Imprimatur : Parisiis, die 6° Februarii 1936 V. Dtp in, V. g. DICTIONNAIRE DE THÉOLOGIE CATHOLIOU CONTENANT L’EXPOSÉ DES DOCTRINES DE LA THÉOLOGIE CATHOLIOLE LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE COMMKNCft SOUS EA DIRECTION DE E. MANGENOT A. VACANT PilOHUBIUR A L'INSTITUT CA THOLIQU K DK FARD» I’ROHRSKUR AU OllAND RtUlNAIRK DK NANCY continué sous cfxlf de É. AMANN PftOmSXUR A l~A FACULTÉ DK THAOLOGIS CATHOLIQUE DK L'UNITKRSFTl DK StfUWtmo AVEC LE CONCOURS D*UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS TOME TREIZIÈME PREMIERE PARTIE PRÉEXISTENCE - PUY (ARCHANGE DU) PAH IS-VI LIBRAIRIE LETOUZEY 87, Boulevard Raspail, 1936 tous droits niisKRvCs I ET ANE 87 DICTIONNAIRE D E THÉOLOGIE CATHOLIQUE »-------------------------------- ----------------- Z P (Suite) Ce mot intervient à divers endroits de la théologie : 1° On parle de la préexistence du Christ, en ce sens que le Verbe de Dieu, existant de toute éternité, a assume, au moment de l’incarnation, une nature humaine, à laquelle il s’est uni hypostatiquement. Cette nature humaine ne préexistait pas: mais, en vertu de la communication des idiomes, on peut dire du Christ-Jésus qu’il préexistait. C’est ce que fait, d’ailleurs, saint Paul dans le texte célèbre de l’épi tre aux Philippicus, π, 5-9. 2° On a posé, à diverses reprises, la question de la préexistence des âmes humaines, se demandant Si l’âme de l’homme vient à l’existence au moment même où se forme le corps humain, ou si, au contraire, l’âme créée bien antérieurement, est envoyée dans le corps au moment de la conception ou de l’animation. Les doctrines pythagoriciennes et platoniciennes, pour autant que l’on peut les préciser, semblaient se rallier ù cette deuxieme hypothèse. Voir ici les articles Métempsycose, t. x. col. 1571. et Plato­ nisme* t. xii, col. 2267. Elles ont influencé un certain nombre de penseurs chrétiens, et on les retrouve tant chez certains gnostiques que chez Origène. qui a fait leur fortune dans Γ Église. Voir l’art. Origène, col. 1531 sq. C’est l'influence d’Origène qui explique la faveur (pie l’hypothèse de la préexistence a ren­ contrée chez Némésius, Didyme. Êvagrc. les hésita­ tions aussi de saint Jérôme, dans la première partie de sa carrière, et de saint Augustin, qui n’a jamais su prendre position de manière définitive. Prudence et Priscillicn, soit directement, soit de toute autre manière, ont été entraînés par le meme courant. Sur tout ceci, voir les articles consacrés à chacun de ces auteurs, et l’art. Ame, col. 996. Les controverses origénistes du ive et du vi* siècle ont roulé en grande partie sur cette question. Voir Part. Origi nisme, surtout col. 1568, 1576 sq., 1581. Finalement· cette doctrine de la préexistence des limes fut condamnée au Ve concile (553), voir ce même article, col. 1581 et 1582. Peu ù peu, la doctrine fut abandonnée, non sans quelques retours offensifs, et il est rcmarquablc qu’au milieu du ixr siècle, Photiusla combatte énergiquement. Voir art. Ami:, col. 1007. On la signale chez les Arméniens du xiv siècle. Voir même article. PRÉEXISTENCE. DICT. DE TIlÉOL. CAT1I0L. col. 1020. La scolastique latine en avait dès lors fait justice. Voir Sum. theol., I\ q. cxvni, a. 3. A l’heure présente, elle serait considérée comme une hérésie, bien qu’elle n’ait pas laissé de conserver quelques traces dans les idées et le langage populaire. 3° On a parlé de la préexistence de la matière à la création, l’œuvre créatrice consistant seulement à mettre de l’ordre dans le chaos préexistant. L’idée est également platonicienne; elle a été un des postu­ lats essentiels du gnosticisme, et a pu laisser quelques traces dans l’ancienne littérature chrétienne. Elle s’oppose évidemment au dogme de la création ex nihilo. Voir l’art. Création, en particulier col. 20572079. É. Amann. PRÉMONTRÉS. I. Origine de l’ord 11. Règle et organisation. III. Évolution. IV, Privi­ lèges et liturgie. V. Rôle de l’ordre. VI. Personnages célèbres : saints et bienheureux. VIL Vie intellec­ tuelle. VIII. État actuel. I. Origine dk i ‘ordre. — L’ordre des chanoines réguliers prémontrés tire son nom de la première abbaye de l’ordre, fondée en 1120, aux environs de Soivsons. dans le vallon de Prémontré. Les prémontrés sont aussi appelés norberlins, du nom de saint Nor­ bert, le fondateur de l’ordre. Les sources de la vie de saint Norbert se trouvent, pour une grande part, dans la Vita Norberli. peutêtre contemporaine de Norbert. On en relève deux adaptations : la Vita K. éditée a Anvers, en 1 par J.-C. Van der Sterre, qui en donna un texte critique, reprise dans les Acta sanctorum, junii t. i. p. 791973 de l’éd. d’Anvers. 1695. et p. 801-983 de l’éd. de Venise. 1711. mais sans l’appareil critique de Van der Sterre; la Vila .1, éditée par H. Wilinans dans les Mon. Germ, hist.. Script., t. χιι, p. 663-703. Norbert de Gennep apparaît au début du xn· siècle comme le réformateur du clergé ayant charge d’âmes. 11 avait reçu le sous-diaconat et avait été pourvu d’une prébende de chanoine à l’église collégiale de Nantcn, sa ville natale, en Rhénanie. Peu soucieux de remplir les charges de sa profession, il passait les années de sa jeunesse à la brillante cour de l’empereur Henri V qu’il accompagna ù Home, lors de l’expé­ dition de 1111 contre Pascal IL Norbert, qui éblouis­ T. _ Mil — 1. 3 PR E M ONT R ES. ORIGI NE sait %cs compagnons par le faste de sa vie, trouva son chemin de Damas. Il se résolut à mener une vie plus conforme â scs engagements et se prépara, à l'abbaye de Siegbourg. à recevoir l’ordination sacer­ dotale (Cologne, 1115). Il était alors Agé d’environ 35 ans. Le jour de sa première messe, sa prédication s’adresse a ses collègues, les chanoines de Xanten, qu’il conjure de revenir avec lui â une vie plus évan­ gélique. Avant échoué prés de scs collègues de Xanten, Norbert rentra dans le silence et, pendant trois ans, Il mène une vie de retraite et de pénitence. Il a ainsi l’occasion d’examiner les trois genres île vie spirituelle: canoniale, monastique et érémltiquc, La vie cano­ niale, il l’a vécue à Xanten. mais, telle qu’elle existe, elle ne peut plus satisfaire les aspirations de son âme. Il lui faut une destinée plus austère cl plus laborieuse. La vie monastique, il l’a goûtée à Siegbourg. où il fut initié aux secrets de la contemplation. La vie éré­ mitique, il l’a vu pratiquer par un ermite, habitant non loin de Xanten et qu’il visitait fréquemment, et il l’a pratiquée lui-même. En définitive, il n’embrassa aucune de ces trois vocations. Même pendant ces années de retraite, Norbert semble avoir prêché. Rupert de Deutz lui en fait un reproche et Norbert est cité devant le synode de Fritzlar (1118), où on l’accuse de prêcher sans mission cl sans ménagement pour ses auditeurs; on lui fait même un crime d’avoir rejeté ses habits précieux. La réponse de Norbert fut tout un programme ; il revendiqua le droit de prêcher et saisit l’occasion d’adresser quelques leçons à ses juges. On n’ose le condamner, mais il part désabusé; avant de quitter le pays, il résigne son canonical et distribue aux pauvres ce qui lui reste de patrimoine. Son premier soin fut de faire approuver sa vocation de prédicateur par le souverain pontife. En no­ vembre 1118, nous le retrouvons à Saint-Gilles, en Languedoc, près du pape Gélase II, qui écoule scs confidences et le relève de l’irrégularité qu’il croyait avoir encourue en recevant le même jour le diaconat et la prêtrise. Le pape apprécia tout de suite l’homme que Dieu lui envoyait pour la réforme de l'Église et voulut l’attacher â sa personne. Norbert le prie de n’en rien faire; le pape le prend alors sous sa protec­ tion et lui impose la mission d’aller prêcher partout où il voudrait, dans tous les diocèses. Dès lors, Nor­ bert se manifesta comme prédicateur ambulant ( Wanderprediger). Il sera une leçon pour scs contem­ porains, par son exemple d’abord, car il embrasse les pénitences les plus austères, cl, précurseur de saint François d’AssISO, par la plus grande pauvreté, et ensuite par sa prédication au peuple, mais aussi aux prêtres et aux religieux. I Comment ce missionnaire fut-il amené à fonder un ordre religieux? Au cours de scs prédications, plu­ sieurs disciples s’étalent attaches ù lui et partageaient sa vie de travail et de pénitence, entre autres, I lugucs de bosses, chapelain de l’évêque de Laon, Barthélemy de Joux. Avec eux. Norbert se rend, en 1119, à Heims, où le pape Callixtc II tenait un synode. Norbert voulait lui demander le renouvellement de son mandai de prédicateur. Il ne put cependant avoir accès auprès du pontife; découragé, il quittait déjà la ville, quand l’intervention de l’évêque de Laon lui procura l’entre­ vue désirée. Le pape le reçut avec bonté, confirma les pouvoirs donnés par son prédécesseur. Gélase, mais ne m mble pas avoir encouragé le missionnaire. La santé de Norbert était fortement ébranlée. Pour le retenir, l’évêque de Laon proposa au réformateur la direction des chanoines de Saint-Martin de Laon. Norbert dut accepter cette mission pour ne pas désobéir aux volontés du pape, mais obtint l’autori­ sation île réaliser dans ce chapitre ses idées de réforme. Les chanoines, cependant, peu désireux de changer de vie, se refusèrent d’accepter la direction de Norbert. Barthélemy de Joux ne renonça point a son désir de garder ce personnage d’élite dans son diocèse, et décida Norbert ù se fixer dans le voisinage de Laon pour y entreprendre la fondation d’une maison ordonnée d’après son idéal. Après une nuit passée en prières dans un endroit marécageux do la forêt de Couey et où Norbert vit en reve des moines blancs avec croix et flambeaux, chantant des psaumes et allant en procession autour de la chapelle en ruines qui se trouvait en cet endroit, le réformateur déclara à l’évêque qu’il désirait construire une abbaye en ce lieu qui lui fut · prémontré ■ par Dieu (pnemun· stratum). Les bénédictins de Saint-Vincent de Laon, dont relevait la chapelle, la lui cédèrent, el l’évêque de Laon donna sa coopération pour l’érection d’un petit couvent. Norbert travailla tout de suite au recru­ tement : sa vie apostolique reprit avec une intensité croissante. Seul, à cette époque, Bernard de ClairvatiX connaîtra pareil triomphe et saura susciter sur son passage un enthousiasme semblable. Son passage, dans toutes les provinces qu’il traverse, est marqué par des conversions et. autour de lui, se forme une escorte de disciples sans cesse grossissante. Norbert revient à Prémontré, y amenant quarante clercs et un nombre plus considérable de laïques. L’ordre de Prémontré était fondé (1120)· Dès 1121, le fondateur reprit ses courses aposto­ liques. auxquelles il associa les plus effrayantes austé­ rités. Il ne semble cependant pas pressentir qu’il est fondateur d’ordre. Ce qu’il veut, c’est rétablir les chanoines dans la ferveur de leur institution primitive et, dans ce but. former un clergé d’élite, imitant le sacerdoce éternel du Christ, et. dans cet idéal, se dévouant plus fructueusement au ministère des âmes par suite d’une formation mieux appropriée. A peine Norbert eut-il jeté les fondements de son ordre, que de toutes parts surgirent des corporations de prêtres qui se placèrent sous sa direction. La pre­ mière filiale de Prémontré fut Florcffc, près de Namur. Dès 1123 ou 112 i, nous retrouvons les prémontrés à Anvers. La ville était devenue, comme la citadelle de Tanchelin, un hérésiarque antisacerdotal, qui avait entraîné à sa suile toute la population. Bouchard, évêque de Cambrai, après plusieurs tentatives infruc­ tueuses pour ramener les Anversois à la foi chré­ tienne, se souvint de Norbert, ami de sa jeunesse. Répondant à l’appel de l’évêque, celui-ci choisit parmi scs disciples les plus savants el les plus zélés — la tra­ dition en fait des anciens élèves des écoles de Paris et de Laon — et, avec eux, il arrive à Anvers. Le succès est complet. Le peuple acclame en Norbert le sauveur de la ville. Les prémontrés construisent alors une abbaye autour de l’église Saint-Michel que les cha­ noines avaient offerte à Norbert pour s’assurer sa coopération dans la lutte contre l’hérésiarque. Nous retrouvons Norbert, en ce même temps, aux côtés de saint Bernard dans la campagne contre Abélard. En 1126, à la diète de Spire, Norbert fut élevé à la dignité d’archevêque de Magdebourg. Ses adieux à la communauté de Prémontré furent touchants et se trouvent, d’après la tradition, résumés dans le Scrmo que l’ordre conserve comme le testament spirituel de son fondateur. Le nouvel archevêque entreprit sans tarder la réforme des institutions canoniales el du clergé de son diocèse, ce qui engendra de l’opposition, surtout quand il voulut remplacer les chanoines de la collégiale Sainte-Marie perdes religieux de Prémontré, ce qui fut réalisé en 1131. Pendant toute la durée de son épiscopat, Norbert eut à lutter contre les usur­ pations des princes, le relâchement du clergé el la I’ K É Μ O N T H ÉS. O K GA X IS A T IO X simonie. Il s'intéressa aussi à l'évangélisation des Wendc.s. Il prit part à plusieurs synodes, à celui de Wurtzbourg en 1127 et en 1130, à celui de Liège, et à celui de Heinis en 1131, Il cul un grand rôle dans la querelle des investitures. Lors du schisme d’Anaclet, il se rangea du côté d’innocent H, voir Ici, t. vu, col. 1957, et il persuada l'empereur Lothairc II l’entreprendre la campagne d'Italie pour rétablir ce dernier à Home, Norbert accompagna l’année dans celte expédition. Il rentra à Magdebourg, pendant le carême de 1131. épuisé par les lièvres. 11 mourut le G juin, et fui enseveli dans la collégiale de cette ville, au milieu de ses chanoines prémontrés. Norbert de Xanten fut canonisé en 1582 par Grégoire XIII. Au commencement du xvir siècle, quand le protestan­ tisme conquit Magdebourg, les prémontrés d’Autriche, sur l'initiative du prélat Questemberg de Strahov, mirent tout en œuvre pour s’assurer la possession des reliques de leur fondateur. Après plusieurs tentatives infructueuses, 1rs saints ossements furent enlevés et transportés à l’abbaye de Strahov, à Prague (16261G27). et le saint fut proclamé protecteur de la Bohême. La fete de saint Norbert se trouve au G juin dans le calendrier romain, mais, depuis 1625, les prémontrés la célèbrent le 11 juillet, date de scs obsèques solennelles. Norbert, lors de son élévation à l’archevêché de Magdebourg, avait confié la maison de Prémontré à son premier disciple, Hugues de Fosses, qui pour­ suivit l’œuvre du maître. Celui-ci, d’ailleurs, plaça la jeune communauté dans un cadre plus monastique peut-être que ne l’avait envisagé Norbert, pour qui la sanctification personnelle devait, après formation complète, s’extérioriser dans la prédication et le ministère paroissial. Le nouvel ordre de Prémontré fut approuvé par le pape Honorius II en 1126, par la bulle Apostolicæ disciplina. Sous la puissante impulsion de Hugues de Fosses et avec l’appui des plus hautes autorités ecclésiastiques, l’ordre se propagea merveilleusement en France, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Pologne, en Espagne, en Italie et au Danemark. Il ne tarda pas à passer 1rs mers et à s’établir en Angle­ terre, en Irlande et en Palestine. Avant sa mort, le premier abbé-général de l’ordre eut la consolation de réunir sous sa présidence, en chapitre général, cent-vingt abbés. En dehors des abbayes, de nom­ breux prieures et prévôtés et mainte grangia relevaient de l’ordre. IL Kègle et organisation. — Au début. Norbert ne semble pas avoir envisagé la composition d’une règle bien définie qui présiderait a la formation reli­ gieuse des recrues. De même, celles-ci se contentaient de la direction spirituelle du fondateur et de l’exemple qu’il leur donnait. Ces conseils et ce* exemples cepen­ dant faisaient défaut à la communauté pendant les frequentes absences de Norbert, à l’occasion de ses courses apostoliques. Le choix d’une règle s’imposait. Devant les efforts faits par plusieurs conciles cl divers évêques pour rendre aux chapitres l’ancienne x ie commune. Norbert songea à susciter un organisme modelé sur l’organisation primitive; il établirait des communautés de prêtres vivant sous le régime de la collectivité des biens, mais où la \ ie contemplative des membres serait unie aux travaux extérieurs du ministère. Encore fallait-il que ce programme fût concrétisé et délimité par un règlement strict. La Vila nous apprend comment, à la suite d’une vision, la règle de saint Augustin fut adoptée par Norbert. Son institut prit dès lors place dans le grou­ pement des chanoines réguliers. JZncore cette règle manquait-elle de précision pour servir de cadre à une vie de communauté. Les premiers législateurs de G l'ordre et le bienheureux Hugues de Fosses occupe la place principale parmi eux — curent a cœur d’élaborer un règlement qui délimiterait la vie en commun et serait en même temps une garantie pour l'uniformité des diverses maisons. Ce travail fut avant tout une adaptation. L’on emprunta aux Officia ecclesiastica cisterciens ia ce qui, dans la règle, a rapport à la vie de communauté. L'organisation de la direction suprême fut élaborée d’après la Charta charilatis et les Instituta generalia (1131) des cisterciens. Quelques emprunts s'y ajou­ tèrent, pris à la règle de Cluny, et plus particuliè­ rement à la rédaction spéciale de Hirsau. Ceci est tellement vrai qu'une étude comparative des Consue­ tudines cistercienses et des Consuetudines pramonslratenses permettrait de reconstituer le texte primordial de la règle de Prémontré, qui nous fait toujours défaut, et prouverait en même temps que le texte des « Premiers statuts », édités par Van Waefelghem, ne constitue nullement le texte primitif. Cette pre­ mière rédaction - celle du bienheureux Hugues — daterait de 1131 environ, et aurait obtenu l’appro­ bation des abbés des premier» monastères, réunis en chapitre. Une seconde rédaction aurait été faite vers 1150. Son auteur reste inconnu et elle ne fut jamais officielle dans l’ordre. Vint ensuite une rédaction défi­ nitive, vers 1200, sur laquelle se greffèrent les déci­ sions des chapitres généraux postérieurs; cf. IL Heijman, U ntersuchungen iïber die prumonstratenser Geirohnheiten, Tongcrloo, 1928. Cette rédaction est le plus ancien texte connu de la règle de Prémontré. Il a été édité par H. Van Waefelghem sous le titre. Les premiers statuts de Γordre de Prémontré, dans Analectes de Γordre de Prémontré, t. ix, 1913, d’après un texte du Monacensis lat. 17 171; E. Martène, dans son De antiquis Ecclesia ritibus, t. m. Anvers. 1737. col. 890-926. donne une recension postérieure sous le titre : Insti­ tutiones Patrum Prirmonstratensium; J. Le Paigc, dans son Prœmonstratensis ordinis bibliotheca, Paris. 1633. p. 781-810, fournit une troisième rédaction qu’il intitule Statuta primaria Præmonslratensis ordinis. La première rédaction imprimée émane du chapitre général de 1505 (sans date cl sans indication d’impri­ meur ou de lieu). A la lin du xvr siècle et au com­ mencement du xvir, les chapitres généraux de l’ordre adaptèrent les constitutions aux decisions du concile de Trente, d’où la rédaction des statuts de 1628, qui fut dé Unit i veinent adoptée en 1630 (écL Macs. Lou­ vain), sous le titre : Statuta candidi et canonici ordinis Pricmonstratensis renovata ac anno 1630 a capitulo generati plene resoluta, acceptata et omnibus suis subdi­ tis ad stricte observandum imposita. De l'assentiment du chapitre général de 1896, cette édition fut repro­ duite intégralement par l’imprimerie d* Averbode en 1898. Hécemment, les chapitres généraux viennent de terminer la rédaction provisoire des nouveaux statuts mis en concordance avec le Code canonique. Ils portent comme titre : Sacri, candidi canonici ordinis Pnvmonstratensis statutorum renooatorum distinctio prima, Averbode, 1925; distinctio secunda. Averbode. 1929; distinctiones tertia et quarta. Averbode. 1931. Les rédactions du χιιι· siècle de la règle des pré­ montrés comportent déjà la division en quatre dis­ tinctions ; la !"· distinction traitant de la discipline conventuelle, la IP de la direction de la maison, la HP constituant le code pénal cl la IV* s’occupant de la direction générale de l’ordre. La rédaction île 19251931 comporte, dans la P* partie, la discipline con­ ventuelle. dans la IP le gouvernement de l’ordre, dans la IIP la direction de la maison el dans la IV· le régime pénal. Si les prémontrés du xn siècle se présentent comme PUÉ Μ 0 N T K É S. O K G A N ISA TIO N tain, le chantre, le sous-chantre, le bibliothécaire. des chanoines, et si, par l'exercice du ministère, ils se rapprochent fort des corps capitulaires, la consti­ D’autres sont préposés à l'administration des biens tution hiérarchique de chaque maison ne laisse pas et au fonctionnement matériel de In maison, tels le d’être calquée assez fidèlement sur celle des anciens proviseur, le cellérier, le pitancler, l’archiviste — monastères bénédictins. On y retrouve, le plus sou­ les archives, sous l'ancien régime, avaient avant tout un intérêt économique — et quelques autres fonc­ vent sous le même nom, les mêmes fonctionnaires. Mais les prémontrés s’assimilèrent plus particulière­ tionnaires subalternes. A la tète de l'abbaye se trouve ment l'organisation cistercienne. Comme les moines un chef qui. à ces deux points de vue réunis, occupe de Cltcaux, ils réagissent, au commencement du la suprême direction : c’est l’abbé ou prélat, auquel, au Moyen Age, dans les monastères d'Allemagne, on xii4 siècle, contre les tendances des clunisiens. Tandis que Cluny avait tout centralisé aux mains de donnait le nom de prévôt. Les chanoines ou clercs destinés à la prêtrise forment l'abbé général, la décentralisation amena, chez les prémontrés, une organisation qui semble se rappro­ le noyau principal de la famille norbertine, non seule­ cher de la forme démocratique. A la tète de chaque ment par le nombre, mais aussi par leur étal de vie communauté se trouve un chef, abbé ou prévôt, élu cl par leurs fonctions, (’.'est par eux que se réalise le par les religieux; ce chef — et c'est en ceci surtout ' but principal de saint Norbert : la prédication et que consiste la caractéristique norbertine — exerce le ministère des âmes. A côté de l'élément canonial, la scs fonctions avec une indépendance presque com­ communauté norbertine comprend un élément monas­ plète vis-à-vis du pouvoir central. Ce pouvoir central tique, les frères lais ou frères convers, auxquels est existe, certes, mais il est dans la main de tous les dévolue la plus grande part du travail manuel. abbés réunis en un chapitre général, tenu jusqu'en IL Lamy, L'abbaye de Tongerloo, p. G7 sq. 1169 chaque année, à Prémontré» le 9 octobre et, Saint Norbert ouvrit aussi aux pieuses femmes la après cette date, le quatrième dimanche après Pâques, solitude de ses cloîtres. Il existait, du vivant déjà et qui, depuis 1605, ne fut plus convoqué que tous du fondateur, des couvents doubles qui prirent une les trois ans. 11 y a bien, à l’instar de ce qu’on trouve grande extension. Ce genre de communauté, cepen­ chez les cisterciens, quelques abbés jouissant de préro­ dant, malgré la séparation existante, donnait lieu à gatives spéciales, ce sont les abbés de Prémontré, de des inconvénients, et une décision du chapitre général, FlorcfTe, de Cuissy et de Laon, appelés les quatre prise sous le généralat de Hugues de Fosses vers 1140, • Pères de l’ordre »; mais ils ne possèdent guère qu’une éloigna la demeure des sœurs de celle des chanoines. préséance d’honneur sur leurs collègues. Il y a en même Les couvents doubles furent supprimés. On alla même temps, pour les trois dernières abbayes que nous jusqu'à décréter que dorénavant on ne recevrait venons de nommer, un droit de contrôle et d’inspec­ plus de sœurs. Les couvents de norbertines survé­ tion de l'abbaye de Prémontré cl de son chef. L’abbé curent cependant à cette crise. Leur organisation se de Prémontré n’a lui-même qu’un droit de contrôle, calque sur celle des abbayes et le prêtre, religieux de auquel plus d’une fois les monastères chercheront l'ordre, qui a la direction de la communauté, porte à échapper, et parfois avec succès. le nom de « prévôt », s'il a été placé par libre choix L’ordre est divisé en provinces, appelées drearies, des religieuses à la tête d’un couvent indépendant. où, primitivement, deux visiteurs, députés par le Il est nommé «prieur», quand la haute direction des chapitre général, faisaient l'inspection, et où, en sœurs, dépendant d’une abbaye, lui est conférée par outre, à l'époque moderne, le vicaire général préside nomination du prélat de celle-ci. Primitivement, les à la direction au nom du général, y convoquant les sœurs des couvents doubles vouaient leurs soins a chapitres provinciaux et résolvant les cas courants l’entretien matériel de la communauté d’hommes, et quant à la discipline ou les affaires des abbayes. Les s'occupaient aussi dans quelques couvents du xenoanciens catalogues énumèrent 29 circarlcs : celles de dochium ou hôtellerie. Quand elles formèrent des France, de FlorcfTe, de Ponthieu. de Wadgassen, de couvents séparés, elles devinrent avant tout des con­ Brabant, de Flandre, de Weslphalic. d’Ilfeld. de lor­ templatives, soumises à la loi ecclésiastique de la raine, de l’Angleterre du Nord et de l'Écosse,de l'Angle­ clôture. Elles sc partageaient en sorores cantantes, terre du centre, de l’Angleterre méridionale, d’Irlande, attachées au service du chœur, et sorores non cantantes, de Normandie, de Gascogne, d'Auvergne, de Frise et de qui s’occupaient avant tout de travaux manuels. Hollande, de Souabc cl de Bavière, de Bohême et Cf. A. Erens, Les sœurs dans l'ordre de Prdnontn, de Moravie, de Pologne, de Livonie, de Hongrie, de dans Analecta prœnwnstratensia, l. v, 1929, p. 5 sq. Danemark et de Norvège, de Sclavonic, de Grèce A côté de ses institutions religieuses pour hommes et de Jérusalem, de Borne et de Saxe. et pour femmes, Norbert fut le premier fondateur Dans la dépendance mutuelle des abbayes, le droit d’ordre qui songea à introduire les directives de la de paternité prévalut de tout temps. L’abbaye fon­ vie religieuse jusqu’au foyer de la famille et parmi le datrice avait des prérogatives bien définies sur tourbillon des affaires séculières. Il créa le tiers ordre, l’abbaye fondée. Elle avait à veiller, dans sa liliale, institution qui sera reprise un siècle plus tard par au progrès spirituel et à l'observance de la discipline saint Dominique cl surtout par saint François d'Ascl pouvait à cet effet faire chaque année la visite sise. Il réalisa ainsi la pensée d’un état intermédiaire canonique. Elle jouissait en même temps du droit entre le cloître et le monde. Thibaut, comte de Cham­ d'inspection sur scs revenus et sur la gestion de scs pagne, fut le premier tertiaire prémontré. Il eut des affaires. il y avait d’ailleurs, surtout à l'époque Imitateurs innombrables. Chaque abbaye s’adjoignit, mod< me, pour l’abbaye en tutelle, la faculté d’en au cours des temps, une phalange d’âmes de boum appeler au chapitre provincial ou à l’abbé général. volonté. On peut en rapprocher les · sainteurs » cl Aux temps primitifs de l’ordre, l’appel à l’abbé de les frères et sœurs ad sucurrendum, dont les noms sont Prémontre fut fréquent cl semble indiquer une inter­ relevés dans les obiluaires de nos abbaves. vention plus directe et plus efficace. En 1751, le pape Benoit XIV accorda son appro­ Ixs dignitaires et fonctionnaires d’une abbaye bation pour une nouvelle rédaction de la règle du peuvent sc classer en deux séries. Les uns ont pour tiers ordre de Prémontré, adaptée aux temps mo­ charge de veiller au maintien de la discipline conven­ dernes. Par bref du 30 mars 1923, où le tiers ordre de Prémontré est loué comme le plus ancien qui tuelle et à l’organisation des différents services à existe, le pape Pie XI approuva une nouvelle, rédac­ 1 intérieur de la maison. Ce sont le prieur, le sousprieur, le circatcur. le maître des novices, le sacris­ tion de la règle de vie des tertiaires prémontrés. 9 P R É Μ 0 N T R É SJ ai É V 0 L U TIO N accordant à ceux-ci de nombreuses faveurs spirituelles. 111. Évolution· — Sans éliminer la pensée du fondateur, les temps y apporteront des modi fleat ions notables et donneront lieu à des déviations acciden­ telles dans l'institut créé par saint Norbert. Des 1126, après le départ de celui-ci pour Magdebourg, les religieux de Prémontré s’adonnèrent avec moins d'assiduité à la prédication. La vie canoniale allait former la base principale de leurs aspirations religieuses. Celle-ci d'ailleurs était mieux à même de satisfaire les aspirations personnelles de chaque reli­ gieux. Dans la rédaction des statuts primitifs, du moins d’après le texte que nous possédons (le texte ; Van \Vacfelghcm),la prédication n’est l’objet d’aucune prescription particulière, preuve manifeste du change­ ment survenu depuis le départ de Norbert. A ce point i de vue, les intentions du patriarche seront reprises et pleinement réalisées au siècle suivant par saint Domi­ nique, lui-même ancien chanoine régulier, qui s'ins­ pirera des principes norbertlns dans l’institution de ses frères prêcheurs. Cf. 11. Galbraith, The constitution ol the dominican order, Manchester, 1925. Un autre changement ne tarda pas à s'opérer quant à l’administration des paroisses. Saint Norbert avait voulu le ministère paroissial, tout comme la prédica­ tion, mais il ne comprenait pas ce ministère comme il se pratiqua dans la suite. Dans sa pensée, l’adminis­ tration des sacrements et le service paroissial devaient avoir pour centre une abbaye, où les prêtres, chargés du ministère, mèneraient la vie religieuse dans toute sa rigueur. Alors que les premiers statuts portent encore des dispositions à ce sujet, graduellement sc lit la séparation entre cures et couvents, un ministère paroissial tant soit peu intense étant irréalisable dans le cadre de la vie monastique. Aux premiers temps, l’ordre de Prémontré eut une extension extrêmement rapide. D’après les chroni­ queurs contemporains, il comptait, à la fin du xit· siècle, environ mille abbayes et prieurés, et, en outre, un plus grand nombre encore de résidences moins importantes. Beaucoup de ces maisons reli­ gieuses existaient déjà, il est vrai, mais s'étaient agrégées à l’ordre pour retrouver un renouveau de ferveur. Si l’histoire de cette première période forme une des pages les plus brillantes du passé de l’ordre, il y eut cependant des fléchissements : des compéti­ tions à propos d’élections abbatiales, des tendances à l'affaiblissement de l’observance régulière. Toutefois, le résultat d’ensemble fut merveilleux; des contrées entières furent converties nu christianisme; les paroisses mal desservies reçurent comme curés des chanoines formés à la pauvreté, à la prière cl à l’étude et reprirent leur antique ferveur chrétienne; des foules immenses d’hommes et de femmes, sous l’habit de frère lai ou de sœur norbertine, pratiquèrent la per­ fection chrétienne et la sainteté; mais les clercs sur­ tout donnèrent l’exemple des vertus sacerdotales et de la discipline ecclésiastique. De concert avec l’ordre de Citeaux, celui de Prémontré contribua puissam­ ment à cette magnifique renaissance spirituelle que connut le xir siècle. Les xnr cl χιν· siècles marquent pour l'ordre de Prémontré une décadence, qui se manifeste d’ail­ leurs dans tout l'ordre monastique. Plusieurs causes y contribuèrent. L’ordre eut d’abord à subir le contre­ coup des secousses politiques qui troublèrent profon­ dément la chrétienté. I.es guerres continuelles, amenant à leur suite invasions et exactions, afTalblircnt ou ruinèrent nombre d’abbaves et y rendirent : malaisée la vie de communauté. Le schisme d'Occidcnt troubla les esprits et divisa la chrétienté en deux ou trois obédiences, d’où grande difficulté pour la réunion régulière des chapitres généraux. Ce furent. 10 plus tard, les hérésies de Wiclcf cl de Jean Huss, dont tous les ordres curent à souffrir. Enfin, le xvi· siècle amena la réforme protestante qui détruisit nombre de maisons norbertines en Allemagne, et balaya toutes celles d’Angleterre et des Pays-Bas septentrionaux, tandis que les abbayes françaises étaient ruinées par les guerres de religion. L’ordre de Prémontré, au surplus, portait en luimême une grande source de relâchement : le nombre exagéré des petits prieurés et des cures où la règle fléchissait devant les goûts individuels et où dominait la tendance à imiter la vie des clercs séculiers. Mais ce fut surtout l’institution de la commcndc qui conta­ mina tout l’ordre monastique. L’attribution d’une abbaye à un séculier, qui n'avait d’autre souci que de toucher les revenus, devait causer la ruine de l’institut et énerver la vie conventuelle, où l'autorité du prieur claustral, n'étant pas soutenue par celle du prélat, ne jouissait plus de la fermeté requise pour obtenir l’observance intégrale de la règle. A un moment donné (1778), sur un total de 76 abbayes prémontrées situées en terre française, 54 étaient données en commcndc. Même l’abbaye chef d’ordre, malgré le concordat entre la France et le Saint-Siège, devint, au xvi· siècle, successivement la proie de deux cardinaux. Cette décadence devait cependant amener des sursauts de ferveur et, conséquemment, des mouve­ ments de désagrégation. Jadis les religieux de Magdebourg, la ville archi­ épiscopale de saint Norbert, avaient manifesté une indépendance marquée vis-à-vis de Prémontré. De même, les abbés et prévôts de Saxe refusaient d'assis­ ter aux chapitres généraux, alléguant la longueur du voyage et les périls de la route. Cependant, les papes Lucius III, en 1180 (bulle Qiue a viris, dans J. Le Paige, Ord. Prsrm. bibliotheca, p. 634) et Innocent III, en 1198 (bulle In eo sumus, ibid., p. 616) appuyèrent les revendications de l'abbé-général de Prémontré à ce sujet; mais, en 1211, par l’entremise de Guillaume, évêque de Paris, les Saxons obtinrent une concession. 11 fut décidé qu’un seul prévôt de Saxe viendrait tous les trois ans au chapitre général, comme député de ses collègues, muni de leurs notes et agissant en leur nom. Le renouveau catholique, qui fut la gloire de la lin du xvi· siècle, suscita dans l’ordre des mouvements de réforme indépendants, qui prirent le caractère d’une véritable scission. Une première réforme se manifesta en Espagne. Là, surtout, la commcndc avait fait des ravages. Dans le mouvement de réforme qui s’élaborait, on n’est pas étonné de voir présenter le projet de placer à la tête des abbayes des prélats élus pour trois ans : c’était éliminer le danger d’un abbé commendataire, nommé à vie. Cette nouveauté, d’ailleurs, s’inspirait des constitutions de congrégations ou d’ordres plus récents, gouvernés par un provincial amovible, et non par un abbé élu à vie. Sous l’impulsion autocra­ tique du nonce Ornamento et de par la volonté de Philippe II, les prémontrés d’Espagne furent forcés de subir cette réforme radicale; l’abbatlat triennal fut introduit et la haute direction des abbayes d’Es­ pagne fut confiée à un provincial. Un noviciat com­ mun réunirait les candidats de toutes les abbayes. Une rédaction spéciale des statuts, parue en 1576, codifia ces transformations. Voir aussi les Constitu­ tiones ordinis Præmonstratensis congregationis hispanicæ, Ségovic, 1708. L’abbé-général de Prémontré, Jean Despruets, après de vaines tentatives pour entrer en rapports avec la circarie révoltée, fut autorisé par un bref de Grégoire XIII à s’imposer, et put enfin avoir emprise 11 PRÉMONTRÉS. ÉVOLUTION sur I Espagne. Il lit rentrer les abbayes dans la tradition de l’ordre. Il permit cependant à la circaric de conserver l’abbatiat triennal, mais il nommerait lui-même le vicaire général d’Espagne, qui aurait toute autorité dans la province. Plus tard, sous divers prétextes, les prémontres espagnols abandonnèrent l’habit et le bréviaire de l’ordre, que le pape Elé­ ment XI leur lit cependant reprendre en 1703. Depuis lors, la province espagnole eut une vie fort autonome, qui dura jusqu’à la révolution de 1833, laquelle anéantit toutes les institutions religieuses de la presqu’île ibérique. Cf. E. Valvekcns, La congré­ gation des prémontrés d’Espagne, dans Anal, pram., l. vin, 1932. p. 5 21. Une autre réforme, fruit de tentatives personnelles de deux prémontrés, Daniel Picart et surtout Servais de Lairuels, porte le nom de < réforme de Lorraine ». Elle débuta à l'abbave de Pont-à-Mousson et s’étendit rapidement en Alsace, en Lorraine, en Picardie, en Champagne et en Normandie: 12 monas­ tères formèrent la · congrégation de l'antique rigueur de Prémontré », qui fut approuvée par le pape Paul V en 1617 et parle pape Grégoire XV en 1621. Le Paige, op. cil., p. 719 et 751. Cette congrégation obtint par là l’autorisation de se gouverner par son chapitre parti- ‘ culier, auquel présiderait l’abbé de Prémontré ou son vicaire général. Cette réforme est marquée par un retour à la vie commune, à l’abstinence perpétuelle, au chant des matines à minuit et au jeûne continuel du 11 septembre à Pâques. Un second noviciat était imposé à tous les profès, mais le vœu de stabilité avait disparu, les religieux pouvant être transférés d’une abbaye à l’autre. Les chapitres généraux de l’ordre protestèrent contre ce qu’ils appelaient «un schisme». En 1661, un modus idoendi fut adopté entre la réforme de l'antique rigueur et l’observance commune. A l’usage de cette congrégation, la nou­ velle édition des statuts du 1630, publiée par l’abbégénéral Saulnier (ÉtivnI, 1725), contient un annexe les : Articuli reformationis seu communitatis antiqui rigoris nuncupata. Voir E. Martin, Lairuels et la I réforme des prémontrés, Nancy, 1893; du même, De canonicis pramonstratenstbus in Lotharingia et de congregatione antiqui rigoris, Nancy, 1892. Les abbayes allemandes avaient subi une réforme sérieuse vers le milieu du xv* siècle, sous la direction de Jean Busch. Celles d’Angleterre avaient passé par une évolution similaire. La grande difficulté était l'assistance régulière aux réunions des chapitres généraux. Le primat de Cantorbéry, John Morton (* 1500), fut l’artisan d’une réforme fort importante et Prémontré garda scs attaches en Angleterre, jusqu’à la destruction des ordres religieux par Henri VIII. Cf Gasquet, Collectanea anglo-pramonstratensia, Londres, l«i( · L’ordre de Prémontré lui-même, s’inspirant des décrets du concile de Trente, adopta une réforme générale et élabora une nouvelle rédaction de ses statuts. Ceux-ci furent promulgués en 1630. Quand, en 1770, la Commission des réguliers, instituée en France par Louis XV, exigea la revision et la réimpression des statuts monastiques de la part des congrégations de I·'rance, les deux observances de prémontrés rédi­ ! gèrent des statuts communs, promulgués en 1773. Ce» statuts, qui n’obligeaient que les maisons de France, différaient peu de ceux de 1630. A la suite des dispositifs généraux, clics contenaient en annexe ΐ vingt-trois articles à l’intention de la ’réforme de ; l'antique rigueur ». Mais déjà le xvin« siècle touchait à sa fin. Ce fut |K>ur les prémontrés la grande catastrophe. Les querelles du jansénisme ne les avaient qu’effleurés, mal* l’esprit du philosophisme pénétra dans leurs cloîtres. L’œuvre néfaste fut commencée par l’empe­ reur Joseph IL II débuta par le décret du 21 mars 1781, défendant aux maisons religieuses de ses étals de communiquer avec des supérieurs d'ordre demeurant en pays étranger, ('.’était couper les liens et détacher les abbayes de l’empire et des Pays-Bas de la maison mère de Prémontré. En 1783. il supprima les couvents contemplatifs; les prévôtés et prieurés des sieurs furent englobés dans celte décision. Par décret du Il septembre 1783, il supprima l'exemption des abbayes et les plaça directement sous la juridiction de l'Ordinairc. Dans l’empire, d’après la prescription gouvernementale, les abbayes formeraient une pro­ vince, avec un président à sa tête. Cette fonction fut supprimée à son tour, en 1813. Depuis 1785, les jeunes religieux des abbayes furent contraints d’aller suivre les cours dans les séminaires généraux érigés à cet effet, et d’y prendre le costume des séminaristes. Le collège de Prague fut supprimé celte même année. Par contre, chaque abbaye de l’empire fut chargée de desservir de multiples paroisses. En 1788, l’État confisqua tous les objets en argent qui se trouvaient dans les abbayes, fit transporter les documents d’ar­ chives aux archives de l’État, à Vienne, et confisqua les livres des bibliothèques des abbayes au profit dus bibliothèques des universités. La Kévolution fit crouler d’un seul coup l’édifice élevé par saint Norbert en détruisant l’abbaye mère et toutes les maisons de France ut de Belgique. Les abbayes qui existaient encore en Allemagne furent victimes de la grande sécularisation. Sur la base de la paix de Lunéville (18(H) et des pourparlers de Batisbonne (1893), on concéda à la noblesse du pays, en compensation des biens qu’elle perdait sur la rive gauche du Ithin, les propriétés des diverses abbayes. Ce fut un désastre, non seulement pour la vie religieuse, mais aussi pour tous les trésors d’art ren­ fermés dans ces lieux saints. Quand la Kévolution fut passée, il ne resta plus que des ruines. Un moment, les religieux dispersés mirent leur espoir dans le concordat qui s’élaborait entre le pape et Napoléon (1801), mais aucune clause ne favorisa les abbayes supprimées. Le Congrès de Vienne (1811-1815) n’accorda aucune attention aux pétitions qui lui furent adressées par les représentants de l’ordre de Prémontré. En France, le régime «libé­ ral · s’opposa à une reprise de la vie conventuelle, et. en Belgique, la mentalité calviniste de Guil­ laume Ier, roi des Pays-Bas réunis, se cabra contre toute restauration des vieilles cités de la vie religieuse catholique. Entre temps lus religieux survivants mouraient. L’Écuy. le dernier abbé de l’remontré, expira à Paris un 1831. La révolution belge de 1830, en inscrivant la liberté d’association dans sa charte constitutionnelle, permit la restauration de quelques abbayes, mais peu nom­ breuses tant par manque de ressources que par manque de sujets. En France, les difficultés furent beaucoup plus grandes. Dès 1850. l'évêqnc de Sois5OU8, Mgr de Garsignics. avait racheté l'antique abbaye de Prémontré pour y fonder un orphelinat. Plein de sympathie pour l'œuvre de saint Norbert, il donna l’habit au P. Edmond Boulbon. ancien trappiste, et fit venir quelques chanoines d’Averbode et de Tongcrloo pour restaurer la vie religieuse à Prémontré. Mais la situation respective du prieuré et de l’orphelinat donna lieu à des difficultés et la restauration de Prémontré dut être abandonnée. Le P. Edmond Boulbon releva alors de scs ruines, en 1858, le couvent de Frigolet, près Tarascon, tandis que l’abbaye de Grimbcrgcn reprit et repeupla celle de Mondayc, en Calvados. Ces monastères ont actuel­ lement quelques prieurés en annexe. 13 P BÉMONTRÉS. LITURGIE En Autriche-Hongrie, les persécution* de Joseph H étaient passées. L’empereur Léopold avait déjà rendu, en 1790, le privilège de la libre élection des prélats pour les abbayes qui existaient encore. Peu à peu, elles redevinrent florissantes. Les abbayes de Jâs/o et de Csorna furent restituées à l'ordre par l’empereur François lfr. Depuis la mort du dernier abbé-général, L’Ecuy, l’ordre de Prémontré manquait de chef et d'union. En 1867, l’abbé de Strahov, Jérôme Zeidlcr, prit l’initiative de réunir un chapitre de l’ordre. Il y fut élu abbé-général et alla représenter les prémontrés au concile du Vatican, mais il mourut avant d’avoir été confirmé par le Saint-Siège et n’eut pas de succes­ seur. En 1883, sous la présidence de Mgr Vannutclli, nonce apostolique à Vienne, les abbés prémontrés, réunis en chapitre, placèrent à la tête de l’ordre Slgisrnond Stary, abbé de Strahov à Prague. L'abbaye de Saint-Michel de Frigolet, fondée sous le régime de l’ancienne étroite observance, fut placée sous la juri­ diction de l’abbé-général par Léon XIII en 1898. A Sigismund Stary succéda, comme abbé-général, le Bm· P. Schaehinger, prélat de Schliigl, cl, depuis 1922, cette dignité est confiée au R·· P. Crets, de l’abbaye d’Avcrbodc. L'ordre est représenté auprès du Saint-Siège par un procureur, nommé par le cha­ pitre général. Depuis le rétablissement de l'unité, ces chapitres généraux tiennent régulièrement leurs assises tous les six ans. Depuis 192 L ces réunions ont été dédou­ blées, en vue de la révision des statuts. Le chapitre général de 1921 établit une nouvelle circonscription des drearies ou provinces. \ oir ci-dessous, col. 29. L’antique institution canonique de saint Norbert montre actuellement une belle vitalité. Ses abbayes sont peuplées (Avcrbode et Tongcrloo comptent chacune plus de 200 sujets); elles constituent des centres actifs de vie religieuse et scientifique cl fournissent un fort contingent de prêtres pour le service paroissial dans le pays ou pour les missions dans les régions lointaines. IV. Phivu.èoes et liturgie. - 1° Privilèges. Les prémontrés, en dehors des privilèges ordinaires, jouissent de deux grandes faveurs. Ils peuvent d’abord se charger de paroisses sans une dispense du Saint-Siège. Ce privilège fut primi­ tivement concédé A des abbaves en particulier. Il fut généralisé par la suite pour l’ordre entier et confirmé solennellement par la constitution Oneroso, donnée par Benoit XIV, le 11 septembre 175(1. Ils jouissent aussi du privilège de faire conférer à leurs clercs les ordres majeurs, par n’importe quel évêque, sans lettres dimissoriales de l’Ordinaire du diocèse. Celle faveur avait été accordée par t rbain IV en 1261, et fut renouvelée par Benoit XII1 en 1730. Cf. IL Lamy, L'abbapc de Tongcrloo. p. 122, où d’autres concessions de ce privilège sont relevées. Jadis, les prémontrés jouissaient d’autres privilèges qui ne sont plus de notre temps. Au début de l’ordre, le Saint-Siège avait accordé l’exemption complète des dîmes aux prémontrés, comme aux cisterciens, mais ce privilège cessa bientôt pour les premiers, à l’exception des dîmes novales. D’autres faveurs se rapportent à la célébration des offices en temps d’in­ terdit. à l'inviolabilité des lieux réguliers, au droit de sépulture, a la célébration du chapitre général hors de toute contrainte de la part des évêques. On noiera qu’une décision d’un chapitre général, vers 1200. rejette l’emploi des ornements pontificaux pour les abbés; mais quand, au concile de Vienne (13111313), l’abbé de Prémonlré, Adam de Crécy, seul parmi 115 prélats, parut nu-tête, le pape Clément V, par nudu proprio du 28 juin 1313, lui accorda l’usage 14 des pontificalia. Ce privilège fut par la suite indivi­ duellement reconnu aux chefs d’abbaye pour eux et pour leurs successeurs. Actuellement, c'est un usage général. 2° Liturgie. — Les Prémontrés ont leur liturgie particulière. Saint Norbert, en se fixant a Prémonlré. adopta la liturgie de l’endroit, mais elle subit quelques infiltrations, par suite des adaptations mêmes de la règle qui régit la vie de communauté. Nous pouvons donc dire que la liturgie primitive des prémontrés fut la liturgie romano-gallicane, à laquelle furent joints des emprunts multiples de la liturgie de Laon, ainsi que d’autres, plus rares, pris à la liturgie des clunisicns et des cisterciens. Afin de conserver l'unité de culte dans 1rs diverses abbaves, cette liturgie fut consignée dans un Liber ordinarius, dont la rédaction est proche de l’époque de la fondation; quelques auteurs l'attribuent même au bienheureux Hugues de Fosses. Des copies de cet • ordinaire » furent en usage dans les différentes abbaves; mais bientôt, en même temps que les scribes y ajoutaient les décrets liturgiques, émanant des chapitres généraux, des coutumes locales furent annexées au texte primitif, du moins certaines abbayes établirent un code liturgique pour leur propre usage, inspiré par l’Ordinaire officiel. Le plus ancien ms. connu du Liber ordinarius est le yfonacensis lalinus 17 174 (xir siècle). Le P. Michel Van Waefclghem, O. Præm., a publié dans les Anatectes de Γordre de Prémonlré, 1907-1913, le Liber ordinarius d’après un texte d’un ms. du xmT-xiv* siècle, de la bibliothèque du duc d'Arenbcrg. D’autres mss. de cette même recension sont conservés. \’oir préface de l’éd. citée, p. 3 sq., cl L. Goovacrts, Écrivains, etc., t. iv. p. 221. L’édition de ces textes est de la plus haute importance pour l’histoire de l’ancienne tradi­ tion gallicane dans la France du Nord, mais l’étude du missel et du bréviaire prvmontrés n’est pas assez avancée pour que nous puissions juger du degré de conservation de la tradition primitive, et de l’unité liturgique dans les diverses circaries. Quelques exemplaires de manuscrits du Missale Privmonstratrnse nous sont conservés, entre autres, des exemplaires du xir siècle. Voir la liste dans B. Van Waefclghem. Répertoire, p. 365 sq. Nous pos­ sédons de même des exemplaires de manuscrits du bréviaire, ù Charlcvillc, n. 14 (xir s.); à Soissons. n. 103 (xiii· s., vient de Prémonlré) et n. 104 (xiirxiv* s., même provenance). Voir l’indication d’autres mss. dans B. \ an Wucfelghcm, Répertoire, p. 362. D’autres textes liturgiques nous restent, des calen­ driers, des diurnaux, des cpistolaircs cl évangéllaires, des homéliaires, hymnaircs. lectionnaires. etc. Voir ibid., p. 362-361. Quant aux éditions du bréviaire et du missel, on trouvera les indications dans L. Goo. vaerls, op. cil., t. iv. p. 232 sq., 20-1 sq. Ces multiples éditions de bréviaire et de missel, de par leur origine indépendante, devaient néces­ sairement engendrer la confusion. Quand le pape Pic V uniformisa les éditions liturgiques romaines, l’ordre de Prémontré dut prendre des mesures semI blables. L’abbé-général Jean Despruels fit paraître. en 1571, une édition du bréviaire et du processionnal et, en 1578, une édition du missel. L’ancienne tradi­ tion y fut conservée intacte. L’insuffisance cependant des rubriques du missel n’était guère propice à l’uni­ formité dont parlaient les statuts. Pour y' obvier, l’abbé-général de Longpré. au début de son abbatial, lit paraître un nouveau missel, où les rubriques sont plus abondantes. Quelques années plus lard, sous la pression de ceux qui demandaient que l’on se rapproI chflt de la liturgie romaine, il chargea Jean Le Palge. syndic de l’ordre à Paris, de rendre le bréviaire 15 PKÉMONTRÊS. ACTIVITÉ prémontré conforme, au bréviaire romain >. L'édition parut en 1608 et ne donna satisfaction à personne. On la traita «d’édition vicieuse et suspecte· et elle fut désavouée. L’abbé-général Pierre Gosset, cédant à des demandes importunes, permit ad conformitatern conservandam d’employer le rite romain pour la messe privée et chargea son frère, un prémontré, de préparer une nouvelle édition du bréviaire et du missel. Le bréviaire parut en 1621. Il est calqué sur le bréviaire romain et abandonne le plan et le texte de l’ancien bréviaire traditionnel. Le missel parut en 1622. Lui aussi est calqué sur le missel romain et ne garde, ni l'ancienne ordonnance, ni les anciennes rubriques prémontrées. A cette réforme liturgique s'adapta une révision de l’ordinaire, qui parut en 1628 et fut suivie bientôt d’une seconde édition largement remaniée, en 1635. A l’abbaye de Tepl, on conserve un ordinaire imprimé en 1 183. Le bréviaire prémontré passa par les mômes « réformes ». En France, la Commission des réguliers s’intéressait aussi à ia liturgie des ordres monastiques sur lesquels elle avait mis l'emprise. Sous son impulsion, de Manoury institua pour son ordre, en France, une liturgie particulière, modelée sur la liturgie parisienne. Le bréviaire composé par Remade Lissoir, abbé de la Val-Dieu, parut en 1786, ainsi que l’antiphonaire noté, par I lanser, de la même abbaye. Le missel et le graduel furent réimprimés l’année suivante. Cette nouvelle liturgie repart issalt les psaumes de façon a ce qu’ils fussent récités tous une fois par semaine et scindait ceux qui étaient trop longs; elle rendait obligatoire la psalmodie fériale pour toutes les fêles des saints, privilégiait l'office dominical, favorisait l'office férial cl les leçons de la sainte Écriture en élaguant les fêtes des saints devenues trop nom­ breuses. II va sans dire que cette réforme ne fut adoptée qu’en I·’rance, et qu’elle mourut avec Pré­ montré même. A ce propos parut une plaquette devenue extrêmement rare, Lettre d’un prémontré français à un prémontré de Brabant ou dissertation sur le nouveau rite introduit dans les églises du même ! ordre en France l'an 1786 par l'autorité du chapitre national, Louvain, 1792, 22 p. Après la Révolution, on continua à se servir, pour ta récitation chorale ou privée, du bréviaire de Manoury de 1770. Cependant, en 1912, le pape Pie X. par la bulle Divino afflatu, édicta une nouvelle adaptation des psaumes au bréviaire romain, où il ne faisait que reprendre la tradition du rite parisien du xviir siècle. Cette innovation fut adoptée par les prémontrés dans leur psautier : Rubrica servanda in divini officii red· latione et in missarum celebratione secundum ritum Pramonstratensem ad normam bulla : Divino afflatu, édictées par Norb. Schachinger, abbé-général, le 21 septembre 1912. De ta une nouvelle édition du bréviaire, élaborée par une commission liturgique instituée par le chapitre général en 1911. Un nouveau Kalendarium perpetuum fut approuvé par la Congré­ gation des Rites le 23 janvier 1921. Dès une époque, qui remonte aux débuts de l’ordre, ta récitation de l’office de la sainte Vierge fut annexée a la récitation de l'office divin au chœur et cette pratique est en usage de nos jours encore. Cet office d'après Ir rite prémontré eut plusieurs éditions. Cf. L. Goovaerts, op. cil., t. iv, p. 220. Le chant, adapté à cette liturgie, est le corollaire nécessaire du bréviaire et du missel. Les beaux manu­ scrits du .Moyen Age, avec leurs enluminures ruti­ lante*. leurs couvertures en cuir repoussé, leurs fer­ moirs ouvragés, ont servi pour le service du chœur longtemps encore après l’apparition des bréviaires et missel* imprimés. Cette conclusion s’impose néces­ IG sairement à l’examen des manuscrits, (pii subirent des «adaptations » quand une innovation dans la liturgie réclamait un changement ou quand le chant luimême prenait d’autres modulations ou se simplifiait. Cf. .J. Borremans, Le chant liturgique traditionnel des prémontrés, Malines, 1911; du même, Un trésor méconnu du chant grégorien : tes mélodies présentant un chromatisme fictif, dans Anal, pram., t. ix, 1933. p. 5-20. V. Rôle de l’ohdre. — Norbert, en fondant son ordre, n’avait pas la prétention de créer une congré­ gation nouvelle. Toute son ambition le portait à la réforme du clergé régulier, pour atteindre du même coup et le clergé séculier et le peuple. Dans son idée, les prémontrés ne devaient être qu’une branche plus féconde et plus vivante de l’arbre des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Ce que voulait le fonda­ teur, c’était une congrégation de clercs réformés, vivant en commun, livrés au travail, à la prédication et aux diverses pratiques de l'abnégation chrétienne. Il entendait former des apôtres, des missionnaires et, au besoin, des pasteurs attachés aux paroisses, rurales surtout. Au temps de la fondation de l'ordre, le régime des paroisses rurales était lamentable. La querelle des investitures avait fait négliger les nécessités spiri­ tuelles des habitants de la campagne, et la manière dont se recrutait le clergé de l’époque n’était guère favorable Λ la formation d’un clergé nombreux et dévoué. Ce ne sera qu’à la fin du xvr siècle, à la suite du concile de Trente, que l'organisation des sémi­ naires s’implantera dans les diocèses. Entre temps, le bienheureux Hugues de Fosses, le premier succes­ seur de Norbert, orientera chez les prémontrés la vie monastique vers l’apostolat paroissial. Le texte le plus ancien que l'on connaisse à ce sujet dans la législation norbertine porte : Hcc sunt que proposuimus ammodo non recipere altaria ad (pie animarum cura pertinet, nisi possit esse abbatia. R. Van Waefclghem, Les premiers statuts, p. -15. D’après ce texte, l'idée des premiers législateurs semble avoir été de former un centre de vie conventuelle dans la paroisse meme. Les premières générosités des évêques et des princes permirent sans doute une organisation dans cet esprit, niais les paroisses confiées à chaque abbaye devinrent bientôt tellement nombreuses, que la dispo­ sition statutaire devenait nécessairement lettre morte. Les chanoines prémontrés seront dorénavant curés de paroisses, investis eux-mêmes de cette fonction, ou remplaçant l'abbé du monastère qui est la persona. De préférence, on adjoindra à ce curé, pour le service de la paroisse, quelques jeunes religieux de l’abbaye. Cette disposition fut déjà confirmée par les papes Innocent II, en 1135, et l'rbain IV, en 1262 (J. Le Paige, Ord. Pram, bibliotheca, p. 622 et 630, et II. Ileijman. Untersuchungen, p. 367), qui attri­ buèrent aux abbés prémontrés le droit de placer leurs religieux dans les paroisses, dont ils avaient acquis le patronage et où ils entraient en même temps en possession des dîmes novales. Les religieux seraient présentés par l’abbé à l'évêque du diocèse, qui les confirmerait dans leur charge. Les services rendus par le prémontré curé, dans l’organisation paroissiale, sont grands. C’est à l’abbaye que se recrute régulièrement ce clergé rural, c’est à l'abbaye qu’il est préparé à sa tâche. Les religieux y reçoivent leur formation scientiflque, et nombreux sont ceux qui ont suivi les cours à l’un ou l'autre des studia generalia que connut l’Europe occidentale au Moyen Age. Ce savoir, ils le mettront en pratique dans l’exercice de leur ministère paroissial, et, comme leur idéal vise plus haut que celui du clergé rural ordi­ naire, leur dévouement se trouvera plus désintéressé. 17 PHÉMONTBÉS. SAINTS PERSONNAGES Au cours des temps, ce droit des prémontrés leur fut confirmé par l’autorité royale en France, par celle des princes en d’autres régions. Chaque abbaye aura dès lors en annexe, aux temps modernes comme au Moyen Age, une série de paroisses incorporées, où se dépense le dévouement des religieux. Dans les provinces correspondant à la Belgique actuelle, a la lin de l’ancien régime, les prémontrés desservaient 172 paroisses et, d’après un témoignage, datant du commencement du xvir siècle, les prémontrés de Tongerloo et d’Averbode à eux seuls avaient sous leur direction une population de 100 000 habitants. Dans les Pays-Bas septentrionaux, les abbayes de prémontrés, avant les troubles religieux du xvi· siècle, avaient à leur charge environ 150 paroisses. En \nglelerrc, avant la Réforme, les abbayes possé­ daient de nombreuses paroisses alliliées. Il en fut de même en Allemagne et en Autriche-Hongrie, où. depuis le xir siècle jusqu'au xix·, la cura animarum constituait la grande occupation des religieux. Un recensement de 173G porte à 1272 le nombre de paroisses desservies par les prémontrés. Car, même i l’époque moderne, la disette du clergé séculier pour le service rural était manifeste : Nisi norbertini mihi forent subsidio, quomodo tot paradis men* diacesis possem providere, disait Jean Le .Mire, évêque d’Anvers. Le concordat de 1801 anéantit pour les abbayes de France et de Belgique l’ancien droit de patronage. Cependant, dans ces deux pays, à l’heure actuelle, 102 paroisses sont encore administrées par les pré­ montrés, du consentement des évêques. En Hollande «•t dans les pays d’Autriche, de Hongrie et de Tchéco­ slovaquie, 121 paroisses restent incorporées aux diverses al)bayes. Il est*à remarquer aussi qu’au début du xir siècle, la fondation de la paroisse devait être précédée bien souvent de l'évangélisation de la région. Ce fut sur­ tout le cas à l’est de l’Elbe, où. sous l'impulsion de saint Norbert, archevêque de Magdebourg. toute une œuvre de christianisation et de colonisation fut entreprise. A l’instar de cette initiative du fondateur dans le pays des Wendes, les prémontrés du xvir siècle se firent les missionnaires de la foi catholique dans l'Allemagne réformée. A l’heure actuelle, les abbayes de Belgique ont des centres d’expansion catholique en Angleterre, au Danemark, au Brésil et au Canada, et dépensent leur plus belle vitalité au Congo belge. Les prémontrés de France évangélisent .Madagascar; ceux de Berne, en I lollande. ont de belles missions aux Indes anglaises; ceux de Hongrie sont engagés dans le mouvement de l’union des Églises. L’ordre de Prémontré prend à juste titre sa place parmi les ordres qu’on a dénommes « ordres agraires ». Le travail manuel était le partage des religieux, tant prêtres que frères lais, aux débuts de l’ordre, C’était là d’ailleurs une nécessité à une époque où la fondation d’une abbaye, entreprise d’ordinaire au milieu de pays incultes ou de landes infertiles, obligeait la communauté aux durs travaux des champs, pour subvenir aux besoins de la vie de chaque jour. L’his­ toire nous apprend d’ailleurs que, là où ils apparurent, en Belgique et dans le Nord surtout, les prémontrés ipportèrcnt de nouvelles méthodes d’agriculture, la ruiture intensive se substituant à la culture en jachères. Par leur exemple et aussi par leur autorité sur les serfs et les colons qui travaillaient sous leur direction, les religieux firent bénéficier des régions entières de leur activité. Dans le cadre de leur système economique, il faut placer l’organisation des villœ ou centres d’exploitation, où, sous la direction d’un religieux prêtre, frères convers et serfs entreprenaient des travaux considérables d’assainissement et de défrichement, qui donnèrent plus d’une fois naissance 18 ù de nouveaux villages. Les abbayes situées dans les régions limitrophes de la mer ou des grands fleuves ce fut le cas pour les abbayes de Saint-Michel d’Anvers cl de Saint-Nicolas de Fumes en Belgique et pour les abbayes de Frise en Hollande — entre­ prirent de grands travaux d'endiguornent, procurant ainsi de nouveaux terrains conquis sur la mer. Saint Norbert avait recommandé spécialement la charité à scs adeptes, leur assurant que la prospérité île leur institut dépendrait de la générosité des aumônes qui y seraient distribuées. Il détermina mémo que. dans toutes les maisons de l’ordre, la dîme des oblations et des revenus serait afTcctée â la subsistance des indigents, des pèlerins et des hôtes. D’après ce programme, les abbayes norbertines furent de tout temps des centres d’où la charité chrétienne rayonnait. De là, la fonction, dans chaque maison, du frère hôtelier; de là, l'attribution spéciale d’une partie des revenus pour le service ad portam (distri­ bution aux pauvres sous la portc-cochèrc de l’abbaye); de là aussi la fondation, à l’exemple du xenodochium de Premont ré même, de certaines maisons qui, dans quelques régions désertes, semblent avoir eu presque uniquement comme but de fournir le logement au passant. VL Personnages célèbres : saints et bien­ heureux. — Bien qu’au cours de huit siècles d'exis­ tence. la solitude des multiples monastères de l’ordre ait abrité mainte vie faite de sainteté, d’abnégation, de dévouement, l’ordre de Prémontré ne possède pas au martyrologe romain une grande théorie de saints. A vrai dire, l’ordre n'y est représenté que par saint Norbert lui-même, au 6 juin, et encore ne s’agit-il pas d’une canonisation en forme. Les vieilles chro­ niques monastiques, cependant, proclament à Penvi la sainteté d’éminents personnages qui illustrèrent l’ordre, et des hagiographes des xvir et xviir siècles ont réuni les biographies des prémontrés qui édifièrent le monde chrétien. Cf. G. Licnhardt. Ephemerides hagiologiar ordinis Pramonstratensis, Augsbourg. 1768; J.-C. Van der Slerrc. Hagiologium Norberlinum, cd. posth., Namur, 1887. Il est à remarquer toutefois que, dès le début, on a garde dans l'ordre une grande réserve au sujet des saints qui seraient sortis de son sein, ainsi qu’une sobriété manifeste dans les récits merveilleux. Est-ce modestie? Est-ce négligence? Est-cc désir d’éviter aux monastères le trouble que cause toujours le concours des pèlerins? Peut-être faut-il plutôt chercher la solution dans le fait du ministère parois­ sial des pré mont rés. Les chanoines résidant au cou­ vent se préparaient à l’exercice des fonctions parois­ siales par des études plus positives, qui les empê­ chaient de se lancer, comme les moines contemplatifs et en particulier les cisterciens, dans les spéculations mystiques et. du même coup, les mettaient en garde contre une trop grande crédulité vis-à-vis des récits merveilleux. Une fois envoyés dans les paroisses, absorbés par les travaux et les soucis du ministère, ils n’étaient pas bien placés pour organiser le culte des saints de leur monastère, bien qu’il ne manquât pas de personnages d’une grande sainteté dans les abbayes norbertines. De plus, vivant continuellement en dehors de l’abbaye, ils perdaient fatalement, quoi qu’on y fit, quelque peu de cet esprit de corps qui anime généralement les communautés religieuses. Cette vie active n’est pas davantage favorable à l’élaboration des longs récits merveilleux auxquels peuvent se consacrer des moines jouissant de loisirs pour vaquer à la contemplation cl aux rêveries mys­ tiques. H. Lamy, L'abbaye de Tongerloo, p. 279. H est remarquable, par exemple, que Philippe d’Harvengt, abbé de Bonne-Espérance, écrit, à la demande 19 PRÉMONTRÉS. SAINTS PERSONNAGES d’étrangers, la vie de saints qui ne relèvent pas de l’ordre, sans penser Λ la glorification d’aucun de scs confrères. Ajoutons enfin que. lorsqu’il s’agissait d'obtenir de Borne soit une canonisation, soit l’appro­ bation d’an culte, l’ordre ne possédait pas suffisam­ ment de cohésion pour agir d’un commun effort, et surtout pour réunir les fonds nécessaires, car les prémontrés n’ont jamais joui, sous ce rapport, du pri­ vilège des ordres mendiants, pour lesquels ces frais se. trouvaient réduits au minimum. C’est sous le bénéfice de ces remarques qu’il faut étudier la liste des saints personnages issus de l’ordre. Le culte du fondateur lui-même, saint Norbert fut-il canonisé par Innocent III? ce n’est pas prouvé — fut autorisé par Grégoire XIII, le 28 juillet 1582. Le général de l’ordre, Jean Despructs, composa à cette occasion un office du saint qui fut adopté au chapitre général de 1581. Depuis lors aussi, les noms de saint Augustin et de saint Norbert sont insérés dans le Confiteor et l’oraison A cunctis. I.c 13 sep­ tembre 1672, Clément X décréta que la fête de saint Norbert, évêque et confesseur, serait dorénavant célébrée dans l'Église universelle, le G juin, sous le rite double. Cf. E. \ alvekens, La · canonisation » (te saint Norbert, dans Analecta prarnonslratensia, t. x. 1931. p. 5 sq. Depuis 1625, sous Crbain VIII, les prémonlrés célèbrent la fête de saint Norbert le 11 juillet, pour éviter les complications auxquelles donnaient lieu, le 6 juin, les octaves de la Pentecôte ou du Saint'Sacrement. Les reliques de saint Norbert furent transportées, en 1627, à l’abbaye de Strahov, à Prague, où elles se trouvent encore actuellement. L’ordre de Prémontré a en outre adopté dans son office liturgique les fêles suivantes de saints ou bien­ heureux de l’ordre : Le I I janvier (avant le nouveau Kalendarium de 1921, le lundi qui suit l’AscensionI, fête du bienheu­ reux Gcrlac» lequel quitta l’armure des croisés et fut revêtu de l’habit de l'ordre par le pape Adrien IV; il s’installa comme ermite à Houthem, près de Fauquernont, au pays de Maastricht. où il vécut dans la pénitence et la retraite. Il mourut à la fin du xn· siècle. A l’endroit où il passa sa vie s’éleva bientôt un cou­ vent de moniales norbertines. Dans le sanctuaire, actuellement église paroissiale, les reliques du bien­ heureux sont toujours en honneur. Son office fut admis au bréviaire en 1G75. I Le IG Janvier, fête du bienheureux Godefroid, comte de Cappenberg. admis à la vie religieuse par saint Norbert, qui avait ses vues sur lui pour la direction future de l’ordre. Le manoir de Cappenberg fut converti en abbaye, dont Godefroid fut le premier abbé. Inc mort prématurée l’enleva, à l’âge de trente ans, le 13 janvier 1127. Ses reliques sont véné­ rées actuellement à l’église paroissiale d’Ilbensladt, en Rhénanie. Le culte du bienheureux fut reconnu par Paul V en 161 I. Cf. IL Hûsing, Dcr licit. Gottfried, Graf non Cappenberg, Munster, 1882. Le 10 février, fête du bienheureux Hugues de Fosses, ancien secrétaire de l’évêque de Laon, Barthé­ lemy de doux, premier disciple de Norbert, son suc­ cesseur dans la direction de l’ordre et premier abbé de Prémontré, où il mourut en 1161. L’ordre lui est redevable de sa législation première et de son code liturgique. Ses reliques se trouvent actuellement à l’abbaye de Bois-Seigneur-Isaac, en Belgique. Borne a reconnu son culte le 13 juillet 1927. Cf. IL Lamy, Vit du bienheureux Hugues de Fosses, premier abbé de Prrmontré (t 1164). Charleroi, 1925; du même, La gloire posthume du bienheureux Hugues de Fosses, < h irleroi. 1928. Le 17 février, fête du bienheureux Evennode, d'abord prévôt de Sainte-Marie à Mngdebourg, puis 20 second évêque de Bacebourg et apôtre des \\'endos. Son office fut adopté en 1675. Le 3 mars, fête du bienheureux Frédéric, abbé de l'abbaye de Mariengaarde en brise. Il fut un maître brillant à son époque, annexa ù son abbaye un collège renommé et créa dans sa communauté une atmosphère scientifique (t 1175). Ses reliques furent transportées nu xvn* siècle ù l'abbatiale de l’abbaye de BonneEspérance, actuellement église du séminaire, où elles se trouvent encore. Son office se trouve au bréviaire de l’ordre depuis 1675. Le 29 mars, fêle du bienheureux Ludolphe, neuvième évêque de Bacebourg, qui, dans sa lutte pour la défense des libertés et des biens de son Église contre les convoitises du duc Albert de Saxe, tomba martyr de la bonne cause, en 1250. Le 5 avril, fête de sainte Julienne de Cornillon, que d'aucuns rattachent à l’ordre, ce (pii n'est pas prouvé. Tout au plus peut-on dire qu’elle se trouvait pro­ bablement sous la direction spirituelle du prieur de l'abbaye prémontrée de Mont-Saint-Cornillon, quand elle fut favorisée des révélations qui aboutirent à l’institution de la Fête-Dieu. Elle mourut en 1259. L’office de la sainte fut placé dans le bréviaire pré­ montré par le chapitre général de 1911, avec la mention que la sainte relève de l’ordre, indication qui est tombée dans l’édition de 1932. Le 8 mai, fête du bienheureux Hermann-Joseph, confesseur, religieux de l’abbaye de Steinfeld, en Rhénanie, dont la vie pieuse et sainte fut une contem­ plation ininterrompue (* 1233). Ses reliques se trou­ vent encore actuellement à Steinfeld, où résident maintenant des salvat oriens. Son office est au bré­ viaire prémontré depuis 1675. Le 15 juin, le bienheureux Isfride, d’abord prévôt de l’abbaye de Jerichow (Allemagne), fut élu en 1178 évêque de Bacebourg cl dirigea ses efforts vers l’évan­ gélisation des Wendes. 11 défendit son peuple contre les oppressions des grands et mourut, après une vie remplie de prodiges, en 1201. Le 9 juillet, fête des saints Adrien et Jacques, qui furent du nombre des martyrs de Gorctim, tombés victimes de la haine des gueux calvinistes (1572); béatifiés dans le groupe des martyrs de Gorcum en 1675 par Clément X; canonisés en 1867 par Pie IX. Le 19 Juillet, fête du bienheureux Hrosnata, reli­ gieux de l’abbaye de Tcpl, martyrisé pour la défense des biens monastiques qui lui étaient confiés, le 11 juillet 1217. Scs reliques sont conservées à l’abbaye de Tcpl. En 1892, la Congrégation des Biles a accordé la reconnaissance de son culte. Le 13 août, fêle de la bienheureuse Gertrude, fille de sainte Élisabeth de Thurlnge, religieuse du monas­ tère d’Altenbcrg (Allemagne), qui mourut après une vie toute de simplicité, de mortification et d’abné­ gation, à l’âge de 70 ans, en 1297, après avoir dirigé sa communauté pendant 10 ans. Ses reliques sc trouvent encore actuellement à l’église de l'ancien couvent. Culte approuvé pour le monastère par Clément VI, étendu par Benoit XI H à tout l'ordre en 1728. Son office sc trouve au bréviaire depuis 1675. Le 30 août, fête de la bienheureuse Bronislava, abbesse du monastère de Zwierzinicc (Pologne), célèbre par son esprit de solitude et de contemplation (t 1259). Culte approuvé par Grégoire XVI en 1839, pour le monastère cl le diocèse de Cracovic, étendu ù tout l’ordre par Léon XIII. Le 26 octobre, fête du bienheureux Gilbert, abbé de Neuf-Fontaines, en Auvergne, dont la vie fut remplie de sainteté et de miracles (f 1152). Son nom sc trouve dans les litanies des saints. Son office a été admis au bréviaire prémontré depuis 1657. Enfin, le 17 novembre, fêle du bienheureux Siard, 21 P K E M ONT H ÉS. VI E I \ T E LL ECT U E LL E 22 abbé de Maricngaardc (Frise) qui brilla par son esprit (t 1588); Jean Lohcl, religieux de l’abbayc de Tcpl, de pauvreté et de charité. Ses reliques, après les qui devint archevêque de Prague, et fut remarquable troubles religieux du xvr siècle, furent transportées par son intelligence et sa vertu (t 1622). en 1617 à Γabbaye de Tongcrloo, ou elles sont le Le xvnr siècle finissant réservait à l’ordre de centre d’un pèlerinage très frequente. Son office est Prémontré une brillante couronne de martyrs : le au bréviaire depuis 1675. P. Guide) de Pont-à-Mousson, guillotiné à Liège On aurait cependant tort de ne juger l’ordre que en 1793; le P. Adrien Toulorgc de La Blanchclandc, d’après cette liste officielle de saints et de bienheureux. massacré la même année à Coutances; le P. Charles Il y aurait lieu d’y ajouter d'autres noms (pie la véné­ Ochln de Vicoigne, supplicié à Valenciennes en 179 t. L’Ile Madame conserve les tombes des PP. BavHet, ration n’a jamais placés au premier plan, mais que l'histoire n’a pas oubliés. Aux débuts de l'abbaye de Lefort, Mercier; l’Ile d’Aix, celles de J.-B. Dupré; Prémontré, nous voyons dans Je couvent des moniales l’fle de Ré, celles de Nicolas Jouette et de J. Van annexe, la bienheureuse Itievère de Clastrcs sc dévouer den Block; Pile d’Oléron. celle d’Hercule Proxvoost. A Sinnamary mourut, en 1798, le P. Mansuy luiposire, ù l’organisation et à la direction de sa communauté de religieuses et a 1’hospitalisation des pauvres et des a Kononama. le P. Jean Venaty. Et nombreux sont ceux (pii revinrent des pontons, de Cayenne et malades (f 1136). Mentionnons encore Tancrède, d’autres lieux de déportation, après des souffrances premier prieur de la Luzerne, en Normandie; Gauthier, inimaginables. d’abord abbé de Saint-Martin de Laon, homme tout Sur les pré mont rés qui furent promus à la dignité apostolique et ami des pauvres, adonné à l’oraison et épiscopale, voir A. Zak, Episcopatus ordinis Prirmonsa l’élude, qui succéda â Barthélemy de Joux sur le siège épiscopal de Laon (t 1155); Hildegonde. com­ tralensis. dans Anal. pnvm,. t. iv. 1 28 sq. VIL La vie intteljlectüexle. — Si l’ordre de tesse de Mccr, qui fonda un couvent de moniales Prémonlrc n’a jamais considéré les études comme dans son chAtcau familial, où sa fille Hcdxvige lui un de ses buts essentiels, il s’est toujours maintenu, succéda comme abbesse; Luc. abbé de Cornillon, qui néanmoins, â un niveau intellectuel en corrélation donna Fexemple d’une tendre dévotion aux esprits avec la culture de son temps. célestes (f 1165); Aldéric. issu d’une famille royale 1" Les débuts, — Saint Norbert lui-même était un de Prance, (pii passa toute sa vie dans le monastère intellectuel. C’est son instruction profonde et variée, de P’ussenich, inconnu de tous et se sanctifiant dans son esprit ouvert, <|ui l’avait fait accueillir à la cour l’humble métier de porcher; Odinon, premier abbé de l’archevêque Frédéric de Cologne et. plus tard, de Botha, (pii forma des Ames nombreuses à la haute perfection; Raoul. abbé de Vicognc. qui fut la provi- | à celle de I empereur. Les longs mois de retraite et de recueillement, â l’époque de sa conversion, l’avaient deuce des pauvres de la région et accomplit nombre nécessairement orienté vers la science de ΓEcriture de miracles; les bienheureux Richard de Florcffe sainte cl de la contemplation. Sa vie, cependant, fut (t 1150) et Yves de Soissons, In bienheureuse I lermentellement remplie que nous n’avons de lui que quelques gardc, fondatrice et religieuse de Cuissy (t 1155) cl fragments oratoires. On lui attribue, en outre, quelques le bienheureux Luc, qui en fut le premier abbé ouvrages, dont il ne subsiste que les titres. Les manus­ (f 11-15); le bienheureux Odon. premier abbé de crits — du moins le suppose-t-on — périrent dans Bonne-Espérance; Gérard, premier abbé de Glairel’incendic de la ville de Magdcbourg. lors de la guerre Fontaine (fll50); le bienheureux (iaremberl ou de Trente ans. Walinbert, du Mont-Saint-Martin (t 1111); la bien­ La Vita sancti Xorberti nous apprend que. durant la heureuse Oda de Bonnc-Espérancc; les sept chanoines période de scs prédications. Norbert ne dédaigna pas prémontrés de Saint-Samuel en Palestine, (pii furent de fréquenter l’école de Laon, et panni ses premiers martyrisés en 1187; Dodon, chanoine du Jardin-dedisciples plusieurs étaient sortis des studia generalia Marie (Maricngaardc). qui vécut en ermite et mourut de l’épocpie. avec les stigmates de la passion (t 1232). L’œuvre législative à laquelle s’employa le bien­ Si l’ordre eut ses défections et ses apostasies à l’heure des luttes religieuses, il eut aussi scs martyrs. Citons heureux Hugues de Fosses, premier abbé général de Théodore Schlegel, abbé de Saint-Lucius de Caire, Prémontré, atteste une haute culture intellectuelle. Les premiers statuts, d ailleurs, comportent dans le qui prêcha avec ardeur contre les erreurs de Calx in et fut décapité, après de cruels tourments, avec plusieurs chapitre De armario cl solatia ejus, des indications 1res suggestives au sujet de l’emploi et de la conser­ de scs religieux (t 15*29); Mathieu Mackerel!, abbé de vation des livres manuscrits du monastère, et le Barlings et évêque titulaire de Chalcédoine, qui texte : Interim legant in conventu singuli in singulis groupa 20 000 hommes pour résister ù Henri VIH libris usque ad signum collationis, qui fait partie du d'Angleterre, et (pii, vaincu, fut arrêté, emprisonné, règlement de la journée, dénote que, dans les abbayes, pendu et traîné sur la claie avec l’abbé de Wellebcc et cinq autres religieux de l’ordre (t 1536); le bien­ malgré le travail manuel nécessaire, les éludes sui­ vaient leur programme régulier. heureux Pierre de Calmpthout, de l'abbaye de Ton· Comme, en effet, les membres de la communauté gerloo, (pii fut martyrisé parles gueux de mer (t 1572); étaient destinés au service paroissial, la formation Jean de I Iccqucs. proviseur de Saint-Jossc-au-Bois, intellectuelle devait se faire axant tout au sein du tourmenté et mis â mort par les calvinistes (t 1568); monastère, de concert avec la formation religieuse. les religieux de l’abbaye de Saint-Jean de-la-(’.aslclle, qui furent brûlés par les calvinistes (1569); le prince Le scriptorium était vraiment, ù celte époque, le Hayton d’Arménie, (pii embrassa l’ordre de Pré­ centre intellectuel de chaque abbaye. C’est là que sc montré au monastère de Lapais de Chypre (+ xiv« s.); faisait l’élaboration du chartricr. qui devait assurer au couvent la tranquille possession de scs biens, pri­ Daniel de Campcnhout, prieur de Grimberghen; Jean vilèges et libertés, là qu'étaient confectionnés les d’Avesne. abbé de Ninove (t 1571); Ixes de Blohec. magni liques exemplaires des manuscrits destinés au religieux de Beauport (+ 1 158) et bien d’autres encore. Signalons encore, en 1580. le martyre de Jean service du chœur; là que se faisait la transcription des œuvres de la latinité classique, des livres de la Kveran, abbé de la Sainte-Trinité, en Irlande, (pii fut mis à mort a Dublin (t 1580); la vie pieuse de sainte Ecriture, des ouvrages patrisliques. Nous Guillaume Eiselin, (pii mourut à l’Agc de 21 ans en possédons encore actuellement quelques exemplaires odeur de sainteté à l’abbaye de Rot ha, et dont sortis du scriptorium de plusieurs abbayes norberV Encensoir d’or est un écrit de haute spiritualité tincs. L’école de copistes et de miniaturistes de PRÉMONTRÉS. VIE INTELLECTUELLE l'abbaye de Culssy était célèbre en son temps. Ton! aussi connues sont celles de l'abbaye de Bonne-Espé­ rance, de Heilisscm, du Parc. Dès les origines, nous trouvons en annexe à quelques abbayes, des acadé­ mies cl des collèges. Nous avons déjà relevé l’école monastique de l’abbaye du Jardin-de-Mnric, en brise. Les nominations et les directions émanant du centre de telle ou telle abbaye entretenaient renseignement dans mainte paroisse incorporée, où la nomination du ludimagistcr relevait de l’abbé, qui s'attachait à soutenir cl promouvoir le mouvement intellectuel. Les traces les plus évidentes de la culture des reli­ gieux prémontrés aux xir, xnr et xiv· siècles, se trouvent dans les écrits hagiographiques que nous laissèrent certains d'entre eux. Nous avons déjà parlé des Vila que composa Philippe d’Harvengt, abbé de Bonne-Espérance. Nous relevons encore les Vi/æ sancti Norberti, qui datent des environs de 1150, et qui ont toute la saveur de ce genre de littérature. De plus grande valeur, cependant, sont les écrits ascé­ tiques. que nous laissèrent quelques chanoines, et qui les placent aux premiers rangs parmi les maîtres de la spiritualité du Moyen Age. Nous avons les Cantiques spirituels du bienheureux Herman Joseph (éd. W. Van Spilbeeck, Namur, 1899; cf. L. Jôrss, Dos arnsleiner Marlengebet und die Sequenzcn des .V.-.4., Marbourg, 1920); les écrits apologétiques d’Anselme de Havelberg (f 1158) (éd. L. d’Achery, i Spicilegium, t. xm; voir ici, I. i. col. 1360); les écrits d'Adam Scolus, abbé de Drybourg (vers 1181-1188), qui devint chartreux (A. Wilmart, Madré Adam, chanoine prémonlré, devenu chartreux à Witham, dans Anal, pricm., t. ix, 1933, p. 209-313; Fr. Petit, Ad viros religiosos. Quatorze sermons d'Adam Scot us, texte établi avec interprétations et citations, Tongcrloo, 1934; L. Goovaerts, Écrivains, t. i, p. 9-11; compléter d’après ceci l’art, paru, t. i, col. 389); les écrits ascétiques de Philippe de Harvengt. abbé de Bonne-Espérance, en Hainaut (f 1183) (voir son art., t. xi!, col. 1407 sq.); les œuvres de Richard l’Anglais, de l'abbaye d'Arnsberg, en Allemagne (xn* siècle), dont on possède un Tractatus de ofliciis missie, des Carmina in missam et orationem dominicam et une Vita sandx Ursula· (Goovaerts, op. cil., I. ιι, p. 91-92); les Collations de Wichman d’Arnstein, prémontré jusqu'en 1230, puis dominicain (t 1270?) (M. A. Van don Oudenryn, Miracula et collationes /ratris Wichmanni, dans Anal. præm., t. vi. 1930, p. 5-53); les écrits de Zacharie Chrysopoli tan us (xn· siècle), de l'abbayt de Saint-Martin de Laon, homme d’une rare sagacité cl d’une profonde érudition, dont l’ouvrage principal, Commentarius in concordiam euangeliorum, eut plusieurs éditions (3e à Cologne, 1618, et P. L., t. clxxxvi); Gervais, quatorzième abbé-général de l'ordre (f 1228). qui, au IV* concile du Latran (1215), gagna la bienveillance du pape Innocent HI, mais dont les ouvrages : Commentarii litterales in minores prophetas sont perdus. Scs Epislolœ ont été publiées par Caillicu, à Valenciennes, en 1661. et par C.-L. Hugo, Sacra antiquitatis monumenta, 1.1, Étival, 1725. Pour des matières plus particulières, il faut citer Jean de Sacrobosco (Holybusch, ou Jean de Holy­ wood), Écossais d’origine; inscrit à l’université de Paris en 1221. il étudia à Oxford, devint religieux de l'abbaye de Holywood, et eut une grande réputation de mathématicien (f à Paris, 1236). Parmi ses œuvres, on connaît sa Sphera mundi, qui jouît dans les écoles d'une faveur qui dura quatre cents ans. Nous possédons toute une série de chroniques et d'annales, écrites dans les abbaves norberlines et narrant leur histoire, ou celle de la région : celles de MOlbausen, en Bohème, écrite par Gerlach (Mon. Germ, hid.. Script., t. xvn); de Saint-Paul de Verdun (l. xvi); de FlotefTc (t. xvr), du Parc (t. xvi); de Schafllarn (t. xvn); d’Oslerhoven (t. xvn); de Windberg (Primordia Windbergensia, t. xvn); de Stclngarden (Historia Wel/orum Weingar/cnsis, t. xxi); de Gottcsgnadcn (Fundatio monasterii Gratin: Del, t. xxi); d’Ilfeld (Historia monasterii H/cldrnsis, I. xxv); d'Urspcrg (Hurchardi et Chuonradi Ursper­ gentium chronicon, t. xxm), de Witteweriim (Emmonis cl Mcnconis Werumensium chronica, t. xxin); de Mariengnnrde (Gesta abbatum Horti S. Marin·, t. xxni, et A. Wumkcs, Sibrandus Leo's Ablcnlcven, Bolsward, 1919); de Ninovc (Halduini Ninouiensis chronicon, t. xxv); de Mildenfurlh (B. Schmidt, Arnold von Quedlinburg und die alteste/i Nachrichten des russischen Hauses, léna, 1883); de Weisscnau (Acta S. Petri in Augia, éd. Baumann, Karlsruhe. 1877); de Schusscnrlcd (Mon. Germ, hist., I. xxv); de Marchtali (Liber fundationum seu annales Eccles iœ Marchtallensis, t. xxiv); de Steinfcld (Historiæ Fran­ corum Steinveldenses, t. xm); de Vicolgnc (Historia monasterii Viconiensis, t. xxiv); d'Adelberg (t. i); de Prémontré (Sigeberli Gemblacensis continuatio Privmonstratensis, l. vi); de Saint-Martin de Laon (Sigeberli continuatio Lauduncnsis, t. xxvi). Aux Xis’* et xv* siècles, les écrivains prémontrés ne sont peut-être plus de premier ordre, mais ils ne sont pas dépourvus de mérites. Citons, en Écosse, Raoul Strodus, de l’abbaye de Drybourg, poète et philosophe très connu (t 1370); Patrice, de la même abbaye, philosophe et théologien (t 1350); le prince Hayton, en Chypre (t xiv* siècle), qui écrivit entre autres une curieuse Histoire de l'Orient (Hagucnau, 1529); à I loreiTe. le prieur Pierre de Herentals (t 1391), auteur d’un Collectarius cvangcliorum qui eut trois éditions Imprimées avant 1500. A nommer encore, pour l'Angleterre, l’historien Wugcnhall; pour l’Allemagne, Pierre de Kaiserlautcrn, de l'abbaye de Luira, remarquable non seulement comme théo­ logien. mais aussi comme litterateur et juriste; pour la Belgique. Roland Piquot, de Dilighem (f 1507), docteur en droit; pour la France, Thomas l’Hcureux, de Dommartin, bachelier en théologie (f 1 120). Les religieux de l'abbaye de Tepl donnèrent au Xîv* siècle une traduction allemande de la Bible (éd. Phil. Klimcsrh. Munich, 1881). La première traduction de la Bible en hongrois fut faite en 1115, par un pré mont ré (Anal, pnrm., t. vi, 1930, p. 223). 2° L'époque moderne et contemporaine. De bonne heure nous retrouvons les religieux de l’ordre aux différents studia generalia. C’est surtout l’université de Paris, la plus renommée pour l’enseignement des arts et de la théologie, qui attirait les sympathies des prémonirés. Jean II de Rocquignics, le dixneuvième abbé-général de l’ordre (f 1269), lui-même docteur en théologie de celte université, appuya ce mouvement en fondant, en 1252, dans celte ville, un collège destiné à mettre plus à la portée des élèves prêmontrés les cours universitaires. En 1319, Clé­ ment VI concéda aux prémonirés la faculté de pro­ fesser comme licenciés à celle université. Dès celle époque, on rencontre des prémontrés dans toutes les villes universitaires ; Orléans, Bourges, Dôle, Cologne, Douai. Cet exode cessera pour les Pays-Bas avec la fondation de l’t’niversilé de Louvain (1125) qui attirera dorénavant les habitants de la région. Les abbés chercheront d’ailleurs à faciliter ce mouvement en érigeant, à l'exemple du collège prémontré de Paris, un college ou maison de logement cl d’études dans les villes possédant un enseignement supérieur. Le collège prémontré de Louvain fut fondé par la circarie de Brabant, en 1571. La circarle de FlorelTe y possédait en même temps un autre internat depuis 1619. Tongerloo eut son collège Saint-Norbert, à 25 P HÉ MONTRÉS. VIE I NT El, LE CT U ELLE Home, depuis 1GIH. Auprès de l'université de Douai» un collège de l’ordre avait été érigé en 1620; auprès de celle de Cologne en 1618» grâce à l’abbé de Stclnfcld; auprès de celle de Prague» en 1637, par l'intermédiaire de Gaspard de Qucstcmbcrg, Les élèves de l'abbaye de Hcbdoni, en Pologne, suivaient les cours de l’uni­ versité de Cracovlc. Le célèbre collège de Salamanque, en Espagne, réunit la gent studieuse des abbayes de la presqu’île ibérique depuis 1576. On était d’ailleurs ά une époque où, dans chaque abbaye, les études de philosophie et de théologie étalent sérieusement conduites, souvent même sous la direction de licenciés d’université — Jansénius, plus tard évêque de Gand, enseigna au xvi· siècle l'Écriture sainte à l’abbaye de Tongerloo — ou présidées d'ordinaire par des religieux de l'ordre, qui avaient reçu leur formation dans quelque université,et qui, parfois, malgré le vœu de stabilité, étaient pris dans une autre maison de l’ordre. Le séminaire domes­ tique de l’abbaye de Saint-Michel d'Anvers entra meme en conflit avec l’université de Louvain, pour avoir ouvert ses cours de philosophie ù des étudiants de la ville. H n’est pas étonnant de trouver, dès lors, à une époque plus moderne, toute une pléiade de savants et d'écrivains dans l’ordre. Nous citons entre bien d'autres, Nicolas Psaume, abbé de Saint-Paul de Verdun, puis évêque de cette ville (t 1575), qui repré­ senta l’ordre au concile de Trente, où il fut chargé de la rédaction des canons touchant la réforme des religieux. 11 donna une édition des Canones et decreta concilii Tridcntini, Verdun, 1561, et un commentaire : Concilium Tridcntinum lucubrationibus illustratum, Verdun, 1572. On a encore de lui : Préservatif contre le changement de religion, Verdun, 1563; La doctrine vraie du sacrement d'ordre, Verdun, 1563; Adver­ tissement à Thcmmc chrcstien pour cognoislre et juir les hérétiques de ces temps, Heims, 1561. Parmi les meilleurs théologiens de l'ordre, nous citerons Florent de Cocq, de l'abbaye de Saint-Michel d’An­ vers (f 1699), avec ses Principia totius theologiamoralis cl speculative, 3 vol., Cologne, 1682, et De jure cl justitia, qui eut trois éditions, Bruxelles, 1687, Bruxelles, 1708, Malines, 17*11; Macairc Ilavennans, de la même abbaye (t 1680), dont le Tyrocinium Christiana· moralis theologia: fut édité, Anvers, 1674, Anvers, 1675, Venise, 1771, et qui fournit encore une Disquisitio theologica : quia Dei amor requiritur et sufficit cum sacramento ad justificationem, Louvain, 1675, et une Defensio brevis tyrocinii moralis theo­ logia*, Cologne, 1676; Thndée Schwaiger, de 1’abbnyc do Strahov (t 1713), dont l’œuvre théologique com­ porte 21 ouvrages édites, et enfin Simon Braunman. de l’abbaye d’Averbode (t 1747), Tractatus theologici tum praxi tum speculationi accommodati, Ί vol., Louvain, 1750 1752, Parmi les auteurs ascétiques, il faut citer, outre l’incomparable Servais de I.airucls (t 1631), qui laissa entre autres trois ouvrages de haute spiritualité, VOptica regularium, Pont-ù-Mousson, 1603, les Medi­ tationes ad vita- religiosa· perfectionem, ibid, 1621, et le Catcchismi novitiorum cl eorum magistri, ibid,, 1623; Lohelius, abbé de Strahov, à Prague, et arche­ vêque de cette ville (t 1622), qui travailla vigoureu­ sement à l’œuvre de la contre-réforme en Bohême; Willlbrord Bosschaert, de l'abbaye de Tongerloo (t 1657), dont on a surtout une Vita contemplativa et activa, Louvain, 1620, et la Eeria sexta sire efus dignitas. Malines, 1653, et qui donnait régulièrement pour les confrères occupés dans les paroisses et réunis ù l’abbaye chaque année, scs conférences sur des sujets varies; Augustin Wichmans. abbé de Tongerloo (t 1661), qui publia un Epigrammata de viris viliv 26 sanctimonia illustribus ex ordine Prnan., Louvain, 1615; une Apotheca spiritualium pharmacorum, Anvers, 1626; un Sabatismus Marianus, Anvers, 1628; Jc Rrabanha Mariana, si avantageusement connu, et qui eut plusieurs éditions (1« éd., Anvers, 1628) et dont le Syntachma pastorale, ou instruction pour les religieux dispersés dans les paroisses, mérite­ rait d'être édité; Gérard van Hcrdcgom, de l’abbaye de Tongerloo (t 1675), qui écrivit son Diva virgo candida, Bruxelles, 1650; Ludolphe van Craywinckel. de l’abbaye de Tongerloo (t 1679), dont les Godvruchtige meditatien furent le manuel de dévotion pendant tout un siècle (p· éd., Anvers, 1661); Jérôme Hirnhaim, de l’abbaye de Strahov (1679), dont nous avons entre autres, Recta viler via seu devotæ medita­ tiones, Prague, 1678, et qui est l'auteur d’une volu­ mineuse explication du Sermo sancti Norbert1, Prague, 1676; François Wennius, de l'abbaye du Parc (f 1647), qui écrivit des directives pour les novices et leurs maîtres dans son Speculum religiosorum, Louvain, 1645; Jean Hcrlet, de l'abbaye d'Obcrzell (t 17181, qui fournit un recueil de méditations, intitulé : Solitudo Norbertina, Marchtail, 1698; le célèbre Gofliné, de l'abbaye de Stcinfeld (t 1719), qui composa son Manuel du chrétien, encore populaire de nos jours surtout en Allemagne; Sebastien Sailer, de l’abbayc de Marchtall (f 1777), qui publia une Imitation de la sainte Vierge, Gùnsburg, 1764, œuvre anonyme d’un chanoine de Marchtall, et qui fut lui-même un écrivain assez fécond; Godcfroid van Elshout, de l’abbaye de Ninove (t 1667), qui publia : Den gheestelycken Roos-Iîof, Bruxelles, 1649; Hantboccxken der daghelyckscher deoolien, Bruxelles, 1649, et Den dobbelen gheestelycken Olyf-boom, Anvers, 1651; Daniel Bcllcmans, de l’abbayc de Grimberghen (t 1674), avec son Het cilherken van Jesus, qui eut deux éditions, et Den liefjchjcken paradysoogel, dont on connaît 11 éditions; Adrien de Buck, de SaintNicolas de Fûmes (xvn* siècle), qui écrivit : Troostn cdecynewynckel des zedighe wysheyt, Bruges, 1653, adaptation en vers Hamands du De consolatione philosophia:, de Boèce; Denis Albrecht, de Tabbav d’Élival (t 1753), avec son Manuel des chanoines prémonirés, Argenteau, 1742; Georges Lienhardt, abbé de Koggcnbourg(t 1783), qui écrivit entre autres ouvrages son Exhortator domesticus. Vienne, 1754 et 1760. 11 faut citer à part Epiphane Louis, abbé d'Étival (t 16S2), qui laissa plusieurs ouvrages ; Ln nature immolée par la grâce, Paris, 1671; La vie sacri/iée et anéantie des novices, Paris, 1674-1675; Conférences mystiques sur le recueillement, Paris. 1676,1683; Traité de la contemplation naturelle (resté manuscrit) et ses Lettres spirituelles, l'aris, 1688. Bien qu’il fût un peu porté au quiétisme, il mérita cependant l’éloge de dom Calmel, qui l’appelle «un homme très éclairé dans la théologie mystique et un des plus sublimes contemplatifs de son temps % Parmi ceux qui s’appliquèrent à l’histoire, citons J.-C. Van der Sterrc, abbé de Saint-Michel d’Anvers (t 1629), qui donna la première édition critique de la Vita R de saint Norbert, publiée par Polycarpc de llertoghe. à Anvers, en 1656, et publia une Vre de saint Norbert en Hamand, Anvers, 1623; Jean Le Paigc (t 1650). auteur de la Pnrmonstratcnsis ordinis bibliotheca, Paris 1633, où il a rassemblé une foule de documents; Maurice Du Pré, de l'abbaye de Saint-Jean d’Amiens (f 1615). qui écrivit une 1 ie de saint Norbert, Paris, 1627. cl composa les Annales breves ordinis Pram,, Amiens. 1615, rééditées par 1 Van Spilbeeck, Namur. 1889; Thérèse Petryczowna, religieuse de Zwierzitüec (t 1700), qui donna une Chronique historique de son monastère. Cracovic, 1860; l’INpagnol Joseph Noriega, de l’abbayc de P RÉ.MONT R ES VII·: INTEL LEC TUE LLE Notre-Dame de la Vid (xvnr siècle), qui publia Dissertaiio apologetica marianocandida in qua de. constanti revelatione candidi habitus Prtrmonstratensis per Deiparam. Salamanque, 1723, et son compatriote Emmanuel de Iliana, de Valladolid (+ 1783), qui écrivit une Vie de saint Norbert fort appréciée, Sala­ manque, 1755: René de Vertot d’Au boeuf, de l’abbaye de Vaher} (t 1735), auteur d’une Histoire de l'ordre de Malle, Dijon. 1725; Mansuct Le .Jeune, «le l’abbaye de Pont-â-Mousson (t vers 1760), qui publia une Histoire critique et apologétique des templiers, Paris. 1789, ouvrage posthume. Parmi ces historiens de l’ordre, il faut cependant réserver une première place à Charles-Louis Hugo, abbé d’Étival cl évêque titu­ laire de Ptolémaïs (t 1739), qui condensa l'historique des abbayes relevant de l’ordre dans son ouvrage : Pnemonstra(ens is ordinis annales. 2 vol. in-fol., Nancy. 1711. Voir ici, t. vn. col. 201. et IL Lamy. L'abbé Hugo d'Étival et la coopération des abbayes belges à son ouvre historique, dans Anal, pnvni.. t. I, 1925, p. 171-186, 261-286. Il a donné aussi son admirable Vie de saint Norbert, Luxembourg, 1701, et scs Sacra· antiquitatis monumenta, Et i val, 1725. La littérature proprement dite n’a guère pour représentants que des professeurs d’humanité, comme de Waghcnaer, de Saint-Nicolas de Eûmes 1662). Comme poète français, nous avons Claude Hohault. prieur de Sélincourl cl prieur-curé d’Holnon. près de Saint-Quentin (t 1G75). qui publia entre autres son Institution chrestienne, Paris, 1771. Parmi les savants, il faut mentionner Jean Zahn, de l’abbaye d Oberzell (t 1707), géomètre et physi­ cien; Benoît Bayer, de Strahov (t 1751), astronome; Procop Dlvlsch, chanoine de Kiostcrbruck (t 1765)qui, quelques années avant les expériences de Franklin, dès 1751. plaçait un paratonnerre sur son presbytère; Carasmar, de l’abbaye de Notre-Dame de Belpuig (11791), le célèbre archiviste d’Espagne, remar­ quable par sa science diplomatique cl paléogniphiquc. La musique ne fut pas négligée : Maslus, le célèbre abbé du Parc (+ 1617) était excellent organiste; Wintherer, d’ilbenstadl (xvnr siècle) et Oelschlegel de Strahov (t 1788). furent constructeurs d’orgues. En 1775, l'abbé de la Val-Dieu. Lissoir (f 1608), fonda dans son monastère une école de musique où I lanser, de l’abbayc de Schussenried (t 1792) fut le maître du compositeur français Méhul (+ 1817). La gravure fut cultivée par Louis Barbaran. de Saint-Martin de Laon (xvnr siècle); la peinture par Eustachc Restout, de l’abbayc d’Ardcnnc (1 1713), par son frère Jacques (f vers 1700). et par Luc, de l’abbaye de Steingaden (xvnr siècle); l’architecture par Nicolas Pierson de Sainte-Marie-Majeure de Pont-à-Mousson (xvnr siècle) et son frère Arnould, par Jacques Cottard (t 1713), qui reconstruisit son église abbatiale de Grimbcrghen, et par Antoine Thys (xvnr siècle) qui éleva la tour de l’abbatiale du Parc. Dans le domaine des beaux-arts, les prémontres furent avant tout les mécènes des artistes, à toutes les époques. Ils encourageaient les peintres, les sculpteurs, les orfèvres, les brodeurs. Par leur Intermédiaire, ils faisaient de leurs abbayes et de leurs églises abba­ tiales des endroits privilégiés où l’art servait ù rehausser la splendeur du culte et à rendre gloire au Très-Haut. SI. actuellement, malgré guerres, pillages, confiscations, révolutions. Incendies, nos abbayes con­ servent encore des trésors d’art devant lesquels l’admi­ ration s’incline, que furent les abbayes à leur époque de grandeur et de magnificence? L’ordre de Prémontré a un litre spécial à la recon­ naissance de la religion et des lettres ecclésiastiques pour avoir sauvé de la dispersion et du naufrage les Acta sanctorum, commencés par les Ixdlandistes. Par 28 suite de la suppression des jésuites, l'institut bol la ndlen avait été supprimé â son tour, en 1788, par le gouvernement autrichien des Pays-Bas. Godefroid Hermans, abbé de Tongcrloo, lit l’acquisition, pour son monastère, du musée et du mobilier de cet Institut, et fit continuer celte entreprise par scs religieux, de concert avec quelques anciens bol land isles, rétribués par lui, Jusqu’à ce que, en 1796, l’abbaye de Tongcrloo fut supprimée à son tour. Avant la débâcle, cependant, les religieux de Tongcrloo réussirent Λ faire évacuer l’outillage scientifique de l’œuvre et à le transporter en lieu sûr. le sauvant ainsi une seconde fois de la dispersion Cf. IL Lamy, L'œuvre des bollandistes à l'abbaye de Tongcrloo, dans Anal, prœm., 1926-1927, t. n-iif. L’enseignement de la jeunesse ne fut jamais l’appanage des prémontres. Ce n’est que par exception qu’ils eurent des collèges aux temps modernes, comme ce fut le cas pour l’abbaye de Saint-Nicolas de Fumes. A la tin de l’ancien régime, les circonstances les ont cependant orientés dans cette voie. A la suite de la suppression des jésuites, l’enseignement de la jeunesse avait de grandes lacunes, surtout en Allemagne et dans l'ancienne Autriche-Hongrie. Les prémontrés de Bavière, reprirent, en 1781, le gymnase de Landshut, mais le cédèrent, en 1791, aux dominicains. Les pré­ montrés de Tcpl se chargèrent, en 1801, du gymnase de Pilsen; ceux de Strahov reprirent le collège de Saaz et les Healschulen de Reichcnberg et d’Aakonilz; ceux de Siloé, le gymnase de Deulschbrod. En Hongrie, l’abbayc de Csorna prit la direction des collèges de Steingaden et de Keszthcly, et l’abbaye de Jâsfo se chargea de ceux de Kaschau, de Bosenau et de Gross wardein. La direction de ces collèges fut, pendant le XIX· siècle, une des occupations principales des pré­ montrés de l’ancienne Autriche-Hongrie. En 1871, Strahov perdit ses gymnases, de même que Seelau, Le gouvernement tchécoslovaque enleva à l’abbaye de Tcpl, en 1921. la direction de son collège. En I longrie, la tradition suivit son cours. Le collège de fibdolô, qui y fut commencé après la Grande Guerre, jouit d’une grande prospérité. Les prémontrés de la circaric de Brabant, ont, depuis quelques années, adopté les mêmes tendances. L’abbayc de Berne dirige un gym­ nase 1res fréquenté. L’abbayc d’Averbodc est à la tète, au Brésil, de deux séminaires cl d’un collège. Les prémonirés de West-Depere, aux États-Unis (Wis­ consin), s’occupent avant tout d’enseignement dans leur collège de Saint-Norbert, qui réunit une jeunesse nombreuse cl ardente. Depuis 1928, l’abbaye d’Averbode a inauguré son collège Saint-Michel ù Brasschaatlez-Anvers, en Belgique. A l’heure actuelle, l'ordre marche dans le sillon d’une tradition séculaire. Chaque abbaye a son enseignement de philosophie et de théologie, où des religieux, qui. pour la plupart, ont leurs grades â quelque université, sont préposés à la formation des jeunes gens. Les meilleurs éléments d’entre ceux-ci sont d’ordinaire dirigés vers un centre uni versit aire. D’après les apti­ tudes et les goûts, les études prennent nu couvent une envolée plus large, sur la base du premier enseigne­ ment reçu. La science, la littérature, l’histoire, les arts, y sont en honneur. Les trésors intellectuels, conservés dans les bibliothèques et les archives en font foi. Le renouveau du dernier siècle a donné une place remarquable à plusieurs de ses religieux, dans le domaine de la théologie, de l’Écriture sainte et de l’histoire. Les Analecta prœmonstralcnsia, un pério­ dique trimestriel consacré à l’histoire de l’ordre, est, depuis 1925, l’organe de la Commissio historica ordinis Prirmonstratensis, qui groupe sous la prési­ dence du Rme P. Hugues Lamy, abbé de Tongeribo, quelques érudits en la matière, et apporte «les études 29 PRÉMONTRÉS. ÉTAT A CT U fil. nouvelles sur le passé d'un grand ordre et sur les personnages qui y brillèrent· VHL état actuel. — Actuellement, l'ordre de Premont ré compte les cinq drearies do Tchéco­ slovaquie, de Hongrie, d'Autriche, de Brabant et de France· 1° La cinarie de Tchécoslovaquie comprend les abbayes de Tcpl, de Strahov, de JasZo, de Siloé et de Neureich. L'abbaye de Ί cpl est un des monastères les plus flo­ rissants de l’ordre. Son prélat, le B·»* P. ilelrncr, est une sommité dans le domaine philologique et lin­ guistique. Parmi les religieux qui se distinguèrent au xixe siècle, il faut citer Sedlacck, professeur au collège de Pilscn, qui, par scs travaux sur la langue tchèque, contribua fort à ressusciter le patriotisme de son pays pour cet héritage national. L’abbaye de Strahov, ίι Prague, occupe, dans cette ville une place en vue. Sa bibliothèque a une renom­ mée mondiale, C’est de celte abbaye que relevait le religieux Dlabacz, qui, au commencement du siècle, ht beaucoup pour la résurrection de la nation tchèque. De ce monastère dépendent les maisons de Milowicz et «le la Sainte-Montagne. L’abbayc de Jàs/o comprend A elle seule plus de 100 religieux. De celte abbaye relèvent la prévôté de Sainte-Croix, à Lelesz. qui fut supprimée en 1787, mais rendue à l’ordre en 1802, et la prévôté do SaintÉticnnc-du-Promonlolre, ù Grosswardcln, qui fut supprimée en 1787 et réincorporée à l’ordre en 1807. Le monastère dirigeait les collèges de Cassoro, et de Bosnavya, pour le personnel enseignant desquels on formait des religieux dans la maison. Joseph Szidor, membre de cette abbaye (1794-1865), y prépara une série de professeurs pour renseignement des clas­ siques. Ces collèges viennent d’être confisqués par le gouvernement. Depuis lors, l’abbayc a érigé en Hon­ grie le fameux collège de Gùdôlô. Le monastère du Grand-Varadin fut détache de Jàs/.o par le chapitre général de 1921. L’abbaye de Siloé (Sedan ou Zcliv) est située en Bohème et s’occupe surtout de service paroissial. L’abbayc de Neureich (Nova Bise) est située en Moravie, et prend à sa charge différentes paroisses. On y édite le périodique Xase Omladina. 2° Lu circurie de Hongrie ne comprend que l’abbaye de Csorna, avec ses collèges de Sabarin, Kcszlhély, Szomhathély, où ses religieux donnent l’enseignement. 3° La circurie d'Autriche embrasse les abbayes de Si hlagl, de Willen et de Géras. L’abbaye de Sehlagl, près de Linz, occupe ses religieux à l’administration des H paroisses qui sont incorporées au monastère, tandis que d’autres donnent les cours de la Landivirtscha/tliche Winter· scluite. qui est annexée à l’abbaye. Les religieux s’occupent aussi d’une œuvre florissante de retraites. L’abbaye de Willen, dans le Tyrol, emploie scs religieux au ministère paroissial dans les 1 I paroisses qui dépendent de l’abbayc. Les jeunes religieux ont toutes facilités pour suivre les cours de l’université d’Inspruck, toute proche du monastère. L’abbayc de Géras, en Basse-Autriche, exerce un ministère utile et fructueux dans les 17 paroisses qui sont incorporées nu monastère. 1° La circurie de Brabant comprend les abbayes d’Averbode. de Bois-Seigneur-Isaac, de Grimbcr­ ghen, de Lelle, du Parc, de Postel, de Tongcrloo et de Berne. L’abbayc d’Averbode est aujourd’hui la résidence de l’abbé général de l’ordre, le B*·· P. Crcts. Tandis que plusieurs religieux sont curés dans les paroisses environnantes, d’autres sont professeurs au collège Saint-Michel que l’abbaye vient de fonder à Bras- 30 schaat-lcz-Anvrrs, cl aux collèges que le monastère a repris nu Brésil : le séminaire interdiocésain de SaintPaul «i Pirapora cl les collèges Saint-Vincent à Pétropolis et de Jahu, D’autres, enfin, sont missionnaires au Danemark, sous la direction de Mgr Brems, un religieux de l’abbayc, vicaire apostolique et évêque de Bosklld. L’abbayc d’Averbode s'occupe activement de l'apostolat par la presse. L'abbaye est le siège de l’archiconfrérlo de Notre-Dame du Sacré-Cœur ainsi que de la direction générale de la croisade eucharis­ tique de la Belgique. On y édile entre autres les deux périodiques Hooger Leoen et aint Norbert.— P. Lefèvre, Essai de bibliographie ! de saint Norbert, (bins L. Goovaerts, Écrivains, artistes et tarants de l'ordre de Pré montré, t. ïv, Bruxelles. 1918. p. 367383. oü se trouve réunie toute In bibliographie se rapportant ou fondateur de l’ordre; G. Madclaine, L'histoire de saint Norbert, 3· éd., Tongerloo, 1928, mise au point d’après les publications et études récentes. 2· Pour Γhistoire générale de l’ordre. — Outre le livre déjà cité de L. Goovnerls, voir Fr. Petit. L'ordre de Prémonlré, dans In coll. Lri ordres religieux, Paris, 1927; B. G ni si I, Die Prumonstratenscr-Ordcn. dans les Analecta / nrnionstratensia, t. x. 1931; C.-L. Hugo, Sacri ac candidi ordinis Prscmonstrilensfo annales, 2 vol. in-fol., Nancy, 1731-1736; B. Van Wncfclghrm, Répertoire des sources imprimées et manuscrites relatives ent., L III, <·. i.xvn; De potentia, q. ni, a. 7. *2° La motion divine, qui ne rend pas superflue l'action des causes secondes, mais la suscite, ne saurait être néces­ sitante, en ce sens qu'elle supprimerait toute contin­ gence et toute liberté. Mais, sous l'influx divin, les causes secondes agissent comme il convient à leur nature, soit nécessairement, comme le soleil éclaire et réchauffe, soit de façon contingente, comme les fruits ai rivent plus ou moins à maturité, soit de façon libre, comme l’homme choisit. Saint Thomas rattache même cette propriété de la motion divine à l’efficacité souve­ raine de la causalité de Dieu, qui fait non seulement ce qu'il veut, mais comme il te veut, qui nous porte non seulement à vouloir, mais à vouloir librement; cf. I\ q. xix, a. 8 : Cum voluntas divina sit cfllcacissima, non solum sequitur quod flant ea, quiv Deus vult fieri, sed cl quod eo modo fiant quo Deus ea fieri vult. Vult autem Deus quadam fieri necessario, quadam contingenter, ut sit ordo in rebus ad complementum universi. La motion divine ne supprime donc pas la liberté, mais l'actualise; elle n’enlève que l’indifférence poten­ tielle, et donne l'indifférence dominatrice actuelle de l’acte libre, indifférence qui dure en lui lorsqu’il est déjà déterminé; c’est la seule indifférence qui soit en Dieu, et qui dure dans l'acte libre immuable par lequel il conserve le monde dans l’existence. C’est de cette indifférence actuelle que parle saint Thomas lorsqu’il dit, I ·, q. i xxxnt, a. 1, ad 3«« : Shut naturalibus cau­ sis, moicndo cas, Deus non aufert quin actus carum sint naturales; ita movendo causas voluntarias, non aufert quin actiones catum sint voluntaria?, sed potius I ce in cis facit : operatur enim in unoquoque secundum ejus proprietatem. CL Ι·-ΙΙ», q. x, η. L DICT. DE T1IÉOI, CATIIOU 34 3° Par opposition a l'occasionnalisme et au détermi­ nisme., la motion divine serait-elle seulement, comme le veut Molina, un concours simultané? — Le molinisme considère la cause première et la cause seconde comme deux causes partielles coordonnées d'un meme effet, sem­ blables, dit Molina, à deux hommes tirant un navire : Totus quippe effectus cl a Deo est et a causis secundis; sed neque a Deo, neque a causis secundis, ut a tota causa, sed ut a parte causer, quic simul exigit concursum et influxum alterius : non secus ac cum duo trahunt nanim. Concordia, q. xvi, a. 13. disp. XXVI fin. éd de I aris, 1876. p. 158. De ce point de vue, même si tout l'effet est produit par chacune des deux causes, en ce sens que l'une sans l'autre ne produirait rien, la cause seconde n’est pas prémue par la cause première, le concours de celle-ci est seulement simultané, comme celui des deux hommes qui tirent un chaland, le pre­ mier n’influant pas sur le second pour le porter à agir. • Le concours général de Dieu, dit Molina, ibid., n’est pas un influx immédiat sur la cause seconde, qui la prémeuve à agir et à produire son effet, mais un influx immédiat sur l’action et l'effet, arec la cause seconde. » En dehors de ce concours simultané, nécessaire à tout acte, Molina admet bien une grâce particulière pour les actes salutaires, mais celle-ci est une motion non pas physique, mais morale, par l’attrait de l’objet proposé. L’auteur de la Concordia reconnaît d’ailleurs que cette conception du concours simultané, nécessaire­ ment liée, selon lui, à sa définition de la liberté et à sa théorie de la science moyenne, n'est pas celle de saint Thomas. Après avoir exposé ce qu'a dit le Docteur angélique, I·, q. cv, a. 5, au sujet de la motion divine, Molina écrit dans la Concordia, ibid., p. 152 : < Il y a là pour moi deux difficultés : 1. Je ne vois pas ce qu’est, dans les causes secondes, cette application par laquelle Dieu meut et applique ces causes à agir. Je pense plutôt que le feu chauffe sans avoir besoin d’être mû à agir. Et j’avoue ingénuement qu’il m’est très difficile de comprendre cette motion et application qu'exige saint Thomas dans les causes secondes... 2. Autre diffi­ culté : selon cette doctrine, Dieu ne concourt pas immédiatement (immcdiationc suppositi) à l’action et à l'effet des causes secondes, mais seulement par l’in­ termédiaire de ces causes. · Molina aurait pu trouver la solution de ces deux difficultés dans un passage bien connu du De potentia de saint Thomas, q. ni. a. 7, ad 7um, où il est dit qu’il y a aussi une influence immédiate de Dieu sur l'être de l’action ou de l’effet de la cause seconde, car celle-ci ne saurait être cause propre de son acte en tant qu’être, niais seulement en tant qu’il est cet acte individuel, le sien. Dans cet elîet. ce qu’il y a de plus universel, comme l’être relève de la cause la plus universelle, et ce qu’il y a de plus particulier relève de la cause parti­ culière : Oportet universaliores effectus in universaliores et priores causas reducere. Inter omnes autem effectus universalissimum est ipsum esse. I ‘, q. xi.v, a. 5. L’être, en tant qu’être des choses, est l'effet propre de Dieu, soit par manière de création ex nihilo et de conserva­ tion, soit par manière de motion, ce qui est le cas de l’être même de nos actes, qui étaient d’abord en puis­ sance dans nos facultés. Mais ce qui nous intéresse le plus en ce moment dans l’objection de Molina, c'est la manière dont celui-ci avoue que saint Thomas a admis que la motion divine applique les causes secondes à agir, c’est-à-dire a admis un concours non pas seulement simultané, mais une prémotion. Cette expression de prémotion peut paraître un pléonasme, car toute motion véritable a une prio­ rité, sinon de temps, du moins de causalité sur son elîet, ici, pour saint Thomas, sur l’action de la cause seconde ainsi appliquée à agir. Si les thomistes usent T. — XIII — 2. 35 PH ÉMOTION PHYSIQUE. CK QU’ELLE V ES T du ternie · prémotion ·, c’est uniquement pour mon· trerque la motion dont ils parlent est une vraie motion qui applique la cause seconde à agir, et non pas un simple concours simultané. Celui-ci ne représente-t-il pas l’extrême opposé de l’occasionnalisme et du déterminisme ou fatalisme? SI, en effet, le concours divin est seulement simultané, il n’est plus vrai de dire : Dieu meut les causes secondes à nglr, puisqu’il ne les applique pas à leurs opérations. Nous n’avons plus, ici. que deux causes partielles coor­ données, et non pas deux causes totales subordonnées dans leur causalité même, comme l’avait dit saint Thomas, I·, q. cv, a. 5, ad 2um, et q. xxnr, a. 5, corp. Bien plus, Molina dit expressément. Concordia, q. xxin, a. 4 et 5, disp. I, membr. 7, ad 6urn, p. 176 : Pour nous, le concours divin ne détermine pas la volonté à donner son consentement. Au contraire, c’est l’influx particu­ lier du libre arbitre qui détermine le concours divin à l’acte, selon que la volonté se porte à vouloir plutôt qu’à ne pas vouloir, et à vouloir ceci plutôt que cela. · Les causes secondes, loin d’être déterminées par Dieu a agir, déterminent par leur action l'exercice même de la causalité divine, qui, de soi, est indifférent. Mais, s’il en est ainsi, il y a quelque chose qui échappe à l'universelle causalité de l’agent premier, car enfin l'influx exerce par la cause seconde est bien quelque chose, c’est une perfection pour elle de, passer à l'acte, c’est même une perfection si précieuse que tout le molinisme est construit pour la sauvegarder, et si délicate que Dieu même, nous dit-on, ne saurait y toucher. La grande difficulté est celle-ci : comment la volonté, qui n’était qu’à l’état de puissance, a-t-elle pu se don­ ner par elle seule cette perfection qu’elle n'avait pas? C’est dire que le plus sort du moins, ce qui est contraire au principe de causalité et au principe de l’universelle causalité de l’agent premier. Saint Thomas a pensé que, pour réfuter le déterminisme, loin de porter atteinte au principe de causalité, il faut insister sur l'efficacité transcendante de la cause première, seule capable de produire en nous et avec nous jusqu’au mode libre de nos actes, puisqu'elle est plus intime à nous que nous-mêmes, et puisque ce mode libre de nos actes est encore de l'être et relève à ce titre de celui qui est cause de toute réalité cl de tout bien. Bien plus, disent les thomistes, si le concours divin, loin de porter infailliblement la volonté â se déter­ miner à tel acte libre plutôt qu’à tel autre, est déterminé lui-ménie par l’influx particulier du libre arbitre à s’exercer dans tel sens plutôt que dans tel autre, c’est le renversement des rôles : Dieu, dans sa prescience et sa causalité, au lieu d’être déterminant, est déterminé; c’est-à-dire que sa science (moyenne) prévoyant ce que tel homme choisirait s’il était placé en tclîcs circons­ tances, loin d’être cause de la détermination prévue, est déterminée et donc perfectionnée par cette détermi­ nation qui, comme telle, ne vient nullement de Dieu. Or, il n'y a rien de plus inadmissible qu'une passivité ou une dépendance dans l’Acte pur, qui est souverai­ nement Indépendant et ne peut recevoir de perfec­ tion de quoi que ce soit. C'est la grande objection contre les théories mollnistes de la science moyenne et du concours simultané comme nous l'axons montre ailleurs; Le dilemme : Dieu déterminant ou déterminé, dans Hevue thomiste. Juin 1928, p. 193-211; voir aussi : Dieu, son existence et sa nature, 5* éd., p. 819-879. 4e La motion divine serait-elle une promotion indiffé­ rente, par laquelle Dieu nous déterminerait seulement a un acte indéllbrré, de telle sorte que le libre arbitre, par lui seul, se déterminerait et déterminerait la motion divine à produire tel ou tel acte libre en parti­ culier? Ainsi l'ont pensé certains théologiens, en par­ P\S 36 ticulier L. Billot. Dr Deo uno, part. il. c. t, Dr scientia Dei. Les thomistes répondent (ci. X. del Prado, O. P., De gratia cl libero arbitrio, t. ιιι. 1907, p. 162); celte théorie reste solidaire de celle de la science moyenne et se heurte à plusieurs des difficultés signalées contre la précédente. Quelque chose de réel échapperait encore à l'universelle causalité de Dieu; une détermination apparaîtrait indépendamment de la détermination souveraine, qui est celle de l’Acte pur, un bien fini indépendamment du Bien suprême, une liberté seconde agirait indépendamment île la liberté pre­ miere. Ce qu'il ij a de meilleur dans l'amvre du salut, la détermination de notre acte salutaire, ne viendrait pas de l'auteur du salut. Saint Paul dit au contraire : Deus est qui operatur in vobis et velle cl perfleere pro bona volun­ tate, Phil., π, 13; Quis enim te discernit ? Quid autem, habes quod non accepisti? I Cor., iv, 7. Saint Thomas dira équivalcmment en formulant le principe de pré­ dilection : «Comme l’amour de Dieu est la cause de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n'était plus aimé et plus aidé par Dieu : Cum amor Dei sil causa bonitatis rerum, non esset aliquid alio melius, si Deus non vellet uni majus bonum quam atteri. I », q. xx, a. 3. Cette doctrine de Ia promotion indifférente, comme celle du concours simultané, ne peut résoudre le dilemu e : < Dieu déterminant ou déterminé, pas de milieu. > Qu’elle le veuille ou non, elle conduit à poser une passivité ou une dépendance dans l’Acte pur, sur­ tout dans sa prescience (science moyenne) à l’égard de nos déterminations libres, même les meilleures, qui. comme déterminations libres, ne viendraient pas de lui. Par rapport à elles. Dieu ne serait pas auteur, mais spectateur. Pour ces raisons, les thomistes admettent que (Dieu étant cause première de tout ce (pii existe, à l’excep­ tion du péché) même à l’égard de nos actes libres salu­ taires, les décrets divins sont de soi infailliblement efficaces ou prédéterminants et que la motion divine, qui assure infailliblement leur exécution, n’est pas indifférente, indéterminée, mais nous porte infaillible­ ment à tel acte salutaire, efficacement voulu par Dieu, en produisant en nous et avec nous jusqu'au mode, libre de cet acte. Nous verrons plus loin que cet enseigne­ ment est pleinement conforme à celui donné par saint Thomas, 1», q. xm, a. 5 et 8; q. xix, a. I ; a. 6, ad luin; q. xix, a. 8; q. lxxxiii, a. 1, ad 3iun; I u i I”, q. x» a. 1. ad 3um; q. lxxïx, a. 2; De veritate, q. xxn, a. 8 et 9. Les thomistes n’emploient donc l’expression « pré­ motion physique prédéterminante · que pour exclure les théories du concours simultané et de la prémotion indifférente. Si ces théories n’avaient pas été propo­ sées, comme le fit remarquer plusieurs fois Thomas de Lémos, les thomistes se contenteraient de parler comme saint Thomas de motion divine, car toute motion comme telle est prémotion, et toute motion divine, comme divine, ne saurait recevoir une détermi­ nation ou perfection que sa causalité ne contiendrait pas virtuellement.(/est toujours l’inévitable dilemme: « Dieu déterminant ou déterminé. · 5® La motion divine est-elle une assistance purement extrinsèque, de Dieu, ou son action Identique a son essence, sans qu’il y ait rien de créé (pii soit reçu dans la puissance opérative de la créature, pour la faire pas­ ser à l’acte, par exemple pour faire produire à notre volonté un acte vital et libre? Quelques théologiens l’ont pensé, comme les cardi­ naux Peccl cl Satolli, sous Léon XIII, ainsi que, après eux, Mgr Paquet, et Mgr Jansens, O. S. B. Ces théolo­ giens enseignent bien, contre les mollnlstes et les suarézlcns. (pie la science moyenne est Inconcevable et que l’inllux divin nécessaire à l’acte libre est une motion Intrinsèquement efficace. Mais ils ajoutent, en M PKÊMOTION PH YSIQUE. CE QU’ELLE N’EST PAS croyant s'appuyer sur Cnjelan, que le décret et le con­ coure divins ne sont pas prédéterminants et qu'il n’y a pris de motion créée reçue dons In puissance opéra­ tive de In créature pour In faire passer A l’acte. Il n’y a pour eux qu'une assistance extrinsèque de bien. Cf. Satolll, De operat. div., disp. II, IccL 3. et Paquet. De Deo uno, disp. VI. q. i, a. 5. Le P. del Prado, op. cil., t. fif, p. 406 sq. et 501-507, montre qu’il n’y a pas de milieu entre la doctrine des décrets prédéterminants et la théorie de la science moyenne : la connaissance divine des futurs libres con­ ditionnels suppose en effet un décret divin ou elle ne le suppose pas. Si l’on dit, en rejetant la science moyenne, qu'elle le suppose, ce décret est prédéterminant, sans cela il ne ferait pas connaître infailliblement le futur libre conditionnel, ou futurible. Sans doute, ce n'est pas selon une priorité de temps que ce décret précédé nos actes libres, mais selon une priorité de nature cl de causalité, cl il est mesuré lui-même par l’unique Ins­ tant de l’immobile éternité. S’ensuit-il, comme le dit le cardinal Sntolli, Ibid., que le mystère est supprimé par la détermination de ce décret divin? Nullement, disent les thomistes, le mystère reste, en ce sens que ce décret divin prédéterminant s'étend jusqu’à ce qu’il y a de plus obscur pour nous, jusqu’au mode libre de nos actes, et jusqu'à l’acte physique du péché sans être aucunement cause cependant du désordre qui est dans cet acte. Il faut en dire autant de la motion divine, qui a. elle aussi sur nos actes, une priorité, non de temps, mais de causalité, cl cette priorité de causalité a été admise par Cajctaii, In q. xix, a. 8, comme par les autres thomistes (Cajetan exclut ici la priorité de temps et non pas celle de nature; cf. N. del Prado, loc. cil.) N’y a-t-il aucune motion créée reçue dans la cause seconde? Quelques-uns ont pensé que, par ces mots prémotion physique», les thomistes voulaient quali­ fier l’action incrééc de Dieu conçue comme en relation avec la nôtre. Il n’y aurait pas alors de motion créée. La doctrine de saint Thomas et de scs disciples est 1res nette sur ce point. Ils enseignent communément que l’action même de Dieu ad extra est formellement immanente et virtuellement transitive (cf. Irt, q. xxv, a. 1. ad 3°>"; Cont. gent., I. II. c. xxm. § 4; c. xxi, § 3) et qu’il n’y a pas de relation réelle de Dieu à nous; il y a seulement de la créature ù Dieu une relation de dépendance, qui n’est nullement réciproque. I \ q. xiti, a. 12. Ainsi, l’action créatrice est formellement imma­ nente et éternelle, bien qu'elle produise, au moment voulu d’avance par Dieu, un effet dans le temps; cf. Cont. genl,, 1. II, c. xxxv. Tandis que l’action for­ mellement transitive, comme la caléfaction de l’eau par le charbon incandescent, est un accident qui procède de l’agent et sc termine dans le patient, l’action divine ad extra ne saurait être un accident ; elle s’identifie réelle­ ment avec l’essence même de Dieu; elle est donc for­ mellement immanente, et, sans avoir les imperfections de l'action formellement transitive, elle lui ressemble pourtant, en tant qu’elle produit un effet réellement distinct d’elle, soit spirituel, soit corporel. C’est en ce sens qu’elle est dite virtuellement transitive, car elle a éminemment toute la perfection d’une action formelle­ ment transitive, sans avoir les imperfections essen­ tielles de celle-ci. On volt par là que la motion incrééc de Dieu ne res­ semble qu'analogiqucmcnt à la motion d’un agent créé, laquelle est incapable de mouvoir Intérieurement et infailliblement notre volonté à choisir ceci ou cela; cf. I”, q. xix, a. 8; q. cv, a. I. et I ‘-II’’·, q. ix, a. I; q. x. a. L La plupart des objections contre la prémotion divine viennent de ce qu’on conçoit l'action divine comme ressemblant univoquement à une action créée, laquelle ne peut s’étendre à produire en nous et avec 38 nous jusqu’au mode libre de nos actes. Cf. card. Zlgliara, Ο. I·., Summa philosophica : Theol. nat., 1. Ill, c. rv, a I. J S« Mois de ce que la cause seconde ne saurait être indé­ pendante d'une action divine, s’ensuit-il qu’il n’y a aucune motion créée reçue dans la cause seconde, et antérieure à l’opération de celle-ci selon une priorité non de temps, mais de causalité? S’ensuit-il que la grâce actuelle, opérante ou coopérante, s’identifie soit avec l’action incrééc de Dieu, soit avec l’acte salutaire dont on dit qu’elle ex! cause? Saint Thomas répond dans un article, où il a traité ex professo et le plus longuement cette question. De potentia, q. ni, a. 7 : Id quod a Deo Ut in rc naturali, quo actuaJitcr ngnt. ext ut intentio tola, liabens c*·** quoddim incompletum, per modum quo colores sunt in aere et virtus artis In instru­ menti» artificis... Itei naturali potuit conferri virtus propria, ut forma in ipsi permanens, non autem vis qu » u it ad esse ut Instrumentum prima? causa·. ni*i daretur ei quod esset unlvraale essendi principium; nec itrrum virtuti naturali conferri potuit ut moveret scipsam. nec ut conservaret se in esso; unde sicut patet quod instrumento art ilicis conferri non oportuit quod operaretur absque motu artis, ita rei natural! conferri non potuit quod operaretur absque opera­ tione divina. De même, saint Thomas, en parlant de la grâce actuelle, distingue la motion divine reçue en nous et de Dieu et de nos actes de connaissance cl d’amour; cf. I ‘-II ·’. q. ex. a. 2, où il est dit de la grâce actuelle : est effectus qratuilir Dei voluntatis..., in quantum anima hominis movetur a Deo ad aliquid cognoscendum, vel volendum, vel agendum. On lit plus clairement encore, Cont. gent., I. Ill, c. cl. § 1 : Motio moventis pnreedit motum mobilis, ratione et causalitate, et L III, c. lxvi, ξ 1 : Complementum virtutis agentis secundi est ex agente primo. On a objecté, cf. Satolli, De oper. div., disp. II, lect. 3 : celte motion divine ainsi reçue diminuerait l’amplitude de la causalité divine, qui aurait besoin de celle disposition déterminée pour produire 1’opcration de la cause seconde. Et, en outre, il y a contradiction à soutenir que la cause seconde est déterminée à agir par une dernière formalité et que pourtant elle sc détermine elle-même. Le P. del Prado, op. cit., t. ni, p. 179, répond à cela : ce n’est pas la cause première qui a besoin de celte détermination reçue dans la cause seconde; c’est celle-ci qui a besoin d'étre mue ou appliquée à agir par la cause première. L'amplitude de la causalité divine n’est nullement diminuée par là, car Dieu n’a besoin que de vouloir efficacement pour réaliser ce qu’il veut. A la seconde difficulté, les thomistes répondent : il y aurait certes contradiction à soutenir que la cause seconde libre est déterminée à agir par une dernière formalité qui est son acte même et qu’elle sc détermine à cet acte. Mais il ne faut pas confondre la motion qui porte la cause seconde à agir, avec l’opération de celle-ci. La motion, par exemple la grâce efficace, est donnée en vue de l'action; elle ne s'identifie pas avec elle. De même, la caléfaction passive de l’eau par le feu ne s'identifie pas avec l’action qu’exerce l’eau chaude sur les corps environnants. De plus, nous le verrons mieux dans la suite, l’expression « prémotion prédé­ terminante » signifie une prédétermination, non pas formelle, mais causale. Nous venons de voir ce que, selon le thomisme clas­ sique, In motion divine n’est pas. On voit par là les deux positions extrêmes, dont s’éloigne, selon les tho­ mistes, la vraie doctrine de saint Thomas, en s’élevant au milieu et au-dessus d'elles. D’une part, la motion divine ne rend pas l’activité de ht cause se liones mentis. Cf. Quodl., xn. a. 6. Tous ces textes du Contra gentes montrent que, pour saint Thomas, la motion divine, qui nous porte aux actes libres salutaires, est une motion quoad exercitium ou physique, qui, par elle-même et infailliblement, nous incline, sans nous violenter, à cet acte libre plutôt qu’à cet autre, cela parce que la causalité divine s’étend jusqu’au mode libre de nos actes, qui est encore de l’être. C’est dire que, pour lui, la motion divine est prédéterminante, quoique non nécessitante. C’est la même doctrine qu’il expose dans le De veri­ tate, q. xxu, a. 8 : Potest Drus voluntatem immutare ex hoc quod ipse in voluntate operatur ul natura : unde sicut omnis actio natu­ ralis est n Deo. ita omnis actio voluntatis in quantum est nclio, non solum est n voluntate ut immediate agente, srd a Deo ut n primo agente, qui vehementius imprimit; unde sicut voluntas potest Immutare actum suum In aliud, itn et multo amphus Deus. Le. texte est clair : la volonté humaine comme cause seconde se détermine a tel acte libre; donc, ita et multo amplius Deus, Dieu comme cause première, quir i vehementius imprimit, la porte infailliblement à se déterminera tel acte libre plutôt qu’à tel autre; ainsi il est cause de la conversion de saint Paul, de celle de Madeleine, ou du bon larron. Cf. ibid., q. xxu, a. 9; De malo, q. vi, a. 1. ad 3ttm. et aussi Comment in I. I Pcrihermenias, leç. 11. Dans tous ces textes on voit que, pour saint Thomas, la causalité divine s’étend jusqu’au mode libre de nos Cette interprétation que saint Thomas donne de cc texte de saint Jean Damascene contient l’assertion de déterminations, de sorte que tout cc qu’il y a de réel, de bon en elle, dépend de Dieu comme de la cause pre­ la prédétermination non nécessitante comme doctrine mière, et de nous comme de la cause seconde. En ce propre de saint Thomas, autrement, il admettrait sens, la motion divine est prédéterminante et non purement et simplement l’expression de Damascene nécessitante. non prédéterminât. Dans la construction de la phrase Le caractère de prédétennination est particulière­ de saint Thomas le non porte directement sur quasi, c’est-à-dire que nos élections ou actes libres sont sou­ ment afllrmé par saint Thomas, dans son commentaire sur saint Jean, lorsqu'il explique le passage de cet mises à la détermination de la Providence, sed non évangile, où il est dit. In Joa., π, I : nondum venit hora quasiabea necessitatem accipientia. En d’autres termes, cette prédéterminât ion est non nécessitante, car elle mea : Intelligitur hora passionis, sibi, non ex necessitate, s’étend jusqu’au mode libre de nos actes, qui, étant de sed secundum divinam providentiam, determinata. 11 l’être, tombe sous l’objet adéquat de la toute-puis­ s’agit manifestement ici d’un décret de la volonté divine déterminant et infaillible, mais non nécessitant. sance, en dehors duquel il n’y a que le mal, provenant De meme, In Joa., vu, 30 : Quarebant eum apprehen­ de la cause déficiente. Cf. De veritate, q. v, a. 5, ad lurn. dere et nemo misit in illum manus, quia nondum venerat Contra génies, 1. Ill, c. x< i : Elections cl voluntatum hora ejus : Intethgcnda est hora ejus, non ex necessitate motus immediate a Deo dhponuntur (id est non medianti­ fatali, sed a tota Trinitate prseflnita. Voir encore In Joa., bus angelis)... Solus Deus nostrarum voluntatum et elrclfoxiii, 1 : Sciens Jesus quia venit hora ejus ul transeat ex ntim causa est.— lbid.,c.x< n, $ 1 : Quamvis nutem Deus solus hoc mundo ad Patrem : Ncc est intelligenda hora ista directe ad electionem hominis operetur, tamen actio angeli fatalis, quasi subtecta cursui et dispositioni stellarum, operatur nllquld ad electionem hominis per modum per­ sed determinata dispositione et providentia divina. Et suasionis.— §3: Operatio angeli et corporis cadestis est solum sicut disponens ad electionem; operatio autem Dei encore : In Joa.. xvn. I : Pater venit hora; clarifica est sicut pcrflciers... Non semper homo elegit id quod ange­ l'ilium tuum : Xcc hora /atalis necessitatis, sed smr lus custodiens intendit, nequi* illud nd quod corpus ciclcste ordinationis et beneplaciti. inclinat; semper tauten hoc homo eligit, quod I rus operatur Dans tous ces textes, il s’agit manifestement d’un in ejus voluntate, t'nde custodin angelorum interdum cassa­ décret divin infaillible prédéterminant, qui porte sur tur.... divina vero providentin semper est ilrma. $ 10. fin : l’heure de Jésus, et par là même sur Cacte libre qu’inEx una divina dispositione potest homo ad omnia dirigi failllblement il devait poser en voulant mourir pour (c’est ce qui arrive chez les prédestinés). Contra gentes, I. III. c. xc.iv, $ 9 : Inter partes mitem notre salut. Il s’agit aussi du décret permissif relatif totius universi prima differentia apparet secundum contin­ au péché de Judas qui avant cette heure ne pouvait gens et necessarium... Cadit igitur sub online divinte provipas nuire à Notrc-Seigncur. dentiie non solum hunc effectum esso, sed hunc etlcctum On a prétendu (cf. A. d’Alès, Did. apolog., art. Pro­ esse contingenter, alium vero necessario. — /bid.. § 10 : vidence, appendice : Prédétennination physique) que Est divina providentia per se causa quod hic effectus l’expression Deus non ex necessitate prédéterminât n’est contingenter proveniat, et hoc cassari non potest. — pas chez saint Thomas, Les textes du commentaire sur S 11 : Providit Deus Illud esse futurum contingenter, sequitur ergo infnilibillter quod erit contingenter cl non saint Jean portent au contraire que l’heure de Jésus, necessario. - § 13 : Sic omnia sunt n Deo provisa, ut per celle de son acte libre d’oblation à Gethsêmani et celle nos libere fiant... Ad ejus providentiam pertinet ut causas de la trahison de Judas, était non ex necessitate a Deo defect ibiles quandoque sinat deficere, quandoque cas n determinata et préfinita. derectu conservet. C’est la même doctrine que nous trouvons enfin dans Voir missi, |, I, c. lxviii : Omnia Igitur Deus cognoscit, la Somme théologique de saint Thomas, et sous a suam essentiam cognoscendo, ad qu» sua caus^ilitas exten­ ditur. Extenditur mitem ad operationes intellectus et forme définitive qu’il lui a donnée. Nous ne citerons PRÉMOTION PHYSIQUE. CE QU’ELLE EST que les principaux textes : I1, q. xrx, a. I : Effectus determinati a b infinita ipsius (Dei) perfectione proce­ dant secundum determinationem voluntatis et intellectus ipsius. Voilà le décret éternel prédéterminant. Com­ ment sauvegarde-t-il notre liberté? Saint Thomas l’explique dans le texte fondamental auquel il faut toujours revenir : I », q. xix, a. 8 : Cum voluntas divina sit cfficacissima, non solum sequitur quod fiant ea quæ Deus vult fieri, sed quod eo modo fiant quo Deus ea fieri vult; vult autem quædam fleri necessario, quaedam con­ tingenter. Saint Thomas, ibid., sc fait ccttc objection, qui sera toujours renouvelée par les molinistes : Omnis causa quæ non potest impediri, ex necessitate suum effectum producit... Sed voluntas Dei non potest impe­ diri, dicit enim Apostolus (Bom., rx, 19) : « Voluntati enim ejus quis resistit? » Ergo voluntas Dei imponit rebus votitis necessitatem. Au lieu de répondre par la prévi­ sion divine de notre détermination libre, comme le feront les partisans de la science moyenne, saint Thomas répond ibid., ad : Ex hoc ipso quod nihil voluntati divinæ resistit, sequitur quod non solum fiant ea quæ Deus vult fieri, sed quod fiant contingenter vel necessario, quæ sic fieri vult. C’est ce que nous avons déjà lu dans le Contra gentes, 1. Ill, c. xctv, § 11. Ce texte exprime, aussi clairement que possible, quel'cfllcacité intrinsèque et infaillible des décrets et de la motion de Dieu, bien loin de détruire la liberté de nos actes, la fait, car cette efficacité s’étend jusqu’au mode libre de ces actes, qui est encore de l’être. Saint Thomas dit de même : I», q. lxxxiii, a. 1. ad 3°® : Dcus est prima causa movens et naturales causas et voluntarias. El sicut naturalibus causis, movendo eas, non aujert quin actus earum sint naturales, ita movendo causas voluntarias, non aujert quin actiones carum sint voluntaria, sed potius hoc in cis jacit : operatur enim in unoquoque secundum ejus proprietatem. Ailleurs, I», q. xxm, a. 1, ad P’n, saint Thomas explique, comme il l’a fait dans le Contra gentes, 1. Ill, c. xc, lin, les paroles du Damascene : Prœcognoscit Deus ea quæ in nobis sunt, non autem prædcterminat ea. Brièvement saint Thomas répond : Damascenus nomi­ nat prædclerminationem impositionem necessitatis, sicut est in rebus naturalibus, quæ sunt prædelerminatæ ad unum. Quod patet ex eo, quod subdit : < Non enim vult malitiam, neque compellit virtutem. » Unde pradestinalio non excluditur. Ce texte montre que saint Thomas, en excluant la prédétermination nécessitante, admet la prédétermination non nécessitante qu’implique à scs yeux la prédestination. Voir encore I1, q. xxin, a. 6 : Pra destinatio certissime el in/allibiliter consequitur suum effectum, nec tamen imponit necessitatem. A la lumière de tous ces textes, on peut voir facile­ ment le sens de ceux qui sc lisent IMI»·, q. x, a. 1, corp. : Quia voluntas est activum principium non deter­ minatum ad unum, sed indifferenter sc habens ad mulla, *ie Deus ipsam movet, quod non ex necessitate ad unum determinat. Dans toute cette question x, a. 1, 2. 3, saint Thomas a employé l’expression non ex necessitate movere en ce sens : mouvoir sans nécessiter; c’est dans le même sens qu’il dit ici non ex necessitate ad unum determinat, comme il l’a dit dans les textes du Commen­ taire de saint Jean, cités plus haut. Partout il est question d’une prédétermination non nécessitante, qui s’étend jusqu’au mode libre de nos actes. Saint Thomas redit ici même, IMI™, q. x, a. I. ad larn : Voluntas divina non solum se extendit, ut ali­ quid fiat per rem, quam movet; sed ul etiam eo modo fiat, quo congruit naluræ ipsius. El ideo magis repugnaret divinæ motioni, si voluntas rx necessitate moveretur, quoti suce naluræ non competit. quam si moveretur libere, prout competit suæ naluræ. C'est-à-dire que Dieu ne peut par sa motion nécessiter la volonté à vouloir un bien particulier qui lui est présenté comme bon sous 48 un aspect, et non bon sous un autre. I Μ I <*, q. x, a. 2. Un tel objet, absolument inadéquat à l’amplitude uni­ verselle de la volonté, spécifie l’acte libre, en vertu du principe : les actes sont spécifiés par leur objet, et donc l'acte de volonté, qui se porte sur un bien particulier ainsi proposé par l’intelligence sub indifferentia judicii, ne peut être que libre. C’est, pour saint Thomas, la définition même de l’acte libre, IM I «, q. x, a. 2; tandis que la définition moliniste de la liberté fait abstraction de l’objet spécificateur, en disant ; Libertas est jacullas quæ, positis omnibus ad agentium prærequisitis, potest agere vel non agere. Les thomistes, considérant que l’acte libre, comme tout acte, est spécifié par son objet, disent comme le concile de Trente : < sous la motion divine efficace, la volonté conserve la puissance de résister; elle peut résister si elle le veut, mais sous la grâce efficace elle ne le veut jamais, comme Socrate assis peut se lever, mais n’est jamais en même temps assis et debout. » Ils enseignent même communément : Implicat voluntatem, stante judicio indifferenti, accessi­ tari a motione divina ex se efficaci (cf. Bilhiart, Cursus theol., De actibus humanis, diss. II, a. 5). Comme la volonté ne peut vouloir un bien inconnu, qui ne lui est pas proposé par l’intelligence, de même, elle ne peut vouloir un bien autrement qu’il ne lui est proposé; elle ne peut vouloir nécessairement ce qui lui est proposé comme non nécessairement désirable. L’acte spécifié par cet objet ne peut être que libre, et la motion divine efficace ne peut changer sa nature; elle n’est donc pas nécessitante. Cependant. lorsqu’elle est efficace, elle porte infail­ liblement la volonté à vouloir librement ce bien parti­ culier plutôt que cet autre : en ce sens, elle est prédé­ terminante. Telle est bien la pensée de saint Thomas, aucun doute ne peut rester à ce sujet, si on lit au même endroit, IMI®, q. x, a. 1, la réponse ad 3um. L’objec­ tion que sc fait ici saint Thomas, ibid., est celle qui sera toujours faite par les molinistes : Possibile est, quo posito non sequitur impossibile : sequitur autem impossibile, si ponatur, quod voluntas non velit hoc, ad quod Deus eam movet, quia secundum hoc operatio Dei esset inefficax. Non ergo est possibile voluntatem non velle hoc, ad quod Deus cam movet. Ergo neccssc est eam hoc velle. Saint Thomas, loin de répondre par la prévi­ sion divine de notre consentement, répond, ibid., ad 3‘ni : Si Deus movet voluntatem ad aliquid, incom­ passibile est huic positioni, quod voluntas ad illud nm moveatur. Non tamen est impossibile simpliciter. Unde non sequitur, quod voluntas a Deo ex necessitate movea­ tur. Il reste en effet dans la volonté la puissance réelle de poser l’acte contraire, mais cet acte contraire, réellenient possible, n’est jamais réellement existant sous la grâce efficace; celle-ci ne serait plus efficace. C’est pourquoi l’on dit que la résistance actuelle n’est pas compossible avec la grâce efficace. Ha Socrates sedens potest stare, sed non potest simul stare et sedere; nccesse est cum sedere, dum sedet. Le sens de ce texte est des plus clairs, il affirme mani­ festement une prédétermination infaillible, mais non nécessitante. C’est une nouvelle manière d’exprimer ce que nous avons lu plus haut, q. xix, a. 8. ad 2un» : Ex hoc ipso quod nihil voluntati divinæ resistit, sequitur quod non solum fiant ea quœ Deus vult jieri, sed quod fiant contingenter vel necessario, quæ sic fieri vult. Cf. Contra gentes. I. 111. c. xc. § 11 : Providit Deus illud esse juturum contingenter, sequitur ergo injallibiliter quod erit contingenter et non necessario. La distinction du possible cl du compossible revienl à celle du sens divisé cl du sens composé, comme le dit saint Thomas, I», q. xxin, a. 6, ad 3‘»n. Deum velle aliquid creatum est necessarium ex suppositione, propter immutabilitatem divinæ voluntatis, non tamen absolute (en d’autres ternies : il y a nécessité de conséquence. I | T I | V 4» PBÉMOTION PHYSIQUE. CE QU'ELLE EST ou conditionnelle, non de conséquent, comme dans un syllogisme rigoureux, dont la mineure est contingente). Ha dicendum est de pnedestinatione. Unde non oportet dicere, quod Deus possit non pradetlinare, (piem pnrdesHnauit, in sensu composito accipiendo; licet absolute considerando, Deus possit pradestinare, vel non pradesUnare. Sed ex hoc non tollitur pnedesUnationis certitudo. < J. I ‘, q. xiv, a. 13. ad 3 Saint Ί hornas ne parle pas moins clairement dans son traité de la grâce, IMI», q. cxn, a. 3, corp. : Intentio Dei deficere non potest... Unde si ex intentione Dei moventis est, quod homo, cujus cor movet, gratiam consequatur, in/atlibiUter ipsam consequitur, secundum illud Joannis, VI, 45 : < Omnis qui audivit a Patre, et didicit, venit ad me. » De même, II°-II ”, q. xxiv, a. 11 : Spiritus sanctus in/allibililer operatur quodeumque voluerit. Unde impossibile est hire duo simul esse vera, quod Spiritus sanctus velit aliquem movere ad actum caritatis, et quod ipse caritatem amittat peccando. Nam donum perseve­ rant i ir computatur inter beneficia Dei, quibus certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit, De dono persev., c. x/v. Cette certitude divine, on le voit, n’est pas fondée pour saint Thomas sur la prévision d’une libre déter­ mination qui viendrait seulement de nous; elle repose sur un décret de la volonté divine, dont la motion divine assure l’exécution; cf. I*, q. xiv, a. 8; q. xix, a. 3, a. 4, corp, et ad 4«m; a. 8; De veritate, q. vi, a. 3; Quodl., mi, a. 3; ibid., a. 4 : A providentia omnia sunt pnedeterminata et ordinata. Tous ces textes supposent un décret divin prédéter­ minant, mais non nécessitant, qui s’étend jusqu’au mode libre de nos actes, et ils affirment l’existence d’une motion divine qui assure l'exécution infaillible de ce décret. En ce sens, elle est justement appelée, elle aussi, prédéterminante et non nécessitante; elle porte infailliblement la volonté à sc déterminer à tel acte plutôt qu’à tel autre, et est cause en nous et avec nous 2 le Contr. gent., I. III, c. xcii : Operatio angeli est salum sicut disponens ad electionem (nostram); operatio autem Dei est sicut perficiens... Non semper homo eligit id quod angelus custodiens intendit...; semper tamen hoc homo eligit quod Deus operatur in ejus voluntate... Unde custodia angelorum interdum cassatur..., divina vero providentia semper est firma. Et I. I, c. lxviii : Omnia igitur Deus cognoscit, suam essentiam cognos­ cendo, ad quæ sua causalilas extenditur. Extenditur autem ad operationes intellectus et voluntatis... Cognoscit igitur Deus d cogitationes cl affectiones mentis. Il con­ naît nos affections non pas Indépendamment de sa causalité, mais dans sa causalité qui s’étend jusqu'à nos affections les plus intimes. S'agit-il même de nos élections libres? Nul doute. Saint Thomas écrit, ibid., I. Ill, c. xcî : Oportet omnium voluntatum et electionum motus in divinam voluntatem reduci, non autem in ali­ quam aliam rausam, quia solus Deus nostrarum volun­ tatum et electionum causa est. Il s’agit de nos élections ou choix libres, comme élections et non pas seulement comme actions, car il s’agit de leur détermination libre que Dieu connaît en tant qu'il la cause en nous et avec nous, comme il a été dit dans le texte précédent. Cf Quodl., xii, a. G. Saint Thomas, rappelons-le, s objecte, P, q. xxin. a. 1, l·1 obj., que le Dainascènc a écrit (Dearth. fide. 1. II, c. xxx) : Præcognoscit (Deux) ca quæ in nobis sunt, non autem prédéterminât. Il répond, ibid., ad 1« »’ : Damascenus nominal prædcterminationem impositionem necessitatis, sicul est in rebus naturalibus, quæ sunt prædelcrminatæad unum. Quad palet ex eoquod su b dit : · Non enim vult malitiam, neque compellit virtutem. · Unde prædeslinatio non excluditur. Saint Thomas dit de même Cont. gentes, I. III. c. xc, in fine ; Damascenus dicit in I. 11 De orlh. fide, c. XXX, quod eu quæ sunt in nobis Deus prænoscit, sed non prédéterminât; (hæc verba) expo­ nenda sunt, ut intelligantur ca quæ sunt in nobis divinæ providentiæ determinationi non esse subjecta, quasi ab ea necessitate accipientia. Bien avant Bafies, Sylvestre de Ecrrarc avait noté ici dans son commentaire sur le Conlr. gentes, I. III. c. xc, in fine : Gregorius Ngssrnus in libro De horni ne et Damascenus in l. /1 De orih. fide, videntur diccre quod ca quæ sunt in nobis divinæ providentiæ non subsint. Sed respondet (sanctus Thomas) quod nihil aliud inten­ dunt quam quod ea quæ in nobis sunt a divina determi­ natione necessitatem non recipiunt. Comme l'écrivait récemment le P. Synave, O. P. : Prédétermination non nécessitante cl prédéterminalion nécessitante, dans Revue thomiste, janv. 1927, p. 7 I : < Ce qui est hors de doute, c’est la pensée même de saint Thomas : Ea quæ sunt in nobis divinæ providentiæ determinationi non esse subjecta, quasi ab ca necessi­ tatem accipientia. Saint Thomas admet donc une détermination divine non nécessitante · les volontés et les choix de l’homme sont soumis à la détermination de la divine providence, sans que cette détermination leur impose de nécessité. Il n'est pas juste d'écrire que, < selon l’usage constant de saint Thomas l’idée de nécessité est inhérente au verbe determinare ». L’équa­ tion non ex necessitate determinare non determinare n'est pas exacte... Peut-on du moins avancer, que determinare ex necessitate ad unum n’est qu’une expression plus claire et plus appuyée pour dire la même chose que determinare ad unum 9 Pas davantage. Un second texte, aussi formel que le précédent, va nous montrer que cette équation est aussi fausse que la précédente, dont elle n’est qu’une variante par l’ad­ jonction, dans les deux termes comparés, de l’expres­ sion ad unum. A saint Jean Dainascène, qui affirme : Quæ in nobis sunt, non providentiæ sunt, sed sunt nostri liberi arbitrii, saint Thomas répond (De veritate, q. v, a. 5, ad Plîl) : Verbum Damasceni non est intettigrndum 53 I’ UÉMOTIUN ph YSIQUE. I. \ PENSÉE DE S. THOMAS hoc modo quod cmnia ca quæ surd in nobis, id est in objections du début, qui ne diffèrent pas de celle* electione nostra, a dIpina providentia excludantur, sed qu'ont toujours renouvelées les adversaires du tho­ quia non turd per divinam providentiam ita determinata misme : 1 Ornne agens cui resisti non potest, ex necessi­ ad unum, sicut ea quæ libertatem arbitrii non habent, tate movet ; sed Dec», curn sit infmitæ virtutis, resisti non ■ Les actes humains, qui relèvent de notre choix, potest. — 3. Sequitur impossibile, si ponatur quod volun­ sont donc bien déterminés ad unum. Si ces actes tas non velit hoc ad quod Deus eam movet, quia secundum n'étalent pas déterminés ad unum, saint Thomas se hoc operatio Dei esset inefficax. serait exprimé de la sorte : Non surd per divinam pro­ Λ quoi saint Thomas répond, sans la moindre allu videntiam determinata ad unum, sicut ea qua libertatem slon à la prévision divine de notre consentement par arbitrii non habent. Mais on aura remarqué que la une science, qui ferait penser de près ou de loin à la phrase contient un ita sur lequel vient tomber la néga­ < science moyenne » dont parle Molina, mais en insis­ tion du début : Non surd per divinam providentiam ita tant au contraire sur l'efficacité transcendante de la cau­ determinata ad unum, sicut ca quæ libertatem arbitrii salité divine : Ad primum ergo dicendum quod voluntas non habent. La détermination ad unum des actes libres divina non solum se extendit ut aliquid fiat per rem. ne se fait pas de la même manière que la déterminat ion quam movet (voilà l’élection comme action volontaire). ad unum des actes qui ne sont pas libres. Or, on sait sed ut etiam eo modo fiat, quo congruit naturæ ipsius de quelle nature est la détermination adunum des actes (voilà l’élection avec son mode libre d'élection, produit qui ne relèvent pas du libre arbitre : tout le monde est par Dieu lui-même en nous et avec nous, lorsqu’il nous d'accord pour dire que c'est une determination néces­ meut infailliblement à tel acte salutaire, plutôt qu'a sitante. Il y a donc lieu de reconnaître une double tel autre, et cela en vertu de l'efficacité intrinsèque de determination ad unum : une détermination non néces­ sa motion, à laquelle l'homme ne résiste pas de fait). sitante et une determination nécessitante : la première Et ideo magis repugnaret divinæ motioni, si voluntas ex est celle des actes libres, la seconde est celle des actes necessitate moveretur, quod suæ naturæ non competit, qui ne sont pas libres. » quam si moveretur libere, prout competit suæ naturæ. Le P. Synave, dans un second article, a confirme De même, ibid., ad 3υ:η, saint Thomas affirme encore cette exégèse de façon tout à fait apodictiquc. Veffïcacité intrinsèque de la motion divine dont parlait Revue thomiste, ibid., p. 211 : <* Si te mot de détermi­ l’objection, mais il répond que, sous cette motion à nation implique la nécessité, pourquoi saint Thomas laquelle l’homme ne résiste pas de fait, il garde la n accepte-t-il pas la formule de saint Jean Damascene... ; puissance de résister; il pourrait résister s'il voulait; Cela aboutit à faire parler saint Thomas pour ne rien j mais sous cette motion très forte et très douce il ne dire. Sous peine de non-sens, la phrase négative de veut jamais résister : Ad tertium dicendum, quod si saint Thomas : · Ce qui est en nous n'est pas soumis Deus movel voluntatem ad aliquid, incompassibile est huic positioni quod voluntas ad illud non moveatur (alio< à la détermination de la dix inc Providence comme s’il quin operatio Dei esset inefficax, comme le disait l’ob­ • en recevait un caractère nécessitant revient à celle-ci: jection). Non tamen est impassibile simpliciter. I nde « Ce qui est en nous est soumis à la détermination de non sequitur, quod voluntas a Deo ex necessitate movea­ • la divine providence, sans que cette détermination lui » impose de nécessité. » 11 n’est pas besoin de gloser tur. Pour bien saisir le sens exact des réponses de saint Thomas, il ne faut pas les séparer, comme on l’a fait fortement, ni même de gloser, pour obtenir ce sens qui souvent ici, des objections qu’il veut résoudre. est obvie... Les mots sont les mots. Il me semble de la Il n'y a pas de doute possible, il s'agit bien ici de la plus élémentaire critique d’accepter ce terme determi­ prédétermination non nécessitante. C’est sous cette natio divinæ Providentiæ nettement établi, et, s’il va motion divine très forte et très douce que la vierge A l'encontre d’un système ou d’une conception toute Marie, infailliblement et librement, dit son fiat pour faite sur la détermination, de réformer l’un ou d’aban­ que s’accomplisse le mystère de l'incarnation, qui donner l’autre. » Nous l’avons longuement montré ailleurs (Revue de devait infailliblement s'accomplir. C’est sous cette motion que Paul se convertit librement sur le chemin philosophie, 1926. p. 379, 123, 659; et 1927, p. 303), de Damas, et que les martyrs restèrent fermes dans 11 faut entendre de même le fameux texte de la I·*-11 la foi et l’amour de Dieu au milieu de leurs supplices. q. x, a. 4 : Quia igitur voluntas est activum principium C’est du moins de la sorte que saint Thomas l’a com­ non determinatum ad unum, sed indifferenter se habens pris. Entendre ces textes autrement serait les vider de ad mulla, sic Deus ipsam movel, quod non ex necessitate ad unum determinat, sed remanet motus ejus contingens tout contenu métaphysique. Les termes dont saint et non necessarius, nisi in his ad quæ naturaliter Thomas se sert n'auraient même plus aucun sens. movetur. L'expression prédétermination non nécessitante se Non ex necessitate doit cire traduit par non néces­ trouve même plusieurs fois dans ses œuvres, comme nous l'avons noté, en particulier dans son commentaire sairement comme dans toute cette q. x, ci. a. 2 et 3. Le non tombe non pas sur determinat, mais sur ex neces­ sur l’évangile de saint Jean; à propos de l’heure de la passion, ou heure du Christ par excellence, voir sitate. L’entendre autrement serait faire une faute de col. 16. Toutes ces expressions signifient un décret traduction dans toute cette question, par exemple, de la volonté divine non nécessitant, mais prédétermi­ a. 2, sed contra : non ergo ex necessitate voluntas movetur ad alterum oppositorum. Ibid., in corp. : non ex neces­ nant, décret dont la promotion assure l’exécution infaillible et cela de façon différente pour les actes bons sitate voluntas fertur in illud (bonum particulare). Ibid., ad 1’»*“ : st in aliquo deficiat (objectum) non ex necessi­ et pour les actes mauvais, car Dieu n’est cause que de la réalité et de la bonté de nos actes; quant au désordre tate movebit. Ibid., ad 3un‘ : Alia (medial vero sine quibus finis haberi potest, non ex necessitate vult qui moral, lorsqu'il s’y trouve, il le permet, sans le causer vult finem. CL ibid., a. 3, sed contra, el in corp. en rien, ni directement, ni indirectement; ce désordre Tous ces textes montrent que la pensée de saint provient uniquement de la cause deliciente cl est en Thomas est hors de doute : pour lui, toute prédéter­ dehors de l’objet adéquat de la toute-puissance indé­ mination n’est pas nécessitante, il admet à l'égard de fectible, comme le son est en dehors de l’objet de la nos actes libres une prédéterminât ion divine non vue. L'expression prémol ion physique prédétermi­ nécessitante. nante cl non nécessitante ■ est donc bien conforme à Cela ressort plus encore du status quæstionis du la pensée et même à la terminologie de saint Thomas, fameux article I de la q. x, de la I ·-1!«··; l’étal de la On a parfois allégué, en sens contraire, certains question y est admirablement déterminé par deux textes du Docteur angélique, Goudin, O. P., Phlloso- PRÉMOTION PHYSIQUE. DIFFÉRENTS MODES phia, mctaph., disp. H, q. Tir. □. 7, a bien montré ceci : P Lorsque saint Thomas nie la prédétcmiinntion, le contexte montre qu’il s’agit alors de la predetermina­ tion nécessitante, au sens du Damascene, par exemple Contra gentes, I. III, c. xc, fin, texte cité col. 17. De même, Dr veritate, q. xxiî, a. 6, où il est parlé d’une détermination ad unum naturali inclinatione ou per modum naturir, laquelle est à coup sûr nécessitante, et donc toute différente de celle dont nous nous occupons. 2e Lorsque saint Thomas dit que la volonté sc determine, c’est dans l’ordre des causes secondes, et il est clair que la délibération est ordonnée ft cette détermination du choix volontaire libre. C’est ce qu'affirme saint Thomas dans le fameux texte de la ÎMή. q. IX, a. G, ad 3urn, que nous examinerons en détail (col. 56) : Deus movet voluntatem hominis, sicut universalis motor ad universale objectum voluntatis quod est bonum : et sine hac universali motione homo non potest aliquid velle; sed homo per rationem determinat se ad nolendum hoc rei illud, quod est vere bonum vel appa­ rens bonum (certes il en est ainsi dans l'ordre des causes secondes, c’est pourquoi l’homme délibère, et ainsi le péché est possible, ce qui répond ft l’objection posée par saint Thomas). Sed tamen interdum specialiter Drus movet aliquos ad aliquid determinate volendum, quod est bonum, sicut in his quod movet per gratiam, ut tnjra dicetur. ( f. IMI*, q. cix. a. 6; q. exi, a. 2; q. exu, a. 3. Et à la question suivante, IMIæ, q. x, a. I, corp, et ad 3°” il est dit que cette motion divine ad aliquid determinate volendum n’est pas nécessitante, parce que son influx infailliblement efficace s’étend jusqu’au mode libre de notre choix, Incompossibile est huic motioni quod voluntas ad illud non moveatur. Non tamen est impossibile simpliciter. Ibid., ad 3Qm. 3° Lorsque saint Thomas dit que Dieu meut parfois la volonté sans imprimer quelque chose en elle, il veut dire sans produire en elle un habitus infus. Cf. De potentia, q. in, a. 7. et De ventate, q. xxn. a. 8. t° Enfin, saint Thomas a distingué. IMI»,q. cix, a. 1. une motion générale au bien universel, requise pour tout acte de volonté et une motion spéciale pour tel acte spécial, comme pour la contrition par exemple. Il reste, comme il est dit ibid., que quantumcumque natura aliqua corporalis vel spiritualis ponatur perfecta, non potest in suum actum procedere, nisi moveatur a Deo. Li notion de prémotion physique, prédéterminante et non nécessitante est donc bien conforme h la doctrine de viint Thomas. On peut aussi s’en rendre compte en lisant m'·» premiers commentateurs qui ont écrit bien avant B.'inez, et dont les textes ont été recueillis par le I*. Dumniermulh, (>. P., S. Thomas et doctrina prtvmotionh physictr. Pari·, 1886 (De mente S. Thornæ, p. 23-181; De veterc m hota S. Thornæ, p. 427-557, pneserlim Capreolus, p. 1.34182: Ferra ri ensis, p. 482-405; Cajctanus, p. -195-506, etc. Quid de mente S. Thomcc senserint antiquiores Societatis h’su theologi. Tolctus. Molina. Suarez, etc., p. 683-754). Voir aussi Dumniennuth, Defensio doctrina: S. Thoma de pra motione physica. Bcsponsio ad H. P. V. Prins, S. .1., Ixtuvaln et Paris. 1893. examen des textes de saint Tho­ mas, objets de la controverse cl doctrine des premiers t KMXÜStes, i». 317-l"1. i’ < millcnnin. < >. P., De la grû· < • n/ftwnp, dans Hevue thomiste, 1902. p. 7.5 sq. (série d’artIch-s); Dr .1. Ude. Doctrina Capreoli de influxu Dei in actus tdimtaJh humanoscr un commencement absolu, ce qui répugne : le plus ne sort pas du moins, l’être ne sort pas du néant. L’acte virtuel a donc été réduit à l’acte second par un moteur extrinsèque, qui en fin de compte doit être son activité même et ne peut être sujet d’aucun devenir. On a souvent répondu à Suarez : la volonté créée, avant d'agir, contient son acte non pas virlualiter eminenter, comme Dieu contient les créatures cl comme l’intuition divine contient le raisonnement humain, mais virtualiter potentialitcr. c’est-à-dire qu’elle peut le produire comme une cause seconde sous l'influx de la cause première. De plus, il ne suffit pas que Dieu meuve l’homme à vouloir être heureux, ou à vouloir le bien en général, car, lorsque notre volonté veut ensuite tel bien parti­ culier, il y n en elle une actualité nouvelle, qui doit dépendre comme être du premier Etre, comme action du premier Agent, comme acte libre du premier Libre, comme ultime actualité de l’Actualité suprême qu’est l'Acle pur, et, si cet acte libre est bon et salutaire, il doit dépendre aussi comme tel, non seulement à raison de son objet, mais quant à son exercice, de la source de tout bien et de l’Autcur du salut. Aussi saint Thomas dit-il, IM1", q. cîx, a. 1 : Quantumcumque aliqua natura sive corporalis, sive spiritualis, ponatur pertecta, non potest in suum actum procedere nisi movea­ tur a Deo. Telles sont les raisons générales d’affirmer la prémo­ tion physique. Elles se précisent si on les considère par rapport à ce que nous enseigne la révélation au sujet des décrets divins et de la grâce efficace. 