s _tn 5jj" fe:3- rui >f>^mmr- fc*rn z^pp B-O 0" ■ ■ -0 ï-  ŒUVRES  DF  >A1NT FRANÇOIS DE SALES  KVÊQrF FT PRINCF I>F r,f Vi-v f:  ET  DOCTEUR DE L EGLISE  ÉDITION COMITE IL d'ahus l£s autographu it us ioiTio«$ OtlCIlUUS DEDIEE A N. S. P. LE PAPE LEON Xill ET HONORÉE D'UN BREF DE SA SAINTETÉ I>UUIJ^.B SUR l'invitation DE M« ISOARD. È\'pQVK I) ANNECY, l»Ak LES SOINî» DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION ni7 !«• MONASTKRK 0*ANNKCY SERMONS VOLUME III  ANNIC Y IMPRIMERIE !ÈR/kT MUB M LA Kl Ml»L(.(:iCV|l  Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa  http://www.archive.org/details/oeuvresdesaintfr09fran  ŒUVRES  DE  SAINT FRANÇOIS DE SALES  ÉVÊQUE ET PRINCE DE GENEVE  tr  DOCTEUR DE L'ÉGLISE  TOMK xi:uvif:ME  SERMONS  II r VoLL'MK  Propriété  Genève — H. TREMBLEY, Libraire, rue Corraterie, 4 Dépositaire principal Akhecy — ABRY, Libraire, rue de l'Évêché, 3 Paris — Victor LECOFFRE, rue Bonaparte, 90 Lyon — Emmanuel VITTE, Place Bellecour, 3 Bruxelles — SOCIÉTÉ BELGE DE LIBRAIRIE, rue Treurenberg, 16 Marseille — LIBRAIRIE SALÉSIENNE, rue des Princes, 78  kVi   ijil!  1   s:  \ ^^  ^ }p   3   ^1 ^^4x  2 ^  I    c  TV   V»   J  ^   I   ŒUVPV.ES  DE  SAINT FRANÇOIS DE SALES ÉVÉat'E ET I^RINCH DE GENÈVE ET DOCTEUR DE l'ÉGLISE  ÉDITION COMPLÈTE d'après les autographes et us éditions originales ENRICHIR DB NOMBREUSES PIÈCES INEDITES DÉDIÉE A N. S. P. LE PAPE LÉON XIII et honorée d'un bref de sa sainteté PUBLléB SUR l'invitation DE M<» ISOAKD, ÉVÊQUE D*ANNECY, PAR LES SOINS DES RELIGIEUSES DE LA VISITATION DU I" monasté:re d'annecy  TOMK IX SERMONS -^- VOLUME  /'  ANNFCY IMPRIMERIE J. NIÉRAT RUE DE LA RÉPUBUQyB MDCCCXCVII Droits dr tradtutnyn ft df reprodmctkm riurvis  AVANT-PROPOS  I-es Sermons de s;iint François de Sales, ain«îi que nous l'avons dit ailleurs (O, se divisent en deux séries : les autographes et les recueillis. Cette division est basée non seulement sur le mode de transmission par lequel ces pièces nous sont parvenues, mais encore sur le caractère spécial, sur la nature même de ces Sermons. Les uns nous sont conservés tels qu'ils sont sortis de la plume de l'Orateur; les autres, tels qu'ils sont tombés de ses lèvres, ou du moins tels qu'ils ont été entendus et compris par l'auditoire. Chacune de ces deux séries a son genre de mérite, sa forme propre, sa physionomie déterminée. Dans la première on retrouve vive et lumi- neuse la pensée de l'Auteur, on voit se dessiner la logique de ses déductions, la force de ses arguments. Dans la .seconde on remarque surtout les charmes de sa parole gracieuse et imagée. De part et tl'aulre se révèlent son intelligence et son cœur. Ce que nous venons de dire concerne seulement la forme ; une différence essentielle tlistingue l'une de l'autre les deux classes de Sermons. I-es autographes, qui pour la m.ijeure partie ont été développés devant un public nombreux, se l)ornent à inse principalement à ses Religieuses. C'est surtout lorsque, dans des céré- monies de Véture et de Profession, le saint Fondateur adopte quelque âme choisie pour la présenter au Christ comme une vierge chaste^ c'est alors, disons-nous, qu'il trouve dans son cœur des accents plus tendres, plus émus. Son style devient plus simple et plus imagé, tout en conser\ant une teinte grave, parfois austère. Ht, chose remarquable , ces allocutions où l'on pourrait redouter une certaine monotonie, revêtent des formes très variées. Il semble que toutes choses viennent offrir à l'aimable Orateur l'occasion de faire des métaphores ravissantes, de tirer des applications pratiques aussi ingénieuses qu'elles sont inattendues. Ordinairement, il emprunte quelques inspirations â l'Hvangile du jour ou à la vie du Saint dont on célèbre la fête ; fréquemment aussi les usages monastiques, maintes circonstances insi- gnifiantes en soi lui fournissent matière â des allusions où une grâce et une dignité parfaites n'excluent pas une délicate ironie, dont la pointe est tout émousséc par la douceur et la charité. Dans ces instructions familières l'Evéque de (ienève justifie éminemment le titre kY fiVilugelium loquens que lui donne son ami saint Vincent de Paul <■). Saos ( I ) Profit, rtmitt* /'«riiiVafù, td tri. #7.  VIII Sermons recueillis cesse il prêche le renoncement à soi-même, l'humilité, l'obéissance, l'abnégation de toutes les convoitises, en un mot, la mort au vieil homme, condition indispensable de l'incorporation des âmes à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le saint Instituteur ne perd pas de vue que la Visitation est « fondée spirituellement sur le Calvaire (O; » aussi s'attache-t-il de préférence à fixer les regards de ses Filles sur cette montagne rédemptrice ; et si, de fois à autre, il leur permet de contempler les cimes radieuses du Thabor, c'est pour leur rappeler que l'heure n'est pas venue d'y dresser une tente, aussi longtemps que, rete- nus dans les liens de la chair, nous voyageons loin du Seigneur. On pourrait s'étonner de ce que s'adressant à des âmes contemplatives, le Saint leur parle si peu de l'oraison : à ce sujet fondamental, quatre sermons seulement sont exclusivement consacrés. Mais il ne faut pas oublier qu'il en a été souvent question dans les Entretiens spiri- tuels, et que, de plus, le Traitté de l'Amour de Dieu donne pour ce sanctifiant exercice une direction aussi complète qu'elle est élevée. Les Sermons qui composeront ce volume et le suivant nous ont été conservés presque en totalité par les deux Religieuses auxquelles déjà nous sommes redevables des Entretiens : les Sœurs Claude-Agnès Joly de La Roche et Marie - Marguerite Michel. Douées l'une et Tautre d'une mémoire exceptionnellement heureuse, elles reproduisirent avec une fidélité remarquable les ensei- gnements de leur bienheureux Père. Néanmoins, chacune a laissé dans sa rédaction une empreinte personnelle assez marquée pour qu'il soit facile de distinguer ce qui doit être attribué à l'une ou à Tautre. La diction de la Sœur Claude-Agnès est coulante et rapide ; cette âme d'élite se meut à l'aise dans les sujets les plus sublimes, et rend avec clarté les définitions théologiques et des argumentations parfois un peu ardues. Elle sait à propos  (i) Constitutions pour les Sœurs Religieuses de la Visitation : Constitu- tion XXXIII*, De la Directrice.  Avant-Propos ix laisser de côté des détails d'un intérêt secondaire pour mettre en relief les jurandes lijijnes de la prédication. La rédaction de la Sœur Marie- Marj^»^uerite présente un caractère tout différent. Les applications prati<|ues, les anecdotes familières sont reproduites avec plus de fidélité ; mais par contre sa plume s'embarrasse faci- lement dans les considérations quelque peu abstraites. Ses phrases lourdes et traînantes man<|uc*nt de clarté et de précision, et ne sont pas toujours d'une correction irréprochable. I-a constatation de cette différence de style a été d'un grand secours aux éditeurs pour déterminer la date probable d'un certain nombre de sermons. D'après le j^rnre de rédaction ils se divisent ainsi en deux jjrnupes bien caractérisés : ceux qu'a recueillis la Sœur Claude- Aj^nès de La Roche dès les premières années de l'Institut jus(}u'à son départ pour Orléans (décembre i6i ^-juillet 1620), et ceux que nous a conservé.s la Sœur .Marie- Mar)^uerite Michel (août 1620-avril 1622). Il est à remar- quer que rien ne nous est parvenu des instructions que le saint Fondateur dut probablement adresser à ses Filles d'Annecy pendant l'été et l'automne de cette année, la dernière qu'il passa sur la terre. Ft ce n'est pas la .seule lacune (jue nous devions constater. Quelque riche que .soit notre collection, il est certain qu'une jurande partie des sermons de saint Franvois de Sales n'ont pas été recueillis, ainsi que le prouvent les documents contemporains. Si la bonne volonté ne manquait jamais, .souvent le loi.sir faisait défaut, et les Religieuses devaient .se contenter de conserver dans leur cœur les enseigne- ments reçus. (Jutre les Sermons prêches à Annecy , nous en possédons quelqu<»s-uns de ceux qui furent prononcés par le saint Fondateur dans différents Monastères de la Visitation : un à Hourgcs. cin<| à Lyon ^*), un à Bellev. (1) AMar«in«ot 1m ctaq Mrmoa» adreMé« ans S» est rendue par lui de la manière sui- vante : «« Nous solemnisasmos hier la feste de la Puri- fication de Nostre Dame, et aujounl'huy nous . .•l.'l.r..n«i celle du glorieux Martyr .sainct Hlaise. »» L'éditeur de 1643 ajouta dix sermons aux trente-trois précédemment publiés. Dans son Kpitre déilicatoire Aux Relifrieuscs de la Visitation, il leur rappelle que la seconde série des Sermons de .saint François de Sales  XII Sermons recueillis « n'estant pas sortie immédiatement de ses mains, ains seulement recueillie conformément à ses Entretiens après qu'il les avoit prononcez, il estoit très-difficile qu'il ne fut eschappé beaucoup de belles et bonnes choses qui leur donneroient sans doute plus de perfection qu'ils n'en auront jamais. » On pourrait croire, tant ses procédés sont hardis, que l'éditeur se crut en droit de combler ces lacunes, de polir le style, en un mot de travestir à l'aise ces instructions si touchantes dans leur naïve simplicité (0. Il dépasse de beaucoup sous ce rapport son devancier immédiat et enchérit sur sa témérité. Faut-il s'étonner après cela que le public ait accueilli ces deux premières éditions avec une grande défiance ? M^"" de Maupas, Evêque du Puy, se faisait l'interprète des protestations de ses contemporains quand il écrivait en 1657 (2) : « Les Sermons imprimez sous le nom du B. H. François de Sales ne sont point des productions de sa plume ny les ouvrages de son esprit ; diverses person- nes se sont meslées de ramasser quelques fragmens des discours que ce grand Evesque prononçoit en public, et les ayans accommodé selon leur sens, on n'y découvre  ( I ) Nombreux sont les exemples que nous pourrions citer ; nous nous bornons aux deux suivants : On lit dans les Manuscrits (voir ci-après, p. 447) : « C'est pour cela qu'en « ces maysons Ton enseigne le catéchisme aux novices, à ce qu'elles sçachent « ce qu'elles doivent croire et comme elles doivent entendre ce qu'elles '< méditent. » Cette phrase est ainsi dénaturée dans l'édition de 1643 ' " C'est pourquoy il est très-important de bien expliquer ces divins mystères aux âmes dévotes, afin qu'elles sçachent et entendent bien ce qu'elles doivent croire et méditer. >» A la page suivante de notre texte on lit : a Voyla une fille à qui Ton '< donne l'habit : la Supérieure, la Directrice ou Maistresse l'habillent, luy « mettent sa robe, mais elle ne laisse pas pour cela de s'ayder. Trois personnes " interviennent donc en cette action : cette fille, la Supérieure et la Directrice ; " néanmoins il n'y en a qu'une qui soit habillée, à sçavoir celle qui prend u rhabit. » L'éditeur en question modifie ce passage ainsi qu'il suit : a Voila une personne qu'on habille, et il y en a deux autres qui luy vestent sa robbe; mais elle ne laisse pas pour cela de s'ayder. Voila donc trois personnes qui interviennent à l'habiller, et neantmoins il n'y en a qu'une seule qui soit habillée. » ( 2 y Préface de Li Vie du Vencr.ihle ServUeur de Dieu François de Sales, Evesque et Prince de Genève. Paris, Sebastien Huré et Frédéric Léonard, M.UC.I.VII.  Avant-Propos xiii plus les lumières de son bel esprit, ny le fonds de son eminente doctrine, ny les agréables figures de son élo- quence, ny les puissans attraits de sa dévotion... si bien que Ton peut dire que le style de ses copistes n'a point suivy leur zèle, et que souvent ils n'ont produit que des foibles échantillons de ses plus fortes pièces. »» Il n'est pas besoin de faire remarquer combien cette critiijue est exagérée; car quelque hardis qu'aient été les premiers éditeurs, on ne peut sans injustice leur reprocher d'avoir de parti pris«< accommodé à leur sens »> les enseignements du saint Evéque, de manière à altérer « le fonds de son eminente doctrine. »» Ils ont prétendu ajouter aux grâces de la forme, mais le plus ordinairement la pensée du Prédicateur a été respectée. Kn 1844 l'abbé Boulangé, aumônier de la Visitation du Mans, inséra dans son second volume des Etudes sur saint François de Sales sept sermons qu'il crut inédits et qu'il donna comme tels, bien que celui pour la fête de sainte Anne eût déjà piru dans toutes les éditions antérieures sous un titre différent (voir plus loin, notcdK p. 170). Vives, dans son édition complète des CEuvres de saint François de Sales, reproduit les Sermons d'après le texte de 1641. Il ne laisse pas de commettre de nombreuses maladresses, et même dans son Avertissement prèli- minaire, cet éditeur a la naïveté de se glorifier de celle que nous signalons à la fin de la note ci-après, p. 46. Migne s'attache de préférence à la leçon de 164^ : il insère dans son tome IV les sermons donnés par l'abbé Boulangé. Plus tard, ayant reçu communication des Manuscrits du Mans, il en tira quelques autres qu'il fit paraître dans son tome VI. Nous passons sous silence les négligences et les erreurs qu'on pourrait lui reprocher. Tout ce que nous avons dit de sa hardiesse de procédés dans la reproduction des Sermons autographes s'applique non moins exactement aux recueillis.  XIV Sermons recueillis  III  Notre Edition contient, répartis dans ce volume et le suivant, soixante-et-dix Sermons, dont quinze sont inédits. Elle se distingue des précédentes par l'adoption de l'ordre chronologique dans le classement des matières et par l'exactitude du texte. Pour fixer ce texte, les éditeurs, selon leur coutume, sont remontés aux sources ; et, s'ils n'osent se persuader que les originaux sont sous leurs yeux, du moins ont-ils entre les mains quatre Manuscrits fort anciens, dont la conformité de rédaction et la différence d'écriture et d'orthographe sont une preuve irrécusable de l'authen- ticité des documents qu'ils contiennent. Il pourrait être superflu de prouver ici cette authen- ticité, tellement elle est évidente pour tous ceux qui ont quelque habitude de la doctrine et du style de saint François de Sales. On retrouve souvent dans ces Sermons, et formulées presque dans les mêmes termes, des pensées que le Saint a énoncées ou développées dans ses autres ouvrages, surtout dans le Traitté de V Amour de Dieu et Les Vrays Entretiens spirituels ; certaines figures, des citations qui lui sont familières reparaissent ici avec la même grâce, la même fraîcheur qu'elles avaient en tombant de sa plume. Ce sont assurément ces Manuscrits qui furent com- muniqués par sainte Jeanne-Françoise de Chantai à l'éditeur de 1641 ; une confrontation attentive des deux leçons ne permet pas d'en douter, tout en amenant à constater les retouches indiquées plus haut. Nous avons déjà dit (0 que trois instructions ont été, par ordre de la Sainte, extraites du recueil des Sermons et insérées in extenso parmi les Entretiens ; or il existe une identité (i) Préface des Vrays Eniretiem spiritneh, p. xxm.  Avant-Propos xv absolue entre le texte imprimé de ces trois pièces et la leçon des Manuscrits. Certains passades des allocutions du saint Kvêque, qui sont tous signalés en note dans notre Edition, ont été intercalés dans les Entretiens et plus tard publiés de nouveau en leur lieu dans les Sermons recueillis. Remarquons en passant que la leçon reproduite dans les Entretiens représente plus exactement le texte de nos Manuscrits que celle de l'édition de 1641. Enfin ces Manuscrits contiennent textuellement les citations que le Père Dagonel, dans ses Ailvis ChrcstienSy publiés en 1629 <»), donne comme extraites des Sermons de saint François de Sales. Après avoir établi l'authenticité des Manuscrits, il nous reste à en donner une rapide description. Nous les désignerons sous le nom de Manuscrits d'Annecy, de Digne et du Mans (Mss. A, B). I. I^ premier, qui est le plus complet, paraît être le plus ancien de tous ; il porte ce titre : Recuil (sic) îUi PredUattom /aitUs par N. B. P. et Sainct Fon- datntr en ce Monaitere de la yiiitation Saitute Marie Danesy , ' \ C'est un grand in-4'' de 466 pages foliotées au recto seulement ; on y distingue deux écritures également anciennes; l'orthographe est très irrégulière et telle qu'on la rencontre communément chez les premières Reli- gieuses de la Visitation. Ce recueil comprend soixante- trois sermons, distribués, k peu d'exceptions près, selon l'ordre de l'année liturgique. I, I ) Aévii Ckretlitmt importamt tt tommuni à tout, // tout tompité de% Livret^ Efitiret, Sermomt et Mëmmifrilt et fem U RfTtremdittime Fram^it ât S*lti, Fvn^mf et PriHtr de i$met4, h \tt é« Ai ^n é* S' Murt* ; par uo Père do U Con»; -„•. - , ... . j i», chez - n CramoUy, rue S. Jacquet, aus Cicognet. m.dc.xxix. Avec Privitrge du Roy. ( a ) Cette a donne lieu i deui ■ !e 5«f «/ et de L -//MX décernées à l'AuU-. ...a» ditont de l'antiquité de cet Maontcritt; car on tait que le» R< ■ de la t accoutumé d'at* <-% titres ; t : , . . ^ -ic l'eût placé tur 1 :-i». ». — L~ . , .. ...;:....,,, c« Indiquant le contenu du recueil ; car 11 m compote non teulement det prA> ecy, malt encore de cinq autrea terniont prononçât dant  XVI Sermons recueillis 2. Le Manuscrit de Digne, conservé à la bibliothèque publique de cette ville sous le n° 15, nous a été obligeam- ment communiqué par le Ministère de l'Instruction publique. C'est un bel in-4'' de 470 pages foliotées ; plus, deux pages occupées par les Tables des matières. On y remarque, comme dans le Manuscrit précédent, deux écritures différentes, mais qui sont également régulières et soignées. Ce volume contient trente-quatre sermons disposés d'après l'ordre liturgique ; il est intitulé : Prédications de Bienheureux le Reuvernd Dissime (sic) Evesque et Prince de Genève, Nostre bien heureux Père et Instituteur. 3. Les deux in-4° conservés à la Visitation du Mans paraissent moins anciens que ceux dont nous venons de parler. Ils sont écrits tout entiers par une main d'homme, ferme et exercée. Si l'orthographe est meil- leure que dans les précédents, la fidélité du texte est peut-être moins absolue. Les pages sont foliotées seule- ment au recto et les matières sont transcrites sans aucun ordre. Le premier de ces recueils (Ms. A) se compose de 351 pages et compte vingt-et-un sermons. Il porte ce titre : Prédications de nostre bien heureux Père F. de Salles, Evesque de Genève et Fondateur des Filles de la yisitation S'^ Marie. Le second (Ms. B) renferme vingt sermons qui occu- pent 424 pages. Il est intitulé : Prédications de nostre B. H. Père et Instituteur. Dans le premier de ces recueils on trouve les deux sermons imprimés parmi les Entretiens sous les titres suivants : Des trois Loix spirituelles et Des Vertus de saint Joseph. Celui De la Fermeté est extrait du Ms. (B). Des Tables de correspondance, qui seront placées à la fin de ce volume et du suivant, aideront le lecteur à se rendre compte des matières renfermées dans les Manu- scrits que nous venons de décrire, et dans les quatre éditions mentionnées ci-dessus.  Avant-Propos xvii La remarque faite sur le style des Vrays Entretiens spirituels ( » ) s'applique exactement à celui des Sermons. Ce style présente parfois des incorrections, des obscurités et telles autres imperfections dont assurément saint François de Sales n'est pas responsable. Toutes les fois que ces négligences dénaturaient le sens du texte ou le rendaient difficile à saisir, les éditeurs se sont cru le droit et le devoir de dégager la pensée du saint Docteur des nuages qui l'entouraient; mais en cela ils ont procédé avec une grande réserve, et se sont bornés aux modifi- cations indispensables. La transposition de quelques mots, le changement de temps d'un verbe, la suppression de certains pronoms relatifs et de répétitions absolument inutiles ont suffi le plus souvent à prmluire les amélio- rations nécessaires. L'orthographe est semblable à celle qui a été adoptée pour les Entretiens ; c'est-à-dire qu'elle se rapproche de celle que saint François de Sales employait dans la dernière période de sa vie. L'intitulation des sermons n'offrant aucune uniformité dans les Manuscrits, les éditeurs l'ont régularisée. 11 est rare au.ssi que ces recueils nous aient conservé les textes .sacrés que, selon sa coutume, le saint Kvéquc a prol)a- blement cités en commençant ses prédications. (Juand ces textes sont donnés par l'édition de 164 1. nous les reproduisons dans la nôtre. Les Sermons recueillis sont, comme les autographes, publiés d'après l'ordre chronologique. La différence très marquée ijue l'on peut constater dans la rédaction des deux Religieuses qui ont successivement tenu la plume fournit, comme nous avons dit, des jalons sûrs pour le classement général. L'histoire de saint François de Sales, sa correspondance, celle de .sainte Jeanne-I-rançoise de Chantai, les Annales de la Visitation ont ajouté à ce premier renseignement des données beaucoup plus pré- cises. On a dû parfois s'abstenir de les indiquer en détail afin de ne pas nuire à la brièveté des notes qui justifient la , t ) PriliK«, p. Lv.  XVIII Sermons recueillis date de chaque sermon. Ceux de Vêture et de Profession renferment pour la plupart des allusions personnelles ou quelque mention de la fête du jour. D'autre part, les Monastères de la Visitation possèdent deux registres, intitulés l'un : Le Livre du Noviciat, l'autre. Le Livre du Couvent, où chaque Religieuse doit consigner l'acte de sa Vêture et de sa Profession au jour même où s'accom- plissent ces cérémonies. Or, le saint Evêque ne manquait pas de les présider lorsqu'il se trouvait à Annecy ; et les allusions contenues dans ces sermons de circonstance, ajoutées aux renseignements fournis par les deux livres mentionnés ci-dessus , nous donnent la date de ces allocutions. L'indication des dates , qui augmente l'intérêt des Sermons pour toutes les classes de lecteurs, a plus spé- cialement cet avantage pour les Filles de la Visitation. C'est à leur considération que l'on a renvoyé à V Année Sainte toutes les fois que se trouve relatée dans cet ouvrage la vie des Religieuses qui ont été l'objet des cérémonies de Vêture et de Profession prêchées par saint François de Sales. En résumé, les Sermons recueillis sont la continuation, le développement des Entretiens spirituels ; une même sève y circule, un même esprit les inspire. Comme toujours, le saint Evêque remonte ici des conséquences au principe. S'il recommande instamment la pratique des vertus, il insiste plus encore sur la cause génératrice qui les produit. Sa grande prétention est d'obtenir que l'àme soit vraiment fondée et enracinée dans la charité, afin que de là elle puisse, comme sans effort, s'élever à tous les dévouements et à tous les sacrifices. Mais cette charité, le Docteur nous la montre dans son radieux foyer , le Cœur adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Toujours il semble préoccupé de tourner les regards et de faire converger les affections de ses auditeurs vers ce centre unique de toute sainteté. Nous l'avons insinué ailleurs, mais on ne peut se lasser de le redire, c'est la gloire du saint Fondateur d'avoir été l'un  Avant-Propos xix des prophètes du culte du Sacré-Cœur. Il a préparé les voies à cette dévotion salutaire, qui devait être la joie et Tespérance de TKj^lise en ces derniers temps. Comme .s'il eût pressenti la jjlorieuse mission destinée à son Institut, il le disposa de loin à .s'en rendre digne. On se plaît à constater combien souvent dans les Sermons, notre aima- ble Saint revient sur cet intarissable sujet, et en termes aussi explicites qu'ils sont touchants. Ainsi nous l'enten- drons assurer que le Sauveur » désire de nous donner •» une abondance « de grâces et bénédictions, et son Cœur M mesme ; •» que son divin « costé fut ouvert à fin qu'on « vist les pensées de son Cœur qui estoyent des pensées M de dilection » (p. 80) ; que « si nous touchons son Cœur « nous le trouverons tout enflammé et embrasé d'un M amour incomparable envers nous »> (p. 230). Bien des passages semblables pourraient être cités ; mieux vaut laisser au lecteur le plaisir de les remarquer lui-même. Assurément il en viendra à tirer pour son propre compte la conclusion pratique qui seroit le plus beau fruit de la dévotion au Sacré-Cœur : c'est-à-dire, qu'il ne faut plus «c avoir d'autre cœur que celuy de Dieu, « point d'autre esprit que le sien, point d'autre volonté « que la sienne, point d'autres affections que les siennes, « ni d'autres désirs que les siens, en somme » que nous devons « estre tout à luy. »» DuM li. .\1.\( KKY. O. S. 1;.  SECONDE SÉRIE  SERMONS RECUEILLIS PAR LES RELIGIEUSES DE LA VISITATION  SKKMoN Vi>VK LA VLILLL liL NuLL 2 \ décembre 1613 1 1 1  ■ HoJie tciftit qoia Domimmt veoict, // mjHt vidthttti gtcriam ejut. • ■ Voui t(aurt\ aajourd'huy fB# U Seigneur TÏendrj, et am matim rom verre f t* gloire. * VlDI ExoD., XYI, 6, 7. I-a très sainte Fglisc a accoustumé de nous préparer dès la veille des g^randes solemnités, à fin que nous venions k esire plus capables de reconnoislre les grans bénéfices que nous avons receus de Dieu en icelles. Kn la primitive Kglise, les Chrestiens fidelles qui vouloyent rendre en quelque façon satisfaction à Nostre Seigneur ft Hirn <\U9 ooo* âm an n« M>ol pm ioiliqa^ct dans le : .^a«, par coo'.. . ui l'AotOfra* phe des idée* qal o'oat pas été aspoU«« par l'OraUar oa qal oot échapp4 à l'a" I« ton a >ur« corratpood evidcnn ■Xmq ietiX , '. Prao^oii . , ,. .c $4 4ic«aibra 161 1. (Voir jtiU fïêeé 99 téta da ca Tolom* at la a* XCV da ton* préc^deol.) Saa*. III I  2 Sermons recueillis du sang qu'il avoit fraischement respandu en mourant sur la croix, avoyent un très grand soin de bien employer le temps des festes et de les solemniser le mieux qu'il se pouvoit ; et pour ce sujet il n'y avoit presque point de feste qui n'eust sa vigile, en laquelle ils commençoyent à se préparer pour la solemnité. Et non seulement cela s'est fait en l'Eglise, ains encores en l'ancienne Loy, le jour du Sabbat estant tousjours précédé de plusieurs préparations que l'on faisoit le jour devant. La très sainte Eglise nous voulant donques faire pré- parer en la vigile du saint jour de Noël, et, comme une mère très aymable, ne nous voulant laisser surprendre • In Invitât. Mata- d'un si grand mystère, nous dit ces paroles* : « Vous tin. et in Introitu • -m -xt ^ r- • • i Missse. sçaure^ aujourd nuy que Nostre Seigneur viendra » demain ; qui est autant à dire : Il naistra demain, et vous • Lucae, ii, 12. le verrez tout petit enfant couché dans une crèche *. Ces paroles sont tirées de celles que Moyse addressa aux enfans d'Israël lors qu'il sceut le jour que Dieu avoit destiné pour leur donner la manne dans le désert. Les ayant fait assembler il leur parla donques ainsy : Vous sçaure^ au soir que le Seigneur vous a retirés de la terre d'Egypte, et au matin vous verre^ la • Exod., XVI, 6, 7. gloire du Seigneur'^ ; qui est autant que s'il eust dit : Il viendra demain au matin. Il parle ainsy comme si le Seigneur devoit venir en sa propre gloire, bien que nous sçachions tous que Dieu ne va et ne vient pas comme s'il avoit un corps, car il est immuable, ferme et solide, sans mouvement aucun ; néanmoins Moyse use de ces termes pour monstrer que le bénéfice de la manne estoit si grand qu'il sembloit que Dieu deust venir luy mesme pour la porter et distribuer aux enfans d'Israël. C'est pourquoy il prit soin de faire que les Israélites se préparassent par la considération d'un si grand bénéfice, pour se rendre plus dignes de le recevoir. De mesme TEglise nous disant : « Vous sçaure^ aujour- d'huy que le Seigneur viendra « demain, ne prétend autre chose sinon de faire que nous enfoncions nos en- tendemens en la considération de la grandeur du mystère de la très sainte Nativité de Nostre Seigneur.  I. Pour la veille de Noël | Ce que pour mieux faire, oous humilierons première- ment nos entcndemcns , reconnoissans qu'ils ne sont nullement capables de jx^uvoir pénétrer dans le fond de la grandeur de ce mystère, qui est un mystère vrayement chrestien. Je dis chrestien, d'autant que nuls que les Chrestiens n'ont jamais sceu comprendre comme il se pouvoit faire que Dieu fust homme et que l'homme fust Dieu. Tous les hommes ont tousjours eu une certaine inclination à croire que cela se peust et qu'il se feroit ; mais pourtant, nuls que les Chrestiens ne sont parvenus à connoistre comme il se pourroit faire. Je sçay bien qu'en l'ancienne Loy il y avoit les Prophètes et certains personnages grans et relevés qui le sçavoyent, mais quant au commun des hommes, nul ne le pouvoit com- prendre. Entre les payens, cet instinct qu'ils avoyent que Dieu fust homme et que l'homme fust Dieu leur a fait faire des choses estranges, jusques là qu'ils croyoient, au moins quelques-uns, de se pouvoir faire dieux et se faire adorer comme tels du reste des hommes. Car ils pensoyent que si bien il y avoit un Dieu suprême qui est le premier principe de toutes choses, il pouvoit néanmoins y avoir plusieurs dieux, ou du moins des hommes qui, participant en quelque façon aux qualités divines, se pouvoyent appeller dieux. Alexandre le Grand estant à l'article de la mort, ses courtisans, fols, insensés et flatteurs, luy vindrent dire : « Sire, cjuand te plaist-il que nous te fassions dieu? » I-ors Alexandre monstra bien, en la response qu'il leur fit, qu'il n'estoit pas si fol comme eux : w Vous me ferez dieu quand vous .serez bienheureux, •> leur respondit-il •. Comme s'il • QuIbl Cnrt., D« cust voulu dire : Il n'appartient pas à des hommes l'x a. malheureux, périssables et mortels de faire des dieux, qui ne peuvent estre que l)ienheureux et immortels. Les Chrestiens ont esté plus esclairés, et ont eu l'hon- neur de sçavoir que l'homme a esté fait Dieu et que Dieu s'est fait homme, bien <|u'ils ne .soycnt i>as ' • ^ les de comprendre la grandeur du mystère île Tlfi ....on et de la très sainte Nativité de Nosire S. ^ r. car c'est un mystère caché daDs robscurité des tctubres do  4 Sermons recueillis la nuit ; non pas que le mystère soit ténébreux en soy • joan., I, s 9; mesme, car Dieu n'est que lumière *. Mais comme l'on ^* ' '^' '' ^' voit que nos 3^eux ne sont pas capables de regarder la lumière ou la clarté du soleil sans s'obscurcir (de sorte qu'après s'estre voulu appliquer à regarder cette lumière nous sommes contrains de les fermer, n'estant pas capa- bles de rien voir pour quelque temps), de mesme, ce qui nous empesche de comprendre le mystère de la très sainte Nativité de Nostre Seigneur n'est pas qu'il soit ténébreux en soy mesme, ains parce qu'il n'est que lumière et clarté. Et nostre entendement, qui est l'œil de nostre ame, ne le peut regarder longuement sans s'ob- scurcir, et confesser en s'humiliant qu'il ne peut pénétrer dans le fond de ce mystère, pour comprendre comme Dieu s'est incarné dans le ventre virginal de la très sainte Vierge, et s'est fait homme semblable à nous pour nous rendre semblables à Dieu. Dieu faisoit pleuvoir de nuit la manne dans le désert •Num., XI, 9. pour les enfans d'Israël* ; et à fin que les Israélites eussent plus de sujet de luy en sçavoir gré, il voulut dresser luy mesme le festin et la table, car vous avez entendu que Moyse dit : Vous sçaure\ que le Seigneur vous a retirés de V Egypte, et au matin vous verre:^ sa gloire. Il faisoit donques descendre premièrement du ciel une douce rosée qui servoit de nappe dans le désert, puis soudain la manne tomboit comme petits grains de coriandre. Et puis, pour monstrer qu'il les servoit hon- norablement comme on sert maintenant les princes, à plats couverts, il faisoit pleuvoir une petite rosée qui conservoit la manne jusqu'au matin que les Israélites la venoyent promptement cueillir avant que le soleil •Exod.,xvi, 13,14, fust levé *. Dieu voulant de mesme faire un bénéfice ai,3r;Num.,xi 7,9; . , , . , , , , , Sap., XVI, 27, 28. signale et incomparablement aymable aux nommes qui vivent sur la terre comme en un désert, où ils ne font que souspirer et aspirer pour la jouissance de la terre promise qui est nostre patrie céleste, vient luy mesme en • Sap., XVIII, 14,15. personne nous l'apporter, et ce au plus fort delà nuit*. Ce bénéfice n'est autre que la grâce qui nous sert pour acquérir la jouissance de la gloire et félicité, de laquelle  1. Pour la veilui db Noël 5 nous estions privés pour jamais sans ce don cju'il nous a fait de sa g^race. C'est donques en Tobscurité de la nuit que Nostre Seigneur naquit et se fit voir a nous comme un petit enfant couché dans une crèche, ainsy que nous le verrons demain. Mais considérons un peu, je vous prie, comme cela se fit. I^ très sainte Vierge produisit son Fils virginale- mçilt, ainsy que les cstoilles produisent leur lumière. Or, Nostre Dame porte en son nom la signification d' estoille d e mer ou de l'estoille matiniere. L'estoille de mer c'est l'estoille du pôle vers laquelle tend tousjours l'aiguille marine ; c'est par elle que les nochers sont conduits sur mer et qu'ils peuvent connoistre où tendent leurs navigations. Chacun sçait que les anciens Pères de l'Kglise, les Patriarches et les Prophètes ont tous regardé ceste estoille polaire et dressé leur navigation à sa faveur. C'a tousjours esté !«• nord de tous les nochers qui ont navigé sur les ond<- i mer de ce misérable monde, pour s'empescher des naufrages ordinaires des navigations des mondains. I-a très sacrée Vierge est aussi cette estoille matiniere* •Cf.Nom.,K«ir,i7. qui nous apporte les gracieuses nouvelles de la venue du vray Soleil •. Tous les Prophètes ont sceu que la Vierge ' Uo». i. 7S. concevroit et enfanteroit un enfant^ qui seroit Dieu et * It., vn, 14. homme tout ensemble ; elle concevroit, mais par la vertu du Saint Hsprit*; elle concevroit son Pils virginalement • Loc», t, 15. et l'enfanteroit de mesme virginalement. Quelle appa- rence, je vous prie, y a-t-il que Nostre Seigneur deust violer l'intégrité de sa Mère, luy qui ne l'avoit choisie sinon parce qu'elle estoit vierge? Luy qui estoit la pureté mesme eust-il peu diminuer ou entacher la pureté de ta très sainte Mère ? Nostre Seigneur est engendré et pro- duit \ lement de toute éternité du sein de son Père « . m ^u- ; car si bien il prend la mesme divinité de son Père éternel, il ne la divise p<»nrf .»it pas, ains demeure un mesme Dieu avec luy. I-a tr île Vierge produit son lils Nostre Seigneur virginalement en terre comme il fut proerté; néanmoins il a voulu que tout fust caché sous les maillots, et la science et la sapience éternelle *, avec tout ce qu'il • Coian.. n, y. avoit entant que Dieu, esgal à son Père, comme l'usage de rayson, le pouvoir de parler et bref tout ce qu'il devoit faire ayant atteint l'aage de trente ans. Tout sans reserve fut clos et caché sous le voile de la sainte ol>eissancc qu'il portoit à son Père, qui l'obligeoit ti n'estre en rien dissr»mblable aux autres enfans, ainsy (jue dit saint Paul*, qu'/7 d este de besoin qu il fust en tout sent- Mieb., », 17. blable à ses frères. Ou'avons nous de plus à dire sinon que le mystère de la Nativité de Nostre Seigneur est un mysiere de la Visitation ? Comme la très sainte Vierge fut visiter sa cousine sainte Flizabeth, de mesme il nous faut aller fort souvent le long de cette octave visiter le divin Poup)n couché dans la crèche, et là nous apprendrons de ce souverain Pasteur des bergers À conduire, gou- verner cl ranger nos tro- \, de sorte qu'ils .noyent aggreables à sa Bonté, .ûais comme les bergers ne  12 Sermons recueillis l'allerent pas voir sans doute sans luy porter quelques petits agnelets, il ne faut pas que nous y allions les mains vides, ains il nous faut porter quelque chose. Qu'est-ce, je vous prie, que nous pourrions porter à ce divin Berger qui luy fust plus aggreable que le petit agnelet de nostre amour, qui est la principale partie de nostre troupeau spirituel, car l'amour est la première passion de l'ame. O qu'il nous sçaura bon gré de ce présent, mes chères Sœurs, et que la très sainte Vierge le recevra avec une grande consolation pour le désir qu'elle a de nostre bien ; ce divin Enfant nous regardera sans doute de ses yeux bénins et gracieux pour recompense de nostre présent, et pour tesmoignage du plaisir qu'il en recevra. O que nous serons heureux si nous visitons ce cher Sauveur de nos âmes ; nous en recevrons une consolation nompareille, et tout ainsy que la manne avoit le goust qu'un chacun eust peu désirer, de mesme chacun peut trouver de la consolation en visitant ce Poupon très aymable. Les bergers le visitèrent et ils en receurent une joye très grande, s'en retournant chantant les louanges de Dieu et annonçant à tous ceux qu'ils rencontroyent ce • Lucîe, II, 20. qu'ils avoyent veu *. Mais saint Joseph et la très glorieuse Vierge receurent des consolations indiciblement plus grandes, parce qu'ils luy assistèrent et demeurèrent arrestés à sa présence pour le servir selon leur pouvoir. Ceux qui s'en allèrent et ceux qui demeurèrent furent tous consolés, mais non pas également, ains un chacun selon sa capacité. Anne, mère de Samuel, demeura longuement sans avoir des enfans, ce qui luy causoit une si grande bigearrerie que l'on ne la trouvoit jamais de mesme • I Reg., I, i8. humeur* ; car quand elle voyoit des femmes qui s'esjouis- soyent avec leurs enfans, elle se lamentoit et se chagri- noit dequoy elle n'en avoit pas, et quand elle en voyoit quelques unes qui se plaignoyent de leurs enfans, elle se resjouissoit dequoy Dieu ne luy en donnoit point ; mais dès qu'elle eut le petit Samuel, dès lors on ne la vit jamais plus inégale. Nous avions quelques excuses  1. Pour la veille de Nobl 13 sans doute de nous chagriner et estre changeans en nos humeurs tandis que nous n'avions pas cet Enfant tant aymable qui nous vient de naistre ou qui naistra demain ; mais désormais il ne nous sera plus loysiblc, puisque en luy consiste tout le sujet de nostre joye et de nostre bonheur. <•) I^s abeilles n'ont aucun arrest tandis qu'elles n'ont point de roy : elles ne cessent de voleter par l'air, de se dissiper et esgarer, n'ayans presque nul repos dans leur ruche ; mais dès aussi tost que leur roy est né, elles se tiennent ramass^'cs tout autour de luy et ne sortent que pour la cueillette et, ce semble, par le com- mandement ou congé de leur roy. De mesme nos sens, nos puissances intérieures, les facultés de nostre ame, comme des abeilles spirituelles, jusques à tant qu'elles ayent un roy, c'est à dire jusqu'à ce qu'elles aycnt choisi Nostre Seigneur nouveau né pour leur Roy, elles n'ont aucun repos. Nos sens ne cessent de .s'esgarer et d'attirer nos facultés intérieures après eux pour se dissiper tanto.st après ce sujet qu'elles rencontrent, puis tantost sur un autre, et ainsy ce n'est qu'une continuelle perle de tenips, travail d'esprit, inquiétude, qui nous fait perdre la paix et tranijuillité tant nécessaire à nos âmes. Mais dès qu'elles ont choisi Nostre Seigneur pour leur Roy, elles doivent, à guise de chastes avettes ou abeilles mystiques, se ranger auprès de luy et ne sortir jamais de leur ruche, sinon pour la cueillette des exercices de charité qu'il leur commande de prattiquer à l'endroit du prochain ; et soudain après se retirer et ramasser auprès de ce Roy tant aymable, pour mes- nager et conserver le miel des saintes et amoureuses conceptions qu'elles tirent de la présence .sacrée de nostre souverain Seigneur, lequel, par de» simples regards qu'il fait sur nos amcs. cause en elles des  ( I ) Comme il a rv .t ï» i't^ ' Propot d« celoi-ci, 1< ir» dc« V- :■,: / permit d'io»ir«r d«Dt U Uxt« d« e«t onmgm platiton fragneot» «ilraitt .!<-* S«rmnn«. C.'r ' ' \cê »ui\ - ... pn^,^,,^!! /j|^ U M^Jtttié. . I, la p. I ^ onJjnv» )  Sermons re llis ardeurs et affections nompareilles de le servir et aymer tousjours plus parfaitement. C'est la grâce que je vous désire, mes chères âmes, que de vous tenir bien proches de ce sacré Sauveur qui vient pour nous ramasser tout autour de luy, à fin de nous tenir tousjours sous Testendart de sa très sainte protection, soit comme le pasteur a soin de ses brebis et de son troupeau, soit comme le roy des abeilles, qui en a un tel soin que l'on dit qu'il ne sort jamais de sa ruche sans estre entouré de tout son petit peuple. Sa Bonté nous veuille faire la grâce que nous entendions sa • Joan., X, 27. voix, ainsy que les brebis celle du pasteur *, à fin que le reconnoissant pour nostre souverain Pasteur, nous ne nous esgarions et n'escoutions celle de l'estranger qui se tient près de nous comme un loup infernal, en intention •I Pétri, uit., 8. de nous perdre et de nous dévorer"^ ; et que de mesme nous puissions avoir la fidélité de nous tenir sousmis, obeissans et sujets à ses volontés et commandemens, ainsy que les avettes font avec leur roy, à fin que par ce moyen nous commencions à faire dès cette vie ce que moyennant la grâce de Dieu nous ferons éternellement au Ciel, où nous conduisent le Père et le Fils et le Saint Esprit. Amen.  n  SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT BLAISE SUR LF \rvsTrTîF DE LA PURIFICATION ET LE KLNoNCLMLNT LVANGhLIQUE 8 février i6i4(«) Nous célébrons aujourd'huy la feste du glorieux Martyr saint Biaise, et en cette maison Ton fait l'octave de la Purification de Xostre Dame. Il y a une telle conformité entre les Kvangiles de ces deux festcs, que j'ay bien voulu des deux en tirer la petite exhortation que je m'en vay faire. Nous trouvons en celuy d'aujourd'huy * ' M^it.. xvi. 34-«7. que Nostrc Seigneur dit ces trois mots aux(iucls sont comprises toute la doctrine et perfection chrcsticnne : Qui voudra venir après moy\ qu'il renonce à soy mesmc, prenne sa croix et qu'il me suive. Mais expli- quons un peu que signifie renonce r à s oy mcsme. Cela est autant à dire que se purifier ou purger soy mesme. ( I ) La premitre phras« i!' :i Jcmo: >ac^ oo« année en laquelle, par Iu^sTu:: J une »ol _ — , -neuf, la fèu d« ttint Blalae irait M triiufiré« ao joor où m faUaient 1m pre- miérea Vèpret de l'octave, os l'octave même de la P prr. itriiitrat ce qoi eut lien en i6i) et en 1614; maia p'. r V dana lea Annales da 1*' Monaatère d'Annecy prouvent > Je ô Le 1 - - -. JL pcut-4tr« de trouver la p*i»»««« «t.r u^.i-n^ ««.,. «m . appn von» en contradiction avec cette antre pro: <# ; • La im%Km •• • . ••• ■■. ,- •-. -. -j- ...; — — , .. - , oint d'octave. • 1 concilier cette oppo«ltion. il faut «e rappeler qn* c«1t« octave, alors a- p^ur Ir c ^e de G«aév« tan mi»»<-' .,r, ....... . ' n aonvenir d« cet i qu'tflU fut, au ,»o ; toatefm* "^ "' i -temps, car elle n est paa preeerite dans U prer.  i6 Sermons recueillis Nostre Dame nous en monstre un exemple admirable, ' Lues-, 11, 22, 2^. car TEvangeliste * dit que les jours estans venus ou passés de sa purification, selon la Loy de Moyse, elle vint au Temple pour oifrir son Fils avec deux colom- bes ou tourterelles. Or, nostre chère Dame et Mais- tresse n'avoit point besoin de purification, elle qui estoit plus belle que le soleil, plus pure que la lune et plus •Cnnt., VI, 9. admirable que V aurore*. Mais comme en eust-elle eu besoin, veu qu'elle avoit produit son Fils plus pure- ment que ne fait l'estoille son rayon, rayon qui rend l'estoille d'autant plus belle à nos yeux qu'elle le produit plus fréquemment ? Elle vient donques, nostre sacrée Maistresse, non pour se purifier en elle mesme, ains seulement en l'imagination de plusieurs qui, ne sçachans pas qu'elle estoit exempte d'observer la Loy, eussent murmuré dequoy elle ne l'observoit pas. Elle n'eut non plus besoin de purification dès cette heure là ; mais nous autres, il est très nécessaire que nous sçachions cette vérité, qui est que tant que nous serons en cette misérable vie nous aurons tousjours besoin de nous purifier et de renoncer à nous mesme, et cette vie ne nous est donnée pour autre fin. C'est un abus de croire pouvoir arriver à ce point de perfection de n'avoir plus rien à faire, car nostre amour propre va tousjours produisant quelques rejetons d'imperfection qu'il faut retrancher. Il se sert de nos sens, et il est si malicieux que dès que nous luy ostons le pouvoir de faire ses opérations en celuy de la veiie, il se saisit de celuy de l'ouye, et ainsy des autres ; bref, nous sommes au temps qu'il faut travailler. Voyons un peu maintenant que veut dire Nostre Seigneur par cette parole : Qui veut venir après moy, qu'il renonce à soy mesme. Nous avons deux nous mesmes, et avons desja veu que renoncer à soy mesme c'est se purifier soy mesme. Or, quel est ce nous mesme qu'il faut purifier, puisque nous en avons deux, lesquels néanmoins ne font qu'une seule personne ? Nous avons •I Cor., XV, 47. un nous mesme qui est tout céleste*, lequel nous fait fairejes.bonnes œuvres ; c'est cet instinct que Dieujious  II. Pour la fête de saint Blaisb 17 _a^donnê pour l'aymer et pour aspirer à la jouissance de la Divinité en la gloire éternelle. Mais nous avons un autre nous mesme, et c*est celuy auquel il faut renoncer; ce sont nos passions, nos mauvaises inclinations, nos affections dépravées, et pour dire en un mot, cet amour propre duquel nous avons desja parlé. 11 ne se faut point tromper, pensant pouvoir aller après Nostre Seigneur sans renoncer tout à fait et sans reserve à ce nous mesme, car non seulement Xostre Dame nous a baillé exemple de le faire, mais le Sauveur mesme nous l'a enseigné en sa Mort et Passion, renonçant à l'inclination qu'il avoit de vivre, pour s'assujettir à la volonté de son Père, en se rendant obéissant jusques à la mort et à la mort de la croix ^ ; et c'est ainsy • PhUip, n, s. qu'il faut que nous fassions. Je veux dire qu'il faut renoncer à ce mauvais nous mesme pour l'assujettir à l'autre, qui est la rayson et partie supérieure de l'ame, ^i tend tousjours au vray bien par l'instinct que Dieu luy a donné ; car il ne serviroit de rien de renoncer à soy mesme pour en demeurer là ; les philosophes d'autrefois l'ont fait admirablement, mais cela ne leur a de rien servi*. 11 faut renoncer à l'homme terrestre 'Cf. s. Hi«foo.,in pour fortifier le céleste , et c est une chose asseuree •Vtjepjg pr«c««i. qu'à mesure que l'un s'affoiblira, l'autre sera renforcé*. •Cf. II Cor., iv, 16. C'est assez parler sur ce premier point, puisque nous sommes enseignés que renoncer à soy mesme n'est autre chose que se purifier et se purger de tout ce qui se fait par l'instinct de nostre amour propre, lequel, nous le sçavons, produira tousjours, tandis que nous serons en cette vie, des rejetons qu'il faudra couper et retrancher, tout ainsy qu'il faut faire à la vigne ; car il ne se faut pas contenter d'y mettre une fois la main, mais il faut la couper en un temps, puis après la despouiller de ses feuilles, et ainsy plusieurs fois l'année il faut avoir la main à la serpe pour retrancher les superfluités. Il ne reste rien à adjouster sur ce sujet sinon qu'il faut avoir bon rouragr ])c)ur ne se laisser jamais abattre ni estonner de nos imperfections, pui-v^ue tout le temps de nostre vio nous est donné pour nous en desfaire et purger. S«sa III •  i8 Sermons recueillis Passons au second point, qui est qu'il faut prendre sa croix après que l'on a renoncé à soy mesme. Nostre Seigneur dit que Ton prenne sa croix. Voulez- vous sçavoir en un mot que cela signifie ? C'est autant à dire que : Prenez et recevez de bon cœur toutes les peines, contradictions, afflictions et mortifications qui vous arri- veront en cette vie. Au renoncement de nous mesme nous faisons encor quelque chose qui nous contente, parce que c'est nous mesmes qui agissons, mais icy il faut prendre la croix telle qu'on nous l'impose ; et en cecy il y a desja moins de nostre choix, c'est pourquoy c'est un point de perfection de beaucoup plus grand que le précèdent. Nostre Seigneur et très cher Maistre nous a très bien monstre comme il ne faut pas que nous choisissions la croix, ains qu'il faut que nous la prenions et portions telle qu'elle nous est présentée. Lors qu'il voulut mourir pour nous racheter et pour satisfaire à la volonté de son Père, il ne choisit point sa croix, ains receut humblement celle que les Juifs luy avoyent préparée. Escoutons un peu son grand Apostre saint Paul, lequel • Rom., VIII, uit. nous asseure que rien ne le séparera de son Maistre * • Galat., uit., 17. parce qu'il est marqué de sa marque *, et qu'en quelle part qu'il aille il sera tousjours reconneu pour estre des siens. Mais quelle est cette marque, sinon la souffrance ? Il dit de luy mesme qu'il estoit comme un homme à qui l'on donne l'estrapade, car il souffroit en son intérieur une peine insupportable, le véhément amour qu'il por- toit à son Maistre le tirant puissamment du costé du • II Cor., V, 2-8 ; Ciel par le désir de jouir de luy *. D'autre part, il estoit i ip-. h 33- cruellement travaillé et tourmenté en son corps, car il nous asseure qu'il ÏMt fouetté par trois fois, de sorte que les traces en paroissoyent sur ses espaules ; après, qu'il fut lapidé et que l'on remarquoit encores les coups ; puis, qu'il fut submergé, et ainsy des autres •II Cor., XI, 23-27. tourmens qu'il endura*. Tout cela estoit la marque de Nostre Seigneur, par laquelle on le reconnoissoit pour estre des siens. Mais disons un peu, je vous supplie, un abus qui est en l'esprit de plusieurs, à sçavoir, qu'ils n'estiment et  II. Pour la pétc de sawt Blaisi 19 ne veulent porter les croix qu'on leur présente si elles ne sont grosses et pesantes. Par exemple, un Religieux se sousmettroit volontiers à faire des grandes austérités, comme de jeusner, porter la haire, faire des rudes disci- plines, et tesmoigneroit de la répugnance à obéir lors qu'on luy commande de ne pas jeusner, ou bien de prendre du repos, et telles choses auxquelles il semble y avoir plus de récréation que de peine. Vous vous trompez si vous croyez qu'il y ait moins de vertu à vous sousmettre en cela, car le mérite de la croix n'est pas en sa pesanteur, ains en la façon avec laquelle on la porte. Je diray bien davantage : il y a quelquefois plus de vertu à porter une croix de paille que non pas une croix bien pesante, parce qu'il faut plus appliquer son attention, de crainte de la perdre. Je veux dire qu'il peut y avoir plus de vertu à retenir une parolle qui nous a esté défendue par nos Supérieurs, ou bien à ne pas lever la veûe pour regarder quelque chose que l'on a bien envie de voir, que non pas de porter la haire, parce que dès qu'on l'a sur le dos il n'est plus besoin d'y penser: mais en ces menues obéissances il faut avoir uno cfrando attention pour n*y pas faillir. («) Nous voyons donques assez que cette parolle de Nostre Seigneur qui ordonne qu'on prenne sa croix, se doit entendre de recevoir de bon cœur les contradictions et mortifications qui nous .sont faites îi tous rencontres, bien qu'elles .soyent légères et de peu d'importance. Je m'en vay vous donner un exemple admirable pour vous faire comprendre la valeur de ces petites croix, c'est k dire d'obéissance, condescendance et souplesse à Huivre la volonté d'un chacun, mais spécialement des Supérieures. Sainte Ciertrude fut faite Religieuse en un monastère où il y avoit une Abbesse ou Supérieure laquelle reconnoissoit fort bien que la bienheureuse ( I ) C«t aliaéâ ayant éU ioaéri daat TEotrctUo De U V»UmU et Diêm^ « cdeoti éditcsr« ne Tj ' . * ' ' * ' v d« »j ni il a ^Ic «xtrjit. et wi- tif«, ooat Doot croyooa co devoir de fâlrt. (Voir ct-4S«vanl. p. 1 1, do* •a tooM VI d« cctt« Edition, la p. «71. et U TabU 4« corrvapowdMicr.j  20 Sermons recueillis Sainte estoit d'une complexion foible et fort délicate ; c'est pourquoy elle la faisoit traitter plus délicatement que non pas les autres Religieuses, tant pour le vestir que pour la nourriture, et ne luy laissoit pas faire les austérités qu'on avoit accoustumé de faire en cette Reli- gion. Que pensez-vous que faisoit la pauvre fille pour devenir sainte ? Non certes autre chose que de se sous- mettre bien simplement à la volonté de la Mère. Et, quoy que peut estre sa ferveur l'eust bien fait désirer de faire ce que les autres faisoyent, elle pourtant n'en tesmoignoit rien ; car quand on luy commandoit de s'aller coucher, elle y alloit simplement, sans réplique, estant asseurée qu'elle jouiroit aussi bien de la présence de son Espoux dans son lit par obéissance, que si elle eust esté au chœur avec les Sœurs ses compagnes. Et pour tesmoignage de la grande paix et tranquillité d'esprit qu'elle acquit en cette pratique, Nostre Seigneur révéla à sainte Mechtilde sa compagne, que si on le vouloit trouver en cette vie, on le cherchast première- ment au saint Sacrement de l'autel, et puis après dans • Liber de Gratia le cœur de sainte Gertrude*. Il ne s'en faut pas estonner, cî'n^.^ ' ' puisque l' Espoux, au Cantique des Cantiques *, dit que • Cap. I, 6. iq Jjg^ Q^ 1^ gg repose est au midy. Il ne dit pas qu'il se repose au matin ou au soir, ains au midy ; et cela parce qu'au midy il n'y a point d'ombre. Or, le cœur de la grande sainte Gertrude estoit un vray midy, où il n'y avoit point d'ombre de scrupule ni de propre volonté, et partant son ame jouissoit tousjours pleinement de son Bien-Aymé, lequel prenoit ses délices en elle. O Seigneur Dieu, me direz-vous, il faut estre gran- dement sur ses gardes pour ne la point suivre, cette propre volonté, et n'escouter point ce que nostre amour propre désire, car ils font des artifices pour attirer nostre attention. Il est vray, mais voicy le remède. Ceux qui navigent sur la mer, approchant du lieu où sont les sirènes, courent tousjours grande fortune de se perdre à cause qu'elles chantent si délicieusement qu'elles en- dorment ceux qui rament; mais il y en a qui ont usé de cet expédient, de se faire attacher à l'arbre qui est planté  II. Pour la fête de saimt Blaisi ai au milieu du navire, à fin de n'estre pas attirés au bord par cette mélodie. Il faut que nous en fassions de mesme lors que ces sirènes de propre volonté, de répugnances et raysons de Tamour propre nous viendront chanter aux oreilles pour nous conjurer de leur obéir ; il faut, dis je, nous attacher fortement à l'arbre du navire, qui n'est autre chose que la croix, nous resouvenant que Nostre Seigneur, pour le second point de la perfection, nous ordonne de prendre nostre croix. Il dit la nostre, pour nous empescher de suivre Textravagance de plusieurs lesquels quand on leur fait quelque mortification s'en faschent, disant : Si l'on m'eust fait celle-là que l'on a fait à un tel je la souffrirois volontiers. Et tout de mesme des maladies ; ils voudroyent avoir celles que Dieu a données h un autre et non pas celles qu'ils ont. Venons en maintenant au troisiesme point. Au premier, qui est de renoncer à nous mesme, doivent estre mises, comme nous l'avons dit, ces deux esgales et invariables resolutions, à sçavoir mon, de se résoudre à avoir tous- jours quelque chose à purger et mortifier pendant que nous serons en ce monde, puisque nostre purgation ne se doit finir qu'avec nostre vie ; et l'autre, d'avoir bon courage pour ne point nous estonner d'avoir beaucoup à faire, ains de travailler tousjours le plus fidellement (jue nous pourrons. Nostre Seigneur adjouste que Von prenne sa croix, et pour conclusion qu'on le suive. Il faut que nous sçachions qu'il y a différence entre aller après Nostre Seigneur et le suivre. Tous les Chrestiens qui aspirent au Ciel vont après le Sauveur, car c'est par ses mérites qu'on en espère la possession, en obser\'ant néan- moins ses commandemens ; mais suivre Nostre Seigneur c'est marcher sur ses pas, imiter ses vertus, faire ses volontés et n'avoir qu'une mesme prétention avec luy. Vous voudriez peut estre sçavoir quelle recompense vous aurez de le suivre. C'est que, si vous persévérez le long de vostrc vie, à la fin il vous mettra devant luy ; là vous jouirez de la claire veQc de sa face *, il s'entretiendra * I Cor., na, it; r •,• « 1. .11 Cor., w, •Il familièrement avec vous comme 1 amy avec son amy, cl cet entretien durera éternellement.  22 Sermons recueillis Maintenant retournons à Nostre Dame qui apporta son Fils au Temple pour l'offrir au Père éternel, et par le moyen de cette offrande s'unir avec luy. Bienheureuses sont les âmes qui sçavent bien cette pratique de s'offrir à Dieu, et toutes leurs actions, en l'union de ce Sauveur ! Mais considérons aussi un peu cette autre prattique d'union que fit la Sainte Vierge avec saint Simeon et Anne la prophetesse ; car si bien les Evangelistes ne parlent point de cette dernière, il est pourtant probable qu'elle eut Thonneur de tenir le Sauveur de nos âmes • Lucae, ii, 28. entre ses hras *, puisqu'elle avoit excellemment bien renoncé à soy mesme, bien porté sa croix et avoit espéré et aspiré tant de temps après la venue du Seigneur qu'elle voyoit de ses yeux. Nostre Dame donc se despouilla de la consolation qu'elle avoit de tenir tousjours son sacré Fils entre ses bras, et le donna à saint Simeon, et par luy à tous les hommes. Simeon le prit, le baysa, l'embrassa et le serra très estroittement sur sa poitrine. Je remarque que plusieurs portent Nostre Seigneur, mais en diverses façons. Les uns l'ont sur la langue : ils disent merveille de Dieu et le louent avec beaucoup d'ardeur ; il y en a d'autres qui le portent au cœur par des affections tendres et amoureuses, et se fondent pres- que en pensant à luy. Mais ces deux façons de le porter ne sont pas grand chose si l'on n'y adjouste la troisiesme, • Cant., VIII, 6. qui est de le porter dessus ses bras *^ je veux dire rimiter en ses œuvres, car les bras représentent les œuvres  m  FRAGMENT D'UN SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE DE CARÊME  i6 février 1614 (0 (Utorr)  Dtutmt esî Jttms im éetertmm a Spi- rttm, ut tfmtarftmr a diabolo. Jfims fut couJuit f>ar rEtfrtt Jami U detert , pour y titrt trnté far U diahU. Matt., rv, I. Nostre vSeij^neur a voulu estre tenté à fin de nous monstrer comme il nous faut comporter en toutes sortes de tentations et comme nous y devons résister. Nous en verrons la prattiquc dans les tentations qui luy furent faittes par le diable estant au désert, où, après avoir jeusné quarante jours, les Kvanj^elistes * rapportent 'Matt., nr. i-n ; ... . ^ . . .. . , . . . . Luc*. IT. I-I). qu 1/ eut faim. \je diable, qui le tenoit de près pour sçavoir de tjuel costé il le pourroit attaquer, s'en apper- ceut par quelque signe extérieur que Nostre Seij^fneur fit. Il luy commença ci dire : Si tu es Fils de Dieu, convertis ces pierres en pain et en mange. Et Nostre Seigneur luy respondit : Je ne le feray pas, car il (1) Là brièTtU d«« qa«tr« Mrraont taivanU, 1« ton iimpU «t Cimilivr qui !«• carsctériM pro ■ - 'reM^sàun* qo« par coB»^qa«c; : . . ^..c d«« premier. . ^ _. .- \ ..;_ DivvrMt rauoo* (barntct par Ut Aoaale« . troisiesme, la providence de Dieu envers ceux qui, ayans appris de Nostre Seigneur à vaillamment combattre, l'ont fait si fidellement qu'ils ont mérité la recompense qu'il leur monstre après la bataille*. Nous ferons aujour- • Loc», w, m-*!. d'huy quelques petites considérations par lesquelles nous monstrerons qu'il y a quatre degrés en l'oraison ; mais avant tout cela, disons trois paroles. L'ame de Nostre Seigneur fut bienheureuse dt*s l'in.s- tant de sa conception ; elle ressembloit à YeschelU de Jacob, laquelle de l'un des bouts ton choit le ciel et de l'autre la terre ^. Il en estoit tout de mesme de la .sainte •G««.,Kmn, i«. ame de nostre Maistre, car sa partie supérieure estoit appuyée dans le .sein de son Père, et sa partie inférieure touchoit la terre par le choix qu'il avoit fait de nos misères, peines et langueurs. Or cela estant, nous voyons clairement que le mystère de la Transfiguration ne fui point un miracle, ains une cessation de miracle, puisque les dots de gloire qui enrichi.ssoyent la partie supérieure de cette bénite ame e.stoyent aussi deQes à la partie inférieure (jui n'en jouissoit toutefois aucunement, ains estoit abandonnée et délaissée ii la merci de toutes nos misère et calamités ; tout ainsy qu'une grande tourc«  28 Sermons recueillis rejaillissant au sommet d'une haute montagne, retien- droit ses eaux sans s'escouler par les vallons. A l'heure de la Transfiguration, ce miracle cessa pour ce temps là, Nostre Seigneur laissant jouir sa partie inférieure de la gloire et consolation de sa partie supérieure. Plusieurs âmes dévotes demanderont peut estre com- ment est-ce que nous connoistrons que nous nous avançons à l'oraison, et par le moyen de l'oraison, à la perfection. C'est vrayement par le moyen de l'oraison que l'on •Epist.cciadBald., parvient à la perfection, et saint Bernard*, après en ^* avoir marqué d'autres, dit que celuy ci les surpasse tous. Les quatre considérations que je m'en vay déduire vous monstreront assez si vous faites de l'avancement, puis- que ce sont des excellens degrés de perfection. La première considération est celle cy : Jésus estant monté sur la montagne se mit à prier, et estant en prière il fut transfiguré, et sa face devint plus relui- sante que le soleil et ses vestemens blancs comme la • Matt., XVII, 1, 2 ; ueige'^. Or, nous connoissons que nostre oraison est ucae, IX, 2 , 29. bonne et que nous nous avançons en icelle, si, lors que nous en sortons, nous avons, à l'imitation de Nostre Seigneur, la face reluisante comme le soleil et nos habits blancs comme la neige ; ]e veux dire, si nostre face reluit de charité et nostre corps de chasteté. La charité est la pureté de l'ame, car elle ne peut supporter en nos cœurs aucune affection impure ou qui soit con- traire à Celuy qu^elle ayme (la charité et l'amour n'est qu'une mesme chose) ; et la chasteté est la charité du corps, d'autant qu'elle rejette toutes sortes d'impuretés. Si, au sortir de l'oraison, vous avez un visage renfrogné et chagrin, l'on voit assez que vous n'avez pas fait l'oraison comme vous deviez. La seconde considération est sur ce que les Apostres virent Moyse et Elie qui parloyent à Nostre Seigneur • Lucae, ix, 30, 31. de Vcxces qu'il devoit faire en Hierusalem *. Voyez - vous, emmy la Transfiguration l'on parle de la Passion ; car cet excès n'estoit autre que la Passion. Nostre divin Maistre faisoit ses excès bien d'autre façon que non pas nous autres ; car nous, nous jettons de bas en haut.  IV. Pour le ii* Dimanche de Carémb 29 Excès veut dire extase : il parloit donques de l'excès. Quel excès ? Celuy ci, que Dieu descende de sa j^loire suprême. Et pour quoy faire ? Pour prendre nostre humanité et se rendre sujet aux hommes, voire mesme à toutes les misères humaines, jusques là qu'estant immortel il s'est rendu sujet à la mort et à la mort de la croix*. L'amour ne se repaist point comme nous • phihp.. n, 6-«. pensons. Nostre Seigneur parle donques de sa Passion et de sa Mort parce que c'est le souverain acte de son amour ; aussi les Bienheureux, en la gloire éternelle, ne parleront ni ne se resjouiront de rien tant que de cette mort *. On doit par conséquent emmy la consolation se • Apoc.. v. q. n. resouvenir de la Passion. Non certes, il ne faut pas dire comme saint Pierre : // est bon que nous soyons icy *, ' Matt., xm, 4. mais : // est bon que nous passions par icy pour aller »i la montagne de Calvaire. Il faut monter sur la montagne de Thabor pour y estre consolé, direz-vous, car cela pousse et fait avancer les âmes foiblcs qui n'ont pas le courage de faire le bien sans y sentir de la satisfaction. Ha certes, pardonnez moy, la vraye perfection ne s'acquiert point emmy la consolation. Hé, ne le voyez-vous pas en nostre mystère d'aujourd'huy ? Ces trois Ap)ostres ayans veu la gloire de Nostre Seigneur ne laissèrent par après de le quitter en sa Passion, et saint Pierre qui a voit parlé tousjours plus hardiment, commit néanmoins un très grand péché reniant son Maistre. (Jn descend de la montagne de Thalxjr pécheur, mais au contraire on descend de celle de Calvaire ywi//^fc** ; cela s'entend (juand on .s'y tient *C£.Lttc«,svw,i4. ferme au pied de la Croix comme Nostre Uame, qui est le parangon de tout ce qui est de beau et d'excellent au Ciel et en la terre. Saint Jean y demeura ferme aux pied.^ de .son Maistre, et jamais plus on ne trouve qu'il commit des péchés. L'on est véritablement fort en crainte emmy la consolation, car on ne sçait si on ayme les conso- lations de Dieu, ou bien le Dieu des consolations* ; Ml Cor, ni. mais en l'affliction il n'y a rien i\ craindre, pour\eu qu'on .soit fidelle, d'autant qu'il n'y a rien de délectable. Voyla donques quant à la seconde considération.  30  Sermons recueillis  Je fais la troisiesme sur ce que Ton entendit la voix du Père éternel qui dit : Celuy ci est mon Fils bien * Matt., XVII, s ; n aymé, escoute\-le *. Il faut donques obéir au Père éternel ^*"' '' ^^* en suivant Nostre Seigneur pour ouyr sa parole. Et voyci comme nous sommes enseignés que tous, de quelle condition qu'ils soyent, doivent prier et faire oraison, car c'est là où principalement ce divin Maistre nous parle. Je ne dis pas que nous devons faire autant d'oraison les uns que les autres, car il ne seroit pas à propos que ceux qui ont beaucoup d'affaires demeurassent aussi longuement en oraison que les Religieux. Je dis bien néanmoins que si vous voulez bien faire vostre devoir, il faut que vous priiez Dieu, et c'est en Toraison que nous apprenons à bien faire ce que nous faisons. Quand Nostre Seigneur a voulu accomplir quelque grande chose il s'est mis en oraison, mais non pas en une simple oraison faite sans préparation, ains il se retiroit en la montagne et entroit en la solitude. Avant de commencer sa prédication et la •Matt., IV, 1, 2. conversion des âmes, il s'y retira quarante jours '^. Aujourd'huy il se veut transfigurer et faire voir un eschantillon de sa gloire à ses trois Apostres, il se met en oraison et en extase, et y estant, il fut veu la face plus reluisante que le soleil et ses vestemens plus blancs que neige; et c'est nostre première considération. Apres, il est veu entre Moyse et Elie, parlant de l'excès qu'il devoit faire en Hierusalem ; et celle cy est la seconde. Ensuite l'on entend la voix du Père éternel qui dit: Celuy ci est mon Fils bien aymé, escoute\ le; le troisiesme degré de l'oraison, voire mesme de la per- fection, est donc d'obéir au Père en escoutant son Fils. Mais il ne serviroit de rien de l'escouter si nous ne faisions ce qu'il nous dit, observant fidellement ses com- mandemens et ses volontés. Or, pour l'escouter volon- tiers il s'en trouveroit plusieurs ; beaucoup aussi qui le voudroyent suivre en la montagne de Thabor, mais fort peu en celle de Calvaire. L'une est néanmoins plus profitable que l'autre ; comme de mesme il y a plus de profit à accomplir la volonté de Dieu, ou bien à l'aymer en quelque événement qui nous contrarie, que non pas à  IV. Pour le h* Dimanche de Carême 31 escouter parler Xostre Seigneur emmy la consolation que Ton reçoit aucunefois en l'oraison. Je passe à la quatriesme considération. Les Apostres estans relevés (car ils tombèrent sur leur face enten- dant la voix du Père éternel), ne virent plus que Jésus seul*. Cecy est le souverain degré de la perfection, de * Mâu.. xm. 6, 8. ne voir plus que Nostre Seigneur en quoy que nous fassions. Plusieurs s'empescheront bien de regarder les hommes et les choses de ce monde, mais il en est extrêmement peu qui ne se regardent point eux mesmes ; ains les plus spirituels recherchent et choisissent entre les exercices de dévotion ceux qui sont plus à leur goust et plus conformes à leurs inclinations. Il ne faut cepen- dant voir que Dieu, ne chercher plus que luy, ni avoir aucune affection que pour luy, et nous serons bien- heureux. Les âmes qui sont parvenues à ce degré de perfection ont un soin tout particulier de regarder et se tenir auprès de Nostre Seigneur crucifié sur le Calvaire, parce qu'elles l'y trouvent plus seul qu'en nul autre lieu. Amen.  V SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX 23 mars 16 14 ( Inédit )  Digne d'admiration et plein de merveilles est le mystère d'aujourd'huy, à cause de sa grande simplicité extérieure. Nostre Seigneur veut entrer en Hierusalem •Matt., XXI, 1-9. en magnificence royale, monté sur une asnesse*. C'estoit sa coustume de retenir toute sa gloire et sa splendeur au dedans, ne laissant paroistre en l'extérieur qu'abjec- tion, bassesse et simplicité. Je suis donques porté, pour suivre nostre Sauveur, à parler maintenant fort simple- ment. Et pour ce faire, je considère premièrement pourquoy il choisit cet animal pour faire sa parade et s'en servir en cet appareil royal, veu que Tasnesse est un animal immonde et grandement desplaisant à cause de sa tardiveté et paresse, vice que Nostre Seigneur a tellement en horreur, que s'addressant à un Evesque il luy mande : Mieux vaudrait pour toy que tu fusses froid ou chaud; mais parce que tu es tiède je te * Apoc, m, 15, 16. vomir ay *. Il y a une malédiction particulière pour ceux •jerem.,xLvin,io. qui font Vœuvrc de Dieu négligemment "^ ; mieux vaudrait sans doute estre du tout froid, parce qu'à la fin on viendroit à reconnoistre sa misère en sentant sa froideur, et se retourneroit-on avec ardeur du costé de la divine Majesté pour estre secouru. L'on ne peut dire combien Dieu hait la négligence. Ou il faut travailler diligemment et courageusement à son service, ou il le faut quitter du tout et suivre la piste du diable ; ou il  V. Pour le Dimanche des Rameaux 33 faut regarder ardemment le Ciel pour y aspirer, ou bien se précipiter tout d'un coup aux enfers. Mais d'autant qu'il n'y a créature si malheureuse qui n'ait quelque chose de bon, l'asncsse a une grande sim- plicité : elle est sans artifice, sans destour et sans fiel ; c'est pour cela que Nostre Seigneur l'a choisie, car il n'y a point de vertu que Dieu ayme tant et qui l'attire davantage dans une ame que la simplicité. Aussi voyons nous qu'il la recommande fort particulièrement à ses Apostres quand il dit* : Soye^ prudens comme le scr- 'Matt.. %. 16. petit et simples comme la colombe. Disons queU|ue chose de cette vertu *. 'Cf. Entretien xu, Pour entendre que c est que simplicitr, nous devons premièrement sçavoir qu'il y a trois vertus qui ont un tel cousinage et ressemblance cju'il semble n'y avoir point de différence entre elles : la vérité, la pureté et la simplicitf*. I-a vérité n'est autre chose sinon nous mons- trer tels en l'extérieur que nous sommes en l'intérieur; car le mensonge gist à dire ou à faire quelque chose contraire à nostre .♦sentiment intérieur. I-a pureté est une vertu qui ne peut souffrir aucune souilleure de péché en nos cœurs. Une ame pure n'a point .ses intentions meslées, ains elle n'en a qu'une en tout ce qu'elle fait. Aller à l'église pour prier Dieu, et avoir encores inten- tion d'y parler à quelcju'un avec qui l'on a affaire, c'est une intention impure, car elle est meslée. Un autre exemple : aller à l'oraison p>our adorer Dieu, et y joindre l'intention d'obtenir des consolations, qui ne voit que cela est impur ? I-a pureté donques n'a qu'une seule intention, ou au moins n'en conserve point d'impure et qui ne tende à la gloire de Dieu. Mais la simplicité surpasse ces deux vertus, d'autant cju'elle regarde droit à Dieu. L'Kspoux, au Cantique des Cantiques*, nous le fait bien voir quand il asseure que • " . 9;joita son Kspouse luy a ravi le carur par un Je ses yeux et par un de ses cheveux ; voulant dire : Ma mie, ma toute chère, ma colombe, tu m'as regardé de tes deux yeux, mais maintenant tu as fermé l'œil gauche avec lequel tu voyois les recompenses éternelles, parce que m I  34 Sermons recueillis tu en es toute asseurée en persévérant en mon amour ; tu ne regardes donques plus que moy, ni ne penses plus qu'en moy, car tes cheveux, à sçavoir tes pensées, tu les as toutes réduites en une qui est pour moy, c'est pour- quoy tu m'as ravi le cœur. Cecy est la parfaite simpli- cité, de n'avoir en tout ce que l'on fait qu'une seule et unique prétention de plaire à Dieu, et c'est ce que Nostre Seigneur voulut enseigner à ses Apostres quand il leur recommanda d'estre prudens comme le serpent • Pag. praeced. et Simples comme la colombe *. Je sçay bien, vouloit-il dire, que conversant parmi les hommes il faut que vous ayez de la prudence pour assembler diverses sortes de prétentions, mais aussi je veux que vous soye^ simples, en les réduisant toutes en une, qui est ma plus grande gloire. Le trouble et l'inquiétude que l'on a, voire mesme pour ce qui est de l'avancement de nos âmes en la per- fection, est contraire à la parfaite simplicité, puisque cette vertu consiste en une certaine tranquillité de cœur et paix intérieure de l'ame qui se tient comme Magdeleine aux pieds de Nostre Seigneur, tandis que • Lucae, x, 39-42. Marthe s'empresse. C'est pourquoy il la reprend *, car si elle eust eu simplement soin de le bien servir, elle n'eust pas assemblé tant de prétentions pour que tout fust en bon ordre, et n'eust pas esté reprise. L'ame sim- ple veut bien travailler pour se rendre parfaite, puisque Dieu le veut, mais elle ne s'empresse point, ains en laisse l'événement au divin bon playsir. Cela soit dit quant à la première considération. Nostre Sauveur donques, voulant estre monté sur une asnesse pour entrer en Hierusalem, dit à deux de ses Apostres : Alle^ vous-en au village qui est proche, entrez en une telle maison, deslie\ Vasnesse et Vasnoriy et me les amene^ ; et si Von vous dit quelque chose, dites que le Seigneur en a besoin. Ces deux disciples partent tout incontinent. Voyez-vous, ce sont des bons Religieux, d'autant qu'ils obéissent tout promptement, sans réplique. Les Religieux de ce temps cy eussent bien esté plus discrets, car ils eussent au moins respondu :  V. Pour le Dimanche des Rameaux |5 O Maistre, si nous faisons cela, qu'est ce qu'on dira? On le trouvera mauvais, cela nuira à vostre réputation. Mais ces bonnes j^ens ne disent mot, ains vont simplement ; et ils rencontrèrent aussi des bonnes gens et bien sim- ples, car ayant deslié l'asnesse, ceux à qui elle estoit demandèrent seulement : Que voulez vous faire ? Et les Apostres respondant : Le Seigneur en a besoin, ils ne répliquèrent pas un mot*. O que cecy devroit faire grand • .siait.. xxi, i, >, honte à tant de personnes qui .sont si curieuses qu'elles cJ'xix%'Ju! "" veulent sçavoir le pourquoy de tout ce que Dieu fait I Qu'il vous suffise que le Seigneur en a besoin. Deslie\ l'asnesse et Vasnon ; et c'est ce que je consi- dère secondement. Qu'est-ce que deslier l'asnesse et Vasnon ? C'est deslier l'ame et l'amour qui est son asnon. Ou'est-ce fiue deslier l'ame? C'est la deslier et destarher du péché par le moyen d'une bonne confession : car chacun sçait que l'ame qui est en estât de péché est attachée et engagée dans les liens et filets du diable. Nul ne peut comprendre le bonheur d'une ame qui e.st de.sliéc et conduite à Nostre Seigneur par le moyen de la grâce ; mais, o Dieu, combien plus grand est le bonheur de celle de qui Ton deslie encore» l'amour ! Et pourquoy deslier l'ame et l'amour? Parce que le Seigneur en a besoin : de l'ame pour la sauver, et de l'amour p<^ur luy estre réservé. Dieu désire tellement cet amour qu'il le veut tout avoir, et l'amour afifectif et l'amour effectif. C'est l'amour affectif qui nous cause tant de grans désir» de travailler pour la gloire de Dieu et de nous rendre parfaits ; mais il veut principalement l'amour effectif, car il ne nous servira de gueres d'affectionner fort .sa .sainte volonté si nous n'aymons qu'elle soil accomplie en nous en l'affliction comme en la prospérité, lit que nul ne demanourcjuoy Dieu veut tout l'amnur, car on ne le sçauroit dire, sinon parce qu'il en a besoin pour faire des choses si excellentes et si grandes en l'ame qui le luy donne tout, que nul esprit humain ne les peut sçavoir ni comprendre. Mats, o Dieu, il faut que cet amour soit pur, qu'il nous fasiic entreprendre la prattique de toutes le» vertus  36 Sermons recueillis également, et non pas selon nostre choix ; car bien sou- vent nous nous faschons dequoy nous avons fait quelque légère faute en la vertu que nous affectionnons, et ne nous mettons point en peine d'avoir fait un défaut beau- coup plus grand en une autre vertu qui sera peut estre plus excellente. Par exemple, aucun seroit fort fasché •Matt.,xv, II, i8. d'avoir laissé entrer dans sa bouche* quelque morceau superflu, à cause du grand amour qu'il porte à la sobriété, et cependant ne se feindra point d'en laisser • Cf. Introd. a la sortir bcaucoup de paroles contraires à la charité*. Il y Vie dex., Partie I, , . ^ , ^ -^ c. I. a une heresie en la chante comme il y en a une en la foy. L'heresie n'est autre chose sinon le choix que l'on fait d'accorder créance à quelques uns des articles de la foy, ne voulant pas croire les autres. Tout de mesme en est-il de la charité : choisir un des commandemens de Dieu sans les vouloir observer et honnorer tous , ' ŒTr. de r Am.de c'cst cstrc heretiquc en la charité*. Il faut honnorer et Dieu, 1. X, c. IX. . estimer toutes les vertus parce qu elles nous rendent fort aggreables à Dieu, et non pas les prattiquer et nous y affectionner parce que nostre esprit y a quelque corres- pondance. Je passe à la troisiesme considération. Nostre Seigneur s'acheminant en Hierusalem, ceux de la ville luy vin- drent au devant, et coupoyent des rameaux et •Matt.,xxi,8;joan., branches d'olive et de palme * pour parer le chemin par où il passoit. Chacun sçait que la palme est donnée aux martyrs en signe de la victoire qu'ils ont remportée sur tous leurs ennemis ; mais l'olive représente les confes- seurs qui ont beaucoup fait pour la gloire de Dieu en temps de paix, car aussi l'olive est le hieroglifique de la paix. On le voit en ce que Dieu estant apaisé après avoir si justement puni les hommes par le déluge, il envoya à Noé, qui estoit dans l'arche, une branche ' Gen., VIII, II. d'olivier par la colombe *. Mais si bien la palme appar- tient et représente particulièrement les martyrs, elle appartient aussi aux confesseurs, car la vie des justes est un continuel martyre. Ils sont en un continuel combat contre leurs ennemis, qui sont leurs propres passions et inclinations, desquelles en fin ils demeurent  V Pour le Dimanche des Rameaux J7 maistres, les assujettissant toutes à la rayson, qui n*est pas une petite victoire, ains est plus grande que de conquérir et gagner plusieurN villes •. * Prov., xvi, yi. Je fais la quatriesme considération sur ce que ce peuple jettoit ses habits par les rues où passoit Nostre Seigneur, pour eml>ellir le pavé. Que représen- tent, je vous supplie, ces habits jettes sous les pieds du Sauveur? En latin, habit et hal)itude c'est la mesme chose; or ces bonnes gens nous apprennent que si nous voulons bien honnorer nostre divin Maistre entant que nous le pouvons, il faut que nous jettions devant luy et sousmettions à ses pieds toutes nos habitudes, tant iHînnes que mauvaises. Oui, je vous prie, trouverons- nous qui jette ses vertus aux pieds de Nostre Seigneur, se sousmettant à ne les vouloir posséder que pour Yvn honnorer, et ne les voulant avoir pour son contentement particulier ou bien pour en esire estimé ? Voicy une histoire qui fait à mon propos ♦. Un jour *iv Rcg.,nt, i-i|. que les princes d'Israël estoyent tous reunis. Dieu parla à lilisêe, luy commandant d'envoyer un fils des Pro- phètes en cette assemblée pour sacrer roy l'un de ces princes. Il appella dontjues l'un de ces enf'ans et luy bailla une fiole d'huile, luy enjoignant de la part de Dieu de s'y en aller, sans s'amuser à parler à personne, ains qu'il demandast simplement le prince qu'il luy nomma; et l'ayant trouvé, qu'il le tirast à part, luy vidast son huile sur la teste en luy disant : De la part de Dieu, je te sacre roy d* Israël ; et puis, qu'il s'en retournast sans faire autre chose. Remanjuez en passant, je vous supplie, ia simplicité de l'obéissance de ce fils de Prophète ; c'estoit un l><)n Religieux, car il fit tout ainsy qu'on luy avoit com- mandé. O les Religieux de ce temps icy eussent bien esté plus discrets, car ils eussent au moins salué la compagnie, d'autant qu'il ne faut pas estre incivil ; ou bien ils eussent recommandé au roy tout plein d'affaires pieuses après l'avoir sacré. Or, il ne faut jamais contre- venir À rol>eissance pour la prattique d'aucunes vertus, puisqu'il n'y en a point de plus nécessaire aux Religieux.  38 Sermons recueillis Mays cecy n'est pas tout ce que je veux dire. Ce que je veux dire est qu'après que ce fils de Prophète eut fait sa charge en la façon qu'on luy avoit commandée, il se retira, sans craindre qu'on le jugeast ni fol ni incivil, et sans faire aucune chose pour éviter l'abjection qui luy devoit venir en obéissant simplement, préférant ainsy la simplicité de Tobeissance à sa réputation. Cecy n'est pas encores tout ce que je pretens de remar- quer en cette histoire ; le voicy. Celuy qui avoit esté créé roy, s'en retourna à l'assemblée et dit aux autres princes : Cet enfant que vous avez veu qui m'a parlé, n'est point fol comme vous croyez ; et leur raconta tout ce qui s'estoit passé entre eux deux. Lors tous com- mencèrent à despouiller leurs robes et les mirent toutes l'une sur l'autre, de sorte qu'ils en firent un throsne sur lequel ils assirent le nouveau roy ; après quoy ils se prindrent tous à crier : Vive le roy ! monstrant par cet acte qu'ils se sousmettoyent à luy le plus parfaite- * Cf.Tr.dgrAm.de ment qu'il leur estoit possible*. Cet exemple confirme ce Dieu, 1. II, c. XIV. •• • j'i < j 1 • » que j ay ja dit, et de plus nous sommes enseignes que si nous voulons crier véritablement vive le Roy, il faut que nous nous despouillions de tout, voire mesme que nous anéantissions toutes nos passions , humeurs et inclinations, les sousmettant avec tout nostre estre aux pieds de la divine Majesté pour estre parfaitement sujets à sa sainte volonté ; car l'on ne peut dire vive le Roy, pendant qu'il y a des rebelles en son royaume. Amen.  VI SERMON POUR LE VENDREDI-SAINT I») 38 mars 1614  Nostre Seij^neur a choisi la mort de la croix ^ pour • Phihp., n, 8. nous tesmoigner son amour, d'autant que l'amour qu'il avoit pour nous ne pouvoit se satisfaire en choisissant une mort plus douce. Plus on ayme. plus on désire de souffrir pour la chose aymée. Oh! il ne faut pas penser que Nostre Seijçneur ait voulu mourir seulement pour nous racheter, car un seul de ses souspirs, à cause de la dig'nité et mérite du Souspirant, sursoit pour nous sauver et délivrer des mains de nos ennemis^ ; mais • Luc». 1, 74. cet amour infini ne pouvoit pas estre content s'il ne mouroit de l'amour mesme. Rien ne tesmoi^ne tant l'amour que de mettre sa vie pour la chose aymc^e, comme Nostre Seigneur mesme l'a dit •. Chose admira- * joto., xr, i). ble que Dieu nous ayt tant aym^s que de laisser mourir son Fils pour nous, qui avions mérité la mort*! Nostre "Cf. Joto, m, té, Maistre ne s'est pas contente^ de mourir pour nous d'une mort commune, mais a choisi la plus pleine d'abjection et d'ignominie qui se p<3Uvoit jamais penser. O Dieu, (1) C« Mrmon foornit an premier «pécimm de la hirdieue ivec '• '•-''- l'éditear de 1641 ■ procédé daot U reproducttoa det Manutcritt; car ; ahoéa» ont été extrait* de ce diaconr* pour le Veadredi-Salot et ia»«ret daot no •«- " 'c Véture, aoqael est fauMemeat attribué le titre de • Sernoa pour la /' 1 de quelque» Religieu»et. • Noua le dnoaeroD» A la dite do «6 JuiUet loil, aprèa ea avoir élimiBé lea loterpolatiooa, potoqne c«« dtvert fra^roeota aoot rétotégrét ict en leur lieu. Le premier et le ' * alinéa de ce Sermon VI sont médita, aioai que le» pacagea qui ae - p. 40. !%«•• ii-ti; p. 41, U. 5-m; p. 4t, U. •0-19; p. 41, U. 1, •; p. 44, n. 1-1$.  40 Sermons recueillis que vos secrets jugemens sont admirables et incom- • Rom., XI, 33. prehensibles * / Admirables et très grans sont ceux que nous sçavons et comprenons, mais bien plus, sans nulle comparaison, sont grans et aymables ceux que nous ne •Cf. dictum Socra- sçavons pas *. Le Fils de Dieu est réduit sur une croix; tis de Heraciito. ^^ ^^. y^ ^ ^.^ p Certes, c'a esté l'amour. Or, puisqu'il est certain qu'il est mort d'amour pour nous, le moins ^ II Cor., V, 14. que nous devions faire pour luy c'est de vivre d'amour*. •Cf.s.Aug.,Serm. A l'amour rien n'est impossible* ; il destruira tout ce qui Serm. i' in Doni! ^^t en nous qui cst desaggreable à la divine Majesté. ^^^'"•' § -• L'autre rayson pour laquelle Nostre Seigneur et nostre Maistre a choisi la înort de la croix est pour nous enseigner la prattique de l'humilité^ estant bien conve- nable que nostre orgueil fust confondu par la vertu contraire. Adam se vouloit rendre semblable à Dieu, voulant vivre de sa vie, comme l'ennemy l'en avoit • Gen., III, 4, 5. asseuré * quand il prevariqua le commandement de la divine Majesté. Remarquez icy, je vous prie, l'infinie bonté du Sauveur qui voulut mourir de la mort des hommes, pour nous faire vivre, selon la prétention d'Adam, de la vie de Dieu. Mais pour voir l'humilité de Nostre Seigneur, escoutons ce qu'en escrit saint • Philip., II, 7, 8. Paul * : Quand il estoit le Fils de Dieu, il s'est vuidé de luy mesme ; c'est à dire qu'il a pour un temps resserré toute sa gloire en la partie supérieure de son ame, laissant sa partie inférieure exposée à la mercy de toutes les souffrances, abjections et répugnances qui luy devoyent arriver en sa Passion. O Dieu, que cecy est admirable, que le Verbe éternel s'anéantisse et se dé- mette de sa propre gloire pour des créatures qui corres- pondent si peu à son amour ! // s'est rendu obéissant jusques à la mort, et jusques à la mort de la croix; il est bien raysonnable que nous luy soyons obeissans jusques à la mort, voire jusques à la mort de la croix, pour luy tesmoigner nostre amour. Il s'en trouve qui mesprisent la mort en l'embrassant de bon cœur, pourveu qu'elle soit accompagnée de gloire. Mais, o Dieu, il ne faut pas la choisir à nostre gré, ains l'accepter de bon cœur telle qu'elle nous arrivera selon le divin  VI. Pour le Vesdredi-Saint 41 bon playsir; je ne dis pas seulement la mort, mais toutes sortes de peines, d'afflictions, de contradictions et abjec- tions. Encor ne sera-ce pas g-rand chose, puisque nostre misère est si jurande que cela seul luy appartient. La troisiesme rayson pour laquelle nostre Maistre choisit la mort de la croix fut pour nous affermir en la constance, voyant qu'il a souffert si lonj;(uement et tant d'ij^nominies. Un souspir eslancé devant son Père suffisoit pour nous sauver, comme j'ay desja dit ; mais sa Honte voyoit bien (ju'il failloit qu'il nous donnast exemple de tout ce «jue nous devions faire. C'est pour- quoy. voulant mourir, il ne choisit pas d'e.stre estouffé ni estranjijlé, qui est une mort bien plus courte que celle de la croix ; nous monstrant par ce choix que nous ne nous devons point ennuyer de la lonj^ueur ni de la quantitt^ de nos souffrances, voire durassent-elles jusques à la fin de nostre vie, puisfju'elles ne sçaurovent jamais approcher ni entrer en comparaison avec celles qu'il a endurées pour nous. Il faut agj^randir nos courages et imiter celuy de nostre Capitaine, ne nous rendre jamais, ains combattre vaillamment jus<^iues à la mort, sans nous estonner de la quantité de nos ennemis. Nous aurions voirement rayson d'en demeurer surpris si nous nous appuyions en nos forces, mais il faut se confier en la vertu de Dieu qui est pour nous * si nous combattons * Rom , mx, ^i. pour son amour, et dire à l'imitation de son Apostre* : * Il Cor., «n, lo. Je suis plus fort lors que ie me sens plus foihle. V.i si bien nous commettons des imperfections en combattant, il ne s'en faut point estonner ni perdre courage, tant que nous avons la volonté de nous amender. Je demande maintenant pounjuoy Nostre Seigneur voulut estre tout nud sur la croix. 1-a première rayson fut pour re que. par sa mort, il vouloit remettre l'homme en Testât d'innocence, et les habits (|ue nous jx)rtons sont la manjue du péché. Ne sçavez-vous pas qu'Adam tout aussi tosi qu'il eut prevariqué commenta à avoir honte de luy mesme, et se fit au mieux qu'il peut des vcstemens de feuilles de figuier • ? car devant le péché il n'y • ti«a . m. 7. avoit point d'habits et Adam estoit tout nud. I^ Sauveur  42 Sermons recueillis par sa nudité monstroit qu'il estoit la pureté mesme, et de plus, qu'il remettoit les hommes en estât d'innocence. Mais la principale rayson fut pour nous enseigner comment il faut, si nous voulons luy plaire, nous despouiller et réduire nostre cœur en la mesme nudité qu' estoit son sacré corps, le despouillant de toutes sortes d'affections et prétentions, à fin qu'il n'ayme ni désire autre que luy. C'est le second fruit de la méditation de la Passion que ce despouillement, car le premier c'est l'amour. Un jour le grand abbé Serapion fut trouvé tout nud emmi une rue par quelques uns de ses amis ; ceux- cy, meus de compassion, luy dirent : Qui vous a mis en tel estât et qui vous a osté vos habits, mon cher ami ? Oh, dit-il, « c'est ce livre qui m'a ainsy despouillé, » •VitaePatrum,!. I, parlant du livre des Evangiles qu'il tenoit *. Et moy je Vita S. Joan. Ele- • . . • i • emos., c. XXII. VOUS asseure que rien n est si propre pour nous conduire à une entière resolution de nous despouiller, que la considération de l'incomparable despouillement et nudité du Sauveur crucifié. Je considère que les Juifs, ayant crucifié Nostre Sei- gneur tout nud, luy laissèrent la couronne d'espines sur la teste, et je crois, quoy que leur intention ne fust pas telle, que c'estoit pour tesmoigner que si bien il paroissoit tant mesprisé et deshonnoré, il ne laissoit pas d'estre vrayement Roy. Mais nostre Maistre voulut qu'on luy laissast cette couronne pour nous monstrer qu'il faut que nous ayons nos testes couronnées d'espines par une entière mortification de nostre propre jugement, opi- nions, passions, humeurs et propre volonté ; car c'est en la teste que l'ame fait ses principales fonctions. La Sainte Escriture raconte que pendant que ce malheureux garçon Absalon s'enfuyoit pour se sauver de devant ses ennemis (car il avoit perdu la bataille), ses cheveux estans grans s'entortillèrent autour d'un arbre où il fut • II Reg., xvm, 9. retenu *. Les anciens Pères ** considérant cecy, disent Enarrat. in pfs"iii] qu'il ne faut pas, à cause de la meschanceté d' Absalon, MaK^'/nPs^Pœ'nf ^^^"""^ ^"^ Comparaison ni penser qu'il soit une figure de VII, procem. Nostre vSeigneur ; mais qu'il représente plustost les hommes pécheurs, qui doivent estre attachés à Tarbre  VI. Pou» Li Vesdreoi-Saist 43 de la Croix par toutes leurs pensées, qui sont signifiées par leurs cheveux. Que me reste-t-il plus à adjouster, sinon à vous convier d'escouter ce que saint Paul * nous recommande * Piûiip., u, y aujourd'huy, qui est que nous taschions de ressentir en nous ce que nostre Maistre a ressenti en ce jour pour nous? Qu'est-ce que ce grand Saint veut dire? Veut-il que nous ressentions un amour purement affectif pour Nostre Seij^neur sur la croix ? veut-il que nous pleurions de compassion ? O non, ce n'est pas ce que le Sauveur demande de nous que l'amour affectif qui nous fait jetter des larmes ou nous cause tant de désirs sans effects ; l'enfer est plein de ces désirs*. Vaines sont ces tendretés, •Cf.s.Bern..s«roi. , . , . III lo Temp. Rrtur., que nous voudnons pourtant avoir comme si nostre bien i3;Ser.xixioCjnt. dependoit d'elles; il ne les faut ni désirer ni rechercher. Cela appartient aux esprits foibles de dépendre de ces sen- timens qui ne servent pour l'ordinaire que d'amusrment. C'est l'amour effectif que Nostre Seig^neur demande, et c'est celuy-la, avec l'amour affectif, qu'il nous a monstre sur la croix, joignant fort bien l'un de ces amours à l'autre. Mais voulez-vous sçavoir ce qu'il a ressenti et ce que saint Paul veut que nous ressentions avec luy ? C'est cet anéantissement. // s*est vuidé de luy mesme^ ; il faut • PhUip, u. 7. que nous le fassions aussi, nous anéantissant justjues à nostre rien, et nous vuidant tant qu'il nous sera pos- sible de toutes nos passions, inclinations, aversions, répugnances au bien. De plus, il faut que nous gardions ce ressentiment le reste de nostre vie, sans vouloir jamais estre consolés de la mort de nostre divin Sauveur, ains que nos esprits gardent ce continuel regret, et soyent morts par la continuelle mortification de leurs superfluités, à l'imitation du grand saint Ignace qui disoit que l'on ne pensast pas qu'il vescust, puisqu'il avoit crucifié son amour, ou que son amour estoit crucifié •. Il • Apod s. Dimi. vouloit Signifier qu il avoit tellement mortmf son amour Sonm.. i.iv.in. propre qu'il n'en avoit plus, ou qu'il l'avoii tout logé en Nostre Seigneur crucifié. Il avoit bien rayson, ce grand Saint, d'ass^'urrr qu'il ne vivoit plun, car o«it«r r.îmour de nos âmes c'est leur ester la vie.  44 Sermons recueillis Ne trouvez donques pas estrange si je dis qu'il faut que nos esprits soyent en continuel regret de la mort de nostre Maistre, puisque c'est la mort de nostre amour. Et comment ce divin Sauveur ne seroit-il l'amour de nos âmes, veu qu'il est leur Espoux, et tout particulie- • Vide Piatum, De ment celuy des Religieuses ? car les anciens Pères * Bono Stat. Relig., ,. ^ . ^ i • . i i. , ,11 1 1 ce xxxiii XXXIV disent tout clair et hardiment qu elles ont este espousees 1. il. c.  XIII.  par le Fils de Dieu, et fondent sur cette alliance les relations spéciales que Dieu le Père et Nostre Dame contractent avec elles. Le voile noir qu'elles portent les doit faire resouvenir qu'elles sont espouses d'un homme trespassé. Les mariages du monde se rompent et se desfont par la mort ; mais celuy cy est bien au contraire, car il se fait en la mort et par la mort de nostre Sauveur et unique Maistre. Allez donques, et aymez tellement Celuy qui est mort pour nous unir " Cf. II Cor., V, 14, à luy et pour nous tesmoigner son amour*, que rien ne ^' puisse vivre en vous que luy, à fin que vous puissiez • Gaiat., H, 20. dire avec saint Paul * : Je vis, mais non pas moy, ains Jésus Christ vit en moy. En fin, l'amour a fait mourir nostre Maistre, il ne reste plus sinon que nous vivions d'amour pour luy ; mais non pas d'un amour tel quel, ains d'un amour semblable au sien (je ne dis pas esgal, car il ne se peut), d'un amour fort et courageux qui croisse emmi les contradictions, sans se lasser jamais de combattre pour ce divin Amant. Soyons bien ayses de nous rendre semblables à luy en son abjection en cette vie, couronnant nos testes de la couronne d'espines, à l'imitation de ce grand roy de Hierusalem , Godefroy de Bouillon. Apres qu'il eut conquis la Terre Sainte pour la foy de Nostre Seigneur (car pour lors les infidelles la possedoyent), on voulut mettre une couronne d'or sur son chef ; mais luy, commençant à s'escrier, la refusa disant : A Dieu ne plaise que je sois couronné d'une couronne d'or, où • Guiieim. Tyrius, mon Sauveur et mon Maistre a esté couronné d'espines*! Hist. Rer.Transm., tt ta* -i > • j. » 1. IX, c. IX. Ha Dieu, il n en sera pas ainsy ; apportez -m en une d'espines, telle que celle de mon Maistre, et j'en orneray mon chef. G que ce roy estoit grand en pieté ! il le  VI. Pour le Vendredi-Saint 45 monstra bien par cette action. Si nous choisissons en cette vie la couronne d*espines, indubitablement nous aurons celle d'or après nostre mort, en Teternitê des Bienheureux, où nous jouirons pleinement de l'amour de ce cher Sauveur, qui ne désire rien tant que de nous voir brusler de ce feu sacr<^ duquel il a dit qu'il l'a apporté en terre et (ju'il ne l'a fait sinon à fin qu'il truste*. Amen. • Luc*, xn. 4«.  VII SERMON POUR LE TROISIÈME DIMANCHE DE CARÊME 22 mars 1615 (O Saint Bernard, duquel la mémoire est douce à ceux • Ubi supra, p. 28. qui Ont à parler de l'oraison, escrivant à un Evesque * luy mandoit que tout ce qui luy estoit nécessaire estoit de bien dire (s'entend d'enseigner, de parler), puis de bien faire en donnant bon exemple, en fin de vacquer à l'oraison. Et nous, addressant cecy à tous les Chrestiens, nous arresterons au troisiesme point qui est l'oraison. Remarquons d'abord en passant que, si bien nous condamnons certains hérétiques de nostre temps qui tiennent que l'oraison est inutile, nous ne prétendons pas néanmoins, avec d'autres hérétiques, qu'elle est seule suffisante pour nostre justification. Nous disons seule- ment qu'elle est tellement utile et nécessaire que sans icelle nous ne sçaurions parvenir à aucun bien, d'autant qu'au moyen de l'oraison nous sommes enseignés à bien faire toutes nos actions. J'ay donques approuvé le désir qui m'esmeut à parler ( I ) La date de ce sermon est écrite par l'Auteur sur le Sommaire autogra- phe publié dans le tome précédent sous le n° CV. En outre, les mots : « Nous traitterons donques ces quatre Dimanches suivans... » prouvent que les trois sermons donnés ci-après remontent également au Carême de 1615 ; c'est ce que confirment diverses allusions contenues dans celui du Dimanche des Rameaux (voir pp. 65, 66, 69). A l'appui de notre assertion peut encore être citée une lettre de sainte Jeanne-Françoise de Chantai, écrite au printemps de la même année, dans laquelle il est question de ces discours sur l'Oraison. L'éditeur de 1641 a jugé bon de réunir ces quatre sermons, bien qu'ils soient distingués soigneusement dans les Manuscrits, et de les donner comme ne formant que deux pièces, confusion qui a été maintenue dans les éditions postérieures. Par une inconsidération que l'on a peine à s'expliquer, Vives et Migne attribuent à ces deux pièces le titre suivant : « Sermon de l'Orayson, pouvant se rapporter au cinquiesme » et « an sixiesme Dimanche après Pasques, n  VII. Pour l£ m* Dimanche de Carême 47 de l'oraison, bien que ce ne soit pas mon dessein d'expli- quer chaque espèce d'icelle, parce que l'on en sçaii plus par expérience qu'il ne s'en peut dire. Aussi importe-t-il peu d'en sçavoir les noms, et je voudrois que jamais l'on ne demandast ni le nom ni quelle oraison l'on a ; car s'il est vray, comme le dit saint Anthoine *, que 'CaMUo..Coii.lx, l'oraison en laquelle on s'apperçoit que l'on prie est ^' *""' imparfaite, aussi celle que l'on fait sans sçavoir comment on la fait et sans refleschir sur ce que l'on demande, monstre assez que l'ame est fort occupée en Dieu, et par conséquent cette oraison est fort bonne. Nous trait- terons donques ces quatre Dimanches suivans de la cause finale de l'oraison, de la cause efficiente, de celle qui ne se peut pas proprement appeller matérielle, ains de son objet, et de la cause effective ou de l'oraison en elle mesme. Pour maintenant je ne parleray que de la cause finale; mais avant que d'entrer dans le sujet de l'oraison, il faut que je dise trois ou quatre petites choses qu'il est bon de sçavoir. Quatre actions appartiennent à nostre entendement : la simple pensée, l'estude, la méditation et la contem- plation •. I-a simple pensée est lors que nous allons •Cf.Tr.dtrAm.d* courant sur une jurande diversité de choses, sans aucune ""' * •^^•'•"• fin, comme font les mouches qui se vont posant sur les fleurs sans en prétendre tirer aucun suc, ains s'y posent seulement parce qu'elles s'y rencontrent. Ainsy nostre entendement passant d'une pensée à une autre, bien que ces pensées soyent de Dieu, si elles n'ont une fin, loin d'estre bonnes elles sont inutiles et nuisil)les et apportent un j^rand empeschement à l'oraison. Une autre action de nostre entendement est l'estude, et celle cy se fait lors que nous considérons les choses seulement pour les sçavoir, pour les bien entendre et pour en pour mieux entendre, nous dirons que quand nous voulons faire quelque chose, nous regardons tousjours à la fin premier qu'à l'œuvre. Par exemple, si nous fai.sons bastir une église et que l'on nous demande pourquoy nous la faisons faire, nous respondrons que c'est pour nous y retirer, et là dedans chanter les louanges de Dieu ; néanmoins ce sera la dernière chose que nous ferons. Une autre similitude : si vous entrez en la chambre d'un prince, vous y verrez une volière de divers petits oyseaux qui sont dans une cage bien colorée et bien accommodée ; et si vous voulez sçavoir la fin pour laquelle on les y a mis, c'est pour donner du playsir à leur maistre. Si vous allez regarder en un autre lieu, vous y verrez des esperviers, faucons et tels oyseaux de pro^e qui sont chaperonnés, et ceux là sont pour prendn^ la perdrix et autres oyseaux pour nourrir délicatement le prince. Mais Diru qui n'est i>oint carnassier, ne tient pas de ces oyseaux de proje, ains seulement des petits oysclets qui sont enfermés dans la volière pour luy donner du playsir. Par ces petits oyselets toia III 4  50  Sermons recueillis  * Lucae, xvm, i.  *Eus8b.,Hist.,l.II, ce. XVI, XVII. Cf. tom. praeced.hujus Edit.,p.i66,ettom. VI, p. 322.  * V^ide Commentar. in Ps. I, 3, et in Marc, VIII, 24.  • S. Aug., Lib. de Spir.et An./^Ao^. in App,),c.L;S. Joan. Dam., De Fide Or- thod., 1. III, c. XXIV. • Communiter,sen- su strictiori.  • Chronica Fratr. Min.. 1. VII, c. XX. Cf. Tr. de V Am. de Dieu, 1. V, c. VII, 1. XII, c. lu.  on représente les Religieux et Religieuses qui se sont volontairement renfermés es monastères pour chanter les louanges de leur Dieu ; aussi leur principal exercice doit estre l'oraison et d'obéir à cette parole que Nostre Seigneur dit en l'Evanorile * : Priez sans cesser. Les anciens Chrestiens qui estoyent eslevés par saint Marc l'Evangeliste * estoyent si assidus à l'oraison, que pour cela plusieurs des anciens Pères les surnommèrent les supplians, et d'autres les appellerent médecins, parce que par le moyen de l'oraison, ils trouvoyent remède à tous leurs maux. On les nomma encores moines, parce qu'ils estoyent fort unis ; aussi le nom de moine signifie-t-il unique. Les philosophes payens disoyent que l'homme est un arbre renversé*, d'où nous pouvons conclure combien l'oraison est nécessaire à l'homme, puisque l'arbre n'ayant suffisamment de terre pour couvrir ses racines, ne peut subsister; aussi l'homme qui n^a une particulière attention aux choses célestes, ne sçauroit non plus subsister. Or l'oraison, suivant la pluspart des Pères, n'est autre chose qu'une « eslevation d'esprit aux choses célestes*; » d'autres disent que c'est une demande*; mais les deux opinions ne se contrarient point, car en eslevant nostre esprit à Dieu, nous luy pouvons demander ce qui nous semble estre nécessaire. La principale demande que nous devons faire à Dieu c'est l'union de nos volontés à la sienne, et la cause finale de l'oraison consiste à ne vouloir que Dieu. Aussi toute la perfection y est-elle enclose, comme dit le Père Gilles*, compaignon de saint François, lors qu'un certain personnage luy demanda comme il pourroit faire pour estre bien tost parfait : « Donne, » respondit il, (( l'une à l'un ; » c'est à dire : Tu n'as qu'une ame et il n'est qu'un Dieu ; donne luy ton ame et il se donnera à toy. La cause finale de l'oraison ne doit donques pas estre de vouloir ces tendretés et consolations que Nostre Seigneur donne aucunefois, puisque l'union ne consiste pas en cela, ains au vouloir de Dieu.  VIII SERMON POL'R LE QUATRIÈME DIMANCHE DE CARÊME 39 mars 1615  Nous avons maintenant à parler de la cause efficiente de l'oraison ; il nous faut donques s^avoir qui peut et c[ui doit prier. I^ question seroit bien tost résolue si nous disions que tous les hommes peuvent prier et que tous le doivent faire, mais à fin de mieux satisfaire les esprits nous traitterons cette matière plus au lonjj. Premièrement, il faut que nous sçachions que Dieu ne peut point prier, puisque la prière est une demande qui se fait par grâce et qu'elle exige de nous une connois- sance que nous avons besoin de quelque chose, car l'on n'a pas accoustumé de demander ce cju'on possède desja. Or, Dieu ne peut rien demander par grâce, ains tout par authorité ; de plus, il ne peut avoir besoin de rien, d'autant qu'il possède toutes choses : c'est donques tout asseuré que Dieu ne peut ni ne doit prier. Kt cela soit dit quant à Dieu. Plusieurs des anciens Pères •, et mesme saint (iregoire * Cf. Sujrci. In ^azian/.ene •, enseignent que Nostre beigneur Jésus tho». . qa. s», Christ ne peut non plus prier (entant que Dieu il est lonit.*»»» 1 nv tout évident , puisqu'il est un mesme Dieu avec son Père; nous en avons desja parlé). Ils fondent hur npinioD sur ce que ce divin Sauveur dit à ses D . -s • : •Jo*n.,«Tt, 1*.»*, Je m'en vay à mon Père, mais je ne dis pas que je prier ay ; et ils adjoustent : S'il ne dit pas cju'il va prier, pourquoy le dirons-nous, nou.n autres ? L'autre partie des Pères tiennent que Nostre Seigneur prie*, * Cf. Ssarvi. «M parce que son bien-aymê a esrrit, en parlant de son Maisirc, que nous avons un Advocat auprès Ju Per*- * . n. ».  