enfers. L'Ange se destournant de  * Cf. tom. praeced huiusEdit.,pp.3i6 319.  I.XIII. Pour if. Dimanche de la Passion 33s la r(^nsi(loralinn de I)i('ii, (jui est la vérité éternelle, et retirant les yeux de son entendement de dessus cet objet infiniment ayma!)le, les abaissa soudain sur sa propre bcautr ([ui estoit dépendante de cette Heauté suprême bKiuelle il dcvoit rci^ardcr continiicllenu'nt. I*".t se regar- dant, le malheureux cju'il est, il s'admira, il se mira, et en se mirant se perdit et fut condamné aux flammes éternelles : ainsy, faute d'estre demeuré en la vérité il périt en la vanité. La foy luy apprenoit que tout ce (pj'il avoit estoit de Dieu et qu'à luy seul est deu le souverain honneur; il destourna son entendement de la considéra- tion de cette vérité, et soudain il ronmiit cet acte de vanité insupportable de dire : Je wontcray et scray sct)ihlabîc au Très Haut*. ^Meschant propos et mal- 'is-.xiv, 15.14. cf. - , . . , ,.^ . . toni. nraeced. hujus heureux dessein qui le perdit pour jamais. Edit., pp. 254, |i8. De mesme nos premiers parens, faute de rester en la vérité, c'est à dire attentifs en icelle, méritèrent d'estre condamnés pour tousjours, si Dieu, par le mérite de son Fils, ne leur eust pardonné. Car le malin esprit trouvant Eve qui, au lieu de considérer les grandes grâces qu'ils avoyent receuës, se promenoit oysifve dans le paradis terrestre, il luy proposa de quitter la méditation de cette vérité : Si vous mangez du fruit défendu vous mourrez. Quelle plus grande vérité que celle-cy, puisque Dieu mesme avoit proféré cette sentence*? Mais cet ancien * Gcn., m, 17. serpent* commençant à arraisonner la femme : Hé, "Apoc.,xn, 9. dit-il, ou vouloit-il dire, ne soyez pas si exacts à prendre les paroles du Seigneur à la rigueur, vous ne inourre:^ point. Non, ne pensez pas tant à la mort, car cela vous rendra melancholiques, c'est un sujet ennuyeux. Kt la pauvrette, s'amusant à escouter ces tricheries, se laissa persuader en telle sorte qu'elle attira mesme son mar\' à pécher et à contrevenir au commandement de Dieu en mangeant du fruit de l'arbre défendu*. O qu'elle eust 'Gen., ut, 1-6. bien mieux fait de persévérer en la méditation, car elle ne seroit pas tombée de la vérité en la vanité, puisque ce fut la vanité qui la fit prevariquer, comme chacun sçait. Despuis, tous ses enfans ont esté entachés de cet esprit d'orgueil qui les rend habiles à pourchasser les honneurs,  ^^6 Sermons recueillis les richesses, les playsirs, et que sçay-je moy, telles choses qui ne sont que folie, puisqu'elles sont plus pro- pres à les destourner de la vérité que non pas à les rendre capables de se tenir attentifs à icelle. L'expérience nous l'apprend tous les jours. Helas ! ne voyons-nous pas que ceux qui sont fort affectionnés à ces choses si vaines et frivoles ne pensent point, ou du moins il le semble par leur mauvaise conduite, à cette vérité qu'il y a un Paradis rempli de toutes sortes de consolations et de bonheur pour ceux qui vivront selon les commandemens de Dieu et qui marcheront après luy à la suite de ses volontés ? Or, ces commandemens et volontés sont tout à fait contraires à la vie qu'ils mènent, car ils ne laissent point pour cela de s'adonner aux playsirs bas et caducs, quoy qu'ils voyent bien qu'ils les priveront éternelle- ment, s'ils ne s'amendent, de la jouissance de cette féli- cité sans fin. Hé, ne voit-on pas aussi combien la vanité les possède, puisqu'ils ne se tiennent point attentifs à cette vérité, qu'il y a un enfer où tous les tourmens et malheurs qui se peuvent imaginer, voire qui ne se peu- vent imaginer, sont assemblés pour punir ceux qui ne craindront pas Dieu en cette vie et qui ne vivront pas en l'observance de ses commandemens? Néanmoins cette considération est grandement nécessaire pour nous main- tenir en nostre devoir. Dites-moy, si nous demeurions attentifs à la vérité des mystères que Nostre Seigneur nous apprend en l'oraison, que nous serions heureux ! Quand nous le voyons mou- rant sur la croix pour nous, que ne nous enseigne-t-il pas ? Je suis mort pour toy, dit-il, ce souverain Amant ; qu'est-ce que requiert ma mort sinon que, comme je suis mort pour toy, tu meures aussi pour moy, ou que du *Cf.liCor.,v,r4,i5. rnoins tu ne vives que pour moy * ? O combien cette vérité Cf. TV. de rAm.de i, , -, , i r • Z);Vm, 1. VII, c. VIII, apporte d ardeur en nostre volonté pour lu}^ faire aymer ^^àïx^'^l'^rù^o^' chèrement Celuy qui est tant aymable et si digne d'estre aymé ! La vérité est l'objet de l'entendement comme * Cf. supra, pp. 2 15, Tamour est celuy de la volonté * : soudain donques que nostre entendement appréhende cette vérité que Nostre Seigneur est mort d'amour pour nous, ha, nostre volonté  I.XIII. 1\)(;k i.h I)iMAN(:iih i)h i.\ Passion 337 s'entîaininc ti)ut incontinriu et con(,(jit de j^riiiKlrs affec- tions de contreschan^er autant (ju'elle pourra cet amour. Lors ces ardeurs font un l)rasi('r de désirs de plaire à cet Amant sacré, si cju'il luy semble ([u'elle ne pourra jamais rien trouver de dilticile à faire ou à souffrir; rien ne luy paroist inipossjhk' ; les Martyrs n'ont rien fait ])nur I )i(*u au prix tle ce qu'elle voudroit faire. Cela est bon ; de- meurez donques en cette vérité et tout ira bien. Mais nous ne le faisons pas, car de cette verit»'* que n> autres semblables raysons cpie la prudence humaine leur j)ou- voit fournir. Certes, il y a des âmes si réfléchissantes ([u'elU^s trouxent tant île reij^ards, tant (rinterj)retations et mille repli(iues à faire sur toutes les obéissances qu'on leur donne ; l'on ne voit point en elles de sousmission, aussi vivent-elles en de perpétuelles inquiétudes. Ces Apostres au contraire s'en allèrent sans faire aucune reflexion parce qu'ils estoyent obeissans et qu'ils aymoyent l'obéissance ; car c'est une manque que l'on n'ayme pas le commandement quand on trouve tant de raysonne- mens à faire sur iceluy. T'av desia dit cecy en ce lieu *, et me resouviens très • Vide supra, pp. ,. , • , . 1, 1 1,1- • «. 4. ♦. i7i-i76,etnot.(i), bien de VOUS avoir donne lexempled hve qui apporta tant p. 343. de difficultés sur la défense que le Seigneur avoit faite de mançer du fruit de V arbre de science. (3h, dit-elle au serpent, £)/>// nous a défendu de regarder et toucher ce fruif^ ; voulant donner à entendre par là (jue ce 'Gen., 11,17, m, 1-3. commandement estoit hors de rayson, rude et difficile à garder. Certes, une ame qui n'a point d'amour à l'obéis- sance ne manque jamais de répliques pour ne pas accom- plir la chose commandée, ou bien pour y faire voir de grandes difficultés. On conseillera à une personne de communier freciuemment : O Dieu, pensera-t-elle, que dira-t-on si l'on me voit communier souvent, me confes- ser et faire l'oraison ? Hé, que l'on dira? allez seulement faire ce que le Seigneur commande. Le Sauveur sçavoit bien que ses Apostres trouveroyent des gens cpii leur demanderoyent ce qu'ils vouloyent faire de ces bestes et où ils les menoyent ; et il arriva  358 Sermons recueillis ainsy, car non seulement celuy à qui elles appartenoyent mais encores les voysins s'en meslerent. C'est pourquoy prevo3^ant cela, il leur dit : Si quelqu'un vous veut empescher de les amener responde^-luy que le Seigneur en à besoin, et ils les laisseront aller. Ils partirent donques avec ces paroles de leur bon Maistre, et enten- dant ceux qui les vouloyent empescher de prendre ces animaux ils dirent : Le Seigneur en a besoin, et tout * Marc, XI, y6. aussi tost CCS gens se teurent et les laissèrent aller *. J'ayme bien les gens de cette bourgade, car ils estoyent bien courtois, d'autant que si tost qu'ils ouyrent que le Seigneur avoit besoin de leurs bestes ils les cédèrent volontiers. Certes, cette parole : Le Seigneur en a besoin est une parole générale de laquelle on doit payer tous ceux qui empeschent de faire ce qui est de la volonté de Dieu. Pourquoy jeusnez-vous, vous confessez-vous et commu- niez-vous si souvent ? disent les sages du monde. Respon- dez-leur : Parce que le Seigneur en a besoin. Pourquoy entrer en Religion ? à quel propos s'aller enchevêtrer et se laisser bander les yeux comme un faucon? Le Seigneur en a besoin. Pourquoy se faire pauvre et se réduire à la mendicité? Le Seigneur en a besoin. En somme, l'on se doit servir de cette parole pour rembarrer tous ceux * CtTr.deVAm.de qui nous Veulent empescher de faire la volonté de Dieu *. Sbfinem!^^''^*^'' Les Apostres donques amenèrent l'asnon et l'asnesse à Nostre Seigneur. Il faut aussi remarquer qu'il leur commanda de les deslier pour les luy amener, et non sans cause ; car si nous voulons aller au Sauveur il faut souffrir qu'on nous deslie de nos passions, habitudes, affections et des liens des péchés qui nous empeschent de le servir. Cet asnon et cette asnesse furent couverts des manteaux des Apostres ; puis Nostre Seigneur monta dessus et fit en cette abjection et humilité son entrée triomphale en Hierusalem, confondant par là le monde, qui renverse toutes les maximes de l'Evangile, qui ne veut gouster l'humilité et le mespris, et qui ne cesse de dire que malheureux sont les pauvres et souf- freteux. Hé, que bienheureux est celuy là ! dit-on. Et  LXIV. VoiJR l.li DlMANCMK DHS KaMKAUX 359 pouniiio}- ? l\ir 11 j. 1' -^ • • ïi • -1 1 yf-i^j q^^ gg|- ^ j^j^g excellence et dignité infinie, qui donne le prix et la valeur à telles actions et souffrances ; car la Divinité est tellement meslée avec l'humanité que nous disons avec vérité que Dieu a souffert la mort, et la inort *Videsupra,p.36o. de la croix"^, pour nous racheter et nous donner la vie. Or, nous autres, tant que nous sommes, avons trois natures ou trois sortes de vie, s'il faut ainsy dire, dont l'une est négative. C'est celle que nous avons receuë en la personne de nostre premier père Adam, en laquelle nous pouvions mourir ou ne mourir pas; car estant au paradis terrestre où se trouvoit Varhre de vie, nous pouvions, en mangeant de son fruit, nous empescher de mourir, sous la condition néanmoins de nous abstenir du fruit  LXV. Pour ir Vendredi-Saint 367 défendu, coininc I )iien no^tre l)ieu contestf^ ])r)ur monstrer la vérité de la vocation de son iils : Pilate déclara tant et tant de fois que N(jstre Sei)^'-neur estoit innocent, qu'il ne trouvoit en luy aucune chose di^ne de mort, il protesta ([ue, (pioy ([u'il le condamnast, il connois- soit néanmoins qu'il n'estoit pas coulpable et qu'il failloit bien qu'il y eust quelque cause qui luy estoit inconneué *. •Mntt.,xxvii,i8.a4; T\ 1 I\* 1 1 • 11 -l^iii ' ^ I.UC-e, XXIII, H, 33 ; De plus Dieu, par le plus misérable, infidelle, traistre joan.,xvin,38,xixl et desloyal homme qui fut jamais au monde, à sçavoir ^■^• par la bouche de Caïphe, pour lors souverain Prestre, ne prononça-t-il pas cette parole de vérité si grande qu'il estoit expédient qu'un seul honnne mourust pour sauver tout le peuple* ? Admirable conteste que celuy • jonn, xi, 49. ^o. de Dieu pour monstrer que véritablement son Fils estoit Sauveur et qu'il failloit qu'il mourust pour nous sauver, puisque mesme il tira cette sentence du plus détestable grand Prestre qui ayt onques esté sur terre. Il le disoit bien, mais il ne l'entendoit pas ainsy qu'il le prophetisoit; cependant le Seigneur le voulut faire prophète en cela, d'autant qu'il tenoit pour lors le siège du souverain pon- tificat *. 11 est très certain que la pluspart du peuple • Ibid., t- si- connoissoit que nostre divin Maistre estoit innocent, de sorte que si bien il demanda qu'il fust crucifié ce fut à cause des princes des prestres; car vous sçavez que quand il se fait une sédition en quelque ville tout le menu peuple se range, soit à tort soit à droit, du costé de ceux qui gouvernent tout l'affaire. Pilate fit escrire sur la croix : Jésus de Nazareth, Roy des Juifs sans sçavoir ce qu'il faisoit, et, pour chose qu'on luy dist, il ne voulut ester ni permettre qu'on changeast ce tiltre*; car Dieu • ibiJ., xix, 19. aa. vouloit qu'en iceluy fussent mises les deux causes de la mort de son Fils. Sbrm. IV XX  370 Sermons recueillis Or, que reste-t-il à cette heure, sinon que puisque le Fils de Dieu a esté crucifié pour nous, nous crucifiions * II Cor., V, 15; quant et luy nostre chair avec ses concupiscences'^ ? Galat., V, 24. -, T-^ • car 1 amour ne se paye que par 1 amour, iit voyci ce que nous avions à dire sur la seconde cause, d'autant qu'en rendant à Nostre Seigneur amour pour amour et les louanges et bénédictions que nous luy devons pour sa Mort et Passion, nous le confesserons nostre Libérateur et Sauveur. Il faut, puisque je suis en ce lieu où je parle tousjours librement et franchement, que je vous die ce qui m'arriva un jour que je devois prescher la Passion de Jésus Christ en l'une des plus fameuses villes de France. Il me failloit une comparaison pour mieux déclarer ce qui estoit de mon sujet; mais n'en trouvant point, j'ouvris un livre où * Vide Plutarch., j'en rencontray une* ; c'est un oyseau lequel j'ay tous- Colloq. mensal., 1. . ^ ' j. • ' t u. • i v.c.vii-Piin. Hist. Jours creu n avoir este mis en la nature que pour servir de nat., 1. XXX, c. xi similitude sur le sujet de la Passion. Ce que ie vous vav (al. XX vin). ^ . . "^ dire est la chose la plus admirable qui se puisse imaginer et la plus propre à fournir une comparaison pour mons- trer que Nostre Seigneur est mort à cause de nos péchés ; et pour moy je pense que quand je rencontray cecy à l'ouverture de ce livre ce fut une inspiration que Dieu m'envoyoit (O, du moins l'ay-je toujours creu ainsy. Donques cette similitude est d'un oyseau duquel cha- cun sçait le nom : il s'appelle en nostre langue loriot (2) et en latin icteriis. Cet oyseau est tout jaune, néanmoins il n'a point la jaunisse. Et si, il a cette propriété, qu'estant attaché sur le haut d'un arbre il guérit ceux qui sont atteints de la haute jaunisse, et ce aux despens de sa vie ; car le malade regardant cet oyseau jaune, en est pareille- ment regardé ; et par son regard, l'oyseau vient pour ainsy dire, à estre tellement touché de commisération ( I ) Le mot inspiration ne doit pas s'entendre dans son acception ordinaire. Assurément, en la manière dont il l'emploie ici, saint François de Sales n'y attache que le sens de rencontre providentielle. (2) Tous les éditeurs ont imprimé Voriol; c'est en effet ce mot qu'une main étrangère a ajouté en surcharge dans le Manuscrit, après avoir biffé le mot loriot qu'on y voit primitivement écrit. On a cru devoir rétablir la leçon originale,  I.X\'. Pour i.E Vfndrpdi-Saint 371 (lo \()ir rii(Mmn(\ son ^rand aniy, travailh* do co mal, (ju'il tire à sov toute la jaunisse de rclny (ini l'a ro^iinlr et s'en charge en tolh» sorte ((u'on 1<* voit devenir jaune par tout son corps. Ses aisles, (jui l'estoycnt desja, le deviennent davantag'e ; puis le ventre, les pieds, en fin toutes ses plumes et tout son jx'tit rorps , tandis que l'homme, son jj^rand ainy, devient Idanr, net et tout à fait (piitte de sa haute jaunissr". j-t s'estant retir('*, ce jiauvrc» oNseau va (iiantant et soiispirant un ehant |)itoya- blement amourcHix par la comjjlaisance (ju'il a de mourir en sauvant son homme. ( "hose admirable ! cet oyseau n'est jamais malade de la haute jaunisse, et néanmoins il en meurt en délivrant l'homme qui en estoit atteint, voire avec complaisance de mourir pour luy donner la vie. Certes, Nostre Seit^neur est ce divin oyseau de paradis, di\in loriot ([ui fut attaché sur l'arbre de la croix pour nous sauver et délivrer de la haute jaunisse du poché ; toutefois, pour on estre rendu quitte, il faut que l'homme le regarde sur cette croix à fin de l'exciter à commise- ration par ce regard ; lors il tirera à soy toutes les ini- quités de l'homme et mourra librement pour luy. Mais tout ainsy que si l'homme atteint de la haute jaunisse ne regarde cet oyseau il demourora tousjours malade, de mesme si le pécheur ne regarde Nostre Seigneur crucifié il ne sera jamais cpiitte de ses pechf's ; que s'il le fait, le Sauveur s'en chargera, et, quoy qu'il soit innocent, il mourra à cause de nos iniquités et pour nous en délivrer, voire il mourra avec une sainte complaisance de nostre guerison, bien que ce soit aux despens de sa propre vie. Nous connoissons cela par les paroles que nostre divin Maistre dit sur la croix*, par les larmes et souspirs amou- ' Cf. tom. pr:pced. roux (pi'il y jetta. Tour vous dire un mot sur ces paroles, xxix. "^ ' ^^°^' je prendray volontiers encores une demi heure, car aussi l'Office n'est pas achevé aux autres églises. La première parole donc que Nostre Seigneur prononça sur la croix fut une prière pour ceux fjui le crucifioyent : et c'est alors qu'il fit ce qu'escrit saint Paul * : Aux jours de sa chair • Heb., v, 7. /'/ offrit des sacrifices à son Père céleste. Certes, ceux  373 Sermons recueillis qui crucifioyent nostre divin Sauveur ne le connoissoyent pas ; et comment Teussent-ils conneu, puisque mesme la pluspart de ceux qui estoyent presens n'entendoyent pas son langage, d'autant qu'il y avoit en ce temps là toutes sortes de gens et de nations en Hierusalem, et tous estoyent congregés, ce semble, pour le tourmenter; mais pas un ne le connoissoit, car s'ils V eussent conneu ils *Act.,in,i7;lCor., ne Veusseut pas crucifié^. ^os,tre Seigneur donc, voyant ' ' l'ignorance et la foiblesse de ceux qui le tourment03^ent, commença à les excuser et à offrir pour eux ce sacrifice à son Père céleste, car la prière est un sacrifice. C'est le *Pss.xxvi,6,cxv,i7; sacrifice de nos lèvres et de nostre cœur* que nous pre- de l'Am. de Dieu, seutous a Dicu tant pour nous que pour le prochain ; i.v,c,viii,antemed. 