Article 6

Le seul gouvernement mondial légitime est-il celui de Jésus-Christ et de son Église ?

• Objections :

1. Il semblerait qu’un gouvernement mondial soit nécessaire, outre le gouvernement spirituel de l’Église. En effet un tel gouvernement est le seul moyen de réaliser l’unité du genre humain et d’obtenir ainsi une paix durable, comme l’a fait remarquer plusieurs fois le pape actuel dans ses encouragements à l’Organisation des Nations Unies. D’autre part, la multiplication des échanges et les nouveaux moyens de communication ont fait du monde un « village planétaire » dans lequel l’ordre ne peut être assuré que par des règlements mondiaux, et donc par une autorité mondiale.

2. Les religions en général, et l’Église catholique, tendent facilement à l’intolérance ; elles ont pour cela été bien souvent causes de guerres. Elles doivent donc être exclues du gouvernement mondial, lequel doit s’édifier selon le modèle laïc de la démocratie libérale qui a fait la prospérité et la paix des États-Unis d’Amérique.

3. Tout gouvernement doit être en mesure de faire respecter ses lois et d’obtenir l’obéissance. Or l’Église ne dispose d’aucun pouvoir de coaction sur les nations.

4. L’Église a non seulement permis, mais encore favorisé l’existence d’un pouvoir temporel en quelque sorte universel, celui du Saint-Empire. Il n’est donc pas juste de dire que le seul gouvernement mondial légitime est celui de l’Église.

• Cependant :

Le gouvernement mondial, s’il existe, est nécessairement unique. Or il en existe déjà un qui est celui de Jésus-Christ et de son Église, selon ce qui est dit dans l’Évangile de saint Matthieu :

Tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et soyez certains que je serai continuellement avec vous jusqu’à la consommation des siècles [Mt 27, 18].

• Réponse :

Comme il a été dit plus haut, la légitimité ou non-légitimité d’un gouvernement doit être déterminée en fonction de ce qui convient au bien commun. Or le bien de l’homme est double : spirituel et temporel. Et les biens temporels sont presque sans aucune valeur si on les compare aux biens spirituels et éternels. C’est pourquoi il est dit au livre de la Sagesse : « Tout l’or du monde n’est rien qu’un peu de sable par rapport à la Sagesse » (Sg 7, 9). Afin de pourvoir au mieux aux intérêts supérieurs des hommes, il est donc essentiel que l’autorité supérieure dans le gouvernement des sociétés humaines ait pour objectif principal le bien spirituel et le salut des âmes, et ne s’intéresse aux biens temporels qu’indirectement, dans la mesure où ils sont utiles au bien spirituel.

C’est pourquoi la divine Providence qui veille sur toutes choses et ne néglige rien de ce qui peut être utile à ses créatures, a pourvu au mieux au gouvernement des choses humaines en établissant, au-dessus de tous les princes et gouvernements temporels, le gouvernement spirituel du Roi des rois et Seigneur des seigneurs, Jésus-Christ, et de son Église. Nous ne pourrions faire mieux que de renvoyer le lecteur aux textes magnifiques du magistère de l’Église sur ce sujet [En particulier les encycliques Immortale Dei de Léon XIII du 1er novembre 1885, et Quas primas de Pie XI (11 décembre 1925).], ainsi qu’à l’opuscule 20 de saint Thomas (De Regimine principum).

Le gouvernement mondial existe déjà, institué par Dieu même. Toute tentative d’en instaurer un autre, comme celle du mondialisme actuel, est donc subversive et impie, tendant par sa nature même à renverser l’ordre des valeurs et à détourner les hommes de la recherche des biens véritables. C’est pourquoi Dieu ne peut permettre le succès du nouvel ordre : le projet des mondialistes aboutira nécessairement à la plus horrible confusion, à l’instar de celui des constructeurs de la tour de Babel [Gn 11, 1-9.]. Car ce n’est que dans la mesure de leur soumission à JésusChrist que les peuples connaîtront la paix et le bonheur : « Bienheureux le peuple qui a Dieu pour Seigneur » (Ps 143, 15).

