PRATIQUE DE LA VACCINATION ANTIVARIOLIQUE DANS LES PROVINCES DE L’ÉTAT PONTIFICAL AU 19ème SIÈCLE REMARQUES SUR LE SUPPOSÉ INTERDIT VACCINAL DE LÉON XII Ce travail est le fruit de la rencontre d’un historien (Yves-Marie Rercé), spécialiste des pratiques vaccinales à leurs débuts, en particulier en Italie, et d’un médecin (Jean-Claude Otteni), intéressé par un interdit de la vaccination contre la « petite vérole », que Léon XII aurait promulgué en 1829. L’interdit est formulé de la façon suivante: « Ceux qui se soumettent à la vaccination contre la petite vérole cessent d’être enfants de Dieu. La petite vérole est une punition de Dieu et la vaccination est un défi lancé au Ciel (’) ». Il est actuellement souvent cité comme exemple des réticences voire de l’opposition du Magistère catholique romain à l’encontre des innovations médicales. Or, la réalité de l’interdit ne semble pas documentée par des sources crédibles. La seule publication qui, à notre connaissance, a abordé ce problème est celle du P. Donald Keefe s.j., parue en 1986 dans une Newsletter à diffusion limitée (12). Elle conclut que l’interdit n’est pas une réalité mais une rumeur. Nous avons repris le problème de la réalité de l’interdit, en envisageant successivement les données historiques sur la vaccination antivariolique au 19e s. en Italie, en particulier dans les provinces de l’É tat pontifical, les citations d’un prétendu interdit vaccinal dans les publications contemporaines, la recherche de sources de cette rumeur et les hypothèses qu’on peut former sur l’origine de l’interdit supposé. (1) La mention chronologiquement la plus haute de cette affirmation peut être trouvée dans l’article de H. F a b r e , La position de l'Eglise face au planning familial, dans L'Idée libre, 9 (1964). Pour une étude critique, on lira avec profit D. K e e f e s.j., A guest for a guotation, dans Fellowship of Catholic Scholars Newsletter, 9 (1986). (2) D. K e e f e s.j., A guest... [voir n. 1], P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 449 V a c c in a tio n a n tiv a r io liq u e a u 1 9 e s. e n Ita lie e t d a n s le s p r o v in c e s d e l'É tat p o n tific a l On sait comment en 1796 un médecin anglais, Edward Jenner, mit au point une méthode de prévention de la contagion variolique. Il imaginait de greffer sous la peau humaine un peu de pus d’une maladie bénigne des vaches, dite picote (coro pox). Ce procédé, utilisant une humeur de la vache, fut appelé vaccination. Celle-ci allait bientôt remplacer l’inoculation de pus variolique atténué, ou variolisation, que depuis plusieurs décennies les médecins recommandaient en guise de protection de la meurtrière petite vérole (smallpox). En effet, l’application imprudente de la variolisation pouvait être jugée, à bon droit, responsable de recrudescences épidémiques. La vaccine en revanche semblait une humeur différente, incapable de communiquer la véritable variole. Les premiers essais confirmèrent les espoirs de Jenner et au cours de l’année 1800 tous les grands médecins de l’Europe voulurent s’informer de cette merveilleuse pratique empirique. L’Italie a été une des premières régions où fut introduit le « fluide vaccin », transmis de bras à bras, en chaînes humaines incessantes. Des souches de Jenner arrivèrent d’abord en Sicile portées par les médecins anglais embarqués sur les vaisseaux de Nelson (Joseph Marshall pratiqua la première vaccination à Paierme le 14 mars 1801). De Paierme, le vaccin fut porté à Naples par Michele Troja, puis à Rome où il fut administré sans doute au cours de l’été 1801. Deux autres chaînes se dessinaient au Nord. L’une, assurée par des médecins accompagnant l’avance des armées françaises, atteignait Gênes (docteur Onofrio Scassi, printemps 1801). Une autre, venue de Vienne passait en Vénétie et en Emilie (démonstrations de Luigi Sacco à Bologne en juillet 1801). Rome et les provinces de l’État ecclésiastique bénéficiaient ainsi de plusieurs sources matérielles de fluide et de plusieurs initiatives médicales (3). (3) La documentation de cet article provient de mon livre: Y.-M. B e r c é , Le chaudron et la lancette. Croyances populaires et médecine préventive, 1798-1830, Paris, 1984. Il s’agit d’une histoire des pratiques et de l’idéologie vaccinale à ses débuts, avec une attention particulière à l’Italie. Pour l’ensemble des 19e et 20e s. et pour un exposé plus approfondi du cas français, voir P. D a r m o n , La longue traque de la variole. Les pionniers de la médecine préventive, Paris, 1986. 450 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I Les families notables, dont les générations précédentes avaient déjà accueilli l’inoculation variolique, adhérèrent volontiers à cette innovation moins dangereuse. Elles se firent aussitôt les avocats d’une intervention médicale que la plupart des savants de ce temps regardaient comme une merveilleuse preuve du progrès des sciences. A Rome, comme partout ailleurs, l’autorité publique appliquait d’abord la mesure aux hospices d’enfants trouvés, pour des motifs charitables certes ou, plus brutalement, parce que ces groupes d’enfants offraient des sujets d’expérimentation. En effet, l’intervention de parents n’entravait pas l’initiative médicale, enfin et surtout ils allaient constituer, du fait de l’apport constant de nourrissons abandonnés, de véritables réservoirs humains de vaccin toujours disponible. C’était dans l’hôpital du Saint Esprit dans le Borgo Santo Spirito, entre la rive du Tibre et le Vatican, que l’autorité pontificale avait en 1802 établi le centre vaccinal. Cet hospice recevait environ 800 nouveau-nés chaque année. Là opéraient des médecins réputés comme le docteur De Alessandris, qui avait été auparavant un fervent propagateur de l’inoculation variolique, Domenico Moricchini, chimiste napolitain (1773-1836) et le jeune Alessandro Flajani (4). Depuis plusieurs décennies l’inoculation avait été admise à Rome, mais elle restait négligée ou refusée dans la plupart des familles populaires. La justification au regard de la morale chrétienne d’une intervention préventive avait déjà été élaborée et n’était donc plus nécessaire. Il faut noter que la prévention ne dérogeait pas non plus avec la doctrine médicale antique, puisque selon la tradition une des filles d’Esculape était Hygie, réputée préservatrice de la santé. L’approbation de la vaccination à Rome est illustrée par les travaux d’Alessandro Flajani (5). Il était fils de Giuseppe Flajani, (1739-1808) archiatre de Pie VI et premier chirurgien de l’hôpital du St-Esprit. Alessandro Flajani accomplit en 1805 un voyage d’en(4) Le docteur De Alessandris avait publié à Rome en 1795 un plaidoyer pour l’inoculation. On admet aujourd’hui que bien que la dangerosité ponctuelle de la variolisation soit certaine, sa pratique avait pu déjà localement réduire la mortalité variolique, cf. J.