2* La prémotion physique et les décrets divins prédé­ terminants. relatifs à nos actes salutaires. — La prémo­ tion physique présuppose ces décrets et assure leur exécution infaillible. Ces décrets sont admis par presque tous les théolo­ giens qui n'acceptent pas la théorie mollnistc de la science moyenne, c’est-à-dire par les thomistes, les 60 augustinlcns et les sco listes. D’une façon générale, ces théologiens accordent le dilemme : Dieu déterminant ou déterminé, pas de milieu. En d'autres termes, si Dieu n'a pas prédéterminé de toute éternité nos actes libres salutaires, il est passif ou dépendant dans sa prescience à l’égard do la détermination libre que prendrait tel homme s’il était placé en telles circonstances (et II ne lui appartient que de l’y placer ou non). Dieu, parrap pori à cette détermination libre salutaire, qui, comme détermination libre, ne vient pas de lui, est non pas auteur, mais spectateur. Or. on ne saurait admettre aucune passivité ou dépendance dans l’Acle pur, qui est souverainement indépendant à l’égard île tout le créé, à l’égard des futurs contingents, soit absolus, soit conditionnels. L’existence de ces décrets divins prédéterminants, relatifs à nos actes libres salutaires, repose aux yeux des théologiens dont nous venons de parler, non pas seulement sur la notion que le philosophe doit se faire de Dieu et de l’indépendance divine, mais sur la révé­ lation contenue dans l’Écriture et la tradition. I. Textes scripturaires. — On lit. en effet, dans le livre d’Esther. xîh. 9, celle prière de Mardochée : Seigneur, Seigneur, roi tout-puissant, je vous invoque : car toutes choses sont soumises à votre pou­ voir et il n’est personne qui puisse faire obstacle à votre volonté, si vous avez résolu de sauver Israël... Vous êtes le Seigneur de toutes choses et nul ne peut vous résister, à vous, le Seigneur!... Exaucez ma prièreI et changez notre deuil en joie... · Dans le même livre, xiv, 13, la reine Esther prie ainsi : < Mettez de sages paroles sur mes lèvres en présence du lion (du roi), et faites passer son cœur à la haine de notre ennemi, afin qu’il périsse, lui et tous ceux qui ont les mêmes sentiments. » Et nu c. xv il est dit : « Alors Dieu changea la colère du roi (Assuérus) en douceur » et il rendit un édit en faveur des .Juifs. Par ces paroles, l’infaillibilité et l’efficacité du décret de la volonté de Dieu sont fondées manifestement sur sa toute-puis­ sance et non pas sur le consentement prévu du roi Assuérus. Ce qui fait dire à saint Augustin lorsqu’il explique ces paroles (Ad Honifatium, I. I. c. xx) : Cor regis... occultissima et cfjlcacissima potestate convertit et transtulit ab indignatione ad lenitatem. Dans le ps. cxm. 3, il est dit : · Tout ce. que Dieu veut, il le fait ·, tout ce qu’il veut d’une façon non pas conditionnelle, mais absolue, il le fait, même la conver­ sion libre de l'homme, comme celle du roi Assuérus. Prov., xxî, 1 : ■ Le cœur du roi est un cours d’eau dans la main de Jahvé. il l'incline partout où il veut. ■ La même pensée est exprimée dans l’Ecclésiastique, xxxHi. 13 : « Comme l'argile est dans la main du potier, et qu'il en dispose selon son bon plaisir, ainsi les hommes sont dans la main de celui qui les a faits. > Isaïe, xiv. annonce contre les nations païennes plu­ sieurs événements qui s’accompliront par les libertés humaines, en particulier la ruine de Babylone, et il conclut, ibid., 21-27 : < Jahvé. Dieu des armées, n juré en disant : Oui, le dessein qui est arrêté s’accomplira. Et ce que j’ai décidé se réalisera... Car Jahvé des années a décidé cl qui l'empêcherait? Sa main est étendue et qui la détournerait? · La main de Dieu signifie sa toute-puissance, ici encore l'infaillibilité et l’efficacité du décret divin ne sont nullement fondées sur la prévision du consentement humain. Il est même dit dans Ézéchlcl, xi, 19, que c’est Dieu qui donne le bon consentement : · Je mettrai nu dedans d'eux un esprit nouveau, et j'ôterai de leur chair le cœur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair, alln qu’ils suivent mes ordonnances et qu’ils gardent mes lois et les pratiquent; et ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. > Cf. F.z., xxxvi, 20, 27. Dans l’Evangile. Jésus dit aussi : · Sans moi, vous (il ΡΒΕΜ0ΊΊΟΝ PHYSIQUE. BAISONS DE L’AFFIRMER ne pouvez rien faire », dans l'ordre du salut. Jon., xv,5. Il s’élèvera de faux christs . et Ils feront des pro «liges,., ju qu'à séduire, s’il se pouvait, les élus mêmes. » Matlh., xxiv, 21. · Mes brebis entendent nui voix; je les connais, et elles me suivront. El je leur donne la vie éternelle, cl elles ne périront jamais et nul ne les ravira de ma main : mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous, et nul ne peut les ravir de la main de mon Père. » Joa., x, 27-30. Toujours l'infaillible effi­ cacité du décret divin est expliquée non point par le consentement humain prévu, mais par la toute-puis­ sance divine, exprimée par ces mots : « nul ne peut les ravir de hi main de mon Père ». De même encore, chaque fols «pic Jésus parle de < son heure » celle de la passion, il dit qu’elle est de toute éternité déterminée par un décret divin, cl qu’avant celte heure nul ne pourra porter la main contre lui. (l’est donc «pic Dieu est maître des volontés humaines, à ce point qu’elles ne peuvent même pécher qu'à l’heure où de toute éternité Dieu l’a permis, et du genre de péché que Dieu a permis, sans en être cause ni directement, ni indirectement, (l'est ainsi qu’il est dit dans l'évangile de saint Jean, vu, 30 : · Ils cherchèrent donc à le saisir, et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue. » Jbid., xm, 1 : · Jésus sachant que son heure était venue... après avoir aimé les siens... les aima Jusqu’à la fin.» Ibid., xviî, 1 : «Père, l’heure est venue... » (voir le commentaire de saint Thomas sur tous ces textes de l'évangile de saint Jean; nous avons noté qu’il y voit l’heure non ex necessitate determinata, sed a Providentia pnrfînita. Or. cette heure est celle du plus grand acte libre du Christ (acte qui avait donc été, de toute éternité, l’objet d’un décret divin prédéter­ minant positif), c'est aussi l’heure du plus grand péché, «tu déicide (acte «pii avait été de toute éternité l’objet d’un décret divin non pas positif, mais permissif, de telle sorte que ce péché ne «levait pas arriver avant cette heure, ni sous une autre forme que celle permise par Dieu). (If. saint Thomas, III». q. xi.vi, a. 2; q. Xbvn, a. 3, G. De même, dans les Actes «tes apôtres. H, 23, saint Pierre, le jour de la Pentecôte, dit dans son discours aux Juifs : «(let homme (Jésus de Nazareth) vous ayant été livré selon le dessein Immuable et la pre­ science de Dieu, vous l’avez attaché à la croix et mis à mort par la main des impies. Dieu l’a ressuscité... Il est même à remarquer que. dans ce texte, le dessein Immuable · τη ώρισμενη βουλή, précède la prescience καί προγνώσει τού Θεού. (If. S. Thomas, 1II·, q. xi vu. a. 3 : Deus sua aderna voluntate pnrordinavit passionem Christi ad humani generis liberationem. De même. Act., x, Il : « Dieu l’a ressuscité le troi­ sième Jour, et lui a donné de se faire voir non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d’avance. » Ibid., xm, LS : « En entendant ces paroles, les gentils sc réjouirent... et tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. Ibid., xviî, 2G : · Dieu a déterminé pour chaque nation la durée de son exis­ tence et les bornes de son domaine. · Ibid., xxn, 1 I : saint Paul raconte qu’après sa conversion Ananic lui «lit : « Paul, mon frère, recouvre la vue. Et. au même instant, je le vis. Il dit alors : Le Dieu de nos pères l’a prédestiné Λ connaît re sa volonté, à voir le Juste et à entendre les paroles de sa bouche. Car tu lui serviras «le témoin... » Et, librement, mais infailliblement, saint Paul servit «le témoin à Noire-Seigneur. Enfin saint Paul lui même dit aux Domains, vin, 28 : · Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, «le ceux qui sont appelés selon son éternel dessein. Car « eux qu’il a connus d’avance. Il les a aussi prédestinés... > Ibid., ix, 11-18 : Kébccca conçut De la sorte, l'homme sous la grâce efficace reste libre, bien qu’il ne lui résiste jamais, car elle produit en lui et avec lui jusqu’au mode libre de son acte; clic actualise sa liberté dans l’ordre du bien, et, s’il n’a plus l'indifférence potentielle ou passive, il a l'indifférence actuelle et active, l’indifférence dominatrice à l’égard du bien particulier qu’il choisit. Ce bien ne saurait Invinciblement l’attirer comme Dieu vu face à face. Il sc porte librement vers lui. et Dieu actualise ce mouvement libre, dont le mode libre étant encore de l’être tombe sous l’objet adéquat de la toute-puissance divine. Telle est manifestement la doctrine de saint | Thomas. Les textes que nous avons cités plus haut, § IV, le montrent clairement. Voir col. 51 sq. Telle est, aussi, la doctrine conservée par le tho­ misme classique; Molina le concède lorsqu’il déclare s'éloigner, non seulement des thomistes, mais de saint Thomas lui-même. Concordia, éd. de Parle,1876, p. 152 et 547. Plusieurs molinlslcs l'ont reconnu comme lui. Cf. P. Mandonnct, Notes d’histoire thomiste, dans Revue G9 PRÉMOTION PHYSIQUE. ACCORD AVEC L,\ LIBERTÉ thomiste, 1911, p. GG5-G79; Dummermuth, S. Thomas et doctrina promotionis physicic, Paris, 1886, p. 685754. La doctrine do saint Thomas est celle même qu’exposera Bossuet dans son Traité du libre arbitre, c. vin, en écrivant : · Quoi de plus absurde que de dire que l'exercice du libre arbitre n'es/ pas, A cause que Dieu veut qu'il soit? » En d’autres termes : Quoi de plus absurde que de dire que ^actualisation du libre arbitre le détruit? Le mode · libre » de nos actes non seulement est sauvegardé, mais il est produit par Dieu en nous et avec nous. La motion divine ne violente pas la volonté, parce qu’elle s’exerce selon l'inclination naturelle de celle-ci; elle porte d’abord la volonté vers son objet adéquat, le bien universel, et ensuite seulement vers un objet Inadéquat, tel bien particulier. Sous le pre­ mier aspect la motion divine constitue le mode libre de l’acte, elle s’exerce Intérieurement, avons-nous dit plus haut, sur le fond même de la volonté, prise dans toute son amplitude, et la porte en un sens vers tout le bien hiérarchisé, avant de l’incliner A sc porter vers tel bien particulier. Cf. Jean de Saint-Thomas, Cursus thcol., in Zan’, q. xix, disp. V et VI, n. 37-55. Ainsi Dieu seul meut notre liberté suaviter et fortiter. La motion divine, si elle perdait de sa force, perdrait aussi de sa suavité; ne pouvant atteindre ce qu’il y a en nous de plus délicat et de plus Intime, elle resterait comme extérieure, comme plaquée sur notre activité créée, ce qui est indigne de l’activité créatrice, conser­ vatrice et motrice, plus intime 5 nous que nous-mêmes. Notre acte libre est donc tout entier de nous comme cause seconde et il est tout entier de Dieu comme cause première. In, q. xxrn, a. 5. Lorsque nous le posons, au terme de la délibération, nous gardons, en vertu de l’amplitude universelle de notre volonté et de l’indlITérence du jugement non nécessité par l’objet, la puissance de ne pas le poser. Ι*-1Ι®, q. x, a. I, ad luin. Si notre liberté pouvait se déterminer par elle seule, elle aurait la dignité de la liberté première et lui res­ semblerait non pas analogiquement, mais univoque­ ment. Elle aurait avec la liberté divine une similitude pure et simple et non pas une similitude de propor­ tions. D, q. xix. a. 3. ad Il y a ici ressemblance et différence. A considérer la similitude, il faut dire : la liberté créée n’est pas plus inconciliable avec la motion divine Intrinsèquement efficace, que l’acte libre divin n’est Inconciliable avec l'immutabilité de Dieu. L’acte libre en Dieu n’a pas l’indifférence dominatrice potentielle d'une faculté, susceptible d’agir ou de ne pas agir, il a l’indilTérence dominatrice de l’Actc pur A l’égard de tout le créé. ΙΛ. q. xix, a. 3. ad I’1"·; Conte. gent., I. I. c. i xxxn. De même, toute proportion gardée, sous la motion divine efficace, notre liberté n’a plus l’indilTérence potentielle de la faculté, mais l'indifférence actuelle, et certes son actualisation ne la détruit pas. SI le molinisme rejette cette doctrine, c'est qu’il cherche A définir la liberté humaine en faisant abstrac­ tion de l’objet qui spécifie l’acte libre : facultas qua*, pnvsuppositis omnibus requisitis ad agendum, adhuc potest agere rt non agere, et panni ces « présupposés » il met la motion divine, compossible, selon lui, non seule­ ment avec le pouvoir de résister, mais avec le fait de la résistance. En vertu du principe fondamental (pie les facultés, les habitus et les actes sont spécifiés par leur objet, il faut, dans la définition du libre arbitre, considérer son objet spécificateur et dire avec les thomistes : libertas est indifferentia dominatrix voluntatis erga bonum a ratione propositum ut non ex omni parte bonum. L'es­ sence de Ia liberte est dans l'indifTérencc dominatrice de la volonté A l’égard de tout objet proposé oar la 70 raison comme bon hie. et nunc, sous un aspect, et non bon sous un autre, selon la formule de saint Thomas, q. x, a. 2 : Si proponatur voluntati aliquod o bfretum, quod non secundum quamlibet considerationem sil bonum, non ex necessitate voluntas fertur in illud. II y a alors indifférence à vouloir cet objet et A ne pas le vouloir, indifférence potentielle dans la faculté et indiffé­ rence actuelle dans l’acte libre qui sc porte non néces­ sairement vers lui. Lors même, en effet, que la volonté veut actuellement cet objet, lorsqu'elle est déjà déter­ minée A le vouloir, elle sc porte encore librement vers lui avec une indifférence dominatrice non plus poten­ tielle mais actuelle; de même, la liberté divine déjà déterminée nous conserve dans l’existence. La liberté provient donc de la disproportion infinie qui existe entre la volonté spécifiée par le bien universel et tel bien fini, bon sous un aspect, non bon ou insuffisant sous un autre. Et, contre Suarez, les thomistes ajoutent que, même de puissance absolue, Dieu par sa motion ne peut nécessiter notre volonté n vouloir un tel objet, stante indifferentia judicii, tant que nous jugeons qu’il est bon sous un aspect, et non sous un autre. La raison en est qu’il implique contradiction que la volonté veuille nécessairement l’objet que l’intel­ ligence lui propose comme indifférent ou comme abso­ lument disproportionné A son amplitude. Cf. S. Tho­ mas, De ventate, q. xxn, a. 5. Pour mieux saisir comment la motion divine est cause de notre acte libre, il faut remarquer que celui-ci dépend de trois causalités finies différentes, qui ont entre elles des rapports mutuels : 1· l’attrait objectif du bien particulier; 2e la direction de l'intelligence qui porte le jugement pratique; 3° l'efficience ou la pro­ duction de l’élection libre par la volonté. La motion divine transcend ces trois causalités et les actualise, sans violenter le libre arbitre. La fin qui attire reste ainsi la première des causes, et il implique contradic­ tion que · sous l’indifférence du jugement », ou sous le jugement non nécessitant, notre volonté soit néces­ sitée par la motion divine, car il implique contradiction que notre volonté veuille un objet autrement qu’il ne lui est proposé. En résumé, comme le dit Bossuet, loc. cil., quoi de plus absurde que de dire que l’exercice du libre arbitre n’est pas, A cause que Dieu veut (efficacement) qu’il soit »; quoi de plus inconséquent que de dire que l’actualisation du libre arbitre le détruit. Aussi le grand mystère, selon saint Augustin et saint Thomas, n’est pas dans la conciliation de la prescience et des décrets divins avec la liberté créée, car. si Dieu est Dieu, sa volonté efficace doit s’étendre jusqu’au mode libre de nos actes: du fait qu’il veut efficacement que Paul se convertisse librement, tel jour et A telle heure, sur le chemin de Damas, il doit s’ensuivre que Paul se convertira librement et, si. dans ce cas, la motion divine sur la volonté humaine ne détruit pas la liberté, pourquoi la détruirait-elle dans les autres? Le grand mystère est ailleurs, c’est celui de la per­ mission divine du mal moral ou du péché en tel homme ou tel ange plutôt qu’en tel autre. Si la grâce de la persévérance finale, disent saint Augustin (De correp­ tione et gratia, c. v et vi) et saint Thomas (IIMl·, q. n, a. 5) est accordée, comme elle fut au bon larron, c’est par miséricorde: si elle ne l’est pas, c’est par un juste châtiment de fautes généralement réitérées et d’une dernière résistance au dernier appel, dernière résistance que Dieu permet en celui-ci plutôt qu’en celui-IA. C’est ce qui fait dire au même saint Augustin : Quare hunc trahat et ilium non trahat, noli velle diju­ dicare, si non vis errare. Di Jou., tract. XXVI. Saint Thomas parle de même. D, q. xxm, a. 5, ad 3um et q. xx. a. 3 : nul ne serait meilleur qu’un autre; s’il n’était plus aimé par Dieu. 71 PRÉMOTION PHYSIQUE ET PÉCHÉ D’autre part, Dieu ne commande jamais l'impossible; l’accomplissement de la loi divine était encore réelle­ ment possible au mauvais larron, lorsqu’il se perdit si près du Christ rédempteur. Il reste une dernière difficulté à examiner relative â Pacte du péché. VIH. La prémotion physique et l’acte phy­ sique du péché. — 1° Principe. — Il est certain que Dieu n’est nullement cause du péché, ni directement, ni indirectement. H ne peut être cause directe du péché, en y inclinant sa volonté ou une volonté créée, car le péché provient de ce qu’on s’écarte de ce qui est ordonné à Dieu, il ne peut être non plus cause indi­ recte du péché, par négligence à nous en préserver, comme le capitaine de vaisseau est par sa négligence cause du naufrage, lorsqu’il ne veille pas comme il le peut et il le doit, il arrive sans doute que Dieu n’ac­ corde pas Λ certains le secours qui les préserverait du péché, mais cela est conforme à l’ordre de sa sagesse et de sa justice; il n’est pas tenu, it ne se doit pas à luiméme de préserver de toute faute des créatures natu­ rellement défectiblcs, et il peut permettre leur défail­ lance en vue d'un bien supérieur; il permet ainsi le péché des persécuteurs pour manifester la constance des martyrs. Cf. saint Thomas, 1*, q. xxn, a. 2, ad 2«®. Cette permission divine du péché n’est nullement cause du péché, ni cause directe, ni cause indirecte; elle le laisse arriver. Elle en est seulement la condition sine qua non; si Dieu ne le permettait pas, ne le laissait pas arriver, le péché n’arriverait pas. Cette divine permis­ sion du péché, surtout s'il s’agit du commencement du premier péché, par lequel le juste s’éloigne de Dieu, n’est pas une peine, comme le sera la soustraction divine de la grâce, à la suite d’une faute. Toute peine suppose une faute, cl la faute ne se produirait pas si clic n’était pas permise par Dieu. Cette divine permis­ sion du péché Implique la non-conservation de telle liberté créée dans le bien; celte non-conservation n’est pas un bien, mais elle n’est pas non plus un mal, car elle n’est pas la privation d'un bien qui nous serait dû; elle est seulement la négation d’un bien qui ne nous est pas dû. La philosophie enseigne que privation dit plus que négation. Dieu ne se devait pas à lui-même de préserver le démon ou Adam innocent de toute faute; il a permis dans le démon plutôt qu’en un autre ange un mouvement d'orgueil volontaire consenti, et comme peine de cette faute, il lui a retiré sa grâce. Il importe ici de noter contre Calvin que la soustraction divine de la grâce dit beaucoup plus que (a simple per mission diuine du péché, car cette soustraction divine est une peine, comme le montre saint Thomas, IMI», q. lxxix, a. 3; or, toute peine suppose une faute, et toute faute suppose une divine permission, comme condition sans laquelle elle ne se produirait pas. Cependant, la permission d’un second péché est déjà une peine du premier. 2° La causalité divine et l'acte physique du péché. — Ceci posé. Il est moins difficile d’entendre ce qu'est la causalité divine ou la prémollon physique par rapport à l'acte physique du péché. Saint Thomas, 1^-11®, q. lxxix, a. 2, dit clairement à ce sujet : 72 sicut defectus claudicationis reducitur In tibiam cunam sicut In causam, non nutem In virtutem motlvam, a . et D-lIæ, q. lxxix, a. 2. Voir surtout Jean de SaintDe plus, la grâce suffisante contient virtuellement la Thomas, In ΙΛ™, q. xix, disp. V et VL grâce efficace qui nous est ofTcrtc en elle, comme le Il faut noter enfin que la prédétermination à l’acte fruit dans la fleur. Même les thomistes les plus rigides, physique du péché ainsi expliquée n'est pas quelque comme Lemos et Alvarez disent : Deus tribuens auxi­ lium sufficiens in eo nobis offert auxilium efficax. Le chose de premier dans la doctrine thomiste relative aux décrets divins et à la motion divine, c’est seule­ fruit est offert dans la fleur, encore faut-il qu’elle ne ment quelque chose de secondaire et de conséquent, soit pas détruite par la grêle, pour que le fruit arrive d’ordre philosophique. Ce qu’il y a de premier en cette à se former. De même, la grâce efficace nous est otlertc doctrine c’est que les décrets divins, relatifs à nos dans la grâce suffisante, mais nous devons être attentifs actes salutaires, sont efficaces par eux-mêmes et non à ne pas résister à celte dernière, résistance qui vien­ par la prévision de notre consentement. En d’autres drait uniquement de nous, non de Dieu.et qui pourrait termes, ce qu’il y a de premier, c’est le principe de nous priver de la grâce efficace offerte. Les thomistes prédilection : «Comme l’amour de Dieu est cause de ajoutent communément : toute grâce actuelle qui est tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était efficace par rapport à un acte salutaire imparfait, plus aimé par Dieu. · Tout le reste est secondaire. comme l'attritlon. est suffisante par rapport à un acte 3° Objections soulevées. — Examinons seulement les plus parfait, comme la contrition, et. si elle n’est pas principales objections soulevées contre la prémotion suivie de résistance coupable de notre part, la grâce relative à l’acte physique du péché. efficace de la contrition nous sera donnée. 1. Celui qui meut de façon efficace et déterminée Cette grâce efficace est ainsi en notre pouvoir non à l'acte du péché, a-t-on dit, est cause du péché. Or, pas certes comme une chose que nous pouvons pro- 75 prémotion physique, conclusion duire, mais comme un don qui nous serait accordé, si notre volonté ne résistait pas à la grâce suffisante. Ainsi le concile de Trente, sess. vi, c. xm, enseigne : Deus, nisi ipsi homines illius gratiœ de/uerint, sicut coepit opus bonum, ita perficiet, operans velle et perficere. Denz., n. 806. 1. On fait une dernière instance : pour que l'homme ne résiste pas à la grâce suffisante, mais y consente, la grâce efficace est requise, selon les thomistes. Et donc, si l’homme résiste, c’est parce qu’il n’a pas reçu la grâce efficace qu’il lui fallait. Si, en effet, la collation de la grâce efficace est cause de la non-résistance, qui est un bien, sa non-collation est cause de la résistance, qui est un mal. C’est une application de l'axiome : si a/Jlrmatio est causa affirmationis, negatio est causa negationis, le lever du soleil est cause du jour, le cou­ cher du soleil cause de la nuit. A cela, il faut répondre, disent les thomistes, que cet axiome s’applique dans le cas d’une cause unique comme le soleil présent ou absent, mais non pas dans le cas de deux causes dont rune est absolument indéfec­ tible et l'autre défectiblc. Ainsi la collation de la grâce efficace est cause de l'acte salutaire, même de la nonrésistance qui, étant un bien, doit provenir de l'auteur de tout bien; tandis que la non-collation de la grâce n’est pas cause de l'omission de l’acte salutaire. Cette omission est une défaillance, qui procède uniquement de notre propre défectibilité et nullement de Dieu. Elle ne procéderait de lui que s’il était tenu, s'il sc devait à lui-même de nous conserver toujours dans le bien, et de ne pas permettre qu'une créature défectiblc défaille quelquefois. Or, il peut le permettre pour un bien supérieur, comme la manifestation de sa misé­ ricorde et de sa justice. Ainsi, Il est vrai de dire : l’homme est privé de la grâce efficace, parce qu'il a résisté à la grâce suffisante; tandis qu’il n’est pas vrai de dire* : l’homme résiste ou pèche parce qu'il est privé de la grâce efficace; il résiste par sa propre défectibllité, à laquelle Dieu n’est pas tenu de porter remède; il n'est pas tenu de faire qu’une créature défectiblc ne défaille jamais. Perditio tua ex le, Israel; tantummodo in me auxilium tuum. Os., χιιι. L’homme, qui est impuissant par lui-même et par lui seul à faire le bien salutaire, se suffit â lui-même pour défaillir. CA. concile d'Orange, can. 20 et 22; Dcnzingcr, n. 193, 195. 5. Quelques-uns ont encore insisté en disant : com­ ment prétendre qu'au moment du premier péché, par lequel un Juste s'éloigne de Dieu, la grâce efficace lui est refusée pour une faute antérieure ou pour une résistance concomitante? Loin de précéder le refus divin du secours efficace, la résistance le suit; et, dès lors, le pécheur n'est pas responsable. Selon saint Thomas, il n’est pas nécessaire que la défaillance humaine initiale précède le refus divin de la grâce efficace, selon une priorité de temps; il suffit d’une priorité de nature. Et, ici. s'applique le principe de la relation mutuelle des causes, qui se vérifie par­ tout où interviennent les quatre causes : causa ad invicem sunt causa·, sed in diverso genere. Saint Thomas, IM I®, q. cxm, a. 8, ad lum, Invoque ce principe général pour montrer que, dans la justification de l’impie, qui sc fait en un instant indivisible, la rémis­ sion du péché suit l’infusion de la grâce dans l'ordre de la causalité formelle et efficiente, tandis que la libéra­ tion du péché précédé la réception de la grâce sancti­ fiante, dans l’ordre de la causalité matérielle. Comme le dit, ici même, saint Thomas : « Le soleil par sa lumière chasse les ténèbres, ainsi l'illumination précédé la dis­ parition de l’obscurité, mais d'autre part, l’air cesse d’être obscur avant de recevoir la lumière, selon une priorité de nature, bien que tout se fasse au même instant. Et, comme l’infusion de la grâce et la rémis­ sion de la faute sont 1 œuvre de Dieu qui justifie, il faut 76 dire purement et simplement que l'infusion de la grâce précédé la rémission du péché, bien que du côté de l’homme Justifié, In délivrance du péché précède la réception de la grâce. » Or, si la justification s'explique ainsi par le principe de la relation mutuelle des causes entre elles, il doit en être de même de la perte de la grâce, qui est l’in­ verse de la conversion, eadem est ratio contrariorum. Comme le montre Jean de Saint-Thomas, Cursus theo­ logicus, in /~», q. xix, disp. V, a. 6, n. 61, au moment où l'homme pèche mortellement et perd la grâce habi­ tuelle, sa défaillance, dans l'ordre de causalité maté­ rielle, précédé le refus que Dieu lui fait de la grâce actuelle efficace et en est la raison. D'un autre point de vue, toutefois, la défaillance, même initiale, suppose la permission divine du péché, et ne sc produirait pas sans elle. Mais, â l'opposé de la justification, le péché comme tel est l'œuvre de la créature déficiente et non l’œuvre de Dieu; il est donc vrai de dire purement et simplement (simpliciter au sens scolastique, opposé à secundum quid) : le péché précède le refus que Dieu nous fait de sa grâce efficace. En d'autres termes, « Dieu n’abandonne pas les justes, s'il n'est abandonné par eux », comme le dit le concile de Trente, sess. vi, c. xi ; il ne leur retire la grâce habituelle que pour un péché mortel, et la grâce actuelle efficace que pour une résistance au moins initiale Λ la grâce suffisante. 11 Importe ici de noter attentivement contre Calvin, ainsi que nous l’avons indiqué au début de ce chapitre, que la soustraction divine de la grâce, subtractio gratiœ dont parle saint Thomas, IMI», q. lxxix, a. 3, dit beaucoup plus que la simple permission divine du péché, car cette soustraction divine est une peine (et. ibid.); or, toute peine suppose une faute au moins initiale, laquelle ne sc produirait pas sans une permis· sion divine, qui n'est point du tout sa cause, mais condition sine qua non. On évite ainsi la contradiction et, disent les thomistes, l'on maintient le mystère là où il est, au lieu de le déplacer. IX. Conclusion. — Il reste ici un clair-obscur incomparablement plus beau que ceux que nous admi­ rons dans les œuvres des plus grands peintres. Il est absolument clair, d'une part, que Dieu ne peut vouloir le mal, qu’il ne peut être en aucune façon, ni directe ni indirecte, cause du péché. Nous sommes même beau­ coup plus sûrs de la rectitude absolue des intentions divines que de la droiture de nos intentions les meil­ leures. Il est également certain par suite que Dieu ne commande jamais l'impossible, ce serait contraire à à sa justice cl à sa bonté. Il veut donc rendre l’accom­ plissement de scs préceptes et le salut réellement possibles à tous. D'autre part, il est absolument incontestable que Dieu est l'auteur de tout bien, que son amour est cause de toute bonté créée, même de celle de notre bon consentement salutaire, autrement ce qu'il y a de meilleur dans l'ordre créé échapperait Λ la causalité divine. Il s’ensuit, comme le dit. après saint Augustin, saint Thomas, que nul ne serait meilleur qu'un autre s'il n'était plus aimé par Dieu; loi universelle qui s’ap­ plique à l’état d’innocence comme ù l'état présent, et à tout acte bon, naturel ou surnaturel, facile ou diffi­ cile, seulement commencé ou continué. Ce principe de prédilection, qui domine tous ces problèmes, contient virtuellement toute la doctrine de la prédestination et i de l'efficacité de la grâce dont parle Notre-Sclgncur en I disant des élus que « personne ne pourra les ravir de la main de son Père ». Joa., x, 29. Comment ces deux grands principes si certains, chacun pris à part, celui du salut possible à tous et 1 celui de prédilection, sc concilient-ils Intimement? La réponse est celle de saint Paul aux Romains, xi. 33 : I O altitudo divitiarum sapicnlhe et scientia Del ! i| 77 PRÉMOTION PHYSIQUE — PRÉSANCTIFIÉS (MESSE DES) 78 faut toujours y revenir : nulle intelligence créée, 2° Messe des pr< sanet i fiés rt messe sèche, A. Molien humaine ou angélique, ne peut voit l’intime concilia dit qu’on a appelé quelquefois cet office, missa lion de ces deux principes avant d’avoir reçu In vision sicca, messe sèche, messe sans consécration, messe où il béntlflquc. \ oir cette intime conciliation, en ctTet, n’y n que l'espèce du pain ·. La prière de Γ Église, t. n: cc serait voir comment l’infinie justice, l’infinie misé­ L'année liturgique, Paris, 192 I. p. 398. Puis il ajoute en ricorde et la souveraine liberté s'identifient sans se note (pi'il y a d’autres formes de messe sèche. détruire dans l'éminence de la Délié, dans la vie intime Cependant, il faut bien distinguer, scmblc-l-il, la de Dieu, dans ce qui est absolument Inaccessible et messe des présancliflés qui est d'origine très ancienne Ineffable en lui. et (pii a pour but de sojenniser la communion, de la Et même, plus ces deux principes à concilier messe sèche, dévotion qui s’est introduite au Moyen deviennent évidents pour nous, plus, par contraste, Age. pour satisfaire la piété de quelques prêtres. apparaît obscure, d’une obscurité transluniineuse. Pour qu*il y ait messe des présanctifiés, il faut la com­ l’éminence de la Délté en laquelle ils s’unissent. En ce munion au moins sous une seule espèce; dans la messe clair-obscur supérieur, il importe de ne pas nier le clair sèche, il n’y a, par définition, ni consécration ni com­ à cause de l’obscur; cc serait mettre l’absurdité à la munion. SI l’on voulait classer tous ces actes liturgi­ place du mystère; il importe aussi de laisser le clair cl ques, on placerait d'abord la messe normale : prières l’obscur là où Ils sont, ils sc font ainsi admirablement de la messe avec consécration et communion; la messe valoir. Laissons le mystère à sa vraie place, et nous des prcsanctiflés ; prières de la messe avec communion saisirons de mieux en mieux qu’il doit être, au-dessus seulement; enfin, la messe sèche : prières de la messe de tout raisonnement, de toute spéculation théolo­ seulement. Cf. Léo Allatius, De missa præsanctificato­ gique, objet de contemplation surnaturelle, de cette rum, à la suite du traite. De Ecclesûr occident, atque contemplation qui procède de la foi éclairée par les orient, perpetua consensione, Cologne, 1618. col. 1566 sq. dons de sagesse et d’intelligence. Nous entreverrons Le concile de Tolède de 681 s’élève déjà contre l’abus ainsi que cc qu'il y a de plus élevé en Dieu c’est préci­ qui aboutira â la missa siéra : des prêtres disaient plu­ sément cc qui reste pour nous plus obscur, ou inacces­ sieurs messes, mais ne communiaient qu’à la dernière. sible. Λ cause de la faiblesse de notre regard. En cette L’omission de la communion amena l'omission de la contemplation, la grâce, par un instinct secret, nous consécration cl enfin de l’offertoire devenu inutile; tranquillise sur la conciliation intime de l’inlinic jus­ par contre, le Pater, les embolismes cl les prières de la tice, de l’in finie miséricorde et de la souveraine liberté, communion se maintinrent; ainsi la missa sicca rem­ et elle nous tranquillise précisément parce qu'elle est plaça la missa binata. C'est l'opinion d’Adolphe Franz. elle-même une participation de la Délté ou de la vie Le binage était pennis à l'occasion des funérailles, des mariages, des pèlerinages et de la bénédiction de> Intime de Dieu. C'est ù cctlc contemplation que, sous accouchées cl, plus tard, on rencontre à ces mêmes peine de perdre en grande partie sa raison d’être, doit occasions hi simple missa sicca même le soir. Analogue nous conduire la spéculation théologique sur la motion était la « messe nautique ». que l'on célébrait en mer. divine. Alors, tout sc simplifie et l'on comprend que l’obscurité Λ laquelle on aboutit n'est pas celle de , Cf. Échos d'Orient, mars 1911. p. 130. D’autres fois, on disait la messe sèche le soir aux funérailles, cc qui l’incohérence ou de l’absurde, mais celle qui provient arriva à Turin en 1587. Cf. Bona. De la liturgie, d’une trop grande lumière pour nos faibles yeux. éd. Vivès, t. f, p. 237. En 1581. les chartreux suppri­ fui bibliographie relative à la question de la prémotion mèrent l’usage de la célébrer après la messe conven­ physique serait immense, si elle voulait être complète; tuelle. Cf. Did. d'archéologie et de liturgie, art. Char­ nous en avons indiqué le principal au cours de cet article et treux, t. ni. col. 1061. plus particulièrement à la fin du S IV, col. 5 t ; nous y avons Le pontifical attribué à saint Prudence de Troyes mentionné notamment les ouvrages des PP. Dummcnnuth, ( + 861), mais qui doit être rajeuni de deux siècles, del Prado, .1. l’dc, et les controverses plus récentes de 1921 est le premier document qui donne les prescriptions .i 1927. nécessaires pour célébrer une missa sicca. Du x* au H. Gahhigou-Laghaxoe. PRÉSANCTIFIÉS (MESSE DES). Action | xn* siècle une réaction contre cette institution s’ac­ liturgique où sont consommées les espèces eucharis­ centua; cependant des évêques, comme Odon de Paris, tiques antérieurement consacrées. — I. Notions pré­ la conseillaient à leurs prêtres. L'usage de celte messe liminaires. IL Origine (col. 79). 111. La liturgie orien­ était tellement répandu qu’il fallait bien spécifier dans les testaments et les fondations pieuses que l’on vou­ tale (col. HI). IV. La liturgie occidentale (col. 103). lait des missæ eucharistiales et non des misstr siccir V. Conclusion (col. 109). Après Tinterdlclion d’innocent III de célébrer plus 1. Notions phi';liminahu s. 1° Nom. - Cet acte d’une messe par jour, des prêtres trouvèrent dans la liturgique est appelé, dans le rite romain, m/sso præsanctificatorum, la messe des présanctifiés *. La litur­ missa sicca la satisfaction de leur dévotion. La messe sèche avait deux formes : ou bien le prêtre gie byzantine a la même appellation : ή Oc(x λειτουργία portant l’étole récitait l’épitre, l’évangile, le Pater των προηγιασμένων, la « divine liturgie des présancti­ et la bénédiction, ou bien, dans une forme plus solen­ fiés ». Quelquefois, on la désigne par un seul mot ή nelle, le célébrant, revêtu de tous les ornements, disait προηγιασμένη, qui a été transcrit tel quel en arabe. toute la messe, ù l’exception de la secrète et du canon. L’origine de celte désignation vient du fait que la Quelquefois, on exposait le saint sacrement ou des matière de celle messe est déjà consacrée; les dons reliques et on les élevait au moment où se serait placée présnnctlflés, c’est-à-dire préconsacrés dans une messe la consécration. En France et à Borne, celle messe précédente, sont consommés dans la présente. était encore en usage au xvr siècle; elle sc célébrait La liturgie syriaque pari d’une autre donnée pour en Allemagne même en plein xvir siècle. qualifier cette action. Le célébrant y signe le calice Actuellement, la bénédiction des rameaux (et celle avec une particule préconsacrée, et l'acte de la consi­ gnation du calice désignera toute la cérémonie. Ainsi ; des eaux la veille de l’Épiphnnie) est une missa sicca. dans le rite romain. Il en est de même en Orient pour lit-on : ordo vel anaphora consignationis calicis, aussi bien dans les missels des maronites et des Syriens la cérémonie du couronnement des époux, dans le occidentaux (pie dans les anciens manuscrits Jacobites rite byzantin, et pour quantité de bénédictions dans le et persans. Cf. I faussons, Institutiones titurglcic de riti­ rite maronite. Cf. A. Franz, Die Messe im dcutschcn bus orientalibus, t. n, De missa rituum orientalium. Mittelaller, ITibourg-cn-B.. 1902, p. 78, 81; dom Mar­ Borne, 1930, n. 13, p. 23. lène. De antiquis Ecclesiw ritibus, t. i, I. I, c. in, a. I. 79 PRÉSANCTIFIÉS (MESSE DES). ORIGINE 80 p. 96; M. Andrieu, Immixtio et consecratio, la consécra­ incarcérés pour la foi, avaient un véritable droit au corps du Christ. Des volontaires le leur portaient. Ceux tion par contact dans les documents liturgiques du Moyen Age, Paris, 1921, p. 138 et 110, en note. Ces indications qui prévoyaient qu'une longue absence les empê­ doivent suffire sur la missa sicca, dont nous ne repar­ cherait de s’unir Λ la cène eucharistique emportaient leur provision et ne participaient que de loin à la lerons plus. 3e Définition. — La communion eucharistique qui se synaxe. En 519, Dorothée, évêque de Thcssaloniquc, pratiquait normalement dans la liturgie après < la frac­ fit distribuer la communion à pleines corbeilles : tion du pain » s’isola quelquefois, et cela d'assez bonne Canistra plena, ne imminente persecutione communi­ heure, pour devenir un acte privé. Mais, bien comprise, care non possent. Cf. L. Duchesne, Origines dd culte chré­ elle ne devrait se faire qu’en fonction du saint sacrifice, tien, Paris, 1925, p. 263. La pratique de cette communion privée, très en à quoi fait participer cet acte complémentaire. Cet acte vogue pendant la période des persécutions, fut main­ privé redevint en quelque sorte public quand il fut encadré par les prières de la messe, les jours où l’on ne tenue après 313 pour les monastères qui, souvent, ne possédaient aucun prêtre. Les paroisses rurales, devait pas célébrer la messe ordinaire. Ainsi la messe des présanctifiés n'est qu’une communion solennelle d'autre part, n'étant pas constituées, souvent l’évêque, ou solcnnisée, entourée par toutes les prières de la après l'unique liturgie célébrée dans la cathédrale, envoyait des prêtres et même des diacres porter la part messe, à l’exception de celles qui précèdent ou suivent immédiatement la consécration. L’offertoire sert luidu sacrifice aux absents impotents éparpillés dans la campagne. même d’introduction au Pater. Cf. Andrieu, op. cil., p. 216; Haussons, op. cil., p. 86; F.-E. Brightman, D’abord, la réserve était pratiquée sous les deux Liturgies Eastern and Western, t. î, Eastern liturgies, espèces, puis sous l'espèce du pain après que l’on y Oxford. 189G, p. 586. avait déposé quelques gouttes du précieux sang; mais, II. Origine. — Comme toutes les institutions pour redonner à la cérémonie toute sa forme primitive, vivantes, la messe des présanctifiés eut un dévelop­ on retrempait l’hostie consacrée dans du vin ordinaire, pement progressif. d’où naquit la pratique, fort longtemps en honneur au La loi du progrès est très nette dans les rites de la Moyen Age et que M. Andrieu a si bien étudiée dans liturgie eucharistique. Toutes les liturgies ont été son magistral ouvrage, /mmixtio cl consecratio : la con­ vécues avant d’être écrites. On connaît la date précise sécration par contact dans les documents liturgiques du A laquelle apparaît un rite complet des présanctifiés, Moyen Age, Paris» 1921. mais l’on est réduit à des conjectures concernant Duchesne, op. cil., p. 263. incline à croire que la com­ l'évolution antérieure. Certains auteurs ont voulu faire munion privée et pratiquée à domicile avait un céré­ remonter à l'âge apostolique l’origine de cette messe. monial analogue ù celui de la messe des présanctifiés, Un texte attribué à saint Sophronc de Jérusalem (t 638) mais en petit. C'est-à-dire que toutes les communions en parle comme d'une institution ancienne; aussi se faisaient suivant un formulaire plus ou moins déve­ affirme-t-il qu'on l'attribue tantôt à saint Jacques, loppé; et la messe des présanctifiés ne serait autre frère du Seigneur, tantôt ή saint Pierre, ou à d'autres chose que la solcnnisation de la communion privée. apôtres. Cf. Commentarius lilurgicus, η. 1, P. G., Ainsi, dans l’histoire du vieillard Sérapion, communié t. lxxxvi! c, col. 3981. in extremis, voit-on l'enfant qui apporte l’eucharistie Des auteurs grecs, d'une époque assez tardive, font au mourant, la mouiller; mais l’on ignore la nature du remonter la messe des présanctifiés aux apôtres ou plus liquide employé. Cf. Eusèbe, Hist. cedes., 1. VI, c. xuv. simplement à l’âge apostolique; par exemple, Michel Le rite est déjà plus développé tel que le rapporte Cérulalre (1013-1059), cité dans Allai lus, op. cil., l'auteur de la Vie de sainte Marie Γ Égyptienne· col. 1572; Syméon de Salonique (1129), Desponsiones, (Sophronc de Jerusalem?) A la demande de la pénitente, q. lv, P. G., t. clv, col. 901. Ces deux auteurs appuient Zosime lui apporte la communion ou plutôt le viatique. leur opinion sur le fait que la messe des présanctifiés C'était le jeudi saint; Zosime, vers le soir, à la cène, est spéciale au carême; et le carême serait d'institution prit une hostie et du sang précieux et vint vers la divine ou du moins apostolique. Léon Allatius, pour sainte; elle lui demanda de réciter le symbole; après la arriver au même résultat, part d'un autre argument prière dominicale et Vosculum pacis, elle reçut la sainte qui ne vaut pas mieux que le précédent. La messe des communion : ...Fecit quod ei jussum est : et mittens in modico calice intemerati corporis portionem et pretiosi présanctifiés serait d'institution apostolique, sinon divine, puisqu’elle est une communion avec des prières sanguinis Domini nostri Jesu Christi... Postutauit mu­ à Dieu de nous rendre dignes de participer à son saint lier ut sanctus diceret symbolum et sic dominicam in­ choaret orationem. Et expleto Pater noster, sancta, sicut corps. Et. d’autre part, la communion est pratiquée depuis l’époque apostolique. Cf. Léon Allatius, op. cil., mos est, pacis osculum obtulit seniori; et sic idui fica mys­ teriorum suscipiens dona... Sophronc de Jérusalem. Vila col. 1582. Le P. J.-B. Thibaut, dans un article sur les origines de la messe des présanctifiés, croit trouver Marin' Ægyptla, c. iv, n. 33-35, P. G„ t. exxxvii c, dans le c. ix de la Didachè une analogie avec cette coi. 3720-3721, et P. L., t. lxxiii, coi. 686-687. L'on institution : scs raisons sont l'appellation même du aura remarqué la messe vespérale du jeudi saint. Jus­ pain : on rend grâce pour le pain rompu, περί του qu'à ces derniers siècles, clic était d’usage en Orient κλάσματος. Cf. Échos d'Orient, 1920, p. 13-4 1. Mais la pour les Jours de jeûne. Actuellement, elle se pratique Didachè est trop près des origines pour que l’on puisse encore dans certaines Églises, à l'occasion des grandes vigiles. y découvrir une cérémonie aussi complexe, aussi dérivée que la liturgie des présanctifiés. C'est dans des usages 2° La communion monastique. — L’opinion de d'un autre ordre qu'il faut chercher les origines de cette M. I L-W. Codrlngton sur l'origine de la messe des pré­ sanctifiés revient à peu près à la précédente. action. Ie La communion administrée en dehors de la synaxe. Pour lui, elle serait sortie des monastères et princi­ — Dès le début del'Église, la communion a coexisté palement des colonies érémitiques, dont les membres avec le saint sacrifice; pas de sacrifice sans une parti­ n’étaient pas ordinairement prêtres. Bar Hébræus, cipation active à celui-ci par la communion du célé­ dans son Nomocanon, c. va, sect, x, cite deux canons brant et de ceux qui étalent présents. Mais, très vite, de Jacques d’Ëdesse : Non decet ut stylitæ offerant obla­ on a été obligé de pratiquer la communion en dehors de tionem super columnis suis... Indecens est ut indusi la liturgie eucharistique; les mourants, les absents ofjerant oblationem, nisi ob necessitatem; neque rursus réclamaient leur part du sacrifice. Ceux qui étaient I fus est, ut ponatur sanctum corpus apud slglUas supra 81 PRÉSANCTIFIÉS (MESSE columnam i/ adest qui eis communionem porrigat. Cf. P. Bedjan. Nornocanon Gregorit llar Hebrtei. ParisLeipzig, 1898. p. 112; A. Mai. Scriptorum veterum nova collectio, t. x b, Rome. 1838, p. 58. Défense est faite aux stylites cl anachorètes de · célébrer », mais on prévoit les cas où ils peuvent communier. El. de fait, saint Basile (329-379), dans sa lellrc xcni, P. G., t. xxxii. col, 481-185. parle de la communion fréquente dans les monastères; il dit que lui el ses moines communient quatre fols la semaine, les diman­ che. mercredi, vendredi cl samedi, sans compter les fêtes. Comme on recevait le pain eucharistique dans la main A la lin de la liturgie, on pouvait tout consommer ou bien en réserver une part pour un autre moment en dehors de la liturgie Celte réception se faisait-elle avec quelque cérémonie? i es textes anciens ne permettent pas de réponse. Mais Ί héodore le Studitc (vnr s.) donne de plus amples explications; après avoir rappelé le principe que seuls les prêtres et les diacres peuvent toucher l'eucha­ ristie. il explique comment l'on couvrait la Bible d’une pièce de lin ou d’un voile sacré, el comment sur cet autel improvisé ou disposait l’eucharistie. Après la réci­ tation des hymnes, on recevait la sainte réserve; puis le communiant devait faire l’ablution de sa bouche avec du vin. Cf. Epis!., 1. Il, n. ce ix. § 4. P.G., t. xctx, col. 1661. M. Codrington en conclut que l’institution de la messe des présanctifiés remonte au νι· siècle. En tout état de cause, les auteurs jacobitcs sont unanimes à attribuer l’introduction de ce rite à Sévère d’Antioche (déposé en 518. t en 538). Cf. M. H.-XV. Codrington, dans Journal of theological studies,\..v, 1901. p. 373-375. Quelque opinion que l’on suive, l’on revient toujours au fait que la messe des présanctifiés n'est qu’une com­ munion solcnniséc. Peut-être au début toute com­ munion, même privée, était-elle précédée de la récita­ tion du Pater. La liturgie de Syrie en parle dès le Ier siècle. Cf. Didachè, c. ix. C’est la préparation par excellence A la réception du corps du Seigneur. D’autre part, la messe, liturgie joyeuse, ne cadrait guère avec les jours de jeûne, les jours de « station · et surtout avec lejourdu vendredi saint. Innocent Ier (401417) écrit A Décenlius qu’il est de tradition apostolique de ne pas · célébrer » les deux derniers jours de la grande semaine ut traditio Ecclesia- habeat isto biduo sacramenta penitus non celebrari. Epist., xxxv, Ad Decentium, c. iv, n. 7, P. L., t. xx. coi. 555-556. A Alexandrie, on ne · célébrait » pas le mercredi cl le vendredi, on récitait simplement des hymnes, les docteurs interprétaient les lectures qu’on venait de faire cl, probablement, l’on communiait, puisqu’on faisait toute la liturgie, à l’exception de la consécra­ tion. Pr&terea Alexandria' quarta ferla et ea qua? dicitur parasceue, teguntur seriplu ne casque doctores interpre­ tantur cl cuncta qux ad synaxim spectant adminis­ trantur, prater mysteriorum consecrationem. Socrates, Hist, reel., I. V. c. xxiî, P. G., t. i.xvn, col. 637. Pour Socrates, cette pratique remonte assez haut dans la tradition et même jusqu’au temps d’Origène (185-254). Traitant le même sujet. Tcrtullien (160-240) constate les scrupules de certains fidèles A communier les jours de station, mais il ne dit pas que le sacrifice n’ait pas Heu ces jours-là : Similiter et stationum diebus non putant plerique sacrificiorum orationibus intervenien­ dum, quod statio solvenda sil, accepto corpore Domini. Ergo denotum Deo obsequium eucharistia resolvit? An magis Deo obligat? Nonne solemnior erit statio tua si et ad aram Dei steteris? Accepto corpore Domini et reser­ vata, utrumque salvum est, et participatio sacrificii et exeeulio officii..· De oratione, c. xix, P. L., t. i, coi. 1181-1183. 3° La messe des prtsanct i fiés, rite particulier. — SI la plupart des auteurs cherchent l’origine de la messe des DES). ORIGINE 82 présanctifiés dans la modification du rite de la com­ munion. le P. J.-B. Thibaut la trouve dans un fait particulier, dans la messe vespérale du Jeudi saint. Il écrit : · La messe des présanctifiés correspond à une modification particulière introduite dans l’ordonnance de la seconde oblation célébrée au iv* siècle, a Jérusa­ lem, au soir du jeudi saint. Cette oblation suivie d’une communion générale des fidèles s’accomplissait par exception une fois l’an dans le sanctuaire de la SainteCroix, post crucem. » Monuments..., p. 23. A la page suivante, il précise davantage la date el il écrit : « Le fait que la liturgie des présanctifiés ne se trouve pas pratiquée chez certains peuples de l’Oricnl indique que son institution doit être reportée après le concile de Chalcédoine (451). » Celle remarque est contestable, mais elle laisse sub­ sister la théorie générale qui revient A ceci. On con­ state. dès la fin du iv· siècle. A Jérusalem el ailleurs, la célébrai ion. le jeudi saint, d’une double messe, l’une le matin, l’autre dans lu soirée. Cette messe vespérale du jeudi saint, à Jérusalem et ailleurs, avait pour but de commémorer l’anniversaire de l’institution de l’eucharistie. Le concile de Car­ thage de 397. dans son can. 29 (28), en parle, de même que saint Augustin dans sa lellrc i iv Ad Januarium, r. vu, P. L., t. xxxiii, col. 2(11. Les fidèles commu­ niaient tous, et après avoir mangé, comme les apôtres à la dernière cène. Or ce rite semble avoir été modifié au vj* siècle. La communion générale fut transférée au lendemain, vendredi saint, jour aliturgique dès l’ori­ gine. Cf. texte d'innocent Ier. ci-dessus, col. 81. Ce qui donne de la valeur A cette théorie, c’est qu’en même temps qu’apparalt la messe des présanctifiés, le vendredi saint, la messe vespérale du jeudi suint dis­ paraît. Cf. Thibaut. Monuments..., p. 23-24; Échos d'Orient. I. xix. 1920, p. 39-40. Cependant, à l’abbayc de Saint-Rémy, on rencontre au vin· siècle et la messe vespérale du jeudi saint et celle des présanctifiés le vendredi. Cf. CI. Chevalier, Socramentaire et martyrologe de l'abbaye de SaintPtmy, Paris. 1900. p. 326 sq. Si le P. Thibaut argumente pour une origine syrienne et plus particulièrement hiérosolymilainc de la messe des présanctifiés, M. Andrieu y voit une créa­ tion de la liturgie byzantine. Cf. Andrieu.op. d/.,p. 196. Quoi qu’il en soit de la question du lieu où parurent tout d’abord les premiers linéaments de cette insti­ tution. il reste hors de doute que le motif de sa créa­ tion est un besoin de solcnniscr le rite de la communion les Jours de jeûne. On peut dire que. d’un côté, la messe ne pouvait être célébrée les jours de jeûne A cause de la tristesse, rt surtout le vendredi saint A cause du grand deuil, les deux notes de joie et de tristesse dans la mortiflcnlion ne pouvant s’accorder; d’autre part, les chrétiens ne voulaient pas s’exclure, ces mêmes jours, de la parti­ cipation au corps du Christ; peu A peu, la communion privée de ces jours-lâ se développa dans scs formules comme la liturgie de la messe elle-même, el prit enfin allure de messe. 4° Premières attestations précises. — Nous les trou­ vons dans le Nomocanon de Bar Hébræus. c. iv, sect. vin. dont un texte complet a été publié par Codrington. Journal.... t. v. p. 370 (la traduction latine est prise A l’ouvrage de M. Andrieu, p. 229). Causa necessitatis consignationis calicis. Res In ecclesia sic sc habuerunt : cum canones præscribunt ut oblittio in jejunio magno cesset, fideles a bento mar Severo petierunt ut communicarentur. Ipse nutem, ut modlcu* sapiens, cano­ nes transgredi noluit, neque ndellurn preces renellerc; sta­ tuit ut relinquerent nlicpiid ex oblatione qutv dic dominica perfecta fuerat, nb ejique sumerent. Cum nutem oblatio absque calice, qui eum concoimtetur, deficiens est, et, si ex 83 PRÉSANCTIFIÉS MESSE DES. RITE JACOBITE 84 le cnn. 51 qui défend de célébrer les anniversaires des martyrs en carême sauf les samedis et les dimanches En effet, ces fêtes sont intimement liées à la messe. Cf. Mansi, Concit., t. π. col. 571 sq.; I lefele-Lcclercq, op. cil., t. I, p. 1021-1022. Le concile in Trullo (692) est en fait le premier texte conciliaire et législatif que nous connaissions, traitant cette matière, in omnibus sane· La ceremonie se complique de la consignation du tir quadragesima jejunii diebus, pneterquam sabbato calicepourque l'on ait les deux espèces an moment de la ctdominica et sancto Annuntiationis die flat sacrum pnrcommunlon.alors qu’il est difficile de les réserver toutes sanctificatorum mysterium. Can. 52, Mansi, up. cil., t. xr, deux, ct de retrouver l’espèce du vin dans les gouttes col. 967-968; Hefcle-Leclercq, op. rit., t. nr, p. 569. posées sur le saint corps dans l’intinction. Si l’on se lie 6° Consignation du calice ct messe des présanctiflés. a ce récit, l'institution de la messe des présanctiflés Bien que les liturgies syriaques confondent sous un aurait eu lieu en Syrie entre 511 ct 5LS, car Sévère, élu même nom les deux institutions, on doit pourtant bien par les jacobiles en 511, fut déposé en 518 ct vécut jus­ les différencier. Comme cérémonie privée, la consigna­ qu’en 538. La même année 538, mourut Jean de Telia, tion du calice remonte peut-être très haut. On a vu de qui nous possédons quelques canons sur la consi- I un certain nombre d’exemples dans lesquels la com­ gnat ion du calice. Cf. Th.-J. Lamy, Dissertatio de. Syro· I munion donnée en viatique ou bien en dehors de la rum fide ct disciplina in re eucharistica, Louvain, 1859, messe était entourée de certaines cérémonies; on a p. 71-79. vu aussi que peu à peu on a été amené à ne plus réser­ Après cette mention faite par Bar I lébræus de l’insti­ ver le précieux sang à cause des nombreux inconvé­ tut ion de la messe des présanctiflés,ou plus exactement nients que présentait celte réserve. Comme on voulait de la consignation du calice, on trouve dans le Chronicon néanmoins avoir les deux espèces, on imagina de < con­ paschale la première mention d'une messe des présanc- , signer » le calice contenant du vin ordinaire en y tiflés célébrée, ct cela cent ans exactement après ! mettant une parcelle de l’hostie consacrée. Des formu­ Sévère, en 617. L'auteur précise davantage ct affirme 1 laires de cette cérémonie nous sont parvenus ainsi que que c’est dans la première semaine du jeûne; il ajoute de nombreuses prescriptions, qui y sont relatives. La que ces hymnes et ces chants ne se disent pas seule­ messe des présanctiflés, avec son rituel bien déterminé, ment durant le carême, mais aussi les autres jours, alors est autre chose; mais il n’est pas toujours facile de que se célèbre la messe des présanctifiés; par consé­ démêler les textes qui se rapportent à l'une ct à l'autre quent, elle se célébrait ct en carême ct en dehors du cérémonie. carême. La première a pu coexister avec la seconde et peutêtre l’une procèdc-t-ellc de l’autre. En d’autres termes, Hoc anno sub Sergio patriarcha constantinopolituno n prima jejuniorum hebdomade indictionis IV, cœpit psalli Sévère n’aurait fait que généraliser et rendre publique post illud · Dirigatur », quando pnesanctiflcnta dona in une cérémonie privée. altare ex sccvophylaclo inferuntur, postquam dixit pontifex Dans cette hypothèse, l'origine de cette institution • juxta donum Christi tui », statim incipit populus : · nunc serait la Syrie, d'où elle a été transportée à Byzance. virtutes caelorum nobiscum invisibilités adorant. Ecce C'est là qu’elle a eu son plein épanouissement cl qu’elle Ingreditur rex glori». Ecce sacri licium mysticum perfee turn a pris son cachet proprement byzantin. Nous allons en solemn! pompa affertur, in Ude et tremore accedamus, ut suivre les développements. participes efficiamur viUe irtema». Alleluia. » I loc non solum in jejuniis pnesancti fica torum canitur sed et aliis pneterca (Pour les distinctions des liturgies et rites différents, diebus quotiescumque pnesanctiflcnta fiunt. Corpus scripvoir ici l'art. Oiuentale (Messe), t.xi, col. 1 135-1139. | lorum historia- byzantine : Chronicon paschale, éd. L. Din11L La liturgie oiuentale. — Tous les liturgistes dorf, t. J, p. 705-706; reproduit dans P. G., t. xcn. coi. 989. sont d’accord pour trouver dans la liturgie orientale Parmi les hymnes chantées, les t. 2-1 du ps. cxi.. l’origine de la messe des présanctiflés. Dirigatur, figurent encore actuellement dans les rites Les uns croient que c’est une liturgie proprement byzantin ct romain. La grande entrée est bien men­ byzantine, les autres y voient plutôt une liturgie tionnée avec son chant spécial dit par le peuple : Nune syrienne dans son origine et byzantine dans son déve­ loppement. En fait, le rite syrien nous donne une oirlutes calorum, etc. On voit bien que l’on est déjà en face d’un rite en plein épanouissement ct qui a de­ liturgie qui est arrivée à sa pleine maturité dans Γ Église de Constantinople, alors que le rite alexandrin mandé une certaine période d'évolution pour arriver à ne nous montre que des rudiments de ce rite. Après ce stade de perfectionnement. Cent ans ne sont pas de avoir étudié le rite de la consignation du calice dans trop. L’affirmation de Bar 1 lébræus paraît donc bien les Églises Jacobite, persane ct maronite, la liturgie des fondée, et l’on reviendrait au moins à 517 pour voir présanctiflés dans les rites byzantin et arménien, nous commencer ce rite. Toutefois, il est très possible que son origine soit plus ancienne. i ne consacrerons que quelques mots à la liturgie Dans le texte latin des deux éditions citées, le fait d’Alexandrie. Nous aurons à distinguer, quand le cas se présentera, est rapporté à 615. Brightman, op. cit., p. xcm et Mgr Bahmani, Les liturgies orientales et occidentales. le rite privé et la liturgie publiques 1° Dans le rile jacobite. — 1. Le rite prior. — On a Beyrouth, 1929, reproduisent la même erreur. Le texte vu plus haut que la messe des présanctiflés, ou la con­ grec porte la date de 615 et Pargoire le suit dans son signation du calice, comme l'appellent toutes les litur­ Église byzantine, Paris, 1905, p. 341. De fait, la date 617 (IM n I gies syriaques, vient de la communion en dehors de la messe. En Syrie, les moines, surtout quand ils étaient 5e Données fournies par la législation. — Bésumonsstyliles ou ermites, se donnaient la sainte communion. les sommairement. Le concile de Laodlcée (iv· siècle) Voiries textes de saint Basile, ci-dessus, col. 81, de fait défense aux sous-diacres de donner le pain ct de bénir le calice; ne s'aglt-il pas de la consignation puis­ Théodore le Studite, col. 81, de Sophrone de Jéru­ que le texte parle de la communion? Cf. licfelesalem, col. 79, de Jacques d’Édcsse, col. 80. CeluiLcclcrcq, Histoire des conciles, t. i, p. 1013; Andricu. ci ajoute : * Les ermites prêtres peuvent consigner le calice pour eux-mêmes ou pour les autres. Le célébrant op. cil., p. 218. Le can. 49 de ce même concile interdit de célébrer la messe en carême, à part le samedi cl dira alors les prières d’usage, en entier ou en partie, ou le dimanche; Hcfele voit Ici la messe des présancti­ bien s'inspirera des circonstances; Il peut aussi garder flés, alors que le texte est négatif seulement, comme le silence. » calice dici dominlæ aliquid relinquunt, dillicii!ter conser­ atur, aut forsitan corrumpitur, sic ordinaverunt : calicem nempe, quando volunt, consignent ex oblatione quæ perfecta fuit, quemadmodum supra statutum est; oblatio vero qua· remansit culice dic dominica consecrato consignata sit, at calbc iste carbone ( particula) ex ipsa sumpto consignetur, ct corpus r shoe culice secunda vice non amplius consignetur. 85 PRÉSANCTIFIÉS (MESSE Ainsi la communion extra missam, entourée d'une solennité plus grande ct encadrée de prières parmi lesquelles ligure toujours le Pater, est une cérémonie d’origine syrienne. Maison est loin encore de la messe des présanctiflés cjul a un cérémonial propre et se célèbre à époque déterminée. Cette cérémonie d’ordre privé, et qui est appelée consignation du calice, a reçu quelques réglementations. Bar 1 lébræus (1226-1286) bd consacre dans son Nomocanon, ou < Livre des direc­ tions », la section vm du c. iv. Le texte original est à chercher dansBedjan, Nomocanon Gregorii Par Hebnri, Paris-Leipzig, 1898. Jos.-Al. Assémani en avait fait une traduction latine sous ce titre Ecclesiœ Antiochemc Syrorum Nomocanon, elle a été publiée par A. Mai. dans Scriptorum veterum nova collectio, l. x b, Rome, 1838, p. 3-268. M. II.-W. Codrington a donné un texte nouveau de la partie qui nous intéresse, avec trois dissertations : The syrlan liturgies of the presanc· lifted, dans Journ. of lheol. studies, t. iv, 1903, p. 69-82; t. v, 190 1. p. 369-377, 535-515. A l’origine, on réservait le calice pour la communion des malades et de ceux qui jeûnaient, mais cette réserve ne pouvait être gardée que jusqu’au soir, jamais jusqu’au lendemain, de peur que l’espèce du vin ne sc corrompit. D’ailleurs, ajoute Jacques d’Édcsse (t 708), on a tout loisir de consigner le calice quand on possède le saint corps : Cum enim sacrum Corpus aderit pronum est ci calicem consignare, et si voluerit homo ter una hebdomada, cum vocant causæ necessaria. Nomo· canon, c. iv. sect, vin, Mai, op. cit., p. 27; Bedjan, op. cit., p. 50-51 ; Lamy, op. cit., p. 191. Cette consignation du calice dont parle l’évêque d’Édcsse est une cérémonie privée ressemblant à notre communion extra missam, pouvant s’accomplir sans aucun cérémonial ni formule de prière. Il n’est pas nécessaire qui sc présente une solennité quelconque, un motif raisonnable suffît pour consigner le calice, même trois fois par semaine, pourvu qu’on ait la sainte réserve du corps. Cf. ibid. Voici un cas de conscience posé à Jean Bar Cursus, évêque de Telia (t 538) qui éclaire la question. Q. xx : Discipulus : « S/ guis oblationem sumpserit caliccmque ministraverit, an urgente necessitate, calicem postea consignare potest? · — Magister : · Si calicem tantum ministraverit et postea necessarium sil calicem consignare, ft del is est Deus ut absque culpa sit; sed hoc ad consuetudinem non fiat. » Lamy, op. cit., p. 77. Par conséquent, si besoin est, on peut consigner le calice; on a, par ailleurs, des hosties consacrées, sans précieux sang. Dans ce cas, il est interdit au prêtre de distribuer le saint corps sans le calice. Sacerdos autem non potest sine calice, corpore solum, communicare. Cf. Nomocanon, c. iv, sect, v, Maï, op. cit., p. 24; Dcdjan, op. cil., p. 15. Le cas de nécessité est précisé par le patriarche Théodoso (t 896) : si l’on offre du pain de sacrifice et du vin ct qu’on n’ait pas besoin d’offrir le sacrifice, alors on prend un peu de vin et le prêtre le consigne avec une hostie consacrée, et cela peut servir à la com­ munion de ceux qui ont fait l’offrande. Mais il est absolument interdit de mêler les xata consacrées aux non consacrées. Cf. Nomocanon, c. iv, sect, i, Maï, op.cit., p. 20; Bedjan. op. cit., p. 36-37. (On appelait xata le pain spécialement préparé pour la liturgie.) Le patriarche Théodose précité autorise le diacre à consigner le calice en l’absence du prêtre. Ct. ibid. Jacques d’Édcsse lui avait concédé ce droit, mais alors le diacre ne pouvait prononcer aucune formule, il devait garder le silence : Diacono recitare orationem ali­ quam aut quippiani omnino dicere, sive parvum sive magnum non licet, quando consignet calicem. Cf. Bedjan, op. cit., p. 51; Mal, op. cit., p. 27. Un autre pro­ blème est soulevé par Addée, le disciple de Jacques; DES). RITE JACOBITE 86 puisque les diacres sont autorisés, les diaconesses le sont-elles? Le maître répond que non, puisqu'elles sont des diaconesses non pas de l’autel, mais des femmes malades. Cependant, un peu plus loin, il dit que les diaconesses peuvent distribuer la communion aux moniales et aux enfants dans les monastères de femmes en l’absence du prêtre et du diacre. Cf. Lamy, op. cit.,p. 124-126. Par ailleurs, défense est faite à tous ceux qui ne sont pas prêtres ou diacres de distribuer la sainte com­ munion. Nomocanon, c. vu, sect, x; cf. Bedjan, op. cit., p. 110; Maï, op. cit., p. 57. Le concile de Laodicéc (iv* siècle) avait déjà interdit aux sous-diacres de don ner le pain (consacré) ct de bénir le calice. CL HefeleLeclcrcq. op. cit., t. 1, p. 1013. * Le disciple de Jean Bar Cursus, évêque de Telia (t 538) demande à son maître s’il est permis de oensigner le calice, en cas d’une grande nécessité, sans la tabula consecrata, et le maître de répondre qu'il n'y a pas à hésiter. Q. xiv : Discipulus : « Si adsil nécessita* urgens, an /as est absque tabula consecrata consignare quis calicem? » — Magister : Si deficiat altare et ne cesse sit consecrari calicem, consignetur (calix) sine hasitatione, atque absque altari. » Lamy. op. cit., p. 72-75, 192. Pour bien comprendre cette question ct le mot tabula, on doit remarquer que l’Églisc syriaque se sert normalement d’une pièce de bois carrée consa­ crée, en guise d’autel. Cette tabula ne contient pas de reliques, comme la pierre consacrée de l’Églisc latine. D’ailleurs, il n'est pas surprenant de voir l’évêque Jean permetire la consignation du calice, sine tabula conse­ crata, puisque l’Églisc jacobitc permet même la célé­ bration de la messe en cas de nécessité et de manque de tabula, sur un feuillet de l’Évangilc ou du missel ou bien encore sur la main du diacre transformée en tabula. Ou bien encore le prêtre s’attache un voile au cou ct y place le calice ct la patène. Cf. Lamy, op. cil., p. 229, qui renvoie à Nomocanon, c. r, sect. iv. Celle cérémonie, puisqu’elle est un acte privé, ne comporte aucune formule obligatoire. Le diacre ne peut même pas dire un mol, on l’a vu; quant au prêtre, il est libre de dire une prière inspirée par les circons­ tances. ou bien la prière d’usage, en tout ou en partie; il peut aussi ne rien dire. Cela suppose que l’on possé­ dait une formule. De fait. M. Georg Graf en a signale une en langue arabe dans VOriens chrislianus, nouv. sér., t. vi, 1916, p. 44-18: Konsekration ausserhalb der Messe. Ein arabisches Gebelsjormular mitgcteilt und lilurgiegeschichtlich crlaMcrt. M. Graf a trouvé ce texte dans un ms. arabe du xv siècle (cod. Rerolin. Syr.. 317) il porte le titre de Oratio pro oblatione quit antea . consecrata est. L’Églisc melchllc l’avait encore au xvir siècle. C’est une sorte d’épiclèsc adressée au Fils, et le priant d’envoyer son Saint-Esprit sur le calice, pour le transformer en son sang à cause du corps pré­ consacré, afin qu’il sanctifie les communiants, corps et Ame. Le but de ce rite est bien de distribuer la communion complète, alors que le calice ne contient plus le précieux sang. Le célébrant de cette cérémonie consigne donc le calice, non pas pour sa propre communion, mais pour la distribuer aux autres, quels qu’ils soient : malades, ermites voisins, donateurs de xata. Le célébrant doit nécessairement consommer le reste avec la margarita qui a servi à la consignation ct qui devait rester dans le calice jusqu’après les communions. C’est la réponse > Nature de la messe des présancti fiés. Les hono­ raires. Γη problème théologique peut sc poser A propos de cette liturgie. Ί a-t-il ici vrai sacri Hcc ? Pour les théologiens catholiques contemporains, la réponse est claire : l’essence du .sacrifice est dans la consécration, quelque théorie qu'on suive; ceux-là même qui voient l’essentiel du sacrifice dans l'obla­ tion, n'admettent pourtant pas d’oblation en dehors de la consécration. Les deux artes, pour eux. se confondent. Le problème a été soulevé dans l’Église byzantine, à propos des honoraires des messes. Le prêtre a-t-il le droit de satisfaire A l’obligation d’une messe par la célébration de la liturgie des présanclillés ? Peut-il recevoir des honoraires à cette occasion ? Le synode de Carcafé de 1806, can. 13. n. 3. l’y auto­ rise et en donne la raison ; il ne manque rien à ce rite pour être un vrai sacrifice : oblation et consommation; par conséquent, tous les fruits de la rédemption y sont applicables. Texte dans Mansi. Concit:, l. χιλι. col. 739. Mais Grégoire XVI condamna ce synode le IC» septembre 1835. Ibid., col. 875. Γη mois plus lard, le patriarche grec melchite, Mgr Mazloum. le condamna lui aussi, alors qu’autrefols il en avait été le secrétaire. Ibid., col. 973. La même année se tint le synode d'AinTraz qui autorisa dans son can. 3 les prêtres à recevoir des honoraires pour la messe des présanctifiés, qu’il fait équivaloir aux autres offices et services funebres, pourvu, toutefois, que le donateur soit mis au courant ; et. d’ailleurs, celte liturgie continet aliquid essentiale quod essentiale est in missa integra et jure merito repu· futur bonum esse illam Deo ofjcrrc pro vivis et mortuis. Cf. Mansi, ibid., col. 985. En 1819. le même patriarche. Mgr Mazloum. réunit un synode A Jérusalem et. sans parler celte fois-ci de la théorie d’un vrai sacrifice dans la messe des pré­ sanctifiés, déclara cependant qu’en pratique on peut satisfaire A l’honoraire d’une messe par une messe des présanctlfiés. Cf. Mansi, ibid., col. 1033 sq. Mais le Saint-Siège condamna également ce synode. Γη nouveau synode d’Aïn-Traz, réuni en 1909, défend tout honoraire A moins que le donateur ne le sache, et n’y consente : lucc missa enim non est sacrificium sed oblatio; sacrificium autem in pnreedenti missa fuit per­ lectum. cité par Haussent. Institutiones liturgie# de ritibus orientalibus, t. n. Home. 1930. p. 110. Les Bulhènes défendent de recevoir aucun hono­ raire pour la messe des présanclillés. Cf. Acta et decreta synodi Huthenorum Leopolensis anno 1391 habit#. Home, 1896, p. 12. et Dr M. Busznak. A. Keleti Egyhaz Mlsél, p. 11 1-117. Le synode d'Allni-Julia de 1900 des Boumains catholiques observe que celte liturgie n’est pas un sacrifice, que, par conséquent, ses fruits ne sont pas applicables, comme ceux des liturgies de sainl Jean ( hrysoslomc cl de saint Basile, qu'on ne peut donc pas recevoir un honoraire pour la liturgie des présancI illés. Cf. Concilium provinciale tertium provincia? ecclesiastic# graco-calholic# Alba-Juliensts cl Fogarasiensis celebratum, Alba-Jullû, 1900, p. 89. 99-101. c ) .lour de la messe des présanctifiés. Puisque celle liturgie est pratiquée depuis très longtemps et dans l»!CT. DE Tllé.oi . (’ATHOL. 98 des pays vivant sous des législations ecclésiastiques différentes, on ne saurait donner une loi générale sans la faire suivre de multiples exceptions. Le can. 52 du concile in Trullo de 692 prescrit de célébrer la messe des présanctlfiés tons les jours du jeûne quadragesimal. A l’exception des samedis et di manches cl de la fête de l'Annonciation (25 mars). Cf. Mansi, op. cil., t. xi, col. 9G7 sq. Déjà le Chronicon paschale suppose qu'on célèbre cette liturgie en dehors du carême. Cf. P. G., t. xcn, col. 989. Le patriarche de Constantinople, Nicéphore (806-815), écrit dans ses Capitula de variis argumentis, n. 8. que cette liturgie esl pratiquée trois fois toutes les semaines du carême. Puis il ajoute qu’auparnvanl elle était d usage tous les vendredis et mercredis de l’année et le 1 I septembre. Cf. J .-B. Pltra. op. cil., t. h, p. 321. Actuellement, on ne célèbre celle liturgie que les mer­ credis et vendredis du carême, le lundi, le mardi et le mercredi saints, aux fêtes de saint Charalampc (LO février), de l’invention du chef de sainl Jean-Baptiste (2 I février), des quarante martyrs (9 mars) et à la vigile de l’Annonciation (21 mars). A moins que toutes ces fêtes ne tombent le samedi ou le dimanche, auquel cas on dit la messe ordinaire. M. C(yrille) K(orolevsky) écrit dans le Studion. t. î. Home, 1923, p. 20-27, que l’Eglisc orthodoxe tient toujours à l’ancienne pratique de la messe des présanc litlés, les jours de jeûne, comme le prescrit le concile in Trullo. II semble pourtant que les orthodoxes aussi bien que les catholiques, ne célèbrent cette messe que deux fols la semaine. Cf. Max de Saxe, Praelectiones de ritibus orientalibus, Fribourg. 1913-1918. t. r. p. 89. 179. 182. 185; l n. p. 293-294; c’est ce que confir­ ment nos informations particulières prises auprès des orthodoxes hellènes, roumains et syriens. Les autres jours : lundis, mardis cl jeudis du carême, sont en général des jours alilurglqucs chez les orthodoxes et même chez les catholiques de Gulicic. Les Bulhènes peuvent toujours célébrer la messe normale au Heu de celle des présam tilles si les prêtres n’ont pas charge d ames. S’ils sont curés, ils peuvent le faire les lundis, mardis et jeudis du grand carême avec l’autorisation de l’ordinaire. Cf. synode de Lcopol de 1891. p. 37. Le synode roumain de 1900 dit simplement qu’il n’est pas permis de célébrer une liturgie à la place d’une autre, par exemple la liturgie de saint Jean Chrysostome A la place de celle des présanctifiés. (*.f. svnode d'Alba-Julh de 1900. p. 89» Vn décret du Saint-Office du 13 avril 1695 et un autre de la Congrégation de la Propagande du 8 juil­ let 1729. prescrivent aux Grecs melchites de Syrie d’observer leur liturgie en ne célébrant que les samedis cl dimanches du carême. Même précepte imposé par Benoit \1\ dans scs lettres Demandatum (21 décem­ bre 1713). § 8. et Decretalem nostram (10 mars 1716). Le synode d’\m-Traz de 1835. can. 3, n’autorise celle permutation de liturgie qu’avec l’autorisation de l'évêque. Cf. Collectio Laccnsis, t. it. col. 582. Le synode de Carcafé de 1806 (condamné) l’avait autori­ sée, ainsi que celui de Jérusalem de 1849 (non approu­ vé). Cf. Mansi, op. cil., I. xi vi, col. 710, 98G et 1033. Benoit Xl\ avait concédé celle faveur aux ItaloGrccs par sa lettre Etsi pastoralis (26 mai 1712), § G. n. IG. Cf. Collectio Laccnsis, t. il, col. 513. Il y a eu un moment où la liturgie des présanctifiés fut célébrée le mercredi et le vendredi de la semaine de la tyrophagie. Au xv« siècle, Syméon de Salonique nous en donne un précieux témoignage. Cf. P. (L, l. ci v. col. 899-901. Allatius, en 1653. donne la chose comme existant au Mont-Athos et A Constantinople. Cf. Alla lins. Missa pnrsunctificatorum, n. 20, col. 1595-1597. Cette coutume n’est pas primitive puisque le Chronicon paschale dit qu'on commence A célébrer la liturgie des T. XIII — L 99 P HÉSANOTIFIÉS (M ESSE pr&ancllflés la première semaine du jeûne. Cf. /’. G., t. xcn, col. 989. Cependant, deux cents ans plus lard, j sous Nicéphore de Constantinople (806-815), elle était en usage la semaine de la tyrophagic et même tous les mercredis et vendredis de l’année ainsi que le 11 sep­ tembre. avant le patriarche Nicéphore. Cf. J.-B. Pilra. op. cit., p. 321, 331. Jean Damascene écrit dans son traite De sacris jejuniis, η. 5, que celle liturgie était célébrée tous les jours de carême, excepté les samedis et dimanches et la semaine de la xérophagie (notre semaine sainte). Cf. P. G., t. xcv, col. 69. Cependant, autrefois,elle était célébrée le vendredi saint. I n Kano· narion de Jérusalem du vu* siècle, dans une version géorgienne, ne marque la lit urgie des présanct illés (pie pour le vendredi saint. Les Eglises de langue slave ont abandonné cet usage au xm* siècle, et celle de Con­ stantinople au xix*·. Cf. Échos d'Orient, t. xix, 1920, p. 11. et J.-B. Thibaut. Monuments.... p. 21-21. Dans sa 5t? réponse, P. G., I. clv, col. 901-907, Syméon de Salonique constate que cet usage, tombé dans les autres Eglises, reste en vigueur chez lui. Que faire si le vendredi saint tombe le 25 mars, fête de l’Annonciation ? Le Typicon de Constantinople de 1871, p. 118 sq., dit que Ton transfère la fête de l'Annonciation au jour de Pâques. Mais le Typicon monastique ne change rien et laisse la fête le vendredi saint. Cf. Nillcs, Kalendarium, t. n, p. 252 sq. Ancien­ nement, d’après le prince Max de Saxe, op. cit., t. i, p. 89, on célébrait la messe de saint Jean Chrysostome, le soir du 25 mars, meme si ce jour coïncidait avec le vendredi saint; les moines schismatiques continuent cette tradition, les autres Eglises orthodoxes trans­ fèrent la fête au jour de Pâques. Cf. Allalius, up. cil., n. 20, col. 1598. D’après le Typicon de l’EglIse melchitc de Syrie, on doit célébrer ce jour la liturgie normale. En 1921, les Grecs catholiques d’Alcp ont célébré la messe le matin du vendredi saint, fêlant ainsi l’Annonciation, et ils célébrèrent la mort du Sauveur l’après-midi. En 1932, le métropolite grec-calholique de Beyrouth a interdit la célébration de la fête de l’Annonciation, le 25 mars, la transférant au mardi de Pâques; c’était aller contre toute la tradition. Aujourd’hui, aucune liturgie n’est célébrée le ven­ dredi saint dans les églises catholiques du rite by­ zantin. d) Heure. - La messe des présanct i liés se célèbre de nos jours avant midi, vers les 10 ou 11 heures; elle est cependant, en droit, une liturgie vespérale. Cf. Max de Saxe, op. cit., t. n. p. 293-291. Même actuellement, avant midi, elle fait suite à la récitation des vêpres, c’est donc bien une communion du carême rattachée à cet office. Cf. Goar, op. cil., p. 177, citant le ms. Rarberinus. Le jeûne était strict en Orient jusqu’à trois heures de l’après-midi. On ne voulait pas le rompre même par la réception de l’eucharistie. Il en était de même au xi· siècle, selon Nicélas, ('.outra latinos, c. xiv, P. G., t. exx, col. KH 8 sq., cl au xv* siècle, selon Syméon de Salonique (t 1 129), De sacra precatione, n. 352-356, P. G., t. clv. col. 619660, et 901. En 1897. d’après Nillcs, la coutume était encore de célébrer après 3 heures de l’après-midi. Cf. Nillcs, Kalendarium manuale utriusquiv Ecclesia*, t. n, Inspruck, p. 252. En avançant Jusqu’avant midi la liturgie des présanctiflés, ΓEglise byzantine a fait avancer aussi vêpres. L’Eglise romaine en fait autant puisque, actuelle­ ment, cette liturgie est encadrée par l'office de none et celui de vêpres. e) Réserve. — A la messe du dimanche, le célébrant découpe autant d’àrrA qu’il y aura de messes des présanctiliés la semaine suivante. Il prépare chacun avec les mêmes prières et les mêmes gestes que Γίμνός DES). RITE BYZANTIN I 09 qu’il va consommer ce Jour-là. A l’élévation, il les élève tous et, à la lin, il y fait l’intinction. c’est-à-dire qu’avec la cuillère trempée dans le précieux sang il trace une croix sur chacun. Puis, il les réserve pour les jours suivants dans Varlophorion. Manuel Fr Charitopoulos (1215-1222) menace de suspense 1rs prêtres négligents qui laisseraient les chiens ou les rats manger les présanctiliés. Cf. P. G., t. cxi.x, col. 810 sq. A la grande entrée de la messe des présanctifiés, le célébrant va à la prothèse prendre une de ces hosties avec un calice préparé comme pour une messe ordi­ naire avec du vin mélangé d’un peu d’eau. Ceci n’a pas toujours été pratiqué. A l’origine, on réservait le calice du précieux sang avec les αμνοί. En elîet, le prêtre fait mention souvent du précieux sang en même temps que du saint corps. Dans la seconde prière des tidèles il dit : < Voici le corps et le sang du Sauveur (pii s’avancent vers l’autel escortés de l’invisible multitude des anges. » Avant la fraction, le célébrant adresse cette demande au Sauveur : Fais-nous la grâce (pie d · ta main toute-puissante, ton corps immaculé et ton précieux sang nous soient donnés et, par nous, à tout le peuple. » (X texte et traduction dans M. Andricu, op. cit., p. 197 sq. Les mêmes mentions du précieux sang sont faites avant la communion et dans la prière d’action de grâces. Cf. la traduction de M. Cyrille Charon (Korolcvsky), Les saintes et divines tiluryies, Beyrouth, 1903, p. 1 17 sq. De plus, souvent, l’on parle des dons présanctillés au pluriel, par exemple dans le texte signalé plus haul. P. G., t. exx, col. 1018. lui prière ne s’entend que s’il y a double réserve. Chez les Latins, comme on le verra, la réserve impliquait au début le précieux sang. Il a dû en être de même en Orient, patrie de cette Institution. L’intinction n’explique pas à elle seule la formule de ces prières. D’abord, ces gouttelettes se sont sûrement évaporées après plusieurs jours; d’autre part, l’Eglise de Cou stantinople resta longtemps sans pratiquer l’intinction. Cf. Goar, op. cil., p. 176, citant VEpitome divinorum sacrorunique canonum, sect, n, tit. νι, P. G.. I. cl. col. 97; cf. aussi Husznak, op. cit., p. 117; Le Brun, op. cit., t. n, p. 375; et Andrieu, op. rit., p. 202-2116. qui cite Michel Cérulaire (1013-1059), interdisant l’intinction; on tenait compte encore de celle défense au xiv® siècle. Au xv* siècle, Syméon de Salonique suppose l’usage de l’intinction dans sa 58· réponse et dans son Expositio de divino templo, cap. xcv, P. G., t. CI V. col. 711 et 912. Comment donc expliquer les prières qui continuent à parler du précieux sang, après qu’a cessé l’usage de le réserver ? C’est que les textes liturgiques sont de fait intangibles, même si le sens qu’ils expriment ne correspond plus à leur première formule. On ne les comprend pleinement qu'en revenant au temps de leur composition. 2. Cérémonies et lomiule.s de prière. - a) Vêpres, lliantes, prothèse. — Nous avons vu que, dans le rite byzantin, la messe des présanctIliés fait partie des vêpres. En elîet. on commence par la récitation de cet office, psaumes et hymnes; puis le diacre fait la grande litanie dans les mêmes formides qu’à la messe normale; voir Oiuentale (Messe), t. xi, col. 1168. Après cela, le célébrant va préparer les oblals, la prothèse se faisant presque sans prière. Il prend une grande hostie consacrée et des petites, s’il prévoit des communiants, les met sur la patène et les transfère du reposoir à l’autel de la prothèse. La préparation du calice se fait comme à l’ordinaire avec du vin cl un peu d’eau La prière de la prothèse n’est pas dite parce que le sacrillcc est déjà consomme. Le diacre fait alors la petite litanie et l’on achève la récitation des vêpres. Cf. Charon, op. cit.. p. 103, 113, 117; Goar, op. cit , p. 166. Dans le texte de la Morelliana, on trouve une ΙΟΙ Ρ Η ESA NCT1EI ES (M ESSE prière (in célébrant demandant ul libi offeramus hos­ tiam pncconsecratam. b) Petite entrée, lectures. Lc diacre porte I'cnccnRolr, le prêtre les évangiles s’il y a lecture. c’est-à-dire le 10 février, fête r/7., p. 13. La messe des présanctifiés a suivi le mouvement de la communion elle-même. Déjà, vers la fin du vm· siè­ cle, apparaissent les documents qui excluent positive­ ment la réserve du vin préconsacré. Le SangalL «//. dil qu’à la procession on transporte, en meme temps que l’hostie consacrée, un calice contenant du vin. Ces documents deviennent de plus en plus nombreux au IXe siècle cl tous les ordines romani parlent de la seule réserve de l’hostie; à la procession un sous-diacre porte l’hostie consacrée, un autre le calice avec du vin non consacré. Cf. P. L.. t. i.xxvm. col. 953-954, 992 sq. A Auch, au x® siècle, le seul corps est réservé. La pra­ tique devint générale aux xi® ct xir siècles dans le pays rhénan. Cf. Fragment d'un sacramentaire d Auch, publié par ,J. Dufour, dans Archives historiques de la Gascogne, ΙΓ sér., XIXe année, p. (»; M. Andrieu. op.cil., p. 25, 17, 79. Cet usage plus commode n pré­ valu ct s’est maintenu jusqu’à nos jours. /D Procession des oblats. — La messe des presancliflés a toujours débuté par la procession, c’est-à-dire par la cérémonie durant laquelle on ramène de l’églisereposoir ou bien de l’autel reposolr la sainte réserve Jusqu'à l’endroit où devra se célébrer la messe des pré­ sanctifiés. Dans le rite byzantin, on appellera cette procession la » grande entrée . qui sc pratique aussi à la messe normale, pour porter les oblats de l’autel de la prothèse à l’autel du sacrifice. Le pscudo-Gcrmain de Paris (vir s.) décrit le meme rite à la messe normale gallicane P. /... t, i.xxn, col. 92 I); de plus, par prolepse, il nomme déjà les oblats corps et sang du Christ. Celte grande entrée, ou procession, n'aurait-elle pas été empruntée telle quelle, avec scs chants cl scs hymnes, à la messe des présanctiilés? Le fait semble bien établi, mais la déno­ mination de corps et de sang du Christ qui est vraie à la messe des présanctifiés devient fausse à la messe normale. A Home, la messe du jeudi saint sc célébrait au Latran. alors que la station du vendredi saint avait lieu à l’église Saintc-Croix-de-.Jérusalem ; il était donc nécessaire de ramener du Latran la sainte réserve, et en grande procession. Tantôt ee sont les diacres qui entrent au sacrarium pour y porter le corps ct le sang, cf. sacrament aire gélasicn; tantôt ce sont deux sousdiacres qui tiennent l’un l’hostie consacrée, l’autre le calice avec du vin ordinaire et les passent à deux prê­ tres. ainsi (pu· |e dit l’Ordo i ct le SangalL 61 i, cité par M. Andrieu, op. cil. D’autres fois, c’est le plus jeune des cardinaux prêtres cjui porte la capsa au sacrarium jusqu’à ce que le pape soit prêt. Cf. Ordo x, qui ne parle plus, à prepos de la procession, du calice de vin. l’nc fois dans le sacrarium de l’église Sainte-Croi.x- DES). BITE ΒΟΜΛΙΝ 106 de-Jérusalcm. on voit d’après l’Ordo x que le pape luimême en rapporte la capsa à l’autel. Dans l’Ordo xiv, la capsa est remplacée par le calice. Le pape lui-même, au xv* siècle, portail le calice. Ce fut surtout l’usage en Avignon. Bien qu’on ne réservât pas partout le pré­ cieux sang, on continua néanmoins à porter en pro­ cession le calice contenant le vin comme dans l’Ordo r; c’est plus tard seulement que l’on ne porta plus que l’hostie seule. Cf. Ordo x. L’Ordo xv dit que le diacre présente le calice avec du \in, cl un sous-diacre la burette d’eau pour que le pape fasse le mélange. Le calice qui a sers i à la procession de l’hostie est employé par le diacre pour y mettre le vin. Les Ordines χιν et xv avertissent que l’usage de mêler un peu d’eau au vin n’est pas générale à toutes les Eglises. Jusqu’au xv· siècle, le moment de la procession du corps est au début île toute la cérémonie, avant les lectures ct les oraisons, c’est peut-être pour faire une seule et même procession pour La sainte relique cl la sainte réserve jusqu'au sacrarium, l’nc seconde pro­ cession se faisait après les oraisons; E DES). KITE ROMAIN 108 // La fraction cl Γimmixtion, - La fraction a existé i Cf. Duchesne, op. cit., p. 188. Quant aux ministres do tout temps avant la communion, clic a même donné i qui assistaient le célébrant dans l’oflice de ce jour, ils son nom à la liturgie eucharistique. A la messe des communiaient d’ordinaire avec lui. Cependant, l’Ordo présanctifiés, quoiqu'elle ait existé et qu’elle soit sup­ d’Einsiedeln les exclut en même temps que le pontife : Attamen apostolicus ibi non communicat ncc diaconi; posée dans ccs paroles de l’Ordo i : sumit de sancta, la première mention en parait dans l’Ordo xiv; frac­ d’une manière ordinaire, les diacres communiaienl si tion en trois parts, précise l’Ordo xv, c’cst-à-dire le pontife et l’assemblée le faisaient. Les ( irdines romani disaient au début : omnes communicant ou communi­ qu'on avait la pratique qui s’est maintenue jusqu’à présent. Avec la petite parcelle, le célébrant signe le cantur; depuis l’Ordo x, les ministres sont exclus positivement, communicat autem solus pontifex sine calice et il la laisse tomber dans le vin. C'est ce qu’on ministris. Mais cela n'empêche pas que le clergé conti­ appelle l’immixtion. La raison principale est d’unir les nue à communier avec les fidèles après le célébrant et deux éléments. Déjà l’Ordo i parle de l’immixtion. l’adoration de la croix; fait spécialement mentionné Sumit de sancta et ponit in calicem. Cet acte liturgique est appelé, dans la liturgie orien­ dans les ordinaires des xi” et xir siècles de la région rhénane. Cf. Andricu, op. cit.. p. 79. I ne mention tale, consignation du calice, et, d’ailleurs, la liturgie curieuse et contraire à l’usage de tous les Ordines occidentale l’a pratiqué : « Quelques indices, dit romani, veut que le pontife seul communie cum minis­ M. Andricu, nous permettent de conjecturer que dès tris. Cf. Ordinaire de Bourg Saint-Andéol du xv siècle, la fin du ιν· siècle, on ne l’ignorait pas en Occident. cité dans Andricu, op. cit., p. 103. Au Moyen Age, elle fut souvent pratiquée au chevet des mourants, pour consacrer h vin du viatique. Les Pour ce qui est des fidèles, le sacrament aire gélaslen, éd. Wilson, p. 77, et l’Ordo de Saint-Amand livres de la liturgie romaïuo prescrivent encore au xiv* siècle, pour celte clrccrjtance. > Op. cit., p. 215. (cf. Duchesne, p. 188) parlent de la communion qui leur est distribuée. L’Ordo d’Einsiedeln, en disant que La théorie de la consécration par contact apparut au Moyen Age et l’adage : Sanctificatur enim vinum non le pontife et les diacres ne communient pas au Latran, consecratum per corpus Domini immissum (Ordo χιν. parait donner aux fidèles le choix entre communier à t. t.xxvin, col. 1217 C) gagna vile des adeptes cet endroit avec la réserve du jeudi saint, et commu­ parmi les théologiens. Quand on eut remplacé le nier dans les autres tituli de Rome. Cf. Duchesne. précieux sang par du vin ordinaire, on a commencé à op. cil., p. 503. D’apres Amalaire (832), personne ne sanctifier le vin par l’immixtion d’une parcelle du communiait là où sc faisait l’adoration de la croix. En droit, depuis l’Ordo x, les fidèles ne devaient plus saint corps dans h· vin. Vile l’idée de sanctification se transforma en idée de consécration réelle. communier; de même à Audi, au xr siècle. CL l'raymenl d’un sacramcnlaire d’Audi, publié par .J. Dufour, Le grand champion de cette théorie est Amalaire qui exposa sa pensée vers 820, dans son De ecclesias­ dans Archives historiques de la Gascogne, 11· sér., ticis officiis. Ce n’est qu’au xir siècle, avec Hugues de année XXI·, fasc. 17, p. 6. Saint-Victor (t 11 11) et Pierre Lombard ( + 1160) que En 1622, la fête de l'Annonciation tombait le la théologie des sacrements sera précisée. Cf. P. L., vendredi saint, une question fut posée à la S. Congr. t. ci.xxvi, col. 110 sq.; t. exen, col. 856. Andricu, des Bites; sa réponse fut d’autoriser seulement le op. e//., p. 33-16. Le courant amalaricn ne disparaît viatique ce jour-là. Du même avis fut la S. Congr. du Concile dans le décret du 12 février 1679, De quoti­ pleinement que vers la fin du xvi· siècle. diana communione, approuvé par Innocent XL Ce L’usage actuel commence avec l’Ordo xv : fraction en trois parts et immixtion; il n’a plus varié depuis. décret a été fait pour faire cesser la coutume de A la messe ordinaire, la commixtlon est accompa­ certaines églises <|tii distribuaient encore la sainte gnée du Paz Domini sit semper vobiscum puis de communion. Le cardinal Schuster, généralisant, dit (jtie la com­ VAgnus Dei et enfin du baiser de paix. Il semble que ce munion des fidèles ne semble plus exister au xir siècle dernier geste devrait exister à la messe des présanct illés en Occident; cf. Schuster, Liber sacramentorum, l. in. puisqu’il est la préparation normale à la communion. p. 251; mais, en fait, l’usage romain ne fut pas suivi De fait, toutes ces prières ont disparu, avec le baiser partout; dans plusieurs missels des xiv el xv siècles, de paix, de la messe des présanctiliés. L’Ordo i dit la communion des fidèles est ment ionnée. Cf Andrieii, simplement : Sumit de sancta et ponit in calicem nihil op. cit., p. 70, 72, 90, 186. Nous retrouvons la commu­ dicens et communicant omnes in silentio. L’Ordo x nion de l’assemblée autorisée en 1502, dans le diocèse les exclut nommément, comme le font les rubriques de Naumbourg (ancien électoral de Saxe) et aussi dans de tous les missels depuis celte époque jusqu'à le missel de Lund (Suède) : et communicat ou commu­ présent : Pax Domini non dicitur. Aynas non cantatur nicet ipse et alii qui volunt. Cf. toc. cit., p. 80, 82. Γη nec datur osculum. Γη Ordo de la semaine sainte missel imprimé en 1508 pour les chanoines réguliers donne la raison pour laquelle on omet le /*rum, I. Ill, Bruxelles, 1030; P. Dlb, Élude sur la liturgie nvinmil·, Paris, 1919. IV. Études spAciai.es sur la messe des prîsanctifii s. — S. Théodore le Studite, Explicatio divina· liturgiœ pr»vsanctificatorum, dans P, G„ t. xeix, col. 1687 sq.; Léo Alla­ itas. De missa pra-saneli ficatorum, Λ la suite du traité Dr Ecclesia· occid, atque orient, perpetua consensione, Cologne, 1618; J.-B. Thibaut, Monuments de la notation ccphonétique et haghpollte de rÉglise grecque, Saint-Pétersbourg; du même, article dans les Échos d*Orient, t. xix, 1920, p. 36-19; Μ. II. W. ('odrington. The Syrian liturgi 's o/ the preumetifled, dans Journal of the dogical studies, t. iv, 1903, p. 69-82; t. V. 1901. p. 369-377, 537-515; G. Graf, Konsccration ausserhalb der Messe, Ein arabisches Gebelsformular, dans Oriens christianus, nouv. sér., t. vi. 1916, p. -11-18; M. Bajji, Une anaphore syriaque de Sévère pour la messe des présanctifiés, dans Peinte de I'Orient chrétien, t. xxi, 19181919, p. 25-39; M. Andricu, Immixtio et consecratio. La consécration par contact dans les documents liturgiques du MpffOl \ljl, I*.ms. 192*1« I. ZlADlL 1. Definition cl origines. II. Historique sommaire. III. Institutions dogmatiques, liturgiques et disciplinaires. I. Definition et origines. Il est assez couram­ ment admis, dans les milieux catholiques, que le mot presbytérianisme signifie simplement, par opposi­ tion à l’épiscopalisme, un régime ecclésiastique dans lequel la hiérarchie est arrêtée au niveau du pasteur, correspondant au prêtre de l'organisation catholique. Cette conception est inexacte. Le presbytérianisme n’est autre chose que l’application du « système pres­ bytéral. c’est-à-dire d’un régime dans lequel la haute autorité appartient à un corps mixte, formé de pas­ teurs et de laïques, nommé presbyterium. Ce presbyte­ rium n'est autre chose que ce que nous appelons le «consistoire ·. L’équivalent de presbytérianisme serait donc le mot non usité de · conslstorialismc ou régime consistorial ». Au sens large, le presbytérianisme est le système ecclésiastique conçu par Calvin. Ni Luther, ni Zwingll, en effet, n’ont laissé de place au gouvernement des fidèles laïques dans I*Église. Les systèmes luthérien et zwinglien sont des systèmes d'Églises d’Etat. La seule différence Importante entre eux est que le luthéra­ nisme donne toute l’autorité au prince, tandis «pic le zwinglianisme, né nu sein d'une république urbaine, la situe dans le conseil de la cité. Dans les Églises d’ori­ gine calvinlennc, il en va tout autrement. Calvin a une défiance instinctive de l'État. Il prétend que JésusChrist seul possède la souveraineté dans l’Église. Mais il entend par là le pouvoir législatif seul. Quant au pouvoir coercitif, il est trop homme de discipline pour l’abandonner. Mais il veut que la Bible donne les deux indications suivantes a ce sujet : « C’est que la puissance spirituelle soit du tout séparée du glaive et de la puissance terrienne; secondement qu’elle ne s’exerce point nu plaisir d’un seul homme, mais par PRESBYTÉRIANISME. I’ K ES B YT É II I \ N I SM E 112 une bonne compagnie députée à cela. > Institution chrétienne, 1559, I. IV, c. n. C’est celte « bonne compa­ gnie » qui se nommera tantôt consistoire, tantôt conseil presbytéral. De quoi est-elle formée ? On sait que Calvin enseignait qu’il y a quatre degrés dans la hiérarchie de l’Église : les pasteurs, les docteurs, les diacres, les anciens. Pasteurs et docteurs, qui ne diffè­ rent que par la nature de leurs fonctions, sont souvent confondus en un seul degré. Les pasteurs dirigent une communauté de fidèles. Les docteurs enseignent dans les hautes écoles, En ce qui concerne l’admission nu consistoire, il n’y a pas de différence entre eux. Le conseil presbytéral est donc formé essentiellement de pasteurs ou docteurs et d’anciens. Les pasteurs y auront la présidence Mais les anciens y sont en nom­ bre prépondérant ou au mains égal. C'est le presbyte· rittm qui est chargé de la discipline ecclésiastique. Le corps des pasteurs, comme tel, n’n jamais eu la mis­ sion de gouverner l’Église calviniste. Au point de vue de la censure des uururs, les pasteurs sont soumis, comme les simples fidèles, à la juridiction du consis­ toire. Calvin disait des conseils presbytéraux : Totum corpus Ecclcsiir représentant. C’est que, pour Calvin, la discipline ecclésiastique est de toute première impor­ tance. H la veut continuelle, rigoureuse, vigilante et tenace. Le consistoire dispose de deux armes princi­ pales : l'admonestation privée pour les fautes courantes. l'excommunication pour les fautes graves. Cette seconde arme est particulièrement redoutable. Dans ce système, l’ofllce d'ancien est le pivot de l’organisation ecclesiastique. Calvin l’assimile — sans preuves avec le presbyter des temps apostoliques. C'est de lui que le conseil disciplinaire calviniste recoil son nom de presbyterium. Ainsi, le mot « presbyté­ rianisme » signifie proprement, non pas un régime où le prêtre ou pasteur est chef — à l’exclusion de l’cvêque mais le gouvernement des anciens élus par la communauté des fidèles. Au sens strict, le mot « presbytérianisme » s’est trouve réservé aux Églises calvinistes de langue anglaise. C'est que, là. le protestantisme avait conservé des traits importants de l’organisation catholique, notamment l’épiscopal. Le presbytérianisme, en Écosse, en Angleterre, en Irlande, aux Étals-Unis cl dans les colonies anglaises s’oppose, d’une part, à l’épiscopalisme et. d’autre part, au congrégationa­ lisme ou indépendantisme. Mais, avec de légères va­ riantes. toutes les Églises dites presbytériennes ont conservé l’organisation établie par Calvin. IL Historique sommaihe. — 1° Z?h Écosse. — Le presbytérianisme y fut introduit par John Knox (15051572). L’organisation définitive fut réglée par le Ier synode général, en décembre 1560, qui publia un Livre de discipline » (Hool: o/ discipline). Le presby­ térianisme s'implanta dans le royaume avec une force Incroyable. Le catholicisme fut pourchassé et presque entièrement détruit, sauf dans certaines régions écar­ tées de montagnes, dans le Nord. Les tentatives menées par Jacques l’r et son fils Charles I’r (Stuart), pour établir en Écosse l’épiscalisme anglican, échouèrent complètement. Dès 1580, les presbyté­ riens écossais avaient fondé, pour la défense de leur Église, une Solemn traque and covenant, qui fut renou­ velée. au temps des luttes contre l’absolutisme royal, en 1638 et en 1613 Les presbytériens écossais conçu rent une joie Immense en voyant triompher leurs idées en Angleterre, par la victoire du Parlement. Ils parti­ cipèrent à la fameuse · Assemblée du Westminster réunie en IG 13. qui établit momentanément le régime presbytérien sur les ruines de l’épiseopallsme. Cette Assemblée, qui dura une dizaine d’années, mit sur pied un * Directoire du culte public . (Directory for the public morshiph une · Confession de foi * ( Westminster I 13 I* l< liSBYT É l( I Λ S I S\| I·. confession) ct deux · Catéchismes ». Ces « Livres » constituèrent désormais 1rs textes constitutionnels de rÉglise d’État en Écosse, sinon en Angleterre, où le presbytérianisme, refoulé d'abord par l'indépendan­ tisme ou congrégationalisme de Cromwell, fut écrasé par le rétablissement de l'épiscopalisme et rentra dans l’opposition. Mais l’Église presbytérienne d’Écosse eut encore à lutter contre les essais de restauration épiscopaliennc de Charles II, de Jacques IJ. Elle ne triompha pleine­ ment que sous le règne do Guillaume III d’Orange. Toutefois, en devenant Église d’Élat, le presbytéria­ nisme suscita des oppositions. On estima qu'il oubliait les droits de la communauté pour favoriser les préten­ tions des anciens « patrons », qui revendiquaient le pouvoir de nommer les pasteurs ou ministres «les paroisses, comme leurs ancêtres avaient nommé les curés catholiques. Il se forma donc des Églises presby­ tériennes dissidentes, qui s’unirent entre elles.cn 1X17, sous le nom de United presbyterian Church. Celte Église absorba, en 19C0, In Erre Church. Actuellement, les deux groupes — l’Église presbytérienne d’État et l’Église presbytérienne uni liée, sa rivale — ont un chiffre presque égal d’adhérents, une légère supériorité restant acquise ft l’Église d’État. 2° En Angleterre. - Le presbytérianisme vécut dans l’opposition et fut soumis ft de frequentes persécu­ tions sous les règnes d'Élisabeth, de Jacques Ier et de Charles l purement géographique, dont le lien ne consiste guère qu’en une étiquette commune et laisse subsister maintes divergences dogmatiques, ne répond nullement à celle que l’Église romaine considère comme l’une des « notes » «le la véritable Église de Jésus-Christ. Il n’en reste pas moins qu’il convient d’insister en théologie sur le concept de la vraie et de la fausse catholicité. Nous accordons sans peine que l’Alliance soit internationale — comme d’autres sys­ tèmes désirent l’être, le marxisme par exemple mais nous n’admettons point qu'elle soit catholique au sens chrétien du mot. (’ne conséquence importante de ce groupement des Eglises presbytériennes a été l’élan donné aux mis­ sions en pays païen. L'Alliance appuie sa prétention â la catholicité en afllrmant sa présence, dans tous les pays du momie, même ceux où le christianisme a encore peu pénétré, tels que la Chine ou Ceylan. HL IxsriTVnoxs dogmatiqi i s. 1 iTvnoiQri s 11 Disc nu i\miu-.s. ■ Nous revenons ici aux Églises presbytériennes proprement dites : celles des pays anglo-saxons. lr Dogme. Elles «ml maintenu en général, ft la base «le leur doctrine,la Confession de Westminster.qui fui mise sur pied dans les années 1615-1616. dans les circonstances «pii ont été dites ci-dessus. Les pasteurs et les anciens, en entrant en charge, prononcent des formules d'obéissance ft celte Confession. Il v a pour tant des exceptions importantes et c’est ici qu’il faut remarquer comment la « catholicité » de l’Alliancc presbytérienne s’accommode de graves divergences doctrinales entre scs adhérents : la Confession de Westminster est strictement calviniste et prédestinatianistc. Or, parmi les Églises presbytériennes qui ont adhéré à l'AIIlance, il en est <|iil admettent cet le PRESBYTÉRIANISME Confession telle quelle, d’autres en atténuent certains points, comme !'Église presbytérienne unie d'Écossc nu l’Église presbytérienne du Cumberland (ÉtatsI’nis). Celte dernière combine le méthodisme et le calvinisme et sa profession de foi est fortement teintée . d'arminianisme. Môme dans les Eglises on l'on n’a rien changé aux formules d’engagements de l’ordina­ tion. il ne manque pas de théologiens qui sc sont plus ou moins émancipés de la lettre de leurs serments doctrinaux. En somme, on pourrait distinguer trois catégories d’Églises presbytériennes : celles qui conser­ vent la Confession de Westminster, sans modifications dans les mots, mais avec une certaine élasticité dans les idées, celles qui ont pris le parti d'atténuer la rigueur littérale de la Confession et qui laissent à leurs membres une plus grande latitude d’opinions encore, celles qui refusent de souscrire à la Confession de Westminstcrfnon suscrlbingpresbyteriansd’Angleterre et d’Irlande) el dont les doctrines, empreintes de rationalisme socinicn, se rapprochent de celles des unitariens ». En définitive, manque absolu d'unité dans la doctrine. 2° Liturgie. Si les Églises presbytériennes offrent de profondes divergences dans le dogme, elles ont toutes, en revanche, un air prononcé de parenté dans la liturgie. Leur cuite est complètement dénudé. Bien pour la mystique ni pour l'art. La prédication a tout absorbé. Les temples n'ont ni autel, ni baptistère, ni crucifix, ni cierges, ni images, sauf parfois dans les vitraux. L’orgue est le plus souvent absent. Le pasteur officiant ne se distingue des assistants que par une robe noire et un rabat, il n’y a pas de forme fixe ni de suite obligatoire de prières dans les réunions. Les prières sont laissées à la discrétion du pasteur. Les fidèles les écoulent en se tenant comme il leur plait : débout, assis ou à demi agenouillés. En meme temps que la Confession de foi, l’Asseinbléc de Westminster avait pourtant mis sur pied une agende ou t directoire du culte public . Ce directory trace l’ordre général de la « longue prière . qui dure, en Écosse, de dix à quinze minutes. Comme chants : uniquement les psaumes rimes en monotones quatrains ou quelques cantiques bibliques paraphrasés. Le sermon, qui est souvent lu par le pasteur, occupe la plus grande partie du service divin. Il affecte, le plus souvent, un carac­ tère dogmatique ou exegétique. Les presbytériens attachent une importance capitale à l’observation du repos · sabbatique . le dimanche. Mais le calendrier ne connaît chez eux aucune fête. La cène n'est célébrée que rarement. La communion est toujours précédée de nom­ breux exercices préparatoires et de pénitences diverses. Les fidèles communient assis à de longues tables. On remarque, cependant, depuis un demi-siècle, une lente évolution au sein du presbytérianisme. L'antique austérité— reste du puritanisme d’autrefois tend à s’atténuer La jeune école n’admet plus, avec la même intransigeance que jadis, le principe que tout ce qui n’est pas un commandement formel de la Bible doit être rejeté avec horreur comme une invention arbi­ traire et impie des hommes. On commence à faire des concessions à l’esthétique et au sentiment! 3’ Discipline. On a souligné déjà le trait commun a toutes les Églises presbytériennes : le rôle capital qu’elles attribuent, dans la discipline, au presbyterium. 1 n Écosse, le presbyterium a juridiction sur plusieurs communautés paroissiales. Il y a quatre échelons d’autorité : le Conseil d’Église (Church ou Kick session), formé du pasteur et des anciens, le presbytery, composé des pasteurs el d’un ancien par paroisse du district, le synode provincial,qui ne se réunit que deux fois par an, pour juger en appel les causes renvoyées du presbyterium, l’assemblée générale (general assembly), qui est la cour suprême et n’existe que dans les Églises - PRESCRIPTION 1 16 importantes. On pourrait, depuis la fondation de ΓAlliance pmi presbytérienne, ajouter un cinquième échelon : le concile œcuménique (general presbylerian council), composé de délégués de toutes les Églises adhérentes, au prorata du chiffre des communiants de chacune d’elles. De tous ces rouages, pratiquement, le plus important reste le presbyterium. Sa mission est de surveiller el de visiter les paroisses, comme fait l’évéquc chez les catholiques, d’examiner et de consa­ crer les candidats au pastoral et d’exercer la juridic­ tion disciplinaire sur tous les pasteurs / the reformation in Scotland, Londres, 1644; W. Qünlop, Collection of confessions g/ faith; ScludT, Creeds of evangelical protestant Churches, on trouvera notamment la Westminster confession dans Dunlop, t. i, p. 1 sq., el dans Schaff. p. 600 sq. et la Confession de foi de Knox, cn 1560, dans Dunlop. I. n, p, 13 sq., el dans Schall. p. 137 sq. 11. Geo cl William-John Hardy. Documents illustrative of English Church history, Londres, 1896, recueil très commodo des documents qui intéressent l’histoire ecclésiastique d’Angleterre; I41 Parker society n publié aussi 51 volumes d’une collection intitulée Publication of the marks of the fathers and early urriters of the reformed English Church (1811-1855). Les I. vh-xviii, édités par Hnslings-Boblnson, sont spécialement Importants ici. H. Ouvrages a consulter. - - Les articles consacrés il Knox el aux principaux chefs de ΓÉglise presbytérienne écossaise, dans Dictionary of national biography; John Hunt. Hellgious thought in England, 3 vol., 1870-1873; nombreux travaux de Samuel llnwson Gardiner, The first tino Stuarts and the puritan rcindution, 1876; History of England from James I to the outbreak of the ciinl ti»ar, 10 vol., 1883-1886; The fall of the monarchy of Charles I. 2 vol., suivis des 3 vol. de ΓHistory of the great civil mar et des 3 vol. de VHistory 0/ the commonmeallh and the protectorate', Georg Mncaulny Trevelynn, England under the Stuarts, 11· édit.. London. 1928. Sur I'Alliance pan-presbytérienne, voir les documents et minutes des divers conciles : Minutes and proceedings of the general council. Édlmbourg. 1877, éd. par G. Mattews, el ainsi desuite pour les conciles suivants; la revue mensuelle. The catholic pre*bytrrinn, Londres. James Nisbcth and Co.; The quarterly register, organ 0/ the Alliance, Lomlre*. Ollkc of the Alliance, 25, Christ-Church avenue. L. Chistiani. PRESCRIPTION. - Pour étudier celle matière, il faut rappeler d’abord la théorie du droit civil français: nous verrons ensuite la prescription en I théologie morale cl dans le droit canonique, spéciale- PKESCKIPTION, EN DBOIT CIVIL inciil (kins lc CWr-r, nous conclurons par uric comparai· sun du point de \ uc Juridique et du point de vue moral· I. La PiiESCiUPTioN i.x nitojT civil i-iiançais. I e législateur y a consacré le titre xx cl dernier du Code civil. Ce n'est pas un des meilleurs; la rédaction est souvent confuse ou obscure; la proscription acqui­ sitive et la prescription extinctive sont mélangées; la conciliation tentée entre les droits romain et canonique, nos anciens auteurs el la Coutume de Paris n’est pas toujours heureuse. Toutefois, les rédacteurs du Code ont réussi ά simplifier notablement la théorie de l'an­ cien droit. Lc fondement de la prescription en droit civil français est surtout son utilité sociale évidente : \ Exposé des motifs dit qu’elle est « de toutes les insti­ tutions du droit civil la plus nécessaire à l’ordre social ». Elle fait disparaître, dans l'intérêt de la tran­ quillité publique, les droits que leur titulaire néglige trop longtemps d’exercer, cl inet un terme aux procès qui pourraient naître de cette incertitude. L’art. 2219 définit la prescription · un moyen d’acquérir ou dose libérer par un certain laps de temps, cl sous les conditions déterminées par la loi ». S'il n’y a pas d’inconvénient à mélanger ici les deux sortes de prescriptions, il faut distinguer, pour leurs conditions d’exercice cl leurs effets, la prescription acquisitive ou usucapion et la prescription libératoire. CL, par exemple, Baudry, Laçantinerie et Tissier, De la prescription, dans Traité théorique et pratique de droit civil, t. xxvni. 3e éd., 1905, in-8°; A. Colin et 11. Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, t. 1,7e éd., 1931, p. 915 sq.; I. il, 7e éd., 1932, p. 156 sq.; M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. i, 11· éd.. 1928, p. 82 sq.; t. n, 1926. p. 211 sq.; Girard, art. Prescription, dans Dictionnaire pratique des connais­ sances religieuses, l. v, Paris, 1927, col. 750-752; J. Josscrand. Cours de droit civil positif français, Paris. 1930. I. î. p. 777 sq. : t. n. p. 460 s<|. 1° Prescription acquisitive ou usucapion. L Les conditions requises sont d’abord un bien susceptible de prescription, puis une possession soumise à certaines exigences légales. a) Les choses qu’il est impossible d’acquérir ne peuvent être susceptibles de prescription. Aussi l’art. 2226 décide : · On ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce », C’esl-à-dirc des biens dont la loi interdit la cession ou l’aliénation, car il y aurait un moyen facile de tourner la défense; ainsi en est-il. par exemple, des choses communes, dont l’usage appartient à tous, des biens du domaine public, des biens dotaux des femmes mariées sous le régime dotal. b) En outre, il faut avoir possédé la chose ou le droit qu’on se propose d’usucaper; mais, pour conduire à ce résultat, la possession doit satisfaire à certaines exigences légales (cf. art. 2229) : elle doit être exercée an uno domini, être exempte de vices cl prolongée un certain temps. u. On ne peut prescrire qu’une chose possédée animo domini, c’est-à-dire détenue (élément matériel) avec l’intention de se comporter en maître (élément intentionnel; présomption en ce sens, art. 2230). S’il manque un de ces éléments, la prescription est impos­ sible. L’art. 2236 applique ce principe en décidant, S 1, que · ceux qui possèdent pour autrui ne prescri­ vent jamais ». Il s’agit des détenteurs précaires, tels que locataires. fermiers, dépositaires, usufruitiers à l'égard des nu -propriet lires ($ 2), administrateurs de biens d’autrui el leur héritiers (art. 2237). L’art. 2210 complète en décidant : · on ne peut prescrire contre son titre , c est-a dire que *c possesseur précaire ne peut, à lui seul, changer la eausi de sa détention ; le vice de la précarité est inch h bile, sauf les hypothèses 1 IK de l’art. 2238 (interversion du litre : on entend par là sa transformation en possession ad usucapionem, soit par cause venant d’un tiers, soit par contradiction aux droits du propriétaire) et de l’art 2239 (transmission par le p récari st c à un tiers). C'est encore à la même idée que sc rattache l’art. 2232 : « Les actes dr pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. » Celui qui se borne à exercer les droits qu’il tient de la loi, ou d’une conces­ sion révocable el bénévole ne peut invoquer la pres­ cription : il manque ou l’empiètement sur le droit d'autrui, ou la possession animo domini. b. La possession doit être exemple de certains vices (art. 2229) : la discontinuité, la violence, la clandestinité, l’équivoque. Cela signifie que la posses­ sion doit être exercée à des intervalles normaux, être paisible (cf. art. 2233), publique, et se manifester par des actes qui indiquent clairement la volonté de possé­ der pour soi-même. c. La possession doit être prolongée pendant un certain délai. [Cette exigence ne concerne pas l’acqui­ sition des meubles par un tiers acquéreur de bonne foi, tenant son droit d’un détenteur précaire; ici. d’après l’art. 2279, § 1, · en fait de meubles, possession vaut titre »; la revendication est alors perdue pour le pro­ priétaire. Cette acquisition instantanée n’est donc pas une prescription, malgré l’opinion de certains auteurs.) Le délai commence à courir,en principe, le lendemain du jour de l'entrée en possession, règle traditionnelle (sauf pour les droits éventuels, et peut-être les droits conditionnels); il se compte < par jours et non par heures » (art. 226(1), el la prescription est acquise lorsque le dernier jour est accompli (art. 2261). 11 n'est pas nécessaire de prescrire personnellement pendant tout le délai requis; le possesseur actuel peut joindre â sa possession celle de ses auteurs (ceux qui lui ont transmis scs droits, nrt. 2235), mais les règles de la jonction sont différentes selon qu’il s’agit d’un suc­ cesseur ou ayant-cause à titre universel ou à titre particulier. Lc premier (héritier ab intestat. légataire universel) ne fait que continuer la possession du défunt avec ses qualités et scs vices, quelle que soit sa situa­ tion personnelle; le successeur particulier pourra uti­ liser la possession de son auteur (et non la simple détention précaire), même si cette possession ne réunit pas les mêmes caractères que la sienne; sauf pour une prescription abrégée de 10 à 20 ans. si l’auteur n’avait pu invoquer que la prescription t centenaire. Quel est le temps requis pour prescrire ? Lc Code civil distingue deux espèces de prescriptions. Celle de 30 ans constitue à la fois le droit commun et le maxi­ mum (art. 2262), aussi bien pour les personnes mora­ les. même de droit public, que pour les particuliers (art. 2277), différence avec l’ancien droit, qui avait conservé dans quelques cas les prescriptions de 10 el de 100 ans introduites par les empereurs romains. La seule condition requise est la possession exercée pendant 30 années avec les caractères voulus par la loi. sans juste titre ni bonne foi. Lc Code a ainsi tranché la controverse classique de la doctrine fran­ çaise sur le point de savoir si l’on exigerait, au for externe, en droit civil comme en droit canonique, la bonne foi pour la prescription trcntenalre. L'existence d’un juste titre et de la bonne fol per­ met de bénéllcicr d’une prescription de faveur, celle de 10 5 20 ans (art. 2265), uniquement pour les immeu­ bles (ou les droits réels) considérés ut singuli. Outre la possession, la loi exige d’abord un acte juridique qui serait en lui-même translatif de propriété,abstraction faite de la personne dont il émane : c’est le juste titre (vente, donation, échange, legs particulier); I) doit n’être pas nul pour vice de forme (art. 22G7, qui ne vise (pie les actes solennels : donation, testament; mais on 119 PRESCRIPTION. EN DROIT Cl \ I L I 20 aliéner (art. 2222); mais les créanciers, el même toute s’accorde pour étendre cette décision aux causes de personne y ayant intérêt, peuvent opposer la prescrip­ nullité absolue cl au titre putatif). L’art. 2265 requiert tion malgré la renonciation faite par le possesseur aussi la bonne foi, c’csl-à-dire la croyance légitime et totale du possesseur à un transfert véritable de pro­ (art. 2225). 2. Effets de rusucapion. C’est de rendre le pos­ priété, Elle se présume toujours (art. 2268), mais la preuve contraire est permise. La bonne foi n’est exigée sesseur propriétaire, dès que la prescription est accom­ plie, cl même avec effet rétroactif au moment où qu’au moment de l’acquisition (art. 2269); ici encore, le Code abandonne, sans grandes raisons, les tradi­ l’usucapion a commencé à courir (d’où l’acquisition des fruits de la chose par le possesseur), puisque, dès tions canoniques el coutumières pour revenir à la ccl instant, il y a un litre, ou la possession qui rem­ règle romaine. place le titre au bout de 30 ans (cf. art. 2265, 2262. La durée de celte prescription de faveur varie de pour la prescription tcentenaire, bien (pie ce dernier 10 à 20 ans suivant que le propriétaire contre lequel article ne mentionne que l’effet extinctif à l’égard de on prescrit est présent ou absent, c'est-à-dire réside dans le ressort de la cour d’appel où est situé l’immeu­ la revendication du propriétaire). Ce dernier conserve d’ailleurs les actions personnelles qu’il peut avoir ble. ou hors de ce ressort (art. 2265); les deux délais peuvent se combiner si le propriétaire change de rési­ contre des détenteurs précaires, sous réserve de la près cription extinctive. En outre, l’opinion traditionnelle dence nu cours de la prescription (art. 2266). Si toutes ces conditions sont accomplies, l’eflcl de laisse subsister à la charge du possesseur une obliga­ l’usucapion est de faire acquérir la propriété au pos­ tion naturelle, c’est-à-dire démunie de moyens d'exé­ cution. en faveur du propriétaire. sesseur; toutefois, avant l’expiration du délai requis, la 2° Prescription extinctive ou libératoire. · 11 y a prescript ion peut se t rou ver interrompue ou suspendue ; de nombreux points communs entre l’usucapion el la cl la loi permet de renoncer à la prescription acquise. prescription libératoire; leur raison d’être est la même, Aux tenues de l’art. 2242, · la prescription peut être interrompue ou naturellement ou civilement >. L’in­ au moins pour les longues prescriptions (les autres font plutôt présumer un paiement que la négligence du terruption naturelle résulte de la perte de la possession: créancier); il y a bien des règles similaires pour si celte perte est volontaire, le délai déjà couru est l’interruption, la suspension, le calcul du délai, la rendu définitivement inutile; si la possession a été manière d’opposer la prescription. Mais, en dehors de enlevée par un tiers, le possesseur pourra ellaccr son domaine plus large et de sa base dissemblable, l’eflcl de l’interruption s’il intente avec succès une puisqu’il ncs’avit pas de possession. la différence essen­ action possessoire. dans le délai d’un an. Le Code pose tielle, c’est que la prescription libératoire ne fonctionne d’ailleurs une présomption de non-interruption (art. jamais que comme cause d’extinction et n’engendre 2234), mais qui cède à la preuve contraire. L’interruption civile résulte d’abord d’actes de pour­ qu’une exception à l’action du créancier. 1. Conditions. Deux conditions sont requises : un suites émanés du véritable propriétaire. L’art. 2244 droit susceptible de s’éteindre par prescription; une mélange les causes d'interruption des prescriptions certaine durée. extinctive et acquisitive; on ne peut retenir pour cette a) Par exception, quelques droits ne s’éteignent pas dernière que la citation en justice, même devant un juge incompétent (art. 2216), et la citation en conci­ ou semblent ne pas s’éteindre par prescription : les droits hors du commerce; les pures facultés; certaines liation devant le juge de paix, si elle est suivie de actions : du créancier gagiste; du titulaire d’un droit Γajournement dans le délai prescrit (art. 2245).L’art. d’antichrèse; l’action en revendication, carie droit de 2217 supprime l'effet interruptif, si la citation est propriété ne s’éteint pas par le non-usage, mais seule­ nulle pour vice de forme, el quand le demandeur se ment par l’usucapion d'un possesseur. Les actions en désiste, laisse périmer l’instance ou perd le procès. partage ou en bornage semblent Imprescriptibles, mais S’il réussit, le temps écoulé et même le délai expiré au cela lient à ce que la cause de l’action se prolonge cl cours du litige sont perdus pour le possesseur. Une renouvelle tous les jours le droit d’agir en justice. autre cause d’interruption civile consiste dans la b) Mais, le plus souvent, la prescription libératoire reconnaissance volontaire, par le possesseur, des ne suppose pas autre chose que l’inaction prolongée du droits du propriétaire (art. 2248); ici encore, le temps écoulé est rendu inutile, mais une nouvelle prescrip­ créancier, d’après le texte général de l’art. 2262 : < Toutes les actions (c’est-à-dire les droits déduits en tion peut recommencer à courir. justice), tant réelles que personnelles, sont prescrites La prescription peut aussi se trouver suspendue; par 30 ans... . Ce délai est la durée extrême de la tout le temps que dure la suspension ne compte pas, prescription; mais il existe un grand nombre de pres­ mais ici le délai déjà écoulé reste utile pour Γusuca­ criptions plus courtes prévues par le Code ou des lois pion, quand la cause de suspension aura disparu. Λ la spéciales : système qui pourrait être facilement sim­ différence de l’ancien droit, qui appliquait de manière plifié en ramenant ces prescriptions à deux ou trois générale la maxime : Contra non vatentmi agere non types uniformes. Bornons-nous à quelques exemples : currit prœscrtptio, le Code civil fait de la suspension prescription de 10 ans pour l’action en responsabilité un privilège; la prescription court en principe contre d’un architecte ou entrepreneur (art. 1792 et 2270), toutes personnes (art. 2251 ; applications dans les les actions en nullité ou en rescision d’un contrat art. 2258. 12. et 2259), sauf (art. 2252 el 2278) contre les mineurs ou interdits judiciaires, pour les prescrip­ (art. 1304), l’action du mineur contre son tuteur tions de plus de 5 ans; la femme mariée, pour repren­ (art. 175); prescription de 5 ans pour les loyers, fer­ mages, intérêts des capitaux, arrérages de rentes dre un fonds dotal (art.2255), quand son action est de (art. 2277) et l’action des avoués (art. 2273); prescrip­ nature à réfléchir contre le mari, ou dépend du parti à tion de 2 ans pour l’action des médecins, chirurgiens, prendre à la dissolution de la communauté (art. 2256. dentistes, sages-femmes, pharmaciens ; d’un an pour ? 1 et 2); les époux entre eux (art. 2253); l'héritier l’action des huissiers, maîtres de pension ou d’appren­ bénéficiaire, à l’égard des créances qu’il a contre la tissage, domestiques à l’année (art. 2272); de 6 mois succession (art. 2258, $ 1). Mais ces articles sont si limitatifs (pic la jurisprudence a rétabli en fait l’an­ pour l’action des maîtres des sciences et arts, hôteliers, traiteurs, ouvriers (art. 2271); il y a même des près-, cienne règle. triplions de 3 mois et d’un mois. Au surplus, la juris­ Enfin l’art. 2220 permet de renoncer seulement à la prudence admet qu’on peut réduire la durée de la prescription acquise. Cette renonciation, expresse ou prescription, au moyen d’une clause spéciale. tacite (art. 2221) est Interdite à ceux qui ne peuvent 12 1 PBESCHIP'j ION. Ln prescription commence des que ruction est ouverte au créancier ; Actioni non nulir non prirtcri bitur; ainsi ίι l’égard d'une créance affectée d'un terme ou d'une condition suspensive (art. 2257), ou Λ l'égard des droits éventuels, c’est-à-dire dépendant de la mort d’une personne. Comme dans l’usucapion. l'effet «le la prescription extinctive peut être empêché par l'interruption, la suspension ou la renonciation. Ici, l'interruption naturelle, fondée sur la possession, n’existe pas. Les causes d'interruption civile sont : la citation en justice (art. 2215 sq.; les régies sont les mêmes que pour l’usucapion). le commandement d'huissier, la saisie (art. 221 1), la reconnaissance de la dette par le débiteur (art. 2218), sans forme obliga­ toire : elle peut être écrite (application dans l’art. 2263 permettant d’imposer au débiteur d'une rente la fourniture d’un titre nouvel nu bout de 28 ans, et à ses frais), verbale, ou tacite. L’effet de I interruption est toujours de rendre inutile le temps déjà couru, en laissant toutefois la prescription recommencer, sans changer sa nature, mais l’art. 2271 apporte une excep­ tion à cette règle pour les courtes prescriptions des art. 2271, 2272, 2273; quand elles sont interrompues par un arrêté de compte (reconnaissance de dette), une cédule ou obligation (acte sous seing privé, ou notarié), une citation on justice, la courte prescription est complètement écartée, et l’on revient à la prescrip­ tion de 30 ans, car il s’agit de dettes généralement acquittées sans titre, et dans un court délai; ici, la présomption légale cède à la vérité. La théorie de la suspension se signale par quelques particularités : l'art. 2258, § 1. établit une cause de suspension spéciale en faveur de l’héritier qui accepte la succession sous bénéfice d’inventaire, alors qu’il est créancier du défunt. Mais la prescription extinctive, a la différence de l’usucapion, continue Λ courir contre la succession bénéficiaire, vacante ou non acceptée. Surtout, les prescriptions de cinq ans el au-dessous courent même contre les mineurs et les interdits judiciaires, sauf leur recours contre leurs tuteurs (art 2278). Enfin, on peut renoncer seulement à une prescrip­ tion acquise (art. 2220), sauf le droit pour les créan­ ciers et tout intéressé de faire annuler la renonciation (art. 2225). 2. Efjcts de la prescription libératoire. On peut ainsi les résumer : d) La prescription accomplie éteint lu dette (art 1231. 2219, 2262), par elle-même, et par le seul fait du laps de temps écoulé, en fournissant au débiteur une exception qui permet d’écarter l’action du créancier. Mais la prescription n’opère pas de plein droit: il faut qu'elle soit invoquée par le débiteur lui-même, d’ail­ leurs en tout état de cause (art. 2221), ou par toute personne y ayant intérêt, notamment les créanciers (art. 2225), les codébiteurs solidaires, les cautions. On a voulu laisser à la conscience du débiteur la possi­ bilité de ne pas se servir de ce moyen de défense. Aussi le juge ne peut-il \ suppléer d’office (art. 2223), sauf en matière pénale, et pour les causes communicables au ministère public,c’est-à-dire où ligure un absent ou un incapable; et si le débiteur nequitie volontairement sa dette malgré la prescription, l’acte est un paiement, non une donation. b) La prescription opère rétroactivement; le débi­ teur est donc libéré non seulement du capital, mais aussi des intérêts dus au moment où la prescription s’est accomplie. r) Malgré la prescription, il subsiste à In charge du débiteur une obligation naturelle, cette opinion est conforme à la tradition et semble bien avoir été adoptée par les rédacteurs do ( ode clxll. Pour proté­ ger le débiteur, il suffit de paralyser l’action du créan­ cier par l'exception de prescription: on peut donc dire qu’il s’agit d’une obligation civile, rendue inefficace, mai* (pii sursit cependant à un degré inférieur. Si le débiteur acquitte volontairement la dette malgré la prescription, il paie véritablement son dû. et ne peut en exiger le remboursement (art. 1235, $ 2). Toutefois, pour les courtes prescriptions des art. 2271, 2272, 2273, en raison de leur fondement, il ne suffit pas au débiteur d'opposer l'exception de pres­ cription pour être libéré, car le créancier peut déférer le serment au débiteur lui-même, pour lui faire jurer que la dette a été réellement payée; il peut le déférer a sa veuve ou à scs héritiers, pour qu'ih aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit duc (art· 2275). A défaut de ce serment, la dette sera exigible malgré la prescription accomplie. IL Ls PHESGHII'TIOX JS CIIVOLOGIE morale. Signalons d'abord 1 importance des éléments juridi­ ques romains, canoniques cl modernes, chez les théolo­ giens. il est aise d’en saisir la raison ; s'il est légitime de reconnaître la prescription conforme a l’équité natu­ relle, et de lui faire ainsi place en théologie morale comme mode d’acquisition de la propriété ou d’extinc­ tion des obligations, celle idée ne peut donner à l’in­ terprète que des directives très générales. Pour déter­ miner plus exactement les conditions d’exercice ou les effets de cette institution, il faudra recourir à des éléments nouveaux; or. depuis longtemps, les lois civiles ont réglementé la prescription* et leur interven­ tion est légitime* puisque l’Étal, dans un but de tran­ quillité publique cl d'intérêt général, a le droil de légiférer en matière de propriété ou d’obligations, et de rendre ses décisions exécutoires, dans la mesure où elles sont conformes au bien commun et à l’équité naturelle (ci., par exemple, A. Tanqucrey* Synopsis theologia* moralis et pastoralis, t. ni* Paris, 1931, ln-8°, p. 115 sq.). Le droit romain, plus encore que les tradi­ tions germaniques, a été la source des législations modernes, et sa doctrine de In prescription merite souvent de servir de modèle, par sa netteté* sa preci­ sion juridique, et son adaptation aux besoins récents et aux conditions nouvelles de la vie sociale. Et. tout naturellement, l’Église, qui vit sous la loi romaine ♦* adopte celte theorie, et la corrige de manière à la rendre plus conforme ù la justice et à la règle morale; société parfaite, elle a le droit de réglementer la pres­ cription dans la mesure où elle y a intérêt, au for externe comme au for interne, ou de rechercher, parmi les dispositions législatives du pouvoir séculier, celles qu’elle permettra de suivre ou qu'elle ordonnera de rejeter. Ainsi l'origine de la prescription* donc la raison de son efficacité en théologie morale, si discutée chez les anciens auteurs, est multiple : si le principe lui-même est de droit naturel, il est bien certain que le droit de la prescription fait partie du droit des gens, dans ses dispositions générales, communes à presque tous les peuples; mais les préceptes positifs qui règlent les conditions et les effets de la prescription varient selon chaque loi particulière, qui leur donne seule leur valeur propre. CL A. \ ermeersch, (Juasliones de justi· ha. Bruges, 1901. p. 310 sq. L’idée de prescription, eu elle-même* est honnête el juste; l’ordre public exige de ne pas laisser la propriété en suspens ou les procès se prolonger; on doit donner au possesseur de bonne foi la sécurité qu’il mérite, et exciter à la vigilance le propriétaire ou le créancier. Voir \ ermeersch, op. cil., p. 316 sq., pour qui la raison tirée de la négligence punissable n'est pas la princi­ pale, bien qu’elle ail elé mise en lumière par saint Thomas, Quodl, xiî* a. 25 (éd Mandonnet. Paris, 1926, p. 115. où il déclare qu il n’y a pas lieu à resti­ tution). 123 P B ESC B 1 PT Π) N. Mais ccs clTcts ne peuvent cire pleinement réalisés que si la prescription opère à la fois in fora civih et in joro conscientia. Faudra-t-il recourir à un système juridique établi uniquement par les théologiens ? Non, car la loi humaine peut valoir en conscience comme au for externe, bien qu’on en ait autrefois douté. Mais, depuis longtemps, canonistes et théolo­ giens sont d’accord sur le principe. Nous aurons donc à rechercher les exigences auxquelles doit satisfaire la théorie pour répondre à ce double point de vue : I. dans les conditions d'exercice; 2. dans les diets de la prescription. 1* Conditions d'exercice. — Il y a des conditions spéciales à l’usucapion (chose susceptible de prescrip­ tion, possession, juste titre), et des conditions commu­ nes aux deux sortes de prescriptions : laps de temps, bonne foi. 1. Choses imprescriptibles. — La doctrine reconnaît deux sortes de choses imprescriptibles : ex natura rei (res same, res publicer, droits appartenant à l'Église jure divino), ou par une disposition expresse du droit canonique (cf. infra) ou des lois positives; il sullit d’y renvoyer. 2. Les exigences relatives à la possession ont été longuement discutées par les canonistes et les théolo­ giens, en partant des textes romains; cf. un bon résumé dans Ballerini-Palmieri, Opus theologicum morale, t. in. Prati, 1899, ρ. 168 sq. Mais la controverse classique entre Savigny et Jhering, au début du xix· siècle, a montré qu’il était impossible de tirer du droit romain une doctrine absolument cohérente : la possession, d’après les Humains eux-mêmes, est une res jacti potius quam juris. Il nous semblerait sutlisant, a) de distin- 1 guer détention et possession ; b ) de réduire les éléments constitutifs de la possession à l'appréhension mate­ rielle (corpus), jointe à l’intention de sc comporter en maître (animus), ce que les théologiens appellent parfois possession composite ou mixte. La possession véritable permettrait seule d’usucaper, si elle était continue, paisible, publique, non équivoque: on pourrait aussi, selon la règle romaine, conserver la possession animo solo au cours de l’usucapion, tant qu’il y a possibilité matérielle d’appréhension de la chose. Cf. Lbach, Compendium thcologiœ moratis, t. i, Fribourg, 1926, p. 201, texte et note 2. 3. Lu nécessité en conscience du juste titre est ratta­ chée par la plupart des auteurs à la bonne foi requise pour la prescription. Comme en droit civil, c’est tout acte juridique apte en lui-même à transférer la pro­ priété, s’il n’était entaché d’aucun vice (verus). Il peut être coloré (ou apparent), putatif, présumé. Pour prescrire, il sullit, en droit naturel, d’un titre coloré, c'est-à-dire affecté d’un vice caché, comme la croyance invincible à la qualité de propriétaire ou à la majorité du tradens; et même, à défaut de titre coloré, d’un titre putatif, à l’existence duquel on croit à tort, mais raisonnablement. De droit positif, le titre pré­ sume (dont l’existence, impossible à prouver, est déduite par la loi d’un laps de temps de 30 ou de 10 ans) ne peut servir qu'à fonder une longue pres­ cription; c’est cc qui permet de supposer l’existence originaire d’un juste titre, ensuite oublié. Mais il faut (pic le droit commun ne soit point contraire, c’est-àdire permette au demandeur de triompher dans un procès, ou que le possesseur ne soit pas présumé de mauvaise foi; il faut alors un titre, ou. à son défaut, une possession immémoriale. Schmalzgrubcr. Jus canonicum universum, t. iv, Home, 1811. p. 371 sq.; ainsi, pour l'évêque prescrivant des dîmes en dehors de M>n diocèse; pour les laïques non soumis aux dîmes ou les diocésains exempts de la juridiction épiscopale, avant le Codex. Cf. Ballcrlni-Palmicri,op.H7.,p. 1G7 sq. L La bonne fol est un des éléments communs aux EX THEOLOGIE Ι2'ι deux prescriptions; autrement, on constituerait une prime à la mauvaise foi, ce qui est contraire à la loi naturelle, et le plus souvent au bien commun. De son Côté, la puissance publique ne peut couvrir de son autorité les fraudes et les spoliations. Au surplus, les théologiens Invoquent le texte général du IV· concile du Latran (1215), c. xl, Decr., I. Il, lit. xxvr, c. 20 : Quoniam omne quod non est ex /idc peccatum est, synodal i judicio definimus, ut nulla valeat absque bona fide praescriptio tam canonica quam civilis, cum genera· liter sit omni constitutioni atque consuetudini derogan­ dum, quic absque mortali peccato non potest observari. Unde oportet ut qui prmscribit in nulla temporis parte rei habeat conscientiam aliemv. 11 se peut que ce texte vise seulement l’usucapion ( Verineersch, op. cil., p. 311); les docteurs ont pourtant coutume de l'éten­ dre à la prescription extinctive; mais déjà le droit romain, et la plupart des législations modernes, sc montrent ici plus indulgents en n'exigeant pas la bonne foi. D’ailleurs, on peut surtout l’envisager à propos de l’usucapion; ici, de façon générale, c’est la juste croyance du possesseur à sa propriété, mais il faut dis­ tinguer la bonne fol théologique et la bonne foi juri­ dique. La première est la ferme persuasion d’être propriétaire (bona fides stricta), ou au moins de pou­ voir posséder licitement (bona fides minus stricta), par exemple en cas de doute insoluble survenu au cours de la possession. Les contours de cette définition sont à la fois plus larges et plus étroits que ceux de la bonne foi juridique, c’est-à-dire celle qui remplit les conditions exigées par la loi positive; car le législateur peut exiger la croyance totale à un transfert véritable de propriété, ne pas tenir compte de Vignorantia juris, du titre puta­ tif ou entaché de nullité absolue; par contre, la théolo­ gie morale ne présume pas l'ignorance ou la bonne foi qui n'existe pas en conscience. J. WalTelaert, De justi­ tia, t. i. Bruges, 1885, p. 172 sq. D’où ces deux prin­ cipes (WalTelaert, op. cit.). a) La bonne foi théologique est absolument nécessaire pour une prescription légitime au jor interne, dés son début et jusqu’à la fin. - Dès qu’elle disparaît, la prescription est interrompue, et l’obligation de resti­ tuer naît immédiatement. Le voleur ne pourrait donc, semble-t-il, jamais usucaper : même s’il avait oublié sa faute, cet oubli ne doit pas être assimilé à la bonne foi. Cependant, quelques auteurs permettent l’extinction de l’action en revendication du propriétaire, dans le délai habituel de 30 ans (par exemple Noldin-Schmitt, Summa theologia· moralis..., 21e éd.. Inspruck. 1932. p. 386); d’autres admettent même l’usucapion depuis le moment de l’oubli, puisque l’absence de mauvaise foi sullit. sauf disposition contraire de la loi positive (ce qui parait être l’opinion de Vermeersch, op. cil., P 357 sq.). Dès lors, que penser des lois modernes qui n’exigent pas la bonne fol, au moins pour les longues pres­ criptions, à l’imitation du Code civil français? Des auteurs récents, surtout Ballerini, op. cil., p. 152. ont violemment attaqué ces dispositions, soutenant qu’elles ne pouvaient avoir de valeur nu for interne, si tant est que des législateurs de ce genre aient songé à ce point de vue. 1) est certain qu’il faut toujours exiger en conscience la bonne foi t héologlque; les dispositions contraires des lois civiles, par exemple l’art. 2262, ne peuvent que dénier au propriétaire toute action devant les tribunaux compétents; elles ne transfèrent pas la propriété (Noldin-Schmitt. op. at., p. 38G), car l’utilité sociale de In prescription doit céder à des soucis évidents de moralité 11 en est de même de l’art. 2269, qui n’exige la bonne foi qu'au moment de l’acquisition. On ne doit pourtant pas ! réprouver absolument ces lois; leur intention n’est 125 PB ESCB IPTION. EN THÉOLOGIE pas de paraître favoriser les fraudes, mais de terminer les procès et d’éviter au for externe la preuve, souvent difficile, de la bonne fol. ce qui est conforme au bien commun; l’usucapion peut servir fi des tiers honnêtes, par exemple A des créanciers. D’ailleurs, cette grave lacune est atténuée notablement, dans le système français, par l’admission d'une obligation naturelle survivant Λ la proscription \ crmccrsch, op. cit., p 358 sq.; I bach. Op. Act., xr, 30. < Paul et Barnabé s’étant fortement élevés contre eux (les JudaKants), il fut résolu que Paul et Barnabé et quelques-uns d’entre les autres iraient Λ Jérusalem vers les apôtres cl les prcsbylres pour cette question... Arrivés Λ Jérusalem, ils furent reçus par l’Eglise, par les apôtres et les presbytres... Les apôtres et les pres­ bytres s'assemblèrent donc pour examiner celle ques­ tion. * Ibid., XV, 2, 1, G. • Il plut aux apôtres et aux presbytres, avec toute l’Eglise, de choisir quelques-uns d’entre eux et de les envoyer, avec Paul cl Barnabé, à Antioche..., écrivant par eux : · Les apôtres et les presbytres frères, aux frères d’entre les gentils..., salut. » Ibid., xv, 22, 23. Paul parcourait la Syrie et la Cilicie, confirmant les Eglises, et leur ordonnant de garder les préceptes des apôtres cl des presbytres. » Ibid., xv. II, Vulgate. • Or, en allant par les villes, Paul el Timothée leur recommandaient d’observer les décisions <|ui avaient été prises par les apôtres et les presbytres (pii étalent à Jérusalem. · Ibid , \\ ι, I. • Le jour suivant, Paul entrait avec nous chez Jac­ ques el tous les presbytres s’assemblèrent. » Ibid., \\i, 18. 2. Dans l'épllre de saint Jacques adressée aux /udéochrétiens dispersés. — « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? qu’il appelle les presbytres de l’Eglise, et qu’ils prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Sei gneur. · Jac., v, I L 3. Dans les Églises /ondées par Paul et Harnabé. \près avoir ordonné des presbytres en chaque Eglise, cl avoir prié et jeûné, Ils les recommandèrent au Sci­ untur. ■ Ibid., xiv, 22, L A Éphèse. — « Or. de Milel envoyant à Ephese, il convoqua les presbytres de l’Eglise. * Ibid., xx, 17 • Ne néglige pas la grâce qui est en toi, qui t’a été donnée par une prophétie avec l’imposition des mains des presbytres. » I Tim., iv, IL Que les presbytres qui gouvernent bien soient regardés comme dignes d’un double honneur, surtout ceux quis’appliquent à la parole el à renseignement... Ne reçois pas d’accusation contre un presbytre, si ce n’est devant deux ou trois témoins. Ibid., v, 17, 19. 5. En Crète. — * SI Je l’ai laissé en Crète, c’est pour que lu établisses les choses qui manquent et que tu constitues des presbytres dans chaque ville, ainsi que je te l’ai pres< rit l it , r, 5. 6. Saint Pierre aux chrétiens d'Asie Mineure. — Je conjure les presbytres qui sont parmi vous, moi pres­ bytre avec eux et témoin des souffrances du Christ.. ; paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié... Vous aussi· jeunes gens, soyez soumis aux presbytres. » I p. t . S. 1. 5 7 Inscriptions de II et III Joa. Le presbytre à |j «f ini·· Lh < t· au tr »-s · h< i < »anis K Épllre de saint Clément aux Corinthiens. i. 3 : « Vénérez les presbytres qui sont parmi vous. » — vf. 3 : · L’envie..., les factions, la sédition .., sont venues, ainsi... les jeunes (Ά viol) se sont levés 140 contre les presbytres. » - xxi, G : < Vénérons le Sei­ gneur Jésus..., respectons nos supérieurs, honorons les prcsbylres. élevons les jeunes gens dans la discipline de I la crainte de Dieu. » - xi.iv, 5 ; Bienheureux les presbytres dont la course est Ici bas achevée; Ils ont obtenu une fin riche en mérites el en perfection ; ils ι n’ont plus à craindre d’être expulsés do la place qui leur avait élé assignée. » XLVli, G ; « Il est honteux, frères, et on rougit de rapprendre; oui, ce sont des choses indignes du nom de chrétien : l’Eglise de Corin­ the si ferme et si ancienne, pour faire plaisir à une ou deux mauvaises têtes, s’est soulevée contre les presby­ tres. - — Liv, 2 : · Celui qui est généreux dira : SI cette sédition a éclaté Λ mon occasion, je m’en Irai où il vous plaira, et je ferai ce que la communauté voudra m’im­ poser; mais il est nécessaire que le troupeau du Christ jouisse de la paix avec ses prcsbylres établis. » LVir, I : · Vous donc qui avez jeté les semences de la révolte, soumettez-vous aux prcsbylres. · 9. Ce Pasteur <1’1 fermas est le premier document qui parle des presbytres de Home : · Les prcsbylres qui dirigent l’Eglise i /s. n. iv. 2. 3; m. i. 8. Par hd-même, le mol presbytre ne peut fournir d’indication certaine sur le caractère sacré ou la fonc­ tion remplie dans l’Eglise par ceux qu’il désigne dans les textes précités. Pris adjectivement, il signifie âgé, ancien; substantivement, Dieillard. En ce sens originel, il est parfois employé dans le Nouveau Testament, par exemple, Luc., xv, 25; Act., h, 17; 1 Thn., v, 5. Pris collectivement, les prcsbylres sont le collège des < anciens du peuple -, corps d’autorités constituées et dont, en règle générale, les membres soûl d’âge avancé: c’est la γερουσία de Sparte, le senatus de Home, les anciens d’Israël avant el après l’Exodc, Ex., i(î, P»; iv, 29, son sénat du (etnpsdes Macchabées, H Macch., h 10; xi. 27. Pendant l’exil, le livre de Daniel, xiu, montre les anciens ■ à Babylone dans l’exercice de leurs fonctions de juges. Dans l’Evangile, les πρεσούτερο» désignent parfois les anciens, c’est-à-dire les grands ancêtres, les anciens docteurs de la Loi, les patriarches, les hommes illustres, dont la doctrine n créé la tradition. Malth , xv, 2; Marc., vn, 3, 5. Mais ce mot l’applique surtout A la classe τ;ρος exprimait l’idée d’autorité, de supériorité, de quelque nature que co soil. Les chré­ tiens de Jérusalem ont employé le nom pour désigner leurs chefs spirituels, leurs pasteurs; bientôt les autres communautés leur ont emprunté cet usage, d’autant plus facilement que, dans la langue grecque aussi, comme le prouve la version des Septante, ττ; σ Λτζρος avait le même sens. Michiels, L'origine d l'épiscopat, Louvain, . .... p. IG7. Plus ou moins vite, selon les régions, le titre d’évêque est réservé au dignitaire chef unlipic d’une Eglise, à celui qu'aiijoiiid’hui encore nous nommons évêque. Le mot πρίσδίτεροι est réservé au simple prêtre, d’une façon absolument exclusive quand il est employé en opposition avec ίπίσζοηοι, bien quo par­ fois, en un sein large, il .c trouve encore appliqué aux évêques proprement dits. Voir art. Ϊονλγ.ρ. ι/Αντιο· CHii (Saini), I mt. c///., col. 378; Polycrate, rit mit comme évêque de Smvrnc Polyairpc, comme évêque d’Euménle, Th rasée, ainsi que l'évêqua Sagaris, dans Eusêbe, op, cil., I. V, c. XXIV, n. 2, ibid., col, 190, et surtout saint Innée, voir t. vn, col. 2428; Évêqui.s, t, v, col. IC 85 1686. Ce n'est que postérieurement aux temps apostoli­ ques que les prêtres cl les évêques ont pris également le nom de sacerdotes, trpcîc. · Au début, déclare Glhr, on ne voulut pas appliquer les noms de < prêtres » (teprîe) et de · lévites » aux membres de la hiérarchie de rftgllNc catholique, afin d’écarter... cette opinion absolument fausse, que le clergé catholique continuait simplement le sacerdoce de la Loi ancienne. » Les sacrements de /’ Eglise catholique, tr. franç., I .iris. s d (1901), t. iv, p. 127. Le terme sacerdos fut, en général, durant les dix premiers siècles, réservé A l’évêque qui possède la plénitude du sacerdoce. Les simples prêtres étalent appelés sacerdotes secundi ordinis, minoris ordinis, in/crioris ordinis sacerdotes, ol έκ w» Λευτϊρου θρόνου. Le pontifical les appelle minoris ordinis sacer­ dote* (allocution : Consecrandi); sequenti* ordinis niros et secundi? dignitatis (préface ronsécratoirc). 2° La /onction. Déterminer les fonctions précises des presbytres de l’âge apostolique est un problème délicat et pour ainsi dire, si on l’envisage dans sa complexité, insoluble. Le point fondamental, qu’il importe d'éclaircir, et qu'on a laissé en suspens à l’article Ommi:, col. 1215, est co1ui-c4 : le presbytérat. dans l’Eglise apostolique, comportait-il toujours une fonction sacrée et, par conséquent, des pouvoirs spiri­ tuels conférés par l’ordination, ou bien pouvait-il représenter simplement un ordo purement honorifique? Les solutions apportées ù ce problème peuvent être ramenées à trois tendances, nonobstant quelques diver­ gences notables entre certaines réponses apparentées. L Γη premier courant, qu’on pourrait qualifier de traditionnel cl qui remonte aux premiers âges de In littérature chrétienne, a toujours vu dnns les presby­ ties des personnages Investis de fonctions sacrées. On n démontré, à l’art EvAqi i s, col. 1659-1661, la synony­ mie des termes éplscope el presbytre dans les écrits apostoliques. Sans doute, surtout chez les auteurs qui n'étudient pas en exégètes l’Ecriture sainte, on croit trouver aux mots επίσκοπος et πρεσβύττρος Ια signi­ fication qu’ils présentent actuellement dnns In hiérarhie ecclésiastique. On peut citer notamment saint I rénée, Clément d'Alexandrie, Origine, Tcrlullien. saint Hippolyte, saint Cyprion, la Didascalie et les Constitutions apostoliques, dont la doctrine et les textes principaux ont été rapportés ù l’art. Onnm , col. 12271231. On notera cependant avec Mlchlels. op, cit., p. 121. que Clément d’Alexandrie, Origine et Tcrtul­ lien, · alléguant le précepte de l'Apôtrc, I ’Dm., ni, 2 (cf. TU., i, 6) : Δει έπίσκοπον... civil μιας γυναίκας &ν#ρα, rapportent cet avertissement aux prêtres comme à l'évêque; si bien qu’ils paraissent admettre que le nom επίσκοπος comprend les deux ordres ». Et II faut en dire autant de saint Grégoire de Nazlanze. commentant le même passage dans son Oral., ιι, A polo· gctica, n. 69, P. G., t. xxxv, col. 177. Mais, dans leur exégèse des textes, hi plupart des Pères, notamment ceux qui font un commentaire suivi, remarquent que, dans l’usage courant, les auteurs de l’Agc apostolique confondent les noms et désignent les mêmes personnes tantôt comme éplscopes >, tantôt comme « presbytre* ►. Saint Jean (Ju vsostomc admet ainsi que les denominations d'évêque, de prêtre et même de diacre étaient communes II en est de même i I ; I I 142 de Théodoret, d’rr ς dans les écrits apostoliques était Invo­ quée comme un puissant argument en faveur de cette thèse, les « évêques » ne se distinguant j as primitive­ ment des prêtres et ceux-ci n'étant, en réalité, que les anciens de la communauté, choisis en son sein en raison de leur Age Contre les assertions protestantes, la plupart des théologiens et des historiens catholiques maintiennent la position traditionnelle : les noms furent communs, les fonctions ne l’étalent pas et, en tout cas, ces fonc­ tions requéraient un caractère sacré, aussi bien chez les prêtres que chez les évêques, le nom d’évêque étant cependant plus particulièrement réservé aux digni­ taires du premier rang. N oir Baronius, Annales eccle­ siastici, t. i, Anvers. 1612, p. 517 sq. (ad annum Christi 58. η. 3 sq.); Bellarmiii, Controversiarum, t n, De membris Ecclesitr, I. I, De clericis, c. xrv, xv; Becanus, Summa thcologür. De sacramento ordinis, q n; Tillemont, Mémoires.,., 2· éd., t i. Paris. 17ü| ; saint Paul, n. 13; Morin, De sacris ordinationibus.,., part. 111. cxcrc. 3, c. n et m ; Toumély, Pra ted, theot.. De sacra­ menta ordinis, q. si, a. 1 ; Gonet, Ctypcus theol, thom.. De sacramento ordinis, disp. IV, n. 10-11; Billuart. Cursus theot., De sacramento ordinis, diss. IV, a L obj. t*. I-'ranzelin soutient comme plus probable que, si les évêques se sont appelés prêtres, néanmoins le mot évêque a toujours, même aux temps apostoliques, été réservé aux prêtres du premier rang. Them de Ecclesia Christi. Home. 1887, th. χιιι. Duns sa thèse doctorale. De regimine ecclesiastico pixta / atrum apostoticorum doctrinam, Louvain, 1881. Lesquoy fait dépendre celte exclusis Hé du contexte. Pel au. le premier, proposa une nouvelle interpréta­ tion, établissant l'équivalence ά'έπίσκοπος et de πρ<σβύτ<ρος quoad rem, aux temps apostoliques. A chacun des deux mois, il veut conserver son sens pro­ pre, évêque et prêtre, tel que l'usage l’a fixé depuis le n· siècle. Mais, pour expliquer leur synonymie dans les écrits du i«r siècle, Il conjecture <|u'à l'origine. A cause des besoins de l’ftgllse naissante, tous les prêtres avalent reçu la plenitude de l’ordre, par conséquent l'épiscopat tel que nous le concevons aujourd'hui, de telle sorte que tous, étant prêtres et évêques, pou­ vaient indifféremment, mais en toute vérité, être appe­ lés ίπίσκοποι mi πρεσόύτεροι. Dissert, cedes., I. L c. i, ii; De ecdcsiast, hicrarchia, I I, c. iv. Plus rveem- 1 ί3 PRÊTRE. LA PONCTION ment. Perrone a repris celle opinion, dont il montre les avantages pour résoudre les difficultés. Theologia, Trad, de ordine, c. ιπ, η. 102-101. Dans un autre endroit du De ccclestasl. hierarchia, Pelau reprend la question cl se demande si ceux que les cpilres cl les Actes nomment prêtres furent aussi évêques. L. IV, passim. Après avoir allègue les passages du Nouveau Testament qui y ont trait, il donne comme probables deux opinions La première est celle qu’il a exposée au I. I. La seconde, fruit d’une étude plus approfondie, lui est fournie par les anciens écri­ vains : a b antiquis tradita. Elle semble suggérée, au moins en partie, par l’exégèse de Théodore de Mopsuestc, voir Évêques, col. 1689 sq.» cl très certaine­ ment clic est inspirée par saint Jean Chrysoslomc, saint Jérôme, Théodoret et l’Ambrosiaslcr, cités plus haut, i Dans les Églises fondées par eux, les apôtres n'auraient tout d’abord établi que de simples prêtres de second ordre. Et cc sont ces prêtres qu’ils auraient nommés indifféremment πρεσβύτεροι et επίσκοποι, parce qu’au conseil de ces prêtres étaient confiés le gouvernement, la surveillance de ces Églises. Les fonctions sacrées, dont l'exercice requiert le pouvoir épiscopal, étaient remises jusqu’à la visite de l’Apôtre, qui demeurait pour ainsi dire l’évêque de scs Églises, ou jusqu’à la visite d’un de scs délégués, par exemple, Timothée ou Tito. Les précisions apportées par Pelau. sans être adop­ tées (exception faite pour sa première opinion pleine- I ment acceptée par Perrone), ont certainement influencé les théologiens plus récents. On les trouve citées avec faveur par Marnachi, Originum et antiquitatum christia· norurn UbriXX, Home, 1752,1. IV, c.iv.g l.n l;§2,n. 1; 1 par Noël Alexandre, Historia ecclesiastica, t. iv, Paris, 1699, diss. Xi J v, § 12; le Manuel biblique de Bacticz y fait certainement allusion, t. iv, Paris, 1896, n. 571. Sa deuxième opinion, en particulier (les épiscopespresbytres désignant des prêtres de second ordre et non des évêques proprement dits), se retrouve, à quelques ! nuances près, sous le couvert de Théodoret. dans le commentaire de Bcelcn sur les Actes des apôtres, xx, 28, et a inspiré Dollinger, Cliristcnihum und Kirchc in der Zeit der Grundlegung, t. in, Batisbonne. 1860, § 1, η. 11-20. Mais c’est M. Michicls qui lui a donné récem­ ment le meilleur relief, en comblant les lacunes qu’elle présentait encore. Pour M. Michicls, il y a « surtout trois systèmes d’interprétation possibles. On peut maintenir la dis­ tinction originelle entre les deux titres (πρεσδύτερος et επίσκοπος) et les fonctions correspondantes. Ou bien on peut admettre que chacun des noms n’exprime qu’une notion commune et générique, celle d’autorité, notion représentative de divers ordres, selon la déter­ mination du contexte : ainsi, les anciens et les surveil- I lants pourraient comprendre les évêques, les prêtres et les diacres. Enfin, on peut considérer les termes syno­ nymes, réservés l’un et l’autre comme dénominations d’un seul et même degré de la hiérarchie, si bien qu’ils 1 auraient été indifféremment employés l’un pour l’autre avec un sens très précis, les · anciens ■ étant partout identiques aux · surveillants ». « Cette dernière opi­ nion, (lit l'auteur, est lu nôtre. » Op. cit., p. 210. Les textes de l’àge apostolique prouvent à l’évidence la synonymie des deux termes. Car l’usage simultané des deux noms sous la plume d’un même auteur et dans une acception identique prouve surabondamment la synonymie. Cf. Act., xx, 17 et 28; I Tim., in. 2 cl v, 17; Tit.» i, 5 et 7; I Pet., v, 1, 2 et 5; Clément de Hume, Ad Cor., xui, 3; xliv, G; liv, 2; lvii. 1. Mais à la synonymie des termes s’ajoute l’identité complète des fonctions · les anciens (πρεσδύτεροι) et les sur­ veillants (επίσκοποι) sont les pasteurs du troupeau de Dieu (Act., xx, 17, 28; I Pet., v, 1, 2; Clément, Ad Cor., xi .il, 3); ils dirigent les fidèles et gouvernent les Kî Églises (I Tim.. ni. 5; v, 17; Heb., xni. 7, 17. 21; 1 Pet., v, 1-5; I Thess., v, 12; Clément, xlii; xliv; LXIIÎ, 1, el passim); ils sont les intendants de Dieu (I Tim., ni, 5; Til., i. 7 ; I Pel., n, 25; v, I; Hob., χιιι, 17), établis par 1 Esprit Saint (Ad., xx, 28). Digni­ taires des communautés (Phil., i, 1. cl passim), ils exercent leur présidence sous le contrôle et l’autorité supérieure des apôtres (Act., xv, 2 sq.; xx, 17 sq.; xxi, 18; 1 Tim., in, I sq.; v, 17-22; Tit., i, 5 sq.; Clément, xlii, xliv). En vertu de leur charge, ils enseignent la doctrine de la foi (Ad., xv; χχ, 28-32; XXI, 25; I Tim., ni. 2; v, 17; l it., t, 9; I Thess., v, 12; Ileb., xiii, 7; Clément, xlii, 3; Didachê. xv, 1) et offrent l’eucharistie (Clément, xliv, I; Did., xiv-xv); ils ont droit au respect et à l’obéissance (passim), à l'entretien (I Tim., v, 17. 18); ils exercent un office, une fonction nommée soit λειτουργία, soit έπισκοπή, soit τόπος (I Tim., m, 1 ; Clément, xliv); ils prennent part à l’imposition des mains (I Tim., ιν, 1 I), mais il n’est ni dit ni supposé qu’ils aient le pouvoir d’insti­ tuer eux-mêmes d’autres ministres; ils reçoivent leur institution des apôtres ou de leurs délégués ou de leurs successeurs (Ad., xiv, 23; xx, 28; I Tim., m ; v, 22; Tit.. i, 5; Clément, xlii, xliv, 1,2). > Michicls, op. cit., p. 216. Le litre d’· anciens », πρεσδύττροι, fut d’abord donné dans l'Église judéo-chrétienne de Jérusalem, transposition naturelle de l’expression « anciens du peuple employée chez les Juifs pour désigner les assesseurs du grand sanhédrin, voir col. 1 10. Le titre d’épiscope, surveillant, fut donné d’abord dans les Églises des nations; d. Jacquier, Les Actes des apôtres, Paris, 1926, introduction, p. ccxviî. On sait qu’avant d’être adopté et consacré par la langue ecclésiastique, επίσκοπος était un mot usité dans la langue grecque cl servait à désigner, dans son acception générale, qui­ conque exerçait une charge publique, une fonction, une magistrature. Voir Évêques, col. 1658. Mais bientôt, en grec, dans la langue ecclésiastique, presbylrc et épiscope furent employés indiiTereinment, le premier exprimant vraisemblablement plutôt la dignité; le second, la fonction. Si l’on ne trouve pas accouplés les litres de presbylrcs et de diacres, mais bien d’éplscopes et de diacres (cf. Phil., r. I ; l Tim., ni: Clément, xlii; Did., xv), c’est vraisemblablement qu’il est plus naturel d’opposer au < serviteur s le « préfet », l’« intendant ». que J'· ancien ». Une dernière remarque relève que nulle part ne sc présente la mention simultanée des surveillants (επίσκοποι), des anciens (πρεσδύτεροι) cl fies diacres, comme de trois ordres chrétiens -. Michicls, op. cil , p. 217. On a cons­ taté que, dans toute cette argumentation, les mots προϊστάμενοι, présidents ,cf. I Thess., v, 12, 13, et de ηγούμενος, «dirigeants», cf. Heb., xm, 7, 17, 21, et Clément Romain, î, 3; xxi, 6, sont supposés les équi­ valents de πρεσούτεροι et (Ι’έπίσκοποι. \ oir Ononi:, col. 1222-1223. Pour que l’argumentation de M. Michicls soit pleine­ ment concluante, il faut encore prouver que les per­ sonnages appelés presbylrcs ou épiscopes n’étaient point, au rr siècle, revêtus de la dignité que nous appe­ lons aujourd’hui épiscopale. L’auteur s’appuie d’abord .sur le fait que la fonction caractéristique du pouvoir épiscopal est de conférer les ordres sacrés par l'impo­ sition des mains. Or, nulle trace que les επίσκοποιπρεσβύτεροι du i,r siècle aient eu cc pouvoir : 1 Tim., ιν, I I, indique simplement que le presbyterium a pris part à la liturgie de l’ordination; mais seul l’Apôtre a le droit de consacrer; ci. 11 Tim.. i, 6. Une seconde carac­ téristique traditionnelle de l’épiscopat, c'est l’unité; or. les textes du siècle parlent de plusieurs presby I rcs ou épiscopes dans la même communauté. Il y a un collège de pasteurs à la tête des Églises de Jérusalem (Act., xv, 2, l;xvi, I ; xxr, 18). d’Éphèsc (Act., xx 17 I 5 P B ET B E. LA FONCTION 28) et de Philippes (Phil., i, I) : c’est le πρεσβυτέριου de l’Eglise (I Tim., ιν, 11). Le fuit parait également établi pour les Églises fondées par saint Paul dans son premier voyage, pour les communautés des épîtres de saint Pierre (cf. I Pel., v, 1 ), de saint Jacques (cf. Joe . v, I1), de la Dldaché (xv, 1); en un mot, pour toutes les Églises que les apôtres fondèrent. Au sein du collège presbyténil, pas de chef d’ordre supérieur, ni même un président : la juridiction supérieure est exercée soit par les apôtres eux-mêmes, soit par leurs délégués. Si saint Pierre se nomme συμπρεσβύτιρος, quoiqu'il soit le supérieur des prêtres, c’est vraisemblablement par condescendance et affection, tout comme il nomme Jésus-Christ le pasteur et l'«épiscopc* des Ames, I Pet., n, 25, tout comme plus tard, saint Ignace d’Antioche, quoique évêque, se dira volontiers le collègue des dia­ cres, σύνδουλος (cf. Eph., i, I ; Matin., n; Smijrn., xn, 2). Enfin, un dernier argument est tiré de la lettre de Clément de Home : le gouvernement des · surveil­ lants », επίσκοποι, et des diacres ne suffit pas à assurer la transmission du ministère chrétien. 