Solution des objections :

1. La paix et la facilité des échanges sont sans doute de grands biens, mais ils ne doivent pas être achetés à n’importe quel prix. Comme le dit saint Thomas, « il ne faut jamais faire un mal en vue d’un bien, surtout lorsque ce mal est pire que le bien espéré ». Or c’est le cas ici : l’établissement d’un pouvoir mondial antichrétien tel qu’il est en train de se réaliser sous nos yeux, et le mal qui en résultera pour l’Église et pour les âmes est bien pire que n’importe quelle guerre, même atomique. La guerre n’est qu’un mal physique, tandis que le scandale d’un gouvernement apostat étendu au monde entier sont un mal moral et spirituel incommensurable. Ceux qui auront collaboré à son établissement en porteront la terrible responsabilité devant Dieu et devant l’histoire. Quant à l’argument qui se fonde sur les déclarations du pape Jean-Paul II, il faut malheureusement répondre que, par sa défense inconditionnelle des doctrines libérales et révolutionnaires, le pape actuel a perdu son droit à la confiance des catholiques fidèles, au moins dans tout ce qui a trait à la politique.

2. La vraie religion est de soi cause d’unité et de paix. Si elle pousse parfois à la guerre, c’est accidentellement, afin de défendre la vérité et le bien contre ses injustes agresseurs. Il est en revanche bien vrai, malheureusement, que les fausses religions et l’impiété sont, par leur nature même, la cause de nombreuses dissensions et guerres [Que l’on pense par exemple aux sanglantes guerres de religion causées en Europe par la réforme protestante. L’Espagne et son empire d’Amérique en ont été heureusement préservés par l’action bienfaisante de l’Inquisition.]. Quant à la religion démocratique américaine que l’on nous présente aujourd’hui comme la panacée universelle, il ne faudrait tout de même pas oublier qu’elle ne cesse depuis deux siècles de financer toutes les révolutions. Cependant, même si le libéralisme américain était vraiment favorable à la paix et à la prospérité économique, il n’en serait pas moins détestable en raison de l’indifférentisme et du matérialisme qui lui sont intrinsèques.

3. L’Église a été dotée par son divin fondateur d’un double pouvoir de coaction, comme l’explique le pape Boniface VIII dans sa bulle Unam sanctam du 18 novembre 1302 :

Deux glaives sont au pouvoir de l’Église : le spirituel et le temporel. Mais le premier doit être employé par l’Église, le second pour l’Église. Celui-ci par la main du prêtre, celui-là par celle des rois et des soldats, mais selon ce que le prêtre ordonne ou permet. Or il est nécessaire que l’un des glaives obéisse à l’autre, et que l’autorité temporelle soit soumise au pouvoir spirituel.

Ce pouvoir qui a été confié à l’Église est souverainement efficace : le jour où les prêtres voudront bien reprendre en mains le glaive de la doctrine et faire bon usage des pouvoirs dont ils ont reçu la charge, le monde sera peut-être bien prêt de retrouver la paix véritable.

4. Rien n’empêche qu’il existe, outre le pouvoir spirituel de l’Église, un pouvoir temporel universel, à condition que l’Empereur soit parfaitement soumis au pape en vue du salut des âmes. Sans cette condition, l’Empire devient un mal plutôt qu’un bien [C’est la raison pour laquelle, selon Mgr Delassus, la divine Providence a dû s’armer du bras des barbares afin de détruire le vieil Empire romain : même chrétiens, les empereurs n’avaient pas su se libérer de la conception antique et prétendaient gouverner les affaires de l’Église comme les empereurs païens gouvernaient celles de la religion païenne. (Mgr Delassus, La Mission posthume de la bienheureuse Jeanne d’Arc, chap. 20 et 21.).]

—Guillaume Devillers, FSSPX, Essai de doctrine sociale et politique à l'école de saint Thomas d'Aquin

Article 6

Is the only legitimate world government that of Jesus Christ and his Church?

- Objections:

1. It would seem that, in addition to the spiritual government of the Church, a world government is also necessary. Indeed, such a government is the only way to achieve the unity of the human race and thus lasting peace, as the present Pope has repeatedly pointed out in his encouragement of the United Nations. On the other hand, the multiplication of exchanges and new means of communication have turned the world into a "global village" in which order can only be ensured by global regulations, and therefore by a global authority.

2. Religions in general, and the Catholic Church in particular, tend easily to intolerance, and have often been the cause of war. They must therefore be excluded from world government, which must be built on the secular model of liberal democracy that has brought prosperity and peace to the United States of America.

3. Any government must be able to enforce its laws and obtain obedience. But the Church has no power of coaction over the nations.

4. The Church has not only permitted, but also encouraged the existence of a temporal power that is in some way universal, that of the Holy Roman Empire. It is not fair, therefore, to say that the only legitimate world government is that of the Church.

- However :

The world government, if it exists, is necessarily unique. But one already exists, and that is that of Jesus Christ and his Church, according to what is said in the Gospel of Saint Matthew:

All authority has been given to me in heaven and on earth. Go therefore and teach all nations, baptizing them in the name of the Father and of the Son and of the Holy Spirit, teaching them to observe all that I have commanded you. And be sure that I will be with you always, until the end of the age [Mt 27:18].