ji Sermons recueillis Néanmoins les uns et les autres ne se contrarient pas, bien qu'il le semble, en la diversité de leurs opinions ; car il est certain que Nostre Seigneur Jésus Christ ne doit point prier, mais peut, par justice, demander à son Père ce qu'il veut. Aussi voit-on que les advocats n'ont pas accoustumé de demander par grâce, ains selon la justice, les droits desquels ils traittent. Le Sauveur ne demande pas sans bonnes enseignes, car il monstre ses playes à son Père quand il veut en obtenir quelque chose. Pourtant, c'est une vérité toute asseurée que si bien Nostre Seigneur demande ce qu'il veut par justice, il ne laisse pas, entant qu'homme, de s'humilier devant son Père, luy parlant avec une si grande révérence et faisant de plus profonds actes d'humilité que jamais créature n'a sceu ni n'a peu faire ; si que sa demande se peut appeller prière. Nous trouvons en quelques endroits de l'Escriture que •Rom.,viii, 26, 27. le Saint Esprit a prié et qu'il a fait oraison*. Cela ne se doit pas entendre qu^'il ait prié, car il ne le peut, estant esgal au Père et au Fils ; mais cela veut dire qu'il a inspiré l'homme à faire une telle prière. Les Anges prient, et cela nous est monstre en plusieurs • Tob. , XII, 12 ; endroits de la Sainte Escriture *. Mais pour les hommes poc, VIII, 3, 4. ^^^ ^^^^ ^^ ç,.^^ nous n'en avons pas tant de tesmoi- gnages , parce que devant que Nostre Seigneur fust mort, ressuscité et monté au Ciel il n^y avoit point d'hommes en Paradis ; ils estoyent tous au sein d'Abra- ham. C'est pourtant une chose toute claire que les Saints et les hommes qui sont en Paradis prient, puisque les Anges avec lesquels ils sont prient. Voyons maintenant si tous les hommes peuvent prier. Je dis qu'ouy, et que pas un ne se peut excuser de le faire , non pas mesme les hérétiques. Aussi y eut-il •Cf.Act.,x,4,3o,3i. une fois un payen * qui fit une oraison si excellente qu'elle mérita d'estre présentée devant le throsne de la divine Majesté ; et Dieu luy octroya la grâce de luy bailler le moyen d'estre instruit en la foy, et despuis fut un grand Saint emmy les Chrestiens. Il est vray que les grans pécheurs ont Vjeaucoup de difficulté à faire  VIII. Pour le iv« Dimamchi ot Carême 53 Toraison. Ils ressemblent aux petits oyseaux lesquels dès qu'ils ont pris leurs panaches peuvent voler d'eux mesmes par le moyen de leurs aisles ; mais s'ils se viennent ix)ser sur le plu qu'on leur a préparé pour les prendre, qui ne voit que cette humeur visqueuse leur serrera les aisles et qu'après ils ne pourront pas voler ? Ainsy en arrive-t-il aux pécheurs, lesquels se meslent et se posent dessus l'humeur visqueuse des vices, si qu'ils se laissent tellement serrer au péché qu'ils ne peuvent se guinder au Ciel par l'oraison. Néanmoins, entant qu'ils sont capables de la grâce, ils peuvent faire orai- son. Il n'y a que le diable qui ne la puisse faire, parce qu'il n'y a que luy seul qui soit incapable d'amour. Il nous reste maintenant à déclarer quelles sont les conditions qu'il faut avoir pour bien faire l'oraison. Je sçay bien que les anciens qui traittent cette matière en rapportent beaucoup : les uns en comptent quinze, les autres, huit. Mais puisque ce nombre est si grand, je me restreins et n'en diray que trois. La première est qu'il faut estre petit en humilité ; la seconde, grand en espé- rance, et la troisiesme, qu'il faut estre enté sur Jésus Christ crucifié. Parlons d'alx)rd de la première cjui n'est autre que cette mendicité spirituelle de laquelle Xostre Seigneur dit : Bienheureux sont les tncndians J'esprit, car à eux appartient le Royaume des deux*. Et si bien •M*tt., r. i:)««t« aucuns des docteurs interprètent ainsy cette parole : ^'*** Bienheureux les pauvres d'esprit, ces deux interpré- tations ne sont pas contraires, parce que tous les pauvres sont mendians s'ils ne sont glorieux, et tous les men- dians sont pauvres s'ils ne sont avaritieux *. Il faut T' Urm. donques, jxiur bien faire oraison, que nous reconnoissions " iïv# que nous sommes pauvres et que nous nous humiliions ^ grandement; car ne voyez-vous pas qu'un tireur d'arba- lète quand il veut de.scocher un grand trait, plus il veut tirer haut et plus il tire la corde de son arc en bas ? Ainsy faut-il que nous fassions quand nous voulons que nostre prière aille jusqu'au Ciel ; il faut que nous nous approfondissions par la connoissance de nostre rien.  c. o.  54  Sermons recueillis  •Ps. cxxix, r, 2; cf. David * nous advertit de le faire par ces paroles : Quand ce i., xxx^ ,21. ^^ voudras faire oraison, dit-il, approfondis-toy tellement en l'abisme de ton néant, que tu puisses par après sans difficulté descocher ta prière comme une sagette jusque dans les Cieux. Ne voyez-vous pas que les grans voulant faire monter une fontaine au plus haut de leurs chasteaux, vont pren- dre la source de cette eau en quelque lieu fort eslevé, puis la conduisent par des tuyaux, la faisant descendre autant qu'ils veulent qu'elle monte? car autrement l'eau ne monteroit jamais. Et si vous leur demandez comme ils l'ont fait monter, ils vous respondront qu'elle monte par cette descente. Tout de mesme en est-il de l'oraison ; car si on demande comme est-ce qu'elle peut monter au Ciel, on vous respondra qu'elle y monte par la descente de l'humilité. L'Espouse au Cantique des •Cap. m, 6, VIII, 5. Cantiques * fait esmerveiller les Anges et leur fait dire : Oiii est celle cy qui vient du désert, et qui monte comme une verge de fumée odoriférante, composée de myrrhe et d'encens et de toutes les bonnes odeurs du parfumeur, et qui est appuyée sur son Bien- Aymé ? L'humilité en son commencement est un désert, bien qu'à la fin elle soit fort fructueuse, et l'ame qui est humble pense estre un désert où n'habitent ni oyseaux, ni mesmes les bestes sauvages, et où il n'y a aucun arbre fruitier. Passons maintenant à l'espérance, qui est la seconde condition nécessaire pour bien faire l'oraison. L'Espouse venant du désert, monte comme un rejeton ou verge de fumée odoriférante, composée de la myrrhe. Cecy représente l'espérance, car si bien la myrrhe jette une odeur suave, elle est pourtant amere à gouster ; aussi l'espérance est-elle suave entant qu'elle nous promet de jouir un jour de ce que nous desirons, mais elle est amere parce que nous ne sommes pas en la jouis- sance de ce que nous aymons. L encens est bien plus proprement le symbole de l'espérance, parce qu'estant mis dessus le feu il jette tousjours sa fumée en haut ; aussi faut il que l'espérance soit posée dessus la charité,  VIII. Pour le iv« Dimanche de Carême 55 autrement ce ne seroit plus espérance, ains présomption. L'espérance se guindé comme une sagette jusques à la porte du Ciel, mais elle n'y peut pas entrer parce qu'elle est une vertu toute de la terre ; si nous voulons que nostre oraison pénètre le Ciel * il faut aiguiser la flèche •EccU..obicontr». avec la meule de l'amour. Venons à la troisiesme condition. Les Anges ài:îcnt que TEspouse est appuyce sur son Bien-Aymé ; aussi avons-nous veu que pour dernière condition, il faut estrc ente sur Jésus Christ crucifié. L'Iîspoux ayant une fois loué son Hspouse disant qu'elle estoit comme un lis entre les espines, elle par contreschange respond : Mon Bien-Aymé est comme un pommier entre les halliers; cet arbre est tout chargé de feuilles, de fleurs et de fruits, je me reposeray à son ombre et recevray les fruits qui tomberont sur mon giron et les mangeray, et les ayant maschés je les gousteray en mon gosier, où je les trouveray doux et suaves*. Mais cet arbre où est-il • Cant.. n, », 3. planté ? en quel verger le trouverons-nous ? Sans doute il est planté sur le mont de Calvaire, et il se faut tenir à son ombre. Mais quelles sont ses feuilles ? Ce n'est autre chose que l'espérance que nous avons de nostre salut par le moyen de la Mort du Sauveur. Et ses fleurs? Ce sont les prières qu'il faisoit pour nous à son Père*; •Cf. Hcb., ▼, 7. les fruits sont les mérites de sa Mort et Passion. Demeurons donques au pied de cette Croix, et n'en partons point que nous ne soyons tout détrompés du sang qui en descoule. Sainte Catherine de Sienne eut une fois un excès en méditant la Mort et Passion de Nostre Seigneur : il luy fut advis qu'elle estoit dedans un Ixiin fait de son précieux sang ; et quand elle fut revenue à elle, elle vit sa robe toute rouge de ce sang, mais les autres ne la voyoient pas*. Aussi ne faut-il point * Cf. B. Rayn. d» aller à l'oraison que nous n'en soyons arrosés, au moins ''j^ s'en faut-il arro.ser dès le matin en sa première prière. Saint Paul escrivant A ses chers enfans* leur mandoit -K-m.. âiu,!*. qu'ils se revestissent de Nostre Seigneur, c'est à dire de son sang. Mais qu'est-ce estrc revestu de ce sang ? Ne sçavcz-vous pas que l'on dit : Vovla un homme tjui  56 Sermons recueillis est revestu d'escarlatte ; et l'escarlatte est un poisson. Cet habit est fait de laine, mais il est teint au sang du • Cf. tom. praeced. poisson *. Et ainsy, encores que nous soyons revestus de "^* ^ ■' ^' ^ ' laine, s'entend que nous fassions de bonnes œuvres, entant qu'elles sont de nous elles n'ont aucun prix ni valeur si elles ne sont teintes dans le sang de nostre Maistre, le mérite duquel les rend aggreables à la divine Majesté. Lors que Jacob voulut avoir la bénédiction de son père Isaac, sa mère luy fit apprester un cabri en la sauce de la venaison, parce qu'Isaac l'aymoit ; mais de plus elle luy fit mettre des gans de poils, parce qu'Esaii, le fils aisné à qui appartenoit la bénédiction , estoit tout velu. Elle luy fit encores mettre la robe parfumée qui estoit destinée pour l'aisné de la mayson, et le mena ainsy à son mary qui estoit aveugle. Jacob demandant la béné- diction, Isaac se print à luy toucher les mains, puis s'escria tout haut : Ha, que je suis en grand peine ! la voix que j'entens est de mon ^\s Jacob, mais les mains que je touche sont d'Esaû. Et ayant senti la robe parfumée il dit : La bonne odeur que j'ay senti a causé tant de suavité à mon odorat, que je donne la bénédiction • Gen., XXVII, 9-29. à mon fils*. Ainsy, nous autres, ayant appresté cet • I Pétri, 1, 19. Aigneau sans macule^ et l'ayant présenté au Père éternel pour rassasier son goust, lors que nous luy demanderons sa bénédiction, il dira, si nous sommes revestus du sang de Jésus Christ : La voix que j'entens est de Jacob, m,ais les mains, qui sont nos mauvaises œuvres, sont d'Esaû; néanmoins, à cause de la suavité que j^ay à sentir V odeur de sa robe, je luy donne ma bénédiction. Ainsy soit-il.  IX  SERMON POUR LK DIMANCIIF DF. lA PA5>SI(1N'  5 avril 1613  Nous avons monstre que la tin de l'oraison est nostre union avec Dieu et cjue tous les hommes qui sont en la voye de salut peuvent et doivent prier ; mais il nous demeura un scrupule en nostre dernière exhortation*, à •Etcf.tom.pmc^d, sçavoir mon, si les pécheurs peuvent estre exaucés, car rr ^, ^ ne voyez-vous pas que l'aveugle-né duquel il est parlé en l'Evanjfile *, et que Nostre Seigneur illumina, dit à •Jomi., «,31. ceux (jui rinterrogeoyent que Dieu n'exauçoit point les pécheurs ? Mais laissons-le dire, car il parloit encores comme aveugle. Il nous faut donques sçavoir qu'il y a trois sortes de pécheurs : les pécheurs impenitens, les pécheurs peni- tens et les pécheurs justifias. Or, c'est une chose asseuréc que les pécheurs impenitens ne .sont j>oint exaucés, d'autant qu'ils veulent croupir en leurs péchés ; aussi leurs oraisons .sont-elles en abomination devant Dieu. Luy mesme le fait entendre à ceux qui luy disoyent : Nous avons j'eusné et affligé nos âmes, et vous n'ave^ point regardé^. Ht Dieu respondant leur dit : Vos • I»., itoi. j. jeusnes, vos afflictions et vos festes me sont en abomi- nation» d'autant qu'emmi tout cela vous avez vos mains ensan/i^lante'es*. I^i prière de tels pécheurs ne sçauroit • Ibid., tt- 1-*; •. entre bonne, parce «jue nul ne peut dire Jésus sinon •'•**•"*• ' en la vertu du Saint Esprit •, et nul ne peut appcller • 1 Cor., m. >. Dieu Père, qu'il ne soit adopté pour son fils*. Le • to» . ▼««, 1% : pécheur qui veut persévérer en son péché ne sçauroit prononcer le nom souverain de Nostre Seigneur, puis- qu'il n'a pas le Saint Esprit avec luy. car il n'habite  ^8 Sermons recueillis • Sap., 1, 4, 5. point au cœur souillé de péché *. Ne sçavez-vous pas aussi que nul ne peut avoir accès vers le Père que par • joan., XIV, 6, 13, la vertu du nom de son Fils, comme luy mesme a dit * ^^^' '^' que tout ce que l'on demanderoit à son Père en son nom on l'obtiendroit ? Les prières du pécheur impénitent ne sont donc point aggreables à Dieu. Venons au pécheur pénitent. Sans doute on luy fait tort de l'appeller pécheur, car il ne l'est plus, puisqu'il déteste desja son péché ; et si bien le Saint Esprit n'est pas encores en son cœur par résidence, il y est néan- moins par assistance. Qui est-ce à vostre advis qui luy donne ce repentir d'avoir offensé Dieu, sinon le Saint Esprit , puisque nous ne sçaurions avoir une bonne • II Cor., III, 5. pensée pour nostre salut s'il ne nous la donne*? Mais ce pauvre homme n'a-t-il rien fait de son costé ? Si a, certes ; escoutez les paroles de David : Seigneur, dit-il, vous m'avez regardé lors que j'estois en la fondrière de mon péché, vous m'avez ouvert le cœur et je ne l'ay pas refermé, vous m'avez tiré et je me suis laissé aller, vous •Pss. CI, 18, 20, 21, m'avez poussé et j'en' ay pas reculé'^. Nous avons des cil, 3>4, s., L, 5. pj.g^yg5 gji quantité que les prières des pécheurs peni- tens sont aggreables à la divine Majesté, mais je me contenteray de vous apporter l'exemple du publicain, lequel monta au Temple pécheur et en sortit justifié •Lucae, XVIII, 10-14. par le mérite de l'humble prière qu'il fit*. Passons maintenant à la matière de l'oraison. Je ne diray rien de son objet, car j'en parleray Dimanche. La matière de l'oraison est de demander à Dieu tout ce qui est bien ; mais il faut que nous sçachions qu'il y a deux sortes de biens, les biens spirituels et les biens corpo- rels ou temporels. L'Espouse, au Cantique des Cantiques, ayant louange son Bien -Aymé disant qu'il avoit les •Cap. V, 13. lèvres comme un lis qui distille la myrrhe'^, son Espoux luy respond en contreschange qu'elle a le miel • Cap. IV, II. et le lait dessous la langue *. Je sçay bien qu'on interprète ces paroles en cette •s. Gregor. Mag , façou *, sçavoir est, que les prédicateurs preschant au iiTîocum!'^'^ ^^^ ' peuple ont le miel dessous la langue^ et parlant à Dieu par la prière qu'ils font pour le peuple, ils ont le lait  IX. Pour l£ Dimanche de la Passion 59 dessous la langue. D'après une seconde interprétation *, 'GiibAbb ,Scrm. 1 1- t 1 -A 3 If X«X!V 1:1 Cji* . \ 4 les prédicateurs ont encores le lait dessous la langue lir 1.); lors qu'ils preschent les vertus de Nostre Seigneur " .\* entant qu'homme : sa douceur, sa mansuétude, sa mise- ».^ ..,,^^.^^ «d Myiuci. ricorde ; et ils ont le m tel dessous la langue parlant de sa divinité. Plusieurs se trompent en ce qu'ils pensent que le miel soit fait seulement du suc des fleurs. Le miel est une liqueur qui descend du ciel parmi la rosée *, ' Vide «pra. p. 7. et tombant dessus les fleurs elle prend le goust d'icelles. comme font toutes les liqueurs que l'on met dans des vaisseaux qui ont quelque sorte de goust. Le miel repré- sente donques les perfections divines lesquelles sont toutes célestes. Mais appliquons ces paroles de TEspouse à nostre oraison. Nous avons dit qu'il y a deux sortes de biens que nous pouvons demander en icelle, les biens spirituels et les biens corporels. Entre les biens spirituels il y en a de deux sortes : les uns nous sont nécessaires pour nostre salut, et ceux cy nous les devons demander à Dieu simplement et sans condition, car il nous les veut donner; les autres biens, quoy que spirituels, nous les devons demander sous les mesmes conditions que les biens corporels, sçavoir, si c'est la volonté de Dieu et si c'est pour .sa plus grande gloire ; et sous ces conditions nous j>ouvons tout demander. Or, ces biens spirituels nécessaires pour nostre salut, signifiés par le miel que l'Espouse a dessous la langue y sont la foy, l'espérance, la charité et les autres vertus qui nous conduisent à celles là. Les autres biens spirituels sont les extases, les ravissemens, les douceurs et consolations, toutes lesquelles choses nous ne devons point recjuerir de Dieu que sous condition, parce qu'elles ne sont aucu- nement nécessaires \yo\ir nostre salut. Il y en a qui pensent que s'ils estoyent doués de sapience ils seroyent bien plus capables pour aymer Dieu, et cela n*est pas. Vous vous resouviendrez bien qu'une fois le frère (iilles s'en alla trouver saint liona- venture et luy dit : O que vous estes heureux, mon Père, d'estre si svavant, car vous pouvez bien plus aymer  6o Sermons recueillis Dieu que nous autres qui sommes ignorans. Lors, saint Bonaventure luy respondit que la science ne luy aydoit point à a3^mer Dieu, et qu'une simple femme le pouvoit • Chronica Fratr. autant aymer que les plus doctes hommes du monde *. Min., 1. VII, c.xn'. ^^ . . . , . - Cf. 2r. de /'Am. de Mais qui ne voit la tromperie de ceux qui sont tous- Dteu, 1. VI, c. IV. jours après leur père spirituel pour se plaindre dequoy ils n'ont point de ces tendretés et consolations en leurs oraisons ? Ne voyez-vous pas que si vous en aviez vous ne pourriez eschapper à la vaine gloire, et ne sçauriez empescher que vostre amour propre ne s'y compleust, en sorte que vous vous amuseriez plus aux dons qu'au Donateur ? C'est donques une grande miséricorde que Dieu vous fait de ne vous en point donner ; et ne faut pas perdre courage pour cela, puisque la perfection ne consiste pas à avoir de ces gousts et tendretés, ains à avoir nostre volonté unie à celle de Dieu. C'est ce que nous pouvons et devons demander à la divine Majesté sans condition. Tobie estant desja vieux et voulant mettre ordre à ses affaires, commanda à son fils de s'en aller en Rages pour retirer quelque somme qui luy estoit deuë ; et pour ce faire, il luy bailla une police au moyen de laquelle on ne •Tobiae, IV, 21, 2 2, luy pouvoit refuser son argent*. Ainsy faut-il que nous ^' ^' ^' fassions quand nous voudrons demander au Père éternel son Paradis, l'aggrandissement de nostre foy, son amour, toutes lesquelles choses il nous veut donner, pourveu que nous portions la police de la part de son Fils, c'est à dire que nous luy demandions tousjours au nom et par les mérites de Nostre Seigneur. Ce bon Maistre nous a bien monstre l'ordre qu'il failloit tenir en nos demandes, nous ordonnant de dire • Matt., VI, 9-II ; au Pater * .* Sanctificetur nomen tuum, adveniat ucae, XI, 2, 3. Regnutn tuum, fiât voluntas tua. Nous devons donc demander premièrement que son nom soit sanctifié, c'est à dire qu'il soit reconneu et adoré par tous les hommes; en suite de quoy nous demandons ce qui nous est le plus nécessaire, à sçavoir que son Royaume nous advienne, que nous puissions estre des habitans du Ciel ; et puis, que sa volonté soit faite. Et après ces  IX. Pour le Dimanche de la Passion 6i trois demandes nous adjoustons : Donnez-nous aujour- d'huy nostre pain quotidien. Jésus Christ nous fait dire : Donne\-nous nostre pain quotidien, parce que dessous ce nom de pain tous les biens temporels sont compris. Xous devons estre grandement sobres à deman- der ces biens icy, et devrions beaucoup craindre en les demandant, parce que nous ne sçavons si Nostre Seigneur ne nous les donnera point en son courroux*. C'est •S.Aagttft-,S«rmo e ^- t 1 ^ cccur,c. ru; «Iibi. pourquoy ceux qui pnent avec perfection demandent fort peu de ces biens, ains demeurent devant Dieu comme des enfans devant leur père, remettant en luy toute leur confiance; ou bien comme un valet qui sert bien son maistre, car il ne va pas requérant tous les jours sa nourriture, mais ses services dcmamlent assez pour luy. Cela soit dit quant à la matière de l'oraison. I^s anciens Pères remarcjucnt qu'il y a trois sortes d'oraisons, à sçavoir, l'oraison vitale, l'oraison mentale et l'oraison vocale*. Nous ne parlerons pas maintenant * Cf. tom. prac«d. de la mentale, ains seulement de la vitale et vocale. "'* * ' *** ^' Toutes les actions de ceux qui vivent en la crainte de Dieu sont des continuelles prières, et cela se nomme oraison vitale. Il est dit que saint Jean estant au désert ne se nourrissoit que de locustes *, ou sauterelles et * Matu, n, 4. cigales, qu'il ne mangeoit point de raisin, ni ne Ixïuvoit cervoise ou chose qui peust enivrer*. Je ne m'arresteray * ^ '* '. «v pas sur tout cela, ains seulement sur ce qu'il ne man- geoit que des locustes ou cigales. L'on ne sçait si les cigales sont célestes ou terrestres, car elles se jettent continuellement du costé du ciel, mais aussi elles retombent parfois sur terre; elles se nourrissent de la rosée qui tombe du ciel et vont tous- jours chantant, et ce que l'on entend n'est autre chose qu'un retentissement ou gazouillement qui se fait dans leurs intestins*. A bon droit donc le bienheureux saint t Jean se nourrissoit de cigales, puisqu'il estoit luy n* une cigale mystique. L'on ne sçavoit s'il estoit «. . ou terrestre, car si bien il touchoit aucuneluis la trr pour prendre .ses nécessites, il se relevoit soudain et »o jcttoit du costé du Ciel, se nourrissant plus des viandes  02 Sermons recueillis célestes que non pas des terrestres. Ne voyez-vous pas sa grande abstinence ? Il ne mangeoit que des locustes et ne beuvoit que de l'eau, encores bien sobrement. Il chan- toit aussi presque continuellement les louanges de Dieu, *joan.,i, 23. car luy mesme estoit une voïx*; bref, sa vie estoit une continuelle prière. De mesme peut-on dire que ceux qui donnent Taumosne, qui visitent les malades et s'exercent à toutes telles bonnes œuvres font oraison, et ces mesmes bonnes actions demandent à Dieu recompense. Venons maintenant à l'oraison vocale. Ce n'est pas faire oraison que de marmotter quelque chose entre ses lèvres si l'attention du cœur n'y est jointe ; car pour parler il faut avoir premièrement conceu en son intérieur ce qu'on veut dire. Il y a la parole intérieure et la parole vocale, laquelle fait entendre ce que l'intérieure a premièrement prononcé. La prière n'est autre chose que parler à Dieu ; or il est certain que parler à Dieu sans estre attentif à luy et à ce qu^on luy dit, est une chose qui luy est fort desaggreable. Un saint personnage ra- •P.Bernardinusde conte * que l'on avoit appris à un perroquet ou papeofay Bustis, Marialia. , . ,, . w • ^ . .^ / a réciter l Ave Maria ; cet oyseau ayant une fois pris le vol, un espervier vint fondre sur luy; mais le perroquet se prenant à repeter VAve Maria, l'espervier le laissa aller. Ce n'est pas que Nostre Seigneur exauçast la •Levitic, xi, 19. prière du perroquet; non, car c'est un oyseau immonde*, aussi n'estoit-il pas bon pour les sacrifices ; néanmoins il permit cela pour monstrer combien cette oraison luy est aggreable. Les prières de ceux qui les font comme • is., I, 13. ce papegay sont en aboinination à Dieu* qui regarde •Prov., XXIV, 12. plus au cœur "^^ de celuy qui prie que non pas aux paroles qu'il dit. Il faut que nous sçachions que les oraisons vocales sont de trois sortes : les unes sont commandées, les autres recommandées , les autres libres et de bonne volonté. Celles qui sont commandées sont le Pater et la Créance que nous devons reciter tous les jours, car Nostre Seigneur nous le fait bien entendre quand il ' Ubi supra, p. 60. dit* : Donue^-nous aujourd'huy nostre pain quoti- dien ; cela nous monstre qu'il le faut demander tous  IX. Pour le Dimanche de la Passion 63 les jours. Et si vous me dites que vous n*avez point prié d'aujourd'huy, je vous respondray que vous ressemblez aux bestes. Ijcs autres prières commandées sont les Offices, pour nous autres qui sommes d'Eglise, et si nous en laissons quelque notable partie nous péchons. Celles qui sont seulement recommandées sont les Pater ou Rosaires qui sont ordonnés pour gagner les indulgences ; laissant de les dire nous ne péchons pas, mais nostre bonne Mère l'Eglise, pour monstrer qu'elle désire que nous les disions, donne des indulgences à ceux qui les recitent. Les prières de bonne volonté sont toutes celles que Ton fait outre celles dont nous venons de parler. Bien que les prières que l'on fait volontairement soyent fort Ixînnes, les recommandées sont de beaucoup meil- leures, parce que la sainte vertu de la souplesse y intervient. C'est comme si nous disions : Vous desirez, ma bonne mère l'Eglise, que je fasse cela; et encores que vous ne me le commandiez pas, je suis bien ayse de le faire pour vous contenter. 11 y a desja un peu d'obéis- sance. Mais les prières qui .sont de commandement ont un prix tout autre, à cause de l'obéissance qui y est attachée , et c'est sans doute qu'il y a aussi plus de charité. Or, entre ces prières, les unes sont communes et les autres particulières. Les communes sont les Messes, les Offices et celles que nous faisons en temps de calamités. O Dieu, que nous devrions venir avec lx?aucoup do révérence à ces Offices, mais tout autrement préparés que non pas pour les prières particulières, parce qu'en celles cy nous ne traittons avec Dieu que de nos affaires, ou si nous prions pour l'Eglise nous le faisons par charité ; mais aux prières communes nous prions pour tous en gênerai. Saint Augustin raconte • qu'estant • Coo(cm . l. IX, encor payen il entra dans une église où saint Ambr faisoit chanter l'Office alternativement, comme des| on a fait ; il fut tellement ravi et hors de soy qu il pensoit estre en Paradis. Plusieurs asseurent qu'ils ont veu souvcnlefoi» venir le» Anges troupes »i troupes p<»ur assister aux Offices divins. Avec quelle attention n'y  X,C.«11BI.  64 Sermons recueillis devrions-nous donc pas assister, puisque les Anges sont presens et répètent là haut en TEglise triomphante ce que nous disons ça bas ! Mais peut estre dirons nous que si nous avions veu une fois les Anges à nos Offices nous y apporterions plus d'attention et de révérence. Ah non, pardonnez moy, certes il n'en seroit rien ; car si nous avions esté • II Cor., XII, 2. ravis avec saint Paul jusqu'au troisiesme ciel *^ voire si nous avions demeuré trente ans en Paradis, si la foy ne nous establit, tout cela n'y feroit rien. C'est une chose que j'ay souventefois pesée, que saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, après avoir veu Nostre Seigneur en sa Transfiguration, ne laissèrent pas de le quitter en sa Mort et Passion. Nous ne devrions jamais venir aux Offices, principa- lement nous autres qui les disons en chant, sans faire des actes de contrition, et sans demander l'assistance du Saint Esprit, premier que de les commencer. O que nous sommes heureux de commencer à faire ça bas ce que nous ferons éternellement au Ciel, où nous condui- sent le Père, le Fils et le Saint Esprit. Amen.  X SERMON POUR LK DIMANXHE DES RAMEAUX 12 avril 1615 Il me reste ii déclarer la division qu'il y a en l'oraison, soit mentale soit vocale. Nous allons à Dieu en deux façons pour le prier, lesquelles nous sont toutes deux recommandâmes de Nostre Seij^neur et commandées de nostrc sainte Mère l'Kglise : à sçavoir, nous prions aucunefois immédiatement Dieu, et d'autres fois media- temcnt, comme quand nous disons les antiennes de Nostre Dame, le Salve Regina et autres. (Juand nous prions immédiatement nous exerçons la confiance filiale qui est fondée sur la foy, l'espérance et la charité ; quand nous prions mediatement et par l'entremise de quel- qu'autre, nous pratticjuons la sainte humilité qui provient de la connoissance de nous mesme. Quand nous allons immédiatement à Dieu nous protestons de sa bonté et de sa miséricorde en latiuelle nous mettons toute nostre confiance ; mais quand nous prions mediatement et que nous implorons l'assistance de Nostre Dame, des Saints et lisprits bienheureux, c'est à fin d'estre mieux receus de la divine Majesté, et alors nous protestons de sa f^randcur et toute puissance, et de la révérence que nous luy devons. J'ay désir d'adjouster encores un mot au discours que je fis l'autre jour • de la révérence extérieure que nous • Vt4i« ^^. ky devons avoir en faisant oraison. Nostre Mère rKjçlisc marque toutes les postures qu'elle veut que nous tenions en recitant l'Oflfice : ores elle nous veut debout, ores assis et puis k genoux, ores descouverts et ores couverts; %mm lit %  66 Sermons recueillis mais toutes ces façons et postures ne sont autres choses que prières. Toutes les cérémonies de l'Eglise sont pleines de très grans mystères, et les âmes dévotes, humbles et simples ont une fort grande consolation à les voir. Que pensez-vous, je vous prie, que signifient les rameaux que nous portions aujourd'huy en nos mains ? Non autre, sinon que nous demandons à Dieu qu'il nous rende victorieux par le mérite de la victoire que Nostre Seigneur remporta sur l'arbre de la Croix. Quand nous sommes aux Offices il faut que nous observions de nous tenir en la posture qui nous est marquée dans nos messels ; mais en nos oraisons parti- culières, quelle révérence y devons-nous garder ? Nous sommes devant Dieu comme aux communes, bien qu'aux communes nous devons avoir un soin particulier à cause de l'édification du prochain ; la révérence extérieure ayde beaucoup à l'intérieure. Nous avons plusieurs exemples qui tesmoignent comme nous devons nous tenir en une grande révérence extérieure faisant l'oraison, •Ephes., m, 14. bien qu'elle soit particulière. Escoutez saint Paul * : Je ployé mes genoux, dit-il, vers le Père de Nostre Seigneur Jésus Christ pour vous autres. Et ne voyez- vous pas que le Sauveur mesme priant son Père se • Matt., XXVI, 39; prosterne en terre*? Marc, XIV, 35, Encores cet exemple. Je pense que vous sçavez que le grand saint Paul hermite demeura plusieurs dizaines d'années dans le désert, et saint Anthoine l'estant allé voir, le trouva en oraison ; après il luy parla, puis se retira. Mais l'estant venu visiter pour la seconde fois, il le trouva en la mesme posture que la première, la teste levée et les yeux bandés contre le ciel, les mains jointes, et planté sur ses deux genoux. Saint Anthoine l'ayant desja long temps attendu, commença à s'estonner parce qu'il ne l'entendoit point souspirer comme il avoit accous- tumé de faire, il levé les yeux, et le regardant à la face, il trouva qu'il estoit mort, et sembloit que son corps qui • s. Hieron., Vita avoit tant prié estant en vie, priast encores après sa s. Pauii Ereniitœ, mort *. Bref, il faut que tout l'homme prie. David dit que • P$. XXVI, 8. toute sa face prioit *, que ses yeux estoyent tellement  X. Pour le Dimanche dis Rameaux 67 attentifs à regarder Dieu qu'il avoit la veùe toute atté- nuée *, et sa bouche baillante comme un oyselet qui • P**. Lxrm, 4, attend que sa mère le vienne rassasier. Mais en tout «"n"'!^". '' *' cas, la posture qui nous apporte le plus d'attention est la meilleure. Ouy mesme la posture d'estre gisant est bonne, et semble que d'elle mesme elle prie ; car ne voyez-vous pas le saint homme Job couché sur son fumier, faire une prière si excellente qu'elle mérite que Dieu l'cscoute*.^ Or, cela soit dit ainsy ♦♦. • jo**. nit. 9. 10. Parlons maintenant de l'oraison mentale; et si vous CroiM,\.m,c'tr. le trouvez bon, je vous monstreray, par la comparaison du Temple de Salomon *, comme en l'ame il y a quatre •CA.Tr.dtTAm.éê estages. En ce Temple il y avoit premièrement un ^""«^ "•«•«"• porche, qui estoit destiné pour les Gentils, à fin que personne ne peust s'excuser d'adorer. C'est en quoy ce Temple estoit plus aggreable à la divine Majesté, d'au- tant qu'il n'y avoit nulle sorte de nation qui ne peust venir luy rendre ses hommages en ce lieu. Le second estage estoit destiné pour les Juifs, tant hommes que femmes, bien que par après on fit une .séparation pour éviter les scandales qui pouvoyent arriver estant ainsy meslés. Ensuite, allant tousjours en remontant, il y avoit une autre place pour les prestres, et puis en fin finale l'estage destiné pour les Chérubins et le Maistre d'iceux, où reposoit l'Arche de l'alliance et où Dieu ma- nifestoit ses volontés, et celuy cy s'appelloit le Sancta Sanctorum. En nos âmes il y a le premier estage, lequel est une certaine connoissance que nous avons par le moyen des sens, comme par nos yeux nous connoissons que tel objet est vert, rouge ou jaune. Mais après, il y a un degré ou estage qui est desja un peu plus haut, à sçavoir, une connoissance que nous avons par le moyen de la consi- dération ; par exemple, un homme qui aura esté maltraitté en un lieu cherchera, par le moyen de la considération, comme il pourra faire pour n'y pas retourner. IjC tn^i- siesme estage est la connoi.ssance que nous avons par la foy. I^ (juatriesme et le Sancta Sanciorum, c'est U fine pointe de nostre ame. que nous appelions esprit ;  68 Sermons recueillis et pourveu que cette fine pointe regarde tousjours à Dieu, nous ne nous devons point troubler. Les navires qui sont sur la mer ont toutes une aiguille marine laquelle estant touchée de l'aimant regarde tous- jours l'estoille polaire, et encores que la barque s'en aille du costé du midy, l'aiguille marine ne laisse pour- tant pas de regarder tousjours à son nord. Ainsy il semble aucunefois que l'ame s'en aille toute du costé du midy, tant elle est agitée de distractions; que néanmoins la fine pointe de l'esprit regarde tousjours à son Dieu, qui est son nord. Les personnes les plus avancées ont aucunefois de si grandes tentations, mesme de la foy, qu'il leur semble que toute l'ame consent, tellement elle est troublée ; elles n'ont que cette fine pointe qui résiste, et c'est cette partie de nous-mesme qui fait l'oraison mentale, car bien que toutes ses autres facultés et puis- sances soyent remplies de distractions, l'esprit, sa fine pointe, fait l'oraison. Or, en l'oraison mentale il y a quatre parties, dont la première est la méditation, la seconde la contemplation, la troisiesme les eslancemens et la quatriesme une simple présence de Dieu. La première se fait par voye de méditation, en cette sorte : nous prenons un mystère, par exemple Nostre Seigneur crucifié, et puis nous Testant ainsy représenté, nous considérons ses vertus : l'amour qu'il a porté à son Père, lequel luy a fait souffrir •Philip., II, 8. la mort, et la mort de la croix'^\ plustost que de luy desplaire, ou pour mieux dire, à fin de luy complaire ; la grande douceur, humilité et patience avec laquelle il souffrit tant d'injures ; en fin sa grande charité à l'endroit de ceux qui le mirent à mort, priant pour eux emmy •Lucae, xxiii, 34. ses plus grandes douleurs*. Ayant ainsy considéré toutes ces choses, nous venons à avoir nostre affection esmeùe d'un ardent désir de l'imiter en ses vertus ; puis, nous passons à prier le Père éternel qu'il nous rende • Rom., vni, 29. conformes à son Fils *. La méditation se fait comme les abeilles font et cueillent leur miel : elles vont cueillant le miel qui descend du ciel sur les fleurs et tirent un peu du suc des  X. Pour le Dimanche des Rameaux ^ mcsmes fleurs, puis le portent dans leurs ruches. Ainsy nous allons picorant les vertus de Nostre Seij^neur l'une après l'autre, pour en tirer l'affection d'imitation ; en- suite nous les considérons toutes ensemble d'un seul reeard par la contemplation.! Dieu à la création médita*; *CtTr d*rAm.éê r^ttu I. VI c. V. car ne voyez-vous pas qu'après qu'il eut créé le ciel il dit qu'il estoit bon ? et tout de mesme fit-il après qu'il eut créé la terre, les animaux, puis en fin l'homme. Il trouva tout bon le regardant pièce à pièce, mais voyant tout ce qu*il avoit fait ensemble, il dit que tout estoit très bon *. •Gen.,i, lo-j^ |i. L'Espouse, au Cantique des Cantiques*, après avoir 'Cjp. r, 9-16. loué son Bien- Aymé pour la beauté de ses yeux, de ses lèvres, bref de tous ses membres l'un après l'autre, elle conclut en cette sorte : O que mon Bien- Aymé est beau, o que je l'ayme, il est mon très cher ! C'est icy la contemplation, car à force de considérer mystère après mystère combien Dieu est bon, nous venons à faire comme les cordons de nos bateaux. Quand l'on rame fortement, ces cordons se chauff"ent tellement que si l'on ne les mouille le feu s'y prendroit ; mais nostre ame s'eschauffant à aymer Celuy cju'elle a reconneu tant aymable, continue à le regarder parce qu'elle se com- plaist tousjours davantage à le voir tant beau et tant bon. L'iispoux, au Cantique des Cantiques*, dit : Venez, • iwa., f. i- joxu mes bten-aymes, car j ay cuetllt ma myrrhe, j ay '^ ^ mangé mon pain et mon bornai avec son miel^ j'ay bcu mon vin avec mon lait. Venez, mes bien-aymés, et fnangei, enivrez-vous, mes très chers^. Ces paroles 'Ci Tr i,rAm éê nous représentent les mystères qui se vont célébrer ces semaines suivantes. J'ay cueilli ma myrrhe, fay mangé mon pain ; ce fut en la Mort et Passion du Sauveur. y jj mangé mon miel avec mon bornai ;ce fut lors qu'il reunit son ame avec son corps. En fin l'Espoux adjouste : mon vin avec mon lait. Le vin représente la joye de sa Résurrection, et le lait, la douceur de sa con- versation. Il les a l>eus ensemble, car il demeura sur la terre l'espace de quarante jours après sa Résurrec- tion *, visitant ses disciples, leur faisant toucher ses 'A.i.. *  yo Sermons recueillis playes et mangeant avec eux. Or, quand il dit : Mange^, mes hien-aymés, il veut dire méditez; car ne sçavez-vous pas que pour rendre la viande capable d'estre avalée il la faut premièrement mascher et amenuiser, et la jetter tantost d'un costé de la bouche et tantost de l'autre ? Ainsy faut il que nous fassions des mystères de Nostre Seigneur : il faut que nous les maschions et roulions plusieurs fois dans nostre entendement, premier que d'eschauffer nostre volonté et passer à la contemplation. L'Espoux conclut par après : Enivrez-vous, mes très chers ; et qu'est-ce qu'il veut dire? Vous sçavez bien que l'on n'a pas accoustumé de mascher le vin, ains on ne fait que l'avaler ; ce qui nous représente la contemplation en laquelle on ne masche plus, ains on ne fait qu'avaler. Vous avez assez médité que je suis bon, semble dire l'Espoux divin à sa bien-aymée, regardez-moy, et vous délectez à voir que je le suis. Saint François passa une nuit à repeter : Vous estes • Chronica Fratr. u mon tout *. )) Il prononçoit ces parolles estant en ' * ' " * contemplation, comme voulant dire : Je vous ay consi- déré pièce à pièce, o mon Seigneur, et j'ay trouvé que vous estiez très aymable ; maintenant je vous regarde et vois que vous estes « mon tout. » Saint Bruno se conten- ♦ Confess., 1. X, c. toit de dire : O bonté ! Et saint Augustin * : « O beauté ancienne et nouvelle ! » Vous estes ancienne parce que vous estes éternelle, mais vous estes nouvelle parce que vous apportez une nouvelle suavité à mon cœur. •Cf.Tr.derAm.de C'estoyent des parolles de contemplation*. Dieu, \.y\, C.V. ^r ^ 1 ^ . . . , ,, . Venons a la troisiesme partie de l'oraison mentale qui se fait par voye d'eslancemens. De celle cy personne ne s'en peut excuser, parce qu'elle se peut faire en allant et venant, en ses affaires. Vous me dites que vous n'avez pas le temps de faire deux ou trois heures d'oraison ; qui vous en parle ? Recommandez-vous à Dieu dès le matin, protestez que vous ne le voulez point offenser, et puis vous en allez à vos affaires, résolue de faire néan- moins plusieurs eslevations de vostre esprit en Dieu, voire emmi les compagnies. Qui vous empesche de luy parler au fond de vostre cœur, puisqu'il n'importe que  X. Pour le Dimanche des Rameaux 71 vous luy parliez mentalement ou vocalement? Dites des paroles courtes mais ferventes. C'ile que repetoit saint François est excellente, bien que ce fust une parole de contemplation, parce qu'elle continuoit comme un fleuve qui va tousjours coulant. Il est vray que de dire à Dieu : Vous estes « mon tout, » et vouloir quelque autre chose que luy, ce ne seroit pas bien, parce qu'il faut que les paroles soyent conformes aux sentimcns du cœur. Mais dire à Dieu : Je vous ayme, encores que nous n'ayons pas un R^rand sentiment d'amour, nous ne devons pas laisser de le dire, parce que nous voulons et avons un ^rand désir de l'aymer. Un bon moyen pour nous accoustumer a faire ces eslancemens est de prendre le Pater de suite, choisissant une sentence pour chacun jour. Par exemple, vous avez pris aujourd'huy : Pater noster qui es in cœlis ; vous direz donques la première fois : Mon Père, qui estes au Ciel ; et un quart d'heure après vous direz : Si vous estes mon Père, quand seray-je parfaittement vostre fille? Ainsy vous irez continuant de quart d'heure à autre vostre oraison. I^s saints Pères qui vivoyent au désert, ces anciens et vray s Religieux, estoyent si .soigneux de faire ces oraisons et eslancemens, que saint Hierosme raconte * que quand on alloit les visiter on entendoit * Cf. Ep. ctm, ad ....,, , . Eattoch..H>4.iS: 1 un qui disoit : vous estes, o mon Dieu, tout ce que je RegnU» Moa«c. (la désire ; l'autre : Quand seray-je tout vostre, o mon ^PP«»<*)' «• "• Dieu ? et l'autre repetoit : Dcus in adjutorium meum intende*. Kn fin on entendoit une harmonie fort aggrea- * ?•• "»«. »• ble de la diversité de leurs voix. Mais vous me direz : Si l'on prononce ces parolles vocalement , pourquoy l'appellez-vous oraison mentale ? Parce cju'ellc se fait aussi mentalement et qu'elle part premièrement du cœur. L'Espoux dit au Cantique des Cantiques • que sa bien- •C*p.,nr.9; j«tu ayméc luy a ravi le cœur par un de ses yeux et par un de se» cheveux qui pend dessus son col. Ces parolles sont un carquoy qui est plein de très aggreablcs et très douces interprétations ; en voicy une bien aymable. Quand un mari et une femme ont des affaires en leur mesoage qui les contraignent de se séparer, s'il arrive  72 Sermons recueillis par hasard qu'ils se rencontrent, ils se regardent un peu en passant, mais ce n'est que d'un œil, parce que, se rencontrant de costé, l'on ne peut pas bonnement le faire des deux. Ainsy cet Espoux veut-il dire : Quoy que ma bien-aymée soit fort occupée, si ne laisse-t-elle pas de me regarder d'un œil, me protestant par ce regard qu'elle est toute mienne. Elle m'a ravi le cœur par un de ses cheveux qui pend sur son col, c'est à dire par une pensée qui descend du costé de son cœur. Nous ne parlerons pas pour maintenant de la qua- triesme partie de l'oraison mentale. O que nous serons heureux si nous parvenons jamais au Ciel ; car nous y méditerons, regardant et considérant toutes les œuvres de Dieu par le menu, et nous les trouverons toutes bonnes ; nous contemplerons, les voyant toutes ensemble • Vide supra, p.69. trcs bonnes *, et nous nous eslancerons éternellement en luy. C'est là où je vous désire. Ainsy soit-il.  XI SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT JEAN PORTE-LATINE 6 mai 1616 ou 1617 (t) La sainte H^lisc cclcbre aujourd'huy l'une des festes du glorieux saint Jean l'Kvanj^eliste. Je remarque que l'Kvanj^ilc * raconte les imperfections et péchés de ce 'Matt.,»!, k>-sî. bienheureux Saint, et l'une de ses plus grandes tares, qui est, comme l'on tient, son ambition et présomption, au lieu de raconter ses perfections, vertus et excellences; au lieu de le louer et exalter, il semble qu'il le blasme et vitupère. J'admire ceux qui ont escrit ces choses. Les personnes du monde lors qu'elles veulent louer quel- qu'un qu'elles ayment, racontent tousjours ses vertus, perfections et excellences, tous les tiltres et qualités qui le rendent honnorable, et cachent, couvrent et ensevelissent ses péchés et imperfections, mettant en oubli ce qui le peut rendre abject et vil. Mais nostre Mère l'Eglise, Kspouse de Jésus Christ, fait tout au contraire; car bien qu'elle ayme uniquement ses enfans, néanmoins lors qu'elle les veut louer et exalter, elle raconte exactement les péchés qu'ils ont commis avant leur conversion, à fin de magnifier la majesté de Celuy qui les a sanctifiés pour sa plus grande gloire et honneur, < I L« iiiaoièr* il nette, tt positive doDt n ' '-^ ' - ^ ^"* de jétot dam ce termoD donne A croire qu'il remonte au tet: , enr Cavoruait là Vitttation nai»Mnte de %*% première» communtcationt. La Mère Anoe-Marie Ectf-' " "f an !•♦ Monettère d'A* — • 'ina 1 aotomne dr ■••• "i fut •p4i ' honorée presque «a dcl • vie reli^tenae. S ^t ce •ermon ne pent être «ntértear lui années ini6 ou 1617; c«r U o mai 1611. •Jint Fr:- i-c-i. . .. . .r ' mnéc soiTante. la fête de saint Jrjn I* . et en 1615. le saint Evéqn* était à cette époque ^ . '.<  74  Sermons recueillis  faisant reluire sa miséricorde infinie avec laquelle il les a relevés de leurs misères et péchés, les comblant de tant de grâces et de son saint amour. Certes, cette bonne Mère ne veut pas que nous nous estonnions et mettions en peine de ce que nous avons esté, des grans péchés que nous avons commis autrefois, ni de nos misères présentes ; o non, pourveu que nous a3^ons maintenant une resolution ferme et inviolable d'estre tout à Dieu et d'embrasser à bon escient la per- fection et tous les moyens qui nous peuvent faire avancer en l'amour sacré, faisant que cette resolution soit efficace et produise des œuvres. Non certes, nos misères et nos foiblesses, pour grandes qu'elles soyent et ayent esté, ne nous doivent pas descourager, mais nous doivent faire abaisser et nous jetter entre les bras de la miséri- corde divine, laquelle sera d'autant plus glorifiée en nous que nos misères seront plus grandes, si nous venons à nous en relever ; ce que nous devons espérer de faire moyennant sa sainte grâce. •DePœnit.,hom.ii, Le grand saint Chrysostome * parlant de saint Paul le s 5; cf. Serm. in S. , ., , ^. , ,., Paui.,apudSurium loue le plus pertinemment qu il se peut, et avec tant diesgjunii Gitan ^'honneur et d'estime que c'est chose admirable de voir videtur exCornel., ^ (Comm.in iiCor., comme il raconte ses vertus, perfections, excellences, X, 10) qui laudat etiam Nicephor., Ics prérogatives et grâces desquelles Dieu l'a orné et Hist.,i.li,c. XXXVII. gnrichi. Mais après tout cecy, ce mesme Saint, pour faire voir que ces dons ne venoyent pas de luy, mais de la bonté infinie de la divine Majesté qui l'avoit fait ce qu'il estoit, il parle de ses défauts et raconte exac- tement ses péchés et imperfections, disant : Voyez-vous ce petit bossu et contrefait (car il estoit petit de stature comme de mauvaise mine), comme Dieu en a fait un •Act.,ix, 15. vaisseau d'élection^ ; ce grand pécheur et grand per- sécuteur des Chrestiens, comme il l'a rendu de loup aigneau ; ce chagrin, cet opiniastre, cet orgueilleux et ambitieux, comme il l'a comblé et rempli de tant de grâces et bénédictions, le rendant si humble et charitable qu'il dit de soy qu'il est le moindre et le plus petit des ••iTmi.',*^i'5^ ^postres* et le plus grand des pécheurs **, et qu'il se • I Cor., IX, 32. j'ait tout à tous pour les gagner tous"^. Et il dit encores,  XI. Pour la pbti de saint Jean Porte-Latine 75 ce glorieux Saint* : Qui est malade avec lequel je ne • 11 Cor, w. «9; cf. sois malade ? qui est triste avec lequel je ne sois triste? qui est joyeux avec lequel je ne me resjouisse ? qui est scandalisé avec lequel je ne sois bruslc ? Certes, les anciens qui escrivoyent les vies des Saints estoyent très exacts à rechercher leurs défauts et péchés, les racontant et déclarant à fin d'exalter et magnifier Nostre Seigneur qui estoit glorifié en eux, les ayant relevés de leurs misères, convertis et faits des grans Saints. Revenons maintenant à nostre glorieux et tout ayma- ble saint Jean. Il avoit certes fort peu de tares et imperfections, estant si pur et si chaste. Il estoit encores jeune lors qu'il fut préoccupé, avec son frère saint Jacques, de cette .sotte affection d'ambition de vouloir estre Vun à la dextre et Vautre à la scncstre de Nostre Seigneur. Il est à croire qu'ils concertèrent eux deux comme ils feroyent pour parvenir en cette dignité ; ils ne vouloyent pas la demander, o non, car les ambitieux, de peur d'estre estimés tels, n'ont garde de demander eux mesmes l'honneur. Ils trouvent donques un expédient entre eux, disant : Nostre mère est une bonne femme qui nous affectionne grandement, elle fera bien cela pour nous ; et nostre Maistre nous ayme bien, il nous accordera sans doute cette faveur. Il est vray qu'il les aymoit grandement, spécialement saint Jean, son bien- aymé Disciple, qui estoit le cœur le plus aymable que l'on peust s'imaginer. Ils vont donques prier leur mère de faire cette requeste ; elle, qui estoit toute désireuse du bonheur de ses enfans, s'en va trouver Nostre Sei- gneur pour ce sujet, comme dit un des Kvangelistes •, • Mjh . ubi «pr». et, rusée comme un petit renardeau, elle va autour de ses pieds avec tant de génuflexions et d'humiliations, elle se prosterne devant luy pour gagner ses bonnes grâces à fin qu'il luy donnast ce qu'elle souhaittoit de luy. Ce divin Sauveur la voyant luy dit : Que demandcx- vous? Kt elle respondit : Une petite chose ay-jc oint simplement. Or, c'est l'amour propre qui faisoit cela ;  •76 Sermons recueillis elle n'avoit garde de luy dire : Je veux une telle chose, octroyez-moy cette grâce; o non, car l'amour propre est plus sage et discret que cela, il fait faire des préambules et harangues bien composées, avec une humilité feinte et fausse, à fin que l'on pense que nous sommes bien braves et prudens. C'est une mauvaise beste qui nous porte beaucoup de dommage, nous empeschant d'aller simplement et rondement en toutes nos actions, nous faisant chercher nostre propre interest et satisfaction en toutes choses. Il s'en trouve fort peu, voire mesme entre les plus spirituels, qui regardent purement Dieu sans rechercher leur propre contentement, ne désirant que le contenter et non se contenter soy mesme. Il luy dit donques : Que voule^ vous ? car le Sauveur ne se plaisoit point à tant de discours, luy qui ayme uniquement la simplicité. Elle repartit : Seigneur, je demande que mes enfans soyent assis, Vun à ta dextre. Vautre à ta senestre en ton royaume. Et ses enfans qui estoyent avec elle adjousterent : Nous voulons, Seigneur, que tout ce que nous vous demanderons • Marc, X, 35. VOUS nous Z^ donniez *. Voyez-vous que nostre misère est grande ! Nous voulons que Dieu fasse nostre volonté, et nous ne voulons pas faire la sienne sinon lors qu'elle se trouve conforme à la nostre. La pluspart de nous autres, si nous nous examinons bien, nous trouverons que nos demandes sont grandement impures et impar- faites : si nous sommes à l'oraison, nous voulons que Dieu nous parle, qu'il nous vienne visiter, consoler et recréer, nous luy disons qu'il fasse cecy, qu'il nous donne cela ; et s'il ne le fait pas, quoy que pour nostre plus grand bien, nous nous en inquiétons, troublons et affligeons. Nostre ame a deux enfans, l'un desquels est le propre jugement et l'autre la propre volonté, et veulent tous deux estre assis, le jugement à la dextre et la volonté à la senestre. Ouy, car nostre jugement veut gaigner par dessus tous les autres et ne se veut point sousmettre, ni nostre propre volonté non plus. Il s'en trouve plusieurs qui obéissent, mais extrêmement peu qui sousmettent leur jugement et quittent entièrement leur volonté. Il  XI. Pour la fIte de saimt Jean Porte-Latine 77 s'en trouve beaucoup qui s'humilient, qui se mortifient, portent la haire, font des pénitences et austérités, qui prient et font oraison , mais fort rares sont ceux qui sousmettent entièrement leur propre jugement et leur propre volonté. Rien ne nous porte tant de préjudice en la vie spiri- tuelle, et nous empesche autant d'avancer en la voye de Dieu ; car si sa sainte volonté regnoit en nous, nous ne commettrions jamais aucun péché, nous n'aurions j;arde de vivre selon nos inclinations et humeurs; non certes, car elle est la règle de toute bonté. En fin, cette propre volonté est celle, comme dit saint Bernard *, qui brus- • Sermo si de D»- Icra en enfer. Si elle est au Ciel on l'en met dehors, car p*7î! * ° *"?'*• les Anges en furent chassés parce qu'ils avoyent une propre volonté et vouloyent estre semblables à Dieu ; pour cela ils tresbuchcrent aux enfers. Si elle est au monde, elle ruine et gaste tout. Lors que nous trouvons quelque chose en nous qui n'est pas conforme à la volonté de nostre cher Sauveur, nous nous devons pros- terner devant luy, et luy dire que nous détestons et desavouons cela et tout ce qui est en nous qui luy peut desplaire et qui est contraire à son amour, luy promet- tant de ne vouloir rien que ce qui sera conforme à son bon playsir et vouloir divin. No.stre Seigneur respondit donc à cette femme et à ses enfans : Vous ne sçavc^ ce que vous demandei. Ils ne sçavoyent ce qu'ils demandoyent, de vray, puiscju'au Ciel il n'y a point de frauche, car c'est là où sont les damnés qui sont privés de la présence de Dieu ; il n'y a que la dextre où sont les Bienheureux qui jouissent et jouiront éternellement de l'Essence divine qui les com- blera de toute sorte de contentement et félicité. Nous ne sçavons ce que nous demandons lors que nous disons à Nostre Seigneur qu'il fasse nostre volonté et qu'il nous donne ce que nous desirons. O non certes, car ne sçavez- vous pas, mes chères âmes, que tout nostre bien cl ^u.fiîw.iir dépend d'estre entièrement abandonné il la 1 «-nce divine, ne chcnhant que son bon playsir. estant parfaitement sousmis À la très sainte volonté,  yS Sermons recueillis nous resjouissant de la voir accomplir en nous et en toutes créatures, quoy que ce soit avec des afflictions et des souffrances ? Nous avons quelquefois affection et inclination à prattiquer les vertus qui sont selon nostre volonté. Par exemple, une personne qui sera malade, si nous lu}^ disons : Mon enfant, ne sçavez-vous pas bien que les peines et souffrances prises avec patience et sousmission au vouloir divin sont uniquement aggreables à sa Majesté ? Ouy, vous respondra-t-elle, mais je vou- drois estre au chœur pour prier Dieu comme les autres, je voudrois faire des pénitences et mortifications et les actions de vertu comme eux, avec ferveur et sentiment. Voyez-vous, elle voudroit servir Dieu en l'action, et Dieu veut qu'elle le serve en pâtissant et souffrant pour son amour. Le divin Sauveur dit à ses Apostres sur ce sujet de l'ambition de ces deux Saints : Ne pensez pas que pour avoir des prééminences et dignités en mon Royaume • Matt., XX, 25, 26. vous ayez pour cela plus de gloire et d'amour *. Vous •Joan., XV, 16. autres que fay choisis'^ et esleus pour estre assis sur • Matt., XIX, 28. des throsnes pour juger divec moy aujour du jugement*, vous n'en serez pas plus haut et n'aurez pas plus de gloire pour cela. O non, car ma Mère qui n'a pas esté esleiie à telle dignité, ne lairra pourtant d'avoir infini- ment plus de gloire et d'amour au Ciel que vous et d'autres aussi. Il y a un amour affectif et l'autre effectif, comme il y a deux manières de souffrir le martyre : l'un est affectif et l'autre effectif. Saint Jean fut martyr de la première manière. Dieu ne permettant pas qu'il fust martyr effectif, ains seulement de volonté et affection ; car l'huile bouil- lant qu'on avoit préparé pour le mettre, et dedans lequel on le mit, ne luy fit aucun mal, ains luy fut aussi doux et suave que si c'eust esté un bain des plus aggreables. Saint Jacques fut martyr effectif, car Dieu luy fit la grâce de mourir pour son amour, quoy que saint Jean ne laissa pas d'avoir la recompense et couronne du martyre. Nostre divin Maistre dit donques à ces deux Saints : Pouve^-vous boire avec moy le calice qui m'est  XI. Pour la fête db saînt Jeam Porte-Lattne 79 préparé*? car je suis descendu du Ciel pour faire ' Matt.. xx^%%, la volonté de mon Père qui m'a envoyé et pour parachever son ouvrage^. Ils respondirent : Nous le •Joan.,Ti,>s,nr,)4. pouvons. Ht il adjousta : Sçavez-vous que c'est que boire won calice? 'Se pensez pas que ce soit avoir des di^niti^s, des faveurs et consolations, o non certes ; mais boire mon calice c'est participer à ma Passion, endurer des peines et souffrances, des clous, des espines, l>oire le fiel et le vinaigre. O que ces faveurs sont grandes I Que nous devons estimer à grand bonheur de porter la croix et estre crucifiôs avec nostre doux Sauveur î Les Martyrs beu- voyent tout d'un coup ce calice, les uns en une heure, les autres en deux et trois jours, d'autres en un moys. Nous pouvons estre martyrs et le boire, non en deux et trois jours mais toute nostre vie, nous mortifiant conti- nuellement, comme font et doivent faire les Religieux et Religieuses que Dieu a appelles en la Religion pour porter sa croix et estre crucifies avec luy. N'est-ce pas un grand martyre de ne faire jamais sa propre volonté, sousmettre son jugement, escorcher son cœur, le vuider de toutes ses affections impures et de tout ce qui n'est point Dieu, ne point vivre selon ses inclinations et humeurs ains selon la volonté divine et la rayson ? C'est un martyre qui est fort long et ennuyeux et qui doit durer toute nostre vie, mais nous obtiendrons k la fin d'icelle une grande couronne pour nostre recompense si nous .sommes fidelles à cela. Lors que quelque grande princesse ou seigneur meurt d'une mort inopinée, on ouvre son corps pour voir do quelle maladie il est mort, et quand on a trouvé la cause de son trespas l'on est content et ne passe-t-on pas plus outre. Nostre .Seigneur estant sur l'arbre de la croix, il dit avant cjue de rendre l'esprit ces paroles, mais d'une voix haute, esclaitante et ferme : Mon Père, je recommande mon esprit entre vos mains ^, et rendit •Uc», u», 4^ son esprit^ tout incontinent en les prononçant; l'on ne • M«ii., b«t«, ^; pouvoit croire «ju'il fust mort, l'ayant ouif parler tout à *** ' ^ l'heure d'une voix si forte qu'il ne sembloit pas qu'il  8o Sermons recueillis deust si tost mourir ; de sorte que le capitaine des soldats vint pour sçavoir s'il estoit vrayement trespassé, et V03"ant qu'il l'estoit, il commanda qu'on luy donnast un coup de lance au costé ; ce que l'on fit, et donna-t-on •Joan., XIX, 33, 34. droit Contre son cœur*. Son costé estant ouvert, l'on vit qu'il estoit vrayement mort, et de la maladie de son cœur, cela veut dire de l'amour de son cœur. Nostre Seigneur voulut que son costé fust ouvert pour plusieurs raysons. La première est à fin qu'on vist les pensées de son cœur, qui estoyent des pensées d'amour • Cf. Jcrem., XXIX, et de dilcction * pour nous, ses bien aymés enfans et chères créatures, qu'il a créées a son image et sem- • Gen., I, 26, V, I. blance^, à fin que nous vissions combien il désire de nous donner de grâces et bénédictions, et son cœur mesme, • B. Raym. de Cap., commc il fit à sainte Catherine de Sienne *. J'admire cette in Vita ejus. Pars . i_i j -11 j jj c. VI. grâce incomparable dequoy il changea de cœur avec elle ; car auparavant elle prioit ainsy : « Seigneur, je vous recommande mon cœur, » mais despuis elle disoit : (( Seigneur, je vous recommande vostre cœur, » de sorte que le cœur de Dieu estoit son cœur. Certes, les âmes dévotes ne doivent point avoir d'autre cœur que celuy de Dieu, point d'autre esprit que le sien, point d'autre volonté que la sienne, point d'autres affections que les siennes ni d'autres désirs que les siens, en somme elles doivent estre toutes à luy. La seconde rayson est à fin que nous allions à luy avec toute confiance, pour nous retirer et cacher dedans son costé, pour nous reposer en luy, voyant qu'il l'a ouvert pour nous y recevoir avec une bénignité et amour nom- pareil, si nous nous donnons à luy et que nous nous abandonnions entièrement et sans reserve à sa bonté et providence. Vous me demanderez peut estre les raysons pour les- quelles nos cœurs à nous autres sont si cachés qu'on ne les voit point. Pour deux raysons il est expédient qu'il soit ainsy. La première, pour ce que l'on auroit horreur de descouvrir dans les cœurs des meschans et grans pécheurs des choses si sales, horribles et tant de misères; car sainte Catherine, qui avoit receu ce don de Dieu, de  XI. Pour la fête de saint Jeam Porie-Latise 8i pénétrer les consciences et connoistre les péchés les plus secrets, en avoit une si grande horreur, qu'il failloit qu'elle se destournast pour s'empescher de les voir. Et de nostre temps, le bienheureux Philippe Nerius avoit receu cette mesme grâce de la divine Bonté ; souvent il se bouchoit le nez pour ne sentir une si grande puanteur qui sortoit des pécheurs. L'autre rayson est parce qu'il n'est pas expédient que l'on voye le cœur des bons, de peur qu'ils ne tombent en vanité ou que cela ne donne de la jalousie aux autres. Or, en Xostre Sei- gneur il n'y avoit rien à craindre que l'on vist son cœur, parce qu'il n'y avoit rien en luy qui peust donner de l'horreur, puisqu'il estoit si pur, si saint et la pureté mesme ; il ne pouvoit point aussi tomber en vanité, luy qui estoit l'Autheur de la gloire. Je considère la ferveur avec laquelle ces deux Saints resp>ondirent à Nostre Seigneur lors qu'il leur parla de boire son calice : Nous le pouvons, dirent-ils. Voyez- vous, lors que nous avons des chaleurs, des bons senti- mens et consolations il nous semble que nous ferons des merveilles ; mais aux moindres petites occasions, nous choppons et donnons du nez en terre. Si l'on nous touche le l>out du doigt ou le bout du pied, nous nous relirons aussi tost ; si on nous dit une petite parole qui ne soit pas selon nostre gré, nous nous offensons. Nous faisons comme ces soldats d'Kphraïm, lesquels avoyent fait des grans exploits de guerre et avoyent tant de vaillance en imagination qu'ils pen.soyent massacrer tous leurs enne- mis; mais quand ce vint au fait et au prendre ils devin- drent pasles et sans courage, tournant le dos*. Nous en • p». liitu, 9. s de mesme, car nous faisons en esprit de beaux exj'i'Mt^ et de belles resolutions, nous imaginant que nous faisons choses et autres pour liieu ; mais ({uand ce vient aux occasions, nous tournons le dos et manquons de courage et de fidélité. Saint Pierre dit k Nostre Seigneur avec une grande ferveur : Je ne vous quitteray point, mais je mourray avec vous*; et à la seule voix d'une chambrière, il le ! ^ '** renia trois fois*. Certes, lors (|u'il nous vient de ces •M*it.,Mw.t9.3V m •  82 Sermons recueillis ardens désirs de faire de grandes choses pour Dieu, nous devons alors plus que jamais nous approfondir en l'humi- lité et défiance de nous mesmes et en la confiance en Dieu, nous jettant entre ses bras, reconnoissant que nous n'avons nul pouvoir pour effectuer nos resolutions et bons désirs, ni faire chose quelconque qui luy soit aggreable; mais en luy et avec sa grâce toutes choses nous seront • Philip., IV, 13. possibles *. Celuy-là seroit bien fol qui voudroit faire quelque grand bastiment et édifice et ne considereroit pas auparavant s'il a de quoy payer et satisfaire pour •Cf.Luc.,xiv,28-3o. cela*. Nous autres qui voulons acheter le Ciel, et faire ce grand bastiment et édifice de la perfection, nous sommes des fols lors que nous ne considérons pas si nous avons de quoy payer et ce qu'il faut donner pour l'avoir; faute de cette considération, nous demeurons court en chemin. La monnoye avec laquelle il nous faut acheter cette perfection, c'est nostre propre volonté, laquelle il nous faut vendre et nous en desfaire, la quittant entièrement. • Matt., XVI, 24; Il faut renoncer à nous mesme et prendre la croix *^ il ucae, IX, 23. ^^^^ sousmettre nostre propre jugement, il nous faut desfaire de nos mauvaises inclinations et humeurs. En fin nous ne l'acquerrons jamais par une autre voye ; il nous • Matt., XIII, 46. faut vendre tout pour avoir cette précieuse perle^^ de l'amour sacré que Dieu se prépare à nous donner, si nous sommes fidelles à travailler pour l'acquérir. Bienheu- reuses sont donques les âmes qui boivent le calice avec Nostre Seigneur, qui se mortifient, portent la croix et souffrent amoureusement pour son amour, et qui reçoi- vent également de sa main toutes sortes d'evenemens. Mais, mon Dieu, qu'il s'en trouve peu! Toutefois, je ne dis pas cela sans faire quelques exceptions. Vous me direz néanmoins qu'il y en a tant qui désirent de souffrir et porter la croix; et c'est la vérité. Je le sçay qu'il y en a plusieurs qui le désirent, et demandent à Dieu les peines et afflictions, le priant qu'il les fasse souffrir ; mais c'est avec cette condition qu'il les visite et console souvent en leur souffrance, qu'il leur tesmoigne qu'il l'a aggreable, qu'il se plaist de les voir souffrir, et  XI. Pour la p*ti de saist Jean Porte-Latine 83 qu'il les en recompensera bien d'une gloire immortelle. Il y en a aussi plusieurs qui désirent et veulent sçavoir le degré de gloire qu'ils auront au Ciel. Certes, c'est une très grande impertinence, car nous ne devons en façon quelconque nous enquérir de cela. Nous devons servir la divine Majesté le mieux et le plus fidellement que nous pourrons, observant exactement ses comman- demens, ses conseils et ses volontés, et avec le plus de perfection, de pureté et d'amour qu'il nous sera possible, et ne nous point enquérir de la recompense qu'il nous donnera, laissant cela à sa Bonté qui ne manquera pas de nous recompenser d'une gloire infinie et incompréhen- sible, se donnant soy mesme à nous ix)ur recompense *, ' G«n., xr, 1. tant il fait d 'estât et a aggreable ce que nous faisons pour luy. lin somme c'est un Ijon Maistre, il nous faut seulement estre serviteurs et servantes bien fidelr*^. rt asseurement il nous sera fidèle Rémunérateur*. •Mjtt-.xxr, »i.»|. C'est un bonheur incomparable de servir ce divin Sauveur de nos âmes et boire avec luy son calice. Voyez-vous cette grande sainte Catherine de Sienne, laquelle préféra la couronne d'espines à celle d'or? Nous en devons faire le mesme, car en fin le chemin de la croix, des souffrances et afflictions est un chemin asseuré qui nous contluit à Dieu et à la perfection de son amour, si nous sommes fidèles. Pour conclusion, il nous faut courageusement boire le calice de Nostre Seigneur et estre crucifiés avec luy en cette vie, et si nous suivons ses exemples et vestiges, sa Bonté nous fera la grâce d'estre avec luy glorifiés en l'autre *, où nous conduisent * ^^^t v»». «7» le Père, le Fils et le Saint Ksprit. Amen.  XII SERMON DE VÊTURE POUR LA FÊTE DE SAINT CLAUDE 6 juin 1617 (0 L'on a tousjours fait de grandes solemnités à la récep- tion des âmes qui se sont consacrées à Dieu pour le servir en Religion ; mais je remarque que Ton en a tousjours fait davantage pour celle des filles que non pas pour celle des hommes ; et pour moy je crois que c'est parce qu'estant d'un sexe plus fragile, l'on doit d'autant plus admirer et solemniser la force qu'elles ont à se desprendre de toutes les choses de la terre. Leur générosité fait certes honte à beaucoup de personnes qui se tiennent pour bien vaillantes et courageuses. Celles-cy estiment grandement, disent-elles, le bonheur d'estre tout à Dieu. Mais pourquoy donques, s'il est vray que vous l'estimez tant, ne vous retirez-vous en Religion pour appartenir plus entièrement à Nostre Seigneur et le servir plus parfaitement, puisque vous n'avez point de légitime occasion de demeurer dans le monde ? O Dieu, je ne me puis destacher de telles et telles choses que j'ayme tant ; je le desirerois bien, mais je ne puis.  ( I ) Le procédé général d'après lequel sont déterminées les dates des sermons de Vêture et de Profession ayant été expliqué dans l'Avant-Propos, nous ne nous croyons pas obligés de justifier isolément chacune de ces dates. Il suffira de dire ici que ce sermon a été prêché pour la Vêture des Soeurs Marie-Michelle de Nouvelles, Claude-Jacqueline Joris et Françoise-Margue- rite Favrot. (Pour cette dernière, voir Les Vies de VIII vénérables Veves Religieuses de l'Ordre de la Visitation Sainte Marie, par la Mère de Chaugy. Annessy, m.dc.lix.)  XII. Pou» LA PtTE Dl SAWT ClAUDE 85 Confessez donques que vous manquez de force et de courage et que vous vous laissez surmonter par des âmes que vous estimiez plus foibles et plus fragiles que vous. Mais à fin que les uns et les autres ayent occasion de s'humilier, il faut que nous reconnoissions que nostre force et nostre courage ne vient pas de nous, car le grand Apostre saint Paul dit* que toute nostre suffi- •iiCor.. m, v sance vient du Ciel. C'est au Saint Esprit à qui nous en devons rendre la gloire, d'autant qu'il se plaist à choisir les choses les plus foibles et viles pour manifester sa grandeur et son incompréhensible bonté •. • l Cor, i, «7, a. Chose fort admirable que la diversité des attraits du Saint Ksprit ! L'Kspouse, au Cantique des Cantiques*, 'Cap. 1, t, j. dit à son divin Kspoux : Ton nom, o mon Bien-Aymé, est comme un huile et un baume respandu ; il donne une si lx)nnc odeur par toute la terre, que les jeunes filles t'ont désiré. O que grand est le bonheur des jeunes filles qui desirans Nostre Seigneur se viennent toutes consacrer à son amour ! Je n'entens pas, par ce mot de jeunes, parler de celles qui le sont d'aagel»), bien que le bonheur de celles cy soit très grand de pouvoir dédier leurs premières et meilleures années au service de la divine Majesté ; ains je veux dire celles qui sont encores tendres et jeunes à la dévotion. Mais que pensez-vous que soyent ces odeurs qui les attirent ? O que cette divine amante, et nous aussi, avons bien rayson de nous cstonner, car ces odeurs ne .sont autre chose sinon les croix, les espines, les clous, la lance. O Dieu, quelle merveille est celle-cy, que Nostre Seigneur se fasse désirer et attire les âmes à sa suite par le moyen de tout ce qui est si rude et si affreux au sens humain 1 Voyez-vous, nous n'avons point accoustumé de tromper les filles qui se présentent pour estre rcceues dans les Religions ; car nous leur disons qu'elles meurent en y entrant, et qu'il ne faudra plus qu'elles vivent à tout ce À quoy ellfs nnt Vfsru ,iu inonclc. Au mi>n îr« vous \ ivi»^/ 4 (1) En proooDçARt c«« parol««, U Saint avait ; n«nt «n va* U Sonr Pran^oia*-MarfO«riU Pavrot, AgW àéjà d« trente uui. «at à 1 épo<|n« d« M Vétar*.  86 Sermons recueillis vostre propre volonté, et maintenant il la faudra faire mourir ; vous viviez en tous vos sens, désormais il faut qu'ils soyent morts. Vous viviez en l'espérance d'avoir des biens que les anciens philosophes ont voulu appeller de fortune, à sçavoir les richesses, les honneurs, les gran- deurs, les prééminences ; désormais il faut mourir à cela. Vous ne posséderez plus rien en propre, l'on ne preschera plus vos louanges, il ne sera plus fait aucune mention de vous, non plus que si vous n'estiez plus au monde. Bref, il faut que vous mouriez à la propre volonté, à la volupté et à la vanité. Mourir à la volonté, o que ce point est nécessaire ! l'on ne sçauroit assez peser sa nécessité. Un jour le 'ReguiaeBreviores, grand Saint Basile considérant cecy, se demanda* : Ne Interrog. cxv-cxx. ... .ti, .-r^. n . ^ . seroit-il pas possible de servir Dieu parfaitement faisant de grandes et rudes pénitences et austérités, voire de grandes œuvres pour Nostre Seigneur, conservant sa propre volonté ? Et soudain après, il s'imagina que Nostre Seigneur et très sacré Maistre luy respondoit : Je me suis vuidé de ma propre gloire, je suis descendu du Ciel, j'ay pris sur moy toutes les misères humaines, • Philip., II, 7, 8. et en fin finale je suis mort, et de la mort de la croix *. Et pourquoy tout cela ? C'est peut estre pour patir, et par ce moyen sauver les hommes ; ou, par adventure, l'ay-je fait par mon choix ? O non, pardonnez-moy, la seule cause pour laquelle j'ay fait tout ce que j'ay fait, c'a esté pour me sousmettre à la volonté de mon Père qui estoit telle. Et pour monstrer que ce n'est pas par mon choix, il faut que vous sçachiez que si la volonté de mon Père eust esté que je fusse mort d'une autre mort que celle de la croix, ou bien que j'eusse vescu en délices, je me serois trouvé tout aussi prompt que j'ay fait, parce que je n'estois pas venu en ce monde pour faire ma volonté, mais celle de mon Père qui •joan.,v,3o,vi,38; m'a envové*. O Dieu, si nostre cher Sauveur, dont la Ps. XXXIX, 9; Rom., , , . XV, 3. volonté ne pouvoit estre que tousjours absolument par- faitte, et partant ne pouvoit choisir aucune chose qui ne fust très aggreable à son Père, n'a point voulu vivre selon icelle , comme est-ce donques que nous autres  XII. Pour la fête de saint Claude Ô7 aurons bien la hardiesse de laisser vivre la nostre, le choix de laquelle, pour l'ordiiialre, gaste toutes nos œuvres ? (') Mieux vaudroit mesme estrc eslevé en dignités contre nostre volonté (et il y auroit sans comparaison plus d'humilité à les accepter), que non pas de les refuser par nostre choix et eslection, nous en reconnoissant indignes. Nous en voyons l'exemple aujourd'huy en ce grand saint Claude duquel nous célébrons la feste. Apres avoir donné des rares exemples de vertu à l'ordre clé- rical, estant chanoine de Besançon, il fut esleu d'un commun consentement Archevesque de cette ville ; et bien que son humilité faisoit qu'il s'en croyoit indigne, il ne laissa pas de l'accepter, parce que le Supérieur commandoit, le Pape ordonnoit, et le commun consen- tement du peuple luy faisoit connoistre que c'estoit la volonté de Dieu. C'est orgueil de rechercher les charges, les prééminences, et au contraire ce seroit témérité de les refuser lors qu'elles nous sont présentées par ceux qui ont du pouvoir sur nous. En fin, point de vraye vertu sans la mort de la propre volonté, et saint Bernard • nous dit tout court que * Ubi rapra, p. 77. rien ne brusle en enfer que la propre volonté. Mais ce n'est pas tout, car nous disons à ces filles qui veulent entrer en Religion qu'il faut mourir à tous leurs sens, à sçavoir, qu'il ne faut plus avoir d'yeux pour voir ni d'oreilles pour ouïr, et ainsy des autres ; on leur devra donques retrancher leurs fonctions. Vous aviez accoustumé de porter la veùe haute et les yeux tousjours ouverts pour regarder toutes choses ; désormais il la faudra porter basse, n'ouvrant les yeux que pour la nécessité et non point pour le ser\'ice de la curiosité. Les habits que nous leur donnons font assez entendre tout cela, mais particulièrement le voile que nous leur mettons dessus la teste, lequel leur monstre qu'elles ne se doivent plus servir de leurs sens ni de leurs puissances  (I) Htgnt, «o pobhant c« Mmoo (ton* IV, col. lâtot «'«tt rru t>«riiiU 4*om«ttr« c«t aliaéa, qo4 par coo»«- m *»«»]• ^ E4liU, pp. 17». 91*, . . . . 9*'.  XIII SERMON DE VÊTURE POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DES NEIGES 5 août 1 6 1 7 ( I )  Nostre Seigneur parlant les paroles de la vie eter- ' joan., VI, 69. nelle *^ une femme s'esleva d'entre le peuple, disant : Bienheureux est le ventre qui t'a porté et les mam- * Lucae, xi, 27. melUs que tu as succées *. Voyez-vous, nostre divin Maistre presche, et cette femme se prend à louer Nostre Dame. Hé certes, ce n'est pas sans rayson, d'autant que de la dévotion de Nostre Seigneur naist tout incontinent celle de sa très sacrée Mère, et nul ne peut aymer l'un sans l'autre. La sainte Eglise a accoustumé de nous faire lire cet Evangile aux festes de Nostre Dame, mais tout particulièrement aujourd'huy que nous en célébrons une à son honneur. Il me semble mesme que l'histoire que l'Eglise nous présente en ce jour a une très grande correspondance avec cet Evangile. •Vide Brev. Rom., On rapporte donques * qu'il y avoit dans la ville de ad diem. _^ Kome un homme noble nommé Jean, lequel n'ayant point d'enfans, désira de consacrer tous ses biens à la divine xMajesté, mais à Thonneur de Nostre Dame ; sa femme estoit du mesme sentiment. Or, ne sçachant comme ils le pourroyent faire pour luy estre plus aggrea- bles, ils se mirent en prière ; et la nuit il leur fut dit (i) Vêture des Sœurs Jeanne-Térèse d'Albamey, Jeanne-Hélène de Gérard, Anne-Marguerite et Marie-Gabrielle Clément. (Pour ces deux dernières, voir \ Année Sainte des Religieuses de la Visitation Sainte Marie, tome I'-''', p.]^40, et tome VII, p. 268.)  XllI. Pour la fête de Notre-Dame des Neiges 91 en songe d'aller sur le monticule nommé Esquilin, et de faire bastir une ej^lise à l'honneur de la sacrée Vierge Nostre Dame en l'endroit qu'ils trouveroyent couvert de neige. Miracle certes très grand au mois d'aoust et en la ville de Rome où les chaleurs sont si excessives. Ce bien heureux Jean s'en alla déclarer sa révélation au Pape, et il se trouva que celuy-cy avoit eu le mesme signe. Les trois révélations estans confrontées, on visita le lieu, on remarqua la place, et lors on y bastit l'église qui y est encores aujourd'huy et que l'on nomme Sainte Marie Majeure. Revenons maintenant à nostre Evangile •. Cette bonne * Lu». ". >t. i«. femme s'estant escriée : Bienheureux est le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées, Nostre Seigneur respondant dit : Il est vray ; comme qui diroit : Voire! mais bienheureux sont ceux gui escoutent la parole de Dieu et la gardent, c'est à sçavoir, qui la mettent en effect. L'on en voit qui oyant parler de la Mort du Sauveur pleurent fort tendrement, et néanmoins ne laissent pas de nourrir en eux mille sortes d'imperfections contre cette sainte Passion sur laquelle ils ont pleuré*. •Ci.lmtro^^UVté Vous autres qui faites profession de la spiritualité c. xm. sçavez la différence qu'il y a entre l'amour effectif et l'amour affectif. Nostre Seigneur ne se contente pas de l'affectif si on ne luy donne encores l'effectif. Ne voyez- vous pas qu'il ne dit pas seulement estre bienheureux ceux qui escoutent sa parole, ains adjouste ceux qui V observent? Dieu monstre assez qu'il ne juge pas qu'on l'cscoute si on ne l'effectue avec affection de sousmis- sion et d'obéissance ; aussi se plaint-il de son peuple parce que luy ayant parlé, il n'en a pas esté ouÇ * ; • Pro».. i, §4; Ii-, C est à dire qu ils n ont pas mis en efiect ses paroles, jercm . vu. m d'autant qu'ils l'avoyent bien ou^ de leurs oreilles. Or, cela ne suffit pas, car il veut que nous l'escoutions avec le dessein d'en faire nostre proffit. De mesme quand nostre divin Maistre dit, parlant des Supérieurs : Q^ui vous escoute m'escoute et celuy qui vous niesprise me mesprise *, c'est comme s'il disoii : Je tiens que * !.•-* ■ •*  92 Sermons recueillis ceux qui vous obéissent c'est à moy qu'ils obéissent ; et ceux qui mesprisent vos paroles ne s'en voulant pas servir, je tiens que ce sont mes paroles mesme qu'ils mesprisent. Sur ce propos, il me souvient d'avoir expliqué une fois en cette chaire comment nous devons faire pour entendre la parole de Dieu et la prédication avec utilité. J'adjouste maintenant que, outre l'intention que nous y devons avoir apportée d'en vouloir faire nostre proffit et l'attention durant icelle, nous devons par après de- meurer quelque temps renfermés dans le fond de nostre ame, je veux dire recueillis, pour ruminer ce que nous avons entendu. Et à fin que les distractions ne viennent se poser sur nostre cœur et troubler nostre repos, il nous faut faire ce que fit Salomon en son Temple : tout le couvert estoit d'or, mais redoutant que les oyseaux ne le salissent venant à se nicher et reposer dessus, il le fit garnir de pointes, moyennant lesquelles le toit ne pouvoit •Joseph., De Beiio estre endommagé*. De mesme, si nous voulons avoir soin (det'ertioTempio^! ^6 garder nostre cœur des suggestions et distractions du malin esprit, il faut, au sortir de la prédication, le garnir d'aspirations et oraisons jaculatoires sur le sujet d'icelle, invoquant la divine Miséricorde pour nous for- tifier à fin de mettre en efifect ce que nous avons affectionné. Voyez-vous ce bon homme Jean dont nous faisons mention, il fut prompt à suivre l'attrait de Dieu ; car estant inspiré de luy donner tous ses biens, et ne sçachant comme il le pourroit exécuter à sa gloire et à l'honneur de Nostre Dame à laquelle il avoit une si particulière dévotion, il se mit en prière et il entendit ce qu'il devoit faire. O que c'est une bonne chose que la prière ! Mais le bonheur de ce saint homme ne consistoit pas à sçavoir la volonté de Dieu, s^il ne l'eust incontinent suivie comme il fit. O que ceux là sont heureux qui estans inspirés, comme ce bien heureux Jean et sa femme, de se dédier et consacrer à Dieu avec tout ce qu'ils possèdent, ont recours à la prière pour connoistre en quel lieu ils le pourront faire pour sa plus grande gloire et pour l'honneur de  Xlll. Pour la fête ob Notre-Damb ois Nugis 93 nostre très digne Maistresse: car, ainsy que nous l'avons desja déclaré, point de dévotion pour Dieu sans affection de plaire à Nostre^ Dame. Mais qui est-ce, je vous prie, qui ne luy en auroit, veu qu'elle est nostre très aymable Mère? Kt qu'il ne soit vray, escoutez l'Kspoux au Cantique des Cantiques* • dp. vu, >. lors qu*il luy dit : Ton ventre, o ma Hien-Aymée. est comme un monceau de grains de froment qui est tout entouré de lys de la pudeur de sa virginité. Que veut-il signifier ce divin Amant, sinon que Nostre Dame a porté tous^les Chrestiens en son sein ? Et si bien elle ne produit que ce grain duquel il est escrit • que s*il n*est • Jo«n., «1. «4. >v jette en la terre il demeurera seul, et s'il y est jette et couvert il germera et en produira plusieurs, à qui est ce, je vous prie, doit-on attribuer la pnxluction de ces autres grains, sinon à celle qui a produit le premier, Nostre Seigneur estant Fils naturel de Nostre Dame ? Bien qu'elle n'ait porté que luy en effect dans son sein, elle a pourtant porté tous les Chrestiens en la personne de son Hé, pourquoy voudrions-nous estre maistres de nous mesme pour ce qui regarde l'esprit, puisque nous ne le sommes pour ce qui est du corps ? Ne sçavons-nous pas que les médecins lors qu'ils sont malades appellent d'autres médecins pour juger des remèdes qui leur sont propres ? De mesme les advocats ne plaident pas leur cause, d'autant que l'amour propre a accoustumé de troubler la rayson. Je considère maintenant que ce ne fut pas sans rayson que la neige fut la marque de la vérité de la révélation faite à ce bon homme Jean et sa femme. Xostre Seigneur pouvoit bien faire tomber de la manne comme il fit anciennement au désert pour les Israélites*, ou bien • Fio.î »vi 14. couvrir des plus belles fleurs cette place qu'il avoit choi- sie ; mais il ne le voulut pas, d'autant qu'es qualités de la neige se peuvent retrouver les conditions nécessaires aux araes qu'il a esleùes pour estre plus spécialement siennes en la Religion. Premièrement, je remanjuc la blancheur de la neige; secondement, son obéissance; troiviesmement, sa fécondité. Je laisse tout plein d'autres propriétés, comme seroit de dire qu'elle ne tombe jamais dessus la mer, au moins dessus la haute mer ; et je pourrois adjouster que de mesme la sacrée et particulière inspiration de se donner à Dieu sans reser\e ne tombe point sur les âmes qui voguent sur la haute mer de ce misérable monde et qui y sont eslev(*es sur les plus hautes dignités. Je sçay bien qu'il s'en est trouvé, comme  96 Sermons recueillis sainte Magdeleine, saint Matthieu et les autres ; de mesme un saint Louys, une sainte Elizabeth ; mais tous ceux-là sont rares , et partant nous pouvons bien dire que si cette bienheureuse inspiration y tombe, c'est très rarement. Nous faisons comparaison de la blancheur de la neige à la blancheur d'une ame pure parce qu'elle surpasse toute autre blancheur ; et qu'il ne soit vray, vous le • Matt., XVII, 1-9. verrez demain en l'Evangile* où il est dit que Nostre Seigneur estant transfiguré, ses vestemens devinrent blancs comme neige. Cela monstre assez qu'il ne se trouvoit rien de plus blanc. Escoutez le Psalmiste royal *Ps. L, 9. David*, lors que se plaignant à Dieu dequoy son ame estoit devenue par le péché plus noire qu'un éthiopien, il le prie qu'il luy plaise l'arrouser de son hyssope, et par ce moyen elle sera rendue plus blanche que la neige. Or, les âmes divinement appellées à Testât de Reli- gion sont rendues blanches comme la neige, car par le vœu de chasteté elles renoncent à tous les playsirs de la chair, tant licites que illicites ; et par après leur viennent en contreschange les playsirs et contentemens » Ps. XXVI, 4. de l'esprit. Le saint Prophète * disoit au Seigneur : Une chose vous ay-je demandée, c'est celle que je requiers encores, que vous me meniez en vostre saint temple, à fin que là je jouisse de vostre volupté. Comme s'il vouloit dire que nul ne jouira des chères caresses ni des délicieux playsirs de Nostre Seigneur, que ceux qui renonceront à tous les vains playsirs de la chair et du monde, puisqu'on ne sçauroit posséder les uns et les autres tout ensemble. Il est pourtant véritable que le Sauveur ayant deux mammelles, nourrit tous ses enfans de la miséricorde qui en distille. C'est en efFect une certaine liqueur de miséricorde qui retire le pécheur de son iniquité et la luy pardonne ; mais l'autre de ses mammelles dont il nourrit les parfaits et les perfectionne tousjours davantage, jette une liqueur plus douce que •Ps. xvni, II. le miel* et plus suave que le nectar et l'ambroisie ; elle est toute sucrée. Bienheureuses donc sont telles âmes  XIII. Pour la Fêre de NoTRE-DAMe des Neiges 97 qui renoncent absolument à tous les délices et playsirs de la chair qui nous sont communs avec les bestes, pour jouir de ceux de l'esprit qui nous rendent semblables aux Anges. Passons à la .seconde qualité de la neige. Je dis qu'elle est obéissante. C'est le divin Psalmiste qui le déclare*, asseurant «ju'elle fait la volonté de l)ieu, qu'elle • P*. cxtnu. 8. obéit à sa parole. Hé, voyez-la tomber : elle tombe si doucement I Voyez comme elle demeure sur la terre jusques à ce qu'il plaise à Dieu d'envoyer un rayon de soleil qui la vienne dissiper et faire fondre. O qu'elle est obéissante la neige! Telles sont les âmes qui se dédient au Seigneur, car elles sont .souples et se sousmettent absolument sous la discrétion et conduite de ceux qui commandent, sans se laisser plus maistriser par leur propre volonté ni jugement. Kt tout ainsy qu'elles ont renoncé à tous les playsirs de la chair, de mesme renon- cent-elles sans reser\e au playsir qu'elles avoyent accoustumé de prendre dans le monde, en suivant le mouvement de la propre volonté en tout ce qu'elles faisoyent. Désormais elles ne luy seront plus sujettes, ains au contraire elles seront sujettes aux Règles de leur Institut. O douce et amoureuse sujétion qui nous rend aggreables à Dieu ! lîn troisiesme lieu, la neige est feconùe. Les paysans et ceux (jui lalH)urent la terre asseurent que lors qu'il tombe médiocrement de la neige en hiver, la prise en sera plus belle l'année suivante, d'autant qu'elle empes- che la terre des grandes gelées. Et si bien il semble que la neige ne puisse reschauffer la terre à cause de sa froideur, elle ne laisse pas de la rendre féconde pour la cause que je viens de dire, car le grain .se garde seure- mcnt dessous. I^ ion religieuse est une vocation féconde, d'autant qu Liie r«- * ' I''s plus indif- fer • fertiles et très m<-f iioiru^. i^u ijuirc, I r, le «4'....ir sont des choses d'elles mesmes ii u»« et sans aucun mérite. Je sçay bien c|u*il faut manger et boire pour sustenter le corps, ii fin qu'estant joint ik l'ame, ils puissent par ensemble passer le cours de cette vie m 1  98 Sermons recueillis selon l'ordonnance de Dieu ; de mesme qu'il faut dormir pour, par après, estre plus vigoureux pour servir la divine Majesté. Faire toutes ces choses ainsy, c'est obéir •I Corinth., X, 31; au grand Apostre qui dit* : Soit que vous mangiez, Coloss., III, 17. . , 1. • jr -s L ± j r\ ' soit que vous beuvie^, faites tout au nom de Dieu. Et certes, celuy qui fait ces actions autrement, ne vit pas en Chrestien mais en beste. Or, ceux qui sont en la Religion font toutes ces actions bien plus particulièrement au nom. de Dieu, d'autant qu'ils les font toutes par obéissance. Ils auroyent beau avoir appétit, qu^ils n'iroyent pas manger si la cloche ne les y appelloit ; ils ne vont donques pas man- ger pour satisfaire à leur appétit, mais ils vont manger pour obéir. De mesme, ils ne vont point dormir parce qu'ils ont sommeil ni parce qu'il faut dormir pour rendre le corps plus vigoureux, car si le temps n'en est venu et la cloche, qui est le signe de l'obéissance, ne les y fait aller, ils n'iront point. O que le bonheur de pouvoir obéir en tout ce que nous faisons est grand ! Mais sçavez-vous bien d'où procède le bonheur de ces âmes religieuses ? De ce qu'elles ont obéi à ces paroles que Nostre Seigneur leur a dites en la personne de son •Ps. xLiv, II. grand Prophète David* : Escoute, ma fille, vois et incline ton oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père. Mais remarquez, je vous prie, qu'il ne se contente pas qu'elle escoute si elle n'incline encores son oreille; c'est pour monstrer qu'il veut estre escouté avec une particulière attention et avec affection. Mais dites nous, o saint Prophète, qu'en reussira-t-il de tout cecy? • Vers. 12. La suite de son discours le déclare "^ : Et le Roy con- voitera ta beauté ; c'est à sçavoir, il te fera son espouse bien aymée et prendra ses délices en toy. Voyez-vous comme cette obéissance comprend en soy tout le bon- heur et félicité de ces âmes? L'homme obéissant, dit • Prov., XXI, 2S. la Sainte Escriture *, rendra compte à Nostre Seigneur de plusieurs belles victoires lors qu'il viendra s'asseoir • Matt., XIX, 28. sur son throsne judicial au jour du jugement *. Ces âmes parleront alors des victoires remportées non seule- ment sur elles mesmes en s'assujettissant à l'obéissance,  XllI. Pour la fête de Notre-Dame des Neiges 99 mais aussi de plusieurs qu'elles auront remportées sur leurs ennemis. Et il ne faut point douter que s*estans conformées en cette vie à l'obéissance de leur Maistre qui a mieux aymé mourir que de désobéir*, elles ne * r -8. , , . . s. . de soyent receues amoureusement de luy pour jouir avec Mot. bu» ci offic. luy éternellement de sa j^loirc, où nous conduisent le ^^'*^' ^- **• Pore et le lils et le Saint Ksprit. Amen. Ouy, Seigneur, amen.  XIV SERMON DE PROFESSION POUR LA FÊTE DE L' ARCHANGE SAINT MICHEL 29 septembre 1 6 1 7 (0 ( Inédit ) Nostre Seigneur veut et désire que nous honnorions les Anges , particulièrement le glorieux saint Michel duquel nous célébrons aujourd'huy la feste; car il a donné ce Prince de la milice céleste pour spécial protecteur à son Eglise. Nous avons tous beaucoup de devoir de chérir, servir et honnorer ces Esprits angeliques, veu qu'ils sont si désireux de nostre bien et ne desdaignent pas de nous assister, puisqu'il n'y a créature, pour petite, vile et abjecte, fidelle ou infidelle, qui n'aye son Ange pour la garder et solliciter continuellement au bien. Ils présentent nos oraisons à la divine Bonté pour les faire Tob., XII, 12 ; exaucer * ; si nous sommes lasches ils excitent nostre cœur à l'amour de la vertu pour nous la faire embrasser, ils nous fortifient et nous obtiennent la force et le cou- rage à fin que nous la prattiquions ; si nous sommes tristes et en adversité ils sont auprès de nous pour nous resjouir et exhorter à la patience. En fin ils ne cessent de nous donner des inspirations pour le salut et perfec- tion de nostre ame en la dilection de l'amour divin, jusques à ce que nous parvenions à la patrie céleste pour demeurer éternellement en leur compagnie. C'est (i) Profession des Sœurs Marie-Gasparde d'Avisé, Françoise-Agathe et Françoise-Marie de Sales. (Voir V Année Sainte, tome I, p. 314, et tome III, p. 500).  Apoc, VIII, 3, 4.  XIV. Pour la fête de l'Archange saimt Michel ioi ce qu*ils desireiu, svachanc que nous avons este créés pour cela. Ils sont si jaloux de nostre bonheur, qu'ils se resjouissent quand ils voyent que nous sommes fidelles à Dieu et que nous correspondons à son amour ; et quand nous ne le faisons pas, s'ils pouvoyent avoir du desplaysir ils en auroyent. Nos bons Anjî^es nous doiineii: a to.is .îrs inspiraiions conformes à nostre vocation et condition. Or, puisque nous avons tant d'obligations à tous ces Esprits célestes pour les j^rans bienfaits que nous recevons d'eux et les bons offices qu'ils nous rendent en nous obtenant tant de grâces de la divine Bonté, voyons maintenant que nous pourrions faire pour leur estre aggreables, pour les consoler et resjouir en reconnoissance de tant de faveurs. Abraham fit un festin à trois Anges sous un arbre. Il leur donna premièrement du pain cuit sous la cendri\ puis du beurre, du miel et du veau rosti, et leur fit ce banquet a l'heure du midy*. Si nous voulons •G«o.,xtui, i-«. faire un festin aux Anges et à Xostre Seigneur le Roy des Anges, nous leur devons donner, à l'imitation d'Abraham, du pain cuit sous la cendre de l'humilité. Chacun sçait que le pain est une chose universelle dont on mange avec toutes sortes de viandes. Le pain que nous devons donner à manger aux Anges, c'est une resolution forte, généreuse et invincible de vouloir .servir, honnorer et aymcr Dieu, non seulement toute nostre vie, mais juscjues à l'etcrnitr. Cette resolution doit estre cuite sous la cendre de l'humilitr t.ir. .• .me sans cette vertu nous ne pouvons estre aggr- » a ni aux Esprits angeliques, nostre édifice tombera par terre et nos resolutions ne seront point efficaces ; car nous ne pouvons rien sans Nostre Seigneur •. Or, il ne nous • Jo«o., «▼, 4, v donnera point sa grâce si nous ne la luy demandons par le moyen de l'oraison ; mais celle cy n'est point »- ble à Dieu sans l'humilité, car sans icelle l'oraison n i-st point oraison *. Sa lionté désire que nous nous rendions *CfMpfii,p^)l,M- parfaits et signalés en cette vertu à son imitation, nous l'ayant singulièrement recommandée. dis;int que nous apprenions de luy •« non à former la machine du monde.  102 Sermons recueillis à ressusciter les morts et à faire des miracles » (nous en pourrions faire sans luy estre aggreables, comme nous luy pouvons estre aggreables sans faire ces prodiges et grandes choses) ; « mais il a dit que nous apprinssions de •Matt., XI, 29. s. luy à estre doux et humbles de cœur"^. » Donc, cette c. I. ' ' resolution forte doit estre le pain universel que nous devons manger avec toutes sortes de viandes, s'entend que nous devons avoir en toutes nos actions; et par le moyen d'icelle il nous faut demeurer fermes et stables en nos exercices et en tout ce que nous entreprenons pour la gloire de sa divine Majesté. Nous sommes tous des poissons régénérés par Teau baptismale, car nous voguons tous dans la mer de ce monde ; mais, mon Dieu, il y en a qui sont bien heureux ! Ce sont ceux que la divine Bonté retire du monde, les faisant devenir de poissons, oyseaux, et les mettant en la Religion comme dans une cage. Encores que les oyseaux viennent souvent en la terre et y demeurent, on ne laisse pas de les appeller oyseaux du ciel ; ainsy, ces personnes religieuses, quoy qu'elles soyent en la terre elles n^y ont point leur cœur, car elles le lancent si souvent du costé du Ciel et ont leurs désirs, affections et pensées tellement tournés vers Dieu, ne visant qu'à luy complaire, que ce ne sont plus des poissons, mais des oyseaux du Ciel. Qu'elles sont heureuses ces âmes! parce qu'encores qu'on puisse se sauver et arriver à la perfection parmi le monde en toutes sortes de conditions loysibles, néanmoins ceux qui voguent en cette mer sont en plus grand danger de faire naufrage et se perdre ; tandis qu'en Religion l'on peut avec plus de facilité faire son salut et parvenir à la perfection. Les personnes du monde ne sont point en un estât stable, car pour grande que soit la dignité en laquelle elles se trouvent eslevées, elles en peuvent descheoir ; mais les ecclésiastiques et Religieux sont en un estât stable, parce que, par le moyen des vœux qu'ils font, ils se lient estroittement à Dieu, en sorte qu'ils ne peuvent plus démordre de leur resolution. Lors que nous avons choisi par inspiration divine un estât ou condition.  XIV. Pour la fête de l'Archange saixt Michel 103 si bien nous y avons esté portés par quelque mauvaise fin, intention et affection impure, Dieu sçaura sans doute convertir le mal en bien, si nous luy sommes fidelles. Nous devons donques demeurer stables, sans permettre à nostre esprit de varier ou penser que nous servirions mieux X(3stre Seigneur et ferions mieux nostre salut en une autre Relii^ion •. Quand nous serions en une * Ci.Tr.4trAm.de autre Religion nous voudrions encor estre en une autre, UiEmtr€ttemt,\.\\ et ainsy nous ne ferions que changer. Il ne faut point J"j, v*r! ' '*^^*** penser que nous soyons plus aggreables à Dieu par un autre exercice que par celuy-cy, car sa volonté est que nous fassions celuy-là ; partant nous le devons faire de bon cœur, et non pas en désirer un autre, où nous ne trouverons peut estre pas sa volonté mais la nostre, et ce, à nostre confusion. Il y a des personnes si bigearres ! Plusieurs parlent de la bigearrerie, mais peu sçavent que c'est que d'estre bigearre : je veux l'expliquer et donner a entendre. Les bigearres ce sont des personnes qui n'ont point de stabi- lité et fermeté en leurs resolutions, qui ne font autre chose que varier et faire divers desseins, sans les effectuer avec la maturité et considération convenables ; c'est l>ourquoy elles changent à tous propos sans s'arrester à rien. Quand nous voyons une robbe comjxjsée de rouge, de blanc, de vert, nous di.sons qu'elle est bigar- rée ; de mesme, quand nous voyons des personnes qui ont divers desseins et resolutions, ne s'arrestant à rien, nous disons qu'elles sont bigearres, parce qu'elles sont habillées de diverses couleurs : tantost de jaune, voulant une chose, tantost de rouge, en voulant une autre. Au- jourd'huy ils veulent estre d'une Religion, et demain d'une autre; il» se plaisent aujourd'huy en la compagnie d'une personne, demain ils s'y desplairont cl ne la vou- dront plus voir ni ouïr parler ; ils ayment a rr»tte heure une chose, tantost ils l'alihorreront *. Nous avons tous •Cf-E»irHi«illI. grand sujet de nous humilier, car ce sont iles effects de la foiblcssc et niaiserie de l'esprit humain, lia, je ne dis pas que nous puissions empescher cela et que nous n'ayons point de tentations, mais je dis qu'il faut, avec  104 Sermons recueillis la partie supérieure de nostre ame, nous serrer auprès de Dieu et demeurer fermes en nos resolutions. Nous devrions penser et regarder cent fois le jour comme nous prattiquons et conservons la sainte humilité ; car si nous la conservons bien nous conserverons aussi nostre vocation et nos bons propos. Vous sçavez que chacun vit et se nourrit mieux en mangeant de la chair parce qu'elle a plus de rapport avec la substance de nos corps. Or, l'aliment qui a le plus de rapport avec la nature des Anges, c'est la volonté •Ps. cil, 21. de Dieu*. Ils se nourrissent donques de la resolution • Cf. Joan., IV, 34. qu'ils Ont de servir Dieu, et sa volonté est leur viande *; car le Seigneur les ayant créés, il leur monstra en un instant le bien et le mal, pour qu'ils eussent à choisir l'un ou l'autre. Lucifer et ceux de sa suite ne se voulurent point sousmettre au vouloir divin ni se déterminer à servir Dieu éternellement ; mais desirans, par orgueil et présomption, d'estre semblables à luy, ils se demandè- rent pourquoy le Verbe éternel ne prenoit leur nature, à fin qu'ils luy devinssent esgaux. Lors saint Michel, comme en reprenant Lucifer de sa témérité, luy dit : • Hugo, Comm. in Qui cst semblable à Dieu*? et par cette paroUe le fit Greg.'Ma'g., hom! trcsbucher avec sa malheureuse trouppe au profond MsTxIv^7,"M,'!v ^^^ enfers *. Le glorieux Archange au contraire, et tous Apoc, XII, 7-9. ceux de sa compagnie, reconnoissans qu'ils n'estoyent rien au prix de Dieu, firent en un moment, et avec tant de perfection et stabilité, la resolution cuite sous la cendre de la sainte humilité, qu'ils se sousmirent à la divine Majesté pour luy estre éternellement dédiés et accomplir ses saintes volontés non seulement aux choses 'Cj.Tr.de l'Am. de excellentes, mais aux plus viles et abjectes*. Ils firent ' ' ' ' * alors les vœux, se liant estroittement à luy pour le servir à jamais ; et la resolution des Esprits angeliques, cuite sous la cendre de l'humilité, les a faits ce qu'ils sont et rendus éternellement heureux. Nostre Seigneur mesme nous a monstre par son exemple comme nous devons demeurer fermes en nos • Heb., X, 5-7 ; Ps. resolutions ; car dès l'instant de sa conception * il fit celle XXXIX Q ' ' de nous racheter et s'humilier jusques à la mort de  XIV. Pour la fête de l'Archange saisi Michel 105 la croix*. Estant sur icelle, plusieurs luy dirent : Si 'PhUip., u, «. tu es Fils de Dieu, sauve-toy toy mesme et descens de la croix*; mais il n'en voulut pas descendre parce • Mait., xxvu, 40. qu'il estoit enfant de Dieu, ains demeura ferme en la détermination rju'il avoit prise de nous racheter par sa mort et persévérer yw5(/Wt'5 à la fin*, A l'imitation de Mbid., x, ««. nostre Sauveur et de ses Anges célestes, si nous som- mes vrays cnfans de Dieu, nous ne nous desprendrons jamais de nos resolutions, mais nous persévérerons à nous humilier et à le servir jusques â la fin de nostre vie, voire jusques à toute éternité, car il n'a pas promis la couronne à ceux qui commencent, mais à ceux qui persévéreront *. Si nous avons fait dessein de servir ' Apoc., n, 10. Nostre Seigneur et d'estre tout à luy, on aura beau nous contrarier, le monde aura beau nous dire que nous descendions de la croix et que nous serons aussi bien enfans de Dieu demeurant au monde qu'en nous mettant en Religion ; si nous sommes ses vrays enfans, nous nous tiendrons en la fermeté de nos resolutions et per- sévérerons /tt5^//^5 à la fin en l'humilité et au service de cette divine Majesté. <«) Je remanjue qu'Abraham fit ce festin à midy. Cela nous monstre que nous devons faire nos resolutions en la ferveur du cœur, lors que le Soleil de justice * nous *MaUch.. oit., t. e.sclaire et nous incite par .son inspiration. Non, je ne dis pas qu'il faille avoir des grans sentimens et consola- tions ; néanmoins quand Dieu les nous donne nous sommes bien obligés d'en faire nostre proflfit et corres- pondre à son amour. Mais quanil il ne les donne pas il ne faut pas (|ue nous manquions de fidélité à sa douce l>onlé , car nous devons vivre selon la rayson et la volonté divine, et faire nos resolutions avec la pointe de nostre esprit et partie supérieure de nostre ame. ne laiseurre ; car on ne leur baille pas le beurre tout seul, on attend qu'ils puissent manger du pain pour leur en mettre dessus. Iu;s Supérieurs et ceux qui sont eslevés à la conduite des âmes doivent particulièrement imiter les Anges en cette douceur et support du prt>chain, les conduisant, eslevant et traittant avec une grande charité selon la capacité de leur esprit, pour les gaigner à Nostre Seigneur • et les faire croistre en des vertus vrayes et • I Cor. «. i9-«i; solides. Ils leur doivent donner du lait lors qu'elles sont encores foibles et tendres en la dévotion • ; et i'i mesure * I Coc., ». •. qu'elles vont croissant et qu'elles sont plus fortes, ils leur doivent présenter du pain, c'est à dire leur aggran- dir le courage pour les faire croistre et avancer en la perfection de l'amour divin et aux vrav'» ••» solides  io8 Sermons recueillis vertus, les y excitant plus par leurs exemples que par leurs paroles. Il y a des âmes simples, douces et toutes colombines qui sont vrayement aymables ; elles sont bien heureuses ces âmes là. Il y en a d'autres qui n'ont point le naturel doux et simple, qui ont l'esprit fort ; elles sont esgale- ment bien heureuses si elles s'addonnent à bon escient à la mortification de leurs passions et mauvaises incli- nations, parce qu'elles deviendront capables de rendre de grans services à Dieu et acquerront de grandes et •Cf. Tr.deV Arn.de solides vertus *. Il faut prendre garde de traitter ces âmes Dieu, 1. XII, CI., ^1 , ,, , ,, doucement, de peur qu elles ne mordent, car elles ont des dents ; elles ont leurs passions si fortes que quand on les contrarie elles regimbent. Mais, mon Dieu, qui n'admirera l'humilité des Esprits angeliques en les voyant abaissés en des offices si vils que de servir les hommes, non seulement ceux qui ont l'usage de rayson et qui sont capables de correspondre à leurs inspirations, mais encores les petits enfans ? •Ubisupra, p. I02. O qu'ils ont bien compris la leçon de leur Maistre * : Apprenez de moy que je suis doux, débonnaire et humble de cœur. Ils ne desdaignent pas de s'humilier, le voyant tant abaissé et humilié jusques à la mort, • Vide supra,p. 105. voive la }nort de la croix^. Et nous autres misérables, qui ne sommes rien, ne nous voulons point humilier ! Si l'on va dire à un monsieur qu'il est un homme, il s'offencera de cela et respondra : Quoy, moy qui suis un monsieur, relevé en une telle dignité et grandeur, je suis prince, je suis comte, et on m'appelle homme ! Voyla jusques où nous porte nostre orgueil. Nous voulons qu'on regarde en nous tout ce qui est excellent, les qualités, offices et charges auxquelles nous sommes eslevés, que l'on nous estime pour cela, quoy que vrayement nous n'en soyons pas plus à estimer ni plus grans devant Dieu ; et nous voulons au contraire qu'on ignore nostre vileté et qu'on ne regarde jamais nostre misère, nos défauts et imperfections. Plusieurs parlent de l'humilité et des autres vertus, mais fort peu sçavent en quoy elles consistent ; néanmoins c'est le principal que de le  XIV. Pour la hêti de l'ArchasôIî saint Michel 109 sçavoir par prattique, plustost que par science spécula- tive. Je voudrois que ceux qui en parlent et les preschenl s*estudiassent à les prattiquer et non pas seulement à les expliquer. Saint Jean en l'Apocalyp^^e * voyant un Ange, il se • Cip. xjji, 10, xxo, prosterna devant luy ; mais celuy-cy, par humilité, ne le ''* luy voulut pas permettre et le fit lever, parce qu'il regarda saint Jean comme Apostre de Xostre Seigneur et l'honnora en cette qualité. Car cette dignité est si excellente qu'elle surpasse en certaine façon celle des Esprits angeliques, quoy qu'ils soyent plus heureux, estans en lieu asseuré et voyans Dieu face à face •. • i Cor, «m, m. Ceux qui sont eslevés en Testât de prestrise ont une grande grâce et sont bien heureux de manier et toucher le précieux corps de Celuy que les Anges voyent et que néanmoins ils ne touchent pas romme eux. Ils ont aussi le pouvoir de remettre les \ ; ce sont les trcsoriers de l'Kglise et dispensateurs des trésors que la divine Bonté y a laissés •, à sçavoir des Sacremens qui nous •Ibid., rr, 1. confèrent la grâce. L'Ange regarda aussi saint Jean comme estant créé à l'image et scmblance du Fils de Dieu*; car despuis *Roai.,Titi, 19. que ce divin Sauveur de nos âmes se vestit de nostre humanité il a tant honnoré les hommes ! Avant l'Incar- nation du Verbe éternel, Abraham et d'autres Prophètes adoroyent les Anges*, et ceux cy le leur permettoyent ; • G«i., xrm, « : mais despuis, ils portent tant de respect aux hommes *"' *' *^ qu'ils ne le veulent pas souffrir. L'humilité de cet Ange faisoit qu'il se consideroit comme serviteur de Dieu* et * Apoc.,obitopra. non pas comme un Prince du Ciel, ne regardant en 9oy que ce qui estoit vil et abject. I^ vr«iy humble en fait de mesme : il ne regarde jamais en soy ce qui est excellent, ni les dignités, grandeurs et charges aux- quelles il est eslevé; il ne veut point qu'on fasse estai de luy pour toutes ces choses ni qu'on l'en estime davan- tage ; il ignore tout cela par une sainte humilité, et ne considère sinon ce qui est en luy de vil, d'abject, de pauvre et de misérable. Bienheureu.ses donques sont les âmes humbles d'une  iio Sermons recueillis humilité vraye; car, tant de révérences qu''il vous plaira, tant de paroles d'humilité que vous voudrez, tout cela est peu de chose si vous n'avez au cœur l'humilité vraye et sincère, qui vous fasse connoistre vostre vileté , vos misères, défauts et imperfections, vous reconnoissant la plus misérable de toutes les créatures et vous sousmet- tant de bon cœur à toutes pour l'amour de Nostre Seigneur. Si vous distribuez tout vostre bien aux pauvres, si vous me dites que vous travaillez beaucoup pour la gloire de Dieu et pour convertir les âmes à luy, et que vous donnez vostre vie et vostre corps pour estre bruslé, je vous diray que tout cela n'est rien si " I Cor., XIII, 2, 3. VOUS n'avez la charité *. Et si vous avez la charité et que vous n'ayez point d'humilité, vous n'avez pas vérita- blement la charité ; car ces deux vertus ont une si grande sympathie et liaison entre elles que l'une ne va point sans l'autre. Plus nous avons de charité, plus nous avons d'humilité. Il en est comme de l'amour de Dieu et du prochain : ce sont deux amours qui ne vont point l'un sans l'autre, et à mesure que nous aymons plus Dieu, aussi aymons-nous plus le prochain. •Vide supra, p. loi. Le miel'^ d, une douceur grandement douce; ainsy faut il que nostre charité soit non point feinte et apparente, mais vraye et sincère, elle doit partir d'un cœur tout bénin, débonnaire, doux et affable. C'est un mets très aggreable et délicieux que nous donnerons à ces Esprits célestes qui seront fort resjouis de voir que nous les imitons en cette vertu de douceur et affabilité. Abraham fit aussi son festin aux trois Anges sous un arbre. Cela nous représente que nous devons faire toutes nos actions, soit de boire, manger, travailler, marcher et parler, à l'abri de Tarbre de la Croix et en présence des Anges, ayant tousjours devant les yeux le divin Sauveur crucifié, pour nous mirer en luy et nous conformer à sa •Cf.Rom.,ubipag. vie, nous moulant sur ce divin portrait*, l'imitant au praeced. plus près qu'il nous sera possible selon nostre petit pouvoir. Cest l'Espoux de nos âmes, suivons ses traces et vestiges ; lors que nous demeurerons auprès de luy nous serons là comme en un rempart asseuré, ayant  XIV, Pour la fête de l'Archange saïht Michel  1 1 1  nostre recours et refuge en ses sacrées playes, desquelles il fera distiller son sang pretieux pour le respandre sur nous et nous appliquer le mérite d'iceluy à fin de nous rendre aggreables à la divine Majesté. Soyons grandement dévots à nos bons Anges et à tous les Ksprits angeliques, spécialement au glorieux saint Michel. Servons-les et les honnorons ; corresf>ondons fidellement à leurs inspirations, les consolant et resjouis- sant par l'amendement de nostre vie et l'avancement de nos âmes en la dilection et pureté de l'amour divin. Imi- tons-les autant qu'il nous sera possible en leur resolution rutte sous la cendre de l'humilité et en leur stabilité au service de Dieu, en la pureté de l'amour divin et dénue- ment de tout amour propre, en leur douceur, affabilité, charité et support du prochain. Et si nous nous rendons semblables à eux en cette vie par le moyen de l'imita- tion de leurs vertus, nous ferons chose fort aggreable cl Dieu et à ses Anges, et nous nous rendrons dignes de parvenir à la gloire et félicité éternelle, où nous conduisent le Père et le Fils et le Saint Ksprit. qu'à jamais nous louerons et bénirons avec eux. Amen.  