11 faut que les apôtres établissent un nuire ordre, supérieur aux • épiscopes » (dont les membres recevront bientôt et en propre la dénomination d’επίσκοποι), mais que saint Clément désigne encore par une périphrase : • des hommes éprouves qui ont recueilli le ministère des apôtres », · des hommes illustres qui instituent les • surveillants » (xliv, 1-1); cf. Ordre, col. 1219. M. Michicls croit rencontrer dans le concile de Trente une difficulté à sa thèse dans l’application que le concile fait d’Act., xx, 28 aux évêques proprement dits. Et il pense la résoudre en disant que « le concile de Trente n’a pas voulu donner une interprétation authentique, définitivement imposée par l’infaillibilité du magistère » (op. cil., p. 227). S’il avait lu les actes du concile, il aurait constaté que les Pères de Trente ont pressenti sa difficulté et qu'elle est d’avance résolue en un sens favorable A sa thèse. Voir Ordre, col. 13581359. Dans toutes ces opinions catholiques sur les πρεσβύτεροι primitifs, aucune discordance quant au carac­ tère sacré des fonctions de ces prêtres. Ce sont, pour les raisons qui ont été développées A Ordre, des fonctions relatives A l’administration spirituelle des fidèles et communiquées A ceux qui les ont reçues par le rite sacramentel de l'imposition des mains. 2. A l'opposé de ce courant traditionnel et catholique se trouvent 1rs assertions protestantes, du moins en dehors des Églises épiscopaliennes. Nous n’avons pas A nous occuper ici des efforts faits parles anglicans pour main­ tenir la thèse de l’institution apostolique de l’épiscopat. Cf. Michicls, op. cit., p. 127-128. Mais il importe de rappeler que. dès l’origine, le protestantisme, niant d’ailleurs l'institution divine d’un épiscopat dans l’Église et s’appuyant sur la synonymie des termes επίσκοπος et πρεσβύτερος A l’époque apostolique, a proclamé le sacerdoce universel (les laïques, le ministre n’étant, en somme, que le délégué de la communauté, chargé par elle de prêcher la parole divine, d’enseigner la Bible et d’administrer les sacrements. Voir Ordri , col. 1337 sq. Pour Luther, le terme πρεσβύτερος signi­ fie simplement · ancien · : dans la primitive Église, l’autorité ecclésiastique était confiée aux plus anciens, tout comme, en une cité, le titre de sénateur > est décerné aux plus Agés. L’évêque est ainsi un simple surviilhint, 11 dchtcr au/ der Warte; et. au même litre, tout curé, tout supérieur ecclésiastique doit être dit • surveillant », parce qu'il est un gardien qui veille A cc (pie. dans son peuple, l’Évangilv et la fol nu Christ soient constamment édifiés. Lc sacerdoce dans l’Église est donc une institution purement humaine, ne com­ portant aucun pouvoir sucré reçu de Dieu, soit immé­ diatement, soit médiatement. Cf. Onimi., col. 1339. 1'1 G Les memes négations se retrouvent chez Thomas Jllvricus, Con/ess/on d'Anvers, c. xi; plus tard, chez Chemnitz, Examen concilii Trident ini. Francfort. 1578, part. IL p. 1162 sq. Elles ont été renouvelées avec insistance par Mélanchthon, dont on trouvera la doc­ trine exposée A Ordre, col. 1339-1313; par Calvin. Théodore de Bc/«·. Zvvmgh·. col. 1.113-1316; tous d’accord « pour nier l’existence de l’ordre comme sacre­ ment, pour nier la collation d’un pouvoir spirituel dans le sacrement de l’ordre, la supériorité de l'épisco­ pat sur Je simple sacerdoce et le pouvoir des évêques de conférer par l’ordination un véritable pouvoir avec la grâce pour en exercer les fonctions. Tous sont unani­ mes a conserver l’imposition des mains comme une coutume humaine, légitimement introduite, pour assu­ rer dans l’Église le bon fonctionnement de la prédica­ tion et de l’administration des sacrements ·, cette imposition redevenant ainsi ce qu’elle était dans la primitive Église. · une simple consécration ou mise a part pour le service de Dieu, un rite initiateur précédé du jeûne et accompagné de ferventes prières, pour appeler, sur ceux qui en étaient l’objet, des grâces pré­ cieuses du Saint-Esprit, la reconnaissance publique et le sceau de la double vocation du chef de l’Église cl de scs rachetés », col. 1316. 11 ne suffit pas de nier; il faut expliquer. Les théolo­ giens protestants mettent à la base de leur système le fait de l’établissement par Jésus-Christ d’une Église démocratique, héritière dans sa collectivité de l’auto­ rité confiée par le Christ aux apôtres pris collective­ ment, et s'organisant ensuite elle-même selon les exi­ gences des circonstances, ('.cite organisation, dans les communautés primitives, produisit l’institution de chefs, chargés de remplir les fonctions liturgiques et de veiller à la discipline. Les historiens et les critiques ont senti le besoin d'aller plus loin et de préciser quelles influences ont agi sur l’Église primitive pour déterminer les cadres de l’autorité. C’est par là qu’ils nous ont donné leur sentiment sur le presbyterat primitif. Pour nous en tenir aux modernes, ils sont unanimes — bien qu'ils professent sur les origines de la hiérar­ chie les opinions les plus diverses — A affirmer, dans les écrits apostoliques, la synonymie absolue des ter­ mes επίσκοπος et πρεσβΰτερος. M. Michicls cite : Hol he. Die An fange der christlichen Kirche und ihrer Verfassung, Wittenberg, 1837. p. 173; C. Baur. Uebcr den L'rsprung des Episcopats in der chnsttiehen Kirche, Tubingue. 1838. p. 73; Bickell. Geschichtr des Kirchenrechts, t. n. Marbourg. 1819; Bitschl, Die Enlstehung deraltkatholischen Kirche. Bonn. 1857; Weizsàcker, Die Kirchcnvcrfassung des apostolischen Zeitalters, dans Jahrbûchcr fùr deulsche Théologie, 1873, p. 663 ; Beyschlag. Die christliche Gemeindeverfassung im Zeitaller des X. T., Harlem, 1871; H.-J. Holtzmann. Pastoralbriefe, Leipzig, 1880. p. 207-212; Hatch, The organisation of (he early Christian Church, Londre ,1881 (traduit par Harnack, Die Gcsellschaftsoerlassiing der christliehen Kirchen im Alterlum, (îiessen, 1883); Gebhardt-llarnack, Patrum apostolicorum opéra, 2* éd., note sur l’épltrc de Clément de Koine, i, 3; Lightfoot. . Dans les Pastorales, < II y a une distinction très sensible entre les fonctions de l’épiscopc et celles dos pretbytres, quoiqu’elles se touchent ou sc rejoignent sur bien des points Les origines de Γ épiscopat, Paris, 1891. p. 179,313. I '18 C’est du côté des institutions grecques que Renan va chercher l'origine des épiscopes-presbylrcs. sans cons­ truire cependant de système Λ ce sujet. Ce n'est qu'un rapprochement avec les associations religieuses, thiases ou collèges, du monde grec, où l'épigraphle lui révélait des έπίσκοποι, des πρεσθ^τεροι. Les origines du chris­ tianisme, t. n, 1868, p. 353; t. 111, 1869. p. 218, etc. Après la publication de Foucart, Les associations religieuses chez les Grecs, Paris. 1873. Weingarten pensa découvrir toute la hiérarchie catholique dans l'épigraphic des thiases : l’association chrétienne aurait commencé par le régime du patronat, chaque groupe possédant son προστάτης; puis le régime du patronat se serait transformé en celui des collèges, le προστάτης ayant été remplacé par un επίσκοπος ou thiasarque, assisté de prêtres. Cf. Historische Zeit­ schrift, t. xî.v, 1881, p. ill sq. Voir Ordre, col. 1197. Encore qu’il garde la thèse fondamentale de la théologie protestante, Edwin Hatch admet, avonsnous dit, la distinction originelle des épiscopes et des presbytres. L’épigraphic établirait que les épiscopes sont les fonctionnaires chargés, dans les villes de Syrie et d’Asie Mineure, de la gestion des finances munici­ pales. Chaque communauté chrétienne était adminis­ trée, au point de vue matériel et disciplinaire, par un conseil d’anciens ou presbytres. Mais ceux de ces pres­ bytres qui étaient affectés aux finances furent nom­ més épiscopes. Les diacres étalent les assesseurs des épiscopes. Dans les grandes villes, où le service finan­ cier était plus considérable, on en centralisa toute la gestion entre les mains d'un episcope chef, qui devint bientôt le type de l'évêque souverain. Harnack reprend cette idée et la complète. On doit distinguer, dans les communautés chrétiennes primi­ tives, comme une double organisation. La première partage la communauté en dirigeants, πρεσδότεροι, et dirigés, νεότεροι (l’interprétation est d’ailleurs sub­ stantiellement exacte, voir Oiidre, col. 1216). Mais, parmi les dirigeants, l’administration dons à recueil­ lir. aumônes à distribuer, culte ù exercer — est la fonction déléguée à des presbytres spécialement dési­ gnés sous les noms de diacres et d'épiscopes. Il y eut ainsi de simples presbytres et des presbytrcs-épiscopes. Ni les uns ni les autres n’avaient à s’occuper du minis­ tère de la parole : c’était lù le lot des apôtres, des pro­ phètes ou des didascales, investis par vocation ou par charisme. Quand disparurent prophètes et didascales, les épiscopes les remplacèrent dans la διακονία του λόγο· . en vertu non d’un charisme, mais de la déléga­ tion vraie ou supposée des apôtres. C’est la crise, ame­ née par le gnosticisme, qui, par besoin d’unité doctri­ nale. créa l’épiscopat monarchique. Voir spécialement la traduction du livre de Hatch; les Prolégomènes à Die Lehre der zinol/ Aposlel (Didachè), Leipzig» 1881. dans Texte und Untersuchungen, t. n, fasc. 1-2, et la Dogmcngeschichtc, 3· éd., t. 1, Frlbourg-cn-Brisgau, 1891. p. 201 sq. Pour K. Weizsàcker, les presbytres sont les plus anciens membres (άπαρχαί) de la communauté, les témoins des apôtres, comme les apôtres l’étalent de Jésus-Christ. C'est parmi les presbytres qu’ont été choisis les membres chargés de fonctions, les προϊστά­ μενοι, ηγούμενοι ou ίπίσκοποι, l'investiture de ces fonctions appartenant sans doute aux suffrages des presbytres. Comme Harnack. Weizsàcker admet que prophètes et didascales ont été éliminés par les épisco­ pes. Le ministère de In parole, devenu le lot des épisco­ pes. fut centralisé entre les mains d'un épiscopc suprême ; les autres épiscopes sont ainsi tombés au rang des presby très, avec cette dilfércnec que les deutéropresbytres avaient une fonction, tandis que les - proto-presbx 1res n avaient qu’au titre, /hn apostoUsche Zcttalter, Fribourg-cn-Brisgau, 1892. p. 613 sq 150 Loning abat tout d'abord les systèmes de Weingar­ τερ'ζ ont 1rs places d'honneur à la table eucharistique ten el de Hatch. Il montre que les institutions hiérar­ autour du liturge et forment son conseil, et ce conseil chiques de l’Église ne doivent rien aux institutions désigne Γέτίσκοπος qui doit célébrer l’eucharistie. collégiales ou municipales de la société païenne et que L’épltre de Clément aux Corinthiens met le point final l’assimilation des épiscopes aux έπίσκοζοί des Inscrip­ a l’état charismatique et inaugure. à Home, l’épiscopat tions grecques esl Insoutenable II distingue trois types monarchique, résultat de l’aspiration vers l’ordre et le d’organisation coexistant dans l’Église chrétienne à la droit, notamment pour la liturgie eucharistique. tin de l’àgc apostolique, cl qui se seraient fusionnés Dans tous ces systèmes (dont on voudra bien, en ce selon l'idéal de saint Ignace d’Antioche dans la pre­ qui concerne leur these parallèle de l’origine de l’épis­ mière moitié du ne siècle. Un premier type est la com­ copat, consulter 1rs exposés à Évêqves, col. 1691 sq.), munauté souveraine, élisant le comité d’éplscopes qui dans toutes ces explications, il y a très certaine­ l'administre : ceux-ci accaparent bientôt pour eux ment d’utiles cl Intéressantes observat Ions de détail. seuls le ministère de la parole et du culte, qui d’abord Mais, du point de vue substantiel qui nous occupe — le avait été exerce individuellement et librement. Le caractère sacré de la fonction des presbytres — ces second type est la communauté dirigée par te presbytéthéories partent toutes du même préjugé protestant : rium. comité de presbytres investis par l’imposition l’absence d’un ministère sacré, d’institution divine, des mains reçue des presbytres eux-mêmes,et auxquels aux origines de l’Églisc. Or. quelle que soit la part de appartiennent la parole, le culte, la discipline. Le troi­ vérité à faire aux observations d’ordre secondaire, sième type est celui de la communauté à épiscopat l’étude objective des textes oblige à réprouver cette unique, fondée sur le modèle de la chrétienté de Jéru­ erreur fondamentale. Nous avons démontré, en effet, salem, dont Jacques, puis Siméon. furent évêques. que « tout au moins un certain nombre d’anciens deve­ En bref, « les résultats considérés comme les plus naient tels et étaient constitués chefs dans les Églises certains et les mieux établis par les tenants des doctri­ par l’imposition des mains, sorte de consécration don­ nes évolutionnistes, paraissent être les suivants. La née par les apôtres, leurs délégués ou leurs rempla­ /onction de l’épiscopc dans les communautés chrétien­ çants, et que plusieurs de leurs fonctions impliquaient nes ne fut pas une fonction doctrinale, mais une fonc­ un véritable pouvoir sacré ». Orinnr. col. 1215. On ne tion administrative au sens le plus large du mot. com­ conçoit pas. en effet, que. sans caractère sacré, les prenant la discipline, les finances, le culte, les relations πρίσβύτεροι de l’Église de Jérusalem nient été appelés avec l’extérieur : c’est une fonction matérielle, discipli­ par les apôtres au gouvernement, non seulement disci­ plinaire. mais encore doctrinal de l’Église, col. 1213. naire et locale, identique à celle qu’exerçaient les administrateurs dans les autres corporations du temps, (‘.etle impression devient une certitude dans l’épltre de dont l’organisation, malgré quelques diversités, était Jacques, où les anciens de l’Église apparaissent comme analogue à la constitution municipale, et dont les syna­ dotés du pouvoir d’administrer un rite sacré, col. 1213. Dans l’Église d’Éphèse, les πρεσδύτεροι apparaissent gogues en terre païenne n’étaient elles-mêmes qu’une ce qu’ils sont à Jérusalem, · recteurs de leur Église, variété. Le ministère de la parole était exercé par les pasteurs des fidèles, intendants de Dieu et c’est à eux • spirituels », par ceux qui étaient doués des charismes De là un double élément dans la vie sociale des pre­ qu’il incombe de veiller sur le troupeau ». Ils sont iden­ tiques aux cr.iozoTGt. col. 1213. Les pastorales sonl miers disciples : l’organisation charismatique ou spiri­ plus explicites encore, puisqu’elles montrent les pres­ tuelle, représentée par les prédicateurs itinérants, et bytres non seulement investis par les apôtres d’un l’organisation administrative locale, celle-ci tendant à la constitution d’un gouvernement. On peut y ajouter pouvoir gouvernemental cl doctrinal dans l’Église, mais encore investis par la cérémonie sacramentelle de une troisième organisation, celle de la direction ou de la conduite des Ames, exercée par les anciens, les nota­ l’imposition des mains, col. 1211. L’imposition des mains, comme rite consécratoirc des presbytres, est bles, les presbytres. Vers la tin du i*f siècle ou au cours du ir, ces éléments se fusionnèrent en un seul orga­ déjà signale e aux Ait (απαρχή), aux bienfai­ teurs ct patrons (προστάτης) comme Stephanas à Corinthe, aux notables qui dans leur maison donnaient l’hospitalité à I Église locale, comme Nympha à Laodicée, ou Philémon à Colosses, ou Aquilas à Éphèse. cl que ce litre pouvait mettre qui le portait en tête de la communauté, sans lui conférer ni ordre ni juridiction. C’est ainsi qu’à la fin du n® siècle et encore au m* le fait d’avoir souffert le martyre donnait, au confesseur qui survivait à la comparution et à l’emprisonnement, le litre de presbytre, sans qu’on puisse dire que cette prerogative martyrii, comme on l’appelait, conférât rien du sacerdoce. On pouvait donc être presbytre sans sacerdoce, cl tel a Op. cil., p. 261-265« Λ coup sûr, la position de Mgr Batiffol maintient le dogme catholique de l’origine divine du presbytérat, ordre sacre. La critique qu'en a fade M. Michiels, op. cil., p. 158-159 (en note), provient certainement d’une équivoque. Cf. Revue biblique, 1901, p. 130-133. Un fait parait néanmoins certain, et Mgr BatilTol n’y contredit pas, c’est que les πρεσδύτεροι dont il est question dans les textes apostoliques sont chargés d'une fonction sacrée. Qu’il y ail eu des presbytres primitifs, constituant un ordre purement honorilique, c'est pos­ sible; mais ce n’est pas démontré. Les litres concédés aux n« et nr siècles aux confesseurs de la foi avant subi le martyre prouvent simplement qu’on leur accor­ dait une place d’honneur dans le clergé, mais ne four­ nissent pas d'argument décisif en faveur de l’existence d’un presbytérat primitif, purement honorilique. Voir Ordre, col. 1250-1251, 1255« Nos conclusions sont donc celles-ci : a) la these «I un presbytérat qui, aux temps apostoliques, aurait été en sol et dans tous ses membres purement honorilique, est contraire aux documents ct a la doctrine de l'institu­ DIVINE 152 tion divine du sacerdoce : c’est la thèse protestante; b) la thèse de la coexistence d’un presbytérat pure­ ment honorifique avec un presbytérnl-épiscopat com­ portant une fonction cl des pouvoirs sacrés n’est pas contraire à la doctrine catholique, est spéculativement possible, mais ne parait pas cire historiquement démontrée; c Ha thèse qui admet l'identité des fonctions sacrées du presbytérat et de l’épiscopat aux temps apostoliques semble plus probable, et, même en iden­ tifiant ces éplscopes-presbylres avec nos simples prê­ tres de second rang, maintient le dogme catholique de l’origine divine du presbytérat et du véritable épisco­ pat. 3° L'origine divine du presbytérat. — La doctrine de l’Égllse sur ce point a été promulguée par le concile de Trente, sess. xxnr, eau. (’> : Si quelqu'un dit que dans l’Église catholique il n'y a pas de hiérarchie instituée par une disposition divine et qui se compose des évêques, des prêtres et d'autres ministres, qu'il soit anathème. · Dcnz.-Bannw., n. 966; Cavallera, n. 1308. ('.e canon est dirigé directement contre les protestants qui préten­ dent que tous les fidèles sont également prêtres ct reçoivent de Dieu directement la grâce sans l’intermé­ diaire d’un sacerdoce spécial. Déjà, au c. iv, le concile avait déclaré que, < si quelqu’un afllnne que tous les chrétiens sans distinction sont prêtres du Nouveau Testament, ou que tous possèdent entre eux un égal pouvoir spirituel, celui-là parait bien ruiner la hiérar­ chie ecclésiastique... ». Denzinger-Bannvvart, n. 960; Cavallera, n. 1308. Mais, dans le can. 6, le concile pro­ clame l’existence de cette hiérarchie comme un dogme de foi et. par là, définit, comme article de foi, la dis­ tinction entre clercs et laïques. Bien plus, le concile entend jusqu'à un certain point définir qui, parmi les clercs, appartient de droit divin à la hiérarchie. Ce sont d’abord, et sans contestation possible, les évêques ct les prêtres, et cette affirmation, explicitement formu­ lée dans le canon, est donc un article de foi. Cf. Ordre, col. 1361. Par là, l'institution divine du presbytérat s’impose à. la foi catholique. 11 n’est point difllcile, d’ailleurs, de justifier historiquement la définition conciliaire. Nous savons, en effet, que les épiscopcs-presbytres étaient choisis par les apôtres, par leurs délégués ou par • d’autres hommes illustres , leurs successeurs, et que ce choix prenait valeur, devant la communauté ecclé­ siastique, par le rite sacramentel de l’imposition des mains. Voir Okdiie, col. 1212-1220, 1210-1211. Il est donc certain historiquement que les apôtres ont eu l’idée et la volonté de conférer ce sacerdoce de second rang aux sujets choisis par eux. Pourquoi cette idée et celte volonté, sinon parce qu’elle répondait aux des­ seins que le Christ ou l’Esprit-Saint leur avait mani­ festés dans l’institution du sacerdoce chrétien ? Sur l’institution de ce sacerdoce, voir ORDRE, col. 12011206. Des desseins du Christ, les théologiens, s'inspirant de la glose de Bèdc le Vénérable sur Luc., x, 1, P. t. xc.it, col. 161, trouvent une indication dans le choix des soixante-dix disciples, lesquels représenteraient les simples prêtres, tandis que les douze apôtres seraient le type des évêques. Cf. Pierre Lombard, IV Sent , dlst. NX! ', voir Ordre, col. 1302, ct les commentateurs, notamment saint Thomas, Πα-1Ι«\ q. ct.xxxiv, a. G, ad 1 ·>’«. Voir aussi le pontifical, allocution Consecrandi. Ce n’est qu’une indication sans grande portée. L'essen­ tiel, pour le théologien, est de rejoindre le Christ par les apôtres, ct cette soudure est historiquement réalisée par les textes apostoliques eux-mêmes. Cette soudure nous permet de maintenir dans la région des certitudes le fait de l'institution divine du presbytérat II faut, en clTet, éviter de concevoir le presbytérat comme une institution ecclésiastique, réalisée par une sorte de dédoublement de l’épiscopat, à peu près comme les 153 PRETHE. LES OBLIGATIONS 15Λ ordres mineurs ont été créés par dédoublement du autonomie C'est alors que le simple prêtre commença diaconat. Sans doute, certains théologiens estiment à célébrer librement le saint sacrifice, a bénir les fidèles pouvoir encore ainsi sauvegarder l’origine divine de et les offrandes par eux présentées, à préparer au bap­ ces ordres et leur conserver la prerogative de sacre­ tême et à l’absolution les catéchumènes ct les péni­ ments. Voir Onniti col. 130G, 1380. Mais cette affirma­ tents ct même, en certains cas, à leur administrer luition n’est qu'une opinion contestable, aujourd’hui même ces sacrements, à prêcher cl à présider les abandonnée par beaucoup. Or, on ne maintient pas un assemblées liturgiques. Bref, il remplit les fonctions dogme de la foi en l'appuyant sur une simple opinion. (pie lui assigne le pontifical : Sacerdotem... oportet Il faut donc dire que,dans l’institution du presbytérat, offerre, benedicere, pricesse, prirdicare et baptizare les apôtres n’ont fait qu'une application de la volonté (allocution Consecrandi). formelle et authentique de Jésus·Christ. Cf. 'fixeront. 1. Ofjerre. — Avec saint Thomas, Suppl., q. xxxvi, L'ordre et les ordinations, p. 76. a. 2, les théologiens enseignent que la fonction princi­ H. Fonctions et odi.îoatioxs ι>ι· presbytérat. — pale du prêtre concerne le corps réel du Christ, dans 1Ü Ponctions du prêtre. - A la période subapostolique, l’offrande du sacrifice. Le sacrifice, en effet, est la les fonctions du prêtre sont assez effacées. Les prêtres fonction essentielle du sacerdoce. Heb., v, I. C’est apparaissent généralement groupés en un corps, le d’après leur rapport à l‘eucharistie, A laquelle est presbyterium, dont le rôle est d'assister l’évêque ct ainsi ordonné le sacrement de l’ordre, que sc distin­ d’être son conseil. Voir, pour saint Ignace, les textes à guent les uns des autres les ordres Inférieurs au presby­ l’art. Ordre, col. 1225-1226. Ipsi (presbyteri) tanquam térat. Suppl., q. xxxvn, a. 2. Voir plus loin. col. 159. apostoli et consiliarii honorentur episcopi et corona Cf. profession de fol imposée aux vaudois, DcnzingcrEcclesiœ. Didascalie, II, xxvm, t. Dans l'office litur­ Bannwart, n. -121. La fonction secondaire du prêtre n gique, les prêtres entourent l'évêque et siègent près de pour objet le corps mystique du Christ; c’est donc ce lui. Id., 11, lvii, *1. Ils sont sa couronne, S. Ignace, corps mystique — les fidèles de l’Église catholique — Mayn , xiir, 3; sont soumis à son autorité monarchi­ que concerneront les quatre autres fonctions indiquées que, qu’ils doivent se contenter d'encourager. Trail., par le pontifical. 2. Baptizare. — Il faut entendre ici la dispensation de xii, 2. Avec lui, ils concélèbrent ct consacrent l’eucha­ tous les sacrements dont le prêtre, en vertu des pou­ ristie. Canones Hippolyti, 20; Constit. apost., VIII, voirs inhérents à son caractère sacerdotal, est le dis­ mi, 4; cf. Smyrn., vm, 1-2. Avec lui, ils imposent les pensateur : pouvoirs ordinaires relativement au bap­ mains, pour l’ordination des prêtres, sans pour cela conférer, avec l'évêque, l'ordination. Tradition aposto­ tême, à l’eucharistie, à la pénitence, à l’extrême-onc­ tion; pouvoirs extraordinaires relativement à la confir­ lique, voir Ordre, col. 1218, cf. I Tim., iv, 1I, ibid,, mation ct aux ordres inférieurs. Pouvoirs dont le col. 1213. Avec lui, ils imposent les mains pour la prêtre ne peut user soit validement, soit surtout licite­ réconciliation des pénitents. S. Cyprion, EpisL, xvi, 2; ment, qu’en se conformant aux prescriptions divines et xvm, 1, éd. Ilartel, p. 518, 523. Ils peuvent même, d’après saint Cyprien. suppléer l'évêque en cas de ecclésiastiques. Les laïques n’ont pas le pouvoir d’ad­ ministrer les sacrements. Cone. Trid., sess. vu, can. 10, nécessité soit dans l'administration de la pénitence, Denzingcr-Bannwart, n. 853; Cavallera, n. 981 soit dans la célébration de l'eucharistie; voir Ordre, 3. Benedicere. —C’est la dispensation des sacramencol. 1231. Tertulllen avait déjà reconnu au prêtre, à taux, qui, bien qu’à un degré inférieur, sont, comme les défaut de l'évêque, le droit de présider l'assemblée des sacrements, des moyens d'obtenir la grâce. Ici, l’Église fidèles ct de distribuer l'eucharistie, ibid., coi. 1229. précise au prêtre dans quelle mesure il peut user du Origène semble lui attribuer le pouvoir de remettre les droit de bénir. Les bénédictions les plus simples sont péchés, ibid , col. 1228. Et sans doute doit-on déjà, permises au simple prêtre, les bénédictions plus impor­ chez saint Ignace, Smyrn., vm, 1. comprendre qu’en tantes et plus solennelles sont réservées aux évêques en l’absence de l’évêque ct par son autorisation le simple raison de leur dignité. L’Église peut imposer ct impose prêtre peut baptiser et célébrer l’eucharistie. Pour ce des formules de bénédiction, auxquelles, sous peine qui est de l'administration du baptême, Tertulllen en d’invalidité, il faut s’en tenir. Code, can. 1117, § 1.2. concède au prêtre, autorisé par l’évêque, le droit •I. Pneesse et prœdicare. — L’action du prêtre ne absolu. De baptismo, n. 17; ci. Didascalie, m. 12. En | s’étend pas seulement au domaine sacramentel et tout cas. au simple prêtre a toujours été reconnu le liturgique; elle est aussi hiérarchique. Les prêtres droit d’instruire ct de catéchiser. Déjà saint Paul, l Tim., v, 17, parle de πρεσβύτεροι, vraisemblable­ occupent, dans l’Église, une place qui leur confère l'autorité, en tant qu’ils sont appelés, en vertu d’une ment des prêtres de second ordre par leur ordination, mission légitime, à enseigner par les catéchismes ct la ct qui « travaillent par la parole ct l’instruction » prédication (prirdicare) et à exercer la prééminence κοπιώντες έν λόγω καί διδασκαλία. La Passion de sainte Perpetue, η. 13. parle d’un prêtre docteur, pres­ spirituelle (pneesse). Saint Paul traçait déjà ce devoir aux prêtres : comme docteurs (διδάσκαλοι) et comme byterum doctorem. Tertulllen, Origène, saint 1 lippolyte, pasteurs (ποιμένεε), ils doivent instruire ct guider simples prêtres, ont enseigné ct prêché. C'est surtout à partir du m· siècle ct quand s’orga­ avec autorité, par leur parole ct par leurs actes, le troupeau confié à leurs soins; cf. Eph., iv, IL Et il nisèrent. au moins à Borne, les paroisses (tituli) que le recommande la vigilance ù ceux qui président ainsi rôle du simple prêtre a pris tout son relief \ oir Cvni s, t. m, col. 2129. Tout d'abord dans les grandes villes, (προϊστάμενοι) à la conduite de leurs frères. Horn., xn. 8. Ainsi, - dans son ensemble, l’action des prêtres — comme Borne ct Alexandrie, puis plus lard dans les célébration cl dispensation des mystères du salut, pré­ campagnes, quand les diocèses s'étendirent, il devint impossible de grouper autour de l'évêque, dans la dication de la parole de Dieu, maintien de la discipline même enceinte, la foule des fidèles. De nouveaux cen­ et des mœurs chrétiennes par la vigilance sur le trou­ tres de culte devinrent nécessaires : on y préposa un peau confié A leurs soins — se rapporte au salut des prêtre assisté d’un diacre et d’un certain nombre de âmes immortelles, Ames rachetées par le sang et par les ministres inférieurs. Ce prêtre fut toujours rattaché à plaies de Jésus-Christ. Ce n’est qu'à la condition de sc l’évêque ct placé sous son autorité (dépendance qui eut rappeler toujours le prix et lu dignité de ces Ames qu'ils souvent son symbole dans l'usage du fermentum); sur exerceront fidèlement leur ministère de pasteurs, qu'ils cet usage, voir 'fixeront. L'ordre et les ordinations, veilleront sur elles, qu’ils « présideront » dignement, p. 70. Néanmoins il apparaissait comme un chef res­ avec un zèle en rapport avec leur propre responsabilité ponsable, jouissant dans son Eglise d’une certaine (Heb., xm, 17). » N. Gihr, Les sacrements.,., p. 135. 155 P H ÊTRE. LES OBLIGATIONS 2· Obligations qu'impliquent ces fondions. — I! ne s’agit pas ici des obligations générales inhérentes à l’état sacerdotal, obligations introduites peu à peu ur les éléments essentiels, la validité n’est certaine­ ment acquise que si l’on sc conforme à l’opinion la plus sûre; sauf raison grave, le prêtre est obligé de 150 suivre ladite opinion. I Jenziiigcr-Baiiinvart, η. 1151; Cavallera. n. 962. L’obligation de respecter ainsi les institutions du Christ dans l’administration des sacre­ ments est si grave qu’il n’est jamais permis au prêtre de simuler un sacrement. même pour sauver sa vie; Denzinger-Bannwart. η. f 179; voir aussi la réponse du Sainl-Oflice. en date du 6 septembre 1625, relative aux pseudo-baptêmes administrés aux enfants des Turcs, cl comparer avec Denz.-Bannw.. η. I 188. A plus forte raison, le prêtre doit-il se conformer aux institutions du Christ dans la célébration du sacrifice. Pour mieux en assurer l’exécution, l’Église n tracé dés rubriques et fixé une liturgie qui obligent sous peine de faute, parfois sous peine de faute grave, cl en quelques points sous peine de nullité. La profession de foi. imposée par Innocent iil aux vaudois, après avoir affirmé que < personne, si honnête, si religieux, si saint, si prudent qu’il soit, ne peut ni ne doit consacrer l’eucharistie ou offrir le sacrifice de l’autel s’il n’est prêtre, régulièrement ordonné par un évêque, visible et tangible », ajoute que. < pour cet ollice, trois choses sont, selon la foi catholique, nécessaires : une personne déterminée, c’est-à-dire le prêtre dûment constitué tel par l’évêque pour remplir cet ollice; les paroles solen­ nelles, qui ont clé insérées dans le canon par les saints Pères; enfin, l’intention fidèle de celui qui les profère », Denzinger-Bannwart. n. 121. Voir Messe, t. x, col. 1052. C’est un plus grand péché de simuler la messe que de la célébrer indignement. Innocent IIL Decr.. I. HI, tit. xli, c. 7; Denzinger-Bannwart, n. 118. En cc cpii concerne l’administration des sacrarnentaux. le prêtre doit, pour en assurer la validité, sc conformer aux indications de l’Église, contenues dans le rituel et précisées, pour les points douteux, par les décisions de la Sacrée Congrégation des Kites, can. 1118. Pour le ministère de la prédication, il ne peut être question de validité; mais il n’en est pas de même pour la place que l’autorité sacerdotale confère au prêtre. Sans doute, le seul sacerdoce suffit à donner à celui qui en est revêtu la préséance sur les simples laïques cl lui est un titre au respect des fidèles, eau. 119; mais celte préséance n'implique une autorité effective et agis­ sante que lorsque le prêtre reçoit de l'évêque un ollice (une charge) ecclésiastique, can. 115, § 1. Cet ollice ne peut être validement acquis que par une « provision canonique », c’est-à-dire par une concession faite, conformément aux saints carions, par l’autorité ecclé­ siastique compétente, can. 1 17. La validité d’une telle préséance effective dépend donc de l’observation de ces canons, sur lesquels nous n’avons pas à donner des précisions détaillées. c) Une troisième obligation, relative à l’admlnlstration valide de certains sacrements, notamment pour la pénitence et l'assistance au mariage, c’est que le prêtre catholique possède la juridiction ou la délégation néces­ saires. le pouvoir d’ordre étant Ici Insuffisant. Et cette juridiction elle-même est soumise aux conditions édic­ tées par l’Église. Cf. can. 161 ; voir, Ici, Ministre des sacri ments, t. x, col. 1779 sq., et Juridiction, l. vin, col. 1989 sq. Le prêtre qui absout sans juridiction tombe sous le coup de peines ecclésiastiques, can. 2366. La suspense est prononcée contre le prêtre (pii. sans délégation pontificale, tenterait de conférer la confir­ mation, can. 2365, d) L’Église a solennellement réprouvé, au concile de Trente, la doctrine affirmant la nullité des sacrements administrés par le prêtre indigne, mais (pii y apporte l’intention requise et les éléments essentiellement requis, sess. vu. Dr sacram, tn genere, can. 12; sess. χιν, c. VI, can. 10; Denz.-Bannw.. n. 855, 902 . 920; Cavallera. n. 981, 1196. 1201. Voir, auparavant : la profes­ sion de fol imposée aux vaudois; la constitution de Jean XXII contre les fratIcelles; les erreurs de WlcJcfî. RAPPORTS AVEC LES AUTRES ORDRES 158 η. I ; celles de Jean 1 luss, n. 8; les Interrogat ions posées rum eetecasque virtutes in se ostendant; exemplo præaux husslles, n. 22. Denz. Bannw.» n. 424, 188, 581, beant; admonitione confirment; ac purum et immacula­ 631,672; Cavallera. n. 986, 987. 988, 105, 989. tum ministerii sui donum custodiant; et in obsequium L’absence de fui chez le prêtre ou son caractère plebis ture, panem et vinum in corpus et sanquinem d'hérétique n'empêche pas. par elle-même, la validité Filii tui immaculata benedictione transforment; et invio­ du sacrifice ou des sacrements, foule la controverse de labili caritate in virum perfectum, in mensuram retatis la validité du baptême administré par des hérétiques plenitudinis Christi, in die fusti et ademi judicii Dei, ou des ordinal Ions faites par des évêques indignes, conscientia pura, fide vera. Spiritu xanctn pleni resur­ hérétiques ou simonlnques, a éclairé définitivement cc gant (oraison : Deus sancti ficationum omnium aurdor...). point de doctrine. Voir BaptAmk des iférnérnQUi s, Ces Idées générales sur la sainteté qu'exigent les l. n, col. 219; Ordre, l. xi, col. 1282 sq., ct Kéordifonctions sacerdotales ont servi de thème aux auteurs, nations. anciens ct modernes, qui ont décrit les vertus néces­ 2. Quant à la licéité. — La licéité d’une fonction saires au prêtre. Voir Ordre, col. 1277, 1371-1378. sacerdotale peut dépendre d’une double cause : l’exis­ Nous avons dit. col. 1375-1376, combien l'école fran­ tence d’un droit objectif prévu par la législation, la çaise du xvir siècle avait mis en relief ces grandes véri­ disposition subjective du ministre. De là une double tés. notamment M. Oller, dans son Traité des saints obligation pour le prêtre en vue de l’exercice licite de ordres, part. Hi, De la supreme dignité du sacerdoce ses fonctions. Nous pouvons aujourd'hui signaler un excellent résu­ a) Il doit, tout d’abord, être en possession Juridique mé de cet enseignement : Le sacerdoce, dodrine de du droit d’exercer sa fonction. Bien qu’un grand nom­ l'école française, par P. Pourrai. Paris. 1933. où l’au­ bre de fonctions sacerdotales puissent être validement teur, après avoir rappelé l'origine ct l'excellence du exercées avec le seul pouvoir d’ordre, pour la licéité de sacerdoce . col. 1316. Toutefois, le concile ne définit naturelle. indispensable à la perfection de son minis­ pas expressément que cette supériorité de l’épiscopat soit de d oit divin. Sans doute il allirme que. · dans tère sacerdotal. C’est la morale cl plus encore l’ascèse l’Église catholique, existe une hiérarchie instituée par qui montrent au prêtre la voie qu’il faut suivre pour une disposition divine et qui sc compose des évêques, rendre son ministère de plus en plus parfait. Le pontifical indique l’essentiel des dispositions sur­ des prêtres et d’autres ministres f. λ..iis les mots pire divino ont été évités à dessein, et remplacés pa les mots naturelles dont les fonctions sacerdotales demandent, plus vagues dispositione divina. Ci-dessous, col. 323 sq. pour être accomplies parfaitement, la présence dans 2. Il est également de foi que la supériorité de l'épis­ l’âme du prêtre : cadestis sapientia, probi mores, diu­ turna justitia’ observatio (exhortation : Consecrandi). copat sur le simple prcsbylcr.it existe cl quant au pou­ L’évêque indicpie aux ordinands le moyen de parvenir voir d’ordre cl quant au pouvoir de juridiction. Il est à cette perfection : Imitamini quod tractatis; quatenus trop évident, en elïet. qu’un évêque nommé et en pleine possession de sa Juridiction n’a pas encore, tant mortis Dominicir mysterium celebrantes, mortificare membra vestra a vitiis ct concupiscentiis omnibus pro­ qu’il n’est pas sacré, le pouvoir de communi jucrle curetis. Il leur montre enfin le but à atteindre : Si/ sacerdoce. De plus, normalement, le simple prêtre ne doctrina vestra spiritualis medicina populo Dei; sit odor peut conférer le sacrement de confirmation Voir celte vitiv vestra’ delectamentum Fcclesiiv Christi; ut pnrdicavérité, chez les anciens théologiens eux-mêmes, à tionc atque exemplo irdificetis domum, id est, familiam Ordre, col. 1311. Les modernes y sont restés fidèles. Dei (id ). lùilin, le prélal invoque l’auteur de toute Van Noort-Vcrhaar. De sacramentis, t. n, n 210 à; le sanctification pour que sc réalise en ces âmes sacerdo­ concile de Trente l’énonce, sess. xxm, c. iv. tales cette perfection de vie nécessaire : ut gravitate 3. Mais, entre théologiens, on discute librement la actuum, ct censura vivendi probent se seniores, his insti­ question de savoir si ■ l’épiscopat est un ordre à part du tuti disciplinis, quas Tito, ct Timotheo Paulus exposuit; simple sacerdoce >, c'est-à-dire si c’est · un sacrement ut in lege tua dic ac nocte méditantes, quod legerint adéquatement distinct du simple sacerdoce,et imprimant credant; quod crediderint doceant; quod docuerint, imi· dans l’âme un nouveau caractère *. Sur cette contro­ Jentur; justitiam, constantiam, misericordiam, fortitudiverse. voir Ordre, col 1311 cl surtout 1383-1385. 159 P H ÊTRE QUESTIONS CANONIQUES 4. La distinction de l’épiscopat par rapport au pres­ bytérat rend-elle nulle la consécration du diacre qui serait sacré évêque sans passer par le presbytérat ? Voir la solution à Ordre, col. 1387-1388. 2· .tree les ordres Inférieurs. — La comparaison du presbytérat avec les ordres inférieurs peut être envisa­ gée sous un double aspect. 1. Quant à la prééminence du presbytérat. — La pré­ éminence du presbytérat sur les ordres inférieurs con­ siste en ce que le prêtre seul participe au sacerdoce de Jésus-Christ pour renouveler le sacri lice du Calvaire à la messe et pour remettre aux fidèles les péchés commis après le baptême. Ce sont les deux points principaux (non exclusifs cependant d’autres pouvoirs participés) signalés par le concile de Trente dans la session xxn sur le sacrifice eucharistique, c. î et can. 1 et 2 (voir Messe, I. x, col. 1130), et dans la session xiv, sur le sacrement de pénitence, can. 3; voir Pénitence, t. xir, col. 1105. Dans la session xxiii, sur l’ordre, au c. î, le concile, supposant acquises ces vérités, sc contente de rappeler que le sacerdoce est avant tout ordonné au sacrifice, vérité fondamentale que manifestent les trois lois, loi patriarcale, loi mosaïque, loi chrétienne, et que les novateurs niaient avec acharnement. Il s’ensuit, par conséquent, que, dans la Loi nouvelle, le sacerdoce comporte, pour les apôtres et pour leurs successeurs, le pouvoir de consacrer, d'offrir. de dispenser le corps et le sang du Sauveur, ainsi que de remettre et de retenir les péchés. Mais précisément, pour rehausser encore la dignité, en elle-même si éminente, du sacerdoce, une série d’ordres inferieurs a été instituée, qui sont subor­ donnés au presbytérat et destinés à son service. Cette voie montante vers le sacerdoce est imposée aux clercs, qui doivent passer par les ordres mineurs pour atteindre aux majeurs et finalement au sacerdoce lui-même, c. n et can. 2. Voir Ordre, col. 1356, 1360. 2. Quant à l'unité qui règne entre les différents degrés inférieurs et le presbytérat. On a déjà marqué, voir Ordre, col. 1356, que cet aspect est proprement théo­ logique. Lc concile de Trente sc contente d’allirmcr, sess. xxiii, c. m. que l’ordre est un des sept sacrements de l’Église. L’explication de celle unité, nonobstant la multiplicité des ordres inférieurs, reste fidèle à la con­ ception des théologiens du Moyen Age. Voir Ordre, col. 1309; cf. saint Thomas, Suppl., q. xxxvn, n. 2; ('ant. gent., 1. IV, c. lxxv. 160 certain pouvoir sur la m itiêrc déjà cons u rée : ninsl lorsqu’lh distribuent aux fidèles le siuv< du Christ... Dans le ministère de la préparation du peuple, les prêtres sont aidés aussi par les ministres supérieurs : les diacres ont pour mission d’exposer au peuple 11 doctrine de l'Évnriglle; les sous-diacres, celle des apôtres; quant aux acolvle». ils concourent à l’un et l’autre ministère en n ceo ni rd issu ni les rites destinés à marquer l’excellence de 11 doctrine ; ainsi ils portent des cierges et s’acquittent d'autres fonctions sembldries. Cont. genl., Inc, cil., trad. (ierlaud. Ο. I*., dans L'ordre. éd. de la Revue des jeunes, p. 213-21 L IV. Questions relatives au sujet, au ministre, au rite d’ordination. — 1° Le sujet. — 1. Les dispo­ sitions du droit actuel ont été rappelées à l’art. Ordre, col. 1101-1102. Sur la doctrine des théologiens scolas­ tiques, voir col. 1313-1311; des théologiens post tri· dentins, col 1387. 2. L'illicéité de l'ordination per saltum au presbyté­ rat (can. 977; cf. condamnation par Pie VI du synode de Pistoic, prop. 51, Denzlngcr-Bannwart, n. 1551; Cavallera, n. 1332), se double-t-clle d’un cas d’invali­ dité ? La réponse unanime des théologiens est qu'un simple laïque, directement ordonné prêtre, serait valideinent ordonné, car le presbytérat renferme éminem­ ment les pouvoirs des ordres inférieurs, en raison de l’unité qui règne entre eux. Voir ci-dessus. 3. Lc choix du sujet est réservé aujourd’hui exclusi­ vement à l'évêque (can. 969,§ 1). Autrefois, c'est-à-dire jusqu’aux νι·-νιι· siècles, la présentation des sujets appartenait au clergé et au peuple. Cf. saint Cypricn, Epist., Lxvii, 3-5, éd. Ilartel, p. 739. et III· concile de Carthage (397), can. 22, prescrivant ut nullus ordinetur clericus nisi probatus oct episcoporum examine vel populi testimonio. Mansi. Concit., t. nr, coi. 881. A Home, la Tradition apostolique suppose que les diacres — el vraisemblablement aussi les prêtres — sont choi­ sis par tout le peuple, ce que, pour la Syrie, disent expressément V Epitome et les Constitutions, voir Ordre, col. 1218, et pour le sud de la Gaule, les Sta­ tuta Ecclesia: antiqua, can. 22, P. L., t. lvi, coi. 881. Même discipline en Cappadoce, cf. saint Basile, Epist., i.iv, P. C».. t. xxxii, col. 399 sq, et à Alexandrie, cf. Théophile d’Alexandrie, (Commonitorium. c.in 6, P. (i., t. Lxv. col. 10. Donc, jusque vers le ve siècle, le peuple cl le clergé étaient consultés sur le choix des prêtres (et des dia­ cres). Les canons dits de Laodicée protestent contre cer­ taines élections tumultueuses, can. 13: cf. Lauchcrt, l u pouvoir ordonné à quelque effet principal peut être Die Kanonen der allkirchlichen Concilien. p. 73. Ce sont double de pouvoir» inférieurs qui le servent... des abus de ce genre qui amenèrent le retrait progressif Le luit principal du pouvoir d’ordre est la consécration de la faculté concédée au clergé inférieur et au peuple. du corps du Christ, sa distribution aux fidèles et la pur! fiLe pontifical ne leur conserve plus aujourd’hui que le c dion des fidèles de leurs péc iés; il requiert donc l’existence droit de s’opposer à la promotion de sujets indignes, d’un ordre supérieur, spécialement qualifié à cet effet : c’est l’ordre sacerdotal; et d’autres ordres, destinés ù servir le mais à condition de formuler une accusation précise. premier en disposant en quelque sorte la matière : ce sont Cf. Tixeront. L'ordre et les ordinations, p. 2'22-221. ceux des ministres. 2° Le ministre. — 1. Lc ministre ordinaire du presby­ Nous venons de dire que le pouvoir s iccrdotnl n une térat est seulement l'évêque consacré, cnn. 951. Les double [onction : consacrer le corps du Christ et rendre les prétentions d’Acrius ont été jadis traitées d’insensées fidèles duiicx de recevoir i’ruc.inristie. par l’absolution de par saint ICpiphane, Hier., lxxv, 4, P. G., t. xlii, leurs péc.lés. Les ordres inférieurs le secondent dans l’une col. 508. On connaît le mot de saint Jérôme : Quid cl <1 ms l’autre, et d’une façon d’autant plus parfaite ou complète qu’ils sont plus élevés et proches de lui. enim facit, excepta ordinatione, episcopus quod presby­ Iaîs ordres les plus humbles n’nidcnt les pr» très que dans ter non faciat ? Epist., cxlvi, 1, P. L., t. xxn, col. 1192. H préparation du peuple : les portiers en séparant les infi­ C’est, à peu près littéralement, la doctrine de saint dèles de rassembler des fidèles; les lecteur» en instruisant Jean Chrysostome, In epist. I ad Tim., homil. xt, 1, les catéchumènes des rudiments de la foi. d’oû leur est P. G.. I. LXtr, col. 553. Lc droit sanctionnait déjà cette départie la mission de lire les livres de l’Ancicn Testament; 1rs exorcistes, en purifiant ceux qui ont déjà reçu l'instruc­ I croyance. Cf. Constitutions apostoliques, I. VIII, c. xxvm, 3 ’. χειροΟετ-ί ο > γηροτουε7, tion chrétienne, s’ils sc trouvent en quelque in inlèrc empê­ chés pur 1rs demons de recevoir les sacrements. le prêtre impose les mains (par exemple pour les L«-s ordres supérieurs aident les prêtres h la fois dans la exorcismes); il n’ordonne pas. C’est ainsi qu’Ischyras, preparation du peuple et d ms l’accomplissement du sacre­ ordonné prêtre par un pseudo-évêque, Colluthus, fut ment : k-s acolvtes ont pouvoir sur les vases non sacrés dans ramené à la condition laïque. Cf. saint Athanase, Apo­ lesquels on prépare I.» matière du sacrement, c’est 11 raison logia contra arianos. 12. 75, P. G., t. xxv, col. 269, 385. pour laquelle on leur remet les burettes h leur ordination; An Moyen Age, cette doctrine est unanimement reçue, les M>us diacres ont pouvoir sur les vases sacres et préparent voir Ordre, col. 1312. Le concile de Trente la saneI » matière non encore consacrée: les diacres ont en outre un 161 PRÊTRE PRÉVOSTIN DE CRÉMONE 1G2 llnrdouin. ConciL coli., t. I, col, 783; J. Morin, De sacris tionne, sans même laisser supposer qu’elle puisse être Ecclesia ordinationibus, part. HI. cxerc. 10; Ghr. Fetch, discutée, sess. xxiii, c. iv et van. 7; Oiidue, col. 1357, Lralecliones Iheologitr, t. vu, n. 611. 1302. Voir la doctrine des postlrldentins, col. 1385. A. Michel. Le droit canonique précise les conditions requises pour 4 de Douai attribue le traité à Prévostin, et. fai dum Pr&posilinum; 3° Summa de officiis; I ” Summa curieux, l’exemplaire anonyme de Turin, D. V. 2, est super Psalterium, collectu ex distinctionibus Pneposilini; placé entre deux collections de sermons de Prévostin. ύ® Summa contra hivreticos; 6® Summa theologica; également anonymes. 7° Sermones. Nous sera-t-il pennis d’indiquer une piste a suivre: 1° Les Qutrslioncs magistri Prerposilini cancellarii le nom de Prévostin ne serait-il pas un sobriquet indi­ Parisiensis nous sont parvenues dans un ms. unique, viduel plutôt qu’un nom de famille? Est-ce que magis­ du xnr siècle, Paris, bibl. Mazarine, n. 170 S. L’ou­ ter gallus serait le même que Pnrpositinus? Il est vrage contient trois parties: d’abord une série d’envi­ intéressant de noter que le seul maître cité par la ron cent cinquante Quœstiones, puis un court traité De Summa de pænitentia est un certain magister gallus. peccato originali, ensuite quelque cinquante questions. La question de l'authenticité de la Summa contra Les séries de questions ne semblent pas appartenir à calharos doit attendre plus de lumière avant d’êtn la même année, mais elles sont d’un même cycle. Elles tranchée. Ce traité n’en reste pas moins un document ressemblent, fond et forme, aux Quxsllqnes d’Eudes très important pour l'histoire des doctrines pasagicn(ou Odon) de Soissons, voir ici. t. xi, col. 910, et sont nes et de l’apologétique catholique contre eux. sans doute les Reportai tones des questions disputées I® L’ouvrage de Prévostin qui eut le plus de succès aux cours ou après les leçons de Prévostin sur quelque cl d'influence est sa Summa de officiis, beaucoup plus connue sous le nom de Durand de Mende que sous celui livre de la Bible; cf. Lacombe et Landgraf. Thequa'sHones of Stephen Langton, dans New scholasticism, t. iv, de Prévostin; ce traité est en effet la source principal* du Rationale divinorum officiorum de Durand, le livn 1930, n. 2. Elles portent le cachet du cercle de Maurice de Sully, Pierre le Mangeur, Paycn de Corbcil,ct discu­ le plus populaire qui ait jamais existé sur la liturgie. Le De officiis de Prévostin existe en cinq mss. : tent les questions théologiques en vogue vers 1180, dans une forme tellement embryonnaire qu’elles doi­ Salzbourg, Stiftsbibl., VI. 32; Londres, Brit. Mus.. vent être placées parmi les premières du genre. Comme add. IS35 et JS 325, Assise, 55 (indiqué par fc catalo­ dans toutes ces collections de questions, celles de Pré­ gue de Mazzatinti comme la Somme thcologique) et Klosterneuburg, 367. vost in se suivent sans ordre ou à peu près. D'ailleurs Cet ouvrage donne, en quatre parties, l’explication celte attribution à Prévostin n’est pas sans soulever du sens symbolique des ofliccs de l’Église pour tout le des doutes. cycle de l'année. Il est composé dans le même esprit qu< 2® Le ms. 1413 de la bibliothèque de Vienne contient les De officiis d’Hugues de Saint-Victor, de Rupert dt un texte mutilé, qui porte le titre : Summa de pivnilcnlia injungenda secundum Pnrposilinum; ce titre nous Tuy, de Pierre, chancelier de Chartres» que la Gemma fait penser que l’ouvrage est plutôt inspire de Prévostin animae d’Honorius d'Autun, cl surtout que le De officiis d’Amalairc, dont tous ces auteurs dépendent, (’.’est qu'écrit de sa main. Le court traité sur la pénitence a été composé à la demande des amis de l’auteur, Amalaire qui, au ixf siècle, avait déjà donné leur forme comme nous le lisons dans sa préface, pour venir en classique à ces traités, en utilisant des morceaux aide aux curés surmenés et courts de théologie. Sa choisis de saint Grégoire et de saint Augustin comme armature de son travail, et en développant et glosant date de composition est incertaine. Le Décret de Grales interprétations symboliques que ces Pères avaient tlen y est cité d’une façon tellement archaïque que nous sommes porté à placer cette petite Somme vers la déjà esquissées. Prévostin reprit ce schéma et en même époque que les Quœsllones Prtrpas itini, sinon utilisa l’ordre, mais ne s’est servi que rarement du avant. Elle sc borne à quelques pages, mais nous appor­ texte même. Tout autre a été la manière de Guillaume te du neuf; l'auteur a perdu confiance dans le système Durand; l’évêque de Mende a fait passer dans son de la pénitence tarifée - en cela il n’est pas innova­ Rationale de gros morceaux de l’ouvrage de Prévostin; teur mais i) insiste sur l’obligation du confesseur de parfois on peut reconnaître une phrase de Prévostin bien peser le physique et la mentalité de ses pénitents noyée dans des considérations analogues de la plume avant de fixer la pénitence. Il ajoute même qu’en cer­ de Durand, parfois Durand copie page par page, tains cas il faut consulter un médecin. La Summa en comme s’il se sentait incapable d’améliorer sa source. question est le premier d’une série de petits traités sur La découverte de cette source de Guillaume Durand a la pénitence, qui semblent avoir été très goûtés après une importance historique; certains faits mentionnés la réforme du IV* concile du Latran, en 1215. par Durand, comme la disparition de la pénitence 3® La Summa contra lurrcticos est un des ouvrages publique, l’origine des jubés, ne sont pas nouveaux du les plus importants attribués Λ Prévostin, car il est temps de ce dernier puisqu’ils se trouvent déjà dans une source unique ou presque pour l’histoire des pata­ l’œuvre de Prévostin. gii, secte obscure, mais souvent mentionnée à la fin du Il faut placer cette Summa de officiis avant 1196xir siècle Voir I. xr, col. 2206. Malheureusement ! 198. date assignée par nous au commentaire de Prv- PRÉVOST I N 167 DE CREMONE 168 Smalley, Studies on the Commentaries o/ cardinal Ste· vostin sur les Psaumes, car Prévoslin en reproduit d’assez importants morceaux dans le travail en ques­ phen Langton, dans Archives d'histoire doctrinale ct littéraire du Moyen Age, 1930). Elle se retrouve peuttion, ci-dessous au § 6. être dans ceux de Prévostln. Le litre infime : Summa 5° Le ms. /7SA fol. 161-175 (xiv* siècle), de la Staatsblbliothck de Munich, contient un ouvrage qui ] super Psalterium secundum magistrum Prœposlttnum, suggère une reportatio, et lorsqu'il existe une reportatio porte le titre : Cûlleda ex distinctionibus Pr&positini. il peut facilement en exister une antre légèrement dif­ C’est un petit dictionnaire théologique suivant la méthode ct l’esprit de la Summa Abel de Pierre le ferente. Il est curieux de voir que ce commentaire de Prévostln, pour scs premiers chapitres, glose non pas Chantre. Le titre donné par le ms. est équivoque : il peut signifier que la collection est tirée d’un ouvrage le psaume infime, mais la Magna glosatura, c'est-à-dire le commentaire sur les Psaumes de Pierre Lombard. de Prévost in plus considérable mais du même genre (il ne contient que cent vingt-trois distinctiones), ou Cela nous semble le premier exemple de ce fait; l'ou­ vrage, cependant, est postérieur à 1196, car Odo epls* qu’il est la réunion de distinctiones extraites d’un commentaire (probablement sur les Psaumes) de notre copus Parisiensis y est cité. Paris, lut. 451, fol. 123. Les commentaires sur les Psaumes de cet te époque, leur auteur. Car le mol distinctio a plusieurs sens dans la relation avec la distinctio ct avec la prœdicatio dans les littérature de l’époque. Parfois il signifie l’explication •les sens variés qu’un mot peut avoir dans le texte écoles, ont grand besoin d’étre étudiés. 7° Un ouvrage de Prévostln dont il existe des inss. sacré, par exemple, ms. cit. : un peu partout, avec une certaine prépondérance en i Dcus Pater opcnitur ( , l'ilijis Del. Angleterre, est sa Summa theologica. Il en reste trenteChristus homo exalta- I / sept exemplaires complets : Bruges 237; — Cambridge. tur. j JwMeritum christi. I niv. libr.. / V, 3; Pembroke Coll., 225; — Einsledcln, Homo tempore prospe- / l 230;— Erfurt, Amp. Oct. 22; — La Haye, Meermah dextera ratur. \ sc. Prosperitas mundi IL 33 (394); — Londres, Lambeth, 199; Brit. Mus., 1 Pænilcntcs reconcilinn- i l qua / tur. 1 f Favor gratiæ. Harley 3596; Royal Q. E. XIV. — Lucques, 321 Justus delectatur. Amor Dei. (IL 222); — Milan, Ambros., II. 168 in/.; — Munich, Sanctus glorificatur. , ' Vita œtema. lut. 6985 (un élève de Mgr Grabinann a découvert un autre ms. à Munich, dont j’ignore la cote); —Oxford. Dans l’exemple ci-dessus, les morceaux de l'Écrituro Balliol Coll., 210; Oriel Coll., 24; Bodl., 33; — Paris. qui, régulièrement, devraient suivre chaque exemple Mazar., 1004; Bibl. nat., lut. 11 526, 15 738; Saintefont défaut. Mais il montre clairement le sens primaire Geneviève, 200, et 1417; — Todi, 71; —Toulouse, 159; de distinctio : la disposition en schéma sur la page des - Borne, Val. lut. 1174;— Vienne, Palat, lut. 1409 ct sens variés d’un mot dans la Bible. D’autres fois le mot 1501; — d’autres mss. sont incomplets : Arras, 965; — distinctiones est employé pour désigner des commen­ Dijon, 564; — Oxford, BodL, Mise. Land. 80; Univers. taires sur les Psaumes dans lesquels l'auteur employait Coll., 61; — Paris, Bibl. nat., lut. 12 387 ct 13 420. ce genre d’exégèse; par exemple, les Distinctiones de Les rubriques de certains mss. (Oxford, Univers. Pierre de Poitiers, de Michel de Meaux, de Philippe le Col., 61, Vienne, Palat, lut. 1501, Vid., Ottob. hit. 601) Chancelier, d’Eudes de Chûteauroux. font de la Summa un commentaire sur les Libri Sen­ Quant au Collecta ex distinctionibus Pricpositini, tentiarum de Pierre Lombard. Cela est vrai en un sens, qu’l! soit un extrait d’une œuvre plus considérable du mais indirectement, car Prévostln suit l’ordre des mémo genre ou tiré de la Summa super Psalterium de Prévostin (cet ouvrage ne nous est parvenu qu’incom­ questions qui se trouvent dans les Libri V Sententia­ plet), il reste vrai que trente et une de ces Distinctiones rum de Pierre de Poitiers qui est lui-même un com­ se retrouvent dans la Summa theologica de Prévostln, I mentaire sur les Sentences du Lombard. 11 est vrai que presque tous les mss. de la Summa de Prévoslin divi­ vingt-trois dans la Summa Abel de Pierre le Chantre et neuf dans les Distinctiones Petri Piclaviensis super sent la matière en quatre livres, selon l’usage consacré par le Lombard; mais son LU, De creaturis, est déme­ Psalterium, toutes mol pour mot identiques. Ce genre surément long et se subdivise naturellement en deux d’exégèse est, on le sait, assez ancien; il se trouve déjà livres. Il existe d’ailleurs un ms. de la Summa de Pré­ dans les Formulât spiritualis inlelligentiœ d’Eucher de vost in divisé en cinq livres : Cambridge, Pembroke Lyon au v· siècle, mais on ne sait qui lui a donné la Col., 225, mais II n'est malheureusement qu’un abrégé. grande vogue dont il a joui ù la lin du xir siècle. Le Nous avons dit que Prévostln suit de près l'ordre des H. P. Moore de l’université de Notre-Dame (Etats-Unis) questions traitées par Pierre de Poitiers; Il lui ajoute publiera bientôt une étude approfondie de ce sujet parfois des problèmes nouveaux et ne le copie jamais dans son livre sur Pierre de Poitiers. 6« 11 faut maintenant parler de la Summa super textuellement. La Summa étant la coordination des questions dis­ Psalterium secundum magistrum Pricpositinum, dont putées dans les salles de classe de Prévostln, Il en le prologue débute : Egredimini flliœ Sion... Ad vos résulte qu’elle fut sans doute composée graduellement, viri litterali. Ce prologue apparaît souvent non en tôle de même que les ouvrages analogues de scs contempo­ d’un commentaire, mais dans un recueil de sermons rains (cf. A. Gregory, The Cambridge manuscript o/ the •mss. : Paris. Bibl. nat., lut. Il 117; Arsenal, .5/3; Questiones of Stephen Langton, dans Xem scholasticism, Salzbourg. StiftsbibL, VI. 32; Prit. Mus., add. 18 335; Turin. D.V. 2; Troyes, 1251), et parfois il apparait en t. tv, 1930, n. 2); par conséquent, il est difbcile de pré­ tête de commentaires sur les Psaumes, qui ne sont pas ciser la date de sa composition; elle représente l’ensei­ celui que nous connaissons, comme attribué à Prévosgnement de Prévostln à Paris, sans doute vers la tin de sa carrière. tln. Les deux seuls inss qui contiennent avec certitude l’ouvrage de Prévostln sont à Paris, Blbl. nat., lut. 15 4; Prévostin appartenait à l’ancienne école : les nou­ a Florence, blbl. Laurent., plut. IX, dext. 9. Il reste veaux problèmes soulevés par l'introduction d'Aristote À étudier en détail les commentaires contenus dans les dans l’Occident latin ne le préoccupent pas; une fois mss. Durham, A. 1. 13; A.l II. il; A. IV. 4; Assise, 55; que les traductions du Stagirite furent lues par les Paris, 14 717, qui commencent par le même prologue théologiens, l'influence des anciens, comine Prévostin, devint très faible. Toutefois, son opinion «ju’Adam et qui sont apparentés avec notre texte. Rappelons ici la complexité de la tradition manu­ avait été dès le début élevé à une vie surnaturelle était une chose neuve, ct les écrivains postérieurs lui font scrite de ce genre d’ouvrages, par exemple des commcncrédit de cette doctrine, par exemple 1 Icrbert d'Auxerre t lires bibliques d’Étienne Langton (Lacombe and I 169 PRÉVOSTIN DE CRÉMONE (Val. bit. 267/, fol. 17), .lean de Trévisc (Val. bit. 1U7, fol. K v°), Hugues de Saint-Cher (Leipzig, Unlv. Bibl.» 5*3, fol. 101), etc.; cf. A. Landgraf, Dit· Erkcnntniss der hel/e,nden Gnade in der Frühscholastik, dans Zedschri/t /tir hath. Theol., I. i.v, 1931, p. 103-107. On ne peu! pus dire que Prévostin ail etc chef d’école; il est le représentant du sentiment commun des docteurs de l’époque : Viam magistrorum nostrorum consequentes est une de scs expressions favorites. A. Landgraf a découvert dans le. Vat. lut. 107 4 un ouvrage qui est, quant à la doctrine ct quant nu texte, inspiré de la Summa de Prévostin: cf. Fine neucntdeckte Summe ans der Schute des Privpositinus, dans Collectanea franciscana, Assise, 1931, p. 289-318. Prévostin est cité nominalement par G nuire du s Piclaviensis, Guy d’Orchelles, Étienne Langton, l’anonyme du ms. d’Erlangen, 3.53, Guillaume d’Auxerre, Poland de Crémone, Albert le Grand, et saint Thomas. C’est sur l’école franciscaine qu’il a exercé le plus d’influence, par l’intermédiaire de ses deux grands docteurs, Alexandre de 1 ialès et saint Bonaventure. Le Docteur séraphique rapporte dans un de ses sermons un trait d'humilité de Prévostin qui montre la haute estime dans laquelle il le tenait, Opéra, éd. Quaracchi, t. ix, p. 500. G. I ai com be, Prévostin de Crémone, sa vie et scs oeuvres. Bibliothèque thomiste, t. xi, Knin, 1927, ct comptes rendus signalés dans Bulletin thomiste, t. vin, 1931. p. 231. G. La com n K. L’étude qui va suivre sera de caractère strictement théologique, c’est-à-dire qu’elle s’inspirera uniquement des travaux des théologiens catholiques sur la prière, ct surtout de ceux de saint Thomas d’Aquin ct de Suarez, « en qui l’on entend toute l’Écolc >. Nous négligerons donc volontairement tous les travaux des auteurs contemporains, croyants ou incroyants, consacrés soit à la psychologie, soit à Vhistoire, soit enfin à la philosophie de la prière. (Notre bibliographie contiendra néanmoins l’indication de quelques-uns de ces ouvrages, que pourront consulter ceux qui s’intéressent à ces questions.) Les théolo­ giens, en effet, ne sc demandent pas comment on prie, comment on a prié et si l’on peut tirer du fait de la prière des conclusions métaphysiques; ils n’envisagent la prière qu’en tant qu’elle est un devoir de l’homme; ils établissent sa nécessité, son obligation; ils ensei­ gnent quand cl comment il faut prier, etc. En un mot, nous sommes ici en morale, pour dire cc que doit être la prière selon les instructions du Christ et de l’Église, ct conformément aux doctrines de la théologie catho­ lique. I. Nature de la prière. JL Les espèces de prières (col. IhO). III. Légitimité et convenance de la prière (col. 199). IV. Nécessité ct obligation de la prière (col. 201 ). V. Qualités et condit ions de la prière (col. 212). VI. Qui peut-on prier? (col. 223). VU. Que peut-on demander? (col. 228). VIII. Valeurs et efficacité de la prière (col. 234). I. Nature or i.a priori , — z. dAfimtiox, - - Avant de proposer leurs propres définitions de la prière, les théologiens recueillent, pour en faire la synthèse ou la critique, celles qui leur viennent de la tradition, parti­ culièrement des Pères. C’est ainsique saint Thomas, Sum. theol., 1I*-11®, q. i.xxxiii, a. I, cite successivement : I. le pseudo- ' Denys, qui dit au c. ni du De dio. nom. : Ante omnia ab oratione incipere est utile, sicut Deo nos ipsos tradentes ; et unientes; 2. Isidore, qui, in lib. X Etyrnol., enseigne j que : orare idem est ac dicere; 3. Cassiodore, pour qui oratio dicitur quasi oris ratio; I. saint Augustin, qui dit in lib. de Verb. Doni., sermo r, que : oratio petitio quæ- ( dam est; 5. saint Jean Damascène, qui, au I. III du De /id orth., c. xxiv, définit la prière : petitio decen­ PRIÈRE. — I’ R I Ê R E 176 tium a Deo; 6. de nouveau le pscudo-Denys, ibid., qui affirme que : quando orationibus invocamus Deum, reve­ lata mente adsumus ipsi; 7. de nouveau enfin, saint Jean Dnmascène, ibid., qui définit encore la prière : ascensus mentis in Deum. Dans son commentaire sur les Sentences, I. IV, dist. XV, q. iv, a. 1. saint Thomas cite encore les définitions suivantes : L du pseudoAugustin, De spiritu et anima, c. i, : oratio est plus affectus mentis in Deum directus; 2. d’Hugues de SaintVictor, De modo orandi, c. i : oratio est deootio quirdam ex compunctione procedens; 3. île saint Grégoire, Moral., 1. XXXIII, c. xxiii : orare est amaros gemitus in com­ punctione resonare. Enfin, pour revenir à la fameuse question de la Somme théologique mentionnée ci-dessus dans l’ad 3tim de l’art. 2, saint Thomas transcrit oc texte de saint Jean Chrysoslome, In Genes , hom. xm : Considéra quanta est tibi concessa /elicitas, quanta gloria attributa, orationibus fabulari cum Deo, cum Christo miscere colloquia, optare quod velis, quod desideras pos­ tulare. Pour appuyer ses définitions de la prière d’autorités palristiques, Suarez nous apporte encore d'autres textes: 1 saint Jérôme,Epïst., cxxxtx. Ad Cyprianum Nam oratio, juxta grammaticos, omnis sermo loquen­ tiam est, cujus etymologiam sic explicant : oratio est oris ratio. In Scripturis autem sanctis, difficile orationem juxta hunc sensum tegimus, sed quæ ad preces et obse­ crationes pertinet. De religione, tr. I *, De oratione, devo­ tione et horis canonicis, I. I. c. i, n. 1 ; 2. saint Augustin. Serm,, exxx. De tempore : Quid autem est oratio, nisi ascensio an mue de terrestribus ad cælestia, inquisitio supernorum, invisibilium desiderium, ibid., η. 6 (ce ser­ mon n’est pas de saint Augustin; il figure dans L., t. xxxix, col. 1886-1887, sous le n. lxxiii (alias, De tempore, ccxxx) des Sermones suppositilii)· 3. le texte du De spiritu et anima, c. L, est cité par Suarez autre­ ment que par saint Thomas : Oratio est conversio mentis in Deum, per pium et humilem affectum, ibid.; L saint Basile, Horn, in n artyrem Julittam : Oratio est boni cujusdam petitio, qua ad Deum a piis effunditur, ibid., c. n, η. 2; 5. saint Grégoire de Nysse, De oratione : Oratio conversatio et sermocinatio cum Deo est. et malo­ rum subversio ac peccatorum emendatio, et encore : Oratio est petitio bonorum, quit Deo cum supplicatione offertur, ibid, n. 3; 6. Jean Chrysostome : Per oratio­ nem Angelis copulamur... Angelorum est deprecatio, inierim eorum superans dignitatem, siquidem majus esi Angelorum dignitate colloquium miscere cum Deo, ibid., 1. 11, c. i, n. 3;7. saint Nil, qui dit qu’il faut prier sensu, cc qu’il explique ainsi : Sensus est consideratio cum reve rentia, et compunctione, et dolore animi, cum suspiriis, sine voce, ibid., η. 4; 8. encore Jean Chrysostome, in lib. I De orando Deum : ... Deus, qui nobis tantum honoris largiatur, ut dignos nos habuerit qui cum ipso colloquamur, noslraquc rota apud ipsum deponamus : nam vere cum Deo confabulamur, quoties vacamus depre­ cationi, ibld„ n. 5. — Le P. Vcmicersch, Quæstiones de virtutibus religionis et pietatis,.., Bruges, 1912. p. 57. cite encore cette définition de la prière, qu’on trouve dans TEpisl. ad fratres de monte Dei : Oratio est hominis Dco adlurrcntis affectio, et jamiliaris qusrdam et pia allocutio, et statio illuminatic mentis ad /ruendum quamdiu licet. Cf. /* / .. t. < i \\\iv, col. 337. 1° La synthèse thomiste. — Saint Thomas rattache la prière à la vertu de religion et la range, avec la dévo­ tion. parmi ses actes intérieurs, qui sont aussi scs actes principaux, tandis qu’il range parmi ses actes exté­ rieurs l’adoration, per quam aliquis suum corpus ad Deum venerandum exhibet. Cf. en-lète des q. i.xxxn cl i.xxxiv de la HMl*. De plus, il ne reconnaît, à vrai dire, qu'une sorte de prière, la prière de demande, mais qu’il considère comme un tout complexe renfer­ mant des parties diverses, parmi lesquelles se trouve 171 PRIÈRE. DÉFINITIOiX l\ ratio, ci. q. uuiii. a. 17; en sorte que le mot oratio peut s’entendre dans un sens large, et en ce sens la )rière comprend quatre parties, on pourrait dire quatre phases, quatre mouvements : Vobsccralio, Vora­ ti», la postulatio et la gratiarum actio; ou dans un sens restreint, ct en ce sens Voratio n’est plus que Vascensus n Drum, le commencement, ou plutôt le prélude de la •rière, cf. ibid., ad 2 Voici deux définitions de la prière données par saint Thomas: orofro rationis est actus, applicantis desiderium voluntatis ad eum gui non est sub potestate nostra sed \upra nos, scilicet Deum, In IV™* Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, sol. 1 ; oratio est quadam explicatio propria olunlatis apud Deum ut eam impleat. Sum. theot., III*, q. xxf, n. 1. Psychologiquement, la prière, comme le commande­ ment, est, selon saint Thomas, un acte de la raison pra­ tique, laquelle n’est pas seulement apprehension, mais encore causalioa; la raison, en effet, · peut être cause «le quelque chose de deux manières : d’une première manière, sicut necessitatem imponens; c’est de cette manière qu’elle commande non seulement aux puis­ sances inferieures ct aux membres du corps, mais encore aux hommes qui sont sous notre dépendance; « ’est la causalité du commandement. D’une seconde manière, sicut inducens et quodammodo disponens; c’est «le cette manière qu’elle agit lorsqu’elle demande l’accomplissement de quelque chose h qui ne lui est point soumis, mais égal ou supérieur. » Sum. theot., IIMI·, q. Lx.xxin, a. 1; cf. In /V·*™ Sent., toc. cit. Dans ce dernier texte, saint Thomas a commencé par -appeler les sens profanes du mot oratio et affirmé que ce mot est passé du langage Judiciaire dans la langue religieuse. SI l'on objecte certaines définitions des Pères qui paraissent faire de la prière un acte de la volonté ou de la sensibilité (affectivæ partis), comme celui du pseudoDenys, sicut Deo nos ipsos tradentes et unientes, de saint Jean Damascènc, ascensus mentis in Deum, du pseudoAugustin, pius affectus mentis in Deum directus, ct <1'1 fugues de Saint-Victor, devotio qutedam ex compunc­ tione procedens, cf. supra, coi. 170, saint Thomas répondra que ces formules ne sont pas de véritables définitions exprimant l’essence de la prière; elles n’en montrent que certains aspects; ainsi le texte du pscudo-Dcnys nous dit non pas ce qu’est la prière, •nais à quoi elle tend, quelle en est la fin, quia hoc pres­ et pue est in oratione petendum ut Deo uniamur; celui du Damascènc, nous l’avons déjà vu, ne concerne que les préliminaires de la prière, oportet (petentem) accedere ad eum a gun petit, vet toco sicut ad hominem, vel mente sicut ad Deum, Sum. theot., toc. cit., ad 2“n»; Vaffectus nentis in Deum directus dont parle ici le pseudo\ugustln ne serait pas, selon saint Thomas, in /Vum SenLt loC. cit., ad 1««, quelque sentiment ayant Dieu pour objet, mais le désir de l’homme transmis à Dieu, d Ton peut dire, ut in illum quo affectus mentis deside­ rantis explendus est; enfin, dire, avec 1 lugucs de SaintVictor. que la devotio est une prière, c’est une manière de parler; ce n'est pas une prière proprement dite, mais une sorte d’équivalent de la prière, comme le fait de tendre la main ou d’exposer scs besoins : recogitatio necessitatum propriarum, et erectio spei ad Deum, vel ndicatio sui desiderii, vel etiam humiliatio spiritus ad Deum sunt quaedam orationes per quamdam interpreta­ tionem, Ibid., ad 2^‘^*. Scholion : de ta prière « secundum sensualitatem ». Que la prière soit un acte de l’intelligence ou de la ■volonté, c’est en tout cas un acte de l’esprit, des faculή supérieures de l’âme. Pourtant, à propos de la prière du Christ, saint Thomas sc demande s’il n'y a pas aussi une prière de nos facultés inférieures, de notre ♦ppétit sensible. Cf. In III™" Sent., dlst. XVII, q. 1, 172 a. 3, qu. 3; Sum. theot.. Ill*, q. xxi. η. 2. La réponse est évidemment négative. Le cor meum et euro rneu exaltaverunt in Deum vivurn doit s'entendre du reten­ tissement dans l’appétit sensible des mouvements de l’appétit rationnel : caro exultai in Deum vivurn non per actum carnis ascendentem in Deum, sed per redundan­ tiam a corde in carnem, inquantum appetitus sensitivus sequitur motum appetitus rationalis. Sum. theot., ibid., ad 1 2° La synthèse suarezienne. 1. Suarez remarque d’abord que les théologiens ont coutume de distinguer une triple acception du mot prière : a) dans un sens très large, on dit que le mot prière désigne toute bonne action; la glose ordinaire sur le sine intermissione orate de 1 Thcss., v, 17,autorise celte acception : « Priez sans cesse, c’est-à-dire vivez toujours saintement; celul-h’i prie toujours qui toujours agit bien. » Op. cil., 1. 1, c. î, n. 2. Suarez rejette comme absolument impropre cette acception du mot prière, qui a de plus le tort de favoriser la distinction établie par Wiclef d’une triple prière, mentale, vocale, vitale ; · Cette dernière, il la faisait consister dans les bonnes œuvres, afin de ravaler les autres et de déclarer qu’elles n'avalent aucune im­ portance. » b) D'une manière générale, on a coutume d’entendre par le mot prière tout mouvement intérieur de l'âme vers Dieu, soit par la pensée, soit par le cœur, omnis interior motus animi in Deum, sive per ejus cogitatio­ nem, sive per affectum, ibid., n. G. C’est Γ· oraison men­ tale », à laquelle Suarez consacrera son second livre. La définition qu’il en donne ici paraît bien y inclure la simple méditation; pourtant, il déclare se rallier aux explications de Clichtove sur la définition de la prière scion saint Jean Damascènc (ascensio mentis in Deum), explications qui semblent établir une distinction entre la prière ct la méditation, ibid., n. 7. Mais nous revien­ drons sur ce sujet, cf. col. 176 sq.. c) Enfin, le sens propre qu'on donne au mot prière est celui de demande, oratio proprie significare dicitur petitionem, ct particulièrement de demande adressée à Dieu. Entendue dans ce sens, la prière peut d'ailleurs être vocale ou mentale, n. 8: Il ne faut donc pas con­ fondre prière mentale au sens de demande formulée mentalement, ct oraison mentale au sens iVinterior motus animi in Daim. 2. Mais la définition du Damascènc : petitio deeen tium a Deo, et celle de saint Basile : boni cujusdam petitio quir ad Deum a pi is effunditur, doivent-elles être maintenues ? N'introduisent-clles pas dans l'es­ sence de la prière des éléments (pii n’en font pas par­ tie ? a) Contre Navarre, qui pourtant peut revendi­ quer en sa faveur l’autorité de saint Thomas, In I Vlitn Sent., (list. XV. q. iv, a. 1, sol. 1, Suarez maintient la définition restrictive du Damascènc Ibid., c. π, n. 2. La raison qu’il en donne, c’est (pie tout le monde s’accorde â reconnaître que la prière est un acte de reli­ gion qui honore Dieu; or, celui-lâ n'honore pas Dieu, mais l’outrage plutôt (sed potius contumelia illum afficit), qui lui demande quelque chose de mauvais. Ibid . b. 3. b) En revanche. Suarez ne maintient pas, dans la définition de la prière, la restriction de saint Basile: a piis, parce que, dit-il, une véritable prière peut être aussi produite ab impiis, c’cst-ù-dlrc par ceux qui sont en état de péché. Ibid., n. 2. c) Enfin. Suarez n’est pas d’avis qu'on introduise d’autre restriction dans la définition de la prière, par exemple qu'elle soit faite decenter; parci* (pie la demande qu'on fait à Dieu de choses convenables (peti­ tio decentium a Deo), même si parfois elle sc fait d’une manière, en un temps ou en un Heu qui ne conviendrait pas, conserve néanmoins ce qui est essentiel à la prière et est su jstantlellement bonne, bien qu’elle possède 173 I’ll I ÉBE. DÉFINITION 174 quelque défaut accidentel; tandis que la demande té, n. 5. J.a prière mentale est actuelle ou clic n’est qu'on fait A Dieu de choses qui ne conviennent pas pas, n. 8. D'ailleurs, celte prétendue suspension volon­ (petitio rei indecentis} ne conserve pas ce qui fait taire de l’activité mentale est chose psychologique­ l'essence de la prière. Ibid., n. 5. ment impossible : mens nunquam vacat omni ardu, sed 3. La prière, en tant que petitio, est-elle un acte de. la ab uno immediate transit in alium, n. 11. « Quand volonté ou de l'intelligence ? Suarez, sur ce point, l’homme sc lait ct n’entend pas encore la parole de partage l’avis de saint Thomas, de Cafetan ct de tous Dieu, mais sc tient dans l’attente, il est impossible les thomistes : c’est un acte de l'intelligence, parce que, qu'alors 11 soit vraiment vide de tout acte d’intelligence même purement mentale, c’est une locutio. tbid.,c. m, ou de volonté A l’égard de Dieu ou des choses divines, à n. 6. Ce que dit ici Suarez de la prière-demande ne moins qu’il ne pense A autre chose, ou ne dorme, ou ne vaudrait-il pas de toute prière? et la véritable défini­ soit extra se. » N. 22. Finalement, cependant, Suarez tion de la prière, de toute prière, même de 1*· oraison acceptera que cette attente silencieuse de la réponse mentale », ne serait-elle pas celle de saint Grégoire de divine soit encore une prière. A condition qu’on recon­ Nyssc : conversatio et sermocinatio cum Deo? Et Suarez naisse que ce silence attentif comporte des actes analyse brièvement le « langage intérieur » qui sert à la d’intelligence ct de volonté : « Quoi qu’il en soit de la prière mentale : si l’on y fait bien attention, dit-il, un question de savoir si ce mode de prière est utile, oppor­ langage intérieur ne se fait pas autrement, cl ne parait tun. A conseiller, il ne parait pas douteux qu’il soit pas humano modo pouvoir sc faire autrement, que par possible, pourvu qu’on ne le fasse pas consister in la représentation ou image mentale des mots de nos vacuitate ct carentia omnis artus intellectus vel volunta­ langues courantes; personne, en diet, ct il est facile de tis; car alors il n'y aurait plus prière, mais oisiveté. » s'en rendre compte, ne parle intérieurement qu’en N. 23. — Sur l’oraison de silence, on trouvera de très exprimant mentalement des mots dans la langue qui beaux textes dans VHistoire littéraire du sentiment reli­ lui est familière. Ibid., n. 13. gieux en France de 1L Bremond, notamment des textes 4. C’est du moins ce qui sc passe ordinairement, au ’ de François de Clugny, t. vu, p. 317-319; et dans son dire de Suarez. Ibid., c. iv, n. 8. Pourtant, meme en Introduction à la philosophie de la prière, notamment cette vie, même pour la prière de demande, l’homme ne des extraits du P. Grou. p. 225-227. Cf. aussi Jean peut-il pas parler A Dieu en sc servant d’un langage Kigoleuc. Œuvres spirituelles, Paris, 1931, p. 163-183, intérieur dégagé de ccs conceptibus verborum sensibi­ qui renvoie lui-même. p. 166, au P. Alvarez de Paz. nu lium, de ccs images mentales des mots de sa langue, à P. Louis Dupont, au P. Maximilien Sandæus ct au la manière des anges ou des Ames « séparées » ? Suarez P. de Langle. le croit ; cela ne lui paraît pas impossible, ni miracu­ 7. Enfin, peut-on descendre plus bas encore ct admet­ leux, ni très extraordinaire. Ibid. Mais en quoi consiste tre qu’il existe une prière qui ne comporterait même alors cette locutio pure spiritualis? C’est une chose pas ce minimum d’activité mentale qu’on reconnaît difficile A expliquer, il n’y a même rien de plus difficile. dans l’oraison de silence, l’attente silencieuse, autre­ Ibid., η. 1. ment dit l’attention? L’Ame prie-t-elle encore quand la distraction involontaire ou le sommeil viennent la 5. Mais parler A Dieu, vocalement ou mentalement, fût-ce par ce langage purement spirituel, est-il absolu­ surprendre pendant l’oraison mentale? On l’a pré­ ment indispensable pour qu’il y ait prière? H faut dis­ tendu. et voici comment on l’explique : par la prière tinguer : au sens précis du mot, oui, la prière consiste « actuelle ». attentive, l’Ame a été d’une certaine manière Jointe et unie A Dieu; or. tant qu’elle ne A parler A Dieu formellement de quelque manière que ce soit; au sens large du mot, non; il peut y avoir change pas d’clle-même cette altitude ct ne sc distrait prière sans locutio formelle, parce qu’on pourrait appe­ pas volontairement, elle est censée demeurer dans la même disposition A l’égard de Bleu; donc, en raison de ler le langage du cœur. C’est ce qui se produit dans la contemplation, in altissima contemplatione, lorsque cet effet. on peut dire que la prière dure, bien que Pacte d’intelligence ou de volonté qui constitue la prière l ame, dans un acte simple ct quasi intuitif, sc rend présente A Dieu et se rend Dieu présent, et lui est telle­ « actuelle » ail cessé d’exister. Suarez, op. cil., 1. II. ment unie par le cœur ct s'absorbe, pour ainsi dire, tel­ c. xn. n. 9. Suarez n’a pas de peine A montrer que la permanence d’un etfet n’entraîne pas celle de sa cause : lement en lui qu’elle ne peut plus émettre la moindre quand le mouvement qui produit de la chaleur vient A parole. Ibid., I. H, c. xn, n. 17. Telle serait, d’après cesser, bien que la chaleur persiste, on ne peut pas dire Suarez, l'oraison · de silence » ou « dans le silence », cependant que le mouvement continue lormalitcr, dont parlent les mystici ductores aut spirituales viri: on mais tout au plus virlualitcr;ainsi en est-il de la prière : pourrait dire, A la rigueur, qti’alors il sc fait dans l’âme bien qu’on puise dire que la prière persiste virtualiter un silence internum ct spirituale; mais, en cet état. dans son effet (l’union A Dieu), elle ne dure pas cepen­ l’Ame n’est pourtant pas inerte : l’intelligence et la dant proprie ct lormalitcr. Ibid., n. 10. Il va sans dire volonté continuent de s’exercer. que Γ« union » A Dieu dont il s’agit, qui demeure pen­ 6. Faut-il aller plus loin et admettre, comme le font dant la distraction ou le sommeil, n’est pas l’union certains spirituales viri in theologia mystica multum par la pensée et par l’amour ou par la pensée amou­ exercitati, qu’il peut arriver que l’Ame, dans l’oraison reuse; ce n’est pas l’union « actuelle », mais seulement mentale ou dans la contemplation. · cesse absolument • habituelle >; c’est l’amour qui subsiste au fond du toute opération tant de l’intelligence que de la volonté cœur quand son objet n disparu du champ de la con­ ct néanmoins soit censée prier encore actuellement ct science; c'est le feu qui couve sous la cendre : ego dor­ pratiquer une sorte d’éminente contemplation »? mio, cor meum vigilat. Vous sommes ici dans le domaine Ibid., η. I. C'est ce qu’ils appellent l’oraison de silence de la subconscicncc. ou le sommeil spirituel, pendant lequel l’esprit sc tient Suarez ne veut pas non plus, et A plus forte raison, éveillé; il ne dit rien, mais il écoute ou attend « la réponse du Seigneur ». Ce silence attentif serait encore qu’on donne le nom de prière A certains états pure­ ment alfectifs ou émotifs qu’elle peut produire en nous une prière, non plus une prière · actuelle », si l’on veut, mais au moins une prière virtuelle » : le pauvre qui a et qui peuvent subsister quand elle-même a déjà cessé. demandé l’aumône ct qui attend, ne peut-on pas dire « Il arrive qu’une Ame qui pensait A Dieu et l’aimait qu’il demande toujours? Ibid., n. 4. avec suavité éprouve de la distraction et pense A un Suarez n’accepte pas ces théories : non, dans cet objet qui n’a plus aucun rapport avec Dieu, mais con­ étal, l’Ame ne prie plus, parce qu’il ne peut y avoir de serve néanmoins, pendant cette distraction, camdem prière mentale sans un acte d’intelligence ou de volon­ sensus suavitatem ct delectabilem affectum. N 12 Que 175 PRIÈRE. DÉFINITION peuvent bien être ces états affectifs en l’absence de la prière qui les avait fait naître, sinon < une certaine disposition du corps et de scs humeurs, en vertu de laquelle on revient facilement ad priorem affectum, à l’occupation qui l’a produite, quand l’attention revient »? N. H. 3° Conclusion. — Une bonne définition, disent les logiciens, doit contenir le genre prochain et la diffé­ rence spécifique; de plus, elle doit convenir loti definito et soli definito. Nous devons donc commencer par nous demander quels sont les actes religieux que l’on dési­ gne généralement par ce mot de prière; en d’autres tenues, déterminer son extension d’après l’usage. Puis il nous faut examiner ce groupe d’actes religieux, voir ce qu'ils ont de commun et de distinctif; en d’autres tenues, déterminer la compréhension du mot prière, non Λ priori, mais d’après l’observation. A suivre ccs règles, il n'y a pas de doute que,des trois définitions de la prière qu’on trouve dans les Pères : « demande faite à Dieu, entretien avec Dieu, élévation de l’âme vers Dieu », cf. J. de Guibert, Essence de ta prière et prière pure, dans Revue d'ascétique et de mystique, 1930, p. 227, il n'y a pas de doute que cc ne soit la seconde qui s’applique le mieux loti et soli definito : toute prière n’étant pas une · demande faite à Dieu > et toute < élévation de l’âme vers Dieu » n'étant pas une prière. Somme toute, on pourrait adopter la définition ou Γ· essence de la prière » de I I. Bre­ mond. Cf. .J. de Guibert, toc. cit., p. 226-231. L’esprit de prière, dit Landrlot, cc n’est aucune prière en particulier...; c’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la partie subtile et éthéréc de chacun de ccs exercices, qui remonte dans les hautes régions de l’âme, et y tonne comme un réser­ voir habituel de saintes pensées et de pieux sentiments dont te parfum s’exhale, lors même que l’âme s’occupe des devoirs extérieurs... L’esprit d’une chose est la quintessence de celte chose... De même, l’esprit de prière... : c’est une nulle essen­ tielle, composée de cc qu’il y a de plus divin dans les rap­ ports de l’âme avec le ciel, et qui, venant Λ surnager dans notre âme, y brute perpétuellement en Phonneur de Dieu, Alors, toutes nos actions, nos pensées, nos désirs, nos volon­ tés. sont imprégnés de celle huile céleste; tout dans notre être et d ins noire vie devient une prière continuelle, un hymne sans fin, une immolation de tous les instants... L’esprit de prière est comme une vapeur céleste qui domine toute notre vie. qui l’enveloppe tout entière... L’homme ne peut pas toujours réciter des prières voedes, toujours médi­ ter, toujours être agenouillé dans les églises; mais toujours il peut avoir en son cœur cet esprit de prière qui s’exhale de l’âme comme le parfum de la fleur, et qui embaume par une brise celeste toutes les heures de la vie... Le principe, b racine véritable et l’essence la plus intime de la prière, ce qui la constitue cl la rend agréable a Dieu, c’est la soumission Λ la volonté du Seigneur cl le désir de lui plaire... T. lit, p. 89-92. Gel esprit de prière ne nous abandonne pas un seul ins­ tant. lors même que nous n*en avons pas toujours la cons­ cience réfléchie : c’est le soleil de notre âme. et au milieu de la multiplicité des affaires, au milieu du bruit de cc monde cl des nuages de la terre, cc soleil intérieur luit pour nous et fait tressaillir notre cœur par des jubilations d'autant plus profondes qu'elles semblent inaperçues. Ibid., p. 101. Cependant, il est dilHcile que celle disposition habituelle de l’âme, ne se manifeste point souvent par des actes réfléchis; quand l’âme est pleine, il se tonne nécessairement des puits artésiens, et l’e.ui vole dans toutes les directions. De 11, ces aspirations secrètes du cœur, ces oraisons Jaculatoires, qui s’élancent comme les étincelles d’un feu ardent... Ibid., p. 117. (C’est nous qui avons souligné.) En somme, de quoi s'agit-il ? Mais tout simplement. Il nous semble, de cc que les théologiens appellent la dévotion, qui naît de l’amour et nous porte â nous adonner totalement et généreusement nu service de Dieu; cf. IIUII°, q. uxxxn. Dévotion serait le terme technique dans la langue exacte de la théologie; les psychologues non théologiens parleraient d’« esprit religieux », les auteurs spirituels d'· esprit surnaturel ·. Tous ces termes seraient, en tout cas, préférables â celui d’· esprit de prière », qui repose sur une concep­ tion pour le moins discutable de la prière. Pour saint Alphonse, l’esprit de prière est tout simplement l’habi­ tude de recourir à Dieu en tout, tout de suite et tou­ jours. Cf. Bouchage, Pratique des vertus, t. in, p 318319. n. piufinn KT Màni ta tiox. — La méditation est-elle une prière? Cf. .L de Guibert, Rev. d'ascét. et de myst.. PKI ERE t93<>, p 337-311. H. Bremond répond catégorique­ ment : non. < Méditer n’est pas prier, dit expressément saint François de Sales. (Aucune référenceI Dans le Traité de rumour de Dieu, 1. VI. c. n la méditation est cependant désignée comme le « premier degré de l’oral· • son ou théologie mystique ».] Et plus philosophique­ ment, Mgr Paulot. Pesez, je vous prie, tous les mots de cc texte : Chaque opération, envisagée dans son point de vue formel, est exclusive de Vautre. Une méditation for­ melle n’est pas une prière formelle. Quand on médite, on ne prie pas; quand on prie, on ne médite pas. llaisonner explicitement et prier explicitement sont deux choses inconciliables dans le même instant. » Hist, Utt..., t. viiï, p. 362-363; cf. Introd. à la philosophie de la prière, p. GG, note : « la méditation n’est pas tant l’oraison que l’introduction à l’oraison », (citation, d’ailleurs, Inexacte, de Lehodey, Les voies de l'oraison mentale, p. 131, qui avait écrit « l’introductrice de l’oraison »]. Cc n’est pas l’avis du P. de Guibert : « N’est-il pas un peu exagéré de ne faire commencer réellement Voraison qu’au moment où la volonté échauffée prend surnaturcllerncnt contact par l’affection avec le Bien divin? Les actes, même discursifs, de l’intelligence, précédés d’actes préliminaires de prière fervente, cherchant avec l’aide de Dieu à mieux comprendre vérités ou mystères, ne sont-ils pas déjà une vraie oraison? » Hcv. d'ascét. et de mijst., 1920, p. 181, note. « La médita­ tion, dans l’oraison mentale discursive, n’est pas une simple préparation ou prélude, mais une partie de cette oraison même. > Ibid., 1930, p. 342. 11 est vrai que, sous cc mot < oraison », le P. de Guibert ne met pas exactement cc que Bremond met sous le mot « prière » puisque, pour lui, l’oraison n’est une prière qu’· au sens général d’élévation de l’âme à Dieu en vue de le mieux servir en se sanctifiant soi-même ». P. 311-312. Saint Thomas distingue nettement la méditation de la prière : « Le mot de contemplatio, dit-il, s’emploie parfois en un sens strict pour l’acte de l'intelligence méditant les choses divines... 11 s'emploie aussi de façon plus générale pour tout acte par lequel l’âme, sc séparant des affaires extérieures, s'occupe uniquement de Dieu; ce qui peut arriver de deux manières : ou quand l’homme écoute Dieu qui lui parie dans l’Écriture sainte, cc qui sc fait par la lectio; ou quand luimême parie à Dieu, ce qui a lieu dans Voratio. Quant à la meditatio, elle est, par rapport aux deux autres parties, comme un intermédiaire; car, nous servant de cc que Dieu nous dit dans l’Écrilurc, nous nous met­ tons, grâce à la méditation, en sa présence par la pen­ sée et l'affection; et lui étant ainsi présents ou l’ayant présent, nous pouvons lui parler par la prière (oratio); et c’est pourquoi 1 Ligues de Saint-Victor, dans le pas­ sage cité [De modo orandi, c. i. Est-ce bien là que saint Thomas a trouvé cette division de la contemplation ? J’ai beau relire cc chapitre, je ne l’y trouve pas), dis­ tingue trois parties dans la contemplation : la lecture, la méditation et la prière (oratio). Mais 11 ne s’ensuit pas que celle-ci doive être un acte produit par le don de sagesse, bien que cette sagesse, par la méditation, pré­ pare la voie à la prière. » In I Vum Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, qu. 2, ad l,nn. Ce texte sc passe de commentaire : encore que, par la méditation, nous nous mettions en présence de Dieu (ci pnesentamur; præsentati ci vcl pnrsentem eum habentes) par la pensée et l’affection, la méditation n’est pourtant pas encore la prière, qui consiste à parler à Dieu; elle n'en est que la prépara­ tion ou le prélude : pour parler à quelqu’un, il faut évi­ demment d’abord se trouver en sa présence, sc présen­ ter à lui. Signalons, en passant, cc texte d’Hugues de Saint-Victor sur la nécessité de la méditation pour la prière : Sic ergo orationi sancta meditatio necessaria est, ut omnino perfecta esse oratio nequeat, si eam meditatio non comitetur aut pnrcedat. l.oc. e it. NATURE 178 Suarez est d'avis que l’oraison mentale, cet « exer­ cice % op. cit., 1. Il, c. î, n. 5, tant recommandé par les Pères et les auteurs spirituels, comprend quatre actes successifs, qui sont, d’après la Scala claustralium (cf. ici, t. vi, art Guigves, col. 1966) : la lectio, la meditatio, Voratio et la contemplatio, ibid., c. ti, n. 2. Et voilà du coup la méditation tout à la fois distinguée de la prière au sens strict, qui est, pour Suarez, la prièredemande, et rangée parmi les < parties » intégrantes de l’oraison mentale ou prière au sens large. Suarez accepte la définition qu'en donne la Scala : Meditatio est studiosa mentis actio, occulta: veritatis notitiam ductu propria: rationis investigans. Jbid., η. I Mais ainsi entendue, la méditation n'est pas nécessairement une prière, même au sens large du mot. Pour qu’elle le soit, deux conditions sont nécessaires : il faut d'abord qu’elle procède ex afleetu orandi, id est colendi Deum per actus mentis, Ibid, La méditation satisfera à cette première condition; elle sera un hommage rendu à Dieu, de deux manières : d'abord, intendendo ipsam meditationem ut cultum quemdam Dei, en considérant la méditation elle-même comme une sorte de culte ou d’hommage rendu à Dieu cl en la voulant comme telle; ne l’est-clle pas, en ciTct, puisqu'elle s’appuie sur la foi s’exerce fréquemment par «les actes de fol, et que tout cc qui s’y passe n’a pas d’autre but que de soumettre toujours devantage notre intelligence à Dieu ? Secon­ dement. en « ordonnant » notre méditation au culte de Dieu, c’est-à-dire en nous y proposant d’exciter en nous une plus grande estime de la gloire et de la majesté divines, un plus fervent esprit de prière, une dévotion plus ardente. Ibid. La seconde condition requise pour que la méditation soit vraiment une prière, c'est qu'elle soit pratique, c’est-à-dire qu’elle ait pour but d’exciter ou d’attiser en nous des senti­ ments, parce que tel doit cire le but de l’oraison men­ tale; autrement, elle ne serait pas un acte de religion ou de charité, et par conséquent elle ne serait pas une prière. Ibid., n. 5. Ces deux conditions nécessaires pour que la médita­ tion soit une prière, Suarez les voit indiquées dans la parole du ps. xvnt : Meditatio cordis mei in conspectu tuo semper. Bien que la méditation soit surtout œuvre d’intelligence, le psulmistc l’appelle méditation du cœur, quia et ex affectu exire et ad illum tendere debet. De plus, la méditation doit se faire « en présence de Dieu », quia tota debet referri ad cultum ejus;et c’est pourquoi tous les auteurs spirituels enseignent qu’il faut commencer l’oraison mentale par sc mettre en présence de Dieu. Ibid. /I/. PRIERE ET VERTU de RELIG/OE. — La prière est un acte qui procède de la vertu de religion. Cf. saint Thomas, Sum. theol., II ‘-IIst’, q. lxxxiii, a. 3; in l Vll,n Sent., dist. XV, q. iv, n. 1, qu. 2. Que la prière soit un acte de religion, l’Écriture le marque dans cette parole du ps. exi. : Dirigatur oratio mea sicut incensum in conspectu tuo. La raison le prouve par cc syllogisme : « L’objet propre de la vertu de reli­ gion, c’est de rendre à Dieu le respect et l’honneur auxquels il a droit, et donc tous les actes par lesquels on rend à Dieu ce respect appartiennent à la vertu de religion. Or, par la prière, on rend à Dieu ce respect, en tant que par elle on sc soumet à lui et l’on professe avoir besoin de lui comme de l’auteur de tout bien. Donc, manifestement, la prière relève en propre de la vertu de religion. > Tel est l’enseignement de la Somme. Cf. Catéchisme romain, part. IV, c. n, n. 1. On pourrait objecter que < l’office de la religion paraît être de pré­ senter à Dieu son culte et scs cérémonies et que la prière ne parait pas apporter quelque chose à Dieu, mais plutôt chercher à obtenir de lui quelque chose »: saint Thomas répond, ibid., ad 3UDI : « Eu priant, l’homme livre à Dieu son esprit, qu’il lui soumet par le 179 PRIÈRE. ESPÈCES rcspc l et qu’il lui présente d’une certaine manière (et quodammodo présentai, c’est-à-dire dont il lui fait pré­ sent ), comme il est dit dans le texte de Denys. Et c’est pourquoi, de même que l’esprit de l'homme l’emporte sur ses membres corporels et sur toutes les choses exté­ rieures qu’on emploie nu service de Dieu, ainsi la prière l’emporte sur tous les autres actes religieux. » j Mais, quand ils sc posent cc problème : utrum oratio sit actus religionis, les théologiens ne sc demandent pas seulement si la prière est un acte de religion, mais encore si clic procède de la vertu de religion, ou de quelque autre vertu, ou de quelque autre habitus de l'âme, par exemple de l’un des dons du Saint-Esprit. Ι/âme de l’homme pourrait être comparée â un arbre dont le tronc porterait deux branches charpentières, l’intelligence et la volonté, desquelles sortiraient divers rameaux, qui sont les vertus et les dons. De quelle branche, de quel rameau procède la prière? Or, voici la difficulté : · La vertu de religion, étant une partie potentielle de la vertu de justice, réside dans la volonté sicut in subjecto; mais la prière, comme on l’a vu anté­ rieurement, est un acte de la raison pratique, donc appartient à la partie intellective de l’âme (pertinet ad jKirtem intellectivam); donc, clic ne parait pas être un acte émanant de la vertu de religion, mais plutôt du don d’intelligence, dont le rôle est d’élever l’âme à Dieu. » Ibid., objectio 1Λ. Dans les Sentences, toc. cit., saint Thomas s’objecte que, d’après certaines défini­ tions traditionnelles, on pourrait aussi la rattacher aux dons de sagesse ou de science. Λ l’objection principale, saint Thomas répond, ibid., ad 1un’: · La volonté meut les autres puissances vers la fin à laquelle elle tend; résidant en la volonté, la religion pourra donc ordonner â l’honneur de Dieu les actes des autres puissances. Or, parmi celles-ci, c’est l’intellect qui est la plus haute et la plus voisine de la volonté. C’est pourquoi, après la dévotion, qui émane de la volonté elle-même, c’est la prière, par laquelle la religion meut vers Dieu l’intel­ lect humain, qui tient le premier rang parmi les actes | de religion. » Mais enfin, si la prière est un acte de la raison, dont la religion, c’est-à-dire la volonté, · se sert pour témoi­ gner à Dieu du respect », comme il est dit dans les Sentences, loc. cit., peut-on maintenir cette affirmation, qu’on y trouve aussi, que la prière est un acte « elicite » de la vertu de religion : cum J)eo reverentiam exhibere sit actus lairia, oratio actus latriæ erit elicifive ? Dans l’article de la Somme, elicitive est remplacé par pro- * prie. Suarez distingue : · La prière, dit-il, est un acte produit immédiatement (immediate elicitus) par la vertu de religion quoad affectum petendi, c’est-à-dire pour cc qui concerne le désir, la détermination de prier: mais, pour cc qui est de la prière elle-même, c’est un acte impéré. en tant que la locutio, en quoi consiste formellement la prière, est un acte intellectuel, bien que. en tant qu’actc moral et vertueux lin esse rnorali et virtutis), on puisse la considérer aussi comme un acte élicite, avec un grand nombre de théologiens. ■ Op. cit., 1. I, c. vu, n. 7. Cette distinction n’a pas l’heur de plaire à Jean de Saint-Thomas, qui la réfute longuement. Cursus theol., In //“"» //*' , q. lxxxhi. a 3, éd. Vivfcs, t. vu, p. 759-769; cf. Vermcersch. op. cit., p. 6. Scholia : 1® Pour que la prière soit un acte de reli­ gion. il n’est pas nécessaire qu’on sache qu’elle l’est et qu’on la veuille comme telle; il suffit que l’on recon­ naisse que l’on a besoin du secours de Dieu et qu’en priant on veuille sc soumettre à Dieu. Suarez. Inc. cit., n. 13. 2· En revanche, il peut advenir qu’une prière soit totalement dépourvue de cette qualité, qu’elle ne soit pas un acte de religion et donc pas une vraie prière : · si quelqu’un, par exemple, n’envisageant que son intérêt (ex nimio affectu ad suum commodum vel 180 alio simili), ne pense nullement, lorsqu’il demande quelque chose, à se soumettre à Dieu et à l’honorer, ni à reconnaître sa toute-puissance et la dépendance où il se trouve à son égard, mais est uùlqûcmenl préoccupé d’obtenir le bien qu’il désire ou d’échapper nu mal qu’il redoute », ibid., n. t 1; cf. Bremond, Hist. Utt..., t. vu, p. tO. 11. Les espèces de phièhes. — « Les parties de la prière peuvent s’entendre de deux manières : il peut s’agir soit des parties Intégrantes, soit des parties sub­ jectives. Par parties intégrantes de la prière, on entend tout cc qui est requis pour former une prière complète. Les parties subjectives de la prière se distinguent ou selon la diversité des choses qu’on demande, ou selon les différentes manières dont se fait la demande. «Saint Thomas, in IV Sent., dist. XV. q. iv, a. 3, sol. L Cela à propos du texte de saint Paul, I Tini., n, I : obsecro igitur primum omnium fieri obsecrationes, ora­ tiones, postulationes, gratiarum actiones; duquel il faut rapprocher celui de Phil., iv, 6 : sed in ornni oratione et obsecratione, cum gratiarum actione, petitiones vestne innotescant apud Deum. Ces textes posaient un pro­ blème : parlaient-ils de diverses sortes de prières (partes subjeclivæ), ou seulement des divers éléments qui doivent entrer dans la composition de toute prière pour qu’elle soit complète (partes integrates) * Sa définition de la prière devait porter saint Thomas à y voir principalement d’abord, puis exclusivement l’indication des parties intégrantes de la prière. Le Catéchisme romain, c. m, n. 1, adopta cette manière de voir. /. LES PΛ ET/ES INTÛa/îANTES PE LA PE/ÈEE SEEDS SAINT THOMAS. — Dans le commentaire des Sen­ tences, loc. cit., seules, les obsecrationes et les gratiarum actiones sont considérées comme parties intégrantes de la prière; les orationes et les postulationes en sont des parties subjectives : celles-là concernant les biens de la vie présente, celles-ci ceux de la vie future. C’est d’après cette conception qu’est interprétée la distinc­ tion des parties de la messe donnée par la glose ordi­ naire : tout ce qui se dit avant la consécration peut être considéré quasi quirdam obsecrationes; ce qui sc dit dans la consécration peut .être appelé orationes, quia sacramentum quod illis verbis conficitur, in via nos adjuvat; ce qui suit la consécration constitue des postulationes, quia bona icterna postulantur et mortuis et vivis; enfin cc qui suit la communion a le caractère de gratiarum actiones. Pendant que nous sommes dans le commentaire des Sentences, remarquons, dans la qu. 3' du même art. 3, les divisions de la prière données par I lugucs de SaintVictor, qui seront intégrées dans l’art. 17 de la 11 '-II·®, q. lxxxhi. La supplicatio, la postulatio et Vinsinuatio, distinguées par le Victoria, sunl partes subjectivi? et distinguuntur secundum diversos modos. Dans une prière, en effet, on peut rencontrer deux éléments : l’exposé de nos besoins (narratio) et la demande pro­ prement dite (petitio); la prière qui contiendra ces deux éléments sera une postulatio, définie par 1 lugucs : determinatæ petitioni inserta narratio. Si l’un de ces éléments vient à manquer, si nous avons une petitio sans narratio, cc sera une supplicatio, définie : sine determinatione petitionis, humilis et devota precatio SI. au contraire, nous avons une narratio sans petitio, ce sera insinuatio, définie : sine petitione per solam narra­ tionem voluntatis facta significatio. Dans son commentaire de l’épitrc aux Philippins et de la I" à Timothée, saint Thomas ne voit plus, dans les quatre termes employés par saint Paul, que l'indi­ cation des quatre éléments qui doivent se retrouve r en toute prière : Et ponit quatuor qme necessaria sunt in qualibet oratione. In epist. ad Phil. c. iv. led. i Toute prière, en effet, comporte d’abord ascensum intellectus 181 PRIÈRE. ESPÈCES 182 m bruni, c’est Vocaliq (dttns le com men taire de 1 Tim., au catéchisme : < La prière est une élévation de notre c. n, led. 1, l'oratio est considérée comme une médita­ âme vers Dieu pour l’adorer, le remercier, lui deman­ tion sur 1rs obsecrationes); en outre, toute prière doit der pardon de nos fautes et obtenir de lui les choses rire faite cum fiducia impetrandi et hoc ex Del miseri­ dont nous avons besoin. » La division de Tanquerey. cordia, et c’est pourquoi elle comporte une obsecratio, Précis de théot. ascétiq. et mystiq., p. 325, qui de prime c'est-à-dire une contestatio per Dei gratiam et ejus sane· abord ne reconnaît que deux buts a la prière, l’adora­ titatem (in Phll.), ou per sacra, sicut per passionem et tion et la demande, sc ramène cependant à la division crucem (in 1 Tim.); mais, parce que celui qui ne songe­ classique, puisque, sous le nom d’adoration, il entend rait pas à rendre grâces pour les bienfaits déjà accordés non seulement « l’adoration proprement dite ». mais se rendrait indigne d’en recevoir de nouveaux, toute encore l’action de grâces et la réparation de l'offense prière doit contenir une action de grâces; c'est alors faite â Dieu par le péché. seulement que l’on peut présenter sa demande: et tune A côté de cette division de la prière calquée sur celle proponit petitionem. Si nous y regardons de près, nous du sacrifice, on trouve une division tripartite en prière retrouverons ccs quatre cléments dans toutes les · orai­ de louange, d'action de grâces et de demande. C’est celle sons » de l’Eglise : primo enim invocatur Deus (c'est de Brancatl, cité par IL Bremond. Hist. HH., t. vu, roratio); secundo commemoratur divinum beneficium p. 8-9, note; de Schilling, l^hrbuch der Moraltheolo(c'est Ia gratiarum actio); tertio petitur beneficium; gie, t. π, p. 163, qui signale pourtant aussi l’adora­ quarto ponitur obsecratio · /Vr Dominum nostrum, etc tion (Anbetung) et remarque que la prière de demande tn Phil., toc. cit. Cependant, saint Thomas concède (Hittgebet) devient une Abbitte, quand il s'agit de qu'on pourrait voir aussi, dans les quatre expressions l’expiation ou de la remise de la dette que l'on con­ pauliniennes, quatre sortes de prières se rapportant tracte envers Dieu par le péché. Si par la «louange » ad quatuor quæ nos volumus in oratione obtinere, tn de Dieu ces auteurs entendaient Γ· adoration ». les J Tim., loc. cit. deux divisions concorderaient, puisque la prière de L’art. 17 de la Somme, HMlæ, q. lxxxhi, synthé­ demande englobe évidemment la «demande de pardon »; tise cl clarifie encore toutes ccs réflexions sur les c'est cc que fait remarquer Noldin : orationem propi• parties > de la prière énumérées par saint Paul (partes tiatoriam, qua remissio peccatorum et pernarum pos­ a remplacé species, qui sc trouvait dans le titre de tulatur... ad orationem petitionis generatim acceptam l’art. 3 des Sentences). Trois choses sont nécessaires pertinere manifestum est. Sum. theol. mor., 20* éd., pour la prière. D'abord, ut orans accedat ad Deum, ce t. ii, 1930, p. 139. Le même théologien, tout en distin­ qui se fait par l'oratio, qui est un ascensus intellectus guant la louange de l’adoration, déclare cependant in Deum. Ensuite, qu’il y ait une demande, et c’est ce qu’on peut l’y rapporter, si bien qu’il aboutit, lui qu’indique le terme de postulatio; mais cette demande aussi, A une division tripartite : adoration, action de grâces, demande Ibid pourra sc faire de trois manières : ou bien determinate, D’autres théologiens paraissent distinguer de plus cl ce sera la postulatio proprement dite; ou bien inde­ terminate, et ce sera la supplicatio, ut cum qui s petit nombreuses formes de prières; Mgr Paulot, par exem­ ple : « La demande n’est pas toute prière, si l’on entend juvari a Deo; ou bien enfin la demande sera implicite et consistera dans l’exposé d’un fait, et cc sera I'insi­ la prière dans le sens large... L’adoration, l’admiration, la louange, l'action de grâces, sont des formes émi­ nuatio. Enfin, pour qu’il y ail prière, au moins prière nentes et variées de la vertu de religion. » L'esprit de efficace, requiritur ratio impetrandi quod petitur; mais cela peut sc trouver : vcl ex parte Dei. et l’invocation de sagesse. 2e éd., p. 220. M. Saudreau : * Pour ces âmes ccs motifs d'exaucement constituera Vobsecratio, quæ (imparfaites), la prière est possible, elle l’est toujours. est per sacra contestatio; vcl ex parte petentis, et ce motif i mais la prière d’adoration, de louange, d’action de grâces, de demande. Pour la prière d’adhérence, c’est d'exaucement sc trouvera dans l'action de grâces autre chose. Elles n’adhèrent guère â la volonté divine; rendue Λ Dieu pour scs bienfaits antérieurs. Cf. A. elles y adhèrent seulement pour les devoirs très gra­ Lcmonnycr, La prière chrétienne de demande, dans La ves », cité par Bremond, Hist, litt., t. vni, p. 385: vie spirituelle, mars 1925, p. 571-571. //. LES « PARTIES SURJECTIVES » PE LA PRIÈRE OU enfin le P. Baker: «La prière est un acte affectueux de l’âme intellective envers Dieu, lui exprimant, les piepèreetes espèces pe prières. — « Les par­ ties subjectives de la prière, lisions-nous tout â l’heure au moins implicitement, notre entière dépendance en saint Thomas, se distinguent soit d’après la diver­ comme étant l’auteur et la source de tout bien; une sité des choses que nous demandons, soit d’après les dif­ volonté aussi prompte qu'efficace de lui accorder tout cc qui lui est dû. ce qui n’exprime rien moins que tout férentes manières dont nous demandons, vcl secundum l’amour, toute la soumission, toute l’adoration, toute diversitatem eorum quæ petuntur, vel secundum diversum la gloire et tout le culte que l’âme et toutes les créatu­ modum petendi. » Cf. supra, col. 180. En somme, cela res peuvent lui rendre, en s’humiliant, en s’anéantis­ revient à diviser la prière selon scs objets et selon ses modes. Cette division peut être maintenue avec la défi­ sant devant lui; et enfin un désir et une intention d’as­ pirer â une union d’esprit avec lui », cité par Devine. nition de la prière que nous avons adoptée. Manuel de théologie mystique, p. 203. Dans son Traité 1° Les différents objets de la prière. — « La prière, de ta prière, l. i, I. 1, c. m. Nicole trace le plan d’une ainsi que le sacrifice, a quatre objets : l'adoration, méditation ou oraison mentale générale, c’est-à-dire l'action de grâces, le pardon des péchés, Vimpétration des qui ne concernerait pas un sujet particulier, mais notre biens spirituels et temporels. Les deux premiers objets vie religieuse envisagée dans la totalité de scs aspects regardent Dieu directement et sont, pour cette raison <•1 sans contredit, les plus Importants. Les deux der­ essentiels; cette oraison devrait comporter six actes niers regardent nos intérêts, qui sont subordonnés â successifs : un acte d’adoration, un acte d’action de grâces, un acte de componction ou de contrition, un ceux de Dieu, et que nous ne devons avoir en vue qu’après les siens. » Le P. Grou, cité par H. Bremond, acte d’espérance « du pardon de nos fautes et des tntrod. à la philosophie de la prière, p. 229. Il y aurait biens que Dieu promet à ceux à qui il les pardonne », donc quatre sortes de prières, comme il y a, selon les un acte de résolution « de tendre à Dieu et d’observer théologiens, quatre sortes de sacrifices, qu’ils dénom­ scs divines lois dans toutes nos actions », enfin un acte ment : latrcutique, eucharistique, propitiatoire cl de demande du secours divin nécessaire à cet effet. impôtratoirc; cf. I hirter, Theol. dogm compend., 6· éd., Récapitulons toutes les sortes de prières, ou d’actes t. in, p. 389. On peut presque dire que c’est la division qui peuvent se rencontrer dans la prière, qui viennent classique de la prière, celle que nous avons apprise de nous être indiqués : adoration, louange, admiration. 1 S3 PRIÈRE. ESPÈCES culte; adhérence, soumission, résolution; amour, action de grâces; componction ou contrition;espérance «lu pardon et des biens divins, désir d’union; demande «lu pardon ou du secours de Dieu, etc. Nous voilà loin de compte avec les trois ou quatre espèces de prières généralement admises par les théologiens. Pourtant, il est bien évident, même â première vue, que tous ces sentiments ne sont pas à mettre sur le même plan, qu’un certain nombre d’entre eux sont secondaires par rapport à d’autres, dont ils découlent ou dont ils ne sont que des nuances; en deux mots, un classement, une réduction, s’imposent. Essayons-les. L {.'adoration est la reconnaissance de notre qualité de créatures, donc de notre absolue dépendance à l’égard de Dieu; reconnaissance qui n’est pas seule­ ment un aveu mélancolique, mais une acceptation, résignée ou joyeuse, de notre condition et de toutes ses conséquences. La prière d’adoration est donc essen­ tiellement une prière de soumission ou d'adhérence à la volonté divine, qu’il s’agisse de la volonté divine signifiée par les événements qui nous atteignent, ou exprimée par les commandements qu’elle nous impose; soumission, répétons-lc, qui peut être en quelque sorte forcée, arrachée à l’âme par la crainte du Maître, ou, au contraire, libre, spontanée, quand elle sc teinte d’amour; tous les Fiat sont des prières d’adoration. De cette prière de soumission ou «l’adhérence, c’est â peine si l’on peut distinguer la prière de résolution, dont parle Nicole, ou la prière d'oflrande du P. Baker: • La prière que j’ai en vue en ce moment est plutôt l’offrande et le don fait à Dieu de tout ce qu'il peut légitimement nous demander, c'est-à-dire l'offrande de tous nos devoirs, de tout notre amour, de notre entière soumission », etc., cité par Devine, op. ci/., p. 202; prière dont le ps. xxxix nous présente un exemple mémorable : Tunc dixi : ecce venio, ut laciam voluntatem tuam; cf. 1 lebr., x, 5-7. Par où l’on voit «pie l’adoration mène à l’amour, c’est-à-dire au don de soi, si tant est qu’on l’on puisse distinguer. 2. La louange divine (laudamus te, benedicimus le, glorificamus le) nous paraît, au contraire, nettement distincte de l’adoration proprement dite, telle que nous venons de l’envisager. Elle procède de Vadmira­ tion qui saisit l'âme mise en face des perfections divi­ nes : Domine, Dominus noster, quam admirabile est nomen tuum in universa terra! Ps., vm. Il y a loin de cette exaltation ou de cette exultation de l’âme au Fiat de Gethsérnani. Remarquons ici «pic les hymnes de louange peuvent revêtir des formes différentes : tantôt ils s’adressent directement à Dieu, tantôt ils s'adressent aux créatures qu’ils invitent à célébrer les grandeurs du Créateur (Benedicite, omnia opera Domi­ ni, Domino), tantôt enfin Ils ne s'adressent à personne et chantent simplement les grandeurs divines (Magnus Dominus cl laudabilis nimis). 3. L'action de grâces se mêlera facilement à la louange divine : la bonté n'est-ellc pas l’attribut essentiel de la divinité, et n'est-ce pas pour nous, en définitive, que le Créateur a semé tant «le merveilles dans la création? Et pourtant, l’action de grâces est un senti­ ment nettement distinct de la simple louange : tout le monde en convient. 4. Mais voici le péché, «pü va Introduire toute une catégorie de sentiments nouveaux dans le cœur de I homme et donc dans sa prière. L’homme a cons­ cience d’avoir déplu à Dieu par son péché et «le s’être attiré sa colère : Il cherchera à l’apaiser par la contri­ tion ou componction, par l'expiation ou la réparation. Avons-nous déjà affaire, dans de telles prières, à la prière de demande ? Implicitement peut-être. Mais il est des cas où l'expression «le tels sentiments dans la prière ne procédera pas d’un motif intéressé et par conséquent ne pourra pas être considérée comme 184 l'équivalent d’une demande de pardon : supposons une âme entièrement convaincue d'avoir reçu de Dieu le pardon de ses fautes et même «l’être l’objet «le scs complaisances particulières; pourtant, au souvenir «le ses péchés passés, elle ne cesse de redire à Dieu le regret qu’elle a de l’avoir offensé, elle ne cesse de cher­ cher de toutes manières à expier et à réparer; de même que la pensée «les bontés divines à son égard la trans­ porte d’admiration et de reconnaissance, la pensée «le son Ingratitude, de son indignité, la remplit de confu­ sion, de douleur; nous avons bien ici affaire à une for­ me particulière de prière. 5. Adorer, louer, remercier, regretter, avons-nous, avec ces quatre premiers objets «le la prière, épuisé tous les sujets d’entretien de l’homme avec Dieu? Nous avons dit que l’adoration menait à l’amour, c’est-àdire au don de soi, si tant est qu'on l'en pouvait dis­ tinguer; nous avions en vue l'amour effectif, l’amour de volonté, «pii peut être commandé : Diliges Domi­ num... Mais l'amour affectif, cette attraction, cette complaisance, cette < passion », que l’on ressent, que l’on éprouve à l'égard de l'objet aimé, qui nous porte vers lui, pour jouir de lui, pour nous < unir » à lui : voilà bien un sentiment tout différent de l’adoration et qui peut aussi être le · sujet » de notre prière. « C'est l'amour, ou du moins le désir de l’amour, qui doit porter le chrétien à prier; l’amour doit être l’objet final ou même le sujet de sa prière; et l'augmentation de l’amour en doit être le fruit. » Grou, L'école de JésusChrist, t n, 1923, p 29. Dans la « contemplation . qui est bien aussi une prière, l’âme n'a plus d’autre occupation que d’aimer; cf. saint François de Sales, Traité de l'amour de Dieu, I. VI, c. in. 6. Il est une prière que l’on pourrait appeler la prière d’< abandonnement à Dieu »; ce fut la dernière prière de Jésus sur la croix : In manus tuas commendo spiritum meum. Peut-elle se ramener à l'adoration, a la soumission aveugle aux volontés divines? Oui. sans doute, quand elle est pure résignation à l’inévi­ table, quel qu’il soit : Dominus est, quod bonum est in oculis suis /aciat. I Beg., ni, 18. Non, semble-t-il, quand elle sc teinte de confiance, «l’espérance : In te, Domine, speravi, non con/undar in icternum. Sans être encore une prière de demande formelle, particulière, elle est tout de même un recours à Dieu : dans la suprême détresse, quand tout nous abandonne, quanti Dieu même parait nous délaisser, nous espérons encore en lui; nous remettons, nous confions à ses mains noire sort et celui «le notre cause : Etiam si occiderit me, in ipso sperabo. Job, xm, 15. 7. Enfin, nous arrivons à la prière de demande, quel qu'en soit l'objet, qu'il s'agisse d'obtenir le pardon «lu péché, la remise «le la coulpe ou «le la peine, de la peine présente ou «le la peine à venir; ou qu’il s’agisse d’obtenir tout ce que nous désirons pour nous, polir autrui, pour Dieu lui-même. Nous sommes ainsi amenés à reconnaître sept espè­ ces «le prières, distinguées d'après leur objet : l’adora­ tion, la louange, l’action de grâces, la contrition, l’amour, l’abandon, la demande. Peut-être, en cher­ chant bien, en trouverait-on davantage. En revanche, nous ne nous attarderons pas à montrer que toute prière ne renferme pas formellement ou implicitement une demande, comme le pense Vermcersch, op. ci/., p. 8; cf. Bremond, Hist, litt., t. vu, p. 7 sq. 2° Les di fierent* modes de la prière. — I Prière men­ tale et prière vocale. — Commençons par bien préciser ce qu’il faut entendre, ce que nous entendons par là. Il ne s’agit pas d’opposer la prière «lu cœur et la prière des lèvres, celle qui serait dans le c«cur cl celle qui n'existerait que sur les lèvres, en définitive la vraie et la fausse prière; cf. Bremond, Hist. Uti., t. x, p. 2 II n'y a pas «l’apparence qu’aucun théologien ait jamais 185 P Kl ÈRE MENTALE ET PRIÈRE VOCALE proposé semblable division de la prière. Benoît XIV, cité par Bremond, ibid., p. 3, note 2, en donne les définitions suivantes : oratio vocalis ca est qua: voce exprimitur, itu tamen ut mens ori conjuncta sit«.; oratio vero men fuit s sine voce sensibili expletur. Ne confondons pas non plus, comme le fail Landriot, op.cil„C π, p. 210, prière mentale et prière sans paroles; ou encore prière vocale et prière formulée d’avance, par opposition â la prière libre, spontanée, personnelle, comme on le fait fréquemment. La prière mentale dont nous parlons ici, cette prière · qui se produit au fond de l’âme, sans mouvement extérieur , Landriot, ibid., p. 209. peut très bien consister en la récita­ tion mentale de prières dites vocales, c’est-à-dire de formules toutes faites; et, nous dit Bremond, ibid., p. Il, · en dehors de quelques étals sublimes, toute prière mentale est vocale », c’est-à-dire s’exprime par des paroles intérieures; cf. p. 3 : · en dehors de cer­ taines expériences peu communes, l’oraison de silence, par exemple, où, du reste, sc glissent toujours, me semble-t-il, quelques mots imperceptibles... » Quant à la prière vocale, c'est-à-dire à celle qui « se traduit par des signes et le plus ordinairement par des paroles », Landriot, ibid., si elle consiste le plus souvent dans la récitation, à voix haute ou à voix basse, de prières stéréotypées, elle peut très bien aussi revêtir une expression personnelle, et fort diverse suivant les cir­ constances : os loquitur ex abundantia cordis. Les théologiens sc posent quelques problèmes au sujet de celte première distinction de deux modes de prières : celle de la légitimité de la prière vocale, celle de la supériorité de la prière mentale, celle enfin des conditions strictement requises pour qu’il y ait encore prière vocale. Examinons-lcs brièvement. a) Légitimité de la prière vocate,— Cf. saint Thomas, In / Vum Sent., (list. XV, q. iv, a. 2; Cont. gent., 1. 111, r. exix; Sum. theol., HMIæ, q. lxxxîh, a. 12; q. xci, a. 1 ; Suarez, op. cit., 1. Ill, c. i; Landriot,op. cit., t. n, p. 213-223. Quelques hérétiques, dit Suarez, loc. cit., n. 1, ont condamné d’une manière absolue l’usage de la prière vocale; il cite les · trlnitalrcs », qui tiraient cette consé­ quence du texte évangélique : in spiritu et veritate oportet adorare. Guilloré, cité par Bremond, loc. cit., p. IG, déclare (pi* · il n'y a que les illuminés qui s’en défont (des prières vocales) et qui croient que c’est un abaissement qui empêche l’élévation de l’esprit; c’est là qu’ils renvoient les âmes communes qui en ont abso­ lument besoin pour s’occuper ». De ces « illuminés ■ de toutes les époques, adversaires de la prière vocale, on trouvera les doctrines dans les Documenta ecclesiastica christianœ perfectionis studium spectantia du P. de Gulbert, Koine, 1931. Berthold de Kohrbach soutenait • (pie la prière vocale n’est pas utile ou nécessaire à l’homme et que nihil conferat ad salutem, mais qu’il suffit de prier mentalement sine voce vel motu labio­ rum ». N. 301,5°. Les ■ illuminés » ou alumbrados d’Es­ pagne enseignaient ■ (pie la prière mentale était com­ mandée par un précepte divin et peream omnia impleri, mais que la prière vocale était de peu d’importance (parvi esse momenti) ». N. 103,1°; 105, 2°. Même ensei­ gnement chez les pelagini de Lombardie : « La prière vocale comparée à la prière mentale est de peu d’im­ portance; c’est comme le son par rapport à la farine et comme la paille par rapport au grain. La prière men­ tale perd de sa valeur quand elle s'unit à la prière vocale comme le vin quand il est mélangé avec l’eau. » N. 438, 2"et 3°. Les quit listes de la Ligurie «réprouvent les prières vocales et les autres exercices spirituels en usage dans lu sainte Église romaine». N.441. Ceux du royaume de Naples « ne récitent | as de prières vocales cl ne méditent pas ». N. 112. En général, les quiétisles prétendaient que « la lecture des livres spirituels, la 186 prédication, la prière vocale, l’invocation des saints et autres choses semblables étalent un obstacle à la contemplation et à l’oraison affective ». N. 116, 1O. Il semble bien qu’on ne peut mieux présenter que ne le fait sainl Thomas les raisons qui sembleraient mili­ ter contre la prière vocale. Il* ll,r, q. i.xxxin, a. 12. Elles tendent à démontrer que la prière vocale est d’abord inutile : · la prière, comme on l’a vu à l'art. 4, s’adresse principalement à Dieu; or. Dieu connaît le langage du cœur; il est donc inutile d’employer la prière vocale »; puis nuisible : « la prière, comme on l’a dit à l’art. 1, doit élever l’âme à Dieu; or. les sons de la voix, comme toutes les autres choses sensibles, empê­ chent cette ascension contemplative vers Dieu; donc, il ne faut pas dans la prière employer les sons de la voix »; enfin, défendue positivement par Jésus-Christ : « la prière doit être présentée à Dieu dans le secret, selon cette parole : ora Patrem tuum in absconddo; or. la voix publie notre prière; donc la prière ne doit pas être vocale ». Dans les Sentences, loc. cit., l’obstacle apporté par la prière vocale à l’ascension de l âmc vers Dieu est présenté d’une manière plus précise : il résulte de l’effort que nous sommes obligés de faire pour articuler les paroles; cet effort retrahit ascensum intellectus et affectus ad divina, quia anima non potest intense circa diversa occupari. La question que sc posait saint Thomas, dans la Somme aussi bien que dans les Sentences, n’était pas tant celle de la légitimité que celle de la nécessité de la prière vocale. 11 y répondait en distinguant la prière commune, c’est-à-dire « celle que les ministres de l’Église offrent à Dieu au nom de tout le peuple fidèle », et la prière individuelle ou privée. La première doit être vocale, dit-il, parce qu’« il faut que tous en aient connaissance, puisqu’elle exprime les sentiments de tous; on a donc agi raisonnablement en décidant que les ministres de l’Église prononceraient ces prières même à haute voix, pour qu’elles puissent parvenir à la connaissance de tous ». Quoi qu’il en soit de cette raison, il est encore entendu aujourd’hui que la récita­ tion du bréviaire par les ministres de l’Église doit se faire vocalcment et non pas seulement mentalement; nous aurons à dire tout à l’heure ce que cela comporte. La prière individuelle, c’est-à-dire < celle que chacun offre en son nom propre, pour soi-même ou pour autrui, ne requiert pas nécessairement une expression vocale ». Cependant, on ne manque pas de raisons pour adjoindre la voix meme ù cette prière individuelle. Saint Thomas en donne trois dans cet art. 12 de la q. i.xxxH! : · C’est d’abord un moyen d’exciter inté­ rieurement la dévotion, qui permet à l’âme de s’élever à Dieu dans la prière; c’est, en effet, le rôle des signes extérieurs, sive vocum sive etiam aliquorum factorum, d’agir sur les sentiments de l’âme par l’intermédiaire de la connaissance. » On trouvera le développement de celte première raison dans le Contra gentiles, I. Ill, c. cxix. Moyen d’cxcllcr la dévotion, la prière vocale ne l’est pas cependant d’une manière égale pour tous; saint Thomas le reconnaît loyalement et il en lire cette conséquence (pic · dans la prière individuelle, il faudra user des vocibus et hujusmodi signis dans la mesure où cela sert à réveiller la vie intérieure. Mais si c’est pour nous une distraction ou un empêchement quelconque, il s’en faut abstenir. C’est le cas principalement de ceux qui n’ont point besoin deces marques extérieures pour être disposés à la dévotion. » Le Contra gentiles se montrait, ce semble, plus absolu quand il reprochait aux hérétiques qui réprouvaient here corporalia obse­ quia Deo exhibita, d’oublier qu’ils étaient des hommes, en ce qu'ils méconnaissaient la nécessité des représen­ tations sensibles pour la connaissance et le sentiment intérieurs. 187 PRIÈRE MENTALE • En second lieu, c’est une manière de rendre à Dieu son dû : l'homme employant à le servir tout ce qu’il tient de lui. son esprit, mais aussi son corps. Cela con­ vient surtout à la prière sous son aspect de satisfac­ tion... En troisième lieu, la prière vocale s’adjoint à la prière mentale par une sorte de débordement (redun­ dantia) de l’âme sur Je corps, sous la véhémence du sentiment intérieur, selon celte parole du psahnistc : Mon cœur s’est réjoui et ma langue a exprimé mon exultation (Ps., xv, 9). » Le commentaire des Senten­ ces, toc, cil,, signale une quatrième utilité de la prière vocale : elle fixe l'attention et empêche la distraction, magis enim tenetur ad unum si verba etiam orantis affectui conjunguntur. Enfin, l’art. 1 de la q. xci de la II*·H45, corp, et ad 2urn, en indique une cinquième : la prière vocale édifie le prochain. Sauf la dernière, ces diverses utilités de la prière vocale sont bien mises en lumière par Landriot, toc, cil. Après cela, Il est facile de réfuter les raisons allé­ guées contre la légitimité de la prière vocale, du moins la première ct la troisième, cf. q, lxxxih, a. 12, ad 1««* ( ct ad 3im; quant à la seconde, à savoir qu’elle peut dis­ traire l’esprit et empêcher la dévotion, saint Thomas l’a concédé; les Sentences, toc. cit., ad 3 et que la prière publique comme telle n’est pas de soi favorable, est plutôt défavorable à la con­ templation. Il n’est, pour s’en convaincre, que de lire Duguet. Traité de ta prière, principalement de la pubti· que, où les motifs et les moyens qui peuvent contribuer a y conserver de l'attention ct de la ferveur sont expli­ qués. Richard Rolle, l’ermite de llampole, proclame I incompatibilité du chant spirituel avec le chant humain ·, Le leu de l'amour, L ll.c. Ht; c’est pourquoi II %'est retiré dans la solitude, pour fuir les auditions 196 que l’on a l'habitude d'entendre dans les églises ct les chants harmonisés que les auditeurs viennent écouter·. C. !, p. 185. de la traduction Nœtlngcr, ’l’ours. 1928. < Il s'assied dans la solitude sans se joindre aux autres pour la psalmodie, et surtout sans chanter avec eux. » C. n, p. 191. Alors, quand il plaît à Dieu de l’en favori­ ser, un «chant monte jusqu’à scs lèvres et lui fait modu­ ler ses prières dans une sorte de concert spirituel où se trouve tant de douceur céleste que sa langue en est embarrassée... Il loue Dieu dans la jubilation, mais en silence, et, dans une inexprimable suavité, il exhale son cantique de louanges en présence de Dieu, sans que les oreilles humaines en puissent rien percevoir. * Ibid.. p. 191-195. Il nous reste à parler de la valeur moralisatrice et éducative de la prière publique et de la prière privée : laquelle des deux contribue plus efficacement à notre perfectionnement, à notre sanctification? laquelle est plus apte à nous purifier de nos defauts, à développer en nous toutes les vertus, particulièrement la charité, l'amour effectif de Dieu ct du prochain, en la perfec­ tion de laquelle consiste spécialement la perfection chrétienne? laquelle procure à notre intelligence plus de lumières sur le devoir, à notre volonté plus de forces pour l’accomplir? ut et qtite agenda sini videant et ad implenda qiuc viderint convalescant. Dorn, in/ra octa­ vam Epiplianhv. Incontestablement, la prière publi­ que, la récitation attentive ct dévote de l’office divin, l’assistance ct la participation active à la messe ct aux offices paroissiaux, liturgiques ou semi-liturgiques, possèdent à cet égard une très grande efficacité. « Il y a dans les prières de l’Église, dit Nicole, des idées de toutes les saintes passions et de tous les saints mouve­ ments que l’amour de Dieu doit exciter dans nos cœurs... Quelle est donc en cela l'intention de l’Église? Elle veut que nous formions dans notre cœur ces mêmes mouvements, dont elle peint l'image dans notre esprit... et enfin que nous nous transformions dans tous les saints mouvements ct toutes les passions divines que le Saint-Esprit a exprimés dans les psaumes ct dans les autres prières de l’Église. » Cité par Bremond, introduction à la philosophie de la prière, p. 210-211. Incontestablement, la liturgie, par exemple les lectures de l’avant-inessc, les psaumes, les « leçons · du bré­ viaire, fournissent à notre intelligence ample matière à réflexion, à méditation, sur nos devoirs; mais encore faut-il, pour que tout cela agisse efficacement sur nous, que nous prenions le temps de le ruminer, de nous l’assimiler, en un mot de transformer la prière publi­ que en prière privée; en d’autres termes, cc n’est pas en tant que prière publique que la liturgie possédera cette efficacité moralisatrice. Cf. dom G. Lefebvre, Liturgia, p. 181. En revanche, c’est bien dans la prière publique comme telle, en raison spécialement de l’efficacité par­ ticulière de la messe ct des sacrements, que notre volonté trouvera les forces nécessaires pour bien agir: ct ad implenda qua* viderint convalescant. C’est cc que démontre «loin Capelle, dans Prière liturgique ct vie chrétienne, p. 113 sq. [Λ*. IL - Les « lilurglstes » d’aujourd’hui, s’ils reconnaissent à la prière publique une valeur moralisatrice et éducative, proclament néanmoins que la sanctification de l’homme n'est pas sa fin principale, à l’encontre des « ascélicisles »; cf. Bremond. Hist, hit., t. νπ. p 32-35; Guardini, L’esprit de la liturgie, trad. R. d’I larcourl. Paris, 1929. c. νπ : Le primat du Loqos sur Γ Ethos; ct dom Capelle, op. cit., ρ. 112 : · Par sa nature et par son but, l’acte liturgique n’est pas nécessairement et n'est pas immé­ diatement ordonné à soutenir la vie morale. »| b) Légitimité de la prière privée. — Il semble étrange qu’on soit obligé de plaider la légitimité de la prière privée, quand l’Évangile est si clair à ce sujet : ( )uand lu veux prier, entre dans ta chambre, et, ayant fermé P HI fi HE. 1’0 H MES PAKTICULlfc RES ta porte, prie ton Père (pii est présent dans le secret, ct Ion Père qui voit dans le secret te le rendra. » Mal th., vi, 6. Et pourtant Mgr Ktrkhofs. évêque de Liège, à la Semaine liturgique de Namur, ne sc voit-il pas obligé d’intituler l'une des sections de son étude sur les rap­ ports entre la prière liturgique cl la prière privée : · Pas d’exclusivisme de la part de la prière liturgique »? Et celle section commence ainsi : · De son côté, la prière liturgique ne doit ni supj rimer rd sous-estimer la prière privée. » Prière liturgique et vie chrétienne, p. 137. C’est donc qu’il existe des · lilurglstes » qui auraient ten­ dance à supprlm ou à sous-estimer la prière privée. Et pourquoi voudrait-on la supprimer ? On en donne deux raisons : d’abord, elle serait inutile, tous nos besoins religieux pouvant être satisfaits par la prière liturgique; ensuite, elle serait illégitime d’après la conception catholique des rapports de l’individu avec Dieu; l’individu n’existe pas au regard de Dieu, qui ne connaît que l’Église: nul ne peut prier en son nom per­ sonnel ct pour lui seul : toute prière doit être dite au pluriel, selon le modèle de prière donné par le Christ; la prière privée. Individualiste, est une prière protes­ tante; saint Cyprien n’a-t-il pas dit : Non dicimus Pater meus, sed noster: nec Da mihi, sed da nobis; quia unitatis magister noluit privat im precem fieri, ut scilicet quis pm sc tantum peccetur; unum enim orare pro omni­ bus voluit, quoniam in uno omnes ipse portavit’ Et saint Thomas conclut de ce texte que l’oraison domi­ nicale profertur ex persona communi totius Eceles iœ, IIMI ”, q. i.xxxin, a. 16, ad 3’n’, c’est-à dire est une prière publique. Non, la prière privée n’est pas Inutile : · La prière liturgique, dit dom Hyelandl, est essentiellement une forme de prière collective cl sociale qui, toute belle ct sainte qu'elle est. ne pourra Jamais se substituer totalement au besoin de vie Intérieure personnelle qu’éprouvent les Ames que Dieu attire à lui. Pour tous ceux qui ressentent soit le besoin de sc former des convictions senties cl intimes sur les vérités de la foi, soit le besoin de prier en silence..., Il faut qu’en dehors des devoirs du culte officiel Ils sc réservent un temps pour prier en privé ct méditer. Quelle que soit la beauté des textes des psaumes et des prières liturgi­ ques, la méditation et l’oraison en privé gardent néan­ moins leur place essentielle en toute vie intérieure normale. » Cité par dom G. Lefebvre, Liturgia. p. 181; ci. Prière liturgique ct vie chrétienne, p 138 : « En droit comme en fait, dans toute vie chrétienne, à côté de la prière liturgique, Il y a donc place pour la prière pri­ vée. > Non. la prière privée, personnelle. Individuelle, voire individualiste, n’est pas nécessairement une prière protestante, fondée sur la négation du dogme de l’Église, de la nécessité d’appartenir à l’Église, de passer par l’Église pour atteindre Dieu. Ne nous lais­ sons pas influencer par les conceptions sociologiques à la Durkheim pour nous représenter les rapports de l’individu avec la société dans l’Église : pierres vivan­ tes du temple de Dieu, nous restons des personnes qui peuvent entretenir avec Dieu des rapports personnels. Dieu nous connaît chacun par notre nom; nous ne sommes pas des êtres anonymes dont l’ensemble for­ merait l’Église, comme les gouttes d’eau rassemblées, agglutinées, forment l’océan Dilexit me ct tradidit semetipsum pro me. < J’ai versé telle goutte de sang pour toi ». Pourquoi faut-il qu’on soit obligé d’insister aujourd'hui sur des vérités si élémentaires* Cf. dom Lefebvre, Liturgia, p. 186. 4. Quelques formes particulières de ta prière. a) L'oraison Jaculatoire. « Ces prières, dit Landriot. op. cit., t. n. p 236, consistent en de frequents élance­ ments de cœur vers Dieu; tantôt ce sont des traits invisibles (pii sortent, sans être aperçus, des proton- 198 dcur*· de l'âme; tantôt cc sont des jets du cœur, qui s'élancent sous la forme de paroles ardentes. » Donc l'oraison jaculatoire présente deux variétés : le soupir, Γ· aspiration » sans parole precise, d’une part, et, d’autre part. In courte invocation formulée. ■ Mon Dieu! » · Jésus! * Drus meus et omnia, etc. C’est plus particuliérement h ces courtes Invocations qu’on a donné le nom d’oraisons Jaculatoires, sans doute d’après le mol de saint Augustin qui rapporte cc qu’on disait des solitaires de la Thébaide : Dicuntur fratrem in Ægypto crebras quidem habere, orationes, sed eas tamen brevissimas, et raptim quodammiKÎo jaculatas. Epist., cxxx, n. 20, t. xxxii!, coi. 501. Sur la nature des cent mille « aspirations » quotidiennes du P. William Doyle, voir L. de Grandmaison, Eco. d'ascél. et de mysl., 1921, p. 132-137; cf. ibid., 1926, p. 193. note. On a fait des recueils d'oraisons jaculatoires : L. de Grandmaison, ibid., 1921, p. 137. note, signale celui du cardinal Jean Bona. dans l’édition Lebmkuhl, Opuscula used ica selecta Joannis card. Bona, Fribourgcn-B., 1911, p. 281-378; H. Bremond. Hist, litt..., L x. p. 310, celui de Baker, Devout exercices of immediate acts and affections of the ivitl, ■ une centaine de pages ». Bremond relève la formule employée par Baker pour caractériser la nature des oraisons Jaculatoires : « Par ces quelques mots (dont elles sc composent) sc tradui­ raient non pas des notions, mais, comme dit Baker, des actes Immédiats de la volonté. » En d’autres termes, les oraisons Jaculatoires formulées sc ramèneraient aux aspirations non formulées. « Nul auteur n’a peut-être mieux parlé que Fénelon sur cc sujet », remarque Landriot. ibid., p. 239, note, qui cite Le christianisme présenté aux gens du monde. b) Le monosyllabe. — Nous faisons allusion aux conseils donnes par l'auteur du Nuage de l'incxm nais­ sance à ceux qui veulent se livrer à la contemplation, c’est-à-dire à une « aspiration nue et pure vers Dieu »; cf. liev. d'ascél. et de mystiq., 1926, p. 191-199. Le con­ templatif ne doit penser en particulier à aucun des attributs de Dieu, mais · lixer sa pensée sur son être simple cl nu »; pour cela, écartant de son esprit tous les autres mots qu’on peut appliquer à Dieu, il se livrera à « l’aveugle cl amoureuse considération de cc mot : il est ». · Que s’il te plaît, dit l’auteur au candidat à la contemplation, d’envelopper ct de resserrer cette application de la volonté en un mot, afin de la retenir plus facilement, choisis un mot court cl d'une seule syllabe; il vaudra mieux que s’il en a deux, car. plus il est court, mieux il convient à l’opération de l’esprit. Ce sera, par exemple, le mol Dieu ou le mot love ( - amour). Choisis celui que lu veux, ceux-là ou d’autres, celui que lu préfères parmi les mots d’une syllabe, ct fixc-lc dans Ion cœur de sorte qu’il ne s’en éloigne pour rien au monde. » Le nuage de Γ inconnaissance, c. vu. trad. Nœtinger, Tours, 1925. p. 90. · Pour cc qui te concerne, je ne vois pas d’inconvénient que tu n’aies plus aujour­ d’hui d’autres méditations sur ta misère ou sur la bonté de Dieu, sinon celles que tu peux tirer de cc mot sin ( péché) ou de cc mot Dieu, ou de tout autre mot analogue à la convenance. Mais il ne faut ni diviser ni analyser curieusement ces mots en considérant leurs propriétés... Prends au contraire ces mots comme un tout. Dans celui de sin, vols un bloc pesant, tu ne sais quoi, quelque chose qui ne diffère pas de loimême. » Ibid., c. xxxvi, p. 163-164. Même procédé pour la prière : les contemplatifs, « si alors ils se servent de paroles, cc qui est rare, ils y emploient fort peu de mots, et. moins ils en usent, mieux ils s’en trouvent. Oui, et un mot d'une syllabe est préférable à un mol de deux ou plus, pour cette œuvre (jui est celle de l’esprit; car c’est dans la One ct suprême pointe de l’esprit que devrait toujours se maintenir ce ni (pii veut s’y livrer parfaitement. » 199 PRIÈRE. LÉGITIMITÉ 200 turc qui concernent la prière) secundum suam superfi­ Ibid., c. xxxvn, p. 165. Les deux monosyllabes God et j/η sont encore conseillés pour la prière, parce qu'ils ciem. il s’ensuit d’abord que la volonté divine peut être modifiée, puis que quelque chose arrive à Dieu ex tem­ résument « tout bien et tout mal » : « Ne t’étonne pas si j’indique ces mots de préférence ft tous autres. Si j’en pore, et enfin que certaines choses qui existent tempo­ pouvais trouver de plus courts renfermant aussi com­ raliter dans les créatures sont cause de quelque chose qui existe en Dieu : toutes choses manifestement plètement en eux tout bien et tout mal. ou si Dieu m’avait enseigné ft en employer d’autres, je les aurais impossibles ». Les deux premières objections que ren­ pris et aurais laissé ceux-là de côté, et je te conseille de contre saint Thomas, quand il se demande s’il convient faire de même > Ibid., c. xxxix. p. 170-171. « El ce de prier, sont tirées du caractère apparemment anthro­ pomorphique de la prière : « Il ne convient pas. ft ce petit mot pénètre mieux les oreilles de Dieu toutpuissant que ne le ferait un psautier tout entier mar­ qu’il semble, de prier Dieu; car, si la prière nous est nécessaire, c’est pour notifier nos besoins ft celui à qui motté sans attention par les lèvres seules... Pourquoi celte courte prière d'une seule syllabe perce-t-elle nous l’adressons; mais, comme il est dit en M itth., vi, 32 : « Votre Père sait bien que vous avez besoin de tout les cieux ? C’est sans doute parce qu’elle est dite dans toute l’intensité de l’Ame... · I bid., c. xxxvn-xxxvm, • cela. » La prière fléchit celui à qui on l’adresse et p. 166-167. Somme toute, cette prière monosyllabique l’amène A faire ce qu’on hit demande. Mais Dieu est immuable et inflexible en scs desseins. Il nous est donc n’est qu'une variété de l’oraison jaculatoire. 111. Légitimité et convenance de la prière. — inutile de prier Dieu. » IIMI®, q. lxxxiii, a. 2. Sur l’anthropomorphisme sous-jacent ft la prière « naive ». /. LES bl?riCÜLT&3 HT OBJECTIONS, — Toute prière voir Vermeersch. op. cit., p. 6 et 24-26. suppose trois choses : 1. que Dieu existe; 2. qu’il Enfin, la quatrième condition de la prière, ft savoir entend, d’une manière ou d’une autre, ce que nous lui disons; 3. qu’il n’est pas Indifférent ft ce que nous que Dieu peut nous accorder ce que nous lui demmdons, suppose qu’en considération de notre prière Dieu lui disons, qu’il en est au contraire agréablement va intervenir dans le cours des choses et le modifier, • affecté », que notre prière lui fait plaisir, qu’il l’agrée, l’infléchir dnns le sens de notre demande. Or, « pour les qu’il nous en tient compte, qu’à cause d’elle nous lui penseurs philosophiques, en revanche, il est essentiel devenons agréables, qu’il nous en aime davantage, que les lois qui gouvernent le monde ne permettent pas que nous entrons en sa familiarité : ipsa oratio quæ ad Deum emittitur /amiliares nos Deo facit, dit | une telle intervention, que ces lois soient représentées sous l'aspect d’une nécessité causale inéluctable, ou saint Thomas, Opusc., i, Compendium theologiæ ad fr. Heginaldum, part. Il, c. n. En outre, la prière de bien comme la réalisation téléologique d’un plan demande suppose : 4. que Dieu peut nous accorder divin... Pour le philosophe, seul un entêtement puéril ce que nous lui demandons et 5. que notre prière ou une naïveté intellectuelle peut vouloir mettre un frein ft l’action du destin et tenter d’obliger un Dieu peut l’amener, le determiner à nous l’accorder : si Infini ft interrompre le cours normal des lois de la nous savions que jiotrc prière n’exerce aucune action nature et ft modifier le plan éternellement conçu du sur le cœur de Dieu, qu’elle n’est pour rien dans ce qui inonde. » Hcilcr, ibid., p. 231. Il n’arrivera que ce qui nous arrive, que, priant ou ne priant pas, le résultat doit arriver, notre prière n’y fera rien. Saint Thomas serait le même, de toute évidence nous ne prierions pas. a bien formulé celte objection, cette difficulté : « Les Or, tous ces présupposés sont-ils réalisés? La philo­ anciens, dit-il, ont commis, touchant la prière, trois sophie, la théologie, donnent-elles raison au sens com­ sortes d’erreurs. Les uns ont soutenu que les affaires mun, autorisent-elles la prière? Nous ne nous attarde­ humaines ne dépendent point de la providence de Dieu : d’où l’inutilité de la prière et de tout culte reli­ rons pas aux deux premières conditions; toute saine philosophie admet l’existence de Dieu, son omnipré­ gieux... Pour d’autres, tout, même les choses humai­ nes, se produit suivant un cours nécessaire; qu’on sence, son omniscience, et ratifie sur ces deux points les intuitions du sens commun. Nombreux sont pour­ l’explique par l’immutabilité de la Providence» les influences astrales ou l’enchaînement des causes; ils tant les philosophes qui les rejettent et qui, parlant, aboutissent ft la même conséquence : prier ne sert de rejettent ou, du moins, devraient rejeter, s’ils étaient rien. D’autres enfin |et tel paraît bien être le sentiment conséquents avec eux-mêmes, toute prière. Cf. Fr. de quiconque use de la prière pour obtenir quelque Hcilcr, 1m prière, trad, d’après la 5· éd. allemande. chose J admettent bien que les choses humaines, régies Paris, 1931, L'idéal de la prière el la critique de la prière par la providence de Dieu, ne se produisent pas fatale­ dans la pensée philosophique, p. 221-244; F. Ménégoz, Le problème de la prière, Strasbourg, 1925, c. i. Le pro­ ment; mais ils disent que la divine Providence peut varier en scs dispositions et que les prières et autres blème de la prière dans la théologie moderne; c. n, L'allapratiques cultuelles peuvent changer quelque chose à que, p. 10-61. l’ordre par elle établi. » Ibid., a. 2, corp.; cf. Cant, genl., La troisième et la cinquième condition de la prière ne supposent-elles pas une conception anthropomor­ 1. HL c. xcvi. Suarez. Tractatus de oratione, I. I. c. vi, phique, < anthropopathique ». de Dieu, que la philoso­ se demande si Ton a le droit de conclure, comme fait saint Thomas, de la nécessité du cours des choses ft phie et la théologie se doivent de rejeter? ■ Toute l’inutilité de la prière; nous n’entrerons pas dans la prière naive, écrit Heller, ibid., p. 232, suppose une discussion de cette question. crovance ft l’existence réelle et ft la manière d’être Il reste une dernière objection ; supposons qu’on ait anthropomorphique du Dieu que l’on invoque... La résolu toutes les difficultés précédentes, qu’on ait éta­ métaphysique théiste elle-même exclut, aussi bien que la métaphysique panthéiste, tout anthropomorphisme bli que toutes les conditions exigées par la prière son! bien réalisées, on pourrait encore se demander s’il de la notion du divin; c’est cette contradiction entre la représentation anthropopathique qui est ft la base de la convient de prier» si la prière ne déshonore pas, ne rabaisse pas Dieu : · 11 est plus libéral de donner ft qui prière du simple fidèle et la notion philosophique de ne demande point qu’ft celui qui demande; Sénèque Dieu, qui explique le Jugement sévère que beaucoup de le dit : rien n’est plus chèrement acheté que ce qu’on philosophes expriment sur la prière. · Saint Thomas ne pale de scs prières. Mais Dieu est la libéralité même. Il nie pas que la « prière naïve », la prière qu’on trouve dan il’Écrilure, la prière de l’Eglise, soit anthropomor­ ne paraît donc pas qu’on le doive prier. » C’est le troi­ sième videtur quod non que saint Thomas oppose à la phique. au moins qu’elle en ait toutes les apparences, convenance de la prière, ibid., a. 2; cf. / Vutn Sent secundum id quod prima lacie apparet. Coni, gent., ’’ 1. HI, c xevi; · si l’on entend (certains textes de l’Écri- La scs enfants : il veut qu’en le priant tous les jours notre prière est le geste naturel de l'indigent; en l’adoptant, prière sc fasse avec plus de confiance; il veut, en nous en en faisant une condition nécessaire pour l’obtention de ses dons. Dieu s’est donc conformé à la nature accordant ce que nous demandons, nous montrer de plus en plus tous les jours sa libéralité et sa tendresse humaine : · Que fait le pauvre qui n’a rien? 11 s’en va frapper à la porte du riche, il ouvre une main sup­ envers nous. » N. 7. « SI Dieu veut que nous ayons recours à l’exercice de la prière, c’est pour exciter dans pliante. el reçoit l’aumône d’un cœur généreux. » nos cœurs des désirs plus ardents des choses que nous Landriot, Instruction pastorale pour te saint temps de lui demandons, afin que nous puissions recevoir carême W7, Œuvres, t. ut. p. 15. Suarez indique une autre « convenance » de cette disposition providen­ ensuite des biens et des grâces dont une âme froide et, pour ainsi dire, rétrécie par la tiédeur, ne saurait être tielle : clic se lire ex ordine et consuetudine divime providentite. ■ Dieu, dit-il. agit, autant que faire se peut, par : digne. » N. 9. · // veut, en outre, nous faire comprendre les causes secondes cl, servata proportione, in opera­ et sentir â chaque Instant que nous ne pouvons rien de nous-mêmes cl sans le secours de la grâce. » Ibid. Saint tione virtutis vult cooperationem nostram. Donc, comme Augustin s’est-il plus approché des insondables des­ nous pouvons coopérer à noire salut au moins par la prière, après que nous avons été touchés par la grâce seins de Dieu â ce sujet quand il dit : « Dieu veut que tu pries pour que tu désires ce qu’il t’accorde, afin que ses prévenante, c’est à bon droit que Dieu exige de nous dons ne s’avilissent pas â les yeux », ideo voluit ut ores, cctlc coopération et qu’il a voulu que la prière fût ut desideranti det, ne vilescat quod dederit ? Serin., ι.νι, quasi necessariam causal ilatcm sccundiv causse ad latent η. I, P. L., t. xxxvn!, col. 379; cf Landriot, op. cil., efjcctum. » Ibid., n. 5. t ni, p. 31-31. Mais quand bien même les intentions Malgré tout, cette exigence divine parait dure à la nature humaine et c'est pourquoi les Pères, les théolo­ divines nous demeureraient impénétrables, nous devrions nous incliner devant la loi : · Dieu est le giens, les prédicateurs sc sont efforcés de la légitimer, maître. Il nous a dit : Petite et accipietis. La condition d'en sonder les raisons mystérieuses, de répondre aux est précise et clairement exprimée : il faut l’accepter ou objections qu’elle soulève. Nous avons déjà vu saint Thomas aux prises avec ces difficultés, col 2(11. et fai­ renoncer â la faveur promise. » Landriot, ibid., p. 31. //. L'OnLjGATIOX OS LA PRlftHE. — 1° La question sant valoir les utilités de la prière comme compensa­ préalable: la prière peut-elle être matière d'une obligation, tion Λ l'épreuve qu’elle impose à notre amour-propre. Le Catéchisme romain a repris cette tactique : · Si la d’un précepte ? — C’est la question que sc pose saint Thomas, In I Sent., dist. XV, q. iv, a. 1. qu. 3. Une prière est nécessaire, elle produit en mémo temps des prière obligatoire parait être une contradiction dans fruits abondants qui doivent nous en rendre l’exercice les termes. Car qu’est-ce qu’une prière, sinon l’expres­ infiniment agréable. » Loc.cit.,c. π, η. I. El tout le sion d’un désir, quiedain votitorum petitio; c’est-à-dire chapitre est consacré à rappeler celles des utilités de la un acte qui procède essentiellement de la volonté. prière · qui sont le plus en harmonie avec la pensée contemporaine ». Citons-cn quelques-unes : 1° « Le pre­ oratio maxime est voluntatis. Mais cc qui procède de la volonté ne peut procéder en même temps de la néces­ mier fruit que nous tirons de la prière, c’est que par elle nous honorons Dieu... En priant, nous professons sité, de la contrainte, de l’obligation : quad voluntatis que nous sommes dépendants de Dieu, nous le recon­ est, non est necessitatis. Il n’est pas besoin, il semble contradictoire qu’on commande à l’indigent de men­ naissons pour l'auteur de tous biens, nous mettons en dier. à celui qui se noie de cricr au secours. La meme lui seul notre confiance, et nous le regardons comme Punique soutien, l’unique refuge de qui nous puissions objection est reprise dans Sum. lheol., II·1· Hæ, q. Lxxxin, a. 3, 2® obj. Nous nous contenterons de attendre notre conservation cl notre salut. · Ibid., n. 1. — 2° < Un second fruit de la prière, infiniment avanta- ' renvoyer à saint Thomas pour la réponse à cctlc ques­ geux et consolant, est celui qu’on en relire lorsqu’elle tion purement théorique. 2° L'existence de l'obligation, du précepte de la prière. est exaucée de Dieu...; prier est une chose si utile et si efficace que par elle nous obtenons tous les biens spiri­ — il y aurait eu jadis, au rapport de Médina, Codex de oratione, q. ix, De necessitate orandi mcntalitcr, diver­ tuels... », n. 2. — 3° « Un troisième fruit de la prière, c’est qu’elle est un exercice de toutes les vert us, cl qu’elle sité d’opinions entre les théologiens sur cc point; pour les mettre d’accord, un théologien aurait imaginé une les augmente toutes; ce qui est vrai surtout de la foi...; la charité s’accroît aussi dans la prière .. ». n. G cl 8. — distinction : in sc et ratione sui et absolute, la prière ne serait pas de nécessité de précepte divin; mais elle le t® La joie est encore un fruit de la prière : omnino inest serait ex suppositione, c’est-à-dire dans l’hypothèse où m precatione singularis gaudii cumulus, η. 2. « Voir ses le salut ne pourrait être obtenu sans elle, dans l’hypo­ mils et converser avec eux augmente encore et tnilammc l’amitié : ainsi plus les hommes pieux con­ thèse où, sans elle, nous ne pourrions éviter quelque péché ou surmonter quelque tentation. Médina, versent avec Dieu par la prière, en Invoquant les effets Suarez, rejettent cette distinction et soutiennent celte de sa bonté, plus aussi ils sentent croître en eux une thèse, qu’ils déclarent « commune > : Simpliciter asse­ sainte joie qui accompagne leurs prières et plus ils sont rendum est orationem positam esse sub priveepto divino. portés à l’aimer et à le servir avec ardeur ». n. 8. Suarez, op. cil., I. I, c. χχιχ, η. 2. Mgr Landrlot a consacré toute V Instruction pastorale Lc Catéchisme romain, part. IV, c. î, n 2, est formel déjà citée à · l’utilité, la facilité, la douceur » de la prière; cf. Œuvres, t. hi. p. 276-371. à cet égard : « La première chose à enseigner, c'est lu Mais faire valoir l'utilité, la facilité, la douceur de la nécessité de la prière, dont le commandement ne nous a prière, c’est bien nous encourager à accepter de bon pas seulement été donné à titre de conseil, mais pos­ cœur cette condition que Dieu a mise à l’octroi de scs sède encore la force d’un ordre inéluctable; ce qui »tons, ce n'est pas répondre directement à la question ressort de ces paroles du Seigneur : oportet semper orare. que nous ne pouvons manquer de nous poser : pour­ L’Eglise elle-même nous montre cette nécessité de la quoi Dieu a-t-il voulu qu’il en fût ainsi? trouvonsprière par celte espèce de préface qu'elle récite avant nous pénétrer ce mystère? A plusieurs reprises, le l’oraison dominicale : Pncceptis salutaribus moniti... Catéchisme romain parait vouloir s’y aventurer. « Dieu Ce devoir de la prière, les apôtres ne manquèrent pas pourrait, il est vrai, nous accorder toutes les choses de l’intimer à ceux qui embrassaient la religion chré­ nécessaires sans prières et même sans désirs de notre tienne. ■ part, comme il fait par rapport aux animaux, à qui il Le fondement scripturaire de la thèse, les théolo­ giens. comme le Catéchisme romain le voient surtout donne tout cc qui est nécessaire à leur existence. Mais 209 PRIÈRE. LE PRÉCEPTE DE LA dans les parole* du Christ, Suarez, ibid., et plus parti­ culièrement dans Voporlet semper orare. Cf. saint Tho­ mas, au Sa! contra de In quæstluncula 3 citée plus haut : · Sur cet oportet semper orare. Chrysostomc fait remarquer ceci : en disant oportet, le Christ indique que lu prière est nécessaire (c’est-à-dire obligatoire |. Mais une telle nécessité ne peut provenir que d’un comman­ dement. Donc, la prière cadit sub prircepto. » Dans hi Somme. II'-II®, q. lxxxiii, a. 3, ad 2u,n, il invoque le texte : Petite et accipietis, pour prouver que la prière est de précepte. Même si nous n’en trouvions pas dans l’Écrllure la mention expresse, la raison suffirait A nous démontrer l’obligation de in prière, lui effet, · tout homme est tenu de prier par cela seul qu’il est tenu de sc procurer à lui-même des biens spirituels qui ne peuvent lui être donnés (pic par Dieu, et qu’il ne peut, par conséquent, se procurer autrement qu’en les lui demandant ». Saint Thomas, tn ! V,H“ Sent., toc. cit., sol. 3. Remar­ quons, en passant, le motif allégué ici : l’obligation de prier est rattachée à la charité envers soi-même. Sua­ rez. op. cit., s’appuie, pour démontrer retic obligation, sur l’axiome communément reçu par les théologiens : • Tout ce qui est nécessaire au salut de nécessité de moyen l’est aussi de nécessité de précepte divin; or. la prière est nécessaire au salut de nécessité de moyen; donc dr nralinne datur prtreeptum /uris divini. » Les théologiens font remarquer qu’il s’agit ici d’une obligation de droit divin naturel el non de droit divin positif. Elle a bien pu être rappelée par le Christ, elle n’a pas été établie par lui; de tout temps, elle s’est imposée â l’homme. « Le Christ, dit Suarez, op, cil., I. 1. c. χχνιιι. η. 1, n’a pas donné de préceptes positifs, si ce n’est au sujet de la foi et des sacrements, mais il a expliqué plus clairement ce qui était contenu dans le droit divin naturel; il a donc montré que la prière était obligatoire précisément parce qu’elle est nécessaire. « Mais les théologiens ne sont pas d’accord sur la ques­ tion de savoir ad quam virtutem hoc pncceptum spectet. à quelle vertu il faut rattacher ce précepte, â la charité ou à la religion Nous avons vu que saint Thomas, dans le Commentaire des Sentences, le fait dériver de la charité; dans la Somme, au contraire, toc. cit., il le rapporte à la vertu de religion : · Le désir tombe bien sous le précepte de la charité, mais la demande sous celui de la religion. » La question peut paraître oiseuse; elle ne l’est pas cependant, car. si la prière n’est obliga­ toire qu’en tant qu’elle est nécessaire pour l’accomplisscinenl d’un devoir particulier el non pas ex vi sotius religionis, celui qui la néglige et qui par là manque A ce devoir, pèche bien contre telle ou telle vertu, mais son péché ne sc double pas d’un péché spécial contre la vertu de religion provenant de son omission de la prière. Cf. Suarez. I. L c. xxix. n. 6-7. Il en va autre­ ment s’il y a un précepte particulier qui nous oblige A prier dans nos besoins spirituels ex vi sotius rchqinnis. Ibid., n. 8. Mais ce précepte particulier existe-t-il ? Suarez, n. 10. s’efforce de prouver que oui. en avouant d'ailleurs que ce n’est pas commode. Jean de SaintThomas, toc. cit., p 773, paraît vouloir marcher sur scs traces, mais en réalité il s’en écarte : il y a bien, en vérité, une prière qui s’impose Λ nous ex vi solius reti· gionis; mais cc n’est pas la prière de demande, c'est la prière d’adoration, de louange, d'action de grâces; négli­ ger celle prière est bien en effet un péché spécial contre la vertu de religion. 