3^^331 Nostre Seigneur s'en servit-il disant à son Père : Mon Père, pardonnez-leur parce qu'ils ne sçavent ce * Lucae, xxiii, 34. qu'Hs font *. O que grande estoit la flamme d'amour qui brusloit dans le cœur de nostre doux Sauveur, puisqu'au plus fort de ses douleurs, au temps auquel la véhémence de ses tourmens sembloit luy oster mesme le pouvoir de prier pour soy, il vint par la force de sa charité à s'oublier de soy mesme, mais non de ses créatures ; et pour ce, avec une voix forte et intelligible il dit ces mots : Mon Père, pardonnez-leur. Il vouloit par là nous faire comprendre Tamour qu'il nous portoit, lequel ne pouvoit estre dimi- nué par aucune sorte de souffrance, et nous apprendre aussi quel doit estre nostre cœur à l'endroit de nostre prochain. Mais, mon Dieu, quelle charité ardente estoit celle cy et quelle puissance avoit une telle prière ! Certes, les prières de Nostre Seigneur estoyent si efficaces et si méritoires que rien ne luy pouvoit estre refusé ; et pour * Hebr., ubi pag. ce il fut exaucé, comme dit le grand Apostre *, à cause *ŒTom.viihujus de la révérence que le Père luy portoit *. Il est vray que Ed^t,p.2oo,ettom. -^^ Père céleste portoit une grande révérence à ce Fils qui, entant que Dieu, luy est esgal et au Saint Esprit, ayant avec luy une mesme substance, sapience, puissance, bonté et infinie immensité; c'est pourquoy, le regardant comme son Verbe, le Père ne luy pouvoit rien refuser. Or, ce divin Seigneur s'estant employé à demander pardon  l.XV. PouK 1.I-: Vrndrf.di-Saint 373 pour les lioninies, il est tout («Ttiiin <(ii(* sa (leinancU; luy fut accordée, car son (li\in l'ère l'honnoroit trop pour luy denier (juel.iue chose de ce qu'il luy reciueroit. Il fut don(iues exaucé non seulement à cause de la révérence (jue le Père luy portoit, mais aussi à cause de celle qu'il portoit ;iu Père et a\er laquelle il i)ri()it, d'autant i^ue c'est une chose qui ne peut estre ima,t,nnée ni comprise que cette révérence ([ue ces deux divines Personnes se portent réciproquement. Tout ainsy que deux L;rans rois, esoaux en grandeur et en puissance, se rencontrant ensemble se traittent et parlent à l'envi avec tant d'honneur et respect cpie si l'un des deux prie l'autre de quehjue chose il le luy accorde fort j)romptement et absolument, de mesme en est-il du Père éternel et de son Fils Nostre Seigneur, car tous deux sont esgaux en dignité, excellence et perfection. Jésus Christ fit donques cette prière à son Père ; mais avec quelle révérence ! Certes, la sacrée Vierge Nostre Dame a surpassé toute créature en l'humilité et respect avec lesquels elle a prié et traitté avec son Dieu ; tous les Saints ont prié avec grande révérence ; les colonnes du Ciel tremblent*, les plus hauts Séraphins frémis- "Job, xxvi, n. sent et se couvrent de leurs aisles* pour l'honneur • is. qu'ils portent à la divine Majesté ; mais toutes ces humi- lités, tous ces honneurs, toute cette révérence que la Vierge, les Saints, tous les Anges et les Séraphins rendent à Dieu ne sont rien en comparaison de celle de Nostre Seigneur. C'est pourquoy il ne faut nullement douter que les prières faites avec une si grande et si admirable révérence par une personne d'un mérite et perfection infinis ne fussent tout aussi tost accordées. Que si tous ceux qui le crucifièrent ne receurent pas le pardon que le Sauveur avoit demandé pour eux ce ne fut pas sa faute, comme nous le monstrerons. La seconde parole fut celle par laquelle Nostre Sei- gneur promit le Paradis au bon larron. V.n cette parole il commença à chanter d'un autre air, d'autant qu'au- paravant il prioit, et prioit pour les pécheurs, mais maintenant il monstre qu'il est Rédempteur, car ayant  VI. 2.  374  Sermons recueillis  * Matt., XXVII, 38 Joan., XIX, 18.  pardonné les péchés, il fait ja gouster les fruits de sa rédemption au bon larron. Il estoit crucifié au milieu de deux larrons, meschans, traistres et voleurs *, Vun desquels le blasphemoit ; l'autre confessant son inno- cence luy dit : Ha, Seigneur, je reconnois bien que vous n'estes point coulpable, mais ouy bien moy qui mérite pour mes péchés et crimes d'estre attaché à cette croix ; et pour ce je vous prie d'avoir souvenance de moy * Lues, XXIII, 39-42. quand vous sere\ en vostre Royaume^. Il faut que je vous fasse sur ce sujet une remarque que je ne vous ay point encores faite en ce lieu, bien qu'il me semble en avoir parlé ailleurs. C'est qu'il arriva en la Passion de Nostre Seigneur deux grans accidens au sujet de deux sortes de pécheurs qui le tourmentèrent extrêmement. Il y en avoit deux de chaque sorte : les uns estoyent deux Apostres , les autres deux larrons. Saint Pierre, l'un des Apostres, fit un grand tort à son Maistre, car il le renia et jura qu'il ne le connoissoit pas, et, non content de cela, il le maudit et blasphéma, *Matt., XXVI, 69-74. protestant ne pas sçavoir qui il estoit*. Grand accident que celuy cy, lequel perça le cœur de Nostre Seigneur! Hé, pauvre saint Pierre, que faites-vous et que dites- vous? Vous ne sçavez quel il est, vous ne le connoissez pas, vous qui avez esté appelle de sa propre bouche à l'apostolat *, vous qui avez confessé qu'il estoit le Fils du Dieu vivant"^! Ah! misérable homme que vous estes, comment osez-vous dire que vous ne le connoissez pas ? N'est-ce pas Celuy qui nagueres estoit à vos pieds pour les laver *, qui vous a repeu de son corps et de son sang ? Et vous asseurez que vous ne le connoissez pas ! Oh, comme est-ce que la terre vous peut supporter? comment ne s'ouvre-t-elle pas pour vous engloutir dans le plus profond des enfers ? Le second Apostre fut Judas qui vendit misérablement son Maistre et à si vil prix *. O Dieu, mes chères Sœurs, que terribles et espouvantables sont les cheutes des servi- teurs de Dieu, principalement de ceux qui ont receu de grandes grâces*; car quelle plus grande grâce que celle qui avoit esté donnée à saint Pierre et à Judas ? Celuy  Ibid., IV, 18, 19. Ibid., XVI, 16.  Joan., XIII,  * Matt., XXVI, 15.  * Cf. supra, Serm LVIII.  LXV. Pour lh Vkndkf.di-Saint 375 cy avoit csir i\ppc\U^ à l'aposKjlat i)ar Nostre Seigneur inesme, (jui le prêtera à tant et tant de millions d'autres lesquels eussent fait des merveilles en ce ministère ; le Sauveur luy fit des faveurs sij^malées, car outre qu'il luy accorda le don des miracles, il luy prédit encores ce qui luy dcvoit arriver touchant sa trahison * à fin ([uo, le •Matt.,xxvi.ar-i^; sçachant, i\ cust moyen de 1 éviter. De plus, pour ^^ai^^ner entièrement son c(jeur et ne laisser aucune chose de ce qui le pouvoit rendre plus affectionné à sa divine Majesté, sçachant qu'il avoit une inclination de traffiquer et manier les affaires *, il voulut le faire procureur en son collège •Joan.,xM,6,xin,39. sacré. Néanmoins, ce misérable Judas abusa de toutes ces grâces et vendit son bon Maistre. Oh, que les cheutes de ceux qui sont sur la montagne sont effroyables et dangereuses ! car dès que l'on a com- mencé de tomber, l'on roule puis après jusques à ce que l'on soit au fond du précipice. Telles ont esté les cheutes de plusieurs qui sont descheus du service de Dieu. Chose estrange, qu'après un bon commencement, mesme après avoir demeuré trente et quarante ans en ce saint service, sur la viellesse, lors qu'il est temps de recueillir, l'on vienne à tout perdre et à se précipiter dans des abismes. Tel fut le malheur de Salomon, dont le salut nous laisse bien en doute, de mesme que plusieurs autres qui ont abandonné le bon chemin en leurs dernières années*. 'Ci.LfsControver- .^ . , , . ,, -, \ r~\ f 1 7 if5,tom.I huj.Edit., O misérable viellesse que celle cy 1 Oue c est une chose pp. sa-54, et tom. espouvantable de tomber entre les mains du Dieu ^^^^' p- ^^'^• vivant* ! Que ses jugemens sont inscrutables**! Que • Heb., x, 31. celuy qui est debout craigne donques de tomber y dit o'"-. xi, 33. l'Apostre * ; que personne ne se glorifie pour se voir 'ICor.,!, 12. bien appelle de Dieu, et en quelque lieu où il semble n'avoir rien à craindre. Que personne ne présume de ses bonnes œuvres et pense n'avoir plus rien à redouter, puisque saint Pierre qui avoit receu tant de grâces, qui avoit promis d'accompagner Xostre Seigneur à la prison é?/ jusques à la mort mesme*, le renia néanmoins au • Lucas, xxw, 33. moindre sifflement d'une chambrière, et que Judas le vendit pour une si petite somme de deniers. Ces cheutes furent toutes deux très grandes ; mais il y  37^ Sermons recueillis eut cette différence, que l'un se reconneut et l'autre se désespéra. Cependant nostre Sauveur inspira au cœur de Judas le mesme peccavi qu'au cœur de saint Pierre ; ce mesme peccavi que Dieu avoit inspiré au cœur de * II Reg., XII, 13. David*, il l'inspira à celuy des deux Apostres, et néan- moins l'un le rejetta et l'autre le receut ; car saint Pierre entendant le coq chanter se resouvint de ce qu'il avoit fait et de ce que luy avoit dit son bon Maistre, et lors, reconnoissant sa faute, il sortit et pleura si amere- *Matt., XXVI, 74,75; menf^ que pour cela il receut indulgence pleniere et ucae, XXII, i, 2. j-cmission de tous ses péchés. O bienheureux saint Pierre qui par une telle contrition de vos fautes receutes le pardon gênerai d'une si grande deslo3^auté ! Mais faites encores cette remarque, je vous prie, que saint Pierre ne se convertit point qu'il n'entendist le chant du coq comme Nostre Seigneur le luy avoit pré- dit ; en quoy l'on voit l'admirable sousmission de cet Apostre à se servir du moyen marqué pour sujet de sa conversion. Je sçay bien que ce furent les regards sacrés de nostre Sauveur qui luy pénétrèrent le cœur et luy * Lucas, ubi supra, ouvrirent les yeux pour luy faire reconnoistre son péché*; * Matt., ubi supra, néanmoins l'Evangeliste * nous dit qu'il sortit pour le pleurer quand le coq chanta, et non point aussi tost que Nostre Seigneur le regarda. Despuis ce temps là il ne cessa jamais de pleurer, principalement quand il entendoit chanter le coq la nuit et le matin, se resouvenant que c'estoit le signal de sa conversion. L'on rapporte mesme, et il est vray, qu'il jettoit des larmes en telle abondance qu'elles luy avoyent creusé *Cf.Baron.,ad ann. les joues et s'estoyent fait comme deux canaux* : par ce VHhujTJ'Edy.^p! moyen, de grand pécheur qu'il estoit il devint un grand 4^- Saint. O glorieux saint Pierre, que vous fustes heureux de faire une si grande pénitence d'une telle et si grande desloyauté, car par icelle vous fustes remis en grâce, et vous qui méritiez une mort éternelle, vous rendistes ca- pable de la vie éternelle. Et non seulement cela, ains il receut icy bas des faveurs et des privilèges signalés et fut comblé de beaucoup de bénédictions en cette vie et en l'autre.  LXV. \\)VH i.K Vendredi-Saint 377 Judas, ciu contraire. <|iioy «lu'il rcccust l'inspiration du mesme Pi'cwiui (^uc saint l'icrrc, la rcjctta et se déses- péra. Je sçay bien i^u'il y a d(» la tlitfcrence entre la grâce efficace et la grâce suffisante, comme tlisent les théologiens; mais je ne suis pas en ce lieu pour prouver et disj)nter si cette inspiration du peccavi de Judas fut eftit^ice aussi bien (jne celle île David, ou seulement suffisante; elle fut certainement suffisante. Il est vray aussi que ce peccavi «{ue l)ieu envo)a au coMir de Judas fut comme celuy qu'il envoya jadis au cœur de David : pourquoy doncjues ne se convertit-il pas ? O misérable î il vit la grandeur de sa faute et se désespéra. Il fit voi- rement bien la c^)n Tension de son j)cché, car en rapportant aux princes des preslres les deniers pour lesciuels il avoit vendu son bon Maistre, il dit tout haut qu'il avoit vendu le Siin^^ de l'innocent*. Mais ces prestres ne luy •Matt.,xxvn, 3-5 donnèrent point l'absolution. Hé, le malheureux, ne sça- voit-il pas bien que Xostre Seigneur estoit celuy qui seul la luy pouvoit donner, qu'il estoit le Sauveur et tenoit la rédemption entre ses mains ? L'avoil-il pas bien veu en ceux auxijuels il avoit remis les p.'chés ? Certes, il le sçavoit, mais il ne voulut ni n'osa demander pardon, car le diable, pour le tirer au desespoir, luy nionstra l'enor- mité et laideur de son crime, et luy fit peut estre craindre qu'en demandant pardon à son Maistre il ne luy donnast pour iceluy une pénitence trop grande. Ainsy il ne voulut point l'implorer de crainte de faire cette pénitence, ains se désespérant il s'en alla pendre, et le ventre luy creva, ses entrailles se respandirent * et il fut enseveli * Act., i, 18. au plus profond des enfers. Voyla quant à la première sorte de pécheurs. En la seconde nous voyons deux larrons qui estoyent crucifiés avec Nostre Seigneur, hommes meschans au possible, qui n'avoyent jamais fait de bien ; c'estoyent les plus scélérats, les plus perfides et insignes voleurs qui se puissent voir; aussi les avoit-on choisis comme tels pour mettre aux costés de nostre cher Sauveur à fin de le déclarer par ce moyen maistre de tous les voleurs*. 'Lucae.xxm, 33,33. Voicy donques que l'un d'iceux, très meschant homme,  378 Sermons recueillis se tournant devers Jésus confessa qu'il estoit innocent, et que luy estant pécheur, meritoit d'estre mis en croix; puis il luy demanda pardon, lequel il receut si absolument que Nostre Seigneur luy promit qu'il entreroit ce jour-là *Luc3e, XXIII, 39-43. en Paradis avec luy*. Chose estrange ! deux larrons estoyent crucifiés avec nostre Sauveur et tous deux receurent l'inspiration du peccavi, et pourtant il n'y en a eu qu'un seul de converti. Certes, ni l'un ni l'autre n^avoyent jamais fait de bien, et le bon larron estoit un des plus scélérats voleurs qui se puissent voir ; néanmoins sur la fin de sa vie il regarda la Croix, il y trouva la rédemption et fut sauvé. C'estoit assez tost, car Nostre Seigneur avoit dit que quiconque regarderoit sa Croix, pour grand pécheur qu'il fust, il *CfJoan., 111,14-17, recevroit le salut*, quoy que sur le déclin de sa vie, ' ' comme fit le bon larron. Mais l'autre larron, encores qu'il se trouvast au costé du doux Jésus, il y fut en vain, d'autant qu'il ne voulut jamais regarder la Croix ; et combien qu'il receust beaucoup d'inspirations, et mesme des gouttes de ce sang divin qui l'aspergeoit, et que nostre cher Sauveur le soUicitast souvent en son cœur par des secrettes et très amoureuses semonces de regarder * Cf. Tractât. Vitis ce bois sacré et le mystique Serpent qui y estoit attaché * Mystica, inter Op. . ^ ,, , . . ., S. Bernard., c.xLv. a fin d obtenir sa guenson par ce moyen, il ne le voulut point faire ; c'est pourquoy il se perdit misérablement, et s'obstinant mourut en son péché. Voyla, mes chères Sœurs, deux sortes de pécheurs qui nous doivent faire vivre en grande crainte et tre- *Ps. Il, 11; Philip., ineur^, mais aussi en grande espérance et confiance, puisque des deux sortes il y en a eu un de sauvé et un de damné. Un des premiers de sauvé, qui fut le glorieux saint Pierre, et un de damné qui fut Judas , tous deux Apostres de Nostre Seigneur. Certes, il y a des âmes qui tombent après avoir long temps servi Dieu et estre arrivées à la montagne de la perfection. « Nous avons * s. August., Soii- veu, » dit un grand Saint*, « tomber les estoilles du Ciel, » loquia, c. xxix (in > 1. i.- ^ ^ Appendice) ;citata, lesquelles par aprcs s obstinent et meurent sans peni- paucis mutatis a ^ç^^ç^ç. D'autres q ui font les mesmes cheutes après avoir s. Bonav., Regulae t- ^ Novit., c. XI. re»ceu pareilles grâces, viennent à faire pénitence comme  LXV. Pour ik Vendredi-Saint 379 saint Pierre, (irand sujet de eraiiulri! et d'espérer! Il y en a encores ([ui n'ont jamais fait auriin bien et qui à la tin de leur vie trouvent le pardon et la miséricorde, tandis (jue il'iiulres au eontrairtî persévèrent en leurs ini(|uit(Vs. U Dieu, cpie Jurande est l'humilitt* et \r. rabaissement avec lequel nous devons vivre sur cette terre! Mais aussi, quel sujet de bien ancrer nostre espérance et confiance en Nostre Sei^^neur ; car si après avoir commis des péchés tels que de le renier, de jKTseverer et user sa vie en des horribles forfaits et ini^iuités l'on trouve la remission quand on se retourne du costé de la Croix où est attachée nostre Rédemption*, que doit craindre le pécheur de M Cor., t, 30. l'une et l'autre sorte de revenir à son Dieu en la vie et en la mort? Hscoutera-t-il encores cet esprit malin qui luy fait voir ses fautes telles qu'il n'en puisse recevoir le pardon ? Hé, qu'il responde hardiment que son Dieu est 7nort pour tous *, et que ceux qui rei^arderont la Croix, * n Cor., v, i^ pour grans pécheurs qu'ils soyent, trouveront le salut et la rédemption. Mais que ne doit-on espérer de cette rédemption si abondante * qu'elle rei^orge de toutes j)arts, comme nous * ^^- cxxix. 7. dirons tantost. O Dieu, combien de fois nostre divin Sauveur l'offrit-il à Judas et au mauvais larron I Avec quelle patience attendit-il l'un et l'autre I Que ne fit pas le cœur sacré de ce cher Sauveur à l'endroit de celuy de Judas ? combien de mouvemens, d'inspirations secrettes ne luy donna-t-il pas, tant en la cène, (piand il estoit à genoux devant luy, luy lavant les pieds, qu'au jardin des Olives, lors qu'il l'embrassa et le baysa *, comme aussi •Matt.,xxvi, 49,^0. durant le chemin et en la mayson de Caïphe lors que ce malheureux confessa sa faute*. Mais il ne voulut point ' VUesupra.p.i;;. demander pardon ni espérer de le recevoir. Que ne fit pas aussi ce mesme cœur de nostre Sauveur à l'endroit de celuy du mauvais larron tout le temps qu'il fut sur la croix ? Combien de fois le regarda-t-il, le pro- voquant à le regarder, permettant que son pretieux sang vinst à tomber sur luy à dessein d'amollir et purifier son ame. Ilelas ! ce misérable, en refusant ainsv le salut,  380 Sermons recueillis ne meritoit-il pas que Dieu le precipitast à l'instant dans les enfers ? Mais il ne le fit point, ains l'attendit à péni- tence jusques à ce qu'il expirast. Donques si Nostre Seigneur remet si librement de si grans et énormes péchés, voire s'il ofFre mesme le pardon aux obstinés et *Rom., II, 4. les attend à pénitence avec tant de patience *, o Dieu que ne fera-t-il à celuy qui le luy demande, et avec quel cœur ne recevra-t-il pas le pénitent contrit ? La troisiesme parole de Nostre Seigneur fut une parole de consolation qu'il dit à sa sacrée Mère laquelle estoit au * Luc3s, II, 35. pied de la croix, transpercée au glaive de douleur*, mais certes non pasmée ni à cœur failli comme la peignent faussement et impertinemment les peintres; car l'Evange- liste dit clairement le contraire et qu'elle demeura debout * joan.,xix, 25.Cf. avcc Une fermeté nompareille *. Cela n'empeschoit pas sa supra, p. 286. j 1 '111 douleur, mais elle la supporta avec un cœur tout géné- reux et magnanime, qui n'appartenoit qu'à elle. O Dieu, quelles furent ses angoisses ! C'est une chose inexplicable et inconcevable. Elle estoit ce pendant crucifiée en son cœur avec les mesmes doux que Nostre Seigneur l'estoit *Cf. S.Bern.,serm. en son corps *, Car elle s'en alloit estre sans enfant et de Dom. infra oct. Assumpt.,§ 15. sans mary. Notre cher Sauveur la voyant donc en cette détresse luy dit une parole pour la consoler ; mais ce ne fut point en la flattant ni caressant, ni ce ne fut point une parole de tendreté pour rapaiser son cœur parmi une si grande désolation. Certes, il failloit bien que le cœur de cette sainte Vierge parfaitement sousmise et resignée fut gran- dement fort, puisque Nostre Seigneur qui le connoissoit * Cf. supra, p. 322. le traitta de la sorte* : Femme, luy dit-il, voyla ton * Joan., XIX, 26. fils *, luy monstrant saint Jean qui estoit le cher Disciple de son cœur et le chéri de ses entrailles. Il le luy donna pour avoir soin d'elle, car cette Vierge sacrée n'y pensoit point; elle avoit toutes ses pensées à l'entour des douleurs *Cf. Luc, II, 35, 5t. de son divin Fils, douleurs qu'elle ruminoit en son ame * au pied de la croix. Mais son cher Enfant qui s'en alloit mourir, voyant que, demeurant vefve et orpheline, elle ne sçauroit où aller, il la voulut pourvoir en cette déso- lation, luy donnant son Disciple pour fils, comme la  LXV. Pour le Vendrrdi-Saint 3B1 choso l:i plii^ pr<'tioii*^o (\u'\\ lti\- pmivoit laissrr en mou- rant ; car c'cstoit /<• i//Siipi(- i/n'/I iivnh^it* et aii'jiH'l il •Joan..xiii.ii,xix, inspira un vcntable amour de til^ pour une t('ll(» .