-P. B ardet et J. D upaquier , Histoire des populations de l'Europe, Paris, 1998, t. 2, p. 92 (contribution de P. B ourdelais ). (5) A. F lajani, Saggio filosofico intorno agli stabilimenti scientifici in Europa appartenenti alla medicina, Roma, 1807. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 451 quête sur les politiques sanitaires en cours à Berlin, Vienne, Londres et Paris. Dans le compte rendu qu’il publia à son retour à Rome, il incluait un chapitre sur la vaccination dont il donnait l’acceptation comme indiscutée. Son livre était dédié à Pie VII dont il louait l’attention personnelle à la santé publique. Selon les règles de censure, le livre était jugé conforme à la religion catholique, à la foi et aux mœurs; il recevait le 16 juin 1807 les approbations du P. Oliveri, dominicain, professeur à l’Archiginnasio de Rome, du professeur de médecine Francisco Petraglia, l’un et l’autre commis par l’administration de l’État ecclésiastique en matière de police de la librairie. L’imprimatur était accordé en conséquence par le P. Pani, dominicain, maître du Palais apostolique. Il est ainsi certain que dès les débuts de sa circulation dans l’Europe savante la vaccination était très officiellement admise par l’Église en théologie morale et qu’elle était pratiquée publiquement dans le grand hôpital romain. Quand, en 1809, le territoire romain fut annexé à l’Empire français, les trois médecins déjà en charge à Rome et quelques autres furent nommés conseillers d’un Comité de vaccine (arrêté du 11 août 1809) chargé de contrôler le train des vaccinations de nouveau-nés dans les provinces de Latium et d’Ombrie, qui étaient devenues les départements impériaux de Rome (chef-lieu Rome) et du Trasimène (chef-lieu Pérouse). Les responsables français, amateurs de statistiques, ont laissé des comptes rendus flatteurs. En 1812, année pacifique où la puissance napoléonienne était maximale, le rapport du nombre des vaccinations à l’effectif des naissances montait, par exemple, dans le département du Trasimène à 34%; ce résultat correspond à peu près aux moyennes italiennes de l’époque (6). En janvier 1814, les Français évacuèrent l’Italie centrale, remplacés par les troupes de Murat, roi de Naples. Dans les provinces du Nord de l’É tat de l’Église, Émilie et Romagne, c’était l’armée autrichienne qui assumait le pouvoir. Le pape Pie VII rentra à Rome le 24 mai 1814, mais ce n’est qu’un an plus tard, en mai 1815, que l’administration pontificale récupéra ses territoires du Nord. (6) Y.-M. B ercé, Le chaudron... [voir n. 4], p. 317-320, statistiques complètes des départements italiens impériaux en 1811 et 1812. 452 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I Quels que fussent les pouvoirs de fait, dans l’instant, ils maintenaient exactement en place les structures institutionnelles et les modes de gestion antérieurs. Seules changèrent totalement les titula ire s ; ce qui était impérial devenait pontifical; à la tête des commissions locales de santé siégeaient des légats ou des délégués apostoliques à la place des préfets; l’usage du français était supprimé dans les actes publics, mais la plupart des notables, dignitaires, magistrats, agents administratifs étaient inchangés, avec très peu d’épuration ou de poursuites à l’égard des bénéficiaires du régime impérial disparu. Les opérations vaccinales, moins nombreuses du fait des événements militaires en 1813 et 1814, reprirent toute leur ampleur à la fin de 1815. Cependant, après 20 ans de pratique vaccinale, l’opinion savante dans toute l’Europe s’inquiétait de diverses contradictions. La communication constante des mêmes souches vaccinales, transférées des milliers de fois, ne leur faisait-elle pas perdre leur efficacité? Si le fluide inoculé était à force de passages inter-humains « atténué » ou bien « dégénéré et bâtard », il n’assurait plus l’immunité. Ainsi s’expliqueraient les accidents, impossibles à dissimuler, de véritables cas de variole venant à frapper des sujets vaccinés. On affectait d’appeler ces exemples scandaleux « varioloïdes », c.-à-d. qu’on supposait qu’ils résultaient d’une autre infection éruptive ayant des symptômes voisins, à moins qu’il se fût agi d’une nouvelle espèce de variole plus virulente, venue d’Asie (7). Ce fut seulement dans la décennie suivante que l’hypothèse d’une revaccination d’un même sujet à l’adolescence fut envisagée ici ou là (Bavière, Danemark, armée prussienne, etc.). De toutes manières, on pensait qu’il fallait d’urgence renouveler la vigueur du fluide vaccin et la suggestion la plus évidente était de retrouver dans des troupeaux de bovins des cas de picote. Jenner lui-même aurait fourni au National Vaccine Establishment (créé à Londres en 1808 par la Royal Jennerian Society, elle-même fondée en 1803) des souches nouvelles en 1813 et 1817. En fait, cette fièvre des vaches, que l’on avait crue banale en 1798, se trouva alors très rare (il semble qu’il n’en est pas toujours ainsi; on a compté qu’en 1974 plus de 13% des vaches passées dans les abattoirs du (7) Examen de l’épidémie de variole survenue en Piémont dans l’hiver 182930 par G. S t r a m b io , dans Giornale analitico di medicina, Milano, (1830), p. 104129. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 453 Sud de l’Angleterre (8) avaient eu la picote). Toutefois, dans des troupeaux de Campanie, des médecins de la faculté de Naples avaient pu réussir des prélèvements. L’un d’eux, élève de Michele Troja, Gennaro Galbiati (1776-1844) avait dès 1803 imaginé un autre procédé, le retour à la vache, c.-à-d. la transmission du vaccin humanisé à une génisse et le recueil ultérieur du fluide des pustules apparues sur l’animal. Cette pratique sera développée dans les années 1860, parce qu’effectivement elle fournissait un vaccin efficace, une source facile à renouveler et enfin parce qu’elle écartait les cas lamentables de contamination syphilitique par des vaccinations imprudentes. L’école vaccinique napolitaine se trouvait donc pionnière dans ce domaine de recherche. C’est dans ce contexte de questionnements et de réforme des institutions publiques de médecine (on disait « police de la santé ») que les médecins romains conçurent un nouveau règlement pour l’ensemble de l’État ecclésiastique, promulgué par édit du Secrétaire d’État Consalvi en 1821. Il était fondé un Conseil de vaccination composé de professeurs de médecine des Universités de Rome et de Bologne. Il avait sous sa tutelle l’ensemble des médecins gagés par les communes (l’exercice de médecins municipaux, medici di condotta, était un très ancien usage italien, généralisé depuis le 14e s.), qui ne pouvaient être reçus sans avoir montré leur compétence en vaccination. Pour la procure du vaccin et pour la sûreté des opérations, des solutions originales précises étaient adoptées. Les orphelinats et hospices d’enfants trouvés recevaient formellement les fonctions de dépôts de fluide et de centres de vaccination. Le procédé recommandé était la transmission directe de bras à bras, au lieu de l’envoi de fioles ou de croûtes. Ce choix garantissait plus de réussite du transfert, mais il supposait les transports d’enfants vaccinifères de ville en ville. Les gonfaloniers des communes (l’équivalent du maire) devaient assurer le voyage et le logis du vaccinateur et des vaccinifères. Ces magistrats municipaux devaient organiser deux fois l’an, printemps et automne, une vaccination générale des nouveau-nés. Ils devaient veiller à la déclaration des cas de variole et à l’isolement des contagieux. Enfin, l’inoculation variolique, encore pratiquée ça et là, était interdite. Il (8) D. Baxby, Jenner's smallpox vaccine. The riddle of vaccinia virus and its origin, London, 1981. 454 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I n’y avait pas de loi officielle d’obligation, mais aucun nouveau-né ne devrait échapper à la vaccination (9). Il faut noter qu’à cette date, les seules lois d’obligation totale, plus ou moins appliquées d’ailleurs, concernaient la Bavière (1807), le Danemark (1810), la Suède (1816 (101)) et, en Suisse, le seul canton d’Argovie (1818). Selon des conceptions morales communes, on considérait qu’il n’appartenait pas aux autorités politiques de se substituer à la tutelle naturelle des pères de famille. Dans cette perspective, l’Angleterre ne connut l’obligation qu’en 1853 et l’abrogea à la fin du 19e, la Prusse l’institua en 1874, l’Italie unitaire en 1888 et la France en 1902. En Italie centrale comme ailleurs, les obstacles — presque insurmontables alors — à une couverture vaccinique plus généralisée étaient le fatalisme populaire, la difficulté d’accès de villages écartés, la saleté de quelques quartiers misérables (à Rome les rues proches du fleuve, au pied du Capitole et de 1’Aventin, notamment le ghetto) et les infirmités endémiques dans certains cantons (teigne, gale, maladies psoriques, etc.). Dans une perspective de réduction de ces poches de misère, les bureaux de bienfaisance, présidés par l’Aumônier de Léon XII, avaient été renforcés selon les termes d’une bulle du 18 juin 1824; ils devaient être théoriquement soumis à des contrôles annuels (” ). Cette même année 1824, le cours des études médicales, comme les autres instances universitaires, fit l’objet de la bulle Quod divina sapientia (Léon XII, 28 août 1824). Selon le modèle du gouvernement collégial de l’Église, systématisé par Sixte Quint, leur tutelle revenait à une Congrégation cardinalice dite des Études (12). Deux Universités appelées primaires, Rome et Bologne, avaient le monopole de la collation du doctorat, obtenu en quatre ans d’études. Le réseau des Universités dites secondaires comprenait (9) Le règlement pontifical de 1821 fut publié dans la Biblioteca vaccinica, Napoli, (1822), p.78-93, avec un commentaire louangeur de Vincenzo Miglietta. (10) P. S k o l d , The two faces of smallpox. A disease and its prevention in 18th and I 9P century, Umea, 1996. (11) Pour l’histoire du pontificat de Léon XII, voir R. C o l a p ie t r a , La Chiesa fra Lamennais e Metternich. Il pontificato di Leone X I I , Brescia, 1963. Ph. B o u t r y , Souverain et pontife. Recherches prosopographiques sur la curie romaine d l'âge de la Restauration, 1814-1846, Roma, Ecole française de Rome, 2003. (12) A. G e m e l l i et S. V is m a r a , La riforma degli studi universitari negli Stati pontifici, Roma, 1933. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 455 traditionnellement Ferrare, Pérouse, Camerino et provisoirement Fermo. L’Université de Macerata fut ajoutée en 1824 et celle d’Urbino en 1826. Elles formaient des chirurgiens de plein titre en trois ans et des diplômés de « chirurgie mineure » en deux ans (phlébotomie, obstétrique, dentisterie). La pratique des vaccinations revenait généralement à ce type de personnel. L’Université de Rome comptait dans les années 1830 environ 600 étudiants, dont une vingtaine de médecins et une soixantaine de paramédicaux. Celle de Bologne, plus réputée, avait 500 étudiants dont à peu près 150 futurs médecins. Les médecins de Bologne, du fait du voisinage géographique et de leur attention aux évolutions étrangères, notamment celles de Vienne, avaient souvent aussi suivi les enseignements des Universités fameuses de Padoue ou de Pavie. Beaucoup fréquentaient la Società medica chirurgica (créée en 1802, refondée en 1823), qui se tenait en relation avec les autres sociétés savantes européennes; certains de ses membres comme Giacomo Tommasini ou Maurizio Bufalini, deux praticiens opposés en doctrine, acquirent une réputation internationale (13). Du fait de leurs expériences séculaires, les autorités des divers Etats italiens portaient une attention constante aux dangers épidémiques. Ainsi, l’arrivée du choléra entraînait-elle à Rome dès le 27 novembre 1830 la centralisation des mesures et l’octroi de pouvoirs exceptionnels à une Congregazione di sanità, selon l’usage romain d’instituer des Congrégations provisoires pour faire face à des situations graves et soudaines (14). Le règlement vaccinique de 1821 fut par la suite complété par un renforcement des commissions sanitaires provinciales et communales (septembre 1836), puis enfin par une loi particulière sur la vaccination (décembre 1841). En tout cas, il ne semble pas qu’il y ait eu de surmortalité variolique à Rome au cours des décennies 1820, 1830, ni au-delà. Une enquête conduite par un médecin français, Hippolyte Combes, en 1838 émettait des jugements très favorables sur les politiques sanitaires italiennes en général. Selon son compte rendu, (13) A. G a l l a s s i , La società medica chirurgica di Bologna nel periodo risorgimentale, dans Rivista di storia della medicina, (1961), p. 3-28; W. V a l l ie r i , Il funzionamento degli ospedali di Bologna nel periodo risorgimentale, ibid., p. 68-72. (14) A.L. B o n e l l a , A. P o m p e o et M.I. V e n z o , Roma fra la Restaurazione e l'elezione di Pio IX , Amministrazione, economia, società e cultura, Roma, Archivio di Stato di Roma, 1997. Voir particulièrement l’article d’A.L. B o n e l l a , In attesa del colera. Istituzioni pontificie e politica sanitaria, p. 221-248. 456 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I l’État ecclésiastique ne faisait pas exception et présentait un taux de médicalisation comparable au reste de la péninsule (15). En bref, au long du 19e s., l’É tat ecclésiastique eut une politique hygiénique analogue à celle des autres souverainetés. Aucun témoignage n’indique que les populations de l’Italie centrale et méridionale aient subi une mortalité variolique plus élevée qu’ailleurs, la presse médicale italienne n’en fait aucun état. En outre, il est très significatif que les médecins indigènes, bien que souvent résolument critiques envers l’autorité temporelle du pape (on compte, par exemple, 80 paramédicaux ou médecins parmi les 1829 personnes compromises dans les agitations révolutionnaires de l’année 1831), ne mettaient pas en cause les mesures sanitaires pontificales. Dès les années 1750, les théologiens catholiques, confrontés aux démarches d’une nouvelle médecine se voulant préventive, avaient légitimé les pratiques des inoculateurs. Pareillement, les débuts de la propagande jennerienne furent aussitôt accueillis favorablement par les autorités ecclésiastiques. Les évêques répondaient volontiers aux sollicitations des pouvoirs publics lorsque dans les territoires français, à partir de 1804, il leur était demandé de soutenir les campagnes de vaccination des enfants. Les rares prélats réticents n’invoquaient au pire que leur incompétence. En tout cas, l’hypothèse d’une contradiction entre la volonté divine et les efforts humains de prévention, la version d’une entrave humaine aux desseins de la Providence, si elle avait jamais été formulée, n’appartenait plus aux logiques religieuses; elle n’est exprimée dans l’Europe catholique de ce temps que comme un exemple d’argument irrecevable (16). D’autant plus curieuse et extravagante apparaît donc une assertion récurrente qui attribue au pape Léon XII une prétendue condamnation morale de la vaccination. Au début de l’année 1829, quelques semaines avant sa mort (10 février ), il aurait voulu l’interdire. Cette affirmation faite dans des publications et des exposés est devenue, grâce à des diffusions sur des sites Internet, un argument supplémentaire dans la traditionnelle légende noire du catholicisme. (15) H. C o m b e s , De la médecine en France et en Italie, Paris, 1842. (16) Y.-M.B ercé, Le clergé et la diffusion de la vaccination, dans Revue d'Histoire de l'Église de France, 69 (1983), p. 87-106. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 457 C ita tio n s d'un s u p p o s é in te r d it v a c c in a l d e L éon X II d a n s le s p u b lic a tio n s c o n te m p o r a in e s Leur formulation de l’interdit, donnée en début de cet article, est presque toujours la même. L’interdit, de brièveté provocatrice, est répété tel quel, sans autre documentation. L’aspect insolite et scandaleux du propos, sa puissance polémique, son absence totale de preuves, sa présentation en dehors de l’historiographie savante, sans aucun scrupule de références, donnent à la circulation de cette version le caractère spécifique d’une rumeur. En effet, les auteurs qui avancent cet interdit supposé soit se contentent de se citer les uns les autres, soit ne donnent aucune citation. Ni les uns, ni les autres ne font référence à un acte public ou au moindre texte d’époque. Ils ne suivent pas une démarche de recherche historique et ignorent complètement la bibliographie italienne, française ou autre sur les domaines concernés, c.