3° L'étendue de l’obligation de prier. — I. Est-on obligé de prier vocalement ? — Tous les théologiens, à la suite de saint Thomas, sont d’accord pour déclarer qu’il n’est pas nécessaire de prier vocalement pour accomplir le précepte divin dont nous parlons. La prière privée, dit saint Thomas, · peut sc faire et voce et sine voce, A la convenance de celui qui prie ». hi 1 PRIÈRE 210 Sent., dist. XV, q. iv, a. 2, sol. 1. La prière indivi­ duelle. dit-il encore, « ne requiert pas nécessairement une expression vocale, dr hujusmodi orationis necessi­ tate non est quod sit vocatis ». Sum. lheol.. I IM I*· q. lxxxiii, a. 12; cf. Suarez, op. cit.. I. f, c. xxrx. n. 5; I. III. c. vi, n. 2-5. La chose est trop évidente pour qu’il soft utile d’insister. A cette occasion, Suarez sc demande s’il n’y aurait pas un précepte ecclésiastique obligeant tous les fidèle* ad aliquam privatam orationem vocalem, ne serait-ce qu’à réciter de temps en temps l’oraison dominicale Ibid., n. 6. On voit immédiatement que. par suite dr l’équivoque due au double sens de l’expression · prière vocale ·. la question sc déplace : il ne s’agit plus main­ tenant de savoir si l’ÊglIsc nous oblige à prier vocalcment. mais si clic nous fait un devoir de réciter, vocalemcnt ou mentalement, une prière déterminée. Or. sur cc point encore, les théologiens ne s'entendent pas Suarez, ibid., n. 7-9. opte pour la négative A fortiori, n'y a-t-il pas obligation de réciter TA ne Maria ou le Salve Regina. N. 10. Il n’y a même pas obligation, pour les simples fidèles, de prier vocalement aux messes dr précepte, ni même de réciter mentalement les prière* de la messe; il suffit que, par la pensée et Tintent ion. ils s’unissent A la prière du prêtre; ima. per se loquendo, melius jaciunt attendendo et mente arando. \. 13. Il n’y a guère que la pénitence imposée par le confesseur qu’il faille réciter vocalement: encore faut-il qu’il constate suffisamment que le confesseur a prescrit cette récita­ tion vocale. N. 17. 2. Quand est-on obligé de prier ? — A cc sujet, les théologiens signalent d’abord l’erreur des mcssalien* ou cuchites. qui, au dire de saint Augustin, prenant a la lettre le mol de l’Évangile : Oportet semper orare et non dr fierce, Luc., xvm, 1. et celui de saint Paul : Sine intermissione ornte. 1 Thcss . v. 17. · prient telle­ ment que cela paraît Incroyable à ceux à qui ils par­ lent BE paroles, ni comme les hypocrites; il faut que la prière scr », pour les dire avec sincérité el conviction. Enfin soit assidue et persévérante; qu’elle soft faite au nom l’esprit peut être en quelque sorte absorbé par la de Jésus-Christ; Il faut qu’on joigne l'actinn de grâces pensée de la personne A qui l’on s'adresse, par quel­ à la demande ct que lu prière soit accompagnée du qu’un des attributs de Dieu, sa grandeur qui impose le jeûne et de l'aumône. Et nous n’avons pas encore respect, sa bonté qui inspire la conftance, etc., ou par la signalé la première condition de la prière : l’intention; pensée de la détresse où l’on sc trouve, détresse qui ni certaines circonstances qui peuvent influer sur la précisément nous pousse ù recourir a Dieu. Telles sont qualité de la prière : le temps, le lieu.l’attitude.cf. Sua­ du moins les trois sortes d’attentions à la prière que rez. op. cit., I HI. c. vu. n. 3, 7-13, IG. Sans compter reconnaît saint Thomas, /n I V'u 1 Sent., (list. XV, q. iv, encore relie condition primordiale de toute prière, à a. 2, sol. 5; Sum, theot., JI«-H*, q. i.xxxm, x 13; savoir qu’elle soit l’œuvre du Saint-Esprit agissant en ci. Bolley, Gebetsslimmung undGebet. Dusseldorf. 1930 nous par la grâce actuelle. Saint Thomas s’exprime d'une manière un peu dlITé11 ne peut être dans notre dessein de nous étendre renlc sur l’objet précis de la troisième espèce d’atten­ longuement sur chacune de ccs qualités ou conditions tion dans le Commentaire des Sentences et dans la de la prière; nous nous bornerons donc aux questions Somme (I/otorique : là, l’objet sur lequel se porte plus importantes ct plus difliciles, (pii sont générale­ l’attention c’est ea qu:c petitionem ipsam circumstant, ment abordées par les théologiens en cette matière. sicut est necessitas pro qua petitur. Deus qui rogatur, et /. DE 1.'INTENTION DEQV/.8E POUR QV*iL Y AIT at ia hujusmodi; ici, ce sera ad finem orationis, scilicet PHlfiHK. — Ne confondons pas l’intention ct l'atten­ ad Drum et ad rem pro qua oratur. Saint Bonaventure. tion. comme on le fait quelquefois : l’intention est De profectu religiosorum, I. Il, c. lx, distingue aussi l’acte de la volonté qui se propose telle ou telle fin; trois sortes d’attentions qu’on peut apporter à la l’attention est l’acte de l’intelligence qui s’applique a prière, cl qu’il appelle respectivement superficielle, tel ou tel objet, qui s’occupe de tel ou tel sujet ; cf Sua­ littérale cl spirituelle; les deux premières coïncident À rez. I. HL c m. n. 2. peu près avec celles de saint Thomas, mais la troisième Pour qu’il y ait prière, il faut qu’on ait l’intention de en diffère; l’attention spirituelle consisterait à décou­ prier. On ne prie pas si l’on n’a pas l’intention de vrir derrière le sens littéral des psaumes le sens spiri­ prier, encore que l’on prononce des formules de prière : tuel qu’ils recèlent; cf. Suarez, I. III, c. iv, n. 2. le prêtre, par exemple, qui lit le bréviaire studii vel Certains auteurs distinguent une attention interne et recreationis causa, ne prie pas; il étudie ou il s’amuse, une attention externe : celle-ci consisterait à s’abstenir, mais il ne prie pas; et par conséquent il ne s’acquitte quand on prie, de toute occupation Incompatible avec pas de son obligation. Suarez, ibid., n.3. El pour satis­ le minimum d’attention interne, c’est-à-dire d’atten­ faire à l’obligation du bréviaire, il faut vouloir prier; il tion proprement dite, requis dans la prière; cf. Ver­ meersch, op. cit., p. 17. ne suflil pas de vouloir réciter ou chanter les formules imposées : non pnccipitur tantum hive actio exterior Enfin, certains théologiens parlent d’une attention legendi vel cantandi materialiter sumpta... sed proripi­ formelle ou actuelle et d’une attention virtuelle : celle-ci consisterait dans l'intention, la volonté, le ferme pro­ tur actio illa exterior ut est oratio ad Deum et cutium ejus. Suarez. 1. IV, c. xxvi, n. 5. Il est bien entendu que pos non rétracté d’etre attentif, d’une manière ou d’une autre, ù la prière; ferme propos qui persiste celle intention de prier n’a pas besoin d’être toujours parmi les distractions involontaires, mais qu’interrom­ expresse ou formelle, mais qu’une Intention implicite et virtuelle sufïil, I. III. c. m. n. G; avoir l’intention de pent les distractions volontaires. Quamdiu ilia oolonlas satisfaire à son obligation est une intention implicite durat, censetur attentio durare virtualiter, seu moraliter. Suarez, ibid., η. 7. Vermeersch fait remarquer, p. 47, ou équivalente de prier. I. IV, ibid.; on sait, en outre, que c’est là une distinction imaginée pour les besoins que virtuel s’oppose d’une part à actuel et de l’autre à de la cause : quand on enseigne que l'attention est habituel : une intention virtuelle est une intention qui absolument nécessaire à la prière et que néanmoins les a cessé d’être actuelle, mais qui persévère ct dure distractions involontaires n’en interrompent pas le encore en quelque sorte, parce que c’est en vertu de cours, il faut bien recourir à cv subterfuge! cette intention que telle action continue; pour que 2° L'attention ne nuit-elle pas à la prière ? Cf. salut dure la prière, il faut que soit maintenue l’intention de Thomas, In I V·»’ ’ Sent., loc. cit. — Voilà une question prier; mais, tant que dure celte intention, dure aussi la prière, du moins la prière vocale, quelles que soient les qui aurait piqué la curiosité de Henri Bremond : vide­ tur quod attentio orationi noceat! Hugues de Saint· distractions involontaires, ou même volontaires, qui \ iclor ne dil-ll pas, en effet, que · la prière est vrai­ surviennent : nous reverrons cela tout à l’heure. ment pure quand, par suite de l’intensité de la dévo­ Cette intention de prier peut être viciée par quelque tion. l’âme (mens) est tellement embrasée que, se tour­ circonstance accidentelle sans cesser d’exister; il y nant vers Dieu pour l’implorer (postulatura), elle ne aura donc prière, puisqu’il y aura intention de prier, pense même pas à ce qu’elle demande (etiam suer peti­ mais prière plus ou moins viciée ; telle serait la prière tionis obliviscatur) ». « Or. qui est capable d’un tel de celui qui prierait surtout pour la gloriole ou pour l’argent, ex intentione taudis humanir, vel aticujus com­ oubli, continue saint Thomas» ne semble pas prêter modi temporalis, in illud principaliter intuendo; vere attention à la prière. Donc, il semble bien que la vraie prière serait empêchée par l'attention... » rogat, quamvis non bene oret. Suarez, I. Ill, c. in. η. 5. La solution de la question se trouve dans la distinc­ C’est du moins l’opinion commune. El une telle prière tion des trois sortes d’attentions, cl « comme on ne est suffisante pour satisfaire à l’obligation du bréviaire. peut être très attentif à plusieurs choses en même //. DE I.'aTTE.X’TIOS REQUISE DA.X'S Ι.Λ PR! fi RE. — temps, il faut reconnaître que la première attention, si lu Distinctions préalables, — L’attention étant une elle empêche la seconde, ct. de même celle-ci si clic application de l’esprit à un objet, à une action, celle qu’on apporte à la prière vocale se diversifie suivant empêche la troisième, nuiront à la prière, en ce sens l’objet auquel l’esprit s’attache particulièrement quand qu’elles en diminueront le fruit; l’inverse, d’ailleurs, on prie. n’est pas vrai. Cependant» on ne peut pas dire qu’en On peut s’appliquer principalement à bien pronon­ général l’attention nuise à la prière; elle lui est plutôt cer les mots de la prière, comme ferait une personne profitable, comme en fait foi l’autorité de saint /\uguschargee de présenter une requête en une langue étran­ tin ». qui nous adresse celte recommandation : cum gère. On peut aussi porter plutôt son attention sur le oratis Deum, hoc versetur in corde quod profertur in sens des formules qu’on prononce pour les bien < réali- orc. Les raisons qu’on peut apporter pour prouver que ■■ 215 PRIÈRE· L’ATTENTION l'attention nuit à la prière ne sont pas péremptoires : la prière ■ pure » n’est pas une prière inattentive; s’il lui manque la première ou la deuxième espèce d’atten­ tion. elle possède cependant la troisième, qui est de toutes la meilleure : quando mens per dilectionem in Deum ita rapitur ut petitionis sua- immemor sit, attentio nrationi adest, quamvis non secunda vcl prima, sed tertia... Ad l',Tn. Pendant que nous touchons à cette question de la prière « pure , qu’on nous permette d’ajouter quelques réferences ct quelques remarques : le texte d’Hugues de Saint-Victor auquel renvoie saint Thomas sc trouve en Migne, P. L., t. ci.xxvi, col. 980; il faut y joindre la parole, souvent citée, de saint Antoine, rapportée par Cassien : « Il n’y a pas de prière parfaite si le religieux s’aperçoit qu’il prie. > Cf. F. Vernet, La spiritualité | médiévale. p. 137; La vie spirituelle, t. xm. p. 112; Landriot, op. cil., t. in, p. 530. Autre est cependant la question de savoir si la prière doit être attentive ou si elle doit être consciente, et l’on peut avancer sans para­ doxe que, moins elle sera consciente, plus elle sera attentive : · Celui qui, priant Dieu, s'aperçoit qu'il prie, n'est pas parfaitement attentif à prier; car il divertit son attention de Dieu, lequel il prie, pour penser à la prière par laquelle 11 prie. Le soin môme que nous avons â n’avoir point de distractions nous sert souvent de fort grande distraction... Celui qui est en une fervente oraison, ne sait s’il est en oraison ou non; car il ne pense pas à l’oraison qu’il fait, mais à Dieu, auquel I il la fait. » Saint François de Sales. Traité de l’amour de Dieu, 1. IX, c. x, cité par Lnndriot. ibid,; cf. 11. Bre­ mond, Introduction à la philosophie de la prière, p. 51-55, 220-227. C'est la distinction entre la prière | directe », inaperçue, ct la prière « réfléchie », con­ sciente. La prière pure, telle que la définit Hugues de Saint-Victor, s’identifie-t-elle avec la prière pure de saint Maxime ct d’I vagre le Pontique ? Cc n’est pas le lieu de le rechercher. Cf. Rev. d’ascél. cl de myst.. 1930, p. 250-254. Il faudrait aussi la comparer avec la prière de feu », ignea oratio, de Cassien; cf. La vie spirituelle, t. vin. p. 210-211. 3e L'attention est-elle nécessaire à la prière ? — « La question se pose surtout pour la prière vocale », remar­ que saint Tl ornas, Sum. theol, 11·-H», q. i.xxxîii, a. 13. Ne devrait-on pas dire plutôt qu’elle sc pose seulement pour la prière vocale ? cf. supra, col. 18 1. Quoi qu’en ait dit H. Bremond. Hist, hit..., t. vin, p. 150-167, les distractions involontaires qui nous arrivent dans l'oraison, entendons-nous bien, les véri­ tables distractions qui nous emportent bien loin de Dieu ou nous plongent dans le sommeil. Interrompent bel et bien notre oraison; il n'y a pas à répliquer que l'union du cœur subsiste : oui. elle subsiste, exacte­ ment comme elle subsiste durant le sommeil, mais c’est une union habituelle, ce n’est pas une union actuelle» ce n’est pas une prière. La prière est un acte, acte du cœur ou de l’esprit, peu importe; quand il n’y a plus d'acte, ni de l’esprit, ni du cœur, il ne peut plus y avoir de prière. Cf. Suarez, op. cil., L 11. c. v, n. IG ; La prière vocale peut bien subsister quoad materialem actum externum, quand l’attention disparaît; mais la prière mentale ne peut aucunement subsister, quand l'attention disparaît entièrement, parce qu’elle con­ dite essentiellement dans un acte purement interne qui ne peut exister sans l’attention. » Donc, il s’agit Ici de savoir si l’attention est aussi nécessaire â la prière vocale Saint Alphonse, 7 heologia moralis. I. λ I. De pnreeptis particularibus, η. 177, déclare qu'il y a sur cette question trois opinions parmi les théologiens. La première, qu’il qualifie de commu­ nior et probabilior, affirme que l'attention dite externe ne suffit pas. encore que l’on prononce correctement les paroles et qu’on ail l’intention au moins implicite de 216 prier, pour que la prière vocale soit une véritable prière, donc pour satisfaire à l'obligation du bréviaire; il faut en plus une véritable attention Interne, quel qu’en soit d’ailleurs l’objet, c'est-à-dire qu’il s'agisse de l’une ou de l’autre des trois espèces d’attentions distinguées par saint Thomas; H n’est pas nécessaire cependant que cette intention Interne soit actuelle : elle peut n’èlrc que virtuelle, c'est-à-dire qu'elle sub­ siste moralement tnnt qu’elle n'a pas été rétractée par la distraction pleinement volontaire et aperçue comme telle. La conséquence pratique de cette opinion, c'est que la récitation de l'office qui n’est pas accompagnée de cc minimum d’attention Interne n'est pas valide et donc ne donne pas droit à la perception des revenus qui en dépend. Telle est l'opinion de Suarez, I. 111, c. iv, n. 3-8; 1. IV. c. xiv cl xxvi. La seconde opinion (que saint Alphonse place en dernier Heu), n’exlgo que l’attention externe, à condition, cela va sans dire, qu elle soit suffisante pour permettre de prononcer correctement les paroles de l’office divin ct qu’on ait l'intention, au moins implicite, de prier. Il s'ensuit que, pendant la récitation de l'office, laisser son imagina­ tion vagabonder ou occuper son esprit d'affaires tou­ tes profanes peut bien être une irrévérence, mais qui n'excédera pas les limites du péché véniel et n'empôchera pas cette récitation d'être valide et de donner droit, s’il y a lieu, à la perception des revenus qui en dépend. Cette seconde opinion sc réclame de saint Thomas et de saint Ant onin ; elle est professée par un bon nombre de théologiens, entre autres par de Logo, Ver· meersch, op. ci!.. p. f8sq.,cl reconnue comme probable par un grand nombre d’autres. Enfin. saint Alphonse croit découvrir dans les Salmanticenscs une opinion qui tend à concilier les deux autres : · Etant donné, (l’une part, que l'attention ad sola verba pnursntisfaire à l’obligation, et. d'autre part. que. pour une récitation correcte, il faut absolument au moins celte attention ad verba, avec l’intention au moins confuse d’honorcr Dieu, il y aura prière tant qu’il y aura cette attention ad verba; or. il n'est pas Impossible qu'on soit attentif à bien prononcer les paroles tout en occu­ pant son esprit d'autre chose; donc, on satisfera à l’obligation tant que l’on n’aura pas rétracté par une volonté contraire la volonté de se maintenir attentif, unde is bene satisfaciet semper ac per contrariam volun­ tatem non retractabit propositum attendendi. » Cnncina, ajoute saint Alphonse, fait remarquer à cc sujet que celui qui se distrait volontairement n’est justement plus attentif a bleu prononcer les paroles, ou son atten­ tion sera tellement atténuée que ce ne sera plus une véritable attention. Ballerinl-Palmieri, op. cil., I. tv, p. 327. observant que celte opinion attribuée aux Salmanticenscs n’est en réalité (pic la première opi­ nion, puisque, comme celle-ci. elle exige au moins l’attention ad verba, qui est classée parmi les allenlions internes, (’.’est vrai; seulement elle en (litière parce qu’elle admet que celle ail eut ion est compatible avec la distraction volontaire, cum non sit incompossl· bile aliquem ad alia distrahi ct simul attendere ad verba recte proferenda. Nous n’entreprendrons pas d'exposer et de discuter les preuves apportées à l’appui de chacune de ces opi­ nions, mais il nous semble que certaines remarques» théoriques ou pratiques, s'imposent. a-t-il d’abord une bien grande différence entre les deux premières opinions ? Il ne le semble pas. Cette attention ad nerba dont se contente la première cl l’attention externe qu'exige la seconde, qui doit être telle qu'elle permette une récitation correcte des formules, n’cst-ce pas à peu près la même chose? Il reste bien cette différence I entre les deux opinions que l'une affirme cl que Paul rc nie que les distractions volontaires détruisent In prière. Qui a raison ? Il semble bien que ce soit h pre- 217 PKI E K E. 1? ATT ENTION 218 mière opinion. Faisons appel au bon sens : Λ supposer ment le fruit de l’attention du cœur - attention d’état que celui qui se livre ainsi volontairement, pendant In [c’est l'attention virtuelle de saint Thomas) — les prière, à n'importe quelles pensées, rêves, calculs, défaillances de l’attention intellectuelle ne suspendent réflexions. projets, etc., garde cependant assez d’atten­ pas nécessairement cette réfection. · Hist lilt,.., t. vu. tion pour prononcer correctement les paroles, peut-on p. 405, note. Les distractions volontaires ne paraissent vraiment dire qu’il prie encore, qu'il a celte intention â saint Thomas entraîner par elles-mêmes que la de prier qui est absolument requise pour qu’il y ait culpabilité d’une faute vénielle; mais, si elles consti­ prière ? Prier, le bon sens nous en avertit, c’est s’occu­ tuent un péché grave, par exemple si cc sont de per de Dieu, c’est lui parler, non seulement de bouche, mauvais désirs pleinement consentis, si l’on pèche mais de cœur; or. celui qui volontairement s’occupe mortellement en priant, outre cc péché d’impureté, on d’autre chose, ne rétracte-t-il pas cette intention de commettrait un péché grave contre la vertu de reli­ prier qu’il a dû avoir en commençant la récitation de gion : quando aliquis ex proposito mentem ad alia disson formulaire ? Cf. Suarez. I. IV. c. xxvt, n. 13. trahit in orando, tunc sine culpa non est, præcipue si in Pratiquement, puisque la seconde opinion est décla­ aliis sponte se occupat quit mentem distrahunt, sicut sunt rée probable par un grand nombre de théologiens, exteriora opera; d si ad contrarium mens evagdur. même ceux qui ne l’adoptent pas, puisque l’autre ne diam culpa mortalis erit. In /V*® Sent., loc. cit., ad revendique que la qualité de probabilior, et puisque 2im. Vermccrsch, op. cit., p. 53. n’oserait pas aller nous sommes dans un domaine où l'on peut appliquer Jusque-là; il assimile cc cas à celui dont parle saint les principes qui règlent l’usage des opinions proba­ Alphonse, ibid., n. 178, celui d’un bénéficier qui bles, étant donné qu'il s’agit bien de la validité d’une récite ses heures, alors qu’il a pris la détermination de prière, mais non de celle d’un sacrement, il n’y a pas à pécher mortellement, si habet actuale propositum pec­ s'inquiéter, ni à fortiori Λ inquiéter la conscience de candi; l’opinion veriordcommunior, dit saint Alphonse, ceux qui s’accuseraient d’avoir été distraits volon­ est que cet homme satisfait à son obligation et ne tairement tout au long de la récitation de leur office; pèche pas mortellement. Mais l’assimilation est-elle évidemment ils ont mal prié et par là ils ont péché, valable ? mais ils ont tout de même prié, ils ont satisfait tant 4° Quelle est la meilleure sorte d'attention ? — Des bien que mal à leur obligation. Cf. saint Alphonse, trois sortes d'attentions qu’il a distinguées, saint Tho­ ibid., n. 177 : Unde non auderem ad restitutionem mas affirme que la seconde est meilleure (laudabilior) damnare beneficiarium, qui bona fide officium recitasse! que la première, mais qu’elle le cède à la troisième. cum distractione voluntaria, ct bona fide pariter /rudus in /V-*® Sent., loc. cil. Dans la IIMl*, loc. cil., il déclare même celle-ci maxime necessaria; mais en percepisset. Il ne sera pas sans intérêt, croyons-nous, pour ter­ ajoutant qu’elle est possible à tous, même aux gens miner cette question, de glaner en saint Thomas quel­ sans instruction. Elle consiste, selon lui. nous l’avons ques remarques. Et d’abord lui aussi distingue une vu. à penser ad finem orationis, scilicet ad Deum et ad attention actuelle ct une attention virtuelle : celle-ci rem pro qua oratur. Qu’y a-t-il, en effet, de plus naturel et de plus facile ? Dans les Sentences, saint Thomas est consiste dans la permanence de l’intention de prier, intention qui demeure bien quand l’attention dispa­ d’avis que cette dernière sorte d'attention n’empêche pas de penser au sens des paroles qu’on prononce, pas raît involontairement, encore à condition que celle plus que cela n’empêchc qu’on soit attentif à pronon­ distraction involontaire ne soit pas trop forte, mais qui ne semble pas subsister quand on s’occupe volontaire­ cer correctement ces paroles; mais, dans la 11MI·· il fait remarquer, à la suite d’Hugues de Saint-Victor, ment d’autre chose; cela n’est pas dit formellement que « parfois l’élan spirituel qui nous porte vers Dieu mais paraît bien dans la ligne de la pensée de saint est si intense qu’on en oublie tout le reste ». Alors.dc Thomas : Manet autem attentio secundum virtutem, deux choses l’une : ou bien cette invasion de la « con­ quando aliquis ad orationem accedit cum intentione aliquid impetrandi, vel Deo debitum obsequium red­ templation » suspendra la récitation de la prière, ct alors, dit Suarez, I. HL c. ιν, η. Il, sc posera, pour ces dendi, etiam si in prosecutione orationis mens ad alia rapiatur; nisi tanta fiat evagatio quod omnino depereat sujets atteints de ravissements extatiques, la question vis prinuc intentionis; et ideo oportet quod frequenter de savoir comment ils s’acquitteront de l'obligation du bréviaire; voir à cc sujet Études carmélitaines, avril homo cor revocet ad seipsum. In I V‘in Sent., (list. XV, 1932, p. 211-212; ou bien la contemplation ne suspen­ p. tv. a. 2. sol. 4. La distraction même involontaire dra pas la récitation de l'office, mais alors il y aura une empêche l’un des effets de la prière, qui est une certaine dissociation entre la parole ct la pensée, la pensée sera réfection spirituelle : Tertius effectus orationis est quædam spiritualis refectio mentis; et ad hoc de necessi­ occupée de tout autre chose que de ce que disent les lèvres; la prière n’en sera pas moins valide, puisque tate requiritur in oratione attentio. Sum. theol., IIUIIP, n’importe quelle attention suffit à cet effet; elle n’en q. Lxxxin. a. 13. On pourrait objecter Λ notre Inter­ sera même que meilleure, puisque la troisième sorte prétation de cc passage cc . Thomassln, cité par Bremond, ibid., p. 112. Si adaptée à la mentalité, à la condition, aux besoins per­ nous étions tenus d'appliquer notre Intelligence à la manents de la personne qui prie, ne consisterait pas récitation de l’office. nous risquerions de nous assimiler précisément en cc que celle-ci entrerait totalement nombre de passages contraires t à l'esprit du Nouveau dans la pensée et dans les sentiments de celui qui l’a Testament, aux intentions de l’Églisc cl ù l’esprit de composée et s’y retrouverait complètement. Psalmis et charité qui anime les fidèles. Car, à la lettre, cc sont · hymnis cum oratis Deum, hoc versetur in corde, quod souvent les désirs et les demandes du vieil homme que pro/ertur in voce, prescrit saint Augustin dans sa nous exprimons quand nous lisons les Écritures de Regula ad servos Dei, P. L.. t. xxxn. col. 1379; Suarez, l'ancien peuple qui était encore charnel... ». Ibid., I. Ill, c. iv, n. 15. mentionne un certain nombre p. 398. Saint Bonaventure reconnaissait que, pour reti­ d’auteurs spirituels ou de théologiens, entre autres saint Bernard, Hugues de Saint-Victor, Gerson, rer quelque fruit de la récitation des psaumes, Il fallait Médina, qui demandent que, dans la prière, on n’ad­ bien souvent s'évader du sens littéral et recourir au met le pas d'autres pieuses pensées que celles qui sont sens spirituel : qualis enim devotio haberetur ex litterali exprimées ou suggérées par les phrases qu'on pro­ sensu in istis verbis · qui emittis fontes in convallibus, etc. », quic tamen omnia ibi scripta sunt juxta sensum nonce : in oratione vocali non licere admittere pias medi­ tationes non pertinentes ad verba qua* proferuntur. neque spiritualem. De profectu religiosorum, 1. II, c. i.x. in eis fundatas. Suarez, n. 22, n'est pas tout ù fait de Enfin, ajoute-t-on, quel cITort. partant quelle fatigue, cet avis; mais il déclare qu'· en règle générale, du ne supposerait pas l'application Ininterrompue de moins pour les personnes qui ne sont pas accoutumées l'intelligence au sens littéral d’une prière, qui, pour à la haute contemplation, il est préférable, pendant la être récitée d’une manière simplement correcte cl prière, de penser aux choses suggérées par les mots, «l’une allure assez rapide, exige plus d’une heure! · A meditari aliquid pertinens ad sensum verborum, saltem qui voudrait appliquer sérieusement son esprit, ligne par ligne, à ce tissu de merveilles — il parle de l'office mysticum, vel quod aliquo modo verba ipsa concernat, de manière que l'action intérieure et l'action extérieure, quotidien — il faudrait plusieurs semaines... On est bien obligé de prononcer tous les mots; mais le savou­ la pensée et la parole, ne forment plus qu’une seule rer. cl même le comprendre, ce qui s’appelle com­ chose ». prendre, ligne par ligne, qui nous persuadera jamais que U[. LESECOVnS PIVIN SÈCESÜAtUi: a la ρ/η/ίιε.— l’Églisc attend de nous cc tour de force, d’ailleurs plus La grôcc actuelle est-elle nécessaire pour prier, pour bien prier, pour prier sicut oportet? Quand on sc saugrenu encore qu'lmpossiblc? » il. Bremond, ibid., demande si. pour prier, nous avons besoin du secours p. 414 «SHa longueur excessive des otllccs, dit Duguct. était moins autorisée, le remède le plus sûr et le plus divin, la question peut être entendue de deux maniè­ res : avons-nous besoin du secours divin pour avoir naturel serait de la réformer et de mettre une juste l'idée de recourir ù Dieu dans nos besoins temporels ou proportion entre les prières publiques et l’attention dont un homme de bien est capable. » Traita de la prière spirituels et pour y recourir effectivement, pour adres­ publique, éd. Sylvestre de Sacy, Paris, 1858. p. I. ser à Dieu notre supplication? ou bien, avons nous besoin de Γassistance divine pour bien prier, pour que Que peut-on répondre à tout cela ? D’abord que l’Églisc n’attend pas. n’exige pas de nous · ce tour de notre prière possède toutes les qualités requises cl pour que, en fin de compte, elle soit exaucée? force » : si l’Églisc nous Impose, nu dire de Vermecrsch, 1° Grâce excitante et prévenante. - - C'est la grâce qui op. cit., p. 19 et 33, plus que n'exigerait ce qui constitue nous pousse ù prier, â recourir ù Dieu pour en obtenir essentiellement la prière vocale, praeceptum devote les secours, les grâces qui nous sont nécessaires pour < randi horas canonicas, ab Ecclesia latum, ultra privet· 221 PRlfcRE. AUTRES CONDITIONS 222 parvenir au salui. Cela est de fol : l'ËglIse l’a défini sur un sujet qui relève, a vrai dire, du traité de la contre les pélaglens cl les semi-pélagiens, qui refu­ grâce plutôt que de celui de la prière. Mais cc que l'on saient à Dieu l’initiative dans l’œuvre de noire salut. peut ajouter ici, ce sont les conséquences pratiques qui Cf. Denz-Bannw . n. 176 et 179 : «SI quelqu’un dit que découlent de cette doctrine et qu’on trouvera particu­ c’est grâce â la prière de l’homme que le secours divin lièrement bien formulées dans L'école de Jésus-Christ est accordé, mais quo ce n’est pas grâce au secours du P. Grou. Si notre prière ne peut être vraiment divin que nous prions, il contredit l’enseignement du | bonne que si c’est le Saint-Esprit qui la produit en nous, prophète Isaïe, repris par saint Paul. » S’ensuit·!! qu'il il Importe donc, avant de prier, de lui demander son n’est aucune prière qui ne soit d’origine purement assistance, et. pendant que l'on prie, de se rendre docile humaine? Non. évidemment; Il ne s’agit ici que de la à son action : « Puisque la prière est un acte surnaturel, prière faite pour obtenir de Dieu les secours spirituels il faut demander avec Instance à Dieu qu'il la produise dont nous avons besoin pour faire notre salut, faite en en nous, et la faire ensuite paisiblement sous sa direc­ vue du salut. Quand la prière n’a d’autre objet que tion; il faut attirer en nous la grâce par notre ferveur l’obtention de biens purement temporels, la guérison, et la seconder sans en troubler l’effet. » 30* leçon, t. n, le succès d’une entreprise, etc., pourquoi ne pourraitρ. 4, de l'édition Desclce. de Brouwer et Cic, Lille, elle pas jaillir spontanément, naturellement, du senti­ 1923. Mais, dira-t-on. n’y a-t-ll pas ici un cercle ment de notre indigence? La grâce de Dieu ne parait vicieux? Pour bien prier, il faut demander l’assistance pas nécessaire pour nous port crû recourir â lui dans ces du Saint-Esprit; mais, pour obtenir cette assistance, circonstances. Cf. Suarez, J. I, c. vin. n. 6-8. Dans cc ne faut-il pas bien prier? Il faudra donc qu'avant ras, nous aurions affaire â une prière purement natu­ d’implorer l’assistance du Saint-Esprit on lui demande relle, sans aucun rapport avec le salut; en revanche, les de nous aider dans cette imploration, et « nous voilà au textes conciliaires ou patristlques concernant la néces­ rouet »! Réponse : ne nous préoccupons pas de cela; sité de la grâce pour exciter en nous l’idée de recourir à faisons de notre mieux, avec l’assistance du SaintDieu, pour nous porter â la prière, n’ont en vue que la Esprit qui ne nous manque jamais, notre prière prépa­ prière surnaturelle, la prière sicut oportet, comme ils ratoire à la prière, puis livrons-nous à la prière. l’appellent. / Γ. xtcEvsiTti DE L'ETAT DE GRACE. — L'état de On a coutume d’apporter en preuve de la thèse le grâce est-il nécessaire pour prier, pour bien prier? célèbre texte de saint Paul, Rom., vin, 26-27 : ipse Cf. saint Thomas, In I Vu® Sent., dist. NIA. q. n, a. 1, Spiritus sanctus postulat pro nobis gemitibus inenarra­ qu. 3 (il s'agit des prières faites par les pécheurs pour bilibus, en entendant, avec saint Augustin (De dono les morts); Sum. theol.. IIMI*, q. i.xxxm, a. 16; perseverantiœ, c. xxni. n. 61. P. L., t. xi.v, col. 1032) q. clxxviu, a. 2. ad ltt»; Quint. disp. De potentia, postulat au sens de postulare facit. Vcnnccrsch, op. cit., q. vi. a. 9, ad 5um; Suarez. I. I, c. vm, n. 9; c. ix. n.7; p. 38. note, n’admet pas cette interprétation. Catéch. rom., part. IV, c. m. n. 5. 2° Grâce adjuvante. — La grâce nous est nécessaire 11 suffira, pour répondre à la question, de transcrire pour bien prier, pour donner â notre prière toutes les cc paragraphe du Catéchisme romain : · Un autre qualités qu’elle doit posséder. · S’entretenir avec Dieu, degré de la prière sc trouve dans ceux qui. étant cou­ pables de péchés mortels, s’efforcent néanmoins de se dit saint Jean Chrysostomc, est une chose qui dépasse les forces de l’homme, â moins qu’il n’y soit aidé par relever par cette fol qu’on appelle morte, cl de retour­ l’action du Saint·!Cspril », cité par Suarez, 1. 1. c. vm, ner ù Dieu... La prière de ccs hommes est admise devant Dieu, et non seulement elle est exaucée, mais n. 2. · Puisque c’est une chose qui dépasse les forces de l'homme, continue-t-il, il faut que la grâce du Saint- encore la miséricorde divine invite avec la plus grande Esprit, venant en nous, nous fortille, nous donne con­ bonté les pécheurs à prier : Venez à moi, dit-elle, vous tous qui êtes affligés et chargés, et je vous soulagerai fiance et nous apprenne la grandeur de l’honneur » qui nous est accordé de nous entretenir ainsi avec Dieu Ainsi le publicaln. qui n'osait pas lever les yeux au Ibid., n. 3. Qu’est-ce donc qui dépasse les forces de ciel, sortit néanmoins du temple plus juste que le pha­ l’homme dans ce saint exercice? D’abord et principa­ risien. » Nous n’aurions rien dit de cette question, si la ■ philosophie de la prière » de H. Bremond, fondée sur lement. de savoir ce qu’il doit demander â Dieu, cc qu’il doit dire â Dieu, pour que sa prière honore Dieu une confusion constante entre la grâce actuelle et la et lui soit agréable; c’est saint Paul qui nous en aver­ grâce sancti Gante, entre l’action du Saint-Esprit sur les âmes, qu’elles soient ou non justifiées, cl sa pré­ tit : « L'Esprit vient en aide â notre faiblesse, car nous ne savons pas cc que nous devons, selon nos besoins, sence dans les âmes justifiées, ne renversait l’enseigne­ demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même prie ment traditionnel sur celle question. · Non que nous pour nous par des gémissements Ineffables ; et celui qui refusions à la prière du pécheur, écrit-il. Hist tilt..., sonde les cœurs connaît quels sont les désirs de l’Est. vm, p. 37t. tout caractère de prière. Il semble prit, il sait qu’il prie selon Dieu pour des saints. » cependant qu’on ne peut l’appeler prière au sens plein Rom., vm, 26-27· Saint Thomas, In Horn., c. vin, du mol. Quasi-prière, prière analogique, essai de lect. 5, expose bien le commentaire traditionnel de ce prière. ■ Et pourquoi? Le Miserere ne serait donc pas texte célèbre : c’est l’Esprit-Saint qui dirigerait, qui une vraie prière? Est-ce que tout le monde ne recon­ produirait en nous notre prière; elle s’exprimerait par naît pas que l’un des objets principaux de la prière, des gémissements ineffables, intraduisibles, par des c’est l’imploration du pardon? Orare, dit saint Gré­ clans du cœur vers un bien inconnu; mais Dieu com­ goire le Grand, est amaros gemitus in compunctione prendrait et approuverait ccs désirs obscurs à l’âme resonare, cf. supra, coi. 183 Si ce n'est pas l’essence de elle-même, qui, provenant de l’Esprit, ne peuvent être toute prière, c’est au moins une espèce de prière que conformes au bon plaisir de Dieu. Quoi qu’il en Gf. Pot lier. S. J . Pour saint Ignace et les ■ Exercices * soit du sens précis de cc texte, il en ressort que, pour contre l'offensive de M. Bremond, p. 30, note. que notre prière soit « selon Dieu », nous avons besoin F. longueur DE la riuEliU. — La prière doit-elle de l’assistance de l’Esprit-Snint : c’est lui qui doit nous i être longue? Cf. saint Thomas, In / Vum Sent., dist. suggérer ce que nous devons demander. NV. q. IV, a. 2. qu. 2; II’-il11, q. i.xxxm, a. Il; Sua­ L’homme a encore besoin du secours divin pour rez, I. III, c. vu, n. 1-5. prier avec la foi et la con nance, avec la soumission à la Il n’est évidemment question ici que de la prière volonté divine, avec l’ardeur et la persévérance inlas­ facultative : la prière obligatoire doit durer au moins le sables, qui sont requises pour la prière « comme il temps nécessaire pour la prononciation correcte des faut Nous pensons qu'il est inutile de nous attarder formules prescrites, temps qui varie, remarque Suarez, 223 PH I ÈRE. QUI PEUT-ON PRIER? fuxta velocitatem orantis. Pour saint Thomas, la duree, comme la fréquence, de la prière facultative doivent être calculées d’après les dispositions de celui qui prie et d’après l’utilité spirituelle qu’on en retire; la règle ou le principe posé par saint Thomas n’est pas exactement le môme dans les Sentences et dans la Il'-llæ: là, il nous dit : · Dans la prière, il faut tenir compte de la dévotion de celui qui prie, et par conséquent la prière devra sc prolonger autant de temps que la dévotion pourra sc conserver; donc, si la dévotion peut sc con­ server longtemps, la prière doit être diuturna et pro­ lixa; si, au contraire, la prolixité engendre le dégoût ou l’ennui, il ne faut pas la prolonger. » Dans la IIMI®, la durée de la prière variera d’après le profit spirituel qui en résultera : < Toute chose doit sc proportionner Λ sa fin. Il convient donc que la prière dure aussi longtemps qu’il est utile pour entretenir la ferveur du désir. Lorsqu’elle dépasse ccttc mesure au point de ne pou­ voir sc prolonger sans dégoût, il ne faut pas s’y étendre davantage. » Et ccttc règle si sage, qu’il emprunte à saint Augustin, saint Thomas voudrait qu’on l’appli­ quât à la prière publique aussi bien qu’à la prière pri­ vée : et sicut hoc est attendendum m oratione singulari per comparationem ad intentionem orantis, ita etiam in oratione communi per comparationem ad populi devo­ tionem. Donc, pas de trop longs ofllccs pour · le peu­ ple », et, a pari, pouvons-nous ajouter, que la longueur du bréviaire soit calculée de telle sorte que le prêtre puisse le réciter avec dévotion cl qu’il ne lui soit pas trop à charge : la qualité vaut mieux que la quantité. | De la règle posée par saint Thomas, Suarez tire cette conclusion qu’on ne doit pas s’imposer une multitude de prières vocales que, vu ses occupations, on ne pour­ rait réciter qu’en les expédiant : cavendum est ne lot multiplicentur vocales orationes, ut sese quodammodo impediant, quia, consideratis aliis occupationibus, non possunt nisi nimia velocitate expleri. VI. Qü! PEUT-ON PRIER? — /. LA PRIÈRE NE PEUTELLE s*adresser qu'a DIEV? —Cl. saint Thomas, In Sent., dist. XV, q. iv, a. 5; dist. XLV, q. in, a. 1-2; q. lxxxhi, a. 4; Suarez, 1. I, c. ix-xi. Λ première vue, il semblerait bien que la prière ne peut s’adresser qu’à Dieu : « par définition » d’abord, comme dit saint Thomas, puisqu’on définit la prière ascensus intellectus in Deum; puis, parce qu’elle est un acte de religion ou, cc qui revient au même, de latrie, donc un acte réservé à Dieu; ensuite. Dieu seul, omni­ présent cl omniscient est à même de connaître nos prières, même celles que nous faisons à haute voix; *enfln. même à supposer que les anges et les saints qui sont au ciel puissent nous entendre et intercéder pour nous, quel avantage aurions-nous à recourir à leur intercession ? - Dieu est infiniment plus miséricordieux que n’importe quel saint, cl son cœur plus porté à nous exaucer que celui de n’importe quel saint. Il semble donc bien inutile de placer les saints entre Dieu et nous, pour qu’ils intercèdent pour nous. » D’ailleurs, il semble encore Inutile de prier les saints pour une autre raison : « Si nous sommes dignes de leur Intercession, ils prieront pour nous, même si nous ne le leur deman­ dons pas; et, si nous n’en sommes pas dignes, ils ne prieront pas pour nous, même si nous le leur deman­ dons. » Suarez, après avoir énuméré tous les héréti­ ques qui ont contesté la légitimité de la prière adressée aux saints. Vigilantius, les apostoliques, les cathares, les pauvres de Lyon, les vaudols. Wlclef, Luther, etc., c. x,n 1. rapporte toutes les raisons qu’ils lui opposent, n. 2 : Il n’en est qu’une que nous n’ayons pas encore mentionnée, celle qui sc tire de la parole de saint Paul : U nus enim Deus, unus et mediator Dei et hominum, homo Christus Jesus, 1 Tim., il, 5 : « prendre les saints comme médiateurs entre Dieu et nous, c’est faire injure au Christ ». Parmi les erreurs de Nicolas Serru­ 224 rier, condamnées par Martin V. dans la bulle Ad hoc pnreipue du 6 janvier 1120, ligure celle proposition Oratio non debet dirigi nisi ad Deum solummodo, et non ad sanctos. De Guibcri, Documenta..., n. 333. Le concile de Tronic, en sa xxv« session. Dcnz. Bannw., n. 981. a défini la doctrine opposée à celle erreur : « Le saint concile ordonne, A Ions les évêques et à tous ceux qui ont charge d’enseigner, d’instruire avec soin les fidèles de ce qui concerne l’intercession cl l’invocation des saints, d’après l’usage reçu dès les pre­ miers temps du christianisme dans l’Eglise catholique, d’après le sentiment unanime des saints Pères cl d’après les décrets des sacrés conciles ; leur enseigne que les saints qui régnent avec le Christ offrent à Dieu leurs prières pour les hommes, qu’il est bon et utile de leur adresser des supplications cl Invocations et de recourir à leurs prières cl à leur aide cl secours pour obtenir de Dieu scs bienfaits par l’intermédiaire de son Fils, Jésus-Christ, Notrc-Scigneur. qui est notre seul rédempteur cl sauveur; cl que ceux-là sont animés de sentiments impies : I. qui disent que les saints qui jouissent dans le ciel de l’éternelle félicité ne doivent pas être invoqués; 2. ou qui prétendent : a) ou bien qu'ils ne prient pas pour les hommes; b) ou bien que les invoquer, afin qu’ils prient pour chacun de nous en particulier, est une idolâtrie, ou que cela est contraire à la parole de Dieu et opposé à l’honneur de JésusChrist. l’unique médiateur entre Dieu et les hommes; c) ou bien enfin que c’est une folle d’adresser des sup­ plications vocales ou mentales à des êtres qui régnent dans le ciel. On peut donc commettre à ce sujet cinq hérésies. La solution du problème se trouve dans la considéra tion de la manière bien différente dont nous prions Dieu et dont nous prions les saints, différence qui fait qu’en réalité le recours à l’intercession des saints n’est pas une véritable prière et qu’en réalité la vraie prière ne s’adresse qu’à Dieu, directement ou indirectement. < 11 y a deux manières de présenter sa requête à celui qu’on prie : on peut lui demander d’accomplir luimême ce qu’on désire, ou bien de nous le faire obtenir. Dans le premier cas. la prière ne peut s’adresser qu’à Dieu... I Je laisse de côté pour l’instant la raison qu’en donne saint Thomas. | C’est l’autre forme de prière que nous adressons aux saints, aux anges cl aux hommes. Ce faisant, nous n’attendons pas d’eux qu’ils fassent connaître â Dieu notre requête, mais nous attendons de leur intercession et de leurs mérites qu’elle obtienne son cITct... Ccttc différence (entre la manière dont nous prions Dieu et celle dont nous prions les saints) ressort des expressions mêmes que l’Eglise emploie dans scs prières officielles : à la sainte Trinité nous deman dons d'avoir pitié de nous ; aux saints, quels qu’ils soient, de prier pour nous. · Il‘-H®. loc. cit. Aucune prière adressée à un saint, quel qu’il soit, donc pas même à la très sainte Vierge, pour ne pas parler de celles qui s’adressent aux saints anges, ne devrait donc lui demander de nous donner lui-même ce que nous souhaitons, pas même des biens ou avantages tempo­ rels. si minimes qu’ils soient, par exemple de retrouver un objet perdu, mais seulement de nous l’obtenir de Dieu, non quasi per ipsum implenda, sed sicut per ipsum impetranda; cf. Suarez, c. ix, n. 1-5. La raison en est que Dieu seul est capable de nous procurer < par lui-même > ce que nous désirons; car cc per seipsum, explique Suarez, comporte quatre choses : primo, quod propria virtute possit conferre bonum quod postulatur; secundo, ut in eo bono conferendo, si velit, a nullo pendeal; tertio, quod a nemine impediri possit; quarto, ut ipse sua virtute et voluntate possit vel auferre impedimenta, vcl disponere omnia aliunde necessaria ut talis effectus flat. S’il se rencontre, dans les prières que l’Eglise adresse aux saints, des expressions qui pa- 225 PRIERE. QUI PEUT-ON PRIER? missent cont nilrcs Λ celte règle, si elle leur demanda, par exemple, de nous < accorder» telle on telle chose, il faut toujours sous-entendre : par vos prières, par votre intercession ». x, n. 7. Suarez concède cependant que de telles expressions peuvent encore s’expliquer par une sorte de pouvoir ministeriel qu’il a pu plaire à Dieu d’accorder à quelques saints pour la collation de certaines de scs faveurs, par exemple pour la guérison de quelque maladie particulière; c’est ce que dit saint Augustin : Faciunt ista martyres, vcl potius heus, vel orantibus aut cooperantibus cis. Ibid. Revenons maintenant à la phrase de saint Thomas que nous avons provisoirement laissée de côté. Pour prouver que, seul, Dieu peut nous accorder par lui· même ce qui fait l’objet de nos prières, il s’appuie sur ce principe que · toutes nos prières doivent être ordon­ nées à l’obtention de la grâce et de la gloire, epic Dieu seul peut nous octroyer ». Dans l'/n ! Sent., dist. XV, q. iv, a. sol. 2. pour prouver qu'on ne doit pas adresser de prière aux « saints qui sont encore en cc monde ou au purgatoire, il affirme que l’unique objet de la prière, c’est la béatitude et que, par consé­ quent, la prière ne peut s’adresser à ceux qui ne pos­ sèdent pas encore cet te béatitude : nihil petitur ab altquo qui non habet: unde cum beata vita sit qua· in orando petitur, ad illos solos dirigi potest qui jam beatam vitam habent. Suarez discute longuement la raison invoquée par saint Thomas pour prouver que Dieu seul peut nous accorder par lui-même cc qui fait l’objet de nos prières C. ix, n. 3-11. Jean de Saint-Thomas lui réplique. In Ill' ll· . q. lxxxhi. a. I, n. 4-8. Il est facile de répondre aux objections apportées : 1. · Par définition », en eiïet, la prière ne s’adresse qu’ù Dieu, parce qu'une delinit ion ne doit contenir que ea quæ per sc sunt; or, si aliquo modo on peut appeler prière les supplications adressées aux saints, proprie et per sc la prière ne s’adresse qu’à Dieu. In I Vu,u Sent., loc. cit., a. 5, ad lu,n. Cassicn nommait deprecatio, et non oratio, la prière adressée aux saints. On pourra remarquer que le décret du concile de Trente cité plus haut n'emploie pas non plus le mot oratio pour dési­ gner la prière adressée aux saints : il parle seulement d’invoquer, de supplier, ou d’invoquer en suppliant, suppliciter invocare. De même que le terme d* « adora­ tion ■ est maintenant réservé au culte de Dieu, celui de « prière ·. si l’on s’entendait à cc sujet, pourrait peutêtre avantageusement se voir restreint dans son exten­ sion? 2. La prière adressée aux saints n’est pas un acte de religion ou de latrie, an moins directement; c’est un acte de dulie. Suarez, c. x, n. 8-9. Au fond, cependant, à travers les saints, c’est bien à Dieu que nous nous adressons : cum sancti orantur, non cis latria exhibetur, sed illi a quo petitio orantis explenda operatur. In I Vum Sent., loc. cit., ad 2u,n. 3. SI les saints ne connaissent pas, par les moyens dont ils disposent, les prières que nous leur adressons, Dieu ne manque pas de moyens pour les leur faire connaître : · Les bienheureux, dit saint Grégoire, découvrent dans le Verbe cc qu’il sied qu’ils connaissent des événements qui nous concer­ nent, même ce qui sc passe au fond des cœurs. Or, il convient par-dessus tout qu’ils connaissent les de­ mandes qui leur sont faites, oralement ou mentalement. Ils connaissent donc, Dieu les leur découvrant, les prières que nous leur adressons. » ID-IL, loc. cil., ad 2Bm; cf. Mennessier, op. cil., p. 264, une note relative à la manière dont les saints ont connaissance de nos prières, si c’est in Verbo ou extra Verbum; Suarez, c. x. n. 19-20, cl Jean de Saint-Thomas, ibid., n. 30-10. I. Suarez, ibid., n. 21, juge si peu importante la qua­ trième difficulté, qu’il y répond Λ peine. Ce n’est pas, dit-il, parce que nous douterions de l'infinie miséri­ corde de Dieu à notre égard, que nous recourons Λ l'intercession des saints, mais parce que, peut-être, il mer. ni tiii ol. catkol» 226 entre dans les desseins de la Providence de ne nous accorder scs faveurs que si nous les lui demandons par l’entremise des saints : non oramus sanctos quia de divina voluntate diffidamus, sed ut ordinem Providentiasuic impleamus; nescimus enim quomodo disposuerit aliquid nobis dare. Saint Thomas, In /VUT» Sent., dist. XLV, q in, a. 2, invoque â cc propos la théorie du pseudo-Dcnys sur les intermédiaires : iste ordo est divi­ nitus institutus in rebus, ut per media, ultima reducan­ tur in Drum; et, par conséquent ce n’est pas parce que Dieu manquerait de miséricorde qu’il faut recourir aux prières des saints pour exciter sa clémence, sed est ad hoc ut ordo pro dictus conservetur in rebus. — 5. Enfin, recourir à l’entremise des saints n’est pas contredire l’enseignement de l’Apôtre sur l’unique médiateur entre Dieu et les hommes. La médiation du Christ peut s’entendre de deux manières : vel per modum advocati et orantis, vel per modum merentis nobis aut satis/acienlis pro nobis; quand nous recourons à la médiation du Christ, ou bien nous lui demandons d’intercéder pour nous maintenant auprès de son Père, ou bien nous nous réclamons auprès de Dieu des méri­ tes et des satisfactions de sa vie terrestre; pourquoi les saints, quand ils prient pour nous, n'en feraient-ils pas autant ? Ou bien ils s’adressent directement au Christ et lui demandent d’intercéder pour nous auprès de son Père; ou bien, s’adressant directement au Père, ils lui demandent de nous accorder ses faveurs en considéra­ tion des mérites et des satisfactions du Christ. Suarez» I. X. c. x-xi. //. QUI XE NMT-OV PAS PRIER?— I · Qu'il ne faille pas prier le Christ, mais le Père par le Christ, c’était l’avis d’Origènc, De la prière, c. xv-xvi : « lis pèchent par sottise, faute de considération et d’attention, ceux qui prient le Mis, soit avec le Père, soit sans le Père. » • Nous ne devez pas prier celui qui, pour vous, a été établi grand prêtre par le Père, celui que le Père a fait votre avocat ; mais vous devez prier par le grand prêtre, par l'avocat, qui peut compatir à vos faiblesses, ayant été tente en tout comme vous, fait-il dire au Christ: il n'est pas raisonnable que ceux-là prient leur frère qui ont été jugés dignes d’avoir le même père; il vous faut offrir votre prière au seul Père, avec moi et par moi » Origène voulait réagir contre la pratique, admise de tout temps dans l’Église, d’adresser des prières au Christ. Mais pour quelle raison? Il ne le cache pas : ■ Si nous entendons cc qu’est la prière, peut-être verronsnous qu’il ne faut prier aucun être produit, et pas même le Christ, mais seulement le Dieu et Père de l’univers, que lui-même notre Sauveur priait et qu’il nous ensei­ gne à prier. Prier le Christ, aux yeux d’Origènc, c’était professer son égalité, peut-être meme son iden­ tité avec Dieu. car. pour lui. si l’on entend bien ce qu'est la prière ·, elle ne peut s’adresser qu’à Dieu; or. il n’admettait ni l’égalité ni l’identité du Mis avec le Père : le Mis est différent du Père par l’essence et par le suppôt : il ne faut donc pas le prier. Sur quoi. M. Hardy fait cette observation : Il est certain que la prière liturgique, dès les plus anciens temps du chris­ tianisme. est présentée au Père par le Fils; mais il n’est pas moins certain que, de tout temps, on a prié le Christ dans l’Église, et Origène lui-même, dans scs homélies, se conforme fréipiemment à l’usage courant. Le scrupule qu’il témoigne ici est exagéré; il marque une réaction stérile, mais dangereuse, contre la prati­ que universelle. Cf. J Lebreton. Histoire du dogme de la Trinité, t. n, Paris, 1928, p. 171-217. bibliothèque palrishque de spiritualité. Origène, De la prière, trad. Bardy» Paris» 1932» p. 77-7 Ces principes, ces distinctions, vont servira répondre aux objections : I. L’Évangile, disait-on, nous défend de rechercher les biens temporels; principaliter, oui; secundario, non; c’est ce que dit saint Augustin, commentant le discours sur la montagne : « Lorsque le Seigneur déclare qu’il faut chercher d’abord le royaume des deux, il veut dire que les biens temporels ne doivent être recherchés qu’ezuuZZe, d’une postériorité non de temps, mais de valeur; illud tanquam bonum nostrum, hoc tanquam necessarium nostrum »; 2. « Tout souci des choses temporelles n’est pas interdit, mais seu­ lement un souci exagéré et désordonné >; 3. < Lorsque notre âme sc porte aux choses temporelles pour s’y reposer, oui, elle s’y ravale; mais quand elle s’y porte en vue de la béatitude, loin de sc ravaler à leur niveau, ce sont elles au contraire qu’elle élève et rehausse »; I. enfin, · du moment que nous demandons les biens temporels non pas principaliter, mais in ordinc ad aliud, par là même nous demandons à Dieu de ne nous les accorder que pour autant qu’ils sont utiles à notre salut. » 2e .Ve peut-on demander à Dieu les biens temporels qu'en vue de la béatitude ? Suarez, I. 1, c. xvn, η. I. — Telle paraît bien être la pensée de saint Thomas, au moins dans la I h-11®; car, dans les Sentences, il ne le dit pas expressément; on pourrait même croire qu’il | dit le contraire quand il déclare que les biens temporels ne doivent être désirés, et par conséquent demandés, que secundum quod sunt necessaria ad vitam prwsenlem agendam. Pour résoudre la question, Suarez, ibid., n. 3, distingue les biens terrestres en deux catégories : les uns, comme la vie, la santé, la science, sunt per se convenientia naturtc, ac proinde per se appetibilia secun­ dum rectam rationem, propter bonum et convenientem statum natura; les autres, comme les honneurs, la réputation, le pouvoir, les richesses, etc., sunt bona indifferentia, qua propter se appetibilia non sunt, sed tantum propter utilitatem ad alia bona per se el honeste appetibilia; et, parmi ces biens indifférents, il faut encore distinguer ceux qui sont simpliciter vel moraliter necessaria pour acquérir ou conserver les premiers, par exemple la nourriture, les vêtements, la bonne réputa­ tion, et ceux qui ne sont pas nécessaires, comme de grandes richesses, de grands honneurs, etc. Or. dit Suarez, n. 7, les biens de la première catégorie, nous pouvons les demander à Dieu pour eux-mêmes et non pus seulement en vue de la béatitude éternelle; non pas évidemment comme s’ils constituaient notre (in der­ nière. mais en tant qu’ils sont des 11ns prochaines qui peuvent être recherchées pour elles-mêmes : verum est tale bonum pch posse absque morali malitia sine tali relatione u 1. l£nfin. prier pour autrui n’est pas usurper le rôle du Christ, parce que « celui qui prie n’entend pas obtenir ce qu’il demande propria virtute, sed virtute ejus quem orat; et par conséquent, celui qui prie pour autrui ne s’attribue pas la grâce plénière, gratiam ple­ nitudinis, mais il la reconnaît en celui qu’il prie et de qui il sollicite la grâce â donner au prochain ». Les trois premières réponses, comme les objections correspon­ dantes, se trouvent dans la II,UII’’, la quatrième dans les Sentences. I ne question subsidiaire : peut-on prier pour quel­ qu’un en particulier, ou doit-on sc contenter de prier pour tout le monde en général ? Wiclef aurait soutenu cette idée qu’il n’est pas permis de prier pour une per­ sonne en particulier, pas plus pour soi-même que pour n’importe qui, cf. Suarez, 1. I, c. xm, η. 1, sous pré­ texte qu’il ne faut priver personne d’un bienfait qui par lui-même appartient â tout le monde et que d’ail­ leurs la prière n’est pas plus utile à telle personne déterminée si elle est faite exclusivement pour elle que si elle est faite pour tout le monde. Le concile de Constance, en sa vm* session, a condamné cette erreur de Wiclef : Speciales orationes, applicata· uni persona* per pradatos vel religiosos, non plus prosunt eidem quam generales, ceteris paribus. Denz.-Bannw., η. 599. L’Écriture mentionne un certain nombre de prières faites pour telle ou telle personne en particulier : le Christ a prié pour Pierre, Luc., xxn. 32; ainsi que l’Église de Jérusalem. Act., χπ, 5; saint Paul demande qu’on prie pour lui, Eph., vi. 19; Col., iv. 3, etc. Suarez, n. 3, prouve que les deux raisons invoquées par Wiclef son! sans valeur. Cf., I. Le. xxvir, n. 5-7. 2· Pour qui donc peut-on et doit-on prier? pour qui ne le peut-on pas? Le Catéchisme romain, part. IV, c. v, abordant cette question, commence par déclarer que personne au monde ne doit être exclu de nos prières, ni nos ennemis particuliers,ni ceuxqui n’appartiennent pas â notre pays ou à notre religion : orandum est pro omnibus sine ulla exceptione vel inimicitiarum, vel gentis, vel religionis; et que notre prière doit viser â procurer â tous les hommes d’abord le salut de leur âme, ensuite la conservation de leur vie : qua in ora­ tione primum petenda sunt qua· salutem animée complec­ tuntur, deinde quiv corporis; et ceci n’est pas un simple conseil, c’est un devoir imposé par la charité. Puis le Catéchisme énumère une série de personnes ou de caté­ gories de personnes pour (pii nous devons particulière­ ment prier : les pasteurs des âmes, les princes, les justes, nos ennemis personnels, tous ceux qui n’appar­ tiennent pas à 1 Église, les morts qui sont en purga­ toire, les pécheurs. Enfin on peut sc demander si le 234 Catéchisme ne reconnaîtrait pas une sorte de prière pour les saints, sanctorum omnium causa; cc ne serait plus, il est vrai, une prière de demande, mais une prière d’action de grâces, par laquelle nous louons et bénissons Dieu « des victoires et du triomphe qu’ils ont remportés par un effet de sa bonté sur tous leurs enne­ mis, tant intérieurs qu’extérieurs ». Mais ne pouvons-nous pas demander aussi pour les saints, cf. Suarez, I. 1, c xiv, et non seulement cette gloire extrinsèque, qui consiste dans le fait d’être connus, aimés et honorés de ceux qui vivent encore sur la terre, ce que l’Église parait viser dans le Suscipe sancta Trinitas de l’offertoire : ut illis proficiat ad hono­ rem, nobis autem ad salutem, mais un accroissement de leur gloire essentielle, du degré de béatitude qu’ils ont mérité pendant leur vie terrestre ? Le pape Inno­ cent 111, cap. Cum Marthæ, I)e celebratione missarum. rapporte, sans la faire sienne, mais non plus, semblet-il, sans la réprouver expressément, l’opinion assez répandue de son temps, d'après laquelle la gloire des saints pourrait recevoir des accroissements jusqu’à la fin du monde et 11 ajoute que c’est pour cela que l’Église de temps en temps pense pouvoir souhaiter l'augmentation de leur gloire, licet plerique reputent non indignum sanctorum gluriam usque ad judicium augmentari, et ideo Ecclesia inierim reputet sane posse augmentum glorificationis eorum optari. Le pape ne partage pas cette opinion, mais il reconnaît qu'elle est sous-jacente à certaines prières de l’Église. Les théolo­ giens postérieurs se sont rangés à l’opinion du pape, qui ne veut voir dans toutes les formules où l’Eglise demande que tatis oblatio prosit vel proficiat huic sancto vel illi ad gloriam et honorem, que la demande de l’aug­ mentation de la gloire extrinsèque, ita debet intelligi ut ad hoc prosit quod magis ac magis glorificetur a fide­ libus. Cf. saint Thomas, In /Vum Sent., (list. XIA. q. n, a 2. qu. I; Suarez, op. cil. ; Jean de SaintThomas, In Il^-ll·^, q. i.xxxnr, n. 6, n. 3-4; Bellarmln. Sexta controversia generalis. I)e purgatorio, 1. II, c. xvni. VIII. Valeurs et efficacité de la prière. — Saint Thomas reconnaît à la prière quatre espèces de valeurs, dont deux seulement lui conviennent en tant que prière, ll^ll·1, q. lxxxiii, a. 12 et 13 : dans l’art. 12. il signale sa valeur d’œuvre satisfactoire et. dans l’art. 13, les trois autres valeurs : « Les effets de la prière sont au nombre de trois. Le premier est com­ mun à tous les actes qu’informe la charité : c’est le mérite. Le second appartient en propre â la prière : c’est l’obtention ou impétration. Lc troisième effet est celui qu’elle produit dans l’âme par sa présence même : c’est une certaine réfection spirituelle. » i. vai.euk h*acte m Am toiee. — Cf. saint Thomas. In l\ Sent., dist \\, q n. a. 7. qu. 2; ΙΓ-ll . q. i.xxxiii, a. 7, ad 2un ; a. 15; Suarez, I. L c. xxn. « Il en va de la prière comme de tout autre acte ver­ tueux : elle tient sa valeur méritoire de la charité dont elle est issue, celle-ci ayant en effet pour objet propre le bien éternel dont la jouissance est l’objet de nos mérites. Or, la prière procède de la charité par l’inter­ médiaire de la religion, dont elle est un acte : c’est â la religion, en effet, de présenter la prière à Dieu» tandis que la charité nous fait désirer cc dont elle demande l’accomplissement ». Il·-II», a. 15. Le même raisonne­ ment sc rencontrait déjà dans les Sentences, avec cette différence que saint Thomas n’y affirmait pas que la prière procédait toujours et comme essentiellement de la charité, mais seulement aliquando; d’où il concluait, non pas que la prière est un acte méritoire, mais seule­ ment qu’elle le peut être. Il est une autre condition nécessaire pour que la prière, comme tout autre acte vertueux, soit méritoire : c’est qu’elle soit faite en état de grâce, n. 15, ad ll,m; maison pourrait dire que cette 235 PRIÈRE. EFFICACITÉ condition est renfermée dans la première, parce qu’on ne peut avoir la charité qu’avec la grâce sanctifiante. On voit par là que saint Thomas ne parle que du mérite de condigno. Pourtant, si le mérite a pour objet principal la béati­ tude ct si, par conséquent, ce que nous méritons par la prière qui procède de la charité, c’est un accroissement de béatitude, on peut cependant par la prière, comme d’ailleurs par les autres bonnes œuvres qu’on accom­ plit. « mériter » autre chose que la béatitude, mériter par exemple que Dieu nous accorde tout ce que nous lui demandons dans la prière, à condition du moins que cela soit utile à la béatitude et concerne le salut Ici encore, puisque saint Thomas assimile la prière aux autres bonnes œuvres, c’est-à-dire sans doute à celles que nous accomplissons en étal de grâce, il n'est encore question que du mérite de condigno, Suarez, op. cil., η I, estime que l’état de grâce n’est pas nécessaire pour que notre prière, positis ponendis, puisse nous · mériter », mais cette fois de congruo, que Dieu nous accorde ce que nous lui demandons : meri­ tum de congruo sufficere probabile est ut ratione illius Deus petitionem compleat. Et il ramène au mérite de congruo la · causalité dispositive » que l’on attribue à la prière et qui peut exister meme en ceux qui n’ont pas encore recouvré l’état de grâce. Cf supra, col. 222, la mention que nous avons faite de cette « causalité dis­ positive » attribuée à la prière. I/. VAI.F.V1Î SATtSFACrotRE DE LA PIMCPE. — Cf. saint Thomas, In / V*™ Sent, (list. XV, q. iv, a. 7; IP IP. q. lxxxïh, a. 12; Suarez, L I. c. xxn, n. 7-8. l.a question de savoir si la prière possède une valeur satisfactoirc intéresse particulièrement les théologiens qui traitent du sacrement de pénitence : ils sc deman­ dent si la prière est une de ces œuvres pénibles (pie l’on peut imposer comme < pénitence », pour l’accom­ plissement du troisième acte du pénitent, la satisfac­ tion. La réponse affirmative parait à Suarez certa de fide, à cause d’un canon du concile de Trente qui range la prière parmi les œuvres pieuses ct pénibles par les­ quelles on peut donner à Dieu satisfaction pour le péché Scss. xiv, can. 13, Denz.-Bannw., n. 923. Saint Thomas démontre que la prière possède pleinement les caractères d’une vraie satisfaction pénitciitielle.» La satisfaction, en effet, dit-il, a pour but de réparer (recompensationem) l’injure faite à Dieu par le péché passé, et de nous préserver, en nous guérissant, d’une faute nouvelle (nous (lirions maintenant qu'elle doit être en même temps vindicative ct médicinale, cf. Denz.-Bannw.. n. 905). Or, la prière possède ces deux propriétés : tout péché, en effet, a son principe et sa racine dans l'orgueil; dès lors, soumettre humble­ ment son esprit à Dieu dans la prière, c’est tout à la fols réparer l'offense que nous avons faite à Dieu par notre orgueil passé et couper court à une faute nou­ velle en en retranchant la racine. La prière possède donc bien les qualités nécessaires à l’œuvre sntlsfactulrc » A vrai dire. Il n’était pas indispensable de prendre ce détour pour démontrer que la prière pos­ sède une valeur satisfactoirc : il suffisait de prouver que la prière est une œuvre pénible; c’est ce que saint Thomas établit dans l’ad B*«, aussi bien pour la prière mrntah* que pour la prière vocale. Celle-ci · nécessite un travail, un effort extérieur, ct donc comporte une certaine peine »; celle-là. « en dépit de la joie qu’elle procure, n’est pas non plus exempte de peine : élever son esprit est chose affligeante pour la chair, et cette .dUictlon retentit sur l’âme qui lui est unie »; cf. Mennesslcr, op. cit., p. 275. tn va/.ειί impEtkatoiuf. de la pntl.RE. — ^Dis­ tinction de Γimplication et du mérite. — Cf. saint Thomas. II* II», q. Lxxxni.a. 15; In I Seni., dist. XV.q. iv, a 7, qu. 3 ; Suarez, L I, c. xxni. n. 1-2; c. xxvn. n L 236 Entre le mérite ct l’impétration, ou mieux entre sc procurer une chose en la méritant ct l’obtenir par le seul fait qu’on la demande convenablement, < Il y a cette différence, dit saint Thomas, In / V’»’» Sent., loc. cit., que le mérite comporte un rapport de Justice : c'est la Justice, en effet, qui demande (pic le mérite soit I rétribué par la récompense; tandis que l’impétration comporte un rapport de bonté et de libéralité de la part du donateur; en sorte que le mérite possède par lui-même ce qu’il faut pour parvenir à la récompense, tandis que la prière, abstraction faite de sa valeur méritoire, ne possède pas par elle-même de valeur irnpétratoire : cette valeur lui vient d’une libre dispo­ sition ou de la libéralité de celui (pii l’exauce, et ideo meritum ex seipso habet unde perveniatur ad præmtum, sed oratio impetrare volentis non habet ex seipsa unde impetret, sed ex proposito vel libera Hiate dantis ·; c’està-dire que, si Dieu exauce nos prières, cela tient à ce qu’il a décidé, décrété librement qu’il les exaucerait, Ou bien à ce que sa libéralité est telle que toute prière bien faite est immanquablement exaucée. On pourra donc prouver de deux manières (pie la prière possède une valeur irnpétratoire : à priori, étant donnée la libé­ ralité divine, et c’cst ce que fait saint Thomas dans le ('ont. genl., I. Ill, c. xcv; ou à posteriori, en recher­ chant dans l’Ècriture sainte si Dieu nous n fait connaître son intention, sa détermination d'exaucer les prières qui lui seraient adressées; en d’autres termes, s’il s’est engagé à, s'il nous a promis d’exaucer nos prières; on pourra d’ailleurs découvrir cette intention dans le seul fait (pic Dieu nous aura engagés à prier, selon la remarque de saint Augustin : non nos hortaretur ut peteremus, nisi dare vellet; cf. ID-II1’, toc. cit. 2° La prière possède une valeur impéiratoirc, elle est immanquablement exaucée, lorsqu*elle est /aile dans cer­ taines conditions. — Cette thèse est déclarée de fol par Vcrmccrsch, op. cit., p. Il ; fide certa est infallibilis efficacia orationis quæ debitis stipata luerit condicioni­ bus, tant les textes de l’Ècriture sont clairs à ce sujet. 11 cite le Petite ct dabitur vobis, Mattii., vu, 7; le Omnia quacumque petieritis in oratione credentes, accipietis, Matth., xxi, 22; le texte de 1 Joa., v. 15 : scimus quia audit nos quicquid petierimus, scimus quoniam habe­ mus petitiones quas postulamus ab co, ibid., p. 19. Le Catéchisme romain, part. IV, c. π, η. 3, s’exprime ainsi à ce sujet : < 11 n'est pas douteux que Dieu ne reçoive notre prière ct qu'il ne l’exauce dans sa bonté : l’Écrlture en fournit la preuve en une foule d’endroits qu’il est facile à tout le inonde de consulter... »; puis il en appelle à l’expérience : · Les exemples de ceux qui ont obtenu de Dieu ce qu’ils lui demandaient par la prière sont trop nombreux et trop connus pour qu’il soit nécessaire de les rapporter. » Cela pose un problème, et même deux ; l’expérience peut-elle être appelée en preuve ou en confirmatur de la thèse qui statue que toute prière bien faite est infailliblement exaucée ? peut-elle même nous garantir que Dieu exauce quel­ quefois notre prière? Non, notre croyance à l'exaucement infaillible de la prière bien faite ne repose pas sur l’expérience, mais sur la révélation. La preuve en est que l’expé­ rience parait démentir la thèse et qu'il faut expliquer les échecs apparents de bien des prières; le Catéchisme romain en fait lui-même la remarque : « H arrive quel­ quefois que nous n'obtenons pas de Dieu ce que nous lui demandons; mais alors Dieu veut encore notre bien: ou il nous accorde quelque chose de plus grand ct de plus précieux (pic ce que nous demandions, ou l'objet de notre prière n’était ni nécessaire ni utile, ou peutêtre encore il nous serait devenu funeste et pernicieux si Dieu nous l’avait accordé. Ibid., n | En d’autres termes, nous croyons que notre prière est exaucée même si nous n’obtenons pas ce que nous demandons 237 PRIÈRE EFFICACITÉ même si. par conséquent, elle paraît ne pas l'être : une telle croyance ne repose pas évidemment sur l'expé­ rience Mais alors, quand ce que nous avons demandé nous échoit, sommes-nous sûrs que c’est à notre prière que nous le devons, sommes-nous sûrs que, si nous ne l'avions pas demandé, cela ne serait pas arrivé quand même ? lin un mot : l'expérience démontre-t-elle qu’il y a un rapport de causalité entre notre prière ct la pro­ duction de tel événement ? Oui, sans doute, s’il s’agit d’un événement tout à fait miraculeux : la résurrection de Lazare, la multiplication du blé dans les greniers du curé d’Ars. etc Mais si la réalisation de l’objet de notre prière n’exige pas une intervention particulière de Dieu, si nous demandons, par exemple. la réussite d’un examen, d’une entreprise quelconque, d’une bataille ou d’une guerre, la pluie ou le beau temps, etc., ci. Suarez, 1. 1, c. xxi, n 18, nous ne pouvons pas savoir si notre prière a contribué, et dans quelle mesure, Λ la réalisation de nos désirs. CL Chanson, Les sources et l'efficacité de lu prière, Paris, 1927. p. 249 sq. 3° A quelles coud il ions la prière est-elle infailliblement exaucée ? — I. //enseignement de saint Thomas, cf. /zi / Vun» Sent., dist. XV, q. iv, a. 7, qu. 3; Conl. gent,,]. Ill, c. xevi; HMD, q. i xxxin, a. 15, ad 2’H ; .i 7. ad 2»»'». < La prière, lisons-nous dans les Sentences, n’a pas toujours une valeur impéiratoirc infaillible, parce qu’il peut y avoir quelque chose qui s’oppose à ce que la providence de Dieu accorde ce qu’on lui demande... L’obstacle à l’eilicacilé de la prière peut sc trouver ex parte orantis, s’il ne prie pas convenablement si oratio­ nem inordinate emittat; c’est pour écarter cet obstacle que l'on requiert de la prière qu’elle soit faite pie : par quoi l’on entend qu’elle doit être un acte de religion, de latrie. L’obstacle peut se rencontrer du coté de la chose demandée, parce qu’il peut arriver qu'elle ne soit pas utile au demandeur; et c’est pourquoi l’on dit que la prière, pour être infailliblement exaucée, doit avoir rapport au salut, et sic dicitur quod sit ad salutem. L’obstacle peut sc trouver ex parte ejus pro quo petitur; et cet obstacle peut exister soit dans l’instant même où se fait la prière, soit dans le temps qui s’écoule entre la prière et l’obtention de ce que l’on a demandé. Dans le premier cas. l’obstacle ne peut sc rencontrer quand on pi le pour soi avec piété, mais seulement quand on prie pour autrui, cl c’est pourquoi l’une des conditions de l'efficacité de la prière, c’est qu’elle soit faite pro se; dans le second cas, l’obstacle est écarte par la qua­ trième condition exigée pour que la prière soit efficace, à savoir qu’elle soit faite perseveranter. » ('.‘est la glose sur Luc., xi. 5. qui a fourni à saint Thomas ces quatre conditions de 1’cflicncité de la prière. Les mêmes condi­ tions sont exigées dans la 11Λ 1 h”, a 15. ad 2em : d idco ponuntur quatuor conditiones, quibus concurrentibus semper aliquis impetrat quod petit : ut scilicet « pro se > petat, · necessaria ad salutem », ■ pic » ct « perseveranter ». Kemarquons-le tout de suite : si ces quatre condi­ tions sont nécessaires pour que la prière obtienne infailliblement ce qu'elle demande, il ne s’ensuit pas quo toute prière Λ laquelle il manquera l’une deces conditions sera infailliblement Inefficace : sed quia his positis semper oratio efficaciam habet impetrandi. In / Sent., loc. cit., ad lUTn. Remarquons aussi que la prière peut être exaucée sans que nous recevions immédiatement cc que nous avons demandé; nous le recevrons quand le moment opportun sera venu:indu­ bitanter accipit quad petit, sed quando debet accipere : « i) est des demandes, dit saint Augustin, que Dieu ne refuse pas, mais qu’il diffère d’exaucer pour le faire au moment favorable. · IIMI* loc. cit. Le pie de la première condition renferme, dit saint Thomas, In 7Vl|n* SmL, ad 6um, toutes les conditions qui sont requises ex parte orantis inquantum est orans. 238 c'est-à-dire toutes les qualités qui sont essentielles à la prière : la foi et la confiance, l’humilité, la ferveur de la dévotion. C’est cc que répond saint Thomas ù qui ferait remarquer qu’il y a plus de quatre conditions néces­ saires à l’eilicacilé de la prière- Tout à l’heure, cc mot pic ne désignait que modus latriæ, qutc alto nomme pietas dicitur, secundum quam oratio modi flear i debet : on voit que la compréhension de cc terme est assez impre­ cise. D’après le Cent, gent., loc cit, il faudrait y faire rentrer tout cc par quoi la créature raisonnable Deo appropinquat : à savoir contemplationem, d devotam affectionem, d humilem ac firmam intentionem: et encore l’amour de Dieu, qui fait qu’on accomplit sa loi. parce qu’il est écrit : qui declinat aurem suam ne audiat legem, oratio ejus erit exsecrabilis, Prov., xxvni. 9; et cet amour de Dieu, celte Dei amicitia, parait bien impliquer la grâce sanctifiante. Que penser alors de In prière du pécheur? Cf In I V°m Sent., toc. cit., ad lun'; 1IMP, q. lxxxïh, a. 16; q. ci.xxvin, a. 2, ad lam. Pour répondre ή In question, • il faut distinguer dans le pécheur deux choses : In nature que Dieu aime, cl le péché qu’il déteste- Si dans sa prière c’est le pécheur comme tel qui demande, c'est-à-dire en suivant scs désirs coupables. Dieu fait miséricorde en ne l’écoutant pas.. Mais quand le pécheur prie sous l’inspiration d’un bon désir de la nature. Dieu l’exauce; non par justice, car le pécheur ne le mérite pas. mais par pure misericorde; pourvu toutefois que soient sauves les quatre conditions énu­ mérées plus haut, ut scilicet pro se petat, necessaria ad salutem, pie d perseveranter. » I Ι’-Π», a. 16, Les condi­ tions de l’efficacité de la prière sont donc les mêmes pour le pécheur que pour le juste; donc, l’état de grâce n'est pas requis pour que la prière soit infailliblement exaucée. Si l’on objecte que le pécheur ne peut pas rem­ plir la première condition, prier pie, puisqu’il ne pos­ side pas la vertu de piété, saint Thomas répond» dans les Sentences, loc. cit., que quandoque aliquis pie petit, qui pietatis virtutem non habet, sicut aliquis aliquando justa facit qui pistitiir habitum non habet, sous l’in­ fluence sans doute de la grâce actuelle, qui suffit amplement pour expliquer le caractère surnaturel de la prière, au dire de Suarez. I. L c. vni. n. 9. 2.L'enseignement de Suarez. 1. Le. χχπι-χχνπ.— H rejette l’une des conditions exigées par saint Thomas, â savoir que l’on n’est infailliblement exaucé que lorsque l’on prie pour soi. c. xxvn;on est aussi toujours exaucé quand on prie pour autrui, à condition que celui pour qui l’on prie soit idoine â recevoir ce que l’on demande pour lui, condition d’ailleurs qui s’applique aussi â la prière que l’on fait pour soi : oratio pro seipso habet subintcllcclam illam conditionem, nisi ipse restiterit seu posuerit impedimentum n. 3. \ ermeersch. op. at., p. 13 et 21. adopte celle manière de voir: infallibilis efficacia habetur sive pro te ores sive pro alio idoneo; et déclare cette thèse probable » : perlectam universalitatem efficaciiv defendimus ut probabilem. Suarez, c. xxm, maintient la condition qui a trait à la persévérance : la prière n’est infailliblement efficace que si l’on ne se hisse pas de prier jusqu’à ce que l’on ail obtenu cc que l’on demande, selon les deux paraboles rapportées par saint Luc. xi. 5-8; xvm, 1-5. Mais il estime qu’il est difllcllc d’expliquer quanta d qualis debeat esse luvc perseverantia circa ejusdem rei petitio­ nem, n. 2 : si Dieu diffère indéfiniment de nous accor­ der ce que nous demandons, devrons nous continuer indéfiniment de le lui demander, sous peine de pécher par manque de confiance en Dieu? Et puis que devient, dans cc cas. la promesse de Dieu ? Ne nous paraîtra-l-clle pas illusoire ? Pour répondre à ces ques­ tions. Suarez, n. 3. distingue entre la prière qui a pour objet des biens temporels cl celle qui convoite des biens spirituels: pour la première, si Dieu diffère long- 239 PRIÈRE. EFFICACITÉ 240 temps de l’exaucer, nous pouvons penser qu’il n'entre s’agit pas évidemment d’un pécheur qui n’aurait pas dans scs desseins de nous accorder ces biens tempo­ aucun repentir de ses péchés el qui néanmoins sollici­ rels et, par conséquent, nous pouvons cesser de les terait de Dieu quelque bienfait temporel ou même spi­ demander sans manquer pour cela de confiance en rituel (on peut se demander quel bienfait spirituel il Dieu; pour l’autre prière, au contraire, non est facile pourrait bien solliciter dans cet étal!), n. 7, mais de desistendum, il ne faut pas trop facilement cesser de la celui qui. se repentant de ses péchés, n’a pas cette con­ recommencer, d’abord parce qu’en tout état de cause trition parfaite qui rend ipso facto l’état de grâce. N. G. une telle prière est toujours utile, et aussi parce que Sans doute, il est un certain nombre de textes scriptu­ souvent cette prière impetrat et ha bel efjedum, quamois raires qui paraissent contraires à celte thèse : I Joa., nos lateat, possède une valeur impétratoirc qui nous m, 21-22; Ps.. i.xv, 18; Prov., xxvin, 9; Joa., ix, 31; échappe : par exemple, si nous demandons d’être déli­ Act., vin, 22; Dan., iv, 21 ; cf. Suarez, η. 1 et 6; maison vrés de quelque tentation et que, néanmoins, la tenta­ peut en donner une explication qui les accorde avec tion persiste, il faut cependant persévérer dans cette elle. N. I. Vcrmeersch, op. cit., p. 13, adopte implicite­ demande parce que. peut-être cette prière nous pré­ ment l’opinion de saint Thomas et de Suarez sur la serve de tentations plus dangereuses, et à tout le moins non-nécessité de l’état de grâce pour l’infaillible effica­ elle nous empêche de succomber à ladite tentation. | cité de la prière quand il déclare que impetrationi Saint Thomas exigeait, pour que la prière fût infail­ obstat voluntaria pertinacia in statu peccati, sine aliquo liblement eilicacc. quelle eût pour objet des choses de misero statu dolore, cum status iste consideratur. Belnécessaires au salut, necessaria ad salutem. Cette condi­ lamiin, De oratione, c. ix, est d’avis, au contraire, que tion concernant l’objet de la prière. Suarez, c xxm, la l’état de grâce est indispensable pour que la prière dédouble : pour lui, cet objet doit être d’abord une obtienne immanquablement ce qu’elle sollicite. Selon chose bonne et honnête en elle-même el non pas seule­ lui, ce n’est pas quatre, mais huit conditions qui sont ment une chose de soi indifférente, n. 1-6, comme de exigées pour l’infaillible efficacité de la prière : la foi, gagner le gros lot à la loterie simplement pour devenir l’espérance, la charité (c'est-à-dire l’état de grâce), riche; puis il faut que la chose demandée ne doive pas l’humilité, la dévotion, la persévérance, il faut que l’on devenir un obstacle au progrès de l’âme, ut res quæ pos­ demande prose et enfin que l’on demande des choses tulatur non sit impeditura majus animœ bonum, η. 7, nécessaires ou du moins utiles au salut. Les cinq pre­ mai·» au contraire qu’elle doive servir à notre sanctifi­ mières conditions ne sont d’ailleurs que le démembre­ cation, que Dieu prévoie qu’elle servira de fait à notre ment de ce que saint Thomas rangeait sous la condi­ sanctification. tion pie. Le Catéchisme romain, c. m. n. 5 et 7, distingue Kcstc la condition pie : Suarez propose d’entendre deux catégories de pécheurs : ceux qui regrettent par là que, pour être infailliblement eilicacc, la prière leurs péchés et dont les prières sont exaucées, et ceux doit cire faite sous l’infiucncc des vertus théologales, qui ne les regrettent pas cl dont la prière n’est pas au moins de la foi et de l’espérance, c. χχιν, η. 1 : entendue. Mais Bellarmin fait aussi celle distinction : dicitur pie fieri quod ex influxu fidei seu virtutum theolo­ les prières de ceux qiil demeurent volontairement dans gicarum fit; sic enim more theologico quosdam actus le péché ordinarie non exaudiuntur, dit-il; tandis que celles des pécheurs qui commencent à faire pénitence vocamus pietatis. Et d’abord, pour être eilicacc, la prière doit procedere ex fide, n. 2; c’est une condition sœpe impétrant, non ex justitia sed ex misericordia Dei, clairement exprimée dans l’Écriture : omnia quircum- et non omnino in fulti biliter ; à part cette restriction, il que petieritis in oratione credentes, accipietis, Maith., n’y a pas grande différence entre lui cl Suarez sur ce XXI, 22. Mais de quelle foi s’agit-il ? S’agil-il de croire, point. et sans l’ombre d’un doute, que l’on obtiendra certai­ Z F. VALEOR MORALWATRH E PE LA rtUfiRE.— La nement ce que l’on demande, selon celte parole de quatrième valeur reconnue par saint Thomas à la prière l’Evangile : quæcumque orantes petilis, credite quia est assez difficile à désigner par un seul mot : on peut accipietis, el evenient vobis. Marc., xi, 21 ? Mais com­ risquer celui de valeur moralisatrice. * Le troisième effet de la prière, dit saint Thomas, ment pourrions-nous croire d’une manière absolue que Il ‘-I læ, q. lxxxiii, a. 13, est celui qu’elle opère par sa nous recevrons certainement ce que nous demandons, quand la promesse que Dieu nous a faite d’exaucer nos présence même, à savoir une certaine réfection spiri­ tuelle de l’âme. Pour que cet effet soit produit, il faut prières est conditionnelle el que nous ne savons pas et nécessairement prier avec attention. D’où la parole de ne pouvons pas savoir si toutes les conditions exigées pour un Infaillible exaucement sont effectivement rem­ saint Paul aux Corinthiens, I Cor., xiv. I l : < Si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelli­ plies? Non, notre foi à l’exaucement de notre prière ne gence demeure sans fruit. » En quoi consiste cette peut être que conditionnelle : nous croyons que nous « réfection spirituelle >, (pii dépend essentiellement de recevrons ce que nous demandons, si Dieu juge qu’il l’attention qu’on apporte à ce que l’on dit ? Il n’est convient de nous l’accorder. pas bien difficile de l’imaginer Nous dirions d’un mol : Sur la foi repose la confiance, si du moins elle s’en ce sont tou·» les effets psychologiques de la prière bien distingue : s’il faut croire que l’on obtiendra de I )icu ce dite. La prière nourrit notre intelligence en lui four­ qu’on lui demande, il faut aussi, pour que la prière soit infailliblement exaucée, l’espérer fermement; disposi­ nissant des connaissances religieuses et morales. La prière apporte un aliment à notre sensibilité : elle protion de la volonté, dit Suarez, n. 5. qui fait que notre requête n’est pas timide, mais hardie, selon la recom­ doit en nous diverses émotions, divers sentiments reli­ gieux ou moraux, admiration, respect, crainte, amour, mandation de l’épitre de saint Jacques, 1, 6-7 : Postulet tn fide nihil hæsitans ; qui enim lucsitat. non icstimel joie ou tristesse, désir de Dieu, vlan vers le bien, répul­ sion pour le mal, etc. La prière enfin stimule, fortifie quod accipiat aliquid a Domino. Mais, pas plus que notre volonté : nous pouvons en sortir plus décidés, notre fol, notre confiance dans le succès de notre prière plus alfermls, plus apaisés. Tous ces effets, dit saint ne peut être absolue. N’ 7. Quant à la charité, Suarez estime que ni la charité Thomas, la prière les produit par sa présence même, actuelle, ni la charité habituelle ou l’état de grâce ne præsentluliter, c’est-à-dire par la seule présence en sont indispensables pour que la prière soit infaillible­ notre esprit des idées, des sentiments exprimés dans les mots de la prière : tout comme la lecture d’un manment efficace. c. xxv; sur ce dernier point, il partage totalement l’avis de saint Thomas : D. Thomæ Senten­ vais livre peut nous pervertir, la lecture de belles for­ mules de prières agit sur nous, alimente notre piété et tia. qux affirmai peccatoris orationem audiri, adjunctis nous réconforte : refectio mentis. Dans son communnecessariis conditionibus, vera censetur N. 3. II ne I I Il I I I Il 2 'ι I P B I E KE. E F FIC A C1T E taire sur hi I Cor., c. xiv, led. 3 , saint Thomas nomme ce fruit . Qu’est-ce donc que l'oraison pratique ? On en trouve la formule dans le P. Achille Gagliardi, d’où elle csl passée dans un ouvrage du P. Walrigant. Des méthodes d'oraison dans notre vie apostolique selon ta doctrine des Exercices, ouvrage qui serait < le traité le plus complot <|ue nous ayons sur l’oraison pratique, la somme «le Vascéticisme », Bremond, Hist, lilt..., l. vin, ρ. 262. note. · Notre prière, écrit le P. Achille Gagliardi, ne se contente ni de. méditer sur les ver­ tus. ni «le les demander à Dieu C’est proprement de la prière elle-même que nous nous servons, comme de l’instrument le plus infaillible, pour exercer ces vertus, et par là même les acquérir », ut per ipsum orationis exercitium et usum, tanquam per potissimum instrumen­ tum, virtutes exerceat et acquirat; cl encore : virtutes orando acquirit per usum ipsarummet in oratione. Ibid., p 202-263. Cette idée d’un exercice des vertus dans a prière même, nous l’avons rencontrée dans le Caté­ chisme romain, c. n, n. 6 el 8 : Accedit eo etiam ilte fruc­ 2\2 tus, quod orando animi virtutes et exercemus et augemus, maxime vera fidem. Qui ne voit que la prière met cn œuvre, nous fait exercer certaines vertus et par le fait même les augmente cn nous ? Il faut passablement de patience, par exemple, pour réciter correctement, avec attention et dévotion, la messe et le bréviaire. Concluons; si la thèse «le Suarez et de Gagliardi peut paraître exagérée, clic n’en contient pas moins une grande part de vérité. Est-ce à dire, si, avec saint Thomas, nous reconnais­ sons à la prière une valeur éthique, refectio mentis, qu’il faille mettre cette valeur au premier plan et professer, comme on le reproche à M. Francis Vincent, cf. Bre­ mond, Hist, litt..., t. vu, p. 26-36, que le but prin­ cipal de la prière est de nous sanctifier, de nous per­ fectionner. et non pas de louer Dieu ? · La louange n’est agréable à Dieu, écrit M. Vincent, cité par Bre­ mond. p. 33. que dans la mesure où elle nous accroît moralement. I.)’elle-même, elle n’est rien, si nous ne la ramenons à sa fonction Instrumentale, si nous ne la faisons moyen de perfection et stimulant d’amour. » Et, selon M. Vincent, saint François de Sales n’aurait envisagé la liturgie même, la prière publique, que comme « un merveilleux agent de culture individuelle »; « c'est toujours sous cet aspect utilitaire et pratique qu'il considère de préférence les solennités du culte. Sachant quelle est leur puissance d’émotion, il cn fait un de scs grands moyens pédagogiques . Ibid., p. 34-35. Mais quel est donc le but principal de la prière ? Nous ne pouvons plus répondre d’une manière géné­ rale, mais cn distinguant les diverses espèces de prières: il cn est dont le but principal, immédiat, est la louange divine; il cn est dont le but principal, immédiat, est notre sanctification, cn vue évidemment de la plus grande gloire de Dieu: il cn est même, et combien nombreuses, dont le but principal, immédiat, n’est ni la louange de Dieu ni notre sanctification, mais pure­ ment et simplement l’obtention d’un bien temporel II ne faudrait donc pas demander quel csl le but principal de la prière en général, mais quel est, par exemple, le but principal de la liturgie, des prières publiques de l’Eglise : visc-t-ellc davantage à la glorification de Dieu ou à notre sanctification ? Voici une réponse qui i étonnera peut-être sous la plume d’un Guardini. dans un chapitre consacré au Primat du Logos sur ΓEthos : par opposition aux dévotions populaires, < la liturgie se propose avant toute chose «le créer l’étal d’esprit chré­ tien. fondamentalement chrétien. Son ambition est d’amener l’homme à son vrai rapport, à son rapport essentiel avec Dieu, de manière que par les moyens de Vadoratlon, de l'hommage rendu à Dieu, de la foi et de l’amour, «te la pénitence et du sacrifice, il conquière la rectitude intérieure », L'esprit de la liturgie, p. 257-258 (c’est nous qui soulignons); · elle semble s’absorber entièrement dans la contemplation, l’adoration et la glorification de la vérité divine. De là son désintéresse­ ment de tout effort immédiat d’éducation, d’enseigne­ ment mural .. Ce n’est toutefois qu’en apparence que la liturgie parait se désintéresser de la vie morale de l’homme, de son effort, de son action. En vérité, elle sali fort bien «pie quiconque vit en elle possède la vérité, la santé surnaturelle, la paix intime el que celui qui quitte son royaume sacré pour affronter la vie saura y faire rayonner sa force. P. 276-277. Il est bien vain «l’opposer théocentrisme et anthropocentrisme : en travaillant à notre sanctification, nous glorifions Dieu, tout comme en glorifiant Dieu nous nous sancti­ fions. et proficiendo celebrare, et celebrando proficere. Dnns hi présente bibliographie, nous nous bornerons aux ouvrages que nous avons eus entre les mains. Toutes les fois que le lieu de publiait ion ne sera pas indiqué. c’est «pic fourrage aura été édité ù Paris. Les noms marques d’un 243 PRIÈRE — PRILESZKY (JEAN-BAPTISTE) Ait érisqtie sont ceux des nn leurs non catholiques. — A.d'Alés, art. Prière, d ins Dictionnaire apologétique de lu foi catholique, 1922; s dnt Alphonse de Liguori. Theologia moralia, I. VI.De praeceptis particularibus, c. u. De statu clericorum, dub. 11. Dr horh canonicis; AI. Aman, La prière, d Técnle du Christ, aux accents du psalmisle. Avignon (1932); saint Augustin. Lettre d Probti, P. L., t. xxxiii, col. 493-597. Ir.nl. française dans !m nie spirituelle, sept, h déc. 1930; Ballerinl-Piilrnicri. Opus theologicum morale, tr. IX. De pnrceplts particularibus, c. il, De statu clericorum, dub. n. Dr horis canonicis, 3· éd., Prati. 1900; Bcllinnin. Decima' quarta.· controversia' generalis. De reparatione gratia·, 3“ controversia principalis. De bonis ope· rlbus in particulari, 1. 1. De oratione, Vlvés. 1S73; Alph. Bol­ ley, Gebrtsstimmung und Gcbet, Dusseldorf, 1930; saint Bonaventure. De profectu religiosorum; G. Bantoux, La prière idéale d'après la Bible, Avignon, 1921; F. Bouchage, Pratique des vertus. t. lit, 1892; IL Bremond. Histoire litté­ raire du sentiment religieux en France, t. vu et vm. La méta­ physique des saints, 1928; t. x, La prière et les prières de l'ancien régime, 1932; t. xi, Le procès des mystiques, 1933; Introduction d la philosophie de la prière, 1928; Prière cl poésie, 1920; F.Cabrol. La prière des premiers chrétiens, 1929; F. Cavallera. Ascétisme et prière d propos d'une prétendue crise, dans l.i Revue d'ascétique et de mystique, t. ix. 1028, p. 51-99; J. Chnnsou. Élude de psychologie religieuse sur les sources cl l'ciTicacilê de la prière dans l'expérience chrétienne, 1927; M. Deutinger, hn Geist und in drr Wahrheil. Gedanken zu einer Philosophie des Ge bries. Mainz, 1921; Duguet. Trai è de la prière, principalement de la publique, où les motifs et les moyens qui peuvent contribuer d y conserver de l'attention ct de la fervar sont expliqués, éd. Sylvestre de Sacy, 1858; V. Ermoni. Jésus et la prière dans TÉvangile ; Saint Paul ct la prière, coll. Science cl religion, η. 40 I ct 459, 1908; Grnu, L'école de Jésus-Christ, t. n, 30*.40· Icç.. IJlIe. Descléc, de Brouwer et Cio. 1923; B. Gunrdinl, L'esprit de la liturgie, trad. B. d'Harcourt, 1929; J. de Gulbcrt. Documenta ecclesiastica Christiana· perfectionis studium spec­ tantia, Borno. 1931 ; le mémo. Oraison mentale ct prière pure, dans Revue d'ascétique et de mystique, t. xi. 1930, p. 225-238 et 337-354; Guignes Ier. Scala claustraliiim sive tractatus de modo arandi. P, L., t. clxxxiv, col. 475-484 ; Fr. I Idler·, La prière, trad. Kruger ct Mnrlv, 1931 ; Bod. Hoornacrt. Litur­ gie ou contemplation. dans Éludes carmélilaines. avril 1932. p. 177-215; Hugues de Saint-Victor, De modo orandi, P. L., t. ct.xxvi, col. 977-988; W. James·. L'expérience religieuse, trad. Abauzit. 1906; Jean de Saint-Thomas, Cursus thcnlogicusA.vn, tn IIato /læ,q. i.xxxm. VivM. 1886; Ant.Koch, Lehrbuch drr Moraltheolngie, 3· éd., Frlbourg-cn-Brisgnu, 1910; Umdrlot. Instructions pastorales pour te saint temps de carême. IS591SG4, d ins fEuvrrs. t. n et ni. 1861; .1. Lebreton. La prière dans ΓÉglise primitive. dans Recherches de science religieuse, t. xiv. 1924. p. 5-32 ct 97-133; G. Lefebvre, Liturqla, scs principes fondamentaux, abbaye de SaintAndré, 1922; A. l«cmonnyer, La prière chrétienne de demande, dans La vie spirituelle, mars 1925, p. 558-574; Jean Médina, Codex de oratione, contenu dans le De pa-nitenlta. resUtUtlnne cl contractibus, Ingolstadt, 1581 ; F. Ménêgoz·. Le problème de la prière, Strasbourg, 1925; Mcnncssier. La religion. trad.de la Somme thrologiqur de saint Thomas, t. 1, l/*-I/æ, q. tΛχχ-t.xxxvit, 1932:11. Monicr-Vinard. La prière du P. de Foncauld d'après scs écrits spirituel·, dans Revue d'asrêtiqur et de mystique, jnnv. 1930, p. 37-62: Monsabré. La prière, philosophie et théologie de la prière, 1906; Na­ varre (Martin Azpilcuctn), Enchiridion (ou Commentarius) de oratione. haris canonicis, atque aliis divinis officiis, au t. νι de* Opera omnia, Venise, 1618; Eul. Nebrcd i. De oratione secundum divum Augustinum, summosqiie doclores Ecclesia? Joannem Chruwtomum el Thornarn .Iquinatenscin. Bilbao. 1922-1923; Nicole. Traité de la prière, 2· éd.. 1702; du môme, hutruet iont théolnglques et morales sur l'oraison dominicale, la salutation angélique, la sainte messe et tes autres prières de l'Èglise, Ιλ Hnvc. 1719; saint Nil. Traité de la prière, trad, dans fyi nie spirituelle, juill.-noùt. 1925, p. 172-197; Origènc, HfO* ' P. G., t. xi, col. 413-562. trad. G. Bardy. dans Bibliothèque pa tristique de spiritualité : Ortgéne. De la prière. Echortation au martyre, 1932: L. Pnulot. L'esjirit de saqr««r, 1926; B. Picrrct. lai prière liturgique, dans La vie ipirituellr, nov. 1932. p. 141-159; J. Pinet, La montaiqnc de contrmptacion; Iji mendicité spirituelle, de Jehan Gerson, Etude de deux opuscules francah de Gerson sur la prière, Lyon. 1927; B. Plus. Comment bien prier. Comment · lottfoun prier ». Toulouse. 1932: Prière liturgique ct oie chré­ tienne, Scmilnc liturgique de Namur, 12-16 juin 1932, Gcm- 244 bloux et Louvain. 1932; M. Pugllsl·, La prcghicra, Turin, 1928; O. Schilling. Lehrbuch der Maralduolngic, t. n. Munich. 1928; J. Scgond. La prière. Étude de j^ychotogh religieuse, 2· éd.. 1925; Ed. Tluimlry. Les vertus théologales, leur culture par la prière cl la vie liturgiques, Avignon. 1933; sainte Thérèse, Le chemin de la perfection, dans (Euvres complètes, t. ilî, 1921; L. Tliornassin, Traité de l'office divin dans scs rapports avec l'oraison mentale, Llgugé, 1894 ; A. Vermeerach. Qtursliones de virtutibus religionis et pietatis ac vitiis contrariis ad usum hodiernum scholastice disputatu', Bruges, 1912; .1. Vernhes, Le vrai chemin du paradis ou la prière, 1931; J.-B Walz. Die Fûrbillc drr annen Seelen und ihre Anrufung durch dte Glaubigen dùf Erdcn, 2· éd., Bam­ berg. 1933· A. Fonck. PRIEUR (Philippo le), érudit français du xvn« siècle. Né à Saint-Waast. il fut professeur pen­ dant quelques années à l’universilé de Paris; vers 1GG0, il fut exilé de la capitale pour des raisons que l’on ignore cl ne rentra à Paris (jii'cn 1675; il y niourtil en 1686. Humaniste fort érudit. Il s’est occupé surtout d’éditions patristiques : en 1661, édition de Ter lui lien d’après celle de Bigault, avec, en appendice, les deux traités de Novation, De Trinitate ct Dr cibis Judaicis (voir Schoneniann. Bibliotheca historico-litleraria Patrum tali noram, t. i, p 48-49); en 1666, édition de saint Cyprien, d’après celle de Kigault. avec, en appen­ dice, VOctavius de Minucius Félix, VAdversas /.entes d’Arnobe. ct le De errore profanarum religionum de 1 irinicus Maternus (cf. ibid., p. 127); en 1679, édition d’Oplat de Milève. avec les douze livres de Facundus d’Hennianc, In defensionem trium capitulorum (cf. ibid., p. 352-353). Aucune de ces publications ne représente un travail original, mais Le Prieur a su y grouper, avec bon nombre des annotations des com­ mentateurs anciens, des réflexions personnelles qui ne manquent pas d'intérêt. Il avait étudié d’assez près l’antiquité chrétienne, comme il le dit dans la préface d'un autre ouvrage : De literis canonicis dissertatio, cum appendice de tractoriis ct synod icis, Paris. 1675, qui abonde en remarques extrêmement savantes. Plus jeune. Le Prieur avait publié, en 1656. sous le pseudonyme d'Eusèbc Romain (ce qui a parfois amené à l’attribuer à Mabillon). une réfutation de l’hypothèse préadamite d’Isaac de La i’cyrèrc : Ani­ madversiones in librum pnradamitarum, in quibus confutatur nuperus scriptor et primum omnium homi­ num fuisse Adamum defenditur, S. !.. qu’il corrobora par une Epistola ad clarissimum virum Isaacum Peyrerium, Paris, 1658. On a confondu parfois l’ouvrage de Le Prieur avec celui du P. Claude Dormay, Animad­ versiones in libros Prtradamitarum scu antiexercitatio super vers. 12, Li et 1-t, cap. r epist. S. Pauli ad Roma­ nos, Paris, 1659 (la confusion est encore faite dans le Catalogue général des imprimés de la Bibliothèque natio­ nale, comparer t. xi.i, col. 481, ct t. xcv, col. 446). Moréri. Le grand diclinnnuirr, éd. de 1753, t. vm, p. 568; Hocfcr. Nomvlh bl!· 1877-1911, et Patiuahches, t xi. uwL 2233-2285. D’autre part, en aucune façon, la primauté du pape ne se confond avec son principal civil, qui n’est que la garantie pratique d une indépen­ dance necessaire, ni non plus avec le pouvoir que le souverain pontife n pu nu peut encore exercer ou revendiquer en matière temporelle, comme une exten­ PRIMAUTÉ DU PAPE. PAPE 2 48 sion ou un corollaire de sa suprême juridiction reli­ gieuse et morale. Voir l’art. Pouvoir du pape dans l'ordre tempohkl, l. μι, col. 2670-2772. Au cours des vicissitudes humaines par où l’Eglisc a passé en s’insérant dans la vie complexe et changeante des peuples, le dogme de la primauté du pape est allé sc développant et sc précisant, aux prises tantôt avec dus autonomies ecclésiastiques et des jalousies locales, tan­ tôt avec des ambitions politiques et des compétitions juridiques, plus rarement avec des doctrines de pure spéculation, et toujours demeurant substantiellement identique au dessein primitif du Maître qui en a donné la formule. L La primauté de saint Pierre. IL La venue de saint Pierre à Borne et la primauté du siège romain (col. 262). Ill. La primauté romaine, de la mort de saint Pierre à l’avènement du pape Miltiade, rr-nr siècle (col. 266). IV. L’afïcrmissement : A. Lolsy, Évang, synopL, t. i, p. 259 sq. Et nous voici amenés au commentaire autorisé de ce nom, au texte capital. 3® La promesse formelle de la primauté. La cir­ constance est solennelle : c’est dans la région de Césaréc de Philippe, aux confins extrêmes du territoire des | douze tribus dans une contrée redevenue païenne, non loin de l'une des sources du Jourdain, consacrée par un temple au dieu Pan. Jésus, faisant halte entre deux mondes, veut fournir a ses fidèles l’occasion de confes­ ser leur foi librement, à l’écart des foules. 11 les inter­ roge : ' Qui dit-on qu’est le Fils de l’homme ? Ils dirent : les uns disent Jean-Baptiste; d’autres. Élie; d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes. Il leur dit : Mais vous, qui dites-vous que je suis ? Hépon- | danl. Simon-Pierre dit : Vous êtes le Christ (de Dieu). · Marc s’arrêle-là, et de même Luc, qui l’a suivi, à son habitude. Marc., vin,27-29; Luc.,ix. 18-20. La réponse complète, appelée par la question, est fournie par saint Matthieu * Vous êtes le Christ, le l·ils du Dieu vivant », ct c’est la une confession de Pierre, parlant au nom de tous, qui trouve une formelle approbation et une récompense immédiate dans la réplique du Sauveur : Bienheureux es-tu, Simon, fils de Joua, car ce n’est pas la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les deux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, ct sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des deux. Et ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les deux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les deux. » Mal th., xvi, 13-20. Que vaut ce texte et que prouve-t-il ? Il ne peut être question de reprendre ici toute la démonstration déjà faite à l’article Infaillibilité du pape, t. vu, col. 1639 sq. Il nous faut cependant, en nous plaçant au point de vue de la primauté, rappeler sommairement les conclusions acquises. L Authenticité du « Tu es Petrus ». — L’authenticité est admise par la plupart des critiques même indépen­ dants. a) Absence dans Marc et Luc, — Il manque cepen­ dant dans Marc et dans Luc. Mais dans saint Mat­ thieu. remarque justement le P. Lagrange, les vs. 17-19 sont le complément nécessaire de l’interrogation du Christ. Il est bien evident qu’il n’a pas interrogé pour s’informer, mais pour faire parler scs disciples, et cela même n’avait toute sa raison d’être, selon sa pratique habituelle, que s’il voulait leur donner une leçon, tirer la vraie conclusion de leur réponse. C’est Pierre qui répond, et c’est à lui que la réponse de Jésus est adres­ sée. Ce qu’il faut expliquer, ce n’est pas le plus de Matthieu* c’est plutôt le silence de Marc, suivi par Luc, car la simple recommandation du silence est un raccourci qui remplace, sans la suppléer, une adhésion explicite. > Évangile selon saint Matthieu. Paris, 1923, p. 321. Aussi ne peut-on admettre que le logion de Matth., xvt. 17-19, soit une anticipation commandée au premier évangéliste par la logique de son thème général plutôt que par l’ordre chronologique. De ce logion qui ne figure que dans Matth., xvi, 1719, il faut noter d’abord le caractère sémitique si forte­ ment accusé, jusque dans cette comparaison établie entre l'édifice bâti sur un rocher ct le groupe, la société, subsistant par son chef. Il y a plus : non seulement la confession christologlque a une couleur araméenne tout aussi indiscutable, surtout dans Matthieu, mais encore 1rs deux thèmes, confession christologique et promesse de prérogatives, s'enchaînent étroitement : à l’opinion humaine sur le Fils de l’homme, t. 13. répond, en contraste, ù l’encontre de la chair et du sang, la révé­ lation du Père céleste sur le ■ Fils du Dieu vivant % TU ES PETHUS 252 16-17. Bien mieux, c’est la profession de fol qui, mani­ festement, appelle, en retour, la promesse de la pri­ mauté. Bref, le texte du premier évangile, tel qu’il se comporte, est un tout organique dont il semble bien qu’ait été sauvegardé le contenu primitif. Il reste à expliquer pourquoi, dans Marc et dans Luc, le dialogue de Ccsaréa est interrompu, incomplet. lùisèbe avait déjà fait l’observation, parlant de Marc, que son habitude de passer sous silence tout ce qui pouvait être à la louange de Pierre explique son omission de la promesse concernant la primauté. Dcmonslr, evang., I. III, 5, P. (L. t. xxn, col. 216-217. Peut-être aussi la promesse de la primauté n’allait-elle point à son but; alors que la communauté chrétienne régie par Pierre se trouvait constituée en face du judaïsme, il n’éprouvait nul besoin de rendre raison de cette situation acquise. Quant à Luc, il n’était pas davantage sollicité par un tel souci, etsurtoul.il dépend en premier lieu de Marc. D’autre part, il veut écrire I’hiStoirc personnelle du .Sauveur, se réservant de faire dans un second livre le récit de l'établissement et de l’expansion de I* Église. En face des judéo-chré­ tiens ou des convertis du paganisme, son dessein ne va, ni dans l’Évangile ni dans les Actes, à légitimer la constitution interne de l’Églisc, mais à démontrer qu’en elle seule désormais se trouve pour tous le salut étemel. On pourrait peut-être ajouter que Marc et Luc, écrivant surtout pour des lecteurs de culture grecque, ont omis délibérément un passage dont la couleur était trop araméenne. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la contexture intime du logion entier de Matthieu ni l’absence en Marc ct en Luc des versets rapportant la promesse faite à Pierre quia fait suspecter ce passage propre au premier synop­ tique; c’est son contenu, dont le sens obvie heurte nombre d’hypothèses reçues. Pour échapper à des con­ séquences gênantes, on préfère voir dans le texte incri­ miné une interpolation. Et c’est alors le plus flagrant désaccord entre les auteurs, lorsqu’il leur faut indiquer une époque cl une provenance. Nombreux furent les critiques qui, tenant compte des doctrines ecclésiolo­ giques d’Irénée, datèrent le Tu es Petrus de la seconde moitié du ir siècle, un peu avant 181-189, y croyant découvrir l’influence judaïsantc des Pseudo-Clémen­ tines ct l’influence du De aleatoribus; J. Grill, entre autres, a soutenu l’origine romanisantc. Mais, comme le caractère araméen du passage entier, dans son allure générale tout autant que dans les détails, rend invrai­ semblable un remaniement romain. Il a fallu conclure que l’interpolation s est opérée dans un milieu judéochrétien, ce ien ccs v’er. sets prétendent tout simplement confirmer l’autorité de PRIMAUTÉ LE Pierre, sans viser Paul; mais alors c’est que déjà la pri­ mauté de Pierre était admise dans la tradition la plus ancienne. Cf. Huit manu, Die Geschtchte der sijnoplischen Tradition, Gœttinguc, 1921, p. 81 et 156-157. Pour Spit ta. le texte Incriminé est une idéalisation de la première rencontre de Jésus avec Pierre ou de sa vocation d’apôtre. Streitfragen der Gesehlchte Jesu, Gœttinguc, 1907, p. 122-123. Selon J. Weiss, on y peut déceler, soit une tentative pour contrebalancer le scandale du reniement, soit un écho de la tradition qui gratifie Pierre de la première apparition du Sauveur ressuscité. Die Srhriftrn des A*. 7., t. !. fasc. 1. On con­ çoit que Klostcrmann, dans son commentaire, ne sache quel parti prendre cl que le P. Lagrange traite ses explications de conjectures en l’air ». Évangile selon saint Matthieu, p. 320. En définitive, elles n’onl qu’un seul et même but : échapper à la conclusion qui s’im­ pose en faveur de la primauté. Au besoin, on éliminera du texte, comme interpolé, tout ce qui concerne l’Égli­ sc, et l’on donnera du résidu une interprétation eschalologiquc. Ainsi procède Harnack, qui réduit la parole authentique de Jésus à ceci seulement : Et moi je te dis que lu es Céphas, et les portes de ΓΙlades (la mort) ne prévaudront point sur toi (avant l’établissement du royaume cschatologique). * Mais cette hypothèse repose sur de bien chétives apparences et sur des assertions gratuites, sans résoudre les problèmes que posent la date et la provenance du remaniement supposé. A.1 larnack, Der Spruch liber Petrus als den Tels der Kirche, dans les Sitzungsberichte de l’Académie des sciences de Berlin, 1918, p. 637-651. C’est ce qu’a fort bien vu M. Kallenbusch dans son essai intitulé Der Quellorl der Kirrhcnidce, Eestgabc dédié à Harnack. 1921, p. 113Il est d'ailleurs une autre remarque, laquelle vaut (outre tous les tenants de l’interpolation. Si le Tu es Petrus fut peu ù peu introduit dans les manuscrits, entre la fin du ir et la Un du iv· siècle, pourquoi celle retouche dans .Matthieu seulement et non pas dans les trois synoptiques, réunis dès cette époque dans un recueil unique, l’Evangile létramorphe ? Les préoccu­ pations que l'on suppose qui seraient à l’origine de celte interpolation ne devaient-elles pas agir tout de même pour Marc cl pour Luc, avec une égale facilité, dans un contexte parallèle ? De toute évidence, on peut penser qu’une fraude eût été plus habile d’être plus complète et que, si la promesse de la primauté existe dans le premier évangile exclusivement, c’est qu’elle a toujours figuré dans le texte original de Mat­ thieu. tel qu’on le lisait et qu’on le transcrivait. b) l.a tradition du texte. Et, de fait, tous les manuscrits et toutes les versions rapportent intégrale­ ment le logion tant discuté, avec tous les caractères cl toutes les garanties désirables d’authenticité; ni le Si nui tiens ni le Vaticanus ne font exception. Ainsi, au iv siècle, quoi qu’en ait dit Bcsch, le texte du Tu es Petrus était certain. Quand saint Épiphanc < * 103) déclare, à deux reprises, que le roc sur lequel le Christ édifia son Église n’est autre (pic Pierre en per­ sonne. il en appelle manifestement â ce logion. Hirers., lix, 7. P. G., t. XLi, col. 1029. Si trois autres passages du même Épiphanc, si. en outre, huit passages d’Eusèbe ont pu être relevés, dans lesquels on ne saisit que des allusions, avec variantes notables, au Tu es Petrus, il n’est pas d une sage critique d’en conclure qu’Un cer­ tain nombre des manuscrits lus par Épiphanc et lùisèbe ne contenaient pas encore le texte discuté. Un auteur n’est jamais tenu à des citations intégrales ct il peut toujours se contenter d’allusions à un texte dans lequel il choisit les seuls mots qui servent â son dessein; il n’y a rien là qui contredise même les procédés moder­ nes de composition, bien moins encore ceux des écri­ vains de l’antiquité, soit profane, soit chrétienne, cou­ TU ES PETRUS tumiers d’une très large approximation ct d'une liberté grande en cette matière. Du reste, c'est littéralement qu’Eusèbe cite le lu ei Petrus dans la Démonstration évangélique ; il ne donne un commentaire détaillé, qui suit le texte, mot pour mol, reproduit tel qu'il sc présente à nous actuel­ lement. I.. III. 5. P. G., l. xxii, col. 216-217. On peut donc bien affirmer qu’au temps d'Eusèbe, le logion était reçu, dans sa teneur exacte ct complète. Au tir siècle, on peut en invoquer plus de vingt cita lions. Mais que nous offre le ir siècle ? Le Diatessaron de Talion est perdu, qui fournirait pour cette époque un témoignage de première valeur. Cependant, toutes les fois que les auteurs syriaques ancicnscitent les évan­ giles, ils empruntent. les critiques s'accordent à le pen­ ser. leurs citat ions a cette concordance publiée vers 170. C’est vr.it en particulier de saint Éphrem. Ilnesccon tente pas de faire au logion qui nous intéresse ici des allusions plus ou moins directes; il connaît les versets qui contiennent la promesse de la primauté, ct il les connaît dans leur Intégralité. Ainsi, dans son Commen­ taire sur Isaïe, lxii, 2. on lit : « Et toi, Sion, tu rece­ vras un nom nouveau, celui d'Église sainte, que le Seigneur lui-même t’imposera, disant : Sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, ct les verrous de l’enfer ne pré­ vaudront point contre elle.» Cf. Lamy, S.Ephnrmi Syn hymni et sermones. I. n, 1890, p. 186. Ailleurs, Hymn, de Sim. Petr., 12, ibid., t. iv, p. 688 : < Bienheureux es-tu, Simon, s’écrie-t-il, parce que sur toi a été bâtie l’Eglisc... à laquelle le Fils de Dieu a promis que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle! · Sans doute, Justin (f 160) ne fait qu’une allusion, mais suggestive, à notre texte : * A l’un de scs disciples, écrit-il, qui l’avait, sur une révélation de son Père, reconnu comme Fils de Dieu, comme Christ, ct qui s’appelait d’abord Simon, il donna le surnom de Pierre. » Dial., 100, P. G., t. vr, col. 709. Quant à Irénéc (t après 190). on a voulu tirer un argument contre l’authenticité des versets en question de ce fait que. traitant à plusieurs reprises de l’autorité de l’Églisc roinaine.il ne les utilise pas. Comme s’il était démontré par ce silence qu’il ne les a pas connus. Silence relatif, du reste, puisque, s’en prenant à ceux qui sont alienati a veritate..., il conclut sur ccs mots : non enim sunt fun­ dati super unam petram, sed super arenam habentem in seipso lapides multos. Coni, lurr., III. xxiv, 2, P. G„ t. vu. coi. 967, où l’on peut voir, en même temps qu’une réminiscence de Matth., vu. 24-27, une allu­ sion à notre texte. En dernière analyse, tous ces efforts contre l’authen­ ticité du Tu es Petrus n’onl été fournis qu’en désespoir de cause, alors que devant la thèse de la primauté demeuraient vaincs ct impuissantes les tentatives antérieures menées contre le sens du texte fameux. 2. Historicité du * Tu es Petrus ·. — Pour les criti­ ques non catholiques, le sens et, par contre-coup, l’his­ toricité du Tu es Petrus sont commandes par l’idée qu’ils sc font de l’Eglisc, du salut et du royaume de Dieu dans la pensée de Jésus-Christ. A l’heu e pré­ sente c’est surtout la conception cschatologique du ► royaume* que l’on fait valoir. Mais l’article Église. a montre (pic rien de sérieux ne peut être oppose à l'historicité d’un texte pour cette seule raison qu’il concerne la constitution d’une Église hiérarchisée. Dès le xiv* siècle, les adversaires de la primauté se sont efforcés de trouver des interprétations qui sont fonction de leur attitude doctrinale opposée â la pri­ mauté romaine. L’apôtre Pierre, disent-ils, ne pouvait être le « fon­ dement de l’Églisc puisque ce « fondement ·, celte « pierre d’angle », c’est Jésus lui-même; ou bien lecéphas, le roc.ce ne pouvait être que la foi de Pierre en la divi­ nité du Sauveur, ou peut-être Xecollége apostolique repré· PH1MAUTÉ. LE scnté par Pierre. Ce ne pouvait être a la personne de Pierre que furent promises les «clefs du royaume ». niais, par i icrrc, à V Église universelle. Jusqu’au jour où l’on s’est avisé de contester l'authenticité du logion, on a maintenu (et certains, comme Allen, Strack und Billerheck. Box. maintenaient récemment encore, et vaille que vaille) ces fantaisies surannées et inconsistantes. Du jour où l’on a cru pouvoir rejeter l'authenticité du texte, celui-ci a retrouve son sens naturel et obvie; et quant aux arguments apportés contre l’exégèse catho­ lique. on les a dès lors dirigés contre l’authenticité, la position demeurant identique à l’encontre de la pri­ mauté. Il n’est vraiment pas nécessaire, dit M. Loisy, de prous er que les paroles de Jésus s’adressent à Simon, fils de Jona, qui doit être et qui a été la pierre fonda­ mentale de l’Eglise, cl qu'elles ne concernent pas exclusivement la foi de Simon, ou bien tous ceux qui pourraient avoir la même foi que lui; bien moins encore, la pierre peut-elle être ici le Christ lui-même. De telles interprétations ont pu être proposées par les anciens commentateurs en vue de l’application morale, et relevées par l’exégèse protestante dans un intérêt polémique; mais si Ton veut en faire le sens historique de l’Evangile, cc ne sont plus que des distinctions sub­ tiles et qui font violence au texte. » A. Loisy. Évang. synopl., t. n. p. 7-8. Remarquons en premier lieu, que le Tu es Petrus, autant · parson contenu que par son caractère sémiti­ que. est en parfaite harmonie avec le contexte immé­ diat et avec l’Evangile tout entier. E. von Dobschùlz ne fait pas difllculté de reconnaître qu’il représente une tradition authentique. Die Kirche im Urchristcnlum, dans Zcitschr. /tir dic A’. T. Wisscnscha/t, 1929, p. 11 I. Jésus a pu dire mon Eglise », c’est-à-dire mon groupe, ma communauté, kniscbta, comme il a pu dire · le • royaume du Fils de l’homme », Matth., xm. 11, et comme il dit έμέ dans Marc., vm. 27; Luc., ix, 18; car il veut donner aux disciples une leçon sur sa per­ sonne et son œuvre. » J.-B. Colon, La conception du salut d’après les évangiles synoptiques, dans Rev. des sciences relig.. 1931, p. 391. Ne trouve-t-on pas le litre d' Eglise du Seigneur ». Eglise de Dieu donné dans l Ancien Testament à l’assemblée du peuple ou à de pieuses réunions ? Dent., xxiii, 1. 2, 3, 8; Jud.. xx. 2; 1 Par., χχνιιι. 8; Midi., n, 5; Neh., xm. 1. Bien plus, ne trouve-t-on pas dans les Lamentations, î. 10, Ion Eglise », ’Εκκλησίαν σου? a) Au surplus, le caractère araméen, le rythme évi­ demment sémitique de tout le passage, en dominent impérieusement l’exégèse. Le sens est clair, la suite incontestable. A la profession de foi de Simon, Jésus répond par une formelle et solennelle approbation, qui en fait valoir aussitôt l’importance. La bénédiction promesse et prophétie tout ensemble — parait bien être le décalque de la salutation sémitique. Les béné­ dictions grecques, au contraire, ne comportent qu'assez ran ment la formule μακάριος cl. Cf. G.-L. Dirichlet, De veterum macarismis, dans ReligionsgeschichtUchc Venuche und Vorarbeiten, t. xiv. fasc. I, 1911. Le ΣΙμων Βαριωυά n’est que la transcription de l'arninécn, que le IV· évangile finira par traduire, î, 12; xxi, 15 sq. L’expression chair et sang » n'a rien que d’un sémi­ tisme indiscutable, et quant au jeu de mots du ver­ set 18. on ne peut soutenir qu’il ail pu être conçu pri­ mitivement en une autre langue que l'araméen : Tu es (une) kepha et sur cette kepha »; si l’origine en était grecque, le changement de genre πέτρα-πέτρος aurait rte évite. Ce changement, au contraire, s’explique au mieux du fait que. lors de la rédaction grecque du 1r évangile, le nom propre Πέτρος était déjà consacré par I in tge. Dans les « portes de l’iladès . on ne peut non plus s’empêcher d’avouer un sémitisme connu, comme aussi l'opposition · terre el deux . TU ES PETRUS 256 b) Reprenant le nom de Kepha (Cephas) donné à Simon, fils de Jona, Jésus l'explique et le justifie, en assignant à celui qui le porte un rôle de première im­ portance dans son œuvre. Comme, dès à présent, la confession de Jésus. Fils du Dieu vivant, est le fonde­ ment de la foi chrétienne, ainsi Pierre, dans l’avenir, sera la pierre vivante, non pas la pierre d’angle . Is., χχνιιι, 16. expression et rôle réservés à JésusChrist, mais le fondement inébranlable sur lequel reposera l’edi lice que le Seigneur va édifier. l’Eglise. Cc fondement est un rocher : pas plus que la maison du sage. Matth., v;i, 2 I 25. la communauté messianique ne sera renversée. Tant qu’elle devra demeurer sur la terre, car c’est de l’avenir terrestre qu’il est ici ques­ tion, les portes de ΓΙ ladès, puissances redoutables de la cité inférieure (mort et enfer), ne prévaudrqnt point contre l’Eglise fondée sur Pierre, l ue lutte s’engagera donc, qui jettera toutes les forces de destruction, tous les éléments de dissolution contre cette Eglise; mais, grâce à la solidité de son assise, elle ne sera point détruite. c) Et c’est Pierre encore qui aura la garde des portes de la cité d’en-haul, le royaume des deux. Autre Image de couleur sémitique. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David, et s’il ouvre, nul ne fer­ mera, et s’il ferme, nul n’ouvrira ». a-t-il été dit du Messie. Is., xx», 22. Ainsi en sera-t-il du chef des apô­ tres, il aura sur l’Eglise pleine autorité. Liant ou déliant, il est assuré que ses ordonnances, défenses ou permissions seront efllcaces, ratifiées par Dieu même. Car lier el délier signi tient en langage rabbinique défendre el permettre et se disent des décisions formu­ lées par les docteurs dans l'interprétation de la Loi. Ainsi, l’école de lllllel déliait beaucoup de choses què celle de Schammaï liait. · A. Loisy, Évang. synopt., t. n, p. 12. Voilà bien la primauté. d) Sans doute, le Christ est la pierre angulaire Matth., xxî, 12-15; cf. Act., iv, It; I Petr., h. 7; Boni., ix, 33, objet de scandale pour les Juifs; ils l’ont rejetée, pour leur propre ruine. Sans doute encore, nous devons bâtir sur Jésus-Christ comme fondement et ne point nous appuyer sur des intérêts humains. I Cor., m. 11. 11 est vrai aussi, par ailleurs, (pic le Christ est pour nous un rocher spirituel, d’où jaillit l’eau vive qui garantit la vie éternelle. I Cor., x, I; cf. Joa.. iv. 1 I. Mais dans ces métaphores diverses l’analogie est seulement verbale avec celle qui nous occupe; ces textes ne peuvent être invoqués contre la primauté de Pierre. Et, de même, si certains Pères ont insisté sur la foi de l’apôtre, qui est un roc solide, ils la comprenaient concrète et inséparable de la personne; loin de songer à nier la promesse de primauté que Pierre avait reçue en retour, ils l’ont, au contraire, surabondamment aflirmce en maintes occasions. e) Sans doute, enfin, le l,f évangile, quelques pages plus loin, xvm, 18. contient un autre texte qui, dans une formule à peu près Identique, confère au collège apostolique tout entier la puissance efbcace et plénière de lier el délier ». N’oublions pas toutefois que cc second logion, de l’avis des critiques, concerne le col­ lège apostolique uniquement, et non pas l'ensemble des fidèles de l’Eglise universelle. Rappelons-nous de même que, pour ces critiques, cc texte du c. xvm n’est pas plus recevable que celui du c. xvi, m- pouvant non plus, selon eux. correspondre à la véritable el histori­ que pensée de Jésus. Quoi qu’il en soit, el sans nous attarder ici à des démonstrations ou à des réfutations qui ont été faites ailleurs, voir art. Apôtiu s, EvêquKS, Eglise, bornons-nous à déclarer, à rencontre des allirmations intéressées ou convaincues de quelques auteurs. Bévllle, Origines de l'épiscopat, p. 37-38; Guignebert. Manuel d'hist. anc. du christianisme p. 230· Modernisme, p. 90, que l’incoinpatibiliié qu’lîs J Tllf-.OL. CATH0L. 77; ES PETRUS 258 collège apostolique tout entier, sc trouve ici promise à Pierre, mais à un degré unique el suréminent du fait qu’elle se trouve unie au pouvoir des clefs et à la pré­ rogative de pierre fondamentale, de même le pouvoir des clefs réservé à Pierre ne consistera pas seulement à ouvrir les portes de l’Église, deux fois seulement, aux Juifs et aux gentils, el de mime encore le /ondement doit prendre toute sa valeur et toute son importance du fait que l’Église construite sur ce roc inébranlable résistera à toutes les causes de ruine, à toutes les puis­ sances de destruction. Le texte doit être interprété selon cette cohérence organique parfaite, qui ne per­ met aucune désarticulation arbitraire : les trois méta­ phores s’éclairent cl se renforcent l’une l’autre, clics ne peuvent ni ne doivent s’expliquer isolément. Il s’en­ suit que. sans nulle équivoque possible, la promesse faite à Pierre concerne bien une autorité effective» un principal spirituel suprême sur l’Église de Jésus. b) Cette primauté de gouvernement, la métaphore de la pierre fondamentale nous la présente comme nécessaire et comme perpétuelle. De mime qu’il y a nécessité pour un édifice d’être indéfectiblemcnt uni au roc sur lequel il acté construit, pour pouvoir dé hcr toutes 1rs forces de ruine et les dangers d'effondrement, de mime il y a nécessité pour la communauté des fidèles de demeurer organisée, hiérarchisée cl tout entière édifiée sur la suprême auto­ rité du chef que lui a donné le Christ, son fondateur: « Tu es Pierre, et sur celte pierre je bâtirai mon Église », l'intention est nettement exprimée, le con­ texte la complète et la corrobore singulièrement, nous l'avons vu. La construction messianique établie sur Pierre doit triompher des puissances de la mort et de l’enfer : quelle que soit I interprétation précise donnée à · por­ tes de ΓI ladès ·, manifestement la pérennité est ici pro­ mise à l’Église que gouvernera Pierre. De mime, par suite, que la perpétuité de la maison suppose d'abord la perpétuité du fondement, de mime la pérennité assurée à l’Église implique au préalable el nécessite la pérennité de la prérogative accordée au prince des apô­ tres. Il en résulte que · Simon-Pierre n’est pas que le fondement historique de l’Église ». qu’il en est· le fon­ dement actuel et permanent »; il dure cl vit à ncs yeux · dans une puissance qui lie el délie, qui détient les clefs du royaume, et qui est l’autorité de l’Église ellemême, non pas sans doute son autorité diffuse, le régime particulier des communautés, mais une auto­ rité générale et distincte, qui est aux autorités particu­ lières ce que Simon-Pierre a etc clé par rapn rapport aux disci­ ples et à Paul lui-même... » A. Loisy, Etang. synopl.. t. π, p. 10. La primauté de Pierre sera donc transmis­ sible par voie de succession continue et légitime. Telle est la conclusion qui logiquement découle d’une exégèse rationnelle du texte, conformément d’ailleurs à / Cor., et d’altércr la pureté de l’eau. Leur doctrine est pure i.xiii, 2.3, I, éd. I Icmincr-Lejay. Et plus haut : · S’il y comme un filet d'eau de source. » C’est que Rome a en a qui résistent aux paroles que Dieu leur adresse par reçu et sait garder fidèlement les préceptes apostoli notre intermédiaire, qu’ils sachent bien qu’ils sc four­ ques, Rom., iv, 3; elle n’a pas failli à sa mission : voient dans une faute et un danger graves. » Ibid., • Vous n’avez jamais trompé personne, vous avez î.ix, 1. donné à d’autres des enseignements; ch bien, coque je Manifestement, celui qui parle ainsi se sent en pos­ veux, c’est justement la mise en pratique devos leçons session d’un pouvoir considérable. L’apôtre Jean et de vos préceptes. » Ibid., ni, 1. A quels faits particu­ vivait encore, à Éphèse, et cependant on ne trouve, de liers fait donc allusion l'évêque d'Antioche ? Au décisif sa part, nulle trace d'une intervention que la facilité et fructueux < décret » de Clément? peut-être; car la des relations cl la dignité de son auteur auraient Prima Clementis est rapidement devenue célèbre en amplement expliquée. Mais c’est de Home que vint la Orient. Quoi qu’il en soit, nous avons là un contexte monition ou la réprimande, νουΟετο υντες, dit le texte, qui précise à souhait la portée de cette présidence de la vu, 1, et les faits ont prouvé que Borne avait le droit charité, de ccttc primauté romaine, telle que la voit pour elle. Les Corinthiens, semble-t-il, se soumirent. saint Ignace. Cf. P. Batiffol, L’Église naissante et le Soixante ans plus lard, Ilégésippc constatera que catholicisme, 8e éd., Paris, 1922. p. 1 C»7 sq. l'ordre est rétabli chez eux, et Denys de Corinthe, leur b) Du reste, dès cette époque, les chrétiens les plus évêque, vers 170, nous fait savoir que la lettre de Clé­ marquants font le voyage de Rome; ils y accourent des ment est encore lue et conservée dans leur Église pres­ extrémités de l'Oricnl, voire des contrées étrangères A que à l’égal des saintes Écritures (dans Eusèbe, Hist, l’empire. C’est l’apologiste Justin (t vers 166) qui de la eccl., 1. IV, c. xxin, n. 11); c’est au moins, suivant le Palestine grecque y vint au moins deux fois, y séjourna mot de Renan, · la première décrétale ». à la fin de sa vie cl y tint une école catéchétique. 2. Le II'siècle.— a) Au début du n* siècle (107-117), C’est Tatlcn (t vers 180), venu de l’Assyrie, disciple de Ignace d’Antioche adresse une épltrc aux Romains, Justin et après lui didascalc, mais finalement fourvoyé nous l’avons vu, pour les supplier de ne pas s’opposer à dans l’encratisme. C’est Rhodon, Asiate comme son son martyre. Les adresses de scs autres lettres aux maître Tatlcn et adversaire des hérétiques Apelles cl chrétientés d’Asie Mineure contiennent déjà une série Marcion. C’est Ilégésippc, juif palestinien converti, d’épithètes louangeuses; mais, pour l’Église de Borne, qui, par Corinthe, vint à Borne sous le pape Aniccl. le ton s’élève encore; l’emphase est à son comble. Plu­ soucieux de constater la continuité et l’uniformité de sieurs expressions sont remarquables plusieurs aussi la tradition catholique en face de l’hérésie aux cent susceptibles d'interprétations fort différentes. Nous visages. C’est Aberclus Marcellus, cet évêque de I liéran'en retiendrons que deux : ■ Ignace à l’Église... qui polis, en Phrygie, qui a admiré, lui aussi, l'unité de la préside dans le lieu de la région des Romains..., qui foi à travers le monde chrétien «c’est lui (le divin pas­ préside à la charité..., ήτις καί προκάΟηται έν τόπω teur), dit son épitaphe, qui m’envoya à Rome con­ χωρίου * Ρομαίων..., προκαΟημένη της άγάπης... Les cri­ templer la majesté souveraine, et voir uni* reine aux tiques sc sont acharnés sur ces quelques mots et en ont vêtements d’or et aux chaussures d’or. .le vis là un proposé les traductions les plus variées : * (l’Église) qui peuple qui porte un sceau brillant (bin du ir siècle.) sc distingue entre toutes au pays «les Romains..., qui se C’est Irénéc lui-même, cc prêtre originaire de la pro­ distingue par sa charité · ou bien : « protectrice de la vince «l’Asie, qui devait devenir évêque de Lyon. charité ». 11 faut admettre toutefois que χωρίου ne peut c) Mais les hérétiques sont tout aussi empressés, et désigner Vempire cl que ίν τόπω... indique le siège de d'abord pour recruter «les disciples, comme faisaient à l’autorité sans la limiter. En outre, προκάΟηχαι signifie l’cnvl philosophes et lettrés, mais aussi, semble-t-il. proprement · présider », et Ignace l’emploie à propos de pour faire approuver leur doctrine. Ainsi, vers 140. le l’évêque. Magn., vi, 1 ; en revanche, ce verbe ne veut gnostique alexandrin Valentin, qui est plusieurs fois Jamais dire · être remarquable » ni se distinguer ». excommunié. Ainsi le Syrien Cerdon, disciple de Valen­ Quant au mot άγάπη, «amour». · charité », il a souvent tin et précurseur de Marcion. Ainsi Marcion lui-même ce sens premier dans notre auteur et s’applique surtout I cc loup du Pont ». comme l’appelle Terlulllen qui 269 l’BIMAUTÉ. LES P B EM IE US SUCCESS EU BS DE PIEBBE 270 reçu dans h· bercail, en est expulsé, lui aussi, en 1-11, les sévérités amèneront finalement une soumission, par le pape Pic I,r. Ainsi la doctoresse égyptienne Mar­ n'est-il pas le chef de l’Eglise universelle, investi d’une primauté souveraine ? Eusèbe, Hist, eccl., L V, celline, une lumière de la secte carpocratlcnnc. Ainsi Eloriniis, ce disciple de Valentin, qui réussit à sc faire c. xxiv, /*. G., t. xx, col. 193-497. Pour le détail, voir l’art. Pâques, t. xi. col. 1950 sq. admettre, pour un temps, dans le collège presby tirai, à e) C’est ce que proclame saint Irénée. Témoin ou qui Irénée adresse de si vifs reproches et que dé masque le pape Victor. Tous ceux-là professent la gnose hété­ acteur, il a observé les faits et les a ccnfrontés avec le droit. Pourquoi les esprits inquiets ou ambitieux, pour­ rodoxe; vers la lin du siècle, voici les fauteurs de quoi les fidèles, amoureux de l’unité dans la tradition l'adoptianisme. nvec Théodotc le Corroyeur, de catholique, s’adressent-ils à Home ? * C’est avec cette Byzance, ou du modalbmc, avec Praxéas et Épigone, enfin du montanisme phrygien. Victor, après Vidor Église, nous dit l'évêque de Lyon, à cause de son auto­ Élcuthère et Soter, tous les papes de ccttc époque rité particulière, que doit être d’accord toute Église, c’est-à-dire tous les fidèles qui sont dans l’univers... défendront l’unité catholique contre ccs novateurs. Les montanisies s'efforcent longtemps à circonvenir cl c’est de fait en elle que les fidèles de tous les pay s ont l’Église romaine, alors que chez eux. en Phrygie, ils conservé la tradition apostolique : Ad hanc enim sont vivement combattus; en 177, les martyrs de (Ecclesicm) propter poltoran (poltnticrem) principali­ Lyon, du fond de leur prison, adressent en leur faveur, tati m necesse este mnem conven ire L· cclesiam I ce est eos qu i ou tout nu moins à leur sujet, une lettre · à Éleuthèrc, sunt undique fideles, in qua semper, ab his qui sunt undi­ alors évêque des Remains, afin de procurer la paix des que, conservata est ea quæ est ab apostolis traditio. Eglises ». Eusèbe, Hist. eccl., L V, c. ni, η. L Un Cont. hor., L III, c. nr, n. 2, P. G., t. vu, coi. 816 sq. moment, les prophètes du Paraclet croiront avoir Nous ne nous attarderons pas ici à discuter de nou­ gagné un éveque romain (Zéphyrin? Victor?), « branlé veau cc texte ni les innombrables interprétations qui par les prétendues approbations émanées de scs prédé­ en ont été données ? Voir art. Infâii.i.iihlité du cesseurs. Tertulllen, Ado. Prax,, 1, P. L., t. n, I pape, t. vu, col. 1655-1660, et Ιηέχέκ (Saint), t. vu. col. 2131-2138. Bornons-nous à dégager brièvement les col. 154-155 sq. Mais ce pape, au contraire, condamna la nouvelle prophétie. Un peu plus tard, au temps du conclusions qui intéressent la primauté. La particu­ lière autorité que l’cvêquc de Lyon reconnaît à l’Église pape Cal liste, viendra le Syrien Alcibiade, qui répand le livre d’Elksaï, lequel sc présente comme une révéla­ romaine et qu’il fait remonter, d’ailleurs, par une suc­ cession épiscopale ininterrompue, jusqu’à saint Pierre, tion datée de la Un du rr siècle. d) Pourquoi de toutes parts se tourne-t-on ainsi est bien une prééminence juridique, envisagée tant au vers Rome ? Sans doute, la capitale de l'empire exerce point de vue doctrinal que disciplinaire, une primauté déjà par elle-même une très réelle attirance. Mais c’est non seulement honorifique, mais effective, unique et souveraine, et il y a nécessité morale, logique, pour autre chose encore qui amène à Home de si nombreux chrétiens. Dès le milieu du n® siècle, à tout le moins, toutes les Églises, même apostoliques, de « s’accorder » l’Église de Home est en possession d’une règle de foi, avec elle. Telle est l’explicite affirmation d’Irénée, de regula fidei, d’une formule qui s'impose déjà aux moins en moins contestée par la critique sérieuse, autres Eglises et qui, en Orient comme en Occident, exempte de préjugés, qui ne néglige aucun contexte, constituera le fond des divers symboles baptismaux. écrit ou vécu. Elle possède aussi la plus ancienne liste connue des I) Un contexte, nous en trouvons un fort clair dans livres canoniques du Nouveau Testament, puisque le la correspondance échangée entre le pape Soter (ver» Fragment de Muralori (vers 200), dont Harnack a sou­ 170) et l’évêque Denys de Corinthe. L'épître de Soter ligné le caractère autoritaire et romain, a vraisembla­ est perdue; mais Eusèbe a connu celle de Deny s et il nous en cite quelques lignes. C’est un magnifique éloge blement arrêté le canon scripturaire après entente avec les chrétientés d'Asie. de l’Église romaine pour son universelle et inépuisable Cc que délient aussi l’Eglise romaine, c’est la loi de charité, rl aussi cette significative déclaration : la prière, 1er orandi. Et c’est pourquoi Polycarpe. Aujourd'hui, nous avons célébré le saint Jour du éveque de Smvrne, plus qu'octogénaire, se rend, vers dimanche, pendant lequel nous avons lu votre lettre; 151, auprès du pape Anicct, pour tâcher d’arranger nous continuerons à la lire toujours, comme un aver­ avec lui le conflit pascal, qui métaux prises l’Eglise tissement, νονΟετεΐσβαι, ainsi que la première, celle romaine et les Eglises de la province d’Asie. Borne ne que Clément nous a adressée. » Eusèbe. Hist, eccl., cède pas. Polvcarpc ne se laisse pas convaincre, et bien L IV. c. xxm» n. 9-12. Sotcr a donc renomelé le geste qu’il ait quitté Home en bons tenues avec Anicct, la de Clément, et l’accueil fait à scs avertissements et controverse ne lardera pas à s’aggraver; bientôt, elle avis est le même qui avait été fait à ceux de son prédé­ menaio de provoquer un schisme. Alors, le pape Victor cesseur, et voilà leurs écrits, à tous deux, conservés et (189-190), pour mettre lin à cette dissidence, soumet la lus par les Corinthiens. Il y a plus : Denys confond les question au jugement des autres Eglises, convoquées auteurs dans une vénération unique, la lettre de Soter par lui en conciles régionaux; tous ccs conciles, sauf est la deuxième épitre de l’évêque de Home, à l’Église celui Vient alors la condamnation des héré­ drie; il insistait surtout sur les anathèmes de saint tiques N’est orius. Eutychès. Dloscore ct aussi l’ana­ Cyrille cl, tout en condamnant Eulychès comme Ncsthème contre Acace ct tous les tenants de V Hénotique. torius, en réalité, il abrogeait implicitement le concile l’adhésion explicite à la lettre doctrinale de Léon à de Chalcédoine. Seuls, Nicée ct Constantinople (381) feraient foi. Bien entendu, il y eut des victimes, qui Flavlcn, enfin une formelle profession de foi à la su­ prême autorité du pontife romain : ...Nous voulons firent les frais de cet accommodement impérial. Le suivre en toutes choses la communion du Siège apos­ patriarche orthodoxe d'Alexandrie, Jean Talala, tut tolique, où réside l’entière et vraie solidité de la foi déj osé et bientôt il porta ses réclamations à Borne. chrétienne, où la religion s’est toujours conservée Simplicius mourut sur les entrefaites: Félix III (483492) se trouva bientôt sollicité, en même temps, par immaculée; nous promettons, en conséquence, de l’empereur Zenon et le patriarche Acace, de Constan­ retrancher des diptyques ceux qui sont séparés de la tinople. inspirateur de la politique hénollcienne. Le 1 communion de l’Église catholique, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas d’accord avec le Siège apostolique. » pape était infoi me, grâce à la vélocité ct au zèle des Mansi, op. a/., t. vm, col. 467: P. L., t. i.xiu, col. 460. moines acémètes. 11 avait envoyé â Constantinople Les légats atteignirent leur but à Constantinople, en deux légats, chargés d’enquêter sur toute l’affaire ct mars 519 : le patriarche Jean signa le libellus du pape, d’enjoindre â Acace de comparaître devant un concile sans faire la remarque que ce n’était pas une lettre romain pour s'y justifier. Malheureusement, Vital ct synodale. La sentence fut exécutée; les noms des fau­ Misene, les deux envoyés du pape, n’avaient pas su résister aux séductions byzantines et avalent commu­ teurs du schisme rayés des diptyques séance tenante. Justin ordonna aux autres évêques de l’empire de si­ nié ostensible nient avec le patriarche. Félix Ill réunit alors un concile â Rome, qui déposa les légats ct pro­ gner le formulaire et, le 22 avril 519, il notifiait au pape cette mesure, tandis que le patriarche et d’autres nonça l'excommunication d’Acacc. Dépistant la police notabilités de Constantinople écrivaient à Rome un du basileus. des acémètes curent l’audace de faire iapport sur les événements heureux qui venaient de connaître la sentence en attachant la lettre papale au pallium d’Acacc, durant une cérémonie. < Tu es privé s’y accomplir. de la prêtrise, prononçait Félix, retranché de la Quelle qu’ait été l’opposition que rencontra le for­ communion catholique; tu n’as plus droit aux fonc­ mulaire d’Hormisdas à Antioche el à Alexandrie, il tions sacerdotales. Telle est la condamnation que t’inmarque une date dans l’histoire de la primauté ro­ filgent le Jugement du Saint-Esprit el l'autorité apos­ maine et de scs rapports avec l’Église de Constanti· men. th tiiéou cathoe. T. — XIII — 10. 291 PRIMAUTÉ. S. GRÉGOIRE LE GRAND noplc : moins de soixante-dix ans après le 28* canon de Chalcédoinc, sur la base d’un document qui émanait du pape seul, le patriarche byzantin faisait entière | soumission au Siege apostolique. 2. Ik Jran I” à Pétage II. — La paix procurée par Hormisdas ne pouvait sc maintenir longtemps, mena­ cée qu’elle était sans cesse par les ambitions renais­ santes drs patriarches de la nouvelle Home ct par le resaro-papisme du basileus. a) Avec .Justinien, l’empire trouva un unificateur et un organisateur remarquable; mais l’Eglisc eut en ce prince un protecteur autoritaire, toujours prêt à se muer en persécuteur. Dans le conflit de juridiction qui mit aux prises l’Occidcnt et l’Orient, nu sujet de Γ Illyricum, Boniface II (530-532) vit, en 531, le patriarche Epiphanc de Constantinople frapper Etienne de Larisse, uni­ quement, déclarait ce dernier, «pour se poser en maître ct juge des Eglises de Thcssalic ». Etienne eut beau faire appel è Home et protester que c’est le pape qui i est maître directement dans < son Illyricum », ce fut peine perdue; il fut déposé, avec la connivence de .Justinien. Cf. I Icfclc-Lcclercq, op. cil., t. n b, p. 11171119. b) Bien plus heureux fut le pape Agapet Ier (535 536). Théodora avait réussi à faire élever le monophysite Anthime sur le siège de Constantinople. Amené à la cour par des affaires politiques, Agapet le démasqua et le lit déposer. Mais ce succès devait coûter cher A la papauté. Agapet mourait à Constantinople presque aussitôt, ct après le règne éphémère de saint Silvère (536-537), arrêté ct exilé par Bélisaire, Théodora obte­ nait enfin le pape de son choix. Vigile (538-555). Ce n’est pas ici le lieu d’apprécier le rôle doctrinal de ce ' pape. La controverse des Trois-Chapitres (5 15-553) lui donna l’occasion de réagir parfois avec courage et clairvoyance contre les abus de pouvoir du basileus qui le tenait â sa merci. Sa primauté n'était pas dis­ cutée, mais exploitée au profit de l’orthodoxie impé­ riale. Il fut invité à confirmer les canons ct anathèmes du V· concile œcuménique (Constantinople, 553) : ce fut son dernier acte de souveraine juridiction. La pression qu’il subit, en dépit de scs faiblesses, dénonce en lui le chef suprême de l’Eglisc. Il convient aussi de remarquer que le concile, lout en se séparant de lui personnellement, déclara vouloir rester en communion avec le Siège apostolique· Première manifestation pré­ cise de la fameuse distinction entre sedes et sedens. Son successeur, Pelage Ier (555-561), reconnut, lui aussi, le V· concile, dont l’œcuménlcilé ne fut d’ailleurs admise que peu à peu en Occident. c) Malgré tout, le droit du Siège apostolique n’était pas contesté en principe par les Grecs. .Jean le Scolas tique, qui deviendra en 565 patriarche de Constanti­ nople, donne place aux canons de Sardlque dans sa Conenrdia canonutn. En pratique, l’ambition person­ nelle des patriarches, les ingérences abusives des princes entretiennent une perpétuelle menace de rupture. En 588. Jean le Jeûneur n’hésite pas à s’attribuer le titre de patriarche œcuménique : il occupe le siège de la nouvelle Home, ville impériale, ct le basileus a la prétention, depuis les campagnes de Justinien, d’avoir reconquis toute Voikoumt né... Pelage II (579 590) pro­ testa comme II convenait, affirmant une fois de plus que · le Siège romain est, de par l’institution du Sei­ gneur, la tète de toutes les Eglises ». P. L., t. LXXti, col. 738. 3. La primauté romaine sous saint Grégoire le Grand. I) est digne de remarque que les évêques de Borne, quant a eux, n*ambltlonnalcnt de porter aucun litre particulier, soucieux seulement de ne sc point laisser dépouiller de leurs prérogatives essentielles. Les termes de f*fpa, apostolieus, vicarius Christi, summus pont i/ex, 292 summus sacerdos, ne leur étalent pas exclusivement réservés, ils étaient usités pour d’autres évêques. Le titre de sedes apostotica était donné A d'autres sièges. Il n'est pas jusqu’au titre de serous seroorum Del, que va adopter Grégoire le Grand, qui ne se trouve déjà dans saint Augustin ct ne soit employé par de nom­ breux évêques. Aussi bien n'est-cc nullement par des innovations verbales, non pas même par des Initiatives fortement accusées, que ce pape fail figure (hms l’his­ toire de la primauté romaine; c’est par la force même des traditions apostoliques qui en lui s’accumulent ct sc maintiennent. a) Grégoire le Grand (590-601) trouvait une situa­ tion en apparence paisible, niais de toutes parts minée ou semée d’embûches. En Orient, il sait bien que la soumission au siège de Rome est loin d’être sincère ct loyale dans tous les cœurs. Il n'ignore pas que le patriarche Ménas a déclaré en plein concile, à Cons­ tantinople, en 536 : « Rien de ce qui se fait dans la très sainte Eglise ne doit se faire sans l'avis et sans l'ordre de l’empereur, ct, comme vous savez, nous suivons le Siège apostolique cl lui obéissons, sa com­ munion est la nôtre, nous condamnons ceux qu’il condamne. » P. Batiffol, /.'empereur Justinien ct le Siège apostolique, dans Hecli. de sc. rct., 1926, p. 193264. Grégoire sait combien est difficile pour un Orien­ tal la conciliation de ces deux principes de conduite. Il le sait d'autant mieux qu'il a rempli lul-m'mc a la cour du basileus et auprès du patriarche ces fonctions d'apocrislairc, qui sont une reconnaissance formelle, de la part de la nouvelle Rome, des prérogatives de la Rome apostolique. Quand il traite avec les Illustres sièges d’Alexandrie cl d'Antioche, il lient ù en reconnaître cl il en relève les privilèges : saint Pierre a honoré (decoravit) le siège d'Alexandrie en lui donnant comme fondateur son disciple Marc, l’évangéliste; il a affermi (flrmaoil) le siège d’Antioche en y siégeant lui-même durant sept années; mais il a exalté (subtimauit ) le siège de Rome, qui a été le terme de sa course terrestre ct le lieu de sa mort. EplsL, I. VII, xi., P. L., t. lxxvh, col. 882. On n’a voulu voir ici qu'une politique habile, pour s’assurer contre l'ambition du patriarche A pré­ tentions œcuméniques de Constantinople; on a voulu aussi y découvrir l’aveu d’une égalité de drolls, en raison de leurs origines apostoliques, pour les trois grandes Eglises d’Alexandrie, d’Antioche et de Rome. C’est faire bon marché des ternies employés par Gré­ goire lui-même pour marquer la dignité de chacune. L’erreur serait grande de confondre le principatus que l'évêque de Rome a hérité de l’apôtre Pierre ct qui lui donne sur l’Eglisc universelle une primauté de sollicitude, de responsabilité, de pouvoir aussi ct d'as­ sistance divine, de confondre ce principatus avec les droits stricts de métropolitain qu'il exerce sur les évêchés suhurbirnires. Ia* principatus est un secours qui entre en jeu quand on fait appel au pape, et quand le pape juge son intervention opportune, nécessaire : le principatus n’a rien d’une centralisation organisée et Imposée. » P. Batiffol, Saint Grégoire le Grand, Paris, ÏÔ . p. 188 189. Grégoire, d’ailleurs, ne fait pas difficulté de sc con­ former à Vordo sedium établi par Justinien, en confir­ mation du 28· canon de Chalcédoinc, si résolument repoussé par saint Léon ct qui donne le premier rang, apres Rome, au siège de Constantinople. Il en allait tout autrement lorsque Grégoire croyait découvrir dans un litre une usurpation, un empiétement, sur­ tout une atteinte aux droits de la primauté romaine. C'est en recevant les actes d'un concile tenu à Constan­ tinople que Péhige II, en 588, avait «h couvert epic le patriarche Jean le Jeûneur y était dénommé - patri­ arche œcuménique ·. Pour cette raison, il avait cassé 293 PHIMAUTÉ. LE MONOTHÉLISME ccs actes, interprétant ce vocable qui remontait sans doute au schisme d'Acacc, comme l'expression des visées de l'évêque de la nouvelle Home sur une autorité ct une primauté universelles A la lettre. L'nfTalrc n’eut pas de suite avant la mort de Pliage, mais, après l’avènement de Grégoire, deux prêtres, condamnés synodalemcnt a Constantinople, firent ap­ pel Λ Home. Grégoire réclama les actes du concile qui les avait Jugés cl, devant le. peu d’empressement du patriarche, Il parla haut ct ferme : « Si Je vols que l'on n’observe pas les canons au (nom desquels réclame le) Siège apostolique, Dieu me dictera ce que Je dois faire contre ceux qui le méprisent. · Jaffé, Degesta, n. 1270 (août 593). Les gesta sont expédiés, on y constate que le litre de · patriarche œcuménique » y est attribue à Jean le .Jeûneur. Alors Grégoire proteste, nu nom des droits Imprescriptibles de son siège, contre ce patri­ arche « qui trouble toute l’Églisc» par ce · vocable scélérat ·. Jaffé, n. 1358, A l’apocrlsialrc Sablnlanus, l«r Juin 595. Dans une lettre a l'empereur, lettre fort digne mais sévère, le pape condamne expressé­ ment le titre dont sc pare l'évêque de Constantinople ct qui est une offense aux lois, aux conciles, aux pré­ ceptes du Christ. Saint Pierre, qui pourtant s'est vu confier la sollicitude cl le gouvernement de toute l’Eglisc, n'a Jamais prétendu être appelé apôtre uni­ versel, et le patriarche prétend être l’évêque universel, comme s'il était, en définitive, le seul A exercer l'épis­ copat. Il faut donc rejeter ce titre comme blasphéma­ toire, parce qu'il accapare pour un seul la dignité de tous. Jaffé, op. ci/., n. 1360, juin 595. Voir ibid., n. 1352, dans la lettre A l'impératrice Constantia, le même reproche A l'adresse du patriarche, de vouloir despectis omnibus... solus appellari episcopus. Grégoire n conscience de défendre, non pas son honneur personnel, mais la cause de tous les évêques, A Jean le Jeûneur lui-même, il signifie impérati­ vement d'avoir à renoncer au titre litigieux, surtout aux prétentions qu’il implique. Car Grégoire ne veut absolument pas admettre que la querelle soit sans objet, A propos d’une appellatio frivoli nominis. Pour lui, le débat est grave, cl II n’hésite pas A déclarer que quiconque prend le litre d’évêque universel, ou désire qu’on le lui donne, est un précurseur de l’AntéchristJaffé, op. cil., n. 1470, 1 176; cf. Batiffol, Saint Grégoire if Grand, p. 201 sq. Il savait la fortune ct l'importance des mots dans le monde byzantin; il savait aussi, pouvons-nous croire, A quoi s’en tenir sur les tendances du patriarcat. Parfaitement au courant des usages pro­ tocolaires. s'il réprouve un titre déjà reçu, c'est qu’il y discerne un danger auquel il a voulu, inutilement du reste, parer par un acte d'autorité. b) En Occident, Grégoire est aussi ferme pour main­ tenir intacts les droits du premier siège. Les évêques de Misène, d'Amalfl, de Naples, le métropolitain de la Dalmatic occidentale, dans 1'Illyricum, Natalis de Salone, le patriarche d'Aquiléc, et nombre d’autres évêques doivent s'incliner devant une autorité qui ne veut pas être Iracasslère, qui tient même A respecter les autonomies provinciales, mais qui ne cède rien des principes constitutifs de la hiérarchie. En Espagne, en Gaule, en Grande-Bretagne, Grégoire fait sentir son action. Qu’il reçoive des appels, qu'il s’efforce de faire cesser un schisme, qu'il entreprenne la conquête évangélique d'une région encore plongée dans le paga­ nisme, partout et toujours Grégoire so révèle conscient de ses droits et de ses devoirs d'évêque des évêques, en même temps que de serviteur des .serviteurs de Dieu. Placé entre le monde byzantin qui descend cl le monde barbare qui monte, il fait figure d’arbitre; entre deux époques, il se présente comme un admirable facteur 1 d’unité, de tradition ct de continuité; enfin, I) nous présente la papauté, au seuil du Moyen Age, en pleine I 294 possession d’une active ct bienfaisante primauté spiri­ tuelle. Voir l'art. GaltooiRE le Grand, t. vi, col. 17761781. V. La crise d'adaptation au monde nouveau : de I-A MORT DE SAINT Gr<£aOIRR A CELLE DE CaLIXTF. II (νιι·-χι· s.). — Tandis que ('Orient grec ne l'accep­ tera que de plus en plus difficilement ct s'en détachera sous des prétextes sans cesse renaissants, Jusqu'A la consommation du schisme, la primauté du pontife romain obtient en Occident une reconnaissance chaque Jour plus complète. Depuis saint Grégoire, la papauté volt son influence grandir rapidement parmi 1rs peuples nouveaux dont elle sc fait l'éducatrice, Jusqu'A ce qu’un nouveau césaro-papisme contrecarre son ac­ tion et diminue son prestige. 1° Du r//· au tx· siècle : l'organisation des chrétientés nouvelles. — Une première période nous montre la papauté concentrant ses efforts sur deux points prin­ cipaux : la transformation de l'Italie sous la poussée des Lombards et la sauvegarde de l’unité catholique contre le monothélisme; une deuxième période est dominée par l'ascension politique de la papauté sous l'égide de la nation franque ct par la lutte contre l'iconoclasme. 1. Du monothélisme à I'iconoclasme. — C’est surtout dans scs démêlés avec l'empire byzantin que le Siège apostolique eut A exercer les droits de sa primauté. a) Il faut arriver A Honorius (625-638) pour sc trou­ ver en face d'un notable épisode intéressant le prin­ cipal spirituel. Scs prédécesseurs Boniface IV (608-615) ct Boniface V (619-625), continuant l'action aposto­ lique de Grégoire Ier en Grande-Bretagne, avaient poursuivi l’organisation de cette Jeune chrétienté, le premier, en s’efforçant, en 610, de régler la question des rites celtiques; le second, en instituant l’évêque de Cantorbéry primat d’Angleterre. Honorius, A son tour, développe l’évangélisation de la grande lie. En Italie même. II parvient A mettre un terme définitif au schisme d'Aqulléc. qui dure depuis In querelle des Trois-Chapitres (553). Mais il est moins heureux dans l'affaire du monothélisme. Ce monophysisme mitigé, conçu vraisemblablement par le patriarche Sergius cl accepté par l'empereur Héraclius A des lins politiques, rencontra une vive résistance en Orient de la part du patriarche Sophronius de Jérusalem. On sait de reste que le pape Honorius ne sut pas discerner l’hérésie monothélllc ct la condamner. Mais ce qui nous Im­ porte. c'est que Sergius, · patriarche œcuménique », sollicite encore l'approbation de l'évêque de Home. b) Contre VEclhèse (638), publiée par Héraclius comme loi de l’État, (Orient, A son ordinaire, ne réagit que faiblement : le document impérial fut adopté en deux conciles de Constantinople (638, 639); mais les papes Severin (610) et Jean IV (640-642) le condam­ nèrent courageusement. Théodore Ier (642-649) poussa plus avant et déposa successivement les patriarches Pyrrhus ct Paul H de Constantinople. Paul eut beau obtenir de l’empereur Constant II une mitigation du monothélisme officiel parla publication du Type (618), ce nouvel essai de formulaire eut le sort du précédent : le pape saint Martin Ier (649-653), au concile du Latrau (649), réprouva le monothélisme sous toutes scs formes et prononça l’anathème contre scs chefs. Jusqu’à la prison, jusqu’à la deportation, jusqu'au martyre, il demeura inébranlable. Son successeur, Eugène Ier (654-657), garda la même attitude ct con­ damna, A son tour, la synodlquc du patriarche Pierre. Alors sc détache la noble figure de Maxime le Confes­ seur (t 662), qui sut défendre les droits de la primauté et de l'orthodoxie. · Dès le moment où le Dieu Verbe est descendu vers nous ct s’est incarné, écrit-il de Home, toutes les Églises chrétiennes répandues par­ tout ont reçu et possédé comme unique base cl fonde- 295 I’ B IM A UT É. L’IC 0 NOCL Λ S Μ E ment (l’Église) très grande qui est ici. Suivant la pro­ messe même du Sauveur, en effet, elle ne peut être ren­ versée par les portes de l’enfer; elle possède les clefs de la foi orthodoxe en lui et de sa confession, et elle ouvre â tous ceux qui s'approchent avec piété (les sources) de la seule et légitime religion, tandis qu’elle ferme et fait taire toute bouche hérétique, clamant dans les hau­ teurs l’iniquité. » Epist., P. G., I. xci, col. 137, 140. c) Honorius avait eu des successeurs qui largement avaient rendu â la papauté son prestige; saint Agathon (678-681) fut plus heureux encore. Après avoir tenu à Borne un concile préparatoire (679) qui renouvelait les décrets de 619, il rédigea une encyclique dogma­ tique contre l’erreur monothélite. Elle fut acclamée et adoptée par le VI· concile œcuménique réuni à Cons­ tantinople (680-681), sous la présidence même de l’em­ pereur Constantin Pogonat et confirmée par le succes­ seur d'Agathon, saint Léon II (681-683), lequel s’em­ ploya, comme ensuite Benoît II (683-685) à en faire accepter les décrets en Occident (concile de Tolède, 681). Sur tout cela, voir l’art. Honorius Ier. d) Mais la paix religieuse fut de nouveau troublée et l’unité catholique compromise par une nouvelle ini­ tiative impériale, le concile Quiniscxte, de 692, convo­ qué par Justinien II pour s’occuper de discipline. Parmi les 102 canons qu’il édicta, il en est plusieurs qui trahissent une certaine hostilité contre Home et rOccident. Le can. 2, énumérant les sources du droit ecclésiastique, omet â peu près tous les conciles latins et toutes les décrétales des papes. En revanche, il reconnaît tous les canons dits apostoliques, tandis que les cinquante premiers seulement étalent reçus à Home. Les can. 13 et suivants sont manifestement di­ rigés contre le célibat ecclésiastique, tel qu’il était dès lors prescrit en Occident. Le can. 55 condamne et interdit l’usage romain de jeûner les samedis de ca­ rême. Lc can. 67, par compensation sans doute, rend obligatoire l’abstinence, depuis longtemps tombée en désuétude en Occident, du sang des animaux. .Mais c'est le can. 36 qui est le plus significatif. Il est ainsi libellé : «Renouvelant les ordonnances des II· et 1V« conciles œcuméniques, nous décidons que le siège de Constantinople jouira des mêmes privilèges que celui de l’ancienne Rome; qu’il sera estimé autant que celui-ci pour ce qui est des affaires de l’Église, et sera le second après lui. Vient ensuite le siège d'Alexan­ drie, celui d'Antioche, et enfin celui de Jérusalem. * I îcfelc-Le lenq. op. cit., t. m o, p. 560-581. Étant donnée la situation reconnue officiellement au pape par la législation byzantine, il était naturel que l’on demandât à celui-ci la confirmation de cet en­ semble canonique; mais le pape Sergius Ier (687-701) refusa de rien ratifier; Jean VU (705-707) en lit au­ tant, et lorsque, plus tard. Justinien lise prosternera aux pieds du pape Constantin Ι·Γ (708-715) et le priera d’approuver enfin les décisions prises en 692, il s’entendra répéter que le Siège apostolique n’accep­ tera jamais que les seuls canons qui ne sont pas en contradiction avec la vraie foi, les bonnes mœurs et les décrets de Rome. Des concessions furent faites néan­ moins pur le pape, sur le détail desquelles il est difficile de sc prononcer. Voir l’article Quimsexte (Concile). e) Lc pontificat de saint Grégoire H marque le point culminant de toute cette période. C’est Grégoire II qui organisa la conquête évangélique et rétablis­ sement ecclésiastique de l’Allemagne, en consacrant saint Boniface évêque pour cette chrétienté partiel­ lement nouvelle (722). Dans la haute Italie, en face des inquiétants progrès des Lombards, il sut maintenir les droits du Siège romain; enfin, il eut le premier affaire .» l'hérésie iconoclaste. Léon ill l lsaurien avait Imagine celle épuration du christianisme (726) el il crut ivoir lout sauvé en partant en guerre contre les 296 saintes images. Dans un concile romain, le pape con; damna la théologie impériale. Avec saint Grégoire III (731-711), on en vint, une fois de plus, à la rupture. Cf. Ilefcle-Leclcrcq, op. cit., I. ni b, p. 676 sq. D Pendant ce temps, en Syrie, saint Jean Damascène (t 7 49), le défenseur des saintes images, ensei­ gnait que cc n’est point aux enipèreurs qu'a été donné le pouvoir de lier et de délier, mais aux apôtres et â leurs successeurs. Pour lui, du reste, saint Pierre est le coryphée premier du Nouveau Testament, & της νέας διαθήκης κορυφαιότατος, le digne chef de l’Église inex­ pugnable, dont il tient le gouvernail, son fondement et son modérateur. Homil. in transfig. Domini, 2, 6, 9, 16, P. G., t. xevi, col. 518, 553, 560, 569. Cependant, sous l'impulsion du Siège apostolique, les Églises barbares sc reconstituaient en Alémanic, en Bavière, en Lombardie et, dans la jeune Église d’Angleterre, saint Bède (t 735), faisant écho aux doc­ teurs orientaux, célébrait Pierre, fondement et chef de l’Église universelle, qui vil, parle cl agit toujours dans l’évêque de Rome. Homil., I. Il, 15, P. L·, t. xciv, col. 214 sq. : ...Primatus Petro datur, ut unitas Ecclesiæ commendetur. 2. De la querelle des saintes images au schisme de Phallus; la papauté el les Francs. — Nous n'avons pas à raconter Ici les origines immédiates et la fondation de l’État pontifical. La papauté y trouva une sécurité plus grande et une indépendance relative, dont profita sa primauté spirituelle, surtout pour résister à l’em­ prise byzantine. a) En 753, en effet, l'iconoclasme atteignait son apogée : Constantin Copronyme, dans un prétendu concile œcuménique, au palais de I liéria, faisait con­ damner le culte des images et anathématiscr les iconophilcs par 318 Orientaux. Mais les patriarches d'Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem refusèrent de prendre part à ces palinodies, que Rome avait déjà réprouvées en la personne du pape Zacharie (711-752) et de ses successeurs. Paul Irr (757-767) recueillit les moines iconophilcs persécutés et Étienne 111 (768-772), dans un concile du Latran, en 769, renouvela l’ana­ thème contre les iconoclastes. Parmi les victimes de la tourmente iconoclaste, il faut citer le moine Théodore le Studite (t 826), pour qui la papauté est le centre de l’unité de la fol. La pri­ mauté de Pierre, selon lui, a passé â ses successeurs, les évêques dc*Rome. Leur primauté est de droit divin, comme celle du prince des apôtres, θεία πρωταρχία, θεία ποιμεναρ/ία ; elle est sans appel cl sans limite sous le ciel. C'est aux papes qu'il appartient de convo­ quer et d'approuver les conciles généraux, dont ils détiennent toute i'autorité. C'est par l’Églisede Rome, coryphée de toutes les Églises, que l’on peut s'unir à celles-ci et aux patriarches eux-mêmes. Epist., î, 2, passim, dans Salavillc, Échos d’Oricnt, 1914, p. 23-42. Maie, si Théodore est particulièrement représentatif, il n’est pas Isolé. Les patriarches byzantins de son temps, saint Taralsc et saint Nicéphore, tiennent le même lan­ gage que le moine studite, et Nicéphore va jusqu'à déclarer que l’assemblée de 787 « a été on ne peut plus légitime el régulière, parce que, selon les règles divines établies dès l’origine, elle a été dirigée et présidée par cette glorieuse portion de l’Église occidentale, je veux dire par l’Eglise de l'ancienne Rome ·. ΛροΙ., ι, P. G., t. c, col. 597. El, en 760, le martyr saint Etienne le Jeune rejette le concile de Iliériaen ces termes : «Com­ ment appeler œcuménique un concile auquel l’évêque de Rome n’a pas consenti, alors qu’un canon existe pour défendre de régler les affaires ecclésiastiques sans le pape de Rome? ■ Vita. P. G., t. c, col. 1144; cf. F. Pai jolre, L'Église byzantin,, Paris, 1905 p. 290 sq. Mais l'hétérodoxie impériale maintenait le schisme par la violence. 