XV  SERMON POUR LA FETE DE LA TOUSSAINT  i^^ novembre 1617 (0  Oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit qiice prœparavit Deus iis qui diligunt illiim. Nul œil na ven, ni oreille ouy, ni cœur d'homme n'a peu penser quelle et combien grande est la gloire que Dieu a préparée a ceux qui Vayment. I Cor., II, 9; Is., Lxiv, 4. Ce sont, mes chères Sœurs, les parolles desquelles saint Paul se servoit en escrivant aux Corinthiens pour les exciter à se desprendre des choses basses et transi- toires, à se desvelopper des biens caducs et terriens, à se desgager des affections de cette mortalité, à relever leurs cœurs en haut et à penser aux biens perdurables et éternels. Et moy, ayant à vous parler en cette solemnité des Saints, j'ay pensé me servir des mesmes parolles de ce grand Apostre et de les vous addresser, pour vous exciter par icelles à rehausser vos cœurs et vos pensées à la considération de la gloire et félicité éternelle que Dieu a préparée à ceux qui le craignent et ayment ( I ) L'étendue et le ton de ce sermon donnent à penser qu'il a été prononcé devant un auditoire assez nombreux, tel que pouvait le contenir l'église du i'^'' Monastère de la Visitation, consacrée en 1617. D'autre part, on reconnaît dans la rédaction, le style de la Mère Claude-Agnès de La Roche, qui s'éloigna d'Annecy en juillet 1620. Or, en 1618, saint François de Sales ne se trouvait pas en cette ville le jour de la Toussaint; en 1619, il adressa un sermon à la Communauté la veille de cette fête, il est donc peu probable qu'il lui ait renouvelé la même faveur le jour même de la solennité. Ces diverses consi- dérations nous amènent à conclure que le présent discours est bien de 1617.  XV. Pour la péte de la Toussaint 113 en cette vie, et pour vous inciter par ce discours à mespriser et retirer vos affections de toutes les choses créées, puisque, comme l'escrit saint Jean en son Apo- calypse *, le ciel et la terre passeront, c'est à sçavoir 'Cap. un, 1,4. que tout ce qui est ça bas prendra fin. Or, pour vous dire quelque chose de cette gloire, je me serviray d'une hi>toire qui est rapj>ortée au premier chapitre du Livre d'Fsther *. Là il est raconté que le roy • Verv 1-8. Assuerus fit un festin le plus admirable qui se puisse voir et entendre, car toutes les conditions requises et qui se peuvent souhaitter en un banquet pour le rendre insigne et remarquable se trouvèrent en iceluy. En premier lieu, celuy qui le faisoit estoit roy de cent vingt sept provinces, et il y fut présent, d'autant que c'est une des principales pièces du convive que celuy qui le fait y prenne part , mais sur tout lors que c'est une personne de qualité royale. Quant aux viandes, elles estoyent des plus excellentes ; les vins, les plus exquis et délicieux qui se peussent trouver. Ceux qui servoyent à ce festin estoyent des personnes constituées par le roy, lesquelles s'acquittoyent fort soigneusement de leur office. Le lieu où se faisoit ce festin estoit le plus beau et magnifique : les piliers estoyent de marbre, le pavé d'esmerauJes, les tapisseries toutes rehaussées de soye, de fil d'or et d'argent, le plancher tout azuré. Il y avoit des couches battues d'or et d'argent ; les musiques les plus belles et accomplies des instrumens et accords les plus harmonieux ; les parterres les plus artificieux et diaprés d'une variété innombrable de fleurs. Les invités estoyent les plus grans princes de cette contrée, et le festin dura cent et quatre vingts jours avec toute cette grande magnificence. Fn somme, l'Lscriture le raconte comme la chose la plus excellente qui se puisse dire. Je n'ay point trouvé d'histoire et de discours plus propre pour vous représenter la gloire et félicité des Saints que ce banquet du roy Assuerus, puisque celte félicité n'est autre qu'un festin ou banquet auquel nous sommes invités* et où ceux qui sont receus sont rassasiés •imcm,Mn,n,n9, et assouvis de toutes sortes de délices. Mais certes. »v»*iAr^»"*'^ •«■ m •  114 Sermons recueillis quand je viens à comparer ce banquet à celuy du roy Assuerus, je trouve que celuy-là n'est rien au prix de celuy-cy ; aussi n'y a-t-il rien à quoy il puisse estre parangonné. En ce festin de V Aigneau sans macule^ *Apoc., XIX, 7-9; comme dit saint Jean*, se rencontre tout ce que nous ^^ '^' ^' avons remarqué en celuy d'Assuerus ; mais en une façon beaucoup plus excellente, parce qu'en iceluy sont jointes ensemblement toutes les conditions requises pour rendre un banquet magnifique et du tout admirable. Celuy qui le fait est Dieu mesme, qui surpasse en grandeur et dignité tout ce qui est et peut estre, et cette personne royale et divine assiste au festin, mais qui plus est, il •Joan.,vi, 50, 51,56. est luy mesme la viande * qui repaist et rassasie les conviés et esleus par les admirables communications qu'il fait de soy mesme. Les assistans et personnes qui servent ce sont les Anges, Archanges et autres Esprits célestes que Dieu a nommés et destinés à ce service. De parler de la beauté du lieu où se fait le festin c'est impossible ; mais pour les autres choses qui s'y retrou- vent nous les expliquerons par le menu et dirons un mot sur chacune de ses circonstances et conditions, si Dieu nous fait la grâce de nous en souvenir. Et pour commencer par la chose principale, Dieu qui fait ce festin se trouve en iceluy et il est luy mesme la viande qui rassasie ceux qui y sont conviés ; car là est • Cap. 1, 29. V Aigneau, dit saint Jean *, qui oste le péché du monde; •Cap.,xi,i9;Apoc., c'est cet Aigneau de Hieremie*, qui a esté occis pour ^' ' "* les péchés du monde, c'est luy qui les a effacés et remis et qui s'est fait la nourriture de ses esleus. Or, c'est une chose toute claire et hors de doute et de controverse que la félicité des Bienheureux, ainsy que les théologiens •Cf. s. Thom., la enseis-nent *, consiste en la vision de Dieu, comme au ,qu.in,ar .VIII. ^Q^^^j-^jj-g |^ peine des damnés qu'on appelle du dam, consiste en la privation de cette claire vision. Mais outre cette gloire essentielle il y en a encores une accidentelle, qui est celle que les Bienheureux reçoivent par accident, comme les damnés, outre la peine du dam, en ont encores une autre que l'on appelle du sens. Disons un mot de cette gloire essentielle qui consiste  XV. Pour la fête de la Toussaint 115 à voir clairement Dieu tel qu'il est •, sans ombre ni • i To«n., m. >. figure. L'on voit en cette gloire des choses si relevées et excellentes que Dieu, avec l'infinité de sa toute puis- sance, n*en peut pas produire de plus grandes. La pre- mière c'est la Divinité, à sçavoir Dieu luy mesme ; la seconde c'est la maternité de la Sainte Vierge, nostre souveraine Mère et Maistresse ; la troisiesme c'est la gloire elle-mesme, de laquelle Dieu est le souverain objet. Quant à la première chose qui fait la gloire essentielle des Saints, qui est la Divinité, il ne se peut rien voir ni rien ne peut estre de plus grand. Dieu estant, comme disent les théologiens, un E.stre par dessus tout estre, un acte très pur et très simple. Rien n'est plus grand que Dieu avec l'infinité de sa puissance, et il ne peut rien créer de plus haut que luy mesme; car s'il pouvoit créer quelqu'autre plus grand ou plus haut que luy il ne seroit pas Dieu, puisdaction  ii6 Sermons recueillis Or les Bienheureux jouissent de ces trois choses si grandes et eminentes. Là ils voyenty^^^ à face y claire- ment, nettement, sans ombre, image ni figure, Dieu trin •I Cor., xin, 12. et un, non par énigme'^ mais tel au'' il est"^"^, avec •*Videpag. praeced. 111., .77 ' 77 •* •Ps. supra cit.; cf. une telle clarté qu on voit la lumière en la lumière^. ym . . icœn. jj^ voyent en icelle la grandeur et excellence de la maternité de la Vierge, et encores quelle et combien grande est la gloire que Dieu donne à ses esleus. En cette claire vision de Dieu ils descouvrent et viennent à l'intelligence des autres plus hauts et plus inscrutables mystères, dont ils ont la connoissance avec une telle allégresse qu'ils n'en peuvent souhaitter ni désirer de plus grande. C'est là qu'ils reçoivent la mesure pleine, •Lucae, vi, 38. et comble, et qui regorge de toutes parts*, parce que la joye et liesse dont ils jouissent en cette gloire essen- tielle par la connoissance des plus profonds mystères les rassasie très parfaittement. Hé, combien pensez-vous qu'ils ressentent de suavité en la claire veuë du mystère ineffable de la très sainte Trinité, de l'éternité du Père, du Fils et du Saint Esprit ? Quelle joye de comprendre que le Fils n'est pas moindre que le Père, que le Père pour estre Père n'est point plus grand que le Fils, et que le Saint Esprit est en tout esgal au Père et au Fils ! Quelle suavité de voir que le Fils est éternel et aussi ancien que le Père, et le Saint Esprit aussi bien que le Père et le Fils , et que ces trois Personnes ayant une mesme essence, ne font qu'un seul Dieu ! • Vide Ribad.,c. VII. Je lisois hier en la Vie du bienheureux Ignace*, fon- dateur des Jésuites, que Dieu luy descouvrit un jour le mystère de l'ineffable et très adorable Trinité, de laquelle vision il receut tant de clarté et de lumière en son enten- dement qu'il en faisoit despuis des discours les plus relevés qui se puissent entendre ; et demeura plusieurs jours à escrire ce qu'il avoit appris, remplissant divers cahiers des choses plus hautes et plus subtiles qui soyent en la théologie. Ce qui monstre que Dieu luy fit connois- tre de ce divin mystère tout ce qui s'en peut connoistre en cette vie, si que cette vérité demeura si fort gravée en son cœur et en son esprit, qu'il eut dès lors une  XV Pour la pin di la Toussawt 117 singulière dévotion au sacré mystère de Tadorable Tri- nité, se fondant de joye toutes les fois qu'il en avoit le souvenir. Que si ce Saint receut tant de consolation par cette vision , quelle pensez-vous doit estre celle des Bienheureux en la claire veuê de ce mystère ineffable? Ils voyent encores ce nœud indissoluble avec lequel l'humanité est jointe et unie avec la Divinité, cette œuvre incomparable de l'Incarnation en laquelle Dieu s'est fait homme et l'homme est fait Dieu. Ils entendent claire- ment comme ce mystère s'est accompli, comme le Verbe a pris chair humaine au ventre de la Vierge, sans faire aucune bresche à sa virginité, la laissant toute pure et toute nette, sans offencer en rien son intégrité virginale *. «cf. Tr.d,rAm.i0 Quelle félicité et quelle joye de voir encores le fruit et ^*^'* III, c. «u. l'utilité de Tusage des Sacremens, car c'est là où l'on conçoit comment la grâce se communique par iceux selon la correspondance que l'on y apporte ; comme les uns la reçoivent, les autres la rejettent, comme Dieu donne sa grâce efficace aux uns. comme il la refuse à quelques autres sans leur faire tort. Se peut-il penser avec quelle suavité les Bienheureux connoissent toutes ces choses ? Or, non seulement ils voyent Dieu, qui est en quoy consiste la félicité, ains encores ils l'entendent parler et parlent avec luy. et c'est icy un des principaux points de leur félicité. Mais quel langage est-ce qu'ils tiennent et de quel parler se servent-ils? Leur parler et leur langage n'est autre cjue celuy d'un père avec ses enfans, il est tout filial et plein d'amour ; car, comme ce lieu est la demeure des enfans de Dieu, aussi leur langage est-il tout filial et plein de ililection, puisque le Ciel est le lieu d'amour et <|ue nul n'y entre qu'il n'aye la charité et qu'il n'ayme Dieu, l'.t quelles paroles d'amour disent-ils? Telles que celles cy : Tu seras tousjours avec moy et je seray tousjours avec toy : je ne m'esloigneray jamais pour peu ({ue ce soit ; tu seras désormais tout à moy et je seray aussi tout à toy ; tu es tout mien et je seray tout tien. De qui sont ces paroles ? Non d'autre que de Dieu mesme qui les dira au cœur de l'ame fidelle et bi' ' ' - reuse. laquelle, par un amour réciproque, responii... ^  ii8 Sermons RECUEILLIS *Cant.,n, i6, VI, 2. gracieuses et douces paroUes de TEspouse* : Mon Ami est tout à moy et je suis toute à luy ; il est à cette heure tout mien, et je seray désormais toute sienne. Que si estant encores en cette vallée de misère, l'Espouse prononçoit ces parolles d'amour avec tant de suavité, o Dieu, quelle joye et quelle jubilation pensons-nous que sera celle des Bienheureux en ce dialogue qu'ils feront en cette félicité ? Là Nostre Seigneur leur descouvrira de grans secrets, il leur parlera de ce qu'il a souffert, de ce qu'il a fait pour eux ; il leur dira : En un tel temps j^ay souffert telle chose pour vous. Il les entretiendra du mystère de l'Incarnation, de la salvation et Rédemption, leur disant: J'ay fait telle chose pour vous sauver et attirer à moy. Je vous ay attendus tant de temps, allant après vous quand vous faisiez les revesches, vous contraignant par une douce violence à recevoir ma grâce. Je vous donnois ce mouvement et telle inspiration en un tel temps ; je me servis d'un tel pour vous attirer à moy. En somme il leur descouvrira ses secrets jugemens et les voyes *Rom., XI, 33. inscrutahles"^ qu'il a tenues pour les retirer du mal et pour les disposer à la grâce. En cette gloire essentielle, l'entendement demeurera tout plein de clarté et de con- noissance, tant de Testre et grandeur de Dieu que de ce que le Sauveur a fait et souffert pour nous, des grâces qu'il nous a communiquées, comme de tous les plus hauts et profonds mystères de la très sainte Trinité, de l'Incarnation et de tout ce qui concerne la divinité et humanité de Nostre Seigneur, ainsy que de ce qui regarde Nostre Dame. Saint Bernard estoit, comme vous sçavez, tout plein d'amour et grandement dévot à Jésus Christ et à sa très sainte Mère, mais tout particulièrement à l'humanité du Sauveur, en sorte qu'il prenoit un particulier playsir de méditer son enfance. Que si estant un jour en l'église de Chastillon sur Seine, méditant la sacrée Nativité de Nostre Seigneur, son entendement et toutes ses facultés furent tellement englouties en la contemplation d'icelle, et avec tant de consolation et admiration qu'il fut tout  XV. Pour la fête de la Toussaint i 19 absorbé, demeurant quelques jours san^ se pouvoir desprendre ni retirer, quelque violence qu'il se peust faire*, en quel abisme, je vous prie, l'entendement de *Ct.Tr.dtrAm.dt Difw, loco quo su* l'homme se perdra-t-il en la claire veùe non seulement pr», p. 117. de la Nativité du Sauveur, mais de tous les divins mystères? La volonté sera alors en cette union insépara- ble avec son Dieu , sans que jamais elle puisse faire aucune résistance à icelle, ains accomplira tousjours sans aucune répugnance tout ce qui sera de son divin vouloir Reste maintenant la mémoire, qui sera toute pleine de Dieu et des biens qu'il nous a faits en cette vie, et mcsme du peu de service que nous luy avons rendu au prix de ces grans salaires et recompenses. Les puissances et facultés des Ksprits bienheureux seront tellement rassa- siées qu'ils ne pourront rien .souhaitter davantage de ce qu'ils ont. Je les rassasieray, dit Dieu*, d*une manne *Apoe., 0,17. céleste qui les assouvira, et outre cela je donneray à chacun une pierre blanche en laquelle il y aura escrit un nom que personne n'entendra que celuy qui le recevra. Ht quelle est cette pierre blanche qui sera donnée à l'amc bienheureuse, sinon Jésus Thrist, vraye pierre angulaire ^^ lequel se donnera à chaque Bien- * luù». sxna, lé; heureux par cette douce communication qu'il fera de soy * "' * *• mesme? Quant à la blancheur de cette pierre, ce n'est autre que la candeur et pureté de Nostre Seigneur, vray Aigneau sans macule^. Mais quel sera le nom qui MPciri. 1. 19. sera gravé en cette pierre ? Certes, il n'y a point de doute que nous sommes comme des caractères g'ravés en l'humanité du Sauveur : il nous a escrits en ses mains *, ' It., «u». 10. car ces clous (jui les percent nous ont gravés en icelles ; et de mesme la lance nous a ♦•»-< rits en son rceur en luv ouvrant le costé. Mais cette pensée m'est venue ce soir considérant ce que je vous devois dire : la parollc escritte en cette pierre blanche, que personne ne s fait que celuy qui la reçoit, n'est autre qu'une parolle filiale, une parollo d'amour, telle que celles dont nous avons parlé : Je vtiis tout À toy et tu es toute à moy ; tu ne te séparera»  C. XXIII,  120 Sermons recueillis jamais de moy et je ne m'esloigneray jamais de toy. Ha, mes chères Sœurs, c'est icy le comble de la félicité des Bienheureux, de sçavoir que cette félicité sera éter- nelle et ne prendra jamais fin. Qu'est-ce qui cause plus de joye aux prospérités de cette vie, sinon l'espérance qu'elles seront de longue durée ? Comme au contraire, rien ne rabat ni diminue tant la joye sinon la crainte qu'elle ne dure pas long temps et ne vienne tost à passer. Mais les Bienheureux possèdent la félicité avec une plénitude de joye libre de toute crainte et appréhension, ils ne peuvent avoir aucune peur de perdre le bien dont ils jouissent, car ils sont asseurés que leur gloire sera * Lucas, X, uit. éternelle et ne leur pourra jamais estre ostée *. Vous aurez leu, je m'asseure, en la Vie de la bien- •VidelterPerfect, heureuse Mère Thérèse *, la dévotion qu'elle avoit à ouyr le Credo de la sainte Messe, selon que l'Eglise le chante, mais particulièrement elle estoit attentive à ces paroles : Cujus regni non erit finis, qui veulent dire : (( Son royaume sera éternel ; » et en la considération de cette éternité, elle se fondoit toute en larmes pleines d'une extrême joye. Certes, je n'ay jamais leu ce trait en la Vie de cette grande Sainte que je n'en aye esté grandement touché, nonobstant toute ma misère et la dureté et aspreté de mon cœur. Or, si la pensée que le règne de Dieu est éternel cause au cœur humain tant de liesse spirituelle, quelle pensez-vous doit estre la joye des Esprits célestes en l'asseurance qu'ils ont de la perpétuité de leur gloire ? Voyla pour ce qui est de la gloire essentielle des Bienheureux. Disons maintenant quelques mots de la gloire acci- dentelle, qui est, comme nous l'avons veu, celle qui leur arrive par accident. Cette gloire accidentelle vient de plusieurs choses, mais spécialement de la contemplation et claire vision de tous les habitans du Ciel ; car vous sçavez que tous n'ont pas de la gloire esgalement, ains en degrés differens : les uns en ont plus que les autres, mais néanmoins tous sont contens et rassasiés. Ceux qui en ont moins se resjouissent de ceux qui en ont davantage, car dans le Ciel la charité est en sa perfection,  XV. Pour la rtn de la Toussaint 121 il n*y a point d'envie ni de jalousie •, ains elle s'esjouit de •Cf.ICor.,nn,4.5- la gloire de ces bienheureux citadins, et par cette douce participation et communication qu'ils ont de la félicité les uns des autres, tous demeurent satisfaits. Mais vous entendrez mieux cecy par quelque similitude. Voyla un bon père de famille qui habille de drap d'or deux siens enfans; néanmoins tous deux n'estans pas de mesme taille et grandeur, il en faut plus à Tun qu'à l'autre ; il en faudra six ou sept aunes à l'un, et à l'autre il n'en faudra que trois ou quatre. Si vous les regardez, ils sont tous deux vestus de drap d'or et sont contens, d'autant qu'un chacun en a suffisamment pour son habil- lement ; et quoy que le premier qui en a sept aunes en ayt plus que celuy qui n'en a que trois ou cjuatre, si est-ce que celuy cy ne luy en porte aucune envie, parce qu'il y a autant de drap en sa robbe qu'il luy en faut pour le couvrir. Il en est ainsy de la félicité : tous sont contens du loyer et de la participation de la gloire. Tous en cette vie n'entendent pas esgalement le son et accord d'une musique : celuy qui a l'ouj^e un peu dure ne peut pas .si bien remarquer tout ce qui se fait en icelle pour rendre la mélodie en .sa perfection, quoy qu'il entende et sçache la musique, comme celuy qui a l'oreille plus subtile ; et bien que le premier se resjouisse en la suavitr qu'il prend à ouyr cette musique, si est-ce tou- tefois qu'il ne ressent pas une suavité au.ssi grande que celuy qui a l'ouye plus subtile, quoy que tous deux soyent contens. Le .soleil n'est pas esgalement regardé d'un chacun, et néanmoins tous se contentent de sa lumière en recevant ce qu'ils en peuvent supporter; car celuy qui a les yeux chassieux ne peut recevoir les rayons du .soleil avec la mesme clarté que fait celuy qui a la veùc bien nette. Toutefois, et les uns et les autres sont siitisfaits, bien que le contentement des uns soit beaucoup plus excel- lent que celuy des autres. Mais de vous parler de la beauté du lieu o . tit ce festin, qui est encores une gloire accidentelle, et de la dignité de ceux qui y sont et qui y ser%'ent, certes c'est  122 Sermons recueillis une chose qui seroit trop longue à raconter ; voire, tout ce qui s'en pourroit dire ne seroit rien au prix de ce •Cf.Vitam aseipsa qui en est. La Mère Thérèse*, traittant de la beauté du ^ '' ' ' Ciel, s'efforce de trouver quelque similitude pour en faire concevoir quelque chose. Elle compare donques le Paradis à une grande salle, laquelle seroit toute pleine et environnée de beaux tableaux et de miroûers : or, adjouste-t-elle, quand on viendroit à se regarder dans l'un de ces miroiiers on verroit celuy dans lequel on se regarde et on se verroit soy mesme, et avec cela on verroit avec un singulier playsir tous les tableaux et tous les miroiiers de cette salle ; mais ce qui est davan- tage, on y appercevroit aussi ce que les autres miroûers représentent en leur particulier. Cette salle où sont ces miroiiers et tableaux c'est le Ciel empiré. Et qu'est-ce ce miroiier où l'on voit tout ce que je vous ay dit, sinon l'essence de Dieu dans lequel on le contemple et connoist •Vide supra, p. II 5. OU luy mesme tel qu'il est* ? Dans cette mesme essence on se connoist soy mesme avec tout ce qu'on a receu, et en icelle on voit encores la gloire de tous les autres Saints, tous leurs mérites, tout ce qu'ils ont fait et souffert et toutes les grâces et faveurs qui leur ont esté octroyées. On voit aussi toutes les choses créées : comme Dieu a fait le ciel, l'a orné du soleil et de la lune, l'a enrichi des estoilles et de tout ce qui se retrouve en iceluy ; comme il fit la terre diaprée d'une si grande variété de fleurs ; en somme comme il créa toutes choses et la manière avec laquelle il y procéda. Tout cecy sera un sujet de cette gloire accidentelle qui provient, comme vous voyez, de l'essentielle. Là les Bienheureux auront encores pour gloire acci- dentelle la claire vision des Chérubins et Séraphins, des Throsnes et Dominations, Vertus, Puissances, Princi- pautés, Archanges et Anges, qui sont les neuf chœurs de ces Esprits célestes divisés en trois hiérarchies, parmi lesquelles se trouveront les Saints. Ils admireront la foy des Patriarches, l'obéissance des Prophètes, la charité des Apostres , l'ardeur et ferveur des Martyrs, la pureté des Vierges, l'humilité et fidélité des Confesseurs. Ils  XV. Pour la fête de la Toussaint i2) connoistront leurs pénitences, leurs jeusnes, leurs veilles, leurs mortifications ; en fin la perfection, sainteté et gloire de tous les Saints ser\'ira de gloire accidentelle à tous en gênerai et à chacun en particulier. Outre cela, nos corps seront glorieux après la résur- rection (je dis les nostres, avec cette presupposition que je fais tousjours, sçavoir, si Dieu nous fait la miséricorde d'estre du nombre de ses esleus) ; ils auront, comme nos âmes, les quatre dons de la gloire : la subtilité, l'agilité, l'impassibilité et la clarté. Et comme à cette heure nos âmes sont enchâssées, s'il faut ainsy parler, dans nos corps, qui les traisnent et les contraignent d'aller où ils vont, et semble, par manière de dire, qu'elles partici- pent en quelque chose à leur misère*, aussi en cette 'Sâp.,!», n. reunion de l'ame glorieuse avec son corps, luy seront communiqués ces quatre dons et joyaux par lesquels elle le gouvernera et le mènera où elle voudra, sans qu'il luy fa.sse jamais aucune résistance. Il aura une telle subti- lité qu*il ne sera empesché d'aucun obstacle, une agilité telle qu'il n'y aura trait d'arlialete qui aille si NTste ; et comme il sera plus subtil que le rayon du soleil , de mesme sera-t-il aussi agile que les mouvemens de l'esprit, et il ira plus viste que le vent. Il aura l'impas- sibilité qui ne peut cstre offcnst'*e ni altérée aucunement, sans jamais estre sujet à la maladie ni incommodité, et sa clarté sera plus l^elle que celle du soleil •. Bref, pour * Mâtt.. zni. 41. comble de félicité, les Bienheureux seront sctnblablcs à Dieu •, c'est îx sçavoir par participation. C'est ce que nous • I Jo«n., m, 1. fait entendre la Sainte Kscriture * (juand elle nomme • P«. xu«, 1. Nostre Seigneur le Dieu des dieux, c'est à dire le Dieu de tous ces petits dieux, des Saints qui sont en Paradis, Je vous pensois encores dire un mot sur toutes les autres circonstances 2,xxiv, à la fin*, à ce que vous puissiez estre congregées et ^^' unies avec les bienheureux Esprits en cette félicité éternelle, pour aymer et jouir de la divine Majesté pour toute éternité, qui est ce que je vous souhaitte de tout mon cœur. Amen.  XVI SEKMdN Pi*LR LA K^TE I)F LA PRKSENTATION DE LA SAINTE VIERGE 31 novembre 1617 (O  La sainte F|srli5e'"celebre aujourd'huy la feste de la Présentation de Nostre Dame au Temple. Je peux bien dire de cette solemnitê ce qui est escrit • de la reyne de Mil Ref.,x.t,a,io. Salxi allant visiter Salomon. Ainsy que l'on ne vit jamais tant de parfums dans la ville de Hierusalem comme elle y en porta quant et soy pour offrir à ce grand roXy i\f^ mesme, jamais tant Je parfums et tant de baume ne furent présentes à Dieu en son Temple comme la très sainte Vierge en porte aujourd'huy avec elle ; jamais aussi la divine Majesté n'avoit jusques alors receu un si excellent et tant aggreable présent comme celuy des bien heureux saint Joacbim et sainte Anne. 1 1 ) L« t«o«or d« cm Mrmon prouve qo'il a i\é prononcé poor ane cérémonie de reooraiion dct wni ; or, c'eti •eolcment à partir de 161^ qae cette cérémoate a ^té fixée pour l'initilot de la Vitttatton à la fête de la PréftrntJ- tton de la Sainte Viergr. Cette phraM (voir p. i)0; : « Mais d'aotant que v.-<..\ • av % aooée» paa»ce» en cette metne journée aur Ir ■ rcL ^ : de nos amet, • ne permet paa de tuppoecr que ce .. toit antérieur à 1617; tt ce qui porte à conclure qu'il remonte à cette «t.: même, c'est qu'on y reconnaît le ttylr de la Mère Clandc-Agnc» de Lj H ' 11 ne peut être de 1618, le Saint »e trouvant alors absent de u \..'.c épiKopale, ni de 1619, car l'allocution prononcée à cette époque noua a été . donné* en ton l * de 164), le premier qui ail l - . icraona ponr la l*; - ..:-: — . Ict a réuni» J' "^f <■?* A n'en former qu'une aeule pièce, apréa ea avoir éliminé pluaicura ' Lrt quatre prer: :<^at et le» tr le Uat« »^ ot laédtta, amai que . . , .luigea qui ae t ... , . .,. ■.•.<>> « ■ «« IL i-io, »o-n ; P- «)l. W- »«-|«i p. «». W. a^-i^  120 Sermons recueillis Ils vindrent donc en Hierusalem pour accomplir le vœu qu'ils avoyent fait à Dieu de luy dédier leur glorieuse Enfant dans le Temple, où on eslevoit d'autres jeunes filles pour le service de la divine Majesté. Mais avec quelle ferveur d'esprit pensez-vous que cette bien heureuse Infante du Ciel desiroit de quitter la mayson de ses père et mère, pour se plus absolument dédier et consacrer au service de son Espoux céleste qui l'attiroit et amorçoit par V odeur de ses parfums y *Caiit., 1,2, 3. ainsy que le dit la Sulamite* : O mon Bien-Aymé, ton nom est comme un baume ou huile respandu, c'est pourquoy les jeunes filles font désiré et sont allées après toy ; ains tu n'es pas seulement parfumé, tu es le parfum mesme et le baume. Voyez-vous, le temps luy duroit sans doute, à nostre glorieuse Dame, de voir arriver le jour auquel ses parens la devoyent offrir à Dieu, car c'est une chose très asseurée qu'elle avoit eu l'usage de la rayson dès le ventre de sa mère. Il ne faut pas croire que ce privilège ayant esté donné à saint Jean, la Sainte Vierge en ait esté privée. Document admirable, excellent et profitable que celuy ci, lequel je ne puis celer à cause de son utilité. Le Sauveur s'estant revestu de nostre chair ne voulut point se départir des loix de l'enfance ; partant il fit ses crois- sances et toutes ses petites actions comme les autres enfans, tout ainsy que s'il n'eust peu faire autrement. De plus, la Sainte Vierge et Nostre Seigneur son glorieux Fils, ayant eu l'usage de rayson dès le ventre de leur mère, furent par conséquent doués de beaucoup de science ; néanmoins ils la cachèrent sous les loix d'un profond silence, car pouvant parler en naissant ils ne le voulurent pas faire, ain^ s'assujettirent à ne parler qu'en leur temps. Et nous autres qui à peine avons l'usage de rayson à l'aage de quarante ans, tellement sommes-nous irraisonnables, prétendons faire les entendus et parler avant que sçavoir bégayer; et à force de vouloir monstrer que nous sommes sçavans et sages, nous ne pouvons •Rom., I, 22. cacher nostre folie *. Chose admirable qu'estans si asseu- rés que nous ne sçaurions discourir beaucoup sans chopper  XVI. Pour la fïte de la Prksestation 127 et faire des fautes, nous soyons néanmoins tousjours si avides et prompts à le faire, voire mesme de ce que nous ignorons! Et puis nous trouvons estrange qu'es Religions il y ait des heures où le silence soit imposé et que l'on ne puisse point parler. C'est un acte de simplicitc admirable que ceiuy de celle g lorieu se l*ouponne qui, attachée aux mammelles de sa mère, n'* ^ «ws.. t. .v. néanmoins de s'entretenir avec la divine .^'i ^ s'abstint de parler jusques à son temps, et encores alors ne le faisoit elle que comme les autres enfans de son aage, quoy qu'elle parlast tousjours fort à propos. Elle demeura comme un doux aignelet sur les flancs de sainte Anne l'espace de trois ans, après lesquels elle fut sevrée et amenée au Temple pour y estre offerte comme Samuel, qui y fut conduit par sa merc et dcdi«> au Seigneur en mesme aage *. • I Reg . .. 14, ^s. f V- ., t - 1 • • 1 Hugo, Comn. m mon lJicu,que j eusse bien désire de me pouvoir vive- honc loc«a; «lu. ment représenter la consolation et suavité de ce voyage despuis la mayson de Joachim jusques au Temple de Hierusalem ! Quel contentement tesmoignoit cette petite Infante voyant l'heure venue ((u'elle avoit tant désirée ! Ceux qui alloyent au Temple pour y adorer et offrir leurs presens à la divine Majesté chantoyent tout le long de leur voyage •; et pour cet effect, le royal Pro- * " " ^ , «n P». phete David avoit composé tout exprès un Psalme* que • r». cinu. la sainte Eglise nous fait dire tous les jours au divin Office. Il se commence par ces mots : Bcati immaculati in via ; Bienheureux sont ceux. Seigneur, qui mar- chent en ta voye sans macule, sans tache de péché ; en ta voye, c'est à dire en robser\'ance de tes comman- demens. Les bien heureux saint Joachim et sainte Anne chantoyent donques ce canti(|ue au long du chemin, et nostre glorieuse Dame et Maistressf» avec eux. O Dieu, cjuellr mélodie! o qu'elle l'entonna mille fois plus gra- cieusement que ne firent jamais les Anges ; de cjuoy ils furent tellement estonnés, que troupe À troupe, ils vcnoyent pour escouter cette céleste harmonie et, le» cieux ouverts, ils se penchoyent sur les balustres de U salle de la Hierusalem céleste pour regarder et admirer  128 Sermons recueillis cette très aymable Pouponne. J'ay voulu dire cecy en passant à fin de vous bailler sujet de vous entretenir le reste de cette journée à considérer la suavité de ce voyage ; à fin aussi de vous esmouvoir à escouter ce divin cantique que nostre glorieuse Princesse entonne si mélodieusement, et ce avec les oreilles de vostre * Serm. xxxvm in devotion , car le très heureux saint Bernard dit* que an.,§àv-ix. j^ devotion est l'oreille de l'ame. Venons maintenant à la solemnité qui se célèbre aujourd'huy céans, qui est le renouvellement et reconfir- mation des vœux. Les anciens Chrestiens faisoyent des grandes festes , mais spirituelles , à l'anniversaire de leur Baptesme, qui estoit le jour de leur dédicace, c'est * s. Gregor. Naz., à dire celuy auquel ils s'estoyent dédiés à Dieu*. Ils Orat. xxxix, xL.Cf. ^ . . , , . , - Introduct. a la Vie ^e laisoycut poiut de remarque du jour de leur nais- devote,?aTUeY,c.n. gancc , d'autant qu'en naissant nous ne sommes pas enfans de grâce, ains adamistes ou enfans d'Adam ; mais ils remarquoyent^ pour le solemniser, le jour auquel ils avoyent esté faits enfans de Dieu par le Baptesme. De mesme Abraham fit un grand et ç^oX^vunçX festin, non en la naissance de son fils Isaac , ains au jour qu'il * Gea., xxi, 8. fut sevré "^ parce, disent les uns, que l'enfant estant encores si tendre, il n'y avoit pas matière de si grande joye à cause du danger et péril de mort où sont les enfans en cet aage si foible ; ou bien, comme les autres tiennent, parce que le festin estant fait en la faveur d'Isaac, il estoit bien raysonnable qu'il y prist part et qu'il mangeast avec la compaignie, ce qu'il n'eust peu faire avant ce temps là, auquel il avoit cinq ans. Il n'y avoit pas non plus de la disproportion de demeurer si long temps à la mammelle, veu l'aage avancé que l'on atteignoit alors. Ou bien encores, et cecy est la rayson la plus probable, Abraham fit alors ce banquet parce qu'à cette heure là son fils estoit desja capable de donner quelque espérance de luy, d'autant qu'en cet aage on commence à mettre les enfans dans la voye en laquelle on désire qu'ils marchent. Il est donc très à propos que les Religieux fassent tous les ans une feste particulière au jour de leur dédicace  XVI. Pour la pêik bi la f^RÉsexTATiON 139 et de leur entrée en Religion. Mais d'autant qu'ils ne doivent rien avoir de particulier, nous avons trouvé expédient que les Sœurs de céans solemnisent cette commémoration en un mesme jour. I^ très sainte Kglise célèbre chaque année la commémoration des principales actions de nostre divin Sauveur, de Nostre Dame et Maistresse, comme aussi de tant de Saints qu'elle nous présente comme des patrons h imiter. Mlle nous tesmoi- gne par là qu'elle désire que tous les ans au moins une fois, nous nous recueillions et reconfirmions les vœux et promesses que nous avons faites à la divine Majesté ; mais sur tout les Religieux et nous autres qui luy sommes particulièrement dédiés et consacrés sans que nous nous en puissions desdire. L'on a choisi fort à propos en la maison de céans le jour de la Présentation Xostre Dame pour se renouvel- 1er, se présenter et offrir à la divine Majesté sous sa protection, accompagnaiit .linsv .îr* nostre propre offrande celle qu'elle fit d'elle i . -u. Ht en cecy se voit vérifié ce qu'en avoit prédit le grand Prophète David *, • P». urr, 1% 16. que plusieurs vierges seroyent amenées après elle au temple du Roy, à fin de luy estre offertes et consacrées à son imitation , pour servantes perpétuelles. 11 dit qu'elles viendront et seront amenées avec Joye et exul- tation ; c'est donques un jour de joye et de consolation que celuy de la commémoration de nostre dédicace à la divine Bonté. Certes, il est très véritable, et ce jour est d'autant plus plein de contentement que nous avons plus de connoissance du bonheur qu'il y a d'estre absolument dédié à Dieu. Mais lors que le saint Prophète déclare que plusieurs vierges seront amenées après Nostre Dame, il ne veut pas en exclure 1«- our se dédier à Dieu, fut portée par ses père et mère une partie du chemin, et l'autre partie elle vint avec ses petits pieds, tousjours aydée néanmoins. Car lors que saint Joachim et sainte Anne trouvoyent quelque plaine ils la posoyent en terre pour la faire marcher, et alors cette glorieuse Infante du Ciel eslevoit ses petits doigts pour prendre la main de son papa et de sa maman, de crainte de faire quelque mauvais pas; mais soudain qu'ils rencontroyent quelque chemin ral>oteux, ils la prenoyent incontinent entre leurs bras. Ce n'estoit pas pour se soulager qu'ils la faisoyent marcher parfois, car ce leur estoit une consolation très grande de la porter, ains c*estoit pour la complaisance qu'ils prenoyent à luy voir faire ses petits pas. Ft c'est icy la seconde remarque que je fais en cette sainte Présentation, et le second point auquel nous devons imiter nostre glorieuse Princesse, pour bien nous présenter de nouveau à fin de bien reoffrir à son divin Fils ce que nous luy avons une fois der,v.^ mierement nostre cœur : Mon fils, donne-moy ton F cœur, dit cette Bonté incomparable •, et par apr<^s tes • ^ ,.,, ^^,„ ,., offrandes me seront aggreables. L'exemple de Caïn • monstre assez la vérité de ce que * Gen.. nr, j-«. nous disons ; car ayant fait son sacrifice, il ne fut pas aggreable à la Divinité comme celuy de son frère Abel. non seulement parce qu'il avoit mal partagé •, offrant le ' ^''J« locom s#p- moindre et le pire de ses troupeaux, mais aussi parce qu'il n'avoit pas donné son cœur ; partant il n'avoit pas bien fait son sacrifice, d'autant que Dieu vouloit pre- mièrement son cœur. Ce que reconnoissant par après, il fut si misérable qu'au lieu de se prendre à soy mesme de .sa faute et de se reconnoistre, il s'en prit au pauvre Abel, l'offrande duquel avoit esté fort aggreable à la divine Bonté parce qu'il s'estoit premièrement offert luy mesme, et puis son sacrifice. Caïn conceut de l'indi- gnation contre son frère par la grande envie qu'il luy portoit. Voyez comme l'envie se fourre par tout. Dieu le reprit et luy dit : De quoy te troubles-tu ? Si tu as bien offert tu n'en as pas occasion, et si ton offrande estant bonne tu ne l'as néanmoins pas faite comme il convient, repare ta faute, il y a remède en tout. Voyla donques la façon avec laquelle nous devons faire nos sacrifices et nos offrandes à la divine Bonté : si nous voulons qu'elles luy .soyent aggreables, il faut nous offrir pleinement et entièrement nous mesmes. Si vous faites cela aussi parfaitement <|ue nous venons de dire en cette journée de vos renouvel lemens, à l'imita- tion de Nostre Dame et glorieuse Maistresse, elle vous acheminera au Ciel, en excitant vos eœurs \ chanter en cette vie le Liudate Domtnum onnus gentes^, invitant •^c«v«. un chacun à glorifier la divine Majesté. Puis vous  138 Sermons recueillis adjousterez : QiLoniam conflrmata est super nos mi- ser icordia ejus ; Parce qu'il a confirmé sur nous ses miséricordes, nous attirant par sa bonté à la jouissance de tant de grâces et bénédictions dès cette vie périssable, pour par après, en la compaignie de nostre très sainte Maistresse et des Bienheureux qui sont au Ciel, chanter éternellement Gloire soit au Père, au Fils et au Saint Esprit. Amen.  XVII SERMON DE VÊTU RE POUR LA VEILLE DE L'EPIPHANIE 5 janvier t6i8 (O  Il y a des festes que la sainte Eglise célèbre beaucoup plus solemnellement que d'autres. Celle de l'adoration des Roys en est une, car elle ne se contente pas d'en commencer l'office à Vespres de la vigile, mais elle commence dès la Messe qui est propre à ce jour. Or en cette Messe, on lit l'Kvangile qui fait mention de la fuite de Nostre Seigneur en Egypte •. • Mjtt., n, i9-*i. (iedeon estant extrêmement affligé pour la rude et pressante guerre que luy faisoyent ses ennemis qui l'avoyent environné de toutes parts, Dieu, dont la l)onté est incomparable, en eut compassion et luy envoya un Ange pour le consoler. Cet Ange l'ayant abordé le salua disant : Je te salue, o homme U plus fort d'entre tous les hommes, le Seigneur est avec toy. I-ors le pauvre (ieoints que j'approprieray aux trois vertus des- quelles tous les Religieux font les vœux, à sçavoir, la pauvreté, la chasteté et Tobeissance •. • Cf. lom. prac«d. tt en premier lieu, se peut-il voir ou penser une xcv, cil. pauvreté plus pauvre que celle du Sauveur ? Voyez comme il renonce à la maison de son Père et de sa Mère, voire mesme devant sa naissance, car il vient au monde en une ville laquelle si bien elle luy appartenoit en quelque façon , puisqu'il estoit Je la lif^née de David •, néanmoins il renonce tellement à tout, que le • Luc*. 11. 4. voyla réduit dans une estable destinée à la retraitte des bestes. Estant né, il est couché dans une crèche qui luy sert de berceau •. Quelles nécessités pensez *lbia.,t. 7. vous qu'il souffrit au voyage d'tgypte et durant le temps qu'il y demeura ? Href, sa pauvreté fut si grande qu'elle passa jusques ix la mendicité • ; il ne vivoit que • Cf. Ut C#«/r»- .. , • 1 t r/ri/i,tOfD. I hojlU daumosnes. car chacun sçait que les beaux-peres ne Edit., p. m. sont pas obligés de nourrir les enfans de leur femme, et néanmoins Nostre Seigneur estoit nourri du travail de son Père nourricier et de celuy de sa Mère qui gaignoyent leur vie à la sueur de leur visage^; ainsy. ce divin *G«a.. n. 1^ £nfant ne pouvant gaigner la sienne, recevoit l'aumosne de saint Joseph. De plu», (juand il fut question de reve- nir d'Kgypte après la mort d'Herode, s'ils eussent eu quelque bien en Isra^^l ils n'eussent pas mis en doute s'ils iroyent là ou s'ils retourneroyent en Jutléc ; mais parce qu'ils n'avoyenl rien, ou fort peu par tout, il» ne sçavoycDt de quel costé aller. Davantage, l'amour que  142  Sermons recueillis  • Matth., II, ult. Marc, ult., 6.  * Joan., 1, 46.  * Révélât., 1. C. XXI.  VII,  Cant., I, I.  nostre cher Maistre portoit à la pauvreté luy fit prendre et garder tousjours le nom de Nazareth *, parce que c'estoit une petite ville mesprisée et tellement rejettée que l'on ne croyoit pas, comme le dit mesme Nathanaël, que quelque chose de bon peust estre trouvé en Naza- reth *. Il eust bien peu se faire appeller de Bethléem, ou bien de Hierusalem, mais il ne voulut pas, tant pour cette cause que pour d'autres que nous dirons tantost. Passons au second point, qui est une abnégation très entière de tous les playsirs sensuels. Nostre Seigneur eut une pureté tousjours incomparable ; mais voyez un peu comme dès son entrée au monde il priva ses sens de toutes sortes de playsirs. Et premièrement, en l'attou- chement il ressentit un froid extrême. Vous sçavez sans doute la révélation que sainte Brigitte eut de la naissance de ce divin Sauveur *. Elle dit que Nostre Dame estant en une grande abstraction, le vit tout d'un coup couché sur la terre, tout nud, et que soudain elle le prit et le mit dans ses langes et bandelettes. Quant à l'odorat, vray Dieu ! quelle suavité, quel parfum pensez-vous que l'on puisse avoir dans une estable ? Lors que les enfans des grans roys naissent, quoy qu'ils ne soyent que des misérables hommes comme les autres, l'on met tant de parfums, l'on fait tant de cérémonies ; et pour nostre Sauveur, qui n'est pas seulement homme ains Dieu tout ensemble, il ne se fait rien de tout cela! Quelle musique pour recréer son ouye ? Un bœuf et un asne qui chantent pour magnifier la naissance de ce Roy céleste. En fin, il n^y a rien en luy qui trouve du contentement, sinon un peu le goust, recevant ce lait très sacré venu du Ciel que sa très bénite Mère luy fait tirer de ses mammelles, car il faut confesser qu'il estoit meilleur que le vin le plus délicieux * ; mais cela ne duroit que jusques à ce qu'il eust passé le gosier. Quant au troisiesme point, à sçavoir l'abnégation de soy mesme, qui a jamais peu parvenir à un si entier renoncement pour se laisser conduire selon la volonté de ses Supérieurs? O Dieu, c'est en ce point que ce divin Enfant s'est bien monstre vray Religieux ! Saint Joseph  XVII. Pour la veille oi l'Epiphanie 143 et Xostre Dame sont ses Supérieurs, ils le mènent, ils le portent d'un lieu à un autre, et il leur laisse faire sans jamais dire un seul mot. Il fut obéissant à la nature mesme, ne voulant faire ses croissances ni parler que comme les autres enfans. O abnégation non plus ou^'e que celle cy ! estant à son pouvoir d'opérer des miracles, il n'en fait point. L'on en voit bien autour de luy en sa Nativité : la vocation des (ientils représentés par les Roys (|ui le vindrent adorer*, celle des pasteurs *•, les • Mjit., n, i-u. Anges qui chantent dans les airs* ; mais en sa personne, • ibid't^ «').*«4. nullement. Il ne se monstre en son extérieur qu'un petit enfant comme les autres ; luy, de qui les Anges .sont illuminés et esclairés et par qui ils entendent et comprennent toutes choses, ne fait aucunes révélations, ains laisse que les messagers célestes les viennent faire à son Père nourricier. Il faut fuir devant Heroile, il n'en dit mot, mais attend que l'Ange l'ordonne. Herode estant mort, il faut qu'il s'en retourne d'Kgypte; il auroit peu dire à sa Mère ou à saint Jo.seph cjui l'aymoient si tendrement : Ma chère Mère, ou, mon Père, retournons nous-en quand il vous plaira, car Herode que vous craignez est mort ; mais non, il attend que l'Ange le révèle à saint Joseph •. •¥««., obtrapra. Ne voyla-t-il pas une merveille très grande, que ce rien^ni. jK>»imcî! très saint Enfant ayt tellement renoncé et abandonné le soin de soy mesme pour se laisser conduire selon la volonté de ses Supérieurs, qu'il n'ayt pas seulement voulu prononcer une petite parole pour avancer leur despart ? Document certes très remarquable : Xostre Seigneur est rempli de toutes les sciences*, ains il est la .science • Coiot» . u. 1. et la sagesse mesme ; néanmoins il tient un continuel silence, tandis que l'ordinaire des personnes du monde est que si elles ont une once de sçavoir on ne les peut tenir de parler, tant elles ont envie de .se faire estimer sçavantes. Nostrc Sauveur csiani dontjues venu pour donner un partait exemple de la vie monastique, il est bien rayson- nablc ()u'on se range à .sa suite pour em!>rasser celte vie qui luv est tant aggrcable. C'est puurquoy ces lillcs se  144 Sermons recueillis présentent aujourd'huy pour estre faittes Religieuses, car elles ont fait ces considérations : Si mon Seigneur et mon Dieu a bien voulu renoncer aux richesses, à sa patrie et à la maison de ses parens pour l'amour qu'il portoit à la pauvreté, pourquoy donc, à son imitation, n'en ferois-je pas de mesme ? Et s'il a renoncé à tous les playsirs, voire à soy mesme, à fin de s'assujettir pour Tamour de moy et pour me monstrer combien la vie religieuse où tout cela se prattique luy est aggreable, pourquoy donc ne le ferois-je pas pour luy aggreer ? Non, disent-elles, nous ne quittons pas le monde pour acquérir le Ciel, car les personnes qui y demeurent le peuvent gaigner en vivant en l'observance des commandemens de Dieu, ains pour accroistre tant soit peu nostre charité et nostre amour envers la divine Bonté. Nostre Seigneur print le nom de Nazaréen, outre la rayson que nous avons dite, parce que ce mot signifie •Vide ad cale. Bibi. fleur, fleuri*; ces filles viennent donques à V odeur de • Cant., 1, 3. cette fleur *. Néanmoins il y a une autre cause bien plus haute pour laquelle le Sauveur print et retint tousjours ce nom, mais je ne la veux dire qu'en passant. C'est certes justement que tous les hommes prennent le nom du lieu de leur naissance et non pas celuy du lieu de leur concep- tion, d'autant que pendant qu'ils sont dans le ventre de leur mère on ne sçait encor ce qui en arrivera, on ne peut asseurer si ce sera un enfant mort ou vif, bref, on ignore quelle issue il aura ; mais Nostre Seigneur print à bon droit le nom du lieu de sa conception parce que dès cet instant il fut homme parfait comme en l'aage de trente trois ans auquel il mourut. Revenons à nostre seconde rayson pour laquelle il voulut prendre et retint ce nom de Nazaréen qui vaut autant à dire que fleur. Luy mesme déclare au Cantique •Cap. n, I. des Cantiques * quelle fleur il est : Je suis la fleur des campagnes et le lys des vallées. Mais quelle y7^wr des champs estes-vous. Seigneur? O quand il dit la fleur seulement, on doit entendre la fleur qui excelle entre toutes les autres et en odeur et en beauté. Entre toutes les fleurs qui sortent du bois, la rose emporte le prix,  XVll. Pour la veille de l'Epiphanie 145 comme le lys entre celles qui sont herbues et qui ont leur tige d'herbe *. I^a rose croist sans artifice et n'a " Cf. lom. praced. ^ 1 • 1 t • . . hoias Edit., P. 146. presque point besoin de cultivage. aussi ne cultive-t-on point celles qui croissent aux champs ; son odeur est fort suave estant fraische. mais beaucoup plus estant sèche. Tout de mesme Nostre Seigneur est la Jîeur par excel- lence qui est sortie de la très sainte Vierge, ainsy qu'il avoit esté prédit • (\\i'une fleur sortiroit de la verge de • I»., xi. i. Jessé : cette verge c'est Nostre Dame, et la fleur c'est Nostre Seigneur, dont l'aggreable senteur a alléché les passans et fait venir ces jeunes âmes après luy, attirées de l'odeur de ses exemples •. • c«nt., 1, j, y yu*il soit appelle lys, dont la blancheur est excellente, on n'en peut douter, d'autant qu'il a tousjours esté blanc par une pureté incomparable. I^ lys peut croistre sans artifice aussi bien que la rose, comme on le voit en cer- tains païs ; et cecy nous monstre l'amour que Nostre Seigneur portoit à la simplicité, car il ne veut pas estre appelle du nom des fleurs des jardins qui sont cultivées avec tant de soin et d'artifice. 11 choisit en outre la rose entre toutes les autres fleurs pour l'amour qu'il portoit à la sainte pauvreté parce qu'il n'y a rien de plus pauvre que la rose : elle n'a que des espines et ne requiert point, comme nous avons dit, que l'on s'employe après elle pour la cultiver. Néanmoins, elle ne laisse pas de rendre tousjours un très suave parfum ; de mesme, si bien nostre cher Sauveur esioit environné de croix, d'espines et de toutes sortes d'afllictions en sa Mort et Passion et pen- dant tout le cours de .sa vie, il ne laissoit pas de respan- dre tousjours une certaine odeur pleine de suavité. Cecy nous doit faire comprendre que les afldictions, ténèbres intérieures et ennuys d'esprit , qui sont qucK^uefois si grans entre les personnes les plus spirituelles et qui font profession de la dévotion, qu'il leur semble presque d'estre du tout abandonnées de Dieu, I») ne les rédui- sent jamais néanmoins k telles extrémités, qu'elles ne (1) Lj fia d« c«t alUiia m r«troavc dâot l'EotrvtMO Dt U Cmm/Um* (voir ton* VI d« ootr« Editioo, p. 17, lkfO«« 6-10). Oi«o qa* ooat «jrost lodiqsé chaqu* (bit par «o* oot* fp^laU U« p ■■■■§>■ «itrait» dM S«n  III !•  1^6 Sermons recueillis puissent tousjours respandre devant la divine Majesté des parfums d'une sainte sousmission à sa très sacrée volonté et d'une continuelle promesse de ne le vouloir point ofFencer. On ne trompe jamais ces âmes qui se viennent pré- senter pour estre offertes et sacrifiées à la divine Bonté ; car on leur promet qu'elles jouiront des richesses de la félicité éternelle, mais à condition qu'elles renonceront d'abord aux terriennes et périssables ; on leur dit qu'il • Ps. xuv, II. faut quitter la mayson de ses parens et sa patrie * d'effect et d'affection, pour n'en avoir jamais plus que celle de Nostre Seigneur, qui est la Religion en laquelle elles entrent. On leur promet les consolations que Dieu a accoustumé de donner à ceux qui le servent fidellement, consolations qui sont très grandes, voire mesme dès cette vie, mais à condition qu'elles renonceront à tous les playsirs sensuels, pour licites qu'ils puissent estre. On leur asseure qu'elles seront éternellement unies avec la divine Majesté, mais après avoir renoncé entièrement à elles mesmes, à toutes leurs passions, affections et incli- nations, faisant une absolue transmigration, car nous leur disons : Si vous avez aymé à vivre selon vostre propre volonté et à faire estime de vostre propre juge- ment, désormais il ne le faudra plus, ains rien plus estimer que l'obéissance et la sousmission ; il faudra réduire tant qu'il vous sera possible vos passions à néant, pour ne vivre plus selon icelles ains selon la per- fection qui vous sera enseignée. Nous leur mettons un voile sur la teste pour leur monstrer qu'elles seront cachées aux yeux du monde, et si par le passé elles ont affecté d'estre conneuës et estimées, désormais il ne se fera plus aucune mention d'elles ; le voile empeschera que l'on sçache si elles sont belles, de bonne grâce, ou aggreables, et partant il faut renoncer à l'affection qu'elles pourroyent avoir à tout cela. Nous leur changeons d'habit pour leur donner et insérés dans les Entretiens, nous nous bornerons désormais, quand ces passages seront de peu d'étendue , à les signaler par une indication marginale.  XLIV  XVII. Pour la veille de l'Epiphanie 147 à entendre qu'elles devront changer absolument d'habi- tudci. Nous leur disons qu'elles sont voirement appellées pour jouir de la félicité du Sauveur sur le mont de Thalx)r, mais après avoir esté crucifiées avec luy sur celuy de Calvaire, par une continuelle mortification d'elles mesmes et volontaire acceptation, sans choix, des morti- fications (jui leur seront faittes. Ft pour conclusion, nous ne leur promettons pas (qu'elles seront espouses de Nostre Seigneur glorifié sinon après qu'elles l'auront esté de Nostre Seigneur crucifié, non plus rjue nous ne leur présentons pas la couronne d'or sinon après qu'elles auront pris celle d'espines •. cfr!, v.u s^Cjth* Kn fin nous leur disons que la Religion est « un mont Sencnu», Par» II. de Calvaire* »> où les amateurs de la Croix se tiennent t ii, et font leur demeure. Et tout ainsy (juc les abeilles rejettent et abhorrent tous les parfums estrangers, c'est à dire qui ne proviennent point des fleurs sur lesquelles elles cueillent leur. miel (et (ju'ainsy ne soit, portez leur du musc ou de la civette, et vous les verrez incontinent se resserrer et fuir cette senteur, parce qu'elle provient de la chair), de mesme les amans de la Croix rejettent toutes sortes de senteurs, je veux dire de consolations terriennes et mondaines, que le diable, le monde et la chair leur présentent, pour n'odorer jamais plus aucun parfum que ccluy qui provient de la croix, des espines, des fouets, de la lance de Nostre Seigneur. Toutes ces choses sont les atours et les bagues que l'iispoux donne à son Kspouse, d'autant qu'elles sont les plus riches pièces de son cabinet. Les espoux du monde baillent à leurs espouses des carcans, des bracelets, des bagues, des velours, des .satins et semblables bagatelles; de plus, ils font des festins à leurs noces. Nostre Seigneur en fait de mesme ; mais sçavez-vous ce qu*il donne, au lieu des faisans et des perdrix ? Des mortifications , des humiliations, des mespris, des douleurs et des peines intérieures, lesquelles nous font presque douter que nous ne soyons tout à fait abandonnés de sa l>onté. Il faut que je dise encores cette admirable condition des abeilles : c'est qu'elles sont si fi.lplîos \ Irur rc^v.  148 Sermons recueillis que lors qu'il vient à mourir elles se mettent tout autour de son corps et mourro3^ent plustost que de le quitter ; si leur gouverneur ne venoit pour les faire retirer, indubi- tablement elles ne s'en separeroyent jamais. Les gouver- neurs des abeilles spirituelles font tout au contraire ; car, comme celu3'-là prend peine de les esloigner de crainte qu'elles ne meurent autour de leur roy, ceux cy ont un très grand soin de faire que les âmes demeurent autour du corps de leur Roy mort, c'est à dire proches de Nostre Seigneur mort et crucifié, auprès duquel nous devons nous tenir fidellement tout le temps de nostre vie pour considérer l'amour qu'il nous a porté, et qui l'a fait mourir pour nous à fin que nous vescussions pour son Cf. II Cor., V, 15. amour et en son amour *. Ainsy soit-il.  XVIII SERMON Dt l'KoKtShlDN POUR LE VENDRKDI DANS L*OCTAVE DE LA PENTECOTE 8 juin 1618 (>) 1 laiDiT) La feste que nous célébrons en ces jours est très solemnelle, tant pour son antiquité comme à cause des grans mystères qu'elle comprend et qu'elle nous repré- sente. Vous nr sçavez pout estre pas comme elle fut instituée par Dieu mesme lors (jue les enfans d'Israt'l furent sortis de rFj^ypte et délivrés de la captivité. Le Seij^neur commanda qu'en reconnoissancc on celebrast la feste de la Pentecoste, cinquante jours après Pasques, en action de grâces d'un si signalé bienfait ; et pour la mieux solemniser, il marqua ce qu'il vouloit qu'on fist en icelle, à sçavoir, que l'on offrist au Temple deux pains faits du blé nouveau, deux bel ter s , des petits aif^nelets et un houe *. A Pasques il estoit ordonné m Mvti; d'offrir des javelles comme prima es des blés • ; partant •^«va., jk&uiV îô. les anciens s'en alloyent parmi leurs moissons couper les premiers espis qui s'avançoyent par dessus les autres; et à la Pentecoste l'on offroit deux pains faits du froment ja meur. ( I ) L«« Maoatchtt donnent c« ««mon eomnie ■yant été prononcé U joar rném* d« U P«ntr * «'«1 ane erreur ; car. linti qu'en f«tt foi le ttrrr ém Csm^mt, •ocu o de Profrttioa n'eut lieu à Aonrcy eu cf'.'.c fèto néine p«odjnl U vie do Mtot Fondateur. C'est le vendredi toivaot qoe f - ,. u . T' '^tftion dri " *■ - - tp-Marfuente Favrol. y. «t CUttil' ». *t la teneur d« ce Mruioo ooui autortM i croire qu'il a élé pr .r cette circonataset.  1^0 Sermons recueillis Mais à quo}^ bon tout cecy, sinon pour servir de pré- face au discours que je m'en vay vous faire ? Tous les Chrestiens en leur Baptesme sont offerts à la divine .Majesté comme des javelles à la feste de Pasques. •Exod., xn, M. Pasques ne signifie autre chose qne passage* ; et les hommes font un passage très heureux en leur Baptesme, car ils passent de la tyrannie et servitude du diable à la • Rom., vm, 23 ; grace de V adoption des enfans de Dieu *. Ils sont 1.^13"'*'^' ° ** '' voirement présentés comme javelles^ qui ne sont bonnes à rien si elles ne sont battues et froissées pour en faire sortir le grain, qui est environné de paille et de mille sortes de superfluités. Ainsy sommes nous, nous autres, quand nous sommes baptizés, environnés de mille sortes d'inclinations tendantes au mal ; mais beaucoup plus misérablement lors que, par nostre malheur, nous venons à suivre ces mauvais penchans et affections dépravées. Nous prenons l'habitude du mal et des vices, comme si c'estoit chose impossible de nous empescher de faire ce à quoy nostre nature et la tentation nous convient. Il s'en trouve en eflfect qui disent : Il est vray que je suis colère, mais que voulez-vous que j'y fasse? c'est mon naturel. Qui ne voit la tromperie de nostre amour propre ? Comme si par la bonté de Dieu, il n'estoit pas en nostre pouvoir de nous surmonter et vivre contre nos inclinations, et selon la rayson qui nous enseigne qu'il ne les faut pas escouter! Une autre dira : Il est vray, je suis un peu vaine, mais c'est mon inclination de me parer et désirer d'estre louée et estimée ; je ne sçaurois que faire à cela. O Dieu, Ton ne regarde pas la fin pour laquelle la divine Bonté a permis qu'en punition du péché de nostre premier père plusieurs mauvaises inclinations nous soyent demeurées après le Baptesme, bien que la grace nous y soit donnée suffisamment pour nous sur- monter. Cette fin donques n'est autre que pour nous Vjailler sujet de mériter davantage par ce moyen, tra- vaillans courageusement pour l'amour de Dieu à nous surmonter nous mesme. Pour cet effect, après que nous avons l'usage de la rayson, nous recevons le Sacrement de Confirmation par  XVIII. Vendredi dans l'octave de la Pentecôte 151 lequel nous nous enroollons sous Testendart de la divine Majesté, à fin de combattre en valeureux soldats pour la gloire de son nom. Lors les Chrcstiens ainsy fortifiés par ce moyen, se viennent par après offrir au jour de la Pentecoste comme des pains faits avec le nouveau fro- ment des inviolables resolutions qu'ils ont prises de plustost mourir que d'offenser Dieu volontairement. Mais les Apostres ont fait cette offrande bien plus entièrement et plus parfaittement que nul autre, d'autant qu'ils ont prattiqué la perfection beaucoup plus excellemment que nul autre. Ils se sont offerts à Xostre Seigneur comme de bienheureuses javelles, au temps de Pasques, c'est à dire lors qu'ils quittèrent toutes choses pour le suivre*; * Matt., xix, «7. néanmoins c'estoyent à la vérité des javelles environnées de plusieurs superfluités : on le voit clairement en ce qu*i1s commirent des péchés et de grandes imperfections, voire mesme ils abandonnèrent leur bon Maistre ! Mais après, en la Pentecoste. ils firent l'ofiTrande par- faitte. d'autant qu'ils ne présentèrent plus seulement des javelles, ains des pains cuits par le feu de l'amour de Dieu. Aussi voit-on que le Saint Ksprit vint sur eux en forme de langues de feu *, comme voulant les rendre * Act . n, 3. de vrays holocaustes, tout sacrifiés et consiicrés sans reserve au service de sa dilection ; car ce feu sacré consomma en eux toutes les superfluitt^s qu'ils avoyent apportées quant et eux en la feste de Pasques, c'est à dire lors qu'ils se mirent À la suite de Nostre Seigneur. Vous sçavez que pour faire du pain il est nécessaire de pétrir la farine, la joignant et l'unissant avec l'eau, et en fin 11 la faut cuire ; car la paste est maniable et pliable avant d'estre ruite, mais âpre»; elle est impliable, ferme et dure. De mesme les Apostres furent moulus au temps de la Passion ; en après, estans assemblés dans le cénacle où ils attendoyent la venue du Saint Ksprit, ils joignirent la farine de leurs resolutions avec l'eau de l'affliction et contrition pour la perte qu'ils avoyent faite de leur Maistre, et pour l'avoir ainsy al)an9. Nostrc très aymable et non jamais a^Ncz aymée Dame et Maistresse, la glorieuse Vierge, n'eut pas plus tost donné son consentement aux paroles de l'Ange saint (iabriel, que le mystère de l'Incarnation fut accompli en elle. Ayant appris par le mesme saint Gabriel que sa cousine Eli{ahcth avoit en sa viellesse conceu un fils •, elle la voulut aller voir, comme estant sa parente, •Uc», 1, j6. et à dessein de la servir et soulager en sa grossesse, car elle sçavoit que c'estoit le vouloir divin ; et au mesme instant, dit l'Kvangeliste saint Luc, elle sortit de Naza- reth, petite ville de (ialilée où elle demeuroit, pour s'en aller en Judée a la mayson de /acharie. Abiit in mon- tana : elle monta dans les montagnes de JuJa et entre- prit le voyage, quoy que long et difficile ; car, comme disent plusieurs autheurs, la ville en laquelle demeuroit  ( 1) L'tfAMmbU àê c« Mrmeo, l'alltuion CiiU (p. 169) tox • maTtoas à» U ViftitJ' - 'oventqo il aété préchéàiiD«épo<|D«o6 rioititot a . '«ç« no ce:.- veloppcfficot. Il n ctt donc paa bort «le propot de ._. _: ..a«r la data da 1618. ana4« oè U Cottfréfatloo comptait àé)k quatre Mooaat^rM. !' n« femrBUt par le« Anoalaa da l'Ioatitut oe p«r- a.. ..._:, -^ ». ,ja c« tcroiMi aoil d'ooa époqtt« rw>tt^ri<>ur#  1^8 Sermons recueillis •SMimeron loqurtts EUzabeth est esloignée de Nazareth de vingt sept lieues*; i^r'comme?Un d'autres disent un peu moins, mais c'estoit tousjours un loc. Lucae: post B. chemin assez malaysé pour cette si tendre et délicate Canisiuiu.de Maria , . , Deip., 1. IV, c. III. Vierge, parce que c estoit a travers des montagnes. Sentant donques l'inspiration divine, elle s'y ache- mina, non point portée d'aucune sorte de curiosité de voir si ce que l'Ange luy avoit dit seroit bien vray, car elle n'en doutoit nullement, ains estoit tout asseurée que la chose estoit telle qu'il luy avoit déclaré. Néan- moins, quelques uns ont voulu soustenir qu'il se trouva en son dessein quelque sorte de curiosité ; car il est vray que c'estoit une merveille non ouye que sainte Elizabeth, laquelle n'avoit jamais eu d'enfans et estoit stérile, eust •Theophyi.Enarr., coHceu en SU vïellesse. Ou bien, disent-ils*, il se peut vin.,Harm.Evang.' faire qu'elle eust quelque doute de ce que l'Ange luy m enndem locum. ^voit annoncé ; ce qui n'est pas, et saint Luc les con- damne et réfute en la parole qu'il escrit en son chapitre • Vers. 45. premier *, que sainte Elizabeth voyant entrer la Vierge s'escria : Vous estes hienheiireiise parce que vous ave\ creu. Ce ne fut donques point la curiosité ni aucune sorte de doute de la grossesse de sainte Elizabeth qui luy fit entreprendre ce voyage, mais bien plusieurs considérations très aggreables ; je vous en toucheray quelques unes. Elle y alla pour voir cette grande merveille ou cette grande grâce que nostre Dieu avoit fait à cette bonne vielle et stérile, de concevoir un fils en sa stérilité, car elle sçavoit bien qu'en l'ancienne Loy c'estoit une chose blasmable d'e.stre inféconde; mais parce que ceste bonne femme estoit vielle, elle alla aussi pour la servir en cette sienne grossesse et luy donner tout le soulagement qui luy estoit possible. Secondement, ce fut pour luy révéler le tant haut mystère de l'Incarnation qui s'estoit opéré en elle ; car Nostre Dame n'ignoroit pas que sa cousine •Loc«, I, 6. Elizabeth estoit personne juste *, fort bonne, craignant Dieu et désirant ardemment la venue du Messie promis en la Loy pour racheter le monde, et que ce luy seroit une très grande consolation d'apprendre que les divines promesses estoyent accomplies et que le temps désiré  XIX. POL'R lA FÊTF DE LA ViSITATIOS* 1^9 par les Prophètes et les l'atnarches estoit ja venu. Troisiesmemcnt, elle y alla aussi pour redonner la parole à Zacharie qui l'avoit perdue par son incrédulité à la prédiction de l'Ange, lors qu'il luy dit que sa femme concevroit un fils qui se nommeroit Jean *. Quatriesme- * i-uc»,i, n, i»-»o. ment, elle «^çavoit que cette visite apporteroit un comble de bénédictions en la maison de Zacharie, qui redonde- roit jusques à l'enfant qui estoit dans le ventre de sainte Elizabeth, lequel seroit sanctifié par sa venue. Voyla les raysons, et plusieurs autres que je pourrois rapporter ; mais je n'aurois jamais fait. Au demeurant, ne pensez-vous point, mes trcs chères Sœurs, que ce qui incita plus particulièrement nostre glorieuse Maistresse à faire cette visite ce fut sa charité très ardente et une très profonde humilité qui la fit passer avec cette vistcssc et promptitude les montagnes de Judée ? O certes, mes chères Sœurs, ce furent ces deux vertus qui la poussèrent et luy firent quitter sa petite Nazareth, car la charité n'est point oysive* : elle bouil- • Cf. #/«i*. Viu» lonne dans les cœurs où elle règne et habite, et la très bc M^*o SeMYi- îvainte Vierge en estoit toute remplie, d'autant qu'elle T5°**i' ^"' *"*•' avoit l'amour mesme en .ses entrailles. Klle estoit en des continuels acte» d'amour, non seulement envers Dieu avec lequel elle estoit unie par la plus parfailte dileclion qui se puisse dire, mais encores elle avoit l'amour du prochain en un degré de très grande perfection, qui lu^* j. r axdiiuiment le salu t de tout le monde et la N : des âmes ; et sçachant qu'elle pouvoit coopérer a celle de saint Jean, encores dans le ventre de sainte Klizalxîth, elle y alla en grande diligence. Sa charité la pressoit aussi de s'esjouir avec cette bonne vielle de ce que le Seigneur l'avoit bénie d'une telle l>oneiiiction, que de stérile et inféconde qu'elle estoit, flic conceust et portast celuy qui devoit estrc le Pré- curseur du Verl>c incarné. Elle alloit donques s'en esjouir avec sa cousine, et se provo • • x. • Dei ex. autres tiennent 1 opmion contraire. La charité fut donques cause que la très sainte Vierge coopéra à cette sanctification. Mais ce n'est pas mer- veille que son cœur sacré fust tout rempli d'amour et de désir du salut des hommes, puisqu'ellejortoit en_sês chastes entrailles ram£)ur.mesme, le Sauveur et Rédemp- teur du monde ; et me semble que c'est à elle que l'on • Cap. vu,_i»- doit appliquer ces paroles du Cantique des Cantiques * : Ton chef ressem.hl£^_aM^jnont Carmel. Voyez, lors que le divin Espoux descrit la beauté de son Espouse par le menu, il commence par son chef. Mais que veut entendre ce divin Amant quand il dit que le chef de sa bien-aymée ressemble au mont Carmel ? Le mont Carmel est tout .diapré de fleurs très odoriférantes , et les jirbr^s qui se trouvent sur iceluy ne portent que des parfu ms. Que signifient ces fleurs et ces parfums .sinon la charité, qui est une vertu très belle et odo- riférante, laquelle n'est jamais seule dans une ame ? Et bien que l'on approprie ces paroles du Cantique à l'Eglise, qui est la vraye Espouse de Nostre Seigneur, en laquelle comme en un mont Carmel abondent toutes sortes de fleurs de vertus et qui est odoriférante en toute sainteté et perfection, si est-ce que l'on peut encor entendre cecy de la sacrée Vierge qui est la fidelle Espouse du Saint Esprit. Ayant donques cette charité en si grande perfection, elle ressembloit au mont Carmel pour les actes frequens qu'elle en produisoit, tant envers  XiX. PoLK LA Pfn DR LA ViSITATION »6l Dieu qu'envers le prochain ; et cette charité, comme un arbre de parfums, jettoit une très aggreable odeur et suavité. Mais les rabbins et quelques autres* semblent encor •Ab«nEirj.Sante» r • ^1 1 j- • t' 1 j Pagninu», alii. mieux faire entendre que le divin hspoux, parlant du chef de sa bien-aymée, veut sij^nificr la charité; car ils tra- duisent : Ton chef ressemble à l'escarlatte. Kt ailleurs* •Cani..iv, j,vi, 6. \es Joues de l'Kspouse sont comparées aux grains de la grenade qui sont tout rouges. Et qu'est-ce tout cecy sinon la charité de la Sainte Vierge naïfvement représentée? puisque non seulement elle avoit la charité, mais elle Tavoit receùe en telle plénitude qu* ' * té mesme. Klle a- ■• : ' luy qui tv^taiu lulil amour l'ayoitj^fijlilue ^ .. . - ; tellement qu'on luy peut appliquer mieux qu'a nul autre ces parolles du Cantique des Cantiques, lors que l' Hspoux sacré, contemplant sa bien-aymée en son doux rcf>os, fut saisi d'une sainte complaisance qui luy fit adjurer les filles de Hierusalem de ne la point esveiller. disant * : Filles de Hierusalem, • Cjp. n. 7, m, y je vous adjure par les chevreuils et chèvres des champs de ne pas esveiller ma bien-aymée qui est en Tamour, qu'elle ne le veuille ou désire. Kt pourquoy? parce qu'elle est en la charité et en l'amour. Ou plustost, selon une autre version* : Filles de Hierusalem, je •Hebrjic.,Syn*c., vous adjure de ne pas resveiller la dilection et ^"*'* l'amour mesme, quelle ne le veuille ; et cette dilection et amour est ma bien-aymée, c'est à dire la sacrée Vierge, qui non seulement a l'amour, mais est l'amour mesme. C'est elle que Dieu a regardée avec une complai- sance toute particulière; car, qui a jamais peu donner complaisance i\ Nostre Seigneur que celle qui estoit accomplie en toutes sortes de vertus ? Avec la charité elle estoit douée d'une profonde humilité, ainsy que le tcsmoignent ces parolles qu'elle dit lors que sainte Hli- zabeth la loua : Parce que Dieu a regarde V humilité de sa servante , toutes les nations la loueront et appelleront bienheureuse •. • Lso». 1. «i. Mais pour oster de nos esprits tout sujet d'embrouil- lement. expli({uons comment ces parolles se doivent S«u III  i62 Sermons recueillis entendre. Plusieurs docteurs pensent que quand Nostre Dame dit que Nostre Seigneur avoit regardé V humilité de sa servante elle n'entendoit pas parler de la vertu d'humilité qui estoit en elle. Entre ceux qui tiennent •Comin.inLuc.,ad cette Opinion, on trouve Maldonat *, et quelques autres encor ; car, adjoustent-ils, bien que la Vierge eust une très profonde humilité, si ne s'estimoit-elle pas humble, ni moins vouloit-elle parler de l'humilité, d'autant que cette parole eust esté contraire à l'humilité mesme. Mais quand elle dit : Il a regardé l'humilité de sa servante , elle veut signifier la vileté, misère et abjection qu'elle voyoit en elle mesme, en ce qui estoit de sa nature et du néant dont elle estoit sortie ; c'est en ce sens qu'elle asseuroit que Dieu avoit regardé l'humilité de sa servante, car le vray humble, disent ces docteurs, ne croit ni ne voit jamais qu'il a la vertu d'humilité. 'S. Aag.,Expos.in D'autres tiennent l'opinion contraire*, et celle-cy est Magnif., et serm. , , i i i «i tvt t-\ i ccviii inAppend.}; la plus probable ; ils pensent que JNostre Dame entendoit ft^r^^riv-^^™*^/ parler de la vertu d'humilité, et qu'elle connoissoit bien saper ^iisstis est, ^ ^ ctubi infra,p. 164. que c'cstoit cette vertu qui avoit attiré le Fils de Dieu dans ses entrailles. Il n'y a donc point de doute qu'elle sçavoit que cette vertu estoit en elle, et cela sans danger de la perdre, parce qu'elle reconnoissoit que l'humi- lité qu'elle voyoit en elle n'estoit pas d'elle. Le grand Apostre saint Paul ne confessoit-il pas qu'il avoit la charité, par des parolles si asseurées qu'il semble parler • Rom , viiî, 35-39. avec plus de présomption que d'humilité? Il disoit* : Qui est-ce qui me séparera de la charité de Jésus Christ ? Sera-ce les chaisnes, les tribulations, la mort, la croix, le feu, le glaive ? Non, rien ne me pourra séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus Christ. Voyez-vous avec quelle asseurance parle cet Apostre? S'il confesse que rien ne \q pourra séparer de la charité de son Dieu, il faut donques qu'il croye avoir la charité. Certes, il n'y a point de doute en cela, bien que, quand il dit : Qui me séparera de la charité de mon Dieu, il faille entendre, moyennant la grâce de Dieu. Ainsy la glorieuse Vierge ne manqua point d'humilité, ni ne fit aucune faute contre icelle quand elle  XIX. Pour la fête de la VisrTATioii 163 asseura que Dieu avoit regardé rhutniîitê de sa ser- vante, non plus que saint Paul quand il s'escrioit : Qui est-ce qui me pourra séparer de la charité ? car elle sçavoit qu'entre toutes les autres vertus, celle-là touche et attire le cœur de Dieu. L'Kspoux, au Cantique des Cantiques, après avoir considéré par le menu son Kspouse, jetta ses yeux sur sa chaussure et sur sa démarche, ce qui le contenta si fort qu'il confessa en estre tout espris : Oh, dit-il •, ta •<:«?. tu, i. chaussure m'est aggreable ; que tu as de bienséance en ton marcher! Nous lisons aussi en la Sainte Hscri- ture * que quand Judith alla trouver Holophernes elle • joi*>, x, j, xn, s*estoit extrêmement bien parée; son visage estoit doué '**•"• de la plus rare beauté qui se puisse voir, ses yeux estincelans, ses lèvres pourprines, ses cheveux esparpillés et flottans sur ses espaules. Néanmoins, Holophernes ne fut prins ni par les yeux, ni par les lèvres, ni par les cheveux de Judith, ni d'aucunes des choses que je vous ay dit estre en elle ; mais quand il jetta ses yeux sur ses sandales et chaussures, qui, comme nous pouvons pen- ser, estoyent recamées d*or avec une fort bonne grâce, il en demeura tout espris et touché. Ainsy Nostrc Seigneur considéra bien la variété et beauté des vertus de Nostre Dame, qui la rendoyent extrement belle, mais lors que le Père éternel jetta les yeux sur ses sandales ou souliers, il en fut tellement espris qu'il se laissa fr^x^mor ri luy envoya son î'ils. lequel ^'inf^arna en «^^s tr- > entrailles. Et qu'est-ce que ces sandales et cette chaussure de la Vierge, sinon son humilité représentée par les souliers, cjui sont les plus vils accoustremens dont on se sert pour rornoment du corps, car ils sont tousjours contre terre, foulant la fange et la boQe. Aussi est-ce le propre de l'humilité, pour estre vraye, de tousjours estre basse, petite et aux pieds de tout le monde. C'est elle qui est la base et le fondement de la vie spirituelle, car clic veut tousjours estre contre terre et en son néant et abjection. C'est cette bassesse que Dieu regarda en la sacrée Vierge, et de ce regard procéda tout son bonheur;  164 Sermons recueillis ainsy, dit-elle, à cause de cela, elle sera publiée bien- heureuse par toutes les créatures, de génération en génération. Nostre Dame donques, disant que Dieu avoit rcorardé son humilité, faisoit reflexion sur elle mesme tant à cause de sa nature que de l'estre qu'elle avoit, ce qui fit qu'elle s'humilia. Abraham dont la foy estoit si grande et qui ne pou- voit mesconnoistre les dons de Dieu en luy, confessa •Cap. xviii, 27. néanmoins, comme il est escrit en la Genèse*, n'estre que poudre et cendre. Et Nostre Seigneur dit de luy •Ps. XXI, 7. mesme* qu'il est un ver et non un honime. Ainsy la Vierge, considérant sa vie qui estoit toute sainte et toute pure, la trouva bonne, et voyant en soy l'humilité elle peut dire en ce sens que Dieu avoit regardé son humilité ; mais aussi en l'autre sens, voyant son néant, elle dit qu'il avoit regardé sa bassesse, sa vileté et son abjection, et que pour cela elle en seroit appellée bienheureuse. Or, tant en une manière comme en l'autre, elle parla avec une si grande humilité qu'elle fit bien voir qu'elle tenoit tout son bonheur de ce que Dieu avoit jette les yeux sur sa petitesse ; c'est pourquoy on luy peut approprier •Cap. I, II. Cf. s. ces paroUes du Cantique des Cantiques * : Dum esset Rex Beni.,$€rm. XLuin . ,., , j -r . . ^ " Cant. in^ccubitu suo, nardiùs mea dedtt.odorern suum ; Ma bien-aymée m'est un nard qui respand une très odoriférante odeur. Le nard est un petit arbrisseau qui jette un parfum grandement suave, il ne's'ésleve point en haut comme les cèdres du Liban, ains il demeure en sa bassesse, donnant son parfum avec tant de suavité qu'il resjouit tous ceux qui l'odorent. La sainte et très sacrée Vierge a esté ce nard pretieux qui ne s^est jamais eslevé pour aucune chose qui luy ait esté faite ou dite ; mais en sa bassesse et petitesse, elle a, comme le nard, jette un parfum de si suave odeur qu'il est monté ju.sques au throsne de la divine Majesté, laquelle en a tellement esté esprise et resjouie qu'elle a quitté le Ciel pour venir ça bas en terre s'incarner aux très pures entrailles de cette Vierge incomparable. Vous voyez donques, mes très chères Sœurs, comme  XIX. Pour la fête de la Visitatiom 165 l'humilité est aggreable à Dieu, et comme nostre glo- rieuse Maistresse fut choisie pour estre Mère de Nostre Seigneur parce qu'elle estoit humble. Son divin Fils en rendit mesme tesmoignage lors que cette bonne femme voyant le miracle qu'il venoit de faire et s'appercevant du murmure des Juifs, se leva et cria à haute voix : Bienheureux le ventre qui t'a porté et les niiinimelles que tu as succées ; à quoy le Sauveur respondit : Plus heureux est celuy qui entend. la parole de Dieu et la garde *. Comme s'il vouloit dire : Il est vray que ma • Luc». «1 •- s^ Mère est bien heureuse parce qu'elle m'a porté en son ventre ; mais elle l'est bien davantage pour l'humilité avec laquelle elle a ouy les paroles de mon Père céleste et les a gardées. Et en un autre endroit, lors qu'on luy vint annoncer que sa Mère le demandoit, ce divin Maistre respondit que ceux là estoyent sa mère, ses frères et ses sœurs qui faisoyent la volonté de son Père*. Ce n'est pas qu'il ne voulust reconnoistre sa •Miu., xn, 47-^0. Mcre, mais il vouloit faire entendre que ce n'estoit pas seulement pour l'avoir porté en son sein qu'elle estoit aggreable à Dieu, ains plustost par l'humilité avec la- quelle elle accomplissoit sa volonté en toutes choses. Mais je vois que l'heure s'en va passer, ce qui me fera finir et parachever le peu de temps qui reste sur l'histoire de cet Evangile, car elle est extrêmement belle et de grande suavité à entendre raconter, ce me semble. L'Evangeliste dit donc que la Vierge se leva hastive- ment et monta les ttwntai^nes de Judée, pour monstrer la promptitude avec laquelle on doit correspondre aux inspirations divines; car c'est, le propre du Saint K«;pnt. lors qu'il touche un cœur, d'en cbas.ser toute il ayme la diligence et prompTTlude, il est ennemy de» remises et dilayemens dans l'exécution des volontés divines*. Exurgens Maria; elle se levé promptemcnt " bc., 4» et va hastiventent par les tnontagnes de Judée, car l'Enfant du(iuel elle estoit grosse ne l'incommfxioit aucunement, d'autant qu'il n'estoit pas semblable aux autres ; partant la Vierge n'en ressentoit pas l'incom- modité des autres femmes, lesquelles sont fws aai^ et  i66 Sermons recueillis ne peuvent marcher à cause de la pesanteur de T enfant qu'elles -portent, parce que ces enfans sont pécheurs. Maisjceluy de Nostre Dame n'estoit point pécheur, ains le Sauveur des pécheurs et Celuy qui venoit pour oster • Joan., 1, 19. le péché du monde *^ partant elle n'en estoit aucunement chargée, ains plus légère et plus agile. 1 Elle marchoit aussi hastivement parce que sa pureté virginale l'incitoit à ce faire pour estre tost retirée, car les vierges doivent demeurer cachées et ne paroistre que le moins qu'elles peuvent parmi le tumulte du monde. Intravit Maria, elle entra dans la mayson de • Luc«, 1, 40. Zacharie et salua sa cousine Elisabeth *; elle la baysa et embrassa. Voyla comme je vay courant sur nostre Evangile, car l'heure est finie. Saint Luc dit bien que Marie salua Elisabeth, mais quant à Zacharie il s'en taist, d'autant que la virginité de Nostre Dame ne luy permettoit de saluer les hommes, et elle nous vouloit enseigner que les vierges ne sçauroyent avoir trop de soin de conserver leur pureté. Il y a mille beaux docu- mens sur toutes ces choses, mais je ne fais que passer et parachever cette histoire. Quelles grâces et faveurs pensez-vous, mes chères Sœurs, tombèrent sur la mayson de Zacharie lors que la Vierge y entra ? Si Abraham receut tant de grâces pour avoir hébergé trois_ Anges en •Gen., xnn. sa mayson *, si Jacob apporta tant de bénédictions à • Ibid., xxK. Laban *, quoy que celuy ci fust meschant homme, si Loth fut délivré de l'embrasement de Sodome pour avoir logé •Ibid., XIX. deux Anges *, si le Prophète Elie remplit tous les •lllReg.,xvii, 10- vaysseaux de la pauvre vefve *, si Elisée ressuscita • IV Reg., IV. l'enfant de la vSunamite *, en fin si Obededom receut tant de faveurs du Ciel pour avoir abrité chez luy l'Arche •II Reg., Vf, 10, II. d'alliance*, quelles grâces et combien de bénédictions célestes tombèrent sur la mayson de Zacharie en laquelle • I»., IX, 6; juxta entra l'Ange du grand conseil *, ce vray Jacob et divin Prophète, la vraye Arche d'alliance, Nostre Seigneur enclos dans le ventre de Nostre Dame ! Certes, toute la mayson en fut comblée de joye : l'enfant tressaillit, le père recouvra la parole, la mère fut remplie du Saint Esprit et receut le don de prophétie,  XIX. Pour la fête de la Visitatiom 167 car voyant cette sainte Dame entrer dans sa mayson elle s'escria : D'où tnc vient cecy que la Mère de mon Dieu me soxx. venue visiter*? Voyez-vous, elle la nomme *Laae. 1,41.44,64. Mère avant qu'elle ait enfanté, ce qui est contre la cous- tume ordinaire, d'autant qu'on n'appelle point mères les femmes avant leur enfantement, parce que souvent elles enfantent malheureusement. Mais sainte Hlizabeth sçavoit bien que la Vierj^e enfanteroit heureusement, et partant elle ne fait point de difficulté de l'appeller Mère avant qu'elle le soit, car elle est asseurée qu'elle le sera, et non Mère d'un homme seulement, mais de Dieu, et par conséquent Reyne des hommes et des Anges ; pour ce, elle s'estonne (ju'une telle Princesse la soit allée visiter. Puis elle dit * : Vous estes bienheureuse. Madame. • Ver». 4% 4*. parce que vous ave^ creu ; et de plus, vous estes bénite par dessus toutes les femmes. Kn quoy nous voyons en quel degré elle receut le don de prophétie, car elle parle des choses passées, présentes et futures. Vous estes bienheureuse d'avoir creu à tout ce que l'Ange vous a dit. parce que vous avez fait voir en cela que vous avez plus de foy qu'Abraham •. Vous ave^ creu •Cf.Geort.,xTii,i7. que la vierge et la stérile concevroycnt, qui est une chose qui surpasse le cours de nature : voyla pour le passé, qu'elle sceut par esprit prophcti(|uc. Pour ce qui devoit advenir, elle vit par ce mesme esprit que la Vierge seroit bénite entre toutes les femmes, et le proclama ; elle parla aussi du présent, l'appel lant Mère de Dieu. De plus, elle adjouste que l'enfant qu'elle porte a treS' sailli de joye à son «irrivée. Certes, ce n'est pas mer- veille si saint Jean tressaillit de joye à la venue de son Sauveur, puisque Nostrc Seigneur dit en parlant aux Juifs* : Abraham vostre père s'est resjoui voyant en ';<>•••.▼».)*• esprit prophcii(iue mon jour advenir que vous voyez. Kt si tous les Prophètes dtrsiroyent le Messie promis en la I-oy et se resjouissoyent sçachant que tout s'accom- pliroit en »<>n jour, combien plus devons-nous penser que saint Jean fut rempli d'allegres.se voyant au travers le sein de s;i mère le vray Messie promis, le Désiré des Patriarches*, qui le venoit visiter pour commencer 'Agpii,*,!.  i68 Sermons recueillis par luy l'œuvre de nostre Rédemption en le retirant du bourbier du péché originel ! O combien, mes très chères Sœurs, devez-vous estre comblées de jo^-e lors que vous estes visitées par ce divin Sauveur au très saint Sacrement de l'autel, et par les grâces intérieures que vous recevez journellement de sa divine Majesté par tant d'inspirations et paroles qu'il dit à vostre cœur ; car il est tousjours à l'entour frappant •Apoc, m, 30. et vous parlant* de ce qu'il veut que vous fassiez pour son amour. Ah î que d'actions de grâces devez-vous à ce Seigneur pour tant de faveurs ! Que vous le devez escouter avec grande attention et exécuter fidellement et promptement ses divines volontés ! La très sainte Vierge entendant ce que sa cousine Elizabeth disoit à sa louange, s'humilia et rendit de tout la gloire à Dieu ; puis confessant que tout son bonheur, comme j'ay dit, procedoit de ce qu'il avoit regardé l'humilité de sa servante, elle entonna ce beau et • Lac*, 1, 46-55. admirable cantique Magnificat *, cantique qui surpasse tous ceux qui avoyent esté chantés par les autres femmes : •Judith, x%n, 1-31. plus excellent que celuy de Judith*, plus beau sans nulle comparaison que celuy que chanta la sœur de Moyse après que les enfans d'Israël eurent passé la mer Rouge et que Pharaon et les Egyptiens furent ensevelis •Exod., XV, 1-21. dans ses eaux*, en somme plus beau que ceux qui ont • Lac», n, 39-33. esté chantés par Simeon * et par tous les autres dont ^us'e7u!;p"o6: l'Escriture fait mention *. •**• ^ lï^es chères Sœurs, qui avez cette Vierge pour Mère, filles de la Visitation Nostre Dame et de sainte Elizabeth, que vous devez avoir un grand soin de l'imiter, sur tout en son humilité et charité, qui sont les principales vertus qui luy firent faire cette Visitation. Vous devez donques reluire tout particulièrement en icelles, vous portant avec une grande diligence et allégresse à visiter vos Sœurs malades, vous soulageant et servant cordialement les unes les autres en vos infirmités, soit spirituelles ou corporelles ; et par tout où il s'agit d'exercer l'humilité et la charité vous vous y devez porter avec un soin et promptitude singulière, car voyez-vous, ce n'est pas  XIX Pour la fête db la Visitatiom 169 assez pour estre fille de Nostre Dame de se contenter d'estre dans les maysons de la Visitation et porter le voyle de Religieuse. Ce seroit faire tort à une telle Mère, ce seroit dégénérer de se contenter de cela ; mais il la faut imiter en sa sainteté et en ses vertus. Oh soyez donques, mes chères Sœurs, bien soigneus<»s de former vostre vie sur la sienne; soyez douces, humbles, charitables et débonnaires, et magnifiez en cette vie le Seigneur avec elle. Que si vous le faites fidellcment et humblement en ce monde, indubitablement vous chan- terez au Ciel, avec la mesme Vierge. Magnificat ; et benissans par ce sacré cantique la divine Majesté, vous serez bénites d'elle à toute éternité, où nous conduisent le Père et le Fils et le Saint Fsprit. Amen.  XX SERMON DE VÊTURE POUR LA FÊTE DE SAINTE ANNE 26 juillet 1618(0  Simile est Regnum cœlorum homim negotiatori quœrenti bonus marga- ritas ; inventa autem. una pretiosa margarita, ahiit et vendidit omnia quœ hahuit et émit eam. Le Royaume des deux est semblable a un marchand qui cherche des perles ; et en ayant trouvé 7ine de grand prix, il va, vend tout ce qu'il a et racheté. Matt., xiii, 45, 46. C'est certes très à propos que Nostre Seigneur dit que le Royaume des deux est semblable à un marchand^ lequel cherchant des perles en trouve en fin une d'un prix et d'une valeur si excellente au dessus de toutes les autres, qu'il va et vend tout ce qu'il a pour l'acheter. Il veut nous faire entendre par cette similitude que les négociateurs du Ciel sont semblables à ce mar- chand ; car, si vous y prenez garde, ils font un mesme négoce, je veux dire, ils négocient de mesme façon. Voyez-vous ce marchand ? Il cherche des perles, mais ( I ) Ce sermon, déjà mentionné plus haut (note (i), p. 39), a été prêché pour la Véture des Sœurs Françoise-Jacqueline de Musy et Marie-Françoise Bellet (voir \ Année Sainte, tome 1'='", p. 768, et tome II, p. 58). On a peine à s'expliquer la bévue par laquelle Migne l'a inséré deux fois dans son tome IV. Il figure d'abord (col. 1535) d'après le texte de 1641, comme ayant été prononcé pour la Profession de quelques Religieuses de la Visitation, et un peu plus loin (col. 1624), on le retrouve parmi les pièces inédites sous son vrai titre : Pour la fête de sainte Aiine.  XX. Pour la fête de sainte Anne 171 en ayant trouvé une, il s'arreste à cause de son prix et de son excellence ; // vend tout ce qu*tl a pour se la rendre sienne. De mesme en font tous les hommes, car chacun cherche la félicité et le bonheur, néanmoins personne ne le trouve que celuy qui rencontre cette perle orientale du pur amour de Dieu, et qui Vayant trouvée, vend tout ce qu'il a pour l'avoir. Le malheur est que les hommes constituent la teiicité chacun en ce qu'il ayme : les uns aux richesses, les autres aux honneurs; mais ils se trompent bien, car tout cela n'est point capable d'assouvir et contenter leur cœur. Saint I^ornnrd le dit fort bien* : Ton ame, o homme, * s*nn iv in Pe*to est de . p'it^ndii^. et nulle chose ne la peut rem- »«: i.c! £ljr ni^ai: On en voit Texperience '^"'••«*- en AJeiandxe qu'on appelle le ùrand, lequel après avoir assujetti à son empire presque toute la terre, ne fut néanmoins pas satisfait ; car un fol philosophe luy ayant f.i ' |U*il y avoit encor- " utres mondes que ceiu% I ^> , Il -^e mit i pleurer drjutiy il croyoit ne les pouvoir conquérir •. Or pensez, de ^race, si - "Imv qui a •P'-î-»--^^ DoTrin- possédé si éminemment les biens et les riti. de la .. . _. . .i: terre par dessus tout autre n'est pas content, qui donc le *'"•*' '***** pourra estre ? Certes, non seulement les choses terrestres ne sont pas capables de satisfaire nos cœurs, mais non pas mesme les célestes ; et cecy nous le voyons très bien en la Ma^deleine *. La pauvre Sainte, toute esprise de 'Ci Tr.jtr.\m.4* If > »■ • 1 ». *- I Dum, I. V, c. vu. 1 amour de son Maistre, retourna pour le chercher devant que nul autre, après qu'il fut mort et mis dans le Si»pul- cre ; mais ne l'ayant trouvé, ains des Anj^es, elle ne se peut contenter. h\rn (|u*ils fussent 1res lieaux et habillés à ranj^eli(ju<- hommes, pour grans qu'ils soyent •J©«n.,«a,i,it.i|. et pour magnifiquement ornés qu'ils puissent estre, ne sont rien auprès des Anges, leur lustre n'a point d'esclat et ne sont pas dignes de comparoistre en leur présence; aussi voit-on (|ue jamais ils n'ont apparu aux hommes sans <|ue ceux ci ne soyent tombés dessus leur face •, * « • « ; n'estan - ' ''s de supporter la ^^'■' tir et l'esclat »,, . 7 de la bc^iv . ...^^.. que. La très sainte V . laquelle a  172  Sermons recueillis  des sureminences si grandes, et qui est si particulière- ment gratifiée au dessus de tous les Anges, s'estonne néanmoins à la veiie de saint Gabriel qui l'estoit venu trouver pour parler avec elle du très sacré mistere de • Luc«, 1, 29. l'Incarnation *. Magdeleine ne s'amuse point autour de ces célestes Esprits, ni à la beauté de leur visage, ni à la blancheur de leurs vestemens, ni moins encores à leur maintien plus que royal. Elle va, elle tourne tout autour d'eux, et ils l'interrogent : Femme, pour quoy pleures-tu ? et que cherches-tu? Ils m'ont prins mon Maistre, respond elle, et je ne sçay où ils Vont mis. Les Anges luy demandent : Pourquoy pleures-tu ? comme s^ils eussent voulu dire : N'as-tu pas bien sujet de te resjouir et d'essuyer tes larmes en nous voyant? Quoy, la splendeur et beauté de nos faces , Tesclat de nos vestemens , nostre magnificence plus grande que celle de Salomon, n'est-elle pas capable de t'apaiser? O certes non, mon cœur ne se peut contenter à moins que de Dieu. Magde- leine ayme mieux son Maistre crucifié que les Anges glorifiés. •Cap.v, 5-8, 111,2,3, L'Espouse, au Cantique des Cantiques *, dit que son confuse. -r>- a - r > ^ n rJien-Ayme ayant frappe a sa porte passa outre ; et elle, ayant ouvert et ne le trouvant pas, s'en va après luy pour le chercher, puis rencontrant les gardes de la ville elle leur demande si elles ont point veu son Bien- Aymé : Hé, de grâce, si vous le rencontrez, annoncez- luy que je languis d'amour. Et après, elle adjouste que les gardes de la ville Vont toute blessée. Tous ceux qui prattiquent l'amour sacré sçavent que ses blesseures sont diverses et qu'il blesse les cœurs en plusieurs façons, dont l'une est d'estre arresté et empesché de 'Cf.Tr.derAm.de dcmcurcr en ce qu'il ayme *. L'amante sacrée dit que les "••». 1. VI, c. xiu. gardes Vont blessée parce qu'elles l'ont arrestée, car rien ne blesse tant un cœur qui ayme Dieu que de se voir retenu loin de Dieu. Tout cecy n'est que pour servir de préface à ce discours. Le Royaume des deux, dit Nostre Seigneur, est semblable au marchand qui vend tout ce qu'il a  XX. POLR LA FFTE DE SAHm AVNB I73 pour acheter la pcrU inestimable qu'il a trouvcc. Le pur amour de Dieu est cette perle pretieuse que les négociateurs du Ciel trouvent, et pour laquelle acheter il faut qu'ils vendent tout ce qu'ils ont. Nous voyons que ces anciens Chrestiens qui ne se contentoyent pas d'ob- server les commandemens de Dieu, mais aussi se met- toyent à la prattique exacte de ses conseils*, quittoyent •Vidempra.p.i^j. tout sans reserve ; si que l'on pouvoit véritablement bien asseurer qu'ils n'avoyent qu'w/i cœur et qu'w/i. car le mot de tien et de mien n'estoit jamais entendu parmi eux. Mais escoutez, je vous prie, le maistrc de tous et le Prince des Apostres : Votc}\ dit-il à Xostre Seigneur, qtde flous avons tout quitté ; quelle recompense en aurons-nous*? Sur quoy le grand saint Bernard ** luy " Matt. xix. ît parle en ces termes : O pauvre saint Pierre, comme vous r«h^utml pouvez-vous ainsy vanter d'avoir tout quitté, et quelle [n'^,^*î^°"*^ rayson avez-vous d'exagérer l'abandonnement que vous avez fait, disant que vous avez quitté toutes choses, puisque vous n'estiez qu'un pauvre pescheur et n'aviez quitté qu'une petite barque et des rets ? A quoy il respond luy mesme : C'est assez tout quitter et aban- donner que de ne se reserver point de prétentions au monde, et qui plus est, de se quitter et abandonner soy mesme. Les Religieux et Religieuses ont e.sté de tout temps fort loués et estimés à cause de ce parfait aban- donnement de toutes choses; mais laissons les Religieux et ne parlons que des Religieuses, puiscju'il est plus à mon propos. ïjc grand bamt Augustin * fait reproche aux Mani- '«^ cheens dequoy en leur religion ils n'ont rien de sembla- ble ni qui approche tant soit peu la vertu des vierges renfermées dans les monastères, lesquelles sont pures comme des colombes et font vœu d'une perpétuelle chasteté ; mais sur tout il extolle ce renoncement de toutes choses, disant qu'elles ont tellement quitté tout ce qu'elles avoyent qu'elles n'ont rien en particulier, et que jamais les mots pernicieux de mien et de tien ne s'entendent parmi elles. \jc bienheureux saint Ignace.  C 1  1-^ Sermons recueillis •S. ign.M-.Epist. escrivant à un de ses amis*, luy recommande expresse- (supposiM ad Tar- ^^^^^ ^^^ vier^cs et les vefves congregées dans les monastères ; les vierges comme consacrées à Dieu, et les vefves comme l'autel. Il les recommande tant les unes que les autres, à cause du grand renoncement qu'elles ont fait de tout ce qui est sur la terre, tant de ce qu'elles possedoyent comme des prétentions qu'elles pouvoyent avoir, comme aussi à cause de leur parfait renoncement à elles mesmes. C'est à ce renoncement parfait que vous estes appellées maintenant, mes très chères filles. C'est une prétention bien haute que de conquérir le pur amour de Dieu, qui est la perle pretieuse que vous cherchez et que vous avez trouvée, laquelle néanmoins ne se peut acheter qu'au prix de toutes choses. Si vous la voulez avoir il est en vostre pouvoir, mais aussi il faudra faire l'aban- donnement parfait de tout, et ce qui est encores plus, il vous faudra quitter vous mesme, le pur amour de Dieu ne pouvant souffrir aucun compagnon. Il ne veut pas seulement estre exempt de rival, mais il veut estre seul dans nos cœurs et y régner paisiblement ; car quand il 'CLi.Tr.deTAm.de ccsse de régner, il cesse quant et quant d'estre *. leu, . ,c. i\. Nous avons deux nous mesmes lesquels il faut renoncer et abandonner totalement et sans aucune reserve pour estre vrays Religieux. Nous avons ce nous mesme exte- • Rom., M, 6. rieur que saint Paul * appelle viel homme ; nous avons encor l'autre nous mesme, qui est nostre propre jugement et nostre propre volonté, et en ce nous mesme icy consiste le nœud de l'affaire. Il faut voirement bien renoncer et mortifier le corps, mais ce n'est pas assez, il faut mortifier sur tout l'esprit. Escoutez l'Espouse au •Cap. uit., 7. Cantique des Cantiques*, laquelle dit que si quelqu'un donne toute sa substance pour Dieu, pour son pur amour f il ne l'estimera rien, croyant de n'avoir gueres donné pour une perle si pretieuse. La prétention de tous les Religieux n'est point moindre, que iia_.s_e trans- former tout en Dieu, prétention digne certes d'un cœur généreux, et prétention que nous devrions tous avoir. Mais resouvenons-nous que ceux qui entreprennent de  XX. Pour la fête de saikte Annb 175 transmuer et transformer le métal en or, il faut qu'ils ayent une jurande peine et qu'ils y apportent un très grand soin, encores ne sçay-je s'ils le peuvent faire ou non. Je sçay bien pourtant qu'ils mettent leur métal au feu, puis ils le réduisent en poudre, et après ils le font passer par la coupelle et le purifient derechef, asseurant que s'ils le pouvoyent tant purifier qu'il ne restast qu'une certaine matière ou liqueur qui est descendue du ciel, il leur seroit facile de parvenir, ou ils seroyent parvenus au bout de leur prétention. De mesme les âmes qui ont fait cette généreuse entre- prise de se transformer toutes en Dieu, helas! «; fau t-il pas qu'elles fassent pour s'anéantir, se coniuiuirc et se délaisser, ju*^ '^ qu'elles soyent tellement purifiées (y- '•''»•» • .. ^cmeure que la seule liqueur céleste qui . -, a ^«,\ivoir, l'image et la semblance dp în divine* Majest*^. Voyez ce que saint Paul fit pour I nent ces paroles : Je ne vis plus mo}\ ains c'est Jésus Christ qui vit en moy^. Quelles •GjUt., n. k>. persécutions, quelles mortifications, quelles sortes d'ab- jections, de tourmens et de douleurs n'a-t-il pas souffert? Escoutez ce qu'il escrit * : Jusqucs à cette heure nous ' i avons esté blasphèmes, persécutés à outrance, injuriés et mesprisés, jusciues là que nous sommes tenus et estimés com**^' Ir^b^iilayeure^ 'fr rr />?.>?