-à-d. les historiographies particulières de la médecine, de l’Italie centrale et de la papauté. Trois catégories de citations peuvent être distinguées. Nous en donnons une liste ci-dessous. Celle-ci est certainement incomplète, car ni le titre ni le résumé d’une publication ne laissent toujours supposer la présence de l’interdit. Une première catégorie rassemble les publications « en chaîne », où les auteurs se citent les uns après les autres. En partant du travail du P. Donald Keefe (17), nous avons été en mesure de reconstituer une généalogie ascendante couvrant plus de 20 ans. Le sixième et apparemment dernier maillon de celle-ci est un texte de Daniel Maguire, professeur de théologie morale à l’Université catholique Marquette à Milwaukee, paru en 1986. Défenseur du droit à la contraception, à l’avortement et au mariage homosexuel, il fait une conférence à Albany, devant un millier d’officiels du Planning Familial, au cours de laquelle il cite l’interdit de Léon XII dans son apologie du contrôle des naissances. Cette apparente interdiction d’un progrès médical majeur fait scandale dans l’auditoire. La presse américaine s’en empare, assurant ainsi une large diffusion à l’interdit. A noter que le journal Albany Times-Union l’attribue faussement à Léon XIII, ce qui peut expliquer la reprise de l’erreur sur certains sites Internet. Daniel Maguire, informé par (17) D. K e e f e s .j ., A quest for a quotation [voir n. 3]. 458 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I le P. Donald Keefe de la réalité douteuse de l’interdit, ne le cite plus dans ses publications ultérieures. Le cinquième maillon, sur lequel se base Daniel Maguire, est un travail du P. Richard McCormick s.j., paru en 1984 (1S). Celui-ci cite l’interdit comme exemple de l’autoritarisme du Magistère, « qui condamne une technique sans se donner le temps de vérifier le bien-fondé de sa décision ». Le quatrième maillon sur lequel se fonde le P. McCormick est une publication du chanoine Louis Janssens, professeur émérite de théologie morale à l’Université catholique de Louvain, publié en 1980 (1819). Dans son travail sur les questions éthiques posées par l’insémination artificielle, il cite l’interdit à titre de preuve d’un jugement prématuré du Magistère et qui allait s’avérer être erronée. Sa publication, faite en langue anglaise, permet à l’interdit d’être connu sur le plan international. Le troisième maillon, cité par Louis Janssens, est un travail paru en 1968, sous la plume du P. Abel Jeannière s.j. (20). Dans son article consacré à la chirurgie plastique, réparatrice et esthétique, celui-ci développe les résistances passées de l’Église vis-à-vis des actes humains qui modifient la nature, en particulier le corps, en se basant sur l’exemple de l’interdit de la vaccination. Le second maillon, cité par P. Abel Jeannière, est le Dr. Pierre Simon, gynécologue-obstétricien, Grand maître de la Grande Loge de France, Président du Collège Médical du Planning Familial et vice-président du Mouvement Français pour le Planning Familial, qui fait état de l’interdit en 1966 (21). Le premier maillon, sur lequel se base Pierre Simon, est son collègue et ami, le Dr. Henri Fabre, gynécologue-obstétricien, membre fondateur du 1er Centre du Planning Familial français, créé à Grenoble en 1961, et membre de la Franc-Maçonnerie. Dans une conférence faite au Congrès de la Fédération nationale des Libres (18) R. A. McCormick s.j., Health and Medicine in the Catholic Tradition. Tradition in Transition, New York, 1984, p. 17. (19) L. J anssens, Artificial insemination: ethical considerations, dans Louvain Studies, 8 (1980/1981), p. 11. (20) A. J eannière s.j., Corps malléable, dans Cahiers Laennec, 28 (1968), p. 94; Id ., Pour une sexualité humaine, dans Projet, n° 30 (1968), p. 1235. Dans ce travail, l’auteur donne sa source de l’interdit cité dans son article précédent. (21) P. Simon, Le contrôle des naissances. Histoire - Philosophie - Morale, Paris, 1966, p. 164. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 459 Penseurs, à Dijon en 1964, il cite l’interdit (22). Pour expliquer l’absence de source, il avance l’hypothèse selon laquelle l’Église a « caviardé » les textes faisant état de l’interdit de Léon XII. Il est intéressant de noter que le début de cette chaîne a été initié par deux francs-maçons, poursuivie par trois ecclésiastiques et apparemment close par un théologien moraliste catholique. A priori c’est principalement dans cette chaîne d’auteurs que l’interdit a été et continue à être puisé par d’autres, avec pour conséquence qu’aucune des publications s’y référant n’a une base crédible. Dans une seconde catégorie de travaux, nous avons rassemblé des publications françaises contemporaines faisant état de l’interdit, mais ne donnant aucune source. Ainsi, en 1950, Georges Cogniot, sénateur communiste et rédacteur en chef du journal YHumanité, dans son ouvrage sur la religion et la science, cite l’interdit comme preuve du « fanatisme » de l’Église (2324). En 1991, Jean Mathieu-Rosay, dans sa Véritable histoire des papes, écrit: « Tout aussi stupéfiante (sous-entendu: que l’interdiction de la traduction de la Bible dans les langues vernaculaires par les Sociétés bibliques), fut celle de la vaccination antivariolique que le sage Consalvi avait introduite. Invention du diable, elle était contraire aux lois de la nature! Même la recrudescence immédiate du fléau ne le fit pas revenir sur sa décision ». Dans l’hypothèse où Léon XII aurait lancé son interdit en 1829, il n’aurait certainement pas été en mesure d’en constater les effets, avant son décès, survenu le 10 février de la même année. En 1991, Georges Minois, dans son ouvrage consacré à l’Église et la science, imagine deux interdits vaccinaux successifs: le premier lors de la restauration du gouvernement de Pie VII, le second par Léon XII portant sur la « diabolique vaccine, dont l’action est contraire à la nature (25) ». La première de ces assertions relève (22) H. F a b r e , La position... [voir n. 1], p. 2. (23) G. Cogniot, La religion et la science, Paris, 1960, p. 29. (24) J. Mathieu -R osay, La véritable histoire des papes. Du royaume des deux aux royaumes terrestres, Paris, 1991, p. 302-303. Jésuite, l’auteur a quitté l’Ordre et a rompu avec l’Eglise « à cause des abus de pouvoir de Rome et de son aveuglement face aux problèmes d’aujourd’hui ». cf. J. Mathieu -R osay, Pour Dieu contre l'Eglise. La révolte d'un prêtre, Paris, 1993. (25) G. Minois, LEglise et la science. Histoire d'un malentendu. T. 2. De Galilée à Jean-Paul II, Paris, 1991, p. 186. 