297 PRIMAUTÉ. L’EPOQUE CAROLINGIENNE 298 b) Une reconciliation· telle quelle, fut réalisée par le remirent à disposer à leur fantaisie des offices et des I Ie concile de Nlcée, λ I ί· œcuménique (787), provoqué bénéfices. Lc pouvoir des métropolitains, par suite de et convoqué par l'impératrice Irène, avec rappro­ l’indignité trop fréquente ou de l’insuffisance des bation du pape Adrien 1er (772-795) et en présence de évêques, en raison aussi de l’influence de plus en plus ses légats. La quest ion de la vénération des saintes prépondérante de l’Église, grandit et s’amplifia outre Images y fut traitée à fond; l’erreur Iconoclaste, for­ mesure. La papauté dut intervenir, pour prévenir, mellement condamnée: la doctrine traditionnelle, défi­ contre les ambitions laïques ou cléricales, l’établis­ nie. Mais Borne n’avait pas satisfaction sur toute la sement d*Églises nationales autonomes ou de patriar­ ligne, car le concile édictait aussi 22 canons, dans les­ cats trop puissants. quels, entreprenant de nouveau la réforme de l’Église De cctlc lutte, on peut signaler des épisodes mul­ grecque, il insérait la reconnaissance de tous les canons tiples. Les plus typiques sont ceux que fournit l’hlsdits apostoliques et une déclaration d’œcuménicité I toirc d'Hincmar, archevêque de Bclms (t 882), le plus touchant les 102 canons du concile Quiniscxte. Adrien habile, le plus influent et le plus savant des prélats approuva les décrets dogmatiques, mais dans sa lettre francs de son temps. En 861, il dépose Bothade, au concile il protesta contre le titre de «patriarche évêque de Soissons. Celui-ci, fort des canons de Sarœcuménique » dont se parait encore le patriarche de dlquc, en appelle au pape; Hincmar soutient qu’ayant Constantinople; il réclama contre les empiétements et accepté d’être jugé par des évêques de son choix, Roles spoliations dont le siège romain avait eu à souffrir thade a renoncé lui-même à son appel. Cependant, de la part des Byzantins et il répudia purement et Nicolas Ier (858-867) reçoit l’appel; il aura le dernier simplement les canons disciplinaires contraires aux mot. et Bothade sera rétabli sur son siège en 865. Voir droits du premier siège. Cf. I Îcfcle-Lcclcrcq, op. cil., l’art. Nicolas Ier, t. xî, col. 516 sq. Adrien II (867872), fut moins heureux, il est vrai, contre l’arche­ t. in b. p. 741 sq. c) En Occident, du reste, la querelle des images trou­ vêque de Heims, dans l’affaire de la déposition de son va un prolongement. Adrien transmit à Charlemagne neveu, Hincmar le Jeune, évêque de Laon: mais c’est une version, malheureusement défectueuse, des actes que Charles le Chauve fut pour l’oncle un allié puissant du λ IIe concile œcuménique. Lc prince franc sc pi­ qui empêcha tout recours à Borne. Hincmar de Reims, quait. lui aussi, de théologie et sc plaisait déjà à régen­ pourtant, savait reconnaître la primauté romaine; ter l’Église. Il répondit par les Libri Carolini, qui mais il la concevait à la façon des canons de Sardique, prétendaient t rouver un juste milieu entre les doctrines puisque, selon lui, le pape pouvait non pas juger, mais iconoclastes de I liéria et les canons de Nlcée. Charle­ renvoyer devant le concile d’une province voisine la magne tint donc son concile, en 791, à Francfort, qui cause qui lui était déférée en appel, puisque les déci­ sions du pape n'étaient valides que si elles concor­ réunit l’unanimité des Pères présents pour rejeter le concile de 787 : il fallut une longue et patiente insis­ daient avec les anciens canons conciliaires. Pour lui. tance, qui dura un siècle, pour que Rome fît prévaloir si les juges sont suspects et de peu d’autorité, l'appel les décrets du VIT· concile œcuménique, enfin bien à une juridiction plus considérable est légitime, mais, si les juges sont de choix, si l’accusation est manifeste, compris. Ibid., p. 1061 sq. il est complètement inadmissible. « A Dieu ne plaise d) Charlemagne, évêque du dehors, on le sait, ne écrit-il à Nicolas Ier, que nous fassions si peu de cas s’en tint pas h’i. Ses capitulaires ne respectent pas des privilèges du Saint-Siège cl de son pontife que de toujours les limites de ses pouvoirs, et volontiers il rebattre vos oreilles des controverses el différends im­ légifère pour l’Église comme pour l’État. Il réunit un portants ou non dont les canons du concile de Nlcée grand concile à Aix-la-Chapelle (809), où, ù l’instar d’un basileus byzantin, il faisait défendre et définir la et autres saintes assemblées, ainsi que les décrétales doctrine sur la procession du Saint-Esprit. II se trouva du pape Innocent el autres pontifes de la sainte Église romaine, ont confié la solution aux synodes provin­ que l’orthodoxie était sauve; Borne approuva. Léon 111 (795-816). dans un concile tenu en 810, con­ ciaux et aux métropolitains. SI, par hasard, les saints canons ne nous fournissaient pas de lumières dans une firma la définition d'Aix-la-Chapelle. Mais, de sa cause intéressant un évêque el que. par suite, l’affaire pleine autorité de chef de la catholicité, et pour ne pas Irriter davantage les Grecs, que cette expression nou­ ne pût être décidée dans un concile provincial ou velle offusquait, il refusa à l'empereur Charles d’insé­ comprovincial, nous aurions recours à l'oracle de Dieu, c’est-à-dire au Saint-Siège. » Cité par l’évêque Arnoul rer le Filioquc dans le Credo romain. Ibid., p. 1127d’Orléans nu concile de Saint Basic. P. L.,l. c.xxxix, 1133. Charlemagne combattit aussi l’adoptianisme cl,sur col. 318. Lc cas des archevêques de Bavcnne cl de Milan ce terrain du moins, il demeura en plein accord avec le siege de Pierre : Adrien Ier, dans une lettre aux évêques prouve que le danger était un peu partout le même pour l’autorité de la papauté en Occident. Sans une espagnols, rappel le que, Pierre étant le chef de l’Église, réaction vigoureuse, les métropolitains seraient vite toutes les provinces doivent se conformer au Siège devenus entièrement autonomes. A Bavcnne, l’arche­ romain; en conséquence, il réprouve sévèrement les vêque Jean, malgré l’appui de l’empereur Louis H, fausses doctrines, en particulier l’adoptianisme, qui sc dut plier sous la forte main de saint Nicolas I,r: à répand en Espagne, comme aussi toutes les pratiques Milan, Anspert brava jusqu'au bout (882) les sentences contraires aux usages romains (785). En 798, de con­ cert, Léon III et Charlemagne réunissent à Borne et de déposition et d’excommunication, laissant à son à Aix-la-Chapelle deux conciles qui condamnent l’hé­ successeur l’honneur d’une soumission totale. !) L’Église, cependant, avait une législation cano­ résie espagnole. Mais c’est le pape qui a le dernier mot : nique : Charlemagne, en 774, avait reçu du pape c'est fondé sur son autorité suprême que le concile Adrien Ier l’ancienne collection de Denys le Petit, qu’il Impérial condamne et définit; la primauté romaine ne promulgua solennellement à Aix-la-Chapelle, en 802, laisse point prescrire scs droits. c'est la Dyonisio-Hadriana. A partir du ix* siècle cir­ e) Neanmoins, il faut l'avouer, Charlemagne réussit culent aussi la Collectio Hispana ou Isidoriana. attri­ trop souvent à maintenir la papauté dans un rôle secondaire en s'ingérant plus que de raison dans le buée à saint Isidore de Séville, et la Dachcriana. Les gouvernement ecclésiastique. De son vivant, à vrai capitulaires authentiques de Charlemagne, de Louis le Débonnaire et de Lothairc furent, d'autre part, réunis dire, la discipline se maintint, et les abus les plus criants furent dépistés et réprimés; après lui. les en recueil, vers 827, par l’abbé Anségisc. C’est sur ccs comtes et 1rs ducs, reprenant des usages antérieurs, se matériaux divers que travaillent, entre 815 et 855, les 299 PRIMAUTÉ. LE SIÈCLE DE F EK 300 faussaires qui, après avoir mis en circulation les Capi­ Christi pnveminere, ut omnes episcopi illum habeant tula Angilramni et les Capitula du pseudo-Benoît le caput, et ad ejus judicium pendeal quidquid in ecclesias ticis negotiis disponitur; ut ex ejus arbitrio vel maneat Lévite, lancent enfin, sous le nom d'Isidore Mercator, constitutum, vel corrigatur erratum, vel sanciatur quodles Fausses décrétâtes. Sur l'origine exacte et la teneur de ces faux grossiers, nous n'avons pas ù insister. Voir cumque fuerit innovandum. Contra Graecorum opposita. l’art. Décrétales (Fausses), t. iv, col. 212-222, et I. IV, c. vnr, P. L., t. cxxi, coi. 336. cf. P. Fournier et G. Le Bras, Histoire des collections 2° La primauté romaine et la féodalité (x· cl xi· s.). canoniques en Occident, t. î, 1931, p. 126-233. Retenons — Ce qui caractérise cette époque, c’est, après les seulement que la dernière en date de ces falsifications lamentables abaissements de la papauté au début du x· siècle, le souci qu’elle témoigne ensuite d'appuyer encadre les canons des anciens conciles dans une double série de decrets pontificaux habilement falsifiés son autorité suprême sur une organisation canonique ou antidatés, souvent fabriqués de toutes pièces. Bien de plus en plus précise, capable de résister aux empié­ que son intention immédiate soit surtout d'affran­ tements du droit féodal. Il y a pour la papauté de chir l’Églisc des empiétements dont elle est la victime, terribles heures à vivre : c'est le siècle de fer, la tyran­ l’auteur n’a pas laissé, en fin de compte, de renforcer, nie des Olhons, la querelle des Investitures; néan­ pour la protection des simples évêques, trop menacés moins, le prestige du principal spirituel va s'accrois­ sant, du moins en Occident, comme l'attestent les à son gré par les métropolitains, le pouvoir de la papauté : les causes majeures des évêques ressortissent déclarations de soumission et de fidélité de nombreux conciles provinciaux. exclusivement au pape, même en première instance, 1. Un fait, entre autre, est révélateur. En 991, Ar* alors qu’elles n’étaient jugées par lui d’ordinaire qu’en instance dernière et suprême; les décrets des conciles noul, un bâtard carolingien, archevêque de Keims par provinciaux ne deviennent exécutoires qu’après l'ap­ la grâce de Hugues Capet, qui a pensé sc l'attacher, probation du Saint-Siège. Ces innovations partielles trahit le roi au profit de son oncle Charles de Lorraine, avaient beau être dans l'air, elles rencontrèrent des prétendant à la couronne de France. I fugues est maître oppositions décidées. En définitive, le pseudo-Isidore de la situation et veut punir Arnoul : le crime de tra­ a favorisé le développement du droit canonique et hison est manifeste; mais c’est lù une de ces causes majeures où un évêque, en vertu du droit des Fausses supprimé bien des conflits, mais il n’a ni suscité ce développement ni été seul à le promouvoir : les Fausses décrétales, n’est justiciable ijue du pape. Hugues le décrétales étaient, pour une part, conformes aux idées sait, mais il n’ignore pas que le pape est favorable au du temps. Presque aussitôt, Kot hade de Soissons et roi de Germanie, dont le joug pèse au Capétien. Il est liincmar de Laon les utilisent. Quant au pape Nico­ décidé qu'Arnoul sera jugé par-devant un < concile des las 1«, il est certain, d’une part, que son secrétaire Gaules » : ce fut le concile de Sainl-Basle de Verzy, qui Anastase en a tiré parti, et il n'est pas invraisemblable sc tint les 17 et 18 juin 991, non sans que l'on eût qu’il en ait fait personnellement usage. De son action demandé â Jean XV(985-996) son aide et son appro­ immense et profonde, il faut pourtant chercher ailleurs bation, mais sans que l’on eût reçu la réponse de la cause et l'explication. Avec une autorité et une sévé­ Borne. L’accusé, du reste, finit par tout avouer : la rité jusque-ΐά peut-être inouïes dans un pape et qui se question de fait ne se posait pas. Mais, en droit, il s’a­ manifestent antérieurement à l’apparition des faux isi- gissait de savoir si un évêque pouvait être ainsi jugé doriens. il veille ù ce que tous travaillent à instaurer cl déposé au concile provincial ou s’il devait néces­ ici-bas la paix et le règne du Père céleste, et il surveille sairement être traduit devant un synode romain ou l’œuvre cl la conduite des rois : il n'hésite pas à excom­ devant un concile présidé par les représentants du munier Lothaire 11. pour défendre les lois du mariage, Siège apostolique. pas plus qu’il n’hésite à excommunier Photius. Voir Arnoul. évêque d’Orléans, fait devant les Pères de l'art. Nicolas P\ t. xi, col. 506-526. Verzy le plus sombre tableau de la Home pontificale et dresse un violent réquisitoire contre les papes misé­ g) C’est, en effet, sous le règne de ce grand pape que Constantinople vit éclater le schisme de Photius, frap­ rables qui s'y sont succédé; il invoque expressément pé de l'excommunication romaine, en 863. Mais Pho­ l’autorité et les maximes du grand Hinemar, comme aussi les canons des antiques conciles africains. Il veut tius est audacieux : en 867, dans un pseudo-concile, il fait anathématlscr cl déposer Nicolas. Il est immen­ évidemment que l'on en finisse en écartant le recours au pape, pratiquement impossible. Gerbert, le futur sément savant aussi : il donne à son schisme des bases théologiques subtiles et tenaces. L'addition du Fiïioque | Sylvestre IL qui nous livre le détail de tous ces débats, nous laisse entendre qu’Arnoul d’Orléans a de nom­ au symbole lui fournit un thème qu’il exploite à fond, breux partisans, et lui-même se range â son avis : nous comme II exploite les canons du Qulnisextc et du .\ iconum secundum. Photius écarté pour un temps. | avons là une démonstration collective, la première, le VIII· concile œcuménique célébré à Constantinople peut-être, d’un gallicanisme qui sc cherche. L’assem­ en 869 fait l’union, sans supprimer les germes schisma­ blée pourtant, n’est pas insensible aux arguments con­ traires d’AJ) b on de Fleury (t 1001), qui, en s’appuyant tiques; car les Grecs s'empressèrent de susciter un nouveau conflit à propos du rattachement des Bul­ sur dix-huit fausses décrétales, soutient les droits du Saint-Siège; et il faut, pour hâter la conclusion, une gares au patriarcat byzantin. Photius profitera des froissements que cause à Borne l’attitude du patri­ intervention royale. Arnoul de Reims est déposé et emprisonné. Gerbert élu en scs lieu et place au siège arche Ignace et obtiendra finalement de Jean VIII une reconnaissance qui semble bien avoir été défini­ de Heims (21 juin 991). Texte des Acta dans P. L., tive. S'il est une seconde fols déposé, c’est d’ordre de * t. cxxxix, col. 287 338. Mais .Jean XV a répondu; Il l’empereur Leon VI, et Home parait s’être émue de prétend réviser la cause jugée, et, à cet effet, s’Ouvre celle déposition autant que de celle d’Ignace. Il n’en le concile de Mouzon (995). Les évêques français, sur reste pas moins que l’attitude de Photius aura sur interdiction royale, n'y assistent pas. sauf Gerbert. l’évolution ultérieure de l’Églisc grecque de graves Malgré les efforts de ce dernier, on casse les actes de conséquences. Voir l'art. Pnom s. t. xn. col. 1536Verzy. et le sl. ge de Reims est rendu à l'archevêque 1604, et ci-dessous, l'article suivant. dépossédé. L’année suivante (996), Grégoire V (996h) Pendant ce temps, les théologiens de (Occident, 999) tient en présence d'Othon III un concile â Saintalertés in 867 par le pape Nicolas Pr, répètent avec Pierre : il y déclare que, lors de la déposition de Ratrarnne de Conde (t après h68) : Cernimus omnino I l'archevêque Amoul, les évêques français ont mis en romani pontificis auctoritatem super cunctas Ecclesias péril l’autorité du pape et l’unité de l’Églisc. Et. dé- 301 PRIMAUTÉ. S. GRÉGOIRE VII montrant quo la primauté de Pierre est malgré tout assez forte pour s'affirmer, le pontife public un décret aux termes duquel Arnoul est rétabli sur le siège de Heims. Hugues Capot mort (90G), Robert le Pieux essaya de s’entendre avec Grégoire V et lui envoya Abbon île Fleury. Arnoul réintégré, il fut convenu que les évêques et mpromls dans sa déposition se rendraient au concile de Pavic (997). Ils sc contentèrent de s’y faire représenter par un laïque. Les sanctions ne sc firent pas attendre : ils furent suspendus de leurs fonctions épiscopales. Quant ù Robert, roi de France, ayant épousé, au mépris de la défense apostolique, une de scs parentes, il devra donner satisfaction, con­ jointement avec les évêques qui ont approuvé cette union incestueuse. Jaffé, Degesta, post n. 3875. Un peu plus tard (998 ou 999), tandis que Gerbert est devenu archevêque de Ravenne, le roi Robert est de nouveau mis en dtmeure, par un concile romain, de quitter sa f< mine Berthe, parce qu’elle est sa parente, et de faire, sous menace d'anathème, sept ans de pénitence. On sait comment Gerbert, devenu le pape Sylvestre II. inaugura son pontificat en rendant δ Arnoul de Reims ses droits archiépiscopaux, quia ejus abdicatio ran.ano assensu earner il. Ibid., η. 3908. 2. Cependant, et malgré celte persistance de la primauté romaine, une crise d’adaptation au monde féodal est discernable, que dénonçait ù Saint-Basic l’évêque Arnold d’Orléans. O misère d’un temps qui nous prive du patronage d’une si grande Église! s'écrinit-il, Dans quelle ville désormais trou­ ver un relur e. quand on voit la souveraine des nattons privée de tout secours humain et divin 7 11 faut le dire tout haut.le confesser ouvertement : ii la chute de l’empire, Rome a perdu l’Églisc d'Alexandrie, laissé échapper Antioche, sans parler de l’Atrlquc et de l’Asie. Voici que l’Europe ellemême se relire d’elle. L’Église de Constantinople se dérobé, en effet: le co ur de l’Espagne ne reconnaît plus scs lois. L’est cette séparation, dont parle 1*Apôtre, non seulement des nations, mais des Églises. Il Thess., n. 2, 3. L’approche de l’Antéchrist semble imminente puisque scs suppôts ont occupé les Guides et nous accablent du poids de leurs for­ ces... Il devient clair qu’nprès l'ébranlement de la puissance de Rome et la défaite de larclipinn le nom de Dieu est impu­ nément dt si onorr par les parjures. I.’observance nu me des lois de I*I*| lise est d< daignée des prêtres les plus haut placés. Rome elle mime, déjù presque réduite Λ la solitude, scsépare d’elle-nu me en no veillant ni à son propre salut ni Λ celui «tes autres... P. 1., t. cxxxix, col. 320. Néanmoins, ils sont nombreux encore, et surtout, parmi les grands moines de ce temps, ceux qui pro­ fessent. avec Abbon de Fleury, que FÉgilse romaine, semblable nu porte-clefs du royaume céleste qui n la primauté sur le collège apostolique, a le privilège de donner la vie ù toutes les Églises qui sont comme scs membres dispersés dans les quatre parties de l’univers, en sorte que celui qui s’oppose à l’Églisc romaine sc sépare de scs membres cl entre dans le corps des adver­ saires du Christ. Ainsi, la tradition demeure,et aussi le prestige même de l’apôtre Pierre, qui soutient celui de la papauté : les pèlerinages le prouvent, qui entraînent tant de dévots chrétiens à Rome, au travers des guerres par­ tout allumées cl de l'universel désordre. Les évêques surtout tiennent à visiter le tombeau de l’Apôtrc et, au moins pour les métropolitains, la coût unie du voyage ad limina tend à devenir la régir. Enfin, les moines et surtout les ordres réformés, religieux de Cluny, carnal· dulvs et plus tard cisterciens, de même qu’ils four­ nissent à la réforme de l’Églisc ses champions les plus nombreux et les plus Intrépides, constituent pour la primauté romaine le plus constant et le plus actif service de propagande et de liaison. 3. En revanche, des le début du x* siècle, les rap­ 302 ports sc tendent de nouveau entre Rome et Constan­ tinople. C’est «l’abord l’affaire du quatrième mariage de Léon le Philosophe, dans laquelle s’affrontent le patriarche Nicolas le Mystique et le pape Sergius ΙΠ (904-911), ou plutôt deux disciplines canoniques diver­ gentes. En 1024. la tentative de Basile 11 pour arracher au pape Jean XIX (1024-1033) la reconnaissance du titre de · patrianhc œcuménique » au profit de l’évêque de Constantinople ravivèrent l’hostilité entre Latins et Grecs. Dans le monde occidental, dans le monde clunisien surtout, l’indignation fut énorme et se traduisit par la vigoureuse remontrance de l’abbé Guillaume de Dijon. Le pape ne céda pas: les griefs s’accumulèrent et s'envenimèrent au point que l'on osa parfois re­ trancher des diptyques de l’Églisc byzantine le nom de l’évêque de Rome. La rupture définitive fut consommée par le patri­ arche Michel Cérulftlre. En 1053, d'accord avec le mé­ tropolitain de Bulgarie et secondé, dans sa polémique, par le Studite Nlcétas Pectoratos. il renouvela contre les Latins toutes les accusations de Photius, réprou­ vant comme autant d’hérésies toutes les coutumes occidentales qui s’écartent des usages grecs. Vaine­ ment Constantin Monomaque essaya-t-il de sauve­ garder l'union. Le 10 juillet 1054, le cardinal Humbert cl les légats de suint Leon IX (mort depuis quelques mois) déposaient sur l'autel de Sainte-Sophie une bulle solennelle d’excommunication, tandis que Cérulaire et les patriarches orientaux excommuniaient à leur tour les Latins et le pape. C'en était fait de la primauté romaine en Orient. 4. En Occident, In réforme entreprise dès le milieu du siècle et menée si vigoureusement, d'abord sous l'impulsion d'Hildebrand, ensuite sous sa direction, quand il devint Grégoire VH (1073-1085), cette re­ forme générale de Γ Église contribue à rendre ù la primauté pontificale tout son prestige. Rome, du reste, ne cesse d’intervenir, chaque fois que le dogme ou la morale sont en jeu, aussi bien contre l'hérésie bérengarienne que contre la simonie, l’investiture laïque et le nicolatsmc (incontinence des clercs), chaque fois aussi que les intérêts supérieurs de la chrétienté sont mena­ cés, aussi bien pour répandre la paix et la trêve de Dieu que pour promouvoir les croisades. Les collections canoniques ne cessent de sc multi­ plier, qui toutes ou presque toutes maintiennent et amplifient les prérogatives du Siège apostolique. Ci­ tons la collection du cardinal Deusdedit, achevée vers 1087. et celle d’Anselme de Lucques(t 1086), ou encore le Decret et la Panormie d’Yves de Chartres (+ 11 IG) : tous ces recueils canoniques rejoignent parfaitement les Dictatus papiv de Grégoire V11 (1075), sans accuser avec la doctrine pontificale aucune divergence tou­ chant la primauté spirituelle. Sur ces collections, voir Fournier et Le Bras. op. cit., t. n, c. i et il. A une époque où, au nom des prerogatives héritées de Pierre, l’évêque de Rome va revendiquer la prééminence effec­ tive sur le pouvoir temporel, nul ne songe sérieusement à lui contester son principal spirituel sur toute l’Églisc. Les théologiens cl les juristes impériaux pourront lui disputer la suprématie politique, ils lui reconnaîtront, au moins en principe et en droit, la souveraine juridic­ tion ecclésiastique. VL La phimath: vniverselle (xir-xnr s.). — En 1123 s’était tenu le ÎX* concile œcuménique, Ier du Latran; il confirmait le pacte calixtin ou concordat de Worms, qui mettait fin à la querelle des Investitures. Dans une chrétienté reformée et soumise, en dépit des vicissitudes de leur principal civil, les papes vont, au long des xir et xnr siècles, tenir cinq autres conciles généraux, qui seront l’expression de leur puissance spi­ rituelle Incontestée. 303 PRIMAUTÉ. L’APOGÉE 1» La consécration de la réforme grégorienne (11211151 h — Peu à peu, les mœurs du clergé reprenaient plus de régularité et de dignité. Cependant, la querelle des Investitures laissait des ruines et des désordres nombreux. A Rome même, en 1130, un schisme éclate : au pape Innocent II (1130-1113) s’oppose pendant huit ans l’antipape Anaclct (Pierlconi). Innocent II doit chercher en France un refuge. Triomphant enfin, par le secours armé de l’empereur, Innocent réunit à Rome, devant plus de mille prélats, le X* concile œcu­ ménique (1239), II· du Latran, qui condamne les hérésies de Pierre de Bruys et d’Arnaud de Brescia et entreprend de remettre en vigueur les anciens décrets concernant la réforme du clergé. Mais la tâche du concile, qui venait à son heure, fut interrompue : il ne nous en reste que 30 canons qui prouvent que la papauté, consciente de ses droits, savait les Imposer à l’Églisc universelle, quand bien même, chassée de ses étals, elle se trouvait errante et désarmée. Lorsque, dix ans plus tard, Eugène III (1115-1153) pourra ren­ trer dans sa capitale, c’est à lui, disciple de choix, que l’abbé de Clairvaux, saint Bernard (f 1153) adressera cc magnifique panégyrique du successeur de Pierre qu’on découvre â travers toutes les pages du De consi­ deratione. Qu’est-cc qu’un pape? » demande-t-il. Et de répondre : Tu es cui claves Iradilæ sunt. Sunt quidem et alii janitores gregumque pastores; sed tu tanto glorio­ sius quanto et differentius utrumque præ ceteris nomen hicreditasli. Habent illi sibi assignatos greges, singuli singulos : tibi universi crediti, uni unus. Nec modo ovium, sed et pastorum tu unus omnium pastor... Erqo, furta canones tuos, alii in partem sollicitudinis, tu in plenitudinem potestatis vocatus es. Aliorum potestas certis arctatur limiti bus ; tua extenditur et in ipsos qui potestatem super alios acceperunt. Nonne, si causa extiterit, tu epis­ copo civium claudere, tu ipsum ab episcopatu deponere, etiam et tradere Satanæ potes?Stat ergo inconcussum pri­ vilegium tuum tibi, tam in datis clavibus quam ovibus commendatis. De consideratione, 1. II. n. 15, 16, P. L., t. CLXXxn. coi. 751. Aux Milanais, récemment récon­ ciliés avec le pape, l’abbé de Clairvaux donne ce clair aperçu des prérogatives du Siège apostolique : Pleni­ tudo siquidem potestatis super universas orbis Ecclesias, singulari pnvrogativa apostolicæ Sedi donata est. Qui igitur huic potestati resistit Dei ordinationi resistit. Potest, si utile judicaverit, novos ordinare episcopatus, ubi hac­ tenus non fuerunt. Potest eos qui sunt, alios deprimere, alios sublimare, prout ratio sibi dictaverit, ita ut de episcopis creare archiepiscopos liceat, et e converso, si necesse visum fuerit. Potest a finibus terne sublimes quascumque personas ecclesiasticas evocare, et cogere ad suam præsentiam, non semel aut bis, sed quoties expe­ dire videbit... Episl., cxxxi, P. L., t. ctxxxn, coi. 286287. 2° Im primauté durant la lutte du sacerdoce et dr l'em­ pire (1151-1251). — Les étapes de ce grand siècle, en cc qui concerne la primauté romaine, sont marquées par trois conciles œcuméniques. Il serait fastidieux d’énu­ mérer les affirmations d’une souveraine juridiction qui est indiscutée et qui est de plus en plus en possession de tous scs moyens. Il est impossible, plus encore, de citer tous les textes des canonistes qui commentent à l’envi le Tu es Petrus et exaltent le pouvoir pontifical aussi bien dans l’ordre temporel que dans l’ordre spiri­ tuel· Retenons, pour leur particulière opportunité, les conférences d’Anselme de Havelberg (t 1151) avec les Grecs. I) sait fort justement leur faire observer que, s’ils peux ont à bon droit considérer comme inviolables les décrets de leurs évêques, ils doivent â plus forte rai­ son recevoir ceux de la 1res sainte Église romaine, qu » per Deum et a Deo et post Deum proximo loco aucto­ ritatis primatum obtinuit in universa, quæ per totum 304 mundum sparsa est Ecclesia... /lia supra petram fun­ data cl solidata semper mansit inconcussa. Dialogi, I. III, c. v, P. L., t. clxxxviii, coi. 1213 sq. Deux pri­ vilèges appartiennent en propre au siège de Pierre : videlicet præ omnibus incorruptam puritatem fidei et super omnes potestatem judicandi. Ibid., I. HI. c. xn, P. L., ibid., col. 1228 B. Le Décret de Gratien (f 1158) ne nous enseigne rien qui ne soit contenu dans les décrétales antérieures, vraies ou fausses; du moins a-t-il eu le mérite de recueillir les matériaux épars et il a facilité par là même la besogne des canonistes ultérieurs. Saint Bonaventure (f 1271) nous rappelle que toute la solidité de l’Églisc vient de Pierre, ou plutôt d’une seule pierre, qui est le Christ, et d’un seul Pierre, qui est le vicaire de cette pierre divine; et il le prouve par Matth., xv!, 18. De perfectione euangelica, q. iv, a. 3, Opéra, éd. Quaracchi, t. v, 1891, p. 195. De saint Thomas d’Aquin (t 127 i) nous attendrions un expose a la fois plus précis et plus serré de la doc­ trine, si le Docteur angélique avait écrit un véritable traité de l’Églisc. Mais en fait, ces questions étaient considérées par la théologie d’alors comme ressortis­ sant plutôt au droit canonique. Il faut nous contenter de quelques indications qu’il laisse tomber en passant, comme celle-ci : qu’adviendra-t il d’un serment lors­ qu’il porte sur un objet manifestement licite et qu’il ne semble pas y avoir place pour une dispense? Si quelque œuvre se présente qui assure mieux l’intérêt génér.il, on ne pourra que commuer la chose promise, et encore le pouvoir en appartient avant tout au pape, qui a la charge de l’Églisc universelle, qui ha bel curam univer­ salis Ecclesiœ. On pourra même délier complètement du serment, ce qui est encore du ressort du pape, en toute matière touchant d’une façon générale au gou­ vernement ecclésiastique, domaine dans lequel le sou­ verain pontife exerce un pouvoir plénier, plenitudinem potestatis. Sum. theol., 11u IIe, q. lxxxix, a. 9, ad 3lrn. Ailleurs, saint Thomas fait cctt e suggestive remarque: Ad unitatem Ecclesiæ requiritur quod omnes fideles in fide conveniant. Circa vero ca quæ fidei sunt, contingit quæsliones moveri; per diversitatem autem sententiarum divideretur Ecclesia, nisi in unitate per unius sententiam conservaretur. Exigitur ergo ad unitatem Ecclesiæ con servandam, quod sit unus qui toti Ecclesiæ præsil. Mani­ festum est autem quod Christus Ecclesiæ in necessariis non deficit, quam dilexit, ct pro ea sanguinem suum fudit... Non est igitur dubitandum quin ex ordinatione Christi unus loti Ecclesiæ præsit. Sum. cont. gent., 1. IV. c. lxxvi : De episcopali dignitale ct quod in ea unus sit summus. La primauté du pape s’exprimait alors par des actes solennels. En 1779, Alexandre HI ( 1159-1181 ), l’émule de Grégoire V11. tient le IIP concile général du Latran, XI· œcuménique, non pas seulement pour confirmer la paix avec Barberoussc, mais pour reprendre l’œuvre interrompue quarante ans plus tôt du statut de l’Églisc. Il nous en reste 27 capitula, tous disciplinaires. Innocent III (1198-1216), affirma son autorité de pasteur suprême de multiples manières. Il s’éleva énergiquement contre l’annulation du mariage de Philippe Auguste avec Ingeburge, qui avait été pro­ noncée par certains évê. π. 12, éd. de Florence. 1908. nions particulières qui séparaient les Grecs des Latins, p. 88. Le pape, en effet, a tout pouvoir dans l’Églisc : 307 PRIMAUTÉ. LA CRISE Totum posse quod al in Ecclesia reservatur in summo pontifice, in, 9, p. 155. Nam ad summum pontificem et ad ejus plenitudinem potestatis special ordinare fidei symbolum et statuere qmc ad bonos mores spectare viden­ tur, quia, sive de fide sive de moribus quicslio oriretur, ad ipsum spectaret defiinitioam dare sententiam, ac sta­ tuere, nec non ct firmiter ordinare quid Christiani sentire deberent... Possunt itaque doctores per viam doctrine de fide et de moribus tractatus et libellos componere, sed quid sententialiter sit tenendum... ad solum summum pontificem pertinebit. Prolog., p. 7. Bref, le pape est spiritualissimus secundum statum et secundum eminen­ tiam potentia', i, 1. p. 9-10. Jacques dc Viterbc, dès les premières pages de son traité, nous présente l’Église ct le pape sous l'aspect d’un royaume et d’un roi, et il poursuit son exposition systématique sans sc départir un instant de cette ana­ logie politique. Les prélats ecclésiastiques sont des princes ou des rois spirituels, le pape est comme leur empereur : Hic igitur unus, apud queni est summa potestas spiritua­ lis regiminis, est successor Petri, romnnus videlicet ponti­ fex. vicarius Jesu Christi... Ilie est rex omnium spiritua­ lium regum, pastor pastorum, pater patrum, caput omnium fidelium et omnium qui fidelibus priesiint. I ndect Ecclesia, cui praesidet, scilicet romarin, mater et caput est omnium Ecclesiarum. Hic... est pontifex omnium Christianorum ct omnium Ecclesiarum rector, ct episcopus Urbis ct Orbis. Qui... immediatum regnum exercere potest super Ecclesiam quamlibet Hic est sacerdos summus et unus, cui omnes fideles obesi i rc debent tnnquam Domino Jesu Christo... Hic est genendis Judex..., ct ipse n nemine judicari potest. Hic est.apud quem plenissime sunt claves n Christo Ecclesiæ tradit®. quibus ligat ct solvit, claudit ct aperit, excludit et recipit, stringit et relaxat, sentential et judicat. Hic est summus ordinator divini cultus... Hic est dispensator sum­ mus et univers dis ministeriorum Del ct thesaurorum Chris­ ti. et Ecclcsiæ distributor dignitatum ct oillcionim benchciorumquc ecclesiasticorum omnium, in quibus conferendis ct distribuendis primam ct summam obtinet partem... Hic est summus et universalis conditor canonum, ct approbator legum sanctanimque omnium sanctionum, dispositor omnium ecclesiasticorum ordinum, confirmator institutio­ num ct electionum, determinator dubiorum, ostensor omnium qu® scienda sunt n singulis, ct discretor omnium quae In Ecclesia fiunt. De regimine Christiano, H· part., c. v, éd. Arquillière, Puris, 1026, p. 206-207. Ce pouvoir du vicaire du Christ, il est sans limites : ... A milL'i alia potestate puri hominis limitatur aut ordi· natur aut judicatur, sed ipsa alias limitat, ordinat et judi­ cat.... ordini potestatum aut legibus ab ipso positis non coar­ tatur. Potest enim ngere ct mediantibus aliis potestatibus ct non mediantibus eis; quando viderit expedire, potest etiam agere ct secundum leges quos ponit et præter Illas, ubi opportunum esse judicaverit. Ibid., c. ix. p. 273. Nous ne saurions trouver plus parfaite conclusion à celte période ni expression plus adéquate de la primatie universelle dc la papauté en cc χπι· siècle, qui finit en splendeur sur le premier jubilé de l’Église catholique (1300). Bien ne faisait prévoir la crise redoutable qui allait éclater si tôt après. VIL La grande cuise intérieure; î.a Renais­ sance et la Réforme (xiv*-xvt· s.). — La chute des Ilohenstaufen, le séjour dc la papauté en Avignon, le Grand Schisme d’Occidcnt, autant d’événements qui, en ébranlant la chrétienté européenne, favorisent dans l’Église même l’éclosion d’une crise intérieure profonde. Mais il est des causes d’ordre ecclésiastique, qu’il Importe dc ne pas nubiler : cc sont les abus qui, en viciant le gouvernement de plus en plus centralisé dc l’Église. arrêtent le mouvement réformiste commencé deux siècles plus tôt; ct ce sont aussi les révoltes des ros autés cl des nationalités commençantes, non seule­ ment contre l’ordre féodal, mais encore contre l’ordre social ancien. DU XIV SIÈCLE® 30S 1” Boniface \ Il ! ct les papes d’Avignon (1291-1378). — Quand Boniface VIII s’assoit sur la chaire de Pierre, une forte conceal ration de la puissance ecclé­ siastique dans la main du pontife romain est réalisée. Cas réservés, exemptions, appels, réserves apostoliques ct expectatives, légations et nonciatures, traduisent dans les faits et dans le droit le pouvoir direct et immé­ diat que le pape exerce sur l’Église entière. Gré­ goire VII et Alexandre IIf se nommaient encore • vicaires de saint Pierre >; depuis Innocent Ill prédo­ mine le litre de vicaire du Christ, vicaire dc Dieu*,et la tiare orne son chef, la tiare a laquelle Boniface VIH donne la forme d’une double couronne, en attendant qu'un dc ses successeurs, I Jrbain V. y ajoute la troisième. Depuis le xu« siècle, le serment de fidélité au pape est exigé des métropolitains; la confirmation des élections épiscopales, à dater du xi« siècle, passe lentement des métropolitains au pape, et les évêques du χπι· siècle sont promus Dci ct apostoliar Sedis gratia. Une dispo­ sition d’Alexandre IIL en 1153, réserve au pape les canonisations. D’autres causes doivent lui être déférées: saint Bernard, dans une lettre à Innocent II (1135) ct dans le De consideratione (1152), joint sa voix à bien d’autres pour reprocher à Borne une excessive facilité à admettre les appels. Toutes ces mesures avaient leur raison d’être, ct ce fut pour répondre aux besoins dc cette situation nou­ velle que se constitua, avec son organisation caracté­ ristique, la cour romaine, composée du Sacré Collège et de la curie. Mais, dans celle administration centrale, l’absolutisme, l’intrigue, les passions humaines, curent beau jeu à côté ou en marge des talents juridiques ou politiques. Les abus dc la /é/r s’ajoutèrent à ceux des membres. On sait assez que, déjà sous le pontificat dc Boniface VIII (1291-1303). la papauté connut de terribles échecs. Les frères mineurs spirituels, alliés des Colonna, ne sc font pas faute d'attaquer même l’autorité spiri­ tuelle du souverain pontife, les vaudois regardent l’Église comme la synagogue dc Satan, n’acceptant plus aucune hiérarchie ni aucun pouvoir suprême. Un des premiers résultats de l’établissement de Clément V (1305-131 I) en France, puis en Avignon, ce fut l’augmentation des annales, réserves, expectatives ct autres droits du Siège apostolique; les revenus que l’on tirait dc Rome ne rentrant plus, il fallait, par tous ces moyens, trouver des ressources nouvelles. Le pres­ tige de la papauté n’y gagna rien, d’autant plus que le faste dc la cour d'Avignon méritait amplement la cri­ tique, Clément V, toutefois, voulut mener à bien la réforme dc l’Église : il réunit le XVe concile œcumé­ nique, qui se tint à Vienne, en Dauphiné (1311-1312). Le concile supprima l’ordre des templiers; il reconnut que Boniface VIII était mort catholique, mais il cassa les actes du pontife qui déplaisaient au roi dc France cl édicta toute une série de décrets ct d’ordonnances, que le pape fil réunir et insérer dans le Corpus juris cano­ nici sous le nom de Liber Clementinas. Jean XXII (1316-133i),cut à allirmerla primauté du Siège romain dans des conditions beaucoup plus graves. Son adversaire, l’empereur Louis de Bavière, groupa autour de lui le parti des frai icelles, avec Ubcrtino da Casale (t après 1330), tous adversaires fanatiques de la propriété cl de la puissance temporelle dc l’Église. auxquels font écho, pour des raisons diverses, des doc­ teurs comme Jean de Jandun (f 1328), Marslle de Padouc (t 1312) et Guillaume d’Occam (t 1319). On a expliqué à l’art. Occam, t. Xl, col. <866 sq., comment celui-ci fut amené par scs relations avec les spirituels» à prendre part à la lutte contre Jean XXII, puis contre ses successeurs. A celle polémique surtout personnelle, il consacra divers opuscules. C’est surtout dans les Octo quicstioncs saper potestate ac dignitate 309 PRIMAUTÉ. LE GRAND SCHISME papa U qu'il exprime ses vues doctrinales. S’il ne nie ni l’origine, ni la nature divines de l’autorité pontifi­ cale, du moins prétend-il en marquer les limites, mémo dans l’ordre spirituel. Pour lui, l'évêque dc Home est le vicaire du Christ, non pas son successeur, nullement son égal en puissance. Cc n’est que par une usurpation condamnable que les papes ont pu s’attribuer la p/rnitudo potestatis sans limitation d’aucune sorte. Même idée dans le très court Truelatus dr. jurisdictione impe­ ratoris in causis matrimonialibus. Cf. ibid., coi. 875. Lc Defensor pacis dc Marsilc de Padouc, qui eut Jean de Jandun pour collaborateur, est beaucoup plus radical ct plus subversif. En premier lieu, toute pri­ mauté réelle est déniée À Pierre; l'Écrlture permet tout au plus de lui reconnaître une primauté d'honneur, dont jamais, du reste, l'Apôtrc ne se prévalut pour ré­ genter ses collègues. En outre, l'évèque de Home n’est nullement le successeur dc Pierre, qui peut-être n’est point venu à Home, qui, en tout cas, n’y a pas dressé son autorité au-dessus dc celle dc Paul. En définitive, la papauté a fondé son hégémonie sur la situation dc Rome, sur le souvenir des apôtres ct sur le prestige dc son clergé, l a coutume s’est établie dc la consulter, d’un peu partout, et Constantin, en abandonnant au pape l'empire dc l’Occident. consacra ct acheva cette évolution. Voir art. Mahsile de Padoue, t. x. spéciale­ ment, col. 162-163. Ainsi, Marsilc. qui devance les pro­ testants en niant la primauté dc Pierre dans l'Écrlture ct qui conteste la venue dc saint Pierre à Rome avec des objections que reprendra la critique du xix siècle, Marsilc ne doute pas le moins du monde dc l'authenti­ cité de la Donation dc Constantin. Mais c’est pour lui un fondement humain et illégitime d'un principal spiri­ tuel usurpé. En 1326, d'abord, une bulle de Jean XXII condamne les deux hérétiques; le 3 avril 1327, une bulle, ful­ minée contre Louis dc Bavière, atteint indirectement scs protégés; le 9 avril suivant, ils sont excommuniés, déclarés suspens et cités Λ comparaître devant le SaintSiège; enfin, le 23 octobre 1327 paraissait la bulle qui condamnait solennellement les principales erreurs du Defensor pacis. Relevons-y les deux propositions sui­ vantes : 310 un abus d’autorité jusque-là sans exemple, celui-ci prétendit, dc son propre chef, prononcer la nullité du premier mariage de Marguerite Maultasch, comtesse du Tyrol, et accorder la dispense de consanguinité qui permettrait a celle-ci d’épouser le propre fils dc l’em­ pereur. Le pape prononça l’excommunication. Lc baslkus byzantin était moins altier. En 1369. Urbain V (1362-1370) reçut sa visite : Jean V Paléologuc, aux abois devant les progrès dc l’invasion turque, venait implorer le secours dc l’Occident. Il abjura solennellement le schisme dans Saint-Pierre ct reconnut la primauté dc l’évêque de Rome. Mais une croisade était Impossible, ct le retour à l’union exigeait bien autre chose. L'unité, en Occident même, allait se rompre. 2 * Le Grand Schisme d’Occidcnt et la crise conciliaire (1378-1447). — Les déchirements devenaient inévi­ tables; les nationalismes s'exaspéraient autour du trône pontifical, que l’incapacité et la corruption me­ naçaient à chaque conclave. Il suffit d’une élection contestée pour jeter la chrétienté dans la longue et terrible calamité du Grand Schisme ct dans une crise constitutionnelle peut-être plus grave encore. L A la faveur du schisme, la contre-Églisc vaudoise connaît un renouveau. Après Urbain VI (1378-1389), déclare Wiclcf, il ne faut plus reconnaître de pape, mais il faut vivre comme les Grecs, d’après scs propres lois. Si l’on conserve un pape, on réduira son pouvoir, on supprimera les canonisations, les indulgences, les excommunications, qui sont autant d’abus dc la curie pontificale. Vers cette doctrine radicale de Wiclcf (t 1381) s’acheminent plus ou moins consciemment, poussés par les faits, les réformateurs tchèques, Tho­ mas de Stitny. Mathias dc Janoxv (f 1391) et surtout Jean 1 lus (t 1115). tous imbus, à des degrés divers, des idées dc Marsilc dc Padouc sur la papauté, sur scs usur­ pations ct les origines humaines dc sa primauté. Lc concile général est considéré par quelques-uns comme la seule veritable autorité suprême dans l’Église universelle, qu’il faut distinguer de l’Église pontificale; d’autres y voient tout au moins l'instrument de la réforme qui s’impose et comme l’organe régulier du gouvernement. C’est une sorte de parlementarisme ecclésiastique qui prend naissance. Ces conceptions 1. Quod beatus Petrus apostolus non plus auctoritatis prenaient de la consistance; mais elles n’étaient pas Imbuit quam alii apostoli habuerunt, nec aliorum apostolo­ absolument neuves. Pour Guillaume Durand le Jeune rum fuit caput. Item quod Christus nullum caput dimisit Ecclesia· nec aliquem suum vicarium fecit. — 2. Quoti omnes (t 1328), la primauté romaine est incontestable : sacerdotes, sive sil papa, sive archkptscopus» sive sacerdos Homana Ecclesia domina ac judex est aliarum, cujus simplex, sunt ex institutione Christi auctoritatis et juris­ rector catholicus non judicatur a quoquarn. cum ejus sedi dictionis æqtinlls. primum Petri apostoli meritum, deinde secura jussione Marsilc en passa aux actes : il fut ù Rome aux côtés Domini conciliorum venerandorum auctoritas singula­ rem in Ecclesiis tradiderit potestatem. Mais, si la pri­ de Louis de Bavière quand celui-ci s’y fil décerner la mauté dc Pierre est d’institution divine, la primauté couronne impériale, fit prononcer la déchéance dc romaine est bien, secura jussione Domini, d’institution Jean XXII et fit élire, sous le nom de Nicolas V, le mineur Pierre de Corvara. Promu par cc dernier Λ ecclésiastique, conciliaire. Aussi a-t-elle besoin d’être expliquée, élucidée, en tenant compte des divers droits l'archevêché de Milan, Marsile partagea bientôt les ecclésiastiques et séculiers : Quod primatus dictæ revers de fortune dc ses protecteurs. Homana· declaretur ct distingueretur per jura ecclesias­ Un excès en appelle un autre : la Glossa ad cap. tica ct sivcularia. Dc modo generalis concilii celebrandi. Solitœ VI calcule, à l’applaudissement des juristes de la curie, quo le pouvoir du pape vaut cinquante-sept I Lyon, 1531. ni. 1 et 27, fol. ui r°ct lîx v*. C’est sur le droit épiscopal que Durand insiste, réclamant contre fois celui dc l’empereur. Alvaro Pelayo (t 1352). tout l’évocation par la curie des causes d’élection, contre les en gémissant sur les abus qui désolent la chrétienté et exemptions ct contre tout ce qui porte atteinte au sur la corruption avignonnaisc qui obscurcit la beauté de l’Eglise dans son chef ct dans ses membres, ne craint pouvoir des évêques, pour le plus grand avantage du pas d'affirmer que, le pape étant le vicaire de Dieu, on pouvoir papal. Il va plus loin : se réclamant des anciens ne peut pas plus assigner dc limites A sa puissance qu’à canons élaborés par les synodes épiscopaux, il les dresse la toute-puissance divine elle-même. comme une barrière devant l'autorité du Siège aposto­ Jean XXII, qui développa considérablement l’admi­ lique : Contra sanctorum statuta Patrum condere aliquid nistration pontificale, mourut après avoir reçu à merci vel mulare nec hujus quidem Sedis apostolica· potest auc­ l’antipape Nicolas V (1330) ct recouvré Rome, pacifiée toritas. Ibid.. ï,3. fol. v. Enfin, l’évêque de Mende ima­ pour un temps. gine tout un organisme vivant pour créer, appliquer Clément VI (1312-1352) dut rappeler, lui aussi, sa ou retoucher les canons ; c’est la tenue périodique des suprême juridiction spirituelle à Louis de Bavière. Par conciles provinciaux et la réunion décennale du con- P HIM Λ UT É. IJ·: Cf HAND SC H ISM K elle œcuménique. Le vieux droit canonique est de la ! part de Durand l’objet d’un culte fervent; il a un idéal Juridique très élevé; malgré les hardiesses de sa pensée, on ne peut prétendre qu’à scs yeux le concile général détient l’autorité suprême dans l’Église; en tout cas, il ne le dit pas expressément. Jean de Paris (Jean Quidort, f 1306) avait osé davantage, puisque, selon lui, le pape ne doit procéder à des mesures nouvelles, nisi cum magna maturitate et habito prius concilio generali et discussione facta ubique per litteratos. De. po­ testate regia et papali. dans Goldast, Monarchia, t. n, p. 113. Avec le Grand Schisme, de telles théories devaient fatalement rencontrer une faveur considérable. Pierre d’Ailly et Jean Le Charlier de Gerson vont s’en inspi­ rer pour construire leurs systèmes de réforme in capite et in membris. S’ils sc défient de Marsile de Padoue, ils font confiance à Occam. le venerabilis i acceptor, et à Nicolas de Clamanges (t 1137), leur ami. Pierre d’Ailly (f 1120) enseigne que la subordination de l’Église au pape n’est qu’accidentelle; car c’est du Christ cl non du pape que découle la juridiction des évêques cl des prêtres; l’évêque de Rome est la tète de l’Église, mais en tant que principalis inter ministros..., ministcrialitrr exercens, adminislraliter dispensans. De Eccleshr. tone. gen. et sum. pontif. auctoritate, dans Ger­ son, Opera, Ln, col.928,931,958. Du reste, la primauté a passé d’Antioche à Rome, avec Pierre; elle n’est donc pas attachée à un siège. On peut toujours en appeler du pape au concile général quand il y va du bien com­ mun, car le concile général est supérieur au pape, peut le juger, le condamner et, si besoin en est, le déposer. Utrum Petri Ecclesia lege reguletur..., ibid.,t. i, col. 668669, 690, 691; cf. t.n, coi.951 sq. Pour d’Ailly, en défi­ nitive, l’Église est pourvue d’un régime non pas monar­ chique, mais aristocratique. Voirrart.A!i.i.vfP/rrre t. i. col. 642-654. Gerson (t 1429), le docteur très chrétien, n’est pas l’adversaire de la primauté du pape; à cet égard, il est probablement moins aventureux que Pierre d’Ailly. Il accorde que l’évêque de Rome jouit d’une primauté réelle, monarchique, instituée par le Christ lui-même. Mais cc n’est pas à dire que le pape soit l’évêque uni­ versel, et que. comme tel, il jouisse d’un pouvoir immé­ diat sur toutes les Églises cl sur tous les fidèles : la puissance est en lui subjective et executive. Ce pouvoir exécutif de lier et de délier, cette juridiction instru­ mentale cl opérative est sous le contrôle et la dépen­ dance de l’Église universelle, pratiquement, du concile général, qui peut être convoqué par le premier chré­ tien venu cl auquel peuvent être appelés, pour y déli­ bérer, non seulement les évêques, mais aussi les simples prêtres cl les curés, voire, â certains égards, tous les fidèles. Opéra, t.n, De auferibititate papœ et De potes­ tate ecclesiastica, col. 201 mj.. 2 19 529 sq. Voir l'art. Gerson, t. vi, col. 1313-1330. Nous voilà, quant a présent, bien plus loin que d’Ailly. 2. En attendant, et tandis que sc prolonge le Grand Schisme, le rôle du pouvoir civil dans l’Église s'accroît outre mesure, s’ingérant, sans délai, entre la papauté divisée et l'intervention hypothétique du concile œcu­ ménique. Gerson, d’ailleurs, prêche le devoir qu’a tout chrétien de se rallier à son prince dans ccs heures trou­ blées, et a plusieurs reprises Vuniversité de Paris blâme et accuse de lèse-majesté ceux qui n’acceptent pa< les décisions royales dans les affaires du schisme. Bientôt, de fait, la « soustraction d’obédience prive Benoit XIH de scs derniers partisans; on lui relire la collation des offices et bénéfices ecclésiastiques que déjà le prince lient en main. Puis les ordonnances royales du 18 février 1407 substituent entièrement le roi au pape dépossédé. Un nouveau régime s'instaure, avec 1'apprnbation des docteurs. Simon de Cramaud 312 et Gerson en tête. On hésite cependant à mettre sur pied une véritable Église nationale; on n'ose rien pro­ mulguer; enfin, Benoît XIII ayant menacé, le 19 mai 1 107, le roi de France d’une excommunication majeure éventuelle, on passe outre : on publie officiel­ lement les ordonnances, le 15 mai 1108. Tout un ensemble de décrets et d’articles complémentaires, règlent, en octobre suivant, l’organisation de l’Église de France, Courtcculssc et Ursin de Talc vende ayant d’ailleurs déclaré que Benoit X111 a perdu sa légitimité du seul fait des attaques qu’il s’est permises contre le roi. Ainsi se constituent, dans cette crise, les libertés de l’Église gallicane : du despotisme de la curie on est passé à l’absolutisme du pouvoir royal. 3. En vain tentera-t-on, en 1 109, d’appliquer aux maux de l’Église un remède estimé plus efficace, en déposant, au concile de Pise, les deux papes rivaux; on n’aboutit qu’à la formation d’une troisième obé­ dience : le remède est pire que le mal. Le concile de Constance faillit bien être plus perni­ cieux encore (111 1-1 118). On a fait justement observer qu’une institution temporelle eût sans doute succombé à pareille crise et que la reconstitution de l’unité dans de telles circonstances est une merveille qui relient l’admiration de l'historien le plus étranger à la foi chrétienne. Le concile de Constance parvint à mettre fin au schisme, c’est un fait : Marlin V (1 117-1431) devint pape légitime et fut reconnu comme tel par la chré­ tienté. qui jamais n’avait accueilli l’idée d’une multi­ plicité d’obédiences et demeurait attachée à l’unité; c’est là un résultat positif qui s’inscrit au compte delà primauté romaine. D’autre part, le concile consacra de nombreuses sessions à l’examen, à la discussion et à la condamnation des erreurs de Wiclef, de Jean I lus et de Jérôme de Prague, erreurs qui, par certains côtés, étaient nettement opposées à la constitution de l’Église et à l'autorité de son chef. Mais rassemblée tumultueuse et bigarrée de Con­ stance prétendit préluder à la réforme de l’Église, en adoptant les théories conciliaires soutenues par les Français Pierre d’Ailly et Jean Gerson, par les Alle­ mands Langenstein et Gelhausen, par l’Italien Zarabclla. Plusieurs, Zarabella, d’Ailly et Gerson, d’abord, sont là. et agissent personnellement sur les délibéra­ tions. Dans les ive et Ve sessions fut proclamée la supériorité du concile sur le pape : « Le concile de Constance, légitimement assemblé dans le Saint-Esprit, formant un concile œcuménique et représentant l’Église militante, lient sa puissance immédiatement de Dieu; et tout le monde, y compris le pape, est obligé de lui obéir en ce qui concerne la foi. l'extinction du schisme et la réforme de l’Église dans son chef et dans ses membres. > Malgré cc qu’il a d’absolu dans l’expression — les hommes, surtout s'ils appartiennent à l’Église éter­ nelle, légifèrent volontiers dans l’absolu — cc décret pris tel quel s’atténue notablement, pourvu qu’on le replace dans les circonstances où il fut rédigé et pro­ mulgué. alors qu’il y avait doute sur la légitimité des papes en présence. En outre, il s’en faut que l’unani­ mité ait été acquise à cc texte fameux, cl il n’est pas sûr même que d’Ailly s’y soit rallié; le vote a eu un caractère nettement irrégulier et tumultueux. D’ail­ leurs. Jusqu’au concile de Bâle, que suivront plus tard les gallicans, personne ne s'avisa de voir là une déci­ sion doctrinale authentique. Enfin et surtout, l’appro­ bation du pape Martin V. indispensable pour donner à une session le caractère d’œcuménlcité cl à un décret une valeur décisive, a été expressément restreinte aux sessions tenues concUiariter, de même qu’aux décrets portés in faiforem fidei et salutem animarum. Or. on a pu discuter sur le caractère « conciliaire · des sessions 313 PIUMAUTÉ. LE CONCILE DE FLORENCE 31 ί IV· et v«. Sans doute, le pape élu à Constance évita ticuliers, et contre bien d’autres < abus ». Un décret de toujours, pour sauvegarder la paix, de se montrer plus la xv session prescrit formellement la célébration régu­ explicite. Mais son successeur, Eugène IV (1131-1 117), lière des conciles provinciaux et des synodes diocé­ lorsqu’il ratifia, dans son ensemble, le XV F concile sains. Mais, avec la xxm* session, le conflit redevient œcuménique, en 14 IG, ne manqua pas d’ajouter absque aigu (25 mars 1436) : toutes les réserves apostoliques tamen pru judicio juris, dignitatis et praeeminentia Sedis sont supprimées, les rapports du pape avec le Sacré apostoHcw. C’était, en cc qui concerne l’œuvre accom­ Collège sont étroitement réglementés; enfin, a son plie à Constance, mettre hors de cause la primauté du couronnement et au jour anniversaire, le souverain pontife romain. Du reste, Martin V, dans la xliîi· ses­ pontife prononcera un serment d’adhésion aux décrets sion du concile, avait publié plusieurs décrets de de Constance sur la supériorité du concile. Les Pères de réforme générale, dont certains portaient remède à Bâle, devant la résistance d’Eugène IV, constituent quelques uns «les abus les plus criants reprochés â la auprès d’eux une curie, avec chancellerie, chambre, curie. Le pape conclut ensuite, valables pour une rote, destinée à drainer les ressources financières arra­ durée de cinq ans, avec chacune des nations, une con­ chées à la curie romaine. Le pape alors prononce la vention particulière ou concordat, qui réglait surtout dissolution de l’assemblée révolutionnaire; devant son la matière des bénéfices, des annales, etc..., soit les refus de revenir sur cette mesure, le concile, dans sa principaux points de friction du Saint-Siège avec les xxxr session (24 janv. 1438),fulmine contre Eugène IV cours. Enfin, au grand scandale de Gerson, il déclara une sentence de suspense, et, dans la session suivante, que nul ne devait appeler du pape ni rejeter scs déci­ 11 déclare schismatique le nouveau concile réuni par sions en matière de foi. Gerson, Tract, quomodo ci un le Saint-Siège à Ferrare. Une xxxnr session (16 mai liceat in causis fidei a Summo pont, appellare, dans 1139) proclame comme dogmes de foi la supériorité du Opera, t. n, p. 303. Sur quoi, la clôture du concile fut concile général sur le pape et l’indissolubilité du con­ prononcée (1418). Voir I lefelc-Leclercq, op. cit., cile. Enfin les vingt ou trente Pères qui se sont obsti­ t. vu a, p. 71-584; art. Constance (Concile de), nés à siéger à Bâle déposent Eugène IV et bientôt un t. m, col. 1200 sq., principalement col. 1206 et 1220 sq. conclave, qui ne compte qu’un seul électeur cardinal, 4. Pour continuer l’œuvre de réforme, et aussi pour nomme un antipape, Amédée. duc de Savoie, sous k répondre aux pressions exercées sur lui par les tenants nom de Félix V (5 nov. 1439). Comme il faut à son élu des théories conciliaires, Nicolas V ouvrit un concile, des ressources, le concile l’autorise, en violation de scs le 23 avril 1423, â Pisc; mais, transférée d’abord à propres décrets, à lever des annates, dans une mesure Sienne pour cause de peste, cette assemblée ne put qui dépasse toutes les prétentions delà curie romaine. guère que renouveler la condamnation des erreurs de Le monde s’alarma de ccs coûteuses extravagances Wiclcf cl de Mus et former des vœux stériles pour le et de ccttc menace d’un nouveau schisme; Félix V ne retour des Grecs à l’unité. Le 7 mars 1 124, la dissolu­ fut reconnu ni par les peuples ni par les princes; les meilleurs esprits, qui axaient été d’abord l’âme de tion fut prononcée par les légats pontificaux parce que, poussé par les Français, le concile entendait régenter le l’assemblée, le légat Ccsarini, secrétaire du concile. .Eneas Sylvius, son plus brillant théologien, Nicolas Saint-Siège. Néanmoins, sur les instances des princes, de Cusa. abandonnèrent le parti. Le 16 mai 1443, la Martin V sc décida à convoquer un concile général à tenace assemblée célébrait sa xlv· et dernière session. Bâle, pour 1431. Il mourut aussitôt après et laissa son 5. Pendant cc temps, s’était tenu le XVII· concile successeur, Eugène IV (1431-1447), devant scs engage­ œcuménique, convoqué à Ferrure d’abord, le 18 sep­ ments et en face d’une opinion impatiente. Eugène IV tembre 1437. Les cardinaux et évêques fidèles au dut permettre l’ouverture du concile (23 juill. 1431). Dès la irr session générale, l’assemblée se déclara légi­ Saint-Siège ne tardèrent pas à s’y réunir. Eugène IV en personne s’y rendit le 24 janvier 1438, suivi de près timement réunie et proclama le double but à atteindre, par l’empereur Jean VIII Paléologuc et un grand savoir · la réforme de l’Église dans son chef et dans scs nombre de dignitaires et de théologiens grecs, entre membres et l'extirpation de l’hérésie hussitc >. La autres Bessarion de Nicer, Marc d’Éphèse et Gémisthr guerre sévissait dans les environs de Bille, les prélats Pléthon. n’arrivaient que très lentement; d’autre part, le pape, La peste chassa le pape cl le concile, qui dut se d’accord avec Jean \ III Paléologuc. aurait souhaité transporter à Florence (1439). Là. durant quatre mois un concile dans une ville proche de l'Adriatique. sc mesurèrent Latins et Grecs. On voulut aller, plus Eugène IV, par une bulle du 18 décembre, prononçait qu’en 1274, au fond des questions litigieuses; on n’en donc la dissolut ion du concile et en convoquait un aut re, réussit que mieux à se donner des preuves non équi­ qui devait sc réunir, dans un délai de dix-huit mois, à voques d’une antipathie mutuelle. Cédant à la néces­ Bologne. Mais les Pères de Bâle ne l’entendaient pas de sité politique, les Grecs consentirent néanmoins à une la sorte; le légat temporisa, et une n· session s’ouvrit, le 15 février 1432, qui renouvela les décrets de Con­ union, que promulgua le décret du 6 juillet. Après une stance touchant la supériorité du concile général sur mise au point des doctrines et pratiques controversées, le décret aborde en ces termes la primauté du pape : le pape. Beaucoup de membres du bas clergé sont là, qui, nettement révolutionnaires et hostiles à toute Nous définissons que le hiérarchie, veulent réduire la papauté à rien. On Dillinimu* sanctum apostolicam Scdcm cl romanum Saint-Siège apostolique cl aggrave les textes de 1415 : « Un concile général reçoit le pontife romain u la pri­ pontificem in universum immédiatement son pouvoir du Christ, et tout homme, mauté sur Γunivers entier; même le pape, doit lui obéir en ce qui concerne la foi, orbem tenere primatum et que cc pontife romain est le ipsum pontificem successo­ l’extirpai ion du schisme et les réformes générales de rem successeur du bienheureux esse beati Petri princi­ l’Église dans son chef et dans ses membres. » Dans la Pierre, prince «les npôtres, le pis apostolorum et verum m· session, on somme Eugène IV de comparaître et de Christi sicarium. totiusque véritable vicaire du Christ, retirer la bulle (h· dissolution. Dans la vr session, les le chef de toute l'Église, le Ecclesiie caput et omnium Pères — ils n’étaient que trente-deux — se disposent à pasteur cl le docteur de tou* Christianorum patrem nc déclarer le pontife contumace. Après une furieuse docto:em exis tere. et ipsi in les chrétiens, cl que Notrcbataille, le pape capitule, retire sa bulle. Dans les ses­ beato Petro pascendi, re­ Scigneur Jésus-Christ lui a sions xxe < t suivantes, le concile public d’énergiques gendi ac gubernandi uni­ donné en la personne de saint Pierre le plein pouEcclesiam u Do­ décrets de réforme dirigés contre le concubinage des versalem mino nostro Jcmi Christo v oir de paître, de régir et de clercs, mais aussi contre les annates, les appels répétés plenam potestatem tradi­ gouverner l’Eglise univer­ à Borne, les interdits généraux pour les fautes des par­ tam esse, quemadmodum selle, ainsi qu’il est contenu 3 15 PIUM \UTÉ. LA PIN DU XV® SIÈCLE etfam In gestis crcumcnico- dans 1rs nctcs des conciles nim conciliorum cl in sacris œcuméniques et dans les canoni hutconl inctur.Dcn/.- saints canons. Bannw.. n. 6’14. Sur la rédaction de la phrase finale du latin, quemad­ modum diam, et sur la teneur exacte de l’exemplaire grec original et des copies, voir Ilefelc-Lcclercq, op. ci/., t. vn, p. KHI-PSI. 316 Carniole, entreprendre de rouvrir le concile de Bâle cl cette extravagance séduira un instant Laurent le Magnifique. 3° Renaissance et Réforme; Ramure du concile de Trente (14 17-1605). - La chrétienté ébranlée ne retrouvait pas son assiette, parce qu'elle était loin encore d’avoir fait le tour des idées nouvelles. La Benaissancc apportait un humanisme souvent débridé ; Ainsi, ce n’est pas seulement le fait de la primauté les vieilles hérésies s’amalgamaient étrangement; la théologie cherchait sa voie, tandis que la réforme de que consacre cette définition, c’est encore le droit, droit divin, émanant du Christ par saint Pierre, droit l’Église demeurait perpétuellement à l'ordre du jour. ecclésiastique, émanant des conciles et des canons de 1. Théologiens. — Les débats de Bâle et de Florence mirent en évidence des théologiens remarquables. Sur l’Église. Ce n’est pas d’ailleurs sans discussions fort vives et fort passionnées que fut admis et contresigné le point qui nous occupe, nous pouvons retenir Nicolas par les Grecs cc texte si formel; ce n’est pas sans ater­ de Cusa et Jean de Torqucmada. moiements que les décrets de Florence furent promul­ a) Nicolas de Cusa (t 1461) entreprit d’abord de jus­ gués à Constantinople, et la fête de l’union célébrée tifier l’œuvre de Bâle, ou plutôt de lui fournir un vaste solennellement â Sainte-Sophie, le 1’2 décembre 1 15*2. programme de réforme. C'est son fameux De concor­ L’année suivante, la ville succombait aux assauts dantia catholica, présenté au concile vers la fin de 1433. des Turcs, le dernier Paléologuc tombait dans la Là. l’auteur attaque, l’un des premiers, l’authenticité mêlée, Sainte-Sophie était transformée en mosquée, de la Donation de Constantin et des apocryphes mis et le sultan Mahomet II élevait sur le siège patriarcal sous le nom do saint Clément. Mais â la perspicacité du le moine antiromain Gennadc (t 1161). En 1472, sous critique ne correspond pas une parfaite exactitude doc­ le troisième successeur de Gennadc, Simeon de Trébitrinale chez le théologien quand il se croit en droit zondc, un synode byzantin révoquait les décrets de d'affirmer que la défense du privilège divin du SaintFlorence : l’union avait vécu. Ilefele-Lccicrcq, op. cit., Siège repose uniquement, ou peu s’en faut, sur ces t. v/ι b, p. 951-1052. Elle parut plus sincère et plus pièces apocryphes. C’était, sur l’origine même de la durable pour les arméniens, les syriens cl les Jaco­ primauté romaine, raisonner comme Marsilc de Padouc bites. Ibid., 1079 sq. et Jean I lus, après en avoir détruit la réalité historique. 6. En Occident, d’autre part, les tendances plus ou Du reste, dans la Concordance, le pape n’est plus qu’un moins hostiles au Saint-Siège essaient de se maintenir. membre de l’Église, qui a été choisi pour être son repré­ Lc roi de France Charles VII et l’empereur d’Alle­ sentant, son délégué, et tout autre évêque pourrait magne Albert II s’efforcent d’exploiter et d’appliquer être élu comme chef de l’Église, d’autant plus que le la doctrine de Constance et les décrets de Bâle. L’épis­ concile œcuménique est supérieur au pape et à l’Eglise copal français réuni à Bourges tente bien de s’interpo­ tout entière. ser entre les conciles rivaux de Bâle et de Ferrare; il Mais les excès du concile de Bâle ouvrirent les yeux réussit surtout à préparer, â l’usage du roi, qui en fait à cc théologien solide doublé d’un humaniste averti; il une ordonnance de son royaume, la Pragmatique sanc­ sc rallia au parti du pape. Scs négociations à Constan­ tion de Bourges (1139). Elle confirme d’abord vingttinople, entreprises au nom d’Eugène IV, contri­ trois décrets de Bâle, après quelques modifications buèrent â la participation des Grecs au concile de Flo­ secondaires. Tout cc qui restreint les droits du pape i rence et â l’union. Scs vues s’étalent à ce point modi­ et les ressources de la curie romaine, tout ce qui sau­ fiées que, devenu légat du Saint-Siège en Allemagne, il vegarde les prérogatives du roi Très Chrétien est affirmé plaida brillamment, â la diète de Mayence, pour la et prend dès lors force de loi. Les appels â Borne, par suprématie pontificale. Dès lors, pour lui, le pape est exemple, ne sont permis qu’après épuisement des le vrai chef de l’Église; sans doute — et cela est un autres degrés de juridiction ou lorsque les plaideurs vestige de ses anciennes positions — le pape n’est pas n’ont pas â faire plus de deux journées de chemin. Une l’héritier ni le successeur de Pierre, au moins directe­ décrétale clémentine est purement et simplement sup­ ment, mais l’Église est Vexplicatio de Pierre, dans la primée; les cardinaux seront réduits au nombre de multitude de ses membres, parce que la grâce de Jésus vingt-quatre; en revanche, le droit d’appel comme j est < expliquée » en elle. De même, l’Église est impli­ quée et renfermée dans le pape, en qui elle contracte d’abus au roi et aux parlements consacre l’ingérence du pouvoir civil dans les affaires religieuses. Plus tard, tous les pouvoirs divers de sa hiérarchie. Voir l’art. Charles VII et Louis XI renonceront en partie à leurs Nicolas de Cusa, t. xi. col. GO 1 -612. prétentions; mais les parlements défendront la I ragb) Jean de Torqucmada (t 1468) est un penseur matique avec acharnement et s’efforceront de la main­ moins original, mais c’est un vigoureux scolastique, au courant des idées de son temps. Dans son ouvrage tenir en vigueur. Voir l’art. Pragmatique sanction, t. xu. col. 2780. i capital Summa de Ecclesia, il soumet â une critique En Allemagne, c’est par les décisions d’une diète de serrée les arguments des adversaires de la primauté et Mayence, en 1439, que l’empereur prétend mettre à leurs hypothèses pour en expliquer le fait. Il démontre profit les décrets de Bâle et de Constance. Mais la que ce n’est pas des apôtres, mais du Christ, que Pierre diète de Francfort, en 1117, devant la résistance a reçu sa prééminence; il démontre aussi que c’est de d’Eugène IV. aboutit ù un échec des légistes impé­ Pierre que les évêques de Borne ont hérité leur prin­ riaux, surtout après le concordat dit d’Aschaffcnbourg, cipal spirituel, et non pas des princes temporels, ni qui. malgré de notables concessions faites de part et même des premiers conciles, encore bien moins des d’autre, reste lettre morte. cardinaux. Summa de Ecclesia, éd. de Venise, 1560, Félix V, le dernier antipape que le monde ait vu, I 1. H, n. 39, 42, 106, p. 152 sq. et 2!6 sq. demeurait étranger a toutes ces tractations : aban­ c) Beaucoup plus effacé, un théologien allemand de donné de tous, il sc résignera, sous la pression du roi de celte époque doit être ici mentionné : Gabriel Biel France, â abdiquer entre les mains de Nicolas V (14 19), (t 1 195). Son De/ensorium obedientin apostollcæ ad tandis que les dernier» Pères de Bâle, qui avalent con­ Pium papam II destinatum, écrit en faveur du pape tinué leur conciliabule schismatique à Lausanne, sc contre son propre archevêque de Mayence, Diethcr réconciliaient avec l’Église universelle. Mais on verra d’Yscnbourg. excommunié cl déposé pour résistance encore, en 1182, André Zuccalmagllo, archevêque de aux ordres du Saint-Siège, lui attira la reconnaissance PRIMAUTÉ. LA RÉFORME PROTESTANTE .318 de Ple II. dont sa modestie lui interdit d'accepter les elle œcuménique ne tient pas immédiatement de Dieu bienfaits. Pour Biel, l'évêque de Home, successeur de ses pouvoirs et qu’il ne saurait représenter l’Église Pierre, est. comme lui, vicaire du Christ. Il a donc sur universelle s'il n’est uni au pape. Le souverain pontife, toute l’Église une primauté absolue, et tous, pasteurs au contraire, a dans l’Église unie autour de lui et par et fidèles, doivent se soumettre à son jugement lui, l’autorité suprême, qui lui vient de Dieu et de son suprême. Chef souverain, c’est de son pouvoir que ChnsL découle, médialement ou Immédiatement, toute juri­ Lc coup porta; les prélats de Pise s’émurent et diction spirituelle, toute dispensation des biens cl dénoncèrent aux docteurs de l’université de Paris · cc offices ecclésiastiques. Il a tout pouvoir pour lier ou libelle suspect, injurieux pour les conciles de Constance délier chaque chrétien; supérieur â tout droit positif et de Bâle » (1512). Louis ΧΠ appuyait la requête; il humain, il a, par suite, autorité et compétence pour manda à l’université de. faire examiner diligemment · dispenser n’importe quel fidèle ou clerc d'une loi portée le traité île Cajetan et de le « réfuter par raisons, points par un concile meme général. LeDe/ensorium, toutefois, et articles ». Un jeune docteur, Jacques Almatn n’accorde pas au pape un pouvoir de tout point sans (t 1515), fut chargé de cc soin. Son Liber de auctoritate limite, comme celui du Christ. Le pape ne peut rien Ecclesiæ et conciliorum generalium, adversus Thornam contre l’Écriturc ni contre le droit naturel ou divin; il de Vio, parut A Paris dans le courant de cette même ne doit user de son autorité que pour le bien de l’Église année 1512. Toutes les raisons, en effet, tous les et le salut des Aines; pour qu’on puisse cesser île lui points, articles et propositions de Cajetan y sont exa­ obéir, il suffit qu’il ait outrepassé les limites que lui minés et critiqués; tout ce qui ne s'y trouve pas con­ imposent le droit naturel, le droit divin ou l’Écriturc; forme aux décrets de Constance et de Bâle est repoussé. mais pour qu’il cesse d’être le chef de l’Église, il faut .Après avoir établi l’origine divine de l’autorité ecclé­ qu’il cesse, en tombant dans l’hérésie, d’appartenir A siastique et l'avoir étudiée dans sa nature cl son objet, la société chrétienne. Voir l’art. Biel, t. n, col. 811Almain en vient au sujet dans lequel elle réside. Pierre, sans doute, et les papes en la personne de Pierre, l'ont 825. 2. Conciles cl concordat; politique et théologie. — La reçue immédiatement du Christ; mais l’Église univer­ réforme de l’Église demeurait un facile prétexte aux selle l’a reçue aussi immédiatement de son divin fonda­ teur. l’Église universelle, c’est-à-dire l’ensemble de ingérences du pouvoir civil dans le domaine religieux; tous les fidèles, ou de tous les évêques, soit dispersés, la convocation d’un concile, plus que jamais, pouvait en cette fin du xv siècle, servir de manœuvre contre le soit réunis en concile général. Car on voit, en Matth.. Saint-Siège. Les papes, mêlés parfois plus que de rai­ xvin, 17, que l’Église a le pouvoir de juger tous les fidèles, sans en excepter, par conséquent, le souverain son A la politique internationale, durent souvent, pour pontife lui-même. sauvegarder leur essentielle primauté, consentir des concordats. L’autorité de l’Église ainsi définie est supérieure A a) Pour venir A bout de Jules ΙΓ, prince temporel celle du pape, et c’est pour cc motif que le concile casqué, Louis XII s’en prend au pontife romain, chef général, représentant l’Eglise universelle, a le droit d’imposer scs volontés au souverain pontife, de le fie l’Église; il rétablit la Pragmatique sanction, puis il assemble contre lui le conciliabule de Pise (1511), qui juger cl, au besoin, de le déposer, lui retirant la échoue misérablement, après avoir tenté de recom­ suprême autorité exécutive qu’il possède. Cajetan répliqua aussitôt par son Apologia tractatus mencer le concile , etc. (.Matth., xvi), extenditur 319 PKI Μ Λ UTÉ. LE CONCILE dumtaxat ad ligata ab ipso Petro. 27. Certum est, in manu Ecclesia aut papa prorsus non esse statuere arti· culos fidei, immo nec leges morum nec bonorum operum. La lutte ne faisait que commencer, et, parmi les sujets les plus fréquents de la controverse entre auteurs catholiques cl protestants, la primauté romaine fut l’un des plus âprement disputés. Illyricus donnait l’autorité supreme au peuple sous la surveillance des anciens. Calvin la réservait aux seuls anciens, Brcnz la i confiait au prince temporel, assisté d’un conseil de ministres et de notables. 4. Le concile de Trente cl la réforme catholique. — Paul III (1534-1549), sur les instances de CharlesQuint. avait, en 1535, envoyé en Allemagne son nonce Vcrgerio, un futur apostat, pour traiter de la question du concile. Une entrevue avait même eu lieu avec Luther à Wittenberg; les négociations semblaient avoir abouti; un concile fut convoqué à Mantoue pour le 23 mai 1537. Pour arrêter leur ligne de conduite, les chefs du protestantisme tinrent une réunion préalable a Smalkade. Luther y proposa une confession nou­ velle, les Vingt-sept articles de Smalkade, où il rejetait expressément la primauté du pape, tandis que Mélanchthon, plus pacifique, concédait encore au pontife | romain une supériorité de droit humain. Mais tous furent d’accord pour refuser de sc rendre à Mantoue et sc réserver pour un concile vraiment libre en territoire allemand. « Que Dieu vous remplisse de la haine du papel · tel fut l’adieu de Luther à rassemblée. Le concile de Mantoue fut donc prorogé, le parti des rigoristes vit grandir son ascendant, l’inquisition fut réorganisée, et l’index inauguré. Mais la régénération de l’Église demandait autre chose, une vaste et pro­ fonde réforme, que seul un concile œcuménique sem­ blait pouvoir efficacement entreprendre et mener à bien. il sc réunit enfin à Trente, où les sessions s’ouvrirent le 13 décembre 1545. interrompu à deux reprises (mai 1547-mal 1550, et avril 1552-janvier 1562), vio­ lemment agité par les orages qui secouaient le monde politique, il ne put terminer sa tâche qu’avec la xxv· session, les 3 et 4 décembre 1563. Poursuivant de ! front l’examen et la condamnation des doctrines héré­ tiques et la promulgation des décrets disciplinaires, il éclaircit les dogmes contestés, excluant par là même de l’Église les sectes protestante ; en même temps il concentrait les forces du catholicisme et donnait à celui-ci une organisation puissante et une discipline précise et rigoureuse. Il était inévitable que se posât, à un moment ou à l’autre, la question de la primauté du pape et celle qui lui est immédiatement connexe des rapports entre le pape et les évêques soit dispersés, soit groupés en concile. a) Les partis en présence. — Si l’ensemble de l’épis­ copat catholique rejetait avec horreur les invectives des novateurs contre la papauté, s’il considérait comme de droit divin la place du pape au sommet de la hiérar­ chie, Il s’en fallait de beaucoup qu’il fût unanime dan ; la manière de comprendre les rapports entre le succes­ seur de Pierre et les successeurs des apôtres. Les essais de parlementarisme ecclésiastique de la première moitié du xv« siècle avaient laissé en divers pays, et notoirement en France, des traces extrêmement sen­ sibles. L’Idée de la supériorité du concile sur le pape, proclamée a l’époque du grand danger de l’Église et en v uc de circonstances très particulières, s’était générali­ sée. On lui aurait vainement oppose la définition de Florence signalée ci-dessus, col. 311. Outre que celle-ci, destinée aux Grecs, exprimait avant tout, ce que nul en Trance ne contestait, la supériorité du Siège apostoli­ que sur celui de Constantinople, le concile qui l’avait proclamée, rival du concile de Bâle, n’était pas reconnu DE THE NT E 20 par tout le nniulc comme œcuménique, il s’en fallait. On en dirait autant du V· concile du Latran, qui. en certains milieux, n’était considéré que comme une machination d’ordre politique et perdait de ce chef, aux yeux des intéressés, son caractère d’œcuménlclté. Tant que la représentation de l’épiscopat se restrei­ gnit à peu près exclusivement aux évêques italiens — et ce fut le cas dans les deux conciles de Paul III (1545-15 17) et de Jules 111 (1550-1552) — la question des rapports du pape et de l’épiscopat ne prit aucun caractère d’acuité. Il en fut autrement quand, à la troi­ sième reprise, au concile de Ple IV (1562-1563), arri­ vèrent à Trente, en nombre plus considérable, tant les évêques espagnols que les évêques français. Peu nom­ breux au concile de Paul 111, totalement absents du concile de Jules III, auquel le roi I ienri 11 était hostile, ccs derniers parurent au concile de Pie IV et llseurcnt, à partir de novembre 1562, en la personne du cardinal de Lorraine, un chef habile, modéré, assez indépendant de sa cour, d’une part, du pape, de l’outre, et dont l’influence se révéla bientôt prépondérante. On tenait, dans ce milieu gallican, dont le cardinal était l’anima­ teur, à éviter tout ce qui aurait semblé mettre en échec les doctrines de Constance et de Bâle. Une alliance ne pouvait que sc conclure entre ce groupe et celui des prélats espagnols, dont le chef était l’archevêque de Grenade, et qui, d’un autre biais, entendait limiter — ou plus exactement délimiter — la puissance pontificale. Le grand principe invoqué dans ce milieu était celui du droit divin des évêques (on considérait plutôt ici les évêques dispersés et non grou­ pés en concile), et ce quasi-dogme prenait toute son Importance à propos d’une question d’apparence secondaire, celle de la résidence des évêques. Non sans raison, l’on attachait à cette question un intérêt consi­ dérable. Le concile était réuni avant tout, disait-on, pour promouvoir la réforme de l’Église; la résidence des évêques et, d’une manière générale, des bénéficiers ayant charge d’âmes était le seul moyen efficace de parvenir à des résultats tangibles. On croyait donner à ce précepte un appui plus certain en le déclarant de droit divin. On n’était pas fâché d’ailleurs de heurter, ce faisant, les habitudes de la curie romaine, qui, soit par la pratique du cumul des bénéfices même majeurs, soit par le fait qu’elle attirait et retenait à Borne bon nombre d’Ordlnalrcs, donnait une grave entorse aux principes mêmes de la résidence. Sans doute on ne con­ testait pas au pape la prérogative, découlant de sa pri­ mauté, de décider quelles exemptions comportaient les principes, mais on tenait beaucoup à faire proclamer le droit lui-même. Aussi bien, cette question de la rési­ dence de droit divin n’étail-clle qu’un des aspects du problème plus général : d’où vient aux évêques leur juridiction? Leur vient-elle de Dieu immédiatement, ou médiatement par l’intermédiaire du pape? La majorité de la représentation espagnole tenait pour l’origine immédiate, quelles que fussent les explications, d’ail­ leurs assez confuses, où s’introduisait le jargon scola­ stique et par lesquelles on s’efforçait de faire inter­ venir, dans la collation du pouvoir juridictionnel des évêques, l’autorité du souverain pontife. A l’extrême opposé de cette manière de voir» se situaient les défenseurs de l’autorité pontificale, cano­ nistes plus encore que théologiens, qui, érigeant en principes étemels les pratiques du moment, avaient tout l’air d’absorber complètement l’autorité des évê­ ques en celle du pape. Ils déclaraient que nombre de docteurs parmi ceux qui avaient bien mérité de l’Église avaient estimé que Notrc-Scigncur n’avait institué comme évêque que Pierre tout seul, que les autres évê­ que» l’avaient été par Pierre ou tout au moins par son autorité; Ils voyaient des inconvénients à dire, en reprenant le mot de saint Paul, que les évêques avaient 32 1 DE 322 été établis par l’Esprit-Saint pour gouverner l’Église nombre de sept, ce* articles représentaient les doctri­ de Dieu; jamais ils n’auraient concédé que les évêques nes protestantes qu’il s'agissait d'examiner. Le 7· était pussent être appelés les · vicaires de Dieu > et Ils ainsi conçu : Episcopos non «xc presbyteris superiores acceptaient diillclleinenl qu’ils fussent nommés les suc­ neque habere jus ordinandi. Nulle mention n'y était cesseurs des apôtres. Voir des textes en ce sens dans faite, on le voit, du droit divin. C'est sur les articles E. Elises. Cône. 7 rid., t. ix, p. 231-232. Sur la question en question que travaillèrent d’abord les théologiens même de la résidence, ils soutenaient que les défen­ du concile. De leurs observationi sortit le 13 octobre, seurs du droit divin en arrivaient A séparer l’Église de élaboré par une commission de déflnitcurs, le projet son chef : faire proclamer la résidence de droit divin, d’exposé doctrinal et de canons qui devait être soumis c’était garantir l'indépendance de la juridici ion épisco­ aux congrégations générales. Dans l’ensemble, ce dou­ pale A l'égard de Home, et de celte indépendance il ble projet avait les mêmes lignes que celui qui fut défi­ était possible de conclure que l'épiscopat, pris dans son nitivement adopté à la xxiii* session. Ce sont les diffé­ ensemble, riait au-dessus de son chef. —Telles étant rences qui doivent être remarquées. La doctrina, dans les positions respectives, il est aisé de comprendre A la partie qui e*t devenue le c. iv (Denz.-Bannw., n. 960), quels résultats devait aboutir le concile. faisait allusion A la hiérarchie, où sc sériaient les diffé­ b) Les décisions prises. — Sur Γ affirmation même de rents ordres, cl s’exprimait ainsi : Sequitur in sancta catholica Ecclesia, qua ad similitudinem calestis illius la primauté du pape, il n’y eut jamais de difficulté. Au cours des débats, même les plus aigus, il ne fut jamais Hierusalem matris nostra descripta est, hierarrhiam per porté atteinte à cette prérogative pontificale. On put succedentium ordinum aptissimam distributionem sub entendre le vieux doyen de Sorbonne, Maillard, appe­ uno summo hieraiicha. Christi in terris vicario,romano ler le pape « vicaire de .Jésus-Christ, rector et moderator pontifice constitutam esse. Cone. Trid., t. ix, p. 39, totius Ecclesia' >, Cone. Trid., t. ix, p. 386, el les ambas­ I. -10 sq. Le développement suivant rejetait la concep­ sadeurs laïques du roi de France parler de même, en tion protestante du sacerdoce universel des fidèles, et présentant les articles de réforme demandes par leur passait ainsi au pouvoir des évêques : (Synodus) maître. Ibid., p. 392. Le cardinal de Lorraine, à bien declarat, prater ceteras ecclesiasticas potestates episcopos des reprises, s’exprima dans des termes analogues ad hunc hicrarchicum ordinem pertinere, qui non solum (voir en particulier son votum, ibid., p. 207-208) et se a presbyteris differunt sed illis etiam superiores sunt; vit d’ailleurs confier par le pape de très importantes nam, cum in apostolorum locum successerint, etc. Ibid., missions. On pourrait citer nombre d’évêques français I. 49 sq. On volt que rien n’exprimait ici l’existence de qui parlèrent dans le même sens; nommons au moins droit divin de l’épiscopat; ce droit divin d’ailleurs n’était pas exclu, et tes évêques étaient déclarés suc­ ceux d’Évreux (ibid., p. 209), de Verdun (p. 210), d’Amiens (p. 211), de Chûlons (p. 212). Les sentiments cesseurs des apôtres. Les can. 1-5 avaient sensiblement de l'unanimité du concile s’expriment, à ce sujet, dans la forme qu’ils ont gardée. Le 6e, qui signalait l'exis­ tence de la hiérarchie, ne faisait pas mention, comme le le vole qui termina la dernière session (4 déc. 1553). A la question posée : Placelne vobis ut huic sacra cecu- canon définitif (Denz.-Bannvv., n. 966), de l'institution mcnicie synodo finis imponatur et omnium et singulo­ divine (divina ordinatione) de cette hiérarchie. Le 7e, à rum, qua- tam sub Paulo III0 el Julio 111° quam sub des différences de style près, avait la forme actuelle. Il Smo I). N. Pio 1 V, romanis pontificibus, in ea decreta et n’y avait pas de 8» canon. A cette rédaction qui s’efforçait, semble-t-il, de definita sunt confirmatio a B®° πομλχο pontifice PETATun ? tous les membres prévents, A une seule demeurer neutre, on comparera utilement le texte de exception près, celle de l’archevêque de Grenade, la doctrina que Séripandi» un des présidents du concile, répondent : Placet, reconnaissant par IA que leur élaborait vers le même moment. Texte, Cône. Trid., œuvre ne prend sa valeur que par la confirmation du I t. ix, p. 41-12. Conçu d’une manière beaucoup plus large, cet exposé s’efforçait de faire place ou pouvoir souverain pontife. Ibid., p. 1108. Mais il fut Impossible de faire aboutir aucune déci­ épiscopal et A celui du pape. En dehors des divers ordres de l’ÉglLe. il signalait l’existence d’un pouvoir sion sur les points contestés. Laissons de côté, parce non plus seulement d’ordre, mais de juridiction, mar­ qu'elle s’est embrouillée à plaisir au cours des débats, quant ainsi une distinction entre ccs deux concepts qui la question de la résidence de droit divin. On s’en tint, était absente des autres textes. en fin de compte, A une formule qui ne donnait aux demandes espagnoles qu’une satisfaction bien impar­ Sed pr.rler omnes hos gradus, prater onuies hos spiri­ faite : Ci.m pbæcepto divino mandatum sil omnibus tuales et ecclesiasticas potestates ncccsse fuit, superiorem quibus animarum cura commissa est oves suas cognos­ aliquam in Ecclesia esse potestatem, non quantum ad cor­ cere, pro his sacrificium offerre, dit le décret adopté à poris Christi seri consecrationem, sed quantum ad corpict. de tiiéol. catiiol. T. — XHI — 11. 323 primauté, m·: concim·: DE TRENTE (Luc., xxii, 32). Huc quod ante ascensionem in cæhim : Pater oîys nirds (Joa., xx . 17). ! hic, quod ad jurisdictionem pertinet plenitudo potestatis... Le texte, d’ailleurs, ne fut pas mis en discussion, et c’est à propos du texte officiellement proposé le 13 oc­ tobre que s'abordèrent les deux partis. Il y aurait inté­ rêt à étudier de près les vota qui furent exprimés dans la discussion générale qui suivit, spécialement ceux de* évêques qui apparurent comme les chefs des deux frac­ tions. Voir le po/um de l’archevêque de Grenade, ibid., p. LS, et, en sens diamétralement opposé, celui de l'archevêque de Bossano, p. 55. De cette discussion sortit une seconde forme du décret dogmatique qui fut distribuée le 3 novembre. La doctrina, répartie en cinq chapitres, s'efforçait, au c. v, de faire, dans la hiérar­ chie, une place convenable aux évêques ct au pape. 32 ί curam habet, qui speculari debet quomodo Jllr pupulum suum gubernet. Principalis itaque cum Ecclesia· particula­ ris est ejus cui commissa est; accessoria autem est papa·, qui in universali Ecclesia potestatem habet, episcopus, autem in sua sola particulari; alias esset unus episcopus in Ecclesia Dei cl alii non essent episcopi, sed llliiu rpiteopi vicarii. Ibid., p. 158, I. 12 sq. Sous une imprécision de tenues que le comple rendu analytique a sans doute aggravée, on ne peut s’em­ pêcher de trouver ici un cITorl pour serrer de près un problème que d’autres noyaient sous des flots d’élo­ quence. Voir, par exemple, le votum de l’archevêque de Bossano, prenant violemment parti contre le droit divin des évêques, p. 112-122. Plus diplomate que l’évêque de Lavaur, moins théo­ logien peut-être, le cardinal de Lorraine s’expliqua à la séance du 1 décembre. H essayait une voie moyenne, Prêter jnm commemoratos diversos ordinum gradus ct et, n’en déplaise aux critiques des théologiens pontifi­ >piritunles potestates, docet S. synodus, episcopos in Eccle­ caux, il était fort partisan d’un canon qui précisât le sia catholica sub uno Christi in terris vicario, romano ponticaractère de l’autorité du pape : Octavum canonem ne­ iico. per quern sunt in partem sollicitudinis, non autem in cessario addendum censuil in quo plenaria et universalis plenitudinem potestatis vocati, pnecipuum locum obtinere, potestas summi ponti/icis statuatur. H n’en était que atque Itn. nd similitudinem cælestis Hierusalem, eccle­ plus fort pour demander la reconnaissance du droit siasticam hiernrcliiam per succedentium ordinum aptissi­ divin des évêques, que la formule officielle du can. 7 ne mam dispositionem a Christo Domino constitutam esse... Quoniam vero episcopi In apostolorum locum successerunt... lui paraissait pas suffisamment garantir; il proposait Iterspicuum est. cos a presbyteris non solum differre, sed de (lire : S. disp. X, sect. I, Opera, éd. \ ivès. t. xi!, p. *280 sq. Mais cette primauté effective de saint Pierre, elle s’est transmise a scs successeurs sur le siège de Home, et c’est de droit divin que le penlife romain est le pasteur suprême de l’Église universelle. Ce deuxième point est établi avec un luxe de preuves qui prouve le souci de répondre pertinemment aux nom­ breuses object ions historiques faites par les protestants. 327 PRIMAUTÉ. LE GA LUC \ N ISM E Le traité s’achève sur le inode de designation du pape, sur la certitude que peut comporter la légitimité de tel pape cn particulier, sur l’inamovibilité de la dignité et de la fonction papales. Ibid,, sect, n-vi, p. 291 sq. Ailleurs, cn divers traités, Suarez examine les princi­ paux cas. spécialement en matière de dispenses, d’ap­ probations, de mesures coercitives, où s’exerce la pri­ mauté du pontife romain, et il allirme à cet égard qu’il a la suprême juridiction ecclésiastique cl que seul il peut créer une obligation qui s’étende à l’Eglise uni­ verselle. b) Ainsi, l’on constate que les théologiens privés devancent notablement les définitions officielles. Ils devancent aussi, par exemple, le Catéchisme romain (1566), qui allirme bien l’autorité du prince des apôtres et de scs successeurs, mais en la rattachant comme une nécessité logique à l’unité de l’Église, sans parler ex professo du primai, comme tel, de l’évêque de Home. Conclusion sur celle période, — La crise conciliaire cl les tentatives d’insubordination n’étaient pas termi­ nées, quand, dans le mouvement complexe du protes­ tantisme, s’amalgamèrent toutes les récentes hérésies. Tandis que les positions théologiqucs étaient entière­ ment renouvelées par la controverse, la primauté du pape, aux prises avec les tendances régaliennes, césaropapistes ou nettement schismatiques, sauvait l’essen­ tiel de scs prérogatives, cn concluant des concordats, cl maintenait plus fermes que jamais les principes sur lesquels s’appuierait une discipline puissamment réor­ ganisée. Si le concile de Trente n’a pas consacré expli­ citement le triomphe de la doctrine de la primauté romaine, il faut reconnaître que son œuvre tout entière, dont le principal mérite revient à la persévérante action de la papauté, a préparé l’inéluctable et for­ melle définition du concile du Vatican. VIII. L’épanouissement : du concile de Thente a nos jours (χνιι·-χχ· s.). — Avec le pape Clé­ ment VIII (1592-1605), qui donna une édition révisée de ia Vulgate et publia un nouveau catalogue de Γ Index cl les livres liturgiques réformés, on peut consi- I dércr l’œuvre du concile de Trente comme achevée. Vue nouvelle période commence, pendant laquelle la papauté devra lutter pour assurer l’acceptation et l’application de cette œuvre, en dépit des oppositions des princes, des légistes et parfois de certains prélats. 1° La théologie moyenne : saint François de Sales. — Evêque de Genève, fort au courant des objections pro­ testantes et des thèses rajeunies des théologiens ponti­ ficaux; très au fait, par ailleurs, des visées des gouver­ nants et des juristes, François de Sales (t 1622), con­ temporain de Suarez et de Bcllarmin.est moins un théo­ logien spéculatif qu’un controvcrsistc et surtout qu’un apôtre travaillant directement les âmes, un évêque aussi de la réforme catholique. Qu’il s’agisse de démon­ trer à ses adversaires que l’Église catholique est unie en un chef visible », il va droit à l’essentiel : ■ Je ne m’amuserai pas beaucoup en ce point, dit-il. Vous sçaves que tous tant que nous sommes de catholiques reconnolssons le pape comme vicaire de Nostrc-Seigneur : l’Église universelle le reconncut dernièrement à Trente, quand elle s’addressaà luy pour continuât ion de ce qu’elle avoit résolu, et quand elle rcccut ses députés comme présidons ordinaires et legitimes du concile. * Les controverses, part. I. c. ni, art. 2, dans (Enures complètes, éd. d’Annecy, t. i, 1892, p. 91. Cependant, l’apôtre du Chablais insiste, quand il y a lieu, sur la primauté du pape et, par exemple, lorsqu’il s’agit de démontrer que : lui cinquième caractéristique des hérétiques est le mépris du Siège apostolique, point ou excelle Luther... Si l’on retranchait de Luther cl de Cah in les insultes et c ilomnies déversées contre le Siège apostolique, U cn resterait bien peu de pages. Et. cependant, si quelqu'un doute que le mépris 328 du Siège romain soit une caractéristique de l'hérésie, qu’il écoute les paroles pur lesquelles le Christ a établi l'apôtre Pierre chef de l’Église : · Et sur cette pierre Je bûlirul mon Église. » Par suite, celui-là n'appartient pas Λ l’Église, qui ne s'appuie pas sur la pierre que la bouche du Christ n si gran­ dement magnifiée. Et. puisque le même Christ n confié ses brebis Λ la gnrdc de Pierre, elle n'est pas brebis du Christ, celle qui ne veut pas avoir Pierre pour pasteur. Que les hérétiques ne viennent pas apres cela prétendre que le pon­ tife romain n'est pas le successeur de Pierre ou quo l'auto* cité accordée à Pierre n'a pas été transmise au pontife romain: car, cette autorité ayant vie conférée à Pierre pour le bien commun de l’Église, elle n'a pas dû cesser avec Pierre, lequel devait disparaître par la mort au bout de peu d'années, mais durer autant que l’Église militanto, qui demeurera jusqu'à la fin du monde; par conséquent, l'Églhe doit avoir un successeur revêtu de l'autorité même dont jouissait Pierre. Or, personne n'a jamais été appelé par l’Église successeur de Pierre, dnns ce sens, en dehors du pontife romain. Kcconnaissons donc, ce qui est vrai, que le siège du pontife romain est celte pierre sur laquelle a été bâtie l’Eglise, véritable bercail du troupeau du Seigneur... Et François de Sales ne se prive pas de citer les nom­ breux témoignages des Pères, de saint Cyprien à saint Bernard, qui abondent en son sens. Opuscules, ibid., t. xxm, p. 111 sq. L’évêque de Genève cependant n’ignorait rien des difficultés pratiques toujours possibles entre les évê­ ques el la curie, presque inévitables entre les princes cl le pontife romain. 2° Le développement du gallicanisme et des doctrines régaliennes. — Malgré la bulle de Pie IV (1559-1565) promulguant officiellement le concile, le 26 janvier 1561, et dans laquelle étaient révoquées toutes les concessions de privilèges ou d’exemptions contraires aux décisions tridentines, les gouvernements, qui avaient tant réclamé la réforme ecclésiastique, ne montrèrent que peu ou point d’empressement à l’accueillir. Ni en France ni cn Suisse, il ne fut permis de publier les décrets conciliaires. Selon les parlements français, c’eût été porter atteinte aux libertés de l’Église gallicane, et c’est vainement que le clergé cn réclamera encore la réception pure et simple aux États généraux de 1614. Il est vrai (pie les conciles provin­ ciaux avaient souvent passé outre et mis cn vigueur la nouvelle discipline, du moins quant à l’essentiel. Sur ce point voir V. Martin, Le gallicanisme cl la réforme catholique : essai historique sur l'introduction en France des décrets du concile de Trente ( 1363-1613), Paris, 1919. Én Italie, saint Charles Borroniée (t 1584) avait sans retard travaillé puissamment à l’application des décrets du concile et à leur parfaite assimilation par le clergé italien. Mais en Espagne, à Naples, dans les Pays-Bas, Philippe H n’avait donné son acceptation que condi­ tionnelle, < sans préjudice des droits de la couronne ». En revanche, les princes catholiques de l’Allemagne reçurent le concile de Trente à la diète d’Augsbourg de 1566, sans aucune réserve; ainsi agirent la Pologne, le Portugal et la république de Venise. Mais, pratique­ ment, un peu partout, les gouvernements deviennent absolus et prétendent tout régenter, même la religion de leurs sujets, cn n'accordant qu’un respect fort diminué et une obéissance fort intermittente au chef suprême de l’Église. 1. Le gallicanisme. — A Venise, à l’occasion d’un grave conflit de la Sérénisslme république avec le SaintSiège, le pape Paul V (1605-1621) fulmina l’anathème et 1 interdit, le 1/ avril 160b, pour défendre les droits de l’Église en matière d’immunités et de mainmorte. Le servile Fra Paolo Sarpi (t 1623) était alors le thénlogien ollieiel du gouvernement. Il était surtout le chef d’une opposition à la fois politique cl religieuse à la cour romaine. Car non seulement il prit tl tâche de démontrer que les immunités ecclésiastiques loin PH IMAI Ί I d’clie de droit divin, ne reposaient que sur les conces­ sions des princes; il écrivit encore une histoire du τόπ­ ι ile de Trente (1619), qui n'est qu'un long acte d’accu­ sation dirige contre le concile lui-même et surtout contre la papauté. C'est nu même conflit politicoreligieux (pie se rattache l'évolution qui devait mener à l’anglicanisme l'archevêque de Spalato, MarcAntoine de Dominis, dont le De republica Christiana commençait à paraître en 1617. La primauté de droit divin du pape y était clairement attaquée. Voir Domi­ nis, l. iv, col. 1668. Il y aurait injustice à confondre avec ces polémistes mit ram iers les représentants les plus avancés de la théologie gallicane, le légiste Pierre Pit hou (f 1596) ou même le syndic de Sorbonne, Edmond Hlchcr (f 1631), bien qu’ils se soient faits l'un et l'autre les ardents champions des libertés gallicanes. Le clergé de France, d'ailleurs, au premier tiers du xvn· siècle, était loin d’etre complètement acquis à ces idées. Il faut recon­ naître néanmoins que les thèses soutenues jadis à Constance et à BAle n’avalent pas entièrement disparu; l’absolutisme gouvernemental était tout disposé à s’en servir. BIchcllcu voulut tenir la balance égale, et, tandis qu’il faisait brûler le livre du jésuite Santarclli, De potestate summi pontificis, Koine, 1625, par In main du bourreau, il obligeait, en 1629, Edmond Nicher à une rétractation. La crainte de la prépondérance des jésuites, partisans déterminés de l’autorité pontificale, la naissance et les progrès du jansénisme, la complai­ sance royale, tout concourait ù grandir l’école galli­ cane : cn 1636 encore, on voyait une portion du clergé demander le rétablissement de la Pragmatique. Sur tout ceci, voir V. Martin, Le gallicanisme politique cl le clergé de l rance, Paris, 1929· Tant que les con Hits furent circonscrits dans les limi­ tes des questions temporelles ou mixtes, la primauté du pape ne fut pas mise en cause à proprement parler. Mais, cn 1681, Louis XIV convoqua une assemblée extraordinaire du clergé, qui compta trente-six prélats cl trente-huit députés du second ordre, choisis à la dévotion de la cour. La question de la régale fut l’oc­ casion d’une déclaration au sujet de la puissance ecclé­ siastique cn général cl de l’autorité spirituelle du pape en particulier. Bossuet (f 1701). qui avait une con­ fiance médiocre cn ceux qui allaient ainsi légiférer, s’efforça de maintenir les débat* dans la ligne de la tradition catholique. Dans son sermon d’ouverture, nous savons par lui-même qu’il eut grand soin de ne pas atténuer les droits du pape et qu’il voulut expres­ sément maintenir intact ce mot de Charlemagne que, < quand cette Église (l’Église romaine) imposerait un joug à peine supportable, il le faudrait souffrir plutôt que de rompre la communion avec elle >. Néanmoins, l’assemblée adopta les quatre articles si fameux de la déclaration du clergé de France. Voir I article Dî.cla· ιιαγιον ni 1682, I. iv, col. 185-205. â compléter par \ . Martin, op. cil. Si le premier article peut être consi­ déré comme respectant suffisamment le principal spi­ rituel du pontife romain, il n’en est pas de meme des trois autres. Le deuxième, vn effet, professe expressé­ ment la validité des décrets de Constance sur la supé­ riorité du concile. Il est d’ailleurs erroné, puisque ni les papes n’ont approuvé ces décrets, ni la pratique de toute l’Église ne les a confirmés. Du troisième article, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est fort imprécis : en réalité, il s’éclaire par le précédent el revient à pré­ tendre (pic l’exercice de l'autorité pontificale est réglé par 1rs canons conciliaires, qui lui sont supérieurs, et aussi par 1rs coutumes, maximes cl canons de l’Église gallicane, opposés aux décrets disciplinaires de Trente. Le quatrième, plus vague encore, vise à restreindre l’infaillibilité pontificale, à l’encontre des précédentes déclarations du clergé de France (1625) el de la faculté 330 ». dont le Traité théologique pour l'autorité et l'infaillibilité du pape, Luxembourg, 1721, fut violemment attaque par les jansénistes, qui en oblinient même la suppression, par arrêt du parle­ ment de Metz el de Paris (S juin et 1er juill. 1724). Cf., du même auteur. Dissertation historique cl critique sur le sentiment du concile de Constance. louchant l'auto­ rité cl l'infaillibilité des papes. Luxembourg. 1727. 2. Le fébronianisme. — Le plus opiniâtre des cano­ nistes « gallicans · fut, sans ce ntredit, le Flamand Zeger Bernard Van Espen (t 1728), professeur à Lou­ vain. qui dut se réfugier cn l lollande pour avoir refusé d’accepter la bulle Unigenitus. 11 mt comme élève Jean Nicolas de Hontheim (+ 1790), auxiliaire et vicaire général de l'êvêquc-élcctcur de Trêves. Per­ suade que les excessives prétentions de Home avaient creusé la scission dans l’Église, principalement avec les dissidents du protestantisme, Hontheim écrivit, sous le pseudonyme de Febronius» en 1763, un ouvrage reten- 331 PRIMAUTÉ. LE GALLICANISME tissant: De statu Ecclesiic deque legitima potestate ramant pontificis. Il n’y reconnaissait nu pape qu'une simple primauté d’honneur, sans la prim inté de juri­ diction, déniait radicalement à l’Église son caractère monarchique et subordonnait formellement le pontife romain au concile général. En conséquence, il invitait avec instance le souverain pontife à renoncer aux droits et prérogatives qu'il devait soit aux concessions de ses pairs. 1rs autres évêques, soit aux Fausses décré­ tales. soit même à la violence. Les évêques, du reste, et les princes étaient véhémentement exhortes A sauve­ garder l’Église menacée dans sa constitution divine, en contraignant Rome à se désister de ses prétentions, si les conseils et les prières n’y suffisaient pas. L’ou\ rage servit quelque temps, malgré les inégalités et les con­ tradictions qu’on y pouvait relever, A alimenter les polémiques des dissidents contre la hiérarchie catho­ lique et surtout contre la primauté pontificale. Dès 1764, le pape (‘dément XIII (1758-1769) le condamnait et dès lors toute l'Europe fut inondée de réfutations et d’apologies. Au premier rang des adversaires de Fébronlus, il faut distinguer le jésuite Zaccaria (f 1795), avec son Anti/ebronio, Pisaro, 1767; Pierre Ballerini (t 1761), avec son traité Dr pi ac ratione primatus romanonim pontificum, Vérone, 1776, et Nicolas-Sylvestre Bcrgier (f 1790), qui, malgré scs préjugés gallicans, sut écrire contre l'audacieux traité de Fébronius une lettre fort pertinente au duc Louis-Eugène de Wurtemberg, le 12 octobre 1775. Enfin, à l’incomplète rétractation de Ifontheim, en 1778, le cardinal Gerdii (t 1802) opposa une remarquable critique, Animadversiones in commentarium Justini I'ebronii in suam retractatio­ nem, Rome, 1793. 3. Le joséphisme et le synode de Pistoie. — Joseph II. [ empereur d’Allemagne, sut accommoder à ses fins poli­ tiques et à ses visées philosophiques les théories de FébroniuC. Il soumit à son placet toutes les bulles pon­ tificales (1781); il abolit la réserve papale et reconnut aux évêques le pouvoir d’absoudre de tous les cas réservés (1781); il supprima de meme les empêche­ ments canoniques des troisième cl quatrième degrés de parenté (1783). En même temps, il s'attaquait au pou­ voir des évêques, fermait des couvents, limitait le nombre des séminaires et s’ingérait de mille manières dans l’administration ecclésiastique cl jusque dans les : moindres cérémonies du culte. Léopold II, successeur de cet « empereur sacristain », rapporta les lois novatri­ ces dans les Pays-Bas. mais en Autriche le joséphisme, le droit du souverain circa sacra, survécut; il prédo­ minera jusqu’en 1850. Une autre manifestation de fébronianisme, approu­ vée par Joseph II, cc fut, en 1786, le congrès d’Ems. Là sc réunirent, pour protester contre l’érection d’une nonciature à Munich (1785). mais surtout pour assurer l'indépendance des archevêques envers Borne, les déléguésdes archevêques-électeurs de Cologne, de Trêves et de Mayence, auxquels s’étalent joints les représentants de l’archevêque de Salzbourg. De cette assemblée sortit une punctation en 23 articles qui abrogeaient toutes les exen plions, supprimaient les recours cl demandes de dispenses à Home, comme ainsi la prestation par les évêques du serment de fidélité et d’obéissance au Siège apostolique. De plus, les bulles et les brefs des papes n’entreraient en vigueur qu’après acceptation cl publication par les évêques. En définitive, les électeurs prétendaient réduire les droits et les pouvoirs du pape à ceux qu’il avait durant les trois premiers siècles. Ce ne fut là qu'une démonstration sans suite : la majorité de l'épiscopat allemand demeura dans la soumission au Saint-Siège, qui, en la personne de Pie VI (1775-1799) et du nonce de (Pologne, Pacca, garda une attitude ferme et résolue. En 1789, les trois électeurs reconnu­ rent expressément le droit du souverain pontife a 332 envoyer des nonces el n accorder des dispenses, et l’ie VI. dans sa réponse, mit en pleine lumière le fonde nient de ce droit et des mitres prérogatives du chef de l’Église. Du reste, en 1786, le pape Pie VI, dans son bref Super soliditates, avait condamné à la fois le fébroplanisme et In punctation d’Ems. En Italie, la lutte n’était pas moins vive : la plupart des cours montraient une hostilité grandissante contre le Saint-Siège. Le grand-duc de Toscane, Léopold, frère de Joseph II. secondé dan.4 les affaires ecclésiasti­ ques par un prélat imbu d’idées jansénistes et gallica­ nes, Sclpion Ricci, évêque de Pistoie-Pralo, et d’un professeur de Padoue, Tamburinl, introduisait nombre de réformes inconsidérées dans les diocèses toscans. Pour vaincre les résistances, Léopold provoqua la réu­ nion d’un synode, qui se tint à Pistoie, par les soins et sous la direction de Bicci. On y toucha, par une foule de mesures, au droit canonique, au culte et aux préro­ gatives du pouvoir civil circa sacra; mais on y professa au »si le jansénisme et le gallicanisme, jusqu’aux quatre articles de la déclaration de 1682 inclusivement. .Malgré la pression du gouvernement, la plupart des dix-sept évêques de la Toscane e refusèrent A adopter les décisions de ce conciliabule; le peuple même sc révolta contre les innovations : le palais de Bicci fut menacé, et à la mort de Joseph II, quand l’archiduc devint empereur, Bicci dut résigner son siège (1790). La bulle Auctorem fidei, du 28 août 1794, condamna le synode de Pistoie cl scs doctrines nettement hétéro­ doxes. Il faut signaler, en particulier, la condamna­ tion. comme hérétique, de la dénomination attribuée au pontife romain de chef ministériel de l’Église. Insuper, qua· statuit, ronianmn pontificem esse cnput ministerial?, sic explicata ut romanus pontifex non a Christo in persona beati Petri, sed ab Ecclesia potestatem minis­ terii accipiat, qua vehit Petri successor, verus Christi vica­ rius ac totius Ecclesia* caput pollet in universa Ecclesia ; 1 lærctlca. A la fin du même document est réprouvée la témé­ rité insigne el frauduleuse du synode, qui a osé louan­ ge r et adopter les quatre articles gallicans de 1682. malgré les condamnations des papes Innocent XI et Alexandre VIII. Bicci se soumit en 1799 et renouvela sa rétractation, en 1805, aux pieds de Pic VII. Voir l'art. Pistoie (Synode de), t. xn, col. 2134-2230. La papauté avait malheureusement moins bien défendu ses prérogatives en cédant, de guerre lasse, à l’offensive des cours et des gouvernements, qui exi­ geaient la suppression de l’ordre des jésuites. La Com­ pagnie de Jésus supprimée par le pape, qu'elle avait toujours vaillamment servi, allait manquer â l’Eglise pour un temps, qui serait particulièrement tourmenté et périlleux. 3° De la révolution française au concile du Vatican (1789-1870). - Nous n’avons rien dit de l’action des papes contre le jansénisme ou contre le quiétisme; il est à remarquer, à ce propos, que si le gouvernement royal, en France, sut retrouver la véritable notion du magistère pontifical pour demander la condamnation du jansénisme et du quiétisme, les parlementaires galli­ cans lièrent finalement partie avec les disciples dégé­ nérés d’Arnauld pour faire front contre l’autorité suprême du Saint-Siège. Tandis qu'a l lrecht, dès 1723, un schisme positif se déclarait et se consommait, en opposition à la bulle Unigenitus, en France, jansé­ nistes aigris et gallicans obstinés étaient prêts pour des entreprises de plus vaste envergure. 1. La constitution chute du clergé. La constitution civile du clergé fut, en eHct, l’aboutissement non pas è seulement des menées des < philosophes », mais encore des rancunes et des préjugés accumules et coalisés contre Home depuis cent cinquante ans et plus. Ce que nous devons signaler ici. dans celte nouvelle et révolu- 333 PRIMAUTÉ. HENOIJVEAU DE LA DOCTRINE 334 tionnairc pragmatique du 12 juillet 1790, c’est, en l’enseignement des quatre articles dans les séminaires. mÔmc temps que le bouleversement des lois et des cou­ Cependant, une série de concordats allemands tumes canoniques, In rupture presque complète des conclus entre la papauté et les différents Etats, après liens hiérarchiques avec Home et la méconnaissance le congrès de Vienne, donnaient A l'autorité du Saintde la primauté du pape. Siège l’occasion de s’affirmer au pays de Luther et de Lc 13 avril 1791, par le bref Charlias, Pic VI Fébronlus, tandis qu'un renouveau catholique y ren­ condamnait solennellement cette violation des droits dait A la vieille foi romaine son prestige dans la littéra­ de l’Eglise et de son chef, interdisant, du même coup, ture et dans les arts. aux ecclésiastiques de prêter le serment A la constitu­ En France, le comte Joseph de Maistre (t 1821) fai­ tion, « hérétique en plusieurs articles, sacrilège, schis­ sait paraître son livre fameux bu pape, Paris, 1820, où matique, renversant les droits du Saint-Siège, aussi il s'attache à démontrer non par la théologie, mais par opposée A l’ancienne discipline qu’A la nouvelle ·. « la nature des choses », comment l’Eglise universelle On sait comment le schisme s’aggrava par la persé­ appelle la suprématie pontiücale, et celle-ci l'Infaillibi­ cution et comment cette persécution atteignit Ple VI lité du souverain pontife. L'ordre naturel, c’est, en lui-même, qui devait être, suivant scs ennemis, le effet, que l’Eglise soit gouvernée « comme toute autre dernier pape. Voir l'art. Constitution civile ne association », que son gouvernement soit une monar­ CLEaaâ, t. m, col. 1537 sq. chie, étant donnes · le nombre des sujets et l'étendue 2. Concordat et Articles organiques.— Pie VII (1800- de l’empire ». Voir l’art. Mais™ (Joseph de), t. ix, 1823), successeur de Pic VI, presque aussitôt après son col. 1663-1678. L'abbé Félicité de Lamennais (t 1854) avènement, put rétablir en France son autorité, avec soutenait au début des idées semblables, principa­ le libre exercice du culte. Lc concordat signé en 1801. lement dans son ouvrage De la religion considérée dans devenu loi d’Etat en 1802, consacrait, une fois de plus, ses rapports anec l'ordre politique et civil, Paris, 1825. la primauté romaine. Toutefois, au Concordat, traité Tous deux s'élevaient avec éloquence contre les survi­ bilatéral, Bonaparte lit accoler soixante-dix-sept vants de cc vieux gallicanisme qui ne pouvait conce­ articles organiques, rédigés par ses légistes, A l’insu du voir, disaient-ils, les libertés de l’Église de France que pape, et promulgues avec le Concordat, comme s’ils dans l’asservissement A l’Etat. formaient avec lui un tout indivisible (8 avril 1802). A Bientôt, le choc du gallicanisme et du libéralisme, la conjonction parfois de ces deux tendances, au cours du l’instar de l’ancien régime, on veut sauvegarder les libertés gallicanes : l’exequatur gouvernemental est xixe siècle, font apparaître, plus manifeste que jamais, requis pour la publication et la mise en vigueur des la nécessité d’une suprême juridiction spirituelle. Les actes pontificaux; la déclaration de 1682 sera obliga­ changements de régime, en France, l'insurrection de la toirement enseignée dans les séminaires; l’appel Belgique, les soulèvements de Grèce, de Pologne, d'Ar­ ménie, l'émancipation des Irlandais, les menées du car­ comme d’abus est rétabli, et certains cas sont prévus, où les ecclésiastiques sont justiciables du Conseil bonarisme italien, les agitations pour le Risorgimenlo, d’Etat; aucun concile ne peut sc tenir sans autorisa­ autant d’occasions pour le souverain pontife d'interve­ nir. Pic VIII (1829-1830), dans sa première encyclique tion du gouvernement. Bref, tout l'arsenal désuet de la du 21 mal 1829. s’élève à la fois contre < ces sophistes monarchie est de nouveau utilisé. C’est en vain que du siècle qui ouvrent le port du salut A toutes les reli­ Pie VII protesta contre cette addition. Par ailleurs, on a pu dire que les Articles organiques ont send â faire gions » et contre « ces sociétés secrètes d’hommes fac­ tieux qui s’appliquent A désoler l’Église et à perdre passer le Concordat, malgré l’opposition acharnée qu'il l’Etat -. En Allemagne, c’est contre la législation anti­ soulevait. Bien, en revanche, ne désarma la fraction des anticoncordat aires de la Petite-Eglise, en France, canonique concernant les mariages mixtes que doit agir le chef de l’Eglise, par un bref du 25 mars 1830ct et des stevénistes en Belgique, qui, les uns et les autres, ne voyaient dans Pacte de 1801 qu'un attentat sacri­ par une suite d’actes d’autorité. En Portugal, Gré­ lège aux droits imprescriptibles de l’Eglise et décli­ goire XVI (1831-1846), dans les années 1833 et 1831. menace dom Pedro et Marie II des peines canoniques naient la juridiction des évêques nouveaux, exemple les plus sévères et obtient que cesse la persécution diri­ que suivra, en 1809, la secte tyrolienne des manhargée contre le clergé. En 1815, il reproche au tsar Nico­ tiens A l’égard des prêtres envoyés par la Bavière. las Ier les brutales injustices de son gouvernement à Encore faut-il ici souligner cet acte considérable, l’égard des catholiques cl en obtient l’atténuation des inouï dans les fastes de la papauté, par lequel Pie VU lois persécutrices. En Suisse, les catholiques, aux prises demandait à tout l'ancien épiscopat une démission pure et simple et déclarait qu’en cas de refus il passe­ avec un gouvernement sectaire, sont vigoureusement rait outre, dépossédant ainsi de leurs sièges les anciens défendus par ie pasteur suprême, dans l’encyclique du 17 mal 1835. En France enfin, le libéralisme religieux titulaires. Au seuil du xix® siècle, c’était une solennelle de Lamennais est condamné par l’encyclique Mirari affirmation, par un fait immense, de la primauté du de 1 <’> I pontife romain. Avec Pie IX (1816-1878), l’action du pontife romain Ni les exigences de Napoléon, dans 1’alTairc du mariage de son frère Jérôme, que Pie \ Il refusa de s'intensifie encore, au fur et à mesure que les nécessités déclarer nul, ni la procédure gallicane que l’empereur de l’heure l’exigent. Libéralisme en Italie, joséphisme en Autriche, appellent tour à tour la réprobation du mit en œuvre pour faire casser son propre mariage, ni la pression exercée lur le pape prisonnier pour lui arra­ pape, tandis qu’en Allemagne, de 1857 A 1860, il signe avec les principaux États une série nouvelle de concor­ cher les onze articles préliminaires du concordat de dats pacificateurs et qu’en Angleterre, par un bref du Fontainebleau (1813), n’eurent raison de la résistance de Pie VU et ne purent lui faire abandonner les droits 29 septembre 1850, il rétablit la hiérarchie catholique. Mais c’est surtout avec l’encyclique Quanta cura et essentiels du Siège apostolique : le pape au dernier le Syllabus (8 déc. 1861) que s'affirme la primauté spi­ moment parvint A se ressaisir en dépit des manœuvres rituelle du vicaire de Jésus-Christ. Toutes les erreurs de l’empereur. issues du gallicanisme, du rationalisme et du libéra­ 3. HestauralÎon rt renaissance catholique. lisme y sont réprouvées une fols de plus. Kctenons, Louis XVIII conclut avec le pape Pie \ 11 une nouvelle convention, le 11 juin 1817. laquelle ne fut jamais exé­ parmi les propositions condamnées, celles qui visent cutée. Mais les Articles organiques furent en partie laissés particulièrement la primauté du pape : dans l’oubli Jusqu'A cc que, sous le ministère de Villèle, xxiii. Les souverains pontifes et les conciles œcuméni­ en 1821, un décret royal vînt ordonner de nouveau ques sc sont écartés des limites de leur pouvoir, ont usurpé 335 PRIMAUTÉ. LE CONCILE DU VATICAN les droit? de? princes ct sc sont trompés (tons certaines de leurs définitions, même en matière de foi cl de momie. — xxvm. Il n'est pas permis aux évêques de publier même les lettres apostoliques sans la permission du gouvernement. — xxxiv. lui doctrine de ceux qui comparent le pontife romain λ un prince libre ct exerçant son pouvoir dans l'Eglise universelle est une doctrine qui a prévalu au Moyen Age. — xxxv. Him n'empêche que, par un décret d'un concile géné­ ral ou par le fait de tous les peuples, le souverain ponti lient soit transféré de l'évêque ct de la ville de Borne A un autre évêque ct à une autre ville. — xxxvn. On peut Instituer des Églises nationales soustraites A l'autorité du pontife romain pleinement séparées de lui. — .xxwni. Trop d'actes arbitraires de la part des pontifes romains ont poussé A la division de l’Égliseen orientale et occidentale.— xux. L’au­ torité séculière peut empêcher les évêques ct les fidèles de communiquer librement avec le pontife romain ct récipro­ quement.— U L'autorité séculière a par elle-même le droit de présenter les évêques ct peut exiger d'eux qu'ils prennent en main l'administration de leurs diocèses avant qu'ils nient reçu du Saint-Siège l’institution canonique ct les lettres apostoliques.— Li. Bien plus, la puissance séculière n le droit de déposer les évêques ct de les priver de l'exercice de leur ministère pastoral;... elle n’est pas tenue d'obéir nu pontife romain en cc qui concerne l'institution des évêchés ct des évêques. Texte latin dans Dcnz.-Bannw., n. 1723 sq. En divers pays, Italie, France, Hussic, le pouvoir civil interdit la publication du document pontifical. Mais en France, l’épiscopat ct l’opinion catholique, sans distinction d’écoles ou de partis, élevèrent contre cette interdiction d’énergiques protestations; ceux-là même qui seraient un peu plus tard les adversaires de La définition de l’infaillibilité pontificale se firent alors les défenseurs de la suprême juridiction du chef de l’Église. I. Le concile du Vatican et la définition de la primauté romaine. — Au reste, la primauté du pape n’était pas directement mise en question parmi les théologiens catholiques, mais seulement l’infaillibilité « person­ nelle » du pontife romain, conséquence logique de sa suprême autorité spirituelle: encore ne voulait-on dis­ cuter que l’opportunité d’une définition de cette pré­ rogative. Quoi qu’il en soit, la primauté continuait de s’exer­ cer : le 1 I décembre 1869, la constitution Apostoticæ Sedis, du 12 octobre précédent, modifiait, sans at ton- . dre l’ouverture du concile, toute la législation canoni­ que des censures et des cas réserves. Le 29 juin 1868, Pic IX avait publié la bulle d'indiction du concile, dont il fixait l’ouverture au 8 décembre 1869. Les 8 et 13 septembre, deux autres lettres apostoliques avaient été adressées, l’une. Arcana divinœ Providentiæ, à tous les évêques schismatiques d’Orient, l’autre, Jam vos omnes, aux protestants ct aux membres des autres communions dissidentes. Mais aucun prélat grec ou oriental ne parut au concile, ni aucun représentant des autres confessions séparées. Nous n’avons pas à étu­ dier ici en détail l’histoire du concile, voir l’art. Vati­ can (Concile du), mais seulement à marquer le résultat auquel 11 aboutit sur la présente question. Le 18 Juillet 1870, dans la iv« session publique, s’ouvrit le scrutin définitif, par lequel fut adoptée par une majorité importante la constitution Pastor ic1ernus sur l’Église, que Pic IX promulgua sur-le-champ. Le c. iv aborde rt définit le magistère Infaillible du pape, tandis que les chapitres précédents concernent sa primauté. Le c. rf reconnaît ct proclame la primauté de salut Pierre, en condamnant toute assertion qui tenterait de la nier ou de la ramener â une simple primauté d’honneur. Le c. π dé Unit spécialement « la perpétuité » de cette primauté de saint Pierred ans ses successeurs, les pon­ tifes romains : Quod autem in beato Cc que le prince des pas«postolo Petro, princeps leurs, le souAcrain pasteur pastorum et pastor magtius des brebis, Notre-Sclgneur ovium. Dominus Christus, Jésus-Christ, pour le salut in perpetuam salutem ne perenne bonum Ecclesiæ instituit, id eodem auctore in Ecclesia, quæ fundata super petram ad finem sæculorum usque firm i stabit, jugiter durare ncccsse est. • Nulli sane dubium, immo srcculh omnibus notum est, quod sanctus beatissimusque Petrus, apostolorum princeps el caput fideique columna ct Ecclesia* catho­ lica.* fundamentum, a Do­ mino nostro Jesu Christo, salvatore humani generis ac redemptore, claves regni accepit : qui ad hoc us­ que tempus cl semper in suis successoribus, episcopis sa ne tæ Iloinanæ sedis, ab ipso fundatæ ejusque consccnitæ sanguine vivit et pnesidet ct judicium exercet. · (Cone. Ephesinum, act. 3·; cf. Mansi, Conci/., t. iv, coi. 1295.) 1’ndc quicumque in hac cathedra Petri succe­ dit, is secundum Christi institutionem primatum Pe­ tri in universam Ecclesiam obtinet. · Manet ergo dis­ positio veritatis, el bea­ tus Petrus in accepta forti­ tudine peine perseverans suscepta Ecclesiæ guberna­ cula non reliquit. (S. Leo, Serai., m. De suo natali, 3, P. t.i.iv, coi. 146). Hac de causa ad romanam ICcclcsiam « propter potentiorem principalitatem necesse sem­ per fuit omnem convenire Ecclesiam, hoc est cos, qui sunt undique fideles · (S. Ire­ naeus, Contra lurresm, I. III, c. m, 3, /’. G., t. vu, coi. 849), ut in ea sede, e qua • venerando? communionis juni · (S. Ambrosius, Epist., XI, 4, P. t. XVI. coi. 946) in omnes dimanant, tanqtiom membra in capite consociata in unam corporis compagem coalescerent. Si quis ergo dixerit, non esse ex ipsius Christi Insti­ tutione seu Jure divino, ut beatus Petrus in primatu super universam Ecclesiam habeat perpetuos successo­ res; aut romanum pontifi­ cem non esse beati Petri in eodem primatu ’successo­ rem : A. S. Dcnz.-Bannw., n. 1824, 1825. 33G perpétuel et le bien de l’Église, n institue dans la personne du bienheureux apôtre Pierre. Il faut, avec son aide, quo cela dure <1 iris cette Église, qui, (ondée sur la pierre, doit demeu­ rer inébranlable Jusqu’A la fin des siècles. « Nul ne doute, tous les siècles savent que le glorieux saint Pierre, prince et diet des apôtres, colonne de la foi. fondement de l’Église ca­ tholique, n reçu de NotreScignciir Jésus-Christ, sau­ veur et rédempteur du genre humiln, les clefs du royaume cl que. jusqu'au­ jourd'hui, il vit toujours, préside, juge dans ses suc­ cesseurs, les évêques du saint siège de Home, fondé par lui et consacré par son sang. · (Cône. d'Éphêsc.) Quiconque dès lors succède à Pierre sur celte chaire, celul-lA, selon l'institution du Christ, délient la primilité de Pierre sur toute l'Église. « Ainsi demeurent les dispositions prises par la vérité même, ct le bienheu­ reux Pierre, qui garde In force une fois reçue de la pierre, n'abandonne point le gouvern dl de l'Église qui lui fut confié. (Saint Léon.) C’est pour celle raison que de tout temps « il fut néces­ saire. qu'avec l'Église ro­ maine, à cause de son pou­ voir tout spécial, se mit d'accord toute Église, en d’autres termes les fidèles de partout » (saint Irénéo), pour que, en cc siège, · sour­ ce, pour tous, des droits <1 * la communion » (saint Am­ broise), ils se fondissent en un seul corps, étant le? membres associés A la tète. Si quelqu'un prétend, dès lors, epic ce n'est point par l'institution du Christ, et donc de droit divin, que le bienheureux Pierre a des successeurs de su prim uitc sur toute l'Église, ou que le pontife rom du n'est pas le successeur du bienheureux Pierre en ce qui concerne la primauté, qu’il soit unithème. Le c. in, De vi et ratione primatus romani pontificis, précise bien que le pape est, par le fait, investi d’un pouvoir direct ct immédiat sur toute la chrétienté, sur toute, la hiérarchie, sans préjudice d’ailleurs des droits de la Juridiction ordinaire ct immédiate des évêques qui sont très explicitement rappelés. Par conséquent, le pape doit Jouir du libre exercice de son ministère apostolique et de la libre communication avec tous les membres ct toutes les parties de l’Église; en toute cause canonique, on peut Interjeter appel à son Juge­ ment, lequel est irréformablc même par un concile œcu­ ménique. Voici les passages essentiels de ces textes : Docemu? et declaramus. Nous enseignons el décto· Ecdcslnm rom in un, dlspo- rom que l'Église romaine 337 nente Domino, super omne* allas ordinaria· potestatis oblinere principatum, ct hanc romnni pontificis Juris­ dictioni* potestatem, quæ vere episcopalis est. imme­ diatam esse, erga quam cuJuscumquerituset dignitati* pastores atque fideles, tam seorsum singuli quam simul omnes, oilicio hlcrarchicic subordinationis vcræquc obedient ia· obstringuntur, non solum In rebus quæ nd fidem et mores, sed etiam in ils, quæ nd disciplinam ct regimen Ecclesiæ per totum orbem dlfTusæ pertinent ; ita ut, custodita cum romnno pontifice Inn. communionis quum ejusdem fidei pro* iessionls unitate. Ecclesia Christi sit unus grex sub uno summo pastore... I )cnz.Unnnw., n. 1827. Tantum nutem abest, ut ha c summi pontificis potes­ tas olficiat ordinarim ac hnmcdiatæ illi episcopalis Jurisdictionis potestati, qua episcopi, qui positi a Spiritu sancio In apostolorum locum successerunt, tanquam veri pastores assignatos sibi gre­ ges singuli singulos pascant ct regunt, ut eadem a supre­ mo ct universali pastore asseratur, roboretur ac vin­ dicetur.·. Ibid., n. 1828. Et quoniam divino apos­ tolic! primatus Jure ronianu* pontifex universa· Eccle­ sia? pneest, docemus etiam ct declaramus cum esse judi­ cem supremum fidelium ct In omnibus causis ad exa­ men ecclesiasticum spec­ tantibus ad ipsius posse judicium recurri; Sedis veto npo.stolicæ, cujus auctori­ tate major non est. Judi­ cium a nemine fore retrac­ tandum. neque cuiquam de ejus licete judicare indicio. Quare a recto veritatis tra­ mite aberrant. qui affirmant licere ab Judiciis roinanortim pontificum ad œctimenicum concilium tanquam ad auctoritatem romnno pontifice superiorem appel­ lare. Ibid., n. 1830« Si (jiils lliKjtic dixerit, roman ion pontificem habere tnnhimmodo oflichnn in­ spectionis vel directionis, non nutem plenum ct supre­ mam potestatem Jurisdic­ tionis in universam Eccle­ siam. non solum in rebus quæ nd fidem et mores, sed etiam in iis quæ nd discipli­ na m ct regimen Ecclesiæ per lotum orbem diffusai pertinent; nui eum habere tantum potlores partes, non vero totam plenitudinem hujus supremai potestati»; nut hanc ejus potestatem P Hl ΜΛUTI par une disposition du Sei­ gneur, n sur toute* le» mi­ tres une prééminence (lui conférant) un pouvoir ordi­ naire; que ce pouvoir de juridiction du pape, pousoir qui est épbcopnl, est immédiat; que ce pouvoir oblige pasteur* ct fidèles de tout rite cl do toute dignité, pris .» part ou considérés en bloc, aux devoir» de la su­ bordination hiérarchique et de l'obéissance vraie, non seulement en matière de foi ct de monde, mais aussi en cc qui touche la disciplinect le gouvernement de l'Eglise répandue dans le monde. De la sorte, en gardant avec le pape l’unité de communion et la profession d'une meme fol, l'Église du Christ est un seul troupeau, sous un seul pasteur suprême... Loin d'ailleurs que cc pouvoir du souverain pon­ tife porte préjudice au pou­ voir ordinaire ct immédiat de la Juridiction épiscopale, qui fait des évêques, établis par le Saint-Esprit ct suc­ cesseurs des apôtres, les vrai* pasteurs qui doivent paître et diriger, chacun pour son compte, le trou­ peau qui leur est assigné; cc pouvoir des évêques n’en est que mieux affirmé, ren­ forcé, défendu par Icpastcur suprême cl universel... Puis donc que c'est par le droit divin de sa prim uité apostolique que le pape est ίι la tête de l’Église univer­ selle, non* enseignons ct déclarons aussi qu'il est le Juge suprême des fidèles cl que, dans toutes les affaires ressortissant au contrôle ecclésiastique, il est loisible de recourir A son tribunal. Quant au Siège apostolique, n'y ayant aucune autorité supérieure h la sienne, ses Jugements ne peuvent être ravisé* par personne, ct nul n'a le droit de Juger son Jugement. Mnsl ceux-là s'écartent de la vole droite de la vérité, qui affirment qu'il est licite d’en appeler des sentences du pape nu concile œcuménique comme a une autorité supérieure Λ celle du souverain pontife. Dès lors, si quelqu'un dit que le pape n simplement un office de surveillance ou de direction ct non un pou­ voir juridictionnel plein ct suprême sur toute l'Église. non seulement en mitlère de loi ct de monde, mais encore en ce qui touche la discipline ct le gouverne­ ment de l’Église répandue dans tout le monde; que de cc pouvoir suprême il n'a que le principal cl non toute la plénitude; ou encore que cc pouvoir n'est pas un pouvoir ordinaire ct irnmé- 338 non esse ordinariam ct immediatam sive in omnes ac singulas Ecclesias sive in omnes ct singulos pastores et fideles : A. Ibid., n. 1831. dkitsur toute* ct chacune de* Églises, sur tou* ct cha­ cun des pasteurs cl des fidè­ le», qu'il soit nnrihème. Désormais, la définition solennelle de la primauté du pape est acquise, cl la théologie sc devra d’en faire état. Cc n’est pas que les apologistes n’alent plus à en justifier les fondements historiques; Pic X (1903-1911), en condamnant le modernisme, par le décret Lamentabill, en 1907, réprouvera encore deux propositions qui ont trait précisément aux origines du dogme cl du fait de la primauté romaine : 55. Simon Peints ne suspicatus quidem unquam est, sibi η Christo demandatum esse primatum in Ecclesia.—56. Eccle­ sia romnna non ex divinæ Providentiæ ordinatione, sed ex mere politicis conditionibus caput omnium Ecclesiarum elfecta est. Dcnz.-Bannw., n. 2055, 205G. Au vrai, nous reconnaissons ces assertions; mais le théologien n’a plus qu’à ajouter les précisions cl les conclusions utiles. L’article Pape, t. xî, col. 1877-1941, expose en détail ct précise comment, dans le gouverne­ ment ecclésiastique, tout aboutit au pape. Il ne nous reste présentement qu’à énoncer un certain nombre de conclusions. IX. Conclusions. — Du long exposé qui précède, il résulte que le gouvernement suprême de l’Église catho­ lique est attaché au siège de Home; que cette juridic­ tion universelle du pontife romain est un pouvoir sans appel, illimité en choses ecclesiastiques, ordinaire ct direct, immédiat aussi sur tout le troupeau du < Pas­ teur éternel »; enfin que celte primauté spirituelle du successeur de Pierre s’ordonne à l’unité du corps du Christ. C’est sur ccs trois points qu’il nous faut Insister pour finir. 1° Primauté du pape et siège de Home. — En quel sens et à quel litre la primauté de Pierre ct de scs succes­ seurs est-elle liée au siège romain ? Le droit divin de Pierre lui-même a son origine dans la volonté du Christ, constituant son Église sur un fondement indé­ fectible. C'est de ce droit divin encore que les succes­ seurs légitimes de Pierre, les évêques de Home, tiennent, à leur tour, leur primauté : tel est le fait que nous livre la tradition catholique, en sorte que, de droit divin, au moins médiatement, les évêques de Home sont à perpétuité les vicaires du Christ, investis de la même primauté qui fut conférée à Pierre. Ainsi parle le concile du Vatican. Mais est-il de foi que la primauté spirituelle voulue par le Christ doive être indissolublement liée au siège de Borne ? Et sommes-nous tenus de croire que nulle autorité, pas même celle du pape, ne puisse transférer cette primauté à un autre siège ? Pour répondre à celle question complexe, qui n’est pa* neuve, il faut, en définitive, examiner les conditions qui actuent et situent le droit divin dans le siège de Borne et, par le fait, les modalités historiques el Juridi­ ques en vertu desquelles la primauté de Pierre el de scs successeurs demeure ct doit demeurer liée au siège romain. Quatre solutions sont en présence. L Le privilège du siège de Home est de droit divin : c’est un ordre formel du Christ qui a déterminé le choix de la Mlle éternelle. Ainsi ont pensé des théologiens comme Melchior Cano, Grégoire de Valentia el d’au­ tres, en tête desquels il faut citer saint Koberl Bellarmin. Mais il semble bien que celle opinion ne puisse être théologiquement démontrée. 2. Ni le Christ ni même Pierre lui-même n'ont voulu lier la primauté au siège romain. La connexion que nous constatons n’est qu’un simple fait historique, humain. Ainsi pensaient certains Jansénistes du xvm» siècle, les tenants du synode de Pistole condamné par 339 PRIMA UTÉ. CONCLUSIONS He VI, Fébronius et un certain nombre de gallicans. Ainsi enseignait Nuytz, professeur de Turin, condam­ né, lui aussi, par Pie IX, en 1851 ct de nouveau dans le Syllabus. La conséquence d’une telle doctrine, c’est que l’Églisc pourrait, indépendamment même du pape. transférer la primauté â tout autre siège épiscopal que celui de Home : opinion qui, supposant une autorité ecclésiastique supérieure à celle du pape, se tiouve par là même écartée tant par la tradition que par la consti­ tution Pastor /rternus. 3. Une opinion, moins radicale cl que les Pères du concile du Vatican sc sont abstenus de réprouver for­ mellement, a été soutenue par D. Soto, Baûcz, Pahidanus ct d’autres théologiens. Selon eux, Pierre a libre­ ment . de sa seule détermination propre, fait élection de Home pour y établir son siège définitif ct le centre de l'unité catholique, en sorte que le pontife romain, son successeur, peut, avec la même liberté, prendre une détermination différente, qui transférerait la primauté a un autre siège épiscopal. I. L’opinion communément reçue, celle qui s’accorde le mieux avec renseignement des Pères ct des conciles, comme avec l’ensemble des théologiens, estime que ce n’est point sans une intervention spéciale de la Pro­ vidence que Pierre a finalement choisi Home comme son séjour. Cette doctrine est défendue par Eranzelin, Palmieri, Perrone, Billot, Bainvel, Tanquerey, de Groot. Schultes, Van Noorl, Mgr d’Herbigny. On la qualifie volontiers de théologiquement certaine. Mais il faut, pour demeurer dans cette note, ne pas exagérer la portée de la thèse. 11 faut affirmer, sans doute, que l’élection de Home par Pierre a manifestement été confirmée par Dieu, sans cependant avoir été formelle­ ment l’objet d’un précepte divin antécédent. Il faut en déduire que ce choix ne peut être changé par aucune autorité humaine, pas même par le souverain pontife en personne. Mail il faut ajouter que le pape demeure libre de choisir le lieu de sa résidence, c’cst-à-dirc de sa présence effective ct réelle, pourvu qu’il demeure en droit ct en fait évêque de Home. C’est du reste ce qui advint pendant le séjour de la papauté en Avignon, ce qui était arrivé bien des fols auparavant, ce qui devait arriver encore bien souvent dans la suite. Enfin, il ne saurait être question de considérer Home comme éter­ nelle, en tant que ville, ct de faire de celte perpétuité un dogme de fol ; ce n’est pas nécessaire à la primauté de l’évêque de Home. Il reste (pie la succession de Pierre dans la primauté est liée au siège de Home par le lait même de Pierre, agissant non point nécessaire­ ment en conséquence d’un ordre formel du Christ, mais sous l’action de la Providence, sans qu’il paraisse abso­ lument indispensable de faire appel â une révélation au sens précis du mot. Les Actes des apôtres men­ tionnent la manifestation surnaturelle qui Invita Paul à passer d’Asie en Macédoine. Act., xvi, 9. Bien n’empêche de supposer que Pierre, en venant à Home, aurait été guidé par de semblables avertissements. Rien non plus ne le démontre, et il convient, en ccs matières ou l’histoire a son mot à dire, de ne pas affir­ mer plus que l’on ne peut prouver. Il reste du moins que Home ne conféra pas la primauté â ses évêques, qu’elle lu reçut par suite d’une particulière ct précise disposition de Dieu. 2· /(apports de la primauté ponti/lcale et de la juridic­ tion des évêques. — Nous avons dit (pic, devant les diffi­ culté* d’une solution de ce problème, le concile de Trente avait finalement renoncé ù prendre parti cl avait même laisse en suspens la définition projetée de la primauté du pape. A l’époque du concile du Vatican, le sujet était assez clarifie pour que l’on pût essayer de donner des précisions qui n’étaient pas possibles au xvr siècle. A définir la primauté pontificale, nul ne vos ait de difficultés; neanmoins, au concile, quelques- 340 uns des membres de l’opposition étaient d’avis qu’il était bon non point de limiter, mais de délimiter l’au­ torité universelle attribuée au pape. Ce qui fut fait pour la prérogative de l'infaillibilité, dont l’objet cl les conditions furent soigneusement précisés, aurait dû être fait, pensaient-ils, pour la primauté elle-même. Rien ne ferait mieux comprendre ce qu’était celle-ci que la comparaison des droits réciproques du pape ct des évêques. Le temps malheureusement ne permit pas au concile de mener à bien cette discussion. Telle qu’elle fut proposée aux Pères, le 9 mal 1870, la constitution Pastor œlernus déclarait, dans son c. m, que le pouvoir de juridiction du pape était un pouvoir épiscopal, ordinaire ct immédiat : docemus ct declara­ mus, hune, qua proprie est episcopalis jurisdictionis potestas, ordinariam esse et immediatam. Cf. MansiPelli, Concit., t. i.n, coi. 5 D. Ce sont exactement les mots qui seront employés dans la définition même, ci-dessus, col. 336 sq. Le projet ajoutait d’ailleurs, pres­ que immédiatement, que ce pouvoir du souverain pon­ tife n’était pas en opposition avec le pouvoir de juridic­ tion des évêques, lequel était, lui aussi, ordinaire cl immédiat, ibid., col. 6 A, texte qui fut de même finale­ ment adopté. Bien qu’il ne soit dit nulle part que ce pouvoir épiscopal est de droit divin, c’est ce qui ressort néanmoins de l’ensemble de la constitution ct aussi de textes que nous verrons plus loin. Nul n’aurait songé à l’époque du Vatican à faire de l’épiscopat, en tant que tel. une institution de droit positif humain. C’est de droit divin qu’il existe des évêques, ct. puisque leur pouvoir juridictionnel est dit ordinaire, c’est donc qu’il n’est pas simplement une délégation du pouvoir pontifical. La difficulté restait, à vrai dire, de montrer le rap­ port entre ccs deux juridictions, toutes deux épiscopa­ les, ordinaires ct immédiates. Dans les critiques qui furent adressées, lors de la discussion générale, au c. ni du projet distribué par la députation de la foi, il convient de retenir celles qui furent faites par Mgr Dupanloup, à la séance du 10 juin; l’évêque d’Orléans y reprenait, comme il le dit lui-même, les arguments énoncés avant lui par d’autres orateurs de l’opposition: • La primauté du pape, disait-il, nous l’acceptons tous, c’cst-à-dirc la plénitude de son pouvoir. Mais, de même que l’océan a des limites, de même nous pensons que la primauté a les siennes et doit être réglée dans son exercice. · Les mots potestas episcopalis, imme­ diata, ordinaria, employés pour caractériser le pouvoir pontifical, ne lui plaisaient guère, et comme jadis à Trente l’évêque de Lavaur, ci-dessus, col. 323, il rap­ pelait le mol de saint Grégoire : Si unus universalis est (episcopus ) restat ut vos episcopi non sitis. · Je ne nie point, continuait-il, que, dans un sens 1res vrai, la juri­ diction du pape sur chaque diocèse soit épiscopale, puisque le pape est le chef des évêques, qu’elle soit ordinaire, puisque à coup sûr elle n’est pas déléguée, qu’elle soit immédiate, puisqu’elle peut s’exercer direc­ tement sur chacun. Mais, pul qu · la juridiction <îc l’évêque, elle aussi, est épiscopale, immédiate ct ordi­ naire, que ces mots par l’usage, par le droit, par la nature mêm * des choses sont consacrés, quand il s’agit de l’évêque. Je ne serais pas d'avis que ccs mots fussent employés, afin que les juridictions de l’évêque ct du pape soient marquées comme distinctes ct différentes, bien que dérivées de la même source et tendant à la même fin, bien que limitées de manière différente. Je m’associe donc aux amendements qui ont déjà été proposés sur ce point. · Ibid., col. 573-574. L’amendement essentiel tendait à remplacer le mot jurisdictio episcopalis par celui de jurisdictio primatiatis; c’est à son sujet que parla aussi, non sans habileté, ‘ l’évêque de Salnt-Brleuc, dans la même séance, ibid., col. 592-593. Le schéma proposé par la députation de la fol faisait état du mot de saint Grégoire : meus honor 341 PRIMAUTE. CONCLUSIONS est honor universalis Ecclesiir; non sans malice, le prélul demandait que l’on n’arrêtùt pas trop tôt la cita­ tion ct que l’on ajoutât les mots du vieux pape : Si sua unicuique episcopo jurisdictio non servatur, quid aliud agitur nisi tit per nos, per quos ecclesiasticus custodiri debet ordo, confundatur? Ibid., col. 59ft B. Mais la députation de In fol tint bon sur ccs mots; voir ibid., col. 10-11, les réponses faites aux amende­ ments proposés. Sur le mot episcopalis, elle renvoyait aux explications qui seraient données dans la 11·partie de la constitution De Ecclesia Christi; elle expliquait le mot immédiat, le justifiant par les réponses de Pie VI aux < punctatcurs d'Ems >, où le pontife faisait valoir, pour appuyer ses dires, des mots de Gerson ct mémo de Bossuet ; elle développait enfin les raisons pourquoi cette juridiction ne pouvait porter ombrage ù celle des évêques. Elle faisait d’abord remarquer que le schéma pro­ posé expliquait nettement que la juridiction des évêques était, elle aussi, ordinaire ct immédiate; elle ajoutait : « Les difficultés faites proviennent de fausses suppositions ou d’explications inexactes de ce pouvoir immédiat que le schéma attribue au pape : on lui fait signifier qu’il pourrait n’y avoir pas, de droit divin, dans l’Églisc des évêques, qui sont les pasteurs parti­ culiers, ou que le pape pourrait un jour gouverner l’Églirc sans évêques, sans pasteur» particuliers : quasi significaretur aut episcopos, qui sunt pastores particu­ lares, non esse in Ecclesia jure divino semper debere, aut romanum pontificem regere unquam posse Ecclesiam absque episcopis seu pastoribus particularibus. Mais, ce qui est vrai, c’est que le pape a sur l’Églisc universelle un pouvoir ordinaire ct immédiat en ce sens que, sui­ vant une constitution de droit divin (ex statuto divini­ tus ordine), il appelle à partager sa sollicitude des évê­ ques particuliers, qui, avec un pouvoir ordinaire et immédiat, paissent ct gouvernent les troupeaux parti­ culiers qui leur sont confiés. Ces explications données par la députation de la foi devaient s’inscrire dans la Constitutio dogmatica //· de Ecclesia Christi, qui ne put être discutée. Voir le texte t. Lin, col. 308 sq. On y reprenait, somme toute, les définitions préparées ù Trente sur l’organisation géné­ rale de l’Églisc ct de sa hiérarchie. Le c. iv, qui visible­ ment s’inspire de certains des textes présentés jadis, expose que l’Églisc n’est pas un agrégat de membres égaux; les ministres qui y accomplissent les fonctions sacrées ne s’y distinguent pas seulement d’ailleurs par des droits inégaux au point de vue des sacrements. Outre un pouvoir d’ordre plus étendu, les évêques ont, en plus des simples prêtres, le droit de gouverner, avec un pouvoir propre ct ordinaire, les Eglises qui leur sont confiées. Et le texte ajoute : Itaque ct singuli in sua quisque Ecclesia ct congregati in synodis de doctrina ct disciplina decernunt, leges ferunt, judicium exercent. Neque fas est presbyteris sive aliis cleri­ cis suo in gradu ol munere quld Par les béliers, les agneaux ct les jeunes plénière sur toutes les Églises nesloi jeunes, même sur brebis sont désignés absolument tous les fidèles des 34 7 PRIMAUTÉ D’APRÈS LES NESTORIENS 348 deux sexes, aussi bien les premiers que les moyens et vrai successeur de Pierre, devient pour eux. du jour les derniers. > Khayyath, op. cit., p. 15-17. où ils proclament leur autonomie absolue, c’est-à-dire Il faut remarquer cependant que plusieurs exégètes dès 121, lecatholicos-patriarcho de Sélcuclc-Gtéslphon, nestoriens, à la suite de Théodore (voir en particulier véritable chef monarchique de toute l’Églisc ncslole Liber ad baptizandos publié récemment par A. Min- rienne, celle de l’intérieur du royaume des Perses, gana, Woodbrookc studies, t. v, Cambridge, 1932, comme celle de l’extérieur, qui s’accrût dans des pro­ p. 112; t. vr, Cambridge, 1933, p. 23), ne signalent, à portions remarquables par les missions en Asie cen­ l’occasion de ces textes, aucun privilège spécial trale, aux Indes et jusqu'en Chine. Cf. art. Église accordé à Pierre. Le Tu es Petrus est accommodé soit à nestoiuexni , t. xi, col. 187-218. Au synode de 121, l’ensemble des fidèles, soit aux prélats de l’Églisc, qui le même évêque Agapit, qui affirma si nettement, détiennent les clefs du royaume des cieux. C’est le cas comme on l’a vu, la primauté de Juridiction de Pierre de Baba! le Grand (t vers 628) dans le Liber de unione, sur le collège apostolique, déclara, à la fin de son dis­ trad, Vaschalde, Corp, script, christ, orient., t. i.xî, cours : Exposons-nous à toutes les morts pour notre p. 3- L qui entend la pierre de la foi de Pierre, commune père et chef, qui est notre directeur, notre dispensa­ a tous les fidèles. Le catholicos Timothée lrf (t 823), teur, le distributeur de toutes les richesses des trésors Epist., t. r, cd. O. Braun, Corp, script, christ, orient., divins, le catholicos Mar Dadi&o', gui est pour nous le t. lxvii, p. 11, et Élicdc Nlsibetf après 1019), Demons­ Pierre, chef de notre assemblée ecclésiastique.·· Qu’il tratio veritatis fidei, trad, allemande de L. Horst, reprenne le gouvernement sur nous, selon le précepte Des Metropolitan Elias von Nisibus Euch vont Prive i s du Christ à Pierre, chef des apôtres! » Synod, orient., der Wahrheit des (ilaubcns, Colmar, 1886, p. 87. P. 19-50 et 294. s’expriment dans le même sens. Quant à l’exégète Cette idée que le patriarche de Cléslphon est pour Ho'dad de Mcrv (vers 850), il déclare que les clefs du l’Églisc nestoricnne (c'est-à-dire pour la seule véri­ royaume des cieux ont été données à l’universalité des table Église fondée par Jésus-Christ dans la pensée des fidèles dans la personne de Simon; que la prière du théologiens dissidents) le véritable successeur de Pierre, Sauveur pour Pierre (Luc., xxn, 31, 32) se rappor­ orné de toutes ses prérogatives, sc rencontre commu­ tait aussi aux autres apôtres, et que la scène du lac de nément dans les documents officiels comme dans les Tibériade : Pasce agnos, pasce oves (Joa., χχι, 15-17), écrits des théologiens et des canonistes. Elle est aussi est une allusion au triple reniement de Pierre ainsi incarnée dans l’organisation ecclésiastique. Les pré­ qu'aux trois degrés du sacerdoce. Commentaria in rogatives reconnues au catholicos-palriarchc sont vrai­ Evangetia, éd. de AL Dunlop Gibson, The Commen­ ment papales. Il juge scs collègues, métropolites et taries of ISo'dad of Mero, bishop o/ Hadatha, in syriac évêques, et n’est jugé par personne. Il n'est justiciable und cnglish, t. ! (trad.), p. 66. 197. 287-288. que du tribunal du Christ, comme le déclare, dès 121, le Au demeurant, ces interprétations, données en synode de Dadi&o' : « Nous définissons que les Orien­ passant ou dans un recueil succinct comme celui taux ne pourront sc plaindre devant les patriarches d’Bo'dad, ne prouvent pas que les auteurs indiqués occidentaux de leur patriarche. Que toute cause qui ne aient nié la primauté de Pierre et n’aient pas partagé pourra être résolue en présence de celui-ci soit réser­ l'opinion commune de leur Église. vée au tribunal du Christ. » Synod, orient., p. 296. Il Si nous consultons les livres liturgiques, nous n’y est la source de toute juridiction pour les métropo­ trouvons rien de bien explicite au point de vue doc­ lites et les évêques, et, pont bien marquer cette sujé­ trinal, mais la répétition telle quelle des passages tion, tout nouvel évêque ou métropolite reçoit de ses évangéliques, et le titre de prince et chef des apôtres mains une sorte de complément de son ordination par donné couramment à saint Pierre. Dans les ofllccs le rite dit de la perfection, qui est une répétition des liturgiques revient souvent l'antienne suivante : « Tu principales cérémonies de l’ordination elle-même. C'est es heureuse, Home très célèbre, ville royale, servante le patriarche qui institue ou supprime les métropoles de l’Époux céleste, dans laquelle comme dans un et les évêchés, convoque et préside les synodes, règle port ont été placés les deux prédicateurs de la vérité : les rites sacrés cl les ofllccs liturgiques, approuve ou Pierre, le chef des apôtres, sur la fermeté duquel notre condamne, comme juge de la foi, les livres traitant des Sauveur a établi son Église fidèle» et Paul l’élu et i questions religieuses, sc réserve la juridiction sur cer­ l’apôtre. » Voir les deux commémoraisons annuelles taines églises ou certains monastères soumis à l’auto­ des saints apôtres Pierre et Paid, le second vendredi rité des Ordinaires. Cf. Assémani, Pibtiotheca orientalis, après l'Épiphanie et le vendredi après la Pentecôte. t. in b, p. 631-613; Lnbourt, op. cit., p. 326-339; (X Khayyath, op. cit., p. 2-1. Synod, orient., passim. Les litres qui lui sont donnés dans la Profession de foi des éofques, le jour de leur //. la I’îumavtè noMAtM:. Nous n'avons trouvé aucune allusion à la primauté romaine dans les écrits ordination, correspondent bien à cette juridiction plé­ des théologiens nestoriens avant l’apparition des nière; il est appelé : Père des Pères, tête des têtes, canons arabes de Nlcéc (vers le vue s.) et leur inser­ pasteur suprême, consécratcur des pontifes, distribu­ teur des biens célestes, questeur spirituel, calholicostion dans les collections canoniques. Le silence peut s’expliquer assez facilement par la situation spéciale palriarche de tout l’Oricnt et du pays habité par les «le ΓÉglise de Perse, si éloignée de Γ Occident, si fermée orthodoxes. Voir cette profession i sapiente* sirculi dicunt quod quatuor sint elementa, couper court aux fausses accusations contre celui-ci, cx quibus mundus fit. Sit nutem caput HomnnuB, juxta pneccptuni apostolorum, quod tulerunt in suis canonibus. qui, désormais, ne relèvera plus que du tribunal du Ei vero succedat Alexandrinus, cui succedat Ephrsinus, Christ : Patriarcha omnium Christianorum Orientis quem excipiat Antiochenus. Ébedjésns, Collectio can. synod,, est judex, ipsius autem patriarchs judex est Christus. dan* Mat. Script, veler. ηοικι collcclio, t. 1, p. 135. Voir aussi \ oir ces deux lettres dans Ébedjésus, Epitome canonum, 1rs canons arabes dans Mnnsl, Coricll., t. il, col. 917 »q. (’.an. Il (extrait) : Honor patriarcha' tanquam patris I éd. op. cit.. Μ.π. p. 161 164ι et (Jans AssémanJ, Eibi. orient., I. in a. p. 54-56. Ces brevets d’aulocephalisme. super Ullos dominatur. Et quemadmodum patriarcha potestatem habet faciendi quodcumqtic vult congruenter le patriarche Timothée lrr leur donne une belle anti­ circa ros (pii potestati ejus subsunt, similiter potestas sil quité : il date le premier de la quarantième année après patriarcha· romano supra omnes patriarchas, sicut beatus la mort des saints apôtres Pierre el Paul, et il fait Prinis supra totam communitatem, quandoquidem locum I remonter le second, dont le but visible est de donner etiam Petri tenet In universa Ecclesia ille qui Bomn» sedet. un fondement au décret de DadHo* en 424, au temps Ébedjésus. op. et loc. cit., p. 165. du métropolite Papâ, c’est-à-dire tout au début du Lc can. 70 contient un résumé des canons du con­ tv· siècle. cile de Snrdique sur les appels au pape. Il y est dit que. Celte notion catholique de la pentarchie tirée des 351 PRIMAUTÉ D’A P H ES LES M0N0P1I YS1TES canons arabes de Nicéc préparait les nestoriens à l’union avec l’Église romaine. Sans doute, comme les autres dissidents, ils séparaient la primauté de juri­ diction dc l'infaillibilité doctrinale. L’un d’entre eux, au ix· siècle, nous déclare que VOrient anathématisa Jean d'Antioche, Cyrille d’Alexandrie, Memnon d’Éphèse ct Célcstin de Rome, pour avoir condamne l’orthodoxe Ncstorlus. Expositio officiorum Ecclesia*, éd. R.-ll. Connolly, dans Corp, script, orient., t. xci, p. 115-116. Le concile dc Chalcédoine, malgré les sy nipathics que quelques auteurs lui ont témoignées, a été généralement rejeté par eux comme entaché d'hérésie cl admettant dans le Christ une seule hypostase. Mais, sous le rapport dc l'organisation ecclésiastique, la voie À l’union était ouverte. Aussi, dès les premiers pour­ parlers avec les représentants dc Rome, au xnr siècle, le patriarche Sabriso’ V (1226-1256) adressa, en 1217, une lettre au pape Innocent IV, dans laquelle la pri­ mauté romaine est expressément reconnue. Innocent est appelé non seulement Père des Pères, chérubin corporel et séraphin terrestre, ce qui ne tirerait pas beaucoup à conséquence, mais encore le pape de toutes les régions du monde devant Dieu, Cf. Samuel Glamil, Genuina* relationes inter Sedem apostolicam et Assijriorum orientalium seu Chaldicorum Ecclesiam, Rome, 1902, p. 1-3; art. Nestohii nne (Église), col. 220. Ce ne sont plus des titres pompeux, mais une véritable profession dc foi en la primauté romaine qu'envoyait, le 18 mai 1301, au pape Benoit XI, le catholicos Yaballaha III (1283-1318) : Profitemur insuper sanc­ tum romanum pontificem cl patrem universalem om­ nium fidelium Christi, ct confitemur quod ipse est suc­ cessor beati Petri, universalis vicarii Jesu Christi super omnes filios Ecclesia* ab Oriente usque ad Occidentem; cujus amor ct dilectio in nostris cordibus est firmata, ct nos sub ejus obedientia sumus, ct requirimus et implo­ ramus ejus benedictionem. Giamil, op. cit., p. 8; art. Nestoiukxnk (Église), col. 223. Au xvi· siècle, commencent les véritables tentatives d’union avec l’Église romaine. Plusieurs patriarches ct prélats envoient des professions de foi tout à fait satisfaisantes sous le rapport de la primauté. On peut les lire dans le recueil de S. Glamil ou l’ouvrage dc Khavvalh. 1-a plupart des sources ont été citées au cours de l’article. Plusieurs ct des principales, sont utilisées ici pour la pre­ mière fols. On ne les trouvera ni dans l'ouvrage dc Georges Ébedjésus Knnyynth, Sgrl orientales sen Chaldaei nestoriani et romanorum ponti fleum primatus, Rome, 1870, o(i les témoignages recueillis sont de valeur fort inégale; ni dans le recueil dc Samuel Glamil, (iriuiltur relationes inter Sedem «ipu>l<»liriun et Assyriorum orientalium sett Chaldteorum Ecclesiam, Rome, 1902, spécialement d ins l’introduction, p. χχπι-χχν; ni dans l'article dc 1). Knunnnucl, Doctrine de Γ Église rirslorienne sur la primauté, dans Heu. de ΓOrient chrétien, t. I. 1896, p. 137-118. Nous donnons plus dc détails dans le t. V de la Theologia dogmatica Christianorum orien­ talium ab Ecclesia catholica dissidentium, p. 42-53. Sur la primauté de saint Pierre d’après les livres liturgiques, voir P. Martin, Saint Pierre et saint Paul dans Γ Église nestoricnne, dans lieu, des sciences réélis., 1875, t. xxxi. p. 126166. 209-228. 401-121; t. XXXII. p. 41-65, 97-108, 286-308. L’auteur n traduit en français tout PotUce dc la commeinoraison des stints Pierre et Paul. IL La phimauté de saint I’iehiie et du pape dans les Églises monopiiysitls. La doctrine des Églises rnonophssites sur la primauté de salut Pierre ct du pape est examinée à l’article qui traite dc chacune d’elles. L’article Aiiménie religieuse n’ayant donné qu’un bref résumé de l'enseignement actuel des théo­ logiens dissidents sur la primauté romaine, t. î, col. 1953-1951, ct se tablant sur la primauté dc saint Pierre et les polémiques anciennes, doit être complété Ici. Pour l’Église copte, l’essentiel a rtc «lit à l’article 352 Monopiiysite (Église copte), t. χ, CO1. 2271-2270. L article Syiiienne (Église) racontera les relations des Syriens Jacobites avec l’Église romaine ct leur atti­ tude à l’égard de la primauté. Nous ne signalerons ici que les témoignages dc la lit urgic Jacobite et la doctrine des théologiens anciens sur la primauté de saint Pierre. Nous croyons utile de signaler la doctrine des premiers docteurs inonophysites sur la primauté romaine a l’époque où les trois groupes inonophysites se sont constitues en hiérarchies séparées et autonomes, c’està-dire dans le courant du vr siècle, et la conception générale de l’Église qui en a logiquement découlé, conception qui est en contradiction avec plusieurs sources théologiques ct canoniques communes aux trois groupes en question. D’où la division suivante : 1° Attitude des premiers docteurs inonophysites à l'égard dc la primauté romaine. 2° Conception de l’Eglise universelle chez les inonophysites. Sources théologiques ct canoniques favorables à la primauté romaine. 3° La primauté de saint Pierre chez les Syriens jacobitcs et les Arméniens. /. ATTITUDE DES PREMIERS THÉOLOGIENS ΜΟΝΟΓΗ ysites 4 l'égard de la primauté romaine (v-vi« s.). — Le grand schisme nionophysite a com­ mencé par une négation pratique de la primauté romaine. A Niece, au début de septembre 151 (presque à la veille de la réunion dc Chalcédoine), Dioscore d’Alexandrie osa lancer l'excommunication contre l'évêque dc Rome. Cc ne fut pas cependant parce qu’il niait la primauté romaine qu’il sc porta à celle extré­ mité, mais parce qu’il accusait saint Léon d’être tombe dans l'hérésie dc Nestorius, en confessant deux natures en Jésus-Christ après l'union. C’était donc directe­ ment l'infaillibilité doctrinale du pontife romain qu il attaquait, non sa primauté proprement dite; mais, d’après lui, la chute dans l’hérésie faisait perdre la pri­ mauté. Ainsi ont raisonné pinson moins cxplicitcincnt ceux qui ont suivi Dioscore dans sa révolte. Nous trou­ vons cependant quelques théologiens inonophysites de la premiere période (pii ont fortement atténué ou même nié la primauté romaine considérée en elle-même. Signalons d’abord Philoxènc, évêque de Mabboug (t 523). Dans sa Lettre à Maron, lecteur d'Anazarbe. il déclare clairement qu’il n’y a point de primauté ni de pouvoir légitime là où il n’y a point l’orthodoxie de la doctrine. C'est pourquoi la sentence portée par le concile de Chalcédoine contre les hérétiques n’a point de valeur, parce que le concile et ceux qui le reçoivent sc sont écartés dc la vraie foi ; Potestas ligandi atque solvendi sicut in terra, etiam in odo Petro prius data est pro eo quod recte credidit in Christum ccrtunxpic est ejus potestatem apud cum repe· riri etc., et ailleurs : J’ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta fol. » Vous voyez bien que saint Pierre est le fonde­ ment de l’Eglise... Les paroles du Seigneur : « J’ai prié pour toi · etc., ne désignent pas la personne de Pierre ni les apôtres eux-mêmes. Le Christ a voulu désigner pur ces mots ceux gui tiendront la place de saint Pierre a Home et les places des apôtres... Dire que le (Juist a voulu désigner saint Pierre et les apôtres en personne, ce serait priver l’Eglise de ce qui doit l’alTennir après ht mort de saint Pierre. «Constantin Bûcha, Un traité des amores arabes de 'Théodore Λ boa Kurra, éveque de Ila­ ran. publié et traduit en français, Paris, 1005, p. 3 L 35. Lorsque en 808 éclata à Jérusalem la (pierelle du Eilioque entre les moines francs du mont des Oliviers et un moine grec de Saint-Sabas, le patriarche de Jéru­ salem.Thomas, envoie dès 809. une ambassade au paj c Leon 111 pour lui soumettre la question Cf. Vie de Michel le Syncelle, dans Γ’Ελληυικδς φιλολογικός σύλ­ λογος, supplément archéologique aux t. χχιν-χχνι, 1896. p. 25. et Le Quien. Oriens Christianus, t. m. col. 350 I). ICn 811. saint Grégoire le Dêcapolitc et ses amis ironophiles font un geste semblable en sollicitant, par l’intermédiaire de saint Joseph Γ1 iymnographe. le secours du pape Grégoire l\ contre l hérésie icono­ claste. 