/,• Chacun sçait qu'il n'y de plus vil -n que les balayeu- res, si que l'on ne voit l'heure qu'elles en soyent dehors. De mesme. dit saint Paul, on ne voit l'heure que V :i I t les )'eux des hommes, tant ils nous < rrcur.i Puys il adjoustc : Nous sommes tenus :ne, car si le monde est une jHJininc lum^ en ^unîmes estimés la peleure qu»* l'on jette là comme une chose de néant*. « 1 /•' ^rrAm,é4 Pour parvenir donques à cette transformation & la- "*' quelle nous prétendons, il sera necrssairp nue nous soyons aussi réduits à néant, r« t mor- t >mmc le rebut du monde. Vous avez abandonné les biens extérieurs; mais do sousmettre vostre propre jugement, assujettir vostro entendement à celuy d'une  1-76 Sermons recueillis Supérieure, et renoncer tellement vostre propre volonté qu'elle ne paroisse plus et qu'elle soit absolument sujette et obéissante à ses ordonnances, c'est une chose bien difficile et bien malaysée ; il est. besoin ^.4^^ grand courage pour faire cela. Il est vray, mes chères filles, mais si la difficulté vous estonne, je vous présente trois petites considérations qui vous feront connoistre l'entre- prise estre plus facile que vous_ ne pensez et qui vous serviront de consolation. La première est que Celuy qui vous appelle à la conqueste de son très pur amour est asse^ puissant • I Thess., V, 24 ; pour VOUS ayder *. Dites luy hardiment : « Commandez, II Tim., I, 12. (Tf • « , , ,., 1 . , beigneur, a nos âmes tout ce qu il vous plaira, et nous •s. Aug.,Confess., donnez que nous le fassions *. » Donnez-nous le désir 1. X,C. XXII. j . , j r • ^ . —, . ,-.. - .^ de paryemr a. vQus, de taire tout ce qui sera aggreable a • Cf. Philip., Il, 13. vostre Bonté, et accomplissez ce nostre désir*. Vous nous appeliez, faites par vostre grâce que nous allions ; vous avez commencé V œuvre de nostre perfection, nous ne • Philip., I, 6. voulons jamais douter que vous ne la paracheviez*. La seconde considération qui vous relèvera le courage c'est de sçavoir en quoy il consiste. Je vous ay dit que vous aviez besoin d'une grande magnanimité pour par- venir au bout de vostre entreprise ; mais en quoy pensez vous que consiste cette magnanimité de courage? Certes, c'est en la petitesse de courage. Vous l'aurez d'autant plus grand que vous serez plus petites en vous mesmes. Resouvenez-vous de cette parole tant admirablement bien inculquée par Nostre Seigneur dans le cœur des • Matt., xviii, 3. Apostres * : Si vous n'estes faits comme petits enfans, vous n' entrerez point au Royaume des deux. Il faut que nous soyons esgaux en courage aux petits enfans, c'est à dire humbles comme eux. Mais remarquez, je vous .supplie, comme le Sauveur prattiqua la grandeur de son courage au plus excellent acte de l'amour qu'il nous a monstre avoir pour nous en sa Mort et Passion. Voyez, il ne fait autre chose que de laisser faire de luy tout ce qu'on veut; la magnanimité de son courage consiste à se laisser manier au gré de la volonté d'un chacun. C'est en quoy le nostre doit de mesme paroistre, non pas tant à faire,  XX Pour la pé^rH de saimtf Asnk 177 comme à laisser, faire en nous et de nous tout ce que l'on voudra ; et non seulement à Xostre Seigneur, mais aussi à nos Supérieurs, nous rendant maniables, souples et humbles comme des petits en fans, car nostre gran- deur gist en nostre petitesse et nostre exaltation en nostre humiliation. I^ troisiesme considération qui vous doit estre de grande consolation, c'est l'honneur que vous avez de venir faire vos offrandes sous la protection de l a glo- rieu se n i '" la tr " de i-)ieu , laquelle, comme un»- inere prn»-. (j'hm- it .: fmmi la mer de ce monde sans recevoir aucune goutte d'eau salée*, je veux 'Pim .H-» "•• 1. dire, sans estre aucunement abreuvée des vains playsirs ^\'^\. / .. .j terrestres, ains vescut tousîours très saintement en la Y** "J!' pratti()ue de toutes sortes de vertus. Ne doutez point qu'elle ne vous prenne en sa^rotection si vous venez faire vos offrandes avec humilité et simp! r. puisque ce sont les vertus qui ont le p^luy relui .^îiLjdle durant le cours de sa vie, jointes à celle de suivre fîdel- lement les attraits et les i- - • - ^ * s. Ce sont ces vertus qui Uiy firent san-'i-i... ...- ...• r /ostre, .'^'"•••- sii très ^.irr/-.' Fille, avantagée de plus df or.icc^s ,.. ni. inme, et en particulier d'aj , lir de si près à l'humanité très sainte de nostre doux Sauveur et Maistre  III !•  XXI SERMON POUR LA FÊTE DE L' ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE 15 août 1618 (O La sainte Eglise célèbre aujourd'huy la feste du glo- rieux trespas ou endormissement de la très sainte Vierge et de son Assomption. Plusieurs ont nommé cette feste de divers noms : les uns l'appellent l'Assomption, les autres le couronnement de Nostre Dame et les autres sa réception au Ciel. Il y a des milliers de considérations à faire sur ce sujet; mais je me restreins et n'en diray que deux, à sçavoir mon, comment cette sacrée Vierge receut Nostre Seigneur et Maistre lors qu'il descendit du Ciel en terre, et comment son divin Fils la receut lors qu'elle quitta la terre pour aller au Ciel. L'Evangile que nous avons dit aujourd'huy à la sainte • Luc«, X, 38-43. Messe * nous fournit assez de matières pour l'une et l'autre des propositions. Cet Evangile traitte de ce que Nostre Seigneur passant par un village nommé Betha- nie, entra en une maison qui estoit à une femme nommée Marthe, laquelle avoit une sœur nommée Marie Magdeleine. Marthe s'embesoignoit et s'empres- soit pour apprester à disner à Nostre Seigneur, et Marie (i) L'allusion faite ci-après (p. 182) aux « grossiers et simples auditeurs » prouve que ce sermon a été prononcé devant un auditoire nombreux et mélangé ; par conséquent il est postérieur à la consécration de l'église qui eut lieu le 30 septembre 1617. D'autre part, bien que la rédaction ne soit pas des plus soignées, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître la touche de la Mère Claude-Agnès de La Roche; cette dernière ayant quitté Annecy en juillet 1620, et l'anocc précédente le Saint se trouvant à Paris, il est de toute probabilité que ce sermon a été prêché en 1618.  XXI. Pour la tîte de l'Assomption 179 se tenait à ses pieds et escoutoit sa parole. Marthe, qui desiroit que tous fussent aussi soigneux qu'elle de servir le Sauveur, luy dit en se plaignant qu'il comman- dast à sa sœur de luy ayder, pensant qu*il n'estoit pas nécessaire que personne demeurast auprès de luy, d'au- tant qu'il se sçauroit assez entretenir tout seul. Mais nostre divin Maistre la reprint en luy disant qu'elle avoit soin et qu'elle s'empressoit Je plusieurs choses, et adjousta : Or, une seule est nécessaire ; Marie a choisi la meilleure part laquelle ne luy sera point ostée. Ces deux femmes représentent Nostre Dame : Marthe, en la réception que la sacrée Vierge fit de son divin Fils et au soin qu'elle en eut tandis qu'il fut en cette vie mortelle, et Marie, en la réception qui luy fut faite par son Fils là haut en sa gloire. Nostre Dame fit admirable- ment bien en cette vie l'exercice de l'une et de l'autre de ces deux sœurs*. O Dieu, quel soin n'eut elle pas • j. de fournir Nostre Seigneur de tout ce qui luy estoit ,^jj, yjjj ^^^^ nécessaire pendant qu'il fut petit ! Oucl empressement, *^^- ou pour mieux dire, quelle diligence ne fit-elle pas pour éviter le courroux d'Herode ! Que ne fit-elle pour le sauver de tant de périls et mésaventures dont il fut menacé ! Mais voyons un peu, je vous prie, comme elle pratti- qua merveilleusement bien l'exercice de Marie. Le saint Evangile fait une particulière mention du silence de Nostre Dame*. Marie se taisoit et se tenait aux pieds * Loc«, ii. >i. de son Maistre, elle n'avoit qu'un soin (|ui estoit de pos- séder sa présence; de mesme il semble (jue nostre digne Maistrekse n'eust que ce soin. 1^ voyez-vous là, dans la ville de liethleem, où l'on fit tout ce qu'on peut pour luy trouver un logis ? Il ne s'en trouve point, elle ne dit mot. Elle entre dans l'estable, elle produit et enfante .M)n Fils bien aymé, elle le couche dans la crèche^. Mbid.,^7. Les Roy» le viennent adorer, et Ton peut penser quelles louanges ils donnèrent à l'Enfant et à la Mère ; elle ne dit pas un mot. Elle le porte en I - t», elle le rap- porte, sans parler pour exprimer .ileur qu'elle a  i^(j Sermons recueillis de l'y porter, ni la joye qu'elle devoit avoir de l'en ranporter. Mais ce qui est plus admirable, voyez-la sur Joan., XIX, 35-27. le mont de Calvaire * : ni elle ne jette des eslans, ni elle ne dit un seul mot ; elle est aux pieds de son Fils, et c'est cela seul qu'elle désire. Partant, elle est comme en une parfaite indifférence : Arrive tout ce qui pourra, semble-t-elle dire, pourveu que je sois tousjours auprès de luy et que je le possède, je suis contente puisque je ne veux et ne cherche que luy. Remarquez, je vous prie, que Nostre Seigneur reprend Marthe parce qu'elle s'empresse, et non pas de ce qu'elle a du soin. Nostre Dame avoit un grand soin pour le service de nostre divin Maistre, mais un soin sans trouble et sans empressement. Les Saints qui sont au Ciel ont du soin pour glorifier et louer Dieu, mais sans inquié- tude, car il n'y en peut avoir. Les Anges ont soin de nostre salut, et Dieu mesme a soin de ses créatures, mais avec paix et tranquillité. Or, nous autres sommes si misérables, que rarement avons-nous du soin sans empressement et sans trouble. Vous verrez bien souvent un homme qui aura une grande affection de prescher ; defendez-luy la prédication, le voyla troublé. Un autre qui voudra visiter et consoler les malades ne le fera pas .sans s'empresser, et mesme s'inquiéter s'il est empesché de le faire. Un autre qui aura grande affection à l'oraison mentale, si bien il semble que cecy ne regarde que l'esprit, il ne lairra pas de s'empresser et d'en estre troublé si on l'en retire pour l'occuper à quelqu'autre chose. Dites moy maintenant, si Marthe n'eust eu soin que de plaire à Nostre Seigneur, se fust-elle tant embesoi- gnée ? Non certes, car un seul mets bien appresté sufïisoit pour sa nourriture, veu mesme qu'il prenoit plus de playsir qu'on l'escoutast comme faisoit Marie. iVïarthe, avec le dessein et souci de pourvoir à ce qu'il failloit à nostre Maistre, avoit encores un peu de propre estime qui la poussoit à monstrer et désirer que l'on vist la courtoisie et affabilité avec laquelle elle recevoit ceux qui luy faisoyent l'honneur de la venir voir, se respan- dant toute au service propre au traittement extérieur du  XXI. Pour la fétb de l* Assomption i8i Sauveur ; et la bonne fille pensoit estre bonne sentante de Dieu par ce moyen-là et s*estimoit estre quelque chose. Kt parce qu'elle aymoit grandement sa sœur, elle desiroit qu'elle s'embesoignast comme elle pour servir son très cher Mai*;tre, qui néanmoins prenoit plus de playsir à l'exercice de Marie, dans le cœur de laquelle il distilloit, par le moyen de ses paroles, des grâces plus grrandes que nous ne sçaurions penser. Cecy correspond à la responsc qu'il fit a ceiic ifiumc dont il est parlé en l'Evangile* : Vous dites bien que • Loc», xi. »;, »8. bienheureux est le ventre qui m'a porté et les mam- ttielles que j'ay succées ; mais moy je vous dis que bienheureux sont ceux qui escoutent la parole de Dieu et la gardent. Or. ces personnes qui s'affection- nent et s'embesoignent comme Marthe à faire quelque chose pour Nostre Seigneur, pensent estre bien dévotes et croyent que cet empressement soit vertu ; ce qui n'est pourtant pas. ainsy que luy mesme le fait entendre : Une se rr^ ' '^: • ' ' *• • • lire, qui est d'avoir Dieu et d*' ^" !' : . >>; jv ;., v... ;v:he que luy, que me doit-il iii , , . l'on me fasse faire cecy ou cela ? Si je ne veux que sa volonté, que m'importera-t-il que l'on m'envoyc en Kspagne ou en Irlande? Et si je ne cherche que sa croix, pourquoy me faschera-t-il que l'on m'envoye aux Indes, aux terres neuves ou aux vielles, puisque je suis asseuré que je la trouveray par tout ? En fin nostre glorieuse Maistresse fit l'ofifice de Marthe, recevant Nostre Seigneur avec une extrême aflfeciion et dévotion dans sa maison et dans ses entrailles mesmes. Elle le servit avec un tel soin, tout le temps de sa vie, qu'il n'y en a point de pareil. Reste à voir comme son Fils, en contreschange, la rereut au Ciel. Ce fut avec un amour et gloire incomparable, avec une magnificence d'autant plus grande au dessus de tous les Saints, que •es mérites surpassf)yent tous les \c\ir^ Mais avant ({uc de parler de sa réception au Ciel, il nous faut dire comme et de quelle mort elle mourut • "' Vous svavez tous l'histoire de son glorieux trespas ; j. j, . .| suis pourtant tôiisir»iirs |)Oussé de faire le rerit des * »* *■•  i82 Sermons recueillis mystères que nous célébrons, à cause des grossiers et simples auditeurs. Nostre Dame et très digne Maistresse, estant parvenue à l'aage de soixante trois ans, mourut ou plustost s'endormit du sommeil de la mort. Il s'en trouveroit assez qui s'estonneroyent, disant : Comment est-ce que Nostre Seigneur, qui aymoit si tendrement et si fortement sa sainte Mère, ne luy donna le privilège de ne point mourir ? Puisque la mort est la peine du péché, et qu'elle n'en avoit jamais fait aucun, pourquoy est-ce qu'il la laissa mourir ? O mortels, que vos pensées sont contraires à celles des Saints, que vos jugemens • Cf. Is., Lv, 8, 9. sont esloignés de ceux de la divine Majesté * ! Ne sçavez vous pas que la mort n'est plus ignominieuse, ains •Ps. crv, $. qu'elle est pretïeuse'^ despuis que Nostre Seigneur et Maistre se laissa attacher par elle sur l'arbre de la croix ? Ce n'eust point esté un advantage ni un privilège pour la Sainte Vierge de ne point mourir, ains elle avoit tousjours désiré la mort dès qu'elle la vit dans les bras et dans le cœur mesme de son très sacré Fils. La mort est si suave et si désirable que les Anges s'estimeroyent heureux de pouvoir mourir ; et les Saints ont esté heureux de la souffrir et y ont ressenti beaucoup de consolation, • Coloss., m, 4. parce que nostre divin Sauveur qui est nostre vie * s'estoit laissé en proye à la mort. L'on a accoustumé de dire que telle est la vie telle est la mort : de quelle mort pensez-vous donques que mourut la Sainte Vierge, sinon de la mort d'amour ? O c'est une chose indubitable qu'elle mourut d'amour, mais- je ne dis pas cecy parce qu'il est escrit. Elle a tousjours •Eccli., XXIV, 14. esté la Mère de la belle dilection* ; l'on ne remarque point de ravissemens ni d'extases en sa vie, parce que ses ravissemens ont esté continuel^ ; elle a aymé d'un amour tousjours fort, tousjours ardent, mais tranquille, mais accompagné d'une grande paix. Et si bien cet amour alloit sans cesse croissant, cet accroissement ne se faisoit point par secousses ni eslans, ains, comme un doux fleuve, elle alloit tousjours coulant, et presque imperceptiblement, du costé de cette union tant désirée de son ame avec la divine Bonté.  XXI. Pour la rfTE de l'Assomption 183 L'heure donques estant venue pour la très glorieuse Vierge de quitter cette vie. l'amour fit la séparation de son ame d'avec son cor]j lort n'estant autre chose que cette séparation. Sa trei» sainte ame s'envola droit au Ciel ; car qu'est-ce, je vous prie, qui l'en eust peu empescher, veu qu'elle estoit toute pure et n'avoit jamais contracté aucune souilleure de péché ? Ce qui nous empesche nous autres quand nous mourons d'y aller tout droit comme Xostre Dame, c'est que nous avons pres- que tous en nos pieds de la poussière ou des souilleures qu'il est nécessaire que nous allions laver et purger en ce lieu que l'on nomme Purgatoire, devant que d'entrer au Ciel. Les grans de ce monde font aucunefois des assemblées, et le plus souvent fort inutiles. Il leur viendra en fantasie de ne pas vouloir que le lieu de leur reunion soit clair, ains ils le veulent .sombre et ob.scur, et cela pour faire quelque balet, ou que sçay-je moy quoy, qui paroistra davantage en l'obscurité. Les chandelles et flambeaux apportent trop de clarté, partant il faut mettre des lampes nourries d'huile parfumée ; et ces lampes jettant des continuelles exhalaisons, donnent plus de suavité et de récréation à la compagnie. Or, ces lampes venant à s'esteindre, rendent une bien plus excellente odeur et remplissent la chambre d'une plus grande suavité. Nous trouvons en beaucoup de lieux de la Sainte Kscriturc ';:' les lampes représentent les Saints •, lampes qui ont je il hceli.. kxvi. ta; des continuelles exhalaisons de bons exemples devant * •• • • les hommes et qui ont esté tousjours ardentes du feu de l'amour de Dieu. O que ces lampes ont respandu des odeurs suaves devant la divine Majesté durant le cours de leur vie, mais beaucoup plus à l'heure de la mort. La mort du juste âst prftieuse devant le Set/rneur ^, * Via« p^.pnK«d. comme au contraire la mort des meschans luy est en horreur •. d'autant qu'elle les porte à la damnation. • p. ttt.n. si Or. si les Saints ont esté des lamf^t'S ardentes • et • Cmi.. uiu. ♦; odoriférantes, combien plus la très s^iinte Vierg»», la '***'*•''•>*• perfection de laquelle surpasse toutes celles des Bien- heureux; voire raesme si elles e^toyent toutes assemblées  1S4 Sermons recueillis en une, elles ne seroyent pas comparables à la sienne. Elle fut certes une lampe toute nourrie d'huile parfumée; quel parfum pensez-vous donc qu'elle jettast à l'heure de son glorieux trespas ? Les jeunes filles sont allées Gant.. 1, 2, ?. après elle à V odeur de ses onguens *. L'ame sacrée de nostre glorieuse Maistresse s'envola droit au Ciel, et alla respandre ses parfums devant la divine Majesté, laquelle la receut et la colloqua sur un throsne à la dextre de son Fils. .Mais avec quel triomphe, mais avec quelle magnifi- cence croyez-vous qu'elle fut accueillie de son Fils bien aymé en contreschange de l'amour avec lequel elle l'avoit receu venant en terre? Il faut bien croire qu'il ne fut pas mesconnoissant, ains qu'il la recompensa d'un degré de gloire d'autant plus grand au dessus de tous les Esprits bienheureux, que ses mérites surpassoyent ceux de tous les Saints ensemble. Le grand Apostre saint Paul, parlant de la gloire du Fils de Dieu Nostre Sei- gneur, fait un argument par lequel on peut bien entendre ilcb., 1, 3-7. le haut degré de celle de sa très sainte Mère. Il dit * que Jésus Christ a esté eslevé d'autant plus haut au dessus de tous les Chérubins et autres Esprits angeliques que son nom est relevé par dessus tous les autres noms. Il est escrit des An^es : Vous estes mes serviteurs et mes messagers ; mais auquel de ceux cy a-t-il esté dit : Vous estes mon Fils, je vous ay engendré ? De mesme en pouvons-nous dire de la très sainte Vierge qui est le parangon de tout ce qui est de beau au Ciel et en la terre : A laquelle a-t-on dit : Vous estes Mère du Tout- Puissant et du Fils de Dieu, sinon à elle ? Vous pouvez donques bien penser qu'elle fut eslevée au dessus de tout ce qui n'est point Dieu. L'ame très sainte de Nostre Dame ayant quitté son corps très pur, il fut porté au sépulcre et rendu à la terre ainsy que celuy de son E'ils, car il estoit bien raysonna- ble que la Mère n'eust pas plus de privilège que le Fils. Mais tout ainsy que Nostre Seigneur ressuscita au bout de trois jours, elle ressuscita de mesme au bout de trois jours; différemment néanmoins, d'autant que le Sauveur  XXI. Pour la fête de l' Assomption* ifts ressuscita de sa propre puissance et authonic, et Nostre Dame ressuscita par la toute p uissance de son Fils qui commanda à l'ame bénite de sa très sainte Mère de s'aller reunir à son corps. Il estoit certes bien convenable que ce corps très pur ne fust aucunement entaché de corruption, puisque celuy de Nostre Seigneur avoit esté tiré de ses chastes entrailles et y avoit reposé neuf moys durant. L' Arche de l'alliance dans laquelle estoyent les tables de la Loy * ne pou voit estre atteinte d'aucune corruptioD. * ni Rrg.. nu. 9; d'autant qu'elh» estoit faite de bois de cèdre <|ui e^^t inrry:nji)tiblo * ; combien estoit-il plus raysonnable que • Exod., «xv, 10. cette Arche en laquelle avoit reposé le Maistre de la Ix)y. fust exempte de toute corruption ? La résurrection de la très sainte Vierge est déclarée par ces paroles* : • il Par., ti, 41; Levei'Vou^ , Stu^ncur, vous, et V Arche de vostrc satii : juant à ces mots : Leve^-vous, ils font mention de la résurrection de Nostre Seigneur ; mais ceux qui suivent : et V Arche de vostre sanctifica- tion, se doivent entendre de celle de sa Mère. Quant h. nos corps, ils sont, le veuillons-nous ou non, réduits en poussière, et c'est le tribut que nous devons et qu'il faut <\ur nous payions tous à cause du péché que nous commismes tous en Adam. Tu es de terre et tu retour- neras en terre •. Les vers nous mangent et nous avons • G«n.. m, 19 ; tous sujet de dire aux vers : Vous estes mon père, vous "*" ' "**** '' estes ma mère •. • Job, «m. 14. Je ne sçay si vous aurez remarqué que le petit David, avant (ju'entreprendre la bataille contre Cîoliath, s'informa soigneusement parmi les soldats de? ce (jue l'on donneroit bien à celuy qui vaincroit et terrasseroit ce grand géant, ennemy des enfans de Dieu. On luy respondit que le roy avoit promis de f^randcs richc^^r^ à celuy qui seroit si heureux que de le surm* Mais cela n'estoit pas assez pour le cœur de David, qui estoit généreux et qui ne pensoit en rien moins qu'aux richesses. Aux richesses on adjousta l'honneur : Non .seulement, luv dit-on, ' v l'enrichira, mais // luy m donnera sa ^ lie en m.iria^;L-. il le rendra son gendre.  i86 Sermons recueillis et en outre, il a encores promis d' exempter ja^ maison •iReg.,xvii,2=;-27. de tribut*. ^°* Nostre Seigneur et Maistre venant en ce monde s'in- forma, comme son grand père David, que c'est que l'on donneroit à celuy qui vaincroit ce puissant Goliath, le •joan.,xii, 5i,xiv, diable,, que luy mesme appelle prince du monde '^ y à ^®" cause du grand pouvoir qu'il avoit avant l'Incarnation du Verbe. On luy fit la mesme response qu'à David : Le Roy enrichira celuy qui surmontera ce cruel Goliath. Et qu'ainsy ne soit, escoutez ce qui est dit par le Père éternel : Je le constitueray Roy et luy donner ay plein pouvoir sur tout ce qui est au Ciel, sur tout ce qui est en • Ps. II, 6-8; Heb., la terre *. Mais Nostre Seigneur n'eust pas esté content '• ^' si l'on n'eust adjousté : Le Roy a promis qu'/Z luy donne- roit sa fille en mariage. Or, la fille du Roy, c'est à dire de Dieu, n'est autre chose que la gloire. Nostre divin Maistre fut tousjours très glorieux, et posséda tousjours toute la gloire ; quant à la partie suprême de son ame, elle fut tousjours unie et conjointe inséparablement à la Diyinité dès l'instant de sa conception ; mais la gloire qu'on luy promettoit estoit la glorification cie son corps. Néanmoins il n'eust pas encores esté satisfait si l'on n'eust adjousté que sa maison seroit exempte de tribut. Or, quelle est la maison de Nostre Seigneur sinon la très sainte et virginale chair de Nostre Dame ? Elle fut donques exempte de tribut par les mérites de son Fils, c'est à dire, elle fut ressuscitée avant qu'elle eust aucu- nement receu de tare ni deschet dans le sépulcre. Que nous reste-t-il maintenant à dire sinon de voir si nous ne pourrons point en quelque façon imiter l'Assomp- tion de nostre glorieuse et très digne Maistresse ? Quant au corps, nous ne le pouvons point faire jusques au jour du jugement dernier, où les corps des Bienheureux res- susciteront glorieux, et ceux des reprouvés pour estre éternellement damnés. Mais quant à son ame qui s'en alla unir et conjoindre inséparablement à la divine Majesté, voyons comme nous pourrions l'imiter en cela. Il est dit en l'Evangile que Marthe, en la maison de laquelle entra Nostre Seigneur, s'empressoit et alloit  XXI. Pour la fhte de l'Assomptiom 187 deçà delà pour le bien iraiiter, tandis que Marte cstoit aux pieds du Sauveur, où elle escoutoit sa parole. Kt pendant que Marthe soipnoit pour nourrir le corps de son Maistre, Marie quittoit tout autre soin pour celuy de nourrir et sustenter son ame, ce qu'elle faisoit en escoutant Xostre Seig^neur. Marthe fut toucht'-e d'un petit trait d'envie. Il y en a extrêmement peu qui n'en ayent, pour spirituels qu'ils soyent ; et d'autant qu'on est plus spirituel, d'autant plus l'envie est-elle fine et comme imperceptible; elle fait ses actes si dextrement que l'on a prou peine de les remar- quer. Quand on loue quelqu'un et (|u'on reserve un peu de la louanj^e que nous savons (|ui luy est deûe, qu'est-ce qui fait cela sinon l'envie que nous avons de ses vertus ? Mais Marthe fait son petit coup et jette son petit trait d'envie par forme de joyeuseté. et cette cy est la plus fine. Maistre, dit-elle, permettez-vous que ma sœur ne m'ayde point et qu'elle me laisse tout le soin de la maison? commande^-luv qu'elle vienne m'ayder. Et Nostre Seij^neur qui est incomparablement bon, encores qu'il conneust bien son imperfection, ne la reprit pour- tant pas sévèrement, ains tout amoureusement, car cet Evanj^ile est tout d'amour. L'Kvang-eliste marque qu'il l'appella, disant : Marthe, Marthe, tu t'empresses de beaucoup de choses. Une seule est nécessaire ; Marie a choisi la meilleure part qui ne luy sera point ostée. Mais parlons encores un peu de ces petits traits d'envie que produit nostre amour propre, lesquels sont certes comme des petits renardeaux qui vont fracas- sant ci j^astant les vijynes^A^) Hscoutez des Relij^eux 'Ont., n, 1^ quand ils parlent de leur Institut, ils l'estiment tousjours au dessus de tous les autres : Il est vray, disent-ils, que cet Ordre dont vous parlez est de jurande perfection, mais le mien est tousjours quelque chose davantage. Oh, je ne parle pas de moy, ains .seulement de la grande perfection à laquelle l'on aspire céans. Prenez ^arde à  ( I / Lj lait* d« c«t «lioia «t Im lifSM i-i$, «1-99 d« U paf« il9 a* tt tro«v«nt pM dâttt Iw éditlont lûtérUtirM.  i88 Sermons recueillis vous, car en fin vous retournerez à vous mesme, je dis mesme sans vous en appercevoir. Un autre dira : Je suis misérable et ne puis rien faire qui vaille ; mais une telle prédication que je fis... et ne se feindra point d'avancer ces mots lors qu'on loue la prédication de quelque autre. Et ainsy, entendant qu'on loue quelqu'un, nous avançons quelque petit mot en passant à fin que l'on revienne à nous mesme. Retournons à Marthe qui s'empressoit. Certes, nous autres nous ne sçaurions rien faire sans empressement, ou pour mieux dire, sans avoir un grand soin quant à nostre homme extérieur. Il faut que nous sçachions qu'il y a deux parties en nous qui ne font qu'un homme : il y a l'homme extérieur et l'homme intérieur. Uhpmme intérieur tend tousjours à l'union avec la divine Majesté et fait les discours nécessaires pour parvenir à cette union. L'homme extérieur c'est celuy que nous voyons, qui regarde, qui parle, qui touche, qui gouste, qui escoute ; c'est celuy cy qui s'empresse en l'exercice des vertus lesquelles concernent le commandement de l'amour du prochain , tandis que l'homme intérieur prattique l'amour de Dieu. Ces deux hommes s'exercent ainsy en l'observance des deux principaux commande- mens, sur lesquels, comme sur deux colonnes, est fondée • Matt., xxM, 40. et accomplie toute la Loy et les Prophètes *. Les anciens philosophes ont dit qu'il faut regarder à la fin premier •Cf. s. Thora., i' qu'à l'œuvre * ; mais nous autres faisons tout au con- II*, qu. I, art. i ; et , . , ., . , ,, paisim. tr^^^^» ^^^ nous uous cmpressous a 1 exercice de lœuvre que nous avons entreprise, plusto^st que de considérer quelle en doit estre la fin. «^"^. ^,».-.— -^-^ Disons cecy un peu plus clairement. La fin de nostre vie c'est la mort ; nous devrions donques penser soigneu- sement quelle doit estre nostre mort et que c'est qui en doit réussir, à fin de faire correspondre nostre vie à la mort que nous desirons ; car c'est chose asseurée que telle est nostre vie telle sera nostre mort, telle est nostre mort telle a esté nostre vie. Voyons maintenant comme cet homme extérieur ne sçauroit rien faire sans un extrême souci, non pas mesme  XXI. PuUK LA FèTh DE L'AsSOMmON 189 la prattique des vertus. Ixs anciens qui ont fait le dénombrement des vertus en ont remarque une peuplade, et à la fin ils s*y sont encores trouvés court. Kntrons donc en cette économie des vertus pour rechercher si nous en pourrions point prattiquer sans soin et attention. Il faut avoir un grand soin pour la prattii^ue de la modestie. Voyez-vous cette personne qui a dessein de la pratiitiuer ? Elle commence à faire pacte avec ses yeux * qu'ils ne regarderont que pour les choses neces- • Job, ««n, i. saires et non point autrement; et pour cela elle leur fera comme aux esperviers que Ton chaperonne quand on ne leur veut pas donner le vol et à fin de les porter plus aysement sur le poing. Mlle en fait de mesme à ses yeux, car elle leur met leur chaperon naturel, qui sont les paupières, à fin qu'ils ne voyent que ce qu'il faut *. '^ï Tr.âttAm.dt Llle prend aussi un grand soin pour se tenir en une continuelle montion ne faut-il pas pour prattiquer la patience et pour ne |X)int eschappcr en la colère! Cassien escrit* qu'il ne suffit pas de fuir les occasions de parler • lottii..!. viii. c. et converser avec les hommes ; aussi n'est-ce pas le moyen d'acquérir la vertu que d'en éviter l'exercice, d'autant qu'il rapporte de luy mesme que, estant seul dans le désert, lors qu'il se levoit la nuit et qu'il prenoit son fusil pour allumer sa chandelle, si le caillou ne vouloit pas faire feu il se mettoit en colère et le jetloit contre terre*. •«;(//. ' -n, 11 faut certes un grand soin pour ne point protluire pp"^,. lys. * d'actes d'impatience; mais, o Dieu. pratti(|uer la vail- lance spirituelle, ne se laisser jamais descourager au bien, cela ne se peut faire qu'avec une grande attention pour observer la discrétion. J'en dis de mesme pour la constance, la persévérant <*, raffabilité, la prudence, la tcmpcximcc, et principalement pour la tempérance en ses parollrs. Quelles brides ne faut-il pas mettre à la langut* pour V * ' rir par les rues comme un cheval c*sim.ij>j)' t-i u.-iinft en la ni ■ " tlu pro- chain, voire mesme dan» sa vie, ou pour ... .^^\r*'r .i  ,Q0 Sermons recueillis contreroller, ou bien pour luy oster tousjours un peu de l'estime que nous sçavons luy estre deuë. lAlais quel remède, me direz-vous, pour ne pas avoir tant de soin, puisqu'il faut que je m'exerce en la vertu? O certes, ce soin, pourveu qu'il soit sans anxieté__et empressement, est très louable. Voicy néanmoins un remède pour vous délivrer de tant de sollicitudes : puis- que Nostre Seigneur dit qu'une seule chose est néces- saire, qui est d'estre sauvé, il n'est pas requis de tant multiplier les moyens pour l'acheminement de nostre •Cf. supra, p. 34. salut*, bien qu'il faille un acheminement à toutes choses. Je vous dis en un mot : ayez la très sainte charité et vous aurez toutes les vertus. Et qu'ainsy ne soit, escoutez •I Cor., XIII, 4-7. le grand Apostre * : La charité est douce, elle est patiente, elle est bénigne, elle est condescendante, elle est humble, elle est affable, elle supporte tout ; en fin elle comprend en soy toutes les perfections des autres vertus, mais beaucoup plus excellemment qu'elles ne 'Ci.Tr.derAm.de fout pas elles-mcsmcs *. L'amour n'a qu'un seul acte qui ^^teu, . ,cc.viu, gg^ ^g conjonction et d'union. Aymer Dieu sur toutes choses est le premier commandement ; aymer le pro- chain sur tout ce qui n'est point Dieu c'est l'image du •Matt., XXII, 37-39. premier commandement*. La très sainte Vierge, nostre glorieuse Maistresse, prattiqua l'un et l'autre de ces amours en la réception qu'elle fit de son Fils : elle l'ayma et le receut en qualité de son Dieu, et elle le receut, l'ayma et le servit en qualité de son prochain. Avoir l'un de ces amours sans •I Joan.,iv,ao,2i. l'autre, l'on ne sçauroit *. Aymez-vous parfaitement Dieu, vous aymez donques parfaitement le prochain. A mesure que Tun de ces amours croist, Tautre aussi croist ; de mesme, si l'un diminue, l'autre ne tardera pas à diminuer. Si vous avez l'amour de Dieu, ne vous mettez point en peine ni en souci de prattiquer les autres vertus, d'autant qu'il ne se présentera point d'occasion de vous y exercer que sans soin vous ne le fassiez ; je dis quelle vertu que ce soit : de patience, de douceur, de modestie, et ainsy des autres. Les lapins font des petits toutes les trois semaines ; Ton  XXI. Pour la fête de l'Assomption 191 trouve quantité de levraux, des mouches, à milliers, des moucherons sans nombre, mais des aigles extrêmement peu. L'elephante ne fait qu'un veau, qu'un elephanton ; la lionne ne fait jamais qu'un lion*. Ainsy l'exercice de 'Ci.Tr.dttAmM Marthe a quantité d'actes, mais celuy de Marie, qui est ""' ' '^'^ ' l'amour, n'en a qu'w;i seul, qui est, comme nous avons dit, de conjonction et d'union. Il semble que l'Assomption de Xostre Dame fut en certaine façon plus glorieuse et triomphante que non pas l'Ascension de Nostre Seigneur, d'autant qu'à l'Ascen- sion il n'y avoit que des Anges qui luy vinssent au devant, mais en l'Assomption de sa très sainte Mère le Roy des Anges y vint luy mesme. C'est pourquoy les trouppes angeliques s'escrioyent comme tout estonnées : Qtii est celle cy qui monte du désert appuyée sur son Bien-Aymé* f Par où nous pouvons entendre que • dnt., nit, 5. .si bien Nostre Dame montoit au Ciel comme estant toute pure, nonobstant sa pureté, elle estoit néanmoins appuyée sur les mérites de son Fils, en vertu desquels mérites elle entra en la gloire. lit tout ainsy (ju'il ne fut jamais veu tant de parfums dans la ville de Hierusa- lem comme la reyne de Saba en porta lors qu'elle alla visiter le grand roy Salomon, lequel en contreschange luy fit des presens selon sa grandeur et magnificence royale*, de mesme, dis-je, l'on ne vit jamais tant de 'lll Rcg .x.i.a.io. mérites ni tant d'amour portés au Ciel par aucune pure créature, comme la très .sainte Vierge y en porta à sa glorieuse A.ssomption. Hn contreschange dequoy, ce grand Roy éternel. Dieu tout puissant, luy bailla un degré de gloire digne de sa grandeur, comme aussi le pouvoir de distribuer à ses dévots des grâces dignes de sa libéralité et magnificence. Amen.  XXII SER:^rON POUR LE DIX-SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE Ci)'L\XinAXT AVEC L'ANNIVERSAII^E DE LA DÉDICACE DE L'ÉGLISE DE LA VISITATION 30 septembre 1618(1)  Miïgisfer, quod est mandatuin magnum in lege ? Ait illi Jésus : Diliges Domimim Deum tiium ex toto corde tuo, et in tofa anima tua, et in tota mente tua. Maisti'e, quel est le plus grand com- mandement de la loy ? Jésus luy respondit : Tu ay nieras le Seigneur ton Dieu de tout to7i cœur, de toute ton ame et de toute ta pensée. Matt., xxiî, 36, 37. Si j'eusse eu le temps, j'eusse parlé d'une certaine dédicace pieuse qui se fait par la fréquentation du temple, c'est à dire de l'église ; mais je ne parleray pour cette heure que de la dédicace du cœur, asseuré que je suis que les âmes pour lesquelles je presche maintenant y prendront plus de playsir. Or, d'autant que la dédicace de nostre cœur à la divine Majesté se fait par l'amour, je suivray mot à mot ce que Nostre Seigneur dit en  (1) L'allusion faite à TEvangilc courant prouve que ce sermon a été prononcé une année oîi le 30 septembre, anniversaire de la consécration de l'église du i'"" Monastère de la Visitation, se rencontrait dans la dix-septième semaine après la Pentecôte, Or, cette coïncidence a eu lieu en 1618 et en 1611, et comme le style de la Mère de la Roche est très reconnaissable dans la rédaction, on est fondé à conclure en faveur de la première de ces deux dates.  XXII. POL'R LE XYli' DlMASCHH APRES LA PEHTECÔTE IQ^ rEvaneile qui court cette semaine* à un docteur de la 'M^t .mi, )4.45; loy qui luy demanda quel estoit le plus grand com- Luc«, x, >7. mandement. A quoy nostre divin Maistre respondit : Tu aymeras le Seigneur ton Dieu d'un amour de dilection, de tout ton cœur, de toute ton ame, de tout ton esprit, de toute ta pensée, de toutes tes forces et en fin de tout ce que tu as et de tout ce que tu es. Premièrement je in'arreste sur cette parole : Tu aymeras Dieu d'un amour de dilection, c'est à dire d'un amour d'élection •. Il faut considérer toutes ces •Cf.s.Thom.MI*. auvtt. xivi. art. m. paroles l'une après l'autre parce qu'elles méritent d'estre cf. Tr dt rAm. et pesées au poids du sanctuaire •, pour la grande • Som., yu. jalousie que Nostre Seigneur tesmoigne avoir que nous l'aymions uniquement et parfaitement, autant que nous le pouvons faire en cette vie, ainsy que je diray tantost. Dieu veut estre aymé d'un amour d'élection. Il ne se contente pas. certes, d'estre aymé d'un amour commun, ainsy que nous faisons nos semblables, mais d'un amour d'élection, choisi et esleu entre tous les autres, en sorte que tous les amours que nous avons p)our les créatures ne soyent que des images en comparai.son de celuy qu'il veut que nous luy portions. Hé iJieu, n'est-il pas bien raysonnable que cet amour domine et tienne le donjon au dessus de tous les autres, qu'il règne et commande et que tout luy soit sujet ? Aymer le Seigneur d'un amour d'élection, c'est cela, c'est le choisir entre mille, comme l'Kspouse du Cantique des Canticjues • : Mon •C*oi.,v, lo. Bien-Aymé est beau U merveille, toutes sortes de per- fections sont en luy, je l'ay choisi entre mille, c'est à dire entre un nombre infini, pour mon Bien-Aymé et mon choisi. Or, quand ce vient à nostre choix d'eslire un objet pour le principal but de nostre amour, certes nous aurions grand tort de ne le pas chercher entre tous les sujets qui sont aymable», à fin de choisir le plus excellent. Mais diles-moy, de grâce, se peut-il rencontrer un objet plus excellent que la Divinité mesme? Ijiissant â part son incomparable beauté, considérons son indicible bonté qui nous a par tant et tant de façons tosmoigné  ic)4 Sermons recueillis qu'elle nous a3nne et désire infiniment que nous l'ay- mions. Qu'est-ce qui peut davantage esmouvoir nostre volonté à aymer que de se voir si parfaitement aymée ? 31ais de qui ? De Dieu mesme. Et qu'ainsy ne soit, les efFects de son amour le monstrent. O que ce comman- dement d'aymer Dieu est aymable ! • Calvin., Luther., Il y a certains fols et insensés * qui ont voulu soustenir ^rotrrl^l?3Tiiiu, qu'il estoit impossible de l'observer tant que nous serons c vm. art. ii. ^^ Cette vie, en quoy ils ont grandement erré, d'autant que Nostre Seigneur n'eust jamais donné le commande- ment à l'homme s'il ne luy eust donné quant et quant le pouvoir de l'accomplir. Mais, disent quelques autres, Dieu veut que nous l'aymions de tout nostre cœur, de tout nostre esprit, de toutes nos forces, de toute nostre pensée, et ainsy de tout nostre pouvoir : et comme donques le pourrons nous faire en cette vie, puisqu'il faut que nous aymions nos pères, nos mères, nos femmes et nos enfans ? Comment, nostre amour estant partagé, pourrons-nous aymer Dieu de toutes •Ci.Tr.de r Am.de uos forces '^ ? Cela ne se peut, dites- vous. O pauvres Dteu, 1. X, ce. m, ggj^g ^ q^g yous monstrez bien qui vous estes , et que vous avez des esprits , mais non pas pour pénétrer •I Joan., IV, r. les choses de Dieu*, ni les comprendre et connoistre pour telles qu'elles sont. Si Nostre Seigneur nous eust commandé de l'aymer comme font les Bienheureux là haut au Ciel, vous auriez quelque raj^son de dire que nous ne le pouvons pas, d'autant qu'ils l'ayment d'un amour ferme, stable et constant, sans interruption quel- conque ; ils le bénissent perpétuellement, et par ainsy ils .sont en un continuel exercice de leur amour ; ce que nous ne pouvons pas faire nous autres, car il faut que nous dormions, et pendant ce temps là nostre amour ce.sse son exercice. Il n'y a que Nostre Dame qui ait eu ce privilège de pouvoir aymer Dieu en cette vie sans interruption quelconque, car tandis qu'elle dormoit, son 'Cf.Cant,, V, 3. e.sprit ne laissoit pas d'agir et de s'eslancer en Dieu*. Mais quant à nous, combien de fois nous trouvons-nous en des distractions qui nous sont inévitables ! Nous pouvons voirement aymer Dieu d'un amour ferme et  XXII. Pour le xvii* Dimanche après la Pentecôte 195 invariable, mais non pas estre en l'exercice continuel do nostre amour *. \ca, Tr.d0rAm.de Pour aymer Uieu d un amour d élection il faut avoir nu. la volonté déterminée de ne conserver et ne reserver aucun autre amour qui ne luy soit sujet et sousmis, dcmeurans prests à bannir de nos esprits non seulement tout ce qui sera contraire, mais aussi tout ce qui ne servira pas à la conservation et augmentation de ce divin amour, qui est le seul digne du nom de dilection. I^ nom d'amour est commun à toutes les autres affections basses, terrestres et caduques, mais \o nom lî.' (îiîrrtion, jamais elles ne le méritent •. •Cf.Ibid.,l.I,c.nT. Et comment, me direz-vous, pourrons-nous faire pour satisfaire à ce divin commandement de l'amour de Dieu tandis (juc nous serons en cette vie, puisque vous asseu- rez que nous le pouvons accomplir selon le désir de la divine Bonté ? Il est vray sans doute, nous le pouvons, mais pour le vous mieux faire entendre je me serviray d'une similitude. Imaginez-vous, de grâce, de voir trois archers qui tous trois portent leur arc tendu pour tirer à tous rencontres selon la nécessité, et pour cela ils ont leur carquoy plein de sagettes. L'un de ces archers tient sa flèche en une main et son arc en l'autre, prest qu'il est de la poser sur la corde de son arc toutes fois et quantes qu'il en sera mesticr. L'autre porte non seulement son arc bandé, ains encorcs la flèche est tendue dessus, à fln cjue selon les rencontres il n'ayt qu'à la descocher. Mais le troisiesmc ne se contente pas de cela, ains il tire sans cesse la corde de son arc 4I .soy et lance continuellement ses sagettes dans le blanc où il vise. Ce n'est pas sans rayson, mes chers auditeurs, que les peintres peignent l'amour en archer, qui descochc incessamment des flèches dans le cœur des mortels pour les blesser et navrer de ses aymables traits. L'amour est tout suave quand il s'ap- plique à un objet digne d'estrc choisi entre miHe, comme nous avons dit ; car l'amour bas cl caduc (|ui s'attache à la créature au préjudice de r»'""'M?ur que nous devons à r.iniotjr «ïii f'rr. i!»Mir .111 < ...::... re <|u'iî soit  iû6 Sermons recueillis doux et suave, il est desaggreable à merveille et remplit le cœur de celu}^ qui le possède de trouble, d'empresse- ment et d'inquiétude. L'amour que le vulgaire des hommes porte à Dieu, s'entend les Catholiques, est semblable à ce premier archer que nous nous sommes représenté, car ils sont résolus de mourir plustost que d'offencer mortellement la divine iNlajesté en prevariquant ses commandemens. Ils tiennent tousjours l'arc de cette resolution bandé, prests à desco- cher la flèche de leur fidélité en tous les rencontres où il sera besoin de faire paroistre que l'amour qu'ils luy portent est le suprême entre tous les autres amours, faisant tousjours céder l'amour de la créature à celuy du Créateur, voire mesme celuy qu'ils ont pour leur père, mère, femme et enfans ; heureux qu'ils sont, certes, de conserver ceste fidélité à Dieu, car ainsy faisant ils l'aymeront suffisamment pour ne point entrer en sa disgrâce. Mais il y a des âmes plus nobles et généreuses qui, sçachans que la suffisance ne suffit pas en ce qui est •s.Bern.,Dediiig. d'aymer Dieu*, passent plus outre. Elles sont semblables *°' ^' à ce second archer que nous nous sommes imaginé, qui non seulement tient son carquoy plein de flèches et son arc tout prest pour tirer, mais il tire fort souvent, mettant le moins de distance qu'il peut entre chaque coup ; il n'attend pas la nécessité, ains il lance ses traits à toutes les apparences de nécessité. Ces âmes donques que je dis estre comparables au second archer, sont celles qui se retirent du commun du peuple pour mener une vie plus parfaite, soit qu'elles s'en séquestrent tout à fait ou non, et qui ne se contentent pas de vivre selon l'observance des commandemens de Dieu, mais passant plus outre, embrassent la prattique de ses conseils ; partant elles descochent le plus souvent qu'elles peuvent des traits et des sagettes dans le cœur de la divine Majesté par des eslancemens fervens et affectionnés de leur esprit. Par ainsy elles navrent et blessent ce Roy des cœurs, joxu Voigauro Vi ^omme luy mesme l'asseure quand il dit à son Espouse * : s«p«»»g. Ma mie, ma belle et ma colombe, tu m'as ravi le  XXII. Pour le xvh* Dimanche après la Pentecôte 107 cœur, tu m'as blessé et navrt* par l un de tes yeux et par l'un de tes cheveux qui pend sur ton col, c'est à sçavoir par l'une des pensées qui viennent du costé de ton cœur. Destourne tes yeux de dessus moy, luy dit-il ailleurs *, car tu m'as blessé. Pensez-vous que • Cip. n, 4. ce soit pour lu}' défendre de tirer ses sagettes qu'il parle ainsy ? O non, sans doute, c'est plustost pour la blesser reciprocjuement, car vous m'advouerez que c'estoit bien la blesser amoureusement, mais d'une ble^^seure néan- moins douloureuse, que de luy dire qu'elle destourne ses_)Y'wx de dessus luy. Cette seconde façon d'aymer Dieu est celle que nous pouvons exercer en cette vie et à laquelle nous devons tous prétendre ; car quant à la troisiesme, qui est repré- sentée par cet archer qui tire sans cesser, elle appartient aux âmes des Bienheureux qui jouissent de la claire veùe de la Divinité en Paradis. O qu'ils sont heureux de blesser continuellement le cœur très aymable de Dieu de leur amour, amour qui sera infini et immortel et lequel ne pourra jamais avoir d'interruption en son exercice sacré, parce qu'à mesure qu'ils descochent les traits de leurs affections la divine Majesté remplit leurs carquois de sorte qu'ils seront éternellement inépuisables. Vous entendez donc assez maintenant comme on peut prattiquer ce commandement. Il est vray, me direz- vous, mais est-ce assez aymer Dieu que se contenter de l'aymer comme ceux qui observent ses commandemens ? O sans doute, qui se contenteroit de cela sans désirer de l'aymer davantage, je veux dire sans avoir la prétention d'accroistre son amour envers la divine Honte, il ne l'aymeroit pas assez ; car n'avons-nous pas veu que la suffisance n'est pas suffisante? Kn effect, ce n'est pas icy comme aux dt que l'on a d'acquérir des honneurs et des richesses, parce que, en ces sortes de choses, rien ne sçauroit contenter ni assouvir la soif insatial)le de celuy W qui la suffisance ne suffit p.i^ Mais quant à l'amour divin, il ne faut jamais dire : C'est assez, j'en suis content, car celuy *•-»•* ^«f •'•- qui parleroit de la ftorte n'en auroit pas suffi.samment *. <• »•  iqS Sermons recueillis La Divinité ne peut estre suffisamment aymée que d'elle mesme ; c'est pourquoy nostre soif de l'aymer ne pourra jamais estre assouvie. Nous devons tousjours estre hale- tans et souspirans après cet amour sacré, à fin qu'il plaise à Nostre Seigneur nous donner un amour correspondant à celuy qu'il nous porte. Mais, o Dieu, considérons un peu quel est cet amour que le Seigneur nous porte et duquel nous sommes si chèrement a3^més. Remarquez, je vous supplie, combien le Sauveur a de grâce à nous exprimer l'ardeur de sa passion amoureuse, tant en paroles et en affections qu'en œuvres. En paroles, cela est très clair, car jamais il ne s'estendit tant à parler sur aucun sujet comme sur celuy de son amour envers nous et du désir qu'il a que nous l'aymions. Voyez combien il est jaloux de nostre amour : Tu aymeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton ame, de toute ta pensée, de toutes tes forces, de tout ton esprit et de tout ce que tu es, c'est à dire de tout ton pouvoir. Puis en son Sacrement il semble qu'il ne sera jamais assez content d'inviter les hommes à le recevoir, car il inculque d'une façon admirable le bien qu'il a préparé pour ceux qui s'en • Joan., VI, 50, 51» approcheront dignement./^ suis, dit-il*, le pain qui est s», 55. 5 • descendu du Ciel; quiconque me mange ne mourra point éternellement; Qui voudra boire mon sang et 7nanger ma chair il aura la vie éternelle ; Je suis le • Locjc, XXII. 15. pain de vie; et tant d'autres paroles. J'ay désiré, dit-il *, d'un grand désir de faire cette Pasque avec vous. • Joan., XV, 13. V\x\^, parlant de sa mort* : Nul n'ayme à'un plus grand amour que celuy qui met son am,e pour son ami, c'est à sçavoir qui donne sa propre vie. Et en cent et cent autres façons il nous exprima l'ardeur de son amour durant tout le cours de sa vie, et principalement en sa Mort et Passion. Ne vous semble-t-il pas, mes chères âmes, que nous ayons une très grande obligation à contreschanger autant que nous le pouvons cet amour sacré et incomparable duquel nous avons esté et sommes aymés de Nostre Sei- gneur ? C'est sans doute que nous le devons ; au moins  XXII. Pour le xvir Uimanuiii après la Pemtecôte 199 devons-nous avoir affection de lo faire. Aymer Dieu de tout nostre cœur, qu'est-ce sinon l'ayroer de tout nostre amour, mais d'un amour ardent ; et pour cela il ne faut pas aymer beaucoup d'autres choses, au moins d'une affection particulière. L'aymer de toute nostre ame. c'est occuper toute nostre ame en l'exercice de son amour. L'aymer de tout nostre esprit, c'est l'aymer d'un amour pur et simple. L'aymer de toute nostre pensée^ c'est penser en luy le plus souvent que nous pouvons. L'aymer de toutes nos forces, c'est l'aymer d'un amour ferme, constant et généreux, qui ne se laisse jamais abattre, ains est tousjours persévérant. L'aymer de tout ce que nous sommes, c'est luy abandonner tout nostre estre pour demeurer totalement sousmis à l'obéissance de .son amour. Mais vous seriez bien ayses de sçavoir comment vous pourrez connoistre si vous aymez Dieu ainsy que nous venons de dire. Je vay vous en donner des marques infaillibles. La première, si vous vous plaisez fort en sa présence, car vous .sçavez que l'amour recherche tous- jours la présence de celuy qu'il ayme. L'amour, comme dit le grand Apostre de la France •, tend à l'union : si • s o- que l'amour unit d'une union presque inséparable les ?^*iT. n xt. »ti. * cœurs de ceux (|ui s'ayment, (}uand l'amour est pur. car autrement nous n'en voulons pas parler. L'amour est un lien cl un lien de perfection *. c'est à dire qui ne se •Coio*» , m. 14. peut desfaire. Si vous aymez bien Dieu vous aurez un grand soin de rechercher sa présence à fin de vous unir tousjours plus avec sa divine Bonté, non point pour la consolation qu'il y a de jouir de cette présence, ains sim- plement pour satisfaire à son amour qui le désire ainsy ; vous rechercherez le Dieu de toutes consolations^ et 'iicor..!. î.. non pas les consolations de Dieu. Les amans cherchent tousjours de parler secrellement. bien (jue ce qu'ils ont à dire ne soyent pas des secrets ou chose» qui méritent d'estre tenues pour tels. De mesme en est-il en cet amour •acré^: la fidelle amante s'essaye par tous les moyen» •Ci.Tr.d*rAm éê possibles de rencontrer par tout son cher Bien-Aymé tout seul, pour luy lancer dans le cœur quel(|ucs traits  200 Sermons recueillis de sa passion amoureuse et luy rendre quelque petit tesmoignage de son amour, quand ce ne seroit que de luy pouvoir dire : Vous estes tout mien, et moy je suis toute •Cant.,n,i6,vi, 3. VOStre *. Une autre marque pour connoistre si vous aymez bien Dieu, est si vous n'aymez pas beaucoup d'autres choses avec luy, ainsy que j'ay dit (mais cela s'entend d'un amour fort et puissant) ; car vous sçavez que quand on ayme beaucoup de choses ensemble, c'est les aymer d'un amour moins fort et moins parfait. Nostre capacité d'aymer est petite tandis que nous sommes en cette vallée de misères, et partant nous ne devons pas laisser dissiper nostre amour, ains le tenir ramassé tant qu'il nous sera possible pour l'employer à aymer un sujet tant aymable comme est celuy dont nous parlons. Il faut voirement aymer quelque chose avec Dieu, mais d'un amour qui n'aille point de pair, ains soit tousjours prest à estre rejette entant que sa divine Majesté le désirera. La troisiesme et la principale marque que je vous donne pour connoistre si vous aymez bien Dieu est que vous aymerez aussi bien le prochain ; car nul ne peut dire en vérité qu'il ayme Dieu s'il hait le prochain, ainsy I Ep., IV, 20. que l'asseure le grand Apostre saint Jean *. Mais comme aymerez vous le prochain, de quel amour? Oh! de quel? de l'amour dont Dieu mesme nous ayme, car il faut aller puiser cet amour dans le sein du Père éternel, à fin qu'il soit tel qu'il doit estre. Mais encor, quel pensez vous qu'il soit ? C'est un amour ferme, constant, invariable, qui, ne s'attachant point aux niaiseries, ni aux qualités ou conditions des personnes, n'est pas sujet au change- ment ni aux aversions comme celuy que nous nous portons les uns les autres, qui pour l'ordinaire se dissipe et s'alangourit sur une mine froide ou qui n'est pas si correspondante à nostre humeur comme nous désirerions. Nostre Seigneur nous ayme sans discontinuation (je ne parle pas de ceux qui sont en estât de péché mortel, car le lieu où je suis ne le requiert pas) ; il nous supporte en nos défauts et en nos imperfections, sans néanmoins les aymer ni les favoriser : il faut donques que nous en  XXll. Pour le xvii« Dimanche après la Pentecôte 201 fassions de mesme à l'endroit de nos frères, ne nous lassant jamais de les supporter *, prenant bien garde •Coio*»., m, i). toutefois de ne favoriser ni aymer leurs imperfections, ains d'en rechercher l'extermination tant qu'il nous sera possible, ainsy que fait la divine Bonté. Mais Dieu nous ayme pour le Ciel, partant il ayme plus l'ame que le corps; de mesme devons-nous faire nous autres. Aymer le prochain pour le Ciel c'est luy procurer des grâces et des bénédictions par le moyen de nos prières, voire encores l'encourageant à l'exercice des vrayes vertus, tant par paroles que par exemples. Ainsy faisant, nous nous resjouirons davantage des dons que Dieu fera à leurs âmes, de sa grâce, des vertus et bénédictions célestes, que non pas des honneurs, richesses et biens caducs et périssables qui leur pourroyent arriver.  XXIII SERMON POUR UNE VÊTURE 9 octobre 1618 (i) { Inédit )  Pensant à ce que je devois prendre pour la cérémonie que nous allons célébrer, qui est de recevoir nostre Sœur la Prétendante au Noviciat, j'ay trouvé que ces paroles des Epistres de saint Paul, escrivant aux Ephesiens et Colossiens, viennent fort à mon propos : Soye^ renou- velles en justice et vérité ; despouillez-vous du viel homme pour vous revestir du nouveau en Nostre •Ephes., IV, 22-24; Seigneur Jésus Christ ^\ Il dit : Despouillez-vous des Rom.?xiu"'i4.' ^°' habitudes du monde et des affections d'iceluy. C'est le souhait que l'Eglise fait aux bénédictions, en mettant le voile aux vierges, comme nous vous dirons tantost en vous le donnant, ma très chère fille : « Le Seigneur vous veuille despouiller du viel hom,nae pour vous revestir • Coutumier et Di- du nouveuu"^. » Et cccy cst commc un avant propos de rectoire tour les Reiigieuies de la cc quc jc vcux traitter. •' ^^- ^^' Plusieurs entrent en Religion par divers motifs. Les uns par desespoir, ne sçachant plus que faire au monde ; le monde ne voulant plus d'eux, ils s'en viennent en ( I ) Bien que ce sermon ne fasse allusion à aucune fête, ce qui ne permet pas d'en préciser la date d'une manière absolue, diverses circonstances se réunissent en faveur de celle que nous lui attribuons. Il s'adresse à une seule prétendante qui est de « bonne mayson ; » et la manière dont il est parlé des « habitudes tant suivies au monde » donne à penser que cette prétendante est déjà d'un certain âge : or, la Sœur Marie-Aimée de Sacconnex qui appartenait à l'une des plus anciennes familles de Savoie, était âgée de trente-six ans quand elle reçut le voile des mains de saint François de Sales le 9 octobre 1618. (Voir l'Année Sainte, tome VIT, p. 572.)  XXIII. Pour use Vétl-re 203 Relieion. Oh leur intention n'est pas bonne *. Les autres 'Cf. ie« Entretieof XVII, XX. s'y viennent mettre de peur de l'enfer, craignant de se perdre s'ils demeurent au monde parmi les continuelles occasions de pécher et tant de malheurs et misères qui y régnent. Les autres viennent pour avoir le Paradis, parce qu'ils sçavent qu'on l'acquiert plus facilement en Religion où, séquestrés des fatras de ce siècle et vivant en rohser\ance, ils pourront plus facilement arriver au Ciel. Il y en a d'autres qui s'y enferment pour estre tousjours en repos avec Nostre Seigneur par le moyen de l'oraison, et y jouir des douceurs qu'il donne à ceux qui le servent : car, qui ne desireroit ces douceurs ? Toutes ces prétentions sont fort imparfaites et ne sont point dressées selon l'intention pour laquelle Nostre Seigneur a institué les Religions, qui est « pour s'unir plus parfaittement à Dieu »> et estre crucifié avec Jésus Christ au M mont de Calvaire*, >» pour vivre avec luy au 'Çonitit xxxilT. Ciel *, et se despouiller du viel homme pour se rfvestir • Rom , n, « ; Il du nouveau. Ceux qui viennent pour d'autres intentions *"* "' "* "* que celle cy se trompent grandement. Il n'y faut point venir pour avoir du bon temps, d'autant qu'il se faut mortifier en tout ce i\ quoy la nature pouvoit prendre du playsir au monde, renoncer à sa propre volonté pour suivre en tout celle des autres, renoncer à son propre jugement, surmonter ses inclinations, ses pa.ssions, pour se sousmettre parfaittement aux Supérieurs, en .somme se despouiller du viel homme, de nous mesme, de nostre chair, de nos habitudes que nous avons tant suivies au monde. I-es mauvaises habitudes nous sont demeurées après le péché de nos premiers parcns Adam et Kve, qui per- dirent la grâce originelle par la désobéissance. Mais despuis elle» se sont mesme enviellies, car l'on voit maintenant beaucoup plus de vanité qu'autrefois, plus d'avarice, plus de convoitise des playsirs mondains, plus d'ambition pour les honneurs et grandeurs*. Je me *Cf. I Ima., a. 1*. souviens qu'au temps où j'estois jeune garçon, l'on ne voyoit f>oint tant de pompe, les enfant . " t vcstus plus simplement; mais à celte heure il fuul i.mi «iCftpendre  204 Sermons recueillis de choses pour la vanité que rien plus ; les dames de Paris sont tousjours à songer à inventer de nouvelles vanités pour despendre le bien de leurs maris. Ainsy on vit au monde selon le viel homme. Qu'est-ce que vivre selon le viel homme ? C'est vivre comme les mondains : ils convoitent perpétuellement les richesses pour en avoir tousjours davantage, ils n'en sont jamais assouvis ; ils pourchassent les grandeurs à fin d'estre estimés par dessus tous ; ils suivent leur playsir brutal, sensuel et infâme, sans s'arrester ; veulent estre maistres d'un chacun et ne recevoir la correction de personne ; ayment leur propre chair et leurs commodités en tout. Voyla le viel homme que saint Paul dit qu'il faut cru- cifier, pour vivre selon le nouveau en justice et vérité. Le viel homme c'est nostre premier père Adam et nostre première mère Eve. Nous avons receu d'eux le péché et toutes les passions que nous avons : la colère, la convoitise qui nous fait désirer des biens, des hon- neurs ; l'amour à la propre estime, la tendreté sur soy mesme qui fait que l'on ayme tant la liberté et que l'on n'ayme pas la sujétion. Or, il faut mortifier tout cela pour venir en Religion, et prendre des habitudes toutes contraires au monde pour vivre selon le nouvel homme. On ayme sa liberté, et icy il se faut assujettir aux Règles, à l'obéissance et aux commandemens des Supérieurs. Au monde l'on ayme et chérit fort la propre estime, et en Religion il faut prattiquer l'humilité par dessus tout, car qui s'exerce bien en cette vertu il a bien tost toutes les autres. Nostre Seigneur l'a prattiquée souverainement et au suprême degré, car il n'y a créature au monde, non pas mesme tous les Saints ni tous les Anges ensem- ble, qui puisse atteindre à l'humilité de nostre Sauveur et Maistre. En Religion on doit vivre en une parfaitte chasteté, contraire à la liberté de la chair et du sang ; en une parfaitte pauvreté, contraire aux richesses et commodités dont le monde fait tant de cas ; mortifier son jugement, qui est une chose bien difficile, l'affection que l'on a pour son propre repos, l'ayse que l'on prend à l'oraison avec Dieu pour jouir de ses suavités.  XXIII. Pour une Véture 305 Encores que cette dernière prétention paroisse bonne, ce n'est pourtant pas l'intention pour laquelle les Reli- gions sont instituées : c'est à fin de servir plus parfait - tement à Dieu et se despouiller du viel homme pour se revestir du nouveau, car entrant en Religion il n'y faut point apporter les coustumes du monde. Saint Basile escrivant à Syncleticus*, qui de sénateur s'estoit •v»de»oprt,p.ij6. fait Religieux, il luy mandoit : O mon frère, qu'as-tu fait? « Tu as desfait un sénateur et tu n'as pas fait un Religieux. »> Tu n'es plus sénateur, car tu as quitté cette charge ; tu n'es pas bon Religieux, d'autant cjue tu vis avec les coustumes que tu as portées du monde. O ma chère fille, si vous voulez demeurer en Religion il n'y faut point apporter les mœurs du monde, mais vous despouiller du viel homme : de ces petites esmotions de colère que l'on ressent quand on nous reprend, car personne n'ayme la correction ; de ces tendretés sur nous mesme quand on nous contrarie, de ces larmes de compassion et ces petits ressentimens d'impatience aux contradictions qu'on nous fait sur nos humeurs et inclinations, de la propre estime de nous mesme, du désir d'estre estimé de bonne mayson et quelque chose de plus que les autres. Oh nous sommes tous esgaux, car nous sommes tous enfans de mcsme père cl de mesme mère, d'Adam et d'Eve; c'est donc une grande folie de se glorifier de sa race. Il se faut despouiller de tout cela. Ce n est ricii de quitter ces habits extérieurs que nous voyons pour pren- dre ceux de la Religion, si nous ne prenons les habitudes et les mœurs d'icelle. Combien a-t-on veu de personnes devenir saintes sous des habits de soye, de satin, de velours, de drap d'or? tesmoin .sainte Radegonde reyno de France, sainte Elizabeth reyne d'Hongrie, sainte Elizabeth reyne de Portugal, et tant d'autres; de manière que ce n'est rien de quitter ses habits extérieurs si on ne se rovest des nouveaux en justice et vérité. L'Eglise fait encores cette prière * : Dieu « vous veuille des- •Và4«Mipfâ,p.tot. pouiller du viel homme et vous r''^'renediction •. * Cf. «apra, p. 56. O que bienheureuses sont les âmes qui entrent en Religion à cette suprême fin, pour cueillir les fleurs des grâces de Dieu et jouir après de leurs fruits au Ciel ! Mais ceux qui sont venus pour d'autres motifs il ne faut pas qu'ils perdent courage, car on peut tousjours redres- ser .son intention, la bonifier et la rendre meilleure, pourveu qu'on se despouille bien du viel homme t comme nous avons dit, et qu'on prenne les habitudes de la Religion. Or sus, ma très chère fille, demeurez en paix, et vous reveste\ de V homme nouveau, ainsy que nous vous dirons en vous mettant le voile, et vous recevrez la bénédiction que rFglise donne à cette intention. Amen.  XXIV SERMON DE VÊTURE POUR LE LUNDI DE LA DIX-NEUVIÈME SEMAINE APRÈS LA PENTECÔTE 15 octobre 1618 (O (Inédit) L'histoire que la sainte Eglise nous présente pour nous servir de considération le long de cette semaine est une parabole que Nostre Seigneur proposa aux Juifs pour leur faire reproche de leur infidélité et de leur malice. Je diray courtement et en passant ce que contient l'Evan- • Matt., XXII, 1-14. gile *. Le Sauveur preschant dit que le Royaume des deux estoit semblable à un roy qui, voulant faire les noces de son fils, fit préparer un grand festin, lequel estant dressé, il envoya ses serviteurs aux invités pour leur dire qu'ils vinssent, d'autant que le banquet estoit prest ; et ils s'excusèrent. Le roy n'estant pas content de cela leur en manda d'autres, lesquels ne furent pas seulement rejettes et mesprisés par les conviés, mais ils furent esgorgés et mis à mort. Ce que sçachant, le roy fut fort fasché, et appellant à soy de ses gen- tilshommes il leur commanda de s'en aller par la ville et par toutes les avenues des chemins pour inviter ( 1 ) Le Manuscrit commet une erreur en donnant ce sermon de Vêture comme ayant été prononcé le Dimanche dans Toctave de la fête du Saint- Sacrement. Deux raisons se réunissent pour contredire cette assertion : d'abord les allusions faites à lEvangile ont trait à celui du xix' Dimanche après la Pentecôte; ensuite la prise d'habit de Sœur Jeanne-Marie de Fontany eut lieu, en 1618, le lundi qui suit ce Dimanche, tandis qu'aucune cérémonie semblable ne se fit à Annecy pendant l'octave du Saint-Sacrement, durant la vie de saint François de Sales.  XXIV. Lundi de la xix* semaine après la Pentecôte 209 tous les pauvres, tant malades que sourds-muets, boiteux, aveugles, bossus et contrefaits, sans en laisser un seul auquel ils no dissont : T.o roy vous prie de venir on son festin. Cela fait, les tables estans dressées dans une grande salle, et toutes ces pauvres gens estans assis, le roy vint pour voir Tordre de son festin ; et ayant bien regardé les invités, il arresta .sa veùe sur un pauvre misérable qui y estoit venu sans la robe nuptiale, n'ayant point changé son habit de tous les jours. I^ roy luy parla en ces termes : Ami y comment as-tu esté si impudent et inconsidéré que d'entrer en une compagnie si honnorable sans ta robe nuptiale? Et le pauvre homme ne répliqua rien ; // demeura muet y car il n'eut point d'excuse. Ce que voyant, le roy ordonna qu'il fust pris et lie pieds et mains et jette aux ténèbres extérieures. Puis la conclusion de cet Evangile est que Xostre Seigneur adjousta : Beaucoup sont appelléSy mais peu sont choisis. Voyla le contenu de la parabole, laquelle je ne m'amu- seray pas à expliquer selon le .sens littéral, parce qu'il regarde la prédiction que nostre divin Sauveur faisoit de la réprobation des Juifs et de l'élection des Gentils, qui, comme borgnes, boiteux, bossus et impotens, furent amenés au festin des noces du Fils du Roy par la pré- dication du .saint Evangile qui leur fut faitte tant par les Apostres que par Xostre Seigneur mesmc •. Je ne * «c«^, m'arrcsleray pas non plus au deuxiesme sens de cette parabole, qui regarde l'appel gênerai fait à tous les hommes pour les inviter à parvenir au festin royal de l'éternité, »i la semonce duquel néanmoins plusiours ne se veulent pas rendre. Les uns, comme les plus malheu- reux, ne refusent pas seulement d'y venir, s'excusans sur leurs affaires, mais ils mesprisent. rejettent et mal- traittent les inspirations que le Seigneur leur envoyé comme dos \w -rs célestes. Les autres, ne refusans pas du tout de venir aux nocen, di' ' néanmoins et disent que ce sera tantost ; et cos s.Mi« - «io gens courent la mesme fortune que les premiers, d'-mî.tnt iiu'iU no m 4  rai.SC  2 10 Sermons recueillis peuvent pas s'asseurer d'avoir le temps auquel ils se promettent d'aller à ce divin banquet. Le jour de demain • Cf. Prov., XXVII, i; est incertain * pour plusieurs qui l'ont choisi pour se Jacobi, IV, i^. convertir. Il seroit hors de propos de m'arrester sur ce sujet, et partant je passe au troisiesme sens de la parabole que je declareray un peu au long ; puis j'adjousteray quatre mots sur la robe nuptiale qu'il faut avoir pour aller au festin des noces de Nostre Seigneur. Et premièrement, je considère que ce festin auquel nous sommes invités par le souverain Roy de gloire, c'est le festin de la Croix, qui est dressé sur la montagne de Calvaire où se célèbre la solemnité des fiançailles de Jésus Christ avec nos âmes. Je dis des fiançailles, parce que la consomma- tion de nostre mariage éternel ne se fera qu'en l'éternité et en la possession de la béatitude, où nous serons telle- ment unis avec la divine Bonté que jamais nous n'en pourrons estre séparés. Mais tandis que nous demeurons en cette vie misérable, nous ne sommes que fiancés, et pouvons tousjours estre rejettes si nous manquons de fidélité à nostre Espoux, ce que nous faisons toutes fois et quantes que nous venons à pécher mortellement. Néan- moins, rien n'est si capable de nous rendre dignes de rejet que les défauts qui se commettent contre la charité. Mais, me demanderez-vous, comme osez-vous appeller le jour de la Passion jour des noces de Nostre Seigneur, puisque le jour où on célèbre des noces est ordinairement un jour de consolation, de playsir et de joye ? Il est vray ; mais ne pensez pas que ce soit moy seul qui dise cecy, ni de moy mesme, car sa divine Espouse le dit • Cap. m, ult. elle mesme au Cantique des Cantiques *. Elle avoit quantité de filles, cette sainte amante, qui consideroyent .soigneusement tous les traits de passion amoureuse que son divin Amant et elle s'entrecommuniquoyent , et partant elle s'escrie en cette sorte : O filles de Hieru- salem, hé de grâce, je vous supplie de mettre toutes la teste aux fenestres pour considérer mon Bien -Aymé ail jour de ^di joye, et voir la couronne dont sa mère Va couronné au jour de ses fiançailles.  XXIV. Lundi de la xix* semaine après la Pentecôte 2 1 1 Ces parolles de rHspouse sont entendues diversement par les Pères, car une partie d'iceux • disent que cette • s. Gr^?-^ v»e., couronne estoit la sacrée humanité de Nostre Seigneur, incjnt -^. .u.u); et que sa très sainte Mère la luy avoit donnée pour en •*"• orner le chef de sa divinité, lin quoy certes ils ont très grande rayson, car chacun sçait que la couronne est un ornement de teste et un ornement royal, mais pourtant beaucoup moindre en valeur que la teste qui la porte et qui en est parée. De mcsme, la très sainte humanité estoit beaucoup moindre que la divinité du Sauveur, mais néanmoins sa divine Majesté .s'est voulu servir de cette humanité .sacrée pour nous faire connoistre la gran- deur de sa sage.ssc, bonté et miséricorde * ; et par ainsy •Cf. P». eu. 4. elle a esté comme une couronne royale qui nous a fait comprendre en quelque façon, .selon nostre capacité, la dignité du chef qu'elle a environné et orné. Le reste des Pères* qui ont considéré les parolles de •TheoJ -r- l'Espouse tiennent que lors qu'elle invitoit ces filles de \^^xm\ h. Bcra., Sion à regarder la couronne de son Hien-Aymé, de »«fn»- " »n Epiph. laquelle sa mère [la Synagogue l'avoit couronne au jour de sa j'oye et de son allégresse, elle entendoit parler de la couronne d'espines qu'il portoit au jour de sa Passion. Mais si cela est, pourquoy dit-elle au jour de sa joye, puisque c'est au jour de sa douleur et de sa mort, ainsy que luy mesme le déclare : Mon ame est triste jusqucs à la mort*? Mon Dieu, qu'est-ce que ' s\»\\.,xxrt,j$. cecy, qu'emmi une si grande allégresse il se trouvast une si grande tristesse ! O certes, la tristesse et la joye ne sont pas incompatibles ensemble, de sorte qu'elles se pouvoycnt facilement rencontrer toutes deux en l'ame de Nostre Seigneur le jour de sa Passion. Nul ne doit douter qu'il n'y eust en son ame deux portions : l'une supérieure, qui embrassoit volontairement la mort pour satisfaire U la volonté divine à laquelle elle estoit par- faittemcnt unie ; l'autre inférieure, qui craignoit la mort et les ignominies de la croix : si que Tallcgresso et la tristesse avoyent toutes deux trouvé place en cette ame très sainte. L'iiiipouse parle du jour de lajoyc d" v-w> nî.Mi. \vm.''.  213 Sermons recueillis Vous sçavez que chaque chose se resjouit lors qu'elle produit son fruit ; si que l'on dit qu'au printemps la terre semble se resjouir, les arbres commençans à produire des fleurs qui sont des présages de la production des fruits. La •Ps. cxn,9; Joan., femme aussi se resjouit en la production de ses enfans*. *'''^' *^" Si cela est, qui peut douter que le jour de la Passion du Sauveur ne fust le jour de s,2ijoye et de son allégresse? car ne voyez-vous pas les fleurs qui sortent et commen- cent à bourgeonner autour de la Croix, présage certain des fruits que devoit rendre cet arbre de vie? je veux dire les mérites de cette mort, produisans les doux fruits de la salvation des hommes qui espereroyent en ces mérites? Que si la joye de la femme est de produire beaucoup d'enfans , combien de sujets de resjouissance Nostre Seigneur et Maistre eut-il au jour de sa Mort et Passion, puisque ce fut en iceluy qu'il fut fait Père de tous les enfans des hommes, et leur acquit la grâce pour cette vie passagère et la gloire pour la vie éternelle. Ce ne fut pas seulement le jour de la joye de nostre cher Sauveur, mais encores celuy de la joye du Père éternel, des Anges et de toutes les âmes des Bienheureux. Et comment celuy du Père éternel, puisqu'il voyoit mourir son Fils de la mort naturelle? Ne vous semble-t-il pas que ce fut plustost le jour de sa douleur que non pas celuy de son allégresse? Hé, non certes, mes chères âmes, il ne nous doit pas sembler ainsy. La rayson nous le monstre, puisque ce fut alors que Dieu rendit le fruit de sa justice, de sa charité et de sa miséricorde envers les hommes. Outre cela, quel playsir pensez-vous qu'il eut de voir son Fils attaché sur la croix pour obéir à sa divine Majesté? Chacun sçait le contentement que les pères reçoivent en l'obéissance que leurs enfans leur rendent ; et plus ceux cy se monstrent sujets et obeissans à leurs volontés plus aussi ils reçoivent de complaisance à les aymer. O Dieu, quel acte d'obéissance est celuy cy ! Quel excès de com- plaisance pour le Père éternel, lequel avoit desja dit au baptesme de Nostre Seigneur qu'il estoit son Fils bien •Matt, m, oit. aymé* ! Combien pensez-vous qu'il receut de conten- tement voyant qu'il luy rendoit le dernier et le plus  XXIV. Lundi de la xix' semaine après la Pentecôte 315 excellent tesmoignage * de sa souveraine dilection et • Joan., nW iafn. sousmission ? Quant aux hommes et aux Anges, nul ne peut douter que ce ne fust le Jour de leur joye par excellence au dessus de tous les autres. Uamour que Dieu porte aux Bienheureux en Paradis et que ces âmes bienheureuses portent à la divine Majesté est ce qui fait leur félicité. Je sçay bien que quelques docteurs tiennent que c'est la veùe de la Divinité qui fera cette félicité*; mais pourtant -Cf S.Thoni .IMI», l'un ne contrarie pas beaucoup à l'autre, d'autant que cette veûe sacrée est ce qui nous excitera à des ardeurs incomparables pour l'aymer. Partant, et la connoissance que nous aurons des grandeurs de Dieu, et l'amour que nous luy porterons et qu'il nous portera seront le sujet de nostre bonheur éternel. Cela estant ainsy, qui peut douter que le jour de la Passion de Nostre Seigneur et Maistre ne soit un jour de joye et de délices pour les Anges et pour les hommes, puisque c'est en iceluy qu'il a fait paroistre le grand amour qu'il nous portoit, comme il l'asseure luy mesme : Nul n'a plus grand amour que celuy qui met son anw, c'est î\ dire sa vie. pour celuy qu'il ayme •. •Joan., «r. %\. Mais, me demanderez vous, pourquoy dites vous que la Croix est un festin auquel nous sommes tous invités, sans en excepter pas un ? Hé, ne voyez-vous pas les mets délicieux qui nous y sont préparés ? Voyez et considérez de grâce la souveraine miséricorde que Dieu y présente aux hommes ; rcmaniuez, je vous supplie, que c'est là où nous sont préparés et offerts tous les secours nécessaires pour parvenir k la gloire. C'est assez pour ce point ; disons un mot de la robe nuptiale qu'il faut avoir pour venir dignement en ce banquet royal. Chose estrange ! la table du roy cstoit toute pleine, et cependant il n'arresta sa veûe que sur un seul, qui avoit esté si impudent que d'y venir avec ses habits de tous les jours ; il s'irrita contre cet homme et le fit jetter pieds et mains lit's aux ténèbres exté- rieures. Nous venons tous au festin de la Croix, car par la grâce de Dieu nims ospcrons d'esirc sauvés par  2 14 Sermons recueillis les mérites de Nostre Seigneur crucifié; mais le malheur est que nous n'y venons pas tous avec la robe nuptiale, de sorte que plusieurs en sont bannis et jettes dans les flammes éternelles. Mais qu'est-ce que cette robe nuptiale? C'est la très sainte charité, car ainsy les Pères l'ont déterminé ; c'est la charité, mais une charité ample, large et d'une grande estendue. Les robes de noces que l'on faisoit du temps de nos pères estoyent extrêmement amples. Lors qu'il fut question de conduire la belle et chaste Esther en la • Esther, xv, 4-7. présence du roy Assuerus *, elle fut revestue à la royale : on luy mit une robe si pesante qu'elle ne la pouvoit presque porter, si qu'il failloit qu'elle s'appuyast sur l'espaule d'une damoyselle qui marchoit devant elle, et après il y en avoit une autre chargée de porter la grande queue traisnante de la robe, laquelle estoit fort ample et toute diaprée de pierreries qui en augmentoyent le poids. Me voyci maintenant à ce que je voulois dire, et pour ne laisser plus vos attentions en suspens, je vous decla- reray que cette robe d' Esther représente fort bien la robe nuptiale de laquelle il faut que les âmes soyent revestues pour estre trouvées aggreables par le grand •Cf. Scrm.jamin- Assuerus, par nostre divin Sauveur*; mais principale- ica um, p. 209. j^gj^^ jgg Religieux et Religieuses qui luy sont présentées pour estre ses espouses et qui prétendent de parvenir à son lit nuptial. Je remarque premièrement qu'il faut que cette robe, c'est à dire la charité dont elles doivent estre revestues, soit une charité large et dans laquelle elles se puissent tourner à l'ayse. La charité des personnes du monde est si estroitte que rien n'y sçauroit entrer que la simple observance des commandemens de Dieu ; car quant aux conseils ils ne peuvent entrer en cette robe. Au contraire, celle des âmes religieuses est large, tout y entre; je veux dire tout ce qu'elles peuvent sçavoir qui est aggreable à leur Kspoux. Voyez, je vous prie, comme la différence des habits des filles du monde d'avec ceux des Religieuses monstre bien cecy. Premièrement les filles du monde portent des  XXIV. Lundi de la xix* semaine après la Pektecôti 215 robes qui les serrent et les ge«nent extrêmement, et cela pour faire voir qu'elles ont la taille belle ; folie qui les rend pour l'ordinaire incapables de rien faire, parce qu'elles en deviennent malades ou languissantes. Les Relig"ieuses au contraire sont vestues d'une robe large, qui puisse '• faire des plis estant ceinte*. »» I-es rol>es de 'Constit. xvii. ces filles du monde ont les manches larges et grosses du costé des espaules, mais au bout, devant elles, elles sont fort estroittes. Que représente cela, je vous prie, sinon qu'elles sont abondantes en parolles et ont fort peu d'œuvres? Oh, moy je suis une fille de bien et d'honneur; mais de bonnes actions qui soyent conformes à ces parolles, point, ou du moins peu. Quantité de bonnes affections de vivre dévotement ; mais d'effects, ils sont rares. Les manches des robes des Reli. ^ sont larges du costé des mains pour monstrer qii. .. - parolles ne suffisent pas, ains qu'il faut des œuvres ; elles sont larges en sorte qu'elles puissent tenir les bras croisés dedans •, • Ibid. pour monstrer que dès qu'elles ont fait quelques bonnes actions, quelques actes de vertu, il faut remettre la main dans la manche, c'est à dire il faut cacher cette prattique de vertu pour en éviter la louange, et ne vouloir qu'elle soit remarquée que de leur Lspoux auquel .seul elles désirent de plaire. Ijus filles du monde portent leurs cheveux esparpillés et poudrés, leur teste est ferrée comme l'on ferre les pieds des chevaux, elles sont plus empanachées et Ixîu- quetées qu'il ne se peut dire ; bref, elles portent quantité d'aflfiquets. Au lieu de tout cela, on donne un voile aux Religieuses, qui rejettent toutes ces vanités ; et do raesme que leur divin Kspoux est couronné d'une cou- ronne d'espines, comme estant le Roy des misérables, ainsy couvrent-elles leurs testes du voile d'abjection et du mespris non seulement de toutes les vanités, mais aussi d'elles mesmes, pour estre plus conformes A leur Hirn-Aymé. J'ay dit que la rol>e de la chaste Fsther estoit longue et traisnante, de sorte qu'il failloit que l'une de %c% fillen la portast après elle. Que |>ense2-vous que je veuille  2i6 Sermons recueillis signifier par cela? Puisque cette robe représente la robe nuptiale que nous devons apporter au banquet et festin de la Croix, il faut que nostre charité soit longue et traisnante, qu'elle soit persévérante jusqu'à la fin de nos jours. Les Religieux et Religieuses doivent avoir cette robe très grande, ce qui représente le bon exemple ; et ne se faut pas contenter qu'elle aille jusqu'en terre et jusqu'à la fin de leur vie, mais aussi qu'elle passe plus outre ; que l'odeur de leur sainteté charge celles qui viennent après elles, qu'il y ait tousjours une bonne brassée de leurs bons exemples propre à estre portée, par imitation, par tous ceux qui entendront parler d'elles. La pauvre Esther estoit fort chargée, si qu'il estoit nécessaire qu'elle s'appuyast sur une de ses damoyselles. Aussi faut-il que les âmes qui doivent estre présentées au Roy souverain par les attraits et inspirations célestes soyent appuyées sur l'espérance de participer aux mérites de la Mort et Passion de Nostre Seigneur ; car en s'appuyant sur leurs bonnes œuvres elles ne sçauroyent marcher ni le faire seurement pour parvenir au festin nuptial de leur très cher Espoux. Or cet Espoux divin requiert de nous que nous connoissions et reconnoissions que tout ce que nous pourrions faire ou souffrir en cette vie mortelle ne sçauroit estre capable de nous mériter les délices éternelles qu'il a préparées pour ceux qui •l$.,Lxiv,4;lCor., V aymeut *, si ces mesmes œuvres ou souffrances ne •joân.,xv, 4, 5. sont unies et conjointes avec les siennes *, lesquelles seules peuvent sanctifier les nostres et nous obtenir la jouissance de sa divine présence, jouissance qui fera nostre félicité en la gloire de la bienheureuse éternité. Dieu soit béni.  XXV SERMON POLR LA Fl^TE DE SAINT CAmE ET DE SAINT DAMIEN 27 septembre 1619 («)  Mes très chères Sœurs, ayant un mot à vous dire de la part de Nostre Seigneur, je ne puis vous entretenir plus utilement que de vous parler des médecins et des malades, puisqu'il est à mon propos à cause de la feste que nous célébrons aujourd'huy de deux f^rans Martyrs et médecins tant du corps que de l'esprit. Nous sommes tous malades ; la sainte I-!glisc est un hospital dans lequel il y a quantité do malades de diverses maladies, et le Sauveur est nostre souverain Médecin. Mais je ne veux ni dois entreprendre ce discours sans avoir jette le fondement de l'espérance que j'ay de vous dire quelque chose qui vous soit utile et proflfitable en l'assistance du Saint Ksprit, par l'intercession de la Sainte Vierge, luy présentant le Salut angelique. Ce grand Ouvrier duquel les ouvrages sont si parfaits, 6t à la création toutes choses si excellentes et si belles* * G«o.. 1. oii. qu'il n'y avoit aucune tache ni macule. Il créa les Anges en estât de justice et de grâce, quoy qu'ils en receurent chacun différemment, les uns plus, les autres moins selon leur rang; néanmoins tous en furent parfait<'nient {1)0 MMBOO ■ Hè préchi à U '. Jf Il-'ir^r, vr-uf ]tr Mint Praoçob d« S«1m Al d«a« cette ^ ion retour d, . <-n M-pt<-m- bn 1619. U dat« Ml préciU^ p«r rilkttoir* loédiu d« U Poodatioa da Mooattèr*.  2i8 Sermons recueillis doués autant qu'il estoit requis pour estre aggreables à Dieu et posséder la félicité et béatitude éternelle. Les hommes furent créés en estât d'innocence sans estre sujets à aucune infirmité et maladie. Mais dès lors qu'Eve • I Tim., n, 14. fut Séduite^ transgressant le commandement * et man- o-eant du fruit défendu, et qu'elle en eut fait manger à son mari, toute leur postérité a esté entachée du péché; car en fin nous avons tous esté piqués et mordus du serpent. Certes, il le faut confesser, et nous reconnoistre pour infirmes et malades à fin d'avoir recours aux médecins et aux remèdes. C'est la vérité que plus nous croirons et confesserons que nous sommes infirmes , d'autant plus tost nous serons guéris et rendus sains. Comme au contraire, si nous croyons que nous sommes sains, robustes et gaillars, c'est alors que nous sommes • Cf. I Cor., X, 12. plus mal et en plus grand danger*; car ceux qui sont malades et ne croyent pas l'estre, ne veulent point suivre les ordonnances du médecin ni prendre aucun médica- ment, pensans qu'ils n^en ont pas besoin, et partant ils ne guérissent point, ains viennent à mourir. Mais ceux qui croyent estre malades se sousmettent volontiers aux commandemens du médecin et à prendre tous les remèdes qu'on juge leur estre propres pour les guérir, tellement qu'ils sont plus facilement remis en parfaite santé. Il y a deux sortes de malades : les uns sont malades à la mort, et les autres sont malades d'une maladie lan- goureuse et traisnante; car on voit des personnes presque tousjours incommodées, elles ont tousjours quelque fer qui loche, mais pourtant il n'y a rien à craindre qu'elles fassent sonner les cloches. Ceux qui sont menacés d'apoplexie pensent estre pleins de santé, quoy qu'ils ayent la mort à la gorge, de sorte qu'ils ne veulent point de médecin ; néanmoins ils meurent apoplectiques. Si vous entrez en un hospital vous y verrez quantité de malades de diverses maladies ; vous en verrez de si affreux et si extrêmement mal qu'ils sont fort proches de la mort, quoy qu'ils en pensent estre bien esloignés. Il y a des âmes grandement malades et si chargées de péchés et d'imperfections qu'elles sont bien dignes de  XXV. Pour la fête des saikts Cômi et Damies 319 compassion, d'autant qu'elles sont en plus j^and péril, parce qu'estans pleines de ran^nn** - tion et de mille autres défauts, • nt néanmoins bien parfaites et bien saines et ne reconnoissent pas leurs maladies ; partant elles ne recourent point au médecin, croyans n'en avoir aucune nécessité, c'est pourquoy elles viennent à mourir de la mort éternelle La sainte Eglise est une boutique d'apothicaire, toute pleine de medicamens pretieux et salutaires, qui sont les saints Sacremens que nostre Sauveur et Maistre luy a laissés pour nous j^uerir de nos infirmités. Par le Sacrement du Haptesme nous sommes lavés et nettoyés du péché originel, nous rentrons en grâce avec sa divine Majesté et sommes rendus ses enfans bien aymés. Par le Sacrement de Pénitence nous recevons l'absolution de tous nos péchés tant mortels que véniels ; car encor que la confession regarde seulement les péchés mortels, .si est-ce que les véniels sont suffisante matière d'abso- lution, et il est très bon de s'en confesser. Par le Sacre- ment de r Eucharistie nous sommes unis et conjoins à la divine Bonté et recevons la vraye vie de nos âmes ; car ne sçavez-vous pas que le divin Sauveur a dit* : Celuy •Jo«n.,n, ^1,^,^9. qui me mange vivra éternellement ? Kn fin il en est de mesme des autres Sacremens qui en une certaine façon nous lavent tous de nos iniquités. Ce cher Sauveur et Amant de nos âmes voyant le danger où nous estions réduits à cause du perhé de nostre premier pcre Adam, vint par son amour ineffable ça bas en terre pour s'unir à nostre nature, et souffrir la mort à fin de nous donner la vie, nous laissant ses divins Sacremens comme des medicamens efficaces et pleins d'énergie pour nous guérir de toutes nos maladies et souilleures, si nous nous en approchons avec l'humilité, la révérence et l'amour requis. Mais ceux qui ne s'en approchent qu'une fois l'année, au temps de Pasque, par manière d'acquit et pour éviter le blasme, qu'ils ne pensent pas en rapporter aucun fruit. Il y a aus«ii d'autres âmes qui servent Dieu si langou- reusement cl négligemment t|ue c'est pitié; rllrs tombent  220 Sermons recueillis à tout propos en des imperfections et n'ont point de courage pour s'en relever. Nous devrions avoir honte d'estre si lasches à ce qui est de nostre devoir. Si ces • Apad Euseb.. anciens Pères, qui, à ce que rapporte Philon le Juif*, Ct\ supra, p. 50. est03^ent si fervens et zélés au service de leur Créateur et à travailler pour l'aggrandissement de sa gloire, s'ils venoyent maintenant parmi nous, ils seroyent honteux de voir que nous appellans Chrestiens nous le sommes si peu. Que veut dire, je vous prie, ce mot de Chrestien, sinon oint et embaumé, c'est à sçavoir que l'on se tient pour malade et infirme ? de sorte qu'il faut advouer que véritablement nous le sommes. Ne voyez-vous pas le grand Apostre saint Paul, tout ravi qu'il avoit esté jusqu'au troisiesme Ciel, confesser qu'il est infirme et •llCor.,xn,a,7-io. malade de corps et d'esprit*? Oyez-le s'escrier : Qui me ' Ronr» ^'". =■<• délivrera du corps de cette mortalité * .<* Que veut-il signifier de grâce, sinon : Qui me délivrera de mes maladies et infirmités ? Il y a deux sortes de maladies, celles du corps et celles de l'esprit. La maladie corporelle arrive quelquefois lors qu'il y a quelque desordre en nous, que les humeurs s'espanchent par tout le corps et que quelque humeur froide tombe sur le foie ; cela donne des douleurs d'estomach. De mesme, encores qu'il semble que ce soit marque de bonne santé d'avoir quantité de sang, néan- moins s'il y en a trop grande abondance, cela nous pourroit causer quelque maladie. La maladie de l'esprit est aussi causée par le desordre de nos passions inté- rieures, lors qu'elles ne sont pas bien rangées à leur devoir et sousmises à la rayson et à la volonté divine. Quand je considère le bonheur de ces âmes que Dieu a choisies de toute éternité pour les mettre en la sainte Religion, à fin de « vaquer » plus soigneusement à la purgation de leurs maladies et imperfections pour acque- itftutkms^" ^°° "^ '' ^^ perfection du divin amour *, » j'ay de la jalousie pour elles, d'autant qu'elles sont très particulièrement les espouses de l'Espoux céleste. Le grand saint Paul II Ep., XI, a. escrivant aux Corinthiens * leur dit : fay une sainte jalousie pour vos âmes qui sont espouses de Jésus  XXV. PofR lA P*TÏ DES SAINTS CÔME RT DaMI^S 33 1 Christ ; nuii ei juur je suis consume d ardeur et de désir de vous rendre purs et nets, sans aucune macule devant ses yeux *. Nous voyons par ces paroles que ce * Ephei., i, 4. grand Saint appelle toutes les âmes des Chrestiens géné- ralement, espouses de ce grand Dieu. Elles le sont, de vray ; mais il en est de Nostre Seigneur comme d'Assue- rus qui avoit un grand nombre de damoyselles en sa mayson, lesquelles estoyent toutes ses espouses ; néan- moins il y en avoit une particulièrement destinée au lit royal, et quand il failloit qu'elle comparust devant le roy, on la lavoit, parfumoit et ornoit d'habits fort pretieux, à fin qu'elle fust trouvée aggreable à ses yeux •. Certes, * Either, u. toutes les âmes chrestiennes sont espouses de nostre Sauveur et Maistre et sont créées pour participer à sa gloire ; néanmoins les Religieuses sont particulièrement destinées au lit nuptial de l'Kspoux céleste, car on ne sçauroit nier qu'elles ne soyent plus spécialement ses espouses qu'aucune autre des créatures. Elles sont en fin cette unique* ; c'est pourquoy il faut qu'elles taschent 'Cf. Ont., n. 7. s. de se laver, nettoyer et purifier, voire des moindres défauts qui les peuvent rendre dcsaggreables à leur divin Espoux à fin de paroistre devant luy toutes Ixîlles, toutes pures, candides et ornées des vertus qui sont plus À son gré. Les femmes du monde ayment voirement Dieu, mais leur amour est partagé, car elles ayment leur mari, leurs enfans, leurs moyens; elles désirent d'en acquérir davantage, tellement que leurs affections estans engagées en tant de choses, elles sont beaucoup diverties de la pureté de l'amour divin et sacré. Mais les âmes religieuses ont mille fois plus de facilité parce que leur amour n'est point partagé; elles le logent tout en leur céleste Espoux, qui est l'unique objet de leurs affections et prétentions, auquel elles se sont entièrement dédiées et consacrées pour estre siennes à toute éternité, sans reserve ni exception ; elles n'ont autre désir que de l'aymcr et de luy plaire et taschent d'anéantir leur amour propre pour faire vivre et régner l'amour de Dieu, car ce» deux amours ne peuvent compatir ensemble. L'amour propre  222 Sermons recueillis est si présomptueux qu'il veut régner ; l'amour divin si juste qu'il veut régner aussi, comme il est bien rayson- nable. Vous sçavez que deux roys ne peuvent subsister ensemble en un mesme royaume ; de sorte que nous devons renoncer et anéantir l'amour propre qui nous cause tant de mal, de troubles, d'inquiétudes et chagrins, pour laisser posséder nostre cœur au saint amour qui nous comblera de contentement, d'une paix et tranquil- lité nompareille. Regardons, je vous prie, nostre Sauveur en l'Evangile • Lucae, vi, 17-23. d'aujourd'huy * : il monte sur la montagne avec une grande multitude de peuple qui le suivoit^owr estre guéris de leurs maladies, car il sortait de luy comme une céleste liqueur qui guérissait ; tellement que les uns s'approchoyent pour le voir, d'autres pour V ouyr parler, d'autres pour toucher le bord de ses vestemens et d'autres pour odorer cette divine odeur à fin d' estre guéris. Considérez comme ce cher Sauveur de nos âmes voyant ce peuple s'escrie : Vene^ à moy vous tous qui estes chargés de maladies et d'infirmités, venez à moy, •Matt., XI, 28. et je vous gueriray *. Voyons quelle méthode il tient pour leur donner la santé. Lors qu'ils furent arrivés au sommet de la montagne il commença à les instruire, nous donnant à entendre qu'il faut que ceux qui veulent enseigner les autres montent premièrement à la mon- tagne de la perfection à fin que leurs enseignemens ayent plus d'efficace. Il leur parle donques ainsy, disant : Bienheureux sont les pauvres d'esprit, car le Royau- me des deux est à eux; bienheureux les débonnaires, car ils posséderont la terre; bienheureux ceux qui •Luc», VI, ao, 21; pleurent, car ils seront consolés : et ce qui suit*. Matt., V, 1-12. :7 T. Nostre Seigneur est tout au contraire du monde ; car les mondains ne tiennent pour bienheureux que les riches, parce qu'avec les richesses on fait tout ce qu'on veut. Dès qu'on voit un homme riche on dit incontinent : Il luy faut faire place, car c'est Monsieur ; et nostre cher vSeigneur dit : Bienheureux sont les pauvres d'esprit. Le monde estime bienheureux ceux qui rient, qui font des festins et qui prennent leurs playsirs ; et le  XXV. Poi'R lA FPTF r»f-^ MAINTS CAmP FT OAMfFM 22} Sauveur s'escne : iSicniuuretix ceux qui pleurent. Le inontie fait grand cas de ceux qui sont vaillans, qui tiennent bien leur courage contre leurs ennemis ; et Nostre Seigneur appelle bienheureux les doux et delx)nnaires. Les mondains se font gloire de ne point pardonner et faire miséricorde; et Jésus Christ enseigne : Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde, nous monstrant par là que si nous ne faisons miséricorde elle ne nous sera pas faite*. Le * Cf. Matt., vu. i. monde ne veut point rendre justice qu'à vive force. Une pauvre vefve à laquelle on la doit faire la demandera cent et cent fois avec tant d'instances sans la pouvoir obtenir ; l'on ne tient compte d'elle ni de luy octroyer .sa requeste, et partant elle endure une faim et soif extrême. Kn fin Nostre Seigneur adjouste : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, parce qu'ils seront rassasiés. Allez tant que vous voudrez par tout le monde prescher la pauvreté ; qui vous entendra ? Kxaltez tant qu'il vous plaira la sainte humilité ; à qui, je vous prie, la per- suaderez-vous ? Criez et recriez tant que vous pourrez que bienheureux sont les pauvres ; personne ne le veut estre pour tout cela, sinon ceux à qui le Saint Hsprit a donné le don de sapience, par lequel il fait gouster à leurs âmes la douceur qu'il y a au service de Dieu et en la prattique des vertus. * De .sorte que ces • vuu âmes religieuses revoivent mille suavités et contentemens \ parmi la pauvreté, la mortification et les exercices de la ' «.r us Religion, car c'est principalement à elles que ce divin Ksprit départ ses pretieux dons; partant elles ne * it rechercher (juc Dieu et la mortification de leurs j is en la Religion, car si elles y cherchent autre ch -^ n*y trouveront jamais la consolation qu'elles | i. Tous les anciens Père» donnent plusieurs méthodes pour acquérir la perfection. Ils disent qu'il y a la voye purgative, illuminativc et unitivc ; mais moy, pour abréger, j'ay tousjours accoustumé de dire qu'il ne faut que nous purger de nos imperf s, d'autant que c'est une chose infaillible qu'en de^^a•JlIlant de nous le vtcCi  224 Sermons recueillis • Vide Entretien la vertu y entrera. * Il nous faut donques avoir un grand cauiiul'fi.^iQ^aT.'^^' courage pour ne nous point lasser en ce travail, et une grande patience avec nous mesme , parce que nous aurons tousjours quelque chose à faire et à retrancher en nous. Certes , nous ne serons jamais parfaittement guéris que nous ne soyons en Paradis ; car si nous corrigeons maintenant un défaut , tantost il en faudra corriger un second, et puis il en viendra d'autres. Nous devons donques reprendre nostre cœur tout doucement et luy faire embrasser amoureusement tous les moyens propres à nostre avancement, taschant de nous orner de belles habitudes pour paroistre devant nostre céleste Espoux et luy estre aggreables. Les habitudes sont les habits de l'esprit comme les habits extérieurs le sont du corps. Helas ! je considère la fidélité que nous avons tous jurée à la divine Majesté aux saints fonts du Baptesme et comme il s'en trouve peu qui la gardent ! Voyez, je vous prie, ces deux Saints dont nous célébrons aujour- d'huy la feste, saint Cosme et saint Damien, lesquels subirent tant de tourmens et aymerent mieux mourir que de fausser la foy et lo3^auté deuë à leur Créateur, disant un petit ouy. Nous en devrions tous faire de mesme si nous estions tels que nous devons estre. Retournons maintenant à nos béatitudes et parlons un peu de la pauvreté d'esprit. Que pensez-vous que ce soit, la pauvreté d'esprit ? Ce n'est autre chose que la très sainte humilité, parce que la richesse d'esprit c'est la vanité, l'orgueil et présomption qui font que nous nous enflons et estimons estre riches, quoy qu'à la vérité •Cf. Apoc, m, 17. nous soyons très pauvres *. L'humilité nous est telle- ment nécessaire, que sans icelle nous ne pouvons estre aggreables à Dieu ni avoir aucune autre vertu , pas mesme la charité qui perfectionne tout, car elle est si conjointe à l'humilité que ces deux vertus ne peuvent estre séparées ; elles ont une si grande sympathie en- semble que l'une ne va point sans l'autre. Si vous me dites que vous avez la charité et que vous n'avez pas l'humilité, je vous respondray que vous mentez ; si vous  XXV. PoLk .A r. ir UKS SAINIb CÔME H L)AMlfcH 32Ç asseurez que vous avez l'humilité et que vous n'avez pas la charité, vous ne dites rien qui vaille. L'humilité est une petite vertu et la moindre de toutes en apparence, qui, de sa condition et nature, penche tousjours en bas parce qu'elle se cache et anéantit au fond de la terre et du néant ; la charité c'est la première, la plus excellente et la plus relevée, car elle embrasse Dieu, et néan- moins elle se veut unir à l'humilité avec laquelle elle est mariée. Lors que les mondains voyent une personne dévote ils disent incontinent qu'elle est sainte ; et si vous leur demandez : Pourquoy est-elle sainte ? Parce, vous res- pondront-ils, qu'elle demeure long temps aux églises, qu'elle recite quantité de chapelets et entend beaucoup de Messes. Cela est b<:)n ; mais encores, pourquoy est-elle sainte ? Parce qu'elle communie si souvent. Voyla qui est bon ; mais pourquoy encores est-elle .si sainte? Parce qu'elle jette tant de larmes en l'oraison. Cela est bon quand Dieu les donne ; mais que fait-elle encores pour estre si sainte que vous dites ? Klle donne souvent l'au- mosne. Hon, tout cela e.st bon ; mais a-t-elle de la charité et de l'humilité ? car si elle n'en a, je ne fais point d'estat de tout le reste ; .ses vertus ne sont que des fan- tosmcs et non des vrayes et solides vertus. Regardez cet Kvesque de l'Apocalypse ^ qui disoit en .soy mesme : •Cbieontra. Je suis riche et sçavant, je suis éloquent, je suis eslevé en dignité. Nostre Seigneur voyant sa présomption luy fit escrire une petite lettre par laquelle il luy mandoit : Tu penses estre riche, mais tu es ires pauvre, tu es misé- rable. [l\ y a des pauvres qui ne sont pas misérables parce qu'ils sont sains, forts et gaillars, de sorte qu'ils peuvent gaigner leur vie.) Plusieurs diront à Nostre Seigneur au jour du jugement : Seigneur, nous avons fait des miracles en ton nom, nous avons guéri les malades en ton nom, nous avons ressuscité des morts en ton nom. Ht nostre Sauveur leur rcspondra : Je ne vous connois points ouvriers d'iniuuitt'*. Vous avez, de vray. fait toutes •Mâti .vu. t». n. * ^ lu.» «.Il, »• ces choses l.'i en mon nom, mais non pas selon mon »•«■. III •%  226 Sermons recueillis nom ; c'est pourquoy/^ ne vous connois point, et vous • joan., xui, 8. n'aiwe^ aucune recompense m part avec moy *. En fin, mes chères Sœurs, vous voyez que sans l'humilité et la charité nous ne sommes rien. Cet Evesque avoit de vray des grans talens et richesses intérieures, mais parce qu'il n'avoit pas ces deux vertus et qu'il estoit enflé d'orgueil et de vanité en soy mesme, devant Dieu il est pauvre et vuide de tout bien. Si vous pensiez avoir la charité sans l'humilité vous vous tromperiez, car ce seroit faire comme celuy qui voudroit poser le couvert d'une mayson sans avoir auparavant fait le fondement et les murs ; il seroit certes un grand sot. La charité est le couvert et le toit de tout l'édifice de la perfection chrestienne et l'humilité en est le fondement, de sorte qu'elle vient en l'ame devant la charité pour luy préparer le logis. La sainte et vraj^e humilité fait que l'ame se tient fort rabaissée devant Dieu. Et non seulement devant Dieu, car cela est facile (il est bien aysé à une mouche de se tenir pour rien au respect d'un éléphant), mais devant les créatures; s'estimant la moindre et la plus imparfaite de toutes, elle s'anéantit, s'abaisse, se tient pour vile, abjecte et dénuée de tout bien. Non seulement elle se reconnoist pour telle en soy mesme, mais ce qui est plus parfait, elle veut, désire et se resjouit que tout le monde la regarde et traitte pour telle. Il y en a encores plusieurs qui se croyent misérables, imparfaites, viles et abjectes, mais celles qui veulent estre traittées pour telles sont rares. C'est cette humilité qui a fait enfuir du monde ces âmes religieuses pour s'aller cacher en la sainte Religion. Voyant qu'elles n'estoyent rien qui vaille et qu'elles ne meritoyent pas que le monde les regardast, elles se sont retirées pour estre estimées de luy viles et abjectes. • I Cor., IV, 13. Ne sçavez-vous pas que le grand saint Paul dit * que luy et les autres Apostres, parce qu'ils servoyent leur Maistre et mesprisoyent le monde, estoyent réputés des mondains comme les excremens du mondCy les ba- layeur es et peleures des pommes, qui sont des choses si viles et que l'on jette là ? Voyez comme il parle, ce divin  XXV. Pour la fête des satnts Côme et Damien 227 Apostre * : fay réputé toutes choses fange et ordure • Philip., m, g. pour gaigner Jésus Christ et sa bonne grâce. Ainsy, à l'imitation de ce vaysseau d'élection*, ces âmes reli- 'Act..», 15. gieuses ont réputé tout ce qui estoit au monde fange et ordure, car elles ont tout quitté : leurs parens, leurs richesses et les contentemens qu'elles pouvoyent espérer. pour se retirer dans le monastère à fin de gaigner Xostre Seigneur et sa bonne grâce en s'adonnant à la prattique de la sainte humilité, par laquelle elles se rendront dignes de recevoir les faveurs de leur divin Kspoux. C'est certes la première vertu qu'il faut avoir lors qu'on entre en Religion, autrement l'on n'y trouvera aucun contentement. On doit s'estimer vil, pauvre et vuide de tout bien, et y venir avec cette croyance que l'on n'est rien, que l'on ne vaut rien ; c'est pourquoy on se cache, comme ne méritant pas d'estre regardé de Dieu ni des créatures. Ix)rs que cjuelque personne de qualité entre en une mayson honnorable, les damoyselles qui y sont se vont cacher l'une deçà, l'autre delà, parce qu'elles ne sont pas parées .selon leur désir ; ainsy ces âmes religieuses s'enfuyent en la Religion, de peur qu'on ne les voye, parce qu'elles pensent n'avoir rien qui mérite (ju'on les regarde et qu'on tienne compte d'elles. KUes ont presque tousjours la veùe baissée en terre, pour voir d'où elles sont venues, pour s'anéantir et humilier. Klles sont bien au contraire de ces damoyselles du monde, lescjuelles pour estre bien accommodées, s'en vont enflées d'orgueil et de vanité, la teste levée, les yeux ouverts. desirans estre remarquées des mondains. Quand je vois que la plus grande partie des hommes ne respirent rien moins que l'humilité, (ju'ils la fuyent pour rechercher les honneurs, les charges relevées et les grandes dignités, qu'ils sont pleins de présomption et de superbe, mon Dieu, cela m'est insupportable ! Ht ne sçavez-vous pas, o mondains, que le mauvais riche * pour • l u », iti, 19 i>. s'estre enflé d'orgueil, comme il tesmoigna en mespriv.uU le pauvre I-azare, est maintenant aux enfers pour toute éternité ? Mais lors c|ue ces personnes du montle vont  228 Sermons recueillis un peu aux églises entendre la sainte Messe, qu'elles communient à Pasques et font quelque aumosne, elles pensent pour cela estre saintes, tellement qu'il ne faut plus que les canonizer et les mettre sur les autels. Sçavez-vous pas, pauvres gens, que puisque vous n'avez •I Cor., xni, 2,3. point de charité et d'humilité tout cela n'est rien'^'? D'où pensez-vous que viennent ces relasches et desor- dres de certaines maysons religieuses? C'est certes parce que l'humilité n'y est pas. Et pourquoy pensez-vous que l'humilité n'y est pas ? C'est parce que cette infortunée parolle tien et mien n'en est pas bannie; car dès que la communauté et pauvreté n'est pas observée, la présomp- tion et superbe y entre aussi tost, d'autant qu'il n'y a rien qui nous enfle tant que les richesses, par lesquelles nous avons dequoy dire tien et mien. La sainte pauvreté sert grandement pour nourrir et conserver l'humilité, parce qu'il n'y a rien qui nous humilie et abaisse tant que d'estre pauvre, de sorte que l'humilité est tenue fort à couvert par le moyen de la pauvreté et communauté. C'est pourquoy tous les anciens Pères et instituteurs de Religions ont tousjours tasché d'establir la commu- nauté de biens en leurs congrégations et monastères. •Ubi supra, p. 173. Voyez le grand saint Augustin* comme il veut qu'elle soit exactement observée, car il défend très absolument que l'on ayt « chose quelconque , pour petite qu'elle • Vide Constit. V. soit, » non pas mesme une épingle en particulier*, ains que tout soit en commun, en sorte que ce mot de tien et mien en soit entièrement banni; que les portions et tout le reste soit esgal autant que la nécessité le pourra permettre , parce qu'es Religions où toutes choses ne sont communes il y a des portions particulières. En fin la pauvreté n'y estant pas, il n'y a par conséquent point d'humilité, car ces deux vertus sont fort unies ensemble, l'une servant grandement à conserver et maintenir l'autre, comme j'ay desja dit. Il ne se trouve presque personne qui veuille estre pauvre, c'est pourquoy il y en a si peu qui soyent humbles. Le grand saint François aymoit uniquement cette vertu de pauvreté, et beaucoup plus qu'un amant n'ayma  XXV. Pour la fête des saints Côme et Damien 229 jamais son amante, et que le grand Alexandre n'ayma jamais ses richesses. Bienheureuses sont donques les âmes auxquelles Dieu a fait tant de miséricorde que de les avoir appellées à une Religion où la sainte commu- nauté est exactement obser\'ée, car elles ont certes plus de moyens et de facilité pour acquérir la très sainte humilité ; et partant, ayant l'humilité elles ont par con- séquent la vraye pauvreté d'esprit à laquelle est jointe et attachée la félicité éternelle, puisque Xostre Seigneur et Maistre la leur a promise disant : liienht'urcux sont les pauvres d'esprit, c'est à sçavoir les humbles, d'au- tant que le Royaume des cieux est à eux. Toutes les âmes religieuses sont en Testât de perfec- tion, quoy que pour cela elles ne soyent pas tousjours toutes en la perfection. Le grand saint \xy\iys roy de France n'estoit pas en Testât de perfection ; il estoit pourtant en la perfection et en un degré fort eminent et relevé, comme Ton sçait. Il importe peu qu'on soit en Testât de perfection ou non, pourveu qu'on soit en la perfection •. Helas ! voyez comme les mondains se com- 'Ct.tmtr^j sUVi* portent quaml ils veulent mettre quelques uns de leurs cTi.'