- Answer:

As mentioned above, the legitimacy or non-legitimacy of a government must be determined according to what is appropriate for the common good. Man's good is twofold: spiritual and temporal. And temporal goods are almost worthless when compared to spiritual and eternal goods. This is why it is said in the book of Wisdom: "All the gold in the world is but a little sand compared to Wisdom" (Wis 7:9). In order to provide for the best interests of mankind, it is therefore essential that the higher authority in the government of human societies should have as its primary objective the spiritual good and the salvation of souls, and should be interested in temporal goods only indirectly, insofar as they are useful to the spiritual good.

This is why Divine Providence, which watches over all things and neglects nothing that can be useful to its creatures, has provided for the best government of human things by establishing, above all temporal princes and governments, the spiritual government of the King of kings and Lord of lords, Jesus Christ, and of his Church. We can do no better than refer the reader to the magnificent texts of the Church's magisterium on this subject [in particular, Leo XIII's encyclical Immortale Dei (November 1er 1885) and Pius XI's Quas primas (December 11 1925)], as well as to Opuscula 20 of St. Thomas (De Regimine principum).

World government already exists, instituted by God himself. Any attempt to establish a new one, like that of present-day globalism, is therefore subversive and ungodly, tending by its very nature to overturn the order of values and divert men from the pursuit of true good. This is why God cannot allow the new order to succeed: the globalists' project will necessarily lead to the most horrible confusion, like that of the builders of the Tower of Babel [Gn 11:1-9]. For it is only in the measure of their submission to Jesus Christ that peoples will know peace and happiness: "Blessed is the people who have God as Lord" (Ps 143:15).

Resolving objections :

1. Peace and ease of trade are undoubtedly great goods, but they must not be bought at any price. As St. Thomas says, "we must never do an evil in order to achieve a good, especially when that evil is worse than the good we hope for". And this is the case here: the establishment of an anti-Christian world power as it is taking place before our very eyes, and the evil that will result for the Church and for souls, is far worse than any war, even an atomic one. War is only a physical evil, while the scandal of an apostate government extended to the whole world is an immeasurable moral and spiritual evil. Those who collaborate in its establishment will bear the terrible responsibility before God and history. As for the argument based on the declarations of Pope John Paul II, the unfortunate answer is that, by his unconditional defense of liberal and revolutionary doctrines, the present Pope has lost his right to the confidence of faithful Catholics, at least in all matters of politics.

2. True religion is in itself the cause of unity and peace. If it sometimes leads to war, it is accidental, in order to defend truth and goodness against its unjust aggressors. On the other hand, it is unfortunately true that false religions and impiety are, by their very nature, the cause of many dissensions and wars [Think, for example, of the bloody wars of religion caused in Europe by the Protestant Reformation. Spain and its American empire were fortunately preserved by the beneficent action of the Inquisition]. As for the American democratic religion that is presented to us today as the universal panacea, we should not forget that it has been financing every revolution for the past two centuries. However, even if American liberalism were truly conducive to peace and economic prosperity, it would still be detestable because of the indifferentism and materialism intrinsic to it.

3. The Church was endowed by its divine founder with a dual power of coaction, as Pope Boniface VIII explained in his bull Unam sanctam of November 18, 1302:

The Church has two swords: the spiritual and the temporal. But the first must be used by the Church, the second for the Church. This one by the hand of the priest, that one by the hand of kings and soldiers, but according to what the priest orders or allows. It is necessary for one sword to obey the other, and for temporal authority to be subject to spiritual power.

The power entrusted to the Church is sovereignly effective: the day priests take up the sword of doctrine and make good use of the powers entrusted to them, the world may well be on the verge of true peace.

4. There is nothing to prevent the existence, in addition to the spiritual power of the Church, of a universal temporal power, provided the Emperor is perfectly submissive to the Pope for the salvation of souls. Without this condition, the Empire becomes an evil rather than a good [This is why, according to Mgr Delassus, Divine Providence had to arm itself with the arm of the barbarians in order to destroy the old Roman Empire: even as Christians, the emperors had not been able to free themselves from the ancient conception and claimed to govern the affairs of the Church as the pagan emperors governed those of the pagan religion. (Mgr Delassus, La Mission posthume de la bienheureuse Jeanne d'Arc, chapters 20 and 21)].

—Guillaume Devillers, FSSPX, Essay on social and political doctrine in the school of Saint Thomas Aquinas