361 PHIMAUTE D’APKES LES BYZANTINS. LE IX* SIÈCLE 362 Λ la veille même il·· la querelle photicnne, un appel l’ajouterai à ma lettre, qui, je le crains, est déjà trop au pape particulièrement intéressant est relui de Gré­ longue. Les vrais canons doivent être gardés par tous, goire Asbestas, métropolite de Syracuse, le futur conmais principalement par ceux que la Providence a sécratcurdo Photius· Déposé par le patriarche Ignace, appelés à gouverner les autres; et parmi ces derniers, ce prélat, se basant sur les canons de Sardique, une ceux qui ont en partage In primauté doivent briller des sources du droit canonique byzantin, interjeta entre tous par leur fidélité à les observer, car, plus ils appel de cette sentence auprès du pape Léon IV (817- sont haut placés, plus Ils doivent s'attacher à la règle... 855). Cf. Epiai. Nicolai I ml Photium (866), P. Λ., C’est pourquoi Votre Béatitude, prenant soin de faire t. exix, col. 1050; Epist. Stijllant Neocirsariensis ml Ste- observer la discipline ecclésiastique et suivant la phanum V, Hardouln, Co//. conciliorum, t. v, col. 1121. droite ligne des canons, ne doit pas recevoir indistinc­ 2° La primante romaine el la (picrelie pholicnne. — tement, sans lettres de recommandation, ceux qui Il ressort clairement de l'histoire si compliquée du vont d’ici ù Home et qui, a la faveur de l’hospitalité schisme de Phot tus qu'à cette époque l’évêque de qui leur est accordée, jettent des semences de division.» Koine était considéré à Byzance comme le primat de la Ibid., col. 616. En écrivant ces lignes, Photius songe catholicité, le centre de l'imité et le juge suprême des au moine Théognoste, qui réussit à tromper la sur­ causes ecclésiastiques. Les ignnllcns comme les veillance de la police de Bardas et porta à Home pilotions en appellent à plusieurs reprises au Siège l’appel d’Ignace. Cf. M. Jugic, 1m vie et les enivres du apostolique. Si les uns comme les autres lui déso­ moine Théognoste. Son témoignage sur l'immaculée béissent tour à tour, c'est quand la sentence romaine conception, dans Ressarione, t. xxxiv, 1918, p. 162est en leur défaveur. Celle versatilité, qui fut particu­ 171. Après l’éclat du conciliabule de 867, où l’on osa lièrement criante chez Photlus, loin de déposer contre déposer le pontife romain, Photius fit au fond amende la primauté, est au contraire la preuve éclatante qu'elle honorable au pape au concile de Sainte-Sophie de était universellement reconnue. Laissant de côté celte 879-880. Quelles que soient l’origine et la valeur des preuve, découlant directement des faits et largement Actes de ce concile tels que nous les possédons actuelle­ mise en lumière à l’article Photius, signalons seule­ ment, il est remarquable que les lettres de Jean VI11 ment quelques témoignages recueillis dans les écrits proclamant très clairement la primauté romaine £ LA PRTMAOTt bE PIERRE,A PARTIR Dû ΧΠ Site LE. — La primauté de Pierre, si bien établie dans la tradition grecque, à laquelle les livres liturgiques de l’Église byzantine rendent un éclatant témoignage, continua, après le schisme de Cérulairc et jusqu’au seuil de la période moderne, ù être affirmée par un grand nombre de théologiens byzantins, par ceux surtout qui ne sc mêlèrent point «le polémique antilatine. La plupart, du reste, ne paraissent pas songer au lien nécessaire qui unit la primauté de saint Pierre à celle de l’évêque de Home. A côté de ccs partisans de l’ancienne tradition com­ mencent à apparaître, surtout à partir du xnt· siècle, les polémistes antilatins. Les relations entre Grecs et Latins s’enveniment après la quatrième croisade et la prise de Constantinople, en 1204. On établit, en Orient, et à Constantinople même, une hiérarchie latine. Les tentatives d’union sont continuelles, mais n’abou­ tissent jamais. Les Latins, dans les pourparlers et les discussions, font sans cesse appel à la primauté du pape, comme successeur de saint Pierre. C’est alors que les polémistes grecs sc souviennent du petit opuscule de Photius contre la primauté romaine, et, pour miner celle-ci par le fondement, s’enhardissent jusqu’à enseigner que tous les apôtres étaient égaux entre eux et que la primauté de Pierre n’a été qu’une préséance honorifique fondée sur l’âge ou le mérite. Ou bien ils prétendent que, si Pierre a eu une primauté, celle-ci lui a été personnelle et n’a été transmise à personne. Nommons quelques représentants de l’un et de l’autre groupe. 1° Ixs tenants de Tancienne tradition. - Parmi eux, nous trouvons, au xir siècle : Euthyme Zigabène, exégète qui marche sur les traces de Théophylnctc et interprète à peu près dans le même sens que lui les textes évangéliques relatifs à la primauté de Pierre, avec les mêmes réminiscences de saint Jean Chrysoslomc : Pierre a reçu la charge de paître le monde entier, alors que Jacques n’a reçu que le siège de Jérusalem. Les apôtres ne crurent pas les saintes femmes leur annonçant la resurrection de Jésus, mais ils ajoutèrent foi à Pierre, parce qu’il était le chef de tous, ώς κορυφαίος πάντων έπιστεύΟη. Comment, in Joannem, P. G., t. cxxiv, col. 1196. 1506; In Marcum, ibid., col. 818 B. Theophane Kcramcus, dans ses homélies, salue en l’npctic Pierre le fondement des disciples du Christ, κρηπίδα τών μαθητών χύτου. HomiL, χχχνιι, P. G.. t. cxxxiî, roi. 701, 705; celui dont le Seigneur a per mis la chute parce qu’il devait lui confier le gouver­ nement des brebis raisonnables, επειδή έμελλε των λογικών προβάτων την προστασίαν είσδέςασΟαι. Ho­ rni !.. ι.ν. loc. cit., col. 968. Les canonistes byzantins Balsamon et Zonaras insè­ rent dans le Xomocanon byzantin, connue une pièce d’une authenticité dont ils ne doutent point, hi fameuse Donatio Constantini, qui affirmo d’une ma­ nière si claire à la fois la primauté universelle de Pierre et celle de son successeur. I’évc<|ue de Borne : ίνα, ώς ο άγιος Πέτρος έκ προσώπου τού Πού τού Θεού ίστιν ε?ς τήν •.'ήν. ούτω καί οΐ επίσκοποι, οί διάδοχοι τού κορυφαίου των άποστόλων αρχικήν έςουσίαν εις την ·*ην έχωσ·.. \ornocanon. tit. νιιι, γ. ι, it 371 PKI.HAUTE D’A I'll fiS LES BYZANTINS. LE XIIIe SIECLE 372 P. G., I. civ, col. 1077 C; cf. Balsamon. In can, 12 d’une manière évasive : Potest esse quod dicis. Dialogi, cone, II Antioch ., P. G., t. cxxxvn. col. 1312 C. L HI. c. ix, P. L., t. ci.xxxvîiî, col. 1221, 1223. Au xm* siècle, le Busse Cyrille, évêque de Tourov, Beaucoup plus catégoriques dans le sens de la néga­ honoré comme saint parl’Église russe, proclame Pierre tion furent les réponses des Grecs dans les discussions le fondement inébranlable de l’Église, le pasteur du qui suivirent la prise de Constantinople par les croisés bercail spirituel du Christ, le porte-clefs du royaume en 1201. Dans une lettre adressée au pape Innocent III, des deux (Macaire Bulgakov, Histoire de Γ Église russe le patriarche de Constantinople, Jean X Camatéros |en russe |, t. m, p. 165), tandis qu’Arsène Autorianos, (1198-1206), dénie expressément tonte primauté à deux fois patriarche de Constantinople (1255-1259 et Pierre sur les autres apôtres, en faisant appel aux 1261-1267), dans un opuscule polémique dirigé contre paroles du Christ : Vos autem nolite vocari Habbi. les Latins, écrit ces mots : « Cela, Pierre l’a déclaré, Omnes vos fraires estis. Qui major est vestru ni sit vester Pierre le bienheureux, vraiment Pierre de la pierre, minister. Matth., xxiii, 8-11. Dans les textes évangé­ αληθώς Πέτρος της πέτρας, la pierre sur laquelle le liques sur lesquels les catholiques appuient les privi­ Christ a édifié son Église, Pierre, qui délient les clefs leges du coryphée, il ne trouve rien qui ne convienne du royaume des cieux, qui en sa qualité de coryphée aux autres apôtres : ημείς γάρ ούδέν ήττον ταύτα διαet de chef, ως κορυφαίος καί προστάτης, terrassa, à νοούμεθα καί περί τών άλλων αποστόλων Χριστού. Borne, Simon le Magicien, le premier voleur cl disciple Lettre inédite, dans le cod. Paris. 1302, du xm· siècle, du diable dans l’invention des hérésies. » ’Λπόδειξις fol. 271 v” 272 v°. περί του πότε καί διά τίνων ή της ’Ρώμης έςέπεσεν Dans une discussion qui cul lieu, le 30 août 1206, ’Εκκλησία, opuscule publié par Μ. Gédéon, ’Αρχείου entre Grecs cl Latins en présence du premier patriar­ έκκλησιαστικης ιστορίας, t. ι, fasc. 3, Constantinople, che latin de Constantinople, Thomas Morosini, le 1911, ρ. 331, d'après un ms. de Γ Athos daté de 1320. diacre Nicolas Mésaritès, qui devint ensuite métro­ Sur la fin du meme siècle, Maxime Planude, dans son polite d’Éphèse, répéta mot pour mot les sophismes long Panégyrique des saints apôtres Pierre et Paul, de Pholius dans son opuscule : .1 ceux qui prétendent déclare expressément que Pierre a été choisi par Jésusque Hornrest te premiersiège (voirci-dessus. col. 365 sq.); Christ pour tenir la place meme du Christ auprès des puis il ajouta de son cru: « La primauté de Pierre se apôtres; que, sur les bords du lac de Tibériade, Jésus réduit à une préséance d’honneur et de rang, comme Féleva au-dessus de tous les autres apôtres, l’éta­ celle du fils aîné dans une famille -, ούκ έςουσίας δρασblissant pasteur et docteur de toutes les nations, et τηρ’.ότητι, αλλά τών προσηκόντων οίον χρόνω τε καί cela pour toujours. P. G., t. cxi.vii, col. 1072 AB. βαΟμώ, κατά τούτο Πέτρος ύπερανέστηκεν άποστόλων. 1097 C. Λ. I leisenberg. Xcue Quellcn zur Geschtchlc des lateiAu xiv siècle. Grégoire Palamas enseigne que Pierre nischen Kaiser!unis und Kirchcnunion, n : Die Unionsfut établi par Jésus-Christ coryphée des coryphées, κορυ­ verhandlungen vorn 30. August 1206, Munich, 1923, φαίος των κορυφαίων ύπό τού κοινού δεσπότου κατέστη. p. 21, 25 (extrait des Sitzunysbcrichte der bayer. Π le compare à Adam, tête du genre humain, et Akademie der Wissenschaften. Philos.-philol. und hist. l’appelle le chef suprême et le père de la race des croyants, kldSSCt 1923). mztpv. καί αρχηγέτην τού των θεοσεβών γένους, celui A la même époque, un polémiste anonyme, fait pri­ qui a reçu la présidence de l’Église du Christ, της τού sonnier par les Latins en 1201, écrit sa virulente dia­ Χριστού ’Εκκλησίας την προστασίαν κεκλήρωται. tribe intitulée : Περί τού όπως ίσχυσε καθ’ ημών ύ Horni!., χχνιιι, In lest. SS. apost. Petri el Pauli, P. G., Λατίνος, dans laquelle il passe en revue tous les textes t cm, col. 356-357. 361 A. Cf. Homil., v, hi Occursum scripturaires invoqués par les Latins pour étayer la pri­ Domini, P. G., t. cm, co). 69 BC. mauté de Pierre. Comme Jean Cainatéros, il ne trouve La primauté de Pierre, on la trouve affirmée Jusque rien, en tous ces passages, qui ne s'applique également dans le fameux Tome synodique du concile de Con­ aux autres apôtres. Ce n’est pas Pierre, mais sa confes­ stantinople de 1311, relatif à la controverse palamitc : sion de fol orthodoxe qui est la pierre sur laquelle Pierre y est appelé le fondement de la foi et le cory­ l’Église est bâtie. Tous les apôtres ont reçu, comme phée des disciples. Tomus synodicus contra Harlaam rt Pierre, le pouvoir de lier cl de délier, et il serait ridicule Acindynurn, P. G., t. cm, col. 689 B. Callisto II Xan- ! de réserver à Pierre seul le pouvoir de remettre certains thopoulos. avant d’être patriarche de Constantinople péchés plus graves. Si nous voyons Pierre, après la (1397). a écrit un opuscule ascétique où il affirme Pentecôte, prendre toutes les initiatives, parler el agir expressément que Pierre a reçu du Christ V hégémonie toujours le premier, c’est une preuve de l'humilité des sur les disciples, τον Πέτρον, ω καί την ηγεμονίαν autres apôtres, non un signe de prééminence chez celui τών μαθητών ένεπιστεύσατο. Opuscula used ica, P. G., qui sc met ainsi en avant. Si Jésus dit aux saintes t. cxi.vii, col. 617 I). femmes : Ite, dicite discipulis ejus rt Petro, cc n’est Au XV siècle, Siméon de Thessalonique (t 1 129) est point pour mettre en relief la primauté de Pierre, mais encore un témoin non seulement de la primauté de pour rappeler à celui-ci que son reniement est pardonné. Pierre, mais aussi de celle du pape, comme nous le De meme, s’il reçoit par trois fois la garde (les brebis, verrons plus loin. Cf. Dialogus contra hnrescs, P. G„ c’est par allusion à son triple reniement ; et il confirme­ t « i s. col. 36 B, 100 D. ra ses jrères qu'il a scandalisés, par l’exemple de son '2? La tendance nouvelle. — C’est sous l'influence de repentir et du pardon qu’il a obtenu. Les autres apôtres 1 esprit polémique et généralement dans des discussions n’étalent pas sans reproche : ils avaient abandonné directes aver les Latins que certains Byzantins de leur Maître. En voyant Pierre obtenir le pardon de son cette période sont amenés à nier la primauté de Pierre, péché plus grave, ils ne désespéreront pas de la miséri­ parce que celle-ci est présentée comme le fondement corde du Sauveur. Arsenii, Trois opuscules d'un écri­ de U primauté romaine. vain grec inconnu du début du ,\ur siècle (texte grec et Nous trouvons les premières traces de cette négation version russe). Moscou. 1892, p. 86-87, 100-102. 105106. dans les paroles de Nicétas de Xicornédie, telles que nous les rapporte Anselme de Havelberg dans ses Nous avons là un spécimen de la manière des Dialogues (1136). Le prélat byzantin insinue que tout polémistes, (.est celle que nous retrouvons au ce que Pierre a reçu du Seigneur, les autres apôtres XXV siècle, dans les opuscules polémiques de Barlaam l'ont eu également. Il n'insiste pas cependant sur ce encore attaché à l’Église dissidente (cf /». g., t. cm point, d a \nsclmc expliquant les textes évangéliques col. 1262 C), et dans ceux, beaucoup phis violents de relatif* a la primauté de Pierre, il finit par répondre Matthieu-Ange Pannrétos, Cf P. R|SSOt Maltco Anqrlo P ΚΙ Μ Λ UTE Panarctos c cinque suoi opuscoli, GroU «ferrala, 1911, p. 32-33. Ex trait de Roma c Γ Oriente. A la veille du concile de Florence, Macaire d'Anegre, dans son grand Traité contre tes Latins, ne consacre pas moins de sept chapitres à attaquer la primauté de Pierre. Il enseigne que non seulement Pierre n’avait aucune juridiction sur les autres apôtres, mais encore qu’il ne pouvait rien faire sans leur consentement, comme le témoigne l’élection de saint Mathias; qu’il était envoyé par eux; que Jacques, en certaines cir­ constances, a eu le pas sur lui; que Paul lui a résisté, parce qu’il était répréhensible; que tous les apôtres, et pas seulement Pierre, ont été les vicaires de JésusChrist, etc. Κατά Λατίνων, c. χι-χνπ, dans le Τόμος καταλλαγης de Doslthée, Jassy, 1692, p. 11-20. On aurait tort, cependant, d’ajouter trop d’impor­ tance à ces sorties polémiques. On n’osait les produire dès qu’il était sérieusement question d’union avec Borne. C’est ainsi qu’à l lorcncc la question de la pri­ mauté de saint Pierre ne se posa même pas, et si, sur la fin, on discuta de la primauté du pape, cc fut moins pour la nier que pour en restreindre l’exercice en Orient. IV PAliT/SANS ET AbVEtïSA! Γ,Ε8 bE LA PRIMAUTÉ Ε0ΜΛΙΜ. ΙΊ XII >11' LE Λ Γ < '>' 1 LE. l·E ! E — l ue fois la séparation des deux Églises passée à l’état défait, nous voyons les théologiens byzantins soutenir les théories les plus disparates sur l’Église en général et la primauté romaine en particulier. Il n’est pas rare même de rencontrer des conceptions diver­ gentes chez le même auteur. C’est un peu au gré des situations et des circonstances, au gré aussi de la poli­ tique impériale, que l’on adopte telle ou telle position. Au demeurant, il faut bien le dire, pendant toute cette période la primauté romaine, du côté byzantin, demeure à l’arrière-plan des controverses. Quand il s’agit de pourparlers unionistes — et ces pourparlers sont pour ainsi dire continuels - c’est toujours autour de la procession du Saint-Esprit, de l’addition du Filioque au symbole, des azymes ou de toute autre divergence de ce genre, que roulent les discussions. Ainsi, aux conférences qui eurent lieu à Nlcée et à Nymphéc (1232-1231) entre les franciscains délégués par le pape Grégoire IX et les représentants du patriarche Germain H, on ne s’occupa que de la pro­ cession du Saint-Esprit et des azymes. Pendant la grande controverse suscitée par l’union conclue au IIe concile de Lyon (1271), la polémique sc concentre sur la question de la procession du Saint-Esprit. Il en sera encore ainsi à Florence. Officiellement, l’Église byzantine n’attaque pas directement la primauté du pape, mais son orthodoxie, son infaillibilité. C’est la tactique qu’elle adopte pour garder son autonomie chaque fols que la politique impériale veut la forcer â l’union. 1° Reconnaissance théorique de la primauté romaine. - Certains théologiens,et (les meilleurs,adoptent cette attitude. Ils ne nient pas que l’évêque de Home soit le successeur de saint Pierre dans sa primauté, que cette primauté soit effective et de droit divin; mais ils refusent d’obéir au pape parce qu’il n’est pas ortho­ doxe. C’est le cas, par exemple.de Siméon de Thessalonique dans son Dialogue contre les hérésies. Scs parole* méritent d’être rapportées, car elles contrastent singu­ lièrement avec les dires des polémistes de son temps et surtout de ceux de notre époque. Non* n’avons pas. dit-il. à contredire 1rs Latins, lors­ qu'ils revendiquent lu nrim iiité pour l’évêque de Home. Cela ne prni nuire a rèiübc. Qu’ils nous montrent seule­ ment que Io pape persévère dan* In foi de I terre. qu’il est vraiment son successeur sous cc rapport, cl nous lui nccoron, de IJbêre, de Martin et de Grégoire, et nous le procl imerons vraiment apostolique et nous le considérerons comme le premier de* pontifes et nous lui obéirons non seulement comme a Pierre, nui* comme nu Sauveur lui-même. Mais s’il n’est pus l’héritier de la fol des s dnl*. Il ne sera pas non plu* l’néritlerdu siège de lierre; il ne sera jamais l’apostolique, ni le premier, ni le Père, malt un contraire l’adversaire et le dévastateur et l'ennemi de* apôtres. P. G., t. cf.v, eoi. 120-121. Avant Siméon, A7/ Cabas lias, au risque de sc con­ tredire, avait parlé à peu près dans le même sens dans son opuscule Ilcpi τ?ς άρχης τού πάπα. Il avait écrit : Tant que le pape reste dans la vérité, il ne perd pas la primauté, le principal véritable. Il est la tête de l’Église, le pontife suprême, le successeur de Pierre et des autres apôtres, et il faut lui obéir. P. G., I. cxlix. col. 728. Malheureusement, ces belles déclaration* ne concordaient pas avec ce qu’il avait dit plus haut en attribuant l’institution de In primauté romaine non â Jésus-Christ, mais aux Pères et aux concile* Ibid.. col. 709. Georges Scholarios, au contraire, est de l’avis de Siméon. Dans une lettre adressée au pape Eugene IV, avant le concile de Florence. il l’appelle le père com­ mun et le pasteur universel : κοινός πατήρ καί ποιμήν της οικουμένης. S. Lambros, 11 αλαιολόγεια καί Πελοποννησιακά, L ι, Leipzig, 1912. ρ. 310. Plus lard, au plus fort de sa polémique contre le dogme catholique de la procession du Saint-Esprit, il déclare que le pape seul, en sa qualité de supérieur, de père et de docteur de 1 Église, peut mettre lin au schisme, en usant d'éco­ nomie, c’est-à-dire en supprimant le mot Filioque dans le symbole, pour k bien de la paix : τύγάρ οίκονομεϊν πανταχου του μείίονος πέφυκεν * αύτός δέ ίστν μείζων ώς αληθώς έν τη τού Χριστού ’Εκκλησία. Ό δέ πάπας, πατήρ ών καί διδάσκαλος, δύναται μόνος τύ σχίσμα λύειν δικαίως. Premier traité sur la procession du Saint-Esprit, dans (Euorcs complètes de Georges Scholarios, t. n, Paris. 1929, p. 231; Second dialogue sur la procession du Saint-Esprit, dans Œuvres complètes, t. m, Paris, 1930, p. IL Ailleurs, le même théologien ne connaît que deux divergence* sérieuses entre Grecs el Latins: celle qui a trait à la procession du Saint-Esprit et celle qui regarde la distinction entre l’essence divine et son opération. CL préface au Résumé de la Somme contre les gentils, dans Œuvres complètes, t. v, 1931. p. 2. 2° La primauté est d'origine canonique. - A côté de cette conception, qui ne s’oppose directement qu’à l’infaillibilité du pape, nous rencontrons la théorie de la pnmaulé canonique. Scs partisans nient l’origine divine de la primauté romaine et en font une institu­ tion d'origine ecclésiastique, motivée par le rang de capitale autrefois occupé par l’ancienne Borne. Ils appuient cette doctrine hérétique sur le 3·* canon du concile de Constantinople de 381 cl surtout sur le 28- canon du concile de Chalcédolne, et il faut recon­ naître que ces décrets, pris en dehors de leur contexte historique el dans le sens obvie des mots, favorisent celle conception. Sur ces décrets se fondent les privi­ leges du siège de Constantinople, nouvelle Home. D’après certains interprètes, l’ancienne Borne a perdu la primauté canonique du jour où elle a cessé d’etre capitale de l’empire : c'est ta théorie de la translation de la primauté, qui aboutit à la monarchie canonique du siège de Constantinople. D’après d’autre*, les .75 PRIMAUTÉ D’APRÈS U.S BYZANTINS. AVANT FLORENCE canons conciliaires, établissent une . selon l’expression de Nicétas Seidès. en ne s’unissant pas aux quatre autres patriarches. Il n’y avait plus, en réalité, qu’une tétrarchie. et il fallait trouver une comparaison appropriée. On ne tarda pas à la découvrir. Dans une profession de foi rédigée en I 152 par les antiunionistes de Constantinople pour le hussite Constantin Plastris, l’Église orientale est com­ parée à un édifice soutenu par les quatre colonnes que sont les quatre sièges patriarcaux. Le premier est celui de Constantinople : Λύτη δε έστιν ή άνατολική ’Εκκλησία τέτταρσι στυλοις τοϊς πατριαρχικούς Ορόνοις έρειδομένη, ών ύ Κωνσταντινουπόλεως ύπερκάυηται Dans le ’Γόμος αγάπης de Dosithée, ρ. 331. Dans ce document, c’est la tétrarchie sous la forme monarchique qui est indiquée, le patriarche de Con­ stantinople est dit posséder une primauté canonique de juridiction et d’enseignement sur les autres pa­ triarches : προέχων άρχαίω καί κεκανονισμίνω άξιώματι της έκκλησιαστικής ευταξίας καί τη ορθού λόγου διδασκαλία. Loc. cil. C’est dans le même sens que. pendant toute la période moderne, les patriarches de Constantinople entendent la tétrarchie. Comme leurs prédécesseurs et avec plus d'insistance qu’eux, ils réclament un vrai pouvoir papal sur les trois autres patriarches d’Orient. Dans le Tome synodal du mois de mai 1590, par lequel la fondation du patriarcal de Moscou était ofllcicllement reconnue, le nouveau patriarche Job était invité à considérer « comme sa 379 l’IUMAUTÉ SELON LES G KÉCO-K (JSSES 380 Me et son primat le siège de Constantinople à l’exemple orthodoxe, clic avait perdu, par le fait même, cette des autres patriarches : καί κεφαλήν αύτου καί πρώτον primauté, que, d’après les canons conciliaires, les Pères εχειν καί νομίζειν τον άποστολικύν θρόνον Κωνσταντι­ avaient d’abord accordée à l’ancienne Rome parce νουπόλεως, ώς καί οί λοιποί έχουσι πατριάρχαι. qu’elle était la capitale de l’empire. C’était ά Moscou W. Kegel. Analecta byzantino-russica, Saint-Péters­ que revenaient τά ίσα πρεσβεία du 28· canon de bourg, p. 85-91. Quelques années auparavant, le Chalcédoine, puisqu'elle était la capitale du seul empire patriarche Jérémie H. dans sa Première réponse aux orthodoxe alors existant. Moscou devenait la troisième théologiens de Tubingue (15 mai 1576)· avait appelé Rome. Il se trouva un moine russe, Philothée, du cou­ l’Eglise de Constantinople la patrie et la tête de toutes vent d’Elcazarov. près Pskov, pour développer, tout les Églises, possédant la primauté de l’orthodoxie : au long et d’une manière très logique, la théorie de πατρίς των Εκκλησιών, καί ήγεμονεί τη γνώσει... τά Moscou, troisième Rome, L’idée lit fortune. Elle sourit πρεσβεία της ορθοδοξίας εΓληφε καί εις κεφαλήν aux tsars encore plus qu’aux théologiens. Ivan IV τέτακται. Gédéon de Chypre, Κριτής τής αλήθειας, I. ι, commença par se faire couronner et consacrer tsar ou Leipzig, 1758, ρ. 73. Les textes abondent, dans les basiteus par le métropolite de Moscou, Macaire.en 1547, documents du patriarcat œcuménique de la période et obtint, après de pénibles négociations, que le moderne, où des expressions analogues se rencontrent. patriarche de Constantinople, Joasaph II, ratifiât, On cn trouve de semblables en plein xix® siècle. Encore sinon la légitimité de la cérémonie du sacre, du moins en 1850, dans le tome d’autocéphalie délivré à l’Église le titre de βασιλεύς, qu’il s’était fait décerner (1561). de Grèce, le patriarche de Constantinople se considère En 1589, Féodor Ivanovitch et Boris Godounov profi­ comme investi par Dieu de l’administration et du soin taient d’un voyage de Jérémie II à Moscou pour faire de toutes les Églises : ημείς, οί έλέω Θεού την άποστο- consacrer patriarche de Moscou et de toutes les Russie* λικήν μέριμναν πασών τών ’Εκκλησιών άναδεδεγμένοι le métropolite Job. La théorie de la troisième Rome καί τής περί αύτάς οικονομίας έμπεπιστευμένο: την aurait exigé que le nouveau patriarche fût proclamé διαχείρησιν. Mansi-Petit, Conci!., t. XL, col. 161-162. d’emblée le premier de tous. En fait, il n’obtint même Jusqu’à une période très récente, le patriarcat œcu­ pas le troisième rang, que Jérémie II lui avait impru­ ménique Intervenait dans les aiTaires intérieures des demment promis. Il dut se contenter de la cinquième autres patriarcats orientaux, recevant des appels et dernière place, Encore avons-nous vu que les Grecs contre leurs titulaires, s’occupant de nommer ceux-ci feignirent d’ignorer son existence, ou tout au moins le cl allant jusqu’à 1rs déposer. Cf. Dellcanis, Πατριαρ­ considérèrent comme un patriarche de second ordre. χικά έγγραφα, spécialement le l. ni. Ces faits 2® L'autocéphalismc national. — A partir du xix· siè­ montrent que la primauté de Constantinople n’a pas cle, sous la poussée des événements, la tétrarchic s’est été un vain titre. définitivement écroulée, comme aussi a disparu toute Cependant, tout comme au Moyen Age, il se trouve théorie donnant un primat à l’Église universelle. Un des théoriciens qui, fermant les yeux sur la réalité, sou­ nouveau système est né, cadrant avec les faits : celui tiennent l’égalité absolue des quatre patriarches, de Vaulocéphalisme national, voire de l’autocéphalisme n’accordant à celui de Constantinople qu’une simple p/ujlétiquc. Il tient dans cette phrase : Toute nation primauté d’honneur. C’est le cas de Metrophane Crito- politiquement indépendante les Bulgares ont dit : poulos, au c. xxii de sa Confession de foi : < Il y a, toute race ayant sa langue propre — a droit à une orga­ dit-il, entre les quatre patriarches l’égalité qui convient nisation ecclésiastique absolument autonome et indé­ à des pasteurs chrétiens. Aucun d’entre eux ne s’élève pendante. ■ Plus d’autorité commune s’imposant aux au-dessus des autres; aucun ne s’estime digne d’être Églises nationales autocéphalcs, sauf celle d’un nou­ appelé la tète des autres. Jamais on n’a ouï dire, dans veau concile œcuménique, qiic beaucoup proclament ΓÉglise catholique, qu’un homme mortel et sujet à de impossible et quelques-uns, indésirable. (1 ne reste nombreux péchés était la tête de l’Église... Ils vivent place, dans ce système, pour aucune primauté véri­ sur le pied d’une parfaite égalité cl, en dehors de la table, même purement canonique. Tout au plus, par préséance, aucune différence entre eux : αύτοί δέ όμο- vénération pour les anciens canons, reconnaltra-t-on τίμως διάγουσι καΟ’έαυτούς έν πασι. ΙΙλήν γαρ τής une simple primauté de préséance au patriarche de ζαΟέδρας, ούδεμία τις άλλη διαφορά έστι μεταξύ Constantinople et même au pape de la vieille Rome, τούτων. Kimmel, Monumenta fidei Ecclesia· orientalis, s’il consentait jamais à entrer dans le concert de t II. I· na. IS51, p. 209-210· l’orthodoxie. Telle est la théorie actuellement régnante Bans une Réponse à la secte anglicane des non-fureurs, bien qu’elle rencontre quelques contradicteurs, cer­ datée de 1718, les quatre patriarches orientaux font tains prônant le retour à une primauté canonique cn allusion aux < quatre colonnes de la sainte Église », faveur du patriarche œcuinenique, dont le troupeau sans laisser entendre qu’il y ait quelque dilTérencc entre diminue de jour cn jour et menace même de disparaître ces colonnes. En théorie, il est entendu qu’elles sont a brève échéance, si quelque événement imprévu ne égales. Mansi-Petit, op. cit., t. xxxvn, col. 108. Tout vient changer le sort de la ville de Constantin. Du comme Metrophane Critopoulos, ils oublient que l’an­ reste, l’autocéphalisme national lui-même s’effrite sous cienne pent archie a été rétablie en 1590 par la création la poussée de l’autocéphalisme phylétlque ou des divi­ d'un patriarcat à Moscou. Ou plutôt ils s’en sou­ sions intestines. C’est ainsi qu’ù l'heure actuelle In viennent, mais ils considèrent le patriarche moscovite ville de New-York, qui, d’après les principes de l’autocomme étant d'un rang Inférieur. llsl’appellent archevê­ céphalisme national, ne devrait avoir qu’un évêque que de Moscou et patriarche de toute la Russie. On voit pour tous les Gréco-Russes qui s’y trouvent, n’en qu’ils tiennent à la comparaison des quatre colonnes. comptent pas moins de sept, un Grec, un Roumain, lui tétrurchic a régné dans l’esprit des théologiens un Syrien et quatre évêques russes de diverses obé­ grecs jusqu’au début du xix· siècle. Athanase de diences. Paros, en parle encore dans son Έπιτνμή τών θείων II. Ι.Λ PHIMAUTft DR SAIXP PIKHItn HT LRS ΤΠ&0· δογμάτ* v, éditée cn 1806, p. 39-10. Cette théorie avait toGtKXii GRRco-ROstSHs MOhBRXEs Alors que, dans été combattue, nu xvi· et auxvii’ siècle, par les théo­ la periode précédente, nous avons encore moissonné logiens russes, qui essayèrent de ressusciter, au profit un nombre impressionnant de témoignages sur la pri­ de Moscou, la théorie df la translation de la primauté mauté (le saint Pierre, une primauté véritable de canonique, basée sur le 28r canon de Chalcédoine. Du juridiction sur les autres npôtros, dans la période moment que Constantinople, la seconde Rome, avait moderne nous ne trouvons plus que des idvcrsaires de cessé, en 1 153, d’être hi capitale d’un empire chrétien cette même primauté. -381 PRIMAUTÉ SELON LES GRÉCO-RUSSES Cela s'explique par l'hostilité croissante contre la primauté Xi^>.rt τις άποκατάστασις αύτοΰ εις την Αποστολήν ής έκπτπτωκώς ήν διά τό τριττόν τής ίρνήσεως. Mansi-Petit, op. cit., t. xi,, col. 393 A. Quel­ ques-uns préfèrent dire que le Pasce ores meus s'adresse >i tous les apôtres dans In personne de Pierre. Ainsi pensent Mclècc Pigas, ’Ορθόδοξος διδασκαλία, p. 158, qui fait remarquer que Jésus n’a pas dit : Σύ ποίμαινε, tu patet. mais simplement : Ποίμαινε, pasce; Nectaire de Jérusalem, op. dtf trad. Affix, p. 168-169; les l patriarches orientaux dans l’encyclique aux Anliocblet»,de 1722. Mansi-Petil, op.cit., t. xxxvn,col. I II. 3· Après s’être debarrassés de la sorte des témoi­ gnages invoqués par la théologie catholique, les polé­ mistes orientaux essaient de prendre l'offensive tant sur le terrain de l'Écriturc que sur celui de la tradition. Ils en appellent d’abord aux passages évangéliques où Noire-Seigneur recommande l’humilité aux siens ct proscrit de son Église la manière autoritaire des rois des nations (Mallh., xx, 20-28; Luc., xxn, 21-27); où il dit : Vos autem omnes fratres estis. Matlh., xxiii, 8-1 L Les Actes des apôtres leur fournissent plus d’un argument. Ils insistent sur l’élection de saint Mathias; sur l’expression : Miserunt Petrum ct Joannem. Act., , vin, 11; sur l’humble attitude de Pierre devant ceux de la circoncision,après la conversion du centurion Cor­ neille, Act., xi, 2-18; sur le rôle de premier plan joué par Jacques au concile de Jérusalem el sur le fait que cc n’est pas Pierre seul, mais tous les apôtres avec les anciens qui écrivent aux fidèles d’Antioche, de la Syrie el de la Cilicie. Act., xv, 6-30. Ils font remarquer que les autres apôtres sc taisent absolument sur la pri­ mauté de Pierre, cl que saint Paul parait la nier par cc qu’il dit dansrépîlrcaux Galates, i, 11, 16-17; n,6-18. Il nomme en effet Céphas après Jacques, lui résiste en face ct lui fait la leçon devant tout le monde. Ils découvrent des indices défavorables à l’existence de toute primauté dans l’Église primitive dans certains passages des épltrcs paulinicnnes, notamment dans I I Cor., i, 12-13; ni, 1-9; Eph., n, 19-20; ct dans I Apocalypse, xxi. I L Pierre lui-même, disent-ils, ne parait pas avoir conscience de sa prééminence puis­ qu’il s’appelle simple συμπρεσβύτερος, I Pet., v, I, ct nomme saint Paul son frère très cher. Il Pctr., ni, 15. Dans leur encyclique aux fidèles d’Antioche, en 1722, les patriarches orientaux vont Jusqu’à relever comme Incompatible avec la primauté de Pierre le fait que Paul, Jean, Jacques, ont écrit leurs épltrcs à son insu ct sans le consulter. Cf. Mansi-Petil, op. cit., t. xxxvn, col. 118; Phihirète Goumilcvskii, Théologie dogmatique orthodoxe. 3· éd.. t. n, Saint-Pétersbourg, 1883. p. 263; Frouskovskil, Théologie polémique, 2e éd., Moghilev, 1889, p. 39-13; A. Lebedev, op. cit., p. 217-253; Souch­ kov, op. cit., p. 13-66. 1’ Pour cc qui regarde la tradition patriotique, la conduite des polémistes anticatholiques est bien simple. Il* font ressortir tout ce qui. dans les écrits des Pères, parait être défavorable de près ou de loin à la thèse catholique. Ils s’arrêtent spécialement sur l’exégèse du Tu es Petrus donnée par saint Cypricn, el quelques-uns déclarent que c’est à l’interprétation de cc Père qu’il faut ramener tout cc que disent les autres. Cf. L Perov, op. dt..p. 66. Si un même Père donne d’un même texte évangélique deux interpré­ tations différentes, ils rapportent celle qui est la moins favorable à la primauté de Pierre ct passent l’autre sous silence. C’est ainsi qu’ils accumulent les citations ou les mots super hane petram sont entendus de la foi de Pierre, de sa confession de la divinité de JésusChrist. dans le but d’opposer la fol de Pierre à su per­ sonne Sc trous cnt-il* en face d’une affirmation évi­ dente de la prééminence du chef des apôtres, ils s’en 384 débarrassent en disant que les passages de cc genre sont des éloges oratoires, qu’il fnut bien se garder de prendre à la lettre. C’est avec ces principes d’exégèse qu’Alexandre Lebedev, op. cit.. p. 269-270, par exemple, arrive à compter parmi les adversaires delà primauté de Pierre saint Jean Chrysostome lui-même, qui l’affirme si explicitement en plusieurs endroits do ses écrits; cf. plus haut, col. 280 sq. Le même découvre des difficultés contre la doctrine catholique là où un critique informé ne saurait en apercevoir l’ombre, comme dans le silence des canons apostoliques, dans le fait que le Pasteur d’Hermas ne place pas saint Pierre dans les fondements de sa tour, dans les paroles de la Liturgie de saint Jacques disant que l’Église est fondée sur la pierre de la foi. Op. cil., p. 251, 256-257. Pour enlever toute valeur probante à l’argument de tradi­ tion en faveur de la primauté, il suffit à d’autres de dire que les Pères donnent des textes évangéliques dc$ explications divergentes el que, par conséquent, on n’en saurait rien lirer de certain, tant que l’Église réunie en concile œcuménique n'en aura pas formulé une interprétation authentique. Gf. Avdias Vostokov, op. cit., t. i (trad, italienne), p. 43; Damalas, Περί αρχών, Leipzig, 1863, p. 101. III. ORIGINE ET DÈl ELOPPEMENT bE LA PRIMAUTÉ ROMAINE I)9 APRÈS LES HISTORIENS ET LES THÉOLO­ GIENS GRÉCO-RUSSES bE LA PÉRIODE MODERNE ET CONTEMPORAINE. Nier la primauté de saint Pierre est un moyen radical de ruiner par le fondement la primauté romaine. Une autre voie tout aussi efficace d’arriver au même résultat est d’affirmer que la fonda­ tion de l’Église romaine n’a rien à voir avec saint Pierre, soit que saint Pierre ne soit Jamais venu à Rome, soit qu’il n’y soit venu (pie pour souffrir le mar­ tyre, sans s’occuper d’y organiser une Église déjà existante et de s'y donner un successeur. 1° La thèse de la non-venue de saint Pierre à Rome, soutenue par certains critiques d’outre-Bhin du siècle dernier, a été adoptée par plusieurs polémistes grécorusses, malgré la tradition unanime de l’Eglise grecque depuis les premiers siècles. Même après que la critique indépendante a abandonné cette position intenable, celle-ci a gardé des partisans en Orient. Il n’y a pas longtemps que le Grec Nectaire Képhalas la prenait encore à son compte. .Μελέτη Ιστορική περί των αίτιων του σχίσματος, t. ι, Athènes, 1911, ρ. 12-40. D’au­ tres. sans oser soutenir expressément la négative, se contentent d’émettre des doutes. Ainsi firent les qua­ tre patriarches d’Oricnt dans leur encyclique de 1818, Mansi-Petil, op. cit., t. xxxvn, col. 391 A : *0 θρόνος τής ’Ρώμης έκ μιας τίνος απλής παραδόσεως νομίζεται τιμηθείς παρά τού μακαρίου Πέτρου. Le patriarche de Constantinople Anthime VII, en 1895, déclarait que l’activité apostolique de Pierre à Borne est complète­ ment ignorée par l’histoire Πατριαρχική καί συνοδική έγκύκλιος, § 1 I, Constantinople, 1895. Γη plus grand nombre donnent leur faveur à l’opi­ nion qui attribue à saint Paul en personne, ou à l’un de ses disciples, la fondation de l’Église romaine el ne fait venir Pierre à Borne que pour y souffrir le martyre entre les années 65 cl 67. D’abord mise en avant par l ex-catholique \ ladimir Guettée, Exposition de la doctrine de l'Église catholique orthodoxe, 2* éd., Paris, 1881, p. 122, celte thèse a été développée ex professo par Serge Souchkov, dans l’ouvrage cil S plus haut. Scs conclusions sont les suivantes : 1. Aucun apôtre n’est allé à Borne avant saint Paul ; 2. l’Église romaine n’a pu être fondée avant les années 65 67; 3. son pre­ mier évêque fut le disciple de saint Paul, I in, ordonné par l'Apôlre lui-même; I. Paul est donc le premier fondateur de I Église romaine; 5. saint Pierre n’arriva à Borne, par Corinthe, que sur la lin d< l’année 65 ou ■ ncoHûbora *·. | tùlpour per/ûfre fa/ondaffoji 385 P Kl M AUTÉ SELON LES GRÉCO-RUSSES Je l'Église romaine, cl mourut martyr sous Néron, en 67 ou 68. Op. cil., p. 85-1 18. Souchkov a trouvé plu­ sieurs disciples en Russie. Quelques-uns pourtant, tel Alexandre Bleliaev, Dr l'union des Églises, SerghievPossad, 181)7, p. 87-89, donnent comme fondateur de l’Église romaine non saint Paul lui-même, mais un de ses disciples. 2° Trans/armaiion progressive de la primauté. — Même quand on nie nue saint Pierre soit venu à Borne ou qu’il ait fondé l’Eglise romaine, la question de In | primauté de l’évêque de Borne n’est pas résolue pour l’historien, car il est incontestable que, dans les pre­ miers siècles ct bien avant le schisme byzantin, le pape a été considéré comme le primat de la catholicité. Nous trouvons chez les Gréco-Russes, historiens, théo­ logiens ou polémistes, plusieurs solutions divergentes à cc problème. La thèse classique, qui a la faveur des polémistes de profession, parce qu’elle met en bonne posture l’Église dissidente, est que, avant Photius, l'évêque de Rome, n’eut qu’une primauté d'honneur, primauté d’origine ecclésiastique accordée par les Pères ct les empereurs en considération du rang de capitale de la ville de Borne. C’est dans ce sens que sont interprétés les anciens canons sur les privilèges du siège de Constan­ tinople (3· de Constantinople en 381, 28· de Chalcédoinc, 36e du synode inTrullo). Les manuels de théologie russe, même les plus récents (ci. Sylvestre Malevanskii, Opyl pravoslavnago dogmatitchcskago bogoslovia, 2e éd., t. IV, Kiev, 1897, p. 332; Malinovskii, Otteherk pravoslavnago dogmalitcl.eskago bogoslovia, t. n, Serghiev-Possad, 1908, p. 300), ne font commencer la monarchie papale qu’au vnr-ix· siècle. Avant cette époque, nul prélat n’exerçait sur l’Église universelle une véritable autorité. 3° La primauté d'origine canonique. — Quelques auteurs, devant l’évidence des témoignages anciens qui nous montrent les papes exerçant, en certaines cir­ constances, une véritable autorité souveraine tant en Orient qu'en Ceddent, déchirent que, dans les premiers siècles, l’évêque de Rome était investi d’une véritable primauté de juridiction. Cette primauté lui avait été reconnue pour des raisons diverses. Elle n’était point d’ordre divin, mais d’origine ecclésiastique ct reçue par la coutume. Nous trouvons celte opinion dans le ('.ours de droit ecclésiastique du canoniste grec Eutaxlas, cours resté manuscrit, p. 201, 208-210. Le polémiste Alexandre Lebedev, que nous avons déjà cité plusieurs fols, sc rapproche de cette opinion quand il dit qu'une primauté canonique de juridici ion suprême avait commencé à s’établir dans les premiers siècles au prolit de l’évêque de Rome. Mais, d’après lui, les agissements ambitieux des papes empêchèrent l’évolution normale de celle primauté, vers laquelle l'Église. tend spontané­ ment. Ils en falsi lièrent la véritable notion, et la sépa­ ration des Églises arriva avant que les droits el l’exer­ cice de celte primauté eussent été clairement déliais. op. cit., p. 172-177, 202. 1° L'a*urpation. — Plus nombreux sont ceux qui parlent d’une véritable primauté de juridiction usur­ pée par 1rs évêques de Rome bien avant le schisme photicn. D’après les uns, celle usurpation aurait com­ mencé des l’origine même de l'Église romaine. Cf. Nec­ taire Képhalas, op. ciL, I. i, p. 10. D’autres en dé­ couvrent les premières traces dès le m· siècle. Cf. J. Overbeck, L'Église catholique orthodoxe. Protesta­ tion contre T Église papale (en russe), Saint-Pétersbourg, 1869, p. 8. La plupart ne font pas dillh ullé de recon­ naître qu'à partir du iv» siècle les prétentions papales à la dominai ion sur l’Église universelle sont nettement affichées. L’historien russe Basile Bolotov (t 1900), dans scs Leçons sur l'histoire de l'Église ancienne, t III. Saint Pétcrsbourg, 1913, p. 280-301, trouve dans les PICT. DE T1IÉOL CATJIOI. 386 œuvres de saint Léon le Grand l’exposé précis < de toutes les prérogatives romaines, telles qu'elles ont été depuis définies par le concile du Vatican ». 5° Détour à des idées plus saines. — Enfin, nous devons signaler quelques rares auteurs russes qui, dans les dernières années qui ont précédé la chute du régime tsarisle, ont exposé objectivement les manifestations de la primauté romaine dans les premiers siècles ct ont reconnu que celle primauté, un véritable pouvoir de juridiction, non seulement s’est exercée sur les Églises d’Oricnt, mais a élé officiellement reconnue par elles. Dans le t. x de son Cours d'histoire de l'Église, inti­ tulé : Donkhovenstvo drevnei vcelenskoi tserkvi (Le clergé de l’ancienne Église oecuménique, des temps apos­ toliques au /Λ· siècle), l’historien Alcxis-Petrovitch Lebedev (f 1908) consacre tout un chapitre à l’origine et au développement de la primauté romaine. Il allirme que toujours et invariablement, l'évêque de Rome fut supérieur aux autres patriarches et il le prouve par les témoignages des trois premiers siècles, bien connus de la théologie catholique. A partir du IVe siècle, continue Lebedev, l’autorité de l'évêque de Rome s’accroît de plus en plus cl arrive, au milieu du v* siècle, à un point qui ne laisse presque plus rien à désirer. Pendant cette période, l’Eglise d’Oricnt, par sa conduite, confirme l’évêque de Rome dans l’idée qu’il est réellement supérieur aux autres évêques. Elle reconnaît, par scs conciles el par 1rs actes de scs prélats, la primauté romaine. Tout l’Oricnt capitule devant le pape Léon à propos du 28* canon de Chalcédoine. Op. cil., p. 228-211. L’ouvrage qui contient cc chapitre fut publié à Moscou en 1905, à un moment où chôma quelque peu la censure ecclésiastique cl où l’on respira en Russie, pour une courte période, l’air de la liberté. Le même Alexis Lebedev avait édité, quelques années auparavant, le t. v de son cours sur V Histoire de la séparation des Églises aux /.v. .V et XJ· siècles. Il y déclarait qu'aux iv» el v* siècles, une pentarchie oligar­ chique constituant le suprême gouvernement ecclésias­ tique s’était déjà établie, excluant toute primauté el reconnaissant des droits égaux ù chacun des cinq patriarches. P. 317-318. Cc n’était pas Lebedev qui avait parlé alors, mais la censure ecclésiastique, comme l’avoua Lebedev lui-même à un de scs amis. Cf. M. Jugie, Un historien russe de l'Église : AlexisPelrovitch Lebedev, dans Échos d'Orient, t. xxvi. 1927. p. 1**3. En 1912, le canoniste N. Souvorov, dans la I· édi­ tion de son Manuel de droit ecclésiastique, Saint-Péters­ bourg, p. 16-50, répétait, en abrégé, l’exposé d’Alexis Lebedev el déclarait (pie les patriarches el les évêques orientaux, et les conciles œcuméniques eux-mêmes, avaient reconnu, en certaines circonstances, par leurs actes et leurs paroles, la primauté de droit divin de l’évêque de Rome. En 1909, P. Lapin, dans son ougrave intitulé Sobor kak vyshii organ tserkovnyi vlasti (Le concile considéré comme organe du pouvoir ecclésias­ tique), Kazan, 1909, p. 97-98, avait affirmé la même chose, insistant sur les appels répétés des évêques orientaux au pape entre le iv· cl le ix* siècle. On voit, par ces opinions divergentes, quelles diffi­ cultés rencontre la simple vérité historique pour se faire jour dans les milieux dissidents. /Γ Z.Â.S AJ/S0.Y5 THÈ0U00IQUE3 DES PO LÉGISTES (O.\TP.P. LA PPiMAUTf: ROAIAIXE — Nous ne nous arrêterons pas aux objections d’ordre historique que les adversaires de la papauté vont chercher dans l’an­ tique tradition pour battre en brèche ses préroga­ tives. Ces objections sont connues de tous. Rappe­ lons seulement que les Gréco-Russes ont ulilisé pour leur polémique tout cc que les controverses occiden­ tales sur ht primauté et l’infaillibilité pontificale ont produit d’hostilcaux prérogatives papales. Ils Insistent T. _ ΧΙΠ — 13. PRIMAUTÉ SELON spécialement sur le cas de saint Cyprion cl de son con­ cile de Carthage de 256, dont les Actes, grâce au synode m Trullo, ont passé dans le Corpus juris oriental: sur l'histoire du prêtre africain Apiarius, au temps des papes Zos I me et Boniface 1er (117-122); sur les can. 3 de Constantinople (381) cl 28 de Chalcédoinc. Il ne sera pas sans interet de signaler quelques-uns des arguments de raison théologique que les polé­ mistes récents ont inventes contre les prérogatives romaines. Sur ce terrain, les Busses surtout se sont signales par la fécondité de leur imagination. (L’est d’abord le titre de chef ou tête de Γ Église, donné au pape par les catholiques, qui provoque leurs attaques. Pour eux, Jésus-Christ seul est la tête de l’Églisc, et c’est lui faire injure que de décerner ce titre à un simple mortel. C’est aussi faire du corps mystique du Christ, qui est l’Églisc, un véritable monstre en lui donnant deux têtes : pur sophisme, qui s’évanouit dès qu’on met en parallèle le rôle de JésusChrist comme chef de l’Églisc considérée dans scs trois états et le rôle du pape, chef visible suppléant de la seule Église militante: attaque maladroite, qui sc retourne contre scs auteurs, attendu que les Confes­ sions de /oi du xvn* siècle, celle dite de Pierre Moghila, et celle de Doslthée, rédigées contre les erreurs pro­ testantes, revendiquent pour les évêques de chaque diocèse les titres de vicaires du Christ, τοποτηρηταΐ τού Χριστού (cf. Confession orthodoxe. 1" part., q. i.xxxv) et de têtes de l Église : w/. èv y.wL/frtw. άλλα κυρίως άρχάς καί κεφαλάς τούς έπισκόπους εΟηκε το II νεύμα τύ άγιον (Confession de Dosllhée, c. x); de sorte que la grande différence qui existe entre l’Églisc grécorusse et l’Églisc catholique sur le terrain de l’ecclésiologie se réduit à ceci : la première donne à l’Églisc militante un nombre indéfini de tètes visibles, la seconde sc contente d’une seule. Cf. C. Tondini, Le pape de Rome et tes papes de Γ Église orthodoxe d’Oricnt, P.«rr. 1876. On s’en prend aussi au titre de vicaire du Christ, autre nom du pape dans le vocabulaire catholique. A en croire le Busse Alexandre Lebedev, op. cil., p. 3950, 118-128, 330-339, ce titre produit sur la mentalité des catholiques les effets les plus néfastes, outre qu’il déroge à la dignité du Christ. Ce polémiste nous repré­ sente le pape comme une sorte d’écran qui cache le Christ à Paine du croyant et fausse toute sa vie spiri­ tuelle. Pour le catholique, point de vraie foi, car son regard se porte continuellement sur le pape visible, non sur Jésus-Christ invisible; point de vraie sainteté, car c’est le pape, dont la vue l’obsède, qu’il cherche à imiter, non Jésus, qu’il ne voit qu’à travers le pape. Après avoir décrit sous les traits les plus noirs la tyrannie papale et l’esprit de servitude qu’il engendre chez les catholiques, il en arrive à cette conclusion : • lx papisme latin est condamné par la parole de Dieu. Les catholiques restent séparés du Christ et ont perdu la grâce de Dieu. > Op. cit., p. 58. L’ouvrage do Lebe­ dev, qui a eu deux éditions, avait passé en résumé dans plusieurs manuels de théologie à l’usage des séminaires russes. Contre la primauté du pape, les polémistes russes contemporains reprennent le vieux raisonnement de Nil Cabasllas, au xiv· siècle : le pape n’est pas supé­ rieur aux autres évêques parce qu’11 ne reçoit aucun ordre spécial supérieur a l’épiscopat. Or, pour trans­ mettre les prérogatives exceptionnelles que les catho­ liques attribuent à l’évêque de Borne, il faudrait un sacrement special, un signe sensible, qu’on ne trouve nulle part. On pourrait admettre, à la rigueur, que Jésus-Christ ait accorde à l’apôtre Pierre, de vive voix, de pareils privilèges, mais on ne volt pas comment ils peuvent irriver au pape, puisque, de l’aveu des catho­ liques, celui-ci ne reçoit aucun ordre supérieur à l’épis­ 388 copat. G est donc que la papauté est une institution purement humaine, contraire nu plan du Christ el à la véritable nature de l’Églisc. Cf. Alexandre Lebedev, op. cit., p. 28. 96-98. 137-138, 351-353; Malinovskii. op. cit., t. π, p. 61 ; E. Akvilonov, L’Église. Définition* scientifiques de l’Églisc. Saint-Pétersbourg, 1891, p. 129 sq. Nos polémistes n’oublient pas de s’approprier les arguments de certains adversaires occidentaux des prérogatives reconnues au pape par le concile du Vati­ can : la primauté et rinfaillibilité papales réduisent à néant la dignité épiscopale et rendent les conciles absolument inutiles. Dans le système du papisme, les évêques deviennent les humbles vicaires du vicaire de Jésus-Christ. CL, par exemple, Alexandre Lebedev, op. cil., p. 214-218. Certains découvrent enfin, contre la doctrine catho­ lique de la primauté du pape, successeur de saint Pierre, une difllcullé spéciale tirée du fait de la survi­ vance de i apôtre saint Jean à saint Pierre. D’après cette doctrine, en effet, saint Jean, après la mort de saint Pierre, a dû être soumis à la juridiction du suc­ cesseur de celui-ci, à Lin ou à Clément. Or, il y a une souveraine inconvenance à ce que l’apôtre bicn-aimé du Seigneur ait été ainsi subordonne à quelqu'un qui lui était Inférieur sous le rapport des charismes de l’apostolat : Quis audiens dicentem, dit Nectaire de Jérusalem, op. cit.. trad Allix, p. 251-252. non probris excipiat, ut scilicet discipuli apostolorum essent super apostolos ratione successionis Petri? Voir aussi Philarète Drozdov, Dialogues entre un chercheur et un convaincu, Saint-Pétersbourg. 1815, trad, grecque de Val lia nos : Διάλογοι περί ορθοδοξίας της άνατολικής καθολικής ’ Εκκλησίας μεταξύ έρευνητού καί πεποιΟότος, Athènes, 1853, ρ. 98. Telles sont les principales raisons que les théolo­ giens et les polémistes gréco-russes de notre époque opposent à la doctrine catholique de la primauté romaine. Nous ne nous arrêtons pas aux diatribes violentes, aux calomnies, aux déformations, volon­ taires ou non, du dogme catholique, qu’on rencontre çà el là chez certains auteurs. V. LES LIVRES CANONIQUES ET LITURGIQUES RE L'ÉGLISE GRÉCO-RUSSE ET Ι.Λ PRIMAUTÉ DE SAINT pierre et nu pape. - Le bref aperçu historique que nous avons donné de l’évolution de la doctrine de l’Églisc gréco-russe sur la primauté romaine, du ixr siècle à nos jours, met en vif relief le contraste qui existe entre le point de départ et le point d’arrivée. On a vu comment, à mesure que la séparation entre les deux Églises devenait plus tranchée, l'hostilité a l’égard des prérogatives de Pierre et de son successeur s’était accentuée dans la même proportion. Entre les positions des théologiens byzantins du ixr siècle, y compris Photius, el celles des Gréco-Busses du xx*. l’écart va Jusqu'à la contradiction la plus flagrante. Parmi les Églises séparées du centre de l’unité catho­ lique, c’est le propre de l’Églisc gréco-russe de ne point se piquer de logique el de sc signaler par l’incohé­ rence de sa conduite. Tout en disant anathème au dogme catholique de la primauté el de rinfaillibilité du pape, successeur de saint Pierre, elle continue d’honorer d’un culte liturgique les grands saints d'Oricnt et d’Occidcnt les grands papes, qui ont ensei­ gné le plus expressément les prérogatives du prince des apôtres et de scs successeurs sur le siège de Borne. Signalons, parmi les Orientaux, iex suints Basile, Gré­ goire ; · le coryphée des saints Pères qui a confirmé le dogme très saint », τού κορυ­ φαίου μαθητών έκόσμησας τον θρόνον — ώς θειος κορυφαίος ιερών πατέρων, το ίερώτατον δόγμα έκράτυνας Quant à saint Léon (18 févr.), il est salué comn · la lumière de l’univers, τής οικουμένης ό φωστηρ; le successeur de Pierre, héritier de sa primauté, ό Πέτρου διάδοχος και την τούτου προεδρία*/ πλοντησας; la colonne de l’orthodoxie, στήλη της ορθοδο­ ξίας. Comme un nouveau Moïse, i) est apparu au peuple de Dieu, après avoir gravé les enseignement» de la foi sur des tables préparées par Dieu. A la fêle de saint Grégoire le Grand (12 mars), ce saint est appelé le successeur de Pierre tant sur son siège qu< dans son zèle, τού κορυφαίου γέγονας καΟέδρας καί τού ζήλου διάδοχος. La première des Églises, qui Γη reçu dans son sein, arrose la terre entière du fleuve de sa doctrine orthodoxe », ’Εκκλησιών σε κολπωσαμένη ή πρώτη, πάσαν ύφήλιον κατάρδει τοις ρεύμασι των εύσεοωρύτων δογμάτων σου. Ce dernier pas­ sage, qui proclame la primauté de l’Églisc romaine, a disparu des éditions récentes des menées : essai tardif et honteux de mettre la liturgie d’accord avec la théologie actuelle. (’.es témoignages sur la primauté romaine n impres­ sionnent pas plus les polémistes anticalholiqucs que les titres décernés à l'apôtre Pierre. Ils y voient de simples éloges, des expressions poétiques sans grande portée doctrinale, qui peuvent parfaitement s’en­ tendre d’une simple primauté d’honneur Ici encore, c’est la preuve patrlslique, ce sont les faits historiques qui fournissent le commentaire authentique des paroles de la liturgie. Si des livres liturgiques nous passons aux recueils canoniques, nous y rencontrons aussi plusieurs docu­ ments anciens, témoins de la foi primitive de (’Orient chrétien à la primauté romaine. Ce sont les canons de Sardique sur les appels au pape: h s décrets «le Justi­ nien et autres empereurs proclamant le pape de Rome le premier de tous les prélats el l’Églisc romaine la première de toutes les Églises; la lettre de saint TaraÎM au pape Adrien 1er sur la simonie, dont nous avons signalé le passage sur lu primauté; la Donatio Constan fini elle-même, insérée au Xonmcanon dès le xn· siècle Nous avons vu aussi plusieurs anciens Xomocanom slaves conservant Jusqu’au xvr siècle le magnifique témoignage de l'apotrc des Slaves saint Méthode. 11 est vrai que ces mêmes collections canoniques renferment des pièces qu'on peut facilement exploiter contre k dogme catholique : tels les Actes du concile africain de 25G; les canons cl lettres des synodes de Carthage sur les appels à Rome, spécialement dans l’affaire d'Aplarius; plusieurs décroîs du concile in Trullo fai sont la loi à l’Églisc romaine; les canons sur les privi loges du siège de Constantinople; les novelles et con stitutions impériales exaltant le patriarche byzantin au-dessus des autres sièges orientaux, sans parler de certaines diatribes postérieures au schisme, qu'on a introduites dans les Directoires canoniques, ou Πηδά­ λια des diverses Églises nutocéphalcs. .Mais l'histoire 391 PRIMAUTÉ DU PAPE — PRISCILLIEN nous révèle l'origine et la valeur de ces documents. La conclusion évidente de tout ce que nous venons de dire est que l’Église gréco-russe de nos jours ne pense pas du siège de Home ct du pape ce qu'en pensait l’Église byzantine du ix· siècle. Il s’est donc produit une solution de continuité dans la doctrine sur cc point particulier. Du point de vue dogmatique, le fait est gros de conséquences. Pou d'auteurs catholiques ont touché la question pour cette dernière période. Voir A. Palmieri, Theologia dogma· fica orthodoxa, t. !i, Florence, 1913; Th. Spacll, Conceptus et doctrina de Ecclesia juxta theologiam Orientis separati. Homo, 1923-1921 (Orientalia Christiana, (asc. 3 et .S); F. Grivec. Ccrkev (en Slovène)· Liubliana, 1921; Acta Aca­ demia Velehradensis, t. x, p, 265-379. pour indications hiblio*4raptiiqucs; C. Tondini, la pape de Home et les pafas de ΓÉglise orthodoxe d'Orient, Paris, 1X76; M. d’Ifcrbigny, Theologica de Ecclesia, 2 vol., 3· éd., 1927-1928. On trouvera un exposé d'ensemble avec l’indication des principaux traites ct dissertations polémiques contre la primauté romaine écrites par les G réco-Busses depuis le xvr siècle dans le t. iv de notre Theologia dissidentium orientalium, Paris. 1931. Pour ce qui regarde la primauté de saint Pierre ct du pape d’après les livres liturgiques russes, voir Joseph de Maistre, Du pape, 1. 1, c. x; P. (higarin.dans Études de philosophie ct d'histoire, t. iî, 1857, p. 61-72; C. Tondini, l.a primauté de saint Pierre prouvée par les titres que lui donne ΓÉglise russe dans sa liturgie, Paris, 1867; Flosculus acritatis de Ecclesiarum unione ex variis orientalis Ecclesia libris studio /Ut. PP. ordinis S. Itasilii Magni Halasjalvensium collectus olim ct semel iterumque editus nunedrnuo novis recensitus curis, Home, 1862,p.13-16; Miles, Kulendarium manuale utri usque Ecclesia, t. j. Inspruck, 189G, p. 51. 72, 106-107, 121, 137, 193, 211. M. Jugi e. PRISCILLIEN, hérétique de la fin du rv· siècle. L’histoire de Prlscillien cl la doctrine qu’il a enseignée soulèvent encore des problèmes difficiles â résoudre. Nous devrons ici nous contenter d’insister sur les points qui semblent définitivement acquis. I. IIistoike. — Les origines du prisci 11 taôisme nous sont surtout connues par VHistoria sacra, 1. II, c. xi.viLi, de Sulpicc-Sévèrc, qui écrivait dans les premières années du v· siècle, donc peu de temps après les événe­ ments, et qui était un fort honnête homme. SulpiccSévèrc nous raconte donc qu’un Égyptien du nom de Marcus serait venu en Espagne, aux environs de 370, ct y aurait prêché une doctrine secrète apparentée au gnosticisme. Il aurait réussi â convaincre quelques dis­ ciples, parmi lesquels une femme nommée Agapc et I un rhéteur Elpidius, ct ces deux personnages auraient été les premiers maîtres de Prlscillien. A vrai dire, le récit de Sulpicc-Sévèrc n’est pas au-dessus de tout soupçon : nous connaissons par saint Irénéc un héré­ tique appelé Marcus, qui prêchait dans la vallée du Rhône à la lin du n· siècle, ct saint Jérôme Identifie cc Marcus avec le maître de Prlscillien. Epist., lxxv, 3; In Isaiam, xvn, 61. Il pourrait sc faire que SulpiccSévèrc eût mal interprété certains bruits qui ratta­ chaient renseignement de Prlscillien à celui de Marcus, et eût pris pour un contemporain un hérétique du passé. En tout cas, nous savons que Prlscillien, homme. In­ struit ct des plus recommandables par l’austérité de scs mœurs, commença à propager scs Idées vers 370-375, aux environs de Mérlda et de Cordouc. Il groupa bientôt autour de lui un certain nombre d'adhérents, «les femmes surtout, mais aussi des évêques, Instan­ tius ct Salvianus. Il fut d’ailleurs Immédiatement com­ battu par d’autres évêques, surtout par Hydacius de Mcrid.i ct Itliachis d’Ossobona. Dès octobre 380, un concitr m réunit à Saragosse ct condamna sinon Prisrilllcn nommément, du moins les erreurs qu’on lui attribuait. Les canons conciliaires défendent en consé­ quence que les femmes soient mêlées aux hommes dans des réunions ayant pour objet la lecture ct le commen- 392 taire des Écritures; ils interdisent encore de jeûner le dimanche et de s’absenter de l’église pendant le carême, pour tenir des conventicules dans les monta­ gnes ou dans les villas; de recevoir l’eucharistie à l’église sans la consommer; de s’absenter de l'église pendant les trois semaines qdi précèdent l’Épiphanie. Le 5” canon prescrit aux évêques de no pas entrer en communion avec ceux qui ont été excommuniés par un autre évêque; le 6e excommunie ou soumet â une dure pénitence les clercs qui prétendaient quitter leur oillce ou se faire moines parce que le clergé séculier leur paraissait trop attaché au monde; le 7· interdit que personne s’attribue le nom de docteur, excepté ceux qui en ont le droit, et le 8‘ ne permet pas aux vierges de prendre le voile avant l’âge de 10 ans. La plupart de ccs mesures, si elles sc rapportent bien aux groupes priscillianistes, indiquent qu’ils se manifestèrent d’abord surtout comme des groupes d’ascètes, et le 6e canon révèle une opposition, qui est naturelle et se constate un peu en tout temps, entre le clergé régulier ct les ascètes. » A. Pucch, Les origines du prisciUitt· nisme, dans Huit, d'une. littér. ctd'arcMol. chrét., t. ir. 1912, p. 175. Bien que le nom de Priscillien ne figure pas dans les canons de Saragosse, on ne saurait douter que les membres du concile ne l'eussent expressément visé, ct n’eussent pris des mesures pour empêcher la secte de poursuivre sa propagande. Ces mesures se révélè­ rent impuissantes. Grâce à l’appui d’Instantius ct de Salvianus, grâce à la faveur d’IIygin de Cordouc qui venait de sc déclarer pour lui, Priscillien fut élevé à l'évêché d’Avila. Une fois consacré, il se trouvait être l'égal de scs adversaires et capable de leur tenir tête. Mais ceux-ci sc tournèrent d’un autre côté. Ithaclul d’Ossobona ct Hydacius de Merida demandèrent l’ap­ pui du pouvoir impérial ct obtinrent de Graticn un décret de bannissement contre les manichéens; ce terme vague était alors appliqué aux priscillianistes; il ofTrait l’avantage de pouvoir l'être à bien d’autres encore. Priscillien, Instantius ct Salvianus durent alors (381 > passer les Pyrénées; ils séjournèrent à Éauzc, puis A Bordeaux. Durant leur séjour en Aquitaine, ils prê­ chèrent leur doctrine et firent des prosélytes, dont les plus notables furent Euchrotla ct Procula, femme et fille du rhéteur Dclphidlus. Ces deux personnes s'atta­ chèrent à leurs m dires ct les suivirent en Halle, où Ils allaient solliciter le secours du pape Daniasc ct de l’évêque de Milan, Ambroise. Là, les Espagnols n’ob­ tinrent aucun succès : saint Damase refusa de les rece­ voir; saint Ambroise ne leur fil pas un meilleur accueil. Ils parvinrent cependant, grâce à l’intervention du maître des offices, Macéclonlus, et du proconsul d’Afrique, Volvcntius, à obtenir l’annulation de l’édit d’exil porté contre eux, et ils purent rentrer en Espa­ gne. Ce fut pour peu de temps. Maxime, proclamé empe­ reur par les légions de Bretagne et installé à Trêves, n’eut rien de plus pressé que de se concilier les bonnes gr.lccs des évêques catholiques. Ithachis obtint de lui qu’un concile serait réuni à Bordeaux et reprendrait l’examen de l’affaire (381). Instantius comparut devant l’assemblée ct y présenta sa défense : il fut déposé de son siège. Priscillien refusa de sc laisser juger par les évêques; il demanda que s i cause fût plaldéc devant l’empereur lui-même. C'était une grave impru­ dence. Amenés à Trêves, les priscillianistes y furent suivis de leurs accusateurs. En vain saint Martin, alors présent à Trêves, supplia-l-il Maxime, s'il condamnait la doctrine hérétique, «l'épargner du moins les per­ sonnes. I*.n sain même, effraye au dernier moment de sa responsabilité ct des protestations soulevées par sa conduite. Ithaclus renonça t-d ù poursuivre l’accusa- 393 PRISCILLIEN 39'i lion : ccllc-cl fut reprise par deux évêques, Magnus et IL La doctiuni. de Phiscillten. — Est-ce à dire Huius; h· préfet du prétoire, Evode, conduisit l'en­ que Priscillien ail été orthodoxe cl qu'il ne faille voir quête. Priscillien fut convaincu de maléfices ct de doc­ en lui qu’un simple prédicateur d’ascétisme? M, Babul trines Immorales; il fut condamné à mort ct exécuté a récemment tenté de le réhabiliter et de prouver que avec six de ses partisans, les diacres Asnrbius ct Aure­ sa doctrine n’avait rien de répréhensible, de sorte qu’il lius, Eélicissimus et Arménius, tout récemment passés aurait été simplement l’innocente victime d’une cabale à la secte, le poète Latronianus el la matrone Eu- de prélats mondains. A celle conclusion simpliste chrolia. L'évêque Instantius et le rhéteur Tibérianus s’opposent l’ensemble des faits que nous connaissons, furent exilés; on les relégua aux lies Scilly. ct aussi les témoignages qui nous restent sur l’ensei­ On ne s’en tint pas là. t ne commission militaire fut gnement de Priscillien. expédiée en Espagne, avec la charge de rechercher les ln Ouvrages priscillianistes. — Quels sont au juste priscillianistes ct de procéder contre eux. Ccs mesures ccs témoignages? En 1889, l'attention du public brutales soulevèrent les protestations de tous les hon­ savant fut vivement excitée par la publication, dans le nêtes gens, mais ceux-ci ne pouvaient pas grand’chosc Corpus de Vienne, d'un volume qui, à en croire le titre, aussi longtemps que Maxime sc maintenait au pouvoir , contenait les œuvres de Priscillien. On savait assuré­ cl gardait sa confiance à Ithaclus. Sans doute le pape ment par saint Jérôme, De vir. HL, 121, que Priscillien saint Sirice refusa-t-il sa communion aux partisans de avait composé de très nombreux opuscules. Mais on ne l’évêque d’Ossobona et saint Ambroise fit-il de même. connaissait jusqu’alors aucun de ces opuscules ct l'on Il fallut attendre la chute de Maxime (388) pour voir sc s’accordait à penser qu’ils avaient tous disparu. Or. produire une réaction : Ithaclus fut alors déposé de voici que l’éditeur G. Schcpss, annonçait onze traités l’épiscopat; lui ct son collègue Hydacius de Mérida de Priscillien retrouvés dans un ms. de la bibliothèque furent internés à Naples, tandis que les restes de Pris­ de l'université de Wurtzbourg. A vrai dire, ccs traités cillien cl des autres suppliciés de Trêves étaient triom­ sont anonymes dans le ms., mais la preuve de leur phalement ramenés en Espagne. origine semblait si bien administrée que les doutes Pendant quelques années, la secte put librement sc n’étalent pour ainsi dire plus permis. Voici les titres de répandre : Priscillien était honoré par scs partisans ccs traités : comme un martyr, son tombeau était un centre de 1. Sans titre dans le ms.; appelé Liber apologeticus pèlerinage; scs livres étaient lus avec respect. L’évêque par l’éditeur, qui y vil d'abord un plaidoyer prononcé d Astorga. Symposius, était à la tête du mouvement : en 380 au concile de Saragosse; il s’agit beaucoup plus cédant à l'enthousiasme populaire, i) consacra de nom­ probablement d’un plaidoyer adressé au concile de breux évêques priscillianistes; après peu de temps, la Bordeaux en 381. province de Galice sembla définitivement perdue pour 2. Liber ad Damasum episcopum; sans doute cst-cc l'orthodoxie. la défense adressée en 381-382 au pape Damasc. lors­ Il devenait urgent d’aviser. Les évéques des autres que Priscillien et ses compagnons vinrent à Home. provinces d’Espagne sc réunirent à Saragosse, puis à 3. De fide (ct) de apocryphis; apologie en faveur des Tolède; ils n’arrivèrent ù aucun résultat pratique, bien livres apocryphes qui doivent cire lus avec précaution, que Symposius ct son fils eussent fait mine d'accepter sans doute, mais qu’il ne faudrait pas condamner en les conditions posées par saint Ambroise ct promis de bloc. I. Tractatus Pasclur. condamner la doctrine de Priscillien. En 100, il fallut 5. Tractatus Genesis, sur le récit de la création. assembler à Tolède un nouveau concile, devant lequel 6. Tractatu Exodi, sur la loi de Pâque (Ex., xn). consentirent à comparaître les évêques galiciens. Les débats furent animés : parmi les priscillianistes, les uns 7. Tractatus primi psalmi. 8. Tractatus psalmi tertii. acceptaient de se soumettre, les autres sc montraient 9. Tractatus ad populum /. sur le psaume χιν. intraitables; du côté orthodoxe, deux opinions égale­ 10. Tractatus ad populum Ii. sur le psaume lix. ment se faisaient jour, celle des modérés, qui étaient II. llencdictio super fideles. prêts, moyennant certaines conditions, à entrer en Les huit derniers morceaux, sept sermons cl une communion avec les priscillianistes repentants, cl celle des intransigeants, qui exigeaient la déposition Immé­ prière, sont loin d’avoir l’importance des trois pre­ miers. Le sont des homélies, dans lesquelles règne l’exé­ diate de tout l’épiscopat galicien. Il fallut recourir à gèse allégorique ct qui ne suffisent pas à révéler une l’arbitrage du pape Anastase ct de l’évêque de Milan théologie caractéristique. Simplicicn. Ceux-ci sc prononcèrent pour les solutions Aux opuscules contenus dans le seul manuscrit de modérées qui, avec le temps, linirent par prévaloir. AVurlzbourg. l’édition de Schcpss ajoute des Canones Cependant, le priscillianlsme ne disparut pas tout in Pauli apostoli epistolas, compilation tonnée de cita­ de suite. Vers 117. l’évêque d’Aslorga écrivait encore à tions el de références el destinée à fournir des argu­ saint Léon pour lui dénoncer les agissements de la secte. Entre hérétiques et orthodoxes, la lutte se pour­ ments à un prédicateur. Ces canons, qui figurent dans plusieurs manuscrits, surtout espagnols, ont été assez suivit sous forme de traités, de symboles, de canons répandus pour que de bonne heure un orthodoxe du conciliaires. « La dernière grande manifestation contre le priscillianlsme eut lieu au concile de Braga de 563, nom de Peregrinus ail tenu ù les retoucher. La lecture des traités de Wurtzbourg n’a pas été sans où dix-scpl anathématlsmes furent portés contre les divers points de son enseignement. Cc fut le coup de décevoir l’attente des spécialistes. Sulpicc-Sévèrc en efTet nous parlait de Priscillien comme d’un orateur grâce de l’hérésie. A partir de cette date, Il n’en est à abondant et disert. Or, les traités sont écrits en un peu près plus question. · J. 'fixeront, Histoire des style diffus, lourd el pénible. D’autre part, on espérait dogmes, t u, Paris· 1929. p. 235. Telle est, dans scs grandes lignes, l’histoire exté­ trouver dans les écrits, prétendument authentiques, rieure du priscillianlsme. Celle histoire n’est pas sans de Priscillien d’importants renseignements sur sa doc­ trine, cl cet espoir a été trompé : à peine quelques présenter des obscurités : le procès de Priscillien en particulier n’est pas clair, et trop d'influences politi· revendications en faveur des diarismes prophétiques ques et mondaines entrent en jeu dans une cause où ou des livres apocryphes; cela ne suffisait pas à expli­ seule la doctrine aurait dû cire examinée. La condam­ quer pourquoi Priscillien avait été condamné dès 380 nation de l’hérétique ct de scs partisans nous apparaît i à Saragosse cl finalement exécuté. ainsi, comme elle l’apparaissait déjà à saint Martin et Il est vrai que les trois premiers opuscules sont des à saint Ambroise, d’une souveraine injustice. apologies présentées à des adversaires ct. par suite. 395 PRISCILLIEN qu ilt doivent adoucir ce que les thèses nouvelles pou­ vaient avoir de trop étrange ou de trop compromet­ tant. Même en tenant compte de cette circonstance, la banalité, si Ton peut dire, en est difficile à comprendre. Dom Morin a proposé de résoudre le problème en attribuant la paternité des onze traités, non pas A Priscillien, mais A Instantius, qui comparut en elïet devant le concile de Bordeaux, où Priscillien refusa de sc rendre, et qui reçut l'ordre d’y plaider sa cause. Cette attribution est en effet vraisemblable, et nom­ breux sont les savants qui y ont adhéré. Quoi qu’il en soit, .si les onze traités de Wurtzbourg ne suffisent pas A nous renseigner sur le priscillianlsme, quels moyens avons-nous de le connaître? 2° Les anathématismes du concile de Braga (663). — L'exposé le plus clair, le plus complet, de la doctrine priscillianistc nous est fourni par les anathématismes du concile de Braga en 563. Près de deux siècles sépa­ rent cc concile des origines de la secte, qui en un si long espace de temps a pu considérablement évoluer. Nous retrouverons tout à l'heure celte question. Il est utile, en tout cas, d’avoir tout de suite sous les yeux la dernière forme prise par l'hérésie; en voici le résumé, tel que le donne J. 'Fixeront : 1. Les priscillianistes nient la distinction réelle des personnes divines; ils sont sabelliens. — 2. Ils admet­ tent en Dieu une sorte d'émanation ad intra d’éonsou d'êtres divins; il y aurait dans la divinité trinitas tri­ nitatis. — 3. Le Fils de Dieu, Notrc-Scigneur, n'exist.iit pas avant de naître en Marie. — I. Ils sont docètes et ne croient pas que Jésus-Christ soit né in aéra hominis natura. Aussi jeûnent-ils le jour de la nais­ sance du Christ et le dimanche. -— 5. Les anges et les unes humaines sont des émanations de la substance divine. — 6. Les Ames humaines ont péché dans le lieu céleste où elles habitaient et, à cause de cela, ont été précipitées dans des corps humains sur la terre. — 7. Le diable n’a pas été d'abord un bon ange créé de Dieu : il est sorti du chaos et des ténèbres; il n’est pas créé; il est le mal substantiel même. — 8. II est. dans le monde, des créatures qui sont l'œuvre du diable : c’est lui qui est l’auteur du tonnerre, des éclairs, des tempêtes et de la sécheresse. — 9. Les Ames et les corps humains subissent l'influence des astres. — . 10. Les douze signes du zodiaque correspondent aux dix erses parties du corps et de l'âme et sont en rapport avec les noms des douze patriarches. - - 1 L Le mariage est mauvais, et la procréation des enfants condam­ nable.— 12. C’est le diable et les démons qui forment iu sein de la mère le corps de l’enfant. La chair ne ressuscitera point. — 13. La chair n’est pas l'œuvre de Dieu, mais une création des mauvais anges. — I L Les priscillianistes s'abstiennent de manger de la chair et même des légumes cuits avec de la viande, non par mortification, mais parce qu’ils regardent la chair comme une nourriture impure.— 15. La secte enseigne que les clercs et les moines peuvent, en dehors do leur mère, de leur sœur, de leur tante ou d’une très proche parente, retenir auprès d’eux des femmes étrangères et cohabiter avec elles. — 16. Le jeudi saint, contre la coutume de l’Église, les priscillianistes célèbrent, à l'heure de tierce, des messes pour les défunts et rom­ pent le jeûne. — 17. En lin, le dix-septième anal héma­ tome déclare que Priscillicn a corrompu les Écritures : il interdit de lire et de défendre les traités que l’évêque Dntinius avait composés avant sa conversion, aussi bien que 1rs écrits fabriqués par 1rs hérétiques sous le pseudonyme des patriarches, prophètes et apôtres. ! Tix«'r<»id. op. cit., p. 238*238. l* Erreurs reprochées aux prisellllantslcs. — Somme toute, il ressort de ccs canons qu'en 563 on sc repréM otalt le prisclllianisme comme une forme A peine renouvelée du manichéisme; ce qu’on lui reprochait 396 surtout, c’était l’enseignement du dualisme, la con­ damnation absolue de la matière et du monde maté­ riel, avec les conséquences naturelles de cette condam­ nation : interdiction du mariage, ascétisme exagéré, etc. On ajoutait ù cela d’autres griefs: sabellianisme, origénisme, astrologie, plus ou moins étroitement liés aux premiers. Nous avons déjà remarqué que les adversaires les plus acharnés de Priscillien, Ithacius et Hydace, l’avaient précisément accusé de manichéisme auprès de l’empereur (indien; si vague, si imprecise que soit cette accusation sous sa forme générale, elle peut trouver son fondement dans les pratiques ascétiques de Priscillien et de ses premiers adeptes : les canons de Saragosse en 380 nous ont fait connaître quelques-unes de ces pratiques telles que le jeûne du dimanche et l’éloignement de l’église pendant le carême. Mais elle peut aussi sc justifier par des faits précis, et force nous est bien d’examiner ce qu’il en est. 1. Erreurs trinitaircs.— Démarquons d’abord l’accu­ sation de sabellianisme portée par le concile de Braga : Priscillien, ou Instantius, condamne sans doute le patripassianisme. mais il ne laisse pas d’employer par­ fois des formules suspectes : Tu enim es Drus, qui... unus Deus crederis, invisibilis in Patre, visibilis in Filio et unitus in opus duorum sanctus Spiritus inveniris. Tract. XI, éd. Schepss, p. 103. Ailleurs, en parlant de l'incarnation : Invisibilis cernitur, innascibilis nascitur, incomprehensibilis adtinetur. Traci.VI, p. 71. H approchons de cela Ia condamnation portée par les Pères du concile de Tolède en 100, contre la doctrine du Filius innascibilis, et ajoutons que Symposius d’Astorga, un priscillianistc de la première heure, doit alors convenir qu'elle est employée dans la secte. De telles formules auraient pu être entendues dans un sens orthodoxe avant le concile de Nicée. Près de soixante-quinze ans après, il était difficile de les interpréter avec indul­ gence. 2. Manichéisme. — D’autre part, le synode de Braga reproche aux priscillianistes leurs doctrines sur l’ori­ gine des Aines qui ont été précipitées par les dénions dans les corps humains ù cause de leurs péchés et sur la fatalité astrale qui est censée s'exercer sur elles. Or. nous lisons dans le Traité sur l Exode la phrase sui­ vante, longue et embarrassée, mais d’une doctrine sus­ pecte : * Enfin, dans celui des deux Testaments qui est le premier, comme nous l'apprend la lecture d’aujour­ d’hui; afin cpie, l’Égypte ayant été punie, le peuple de Dieu fût ramené à la joie pour la célébration de la fête de Pâque, sont déterminés la nature des victimes, le jour du mois, le temps de l'année; au contraire, dans celui qu'on appelle le Nouveau, les animaux, selon l’Évangile, ayant été chassés du temple et le monde ayant été cloué à In croix, le Christ montant pour nous au gibet est la victime offerte, et l’une est appelée la Pâque du Seigneur, l’autre la nôtre, afin que, le sens respect if de chacun des deux livres étant bien compris, nous comprenions que tout ce qui arrive et est arrivé pour le salut de l’hominc nous a été mont ré. a lin que la nature du corps, qui est appelée par l’Apôtre la figure du inonde et le vieil homme, quoiqu'elle ait été faite de la main de Dieu, puisqu’elle est apparentée ù une origine terrestre, parce qu'elle est formée de limon, et que, divisée par les jours, les temps, les années, les mois et toutes les sortes de vices qui sont sous le soleil, elle a éprouvé la race des hommes en les empri­ sonnant dans les souricières d’un domicile terrestre; car le prophète dit : < Le corps corruptible appesantit l'ûmc. et l’habitation terrestre ^rabaisse l’esprit aux < vastes pensées » (Sap., ix, 15); afin donc que la nature du corps, corrigée nécessairement par la lol de l'Ancien r. xiamcni, et offerte comme un tabem · h Ainsi répondit le pays chrétiens. Ce n’est plus chose très rare à l’heure Saint-Office le 5 août 1759, excluant clairement, par actuelle de rencontrer des unions purement civiles, ces paroles, l’usage du privilège paulin dans le cas contractées entre personnes non baptisées; si l’un dos exposé. Le seul remède efficace serait une intervention conjoints vient à se convertir et reçoit le baptême, le pontificale pour dissoudre le lien dc cc mariage en tant privilège de la foi peut trouver son application : De que legitimum. Mais la pratique du Saint-Office, hier fait, dit Fourneret, Lc mariage chrétien, 3e éd., p. 77. comme aujourd’hui, est dc ne pas accorder cette sorte dans le diocèse dc Paris, c’est plusieurs fois par an que de dispense; cc qui, note Gasparri, n’implique nulle­ Je cas sc présente. » ment un defaut dc pouvoir du pape à cet égard. Cf. L’usage du privilège paulin est subordonne aux • Tractatus can. de matrimonio, éd. 1932, n. 1169-1170. quatre conditions suivantes : 1® mariage contracté 2° La seconde condition est la conversion d'un des dans l’infidélité; 2° conversion ct baptême d’un des conjoints mariés dans l’infidélité; elle est expressément conjoints; 3° interpellation adressée au conjoint resté formulée dans le texte fameux d’Innocent III, Derr., infidèle; 4° refus dc conversion ou dc cohabitation 1. IV, tit. xix, c. 7 : S7 enim alter infidelium conjugam pacifique de la part de celui-ci. Lorsque ces conditions ad fidem catholicam convertatur, altero vel nullo modo... sont réalisées, le conjoint converti a le droit dc con­ Denz.-Bannw., n. 103. Que faut-il entendre par joi tracter un nouveau mariage devant l’Église catholique catholique? Les auteurs tant anciens que modernes et c’est à cc moment même que se trouve dissous le lien sont loin d’être d’accord. Ils s’accordent à dire que la du mariage antérieur. conversion doit aller jusqu’à la réception valide du 1° La première condition est que le mariage ait été baptême d’eau, qui est le sacrement dc la foi. Si ce contracté dans l'infidélité, c’est-à-dire entre deux per­ baptême n’était pas nécessaire, il s’ensuivrait qu’un sonnes non baptisées; il s’agit donc exactement du simple catéchumène, déjà sur le chemin de la foi, mariage qu’on appelle legitimum, consommé ou non, pourrait user du privilège avant d’avoir reçu le sacre­ can. 1120, § L Ce n’est donc pas le cas de deux apos­ ment qui fait chrétien. Or. il est certain que les caté­ tats qui auraient passé de la religion catholique à l’in­ chumènes, en tant que tels, sont positivement exclus, fidélité ct y auraient contracté mariage; ils sont inha­ même si leur foi était en danger du fait dc leurs pro­ biles à user du privilège. S. O fl le., 23 juill. 1698. ches; ainsi en a décidé la Sacrée Congrégation de la De même, si un seul des époux catholiques vient à Propagande en 1803; ainsi a répondu le Saint-Office le passer à l’infidélité ou au schisme, il ne pourra jamais 13 mars 1901. Déjà au xvir siècle, on avait soumis à la sc réclamer de la faveur dc l’Apôtrc (S. Ofllc., 20 mars Sacrée Congrégation dc la Propagation dc la Foi le 1675); l’autre conjoint resté fidèle ne pourra prétendre doute suivant : Est-ce que les paroles de saint Paul : à un nouveau mariage du vivant du dissident, même Quod si infidelis discedit, discedat, doivent S'entendre si ce dernier refuse dc se convertir ou de cohabiter paci­ aussi des catéchumènes, dc telle sorte que Titius, caté­ fiquement, car d’une part le privilège paulin ne s’ap­ chumène, puisse épouser Bertha, catéchumène, repu plique pas à ce cas et d’autre part le lien n’est nulle­ «liée par son mari infidèle à cause de sa foi? · La réponse fut donnée le 13 janvier 1683 en ces termes : ment rompu ; ce dernier point a été défini comme dc foi Les paroles dc saint Paul ne doivent pas s’entendre par le concile dc Trente : Si quis dixerit propter hteres im des catéchumènes, mais seulement des baptisés. » aut molestam coLa b ilationem, aul ufjectatam absentiam Le point précis qui divise les auteurs est le suivant : a conjuge, dissolvi posse matrimonii vinculum, Λ. X. le baptême doit-il nécessairement être reçu dans Sess. xxiv, De matr., can. 5. V Église catholique, ou bien le baptême reçu valîdcmenl Quant aux conjoints qui ont contracté mariage dans dans n’importe quelle confession chrétienne est-il suf­ l’hérésie ou dans le schisme, il y a lieu de distinguer : fisant? La question revient à celle-ci : les hérétiques cl s’ils n’ont pas été baptisés avant leur mariage, ou si leur baptême a été invalide, ils sont considérés comme schismatiques peuvent-ils bénéficier du privilège paulin? La raison du doute vient surtout de l’ambi­ mariés dans l’infidélité, ct le privilège pourra trouver guïté des termes /rater et soror employés par saint son application en cas dc baptême de l’un d’eux. SI, au Paul. Faut-il les entendre au sens large, englobant tous contraire, leur baptême, antérieur au mariage, était \alide, aucun d’eux ne peut, même en cas de conver­ ceux qui ont la foi au Christ ct ont reçu son baptême, ou seulement nu sens strict, restreint à ceux qui sont sion à l’Eglise catholique, prétendre au bénéfice du en communion avec les pasteurs légitimes? privilège, car le mariage n’a pas été contracté dans La grande majorité des maîtres de la monde et du l’infidélité. droit canonique incline en faveur du sens large, c’estLes catéchumènes qui, avant leur baptême, ont contracté mariage soit entre eux, soit avec un infidèle, à-dire pour la suffisance du baptême, même reçu dans une secte. Ils appuient leur sentiment sur cc fait que sont aptes à user du privilège, dans le cas où l’un d’eux s’obstinerait dans le paganisme. Mais le conjoint con­ le fondement du privilège est le baptême validement verti ne pourrait jouir de la faveur avant d’avoir effec­ reçu, plus encore que la vraie fol, car, disent-ils, les Pères de l’Église appliquent les termes de fidèle, frère, tivement reçu le sacrement de la régénération. Le can. 1120, § 2, exclut formellement du privilège s ensuit qu’un tel mariage serait valide. On peut se interpellée si elle veut se convertir ou cohabiter paci­ demander si cet hérétique (ou schismatique) pour- I fiquement, réponde qu’elle le voudrait bien, mais rail user du privilège de la foi, dans le cas où il vien­ qu'elle en est empêchée par un second mari, ou par un drait à se convertir à l’Église catholique. Certains l’ont créancier qui ne lui permet pas de s'en aller · : dans ce prétendu, ainsi le P. Michel. Ce qu'il g a de plus pratique cas, le conjoint baptisé peut licitement el validcmenl dans le Code, 1· éd., n. 325; L'ami du clergé, an. 1920. se marier avec une femme chrétienne, « pourvu qu’il p. 669, et 1921, p. 69 et 231. Mais il faut le nier tout à ne soit pas lui-même cause de l'empêchement qui fait, car il n’y a dans le cas ni mariage contracté dans relient l'épouse non convertie». S. O1L, 12 juin 1850. I infidélité, ni conversion par le baptême, selon les exi­ La même Congrégation a déclaré, le 8 juillet 1891, que gences du can. 1121 : conjux conversus cl baptteatus. le mari converti pouvait user du privilège lorsque < L Coppcllo, op. cil., n. 770; Wcrnz-Vidal. Jus matri- l’épouse infidèle avait été enlevée et qu’il ne restait moniale, n. 631, note c; Vcrmcersch-C.rcusen, Epitome plus d’espoir août 1759; 19 avril 1899. b) Une autre juste cause de séparation pourrait être une grave maladie contagieuse, dont serait atteint le conjoint converti, et qui rendrait la vie commune impossible ou très difficile, par exemple, la lèpre. Si le baptisé a contracté une telle maladie par sa faute, il ne pourra que s’imputer à lui-même la nécessité où il se trouvera de garder la continence. Même dans le cas où il aurait contracté le mal sans faute aucune de sa part, le recours au privilège lui serait encore Interdit, car i’infidèle a un juste motif de s’éloigner et de refuser la cohabitation. Si. en dépit de sa maladie, le converti trouvait occasion d’un nouveau mariage, le seul moyen de le réaliser serait de demander au souverain pontife la dispense du premier mariage contracté dans l’infi­ délité. En dehors de ces cas et autres semblables, si l’infi­ dèle sc sépare sans une juste cause, le fidèle obtient aussitôt le droit de convoler en justes noces avec une personne catholique. Pourtant, même lorsque la dissi­ dence du conjoint non converti est évidente, par exemple quand cet éloignement est antérieur au bap­ tême, ou quand l’infidèle a déjà contracté une nouvelle union, le nouveau converti ne pourra utiliser le privi­ lège avant d’avoir fait les Interpellations ou d’en avoir obtenu dispense. La séparation entre les conjoints peut n'être aussi que morale, et elle suffit à elle seule pour permettre le recours au privilège. Elle est réalisée lorsque l’infidèle refuse de cohabiter avec le conjoint baptisé sans injure au Créateur, absque contumelia Creatoris. Que faut-il entendre par là? D’après les textes d’Innocent III. Drcr., 1. IV. lit. xix. c. 7 et 8, l’injure au Créateur est réaliste lorsque le conjoint non converti blasphème habituellement le nom divin, attaque directement la foi du baptisé ou exerce sur lui une contrainte phy­ sique ou morale pour l’amener à pécher mortellement, par exemple à commettre un acte d’idolâtrie. Mais le mépris du Créateur se vérifie également lorsque le conjoint Infidèle empêche le néo-converti de pratiquer sa religion, s’efforce de lui enlever la foi, s’oppose à l'éducation chrétienne des enfants, ou même tente de l’entraîner au péché grave quel qu’il soit, par exemple contre la chasteté; car. dit Gaspard, op. cit., t. n, p. 211, note 3, tout péché est une injure faite nu Créa­ teur. Il faut noter toutefois que l’incitation à l'offense de Dieu doit venir de l’époux infidèle lui-même, et non pas des membres de sa famille; car si la pression vient seulement de l’entourage, le fidèle a le moyen de s'y soustraire en quittant la maison où U trouve l’occasion de pécher; mais cela ne lui donne pas le droit de briser le lien de son marlage et d’en contracter un second. Vins! en a décide la Sacrée Congrégation de la Propa­ gande le 5 mars 1816. iOG 1° Ainsi qu’on le voit, le point délient dans l’upplicalion du privilège, le véritable nœud de la question est de savoir quand i) y a vraiment séparation, éloigne­ ment (discessus) de la part du conjoint infidèle. Tant epic sa mauvaise volonté n’est pas certaine, tant qu’il n’a pas manifesté d’obstination par le refus de se con­ vertir ou de cohabiter pacifiquement, le cas de l’Apôtrc n’est pas réalisé, et il ne peut être question de rompre le premier mariage. De plus, il y aura lieu, ainsi qu’il vient d’être dit, de vérifier si le conjoint baptisé n’est pas lui-même la cause de la désunion. C’est afin d’éclaircir ces différents points, qui sont de la plus haute importance, qu’a été établie la discipline de l’in­ terpellation. III. Discipline im. l’intkhpellation. — IeNature. L’interpellation est l’acte légal par lequel le con­ joint converti demande à l’époux infidèle s’il veut sc convertir et, dans le cas où il refuserait, s’il consent à cohabiter pacifiquement sans offense du Créateur. L’objet de l’interpellation est donc double; la demande doit porter nécessairement sur les deux points sui­ vants : volonté de conversion, acceptation de la coha­ bitation; cela ressort de plusieurs déclarations du Saint-Oflice, 8 juin 1836 et 10 décembre 1885, aussi bien que des termes exprès du can. 1121. Selon la rigueur de cc même canon, c’est après le baptême seu­ lement, et avant le nouveau mariage que devraient avoir lieu les interpellations : antequam conjux conver­ sus cl baptizatus novum matrimonium valide contrahat... Il semble bien toutefois que cc ne soit là qu’une exi­ gence du droit ecclésiastique et que les interpellations faites avant le baptême soient valables, pourvu que l’on soit sûr que l’infidèle persévère dans son obstina­ tion. De fait, le Saint-Siège a parfois accordé que, dans certaines circonstances particulières,les interpellations précédassent le baptême. Lc pouvoir de permettre cette modification de la discipline pour des raisons graves sc trouve même Inclus dans la 3· formule des facultés délivrées par la Propagande : Permittendi, ut accedente gravi causa, interpellatio conjugis infidelis ante baptismum partis qua· ad /Idem convertitur fieri possit. Cf. Venneersch. Periodica, t. xi. p. 138. Dans cc cas, le catéchumène n'étant pas encore membre de l’Église, l'intervention du pouvoir ecclésiastique doit s’entendre soit comme une Interprétation du droit divin, soit comme une dispense ou ratification, après le baptême, de ce qui a été fait avant. Par sa nature, l’interpellation n’est que le corollaire logique de la doctfine de saint Paul el de l’exposé d’innocent 111 sur le mariage des infidèles. Le privi­ lège de la foi n’est en quelque sorte que conditionnel : le conjoint baptise ne peut contracter un nouveau mariage que si l’infidèle refuse de se convertir ou de cohabiter en paix. Lc moyen naturel de s’assurer si la condition est vraiment réalisée est d’interroger l’inté­ ressé en personne. De là la discipline de l’interpella­ tion. qui n’a d’autre but, dit Benoît XIV, De synodo, I. Xll, c. xm. n. I. que d’amener le conjoint à mani­ fester ses dispositions el ses intentions ». L’interpella­ tion est donc moins une solennité substantielle requise pour l’usage valide du privilège, qu’un moyen réguliè­ rement nécessaire pour établir le fait de l'obstination de l’infidèle; on pourrait la comparer assez justement à la preuve qu’en d’autres circonstances on exige pour établir la mort d’un des conjoints, 2" Nécessité. De l’emploi de ce moyen naturel, l’Église a fait une obligation positive très stricte; elle est tellement attachée à cette discipline qu’elle l’urgc meme dans les cas où l’obstination de l’infidèle est manifeste, alors que la démarche parait inutile ou im­ possible. On devra donc toujours faire la double inter­ pellation sur la volonté de conversion et sur la cohabi­ tation : et tue semper fleri debent, dit le can. 1121, nisi 407 PRIVILÈGE PAULIN. L’INTERPELLATION 408 Sedes apostolica aliud declaraverit. Donc, sans aucun gitime de l’interpellation, c’est-à-dire sans déclara­ doute, nul ne saurait user licitement du privilège pair tion dti Saint-Siège, rendrait le second mariage du lin sans avoir préalablement accompli cette grave for­ conjoint baptisé invalide de droit ecclésiastique, par malite. suite d’une sorte d’inhabileté dont l’Église frapperait Mais un point plus important et plus délicat est de dans ce cas le nouveau converti? Cette opinion, qui savoir si les interpellations sont requises pour l’usage prétend avoir pour elle plusieurs réponses des Congré­ valide du privilège, de telle sorte que leur omission gations romaines (cf. Cappello, op. cit., n. 776, note 13), rende le second mariage nul. Théoriquement et d'après semblerait confirmée par le texte du Code, dont le la notion mémo de l'interpellation, celle-ci cesse d’être can. 1121,§ 1, s'exprime ainsi : · Avant que le conjoint urgente lorsqu'il y a certitude morale de l’obstination converti et baptisé contracte validcmcnt un nouveau du conjoint infidèle. Lorsque le refus de ce dernier est mariage..., il doit interpeller le conjoint non baptisé. · manifeste, il semble que l’on ne puisse exiger une Toutefois, les tenants de cette opinion admettent euxdémarche spéciale pour l’interroger, chaque fois qu’il y mêmes que ces arguments ne sont pas décisifs, car le aura impossibilité absolue ou danger grave à le faire. Code et les Congrégations ne parlent (pic de la nécessité Ce sentiment est celui de canonistes éminents, et des interpellations en général, mais ils ne font pas clai­ Benoit XIV qualifie leur opinion de < plus commune >; rement allusion aux cas particuliers dans lesquels les toutefois, cette certitude de danger ou d’impossibilité interpellations sont inutiles ou impossibles. D’autre devra s’appuyer sur des faits précis et non sur des pré­ part, il faut reconnaître que cette inhabilité hypothé­ somptions générales. tique restreindrait singulièrement l’application du pri­ Quelle que soit la valeur spéculative de celte opi­ vilège, alors que nous savons, de façon certaine, que nion, il faut prendre garde que, même dans ce cas, l’Église lui accorde les faveurs du droit dans les cas l’appréciation du discessus infidelis est exclusivement douteux, can. 1127, et qu'elle a d’autre part, étendu à du ressort du souverain pontife, qui sc réserve tout tout l’univers les concessions particulières faites par jugement de fait par crainte des abus qui pourraient Paul III, saint Pie V et Grégoire XIII, enfin qu elle sc glisser dans une affaire de cette importance. Quand dispense parfois de l’interpellation, alors que la dissi­ le Saint-Siège juge que les interpellations sont inutiles, dence de l’infidèle n’est pas vérifiée. On ne voit donc il le déclare, dit le Code : nisi Sedes apostolica aliud pas pourquoi l’Église, qui affirme si nettement le droit declaraverit, can. 1121; si interpellationes cx declara­ que conserve le conjoint baptisé de contracter un nou­ tiones Sedis apostolicæ omissæ fuerint, can. 1123. C’est veau mariage, même après une longue cohabitation dire qu’en cette matière le Saint-Siège veut toujours pacifique, can. 1121, sc montrerait si exigeante non être consulté. Il suit de là que, dans la pratique, seulement sur le fait et la réalité du désaccord, mais l’Eglise, ne tient aucun compte de l’opinion de encore sur la manière dont ce fait devrait être établi. Benoît XIV, et qu’elle exige toujours que les interpel­ De ces controverses, il résulte en définitive (pic sur lations soient faites ou qu’il en soit demandé dispense : ce second mariage contracté sans interpellation préa­ Chaque fois qu’il est certain que le conjoint infidèle lable pèserait un doute de droit. Or, dans ce cas, les ne veut ni se convertir ni cohabiter avec l’époux bap­ lois même irritantes ou inhabilitanlcs n’urgent pas. tisé sans offense du Créateur, les évêques, en tant que Can. 15. D’autre part, le mariage a pour lui les faveurs délégués du Saint-Siège, et les vicaires apostoliques du droit, et l’on doit le tenir pour valide jusqu’à preuve pourront dispenser de l’interpellation, pourvu qu’il y contraire. Can. 101 i. Enfin, nous verrons qu’en matière ait urgente nécessité cl que le temps de recourir au douteuse le privilège paulin jouit des faveurs du droit. Pour toutes ccs raisons, le mariage ainsi contracté sera Saint-Siège fasse défaut. » Ainsi a déclaré le SaintOffice, le 11 août 1859; on peut juger par là avec quelle tenu pour valide jusqu’à ce que le Sainl-Ollice, auquel jalousie il sc réserve le contrôle de l’usage du privilège on devra recourir sans retard, ait statué sur le cas. paulin. C’est la solution qui fut donnée parla Propagande dans Mais alors que penser de la valeur d’un mariage son instruction de 1883 sur les jugements en matière matrimoniale : Quatenus vero neque interpellatio neque contracté sans qu’aient été faites les interpellations ejusdem dispensatio prmeesserit, primum matrimonium requises et sans que dispense en ait été demandée? obstabit quidem secundo, sed Ordinarius judicium sus­ Pour répondre, il faut distinguer : 1. Si l’obstination (discessus) de l’infidèle est douteuse ou inexistante, pendere debebit et casum cum omnibus suis circum­ l’omission des interpellations rendrait le mariage sub­ stantiis ad S. Sedan remittere, qtur ipsi Ordinario, quid séquent invalide : sur ce point tous les auteurs sont faciendum sit, indicabit. § 15. Il semble que, si l’omis­ d’accord; en effet, le fondement du privilège paulin, la sion de l’interpellation avait été un obstacle à la oalicondition sine qua non de son usage étant le refus de dlté et non pas seulement à la licéité du second mariage, lintldèlc et son éloignement, si cette condition n’existe le texte eût été plus catégorique. Quoi qu’il en soit, le pas, le lien du premier mariage subsiste et s’oppose à la Saint-Siège étant saisi du cas, il pourra, si nullité il y a. accorder la sanatio in radice, qui, revalidant le second validité du second. C’est la pensée nette de l’Église. mariage, brisera par là même le lien du premier. 2. Mais, si la mauvaise volonté de l’infidèle est certaine. 3° l'orme.— Le droit de l’Église, qui exige Impérieu­ ou ne peut conclure de façon sûre à l’invalidité du sement l’interpellâticn, en indique aussi la forme, mais mariage subséquent, en dépit de l’omission «le toute interpellation cl de l’absence de dispense. En effet, par sans l’imposer avec la même rigueur. 1. Deux formes ιοηΙ prévues et reconnues légitimes sa nature, l'interpellation n'est qu’un moyen normal et régulièrement nécessaire pour établir le fait du discessus par le can. 1122 : a) la forme juridique, qui peut être infidelis; or, la valeur du mariage dépend de la réalité judiciaire ou extrajudiciaire, cl b) la forme privée. La forme judiciaire, qui n'est Jamais requise, mais de ce fait et non pas de la prouve qu’on en donne. Donc, que le Code suppose par le mot saltem du can. 1122, l’interpellation n’est pas requise de par la définition comporte une citation en règle de I’inlldèlc devant le même du privilège, ni de par le droit naturel lorsque par d'autres moyens on acquiert la certitude de l’obsti­ tribunal de l'Ordinalrc et un interrogatoire en forme sur les deux points de la conversion et de la cohabita­ nation de i'inlldèlc. Paul-H dire avec certains auteurs, comme Cappello, tion. Questions et réponses sont transcrites par un op. cit, n. 776; Vermeersch-Creusen, Epitome juris can., greffier comme dans un procès. Mais, habituellement, on se contente de la forme t π, π. 430; De Smet. De sponsalibus et matrimonio,, η 352; Vlamlng, Prxlecl. juris matrimonii, n. 722;; exlrajudiciaire ou sommaire, moins solennelle, bien Chclodl. Jus matrimoniale, n. 158, que l’omission illé­ qu'elle soit authentique et unis l’autorité de i'Ordinairc du lieu. Celui-ci peut convoquer devant lui 1 infidèle et lui demander s’il accepte de se convertir ou du moins de cohabiter sans offenser le Créateur. SI l’infidèle ne sc présente pas, l’Ordinaire ou le juge peut le faire interroger par un tiers. Questions et réponses seront habituellement rédigées par écrit, et l’acte sera muni de la signature de l’Ordinaire ou «le son délégué. Lorsque l’interpellation ne pourra se faire par écrit, il n’est pas interdit de procéder oralement; dans ce cas, afin qu’on puisse en faire la prouvé, il faudra faire appel à deux témoins ou à tout autre moyen reconnu apte par l’Ordinaire; une relation sommaire de l’entre­ vue sera rédigée et dûment authentiquée par des signa­ tures. Cette forme juridique sommaire, bien que non strictement obligatoire, est pourtant, aux termes du can. 1122, la forme régulière; il ne sera donc pas permis de s’en écarter sans raison. La forme privée est toujours suffisante pour la vali­ dité; elle consiste simplement dans l’interpellation que lebaptisé adresse au conjoint Infidèle sans aucune Inter­ vent Ion de l’Ordinaire. Pour que celle manière de pro­ céder soit licite, il faut qu’il y ait Impossibilité soit absolue, soit morale, par exemple un Inconvénient grave, d'employer la forme juridique. Facilement, les baptisés non catholiques seront excusés de ne pas avoir recours à l’Ordinaire; il suffira que les questions aient été réellement posées et de façon claire. Au for externe, la preuve de l’interpellation privée sera exigée avant qu’il soit procédé au second mariage. Voilà pourquoi on prendra soin de faire constater le fait de l’interpel­ lation par deux témoins, ou l’on en démontrera la réa­ lité par un acte authentique ou tout autre mode légi­ time. SI, après le mariage, on ne pouvait apporter la preuve que les interpellations ont été faites en forme privée, la nouvelle union ne pourrait être objectivement taxée de nullité; pourtant, au for externe, pèserait sur ce mariage un doute qu’il faudrait s’cfforccrd'éclaircir; sinon, il y aurait lieu d’en référer au Saint-Siège. 2. En quels termes faut-il faire Γinterpellation? — Aucune formule n’est imposée, mais il est requis que la demande porte sur les deux points exigés par le droit, à savoir si le conjoint infidèle veut se convertir et.dans la négation, s’il accepte de cohabiter pacifique­ ment. Ces deux questions doivent être posées claire­ ment cl directement. Ainsi, il ne suffirait pas d’exhorter simplement l’infidèle à se faire chrétien, sans faire aucune allusion au mariage en question; cl. en cas de refus ou d’obstination, de passer sans plus à une nou­ velle union. Ainsi l’a déclaré le Saint-Office, le 3 jan­ vier 1777. Une interpellation Indirecte (obliqua) ne serait pas admissible non plus. La même Congrégation fut interrogée sur la valeur de la formule suivante : Scisne, ista uxor, a te antea dimissa aut fugiens, nunc intravit in istam novam religionem Europeorum. et qmiTit alium virum : an. si ad te rediret, adhuc reciperes pro uxore tua, et cum illa pacifice cohabitares, el quam mine habes uxorem dimitteres? Le 23 novembre 1769, la Congrégation répondit : Quoad privteritum acquiescat, facto verbo cum Ssmo; sed in posterum interpellationes esse omnino faciendas juxta formas ab Ecclesia pricscriplas. 3. // n'est pas nécessaire d'accorder toujours à Γ infi­ dèle un delai pour réfléchir. — Cependant, s’il sollicite ce délai ou s’il est postulé par les circonstances. l’Ordinaire devra accorder un temps convenable, en avertissant l’intéressé que, les délais une fois passés, son silence sera considéré comme une réponse négative. Can. 1122. I. En droit strict, une seule interpellation, portant sur les deux points, esl requise et suffit. Mais la charité demande souvent que l’on en fasse plusieurs. S. OIL. 12 Juin 1850. Lorsqu’elles ont été faites régulièrement, il n’y a pas à les renouveler, même si Je second mariage est différé pour un temps notable; Lin fidèle reste libre de retracter spontanément la réponse négative qu’il n donnée, mais II n’y n pas a l’interroger de nouveau. Toutefois, si, dès le début, dispense des Interpellations avait été obtenue, il y a de nouveau obligation de faire celles-ci au bout d’une année. S. C. Propag. 26 juin 1820. 5, Quand les interpellations ont été faites dans les formes el ont reçu toutes 1rs deux une réponse affirmative, la solution est claire : le privilège de la fol ne s'applique plus, et toute voie vers une nouvelle union sc trouve par là fermée. Il y a lieu cependant de s’assurer que la promesse faite par l’infidèle est sérieuse et non feinte. Si l’on a des preuves certaines de la mauvaise foi du conjoint païen, on pourra considérer sa réponse affir­ mative comme une réponse négative et permettre au nouveau baptisé de contracter un autre mariage. En cas de doute, il faudra recourir au Saint-Siège pour obtenir dispense des Inteqiellations. D’après la jurisprudence des Congrégations romaines, on peut considérer la réponse comme négative : a) si l’infidèle n’a pas répondu en temps utile ou dans le délai fixé; b) si, légitimement Interpellé, il garde le silence, bien qu’il puisse facilement répondre: cf. can. 1123 : si negative responderit expresse Del tacite; c) s’il demande futilement «les délais ou s’il sc cache pour échapper à l'interpellation. Dans ccs diverses hypothèses, il faut que les circonstances ambiantes permettent de conclure avec une certitude morale que l’in fidèle ne veut sincèrement ni sc convertir ni coha­ biter en paix. S’il reste un doute, on recourra au SaintSiège afind’obtenirdispensc des interpellations. S. Off.. 11 août 1859; S. C. Propag., 5 mars 1816, ad lum. 6. Si Γ infidèle répond négativement à la première question et affirmativement à la seconde. c’est-à-dire, s’il consent à cohabiter pacifiquement, tout en refusant de sc convertir, la plupart des auteurs s’accordent à dire que le conjoint baptise ne peut user du privilège et ne doit pas sc remarier, sous peine de nullité de ces nouvelles noces. C’est le sens des paroles de Γ Apôtre : Si quis frater uxorem habet infidelem, et hac consentit habitare cum illo, non dimittat illam. Et si qua mulier fidelis habet virum infidelem, et hic consentit habitare cum illo, non dimittat virum... I Cor., vu, 12-13. Mais, dans cette invitation à garder la vie com­ mune intégrale quoad torum, mensam et coha b itat ionent, les uns veulent voir un ordre formel, les autres un simple conseil, de telle sorte que. le lien conjugal res­ tant sauf, il serait loisible à l’époux chrétien de se séparer de l'infidèle. Cette doctrine est celle du SaintOffice dans sa réponse du 29 novembre 1882. ad 3a®, où il cite le IIP concile de Lima, approuvé par SixteQuint; au c. x. a. 2. des actes de ce synode, on peut lire ces mots : juxla apostoli consilium... consulat habi­ tare... Même enseignement de Pierre Lombard. Sent.. I. IV. dist. XXXIX. c. 3; de saint Thomas, In l \ Sent., dist. XXXl.X. q. i; de saint Bonaventure. In IV™ Sent., dist. XXXIX. et de beaucoup d’autres tant anciens que modernes. Cf. d*Annibale, Sum. Iheol. moralis, 3· éd., η. 371. Tous s’accordent à dire que le chrétien agirait mieux en demeurant avec son con Joint. Saint Paul justifie son conseil en attribuant a cette cohabitation une certaine sanctification exté­ rieure de l’époux infidèle, laquelle peut être le prélude d’une sanctification intérieure; on peut espérer d’ail­ leurs que les prières et les bons exemples du baptisé amèneront peu à peu le païen à la vraie fol, cl que du moins les enfants seront élevés chrétiennement, li reste cependant que ce simple conseil peut deve­ nir, en certaines circonstances, un précepte, un devoir de charité, de telle sorte que le conjoint baptisé soit tenu de cohabiter avec l’infidèle, par exemple, si celui-ci était atteint d’une maladie grave et désirait vivement la présence de son conjoint à scs côtés. Dans ce cas. la séparation ne serait certainement pas per­ PIUVILÈGE PAULIN. L’I NT E K P I L I. \T IO N ύ 12 rité; c) si l’époux converti ne sc souvient plus quelle a mise, au moins propter caritatem· Gaspard, op. cit.· élé sa première femme légitime; d) si, du fail do l’in n. 1152. terpellallon, pouvait résulter un grave dommage tern I· Dispense. Il faut noter tout d’abord que le Code n’emploie pas le terme de dispense lorsqu’il veut dési­ porel ou spirituel pour le converti ou les chrétiens; gner l’omission ou la remise de l'interpellation accor­ e} si l’on doute sérieusement que le conjoint baptise ail dée par le Siège apostolique; il use du mot déclaration, jamais donné un vrai consentement matrimonial dans scs unions précédentes;/) si l’on ne connaît pas la can. 1121 cl 1123. Il ..cmble que les rédacteurs de ces première épouse légitime, ou qu’il soit difficile de la canons n’aient pas voulu trancher la controverse qui retrouver. divise les auteurs au sujet du pouvoir que possède le I. [.'effet principal et singulier de la dispense des pape de dissoudre le mariage légitime des infidèles, interpellations est de consacrer à jamais la validité du lorsque l’un des conjoints vient à se convertir. Cf. nouveau mariage· même dans le cas où une des condi­ Wemz-Vidal. Jus canonicum· t. v, Jus matrimoniale· n. 635. ix's documents émanés des Sacrées Congréga­ tions du privilège paulin aurait fait défaut. Celle doc trine ressort de l’instruction envoyée par le Saint tions romaines, au contraire, emploient régulièrement Office, le «I février 1891, au vicaire apostolique du le mot dispense; cc que nous ferons, nous aussi, tout en l’expliquant cl sans prétendre trancher la contro­ Japon : Le mariage ainsi contracté, y est-il dit en substance, est valide cl ne saurait être brisé, même si. verse. Souvent, en matière d’interpellation, ce que nous appelons dispense n’est qu’une déclaration com­ dans la suite, on s’apercevait que l’inlidele a été rai­ sonnablement empêché de manifester sa volonté, cl préhensive du privilège paulin; dans bien des cas. en même dans le cas où il se serait lui-même converti effet, cette dispense est une précaution (ad cautelam) avant le mariage du baptisé. » Même enseignement Iden plus qu’une nécessité. Nous avons dit que. par sa nature ct en tant que moyen d'information, l'interpel­ dans la constitution Populis ac nationibus de Gré­ goire MH. datée du 25 janvier 1585, et dans la con­ lation est superflue si In mauvaise volonté de l’infidèle est certaine, évidente; lorsqu’il en est ainsi, la dis­ stitution In suprema de Benoit XIV. Cc dernier avait, comme docteur privé, soutenu la meme opinion dans pense équivaut â une déclaration faisant connaître de façon authentique que l’on peut procéder A un nou­ son De synodo dùeccsana, I. XIII, e. xxi, n. 5; en volet veau mariage. Dans les autres cas. il y a dispense pro­ le passage le plus caractéristique : Quod quidem indultum (apostolicum )· cum nulli con­ prement dite, c’cst-A-dire exemption d’une formalité requise par la loi; il arrive même que la dispense ren­ ditioni sit alligatum· secundi matrimonii validitatem et firmitatem perpetuo asserit· ct reditum intercludit ad ferme implicitement la dissolution du lien antérieur, en dehors du privilège paulin, lorsque les conditions de prima connu bin· etiamsi quis probare contenderet primo celui-ci ne sont pas toutes réalisées: c’est du moins conjugi interpellato non fuisse liberum respondere· vel eum jam (une christίαη.τ religioni amplectenda para­ l’opinion la plus commune. 1. Seul le souverain pontife peut dispenser de la loi de tum fuisse· imo ante illum diem· quo secundum main Γinterpellation; il le fait ordinairement par l’organe du manium a conjuge converso celebratum fail· ipsum Snhit-Olllcc (eau. 217, $ 3, cl 1062), qui est coinpé- ' quoque Christo nomen dedisse et baptismum suscepisse, 5. Constitutions apostoliques sur la matière. Pour lent également pour accorder des pouvoirs de dispenser soit en général, soit dans des cas particuliers. Ces pou terminer, il nous faut dire un mot des fameuses cons volrs délégués (ou facultés), lorsqu'ils ont été accordes t il ut Ions de Paul lll.de saint Ple V cl de Grégoire XII l pour des régions déterminées ou des cas spéciaux, ne (cf. appendice du (.ode. documents vi, vu et vmi. peuvent être étendus à d’autres régions ni A d’autres dont les dispositions ont été étendues par le cnn. 1125 cas. même si des raisons de similitude militaient en A tous les aiilns pays pour tous les cas de même faveur de cette extension. Parmi ces interprétations nature. extensives qui manquent de fondement, il faut signa­ La première. Alttludo, de Paul III (1er juin 1537), ler l’opinion la première épouse légitime insoutenable. Cf. Kosset. op. ri/M t. i, n. 605-611. et même si elle reste infidèle. Signalons toutefois que le eau. 1125 a étendu A tout La seconde constitution. Homuni pont!flees, de l’univers les concessions particulières faites par trois saint Pie V (2 août 1571), xlsail les Indiens convertis, paprs au xvr siècle. jadis polygames, qui recevaient faculté de se marier 2. La dispense peut parler soit sur les deux interpella­ avec l’épouse qui recevrait le ba|»lême en même temps tions· soit sur une seule· - Dan« le premier cas. le qu’eux ou le reccMait dans la suite. L'intérêt de l’ex­ conjoint baptisé peut immédiatement contrarier un tension de cc privilège réside dans ce fait qu'il com­ nouveau mariage avec une personne catholique; dans porte disperne d'interpeller la première épouie, seuh· le second eus. il n’aura qu'à poser nu préalable la seule légitime jusqu'alors; il permet aussi de prendre comme question dont dispense n'a pas été obtenue. légitime épouse, sans autre formalité, celle qui reçoit 3. !-f Saint-Siège n'accorde pas de dispense des inter OU recevra le baptême. pellalions sans de justes causes; A fortiori, les délégués L.i dernière constitutioni PopüUs, do Grégôlh Mil inférieurs ne pourraient-ils en accorder sans raison (25 janv. 1585), accordait la faculté de dispenser dr valabb ; ce* motifs existeront, dit l'instruction du l’interpellation les Indiens convertis, pourvu qu’il fût Snlnl-Ollicr au vicaire apostolique du Japon meridio établi que le conjoint légitime était absent cl ne pou nal. « lorsqu’une enquête sommaire ct exlrajudicinlrc voit être averti, ou qu'averti II n'avait pas fait con­ aura démontré que l'interpellation est ou Impossible, naître *a xulonlé dans 1rs délais lixis; cette dispense nu inutile, ou gravement périlleuse » (I févr. 1891). vaut même pour h cas ou l’on apprendi ait plus tard Voici quelques-unes de ers causes les plus courantes que le conjoint absent était lui-même converti nu d'après les instruct Ions et formules de facultés : a) si moment du mariage de l’autre conjoint. Ton Ignore où habite l’hilidèle; b) il celui-ci habile des Les pouvoirs prévus dans les deux premieres concontrées éloignées qu’on ne peut atteindre avec sécu­ dilutions peuvent être mis en npplir.ithm après une ο simple déclaration de l’Ordinaire, du ( tiré, du confes­ seur ou de tout autre Interprète qualifié, pourvu que soient vérifiées 1rs condition* requises. La troisième faculté, qui comporte dispense proprement dite de l’in­ terpellation, est, dit Grégoire XIII, entre 1rs mains des Ordinaires, de* curés cl des missionnaires de la Société de Jésus, approuves pour les confessions. Signalons enlln que, pour faciliter l’usage du privi­ lège, le Saint-Siège accorde aux vicaires cl aux préfet* apostoliques, ou même aux autres Ordinaires, la faculté de déclarer en son nom, dans certaines circonstances, que l’interpellai ion peut être omise parce qu'elle est inutile ou impossible. Ce pouvoir appartient d’ailleurs aux Ordinaires de par le droit général dans 1rs cas ct sous le* conditions prévues au can. KL De plus, par un induit spécial contenu dans les feuilles de pouvoir destinées aux vicaires apostoliques, le Saint-Siège accorde ordinairement aux polygames qui sc convertissent en même temps qu'une de leurs femme* et ne se trouvent pas dans les conditions pré­ vues par les trois constitutions susdites, la faculté de ne poser à la première épouse, seule légitime, que la question relative à la conversion, sans parler de la cohabitation. IV. DunÉit et i.i i i is nu phivilèoe. 1°Durée. Lors même que le conjoint Adèle aurait vécu maritale­ ment avec i’inildèlo depuis son baptême, il garde le droit de contracter un nouveau mariage avec une per­ sonne catholique, si le conjoint Infidèle, changeant de volonté, se sépare de lui sans motif légitime, ou ne veut plus cohabiter pacifiquement sans Injure au Créateur. Can. 1121. CL· Sainl-Oflice, 5 août 1759 ct 1« juillet 1866. Cette concession en faveur du privilège de la foi est sans limite de temps; le conjoint converti peut en user même si une longue période s'est écoulée depuis son baptême. Une telle survivance s’explique par le s >uci de sauvegarder toujours les prérogative» delà vraie fol; du moment (pie les conditions du cas de l’Apôtrc sc trouvent réalisées, l’époux lldèle use simple­ ment de son droit, pourvu qu’entre temps il ne l’ait pas perdu, en donnant à l’inlidèle une juste cause de séparation. Si le privilège se prescrivait par un certain laps de temps, ce serait au bénéfice de la malice de l’inlidèle, alors que le converti, déjà déçu par la mau­ vaise foi du palen, se verrait imposer la servitude d’un célibat forcé. Or. ce n’est pas ce qu’a voulu exprimer l’Apôtrc lorsqu’il a dit : A’on servituti subjectus est Iratcr aut soror in hujusmodi. I Cor., vu, 15. C.e cas de séparation tardive serait réalisé fI l inhdele, après avoir promis de ne pas Inquiéter ion épouse baptisée dans la pratique de la religion chrétienne, refusait de renvoyer scs autres femmes illégitimes. Si. â cc moment, il refusait d’observer la loi de l’Evangile sur la monogamie, la convertie pourrait chercher un autre mariage, car dans ce cas serait vériliée l’oITense an Créateur. Le droit du conjoint converti ΰ l’usage du privilège s éteindrait, nu contraire, le Jour où l’époux intidèle, tournant sa volonté ver* le bien, recevrait le baptême, ou promet (ail sérieusement de le recevoir. Saint Ofllce, 11 juill. 186(1; cf. /kcr.. I. IV, lit. xix. c. 8. 2e 1 fiels. Le baptême de l’un des époux Infidèles, la dissidence de l’autre n’ont pas pour elTet de briser le lien matrimonial (pii les unissait; le conjoint con­ vert i y puise seulement le droit de rompre ce lien en contractant un nouveau mariage· Ι/elTet immédiat du privilege paulin est donc la faculté ou permission d’un second mariage avec une personne catholique! l’efTct médiat ou Indirect est la rupture du premier lien, rupture qui sera le résultat de la nouvelle union. L Si, avant celle union, le conjoint In Adèle se con­ vertit à In vraie foi, l’époux baptisé perd tout droit à contracter une nouvelle union Dans le cas où déjà les époux μ· seraient sépares η loro cl habitatione, k bap Usé serait tenu a reprendre la vie commune avec k néo-converti si celui-ci le demande· Bien plus, si h Adèle avait embrassé l'état religieux ou reçu ks ordres sacrés, il devrait régulièrement rejoindre son conjoint ; nous disons · régulièrement ·. car il est probable qu’un tel changement d’état, provoqué par l’injuste sépara lion de l’infidèle, excuserait le premier converti dr l’obligation de reprendre la sic commune: mais le lien matrimonial subsisterait, Cf. WcnuA idal, op. cil.. t. IV, n. 631, note (67). Dan* le cas où te conjoint infi­ dèle accepterait le baptême, mais refuserait de re­ prendre la vie commune avec le conjoint converti, celui-ci, ayant fait l’interpellallon régulière, aurait le droit de passer Λ une nouvelle union, pourvu qu’il n’ait pas donné a son conjoint une juste cause de désaccord. 2. Le lien du premier mariage n’étant rompu qu’au moment où le nouveau est contracté, can. 1126. tl s'ensuit que l’inlidèle ne retrouve l’étal libre qu’a cc même moment. Toute tentative d’union faite anté ricurcment est certainement invalide,ct s’il plaisait au converti de garder perpétuellement le célibat, l’infi­ dèle demeurerait lié aussi longtemps que vivrait son conjoint, (’/est au moment même de l’échange des consentements que le premier lien est brisé; et I» second formé; aucun intervalle n’est requisition un intervalle de raison» entre la dissolution du premier mariage et la perfection du second; l’échange des con seulement* agit Λ la façon de la profession religieuse pour la dissolution du matrimonium ratum. Certains auteurs, avec une subtilité admirable, vont jusqu'à dire que le lien primitif n’rsl brisé absolument que lorsque le second conjoint a donné à son tour son con seulement, car, disent-ils. le consentement donné par le premier conjoint reste toujours soumis à celte con dilion implicite : pourvu qu'entre temps le conjoint intidèle ne vienne pas a la foi... De la sorte est sauve­ gardée la dignité du sacrement en même temps que k respect à In fol jurée lors du premier mariage. Cf. Car­ rière. Drilled. theol., Ik matrimonio, t. i, n. 271 3, Le conjoint Adèle qui use du privilège paulin doit contracter mariage avec une personne catholique, dit k can. 1123. Cf. S. OIL. 17 Juill. 1850. Ce poin» est de droit ecclésiastique, car a la rigueur le souverain pon­ tife pourrait accorder la dispense de disparité de culte ou de religion mixte, si la personne est infidèle ou héré­ tique. Mais on comprend que le Saint-Siège fasse de sérieuses difficultés pour accorder une telle dispense, car le nouveau mariage n’est autorisé qu’en faveur (k la fol. et de la v raie fol. La question devient plus délicate dans k ras où le Saint -Siège a préalablement accortlcdispens? des inter pellalions ; on sc demande si. indépendamment des empêchements de disparité de culte ou de religion mixte, le converti pourrait contracter vutldemcnl un mariage avec un intidèle ou un hérétique, sans une ixrmission spéciale du pape, bai elTet, celui-ci. disent quelques uns. ne dispense des interpellations qu'à la condition expresse que le second mariage sera célébré avec une personne catholique, condition qui, dans l’espèce, ne serait pas réalisée. Il ne semble pus que le pape veuille faire de celte condition une clause irritante; du moins, il ne l’a Jamais dit de façon for mclle : on pourra donc appliquer ù ce cas la règle du can. I L V. Ixi i neitÔTAi ion. En matière douteuse, le privilège de la foi jouit des faveurs du droit· ·» Telle e*t la règle d’interprétation posée par le (‘.ode, can. 1127. Idle existait déjà auparavant, ainsi qu'il rcwuirt de» décisions. Instructions ou réponses des Sacrées Congre gâtions romaines. Cf. S. OIL, 8 juin 1821, 5 juill. 1853. 7 juill. 1880, 29 nov. 1882. 19 mal 1892. 26 avril 1899; PKI VILI· GE PAULIN. INTERPBET ATlON 4 IG Benoit XIV, lettre Probe te du 15 déc. 1751, § 27. polygame ne se rappelle plus quelle femme il a épousée Puisque la discipline du Code ne fait que sanctionner I cn premier lieu. l’ancien droit, il sera nécessaire de se guider selon la 5° Sur la sincérité de la réponse de l'infidèle, sur son législation ou la Jurisprudence antérieures. sens ou sa portée exacte, lorsqu’elle est ambiguë : telle Mais la première règle étant de s'en tenir au sens serait la promesse faite par un polygame qui renverrait propre des mots, il nous faut examiner tout d'abord la ses autre? femmes, mais refuserait de se convertir. Si portée du texte fourni par le droit. Le can. 1127 parle le doute positif subsiste, on tiendra la réponse affirma­ seulement de · matière douteuse ». Le doute dont il est tive de l’infidèle pour négative, en faveur de la fol du ici question est celui qui, malgré une enquête sérieuse nouveau converti. Le cas serait plus délicat si l’infi­ et des recherches prudentes, laisse subsister des proba­ dèle. ayant de justes raisons pour se retirer, alléguait, bilités dans l’une comme dans l’autre hypothèse, ou ne pour justifier son refus de cohabiter, un motif injuste; la plupart des auteurs inclinent à accorder au nouveau |H-rmet pas d'arriver 5 une certitude morale. Dans certains cas détermines, le droit lui-même aide baptisé le bénéfice du privilège de la foi. Cf. Vromant à résoudre le doute en établissant de sages présomp­ dans Nouv, rev. théol., 1932, p. 151. tions. Ainsi, cn présence d'un acte posé, d'un mariage 6® Le doute peut porter encore sur la suffisance des contracté, la validité est présumée jusqu’à preuve con­ motifs pour accorder dispense des interpellations. Dans traire, can. IUI I ; au contraire, si c'est Pacte lui-même, ce cas, il n’y a qu’à suivre les indications du can. 84, § 2. le fait du contrat qui est mis cn doute, le principe csl In dubio de sufficientia causa:, licite petitur (dispensa­ «lue les faits ne doivent jamais être présumé.', mais tio), et potest licite et valide concedi, être prouvés. Ί° Sur la durée du délai pendant lequel on doit Au sens strict du can. 1127, et selon les réponses et attendre la réponse de l’infidèle, lorsqu’aucun tenue instructions du Saint-Siège, la faveur du droit ne con­ n’aété fixé. Si le doute persiste cl que le cas soit urgent, cerne que les cas où s’applique douteusement le privi­ on permettra sans larder nu converti de contracter un lège paulin; celui-ci, supposant toujours un mariage nouveau mariage. conclu entre deux infidèles, n’est pas applicable, pas 8° Enfin, on pourra douter en général de la vérifica­ plus que la faveur, à un mariage dont un au moins des tion de toutes les conditions du privilège : les unes sont contractants est certainement baptisé. Pour juger de certainement réalisées, d’autres restent douteuses. Dans tous ces cas, on admettra généralement la solu­ l'existence du doute, il n'est point necessaire de faire Intervenir (Ordinaire ni le Saint-Siège, car le jugement tion qui favorise la liberté du conjoint converti, afin du doute n’est réserve à personne. Cependant, les de lui permettre de contracter mariage avec une per­ prêtres ou missionnaires, en se prononçant sur ces sonne catholique, ou bien afin de valider son nouveau doutes dont les effets intéressent le for externe et com­ mariage déjà contracté avec un fidèle. En particulier, portent de grandes difficultés, auront soin de s’en tenir si le doute porte sur le baptême ou sur le mariage aux ordres ou directives donnes par les Ordinaires des contracté dans l’infidélité, plusieurs déclarations du lieux, can. 296,et sauront, au besoin, s’éclairer de leurs Saint-Office suggèrent qu’après un sérieux examen conseils. Cf. Vroman t, dans Xom\ revue théologique, pour résoudre le doute on tienne le baptême et le mai 1932, p. 11I. mariage pour valides ou invalides selon que leur vali­ La « faveur du droit » doit s’entendre non seulement dité ou invalidité ouvrira la voie au baptême et à comme une concession bienveillante du droit purement l’usage du privilège paulin. S. Off., 7 juill. 1880, 18 mai ecclésiastique, mais comme une dérivation du droit 1892, 2G avril 1899, etc. Cf. SVcrnz-Vidal, op. cil., t. iv, divin dont relève le privilège. Celte faveur ne doit pas n. 631. Notons cn terminant qu'aux termes mêmes du s’entendre comme comportant dispense d’un empêche­ ment de mariage quelconque, qu’il soit certain ou dou­ can. 1014 le principe : · En matière douteuse, le pri­ teux, prohibant ou dirimant, ni comme une suppléance vilège de la foi jouit des faveurs du droit », can. 1127, quelconque à une condition exigée par le droit naturel l’emporte sur cet autre principe : « Le mariage jouit des faveurs du droit et doit être tenu pour valide Jus­ ou même ecclésiastique, par exemple le consentement mutuel des epoux, la forme de célébration, etc.; elle qu'à preuve du contraire », can. 1014, car cette affir­ équivaut pratiquement à une intervention du pouvoir mation est tempérée par cette réserve : salvo pnescriplo canonis 1127. En cas de conflit entre les deux, il y aura suprême pour résoudre le doute cn faveur du mariage lien de voir si le privilège paulin et la fol du converti catholique. Mais cette intervention suppose que le souverain pontife a la certitude de ne pas rompre, sont intéressés ou non à ce que le premier mariage soit reconnu valide. Si non, on tranchera le doute cn même cn faveur de la foi. un autre lien indissoluble. C’est ainsi que, même en faveur du privilège paulin, le faveur de la nullité. Si oui, on laissera jouer le can. 101 L qui maintient la validité. CL L'ami du clergé, pape ne pourrait dissoudre le mariage de conjoints hérétiques ou schismatiques dont le baptême est dou­ 1925, p. 221. teux d’un doute positif et probable; car, tant que ce doute persévère, il est impossible d’exclure l’hypo- | I. Textes et documents. — Codex juris canonici: Corpus thèse d’un mariage ratifié (ratum j et consommé, juris canonici, éd. Friedberg; Collectanea .S’. C. de propa­ ganda fi le, 2* éd.. Borne, 1907. lequel ne peut être dissous par aucune autorité II. (.oMMi.MAiius et oi viivgis spéciaux. — Wem/.humaine. Cf. Creusen, dans Noua. rci>. ZhéoZ., avril 1925, Vldnl, Jus canonicum, t. v, Jus matrimoniale, Home, 1925; p. 227. mal 1912, p. I19. Tractatus canonicus de matrimonio, 2 vol.. Vatican, Le doute peut porter principalement sur les points Gnspnrri, 1932; (.appello, Dr sacramentis. t. m. Dr matrimonio, Turin, suivants : 1927; Ballcrini-Palmieri, Opus theologicum morale, t. vi. 1* Sur le /oit du mariage contracte dans l'infidélité : Prati, 1891; Carrière, Praelectiones theologica?, De matri­ y a-t-il eu vraiment intention de contracter, ou sim­ monio, t. i, Paris, 1837; B ossei, De sacramenta matrimonii, plement vie à deux pour un temps, puisque les forma­ t. t, Maurienne, 1895; Fournerat, A.r mariage chrétien, 3 éd., Paris, 1921 ; Vermeersch-Crciuen. Dpi orne furit cano­ lités usitées dans le pays ont été omises? 2· Sur la validité du mariage, parce qu’on soup­ nici, .> éd., t. n. Malines; Cnnee, Le Code de lirait canonique, t. n, Paris, 1932; A. Dr Snict, De spon-mlibux ri matrimonio, çonne le lien d’un mariage anterieur ou la violence Bruges, 1 *27; A. \ ermeersch. De cam apnstntL Bruges, faite à la femme, etc... 1911; Lnnii du clergé, an. 1921. 1922. 19X5. p nsim; Perl· 3” Sur le fait du baptême d'un des conjoints, ou la dieu de rr canonica. morali et liturglca, wh et χχ· Nouvelle revue théologique, 1925. p. 227; 1932. p. I 10. ’ validité de ce baptême. 4· Sur l'identité de la première épouse, lorsque le A. Btunn. PKOBABILISME, SOLUTIONS MEDIEVALES PROBABILISME. - Le mot est ne dans la seconde moitié du xvir siècle, parmi les querelles dont nous raconterons l'histoire. Le sens en doit être entendu en liaison avec le milieu polémique et doctrinal ou il est employé, car il est avant tout la dénomination com­ mode, brève et fixe d’une réalité historique, cl donc mouvante et compliquée. Voir A. Arnauld, Cinquième dénonciation du philosophisme..,, 1690, avertissement, où l'auteur, pour s'excuser du mot · philosophisme >, s’autorise d’un exemple : · Comme il y a longtemps qu’on est en possession lorsqu'on traite la matière de la probabilité, de dire probabilisme ou probabilistes, au lieu d’employer beaucoup de mots : ce qui est Impor­ tun quand cela revient souvent. » A. Arnauld, Œuvres t. xxxi, Paris-Lausanne, 1770, p. 298. Pascal avait évité le mot, et Bossuet ne se le permet que dans des écrits expressément théologiques. 11 désigne en général les théories des moralistes qui admettent comme règle légitime de conduite une opinion probable connue telle, quand même a cours sur le point débattu une opinion reconnue plus probable. Voir Th. Gonzalez, Fundamentum theologia: moralis, Colo­ gne, 1691, diss. Il, inlr., p. 13. Non dépourvu dans le principe d’une nuance péjorative et employé de préfé­ rence par les adversaires, le mot fut bientôt d’un usage universel en théologie morale. Le grand bruit qu’on ht à son sujet lui a valu droit de cité dans la langue fran­ çaise. Voir Littré,Dictionnaire..., au mot Probabilisme, avec textes do Voltaire et de Marmonlel; A. Lalande, Vocabulaire technique cl critique de la philosophie, au meme mot. A la faveur du mot ainsi réservé, il faut se garder de croire que seul le probabilisme tolère l’usage de la probabilité, ce qui d’emblée engagerait un juge­ ment faux sur l’histoire des doctrines morales et crée­ rait au détriment d’autres théories un préjugé immé­ rité. De nos jours, cn l’état actuel des doctrines, le pro­ babilisme désigne l’un des « systèmes moraux », les­ quels vont du rigorisme au laxisme : classification plus commode qu’exacte et qui risquerait cette fois, mais encore au bénéfice du probabilisme, de simplifier curieusement la réalité de l’histoire. Sous le mot, seule importe en effet la réalité histo­ rique qu’il recouvre. Pour connaître le probabilisme el en juger, une seule méthode est compétente, qui est d’en suivre l’origine et les vicissitudes dans le temps. Toute doctrine gagne Λ être ainsi étudiée; celle-ci ne peut l’être autrement. Nous croyons que l’étude du probabilisme en est essentiellement l’histoire, ordon­ née, bien entendu, vu la matière en cause, à une appré­ ciation théologique, mais qui sera dès lors assurée de rencontrer une réalité. Il serait toutefois assez hors de propos d’invoquer en celte affaire le témoignage «les Pères ou des premiers écrivains ecclésiastiques, dont il est clair qu’ils n’ont pas conditionné, ni en théorie ni en pratique, le phénomène tardif qui doit ici nous occuper. En revanche, nous croyons important de rechercher si le Moyen Age. qui a prétendu systéma­ tiser les doctrines mondes non moins que les dogma­ tiques, où s’est formée au surplus une abondante littérature ù l’usage des confesseurs, ne fournit pas des informations relatives au problème qui sera celui du probabilisme. A partir de. là, il n’est plus que de suivre le cheminement des doctrines et d’assister ù l’éclosion puis à l’histoire mouvementée de celte théorie morale. Au terme de 1 enquête nous appa­ raîtra le probabilisme tel que l’a fait l’histoire, et sur lequel doit porter aujourd’hui le jugement définitif du théoh glen, compte tenu cl des enseignements du passé, et de l’attitude actuelle de l’Église. D’où l’ordre de l’exposé : I. Le Mo\ en Age. 11.1 )e saint Thomas d’Aquin à B. de Medina (1581) (col. 139). III. De B. de Medina à 165G (col. 163). IV. De 1656 à 1700 environ (col. 501). V. De 1700 environ ù saint Alphonse de PICT. DL IIIÎ-OL CATIIOL. Liguori (col. 558). VI. De saint Alphonse de Liguori à nos jours (col. 592). VIL Conclusions (col. 602). L POSITION ET SOLUTION DES PROBLÈMES AU MOYEN AOE. Il y a lieu de considérer distinc­ tement la théologie cl la littérature morale destinée à guider la pratique de la confession. L La théologie médiévale. II. Les Summer con/essorum (col. 137). L La théologie médiévale. — On chercherait cn vain du probabilisme ù cet âge de la théologie. Pour autant, ne la jugeons pas d'emblée étrangère â notre sujet. Le probabilisme concerne ces situations de la conscience où Γhomme demeure incertain de son devoir. Le cas en csl à ce point réel cl II pose des pro­ blèmes si délicats qu’on Imagine malaisément une réflexion morale devant laquelle il passe inaperçu. Mais n'exigeons pas qu’on le traite invariablement dans les termes du probabilisme. Il se peut que la théologie médiévale soit fort décevante ά qui J’aborde cn fonction des systèmes postérieurs, alors qu'elle a traité peut-être les mêmes problèmes, mais à sa façon, et fourni un ensemble imposant de réponses, mais qu’il y a lieu de lire comme elles furent conçues. /. PKOBLF.AIE QL'E POSMT LM lMFEflFECTIOSS DE LA C0SSC1ESCE. — Pour apprécier équitablement l'enseignement que nous recherchons, disons d’abord comment, pour cette théologie, sc pose le problème. Il tient à l’idée qu’on s’y fait de l’action morale, laquelle est d’un mot une conformité. A\anl toute action de notre part, il y a la loi, depuis la majesté de la loi éternelle jusqu’aux prescriptions mobiles et mul­ tiples des lois positives, le tout formant un seul sys­ tème et un seul ordre, où Dieu domine. La valeur de l’action csl de s’y accorder; le péché csl proprement désordre. 11 est vrai que la vie morale est représentée aussi comme un développement de l’homme; elle csl alors commandée par l’idée de fin plutôt que par l’idée de loi. Mais n’oublions pas que cette lin est elle-même une réalité, qu'elle s’entend en fonction d’une nature et qu’elle relève à son tour d’un ordre. Il n’v a rien d’arbitraire cn elle; il ne saurait v avoir non plus rien d’arbitraire dans l'action qui la prépare. Par quelque endroit qu’on la regarde, la conception monde du Moyen Age est rigoureusement objectiviste. L’hom­ me est pris dans un ordre, et toute sa ressource est de s’y conformer. On le reconnaît du reste bien équipé cn vue de répondre à celte exigence. Il possède une sorte d’instinct moral foncier, pièce constitutive de sa na­ ture qui, sous le nom de sgndcrèse, lui donne le discer­ nement fondamental du bien et du mal. avec le goût de suivre l’un et d’éviter l’aulic. Il délient cn sa raison certaines déterminations mêmes de la loi éternelle, ù ce point inscrites cn lui qu'on parle à leur propos de loi naturelle. Il est doué du pouvoir de raisonner, de com­ parer. de déduire, en sorte qu’il est capable de se for­ mer des jugements réglant jusqu’au détail de sa con­ duite et garantissant, autant qu’il sc peut, la confor­ mité de ses actions particulières avec la loi éternelle. lin ces conditions, le Moyen Age entretient notam­ ment une conception de la conscience dont certaines formules paraîtraient aujourd’hui choquantes. Soit, par exemple, le texte typique en la matière où devaient se scandaliser d'âge en Age les générations des mora­ listes : Illud autem quod agitur contra legem semper est malum nec excusatur per hoc quod est secundum con­ scientiam. Saint Thomas. Quodlib. viit. :i. 13. Peulon davantage humilier la conscience? On la traite comme une pure servante de la loi, sans autonomie, sans droits propres. Mais c'est qu’au gré de ces auteurs il n’y a point deux principes de l'obligation morale : d’une part la loi, d’autre part la conscience. Toute la force obligatoire de la conscience dérive de la force obligatoire de la loi dont elle n’est que l’applicaT. — XIII — II. 419 PHOBABILISME. SOLUTIONS MÉDIÉVALES SUH L1 IGNORANCE lion. On no pent dissocier de In notion médiéval·· de conscience celte idée d'application, qui définît juste­ ment tout son rôle. L’acte contraire à la loi est toujours mauvais, attendu que cette contrariété n’est que la définition même «lu moralement mauvais; cl il n'est pas excusé par le fait qu'il est conforme Λ la conscience, attendu que tout le rôle ct donc tout le soin de la conscience doivent cire de sc conformer à la loi. Avant d’examiner les cas où. malgré le soin qu'elle en premi, la conscience manque à son rôle et ne rejoint pas la loi. il fallait rappeler cette doctrine : le rapport de la conscience à la loi y est exprimé en ce qu'il a d’essentiel, conformément à l’objectivisme fondamental de la morale médiévale. Que de tels cas sc présentent, on ne songe pas en effet à le nier (et le texte cité ne signifie pas que saint Thomas le méconnaisse; voir notre élude Éclaircisse­ ments sur Quodlibcl iΊΠ. art. /J, dans Dions Thomas. Plaisance, 1935. p. 12-61 ); mais il faut avouer que dans ccs conditions le problème de la conscience /misse prend chez, les théologiens du Moyen Age une acuité inatten­ due. Ils se sont demandé si elle oblige, lit tous n’onl pas répondu affirmativement. L’école franciscaine a pensé que l’erreur relative aux actes bons ou mauvais spécifiquement n’emporte aucune obligation; bien plutôt pèche-t-on à s’y conformer; le seul devoir est de se libérer de l’erreur. Le jugement de la conscience ne fonde de lui-même une obligation qu’à l’endroit des actes de leur nature indifférents. D’autres auteurs, il est vrai, résolvent moins simplement le problème : reconnaissant au jugement de la raison la fonction de présenter la loi. faute de quoi elle ne s’applique pas. ils disent que la conscience meme erronée oblige; unis ils prescrivent de la déposer et de rejoindre la vérité. Saint Thomas est de ce parti, enseignant que toute conscience oblige sans que toute conscience excuse. Voir sur ce problème de l'obligation de la conscience fausse au Moyen Age l’étude d’O. Lottin : La valeur normative de la conscience morale. Les premières solu­ tions au Moyen Age. dans Ephem. theol. Lovan.. I. iv, 1932. p. 109-131. II y a dans celte solution plus d’art que dans la première puisqu’elle ménage la décisive entremise de la conscience entre la loi et son sujet. Mais l’une et l’autre sont fidèles au postulat commun de toute la morale médiévale, ct c’est que la règle unique de l’action est la vérité. La conscience n’est que son interprète. Nos docteurs n’ont jamais imaginé que conscience vraie et conscience fausse dussent avoir la même valeur normative. L’une garantit toujours le bien; il advient que l’autre excuse du mal ù quoi elle oblige. Mais celte dernière clause ouvre une issue. 11 sc peut qu’agissant à l’encontre de la loi l’homme cepen­ dant n’encoure aucun péché. Le principe est capital, ct le Moyen Age l a posé. Nous touchons ici l’exact point de rencontre entre celte théologie et les pré­ occupations spécifiques du probabilisme. Notre sujet 1 demande donc que nous considérions de près le sens et la portée de ce principe à l’époque, lit nous allons constater que, non content de le poser, on en a entre­ pris une élaboration très circonstanciée, où bien des recherches postérieures auraient trouvé déjà leurs solutions. Distribuons sous trois chefs les doctrines explicatives de ce principe : l'ignorance, le doute, la probabilité. 1” /x cas de l'ignorance. — La notion d'ignorance permet à nos théologiens, si soucieux de conformité, de faire leur part aux conditions humaines de la conscience. Elle leur ôte beaucoup de l’intransigeance qu’on serait tenté de leur Imputer. Il faut compren­ dre en effet la théorie «le l’ignorance non pas comme um théorie morale particulière, mais comme une plier organique, telle que le ss sterne entier eu devient humainement praticable. Le degré «le perfection d« • 420 celle théorie doit mesurer le degré <Γ:ι<Ειρ( at ion à |n faiblesse humaine «le relie morale tout objectivité. Or. le Moyen Age a poussé l'analyse «te l’igiionince jusqu’à l'extrême, Ces distinctions nous sont devenues familières, dont on peut suivre l’apparition cl les variantes à travers les auteurs de ce temps (bonnes études sur le sujet ; M. Müller. Ethik and Redd in der Lehre der \ crantmortlichkeit, liai isbomie, 1932. spé­ cialement p. I 16-169, 177-181; O. Lottin. Le problème de T Ignorantia juris · de Gratie n à saint Thomas, dans Rech. de tht'ol. une, et med.. t. v. 1933, p. 315-368): Ignorance du fait ct du droit (à quoi sont assimilées les ignorances particulière et universelle d’Aristote); igno­ rance du droit positif et du droit naturel; ignorance invincible et vincible, celle-ci à son tour divisée no­ tamment en ignorance négligente et en ignorance affectée; ignorance antécédente (cause du péché) cl concomitante. On dispose ainsi d’un jeu mobile grâce auquel on peut mesurer aussi exactement que possible l’effet de l’ignorance sur le volontaire; cl. comme il n’est pas indifférent à celle tin de savoir si l’ignorance est elle-même ou non coupable, on s’est enquis avec soin du péché d’ignorance (sur ce point spécial. O. Lot­ tin, La nature du péché d'ignorance, dans Revue tho­ miste, 1932, p. 631-652, 723-738; on peut voir sur ce cas précis combien l’idée du péché d’ignorance, loin de représenter une appréciation morale rudimentaire, a exigé de ces théologiens une élaboration Irès affinée «le l’idée «le péché). Selon les Qin. 12. />r homhidio, V, χιι : décrétale Ad audicnHum de Clément 111 (1187-1191), ou le principe s’énonce : Quum in dubiis sententiam debeamus eligere tutiorem, et connu inde une application canonique : la suspense d’un prêtre qu’on peut tenir pour cause d’une mort violente. Ibid., col. 797-798. «III) Cnn. 5. Dr clerico, \ , xxvn ; decretale illud d’inno­ cent III (120(1). Le pape reproche (i un évêque excommunié «le n’avoir pas observé l’excommunication, sous prétexté qu’il n’nvnit pas notification ollicielle de celle-ci : licet autem in hoc non videatur omnino culpabilis crtitÎMc, quia lamrii in dubiis via rsl tutior eligenda, etsi de lata tn rum sententia dubitaret, debuerat tamen potius sc abstinere quam .sacramenta ecclesiastica pertractare. Ibid., col. 83(1. (IV) Cnn. 3. I)c presbytero, 111, xi.iti : décrétale Veniens d’Innocent 111 (1206). Quelqu’un «pii n reçu tous les entres jusqu'au sacerdoce découvre qu’il n’a pas été baptise en due forme ; il y a doute entre les doctes sur la validité des entres reçus. Nos, circa latorem prirsentlum in boc dubitabili casu quod tulius est sequentis, fraternitati tmr per apustoliea scripta mandamus quatinus ipsum fur singulus onlines usque ad sacerdotium promovere cures, et permittas cum tn sacerdotio ministrare, quia non inlelligitur iteratum quod ambigitur esse Iaitum. Ibid., col. 618-619. (V) Qtn. is. De homicidio, V. xn : décrétale Significanti d’innocent 111 (1209), nu sujet d’un prêtre dont le coup n peut-rire frappe à mort un volem sacrilège : In hoc dubio tanquam homicida debet haberi etsi forte homicida non sit, a sacerdotali officio abstinere debet, quum in hoc casu cessare sit lutins quam temere celebrare, proco quod in allero nullum, in reliquo vem magnum periculum timeatur. Ibid., coi. 800*801. (\ h Can II. Ih sententia, \. xwix : décrétale Inquisi­ tioni d’hmoccnt ill il2«)9). Si l’un des conjoints découvre un empêchement nu mariage, on distinguera soigneusement l’étal de s:i conscience Dans le cas de certitude, il renoncera a tout commerce charnel avec s.» partie, quand même il ne peut faire I » preuve «le l’empêchement : mieux Vaut encou­ rir l'excommunication que «le commettre un péché mortel. Dans le cas d'une credulitas Irais cl Itineraria, il pourra s’en 422 délivrer sur l’avis «le son pasteur et pratiquer comme devant 1rs relations conjugales. Mais s’il est dan* la Mtuition d’une credulitas probabilis et discreta, quoique non évidente ct manifeste, debitum quidem reddere potest, »ed postulare non debet, ne in alterutro tvf contra legem conjugii vel contra judi­ cium conscientia· committat offensam. Ibid., col. 908. (Vil) Gin. 21. De homiridlo, V, xn ; décrétale Petitio d'Honorius III (1216-1227). A un prêtre qui a pris part a un coup de main contre des ennemis de la foi. le pape or­ donne quatenus, si de interfectione cujusquam in lllo eonflictu tua conscientia te remordet, a ministerio altaris abstineas reverenter, quum sit consultius in hujusnvfdi dubio abstinere quam temere celebrare. Ibid., col. 801. Cette règle du plus sûr ne figure pas parmi les quatrevmgt-huil regies de droit promulguées en 1298 par Boniface VIII ct insérées dans les D/crMalcs à la suite du Sextr. Mais elle avait des lors acquis droit de cité chez les théologiens, auxquels Innocent III, on vient dele voir (texte V l ; la décrétale Inquisitioni était fort connue des théologiens), avait donné l’exemple d’un usage moral de ce principe; car le «toute lie la conscience, il ne motive pas seulement des décisions juridiques. Relevons chez les théologiens un choix de textes où s'allirmera leur méthode constante de trancher le doute en faveur du plus sûr, en meme temps que s’y dégagent la valeur morale et l’exacte portée de la règle. I ne question typique de la théologie médiévale est la suivante : Chacun est-il tenu de savoir de tout péché mortel qu’il est mortel? Question où se trahit la crainte que ne soit porté préjudice à un ordre de valeur que tout notre devoir cependant est de respecter. Et, tandis «pic certains admettent à ce propos des igno­ rances légitimes, telles qu’elles excusent du péché (ainsi Boland de Crémone), d’autres jugent qu’à défaut de savoir «m est tenu pour le moins de douter. Cette solution qu’a préconisée Guillaume «l'Auxerre est des plus significatives : le doute y apparaît comme une sauvegarde grâce à quoi, dans l’impossibilité même où nous sommes de reconnaître tout péché mortel, nous restons cependant en mesure «l’éviter l’acte désor­ donné; car. dès là qu’on doute d un acte s’il est péché mortel, on ne le commet plus sans pèche : t ndr non quilibet tenetur scire de quolibet peccato mor­ tali quod sit mortale, sed tenetur scire vel dubitare ct per hoc vitare. Est enim rrguln quod, si aliquis dubitat de aliquo an sit mortale ct facit illud, peccat mortaliter. Guillaume «l’Auxerre. Summa aurea. I. Il, tr. N XIX. c. i. q. III. ed. Pigouchet, Paris. 1500. fol. xcii ν·. I.’ensemble de* textes relatifs au problème dont nous venons «h· parler, dans O. Lottin. le tutiorisme du.XIII· siccle, dans Itcch. de throl. «me. cl mrd., t, \. 1933. p. 292-301. II n’y a là qu'une affirmation. Nous la retrouvons, particulièrement vigoureuse, chez Guillaume d'Au­ vergne, mais munie de la justification qu’adopteront tous les théologiens. On pose la question de la plura­ lité «les bénéfices; mais n’est-ce pas présomption que d’x rien définir, vu la division des auteurs? In quo diximus quia, si dubium est utrum liceat vel non liceat, ipsa dubietas certitudo est et determinatio quia pro­ cul dubio non licet X'ulli enim dubium est quod non hccl alicui committere sc discrimini : discrimini autem sc com­ mittit qui aliquod facere pnesumit de quo dubitat an pecca­ tum mortale sit. Quare, sicut dicimus quod ipsa dubietas cilicii hoc «liscriminosum. ct propter hoc vitandum ex necessitate, quare ct illicitum. Guillaume d’Auvergne. Trac­ tatus de collaliunc beneficiorum, c. v I, DjH-ra omnia, t. n. Paris (Rouen), 1671, p. 258 (suppi.). Le choix du plus sûr est donc commandé par celte pensée qu’à faire autrement on se jette dans le péril, et il n’est point permis de courir ce risque quand il s’agit d’un péché mortel. Même pensée dans la Somme dite , indépendant des vicissitudes de la raison, que certains modernes croient avoir découvert. Il y a une certitude possible de la bonne action là même où la raison n’est qu’incer­ taine, mais on ne la trouve que dans la sécurité. Le dernier texte cite nous permet d'entendre dans le sens unanime du temps un texte laconique et peut-être ambigu d’Albert, dans le même article : Quærllur hic de regula quorumdam dicentium quod, si aliquis est dubius de aliquo an sit mortale peccatum ct facit illud pccc.ituin. mortaliter peccat propter contemptum. Ponamus enim quod dubitet et habet probabiles rationes ad oppositum non tamen sufficientes : tunc enim non videtur contemnere eo quod sequitur magis probabile. Duplex est dubitans, scilicet dubitans supponens aliquid m igis esse quam non esse, et de tuli intelligitui regula; et est dubitans nihil supponens et hoc non est verum. Ibid. Ce doute où l’on ne suppose rien (le deuxième) n’estil pas l’ignorance? On comprend que la règle alors ne s’applique pas. Mais elle jonc, dit l’auteur, si le doute est positif el quand même on pencherait d’un côté plus que de l’autre, pourvu, bien entendu, qu’on ne par­ vienne pas à opter; car alors il n’y aurait plus de doute. Pas n’est besoin d’ailleurs d’insister outre mesure sur un texte de rédaction rapide et imparfaite : ceux qui l’entourent nous garantissent le sentiment de saint Albert le Grand. On sait combien saint Thomas abonde dans le sens de ses devanciers. Son texte le plus célèbre en la matière est sans doute ce passage du Quodlibct vm, a. 13 (1256 ou 1257), où est débattu le problème de la pluralité des bénéfices (nous citons le text·· établi dans notre art. cité, Éclaircissements..,, d’après le ms. Val. lat. 781, fol. II r a) : Aut illa opinio non est vern sed m tgls contraria qunin iste sequitur quod vere licet habere plurcs pnebendas. el tunc distinguendum est : quia nut tails hnbet conscientium de contrurioct sic iterum peccat contra conscientiam faciens, quamvis non contra legem; aut non habet conscientiam de contrario secundum certitudinem sed in qutindam dubita­ tionem inducitur ex contr.irietnte opinionum el si, manente tali dubitatione, plurcs pnebendns habet periculo sc com­ mittit et sic procul dubio peccat, utpote magis amnns beneficium temporale quam propriam salutem: aut ex con­ trariis opinionibus, in nullam dubitationem adducitur et sic non committit sc discrimini nec peccat, et sic patent objecta. Le sens de cc texte est certain, en dépit des inter­ prétations contradictoires auxquelles il n donné lieu dans l'histoire de la théologie morale. Supposons, dit saint Thomas, «pie l’opinion soit vraie, qui tient pour licite la possession simultanée de plusieurs prébendes. Disculpera-t-on aussitôt tous ceux qui la pratiquent? Il en faut juger sur leur conscience. Ou bien ils sont persuadés en conscience que la chose est défendue : en ce cas, ils pèchent, bien qu’ils n’ofîenscnt pas réelle­ ment la loi. Ou bien, non certains en conscience (pie la chose est défendue, ils en viennent à le craindre, voyant le conflit des opinions sur le sujet, cl en ce cas, supposé que leur doute persiste, s’ils acceptent plu­ sieurs prébendes, ils courent le risque, donc ils pèchent, préférant un avantage temporel à leur salut éternel dont ils ne savent en effet si leur décision ne le com­ promet pas. Ou bien enfin le conflit des opinions n’engendre aucun doute, et l'on demeure en conscience . convaincu de la licéité de cette multiple possession : alors on ne sc jette en aucun péril cl l’on ne pèche point. Lc péché d’agir au moins sûr en dépit du doute est donc ici fermement nlllnné et nettement analysé Dire 425 PBOBABILISME. SOLUTIONS MÉDIÉVALES SUB LE D O U T E 426 d'ailleurs existant. Il est curieux de voir comment on a tenté d’interpréter cc texte innocent, où saint Tho­ mas ne fait que redire le rôle de la raison on dr la conscience, ministre de la loi auprès dr nous, tel que notre jugement quel qu’il soit nous oblige, quitte à ne pas toujours nous excuser. Voir un exemple de l’exégèse probabiliste du texte, invariablement pareille depuis les polémiques du xvu· siècle, V. C., Quid senserit S. Thomas de principio : lex dubta non obligat, dans Gregortanum. t. ni, 192’2, p. 117-451. Comment peuton opposer cc texte (sans réfléchir combien il est curieux de n’en point trouver de même sens dans le reste de l’œuvre thomiste) à Quodlib. vin, a. 13, dénonçant un péché contre la loi chez qui même n’a pas agi contre sa conscience? Comment y voir le pre­ mier pas dans une voie où bientôt l’on dira : dans le doute, point d’obligation? Entre tous les théologiens, saint Thomas devait connaître cette fortune étrange de patronner les thèses les plus contraires à sa pensée. Un examen historique du cas ne laisse rien subsister de ces procédés. Trancher le doute en faveur du plus sûr est donc nu Moyen Age la règle universelle des moralistes et qui se savaient tels. Le doute, à leurs yeux, n’est pas une libé­ ration. Quiconque en cet état court le risque de pécher, son péché est dès lors commis. Voici donc une situa­ tion de conscience aussi différenciée que possible de l’ignorance : nu lieu que celle-ci de sa nature excuse, quitte à examiner ses modes ou complications, le doute entraîne l'obligation précise au parti exempt de péché. (I) Sur Ici con/ession des péchés mortels douteux. — Ad L’objectivisme fondamental de la morale médiévale tertium dicendum quod, quando nllquh dubitat de aliquo découvre ici l’une de scs conséquences: elle n’aggrave peccato an sit mortale, tenetur illud confiteri dubitatione manente : quia qui aliquid committit vel omittit In quo rien, mais elle fait vivement sentir que nous sommes dubitat esse mortale peccatum, peccat mortaliter discri­ dans un ordre de choses que nos hésitations n’ont pas mini se committens. Et similiter periculo sc committit qui la vertu de changer. A ce point de notre exposé, on de hoc quod dubitat esse mortale negligit confiteri : non volt de quel prix est le grief, adressé à la morale médié­ tamen debet asserere ilhid esse mortale, sed cum dubitatione vale, de n’avoir pas connu la distinction capitale du loqui et judicium sacerdotis expectore, cujus est discernere péché matériel cl du péché formel. Il est d’abord inter lepram et lepram. In I fum Sent.. dist. XXI, q. n, a. 3. inexact puisque, admettant comme nous avons dit Qu’on veuille bien remarquer la dernière clause, où l’excuse de l’ignorance, cette morale reconnaît qu’il est sc découvre en cette théologie un esprit de justice et des actes matériellement déréglés et qui ne sont pas des de bienveillance. En prescrivant d’opter pour le plus péchés. Il est surtout frivole puisque cette distinction sûr, elle ne cède pas à des goûts de rigorisme, elle signale, chez ceux qui l’adoptent, une conception mo­ obéit aux exigences de la réalité, et quand celle-ci rale absolument divergente de celle qui prévaut au commande un adoucissement ou une réserve, elle Moyen Age. Cc simple mot de péché matériel signifie la l’accueille avec un égal empressement. substitution au réalisme médiéval d’une morale de la conscience : système tout nouveau, qu’il faudrait (II) Qui a fait vœu d'entrer en religion, s’il n’est pas admis dans l’ordre ou il voulait entrer, que fera-t-il? « Qu’il vole, démontrer. Il ne l’a pas été; mais nous verrons qu’il dit saint Thomas, s’il a voue d’entrer en religion en général fui mis en œuvre, et c’est sur quoi il sera possible de le ou dans cet ordre en particulier : Si autem dubitet quomodo juger te in vouendo habuerit. debet tutiorem niant eligere ne se dis· De ce qui précède n’allons point conclure que les crimini committat. In IVnm Sent., dist. XXXVIII. q. î, théologiens du Moyen Age. dès qu’un doute surgit en a. 3. qu. I. nd tW. matière morale, invoquent aussitôt leur règle du plus Saint Thomas n’imagine donc pas un instant que le sûr sans autre forme de procès. Le doute dont il a été doute libère cet homme du vœu qu’il a fait; s’il l’a fait, parlé jusqu’ici est celui qui représente le dernier mot de une obligation est réellement contractée, que ne change la conscience et suppose épuisé tout moyen de solution. en rien l’idée qu’il en peut avoir, qu’il ne risquerait pas Alors la sécurité fournil, comme nous avons dit, la Impunément d’enfreindre. ressource suprême el soustrait l’action aux effets incer­ tains de l’impuissance de l’esprit. Mais qu’vu présence (Il II A propos du prêtre qui. nu cours de la messe, sc rap­ pelle quelque empêchement est énoncée cette maxime géné­ d'un doute il faille d’abord tenter de le résoudre, cc ne rale : Ubi difficultas occurrit. semper est accipiendum illud sont ni les préceptes ni les exemples de ces théologiens quod habet minus de periculo. Sum theot.. HI*, q. lxxxiii. qui nous en dissuadent. a. 0. ad 3»in>. Ils recommandent qu’en ces cas on recoure à la prière et Ils ont confiance en l'efficacité de cc qu’ils Le plus sûr supplée, comme garantie de l’action, la appellent l’onction divine; ils suggèrent que l’on con­ vérité douteuse. sulte ses supérieurs ou que l’on s’informe auprès des Il est tout à fait valu, en présence de ces textes et de cet enseignement constant, d’invoquer, comme le prin­ sages. Ils pratiquent eux-mêmes, sur les données de cipe d’où pourront sortir les solutions de l'âge posté­ toute sorte que rencontre leur investigation, la mé­ rieur, l’art 3 de la q. xvn De veritate. Saint Thomas y I thode naturelle de les résoudre, qui est d'y réfléchir el établit qu’un précepte ne lie qu’à condition d’atteindre ] d’en disputer. Tout l’effort scientifique de cc temps le sujet par la connaissance que celui-ci en prend : n’est-il pas justement une sorte de lutte systématique aussi longtemps qu’il ne le connaît point, on ne volt cl opiniâtre contre le doute? Les choses morales n’y pas comment le sujet se trouverait Hé par un précepte. ont pas échappé. Il faut admirer chez les plus grands quo l’on doute, c'est due que l’on craint d’un côté te péché : il n’y aurait aucun autre moyen de dissiper cette crainte que dr résoudre le doute. Mais, si Ton suppose qu’il persiste, la crainte de pécher y est indis­ solublement attachée. Que, dans ces conditions, l’on opte pour cc parti, qu'est ce â dire? Qu’on accepte le risque de pécher et c’est pécher déjà, puisque dès maintenant la volonté consent au mal; elle ne courrait pas le risque si elle voulait, quoi qu’il en coûtât, éviter le mal. Aussi bien discerne-t-on à l’origine d’un tel parti la convoitise d’un bien périssable préféré au bien spirituel, laquelle seule décide une volonté qu'eût retenue sans cela la crainte de pécher. Saint Thomas enregistre donc une explication proposée avant lui et qui justiile l’usage moral d’une règle invoquée déjà au for externe. Il est vrai que celle-ci motive des déci­ sions juridiques, en dehors même de tout jugement sur la responsabilité de l’intéressé: mais elle prend valeur d’une règle morale à l’usage du sujet en état de doute quand on signale, ce qui du reste saute aux yeux, le péril de péché accompagnant le doute. S’il y a donc en cela dépendance des théologiens par rapport aux juristes quant à la formule, il n’y a de leur part aucune confusion des ordres, mais sentiment vigoureux des exigences propres de l’ordre moral. On observe çà et là, chez saint Thomas, à l’occasion de différents problèmes, l’application de la règle ainsi Justi liée. Nous relevons quelques textes, propres à illustrer nos dires : 427 PROBABILISME. SOLUTIONS MÉDIÉVALES SUB LE DOUTE 428 d’entre eux avec quelle décision ils conduisent ccs l’on pourrait craindre. On a remarqué ci-dessus cette débats sur une matière mobile et complexe, et quelle réserve bienveillante de saint Thomas qui, prescrivant netteté est celle de leurs conclusions. Que l’on com­ l’accusation des péchés douteux, ajoute qu’on ait soin pare. par exemple, sur cette question classique de la de les confesser comme douteux. Il demande ailleurs pluralité des bénéfices, le jugement encore sommaire s’il faut éviter les excommuniés sur l'excommuniai· tion desquels il y a divergence d'opinion chez les de Guillaume d’Auvergne reproduit ci-dessus et la recherche diligente et pénétrante de saint Thomas. doctes, Quodlib. iv, a. II. Il ne répond pas aussitôt (Juodhb. i\. a. 15. où l’on convient de voir com­ qu’il faut se ranger au plus sûr et donc éviter ce sus­ pect, mais, adaptant sa réponse au cas en litige, il dis­ munément le modèle d’un ditlicile cas de conscience tingue selon qu’un jugement ou non a été olliciellediscuté et résolu. Il y a là dans la théologie médiévale un type de travail et de progrès, qui satisfait aux exi­ ment porté à ce sujet. Avant le jugement, qu'on inter­ prète le doute, dit-il, in mitiorem partem : puisque c’est gences les plus embarrassantes de la pratique. Bien ne serait plus injurieux à ces moralistes que de leur attri­ ici chose essentiellement juridique, on pratique les buer sur les choses de l’action humaine des spécula­ règles du jeu. et, tant que n’est pas intervenue la sen­ tions savantes mais séparées des conditions réelles de tence, il n’y a pas lieu d’être plus sévère que l’autorité; le délai qu’elle se donne, elle le donne â tous. Mais, une la vie et conduites en dehors du souci de les appliquer. Ils n’ont pas eu de plus chère ambition (pie de fournir fois le débat jugé, magis est standum sententtir Judicum. Non que d’autres avis soient désormais insoutenables, ses règles a l'action; ils ont mis la main aux problèmes mais la décision des juges fait loi et règle notre alti­ particuliers que posent les contingences de la vie et. s’ils apprenaient que leurs contemporains étaient in­ tude. On entrevoit ici avec quel soin et quelle atten­ tion constante au cas particulier un auteur comme quiets de telle ou telle conduite ou divisés à son sujet, saint Thomas use d’une règle cependant solide et ils ne refusaient pas d’y réfléchir ni ne dédaignaient pas d’y répondre de leur mieux, ils n’ont pas failli à leur éprouvée. Peut-être faudra-t-il se délier des formules ou des systèmes trop généraux qui prétendent résou­ fonction de moralistes, qui est de diriger vers le bien dre uniformément les doutes, négligeant l’examen les consciences (pii le cherchent. La forme aigue du doute est ce qu'on appelle alors propre de chaque problème avec scs circonstances sin­ gulières. la perplexité : situation dramatique d’une conscience En cette résolution d’aller au plus sûr, il n’y a pas cernée, si l’on peut dire, par le péché. Quelque déci­ non plus de la pari des théologiens que nous étudions sion quelle prenne, il semble, engagée comme elle est. qu’elle ne puisse éviter la faute. Sur quoi nos théolo­ la méconnaissance de toute une réalité humaine. Ils parlent du doute conçu par un esprit normal et sain. giens ne nous laissent pas démunis. Il arrive (pie cette S’il advenait que le doute fût l’effet d’un esprit crain­ perplexité soit apparente : ainsi, l’homme (pii s’est tif cl troublé cl qu’il eût caractère de scrupule plutôt donné une conscience fausse et (pii. lié par elle, pèche que de doute, leur intention n’est point d’imposer à ces à ne la suivre pas et pèche à l’observer; reste qu’il consciences un joug intolérable, Γη ouvrage attribué dépose son erreur et se refasse une conscience droite. Mais il arrive que la perplexité soit récite. Quelle issue à saint Albert le Grand, mais qui est l’œuvre de Hugues de Strasbourg, l’un de ses disciples, contient alors nous propose-t-on? Nous signalons comme un un texte (pii nous suggère cette remarque. \ la exemple particulièrement suggestif de ce genre de recherches (peu connu, croyons-nous) un chapitre de conscience (pii lie, il oppose ce qu’il appelle la crainte de la conscience » ; la Somme d’Alexandre de Halés, for. cit.. c. I (éd. cil., t. m. p 391-397; les notes des éditeurs signalent Sed contm timorem conscient he facere non semper est quelque* devanciers de l’auteur). On y observera une peccatum : quia tails timor non est semper ex difllnitivn sententia rationis per quam judicet sc teneri nd aliquid ; sed perspicacité de bon alol (pii découvre une issue à des ex eo quod vacillat inter dubia, nesciens quid sit melius vel situations apparemment désespérées, (pie l’on s’y trouve par sa faute ou autrement; on y relèvera l’u­ ad quid teneatur potius, cum tamen non omitteret, quid­ quid sciret esse placitum divina· voluntati· Compendium sage d’une règle de saint Grégoire : de deux maux thcul. veritatis, I. II. c. i.n. dans les œuvres de saint Albert choisir le moindre, cc qui garantit du péché (à propos le Grand, éd. Vlvès, t. xxxtv, p. 71. du glaise qu’on a juré de rendre et (pie réclame un Le texte prend son vrai sens quand on lit la re­ furieux; cette solution sera bientôt améliorée par le marque immédiatement précédente, que certains s’é­ recours j Vepikeia, voir plus loin); mais on y devra constater aussi que certaines situations sont telles (pie. tonneront de voir écrite au xnr siècle : pour échapper au péché, des renonciations ou même Ca vendu est conscientia nimis larga et nimis stricta. Nam prima gener.it pnesumptIonem, secunda desperationem. l’héroïsme s’imposent. Qui s’en étonnera? lit (pii s’en Item, prima dicit s;epe malum bonum, secunda e contm plaindra ? Les moralistes ne sont point faits pour chan­ bonum malum. Item, prima sirpe salvat damnandum, ger la nature de la vie morale.et,quand elle commande secunda c contra damnat salvandum. Ibid. le sacrifice, leur devoir n’est pas de se mettre l’esprit Il y n là un ordre de préoccupations remarquables. a la torture pour s’y soustraire. Qu’une telle situation L’auteur s’intéresse aux dilférences individuelles des soit la suite d’un péché, qu’il faut savoir pour ainsi consciences et il adapte à chacune son conseil ; loin dire d< faire après l’avoir fait (le bénéficiaire simoniaque a qui il reste de se démettre), ou qu’elle pro­ eut raisonnable­ ment penser que le supérieur présent dût prescrire d’agir différemment du texte de la loi. C’est alors non proprement Vepikeia, mais une dispense de la loi. dis­ pense que porte avec soi la nécessité d’agir. Il faudrait ne pas oublier ces textes quand on décrit l’attitude des moralistes du Moyen Age a l’endroit de la loi. Parce qu’ils ont d’elle un grand respect, il serait faux de croire qu’ils ont méconnu et son imperfection congénitale et les situations concrètes de l’homme. Peut-être même est-ce dans le traitement de celle chose juridique qu’est la loi qu’ils ont le mieux mani­ festé leur qualité de moralistes, jugeant au nom de la réalité et non pas des formules; rien plus que Vepikeia. telle que l’ont comprise les héritiers médiévaux d’Aris­ tote. ne marque sur un traité de la loi l’empreinte du moral cl ne découvre l’esprit de ces théologiens. Par là. ils achevaient d’élaborer le système complexe cl délicat où l’obligation fondamentale, issue de la loi promulguée, trouve, au grc des cas et des cir­ constances. les assouplissements cl les modes qui lui donnent son sens concret et praticable. Au terme de ccs remarques, on voit peut-être mieux quelle acception reconnaître à cc qu’on appelle volon­ tiers le tutiorisme du Moyen Age. Tutiorisme il y a puisque dans le doute on nous prescrit d’agir au plus sûr. Mais c’est bien le doute qui est alors en cause, et non pas n’importe quelle conscience incertaine; et l’ignorance conserve son statut propre, comme nous avons dit. cl aussi les étals de conscience qui. n'étant pas le doute, ne sont point cependant la certitude, comme nous allons le dire. De plus, dans le cas même du doute, nous avons indiqué de quelle façon humaine ces moralistes ont eux-mêmes compris l’application de leur règle. Evitons donc que le mol de tutiorisme employé ici ne facilite l’attribution au Moyen Age d’une raideur et d’une outrance «pii ne furent assuré­ ment pas son fait. Sur 1rs notions que nous venons de rappeler relatives a la loi. nombreux travaux. On en trouvera une bibliographie, par exemple dans le commentaire De legibus rcclcsliistich, par \. Van Hose. Malines. 