* * ** * enfans en Religion : ils regardent pour l'ordinaire d'y mettre les plus laids, inutiles et contrefaits, quoy que Kosire Seigneur veuille tousjours le plus beau et le meilleur, comme il est aussi raysonnable de le luy donner. Et pour(|uoy font-ils cela ? Parce qu'ils tiennent les Religieux comme les excremens, halaycures ci peleures de pommes •. Mais en fin ces âmes estans ainsy repute*es 'Vidctopra.p t»é du monde, elles sont aymées et chéries de leur lispoux céleste, aux yeux duquel elles sont trouvées aggreables par le moyen de leur humilité et charité, par lesquelles vertus elles s'unissent à luy. Or, pour abréger et réduire tout en un seul point, je désire de vous donner une méthode par laquelle vou« pourrez facilement mettre en pratticjue tout ce que nous avons dit cy dessus, (.'est qu'il vous faut crnt et cent fois la journée toucher Nostre S«'i"î'''ir rrurifié. Toucher une choïie avec la main, qu'est « ii appliquer la main k cette chu.se ? De mesmc, toucher une chose avec Tc»prit  230 Sermons recueillis c'est y appliquer son esprit : je veux donques dire qu'il nous faut appliquer nostre esprit à voir et considérer Nostre Seigneur crucifié. Si nous touchons son chef, nous trouverons sa teste couronnée d^espines poignantes, qui sont entrées dans icelle et en font sortir et ruisseler abondance de sang qui descoule au long de son divin visage. Si nous touchons ses mains sacrées, nous les trouverons percées de gros clous. Si nous touchons son pretieux corps, nous le trouverons tout meurtri, noir et couvert de playes, par lesquelles de tous costés il verse •ljoan.,i,7;Apoc., son sang pour nous laver de nos iniquités*. Si nous '' ^' touchons son cœur, nous le trouverons tout enflammé et embrasé d'un amour incomparable envers nous, sa divine • Lucae, xii, 49. poitrine toute consumée de l'ardeur de ce feu * de nostre Sauveur et Maistre. En fin, touchant cet amour infini, comme se pourroit-il faire que nous ne l'aymassions réciproquement ? Comment pourrions-nous toucher et voir son humilité extrême, sans nous humilier et nous anéantir nous mesme? Touchant sa patience, douceur et bénignité, nous deviendrons patiens, doux et bénins. En fin, si nous touchons Nostre Seigneur crucifié ça bas en terre, nous toucherons éternellement ce grand Dieu glorifié là haut au Ciel, où nous conduisent le Père et le Fils et le Saint Esprit. Amen.  XXVI SERNfON POUR LA F^.TE DE LA PRÉSENT ATInN DE LA SAINTE VIERGE 21 novembre 1619 (<) L'Evanjsrile que la sainte Fglise nous propose en la feste d'aujourd'huy * est composé de deux parties qui • Luc», »., tendent toutes deux à la louange de la très sainte Vierge, de laquelle nous célébrons la Présentation au Temple. I^ première est que Nostre Seigneur preschant. une femme se prit à crier tout haut, luy parlant en cette sorte : Bienheureux est le ventre qui Va porté et les mammelles que tu as succécs. A quoy il respondit : Bienheureux sont ceux qui oyent, qui escoutent la parole de Dieu et la f^ ardent. Kt cecy est la dernière partie, sur lacjuelle je m'arresteray principalement parce qu'elle est plus à la gloire de la très sacrée Vierge. Nostre divin Maistre nous le donne à entendre par la réplique qu'il fit à cette femme, car si bien la première louange estoit inspirée par le Saint Esprit mesme, elle estoit néanmoins prononcée par une créature. .Mais comme si le Sauveur eust voulu enchérir et non p.is diminuer la louange que Ton rendoit k sa très sainte (i)Q fixer U .: • J« Ti«ot da mood«, • doooeot à p«OMr qo'll l'a prêcha en 1619, aprèt MB retour de Parit. Le " ' ,u •%% bien celai il* la Mère CU«d*-Af«èt à» La Roche, appaie ce tbéte. L'Miteor de 164) t'eat permit de Aiaioooer ce acrmoo avec celui qui avait M proaoAci po«r la aUoM f^te tn 1617 (voir ci-deva^* ' ' f« éê CM daas ptè cw •■ ceaipoU ataef biiarre pour y reconnaître le genre de notre Saint. Certain* puMgea du Manuscrit «ont t9%%.^ - ' m; lit te trouvent p. an. 11. i^io; p. >H, II. ^||; p. •!%, H < p. 3 I»; p. i)S, 11. 1^19; p. aï9. II. 1-4.  2'Î2  Sermons recueillis  Mère, il poursuit le cantique d'honneur qui estoit entonné •Vid.Raban.Maur., par Sainte Marcelle* à la faveur de Nostre Dame, disant : Magd.,'^c.^xi. ^^^^ Il est vray, mais plus heureuse encores est-elle d'avoir escouté la parole de mon Père et de l'avoir gardée. C'est un honneur très grand sans doute de rn'avoir porté dans son ventre et nourri du lait descoulant de ses mammelles, moy qui suis la pasture des Anges et •Cf.ProsamLauda des hon^ï'^''^^ ^^ haut en la gloire céleste*; cependant Sion, sub finein. , ^ ^ , o .v-.-^.,.. , , . , cela n a pas este le londement de sa béatitude, ains d'avoir tousjours esté obéissante à la volonté de mon Père. La félicité n'est pas attachée à la dignité ni donnée selon icelle, ains selon la. inesjij;:e.. de l'union que nous avons avec la divine volonté; de façon que si l'on pouvoit séparer la dignité de Mère de Dieu d'avec la parfaite sousmission qu'avoit la très sacrée Vierge à sa sainte volonté, elle auroit eu le mesme degré de gloire et la mesme félicité qu'elle a maintenant au Ciel. Or, cela soit dit comme en passant. Nostre Dame a eu trois grans privilèges au dessus de toutes les pures créatures : le premier est qu'elle a tousjours esté très obéissante à la volonté de Dieu, c'est à dire à sa parole, et cela dèsj'instant ^e, sa sans jamais varier ni discontinuer, non pas mesme un seul moment. Elle ne fut jamais sujette au changement et ne peut jamais se desprendre de cette première union et adhésion qu'elle fit alors de sa volonté avec celle de Dieu. Cette faveur ne fut accordée à nulle autre pure créature, non pas mesme aux Anges, car ils peurent changer et se départir. .^de_lâ.^xace qu'ils avoyent receûe de la divine Majesté à leur création. Qu'ainsy ne soit, la cheute de Lucifer et de ses adherens le monstre assez. Et quant aux hommes, qui peut estre homme et ignorer qu'il ne soit changeant et variable ? L'expérience s'en fait tous les jours en nous mesme. Q^uel est celuy qui soit tousjours d'une mesme humeur? A cette heure nous voulons une chose, tantost nous ne la voudrons plus, mais nous en désirerons une autre ; dans peu de temps nous sommes joyeux et puis tristes, en somme ce n'est qu'un perpétuel changement.  XXVI. PoUk LA FÊTE DE LA PrÊSENTATIOW 3)) Nostre Dame ne peut jamais descheoir de la première grâce qu'elle receui de la souveraine Majesté parce qu'elle alla tousjours adhérant à la divine volonté, si qu'elle meritqit sans cesse de nouvelles grâces; et plus elle en recevoit, plus son am» iidoît capable d'adhé- rer à Dieu, en sorte qu'elle s'unissoit plus que jamais et affermissoit sa première conjonction avec luy. Si donc on peut trouver du changement en la très sainte Vierge, ce n'est que pour s'unir davantage et croistre autant qu'il se pouvoit en toutes sortes de vertus pour rendre invariable la resolution cju'elle avoit faite d'estre toute à Dieu. Pour cela elle voulut se retirer au Tomnle, non qu'elle en eust besoin pour elle mcsme, a. ur nous enseigner que nous autres estans sujets au chan- gement, nous nous devons servir de tous les moyens possibles pour bien affermir et conserver nos bonnes resolutions tant intérieures qu'extérieures. Quant à elle, il suflfisoit, pour persévérer en son bon propos, qu'elle se fust donnée à Dieu dès le premier moment de sa vie, sans qu'elle eust besoin pour cela de sortir de la mayson de son père ; elle n'avoit rien à craindre «jue les objets extérieurs la peussent jamais divertir ; mais, comme une bonne Mère, elle nous vouloit enseigner que nous ne devions rien négliger pour bien asseurer nostre r. /i, ainsy que saint Pierre nous exhorte*. Ml Ep., i, lo, 1^ Sainte Vierge eut l'usage de rayson dès_ l'instant de sa ion, et au mesme instant elle vit comme la divine liuiiic ia préserva du précipice d\\ péché originel, où elle alloit tomln'r si sa main toute puissante ne l'cust retenue. Pour reconnoissancc de cette grâce, elle se dédia et consacra dès lors si absolument à son srrvice, que la parole qu'elle donna à la divine Majesté fut irré- vocable. Mais nonobstant cela, elle tint l'espace de trois ans sa resolution close et couverte sous les apparences de l'enfance. Je dis .sous les apparences, parce qu'en effect elle n'estoit point enfant, ains ayant l'usage de rayson, elle menoit une vie purement contemplative ; c'esloil un si sage enfant qu'il ne s'en peut jamais imaginer un semblable, excepte son 1 i^»- ^ien ayme. hstant p.irv«Muii»  334 Sermons recueillis à l'aage de trois ans, elle fut apportée une partie du chemin dès Nazareth en Hierusalem, et l'autre partie •VideS.Antonin., elle y vint avec ses petits pas. On rapporte * que c'estoit ^^vr'^'îT' ^'^ ' chose belle à voir comme elle montoit joyeusement les quinze marches du Temple. Nous voicy en la seconde partie de nostre discours. Saint Joachim et sainte Anne la portoyent vrayement pour satisfaire au vœu qu'ils avoyent fait à Dieu de la luy^offrir dans son Temple ; mais cette bénite Enfant y venoit aussi poussée de sa propre volonté, et, bien que pour se tenir dans les bornes de l'enfance elle ne l'eust point manifestée, l'heure néanmoins luy tardoit fort de se voir absolument toute consacrée au service de la divine Majesté. Elle venoit avec un cœur nompareil se donner à Dieu sans reserve, et semble que si elle eust osé, elle eust dit volontiers aux bonnes dames qui eslevoyent ces filles qu'on dedioit au Seigneur dans le Temple : Me voyci entre vos mains comme une boule de cire, faites de moy tout ce que vous voudrez, je ne feray nulle rési- stance. Aussi estoit-elle si maniable et sousmise qu'elle se laissoit tourner à toute main sans jamais tesmoigner nulle volonté de cecy ou de cela, se rendant tellement condescendante qu'elle ravissoit en admiration. Elle commença dès lors à imiter son Fils qui devoit estre si sousmis à la volonté d'un chacun, que si bien il estoit à son pouvoir de résister à tous, il ne le voulut pourtant jamais faire. Au commencement de sa Passion il monstra sa toute puissance lors que, comme lion de •Apoc, V, 5, la tribu de Juda *, il se prit à rugir cette parole : Ego sum, c'est moy, quand les Juifs le cherchant, il leur demanda : Qui cherchez-vous ? Ils luy respondi- rent : Jésus de Nazareth. C'est moy, dit-il ; et par ce • joao., xvin. 4-6. mot il renversa tous ses ennemis par terre *. Mais soudain, les ayant fait relever, il cacha derechef sa toute puissance sous le manteau d'une sainte mansuétude et debonnaireté ; si que dès lors ils l'empoignèrent et le conduisirent à la mort sans que plus ils vissent en luy •If.,uii,7-jerem. ^^^une résistance, leur permettant de non seulement le "• '9- tondre comme un doux aignelet*, mais encores de luy  XXVI. Pour la fête de la Présemtatiom 335 oster jusqu'à sa propre peau. La sacrée Vierge prévoyant tout cecy, se sousmet sans reser\'e quelconque, se donne et s'abandonne totalement à la merci de la divine volonté. C'est icy le second privilège qu'elle a eu au dessus de toutes créatures, car jamais nulle ne se donna si parfai- tement et absolument qu'elle à la divine Majesté. HUe obéit plus parfaitement à la parollc de Dieu que nulle autre, aussi se donna-t-elle plus absolument h luy que nulle autre. Qui donne tout ne se reserve rien. Mais qu'est-ce, je vous prie, que nous donner tout à Dieu? C'est ne se reserver aucune chose qui ne soit pour Dieu, non pas mesme une seule de nos affections ou de nos désirs. Et qu'est-ce que Dieu demande de nous ? Escoutez-le, de grâce, ce sacré Sauveur de nos âmes : Mon enfant, donnC'fn ny tQt\ mv.ur •, va-t-il répétant à un chacun • ProT., xzm. tk. de nous. Mais, me dira-t-on, comment cela se peut-il faire que je donne à Dieu mon cœur qui est tout plein de péchés et d'imperfections? cQnimeot p*)urroit-il luy estrc a gjfr ea- ble, puisqu'il est tout r.iî>t.li ^g dcaobci'-'' "^' ''s à ses volontés? Hé, pauvre i •*, de quoy i hcs-lu ? pourquoy refuses-tu de le luy donner tel qu'il est ? N'entens-tu pas qu'il ne dit point : Donne-moy un cœur pur comme celuy des Anges ou de Nostre Dame, mais : Donne-moy ton cœur ? C'est le tien propre qu'il demande; donne-le tel qu'il est. Car, helas! ne sçavons- nous pas que tout • entre ses mains diyijOLCS csL^iuvcrli r . .1 .- i un Lui'ur est-il de terre, •Cf. Eo. de boue ou de fangt», \\v • r.iins point de le remettre entre «% les mains de Dieu ; quand il créa Adam il prit bien un peu de terre et puis il en fit une .inw v::\jnte^. As-tu •G«o. n.7. un cœur lion ? donne-le tel qu'il i ce que la divine Ik)nté demande. Il ne veut sinon ce que nous sommes et ce que nous avons. Kn l'ancienne Loy Dieu avoit ordonné qu'un chacun visitast son Temple, mais il défendit que personne n'y vinst les mains vuides*, ni pauvre» ni riches. î' »nt il '" ne vouloit pas <|ue tous fissent une esgale ofii.in.ji-. car il vouloit que les riches, comme opulens, offrissent selon  236 Sermons recueillis • Levit.. XII, uit. ; leurs richesses et les pauvres, selon leur pauvreté * ; de Deut.,xvi, i7;Lu- ^j.^^ q^'^j ^q gg fug^ pas contenté si les riches eussent ex, 11, 24. ^ * fait des offrandes convenables aux pauvres, parce que cela eust ressenti l'avarice, non plus qu'il n'eust pas esté content que les pauvres eussent fait l'offrande des riches, d'autant que c'eust esté présomption. Que les séculiers viennent offrir à la divine Majesté l'affection et la vo- lonté qu'ils ont de suivre ses commandemens ; Dieu s'en contentera et ils seront bien heureux, puisque s'ils les •Matt.,xix. 17. observent fidellement ils seront sauvés *. Mais que les âmes riches en saintes prétentions de faire de grandes choses pour Dieu ne viennent pas apporter l'offrande des pauvres, car il ne s'en contenteroit pas. Le Seigneur vous a enrichies de sa grâce, il veut que vous luy appor- tiez ce que vous avez. Nostre Dame fait aujourd'huy une offrande telle que Dieu desiroit, car outre la dignité de sa personne qui surpasse toutes les autres après son Fils, elle offre tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle a ; et c'est ce que Dieu demande. Oh que bien heureux sommes-nous donques nous autres, qui, par le moyen des vœux que nous avons faits, luy avons tout dédié, et nos corps et nos cœurs et nos moyens , renonçant aux richesses par le vœu de pauvreté, aux playsirs de la chair par celuy de chasteté, et à nostre propre volonté par celuy d'obéissance. O mondains, jouissez, si bon vous semble, de vos biens, pourveu que vous ne fassiez tort à personne ; prenez les playsirs licites et permis par la très sainte Eglise, faites vos volontés en tant et tant d'occurrences, Dieu vous permet tout cela. Mais nous autres, gardons bien de rien reserver, car Dieu ne veut point de reserve, il veut tout ; et comme il se donne tout à nous en son divin Sacrement, de mesme il nous veut tout entiers. Prenons garde qu'il •Gaiat., VI, 7. ne peut pas estre trompé^ ; si nous disons que nous voulons tout donner, faisons-le absolument, sous peine d'estre chastiés comme Ananie et sa femme Saphire qui • Act., V, i-io. mentirent au Saint Esprit"^. Mais il n'est pas de nous comme de Nostre Dame , laquelle s'estant une fois donnée, n'avoit nul besoin de  XXVI. Pour ia rfTi de la Présentation 2^7 reconfirmer son offrande; car jamais elle ne disconiinua, non pas mesme un seul moment, d'estre toute à Dieu et d'estre appliquée, collée et conjointe avec la divine volonté. Pour nous, au contraire, à < nisr» de la conti- nuelle vicissitude et varieti* de nos a;: is et humeurs, il est nécessaire qu'à toute heure, tous les jours, tous les moys et toutes les années nous reconfirmions et renouvelions les vœux et les paroles que nous avons prononcées d'estre tout à Dieu. C'est pourquoy. non seulement en la nouvelle Loy.ainsen l'ancienne mesme, l'on a tousjours observé de marquer certains temps et certains jours pour encourager les hommes à renouveller leurs bonnes resolutions. Les Israélites, qui estoyent le peuple de Dieu, faisoyent leur renouvellement à chaque nouvelle lune, et pour y inviter un chacun, ils celebroyent des festes solemncUes, sonnant les trompettes* pour resveiller l'esprit, non en ' Um.. xxui. «4; des fanfares ou choses vaines, ains après les choses p""»»»!"'. *"*'*' éternelles. Et la sainte Kglise. comme une sage mère, nous va présentant de temps en temps, tout le long de l'année, des festes signalées, pour nous encourager à renouveller nos Ixïns projws. Car, je vous prie, qui est celuy qui au jour solemncl de Paso.  XXVII SERMON DE PROFESSION POUR LA FÊTE DE SAINT AMBROISE 7 décembre 1619 (0 ( Inédit ) Nostre Seigneur ayant enseigné à ses Apostres la perfection de la loy evangelique, disant : Bienheureux sont les pauvres d'esprit, bienheureux les débon- naires, bienheureux ceux qui pleurent, et la suite, il Malt., V, 3-13. adjousta : Vous estes le sel de la terre "^ ; ce que l'on attribue non seulement aux Apostres, mais aussi à tous leurs successeurs, tel que fut le grand saint Ambroise duquel la sainte Eglise célèbre aujourd'huy la feste. Cette mesme louange se peut donner aux Religieux et Religieuses, non comme estans successeurs immédiats des Apostres quant à l'office, car tous ne preschent pas, mais ouy bien quant à la manière de servir Dieu, en la prétention de suivre ses conseils et ses volontés, à fin de tascher d'acquérir la perfection. Nostre Seigneur dit donques à tous les hommes apos- toliques et aux Religieux et Religieuses : Vous estes le sel de la terre. Cecy ne se doit pas entendre maté- riellement ains spirituellement ; et pour vous le mieux faire comprendre je considère trois qualités du sel, sur lesquelles nous nous arresterons principalement. La pre- mière est que le sel est composé de feu, et si néanmoins il esteint le feu; la seconde, qu'il donne goust et saveur (i; Profession des Sœurs Marie-Françoise Bellet et Marie-Aimée de Sacconex. Cf. les notes pp. 170, 202.  XXVII. PoL'K tA PÈTE DF. SAIMT AmMOISC 241 à la viande : et la troisiesme, qu'il prescn'c de corruption et putréfaction la chair, le poisson et autres choses qui ne peuvent estre bonnement j^ardêes sans estre salées. Cela estant donques ainsy, je ne m'arresteray pas à la première propriété, car l'expérience s'en fait journelle- ment. Oue le sel soit composé de feu, et qu'il csteijijnc néanmoins le feu. faites-en l'esprcuvc. Si vous en mettez un jijrain sur vostre lanjçuc, tout incontinent vous sentirez (ju'il brusle. comme le p)oivre ou autres espiceries fortes; au contraire, jettez-en quelques grains dans le feu et vous verrez l'effect : s'il y a du feu à la cheminée vous le verrez tomber et s'esteindre. l)c mesme, si le feu du Saint Esprit, l'amour de I>icu, touche une ame et la choisit pour y faire sa demeure, vous appercevrez tout aussi tost que l'amuur terrestre, caduc et périssable commencera à s'esteindre, à mourir et pcrir, en fin à luy quitter la place. Remarquez donques, je vous prie, combien il est vray que les Religieux et Religieuses sont le sel de la terre (s'entend pourveu qu'ils soyent bons Religieux), puis- qu'ils ont celte première condition du sel. Car c|ui ne voit que non seulement ils ont esté touchés, mais esclai- rés et enflammés du feu du Saint Ksprit, en sorte qu'ils n'ont autre attention que d'exterminer et anéantir l'amour charnel et périssable • ? Qu'est-ce, je vous supplie, qui *Cf. Rom.Tin, i|. auroit peu esteindre le feu de la convoitise des richesses ou des honneurs, que les Religieux et Religieuses renon- cent pour jamais en faisant le vœu de pauvreté, s'ils n'eussent esté touchés de cette flamme sacrée et très aymable de l'amour de Dieu, qui les a tirés d'entre le peuple j>our les mettre es lieux où plus à s""^' "> ils peussent monstrer les effects de son infinie m; - rde exercée en leur endroit ? O Dieu, qu'ils sont heureux d'avoir donné entrée ù ce feu céleste! car tout ainsy que le feu du ciel esteint celuy de la terre, de mesme le feu sacré exterminera et consommera celuy de la concupis- cence qui règne et domine en nostre chair. Ils seront k. Ixinne en.seignc nommés su- irs du grand Apo^^tre, puisqu'ils |>ourront veritabifinrnt dire ; fay réputé %—m III ••  242 Sermons rfxueii.i.is toutes choses de ce monde comme ordure, puanteur et en fin comme fumier ^ pour mieux g a igné r Jesi^s Christ • Philip., m, 8. et SE bonne grâce *. C'est de ce feu dont Nostre Seigneur •Luc», XII, 49- parloit lors qu'il dit * : J'ay apporté le feu du Ciel en terre, et que veux-je sinon qu'il brusle ? O Dieu, quelle grâce d'estre touché de ce feu très béni, car jamais plus on ne se plaist es ardeurs qui luy sont contraires. La seconde propriété du sel c'est qu'il donne goust et saveur aux viandes lesquelles sans iceluy ne sont pas propres à nostre manger, ains méritent plustost d'estre abhorrées et rejettées; car elles sont insipides, sans goust et bonnes plustost à mortifier qu'à consoler et contenter le goust de celuy qui les mange. Or, ce sel qui assaisonne tout ce que nous faisons, c'est la sagesse et discrétion. Quelle plus grande sagesse, je vous supplie, que celle des Religieux qui connoissans leur foiblesse pour de- meurer dans le monde, emmi les continuelles occasions de se perdre, s'en retirent pour plus à souhait servir Dieu fidellement ? Ils ont esté touchés de ce feu du Saint Esprit lequel leur a fait connoistre, par un petit rayon de sa lumière, qu'ils ont plusieurs maladies spiri- tuelles auxquelles il faut remédier pour ne point tomber au péril de la mort éternelle. Les Religieux ont esté appelles d'un nom grec qui a deux significations, dont l'une vaut autant à dire que •Vide supra, p. 50. remediatcur, médecin, remède et médecine*. L'Eglise n'est autre chose qu'un hospital où il y a plusieurs sortes d'infirmeries pleines de malades ; car les pécheurs ne •Cf. supra, p. 217. sont-ce pas des malades*? Mais comme aux hospitaux il y a tousjours quelque infirmerie ou chambre pour les convalescens, de mesme les Religions sont destinées aux âmes relevées qui désirent grandement de se rendre quittes des maladies qu'elles ont apportées du monde et que Nostre Seigneur par sa grâce leur a fait connoistre. Ces bigearreries, ces propres volontés qui ne se veulent point sousmettre, ces jugemens particuliers, ces inten- tions impures qui ruinent et gastent toutes nos meilleures actions, ces laschetés et cette négligence d'esprit qui n'a point de cœur pour la prétention de la perfection,  XXVII. pot k I A FÊTE DE SAINT AmMOISE 243 qu'est-ce autre chose que des maladies contractées par nostre ame en la communication que nous avons eue avec le pechê ? Or, les Religieux et Religieuses recherchent la gueri- son de ces maladies, car si bien ils ne sont pas tenus d'estre parfaits, ils sont néanmoins obligés de tendre à la perfection, puisque en faisant des vœux, nous autres tant ecclésiastiques que Religieux, nous nous obligeons quant et quant de tascher de tout nostre pouvoir d'acqué- rir la perfection et de vivre selon icelle. C'est en cette façon que tous peuvent estre appelles et estre par con- ^r.|ucnt dignes successeurs des Apostres ; car si bien iuu> ne preschent pas et n'administrent pas les Sacre- mens, qui sont les remèdes dont se sert la sainte b'glise pour la guerison de ses malades, tous néanmoins peuvent et doivent prescher d'exemple ; et cette prédication ne sera peut estre pas moins utile que l'autre. Ht comme les médecins jugent que le repos et la tranquillité aydent beaucoup à recouvrer plus promptement la .santé, de mesme les Religieux se retirent au port de la tranquillité qui est la Religion, pour plus aysement acquérir la santé de leurs âmes qui est la sainteté. L'autre explication ou signification du nom qu'on leur a donné e.st cultivateur, qui est autant à dire que laboureur *. Certes, c'est à bon droit qu'on leur a donné «EoMb.,!!'»* i tt, ce nom, car il est fort conforme à leur office. O) Qu'est ^,îop.', \ ce que l'office du Religieux sinon de bien cultiver son p'«*^- ^' • esprit, pour en desraciner toutes les mauvaises produc- tions que nostre nature dépravée fait Ixjurgeonner tous les jours, si qu'il semble qu'il soit tousjours .'i refaire ? Et comme il ne faut pas que les laboureurs se faschent, puisqu'ils ne méritent pas d'estre blasmés, pour n'avoir recueilli une bonne prise, pourvcu néanmoins qu'il --t eu soin de bien cultiver la terre et de bien enseï;., ... . r. de mesme le Religieux ne doit point se fascher s'il ne recueille pas si tost les fruits de la perfection et de* ( I ; Lj tu ' rtt itM « rehgttmt*. t\ :•.•!■ •*  «44  Sermons recueillis  vertus, pourveu qu'il aye une grande fidélité pour bien cultiver la terre de son cœur en retranchant ce qu'il apperçoit estre contraire à la perfection à laquelle il est obligé de prétendre, et faisant ce qu'il voit devoir estre fait pour l'acquisition des vertus. Mais, je vous supplie, considérez un peLi la folie des mondains lesquels estans fort malades n'estiment pour- tant pas l'estre, ains ils se louent de la meilleure santé du monde, bien que leurs maladies soyent telles qu'ils sont prests à tomber dans la fosse de la mort éternelle. La convoitise de l'honneur brusle les uns, celle de l'ava- rice les autres, et d'autres le sont par la convoitise des playsirs vilains, brutaux et deshonnestes ; cependant ils ne sont point malades ! ou du moins ils se vantent de ne l'estre pas. Voyons, je vous prie, en quoy ils constituent leur sagesse. Ils estiment estre sages de conserver ou d'acquérir leur liberté, d'estre maistres de leur volonté ; et qui a plus de cette misérable liberté est considéré comme le plus sage et le plus heureux. De là vient qu'ils tiennent pour malheureux les serviteurs parce qu'ils sont sujets à leurs maistres, et plus encores les esclaves, d'autant qu'ils ne sont pas maistres de leur liberté. Mais, o Dieu, que leur folie est grande de se vouloir •Ubi supra, p. 95. gouverner eux mesmes ! Escoutez le grand saint Bernard* qui demande à l'un de ceux cy : Dis-moy, je te prie, qui est ton maistre ? Je le suis moy mesme. O pauvre misé- rable, respond-il, tu es « gouverné par un grand fol ; » puisque tu es maistre de toy mesme, tu es par conséquent disciple d'un sot. Les Religieux ne veulent pas estre si insensés que ceux cy, lesquels le sont d'autant plus qu'ils • Cf. Rom., 1, 32. ne le pensent pas estre, ains s'estiment si sages* qu'ils ne tiennent nul compte des autres hommes, ne les croyant pas mesme capables de leur servir de planche, eu esgard à leur grande sagesse et preudhommie. Les Religieux ayans esté esclairés par le Saint Esprit constituent toute leur sagesse en la très sainte sousmission, sujétion, humilité et mespris d'eux mesmes, car ils ont fort bien considéré que c'est l'abus de leur liberté qui a fait  XXVII. Pour ia fête df s^rxr Ambroise 24^ descendre les Anges du Ciel et les a précipitas en l'abisme de l'enfer, où ils seront éternellement esclaves de ses peines éternelles. Ht non seulement cette liberté a ruiné les Anges, mais encores les hommes. Qu'est-ce. je vous prie, qui préci- pita nostre mère Kve, et après elle nostre premier père Adam, dans le gouffre du péché, sinon le désir de faire leur propre volonté et jouir de leur indépendance? Vous sçavez ce qui leur en arriva, et à nous après eux. Escoutez le Prophète*, lequel introduisant les mondains •J<'reni.,n, to; Pt, dit qu'ils ont secoué \c\it joug, et ayans rompu les liens *'' *' de charité se sont pris à dire : Qui est nostre maistre? se voulans ainsy gouverner eux mesmes, et protcstans : Nous ne servirons pas ; c'est à sçavoir, nous ne dépen- drons de personne sinon de nostre propre volonté, et par ainsy nous jouirons de nostre liberté. Mais, o Dieu, qu'est-ce qui suit cette liberté ? non autre certes qu'un éternel esclavage après cette vie mortelle, qui est de si peu de durée au prix de l'éternelle. La folie des mondains fait d'autant plus connoistre et estimer la sagesse de ceux qui renoncent à leur propre lil>erté et s'assujettissent volontairement pour jamais. Mais quel est ce sel qui donne goust et saveur à toutes nos actions et sans lequel elles ne sçauroyent mériter que Nostre Seigneur les trouve bonnes ni aggreables à sa bonté ? Cest la sainte obéissance qui les rend aussi méritoires de la vie éternelle ; ouy , mesme une action qui de soy n'est nullement Iwnne et de nul mérite, si elle est faite par ol>eissance elle devient bonne, et les inditîc- rentes sont rendues méritoires et aggreables îx Dieu*. *^' " Certes, la pluspart des mondains font presque tout par t., m .m^-uir^a, caprice et fantasie. S'ils s'en vont dormir ils le font sou- ^ * ^* ventesfois par caprice; ils mangent île mesme et ainsy autres choses. Voire, bien souvent ils font leurs prières par caprice. Je le remarque en ce qu'on en trouve qui ne sont pas contens s'ils ne disent une grande quantité d'oraisons devant la Messe et après, et cependant v< les durant le temps qu'on la dit. ils s'amusent h\ci\ •ouvcnt à causer et à se distraire. Pourtant \\% H^vent  246 Sermons recueillis bien que ce temps là est principalement donné pour la prière et pour rendre grâces à Nostre Seigneur des mystères qui y sont représentés. Or les Religieux et ceux qui vivent vertueusement et sagement dans le monde n'agissent pas de la sorte, car ils ne font chose quelconque que par obéissance. S'ils se vont coucher ils le font simplement parce qu'il est expédient de donner du repos à leur corps à fin d'avoir par après assez de force pour le travail ordinaire et nécessaire pour la gloire de Dieu. Et ainsy du manger ; ils n'y vont que pour la mesme fin et parce que la cloche les appelle. Et quant aux prières, ils s'y rendent fidelles aux heures marquées, pour les faire avec la perfection qui leur est enseignée. O qu'ils sont heureux ceux cy parce qu'ils ne font rien qui ne soit aggreable à Dieu ! Vous estes le sel de la terre ; c'est à dire vous assai- sonnez les actions mesme terrestres, et par ce moyen vous les rendez célestes. Pourquoy pensez-vous que le Seigneur en l'ancienne • Levit., II, 13. Loy * eust commandé aux Israélites qu'ils se gardassent bien de luy offrir aucun sacrifice où ils ne missent du sel ? Nostre divin Maistre reconfirma ce mesme comman- • Marc, IX, 48. dément par sa sacrée bouche *, pour nous monstrer qu'il vouloit que tous nos sacrifices fussent offerts avec une grande sagesse et considération. Ce qu'ayant fort bien considéré, ces filles qui se viennent offrir à Nostre Sei- gneur en sacrifice très aymable ont fait dessein de renoncer à leur propre liberté ; ne s'estimans pas assez sages pour se conduire elles mesmes, elles se viennent abandonner entre les bras de la sainte obéissance pour demeurer à jamais sujettes et sousmises à la volonté de Dieu et de leurs Supérieurs. O que c'est une grande sagesse de ne s'estimer pas assez sage pour se conduire soy mesme ! Je sçay bien que si nous nous laissions gouverner par la rayson elle nous meneroit bien avant dans le Ciel ; mais le péché a tellement gasté et tracassé nos puissances intérieures, que la partie inférieure de nostre ame a pour l'ordinaire plus de pouvoir pour nous tirer au mal que non pas la partie supérieure pour nous  XXVII. Pour la fête de saisi Ambroim 347 faire tendre du costé du bien. C'est pourquoy il est fort à propos de nous lier et engager à la poursuite des biens éternels par le moyen du vœu que nous faisons de l'obéissance à la volonté de Dieu qui nous est signifiée par ses commandemens, ses conseils, nos Règles et les ordonnances des Supérieurs. Quiconque sera plus fidelle à cette sainte sousmusion .sera tenu pour le plus siige. I-e roy ne seroit pas réputé sage et prudent s'il ne se faisoit paisiblement olM?ir par ses sujets et ne gouvernoit son royaume selon la justice et l'équité comme il convient à un souverain ; un marchand ne sera pas estimé sage s'il ne tasche, par le moyen de son traffic , de s'enrichir et augmenter ses moyens ; et ainsy des autres. De mesme les Religieux ne seront point tenus pour sages s'ils ne recherchent de tout leur pouvoir d'aller tousjours plus avant au chemin de la perfection, puisqu'ils s'y sont obligés de leur propre mouvement, car nul ne les y a peu contraindre. C'est donques à eux que Xostre Seigneur dit : Vous cstfs If sel de la terre. Mais je considère en après la troisiesme propriet^^ du sel : c'est qu'il est propre à préserver de corruption et de putréfaction ce à quoy on l'applique. Les mondains font beaucoup d'œuvres l)onnes en elles mesmes, mais le sel de la bonne intention y manquant, elles viennent quasi toutes à se corrompre et à estre desaggreables à la divine Majesté. O Dieu, si nous autres qui .sommes dédiés au service de la divine Bonté faisions la centit'sme partie des choses (jue les courtisans des rois et des princes font pour eux, indubitablement nous serions tous saints. Que de veilles insupjwrtables et autres travaux tant du corps que de l'esprit ! Kt cependant, ces pauvres gens perdent pour la pluspart toute leur peine, faute de relever leurs intentions et de le faire parce que les rois et les princes tiennent la place de Dieu quant aux choses temporelles, et que partant il les faut honnorer et ser\'ir de l>on CGPur •. I-a droite intention est ce tjui rend nos • Rom. lui, i.#; , , . ,, I Pdn. Il, M. 17. truvres méritoires de la vie éternelle, et. comme nous avons desja dit, les ouvr.s indifférentes, voire mesme  248 Sermons recueillis les nécessaires pour la conservation de nostre vie, sont méritoires et fort aggreables à Nostre Seigneur. Or, considérez combien le sont davantage les actions pénibles et contraires à la nature : la mortification des passions, de la propre volonté, du propre jugement et en fin l'entier renoncement de nous mesmes pour nous laisser conduire et gouverner au gré d'autruy, nous rendre maniables, pliables et entièrement sousmis en toutes occasions. Ces actions sont aussi infiniment ao-orrea- blés à la divine Majesté et au Sauveur mesme qui s'est voulu rendre nostre Maistre, en nous enseignant cette prattique excellente du délaissement de nous mesmes pour nous sousmettre à autruy, et se rendant obéissant pour nous à son Père céleste j risques à la mort de la • Philip., Il, 8. croix *. C'est cette droite intention qui amené icy ces filles pour se sacrifier à Nostre Seigneur par la resolution inviolable d'estre toutes à Dieu ; elles ne se contentent pas d'observer ses commandemens, car elles ont esté touchées de cet amour du Saint Esprit qui fait qu'elles ne veulent pas seulement s'unir à Dieu par la prattique d'iceux comme le reste des Chrestiens, mais, par une prétention plus généreuse et amoureuse, elles se viennent obliger à l'observance de ses conseils et de ses volontés, pour estre tant soit peu plus unies au Ciel avec sa divine Bonté. O que vous estes heureuses, mille fois plus que les impératrices et les reynes, non seulement parce qu'après avoir esté espouses de Jésus crucifié en cette vie vous le serez de Jésus glorifié là haut en sa gloire, mais aussi parce que la Croix du Sauveur est mille fois, et sans comparaison, plus honnorable que les sceptres et cou- ronnes et les royaumes tout entiers de ce monde péris- sable. Que vous avez bien conceu Nostre Dame en la veille de sa Conception ! car, qu'est-ce autre chose concevoir la sacrée Vierge sinon concevoir la volonté et le désir de l'imiter en ses vertus ? Elle estoit si droite en ses intentions qu'elle ne voulut point donner son consen- tement d'estre Mère de Dieu que premier elle n'eust considéré si c'estoit la divine volonté ; mais l'ayant  XXVII. POLR LA FÊTE DE SAtlfT AMBMMM a4Q reconneué elle dit : Fiat; me soit fait selon ta parole *. Dieu vous fasse la grâce d'enfanter Xostre Dame ainsy que vous l'avez conceue, c'est à sçavoir do l>ion mettre en efFect vos resolutions et vos désirs. Oh que vostre prétention est masle et généreuse, et qu'elle vous rendra grandement aggreables à la mesme Vierge, qui sera vostre protectrice pourveu que vous luy soyez fidelles. Vous allez devenir esclaves bien aymécs de son Fils très béni Xostre Seigneur, car que voulons- nous signifier quand nous jcttons la croix au col de ces filles, ainsy que vous verrez tantost ? Que nous les attachons à la Croix de Xostre Seigneur, pour passer le reste de leurs jours sur le mont de Calvaire k fin d'y considérer le renoncement parfait et les travaux qu'il a soufferts pour nous, nous excitant par ce moyen à cette continuelle attention de faire tout pour luy, et preser\'er ainsy nos actions de la corruption et putréfaction qu'elles contractent en la communication des intentions obliques et impures. Les Religieux sont donques très justement le sel de la terre, puis^ju'ils ont. comme nous venons de le dire, les qualités et conditions du sel.  ««  XXVIII  SERMON POUR LA FETE DE LA PURIFICATION  2 février 1620 (i  • Psaimi XXXII, 9, Dieu dit comme il fait et fait comme il dit* ; en quoy ' ^' il nous monstre qu'il ne nous faut pas contenter de bien dire, mais qu'il faut que nous ajustions les effects à nos propositions et les œuvres à nos parolles si nous luy voulons estre aggreables ; et tout ainsy que son dire est faire, il veut de mesme que nostre dire soit incontinent suivi du faire et de l'exécution de nostre bon propos. Pour cela , quand les anciens vouloyent représenter l'homme de bien, ils se servoyent de la comparaison d'une pesche sur laquelle ils appliquoyent une feuille de pescher, parce que la pesche a la forme d'un cœur et la •Piutarch., O/MSf. feuille du pescher celle de la langue *. Ils signifioyent de Iside et Osiride, . ,,, j 1 • ^ ^ 1 i. c. XXXV. amsy que Ihomme de bien et vertueux a non seulement une langue pour dire beaucoup de bonnes choses, mais que cette langue estant appliquée sur son cœur, il ne parle sinon à mesure que son cœur le veut, c'est à sçavoir, il ne dit sinon des paroles qui procèdent pre- mièrement de son cœur, qui le porte quant et quant à l'opération et aux effects de ses paroles. Pour le mesme sujet, les quatre animaux n'avoyent pas seulement des aisles pour voler, mais aussi des mains au dessous • Hiech., 1, 5-8. d'icelles *, à fin de nous donner à entendre que nous  ( I ) Plusieurs raisons se réunissent pour autoriser à croire que ce sermon et le suivant sont de 1620, époque à laquelle, selon le témoignage de sainte Jeanne-Françoise de Chantai, le saint Evêque prêchait fort souvent à la Visitation. De plus, on reconnaît dans ces deux pièces le style de la Mère Claude-Agnès de La Roche. Enfin le sermon pour le Vendredi-Saint contient diverses allusions qui ne permettent pas de lui assigner une autre date.  XXVllI. Pour la fête de la Puripicatioîi a^t ne nous devons pas contenter d'avoir des aisles pour voler au Ciel par des saints désirs et sp)eculations, si avec cela nous n'avons des mains qui nous portent aux œuvres et à la prattique de nos désirs, estant chose asseurée que les seuls bons propos et saintes resolutions ne nous conduiront point en Paradis, s*ils ne sont accompag^nês des effects conformes à iccux. Nostre Seigneur donques pour confirmer cette vérité, vient aujourd'huy au Temple pour y estre offert à Dieu son Père, s'assujettissant à l'obserx'ance de la Ijoy que jadis il avoit donnée *i Moyse, escritte sur les tables Je pierre *. Il y avoit en cette Loy une jurande quan- * Eiod.. xwr. i«, tité d'observanres particulières auxquelles nostre divin m,;.' * * Maistre et Nostre Dame n'cstoyent nullement obliges, car le Sauveur estant le Roy et le Monarque de toute la terre, voire du Ciel, de la terre et de tout ce qu'ils contiennent, ne pouvoit estre sujet à aucune loy ni commandement. Néanmoins, parce qu'il devoit estre mis devant nos yeux comme un souverain et incomparable patron auquel nous nous devions conformer en toutes choses, autant <|ue la foiblesse de nostre nature le peut permettre, il voulut observer la I-oy et s*y assujettir, et sa très bénite Mère t^ son exemple, ainsy que nous voyons en l'Evangile d'aujourd'huy •, qui nous propose la puri- • Loc». n. «t-it. fication de Nostre Dame et la présentation de Nostre Seigneur au Temple. Sur ce sujet je fais trois considéra- tions auxcjuelles je ne m'arresteray pas beaucoup, ai n s ne feray que les toucher en passant, les laissant par après ruminer à vos esprits, comme des animaux mondes^, •Lcrii.n. t, 1. 17. pour en faire une bonne et heureuse digestion. I^ première considération est sur l'exemple d'une profonde et véritable humilité que nostre divin Sauveur et la glorieu.se Vierge nous donnent ; la second»* sur rr»b.Mt4- sance qui est entée sur l'humilité; et en ii u, sur la méthode excellente qu'ils nous enseignent pour bien faire l'orai.son. Ht premièrement, quelle humilité plus grande et plus profonde se peut-il imaginer que celle que Nostre Sei- gneur et Nostre Dame prattiquent en venant au Temple.  252 Sermons recueillis l'un pour y estre offert comme tous les autres enfans des hommes pécheurs , et l'autre se venant purifier ? C'est chose certaine que Nostre Seigneur ne pouvoit estre obligé à cette cérémonie, puisqu'il estoit la pureté mesme et qu'elle ne regardoit que les pécheurs. Quant à Nostre Dame, quelle nécessité avoit-elle de se purifier, puisqu'elle n'estoit ni ne pouvoit estre souillée, ayant receu une grâce si excellente dès l'instant de sa concep- tion que celle des Chérubins et des Séraphins ne luy est nullement comparable ? car si bien Dieu les prévint de sa grâce dès leur création pour les empescher de tomber en péché, néanmoins ils n'y furent pas confirmés dès cet instant en sorte qu'ils ne peussent plus prevariquer, ains le furent par après eB--Yertu,..du.. choix qu'ils firent de se servir de cette première grâce, et par la volontaire sousmission de leur franc arbitre, j Mais Nostre Dame fut prévenue de la grâce de Dieu et confirmée en icelle au mesme instant de sa conception, de sorte qu'elle ne pouvoit en descheoir ni pécher. Néanmoins, et l'Enfant et la Mère, nonobstant leur incomparable pureté, se viennent aujourd'huy présenter au Temple comme s'ils eussent esté pécheurs ainsy que le reste des hommes. O acte d'humilité incomparable ! Plus la dignité _des personnes qui s'humilient est grande, plus aussi Pacte d'humilité qu'elles font est •Cf.tom.viihujus estimable*. O Dieu, quelle grandeur de Nostre Seigneur ' ' * et de Nostre Dame qui est sa Mère ! Que c'est une consi- dération belle, et la plus utile et profitable que nous sceussions faire que celle cy, de l'humilité que le Sauveur a si chèrement aymée ! Il semble qu'elle ait esté sa bien aymée et qu'il ne soit descendu du Ciel pour venir en •Cf. sapra, pp.163, terre que pour l^amour d'elle*. C'est la plus grande de toutes les vertus purement morales, car je n'entens pas parler de l'amour de Dieu et de la charité, celle-cy n'estant pas seulement une vertu particulière ains une vertu générale qui se respand sur toutes les autres, et dont elles tirent leur splendeur. Mais quant aux vertus particulières , il n'y en a point de si grande ni de si nécessaire que l'humilité.  X.W'III. Pour la péxp. oe la Purification 25 j Nostre Seigneur Ta tellement chérie qu'il a mieux aymé mourir que d'en laisser la prattique. Il a dit luy mesme* : 11 n'y a point de plus grand amour que •]<>"., xr. m. de mettre sa vie pour la chose aymêe. Or. il a vraye- ment don né sa vie pour cette vertu, car il a fait en mourant le plus excellent et le plus souverain acte d'humilité qui se puisse jamais imag^iner. L'Apostre saint Paul*, pour nous faire concevoir en quelque façon l'amour Ti s. que nostre Sauveur portoit à cette sainte vertu, dit qu*/7 s*est ht(*'"^' ' •'" !Hes à la mort et à la mort de la croix t i ...; int dire : Mon Maistrc ne s'est pas humilié seulement pour un temps ou pour quelques actions particulières, ains iu<:quf<: à la mort, c'est à sçavoir dès l'instant de^^ n et puis tout le temps de sa vieyTisques à la mort ; et non seulement jusques là. mais il Ta voulu mesme prattiquer en mou- rant. Ht enchérissant cette humilité il adjouste : et la mort de la croix, mort la plus ignominieuse et pleine d'abjection sur tout autre genre de mort. Par ce divin exemple nous sommes enseignés qu'il ne nous faut pas contenter de prattiquer l'humilité en quelques actions particulières ou pour un temps seule- ment, ains tousjours et en toutes occasions ; non pas seulement /ws^M«*5 à la mort, mais juvjues à la mortifi- cation de nous mesmes, humiliant ainsy l'amour de nostre propre estime et l'estime de nostre propre amour. Il ne se faut pas amuser à la prattique d'une certaine humilité de contenances et parolles, qui consiste à dire que nous ne sommes rien et à faire tant de révérences et d'humilia- tions exleri'"r«- que vous voudrez, et c|ue sçay-je nioy, chuses sem >» qui ne sont rien moins que l'humilitc mesme. Or. celle-cy pour cstre l)onne, doit non seulement nous faire connoistre, mais reconnoistre pour des vrays néants qui ne méritons pas de vivre ; elle nous rend souples, maniables et sousmis à un chacun, obser\'ant par ce moyen ce précepte du Sauveur qui nous ordonne de renoncer à nous mesmes si nous le voulons suivre*. *M«tt.tTt.i| Il y en a plusieurs qui se trompent grandement en ce fju'ils pensent que l'humili» '• 'v- v^.jt propr»* A T>ratti(|ucr  2S4  Sermons recueillis  que par les novices et commençans, et que dès qu'ils ont fait un peu de chemin en la voye de Dieu ils se peu- vent bien relascher en cette prattique. Certes, s'estimans •Rom., 1, 22. desja assez sages, ils se trouvent estre bien sots^^, car ne vo5^ent-ils pas que Nostre Seigneur s'est humilié jusqiies à la mort, c'est à dire tout le temps de sa vie? O que ce divin Maistre de nos âmes sçavoit bien que son exemple nous estoit nécessaire, car il n'avoit nul besoin de s'abaisser, et néanmoins il a voulu persévérer à ce faire parce que la nécessité estoit en nous. O que la persévé- rance est grandement requise en ce sujet, car combien en a-t-on veu qui ayans fort bien commencé en la prattique de l'humilité se sont perdus faute de persévérance. Nostre Seigneur n'a pas dit : Celuy qui commencera, •Matt.,x, 22,xxiv, ains celuy qui persévérera en humilité sera sauvé"^. Qu'est-ce qui fit pécher les Anges sinon le défaut d'humilité ? car si bien leur péché fut une désobéissance, néanmoins, pour prendre toutes choses en leur origine, ce fut l'orgueil qui les fit désobéir. Le misérable Lucifer commença à se mirer et contempler, puis il passa de là à s'admirer et complaire en sa beauté, sur laquelle com- plaisance il dit : Je ne servir ay point, et secoua ainsy • Is., XIV, 13, 14; le joug de la sainte sousmission*. Il avoit bien rayson Jerem., 11, 20. . de se mirer et considérer son excellente nature, mais non pas pour s'y complaire et en tirer de la vanité. Ce n'est point mal de se considérer soy mesme pour glorifier Dieu des dons qu'il nous a faits, pourveu que nous ne passions à la vanité et complaisance sur nous mesmes. C'est une parole des philosophes, mais qui a esté approuvée pour bonne par les docteurs chrestiens : « Connois-toy toy • Socratis dicium ; mesme *, » c'cst à dire, connois l'excellence de ton ame ex mscript. Delph. .0, , . -i-- • /-j^-ir^ a nn de ne la point avilir ni mespriser. Cependant il laut tousjours demeurer dans les termes et limites d'une sainte et amoureuse reconnoissance envers Dieu de qui nous • P». xcix, 3. dépendons et qui nous a faits ce que nous sommes *. Nos premiers pères et tous les autres qui ont péché ont presque tous esté esmeus à ce faire par l'orgueil. Nostre Seigneur, comme un bon et amoureux médecin de nos âmes, prend le mal en sa racine, et au lieu de  XXVUI. Pour la fhte de la Purification 255 Tûrj^ueil il vient premièrement planter la belle et utile plante de la très sainte humilité, vertu qui est d'autant plus nécessaire que son vice contraire est plus greneral entre tous les hommes. Nous avons veu comme l'orjpieil s'est trouvé entre les Anges et comme le défaut d'humi- lité les a fait perdre pour jamais ; mais voyons comme entre les hommes, plusieurs, ayans bien commencé, se sont perdus misérablement faute de persévérance en cette vertu. I^ roy Saùl que ne fit-il pas au commencement de .son rogne? L'Hscriture dit • qu'il estoit en l'innocence * I R'g . "«t «• d'un enfant d*un an; et cependant il se pervertit de telle sorte par .son orgueil qu'il mérita d'estre reprouvé de Dieu. Quelle humilité Judas ne tesmoigna-t-il pas vivant en la compagnie de Nostre Seigneur? et cepen- dant, voyez quel orgueil il avoit en mourant ; ne se voulant point humilier et faire les actes de pénitence qui présupposent une très grande et bonne humilité, il désespère d'obtenir le» pardon *. Superln? insupportable • >l«ii.. ««»«. 4t v de ne vouloir s'abaisser devant la divine miséricorde, de laquelle nous devons attendre tout nostre bien et tout nostre Ixjnheur. Bref, c'est un mal commun entre tous les hommes ; c'est pourcjuoy l'on ne peut jamais assez pre.schcr et inculquer dans leurs esprits la nécessité de la persévé- rance en la prattique de la très sainte et très aymable vertu d'humilité. Et à cette intention, Nostre Seigneur et Nostre Dame viennent aujourd'huy prendre la marque des pécheurs, eux qui ne le pouvoyent estre, et s'assu- jettir il la I-oy qui n'estoit point faitte ni pour l'un ni pour l'autre. Humilité grande de s'abaisser ainsy. Ce n'est pas grand chose ni un abaissement de grande importance (jue celuy que font les petits en comparaison de celuy des géants. I^s chats, les rats et autres telles l>estes qui ont presque le ventre rampant sur la terre n'ont pas grande difficulté de se relever quand ils sont une fois cheus ou affaissés ; mais les clephans. quand ils sont une fois baissés ou tombés, ils ont une très grande peine et difficulté à se relever et se remettre sur pied. De mosme ce n'est pas grand chose de nous voir  2^6 Sermons recueillis abaisser et humilier nous autres qui ne sommes que des néants et qui ne méritons que l'abjection et l'anéantis- sement ; mais nostre cher Sauveur et la sacrée Vierge qui sont comme des géants d'une grandeur et hauteur incom- parable, leurs humiliations sont d'un prix inestimable. Dès qu'ils se furent une fois humiliés, ils persévérèrent tout le temps de leur vie et ne se voulurent plus relever ; car Nostre Seigneur, et sa très bénite Mère à son imi- •Videsuprn,p.2S3. tation, s'humilia jusques à la mort et la mort de la croix^. Mais nous autres misérables qui, comme des rats, des chats et autres tels animaux, ne faisons que ramper et nous traisner sur la terre, dès que nous nous sommes abaissés ou humiliés en quelques légères occurrences, nous nous relevons tout incontinent, faisons les hautains et recherchons d'estre estimés quelque chose de bon. Nous sommes l'impureté mesme, et nous voulons qu'on nous croye purs et saints ; folie grande à la vérité plus qu'il ne se peut dire. Nostre Dame n'a point péché, néanmoins elle veut bien estre tenue pour pécheresse. Prenez, je vous prie, une fille d'Eve : comme quoy n'est- elle pas ambitieuse de l'honneur et de se faire estimer ? Certes, si bien ce mal est gênerai entre les hommes, cependant il semble que ce sexe y soit plus enclin que tout autre. Nostre glorieuse Maistresse n'estoit nullement fille d'Eve selon l'esprit, ains seulement selon le sang, car elle ne fut jamais qu'extrêmement humble et rabaissée, • LucîP, I, 48, comme elle dit elle mesme en son sacré cantique * : Le Seigneur a regardé l' humilité de sa servante, c'est pourqiioy toutes les nations la prescheront bienheu- reuse. ]e sçay bien qu'elle entendoit ainsy, que Dieu avoit • Cf. tamen supra, regardé sa petitesse et sa bassesse *, mais c'est en cela ''* mesme que nous reconnoissons davantage sa profonde et sincère humilité. Escoutez-la, de grâce, comme elle se mésestima tousjours, et principalement quand l'Ange luy annonça qu'elle devoit estre Mère du Fils de Dieu : •Luc», 1,38. Je suis, dit-elle, sa servante'^. Donc, pour conclusion de ce premier point (car il faut estre court, d'autant que le sujet se présente fort souvent), nous sommes enseignés par nostre divin Maistre de l'estime que nous devons faire  XXVIII. PoLR LA FÊfE DE LA PURIFICATION 2^7 de la très sainte humilité qui a tousjours esté sa bien chérie. Aussi est-elle la !>asc et le fondement de tout l'édifice de nostre perfection, lequel ne peut subsister ni s'eslevcrquepar le moyen de la pratti(jue d'une profonde, sincère et véritable reconnoissance de nostre petitesse et imbécillité, qui nous port'^ à un vrav nnrantivsr-niont et inespris de nous mesmes. Passons au second point, et disons que nostre divin Sauveur et sa très bénite Mère ont tousjours accompaj^né leur humilité d'une parfaite obéissance ; obéissance qui eut tant de puissance sur l'un et sur l'autre qu'ils ont plus aymé mourir, et de la mort de la croix, que de manquer d*ol)eir*. Xostre Seigneur mourut sur la croix 'Cf. s. B m,. •..' \ j)ar obéissance; et Nostre Dame, (juels actes sij^nales n'en fit-elle pas à l'heure mesme de la mort de son l*ils qui estoit le cœur de ses entrailles ? car elle ne résista nullement à la volonté du l*ere céleste, ains demeura ferme et constante au pied de la croix* et pleinement * Jojo. xik, sv sousmise au divin bon playsir. Nous pouvons, ainsy que nous l'avons fait pour l'humilité, dire les mesmes paroles de saint Paul • : Xostre Scij^neur s'est fait obéissant * tbi»oprj,p. a^i. jtisqttes à la mort, et à la mort de la croix; il ne fit jamais rien que par obéissance tout le temj)s de sa vie, ce qu'il nous manifeste luy mesme quand il dit * .Je ne ' i-^jn . vi. :^. suis point venu pour faire ma volonté, ains celle de Celuy qui m*a envoyé. Il re^ardoit donques tousjours et en toutes choses la volonté de son Père céleste pour la suivre, et non pas pour un temps, ains tousjours et jusques à la mort. Ouant à Nostre Dame, voyez et considérez tout le cours de sa vie, vous n'y trouverez qu'obéissance. Mlle a tellement estimé cette vertu, (|ue si bien elle avoit fait vii'U tle virj^^inité, néanmoins elle se sou^mit au commandement qui luy fut fait de se marier. Apres, elle persévéra tousjours en obéissance, ainsy que nous voyons aujourd'huy, puisqu'elle vient au Temple pour ol>cir à la loy de la purification, bien qu'elle n'eust nulle neces* site de l'observer ni son Fils non plus, comme nous l'avons desja touché au premier point ; ains c'cstoit une Sm« tu 17  2sB Sermons recueillis obéissance purement volontaire, et pour estre volontaire et non nécessaire elle n'en estoit pas moindre. Elle a mesme si chèrement aymé cette vertu, que son sacré Fils avoit entée comme un divin greffe sur le tronc de la sainte humilité, qu'elle n'en a point recommandé d'autre aux hommes. Il ne se trouve point en l'Evangile qu'elle ait parlé, sinon aux noces de Cana en Galilée •joan.,u, 3. lors qu'elle dit: Faites ce que mon Fils vous dira *, preschant ainsy l'observance de l'obéissance. Cette vertu est compagne inséparable de l'humilité ; elles ne se trou- vent point l'une sans l'autre, car Thumilité fait que nous nous sousmettons à obéir. Nostre Dame et sacrée Maistresse ne craignoit pas de désobéir, parce qu'elle n'estoit nullement obligée à la Loy qui n'estoit point faite pour elle ni pour son Fils, ains elle craignoit Tombre de la désobéissance ; car si elle ne fust pas venue au Temple pour offrir Nostre Sei- gneur et pour se purifier, quoy qu'elle n'en eust point besoin, estant toute pure. Ton eust peu trouver des gens qui eussent voulu faire l'enqueste de sa vie à fin de sçavoir pourquoy elle ne faisoit pas comme le reste des femmes. Elle vient donques aujourd'huy au Temple pour lever tout ombrage aux hommes qui rauro3^ent peu considérer, et pour nous monstrer encores que nous ne nous devons pas contenter d'éviter les péchés ains *(H.Tr.de VAm.de l'ombrc dcs pechés *, ne nous arrestans pas non plus à />>/^«, tom.Vhujus , , . ^ r . -, • Edit.,p.4i7,not/i;. la rcsolution que nous avons faite de ne point commettre tel ou tel péché, mais fuir mesme les occasions qui nous pourroyent servir de tentation d'y tomber. Elle nous apprend aussi à ne nous pas tenir pour satisfaits du tesmoignage de nostre bonne conscience, mais à prendre soin de lever tout ombrage aux autres de se mal édifier de nous ou de nos deportemens. Ce que je dis pour cer- taines personnes lesquelles, estans résolues de ne point commettre quelques pechés, ne se soucient pas d'éviter les tesmoignages qu'elles rendent qu'elles les commet- troyent volontiers si elles osoyent. O combien cet exemple que Nostre Seigneur et Nostre Dame nous donnent de la très sainte obéissance nous  XXV!!!. Pour la fête db la Purification 359 devroii inciter a nous sousmettre absolument et sans aucune reserve à l'observance de tout ce qui nous est commandé, et ne nous pas contenter de cela, mais observer encores les choses qui nous sont conseillées pour nous rendre plus aggreables à la divine Bonté ! Mon Dieu, est-ce si grand chose de nous voir obéir, nous autres qui ne sommes nés que pour ser\'ir, puisque le Roy suprême à qui toutes choses doivent estre sujettes * • P». cxvoi, 91. s*est bien voulu assujettir à l'obéissance ? Recueillons donques cet exemple sacré que nous donnent le Sauveur et la glorieuse Vierge, et apprenons à nous sousmettre, à nous rendre souples, maniables et faciles à tourner à toutes mains par la très sainte obéissance, et non pas pour un temps ni pour certains actes particuliers, ains pour tousjours, tout le temps de nostre vie jusques à la mort. Voyons en troisiesme lieu comme nous pouvons re- marcjuer en l'Kvangile d'aujourd'huy une excellente manière de bien faire l'oraison. (•) Plusieurs se trompent grandement, croyant qu'il faille tant de choses, tant de méthodes pour la bien faire. L'on en voit aucuns qui .sont en un grand empressement à fin de rechercher tous les moyens possil>les pour trouver un certain art qu'il leur semble nécessaire de sçavoir pour la bien faire, et ne cessent jamais de subtiliser et pointiller autour de leur oraison pour voir comme ils la pourront faire ainsy qu'ils désirent. Iu?s uns pensent fju'il ne faille tousser ni se remuer, de crainte (|ue l'Fsprit de Dieu ne se retire : folie très grande, comme .si l'Ksprit de Dieu estoit si délicat qu'il dcpendist de la méthode ou de la contenance de ceux qui font l'oraison. Je ne dis pas qu'il ne faille se servir des méthodes qui sont marcjuées ; mais l'on ne s'y doit pas attacher et les affecter tellenïent que nous mettions toute nostre confiance en icelles, comme ceux c|ui pensent que pourveu qu'ils fassent tousjours leurs (t) Là miu d« c«t alisia* Msf U d«roUro phra**, mI Ut«rc«l^ daot rEjitr«U«a /^ '«• ligne* t<> ' - 1 • ' p. »é| et 4-1) de i .Ml o<^** (' *o\tt CdUiofl, 1m pp. )47')l*) *^ 1' Ttbio d« eerrt«p«aJ«D<*.)  36o Sermons recuhillis considérations devant les affections, tout va bien. Il est fort bon de faire des considérations, mais non pas de s'attacher tellement à une méthode ou à une autre qu'on pense que tout dépende de nostre industrie. Il n'y a qu'une seule chose nécessaire pour bien faire l'oraison, qui est d'avoir Nostre Seigneur entre nos bras ; cela estant, elle est tousjours bien faitte de quelle façon que nous nous y prenions. Il n'y a point d'autre finesse, et sans cette condition jamais nos oraisons ne vaudront rien ni ne pourront estre receiies de Dieu ; car le divin • joan.. XIV, 6. Maistrc l'a dit luy mesme * : Nul ne petit aller à inon Père que par moy. L/graisûJi. n'est autre chose qu'une • Cf. supra, p. ^o. « eslevation de nostre esprit en Dieu *, » que nous ne pouvons nullement faire de nous mesmes. Or, quand nous avons nostre Sauveur entre nos bras, tout nous est rendu facile. Voyez, de grâce, le saint homme Simeon comme il fait bien l'oraison a5^ant Nostre Seigneur entre les siens. Laisse^, dit-il, maintenant aller vostre serviteur en paix, puisqu'il a veu son salutaire et son Dieu. Ce seroit une horrible meschanceté de vouloir exclure Nostre Seigneur Jésus Christ de nostre oraison et de la penser bien faire sans son assistance, puisque c'est une chose indubitable que nous ne pouvons estre aggreables au Père éternel sinon entant qu'il nous •Cf. Ps. Lxxxiii, lo; regarde à travers son Fils nostre Sauveur*; et non Rom., vm, :m. 1^11 • 1 a • 1 • seulement les hommes, mais encor les Anges, car si bien il n'en est pas le Rédempteur, il est néanmoins leur Sauveur et ils ont esté confirmés en grâce par luy. Et tout ainsy comme quand on regarde au travers d'un verre rouge ou violet, tottt- ce qu'on voit paroist à nos yeux de la mesme couleur, le. Père éternel nous regar- dant au travers de la^beauté et bonté de son , Fils très béni nous trguye beaux et bons selon qu'il nous désire; mais sans cet artifice nous ne sommes que laideur et la difformité mesme.) J'ay dit que l'oraison est « une eslevation en Dieu. » Il est vray, car si bien en allant à Dieu nous rencontrons les Anges ou les Saints en nostre chemin, nous n'eslevons pas nostre esprit à eux ni ne leur addressons pas nos  XXVllI. Pour la fête de la Purification 261 oraisons, comme l'ont voulu dire meschamment les héré- tiques ; ains seulement nous les prions de joindre leurs oraisons aux nostres et en faire une sainte confusion, à fin que par ce sacré meslanj;re les nostres soyent mieux receùes de la divine Honte, qui les a tousjours agj^reables si nous inrnnns quant et nous spi i cher Benjamin, ainsy que firt > enfans de Jacob quand ils allèrent voir leur frerc Joseph en tg^ypte *. Si nous ne le conduisons 'On .Tt.f». »« cf. avec nous, nous aurons la mesme punition dont Joseph .1^* menaça ses frères, à sçavoir qu'ils ne verroyent plus sa ^^^' face et n'auroyent rien de luy s'ils ne luy menoyent leur petit frère *. ' Gcnc*., xtn. m, rsostre cher petit frcrc c est ce bcni i'oupon que Xostre Dame vient aujourd'huy apporter au Temple et qu'elle remet elle nu'sme ou par l'entremise de saint Joseph au lx)n viellard Simeon. 11 est plus probable que ce fut saint Joseph que non pas la sacrée Vierj^e, pour deux raysons, dont l'une est que les pères venoyent offrir leurs enfans, comme y ayans plus de part que la mère mesme ; l'autre, que les femmes n'estans pas encores purifiées n'osoyent pas approcher de l'autel où se faisoyent les offrandes *. Mais quoy qu'il en soit, il * Leva., xn, 4. n'importe pas beaucoup; il suflfit que saint Simeon receut ce très béni Poupon entre ses bras, ou des mains de Nostre Dame ou bien de saint Joseph. O qu'heureux sont ceux qui vont au Temple disposés pour recevoir cette grâce, d'obtenir de cette divine Mère ou de son cher Kspoux Nostre Seigneur et Maistre, car l'ayant entre nos bras nous n'avons plus rien à désirer, et pouvons bien chanter ce divin cantique : Laisse^ main- tenant aller vostre serviteur en paix, o mon Dieu, puisque mon ame est pleinement .satisfaite, possetlant tout ce qui est de plus désirable soit au Ciel soit en la terre •. • ^» '••• • Mais considérons un peu, je vous prie, les conditions n» res pour obtenir cette faveur de prendre lo Sauveur entre nos bras et de le recevoir des mains de Nostre Dame, comme saint Simeon et Anne, cette Ixinno vefve qui eut le bonheur de te trouver au Temple en  262 Sermons recueillis ce mesme temps. L'Eglise nous fait chanter que saint •Antiph.i^inLaud. Simeon cstoit juste, qu'il estoit timoré'^. En plusieurs Purific.,exLuc.,ii, gj^^j-QJ^s ^ç. l'Escriture Sainte ce mot de timoré nous 35. fait entendre la révérence envers Dieu et les choses de son service. Il estoit donc plein de révérence autour des choses sacrées ; en après, il attendoit la rédemption •Luc.,ibid. d'Israël et le Saint Esprit estoit en luy *. Ces quatre conditions sont nécessaires pour bien faire l'oraison, puisqu'il les faut avoir premier que nous puissions tenir Nostre Seigneur entre nos hras, en quoy consiste la vraye oraison. Premièrement, Simeon estoit j'usie ; qu'est-ce à dire •Cf.EntretienXix, cela, sinon qu'il avoit ajusté s,a. volonté à celle de Dieu*? sub nem. Estre juste n'est autre qu'estre selon le cœur de Dieu et vivre selon son bon playsir. Quant à nous autres, nous sommes d'autant moins capables de faire la très sainte oraison, que nous avons nostre volonté moins unie et ajustée avec celle de Nostre Seigneur. Il faut que je me fasse mieux entendre. Demandez à une personne où elle va : Je m'en vay faire l'oraison. Cela est bon. Dieu vous veuille acheminer au but de vostre désir et entreprise; mais dites-moy, je vous prie, qu'est-ce que vous y allez faire ? Je m'en vay demander à Dieu des consolations. C'est bien dit; vous ne voulez donques pas ajuster vostre volonté à celle de Dieu qui veut que vous y ayez des sécheresses et des stérilités ? cela n'est pas estre juste. Oh ! je m'en vay demander à Dieu qu'il me délivre de tant de distractions qui m'y arrivent et qui m'y impor- •Vid.not.(i),p.259. tunent. * Helas, ne voyez -vous pas que tout cela n'est pas rendre vostre volonté capable d'estre unjê^et ajustée à celle de Nostre Seigneur, qui veut qu'entrant à l'oraison vous soyez résolue d'y souffrir la peine des continuelles distractions, sécheresses et degousts qui vous y survien- dront, demeurant aussi contente que si vous y aviez beaucoup de consolations et de tranquillité, puisque c'est une chose certaine que vostre oraison ne sera pas moins aggreable à Dieu, ni à vous moins utile, pour estre faite avec plus de difficultés. Pourveu que nous ajustions nostre volonté avec celle de la divine Majesté  XXVIII. Pour la fête de la Purification 263 en toutes sortes d'evenemens, soit en l'oraison ou es autres occurrences, nous ferons lousjours nos oraisons et toutes autres choses utilement et aggreablement aux yeux de sa Bonté. La seconde condition que nous trouvons estre néces- saire pour bien faire l'oraison est que nous att ' ns, comme le bon saint Simeon, /- - ' • '-^n u istut'l, c'est à dire que nous vivions en 1 ,.ostrc propre perfection. '») O qu'heureux s< .. qui vivans en attente ne se lassent point d'attendre ! Ce que je dis pour plusieurs lesquels ayans le désir de se perfectionner par l'acquisition des vertus les voudroyent avoir toutes d'un coup, comme si la perfection ne consistoit qu*à la désirer. Ce seroit certes un j^rand bien si nous pouvions estre humbles tout aussi tost que nous avons désiré de l'estre, .sans autre peine ; ou bien si un Anj^o pou voit un jour remplir une sacristie de vertus et de la perfection mesme, et que nous n'eussions à faire que d'entrer là dedans et nous revestir d'icelle comme nous ferions d'une robe ; certes, ce seroit bien aggreable. Mais cela ne se pouvant, il faut que nous nous accoustumions à rechercher l'événement de nostre perfection selon les voyes ordinaires, en trancjuillité de cœur, faisant tout ce que nous pouvons pour acquérir les vertus par la fidélité que nous aurons à les prallicjuer, un chacun selon nostre condition et vocation ; et demeurons en attente pour ce qui rej^arde de parvenir tost ou tard au but de nostre prétention, laissant cela à la divine Providence, laquelle aura soin de nous consoler, comme saint Simeon, au temps qu'elle a destiné de le faire*. Ft quand mesme ce • I P«tri.olt.,7.io. ne seroit qu'à l'heure de nostre mort, cela nous doit suffire, pourveu que nous rendions nostre devoir en faisant tousjours ce qui est en nous et en nostre pouvoir. Nous aurons tousjours assez tost ce que nous desirons, quand nous l'aurons lors qu'il plaira à Dieu de nous le donner. (t ) La MitU d« c«t aUoé«, mbC Ut ligort i6-ti, figure dJDt rEotr«tt«a Dt rOifit^mt*. (Voir toai« VI d« cette Edittoo, pp. 164, 16), «t U TabU d« rorrMpoodtoot . )  364 Sermons KhcukiLLis La troisiesme condition est qu'il faut estre, comme saint Simeon, timoré , c'est à dire plein de révérence •Vid.not.(i;.,p.:si). devant Dieu au temps de la sainte oraison.* Car, en quel respect et en quelle révérence ne devons nous pas estre en parlant à la divine Majesté, puisque les Anges qui sont si purs tremblent en sa présence ? Mais, mon Dieu, je ne puis point avoir ce sentiment de la présence de Dieu qui cause une si grande humiliation de toute l'ame, c'est à dire de toutes les facultés de nostre ame, en fin cette révérence sensible qui me feroit anéantir si douce- ment et aggreablement devant Dieu. Or, ce n'est pas de celle cy que j'entens parler, ains de celle qui fait que la partie suprême et la pointe de nostre esprit se tient basse et en humilité devant Dieu, en reconnoissance de son infinie grandeur et de nostre profonde petitesse et indignité. O qu'il faisoit bon voir le respect avec lequel ce saint homme Simeon tenoit le divin Enfant entre ses bras, puisqu'il avoit la connoissance de la souveraine dignité de Celu}^ qu'il tenoit ! En quatriesmelieu, il est dit que le Saint Esprit estait en saint Simeon et qu'il faisoit sa demeure en luy ; ce fut pour cela qu'il mérita de voir Nostre Seigneur et de le tenir entre ses bras. Il est donques nécessaire que nous donnions place en nous au Saint Esprit, si nous voulons que Xostré Dame ou saint Joseph nous donne à tenir et porter entre nos bras ce divin Sauveur de nos âmes auquel consiste tout nostre bonheur, puisque nous ne pouvons avoir accès vers son Père céleste que par son •Rora.,v.i;Ephes., entremise et par sa faveur*. Or, que faut-il faire pour donner place en nous au Saint Esprit? L Esprit du •Sjp., 1, 7. Seigneur a esté respandu sur toute la terre"" ; mais •Ibid., t«-- 4. 5. pourtant il est dit en un autre endroit* qu'il n'habite point en un cœur feint et dissimulé. Grand cas que ce divin Esprit ne fasse nulle reserve pour n'habiter point en nous, que celle de la feintise et artifice ! Il faut donc estre simples et naïfs, si nous voulons qu'il vienne en nous, et par après Nostre Seigneur ; car le Saint Esprit semble estre le fourrier de nostre Sauveur Jésus Christ, et comme il procède de luy de toute éternité entant que  XXVill POUK LA I-ÉIE DE LA PURIFICATION 365 Dieu, il semble qu'il luy rende son change, Xostre Sei- gne ur procéda nt de luy entant qu'homnu*. Que nous reste-i-il .: lus à dire maintenant, sinon qu'ayant dès cette vie périssable et mortelle le Saint Ksprit en nous, nous tenant en grand respect et révé- rence devant la divine Majesté en attendant avec sous- mission l'événement de nostre perfection et ajustant, autant qu'il nous sera possible, nostre volonté à celle de Dieu, : :^ «ns le bonheur de porter le Sauveur entre nos , , .,..,. au moyen de cette grare nous serons bienheureux éternellement. Amen.  XXIX SERMON POUR LE VENDREDI-SAINT 17 avril 1620 Le grand Apostre saint Paul, prédicateur de la Croix •Act., XVII, 22,23. de Nostre Seigneur, raconte * qu'estant allé un jour en la ville d'Athènes il fit de ses yeux le rencontre d'un autel qui avoit pour tiltre : Au Dieu inconneu. Je rencontray de mes yeux, dit-il, un autel dédié au Dieu inconneu ; et de là il print occasion de prescher aux Athéniens quel estoit ce Dieu inconneu qu'ils adoroyent. O bien aymés et très chers Athéniens, leur disoit ce grand prédicateur de la Croix, ce Dieu que vous ne connoissez point encores et que tout maintenant je vous veux faire connoistre n'est autre que Dieu le Père tout puissant, qui a envoyé son Fils ça bas en terre pour prendre nostre nature humaine ; en icelle, bien qu'il fust Dieu comme son Père, de mesme nature et essence que luy, ce divin Fils a néanmoins souffert la ' Philip., Il, 6-8. mort, et la mort de la croix *^ pour satisfaire à la justice de Dieu son Père justement indigné contre les hommes en suite du péché de nos premiers parens, péché qui nous eust sans doute causé à tous la mort éternelle. Les Athéniens, comme la pluspart des hommes de ce temps-là, reconnoissoyent plusieurs dieux, mais en fin ils confessoyent qu'entre tous ceux-là il y en avoit un qu'ils ne connoissoyent point. Le grand Apostre donc print sujet de cette inscription pour leur faire une excellente prédication, leur donnant à entendre avec des termes admirables quel estoit ce Dieu qu'ils ignoroyent encores. Et moy, mes très chères  XXIX. Pour le Vendredi-Saint 267 Sœurs, ayant à vous entretenir icy quelque peu de temps, j'ay jette les yeux de ma considération sur le tiltre que j'ay veu non au dessus de Tautel des Athé- niens, mais au dessus de cet autel incomparable sur lequel nostre Sauveur et Maistre s'est offert pour nous à Dieu son Pcre en sacrifice très aggreable et d'une suavité nompareille, autel qui n'est autre que la Croix, laquelle despuis a tousjours esté honnorée comme très pretieuse et adorable. Or, ayant considère le tiltro placé sur icelle, j'ay pensé qu'à l'imitation du prédicateur de la Croix, je ne devois pas rechercher autre sujet pour fondement de ce que je vous devois dire. Non pas que je vous veuille parler d'un Dieu inconncu, car grâce à sa bonté nous le connoissons; mais certes, je pourrois bien parler d'un Dieu mcsconneu. Nous ne vous ferons donc pas connoistre, mais nous vous ferons reconnoistre ce Dieu tant aymable qui est mort pour nous. Oh que c'est une chose utile que cette reconnoissance! Car véritablement, au dire de plusieurs, A!)raham, Isaac et Jacob eussent eu quelque excuse s'ils n'eussent pas reconneu la divine Majesté, d'autant qu'ils ne l'avoyent pas conneûe si clairement que nous, qui sommes hors d'excuse, ayans appris de Dieu mesme ce qu'il est, par la divine bouche de Nostre Seij^neur qui est, comme nous avons dit, un mesme Dieu avec son Père. I^s Chrestiens seront inexcusables " de ne l'avoir pas aymé * Ro«., 1, m. et servi de tout leur cœur, puisfju'ils ont esté si bien enseijiTnés combien il est aymable et comme chèrement il les a aymés en donnant sa vie pour eux *. Tf GiUt.,n, 10; Or je n'entcns pas vous parler, mes chères Sœurs, i'^""* • ^' *• avec combien d'ij^nominies, de douleurs, d'amertumes, d'anjfoisses. de vitupères, d'affronts, de mespris nostre divin Maistre souffrit la mort , ni moins vous faire un narré de la cruauté envenimée avec laquelle les Juifs l'attachèrent à la croix ; car vous sçavez que je vous ay tousjours fait entendre que c'est la moindre considération en la l'assion de no««tre Sauveur que celle cy. et celle sur laquelle vous vous devez moins arreitcr, puisque l'affec- tion de compassion sur ses souffrances est la moins utile.  268 Sermons recueillis Luy mesme a semblé nous le vouloir inculquer lors qu'il dit aux femmes qui le suivoyent de ne point pleurer sur •Luca?, xx111.c7.2S. luy, ains sur elles mésmes *. Si nous avons des larmes, pleurons tout simplement, car nous ne les sçaurions jetter pour un plus digne sujet ; mais ne nous arrestons pas là, passons à des considérations plus utiles selon que le requiert le patir de nostre Sauveur. Je reprens donques mon propos et considère le tiltre qui est posé sur le haut de la croix. O qu'il est admi- rable ! Je suis presque ravi en le considérant. Jésus •joan.,xix, 19. Na\areniis, Rex Judœorum *. Qui eust jamais pensé que des paroles si saintes eussent esté prononcées par la misérable bouche d'un si meschant homme qu'estoit Pilate ? Pourtant elles furent très véritables, et Nostre Seigneur les confirma pour telles en sa Passion, ainsy que nous verrons en la suite de nostre discours. C'est chose remarquable combien les Juifs dirent de belles paroles en la mort de nostre Sauveur, quoy qu'ils ne les entendissent pas et les dissent malicieusement et à mauvaise intention. Quelle sentence plus belle et plus vraye peut estre prononcée, que celle du plus meschant d'entre tous les hommes, ce misérable Caïphe : // est requis qu'un homme meure (c'est à dire, un homme le plus excellent d'entre tous les hommes), de peur que tous les autres ne périssent, que toutes les gens ne •ibid., xr, 49, 50. périssent *. Et les Juifs : Qiie son sang soit respandu • Matt., xxvn, 23. sur uous et sur nos en/ans *. Ce qui arriva tant en la personne de plusieurs d'entre eux, comme en la conver- sion des Apostres et des autres disciples qui estoyent leurs enfans. Pilate ayant escrit le tiltre de la croix : Ce que f ay escrit est escrit, dit-il ; il est ainsy, reconfirmant • Joan., XIX, 22. cette vérité *. Mais que veulent donc signifier ces divines paroles ? Premièrement, Jésus est autant à dire que Sauveur ; deuxiesmement, de Na^aretii, ville fleurissante, fleurie ; en troisiesme lieu, il est dit que Nostre Seigneur estoit Roy : trois qualités qui luy sont extrêmement bien deuês. Et d'abord, il est Sauveur. O combien cecy est véri- table ! Il est Sauveur non seulement des hommes mais  XXIX. Pour ut VENORtonSAisr 269 aussi des Anges. Tous tiennent le salut de la divine Bonté, et l'ont en vertu de la Mort et Passion de Jésus Christ : car do toute éternité il projetta cette miséricordieuse pens. e * qu'il mourroit pour tous. Mais il faut confesser •]«'««•.«««. n. que les hommes ont un sujet d'une consolation inexpli- ah l'i^-^^r .paruc cable en cette Mort et Passion de Nostre Seigneur ; car si bien il est le Sauveur des Anges il n'est pas pourtant leur Rédempteur*, mais ouy bien des hommes. Aussi * Cf. sapra, p. 960. tost que les Anges eurent péché ils furent en i temps confirm^'s en leur malice par la volontaire eU-< L««»ii qu'ils firent du mal et de ce qui pouvoit estre dcsaggrea- ble à Dieu ; si que dès lors il n'y eut plus d'espérance pour eux de s'en pouvoir desprendre. Dès qu'ils eurent eslcu le péché ils furent rendus ses esclaves*; ils furent * Jojn . vm. n; , . • f t %% r .1 «• • Rom., VI, 16; II Pc- cloues et attachés de telle façon a la perdition que in, 1,, 19. jamais plus il ne leur sera possible de s*en destacher. Ils .se servirent malheureusement de leur franc arbitre contre la volonté divine, c'est pourquoy ce franc arbitre a < fait serf des peines infernales pour jamais. Mais dès que l'homme eut mangé du fruit défendu de l'arbre Je science du bien et du mal^, Nostre Seigneur, c'est à m;.» m 1- m 6 dire la srrnmle Personne de la sainte Trinité, résolut de- venir î r ce pauvre homme au prix de son très pretieux sang, se revestant de la nature humaine <|u'il unit inséparablement à sa Personne divine pour se ren- dre capable de patir et mourir ainsy qu'il a fait. O quelle pensée suave et aggreable plus qu'il ne se peut dire, j|uelle joye, quelle douceur de cœur, t|u« " »! ' • tion doit causer à l'Iioinmo cette vérité, que No>u<- ^' ..^.' ur est son !<»• ^ - • r vi qu'il lient la vie de luy ! î i vie luy a esté . 4 fin (|u'il la donnast à un un et que tous la tinssent de luy comme il la tenoit de son Père*. Ce n'est pas de la vie corporelle que nous • Jo*o., r, m-*^ entendons parler, car nul n'en peut douter, ains de la '^' vie spirituelle. Or. Nostre Seigneur p une vie non commune et petite, mais une vt'e surabondante *, ù fin • ibij . 1. 1». (ju'un chacun des hommes y participant et \ t de la î • vie, qui est celle de la * •* i»art.iitc et luut .ivmable. Mais pour nous .»- i-.- ••• - ^ iic vie, Nostre  270 Sermons recueillis •lCorinth.,vi,uit.; Seigneur nous l'a achetée au prix de son sang* et a livré etn, I, I , 19. ^^ sienne : donques nostre vie n'est pas nostre, ains sienne, nous ne sommes plus à nous, ains à luy. Puis- qu'il nous a achetés, nous sommes ses esclaves; quel heureux esclavage ! Il ne faut donques plus vivre pour •II Corinth.,v, is. nous ains pour luy*. O que cette rayson est puissante Cf. Tr. df TAm. de ^ . - ,. , , . , Dieu, 1. VII, c. VIII. pour nous laire dédier totalement au service de cet amour céleste duquel nous avons esté si chèrement favorisés, et si je l'ose dire, au dessus des Anges mesmes. Voyons maintenant comme Nostre Seigneur se mons- tra véritablement Sauveur et Rédempteur des hommes en sa Mort et Passion. Les félons Juifs ayans presque assouvi leur cruauté barbare et inouïe sur ce très doux •Jereni., XI, 19. Aigneau"^, l'ayans attaché à la croix, et vomi de leurs misérables bouches plusieurs exécrables blasphèmes contre sa divine Majesté, nostre Sauveur se print à crier ces divines parolles comme en contrecarrant ces injus- tes et indignes blasphèmes : Père, pardonnez-leur, car • Lues, xxin, 3^. ils ne sçavent ce qu'ils font^. Mon Dieu, que ces parolles sont admirables ! Considérez, je vous prie, la douceur du cœur de nostre Maistre, et voyez comme la charité recherche des artifices pour parvenir au but de sa prétention qui est la gloire de Dieu et le salut du prochain. Mon Père , s'escrie nostre cher Sauveur ; comme s'il eust voulu dire : Je suis vostre Fils, resouve- nez-vous que vous estes mon Père, et partant que vous ne me devez rien refuser. Et qu'est-ce qu'il demande ? Rien pour luy, car il s'est oublié soy mesme. Il souffre beaucoup plus qu'il ne se peut jamais imaginer, mais pourtant il ne pense point à luy ni à ce qu'il endure ; il fait tout au contraire de nous autres qui ne pouvons penser qu'à nostre douleur quand nous en avons, et oublions presque toutes autres choses ; ouy mesme un mal de dents nous oste le souvenir de ce qui est autour de nous, tant nous nous aymons nous mesmes et nous .sommes attachés à cette misérable chair. Les hommes pensent presque toute leur vie à ce qu'ils ont à faire à leur mort, comme quoy ils pourront bien establir leurs dernières volontés à fin qu'elles soyent  XXIX. Pour le Vendredi-Sawt 271 bien entendues de ceux qu'ils laissent après eux, soit leurs enfans ou autres qui doivent hériter de leurs biens. Et pour cela, plusieurs font leur testament en pleine santé, craignant que l'efFort des douleurs mortelles ne leur oste le moyen de manifester leurs intentions à leur trespas. Mais Nostre Seigneur sçachant qu'il mettroit sa vie et la garderoit comme et quand il luy plairoit*, remit * Joao., x, 17, iS. à faire son testament à la mort, testament qu'il scella et cachetta avant mesme qu'il fust escrit et prononcé. Les hommes, p>our monstrer que ce qui est escrit est leur volonté et qu'ils entendent qu'il soit ainsy fait, le cachettent de leur sceau, mais ils ne l'appliquent qu'après que tout est parachevé. Le Sauveur ne voulant prononcer son testament qu'en la croix et un peu avant que de mourir, applicjua néanmoins son sceau et cachetta son testament avant toutes autres choses. Son sceau n'est autre que luy mesme, ainsy qu'il l'avoit fait dire à Salomon parlant en sa personne ti l'ame dévote* : Mets •Cant., mt.o. tnoy comme un sceau sur ton cœur et comme un cachet sur ton bras. Il appliqua ce sceau sacré lors qu'il institua le très saint et très adorable Sacrement de l'autel, qu'il appelle son nouveau testament* ; Sacre- •Mut., mti, »«: ment qui contient en soy la Divinité et 1 humanité tout Cor., xi, s^. ensemble, et entièrement la Personne sacrée de Nostre Seigneur. Il se |>osa et appliqua donques sur nos cœurs par le moyen de la très sainte Communion comme un sceau sacré et un cachet très aymable. Puis il fit son testa- ment, manifestant ses dorniores volontés sur la croix un peu avant que de mourir, .1 fin qu'un chacun des hommes qui devoyent estre ses cohéritiers * au Royaume de son * Rom., vm. 17. Père céleste fussent grandement bien instruits, tant de ce cju'ils devoyent faire comme de l'affection incomparable tju'il avoit pour eux. Il .s'oublie soy mesme pour penser premièrement U eux, tant sa charité est grande, puis en après il retournera à soy mesme Son testament, mes chères âmes, n'est autre que les divines paroles qu'il prononça estant en la croix. Absorlx* donques en cet amour ()u'il portoit aux pécheurs, il se  2-2 Sermons recueillis print à amadouer son Père céleste l'appellant Père : Mon Père, pardonnez-leur y parce qu'ils ne sçavent ce qu'ils font. O que voic}^ un document incomparable d'une parfaite charité ! Ayme^-vous les uns les autres •jonn.,Mii. 34,xv, comuie je vous ay aymés^, disoit-il souvent preschant \l- LucxT^.l:^^' ^^ peuple ou à ses Apostres, de telle sorte qu'il sembloit n'avoir point tant d'affection pour autre chose que pour •VideEntretieniv, inculqucr ccttc tres saiutc dilection. * Mais maintenant P*"b6 11. "2-9. Cf. il en donne un exemple du tout inimaginable : il excuse supra, p.Ms,not.(i). (^eux-kï mesme qui le crucifio3'ent et l'injurioyent d'une rage toute barbare, et cherche des inventions pour faire que son Père leur pardonne, et cela en l'acte mesme du péché et de l'injure. O que nous sommes misérables nous autres, car à peine pouvons-nous oublier une injure dix ans après qu'elle nous a esté faite ; ou}^ mesme il s'en est trouvé qui à l'heure de la mort ne pouvoyent ouïr parler de ceux dont ils avoyent receu quelque outrage et ne leur vouloyent pardonner. O Dieu, quelle misère est la nostre ! A peine pouvons-nous pardonner à nos enne- mis, et Nostre Seigneur les aymoit si chèrement et prioit ardemment pour eux ! Cette prière si admirable porta un tel fruit que plu- sieurs d'entre eux se convertirent : aucuns tout sur le champ, confessant, après l'avoir ouïe, que cela estant tout à fait au dessus de la nature humaine, /'/ estoit •Matt., XXV. r, s4 i Véritablement Fils de Dieu"^. Les autres firent comme Marc, XV, 39. une biche laquelle estant blessée va néanmoins rendre les abbois encores assez loin du lieu où elle a receu le coup de la mort. Nostre divin Maistre avoit obtenu de son Père céleste qu'il envoyast des hauts lieux plusieurs traits et sagettes dans les cœurs de ceux pour qui il prioit ; ce qu'il fit tout ainsy qu'il avoit désiré. Mais pourtant plu- sieurs ne rendirent pas sur l'heure mesme leur vie par leur conversion, ains portèrent le coup de ces divines sagettes des remords intérieurs jusques à la Pentecoste, jour auquel, en la première prédication de saint Pierre, •Act.,it, 41. jje convertirent bien trois mille personnes*, entre les- quelles estoyent indubitablement plusieurs de ceux qui .se trouvèrent à la mort de nostre vSauveur ; conversion  XXIX. PoL'R LE Vendredi-Saint 27 J qui appartenoit au mente de cette tant admirable prière qu'il fit à son Père céleste en l'acte mesme des injures et meschancetés que ses ennemis luy faisoyent souffrir. Chose estrange certes, en mesme temps que les hommes pervers et malheureux vomissoyent contre sa divine Ma- jesté et contre celle de son Père ces blasphèmes insup- portables : S'il est tout puissant comme il dit. et se confie en son Père qui Ta envoyé, qu'il l'appelle main- tenant et qu'il le sauve ; s'il veut que nous croyions en luy, qu'il se sauve maintenant soy mesme ; il dit qu'il restablira le Temple en trois jours, et semblables paroles vrayement diaboliques •, Xostre Seigneur, dis-je. 'Matt..xxvii,i" '^ a mesme temps eslançoit vers Dieu des souspirs de Luc*, xxm. >, ,,. compassion et des paroi les plus douces que le miel * et • Pi. cxvni. loj. le sucre à fin qu'il leur pardonnast leurs forfaits et leur donnast sa grâce. Voyez donques comme Nostrc Seigneur est très justement appelle Sauveur. Mais outre la grâce qu'il octroyé aux pécheurs, il la demande pour eux à son Père céleste avec une charité si artificieuse qu'il ne l'appelle point son Dieu ni Sei- gneur, comme nous verrons qu'il fera cy après en parlant pour s*DREDi-SArNT 275 «seulement préservée de péché tant originel qu'actuel, mais elle fut aussi préservée de l'ombre d'iceluy, ne commettant pas mesme des imperfections pour petites qu'elles peussent estre. I^ Paradis est tout tapissé de penitens, et, comme nous avons dit, l'on n*y voit presque autre chose. Les Martyrs ont esté penitens en respandant leur sang dans lequel ils ont esté lavés comme dans un bain de péni- tence ; tous les tourmens qu'ils ont soufferts n'ont esté que des actes de pénitence. Les Vierges ont esté péni- tentes, les Confesseurs aussi ; bref, nul n'est entré au Ciel sans pénitence et sans se reconnoistre pour pécheur, excepté ceux dont nous avons parlé. Tous sans exception ont eu besoin du mérite du sang respandu par Nostre Seigneur, lec|uel, comme je crois, jettoit des odeurs et des parfums si cxcellens, tant devant la Majesté du Père éternel que devant les hommes, qu'il estoit pres- qu'impossiblc qu'il ne fust reconneu pour estre le sang non d'un homme seulement, mais d'un homme Dieu. Il m'est advis que ce sang très sacré estoit comme l'encens lequel estant jette dessus le feu respand de toutes parts autour d'iceluy .sa fumée odoriférante, voire exhale cette fumée en haut ; ainsy le sang de Nostre Seigneur distillant de son corps très .sacré en terre jusques à la dernière goutte, jettoit des parfums de tous costés •. • Cf. Eph«t., t, ». Aussi cette odeur pretieuse par\int jusques au Iwn larron, lequel fut rempli d'une si grande suavité qu'il se con- vertit à l'instant et mérita d'ouïr cette tant gracieuse parolle : é\ujottrd'huy tu stras avec moy en Parailis, Paradis dont nostre Sauveur n'avoit pas voulu parler jusques à maintenant qu'il estoit si proche d'y entrer et se trouvoit desja à la porte. N'est-ce pas une vrayc marque que Nostre Seigneur estoit vrayement nostre Sauveur, puisqu'il promet si absolument la gloire qu'il ne diffère point de la donner, ains dit aujourd'htty ? O parolle de grande consolation pour les pécheurs peni- tens, car ce que sa Honte a fait pour le l>on larron elle le fera pour tous les autres enfans de la Croix qui sont les Chrcslicns. O heureux enfans «le la Croix, puiscjue veut  i^5 Sermons recueillis estes asseurés qu'au mesme temps que vous serez peni- tens et vous repentirez de vos péchés, nostre Sauveur sera vostre Rédempteur et vous donnera la gloire ! Cependant il luy restoit encores quelque légat à faire en son divin testament. Et quoy, me direz-vous, qu'y a-t-il autre chose ? Quoy, mes chers Sœurs ? Il y a une certaine délicatesse spirituelle dont il devoit faire présent à ses plus chers amis, délicatesse qui n'est autre qu'un mo3^en très singulier pour conserver la grâce acc[uise et pour parvenir au plus haut degré de gloire. Regardant donques de ses yeux pleins de compassion sa très bénite MerCj qui estait debout au pied de la croix avec son bien aymé disciple , il ne luy voulut pas donner la grâce ou la demander pour elle, car elle la possedoit desja fort excellemment, ni moins luy promettre la gloire, car elle en estoit toute asseurée ; mais il luy donna une cer- taine union de cœur et amour tendre pour le prochain, cet amour des uns pour les autres qui est un don des plus grans que sa bonté fasse aux hommes. Mais quel amour? Un amour maternel. Femme, dit-il, • Joan., XIX, 26. voyla toufils'^. O Dieu, quel eschange ; du Fils au •Cf.s.Bern.,Doin. serviteur, de Dieu à la créature*! Néanmoins elle ne infra oct. Assump., _ . , , . , , , . §15. refuse pomt, sçachant bien qu en la personne de saint Jean elle acceptoit pour siens tous les enfans de la Croix et qu'elle en seroit la chère Mère. Nostre divin Maistre nous enseignoit par là que si nous voulons avoir part en son testament et aux mérites de sa Mort et Passion, il faut que nous nous aymions tous les uns les autres de cet amour tendre et grandement cordial du fils envers la mère et de la mère envers le fils, qui est en quelque façon plus grand que non pas celuy des pères. Il nous faut remarquer que Nostre Dame estoit debout au pied de la croix. En quoy certes ont grand tort ceux qui pensent qu'elle fut tellement outrée de douleur qu'elle en demeura pasmée ; car sans doute cela n'est point, ains elle demeura ferme et constante, bien que son affliction fust la plus grande que jamais femme aye ressenti pour la mort de son enfant, parce qu'il ne s'en est jamais trouvé qui ayt eu autant d'amour qu'elle en avoit pour Nostre  XXIX. Pour le Vbndredi-Saist 277 Seigneur, non seulement parce qu'il estoit son Dieu, mais aussi parce qu'il estoit son Fils très cher et très aymable. Grande fut la constance de la très sainte Vierge et du bien aymé Disciple; c'est pourquoy celuy cy fut favorisé du don que sa bonté luy fit de sa très sainte Mère, Mère la plus aymable qu'il soit possible d'imaginer. Cette vertu de constance et générosité d'esprit a tousjours esté grandement chérie de Xostre Seigneur au dessus de plusieurs autres. L'amour de Xostre Dame estoit vrayemcnt plus fort et plus tendre qu'il ne se peut dire, et par conséquent sa douleur plus véhémente que toute autre en la Mort et Passion de Jésus Christ ; mais comme cet amour estoit selon l'esprit, conduit et gouverné par la rayson, il ne produisit point de mouvement desreglé en l'affliction qu'elle ressentit se voyant privée de son Fils, qui luy causoit une consolation incomparable. File demeura donc, cette très glorieuse Mère, ferme, constante et parfaitiemcnt sousmise au Iwn playsir de Dieu, qui avoit décrété que Xostre Seigneur mourroit pour lo sahit et rédemption des hommes. Il nous faut passer outre, car je n'ay pas le temps de m'arrester beaucoup sur ce sujet, bien que je prendrois playsir de finir sur cette sainte délicatesse spirituelle, c'est à dire cet amour cordial et tendre que nostre cher Maistre désire tant que nous ayons les uns pour les autres. Nostre Seigneur fut donqucs appelle Sauvtur, et à très juste rayson, puisqu'il l'approuva luy mesme et en fit tout particulièrement l'office sur la croix, comme nous avons dit. Car si bien tout ce qu'il a fait durant le cours de sa vie mortelle a esté pour nous sauver et en intention de satis- faire pour nous vers .son Père céleste, néanmoins ce qu'il opéra en sa Mort et Passion est appelle l'œuvre de nostre . Rédemption par excellence, comme en estant l'abbregé. Mais il ne se monstra pas seulement digne du nom do Jésus, ains encorcs de celuy de Sa\areen ; et cecy est le deuxicsmc point de nostre discours et la deuxiesme parolle de ce tiltre sacré que j'ay regardé et considéré sur l'autel de la Croix, dédié non au Dieu iftionneu mais au Dieu mesconneu*. Le doux Sauveur de nos âmes 'VidrtTirrt.r tf?.  2y8 Sermons recueillis voulut qu'on le nommasty^^^w^ de Nazareth pource que •Videadcaic.Bibi. Nazareth est interprété ville fleurie ou fleurissante* ; et .supra, pp. 1.14» j^^ niesme, au Cantique des Cantiques, avoit voulu estre • Cap. II, I. appelle la fleur des champs et le lys des vallées *. Or, pour nous monstrer qu'il n'estoit pas seulement une fleur, ains qu'il estoit un bouquet composé de l'assem- blage des plus belles et plus odoriférantes fleurs que l'on sceust rencontrer, il a voulu garder le nom de fleu- rissant sur l'arbre de la croix. Mais dites-moy, Nostre Seigneur n'estoit-il pas sur icelle une fleur plustost flétrie, fanée et passée que non pas fleurie ? Regardez-le, de grâce, comme il ose se nommer fleuri, puisqu'il est si transi, tout couvert et sali de crachats infects et puants, les yeux hâves et ternis, sa face meurtrie de coups, pasle et décolorée à force de douleurs et d'avoir respandu son sang très béni. Bref, les douleurs de la mort s'estoyent •Pss.xm,5,cxiv,3. desja saisies de toutes les parties de son corps*. O mes chères Filles, grandes et belles à merveille sont les fleurs que cette bénite plante de la Mort et Passion de Nostre Seigneur fit esclore et espanouir tandis qu'il estoit sur la croix. Elles seroyent trop longues à vous les rapporter toutes, c'est pourquoy je me contenteray d'en remarquer quatre tant seulement, lesquelles je ne feray que toucher en passant, les laissant par après con- sidérer le reste de cette journée à une chacune de vous autres, à fin que leurs odeurs très aggreables puissent parfumer toutes vos âmes et les embaumer d'un saint propos de les odorer souventesfois, ainsy que le Sauveur le désire pour vostre avancement en la perfection. Ces quatre fleurs ne sont autre que quatre vertus des plus remarquables et des plus nécessaires. La première est ,1a très sainte humilité, laquelle comme la violette respand une odeur extrêmement suave en la mort de Nostre wSeigneur ; la seconde est la patience, la troisiesme, la persévérance, et la quatriesme est une vertu grandement excellente qui est la très sainte indifférence. Quant à la première, Nostre Seigneur ne prattiqua-t-il pas au temps de sa Passion l'humilité la plus profonde, la plus véritable et sincère qui se puisse imaginer, ains  XXIX. Pour l£ Vendreoi-Saint 379 la plus inimaginable, dans tous le*; tourmens et abjections qu'il endura ? Xe prattiqua-t-il pas cette vertu tout le temps de sa vie ? Elle fut certes très grande en ce que se pouvant faire appeller Hierosolymitain ou bien de Bethléem, ville où il estoit né et qui appartenoit à son grand père David, il ne le voulut néanmoins pas, pour monstrer (ju il choisissoil tout au contraire des grans de ce monde, lesquels prennent les noms les plus honnorables qu'ils f>euvent. Mais quant à luy, il choisit le nom de la moindre ville qu'il peut, gardant tousjours pour son partage l'abjection, la pauvreté et la bassesse. Or, les Evangelistes • nous disent que soudain que 'Matt.. xrvn. 4^; nostre Sauveur eut prononcé les trois premières paroles xxw, u'/Iy ^^* que nous avons remarquées, Ivs ténèbres se firent sur toute la face de la terre par l'espace de trois heures et le soleil s'ecclipsa, non que cette eccîipse fust natu- relle, ains elle arriva extraordinairement. I^ lune ayant rebroussé sa course et se venant opposer devant la lumière du soleil, les ténèbres s'ensuivirent. En quoy certes je m'imagine que la lune fit un extrême playsir aux estoilles, à fin qu'elles eussent l'honneur de venir respandre leur lumière en la présence de ce vray Soleil de justice *, qui sans doute sembloit s'estre ecclipsé tant * Maiich., ait, t. sa couleur estoit ternie. Cette fleur estoit flétrie par les douleurs mortelles dont il estoit desja environné, de sorte qu'il sembloit expiré, car durant tout ce temps la il ne dit pas un seul mot, ains observa un très profond silence par l'espace de trois heures ; d'où vient que l'on a tousjours ordonné quelques heures de silence en tous les monastères bien reformés, pour imiter celuy de Nostre Seigneur en la croix. Mais que pensez-vous qu'il faisoit, ce doux Sauveur de nos âmes, durant ce silence ? Il rcntroit en soy mesme et consideroit le mystère de son abjection ; car l'humilité, qu'est-ce autre chose sinon un rentrement en nous mesme pour nous considérer plus meuroment ? Et que cela ne soit ainsy il nous le fait entendre par ce qu'il dit par après : Mon Dieu, won Dieu, pour quoy m'ave\ ' **•• «««. j: M«tt., r<>f<5 our eux, prévoyant les moyens qu'il leur vouloit donner pour tirer le fruit de sa sainte Passion. Cecy appartient desja à la seconde fleur que nous avons pris à considérer, qui est la patience. Cette pa- tience fut grande plus qu'il ne se peut dire ; car jamais Ton n'entendit nulle plainte sortir de la bouche du Sau- veur *, il ne rendit nul tcsmoignage, comme nous faisons * U, un, 7- nous autres, de la grandeur de sa souffrance à fin d'esmouvoir ceux qui estoyent presens à compassion sur luy. Ses douleurs estoyent indicibles. Je vous laisse à penser : estant attaché avec des clous sur la croix, navré dès la teste jusques aux pieds en telle sorte qu'il n*avoit qu'une seule playe qui tenoit tout au long de son très sacré corps • ; ses os tout disloqués. Et quant aux * Cf. IWd., i, 6. douleurs intérieures, elles estoyent sans comparaison plus grandes. Or, cette parolle que nous disions nagueres ne fut nullement prononcée pour se plaindre, ains seulement pour nous enseigner comme au fort de nos peines inté- rieures, delaissemens et abandonnemens spirituels nous nous devons addresser à Dieu et ne nous plaindre qu*à luy mcsme qui seul doit voir nostre affliction, ne souf- frant pas que les hommes s'en apperçoivent sinon le moins qu'il se peut. Mais quelle fut la douleur de nostre Maistre oyant ces détestables blasphèmes que ses ennemis vomissoyent contre luy et contre .son Fere céleste, et voyant que leur rage ne se pouvoit assouvir à force de le tour- menter r* Sans doute, cela luy outreperçoit le cœur plus sensiblement encores que les clous ne perçoyent ses pieds et ses très bénites mains. Ht en outre, quel devoit estrc raltenar l'obéissance duquel il les enduroit, les considerast *, et • Cf. Mut., vi, 1-6, apaisast son courroux envers la nature humaine pour *^'' * laquelle il patissoit. Je passe outre et remarque la troisiesme vertu que Nostre Seigneur nous présente sur la croix, comme une fleur très aggreable : c'est la très sainte persévérance, vertu sans laquelle nous ne sçaurions estre dignes du fruit de sa Mort et Passion ; car ce n'est pas tout de bien commencer si l'on ne persévère jus qu es à la fin^, puis- 'Matt.,x, ï«,xxiy, que c'est chose asseurêe que Testât auquel nous nous '* trouverons à la fin de nos jours, lors que Dieu coupera le fil de nostre vie. sera celuy où nous demeurerons pour toute éternité*. Bienheureuse donques sera l'ame qui • Cf. Eccle*., n. 3. persévérera à bien vivre et à faire ce pour quoy elle a esté envoyée, comme Nostre Seigneur qui persévéra jusques à la mort en la prattique de toutes les vertus, comme saint Paul escrit* de l'obéissance : // a esté • Philip., n, 8. obéissant jusques à la mort ; c'est à sçavoir tout le temps de sa vie jusques i) la mort. C'est pourquoy il dit en fin très véritablement : Tout est consommé^. • Jojo, m, >©. O l'admirable parolle que celle cy : Tout est consom- mé ! c'est à sçavoir : Il ne reste plus rien à faire de ce qui m'a esté commandé. Que les Religieux et Religieuses seroyent heureux si à la fin de leur vie ils pouvoyent dire bien verital>lement avec le Sauveur : Tout est con- sommé ; j'ay fait tout ce qui m'estoit commandé soit par les Règles, .soit par les Constitutions ou par les ordon- nances des Supérieurs ; j'ay persévéré fidellement en tous men exercices, il ne me reste plus rien à faire. Mais plus excellente que toute autre est la quatriesmc vertu, I») car elle est la cresme de la charité, l'odeur de l'humilité, le mérite, ce semble, de la patience et le fruit de la persévérance ; grande est cette vertu, et seule digne d'cstre prattiquée des plus chers en fan s de Dieu : c'est la tre.s aymable indifférence. Mon Père, dit nostre f t) Là Mlto d« Mt êUnéë «t U «uiTcnt «ont iaUrcalit dsM rEotrettca D* U C««/i««c#. (Voir •« loa« VI d« aotr* EdiUoo, \— pp. té, 17 •! U TabU d« corr«tpoBd«ac«.)  