^Icn*, a îni que par ce moyen il cust plus d(i soin et de souci d'elle. Il se resjouit aussi de laisser en mourant, comme j^age de son amour, la X'icrj^e sacrée pour mère à saint Jean, et à sa sainte Mcrc, le Disciple de son cfpur pour fils. Les hommes voulant bien favoriser leurs enfans ou héritiers, leur disent a\ant de tresj)ass('r : Alle/.-vous-cn en un tel buffet, vous trouverez là tant de mille escus. I^t les mercs se glorifient de dire à leurs filles en ce dernier abois : Allez-vous-en en un tel coffre, vous trouverez encores toute neuve la robe avec laquelle je fus espousée, vous y trouverez mes chaisnes et mes bagues que je vous ay conservées, et telles autres bagatelles. O folie et niaiserie que celle cy ! Kt toutefois elles font gloire en mourant, de pouvoir léguer telles choses. Mais nostre cher Sauveur ne laissa rien de tout cela à saint Jean et à sa Mère, ains leur laissa un trésor plus grand que tout cela. Il est vray que Nostre Dame ressentit alors une dou- leur telle que l'inesgalité de ces deux enfans luy pouvoit causer, car il n'y a nulle comparaison entre Nostre Sei- gneur et son Disciple. Néanmoins, comme très sousmise, elle l'accepta avec un cœur doux et tranijuille, et son divin P'ils luy donna pour saint Jean un amour plus tendre que n'eurent ni n'auront jamais toutes les mères ensemble envers leurs enfans. Mais cette sacrée Vierge passa plus outre, d'autant qu'elle vit que Nostre Seigneur en luy donnant saint Jean pour fils luy donnoit par conséquent tous les Chrestiens, desquels il vouhnt ([u'ellc fust la mère, comme enfans de grâce, car Jean signifie grâce *. Or, quoy • Vide ad calcem qu'elle aymast ce saint Apostre d'un tel et si grand amour, si ne faut-il pas croire qu'elle l'aymast comme son divin Fils, qu'elle aymoit non seulement entant qu'il estoit son Fils, mais aussi entant qu'il estoit son Dieu. O non certes. Combien donques estoit grand cet amour que le très saint cœur de la Vierge avoit pour celuy de Nostre Seigneur ! Kt si cet amour estoit si grand, combien fut grande la douleur qu'elle ressentit de le quitter et de  382  Sermons recueillis  * Matt., XXVII, 45 ; Lucse, xxiii, 44, 45,  *Cf.Maldon., Com- ment., in locum Matt.  * Ep. ad Polycarp., .5 H. **Vide Baron., ad ann. 34, § cxvi.  *Vide Epist. supra, et Brev. Rom., ad diem ix Octobris.  * Heb., ubi supra, p. 371.  le voir mourir, et par ce moyen d'estre frustrée de sa présence corporelle ! Il faut encor remarquer un autre accident qui survint sur ces entrefaites, lequel je pense ne vous avoir jamais fait considérer. C'est qu'aussi tost que le Sauveur eut dit cette troisiesme paroUe le soleil retira sa clarté et les ténèbres couvrirent toute la terre *^ mais elles estoyent si espaisses que c'estoit une chose espouvantable. Je sçay bien qu'il y a une dispute entre les Docteurs, à sçavoir si ces ténèbres couvrirent toute la terre, ou bien seulement une partie d'icelle ; j'ay souvent veu les opi- nions des uns et des autres *. Comme aussi il est question si cette ecclipse fut naturelle ou surnaturelle, et si le soleil agit ou non ; mais je ne suis pas en lieu propre pour vuider ce différend. Pour moy je suis l'opinion de ceux qui tiennent que les ténèbres couvrirent toute la terre, car le grand saint Denis Areopagite, qui estoit alors en Egypte, en fait mention *, et plusieurs historiens font foy de cecy **. Il n'y a point de doute non plus que cette ecclipse ne fust surnaturelle et qu'en icelle le soleil ne souffrist, car elle arriva en plein midy et quand la lune estoit en son plein. Aussi saint Denis, qui pour lors n'estoit pas Chrestien et qui par après ayant esté converti par les prédications du grand Apostre saint Paul, vint en ces quartiers et fut Apostre de la France, s'escria en voyant ce prodige : Il faut de deux choses l'une, « ou que le Dieu de la nature souffre, ou que la fin du monde approche, » car cette ecclipse est tout à fait surnaturelle, puisqu'elle est en plein midy et au plein de la lune, et que de plus elle surpasse le terme ordinaire des ecclipses (elle dura trois heures entières) *. Certes il disoit vray, car ces ténèbres provenoyent de ce que le Dieu de la nature soufifroit en Hierusalem. Or, que fit Nostre Seigneur pendant ces trois heures là ? Il les employa à offrir des sacrifices de louange. Ce fut lors particulièrement qu'il fit ce qu'escrit saint Paul*: il pria, il gémit et se plaignit avec de grans cris aux jours de sa chair ; c'est à dire qu'en ce temps cy, il se  I.XV. PoiR iH Vendredi-Saint 3H3 plaijjj'nit à snn Pero, il i)llais quo}' que Nostre Seigneur fust si infiniment désireux du salut des âmes que pour leur ac^iuerir ce salut il avoit exposé sa vie en mourant pour nous *, il ne voulut pas néanmoins • Is, lui, 10-12. descendre de la croix parce que la volonté de son Père n'estoit pas telle, ains au contraire c'estoit cette volonté qui le tenoit attaché à ce bois. O misérable peuple, que dites-vous, que nostre cher Sauveur et Maistre descende de ce gibet ? Oh ! il ne le Sbum. IV 3^  386 Sermons recueillis *Ubisupra,p. 360. fera pas, car, dit saint Paul*, il s'est fait obéissant jusques à la mort, et à la mort de la croix; il est monté sur la croix par obéissance et mourra en icelle par obéissance. Aussi, tous ceux qui se voudront sauver par la croix trouveront le salut, mais ceux qui se voudront sauver sans elle périront misérablement, car il n'y a point de salut qu'en cette croix. Ha ! misérables que vous estes, dit nostre Sauveur, vous demandez que je descende de ce bois pour croire en moy ; c'est à sçavoir vous voulez un autre moyen de rédemption que celuy que mon Père a ordonné de toute éternité, moyen qui a esté prédit par tant de Prophètes et annoncé par tant de figures ; vous prétendez donc estre sauvés comme vous voulez et non comme Dieu veut. Cela n'est pas raysonnable, et pour ce * Joan., VIII, 21, 24. 'Qous mourre\ obstinés en vostre péché * et ne trouverez point de pardon, car la piscine vous estant préparée vous * Cf. Joan., V, 4. refusez de vous y jetter *. La rédemption est ouverte et si abondamment qu'elle regorge de tous costés, et vous *Cf. Zach.,xm, i. ne VOUS y voulez pas laver* ! 03^ez ce cher Sauveur qui crie qu'il a soif de nostre salut, qui nous y attend et invite : Venez, nous dit-il, si vous voulez, car si vous ne venez vous ne trouverez point ailleurs de salut. O misérables gens, qui demandez une autre rédemption que celle de la Croix, celle-cy n'est-elle donc pas suffisante ? Elle est mesme plus que suffisante, puisqu'il est vray qu'une seule larme, un seul souspir amoureux sortant de ce cœur sacré pouvoit racheter des millions de milliers de natures humaines et angeliques, s'il y en eust eu autant qui eussent péché ; et toutefois il ne nous a pas rachetés avec un seul souspir ni une seule larme, ains avec tant et tant de travaux et de peines, ayant espuisé tout le sang de ses veines. Cette rédemption est si * Vide supra, p. 379. copieuse* qu'elle ne sçauroit estre espuisée non seulement par des millions d'années, mais par des millions de mil- *Cf. supra, p. -y66. lions de siècles*. C'est pour parfaire cette rédemption que Nostre Seigneur ne voulut point descendre de la croix, de sorte que, comme dit le grand Apostre, il a esté vrayement obéissant jusques à la croix, car il est véritablement mort de la mort de la croix par une grande obéissance.  LXV. Pour if. Vendredi-Saint 387 Il y a plusioiirs sortes d'obéissance, lesquelles néan- moins se peuvent toutes entendre en deux façons. La première est spéculative, c'est colle des théologiens quand ils d(»claront et explifjuont l'cxcrllcMice de cette vertu. Ainsv j)liisi('urs rcstimcnt t^randrinciU, ils lisrnt avec un j^rand ^oust ce (|ue Ton en cscrit. O (jue bienheureux sont les obcissans, disent-ils. Ils jKirlcnt bien des cinrj degrés d'obéissance ; néanmoins ils ne font rien plus que les theolojTfiens fjui en discourent si exeellemment.Or, ce n'est pas le tout d'en parler; il faut venir à la seconde façon d'entendre cette vertu, qui est de se mettre à la prattique d'icelle dans les occasions petites et grandes qui se pré- sentent. 11 s'en tr(nive aussi qui veulent bien obéir, mais avec cette condition que l'on ne leur commandera rien de difficile. D'autres encorcs veulent bien obéir, pourvcu qu'on ne les contrarie point en leurs caprices ; celuy cy se sousmettra à l'un , mais non pas esgalement à un autre ; et peu de chose esprouve la vertu de telle sorte de gens qui obéissent en ce (qu'ils veulent et non pas en ce que Dieu veut*. Or, Xostre Seigneur n'ayme point 'Cf. supra, pp. 175- cette obéissance : il faut obéir pareillement aux grandes hî,jusEdu.',p'^394- et petites choses, aux faciles et aux difficiles, et demeurer 39^- fermes, c'est à dire attachés à la croix où l'obéissance nous a mis, sans recevoir ni admettre aucune condition pour nous en faire descendre, queUiue bonne apparence qu'elle ayt. Partant, s'il vous vient des inspirations ou mouve- mens quels qu'ils soyent qui vous portent à faire chose aucune qui vous tire hors de l'obéissance, rejettcz-les hardiment et ne les suivez point*. • Cf. 7"r. ./<-/• A »«../<• Que les mariés demeurent en la croix de l'obéissance, £i\7eUeVsx', x7!'' c'est à dire du mariage; car c'est leur croix la meilleure et celle de la plus grande prattique, d'autant que l'on est presque en perpétuelle action et que les occasions de souffrir y sont plus fréquentes qu'en aucune autre. Ne desirez donques point de descendre de cette croix sous quelque bon prétexte que ce soit ; mais puisque Dieu vous y a mis demeurez-y sans en sortir. Que le prélat et celuy qui a charge d'ames ne désire point d'estre destaché de cette croix à cause du tracas de  388 Sermons recueillis mille soucis et empeschemens qu'il y rencontre ; ains qu'il fasse ce qui est de son devoir en son office, ayant soin des âmes que Dieu lu}^ a commises, instruisant les uns, consolant les autres, tantost parlant, tantost se taisant, donnant le temps à l'action et, quand il le doit, à la prière. C'est la croix à laquelle Dieu l'a attaché, il faut donques qu'il y demeure ferme, sans croire à ce qui le pourroit provoquer d'en sortir. Que le Religieux reste constamm.ent et fidellement *Cf.tom.vIIIhujus cloué à la croix de sa vocation *, sans jamais laisser entrer Edit., pp. 416-418. , . j , . . . ,. ^. . - . la moindre pensée qui le puisse divertir ni faire varier en l'entreprise qu'il a faitte de servir Dieu en cette manière de vivre, ni moins qu'il n'escoute jamais ce qui le porteroit à faire ce qui seroit contraire à l'obéissance. Et que l'on ne me dise pas : O Dieu, si j'avois mainte- nant ma liberté je ferois tant d'heures d'oraison, et peut estre j'y recevrois tant de consolations qu'à l'adventure *Cf. supra, p. 174. j'y serois ravi*. Si je priois à cette heure, je ferois tant que peu s'en faudroit que je n'arrachasse le cœur de Dieu pour le mettre dans le mien, ou bien je m'eslancerois en telle sorte que je mettrois la main dans le costé du Sau- veur pour luy desrober son cœur. Si j'allois maintenant faire l'oraison, je prierois si fervemment que je serois eslevé de deux ou trois coudées de terre. Voyla qui a bien de l'apparence de vertu ; mais certes, quand cela est contraire à l'obéissance il le faut rejetter et ne point admettre tels mouvemens et inspirations. Obéissez seule- ment. Dieu ne vous demande pas autre chose. Nostre Seigneur ne voulut donques point descendre de la croix. Oh ! dit-il, vous voulez que j'en descende ? mais * Joan., XIX, 30. moy je vous dis au contraire que tout est consommé*. Ce fut la sixiesme parole qu'il prononça : Consummatiim est; Tout est consommé. O mon Vexe.fay accompli à^Q point en point tout ce qui estoit de vostre volonté, il ne me reste plus rien à faire, voyla l'œuvre de la Rédemption * Ibid., XVII, 4. finie et achevée *. O Dieu, il y auroit matière à une infinité de reflexions sur ces paroles, et toutes très utiles, mais je *Videtom.prœced. VOUS cu ay parlé autrefois*. hujus£dit.,p.283. Ygnons à sa dernière parole : Mon Père, je remets  I W. PoiK i.H Vksdrfdi-Saint 389 frîON rspr/t rntrr vos niii/ns*. Il se présente encores • Luc», xxm, 46. icy un ^raml nombre de considérations, car certes c'est en icelle que consiste toute la perfection chrestienne. Nous y voyons ce parfait ahandonnement de Nostre Seij^neur entre les mains de son Père céleste, sans reserve quel- conque. /r remets, dit-il, mon esprit entre vos mains ; en <|U()V vous rcmartiuerez son humilité, son obéissance et sa vraye sousmission. Pendant (jue j'ay vescu je vous ay desja, o mon Père, remis sans reserve mon corps et mon am(»; à cette heure il ne me reste plus rien, après avoir tout accompli ce que vous recjueriez de moy, sinon de remettre mon esprit entre vos mains. C'est la quintessence de la vie spirituelle que ce par- fait abandonnement entre les mains du Père céleste et cette parfaite indifférence en ce (jui est de ses divines volontés*. Tout est accompli, mais s'il vous plaist que 'CA.Tr.derAm.de mon esprit demeure encores plus lonij- temps dans ce """' ' ' • "^^ '^■• corps à fin de souffrir davantage, je le remets entre vos mains : si vous voulez que je passe de cette vie en l'autre pour entrer en ma gloire, je remets mon esprit eritre vos maiiis ; en somme, o mon Père, vouloit dire nostre cher Maistre, me voicy entièrement prest et résolu de faire tout ce qu'il vous plaira. Ah ! mes chères Sœurs, si quand nous nous consacrons au service de Dieu nous commencions par remettre absolument et sans reserve nostre esprit entre ses mains, que nous serions heureux ! Tout le retardement de nostre perfection ne provient que de ce défaut d'abandon ; et il est vray qu'il faut par là commencer, poursuivre et finir la vie spirituelle, à l'imita- tion du Sauveur qui l'a fait avec une admirable perfection au commencement, au progrès et à la fin de sa vie. Il s'en trouve assez qui, venant au service de Dieu, disent bien à Nostre Seigneur : Je remets mon esprit entre vos mains , avec cette reserve néanmoins, que vous nourrirez mon cœur dans les douceurs et consolations sensibles, et que je ne soufifriray point d'aridités ni de sécheresses, fe remets mon esprit entre vos mainSy mais à condition que l'on ne contrariera pas ma volonté; ou bien, pourveu que vous me donniez un Supérieur qui  390 Sermons recueillis soit selon mon cœur, ou plustost selon mon affection et inclination. Je remets mon esprit entre vos mains, mais aussi vous ferez en sorte que du moins je seray tous- jours bien aymé de ceux qui me conduiront, entre les mains desquels je me délaisse pour l'amour de vous ; vous ferez qu'ils approuvent et trouvent bon tout ce que je feray, du moins la plus grande partie, car de n'estre pas aymé et de ne pas sentir cet amour cela ne se peut supporter. Helas, ne voyez-vous pas que ce n'est pas là remettre son esprit entre les mains de Dieu comme fit Nostre Seigneur? Certes, c'est d'ic}'' que naissent tous nos maux, nos troubles, nos inquiétudes et autres telles niaiseries; car si tost que les choses n'arrivent pas selon que nous attendions ou comme nous nous promettions, voyla que soudain la désolation saisit nos pauvres esprits qui ne sont pas en cette parfaitte indifférence et remise entre les mains divines. O que nous serions heureux si nous prattiquions bien ce point icy qui est l'abbregé et la quin- tessence de la vie spirituelle ! Nous arriverions à la haute perfection d^une sainte Catherine de Sienne, de sainte Françoise, de la bienheureuse x\ngele de Foligny et de plusieurs autres qui estoyent comme des boules de cire entre les mains de Nostre Seigneur et de leurs Supé- rieurs, recevant toutes les impressions qu'on leur vouloit *Ci.Tr. de rAm.de donner*. ceà.-.Les Entre tiens, Douqucs, mcs tres cheres Sœurs, faites ainsy et dites tom.vihujusEdit., indifféremment de toutes choses avec nostre cher Maistre : pp. 217-220, ettom. IX, pp. 283, 284. Je remets, o mon Dieu, mon esprit entre vos mains. Voulez-vous que je sois en sécheresse ou en consolation ? Je remets 771071 esprit entre vos 7riains. Voulez-vous que je sois contrariée, que j'aye des répugnances et des difficultés, que je sois aymée ou non, que j'obéisse à celuy cy ou à celle là, et en quoy que ce soit, en choses grandes ou petites? Je re7nets 7no7i esprit entre vos 7nains. Voulez-vous que je m'employe aux actions de la vie active ou contemplative ? Je remets 7no7i esprit entre vos mains. Que ceux donques qui sont aux actions de la vie active n'en veuillent point sortir pour s'adonner à la  l,\V. Pour if. Vendredi-Saint 391 (^()nt(Mn|)lati\(' jiis(|urs à ce (|iii' I )i(Mi l'ordoiiiu*, et ([ue ceux tiui contemplent ne ([niitcni j)i)int la contemplation juscjues il ce c^ue iJieu le coinnidiule. (Jue l'on se taise (inand il faut, et ({ur l'on parle ([uand c'en est temps *. * lîccicv, m, 7. Si nous faisons (M'ia nous j^ourrons bien dire i\ l'heure de nostre mort eoinnie nostre cher Maistre : Vont est conso/n/Ni' ; o Dieu, j'iiy acconipli tout ce «[ui estoit lie vos divines volont(Vs en tous les evenemens. Oue me reste-t-il niainieiiant sinon d(' rt'nietlre mon esprit entre VOS tudiiis à la lin et sur le déclin de ma vie, comme je vous l'ay remis au (N)nim(Miceinent et au milieu d'icelle ? Mais p(Hir le pouvoir bien faire, mes chères Sœurs, em- ployons les trois heures de ténèbres de cette vie comme nostre cher Sauveur et Maistre les a employées. Demeu- rons sur la croix où Dieu nous a mis, prions sur icelle, voire j)laii4nons-nous à luy de nos afflictions et aridités et disons, ([uand il est requis, des paroles de consolation au prochain. Kn somme, consommons-nous sur cette croix et accomplissons tout ce qui est des divines volontés, et en fin nous recevrons de ce grand Dieu, comme je l'en prie de tout mon cœur, et pour moy particulièrement, la grâce de remettre nostre esprit entre ses înains. Ainsy il le recevra comme il fit celuy de son cher et unique Fils, pour le faire jouir au Ciel, où nous le bénirons éter- nellement de la gloire qu'il nous a acquise par sa Mort et Passion. Dieu nous en fasse la grâce. Ainsy soit-il.  