1930, mix different* chapitres. Sur Vepikeia. ajouter notamment M. Muller, Ikr hell. l/N rtus und die l.ehrr von der iïpikic. dans liivuy Thomas, l. xn. Fribourg. 1931, p. 103-182. On aura compris que notre objet n'esl pas d'étudier ce* notions mais de signaler combien le Moyen \gc a sagement entendu l'application de la loi. 3· Le cas de l'opinion et de la probabilité. — I lors l’ignorance cl le doute, il sc peut qu 'on n’ait pas encore une certitude relutnement A l’action. Le Moyen Age n’a point négligé cc vaste champ de nos imparfaites adhésions que désignent les mots d’opinion et de pro­ babilité. L’erreur serait énorme ccttc fois de penser, à la faveur précisément de ce mot de tutiorisme. que les théologiens d’alors n’ont parlé du probable que pour le bannir de la vie morale Guillaume d’Auxerre, dont on cite communément un texte sur le sujet (par ex.. I Trimmer, Manuale thcol. moral., t. i. n. 315), où est permis l’usage d’une opinion plus probable et non encore certaine, n’est en cela qu’un homme de son 431 PBOBABILISME. SOLUTIONS MÉDIÉVALES SUH L’OPINION temps Autant ces théologiens ont refusé de se con­ tenter de l’opinion sur le plan dola connaissance scien­ tifique» autant ils ont accueilli la probabilité comme directrice immédiate de l'action. La décision en dépend chez eux d’un sentiment très aigu de la contingence du particulier où ils savent bien (pie sc déploie l’art ion. Cc sentiment, ils l’ont hérité de la tradition classique ct singulièrement d’Aristote, car on sait combien in­ siste le philosophe en ses Ethiques sur la nécessité où l’on est alors de s’en tenir à une certitude d’un rang plus modeste et qui n’a plus rien de la rigueur ni de l'infaillible précision des mathématiques. Non qu’ils aient là-dcssus imité de tout point Aristote, car ils ont cm pouvoir établir avec une entière fermeté les prin­ cipes de la vie morale; à partir de lâ, ils ont prétendu conduire leurs certitudes aussi près que possible de l'action; aussi ont-ils réalisé une science morale plus scientifique que l’éthique du Grec. Il y aura lieu ci-des­ sous de rappeler cc caractère. Mais où le Moyen Age rejoint Aristote, c’est sur le plan de la réalisation morale, là où les principes rencontrent les cir­ constances particulières ct contingentes de l’action effective. Alors, il faut renoncer aux prétentions de l’idéal scientifique; on y a affaire â une matière impar­ faitement saisissablc, et l’on y aura obtenu une règle de conduite irréprochable quand on se sera donné là-dessus une probabilité. Il n’est que de bien s’entendre sur ce mol de probabitite. Qu’on n’y voie pas une renonciation â cet objec­ tivisme ct à celte vérité dont nous disions qu’ils sont l'inspiration de la morale médiévale. Il ne signifie pas un découragement el comme un scepticisme de l'in­ telligence devant les complexités du réel. La probabi­ lité du Mown Age est au contraire toute pénétrée de l’idée de vérité. D’une conquête moins facile el d’une prise moins sûre, cependant il ne peut s’agir encore que d’elle. Est probable cc qui, grâce aux chances de vérité qu’il porte en soi. est digne d'obtenir l'adhésion de l'esprit. Aucun autre motif, en dernier ressort, n’em­ porte Ici la décision. La différence du probable et du certain n’est pas que. dans un cas, on cède à la vérité; dans l’autre, à quelque motif d’une nature nouvelle; mais seulement que clans un cas la vérité est manifeste et emporte irrésistiblement l’adhésion, au lieu que, dans l’autre, elle ne se livre que sous des vraisem­ blances. L’objet de l’esprit ne change pas, cl, qu’on ait affaire au nécessaire ou au contingent, il ne peut être que la vérité. Savoir cc que d’autres ont pensé n’est point le terme de la connaissance. Les pensées des autres ne doivent pas nous être indifférentes : elles sont pré- , rieuses, au contraire, cl il faut s’en informer; mais on ne s’en informe que dans la mesure même où elles sont propres à nous conduire a la vérité. Le Moyen Age n’a point tenu pour probable ce qui fut une fois pensé, ct sur ce seul titre. D'autant que, sur le même point, il a été pensé toutes sortes de choses : comment l’esprit serait-ll satisfait de cette incohérence? Sur un point donné, il n'y a aussi en définitive qu’une seule proba­ bilité, quand bien même auraient eu cours là-dessus les opinions les plus nombreuses et les plus divergentes. Ou bien en effet elles étaient fausses, ct elles sont indignes d’être retenues; ou bien elles avaient leur part de vérité : en cc cas. ou bien cette vérité est assu­ mer dans l’opinion retenue comme probable, ou bien ellr signale un aspect different de la réalité, ample) cas on retiendra deux opinions diverses sur ce que l’on croyait être un même problème, mais qui a l'examen s’est révéle divers, offrant done matière à une connaissance multipliée. Les Idées de moins probable cl de plus probable sc réduisent au Moyen Age à cc que nous venons de dire. Elles ne signifient pas le moins du monde que. sur un même ct unique problème, l’esprit 432 ait le choix des opinions dont l’une serait reconnue comme ayant moins que l’autre chance d’être vraie. Loin de poser la question de la légitimité de l'opinion moins probable comme règle d’action, le Moyen Age ne songe même pas que l’opinion moins probable, en­ tendue comme il vient d’être dit, soit un objet légi­ time d’adhésion intellectuelle; et comment régleraiton sa conduite sur un principe auquel on ne croit pas? La probabilité n’est pas une valeur en soi. Hors de la vérité, dont elle gère les intérêts, et de l’adhésion de l’esprit, qu'elle sollicite de ce chef, elle n’est rien. Elle est donc sans emploi dans la vie morale. Voir les textes relatifs à celte matière dans notre étude sur le mot Probabilis au Moyen Age, dans Jlcu. des sc. phil. d théol., t. xxn, 1933, p. 260-290. Mais, comprise comme nous avons dit, la probabi­ lité joue en morale son rôle légitime et important. Elle ne porte pas préjudice à l’idéal de vérité qui est indéfecliblemenl celui de cette morale; elle lient compte de la matière contingente où sc réalise inévitablement l’action humaine. Où fait défaut l’entière certitude, il y a place encore pour une règle d’action qui n'est pas à tout coup la sécurité. La sécurité s’impose dans le cas de doute, où elle est le remède pratique à l’im­ puissance de l'esprit. Mais lorsque, cedant à sa nature ct suivant ses lois, l'esprit accède à la vérité sous l’es­ pèce même du probable, il n’y a pas de raison pour qu'on invoque une autre règle que cette vérité. Se défier du probable, lui dénier la dignité de régler l’ac­ tion. ce serait ne pas comprendre la nature meme de l'action ct rêver pour la pratique d’une rigueur ct d’une nécessité dont s’accommode seule la spéculation des essences ou des réalités éternelles. Là-dessus, la pensée médiévale est assurée. Elle ne prêtera à diffé­ rences, chez ceux qui la suivront, que sur la question de savoir quand el à quelles conditions l’esprit opine probablement en matière morale. Les uns demandent moins, d’autres exigent plus : ces derniers feront donc usage encore de la règle tulioristc quand les premiers useront du bénéfice de la probabilité. La conciliation de ces divergences serait le fait d’une méthode du consentement de l’esprit à l’opinion probable. Nous croyons que, selon les cas, ce consentement sérail plus prompt ou plus réservé, tolérant dans le jugement probable plus ou moins de crainte. Cc qu’il faut dire ici, c’est la hardiesse avec laquelle un saint Thomas adopte pour siennes des opinions moins sûres mais auxquelles il a reconnu la probabilité : certains y voient une inconséquence, le sachant tulioristc, ct ils triomphent, comme si saint Thomas abandonnait de­ vant les exigences de la pratique une règle qui ne sc soutient que dans la théorie. Loin de là. il faut voir en ces décisions (par ex., tn I \tl,n Sent.» dlst. XVI, q. m, a. 2, qu. 5; (list. XVII, q. m. a. 1, qu. D l'indice d’une vigueur d’esprit qui découvre le pro­ bable où il est cl . On réduit autant qu’il faut la soumission plus concrète, dont le genre sc développe alors. du confesseur à l'opinion du pénitent, mais sans en 1° Jean de Dambach. - En son titre meme. De con­ méconnaître le cas échéant la légitimité ni imposer solatione theologia· (que reprendra Gerson pour l’un de alors de force à ce dernier une opinion qu’il est libre de scs traités), un ouvrage de Jean de Dambach, domini­ ne pas partager. cain allemand du xiv siècle (achevé en 1366. éd. incu­ 3° La théologie scolastique continue de s'élaborer nable, s. 1. n. d.; cf. Hurler, Xomendatur, 3e éd., t. n, sous la forme principalement de Commentaires sur tes col. 663), annonce ce que nous verrons être une préoc­ Sentences. Us abondent, mais on y trouvera, au cours cupation dominante des auteurs de ce temps. Les du xiv* siècle, peu de choses sur notre sujet 'lundis quinze livres du traité contiennent le « remède des con­ (pie les auteurs disputent de la nature et de l’obliga­ solations » contre toutes les tribulations possibles. A tion c, y, Paris, 1531, fol. xv sq, Nyder y doit à Gerson l’interprétation miséricordieuse de la règle du plus sûr, énumérant jusqu'à treize adoucissements dc l’axiome. Il cite avec satisfaction le texte d’Albert le Grand que nous connaissons, sur la conscience douteuse ct ambi­ guë. (’.es pages représentent la fidélité au tullorismc médiéval combiné avec le souci d ' apaiser les consciences. Elles sont un elTort de conciliation entre les règles clas­ siques et les nécessités concrètes et embarrassantes de la vie. l’n autre passage signale plutôt la prudence dc l’auteur qui recommande, d’après Jean dc Dambach ct Gerson, de trancher les doutes sur l’exemple des gens de bien et les jugements éprouvés des sages. Ibid . c xxii, fol. i xix On trouve même un énoncé de la règle tutiorlstc valable aussi longtemps que n’est pas résolu le doute : Sicut in moralibus, qiuindo sunt alterent Iones de aliquo precato quando est pcccntum mortale, ut si unus dicat expertus In scientia quod non licet sic mercari, alius dicit quod sic : tutius est sic non procedere quousque veritus patc.it aliunde. Sic dicit Scotiis in forni» ct directe concor­ dat Thonw. Ibid,, 1·", c. n, fol, vi. L’ouvrage précédent s’est beaucoup répandu au XV siècle (cf. I lurter, t n, col. 805) Lc fut plus encore, semble-t-il. le Consolatorium timoratir cnnscienthr, écrit pour les fidèles. Ce livre est une compilation, mais H a 4 4 Γ» PROBABILISME. L’AGE INTERMÉDIAIRE, NYDER 446 cet intérêt d’être probablement le premier en date des l’exemple de saint Thomas (dont nous avons dit qu’il ouvrages tout entiers consacres a lu conscience, deve­ adopte comme probables des opinions moins sûres); il nue l’idée niait rosse et organisatrice. Il se trouve que y ajoute sans peine d’autres témoignages. Plutôt que la conscience en reçoit un relief considerable et appa­ l’élaboration d une doctrine nouvelle, nous voyons ici ruit comme le centre de la vie morale. Première et loin­ un confesseur expérimenté réagir contre les effets taine origine d’un caractère désormais invétéré de nos funestes de la doctrine classique mal entendue, parce modernes theologies. La partie du livre de beaucoup la qu’elle est considérée partiellement. Il relève cc qu’il y plus étendue est la troisième, avec trente et un chn a en elle dc bénignité; il peut le faire sans la forcer. On pitres, De conscientia prout in aliquo trepidat, La ten­ prendra garde aussi que le vocabulaire de Nyder est dance miséricordieuse des prédécesseurs de Nyder libre ct flexible; il use des mots techniques, mais non trouve lâ son entier développement et toute sa force. techniquement : ainsi celui dc doute, au début du On remarquera que toutes ces considérations, où se c. XIII, signifie très largement tout état de l’esprit trouve intéressée la doctrine de la conscience douteuse, inférieur à la certitude; il ferait croire (pie l'auteur sont introduites sous les espèces du « tremblement . combat le lutiorisme. alors qu’il revendique simple­ dans une intention de remède, de la part d’un auteur ment la probabilité. La conclusion du même chapitre (ibidj: importante; elle est expliquée dans les c. χι-χνι; en propos innocent dans cc contexte; mai* l’histoire nous voici l’énoncé plus circonstancié : a appris depuis quel sens téméraire on y peut donner. La dernière des sept règles s'appelle dans le latin dc Sunt enim aliquando de aliquibus m itcriis monilibus docNyder l'epikeysatio. Signalons d’abord, a propos de ce tores opinionum contrariarum, ct tunc scrupulosi dubitant quam partem possunt cum bona conscientia eligere. Γη» mot, non seulement comme une curiosité philologique, enodatione hujus dillicultatis notandum in primis quod cum mais comme l’indice d’une notion fort répandue, le bona conscientia potest quis tenere unam partem allcujus verbe épiquier, employé en français par Jean Petit. opinionis ct secundum eam operari, saltem excluso scan­ Cf. IL Covlllc, Jean Petit. La question du tyrannicide dalo, qua· pars habet pro se notabiles seu notabiliores doc- au commencement du .vre siècle. avec. p. 221. une cita­ tores. dummodo talis opinio non sit contra expressam auc­ tion de J. P. : Eplquier la dicte loi à l’entente dc la fin toritatem sacra· Scriptune nec contra detcnninationrm sacra· !£cclrslæ catholica·, dununodoque ex conlrariclntc et non pas au sens littéral. » Chez Nyder. il faut conve­ talium opinionum non inducatur quis ad dubitandum, sed nir qu'on trouve Ici une doctrine sensiblement diffe­ bonam conscientiam seu Udem sibi formet de probabiliore rente de la grande scolastique. Nous avons dit ce qui parte, pr.ecipue in tali casu (piando quis adhibet diligentiam en est de Vcpikcia au xnr siècle (col. 129). Notre Inquirendo an liceat, nec invenit aliquid quod cum suill- autour l’entend, moins strictement, de l’interprétation cienter moveat ad hoc quod sit illicitum. C. xi. bénigne des lois et d’un penchant à la miséricorde en Y lll-on antre chose que la recommandation de se leur application. Il estime que le juste milieu dc la vertu en devient plus large, que la rigueur de la loi en former une probabilité pour agir selon elle*? Nyder s’en général s’en trouve tempérée d Indulgence, mieux tient à la théologie classique. Il insiste seulement, à l’usage des timides, .sur la possibilité de sortir du doute, accordée avec la réalité. Et derechef il fournit huit les divergences d’opinions ne mettant pas, à tout coup règles sur le bon usage de Vepikria, empruntées ù Jean ct sans plus, dans l'obligation d’aller au plus sûr. Et. de Dambach. dont il consacre la tendance : I. entre quand l’auteur ajoute : l’interprétation bénigne et rinlerprélallon sévère dc la Ex quibus sequi videtur expresse quod non oportet sem­ loi. opter pour la première, cuderis paribus; 2. ni Dieu per tutiorem opinionem eligere de necessitate salutis, sed ni l’Eglise n’entendent obliger par leurs préceptes à sulhcit tutam eligere. Nam tutior est gradus comparativus cela (pii est difficilement possible ;3. Ils n’entendent pas pra-Mipponens positivum, scilicet aliam tutam esse opinio­ non plu* que l’observation de leurs préceptes rende nem. Patet illud, quin tutiores videntur esse opinione* ridicule, du moins aux yeux des sages; I. qui veut être pnefat.r aliorum quam quas S. Thomas ibi tenet, etc. (ibidj, déchargé de l’obligation d’un commandement, il sullit il ne refuse pas l’axiome tutiorlstc du xtir siècle puis­ I qu’en la même matière il accomplisse quelque chose qu’il envisage alors une situation où celte théologie ne au delà dc ce qu’il doit : par exemple, on exécutera l’a jamais entendu, celle où l’on dispose d’une proba­ sans scrupule le dimanche quelque œuvre servile sup­ bilité en faveur du parti le moins sûr. mais auquel une posée nécessaire, cl exclu le scandale, si l’on s'en abs­ sécurité est attachée du fait de sa probabilité même. tient d'ordinaire quand on aurait le droit dc *’y appli­ Bien plutôt reliront rc-t-ll ici la doctrine <1 l'usage de quer, soit durant la semaine: 5. dans le doute, la vie la grande scolastique, et il invoque a juste raison «les gens de bien doit nous servir dc règle en matière 447 PROBABILISME. L’AGE INTERMEDIAIRE, S. \NT()NIN 448 de préceptes positifs, accorder un grand crédit â la se confier au parti périlleux, connue on a le droit de coutume;?, se persuader que l’excommunication n’est rester dans le monde sans faire de péché. Voici du reste encourue qu’où il y eut pêché mortel; 8. ayant com­ comme il expose une autre règle, que relui qui aime mis un péché mortel, on pourra en de certains cas ne 1 le péril y périra : pas se confesser avant la communion. Il est manifeste Sed nd hoc respondetur quod utique illc qui agit scienter que le bon auteur et ses pareils manient ici une matière id de quo dubitat esse mortale. permanente dubitatione, des plus dangereuses. Bien que leur texte, lu avec bien­ mort diter peccat, etiamsi illud in se non esset mortale, veillance, soit sans reproche, ils lancent des idées et sumendo proprie et stricte dubitationem, Mdclicct prout rationes (sunt | icque ponderantes ad utmmque partem nec des formules dont on dirait cette fois qu'elles sollicitent l’abus C’est ainsi, et parmi les pluslouables intent ions, magis declinant mi unam quam ad aliam. Sed si dubitet leviter et per modum scrupuli, sicut dubitat el formidat que peuvent commencer les grandes déviations doctri­ habens opinionem de aliquo, quia ita inha ret uni sententia nales. Saint Antonin lui-même, nous le verrons dans quod tamen fonnid it de opposito; sic agendo contra tale un instant, semble avoir eu peur devant ce passage de dubium non peccatur dum ndhiiTct opinioni idlcujus duc­ Nyder. Quelques autres consolations seraient aussi toris et habet rationes probabiles pro ipsa mugis quum pro opposita opinione, etiamsi ipsa opinio quum tenet non assez inquiétantes ; au c. xxxi, où serait réduite à l’excès la gravite d’une faute commise sous l’empire esset veni. Et hoc nisi ipsa opidlo sumpta esset contin manifestum testimonium Scriptunn vel determinationem d’une ignorance coupable en sa cause; aux c. xxvn et Ecclesia. 'falis enim non oper.ilur in dubio mortalis sed wviii, où l’on nous parle d’une double latitude par secundum opinionem probabilem. Ibid. rapport à l’observation de la loi, en sorte que s’écarter de la moins large ne serait qu’un péché véniel; cl d’un Tout revient donc cette fois encore à revendiquer la intermédiaire entre le précepte et le conseil, que Nyder probabilité comme règle légitime de conduite, malgré appellerait monition. la crainte qui subsiste en l’opinion, à l’encontre de 4· Saint Antonin de Florence. - Pour sa tendance l’impression trop forte faite sur les âmes scrupuleuses générale, pour sa fidélité et scs innovations. Nyder par l’axiome tulioriste. lequel bien entendu conserve nous semble donc historiquement un auteur important. sa valeur. Là où il étudie l’obligation en conscience de Il en faut rapprocher saint Antonin, awhcvêquc domi­ la loi civile (la part., lit. xvm), Antonin ne dit absolu­ nicain de Florence (t 1159) (voir son article), avec sa ment rien qui ressemble à la règle plus tardive de la Summa moralis, ainsi (pic l’appelle l’autographe (voir loi douteuse (pii n’oblige pas. On n’est libéré du doute édition de Florence, 1711). L’ouvrage, (pii n’est qu’un que s’il est converti en opinion, cl l’on ne passe de l’un ample développement des Summa· confessarum, dont il à l’autre (pie par des voies objectives, contrôlées au prétend avoir la destination pratique, visant moins la surplus sur l'enseignement de Γ Écriture et la détermi­ science que la commodité, sc trouve avoir pris rang nation de l’Église. S’expliquant plus au long sur le dans l'histoire de la théologie morale; i) le doit à cc choix des opinions, Antonin adopte exactement, un développement même et à l’insertion de matériaux peu plus bas. la quatrième des règles de Nyder, que doctrinaux parmi scs recherches et scs solutions con­ nous avons exposée. Où il tâche au surplus de justifier crètes. A ce titre, en dépit des Intentions de son auteur l’usage des probabilités avec leur risque d’erreur : il ne comme de la bonne qualité de scs règles morales et de parle pas de la vérité pratique, une notion délicate que sa casuistique, nous craignons qu’il n’ait représenté ces théologiens mineurs n’ont pas retenue; mais, une étape vers la confusion des méthodes et des genres, s’inspirant de Gerson,11 raisonne de la morale par com­ dont le Moyen Age fut nettement exempt, mais qui paraison avec la foi: de même qu’il n’est pas funeste de sera bientôt chose accomplie, au grand dommage de l’au­ se tromper en matière de foi, pourvu que l’article n’ait pas été déclaré par l’Église, de même on ne se nuit pas thentique théologie morale. 11 sc trouve que, sous ccttc forme et grâce à de pareilles préoccupations pastorales, en agissant contre une règle dont il n’y a dans ΓÉcri­ ture ni dans l’Église expresse détermination; il suffit saint Antonin coincide, à tres peu de chose près, avec dans les deux cas (pie l’on soit prêt à se ranger au sen­ les auteurs dont nous venons de parler. La tendance timent autorise, dès qu’il sera connu. Col. 380-381. A que ceux-ci représentent a gagné l’Italie au xv· siècle, outre la France et l’Allemagne. Le mode de compila­ défaut d’une explication formelle, du moins avonstion qu’il adopte (il dénomme sa Somme un collecta­ nous ici le témoignage du même problème qui s’étalt posé aux théologiens du Moyen Age. rium) permet du reste à Antonin d’emprunter beauPour déposer la conscience scrupuleuse, saint Anto­ coup, cl littéralement, à ses prédécesseurs. Il institue un chapitre de la conscience, laquelle obtient décidé- j nin recommande à son tour Vepikeizatio. Il l’entend selon les mêmes règles qu’a énumérées Nyder, avec ment droit de cité dans les livres de morale (l1 part . cette différence remarquable qu’il omet la quatrième, lit. in. c. xi), où il truite à son lour de la Conscience dont il ne dit mot. Il l’aura jugée trop peu sûre. Ce scrupuleuse. Son dessein même conduit l’auteur â texte de Nyder se trouve ainsi représenter un essai qui dénoncer les abus de l’axiome tulioriste. Il le fait en ne devait guère survivre en théologie morale; la ces termes : sagesse de saint Antonin l’a déjà écarté. Scd nd hoc respondetur quod eligere viam tutiorem con­ Parmi les règles de droit , au nombre de cent une, tint est, non pneccpti. altas oporteret mullos ingredi reli­ insérées en forme de catalogue dans cette Somme gionem in qu » lutius vivitur qiuun In sseculo. Non ergo de nécessité le oportet tutiorem eligere quando cl him alla vin morale, Ia part., tit. xx, figure cette fois la maxime potest eligi tubi. Sicut enim diversa· vhu tendunt nd unam tulioriste : In dubiis tutior via est eligenda, n. xvî, à civitatem, licet una tutior albi sit; sic nd civitatem cw tes­ propos de laquelle Antonin distingue le dubium pro­ tem alius dc. alius sic vudil, et tute, licet nliquLs tutior. babile (noter cette expression, indice de l’elfacement ÉU. dt . t. i. coi. 373. progressif des distinctions si nettes Introduites par le Il apparaît assez que celte exégèse à l’usage des Moyen Age entre les étals incertains de l’esprit) : les scrupuleux n’est pas la dénégation de la règle clas­ raisons sont pour ainsi dire égales des deux côtés, et la règle s’applique, et le dubium scrupulosum qu’il faut sique. Antonin oppose tutior à tutu, le Moyen Age à periculosa 1) l’assimile nu plus parfait, le Moyen Age déposer. La règle de la possession : In pari delicto vel l’entendait comme la seule issue permise. D’où la con­ causa potinr est conditio possidentis (η. χι.ι « ι.χν de clusion que l’axiome a valeur de conseil. non de pré­ Boldface \ III) est Interprétée sur le plan du droit pour les seules matières de justice. La plupart dos règles cepte. Inouic chez les théologiens du xnr siècle Mais énoncées ici n’ont guère du reste qu’un Intérêt juri­ elle tient nu déplacement du sens des mots. Antonin dique; leur présence dans un ouvrage de morale atteste n’entend certainement pas que, dans le doute, on puisse 449 PBOBAB1LISM E. L’AGE INTERMEDIAIRE, CAJETAN h· même risque· de confusion que nous signalions cidessus. 5° Conclusion. Les auteurs que nous venons d'étudier, et qui couvrent un siècle, du milieu du xiv* a celui du xv·, forment donc, quant au problème qui nous occupe et malgré leurs autres différences, un groupe homogène. Sous l'effet de préoccupations pas­ torales et non pus doctrinales, en fonction, semble-t-il, du besoin spécial des âmes de leur temps, ils Inter­ prètent la règle tulioriste de la théologie médiévale, mais sans songer un instant à l'abandonner. Leur effort revient â insister sur l’usage légitime de la probabilité pour rétablissement de laquelle ils signalent des règles. Avouant que le doute impose le choix du plus sûr. ils s’ingénient a ouvrir des issues hors du doute, d’ailleurs de bon alol. Il est remarquable que leur dessein pratique et miséricordieux s’accommode d’une théo­ logie réputée intransigeante el dont ils utilisent en vue de leur objet une authentique donnée. En substance, cette théologie entre leurs mains ne bouge pas. Par ailleurs, ne nous dissimulons pas que la tendance de ces auteurs est fort différente de l’inspiration du Moyen Age : d’une part, les droits de la vérité, de l’autre, ceux de la conscience; là, un souci de rectitude, ici de béni­ gnité (on peut en toucher un exemple dans l’exégèse i même a la fol ou la science du contraire La suite de la dispute et certaines decisions qu’y défend l’auteur (par ex., sur l’obéissance due au prélat ou la conduite de l’époux pris de doute sur la validité de DICT. DE THÉOL. CATIIOb. 45» son mariage) accusent la même tendance, où semble dépréciée la probabilité médiévale règle d'action, bien qu'y soient rectifiés les excès ou dangers de l’interpré­ tation bénigne analysée ci-dessus. Adrien admet d'ail­ leurs fort bien que le dissentiment des docteurs n’entraîne pas Infailliblement le doute, et donc l'obli­ gation du plus sûr, chez tous les intéressés. QuttMioncx quodlibellât X/f, Paris, 1531; Quodlib. h. fol. 24-4 L Au passage d’Alexandre de Haies relevé plus haut (col. 422), on comparera chez Adrien l’étude de ces dou­ tes dont l’une et l'autre Issue semblent rencontrer un péché; il les décide selon le moins dangereux combiné avec le moins vraisemblable : mathématique assez sub­ tile, comme il le reconnaît lui-même. Ibid., et surtout In IVoBi Sent., circa sacr. pænit., 1° De restitui, S Quia jam dictum est sq., Venise, 1522, fol. 46 sq. 2° Jean Major. — Sans nous arrêter a Gabriel Bid (t 1195) dont le Commentaire sur les quatre livres des Sentence* ne semble contenir rien d'important sur notre sujet, mentionnons un passage de Jean Lc Maire (t 1510), dont le Commentaire révisé du IV· livre parait a Paris en 1516. Sur la question de savoir quel parti prendre en ras d'opinions divergentes, il conclut qu'en matière morale il faut tenir le plus sûr. qu’on a le choix si les opinions en présence sont également cer­ taines. que le prudent suivra l’opinion des sages plutôt (pie l’avis de quelques-uns. Jahannis Majoris in Quar­ tum Sententiarum. Paris, 1516, q. n, in prologum, fol. n 3° l.es commentateurs de saint Thomas; Cajetan. — Les premiers commentaires publiés de la Somme de saint Thomas, au commencement du xvi* siècle, reviennent sur ces mêmes questions, à la vérité assez brièvement. En 1511, le dominicain allemand Conrad Kocllin, avec l’approbation du maître général de son ordre, Thomas Cajetan, publiait son enseignement de l’uni­ versité de Heidelberg sous la forme d’un commentaire littéral et complet de la lA-lla' de saint Thomas; le commentaire de Cajetan lui-même sur cette partie de la Somme thMogique est daté du 29 décembre 151 L Sur les origines de ce genre nous eau. voir l’art, b ntm s PRÊciiEUiis, t. vj, col. 889-899. 905-908. On sait que, dans cette P-1I®, les art. 5 et 6 de la q. xix intéressent la conscience. Dans le commentaire de Kocllin on ne trouve à cet endroit sur la conscience douteuse que la mention suivante, où saint Antonin a l’honneur d’être cité comme le maître en la matière : Nota rliam de istn materia an nlfquis conformans sc conscientia· dubiæ in his quæ sont peccata rnortnlia peccet. Vido I). S. Quodlib. vin, a. 13. ita quod tenens vemm opinionem, dubitat autem de ejus veritate, dicitur quod sic. \ idc de Ista materia ad longum in domino Antonio... Expo­ sitio commentaria prima... in /anu/pr e|ng. Doct. Thoaue /!’/ et 16 ; dans Ephem. Ihrot. Lov., loc. cit.. p. 63-61). traite brièvement de hi conscience douteuse et du scrupule en des termes qui ne nous signalent rien d’original. Pour Jean Manclo du Corps du Christ, professeur de I5G1 A 1576, son com­ mentaire de la l*-!!"’, conservé dans le ms. Val. Ottob. lut. 1001. va de la q. xîx, n. 7. A la q. XXI, a. 1; puis de la q. xi.ix, a. 1, ù la q. i l, a. 2. Cc dernier fut le prédécesseur immédiat dans la chaire de Prime de B. de Medina. Voir l’étude documentée de V. Beltran de I leredia. El maestro Mancio del Corpus Christi, dans La Cienda tomlsia» l. cia, 1935, p. 7-103. 5° Conclusion. — Cette lignée de théologiens a donc accordé une grande attention aux problèmes mo­ 462 raux, soit dans les commentaires de la I<-1Ie» de saint Thomas, soit en d'autres écrits; ils ont en général le sens et le goùl des cas concrets. Leur doctrine est en somme conforme à l'enseignement traditionnel, dont clic ne diffère pas gravement. Quant au doute, iis demeurent gouvernés par l’axiome tutioriste, quittes A pencher vers une restriction de son usage. Mais le plus remarquable ici, par rapport à l’Agc prochain de la théologie morale, est qu’ils n’imaginent point le pas­ sage du doute ù la certitude par la voie de principes qui auraient celte vertu; du principe de possession, ils n’ont fait en cc sens qu’un usage limité ct réservé. Quant ù l’opinion. Ils la tiennent pour règle légitime d'action, A l’instar de la théologie classique. Et le remarquable, cette fois, est que, autorisant le choix de quelque opinion probable, jamais il ne leur vient à la pensée qu'on puisse agir scion une opinion moins probable. Pour ces raisons, il faut maintenir qu’if y a une différence essentielle entre l’école de Sala­ manque jusqu’en 1576 ct ce qu’on appellera le pro­ babilisme. Par ailleurs, et cette conclusion établie, on observe chez eux, A la faveur sans doute d'un vocabulaire indécis ou même équivoque et d'autant que leurs formules générales sont le plus souvent dépendantes des cas particuliers qu’ils traitent, des propositions dont on comprend que le probabilisme ait reçu l’influence. Ainsi acceptent-ils l’erreur ou l’ignorance invincibles plus promptement que les théologiens mé­ diévaux. d’où la règle du moindre mal constante chez eux. Ils font un usage judicieux de la distinction du spéculatif et du pratique, s'en tenant aux conditions du cas en cause; mais d’autres ne s’aviseront-ils pas de systématiser le procédé? Ils s’intéressent aux cas d’ailleurs anciens du confesseur ct du pénitent d’opi­ nions contraires, du sujet doutant de l’ordre de son prélat, du citoyen Incertain du bon droit de son prince entreprenant la guerre : tous cas bien résolus; mais des exemples sont ainsi consacres où il est permis d’agir selon une opinion autre que lu sienne. Il se trouve que celte fols nos théologiens n’ont pas laissé A leurs suc­ cesseurs le soin de tirer celle conséquence. Eux-mêmes accordent qu’on agisse en général selon quelque opi­ nion, sans marquer expressément que la sincère adhé­ sion de l’esprit est alors de règle. Aux textes mention­ nés ajoutons celui-ci de Thomas Mercado, un de leurs contemporains, témoignage d’une attitude assez répandue dans ce milieu de Salamanque (dans la Sunia de tratos y contratos. Salamanque. 1569, I II. c. v; texte dans Eph. theol. Lov., lac. cit.. p. 61-65) : ■ Quand. A propos d’un contrat, il y a de bonnes opi­ nions pour l’une et l’autre partie entre docteurs, cha­ cun est libre de suivre celle qu’il choisira. » Certes, nos théologiens parlent alors d’opinions probables: mais le notable est qu’ils n’exigent point de la part de l’es­ prit la reconnaissance de la vérité dans l’opinion pré­ férée. Ils substituent un choix libre au devoir de faire une opinion raisonnable, ils envisagent une action morale qui ne procède plus d’une conviction intérieure. On croirait percevoir chez eux quelque chose de cet extrincésisme » qui règle une action sur un avis étran­ ger. non plus sur le jugement propre de l'agent, fût-ce un Jugement fondé, à défaut de raisons bien comprises, sur l’autorité de plus doctes, mais agréé comme l’ex­ pression de la vérité. D’où chez nos théologiens l’im­ portance nettement accrue des docteurs, de qui les. opinions font loi. On est sur le point de rendre inutile la topique traditionnelle qui permet de « déposer sa conscience > et de prendre sagement parti, topique dont nous avons vu combien jusqu’alors elle est â l’hon­ neur parmi les moralistes Nous croyons que là est le point de plus grande proximité entre l’école de Sala­ manque avant Medina cl le probabilisme. Peut-être 463 PROBA BILISME crttc Influence dcpassc-t-clle leur intention, niais ils l’ont exercée. Jointes aux réflexions déjà faites en ce chapitre, celles-ci nous donnent peut-être la juste idée de ce qu’on appelle parfois la preparation ou la préhistoire du probabilisme. Jusqu’au temps où nous sommes, il n’y a pas de probabilisme, et les positions fondamen­ tales des théologiens comme des casuistes ne vont pas en ce sens La théologie médiévale que nous avons décrite régit encore renseignement moral. D’autre part, le phénomène auquel nous allons assister ne sera pas un commencement absolu. Dans l'àge qui le précède, et un peu partout dans la chrétienté, on discerne à quoi il sc rattache et comment il a pu apparaître. Il faut tenir ces deux vérités que l’histoire impose et qui se concilient en l’état d’esprit assez divers du plus grand nombre des auteurs que nous venons d’étudier. Nous avons indiqué a mesure les jotirees de notre exposé. Quelques /ruwujr l’ont été aussi. Il ne faut plus mentionner Ici que la bibliographie récente relative à l’école de Sala­ nt inque et a B. de Medina, que l’on chercha à comprendre l'un par l’autre, afin de mieux déterminer les rapports du der­ nier avec le probabilisme : M.-M. Gorce, art. Medina ( Bar· thilcmg de). I. x, col. |8|; f.-G. Mencndez-Kcigndii, L7 pseudo prvbabillsmo dr /raij B. de Medina, dans Ctencfa forni'h/. 1928, p. 35-37; J. Ternus. Zur Vorgeschichlr der Moralxystemr non I'iloria bis Medina, Paderborn. 1930 (textes et étude); «I. de Bile, B. tir Medina et les origines dit probabilisme, dans Ephcm. tlicol. Loti., 1930, p. 16-83 (textes); 261-291 (commontaire); M.-.M. Gorce. .1 propos de B. dr M. rt du probabilisme, dans ibid., p. -180-181 ; le même, Lt sens du mot · probable · rt 1rs origines du probabilisme, pénible et que le sujet doute du bon droit de son supérieur, bien qu’il puisse sans danger obéir aussitôt, on lui concédera île vérifier si l’ordre est légitime. Medina emprunte celle décision a I) No|.» et il s’avise d’en faire une exception à la règle du plus sûr. De 465 P BOB ABILISME. AVÈNEMENT, MEDINA inline, si Γοη réclame â son possesseur un bien, encore qu’il puisse h» donner sans délai, on lui permettra de vérifier les titres de qui réclame et de s’assurer s’il n’est pas, comme il le pensait Jusqu'ici, le véritable proprié­ taire Les pensées de Medina sont plus Inoffensive* que ses formules. Enfin, continue l'auteur, quand le doute atteint les deux partis et qu'on ne peut le déposer, on agira nu plus sûr; si aucun des deux n'était sûr, qu’on se range au moins périlleux. Sur celte dernière décision, traditionnelle à Salamanque, Medina signale néan­ moins pour son compte qu'entre deux périls on peut aller au plus grand si militent en sa faveur des raisons plus urgentes. I.a prépondérance des arguments l’em­ porte alors sur la sûreté; en quoi nous touchons peutêtre une différence dr Medina à l> Soto, chez qui la sûreté avait grande etllcace; mais l’exemple classique dont la formule est accompagnée (l’épouse doutant si elle doit rendre le debitum) ferait hésiter cette fois encore. Les formules de Medina ne doivent donc pas trom­ per. Comme ses devanciers de Salamanque et de par­ tout. il appartient à la tradition tutioriste, c’est-à-dire qu’il n'a d’autre recours (pie la sécurité pour décider le doute pratique. Entre la théologie médiévale et les déclarations que nous venons de relever, il y a l’inter­ vention de maints cas particuliers auxquels s’est adapté Γaxiome tutioriste; il n’y a pas le passage d’une méthode à une autre méthode. La vieille règle demeure etllcace. En cette partie de son commentaire, Medina a recueilli et plus ou moins heureusement classé des solu­ tions reçues, sans prétendre rien innover. On ne l’ou­ bliera pas tout à l’heure; et quoi (pie ce théologien doive enseigner de la conscience probable, sa doctrine de la conscience douteuse demeure acquise. 2. Est-ce péché d'agir contre sa propre opinion? demande maintenant Medina. H a dans l’esprit le cas du confesseur et du pénitent d'avis contraires. Et II énonce d’abord : Si «plis ngat secundum opinionem de qua dubitat un sit probabilis, peccatum committit. Nam qui sic operatur dubi­ tat an illud quod agit licitum sit nn illicitum; ergo Operatur cnntni conscientiam dubiam; ergo tenetur non sequi talem opinionem. Où est adoptée la décision de I). Soto relative â l’o­ pinion déraisonnable, c’est-à-dire à un avis mal fondé, ayant toutes les chances contre lui (comme celui qui approuverait la pluralité des bénéfices) et qu'on pren­ drait pour règle de sa conduite. Sous prétexte qu’il est une opinion (l’opinion de certains), on ne s’expose pas moins au péril, vu son improbabilité, omnino improba­ bilis, et Γοη pèche comme si l’on agissait contre la conscience douteuse. Voilà du moins écarté un proba­ bilisme extreme. Vient ensuite : Quando utniquc opinio tenu propria qunm opposita est irque probabilis, licitum est indifferenter utrnmqur sequi. Autre décision de I). Soto. Medina met en garde contre le danger de scandale attaché à l’usage de cette règle et contre la facile illusion d’estimer egalement probable cc qui l’est moins, mais répond mieux au désir. Ici. néanmoins, s’accuse cette position de Sala­ manque selon laquelle l’action sc règle sur des opi­ nions extrinsèques, indépendamment de l’adhésion de l’esprit à une vérité reconnue. Avec cela, on voudra bien observer que la présente formule est loin de signifier, en dépit de la ressemblance littérale, ce qu’on appellera plus tard l'équlprobablllsme. Les opinions en cause sont les règles générales de conduite relatives Λ quelque action : on en permet le choix indifférent. Mais si le doute survenait dans l'application même (étant donnée telle règle adoptee, suis-je ou non tenu de faire ccd?h en cc cas nos théologiens trancheraient pour le plus sûr (voir la réponse de Medina nu dernier argu­ 466 ment dans le commentaire que nous analysons). Nous passons à un nouvel énoncé : Aliquando tenemur agere cnntr.i propriam opinionem. Medina entend alors fournir la règle relative au con­ fesseur trouvant chez son pénitent une opinion con­ traire à la sienne, mais raisonnable. Bien que de légi­ time (à rapprocher de la solution donnée plus haut, col. 461. sur le juge qui condamne l’innocent légale­ ment convaincu du crime). Mais l'auteur n'a cure de dissiper les abus auxquelles prêterait sa règle, puisque le voilà aussitôt discutant des sacrements, pour dé­ fendre que, dans ie cas d’une nécessité ou d’une grande utilité, il est licite, plutôt que de s’abstenir, deprocéder à leur administration selon une forme ou une matière qui ne serait que probable, quitte a courir le risque d’invalidité; avec ccttc formule, inséparable certes du contexte, mais dont on voit assez le danger : Xam in omnibus negotiis, etiam magni momenti, et in maximam injuriam tertii, licitum est sequi opiniones probabiles. Il y aurait de quoi satisfaire le laxisme le plus témé­ raire s’il fallait entendre ces mots sans précaution. Ils n’ont pas cc sens redoutable dans la pensée de Medina, mais convenons que notre auteur n’excelle pas dans la rédaction de ses formules. A peine a-t-il écrit celle-ci qu’il passe à la magna qwest io où sera la fameuse pro­ position : Devons-nous suivre l’opinion plus probable, la probable étant alors écartée; ou suffit-il de suivre l'opi­ nion probable? Sous cotte forme distincte et dans cette généralité, la question est nouvelle, posée ici pour la première fois dans l’histoire de la théologie morale. Selon les plus constantes doctrines reçues jusqu’alors, on n’y peut répondre que par oui au premier membre, par non au second. Et Medina le sait bien, lui qui cite en ce sens Sylvestre Prlerias. Conrad Summenhard et. qui plus est. dit-il. Cajétan. Il rapporte même un pas­ sage entier de î). Soto (à qui scs pages précédentes doivent beaucoup), où est expressément prescrit dans la pratique le choix du plus probable (tiré du De jus­ titia et jure, I. 111. q. vj. a. 5, ad l :ni; voir ci-dessus). Medina prendra donc parti en connaissance de cause, assumant la responsabilité non seulement d’une solu­ tion particulière, mais d’un principe plus général de conduite; car. tout pesé, il décide ainsi : Perte argumenta videntur optima. sed mihi videtur quod si est opinio probabilis licitum est eam sequi, licrl opposito probabilior sit. Suivent les raisons justificatives. Le texte a été intégralement traduit art. Medina (Barthélemy de), t. x, col. 1X3. La proposition est donc écrite. Lc sort en est jeté. Si une opinion est probable, il est permis de la suivre, quand même est plus probable l'opinion opposée. Medina envisage la situation où, à propos d’une action, des opinions ont cours, jouissant de probabilités inégales, les unes étant plus, les autres moins probables. Situa­ tion enregistrée, nous l’avons vu. depuis des généra­ tions de théologiens et de casuistes. Mais, dans cette situation. Medina considère le sujet choisissant l'opi­ nion selon laquelle agir, non par mode de recherche ordonnée â la vérité, mais en se référant à la probabi­ lité dont cette opinion Jouit; non en vue de savoir à quoi adherer, mais uniquement selon laquelle agir. Cette position est relativement nouvelle, introduite chez les théologiens de Salamanque â la faveur de cas particuliers où importait justement la probabilité dont Jouissait une opinion devant l’esprit d’un autre : ainsi par excellence le cas célèbre du confesseur et du péni­ tent; niais étendue, au moins selon certaines de leurs formules, â toute la conduite monde. Là fut un tour­ nant décisif et. nous l’avons déjà dit. Medina n’en est pas l’initiateur. En cette position, l’on a pu énoncer déjà que. devant deux opinions également probables. 467 PROBABILISME. AVÈNEMENT. MEDINA le sujet est en droit de choisir indifféremment l’une ou l'autre. Quand il écrit maintenant que de deux opinions en cours on peut choisir la moins probable, Medina ne fait qu’abonder dans le sens de cc premier énoncé, sans lequel le sien ne se fût pas aussi aisément affirmé : la même position du problème soutient l’un et l’autre. Avec cela i) apparaît que, de sa proposition plus hardie, en la nouveauté qu’elle contient, Medina porte seul la res­ ponsabilité. Personne jusqu’alors ne l’a avancée, non pas même à Salamanque, où l’on a dit plutôt le con­ traire, quelque idée que l’on s’y soit faite du choix d'une opinion. En un sens, Medina pourrait s’entendre : s’il voulait signifier seulement que, des opinions en pré­ sence. c’est à l’opinion réputée moins probable que l’on peut reconnaître le plus de chances de vérité,délaissant alors celle qui est réputée plus probable. Car une dili­ gente ct sincère appréciation ne conduit pas infaillible­ ment l’esprit du côté le plus fréquenté et le plus ap­ plaudi. Il advient, et le geste en est beau, qu’on opte pour le parti faible, mais où l’on a reconnu une force secrète, l’n théologien de la qualité de saint Thomas nous offrit cet exemple. Telle n’est pas la pensée de Medina. 11 n’envisage pas ccttc assimilation person­ nelle ct vivante de la vérité. Il n'a pas ainsi posé le problème. Il ne considère que le choix d’une opinion pour agir selon elle (en dépit de l’un des arguments invoqués : Nam licitum est interius assentiri huic con­ clusioni...). El. dans cc sens, sa conclusion, qui lui est propre, est certainement irrecevable. L’argument principal de Medina est que l'opinion moins probable, bien qu'il y ait avec elle, pour ainsi dire sur le marché, une opinion plus probable, conserve sa probabilité. L'une a plus de chances d’être vraie, mais il reste ù celle-là toutes les siennes. Dire que l’on peut choisir la moins probable— ainsi raisonne-t-il — n'est qu’une conséquence de cc qu'on a toujours dit, peut-être même une autre façon de le dire, savoir que l'homme peut agir selon une opinion probable. Mais l'argument ne fait que découvrir le déplacement signalé du problème moral : il est vrai que la moins probable conserve sa probabilité en dehors de l’esprit appelé à juger, mais il est souverainement faux qu’elle la conserve pour l’esprit ct dans son adhésion L'esprit cherche la vérité : qu’elle lui soit proposée selon des voies divergentes, il va où il croit la reconnaître; le reste ne compte plus. Et quand même la recherche de la vérité sc ferait le plus humblement, quand même l’esprit ne pourrait sc guider que sur le degré de proba­ bilité dont jouissent en dehors de lui les diverses opi­ nions. selon sa nature il irait vers la plus probable, ct la moins probable désormais ne serait plus probable pour lui. Medina manifeste l'artifice du problème posé comme nous avons dit. Jusqu’à lui, le sens des lois naturelles de l'esprit avait empêché cette consé­ quence. En la tirant, Medina dissipe toute illusion. Il est clair maintenant que les opinions sont ici traitées comme des choses étrangères à l'esprit. On se passe de l'adhésion intellectuelle. On adopte une morale sans pensée. L’esprit n’est plus de la partie. Et quand 11 compare le cas nu choix légitime du bien, préféré cependant au meilleur, Medina confirme ce dissenti­ ment fondamental; car il s’agit de vérité. Autant il est légitime de choisir le mariage, qui est bon. en délais­ sant la virginité, qui est meilleure, autant II est con­ traire à la nature de l’esprit de s'en tenir à ce qui est moins vrai au détriment du plus vrai, ou plutôt de renoncer à la vérité pour se contenter de ce qui a moins de chances de l’être. On peut ne pas poursuivre la perfection et ne point pécher: mais on ne s’expose pas délibérément à l’erreur sans pécher Là on suit l’appétit naturel du bien, ici on fait violence à l appé ttt naturel du vrai. Il y n. dans le *vns qu’on vient de 468 dire, des degrés dans le bien; il n’y en a pas dans le vrai, toute question sc résolvant en définitive pour l’es­ prit par le oui ou par le non. I ne fols vu ce malentendu initial, la proposition de Medina est irrecevable. En elle on touche déjà cc qui est à notre avis le désaccord Irréparable des morales probabilistes ct de la théologie classique : celle-ci fait de la vie et de l’action une affaire de vérité; celle-là, de probabilité pure, c’est-à-dire, en définitive, de convention. Ce grief formulé, il faut rendre justice à l’intention louable de Medina. 11 craint qu'au!renient on ne tour­ mente les consciences, qui seront Inquiètes de savoir si elles ont agi selon l’opinion plus probable, dont le dis­ cernement est loin d’être toujours facile. Mais celle bonne intention même nous trahit un Medina décidé­ ment gagné à I’ < exti inséclsmc >. Il peut être malaisé de juger les degrés de probabilité des diverses opinions représentées; mais le tourment est-il si grand de sc faire pour son compte une opinion de bonne foi? Car en cela exactement est notre devoir. Du moins peut-on essayer d’y rendre l’homme moins malhabile, et c’est à quoi s’évertuaient les théologiens d’autan. Il faut dire surtout que Medina ne reconnaît à une proposition la dignité de probable que moyennant certaines condi­ tions, lesquelles, si elles laissent sauf le principe posé, en limitent dans l’usage les effets les plus fâcheux, les applications extravagantes; il veut que cette opinion ait pour elle non seulement des apparences de raison cl des partisans, mais des partisans sages et des raisons excellentes. Nous croyons qu’une réserve comme cellelà découvre un auteur encore attaché à la bonne doc­ trine et tout pénétré des exigences de vérité qui sont celles de l’action morale. Medina serait meilleur que sa thèse; mais il l'a soutenue, et l’on devait en abuser. Devant la présente thèse, n’oublions pas l’autre. S’il admet que toute probabilité est une suffisante règle de conduite. Medina n’imagine pas que le doute en soit une et, comme tout le monde jusqu’alors, il a recours dans le doute à la sécurité. Nous l'avons observé cidessus On peut l’observer encore dans la dernière partie de son commentaire sur la conscience scrupu­ leuse. 11 écrit là une fort bonne page, où est assumé une fols de plus le luliorisme de la tradition morale. Pour cette raison, il n’est pas juste de regarder Medina comme l’initiateur pur et simple du probabilisme tel qu’historiquement il s'est développé. Outre la liberté de choisir le moins probable — où Medina porte une responsabilité, encore qu’on dût plus tard démesuré­ ment appliquer ce principe — le probabilisme com­ porte, nous le. verrons, une élimination radicale de cc tutlorlsme auquel Medina demeure fidèle, le doute étant alors levé par des voles absolument étrangères au théologien de Salamanque. Cette seconde moitié du probabilisme n’est guère moins négligeable que la pre­ mière. cl nous n'en avons pas aperçu jusqu’à présent l’origine. Outre son commentaire théologique, Medina est l’auteur d’une brève Instruction à l'usage des con/essears (une édition italienne à Home, 1583). Le conflit d’opinion entre confesseur et pénitent y est résolu dere­ chef comme nous savons déjà. L. I, c. vin. L'ouvrage contient aussi un chapitre sur In consolation des scru­ puleux, apparenté avec l'àge précédent beaucoup plus qu'avec les auteurs probabilistes. La thèse de Medina se répandit bientôt. Elle semble avoir eu du succès et s’être rallié des partisans. Un témoignage en est dans une dispute quodlibétlquc anonyme, des environs de 1580, qui se réfère de près à notre auteur. Sur sa provenance, voir Ternus, op. cil., p. 89. Elle est conservée dans la ms. Val. Ottob. hit. 999. cl le texte ici en cause édité dans Ephem. theol. Lov.. loi cil., p 71-8*2 La question cl la position de Medina étant ici adoptées, la dispute peut servir d’éclaircisse­ \ 69 P II OB..Mil LIS M E. AVÈNEMENT, VASQUEZ ment sur 1rs intentions du texte que nous flvoni ana­ lysé. On y remarquera avec quel soin est circonscrite cette moindre probabilité légitime : si elle était répu­ tée moins probable par la plupart des docteurs, re­ connue par tous comme probable sans qu'aucun ou presque la tint comme plus probable, il ne serait plus permis de la préférer. De plus, distinction omise chez Medina et qui fera son chemin dans le probabilisme, sont exceptés de la permission les médecins ct les avo­ cats, lesquels, ou dans le traitement de leurs malades ou dans l'information de leurs clients, doivent s’inspi­ rer de la sentence que pour leur compte ils estiment plus probable; mais l'exception n’est étendue ni aux juges, ni aux conseillers non rémunérés. L'auteur sait donc bien que dans sa thèse générale il tolèrc d’agir selon l’opinion des autres, indépendamment de In propre opinion du sujet. Bien plus, il va jusqu’à décla­ rer expressément qu’on peut agir à l'encontre de celle-ci. Reproduisons ce texte, des plus significatifs, où sc touche du doigt le divorce de l’action ct de la conviction Intérieure qui fut notre principal grief contre Medina, où apparaît en môme temps le premier gauchissement de la distinction du spéculatif et du pratique, détournée déjà dans un sens réflexe, comme dira le probabilisme : Proinde vir doctus. cum Judicat hanc opinionem esse minus probabilem, simul cognoscit illam reputari probabi­ liorem ab aliis doctissimis, judicatque quod forte ipse deci­ pitur ct rectius judicant alii qui illam censent veriorem. Ergo nihil inordinatum faciet sl, pnctcrmls&a opinione quam ipse probabiliorem reputat, sequatur aliam quam alii doctissimi reputant esse magis probabilem, quamvis illi non apparent illa major probabilitas; conformatur enim ipse tunc consensui aliorum doctorum. Ex quo sequitur non esse illicitum per se loquendo facere contra proprium opi­ nionem. non deposita propria opinione; quod quidem non est facere contra conscientiam, quia practice judicat se posse sequf opinionem quæ placet doctissimis viris, licet ipsi speculative displiceat. Nec el necessarium est quod pro­ prium sensum pneferat circa opinionem moralem aliorum doctorum placitis. N’esl-cc point purement exprimé cc qui sera un trait constant du probabilisme? Le consentement des auteurs est substitué Λ la conviction du sujet. Sous les espèces de la déférence envers les doctes cl de la mo­ destie intellectuelle, on risque d’y faire bon marché de la première vertu de l’intelligence, qui n’est point la modestie, mais rattachement à la vérité. Celle-là n’est une vertu que comme garante de celui-ci. Elle ne l’est plus si on l’entend comme l'indifférence conçue ù l’en­ droit de ce que l’on pense. Nous voilà désormais dans un monde bien éloigné de cette théologie médiévale que nous avons d’abord considérée. Autre témoignage de l’intérêt pris au problème, dans M.-B. Salon, ermite de Saint-Augustin, profes­ seur ù Valence, auteur de Controversia' dr justitia et jure atque de contractibus, Valence, 1581. Voir son commen­ taire sur I IM I®, q. i.xm, a. 2, controv. 2; il est d’ail­ leurs curieux que l’auteur n’y nomme pas Medina (cf. Ternus, op. cit., p. 29). Témoignage d’une adhésion importante et, semble-t-il, tout naturellement acquise, dans Dont. Battez, successeur de Medina dans la chaire de Prime. Il rencontre le problème au cours de son commentaire .sur la H*-I1» (édité en 1584), q. x, a. 1. Venise. 1602, col. 494. Battez a établi que l’infidèle à qui l’Evangile prêché apparat! comme plus croyable que les autres religions est tenu d’y adhérer sous peine de péché d’infidélité. Sur quoi ces réflexions : Quod *i qui* respondent licituin esse homini sequi opi­ nionem probabilem etsi sit minus probabili», ergo non te­ netur homo ex duobus credibilibus credere quod est mugis credibile; dicimus nd hoc opiniones esse in duplici differen­ tia. Qutednni enim versant tir circa nctioncm nllqunm exer­ cendam. ut on aliquis contractui sit licitus vel illicitus; NÎ> quiedam vero vertantur eiren res, an scilicet nllquld Ila «it, nn hxc dormit tit propria vel aliéna. Dicimu»crg° ct de opi­ nionibus priori» generi» verum e*t po*w liomlncm sequi probabilem opinionem relicta probabiliori. Exterum de opinionibus secundi generis non est universaliter verum quod possit homo sequi opinionem minus probabilem, maxime quando potest sequi aliquod periculum contra ho­ norem I)ci aut utilitatem proximi. Un autre trait est Ici apparent : le licite ct l’illicite conçus comme un ordre en sol, indépendant de la réa­ lité, ct donc soustrait au régime de la vérité. Il est vrai qu’on ne juge pas du licite comme d’une chose : nous l’avons expliqué plus haut. Mais on ne peut se dispenser de juger du licite en relation avec l'ordre des choses, sous peine de concevoir l’activité morale sur un type purement juridique. Isolée de la nature ct du réel. Et c’est bien ainsi qu’au fond tend à sc la repré­ senter le probabilisme. 2° Vasque. Peu après Medina. Gabriel Vasqucz débat avec nmpleur.au meme endroit du commentaire de la Somme, le problème de la conscience. Sa contri­ bution est remarquable. Ce théologien est aussi le pre­ mier que nous rencontrions de la Jeune Compagnie de Jésus, dont le rôle en cette histoire sera bientôt pré­ pondérant. A cc double titre, nous devons observer ses dires Nous tenons de l'auteur lui-même qu’il enseigna la IMI® d’abord pendant quatre années, a partir de 1579, au collège de la Compagnie à Alcala; il reprit la plupart de ces matières pendant près de deux années au Collège romain (où il fut le successeur du jeune Suarez, qui y avait exposé entre autres sujets la IMP ); enfin, il y revint, dans le même collège d'Alcala, apres son séjour de Home. L'Impression de l’ouvrage eut lieu en 1597, sous le titre de Commentaria ac disputa­ tiones in 1^-11^ Sum. theol. S. Th. Aq. L’étude de la conscience va des disputes LIN â LXVII, distribuée selon les thèmes consacrés : de la conscience ct de son obligation; de la conscience pro­ bable; de la conscience douteuse; de la conscience scrupuleuse. Sur le second, la question de Vasqucz est la suivante : Quelle opinion embrasser relativement aux actions à faire pour avoir un droit jugement de conscience? A l’instar de Henri de Gand. il partage la réponse selon deux énoncés, intéressant le premier l'homme instruit, le second l’illettré. Quant au pre­ mier. la rédaction de la thèse principale est importante ct pour ses allusions historiques et pour la justifica­ tion théorique qu’elle engage : Veram Igitur existimo sententiam quam sequitur Barth. Medina in art. 6 hujus quiest.. jamque in scholis ct multo ante communis fuit, nempe viro doctu licitum esse contra sunm opinionem quam probabiliorem arbitratur operari secundum opinionem aliorum, etsi opinio aliorum sit minus luta ct suo Judicio minus probabilis, dum tamen ratione ct probabilitate destituta non sit. Disp. 1X11. c. iv. t. i. Venise, 1608. p. 353. Confirmant notre interprétation de Medina. Vasqucz admet donc une sorte de dualité chez le sujet moral : fidèle à sa propre opinion, à laquelle il estime être atta­ chées plus de chances de vérité. Il agira néanmoins selon une opinion d’emprunt ù laquelle II ne croit pas. mais qui a pour elle de jouir auprès d’autres esprits d’une sérieuse probabilité. Tout le soin de l’auteur, en ce qui suit, est de justifier cette situation. Sans doute, il en convient, un même esprit ne peut à la fols adhérer ù une opinion et à son contraire en vertu des seuls principes Intrinsèques, ceux qui établissent la pre­ mière vraie fondant du même coup la fausseté de l’autre; mais, fidèle à sa propre opinion Intrinsèque­ ment justifiée, ne peut-il juger probable l’opinion con­ traire en vertu de l’autorité des docteurs qui la défendent? En même temps que l’on tient pour Intrin­ sèquement justifiée celte proposition, par exemple : « Qui choisit le moins digne â l’exclusion du plus digne 47 t P K OIJ A B TL IS M E. Λ V È X E M E X T, VA S (J IJ E Z 472 temps dont nous parlons. Pour lui, il avoue ne point doit réparer à l’endroit de celui-ci le dommage qu’il lui a causé , ne peut-ou dire et penser : « Est probable l ’o­ voir de différence, quant au point en question, entre les deux espèces de doutes : · Car foule la cause pour pinion qui dit qu’en ce cas on ne doit pas réparation ? Dès lors, on sc formera le jugement de conscience selon laquelle dans le doute de fait on doit adopter le parti celle dernière· dont on avoue qu’elle a sa probabilité. le plus sûr, est (pie, si on ne s’y conforme, on risque de Essai significatif mais inefficace. Vasquez utilise les commettre ce qui en réalité est mal et péché; or. Il y a deux genres de principes traditionnellement reconnus le même péril dans le doute de droit; donc meme en comme fondant l’opinion pour établir sur eux. rela­ I celui-là il faut choisir le parti le plus sûr. » D'autant tivement à la même question» deux probabilités con­ I que les adversaires sont en peine d’assigner une règle currentes et simultanées. Mais il est clair que l’une de exacte pour dire quand, dans le doute de droit, on ces deux n’engendre rien dans l’esprit. Elle équivaut à peut ct quand on ne peut pas suivre le parti moins sûr. la reconnaissance d’un fait extérieur, savoir l’adhésion A propos du vœu notamment et de la solution de Solo. des autres, nullement à l’engagement de mon propre Vasquez refuse énergiquement comme décision du esprit dans un jugement de vérité. En logique clas­ doute le recours au principe de possession : réservé sique, les · autorités » concourent pour leur part à exclusivement aux matières de justice, en dehors informer l’esprit de la vérité cherchée; on les combine · d’elles il ne prouve rien. S’il était alors valide, In règle avec les < raisons » pour obtenir la probabilité efficace. du plus sûr serait complètement abolie. Celui donc qui Vasquez disjoint les deux types d’arguments pour doute s’il a émis un vœu fera beaucoup mieux de donner consistance à cette probabilité étrangère, bonne | l’accomplir. Les déclarations de Vasquez sont ici des tout au plus à diriger l'action. Vainc subtilité, à plus vigoureuses. laquelle s’oppose invinciblement la nature de l’esprit. il ne s’interdit pas avec cela d’examiner de près cer­ Vasquez ne peut faire qu’en ce système on n’agisse tains doutes déterminés, où peuvent jouer des considé­ selon des opinions au Uni d’agir selon la vérité. lit c’est rations spéciales. Il est conduit de la sorte à apprécier pourquoi l'objet meme de lu recherche morale est désor­ les règles du droit communément invoquées en matière mais déplacé : on s'informera de la probabilité extrin­ de doute, et nous avons Ici l’exacte expression de son sèque, telle que Vasquez vient de nous la définir. D’où tutiorisme : notamment chez les probabilistes de l’àge suivant Existimo igitur tres pnedictas regulas superius memora­ celte débauche de noms propres ct de citations, dont tas hoc ordine sese habere ut secunda deroget primæ ct il n’y a d’exemple dans aucune discipline autre que tertia secunda·. Prima autem regula est : In dubiis tutior est fa théologie morale. pars eligenda. Huic autem in materia justitia· derogat secun­ Quant a l’illettré, Vasquez lui permet à son tour de da : In pari rausa melior est conditio possidentis. Huic autem pneferendu est etiam in materia justitia· tertia alia suivre toute opinion probable. Il s'en justifie dans un regula : Cum sunt obscura jura partium, favendum est /totius raisonnement où perce peut-être ce qu’il y a, faut-il le dire? de sophistique chez ce brillant jouteur : · Puis­ rm quam actori. Quare censeo has regulas et cætcni jura quibus statuitur id quod his regulis continetur ipsam natu­ qu’un homme docte ct probe peut suivre son opinion, ralem aequitatem expressisse. Disp. LXVI. c. vm. exclue celle des autres, même si la sienne est moins sûre,pourquoi l’homme inculte ne pourra-t-il agir selon L’étude de Vepikeia, où Vasquez opère les discer­ la même opinion, se liant, comme il le doit, à la doc­ nements d’usage ct ne marque point de divergence trine ct aux mœurs de celui-là? » Ibid., c. vin. La con­ grave d’avec la tradition, confirme son tutiorisme. séquence n'est pas bonne. Le docte s’est fait pour son Rien n’v annonce la non-obligation de la loi douteuse. compte une opinion légitime en cédant aux indices les Disp. CLXXVI, c. m, l. π. p. 167-169. On découvre plus vraisemblables. Ainsi doit faire l’inculte» dont i ainsi, tant chez Vasquez que chez Médina, la perma­ l’esprit n’est pas d’une autre nature. Et, puisqu'il ne nence d’un sens object ivlste de la vie morale puisqu’ils peut comprendre les raisons intrinsèques, il n’a d’autre redoutent qu’on n’offense réellement l’ordre en adop­ ressource que de suivre l’opinion à son sens la mieux i tant le parti moins sûr. Il n’y n donc pas, dans leur autorisée. probabilisme même, l'intention de déplacer la règle Sur la conscience douteuse (disp. LXV-LXVI). Vas­ fondamentale de l’action et qui est sa conformité avec quez tient que c'est péché d’agir contre elle, (’.cries, il l’ordre et la loi; bien plutôt, les précautions qu'ils prennent alors en faveur d'une sérieuse probabilité n’est pas dépourvu de ressources pour tirer l’esprit du attestent leur fidélité à celte conception traditionnelle. doute, ne serait-ce que l'adoption d’une opinion sur la seule considération de cc temps-là sur la Somme de saint Thomas ne signi lient pas une infail­ lible fidélité à sa doctrine. Chez Jean de Lugo, S. J. (f 1660), qui enseigna prin­ cipalement au Collège romain de la Compagnie de Jé­ sus, on lit quelques textes qui, sans être une reprise du débat, le montreraient touché par l’esprit de son temps. De sacramento puant., disp. XXII. sect. n. f 2, éd. Vivès, t. v, p. 279 sq.; De justitia ct jure, disp. XXXVII. sect, x, éd. Vivès. t. vir, p. 71 1 sq. Par ailleurs, texte remarquable, cc théologien a très bien dénoncé, quoique dans une dispute sur la foi et sans se référer aux problèmes moraux, l’équivoque où tom­ bent certains confondant deux choses : croire que cette conclusion est probable, croire probablement cette conclusion. Dans le premier cas, on peut tenir en même temps le contraire pour probable. Mais, si l’on adhère a l’une, on ne peut en même temps adhérer à sa con­ traire. fût ce d’adhésion probable. De uirt. fidei dluinæ disp. X, sect, r, éd. Vivès. t. i, p. 310. Logo en devait plus lard recevoir de l'honneur chez des adversaires du probabilisme (par ex.. V. Baron, voir col. 506). | Il reste que les théologiens du temps sont unanime­ ment gagnés à la nouvelle doctrine morale. Un examen plus étendu confirmerait notre enquête, limitée aux auteurs plus significatifs (listes dans Hurter, Nomen­ clator. t m, col. 588-590. 880-881; pour la Compagnie de Jésus, voir l’art. Jésuites, t. vm, col. 1088-1089). Itappelons seulement, pour conclure ce paragraphe, ne serait-ce que pour son air de parenté avec la théologie contemporaine, le passage du Discours de la méthode, où Descartes expose la deuxième maxime de sa morale par provision (III* part., éd. Gilson. Paris, 1925, p. 21-25. avec la lettre explicative de Descartes et les éclaircissements de son commentateur, Ibid., p. 2422 15). tl. Lts MORALISTES. - Mais les théologiens du type précédent cessent, vers ce temps-là, d’être les princi­ paux représentants des doctrines morales. Le soin de résoudre les cas de conscience et de guider les confes­ seurs n'est pas alors une nouveauté; nous avons dit quelle importante littérature est née de ce dessein de­ puis le XIII· siècle. Idle poursuit désormais sa carrière, mais dans des conditions encore inaperçues, oit elle devient la forme souveraine de renseignement moral, en même temps qu’elle s’ouvre toute grande aux théo­ ries du jour. L’importance du sujet el les jugements qu’il appelle nous commandent cette fois de subdi\iser l’exposé. 1*’ plus grand nombre des moralistes adoptent le probabilumc — Ils en reprennent et énoncent à leur LES MORALISTES 484 façon les thèses caractéristiques, non sans introduire ici ou là quelque trail personnel el, l’on peut dire d’une façon générale, non sans renchérir sur les théologiens mêmes. Chez Jean Azor, jésuite espagnol (f 1603), auteur iV Institutiones morales parues à Home en 1600, où l’étude de la conscience prend des proportions énormes et entre dans un détail infini, les règles essentielles du probabilisme sont admises, encore que le tuliorisme semble être sauvegardé en conscience douteuse;l'étude des cas particuliers l'emporte d’ail leurs dans l’ouvrage sur la discussion des principes. Mais déjà chez Thomas Sanchez ( + 1610). Espagnol et jésuite également, nous assistons à un progrès des doctrines : en son Opus morale m pnecepta Decalogi, ouvrage posthume paru en 1611, il admet, I. I, c. ix. n. 7, t. i, Lyon, 1661, p. 28, que l’autorité d’un seul docteur probe et savant rend une opinion probable et qu’on peut conseiller toute opinion probable, fût-elle contraire à celle qu'on tient, pourvu qu'eUè soit pro­ bable. Sanchez a du reste un don d’exprimer ces témé­ rités avec la plus grande énergie, jusqu'à ce trait où il l’emporte sur Becanus, cité plus haut : Il suit de là contre certains novateurs (on noiera l’empressement avec lequel les probabilistes infligent à leurs adver­ saires ce nom de neoterici) que, si quelqu’un estimait plus probable la non-licéité de l’opinion moins proba­ ble, il pourrait encore suivre celte dernière, pourvu qu’il croie probable le droit de la suivre. Il retient en effet, dans ce cas. un jugement dictant probablement hic et nu ne que cette conduite est permise. » Ibid., n. 17, p. 30. Les sacrements n’échappent plus absolu­ ment aux mêmes facilités. Ibid., n. 33, p. 32. Sans être encore universelle, la non-obligation de la loi douteuse est étendue au cas où l’on doute si telle chose tombe sous la loi. Ibid., c. x. n. 32-3 I, p. 12-13. Il y a du reste ici ou là chez cet auteur des réserves ct des précautions qui rappellent curieusement la gravité de l’âge précé­ dent. Elles sont moins perceptibles, en dépit de ses formules complexes, chez l’Italien .Martin Ronacina, S. J. (f 1631), de qui l’on possède une collection d’écrits de morale parus en première édition en 1621. Voir De legibus, disp. I, q. i, punct. ult., § 2, t. il, Lyon, 1678. p. 16 sq.; De peccatis, disp. H. q. IV, punct. 7, p. 125 sq. Liiez Paul lAUjmann, jésuite autrichien (f 1635) (voir son article), do qui la Theologia moralis remonte à 1626, nous trouvons un texte où l’altération de la no­ tion de probabilité et, conséquemment, de l'action morale, telle que nous l’avons décrite plus haut, est exprimée dans les termes les moins équivoques. Il est licite, explique-t-il, de suivre dans l’action la sentence probable. Et qu’on puisse le faire, bien qu’elle appa­ raisse au sujet spéculativement moins probable et sa contraire plus probable, on le démontre ainsi : c’est que cette appréciation spéculative, du fait même qu’elle est incertaine ct menacée d’erreur, ne peut être règle d’action; dès lors, le sujet doit suivre une autre règle, et qui soit certaine, savoir que, dans les questions douteuses relat ives aux mœurs, chacun peut agir selon la sentence que des hommes doctes défendent comme probable ct sûre en pratique. Et il n’est pas vrai qu’on agisse alors contre sa propre conscience, puisque la conscience ne consiste pas dans quelque appréciation spéculative, mais dans un jugement pratique certain de l’action, lequel, dans le cas décrit, peut être formé par réflexion >. L. L tr. Le. v,§ 2. Venise, 1710, p. 5. Il est dlincilc de parler plus net. On volt si les principes réflexes ont gagné la partie. En définitive, grâce à cette - réflexion , on agira plus certainement selon I l'opinion moins probable que si l’on s’en était tenu à 1 opinion plus probable. Il est impossible de dire avez plus de force que la vérité objective n’est plus la me- 4 85 PROBABILISME. PROSPÉRITÉ, LES MORALISTES sure di l'action. Aussi lira-t-on sans surprise sous la même plume qu'il n’est nullement déraisonnable qu’un docteur consulté signifie à son client une opinion estimée probable par des auteurs competents et qu’il est donc permis de suivre, encore que lui-même soit spéculativement convaincu de sa fausseté ct ne puisse donc la suivre. Ib(d,9 corol. 2,p. 5. En matière de doute, Laymnnn décide pour la liberté ou la loi selon la pos­ session; il est fidèle à cette règle qui sauve certaines obligations; mais on s’en dissimule de plus en plus malaisément l’arbitraire quand on le voit en user (comme déjà Sanchez. qu*ll invoque) de celte manière : doutant un jour de jeûne que la journée soit finie et que minuit ail sonné, on ne peut manger de la viande jusqu’à ce qu'on soit certain du fait; mais si le jeûne est le lendemain, on peut continuer de manger de la viande aussi longtemps qu'on doute raisonnablement qu'il soit minuit. Ibid., c. v, § i, p. 9. De Ferdinand de Castro Palao, jésuite espagnol (+ 1633), il existe un Opus morate (1631-1651) qui n’est pas moins riche de passages significatifs. L’auteur est probabiliste parce que la vie morale, à défaut de cc système, est un tourment perpétuel : si vous êtes tenu, dit-il en toutes lettres, de suivre l’opinion qui vous pa­ rait la plus probable sans pouvoir vous en remettre à l’opinion probable des autres, vous voilà livré à mille scrupules, obligé à tout instant de changer votre con­ duite. puisque c'est tantôt une opinion ct tantôt l’opposée qui vous parait plus probable. Part. L tr. I, disp. Il, punct. 2, Venise, 1702, p. 5. 11 excelle du reste à faire valoir la sécurité de la moins probable; car. à parler formellement, explique-t-il après Jean Sanchez, entre opinions probables, il n’en est pas une qui soit plus sûre que l’autre; si l’on dit parfois de la plus pro­ bable qu'elle est plus sûre (comme disaient en effet cer­ tains probabilistes pour qui le sûr était suflisanl même en presence du plus sûr), on entend une sécurité maté­ rielle, garantissant contre une infraction matérielle de la loi ; mais, quant à la sécurité formelle, toute opinion probable la fournit, même si elle entraîne l’infraction matérielle de la loi. Ibid, L’auteur rivalise en raffine­ ment avec Thomas Sanchez : quand on agit, dit-il. d’après une opinion probable, du même coup on agit d’après hi plus probable, car l’opinion plus probable est qu’on peut agir d’après la probable, omise la plus pro­ bable. ibid. Il reprend à son lour la question de savoir si l’on peut en même temps juger probables deux opi­ nions contraires l’une à l’autre. Azor avait là-dessus adopté Vnsquez; Thomas Sanchez avait renchéri sur I un el l’autre, en disant que des raisons intrinsèques et non seulement extrinsèques pouvaient fonder le second assentiment, puisque cette opinion contraire possède aussi ses chances de vérité, quelle que soit à son propos l’adhésion des doctes; cl ce n’est point là. concluait-il, adhérer à deux contradictoires, puisque l’intelligence n’allirme pas certaines l’une ct l’autre partie, mais affirme l’une cl l’autre probables, c’est-àdire qu'aucune n’est à ce point certaine que l’une cl 1 autre ne puissent être probablement soutenues. Op, rit., 1. I. c. ix, n. 12. p. 29. Survient C.astro Talao, qui, voyant très clairement le sens alors accordé au mol de probabilité, s’en explique comme on va voir. Il re­ connaît qu’on ne peut donner en même temps deux assentiments contraires, qu'lh proviennent de princi­ pes extrinsèques ou intrinsèques. Mais on peut fort bien, poursuit il. juger sa propre opinion plus probable cl l’autre probable. Or, ce n’est point ce jugement seul qui dirige l’action; il n’est pas le jugement probable (que l’auteur revendique comme suffisant), mais un jugement évident; car il est évident qu’on juge plus probable ccei, ct d'nuhes probable cela. Et qu’il ne suffise pas de lui même à régler l'action, en voici la preuve Dur, si l’on jugeait plus probable par exemple 486 l’obligation de restituer, pour être exempté de celle-ci il en faut venir â juger qu’on n’est pas obligé; il ne suffit pas de juger que les autres estiment qu’on n’est pas obligé, si l’on ne partage soi-même ce jugement; autrement, on agirait contre sa conscience. Dès lors, si l’on relient sa sentence probable ou plus probable de l’obligation, on pourra tout au plus juger que d’au­ tres ne sont pas de cet avis, mais non se tenir pour non obligé. C’est pourquoi, quand on veut agir selon l’opi­ nion des autres, on doit déposer son jugement probable ou plus probable de l'obligation, ct on le peut puisqu'il n’est pas évident ni clair au point de ravir l’adhésion. Ibid. Conclusion déconcertante, qui ne laisse plus place à la probité intellectuelle en dehors de la certi­ tude, mais qui s’impose pour qui entend maintenir le probabilisme après avoir clairement reconnu la notion de probabilité qu’il engage, La pensée est alors livrée à tous les égarements. Et c’est pour avoir privé d’abord la pensée de son contrôle naturel, qui est la vérité, que les probabilistes, dès maintenant cl de plus en plus, sc doivent d’improviser toutes sortes de limites, de réser­ ves, de précautions, qui rendent viable le système. Il s'ensuivra une complication croissante en ccs doc­ trines, dont on voit peut-être dès ici qu'il n’est guère facile de les tirer au clair. Car c’est le probabilisme qui est compliqué, et l’ancienne morale qui est simple, étant naturelle. Du même auteur, retenons encore ce texte où l’une des conclusions familières du probabi­ lisme est ingénument défendue. Les docteurs ou rec­ teurs de quelque chaire ne sont pas tenus d’enseigner ce qui leur semble plus probable, car de telles opinions sont souvent moins admises ct éprouvées, elles susci­ tent étonnement ou scandale, el ce serait un joug pesant imposé aux maîtres s’ils avaient l’obligation d’enseigner cc qui leur apparaît plus probable. En vertu de celle obligation ils devraient évaluer d’assez près les raisons favorables à l’une ct à l’autre partie, et souvent l’opinion qui hier leur apparaissait plus pro­ bable, aujourd'hui le deviendrait moins; ils seraient ainsi contraints de changer tous les jours d’avis dans leurs écrits. Il suffira donc qu’ils enseignent cc qui pos­ sède a leurs yeux quelque probabilité. Ibid., punct. 3. n. 7, p. 6. Sans écrire un aussi gros livre. François de Lugo, jésuite espagnol, à son tour publie à Madrid, en 1613, un Discursus pra vius ad theologiam moralem, où il s’agit de la conscience el du volontaire. Les thèses les plus avancées du probabilisme y sont accueillies. On comprend dès maintenant qu* Antoine de Escobar y Mendoza, à qui nous arrivons, en son Liber theologia moralis (Lyon. 1611; mais l’ouvrage était déjà très répandu en Espagne avant celle date) n’eut qu’à pui­ ser en effet dans le trésor commun de la Compa nie de Jésus pour émettre les propositions qui devaient le rendre célèbre. Il peut s’autoriser déjà de vingt-quatre grands noms, qu'on nous pardonnera de n'avoir pas tous relevés ci-dessus. Ne retenons qu’un échantillon du nouvel ouvrage. Quelqu'un agit en doutant si son acte est péché mortel ou véniel, sachant seulement que c’est mal, sans plus. Quel danger y a-t-il? Valence dit contre Vasqucz que l’acte commis n’est que péché véniel, car vouloir la malice en général est vouloir une malice qui n’excède pas le véniel: si elle l’excédait, elle ne serait pas commune au véniel et au mortel. ITou’inium. examen 3, c. vi. n. 36, Lyon. 1659, p. 30. Avant les grandes querelles, un jésuite allemand, Hermann Husenbaum (t 1668). a le temps de produire sa Medulla theologia moralis, dont la première édition parait à Cologne en 1650. Des ouvrages précédents, elle ne se distingue (pie par la brièveté et la clarté;elle dut à ces qualités sa grande diffusion. Bientôt après, en 1651, le Jésuite sicilien Thomas Tamburini (t 1675) édite à Venise son Explicatio Decalogi, composée sur PROBABILISME. PROSPÉRITÉ, LES MO R \ LISTES 488 l’ordre de son général. Pas n'est besoin, selon celui-ci, nous les signifie la distribui ion de l’enseignement théoqu’on soit certain de la probabilité de l’opinion adop­ logique dans la Compagnie dc Jésus, où ces ouvrages tée; il sullit qu’on en ait une opinion probable; d’où la ont surtout pris naissance. Il y a d’une part les profes­ formule : probabiliter probabilis, nouvelle variété dans seurs de « théologie scolastique -, chargés d’exposer la cette flore toulTuc ct que nous voyons, pour ainsi dire, i Somme de saint Thomas; on leur recommande dc s’en pousser sous nos yeux. En fait comme en droit, toute tenir strictement à leur objet et, pour ce qui regarde la opinion probable est sûre. Et cette réprimande à morale, qu’ils se contentent de quelques principes l’adresse des confesseurs sévères, taxés d’ignorance : généraux comme en disputent d’ordinaire les théolo­ ils croient bien faire en obligeant les pénitents à res­ giens, omettant l’explication plus détaillée des cas de titution; mais si les pénitents avaient voulu savoir cc conscience. Institutum Soc. ./.. Ratio studiorum, regula qui est plus sûr. ils n’auraient pas demandé conseil, professoris scholastica* t licol., t. n, Prague. 1757, p. I SIétant bien capables par eux-mêmes de le trouver; en 186. Celle-ci revient en effet ù des professeurs spé­ les y obligeant, le confesseur est donc injuste à l’égard ciaux, dont la fonction est de former de sages adminis­ de son client qui ne veut ni ne doit restituer, à moins trateurs des sacrements. L’un d’eux expliquera en qu’il ne puisse vraiment faire autrement. L. I. c. ni, deux ans tous les sacrements et les censures, les étals n. 15, Venise, 1683, p. 15. Et, pour justifier ses propres et oflices des hommes; l’autre dans le meme temps le variations : qu’on ne me dise pas contraire ù moiDécalogue, ajoutant au 7e commandement l’élude des même, protcstc t-il, si l’on s’aperçoit que j’approuve contrats. Pour ces professeurs, est édictée la consigne maintenant une opinion rejetée ailleurs; je ne le fais suivante : « Bien qu’il leur soit absolument nécessaire que dans le cas où je tiens l’une et l’autre comme pro­ de s’abstenir des matières théologiques dont la con­ bables; cc n’est donc pas entrer en contradiction avec nexion avec les cas est pour ainsi dire nulle, il leur moi-meme, mais signifier plutôt que l'on peut agréer faudra néanmoins définir brièvement le moment venu en toute sûreté ces opinions, comme il plaira. Ibid., des notions théologiques d’où dépend la doctrine des c. ni. J 7. p. 18. cas, dire par exemple ce qu’est le caractère et combien Les auteurs jésuites sont donc de beaucoup au pre­ il y en a, ce qu’est le péché mortel et le péché véniel, cc mier rang dans le genre d’ouvrages que nous recensons qu’est le consentement et choses semblables. » On leur ici. Nous n’en avons même rencontré encore aucun recommande en outre de justifier de telle sorte leurs autre. Pour nous épargner un jugement exclusif, sur­ i opinions que, si quelque autre est probable ct munie de vient heureusement .Iran Martinez de Prado, domini­ bons auteurs, ils aient soin de la signifier aussi comme cain ct qualificateur dc l’inquisition, titulaire de la probable. Ibid.. Regula professoris casuum conscientia, chaire de Vêpres à l'université d’AIcala, qui publie en t. n, p. 192-193. Une ordonnance de la vu· congréga­ celle ville, en 1651 et 1656, scs Theologia moralis quaes­ tion générale, au commencement de 1616, prévoyait tiones præcipuic, d’un type tout pareil aux ouvrages expressément l’adjoncl ion aux leçons d'Écriture sainte précédents. Il est moins audacieux dans la doctrine. et de théologie scolastique, dans les collèges de la Com­ Combinant curieusement l’ancien et le nouveau, il a pagnie, » d’une leçon de théologie morale, où soient l’idée d'invoquer une distinction fort commune : perse. expliquées ex professo et solidement, quoique avec con­ on suivra le plus probable; per accidens, il est souvent cision. les matières morales qu'omettent ou ne font permis en pratique de suivre une moins probable, du que rapidement toucher les professeurs scolastiques ». moins sera-t-on souvent excusé de la suivre. Il admet Decr., xxxin. Institutum, l. i, p. 599. Les ouvrages au for de la conscience le principe de possession. L’au­ dont nous parlons sont évidemment le fruit dc l’ensei­ teur est de son temps, tout en tâchant de ne pas trahir gnement ainsi défini. Ils procèdent donc du dessein le passé. Son bon fond apparaît mieux dans l’appendice d'organiser l'étude des cas de conscience selon un statut du l. n (1656). où il institue une critique de la Theo­ propre et distinct. logia fundamentalis de Caramuel (voir col. 192), réa­ Bien que de très légitime dans le propos d’initier gissant ainsi contre l’un des pires excès des doctrines les futurs confesseurs à leurs fonctions spéciales; rien à la mode. Sans ajouter dc nouveaux noms, d’autant que de très louable dans le soin d'ordonner un tel ensei­ que ces auteurs se doivent beaucoup les uns aux autres gnement selon scs exigences propres. Il y avait lieu cl demandent à ètre appréciés dans leur ensemble cependant dc prévenir quelques d ingers. Il était à plutôt que sur la contribution personnelle de chacun craindre que la « théologie morale », comme la nomme (malaisément discernable), nous sommes en droit de le décret de 1616, devenue un enseignement spécial, ne réfléchir quelque peu sur l’effort cl les tendances dont prit une autonomie indue à l'égard de la théologie témoignent les ouvrages relevés en ce paragraphe. scolastique où sont traitées, qu’on le remarque, les 2® Tendances générales dc ces auteurs. Dans la lit­ matières morales de la II* pars dc saint Thomas; (pic. térature qu’explore notre étude, leurs ouvrages sont un dès lors, la théologie scolastique ne fût considérée genre nouveau. D’une part.ils ont une destination pra­ comme n’ayant qu'un intérêt de spéculation, y com­ tique cl entendent diriger principalement le ministère pris en ses matières morales. Le danger s'est vérifie. de la confession, lai cela, ils ressemblent aux Summa* L'un de ces enseignements perdit de plus en plus l’ef­ confessorum des siècles précédents : ils en ont et les ficace pratique, qui lui revient cependant dc droit, car matériaux cl leur traitement casuistique. D’autre part, la théologie est une seule science, et ses doctrines, sur­ ces ouvrages tendent à sc muer en théologies morales. tout quand elles touchent ù des questions comme la On aura remarqué que, d’un si grand nombre dc Som­ fin dernière, le péché, la grâce et autres semblables mes des confesseurs parues depuis le xiu® siècle, au­ sont appelées à régler la vie chrétienne. L’autre, au cune jusqu’ici n’a revendiqué le titre de théologie; contraire, usurpa d autant le gouvernement de la l’épithète même dc morale ne fut prise que par la conduite morale, soustraite dès lors aux grandes in­ Somme dc saint Antonin (dont nous avons dit qu'elle fluences spirituelles que véhicule la théologie, soumise glissait vers la confusion des genres). Entre ces ouvra­ à ce régime spécial que définit justement le traite de la ges ct les livres de théologie, on ne peut se méprendre, conscience, devenu la pierre angulaire du nouvel édi­ et, s’il y a communication des uns aux autres, c’est fice. Le phénomène fut facilite par l’introduction dans pour autant que les sommistes, comme il est bien­ l’ensemble dc renseignement d une philosophie mo­ séant. s’inspirent des théologiens. Cette fols, nous rale ». ù laquelle fut réservée de plus en plus l’élude des trouvons sur plusieurs des volumes ci-dessus recensés principes fondamentaux de la vie morale. Cf. art. le titre de « théologie morale ». Lc fait n’est pas fortuit. .Il suites, col. 1089. Voir les règles du professeur de Il réjH)nd à une conception et à un dessein tels que philosophie monde dans le Ratio dudlontm, Institutum, 689 PROBABILISME. PROSPÉRITÉ, LES CASUISTES t. n, p. 195-196. Il sc trouve ainsi que la théologie morale, (elle que le type s’en est affirmé alors cl a pré­ valu jusqu'à nos jours, est inarquée dc certain* carac­ tères, qui sont précisément ceux des ouvrages dont nous parions. Le premier est un amoindrissement de l’exigence scientifique. Ces ouvrages ordonnés à l’utile se conten­ taient de juxtaposer les matières en un ordre principa­ lement pragmatique. La synthese en est fort incertaine (voir, par ex., les variations des auteurs sur la place du traité de la conscience; ci. B.-II. Mcrkelbach, Quelle place assigner au traite de la conscience? dans Rev. des sc, phtl. et thcol., t. xn, 1923, p. 170-183). Dans le trai­ tement des questions, ct cet le fois en vertu des théories de la conscience, admises comme on a vu par ces ail­ leurs, ils procèdent moins par détermination de la vé­ rité que par juxtaposition des opinions en cours. Nous touchons ici la conséquence en méthode théologique dc ce déplacement signalé de la règle d’action, où le soin de la vérité perd son primordial intérêt. La théologie morale devient de préférence un recueil d’opinions, classées selon cc qu’on appelle leur probabilité. D’où l’absence deces qualités dc précision ct de décision qu’on pouvait admirer, jusque sur les matières concrètes, chez les théologiens d’antan. On a pu voir (col. 485) quelle idée sc font les nouveaux auteurs de l'effort intellec­ tuel et de la fermeté dc l’opinion dans l’esprit. Un théo­ logien jésuite s’en plaignait dès 1591, Henri Henriquez. professeur au collège dc Salamanque, dans le prologue très intéressant de sa Summa theologia: moralis, parue en 1591 : ... Ils croient ne pouvoir mieux faire, lors­ qu’ils ont cité le tenant d’une opinion ou rapporté une raison probable, que dc présenter l’une et l’autre sen­ tence comme probable et sûre en pratique; dans cette pensée, ils commandent à l’avocat, au juge ou au con­ fesseur de dormir tranquillement sur l’une et l’autre oreille. > A quoi bon la vérité puisque le probable suf­ fit? L’objet meme cl donc la nature de la théologie morale ont changé. Voilà jusqu’où porte l’amoindris­ sement signalé de l’exigence scientifique. Le second caractère est qu’en celle théologie on ne tient plus guère compte dc la culture morale de l’homme. Il est dû cette fois aux préoccupations casuis­ tiques des ouvrages dont nous parlons. On y fournit des solutions,et leur gloire est d’embrasser tous les cas possibles. Ils arborent celte prétention des leur titre. Azor présente son livre comme des Institutiones mora­ les in quibus universir quaestiones ad conscientiam recte aut prave /actorum perlinentes breviter tractantur; Lay· mann dit du sien : Theologia moralis in quinque libros partita, quibus materia' omnes practice: cum ad externum ecclesiasticum tum internum conscientia· /orum spec­ tantes, nova methodo explicantur, ct Ta mb urini : Expli­ catio Decalogi.,, in qua omnes /ere conscientia* casus.,, declarantur. I) est bien de vouloir diriger la pratique, mais celle-ci ne consiste pas dans la seule applica­ tion des solutions. Elle procède de l’homme, qui sc pré­ pare à y réussir par une culture appropriée. La théo­ logie classique y avait pourvu grâce à la prudence. Cette pièce organique de hi vie morale tombe désor­ mais en discrédit. Si même elle est nommée, elle figure parmi les vertus morales comme un reste de l’ancienne ordonnance, mais inutile. Et pourquoi, en effet, mettre l’homme en mesure de prononcer un jugement de vé­ rité pratique si tout l’art consiste à choisir parmi les opinions déclarées probables? Autre cITct donc dans la théologie morale du changement de la règle d’action, car la disparition dc la prudence tient profondément à celte raison-là; on ne sait plus qu’en faire parce qu’elle est remplacée. Le troisième caractère est l’importance en théologie morale dc l’idée d’obligation, considérée comme une entreprise dc la loi sur la liberté, qui serait le bien ori­ 490 ginel et propre dc l'homme. Nous axons dit (col. 175), l’origine de celle conception ct combien elle était passée dans les ouvrages dont nous parlons. Loin que l’action morale soit In promotion d'un bien désirable, elle applique une loi qui est un quid odiosum. D'où l’effacement d'un traité comme ceint dc la lin dernière. D’ou la préférence donnée a une organisation selon les préceptes. Quand bien même on retient les vertus, l’es­ prit est celui-là. D’où cette tâche spécifique de mesurer aussi exactement que possible l’action à faire, en vue de limiter l’obligation cl dc ménager la liberté; tandis que l’ancienne théologie proposait â l’homme lesbiens qui lui conviennent. Il est bien vrai qu'une théologie principalement casuistique sc doit d’être attentive â l’action particulière ct «l’évaluer surtout les péchés; mais n’y peut-on mettre un esprit ct vivifier même ces recherches? Ces ouvrages y ont manqué, gagnés comme ils sont aux nouvelles préoccupations. Entre autres conséquences, cette limitation infligée à la théologie morale devait conduire à l’émancipation dc ce qu’on appelle maintenant la théologie ascétique et mystique, autrefois contenue dans l’unité de la science théolo­ gique cl dc son inspiration. Mais qui songerait désor­ mais à régir la vie spirituelle selon les règles assignées à l’action morale? Il ressort dc ces observations que la théologie morale d’aujourd’hui, héritière des ouvrages que nous venons de voir paraître, est en réalité dans la suite des ancien­ nes Sommes des confesseurs et non «le ce qu’on appe­ lait jusqu'au xvu· siècle théologie morale, laquelle est demeurée pour ainsi dire en disponibilité; ct que là même où sont récusées les thèses tonnelles du proba­ bilisme, l’empreinte de celui-ci demeure visible en ces divers caractères que nous avons brièvement indiqués. Xoirl’art. Μ .ι λιι ( Théologie). t. x, col. 2450· III. LES CASCISTES. — Outre ceux dont nous ve­ nons de parler ont rang dc casuistes en cc temps d’in­ nombrables auteurs. Avec ou sans prétention de théo­ logie morale, sc multiplient alors les resolutiones ca­ suum. Les explorateurs des consciences sont dc toute robe. Ils écrivent en latin ou en langue vulgaire. Ils adressent aux pénitents comme aux confesseurs leurs Sommes, leurs Trésors, leurs Chaînes, Certains disser­ tent encore du probable ct du douteux; d’autres s’ap­ pesantissent sur des matières particulières, comme le jeûne, les contrats, le mariage; célèbre entre tous est le volumineux De s. matrimonii sacramento de Thomas Sanchez, déjà nommé. Nombre de ces écrits, comme les précédents, mêlent le droit à la morale. Énorme littéra­ ture de laquelle les prochaines querelles retiendront quelques exemplaires, mais qui ne feront guère qu’ex­ pier les témérités de leurs pareils. Listes de ces publi­ cations dans Hurler, Nomenclator, t. ni, col. 352-355 («le 1581 à 1600); col. 590-603 (dc 1601 à 1620); col. 880-896 (dc 1621 à 1610); col. 1185-1202 (dc 1611 à 1663); cf. I. von Dollinger cl Fr. H. Keusch, Gcschichte der Moralstreidgkeitcn in der rômisch-katholischen Kirchc..., t. î. Nordlingen. 1889. p. 29-31. ct les art. Casuistique, t. n, col. 1859, cl Jésuites, t. vm. col. 1089-1090. Notre tâche est ici de définir le rapport dc celle casuistique avec le probabilisme. Elle entend trancher de tout et envelopper la vie morale entière du réseau de ses solutions. Le trait en était visible déjà dans les théologies morales », et nous disions qu’il caractérise une casuistique proba­ biliste. Nous le retrouvons, comme bien l’on pense, chez les casuistes de métier, entre lesquels se distingue, quant à ce point, le theatin sicilien Antonin Diana, grand personnage romain en son temps (1585-1663; les théatins fournirent au xvu· siècle un grand nombre dc casuistes et non des moins audacieux). Ses Resolu­ tiones morales ne contiennent pas moins «le 6595 réso­ lutions. où sont traités environ 20 000cas de conscience. 4 91 PHO B A B I IJ S M E. P H OS P É B I T É, L E S C Λ S U I ST ES L'ouvrage fut consacré par un incroyable succès (voir dans Hurter, op. cit., t. m, col. 1192-1193, la liste des Compendia qu’on en fit sur une vingtaine d’années). On imagine que, de tant de cas, certains sont extravagants. Ils répondent moins à une nécessite des consciences qu’à Ton ne sait quel goût vert igineux, de la part des casuist es qu’on appellerait de race, pour la solution de ces sortes d’embarras, Un Diana a la passion des cas, comme d’autres celle du jeu. Plus ils sont difficiles, bizarres, irréels, et plus on dirait qu’il est content, car il exercera d’autant mieux son ingénieux esprit. Lui et ses pareils Imagineront des monstres pour avoir le plaisir de nous représenter jusqu’où va l’intrépidité de leur méthode. Devant ccs abus, il est plaisant d’entendre revendiquer pour la casuistique le droit d’appliquer le raisonnement aux questions de morale, où les grandes données natu­ relles ou surnaturelles ne suffisent pas. Avouons qu’elle n s a pas failli. Mais il arrive qu’on déraisonne à force de raisons. Au vrai, nous sommes loin avec ces auteurs du grand et passionnant problème de l’usage de la rai­ son dans les choses des mœurs chrétiennes, qui est le problème de la théologie morale tout court. On n’a pas attendu l’ère des casuistes pour le résoudre; ils ne suc­ cèdent pas à un âge fldélste ou irrationnel. Ne mêlons pas les propos. On a affaire ici non au noble besoin humain de raisonner, mais à une démangeaison de subtiliser et de compliquer, qui est à celui-là comme une maladie est à la santé. Les nouveaux casuistes n’ont plus chère préten­ tion que la bénignité. Leurs devanciers furent loin d’etre durs aux pécheurs, nous l’avons souligné. Mais l’indulgence est chez ceux-ci plus habile. Puisque est érigée en règle d’action l’opinion probable, grâce à quoi les doutes, qualifiés de spéculatifs, sont tranchés en toute sécurité et convertis en certitudes pratiques, rien d’aisé comme de restreindre les obligations et de sous­ traire les consciences au péché. En même temps que s'accuse chez ces auteurs l’un des soucis initiaux du probabilisme, qui fut de pourvoir à la sérénité de la vie morale, on les voit de moins en moins exigeants à l’égard de la probabilité. Quelle opinion désormais ne prétendra à la dignité de probable? Cette fois, on loue de la part des casuistes un respect souverain des consciences et le scrupule de ne majorer aucune obliga­ tion. Que ne l'ont-ils concilié avec un égal respect de la loi et le scrupule de n’en pas diminuer les exigences! A la différence aussi de leurs prédécesseurs qui songeaient de préférence aux âmes scrupuleuses, portées à enten­ dre rigoureusement desrtglcsen réalité fort praticables, ceux-ci s'adressent aux consciences normales, voire quelque peu larges, à l’usage desquels ils élaborent leurs adoucissements. 11 est significatif qu’arrivant nu chapitre de la conscience scrupuleuse les ouvrages de ce temps ont prodigué déjà chemin faisant toutes leurs facilités. Ainsi comprenons-nous fort bien que le mol de béni­ gnité, autant que celui d’opinion probable, soit alors à la mode. Tarnburinl l'affiche dès son titre même : Explicatio Decalogi... in qua omnes fere conscientia: casus... mira brevitate, claritate or quantum licet beni­ gnitate declarantur. lui bénignité est un critère du choix des opinions, et cette déclaration d’Escobar ne vaut pas moins dans les matières morales qu’allleurs : • Chaque fois que s’offre à moi une chose qui est dite pénale chez les interprètes du droit civil ou canonique, ou bien qui relève de l’odieux et non du favorable, alors des deux sentences contraires relatives nu pro­ blème je choisis celle qui est plus bénigne et plus douce, selon la règle du droit : Odiosa sunt restringenda. > Cité par K. Weiss, P Ant. de Escobar y Mendoza ah Moraltheologe in Pascals Belcuchtung and im l.ichtc der IVa hrbe it au/ Grande der Quellen, Fribourg-cn-Brisgau, 1911. p 105. Et du lien de la bénignité avec la multi­ 492 plication des opinions probables, nous avons l’aveu le plus franc dans cet autre texte du même Escobar, où il semble donner à distance la réplique aux doléances de Henriquez, enregistrées plus haut : «Combien n’ontils pas tort ceux qui se plaignent qu’en matière de con­ duite les docteurs leur produisent tant et de si diverses décisions! Mais ils devraient plutôt s’en réjouir, en y voyant autant de motifs nouveaux de consolation et d’esperance. Car la diversité des opinions en morale, c’est le joug du Seigneur rendu plus facile et plus doux. La Providence a voulu dans son infinie bonté qu’il y ertt plusieurs moyens de se tirer d’affaire en morale et que les voies de la vertu fussent larges a lin de véri­ fier la parole du psalmiste : Vias tuas, Domine, demons­ tra mihi. · Universa theologia moralis, Lyon. 1652, proœmium. Se defendant contre les accusat ions que l’on sait. Escobar ajouta quelques lignes à la préface de son Liber theologiic moralis en la réédition de IG59, où parait invinciblement le même esprit qui est, sans qu’il y songe, le plus grave tort de sa morale : < Que si je donne l’impression d’adhérer aux opinions quoique peu relâchées, ce n’est pas qu’alors je définisse ce que je pense, mais j’expose ce que les doctes, sans léser leur conscience, pourront appliquer en pratique lorsqu’il leur semblera expédient pour apaiser l’âme de leurs pénitents. * On se rappelle un propos semblable de Tarnburinl. Avec les meilleures intentions du monde, comment prendre parti pour une telle bénignité? Hur­ ler, op. cit., t. tv, col. 276, porte, sur Escobar un juge­ ment curieux : Nous ne nions pas qu’il ait été souvent plus bénin que de raison, peu exact en ses citations, peu solide en ses preuves et quelque peu obscur en scs discours; il a cependant fort bien mérité de la théo­ logie morale. » Mais que fallait-il donc pour qu’il en déméritât? Entre les casuistes de cette génération, nous ne pou­ vons omettre de dépeindre brièvement le célèbre Caramucl, grand homme en son siècle, bientôt le centre d’une imposante littérature, où ses critiques mêmes le traitent avec les plus respectueux égards. Les traits que nous venons de signaler sont en lui représentes au vif. Bien différent d’Escobar pour le tempérament — ce dernier était bonhomme et placide, au témoignage des curieux qui allèrent le voir après les Provinciales, tout surpris du bruit fait autour de son nom et s’excusant de ses maximes sur ce que d’autres docteurs étaient plus relâchés que lui (voir dans les Œuvres de B. Pascal, coll, des Grands écrivains de la France, t. v, p. 381. η. I ; cf. Sainte-Beuve. Port-Jtoyal, t. m, p. 52, n. 2) -rien n’est plus remuant et impétueux (pie ce personnage, en qui se découvre comme un rejeton attardé et abâ­ tardi de l’humanisme : un prodige en son genre, mais à qui manque le seul grain de bon sens qui eût donné leur prix à ses qualités (voir son article). Un jugement peu sympathique et fort vraisemblable sur Caramutl, dans Nicole, Litlcnr provinciales..., Cologne, 1665. append, n, p. 612-613. Mais de l’un à l’auln , comme de ceux-là à leurs pareils, le fond doctrinal el l’inspiration morale sont identiques. On doit seulement au tour d’esprit propre au dernier d'en pouvoir lire des expres­ sions plus savoureuses Bien n’est drôle et bouffon comme ses litres et dédicaces, comme les déclarations d’amitié qu’il prodigue envers Diana (el que Diana lui rend bien), comme son style, sa verve cl son entrain. Mais rien n’est attristant comme les appréciations mo­ rales prodiguées au long de ses courses et aventures par ce cistercien, cet nbbé, cet évêque. I telex ons-on quel­ ques exemples. En morale, il n’y a que des opinions, point de certi­ tudes. Nous sommes des hommes cl non des anges; qui se souvient de sa condition n’attendra pas des docteurs évidences et démonstrations, quand ils ont déjàgrand’pelnc à discerner le plus probable du moins probable. 493 PROBABILISME. CAUSES DU SUCCES H n’est pas bon que h· commun des gens Juge «les pro­ babilités Intrinsèques, affaire de théologiens; la proba­ bilité extrinsèque vaut mieux pour eux el elle est moralement plus sûre. On en jugera selon sc* parti­ sans : les détenteurs de < haltes illustres ont alors le pas sur tous, lit quand même leur opinion serait contraire ή tous les docteurs d'autrefois, si elle est soutenue par Lorca, ou \ asquez, ou Sunnz, ou Basile Ponce, ou Lessius, ou l’un des deux Sanchez, ou Diana, elle est garantie. Pour des auteurs d'un moindre rang, on con­ vient qu'il en faudrait quatre. Le bruit étant venu à Laramuel de cette exclamation d’un brave hornme : O heureuse Eglise primitive que n’accablait pas ce grand nombre d'opinlOns et de docteurs! » il s’en indigne et s'écrie : Erreur manifeste! Ce* opinions multipliées sont le signe du salut plus facile et plus excellent. Loin d’en être rendue malheureuse, l’Eglise peut ainsi conduire vers le ciel son troupeau benignius et lacilius. Beaucoup seraient damnés que sauve une sentence probable, damnarentur plurimi quos senten­ tia? probabilitas saluai» » On a vu qu’ainsi pensait Esco­ bar. 11 va que celui-ci est infatigable sur ce thème. Par exemple, poursuit-il, si l'on pense que seule l’at­ tention extrinsèque est requise à la récitation de l’of­ fice divin, on peut avoir l’assurance de n’avoir jamais commis en le récitant, au cours de nombreuses année*, aucun péché véniel. Qu’ils osent avoir la même sécu­ rité, ceux qui requièrent à ce sujet une attention in­ trinsèque! Il est clair que sur ces positions Carainucl est indémontable. Voir surtout sa Theologia regulans, disp. VL l ne casuistique ainsi comprise est trop menacée de laxisme pour n’y point verser en effet. On appelle laxisme le système (pii se montre aussi favorable que possible à l’abolition de 1'obHgntlon dans le doute, aussi peu exigeant que possible à l’endroit de la pro­ babilité. prêt à accueillir une opinion sur l'autorité la plus réduite et la raison la plus ténue; on taxe aussi de laxistes certaines solutions de cas de conscience particulièrement téméraires ou scandaleuses. Mais le laxisme ne s’est ainsi dégagé et défini que sous l’effet des réactions dont nous parlerons bientôt. Au temps où nous sommes, il est à peu près partout mêlé et con­ fondu avec le probabilisme chez des auteur* dont on vient de voir quelle conviction ils axaient de leur inno­ cence. Quiconque a seulement feuilleté l'immense litté­ rature morale de l'époque n’ignore pas quel empire exercent les tendances que nous avons dites. Il est dif­ ficile à l'historien de n’en point imputer quelque res­ ponsabilité au probabilisme, (pii cul en cette casuis­ tique la part que l’on sait. De fait, on en vint là le plus naturellement du monde. Il est vrai que les premiers initiateurs avaient une idée relativement honorable de la probabilité el relativement restreinte de la liberté conférée par le doute. Mais ils ont admis que l’action ne fût pa* conforme au jugement de son auteur même, et cédé à une inspiration de bénignité ti lle qu’ils recon­ nurent au doute une certaine vertu d’émancipation et tolérèrent l’usage de l’opinion moins probable. Il se trouve que ces principe* livré* à eux-mêmes et pour ainsi dire à leur force native, exploité* en toute liberté et comme dan* l’ivresse de hi découverte, conduisirent vile au relâchement de la règle morale. Pour aboutir là. il ne fut nécessaire que de céder à ces principe*. On ne dut point le* altérer ni former quelque nouveau \\ *tèmc. Le système fut posé, et l’altération essentielle commise, dès qu’un Medina ou un Suarez eurent déchiré leur* théorie*. Dès alors, le laxisme menace. En cescns.il y a une allinite entre laxisme el probabilisme; en ce sens, le laxisme représente le probabilisme en ses outrances extrêmes. Carnmucl n’est que l’enfant terrible de* doc­ trine* nouvelle* de la probabilité. Par ailleurs, il est certain que la réserve de* initiateur* était réelle; le* '.94 probabilistes d’après la grande crise y sont légitime­ ment revenus, soit qu’ils écartent les pire* solutions de la casuistique, qu’ils limitent l’effet de libération du doute ou affermissent l’idée de la probabilité. C’est ainsi qu’historiquement le probabilisme parvint à se distinguer du laxisme. Mais il faut bien voir que cette position est une défense contre des excès d’abord com­ mis. Et il n’est pas interdit de penser qu'elle reste pré­ caire. Dès le commencement, il y eut dans le probabi­ lisme quelques inconséquences mal excusées (comme celle du jus et de la res chez Suarez), lesquelle* sonl allées par la suite s’aggravant et sc compliquant à me­ sure que, voulant sauver les principes, on tenta d’évi­ ter les abus où ils portaient. En somme, on n’a défendu efficacement le probabilisme contre le laxisme qu’en y remettant une mesure de sécurité et de vérité, ces règles d’or de l’ancienne théologie morale. /Γ. causes I>U SUCCES bu PKOHAIIILIXME. — L in­ fluence du probabilisme sur la casuistique n’est donc pas moins notable que son effet sur la théologie murale. Devant le phénomène que ce temps vient de nous offrir, on sc demande naturellement d'où vint le succès presque unanime d’une méthode dont les n.*ques ce­ pendant sont manifestes. En un demi-siècle fut pour ainsi dire emportée l'ancienne conception de la morale. Les nouveaux casuistes, moralistes cl théologiens sont les maîtres victorieux de la situation. Comment expli­ quer un tel succès? 1° Libération du rigorisme? - On serait tenté de voir en leur méthode la libération d’un rigorisme qui eût jusque-là étreint les consciences. D’où cet empresse­ ment et cette fièvre de faciliter la vie morale, suite naturelle d’une grande contrainte. Mais l’histoire ne nous découvre pas ce rigorisme supposé. Dès longtemps, nous l’avons vu, on s’est soucié d’apaisçr les inquié­ tudes et de relever doucement les pécheurs. Seulement, ju*qu’alors, on s’était par-dessus tout efforcé de conci­ lier la miséricorde avec le respect de la loi et, si l'on fut suave, on tâcha que ce ne fût point au détriment de l'obligation morale et de l'ordre qu’elle représente; , dû soit à un franciscain du nom d’Aguila, soit au jésuite Matthieu de Moya, de qui ce serait la première entrée en scène. Les deux In qua ostenditur usum probabilitatum receptum hoc saxulo adversari consuetudini universali et canonibus écrits furent mis à l’index espagnol, mais non à l’index S. Ecclcsto, Scripturis intellect i* juxta sensum communem, romain. Voir Bvusch, op, rit., t. I, p. 499. principiisque naturalibus ac theologicis; ejusque motivis Sans attendre ces peu charitables avertissements, les distincte sic satisfit ut defendi non possint probabiliter; généraux de la Compagnie de Jésus n’avaient pas man­ defectus insuper grandes demonstrantur doctiInniuin pro qué de mettre en garde leurs sujets contre l’abus pos­ ejus defensione editarum. sible des nouvelles méthodes, attestant ainsi le L’objet propre du corps de l'ouvrage est de mon­ même danger que les adversaires dénoncent comme trer qu’il est illicite à qui est consulté sur un cas de s’étant vérifié. Dans une instruction du Prfévrier 1601, conscience controversé de proposer une opinion pro­ adressée par CL Aquavlva aux supérieurs, on recom­ bable concurrencée par une autre également probable,à mande aux confesseurs, à propos de la chasteté, qu’ils plus forte raison par une plus probable. L’ouvrage, écrit I évitent de toujours juger vénielles et non périlleuses d’une seule venue, sans aucune division, est illisible. les fautes de leurs pénitents, ainsi qu’y inviteraient Mais on y découvre aisément que l’auteur lutte sans certaines opinions répandues dans la Compagnie : répit contre cc qu’il nomme 1'muis probabilitatum. Dent opcniin ut pestifenis qunsdani et nimis luxus opi­ Quelqu’un y découvrit même cette expression que le nione*» penitus evellant, hor ilhidve non esse mortale, ma­ probabilisme est un commentum diaboli. Elle disparut gni momenti non esse, necessarium non esse ut distincte de l’édit ion corrigée, qu’avait exigée un décret de con­ confitendo explicetur. Meminerint denique sic terram patidamnation du 13 novembre 1662 et qu’autorisa un Inthn alluvion* consumi, et cujusinodf puritas in societate rvcpiinttur, ut muni cum invigilent ct mala pnrvcrtant. decret du 20 novembre 1663. Voir Fr. IL Rcusch, Der C. \, De castitate. Institutam, t. n, p. 2‘ei 3OO. Index der ver bote ne n Bûcher, t. n, Bonn, 1885, p. 502. A ces diverses résistances particulières, ducs à l’ini­ Plus généralement est dénoncée chez les professeurs tiative de certains auteurs, il faut ajouter le fait plus une tendance a la liberté d’opiner dans une lettre du considérable d’une hostilité connue celle de la Sor­ même, adressée à toute la Société h I I décembre 1613 : bonne, où ne semble guère avoir eu cours la nouvelle Vitcndnnl ctlain diligenter doctrin e UrinUntom multum morale. Il est vrai que cc grand corps est intervenu de imminui m enhupie confundi phisqu un c vdl posait ex ea I 501 PROBABILISME. LA RÉACTION DOMINICAINE lihertntc <|iiuin *ibi maglalri fnciiint. qiininhbH opinionem nil probubllcm probh inntfcc luendi. Quo ht ut discipuli n oc in ni ubi pedem ligant *. Idcoqur sdudcntit professore* opi­ nione* solidiores kgerejicdefeiiMirc. Dan* S( rry, lltldQria runyretjattonum d· » insérée dan* les actes ofllciels de l’assemblée, qui marque un tournant vont faire l’objet de notre récit. décisif quant aux rapports de cette famille religieuse Outre les ouvrage* tombant *ou* notre anal* *c et que avec le probabilisme. non* avons cites Λ mesure, nous avons fait usage, comme on On rappelle aux professeurs qu’ils aient à se mettre a vu. des texte* législatif* de la Compagnie de Jésus, im­ en garde contre la démangeaison des opinions étranges primé* dans les recueil* cités, principalement V Inslilntuni Societatis Jesii, publié en deux volume* à Prague en 1737. ct peu conforme* à la lettre génuine de saint Thomas, Nous avons aussi cite pour la première foi* les travaux tant en philosophie qu’en théologie, mais spécialement d’I. von Dollinger et Fr. 11. Hcusch, Geschic/dr der Maraten morale, où le salut des Ames est plus engagé.Qu’ils strritiykciicn in der rùmisch-kalhoti^rben Kirchr.... 2 vol y évitent donc, avec grand soin et prudence, les opi­ (le second contenant le* document* justificatifs), Nôrdlinnions 1 Aches, nouvelles ct peu sûres; qu’ils s’abstien­ gen, 1889; Fr. II. Ilcuscb, lier Index der verbolencn Mâcher* nent de* paradoxe* et monstruosités qu’on voit en cer­ Bonn, 1885; l’un et l'autre non* seront utile* pour toute la taines décisions ou en certain* problèmes d’auteurs suite de cotte histoire. I.e Pt»rl· Moyal de Sainte-Beuve ser­ vira de nouveau dans le chapitre sur Pascal ct le jansénisme; modernes, phi* favorable* à la vanité et a une dange­ de même le* (7.n»»rr.< de Pascal dan* l’editlon citée des reuse ostentation qu’à la vérité. Enfin, qu’ils s’cfïorGrands écrira in s de la France, Non* avons renvoyé en outre cenl non seulement de s'attacher en tout et très fidèle­ nu Nomenclator de Hurter, déjà cité plu* haut ct qui le sera ment à la saine doctrine du Docteur angélique, (ju’il a encore dan* la suite; aux article* du dictionnaire, (amis· lui-même empruntée aux sources très pures des saints TiQUK, Jf.st n i * (lu théologie morale dans ta Compagnie de Pères, mais encore de se plier A sa langue, en sorte Laxismi . qui mai* seront utile* de mémo ci-dcsqu’on s’écarte le moins possible de son si vie, de scs *ou*; enfin Λ quelque* ouvrât es intéressant tic* personnage* ou «le* point* particulier*. Signalons une page d’occasion, locutions, et qu’on évite ainsi plu* sûrement toutes les mais pénétrante, sur la casuistique du xvn· siècle, dans innovation* verbales comme les recours trop empres­ le premier volume récemment édité de* Œunrrs de I aberse* aux probabilités extrinsèque*. Qu’il* veillent en tbonlére, Ηικ/ιλ sur th rearh t. i. Pari*. 1935, p. 61 63. outre A suivre le* sûrs chemin* des ancien* et célèbre* IV. LE PROBABILISME EN DIFFICULTÉ (de thomistes, et, partout où naissent de* opinions diver­ 1656 à 1760). - Au cours do* trois quarts de siècle gente* tntre le* théologien* de ce temp*, qu’ils *’en environ qui précèdent 1656, le probabilisme a pu sc remettent à In lettre et au sen* antique de saint Tho­ former et s’établir comme nous avons dit. Il sc trouve ma* avec se* fidèle* interprètes, dont on ne sc séparera que cette dernière date marque le commencement do d’aucune façon. Et le document ajoute pour conclure: plusieurs réactions, nées de causes diverses, et dont le Pour «pie tous exécutent ce* av i* avec plu* de promp­ développement ainsi que le* conséquentes doivent titude, nou* leur noli lion* qu’il* sont hautement con­ faite au système désormais une situai ion nouvelle : il formes à l’expresse volonté du p.*i|>c Alexandre VII. 503 PROBABILISME. LA RÉACTION DOMINICAINE 504 qui .i bien voulu ordonner qu’il fût ainsi prescrit et J le pape était lassé de tant d’opinions nouvelles intro­ signifie â l’ordre entier, hoc summe consonare expressa: duites par ce siècle cn théologie morale, qui font le voluntati S. D. A’. Alexandri divina providentia pa­ relâcher la discipline évangélique et trompent les âmes, pa VH, qui istud universo ordini ita praescribi ac au grand danger de leur salut, el qu'il voulait surtout significari clementissime imperavit. » Texte dans Bel­ I que nos t héologiens, en remède à ce mal caché dont cher!, Acia capitulorum generalium ord. pr.9 t. vn, souffre l’Eglise. préparent un ouvrage tiré de la doc­ 1902, p <03. trine sévère et sûre de saint Thomas, grâce à quoi fût On voit sans peine la portée de cet acte. L’ordre met supprimée comme au cautère cette licence des mœurs en garde les siens contre un danger, où nous reconnais­ et des opinions qui s’aggrave tous les jours. » Texte sons clairement les doctrines elles tendances du temps. reproduit dans la préface à l’édition d'Anvers, IG81, L’avertissement signifie sans doute que certains reli­ de la Théologie morale de Ghetti, voir ci-dessus. Voilà gieux y avalent trop versé. Nous avons dit la part du moins comment comprit les choses un important qu’ont eue des frères prêcheurs cn l’établissement du i capitulaire de 1656. probabilisme. Mais le chapitre général vise de préfé­ Mais déjà, el sans attendre cette invitation solen­ rence ceux qui ont abusé du système cn la décision des nelle, un religieux dominicain, J. Mercorus, inquisi­ cas de conscience. Bien de surprenant que de tels écri- ! teur à Mantoue, avait préparé un important ouvrage, vains se soient trouvés dans l’ordre, encore que le mal celui-là précisément que Baron présente au maître y semble avoir été moins grave qu’a II leurs; les polé­ général dans la lettre citée, et qui répond aux vœux du mistes dominicains que nous verrons se lever bientôt chapitre comme du pape. L’objet en est une mise au s’efforceront de disculper leurs devanciers de tout pro­ point attentive de l’usage des probabilités, comme le babilisme : tactique de controverse, à quoi riposteront titre l’annonce : Basis totius moralis theologia:, hoc est sans délai des thèses contraires. La vérité est qu’on fut praxis opinionum limitata... adversus nimis emollientes â peu près unanimement probabiliste, ici comme ail­ aut plus ecquo exasperantes jugum Christi, .Mantoue, leurs. jusqu’à cette date de 1656 précisément. Et quant 1658, où l’on voit par surcroît que le soin d’éviter la aux casuistes dominicains, quelque peu suspects de rigueur n’est pas moindre que celui d’échapper au relâ­ relâchement, le plus notable est peut-être Vincent Can­ chement chez rot adversaire du probabilisme. Defalt, dido, un Sicilien, maître du Sacré Palais sous Inno- | Mercorus prend garde de ne verser dans aucun excès. cent X. auteur d'Illustriores disquisitiones morales..,, Il use même de formules el de procédés précaulionune somme de cas de conscience disposés en ordre I neux à l’endroit des probabil isles, d’où peut-être cer­ alphabétique, parue à Borne en 1638-1613. Selon | taines concessions superflues. Mais la pensée est de Echard, l’ouvrage aurait déplu au maître général, bonne qualité; l’élaboration, originale; la position, Thomas 'l urco, qui en interdit la lecture dans les cou­ solide. Il en faut juger en fonction du vocabulaire vents à cause de la complaisance marquée par l’auteur établi dans la B* partie. Le livre n’est point de contro­ envers certaines opinions relâchées. Quctif-Echard. verse, mais d’effort doctrinal. Il attira néanmoins sur Scriptores..., t. n. col. 580; cf. art. Laxisme, col. 71. l’auteur des attaques, et venant des deux extrêmes La liste des auteurs dominicains de casuistique, dans entre lesquels il avait prétendu se situer. Nicole le féli­ Quétif*Echard, op. cit., t. n. Index materiarum, citera d’avoir placé le débat moral sur le terrain de la p. 9G5 sq. 11 se trouve que les Actes du chapitre général probabilité, mais il le blâme fort d’avoir admis une de 1656 s’ouvrent sur l’éloge funèbre de V. Candido ignorance invincible du droit naturel. D’où des expli­ (t 1654), où i) n’est pas fait allusion à cette défaillance, cations de Mercorus ; Solutio trium nodorum in opere mais où nous prenons au contraire une haute opinion de opinionum praxi limitanda agentium juxta censuram de ses vertus. 1). X. de .V., doctoris Parisiensis, 1663. Il y maintient Pour obvier aux dangers comme aux abus, l’ordre ne son principe. Du moins, la critique de Nicole est-elle prescrit rien d’autre, constant en ses directives doctri­ pour notre auteur un brevet de non-jansénisme. Voir nales. qu’un attachement plus fidèle et presque scru les Lillenr provinciales, Cologne, 1665, append, n, puleux à saint Thomas d'Aquin. Il insiste sur la néces­ p. 576 sq. Mercorus eut d’autre part l’occasion de ven­ sité de rester docile à l'ancienne tradition théologique, ger Eagnanus(voir ci-dessous, col. 512) des att aques de témoignant ainsi, à l’encontre de la mode du temps, Commue), Apocrisis pro doctrina de probabilitate Pros· une salutaire défiance de la nouveauté cultivée pour peri Fagnani adversus apologiam .Iohannis Caramuel, elle-même. En faveur de ses monitions, il peut invo­ 1661. Mais son principal ouvrage fut apprécié de tous quer l’expresse volonté du pape Alexandre VII, chez ceux qui en ce temps luttèrent comme lui contre le qui nous saisissons ainsi, dès le commencement de son probabilisme. pontificat, les préoccupations que traduiront dix ans A l'appel du chapitre général répondit avec un zèle plus tard les condamnations que l'on sait. Et nous en­ particulier la province réformée de Toulouse, prospère trevoyons combien il comptait sur l'ordre des frères et illustre â celle époque de I histoire dominicaine. prêcheurs et sur la doctrine de saint Thomas pour la I Voir A. Mortier. Histoire des maîtres généraux de l'ordre conservation dans l’Eglise d une salue et bienfaisante des frères prêcheurs, t. vu, c. il, p. 28 sq. Baron y appar­ tenait. Dans leurs cours de théologie, nous voyons les morale. Aucun commandement cependant n’était donné, ni professeurs prendre position, sur le problème de la par le pape ni par le chapitre, d’entreprendre quelque conscience, dans un sens bien différent de leurs con­ campagne contre les opinions relâchées ni contre le frères de la général ion précédente : ainsi, le P. Pierre probabilisme En fait, l’acte dont nous parlons devait Label, qui enseigna nu couvent de Toulouse une Theo­ avoir cette conséquence, dont nous pouvons penser au logia scholastica secundum illibatam l). Thonuc doctri­ surplus qu’elle n'était pas absolument étrangère aux nam Son effort spécifique est comme une tentative de intentions qui le dictèrent. Une lettre de Vinrent libération à l'endroit de thèses qui s’étalent peu à peu Baron, l’un des déllniteurs du chapitre de 1656, au introduites en l’école thomiste. Voir q. xtx, maître général fait allusion à l'affaire cn des termes t. ni, Toulouse, 1659, p. 132 sq. Qu’on ne puisse agir moins réservés que la rédaction officielle : Il me sou­ selon la moins probable, cet auteur cn donne une vient. dit Baron, qu’entre autres avis â nous conliés preuve excellente, et c’est qu’on ne voit pas, dit-il par votre Paternité au nom du saint-père, cn vue du quel motif peut déterminer le choix d une telle opi­ bien et de la renommée de l’ordre, i) y avait celui-ci. nion. sinon un intérêt temporel, on un attachement de tous le plus grave el souverainement glorieux â la arbitraire de la volonté, ou quelque autre considéralion extrinsèque; mais rien de cela net de nature à religion dominicaine comme à l’école thomiste : que‘ 505 PROBABILISME. LA RÉACTION DOMINICAINE fonder un jugement prudent. 1'. 115. Le retour aux lots de l’esprit et le sens de hi vérité ne peuvent que rendre intenable le probûhllif inc. Labnl combat aussi l’idée de l’assentiment simultanément accordé à deux contradictoires, et son argument rencontre exactement Jean de Saint Ί hormis, qu’il réfute. Il résout encore l'objection tirée du droit qu’on a de ne pas suivre, le plus parfait, dont nous savons qu’elle vient de Medina : ce droit ne joue plus, répond Labat, quand le moins parfait comporte le risque d’un mal, ce qui est le cas de l’opi.jon moins probable, laquelle fait courir un risque d’erreur. Le redressement d’un théologien dominicain contre scs devanciers du même ordre est tout â fait significatif. Nous pensons du reste que la réaction de Labat est plus pragmatique que doctrinale, bien plus commandée par le souci de limiter les fâcheux effets du probabilisme qu’inspirée d’une méditation renouvelée de la pensée de saint Thomas, Et c’est pourquoi sans doute on observe chez cet auteur de curieuses conces­ sions : il avoue que la loi dont l’existence est douteuse n’oblige pas après un diligent examen, que le principe de possession s’entend en toute matière. Du moins n’accusera-t-on pas de rigorisme ce nouvel adversaire du probabilisme. On connaît davantage J.-JL Gond, de la même pro­ vince dominicaine, professeur à l'université de Bor­ deaux, auteur du fameux Chjpcus theologiic thomisticic, paru à Bordeaux de 1659 à 1669, et dont une neuvième édition paraissait à Lyon en 1681, année où mourut Gonet. On y trouve, à la suite du traité de la moralité des actes humains, une dissertation de la probabilité, publiée ù Bordeaux dès 1661, mais revue depuis par l’auteur. Le titre en est déjà suggestif : Dissertatio theo­ logica de conscientia probabili seu de opinionum proba­ bilitate, contra intolerabiles novorum casuistarum laxi­ tates el nimium janscnislarum rigorem. Gonct à son tour entend combattre les excès des casuistes par une cri­ tique des théories de la probabilité, et d’autre part il ne tient pas moins suspectes les outrances jansénistes que le relâchement du parti opposé. Il récuse le choix de l’opinion moins probable comme règle de conduite. Mieux inspiré que Labat, il rend â la règle du plus sûr son eilicacc en matière de doutes, tant de droit que de fait, réservant le principe de possession aux choses de la justice el au for judiciaire. Sous le titre de Probabi­ litatum monstra (art. 5), il recueille un lot des plus énormes propositions de Caramuel et de TamburinL Par ailleurs, il eut repi end une réfutation en règle de Nicole, qui, selon Gonel, n'admet aucun usage de la probabilité puisqu’elle ne peut excuser si elle est fausse, ni aucune ignorance invincible du droit naturel. A quoi Gonel oppose ces conclusions : quand l’homme est tenu d’agir, il peut suivre la sentence probable si, après suf­ fisante recherche, une autre plus probable ne lui appa­ raît pas; qui agit d’après une opinion probable fausse et contraire â la loi divine, mais qu’il pense invincible­ ment être vraie et conforme ù la loi divine, est excusé de péché. Et l’auteur dénonce la racine de l’erreur jan­ séniste en ces matières, qui est une distinction du droit positif et du droit naturel telle que l’ignorance du second est toujours vicieuse : mauvaise théologie du péché originel que Gonct s’emploie à rectifier. Gf. Au­ gustinus, I. Il, c. n sq. Il partage pour son compte cn trois zones les préceptes naturels el, admettant qu’il n’y a point ignorance invincible quant aux deux pre­ mières (donc pour des préceptes comme ne pas forni­ quer, ne pas voler, ne pas mentir), il le nie de la troi­ sième (tel contrat est illicite). On voit donc se former nettement chez Gonet cette position de Juste milieu, qui sera le souri de plusieurs générations de moralistes. Il le déclare expressément lui-même dans une conclu­ sion (pu rejoint son titre : l nde veritas thomistica inter novorum casuistarum laxitates et nimium janseniano- 506 rum rigorem media stat. On n'intcrprclera donc pas a son désavantage la signature qu'il accorda cn 1660, avec deux autres professeurs de la faculté de théologie de Bordeaux, au décret déclarant exempt d’hérésie l’ouvrage latin de Nicole, Lad. M antedli Litters-provin­ ciales, déféré a l’examen de cette faculté par le parle­ ment de la ville (texte du décret dans l'ouvrage en cause, Cologne, 1665, proL *1). La dissertation de Gonet représente parmi les égarements du temps une théolo­ gie sinon très profonde, du moins suffisamment cor­ recte. La réaction dominicaine en celte période n’a rien produit de meilleur. Gonel el Labat sont des professeurs. Baron, que nous retrouvons ici, est un polémiste. Nous avons relevé déjà un témoignage de son zèle. Au vrai, H s’est mêlé de tout : il a défendu quelques auteurs de son parti, combattu un plus grand nombre d'auteurs con­ traires, Caramuel (qu’il traite cependant comme un personnage considérable), Matthieu de Moya. Théo­ phile Raynaud, etc., mais aussi Nicole. Il a infatiga­ blement écrit ; il s’est édité et réédité de même, d’où une production littéraire quelque peu confuse. Voir QuéUf-Echard,op.c/7., t. it.p. 655-656; I lurter. Nomen­ clator, t. iv, p. 281-283. Scs livres sont interminables, quoique d’un Int in qui sent encore sa lat mit é. Mais quelle Importance réelle eurent ces écrits de circonstance? Pleins de renseignements sur les controverses cn cours, ils semblent avoir fait un sort littéraire aux idées des autres. Du moins, les démêlés de Baron avec Rome attestent-ils que ses publications furent remarquées (voir ci-dessous). Dans l’ensemble, l’auteur, bien qu’il se défende d’en prohiber absolument l’usage, pencherait vers une défiance excessive de la probabilité, n’accor­ dant comme règle d’action que le sûr ou le certam. Si une probabilité n’est pas favorable a la loi. il la récuse. Par ailleurs, il évite de fonder sa critique sur le prin­ cipe qui exclut l’ignorance Invincible du droit naturel. Il dénonce avec de Lugo l’équivoque d’une adhésion simultanée à deux propositions contraires et rejette la certitude obtenue par réflexion sur le doute, ainsi que l’extension du principe de possession cn dehors de la justice. Plus personnelles peut-être scs réflexions à l’adresse de Caramuel. dans la dédicacé de sa Theologia moralis... pars prior. H l’appelle le Carnéade de ce siècle > et dénonce chez lui un fonds d’agnosticisme, ce qui est un jugement pénétrant sur l'esprit de cet oulrancicr probabiliste. Nous avons déjà dit qu’une décadence du sens de la vérité, beaucoup plus qu’une décadence du sens moral, explique chez ses auteurs l’origine du probabilisme. Voici quelques traits de la mentalité dépeinte : ne rien admettre tie certain, ne pas rejeter les opinions des autres; ne pas adhérer absolument aux siennes; rien n’est absolument faux, rien n’est absolument vrai, il n‘\ a que du vraisem­ blable; chercher la vérité, mais ne pas l'espérer; eu attendant qu’on la trouve, établir la probabilité que Caramuel définit, selon Baron, une vérité virtuelle; être en bons termes avec toutes les écoles et conserver ! la paix. Joignons ù cet excellent aperçu un beau mou­ vement de Baron : Vix unquam Ciceronem de hls vit» hum.uue officiis dis­ serentem cum nostris theologia* moralis scriptoribus com­ paro quin robore suffundar el pene dolore tabescam, ob s. eculi nostri et Ivccleslnr dedecus sempiternum. Nam, si licent meum sensum aperire, videntur mihi theologi eth­ nice locuti, el Glccro scripsis.sc ut theologus el Christianus. Nescias an Isto acrius pro honesto an illi pro utili ct libertate pugnent. Ibid. Vincent Contenson, attiré dans l’ordre des frères prêcheurs par le précédent (Quét if-Echard, op. cit.. t. n. p. 656), est cn effet l’héritier de son zèle et de son esprit. Comme il arrive, il dépassa même les pensées qu’il admire. Mort à 33 ans, en 1671. il a laissé une 507 P It OB A BI US M E. LA K INACTION DOMINICAINE imposante Theologia mentis et cordis, dont il serait sur prenant que tous les chapitres fussent autant de chefsd’œuvre· Sa dissertation de la probabilité, I. VI, diss. ΙΠ, éd. Vivès, t. n, p. 95-206, est hardiment inti­ tulée De nooello probabilitatis commento. Elle invoque surtout, ct c’est le point où il reprocherait à Baron une trop grande complaisance pour Mercorus, qu’il n’y a point d'ignorance invincible du droit naturel. Outre les preuves d’autorité, qui ne s’imposent pas, il arguë qu’on ne tombe jamais en cette ignorance qu’en suite d’une faute personnelle. Dieu en effet offre sa lumière, qui éclaire tout homme venant en ce monde, toujours présente et enveloppante; mais, à cause de l’amour pervers des créatures, on s’en détourne. Conlenson n’ignore pas la distinction des préceptes absolument premiers et des préceptes secondaires du droit naturel: mais il étend sa these â tous : nihil est in jure naturali lam abstrusum quod esset clausum vel ignotum. Tandis que i’Ignorance invincible de la foi peut être peine du péché sans être péché, l’ignorance du droit naturel est un péché, car la fol n’est pas inscrite dans la nature, tandis que ces préceptes le sont. S don cette position, est ruinée d’avance toute excuse tirée de l’erreur et donc tout usage de la probabilité en ce domaine du droit naturel. Contcnson proteste qu’il n’est pas jan­ séniste puisque’ les anciens théologiens, dit-il, soute­ naient déjà la meme thèse; sur quoi, il a celle boutade : Je le dis â cause de certains modernes importuns et impertinents qui, dépourvus de bonnes raisons, accu­ sent sottement de jansénisme quiconque nie l'igno­ rance invincible du droit naturel, et, comme ceux qui souffrent de la jaunisse voient tout en jaune, ainsi ceux-là taxent indûment de jansénisme ct de nou­ veauté toute sentence contraire à leurs relâchements.» P. 111. Il est vrai que Conlenson défend sa conclusion sans Invoquer le péché originel, au nom d’une puissante lumière naturelle qu’obnubilent les seuls péchés personnels; la différence est remarquable, mais le contenu de la thèse coïncide avec ce qu’on ne peut nier cire spécifiquement janséniste : on verra cl-dcssous que Nicole y tient plus qu’à tout, sans (pie lui ni personne aient le droit de s’autoriser en cela de la théo­ logie classique. Au surplus, une déclaration de Con­ lenson découvre ses vrais sentiments ; puisque les Pères, dit-il, ont retenu des païens eux-mêmes *e qui est bon. pourquoi ne sera-t-il point permis d’avoir quelque chose de commun avec un auteur d’ailleurs catholique, grave et instruit, bien que, ainsi qu'on dit. tombé par irréflexion el sans obstination sur quelques points, et très dévot au Siège apostolique? P. 121. Celle fois, la réaction a dépassé la mesure. Le tempera­ ment de Conlenson y est pour une part : on le sent tout feu; sa manière est plus abondante que soigneusement réfléchie; son style est oratoire, ponctué d’apostro­ phes, débordant de paroles plus que de pensées. Attri­ buons a la même cause celte défense maladroite qu’il entreprend, â l’instar de Baron, des anciens thomistes tombés dans le probabilisme. Il dit par exemple de Jean de Saint-Thomas : Bien qu’apparemmenl il soit favorable a la moins probable, il entoure toutefois sa thèse de tant de précautions et conditions que. par ce moyen, la moins probable est contenue dans la ligne et les limites de l’opinion sûre. P. 158. C’est ainsi qu’avec de trop bonnes intentions on fournit des armes :i Γ adversaire. Mais on ne niera pas la justesse d’un autre trait : Les Pères, en qui abondait la lumière divine* craignaient le faux sous l’apparence du vrai; ils redoutaient de tomber ct d’entraîner avec eux les autres dans le même précipice; cependant qu’il n’est aucun probabiliste <|Ui ne s’estime propre au ministère des .Ίηυ-s, sûr de scs probabilités non moins que de la r< vêlai ion de Dieu. P. 132. Plus de zèle en somme que de sage théologie. Conet était plus mesuré; on regret­ 50« tera que scs jugements n’nienl point prévalu diuw l’école toulousaine. En dehors de cette province, le chapitre général de 1656 ne demeura point sans écho. Le cours de théologie de Dominique dr Marinis, frère du maître général el futur archevêque d’Avignon, paru à Lyon en 1663, sous le titre d Expositio commentaria in //*»’·» partem Summit doct, ang. S. Thonue, offre cette particularité qu'entre les art. 6 el 7 de la q. xix de la l‘-ll«, lieu du traité habituel de la conscience, l'auteur insère une note pour annoncer que. dans un ouvrage destiné aux étudiants, il ne traitera pas des questions ordinairement débat­ tues en cet endroit, qui ont pris trop d’ampleur. Il les remplace par quelques conseils : préférer le sentiment des anciens et graves théologiens aux façons ingé­ nieuses de philosopher en choses morales telles que (les modernes les ont adoptées, plus conformes à des prin­ cipes spéculatifs el métaphysiques que pratiques; rechercher en morale la certitude appropriée, qui n’est point la m itliéin itlque, à la différence de certains hal­ lucinés du temps qui. repoussant l’intolérable licence des uns, sont tombés en l’autre extrême. Nous enten­ dons là un homme de bon sens qui juge de ces querelles avec sérénité el non sans quelque dédain. A l’inverse du précédent, le dominicain L. Minulolo, qualificateur du Saint-Office, traite expressément les questions litigieuses de la conscience dans la seconde partie de son livre intitulé Rreuis notitia corum quit pertinent ad justitiam commutativa m cl ad probabilitates opinionum, pani à Venise en 1665. La substance de l’exposé, de l’aveu de l’auteur, est prise de Mercorus. Minulolo a tiré un bon parti de son prédécesseur ct, sous l’appareil compliqué de ses démonstrations, il défend une doctrine judicieuse, où sont touchés les points vifs du nouveau système. A son tour, il a vu dans le dérèglement de la probabilité la cause des relâ­ chements de la casuistique· Avec ce livre, nous pou­ vons dire qu'on possède dès alors une sérieuse réfuta­ tion du probabilisme. La partie historique du travail est moins heureuse, où l’auteur tente de sauver les anciens thomistes engagés dans l’affaire. Lui aussi revendique pour sa position la bénignité, mais il en rectifie judicieusement la notion, tenant pour bénigne l’opinion qui garantit mieux le salut éternel, clrcon lance médiocrement appréciée des casuist es. De son ouvrage nous retiendrons de préférence une page bien venue, où est dénoncée une fois de plus et. répélons-lc, avec un très exact discernement, la crise d’ordre épis­ témologique qui affecte le probabilisme, et la casuis­ tique dérivée de celui-ci : Ixs ancien* docteurs, qu nul Ils résolvaient des questions inondes, retenaient détcrmineincnt l’une des parties cl excluaient l’autre, non sans répondre aux arguments oppo­ sés (i leur thèse. Us avaient alors hi science «les choses mondes, puisqu’ils déduisaient 1rs vérités pratiques des prin­ cipe* moraux comme leurs conclusions, résolvant 1rs diOlcultes contraires Aujourd’hui, aucun cflort pour juger quelle partir de I i contradiction est vraie ou fausse, aucune Application de l’esprit pour satisfaire aux objections; mais tout le soin est de juger de la probabilité de quelque partir, sans s'inquiéter de l’autre, fût-elle plus probable et plus sûre. Coin fait, on considère la question comme tranchée. Supposée en eflet la règle dr l’usage de toute opinion pro­ bable, cette solution boiteuse, irr»'\otula resolutio, sulïlt pour que chacun sache cc qu’il peut faire ou non... D*icl peu, les livres qui traitent ainsi «les question* mondes seront nêgligcables; ils le sont dès main tenant. Bien phis, toute la science mondeest tenuepourahsohiment vaine, car le c i* survenant a chacun ou bien sera fncileou birndilllcilr.S’il est facile, nul besoin de livre et d'étude pour sa solution. S’il est dillicilc, étant donné «pie nous voyons les proposition* dilltcile* avoir des raisons probables dans l'un cl d ms l’autre sens, on sc rendra compte aussitôt de la diillcult· du cas cl l’on com­ prendra que le* deux solution* divergente - sont probables : sans mitre recherche, on choisira donc en tonte sûreté de 1 conscience l’une ou l’autre, comme on voudra. Mois alors 50» PKUB ABILISM E. LA CHITIQUE DE I’. FAGN'AN pourquoi l'étude? cl pourquoi consulter les livres en vue «le diriger le* consciences? Il sulllt qu'on sache lu gninnnidrc, puisqu'il n'est plus nécessaire de résoudre les raisons con­ traires, niais seulement do comprendre ce que disent 1rs auteurs. Je souhaite me tromper, mais je suis qu'en pratique let choses se passent ainsi; la plupart décru* que l'on consulte sur les opinions probables ne sont capables de répondre rien d'autre que ceci : voila ce <|ui est enseigné par tel ou tel auteur. Si d'aventuro ils fournissent de* raisons, ou elks ne sont pas fundees, ou elles le sont sur des exemples, toujours incertaines et n’ayant que des apparences. Et cependant on les adopte volontiers parce qu'elles favorisent les concupis­ cences. Part. II. ari. 2, éd. citée, p. 150-151. Dans les additions publices en 1667, Minulolo est plus directement polémiste, el certains de scs accents sont énergiques en conséquence. On remarquera qu’il désigne couramment les fauteurs des opinions relâchées du nom de probabilistic. Plus modeste, le témoignage de docilité thomiste que nous offre le dominicain Liais Bancel, premier titu­ laire de la chaire théologique fondée a Avignon par l’archevêque de Marinis, nommé ci-dessus, Sa Moralis diui Thonuc doct. ung., parue en 1677 â Avignon, est une somme alphabétique où. sous chaque mol, figurent les textes appropriés de saint Thomas, mais sans dis­ cussion ni réfutation des théories contemporaines. Ne sont personnelles que la recherche ct la disposition des matériaux. Ainsi sc présente la réaction dominicaine Inspirée par le chapitre général de 1656. Dès alors, l'ordre se détache du probabilisme. Do!linger-Heusch mention­ nent comme étant en Espagne le dernier dominicain probabiliste Pedro de Tapia (t 1657), op. cit., t. t. p. 12; nous relèverons cependant des traces de pro­ babilisme chez l’un ou l’autre dominicain postérieur. V< ir ibid., p. 13. quelques noms de dominicains adver­ saires du probabilisme. Dans L· principe, celte attitude nouvelle n’est point due à une revision doctrinale, mais à l’émoi éprouvé «levant l étal de fail des consciences et de renseignement moral. Elle se donna néanmoins ses juslith allons théoriques, en sorte que sortit bientôt, «le l’ordre des frères prêcheurs, par le moyen de ses professeurs ou de ses écrivains plus combat tifs, une réfutation d’ensemble du probabilisme, dénoncé «le préférence comme un dérèglement de la méthode en théologie morale. La casuistique y devenait Justiciable de la même critique. Les meilleurs de ces auteurs non seulement oui l’intention d’éviter, mais évitent de fait les excès rigoureux du Jansénisme, observant entre les doctrines en cours un juste milieu, qui leur vaut d’en­ trer en controverse avec des adversaires moins mesu­ rés du probabilisme. II. LA CHITIQUE DK PH06PKK FA GXAXUS. Au cours des controverses de ce temps, on voit faite une place de choix, soit «pie certains l'attaquent, soit que d’autres le défendent, au traité de Prosper Fagnanus (+ 1678), personnage alors unanimement considéré, canoniste éminent de la curie romaine. \ la demande d’Alexandre \ II. à qui l’ouvrage est dédié, cet auteur publia un monumental commentaire sur les cinq livres des Decretales, en tête duquel, à l’occasion de la constitution .Ve innitaris, est inséré un traité de l'opinion probable, dont on peut penser qu’il ne déplaisait point au pape de le voir en cette place. L’édition du Jus canonicum sive Commentaria absolu­ tissima in libros V Decretales eut lieu à Home en 1661 ; le permis d'imprimer est de 1657, mais la composition en remonte plus haut encore, comme bien l’on pense. Le traité qui nous intéresse est certainement anté­ rieur â la composition de l’ouvrage de Mercorus (voir col. 501), comme on peut le déduire «les déclarations do Fagnanus lui-même. Dr opinione probabili.... η. 108 et 111 Nous pouvons donc en placer l'étude avant celle des Provinciales, «lesquelles II est du reste parfai­ 510 tement indépendant, écrit essentiellement romain, sorti du milieu pontifical, il fut édité sous un format maniable, Λ Home, en 1665, sous le titre : De opinione probabili tractatus ex commentariis Prosperi Pagnani super Decretalibus seorsum recusas. avec un index alphabétique «les matières. Vous le citerons d’apres le numérotage, qui va de 1 a 119. Fagnanus lient la question en jeu pour grave ct difficile. Le débat en est d'ailleurs nouveau, ne remontant pas à plus de cent années; à cc titre. H est déjà suspect. Mais, parer que celle doctrine s’est beau­ coup propagée cl compte d’innombrables partisans, tant princes que personnes privées, il en faut parler, dût-on aller contre le courant. L’étude en sera divisée selon les degrés «le plus en plus accommodants du sys­ tème. El «l’abord, en morale, est-il permis de suivre l’opinion probable en elle-même, abstraction faite de la probabilité «le l'opinion opposée? N. 11-121. Des vingt-six arguments accumulés en faveur de la réponse négative, dégageons la pensée exacte de l'auteur. Le probable n’est pas r.gle d’action morale, étant ouvert au faux comme au vrai. On n’agit bien que si l’on est objectivement certain de bien agir. La crainte atta­ chée â l'opinion rend illicite l’action qu’on y conforme. Ces propositions sont claires. Mais, a suivre le raison­ nement. on découvre «pie Fagnanus entend le probable dans le sens des adversaires ct «ju’il refuse l’usage «les opinions dites probables, adoptées comme règles d'ac­ tion. au seul titre de cette probabilité nominale. Il le refuse à bon droit. Mais qu’acceptc-t-il au juste? Son dernier argument est le plus net (n. 98-168). Il dis­ tingue la certitudo probabilis ct la certitudo ex probabi­ libus. En confirmant que la première n’est pas règle d'action (elle est à son gré un concept contradictoire, la certitude disant détermination, ct la probabilité indétermination d<‘ l’intelligence). il agrée «pic la seconde le soit. ICI il entend par là une certitude engen­ drée par des raisons probables; car où une seule rai son ne peut engendrer la certitude, plusieurs, si elles sont convergentes, ont cet effet; même une présomp­ tion violente y parvient. Certitude assurément diffé­ rente de celle qu'engendre une raison formelle et évi­ dente, mais authentique ccrtitudb. Sans être démons­ trative, elle excède les limites «tu probable. Nous ne croyons pas qu’en cet effort Fagnanus rejoigne la cer­ titude probable «l’un saint Thomas, dont on voit qu il refuse au moins le nom; car saint Thomas admet une crainte en cet état de l’esprit, qui. si assuré qu’il soit, n’a point l’absolue fermeté de la certitude pure ct simple, tandis que Fagnanus incline fort à l’éliminer. De plus, saint Thomas considère la certitude probable comme vraie ut in pluribus; elle souffre donc erreur; Fagnanus. au contraire, semble bien tenir sa certitudo ex probabilibus comme toujours vraie puisqu’il la qua­ lifie d’infaillible, quoiqu’on relève chez lui celle remarque :... nullam formidinem habet de /also. Unde si errat hoc est omnino per accidens ct prielcr intentionem. N. 111. Mais celle dernière concession ne nous ramène pas encore à l'opinion classique, où vérité et erreur sont dans le rapport «l’ut in pluribus et ut in paucioribus, non «le per se el per accidens. Il semble donc bien que Fagnanus force les exigences de la théologie classique en matière de certitude pratique. In texte le cou firme, sur la distinction «le «leux craintes, où Fagnanus ne mettrait pas d’intermédiaire entre l’équivalent de la certitude probable de saint Thomas et l’hésitation, la fluctuation, le doute en un mot. N. 398. On aper çoit «pie lui fait précisément défaut (ci. n. 19 cl 116 tin) celle mil ion régulatrice «le vérité pratique, dont nous avons dit quelle concilie en dernier ressort les exi­ gences de lu loi objective avec les conditions de la conscience. La critique «lu probabilisme amène donc un auteur à dépasser quelque peu l’exigence dont il est 51 I PKOBABILISME. LA CRITIQUE DE P. FAGNAN vrai que cc système avait fait trop bon marché. Vicis· slttides ordinaires des pensées humaines! En cela se vérifie cc qu'on a appelé depuis saint Alphonse le * rigorisme > de Fagnonus : vocable nouveau, (pie nous rencontrons à ce point de notre enquête, mais qu’il faut aussi prendre soin de ramener à sa signification réelle, que seule nous livre l’histoire. Par ailleurs, on a \u que Fagnanus ne bannit pas absolument de la morale l’usage des probabilités, puisqu’il admet que leur convergence forme une certitude. Ajoutons qu'une fois acquise la certitude il admet expressément, η. 110, qu’on la suive, et quand même la contradictoire serait d’une plus grande securité, car on lient celle-ci pour fausse, et un jugement vrai ne cesse pas de l'être quand il est favorable à du moins sûr. On renchérit sur la doctrine que vient de rejeter Fagnanus quand, non content de faire de la probabi- | lité une règle d’action, on permet, entre deux opinions contraires et également probables, ou presque égale­ ment, de suivre n’importe laquelle, au gré de chacun. N. 121-152. Sur quoi l’auteur pose cette première con­ clusion qu’en présence de deux opinions d’une proba­ bilité égale (et supposé qu’il ne dispose de rien d’autre pour se décider) l’esprit est dans le doute. A travers les arguments accumulés, on discerne ici la distinction essentielle : autre chose est de reconnaître qu’une opi- | nion est probable, autre chose d’adhérer à l’opinion reconnue probable, distinction que l’auteur fonde sur quatre caractères différents des deux cas. Il n’a pas de peine â confondre d’équivoque les adversaires qui l’ont omise. Nous savons qu’elle est capitale. Le passage de Fagnanus est cette fois excellent, cl son intérêt histo­ rique non négligeable. Cette distinction, du reste, fut faite très tôt contre le probabilisme, et Fagnanus luimême en attribue l’énoncé à Bianchi, cité en effet cidessus, col. 499. Or. poursuit une deuxième conclusion, n. 171-21X. celui (pii est dans le doute en matière morale, où est engagé le péril du salut, est tenu par précepte de suivre le plus sûr. C’est ici l’emploi abusif du principe de possession que rencontre Fagnanus, et dont nous avons vu qu’il fut en effet substitué à l’an­ tique règle tutioristç. L'auteur montre dans les meil­ leurs termes ce qu’il y a d’irrecevable en cette applica­ tion aux choses de la conscience d'une règle du droit : il est piquant que la leçon en soit administrée aux théologiens par un canoniste. Voir dans le même sens les n. 237. 