284 Sermons recueillis très doux Sauveur après la sixiesme parole, je remets ' Lucx, xxiii, 46. mon esprit entre vos maïjis*. Il est vray, vouloit-il dire, que tout est consommé et que j'ay tout accom^pli ce • Joan., XVII, 4. que vous m'aviez commandé*; mais pourtant, si telle est vostre volonté que je demeure encor davantage sur cette croix pour souffrir plus long temps, j'en suis content ; je remets mon esprit entre vos mains, vous en pouvez faire tout ainsy qu'il vous plaira. Nous en devrions faire de mesme, mes chères Sœurs, en toutes occasions, soit quand nous souffrons ou quand nous jouissons, et repeter : Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains, faites de moy tout ce qu'il vous plaira, nous laissant ainsy conduire à la volonté divine, sans jamais nous laisser préoccuper de nostre volonté particulière. Nostre Seigneur ayme donques d'un amour extrême- ment tendre ceux qui sont si heureux que de s'aban- donner entièrement en son soin paternel, se laissant gouverner par sa divine providence comme il luy plaist, sans s'amuser à considérer si les efifects de cette provi- dence leur sont utiles, profiitables ou dommageables ; estant tout asseuré que rien ne nous sçauroit estre envoyé de ce cœur paternel et très aymable , ni qu'il ne permettra que rien nous arrive de quoy il ne nous fasse tirer du V)ien et de l'utilité, pourveu que nous ayons mis toute nostre confiance en luy, et que de bon cœur nous disions : Je remets mon esprit entre vos mains ; et non seulement m.on esprit, mais mon ame, mon corps et tout ce que j'ay, à fin que vous en fassiez selon qu'il vous plaira. Et en cecy il sera vérifié que très raysonnablement et véritablement Nostre Seigneur doit estre appelle Roy, troisiesme qualité que Pilate luy bailla, et que la bonté de nostre Maistre a bien voulu luy estre donnée jusques à présent ; car il veut que nous demeurions absolument et sans reserve sousmis à ses volontés. Nostre cher • I5., un, M, la. Sauveur expose son ame"^, c'est à dire sa vie, à la cruauté des ennemis des hommes, pour les défendre de tous malheurs et leur redonner la paix qu'ils avoyent pour jamais perdue par le péché. Pour nous restablir en sa  XXIX. Pour le Vendredi-Saint adç grâce et nous rendre dignes de sa miséricorde, il a pris sur soy les coups de la justice divine, justice qui se devoit exercer sur nous qui estions les seuls contre qui elle fust irritée à bon droit. Considérons donques si très justement il ne doit pas estre appelle nostre Roy, ayant eu un tel soin de garantir son pauvre peuple de tous malheurs et Tayant défendu contre ses ennemis. Or, puisqu'il est nostre Roy, il faut sousmettre tout ce que nous avons à son service. Nous luy devons nos corps, nos cœurs et nos esprits à fin qu'il en fasse comme de choses siennes, et que jamais nous ne les employions pour contrevenir à ses lois divines. Mais quelles sont-elles ces lois de nostre Roy ? O quelles elles sont, mes chères Sœurs ? C'est tout ce que je viens de dire, qu'il a observé le premier pour nous donner exemple : la très sainte humilité, la générosité, la patience, la constance et inva- riable persévérance, et en fin la très aymable et excel- lente vertu d'indifférence. Il veut que nous apprenions de luy ces vertus en la considération de sa Mort et Pas- sion, et désire que nous luy tesmoignions par icelles nostre amour et nostre fidélité, puisque c'a esté en les prattiquant «ju'il nous a monstre l'excellence et l'ardeur du sien envers nous (jui en estions si indignes. Our le nom de Jésus soit éternellement béni ! Amen.  XXX SERMON POUR LE MARDI DE PÂQUES 21 avril 1620 (i )  Pax vohis, ego sum, nolite timere. Paix vous soit, c'est moy, ne craigne^ point. LuCiï, ult., 36.  Les Apostres et les disciples de Nostre Seigneur, comme des enfans sans père et des soldats sans capitaine, s'estans retirés dans une mayson tout craintifs qu'ils estoyent, le Sauveur s'apparut à eux pour les consoler •Lucae, ult., 36-39. en leur affliction et leur dit : Paix vous soif^. Comme s'il eust voulu dire : Qu'y a-t-il que vous estes si craintifs et affligés ? Si c'est le doute que ce que je vous ay promis de ma résurrection n'arrive point, pax vohis , demeurez en paix, la paix soit faite en vous, car je suis ressuscité. Voye^ mes mains, touche^ mes bles- seures ; je suis bien moy mesme, ne craigne^ plus, la paix soit en vous. Sur lesquelles parolles je consi- dère trois sortes de paix. La première est celle du saint Evangile et de l'Eglise ; car l'Evangile et l'Eglise ne • Is., Lii,7; Rom., sont que paix*, que douceur, que tranquillité. Hors de x^i3, p es., ut., pQbservance de l'Evangile et de l'obéissance à l'Eglise il ne se trouve que guerre et que trouble, ainsy que nous dirons tantost. La seconde paix est celle que les saints Pères ont distinguée en trois parties : la paix avec Dieu, (i) Il est permis de conjecturer que ce sermon a été prononcé en 1620, d'après une allusion faite à la fin du sermon suivant, dont la date est certaine. Le Dimanche de Quasimodo en effet, prêchant une Vêture, le Saint rappelle diverses considérations énoncées ici, et ajoute : « ainsy que nous le disions « Tautre jour. »> Il s'agit donc bien, selon toute vraisemblance, de ce sermon pour le mardi de Pâques.  XXX. Pour le mardi de Paqijes 187 la paix les uns avec les autres et la paix avec nous mesme *. I-a troisiesme est celle que nous posséderons '*^ ncr-i . «rm. v en la vie éternelle. Si j'ay du temps je traitteray de ces , .^,0$! trois sortes de paix, mais du moins parleray-je des deux \laïo\u^^*^"''' premières. Les Iraélites ayans quitté l'observance des comman- demens de Dieu et s*estans départis de sa grâce, le Seigneur justement indigné contre eux, les laissa, en punition, tomber entre les mains des Madianitcs*. leurs •JuJic.n, 1-94. ennemis jurés ; partant il leur osta sa paix en laquelle il les avoit tousjours tenus tandis qu'ils avoyent esté fidelles. (irand certes est le chastimcnt que Dieu tire de nous lors qu'il nous laisse entre les mains de nos enne- mis, qu'il retire son divin secours et ne nous tient plus en sa très sainte protection. Quand il nous laisse à l'abandon c'est un très grand signe et indice certain de nostre perte, car indubitablement les Madianites, qui sont nos ennemis spirituels, auront prise sur nous et nous demeurerons vaincus. Les Madianites donques ayans résolu de brusler les Israélites »\ petit feu, venoyent tous les ans trouppe à trouppe dans leurs villages au temps de la cueillette, de sorte qu'ils ne leur laissoyent rien pour vivre. Or, la bonté de Dieu qui est si grande envers les hommes, ayant abandonné les Israélites par l'espace d'environ sept ans, se résolut d'avoir pitié d'eux et envoya un Ange annoncer à (ledeon qu'il vouloit les restablir en leur première paix, et par son moyen*. L'Ange l'ayant ren- •€/. lopri.p. 1)9. contré dans un lieu où il battoit du bh'*, le salua en cette .sorte : Lt Sei/rncur fst avec to\\ homme fort entre tous les hommes. Puis il luy dit de quitter son occupa- tion, de prendre les armes contre les Madianites et que .sans faute il remporteroit la victoire et terrasseroit ses ennemis, (iedeon demeura bien estonné de ces parolles et respondit : Hé, comment est-il possible que ce que vous dites soit vray ? Vous m'asseurez que le Seigneur est avec moy ; si cela estoit, comme seroit-il possible que je fusse saisi vi environné do tant d'afllirtions ? I^ .„ Seigneur est le Dieu de paix *, et je ne suis qu'en »«i •* r*«M«i.  288 Sermons recueillis guerre et en trouble. Grand cas de la tromperie du monde et des hommes qui croyent que là où est Nostre Seigneur l'affliction et la peine n'y peut estre, ains que la consolation y abonde tousjours. Or cela n^estpas ; au contraire, en l'affliction et en la tribulation Dieu se tient •Pss. xxxin,i9, xc, plus pres de nous*, d'autant que nous avons plus besoin i5;LucaB,ult.,ï5,i7. , ^ ^. , , ^ de sa protection et de son secours. Le Seigneur est avec toy, dit l'Ange, nonobstant que tu sois affligé. Mais, reprend Gedeon, helas, comment m'osez-vous appeller fort, puisque je suis si foible ? C'est le propre de l'ennemy de nous faire trouver foibles, en sorte qu'il nous semble n'avoir aucune force. Vous me dites, poursuit-il, que je prenne les armes et que je demeureray victorieux ; hé, ne sçavez-vous pas que je suis le moindre de tous les hommes ? C'est tout un, respond l'Ange, Dieu veut que ce soit toy qui délivres les Israélites de l'affliction en laquelle ils sont. Bien, dit Gedeon, je crois ce que vous m'annoncez, mais à fin d'en estre plus certain je voudrois qu'il vous pleust m'en donner quelques signes par lesquels je puisse reconnois- tre que véritablement il arrivera tout ainsy que vous m'asseurez. Lors, l'Ange condescendant à son désir, luy dit : Va, prens un chevreau et dresse un sacrifice au Seigneur. Ce c[ue Gedeon fit tout promptement , et ayant tué le chevreau et l'ayant accommodé avec une bonne sauce, print de la farine et fit des tourtes cuites sous la cendre. Ensuite il revint et dressa son sacrifice, lequel estant prest, l'Ange le toucha du bout d'une baguette et soudain le feu du ciel descendit qui le consuma. Puis l'Ange disparut ; ce que voyant Gedeon : Oh, dit-il, je suis mort, car fay veu un Ange. C'estoit l'opinion du vulgaire, quoy que fausse, car l'expérience l'avoit demonstré en plusieurs, qu'un homme vivant ne pouvoit voir un Ange sans mourir. Mais s'estant un peu rasseuré il reprint cœur et forces, et fit ce qui luy estoit commandé par l'Ange, que jusques à cette heure il avoit tenu pour quelque prophète passager. Despuis il esleva un autel au lieu où il luy avoit parlé, lequel il nomma Do mini pax , c'est à dire la paix du Seigneur,  XXX. Pour i^ mardi ok Pâques 289 parce que la paix luy avoit esté annoncée de la part de Dieu en ce lieu là. Il n'y a point de doute, mes chères âmes, que la Croix ne représente merveilleusement bien cet autel sur lequel fut offert le sacrifice de la paix, et lequel fut nommé ensuite la paix du Sfigneur ; ou que plustost le sacrifice de Gedeon et son autel ne fust la fijjure de celuy que Nostre Seigneur et Maistre accomplit sur la croix , puisque ce sacrifice a esté appelle le sacrifice d'accoise- ment et de pacification ; car les hommes ayant esté pacifit*s avec Dieu •, receurent la paix en eux mesmes •Roai..v.i:Ephc».. au moyen de la grâce que le Sauveur leur acquit par °'^^"* ' * sa Mort et Passion, tn cette mort il {\x\ fait pcché pour nous, ainsy que dit saint Paul • ; c'est à sçavoir, luy qui • n Cor., r, oli. estoit impeccable fut rendu comme un pécheur devant la face de Dieu son Pcre. ayant par sa bonté non ouje pris sur luy toutes nos iniquités^ à fin de satisfaire •i»..iiM.Ciâi.,i.4; '..,.. I Petn, II. 14- pour nous a la justice divine. C'est ainsy qu'il fut offert comme un chevreau rosti. En l'ancienne I-oy • il n'estoit pas si expressément dit • Ei»• témérité : .Misérables, dit-il, i\\i\ est comme Dieu*? et •Videtupra.p.ioi. au son de cette parolle ils furent précipités et malheu- reux pour jamais. .Niais soudain que Lucifer vit que son ambition outrecuidée l'avoit perdu, il présenta cette mesme tentation à nostre pauvre mère Eve, l'asseurant qu'elle ne mourroit point, bien que Dieu l'eust dit, ains qu'elle seroit semblable à luy en mangeant du fruit défendu. Et la pauvrette, au lieu de se tenir ferme en la parolle que le Seigneur luy avoit donnée, escouta et consentit à cette perverst? proposition, (jui fut cause qu'elle périt et son mari avec elle*. Il luy eust bien •Ocn.m. 1-6. mieux valu, et U, nous aussi, qu'elle eust respondu à l'ennemy : Misérable, laisse-nous demeurer en la bassesse et humilité en laquelle nous avons esté créés, plustost que de nous proposer un eslevement duquel tu as esté précipité. O que le pauvre Adam eust esté heureux de demeurer seul et sans estre marié, car il n'eust pas encouru l'indignation de Dieu en prevaricjuant son commandement ! Nos entcndcmens sont ordinairement si pleins de raysons, d'opinions et de considérations suggérées par l'amour propre que cela cause de grandes guerres en l'ame. Au lieu de l'arrester et attacher à se conduire en tout selon que Nostre Seigneur nous l'a enseigné, nous nous servons des considérations de la sagesse humaine laquelle nous représente qu'il faut bien estre discret, et modérer les choses selon la prudrnce pour que tout aille bien. Et cependant c'est tout au contraire, car c'est à fin que tout aille mal. Certes, on ne svait plus de  298 Sermons recueillis quel biais prendre ces personnes qui se servent de cette fausse prudence, parce que, faute de simplifier leur entendement, elles ne veulent pas entendre les raysons qu'on leur donne et en apportent cent contraires pour soustenir leurs opinions, quoy que bien souvent mau- vaises; dès qu'elles s'y sont une fois attachées, l'on ne sçait plus que faire avec elles. Servez-vous de la prudence, car elle est bonne, mais servez-vous-en comme d'un cheval : montez dessus, et la tournez à toutes mains, donnez-luy cent coups d'esperons, jusques à tant que vous l'ayez rangée et domptée pour la rendre sousmise à la simplicité de Nostre Seigneur. Ce très bon Maistre voyant les Apostres entortillés en diverses considérations et doutes de l'accomplissement de ses parolles, n'ayans pas la patience d'attendre que le soir du jour auquel il avoit dit qu'il ressusciteroit fust venu (estans seulement au matin ils commençoyent à •Ubi supra, p. 293. doutcr), Pax vohis, leur dit-il*; vostre entendement soit pacifié par le rejet de tant de reflexions. Voye\ mes playes, et ne soye\ pas mescroyans, mais fidelles. •joan.,xiv,i3,xvi, Grand cas de l'esprit humain! Nostre Seigneur a dit*: Tout ce que vous demanderez en mon nom vous sera donné ; néanmoins, parce que nous ne le recevons pas si promptement que nous voudrions, incontinent nous sommes chancelans en la foy de cette promesse. Mais, j'ay desja tant demandé une telle vertu, et cependant je ne Tay point. Oh ! patience, le jour n'est pas passé ; ce n'est que le matin, et vous doutez. Attendez au soir de cette vie mortelle; indubitablement, si vous persévérez à demander vous obtiendrez. Les Apostres ne voyoient pas si promptement Nostre Seigneur ressuscité, et les voyla bien tost en perplexité. Oh ! pensoyent-ils en eux mes- mes, que nous eussions esté heureux si nous eussions eu un Maistre immortel ! et plusieurs telles raysons par lesquelles ils monstroyent qu'ils estoyent en doute de l'effect de la promesse du vSauveur ; et partant il leur dit pour les accoiser : La paix soit avec vous. Donques le premier sujet qui cause en nous la guerre et qui en chasse la paix n'est autre chose que le manquement de  23  XXX. Pour lb mardi de Pâques 399 foy et d'asseurance es parolles de Nostre Seigneur, et la facilité avec laquelle nous escoutons la multitude des raysons de la prudence humaine. Le second soldat de nostre esprit est la mémoire, la fidélité duquel venant à faillir le trouble se fait grand en Tame. La mémoire est le siège de Tesperance et de la crainte. Je sçay bien que l'espérance est en la volonté, mais je veux dire ainsy pour maintenant. La pluspart des troubles que nous avons en nostre ame viennent dequoy l'imapination de la chair présente des souvenirs à l'imagination de l'esprit, lesquc»ls cstans receus par nostre mémoire, nous nous laissons aller à de vaines craintes de n'avoir pas assez de cecy et de cela, au lieu de nous occuper à nous resouvenir des promesses que Nostre Seigneur nous a faites, et ainsy demeurer fermes en cette confiance que tout périra plustost que ces pro- messes viennent à manquer*, et partant les inquiétudes • Mitt., xnr. y%; ^ ,, Mjfc. XIII, 11. arrivent. I-a chair employé toutes ses forces contre 1 es- prit, attirant de son costé l'entendement et la mémoire pour combattre pour elle. C'est grand pitié du dcsgat que ce manquement de paix fait en lame; au lieu que nous jouirions d'un grand ref>os si la mémoire demeuroit ferme au souvenir des promesses divines qui nous asseurent non seulement de la fidélité de Dieu, mais encor de .son soin tendre et amou- reux pour tous ceux qui .se confient en luy et ont logé en sa l>onté toutes leurs espérances*. Que nous serions • Thr»o., m, tv heureux si nous nous occupions aussi des promesses que non seulement au Haptesme, mais, la pluspart d'entre nous, par le moyen des vcpux, nous avons faites à Dieu de luy estre fidelles et de ne nous arresler jamais qu'à ce qui nous pourra rendre plus aggreables «i ses yeux ! Si les Religieux et Religieuses accomplissoyent les pro- mes.ses qu'ils ont faites d'observer fidellement leurs Règles et Constitutions et de suivre les conseils qui leur seront donnés, ils possederoyent, dis-je, la paix en leurs âmes, Nostre Seigneur viendroit m eux et leur diroit : Paix vous soit, comme il fit k ses Apostres. Le truisiesmc soldat de nostre esprit et le plus fort de  300 Sermons recueillis tous c'est la volonté, car nul ne peut surmonter la liberté de la volonté de l'homme ; Dieu mesme qui l'a créé ne •Eccii.,xv,M,i7,iS. veut en façon quelconque la forcer ni violenter *. Néan- moins elle est si lasche que bien souvent elle se laisse gaigner aux persuasions de la chair, se rendant à ses efforts, bien qu'elle sçache que la chair est le plus dan- gereux ennem}^ de l'homme ; c'est cette felone Dalila qui tue meschamment le pauvre Samson qui Taymoit si •judic, XVI. chèrement*. La chair a des ruses nompareilles pour vain- cre Tesprit et l'attirer à ses bestiales inclinations ; mais le principal ennemy de la volonté et ce qui la fait estre si lasche que de quitter l'esprit qui est comme son très cher espoux, c'est la multitude des désirs que nous avons 'Ci.httrod.aîaVie de cecy et de cela*. Bref, nostre volonté est si pleine de dévote, Partie III, . , - . , . . -ii i- •. c. XXXVII. 7>. de prétentions et de desseins que bien souvent elle ne tait \é.i c lu ^'^"' ^' ^^^^ ^^^ s'amuser à les regarder l'un après l'autre, ou bien tous à la fois, au lieu de s'occuper à en faire réussir quelques uns des plus proffitables. Combien avez-vous de désirs en vostre volonté? dira- t-on à quelqu'un. Combien? je n'en ay que deux. C'est trop, car il n'en faut qu'un ; Nostre Seigneur le dit luy • Lucae, x, uit. mesme * : Marie a choisi cet un nécessaire. Et quel est-il cet un ? C'est Dieu qu'il faut vouloir, mes chères Sœurs, et rien autre ; car qui ne se contente pas de Dieu mérite de n'avoir rien. Mais, me repliquerez-vous, ne faut-il pas vouloir aymer le prochain ? Puisque vous dites qu'il ne faut aymer que Dieu et ne vouloir que luy seul, pourquoy donques tant de livres spirituels, tant de prédications et tous les autres exercices de dévotion? Un exemple vous fera entendre cecy : vous regardez cette muraille qui est blanche, et je vous demande ce que vous voyez. Je vois, respondrez-vous, cette muraille qui est blanche. Mais ne voyez-vous point l'air qui est entre elle et vous? Non, me direz-vous, parce que je ne regarde que cette muraille ; et bien que ma veiie passe et traverse parmi l'air qui est d'icy là, néanmoins je ne le vois pas, *rf'' ^r '?(/'* '"•^' d'autant que ie n'y arreste pas ma veûe *. De mesme, iJi^M, 1. IX, c. IV. n. j j r T-x • pourriez-vous bien dire, en aymant Dieu je rencontre plusieurs autres choses, comme les livres, les vertus,  XXX. Pour le mardi de Pâques 301 Toraison, le prochain que j*ayme voirement bien ; cepen- dant mon dessein principal estant de n'aymer que Dieu, fait que j'ayme toutes ces choses et que je m'en sers, mais ce n'est qu'en passant, pour m'exciter à l'aymer davantage, et tousjours plus parfaitement, car tel est mon vouloir et je n'en veux jamais point d'autre. En fin finale, si nous voulons avoir la paix en nous mesme il ne faut avoir qu'une seule volonté, ainsy que nous avons dit, non plus que saint Paul qui ne pretendoit sçavoir et prcschor qu'une seule chose, Nostre Seigneur Jésus Christ crucifié^, C'estoit là toute sa doctrine, en •ViJe«nprj,p i^i cela consistoit toute sa science ; en cette mort de Nostre Seigneur il occupoit toute sa mémoire, et en ce seul amour du Crucifié il avoit arresté tous ses désirs et toutes ses volontés. Ainsy puissions-nous faire, mes chères âmes, car nous posséderons comme luy la vraye paix ; nos puissances et nos facultés estans toutes ramassées en nous mesme, nostre doux Sauveur, pour l'amour duquel nous les aurons accoisées, ne manquera pas, sans doute, d'estre en nous et de nous apporter cette paix qu'il donne aujourd'huy à ses Apôtres bien aymés. Mais, mon Dieu, quelle paix est celle cy, et qu'elle est différente de celle que le monde donne ^ ! Les * jmo., xnr, a;, mondains se vantent aucunesfois d'avoir la paix, mais c'est une paix fausse, laquelle est en fin suivie d'une très grande guerre. Imaginez-vous, je vous supplie, de voir deux barques ou navires qui voguent sur la mer, dont l'une soit celle où Xostrc Seigneur estant avec ses Apostres, dorntoit tout doucemrnt. Fendant son som- meil les vents se lèvent, la tourmente se fait grosse, les vagues si impétueuses qu'elles semblent à tous momens faire périr le navire ; les Apostres bien esmeus du présent danger courent de proue en poupe et de poupe en proue ; en fin ils resveillent Nostre Seigneur, disant : Maistre, nous périssons, si tu ne nous secours. O pauvres gens, dequoy vous troublex-vous ? n'avez-vous pas avec vous le Sauveur qui est la vraye ^j/'x*? Alors 'Vkitiqrfj.r »>» Jésus leur dit : Que craignez-vous, gens de petite Joy} n'ayez point peur. Incontinent il comfftni J t .) îi  302 Sermons recueillis •Matt., VIII, 23-26; mer de s'accoiser, et le calme fut souàdàn fait*, le LucJei'vui', sVA^' ^^^^^ Maistre persévérant en la paix avec laquelle il dormoit, qui procedoit de la candeur et pureté de son ame. Son bien aymé Apostre saint Pierre en fit tout de mesme après luy, car il dormoit paisiblement quand l'Ange le vint tirer de la prison, le soir devant le jour •Act.,xn, 6. auquel on le devoit faire mourir*; tant les vrays amis de Dieu sont tranquilles et possèdent la paix que Nostre Seigneur leur a acquise. L'autre barque dont je vous parle et qui représente la paix des enfans du monde, est celle où estoit Jonas. La tempeste estant grande et les matelots ne sçachant plus que faire pour éviter le péril eminent auquel ils se voyoient presque réduits, s'en vont au fond du navire^ où trouvant le pauvre Jonas qui dormoit, non d'un sommeil de paix mais d'un sommeil de détresse, ils luy dirent : Qiioy, misérable, tu dors en cette affliction ! Et s'estant enquis d'où il estoit : Oh ! respondit-il, je suis un misérable homme qui fuis de devant la juste indigna- tion de Dieu irrité contre moy. Ce qu'entendant, le patron du navire luy dit soudain : D'où viens-tu et d'oîi es-tu ? Jonas respondit derechef : Je suis un misérable • Jonae, i, 4-15. homme. Et soudain les pilotes le jetterent en la mer *. De mesme en font les hommes pécheurs lors qu'ils pensent fuir l'ire de Dieu. Ils se vantent de dormir d'un bon repos, comme s'ils possedo3^ent la paix, mais en fin ils se trouvent bien trompés à leur resveil, se voyant environnés de mille troubles qui sont près de les préci- piter en la mer des tourmens éternels, s'ils ne se repen- tent et ne se retournent du costé de la divine Bonté pour implorer sa miséricorde sur eux, à fin de pouvoir par leur contrition , recouvrer la grâce qu'ils ont perdue emmi leur paix et tranquillité. Cette paix devroit plustost estre appellée trouble, puisqu'elle se termine en fin en une inquiétude insupportable. La paix, mes chères âmes, ne se trouve qu'emmi les enfans de Dieu et de l'Eglise, qui vivent selon la volonté divine en l'observance de ses commandemens. Mais beaucoup plus vraye et plus grande est celle que possèdent  XXX. Pour le mardi de Paq!jes 303 ceux qui ne vivent pas seulement selon les commande- mens, ains en l'observance des conseils et selon la règle de la vertu, car la vraye paix se trouve en la parfaite mortification*. Les enfans de la paix^^ font une conti- ^Ci.Tr.der Am.de ,, fit-' • 1 f Dteu, I. XI, c. XX. nuelle j^uerre a la chair qui leur cause des attaques très -Uc», x, 6. violentes, laquelle n*a pourtant pas le pouvoir de troubler leur repos, non plus que le diable et le monde, ainsy que nous avons desja dit. Mais il faut qu'un chacun de nous sçache qu'on ne doit pas demeurer en une paix accompaj^née de fainéantise, car il faut tousjours combattre. Nous pouvons bien affoiblir la chair, nostre principal ennemy, qui nous poursuit de si près que jamais il ne nous abandonne ; mais pourtant nous ne le pouvons abattre ni terrasser tout à fait, parce que c'est l'un de ces goujats et coquins que Dieu a laissés en vie pour nous exercer, bien qu'ils ne nous puissent nuire. La chair fait sa demeure dans nostre sein*, c'est pourquoy elle nous inquiète quelque- 'Cf. Muh.,uit., v fois le cœur. File a des ruses estranges pour dresser des embuschcs à nostre esprit ; mais si nous nous tenons fermes dans le donjon, accompagnés des trois soldats dont nous avons parlé, nous .serons tousjours les plus forts et posséderons la vraye paix qui nous tient contens cmmi les injures, les mespris, les afflictions, les contra- dictions et en fin emmi tout ce qui nous arrive de contraire à la nature. Il faut que je vous raconte sur ce sujet un bel exemple que je lis*)is l'autre jour dans les Vies des Pères nou- vellement rrcueillies*. (C'est un livre qui n'a pas encor 'Liriii »^' vi, esté traduit en françois.) Je finiray par cet exemple. Un R^Ji^ya. . ...>)] jeune homme, touché de l'esprit de Dieu pour se retirer •*»* r*»»» «i»»»'- en Religion, s'en alla dans un monastère de la Thebaïde trouver un bon Perc auquel il raconta son dessein, le suppliant de le recevoir pour son disciple. Il luy fit une harangue remarquable, selon .sa ferveur, disant : Mon Pcre, je viens *i vous à fin qu'il vous plaise m'enseigner comme je pourray faire |)our estre bien tost parfait ; car voyez-vous, il le vouloit estre, mais bien tost. Le bon IVrc loua son dessein et luy respontlit : Mon fiN. qtiant  304 Sermons recueillis à vous enseigner la voye de vous perfectionner je le feray de bon cœur, mais que vous soyez parfait si tost que vous voudriez, je ne le puis pas promettre ; car en cette mayson nous n'avons pas de perfection toute faite, ains il faut que chacun fasse la sienne. Ce pauvret pensoit que la perfection luy seroit donnée comme l'on donne l'habit de Religion, mais il fut bien trompé, car le bon Père poursuivant son discours luy dit : Mon fils, la perfection ne s'acquiert pas tout d'un coup comme vous pensez; l'on n'y sçauroit parvenir si promp- tement. Il faut passer par tous les degrés, commençant par les plus bas et montant l'un après l'autre jusqu'au plus haut. Ne voyez-vous pas qu'en l'eschelle de Jacob il y avoit des eschellons par lesquels il failloit monter de l'un à l'autre jusques à tant que l'on fust au haut •Gen.,xxvin,i2,i3. bout auquel on rencontroit la poitrine du Père céleste *? Ci.Tr.de VAm. de „ , un i-- n-ix-^ Dieu, 1. XI, c. XV. h.t avant que d aller succer ses divines mammelles il laut monter de degré en degré, car la perfection que vous desirez ne se trouve pas toute faite. Si vous la voulez avoir un jour, je vous enseigneray bien comme elle s'acquiert, pourveu, mon fils, que vous ayez bon courage et que vous fassiez fidellement ce que je vous diray. Ce que le jeune homme ayant entendu, il promit qu'il le feroit. Lors le bon Père adjousta : Mon fils, il faut que trois ans durant, outre la générale prattique de toutes les vertus, vous entrepreniez de soulager tous les frères ; de sorte que, par exemple, si vous rencontrez le cuisinier qui va puiser de l'eau ou qui va quérir ou fen- dre du bois, vous y alliez pour luy. Puis si vous en rencontrez d'autres qui sont chargés, vous preniez leur charge et les soulagiez en la portant pour eux ; bref, que vous vous rendiez le valet de tous en les servant en toute chose, sans reserve. Aurez-vous bien le courage de le faire? A quoy le jeune apprentif désireux de la perfec- tion se sousmit. Mais au bout de ces trois ans, seray-je pas parfait ? De cela, respondit le Père, je ne le puis sçavoir ; nous verrons ce qui en sera. Les trois ans expirés, le bon novice revient trouver son maistre pour sçavoir s'il estoit parfait. Mon Père,  XXX. Poi K it MAUi.i i)F. i*AQUtS JO5 dit-il, je me vois au bout de mon terme. Ce n*est pas tout, repartit le bon Père, il faut entreprendre encores un autre exercice pour autres trois ans si vous voulez estre parfait. Vous avez bien et fidellcment fait ce que je vous ay commandt* ces trois années, il est vray, mais il ne faut pas s'arrcster là. O Dieu, dit le pauvre garçon, quoy, n*est-il pas encores fait ? faut>il encores recom- mencer? est-il requis de faire si souvent des noviciats? trois ans ne suffiront-ils pas? ilelas, je pensois estre parfait en le voulant, et cependant il y a encores tant à faire ! Apres qu'il eut bien fait ses plaintes, le bon maistre ne s'en cstonnant pas beaucoup, commença à l'encourager disant que puisqu'il avoit desja tant fait il failloit poursuivre, que la perfection estoit un si grand bien qu'il ne failloit pas regretter la peine ni le temps que l'on employé à Tacquerir. Fn fin le pauvre novice fut si bien persuadé qu'il pro- mit de faire encores ces trois ans ce qu'il luy diroit. La prattiquc que le Père luy recommanda fut de recevoir si bien les mortifications, mespris, corrections et humilia- lions que jamais il ne manquast de faire quelque service ou quelijue présent à ceux qui les luy procureroyent, et cela tout promptcment ; et s'il n'avoit rien autre chose à donner, qu'il fist des lx)uquets pour leur présenter, ou des stolles, ou telles et semblables choses. Ce qu'il pro- mit d'accomplir, et le fit fort fidellement, bien qu'il ne manquast pas d'exercice ; car le bon Père donna le mot du guet aux Religieux pour l'esprouver comme il failloit, si qu'à tous propos il estoit en peine de faire des j - , d'autant que les mespris, mortifications et humiiiaiiuiis ne luy manquoycnt point. Or, le second noviciat estant parachevé il vint rendre compte à son maistre, plein du désir de sçavoir s'il estoit parfait. Mais le Père luy dit : Mon fils, il n'appartient qu'à Dieu de juger si vous Testes ou non ; mais si vous voulez, nous en ferons bien une petite espreuve. Le Pcre donques le fit tout barliouiller et le mena dans une ville qui estoit proche de là, à la porte de laquelle il y avoit des soldats qui n'avoyent pas autre chose à faire qu*à m to  3o6 Sermons recueillis regarder les passans et prendre d'eux sujet de rire, de manière que si tost qu'ils virent ce pauvre jeune homme ils commencèrent à se mettre après luy : qui le brocar- doit de paroUes, qui venoit jusques aux coups, d'autres l'injurioyent ; bref, ils s'en jouoyent tout ainsy que s'il eust esté fol. Et ce qui leur faisoit prendre opinion qu'il l'estoit, fut que tandis que ces soldats le traittoyent comme j'ay dit, il avoit une J03^e telle dans le cœur qu'elle paroissoit sur sa face, et à mesure qu'on luy disoit plus d'injures il sembloit estre plus joyeux et content. Ce qui surprenoit fort les assistans et contentoit grandement le bon Père qui le regardoit pendant cette espreuve. L'un des soldats retournant en fin son esprit sur la contenance de ce pauvre novice, plein d'estonnement, se print à l'interroger, luy demandant comment il pouvoit rire (il ne rioit pas d'un grand ris, ains se sousrioit seu- lement), ne comprenant pas qu'un homme peust demeurer aussi insensible aux injures comme il le sembloit estre. Voyez-vous, Nostre Seigneur permet tousjours que les vertus de ses vrays amis et serviteurs soyent reconneues par quelques-uns. Lors le bon novice respondit : Certes, il me semble que j'ay bien rayson de rire et d'estre content, car je possède la paix en mon ame parmi toutes les attaques et risées que vous me faites ; mais de plus, j'ay un grand sujet de contentement, car en vérité vous m'estes bien plus doux et gracieux que n'a pas esté mon maistre que vous V05^ez là, lequel m'a icy amené ; car il m'a tenu trois ans en telle sujétion, qu'il failloit que je fisse quelque présent à tous ceux qui me maltraittoyent pour recompense de l'offence qu'ils m'avoyent faitte. Et cependant, vous taschez de me tourmenter et affliger, et vous ne m'obligez point à vous en recompenser. Grande estoit la paix que ce jeune homme possedoit en son ame, puisque les injures, les moqueries et les risées d'une trouppe desbauchée ne l'avoyent nullement esbranlé. C'est la vraye paix, mes chères âmes, que je vous désire, qui se conserve, ains qui s'accroist emmi la guerre et les tourbillons des vents des persécutions,  XXX. Pour l£ mardi de Paqi;es 307 humiliations, mortifications et contradictions que nous rencontrons en cette vie mortelle, afflictions et peines qui seront en fin suivies des consolations et repos éternel, pourveu que nous les ayons souffertes avec paix inté- rieure à l'imitation de ce bon Religieux. Or, telle paix ne s'acquiert en cette vie que par l'union de Tentende- ment, de la mémoire et de la volonté avec l'esprit, ainsy que nous avons monstre tantost ; de plus, elle ne se peut trouver hors de la sainte Eglise, ainsy que l'expérience nous l'enseigne tous les jours, et en fin finale elle ne se rencontrera jamais qu'en l'obéissance du saint Evangile lequel n'est que paix*. Amen. 'Vidtnirra.r >W.  XXXI SERMON DE VÉTURE POUR LE DIMANCHE DE QUASIMODO 26 avril 1620 (i) ( Inédit) En la primitive Eglise on celebroit la feste d'aujour- d'huy fort solemnellement, parce que c'estoit la feste des nouveaux convertis et catéchisés ; c'est pourquoy on l'appelle le Dimanche blanc, d'autant que les nouveaux baptizés se revestoyent à tel jour de robes toutes blan- ches. Jadis, en l'ancienne Loy, l'on n'avoit pas accoustumé de faire feste à la naissance des enfans, comme on fait en beaucoup de lieux, ains seulement quand on les sevroit, ainsy que nous apprenons en l'histoire d'Abraham, lequel ne fit pas de festin à la naissance d'Isaac son cher fils, ains au jour qu'on le retira de la mammelle et qu'on le •Gen., XXI, 8. sevra *. Les Chrestiens ne doivent pas solemniser le jour de leur naissance, ains celuy de leur renaissance, qui •Cf. supra, p 128, est celuy de leur Baptesme*; c'est pour cette cause que ettom.praeced.huj. , . 7 x- i Edit.,p. 142. le grand samt Louys roy de France ne vouloit pas estre appelle Louys de France, mais Louys de Poissy, parce que c'estoit le lieu où il avoit esté baptizé et celuy de sa naissance spirituelle. La grâce que nous recevons au jour de nostre Baptesme est certes grande, car nous sommes rendus enfans de Dieu. Mais grande est aussi la grâce que Dieu nous fait au jour où il nous reçoit pour estre entièrement dédiés (i) Vcture des Sœurs Marguerite-Agnès de Rajat et Claude-Cécile de Châtel. (Pour cette dernière, voir V Année Sainte, tome IV, p. 106.)  XXXI. Pour lc Dimanche ob Quasimodo 309 à son service, car c'est une nouvelle renaissance spiri- tuelle en laquelle, comme la pluspart des Pères tiennent*. *Vid.s.Atbjii..Vtu nous sommes remis en 1 innocence première; c est a dire, ^t n^u» ad iiiam qu'au mesme instant où ceux qui se dédient tout à fait ***^°" "P"*^ J*^* au service de Nostre Seij^neur font cette offrande d'eux Pâtrum. mesmes, ils sont rendus purs comme des enfans qui viennent d'estre baptizés. Ce n'est donques pas sans juste rayson que l'on a accoustumé de faire des jurandes solcmnitês en la récep- tion ou Profession des Relij^ieux et Religieuses, puisque ce n'est pas seulement le jour où ils sont sevrés et retirés de la mammelle, de la jouissance des consolations terrestres et périssables, à fin d'estre sustentés de viandes plus solides et qui les nourrissent à l'immortalité, le lx)n Père céleste les fortifiant petit à petit par l'exercice des vertus appartenantes aux plus forts, telles qu'elles se trouvent en Relij^ion. Ce n'est pas non plus seulement pour ce (|ue c'est le jour de leur naissance spirituelle aucjuel ils reçoivent la jçrace divine et renouvellent les promesses cju'ils ont faittes, ou que l'on a fait pour eux en leur Haptesme, de vivre selon les commandemens de Dieu ; mais ils solemnisent beaucoup plus parfaittement et se resjouissent davantage en cette journée, d'autant que c'est celle de leur renaissance. l£n effect, ils ne se contentent pas de renouveller les vœux, à sçavoir les proi' - d'observer les commandemens de Dieu, ains se rcsuivent d'entreprendre la prattitjue des con^^eils de Nostre Seij(neur et de vivre selon la perfection du saint Kvanjfile. Ce que pour mieux faire, ils embrassent la vie religieuse en laquelle ils peuvent plus facilement qu'en nulle autre, demeurer inviolables en leurs resolutions. Grande donques, pour toutes les raysons que nous venons de dire, doit estre la joye de ces âmes qui se présentent aujourd'huy à fin d'estre de*li'-es au ser\'ice amoureux de la divine Bonté. Cependant, la Relij^on est un continuel exercice de mortification, de ret. ment et despouillement de soy mesme; il faut en. /«i chair avec toutes ses sensUiilités*, la propre v.>*..n! • • (;i!i! n avec tous ses désirs, renoncer au momie et a. tout-  10  Sermons recueillis  \'isit., art. xi • Joan., XX, 38  • Matt., XVI, 34.  choses terrestres pour n'aspirer plus qu'après les biens éternels et n'avoir plus autre désir que de plaire à Dieu, plus de volonté que la sienne et celle des Supérieurs qui ont la charge des Religieux. Il me semble que j'ay entendu vos cœurs, mes très chères Filles, dire telles ou semblables paroles à Nostre Seigneur, que vous venez maintenant choisir pour vostre * Coutumier et Di- Espoux et « l'unique objet de » vostre « dilection * : » nctoire tour ^es ^. ^ , 7^ • ^t , 1 Religieuses de la H est vray, mou Seigneur et mon Dieu *, qu'en la Religion on ne presche que la mortification très entière de nous mesme à fin d'obéir à cette semonce sacrée que vous avez faite * : Quiconque veut estre parfait il est requis et nécessaire qu'il renonce à soy mesme, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Lors que nous venons en Religion l'on ne nous amorce point par les promesses des consolations, comme fait le monde quand il veut attirer quelqu'un à sa suite ; l'on ne nous fait point d'offre de biens terrestres, ni des honneurs, gran- deurs ou dignités, ains des humiliations, des abjections, et au lieu des consolations on nous présente des morti- fications. Nonobstant tout cela, nous ne laisserons pas de nous venir ranger sous Testendart de vostre sainte protection , estans très asseurées que puisque vostre Bonté nous a appellées à cette manière de vie plus par- faite que la commune des mondains, voire de ceux qui font profession de vivre très chrestiennement dans le monde, vostre mesme Bonté nous fortifiera et nous baillera la grâce de bien faire ce que nous entreprenons * aujourd'huy pour la gloire de vostre saint nom * et pour le salut de nos âmes ; car nous croyons fermement *,^J?'"''^''4, 5,8; que, selon la parolle de vostre saint Apostre *, si nous II Tim., II, II. X- ' m,ourons avec vous en cette vie, nous ressusciterons avec vous en la gloire. Oh ! qu'à bon droit et joyeusement pourrez-vous chan- ter désormais, mes chères Filles : Non fecit taliter*; le Seigneur n'a pas usé d'une telle miséricorde à l'endroit d'un chacun, l'appellant à la suite de i^es parfums* et au renoncement de toutes choses pour son amour; grâce bien grande à la vérité, puisqu'elle est un moyen très efficace  • I Thess., V, 34. • Ps. Lxxviii, g.  • Ps. CXLVII, ult.  • Cant., I, 3.  XXXI. Pour le Dimanche de Quasimodo 3 1 1 et très excellent pour nous sauver. O qu'il est bon, dit le saint Prophète*, que les frères habitent par ensemble! • Pi. cxxxn, 1. Ouy certes, d'autant qu'ils s'entreporteront les uns les autres au bien. C'est une chose des plus nécessaires pour nostre salvation que de faire de saintes conversations en cette vie, car, à dire vray, nous sommes quasi pour l'ordinaire tels que ceux que nous aymons et prattiquons. Voyez, je vous prie, le pauvre saint Thomas aujour- d'huy ^et j'entre par icy dans le sujet de l'Evangile •) : il • J®*»-. ". «9->9- s'estoit absente de la compagnie des Apostres pour aller se promener, promenade et séparation qui luy cousta cher. 11 quitta la communauté, et partant il cuida se perdre, si la bonté de son Maistre ne l'eust secouru misericordicusement. Pendant cju'il estoit ab.sent, Nostre Seigneur .s'apparut aux autres Apostres ; et luy, ayant ouj' d'eux tous la grâce qu'ils avoyent receûe, il dit qu'il ne croiroit {>oint que .son Sauveur fust ressuscité s'il ne le voyoit et ne mettoit ses doigts dans les trous de ses playes, et ne fourroit toute sa main dans l'ouverture de son costé. Incrédulité très grande ! Malheur qui ne luy arriva que pource qu'il avoit quitté la conversation très sainte des Apostres et de Nostre Dame mesme, pour aller vagabond à la promenade, sous prétexte de quel- qu'affaire qui n'estoit pas sans doute si neces.saire qu'elle ne peust bien estre remise jusques après le temps que Nostre Seigneur leur avoit mar^jur, auquel ils le devoyent voir ressuscité. C'est grand cas des personnes libertines et qui ne veulent point avoir d'autres lois que celles que la propre volonté leur dicte. L'on en voit une grande quantité lesquelles n'ont nulle affaire tout au long de la journée, mais si ce vient l'heure de la .sainte Messe ou du sermon, il n'y a rien de si affairé qu'elles sont, et pour des choses si pressantes qu'elles ne se peuvent remettre. Les Pères ont fait beaucoup de considérations sur celte incrédulité de saint Thomas pour en reconnoistre la source et la racine. Plusieurs racines de ce péché ont esté remar(}uées ; mais je me conlentcray d'en dire trois, dont la première est le chagrin, la seconde l'orgueil et la vanitc, et la troisiesmc le desespoir.  313 Sermons recueillis Quant au premier point, c'est une chose toute claire que le chagrin produit l'incrédulité, car la preuve s'en fait tous les jours. Parlez, je vous supplie, à une per- sonne préoccupée de chagrin, elle ne croit point ce que vous luy dites. Il est bien aysé à dire, vous respondra- t-elle, qu'il se faut et que l'on peut se divertir, mais nenn}^ c'est une chose impossible. Grande fut la tris- tesse et Tennuy que receut saint Thomas quand il ouyt que ses compagnons avoyent veu Nostre Seigneur, et il se laissa tellement préoccuper l'esprit et l'entendement de cette passion, qu'il commença à s'opiniastrer et croire que cela n'estoit pas ; et plus on vouloit le retirer de son incrédulité , plus aussi il s'opiniastroit à soustenir qu^'il n'en croiroit rien. Saint Pierre auquel il devoit tant de créance luy disoit : Il est vray, Thomas, je l'ay veu, il m'a fait l'honneur de m'apparoistre encores en mon par- ticulier. Tout cela n'y faisoit rien. Nostre Dame, sans doute, touchée de la perte de cet Apostre, l'en asseuroit aussi : O Thomas, mon cher iils, il est vray, vostre Maistre est ressuscité ; j'ay eu la grâce de le bayser et de l'embrasser. O Dieu, quelle dureté de cœur ! car pour tout cela il ne s'amollissoit pas, ains perseveroit en son obstination, disant tousjours qu'il ne croiroit point s'il ne touchoit et voyoit luy mesme les playes de son Maistre. Le chagrin offusque et trouble le jugement, de sorte que tandis qu'il est en l'ame elle est en extrême danger de commettre de grans défauts, parce qu'il fait que l'on rejette tout en ce temps là, et la correction et rinstruction, bref, tout ce qui est contraire à son opinion erronée. La seconde source de l'incrédulité de saint Thomas fut l'orgueil et la vanité ; car s'estimant aussi capable de cette grâce que tous les autres, il pensoit : Et pour- quoy seroit-il apparu à tous sinon à moy ? S'il estoit vray qu'il fust ressuscité, je l'aurois veu aussi bien que les autres ; ne suis-je pas autant qu'eux ? Vanité très grande qui le porta à commettre un tel péché. C'est le propre de l'orgueil d'entraisner nos âmes à mille sortes de maux, mais principalement à celuy de nous faire  xvti, ii.  XXXI. Pour l£ Dimanche oe Quasimodo 313 tellement attacher à nostre propre jugement, que nous soyons opiniastres à ne le point sousmettre à celuy d'au- truy, pour authorité qu'il puisse avoir sur nous. Cette vanité de faire estime de son propre jugement produit l'incrédulité et la mésestime des jugemens des autres, et fait que l'on raysonne en cette sorte : Pourquoy m*as- sujettiray-je à croire que ce que l'on me dit est vray ? Ne l'aurois-je pas aussi bien compris ou sceu comme les autres? O que les âmes qui faisans estime d'elles mesmes se laissent ainsy gouverner par leur propre jugement sont en grand danger ! Nous le voyons en l'exemple du pauvre saint Thomas qui faillit se perdre. Or, de ces deux sources de son péché procéda le desespoir; car, poussé du chagrin et de l'orgueil, il perdit l'espérance que Nostre Seigneur accompliroit la promesse (}u*il leur avoit faitte de ressusciter après trois jours •, d'autant qu'il ne l'avoit pas veu. Son chagrin * Mjtt., xn, ti, faisoit qu'il ne vouloit pas croire ce qu'on luy asseuroit ; l'orgueil luy faisoit dire que si son Maistre ne se mons- troit à luy comme il vouloit, avec les conditions tju'il luy marquoit, il ne croiroit pas, et le desespoir «surv.-nant le rendit opiniastrc en son obstination. C'est une chose toute ordinaire entre les jeunes appren- tifs de la perfection d'estre attaqués de cette sorte de tentation ; car dès qu'ils rencontrent de la difficulté en leur chemin, voyla quant et quant le chagrin qui les pousse à faire tant de plaintes qu'il semble qu'il y ayt grand pitié vn eux. L'orgueil ou la vanité ne leur peut permettre un petit drfaut que tout incontinent ils n'entrent en de grans troubles (jui les portent par après au desespoir : O Dieu, il ne faut plus rien attendre de moy, je ne feray jamais rien qui vaille! C'est bien dit; hé, pensiez-vous estre si brave que de ne point faillir ? En toutes sortes d'arts il faut estre apprentif, premier que d'estre maistre. Nostre Seigneur tout bon et tout miséricordieux, ne pouvant plus souffrir que cette cherc brebis de son trou- peau drmeurast errante et vacillante en la foy, vient tout doux et del>onnairf trouver saint Thomas en présence des autres Apostrcs, et après les a^"**- ^alués selon son  ^14 Sermons recueillis accoustumée, disant : Paix vous soit, il s'addresse au plus malade de tous. Voyez, je vous supplie, comme amiablement il contrecarre de point en point son incré- dulité ; car premièrement il l'appelle par son nom et luy dit : Thomas, mets ton doigt dans les ouvertures de mes mains, et fourre si tu veux toute ta main daits la playe de mon costé, et prens si tu veux mon cœur (car, bien qu'il ne die pas : Prens mon cœur, il semble qu'il le vouloit signifier, luy donnant liberté de le tou- cher) ; considère que l'esprit n'a ni chair ni os, et • Luca?, uit., 39. reconnois que je suis moy mesme"^. Je suis Celuy qui •Exod., m. 14. esf^y partant ne sois plus incrédule, mais fidelle. O Dieu, quelle confusion pour le saint Apostre, lequel ayant ouy son Maistre, se print à dire ces paroUes de fidélité : Mon Seigneur et mon Dieu ! Et à l'instant ses yeux furent ouverts, il vit le péril eminent dont son cher Maistre l'avoit tiré. Péril très grand, certes, auquel il avoit esté réduit par le défaut de la paix de l'enten- dement, de la mémoire et de la volonté, paix de laquelle estans privés, l'ame et l'esprit courent grande risque de • Vide pag. 296 et se perdre, ainsv que nous disions l'autre jour*. not. (i 1, p. 286. i^_ ■-,. . ,^ -1-, Or, Thomas perdit cette paix pour s estre sépare de la communauté ; car les Apostres estoyent dans le cénacle comme dans une Religion, où les Religieux qui veulent se conduire selon leur sens et leur volonté, se retirans du train de Tobservance commune, ne peuvent conserver la paix, ains vivent en de continuels troubles. C'est donc pour la conserver ou acquérir que ces âmes viennent maintenant se dédier au service de la divine Majesté, résolues qu'elles sont de luy consacrer si entièrement leurs cœurs, leurs corps et de plus leurs volontés, qu'elles ne s'en puissent jamais plus servir que pour suivre en toutes choses la volonté de Dieu qui leur sera signifiée par la direction des Règles et Constitutions de la Religion, direction qui les conduira à l'entière mortification d'elles mesmes, u pour le service de la dilection » de leur •Coiwtit. xuv. céleste Espoux*. Ainsy soit-il.  XXXII SERNfON POL'R LA F^.TE DE LA PENTECÔTE 7 juin 1630 (>) El ip^ruêrunt illi* éiip*rtitm Umgum tJMifusm ignis^ itJitque $mfrj iiit- fulûs tprmm, et rff!ftt mnl omHri Spiritu Ssiuto. Dft hmguei iomm* dt ftu Uur d^^j- rmremt, et s'ettJMt Je^artiet eliet te fièrent tmr ekaenm d'eux , et iU furent tout remflti du Saint Ei^rit. ACT., Il î A Nous célébrons aujourd*huy la festc des presens et du don des dons qui est le Saint Ksprit, lequel fut envoyé du Père et du Hls sur les Apostres, sous la forme et fijijurc de langues de feu. Mais en ce don sept autres sont enclos, lesquels nous nommons dons du Saint Ksprit. Certes, ce fut un très grand don que le Père céleste fit au monde lors qu'il luy donna son propre Fils, comme il a dit luy mesme, et après luy son grand Apostre saint Paul : Si le Père éternel a bien tant aymi le monde que de luy avoir donné son propre Fils, pour- quoy ne luy donnera-t-il pas tout autre don avec celuy là^ f •J'^an .-,•«, R Vous rcsouvenez-vous de cette belle histoire du grand Joseph • cjui a dcsja tant de fois esté ditte, mais tjui ne • 0««.. «"«. «n^  peut assez estre considérée? Pendant qu'il estoit vice roy ( I ) Là d«U d« c« Mrmoa b« Morait étr« proavé* d'aa* mâniér* ctrUia*. C* qv« l'oo p«at al&rr y tnAftté« (l9 La Rr>. ,. . jaU^vcnt, U d'ci- , - , -à i6»o. DtvtrMa raiAoo» trop loof««« à caua^rar o« p«rm«ttcal paa «laatrt part d« Ittl attrtbo«r sa* data aatiriaara.  et »apra. p. tél.  3i6 Sermons recueillis de l'Egypte, ses frères le vindrent voir par plusieurs fois pour estre secourus de luy en l'extrême nécessité où leur père Jacob et eux se trouvoyent réduits à cause de la famine qui estoit en leur pays. Il les renvoya tous- jours chargés de blé et de viandes ; mais lors qu''on luy amena le petit Benjamin, il les renvoya non pas comme auparavant, chargés de grains et de vivres donnés par mesure, ains accompagnés de riches dons, avec des chariots remplis de tout ce qu'ils pouvoyent désirer. De mesme voyons-nous que le Père éternel a fait en ce jour. Bien qu'en l'ancienne Loy il octroyast de très grans presens à son peuple, toutefois ce n'estoit que par mesure; mais en la nouvelle, dès qu'il revit son cher Benjamin, c'est à dire, dès que Nostre Seigneur fut entré en sa • Lucae, uit., 26; gloire *^ il ouvrit sa main pour respandre ses dons •Pss.Lxvii',i9,cxLiv, et ses faveurs sur tous les fidelles *, ainsy qu'il estoit Ephes°^°v, s!' ^^' ^scrit qu'il deverseroit son Esprit sur toute chair "^y à •Joël, II, a8. sçavoir sur tous les hommes, et non point seulement sur les Apostres. • is.jc^j, 3. Ne sçavez-vous pas qu'il est dit* que le Sauveur receut des grâces infinies et que les dons du Saint Esprit reposèrent sur son chef? Et pourquoy cela, puisque estant la grâce mesme il n'en avoit ni pouvoit avoir nulle sorte de nécessité ? Ce ne fut donques sinon pour nous faire entendre que toutes les grâces et bénédictions célestes nous devoyent estre distribuées par luy, les laissant couler sur nous qui sommes membres de l'Eglise • I Cor., xii, 12; de laquelle il est le Chef^. Et pour preuve de cette tphes.,1,22, 23, IV, . . j r r 7-16. vente, escoutez ce qu'il dit luy mesme à sa bien-aymée • Cap. V, 2. au Cantique des Cantiques* : Ouvre-moy, monespouse, ma sœur. Il l'appelle mon espouse à cause de la grandeur de son amour, et m.a sœur pour tesmoigner la pureté de son affection. Ouvre-moy, dit-il, mais ouvre-moy vistement, car fay mes cheveux tous pleins de la rosée, et les flocons de ma cheveleure pleins des gouttes de la nuit. Or, la rosée et les gouttes de la nuit ne sont qu'une mesme chose. Que pensez-vous que veuille signi- fier ce Bien-Aymé de nos âmes, sinon qu'il désire ardemment que son Espouse luy ouvre promptement la  XXXll. Pour la fête de la PeyriECÔTE )I7 porte de son cœur, à fin qu'il y puisse respandre les dons et les grâces qu'il avoit si abondamment receus de son Père comme une rosée et liqueur très pretieuse. Voyons donques maintenant comment Dieu envoya son Saint Ksprit sur tous les hommes qui se trouvèrent assemblés au cénacle, lesquels estoyent au nombre de six vingts • et parloyent tous selon que le Saint Esprit •Act., i, ty leur donnait^. \jes Apostres l'avoyent desja reccu 'Ibij., u. 4. lors que Nostre Seigneur soufjlant sur eux leur dit : Recevez le Saint Esprit, les constituant prélats de son Eglise et leur donnant le pouvoir de lier et deslier les âmes • ; mais ce ne fut pas avec la gloire et magnificence • Joâo., »», si, »j. qu'ils le receurent aujourd'huy, et ne leur laissa pas de tels effects. De mesme «^ éternel fit un très grand don au monde lors qu'il iuy donna son propre Fils ; néanmoins ce fut un pr« >uvert, restreint et resserré dans la bourse vile et aujccle de nostre humanité et mortalité. Mais le présent qu'il fait en ce jour à son liglise doit cstre tenu pour le plus excelleat. d'autant que c'est îo Poro et lo Fils qui l'envoyent*. • Ibid., mt, 16. >é. Les j^ umes grans selon 1 amour avec lequ el ils sont faits ; or^ celuy ci n'est pas seulement fait avec un grand amour, ains c'est l'amour mc^me qui est donné, car chacun doit sçavoir que le Saint Fsprit est l'amour du Fere et du Fils. Mais ce que nous disons que le Saint Fsprit nous a esté donné par le Pcre et par le Fils, ne se doit pas entendre qu'il soit séparé ni de l'un ni de l'autre, parce qu'il ne se peut, n'estant qu'un .seul et vray Dieu imlivisible ; ains nous voulons dire que Dieu nous a donné sa divinité, bien que ce soit en la personne de son Saint Fsprit. Ft de cecy il en faut peu parler et l>eaucoup croire. Nous pouvons considérer la grandeur du don du Saint Esprit avec tous ses effects, entant qu'il est envoyé par le Père éternel et par Nostre Seigneur à son Eglise, ou bien entant qu'il est envoyé à un chacun de nous en particulier. Certes, nous ne s^aurions assez remercier Dieu de ce qu'il a fait ce sin uni lier présent ik son Eglise, à cause des biens qui en r iit. Le Saint E.sprit fut  3 1 8 Sermons recueillis fort convenablement envoyé sous la forme et figure de langues et de langues de feu parce que c'est en la langue que l'Eglise a toute sa force. Qui ne sçait qu'elle opère tous ses mystères par la langue ? La prédication se fait par la langue ; dans le saint Baptesme, sans lequel • Marc, ult, i6. nul ne peut estre sauvé *, il est nécessaire que la langue •s, August.,Tract. intervienne pour donner à l'eau la force* de laver nos ^Q.i\Ts Conirover- pGcliés ct iuiquités *, dc mesme le très saint Sacrifice de 5^5. Partie III, c. I, |g^ Messc ne se peut célébrer que par le ministère de la langue. Mais considérons, je vous prie, ce don si pretieux en- tant qu'il est fait à un chacun de nous en particulier. Nous avons desja dit qu'il y a enclos en celuy ci sept autres dons, que nous appelions de crainte, science, ' isaiae, ubi supra, pieté, foTce, conscH, entendewiejit et sapience *. Par ^' ^^ ' la suite que nous ferons de ces sept dons en remontant comme par une eschelle, nous connoistrons si nous avons receu le Saint Esprit ou non, puisqu'il a accoustumé de les communiquer aux âmes dans lesquelles il descend et qu'il trouve préparées pour le recevoir. Commençons donques par celuy de crainte^^'Le don de crainte est le plus universel, car nous voyons que les meschans mesme ont de la crainte et frayeur entendans parler de la mort, du jugement et des peines éternelles. Cette crainte ne leur a pourtant point fait éviter le péché ni l'iniquité pource qu'ils n'avoyent pas receu le Saint Esprit ; car la crainte qui s'appelle don du Saint Esprit non seulement nous fait redouter les divins jugemens, la mort et l'enfer, mais elle nous fait craindre Dieu comme nostre Seigneur et nostre Juge, et partant nous porte à fuir le mal et tout ce que nous sçavons luy estre •Ibid. desaggreable. Remarquons, je vous prie, qu'il est dit* que les dons du Saint Esprit, de sapience et les autres, reposèrent sur le chef de nostre divin Sauveur, et puis ensuite qu'il fut rempli de la crainte du Seigneur. Que veut dire cecy ? car nostre Maistre n'avoit point besoin de crainte. Nous devons donc sçavoir qu^il en fut rempli pour la respandre sur un chacun de nous, tant parfaits qu'imparfaits, parce que les parfaits doivent craindre de  XXXII. Pour la fêth de la Pentecôte 319 descheoir de leur perfection, et les imparfaits de ne la pouvoir acquérir. Kt comme nous voyons qu'une fiole est remplie de quelque eau sans qu'elle en aye aucune néces- sité, puisqu'elle est si dure que mesme elle n'en est pas pénétrée, ainsy nostre béni Sauveur fut rempli de la crainte du Seigneur, non point pour luy, car il ne s'en pouvoit servir, ains seulement pour la respandre sur ses frères *. • - , Il ne faut pas beaucoup parler de la crainte, principa- lement au lieu où je suis, puisqu'on ne s'en doit servir que pour venir au secours de l'amour quand il le requiert. Il ne faut pas non plus se tenir dans la crainte, ni moins la tenir dans nos cœurs, car c'est la place de l'amour, ains seulement la laisser à la ùorte de nostre cœur*, à • l Jojo., ir, 18. fin qu'elle soit preste pour rir l'amour, ainsy que D\em,\.\\,c*x't\\. j'ay dit. Passons au don de pieté qui est le second. La pieté n'est autre chose qu'une crainte filiale, qui ne nous fait plus regarder Dieu comme nostre Juj^e. ains comme nostre Père, auquel nous redoutons de desplaire et desirons d'aj:jj^reer. Mais il ne nous ser\'iroit de gueres d'avoir le désir de plaire â Dieu et la crainte de luy desplaire si le Saint Ksprit ne nous octroyoit le troisiesme don, qui est celuy de science , par lequel nous apprenons que c'est que vertu et que c'est que vice, ce qui est aggreablc k Dieu et ce qui luy est de- able. Plusieurs des anciens philosophes ont bien sccu laire cette distinction. Aristotc a fait un traitté atlmirablc des vertus *, lequel nonobstant • Eihicj ; alla, cela, ne laisse pas de bruslcr en enfer •, parce qu'ayant '^' '^ ^"" .Fn»f- reconneu le chemin de la vertu il ne l'a pas voulu suivre*. Par le don de science, le Saint Esprit nous ayde à • reconnoistrc !<»« vertus dont la prattiquc nous est ncces- •saire et les \ [u'il faut Il est aussi très nécessaire que le Saint Esprit nous baille le quatriesme don qui est celuy de la ' car autrement les precedcns ne nous serviroyont Uo rien, puisqu'il ne suffit t "ivoir ] ' * d'éviter le mal cl celle de faire l .è, »•" ...w.jjs de con""*-'-* l'un et l'nutro. si nous no i.. .is \:\ m.iin \ V  320 Sermons recueillis Pour cela nous avons une grande nécessité de la force ; mais il faut que nous sçachions en quoy elle consiste. Ce n'est pas à faire comme Alexandre le Grand, lequel conquit tout le monde à force d'armes. Il n'avoit pas le don de force, combien qu'on le luy attribue pour ses conquestes ; sa force consistoit en des balles de plomb qui fracassoyent les murailles des villes et abattoyent les chasteaux. Il avoit encor moins le courage dont on le loue tant ; la preuve est qu'il n'avoit pas le pouvoir sur soy mesme de se surmonter à ne pas boire un verre de vin, car il estoit un ivrogne. Voyez-le se vautrer, et pleurer lors qu'un certain philosophe luy vint dire qu'il y avoit encores d'autres mondes que celuy qu'il avoit •Videsupra,p.i7i. subjugué et assujetti * : il eut un tel regret de ne les pouvoir conquérir qu'il ne s'en peut résoudre. Faisons un peu comparaison de la vaillance et du courage d'un saint Paul ermite, ou plustost du grand Apostre saint Paul, avec cet Alexandre. Celuy ci ruine les villes, abat les chasteaux, s'assujettit le monde à force d'armes et se laisse à la fin vaincre par soy mesme. Au contraire, nostre grand Apostre semble vou- loir subjuguer et parcourir toute la terre pour renverser non les murailles mais les cœurs des hommes, et les •I Cor., 1, 21-25. sousmettre à son Maistre par sa prédication*; et non content de cela, voyez, je vous prie, le pouvoir qu'il a sur soy mesme, debellant et assujettissant ses affections • Ibid., IX, uit. et passions à la règle de la rayson *, et le tout à la très sainte volonté de la divine Majesté. C'est en quoy con- siste le don de force et la grandeur de courage : à se surmonter .soy mesme pour s'assujettir à Dieu, mortifiant et retranchant de nos esprits toutes leurs superfluités et imperfections pour petites qu'elles soyent, sans aucune reserve ; et de plus, ce don nous fait entreprendre de parvenir à la plus haute perfection, sans craindre la difficulté qu'il y a pour l'acquérir. Mais estans ainsy résolus et fortifiés pour embrasser la vraye prattique des vertus, il faut que nous ayons le don de conseil pour choisir celles qui nous sont le plus nécessaires selon nostre vocation ; car, bien qu'il soit  XXXII. PoUK LA FÊie DE LA t'ENIfcCÔlfi 321 tousjours bon de prattiquer les vertus, si faut-il pourtant les svavoir prattit[uer par ordre. Que sçay-je moy, si en telle occasion il ne sera point plus expédient que je ne prattique la patience sinon intérieurement et non pas extérieurement, ou bien si je dois joindre Tune avec l'autre*? 11 faut donques avoir le don de conseil à fin de 'Ci.tmtroj tUVi* ,, I j I r ^ j Jreote, Partie 111, suivre 1 exercice que le don de force et de couraj^e nous c. i. a fait commencer, et pour que nous ne nous trompions point nous mesmes, choisissant les vertus selon nos inclinations et non selon nostre nécessité, regardant seulement à l'escorce et non point à la vraye css(»nce des vertus. Apres le don de conseil vient celuy CC entende n un t^ lequel nous fait pénétrer les mystères de nostre foy par le moyen des méditations, et choisir les maximes de la perfection intérieure au fond de ces mystères. Mais remarquez, je vous supplie, que je dis par la méditation et oraison, et non par la curiosité, spéculation et estude, comme font les tlicologiens ; car une simple et pauvre femmelette sera plus capable de le faire que non pas les plus cxcellens docteurs qui auront moins de pieté •. •Vid«»opri,pp.^ Voyons cette pauvre femme : elle s'en ira promptement reconnoistre sur la Croix du Sauveur, voire mcsme dans le cœur de Dieu, cette maxime de la perfection : Bien- heureux sont les pauvres d^esprit^ ; au mystère de •Miu.,v, >. l'Incarnation elle remanjue la mesme maxime, et de plus celle de l'humilité et abjection. Vous voyez donques bien clairement les effects du don d'entendement, lequel. outre ce que nous avons dit, nous fait comprendre la vérité des mystères de nostre foy et combien il nous est nécessaire de regarder à la vraye essence des vertus et non pas ii l'apparence extérieure seulement, combien aussi il nous est utile de suivre les vérités conneCies, soit par le don de conseil ou par celuy d'entendement. Or, le Saint Hsprit n*a pas accoustumé de laisser Tame k laquelle il a bien voulu octroyer ces six dons I, ,. ,. , , • s Hm»* . !• Par», que nous venons d expliquer, sans y adjoustcr celuy de «i sjf>ieni'e . c'est A dire de la •« savoiir»-»»^'* •»« i.fue •, m ... 'V luy donnant un goust^jiflc saveur, u: :cf un •!• iM« III ai  523 Sermons recueillis contentement en la prattique des maximes de la perfec- tion chrestienne qu'elle a reconneûes par le don d'en- tendement. Ains3% faisant tout au contraire des gens du monde, qui estiment bienheureux les riches, ceux qui sont honnorés et qui vivent délicieusement, elle tient pour bienheureux les pauvres d'esprit, puisqu'elle a trouvé cette vertu dans le cœur de Dieu mesme; bienheureux les humbles, bienheureux ceux qui portent et font paroistre dans leur extérieur la mortification procédante de l'inté- rieure renonciation et mespris de tout ce dont le monde fait estât. Je finis par cette considération que tous ceux qui estoyent dans le cénacle receurent le Saint Esprit et parloyent tous selon que le mesme Saint Esprit leur •Videsapra,p.3i7. dounoit*; mais non pas tous d'une mesme façon, n'ayans pas tous esté commis pour prescher l'Evangile comme saint Pierre et les autres Apostres ; car nous ne pouvons pas nier qu'il n'y eust des femmes, puisque l'Evange- • Act., I, i^, 15. liste escrit * qu'//5 estoyent six vingts avec Nostre Dame et les autres femmes. Or, ils parloyent selon que le Saint Esprit leur donnait y c'est à dire, ceux qui ne preschoyent publiquement s'entrencourageoyent les uns les autres à loiier Dieu. Mais il faut que nous sçachions qu'il y a un parler qui se fait sans dire mot ; c'est le •Ps. xrni, r. bon exemple. David dit* que les deux annoncent la gloire de Dieu. Et comment cela ? car les cieux ne par- lent point. Il veut entendre que la beauté des cieux et du firmament convie les hommes à admirer la gran- • Ibid., f. 3. deur du Créateur et à prescher ses merveilles. Il adjouste* que les jours et les nuits se laissent la charge l'un à Vautre d' annoncer la gloire de Dieu. Qui ne sçait que lors que nous regardons le ciel en une nuit bien sereine, nous sommes excités à admirer et adorer la toute puis- sance et .sapience de Celuy qui l'a parsemé de tant de belles estoiles? Il en est de mesme lors que nous voyons un beau jour esclairé de la lumière du soleil, voire quand le mesme Seigneur nous envoyé la pluye, puisqu'elle sert à produire les plantes. Que veux-je dire par tout cecy, sinon que nous , qui  4  XXXII. Pour la fête de la Pentecôte 323 sommes plus que les cieux et que tout ce qui est créé, puisque le tout a esté fait pour nous et non point nous pour eux, sommes beaucoup plus capables d'annoncer la glojjy de Dieu que non pas les cieux ou les astres. Le bon exemple est une prédication muette, et si bien nous iTâvons receu le don des langues pour prescher, nous pouvons néanmoins le faire tousjours en cette sorte. N'est-ce pas une plus grande merveille de voir une ame décorée de plusieurs grandes vertus que non pas le ciel df "toiles ? Les jours se donnent charge Vun à ruiiifi II annoncer la gloire de Dieu ; et qui ne sçait que les Saints en ont fait de mesme, se resignant leurs vertus les uns aux autres ? A saint Anthoine succéda saint Ililarion, à saint Hilarion d'autres Saints, et ils * Cf «pr». f ït6, iront ainsy tousjours persévérant*  î.  XXXIII SERMON POUR LA FETE DE SAINT AUGUSTIN 28 août 1620 (0  •Confess., 1. VIII, Apres que saint Augustin a raconté * ce grand conteste ce. XI, XII. ^^ divorce, ce grand combat et contention qu'il avoit sur le point de sa conversion, en ses deux parties, l'infé- rieure et la supérieure, combat le plus grand qui se puisse voir, appercevant en fin les yeux de la miséricorde qui desja le regardoyent, il s'escrie au commencement •Cf.init.iibriViii. du Livre neufviesme de ses Confessions *.* O Seigneur, vous avez regardé vostre serviteur et le fils de vostre •P$. cxv, 7. servante *. Puis apres, sentant la main puissante de Dieu qui le deslioit, il poursuit avec ces paroles qui sont • Vers. 3, 4, 7. du Psalme cxv * : Dirupisti vincula mea ; O Seigneur, vous m'avez deslié des liens de mes péchés, et que feray-je en reconnoissance d^une telle faveur ?y^ vous sacrifieray un sacrifice de louange, je boiray le calice de vostre salutaire et invoqueray le nom du Seigneur. Ayant donques à m'entretenir avec vous, quel meilleur sujet pourrois-je prendre que ces paroles du Psalmiste : Dirupisti, et ce qui suit ? Mais pour rendre mon discours plus familier, je le diviseray en trois points : au premier nous verrons quels sont les liens desquels saint Augustin estoit lié ; au second, quel sacrifice de louange il a offert à Nostre Seigneur ; et au troisiesme, quel est ce calice du salutaire. Quant au premier, c'est chose merveilleuse comme ce { I ) La date de ce sermon se trouve dans le Manuscrit de Digne.  XXXIIl. Pour la fête de saint Augustin 325 grand saint Augustin parle de luy mesme au divin livre de ses Confessions, et comme il raconte d'un style admirable les liens desquels il estoit enchaisnê. Je ne m'arresteray pas à vous en beaucoup parler, car vous avez ce livre où vous le lirez avec bien plus de playsir, parce que vous y verrez les choses tout au long, mieux que je ne les vous sçaurois rapporter. Je me contenteray seulement de vous dire ce qui est à mon prop)os. J'estois, escrit-il *, lié et enchaisné des chaisnes et liens d'une 'ConfMs .1. Vlii, maudite volupté, avec une volonté enferrée qui faisoit que de mon plein gré je me vautrois dans mes vicieuses habitudes. Les théologiens, parlans des liens dont les hommes sont liés, disent qu'il y en a de trois sortes. Le diable a des liens et cadenes par lesquels il tient les hommes enchaisnés et les rend ses esclaves et sujets. Ces cadenes ne sont autre chose que le péché qui nous rend non .seulement esclaves de nos passions, mais encores du démon ; et nul ne nous en peut deslier que la main puissante de Dieu. Ces liens, comme dit le mesme saint Augustin •, nous sont merveilleusement bien représentés • • a par les chaisnes et manottes de fer dont saint Pierre fut », ir. jr . .\m /« lié en la prison*; car, bien qu'il fust emprisonné pour ^"'•. * U.c. u. A et., Xfl, fr. la justice, ses liens néanmoins ne laissent pas de nous représenter le péché qui, comme manottes et chaisnes de fer, tient le pécheur si cstroittement enserré qu'autre que Dieu ne le peut desenchaisner. I^s seconds liens sont du monde, et ne sont autres que la sensualité et volupté, liens grandement dangereux et difficiles à rompre. Mais Dieu a aussi des liens, des ceps et cadenes desquels il enchaisné ses serviteurs : les uns sont de fer et les autres d'or. Ceux de fer, comme ilit nosire grand Père saint Augustin *, ne sont autres que la crainte des * Haarrai. la ?%. jugemens, de la mort et de 1 enfer ; ces menaces que nous lisons dans rhvangile et celles par lesiiuelles TApostre saint Paul espouvantoit les roys et les prir les lalioureurs et artisans, 1rs petits et les grans. icur " ""''• disant* : Je vous advertis i\\ï\\ y a un souverain Juge '  ^30 Sermons recueillis des vivans et des morts, et c'est à luy à qui vous rendrez compte. Or, plusieurs oyans telles et semblables paroles et redoutans les terribles jugemens de Dieu, fai- soyent pénitence, et se laissant enchaisner par la crainte et vive appréhension, ils se convertissoyent. Les liens d'or sont des liens d'amour et dilection desquels Nostre Seigneur lie plusieurs âmes et les rend ses sujettes et esclaves, mais d'un esclavage doux et grandement amou- reux. Ce sont ces âmes qui, sans aucune considération de crainte, ains attirées par les suaves et amiables attraits de la dilection de nostre cher Maistre, viennent se dédier et consacrer entièrement à son divin service. Saint Augustin estoit lié de trois divers liens desquels •Lib.vi,c.vi,iaitio. il parle dans ses Confessions *, mais certes en telle sorte qu'il fait pleurer ceux qui les lisent avec attention, voyant comme ce pauvre jeune homme estoit embarrassé et si fort pressé qu'il ne se pouvoit desprendre. Conside-  *  • Confess., 1. VI, rez-le enchaisné dans ces maudits liens de la volupté il luy estoit advis qu'il n'estoit pas moyen de vivre sans commettre ce détestable vice. Il vouloit et ne vouloit pas en estre délivré. Et que ne firent pas Alype et ses autres amis pour l'en destourner, le persuadant de se marier, à fin, par ce moyen, de changer en licites ses playsirs illicites. Vains furent tous leurs efforts. Il failloit, comme • Ibid.,c.xvi,i.ix, il dit luy mesme *, vostre main toute puissante, o Sei- C. I. gneur, pour me deslier de ces liens et pour m'arracher des griffes de mon ennemy, entre lesquelles je m'estois volontairement jette. Et certes, ce péché est détestable et le plus dangereux de tous. Que si bien il n'est pas si grand que le blasphème et la haine de Dieu, si est-il le plus difiicile de tous à s'en dépêtrer et desbrouiller. Le second lien duquel saint Augustin estoit lié est la vanité, car il estoit maistre de la rhétorique. Et qu'est-ce que la rhétorique et humanité humaine, sinon une escole de vanité ? Il estoit donques maistre de la vanité, et il le •Ibid,,i.vii,c.xx. confesse luy mesme *. O pauvre Augustin, vous estiez de ce temps-là maistre de la rhétorique, et parmi ces belles phrases, poésies, proses et déclamations, vostre esprit devint enflé, vain et superbe, car la science humaine  XXXIII. Pour la fête de saint Augustin 327 enfle *. Il estoit un grand orateur et faisoit des oraisons • I Cor., nn, i. de rhétorique à merveille, d'où vient qu'il se faisoit ainsy redouter, car on ne l'osoit approcher ni entrer en dispute avec luy, crainte d'en sortir confus. Cela l'enfloit davantage, à quoy aydoit encores son bel esprit qui estoit grandement subtil. J'ay accoustumé de dire qu'entre les beaux et les bons esprits il y a la mesme différence qu'entre le paon et l'aigle. 1-e paon, comme chacun sçait, est un bel oyseau, il a un beau plumage, mais il est grandement vain et orgueilleux. 11 fait la roue et esparpille ses plumes ; mais quelles sont ses œuvres ? Il ne s'amuse qu'à des niaiseries; il se nourrit de mouches et de moucherons, et pour cela l'artisan n'en nourrit point, d'autant qu'outre qu'il est inutile en sa maison, il y apporte du dommage, car il monte sur le toit et le descouvre jxjur chercher des araignes *. Les aigles, au contraire, qui n'ont point cette 'C.i.Tr.i«r Am.de beauté en leur plumage et cette apparence extérieure, ""* '' • ^* *^* font néanmoins des œuvres plus nobles et solides. On ne les voit presque jamais sur terre, ains elles se guin- dent tousjours en haut ; aussi les naturalistes disent que c'est le roy des oyscaux, non à cause de sa beauté mais pour sa générosité. Il en est tout de mesme des beaux et des bons esprits. Les uns estans vains, ne s'amusent qu'à des vaines ima- ginations, et pour peu qu'ils fassent deviennent enflés à merveille. Au contraire, les bons esprits font des œuvres bonnes et solides et ne s'enflent point, ains deviennent plus humbles et rabaissés. Un petit escolier de rhétori- que, sur un petit mot de phrase ou d'histoire se paonnera et deviendra, par manière de dire, un pédant, à .sçavoir enflé, vain et superbe. Ht que faire à cela ? I^s l)eaux esprits sont sujets à telles vanités et folies; mais un l>on esprit fait, comme j'ay dit, des œuvres l)onnes et solides, ne s'enfle ni glorifie point, ains se tient tousjours bas et humble. C'est ainsy que fit saint Augustin après sa conversion : il changea la l>eauté de son esprit en l>onté, ou plustost joignit la l>onté avec la l>eauté, car certe* c'a esté le phénix entre les Docteurs, et l'on partage la  ^28 Sermons recueillis gloire entre saint Thomas d'Aquin et saint Augustin, l'un pour la théologie en gênerai, l'autre pour la scho- lastique en particulier. Le troisiesme lien duquel saint Augustin estoit lié, • Confess., 1. IV, c'est l'avarice , car il enseignoit pour le gain *. Il ^'"* gaignoit beaucoup à cause de sa grande doctrine et il estoit fameux et renommé par tout. (Il n'estoit pas de grande extraction, mais ouy bien d'une bonne famille, quoy que pauvre. Il avoit des frères et des sœurs ; il confesse luy mesme et n'a point honte de le déclarer, • Contra Acad., 1. qu'il fut entretenu aux estudes par un gentilhomme *. ' *^* "* O Dieu, cela ne se diroit pas par un homme de nostre temps !) Or, il estoit avaritieux. C'est un puissant lien que celuy cy ; car, par le moyen de son gain, il avoit de grandes prétentions et espérances de s'enrichir et avancer. O Dieu, qu'il failloit bien une main toute puissante pour le deslier de tant et de si fortes chaisnes ! Helas ! qui pourroit concevoir les combats et convulsions qu'en- duroit cette pauvre ame lors qu'elle vouloit reprendre sa liberté et se desfaire des fers et manottes dont elle estoit enferrée ? Mais lors que Dieu, par sa miséricorde infinie, eut touché ces liens, se sentant en liberté, il commença, comme tout ravi, à chanter le cantique des • Ubi$opra,p.32.|. misericordcs divines et s'escria saisi d'estonnement * : Dirupisti vincula mea ! O Seigneur, mon Dieu, vous mave\ deslié des fers et cadenes de mes passions, vicieuses coustumes et habitudes. O Dieu, combien grans sont les effects de vostre puissance et miséricorde ! Or, plusieurs, comme saint Augustin, sont ainsy desliés par le mesme Seigneur quand ils viennent en Religion. Aucuns y viennent chastes, libres de toutes voluptés ; d'autres ne sont point avaritieux et quittent volontaire- ment toute possession temporelle pour se faire pauvres. Toutefois, l'on délaisse bien souvent la terre et autres telles bagatelles, mais il y en a peu qui abandonnent leurs prétentions comme il faut, et qui soyent entièrement quittes de l'avarice intérieure. On a tant de désirs, tant de belles espérances ; on est si peu vuide de son propre  XXXIII. Pour la fêti oi »Anrr Aucustim 329 interest ! Et quant à ce qui est de la vanité, certes, je ne sçay s'il y en a pas un qui en soit libre. C'est un mal commun et universel, il y en a fort peu qui ne soyent enlacés dans ses filets, et saint Auj'ustin en parlant dit*: •Cf.Confe*»., l.X, " * , ce. xxxyn-xxxrm. J'ignore si quelqu'un est exempt de vanité, de complai- sance de soy mesme, de sa propre estime ; si cela est je n'en sçay rien, mais pour moy je ne suis pas du nombre. car je suis homme pécheur *. • Lo», v, 8. O Dieu, comme après sa conversion ce j^lorieux Saint estoit contrit et humilié^, combien rabaissé et plein • P«. 1. 19. de reconnoissance des grâces qu'il avoit receués de la souveraine Bonté ! Avec quel ressentiment de dilection s'escrioit-il : Qjiie rcndray-je au Scif^ncur pour tant de biens qu'il m'a faits? Puis, cherchant en soy avec un esprit tout plein d'une humble et amoureuse gratitude, il disoit* : Je luy sacrifieray un sacrifice de louant^e. • uw iapr». p. )«4 Que veut il signifier par ces paroles? (Elles sont prises d'une de ces phrases hébraïques qui ont certes une propriété admirable pour bien représenter ce qu'elles expriment.) Il y a mille interprétations sur icelles, mais je me contenteray de celle cy. Sacrifier ttn sacrifice de louange n'est autre chose que louer et glorifier Dieu pour ses miséricordes. Louer la clivine Majesté est un acte que tout homme est obligé de faire et duquel per- sonne ne se peut exempter. On ne peut nier le devoir qu'un chacun a de louer Dieu à cause de ses bienfaits, non plus que l'on ne sçauroit nier qu'il y a un Dieu créateur et gouverneur du monde. I^s philosophes payens ont esté contrains de le confesser, encores qu'ils ne fussent pas esclairés de la lumière de la vérité. Un Ciceron. comme [)lusieurs autres, a librement reconneu qu'il y avoit une Divinité, et qu'autre (ju'elle ne pouvoit créer l'homme, ni régir et conserver ce grand univers •. jRT'^'*Vir/i7JÎ' Et la doctrine chrestienne nous enseigne qu'il faut en l>«or., pÂsiia. tout temps louer Dieu • : en beuvant. en mangeant, en •P«.«x«". •• veillant et dormant, de jour, de nuit*, d'autant qu'en •<:/. I Or., «, |i; , tr j I Colo».. m, 17. tout temps nous sentons les ettects de sa miséricorde. Tous les bons Chresticns le font lors qu'ils avsistent aux Offices ou vont aux églises pour connoistrc Dieu, le louer  330 Sermons recueillis et adorer, et lors que parmi leurs autres occupations ils le bénissent et invoquent. Mais saint Augustin ne dit pas simplement qu'il chan- tera ses louanges, ains qu'il luy sacrifiera un sacrifice de louange, pour monstrer qu'il n'entend pas seulement parler de ceux qui, comme le commun du peuple, louent Dieu, ains d'une sorte de gens comme ceux qui en ont receu des grâces particulières. Ils se retirent pour cela de la meslée du monde, se dédient et consacrent au service de Nostre Seigneur, et là ils offrent un sacrifice de louange, qui n'est autre chose que de dire de cœur • Cf. Is., XXIX, 13 ; et d'esprit ce qu'ils disent de bouche*, accompagnant "' ' ■ leurs chants, psalmodies, hymnes et cantiques d'une amoureuse et douce attention qui recrée le Bien-Aymé de nos âmes. C'est ce que le divin Espoux a signifié lors que parlant •Cap.v, i,vi, 1,2. de l'Espouse au Cantique des Cantiques*, il dit : Ma bien-aymée, ma mie qui est parmi vous et que vous connoissez, laquelle s'est donnée toute à moy, ne prend playsir qu'à me louer et me repaistre des fruits de son jardin ; et non contente de m'en donner les fruits, elle me donne encores l'arbre. Ailleurs, descrivant la beauté de cette Sulamite, il conclut en fin : Ma bien-aymée est •Cap. IV, 9. telle qu'elle blesse mon cœur'^ ; elle ressemble à des •Cap. VI, 3, vn, I. chœurs et à des armées'^. Et qui est cette Sulamite hujusEdit.,pp^205i sinon l'ame dévote ? Qu'est-ce que des chœurs sinon des lieux designés pour chanter les louanges divines ? Donc, l'ame dévote qui s'essaye de louer et glorifier Dieu res- semble à des chœurs. Mais le divin Espoux ne se contente pas de cela, ains dit encores qu'elle ressemble à des armées. Quelles sont ces armées sinon les diverses affections d'amour, d'humilité, componction et sousmis- sion avec lesquelles elle accompagne les louanges qu'elle chante à son Bien-Aymé ? Cette douce Sulamite donques est semblable à des chœurs et à des arm.ées , car elle accompagne ses louanges d'affection et ses affections de louange ; elle donne les fruits de son jardin lors quelle loue, et l'arbre, lors qu'elle unit aux louanges ses affections amoureuses ;  306  XXXIII. Pour la fétï de saikt Augustim 331 et avec cette belle variété elle va, comme une armée céleste, mettant en fuite les ennemis de Dieu, qui ne taschent rien tant sinon d'empescher ce saint exercice. Si le diable pouvoit louer la divine Majesté» il ne seroit pas diable ; et on voit en ce prand divorce et rébellion qui se fit au Ciel, duquel nous ne dirons point icy la cause ni comme il advint, que le diable ne devint diable que parce qu'il ne voulut pas louer son Créateur. Ce que voyant, le grand Archange saint Michel s'escria : Qui est comme Dieu ? qui est comme Dieu * ? Ce qu'il répéta •Vide»upra,p.io4. souventesfois, et fut suivi de tous les autres Hsprits bienheureux qui respondirent de chœur en chœur ce mesme mot : Qui est comme Dieu ? et donnèrent par ce moyen la fuite à Lucifer et à ses complices. Ceux cy furent donc precipitt-s en l'abisme pour n'avoir voulu entonner ce divin motet comme les autres Anges, les- quels furent confirmés en grâce. Certes, il n'y a point de meilleur moyen que celuy cy pour donner la fuite au diable, parce que le misérable ne peut supporter les louanges de Dieu ni de le voir adorer et glorifier. Or, nous pouvons dire que l'ame de saint Augustin fut cette amante Sulamite parce que dès l'instant de sa conversion il ne cessa jamais de louer Dieu, de jour, de nuit, en beuvant, en mangeant, en parlant, en escrivant, chantant les cantitjucs de sa miséricorde et de sa grâce. Il estoit si dévot à cette divine grâce qu'il ne se pouvoit rassasier non seulement de l'exalter, mais encores de parler et escrire à sa louange ; il réfute d'une éloquence admirable ces hérétiques qui en nient l'efficacité, et par »cs cscrits et disputes démontre que leurs doctrines sont des resveries. En somme, aux livres et traittés qu'il a faits sur la grâce, il en parle avec tant d'efficace et d'un style si haut et si cloquent qu'il surpasse tous les autres Docteurs, de sorte que l'on voit clairement combien il l'aymoit et prisoit. •Mais la Sulamite de l'Kspoux sacré est encores enten- due de l'Kglisc. Qu'est-ce en effcct que l'Kglise de Dieu sinon des chœurs et des armées , et qui sont ces charurs ftinou, comme j'ay desja dit, tous les Chrestiens qui  332  Sermons recueillis  chantent continuellement les louanges divines en toutes sortes d'estats et de conditions ? Saint Louys (duquel nous avons célébré la feste ces jours passés), le plus grand Saint entre les ro3^s et le plus grand roy entre les Saints, estoit arrivé au plus haut point de la per- fection chrestienne. Il est un mirouër aux roys et à tout le peuple fidelle, il a fait de grans exploits pour la foy de Jésus Christ ; néanmoins il n'estoit point Religieux, ains séculier. Toutefois, par ces chœurs et ces armées nous devons entendre particulièrement les Religieux et ecclésiastiques, lesquels non seulement louent Dieu^ar •Ephes., V, 19, 20; psalmes, hymnes et cantiques *^ ains de plus, tant par o oss., m, 1 . jg^ sermons que par les fonctions propres à leur estât, taschent d'attirer les autres à la connoissance de la vérité, à fin de les exciter à louer Dieu. Et que la prudence humaine ne vienne point apporter icy ses raysons et dire : Oh ! cela est bon pour les ecclésiastiques, prédicateurs et docteurs, lesquels par leurs labeurs continuels assistent au public ; mais à quoy servent ceux qui sont enfermés dans ces cloistres ? A rien ; ils sont inutiles à l'Eglise de Dieu. Ce sont les discours des mondains. C'est grand cas que cette pru- dence humaine prétend tout gouverner et en veut tous- jours à ceux qui ont choisi la vie contemplative. Ceux-là, disent-ils, ne font rien. O Dieu, les pauvres gens ! ils sont aveugles en leurs opinions. Ils ne sçavent pas que le Seigneur se plaist en ces cloistres et lieux retirés. Le chant des Religieux n'est pas si haut que celuy des autres, mais il est plus mélodieux ; ils ressemblent aux oyseaux qui sont dans des cages pour recréer leur maistre par leur gazouillement. Il y a deux sortes d'oyseaux dans les maysons des grans : les uns ne chantent pas et les autres chantent. Ceux qui ne chantent pas sont les esperviers, qui vont tousjours à la queste pour apporter quelque provision à •a.8upra,p.49. leur maistre *. Ils représentent les Evesques et pasteurs qui veillent sur leurs troupeaux, qui sont en continuelle action pour gaigner quelque ame à Dieu et, comme de vaillans soldats, font de bons exploits en la sainte Eglise.  XXXllI. Pour la fête de saint Alôlstim 333 Il y en a d'autres qui ne tont que chanter, mais d'un air si mélodieux que Nostre Seij^neur y prend playsir. On raconte qu'un jour un ^rand seigneur acheta un petit oyseau qui cousta cinq cent septante escus ; c'estoit une grande somme et il y en avoit suffisamment pour acheter des chevaux. Les murmurateurs ne manquèrent pas, le monde a trop de prudence pour ne sçavoir à qui s'en prendre. Et qu'est-ce que cela ? disoyent les uns ; à quoy servira cet estourneau ? car ils l'appelloyent ainsy. On eust peu avoir tant et tant de chevaux qui auroyent rendu grand service à la mayson, et cet oyseau ne sert de rien. Hé, pauvres gens, que vous estes grossiers et terrestres! Il est vray que les chevaux eussent esté utiles, mais ce petit estourneau ne l'est pas moins parce que, dans cette cage, il n'a autre soin et estude que de resjouir son maistre par son chant mélodieux ; il est mesme très content de perdre sa liberté pour demeurer en cette prison toute sa vie à fin de donner du contentement à son seigneur. Kt de plus, c'est le playsir de ce seigneur : n*cst-il pas maistre de son bien pour en faire ce qu'il luy plaist ? Cessez donques vos murmures, et que cela vous suffise puisqu'il le veut ainsy. L'on en peut dire autant des âmes qui se sont enfer- mées dans les cloistres, lesst  336 Sermons recueillis autre que cette liberté? Je suis tout ravi quand je lis en • Lib. IX. ce. i-iv. ses Confessions*' ce qu'il en dit. Il s'estoit tellement donné soy mesme qu'il ne sçavoit plus ce qu'il estoit. Certes, on ne sçait ce qu'on doit plus admirer, ou la sincérité avec laquelle il parle sans aucun doute ni scrupule, ou le st3de admirable avec lequel il fait enten- dre ce qu'il ressentoit en so)^ mesme. Il estoit tellement enflammé de l'amour sacré, qu'il avoit perdu le goust de toutes choses, et trouvoit en toutes le goust de son Sauveur. Je beuvois et mangeois, dit-il, sans sçavoir que je mangeois ; je dormois, sans sçavoir que je faisois ; je trouvois en tout le goust de l'amour de mon Sauveur. J'ay adjousté qu'il y a un autre amour, qui est effectif. Oh! celuy cy est bon par excellence, et nostre glorieux Saint passa de l'amour affectif à l'effectif. Celuy-cy tra- der, s. Aug.,Enarr. vaille et n'est point oisif*. Il souffre des travaux et des s. XXXI, è^ 5, . pgjj^gj,^ Y[ endure des injures et calomnies. C'est ce que je voulois déclarer par mon troisiesme point : Je boiray le calice de mon salutaire ; mais il n'est pas moyen d'en parler, car le temps est desja passé. Je diray seule- ment que cet amour ne se lasse point de patir ; il fait agir en tout temps. Voyez-vous la Magdeleine ? Elle estoit touchée de l'amour affectif quand voyant son Maistre et luy voulant bayser les pieds, elle s'escria : Rabboni. Mais Nostre Seigneur la repoussa, luy disant : Ne me touche pas, va-t-en à mes frères. Or, voyla •Joan., XX, 16-18. l'amour effectif, car elle sortit et alla promptement *. Saint Augustin ayant gousté les douceurs de l'amour affectif passe aux travaux de l'effectif. Il donne sa Règle •Epist. ccxi. à une assemblée de filles*, et soudain les hérétiques se • Possid., Vita S. lèvent contre luy *. Leurs calomnies luy baillent occasion ng., ce. V, VI. ^^ protester qu'il n'est pas l'inventeur, ains seulement le propagateur de la vie monastique en Afrique. Com- bien pensez-vous qu'il souffrit lors qu'il rembarra les hérésies des Manichéens , des Donatistes et autres Africains ? O Dieu, ce ne fut pas sans grand travail et peine. Et vous, vous avez receu de grandes dou- ceurs en l'oraison, mais hors d'icelle vous ne pouvez supporter une injure, une parole et action faite par  XXXIII. POUK LA PÊIE DB SAINT AUGUSTIN 337 surprise ; vous ne pouvez vous accommoder aux personnes d'une humeur contraire à la vostre I 11 y en a à qui la nature a donne de ^rans advantages et il est bien facile de s'accommoder avec elles ; d'autres n*ont pas ces qua- lités, elles ont au contraire je ne sçay quoy qui répugne à nos inclinations. Mais certes, Tamour effectif franchit tout cela et quitte ses propres humeurs pour se conformer en tout et par tout à celles des autres. Saint Augustin disoit une parole que nous devrions tous graver sur le frontispice de nos chambres ou plustost de nos cœurs : O Dieu, dit-il*, qu'il seroit à souhaiter •Cf.r x, que 1 on n aymast que vous, qu on vous aymast en toutes s. Aug.urcanied. choses et qu'on n'aymast aucune chose sans vous! Mais, o glorieux Saint , vous voulez que l'on n'ayme que Dieu; ne faut-il pas aussi aymer ses amis? Guy, mais en Dieu. Kt ne faut-il pas aussi aymer ses ennemis ? Ouy, mais |X)ur Dieu. Que nous serions heureux si nous obser\'ions cecy ! Il s'en trouve prou qui chérissent leurs amis, mais ils ne les ayment pas en Dieu, car ils com- mettent de grandes injustices pour les favoriser, et les ayment aux despens de l'honneur et gloire de Dieu. lù encores ce n'est pas grande merveille d'aymer ses amis, c'est naturel, les payens en font bien autant ; mais d'aymer ses ennemis, o certes, voyla qui est digne d'un vray Chrestien. Or. cela est bon pour prescher en public; revenons donques à cet amour qui nous fait mourir à nous mesme par une abnégation entière et absolue. Saint Augustin, dit au sujet de ces paroles addrcssres par Nostre Stigneur à M. ' îne, Va-t-en à nu*s frères^ : •• Pour marcher il faut Kum- ui-ux pas : mourir et renoncer \ à toutes les choses qui sont hors de nous, et mourir et J' * renoncer à soy mesme, qui est le plus dimcilc. On en trouve assez qui, venant en Religion, renoncent à toutes les commodités, biens et amis; mais on en trouve peu (}ui renoncent ab-solument à eux mesmes par cette parfaite et entière abnégation. Plusieurs disent bien qu'ils ayment les travaux, et mesme qu'ils les désirent, mais peu les souffrent avec la perfection requise. Kn fin (car il faut que je finisse) ce grand Saint, estant SM* III M  3^8 Srrmons recueillis parfaittement mort et anéanti en soy mesme, se plaint à • Cf. RibaJ.. Vita Nostre Seigneur en ces termes * : O Seigneur, faites que s.Aug.,circafin8ra. j^ meure à fin que je ne meure pas ! Monstre^ moy • Ps. Lxxix, ^,8, 20. vostre face, o mon Dieu *. Mais sçachant qu'homme mor- • Gen., xxxn, 30; tel ne peut voir Dieu *, il demande de mourir à fin de ne cr^Deutrv!"'4-2°(^ï P^s mourir ; comme s'il disoit : L'amour que vous m'avez donné- pour vous est si grand que vivre sans vous m'est une mort ; c'est pourquoy, Seigneur, faites que je meure à fin que je ne meure pas, car vous voir c'est ma vie. •Cf. Ps. supra citât. Ouy, en vérité nostre vie consiste à voir la face de Dieu *. De ce grand amour de Dieu procedoit celuy du pro- chain. Ce glorieux Saint fut mesme tenté du désir d'opérer des miracles en faveur de ce prochain, tant il souhaittoit de luy faire du bien et de l'ayder en ses misères. Il estoit si charitable qu'il ne se gardoit rien. Quelque personne luy ayant un jour demandé ce que certes il n'avoit pas, il luy respondit franchement : Je • Ribaden., Vita s. n'ay pas ce que vous me demandez*. Mais comme elle °^'' continuoit à l'importuner, Augustin s'addressa à Nostre Seigneur, le priant de le luy octroyer; néanmoins, adjousta-t-il. Seigneur, si vous ne me le voulez pas donner, donnez-le luy vous mesme. Sa charité passa si avant qu'estant proche de sa mort on le sollicita de faire son testament, et il dit : Hé, je vous prie, ne me pressez pas de le faire. Or, comme on l'en importunoit fort il ne • Possid., Vita S. se trouva rien *. Aug., c, ult. . , ^ . -. . , Avant que de finir, disons encores ce mot que saint •Cf. scrm. IX. Augustin escrit en un autre endroit*: O Dieu, est-il possible que l'on sçache que vous estes Dieu et que l'on ne vous ayme pas ! Certes, c'est chose pitoyable en cet aage que nous sçachions que Dieu est Dieu, que nous le croyions et que nous ne l'aymions pas. C'est ce que Nostre Seigneur dit comme en se plaignant : Si quel- •joan.,xiv,23,xir, qiCiLu m' ayme, qu'il me suive^. Si quelqu'un ni ayme; voyez-vous, il monstre en cela que le nombre de ceux qui l'ayment est petit. (0 Mais achevons par la mort amoureuse de saint (1) Les dix-sept lignes qui suivent sont inédites.  XXXIll. Pour la prn de saiht Augustin 359 Augustin. Je vous repeteray ce qu'un prédicateur disoit un jour à ses auditeurs, les entretenant du trespas d'un grand Saint : Je finiray, concluoit-il, de peur qu'en vous parlant de la mort d'un tel (et il le nomma), je ne vous fasse mourir, voyant l'attention avec laquelle vous avez ouy ce que j'en ay touché. Kt moy, mes chères Sœurs, vous ayant dit quelque chose de ce grand saint Augustin, et me trouvant à la fin de cette mienne exhortation sur sa mort et parfaite abnégation, je paracheveray, non point de peur que vous mouriez d'une semblable mort, mais bien de crainte de vous ennuyer par un trop long discours ; car ayans esté une partie du jour attentives à chanter l'Office divin, vous voudrez après cette prédica- tion que vous avez entendue avec attention, faire quel- que chose de ce que nous avons dit de ce glorieux Père, lequel vous admirerez et imiterez. Pour vous laisser suivre vostre Office, je finiray donques en vous disant : Que Celuy cjui a béni ce glorieux Saint vous bénisse, que Celuy qui l'a sanctifié vous sanctifie, et que Celuy qui l'a glorifié vous glorifie là haut, par tous les siècles des siècles. Amen.  xxxrr  XXXIV SERMON DE VÊTURE ET DE PROFESSION POUR LA FÊTE DE SAINT NICOLAS DE TOLENTIN 10 septembre 1620(1) C'est une vérité qui a tant et tant de fois esté dite par la Sainte Escriture et par les anciens Pères, que la perfection chrestienne n'est autre chose qu'une abnéga- tion du monde, de la chair et de la propre volonté, qu'il semble qu'elle n'aye plus besoin d'estre répétée. Ce instit., 1. IV, c. grand Père de la vie spirituelle, Cassian *, parlant de cette perfection, dit que la base et le fondement d'icelle n'est qu'une parfaite abnégation de toutes les volontés •Ep.ccxx,adBonif., humaines. Et saint Augustin *, traittant de ceux qui se i.'v, c?°x" ^"^ ' consacrent à Dieu pour tendre à cette perfection, escrit : Ces gens icy que sont-ils, sinon une assemblée de per- sonnes qui vont en la milice, à la guerre et au combat contre le monde, la chair et soy mesme ? ( I ) Véture de Sœur Bernarde-Marguerite Valeray et Profession de Sœur Marie-Etiennette Devillers. (Pour la première, voir VAttnee Sainte, tome VI, p. 410.) Bien que la date de ce sermon soit fournie par les Manuscrits mêmes, l'éditeur de 1643, ^^ premier qui l'ait publié, a cru pouvoir, vu le sujet qui y est traité, n'avoir nul égard à cette date et le donner comme ayant été prononcé pour la Nativité de Nostre Dame. Et afin de n'être pas contredit par le texte même, il modifie hardiment les phrases qui l'auraient gêné. Par exemple, celle qui se lit ci-après, page 342, lignes 5-8, est ainsi rendue par lui : « La divine Providence ayant permis que vous ayez demandé... d'estre « reçeuës à la saincte Profession en cette grande feste. » Et la leçon originale reproduite ci-après (p. 344, 11. 12, 13) est ainsi dénaturée par l'éditeur en question : « Et le glorieux sainct Nicolas de Tolentin, la feste duquel se trouve « dans l'octave de la feste que nous célébrons aujourd'huy. » De plus, quel- ques passages ayant trait à saint Nicolas de Tolentin (voir le dernier alinéa de la p. 349, et les deux derniers de la p. 3^4) ont été supprimés.  XXXIV. Pour la fête de saiht Nicolas de ToLEvTfN ^41 Nostre doux Seigneur et Sauveur est ie chef, le défen- seur et capitaine non seulement de cette armée ains encores de chaque combattant. Or, bien que le Père éternel Taye constitué et déclaré gouverneur d'icelle * et • P». u, 6. qu*il en soit unique et souverain Capitaine, si est-ce qu'il s*est trouvé tant de douceur et clémence dans le cœur de nostre cher Maistre qu'il a voulu que d'autres parti- cipassent à la gloire d'estre chefs de cette milice, mais sur tout la .sacrée Vierge, laquelle en a esté comme la capitainesse principalement du sexe féminin, quoy que Nostre Seigneur ne laisse pas pour cela d'en estre Maistre et gouverneur absolu, et d'une façon souveraine. Ijots que Dieu créa Adam il le fit père de tout le genre humain, des hommes et des femmes esgalement ; néan- moins il créa la femme, que nous appelions nostre mère Eve, qui est comme la capitainesse du .sexe féminin. Ce n*est pas pour cela qu'Adam ne soit le chef absolu des deux sexes; oh non, mais lîve participe en quelque façon à la gloire qu'il en reçoit. Certes, quand Dieu délivra les Israélites de l'Fgyptc pour les mener en la terre de promission, il les mit sous la main et conduite de Moysc, lequel fut déclaré pour capitaine et conducteur de ce peuple. Ft lors que, par inspiration divine, il commanila à toute son armée de passer à travers la mer Rouge pour e.schapper la furie et tyrannie de Pharaon qui la poursuivoit, la mer se séparant laissa le chemin sec et libre aux Israélites, et engloutit et submergea les Egyptiens •. Ce que voyant, Moyse en- * EioJ.. nv» t^-ii. tonna .son beau cantique avec un ressentiment intérieur inconcevable, s'accompagnant de fifres, artici|H>it h cette gloire, d'autant qu'elle ostoit comme la • 'oc de cri les de son HCX'- ' •' '* :>»«>il pas s. i, ,-,,»! ni pour  342 * Sermons recueillis la bienséance et civilité, mais comme remarque l'Escri- ture, d'après l'ordonnance de Dieu, qui monstra souvent par diverses figures et exemples les faveurs et grâces qu'il devoit faire à la sacrée Vierge Nostre Dame. Or, la divine Providence a permis qu'estant encores dans l'octave de la Nativité de cette sainte Vierge, ces filles ont demandé l'une d'estre receuë à l'habit, l'autre à la Profession. O que leur entreprise est grande! car c'est un combat et une continuelle guerre qu'elles livrent au monde, à la chair et à elles mesmes, sous l'estendart et protection de nostre très chère Maistresse. C'est pour- quoy il faut que nous regardions comment cette sainte Vierge a vaillamment triomphé de ces trois adversaires, dès sa première entrée en cette vie ou en sa sainte nati- vité. Certes, cette glorieuse Dame a esté un miroiier et abbregé de la perfection chrestienne ; mais bien que Dieu l'aye fait passer par tous les estats et degrés pour servir d'exemple à tous les hommes, si est-elle le particulier modèle de la vie religieuse. Elle a esté d'abord sujette à sa mère; elle est demeurée dans sa famille pour monstrer aux filles et enfans l'hon- neur et sujétion qu'ils doivent rendre à leurs parens et avec quel esprit ils se doivent tenir en leur mayson. Elle fut présentée au Temple en sa jeunesse, n'ayant que Videsapra,p.i27. trois ans*, pour apprendre aux pères et mères avec quel soin ils doivent eslever leurs enfans et avec quelle affec- tion ils les doivent instruire en la crainte de Dieu et les porter à son service. Elle fut encores en cela l'exemple des filles qui se consacrent à la divine Majesté. Puis elle fut mariée, pour estre le miroiier des mariés, et en fin vefve. La divine Providence l'a donc fait passer par tous les estats à fin que toutes les créatures puissent puiser en elle, comme en une mer de grâce, ce qu'elles auront besoin pour se bien former et dresser en leur condition. Il est vray néanmoins qu'elle a particulièrement esté, comme j'ay dit, le miroiier de la vie religieuse ; car dès .sa nativité elle prattiqua très excellemment cette parfaite abnégation du monde, de la chair et de soy mesme, en laquelle consiste la perfection chrestienne. Quant au  XXXIV. Pour la fête de SAnrr Nicolas de Toleîitw 343 monde, la sacrée Vierge en fit en «îa naissance les plus parfaits et les plus entiers renoncemens qui se puissent faire. lit qu'est-ce que le monde sinon une affection desre- glée que Ton a aux biens, à la vie, aux honneurs, dignités, prééminences, propre estime et semblables bagatelles après lesquelles les mondains courent et desquelles ils se rendent idolâtres ? Je ne sçay comme cela est arrivé, mais le monde est tellement entré dans le cœur de l'homme, que l'homme est devenu monde et le monde homme. I^s anciens philosophes semblent l'avoir voulu dire lors qu'ils ont appelle l'homme un microscome, à sçavoir un petit monde*. Et saint Augustin parlant du • s. Thotn. ,!•?««, monde dit* : Qu'est-ce que le monde? Ce n'est autre JhViîca'. *i. viii" chose que l'homme ; et l'homme, qu'est-ce autre chose l'5^*'V^' ^» . . * ' De (jfjt Chfisti, que le monde? Comme s'il vouloit dire : L'homme a ex ri. tellement mis et attaché ses affections aux honneurs, c.lxxrn' richesses, dignités, prééminences et propre estime qu'il a pour cela perdu le nom d'homme et receu celuy de monde ; et le monde a si fort tiré à soy les affections et appétits de l'hommr qu'il no sVst plus appollr- monde mais homme. C'est de ce monde ou de ces hommes que le grand Apostre parle lors qu'il escrit : Le monde n'a point conneu Dieu, et pour ce il ne Va point receu ^ om • J©»". i. «©, it, voulu entendre ses loix. ni moins les recevoir et garder, «,"1,6!