LXVI SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT LÉGER SUR LE RENONCEMENT EVANGÉLIQUE 2 octobre 1622 (0 (Inédit) Sic ergo omnis ex vobis qui non renun- tiat omnibus qiice possidet , non potest meus esse discipulus. Ainsy donques, chacun de vous qui ne renoncera a tout ce qu'il a ne peut estre mon disciple. Luc^, XIV, 33. Cette doctrine, qui est la fin de l'Evangile du jour de Lucas, XIV, 26-33. saint Léger*, présuppose plusieurs choses mentionnées dans le texte de ce mesme Evangile ; mais pour bien digérer et gouster le fruit de cette doctrine il faut remar- quer qu'il y a icy des propositions fort générales à tous et en tout. On voit par ces mots, chacun de vous, qu'il n'y a celuy lequel vivant ça bas, ne soit compris et enserré dans cette règle qui est sans exception aucune, tant pour ceux qui demeurent emmi le tracas et les distractions ordinaires de ce monde erroné, que pour ceux qui, desi- rans mener une vie de plus haute perfection, se sont séparés d'iceluy ; bref, soit grans soit petits, tous sont ( I ) Ce sermon, dont le titre est donné par le Manuscrit, a dû être prêché à Belley, où saint François de Sales passa les premiers jours d'octobre 1622. On voit du reste par sa brièveté et le genre de rédaction, qu'il diffère essen- tiellement de tous ceux qui ont été recueillis à Annecy.  LXVI. Pour la fktp. de saint I.kgfr 393 compris dans cette proposition. I*'llo est aussi générale au reL,^ar(l des choses (pi'il faut <|uitter; car le Sauveur ne dit pas : Q/// ne' mu^iWi' a une lionne j)arti(; de ce qu'il 4/, mais il se sert de ce mot tiutt «pii rcjrtt^' toute sorte tl'exception. Voyla des belles leçons pour ceux (pii se disent esco- liers de Jésus Christ ou (pii veulent gai^ner le Ciel, car il n'v a point de difTerrnce entre gaii^ner le Ciel et estre disciple de Jésus Christ. ( 'ette leçon, dis-je, est admira- ble, «l'aulant ([ue ne j)as renoncer à tout c'est avoir encores quehjue chose de la terre : or, il n'y a aucune sympathie entre cette prétention et celle de se rendre vray disciple de Celuy qui est tout ccdeste. Ce n'est donques pas sans sujet, ains à bon droit, que Nostre Seigneur dit : Ainsy, chacun de vous qui ne renoncera à tout ne peut estre mon disciple. .Niais avant que passer outre, implorons l'ayde et assistance de celle qui a librement renoncé à tout ce (ju'elle possedoit ; c'est la Mère de Celuy qui a fait ce commandement. Pour acquérir (luehjue science que ce soit, il faut, selon l'opinion de tous les philosophes, se fonder sur des propositions générales ; autrement il seroit impossible de jamais atteindre à une parfaitte connoissance d'icelle. Cecy estant posé, le Fils de Dieu est venu en ce monde pour nous donner des maximes, comme fondemens géné- raux et très asseurés par le moyen desquels nous puis- sions parvenir à la connoissance de la vraye perfection et à l'exercice d'icelle. Hors de ces maximes et fondemens nous ne pouvons acquérir cette céleste doctrine, science et discipline, et nous perdons ainsy le tiltre glorieux d'escoliers et disciples de Jésus Christ. Mais puisqu'un contraire est chassé par son contraire*, 'Ci.Tr..ifi'Am.de il est infaillible que les leçons de Nostre Seigneur ren- versent et abolissent totalement celles du monde. Les maximes du monde sont : Bienheureux ceux qui ont leurs playsirs et contentemens, qui abondent en biens et pos- sessions de la terre, car ils sont estimés et honnorés. Mais celles de Dieu nous enseignent tout au contraire que  394 Sermons recueillis bienheureux sont les pauvres d'esprit, carie Royaume des deux est à eux. Le monde dit : Bienheureux ceux qui ont du crédit et authorité, car s'il arrive un affaire ils en ont telle issue qu'ils souhaittent pour eux ou pour leurs amis. Mais les maximes de Nostre Seigneur anéan- tissent celle cy de fond en comble, disant : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront saoulés. La devise du monde est : Bienheureux ceux qui prennent vengeance du tort qu'on leur fait, car ils seront estimés courageux et se feront redouter et craindre. Et la devise de Jésus Christ est tout au rebours : Bienheu- reux ceux qui soujfr eut persécution pour V amour de la justice^ car le Royaume des deux est à eux; et * Matt., V, 3-II. ainsy de toutes les autres maximes *. Par où nous voyons clairement que celles que Dieu est venu donner au monde sont directement opposées à celles de ce siècle et * Cf. supra, p. 359. qu'elles les destruisent totalement*. Pour revenir à nostre texte, qui est fort utile et advan- tageux si les paroles en sont deiiement pesées et digé- rées, nous pouvons en tirer quatre considérations qui seront le sujet et la division de la présente exhortation. La première est comment nous sommes tenus de renoncer à toutes choses. Sur quoy il faut remarquer que tous ne sont pas obligés de quitter de fait tout ce qu'ils possè- dent, et en la mesme façon que ceux qui ont fait vœu de pauvreté. Il suffit que, par un esprit d'abnégation, ils ayent un ferme propos de souffrir toutes sortes d'incom- modités, travaux, peines et mesme le mart3^re si l'occasion s'en presentoit, plustost que de préférer aucune chose de ce monde caduc et périssable aux commandemens, au service et honneur de Dieu. Mais helas, combien peu y en a-t-il qui embrassent cette vérité et suivent cette voye, *joan., XIV, 6. laquelle n'est autre que Jésus Christ mesme qui a dit* : Je suis la vie, la vérité et la voye. Ces paroles devroyent estre gravées et empreintes en nos cœurs d'une impres- sion telle que la mort seule les peust effacer, puisque sans Jésus Christ nostre vie est plustost une mort qu'une vie, sans la vérité qu'il a apportée au monde, tout eust esté plein de confusion, et si nous ne suivons ses traces,  LXVI Pour ia fhtk de saint Lhgf.r 395 vosticfos rt vovcs nous ne pourrons troiucr le chemin (jui conduit au Ciel. La cleuxi(vsme considération est j)lus relevre et excel- lente (juc la première et appartient j)rincipalement à ceux (pli aspirent à une plus haute perfection : c'est de rpiitter tout ce ipi'ils possèdent, non point seulement par un esprit d'abnégation , mais aus^i de tait, et se despouiller de toutes les choses de ce monde caduc et transitoire. Ce n'est pas toutefois que la pratticjue de la première considération ne soit suffisante pour acquérir le Ciel : ainsy voyons-nous un saint Louys ne s'cstre d mis de la couronne royale ([u'en (vsprit d'abnei^ation, et non réellement, et avoir ce- pendant concpiis rherita![i;e céleste. Davantage, qui ne sçait que David a estt' un j^rand et puissant roy ? Néanmoins, sans quitter cette die^nité, il a mené une vie prophétique et toute pleine de sainteté. La troisiesme considération, qui n'est pas de peu d'uti- lité si elle est bien goustée, consiste à reconnoistre les choses que nous possédons, à fin que par adventure nous ne soyons point trompés en l'abnégation de celles qui ne sont pas en nostre puissance. Il semble de prime abord qu'il y a de la superfluité en ces paroles : Qiiiconqiie ne renoncera à tout ce qu'il possède ; car pouvons-nous renoncer à ce que nous ne possédons pas ? Ouy, nous le pouvons en quelque façon, parce que nous pouvons quitter les choses futures que nous espérons avoir, comme seroit quelque succession, honneur ou chose semblable. Mais la providence de Dieu est admirable en cecy, ayant voulu, par une prescience très utile, exprimer ces mots, ce qu'il possède, pour nous enseigner que principalement et en premier lieu nous devons faire banqueroute aux choses possédées avant ([ue de venir à l'abnégation des futures. Helas, combien y a-t-il de mortels qui s'abusent et se trompent en ce point ! Demandez à un malade pour- quoy il désire la santé et ce qu'il feroit s'il venoit en convalescence? Ida, respondra-t-il , que je ferois ? Je remercierois Dieu de m'avoir osté de la grande peine où j'estois et que j'endurois, et je quitterois volontiers toutes  396 Sermons recueillis sortes d'occupations pour m'adonner à son service. Hé, mon amy, que penses-tu faire? Tu veux donner à Dieu ce que tu n'as pas. Avant que luy dédier ce que tu n'as pas, presente-luy cette infirmité et maladie avec une bonne patience et résignation de ta volonté à la sienne, et ainsy tu renonceras selon la volonté divine à ce que tu possèdes ; j'entens, à cette impatience que tu retiens, laquelle t'empesche de supporter tes afflictions et tes maladies pour l'amour de luy. Il est très asseuré que les vielles gens sont proches de la mort et que les jeunes peuvent bien tost mourir; néanmoins, parlez à un jeune homme esventé et l'interrogez de Testât de son salut : Quoy, dira-t-il, ne suffit-il pas que je dédie à Dieu mes vieux jours ? Si faut-il se donner du bon temps tandis qu'on est jeune. Misérable que tu es, tu veux donc faire présent à Dieu de ce que par adventure tu n'auras jamais ! Et s'il dispose de toy en tes tendres années, lesquelles tu pretens passer servant au monde, en quelle voye de salut *Cf.tom.VIIIhujus te verras-tu réduit*? O déplorable ignorance de la doctrine it., p. 40. céleste ! Lors qu'il s'agit du service de Dieu nous voulons renoncer aux choses futures pour laisser l'exercice des présentes. La quatriesme et dernière considération est de prendre garde que le ferme propos que nous avons de tout quitter ne soit vain, dissimulé et par flatterie ; car si celuy qui fait édifier une tour est si imprudent qu'il ne considère point avant de la commencer s il a des biens et des commodités suffisantes ^c>wr mettre à chef ^on édifice, et que par cette imprudence il ne puisse faire réussir son dessein, ne jugerez -vous pas qu'il est un sot et un mal *CtLes Entretiens, advisé*? De mcsme, un roy ne seroit-il pas bien despour- tom.VIhujusEdit., , . . • , , . . p. 372. veu de jugement, si sçachant ç\\xun antre roy a mis vingt mille hommes sur pied pour luy donner la bataille, il ne consultoit pour sçavoir s'il pourra avec dix mille hommes aller au devant de celuy qui vient avec vingt mille? Autrement, s'il ne le fait, il sera contraint, et avec grande confusion et détriment de son honneur, * Lucœ, ubi supra ^'^^^voyer au devant de l'ennemy demander les moyens p- 392. ' de paix *.  l.W'l l'.n-R l.A FfcTF. [)F SAINT l.F.C.ER 397 Ainsv noii^ m arrivora-t-il si nous no j^ronons p^arde que le fernu» |)n)|){)s {ju<» nous avons de renoncer à toutes choses soit assez solide et suffisant pour nous conduire à ch(»f de nostre dessein, car nous avons un ennemy qui est ^Taiiilcincnt iiKuIri' et puissant. Que si une fois nous manquons de pr<*vovan('e, et (ju'.i nostre jurande honte il nous faille dcMiandor la paix, nous voyla pcnlus, d'autant ([u'il n'v a point dr doute ((ue faisant paix avec nostre ennemv nous jierdons le tiltre glorieux de soldats de Jésus Christ et ne pouvons estre ses disciples : or, n'estans pas ses escoliers, nous sommes quant et quant hors de sa grâce et du salut. Mais, me demandera queh^u'un, à quel propos est -il dit qu'il faut renoncer à tout? Ceux qui n'ont rien, ou à tout le moins bien peu, à quoy peuvent-ils renoncer .-' A cela je respons qu'il est expédient que celuy (jui a peu quitte peu, et que celuy qui a beaucoup quitte beaucoup. Saint Pierre, qui estoit un simple pescheur, abandonna ses rets*, ce qui estoit peu; saint Matthieu, qui estoit • Matt., iv, 18-30. riche banquier, laissa de grans moyens* : toutefois, l'un •Ibid.,ix,9; Lucae, et l'autre obéirent esgalement au commandement, estans ^' *^' ^ esgaux en volonté *. .^lais, ce qui est bien davantage, ils • Cf. tom. praeced. .. 1 ^ • 1 • ^1 hujus Edit., p. 173. estoyent esgalement riches, car, a proprement parler, »r /^ nous ne possédons pas les biens de ce monde : cecy est fort clair. Pensons-nous posséder une grosse somme d'argent, les voleurs et les larrons s'en rendent souvent les maistres et propriétaires. Esperons-nous recueillir force commodités sur la terre, il arrivera un accident de gresle et autres injures du temps qui nous en esteront la jouissance. Bref, à la vérité, nous ne possédons qu'une bien petite partie de nous mesme : ainsy, nous ne sommes pas maistres de nostre fantasie, puisque nous ne pouvons nous garantir d'un nombre presque infini d'illusions et imaginations qui nous surviennent ; il en faut dire autant de nostre mémoire, car combien de fois voudrions-nous nous souvenir de plusieurs choses, et nous ne le pouvons faire, ou au contraire ne pas nous souvenir de beaucoup d'autres que nous ne pouvons oublier. En fin, parcourez  Psalm. XXXVI,  398 Sermons recueillis tant qu'il vous plaira tout ce qui est en nous, vous ne trouverez qu'une seule petite partie dont nous soyons maistres : c'est la volonté, laquelle nous possédons telle- ment que Dieu mesme n'a pas voulu s'en reserver le dessus, donnant à l'homme libre juridiction ou d'em- brasser le mal ou de suivre le bien, si mieux il luy  Eccii., XV, 18. aggrée *.  LXVII SERMON POUR LA IKTIC Dli l/lMMACULKE C(»NCLi'riuN !)!•: LA SAIXTL VIERGE 8 décembre 1622 (  Le peu de temps et de loysir que le tracas du monde nous laisse sera cause que je vous entretiendray fort simplement et familièrement (car il me semble que les choses en sont meilleures) des deux points que je ne vous peus expliquer jeudy dernier, c'est à dire comme il faut célébrer les festes et quelles sont les festes et mystères que nous célébrons. J'ay coustume de déclarer tousjours le sujet avant que d'en parler. En premier lieu il faut sçavoir qu'il y a trois sortes de festes : celles que l'I^giise nous commande, celles qu'elle nous recommande *, et les festes politiques, comme est * Cf. tom. prapced. celle qui se célèbre aujourd'huy pour l'entrée du Roy en "^"^ '^■' ^' ^^' cette ville, laquelle estant ordonnée par les Messieurs de ville est ainsy rendue politique. Les festes nous sont recommandées à fin de rendre à Dieu l'honneur, le culte et l'adoration que nous luy devons comme à nostre sou- verain Maistre et Seigneur. Celle de la Conception de la Vierge ne nous est pas commandée, mais bien recom- mandée ; et pour nous inviter à la dévotion et solemnité de cette feste l'Eglise, comme une charitable mère, nous (i) D'après les indications du Manuscrit d'Annecy ce sermon et le suivant ont été prêches à Lyon; ce ne peut être qu'en l'année lôaa. alors que le saint Evoque passa le mois de décembre dans cette ville, à la suite des deux cours de France et de Savoie.  400 Sermons recueillis * Contra Jovin., et donne des indulgences, et il se fait mesme des confréries Comm. in Matt., , . . ^ . tx- -i^ • -r. ** ad I, I seq. a Cette intention. Saint Hierosme ^ et saint Bernard** i*nfrroc°t.Ass^ip^,' i^o^'*^ 1^ recommandent dans le bréviaire et les homélies et hom. super .'V^/^- de Ce jOUr *. sus est. * In Festo vei per Mais premier que d'entrer plus avant en nostre dis- Octavam, in anti- -,• . n i i > i ^ c quis Breviariis. cours, disons cc mot sur 1 abbrege de nostre loy pour l'instruction des Chrestiens. Il faut sçavoir d'abord qu'il y ' a en icelle quatre parties : la première est ce que nous devons croire, la seconde ce que nous devons espérer, la troisiesme ce que nous devons aymer, la quatriesme ce que nous devons faire et prattiquer. La première est renfermée dans le Symbole des Apos- tres, lequel s'appelle ainsy parce que ce sont les Apostres qui l'ont composé. Tout ce que nous devons croire est compris dans iceluy ; et, bien qu'il n'y soit pas tout par le menu, si est-ce que tout y est en gros. Par exemple, il n'est pas dit dans le Credo qu'il y a des Anges; néan- moins c'est une vérité que nous croyons et trouvons dans la Sainte Escriture, et que mesme ils sont emplo3^és en des ministères icy bas en ce monde. C'est ainsy que ces meschans hérétiques ont voulu dire que le saint Sacrifice de la Messe n'estoit pas compris dans nostre Symbole. Ce qu'ils ont avancé, ces misérables, pour voir si quel- qu'un auroit l'esprit si foible que de croire leurs erreurs. Or, mes chères âmes, je vous dis qu'il y a cent articles en nostre foy qui ne sont point exprimés dans le wSym- bole, lesquels pourtant tous les Chrestiens doivent croire; et ne faut point dire : Je me contente de croire ce que l'Eglise croit, et demeurer ainsy en cette ignorance crasse. Tout ce que nous devons espérer et demander à Dieu est contenu dans les sept demandes du Pater, que nous appelions communément Oraison dominicale, laquelle *Matt., VI, 9-13. Nostre Seigneur nous a laissée *. Pour la troisiesme nous avons les divins commande- mens, par lesquels nous sommes instruits à aymer Dieu et le prochain ; car de ces deux commandemens depen- * Ibid., XXII, 37-40. dent toute la Loy et les Prophètes"^. Vous sçavez aussi les autres qui suivent au Decalogue et ceux de l'Eglise,  LW'U. l'oL'R LA Fhii-: DU l'Immaculhb Conception 401 la«|uelle ressemble à un bel arbre, ou bien à l'oranger ([ui est tousjours verdoyant en toute saison. De fait, (Il Italie, sur la coste de (iencs, et encores en ces païs de l'Vance, coninic en Provence, le long des rivages on le void porter en toute saison ses feuilles, ses tîeurs et ses fruits. (Asseureiiicnl l'oranger est tousjours en un mesme estât sans se flestrir jamais ; néanmoins il a cela, qu'il ne nourrit pas.) Ainsy ri']glise a ses feuilles, qui sont ses cérémonies, ses fleurs, qui sont ses actions, et ses fruits, i\\n sont ses bonnes œuvres et les bons exemples qu'elle donne au prochain en toutes occasions. De plus, il y a en icelle sept Sacremens, lesquels pour- tant nous ne sommes pas obligés de pratti([ucr tous, ains seulement chacun selon sa vocation, comme celuy des Ordres pour les prestres et celuy du .Hariage pour ceux que Dieu y a appelles. Quant aux autres il nous en faut servir en temps et lieux, et les recevoir selon que l'Eglise nous le commande, car nous y sommes tenus. Venons à nostre second point, à sçavoir quelles sont les festes que nous célébrons. Considérons d'abord que Dieu estant un Esprit pur et libre, voulant faire quelque chose hors de soy il créa les Anges, et ensuite Adam et Eve en estât d'innocence et de justice originelle; de plus il leur laissa leur franc arbitre, accompagné de toutes les préro- gatives et privilèges de grâce qui se puissent désirer. Mais Lucifer, cet esprit de révolte, se voyant doué d'une nature si excellente, que fit-il? 11 ne se voulut sousmettre en façon quelconque. Or, vous sçavez que tous les Anges furent créés en grâce, mais ils ne furent pas aussi tost confirmés en icelle. Dieu leur ayant laissé leur franc arbitre et pleine liberté. Ce premier Ange donc, qui estoit Lucifer, se trou- vant si beau et excellent en sa nature, car il estoit le plus parfait de tous, dit en soy mcsme * : [e me feray sembla- ' Is., xiv, 13. 14. ble au Très Haut et me sieray sur les flancs cf aquilon, Âpo"c^°xI^7'."cf. s! qui sont les plus hauts, et tous me rendront honneur. Saint ^''^g- ^V^s- ^°™- '■ . xxxivinhvang.,§9. ^lichel vo^'ant cela, se prit à dire : Oui est comme Dieu * ? Cf. supra, p. 33^. et par ce moyen le renversa en labisnie des enfers *, Apoc'.^xu'. 