460 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I d’une interprétation inexacte des changements purement formels intervenus en 1815. Il faut rappeler que la législation napoléonienne encourageait très vivement la vaccination, mais n’en faisait pas une obligation, qui dans l’esprit de l’époque aurait paru abusive. En 1997, Claude Allègre, géochimiste, ministre de l’Éducation nationale de 1997 à 2000, cite l’interdit vaccinal à trois reprises dans son ouvrage consacré aux tensions entre la science et les religions: comme preuve de la réticence de l’Église vis-à-vis de la médecine; parce que d’après elle « Dieu a fait la nature avec les épidémies... et qu’il n’appartient pas à l’homme de rectifier la création »; enfin, par réaction de l’Église vis-à-vis des bienfaits introduits par Napoléon et les Français (26). Le P. Pierre Grelot, exégète, souligne l’anticléricalisme de l’ouvrage et le recours à des sources de deuxième ou de troisième main pour son argumentation (2728). En 2005, Marc Andronikov, médecin de confession orthodoxe, qualifie l’interdit de Léon XII d’« ânerie (2S) ». Une troisième catégorie de citations, sans référence, faisant état d’un interdit vaccinal, sont disponibles sur de nombreux sites Internet. Elles peuvent être obtenues à l’aide du moteur de recherche avec les mots « Léon XII - Vaccination ». On y trouve des dérives fabulatrices considérables: Ainsi, sur le site « Hérétiques, Athées, Rationalistes » w w w .lemanlake.com/ french, on peut lire: « 1829. L’Église contre la médecine. Déclaration du pape Léon XIII (sic) : citation de l’interdit, suivie de : « De même, autrefois, lorsque la peste faisait des ravages, l’Église promulguait des édits qui interdisaient la destruction des rats puisqu’ils étaient considérés, en qualité de propagateurs de l’épidémie, comme des réalisateurs de la volonté divine ». De son côté, le rabbin Harold Schulweis, dans son sermon prononcé à Roch Ha-Channah en 2002, attribue aussi à Léon XII un hypothétique interdit du recours au préservatif en 1826, utilisé pour lutter contre la syphilis (la « grande vérole »), car ce serait aller à l’encontre du jugement de Dieu (29). (26) C. A l l è g r e , Dieu face d la science, Paris, 1997, p. 149-151, 231. (27) P. G r e l o t , La science face à la foi. Lettre ouverte à Monsieur Claude Allègre, Paris, 1998, p. 65, 73. (28) M. A n d r o n ik o f , J. D a u x o is , Médecin aux urgences, Monaco, 2005, p. 159. (29) H. S c h u l w e i s , Sgnagogue & Hospital: a tale of two sanctuaries, Rosh Hashana 2002, www.vbs.org/rabbi/hshulw/synagog bot.htm. N.B.: en 1826, le préservatif était obtenu à partir d’un cæcum de mouton et conservé en milieu liquide. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 461 En définitive, l’ensemble de ces publications ont recours au soidisant interdit pour « apporter de l’eau au moulin » de leurs auteurs afin de prouver une affirmation et/ou dénigrer la papauté. Trop heureux de l’avoir trouvé, ceux-ci n’ont pas jugé utile d’en vérifier la véracité. Pour les besoins de ce travail, la recherche d’une source crédible s’imposait. R e c h e r c h e d e s o u r c e s à l'o r ig in e d e la r u m e u r Les biographes et contemporains de Léon XII ne font aucune mention d’un interdit. Il en est notamment ainsi du chevalier Artaut, premier biographe de Léon XII (30), et de Massimo d’Azeglio (31). Ce dernier porte une grande admiration à Jenner, « un homme qui a sauvé de la mort, Dieu sait combien de millions de ses semblables... Le jour viendra où Jenner sera coté plus haut que Napoléon ». Il est vraisemblable que si Léon XII avait promulgué un interdit de la vaccination, Azeglio qui était bien informé des faits et gestes du pape, en aurait fait mention dans ses Souvenirs portant sur la vie à Rome pendant la première moitié du 19e siècle. De même, les spécialistes reconnus des papes du 19e siècle ne signalent pas l’interdit de Léon XII. Il en est ainsi de Raffaele Colapietra (32) et de Philippe Routry (33). Le premier écrit: « Après Consalvi, la vaccination se poursuit sous Léon XII, qui n’a pas demandé son arrêt, contrairement à ce qu’une certaine tradition prétend ». Enfin, les recherches de l’interdit dans des traités d’histoire ecclésiastique sont restées négatives elles aussi (34). (30) A. F. Chevalier Artaut d e Montor, Histoire du pape Léon X I I , Paris, 1843, t. 2. (31) M. d’AzEGLio, Mes Souvenirs, Paris, 1876, t. 1, pp. 149 et 151. (32) R. Colapietra, La Chiesa fra Lamennais e Metternich [voir n. 12], p. 118-120. (33) Ph. B outry, Léon X I I , dans P. L evillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, 2003, p.1031-1035. p. 1031-1035; Id., Souverain et pontife [voir n.12]. (34) E. M. Crookshank, History and pathology of vaccination, vol. 2. Selected Essays, London, 1889; F. K. N ielsen , Geschichte des Papstthums im neuzehnten Jahrhundert (1876), Gotha, 1880, p. 285-327; M. B rosch, Geschichte des Kirchenstaates, t. 2, Gotha, 1880-82, p. 308. K. A. von H ase, Kirchengeschichte, Leipzig, 1900, p. 598-599. J. J. W alsh, The popes and science, the history of the 462 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I L’origine de l’incrimination de Léon XII tient sans doute à la forte personnalité du cardinal Della Genga, devenu pape en 1823. Sa piété intransigeante et étrangère aux tumultes du monde lui aliénèrent très vite l’opinion libérale; sa spiritualité austère en faisait la cible des critiques et railleries. En effet, les puissances de la Sainte Alliance n’étaient pas indulgentes pour le pouvoir temporel pontifical. Elles avaient longuement hésité à restituer au pape les provinces dites des Légations, Bologne et Ferrare. L’Angleterre, la Prusse et la Russie partageaient les préjugés anticatholiques. En Autriche, nombre de notables professaient l’anticléricalisme d’Etat du joséphisme. Ainsi, les voyageurs anglais visitant la péninsule et même beaucoup de diplomates établis