^. *'* d'autant qu'elles sont entièrement contraires aux siennes. Kt Nostre Seigneur luy mcsme dit à ce sujet *: y«nii(j"M:ii.uiL jiisqucs à cc qu'il vous en ayt entière- ment rendues quilles. Partant il faut avoir bon cour;»»^" et y entrer avec celte détermination, que si bien V' ouffrez quelque chose, vous ne vous en estonnercz point parce qu'il n'en peut estre autrement. Saint Paul parle merveilleusement bien de ce renon- cement quand il dit : Je viSy non pas moy, mais c'est Jésus Christ qui vit en moy. Comme s'il disoit : Bien que je sois homme de chair, je ne vis point selon la chair ains selon l'esprit*; et non selon l'esprit propre, mais 'Cr. Roai.,Tin, n. .selon ccluy i\o Jésus Christ qui vit et règne en moy. Or. m L^rand Apostre n'est pas arrivé à cette parfaite abn< :i de soy mesme sans avoir souffert l>eaucoup de peines et convulsions en son esprit; l'Kscriturc nous le tosmoigne •. Voyez-vous, cette abnégation consiste à quit- •!! Cor.,tm,f,%to, tf»r son ame. son esprit propre pour le sousmettrc ik ccluy d'autruy. I-os Anges dcvindrent diables et tresbuchcrenl  ^52 Sermons recueillis en enfer pour n'avoir voulu s'assujettir à Dieu ; car quoy qu'ils n'eussent point d'ame humaine ils avoyent néanmoins leur esprit propre, lequel n'ayant pas voulu renoncer pour le rendre sujet et sousmis à leur Créateur, ils se perdirent misérablement. Il est vray que tout nostre bonheur consiste en cette sujétion de nostre propre esprit, comme au contraire tout nostre malheur vient du défaut d'icelle. Les dévots qui sont dans le monde font en quelque manière les deux premiers renoncemens dont nous avons parlé, mais pour celuy cy, o certes, il se fait seulement en Religion ; car bien que les séculiers renoncent au monde et à la chair et qu'ils s'assujettissent en certaine façon, ils retiennent tousjours quelque chose, et tous se reservent au moins la liberté du choix des exercices spirituels. Mais en Religion l'on renonce à tout et on s'assujettit en tout, puisqu'en quittant sa liberté on renonce absolument au choix des exercices de dévotion pour suivre le train de la Communauté. La très sainte Vierge fit en sa nativité ce dernier renoncement en telle sorte qu'elle ne se servit jamais de sa liberté. Regardez bien tout le cours de sa vie, et vous ne verrez autre chose qu'une continuelle sujétion. Elle va au Temple, mais ce sont ses parens qui l'y mènent, VëLyant ainsy promis à Dieu. Bien tost après on la marie. Voyez sa sortie de Nazareth pour aller en Bethléem, sa fuite en Egypte, son retour en Nazareth ; en somme vous ne trouverez en toutes ses allées et venues qu'une sujétion et souplesse admirable. Elle en vient jusques là que de voir mourir son Fils et son Dieu sur le bois de la croix, demeurant ferme et debout au pied d'icelle, s'assujettissant à ce qui estoit du divin vouloir en adhé- rant à la volonté du Père éternel. Non par force mais de son plein gré, elle approuve et consent à la mort de Nostre Seigneur; elle bayse cent mille fois la croix sur laquelle il est attaché, elle l'embrasse et l'adore. O Dieu, quelle abnégation est celle cy ! Il est vray que le cœur tendrement amoureux de cette dolente Vierge estoit Lac», II, 35. transpercé de véhémentes douleurs * ; et qui pourroit  XXXIV. Pour la fête de saint Njcolas de Tolemtw 353 exprimer les peines et convulsions qui se passoyent alors dans ce cœur sacré ! Néanmoins nous voyons qu'il suffit à cette sainte Dame de sçavoir que c'estoit la volonté du Père éternel que son I-ils mourust et qu'elle le vist mourir, pour la faire tenir debout au pied de la croix * * Joao., xix. «v comme a^g^reant et acceptant cette mort. Saint Auj^ustin. parlant de la verge de Jessé, après avoir fait un long et beau discours* que je ne rapporteray •Senn.xxxi.in Ap. pas à cause de sa longueur, car il nous faudroit du temps infiniment, dit que cette verge ressembloit à l'amande ; ce qu'il applique à Nostre Seigneur. Je finiray par icy cette exhortation , en vous monstrant comme nostre cher Maistre et Sauveur a fait excellemment cette abné- gation. Saint Augustin explique donques que l'amande a trois choses remarquables : la première c'est la bourse qui est toute bourrue, la seconde c'est l'escorce ou le bois qui environne le noyau, la troisiesme c'est le noyau. Cette bourse qui est au dehors représente l'humanité de Nostre Seigneur qui a esté toute noircie et tellement meurtrie de coups qu'il a dit * estre un ver et non un * P*- «n.?» homme. \jc noyau, qui non seulement est doux et bon à manger, mais qui estant broyé est encores propre à faire de l'huile pour esclairer et illuminer, nous signifie la Divinité. L'escorce nous représente le bois de la croix sur lequel Nostre Seigneur a esté attaché et tellement pressé qu'il a jette l'huile de miséricorde ; il a aussi esclairé en telle sorte qu'il a délivré le monde de ses ténèbres et ignorances. C'est sur ce bois que nostre cher Sauveur et souverain Capitaine a fait ce parfait renon- cement de luy mesme ; c'est à cette croix que tous les Saints se sont attachés, ce sont ces douleurs qu'ils ont pris pour sujet particulier de leurs oraisons; et certes, le vray Religieux doit tousjours avoir la Croix et le Crucifix devant ses yeux pour apprendre de luy à se bien quitter et renoncer. Et bien que la bonté de Nostre Seigneur soit si grande que de faire quehjuefois gouster la douceur de sa Divinité, accordant quelque grâce et faveur aux âmes, si cst-co que pour cela nous ne nous devons point oublier des amertumes qu'il a souffert pour  5c^ Sermons recueillis nous en son humanité ; car je Tay dit et le diray et ne me lasseray jamais de le redire, la Religion « est un mont de Calvaire » où il se faut crucifier avec Nostre • Constit. XLiv. Seigneur et Maistre pour régner « avec luy *. » Mais pour finir par le glorieux saint Nicolas Tolentin, je vous diray qu'ayant fait ces trois renoncemens dont nous avons parlé et s'estant bien crucifié en la Croix de nostre Sauveur, il voulut qu'à l'heure de sa mort on luy apportast ce bois sacré ; puis, le voyant et l'embrassant • In Actis ejus. il s'escria, comme un autre saint André * : « O bonne Croix, o Croix tant désirée, o Croix, je te salue! » O Croix unique, o Croix pretieuse, sur laquelle demeurant et m'appuyant comme sur un baston très asseuré, je passe à pieds secs la mer tempestueuse de ce monde. Estant donques tout transformé es douleurs de Nostre Seigneur, il mérita que ce divin Sauveur s'apparust à luy à l'heure de sa mort, appuyé d'un des bras sur la sacrée Vierge et de l'autre sur saint Augustin. Lors Jésus Christ luy dit : Viens, mon « fidelle serviteur, » qui m'as si bien servi sous la Règle que j'avois donnée à ton Fondateur ; u viens • Respons. lum ad posséder la couronne qui t'est préparée *. » Matut. Conf. Pont. .^ ^ •• t?'ii et Virg.; cf. Luc, O que VOUS sercz hcureuscs, mes chères l^illes, si vous x"c, ï7;Jac.,i,i2. faites ce renoncement absolu du monde, de la chair et de vous mesme, et si vous vivez désormais en l'exacte observance des Règles et Constitutions qui vous ont esté données de la part de Dieu. En ce faisant vous aurez sans doute la mesme faveur que saint Nicolas receut de Nostre Seigneur, de Nostre Dame et de saint Augustin, puisque vous estes filles d'un mesme Père et d'une mesme Mère que luy. vSi vous avez fidellement gardé vos Règles, le Sauveur viendra asseurement vous recevoir à l'heure de vostre mort avec la sacrée Vierge, sinon visiblement, car il ne le faut pas désirer, du moins invi- siblement pour vous introduire en la vie éternelle, où nous conduisent le Père et le Fils et le Saint Esprit. Amen.  XXXV bLKMuN i'ULK L.\t VÉTURE 17 octobre 1630 («) (Imidit) L'honneur que la sainte Fglisc a tousjours porte à la sacrée Vierj^e a esté cause qu'outre les festes qu'elle solemnisc le long de l'année, elle en fait encores une particulière (jui est celle (jue nous célébrons aujourd'huy; je veux dire que l'Eglise, pour monstrer le grand honneur et amour qu'elle professe pour cette sainte Dame, luy dédie le samedi de chaque semaine quand en iceluy il n'escheoit point de feste double. Or, à la sainte Messe de ce jour on recite pour l'ordi- naire l'Kvangile* où il est dit (ju'une bonne femme • Uc», n, 17, »«. oyant parler Nostre Seigneur s'escria : Bienheureux est le ventre qui t'a porte et les wammelles qui t'ont allaitté. Mais le Sauveur, par un saint contreschangc luy respondit : Bienheureux sont ceux qui escoutent la parole de Dieu et la f^ardent. Voyez-vous par où commence cette femme qui veut louer Nostre Seigneur? Par le ventre qui \'a porté et par les mamntelles qui l'ont allaitté ; comme si elle eust voulu dire, poussée de la grande estime qu'elle avoit conceùe de la grandeur et excellence de nostre divin Maistre : O qu*heureux  1 1 ) I ^ • ' : S! <«rmoo 9%t pfci< ! ■■<- ir .1 '..t.,f .If 1 «utf c^rimoal* d« Vétnr* (e«ll« dM S«ort PasU-JérooyM« tt Uêt^ . , . ^ clrcon«uo44. qui escoutent la parole de Dieu et la gardent. Un jour le grand saint Antoine ayant receu des lettres de l'Empereur et voyant ses Religieux tout estonnés de l'honneur que ce prince luy faisoit, il les reprint en leur monstrant leur aveuglement. Et quoy, dit-il, vous vous eslonnez que l'Empereur qui n*est qu'un homme comme un autre m'ayt escrit et envoyé un de ses ambassadeurs, et vous ne vous estonnez point que Nostre Seigneur nous parle dans la Sainte Escriture ? Voire, non content de cela, il nous envoyé ses messagers, qui sont ses Anges, pour nous faire entendre ses volontés, et de plus il vient encores luy mesme s'incarner et demeurer sur cette terre pour nous enseigner en propre personne •. • S. Athjo.. Viu S. , , , , . , . r ^o* • I '«• C^ '■* lielas! (jui est-ce qui nous cf)uvre les yeux de fange, troj.sUVuJ^., pour n'admirer point ces merveilles et pour nous estonner ** **• ^' *"** si fort de ce que font les hommes k l'endroit de leurs semblables ? Cet estonnement de saint Antoine ne pro- cedoit d'autre cause sinon de la connoissancc qu'il avoit du grand bien et honneur qui nous revient d'entendre la parole de Dieu. Bienheureux donc ceux qui Vescoutent et la gardent. Or, voyci mon second point. Plusieurs oyent cette divine parole : mais ce n'est pas as>ez, il la faut garder, et pour la garder il î 1 faut mascher et avaler. yu*csl-cc  360 Sermons recueillis que la mascher sinon la méditer? En latin, méditer n'est autre chose que mascher ; il n'y a autre différence sinon que le mot mascher est employé pour les choses corpo- relles, et celuy de méditer pour les spirituelles. Pour manger les viandes corporelles il les faut mettre dans la bouche, puis les mascher et les avaler ; ainsy pour cette manducation spirituelle il faut prendre la viande qui nourrit l'ame, la mascher, c'est à dire la méditer, • Cf. supra, p. 70: pour puis apres l'avaler et convertir en soy mesme *. Et £);>;/,!. VI, c. VI et qu'cst-cc cettc viaude spirituelle sinon la parole de Dieu, ubi proxime lufra. ^^^ gg^ j^^ vraye pasture de l'ame, comme luy mesme l'a • Deuter., vi.i, 3 ; déclaré en tant et tant d'endroits de la Sainte Escriture*? Amos, vni, 11, '^^ , . ^-r^ -, •, 1 Malt., IV, 4. il laut donques la recevoir. Et comment? Dans la bouche de nostre ame qui n'est autre que les oreilles du corps par lesquelles elle vient jusqu'à nous ; car tout ainsy que l'on ne sçauroit manger les viandes corporelles sans les avoir premièrement receuës dans la bouche, aussi ne sçaurions-nous mascher, c'est à dire méditer la parole de Dieu, sans l'avoir bien ouye. Donques bienheureux sont ceux, dit Nostre Seigneur, qui escoutent la parole de Dieu, puisque c'est desja un bon signe qu'ils la garderont. C'est une chose si importante de bien méditer cette • Levitic, XI, 1-26; divine parole que le Seig^neur en l'Ancien Testament* Deut., XIV, 6-8. t . . . ^ .^ ^ Ci.Tr.de r Am.de ne vouloit poiut recevoir en son sacrifice les animaux circa'finem.' '^' "' ^^^ ^® ruminoycut pas. Voyla pourquoy les corbeaux, les ours, lions et autres semblables estoyent déclarés immondes et ne s'en servoit-on jamais pour les sacrifices. Ce sont des animaux qui engloutissent la viande sans la mascher, et pour cela Dieu les rejettoit en l'ancienne Loy, comme au contraire il aggreoit ceux qui ruminent, tels que les taureaux et aigneaux lesquels luy estoyent ordinairement offerts et immolés. O Dieu, si l'on sçavoit l'importance de ce point! Helas, il y a tant de personnes qui entendent la divine parole ! mais que font-elles sinon l'engloutir comme des corbeaux, ours et lions, sans '"^dtTr.îe'rAmde ^^ ^^"^^"^r ? De là vient que tant de gens se perdent*, p,em,\.w,c.x\\, qui pour cela sont appelles immondes et ne sont point propres pour le sacrifice. Ils reçoivent dans la bouche de  XXXV. Pour une Veture 361 l'amc, c'est à sçavoir ils escoulent avec les oreilles du corps, ce qu'on leur dit de l'horreur de l'enfer, de la beauté du Paradis et autres telles choses ; mais ils l'en- gloutissent, et faute de le ruminer ils ne peuvent le digérer ni en tirer de la nourriture, et n'en ont aucune appréhension. Voyez-vous, pour que les viandes nous proffitent il faut faire une bonne digestion par le moyen de laquelle elles aillent en l'estomach et se convertissent en sang, qui passant par toutes les veines se change puis après en nous mesme. Ce que saint Hernard entendoit fort bien lors qu'il exhortoit ses Religieux à garder diligemment ce pain sacré de la parole de Dieu * : Soyez bien soigneux * Cf aj MiUtci , , , . « j- • -1 Tcmpli.c.vi : »eraj. de garder vostre pain, si vous en avez, leur disoit-il ; m tn Dom Palm., mettez -le en quelque lieu où il ne vous puisse estre rôentui*pîiiu*SâiV desrobé par les larrons. Mais pour le bien conserver, »"•*) comme ferez-vous ? Voyez, adjouste ce grand Saint, un pauvre homme qui a un pain dans un coffre ou buffet; il est content, il pense qu'il en a assez pour le soir et pour le lendemain. Hé, malheureux, ne sçavez-vous pas qu'il n'est pas asseuré ? Des larrons pourroyent venir vous le desrober dans cette armoire. Se peut il pas aussi estre mangé par les rats ou par les souris? Que si vous voulez bien faire, vous le devez manger, et non .seulement cela, mais en faire aussi une bonne digestion par le moyen de laquelle vous le convertissiez en vostre propre substance. Saint Bernard veut dire qu'il ne suffit pas de bien escouter et méditer la parole de Dieu, mais qu'il faut encorcs la digérer et la changer ainsy en nous mesme. Certes, il se trouve des estomachs si indigestes que si tost qu'ils ont receu les alimens ils les rejettent. Telles gens sont à plaindre, car quoy qu'ils mangent de l)onnes viandes ils n'en tirent point de nourriture et demeurent maigres et morilxjnds. Kt d'où vient cela ? C'est qu'ils ne font point de digestion. Il faut donques bien digérer ce que nous méditons, en tirant de l>ons de.sirs. i\o \xynncs affections et resolutions, lesijuelles nous ca« :. ronn ensuite en un coin de nostre cœur pour nous en servir aux occaitions et les prattiquer en toutes sortes  404  362 Sermons recueillis de rencontres, en telle sorte que nous ne soyons plus nous mesme, mais que les affections et resolutions prises en l'oraison paroissent en toute nostre vie. •p.Aimeyda, S.J., Lcs naturalistes disent* qu'il y a un animal terrestre annoisbt). cr Tv! aupres de la mer qui va si souvent s'y jetter qu'il se Jer\m.JeDyu,\. nourrit de ses eaux, et les conserve et dig-ere en telle \ III, c. I, et tom. ' ° VII hujusEdit., p. sorte par les fréquentes entrées et sorties qu'il fait en icelles qu'il change en fin de nature, car luy qui estoit animal des champs devient poisson comme ceux qui vivent dans la mer. O Dieu, que nous serions heureux si estans appelles à une vocation nous méditions et digé- rions tellement son excellence, que par la grande estime que nous en ferions et le grand amour avec lequel nous prattiquerions nos Règles et Constitutions, nous vinssions à la convertir en nostre propre substance, en sorte que, laissant d'estre ce que nous sommes, nous devinssions nostre vocation mesme ! O que bienheureux sont ceux qui oyent la parole de Dieu et la gardent ! Lors que Satan tenta Nostre Seigneur au désert et luy dit qu'il changeast ces pierres en pain pour subvenir à sa faim, Jésus luy respondit : L homme ne se nourrit ^^5 Matt., IV, 3, 4. seulement de pain, ains de toute parole de Dieu *. Comme s'il vouloit dire : Tu me demandes de changer ces pierres en pain; mais je n'ay pas besoin de le faire, puisque cette pierre, estant bénite, me peut servir de nourriture; comme au contraire, le pain sans la bénédic- tion de Dieu ne peut nullement nourrir. Lors que Dieu punit les hommes par le fieau de la famine, nous voyons que quoy qu'ils mangent une grande quantité de pain ils ne sont point rassasiés, d'autant que la bénédiction de Dieu n'est pas sur iceluy ; mais pour peu qu'il y ayt de pain béni par le Seigneur il rassasie l'homme. L'expé- rience journalière nous en fait foy, car nous voyons tant de saints personnages qui vivent très longuement parmi de grandes pénitences et austérités. Ce n'est donques pas \e pain seul qui nourrit l'homme; non certes, mais c'est la parole de Dieu qui non seulement sustente l'ame comme estant la viande qui luy est propre, ains sa vertu passe encor au corps, luy conservant une certaine force  XXXV. Pour une Vêture 363 et vigueur que le pain matériel ne luy peut pas donner. Bienheureux donc sont ceux qui escoutent la parole de Dieu et la gardent. C'est mon troisiesme point. Ht pour commencer par la sacrée Vierge, comme celle qui l'a mieux escoutée et gardée, que diray-je sinon emprunter pour ce sujet les paroles de ce grand saint Hierosme en l'epistre qu'il escrit à Hustochium • sur la •EpUt.crin.inUio. mort de sa mère Paula } Si toutes les parties de mon corps se convertissoyent en langues, si tous mes nerfs resonnoyent en voix humaines, je ne publierois encores assez dignement combien la Sainte Vierge est bienheu- reuse pour avoir entendu et gardé la parole de Dieu, car elle l'a fait avec tant de perfection que pour cela elle a esté dite bienheureuse par la bouche de sainte Fliza- beth, qui estoit poussée de l'Ksprit Saint *. Klle mesme • Lu.*, ■, 41, 4^. a confessé en son sacré cantique * que pour ce sujet elle • IbiJ., f. 48. seroit appellée bienheureuse de génération en généra- tion ; et Nostre Seigneur semble aussi le vouloir faire entendre en la response par laquelle il contreschangea la louange que cette femme donnoit à son ventre et à ses mammelles. Il est vray, c'est en cecy que consiste la béatitude tant en cette vie comme en l'autre, puisque nous ne serons bienheureux qu'autant c|ue nous nous serons convertis en cette divine parole. \jc grand s;iint François fut admirable en la digestion qu'il fit des maximes sacrées qu'il enten- dit en l'Kvangile •, car il se convertit absolument et les • M •«.,««, 11. Ct changea tellement en soy qu il n estoit plus luy mesme, ains estoit devenu ce que ces maximes signifioyent. Qu'y avoit-il de si pauvre, de si humble que saint François? Il se cachoit, et Dieu le rehaussoit ; il s'appauvrissoit, et Dieu l'enrichissoit. C'estoit un pauvre homme qui n'avoit point csiudié, et néanmoins il preschoit et fai^oit des merveilles. Certes, il n'avoit ni «iaint lionavenlure ni saint Thomas, et tels autres authcurs ecclésiastiques, ni Ciceron, ni rien moins que tout cela; cepentlant il ensci- gnoit une doctrine bonne, vraye et solide. O Dieu, qu'il estoit heureux d'avoir si bien digéré cette sainte parole jusqucH à cstre tout transformé en icelle ! Saint Jean  364 Sermons recueillis Baptiste qui entra si jeune dans le désert, s'estoit-il pas tellement transformé en la pénitence que son langage, sa voix, ses habits, tout son extérieur et intérieur ne preschoyent que pénitence ? Voyla donques comme l'on peut justement dire : Bienheureux ceux qui escoutent la parole de Dieu et qui la gardent. O que vous estes heureuses, mes chères Filles, car vous estes du nombre de celles qui ont entendu cette • I Reg., XVI, 7 ; divine parole de Celuy qui seul peut pénétrer les cœurs*. XI* 30"* '°^ ^'^^'^ ' ^^ vous a dit un mot en secret et vous luy avez obéi; car c'est luy seul qui peut parler au cœur des hommes, et, par mesme moyen, leur donner la grâce de faire ce qu'il demande d'eux. Et que l'on ne pense pas que les vocations puissent venir d'autres que de Dieu. O non certes, les hommes ont beau nous exciter ; qu'ils fassent tout ce qu'ils pourront , qu'ils employent toute leur rhétorique et philosophie pour persuader à une ame d'entrer en Religion, de faire choix d'une vocation, tout leur travail sera inutile ; il faut que Dieu touche et parle à ce cœur. Je sçay bien que plusieurs (je veux dire quelques-uns) entrent en Religion poussés ou forcés par les hommes, et ceux-là véritablement ne sont pas meus par l'Esprit de Dieu ; aussi en arrive-t-il souvent de grans malheurs, et si la divine miséricorde ne touche ces pauvres cœurs ils viennent non pas à se convertir en leur vocation mais à la corrompre. Or, vivans licentieu- sement dans la Religion, que doivent-ils attendre que la damnation ? O Dieu, qu'il vaudroit bien mieux qu'ils fussent demeurés au monde pour s'y sauver, puisqu'on le peut faire en gardant les divins commandemens. iMais ces filles sont venues parce que Dieu les a appellées, car c'est luy qui va touchant ceux qu'il luy plaist pour les conduire où il veut. Que vous reste-t-il plus sinon de bien entendre et garder la parole divine, à sçavoir vos Règles et Constitutions, et vous convertir tellement en elles que vous soyez désormais vostre vocation mesme ? Les Religieuses ne doivent avoir autre soin que celuy là, d'autant que dans leurs Règles et Constitutions elles voyent la volonté de Dieu qui leur  XXXV. Pour une Vêture 365 signifie et monstre ce qu'elles ont à faire pour parvenir à la perfection et union avec sa divine Majesté. Or, pour y parvenir il faut ajuster nostre volonté à la sienne. Vous voyez que quand on veut joindre deux pièces de bois l'on y apporte la règle, ensuite on retranche ce qui est superflu, j)uis on les ajuste ; et ainsy des pierres que l'on taille pour mettre en quelque édifice, et lors on dit : Voyla qui est bien ajusté. Nostre règle n'est autre que la volonté de Dieu, à laquelle nous devons ajuster la nostre en la renonçant et mortifiant. On ne le fait pas sans peine, mais certes les roses ne se trouvent pas sans espines, et nous ne devons pas craindre de nous piquer pour cueillir ces belles roses parmi les diflfîcultés, car puis après, elles s'espanouiront et jetteront une odeur qui nous resjouira tout le cœur. Kn fin, si nous travaillons fidcUement pendant cette vie en entendant et gardant la parole de Dieu, comme nous avons dit, nous .serons bienheureux non .seulement en icelle, mais beaucoup plus en l'autre, où nous conduisent le Père et le Fils et le Saint tsprit. Amen, ainsy soit-il.  XXXVI SERMON POUR LA FÊTE DE LA TOUSSAINT i^^ novembre 1620 (0  Cette feste est pleine d'un grand nombre de matières propres à monstrer sa grandeur et solemnité, et les pré- dicateurs s'esgayent parmi la variété et l'affluence des sujets dont on peut traitter à ce jour. Les uns parlent de la gloire des Saints et de leur félicité, les autres, autant utilement que louablement, discourent de leurs vertus et sainteté par laquelle ils ont acquis cette félicité. D'autres expliquent cet admirable sermon de la monta- gne auquel Nostre Seigneur prononça les huit beati- Matt., V, i-ii. tudes *. Mais pour moy, je veux en ce discours me conformer et suivre au moins mal qu^il me sera possible rintention de la sainte Eglise, en vous entretenant de l'un des articles de nostre foy, à sçavoir de la communion des Saints. Cette communion se peut comprendre et expliquer en diverses façons, comme nous voyons en la Sainte Escri- ture; mais nous vous monstrerons qu'elle se doit sur tout entendre de deux sortes d'amours lesquels se déclarent beaucoup mieux quand on parle de ce cj^ui concerne Nostre wSeigneur que non pas les créatures. Le premier est l'amour de complaisance et le second l'amour de ( I ) Il n'est pas possible de préciser d'une manière certaine la date de ce sermon et du suivant; ce qui est sûr c'est qu'on y reconnaît le style de la Mère Marie-Marguerite Michel, et que, par conséquent, ils appartiennent à l'une des dernières années de la vie de saint François de Sales. Mais comme en 1620, le Saint s'est occupé beaucoup plus assidûment de ses Filles de la Visitation, il est fort à présumer que les deux sermons remontent à cette même année.  XXXVI. Pour la fête de la ToussAr>rr 367 bienveuillance. Par l'amour de complaisance nous nous complaisons au bien que possède celuy que nous aymons, et par l'amour de bienveuillance nous luy en desirons plus qu'il n'en a. On peut aymer Dieu de ces deux manières*. La complaisance nous fait resjouir de ce qu'il 'Ct.Tr.jfrAm.de est infini, immense, d une perfection incompréhensible, et toœ. vu hajas en un mot de ce qu'il est Dieu, prononçant avec un vif **• ^^' **^' *'^* ressentiment ces paroles de David* : J'ay dit : Vous 'P«.rr,s,utxTi,). estes mon Dieu; et je m*en suis resjoui. On peut donc exercer cet amour envers Dieu, mais p>our celuy de bienveuillance il semble impossible, car puisqu'il est infini et l'infinité mesme, on ne luy sçauroit souhaitter plus de sainteté et de perfection qu'il n'en a. Il est immense en j^randeur, il surpasse infiniment on gloire les Chérubins et Séraphins, les Vertus, les Throsnes, tous les Anges et Ksprits célestes; il a plus de perfection que tous les Saints et Saintes ensemble, et toute la leur, voire mesme celle de la glorieuse Vierge Marie, n'est rien en comparaison de celle du Fils de Dieu. Sa béati- tude est au dessus de celle de tous les Hienheureux, des Anges, de la Vierge, et leur bonheur dérive de Dieu, car c'est luy qui le leur donne et communiciue. Pourtant ils peuvent tousjours avoir quelque accroissement en leur gloire, non point essentiellement ains accidentellement; mais la gloire et pi-rfeclion de Dieu ne procetle de per- sonne, et ne peut y avoir en icelle augmentation ni diminution. Comment donques ferons-nous pour l'aymer d'un amour de bienveuillance? Nous ne pouvons exercer ces actes que par imagination de chose impossible, comme en luy disant que si nous luy pouvions souhaitter plus de gloire et de perfection qu'il n'en a, nous le luy -^««*'»*««^' Ciel est rempli de cet amour de complaisance, qui est la cause principale de leur béatitude ; car connoissans clai- rement la grandeur et perfection de Dieu et tous les divins attributs qu'ils voyent en luy. ils l'ayment souve- rainement de cet amour de complaisance, et par ainsy attirent en eux ses perfections. J'ay dit cjue cet amour de complaisance est la cause principale de la lH*atitUile îles Saints, car, tout en parlant tousjours avec estime et respect de ceux qui tiennent l'opinion contraire, je pense m M  370 Sermons recueillis que la cause principale de la gloire des Bienheureux ne consiste pas en l'entendement par lequel ils voyent et connoissent Dieu, mais en la volonté par laquelle ils l'ayment de cet amour de complaisance ; et j'estime qu'en cela gist leur félicité. C'est de la mesme maniera que se prattique l'amour de complaisance envers les Saints. L'amour de bienveuillance envers iceux se peut aussi prattiquer sans difficulté ; car bien qu'ils soyent tous rassasiés et contens en la béatitude qu'ils possèdent et que nous ne puissions accroistre leur gloire essentielle, •I Cor., xm, M. laquelle consiste à voir Dieu face à face * et à l'aymer souverainement, si est-ce que nous leur pouvons causer un accroissement de gloire accidentelle et partant prat- tiquer l'amour de bienveuillance. Nous pouvons leur souhaitter et désirer les biens qu'ils n'ont pas encores, à sçavoir la résurrection de la chair, la reunion avec leurs corps, car en cette reunion consiste une partie de leur gloire ; non pas de l'essentielle, qui appartient à l'ame, car celle cy ne sera point accreuë par la résurrec- tion de la chair, mais de l'accidentelle, qui appartient au corps aussi bien qu'à l'ame. Les âmes bienheureuses jouissent là haut au Ciel de la gloire essentielle et de l'accidentelle, d'autant qu'elles sont rassasiées et ne peuvent rien désirer qu'elles ne pos- sèdent desja, si ce n'est d'estre reunies à leurs corps; c'est pourquoy elles souspirent tousjours après cette reunion, Êd't *°"' ^^^ ^"^' ^^^^^^^^ rendra leur gloire accidentelle pleine et entière*. Les Saints sont des hommes comme nous, composés d'ame et de corps. Pour faire un homme parfait il faut qu'il aye une ame et un corps ; et quoy que ce soit l'ame qui fait l'homme, néanmoins Dieu à la création l'unit avec un corps organisé. Nous disons donc que l'homme est composé d'ame et de corps ; et, bien que la mort, qui est entrée • Rom., V, II. au monde par le péché *^ les sépare, cependant nous espérons et croyons en « la résurrection de la chair, » par laquelle nos misérables corps seront reunis à nos âmes, et par cette reunion ils participeront à leur gloire et félicité, ou à leur peine et condamnation éternelle»  XXXVI. Pour la fête de la Toussaint 371 L*Kglise exerce donc en ce jour l'amour de complai- sance et de bienveuillance à l'endroit des Saints, et se resjouissant de la gloire que dcsja ils possèdent, elle les congratule et provoque ses en fans à s'y complaire et à glorifier Dieu qui les a sanctifiés. Klle fait aussi des actes de bienveuillance lors qu'elle leur souhaitte la résurrec- tion de la chair, comme nous voyons qu'elle la demande par tant de Psalmes et Cantiques tirés de la Sainte Escriture •. Mais elle veut encor que tous ses enfans la •InOflficioetMiMâ désirent et demandent ; ce que nous faisons tous les jours en l'Oraison Dominicale ou Pater noster, en laquelle nous souhaittons aux Saints cette résurrection. Car qur ^i^nificnt ces paroles*: Vostre royaume nous advienne, ' ' • , tt, 10. sinon que nous représentons le désir que nous avons de la réunion des amcs avec leurs corps ? Comme si nous disions : Seigneur, vostre royaume est desja venu, il est fait et préparé pour les Saints, il est préparé pour tous ; et non seulement pour tous ceux qui sont saints, mais encores pour ceux qui ne le sont pas. (Dieu désire de sauver tout le monde *. C'est à nous de nous servir de la M Tim., n, 4- liberté qu'il nous a donnée pour choisir le Paradis ou non, rrLi (îrjwnd de nous; que si nous le choisis.sons, il nous octruyc suffisamment de grâces pour y parvenir.) Vostre royaume nous advienne. Il est desja advenu aux Saints, c'est il dire à ces âmes glorieuses qui sont au Ciel. Quant à nous autres, qui .sommes ça bas en terre, îl nous est aussi desja advenu ; car, Seigneur, vous nous en laissez le choix et disposition, et les justes le possèdent par désir et espérance. Mais, vostre royaume nous advienne^ c'est à sçavoir, ce royaume que vous avez fait i>our les âmes et pour les corps ; que cette résurrection de la chair se fasse, car les Saints ont encores leurs < n terre, et partant ils ne sont pas entièrement gloriu- > c'est pour- quoy nous vous demandons la résurrection générale, après laquelle ceux (jui sont au Ciel et nous autres mortels souspirons. Outre ces actes de bienveuillance que nous exerçons à l'endroit des Saints, il y en a encores deux autres qui dépendent immédiatement de nosire coopération, par  3J2 Sermons recueillis  lesquels nous pouvons correspondre aux désirs qu'ils ont, et par cette correspondance leur causer une gloire accidentelle qu'ils n'auro3^ent point sans cela. Première- ment, les Saints louent et glorifient perpétuellement Dieu sans pause ni intermission. Ils chantent un cantique continuel, sans se lasser ni se reprendre; ils bénissent Dieu avec une joye et complaisance pleine d'une incom- parable suavité , s'excitant et provoquant les uns les autres à le tousjours magnifier, mais d'un désir doux, tranquille et qui les rassasie pleinement. Ils louent Dieu en luy mesme de ce qu'il est Dieu et des biens qu'il a en soy et de soy, de la veuë desquels ils ont une parfaite complaisance ; ils le louent encores de ce qu'il les a faits saints, reconnoissant que leur sainteté procède de luy comme de son principe et cause fondamentale, et luy en donnent toute la gloire. Puis ils se félicitent aussi les uns les autres de ce qu'ils sont bienheureux et de ce que Dieu les a sanctifiés, prenant un singulier playsir à voir comment il leur a fait sentir les effects de sa grande et infinie miséricorde. Or, les Saints nous ayment souverainement, et désirent que nous fassions ça bas en terre ce qu'ils font là haut au Ciel, c'est à dire que nous louions incessamment et perpétuellement Dieu. Mais quand nous disons qu'ils souhaittent que nous louions le Seigneur comme eux il ne faut pas entendre que ce soit en tout et par tout, parce qu'ils le bénissent sans cesse, sans se reprendre ni discontinuer, et ils sçavent bien que, à cause de l'infirmité de nostre nature, nous ne le pouvons faire. Et quoy que les louanges que nous donnons à Dieu doivent estre continuelles et invariables, néanmoins ce sera tousjours avec quelque pause ; car il n'y a homme, pour saint qu'il soit, qui ose dire qu'il a sa volonté si collée et unie à celle de Dieu qu'il n'en peut point estre séparé un seul moment ou distrait par aucun accident de cette vie, ni qui puisse tenir son cœur si attentif à louer Dieu, qu'il ne fasse quelque interruption en Texercice de l'amour et bénédiction qu'il luy doit. Il y a un grand nombre de phrases et de passages en la  XXXVI. Pour la fête de la Toussaint 373 Sainte Kscriture qui semblent exiger cela de nous. Les uns disent * : Louez Dieu perpétuellement ; et en d'autres • Cf. P«». xxxm. 1, ,.^_._, , XXXIV. ull. endroits • : Que Dieu soit loue de jour et de nuit ; mais • cf. pw. 1, •, xnu. il faut entendre cecy en cette façon. L'Hglise, non plus ' *" " que les Saints, ne prétend pas que nous louions tousjours le Seigneur sans intermission, ni moins encores que nous passions les nuits entières ou tous les jours en prières; ains tousjours signifie que nous le fassions le plus souvent que nous pourrons, que nous rejettions fréquemment nos cœurs en luy, que nous le louions en quelque temps et heure de la nuit et du jour, comme il se fait en TF^glise. En toutes les heures du jour et de la nuit il se trouve des âmes qui louent et glorifient Dieu. Les Saints désirent donques que nous le magnifiions en la terre comme ils font au Ciel, mais selon nostre condition et la portée de nos esprits; que nous chantions et souhaittions que tous chantent comme eux : Saint, Saint, Saint ^, et que tous correspondent à ses désirs. *it.. ti, 1; Apoc., Or, lors que nous faisons tels souhaits nous leur causons *^' * une gloire accidentelle, laquelle ils n'auroyent pas si nous ne magnifiions Dieu et si nous ne desirions qu'il le fust de tous. Mais après que nous avons correspondu à ce désir qu'ont les Bienheureux de nous voir louer le Seigneur, nous devons encores les congratuler eux mesmes de ce qu'ils sont Saints et lK*nir Dieu en eux ; et c'est icy un autre acte de bienveuillance en leur endroit. La .uinte Eglise en fait de mesme lors qu'elle célèbre leurs festes : elle loue Dieu en eux *, car qui voudroit • Cf. P». oli.. 1. célébrer la feste de tous les Saints à leur honneur et non à celuy de Dieu ne feroit rien d'aggreable ni à Dieu ni aux Saints mesmes, puisqu'ils ne peuvent recevoir de gloire sinon de voir que le Seigneur est exalté en eux et eux en luy. Un autre acte de bienveuillance que nous pouvons exercer envers les Saints est de corres|K-)ndre au désir qu'ils ont que nous devenions s^tints comme eux ; et quand nous correspondons à ce désir nous leur donnons un surcroist de gloire. (Juand nous taschons de nous per- fectionner de plus en plus, de procurer la .sanctification  374 Sermons recueillis des autres , contribuant de nostre costé tout ce que nous pouvons, que nous desirons que tous louent et bénissent Dieu, puisque tous le peuvent et doivent faire, que tous soyent saints, puisque tous le peuvent estre, nous causons une gloire accidentelle aux Bienheureux, laquelle ils n'auroyent pas sans cela. Voyla comme se fait la communion des Saints par l'amour de complai- sance et de bienveuillance. Il y a encores un autre amour qui est l'amour d'imi- tation ; et pour celuy cy il est nécessaire d'avoir de la sympathie avec ceux que Ton ayme. Mais que veut dire sympathie ? Les gens du monde l'entendent bien, mais vous qui n'estes pas du monde, peut estre ne l'entendrez vous pas si je ne le vous dis. La sympathie est une certaine participation que nous avons aux passions de ceux que nous aymons ; et cet amour d'imitation fait que nous attirons en nous les vertus ou les vices que nous •Cf.Tr.de r Am.de voyous en eux *. La sympathie fait que le colère a de "' ' ''^'^' l'inclination pour le colère, le fier et arrogant pour le fier et arrogant. La passion de l'amour est la première et la plus forte qui soit en l'ame; de là vient que l'amour nous rend tellement propre ce que nous aymons , que nous disons communément que les biens de la chose aymée sont plus à celuy qui ayme qu'à celuy qui les possède. Voyla que c'est que sympathie. C'est à cause d'icelle que plusieurs gens du monde trouvent de grandes difiicultés à se résoudre de s'amen- der de quelques vices auxquels ils sont sujets. Dites à une personne qu'il est expédient qu'elle se corrige de la colère ou de la fierté, ou qu'elle quitte un point d'hon- neur dont elle est si amoureuse qu'elle s'esleve bien fort si tost qu'on la touche en sa réputation (c'est une chose dequoy tous les hommes sont tellement jaloux qu'il semh)le qu'ils ne soyent nés que pour se faire estimer, louer et aymer; aussi applique-t-on son principal soin à acquérir des honneurs et de la renommée devant tous). Or, dites à telles gens ce qu'il faut faire contre ce vice là; que vous respondra-t-on ? C'est mon naturel d'estre colère et d'aymer l'honneur. Je tiens cela de race, c'est la  XXXVl. Pour la fIti de la Toussaimt 375 sympathie que j'ay avec mon pert*,^0 car il estoit colère et cherissoit la gloire comme je fais. Belle rayson! comme qui vous diroit : Vostre père estoit fol, il faut donques que vous le soyez aussi, car on connoistra à cela la sympathie que vous avez avec luy. Bien que nous ayons dit que cet amour d'imitation vient d'une certaine sympathie des uns avec les autres, il ne faut pas entendre néanmoins que les ambitieux de l'honneur et gloire humaine s'accordent mieux avec ceux qui sont colères et fiers qu'avec ceux qui ne le sont pas. O non, car les ambitieux sont tousjours à contester qui d'entre eux aura plus d'honneur et telles autres choses, chacun voulant devancer son compagnon. Mais ils ont de la res.semblance, et l'on dit en effect : Voyla doux hommes aussi colères l'un que l'autre ; et ils se plaisent à se rencontrer, prenant de là occasion de faire voir leur vaillance à se surmonter. C'est ainsy que parle le monde. Or, que l'amour nous rende semblables à ceux que nous aymons, cela se pourroit monstrer par mille exem- ples. Les pères ayment bien leurs enfans, mais singu- lièrement quand ils leur ressemblent, ou à quelques uns de leurs prédécesseurs ; ils se regardent en eux comme dans un miroùer et se plaisent à les voir représenter leurs façons, mines et contenances. I^s (irecs aymoient tant leur Kmpereur (ju'ils desiroyent que leurs enfans ressemblassent à sa personne ; pour cela, quand ils venoyent au monde ils taschoyent de leur façonner tant qu'ils pouvoycnt la face à la ressemblance de celle de leur Kmpereur. Donques, pour bien célébrer la feste des Saints, il les faut aymer d'un amour d'imitation , de complaisance et de bienveuillance. Par l'amour d'imitation nous nous rendrons semblables à eux, imitant leur vie, aymant ce qu'ils ont aym<^. faisant ce qu'ils ont fait, et taschant d'aller au Ciel par le chemin c|u'ils ont suivi pour y  ( I ) Lm viBft-daq !%««• MlTtolM M>al ioi«ltl««, aitt** •, ' *'r-^ 11^5 caucoup d'incommodités (jui sont ordi- naires aux pauvres. Apres la venue du Saint Ksprit ils allèrent prescher l'Kvangile, mais ce n'estoit point pour gaigner de l'argent, des rentes ou des revenus, ains ils vivoyent d'aumosnes qu'ils mendioyent de jour à autre. Saint Paulin. Kvesfjue de Noie, donna tout ce qu'il avoit aux pauvres, U l'exemple de saint Paul, et non content de cela il se donna luy mesme pour racheter les captifs. Kt quelle pauvreté fut celle du grand Aposire. letjuel après avoir tout quitté pour ramf)ur de son .Maistre voulut v/.rv ;r l«s Corinthiens et autres pour rien ! En effect.  378 Sermons recueillis après avoir presché, sué et souffert pour l'Evangile et pour monstrer la voye du salut, il ne vouloit point vivre des aumosnes des Chrestiens, ains du travail de ses mains et à la sueur de son corps ; car il travailloit pour •Act., XX, ^5. 34; gaigner sa vie, disant* : Pour monstrer combien j'ayme xn,°3,' m' °^ ' "^^^ Maistre pour l'amour duquel je vous sers, et que la peine que je prens n'est point pour m'enrichir de vos moyens, ains purement pour l'amour de Celuy à qui je sers, je ne veux pas qu'après vous avoir aydé à vous sauver vous me nourrissiez de vos aumosnes comme vous faites les autres Apostres, ains je veux gaigner ma vie à la sueur de mon front et vous servir pour rien, vous donnant ainsy tout ce que j'ay. Il dit tout ce que j'ay, parce que ce qu'il gaignoit estoit à luy ; et toutefois il n'en mettoit rien en espargne, ains s'en servoit seulement pour son entretien. Et passant plus outre, il vouloit estre •II Cor., XII, 15. luy mesme sacrifié pour eux*. Non seulement, disoit-il, je veux me sacrifier moy mesme pour vostre salut, mais qui plus est, je me veux laisser sacrifier et vendre par d'autres. Par exemple, je me veux non seulement disci- pliner, ains je veux souffrir que d'autres me disciplinent ; car si je me disciplinois tout seul, quand j'en aurois assez il seroit en mon pouvoir de m'arrester et ne passer plus outre ; mais me laissant discipliner par d'autres à leur gré, encores que je fusse tout meurtri ils ne laisseront pas pour cela de frapper. Je veux donques, mes chers enfans, estre battu pour vostre salut, flagellé, garrotté et emprisonné, non par moy mesme mais par les autres et à leur gré, donnant tout ce que j''ay pour vous, sans reserver ni mon corps ni ma peau. Voyla une parfaite pauvreté ; et c'est de celle là que Nos- tre Seigneur a dit : Bienheureux les pauvres d'esprit. Plusieurs Saints l'ont prattiquée fort exactement et s'en sont rendus si amoureux qu'ils ont enduré avec playsir les misères et incommodités qui l'accompagnent. Car que pensez-vous qui aye fait supporter avec tant de suavité l'aspreté des déserts à nos anciens Pères, en sorte qu'elle leur sembloit peu de chose, sinon cette pauvreté qu'ils cherissoyent si tendrement que rien plus? Saint François  XXXVI. Pour la fête de la Toussaint 379 n'en estoit-il pas passionné comme un jeune homme de sa maistresse qu'il aymeroit grandement ? Aussi l'appelloit-il sa dame et estoit-il tousjours en attention pour en ressentir les incommodités, prenant en icelles tous ses délices. Or, comme les Saints sont tous entrés au Ciel par la pauvreté d'esprit, par les larmes, par la miséricorde, par la faim et la soif de la justice et autres béatitudes, l'Kglisc nous propose ces béatitudes au jour de leur feste, nous invitant de les suivre et marcher après leurs vestiges. Travaillez donques avec fidélité en cette vie, mes chères Filles, et persévérez j'usques à la fin*, à ce que vous puissiez estre congregées et unies •Matt.,x, «j.xxnr, avec les bienheureux hsprits en cette félicité, pour aymer et jouir de Dieu à toute éternité. Amen.  XXXVII SERMON POUR LA FÊTE DE LA PRÉSENTATION DE LA SAINTE VIERGE 21 novembre 1620 Inspice, et fac secundum exemplar quod tihi in monte monstratum est. Regarde, et fais selon le modèle qui t'a esté monstre sur la montagne. EXOD., XXV, ult. •Exod.,xxv, seqq. En l'ancienne Loy*, la divine Majesté commanda à Moyse de faire l'Arche et de dresser le tabernacle selon les particularités desquelles il l'informa très minutieu- sement lors qu'il luy parla sur la montagne. Ce qui fut fait, mais d'une façon si admirable qu'il n'y avoit rien, jusques dans les moindres ageancemens, qui ne fust plein de grans misteres. Les anciens Pères, après avoir tout considéré, s'arrestent avec admiration sur la plus vile et abjecte partie de toutes ; car entre autres choses, Dieu avoit ordonné qu'on mist une cuve entre le tabernacle extérieur auquel demeuroit le peuple qui venoit pour offrir des sacrifices, et le tabernacle intérieur où demeuroyent les prestres de la Loy ; ou bien entre les deux autels, c'est à dire entre l'autel des holocaustes et celuy des parfums. Cette divine Majesté avoit donc •Ibid., XXX, 18-20, commandé à Moyse* que l'on fist une cuve d'airain, prseced! huf. Edit laquelle OU rcmpliroit d'eau, à fin que les prestres de la 3crm.i.L. Loy g'y lavassent les pieds et les mains avant que d'aller offrir les sacrifices ; et que pour l'embellissement d'icelle on l'entourast toute de miroûers tels qu'estoyent ceux des dames juifves. Or, nos anciens Pères ont fait un si grand nombre d'interprétations sur cette cuve et  XXXVII. Pour la fête de la Présektation )8i sur ces miroùers, que si je voulois dire un mot de cha- cune il m'y faudroit employer l'heure toute entière. Je m'arresteray seulement à trois de leurs conceptions, à sçavoir : premièrement, que sij,^nifie cette cuve et ce que nous devons entendre par icelle ; deuxiesmement, pour- quoy elle estoit entre les deux tal>ernacles ; troisiesme- ment, que veulent représenter les miroûers dont elle estoit environnée. Quant au premier point, une j^ande partie des anciens Pères disent que cette cuve representoit le Baptesme *, *^- et que pour cela elle estoit posée entre le tabernacle extérieur et l'intérieur. Certes ils ont bien quelque rayson , car personne ne sçauroit entrer au tabernacle intérieur, qui n'est autre que le Ciel, sans passer par l'extérieur qui est l'Kj^lise, à laquelle appartient cette cuve pleine dos eaux baptismales où il faut estre trempé et lavé. Ces eaux purifient, justifient et effacent toutes les taches du péché dont les hommes sont souillés; et pour offrir et sacrifier à Nostre Seij^neur quelque victime et holocauste il est tellement nécessaire d'estre lavé de cette eau, par effect ou du moins par un très ardent désir d'icelle, que sans cela toutes les offrandes et oblations ne sont pas offrandes mais exécrations. Quchjues autres I*eres tiennent (jue cette cuve repré- sente la pénitence •, et ceux cy approchent de la vérité * s. Grcenr Ha§., cncores de plus près, ce me semble ; car qu'est-ce autre ■ ,o^ l'.IBï chose la pénitence sinon des eaux dans lesquelles il est du eiu*»!?* ni*c oit** tout expédient que nous lavions nos pieds et nos mains, je veux dire nos œuvres et affections souillées et tachées de tant de péchés et imperfection» ? O mes chères âmes, il est vray que la seule porte pour entrer au Ciel est la Rédemption, sans laquelle nous n'y eussions jamais eu d'accès ; mais A fin (jue cette Rédemption nous soit appliquée il faut que nous fassions pénitence. Il ne s'y faut point tromper, car nos anciens pères ont tous passé par là : jeunes et vieux, petits et grans, en somme tous ont lavé leurs pieds et leurs mains dans les eaux de la pénitence. C'est une re^çle si générale que celle cy que pas un n'en peut estre exempt, sinon la très sacrée  3S2 Sermons recueillis Vierge, laquelle n'ayant point péché n'avoit point besoin d'expiation ; et néanmoins elle n'est pas entrée au Ciel par une autre porte que par celle de la Rédemption. Mais quant à nous autres, il est nécessaire, comme j'ay dit, de faire pénitence soit en ce monde ou en l'autre. Je sça}^ bien qu'autre est la pénitence à laquelle nous obligent les péchés mortels et autre est celle qu'il faut faire pour les véniels ; toutefois elle est absolument nécessaire pour les uns et pour les autres, et qui ne la fera en cette vie la fera indubitablement en l'autre. Voyla pourquo5^ disent nos Pères, cette cuve estoit entre les deux tabernacles, l'extérieur et l'intérieur, pour signifier que les eaux de la pénitence sont entre le tabernacle extérieur de l'Eglise militante, et l'intérieur de la triomphante, et que pour passer de la militante à la triomphante il faut se laver dans ces eaux. D'autres ont dit que cette cuve representoit la doctrine evangelique. Certes ils ont rayson, car cette doctrine n'est autre que l'eau dont quiconque boira n'aura plus •joan.,iv, 13, 14. soif, et, comme dit Nostre Seigneur*, elle rejaillira jusques à la vie éternelle. C'est dans cette eau sacrée qu'il faut tremper tous nos membres, c'est à dire laver nos œuvres et affections, pour les purifier, les former et dresser selon la loy de TEvangile. vSans cela nous ne pouvons faire aucune oblation ni sacrifice ; et moins • Marc, ult., 16. encores pouvons-nous estre sauvés sinon en croyant * cette doctrine chrestienne et nous formant selon icelle ; c'est là que nous voyons ce que nous devons croire, demander et espérer. Que personne ne se trompe en cecy, pensant arriver à ce tabernacle intérieur pour y •Ps. cxv, 8. sacrifier des sacrifices de louange"*" sans se laver dans ces eaux ou se mouler sur cette doctrine ; car nul ne peut estre sauvé en se faisant des lois selon son caprice ou fantasie ou se contentant de la loy naturelle. Non certes, cela ne se peut. Vous voyez donques que cette cuve placée entre les deux tabernacles représente le Baptesme, la pénitence et la doctrine evangelique, qui sont les liens par lesquels l'Eglise militante est unie à la triomphante.  XXXVII. Pour la fête de la Prfsfntatioïi i8^ Nous autres avons aussi deux t ' ' «s : l'un exté- rieur, qui est ce corps que nous p< «rions, et l'autre intérieur, qui est l'ame par laquelle nous vivons. C'est ce qu*a voulu dire le grand Apostrc saint Paul * : nos * n Cor., v. i. 4. corps sont des tabernacles faits et formés d'argile, et Dieu a enfermé dans iceux de grans trésors*. Quels sont * Ibid., it,7. ces trésors sinon nos âmes qui, comme des tabernacles intérieurs, .sont cachées dans nos corps? Mais tout ainsy que l'ame anime et donne la \ corps, aussi la doctrine evangelicjue la nourrit et vivitie, luy fournissant la lumière et la force pour la conduire et la faire arriver à cet autre tabernacle plus intérieur où habite le Très Haut. Certes, un jour viendra où nous ressusciterons, et ces corps mortels que nous portons, maintenant sujets à la corruption, .seront immortels, tout spirituels* et • I Cor, xr, 51-54. reformés sur celuy de Nostre Seigneur *. Lors nous les * Philip., m, ult. verrons avec un contentement indicible, tout glorieux par leur reunion à l'ame avec laquelle ils n'auront plus aucun divorce ni rébellion, ains luy .seront absolument sousmis et sujets. Klle les possédera en telle .sorte qu'elle les gouvernera souverainement ; et quant h eux ils participeront à sa gloire, par le moyen de laquelle ceux qui cstnvrnt mortels seront rendus immortels comme l'ame. Cette cuve estoit toute entourée de miroQers. Ceux cy nous représentent les exemples des Saints, qui ayans reccu la doctrine chrestienne, l'ont prattiquée si parfait- temcnt et au pied de la lettre, que nous pouvons dire que les histoires de leur vie sont autant de miroûers qui ornent et enrichissent cette cuve de la I.oy evangeliquc. Kt tout ainsy fv * "tte I.oy les a ornés et enrichis, et que s'estans |>; :., ^ «lans icclle ils se sont purifiés et rendus capables d'offrir à la divine lionté des .sacrifices d'un prix et valeur inestimable, ils luy ont aussi, de leur costé, fait ce que fai.soycnt à cette cuve les miroûers des dames hebreuses et juifves; car ils l'ont embellie par la prattiquc des préceptes et con.seils qu'ils ont puisés en icclle. nous laisn^mt â imiter des admirables exem- ples, qui sont comme des miroûers dans lesquels nous  ^^4 Sermons recueillis nous pouvons continuellement regarder. Car bien que nous n'ayons pas besoin de miroiiers comme ces dames hebreuses, pour mirer nos corps qui pourriront avec les chiens et autres animaux, néanmoins nous devons tous- jours avoir devant les yeux les miroùers des vertus et exemples des Saints pour former et dresser sur iceux toutes nos actions. Me voyci maintenant sur le sujet de la feste de nostre très chère Mère et Maistresse que nous célébrons aujour- d'huy ; car, je vous prie, quel plus beau et pretieux miroùer vous sçauroit-on présenter que celu3^-cy? N'est-ce pas le plus excellent qui soit en la doctrine evangelique? N'est-ce pas elle qui Fa le plus ornée et enrichie, tant par ce qu'elle mesme a prattiqué que par les exemples admirables qu'elle nous a laissés ? Certes, il n'y a point de Saint ni de Sainte qui luy puisse estre parangonné, car cette glorieuse Vierge surpasse en dignité et excellence non seulement les Saints, mais aussi les plus hauts Séraphins et Chérubins. Elle a un grand avantage par dessus tous les Bienheureux, qui est qu'elle s'est donnée et totalement dédiée au service de Dieu dès l'instant de sa conception, puisqu'il n'y a nul doute qu'elle n'ayt esté toute pure et n'ayt eu l'usage de rayson dès que son ame fut mise en ce petit corps formé dans les entrailles de sainte Anne. Comme cette glorieuse Vierge devoit naistre de père et de mère ainsy que les autres enfans, aussi semble-t-il que, comme eux, elle devoit estre tachée du péché originel ; mais la divine Providence en ordonna tout au contraire, et estendant sa main très sainte la retint, de peur qu'elle ne tombast dans ce précipice. Elle luy donna l'usage de la rayson et la foy par laquelle Nostre Dame conneut Dieu et creut tout ce qui estoit de la vérité, en sorte que, remplie de cette clarté, elle se dédia et consacra toute à la divine Majesté, mais d'une façon très parfaite. Les théologiens nous asseurent que Nostre Seigneur jettant un rayon de sa lumière et de sa grâce dans l'ame de saint Jean Baptiste lors qu'il estoit encor aux entrailles de sainte Elizabeth, le sanctifia et luy  XXXVII. POL'R LA FFTF DE LA pRf 5ESTATIOM jSf donna 1" usage de rayson avec la foy. par laquelle ayant reconneu son Dieu dans le ventre de la très sainte Vierge, il Tadora et se consacra à son service. Que si le Sauveur fit une telle grâce à celuy qui devoit estre son Précurseur, qui pourra douter que non seulement il ayt fait la mesme faveur, mais qu'il n*ayt avantage d'un privilège beaucoup plus grand et tout particulier celle qu'il avoit choisie p<3ur estre sa More ? Pourquoy ne l'auroit-il pas sanctifiée dès le sein maternel • aussi • P»i'.«ni t«x, 6, * cxxxriit, n. bien que ?aint Jean ? C'est donc une chose toute asseurce que dès l'instant de sa conception Dieu la rendit toute pure, toute sainte, avec l'usage parfait de la foy et de la rayson en une fai on du tout a.îrriir:iî)le et qui ne peut assez estre nircc ; rnr il i cette pensée de toute éternité parce quf .talions sont très hautes^, et ce qui • !••. t^. «. 9. n'avoit jamais peu entrer en l'entendement des hommes. Dieu l'avoit médité avant tous les temps. Oh combien •urs, grâces et bénédictions la divine Honte versa ciaii.s ic cœur de la glorieuse Vierge! Mais elles estoyent si secrcltes et intérieures que personne n'en pouvoit rien connoistre qu'elle qui les experimentoit, et encores sa mère sainte Anne; car il est croyable qu'à l'instant que le Seigneur respandit tant de trrnres dans Tame de cette bénit*» Fnfnnt. la mefe sun uit, et reccut de g randes^ >nsolations spirituelles à cause de sa Fille qui en cstoit comblée. Je ne parleray pas à cette heure ni de ce que nostre très chère Mère cl Maistresse fit en sa conception et nativité, ni des benetliclions qu'elle y receut ; je ne veux traitter que de cette feste en laiiuelle elle se vint offrir et con*»acrer au service du Temple. O Dieu, «ju'elle fut heureuse, car elle n'avoit que trois ans quand elle quitta sa patrie et la mayson île son pere^, Klle fut comme • G«o., sn, 1; P». une belle fleur ouvoit bien dire d'elle ce que le Saint Ksprit raconte* de la reyne de Saba quand elle MllRcg .x.i.a.to. fut voir Salomon : Klle vint chargée de tant de nard et i/^^<ïr/*MW5 que jamais il ne s'en estoit veu en Hieru- salem autant que ce que cette reyne en apporta. De mesme nostrc glorieuse Vierge vint avec tant de par- fums de sainteté qu'il ne .s*en estoit jamais veu autant en toutes les dames qui s'estoyent dédiées au Temple qu'il s'en trouva en elle seule. I^ voyla donques en ce bas aage vouée et sacrifiée entièrement à Dieu. O que bienheureuses .sont les âmes qui, à l'imitation de cette sacrée Vierge, se dédient comme des primices au service de Nostr** Si îirncur dès leur jeunesse! O (ju'ellcs .sont heureuses <1 .re retirées du monde avant «jue le monde les ayt conneùes, car n'ayans point esté mariées, ni par conse<|uent flestries par l'ardeur de la concupi- scence, elles donnent une odeur de grande suavité par leurs vertus et bonnes œuvres. Mais encores que toutes les âmes puissent prétendre et désirer ce lx)nheur, néanmoins toutes n'en reçoivent pas la grâce ; c'est pour(|ueux lasser d'en parler ni de puiser dans sa profonditf* ce qui est propre pour nostre instruc- tion. Bienheureuses donques, dit-elle, les wawmelles qui t'ont allaitté et le ventre qui t'a porté. Kt Nostre Seigneur luy respondit : Il est vray que le ventre qui m\ï porté est bienheureux et les mammelles que j'ay succées sont bienheureuses ; car quel plus grand bonheur ] t arriver à une femme que de porter dans son sein «„eluy qui CSt esgal au Père, « Celuy que les cieux ne peuvent comprendre*? » O que véritablement ce • Re»pon». I««" jd . 1 11 11 j T^- • u u Mat.i-cit.D.M.V. sem dans lequel le rils de Dieu a pris chair humaine e»^t hniiroux, et que cette Vierge a receu d'honneur ayant ci plus pur sang" pour former la sacrée humanité du Sauveur de nos âmes ! Partant, il est bien vray, o femme, ce que tu dis que non seulement ce sein, mais V s mammelles que j'ay succées sont bienheu- r . d'autant qu'elles ont nourri Celuy qui sustente t ires. Ce grand aumosnier Abraham fut e>iiin'- \)\tu i.i^urisé parce qu'en l -^t les pèlerins il eut un jour la grâce d'avoir le i\ ., » t Seigneur des pèlerins en sa mayson, de manger avec luy et luy laver les pieds • ; comme n'estimerons-nous heureux ce ventre • Geo., mu, i-S. de la V^icrge qui l'a logé non un jour ains neuf mois tout entiers, et ces mammelles qui l'ont nourri non de pain mais de lait, de la propre substance de cette glo- rieuse Viergr O que ce que tu dis, femme, est véritable I Ces chastes çnlrailjes ressemblent à l'Arche dans laquelle estoyent Il m tfnf.' r j '-.'f.rr fi if^ tables de la Loy de Moyse*. • lUb., .», ,. L . manne sinon le Fils de Dieu qui est descendu du Ciel^? N'est-il pas aussi cette verge et ces * j. ««i, entendent l'inspiration, differ< inment néanmoins; les c- «'n . ". m. uns plus, les autres moins. Il en prend tout de mesme ^ comme en la cour de quelque grand prince qui seroit en son palais environné de plusieurs seigneurs. Ils sont bien tous en la cour et en la présence du prince, lequel regarde les uns, jette des œillades plus particulières sur les autres, rit contre cestuy cy, parle à celuy là, donne des dignités aux uns, favorise les autres, que sçay-je moy, telles ou semblables choses qui se passent tous les jours parmi les cours des roys. Tous estiment ces faveurs et en font grand estât. Mais il y en a que le prince favorise bien davantage et auxquels il tesmoigne un plus parti- culier amour : ce sont ceux qu'il fait entrer dans son cabinet p«,i.viii,c.v'iK croyoit en la parole du Seigneur et qu'il graveroit son nom en son cœur; c'est à sçavoir qu'il entendroit l'inspi- ration et la volonté de Dieu et la garderoit dans son cœur. Je sçay qu'il y a diverses interprétations sur cecy, car les uns tiennent que par ce nom l'on doit entendre le saint et sacré nom de Jésus qui signifie Sauveur, par Matt.,i,2i; Lucae, lequel il cst vcuu sauver le monde*, nom qui est demeuré i,3i;Act.,iv,io,i2. , TT 1- . 1 1 ^4-1 grave en son Eglise et dans le cœur de tous les vrays enfans d'icelle. Les autres ont voulu dire que ces paroles d'Isaïe se devoyent interpréter de EEglise mesme. En fin elles peuvent estre aussi entendues de l'inspiration et volonté divine ; car c'est le propre des vrays fidelles de porter le sacré nom de Jésus gravé dans leur cœur, non avec un burin autre que les clous, lance et espines qui percèrent son saint corps ; et de plus, tout bon Chres- tien doit escouter et garder la parole de Dieu, ouyr son inspiration et faire sa volonté. Mais helas, c'est un grand malheur que si peu enten- dent comme il faut ces saintes inspirations ! Plusieurs vivent au monde et usent des richesses, honneurs et dignités dont la loy divine permet d'user, mais non point d'abuser; ils ajustent aux commandemens de Dieu leur affection pour la jouissance des biens et dignités,  XXX V.i. PoUK LA FÊlfc DE LA PkESEMTATION ^93 quoy qu'il ne lour faille pas parler des conseils, d'autant qu'ils se contentent seulement d'éviter ce qui les peut condamner. Ceux-là sont heureux néanmoins, car ils auront part au Royaume de Dieu. D'autres entendent bien l'inspiration , mais ils se veulent donner du bon temps. Ils proposent de se dédier tout à Dieu, mais ils se veulent reserver quel({ue chose. Hé, disent-ils, je me donneray h Dieu, mais non pas .si absolument que le monde n'y aye encores quelque part. Je rendray à Dieu ce qui luy est deu *, mais je me •¥•«., «xn, ti. reserveray ce qui est deu au monde, à sçavoir les yeux, les cheveux, que sçay-je moy. telles autres baj^atelles, sans toutefois rien faire en cela qui soit contraire à la loy divine. Ils sont encores heureux ceux icy. D'autres veulent bien suivre rinsj)iralion et la volonté de Dieu, ils veulent estre tout à luy, mais non pas tota- lement ; car il y a bien différence entre estre tout à Dieu, et totalement à Dit'U. Au moins ils prétendent se reserver le choix des exercices spirituels, car cela est bon, disent-ils, c'est pour Dieu, c'est ii fin de le mieux servir, et je voy bien qu'un tel exercice m'est meilleur qu'un autre. Helas ! ceux cy se mettent en danger d'estre séduits et trompés en se voulant jrouverner à leur fantasie pour ne se pas sousmr»itre, et se reservant le choix de leurs exercices ou manière de vivre qu'ils se forment selon leur caprice. Kt ne voyez-vous pas cju'en faisant cette reserve vous n'estes pas totalement à Dieu ? Mais c'est pour Dieu. Je le veux ; cependant la glorieuse Vierjje ne fil certes pas ainsy, car elle se donna totale- ment à luy au jour de sa Présentation, sans aucune reserve pour petite qu'elle peust estre; elle n'usa jamais de sa volonté ni de son choix, n'en ayant retenu un seul petit brin pour chose quelconque, et elle persévéra très parfaitement en cecy tout le temps de sa vie, demeurant tousjours totalement à son Dieu. Oh I quand on considère le cours de la très sainte vie de cette Dame, je vous asv*ure c)u'on a le cœur tout rempli de douceur et suavité ; et i(uand on regarde les rares exemples qu'elle nous a laissés, l'on est tout  304 Sermons recueillis ravi en admiration. Si l'on veut avoir de la douceur pour se comporter et mesme pour la porter au cœur de son prochain, il la faut prendre en la considération de la vie de nostre divine Maistresse. Elle vous doit tousjours estre devant les yeux, mes très chères Filles, pour former vostre vie sur la sienne et ajuster toutes vos actions et affections au niveau des siennes; car vous estes ses filles, vous la devez donc suivre et imiter, et vous servir de ses exemples comme d'un miroiier dans lequel vous vous regardiez sans cesse. Or, bien que la douceur que vous recevrez par le regard et considération de la vie de Nostre Dame tombe dans un vaysseau d'argile, elle ne lairra pas d'estre d'une suavité admirable, car le baume mis dans un vaysseau de terre est aussi suave que dans une fiole de cristal. Combien cette divine Mère nous a-t-elle laissé de mer- veilleux exemples de son obéissance à la volonté de Dieu ! Voyez son mariage à saint Joseph, sa fuite en Egypte. Où allez-vous, o glorieuse Vierge, avec ce petit Poupon ? Je m'en vay en Egypte. Qui vous y fait aller? La volonté de Dieu. Sera-ce pour long temps ? Tant qu'il luy plaira. Et quand reviendrez-vous? Quand Dieu le commandera. Mais lors que vous reviendrez ne serez- vous pas bien plus joyeuse qu'en y allant? O non certes. Et pourquoy ? Parce que je feray aussi bien la volonté de Dieu en y allant et demeurant qu'en m'en revenant. Mais vous en retournant vous irez dans vostre patrie. O Dieu, je n'ay point de patrie que celle d'accomplir la 'Cf.7r.derAm.de volonté diviuc *. O admirable exemple d'obéissance que Dteu, 1. IX, c. XIV. , , celuy-cy ! Puisque je suis sur le sujet de l'obéissance, je vous diray deux conditions fondamentales de cette vertu, lesquelles je deduiray briefvement. La première est que pour obéir parfaitement il faut aymer Dieu qui com- mande ; la seconde c'est qu'il faut aymer la chose com- mandée. Tous les manquemens que nous faisons à l'obéissance procèdent pour l'ordinaire du défaut de ces deux conditions. Plusieurs ayment Dieu qui commande, mais ils n'ayment pas la chose commandée ; d'autres  XXXVII. Pour la fête de la Présentatioii 395 ayment la chose commandée et n*ayment pas Dieu qui commande. Voyla un prédicateur qui annonce la divine parole ; tout le monde y court. Pourquoy ? parce qu'il fait des merveilles. Kn voyla un autre «jui presche la mesme parole ; personne n'y va. Hé. dit-on, ce prédica- teur ne me plaist pas, il n'a point de j^race; son discours n'est point aggrcable. Helas ! pauvres gens, pourquoy cela ? C'est qu'il n'a point de langue frétillante et telles autres choses. Oh! quel aveuglement est celuy cy ! N'est- ce pas la parole et volonté de Dieu (ju'il vous annonce? Or, si vous aymez cette divine parole, et Dieu qui vous l'envoyé et qui commande qu'on fas.se sa volonté, pour- quoy ne la recevrez-vous pas d'aussi bon cœur de celuy cy comme d'un autre? Si un prince ou un roy vous envoyoit quelques lettres par un sien page, regarderiez-vous, pour avoir ces lettres aggreables, .si le page est vestu de gris, vert ou jaune? Non certes, ains vous prendriez ces lettres et les mettriez sur vostre teste en signe de res- jouissance et révérence, sans avoir esgard a la livrée de celuy qui les apporte. Pourquoy donques n'escoutez-vous et ne recevez-vous la sacrée parole des uns comme des autres ? Plusieurs ayment la chose commandée et n'ayment pas Dieu qui commande. On ordonnera à une fille (pour ne parler à cette heure que de vostre sexe) d'aller faire oraison ou tel autre exercice qu'elle goustera. Certes, elle ira volontiers. Ht pourquoy? parce cju'elle l'ayme à cause de quelque suavité et consolation (ju'elley trouve. On ne luy dit mot, elle ne parle point, elle ne fait rien, personne ne la touche, elle reçoit là quelque douceur. Et c'est l'amour propre qui fait cela. Il est vray. car tirez-la de l et l'employez à d'autres choses qu'elle n'aymera pas, et vous verrez si elle le fait et si elle en sort sans rechigner. Oui ne voit qu'elle n'ayme pas Dieu qui commande, ains seulement la chose commandée? car si elle aymnit Dieu qui commanieu qui commande et n'aymera  ^^6 Sermons recueillis pas la chose commandée. Je sçay bien, dira-t-il, qu'estant la volonté de Dieu, la chose qui m'est ordonnée est bonne ; mais j'y ay tant de répugnance et de difficulté, je ne la sçaurois aggreer. De plus, quand je tascherois de l'aymer, celuy qui me l'ordonne de la part de Dieu est de si mauvaise grâce, il a une si pauvre mine, qu'il me la rend tout à fait desplaisante et de mauvaise saveur. Il a une mine si froide, si sèche que l'on ne trouve nulle suavité à ce qu'il commande. O Dieu, voyci la cause de • Cf. Entretien XI. tous nos maux *. Quand nos Supérieurs et ceux qui gou- vernent sont à nostre goust, fantasie et inclination et selon nos humeurs, nous ne trouvons rien de difficile ; mais s'ils ne sont pas selon nostre affection, les moindres choses ordonnées par eux nous sont rudes. D'où vient cela sinon de ce que nous ne regardons pas Dieu qui nous envoyé le commandement, et que pour l'aggreer nous prenons garde si celuy qui nous l'apporte est vestu de vert ou de gris, et quelle est sa mine et contenance? Or, il ne faut pas faire cela, mais recevoir l'obéissance comme volonté divine, n'importe par qui elle nous soit signifiée, aymant Dieu qui ordonne, prenant ce comman- dement et le mettant sur nostre teste, c'est à dire dans le fond de nostre volonté, pour l'accepter et exécuter avec fidélité. Que si nostre cœur répugne à la chose commandée, il le faut flatter et la luy faire aggreer tout doucement. Ce faisant, nous imiterons la glorieuse Vierge et nous rendrons totalement à Dieu. Par vos renouvellemens, mes chères Filles, vous allez reprendre de nouvelles forces et rebander tous vos arcs pour le service et dilection de Nostre Seigneur ; car certes, tant que nous vivrons nous aurons besoin de nous renouveller et relever. Tous les Saints ont fait ainsy, et mesme ce renouvellement se prattiquoit en l'ancienne •Cf.«upra,p.237. Loy *, d'autant que nostre nature est de soy si infirme que facilement elle se refroidit et vient à descheoir. La terre mesme se lasse et ne veut pas faire ses productions, elle se repose en hiver ; mais quand le printemps arrive elle se renouvelle, et nous nous resjouissons de voir qu'ayant repris sa vigueur elle nous fait amplement part  XXXVII. Pour la fIte de la Prése!* tatiom 397 de ses fleurs et de ses fruits*. Ainsy. mes chères Filles, • Cf. topra.p. iji. vous venez faire vos renouvellemens comme Xostre Dame nous l'enseigne en cette Présentation ; car bien qu'elle n'eust point besoin de se renouveller. d'autant que n'ayant point péché elle ne pouvoit deschcoir, néan- moins la divine Providence permit f>our nosire instruction qu'elle reconfirmast à ce jour le sacrifice qu'elle luy avoit fait en .sa conception. Faites-les donques avec une grande ferveur d'esprit, une profonde humilité et ardente charité. Jcttez des souspirs et eslancemens amoureux à nostre cher Sauveur ; accompagnez cette glorieuse Vierge, mettez vos cœurs et vos vœux entre ses mains et elle les présentera à son Fils, le({ucl les recevra et offrira à son Père éternel qui vous bénira avec iceluy et le Saint Esprit. Amen.  XXXVIII SERMON POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE DE L'AVENT 6 décembre 1620 (O  Tu es qui venturns es , an alium expectamus ? Estes-vous Celuy qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? M ATT., XI, 3, Matt., XI, 2-10. L'Evangile que nous lisons à la Messe de ce jour * est divisé en trois parties desquelles nous parlerons main- tenant. La première est comme quoy saint Jean estant en prison pour la vérité, envoya deux de ses disciples à Nostre Seigneur pour sçavoir s'il estoit le Messie promis ou s'ils en devoyent attendre un antre; la seconde est la response que leur fit le Sauveur ; et la troisiesme, de ce qu'il dit après que les disciples de saint Jean s'en furent retournés. C'est une chose admirable que nos anciens Pères, qui ont esté si clairvoyans et ont eu de si grandes lumières pour expliquer et développer les plus grandes et obscures difficultés que présente la Sainte Escriture, se soyent néanmoins tous trouvés estonnés sur le premier point de cet Evangile pour sçavoir comme se doit entendre cela, que saint Jean qui connoissoit Nostre Seigneur envoya  ( I ) Ce sermon appartient certainement d'après le style aux dernières années de la vie de saint François de Sales, L'allusion faite à saint Ambroise (voir ci-après, p, 415) prouve qu'il a été prononcé en 1630, année où le second Dimanche de TAvent se trouvait précisément être la veille de la fête du glorieux Docteur de Milan. Et comme les deux sermons suivants ont une étroite connexité avec celui-ci, il est évident qu'ils remontent à la même année, ce qui nous dispensera d'en justifier la date par des notes spéciales.  XXXV'III. PoLK II ;i i>iMAS«.nr i>h i AvEMT ^99 ses disciples pour apprendre s'il estoit ce ^rand Pro- phète, ce Messie promis, ou s'ils en devoycnt attendre un autre. Car, disent-ils*, si saint Jean sçavoit asseu- * pr»ced. rement (ju'il estoit le Messie, pourquoy luy envoye-t-il ti. '^^ ' demander (juel il est ? Or, qu'il sceust bien (jue Celuy à <|ui il envoyoit faire la demande estoit vrayement le Messie, cela est indu- bitable, car il le conneut estant encores dans le ventre de sa mcre, et n'y a aucun Saint qui ayt eu une plus grande lumière et intelligence du mystère de l'Incarna- tion que ce glorieux saint Jean. Il fut l'escolier de Nostre Dame, et lors qu'elle alla visiter sa cousine Elizabeth il fut sanctifié par le cher Sauveur de nos âmes, lecjuol il conneut; et tressaillant d'ayse dans les entrailles de sa mère*, il l'adora et se consacra à son divin service. 'Luc», i, 41, 44. Il fut son Précurseur, et annonça sa venue au monde. C'est luy cjui le baptiza, luy qui vit descendre le Saint Esprit en forme de colombe et qui entendit la voix du Père disant : Celuy cy est mon Fils bien aymé auquel je prens tout mon playsir. C'est luy qui le monstra du doigt, prononçant ces paroles : Eccc Agnus Dei ; Voicy VAigneau de Dieu qui oste le péché du monde^. * Mut., mi. i)-i7 Voyla comme il connoissoit bien Nostre Seigneur, et il n'y a point de doute qu'il ne chancella jamais en rien que re fust, de la croyance et asseurance (ju'il avoit de sa venue. Pourcjuoy donques, disent nos anciens Pères, estant en prison et entendant parler des grans prodiges et miracles que faisoit nostre divin Maistre, cnvoye-t-il ses disciples pour sçavoir de luy quel il est, si c'est luy qui doit venir ou s'ils en attendroyent un autre ? Certes, tous sont admirables à demesler cette difficulté, et si je vous voulois rapporter la multitude et variété de leurs opinions sur ce sujet, il me faudroit employer beaucoup de temps qui nous desrol)eroit ce que nous avons i\ déduire pour nostre utilité. Je m'ar- restcray seulement à ce qu'en disent deux de nos plus grans Docteurs, & sçavoir saint Hilairc* et saint Chry- • O»»». i» Mâic, sostome *, qui ont le mieux rencontré, ce me semble, et • ont visé droit au blanc de la vérité. »i»»u/u» «*«.  400 Sermons recukillis L'on n'interroge pas tousjours pour sçavoir, disent ces saints Pères, ni moins parce que l'on ignore ce que l'on demande, mais l'on fait des questions pour plusieurs autres causes et ra3"sons; car autrement la divine Majesté ne feroit jamais aucune question aux hommes, d'autant qu'elle sçait tout et ne peut ignorer chose quelconque. Elle pénètre le plus intime du cœur, et n'y a rien de si secret et caché qui ne soit très clair et manifeste à cette •Eccii., xLii, iS-20; divine Sapience ''\ C'est ce que va disant en un sien • Ps.'cvx-x^'IIl. 1-9. Psalme * le royal Prophète David, grand et divin poëte : Seigneur, vous ave\ de loin considéré moîi sentier et mes voyes. Comme s'il disoit : Bien que je sois fin comme un renard, vous avez néanmoins conneu toutes mes finesses. J'ay esté comme un cerf qui a couru et sautelé par les fourrés les plus entourés de ronces et d'espines, mais vous estes ce divin chasseur qui de loin avez remarqué mes pas et mes vestiges ; vous m'avez apperceu au lieu où j'estois, d'autant que vos yeux voyent et pénètrent tout. Que feray-je pour me cacher de vous ? Si je monte au Ciel vous y estes, et là je vous trouveray beaucoup plus présent que moy mesme. Si, comme l'aube du jour et la belle aurore, je m'en vay courant sur les eaux, vous y serez plus tost que moy. Je ne sçaurois eschapper de devant vostre face ; que feray-je donc, o Seigneur ? Mais encores que Dieu sçache toutes choses, il n'a pas laissé de faire plusieurs questions aux hommes ; non point qu'il ignorast ce qu'il leur demandoit, mais sa divine Providence l'a fait pour trois diverses causes. La première, à fin de leur faire confesser leurs péchés, comme il fit lors que Adam eut transgressé son com- mandement. // Vappella, luy disant : Ubi es? Adam, oit es- tu ? et demanda à nostre première mère Eve ce •Gen.,m, 9, 13. qu'elle avoit fait*. Ce n'estoit pas qu'il ne sceust bien où estoit Adam et la désobéissance qu'il avoit commise ; mais le Seigneur l'interrogea à fin de luy faire advouer sa faute pour luy pardonner. Et le misérable, au lieu de •Ibid., ^. 13. la confesser, s'excusa sur sa femme*, et fut pour cela chastié de Dieu, avec toute sa postérité. Une partie des  XXXVIll. POUK LE II* DlMANCHl DE t'A VENT 4OI Pères tiennent* que s'il eust advoué son péché quand • s. Ambr., De P*- IV 1. 11 11 e , %• X radiM), c. xiT ; s. Dieu 1 appella, s il eust frappe sa poitnne et dit un bon Grrg Mig.Morai. peccavi *, le Seigneur luy eust pardonné et ne l'eust pas •"n°R..g**'j^,|,^'i, chastié par le fléau dont il le menaçoit et duquel il a puni Cf Ui Comtrmtr- I, hoiot luy et tous ses descendans. Mais d'autant qu'il ne le fit . n. pas, nous sommes tous demeurés tachés du péché de nos premiers parens, et par conséquent sujets à la peine qu'il tire après soy. La seconde cause pour quoy la divine Majesté tait des questions aux hommes est pour les esclairer ou instruire sur ce qui concerne les mystères de la foy, comme il fit à l'endroit des deux disciples qui alloyent en Kmmaùs^. • Loc», oit., is. 17. S*apparoissant à eux en forme de pèlerin, il leur demanda dequoy ils parloyent, les interrogeant et esclaircissant sur le doute qu'ils avoyent touchant sa résurrection. Il ne leur demanda donques point quels estoyent leurs discours parce qu'il ignoroit de quoy ils parloyent, mais bien à fin que, confessant leur ignorance et leurs doutes, ils peusscnt estre instruits et esclaircis. I-a troisiesme cause pour quoy l'on peut faire des demandes c'est pour provotjuer l'amour. Par exemple, la Magdcleine, après la Mort et Passion de Nostre Seigneur, s'en alla pour oindre et embaumer son sacré corps*; mais trouvant le monument ouvert elle pleura • Marc., «vi, 1. amèrement. lille y vil deux Anges lesquels la voyant pleurer luy direnl : Femme , pour quoy pleures-lu ? Hé, dit-elle, parce qu'ils m'ont esté mon Seigneur et je ne sçay oii ils l'ont mis. Puis, passant un peu plus avant, elle apperceut Nostre Seigneur, en forme de jar- dinier, lequel luy demanda encores : Femme, pourquoy pleures-tu f que cherches-tu^ f Certes, ce n'estoit pas • jo*». ««. »»•»*• merveille que les Anges fussent estonnés de voir pleurer Magdcleine ni moins qu'ils luy en demandassent H rayson, car ils ne .sçavent comme l'on pleure ; et bien que mistiquement l'on dise que les Anges pleurent, la Sainte Kscrilurc .s'exprime ain.sy • pour représenter la • !•., iimi, 7. terreur de (juelquc chose formidable, car en effect ils ne pleurent jx)int. Mais nostre cher Sauveur, qui f^AxX, cjuc la nature humaine est .sujette aux larmes, ne laisse pan U%m lit ^  402  Sermons recueillis  de s'enquérir de cette femme pourquoy elle pleure. Et pourquoy, Seigneur, le luy demandez-vous ? ne sçavez- vous pas bien quelle est la cause de sa douleur et ce qu'elle cherche ? Certes, il le sçavoit très bien ; aussi ce n'est point pour l'apprendre qu'il l'interroge, d'autant • Heb., IV, 13. que toutes choses luy sont très claires et manifestes'^. Mais ce cher Sauveur de nos âmes fait telles et sem- blables questions pour faire produire des oraisons jacula- toires et actes d'amour et d'union. Voyla donques comme on ne demande pas tousjours en ignorant, pour sçavoir ou apprendre, ains pour diverses autres causes. Aussi le glorieux saint Jean n'envoya pas ses disciples à Nostre Seigneur pour sçavoir s'il estoit le Messie ou non, car il n'en doutoit nullement, mais ouy bien pour trois raysons. La première, pour le faire connoistre à tout le monde. Il avoit desja tant presché sa venue, ses merveilles et ses grandeurs, qu'il les envoya voir Celuy qu'il leur avoit annoncé. Certes, ce doit estre le principal but de tous les docteurs et prédicateurs de faire connoistre Dieu. Les maistres et ceux qui gouvernent et ont charge des âmes ne doivent chercher ni procurer sinon que Celuy qu'ils preschent et au nom duquel ils enseignent soit conneu de tous. C'estoit le désir de ce glorieux Saint. Le signe pour trouver Dieu et le connoistre c'est Dieu mesme. A la naissance de nostre Sauveur, les Anges allèrent trouver les pasteurs pour leur annoncer sa venue, chantans avec une mélodie merveilleusement aggrea- ble ces sacrées paroles que l'Eglise répète si souvent : Gloria in excelsis Deo. Mais lors qu'ils voulurent con- firmer la merveille qu'ils leur faisoyent entendre ils leur •Locae, II, 10-14. dirent : Allez le voir*, et alors vous croirez et tiendrez pour certain ce que nous vous annonçons ; car il n'y a point de moyen ni de signe asseuré pour trouver Dieu que Dieu mesme. C'est pourquoy nostre glorieux Saint, après avoir long temps presché la venue de Nostre Sei- gneur à ses disciples, les envoyé maintenant à luy à fin que non seulement ils le connoissent, mais encores qu'ils le fassent connoistre aux autres.  XXXVIII. Pour le ii* Dimanche de l As est 403 La seconde cause pour laquelle il les manda fut parce qu'il ne les vouloit pas attirer à luy ains à son Maistre, à l'escole duquel il les envoyoit pour estre instruits de sa propre bouche. Car que vouloit-il signifier sinon : Quoy que je vous presche et enseigne, ce n*est point pour vous attirer à moy, mais bien à Jésus Christ duquel je suis la votx* ; c'est pourquoy je vous addresse à luy. *jo«o., 1, s). Sçachez de luy s'il est le Messie promis ou si nous en devons attendre un autre. Comme s'il vouloit dire : Je ne me contente pas de vous asseurer que c'est Celuy que nous attendons, mais je vous envoyé à fin que vous soyez instruits par luy mcsme. Certes, les docteurs et prédi- cateurs, les maistres des novices et ceux qui ont charge d'ames ne feront jamais rien qui vaille s'ils n'envoyent leurs disciples et ceux qu'ils enseignent à l'escole de Xostre Seigneur, s'ils ne les plongent dans cette mer de science, s'ils ne les sollicitent et portent à rechercher nostre cher Sauveur pour estre instruits de luy. C'est ce que vouloit dire le grand Apostre escrivant aux Corin- thiens • : Mes petits enfans, que j'ay conceus et gaignés • I Cor., nr, 9-16; à Jésus Christ parmi tant de peines, fatigues et travaux, ^' * **** ^* *^ pour lesquels j'ay souffert tant de douleurs et de convul- sions, je vous asseure que je ne vous enseigne point pour vous attirer à moy, ains pour vous attirer à mon Seigneur Jésus Christ. Ces maistres et ceux qui gouvernent les âmes qui, par leurs l>ellcs paroles, taschent d'attirer à eux les disciples qu'ils enseignent et les âmes qu'ils gouvernent, ressem- blent à ces payens, hérétiques et telles autres canailles de gens qui causent et babillent, et estans dans leurs chaires s'efforcent et donnent peine de faire de beaux discours, subtils et bien dits par mer\'eille, non pour conduire les âmes à Jésus Christ, mais à eux mcsmcs. Ils les attirent à eux par leurs paroles et leur langage composé, ne se servant pour ce sujet que de la l>abillenc et caqij^* ♦'••••'* , et par ce moyen séduisent plusieurs esprits i . Au contraire, les serviteurs de Dieu ne preschent et n'enseignent ceux qu'ils conduisent que pour les porter k Dieu, tant par leurs paroles que par  404 Sermons recueillis leurs œuvres. C'est ce que fait aujourd'huy saint Jean et à quoy tous les Supérieurs doivent bien prendre garde, car ils ne profiteront jamais qu'en portant et envoyant leurs disciples à Nostre Seigneur pour sçavoir de luy quel il est, et apprendre de luy mesme à le connoistre et faire tout ce qu'il faut pour son amour et service. La troisiesme rayson pour laquelle saint Jean envoya ses disciples à Nostre Seigneur fut à fin de les destacher de sa personne, de peur qu'ils ne vinssent à un si grand abus que de faire plus d'estat de luy que du Sauveur ; car se plaig*nant à saint Jean comme ils se plaignoyent à Nostre Seigneur : Maistre, disoyent-ils, toy et nous tes disciples, avec les Pharisiens nous jeusnons , nous sommes mal vestus et faisons grande pénitence ; mais cet homme, ce grand Prophète qui opère tant de merveilles • Matt., IX, 14 ; parmi nous n'en fait pas ainsy *. Ce qu'entendant saint Marc, II, 18. -r ^ ^ -, 1, . ,. . 1 Jean, et voyant que 1 amour et 1 estime que ses disciples luy portoyent alloyent au mespris de Jésus Christ, il les envoyé à cette divine Majesté pour estre instruits et informés de la vérité. Ce n'est donques pas que saint Jean doutast en aucune façon que Nostre Seigneur fust le Messie, qu'il luy envoya ses disciples luy faire une telle demande, ains pour leur bien et utilité, pour le faire connoistre à tout le monde, pour ne point les attirer à soy, mais pour les en destacher, à fin que voyant les merveilles que Jésus Christ operoit, ils vinssent à en concevoir l'estime qu'il failloit. Il les traitte comme des petits enfans, car pour luy il croit asseurement qu'il est le Fils de Dieu, V Aigneau •Vide supra, p. 399. qui oste le peché du monde'^. Il pouvoit bien, par ses paroles, leur faire entendre cette vérité, mais il ne le fait pas, ains les addresse à Nostre Seigneur pour estre instruits. Il les luy pouvoit mander pour Tadorer et reconnoistre, mais s'accommodant à leur foiblesse et infirmité, il les envoyé seulement luy demander qui il est, et s'il est Celuy qui doit venir ou s'ils doivent en attendre un autre. Certes, il faut que ceux qui gou- vernent les âmes se fassent tout à tous, comme dit  XXXVIII. Pour le ii* Dimanche de LAvksr 40c TApostre *, pour les gaigner tous : qu'ils soyent doux • l Cor., ix, 19-5» avec les uns et sévères avec les autres, enfans avec les enfans, forts avec les forts, foibles avec les foibles, en somme, ils ont besoin d'une grande discrétion pour s'accommoder à un chacun. Saint Paul luy mesme a mer\'eilleusement prattiqué cecy, car il se faisoit enfant avec les enfans, et pour cela il appelloit les Chrestiens mes petits enfans^. Il * GaUi., iv, 19. dit donques, escrivant aux Thessaloniciens • : Mes petits * I Ep-. ». 7» •• enfans, je me suis fait parmi vous comme un petit enfant f à fin de \'o\is gaigner tous. J'ay marché le petit pas, et non point le pas de grand Apostre, parce qu'es- tans petits enfans vous ne m'eussiez peu suivre ; mais je me suis accommodé à vostre foiblesse et ay cheminé avec vous comme un petit enfant. J'ay encores esté au milieu de vous comme une mère nourrice^ :\e vous ay Mbid. donné du lait et vous ay nourris do viandes propres à vostre petitesse •. * l Cor., m. 1. a. Saint Chrysostome Evesque de Constantinoplc, qui certes est tousjours admirable en tout ce qu'il escrit. mais particulièrement au sujet de cet Apostre, dit en commen- tant une parole de l'Kpistre aux Hébreux* (je ne sçay * In cjp. r. n, «d toutefois SI je le pourray bien rapporter) :Lhose admirable, ce grand Apostre estoit parmi ses Corinthiens comme une mère nourrice parmi .ses enfans : il les nourrissoit de viandes simples, douces et propres aux petits enfans. Au contraire, lors qu'il escrivoit aux Hébreux, c'estoit avec une doctrine si profonde, un .style si relevé qu'il ne se peut rien trouver de semblable. Si vous voulez voir saint Paul parmi ses Corinthiens*, regardez une Tf Emrct xill. mère qui auroit cinq ou six petits enfans qui 1 environ- p ,^,, ncnt. Voyez, je vous prie, l'industrie de cette femme, comme elle .sçait donner à un chacun ce qui luy appar- tient, et le traitter selon la portée de son esprit. A celuy qui n'a qu'un, drux ou trois ans, elle donne du lait, elle luy parlr en se jouant, en lK?gayant, et ne luy laisse pas dire mon pcre ni ma mère, car il est encores trop jeune, mais elle luy fait dire papa et mamma. parce qu'estant petit il ne peut encores prononcer le nom de pcre cl da  î.f  4o6 Sermons recueillis mère. Aux autres qui ont quatre ou cinq ans, elle leur commence à apprendre à mieux parler, à manger des viandes un peu plus grossières ; et ceux qui sont un peu plus grans elle les dresse à la civilité et modestie. •Comm.iniThess., Or, cscrit cc Saint Père *, lors que le grand Apostre dit : ad locum iam cita- t • . ., tum. J^ SUIS avec vous comme une m,ere nourricey que veut-il signifier sinon qu'il fait à l'endroit de ses disciples ce qu'une mère nourrice fait à l'endroit de ses enfans ? Il est certes nécessaire que ceux qui gouvernent les âmes ayent une grande industrie pour les sçavoir toutes conduire comme il convient , selon leur capacité et portée. Il faut qu'ils usent d'une grande discrétion pour leur donner la pasture de la parole de Dieu au temps convenable et propre à la bien recevoir ; discrétion encores pour en bailler à un chacun ce qu'il en a de besoin et en la manière qui est plus à propos. Et que l'on ne die point : Vous ne me parlez pas tant pour ma perfection qu'à celuy là. Je crois bien, vous n'avez point encores de dents ! Ne voyez-vous pas que si l'on vous donnoit les mesmes prattiques qu'on conseille aux autres vous ne pourriez les mascher ? Oh, il me semble que j'ay assez de dents, dites-vous. Mais certes, vous en aurez d'autant moins que vous croyez en avoir davantage. Hé Dieu, laissez-vous donc gouverner par autruy. Et voyla mon premier point. La seconde partie de nostre Evangile c'est la responce que Nostre Seigneur fit aux disciples de Jean. Quelques docteurs philosophant sur cette responce s'en esmerveil- lent. Dites à Jean ce que vous ave^ veu et ce que vous ave\ ouy : les aveugles voyent, les sourds entendent, les boiteux marchent droit, les ladres sont guéris, les morts ressuscitent, les pauvres sont evangelisés. (Il compte icy comme un miracle que les pauvres sont evangelisés.) Ces docteurs disent que le Sauveur n'opéra pas beaucoup de prodiges devant les disciples de saint Jean, mais que les Apostres leur rapportèrent ceux qu'il faisoit. Il est très certain que les Apostres avoyent une grande suavité à raconter à ces deux disciples les œuvres admirables de leur bon Maistre ; mais Nostre Seigneur  XXXVIII. Pour le h* Dimanche de l'Avekt 407 ne laissa pas pourtant de faire beaucoup de miracles en leur présence, c'est pourquoy il leur respond : Dites à Jean ce que vous ave\ veu et entendu. Quelques uns de nos anciens Pères, je veux dire saint Hilaire et saint Chrysostome *, s'arrestent sur cette • UW topw. p. J99. responce que Xostre Seigneur fit lors qu'on l'interrogea qui il estoit. Vous me demandez si je suis ce grand Prophète, le Messie promis, Celuy qui tonne dans les cieux* et qui doit venir briser la teste à l'ennemy **. ^II Reg., xxn. 14. Or, je vous responds : Dites ce que vous ave\ veu et *"••"*' *• entendu. G admirable humilité de nostre cher Sauveur qui vient pour confondre nostre orgueil et destruire nostre superbe ! On luy demande : Qui es-tu ? Ht il ne respond autre chose sinon : Dites ce que vous ave\ veu et entendu, pour nous apprendre que ce sont nos œuvres et non point nos paroles qui rendent tesmoignage de ce que nous sommes, et que nous sommes pleins d'orgueil. En ce siècle, si l'on demande à un gentilhomme : Qui estes-vous ? o Dieu, il faut prendre ce mot au point d'honneur et s'en couper la gorge sur le pré. Qui estes- vous ? Il faut faire voir de quelle extraction, de quelle race, il faut faire paroistre les lettres de noblesse, que sçay-je, moy? telles folies et niaiseries; il faut examiner si SCS ancestres sont descendus d'Abraham, d'Isiiac et de Jacob. Certes, il n'est lx»soin de faire monstre de toutes ces bagatelles pour prouver que vous estes gentilhomme. Mais quand on vous fait cette question : Qui estes-vous? il faudroit pouvoir rcspondre : Dites que vous ave^ veu un homme doux, cordial, humain, protecteur des vefves, père des pupiles et orphelins, charitable et bénin envers ses sujets. Si vous avez veu et entendu cela, dites asseurement que vous avez trouvé un l>on gentilhomme. Si vous vous addressez à un Kvesque : Qui estes-vous ? il devroit pouvoir se rendre ce tesmoignage : Dites que vous ave^ veu un homme qui fait bien et deiicmcnt sa charge; et alors assrurez-vous qu'il est vrayemcnt hves- que. Si à une Religieuse : Qui estes-vous? Si vous ave^ veu une Religieuse exacte et ponctuelle en l'obiiervance de ses Règles, respondcz alors qu'elle est vrayement  4o8 Sermons recueillis Religieuse. En fin , ce sont nos œuvres ou bonnes ou mauvaises qui nous font ce que nous sommes, et c'est par icelles que nous devons estre reconneus. Ne vous contentez donc pas lors qu'on vous interroge vous disant : Qui estes-vous ? de respondre comme les petits enfans au catéchisme : Je suis Chrestien ; mais vivez en telle sorte que l'on puisse adjouster qu'on a veu un homme qui ayme Dieu de tout son cœur, qui garde les commandemens de la Loy, qui fréquente les Sacremens, et telles autres choses dignes d'un vray Chrestien. Ce n'est pas que je veuille entendre que quand on nous demande qui nous sommes il ne faille dire que l'on est Chrestien. O non certes, c'est le plus beau tiltre que nous nous puissions donner, et j'ay tousjours eu une particulière dévotion à cette grande sainte Blandine, qui fut martyrisée à Lyon et dont Eusebe rapporte la •Hist.,1. v, c. I. vie*. Cette Sainte donques, parmi les grans tourmens qu'on luy faisoit souffrir lors qu'on la martyrisoit, alloit doucement répétant : Je suis Chrestienne, se servant de ce mot comme d'un baume sacré pour guérir toutes ses playes. Mais je veux dire qu'il ne suffit pas de se nommer Chrestien, si l'on ne fait les œuvres de Chrestien. Car en fin qui sommes-nous? Un peu de poudre et de •Gen.,m, ig.xvm, cendre *. Disons donques librement que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons ni ne sçavons rien. C'est une grande misère qu'estans ce que nous sommes nous vou- lons néanmoins paroistre, et marchons sur la pointe des pieds à fin de nous faire voir à tout le monde. Mais helas, que verra-t-on quand on nous verra? Un peu de poussière et un corps qui sera bientost réduit en cor- ruption. Dites à Jean que les aveugles voyent. O Dieu, quel plus grand aveuglement que le nostre ! Estans si pleins d'abjection et misère, nous voulons cependant estre esti- més quelque chose! Qui nous aveugle de la sorte sinon nostre amour propre lequel, outre qu'il est aveugle de soy mesme, aveugle encores celuy en qui il demeure? Ceux qui ont peint Cupidon luy ont bandé les yeux, disant que l'amour est aveugle. Cecy se doit bien plus entendre  XXXVIII. Pour le ir Uimasche de lAvent 409 de l'amour propre qui n*a point d'yeux pour voir son abjection et le néant d'où il est sorti et de quoy il est pétri. Certes, c'est une grande grâce quand Dieu nous donne sa lumière pour connoistre nostre misère, et c'est un signe de la conversion intérieure. Ccluy qui se con- noist bien soy mesme ne se fasche point si on le tient ou qu'on le traitte pour ce qu'il est, d'autant qu'il a receu cette lumière qui l'a rendu quitte de son aveuglement. Les boiteux vont droit. Soit que les infirmes dont parle Nostre Seigneur fussent Ixjiteux des deux costés ou d'un seulement, cela n'importe gueres ; mais la plus- part de ceux qui vivent en ce monde sont boiteux des deux costés. Nous avons tous deux parties qui sont comme les deux jambes sur lesfjuelles nous marchons, à sçavoir, l'irascible et la concupiscible ; et quand ces deux parties ne sont pas bien réglées ni mortifiées elles rendent l'homme boiteux. I-a partie concupiscible con- voite des biens, des honneurs, des dignités et préémi- nences, des voluptés et mignardises; ce qui fait que l'homme devient cupide, avaricieux, et par ce moyen il cloche de ce costé là. Il y en a qui ne sont pas avari- cieux. mais ils ont la partie irascible si forte que lors qu'elle n'est pas bien sousmisc à la rayson ils se trou- blent et ressentent vivement les moindres choses qui leur sont faites ; ils s'eslevent et recherchent tousjours des inventions pour se venger d'une petite parole ou d'un |>etit tort qui leur aura esté fait. Or, de quel costé qu'elle se tourne, soit au bien, soit au mal, cette partie est très forte ; mais quand elle se tourne du costé du mal on a peine de la reorte bien cela Mais l'FspHt de Dieu fait tout le contraire ; il rejette les superbes et  412 Sermons recueillis converse avec les humbles, et Nostre Seigneur met cecy au nombre des miracles : Dites à Jean que les pauvres so7it evangelisés. Puis il adjouste : Bienheureux celuy qui ne se scan- dalisera point en moy. Mais quoy, que dites-vous, Seigneur ? Comme se pourroit-il faire que vous voyant opérer tant de prodiges, vous voyant exercer les œuvres d'une si grande charité et miséricorde. Ton peust se • Cf. Les Contro- scaudalizcr * ? Je seray, dit ce Seigneur, V opprobre des Ed7t"'pp™io, i6."^ hommes et le rebut du peuple"^ ; je ^^xd^j scandale • Ps. XXI, 7. aux Juifs et pierre de tresbuchement aux Gentils *. •ICor.,i,2^;Rom., ,,.7.7 ^ • j i- j. • j. IX, uit. ; I Pétri, 11, Mais bienhcurcux celuy qui ne se scandalisera point " en moy ; car, moy qui suis icy, faisant de grans miracles au milieu de vous, je dois estre crucifié et attaché à une croix ; et de cela, plusieurs se scandalizeront. Oh ! bienheureux ceux qui ne se scandalizeront point des opprobres et ignominies de Nostre Seigneur, lors qu'ils le verront fait le rejet et la risée du monde ; bien- heureux ceux qui pendant cette vie se crucifieront avec luy, méditant sa Passion et portant en eux sa • II Cor., IV, 10. mortification * / Certes, il faut tous passer par là. Il se faut attacher à la Croix de nostre Sauveur, la méditer, et porter en nous sa mortification. Il n'y a point d'autre chemin pour aller au Ciel , Nostre Seigneur y a passé le premier. Tant d'extases, tant d'eslevations d'esprit, tant d'eslancemens et ravissemens que vous voudrez ; ravissez mesme, si vous le pouvez, le cœur du Père éternel ; si avec cela vous ne demeurez en la Croix du Sauveur et ne vous exercez en la mortification de vous mesme, je vous dis que tout le reste n'est rien, qu'il s'en ira tout en fumée et vanité, et vous demeurerez vuides de tout bien, sujets et di.sposés à vous scandalizer avec les Juifs de la Passion de Nostre Seigneur. En somme, il n'y a point d'autre porte pour entrer au Ciel que l'humiliation et la mortification. J'achève. Les disciples donques s'en retournèrent rapporter à saint Jean ce qu'ils avoyent veu et entendu. O Dieu, quels pensez-vous qu'estoyent les cœurs de ces  XXXVIII. Pour i^ ii* DiMAScite de l'Avent 4n bons disciples? Combien doux et pleins d'une grande consolation ! Qu'il leur tardoit d'estre près de leur Maistre pour luy dire ce qu'ils avoyent ven et entendu. Qu'ils estoyent remplis de jurandes lumières et connois- sances touchant la venue de Xostre Seigneur ! Qu'ils s'alloyent doucement entrctenans de ces grans miracles et merveilles qu'il avoit faits en leur présence, et des choses qui leur avoyent esté racontées par les Apostres ! Comme ils furent sortis, le Sauveur se tourna du costé du peuple qui l'environnoit et leur dit : Qui estes-vous allés voir au désert ? Peut estre que vous y aurez veu un roseau exposé aux orages et tempestes, ou bien un rocher immobile au milieu de la mer? (De mesme peut-on dire : Qui avez-vous veu au désert, ou en Religion ? car désert signifie Religion, et la Religion n'est autre chose qu'un désert.) Donc, qui estes-vous allés voir? Peut estre y aurez-vous trouvé des roseaux ? O non , saint Jean n'est point un roseau, car il est demeuré ferme comme un rocher au milieu de toutes les vagues et tempestes des tribulations. Mais pourquoy Nostre Seigneur ne loue-t-il pas son Précurseur en la présence de ses disciples ? Nos anciens Pères disent que ce fut pour deux raysons. I^ première, parce que ces bons disciples estoyent trop attachés à leur maistre ; ils en estoyent tout en œuvre, et l'estimo qu'ils en avoyent estoit si grande qu'ils l'avoyent préféré à Jésus Christ, lors qu'ils luy dirent* : Toy et nous tes •Vidt«opr*,p.404. disciples nous jeusnons et faisons de grandes péniten- ces, mais ce Prophète qui est parmi nous n'en fait pas. Ainsy ils aymoient grandement saint Jean et n'avoyent pas besoin que Nostre Seigneur le louast devant eux, car il y avoit danger qu'ils ne vinssent à le surestimer au Sauveur. Voyla pounjuoy cette divine Sapience ne dit rien de luy en leur présence. L'autre rayson est parce que nostre divin Maistre n'estoit point flatteur. S'il eust alors loué saint Jean on eust peu juger qu'il le faisoit par flatterie, cela luy pouvant estre rapporté par ses deux disciples; ce qui estoit grandement esloigné de l'esprit do nostre cher  414  Sermons recueillis  Sauveur qui est la vérité mesme. L'esprit humain eust peu fournir quelque chose là dessus ; c'est pourquoy, luy qui est clairvoyant, sçachant ce qui en pouvoit arriver, ne le loua point en la présence de ses disciples. Mais quand ils furent partis, il dit aux Juifs : Qui estes-vous allés voir au désert ? Considérez cet homme que vous avez veu, ou plustost cet ange revestu d'un corps humain. Vous n'avez point trouvé un roseau, mais un rocher en fermeté, un homme d'une esgalité admirable parmi la variété des divers accidens ; vertu la •Cf. Entretien III. plus aggreable et désirable qui soit en la vie spirituelle*. Vous n'avez point veu un roseau, car saint Jean est tel en l'adversité qu'en la prospérité ; tel dans la prison parmi les persécutions que dans le désert parmi les applaudissemens ; autant joyeux en l'hiver de l'adversité qu'au printemps de la prospérité ; il fait les mesmes fonctions en la prison qu'il faisoit au désert. Nous autres, au contraire, sommes variables, nous allons selon le temps et la saison. Il se trouve des personnes si bigearres qui lors que le temps est beau il n'y a rien de si joyeux, et quand il est pluvieux, rien de si triste. Tel est fervent, prompt, gay en la prospérité, qui en l'adversité sera foible, abbattu et desconforté ; il faut employer le ciel et la terre pour le remettre, et pour l'ordinaire tout cela ne sert de rien. Vous en verrez d'autres qui veulent la prospérité parce qu'en ce temps ils font des merveilles, ce leur semble. D'autres ayment mieux l'adversité; la tribulation, disent-ils, les fait mieux retourner à Dieu. En fin nous sommes variables et ne sçavons ce que nous voulons. Il y en a d'autres lesquels pendant qu'ils sont joyeux on ne les peut retenir, et quand ils sont tristes on ne les sçauroit consoler. Quand on fait tout ce qu'ils désirent, qu'on escoute tout ce qu'ils disent, qu'on ne les contrarie en rien, o Dieu, ils sont si braves et font des merveilles ; mais si on les touche, qu'on les contrarie tant soit peu, tout est perdu. Il faut tant d'affaires pour nous bien faire prendre une parole qui n'est pas selon nostre gré, que par après l'on ne peut remettre ce cœur ; il y faut appliquer tant d'emplastres !  XXXVIII Pour li ii* Dimanche de l'Avemt 415 Mon Dieu, quelle pitié, et quelle bigearrerie est la nostre ! O non certes, il n'y a point d'esgalité parmi nous, et toutefois c'est l'une des choses les plus néces- saires qui soyent en la vie spirituelle. Nous sommes des roseaux qui nous laissons emporter à toutes nos humeurs. Mais je veux achever en disant du glorieux saint Ambroisc, duquel nous commencerons cette nuit à célé- brer la feste, ce que Nostre Seigneur dit de saint Jean Baptiste : Vous n'avez point veu un roseau dans le désert. Vous luy devez une particulière dévotion, car il a esté le père spirituel de saint Augustin, lequel raconte en ses Confessions^ comme non seulement les doctes 'j «.fine», prédications de ce grand Saint, mais encores sa douceur et debonnaireté luy desroba le cœur. Il estoit françois, c'est à dire il naquit en France, bien que saint Augustin le trouvast à Milan. Il est rapporté en sa Vie* fju'estant * Aoctor» P«nlioo, oncor petit enfant dans le berceau, un essaim d'abeilles vint se reposer et faire du miel sur ses lèvres, présage de sa future douceur et mansuétude. Si nous demandons à ce glorieux Saint : Tu quis es^ ? Qui es-tu ? Il nous Mo^n., i, 19. sera sans doute respondu : Dites ce que vous ave\ veu et entendu. Dites que vous ave\ veu un homme doux, charitable et zélé pour la gloire de Dieu ; un vigilant pasteur, en fin un homme accompli en toutes vertus et qui .s'acquittoit soigneusement de tous les devoirs de sa «harge, ayant les deux portions de l'ame si bien réglées qu'il n'avoit point de haine que pour le péché ni d'amour (jue pour la dilection de nostre cher Sauveur. Toutefois, bien que grantlement doux et clément, si estoit-il fort sevcre à punir et reprendre ce qui estoit digne de reprehension, .sans se laisser fléchir par aucune considération quelle qu'elle fust. Quel zèle ne fit-il pas paroistre en la façon qu'il traitta l'empereur Theodose •, " Pâohaot, ia viu luy refusant l'entrée de l'église et luy parlant avec une scvcrilé admirable, sans jamais désister ju.sques li ce qu'il eust reconneu sa faute. Vx quand on luy representoit que c*estoit un empereur îi qui il s*en prcnoit, comme tesmoignoit-il par ses paroles qu'il n'avoit e.ngard qu'Ji la gloire de Dieu I Que ne dit-il pas 4 ceux qui, sur ce  4i6 Sermons recueillis sujet, luy representoyent la faute de David ! Eh bien, respondoit-il, vous me parlez de la faute de David, mais vous ne m'alléguez rien de sa pénitence. Si l'Empereur veut la faire comme luy, les portes de l'église luy seront ouvertes, autrement non. Et il monstra bien que, sans avoir esgard ni à roy ni à empereur, il demeureroit ferme à exercer ce qui estoit de sa charge. Dites donques ce que vous ave\ veu et entendu ; car la renommée de ce grand Saint s'estendoit par tout, de manière que des gens doctes et bien expérimentés venoyent de fort loin pour entendre sa doctrine. Voyla comme il est vray que l'homme se connoist par ses œuvres. Que si nous voulons sçavoir quels nous sommes, il nous faut regarder quelles sont nos œuvres, reformant ce qui n'est pas bien et perfectionnant ce qui est bon , à fin qu'imitant ces deux glorieux Saints en leurs vertus, nous jouissions avec eux de la gloire là haut au Ciel. Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen.  XKXIK SERMON POUR LK TROISIÈME DIMAN'CHE DE L' A VENT 1} UCvCTTlLHC I02O  r« firfi e$ ? Et tomffttms fit et ••■ ■//«ri7, et cmfetttu e»t : Quis «mi imm //• Ckrittm». Qui ei'tm / Et iV e^mfetié et me te mim poimt, et il emmfeum : Je me tmit petâ le Cànit. JOAJI., I. 19. «O. S'il faut en ju^er par toutes sortes d'arts, mestiers et professions, nous confesserons que l«i première et plus forte tentation c'est l'ambition, l'orj^ueil et l'outrecui- dance. C'est d'icelle que Lucifer se servit pour tenter nos premiers pères, d'autant qu'il se dit que l'ambition estoit la plus violente de toutes, puisqu'elle Tavoit fait très- bûcher du Ciel aux enfers*. Sçachant «lonc ainsy par sa • Cf. lom. pracvJ. propre expérience comme l'orgueil et l'ambition sont une ^cï.