7-9"^^' d'autant, comme l'escrit saint Bernard *, que nul ne peut '^ermocxdcDiver- ' ^ ^ sis.Cf. Matt., Luc, astre eslevé c[u'au préalable il ne se soit humilié. ubi supra, p. 359. S»»M. IV 36  402 Sermons recueillis Lucifer s'estant ainsy rendu rebelle contre son Créa- teur, et par conséquent contre l'image d'iceluy qui est l'homme, s'addressa à nos premiers parens, et première- ment à Eve et luy parla ainsy : Si tu manges de ce fruit tu sçauras le bien et le mal et seras semblable à Dieu. Elle, ouvrant les oreilles à ce propos (car si tost qu'on parle de nous eslever il nous semble que tout nostre bien dépend de cela), donna son consentement et mangea du fruit défendu, voire passa plus outre, en faisant manger à son mary, si que tous deux succombèrent et désobéirent à Dieu. Au mesme instant ils eurent honte et confusion d'eux mesmes, car le péché porte cela avec soy, et se *Gen., III, 1-7. cachèrent tant qu'il leur fut possible *. S'ils estoyent de- meurés en grâce nous aurions participé à ce bien incom- parable, car c'est de leur cheute que le péché originel a pris sa source ; c'est là l'héritage qu'ils nous ont laissé, comme nous eussions de mesme hérité de cette grâce et justice première en laquelle ils avoyent esté créés, s'ils eussent persévéré. Mais helas ! ils n'y demeurèrent que fort peu, ce ne fut qu'un moment, et pour ce que nous sommes tous d'une mesme tige et semence qu'Adam , nous sommes tous atteints du péché originel ; ce qui fait *Ps. L, 7. que le grand Prophète royal s'escrie * : Ecce enim in iniqiiitatibus, et le reste qui suit. C'est à dire : Nous sommes tous conceus en péché, et toutes les conceptions despuis le commencement du monde jusques à la fin se feront en péché. (OBien est-il vray que nostre premier père et Eve aussi furent créés et non pas conceus ; néanmoins toutes les conceptions des hommes se font en péché. Nostre Dame et sainte Maistresse seule a esté exempte de ce mal, elle qui devoit concevoir Dieu premièrement en son cœur et en son esprit avant que de le concevoir en *Cf. supra, p. 362. ses chastes entrailles*. Tous les hommes naissent enfans *Ps.L,7;Epiies.,ii,3. d'ire * à cause du péché originel qui les rend ennemis de Dieu ; mais parjeBaptesme ils sont régénérés et faits ses enfans, capables de sa grâce et de l'héritage de Ja_v[e (i) Cet alinéa est inédit, ainsi que les lignes 27-39, p. 403» ^^ i-^^> P- ^04  Luc», I, 3^.  I.XVII. Pour i.a fhte of. l'Immaculke Conception 40) et^ernelle. Tous ont esté atteints du péché orij^inel, mais quelques uns en ont esté purifiés avant leur naissance par un miracle spécial, comme saint Jean Haptiste et encores Ir Prophète Ilirrcniic*. S.iinl Jean fut sanctifié * J^^fm-, ', v aux paroles de la sacrée Vicrj^c? .Nlarie, par la présence de Celuy (jui estoit enfermé dans ses entrailles. Nostre Seigneur et saint Jean T.apiiste se visitèrent dans le ventre de leurs mères (les entrailles de nos mères sont des petits mondes), et l'on ticmt que le glorieux Précur- seur se mit à genoux jjoiir adorer son Sauveur, et que l'usage de rayson luy fut donné à mesnie instant*. Mais ' Cf. supra, p. 07. le monde ne \'out croire ([ue ce ({u'il voit : cecy soit dit en passant. Cependant, saint Jean et Ilieremie ont esté conceus en péché par voye ordinaire de génération, mais il n'en a pas esté ainsy de Nostre Seigneur, car il a esté conceu du Saint Esprit * et de sa sacrée Mère sans père ; c'est * Matt., i, 18, ao; pourquoy il n'estoit pas rayson nable qu'il heritast du péché originel. L'on me pourroit dire : Puisqu'il a pris nostre nature, il est homme. Il est vray, mais il est Dieu aussi, et par ce moyen il est parfaitement Dieu et homme, sans séparation ni distinction quelconque. Il n'est pas de la semence d'Adam, c'est à dire par voye de génération, car il fut conceu de sa Mère sans père, comme nous avons dit ; il fut bien de la masse d'Adam, mais non pas de la semence. Quant à Nostre Dame, la très sainte Vierge, elle fut conceuë par voye ordinaire de génération ; mais Dieu l'ayant de toute éternité prédestinée en son idée pour estre sa Mère, la garda pure et nette de toute souilleure, bien que de sa nature elle pouvoit pécher. Il n'y a point de doute en cela ptnir ce ({ui est ilu péché actuel. Il me faut servir d'une comparaison pour vous le faire enten- dre. Sçavez-vous comme se font les perles ? (Plusieurs dames désirent des perles, mais elles ne se soucient pas du reste.) Les mères perles font comme les abeilles : elles ont un roy, et prennent pour cela la plus grosse d'entre elles et la suivent toutes. Elles viennent sur les ondes de la mer au temps de la plus grande fraischeur, (^ui est à  404 Sermons recueillis la pointe du jour, principalement au mois de may ; comme elles sont là, elles ouvrent leurs escailles du costé du ciel, et les gouttes de la rosée tombant en icelles, elles les resserrent ensuite en telle sorte qu'elles couvent cette rosée dans la mer et la convertissent en perles, dont puis après l'on fait tant d'estat. Mais remarquez qu'elles fer- ment si bien leurs escailles, qu'il n'y entre point d'eau * Plin., Hist. nat., Salée *. LinVidJ/^oït Cett® comparaison sert bien à mon propos. Le Seigneur laVïedev. ,tom.iu g^ ^ fait de mesme pour la Sainte Vierge Nostre Dame, hujus Edit., p. 6.) ^ Cf. tom.IX,p. 177. parce qu'à l'instant de sa conception il se mit entre deux, ou bien, en quelque façon, au dessous d'elle pour Tempes- cher de tomber dans le péché originel. Et comme si la goutte de rosée ne trouvoit pas l'escaille pour la recevoir elle tomberoit dans la mer et seroit convertie en eau amere et salée, mais l'escaille la recevant elle est changée en perle, de mesme la très sainte Vierge a esté jettée et envoyée en la mer de ce monde par voye commune de génération, mais préservée des eaux salées de la corrup- tion du péché. Elle devoit avoir ce privilège particulier, parce qu'il n'estoit pas raysonnable que le diable repro- chast à Nostre Seigneur que celle qui l'avoit porté en ses entrailles eust esté tributaire de luy. C'est pour cette cause que l'Evangeliste ne fait point mention des père et mare de la Vierge, ains seulement de Joseph, espoux d'une Vierge nommée Marie, de laquelle est né le * iMatt., I, 16. Christ"^. Aussi, par une spéciale grâce, son ame ne tenoit-elle rien de ses parens pour ce qui est ordinaire aux autres créatures. Disons maintenant quelque chose de la dévotion que nous devons avoir à cette sainte Vierge. Les mondains s'imaginent pour l'ordinaire que la dévotion à Nostre Dame consiste à porter un chapelet à la ceinture, et leur semble qu'il suffit d'en dire quantité sans faire autre chose, en quoy ils se trompent grandement ; car nostre chère Maistresse veut que l'on fasse ce que son Fils com- * Joan., 11, 5. Cf. mande *, et tient pour fait à elle mesme l'honneur que l'on supra, p. 323. rend à son Fils en gardant ses commandemens. Nous avons des exemples de cecy ; je me contenteray  I.XVII. Pour i a fAte df i.'Immacui.kr Conception 405 d'en dire un nu deux. La mcrc do r(Mnj)('r<'iir Xoron, ce cruel qui a tant persécuté rKglise de I)ieu, estant en- ceinte de luy, fit venir tous les enchanteurs et devins pour sçavoir ce (jue son fils deviondroit. Comme ils eurent Consult('\ l'un d^nix l'advcrtit (juo cet enfant seroit l'jn- pereur, qu'il regneroit et seroit grand. Cependant, un autre s'appercevant (ju'il la tlattoit, luy dit «ju'il seroit vrayement Kmpereur, mais c^ue cela estant il la feroit mourir. Lors cette misérable mère respondit : N'importe, (( pourveu qu'il règne*.» Voyla comme les cœurs superbes * Taciti Annal., 1. , . , , , . . r • 1 XlV,c.\x.C{.rr.de désirent les honneurs et playsirs qui souventetois leur lAm.de Dieu,\.x, sont nuisibles. Nous avons un autre exemple au troisiesme hJus'Edu°"p ilq Livre des Rois, chapitre premier *, où il est dit fjue la * Vers. 16, 17. reyne Bethsabée vint trouver David en luy faisant plu- sieurs génuflexions et humiliations. Le Roy voyant cela, conneut bien qu'elle requeroit quelque chose, et luy demanda ce qu'elle desiroit. Bethsabée respondit : Sire, que mon fils règne après vous. Or, si les mères ont natu- rellement tant de désir (^ue leurs enfans régnent et soyent honnorés, à plus forte rayson Nostre Dame qui sçait que son Fils est son Dieu : aussi l'honneur du_£ils est celuy de la Mère*. •Cf.tom.viihujus Mais pour nostre consolation disons ce mot. Vous, ^iit. pp- 4^'^. 4latines § i. séparément, et par ce moyen se levoyent trois fois la nuit; (le plus, on alloit sept fois dans la journre reciter l'Office ]) 3 a •> i"^ I • jg vous laisse aux pieds de cette bienheureuse accou- chée, à fin que, comme des sages avettes, vous ramassiez le miel et le lait qui distillent de ces saints mystères et de ses chastes mammelles, en attendant que je vous explique le reste, si Dieu nous en fait la grâce et nous en donne le temps, lequel je supplie nous bénir de sa bénédiction. Amen.  1.x X  POUR LA Vt-.TK DE LA PENTECOTE (')  Toutes les œuvres de Dieu qui regardent le salut des hommes et des Anges sont attribuées d'une façon parti- culière au Saint Esprit, d'autant que le Saint Ivsprit est l'amour du Père et du Fils. Dieu n'est qu'un en essence ; toutefois la Divinité est en trois Personnes, Père, Fils et Saint Esprit, qui sont un seul vray Dieu. Ft par consec^uent il est impossible que ce que fait l'une des Personnes divines les autres deux ne le fassent semblablement ; et, comme dit le Symbole de saint Athanase, le Père est créateur, le Fils est créateur et le Saint Esprit est créa- teur, et toutes les œuvres de la création et autres ont esté et sont esgalement faites par les trois Personnes divines *. * Cf. tom. prxced. Néanmoins, parce que le Saint Esprit est l'amour du Père et du Fils on luy attribue les œuvres qui procèdent de la bonté de Dieu, comme est la justification et sanc- tification des âmes, ainsy que les œuvres qui procèdent immédiatement de la toute puissance, comme celles de la création, sont attribuées au Père ; c'est p()ure[uoy n(;us disons : « Je crois en Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre. » Mais les œuvres de la sagesse sont attribuées au Fils parce qu'il est la Parole du Père,  ( I ) Ce sermon, qui ne se trouve dans aucun des Manuscrits mentionnais a l'Avant-Propos du tome précédent, est publié d'après l'édition de 1641. Il a été relégué à la fin de la série à cause de l'impossibilité où sont les éditeurs de lui assigner une date précise. Néan-Oioins les allusions qui y sont fanes aax béatitudes évangéliques donnent à penser qu'il appartient aux dernières années de la vie de saint François de Sales. Le lecteur attentif aura remarqué en effet qu'à partir de son séjour à Paris en 1619, le Saint a l'habitude d'insister souvent d.ins ses sermons sur l'opposition qui existe entre les maximes du siècle et celles de lEvangile. Sniiit. IV 21  hujus Edit., p. 4-49.  41 8 Sermons recueillis Verhum Patris; c'est pourquoy l'œuvre de la rédemption luy est attribuée, d'autant que, comme un très sage méde- cin, il a sceu guérir la nature humaine de tous ses maux. Les œuvres donques qui procèdent de la bonté de Dieu sont attribuées au Saint^ Espj:it parce qu'il est l'amour, c'est à dire le souspir amoureux du Père et du Fils. Or, en cette feste, ayant à considérer les œuvres du Saint Esprit, les uns les regardent comme fruits, ains}^ qu'ils sont descrits par l'Apostre saint Paul en TEpistre aux * Cap. V, 22,25. Galates * : Fructus autem Spiritus est charitas, gaii- dium, pax, patientia, longanimitas, honitas, beni- gnitas, tnansuetudo , fides, inodestia, continentia, castitas ; Les fruits de l'Esprit sont charité, joye, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, man- suétude, foy, modestie, continence et chasteté. Les autres les considèrent et partagent en dons de science, d'interprétation et autres, ainsyque rapporte le mesme Apostre en son Epistre première aux Corinthiens. Mais pour les ramasser, je suis content de les considérer sous * Cap. XI, 1-3. les sept dons desquels il est parlé en Isaïe *. * Vers. 1-4. Il est dit au Livre des Nombres, chapitre Vlll *, que Dieu commanda à Moyse de mettre un grand chandelier d'or auprès du tabernacle, lequel portoit sept lampes pour * Quaest. in Vet. ardre perpétuellement. Saint Isidore* et, devant luy, saint Test., in Exod., c. ^ ..^ ^^. 1 • • .{. t i , -, • xLTx. Cyrille Hierosolymitain ^ ont dit que ce chandelier et Comm^ in^Zach ' ^^^ ^^P^ lampes representoyent le Saint Esprit et ses sept ad IV, 2 > dons : et il est vray que toute lumière, chaleur, clarté et bénédiction procède du Saint Esprit, c'est à dire de Dieu entant qu^il est amour ; mais cette clarté, lumière et bénédiction est partagée en sept dons du Saint Esprit. Une verge sortira de la racine de Jessé, dit le Pro- * Ubi supra. phete Isaïe *, c'est à dire la Vierge ; et de la Vierge une fleur, c'est à dire son Fils Nostre Seigneur, et sur cette fleur le Saint Esprit reposera: V Esprit de sapience et d'intellect, V Esprit de conseil et de force, V Esprit de science et de pieté, et il sera rempli de la crainte du Seigneur; Egredietur virga de radice Jesse , et flos de radice ejus ascendet, et requiescet super eum Spiritus Domini : Spiritus sapientice et intellectus,  I XX. Pol'K lA Fr.TR DF I.A PhNTFCÔTR 419 Spirillis ronsil/i et f'ort/tifJ/nis, Sp/n'tifs scicntiiV et piitatis, et rrpli'hït t'u/n Spiritus tinioris Domini. De sorte que riuinianitc sacrée de nostre Sauveur a esté comme une divine fleur sur kuiuelle le Saint Ksprit s'est reposô pour luy communic^uer ses sept dons; ce qui nous est très bien représenté par ce chandelier d'or avec ses sept hinijn's.  Ed. de 1641, XXI \ Ed. de 1643, XXVII . . ) ^LVin ^Annecy, Digne, Le J EJ- lie 1641, xxii . . . . \ I Mans (Ms. A) ( Ed. de 1643, xxviii . . ) XLIX Annecy, Digne  L Annecy, LeMans^Ms. A)  LI.. LU . LUI LIV.  j Annecy, Digne, Le j ^^ ^^ xxx.v . . ) S Ed. de 1641, i \ f Ed. de 1643, 1 /  Annecy, Digne .  \ Annecy , Digne , Le l Mans ',Ms. A;^  Annecy, Digne Ed. de 1643, vi.  Vivh, IV, p. 11^ Migne, iv, coL 791 Voir note (i), p. 7 Inédit Inédit Viv. IV, p. 30s Mig. IV, col. 948 K/r.iv, PPO^-}'*^ yHg. IV, coL 955- 961 Viv. V, p. 144 Mtg. IV, col. lagr Voir note (i\ p. 67 Vi'r. V, p. 16a Mig. IV, col. 1306 Voir note(i , p. 90 Inédit Mig. IV, col. 1630 (d'après M. l'abbé Boulangé, Etudtrs surS.Fr.deSaUs, tome II, p. 409) Voir note \i), pi39 Viv. V, p. 333 Mig. IV, col. 1440 Viv. IV, p. 85 Mig. IV, col. 766 Voir note , i),p.i6i yiig. IV, col. 160^ Boulangé, p. 385) V'ir. IV, p. 19a Mig. IV, col. 8ss Voir note (i), p. 186  440 NOUVELLE ÉDITION  PROVENANCE DES MSS.  ANCIENNES EDITIONS EDITIONS MODERNES  LV.  Annecy, Digne, Le ^ Ed. de 1641, vi. Mans (Ms. B) (Ed. de 1643, vu  LVI... LVII., LVIII  Annecy, Digne j Ed. de 1641, vu . ( Ed. de 1643, VIII.  Ed. de 1641, VIII. Ed. de 1643, IX..  Annecy,LeMans(Ms.B)  Annecy. Digne..  LIX. LX..  Annecy.  Ed. de 1643, * • Ed. de 1641, IX. Ed. de 1643, ^^•  Le  LXI.. LXIL  Annecy , Digne Mans (Ms. A) Annecy, LeMans(Ms. A) \ ^ ,* j /r ' '  Viv. IV, Mig. IV, Voir note Vtv. IV, Mtg. IV, Voir note Viv. IV, Mig. IV, Viv. IV, Mig. IV, Voir note Viv. IV, Mig. IV,  p. 212 col. 870 (r),p.203 p. 234 col. 888 (l),p.2I7 p. 254 col. 905 p. 271 col. 919 (l),p.25I p. 286 col. 933  LXIII.  pp. 342-348 •■• iPP. 349-353 (11-  . TN { Ed. de 1641, XI. . Annecy, Digne ] ^ , , ^^ ' { Ed. de 1643, '^"^•  Ed. de 1641, XII . Ed. de 1643, XIV, Ed. de 1641, XIII. Ed. de 1643, XV .  Annecy. Idem.. .  LXIV  I-II) pp. 349-353 (2* leçon)  Idem.  suite Annecy.  LXV. LXVI  Annecy, LeMans(Ms. B) Le Mans (Ms. B)  Ed. de 1641, xiii. Ed. de 1643, XV . Ed. de 1641, XIII. Ed. de 1643, XV . Ed. de 1641, XIV, Ed. de 1643, XVI.  LXVII Annecy, LeMans(Ms.B)  LXVIII Idem LXIX Le Mans (Ms. B) LXX  Ed. de 1641, XVIII Ed. de 1643, XXIII  I (Appendice) Paris. Grand-Séminai- re de Saint-Sulpice II (Appendice) Lyon. RR.PP. Maristes  Mig. VI, col. 323 Viv. IV, p. 337 Mig. IV, col. 974 Viv. IV, p. 353 Mig. IV, col. 987 Voir note (i),p.320 Viv. IV, p. 374 Mig. IV, col. 1004 Viv. IV, p. 391 Mig. IV, col. 1018 Voir note (i), p. 347 Inédit Viv. IV, p. 399 Mig.ïv,c. 102 5, 1026 Wc.iv, pp. 400-406 Mig.iy,c. 1026-10^1 Viv. IV, p. 417 Mig. IV, col. 1039 Inédit Mig. IV, col. 1595 (Boulangé, p. 376) Voir note (i), p. 402 Mig. IV, col. 1600 (Boulangé, p. 380) Inédit Viv. V, p. 29 Mig. IV, col. 1196 Inédit Inédit  TABLE DHS KXTRATTS DI'S SF.RMOXS RECUEILLIS  INSHRHS DANS LES ENTRETIENS  Sermons (tomes IX, X)  I.... II... XIV XVII XXV XXVII  XXVIII  XXIX  LIX.  LX.  pp. i^, 14, avnnt-dernier alinéa pp. 19, 11. 33-34; 30, 11. 1-29.... p. 105, dernier alinéa pp. 14s, n. 3'). 36; 146, 11. 1-4- • • pp. 333, 11. 37-33; 334, 11. 1-4... pp. 343, 11. 37-36; 344, 11. 1-4... pp. 359, 11. 19-3S ; 360, lig. I ; 36a, 11. 29-39 ; 363, 11. 1-4  (pp. 363, 11. 9-16, 31-36 p. 264, 11. 4-16 1  LXI.  p. 373, 11. 9-15 pp. 280, 11.39-31, 38, 39; 381,11.1, 3 ] pp. 382, 11. ^-36 ; 383, 11. 1-4 pp. 28^, 11. 33-36 ; 284, 11, 1-29. . . pp. 276, 11. 18-26; 277, 11. 7-38.. . pp. 386, 11. 3'j-3'j ; 287, 11. 3-14.. . pp. 387, 11. 34, 3^; 388, 11. 1-8, 15-17, 30-37 I 289, 11. 3-5, 13-19; 290, 11. 31-24; 393, 11. 36-30; 394, 11. 6-11, 14-22, 39 ; 395, 11. 1-8; 396, 11. 4-is p. 309, 11. 21-27  Entretiens (tome VI) IX p. 138, lignes 5-38 XV pp. 373, 11. 17-35 ; 374, 11. 1-33 XVIII... p. 350, 11. 35-37 II p. 37, 11. 6-ro ^P- 37S 11- 11-33 ' ( PP- 37S 11- "-34; 376, lig. t XVIII i PP" ^'^7' ^^^' ^' ' ^'^^' ^^- ^"^^' ( 36-39; 349. 11- i-iï X pp. 164, 11. 17-34 ; 165, 11. 1-14 XVIII .. p. 348, 11. 20-31 IV \ P- ^^' ^^' '-9 f pp. 6s, 11. 35-39; 66, lig. I XXI .... pp. 387, 11. 30-39; 388, 11. 1-22 II pp. 36, II. 9-34; 37, II. 1-5 IV pp. 64, 11. 33-35; 65, 11. 1-31 XVIII... pp. 350, 11. 14-24, 37-39; 351,11. 1-9  XXI  II.  pp. 385, 11. 36-39; 386, 387, 11. 1-9, 30-38  p. 27, 11. 10-16  GLOSSAIRE  DES LOCUTIONS i<:t 1)I':s .mois surannés ou PRIS DANS UNE ACCHl'TIOM INUSITÉK AUJOURD'HUI QUI SE TROUVENT DANS LE QUATRIÈME VOLUME DICS SERMONS DE SAINT FRANÇOIS DE SALES  (Les mots distingués p.ir une * ontp.itu dans Us Glossaires des tomes précédents. )  ABBAYEMENT — aboiement. • ABBAYER — aboyer. • ACCOISEMENT — apaisement, repos . • ACCOISER — apaiser, rendre coi, calme. Cf. le lat. acq^l'ibscerh. • ACCOMMODÉ — pour ajusté, adapté, approprié (v. pp. 40, 147, 343). ACTIF — pour/)row/)/, f//(v.p.348). •ADMIRABLE — pour étonnant (V. p. 6). ADMONESTER — du lat. admo- NHRH, exhorter (v. p. îys)- • ADVENAIRE — du lat. advbna, étranger (v. p. 130). • ADVENTURE (à ï, par) — peut- être. • AIN'S — m.iis, m.iis plutôt, mais encore. AMENITE — du lat. a.mœmitas , charme, agrément [V. pp. 334, 23s, etc.) • AMI.\BLE — aimable, gracieux. • AMUSER (s') — pour s'occuper (v. pp. 314, 3S0, etc.) • A PERTE MENT — ouvertement. •APPARENT — pour fVAi/j/// (voir P- 314).  • APPETER — du lat. appeterb, désirer (v. pp. 19, 23, etc.) •APPREHENDER— du lat. APPRE- HHNDERE, comprendre, saisir par l'es- prit (v. p. 336). APRES — pour envers, à l'égard de (v. pp. 120, 431V • APRES (en, par) — ensuite, dans la suite. APRES (cstre) — s'occuper à (v.p.40). •ARDRE — du lat. ardere, brûler (v. p. 418. ARGUER — du lat. arcaerh, répri- mander, convaincre (v. pp. 284, 332). •A RONDELLE — hirondelle. •ARRAISONNER —r.n5o/»«rrar/r, chercher à persuader v. pp. 172, 33s)' • ARTIFICE — pour détour (voir p. 239]. • A SÇAVOIR MON — locution inferrogative [v. pp. 159, 23s, etc.) • ASSAYSONNÉ — mis en harmo- nie avec la saison (v. p. 432^ • ASSEUREMENT — pour ij«i A/ji- tation, avec sécurité (\. pp. x^o, 179). ASSEURER ^s') — pour se croire en sûreté (v. pp. 349, 317, etc.)  444  Sermons recueillis  #  •ATTREMPE — tempéré, adouci (v. p. 432). * AUCUN, AUCUNE - pour quel- qu'un, quelqu'une , un, une, quelque (v. pp. 12, 203, etc.) * AUCUNEMENT — nullement. * AU REGARD DE — en compa- raison de (v. p. 230). * AVETTE — abeille. *AYSE — pour consolation, joie, (v. pp. 46, 242). * BAILLER — donner. * BENEFICE — pour hienfait (voir P- 253). * BERICLES — de beryculus, bery- CLUS, diminutif du lat. beryllus, hesi- cles (v. p. 317). Cf. le Diction""^ étym. de Brachet. BESOIN (faire) — être nécessaire (v. p. 79). * BIGEARRE, BIGEARRERIE — hi:{arre, bizarrerie. BLOQUER — pour conclure, clore (v. p. 324). * BRAVER (se) — faire parade [-voir P- 354). * ÇA BAS — ici-bas. CASSE — pour/<3;/?^M^',/^5(v.p.30i). * CE — pour ceci, cela. * CEANS — ici, en ce lieu. *CHEF(à) — àAoM/(v.pp.396, 397). CHEVALIER — ^^omx cavalier (voir pp. e'i, 354). "^ CIVILISE — pour^550M/i/z(v.p.i23). CLARITE — du lat. claritas, clarté (v. p. 432). * CŒUR FAILLI — évanoui (voir p. 380). * COGITATION — du lat. cogi- TATio, pensée. * COLLOQUER — du lat. collo- CARE, placer, mettre (v. p. 152). * COMBIEN QUE — bien que, quoique. * COMME — pour comment (voir pp. II, 6r, etc.) * COMMODITÉ — pour fortune, bien, richesse (v. pp. 396, 397). CONFUS — pour fusionné, mélangé (v. p. 371).  * CONFUSION —du lat. confusio, fusion, mélangé (v. p. 271). * CONGREGER — du lat. congre- gare, unir, assembler. CONJONCTION — pour union (v. p. 62). * CONTESTE — pour lutte, discus- sion, débat (v. pp. 100, 139, 369). CONTESTER — pour discuter, insister (v. pp. 368, 369). * CONTRE — pour vers, à Vopposé (v. pp. 53,429). * CONTREMONT — vers le haut (v. p. 166). * CONTREPOINTER - pour con- trebalancer (v. p. 112). * CONVERSATION — pour rela- tion de société, liaison, compagnie (voir PP- 56, 253\ *COTTER — décrire,noter{\.-p./^-}']). -' COURBELLE — coM;'3^//^(v.p.354). — Cf. corbeil pour courbet, serpe, dans le Glossaire de Du Cange, au mot coRBA, et dans le Dicf^ de Godefroy. * CURIEUX — du lat. curiosus, qui a cure, souci (v. p. 27). *CUYDER — dulat.coGiTARE,/)^«5^;', imaginer, présumer (v.pp. 222,258). * DAM — du lat. damnum, dommage, préjudice {\. p. 263). DAMNABLE — condamnable (voir P- =57)- * DAVANTAGE — bien plus (voir P- 395)- DECLINATION — du lat. decli- NATio, déclin, décadence (v. p. 248). * DEDUIRE — exposer en détail (v. pp. 25, 42, etc.) Du lat. deducere. — » DEFLUXION — yZMx/o«, >,.^^ * DEITÉ — divinité. D'E^IE^— refuser (v. p. 373). Cf. le lat. DENEGARE. * DESPORTER (se) — pour s'abste- ■ nir, se désister (v. p. 104). * DESSUS — pour sur (v. p. 331). DESSUS (le) — pour domaine (voir p. 398). * DESVELOPPER (se) — pour se débarrasser, se dégager (v. p. 102). * DETRAQUEMENT — pour dérè^ glement (v. pp. lao^ 214).  rl.OSSAIRE  44S  •DEVALER— J^ un, Jr, (v. p.an). •DHVAN'T — pour .iv.i«/(^v. pp. i^, 73, etc.) • DHVURS — irrs. DEVUIDliR — pour dé-^elof^p,r (V. p. ai;). • DISCRET — pour avisé, form.i- liste (v. pp. 193, 19.1). Cf. le Lit. DISCERSBRR, DISCRETUS. DISCRETION — pour consuir.i- tion (v, p. H)T). DISJOINT - du lat. disjlnctus, s/p.iré (V. p. 31*)}, DISSOUS — pour dhharg/, affrAn- chi{v. p. 319). •DIVERTIR — du lat. divhrterh, d'tourttfr, distraire (v. pp. 90, 3881. • DIVERTISSEMENT- y>o\xt dis- traction, ohstac/e [V. pp. 56, 208, îf,). " DONT— pour <:V5//'o/Az/o//i (voir p. 190). •POSSIBLE— //-«/-///v (v. pp. 37, 308). • POURCE - parce. • POURCHAS — recherche, pour- suite (v. p. 310). PRE DOMINATION— du lat. pr^- DOM'NATio, prédominance \\. p. 118). • P REGNA NT — pressant. • PREMIER — pont premirremenf, avant (v. pp. 243, 400). • PRENDRE (en) — pour arriver, advenir (v. pp. 118, 217, etc.) PREORDONNÉ — ordonnJ, /ixr', disposé à Pavance (v. pp. 14, 413). • PRIS A BLE — dirrne d'être prisé, apprécié (v. p. 3i'>. • PRIX (au) — en comparaison (voir p. 31). PROCHAIN — iiowT proche, voisin (v. p. 33^,). PRODIGE — chose étonnante, sur- prenante (V. p. 31 . PROEME — pré/ace, entrée en matirre (v. p. 34*^^ • PROU — beaucoup. as<;e;. •VKOVFIL- profil. • PROU VOIR — du Lit. PROVIDERH, pourvoir. •PURGER — du Lit. pi-rgarb, rendre pur (v. pp. 117, 123).  • dUANT ET. QUANT ET Q.UANT — avec, simultanément. Q.UAY — pourvu*' (v. p. i6a). • dUE — pour ce que, qu'es t-ee que (V. p. 3S7, lig. 3^). •QUITTE ^se rendre, cstrc) — s'affranchir, se débarrasser [y. pp. 90, 93, 319). • RAMASSER - pour concentrer, réunir 'v. pp. 49, 13^, etc.) • R AN DONS (à grans) — à /grands flots, à profusion, avec impétuosité (v. p. 380). RAPAISER— mettre en paix, apai- ser (t. p. 380). • RAPPORTER— pour représenter (v. p. 137^. RATI OC I NATION — action de ratiociner, d'user de la raison (voir p. 2S6). • REBELLER (se) — se révolter. RECREATION — pour nouvelle création (v. p. 4). RECREER— pour créer de nouveau (v. p. 4). • RECREU— /'.i//>//r, lassé. RECRIER — pour crier une seconde fois (v. p. 149). REGARDER — pour /aire face (v. p. 311). REJET — pour objet de mépris (v. p. }^.\). RELAY (chien mis en) — terme de chasse. Chien qu'on poste à la chasse du cerf {y. p. 223). RELIE — pour noué, attaché voir P- ■?=>o^ RENCONTRER — pour réussir (v. p. 181). • REPRESENTER — \^o\^t présenter • RESOUDRE —pour ^cA^r^-r (voir p. ôi\ • RESSENTIMENT — pour senti- ment de reconnaissance ou de ch.igrrin (v. pp. 1^3, 117V RETOURNER— pour /oMr/zrr (voir P- 340}. • SAGETTE — du lat. sagitta, jL\he.  448  Sermons recueillis  * SALUTAIRE — du lat. salutarh, salut (v. p. 177). * SAPIENCE — du lat. sapibntia, sagesse. * SEELER — sceller. * SEMBLANCE — ressemblance. ' SEMONCE — pour invitation, sollicitation (v. pp. 378, 384). * SEMONDRE — inviter, presser, solliciter (v. p. 160). SEMPITERNEL — du lat. sempi- TERNUS, éternel (v. p. 239), * SENESTRE — du latin sinister, gauche. * SENTIMENT— pour mouvement d'impatience, ressentiment [y. pp. 150, 155). SEOIR (se) — s'asseoir (v. p. 401). SEULETTE — seule (v. p. 49). * SI — pour toutefois (v. pp. 8, 9, etc.) * SI BIEN — quoique (v. pp. 102, 165). SIGNACLE — du lat. signaculum, cachet (v. p. 148J. SIGNE — pour miracle (v. pp. 2, 3, etc.) * SI QUE — de sorte que, si bien que. SONGEAR — rêveur (v. p. 220). * SOUEFVE — suave. * SOUVENTEFOIS - souvent, mainte/ois . * STOLLE — store (lat. storea) natte (v. pp. 194, 226). SUBSTANCE — du lat. substantia, bien, richesse, possession (v. p. 255). SUBVENIR - du lat. subvbnire, pourvoir, entretenir {v. p. 255). * SUCCEDER — pour survenir (V. p. 303). * SURESTIMER (se) — se préférer aux autres, s'estimer plus qu'eux (voir pp. 92, 189). * SUS — pour ci-dessus, dessus (v. pp. 209, 356;.  * TARE — pour atteinte, défaut, diminution (v. pp. 51, 258, 332). TAXER — pour accuser, blâmer (v. p. 86, 104). * TELLEMENT QUELLEMENT — d'une manière quelconque . * TENDRE — pour lâche, faible, délicat, douillet (v. pp. 91, 292). * TENDRETÉ — du lat. teneritas, douilletterie, attendrissement (v. pp. 26, 90, etc.) TEPIDE — du lat. tepidus, tiède (v. p. 17). * TERRIEN — du lat. terrenus, terrestre. TOUCHER — pour mécontenter, affliger, contrister (v. pp. 194, 409). TRANSMUTATION — du lat. TRANSMUTATio, changement, transfor- mation 'V. pp. 3, 4, 15). TRAVAILLER (se) — pour se fati- guer, se donner de la peine (v. p. 33). * TREMEUR — du lat. tremor, tremblement (v. p. 378). TRICHERIE — pour tromperie, faux raisonnement (v. p. 350). TRIVIAL — pour connu, familier (v. p. 324). TRIVIALEMENT — communément, familièrement (v. p. 332).  VALABLE (rendre) — donner de la valeur (v. p. 22). VANTE AU — rj«/drî7(v.pp.i2 5,i26). * VAU DE ROUTE (en) — en fuite, en pleine déroute ; étym. A, val et ROUTE, en descendant la route (voir p. 162). Cf. le Diction''^ de Littré. VERDISSANT — pour verdoyant (v. p. 432). * VIANDE — pour mets, aliment, nourriture (v. pp. 108, 182, etc.) * VITUPERABLE — blâmable, mé- prisable. Du lat. VITUPERARE. * VOIRExMENT — vraiment.  TABLE DES MATIERES  Htiidc sur saint François de Sales Prédicateur v Auteurs postérieurs au xi:i' siècle mentionnés par saint François de Sales dans ses Sermons xcix Avis au Lecteur cvin  SECONDE SERIE SLK.MON'S RF.CL'iaLLLS l'Ail LI-;S RLLIGILUSES DE LA VISITATION XLIll — Sermon pour le deuxième Dimanche après l'Epi- phanie coïncidant avec la fête de saint Antoine, Abbé, 1 7 janvier 1621 i XLIV — Sermon de Vèture pour la fête de sainte Brigitte, Vierge, 1 "" février i O2 1 18 XLV — Sermon de Vèture pour le quatrième Dimanche de Carême, 2 1 mars 1 62 i 36 XL\'l — Sermon de Profession pour la fête de l'Annoncia- tion. 25 mars 162 1 41 XLVll — Sermon pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge, 2 juillet 1 62 1 61 XlA'llI — Sermon de Vèture pour la fête de sainte Marie- Madeleine, 22 juillet 162 1 78 XLIX — Sermonpour la fête de saint Augustin, 28 août 1O21 99 L — Sermon de Profession pour la fête de saint Luc, 1 8 octobre 1021 116 Smm. IV 30  450 Sermons recueillis LI — Sermon pour la fête de la Toussaint, i^'' novem- ! bre 1621 133 LU — Sermon pour la fête de la Circoncision, {"jan- vier 1622 147 _X^ LUI — Sermon pour la fête de la Purification, 2 février 1 622 1 64 LIV — Sermon pour le Mercredi des Cendres, 9 février 1622 181 LV — Sermon pour le premier Dimanche de Carême, 13 février 1622 196 LVl — Sermon pour le jeudi après le premier Dimanche de Carême, 17 fé\-rier 1622 215 LVII — Sermon pour le deuxième Dimanche de Carême, 20 février 1 622 23 3 LVIII — Sermon pour le jeudi après le deuxième Dimanche de Carême coïncidant avec la fête de saint Mathias, 24 février 1622 248 LIX — Sermon. pour le troisième Dimanche de Carême, 27 février 1622 265 LX — Sermon pour le jeudi après le troisième Dimanche de Carême, 3 mars 1 622 28 1 LXl — Sermon pour le quatrième Dimanche de Carême, 6 mars 1 622 298 LXll — Sermon pour le jeudi après le quatrième Dimanche de Carême, 10 mars 1622 311 LXIII -— Sermon pour le Dimanche de la Passion, 13 mars 1622 328 LXIV — Sermon pour le Dimanche des Rameaux, 20 mars 1622 : 342 LXV — Sermon pour le Vendredi-Saint, 25 mars 1622. . 360 LXVl — Sermon pour la fête de saint Léger, sur le renon- cement évangélique, 2 octobre 1622 392 . LXVII — Sermon pour la fête de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge, 8 décembre 1622 399 LXVllI — Sermon pour la fête de saint Thomas, 21 décem- bre iv622 406 -^ LXIX — Sermon pour la fête de Noël, prononcé à la Messe de minuit, 2^ décembre 1622 412 LXX — Sermon pour la fête de la Pentecôte 417  Table des Matières 451  APPENDICK SERMONS AUTOGRAPHES COMMUNIQUÉS APRES l'iMPRESSION DE I A PRJ.MIF.RR SKRIE I — Rxordc d'un sermon pour le Lundi de Pâques, i i avril • =i')t r. I II — Sommaire d'un sermon sur le Saint-Sacrement, IS94.. A'iA  Table de corresjKMidance eie celle nouvelle l-Aiilitm a\ec les précédentes, et indication de la provenance des Manuscrits 439 Table des extraits des Sermons recueillis insérés dans les Entretiens 441 Glossaire des locutions et des mots surannés 443  TAl'.T.I' 1)1'. COXC'OKDAXC K DHS SL^KMONS Sr-LON L'ORDKF. LITURGIQUK ET SKLON L'oRDRK CHRONOLOGIQUE  CXLVIII  PROPRE DU TEMPS AvtNT 1618 Notes \'1I1 / 1608 Jugement dernier ^> 1 xxui I 160Q Préparation à l'avcncment du Messie... »> 1 xxix l 16 10 Crainte de Dieu v> i.xxx ] >6ii Jugement dernier et crainte de Dieu » i.xxxri i" Dimanche , 1616 Bc'ut'Jic tus : Sermon préliminaire. — Lou- anges que l'homme doit à son Créateur. — Cantiques de l'ancienne et de la nouvelle Alliance. — Les plus remar- quables parmi ces derniers »> cxiv (1610 Commentaire de l'Evangile du jour .... v^ 1 xxxi 1611 De l'attente du Christ ^^ i.xxxiii 1616 Bcuediitiis : 1" verset ^> cxv ir DIMANCHE \ ,^^^^^ , ,■ • 1 J • *i • XT * \ 1 020 ixs disciples de samt jcan cnvovcs a Notre- I Seigneur. — Réponse qu'ils en reçoivent. \ — Eloge du Précurseur IX xxxviii Lundi après le i'"" Dimanche ht jours suivants 1616 BcnrJiitus : versets 2, 4, s ^'^I ex vi-cxix [ 1613 Exorde sur l'Evangile du jour ^^ xciv m* Di.MANCHE ] 1618 Sur la manière de repousser les tentations. v^ cxi.ix ( 1620 Même sujet IX xxxix [ »> Moyens pour profiter de la parole de Dieu. \ — Miséricorde divine à l'égard dos IV» Dimanche ^ . , n ♦• • 1 t pécheurs. — Préparation a la venue du Sauveur »» xi.  454  1614  Veille DE Noël  /  1620 I1622 I 1594 Circoncision ( » 1622 i*'' Dimanche f j^qq DE JANVIER (Ocf. des saijifs Innocents) Veille de l'Epiphanie I 1609 Epiphanie / 1615  Dimanche DANS l'octave ii« Dimanche APRÈS l'Epiphanie  1601  621  Table des Sermons Mystère de Noël ; comment le goûter spi- rituellement. — Vertus de Jésus Enfant appliquées à l'âme religieuse VllI, IX xcv, i Attente du Messie. — Mystère de l'Incar- nation du Verbe et de la virginité de Marie. — La Sainte Famille modèle d'une Communauté religieuse VIII en Catéchisme sur le mystère de l'Incarna- tion. — Amour avec lequel Notre-Sei- gneur nous a tout donné IX xli Les trois Pâques. — Le monde créé en vue de l'Incarnation. — Naissance éternelle du Verbe. — Naissance temporelle de Jésus-Christ X lxix Droits que nous avons au Ciel. — Toute grâce nous est méritée par le sang de Notre-Seigneur VII viii Exemple du Sauveur dans le mystère du jour » IX Sur le mystère de la Circoncision et le saint Nom de Jésus. — Comment le prononcer. X lu Commentaire de l'Evangile des saints Innocents. — Séjour de l'Enfant Jésus en Egypte et son retour à Nazareth .... VIII lxxvi 16 18 (Voir les Sermons de Vêture) IX xvii Nature et symbolisme des présents offerts par les Mages. — Applications pra- tiques VIII LXXVIT Mérite et immense portée de l'adoration des Mages » cm Paraphrase des premiers mots de l'Oraison dominicale VII xlviii Comment le miracle de Cana fut le premier opéré par 'Ho\.xe-St\gr\ç.ur pour manifester sa gloire. — Considérations sur l'Evangile du Dimanche. — Analogie entre le mi- racle de Cana et la Transsubstantiation. — Du recours à la très sainte Vierge. . . X xliii  Septuagé- SIME  Sexaghsime \  [ '^94 I I()20 [ »594 ( i6()i  dulNQUAGÉSIMb 1 S9S Carême ) »594 (commencement , \ 1609  Mercredi DES Cendres  ihi  1622  161  1601 1614 i"- Dimanche ] 161 de Carême 16;  Recueil pour \ LE Carême  SELON l'ordre LITURGIQUE Application de llivangilc du jour a la mission des Pasteurs de l'Eglise. — Preuves de la véritable mission \'I1 La vie clirélienne est un travail. — Ké- coinponse ipii lui est destinée \'lll Conditions nécessaires pour profiter de la parole <.lc Dieu Vil Même sujet ♦* Notes sur le même sujet »* Sur la Passion et sur le culte du a la Ooix. ♦» l'xorde d'un sernu)n sur la nécessité de la jKMiitence Vil Des deux termes de la pénitence. — Com- ment on doit thésauriser j->our le Ciel. Notes sur la pénitence et sur l'amour de Jésus-Christ pour les âmes Vlll Ebauches de quatre cxordes ditTérents. — Connaissance de Dieu et connaissance de soi-même. — Combien est utile le souvenir de la mort ♦> Le jeûne doit s'étendre à tout notre être. — Le faire avec humilité et pureté d'inten- tion. — Combien il est avantageux de se conformer en tout à la vie commune. . X Premierjeudi : sur l'Evangile du Centurion. Notes sur l'amour des ennemis ; le juge- ment ; la charité fraternelle ; le pardon des injures Vlll De la tentation du Christ. — Commen- taire de l'Evangile et enseignements pratiques Vil De la manière dont il faut résister aux tentations IX De trois sortes de tentations. — Circons- tances qui accompagnèrent celle du Christ et conclusions pratiques Vlll Au service de Dieu, nul n'est exempt de la tentation. — Comment la combattre. — Trois espèces de crainte. — Para- phrase du Psaume xc X  455  CLII XI XI.I XLIX XXVII XII  LXXVIII  LXXXIV  LIV  cxx  CXXI  LV  456  Lundi  Mardi  Mercredi  Vendredi  11^ Dimanche DE Carême  Jeudi (  Table des Sermons 1617 Jugement dernier. — Signes qui le précé- deront. — Résurrection générale. — Distinction entre les bons et les mé- chants VIII » Suite du même sujet. — Séparation des justes et des pécheurs. — Manifestation des consciences » 1604 Raisons pour lesquelles Dieu opère des miracles. — Les Juifs sont blâmables de demander un signe » 1 6 1 7 Jugement dernier (suite). — Jugement par comparaison. — La sentence. — L'éter- nité » 1594 Sur l'espérance et la charité. — La Passion du Sauveur, miroir de la bonté de Dieu. VII 1617 Sur la Ghananéenne et la toute-puissance de la prière VIII 1618 Sur la chute de saint Pierre. — Deux ma- nières de tomber dans le péché. — Exemples » 1622 De la foi. — Foi morte ou mourante, foi vivante, foi veillante. — (Qualités de la prière de la Ghananéenne. — Applica- tions pratiques X 1604 Sur l'Evangile du jour VIII 16 17 La piscine probatique figure du Baptême. — Gommentaire de l'Evangile du jour et enseignements pratiques » 16 18 Degrés de la chute de saint Pierre (suite). — Pourquoi Jésus-Ghrist a permis cette chute » 16 14 Du mystère de la Transfiguration. — Considérations sur quatre degrés d'orai- son déduites de l'Evangile du jour .... IX 16 17 Gloire qui nous est préparée dans le Giel. — De la béatitude VIII 1618 Le péché de Pierre fut volontaire. — Notes sur la grâce prévenante » 1622 Sur la béatitude éternelle. — Les élus se re- connaîtront ; leurs entretiens réciproques. — Ils converseront avec Notre-Seigneur  CXXII  CXXIII  LXVI  CXXIV  XIII  CXXV  CXLI  LVI  LXVII  CXXVI  CXLII  IV  CXXVII  CXLIII  U* DlMANCMK  Lundi  Mardi  MERCREDI  Ieudi  I.VIf  Lxviir  CXXVIII  CXLIV  sHi.oN l'urdke liturgique 457 Jcsus-Christ et la sainte Trinité. — Le nom nouveau et le baiser que Dieu donnera à chaque Bienheureux X 1O04 De la mort en état de péché. — Htcrnité des peines de l'enfer. — Causes de l'im- |->énitence finale VllI 1617 Sens littéral de ces textes : (^Lm-tis me, etc. . et : Miserationcs rjus super omnui opéra e/its. — Miséricorde de Dieu. — Trois causes de l'impénitence » i()i8 Do la ^ràce prévenante (suite) : c'est une nechc. une inspiration, une invitation. — De la f^râcc concomitante >♦ 1617 La chaire de Moïse et la Cliaire Apostoli- que. — Infaillibilité de l'Eglise et du Pape. — Trois arj^uiiients qui la démon- trent. — Dignité du sacerdoce; respon- sabilités qu'il impose. — Devoirs réci- proques des Pasteurs et de leurs ouailles. » cxxix 1618 HtTets de la i^ràce prévenante et concomi- tante. — La persé\'érance finale est l'œuvre de la grâce. — Réponse à deux objections. — Etendue du repentir de saint Pierre » cxlv 1604 Le mérite de nos œuvres provient de la miséricorde de Dieu. — Nulle propor- tion entre ces œuvres et la récompense. — Notes pour des comparaisons au sujet d: l'ambition vv [ xix 1617 Combien le Christ a désiré sa Passion. — Le