à Rome colportaient les anecdotes et les réserves sur la sévérité de ce pontife. L’obscurantisme de l’Église, l’inertie du gouvernement pontifical, les ridicules superstitions de la piété italienne, la paresse et la saleté des méridionaux étaient des lieux communs des récits de voyage. La cause était entendue depuis longtemps. La notion d’une opposition de l’Église à des gestes sanitaires préventifs se trouve déjà toute armée dans la lettre XI des Lettres philosophiques que Voltaire publiait en 1734 (35). Roederer, jeune préfet du Trasimène, la reprenait en 1809, affirmant sans hésiter que l’inoculation puis la vaccination avaient été interdites par le pape. Lady Morgan, dans son Voyage d’Italie, rédigé en 1819, en faisait un théorème: « En traversant les Apennins, chaque pas éloigne papal relations to science during the middle ages and down to our own time, 1912; J. S c h m id l in , Papstgeschichte der neuesten Zeit. T. 1. Papsttum und Päpste im Zeitalter der Restauration (1800-1846), München, 1933. Traduction française: Histoire des papes de l'épogue contemporaine, t.l : La Papauté et les Papes de la Restauration, Léon X I I (1823-1829), Lyon-Paris, 1940; J. L e f l o n , La crise révolutionnaire (1789-1846), le Pontificat de Léon X I I , dans A. F l i c h e , V . M a r t i n (dir.), Histoire de l'Eglise depuis les origines jusgu'd nos jours, Paris, 1951, t. 20, p. 379-408; I d ., Léon X I I , dans Centre Interdisciplinaire des Facultés catholiques de Lille (dir.), Catholicisme, t.7, Paris, 1975, p. 328-331 ; I d ., Histoire de l'Eglise depuis les origines jusgu'd nos jours, Paris, 1984; R. A u b e r t , J. B e c k m a n n , P. C o r is h , R. L il l , Handbuch der Kirchengeschichte, Freiburg, 1985, p. 117-121; J.N.D. K e l l y , The Oxford Dictionnarg of Popes, Oxford, 1986, Dictionnaire des papes, Belgique, 1994, p. 636-639; A.-M. M o u l in (dir.), L'Aventure de la vaccination, Paris, 1996. G. M o n s a g r a t i , Leone X I I , dans M. S im o n e t t i (dir.), Enciclopedia dei P api, Roma, 2000, t. 3, p 529-539; T.F. Ca s e y , Leo X I I , Pope, dans C a t h o l ic U n iv e r s i t y O f A m e r ic a , New catholic encgclopedia (1914), Detroit, 2003, t. 8, p 489-490. (35) V o l t a ir e , Lettres philosophigues, (1734), Lettre XI. P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 463 de la lumière de la science. Cette même langueur qu’un despotisme doux et soporifique étend sur les autres branches de la science, règne aussi sur l’art médical (36) ». Elle raconte qu’à Florence les prêtres commandaient d’emmailloter les bébés et condamnaient leur liberté de mouvements comme une innovation et, poursuit-elle « une dame anglaise d’un rang très élevé qui habite Florence m’a dit qu’elle avait tenté vainement d’engager la nourrice de son enfant à faire vacciner le sien en même temps que son nourrisson: elle refusa constamment en disant, d’après son confesseur, que c’était fuir devant la face de Dieu. La vaccine est considérée comme jacobine et révolutionnaire par tous les partisans de l’ancien régime ». On reconnaît les termes du raisonnement prêté à la supposée bulle de Léon XII. Très certainement, Della Genga portait un regard inquiet sur les nouveautés politiques qui secouaient alors le vieux continent. Il avait pu en plaisanter, il est vrai que la logique de la vaccination prêtait à rire et les caricatures anglaises avaient plaisamment mis en scène des métamorphoses bovines qui auraient menacé les nouveaux vaccinés. Il faut ranger dans ce registre une réflexion prêtée au cardinal Della Genga, qui en août 1823 aurait dit, selon le comte Apponyi, diplomate autrichien (37): « Un innesto va bene, ma quest'innesto bestiale (38)... ». Lady Morgan rapporte elle aussi une plaisanterie proférée par le vieux roi de Sardaigne Victor-Emmanuel Ier, qui se moquait des jeunes gens d’aujourd’hui, incapables depuis qu’ils étaient vaccinés de danser jusqu’au petit matin, comme on faisait de son temps. La diariste anglaise, bien éloignée de l’humour de sa nation, au lieu d’y (36) Lady S.O. M o r g a n , L'Italie, traduction française, Paris, 1821, 4 vol. (37) La boutade du cardinal Della Genga, rapportée par le comte Apponyi à Metternich, est citée par J. S c h m id l in , Papstgeschichte der neuesten Zeit, 1933, t. 1, p.369. Traduction française: Histoire des papes, Paris, 1940. (38) « Une greffe, ça passe, mais cette greffe bestiale... ». Le terme « greffe » rappelle celui d’« insertion » utilisé par Voltaire pour désigner la scarification avec introduction de pus variolique. Le terme « bestial » peut s’interpréter comme « qui tient de la bête » ou comme désignant un comportement déviant. C’est probablement le premier sens qui s’applique. Comme beaucoup de gens de l’époque, Della Genga redoutait ou faisait semblant de redouter les conséquences de l’application à l’homme d’un produit animal et le risque de ce que d’aucuns désignent du terme de « minotaurisation ». 464 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I voir un mot pour rire attribuait le propos à l’obsession réactionnaire des victimes des révolutions (39). Ainsi, bien avant que Della Genga monte sur le trône, les arguments de son discrédit se trouvaient prêts. La piété sévère de Léon XII, ses entreprises de réformes administratives, sa confrontation à des menées subversives le prédisposaient à jouer, dans une histoire recomposée, ce rôle provocateur, à recevoir ce déguisement posthume. En fait, dans la logique institutionnelle de l’État ecclésiastique, il était impossible que le souverain pontife veuille et puisse faire une intervention drastique et soudaine sur un sujet temporel qui aurait nécessité l’avis des professeurs de médecine des Universités pour les aspects scientifiques et de la Sacra Consulta et des organes de gestion de la politique sanitaire pour les directives pratiques. La formation de la légende reste à découvrir. Supposer que l’assertion ait pris naissance aussitôt après la disparition de Léon XII et sans