* ^**'* * ^"" puissante amorce, il en usa pour tenter nos premiers parens, leur proposant le fruit défendu avec une telle outrecuidance qu'il les asseura que s'ils en mangeoyent ils MT. .v.ni sfttiblahUs à Ditu^. Il ne leur dit pas(|u'ils luy •G«o.. m. y s. \c^^A\ix,csiT qui peut fstrr cotfttttc Dieu*? C'cs\ • P" »»»'^' «o une chose impossible que celle là, et si le misérable eust ^^' tente Adam et Kve en cette sorte, ils eussent facilement conneu sa tromperie, parce qu'cstans encor en la justice originelle ils estoyent doués de grandes lumières et conr C'est pourquoy il leur dit : Vous sere\ seinbiucii'j, j Dieu. Et comment setnblabïes à Dieu } Oh ! c'est ciue man^^eant Je ce fruit voui dure\, comme Dieu, la contioissattce du bien et ttu fwiî/. Or, cette Sm* III M  4i8  Sermons recueillis  • Cf. tom. praeced. hujus Edit., p. 93. •S.Thom.,I»Pars, qu. Lxiii . art. 11 ; Suares.,de Angelis, 1. VII, ce. ix-xii. • Ct. Is.,xiv, 13, 14. • S. Thom., ibid. ; Suares.,ibid.,c.xv.  ambition leur donna si avant au cœur que, presumans de participer à la science et sapience divines, ils se laissèrent séduire par le tentateur et descheurent par ce moyen de la justice originelle. Les théologiens philosophant sur la cause de la cheute de Lucifer et des autres anges, disent que ce fut une certaine complaisance spirituelle qu'ils eurent en eux mesmes *, laquelle leur causa un tel orgueil par la con- noissance de la grandeur et excellence de leur nature *, qu'ils voulurent avec une outrecuidance insupportable estre comme Dieu, mettre leur siège à l'esgal du sien *. Les autres tiennent que la cause de leur cheute fut l'envie * ; car ces esprits voyans comment le Seigneur devoit créer l'homme, comme il vouloit enrichir la nature humaine et comme il se devoit communiquer à cette nature s'incarnant et s' unissant à icelle d'une union hypostatique, en sorte que ces deux natures ne feroyent qu'une personne, ils furent touchés d'envie et marris de ce que le Créateur pensoit relever cette nature par dessus la leur, et se dirent : Pourquoy Dieu voulant sortir de soy mesme pour se communiquer, ne choisit-il pas plustost la nature angelique et seraphique pour faire cette communication ? n'est-elle pas plus noble et excel- lente que l'autre ? Et de là ils vindrent à estre pleins de jalousie, d'ambition et d'orgueil, et tresbucherent misérablement. Mais à quel propos tout cecy sinon pour exalter l'humilité de saint Jean Baptiste, qui est une des per- sonnes qui intervinrent au mystère de la Visitation ? Humilité, ce me semble, la plus excellente et la plus parfaite qui ait jamais esté après celle de Nostre Sei- gneur et de la très sacrée Vierge. Voyci donques qu'il s'esleva contre luy une tentation d'orgueil et d'ambition, la plus forte et la plus rude que l'on se puisse imaginer; car remarquez, je vous prie, qu'elle ne luy fut point pré- sentée par l'ennemy en personne et qu'elle ne vint point immédiatement de luy. Quand l'ennemy est descouvert et qu'on voit que la tentation vient d'un adversaire, on doute que la chose qu'il nous dicte ou à quoy il nous  XXXIX. Pour le m* Dimanche de l'Avent 419 sollicite soit suspecte. Pourquoy? Hé, parce qu'elle nous est suggérée par nostre ennemy, et partant il ne s'y faut pas fier. Il est tout asseuré que si Adam et Eve avoyent conncu leur tentateur ils ne se seroyent pas laissés séduire. Mais cet esprit malin sçachant que s'il ne se couvroit lors qu'il veut donner un assaut, et s'il ne prenoit quelque masque ou figure d'amy il ne feroit jamais son coup, il use tousjours d'artifice ; de là vient qu'il en séduit tant par ses ruses et tromperies. Or, quand il se présenta à Eve, ce fut en forme de serpent •. Mais en ce temps là les • Gcn., m, 1. serpens n'estoyent pas scrpens, c'est à dire ils ne mor- doyent point, ils n'avoyent point de venin. Eve donques n'en eut non plus peur qu'un enfant n'en auroit d'un petit aignelet ; l'ennemy luy parla sous la figure de ce serpent, luy donna de l'ambition et convoitise d'estre semblable à I)ieu, et pour ce suj»*t elle mangea du fruit défendu. Ouant à Lucifer et à ses anges ils n'eurent point d'autre tentateur qu'eux mesmes, car il n'y avoit encor point de diable. Ce furent eux mesmes qui se tentèrent, et par leur orgueil, devindrent diables, d'anges qu'ils estoyent auparavant. Voyla comme nous pouvons dire que l'ambition, l'orgueil et l'outrecuidance .sont descendus du Ciel dans le paradis terrestre, et du paradis terre.strc dans le monde, duquel ils ont fait un enfer terrestre. Ainsy, l'ange est rendu diable, et de beau et amy de Dieu qu'il estoit, il s'est déclaré son ennemy, et est devenu laid, espouvantabîe. L'homme, par .son orgueil et outre- cuidance, a perdu la justice originelle en laquelle il entoit créé et s'est fait un enfer ça bas en terre; car les maux que ses vices traisnent après eux ne sont qu'un enfer, lesquels d'une peine temporelle conduisent aux éternelles. Or, voyri (jue l'une des plus fortes, subtiles cl dange- reuses tentations qui se puissent voir s'addr» saint Jean*, non par des ennemis, comme j'ay tl. j.i .îjI, ni • '*' -••^♦a. par des gens revestus de queb^ue masque d'hypocrisie, mais par ses amis, envoyés à luy de Ilierusalcm par l«i princes et docteurs de la Loy. Hierusalem estoit la ville  \9tm. t..\n.\  ^20 SHKMt>NS RECUEILLIS royale où residoyent le saint sénat et la magistrature. Les Scribes estoyent les docteurs de la Loy, et les Phari- siens, les prestres et religieux. Les princes des prestres et les docteurs, qui avo3^ent en main la Loy, gouvernoyent toute la republique ; ils envoyèrent donc à saint Jean. Mais qui ? Peut estre quelques valets de leurs fils ou quelques autres gens? O non certes, ains ils mandèrent de leur part et de toute la republique, des ambassadeurs qui estoyent docteurs et religieux. Et pourquoy ? Non pour autre chose que pour sçavoir si saint Jean estoit le Christ Fils de Dieu, le Messie qu'ils attendoyent, à fin de luy rendre Thonneur qui luy estoit deu. Remarquez un peu, je vous prie, les fantasies de l'esprit humain : ils attendoyent le Messie, ils voyoient que toutes les prophéties estoyent accomplies, car ils avoyent en main la Sainte Escriture ; le Sauveur estoit venu et alloit parmi eux enseignant sa doctrine, faisant des miracles, et confirmant tout ce qu'il disoit par ses œuvres ; néanmoins, au lieu de le reconnoistre, ils en vont chercher un autre. Ils s'addressent donques au glorieux saint Jean et l'interrogent : Tu quis es ? Qiti es-tu ? Il leur dit et ne le nia point : Je ne suis pas le Christ. Es-tu Elie ? Non. Es-tu Prophète ? Non. Il confessa et ne le • Joan., I, 19-21. nia point. Ce sont les parolles des Evangelistes * qui sont briefves et succinctes, car ils en ont tousjours fait ainsy en tout ce qu'ils ont rapporté. Nos anciens Pères •ApudMaidonat.et remarquent * que quand ces envoyés luy dirent cette Barradam, Comm. n x-\ • _. -i -1 ^ 1 in locum. parolle : yw/ es-tu f ils ne vouloyent pas seulement sçavoir qui il estoit, mais encores s'il estoit le Messie attendu ; car autrement saint Jean ne leur eust pas res- pondu qu'il n'estoit pas le Christ, s'il n'eust creu qu'ils venoyent à fin de le reconnoistre pour tel. Il est vray qu'il ne l'estoit pas, et il le confessa et ne le nia pas. Mais considérez un peu la très parfaitte humilité de ce glorieux Saint à rejetter non seulement les honneurs, les prééminences et tiltres qui ne luy appartenoyent pas, ains, ce qui est plus admirable, à refuser ceux qu'il pouvoit recevoir. Il estoit homme comme nous autres, il estoit  XXXIX. Pour le iir Dimanchp r^«- i*\v^vt =^2i sujet à commettre des pêchers venieU*, et néanmoins il 'Videtamentopra, estoit arrivé à une telle humilité qu'il triomphe excellem- ment de rorj^ueil et de l'ambition, repoussant et refusant d'accepter les dignités et honneurs qui luy estoyent présentés. Les Anges estans au Ciel ont recherché non pas d'estre dieux, car Lucifer estoit trop l)on philosophe pour com- mettre une telle incongruité; il comprenoit bien qu'il ne le pouvoit, que c'estoit une chose imj>ossible. Son ambi- tion n'arriva point jusques là ; il sçavoit que Dieu seroit tousjours le premier et auroit quelque superintendance par dessus luy, car en somme il est Dieu et Lucifer ne pretendoit pas estre tel. O non, mais son orgueil le porta jusques à vouloir estre semblable à Dieu •; et le * ii , nv 14. misérable, au lieu de devenir ce qu'il presumoit, il descheut par .son outrecuidance de ce qu'il estoit, fut chassé et banni pour jamais du Ciel et rendu diable. C'est par luy que les démons commencèrent d'estre, car avant sa chcute il n'y en avoit point. Nos premiers parens au paradis terrestre estoyent en la justice originelle, ils n'avoyent jamais péché, non seulement mortellement comme les Anges (car le premier péché qu'ils commirent fut mortel, et par conséquent digne de mort éternelle), mais non pas mesme veniel- lement. Néanmoins, entendans de ce viel serpent • que • Apoc.,»ii,9. s'ils venoyent à manger du fruit défendu ils seroyent semblables à Dieu, la seule proposition que leur fit Satan leur toucha le cœur en telle sorte qu'ils vindrent à s'oublier du commandement et de la défense du Sei- gneur. O que l'ambition et l'orgueil sont de fortes et «> *xvîfi rcmcnl qu'il soit revestu et par tout armé de l'humilité. "*• '^^ Nostre glorieux saint Jean estoit bien armé de cette vertu. Mon Dieu, qu'elle fut admirable en ce grand Saint! car il n'cstoit point au Ciel ni au paradis terrestre, ains en la t«rrc ; il n'«ttoit point Ange, aios homme; il  42 2 Sermons recueillis n'estoit point en la justice originelle, ains il pouvoit •Videtamen supra, pecher veniellement *. Et on ne luy propose pas seule- P' ^ * ment d'estre semblable à Dieu, ains on vient pour luy faire confesser qu'il est le Christ et le reconnoistre pour tel. Mais il refusa et rejetta cela du tout loin. Il confessa et ne le nia point, dit l'Evangeliste, qu'il ne Testoit pas. Combien fut grande cette tentation et combien grande aussi l'humilité avec laquelle il la repoussa ! Mais remar- quez, je vous prie, comme les envoyés des princes des prestres luy parlent : Nous sommes icy mandés de la part des Scribes et Pharisiens et de toute la republique pour vous dire que les prophéties sont accomplies et que le temps est arrivé auquel nous doit venir le Messie. Il est vray que nous voyons parmi nous beaucoup de personnes qui vivent bien et sont fort vertueuses, mais il nous faut confesser que nos yeux n'en ont point veu qui soyent semblables à vous ou desquelles nos cœurs goustent les œuvres comme nous goustons les vostres. En somme, nous croyons que vous estes le Messie promis. Que si cela est, nous vous supplions de ne point nous le dissimuler et cacher davantage, car nous sommes venus pour vous rendre l'honneur que vous méritez. Voyez- vous, ils luy mettent le marché entre les mains ; s'il eust voulu accepter ils l'eussent reconneu pour le Christ. Mais certes, ce glorieux Saint estoit trop grand amateur de la vérité pour se laisser emporter à une telle ambition. S'il se fust dit le Messie il eust esté un grand menteur, un desloyal et infidelle, de recevoir un honneur qui ne luy estoit pas deu. Ces Scribes et Pharisiens déclarent qu'ils attendent le •Aggaei, II, 8. Messie promis, le Désiré des nations"^, et Celuy que • Gen., xLix, a6. Jacob nomme le Désir des collines éternelles *. Les • Vide s. Aug., De anciens Pères expliquans ces paroles disent qu'elles nous ?.'xxxv**è\ T^/ii^' représentent le désir que les Anges avoyent de l'Incar- CommenLiniocum nation*; d'autrcs tiennent que par icelles nous devons Gen.Cf. Cornel.et ' . ^ ^ aiiosini Pétri, i,n. entendre le desir que Dieu avoit de toute éternité d'unir •Cf.S.Iren., Contra i,, »-,^.4..,«^ i, • i j • • rf- j • >-i Haer.,i.iii,c.xvin, ^'^ Hdture humame avec la divine^', desir qu il communi- on looGen^'et a'''' ^^^ ^"^ Anges et aux hommes, quoy qu'en différentes ctinEphes., i, lo. façons. Les uns, tels que les Patriarches et les Prophètes,  XXXIX. Pour le iir Dimanche de l'Avemt 423 le souhaittoyent ardemment, et par les souspirs qu'ils jeltoyent au Ciel ils demandoyent l'Incarnation du KiU de Dieu. Salomon, au Cantique des Cantiques*, nous 'dp. 1,1. fait entendre ce souhait par les paroles de l'iispouse : Qu'il tnc baysc d'un bayscr de sa boucha. Que signifie donc ce bayscr sinon l'union hypostalique de la nature humaine avec la divine •? Les autres le desiroyent, mais 's B^marJ .«emo ... , ,, Il iD Caat. Cf. tom. comme imperceptiblement ; car de tout temps 1 on a veu nr,ccd huj EJit., les hommes enclins à rechercher une Divinité, et ne '"* ^^'''• pouvans se faire un Dieu humanisé, parce que cela appartenoit à Dieu seul, ils recherchoyent des inventions pour faire des deités. Pour cela ils dressoyent des idoles et simulacres lesquels ils ornoyent et tenoyent parmi eux comme des dieux. Je sçay bien que c'estoyent des erreurs ; mais nous voyons ainsy le désir que Dieu avoit infus dans tous les cœurs de l'Incarnation de son Fils, de cette union de la nature divine avec l'humaine. Ces prestres et Lévites ont donques ray.son de dire que toutes les prophéties sont accomplies et que le temps est venu auquel ils doivent voir Cfluy qui a esté le Désiré de toutes les nations. Or, ils demandent à saint Jean : Qui es-tu ? n es-tu point le Christ que nous attendons? Ht il confessa et ne nia point qu'il ne l'estoit pas. Oh que l'esprit de saint Jean estoit esloigné de celuy de ce siècle! Il n'usa point de beaux discours pour respondro à ces ambassadeurs, il se contenta seulement de rcspondrc qu'il n'estoit pas le Christ. Certes, s'ils eussent demandé qui il cstoit pour simplement sçavoir quelle cstoit sa profession, il les eust sans doute bien informés de la vérité, et avec plus do paroles ; mais voyant cju'ils le tenoyent pour ce qu'il n'estoit pas, il se contente de dire en un mot qu'il n'est pas celuy qu'ils croyent. Nous autres nous sommes tant soigneux de bien recevoir les honneurs (|ui nous .sont faits; cette nature humaine va tant retirant à soy tout ce qui est à son advantage. l'on est si amoureux des dignités et preemi- n' ' O Dieu, disons-nous à ceux qui nous flattent, il f>i %ray, j'ay rcccu telle grâce, cela est liien en moy ;  424  Sermons RhxuEiLLis  mais c'est une faveur de Dieu, c'est un efFect de sa misé- ricorde, et telles autres paroles. (0 Quelque petit gentil- homme s'estimera estre de bon lieu, brave cavalier ; on luy demandera : Qiii es-tu ? Il respondra ce que son imagination luy dicte : Je suis un brave seigneur, un vaillant cavalier, d'une telle mayson ou d'une telle race. Et pour l'ordinaire, telles gens ne sont rien, et les moin- dres sont ceux qui veulent le plus paroistre. Hé, folie, niaiserie ! Qui est celuy là ? Oh qui il est ? A l'entendre c'est un saint Pierre ! Il a peut estre vescu quatre cents ans devant cet Apostre ; et que sçay-je, telles autres sottises. En somme, nostre amour propre va non seule- ment tirant à soy toute la gloire qui luy appartient en quelque façon, mais encores celle qui ne luy est aucune- ment deiie. Nous faisons tout au contraire de ce que fit le glorieux saint Jean qui ne se contenta pas de rejetter celle qui ne luy appartenoit pas, ains encores il refusa celle qu'il pouvoit justement recevoir. Les envoyés luy demandèrent : Puisque tu n'es pas le Christ, n'es-tu pas Elie ? Et il déclara : Non, je ne le suis pas. Certes, il pouvoit respondre qu'il l'estoit, car bien qu'il ne fust Elie en propre personne il estoit nean- • Lucae, i, 17 ; cf. moins venu en V esprit d'Elie"^ : et cela se pouvoit dire Matt., XI, 14. ^ . ^ ^ de luy comme nous disons encores aujourd'huy parmi nous : Celuy là a l'esprit d'un tel ; ou : Il fait telle chose poussé d'un tel esprit. Comme donques est-ce que saint Jean estant venu en V esprit d'Elie, peut il déclarer avec vérité qu'il ne l'est pas ? Et il n'est pas menteur non plus qu'il ne l'eust esté s'il eust dit estre Elie. Il sçavoit • Maiach., uit., 5. qu'il estoit escrit * qu'avant le jour du Seigneur un grand Prophète, un excellent homme nommé Elie s'esle- veroit parmi le peuple, qu'il viendroit l'enseigner et le disposer à l'avènement du souverain Juge ; il vit donques que s'il disoit estre Elie ils pourroyent le prendre pour le Messie promis, voyla pourquoy il le nia et respondit : Je ne le suis pas. O merveilleuse humilité que celle cy ! (i ) Les dix lignes suivantes sont inc-dites, ainsi que les lignes 10-15, P- 4^7, et «3-28, p. 428.  XXXIX. Pour l« nr Dimakche de L'AvfWT 42^ Il ne rejette pas seulement ce qui ne luy appartient pas (c'est le premier degré de l'humilité de ne vouloir point admettre ni moins rechercher d'estre tenu et estimr pour ce (|ue l'on n'est pas), mais passant plus outre et trouvant une façon de parler en laquelle sans faire tort à la vérité il pouvoit encores repousser l'honneur qui luy appartenoit, il le fit promptement. sans disputer ni se servir de beaucoup de discours; ains franchement et libre- ment il dit : Non, je ne le suis pas, iMais il faut achever, car l'heure s*en va passer. Les Juifs donques entendans cette seconde négation ! • r- hargent d'une troisiesme demande : Si tu n'es ni !»• i hrist ni Klie, tu es peu qu'il eust passé plus avant, il eust menti : néanmoins il ne le fit pas. Mais comment pouvoit-il asseurer n'estre pas Prophète, sçachant bien qu'il l'estoit et que Dieu mesme l'avoit déclaré? Voyez-vous, il estoit encor promis en la Loy • •D«ut..«rtti, n.ii. au peuple Juif qu'MW grand Prophète luy seroit envoyé. Je «icay bien (ju'il y a diverses opinions sur cecy, à M;a^"Jr, cjui seroit ce grand personnage ; mais la plus commune estoit qu'iceluy ne seroit autre (jue le Fils de Dieu. Saint Jean, s'appercevant qu'on ne luy demandoit pas simplement s'il estoit Prophète, et que s'il disoit qu'il l'estoit ils le croiroyent ce grand Prophète promis et le ro'-onnoistroyent pour tel. il le nia, voyant que sans mentir il pouvoit encrirr» respondru qu'il ne l'estoit pas.  426 Sermons recueillis Comme s'il eust voulu dire:- Si vous me demandiez seu- lement qui je suis, je vous respondrois simplement ; si vous vouliez sçavoir si je suis un simple Prophète, je vous advouerois franchement que je le suis, et mesme ' Lucae, i, 76. que je suis envoyé pour préparer les voyes au Messie *. Mais parce que en toutes vos demandes vous visez à un mesme but, qui est de me reconnoistre pour le Messie promis, je vous dis que je ne suis ni le Christ, ni Elle, ni Prophète. Et en cela il ne mentit pas. Voyla donques comme saint Jean rembarra cette ten- tation d'orgueil et d'ambition, et comme l'humilité luy donna des inventions admirables pour ne point admettre ni recevoir l'honneur qu'on luy vouloit rendre, dissimu- lant et niant d'estre ce que véritablement il estoit ; car il n'y a point de doute qu'il ne fust Elie et Prophète, voire plus que Prophète , Dieu l'ayant déclaré luy mesme. Néanmoins voyant qu'en ce sens que nous avons dit, il pouvoit asseurer qu'il ne l'estoit pas, pour éviter l'honneur qu'on luy vouloit rendre, honneur qui devoit estre déféré à Dieu seul, il respondit : Je ne le suis pas. Et il n'y a point de doute que l'on peut parler sans aucune crainte de mentir avec cet artifice et prudente dissimulation ; les théologiens sont tous d'accord sur ce • Cf.Inlrod. a la Vie SUI et * dfvoie, Partie III, ,,.',. c. XXX. Mais plusieurs ayans mal entendu cecy, s en sont servi, et n'ont point pensé mentir en disant beaucoup de choses fort esloignées de la vérité ; et mesme il en est qui sont arrivés jusques là que de croire qu'ils pouvoyent proférer des menteries quand il s'agissoit de la gloire de Dieu. Si on les en reprend et qu'on leur dise : Mais en telle action ou façon de parler vous estes menteurs. Oh, respondent-ils, il est vray, mais c'est pour honnorer Dieu que j'ay dit un tel mensonge. Hé, folie ! vous vous moquez du monde en disant cela ; comme si Dieu pou- voit estre honnoré par le péché ! Non, cela n'est pas ; il ne faut jamais mentir pour honnorer Dieu, et c'est une sottise et grande ignorance que celle là. Regardez, saint Jean n'a pas agi ainsy, car il pouvoit avec vérité respon- dre comme il fit, ainsy que je vous l'ay monstre.  XXXIX. Pou» LE III* Dimanche db l'Avekt 437 Or, ces ambassadeurs tout estonnés repartirent : 5/ tu n'es pas le Christ, ni Elie, ni Prophète, pourquoy est-ce que tu baptises*, pourquoy as-tu des disciples 'Jo'n.,!, »^. et fais-tu des œuvres si merveilleuses? En quel esprit les fais-tu? Certes, tu as beau te cacher et dissimuler, tes œuvres nous font bien voir que tu es quelque chose de j^-rand, c'est pourquoy dis-le-nous, à fin que nous ^cachions ce que nous rapporterons à ceux qui nous ont envoyés. Voyez-vous, ils perdent quasi patience auprès de l'humilité de saint Jean. A la vérité, les ambassadeurs ont besoin de patience, et c'est une grande vertu que celle cy, laquelle est du tout nécessaire non seulement aux ambassadeurs mais à tous les Chrestiens : aussi j'ay accoustumé de dire que la patience est la vraye vertu des Chrestiens. // confessa et ne le nia point, dit l'Evangeliste, qu'il n'estoit ni le Christ, ni Klie, ni Prophète. Ces paroles s'expliquent par un hebraïsme. (La langue hébraïque est certes admirable, elle est toute divine ; c'est celle cy que Nostrc Seigneur parloit quand il estoit en ce monde *, et selon quelques Docteur», c'est celle que les **" '^*' Bienheureux parlent là haut au Ciel •. Les phrases hebraï- et ... • . et (jues ont tousjours une merveilleuse grâce en tout ce ti,i>»,,iïiCof.,»ni, **'• conférence spirituelle, un entretien familier), l'un d'eux louoit hautement l'obéissance, un autre la charité, un troisiesme la patience. L'un d'entre eux ayant ouy ce que tous ses frères allej^^uoyent sur les vertus, dit : Pour moy. il me semble que l'humilité est la première de toutes et la plus nécessaire; et il fit cette comparaison qui revient bien à mon propos. L'humilité et la charité, dit-il. sont ensemble comme Jean Baptiste et Nostre SeijiÇneur. L'humilité est le fourrier et le précurseur de la charité, comme saint Jean Baptiste l'estoit du Sau- veur. C'est elle qui prépare les voyes ; c'est une voix qui crie : Applanisse^ le chemin Ju Seigneur ; et tout ainsy que Jean Baptiste vint devant le Messie, il faut aussi que l'humilité vienne vuider les cœurs pour puis après recevoir la charité, car elle ne pourra jamais demeurer en une ame que l'humilité ne luy aye premiè- rement propar»' le lo^is. Saint Antoine fut un jour ravi en extase, et comme il revint à soy ses Iwns Reli^eux luy demanderont ce qu'il avoit veu. Il leur dit : J'ay veu le monde tout rempli de filets propres à faire non seulement chopper. mais encores tomber lourdement les hommes dans des pro- fonds précipices. Ils repartirent : Et si tout est rempli de filets qui donques en eschappera ? Il leur respondit : Ceux là seulement qui seront humbles*. En quoy nous • am.i.v, voyons combien l'humilité est recjuise pour résister aux ^'' tentations et eschapper aux filets du diable.  430  Sermons recueillis  • Matt. , m, Joaa., I, 26.  II  • Matt., III, 4. • Lucae, i, 15. • Ibid., m, 3.  •Ubl  iopra,p.43v  ' Malach., m, Matt., XI, 10.  Saint Jean l'avoit en un degré de très grande perfec- ; tion. Vous me demandez pourquoy je baptize ? dit-il*. Je baptise avec Veau pour la pénitence ; mais il y en a un parmi vous, lequel vous ne connoisse\ pas, qui en baptizant remet les péchés. Vous voulez sçavoir qui je suis : je vous dis que je ne suis rien qu'une voix. Comme s'il vouloit dire : O pauvres gens, que vous estes bien trompés en moy ! Vous pensez que je suis le Messie parce que je suis tout nud, c'est à dire que je ne suis pas vestu comme les autres hommes, mon vestement estant tissu de poils de chameaux. Je ne mange point de pain ni de viande, et ne me nourris que de sauterelles et du miel sauvage * que les avettes m'apportent ; je ne bois point de vin *^ je n'ay point de mayson, ains j'habite dans le désert avec les bestes ; je suis sur le fleuve y'(9^/r- dain, h^iTptizant avec de l'eau etpreschant la pénitence*, et pour cela vous croyez que je suis le Messie. Or je vous dis que je ne le suis pas, mais seulement la voix de celuy qui crie au désert. Nous vous en parlerons Dimanche prochain, car l'heure est passée. Mais comment saint Jean se pouvoit-il plus abaisser que de dire qu'il n'estoit qu'une voix ? car la voix n'est qu'une fumée, qu'une exhalaison qui s'en va en l'air mener quelque peu de bruit et puis disparoist. Vous croyez que je suis le Messie, et mo}^ je vous proteste que je ne suis pas mesme homme, ains moins qu'homme, car je ne suis qu'une simple voix. Si vous allez dans ce désert, vous trouverez des échos parmi ces rochers ; que si vous parlez ils vous respondront, d'autant que vos voix entrans dans la concavité de la montagne il s'y forme une parole semblable à la vostre. Or, lequel est-ce d'entre vous qui estime l'echo un homme à cause qu'il luy respond ? cela ne s'est jamais veu. Hé bien, c'est ce que je suis et rien davantage. Voyla donques ce glorieux saint Jean humilié jusques au plus profond de son néant. Mais à mesure qu'il s'abaisse. Dieu l'exalte et crie tout haut qu'il est Prophète et plus que Prophète*; il l'ap- pelle encores Ange, disant : Voicy que f envoyé mon Ange, et i celuy préparera ta voye *.  XXXIX. Pour le m* Dimanche de l'Avemt 41 i Certes, c'est de tout temps que la divine Sapience a regardé les humbles de bon œil *, qu'elle a humilié ceux * P^lmi cxn, 6, qui s'exaltent et rehaussé ceux qui s'humilient. C'est ce que vostre glorieuse Mai stresse nostre Dame et iMere a chante en son divin cantique * : Deposuii, etc. Ceux * Luc*, 1, sa. qui s*exaltent seront humiliés ;ce^)^ "ni veulent mettre leur siège sur les nuées seront rab. , et les pauvres qui s'abaissent et humilient seront exaltés •. Il y a des • l Rcg., n, 7, S; I . ., «1 t 11 . Mjtt., XXIII, 13, La- personnes si pleines d orgueil qu elles ne peuvent s assu- cx.xiv.h.xyui.h. jettir à aucun, ni souffrir qu'on die ce qu'elles sont. Elles veulent .se préférer à tous, s'estiment plus doctes, plus sçavantes que nul autre et leur semble qu'elles n'ont j)oint besoin dt» maistre ; cependant telles gens sont pour l'ordinaire grandement ignorans, mais on ne leur oseroit dire, car ils présument d'eux mesmes à merveille. Oh I Dieu les humilie, il les laisse, et regarde les pauvres humbles qui sont sur la plate terre, les4|uels n'ont point de siège sinon la bassesse^. Ccux-cy ne se faschent pas • Ps. cxn, 6. 7 ; lo- si on leur dit qu'ils sont iraprudens, qu'ils n'ont point ^» '•<*»*•• d'esprit ni de jugement, ains ils s'abaissent, et Dieu les exalte et relevé, leur donnant son Ksprit par lequel ils opèrent de grandes choses. En somme, .saint Jean est proposé par Nostre Seigneur à toutes sortes de personnrs |x)ur entre imité. Il ne doit pas seulement estre r< . des prélats et prédicateurs, mais encore» des Religieux et Religieuses qui doivent considérer son humilité et mortification pour estre, à son exemple, des voix les uns parmi les autres, criant cjue l'on prépare les voyes et que l'on applanisse le chemin lu Seif^neur, à ce que, le recevant en cette vie, nous jouissions de luy en l'autre, où nous conduisent le Terc et le Eils et le Saint Esprit. Amen.  XL SER^rON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE DE L' A VENT 20 décembre 1620  Fjcfiim est vcrhnm Domini super Joan- nem Zachariœ filium in deserfo, et venit in omneni regionem Jordanis, prœdicans haptismum pœnitentiœ in remissioneni peccatornrn , La parole de Dieu est tombée sur Jean fils de Zacharie au désert^ et il vint par toutes les contrées d'alentour le Jourdain, preschant le haptesme de la pénitence en la remission des péchés . Luc^, m, 2, 3. Le glorieux saint Jean, ainsy que je vous le monstray Dimanche , donna suffisamment et excellemment des preuves et tesmoignages de son humilité lors qu'il fut enquis s'il estoit le Christ, Elle ou Prophète; car sça- •Deut.,xvi!i, 15,18. chant que Moyse* parlant de la venue de Nostre Seigneur dit qu'il devoit venir un grand Prophète, et voyant que les Juifs croyoient que ce fust luy qui estoit promis, il advoua franchement : Non sum, je ne le suis pas. Humilité grande, à la vérité, qui ne peut mieux estre •Cap. I, if;-23. exprimée que par ces paroles de saint Jean l'Evangeliste*: // confessa et ne nia point qu'il n'estoit pas le Christ. Mais comme ceux qui estoyent venus à luy le pressoyent de dire qui il estoit à fin de le faire sçavoir à ceux qui les avoyent envoyés, il respondit : Je suis la voix de celiiy qui crie au désert : Applanisse^ le chemin du Sei- gneur. Comme s'il disoit : Vous voulez sçavoir qui je suis? Je ne suis que la voix de celuy qui crie au désert ^ c'est à  XL. Pour le iv* Dimanche de lAvent 4)3 dire, je ne suis pas celuy qui crie, mais seulement la voix de celuy qui crie. Ce n*estoit pas saint Jean qui crioit, mais Nostre Seij^neur par la bouche de saint Jean. C'est ce que disoit le ^rand Apostre saint Paul aux Corin- thiens*. Pensez-vous, leur escrivoit-il, nue ce soit moy ' U Ep., v, »o; cf. ... ,1 ThcM., u, ij. qui vous parle ? Oh non. mais c'est Dieu qui vous parle par ma bouche. Xe recevez point mes paroles comme paroles d'homme, mais comme paroles de Dieu, car je vous dis en vérité que ce n*est point moy qui enseigne, ains Dieu par moy. Or. saint Jean estoit sur le fleuve Jourdain, qui est à l'entrée du désert, criant et preschant la pénitence * ; * Loc», m, >. et le monde accouroit de toutes parts pour l'escouter et estre baptizé de luy. IJi donc il crioit : Faites pénitence, prépare^ les voyes et les sentiers, car le .Seigneur est proche •. .Mais parce que je crie et presche en ce désert, •MâU..in.i-),s6; vous voulez .sçavoir qui je suis : je vous proteste queyV ne suis que la voix de Celuy qui crie. Comme s*il di.soit : Ce n'est pas moy qui crie en ce de.sert : Faites pénitence, ains c'est Dieu qui le vous dit par moy, et je ne suis que la voix, la trompette par laquelle il vous donne à entendre comment vous vous devez préparer à faire pénitence et vous disposer à sa venue. Voyla ce que je suis ; vous devez donc escouter mes paroles non comme miennes mais comme de Dieu qui vous parle par ma l)ouche. car yV suis la voix de Celuy qtn crî,^ au dt^^crt. l'.t c'est là où nous en dcmcurasmes. Videraprs.p iio. ^ .nt Jean estoit yî/5 de Zacharie, et la parole de Dieu estoit tombée^ sur luy non seulement \ fin qu'il * Loc«. m. a. la gardast pour soy, ains aussi pour la communii^uer aux autres. I^ divine parole tombe dans un cœur en deux façons : la première, c'est quand Nostre Seigneur luy parle pour l'instruire et luy v ler ce qui est de ses vn' • et l)on playsir, luy lai^aiit connoistre ce qu'il doii ..».,*• pour sa conduite et ce qui le concerne en par- ticulier. La ser.m.!.* est quand elle toml>e sur le cœur non pour soy v< «'nt, mais aussi à fin de la porter et communiquer aux autres pour leur faire sçavoir ce qui est de la divine volonté. laM. ni ••  434 Sermons recueillis Nostre texte donques : La parole du Seigneur est tombée sur le fils de Zacharie, se doit entendre en ces deux façons. Premièrement, saint Jean a esté choisi et esleu de Dieu pour sa voix, son avant coureur. Et notez icy (je le diray en passant), que personne ne peut estre receu en dignité et prelature si la sacrée parole ne tombe sur luy, c'est à sçavoir s'il n'est choisi et esleu de Dieu. Or ce choix ou eslection est commun et ordinaire, et l'on ne doit point désirer ni rechercher des vocations parti- culières et extraordinaires, car telles vocations sont dan- gereuses et suspectes quand elles ne sont pas approuvées ni autorisées par les pasteurs et maistres de la vie spiri- 'a.iesControver- tuclle *. Ouant à saint Jean, il fut choisi et esleu de Dieu, 5^5. Partie I. CI, art. ~' m; Tr. di VAm. de et luv mesme approuva sa vocation et manière de proce- • Luc'se,' I, i7',*76."'' der. Il l'envoya devant luy * et il le suivit, preschant ce •Matt.,ni,2,iv,i7. ç^\\ avoit presché *. Secondement, cette parole signifie que le Seigneur luy donna un office auquel il devoit travailler pour les autres en leur annonçant la pénitence. Nous sommes enseignés par là que lors que Dieu départ quelque charge à ceux qu'il a choisis pour son service, comme sont les prédicateurs, ils doivent soigneusement s'appliquer à leur devoir et communiquer aux autres ce qu'ils ont receu et ce que Dieu leur a donné pour ce sujet. C'est en ce sens que se doivent entendre ces mots de l'Evangile : La parole du Seigneur est tonabée sur Jean^ fils de Zacharie, lequel fut choisi par la divine Sapience pour estre le Précurseur de nostre divin Sauveur. Il devoit annoncer sa parole, prescher la pénitence et faire les autres fonctions de sa charofe. Mais comme il estoit obligé de crier que l'on preparast les voyes, que l'on applanist les sentiers et les chemins du Seigneur, le peuple auquel il s'addressoit estoit de mesme obligé de l'ouyr, de recevoir le baptesme qu'il luy presentoit et de faire ce qu'il luy disoit ; car si le prédi- cateur a le devoir de vous prescher, vous avez aussi celuy de l'escouter et de bien recevoir ce qu'il vous annonce de la part de Dieu. Je viens icy pour vous prescher, mais si je suis obligé de vous apporter la divine parole,  XL. PoiR iF IV* Dimanche de l'Avent 435 vous Testes par conséquent de Tescouter, et non seule- ment cela, ains encores de bien entendre et prattiquer ce que Ton vous enseif^ne. Et pour ce faire, il est néces- saire de bien maschcr et di^^erer ce que l'on a ouy et recueilli, et tascher d'en faire une bonne digestion *. Car •ViJe»aprj,p.)6i. qu'eust-il servi aux Israélites que Dieu leur eust envoyé la manne au désert pour leur nourriture, s'ils ne l'eus- sent point voulu recueillir et ramasser? Et que leur eust-il profité de la recueillir s'ils ne l'eussent point voulu manger pour s'en substanter? Certes, quand la divine Providence fit tomber la manne du ciel elle obligea les enfans d'Israël à se lever le matin pour l'aller recueillir avant que le soleil parust * ; et non seulement cela, mais • i x-i., xn, ai ; encores de la manger et avaler pour en estre nourris et ''''**'• ' • substantés. De mesme, ceux qui escoutent la parollc de Dieu sont tenus à la prattiquer pour en profiter. Il y a deux causes pour lesquelles on n'en profite pas. La première est que si bien on l'escoute et on en est intérieurement touché, Ton en diffère l'exécution jusques au lendemain. Hé, pauvres gens que nous sommes, ne voyons-nous pas bien que ces remises sont la cause do nostre mort et de nostre ruine, et que nostre bien con- siste en ce jourd'huy? I^i vie de l'homme est cejourd'huy auquel il vit ; car qui se peut promettre qu'il vivra ju.s- (jues au lendemain*? O certes, personne quel qu'il soit. * }*cohi .v , ,1 Xostre vie consiste en ce jourd'huy, en ce moment que nous vivons, et nous ne nous en pouvons promettre ni a^seurer d'autre que celuy dont nous jouissons, pour brief qu'il puisse estre. Donques. si cela est, comment osons-nous remettre l'exécution et la prattique de ce que nous avons ouy qui doit ser>'ir à nostre conversion, puis(jue de ce moment autjuel nous entendons ce cjui est propre à nostre amendement <î î toute nostre vie? V'oyla la première rayson pour !.. ^ <• nous ne profitons pas des choses qui nous sont dites et enseignées. La seconde est une avarice spirituelle qui fait que l'on recherche et procure de sçavoir beaucoup, qu'on est soi- gneux de faire un grand amas de choses de dévotion. Vous trouverez «les personnes qui ne seront jamais lasses  436 Sermons recueillis de ramasser et recueillir des documens et instructions nouvelles, tant d'advis, tant d'enseignemens, et nean- • Cf. Entretien VII. moins n'en font pas une seule prattique *. Et qu'est-ce "■"^^^ '"^ ■ cela sinon une avarice spirituelle, qui est un vice assez grand en la vie dévote ? Vous en trouverez d'autres qui ne sont jamais assouvis d'entendre ou de voir de nouvelles choses ; ils assemblent quantité de livres et font des bibliothèques à merveille, ils sont tousjours à faire des remarques. Hé, pauvres gens, que voulez-vous faire de tout cela ? Oh, nous voulons user de prevo3^ance, nous le trouverons à nostre besoin ; quand nous serons vieux nous nous en sçaurons bien servir. O Dieu, ne sçavez-vous pas que Nostre Seigneur voulant esloigner l'avarice et toute sollicitude du cœur de ses disciples, leur commanda de vivre au jour la journée et de n'avoir point souci du ' Matt., VI, uit. Ie7idemain * ? Certes, entre les ordonnances que Dieu fit aux enfans d'Israël il leur enjoignit de ne recueillir qu'une mesure • Exod., XVI, 16. de manne *, à sçavoir ce qui estoit suffisant pour la pré- bende et portion d'un chacun. Mais outre cela, il com- manda qu'aucun n'en gardast pour le lendemain et que pas un n'en recueillist plus qu'il n'estoit marqué à dessein d'en faire provision, car il s'y engendreroit des vers et • Ibid., ^y. 19, 20. elle tourneroit à corruption *. Vivez au jour la journée, mangez ce que l'on vous donne et vous en nourrissez bien par les prattiques que vous en ferez, et laissez le soin du reste à la divine Providence, car elle vous pour- voira assez selon vostre besoin ; usez bien seulement de ce qui vous est donné et soyez libres de tout autre souci. Il est vray que dans les viandes qui sont gardées il s'y engendre des vers, et pour moy je crois que les vers qui •I$.,olt.,54;Marc., rongent les consciences des damnés* ne sont point les rnoindres, ains les plus grandes peines qu'ils souffrent. Et quels .sont ces vers sinon les vifs et puissans remords de conscience qui piqueront et rongeront l'ame au sou- venir et à la veùe de tant de moyens et d'occasions qu'on a eus de servir Dieu? Quels remords de conscience aura-t-on à l'heure de la mort, voyant le nombre de documens, advis et instructions qui nous ont esté donnés  XL. Pour le iv« Dimanche de l'Avemt 437 pour nostre perfection! Ce seront les plus grandes douleurs que l'on ressentira que celles cy. Voyla comme l'avarice spirituelle est la seconde rayson qui nous empesche de profiter de la parole de Dieu ; cela soit dit seulement pour introduction à mon discours. Revenons à nostre Evangile*. Je vous l'expliqueray le plus familièrement • Loc», m, i-^. qu'il me sera possible; mais pour ce faire il faut que briefvement je vous en rapporte l'histoire. Du temps que Ttbere César estait hmpereur, quHeroJe estait ray de la Galilée, que Pance Pilate présidait en Hierusalem, qu'Anne et Caiphe estoyent princes des prestres et siegeayent dans la chaire de Mayse^, Dieu envoya son Prophète lequel fut sa voix * Matt, kxni, 1. qui crioit au désert : Applanisse^ le chemin du Sei- gneur, faites pénitence, carie salut est prache. Nous prendrons pour l'explication de ces paroles celles qu'Isaîe dit aux Israélites au quaranticsme chapitre de ses pro- phéties •, lesquelles sont les plus douces et aggreables (jui * v.,>. » |. .se puissent entendre. C'est une chose merveilleusement suave que de lire les escrits de ce saint Prophète; ses paroles sont toutes emmiellées et fluides, et accompagnées d'une science incomparable; dès son premier chapitre on descouvre un style admirable, et certes, c'est un fleuve et torrent d'éloquence. Ia>rs donc que le peuple d'israél fut mené en servitude par les (ientils et envoyé prisonnier parmi les Persans et Medes. le lx)n Cyrus, après une longue captivité, se résolut de le retirer de cette servitude et le ramener en la terre de promission. Ce que voyant par avance, le Propliete Isaîe, avec une divine poésie, entonna ces belles parole?i : Consolamini, consolamini. O peuple d'israél, console\'VOUS, mais je vous dis encor une fois que vous vous consolie\, et d'une consolation qui ne sera point vaine ni inutile, sur ces paroles que je vous fais enten- dre : Parce que sa malice et meschanceté est arrivée à son comble, ses iniquités luy seront pardonnées. Ht pour cela, disoit ce grand Prophète, applanis.se/ vos voycH, redresse^ vos chemin< '» f>n (|ue Cyrus ramenant le peuple en la terre de pmi u nv trouve point d«  438 Sermons recueillis tortuosités. Il y a un g-rand nombre d'interprétations sur ce texte : Parce qu'ils sont venus au comble de leur meschanceté, leurs iniquités leur seront pardonnées. Que veut-il signifier ? pourquoy le Prophète dit-il que Dieu pardonnera au peuple d'Israël pour ce qu'ils sont venus au comble de leur malice ? Les anciens Pères enseignent que ces parolles se • Vide Foreirium, doivent entendre en cette sorte * : Lors qu'ils sont au c"mmenr,*et Cor- P^^s fort de Icurs travaux et afflictions, qu'ils sentent le nehum, Comni. in p|^g |g f^-^ ^^ Icurs iniquités en cet esclavasfe et servi- Isaiam, aJ locum. ^ t. & tude, après les avoir punis de leur meschanceté par ce fléau de tribulations, je les ay regardés et en ay eu compassion ; et au comble de leur malice, c'est à sçavoir au plus mauvais de leurs journées, je me suis contenté de ce qu'ils ont souffert pour leurs péchés, et à cause de cela leurs iniquités leur seront pardonnées. Jacob se plaignant disoit : Mes jours sont courts, mais • Gen., xLvii, 9. ils sout mauvais'^. Que veut-il entendre par ces paroles sinon : Mes jours, c'est à dire ces jours que je vis, sont courts, car ils ne font que passer ; ils ne sont rien •job.viM, 9. XIV, 2; qu'z/w^ ombre'^\ c'en est aussi tost fait; mais ils sont PSS. Cl, 12, CXLIII, J. . ,.- . , . . , ^ mauvais parce qu ils sont charges et suivis de tant de travaux que cette vie présente apporte avec soy, qu'en- cores qu'ils soyent courts ils ne laissent d'estre pleins de malice. Il parloit ainsy à cause des grans travaux et tribulations qu'il souffroit. Une autre façon d'entendre ces paroles : Parce que leur malice est venue à son comble leurs iniquités leur seront pardonnées, est celle-cy : Lors qu'ils sont venus au comble, au mid}^ au plus haut point de leur meschanceté et ingratitude , lors qu'il semble qu'ils n'ayent aucune souvenance de leur Dieu ni plus de mémoire de ses bienfaits, leurs iniquités leur seront pardonnées ; c'est à dire, en ce temps là auquel ils meri- teroyent d'estre précipités. Dieu leur pardonnera et ne se souviendra plus de leur meschanceté. Certes, quand la divine Providence a voulu monstrer aux hommes com- bien estoit grande sa miséricorde, c'a esté par des esclats admirables; et lors qu'on ne pouvoit espérer sinon de  XL. Pour le iv« Dimanche de l'Avent 419 sentir la fureur de son courroux et la terreur de sa justice, alors, dis-je, qu'il n*y avoit aucune disposition de la part des hommes ni aucun motif pour esmouvoir le Seigneur et l'attirer à faire miséricorde, c'est en ce temps-là qu'il en a fait voir des effects admirables. A la vérité, ce sont de grans effects de la bonté de Dieu de départir ses grâces à ses créatures, de leur pardonner continuellement les fautes qui journellement sont commises contre luy, et de recompenser de si petits services par de si grandes faveurs ; de sorte que celuy qui correspond à la première grâce se dispose à recevoir la seconde, et correspondant à la seconde il se prépare à obtenir la troisiesmc, puis de la troisiesme à une qua- triesme, et ainsy consécutivement, selon le dire de la théologie scholastique, qui est très véritable. Car les théologiens enseignent que Dieu ne manque jamais de son costé*; que si l'ame est fidelle à correspondre aux 'Cï.Tr j«rAm.J* ,, ,. . I , Dtem, l. IV, c. r. premières grâces elle se dispose a recevoir les secondes, troisiesmes et quatriesmes, et par cette correspondance elle se rendra digne de participer à de grans biens et d'obtenir de signalées faveurs. C'est pour cela qu'en tant et tant d'endroits de la Sainte Kscriture Dieu nous recommande la fidélité à suivre les bons mouvemens, lumières et inspirations ; en quoy certes reluit la gran- deur de sa miséricorde. Mais quand, outre ce que dessus, sa Providence a voulu faire des esclats i)lus grans de cette miséricorde, c'a esté une chose admirable, car il n'a voulu qu'aucun motif l'induisist »i ce faire ; ains, sans estre poussé d'autre cause (jue de sa seule l>onté, il s'est communiqué en une fa«;on du tout merveilleuse. I-ors qu'il vint en ce monde c'estoit au temps où les hommes estoyent au plus fort de leur malice, lors que les Juifs vivoyent sans roy et que les loi» estoyent entre les mains d'Anne et Caiphe, hommes mcsrhans, lorsque Herode regnoit et que Ponce Pilate presidoit ; ils n'avoyent point de prestrcs •, du moins * Cl Matt, a, )i. ceux qu'ils avoyent ne valoyent rien, c'entoyent dr mau- vaise!» gens que tous ces misérables l.'i. Hn somme, le monde estoit arrivé au f>^"^ httut point Je sa malt\f:  440 Sermons recueillis et ce fut alors que Dieu vint pour le racheter et nous délivrer de la tyrannie du péché et servitude de nostre ennem3% sans estre esmeu à ce faire que par son immense bonté qui le porta à se communiquer en cette sorte. Certes , les entrailles de nostre cher Sauveur et Maistre estoyent toutes remplies de miséricorde et de • LucT, 1, 7S. douceur pour le genre humain * ; il en donna à ce coup de suffisantes preuves et tesmoignages, comme il fit en diverses autres occasions où sa clémence parut tousjours en son esclat et grandeur. Quand est-ce qu'il pardonna à saint Paul ? Lors qu'il estoit au comble de sa malice, ses iniquités luy furent par données ; car chacun sçait qu'au temps de sa conversion cet Apostre estoit en sa plus grande haine et furie contre Jésus Christ, si que, ne pouvant assouvir sa rage contre luy, il tournoit son courroux sur l'Eglise, mais avec une telle fureur qu'il en escumoit comme un fol et forcené lequel est hors de •Act., vm,3,ix, i; soy mesme *. Ce fut alors que Nostre Seigneur contre- pointa sameschanceté et ingratitude par unedebonnaireté et miséricorde infinie, le touchant et luy pardonnant toutes ses iniquités au temps mesnie où il l'avoit le plus •Act., IX, 3-7 ; I démérité*. O Dieu, combien furent sfrandes les richesses Cor., XV, 9- j de vostre bonté à l'endroit de cet Apostre ! Néanmoins nous en voyons tous les jours de sembla- bles eflfects. Lors que les pécheurs sont le plus endurcis en leurs péchés, qu'ils sont venus à un tel point qu'ils vivent comme s'il n'y avoit pas de Dieu, de Paradis ni d'enfer, c'est alors que le Seigneur leur descouvre les entrailles de sa pitié et douce miséricorde. Je ne lis jamais la conversion de David sans tremblement et sans admiration, en voyant qu'il a commis de si grans péchés et qu'il est demeuré un an tout entier en iceux sans les connoistre, dormant d'un sommeil léthargique, sans se •iIReg.,xi,xn,i-i4. resveillcr ni s'appercevoir de son crime *. Ilelas, son Cf. toro. praeced. , , haju»Edit.,pp 346, pcche eust esté en quelque façon excusable s'il l'eust ^^^' commis en gardant ses brebis, quand il estoit berger ; mais que David aye tant offensé Dieu après en avoir receu des grâces si singulières, après tant de clartés, de lumières et de faveurs, luy qui estoit selon le cœur de  XL. PoUK LE iv« Dimanche de l'Avent 441 Dieu *, par lequel il avoit fait tant de merveilles et pro- ' I R«^g , «"«. 14. di^es, luy qui avoit tousjours esté nourri dans le sein de la douce clémence et miséricorde divine, soit venu jusques là que de commettre de si grans forfaits et qu'il soit demeuré un an entier sans en avoir la connoissance, o certes, c'est une chose qui estonne grandement. 11 commença par l'adultère, mais c'estoit encores peu pour luy. C'est chose admirable cjue l'esprit humain ne veuille point qu'on voye ses fautes, en sorte que quand il en a fait il les pense couvrir en commettant de plus griL'fves. David s'essaya de faire enivrer le bon Urie, et en cette faute il y avoit encores plus de malice que dans la première. Mais n'ayant pas bien réussi en son des- sein, car Urie estoit un honneste homme, brave cavalier qui ne pouvoit estre surpris en un tel vice, il s'avisa et résolut, pour cacher cette faute, d'en commettre une troisiesme plus griefve que les deux premières, c'est à dire de le faire perdre. David en donna charge à son lieutenant, luy commandant d'exjioser Urie aux ennemis et de l'abandonner. osiiion a la gr Cependant la divine Hrt bu»?» •%  j^2 Sermons recueillis sçavoit leur imposer le chastiment condigne à leur démé- rite. Néanmoins Dieu ne le quitta point en ce temps là, mais par le moyen du Prophète Nathan luy fit confesser son crime. Quel plus grand esclat voudriez-vous de la divine miséricorde? car alors que David estoit au comble de sa 7nalice, Dieu luy pardonna ses iniquités. Mais quel changement, quelle métamorphose fut cette conversion, car ce grand Roy reconnoissant sa faute, ne fit que gémir et déplorer son aveuglement ; l'on n'entendoit sortir de sa bouche que des peccavi, et criant miséricorde au •Pss.L,i,Lv, i.etc. Seigneur il alloit tousjours disant : Miserere mei, Deus"^. Il y a cent autres semblables exemples dans la Sainte Escriture, c'est à dire un grand nombre à qui Dieu a fait la mesme miséricorde. Vo3da donc comme nous devons entendre les paroUes d'Isaïe. Quant à ce qu'il adjouste : Prépare^ les voyes, appla- nisse\ les chemins, bien que ces paroUes ayent esté prononcées au sujet du grand Cyrus qui devoit ramener les Israélites de la captivité en la terre de promission, si est-ce que le principal but du Prophète estoit de parler de l'avènement de Nostre Seigneur. Saint Jean donques preschant la pénitence et annonçant au peuple que le Sauveur estoit proche, se sert de ces parolles mesmes du Prophète : Je suis, dit-il, la voix de celuy qui crie au désert : Applanisse^ le chemin du Sei- • Philip., uit., v gneur. Puisque le Seigneur est proche"^ que faut-il faire pour se préparer à cet avènement ? Saint Jean le nous enseigne en ses prédications, disant : Faites péni- tence, car le Seigneur est proche. Certes, il est vray que la meilleure disposition pour l'avènement du Sau- veur c'est de faire pénitence ; il faut tous passer par là, et comme nous sommes tous pécheurs, aussi avons-nous tous besoin de cette pénitence. Mais cela est trop gênerai, il nous faut toucher quelques particularités d'icelle. Saint Jean nous en marque en nostre Evangile. Appla- nisse:^, dit-il, le chemin du Seigneur, remplissez les vallées, abaissez les monts et les collines, d'autant qu'ils font bien de la peine aux voyageurs, ainsy que les fossés et vallées. Dresse^ les sentiers qui ne sont pas droits ; en  XL. Pour le iv* Dimasche de l'Avest 441 efFect, quand on en trouve plusieurs qui s'entortillent l'un dans l'autre ils fatij^uent et lassent grandement le pèlerin. Il en prend tout de mesme en l'exercice de nostre vie, où il y a tant de monts, de vallées et de tortuosités ; tout cela ne peut estre redressé que par la pénitence. C'est elle qui remplit les vallées, qui rabaisse les monts, qui dresse et esgale les chemins. Faites pénitence, dit saint Jean ; abaissez ces monts d'orgueil, remplissez ces vallées, ces fossés de tiédeur et pusillanimité. Les vallées que le glorieux saint Jean veut que Ton remplisse ne sont autres que la crainte, laquelle, quand elle est trop grande, nous porte au descouragcment par les regards sur les péchés commis. Remplissez les vallées, c'est à svavoir, remplissez vos cœurs de confiance et d'esperanee parce que le salut est ùroche *. Le regard • Luc», «xi. »3 ; r r . Roro.. «III, II. sur les grandes fautes commises apporte quant et soy une certaine horreur et estonnement, une certaine crainte et frayeur qui abat le cœur et le porte souvent au descou- ragemcnt. Voyla les fossés et vallées qu'il faut combler pour l'avènement de Nostre Seigneur. \jà bonne sainte Thaïs (il faut que je vous tiie cccy parce que je viens de m'en souvenir et qu'il fait à mon propos), s'addressant un jour à saint Paphnucc luy dit : (» Hé, mon Père, que dois-je faire ? le souvenir de ma misérable vie m'espouvante. C'estoit une grande péche- resse, elle estoit pleine de crainte à cause des péchés qu'elle avoit commis. Ce bon Saint luy respondit : Garde toy bien de lever les yeux pour regarder le Ciel, toy qui tant et tant de fois t'en es servie pour jetter des regards dangereux, pour muguetter et jKîur telles autres choses ; ne levé point ces mains par lesonté de Dieu. Crains, mais rsnnrr; crains, de peur que tu ne deviennes superl>e et or^ use, mais espère, de peur que tu ne tombes au dcscouragemcnl et desespoir*. I-a crainte et l'espérance • Vit^ Piiru». 1. 1, '^ * ' . Vil* s. Thjmt. ne doivent p<^int estro l'une sans l'autre, d'autant que si 1 1 ) L«« dix ligAM Mlvial«« Mal oaiU«« dau U% éditloot •iitirt««r««.  ^^^ Sermons recueillis la crainte n'est accompagnée d'espérance elle n'est pas crainte ains desespoir, et l'espérance sans la crainte est présomption. Il faut donques remplir ces vallées creusées par les fra3'eurs provenantes de la connoissance des grosses imperfections et des péchés commis ; il faut, dis-je, les remplir par la confiance meslée avec la crainte de Dieu. Abaissez, dit le glorieux saint Jean, les montagnes et collines. Quels sont ces monts sinon la présomption et l'orgueil, qui sont un très grand empeschement pour l'avènement de Nostre Seigneur ; car il a coustume • Matt., xxni, 12; d'humilier et rabaisser les superbes* et de pénétrer le ' ' ' ' '^' fond du cœur pour descouvrir l'orgueil qui y est caché. Ce n'est rien devant luy de dire : Je suis Evesque, prestre, Religieux ou Religieuse. Cela est bon ; mais si vous estes Evesque, comme vous comportez-vous en cette charge ? quelle est vostre vie , et vos mœurs sont-elles bien conformes à vostre vocation ? N'estes-vous point plein de superbe et de présomption, comme ce pharisien duquel •Lucae.xvm, ;o-i^. il est parlé en l'Evangile*, ou bien ressemblez- vous au publicain ? Le pharisien estoit une montagne d'orgueil, il avoit c[uelques vertus apparentes dont il se vantoit et glorifioit. Il disoit asseurement : Seigneur, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes : je paye les dism.es, je jeusne tant de fois la semaine, et autres choses semblables qu'il alleguoit. Mais Dieu voyant son orgueil le rejetta. Et ce pauvre publicain, qui devant le monde estoit une montagne haute et raboteuse, fut rabaissé et applani devant la divine Majesté lors qu'il vint au Temple ; car n'osant lever les yeux pour regarder le ciel à cause des grans péchés qu'il avoit commis, il se tenoit à la porte avec un cœur contrit et humilié ; partant il fut digne de trouver grâce devant Dieu. J'aurois encores à dire plusieurs choses sur ce sujet, mais je me contenteray de ce que je vous en ay touché, qui suffira pour ce coup. Applanisse^ les chemins, adjouste le glorieux saint Jean ; c'est à dire, redressez ceux qui sont tortus, rendez- les droits et esgaux. Les chemins trop entortillés ne sont  XL. POI-R IF iV* DlM^VrifP DP l'AvFsr 4JÇ propres qu'à lasser et tourvoyer ceux qui voyagent ; ù les faut donques redresser et esg^aliser pour la venue de Nostre Seigneur. Il faut redresser tant d'intentions sinistres et oblirjues, pour n'en avoir qu'une, celle de plaire à Dieu en faisant pénitence ; ce doit estre le but auquel nous devons viser. Tout ainsy que le marinier, quand il conduit sa nacelle a tousjours l'œil sur l'aiguille marine, et que ceux qui condui«ient ces petite* barques tiennent tousjours le timon, de mesme devons-nous avoir sans cesse l'œil ouvert pour embrasser les actes de la pénitence et pour nous y exercer. Mais il se trouve des personnes les<^|uelles ne veulent point regarder la péni- tence jusqu'à ce qu'elles n'en puissent plus. Oh, disent elles. Dieu est si bon et miséricordieux, nous nous arrangerons bien avec luy ; donnons-nous seulement du bon temps, puis à l'heure de la mort nous dirons un bon peccavi^ ei Dieu nous pardonnera. Qu'est-ce que cela MI Rcf.,«ii, ij. sinon une grande présomption de la part de ces âmes qui prennent occasion de la bonté divine pour croupir dans leurs péchés ? Hé ! ne sçavent-elles pas qu'encores que Dieu soit infiniment miséricordieux, aussi est-il infiniment juste, et (|ue quand sa miséricorde est irritée elle provo » ;  Nous faisons aujounl'huy la feste de l'altente de l'en- fantement de la glorieuse Vierge, c'est à dire nous attendons la venue et naissance de nostre cher Sauveur et Maistre. Or. mon dessein est de vous faire un petit catéchisme auquel je vous veux parler de l'Incarnation, car cecy n'est pas une prédication ni une exhortation. Tous sont obligés, selon saint Thomas*, d'entendre les 'n'ii-.qo.u.Mt. mystères do la foy et de sçavoir ce qu ils doivent croire; non pas comme les théologiens pour en disputer, o non. je ne dis pas cela, mais en la façon qui convient aux simples fidèles. Plusieurs s'efforcent de les preschcr et bien faire saisir, mais il y en a peu qui les croyent et les entendent bien. De là vient que lors qu'on considère ces mystères l'on fait souvent des erreurs ; car, comme pouvons-nous méditer ce que nous ne connoissons pas ? C'est pour cela qu'en ces maysons l'on enseigne le caté- chisme aux novices*, k ce qu'elles sçachent ce qu'elles *cr r.:»tmmur ,t tloivent croire et comme elles doivent entendre ce qu elles Ht ^_-, 40 u méditent. Je ne parleray pas doctement en ce lieu du *^'"*'-. «rt. ▼•• «^m. mystère de l'Incarnation, ains tout simplement à fin tjue l'on me puisse facilement comprendre. Pour ce faire, je diviscray mon discours en trois points : au premier nous verrons qui a fait le mystère de l'Incarnation ; au second,  ( I ) D'jprèt 1j réJaclion, ce « riod« d« U vie ce n'est pas à dire pour cela que le Fils et le Saint Esprit ne soyent aussi bien créateurs (juc le Père, puiscju'ils n'ont tous trois qu'une mesme puissance avec laquelle ils ont fait et créé toutes choses. Donques, ce n'est point le Père seul ni le Saint Esprit tout seul qui a fait l'œuvre de l'Incarnation, ains c'est le Père, le Fils et le Saint Esprit, mais le Fils demeure incarné. Or, quand on vous demandera qui a fait ce grand mystère, vous respondrez que c'est la très sainte Trinité, mais qu'il n'y a que la seconde Personne qui ayt pris nostre humanité. 1^ second point est : Qu'est-ce que l'Incarnation ? Ce n'est autre chose que l'union hyi»'»^t iti<|ur »!•• la nature hum:iinc zivvr In divine, union si , qu'il y .1 .ce petit Enfant qui va naistre, elles ne font qu'une personne. Or, nous voyons en luy trois suj^st^c ' l'amc ; mais nous ferons mieux entendre cecy par des similitudes. I^ manne estoit une figure de l'Incarnation du Verbe. Je sçay l)ien que c'estoit aussi une figure de l'Eucharistie, ainsv que le disent nos anciens Pères • ; cependant, entre 'Cfio» vîiku'j. ce mystère et celuy de l'Incarnation il n'y a que cette «tiom.v;.. différence, qu'en la Nativité l'on voit Dieu incarné en ■^* sa propre personne, et en rEucharistic nous le voyons en une forme plus couverte et en une façon plus obscure. C'est de part et d'autre le mesme Dieu homme saïa. m M  ^co Sermons recueillis qui estoit dans les entrailles de la Vierge ; de sorte que lajiianne, qui a esté figure du Sacrement de l'Eucha- ristie, le sera aussi bien du mystère de l'Incarnation. La manne donques estoit une certaine viande de laquelle le Seigneur nourrissoit les enfans d'Israël. Elle tomboit •ExcHi..xvi,i3,i4; pendant la nuit comme de petits grains de dragées*, Num., XI. 7-oint avant l'Incarnation, ains seulement elle commença d'estre à l'Incarnation, et c'est alors qu'elle fut créée. La troisiesme saveur de la manne est celle du pain. Or le pain vient de la terre, cela est tout clair et mani- feste ; car le blé que nous nommons froment croist de la terre, et c'est d'iceluy que l'on fait le pain. Ce pain nous représente la troisiesme substance de Nostre Seigneur, qui est une substance partiale laquelle sans doute est venue de la terre, puiscjue sa chair tn-^ ^ «inte fut formée du sang de Nostre Dame. I^ manne avoit donc trois gousts ; toutefois ce n'estoit qu'une .seule manne. Ainsy, combien qu'en Nostre Sei- gneur incarné il y ayt trois substances, il n'y a cependant (lu'une personne ; car la substance de l'ame et celle du corps ne font qu'une humanité, et cette nature humaine avec la divine ne font point deux personnes mais une seule qui est Dieu et homme. O admirable invention de la providence de Dieu î Cette divine Majesté voyant que la Divinité n'estoit pas conncùe des hommes voulut .s'incarner et joindre avec la nature humaine, h fin que sous ce manteau de l'humanité, la Divinité peust cstrc reconncûe. Je n'ignore pas que de tout temps l'on a sceu qu'il y avoit une Divinité, tous les anciens philosophes l'ont confessé; mais cette connoissance estoit si obscun* qu'elle ne meritoit pas d'estre appcllée de ce nom. De * plus, s'ils ont conneu Dieu ils ne l'ont pas rcconncu •, co n, 1-, »i.  4-^2  Sermons recueillis  qui toutefois estoit le plus important. Si donques Nostre Seigneur ne se fust incarné, il eust tousjours demeuré caché dans le sein de son Père éternel et partant fust resté inconneu des hommes. Certes, en cette Incarnation il a fait voir ce qui n'eust jamais peu entrer ni estre compris de l'esprit humain, c'est à dire que Dieu fust homme et que l'homme fust Dieu ; l'immortel mortel, l'impassible passible, sujet au chaud, au froid, à la faim, à la soif ; l'infini fini, l'éternel temjDorel ; en somme, l'homme divinisé et Dieu huma- nisé, en sorte que Dieu sans laisser d'estre Dieu soit homme, et l'homme sans laisser d'estre homme soit Dieu ; tellement qu'on peut dire que les Mages qui bayserent les pieds de ce petit Enfant nouveau né, bayserent les pieds de Dieu. Mais comment de Dieu ? car Dieu entant que Dieu n'a point de corps ; et s'il n'a point de corps comme est-ce que les Mages luy ont baysé les pieds ? Néanmoins il en est ainsy à cause de cette union des deux natures qui ne font qu'une personne. Ces deux natures sont tellement unies par ensemble que l'on peut prononcer sans blasphémer : Ce sang est le sang de • I Pétri, I, 19; Dieu, le sang de V Aigneau mort* pour les péchés des ' ■ hommes ; Dieu a esté flagellé, fouetté ; les mains de Dieu ont esté tendues et clouées à la croix. Or, ce n'est pas à dire que Dieu ayt souffert tout cela, ni qu'il ayt respandu du sang ou estendu ses bras en la croix ; car Dieu est impassible, il n'a point enduré ces choses entant que Dieu, d'autant qu'en la Passion la Divinité n'a point s^ouffert, la Divinité n'a point estendu ses mains en la croix, elle n'a point respandu de sang, car en Dieu il n'y a ni sang, ni bras, ni mains ; mais on parle ainsy, et avec vérité, à cause de cette estroitte union de la nature humaine avec la divine. L'homme est une créature raysonnable composée d'ame et de corps. Il est donques vray que je suis une créature raysonnable, et si je le niois je mentirois. Par le corps je suis un animal, mais ayant une ame toute spirituelle unie au corps, je suis un animal raysonnable. Vous verrez une personne qui a mal à la jambe ; si vous regardez  XLI. Pour la veille de Noël 4^i seulement Tame de cette personne, vous direz promptc- ment : Comme est-ce que cette créature qui est spirituelle peut dire qu'elle a mal à la jambe ? car Tame n'a point de jambes, et c'est l'ame qui fait l'homme. Comment cet homme peut-il dire qu'il estend le bras ou qu'il a mal au bras, veu qu'il n'a ni bras ni jambes, l'ame estant una-iulibi '' Au contraire, si voyant l'homme qui parle et qui discourt, vous le regardez en tant que corporel et non spirituel, vous vous estonnerez, veu qu'il n'appartient qu'à une substance spirituelle de pouvoir discourir et comprendre. Or voyez-vous, si cet homme qui plaint le bras ou qui discourt n'estoit com- posé que de corps ou d'ame seulement, il ne discourroit pas ni ne plaindroit pas, mais à cause de cette estroitte union entre la nature du corps et celle de l'ame, lesquelles ('stans deux ne font toutefois qu'une personne, l'on dit avec vérité que cet homme, ou autrement cet animal raysonnable, a mal à la jambe, qu'il parle et discourt, meslant tellement ces deux natures qu'on parle des deux comme s'il n'y en avoit qu'une. Ainsy, à cause de cette si estroitte union que la nature divine et la nature humaine ont ensemble, on vient a parler des deux comme s'il n'y en avoit qu'une seule, disant : PoU'rquoy no souffriray-je telle chose puisque Dieu Ta soufferte ? Vous entendrez mieux cecy par des similitudes, non point toutefois comme on entend ce qui se passe au dessous des sens, ni comme on comprend la manière de faire un ouvrage, une broderie ; mais vous en aurez suffisamment l'intellij^ence pour le croire comme vous le devez. Prenez une lame de fer et la jettez dans une fournaise bien artlente, puis prenez les pinces et la retirez de l»i ; vous verrez que cette lame <|ui na^^ueres estoit fer seulement, est à présent toute enflamm«*e, en sorte que vous ne sçauriez discerner si c'est fer ou feu, car ce fer est telle- ment enflammé cju'il paroist plustost feu que fer, tant ces deux natures se sont meslées ensemble ; si bien que vous pouvez dire que ce feu est un f« • et ce fer un fe r cn r Cependant, quoy que ce* deux natures soyent si um nmoins sans préjudice l'une do  ^^^ Sermons recueillis l'autre ; car le fer pour estre jette dans le feu ne laisse pas d'estre fer, et le feu pour estre dans le fer ne laisse pas d'estre feu. Que si vous voulez voir cecy plus clai- rement, mettez de l'eau sur ce fer chaud et vous verrez qu'il retournera en sa première forme. Il en est ainsy de la Divinité et de l'humanité. La Divi- nité c'est le brasier ardent dans lequel a esté jettée l'hu- manité, et cette humanité a esté dès lors tellement jointe avec la Divinité qu'elle a participé à la nature divine, en telle sorte que l'homme a esté fait Dieu et Dieu a esté fait homme, sans que pour cela la nature divine et la nature humaine ayent laissé d'estre ce qu'elles estoyent auparavant. Or, comme le fer que l'on tire de la fournaise ne s'appelle plus fer seulement, ains fer embrasé, et le feu, un feu enferré, aussi disons-nous qu'en l'Incarnation Dieu est humanisé et l'homme divinisé. Mais il y a une différence en cette similitude : en jettant de Teau sur le fer embrasé le feu le quitte et le laisse en sa première forme toute seule, tandis qu'en l'union de la Divinité avec l'humanité il n'en prend pas ainsy ; car despuis que la nature divine a esté jointe avec l'humaine elle ne s'en est jamais séparée par aucune eau de tribulation que l'on ayt jettée dessus, ains elles sont tousjours demeurées très estroittement unies et d'une union indissoluble et inséparable. Voyla donques comme vous pourrez enten- dre que c'est que Tlncarnation. Quand Moyse voulut retirer les Israélites de l'Egypte Dieu l'instruisit et luy ordonna tout ce qu'il falloit faire. Mais j'en ay parlé autrefois ; je prendray une autre histoire qui fait à mon propos. Gedeon estant capitaine de l'armée d'Israël et voulant sçavoir avant de livrer bataille aux Madianites s'il seroit favorisé de Dieu, il luy demanda un signe. C'est une chose admirable que de l'esprit humain ! Il dit donques au Seigneur : Je prendray une toison, c'est à sçavoir une tonsure de mouton ou de brebis, et Vestendray sur la plate terre ; si la rosée vient à tomber dessus et que le matin je trouve la toison toute trempée sans que la terre soit mouillée, je tiendray cela pour un signe très certain que vous me serez favorable et que  XLI. POL'R LA VEILLE DE NoEL 4^5 nous aurons la victoire sur nos ennemis. Il mit donques une toison sur la place, et. merveille qui monstre la bonté de Dieu, la rosée tomba du ciel en si grande abon- dance que la toison en fut trempée de toutes parts ; et néanmoins la terre qui estoit dessous demeura si sèche qu'il sembloit qu'elle eust esté battue par l'espace de plusieurs jours*. Gedeon trouvant la toison toute trempée ' Jodk., n. )6-jS. de la rosée en telle sorte que l'eau surnaj^eoit par dessus, la prit, la fit tordre pour en espuiser l'eau justju'à ce qu'elle fust toute sèche (et il en sortit une grande quan- tité), puis il ontroprit la bataille et on eut uno hourouse issue. Que représente cette toison sinon l'humanité de Xostre Seigneur, sur laquelle la rosée céleste de la Divinité est tombée en si grande abondance que l'humanité a esté divinisée ? Mais il y a une différence entre cette similitude et l'Incarnation, car on ne sçauroit jamais trouver de comparaison si ronde qu'il n'y reste quelque chose à arrondir, (iedeon voyant la toison toute détrem- pée de la rosée, et l'eau surnageant par dessus en sorte qu'elle estoit soustenue par la toison à ce qu'elle ne vinst à mouiller la terre, il la fit tordre et en sépara l'eau; mais en l'Incarnation, les deu.x natures estans une fois unies ne se sont jamais séparées. LaDivinité, qui est cette divine - i jamais quitté l;i • n de riv ité ni en la vio ni en la mort ; elle a tousjours este tivcc le corps et l'ame de Xostre Seigneur, et mesme après sa mort, bien cjue le corps et l'ame fussent séparés, la Divinité est demeurée unie avec l'un et l'autre : avec l'ame du Sauveur aux Limbes, et avec son corps sacré dans le .sépulcre. Il y a aussi cette différence : la toison soustenoit l'eau, mais ce n'est point l'humanité qui sous- tient la Divinité, ains la Divinité qui soustient l'humanité. Vous entendrez encores mieux cecy par une autre similitude. Le» poètes fabuleux disoyent pour certaine rayson que c'estoit une incivilité de parler de l'r •*. Mais certes, despuis que les Juifs la présentèrent .1 .'..--ire Seigneur lors *|u'il dit en sa Passion tju'il avoit soif*, et • îojo «t« «^ w que cette esponge cul touche les lèvres sacrées de ce  456 Sermons recueillis •Cf. Défense, etc., diviii Sauveur, elle fut canonizée *, et dès lors aussi on 1. 1, c. IV. ^,^ point fait de difficulté de la nommer dans les discours des choses saintes, et ce n'a plus esté une incivilité d'en parler mais au contraire une chose honnorable et bien- séante ; c'est pourquoy je m'en serviray pour vous faire entendre que c'est que l'Incarnation. Imaginez- vous donques une grande esponge qui auroit esté créée dans la mer et qui n'auroit jamais servi à l'usage d'aucune créature. Si vous regardez cette esponge dans cette mer vous verrez qu'en toutes ses parties il y a de l'eau : la mer est dessus et dessous et n'y a pas la moindre par- celle qui n'en soit détrempée ; néanmoins l'esponge ne perd point sa nature ni la mer la sienne. Mais remarquez cecy, que bien que la mer soit dans toutes les parties de l'esponge, celle-cy n'est point par toute l'estendue de la mer, car la mer est un grand et vaste océan qui ne peut estre compris par l'esponge. Cette similitude nous repré- sente bien l'union de la nature humaine avec la divine. L'esponge figure l'humanité sacrée de nostre Sauveur, et la mer sa Divinité, laquelle a tellement imbeu l'humanité qu'il n'y a pas une petite partie au corps ni en l'ame de Nostre Seigneur qui n'ayt esté remplie de la Divinité, sans que pour cela cette nature humaine ayt laissé d^estre ce qu'elle estoit. Mais l'humanité n'est pas par tout où la Divinité se trouve, car la Divinité est une mer infinie qui comprend et remplit tout et ne peut estre comprise de personne. Vous voyez par ces similitudes que c'est que l'Incarnation ; quand donques on vous demandera que c'est que ce mystère, vous respondrez : Cest une telle union de la nature humaine avec la divine, une telle jonction de la Divinité avec l'humanité, que par icelle l'homme est fait Dieu et Dieu est fait homme, en prenant sa nature. Le troisiesme point est celuy-cy : Pourquoy Tlncarna- tion a-t-elle esté faite ? Pour nous enseigner à vivre non plus brutalement comme l'homme avoit vescu despuis la cheute d'Adam, mais avec et selon la rayson. Nostre Seigneur vient en effect nous enseigner l'abstinence et sobriété des biens, honneurs et commodités de ce siècle,  XLI. Pour la veille de Noël 4^7 à fouler aux pieds tout cela pour embrasser le contraire. Avant l'Incarnation les hommes vivoyent ainsy que des bestes brutes *. courant après les dignités et voluptés de • P». «.mi, ij. 91. cette vie comme les chevaux, chiens et tels autres ani- maux font après ce qu'ils appetent. ( ') Voyez un cheval : quand il est altéré et qu'il trouve de quoy assouvir ou estancher sa soif il se jette à corps penlu dans l'eau , et quoy qu'on luy tire la bride il n'y a moyen de l'en empcscher, de sorte qu'il traisne son chevalier à val eau. Ainsy les hommes tjui vivent non point selon la rayson mais selon leurs appétits desordonnés, se jettent à corps perdu à la recherche de leurs satisfactions sensuelles ; mais Nostre Seigneur, voulant les en sortir, leur vient tirer la bride en s'incarnant, à fin de les retenir leur enseignant par ses œuvres à mespriser toutes choses. Il n'y a beste, pour brute qu'elle puisse estre, qui ne reconnoisse celuy qui luy fait du bien ; car le cheval reconnoist très bien l'estable où il a autrefois logé parce qu'en icelle on luy a donné de l'avoine ; le chien connoist son maistre, et de mesme tous les autres animaux ont du ressentiment cle ceux (jui leur font du bien *. • Cf i Lors donques que l'homme vivoit brutalement, Nostre Seigneur l'est venu retirer d'entre les animaux, il luy a donné des exemples d'une admirable sobriété et. pour peu de jugement et de rayson qu'on a\t eu, il n'y a personne (jui le sçachant n'en ayt esprouvé quelque sorte de ressentiment. Or, le Sauveur s'est incarné pour nous enseigner aussi la sobriété spirituelle, qui consiste en la soustraction et privation volontaire de toutes les choses délectables et aggreables qu'il pouvoit avoir et recevoir en cette vie ; car il se chargea volontairement et de son plein gré de tous les travaux et tribulations, pauvreté et mespris qui se peuvent endurer en ce monde*. Il avoit une M»., un, 4, v ame parfaitement glorieuse qui jouissoit de la claire vision «Ir î.i I)ivifiiti'v ot nf»aniû« tin*» il ti«' voulut poiot »T î). P- 4W. •< ». ». »^-«4. p. «*o.  458  Sermons recueillis  • Ps. xxxix, ; Heb., X, 5-<). • Joan., VI, 38.  • P$. cxLr\', 19.  pour cela estre exempt de douleurs. A l'instant de son Incarnation il vit et leut dans le livre de la prédestination tout ce qu'il devoit souffrir. Ce livre estoit intitulé la sainte volonté de Dieu; or, pendant toute sa vie, Nostre Seigneur ne fit autre chose que lire, prattiquer et garder tout ce qu'il y trouva escrit *, ajustant ses volontés à celles de son Père céleste, comme il le dit luy mesme * : Je suis venu non pour faire ma volonté, ains celle de Ccliiy qui m'a envoyé. O que nous serions heureux si nous lisions bien dans ce livre et que toute nostre préoccupation fust d'accom- plir la volonté de Dieu par le renoncement et entière abnégation de la nostre, n'ayant d'autre soin que de l'ajuster à la sienne! Ce seroit le moyen d'obtenir de sa Bonté tout ce que nous voudrions, car celuy qui n'a autre souci que de faire la volonté divine obtient d'elle tout ce qu'il requiert, et à mesure qu'il accomplit cette sainte volonté. Dieu fait la sienne ainsy qu'il est escrit * : Le Seigneur fait la volonté de ceux qui le craignent, comme vous avez veu qu'il fit tout ce que voulut Gedeon quand il luy demanda un signe. Nostre cher Sauveur vit donques à l'instant de son Incarnation tous les fouets et escourgées, tous les clous et ëspines, toutes les injures et blasphèmes que l'on devoit vomir contre luy, en somme tout ce qu'il devoit souffrir. Alors il estendit ses bras sacrés, et s'offrant avec une dilection nompareille à patir toutes ces choses, il les embrassa et mit sur son cœur avec tant d'amour qu'il commença dès cet instant à ressentir tous les tourmens qu'il devoit par après endurer au temps de sa Passion. Il se priva dès lors, par une entière soustraction , de toutes les consolations qu'il pou voit recevoir en cette vie, ne se reservant que celles dont il ne se pouvoit priver, faisant que la partie infé- rieure de l'ame soufifrist et fust sujette pour nostre salut et rédemption aux tristesses, peines, craintes, appréhen- sions et frayeurs ; et tout cela, non par force ni pour ne pouvoir faire autrement, mais volontiers et de son plein gré à fin de nous monstrer son amour. Certes, ce n'est pas que toutes ces souffrances fussent  XLI. Pour la veill£ de Nobl 459 nécessaires pour nous sauver, car un seul acte d'amour, un seul souspir amoureux sortant de son sacré cœur estoit d'un prix, d'une valeur et d'un mérite infinis, l'n seul de ses souspirs estoit suffisant pour racheter non un monde mais mille mondes, et mille et mille nature» humaines et anj^eliques, s'il y en eust eu autant et qu'elles eussent péché. Ht non seulement un seul de ses souspirs, une seule de ses larmes eust suffi pour les racheter telle- ment quellement, mais encor pour satisfaire à la justice divine, d'autant qu'ils procedoyent d'un amour infini et d*une per5ûiiil£Linfinie. Aussi Nostre Seigneur mérita plus en jettant un seul souspir amoureux que ne firent jamais tous les Saints et Saintes ou que tous les Ché- rubins et Séraphins ; et Dieu fut plus honnoré par un seul acte d'amour et d'adoration que la très bénite ame du Sauveur fit " tant de sa création, qu'il ne l'a esté et ne le sera jan.vu^ i-ar toutes les créatures anj^eliques et humaines. Néanmoins nostre cher Maistre ne voulut pas nous racheter par un seul souspir, mais pour ce faire il a voulu souffrir mille peines et travaux, payant en toute rigueur de justice nos fautes et iniquités, nous enseignant par son exemple cette sobriété spirituelle, cet esloigne- ment de toutes consolations pour vivre selon la rayson et non selon nos appétits et affections. C'est pourquoy l'on a tousjours accoustumé de dire à ces filles quand elles entrent au Monastère, que la Reli- gion <• est une escolc de l'abnégation de toutes les volontés •, >» une croix où il se faut crucifier, en somme, 'Cciwiii. XLIV. qu'il y faut venir pour patir et non point pour y estrc consolées. Si vous voulez du sucre et de la dragée, allez en quérir chez les apothicaires ; car l'on ne mange icy que des viandes ameres et fascheuses à la chair, lesquelles sont toutefois profitables au cœur. Je dis tousjours à ces âmes, et je ne le sçaurois trop repeter : Or sus, ma chère fille, qu'estes-vous venue chercher en Religion ? Y cherchez-vous des consolations? Ouy. lit qu'est-<'e que vous faites ? V^ouh vous trompez si vous pensez y venir pfmr y estre consolée, pour y gousler et y recevoir des douceurs spirituelles. O Dieu, il ne faut pas chercher  ^6o Sermons recueillis cela, car cette façon d'agir est insupportable à ceux qui sçavent tant soit peu que c'est que la dévotion. Venez y à fin d'y vivre en une profonde humilité et entière rési- gnation, pour y recevoir d'un cœur esgal les désolations comme les consolations, les douceurs et les tribulations, les sécheresses et les degousts. Que si Dieu vous donne des consolations ou grains de dragées, baysez-luy la main et le remerciez très humblement, mais ne vous arrestez •CUmtroJ.aLtVie poiut à cela, ains passez outre et vous humiliez*. drccu. Partie IV, Certes, c'est une grande pitié que l'on voye Nostre Seigneur tant souffrir, se soustraire à tous les playsirs et consolations qu'il pouvoit recevoir parmi ses souffrances, ne se servant que de ce dont il ne se pouvoit priver, et que nous autres nous soyons tant amateurs de ces gousts qu'il semble que l'on ne travaille que pour en avoir ! Pour peu qu'on en ayt l'on s'amuse tant à les regarder et les sentir que l'on ne fait rien qui vaille. Ces douceurs ne servent que d'amusement à certaines âmes trop avides et dési- reuses de telles choses. Helas ! elles ne sont pas néces- saires, vous n'en estes pas meilleures pour cela ; Dieu ne les accorde pas seulement aux justes ains aux pécheurs, car il en donne bien quelquefois à des âmes qui sont en estât de péché et hors de sa grâce : pourquoy donques vous y arrestez-vous tant ? Considérez, je vous prie, ce petit nouveau né dans la crèche de Bethlehem, escoutez ce qu'il vous dit, regardez l'exemple qu'il vous donne. Il a choisi les choses les plus aspres et souffreteuses qui se puissent imaginer pour le temps de sa Nativité. O Dieu, qui pourroit demeurer auprès de cette crèche tout le long de cette octave il se fondroit d'amour, voyant ce petit Enfant en si pauvre lieu, pleurer et trembler de froid. Oh, avec quelle révérence la glorieuse Vierge vostre Mère alloit regardant ce cœur qu'elle voyoit tout palpitant d'amour dans sa poitrine sacrée, comme alloit-elle essuyant ces douces larmes qui couloyent si suavement des doux yeux de ce béni Poupon ! Comme •Cjni.,i, 3. couroit-elle à la suave odeur de ses vertus*! Voyla donques ce Dieu incarné. O que c'est une belle chose à considérer que le mystère très haut et très  XLl. Pour la veille de Noël 461 profond de l'Incarnation de nostre Sauveur! Mais tout ce que nous en p>ouvons entendre et comprendre par le discours n'est rien, et pouvons bien dire à ce propos ce que disoit un sage qui lisoit un livre très haut et obscur d*un ancien philosophe (je ne me souviens pas de son nom*); il advoua franchement : Ce livre est si docte •Vidctaprj.p.^o. et difficile que je n'y entens presque rien ; le peu que je comprens est extrêmement beau, mais je crois que ce que je n'entens pas l'est plus encores. Il eut rayson de parler ainsy. Nous nous pourrons bien servir de ces paroles considérant le mystère de l'Incarnation, et dire : Ce mystère «^^ ^' ^' nit et si profond cjue nous n'y "rit..n- dons rien ; t ^ue nous en sçavons et conn :is est extrêmement beau, mais nous croyons que ce que nous ne comprenons pas l'est encores davantage. Kn fin no irons un jour là haut, où nous célébrerons avec un contentement incomparable cette grande feste de Noél, c*est à dire de l'Incarnation ; là nous verrons clairement tout ce qui s'est passé en ce mystère, et l>eni- rons sans fin Celuy qui estant si haut s'est tant abaissé pour non ' - her*. Dieu nous en fasse la grâce. Ainsy •Cf.Pliaip.,0,6,7; soit-il, an. ... .iinsy soit-il.  XLII SERMON SUR LE PREMIER VERSET DU CANTIQUE DES CANTIQUES (0  Meliora siint nhera tua vino, fragran- tia iingiientis optimis. Vos mammelles sont meilleures que le vin, et 7'espandent des odeurs plus suaves que les onguens les plus exquis. Gant., i, i, 2.  Le Saint Esprit ne résout point si ces paroles du Can- tique des Cantiques sont de l'Espoux à l'Espouse ou de l'Espouse à l'Espoux, ou bien des compagnes de l'Espouse à la maistresse Espouse ; c'est pourquoy les Docteurs ne l'ont pas aussi voulu résoudre, mais ils disent qu'elles se peuvent entendre en toutes ces manières. Or, avant que de dire comment, il faut sçavoir que par les mammelles sont représentées les afFecdons, parce qu'elles avoisinent le_cœur et sont assises sur iceluy, et que du cœur sortent les affections de douceur, de mansuétude et de charité vers les pauvres, les infirmes et les petits enfans; aussi donne-t-on premièrement la mammelle aux petits enfans,  ( i) On lit dans l'Histoire inédite du i<='" Monastère de la Visitation d'Annecy, qu'aa début de la fondation de Tlnstitut le Cantique des Cantiques servait fréquemment de thème aux instructions de saint François de Sales à ses Religieuses. Néanmoins l'indication est trop vague pour permettre d'assigner une date à ce sermon ; c'est ce qui a porté les éditeurs à le reléguer à la fin de ce volume. Ce discours ne se trouvant dans aucun Manuscrit, on a cru devoir le donner exactement d'après le texte de l'édition de 1643, ^^ première qui l'ait publie, sans même en éliminer les nombreuses citations latines, qui, selon toute apparence, ne doivent être attribuées qu'à l'éditeur.  XLII. Sur le i" verskt du Cantique des Camtiques 4^î qui sont vrayement pauvres, puisqu'ils n'ont rien ^ i m-* peuvent en aucune manière ^aij^ner leur vie, de sorte que si on ne leur (!.)nn<»it ):» înammr*nr* iK mourrovent incontinent. Premièrement, si ces paroles sont de l'Kspouse, c'est à dire de Tame dévote à l'Espoux, qui est Nostre Sei- grneur, vrayement elle a bien rayson de luy tenir ce propos ; car les mammeîîes de Nostre Seigneur sont infiniment meilleures que le vin de tous les contente- mens terrestres. Mais quelles sont les mammelles de Nostre Seij^neur ? L'une de ses mammelles est la longa- n imité, et l'autre, la debonnaireté. I^ lonj^animité nous sij^nifie la patience avec laquelle il attend les pécheurs à pénitence^ ; et la delv>nnairetê, l'amour et la compassion ' Rom., n. 4. avec laquelle il les * lors que, pleins de contrition 'S. Bem., »«rra. u et de larmes, ils viennent, à l'imitation de sainto Maj^de- leine *, luy bayser les pieds par la conversion de leur 'Loc», m, j8. cœur et de leurs affections, c'est à dire par un véritable rej^ret de leurs péchés. (J que cette lonj^animité et debonnaireté de Nostre Seig^neur réduit et ramené bien mieux les âmes à leur devoir, et a beaucoup plus d'efficace et de pouvoir pour les retirer du péché que n'ont pas les corrections des hommes lesquelles sont signifiées par le vin ! Nous en avons plusieurs exemples, entre lesquels en voicy deux sij^nalés. L'un est de l'enfant prodigue, lequel non seu- lement se sépara de son père, mais encores consomma tout son bien en desbauches. Vous .sçavez qu'il est dit en l'Kvans^ile •, qu'il s'en alla en un pats esloi/rnè : 'ibiJ, «▼, ij. Abiit in rt'f^ionem longinquam. Or, quand on va loin, il faut beaucoup de temps pour retourner. Néanmoins. après tant de desbauches et une si longue absence, lors (^u'il retourna k son père, non seulement il le reccut .sans 2ie courroucer contre luy, mais qui plus est. il l'embrassa et le caressa tendrement, et l'ayant fait vestir somp- tueusement, il luy fit un festin en signe de la joyc qu'il avoit de son retour •, et le traitta avec tant de l>enignité, • Ibui.. ff, i^-m. d'amour et de tesmo*" ••' ' '"s de bif"* ••"•llance «ju'il scmbloit vouîoîr hiv i r T.îii«i «î _::on après ses  464 Sermons recueillis desbauches qu'il n'avoit fait auparavant. L'autre exemple •Loc»,xxiii, 40-43- est du bon larron *, auquel Nostre Seigneur donna semblablement la mammelle de longanimité, l'attendant à pénitence jusques au dernier période et extrémité de sa vie, où il manifesta admirablement sa debonnaireté, luy donnant le Paradis de prime assaut, au premier acte de repentance qu'il fit, sans aucune sorte de mortification précédente. Voyla donques quelles sont les mammelles de l'Espoux. Mais après que l'Espouse luy a dit : Meliora sunt ubera tua vino ; Vos mammelles sont meilleures que le vin, elle adjouste : Fragrantia unguentis optimis ; car elles jy scandent _des_ odeur s très suaves, qui ne sont autres que les saintes inspirations que Nostre Sei- gneur va respandant dans les cœurs des fidelles, par lesquelles il les sollicite à se convertir et retirer leurs aifeçtions des choses de la terre. Car encores que les mammelles de Nostre Seigneur soyent très douces et meilleitres mille fois que le vin des délices mondaines, néanmoins nous ne nous en approcherions jamais s'il ne nous attiroit par le moyen de ses divines odeurs. Quelques Docteurs ont encores interprété ces paroles : Meliora sunt ubera tua, etc., en une autre manière, entendant par les mammelles de Nostre Seigneur les • Soto, interpr. in consoJLations cclestes et divines * ; car qui ne sçait que ' * les consolations divines sont infiniment meilleures que le vin des consolations de la terre ? Aussi n'est-ce pas merveille si les unes sont comparées au lait et les autres au vin, d'autant que le vin, comme vous sçavez, se tire du raisin. Prenez un raisin et l'espraignez : pour la première fois vous en tirerez du vin ; mais retournez-y la seconde, il le faudra bien presser, et si, vous n'en tirerez plus qu'un peu de suc bien aspre et amer ; mais après, si vous y retournez pour la troisiesme fois vous n'en tirerez plus rien du tout. Ainsy en est-il des conso- lations du monde ; car au commencement et pour un peu vous y trouverez certain goust qui vous donnera quelque sorte de suavité grossière et impure, laquelle en fin finale se terminera en aspreté et amertume, et si après vous  XLII. Sur le i** verset du Cantique des Cantiques 46s y retournez cent fois, vous n'y trouverez plus que du degoust. O certes, les mammelles de ce divin Sauveur, c'est à dire ses consolations saintes et sacrées, ne sont pas de cette sorte, car plus elles sont tirées et plus elles sont fécon des. Voyez une femme qui allaite un petit enfant : bien qu'il ayt tetté suffisamment, si de ïâ ]i peu de temps il retourne à la mammelle, jl^ trouvera to; s de quoy se rassasier de nouveau. Avons-nous est»- « .Mj>olés auprès de Nostre Seigneur, retournons-y si souvent que nous voudrons, nous y trouverons tousjours de nouvelles consolations ; car cette source de .sa poitrine sacrée est inépuisable et ne se tarit jamais, de sorte que c'est avec très grand sujet que nous pouvons dire que ses mam- melles sont infiniment meilleures que le vin de tous les contentemens du monde. Or maintenant, si ces paroles sont addressécs par l'Kspoux à l'Kspouse, que pensez vous qu'il luy veuille dire? Saint Bernard* explique ce passaj^^e admirablement • Scrmo n, §7. bien. Osculetur me osculo oris sui^ ; Qu'il me hayse •Gant 1 i d'un bayser de sa bouche^ dit cette l^s pouse à .son Bien-Aymé ; bay.se r qui ne signifie autre chose, au dire de ce grand Saint*, que le doux repos de la contempla- *s«rnorit. tion^ où l'ame, par une affection amoureuse, desengagée de toutes les choses de la terre, .s'occupe à considérer et contempler les beautés de son céleste Hspoux, .sans se resouvenir d'assister le prochain et le secourir dans .ses nécessités; à (juoy ce divin l'!sp<^ux, qui veut que la charité .soit bien ordonnée, luy respond : Tu desires, ma sœur et ma bien-aymée, que je te bayse d'un bayser de ma bouche à fin de t'unir à moy par la contemplation. Certes, tu as ray.son. c'est une chose très bonne, très excellente et désirable que celle que tu demandes ; mais ce n'est pas as.sez, car tes mammelles sont meilleures que le vin, c*est à dire qu'il est meilleur d'assister le I • 'lin et porter le lait de la sainte < * ution aux l..Mii.^et ignorans que d'estrc tou.sjour> «Minp<» en des hautes contemplations, de .sorte cjue (juelquefois il faut quitter l'un pour l'autre. Je ne dis pas »" } * J raiU A^w, T r>. .H» < V Ahm t, i'i.HPj Li Mans Mt. B)  mite . .  •I  VI.  AnvicT, Dnn.  \ Ed. de 1641, xsxi. ' Ed. d« 1641, XLT....  i Ed. de 1641, sjun.. VII. VIII A»»icT.LiMA»*M..A; )e4 4, ,^^,^ nn.., i Ed. de 1641, 1 »X. X Id—. lEd. de ,64M- XI I«J«ni Ed. de 1641, K«i  XII  Idem  •••••••••<  ViWi, !▼, p. S4 Mi/^t, rr, col. 740 \ Vir. lY, p. 1^1 I >/i/. tr, col. 8s I Voir note ^1), p. 19 I Viv. iT, p. 157 ( Mig. lY. col. 8«é Imdéit tmJdtl l'ir Y. pp. 444.448 .Wi/ tY.c.i)4ll)4| Voir le« doCm (i), pp. 19 et 170. l Vit. nr, p. 54t (JH^. nr, col. 1144 i Vir. nr, p. ss*» \ Mig. nr, coL 1156 1 Kw. nr, p. ^t^ \ Mig. rr, col. it|t Mig. lY, col. i6m (d«prè«M.lAbb4 Bo«U^. BfmJf$ toaM II, p. ^ VoirMl«(i),p. 87  478  NOUVELLE EDITION  PROVENANCE DES MSS.  .._ ^Annecy, Digne, Le l Mans (Ms. A) XIV Annecy,LeMans(Ms.B) XV Le Mans (Ms. B)  Ed. de 1641, XXIV., Ed. de 1643, xxxiii  pp. 125-135 ;^11. l Annecy, Le Mans (Mss. ) „ , . , XVU 1-3») l A, B) \^^'^' ^^^3, XXXVI  XVII  XIX Digne  suite Le Mans (Mss. A, B) . . Annecy, Digne, Le (Ed. de 164 1, 11 Mans (Ms. A) ( Ed. de 1643, 11 XVIII Annecy, Digne Ed. de 1641, XX . . . Ed. de 1643, XXVI..  XX  » T >* /-XT AN i^'^- ^^ ^^4I> XXXI. Annecy, LeMans(Ms. A) ) p j j ^  WT \ Annecy , Digne , Le ) ,7, , , XXI ' ' Ed. de 1643, XXX. [ Mans (Ms. A) } XXII Annecy, LeMans(Ms. A) 1 „j' , ^ ^ ' ( Ed. de 1643,  XXI II Annecy XXIV Annecy.LeMans^Ms.B) XXV Annecy,LeMans(Ms.A) XXVI Annecy  XXVII Idem XXVIII Annecy, Digne 1t., , , i Ed. de 1643, ï"^' • Idem î^'^- ^^ '^41, XV. ' Ed. de 1643, XVII Ed. de 1641, XVI.  XXIX XXX Idem. . XXXI Annecy XXXII ^Annecy, Digne, Le ^ Ed. de 1641, xix  XXXIII  XXXIV  Mans (Ms. B) (Ed. de 1643, xxiv., Idem \^^' ^^ ^^'<^' ^^"'• ( Ed. de 1643, xxxi , Annecy, Digne Ed. de 1643, xxxii.  anciennes EDITIONS EDITIONS MODERNES [ Mig. IV, col. 1644 î (Boulangé,p.4a4), ( VI, col. 354 Inédit Viv. V, p. 305 Mig. IV, col. 1426 Viv. V, p. 380 Mig. IV, col. 1489 Voir les notes (i), pp. 125 et 231 Inédit Viv. IV, p. 102 Mig. IV, col. 780 Inédit Viv. V, p. 129 Mig. IV, col. 1278 Viv. V, p. 438 Mig. IV, col. 1535 et col. 1624 (Bou- langé, p. 403) Voir les notes (i), pp. 39 et 170 i IViv. V, p. 222 j Mig. IV, col. 1357 ( Voirnote(i), p. 187 { Viv. V, p. 283 ( Mig. IV, col. 1408 Inédit Inédit Mig. VI, col. 372 Viv. V, p. 378 Mig. IV, col. i486 Voir les notes (i), pp. 125 et 231 Inédit ^ Viv. IV, p. 133 ( Mig. IV, col. 805 j Viv. IV, p. 455 { Mig. IV, col, 1072 l Viv. IV, p. 484 ( Mig. IV, col. 1096 Inédit { Viv. V, p. 45 ( Mig. IV, col. 1210 !Viv. V, p. 240 Mig. IV, col, 1372 Voir note (i), p. 338 !Viv. V, p. 259 Mig. IV, col. 1388 Voir note (i), p. 340  Ed. de 1641, XXX . XLIII .  Ed. de 1643, ^^"ivi.  Ed. de 1643, XVIII.  479  MOUVILU iMTlON XXXV AXa. I XXXVII XXXVIIl XXXIX XL.. XLI. XLII  AMOEiniES ÉDITIâlH IntTIOM  fc*!. Ue n»4}, kxxv.  I Ed. de 1641,  raoviMAiici Dcs uss. AltKirT A>(M(CT, Utovc Amuict. • C^ ^ ^ cd. de 1641, xxxTti . AmncT, DiGMB , Li i Ed. de 1641, xxyi... j Ma>s iM». B) j Ed. de 164 j. xxxriu. . I Ed. de 1641, zxm. ' Ed. de 1643, xxxix i Ed. de 1641, xxrm . f Ed. de 1643, XL  Idem.  AMincT,LiMAii9(Ms.A) Ed. de 164), xta  Ed. de 164), ZUT.  l Voir A/ '. f Ml/ ( Viv M,g. Voir ( Viv   Imééil ». P- î)* IT, col. 14)3 note (I), p. 17) ▼. P- MM IT, col. ly» IV. p. I nr, col. 69) nr, p. SI ir, col. 711 note(i).p.4*4 IT. p. J7 nr, col. 7*6 note(i).p.44j IT, p. 70 IT, col. 75) oote(i).p.457 T, p. 419 IT, col. 1)11  GLOSSAIRE DES LOCUTIONS ET DES MOTS SURANNÉS  ou PRIS DANS UNE ACCEPTION INUSITEE AUJOURO HUl  QUI se TKOUVBNT DA^^ LE TKuiMi.Mt. VoLUMB  DES SERMONS  DB SAINT FRANÇOIS DB SALAS  (L*t mots disttMguél par unt * omt psm AMu tn Ltionjim jti loinci fr(^.-.ifnt%.j  * ACCOISEMENT — apai$rmrmt. * ACCOISER — apaiifr, rtnàrt C0S, *iioirt V. p. )8o> * AISS — OTN — «*li#« dé hsutr par i ftfrti ,v. p. |4l). Ul  • APRES ^en, par) — fmtmih, dam» ta imite. • ARONDELLE — ktromJelU. ARTIFICIEUX — pour tm^/mtem* ^T. p. «71). • A SÇAVOIR MON — loaitioo interrogativ* ,v. pp. st, 57, 178). ASPECT— poor ortemtatiom .voir p. 1)1). ASSEUREMENT— poor «vm afm- rame (y. p. 444)- • ASSISTER [\nj] — du Ut. * ...^ TIBI, être prêtent, ternir (T. p. 475 • DOMMAGEABLE - pr/judietû- hU. DOT — pottr dom, portion^ apmnMg* (t. r -- '>u lat. DOS. • I X — pour rtdrttier (voir P- 44r- • DU DESPUIS - Jfpun. DURER — pour iii*jij/rr(v. p. 4^7). • DU TOUT — tout à fait, €om- pUtemtml. • EFFICACE — do Ut. Mwtxcxcix, €ffUéuité[y. pp. a>», îji EMBROUILLÉ — fmhArraxu ,volr fi î 1 1 . ■Il ^ parmi^ emirt. i ;. . . ■i^^_^dtff' : ■ em Jcr , i ;> us. ;: OCFtmAATO. ENSEIGNE — puu; ■wz-y»/, n/n/ (T. p. 8). ENSEIGNE (à booo«)— i hom tilr«, • i_ > T — êmtfmhU, •ENSERRER— i/rrrr, tm^ksimtr • >T OÎ*F — amtMmt f»/, F ■  €0m>  BNTREPORTER (O — •* ^•^'•'t  i#  I  • LisCLAIKUiK — p«ur fiùâtrtr \y, p. 401 .  ESCLAVITUDE - tuUvmgt, ttr- »i' . ' w . . E — /•«#/ cmmp9%f dt tri €omrrmtfS 'y. p. 4^). i:>«jALER— poof spUmir, mixrifr (T. p. 4*l.  484  Sermons recueillis  • ICY — pour ci (v. pp. 37, 61, etc.) • IMBECILLE — du lat. imbecillis, faiblf, incapable (v. p. 410)- • IMBÉCILLITÉ — du lat. imbbcil- urxs, faiblesse, incapacité (v. p. 257). IMBEU — pour imbibé (v. p. 456). • IMPERTINEN-CE — chose dépla- cée, hors de propos (v. p. 83). • IMPERTINENT — hors de propos (v. p. 296). Négatif de pertinent (lat. PHRTINBNS) à propos. INDIGESTE (estomach) — qui a peine à digérer (v. p. 361). INSTINCT — pour pressentiment (v. p. 3). • INTERESSER — pour altérer, nuire (v. p. 115). • IRE— du lat. IRA, colère, courroux. • JA — déjà, jamais. • JOURD'HUY — aujourd'hui. JUDICIAL — du lat. judicialis, appartenant h lajudicature (v. p. 98). • JUSQUES A TANT QUE - jusqu'au temps, au moment où, jusqu'à ce que. • LAIRRA — ancienne forme de laissera (v. pp. 78, 180). LA SUS — la haut (v. p. 124). Cf. l'ital. LASsù. • LEGAT — du lat. legatum, legs (v. pp. 274, 276). • LIBERTIN — insubordonné (voir p. 311). Du lat. LIBERTINUS, affranchi. • LIESSE — du lat. l^titia, joie, allégresse. LOCHER — branler, être mal fixé (v. p. 218). • LOCUSTE — du lat. locusta, sauterelle. ' LOYER — pour récompense (voir p. 121).  MESCROYANT — incrédule, mé- créant (v. p. 298). * MESNAGER — pour préparer, confectionner (v. p. 13). MESSEL — missel {y. p. 66). * MESTIER — besoin, utilité (voir p. 19^). Du lat. MINI3TER. METTRE — pour exposer, livrer, déposer (v. pp. 39, 213, 271). * MILLIACE —fort grand nombre. * MONSTRE — pour étalage (voir p. 407). * NAVIGER — naviguer. * NAVRER — blesser (v. pp. 195» 290). NEGOCIATEUR — du lat. nbgo- TiATOR, 7ié godant. NONOUY— z«om/(v. pp. 143. 158)- * NOURRIR — pour entretenir, éle- ver (v. pp. 183, 206). OBSERVATEUR— pour imitateur (v. p. 28a). OCCIRE — du lat. occidere, tuer, mettre a mort (v. p. 114)' ODORER— dulat.oDORARi,/Z^îWr, sentir. ŒUVRE (être tout en) — être embesogné (v. p. 413)- OPERATIF — pour opérant, agis- sant (v. p. 358). * ORES — maintenant, tantôt. * OR SUS — parole d'encourage- ment. Cf. Tital. ORSÙ. * OUTRECUIDANCE, OUTRE- CUIDÉ — arrogance, présomption, arrogant, présomptueux. OUTREPERCER — percer d'outre en outre. OUVRÉE (œuvre) — faite, accom- plie, consommée (v. pp. 134» I35)-  • MACULE — du lat. macula, tache, souillure. MALIGNE (œuvre) — mauvaise (v. p. 443). Du lat. MALIGNUS. MANOTTES — menottes. ' MANQUEMENT — pour manque (v. p. 298). • MARRI —fâché.  PAPEGAY — ancien nom du per- roquet (v. p. 62). * PARACHEVER - parfaire, ache- ver. * PARANGON — de Vital, para- GONE, patron, modèle (v. pp. 29, 184). ' PARANGONNER — de l'ital. p ARAGON ARE, comparer.  Glossaire  ^9s  PARTIAL — pour ^«r/M'/(T. p. 4)1). Du Ijt. PAKTIALIS. • PEINER ^ »e ) — prendre peine <▼• P- 3S7)- • PETIT (OO) — pour un ptm Toif p. 4<^)- • PIETE — da Ut. nrrAA. miiéri- corde,. î*(t. p. IS^, 1. ^^^. PLA; — poar ie pLtttdre de (V. p ASy). PLANCHER — pour f.j/omj ^Toir p. II)). • PLEIGE — do ba»-ljt. rLaon», tmutiom. • POLICE — de nul. FotitZA, eddmU (V. p. 60). • POl'R CE. POCRCE - p^r.e. PREBENDE — da lat. ra^atuDA. portîon journalise de nourriture \y . p. 4)6). Cf. le Glos». de Du Caoge. • PREMIER — poai premièrement, svsnt (v. pp. 49, 64, etc.) PRENDRE (en) — pour amzer, mJvenir (r. pp. ),,i, 44), 4^1). PREOCCUPER - do Ut. nuBoc- CVTAll, inquiéter, prévenir Feiprit (▼. pp. 384, )ia'. PRIME kSSKVl — premier asêsut (T. p. 464). • PRISE — pour r/cofte (r. ^p. «y;, M)). •PR' ■ ^"■ITÉ - au lat. raurvM- DtTAt, / '^r. ' PkoC — hesueoup, m$t*\. PUCELLE — yVii«/ri/r^r(v.pp.)86, JW). • QCAN î ANT ET Q.UANT — mvee, nm -^ent. • Q.UE — poor «#aiflM (t. p. »8o, ligne I ■ Ql' I TTE M rendr*) — > i'mfrsmikir, te dfh^rrsiter \,r. pp. 141, %m). • RAMASSES — pour réunir^ emtuentrer v. pp. ij, 14, »oo, etc.) • RECAMÉ - àm l'iul. kicaiuto, hrodé. RECHARGER — r/T^ir k U tkarge (V. p. 4«M • u I t . . V r . t tj ■ I  REDUIT — poor réhaitié, mmJmnti (▼. p. 40|. REFUIR — ,rtf^«si#r(r.p.4ii). RELASCHE — poor reU^kement (v.r ^^- • ; — poor emtnmUtttmt (t. p. 94) . RE.MARQ.UE. RE.M ARQUER — poor m/motre, f*tre mtmotre 'TOtf p. m8u REMEDIATEUR — gmmiieur \y . p. S4S)- RE N CLORE — enelore, renfermer (r. p. 114). RE(JFFRIR — «^rf> ^/ M«v#j«. • REPENTANCE - repentir. CS. ntal. «I- t REPK. »ei — poor t' inter- rompre IV. p. )7i;. RESIGNER \*o) — pour *r t€guer (r. p. JS3). RESOUDRE » — poor u r4ii. gner. ■' ~-oler (v. p. jao). • '. II. NIE NT — pour senti- mu nt, souvenir, reconnsiisanee (TOir pp. «- " 4^7). • i .-C — poor résulter (toIt pp. 4», iMj. • SAGETTE — da Ut. sagitta. fléu Ul M. 'U LAN CE — retsemkUnee ;> i • ^ . tnrttatton, tolliei' tmlton. . . v.,.^..J _ ^y j^j ir 7^7* • SI — poor tmstef^iê (v. pp. 7», léa. «te.) • SI DIEN - f«««f«#. • SINISTRE — d« Ut. tnntm.  éei  486  Sermons recueillis  *S01G}\ER — pour pourvoir,ve il 1er 41 quelque chose, s'occuper à (v, p. 187). SOIN — pour sollicitude (v.p. 179, lig. 8, p. 190, lig. 36). SOUFFRETEUSE (chose) — chose pleine de souffrance (v. p. 460). Cf. le Diction''^ de Lacurne de Sainte- Palaye. • SOUVENTEFOIS — souvent, mainte/ois. • STOLLE — store (latin storea), natte. SUBTILITÉ — pour adresse, in- dustrie [y. p. 450). • SUCCES — de Tital. successo, événement, réussite (v. p. 152). SUFFISANCE — du lat.suFFiCENTiA, capacité intellectuelle (v. p. 85). • SUITE — pour enchaînement (voir p. 3iS)- SUIVRE — pour continuer, pour- suivre (v. p. 321). SUPERINTENDANCE- surinten- dance (v. p. 421). SURESTIME — distinction (voir p. 344'- • SURESTIMER — préférer (voir p. 413).  TANT SEULEMENT — seulement. Cf. l'ital. SOLTANTO. TARE — pour atteinte, diminution (v. p. 186).  TELLEMENT QUELLEMENT — d'une manière quelconque (v. p. 459). * TENDRE — pour faible, délicat (v. p. 138). * TENDRETÉ — du lat. teneritas, attendrissement, douilletterie (v. pp. 43, 50, 204). TERRIEN — du lat. terrbnus, terrestre. * TOUTES FOIS ET QUANTES — autant de fois que. TRACASSER — pour jeter le désor- dre, troubler (v. p. 246). TRAISTREUX — traître (v.pp.348. 349)- TREMEUR — du lat. trbmor , tremblement [v. p. 358). TRESBUCHEMENT — achoppe- ment (v, p. 412). VAL EAU (à) — h vau l'eau (voir P- 457)- VAUTRER (se) — pour se Jeter à terre {y. p. 320). VERS — pour envers (v. p. 462). * VIANDE — pour mets, aliment^ nourriture. * VITUPERE — mépris, critique (v. pp. 267, 348). * VITUPERER — du lat. vitupe- rare, mépriser, censurer (v. p. 73). * VOIREMENT — vraiment. * VOLERIE — larcin (v. p. 274).  TABLE DES MATIÈRES  Avant-Propos  SECONDE SERIE SERMONS RECUEILLIS PAR LES RELIGIEUSES DE LA VISITATION I — Sermon pour la veille de Nocl. 34 décembre 1613 a n — Sermon pour la fètc de saint Biaise, sur le mys- tère de la Purification et le renoncement évangélique, 8 février 1614 1^ DI — Frajçmcnt d'un sermon pour le premier Dimanche de Carême, 16 février 1614 2} IV — Sermon pour le deuxième Dimanche de Carême. 2} février 161 j 37 V -— Sermon pour le Duitanclicdn Rameaux. 3 y mars 1614 îa VI — Sermon pour le Vendredi-Saint, 28 mars 1614. . 39 VU — Sermon pour le troisième r)im.inch? de ( jrême. aa mars i6k 40 VU! — Sermon pour le quatrième Dimanche de Carême. 39marsi6is 51 IX — Sermon pour le Dimanche de la Pa>^M.n. ^ avril 161S <7 X — Sermon pour !<• I>tmanche de% Rameaux, la avril 1615.. 6^  ^88 Sermons recueillis XI — Sermon pour la fête de saint Jean Porte-Latine, 6 mai 1616 ou 1617 ^"^ XII — Sermon de Vêture pour la fête de saint Claude, 6 juin 1617 84 XIII — Sermon de Vêture pour la fête de Notre-Dame des Neiges, 5 août 1617 90 XIV — Sermon de Profession pour la fête de l'Archange saint Michel, 29 septembre 16 17 100 XV — Sermon pour la fête de la Toussaint, i^*" novem- bre 1617 112 XVI — Sermon pour la fête de la Présentation de la Sainte Vierge, 2 1 novembre 1617 125 XVII — Sermon de Vêture pour la veille de l'Epiphanie, 5 janvier 161 8 139 XVIII — Sermon de Profession pour le vendredi dans l'octave de la Pentecôte, 8 juin 16 18 149 XIX — Sermon pour la fête de la Visitation de la Sainte Vierge, 2 juillet 16 18 157 XX — Sermon de Vêture pour la fête de sainte Anne, 26 juillet 16 18 170 XXI — Sermon pour la fête de l'Assomption de la Sainte Vierge, 1 5 août 1 6 1 8 178 XXII — Sermon pour le dix-septième Dimanche après la Pentecôte coïncidant avec l'anniversaire de la Dédicace de l'église de la Visitation, 30 septem- bre 1618 192 XXIII — Sermon pour une Vêture, 9 octobre 1618 202 XXIV — Sermon de Vêture pour le lundi de la dix-neu- vième semaine après la Pentecôte, 1 5 octobre 1618 208 XXV — Sermon pour la fête de saint Côme et de saint Damien, 27 septembre 1619 217 XXVI — Sermon pour la fête de la Présentation de la Sainte Vierge, 21 novembre 1619 231 XXVII — Sermon de Profession pour la fête de saint Ambroise, 7 décembre 16 19 240 XXVIII — Sermon pour la fête de la Purification, 2 février 1620 250 XXIX — Sermon pour le Vendredi-Saint, 17 avril 1620.. 266 ^^^ — Sermon pour le mardi de Pâques, 21 avril 1620 286 XXXI — Sermon de Vêture pour le Dimanche de Quasi- modo, 26 avril 1620 308  Tabl£ des Matières 489 XXXII — Sermon pour la fètc de la Pentecôte. 7 juin i6ao ^is XXXIII — Sermon pxjur la fête de saint Augustin, a8 août 1620 334 XXXIV — Sermon de Vèture et de Profession pour la fête de saint Nicolas de Tolentin. 10 septembre 1 620 340 XXXV — Sermon pour une Vèture. 17 octobre 1620 355 XXXVI — Sermon pour la fête de la Toussaint, i* novem- bre 1 620 )66 XXXVII — Sermon pour la ftte de la Présentation de la Sainte Vierge. 21 novembre 1620 ^80 XXXVIII — Sermon pour le deuxième Dimanche de l'Avcnt. 6 décembre 1620. . . \')^ XXXIX — Sermon pour le troisième Dimanche de lAvenl. 1 3 décembre 1 620 417 XL — Sermon pour le quatrième Dimanche de l'Avent, 20 décembre 1620 4Î2 XLI — Sermon pour la veille de Noël, 24 décembre 1620 447 XLII — Sermon sur le premier verset du Cantique des Cantiques 462  Table de correspondance de cette nouvelle Edition avec les précédentes, et indication de la provenance d^s M.'înii«;crits 477 Glossaire des locutions et des mots surannés. . . 481  18-0Î9  Annecy, imprimé par J. Niérat, 1897. — 1720  BX 1750 .ri 1892 v.9 SMC rrancis, Oeuvres de saint François de Saleç, eveque de Genève et d Edition complète d'après les autographes et les éditions OriQinalP.s pnrirhip rlp nnmhr