souvenir doit en être cher au Chré- tien. — De l'ambition ; maux qu'elle cause à l'Eglise <& » Comment on pèche dans l'acquisition et le mauvais usage des richesses v» 1621 Commentaire de ces paroles: Faciliiis est iiinielum pcr foramen acus transire, etc. » 1622 Sur la prédestination. — Parallèle entre Lazare et le mauvais riche, saint Mathias et Judas. — Le mauvais riche et Judas. — De l'avarice. — De l'élection de saint Mathias et de la succession apostolique. X lvui  cxxx  CLllI  458  Vendredi  m® Dimanche DE Carême  Lundi  Mardi  Mercredi  Jeudi  1615 1617 1615  » 1617  1622  1617  { "  1622  Vendredi ^594 iv° Dimanche ) DE Carême )  Table des Sermons Sur deux conditions de la véritable attri- tion VIII civ La parabole de la vigne appliquée à l'Egli- se. — Foi, espérance, charité. — Perpé- tuité de l'Eglise et succession de ses Pasteurs » cxxxii Nécessité et définition de la prière. — Quatre diverses opérations de l'intelli- gence. — Fin de la prière » cv Développement du même sujet IX vu Du péché contre le Saint-Esprit. — Dis- tinction entre les péchés de faiblesse, ceux d'ignorance et de malice VIII cxxxiii Sur la charité fraternelle. — Le comman- dement de l'amour du prochain est semblable à celui de l'amour de Dieu. — En quel sens Notre-Seigneur l'appelle nouveau. — Motifs de cet amour mu- tuel ; manière de l'exercer. — La Com- munion eucharistique et l'union frater- nelle X LIX Notre perte vient de nous et notre salut de Dieu seul VIII cxxxiv Sur la correction fraternelle. — Quatre causes de la correction. — Manière de remplir ce devoir » cxxxv Sur la nécessité de la Tradition » cxxxvi Même sujet. — Conclusion tirée de l'Evan- gile du jour » cxxxvii Explication de l'Evangile du jour. — Du cé- libat ecclésiastique. — La communion des Saints. — Deux manières de méditer l'Ecriture. — La belle-mère de saint Pierre modèle des Religieuses malades. — Austérité des anciens moines. — Ne rien demander, ne rien refuser. — De la pauvreté évangélique X lx Sur l'Evangile de la Samaritaine VII xiv Suite du même sujet. — Digression sur l'origine des Samaritains ; raisons de la haine que leur portaient les Juifs ... » xv  iv Dimanche DK Carhmh  Lundi  Mercredi  Jeudi  Vendredi  Dimanche \ DE LA Passion /  SELON l'ordre liturgique 459 161 s Sur l'oraison. — Qui peut et qui doit prier. — Trois conditions pour le bien faire. IX viii 162 I (Voir les Snmons df yêture) X xi.v 1622 Considérations sur l'Rvangilc du jour. — De la Providence de Dieu. — Comment les àmcs qui tendent à la perfection doivent s'abandonner à sa conduite. . . »> lxi 1612 Triple sens attribue à ces paroles de Job : Spiritus ejus ornavit cœlos, etc. — Pro- vidence de Dieu. — Comparaison entre le Ciel et un temple. — Respect du aux c-lises Vlll Lxxxv, 1617 Comment les péchés d'irréli^non étaient punis en l'ancienne Loi. — Us se mul- tiplient dans le Christianisme '> cxxxviii » Sur l'Evangile de l'aveuglc-né. — La tri- bulation ; ses causes ; comment l'endu- rcr. — Gradation suivie par le Christ dans la guérison de l'infirme » cxxxix » Sur la résurrection du jeune homme de Naïm. — De la mort prématurée. — Ne pas vouloir scruter la conduite de Dieu. — Combien la pensée de la mort est nécessaire '' cxl 1622 Sur le même Evangile. — Miséricorde et justice de Dieu. — Puissance de sa parole. — Résurrection générale. — On doit craindre la mort. — Digression sur le langage de l'amour divin. — Comment craindre la mort sans la craindre ^ Lxn 1601 Sur la résurrection de Lazare. — Avan- tages de la tribulation.— Conditions de I l'efficacité de la prière Vil li 1612 Sur le même Evangile. — Il faut beaucoup prier, mais en peu de mots. — Misère de riiomme et miséricorde de Dieu. — Les larmes de Jésus-Christ Vlll lxxxvii 1606 Sur la parole de Dieu. — Raisons pour lesquelles on ne l'écoute pas. — Com- mentaire de l'Evangile du Dimanche . . »> lxxi  460  Dimanche DE LA Passion  Vendredi  Dimanche DES Rameaux  Vendredi- Saint  Table des Sermons 161 5 De l'oraison, — duels sont les pécheurs dont Dieu exauce les prières. — Objet de la prière. — Il faut prier par Jésus- Christ. — Oraison vitale et oraison vocale. — De l'Office divin IX ix 1622 Sur la parole de Dieu. — Ce que doit être le prédicateur. — La parole divine est vérité. — Dispositions avec lesquelles on doit l'entendre. — Ne pas avoir égard aux défauts du prédicateur X lxiii 1615 Sur la pénitence. — De la confession générale. — De la satisfaction. — Carac- tères de la vraie pénitence. — Règles pour éviter les rechutes VIII cvi 1594 La vie de l'homme est une guerre conti- nuelle entre la chair et l'esprit. — Lutter pour vaincre. — Quatre condi- tions qui assurent la victoire. — De la fréquente Communion VII xvi 1614 Sur le mystère du jour. — De la simpli- cité. — Comment l'âme doit être déliée et dépouillée par l'amour du Sauveur.. IX v 161 5 Qu'est-ce que prier immédiatement et mé- diatement. — De la révérence extérieure qui doit accompagner nos prières. — Degrés de l'oraison mentale » x 1622 Toutes les créatures, sauf la Sainte Vierge, ont quelque imperfection. — Comment envisager les défauts des Saints. — On doit aimer la correction. — Exemple de saint Charles Borromée. — Pourquoi Notre-Seigneur choisit pour monture une ânesse et un ânon. — Humilité, patience, obéissance X lxiv 16 12 Notes pour l'exposition de la sainte Croix. — Regarder le Sauveur crucifié. — La Sainte Vierge au pied de la croix. — Pourquoi Jésus voulut endurer le cruci- fiement VIII LXXXVIII 16 14 Raisons pour lesquelles Jésus choisit la mort de la croix. — Dépouillement,  W.NDRKDI- Saint  pAa'^TES LUND[ DE PAQjLJtS  Mardi DE Paqjjes  Jeudi DE PAaUES  1620  I()22  SH.<»N l/nKDKF I 1 I IU<( .Ujl. f. 4"' mortification du ju^'cmont propre. — Ressentir en nous ce (jue le Sauveur a ressenti au jour de sa Passion l"^ ^i Considérations sur le titre de la Croix. — Jésus-Christ Sauveur ilc; An-es et Ré- dcniplour ilu j;cnrc liuniain. — Les sept paroles de Jésus mourant : explication des trois premières. — Pcuir.pioi il vou- lut être appelé Nii^aréen. - Vertus qu'il nous enseigne sur la croix.— Ses quatre dernières paroles. — 11 c:.l notre Roi. . . ^^ xxix Même sujet. — Deux causes de la mort de Jésus-Christ : il était Sauveur, il voulait racheter ceux ijui le confesseront. — Le serpent d'airain figure de Jésus cru- cifié. — 11 est mort pour nous rendre la vie. — De sa vocation de Sauveur. — Comparaison entre Notre-Seignour et le loriot. — Considérations sur les sept paroles de Jésus en croix X lxv Notes sur la gloire de Jésus-Christ ressus- cité.— Sa Résurrection, gage et prélude de la nôtre Vil lu Rxorde sur le renouvellement de l'esprit et sur la vie nouvelle en Jésus-Christ X Append. l Les vertus théologales afTermies dans l'âme par le mystère de la Résurrection du Sauveur VII xvii Sur la paix. — Elle s'est faite entre Dieu et l'homme sur l'autel de la Croix. — L'Evangile n'est que paix. — De la paix que nous devons avoir avec Dieu, avec le jirochain et avec nous-mème. — Obstacles à cette dernière paix. — DitTérence entre la paix du monde et celle de Jésus-Christ. — Celle-ci n'est pas exempte de combat. — Exemple a ce sujet ^^ ^^^ ' 1601 Extraits de l'Evangile du jour et autres textes de l'Ecriture appliqués à ce même Evangile VII lui  1601  59^  / »  1620   462  Dimanche DE QUASIMODO  iv« Dimanche APRÈS Pâques  v^ Dimanche  Ascension  Table des Sermons (s.d.) Sur les cinq Plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ. — L'ÀJlelw'a du Ciel et celui de la terre. — Puiser avec joie aux fontaines du Sauveur. — Abondance des grâces qui en découlent VIII 1620 (Voir les Sermons de Vcture) IX 1 595 Sur les Traditions. — L'Eglise Catholique a deux portes : l'Ecriture et la Tradition. — Autorité et nécessité de la Tradition. — Réponses aux objections VII 1613 Sur l'Evangile du jour.— Relations entre l'Ecriture et la Tradition VIII 1622 Sur la prière. — Sa nécessité. — Prière vocale, mentale, vitale. — Prier Dieu ï comme notre Père ; demander au nom [ de Jésus-Christ » [ 1607 L'Ascension du Sauveur ne contredit pas à sa présence dans l'Eucharistie. — Assertions des hérétiques réfutées » (s.d.) Du péché d'incrédulité. — Comment il se guérit » 1593 Du mystère de la sainte Trinité. — Des- cente du Saint-Esprit sur les Apôtres. — Prodiges dont elle fut accompagnée. — Le Psaume xxviii appliqué à l'établis- sement de l'Eglise. — Dispositions requi- ses pour recevoir le Saint-Esprit VII i 1594 Conditions nécessaires pour recevoir le Saint-Esprit : préparation, dépouillement des satisfactions humaines, union mu- tuelle, vigilance VII xix 1613 Sur la descente du Saint-Esprit et les dis- positions requises pour le recevoir .... VIII xcni 1620 Sur les sept dons du Saint-Esprit IX xxxii (s.d,) Même sujet X lxx Vendredi dans l'octave 1618 (Voir les Sermons de Profession). . IX xviii ii595 Le mystère de la sainte Trinité est le fon- dement de notre foi. — Gloire essen- tielle des trois divines Personnes ; com- ment on peut la célébrer. — Réfutation  Pentecôte  CLX XXXI  XXIX  XCII  CLVI  LXXII  CLIX  SFl.ON l.'ORDRF I.ITURCIQJJE j^Ci^ I des blasplîcmcs des hcrctiqiics. — Gloire Sainih \ appropriée ou oxtcrieiirc. — ('ornbicn Tkinitk I nous pouvons «glorifier Dieu par la  Passion de Notre-S?igncur \'ll xxx  ( . iço6 Preuves de la présence réelle île Jésus- Fkte-Dieu Christ dans l'Iùicliaristie. — Réponse à ( une objection des hérétiques »v xxx vu DiMANCMR DANS i.'ocTAVK I S96 Méuie sujet »> xxxvur i^gt) Diverses figures de l'Kucharistie. — La ^ \ présence réelle de Notre-Sei'_rneur dans Octave , ^, ^ - , . . J ce Sacrement prouve: par les paroles de l'institution  • is()4 Le bonheur de Notre-Sji^jjneur est de faire iir DiMANCHF. \ miséricorde. — Le péché sépare de Dieu. Ai'Ki s , — Jésus-Christ, en qualité de Sauveur, Pkntccoh-. f prévient et reclicrche les pécheurs. — \ Comment s'approcher de Jésus »^ V Di.MANCMF. 161 s (Voir les Disc-OHis de circonstance) Vlll > 1601 Rapprochements entre l'Eucliaristic et le /r Di.MANCUR miracle raconté dans rEvan:^nle de ce Dimanche Vil VIII" ( »> Application de l'Hvan^^ile du jour aux fins Dimanche I dernières  iiT93 Sur la paralysie spirituelle. — Ses causes générales et ses etVets. — Deux causes particulières. — Remèdes contre la tiédeur V'il  wxix  XXI CVMI  l.IV  LVI  f 1593 La Rédemption du Sauveur est surabon- \ dante. — Commentaire du texte : Bcati icirDiMANCHH . oculi, etc. — De l'espérance et du désir j vie la vie éternelle. — Invitation cà s'en- ^ roler dans la Confrérie de la Sainte Croix. » iv I1618 Sur le commandement de l'amour de Dieu. — Comment nous devons aimer Dieu d un amour d'élection. — Etendue de DiMANCiiH J l'amour que Dieu nous porte. — Trois / marques pour connaître si nous aimons » Dieu IX  XXII  VI  464  Table des Sermons  XIX® Dimanche APRÈS Pentecôte  XXI® Dimanche  XXIII* Dimanche  1612 Sur la parabole delà robe nuptiale. — Dieu veut le salut de tous les hommes. — Quelle est la robe nuptiale dont le Chré- tien doit être revêtu. — De trois vête- ments que donne la charité VIII Lundi après le xix^ Dimanche 1618 (Voir les Sermons de Vèture). IX 16 14 Sur l'Evangile du jour et la charité frater- nelle. — Pourquoi Jésus-Christ appelle le précepte de la charité un commande- ment nouveau et son commandement. — Du pardon des injures VIII » Sur la résurrection de la fille dejaïre. — Avantages de la tribulation. — Toute- puissance de la prière. — Comment Jésus-Christ gagne les cœurs et comment on gagne le sien »  XG XXIV  xcix  PROPRE DES SAINTS  S^ Ambroise  Immaculée Conception  S* Thomas Apôtre  Saint Jean evangéliste  1619 / 1608  1622  1608  (Voir les Sermons de Profession) IX Sur Tamour réciproque de Jésus et de sa sainte Mère. — Quatre preuves de cet amour VIII De trois sortes de fêtes. — Ce que nous devons croire, espérer, aimer, pratiquer. — Chute de Lucifer et de nos premiers parents. — Du péché originel. — Con- ception immaculée de la Sainte Vierge. — De la vraie dévotion à Marie X Sur l'incrédulité de saint Thomas. — Trois degrés de sa chute. — Charité des Apôtres et miséricorde de Notre -Sei- gneur. — De la foi. — Avantages de la vie de communauté » Quatre textes de l'Ecriture en faveur de l'opinion d'après laquelle saint Jean ne serait pas mort VIII  xxvn  LXXIV  LXVII  LXVIII  LXXV  SELON l. ORDRE LITURGIQUE  465  Saintl Geneviève S' Antoine Abbé  ( 162  Purification  Saint Blaise (transfi-r^j  XCI  CIX  / i()i9 Chasteté de la Sainte ; son mépris de la \ vanité. — La furce de Jésus-Christ ) triomphe dans le sexe faible. — Moyens f de cc^nserver la cliastcté VUI cl (Voir le St-inion pour le II' Dinuvtcbe après riipiphanit-, Exorde) X xliii Sainte Brigitih Vihkge 1621 (Voir les Sermons de yitiirc) »» xi.iv 1613 Humilité et dignité de Marie. — Orgueil de Lucifer et du premier homme. — Chute d'Adam et d'Hve. — Les hérétiques exagèrent la rigueur des commande- ments de Dieu et de l'Eglise VIII 16 16 Ce mystère prédit et figuré dans l'ancienne Loi. — Comment nous purifier pour olTrir le Christ à son Père »> 1620 Humilité que pratiquent Notre-Seigneur et la Sainte Vierge dans ce mystère. — Excellence de cette vertu ; obligation d'y persévérer toute sa vie. — Jésus et Marie modèles d'obéissance. — Pour bien faire l'oraison il faut porter le Sauveur entre ses bras. — Quatre conditions requises pour obtenir cette faveur IX 1622 Considérations sur les trois noms attribués à cette fête. — Du mystère de l'Incarna- tion. — Raisons pour lesquelles la Sainte Vierge voulut s'assujettir à la loi de la purification. — Cause de la chute de nos premiers parents. — De deux tenta- tions contre l'obéissance. — L'obéissance constitue l'excellence de la vie religieuse. — Comment il faut se laisser porter par le Sauveur et le porter soi-même X Saint ( 1619 Appartenance réciproque du Sauveur et Sauveur ( de ses élus VIII 1614 Sur le mystère de la Purification et le renoncement évangélique. — Renoncer à soi-même c'est se purifier. — Nécessité de ce renoncement. — Qu'est-ce que prendre sa croix. — Aller après le Sau- veur et le suivre. — L'olTrir à son Pcre et le porter entre nos bras IX  xxviii  LUI  CLI  Sbrm. IV  30  466  S* Mathias  1617 1622 / 1612 1614  Saint Joseph \  1621  Annonciation » S* Philippe j 1622 ET S* Jacques { I 1594 Invention \ DE LA Sainte ' Croix i  / 1616 ou 1617  Saint Jean Porte-Latine  S* Claude 16 17 1602  Saint Jean- Baptiste \ 1618  Table des Sermons (Voir le Sermon pour le Vendredi après le 11^ Dimanche de Carême) VIII (Voir le Sermon pour le Jeudi après le 11^ Di- manche de Carême) X Les privilèges de l'ancien Joseph appliqués à l'Epoux de Marie VIII Sur les trois titres donnés à saint Joseph dans l'Evangile » Saint Joseph comparé au palmier. — Son mariage virginal. — Humilité qu'il exerça » (Voir les Sermons de Profession) X (Voir le Sermon pour le V^ Dimanche après Pâques) VIII Ne se glorifier qu'en la Croix de Jésus- Christ. — Gloire qu'il y a trouvée lui- même. — La Croix est le vrai livre du Chrétien et la cause de notre salut. — Considérations sur le titre de la Croix. — Honneur dû à ce bois sacré. — Inven- tion de la Croix; applications pratiques. VII Sur l'Evangile du jour. — L'Eglise ne craint pas de révéler les défauts de ses enfants. — La volonté et le jugement propres sont un grand obstacle à la per- fection. — Comment on peut boire le calice de Notre-Seigneur. — Pourquoi il a voulu que son côté fut ouvert. — User avec humilité des consolations intérieures. — Moyens de parvenir à la perfection IX (Voir les Sermons de Vêture) » Grandeur de saint Jean dans le sein de sa mère ; triple cause de cette grandeur. — Fragment sur la pénitence du Précur- seur ; notes pour servir de comparaisons. VII Saint Jean a préparé les voies au Christ en enseignant la science du salut. — Cette science résumée dans la foi et la péni- tence. — Elle tend à la paix, caractère  CXXXII  LVIII  LXXXV  XCVI  CLIV XLVI  CLVI  XVIII  XI XII  LX  SELON l. ORDRR LITURGIQJ^'R  467  Saint Jfan- Baptiste  Saint Pierre  de lEvangilc et thi Christianisme. — Comment obtenir de Dieu la continua- tion de la paix de l'Htat VllI 1S93 Analogies entre la nativité de saint Jean- Baptiste et la mort de saint Pierre. — i^irallcle entre ces deux Saints. — Comment ils ont été sanctifiés. — Com- paraison entre la mort de saint Pierre et celle du Sauveur. — Récit du martyre de saint Pierre. — Amour de Notre- Seigneur pour son Apotrc. — Simon le Cyrénéen et Simon-Pierre. — Pourcjuoi Jésus appelle celui-ci Simoti Joannis. — Raisons pour lesquelles le Prince des Apôtres voulut être crucifié la tète en bas. — Nécessité du souverain Pontificat dans l'Hglise.— Applications pratiques. Vil 161 8 La charité et l'humilité déterminent la visite de la Sainte Vierge à Elisabeth. — Explication de ces paroles : // a regardé l'humilité ih sa servante. — Commentaire de l'Evangile du jour. — Les Filles de la Visitation doivent exceller en charité et en humilité IX 1621 De trois unions opérées en la Sainte Vierge. — Son humilité et sa charité éclatent particulièrement dans le mystère de la Visitation. — ElTets de la visite de Marie dans la maison de Zacharie. — Commen- taire pratique de l'Evangile. — Puissance de l'intercession des Saints et surtout de la Sainte Vierge. — Comment elle visite ses serviteurs ; exemples à ce sujet .... X Saintr Marie-Madeleine 162 i (Voir les Sermons de Vcture). ... 160 1 Sur le nom de Roaners^es. — Comment les Apôtres peuvent être comparés aux nuées et au tonnerre \'ll 1618 (Voir les Sermons de ^èture) IX IS93 Emprisonnement et délivrance de saint Pierre. — Pourquoi Notre-Seigneur pré- dit à ses Apôtres les persécutions qu'ils  Visitation  S* JACQUF.S \  LE MajKUR Sainte Anne  Saint Pierre \ ES liens /  CXLVI  XIX  xLvn XLVIil  LV x.x  468  Table des Sermons  Saint Pierre Es LIENS  devaient endurer. — Du calice du Sau- veur. — Récit des Actes. — L'Eglise est toujours persécutée en son Chef. — Le premier Psaume appliqué à saint Pierre. — Mystère caché dans le som- meil de l'Apôtre captif 1595 L'Eglise fondée sur la pierre. — Elle doit être une monarchie. — Prérogatives du Siège apostolique N.-D.DES Neiges 16 17 (Voir les Sermons de Vêture) 160  VII  IX  Assomption  Humilité et pureté de la Sainte Vierge. — Comment elle a exercé Loffice de Marthe et celui de Marie. — Il était convenable que son corps fût glorifié en même temps que son âme VII 1 602 Jésus-Christ et sa Mère sont les deux grands luminaires de l'Eglise. — Pourquoi le Sauveur laissa la Sainte Vierge sur la terre après son Ascension. — Sa mort fut une mort d'amour. — Des trois glaives qui transpercèrent son âme. — Sa résurrection et son Assomption. — Combien elle est riche de mérites. — Les gloires de Marie sont les gloires de Jésus. — L'invoquer et lui obéir » 16 12 Des trois principaux exercices de la vie chrétienne. — Comment la Sainte Vierge les a pratiqués. — Ce verset du Canti- que : Quœ estista quœascenditper desertum, etc., appliqué aux ascensions de Marie. VllI 1614 La petite source vue en songe par Mardo- chée est la figure de Marie. — Sa mort, son Assomption, sa gloire. — Puissance de son intercession. — Caractères de la vraie dévotion envers elle » 16 18 Obligation de progresser toujours dans la vie spirituelle à l'exemple de Marie. . . » » La Sainte Vierge a exercé l'office de Marthe et celui de Madeleine. — Sa mort, son entrée dans le Ciel. — Remarques prati- ques sur l'Evangile de la fête. — L'amour de Dieu comprend toutes les vertus . .  