doute sous la plume de voyageurs anglais semble raisonnable, mais la preuve documentaire manque. C o n c lu sio n La fortune récente du supposé interdit vaccinal de Léon XII appartient à l’histoire culturelle de notre temps. Avouons que son apparition, après la mort de Léon XII, demeure énigmatique. Ensuite, la survie polémique de cet incident institutionnel, vrai ou supposé, relève d’une permanence d’hostilité envers le catholicisme dont la stabilité diachronique est digne de remarque. Des épisodes manquent à l’appel; la véritable origine de l’anecdote, ses répétitions, ses transmissions restent à compléter. Du moins, cet essai de reconstitution généalogique illustre-t-il un peu le cloisonnement des filières intellectuelles, l’indifférence idéologique aux exigences de l’histoire et l’espace d’abstraction, où vivent et se transmettent les idées reçues et les travestissements du passé. Yves-Marie B ercé 121 avenue Philippe Auguste F - 75011 P a ris Jean-Claude 6 Boulevard Ohmacht F - 67000 S tra sbo u r g (39) Lady S.O. M o r g a n , L'Italie [voir n. 36]. Otten i P R A T I Q U E D E L A V A C C IN A T IO N A N T IV A R IO L IQ U E 465 Résumé — « Ceux qui se soumettent à la vaccination contre la petite vérole cessent d’être enfants de Dieu. La petite vérole est une punition de Dieu et la vaccination est un défi lancé au Ciel ». Cet interdit de la pratique de la vaccination antivariolique dans les Etats pontificaux, attribué à Léon XII en 1829, est souvent cité, en particulier dans le domaine de la bioéthique, pour montrer l’hostilité persistante et injustifiée du Magistère catholique romain vis-à-vis de certaines innovations biomédicales. En fait, les citations de l’interdit ne sont pas référencées par une source crédible: les auteurs se citent mutuellement sans vérifier ce qu’ils avancent. Cette affirmation non fondée continue d’être présentée comme un fait réel et l’interdit a fini par devenir une réalité qui n’est plus remise en question. Ce travail, centré sur le problème de la citation de l’interdit, envisage successivement les données historiques sur la vaccination antivariolique au 19e siècle en Italie, en particulier dans les provinces de l’État pontifical, les citations d’un prétendu interdit vaccinal dans les publications contemporaines, la recherche de sources de cette rumeur et l’hypothèse qu’on peut former sur l’origine de l’interdit supposé. Il conclut que cette anecdote d’un interdit ressemble beaucoup à une rumeur malveillante entretenue actuellement par des sites Internet. L’origine probable de cette rumeur pourrait être une boutade négative sur la vaccination, faite par le cardinal Della Genga avant de devenir Léon XII. En définitive, il est arbitraire d’établir un ben entre ce prétendu interdit et des avis négatifs récents du Magistère dans le domaine de la bioéthique. Summary. — « Whoever aUows himself to be vaccinated ceases to be a child of God. Smallpox is a judgement from God: thus vaccination is an affront to Heaven ». This ban on smallpox vaccination in the papal States, attributed to Pope Leo XII in 1829, is often quoted, especially in the field of bioethics, to demonstrate the persistent and unjustified reluctance of the Roman Catholic Magisterium to accept certain biomedical innovations. However no evidence supporting the attribution of this quotation is provided: authors give mutual citations without further verification. A groundless attribution continues to be presented as a true fact and the ban has become an unquestionned reality. This article aims to explore the problem of the ban’s attribution and considers successively the historical data on smallpox vaccination in the papal States and in Italy during the 19th century, the quotations of the supposed papal ban in contemporary publications, the search for the sources and the hypothesis of the origin of the rumour. It is concluded that the ban is not a reality but a malevolent rumour, mainly maintained today on Internet web-sites. The probable origin of the rumour is a negative comment on vaccination by cardinal Della Genga before he became Leo XII. Finaby, it is not justifiable to accept a link between this supposed edict and certain condemnations by the contemporary Roman Catholic Magisterium in the field of bioethics. Zusammenfassung. — « Wer auch immer sich der Impfung unterzieht, hört auf ein Kind Gottes zu sein. Die Pocken sind ein Strafgericht Gottes: die Impfung ist eine Herausforderung des Himmels ». Dieser Bann der Pockenimpfung in den Vatikanstaaten, zugeschrieben Papst Leo XII im Jahre 1829, wird oft zitiert, besonders im Bereich der Bioethik, um den beharrlichen und ungerechtfertigten Widerstand des Römisch Katholischen Magisteriums gegen gewisse bio­ 466 Y -M . B E R C E - J . - C . O T T E N I medizinische Fortschritte aufzuzeigen. Jedoch wird kein Beweis dafür erbracht, dass dieses Zitat existiert. Verschiedene Autoren zitieren sich gegenseitig ohne weitere Beweisführung. Eine unbegründete Zurechnung wird als Tatsache präsentiert und der Bann ist zu einer Realität geworden, die nicht mehr in Frage gestellt wird. Dieser Beitrag hat zum Ziel die Problematik des Zitates zu untersuchen indem er nacheinander einen Überblick über die historischen Daten der Pockenimpfung in den Vatikanstaaten und in Italien im 19. Jahrhundert vermittelt, die heutigen Publikationen, die sich mit dem päpstlichen Bann beschäftigen, analysiert, nach Quellen des Gerüchtes sucht und der Hypothese seines Ursprungs nachgeht. Es wird gefolgert dass der Bann keine Realität sondern ein böswilliges Gerücht ist, das sich heutzutage vorwiegend auf Intemetseiten hält. Der mögliche Ursprung des Gerüchtes ist ein negativer Kommentar des Kardinals Deila Genga zur Impfung, bevor er Papst Leo der XII wurde. Schliesslich, ist es nicht gerechtfertigt, eine Verbindung zwischen einem hypothetischen Edikt Leos XII und gewissen Mißbilligungen durch das zeitgenössische Römisch Katholische Magisterium auf dem Gebiet der Bioethik herzustellen.