III  XXXI  XIII  LVII  LXI  LXXXIX  XCVII  CXLVII  IX  XXI  Assomption  S' I.ouis, Roi DE Fkance  SELON l. ORDRE IITIRGIQUF. 1G21 Marie, maison du (Christ. — Manière dont elle a exercé la vie active et la vie contemplative V'III 1602 ('omment saint Louis a ré^né sur lui- même.— Vertus qu'il a pratiquées dans le gouvernement de son peuple \'i! »> Notes pour un Sermon sur la même fête. *> i()2() Triple lien dont saint Augustin eut à s'alTranchir. — Sacrifice de louange qu'il otTrit au Seigneur après sa conver- sion. — Reconnaissance; don absolu de soi-même ; amour alTectif et effectif ; S' Augustin ( charité envers le prochain IX 162 I Trois passions dominantes d'Augustin. — Comment, après sa conversion, il se revêtit de Jésus-Christ par la pauvreté, la chasteté, l'humilité.— Le Chrétien doit se revêtir des mérites de Notre-Seigneur. X 16 14 Combien misérable est la naissance de l'homme. — L'Fglise célèbre trois nati- Nativité 1 vités; pourquoi celle de la Sainte Vierge. DE LA ( — Marie est le trône et le char triomphal S*« Vierge du Sauveur. — Les pécheurs pénitents peuvent devenir ses enfants. — Comment solenniser sa Nativité Vlll S^ Nicolas de Tolentin 1620 (Voir les Sermons de l^éture) IX 1 593 Comparaison entre le Temple de Jérusalem et la sainte Croix. — Notre-Seigneur l'a Exaltation \ honorée et en a fait son sceptre. — DR LA \ Comment se glorifier en cette Croix. . . \'Il Sainte Croix / (sul) Même sujet. — Dans toutes les conditions de la vie on doit porter la croix. — Résolutions à prendre Mil 1619 Sur les maladies spirituelles; les Sacre- ments en sont le remède. — Les âmes religieuses sont épouses de Jésus-Christ.  469  Saint Cômb ET S» Damien  Saint Michel  — Des béatitudes évangéliques. — De l'humilité et de la pauvreté d'esprit. — Qu'est-ce que toucher Notre-Seigneur crucifié 1617 (Voir les Sermons di Profession)  IX  clv  LXII LXIII  XXXIII  XLIX  XCVIII XXXIV  CLVIII  XXV XIV  470  Table des Sermons  Saint Léger  Saint Luc  1021 1617  Toussaint /  1622 Sur le renoncement évangélique. — Les maximes de Jésus-Christ opposées à celles du monde. — Quatre degrés d'ab- négation. — Comment n'ayant rien on peut néanmoins quitter toutes choses. . X (Voir les Sermons de Profession) » La gloire et la félicité des Saints figurées par le festin d'Assuérus. — Causes de la gloire essentielle des élus. — Vision de Dieu et de l'humanité de Jésus-Christ. — Entretien des Bienheureux avec les trois divines Personnes. — La pierre blanche qui sera donnée aux élus. — De l'éternité. — Gloire accidentelle des Saints. — Commencer à faire ici-bas ce que nous ferons éternellement au Ciel. . IX 1620 Sur la communion des Saints. — Com- ment nous pouvons exercer envers les Bienheureux l'amour de complaisance et l'amour de bienveillance. — Célébrer les louanges divines et imiter leurs ver- tus, c'est accroître leur gloire acciden- telle. — Explication des béatitudes. ... » 1621 Cette fête est une fête de complaisance ; raisons de son institution. — Dieu veut que nous employions l'entremise des Saints. — De la prière et des trois personnes qui y interviennent. — Les Saints désirent ardemment de partager avec nous leur bonheur. — Comment nous prévaloir de leur intercession. — Les béatitudes évangéliques opposées aux maximes du monde X Saint Charles a éclairé l'Eglise ; vertus qu'il pratiqua VIII Dispositions de la Sainte Vierge en allant se présenter au Temple. — Du renou- Présentation 1 vellement des vœux de Religion et pour- DE LA ( Q'Joi il est ordonné. — Trois conditions Sainte Vierge J pour le bien faire à l'exemple de Marie : employer avec ferveur le moment pré- sent ; s'abandonner à Dieu et coopérer  S* Charles BORROMÉE  ( 1614 1617  LXVI L  \  XV  xxxvi  LI  CI  SELON L ORDRE LITURGIQÏJE  47»  Présentation DE l.A Sainte Vierge  à sa grâce ; ijuittcr t<«ut et se livrer tout entier IX ihK) Trois privilèges accordes a Notre-Dame. — l:lle s'est donnée à Dieu sans retour ; devoir qu'ont les Religieux de suivre son exemple. — Du renouvellement des vœux. — Parfaite obéissance de la Sainte Vierge ; comment l'imiter ^> 1620 (a* que représentait le bassin d'airain placé devant l'ancien Tabernacle. — Marie est le plus beau miroir de la Loi évan- gélique. — Sa Conception immaculée. — Perfection de l'offrande qu'elle fit d'elle-même au Seigneur. — Commen- taire du texte : Bienheureuses les entrailles qui vous ont porte, etc. — La Sainte Vierge a écouté et gardé la parole divine. — Répondre fidèlement aux inspirations cé- lestes. — De l'obéissance. — Dispositions requises au renouvellement des vœux. »  XVI  XXVI  XXXVII  SERMONS DE VETURE  S* Claude (6 Juin '  Notre-Dame des Neiges (^ août ,  Veille dh l'Epiphanie (5 j^n'^itf'}  16 17 Variété des attraits du Saint-Esprit. — La vie religieuse est une mort universelle. — Obligation plus spéciale pour les âmes qui l'embrassent de mourir à leur volonté. — La parabole des talents appliquée aux vœux de Religion 1617 Origine de cette fête. — Commentaire de l'Hvangile qui se lit à la Messe. — Comment profiter de la parole de Dieu et suivre ses attraits. — Amour et hon- neur dus à Marie. — Perfection de l'état monastique. — Trois propriétés de la neige appliquées à l'càme religieuse. . . . 16 18 Considérations sur la fuite en Egypte. — La vie cachée de Notre-Seigneur est le partait modèle de l'état religieux. —  IX  XII  XIII  472  Table des Sermons  Veille DE l'Epiphanie ($ janvier)  Sainte Anne (26 juillet)  9 OCTOBRE  Lundi de la XIX* semaine APRÈS Pentecôte (1$ octobre)  Dimanche de quasimodo (a6 avril)  (Vêture et Profession) S* Nicolas de Tolentin {10 septembre)  17 OCTOBRE  Pauvreté, chasteté, obéissance de Jésus enfant. — Pourquoi il voulut être appelé 'Nazaréen. — La vie monastique est une vie de renoncement et de croix IX xvii 16 18 Sur le texte évangélique : Le Royaume des deux est semblable à un tnarchand, etc. — Tous les hommes cherchent la félicité, mais peu la trouvent. — 11 faut renoncer à tout pour acquérir \â perle précieuse de l'amour de Dieu. — En quoi consiste ce renoncement absolu. — Trois motifs d'encouragement » xx » duelle doit être la prétention des âmes qui entrent en Religion. — Comment se dé- pouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau » xxiii » Sur l'Evangile du roi qui fait les noces de son fils. — Du festin de la Croix et du jour des noces du Sauveur. — Qu'est- ce que la robe nuptiale. — Comment celle d'Esther figure la charité dont les âmes religieuses doivent être revêtues. » xxiv 1620 L'entrée en Religion étant une seconde naissance, mérite d'être particulière- ment solennisée. — La vie religieuse n'est que renoncement. — Considéra- rations sur l'Evangile du jour : trois causes de la chute de saint Thomas ; bonté du Sauveur à son égard » xxxi » Les âmes qui embrassent la perfection évangélique déclarent la guerre au monde, à la chair et à elles-mêmes. — Notre-Seigneur et la Sainte Vierge chefs de cette milice. — Triple renoncement de Marie en sa Nativité ; comment il doit être imité par les âmes qui entrent en Religion » xxxiv » Sur ce texte : Bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, etc. — De trois manières dont Dieu parle à ses créatures. —  SF.LON l. ORDRE LITURGIQUE  475  17 OCTOBRE  S'* Brigitte Vierge (fr février)  w* Dimanche DH Carême {21 mars)  S'* Marie- Madeleine (21 juillet)  Comment il faut garder cette divine parole; heureuses les âmes ijui la gardent de la sorte. — Combien les Religieuses doivent aimer leur Règle IX xxxv if)3i Sur la parabole du marchand cjui clierclie des perles. — Il figure tous les Chrétiens. — La perfection est runit]uc perle évan- gélique ; ce qu'il faut faire pour l'obtenir. — Divers épisodes de la vie ^'^ sainte Brigitte ; miracles opérés par la Sainte. X xliv ** Considérations sur la vocation religieuse tirées de l'Evangile de ce Dimanche. — Les âmes qui en sont gratifiées doivent suivrejésus entre les croix et les épines de la mortification intérieure et extérieure. » xlv »♦ Diversité des vocations au service de Dieu. — Sainte Madeleine parfumeuse de Notre-Seigncur. — Elle est la reine des pécheurs pénitents et des âmes justes. — Son amour pour le Sauveur et son humi- lité. — Les personnes qui entrent en Religion doivent faire un parfait holo- causte d'elles-mêmes. — Exemples de sainte Dorothée, de saint Bonaventure et de sainte Agnès. — Passer sa vie aux pieds de Jésus crucifié v* xlviii  SERMONS DE PROFESSION  161 7 duels sont les offices des Anges envers nous et nos devoirs envers eux. — Leur olTrir un festin, à l'exemple d'Abraham. — Nous attacher invariablement à notre S' Michel / vocation et à nos résolutions, comme (29 septembre) firent les bons Anges. — Mortification et dépouillement obligatoires aux âmes religieuses. — Support du prochain et humilité. — Demeurer constamment auprès du Sauveur crucifié  IX  XIV  474  Table des Sermons  Vendredi DANS l'octave de Pentecôte (Sjuin)  S' Ambroise ("] décembre)  I 1618 Symbolisme des offrandes prescrites dans l'ancienne Loi pour la fête de Pâque et celle de la Pentecôte. — Comment les Apôtres ont fait cette double offrande. — Les mêmes dispositions doivent ani- mer les âmes qui embrassent l'état reli- gieux. — Elles reçoivent en échange les dons du Saint-Esprit, et son amour consomme leur sacrifice IX 1619 Le texte de l'Evangile des Docteurs : Fous êtes le sel de la terre, appliqué aux âmes religieuses. — Les trois propriétés du sel figurent l'amour, la sagesse et la pureté d'intention qui doivent les animer. — Bonheur de ces âmes »  S* Luc (18 octobre)  XVIII  XXVII  S* Nicolas de Tolentin 1620 (Voir les Sermons de Vêture) » xxxiv I 1621 L'Incarnation du Verbe est le baiser de- mandé par l'Epouse ; il fut donné à la Sainte Vierge au jour de l'Annonciation. — Rien de créé ne saurait contenter le cœur humain. — Marie a souveraine- ment aimé le divin Epoux ; elle attire Annoncia- les âmes à sa suite. — Elle est le Modèle TiON et la Protectrice des Religieuses. — Sa (2^ mars) virginité, son humilité, sa charité. — Pourquoi on solennise davantage l'entrée des femmes en Religion que celle des hommes. — La Religion est un pays de transmigration , une cité fleurie. — Marie est elle-même une fleur qui en produit beaucoup d'autres dans l'Eglise. X xlvi » Saint Luc, médecin et peintre, doit être imité dans ces deux fonctions par les âmes consacrées à Dieu. — Les Religieux sont à la fois médecins et malades ; com- ment ils peuvent se guérir de leurs infir- mités spirituelles. — Ils doivent peindre sur leur cœur l'image de Jésus crucifié et celle de la Sainte Vierge. — Les cinq conditions nécessaires pour bien tirer un portrait, figures des vertus religieuses. —  SELON L ORDRE l.ITURGIQUB  475  S» Luc t8 octobrt)  Celles que saint Luc pratiqua d'après l'exemple de Marie. — Regarder constam- ment le Sauveur et sa sainte Mère X  SUJETS DIVERS  Sainte Communion  Transsub- stantiation ET S'*" Messe  Eucharistie figurée et prédite  Présence RÉELLE  Dogme DE -'Eucharistie /  SUR LA SAINTE KL'CHA RISTIE 1594 Honneur que Notre -Seigneur fait aux Chrétiens en les invitant à sa table. — Le pain servi aux Anges par Abraham figure l'Eucharistie. — Comparaison entre les propriétés du pain matériel et les etTets du Pain eucharistique Vil xx » Même sujet. — Dispositions requises pour s'approcher de la Table sainte X append. 11 1604 Préparation, réception, action de grâces. — EtTets de cet auguste Sacrement dans le temps et dans l'éternité VIII lxx 1^94 La présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eu- charistie prouvée contre les hérétiques par dix raisons principales. — La sainte Messe est un sacrifice. — Preuves tirées de l'Ecriture et de la Tradition VII xxvi 1595 De la présence réelle de Jésus-Christ au Saint -Sacrement. — Supériorité de l'Eglise sur la Synagogue. — Trois figures de l'Eucharistie. — Prophéties relatives à ce Sacrement » xxxii 1596 Hérésies opposées des Ubiquitaires et des Calvinistes. — Foi de l'Eglise catho- lique » XXXVI » Notes sur ces paroles : Hoc est corpus meum. — Extraits de plusieurs Pères relatifs à l'Eucharistie » xl 1597 Excellence de la vérité. — Nécessité de la présence réelle pour la Communion. — Erreur des Capharnaïtes au sujet des paroles du Sauveur annonyant ce mys- tère. — Calomnies des payens et des  476  Dogme DE l'Eucharistie  Table des Sermons hérétiques ; les paroles de Notre-Seigneur en sont la réfutation VII xliii 1597 Mêma sujet. — Un corps peut être en un lieu sans y occuper de place ; ainsi en est-il deJésus-Christ au Saint-Sacrement. — Preuves tirées de l'Ecriture. — De la Transsubstantiation. — Adoration due au Très Saint-Sacrement » xliv » Comment l'Eglise Catholique démontre par l'Ecriture la présence réelle de Jésus- Christ dans l'Eucharistie. — Diverses autres preuves. — Réponses aux objec- tions des hérétiques » xlv  Visibilité DE l'Eglise  Perpétuité DE l'Eglise  Mission de ses Pasteurs Leur office Parole DE Dieu  Primauté de Saint Pierre  XXIV  SUR L'ÉGLISE 1594 Cette propriété est prouvée par les paroles de l'Ecriture. — Son évidence et sa nécessité. — Objections réfutées VII » La génération du premier Adam se perpé- tuera jusqu'à la fin du monde ; à plus forte raison celle de Jésus-Christ, c'est- à-dire l'Eglise. — Le Sauveur est mort afin qu'elle ne mourût point ; aussi règnera-t-elle toujours malgré ses enne- mis. — Preuves tirées des Prophètes et de l'Evangile. — Erreurs des Calvinistes réfutées. — Désir du Ciel » » De la mission ordinaire et de la mission extraordinaire. — Mission de saint Jean- Baptiste. — Des témoignages rendus par ce Saint à la Loi évangélique » 1595- 1597 Notes tirées de l'Ecriture » 1596 Comment l'entendre et la recevoir. — Elle doit être prêchée par ceux qui en ont reçu la mission. — Ses effets » 1595 Elle subsiste malgré les fautes de l'Apôtre. — Preuves de cette primauté tirées de l'Evangile. — Objections réfutées » 1595-1597 Notes sur le pouvoir et la dignité donnés au Prince des Apôtres » xlvi, § i  XXV  XXIII xLvr, § IV  XXXV  XXXIV, §111  SELON l.'oKDKI: l.imRGIQMH  477  SUR I  Souvenir DE l.A Passion  S*' Vierge  Culte DES Saints  Jugement DERNIER  Pénitence  A rAssn»\, F. A sAixTF. viKRci-: i:t lf.s saints iso^-i V)7 Kcunion de textes de ll-lcritiire pou- vant s'appliquera la l^iS' i )U de Notre- Seigneur Vil xi.v,, l lu 1 5^98- 1 60 1 idem  XLVII, ^y VI  » XXVIII v^ XXXlV.glI  XXXIII  139:^ Sur la Salutation Angélique. -L'Eglise l'a toujours récitée. — Accusations des hérétiques. — Combien il est louable de saluer Notre-Dame. — i: Ave Maria est la plus excellente salutation qu'on puisse lui adresser »^ Notes » Honneur dii aux saintes Reliques. — La volonté du Seigneur à cet égard est témoi- gnée : I . par l'Ecriture ; 2. par l'exemple des Saints ; 3. par les miracles. — Les hérétiques, profanateurs des Reliques. . IS95-1S97 Notes tirées de l'Ecriture » xlvi, )| vi VÉRITÉS ET VERTUS CHRÉTIENNES 1 595 Réunion de textes de l'Ecriture sur le jour du jugement Vil xxxiv, l i ' 1602 Signes qui précéderont le dernier jour. — j Rigueur du jugement. — Résurrection \ générale 1598-1601 Défmition du péché. — Nécessité d'en faire pénitence v> Première condition de la vraie pénitence. 1615 (Voir les Discours de circonstance)  LXV  » XLVII, g III » » § iV Vlll cviii  DÉSIR auE Dieu a de notre salut is9S->597 Notes tirées de lEcriture Vil xlvi, ^ .1  1595-1597 Sur la nature de l'adoration 1602 De l'obligation de servir Dieu. — Ses Devoirs 1 bienfaits nous en font un double devoir. ENVERS Dieu J i.^^g.jôoi Notes tirées de l'Ecriture, sur la cor- respondance à la grâce  X V  X1.V1I, à  478 Table des Sermons 1 598-1601 Notes sur l'amour de Dieu et l'amour du prochain VII xlvii, § v ^ , , » Notes sur la mortification produite Charité ( ,, par 1 amour » » §11 1602 Le véritable amour est un vêtement nup- \ tial ; il exclut tout partage » lviii, g 11 Humilité et Chasteté 1602 Notes » lxiv  Recueil DE NOTES  Histoire DU Patriarche Jacob  Sur le i" verset du Cantique DES CANTiaUES  CLVII  CXl  CXII  CXIII  (s.d.) Pourquoi saint Paul est appelé x;^s5J'^/^^//bn. — Sur le dernier verset du Psaume 11. — Opposition entre l'hérésie et la parole divine. — Excellences de Marie. — De la parole de Dieu. — 11 n'existe aucune preuve de la damnation d'Esaù VIII 16 16 Commentaire des versets 23-27 du cha- pitre XXVII de la Genèse » » Sens littéral, allégorique, tropologique et anagogique des versets 9, 10, 12 du chapitre xxix » » Fragment sur le verset 30 du même cha- pitre » / (s.d.) Les paroles de ce texte peuvent être attri- buées à l'Epoux ou à l'Epouse. — Diverses interprétations. — Longani- mité et amour de Notre-Seigneur pour les âmes. — Des consolations divines ; comment en user. — Marques d'une bonne oraison. — Souhaiter l'avance- ment des âmes dans la perfection et s'en réjouir. — Deux autres interprétations du même texte. — Espérance et amour. — Devenir comme de petits enfants pour s'approcher du Sauveur. — Para- phrase du Psaume cxxx IX xlii  SELON I.'ORDRF. LITURGIQUE  479  DISCOURS DE CIRCONSTANCE  ')7  dédicack d'une Eglise  Consécra- tion d'un autel  Prières publiq.ues  Le Sei^^ncur se plait à clioisir certains lieux pour manifester particulièrement sa gloire et départir ses grcàces : raison de la consécration de nos enlises. — Objec- tions réfutées. — Révérence due aux éi^liscs. — Commentaire de rHvan<^ile de la Dédicace  ( ibis  Vil  Sur la pénitence. — (Conséquences désas- treuses du péché. — Pourquoi le Christ fréquentait les pécheurs. — Notes sur les cérémonies de la consécration VIII  1594 Exhortation au service de Dieu. — Droits que Dieu s'est acquis sur nous par la création, la rédemption et le Baptême. — Révérence qui lui est due; notre dépen- dance de lui. — Servir Dieu sur la terre comme on le fait dans le Ciel. — Amour de bienveillance et de complai- sance 161 5 Notes tirées de l'Ecriture 1616 Paraphrase du Psaume cxxiv, versets y^ .  1593 Harangue pour la Prévôté 1602 Oraison funèbre du duc de Mercœur. .  XLII  CVIII  VII XXII Vlll CVII %\ ex VII VII v% lix  8S0  Annecy, imprimé par J. Niérat, 1898.— 2521  BX 1750 .F7 1892 v.lO SMC Francis, Oeuvres de saint François de Sales, eveque de Genève et d Edition complète d'après les autographes et les éditions oriainales enrirhip dp nnmhr