271, 273. Devant les excès de la conscience réflexe on comprend que Fagnanus refuse aussi la dis­ tinction du spéculatif et du pratique : réaction outrée, mais qu’expliquent les abus qu’on fit de ces mots (cor­ rectement entendus par Cajétan, comme l’on sait). Par ailleurs, et ceci corrige derechef le < rigorisme ► de notre auteur, il a soin de spécifier que la règle du plus sûr vaut dans les cas de doute, mais ne joue plus dès qu’on adhère à l’un des partis, fût-il le moins sûr. La dernière conclusion enfin est pour énoncer que, dans les cas où le plus sûr n'apparait point, reste qu'on choisisse selon les règles positives du droit. N. 219-210. On atteint â l’extrême probabilisme quand, entre une opinion moins probable et moins sûre d'une part, et une opinion plus probable et plus sûre d’autre part, on permet de suivre la première. Contre cette thèse toute moderne. Fagnanus, pour établir la sienne, ne dispose pas de moins de quarante-deux arguments. N. 253-403. Mais sa critique revient en somme à ce reproche fondamental que les modernes ont substitué a la recherche du vrai celle du probable, devenu pour eux une qualité extrinsèque à l’esprit. Il nous suffira donc d’en relever les expressions les plus carnetérls- | tiques : < Pour que nos actes soient droits et possèdent une bonté morale.il ne suffit pas que, dans le jugement pratique, nous suivions cc que nous jugeons être pro­ bable. mais il est nécessaire que nous suivions le vrai. 512 puisque opiner n'est rien d’autre que de juger une proposition comme probablement vraie. N. 257... La raison dicte comme devant être fait ce à quoi l’assen­ timent de l’esprit est suflisainmcnl incliné par des motifs raisonnables. N, 25X... Dans l’ordre de l’action, qui n'apporte point la diligence morale requise pour connaître ce qui est vrai ou faux, il n’est pas dou­ teux qu’il pèche. N. 262... Combien sont loin de saint Thomas ceux qui, en dépit des protestations de la conscience, laquelle suit les raisons plus valides et les motifs plus forts, s'efforcent de la détourner vers cctlc partie où, vu la prépondérance de la partie contraire, d’aucune façon et non pas même physiquement elle ne peut être inclinée. N’est-ce pas lù former la conscience contre la conscience et opiner non selon cc qui appa­ raît de la réalité, mais feindre la vérité selon cc qu’il nous plaît, jingcre ucruni ex nostro arbitrio? > N. 270. Ces formules sont irréprochables. Elles ramènent le débat sur le vrai terrain, où il est aussitôt résolu par La nature même de l’esprit; car le probabilisme n'a pu naître et la querelle s'en entretenir que moyennant ce déplacement initial que dénonce Fagnanus. Citons encore cette réflexion à l’adresse de qui permet qu’on suive tantôt l’une, tantôt l’autre des deux opinions opposées : « Comme celui qui a mélangé du poison dans l’un de deux breuvages, mais a oublié dans lequel bien qu’il puisse séparément estimer probable que celui-ci ou celui-là n’est pas mélangé de poison, néan­ moins, s’il absorbe l’un cl l’autre il est formellement certain de boire le breuvage empoisonné; ainsi qui conseille ou juge selon les opinions probables opposées, il est formellement certain que dans un cas il suit le faux, bien que la faiblesse de l'esprit humain l’em­ pêche de discerner de quel côté sc trouve l'erreur. ■ N. 312. Quant à la limitation imaginée par quelquesuns en l’usage de l’opinion probable, interdite au mé­ decin. par exemple, au nom de la charité due au pro­ chain. voici comme notre auteur en juge: «Si la charité ou l'amour du prochain demande que nous secourions le malade le plus certainement qôe nous pouvons, comme l’avoue Sanchez, pourquoi l’amour du vrai et du droit, que nous devons considerer en toutes nos actions, ne demande-t-il pas également que nous le recherchions avec toute la certitude possible? N. 295. Λ quoi l'on ne peut rien répondre, à moins qu’on ne tienne vérité cl droit pour du conventionnel. Outre cette réfutation théorique. Fagnanus ne manque pas de rapporter des faits de relâchement, conséquences des nouvelles doctrines. Kelevons celuici, auquel on comprend que Home ail été particulière­ ment sensible : des religieux refusant obéissance nu Saint-Siège qui leur imposait des réformes, au nom de l'opinion, tenue comme probable par quelques auteurs, qu’un religieux ne peut être obligé qu'aux usages en vigueur lors de sa profession. N. 322-326. Fagnanus est donc excellent dans sa critique. Elle touche le probabilisme à l’endroit décisif. Il l’est moins dans sa propre thèse, où. sans mériter absolument la facile réputation de rigoriste qu’on lui a faite, il tend à forcer la certitude requise à l’art ion. En controverse, ces moindres outrances sont fâcheuses, car elles ne manquent de susciter à leur lour des protestations, rendant vaincs par là les justes critiques qu'on a faites par ailleurs el favorisant des équivoques; on en vien­ dra a penser (pic seuls les probabilistes ont admis en morale l’usage de la probabilité. Mais Fagnanus con­ serve le mérite d’avoir revendiqué, non le premier, mais avec un luxe d'arguments nouveau et l’autorité attachée à son nom. la vérité comme règle de l'action morale. Son ouvrage nous 1 avons dit, fut remarqué. H suscita des repiques de Caramucl, qu'attaquèrent à lour lour Mercorus et Baron (voll col. 504 el 506). D’autres auteurs devront à Fagnanus le meilleur de PKOBABILISME. L \ 513 HÉ \CTION .1 AXSÉXIST E leur critique du probabilisme. Nicole, louant son traité, ne manque pus de dire que seule y manque la thèse de l'ignorance non excusante du droit naturel. Comme autre exemplaire, mais d’une influence incomparablement moindre, de la libre reaction d’un moraliste contre le système en vogue, signalons les Resolutiones morales du mineur conventuel Alex. Jtu· buis (A Lu go (publiées en Italie dès 1653, d'après Hurler, op. cil., t. ni, col. 911, note; mais dans notre exemplaire, date de 166-1, les licences d'imprimer sont de 1661). Ce recueil de cas de conscience n'appartient pas à la tradition casuistique du temps; il se réclame de Scot et de saint Ί homas. Sur la probabilité, on y lit deux passages, disp. I \ , resp. I ; disp. N IV. resp. 12, qui témoignent un attachement fidèle à la morale clas­ sique. ///. LA RÉACTION JANSÉNISTE ET SES SI /TES (IG5G sq.). — Les luttes engagées parle Jansénisme en France contre la morale relâchée sont de beaucoup les plus célèbres et furent en clïet les plus retentissantes. Mais nous savons déjà qu’elles ne sont pas un fait isolé. Hors de France et hors du jansénisme se sont levées vers ce temps-là des oppositions pareilles et dont l’ini­ tiative doit cire cherchée beaucoup plus du côté de la cour romaine que du côté de Port-Royal. 1° Les Provinciales. — L’attaque janséniste sera, il faut le reconnaître, d’un caractère moins désintéressé puisque, à travers la morale relâchée, elle vise, on le sait, la Compagnie de Jésus. Ce qu’il y a de certaine­ ment abusif et ce qu’il y a d’autre part de fondé dans l’identification qu'elle se plaît à marquer, l’histoire que nous racontons, ce que nous avons dit et cc que nous dirons bientôt, permettent de l’apprécier. On sait aussi (pie les Provinciales, le plus mémorable document de cette querelle (à leur sujet soir l’art. Pascal, t. x, col. 2083-2110), procèdent par examen des cas et font appel à l’indignation de l'honnête homme; on a vu cidessus, art. Laxisme, t. ix.coL 17,quela vérité générale dcleurs griefsest suffisamment élablieel qu’il eût mieux valu ne pas les contester avec trop d’insistance; qu’on rapproche de la co) lection de Pascal la liste de Gonet (/oc. ci/., art. 5) el celle de Fagnanus (loc. cil.., n. 335-336). A ce titre, cet écrit fameux concerne moins notre sujet que les dissertations théoriques analysées ci-dessus. Mais on ne peut dissimuler qu’à l'occasion des cas particuliers dont elles traitent les Provinciales té­ moignent un esprit (pii a dans l’affaire son importance. Elles répètent que l'Evangile et les Pères sont les sources de la morale chrétienne; elles dénoncent en la mauvaise casuistique un empiétement du rationnel dans un domaine sacré. Pascal en cela n’évite pas un excès, allant jusqu’à mettre en antithèse Jésus-Christ et la raison. A ce compte, on renierait toute théologie morale et non seulement sa corruption. Mais il faut bien reconnaître en sa revendication un esprit chrétien dont l’absence est hélas! sensible chez trop de casuisles. H croit qu’on ne peut foi mer des chrétiens qui n’aient plus le goût de l’Evangile cl des Pères : l’en blâmeronsnous? D'autant qu’il y a dans ces passages un accent (pii ne trompe* pas, car il arrive chez Pascal que l'indi­ gnation du chrétien l’emporte même sur l'habileté du polémiste. A son tour, il dénonce les théories de la probabilité comme l’une des origines de la morale relâchée. Dans les Pensees, on trouve là-dessus des réflexions saisis­ santes ; la probabilité donne peut-être la sûreté de la conscience, mais seule la vérité lui donne le repos; d’autres soins que la vérité induisent à découvrir le probable : Nous ferez-vous accroire que... si la mode du duel n'était point, vous trouveriez probable qu'on sc peut battre, en regardant la chose elle-même? · N. 910; cf. n.922. Les opinions probables se multiplient nécessairement puisque, une fols classsée telle, une DK r. i>h uiiïOL cATiroi.. 514 proposition le restera toujours : Chacun peut mettre, nul ne peut ôter. N. 913. « L’ardeur des saints à cher­ cher le vrai était inutile si le probable est sûr. · N. 917. Dès la 7 Provinciale, 20 mars 1656, la première de la série des lettres sur la morale relâchée, le bon Père explique a son visiteur que la doctrine des opinions probables est le fondement et l’a b c de toute cette morale, et les éclaircissements qu’il donne sont pris en effet des auteurs que nous connaissons, le seul arran­ gement, el il est piquant, étant de Pascal. La 13· Pro­ vinciale dénonce le progrès fatal des probabilités, pas­ sant insensiblement de la spéculation, où on les pro­ pose d'abord, à la pratique, en même temps qu’elle signale de façon cinglante l’arbitraire de faire respec­ ter certaines lois de l’Etat quand on permet la viola­ tion de celles de Dieu. En tout cela, Pascal ne s’est pas trompé. Il avait plus que le droit de reprocher a celle morale de n’être point une recherche sincère de la vérité, inspirée par l’amour de Dieu. Il n'y a pas que du Jansénisme dans ces lettres d’un janséniste. Mais, quand au probable il oppose le sûr, il semble mécon­ naître l’accord possible du probable bien entendu avec le vrai. Du moins ne remplace-t-il guère ce qu’il détruit. Il est curieux aussi qu’il n’ait dit mol du principe de possession indûment appliqué, ni de l’obli­ gation ôtée par la loi douteuse. Mais son objet ne requérait guère les discussions scolastiques. La théologie des Provinciales doit être cherchée de préférence dans les notes dont Nicole a orné leur traduction latine : Ludovici MontaitU Litteræ Provinciales de morali et politica jesuitarum disciplina, a H illelmo Wendrockio...; la première édition est datée de Cologne, 1658; la quatrième (Cologne. 1665) con­ tient des additions considérables, notamment sur les questions de la probabilité. Nicole signale pour son compte le vice d’une probabilité qu’on peut tenir pour telle si même on est convaincu de sa fausseté, el il montre dans les théories des probabiliste (un mot, nous l’avons dit, que jamais n’employa Pascal) la source de tous les relâchements. Mais l’insistance principale de cet auteur, nous le savons déjà, el qui donne sans conteste un tour janséniste à ses protesta­ tions. est son refus d’une ignorance invincible du droit nature), en sorte qu’agir en celte matière selon une opinion fausse, x fût-on sincèrement attaché, demeure un péché, diminué mais non totalement excusé; car l'ignorance de la loi naturelle part d’un vice; on la peut surmonter par la prière et l’exercice des vertus. Meme en matière de droit positif divin, Nicole n’ose affirmer qu’on en puisse avoir encore une ignorance légitime après la promulgation de l'Evangile. En revanche, il admet celle ignorance, cl totalement excu­ sante. en droit positif humain. En comparant ces thèses avec la théologie médiévale, on peut juger de l’excès où verse ici ce théologien, spécifiquement jan­ séniste aussi (cf. Augustinus. I. I. c. vin, Paris, 1GH. t. n, p. 9) el se rattachant à une théologie outrée du pêche originel, l’idée de l'incompétence de la raison en morale : C’est pourquoi le théologien humble et vrai­ ment chrétien est autant habitué à mépriser sa raison qu’à révérer la lumière divine, et il se sert surtout de sa raison pour sc persuader que rien n'est plu** con­ forme à la raison que de lu soumettre à la loi divine et de contenir son inconstance dans les liens très heureux de l’autorité divine. Par le mérite de cette obéissance, il parviendra à saisir par sa raison même la souveraine équité des préceptes divins. Op. cit.. 1· éd., p. Hô. Pas plus (pie Pascal, el l’omission en est ici plus sur­ prenante, Nicole ne traite du principe de possession ni de la loi douteuse non obligeante. 2° Autour des Provinciales ». - On sait quel chassécroisé d’écrits cl de censures a suscité l’intervention de Pascal. L’affaire passe du pouvoir ecclésiastique au T. — XIII — 17. 5!5 PROBABILISME. LA RÉACTION JANSÉNISTE pouvoir civil, des cures à la Sorbonne, aux évêques, au Parlement, au ministre, aux vicaires généraux, au lieutenant dc police, sans compter le roi en personne. En deux ou trois années, il pousse ainsi en langue fran­ çaise une littérature considérable. Pour la suite exacte de ccs écrits et des événements, voir l’édition citée des (Encres dc Pascal, t. iv sq.; un récit et un jugement â leur sujet, ci-dessus, art. Laxisme, col. 18 sq. De l’aveu général, les réponses furent faibles et. pour ne rien dire des questions dc fait, elles ne font certainement pas avancer la doctrine. La plus retentissante fut V Apologie pour les casais(es, du P. Pirot, publiée vers la mi-décembre 1657. Rctenons-la comme le premier en date des écrits désor­ mais innombrables où le probabilisme passe à la défen­ sive. On voit s’y dessiner comme une position doctri­ nale improvisée, que l’attaque vient de rendre néces­ saire, et dont l’établissement scr.i dès lors la préoccu­ pation dominante du probabilisme, entré dans une phase nouvelle dc son histoire. On serait surpris dc retrouver jusqu’aujourd’hui maints arguments à la Pirot, qui ont résisté aux censures de son livre comme au décret solennel du Saint-Olïlce, qui le condamna en août 1659. L’auteur tente d’allier la cause des casuistcs â celle dc saint Thomas et d’Aristote, de qui ils sont ù son gré les successeurs, car les uns et les autres usent de la raison en morale. C’est tirer parti assez grossière­ ment de l’un des excès de l'adversaire. Il dit aussi quo la morale des jansénistes est d’une rigueur imprati­ cable, une morale de Turcs et de mahométans »; comme si en dehors de la morale relâchée il n’y avait que la morale sévère, et non pas aussi la morale sérieuse. Sur la probabilité, il faut avouer que Pirot excelle : < Si vous croyez nous couvrir de confusion en nous reprochant la probabilité des opinions, nous, au con­ traire, tenons à honneur de la soutenir par un des plus universels et des plus solides principes de la morale ecclésiastique et temporelle. El nous disons qu'il n’ap­ partient qu'à des esprits superbes (pii présument de connaître toutes les vérités, ou à des âmes abusées qui sc persuadent d’avoir des révélations de tout, de blâ­ mer les opinions probables et de dire qu’une opinion probable ne sufllt pas pour agir prudemment et pour exempter do péché celui qui la suit. » 6e obj. .Mais l’au­ teur se dépasse en l'éloge des casuistcs, où nous voyons portet s à l’extrême celte bonne opinion dc soi et cette persuasion de leur rôle indispensable que nous avions remarquées comme un trait de la profession : < Nous avons lu les livres que vous blâmez. Nous jugeons qu’il faut des siècles entiers pour porter de si grands génies. Nous les admirons tous les jours, et, quand nous com­ parons les auteurs des siècles passés avec ceux du siècle dernier et de celui où nous vivons, nous ne trouvons point parmi les canonistes et jurisconsultes d’auteurs qui surpassent les S inchez et les B asiles, les Pontius, les Solus, les Silvester et les autres que vous traitez dc racaille. Quand nous comparons les juriscon- | suites du dernier siècle cl de celui que nous courons avec les siècles précédents, nous trouvons que l’anti­ quité ne l'emporte point sur ces derniers siècles. J'en dis autant de la scolastique (sans y comprendre saint Thomas, qui, en tous les siècles, sera reconnu pour le maître), et |c soutiens que, s'il y a du relâchement dans les opinions dc la morale, il ne vient pas depuis cent cinquante ans. et que les auteurs que vous calomniez sont plus étroits que ceux des siècles précédents. Sua­ rez est incomparablement plus étroit que les anciens scolastiques; Sanchez, plus étroit que les anciens cano­ nistes. Le* sentences larges (pie vous reprenez en ceux de la Société ont été enseignées longtemps avant que cette Compagnie fût au monde. > P. 219. Ce . répliques en suscitent d autres. Les dernières Provinciates répondent déjà aux réponses adressées 51G aux premières. A l’ouvrage de Pirot riposte un Écrit des curés de Paris dont la rédaction est attribuée à Pascal. Parmi les arguments de circonstance, il con­ tient des déclarations doctrinales, dont on ne sera pas surpris qu'elles rejoignent les Provinciales et les Pen­ sées (édité avec les Ecrits suivants attribués à Pascal dans les Œuvres» éd. cit., t. vu sq.). Vers le même temps, contre la même Apologie s’insurgent les curés de Rouen, dans l’écrit desquels on lit ce texte significatif : ... Comme si messieurs nos confrères de Paris n’a­ valent pas reconnu dans les excès qu'ils ont présentés à l’Assemblée que < la question n’est pas s’il y a des < opinions probables dans la morale, personne ne dou« tant qu'il n’y en ail, quoique le nombre en soit inlini• ment plus petit que ne s'imaginent ccs théologiens • problématiques d’esf et non est, licet et non licet, peccat • et non peccat, tenetur et non tenetur. · Dans V Apologie pour les casuistcs, Bologne, 1658, pagination spéciale, p. 35-36. Au premier Écrit des curés de Paris répliquent deux réponses jésuites. D'où, en avril 1658, un second Écrit des mêmes, rédigé par Pascal. Un troisième cl un quatrième suivront, qui ne sont pas dc sa main, mais peut-être d’Arnauld et de Nicole. On y remarquera ce passage, où l’on dénonce le procédé qui traite les opi­ nions probables comme des principes assurés d’où sont déduites de nouvelles opinions probables plus relâ­ chées que les premières (ces derniers écrits dans le recueil intitulé : Divers écrits des curés de Paris, Rouen. Nevers, etc., pour servir de suite aux Lettres provinciales, s. L, 1762; p. 65-111, Il 1-132). Un cinquième sort le 11 juin 1658, attribué à Pascal, qui, selon Marguerite Péricr, tenait ccs pages pour le plus bel ouvrage qu’il eût fait. Le sixième, du 21 juin 1658, est vraisembla­ blement de la même plume. Le fait est donc constant, et l’on ne peut le négliger, que les curés de Paris ont signé collectivement des écrits émanant de l’auteur et du milieu des Provinciales, La protestation première s’élargit: elle n’est plus celle d’un parti seulement, mais devient une clameur universelle. Il semble au contraire que l’adversaire demeure rigoureusement seul. Il devait y avoir jusqu'à dix Écrits des curés de Paris dont le dernier fut présenté le 10 octobre 1659 aux vicaires généraux du diocèse pour demander la condamnation d’ouvrages de Tamburini, récemment parus à Lyon et dont on aimera lire au moins les titres : outre ΓExplicatio Decalogi... que nous connais­ sons, il y a un Methodus cxpedilœ confessionis, un De sacratissima communione expedite peragenda, un De sacrificio missœ etpedite celebrando. Mais cette nou­ velle affaire n’eut pas de suites. Entre temps, lin juin 1658. comme l’écrit de Pirot était en instance de condamnation à la Sorbonne, avait paru une pièce anonyme, cl dont l’auteur serait le P. de Lingendos ou le P. Nouet (cf. Œuvres de Pas­ cal. éd. cil., t. vin. p. 36-39), où. sous le titre /y senti­ ment des jésuites sur le livre de P Apologie pour les easaisies (dans l'éd. cit. de V Apologie, p. 129-1 10), on séparait la cause de la Compagnie d’avec celte pre­ mière et malheureuse défense. On y trouve une page, qui est une Interprétation inattendue de la méthode probabiliste; mais elle nous découvre comment on croit devoir présenter les choses aux esprits désormais mis en garde et devenus déliants : Elle permet (la Société ] ce que l’Église permet ù tous les auteur» orthodoxes, dc chercher l.i vérité partout o(i ils la peuvent trouver, et. la ou elle est inaccessible, de s'arrêter au vraisemblable. Mais elle ne leur ôte pas la liberté de choi­ sir. parce qu'elle n’en veut pas faire des martyrs de l'opinion mais de la fol, ni captiver leur entendement sous le Joug du raisonnement humain, qui est extrêmement fautif, mais sous l’autorité de l'Evangile, qui est tonie céleste et divine. Elle se contente de leur prescrire des bornes o(i tous les sages trouveront leur sûreté, cl que les téméraires ne peu­ vent outrepasser sans péril, les obligeant h fuir également 517 PBOBABILISME. LA BÉACTION JANSÉNISTE ces deux écueils, l’un de s'attacher à des opinions qui soient condamnées pur la voix publique et bannies communément de l’école, l’autre d’en inventer dc nouvelles qui n’y puissent être favorablement reçues. El quoique en cc point il ne soit pas moins dangereux de pécher par une excessive rigueur que par une trop grande lâcheté, elle veut néanmoins qu’ils usent d’une si grande réserve que, s’il y avait quelque excès dans le tempérament qu'elle garde, cc serait que, pour s'éloi­ gner davantage dc tout soupçon, elle penche plutôt du côté dc la rigueur. Sc peut-il rien voir de plus ordonné et de plus juste? P. 131-135. Appartient à la même campagne dc défense et sort du même foyer du Collège de Clermont la Qmrstio facli, du P. É. de Champs, parue ù Paris en 1659. L’objet cette fois est de soustraire la Compagnie au reproche de promouvoir une morale relâchée qui lui soit propre. L’examen porte sur les propositions qui permettent dc choisir en présence dc la contraire l'opinion moins probable et l’opinion moins sûre. Et la conclusion lient que ces sentences, loin d’être la spécialité dc la Compagnie, où l’auteur avoue qu’elles furent défen­ dues, ont reçu dc la part dc théologiens Jésuites des limites ou subi même des oppositions qui dégagent singulièrement leur ordre du mauvais dessein qu’on lui prête. Les attributions historiques de dc Champs ne sont pas irréprochables, mais il est certain que les outrances, les maladresses et les inexactitudes des adversaires à cc propos lui rendirent la besogne rela­ tivement facile. Ces développements et ccs complications du mou­ vement imprimé par les Provinciales signalent assez le succès dc la campagne de Pascal. A vrai dire, elle ne fut plus la sienne seule ni celle dc ses inspirateurs jan­ sénistes, mais représenta bientôt la réaction d'une large partie dc l’Église de France. Évêques, curés, fidèles, n’en sont pas devenus pour autant les alliés d'une doctrine réprouvée. Il est bon de lire cc qu’en pensait un haut prélat romain, le cardinal d’Aguirre, qui, dans une lettre du 10 septembre 1695, exhortait Bossuet et avec lui l’évêque d’Avranches, Pierre-Da­ niel Huet, à prendre la charge de réfuter ccs morales nouvelles, · sous la conduite et avec le zèle cl la haute piété dc tant d’évêques français, des docteurs dc Sor­ bonne. des curés de Paris et de Rouen : éloignés â l’extrême de toute note d’hérésie, alienissimi ab omni horreseos nota, et sans consentir le moins du monde â quelqu’une des cinq thèses fameuses et justement con­ damnées par tous les catholiques, ils ont pris soin d’éli­ miner et de réprimer le probabilisme en pleine prospé­ rité. depuis le temps d’Urbain \ III Jusqu’à présent ». Dans la Correspondante de Bossuet, coll, des Grands écrivains de la France, l. vu. p. 201-205. Dc toutes les réactions de ce temps, celle-ci fut dc beaucoup la plus riche de conséquences. On lui attribue communément d’avoir arrêté ou du moins sérieuse­ ment gêné cc débordement dc folle casuistique, dont l’ère est désormais passée. Elle attacha un ridicule éternel à dc certains noms qui jusqu’alors avaient fait la loi. En ce sens, Pascal a gagné. En un autre, Pascal fut battu. Il n’a pas vraiment évincé le probabilisme. La cause en est pour une part que ses accusations, si elles s’inspirent d’un noble sentiment chrétien, ne sont pas munies des ressources théologiques propres â les rendre doctrinalement efficaces. Ou plutôt la théo­ logie qu’ils brandissent, lui et les siens, entre tous Nicole, est elle-même trop vulnérable pour s’imposer. D’un extrême qu’ils dénoncent, ils risquent d’entraîner vers l’autre. En outre, ces polémistes ont plus ruiné qu’édiflé. En condamnant une mauvaise casuistique, ils n’ont pas fait assez valoir la nécessité dc la bonne. En dénonçant les probabilités frivoles, ils n’ont pas ménagé sa Juste place à la probabilité saine cl bien entendue. Par là, ils ont créé une équivoque, non encore dissipée. Car il ne manque pas de bons esprits qui, comprenant ccs 518 conditions dc la science et de la vie morales, ont cru ne les faire prévaloir qu’en liant partie avec les victimes des Provinciales. Pour ccttc raison, la réaction Janséniste est doctrinalement moins intéressante que celle d’un Fagnanus et des meilleurs auteurs dominicains, qui s’e t davantage confinée dans l’école. Nous imputerions moins sévèrement à Pascal la déconsidération où est tombée devant l’opinion profane la théologie morale en général, confondue avec ces finasseries scandaleuses des casuistcs auxquelles on préfère une simple et robuste honnêteté naturelle. Car rien n’est plus fort dans les Provinciales que l’appel aux Pères cl à l’Évan­ gile, inspirateurs reconnus dc la vie chrétienne, et d’autre part les défaillances prolongées dc la théologie morale expliquent peut-être assez son discrédit. Mais nous avouons que Pascal joue un jeu dangereux. Enfin, en dirigeant très expressément leurs attaques sur la Compagnie de Jésus, et sans considérer même la qualité des griefs formulés, qui n’est pas irrépro­ chable, les jansénistes ont suscité dc la pari dc celle-ci comme il était naturel, une défense, laquelle ira s'orga­ nisant, comme devait sc perpétuer d’ailleurs la littéra turc d’hostilité inaugurée avec les Provinciales. La tentative de Pirot est grossière, mais on y peut ni server les lignes maîtresses où s’établira le probabi­ lisme. comme sur une p silion dc repli. En ces condi, lions, un corps religieux considérable tend à faire dc plus en plus sienne une doctrine morale à la forma, tlon dc laquelle il avait seulement contribué, quoique dc bonne grâce, et cela dans le moment où un ordre théologique comme les frères prêcheurs se tourne ouvre, foment contre elle, où la Sorbonne cl le clergé français pour une bonne part tâchent dc lu réduire, où Homc elle-même semble marquer à son endroit une défaveur. Les Provinciales ont ainsi provoqué un certain isole­ ment de la Compagnie dc Jésus, en laquelle le probabi­ lisme trouvera son plus solide refuge. Elles auraient donc assuré la permanence de cela même dont elles sem­ blaient triompher. Ces divers effets doivent du reste être combinés avec ceux des autres réactions et bientôt des condamnations romaines, en suite dc quoi il sera intéressant d’observer les adaptations du probabi­ lisme, auxquelles il doit sa survivance. A l’agitation déterminée par les écrits de Pascal succéda bientôt dans le même milieu de la Sorbonne, du Parlement et du clergé français, celle qui eut pour cause le livre du Jésuite espagnol Matthieu de Moya, Opusculum singularia universa /ere theologia moralis complectens..., publié sous le pseudonyme d'Amcdæus Guimenlus. On a pu lire ci-dessus, art. Laxismb, col. 51-58, l’histoire compliquée dc celte nouvelle affaire. Elle nous représente comme un cas de conta­ gion dans la controverse puisque l’opuscule de Moya ripostait principalement à des attaques espagnoles (voir ci-dessus, col. 500), et avait paru à Bamberg puis à Païenne (en 1657, d’après Hurter, op. cit., t. iv, col. 611 sq.). puis ù Valence (en 1661). avant de paraître à Lyon en 1661. La censure dc Sorbonne est fort édi­ fiante. Le traite dc l’opinion probable dans l'opuscule ne l’est pas moins. Il se réduit à deux propositions : « Bien qu’une opinion soit fausse, on la peut suivre en sûreté de conscience, a cause de l’autorité dc qui l’en­ seigne. Les conseillers du roi, quand ils imposent les tributs, ne sont pas tenus de choisir l’opinion plus probable, mais il suffît qu’ils choisissent une opinion probable: les sujets peuvent ne pas acquitter les impôts. Pour soutenir ccs énormités, l'auteur n’a pas de tactique plus constante que d’alléguer pour elles des auteurs etrangers â sa Compagnie, dc préférence dominicains. Sur la première proposition, il avoue que saint Thomas ferait difficulté; mais il ne manque pas d’auteurs, ajoute-t-il, qui ont entendu son texte dans un sens bénin. Voir notre article Éclaircissements... 519 PROBABILISME. LA REACTION A 3° Autres manifestations antiprobabilistes. — Dans la suite de la réaction janséniste, ou du moins comme un effet de la même disposition d’esprit, apparaît un I ouvrage d’enseignement, élaboré pour supplanter les morales probabilistes : Lu théologie morale ou réso­ lution des cas de conscience selon Γ Ecriture sainte, les canons cl les saints Pères, composée sur ordre de Mgr Le Camus, évêque de Grenoble. Rédigée par François Genet (f 1702), professeur à l’université d’Avignon et au séminaire d’Aix, elle parait à Paris dans les années 167 » et suivantes. Le litre de l’ou­ vrage, commenté par une préface de Mgr Le Camus, en découvre bien l’inspiration apparentée avec la réac- , lion que nous étudions ici. Dans l’ouvrage même, on professe que l’ignorance du droit naturel est péché en tous ceux qui ont l’usage de la raison, mais avec cette réserve : · Et quand même il pourrait arriver dans quelque cas extraordinaire qu'il n’y eût point de notre faute dans cette ignorance, néanmoins, comme cela serait toujours très rare et très diilicile à discerner, nous devrions toujours dans la pratique juger que nous avons manqué lorsque en effet nous avons fait quelque chose de contraire au droit naturel. »■ T. 1, p. 11-12. On remarquera aussi que la thèse en est fondée non sur le péché originel, mais sur le caractère naturel de celte loi, telle qu'on ne l’ignore que par sa faute; Conlenson, on sc le rappelle, raisonne de même. II est interdit de suhre jamais la moins probable. Devant deux opinions également probables, l’esprit est dans le doute, et il faut agir au plus sûr. Mais, quand une proposition est plus probable, on la peut suivre, encore qu’elle soit moins assurée. On entendra selon ces règles le rigorisme outré qu’on impute volontiers à Genet. Nous y noterons toutefois, comme un signe plus tangible de l’excès où verse celte réaction, la posi­ tion du problème traditionnel des rapports du con­ fesseur et du pénitent divergeant d’opinions, inter­ prété comme s’il s’agissait de décider si le confesseur peut juger selon ce qu’il sait être faux, t. iv, p. 275278 : sous celle forme simplifiée, il ne peut appeler bien entendu qu’une réponse négative. Mais la ques­ tion traditionnelle est plus complexe, et sa solution plus délicate. Hurler indique, op. cil., t. iv, col. 915. des Remarques de .L Raymond écrites contre cette théologie cl prohibées en 1679. L’ouvrage de Genet devait être lui-même censuré par la faculté de Lou­ vain en 1793. Ibid. Mais II fut bien accueilli à Rome jusqu’auprès d’innocent XI cl il cul du succès parmi de nombreux évêques français Cf. Dôllinger-Rcusch. op. cit., t. i, p. 13, n. 5; Pastor, Geschichte der Pûpste, t. xiv /», p. 973. Hors de France, mais sous l’effet du même esprit, parait la Theologia moralis Christiana du théologien belge Laurent Neesen (1612-1679); voir son article. Plus violent, le livre que publie à Cologne en 1638 l’in­ fatigable G rberon : La règle des manies contre les fausses maximes de la morale corrompue, pour ceux gui veulent suivre les voies sûres du salut ct faire un juste discernement du bien ct du mal. Il nous est interdit cette fois de suivre même l’opinion la plus probable si elle n’est en même temps la plus sûre (Utrecht, 1735. p. 391), et l’on nous signifie que. s’il y a une ignorance I Invincible du droit naturel, < ce n’est, comme dit saint Thomas, que dans les enfants, les fous, les phrénéliqucs ». Ibid., p. 313. Mais des esprits graves comme l’abbé de Rancé ct Mabillon faisaient a leur lour écho aux doléances enregistrées en ce chapitre (voir Dôllingcr-Rcusch. op. cit., t. i. p. 113-116), rt qu’il n’est plus permis décidément de traiter comme la manœuvre habile ct déloyale d’un parti aux abois. On trouvent h l’art. Pascal li bibliographie relative mix Provinciales. Nous ne retiendrons Ici comme plus apparentes â notre sujet spécial que les chapitres du Fort-Royal de LOUVAIN 520 Sainte-Beuve. Jeunes encore et suggestifs. I. Ill, c xm. u et xm; les articles d’A. Degcrt. Hraclinn des Pmrinchdes sur lu llindut/i· murait en I rance, dans Hull. de hlhrulun ecclésiastique, Toulouse, nov. el dec. 1913; la série d'article* d'it. Iliudin. La critique pascalicnm de la casuistique, dims La vie intellectuelle. déc. 1929. févr. avril, fini, juin 1930. /r. LA n^ACT/OS j LOI vain. - Des longtemps, la faculté de théologie , comme dit le titre d’une des traductions fran­ çaises (3' éd., Strasbourg. 1761); i) est représente au V· traité par l’une de ses propositions les plus com­ modes. Mais le grand ouvrage probabiliste de ces années est celui que publie à Liège, en 1668, l’Anglais Antoine Terillus, professeur au Collège anglais de la Compagnie dans cette ville, Intitulé Fundamentum totius theo­ logia· moralis seu tractatus de conscientia, in quo qua ratione, qua auctoritate irre/ragabili usus cujusvis opi­ nionis practice probabilis demonstratur esse licitus. L’ou­ vrage marque dans l’histoire doctrinale du probabi­ lisme. 11 est tout entier ct formellement consacré à ce problème, à la différence des Théologies morales, où il ne sert que d’introduction,ct des Cours de théologie.où il ne forme qu’un chapitre. Et pour la première fois (pour la dernière ainsi) on y voit la tentative de don­ ner un air doctrinal à un système dont l’inspiration pragmatique n’est pas niable. Terillus donne toute sa force à cette réflexion, qui fut, nous l’avons dit, une très prompte découverte du probabilisme, grâce a quoi se convertit en certitude, sans que rien soit changé dans l’esprit, un doute ou une probabilité. On confé­ rait ainsi à une action, privée réellement de règle, livrée à toutes les flexibilités des opinions, le prestige de se conformer ù une certitude. Terillus fait un pas. Non content de dire ces actions certainement réglées, il entend qu’elle* le sont non plus sur la conscience seule, de quoi il avait bien fallu que les probabilistes jusqu’ici se contentassent, mais sur la loi éternelle. Il n’accepte pas qu’il y ait dissentiment entre la conscience et la réalité. L’idée de péché matériel lui semble une concession inutile. Entre cette action et la loi. il y a conformité: mais comment la concevoir? En considérant, dit Terillus, qu’il y a en Dieu outre la loi directe, que les théologiens ont toujours reconnue, une loi réflexe, que nous devons maintenant admettre. Car, ayant prévu les erreurs ct les ignorances des hommes. Dieu n décidé que leurs actions en ce cas pourraient U’être point celles que la loi directe a prescrites : qu’ils fassent ce qu'ils croient devoir faire, qu’ils omettent ce dont ils sont incertains que Dieu l'ait ordonné, en tous les cas ils se conforment â la loi réflexe de Dieu, faite justement pour de telle* circonstances. Per accidens. Dieu veut précisément ce «pie ces hommes ont fait ct qui déroge à sa loi directe. Nous touchons ici les extravagances où verse un probabilisme â prétentions 527 PROBABILISME, LA COMPAGNIE doctrinales, et quelles conséquences contient le sys­ tème si Ton n’accepte point de l’enclore dans la seule conscience. Terillus n’a point fait école. Le probabilisme continuera d’invoquer la « réflexion »; mais, plutôt que de faire correspondre à celle-ci une réalité, il se contentera de défendre les principes mêmes de cette réflexion, savoir que, dans le doute, In loi n’est ni pro­ mulguée ni obligeante, et qu’il en va alors comme dans le cas d’ignorance invincible. Ce n’est que jusque-là que saint Alphonse imitera plus tard Terillus. Mais la tentative de celui-ci demeure fort signillcativc pour l’historien. Elle attira sur son auteur l’attention de son temps et bientôt les critiques d’un de ses confrères espagnols, Ignace de Camargo, et du dominicain Daniel Concina, deux auteurs que nous retrouverons. D'intention plus directement défensive est le gros livre d’//onoré Fabri, paru à Lyon en 1670, et à (Po­ logne, augmenté du double, en 1672, Apologeticus doc· Irlnæ moralis ejusdem societatis. La lettre d’OIiva que nous avons citée est en tête de cc volume, que neuf théologiens de la Compagnie sc sont accordés à approu­ ver. L’auteur entend fournir la réfutation complète de tout ce qui a été dit depuis vingt-cinq ans contre la doctrine morale de son ordre. Il répond successive­ ment aux différents adversaires, où nous retrouvons, parmi quelques inconnus, des noms que nous avons déjà recensés. La forme dialoguéc entend donner à ces fastidieuses dissertations un tour littéraire ct agréable. Pour compléter l’arsenal. Fabri a joint à scs Dialogues une seconde partie, composée des écrits déjà publiés par certains jésuites contre des adversaires. Son livre, où Fagnanus el Baron étaient assez vivement pris à partie, valut à Fabri quelques mésaventures, y com­ pris son arrestation à Rome, en 1671, par l’inquisition romaine (l’histoire de ccs démêlés, dans DôllingerReusch, op. c/f., 1.1, p. 15, n. 2; Reusch, Index, p. 503). Il s’attira aussi plus tard une riposte d’Étienne G ra­ dius, préfet de la bibliothèque Vaticane, Disputatio de opinione probabili cum P. II. Fabri. Home, 1678, qui, ayant fait devant la Congrégation de l’index un rap­ port favorable à Baron, s’était vu accuser par Fabri d’être hostile à la Compagnie de Jésus. La critique que fait Gradins du probabilisme à cette occasion est loin d'être sans mérite. Fabri était un esprit curieux; il avait renom de savant. Il adonné occasion â un mot de Lclbniz (cité dans Reusch, op. cil., p. 501, n. 1) : « Je m’étonne qu’un aussi habile homme entreprend de défendre celte morale ridicule de la probabilité ct ccs subtilités frivoles, inconnues à l’ancienne Église el meme rejetées par les païens. > (Leibniz a été attentif i à cette dispute de la probabilité au sein de l’Église romaine. Voir un mot dans une lettre à Bossuet du IX avril 1692, dans Bossuet, Correspondance, éd. cit., t. v, p. 129.) D’autres auteurs probabilistes decc temps ct de la Compagnie de Jésus sont nommés dans Dolllnger-Reusch, op. cit., t. i. p. 15-16; y remarquer Richard Arsdckin (ou Archdekin). un Irlandais, pro­ fesseur à Louvain ct à Anvers, dont l’ouvrage, mis à l’index en 1700. parut amendé en 1718 (détails dans Reusch, op. cit.. p. 511). 3. Les ant {probabilities. Nettement distincts des groupes précédents et même, comme on verra, com­ battus par l’un ou l’autre des auteurs que nous venons de citer, quelques théologiens de la Compagnie pren­ nent parti contre le probabilisme, continuant l’opposi­ tion dont nous relevions plus haut les premiers indices. On peut classer parmi eux un professeur du collège de Louvain, Imuîs de Sdldere, dont le livre, dédié a Γarchevêque de Malines, parait à Anvers en 1661 : De principiis conscientier forma ndæ tractatus sex. him in lure nalunr ac divino, turn in humano, canonico ïic diali /undati, livre principalement canonique, mais où sont touchées les questions de la conscience douteuse DE JESUS et de la conscience probable. L’auteur les traite d’une manière personnelle et dans un esprit qui tranche assez sur le probabilisme. Le livre porte le permis d’impri­ mer du provincial de Belgique. Mais plus importantes et significatives sont la publi­ cation et la doctrine de l’ouvrage indiqué plus haut de Michel de Elizalde, adversaire résolu du probabilisme. Sa suggestion de 1666 avait reçu du général Oliva l’accueil sommaire que nous avons dit. La proposition de composer lui-même un ouvrage contre le probabi­ lisme lui vint du cardinal jésuite Pal lavlcini, qui, ayant professé naguère celte doctrine, s’en était maintenant détourné au point d’avoir eu le projet d'écrire une rétractation. Ce fait de la conversion de Pal la vicini est très fermement établi, grâce notamment à son Épistôlier, publié à Home en 18 18. Voir aussi dans l’Appe/idix cité d Esparza, Rome, 1669. p. 78. une information intéressante sur le sujet. D’autres cas de telles con­ versions sont connus, notamment celui du cardinal bénédictin d Aguirre, nommé ci-dessus. Dans la Com­ pagnie même, plusieurs des grands adversaires du pro­ babilisme, Elizalde lui-même, Gonzalez, Camargo, avaient commencé par adhérer au système. Il existe sur le sujet une littérature dont on trouve les pièces dans Dôllinger-Reusch, op. cil., 1.1, p. 52 sq.; cf. p. 120122; les témoignages de Gonzalez ct de Patuzzi sont particulièrement intéressants. Quoi qu’il en soit. Pallavicini encouragea très positivement le travail entre­ pris d’Elizalde, qui serait, disait-il, fort agréable à Alexandre VII lui-même. L'approbation de son géné­ ral lui ayant été refusée, Elizalde lit paraître son livre à Lyon, en 1670, sous un pseudonyme : De recta doc­ trina morum libri ! V, auctore. Antonio Cdladd; accessit Appendix de natura opinionis. En 1681 parut à Fri­ bourg la deuxième édition de l’ouvrage (augmentée d’une II· el d’une III· partie), mais non plus approu­ vée que la première. Elle portait le nom véritable de l’auteur, mort en 1679, et qui avait écrit en tête de la partie inédite : Voici la I l· partie du De recta doctrina morum, que j’avais promise dans la Ifr, qui a com­ mencé déjà d’être imprimée, bientôt interrompue ou plus exactement empêchée, et dont je ne sais absolu­ ment pas si elle verra le jour ou non. » Nous devinons combien d’incidents sous ces paroles; cf. DôllingerReusch, op. cil., I. i, p. 51-55. A la lin de l’ouvrage, celte protestation non moins signillcativc : « J’atteste avoir écrit... avec cette foi très instante selon laquelle je crois qu’il n'est pas le disciple du Christ, qu’il n’est même pas digne du Christ, celui-là qui aime plus que lui un père ou une mère quelconque, soit une nation, ou une terre, ou une famille, ou une école... » On trouve dans Dôllinger-Reusch, op. cit., t. i, p. 5556, un échantillon du style d’Elizalde. Sa doctrine ne devait pas moins déplaire aux probabilistes. Il la réca­ pitule sous deux chefs, part. L I- III, q. xvm : L la loi de Dieu est la première règle des actes humains; 2. la raison en est la règle secondaire. Donc la raison doit être subordonnée à la règle divine. Donc le probabile consuetum (tel que l’entendent en ce temps la plupart) n’est pas une règle d’action. Mais le probabile consclentin' le devient (tel que le plus souvent on y est en effet d’accord avec la loi de Dieu). Très originale est la IIP partie, dont les doux livres VII cl VIII sont inti­ tulés respectivement : De iiwenibilitate veritatis moralis ct de ignorantiis in specie cl De modis inveniendi verita­ tem moralem seu Recueil de divers ouvrages du P. Daniel, etc., t. n, 1721. p. 365. Dans ce qu’ajoute la même lettre sur les dominicains de l’inquisition, il y a bien une pointe de mauvaise humeur; on vient de voir que Baron ne dut rien à sa robe blanche. Il reste que l’ensemble des mesures prises à Borne indique un succès assez limité des nou­ velles morales en ce milieu : elles doivent compter avec les coups dont on les frappe. Mais les solennelles inter­ ventions d'Alexandre VU, puis d’innocent XI, sont sui le point d’éclaircir la situation. 2° L'intervention d'Alexandre Vil. — Nous avons dit l’intérêt marqué par Alexandre VII en diverses occasions, dès le début de son pontifical, aux questions morales, et deviné déjà ses préférences. Le train des événements cl les affaires portées à Borne ne devaient plus lui permettre de détourner de là son attention. Les circonstances des décrets du 24 septembre 1665 et du 18 mai 1666 sonl connues; elles sonl liées aux controverses suscitées en France et à J.ou vain sur ces questions : voir Laxisme, col. 58; ci. Bcusch, Index, p. 498. Sur l’origine des propositions condamnées, voir Laxisme, col. 67, 69. La plupart relèvent de la casuis­ tique relâchée; treize d’entre elles viendraient de l'Es­ pagnol Thomas Hurtado, des clercs mineurs réguliers, auteur de Tractatus varii resolutionum moralium, parus à Lyon en 1651; cf. Düllingcr-Beusch, op. cit., t. i, p. 30. Voir le texte et le commentaire, art. Alexan­ dre VII, col. 730-747. Nous retenons du document pontifical cela seulement qui peut concerner l’objet du présent article. A ce titre, les considérants du décret sont extrêmement significatifs : SS. D. N. audivit non sine magno animi sui mæroro com­ plures opiniones chrhtianæ disciplimr rclnxativns et nni ma­ rum perniciem Inferentes, partira antiquas iterum suscitari, partira novltcr prodire; et summam illnin luxuriantium ingeniorum licentiam In dies magis excrescere, per qunin in rebus nd conscientiam pertinent linis modus opinandi irrepsit alienus omnino ab evangelic» simplicitate sancto· rumqtic Patrum doctrina, et quem si pro recta regula fideles in pmxi sequerentur, ingens eruptura esset christinntr vitre corruptela. Sont donc dénoncées, outre les opinions particu­ lières, une fièvre et licence d’opiner tous les jours croissantes et dangereuses aux âmes. A cette mode répandue, le pape oppose, comme règle sûre de la mo­ 532 rale chrétienne, la simplicité évangélique et la doctrine des Pères. Indicat ions des plus précieuses parce qu'elles intéressent l'esprit même des méthodes nouvelles. Le moins qu’on puisse dire d’un tel texte est qu’il est gênant au probabilisme. Des propositions condamnées — elles le sonl comme * au moins scandaleuses », avec interdiction de les mettre en pratique et peine d’excommunication à qui les enseigne, defend, etc. — les 26® et 27e Intéressent de quelque façon la doctrine de la probabilité. La 26e est ainsi formulée : Quando litigantes habent pro sc opiniones teque pro­ babiles, potest judex pecu­ niam accipere pro ferenda sententia in favorem unius pne alio. Quand les parties advents ont pour elles des opinions également probable*, le juge peut accepter de l’urgent pour prononcer en faveur de l’une de préférence à l’autre. Elle reproduit la 11· des propositions censurées à Louvain et transmises à Borne en 1657; voir Laxisme, col. 69. Est on cause ici la question d'argent. Sous cette forme, les casuistes aggravaient ou même déformaient une décision plus ancienne (voir. col. 460, le passage de D. Soto) permettant que, devant deux opinions également probables, le juge décidât tantôt selon l’une et tantôt selon l’autre, non sans prendre des précau­ tions. Cette décision n'est pas atteinte par la condam­ nation énoncée comme elle l'est. Aucune règle n’est donc ici fournie quant à l'usage des opinions également probables. La prop. 27® est plus ad rem : Si liber sil nlicujus junio­ ris el moderni, debet opinio censeri probabilis dum non constet rejectam esse a Sede apostolic.i t inquam Impro­ babilem. On doit tenir pour pro­ bable l’opinion d’un auteur récent et moderne, tant qu’on n’a point prouvé qu'elle est rejetée comme improbable par le Siège apostolique. * Est par là condamnée une pointe extrême du pro­ babilisme, où les conditions requises à la probabilité sonl, on le voit, plus que complaisantes. Première et discrète épuration dans un complexe dont l’élément exclu s’appellera le laxisme. Il apparaît aussi en l'énoncé de cette proposition que le Saint-Siège entend séparer sa cause d'avec tant de moralistes opinant el probabllisant à plaisir. Il déclare ici ne point prendre la responsabilité de ces abus commis par des hommes professant la théologie catholique. La tâche lui serait vraiment surhumaine de rectifier tant d’opinions qu’ils produisent. Sans rien dire de la probabilité, la Ir< des proposi­ tions condamnées cxpiime fidèlement l’une des pires déformations infligées par ces auteurs à la morale chrétienne : I forno nullo unquam vitæ suæ tempore tenetur elicere actum fidei, spei et caritatis ex vi pnveeptorum divino­ rum ad eas virtutes perti­ nentium. L’homme n’est tenu à au­ cun moment de su vie de pro­ duire un acte de foi. d’espé­ rance et de charité, en vertu des préceptes divins ayant spécialement ces vertus pour objet. Où les vertus théologales elles mêmes sont considé­ rées uniquement comme matière à précepte, passibles donc de cette diminution de l'obligation qui est comme la devise des novateurs, nu lieu de représenter les fon­ dements solides et les sources jaillissantes de la vie chrétienne. Bien d’autre en ce document contre le probabilisme même. Il s’agit en effet de parer nu plus tôt au danger des âmes: d’où un choix de propositions déterminées, particulièrement pernicieuses. Pour le système auquel cependant elles étalent liées, on le dénonce en ce qu’il a d'évidemment outré, sans entrer en des discernements plus savants, mais sans dissimuler non plus une dé­ fiance de son esprit et de sa méthode I)evant cette pre- ■ 533 V PROBABII.ISM E. DÉCRET mière intervention pontificale, les adversaires du pro­ babilisme furent sûrement plusàl'aiscqucscspartisans. D’après un témoignage du temps, la première pensée d’Alexandre VII eût été d’extirper le mal en sa racine; il aurait opté pour la méthode suivie sur le conseil de Pallavlcinl; cf. Dollinger Bcusch. op, ril.t\ i p. 38 et note 2. 3° Intervention d'innocent XI. — Innocent XI entend continuer l’œuvre d’Alexandre Vil, comme le déclare le préambule de son décret. Sui la nature cl les circonstances de cet acte (qui ont été parfois l’objet d'interprétations tendancieuses, par ex. Pastor, Geschichtc der Phpste, t. xiv fc, p. 973-978), voir l’art. Laxisme, col. 7'2-74. Cette fois, des 65 propo­ sitions condamnées et qui proviennent à leur tour delà casuistique relâchée, les quatre premières concernent l'usage de la probabilité (texte et traduction, ibid., col. 71). La prop. 1 tient qu’il n’est pas Illicite de suivre l’opinion probable relative à la valeur d’un sacrement, de préférence à la plus sûre, sauf dans l’administrai Ion du baptême, de l’ordre sacerdotal ou épiscopal. La condamnation en équivaut à la prescription d’un uni­ versel tuliorlsme sacrament aire, à l’encontre des for­ mules équivoques de certains auteurs (nous les avons rencontrés ci-dessus), quoique non de tous les probabi­ listes. D’un domaine bien défini, voilà donc nettement exclu l’usage de la probabilité. La prop. 2 déclare pro­ bable que le juge puisse juger selon l'opinion moins probable. Strictement est condamnée la probabilité de celle proposition. 11 en sera de même des prop. 6,35, 11, 57. où est atteinte, sur des exemples déterminés, celte licence d’opiner qu’avait blâmée en général Alexan­ dre VU. El dans la 2e est en out real teinte la proposition même à la faveur de quoi fut introduit le probabilisme; car c’est au sujet du juge, on se le rappelle, que Medina énonça sa fameuse règle. 11 faut distinguer néanmoins dans le cas la probabilité de la sentence à appliquer el celle de la partie à qui l’appliquer. Medina pensait à la première seule et pas du tout à la seconde, qui empor­ terait un relâchement bien plus grand. Le document pontifical ne distinguant pas, il semblerait que fussent atteintes l’une el 1’nutrc. Cette condamnation renchérit nettement sur la prop. 26 d’Alexandre \ 11. Passons aussitôt àlaprop. I dans le présent décret,qui esl d’une portée pareille à la prop. 2, puisqu'on y excuse du pêché d’infidélité l'homme qui refuse la foi au nom d’une opi­ nion moins probable. Cet usage du probabilisme avait été essayé, encore qu’un Banez, par exemple, nous l’a­ vons dit. l’eût expressément révoqué (des informations qur ce point dans Dollinger-Beusch, op. cit., 1.1, p 109112). Ici encore esl condamnée une application de la probabilité. De ces diverses restrictions imposées. Il ressort déjà que la probabilité n’est pas une méthode infaillible et que le pape agit dans un sens contraire aux prétentions audacieuses de nombre de probabilistes. Mais il prend soin de s’en déclarer expressément en condamnant la 3· proposition. Celle-ci énonce une règle générale, aux termes de laquelle « agit toujours prudemment celui qui use d'une probabilité soit Intrinsèque soit extrinsèque» si ténue qu’elle soit, pourvu qu’elle demeure une probabilité . La prop. 27 d’Alexandre Vil est ainsi assumée et étendue. Elle définissait ce qu’on peut entendre par ténuité extrinsèque; de la ténuité Intrinsèque, on a dans le décret même d’innocent X I des exemples avec la prop. 2 et celles (pie nous nonunions à son propos. Les probabilistes font observer qu’est ici proscrit l’u­ sage d’une très faible probabilité, mais non de la pro­ babilité sérieuse, le laxisme et non le probabilisme (voir par ex. la note dont est munie celte proposition dans Γ Enchiridion de Denzinger). Il serait plus exact de dire, conformément aux réflexions avancées plus haut, que cette condamnation d'innocent XI. renfor­ >34 çant celle de son prédécesseur, a donné lieu au discer­ nement exprès du laxisme et du probabilisme, l’un et l’autre n’ayant été jusque-là que l’usage plus ou moins libre de la probabilité, beaucoup plus semblables par ce qu'ils avaient de commun que séparés par ce qu’ils avaient de different. Désormais, on accusent leur sépara­ tion et l’on sauvera le probabilisme en le protégeant de tout laxisme : l'attitude est nouvelle et bien significa­ tive. Elle date des documents que nous analysons. Par ailleurs, il esl certain que les condamnations romaines n'interdisent pas cette opération. Plutôt que le proba­ bilisme en son essence, clics atteignent l'exténuation de l'idée de probabilité, permettant donc que l'on use» sauf en des domaines réserves, d’une probabilité solide. Home réagit contre un abus, elle ne proscrit pas l’usage, encore que l’abus, aux yeux de l'historien impartial, fût dans la tendance originelle du probabilisme. Au total, le mouvement intérieur du probabilisme ne sera pas arreté, mais il sera gêné; car on ne pourra désormais manier sans précaution l’axiome favori du système : Prudenter agit gui probabiliter agit. Les longues listes d'Alexandre \ II et d'Innocent XI ont efficacement protégé les mœurs chrétiennes contre les intempérances de la casuistique jusqu’alors régnante. Les auteurs catholiques, pris dans leur ensemble, sc distingueront désormais non plus comme les zélateurs de l'opinion probable, purement et sim­ plement. mais par un souci de modération en leurs jugements pratiques, tendance qui aboutira à un saint Alphonse. Mais l’œuvre de rectification doctrinale reste à faire, qu’appellent les dérèglements de la pensée théologique dans le probabilisme. Les documents pon tificaux ne l’inaugurent que fort discrètement: ils poursuivaient des fins plus urgentes. Cette œuvre appartient aux théologiens, et l’on sait de surcroît combien elle répond aux vœux d’Innocent XI aussi bien qu’à ceux d’Alexandre \ H. H. De ia condamnation d’Innûcent XI A L* as­ si Min.le ni C1.KH0I de France (1700). — Les con­ damnations pontificales ne mirent pas fin aux débats. Celles d’Innocent XI furent même l’occasion d’une affaire inattendue et considérable, l’un des plus graves épisodes de celte longue querelle de la probabilité. En 1690. le successeur de ce pape, Alexandre VIII. inter­ vient à son tour, quoique dans un sens différent. De nouveaux sursauts de polémique entre les auteurs marquent les années suivantes, jusqu’aux décisions de l’assemblée du clergé de France en 1700, qui. accen­ tuant cl consacrant, pour ainsi dire, la réaction anti­ probabiliste. n’auront pas non plus la vertu de clore pour tout de bon la querelle. Nous n’aurons donc pas fini avec ce chapitre d'en suivre les vicissitudes Λ LE LECllET D'/SSOCEST XI ES I6S0 ET L*AFFAIRE (tOS/ALE/. - Comme cl ait parvenu à Madrid le decret du 2 mars 1679. le nonce du pape en celte ville. Mcllini, manda à Innocent XI qu’un professeur de Sala­ manque avait écrit quelques années auparavant dans un sens contraire aux propositions condamnées, no­ tamment la 3*. sans qu’il ait pu obtenir de ses supé­ rieurs V imprimatur : nous avons dit ci-dessus (col. 524) les refus qu'avait essuyés en effet Gonzalez. 1° Le décret de IÜSO. — Le pape ayant pris Intérêt à la nouvelle, un exemplaire de l’écrit fut envoyé à Home, où on l’examina. De là devait sortit le célèbre décret du 26 juin 1680 rendu par la Congrégation du SaintOffice, et dont il a été question déjà aux art. Gonzalez ni Santa!.l\ (Thyrse). Innocent XL Oi.iva (JeanPaul), Une bibliographie importante y est attachée, ainsi qu’aux événements consécutifs (voir à la fin du présent paragraphe). La première partie du décret Intéresse Gonzalez lui-même; la seconde le général de la Compagnie de Jésus, J.-P. Oliva. Quant au premier, les cardinaux décidaient que le secrétaire d’fttat eût à 535 PROBABILISME. LE DÉCHET D’INNOCENT XI écrire au nonce d'Espagne, afin que ce dernier signi­ fiât .< Gonzalez les encouragements du pape : Lacta rrhtionc per P. Lauream contentorum in litteris P Tmesi Gonzalez, S. J Sanctissimo Domino nostro direc­ tis Emlnrntissimi domini dixerunt scribendum (π/Μλ : quod scribatur ] per secretarium Status nuncio iipostolico Hispiininnim ut significet dicto P. T»iyrs<> quod Sanctitas sua benigne occeptis nc non sine l.iudc perlectis ejus litteris, inindavit ut Ipse libere ct intrepide pnedicct, doceat et calanto defendat opinionem magis probabilem, necnon viri­ liter impugnet sententiam connu qui asserunt quod in con­ cursu minus probabilis opinionis cum probabiliori sic cognita ct judicata, licitum sit sequi minus probabilem; cumque cer­ tum faciat quo doceri lyplsquc prohibentur vim totam renovat, robor.it et con­ tion «l’écrire en faveur du probabilisme et de combattre mmd.iri firont. Commendat pnvlcrri in primis Pntri nostro ut non 1 probabilioris me; dans l'autre, liberté «l’écrire en tantum transgressores loco et cathcdm moveat. nlUsquc gra­ faveur «lu probablUorlxtne cl «le combattre le probabi- vibus pro modo culpæ pomis subjici >t, mm| |pVK ctlam suncisme II c. <155 »q. c as, aussi probable (une concession que Gonzalez nc maintiendra fias) que sa contraire. Car les opinions Ln même pensée, on le volt, que dans le decret dc relâchées ne sont pas nuisibles par elles-mêmes; elles 1661, ct In même reserve. Sous le nouveau generabit, nc le deviennent qu'à la faveur du principe affirmant Gonzalez réitéra ses Instances en faveur de l'approba­ licite dc suivre même le moins probable, pourvu qu’il soit probable. Patuzzi, ibid., p. ιλιιμ,χμ. tion de son livre : en vain, apparemment. Innocent XI mourut le 12 août 1689.Son successeur, 2° L’élection de Gonzalez comme général des jésuites. Gonzalez en perso, ne était envoyé par la province Alexandre \ 111. condamnait le 21 août dc l'année sui­ de Castille à la XII Ie congrégation générale, chargée de vante deux propositions relâchées, l’une sur l’amour dc donner un successeur au P. de Novelle, mort le 12 dé­ Dieu, auquel on n’est obligé ni au principe ni au cours cembre 1680. Sur le désir exprimé par Innocent XI, de la vie morale, l'autre sur le péché philosophique il devait être élu général delà Compagnie le 6 juin 1687, (voir art. Péché, coL 256 sq.;; quelques mois plus mais au troisième tour de scrutin seulement ct par tard, il proscrivait une série de propositions, d'origine quarante huit voix sur quatre vingt-six (son prédéces­ contraire, dont nous reparlerons ci-dessous, col. 517. Innocent XII lui succédait le 12 juillet 1691, Depuis la seur avait été élu au premier tour et à l'unanimité). Gonzalez a témoigné que le pape, lors de la première congrégation générale dc 1687 ct malgré la liberté audience qui suivit l'élection, lui déclara qu'il avait été qu’elle avait proclamée, aucun auteur Jésuite n’avait fait général afin de retirer la Compagnie de l'abîme où encore écrit en faveur dc la sentence plus sévère; Gon­ elle semblait se précipiter en embrassant comme sienne zalez décida d'intervenir en personne et il faisait im­ la sentence plus large sur l'usage des opinions probables. primer en 1691 a Dillingen, dans des conditions plus Libellus supplex..., toc. cil., p. 28; cf. Dôlllnger-Reusch, ou moins régulières, un Tractatus succinctus dr redo op. cil., t. I, p. 132, note 2. Dans ce sens, et sur le désir usu opinionum probabilium... Otte initiative fut pour formel que lui en exprima aussi le pape,le nouveau géné­ le général la cause des plus pénibles difficultés. Entre lui et scs cinq assistants, le différend éclata sans retard. ral nomma professeur de théologie au Collège romain Le P. Paul Scgncri, appelé à Rome en 1692 comme pré­ un défenseur de l’opinion plus sévère, le P. Joseph de Alfaro, jusqu’alors professeur à Salamanque, dc qui dicateur du pape, et qui jouissait d’un credit considé­ l’on sait qu’il ht soutenir en effet, en 1689. des thèses rable auprès d'innocent XII. intervint très active­ antiprobabilistes; mais il ne publia pas d’ouvrage im­ ment dans Parfaire contre son supérieur. Il écrivait à cc dernier le 8 juin de la même année une lettre portant. Sur le désir du secrétaire d’État d’innocent X1, d’une énergie surprenante pour le dissuader de laisser le même cardinal Cibo avec qui il était en rapport depuis longtemps. Gonzalez pria en outre la congréga­ paraître son livre. I nc décision pontificale, prescri­ vant qu'on différât cette publication jusqu'à la pro­ tion générale, qui siégeait encore, d’omettre un décret qui séparât la cause de la Compagnie d’avec le pro­ chaine congrégation des procureurs de la Compagnie, babilisme. Non sans efforts, il obtint d’elle le texte sui­ convoquée A Rome pour le mois dc novembre 1693. équivalut bientôt à la suppression de l’ouvrage, dont vant (déc ret 18r) : un exemplaire a été retrouvé depuis peu parle P. As( um rrintiiin fuisset ad congregationem aliquos in en esse train à Saint-Isidore de Madrid (on n’en connaissait persuasione, quod Societas communibus quasi studiis tuen­ jusqu’alors que le chapitre sauvé par Patuzzi. voir cidam sibi sumpsisset eorum doctorum sententiam, qui dessus). Mais rien n’empêchait Gonzalez de poursuivre censent in agendo licitum esse sequi opinionem minus pro­ sous une autre forme son premier dessein. Les années babilem faventem libertati, relicta probabiliori stante pro qui suivent sont remplies des tractations les plus pnecepto, declarandum censuit congregatio Societatem ncc prohibuisse nec prohibere quo minus contrariam sententiam actives, au cours desquelles l’affaire s’étend et sc com­ turri possent quibus ea inigis probaretur. Institutum Soc. J., plique. Scgncri écrit en 1693 deux lettres sur le proba­ éd. cit., t. i, p. 667. ! bilisme ct contre Gonzalez qui nc sont pas aussitôt Im­ primées mais dont on répand les copies. Le conflit du Plus ferme que celui dc 1682, ce décret ne satisfaisait pas encore entièrement Innocent X 1, comme en témoi­ général cl des assistants s'envenime; il gagne les pro­ vinces et prend les proportions d’une véritable crise au gne Gonzalez. Libellus supplex..., loc. cil., p. 31. 'ici qu'il est, il devait attirer au général de la part des siens sein de la Compagnie. I es mémoires abondent, écrits pour l’un et l’autre parti. Le cardinal d’Aguirrc. tout des reproches, assez notables pour qu’il voulût s’en justifier. Il l’a fait dans l’une des dissertations qui com­ dévoué au général, adresse une lettre au roi d Espagne pour le prier d’agir dans un sens favorable a Gonzalez, posaient son Tractatus succinctus... (voir col. 538), et que nous a conservée Patuzzi. Osstrvazioni..., t. il, cc qu’il lit en effet par un décret du 8 juin 1693. De son p. i.vn sq. Il agit dans le cas, dit-il. et nous reconnais­ côté, l’empereur d’Autriche tente dc peser dans la balance, Γη moment Innocent X11 aurait pense éloigner sons là l’inspiration fondamentale de son labeur ct de Gonzalez de Home, comme le général avait lui-même sa vie. dans la crainte que beaucoup nc confondissent le probabilisme avec renseignement spécifique dc la éloigné l’un de scs adversaires. le jésuite J. Caneda. 3° La publication du livre de Gonzalez. Mais le Compagnie : autant il accepte que la science moyenne pape confiait bientôt à trois censeurs de la Compagnie le soit, autant il le refuse du probabilisme. Qu’il faille le nouveau manuscrit dc Gonzalez Sur ces entrefaites â tout prix éviter cette confusion. Gonzalez en donne plusieurs raisons, qui forment ht substance de sa disser­ et à l’occasion de ces négociations, vers la lin de Juillet, le cardinal Cibo mettait la main sur une lettre ancienne tation. L’une d’elles est entre toutes remarquable, où il de Gonzalez, laquelle conduisit à découvrir dans les dénonce la dépendance du laxisme au probabilisme; en archives de I’'nquisition le décret du 26 juin 168(1, quoi il n’est pas d’un autre avis qu’Innocent XI luimême, qui. au témoignage de Gonzalez en un autre tombé depuis dans un complet oubli; c’était un appoint important pour la cause du général On con­ endroit, voyait dans le probabilisme la source d’où naît le nom des trois censeurs désignés par le pape, étaient sorties les cent dix propositions condamnées mais on ne possède le rapport que d'un seul, le par lui et son prédécesseur. Texte dans DollingerP. Christophe Zingnis, substitut dc l’assistance d*Alle­ iteusch, op. cit., t. I. p. 132. note 2. Il est impossible, magne. dont le texte a clé publié par Concino, Dijesa..., explique-t-il. que les papes à tout instant prohibent les opinions trop indulgentes qui se font Jour; il faut aller p. 53-56. et par Patuzzi. Osseroazioni..., t IL p. CXXIVcxxix. Il conclut à l’impression de l’ouvrage, moyen­ jusqu’à l’origine du mal et rendre Impossible reflet mauvais de ces opinions, c’est-à-dire exiger de l’opi­ nant certaines corrections, dont bon nombre Inté­ ressent le mauvais effet ou le scandale que pourrait nion moins sûre qu’elle soit plus probable ou, en tout 539 PKOBABILISM E. L’AFEAIBE GONZALEZ 540 susciter la premiere rédaction; une autre concerne l’in­ constitué en ce déplacement même. Du moins saisit-on terprétation proposée des décrets de la Compagnie ici les précautions de Gonzalez, préoccupé de réduire les différences de sa doctrine d'avec les idées reçues. relatifs aux opinions larges, outrée au gré du censeur. 1. La partir critique de l'ouvrage atteint le probabi­ Gonzalez a certainement tenu compte de cette censure, encore qu’il n’en approuvât point toutes les observa­ lisme en ses thèses vives. Et d'abord cet le conclusion, tions. comme il ressort d’autres écrits de lui. A la suite diss. Ill, que l’intelligence ne peut adhérera la pro­ position qui lui parait moins vraisemblable que la con­ de cet examen, le maître du Sacré Palais désignait Λ son tour, pour la revision de l’ouvrage, deux qualifi­ tradictoire, c'est-à-dire qui lui semble plus fausse que cateurs de l’inquisition, l’un canne déchaussé, l’autre vraie. L’auteur déclare avoir défendu cette thèse à cistercien et consultcur de l’index. Leurs rapports Salamanque dès 1662. D’où il déduit qu’agir d'après la moins probable c’est agir non pas moins prudemment, favorables, datés de janvier 1691, figurent en tête de mais imprudemment, cette prétendue moins probable l'ouvrage imprimé, suivis de V imprimatur du maître n’étant pas probable du tout; qu’il n'y a pas lieu, pour du Sacré Palais, le P. Ferrari, dominicain. Dans l'intcrvalle, les assistants avaient formulé de nouvelles la rejeter, de vouloir qu’elle soit évidemment fausse. 11 plaintes au sujet de ce livre auprès de la curie pontili- ΐ ajoute que, s'il est permis de suivre n'importe quelle calc et du pape lui-même. La congrégation des procu­ opinion probable, l’étude de la théologie morale de­ vient inutile, car il suffira dès lors d'établir un cata­ reurs ne fut pas saisie de l’objet ; mais elle avait décidé, logue des opinions probables, sans plus sc soucier de a la majorité d’une voix et dans des circonstances fort la réalité, objet de cette science (on se rappelle la cri­ agitées, la convocation anticipée de la congrégation tique pareille de Minutolo, ci-dessus, col. 508), comme générale, mesure hostile au P. Gonzalez; d’où nouveau conflit, aboutissant le 3 août 1691 â une déclaration de devient inutile le zèle de prier et supplier Dieu pour non-validité du décret en cause, prononcée par une qu'il fasse connaître sa loi et la vérité. De plus, per­ commission de cinq cardinaux que le pape avait Ins­ mettre qu'on suive la moins probable conduit à cette affirmation que la loi n'oblige pas tant que son exis­ tituée â cet effet. Gonzalez demeurait maître de la place. j tence n’est pas certaine et évidente. Gonzalez a làSon livre était sorti dès janvier. Contre le gré des , dessus des paroles dures, qu'il dit atteindre Caramucl, mais dont nous savons qu’elles touchent aussi d'autres assistants.il paraissait sous le nom de son auteur, et, noms. contre une remarque du P. Zingnis, le nom du P. Gon­ zalez était suivi de son titre de pneposilus generatis Dicere autem quod lex non obligat nisi ejus cxistentla sit Societatis Jesu. En la dissertation préliminaire, il était cognita certo ct evidenter ab operante, est res absurdissima seulement spécifié que l’auteur publiait cc traité, non et qu® uno ictu innumera praecepta de medio tollit ct facit comme le chef, mais comme l’un des théologiens de la licitas res omnes quit· in controversiam vocata· sunt a theo­ Compagnie, sans exiger des membres de celle-ci qu’ils logis. Unde sufficiet scire quod disputatur Inter theologos an aliquis contractus sil illicitus, aliqua actio prohibita, ut adoptassent sa doctrine, mais en laissant à tous l'entière statim absque ullo scrupulo possit quis ejusmodi contrac­ liberté de défendre la thèse qui, après examen, leur tum el actionem exercere : quia hoc ipso quod sciat id voca­ paraîtrait la mieux fondée. L’ouvrage de Gonzalez est tum esse in disputationem a theologis recte inferre potest intitulé Fundamentum theologi& moralis id est tractatus non esse m anifestum ct evidens quod sit prohibitum. Éd. theologicus de recto usu opinionum probabilium, in quo cit., p. 46-47. ostenditur... Il est d’ordre scientifique, supérieur pour Toute cette IIIe dissertation est d’une vigueur ct la qualité de la pensée à la plupart des écrits du temps consacrés au même sujet. Ses défauts sont la prolixité d’une exactitude dans la critique qui dénoncent le bon du style, dont les théologiens espagnols ne sont jamais auteur sous la modestie dont il s’enveloppe. On en exempts, quelques accommodations historiques, lar- 1 rapprochera la V· dissertation, dirigée contre cette gement excusées par la situation particulière de l’au­ thèse (évoquant pour nous le nom de Vasquez) selon laquelle le docte qui tient pour telle opinion en vertu teur, et une distribution Imparfaitement ordonnée des matières, duc surtout aux additions et remaniements de raisons intrinsèques peut suivre ct conseiller la contraire, sur la considération des autorités qui la que représente cette édition par rapport à la première rédaction de l’ouvrage, ancienne d’environ vingt défendent. Une autre conclusion refuse celte certitude réflexe où années. Mais la pensée en est dûment réfléchie et éla­ les probabilistes pensent atteindre en vertu d’un syllo­ borée, fidèle aux convictions que s’était faites l'auteur gisme comme celui-ci : il est permis de suivre toute depuis sa renonciation au probabilisme, survenue au opinion probable; or, celle opinion est probable; donc, cours de scs missions apostoliques en Espagne. La il est permis de la suivre; ou qu'ils se donnent en con­ valeur de l’ouvrage, jointe au retentissement qu'il sidération de la multitude des docteurs enseignant obtint, nous commande d’en présenter l’analyse. I® La doctrine de Gonzalez. — La définition de la pro­ qu’il est licite de suivre la moins probable. Bien de tout cela, dit Gonzalez, ne rend plus vraisemblable à babilité. élaborée des le commencement, engage bien l’intéressé la proposition en litige, par exemple la jus­ la recherche. En voici une formule entre plusieurs : tice de tel contrat. Avec cette réflexion, on en arrive à Opinio ergo probabilis est illa qua* concipitur ob mt Io­ une situation où d’une part on tient pour plus vraisem­ nem vel rationes talem ρπι· se ferentes apparentiam veri til­ blable la malice d'un contrat, cependant que d'autre th. nt ob Illas vir prudens sino ulla pnrcipitatlone cl pas­ sione judicet rem esse vcnim. licet agnoscat non repugnaro part on estime ce contrat permis. N’est pas davantage quod sit talsa : quia videlicet medium assent lend! non est admise la « réflexion » sur la possession de la liberté ni, demonstrativum. Éd. de Cologne, 1691. p. 11. on le pense bien, sur la prétendue non-promulgation de Où l’on revient â la notion classique du probable· la loi ou sur l’ignorance où. grâce au doute, on serait défini en fonction du vrai et de l’adhésion de l’esprit. de celle-ci. Seule est légitime et autorise le jugement Quand Gonzalez déclare là-dessus que beaucoup d’au­ pratique certain celte « réflexion où l’on assure qu’on teurs de son siècle, s’ils permettent qu’on suive l’opi­ tient comme plus probable, ct comme l’objet de l'adhé­ nion probable, entendent une opinion dont le sujet sion intellectuelle, une opinion communément consi­ dérée comme moins probable. pour son compte est persuadé, bien que sa contraire Gonzalez traite aussi du cas où l’esprit se trouve en soit tenue communément pour plus probable, il avance une distinction en soi fort intéressante, mais présence de deux opinions également probables, l’une favorable à la liberté, l’autre à la loi En ce cas rien mal appliquée; en fait, on est passé d’un sens à l’autre dr* la première heure du probabilisme, qui s’est , n'autorise l’adhésion, les mot ifs qui agissent sur l’esprit 54 PROBABILISME. L* AFFAIRE GONZALEZ 542 attachée â la fol ct a la science, mais non hésitation ct doute. Elle s’accorde avec une certitude morale. Gon­ zalez rejoint ici Cnjétan, bien qu’il dise un peu plus bas se séparer de lui (p. 168), mais sur un point assez menu. Le problème difficile de l’ignorance du droit naturel est traité avec une modération pareille, pour aboutir a cette conclusion qu’il peut y avoir ignorance Invin­ cible quant aux conclusions très éloignées des premiers principes de cc droit, et sur lesquelles il y a des opi­ nions divergentes chez les docteurs catholiques. L’ou­ vrage finit sur les preuves positives de la doctrine sou­ tenue. suivies de la réfutation des objections avancées par les partisans de la sentence bénigne. Gonzalez a lui-même attaché le nom de probabiliorisme ù la position qu’il adopte (p. 13), où est requise une plus grande probabilité pour que soit admise l’opi­ nion moins sûre. Dans sa pensée, celte position tient le milieu entre les auteurs trop faciles et les auteurs trop exigeants. De fait, il suffirait de légères retouches pour que scs règles fussent irréprochables. Au regard de la théologie classique, la principale insuffisance de l’ouvrage est l’omission de la prudence, avec la perfec­ tion doctrinale et le redressement moral que cette vertu comporte. Tel qu’il est, il avait certainement de quoi persuader cl gagner les esprits. En fait, quel a été son succès? Lc livre fut tôt cl largement répandu. En 1691, on en signale trois éditions à Borne ct neuf en Nemini licitum est sequi sententiam faventem libertati différentes villes d'Europe. 11 fait l’objet d’une analyse adversus legem, quin post diligentem veritatis inquisitio­ attentive, au début de 1695, dans les Acta eruditorum, nem, citra passionem ct culpam, appareat ipsi in actu primo vel unice verisimilis, vel clare el sensibiliter verisimilior publication protestante de Leipzig. De nombreuses opposita stante pro lege adversus libertatem, et idcirco ab lettres parvinrent â Gonzalez de la part d’hommes illo judicetur vera judicio absoluto non fluctuante. Éd. cit., qualifiés, jésuites ct autres, le félicitant de son ouvrage; p. 125. avec les lettres émanées de diverses provinces de la Énoncé excellent en ce qu’il restaure la vérité Compagnie en 1693, qui demandaient la publication cumine règle d’action; en ce qu’il admet qu’on adhère de l’ouvrage, elles forment un recueil inédit, conservé au vrai sous les espèces du vraisemblable (quant ù la dans la Compagnie; voir Astrain. Historia de la Com­ certitude exigée du jugement de vérité, nous l’appré­ para de. Jésus en la asislcncia de Espaça, t. vi, p. x. cierons mieux en cours de développement). Moins bibliogr. n. 3. Bientôt on lit de l'ouvrage, dans la irréprochable en celle antithèse de la loi ct de la Compagnie même, des résumés ct synopses, euxmêmes rassemblés en recueils, par exemple Synopsis liberté, que Gonzalez reçoit de ses adversaires cl où il prend parti spontanément en faveur de la loi : la théo­ triplex tractatus theologici de recto usu opinionum pro­ babilium luce publica donati sub initium anni 1691 a logie classique, nous le savons, pose le problème moral H. P. Thyrso Gongalez. prirp. gen. Soc. J.» et duodecies en termes de bien, s'épargnant ainsi l'apparence de intra annum recusi. Lyon. 169S. En ce dernier volume rigueur attachée au parti d'un Gonzalez, quoiqu’elle tienne aussi ferme ù l’exigence du devoir. On retrou­ abondent même les pièces de vers latins où est célébré, verait une pointe d’outrance en l’interprétation pro­ en mètres et en strophes classiques, le mérite de (ion­ zalcz, où même est exprimée, ct non sans précision, la posée plus bas, diss. IX, du Quodlib. vin, a. 13. de technique de la probabilité. Le principal auteur de cc saint Thomas (voir notre article Éclaircissements...)» De même en l'interprétation de la 3· proposition con­ genre inattendu est le P. Jean Blanchet, jésuite de Poitiers ; les vrais poètes ont raison des plus ingrats damnée par Innocent XI. où Gonzalez volt ébranlé le fondement du probabilisme (éd. cil., p. 131): nous pro­ sujets! Peut-être faut-il voir des imitations de l’ou­ vrage de Gonzalez en des publications comme le De noncions ci-dessus, col. 531, un jugement plus modéré. Mais par ailleurs Gonzalez prend grand soin de dis­ conscientia humana, du minime François Palanco. paru tinguer sa position de certaines autres, plus rigou­ â Salamanque en 1691. ou la Disputatio theologica de opinionum delectu in rebus moralibus, d’Antoine Charreuses. Il déclare alors en toutes lettres que, « pour se servir de la sentence moins sûre, il n’cst pas requis que las. parue à Home en 1G95. Cf. Dollinger-Reusch. op. l’on se forme un jugement tout à fait certain de l’hon­ ctt.i t. f. p. 2S8, 255. 5° Attaques contre Gonzalez. — Il ne sc pouvait tou­ nêteté de l’objet; mais 11 suffit que l’on se persuade, tefois qu’un livre de cette nature, cl publié dans les d’un jugement d’opinion prudent et n'excluant pas de circonstances que nous avons dites, fil l’unanimité des sol toute crainte de la malice, que l’objet est honnête suffrages. Dès avant son apparition, nous avons vu ou du moins non défendu . Diss. X. éd cil., p. 1 12. Entre tous ses devanciers, plutôt que Mercorus el Fa- Segneri écrire deux lettres contre les doctrines de Gon­ zalez, publiées avec la troisième dont nous allons par­ gnanus. c’est Gonel chez qui Gonzalez retrouve le ler. à Cologne, en 1732. sous le litre : Leltere del Padre mieux celle sage conclusion qui est la sienne. Il a le Paolo Segneri sulla materia del probabile. La première droit d'invoquer comme il le fait des témoignages tra­ des trois avait paru déjà, sous le pseudonyme de ditionnels en ce sens. Sur le point sensible de la crainte permise dans le jugement (où nous trouvions Fagna« Massimo dcgli Affiitli ». ù Cologne, en 1703, puis a nus mal assuré cl penchant vers l’excès), il a celle heu­ Naples en 1726, etc.; cf. Dullinger-Keusch. op. cit.. t. ï, reuse définition : « Elle n’cst pas autre chose que la p. 1X2. Concilia, au temps de qui ces lettres eurent un connaissance selon laquelle l’esprit connaît que la chose regain d’actualité, feignit de supposer qu'elles n’copinéc. dont il juge cl énonce déterminément. par l’opi­ taint point de Segneri. dont la sagesse et la piété nion, qu’elle est ainsi, peut cire autrement qu’il ne la | étaient en si grande réputation. Storia del probatujuge I*. 165. Crainte qui est défaut de celle fermeté lismo..., I i. p. 311, IXI-IX5, 566-56S. Elles nous en sens divers étant supposés sc compenser exactement ; on demeure dans le doute, on agira au plus sûr. Il est vain de dire qu'on souffre alors d’une ignorance Invin­ cible de la loi : sans doute est-on excusé de ne pas savoir, mais pourquoi ne resterait-il pas le devoir d'n gir? Le vice de cc raisonnement, dit Gonzalez, consiste à tranfércrù l’action l’excuse qui vaut seulement pour le défaut de science. Vain aussi d'invoquer le principe de possession : comment arguer ici de la possession de la liberté qui est justement l’objet en cause, exacte­ ment aussi douteuse que l’obligation sur laquelle on h. sltC ‘ On voit l’inspiration de celle critique et le postulat qui la soutient, déclaré d’ailleurs dès la définition du probable : c’est à savoir que la vie morale est chose de sincérité. Elle est régie par l’intelligence dont l’objet est le vrai, auquel elle va selon les lois de sa nature. Sous les conclusions que nous venons de représenter, il y a de la pari de Gonzalez une sorte de retour à la nature, le sentiment profond et indestructible que l'ac­ tion relève d’un jugement réglé en définitive par la vérité seule. A ce titre, nous nous sentons avec sa cri­ tique en parfaite sympathie. 2. Im partie constructrice. — A partir de la VIII- dis­ sertation, Gonzalez établit sa propre doctrine. Elle tient’dans~cet le proposition capitale : 543 P KO B Λ BILIS ME. I/AFEAIKE GONZALEZ ramènent nu probabilisme le plus opiniâtre, et, dirons- (le seul condamné des écrits relatifs au livre de Gon­ zalez) et réfuté plus tard par le jésuite Muniessa. nous, le plus naïf. Elles procèdent en effet de cette conviction absolue que combattre le probabilisme, 6° Succès relati/ de Gonzalez. - La χιν· congréga­ c'est promouvoir une sévérité intolérable. Si la sen­ tion générale se réunit en novembre 1696. En dépit tence bénigne favorise la présomption, la rigide con­ des oppositions (pii s’élaient annoncées. Gonzalez y fut écouté. (I n mol de Bossuet sur le sujet, dans une duit au désespoir, qui csl un plus grave péché. « Pour moi, dit l’auteur, je confesse la vérité, et c’est que je lettre du I septembre 1696. dans la Correspondance, éd. cit., I. vm, p. 61-62 ; < ... Je crois qu’à la lin, de saurais difficilement comment me sauver si je (levais à tout coup suivre la plus probable. Éd. de Cologne, bon ou de mauvais jeu. ils deviendront orthodoxes. ») 1732, p. 17. En quel affreux dilemme nous voilà donc Il obtint notamment un décret relatif aux questions enfermés! La première lettre traite du probable en toujours litigieuses de renseignement dans la Compa­ gnie, où la morale est aussi en cause : général. La seconde réfute, ligne par ligne, un écrit composé en faveur de Gonzalez, entendons l’écrit de Decretum 5. Probato a congregatione postal ito plurium Gonzalez lui-même; sous le style infiniment contourné, provinciarum de conficiendo quamprimum elencho opinio­ on sent celle fois la plus radicale hostilité. L’auteur va num quas nostri docere non debeant, tum in philosophia tum in theologia speculativa et morali, H. P. generalis jusqu’à dire qu'en prescrivant de suivre la vérité jugée rogavit congregationem, plncerelne. Inhierendo vestigiis su­ telle, Gonzalez enseigne la défiance envers les docteurs periorum congregationum, pnesertim XI et XII, declarare et favorise la désobéissance. Ce qui nous apparaissait quantum Societas universa abhorre it cl semper abhorrue­ cn cet ouvrage comme un retour à la sincérité et une rit ab omni opinium tam novitate in omnibus quam pr.eserrestauration du naturel, Scgneri le dénonce comme un tim laxitate in moralibus; gratum Imbuit congregatio tam dangereux subjectivisme, où chacun s’érige en juge de s metum Patris nostri zelum et quamvis compertum illi sit, la vérité : si les docteurs ont jugé quelque chose comme nostris professoribus el scriptoribus tam religiose sancita probable, qui êtes-vous, nous dit-il, pour oser le révo­ conii esse, commendavit tamen impenso eidem preposito generali ut eorum execution) invigilet, curetque confici pr.cquer cn doute? Et il ne donne pas d'autre motif de la dictum elenchum communicandum provinciis priusquiin réprobation des censeurs que < le principe faux de ce ullim i ei m imis» apponatur. Institutum Soc. J., 1.1, Prague, livre, constituant pour règle des mœurs la vérité, 1757. p. 669. réelle ou imaginaire, on ne sait, et d’où suivent des bévues énormes ». P, 177. Le cas de Scgneri est certai­ Le catalogue prévu ne fut jamais exécuté ou du nement désespéré. A l’argument qu’on n’use du moins moins promulgué. On peut lire dans l’ouvrage cité de probable nulle pari ailleurs, ni en a fiai res, ni en K. de Scorraille, François Suarez, t. i. p. 193-191, une santé, etc., que répond-il? Qu’il ne le fait pas non plus lettre adressée à ce sujet à Gonzalez par un jésuite en morale puisque la sentence moins probable est celle espagnol, le 11 septembre 1697, et qui témoigne les des adversaires, qui obligent au plus probable. La résistances que dut rencontrer le général cn celte entre troisième lettre fut écrite l’ouvrage paru. Elle est celte prise, en dépit de la commission de la congrégation fois ouvertement tournée contre Gonzalez et s’intitule générale el du surcroît d’autorité qu'il en retira. Lui« dans laquelle sont abattus les fondements d’un nou­ même écrivit en 1699 et 1700 un nouvel opuscule de­ veau système qui, chassant en fin de compte la proba­ meuré inédit, malgré les instances qu’il fil plus lard bilité de la règle des opinions probables, vomirait y auprès de son vicaire et des assistants pour qu’on le substituer la vérité assurée ». Jamais probabiliste n’a publiât. Le titre seul cn devait inquiéter plusieurs : joué plus franc jeu. Scgneri estime que la vérité est Opusculum historico-theologicum de ortu et origine pro· trop incertaine et trop difficile; il y faut substituer en babilismi. ejusque progressu et fallaciis ac tcquiuoca· lionibus /alsisque suppositionibus, absque ullo solido morale la probabilité. C’est la distinction poussée à bout du spéculatif et du pratique; Scgneri y est fidèle, principio in quo nitatur et de ejus decremento atque on dirait jusqu’au cynisme s’il n’était si saint homme. imminente interitu ex decretis romanorum pontificum et Il est un des plus frappants exemples de la séduction episcoporum conspiratione atque quamplurittm theolo­ gorum recentium valida impugnatione. Le manuscrit que peut exercer l’esprit de système sur une pensée; est à la bibliothèque Casanate, à Borne. CL Aslrain, depuis quarante ans qu’on attaque de partout le probabilisme. Il est clair que cet homme n’a rien op. cit., I. vi, p. xi!, n. 17. Les publications relatives à l’ouvrage principal de appris; i) nous aide partiellement à comprendre pour­ quoi. devant des démonstrations comme celle d’un Gonzalez ne cessent pas cependant de paraître, bavorables aux thèses du général sont les livres des jésuites Gonzalez, le probabilisme cependant a tenu et s’est perpétué. français Antoine Bonnet (sous le nom de Noel Breton), Ces écrits partirent à l’insu de Gonzalez II fut au Toulouse, 1696; Jean-François Maint ra, Lyon, 1698; contraire averti des protestations du jésuite allemand Jean Gisbert, Paris, 1703. de qui le livre porte en vedette le litre A'Antiprubabilismus, el du jésuite espa­ Christo dr R issler, professeur à Dillingcn. de qui on gnol Thomas Muniessa. Saragosse, 1696. Mais le plus lira les mésaventures et l’obstination dans DollingcrBcusch, op. cîL, t. i, p. 235 sq.; pour finir, les censeurs important des ouvrages nntlprobabillstcs d’origine jésuite parus sous le généralat de Gonzalez est la du général refusèrent l’approbation à son ouvrage. Plus habile, le jésuite espagnol Bernard Sartolo. pro­ Regula honestatis morulis seu tractatus theologicus tri­ fesseur à Valladolid, fit paraître une réfutation (car il parti tus de regula moral iter agendi..., de l’Espagnol semble bien cn être l’auteur) sous le nom emprunté Ignace de Camargo, professeur à Salamanque, et publié d’un jeune docteur de Salamanque, Intitulée Lapis ! à Naples en 1702, aver l'approbation de Gonzalez. Igdius recentis antiprobabilismi seu dissertatio theolo­ L'ouvrage est dédié à Clément NI. L’auteur déclare gica contra nuperos ejus propugnatores. Salamanque, avoir été probabiliste, mais l’étude el l’expérience l’ont 1697. Cet ouvrage, (pii attaquait directement Gonza­ détaché de ce système; il témoigne que d’autres à lez, suscita deux répliques, l’une sous le nom d’AntoSalamanque sont dans le même cas Mais, tandis que nius Florentius, à Toulouse cn 1702, dédiée à Bossuet; le probabilisme lui semble être en baisse partout ail­ l’autre du jésuite Ehrcnlreich, professeur à l’université leurs. il signale combien la vogue cn demeure grande dTnspruck, l’auteur d’un des résumés du Fundamen­ cn Espagne,où l’on suscite des ennuis à ses adversaires. tum dont nous parlions cl-dessus, parue â Borne en Cf Düllingcr-Heusch. op. cit.. t. L p 256-259. On rap­ 1719. Étranger à la Compagnie semble être l’écrit prochera de ccs informations celles que fournit le publié à Gênes en 1691. Crisis de probabilitate ... attri­ même Camargo dans une supplique adressée de Sala­ bué nu bénédictin Bernard Bissi, mis à l’index en 1697 manque le 22 octobre 1706 au pope Clément NI : il y 545 P 11 OB A IJ 1 LIS Μ 1·.. L* A Fi A HIE GONZALEZ 546 expose combien le probabilisme est entré dans les ce cpii cn réalité n’est pas fait de bonne foi; elle dit être mœurs mêmes des fidèles et quelles difficultés ren­ fait avec une bonne conscience ce qu’en réalité on fait contrent les missionnaires quand ils tâchent de corri­ sans bonne conscience ou contre sa propre conscience... ger ces abus; et il déplore rattachement étrange qu’il Cette sentence est donc la cause d’innombrables pé­ voit professer de la part de ses confrères jésuites pour chés et de la damnation des âmes. » X. 9. Mais aujour­ un système ailleurs décrié (le document est Intégrale­ d’hui, après les Interventions des précédents pontifes ment reproduit, avec la lettre d’envoi très favorable I et de nombreux évêques ou assemblées d'évêques, vu du nonce à Madrid adressée au cardinal Fubronl, cn le discrédit où est tombé le système dans l’ensemble de date du 27 octobre 1706, dans Concina, Di/esa.,.* p. 60- j l’opinion catholique, les réfutations qu’on cn a faites 65). La même année cl dans la même ville que Fou- |I et surtout l’inclination du Saint-Siège, telle qu’on vrage de Camargo paraissait un livre du P. Kicci, peut tenir les principaux dogmes probabilistes pour jésuite italien, qui est un essai de conciliation ou plu­ proxime damnabilia* Gonzalez estime difficile qu’on tôt d'unification entre la doctrine de Gonzalez et celle I professe sans péché et de bonne fol cette doctrine, des jésuites probabilistes; le livre est dédié à Gonzalez même dans la spéculation. 11 exprime l’espoir que Clément XI voudra continuer l’œuvre de scs prédé­ lui-même. Le genre devait susciter quelques imitations. cesseurs. Maintenant qu’ont été condamnés l'extrême En dehors de la querelle, la Synopsis theologia praerigueur (voir ci-dessous, col. 548) et l'extrême relâ­ lica...t Douai, 1698, du jésuite Taberna, témoigne une chement, il resterait que fût montré le juste milieu. En position qui, sans rompre avec tout le probabilisme, â plus forte raison sans verser dans le tutiorisme, s’ap- | tout cas, cn ce qui concerne la Compagnie de Jésus, il parente avec l’antiprobabilismc, en s'appuyant prin­ est nécessaire que le pape intervienne. Document d’un cipalement sur les condamnations d'innocent XL homme qui touche au terme de sa carrière, ou sc ré­ sume l’elTort d'une vie. Son accent de sincérité et d’in­ 11 ressort de ces publications et de ces faits que Gonzalez est loin d’être resté isolé en sa réaction, et il quiétude n'est pas niable. Il fut communiqué le 21 août 1702 à Fabio Olivieri, secrétaire des brefs, pour qu’il est difficile de ne voir que de l’opportunisme dans les voulût bien le présenter au pape, Lettre de Gonzalez â doctrines (pie nous venons d’évoquer. Avant Gonzalez, nous le savons, il y avait eu de l’antiprobabilismc dans ( Olivieri, dans Concina, Dilésa.... p. 34. Le 1 sep­ la Compagnie, et l'attitude du général a pu libérer seu­ tembre, le P. Sagarra était reçu en audience par Clé­ lement des convictions et leur permettre de sc pro­ ment XI, qu’il entretenait de cette supplique. L’ac­ duire, comme elle a pu gagner aussi à sa doctrine des cueil el la décision du pape sont exprimés dans l’addi­ esprits sincères. L’opposition toutefois n’a jamais com­ tion faite au Libellus : plètement désarmé. Si l’énorme in-folio du jésuite Bcm gratissim im Sanctitati su® facturos superiores Socie­ bavarois Jacques lllsung, Arbor scientia· boni et rnali.... tatis, si p nesten t ut j esui tu? abstineant a docenda et defen­ Dillingen, 1693, qui défend avec quelques limitations i denda sententia <|ua» asserit licitum esse usum opinionis mi­ nus probabilis et minus tuta·. cum Sanctitati sua? comper­ le probabilisme ordinaire, est antérieur à la publication tum sil ita omnino expedire ad incolumitatem et honorem de Gonzalez, en revanche le jésuite italien, J.-B. de Benedictis, sous le pseudonyme de Fr. de Bonis, publie 1 Societatis. en 1698 un écrit violent contre la publication pos­ C’était consacrer, en désir du moins, l’œuvre entière thume du mineur conventuel B. CiaiToni, qu’il nomme de Gonzalez. Ce qui en adviendra et comment cette gentiment un · singe de Pascal > : les deux adversaires héroïque tentative de restauration fut sans lendemain devaient être mis à l’index en 1701. Cf. Kcusch, op. cil.* durable, selon que l’avait redouté Gonzalez, les pro­ p. 511-512. L’activité polémique que déploie vers ce chains épisodes de la querelle nous en informeront. temps-là en France le P. Daniel (voir col. 350) ne 1· Les documents originaux relatifs au décret de 1630 cl b peut non plus être considérée comme répondant aux l’alla ire Gonzalez nous ont été conservés, comme on l’a vu, vœux du général. Mais l’impression demeure que par Concina, dans sa Dilésa della Conipagnia di Gesù, Ve­ nise, 1767 (éd. lat. : Vindicia Societatis Jesu* Venise, 1769), parmi tant de contradictions l'œuvre de Gonzalez fait et par Patuzzi, d ms ses l.etlerc tcologico-morali... di Eusebio son chemin dans la Compagnie. Eraniste, t. vt, Trente, 1731. append., p. ι-civ, cl dans scs Les sentiments suprêmes de ce grand lutteur, qui ne sopra oari punit distorta leltrraria..., t. n, devait mourir que le 27 octobre 1705 — mais ses der­ Osscrnazioni Venise, 1736. append., p. l\ ii-c\xx.()nen trouve une collec­ nières années furent d’un homme diminué — sont tion dnns Dollinger-Beusch. op. cit., t. n, Aklenstuckr, pas­ contenus dans l’émouvant Libellus supplex... qu’il sim. Betenir aussi la déposition de Gonzalez au cours des envoya ù Clément XI en 1702 et que nous avons déjà tractations préparatoires au procès de béatification d*Inno­ plusieurs fois cité (outre Concina, loc. cit., Patuzzi nous cent XI. Suc. Kit. Congé. Em. el reo. D. card. Ferrario Horn, beati ficalionis et canon faifion es tvn. serai Del Innocenta cn a aussi conservé le texte dans ses Lcltcre tcologicopapa.· XI. Posilio super dubio, un sil signanda commissio morali... di Eusebio Eraniste, t. vi, p. lxiv sq.). 11 y introductionis causa? in casu, etc.. Borne. 1713, in-fol., supplie le pape d’intervenir auprès de la Compagnie de 2· paginat., p. 180, n. 21, 2 P témoin. Parmi les documents Jésus en vue de la garder des périls où Gonzalez craint manuscrits signalés par le P. Aslrain (ci-dessous) sont d’un qu’elle ne tombe après sa mort, si elle ne sc détache intérêt spécial pour celte histoire : le ms. 2671, de 1.» Casa­ décidément du probabilisme. 11 sait bien avoir fait nate à Borne. Epistola circa probabilia (correspondance de quelque chose d’efllcace pour son ordre; son livre a Gonzalez avec les généraux Oliva et Noyclle. ainsi qu’avec le provincial de Castille^ 1667-1687, collection tonnée par produit des < fruits abondants »; mais il n’est pas sùr Gonzalez); le ms. 1361, de la même bibliothèque, qui ol que la lutte ne recommence, qui serait désastreuse pour les siens. Gonzalez est plus dur que jamais au proba­ VOpusculurn de 1699-1700 dont nous avons parlé; les Epi>tol.c ex ihiriis provinciis Socidalis, en possession de La bilisme : « Bien que soient excusés de péché les auteurs Compagnie de Jésus. qui jugèrent de bonne foi comme vraie la sentence des 2· Des historiques de l'affaire sc trouvent dans les Lettrrr probabilistes, et donc l’ont suivie de bonne fol dans la1 del 1*. Paolo Scgneri sulla maleria dei probabile, Cologne. spéculation, personne néanmoins, sauf preuve, ne doit 1732. left. 1! cl m; Concini. Delia storia del probabilismo r del rigorismo, etc.. Lucques, 1743, t. i, diss. 11, c. iv; t. îî, être censé avoir mis en pratique une telle doctrine pour diriger sa conscience ou celle d’un autre : car diss. Ill; Gagna, iMlcrc d*Eugenio Apoligi la... ad un col­ toujours et partout ce fut. c’est, ce sera un péché très lega del P. Concina, Lubiana, 1745. lett. 9 sq.; Patuzzi, Lcl· terr Iraloglco-morall... di Eusebio Erunisle, 3* êd.. Trente, formel que de pratiquer une telle doctrine. La raison t. n. 1752, leti, xvi; t. vi, 1751, lett. .XLiir. en est facile, car la fausseté de la sentence réflexe du 3· Enfln maints travaux modernes ont étudié cette probabilisme consiste en ce qu’elle dit qu’il n’y a pas aiT.iirc, L'ouvrage cité do Dollingcr-Beiisch cn a fait un péché là où il y a péché; elle dit être fait de bonne foi récit circonstancié· t. i, p. 120-173. Sur le décret de 1680 mer. de TiiéOL. caiiiol. T. — XIII — 18. 34 l P BOB A BILISM E. LU ΝΤΕ B V E NT IO N spécialement consulter les articles de J. Brucker, S. J., dans les Etudes, dc mars 1901 u nov. 1903; du P. Mandonnet, 0. P., (Lins la Heu. thomiste, dc sept. 1901 à Janv. 1903, publiés séparément sous le titre : Le décret d'innocent XI centre le probabilisme, Paris, 1903; l'étude de Fr. Ter Hnar, C. SS. B., Dos Dekret des Papstes Innneenz XI. überden Pro· babilhmut, Paderborn. 1901. Dans l'ouvrage d'A. Lchinkuhl, Probabilismus vindicatus, Fribourg. 1906, les p. 78-111 con­ cernent cc sujet; de même dans celui dc J. Brucker, S. J., Zxi Compagnie de Jésus, Paris, 1919, les p. 521 sq. Un récit très détaillé dans A. Astrain, Historia dc la Compaûa dc Jesûs en la asistenda de Espaha, t. vi, Madrid, 1920, p. 119172, avec des chapitres d'introduction sur le probabilisme avant le P. Gonzalez: en tête de cc tome, une précieuse bibliographie d'inédits sur le probabilisme, spécialement autour de PalTairc Gonzalez, p. x-xn. Dans le même sens que cc dentier ouvrage voir l'art. Probabilisme, dans le Diet, apologétique.... t. tv, Paris. 1922, col. 331-332; Pastor, Geschichte der Pdpste, t. xiv b, p. 979-983, 1116-1125. Nous avons déjà renvoyé aux articles précédents publiés Ici : Gonzalez, Innocent XI, Oliva. ZZ.ZU CONDAMNATION PORTEE PAR ALEXANDRE l'ZZZ (1690). - Entre la condamnation d'Innocent XI en 1679 et celle d’Alexandre VIII en 1690, un certain nombre d'écrits ne laissent pas d'être mis à l'index, émanant d’auteurs d'ailleurs obscurs et fauteurs d'une morale trop complaisante. Voir Heusch, Index, p. 510»11. En août 1690, Alexandre \ III intervenait en con­ damnant, nous l'avons indiqué déjà, deux propositions venues du camp dc la morale large. .Mais il proscrivit, en décembre de la même année, une série dc proposi­ tions venues du camp adverse. Au nombre de trente et une, elles intéressent toutes sortes de matières théo­ logiques où la morale, au sens d'alors, n’est que faible­ ment représentée. De ce chef, il faut aussitôt le remar­ quer, ce nouveau catalogue ne fait point pendant à ceux d’innocent XI et d'Alexandre VII, lesquels sont uniquement composés de propositions de morale. Il n'y a jamais eu une casuistique rigoriste comparable à la casuistique laxiste. Sur les dénonciations, examens et tractations qui sont à l’origine dc cc décret, sur sa nature aussi, voir l’art. Ali.xan due V II I, t. i, col. 751, où l’on trouvera en outre l’analyse détaillée du document. On remarquera que les notes de la condamnation s'en­ tendent du « tout respectivement », c’est-à-dire que chacune des propositions mérite quelqu’une ou plu­ sieurs des qualifications dites, sans devoir vérifier la totalité de celles-ci. Seules relèvent dc notre étude les 2· et 3· propositions. La 2·, relative à l’ignorance du droit naturel, est ainsi libellée : O ’ Λ L E N A N 1) H E \ III 348 parlé. Sur Estrix, voir Hurler, Xomenclator, l. iv. col. 328, 27-1, 283, 951. L’une des doctrines prises à partie en son ouvrage, c. n, sect, i, dogma 3, est en effet la suivante : Nulla ignorantia legis natum·, etsi invincibilis sit, excusat agentem contra legem. Et l’au­ teur en attribue la paternité à Macaire Havcrmans, un prémontré d’Anvers, avec lequel Estrix, après sou confrère Philippe de Hornes, échangea quelques pièces de controverse. Doctrinalement, celte proposition ne se soutient que moyennant une conception exorbi­ tante du péché originel, que dénonce précisément le même ouvrage et qui deviendra la lrc proposition dc la série condamnée par Alexandre VIII : lien doctrinal qui nous éloigne davantage de la thèse refusant pure­ ment et simplement l'ignorance invincible du droit naturel, telle du moins que l'entendaient certains de ses défenseurs. Les accusations d’Estrix ont donc été retenues dans la liste de propositions condamnables envoyée à Borne en 1680 par l'archevêque de Malines et les évêques des Pays-Bas (cf. l’art. Alexandbe V111), compensation des déboires éprouvés en sa carrière de polémiste: plusieurs de scs écrits sont en cITct à l’index et la 21e proposition dc la série d’Innocent XI était loin dc lui être étrangère. Heusch, Index, p. 518. Le livre même que nous avons désigné avait été prohibé par l'archevêque dc Malines, Alphonse de Berghes (t 1689), cf. Heusch, op. cit., p. 519, contre quoi d’ail­ leurs l’auteur avait protesté. Sur les difficultés d’Es­ trix avec l’index voir aussi les lettres de dom Durban citées col. 531; y ajouter la lettre du même, 22 niai 1674, dans Jtevue Mabillon, t. xxiv, 193L p. 167-168. La 3· proposition s'énonce : Non licet sequi opinionem 11 n’est pas pennis dc sui­ ve! inter probabiles probabl- vre l'opinion même la plus fissimnni. probable d'entre les proba­ bles. Elle vient, comme la précédente, de Louvain et précisément dc Jean Sinnigh, comme nous l’avons re­ marqué et expliqué, col. 521. Son intérêt systématique est manifeste, l’une des questions centrales dc la con­ troverse étant ici touchée, et pour déclarer qu'un cer­ tain usage de la probabilité est permis, au moins celui dc l’opinion la plus probable entre toutes les probables présentes. Nous avons vu que la négation de ccttc thèse ne peut être attribuée indistinctement même au jansénisme, puisqu'un Nicole en personne corrige cl affine à ce propos les outrances massives du théologien dc Louvain. Encore moins oserait-on l’attribuer aux adversaires du probabilisme en général, la plupart Tametsi detur ignorantia Supposé qu'il y nit une d'entre eux, nous le savons, se gardant soigneusement invincibilis juris nut une, ignorance invincible du droit haec in statu nature lapsæ naturel, elle n'excuse pas d'excéder en leur réaction même et professant obser­ operantem ex ipsa non excu­ d’un péché formel dans l’état ver un juste milieu. Mais il serait encore Inexact dc sat a peccato formali. dc nature déchue celui qui considérer cette condamnation comme une victoire du agit d'après elle. probabilisme, la consécration d’un résultat dû aux moralistes de cette tendance, grâce à quoi serait désor­ La proposition condamnée ne nie donc pas qu’il y mais Introduit en morale, au moins sous cette forme ait une ignorance invincible du droit naturel, selon la restreinte, l’usage dc la probabilité. On usait dc la pro­ thèse favorite de Sinnigh, de Nicole, de Contcnson et, moins nettement, de Baron. Mais beaucoup plus crû­ babilité longtemps avant le probabilisme, et point ne ment, supposé qu’il y ait ccttc Ignorance invincible, fut besoin de scs revendications pour qu'on eût aperçu et expliqué cette condition de la vie morale. La théolo­ elle refuse d’y voir une excuse au péché. Sous cette forme, la proposition avait été naguère dénoncée dans gie classique accueille la probabilité beaucoup plus un petit livre Intitulé Status, ori go, scopus rejormationis largement même que ne l’impose la condamnation hoc tempore attentatu: in Delgio circa administrationem d'Alexandre VIII. ainsi que nous l’avons montré en la et usum sacramenti poenitentia:, juncta piorum suppli­ I,c partie de cet article. Bien plutôt est ici condamnée catione ad Clementem X. P. M., que publiait à Mayence une réaction excessive, qu’avaient appelée les excès en 1675, sous le pseudonyme de François Simonis, le mêmes du probabilisme, historiquement les premiers, Jésuite Gilles Estrix, très mêlé aux querelles théolo­ réaction dont nous savons qu’elle demeura incompara­ giques dc Louvain et qui devait devenir dans les der­ blement plus limitée, soit pour l’importance qu’elle nières années de sa vie (t 1691) le secrétaire de Gon­ prend chez ses auteurs, soit pour la quant lté des auteurs zalez; il appuya son supérieur au point d’écrire dans le mêmes, que n’avaient été les égarements laxistes du *ens du Fundamentum... une Logistica probabilitatum, probabilisme. L’Intervention pontificale sanctionne publiée dans le recueil des Synopsis dont nous avons donc, moins au bénéfice du probabilisme qu'à l'occa- 549 PKOBABII ISME. NOUVELLES POLEMIQUES 550 sion des disputes du temps, Pun des enseignements bilistcs du xvii· siècle, nous savons déjà quelle diver­ traditionnels de la théologie morale. que certains n'asité il comporte et comment chaque auteur établit a valent méconnu que pour avoir trop énergiquement sn façon et selon une mesure propre, sa doctrine. Il en protesté contre des altérations à la fuis antérieures et va de même des degrés extrêmes du tutiorisme et du plus profondes. rigorisme, sous lesquels on comprend les tenants dc la L'usage a prévalu dans les manuels dc théologie sentence rigide, dont l’importance historique, nous morale de classer les systèmes moraux entre les l’avons dit, fut loin dc représenter les proportions et le extrêmes du rigorisme et du laxisme, condamnés danger dc la sentence relâchée. Cc partage en rigo­ celui-ci par Alexandre VU et Innocent XI, celui-là par risme et en tutiorisme est â son tour une approxima­ Alexandre VIII, selon un ordre dc sévérité décrois­ tion des différences séparant les auteurs en cause, car sante qui passe par le tutiorisme, h· probabiliorismc, leur pensée est plus subtile qu’on ne croirait, mis à l’équlprobabiUsine, le probabilisme. Classification d'in­ part le simplisme d’un Sinnigh. Ajoutons que les térêt pédagogique beaucoup plus qu’historique et doc­ auteurs classés comme probabilioristes seraient pour trinal. Elle consacre cette façon dc juger dc In science une part qualihables en termes dc tutiorisme et même morale selon la difficulté qu’il y a ou non de mettre scs de rigorisme, et parce que leur doctrine comporte des conclusions en pratique, alors qu’il en faut juger, thèses dc cc type, et parce que ces mots sont éminem­ comme dc toute science, selon son rapport avec le réel, ment flexibles. Ainsi doit-on comprendre une classifi­ c’cst-à-dirc sa vérité. Elle méconnaît qu’avant dc sc cation qu'on n’accepterait pas telle quelle sans de distinguer par leurs exigences plus ou moins strictes sérieux inconvénients. ces systèmes dépendent de conceptions morales qui en ///. NOUVEAUX SUEXAUTt DE POLEMIQUE. — Tan­ apparentent plusieurs, cependant qu’elles les opposent dis que les Provinciales et leurs refutations étaient radicalement aux autres, et c'est là-dessus d'abord allées peupler dc longtemps le catalogue dc l’index qu'il les faudrait juger : il y a ceux qui admettent et (voir col. 530) paraissaient en 1694. datés de Cologne, ceux qui excluent les · principes réflexes » avec la cer­ mais en réalité à Rouen, des Entretiens de Cléandre fi titude qui s’ensuit, ceux qui poursuivent un objec­ Eudoxe sur les Lettres au provincial. tivisme de l’action et ceux que domine l’idée dc Ils sont dus au remuant écrivain que fut le P. Ga­ conscience. Enfin, ccttc classlflcal ion donne un sens fixe briel Daniel, jésuite (voir son article, t. iv, coL 1<>4). et déterminé à des vocables essentiellement relatifs, D’honnêtes gens y dialoguent, faisant un gros effort risquant par là de simplifier, non sans dommage pour pour dissimuler le réquisitoire. La tactique adoptée nous ramène au temps révolu. La doctrine des opinions le jugement historique, une situation en réalité plus confuse et des positions quelquefois plus et quelque­ probables est commune aux jésuites et nux docteurs catholiques: voyez, dit Daniel, la Quirstio /acti, qui fois moins tranchées. Nous avons dit (col. 534) en quel sens il convient d’entendre la distinction du pro­ paraissait, nous le savons, en 1659. Une opinion n’est reconnue probable que moyennant plusieurs et graves babilisme et du laxisme. Nous retrouverons ci-dessous l'équiprobabilisme. Quant aux trois premiers systèmes conditions. Les casuistcs ne doivent pas être oppo­ leur nom évoque la réaction conduite contre le proba­ sés aux Pères, de qui ils ne font qu’adapter les règles générales. Et puis la morale janséniste est impra­ bilisme, dont nous sommes en train dc faire l’histoire. Il vaut mieux ne pas comprendre la théologie clas­ ticable. 11 n'y a pas lieu d’attacher une valeur privilégiée à sique sous ccs dénominations: nous avons dit que le mot dc tutiorisme comme du reste celui de probabilisme cette nouvelle riposte, qui demeure un ouvrage dc cir­ constance prêtant à son tour beaucoup à la critique, lui seraient applicables, si de fait ils n’appartenaient nu nom soit de l’histoire, soit de la théologie. L’au­ â un contexte historique et ne représentaient un esprit teur et les siens semblent ax’olr attaché du prix par­ qui ne sont point ceux dc ccttc théologie. Même le mot dessus tout à lu forme de l’ouvrage et tente dc riva­ dc probabiliorismc à notre avis ne lui convient pas, car, s’il est vrai qu'on prescrit en ccttc théologie d’a­ liser en cela avec l’écrit incriminé. On multiplia les gir selon le plus probable, on le fait en des conditions éditions et traductions des Entretiens; voir des det ils piquants dans Heusch. Index, p. 488-489. L’année même et, dirions-nous, en un · climat > moral tout différents des systèmes évoqués par ce mot. Notamment, l’opi­ de leur publicat ion.* il en paraissait une traduction latine. nion plus probable, en théologie classique, signifie Le parti adverse ne pouvait les laisser sans réponse l'opinion dont on s’est convaincu et à laquelle l’esprit s'est sincèrement attache, devenue simplement pro­ En 1697 paraissait a Paris une Conférence dc Diodore et bable pour qui la pense, et c’est en vertu (p. 70), permettant qu’on délaisse le plus sùr quand le contraire est plus probable. Et voici comme il achève sa profession inattendue : « En un mot. cc principe : Dans le concours de deux opi­ nions probables il faut suivre la plus sûre lorsqu’elle est en même temps ht plus probable, est une règle des mœurs moralement certaine, et elle n’a point les in­ convénients et les absurdités où l’on tombe en soute­ nant qu'on est obligé de suivre toujours le plus sùr, fût-il le moins probable; au contraire, les règles que suivent les probabilistes ne sont point moralement cer­ taines, comme je crois l'avoir bien prouvé. » P. 77. Dès la v· lettre, Daniel passait aux questions de la grâce. N'est-il qu’un homme disert, défendant les causes opposées pour le seul amour de l’art? 11 n'est certaine­ ment pas exempt de ce travers. Pour celte fols, le chan­ gement soudain de son attitude ainsi que les formules calculées qu’il emploie donneraient plutôt l’impression qu’il exécute une consigne reçue. On était alors sous le généralat de Gonzalez. Parmi les lettres suivantes de N. Alexandre, deux reviennent sur la probabilité à l’occasion d’une thèse de théologie soutenue par les jésuites dans leur collège de Lyon, le 26 août 1697. La conversion de Daniel ne l’empêche pas dans des lettres adressées au domini­ cain Serry, en 1705, de se divertir à reproduire des passages de la 5· (sur la probabilité) et de la 9· Pro­ vinciales (sur les équivoques et restrictions mentales), où le jésuite de Pascal est remplacé par un jacobin, qui soutient le même personnage el cite des casulstes de son ordre. Daniel a laissé aussi un Traité théologique des péchés d'ignorance, imprimé nu t. î, du Recueil..., p. 719-790, l’un des exemplaires de la position de la Compagnie sur cette matière apparentée à la probabi­ lité. En 1701. Alexandre public à Délit scs Paralipo­ mena theologiae moratis seu varia: de rebus moralibus epistolae, dont les premières pages concernent la pro­ babilité et défendent les thèses de son grand ouvrage. On le voit dans cc nouvel écrit pencher à l’excès vers les solutions sévères à l’occasion de cas particuliers. » 553 PROBABILISME. L’ASSEMBLÉE L)l Il n’est certainement pas un moraliste irréprochable et. mêlé comme il fut aux querelles de son temps, il ne donna point à ses adversaires l’idée exacte de la théo­ logie classique, qu’il était censé représenter (voir son .a tide, t. rr, col· 769 sq.). /F. L* ASSEM II LEE DV CLEitoE DE F11 AS'CE (17(H)). — On a dit à l’art. Laxisme, col. 58 sq.. les circonstances et l’importance de la censure prononcée en 17(H) par l’assemblée du clergé de France de cent vingt-sept propositions, dont bon nombre intéressent la morale. Beaucoup d’évêques en leurs diocèses respectifs avaient prononcé dès longtemps dos censures particu­ lières sur l’une ou l’autre de celles-là. L'assemblée de 1682 devait intervenir méthodiquement et solennelle­ ment dans la même querelle. Trop tôt dissoute, elle ne put rien décider; mais un projet de décret avait été rédigé, dont Bossuet est l’auteur. Intitulé Decretum de morali disciplina, il comprend, après un préambule, une lr· partie qui est la liste des propositions condam­ nables, au nombre de cent quarante, distribuées en vingt-quatre groupes; et une IIe partie, contenant la saine doctrine relative à ces questions. Lc dernier groupe des propositions, île 11 1 à 110, est De regula morum et probabilitate; un long exposé positif y cor­ respond dans la partie doctrinale (cc document est édité in extenso dans quelques éditions des Œuvres complètes de Bossuet, par exemple éd. Lâchât, Paris, Vives, t. xxii, 1865, p. 675-720). On ne peut nier le grand caractère chrétien ni la sagesse morale qu’ex­ prime ce projet. Sans valeur juridique puisqu’il ne fut ni débattu ni promulgué, on peut s’y référer aujour­ d’hui encore comme à des pages de doctrine classique, écrites dans la plus belle langue latine. Bossuet nous apprend qu’étaient acquis â ce projet l’archevêque de Paris, François de 1 larlay, ainsi que < les meilleures tètes de l’assemblée ». Il l’a lui-même commenté dans deux lettres écrites en juillet et en octobre 1682 à Fran­ çois Dyrols. Correspondance, éd. cit., t. n, p. 309 sq., 317 sq. On entendait par là, explique-t-il, adopter et compléter l’œuvre des papes Alexandre VU et Inno­ cent XI, de qui les décrets sont insuffisants et promul­ gués dans une forme non reconnue en France. De propos délibéré, on n’a inséré aucune proposition rela­ tive à l’ignorance invincible; < cela nous aurait jeté dans les disputes et d’ailleurs ne nous servait de rien, puisque nous trouvions de quoi condamner la fausse probabilité sans nous embarrasser dans ces questions >, ibid., p. 315-316; l’exposé doctrinal y fait toutefois allusion, fermement et prudemment. Comme son cor­ respondant lui avait rapporté des critiques, Bossuet se justifie dans les termes les plus forts ; · Pour ce qui est de la probabilité, si l’on ne veut qu'effleurer les choses, comme on a fait jusqu’ici, il ne faut en effet que frap­ per sur trois ou quatre propositions; mais, si l’on veut attaquer le mal dans tout son venin intérieur, le détruire dans sa racine, le poursuivre dans ses perni­ cieuses conséquences et en mettre au jour la malignité, en faisant voir tant la fausseté des principes que l’ab­ surdité des inconvénients, on ne trouvera rien d’inu­ tile dans nos propositions. » Ibid., p. 322-323. Il faut surtout renverser cette prétendue probabilité fondée sur l’autorité (1rs modernes, voire d’un seul d’entre eux. rt ( rite façon dr préférer en morale les novateurs aux anciens. · Si l’on veut mettre une bonne fols la main aux plaies de l’Eglise, il faut tout d’un coup aller Jusqu'à la racine d’une doctrine qui repousse tout entière en un moment. pour petite que soit la libre qu’on lui laisse « Ib(d., p 321. Dix huit ans plus tard, Bossuet reprenait son pre­ mier dessein. Les encouragements pressants qu’il avait reçus d.ms l’intervalle du cardinal d*r\guirre (voir la lettre citée col. 517 et celle du meme à Huet, dans la Correspondance de Bossuet, éd. cit., t. mi, p.205). ainsi CLERGÉ DE FRANCE 1700) 554 que le livre de Gonzalez qu'il témoigne connaître, auraient entretenu, s’il avait été besoin, son zèle entre­ prenant. Dans rassemblée de 1700, il fut l'âme du com­ bat mené contre le probabilisme et la morale relâchée. Entre ces innovations et sa nature, l’antinomie était entière. Sa constance et son habileté lui valurent cette fois une pleine victoire. Rapporteur de la commission chargée d’examiner les propositions en cause, l'évêque de Meaux rendit compte devant l’assemblée des me­ sures envisagées, avec celte éloquence Impérieuse qui est sa manière et dont les procès-verbaux ont gardé la trace : Lc 1er septembre..., Mgr l’évêque de Meaux n dit... (pic le grand inconvénient de la probabilité con­ sistait dans la manière d'examiner les questions de morale. Par cette nouvelle méthode, on ne cherchait plus ce qui était vrai ou faux, juste ou injuste, par rapport à la vérité et a la loi éternelle, mais seulement ce qui était probable ou non probable, c'est-à-dirc que, sans plus sc mettre en peine de cc que Dieu avait ordonné, on cherchait uniquement cc que les hommes pensaient de scs ordonnances; cc qui conduisait Insen­ siblement à réduire la doctrine des mœurs, à l'exemple des pharisiens, à des commandements et à des tradi­ tions humaines contre la parole expresse de NotreSeigncur. > Collection des procès-rerbaux des assemblées générales du clergé de France, depuis l'année 1560 jus­ qu'à présent..., t. m, Paris, 1774, col. 193. Onze des propositions censurées, n. 117-127, groupées sous le § 30, De régula morum et probabilitate, intéressent notre sujet. En complément de l’analyse donnée â l’art. Laxisme, où celles-ci furent expressément réser­ vées, nous reproduisons ces propositions avec leurs censures respectives. Texte dans la Collection citée; cf. Bossuet, Œuvres, éd. Lâchât, t. xxn, p. 721-778. ! 17. Puto omnia esse hodie melius examinata, et hanc ob rem in omni materia et pnrclpuc in morali libentius juniores quam antiquiores lego ct sequor... Doctrina fidei a veteribus, doctrina morum magis a Junioribus petenda. Je pense qu’aujourd’hui tout a été mieux examiné, ct c’est pourquoi en toute ma­ tière ct principalement en monde, je lis el suis plus vo­ lontiers les auteurs récents que les anciens... 11 faut cher­ cher la doctrine de la toi chez les anciens, celle des mœurs chez les modernes. Proposition empruntée à la censure de Guiménéc par la Sorbonne. 3 février 1665 (voir Laxisme, col. 55-56), et que l’assemblée quali île comme il suit : llæc propositio temeraria est, scanda Iomi, perniciosa, erronea, SS. Patribus cl antiquis docloribus contu­ meliosa: spretu in moribus Christianorum componendis necessaria Scripturorum ac traditionis auctoritate et in­ terpretatione, niorolcm theo­ logiam arbitrariam facit, viamque parat ad hummus trudit Iones et doctrinas. Christo prohibente, stabi­ liendus. ('.cite proposition esl té­ méraire, scandaleuse, perni­ cieuse, erronée, injurieuse aux saints Pères cl aux an­ ciens docteurs; en méprisant l’autorité ct l'interprétation nécessaire de l’Écriture ct de la tradition dans l’ordon­ nance des mœurs chrétien­ nes. elle rend arbitraire la théologie morale cl prépare la voie û rétablissement de traditions et de doctrines humaines, malgré l’interdic­ tion du Christ. On atteignait par là ce que Bossuet avait toujours estimé être le fondement de la doctrine, ce goût de la nouveauté et ce dédain de l’ancienne tradition qui sont pour lui la pure contradiction de l'esprit chrétien. Dans le projet de 1682, il n’y avait pas moins de six propo­ sitions. n. 111-119. sur la matière, et Bossuet le Justi­ fie avec force dans la lettre que nous avons signalée. Correspondance, t. n, p. 324 sq. On n'a retenu ici qu’une proposition combinant les n. Ill ct 115 du premier projet.C’est intentionnellement, bien entendu, qu’elle figure en tête de la série : si l’on condamne le goût de la nouveauté, dit Bossuet devant l’assemblée, 555 PROBABILISME. L’ASSEMBLÉE DU CLERGÉ DE FRANCE (1700) le 1er septembre, il faut que le probabilisme tombe, puisqu'il n’est qu’une opinion nouvelle dont on sait la dat»· Les cinq propositions suivantes concernent réta­ blissement de la probabilité. 118, Ex auctoritate unfits tantum potest quis opinionem in praxi amplecti. licet n principiis intrinsecis falsam rt improbabilem existimet, 119. 1 lire propositio : Sexdecim ad probabilitatem requinintur, non est probabihs. Si sufficiunt scxdecim. sufficiunt quattuor; si sufficiunt quattuor, sufficit unus... Ad probabilitatem sufficiunt quattuor; sed quattuor, imo viginti ct supni, testantur unum suffierre; ergo sufficit uniis. Sur l’autorité d’un seul, on peut adopter une opinion dans la pratique, bien qu’en vertu de principes intrinséques on festime fausse cl Improbable. (’.elle proposition : Seize auteurs sont requis pour faire une probabilité, n’est pas probable. Si seize suffisent, quatre suffisent; si quatre suffisent, un seul suffit... Quatre suffisent pour faire une probabilité; or, quatre, ou plutôt vingt et dnvnntage, attestent qu’un seul suffit; donc il suffit d’un seul. L'une ct l’autre proposition empruntées à la censure de Gulménéc; elles figurent dans le projet de 1682, la première, sous le n. 121. la seconde sous les n. 122 ct 123. On le> fraj pc d’une qualification commune : lia· propositiones falsa· Mint, scandalosæ, pernicio­ sa·; spreta veri tn te qurestlones morum nd numerum auc­ torum exigunt, et innumeris corruptelis viam aperiunt. 12<». Si liber sit alicujus junioris ac moderni, debet opinio censeri probabilis dum non constet rejectam CMC a Sede aposlolica Linquam im­ probabilem. Os propositions sont faus­ ses, scandaleuses, pernicieu­ ses; elles évaluent les ques­ tions morales d’après le nom­ bre des auteurs ct sans tenir compte de la vérité, et elles ouvrent la voie h d'innom­ brables ravages. Si un livre est d’un auteur récent ct moderne, son opi­ nion doit être censée pro­ bable, tant qu’il n’est pas dé­ montré que le Saint-Siège l’a rejetée comme improbable. Kcproduvtion littérale de la 27* proposition du décret d’Alexandre Vil (voir ci-dcssus, col. 532), in­ sérée déjà dans le catalogue de 1682 sous le n. 125. 121. Non sunt scandnlosæ Ne sont pas scandaleuses aut crroncæ opiniones quas ou erronées les opinions que Ecclesia non corrigit. l’Église ne corrige pas. Empruntée à la censure de Gulménéc, elle figure dans la liste de 1682 sous le n. 126. Avec la précédente, elle est ainsi qualifiée : Un· propositiones, quatenus silentium et tolerantiam pro Ecclesiae vel Sedis ηροi lol lea- approbatione statu­ unt, falsa* sunt, scandalosn*. saluti animarum noxia·; pa­ trocinantur pessimis opina­ tionibus qua· identidem te­ mere obtruduntur, atque ad Evangellcam veritatem iniqui· pr.ejudiciis opprimrndam vinm parant. Ces propositions, en tant qu’elles tiennent le silence ct la tolérance pour approba­ tion de l’Église et du SaintSiège, sont fausses, scanda­ leuses, nuisibles au Salut «tes âmes; elles patronnent les pires conceptions qui fi main­ tes reprises tentent léméralrenient de s’imposer, et elles préparent la voie à anéantir sou» d'injuste· préjugés la vérité île l’Évangile. 122. GeneratUn dum proEn général, quand nous habilitate mvc Intrinseca slve agissons appuyés sur une cxtrinscca quantumvis te- probabilité soit intrinsèque, nul, modo a probabilitati·· soit extrinsèque, si faible (inibut non excatur, conlisi qu'elle soit, pourvu qu’elle abquld agimus, semper pni- reste dans les limites de la «lenter agi mu*. probabilité, nous agissons toujours prudemment. novumque prudentlæ genus, nullo scripturarum aut tradi* tionis fundamento cum ma­ gno aiiimanim periculo, sta­ tuit. 556 blit une nouvelle règle de» mœurs cl un nouveau gcnn de prudence, sans aucun fon­ dement scripturaire ou trudilionne), au grand péril dr* âmes. Le groupe suivant concerne plutôt des conséquences ou des applications de la probabilité. 123. Si quis vult sibi con­ Si un consultant veut suli secundum cam opinio­ qu’on lui réponde scion l’opi­ nem quæ sit fa vent iss lina, nion la plus favorable, on peccat qui non secundum pèche en ne le faisant pas. eam consulit. Empruntée a la censure de Gulménéc, elle portail en 1682 le n. 131. On la qualifie en ces termes : Ita’c propositio, quæ docct blanda et adulatoria comdba et contra jus exquirere et contra conscientiam dare, fnha est, temeraria, scandalosa, in praxi perniciosa viamque deceptionibus ape­ rit. Cette proposition. qui en­ seigne à rechercher contrai­ rement nu droit ct fi donner cont ndrement à la conscience des conseils caressants ct flatteurs, est fausse, témé­ raire, scandaleuse, perni­ cieuse en pratique, ct ouvre la voie aux tromperies. Les trois propositions qui suivent, n. 121-126, reprenant les n. 137-139 de 1682, reproduisent littéra­ lement les trois premières propositions d Innocent XI (texte et traduction, art. Laxisme, col. 71; commen­ taire ci-dessus). La dernière proposition, qui figurait n cette place en 1682 sous le n. 110, est nouvelle; on y met sous le patronage de la probabilité une doctrine tenue en particulière aversion auprès de l’assemblée : 127. In morte mortaliter non peccas si cum attritione tantum sacramentum susci­ pias. quamvis netum contri­ tionis tunc omittas libere; licet enim unicuique sequi opinionem minus probabilem relicta probabiliori. Vous ne péchez point mon» tellement si. en danger de mort, vous recevez le sacre­ ment avec la seule attrition, bien que vous omettiez libre­ ment alors l’acte de contri­ tion. Car il est permis à cha­ cun de suivre l’opinion moins probable en abandonnant h plus probable. Les quatre dernières propositions sont frappées d’une commune censure : Doctrina his propositioni­ bus contenta est respective falsa, absurda, perniciosa, erronea, probabilitatis pessi­ mus fructus. Iji doctrine contenue tn ces propositions est respec­ tivement fausse, absurde, pernicieuse, erronée, le pire fruit de la probabilité. La solennelle censure du clergé de France a donc adopté telles quelles les propositions relatives à la pro­ babilité contenues dans les listes d’Alexandre XII et d'innocent XL Elle ne reprend point l’excès contraire condamné par Alexandre VIH, non que rassemblée n’en fût pas d’accord, mais parce qu’elle estimait le danger beaucoup plus urgent du côté du probabilisme; Bossuet le déclarait en séance : * Ainsi, il y a raison de conclure que, comme on doit improtivcr l’excès de ceux qui rejettent les opinions, même celles qui sont les plus probables entre les probables, il ne faut pas moins s’opposer à l’autre excès... », etc. Coll, citée, col. 502. i Aux propositions pontificales, elle ajoute, outre la con­ damnation de l'esprit de nouveauté (η. 117), quelques cnoncés relatifs à l'établissement de la probabilité (n. 118, 119, 121), et deux applications particulière­ ment funestes de la doctrine (n. 123, 127). C'était donc à la fols promulguer en France les décisions pontifi­ On reconnaît littéralement reproduite la 3· propo- cales, ce qu’on voulait faire déjà en 1682. ct les étendre sitlon d’innocent XL enregistrée en 1682 sous le ou préciser quelque peu. n 127. Elle est censurée comme il suit : Par là, Bossuet estimait avoir coupé de toutes parts les racines du mal, comme il ressort des explications lire propositio faits est. Cette proposition est données à l’assemblée le l”r septembre. Du reste, il ne temeraria, scandalosn. pernl- fuuw. téméraire, scandacima : novum morum regulam lense, pernicieuse; elle étafaut pas manquer de compléter h s censures par la 557 1‘R OB A BI LI SM I . SURVIVANCE ET MITIGATIONS 558 Déclaration doctrinale qui les accompagne, ou sc 36. Voir mumi Dollingcr-Keusch, op. cit., t. r. p. 273-2X2; les retrouve lu substance de quelques propositions de 1682, articles cités de Drgert, et Pastor. Grschiehle der Bupit?, t. xiv b, p. 1126-1128. particulièrement fortes, contre le probabilisme (n.128, l-es auteurs appartenant u la période 1656-1700 sont rele­ 129, 132-135), et qu’on pourrait être surpris de ne pas vés dan» Hurter, Nomenclator, t. m. col. 1185-1202; t. n. retrouver dans la liste de 1700. De fait, en déposant col. 276-291, 598-635. On y trouvera bien entendu des noms devant rassemblée, le 26 août, le catalogue qui devait que nous n'avons pas cités, mais sans Inconvénient pour le être admis, Bossuet faisait observer * qu’il y avait srns de l’histoire. Voir aussi Dôllinger-Reusch, op. rit., t. r. deux points importants sur lesquels la commission par p. 43, n. 6. sa prudence avait jugé à propos, sous le bon plaisir de V. SURVIVANCE ET MITIGATIONS DU PRO­ l’assemblée, de procéder plutôt par une déclarai ion de­ BABILISME DE 1700 A SAINT ALPHONSE DE LI­ là saine doctrine que par des qualifications expresses », QUORI. — Dans le demi-siècle ou à peu près que deux points qui se trouvent être l’un la nécessité de nous venons d’étudier, le probabilisme a beaucoup l’amour de Dieu dans le sacrement de pénitence, l’au­ perdu. Parti d’une situation pour ainsi dire incontestée, tre la matière de la probabilité. Et cc «ont les répres­ il est maintenant réduit à la défensive ct â une condi­ sions les plus décisives que contient la Déclaration, tion humiliée. Contre scs outrances sc sont levés de* partie intégrante, qu'on le remarque, des actes de théologiens et l’Église même. Il a fait l’objet de réfuta­ l’assemblée. On y proclame que, dans le doute, le tions ct de condamnations. Autant il s'était imposé choix du plus sûr est de précepte, non de conseil : on dans la période précédente, autant il est décrié dans n’échappe au plus sûr que le doute déposé; qu’en pro­ celle-ci. On s'en détache comme on s’en était d’abord babilité on prenne pour règle la plus probable, où est grisé; moins universellement toutefois. Sous les coups expressément proscrite comme une nouveauté témé­ qui viennent de le frapper. le probabilisme n’est p^ raire la liberté de suivre la sentence qui ne parait pas mort; nous le verrons même bientôt se relever. La à l’intéressé la plus probable ou une opinion moderne cause en est pour une part un certain excès, voire un non conforme aux doctrines des Pères. L’assemblée a esprit d’hostilité que nous avons vu s'introduire dans du reste eu soin, en tête de ce chapitre, de se séparer la réaction décrite: d’où des sursauts de protestation de l’erreur qui nie l’usage licite de la plus probable ct l'affirmation réitérée de la doctrine critiquée. l’nc entre les probables. Cette Déclaration doit être éclai­ autre cause en est la reserve des condamnations rée par l’exposé qu’en lit Bossuet devant l’assemblée, à d’Alexandre VU et d’innocent XL qui, telles qu’elles la séance du 2 septembre. sont ct quelles qu’aient été les Intentions de ces papes, L'opposition a donc seulement obtenu, sur le point laissent place à des adaptations. Quelques propositions de la probabilité, la transformation de certaines propo­ condamnées par Alexandre VIII seront utilisées à cet te sitions (le premier projet de Bossuet en comptait cent fin par les probabilistes. Au surplus, il sc trouve que soixante-neuf, la liste officielle cent vingt-sept) en la Compagnie de Jésus, au terme des conflits intérieurs déclaration. 11 y faut voir une intention de ménage­ que nous avons dits, en reviendra de plus en plus à l’es­ ment, non un dissentiment doctrinal. La déclaration, prit et ù la position d’OIivn, aux dépens de Gonzalez, non moins que les censures, fui en effet signée par de qui le succès, chèrement acheté, sc révélera éphé­ mère. Le probabilisme en somme survivra à sa défaite. l’unanimité de rassemblée, après que la décision eut Et c’est pourquoi nous en devons continuer l'histoire. été emportée à deux ou trois voix de majorité. Tel On pense bien qu’elle ne se développera point sans de qu’il est. cc document de 1700, considéré dans son ensemble, représente une intervention du plus grand nouvelles luttes et complications. L’une des plus remarquables, résultat de la situation faite désormais poids contre le probabilisme du temps, il conclut au probabilisme, sera la formation d’un système distin­ en France, en les épurant mais en leur donnant raison quant nu principe, les réactions diverses que gué de celui-là. mais dont l’esprit ct les conceptions nous avons enregistrées. Désormais. l’Église de France, préalables, et sans que l’auteur songe à les mettre en question, seront exactement ceux du probabilisme, non un parti, une école, ou des théologiens, a rompu avec le probabilisme, ct selon la forme la plus solen­ proliférant là même où l’on croit voir sc lever l’un de nelle qu’elle puisse donner ù scs décisions. Quel grave scs adversaires, tant s’est insinué dans le monde théo­ coup cela fut pour la casuistique, on l’a dit ci-dessus, logique le génie moral dont il fut la pure expression. On devine que nous abordons une époque assez agitée art. Laxisme: il est certain que le probabilisme en fut aussi pour un temps ébranlé: les condamnations pon­ ct confuse où nous tâcherons de mettre un peu d’ordre, tificales en reçurent en France plus de force, ct la con­ en conduisant l’histoire selon les formes ou les centres fusion fut pour une part dissipée, où il était fatal que d’activité les plus saillants, Jusqu'à saint Alphonse de tant de querelles eussent mené nombre d’esprits. La Llguori, qui la conclut dans les conditions auxquelles suite de notre récit montrera plus précisément cc qu’il précisément nous venons de faire allusion.— L Les tra­ vaux théologiques. IL La littérature relative aux con­ advint de la doctrine réprouvée. Avec les censures et la Déclaration, l’assemblée de damnations (col. 566). III. Les polémiques mineures Ι7Π0 signait une circulaire, rédigée par Bossuet ct des­ (col. 571). IV. Concilia (col. 571). V. Saint Alphonse (col. 580). tinée au clergé de France, où ces documents étalent L Lf.s tua vaux ί uéoi ogivi i s. - Peu d’ouvrages, communiqués et présentés comme le couronnement d’une œuvre entreprise de longtemps et que seules des en la période précédente, restent étrangers aux que­ relles dont nous avons parlé. Il nous sera d’autant plus circonstances extérieures, non un dessein préconçu, avaient empêché de mener encore à bonne lin. Dès le facile de les signaler. Quitte à remonter au delà de 1700 mois d’octobre de cette année, le cardinal de Noallles nous le faisons Ici. où ils seront joints sans Inconvé­ promulguait les actes de l’assemblée dans son diocèse nient aux travaux de la présente période. Nous dis­ tribuerons le tout principalement selon les affinités de Paris, avec un mandement dont Bossuet disait qu’il n'était rien de plus docte ct de plus saint. Lui-même d’école ou de pays. 1° Mettons en tête la théologie des célèbres carmes de notifia Λ son clergé les décisions auxquelles il avait Salamanque. On doit A ceux-ci une double série de tant travaillé dans la circonstance solennelle de son publications. La plus réputée est le savant commen­ synode diocésain le 1er septembre 1701. taire de saint Thomas qui forme le Cursus scholasticus. Nous avons Indiqué l’origine des documents utilises dans On n’y trouve rien sur notre sujet. Ou plutôt l’on en ce paragraphe. Un historique de l’assemblée dr 17ΟΟ ct de trouve la seule promesse. Arrivés aux q. xix-xxi de la la part qu’y prit Bossuet, dans Γ/lixtolrc de J.-li. Bossue I, IMI**, les auteurs declarent en effet n’avoir rien rédige tvtquc de Mentir, pnr deBnusset. t. iv. Versailles. 1814. p. 1- 559 PROBABILISME. IJ·: DÉBUT DU 4 leur occasion, ayant débattu ailleurs cette matière. Quant au traité de In conscience, ajoutent-ils, qu’on a coutume d’instituer sur la q. xix, on le trouvera plus loin, où l'étude en est aussi fort bien située, au terme du traité des lois. Cues. theol., tr. XI, De bon. ct mal. act. hum., q. xvm, fin. éd. Palmé, t. vi, p. 185. Nou­ velle ct pareille indication un peu plus bas, tr. XIII, I)t vitiis et pcce., disp. XIII. éd. cil., t. vu, p. 513. Mais ce traité des lois ne devait jamais être écrit. En réalité, comme nous l’apprenons des auteurs du Cursus moralis, l’autre série sortie du même collège, Cursus theol. moralis, t. vi, Madrid, 1714, p. 12, on avait jugé que l’étude de la conscience appartient de préférence à cette seconde forme de renseignement théologique. Cbcrchons-y donc la position des carmes de Sala­ manque sur le problème qui nous occupe. Au t. ni, paru en 1668, est le traité des lois. Il y apparaît que le principe de possession a acquis droit de cité pour la solution des «toutes : les auteurs l’énon­ cent avec une entière assurance, comme une doctrine bien acquise. Tr. XI, c. n, § 6, t. m. Madrid. 1709, p. 18-50. On a seulement le souci d’accorder cette thèse avec le principe tulioristc, cf. tr. Il, c. vu, § 3, t. π, p. 440, aux dépens d’ailleurs du sens tradition­ nel de celui-ci. Il advient toutefois que des doutes soient tranchés au bénéfice de la loi si elle possède. L'u­ sage de Vepikeia est revendiqué pour les cas où l'appli­ cation de In loi serait dommageable au bien particulier ou seulement onéreuse. Tr. XI, c. iv, § 3, t. ni, p. 8182. Au traité de l’état religieux, il est considéré comme admis que l’on puisse abandonner son opinion plus probable pour une autre probable. Tr. XV, c. vi, § 6, t. iv, p. 116 sq. Ces indications sont assez significa­ tives. Elles ne sont pas corrigées dans le l. v de ce Cursus, paru beaucoup plus tard, en 1712, encore que la préface de ce volume déplore la licence d’opiner par­ tout répandue. Il semblerait néanmoins que sur le point précis de l’usage de la moins probable l’auteur soit plus hésitant que ses devanciers; mais il ne prend pas nettement parti contre le probabilisme. 2° Les théologiens dominicains représentent désor­ mais l’attitude que nous avons dite. L’un d’entre eux cependant, l’Espagnol Vincent Ferre, professeur à Salamanque, puis a Home, est encore mal dégagé des anciens errements. En son enseignement, publié sous l.t forme de Tractatus theologici, il a réservé à notre problème une part importante. Tract, theol. in 1*™//“ I). Thurnie, Salamanque, 1681, tr VI, De probabi­ litate opinionum muralium. Son propos principal est bien exprimé «tans ces lignes ; · Nous entendons sou­ tenir en cc traité qu’entre les probables seul peut nous rendre certains de ne point pécher ce probable dont on est certain qu'il est en pratique vraiment probable. Les autres, dont on a seulement l’opinion qu’ils sont probables, ne peuvent en pratique nous rendre certains d’agir sans péché. » ftd. cit., t. π, p 61. Mais, ù la faseur du certo probabile, Ferre agrée même l’opinion moins probable, dont la probabilité, dit-il. peut encore être certaine. P. 115. En quoi il est en règle avec la condamnation d’innocent XL en fonction de laquelle est élaborée sa distinction principale, mais sans rejoindre la doctrine traditionnelle. Il n’aurait pas cri­ tiqué comme il fait Elizalde s’il l’avait rejointe. En revanche, Ferre passait pour trop rigide auprès de Car­ denas. lions la discussion qu’il reprend â son tour, p. 134, de l'adhésion possible ou non à deux probables contradictoires, ou II défend Jean de Saint-Thomas contre une objection «le Mercorus, Il révèle la méprise Initiale qui e»t la sienne sur l’objet «le l'opinion qu’il croit être le vraisemblable, cl non pas, comme 11 faut dire. 1c vrai perçu a travers le vraisemblable, Λ Ferre on peut joindre son compatriote, Fr. Larr iga dr Santiago, auteur d’un Promptuario de la lento- NVlll* SIÈCLE 560 gia moral, paru en 1705 et longtemps répandu. Cf. Bollinger-Heusch, op. cit., t. i, p. 319. Mais ces auteurs restent isoles parmi leurs confrères dominicains. Us ouvrages ne manquent pas alors qui attestent l’entière fidélité de l'ordre aux directives de 1656. Soit le cours complet de théologie morale publié par l’h.-M. Grossi à Modène en 1691, Tractatus in universam theologiam moralem.,., «lont le plan est d’ailleurs une bizarre com­ binaison de la Somme théotogique et des modernes théo­ logies morales; mais la question de la conscience l. i, p. 46-49, y est sagement résolue. Soit le traité de morale générale de P. Petrucci, paru à Home en 1698 sous le titre de Lucerna moralis Aqulnatici solis Ulus· Irata splendoribus, où on lit de fort lionnes pages sur la nécessite de se former un jugement vrai, p. 279, ou sur l'inanité de la · réflexion , Inapte à transformer le moins probable en certain. P. 326. Soit encore l’ou­ vrage expressément consacre au probabilisme de Tho­ mas l.uccloni de Bonifacio, paru en 1702, à Mihm, sous le titre de Veritatis moralis seu doctrina* probabilis invesligatio studiose elaborata; la doctrine en est meilleure que le style, oratoire et outré; l'auteur dénonce juste­ ment l’aitératIon moderne de l’idée de probabilité; il défend en général des thèses traditionnelles; parlant du livre de Gonzalez, il dit « avoir lu cc remarquable ouvrage aussi sain que docte avec un extreme plaisir». P. 11. En revanche, à la suite de son maître V. Ferre, il permet qu’on suive n'Imporlc laquelle de deux opi­ nions également probables. P. 58. Ouvrage tout pra­ tique, au contraire, celui que publie en 1703 le régent du collège de Vienne, Martin Wjgandt; mais le proba­ bilisme y est aussi évité, comme le titre déjà l’annonce: Tribunal con/essarlorum cl ordinandorum, declinato probabilismo, complectens... Par une innovation en ces sortes d’ouvrages, ct pour mieux échapper au < laby­ rinthe des probabilités », comme dit rauteur, la ma­ tière est Ici distribuée selon l’ordre de la I h pars delà Somme théologique. On fit à plusieurs reprises des résu­ més de cc gros livre. A son tour, le François J. Mayol témoigne le souci d’observer un juste milieu entre les doctrines extrêmes, selon les principes de saint Ί ho­ rnas, en sa Summa moralis doctrina· thomisticn*..., parue â Avignon en 1701. D’Espagne même sort bientôt une réfutation fort judicieuse du probabilisme avec VEpi· tome cursus theologici ad mentem I). Thomre Doct. angelici..., de Vinrent I·errer, professeur à Valence. L'ou­ vrage parait dans cette ville en 1725. L’auteur est un bon esprit, raisonnant solidement et décidant net. Il critique notamment l’usage en morale des principes réflexes. Sa dispute de la conscience, t. Il, disp. IV, avait été éditée à part en 1715. D’excellente qualité aussi l'ouvrage du même type. Theologia scholastico· dogmatica juxta mentem D. Th. Aq.,., que publie à Bologne, en 1727-1735, L.-V. Gotti, futur cardinal. La critique de la probabilité s’y exprime en formules très heureuses, par ex. t. n, Venise, 1793, p. 98, et dont le prix est accru du fait «pic l’auteur vise évidemment à la modération et à la conciliation. Goltl n une façon personnelle et réfléchie de débattre ces questions qui achève de rendre son livre remarquable. Vers le même temps et dans la inêim· ville parait une autre théolo­ gie monumentale, due à Jean Siri I vadano : Universa thomhrflca theologia dogmallco-speeulaliva... An 1.11. une longue dissertation de la probabilité, dont la doctrine est toute semblable à celle des ouvrages précédents De tous les auteurs dominicains d’alors, Gh.-H. BUlunrl, un Français, est le plus connu. La première édi­ tion de sa Summa S. Thomie hodiernis academiarum moribus accomodata... parut à Liège en 1746-1751; cf. l’art. Bn.r uaîit On trouve dans l’ouvrage, insérées nu traltédesactes humains, unedlsputede la conscience el une dispute de la probabilité et du choix des opi­ nions. I, IS, 1 .itis, 1895 L etude «lobi conscience don- ■ PIlOB ABILISM E DÉBUT b U X Ville SIÈCLE teuse est embarrassée de distinctions qui renchérissent sur les usages (speculatiuo-pHü Ique, practico·pratique)· mais qui permettent ά l'auteur des énoncés aussi con­ ciliants que possible a l'endroit du probabilisme· encore que le fond de la pensée soit Intransigeant : ou bien on déposera le doute par des voies objectives, ou bien on agira au plus sûr. Sur la probabilité, Il traite trois questions, Est-Il permis de suivre l'opinion moins probable et moins sûre, relative à l’honnêteté objec­ tive de l'action, dans le concours d’une plus probable ct d’une plus sûre? Réponse négative. Elle est com­ mune, note Billuart, beaucoup plus commune que i'opposée; cc qu’il illustre un peu plus loin comme ccd : « Depuis l’année 1699 jusqu'à la présente année 1747, très peu ont écrit en faveur du probabilisme, beaucoup au contraire pour h· probabiliorisme; et. si nous par­ lons des théologiens, tant ceux qui écrivent que les autres, nous en voyons tous les jours un grand nombre passer du probabilisme au probabiliorisme, tandis que personne ne va du probabiliorisme au probabilisme; de sorte que, si le R. P. I lcnno a pu dire qu’en son temps, c’est-à-dire en 1710, il y avait vingt probabilioristes contre un probabiliste, nous pouvons dire aujourd'hui qu’il y a quarante probabillorlstes contre un probabi­ liste. > P. 219. Réconfortante statistique! Mais Billuart a le style volontiers généreux. Pour lui, il prouve sa conclusion moyennant foi ce arguments d’autorité, où il faudrait faire un choix, et par des arguments de rai­ son. flanqués d’une réfutation de l’adversaire, où l'on peut voir quel développement dialectique ont pris les deux thèses, dont l'antagonisme est fort simple. Ces pages de Billuart sont clahes ct solides, quoiqu’un peu chargées, comme il convient à une méthode qui accu­ mule les raisons plus qu'cite n'en dégage l'esprit. — Seconde question : Dans le conflit de deux opinions également probables, relatives a l’honnêteté objective de l’acte, est-il permis de suivre la moins sûre, favo­ rable à la liberté, la plus sûre, favorable à la loi, étant abandonnée? Réponse négative, fondée principale­ ment sur ce que, en un tel cas, aucune des deux propo­ sitions n’a de quoi sc faire approuver comme vraie; des lors s'applique l’ancienne maxime : In dubiis, tutior pars eligenda. Sur quoi Billuart entreprend de ce principe une élude positive, bien fondée sur les textes; il peut ainsi le défendre contre l’interprétation amoin­ drie des probabilistes. Ces pages (231-236) représentent une des bonnes études sur lu question Les arguments probabilistes de la loi non promulguée, de l’ignorance invincible, de la possession de la liberté, invoqués en ce cas, sont ensuite soigneusement réfutés; le dernier Inspire même à Billuart une page Ironique et pressante (p. 238), nfrères, prédicateur à la cathédrale de cet lie ville, faisait en ses sermons l’éloge du probabilisme ct le procès des doctrines adverses. Les thomistes s’en jugèrent offen­ sés. D'où un livre de Beichard, bachelier du collège dominicain d’Augsbourg. écrit d’un style assez mou­ vementé ct dédié aux personnes cultivées : Animad­ versiones theologiae* in innocentiam, prudentiam ac uti­ litatem probabilismi..., Augsbourg, 1766. Dans l’innombrable littérature polémique lancée par les jansénistes au xvnr siècle contre la Compagnie de Jésus sont mentionnés, bien entendu, la morale relâ­ chée et le probabilisme. Les appelants de la bulle Uni­ genitus (1713) sc plaignent volontiers que la constitu­ tion doive être l’occasion d’une recrudescence de ces désordres. Cf. Dolllnger-Beusch. op. cit., I. i. p 327332. Ainsi dans le violent écrit souvent attribué à l’oraloricn Boyer, mais qui est peut-être d’un Jafquc nommé Péan. aussitôt condamné au feu par le Parlement ct mis à l’index en 1732, Intitulé Parallèle delà doctrine des païens avec celle des jésuites et de la constitution du pape Clément XI qui commence par ces mots : « Unige­ nitus Dei Filius... », Amsterdam, 1726, ct dans les libelles composés par le même pour la défense de cet écrit. Voir Bcusch, Index, p. 751. Dans V Abrégé de l'histoire ecclésiastique contenant les événements consi­ dérables de chaque siècle avec des réflexions, t. xu, Co­ logne, 1755 (à l'index en 1757, cf. Bcusch, op. cit., p.768), sont plusieurs articles sur la morale des jésuites dont le relâchement est dit procéder des erreurs de ccs Pères sur la grâce, ce qui n’est pas justifié; allusions à la morale aussi dans des Lettres d'Eusèbc Philalèthe à M. François Morénas..., Liège, 1755, voir Ictl. xn ct xvin). Un chapitre considérable est consacré au pro­ babilisme dans les Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre, que les soi-disant jésuites ont dans tous les temps cl perséüérammenl soutenues, Paris, 1762, l’un des témoignages de la campagne qui devait aboutir à la suppression de la Compagnie. Sur les auteurs, voir Barbier. Dictionnaire des anonymes, au mot Extrait; Bcusch, op. cit., p. 921. Au l. i, p. 25322, recueil de citations allant de Henriquez (1600) à Trachala (1759) (ce dernier est l'auteur d’un Lavacrum conscientia*, mais peut-être ne fut-il pas jésuite; voir Hurter, op. cit., t. iv, col. 1617, avec lu note). Quelques chapitres encore sur la morale dans le Problème histo­ rique : Qui, des jésuites ou de Luther et Calvin, ont le plus nui ά l'Église chrétienne? Avignon. 1757, au t. π; du P. Casncdi. nommé ci-dessus, on y dit qu’il « semble avoir écume tout ce que les probabilistes ont dit . p. 51. · dans un ouvrage qu’on pourrait appeler le panthéon de sa Compagnie ». P. 55. L'écrit fut mis à l’index en 1759. Bcusch, Index, p. 815. La suppression même de la Compagnie (1773) m· mil pas tin ausssitôt à cette litté­ rature, comme le témoignent les Lettres d'un théolo­ gien à Λ/··· où l'on examine la doctrine de quelques écrivains modernes contre les incrédules, 1776. dirigées contre les ouvrages d’anciens membres de la Compa­ gnies; la lettre v est sur la morale : on avoue que les auteurs incriminés n’onl pas reproduit les maximes discréditées des casulstcs; mais les principes y sont encore. A la dilTérencc des précédents, ce dernier exem­ plaire d'une littérature polémique somme toute peu intéressante ne figure pas au catalogue de l’index. Il faut signaler enfin que probabilisme ct casuistique eurent leur part dans les controverses qui mirent aux prises au χνιιι· siècle les écrivains rationalistes et les apologistes catholiques. Ce que sont devenus chez ceux-là les griefs de Pascal, on en peut voir un exemple dans l’une des Lettres persanes, la Lvir. La critique entend bien celte fols atteindre la morale chrétienne elle-même. Et c'est de préférence la supériorité de celle-ci sur la morale des païens qui fait le thème des réponses catholiques. Voir quelques titres d'ouvrages dans Dicbolt, op. cit., p. 21-23, IV. CONCINA, SES EN S EMIS, SES SUCCESSEURS. — Lj querelle est donc loin d'être apaisée. Elle eut son plus grand éclat en Italie, autour du dominicain Daniel Concina. Sur la carrière et les écrits de cet auteur, voir l’art. Con . cina, t. m, col. 676-707. 1° L'ouvrage de Concina. A la suite d’une première publication relative à l'observation du Jeûne ct des répliques qu elle lui avait attirées (on lui conseillait dans l'une de lire les Lettres du P. Segneri, afin de s'y instruire du probabilisme), Concina écrivit son ouvrage le plus retentissant, connu sous le nom de Storia dd probabilismo, mais dont le titre exact est Delta storia del probabilismo e del riyorismo disserta:iont teologiche, morali e crUiche... (Les circonstances détaillées de lu publication dans l’art, cité, col. 661-682.) L'ouvrage, dédié au cardinal Nerlo Corsini, comprend deux tomes parus à Lucqucs en 1713. Il est écrit en langue vul­ gaire, comme on voit, l'un des buts de l'auteur étant d’intéresser le public a la querelle; voir t. i, p. 2. Sans être proprement une histoire du probabilisme, l’ou­ vrage contient nombre d’informations historiques et demeure l’un des travaux importants sur la matière. Il est de plus un écrit de circonstance ct porte un carac­ tère polémique, Concina répondant à des attaques dont il n’eut pas l’initiative. Mais il est aussi un livre de doctrine où la position de l'auteur est nettement dessinée. D'où l’intérêt multiple de l’ouvrage, écrit d’un style animé et limpide à la fois. Concina eut à se défendre d’avoir imité Pascal,comme le lui reprochaient ses adversaires, sentant la force de ce nouveau coup. Après la dédicace, la préface et un avis au lecteur (où Concina raconte comment il en vint à écrire son livre), la première des cinq dissertations, 1.1. p. 1-306, est un historique du probabilisme, divise selon les périodes suivantes : de 1577 à 1620, naissance ct humbles commencements; de 1620 à 1656, progrès; de 1656 à 1690, décadence; de 1690 à 1743, la déca­ dence extrême et dernière. Nombre de pages sont anec­ dotiques, et plusieurs franchement amusantes: la que­ relle du jeûne, p. 211-216; le nom qu’on lui a trouve de carriolaro ou ra masseur de poubelles, p. 299. Concina proteste avec force contre cette lactique des adversaires d’appeler janséniste quiconque les a réfu­ tés. Il démontre que les saints Pères sont des maîtres en matière de morale non moins que de dogmes. En passant, il se defend contre les injures ou calomnies dont il a été l’objet. — La II· dissertation, t. 1, p. 307 572, roule sur les deux premières lettres de Segneri et contient un historique détaillé de l'affaire Gonzalez La critique serre de près le texte de l’adversaire, à qui Concilia joint Tvrillus. Il est difficile, apres un si grand nombre d’écrits, que ccs réfutations apportent du nou­ veau. Tant de dialectique et d’entrain risque même d’être de peu d’effet quand on sait que le probabi­ lisme procède avant tout d’un esprit plus résistant que les thèses ou les arguments dont il s’entoure. Un appendice, p. 573-682, termine ce t.i; l’auteur y a cou signé des réflexions diverses, dont les plus notables sont aux c. iv-vi. sur l’ignorance. P. 627 sq. Au t. π. la 111e dissertation, p. 1-256, examine la m· lettre de Segneri et constitue de ce chef une étude doctrinale sur maints éléments du probabilisme; Terillus y est de nouveau pris ù partie· avec des auteurs plus récents. Les décrets d’Alexandre VII et d’inno 575 PROBABILISME. L’ACTION DE CONCINA cent XI y sont appréciés. On remarquera dans cette dissertation le c. vu, p. 162-167, où Concilia donne, s’inspirant d’ailleurs de Camargo (voir col. 514), un bref aperçu d'ensemble de la probabilistica machina:ione. — La IV· dissertation, p. 257-332, explique « la véritable et sainte rigueur de la morale chrétienne . comparée avec les relâchements de quelques casuistes modernes. On y peut voir à découvert l’inspiration propre de Concilia. Il touche cette fois et dénonce l’es­ prit mime du probabilisme. — Enfin, la V· dissertation, p. 333-501, examine diverses propositions, les unes taxées de rigorisme, les autres de laxisme. Concilia y explique clairement que ces noms de rigoriste et de tutioristc lui sont attribués par scs adversaires et pour le discréditer (exactement comme le nom de probabi­ liste fut créé avec une signification péjorative); il ne les accepte pas et l’on voit ailleurs qu’il prend pour lui le litre d’antiprobabilIste. Fausse rigueur, dit Concilia, celle qu’on nous reproche; comme fausse bénignité, celle dont vous vous flattez. Il y a dans cette disserta­ tion une vraie campagne contre les confessions faciles, avec des passages d’une belle et grave éloquence, a rapprocher de certaines pages des Provinciales, par exemple, c. v,p. 181-186. En appendice du t. n. Concilia a inséré une dissertation apologétique relative aux que­ relles d’où est sorti le présent ouvrage. La doctrine de Concilia se rencontre avec les thèses communes aux antiprobabilistes. Par ailleurs, il sc défend, on vient de le voir, de jansénisme, de rigo­ risme, de tutlorisme. De fait, il ne mérite pas la répu­ tation redoutable que lui ont créée ses adversaires, théologiens prompts à juger rigueur ce qui n’est qu’un juste sentiment du sérieux de la vie chrétienne. Des protestations dont sont faites les dissertations IV et V, il y a beaucoup plus à retenir qu'à blâmer. A-t-il tort de dénoncer la contradiction des livres spirituels et des livres de morale, ceux-là exhortant à la vertu, ceux-ci acharnes à diminuer les péchés? Il réagit contre l’idée d’une vie chrétienne savamment conciliée avec tous les plaisirs du monde, et contre l’abus qu'on a fait de la différence des séculiers et des religieux, des pré­ ceptes et des conseils. 11 répand une belle et tradi­ tionnelle lumière doctrinale sur ces questions où les modernes, dit-il, ont créé des équivoques et mis de la confusion. Tout au plus observerait-on de sa part une insistance sur la difficulté du salut; de même, tout en permettant les divertissements, etc. (il est plus humain Ici que Bossuet), Il soulignerait à l’excès le danger qu’ils représentent pour la vie chrétienne. Mais, quand il explique en quoi consiste la suavité du joug chrétien, non point affaiblissement de l’obligation, mais effet de la grâce et des vertus, n’a-t-il pas de nouveau mille fois raison? Sur des questions plus précises et délicates, comme celle de l’ignorance, sa doctrine se garde de l’excès janséniste : Concilia déclare nettement fausse la thèse que l’ignorance invincible du droit naturel n’excuse pas de la faute, t. i, p. 631-635; sur la réa­ lité ou non d’une telle ignorance, il s'explique aussi en des termes très loyaux, le conduisant à une solu­ tion qui est sagesse. Ibid. Un seul point nous a paru franchement contestable en sa doctrine : s’il consent que l’ignorance invincible excuse, il refuse énergique­ ment que l’acte commis en ccs conditions puisse être méritoire, t. i, p. 161-167, 616; l'appui qu’il prend alors sur saint Thomas n’est pas fondé. Nous ne croyons pas non plus que son opinion soit tradition­ nelle dans l’école thomiste Nous touchons ici a un vas de « sévérité ; mais c’est à quoi se réduit cette intolé­ rable rigueur communément imputée à Concina, moins *ur la fol de scs textes que de la renommée. On voudra donc bien, une fois de plus, à propos de cet auteur, rectifier le sens des mots de rigorisme et de tutiorisme si toutefois on tient encore à les lui appliquer. 576 2° Mariions provoquées, — L’ouvrage connut un grand succès et provoqua de l’émotion. Des approba­ tions vinrent ù l'auteur de toutes parts, dont témoi­ gnent quelques-unes des lettres recueillies en appen­ dice de l'ouvrage de D. Sandclli ( V.-D. Fassinl. Ο. I’.), De Danielis Cà ricinas vita cl scriptis commenta· rius, Brescia, 1767 (ce récit, écrit à la louange de Concilia, fournit l’information détaillée d’un contem­ porain sur toutes les affaires où fut mêlé le fameux théologien); le pape Benoît XIV lui-même fit expri­ mer ù l’auteur sa satisfaction. Mais, d’autre part, comme bien l’on pense, il se leva contre celle Storia une légion d’adversaires, qui amenèrent Concilia à te défendre et ù reprendre la plume. D’où un nouveau cl considérable dossier en celte querelle du probabilisme, comparable à celui qu'avaient inauguré les Provin­ ciales, près d’un siècle plus tôt. (Les pièces recensées dans l’art. Concina, col. 683 sq.) Se liguent contre Concina avec le P. San Vitale, jésuite, son premier attaquant et qui sera le plus obstiné malgré scs déboi­ res et son grand âge, d’autres jésuites, les PP. Ghezzi, Zaccaria, Lecchi, Bovio, Klchelini, Gagna, sans comp­ ter l’auteur mal identifié de l'odieux libelle Hitrattazione solcnnc..., où sont impudemment poussés à l’ex­ trême les plus indignes procédés de controverse; cf.art. cité, col. 689-690. On écrivit des justifications des auteurs attaqués dans la Storia, on feignit de produire des suppléments ù l’ouvrage, on imagina des lettres et des dialogues, on publia des avertissements : toutes les formes de ce genre littéraire, avec les variations ordi­ naires de style, du doucereux au violent, du plaisant ù l’injurieux. Des querelles voisines sc greffèrent sur celle-là, dont celle des « mamillaires », ainsi nommés par allusion à un cas de conscience posé par le jésuite vénitien Benzi. Le bruit s’en répandit en France, où le dominicain François Du Four traduisait en une langue châtiée et dans un style de salon l’un des écrits de guerre de Concina, Les quatre paradoxes, Avignon, 1751. Peu à prendre en cette multitude d’écrits pour l’his­ torien des doctrines. 11 faut seulement noter cette coa­ lition d’écrivains jésuites, défenseurs à tout prix du probabilisme contre l'antiprobabilisme que représente un dominicain : la lutte doctrinale devient ici celle des deux ordres entre eux; ils n’avaient plus été aussi bruyamment aux prises depuis les grandes disputes de la grâce. Bientôt s'adjoignent à Concina quelques-uns de scs confrères, comme lui appartenant ù la congréga­ tion réformée du bienheureux Jacques Salomon à Venise, et notamment Patuzzl, que nous verrons bien­ tôt en lutte avec un plus insigne adversaire. Il inter­ vint dès l’abord à l’occasion d’un nouvel écrit du P. San Vitale, auquel il opposa les Lellere teologicomorali di Eusebio Eraniste..., Trente, 1751, qui de­ vaient sc multiplier jusqu’à remplir six volumes. Des informations historiques et des documents y sont ras­ semblés, qui les rendent précieux (nous en avons fait usage ci-dessus, comme on l’a vu). Concina de son côté recueillait des pièces qu’il inséra dans sa Dlfesa delta Compagnie di Gcsù, publiée après sa mort à Venise, en 1767. L'établissement de ccs documenta­ tions historiques fut peut-être l'effet le plus heureux de ccs quelque vingt ans de littérature polémique. De la Di/esa,.. parut à Venise, en 1769, une édition latine, Vindiciic Societatis Jesu..,, contenant sept documents supplémentaires, les uns sur l'affaire Gonzalez, les autres relatifs à Concina lui même, ù scs démêlés avec la Compagnie comme à ses rapport s avec le Saint-Siège. Car le Saint-Siège n’a pu manquer d’exprimer son sentiment sur des matières aussi violemment débat­ tues. Quelques pièces seulement de la polémique lomI lièrent sous la prohibition de l’index. Voir Bcusch, /ndrr. p. 816 sq. La Storia, qui fut dénoncée, demeura indemne de condamnation \ trav. r. les peripeties et PH0BAB1L1SME. L’ACTION DE CONCINA les Incidents de toute l’affaire, dont on trouve un récit bien Informé à Part. Co.x< ina, il semble que la faveur de Benoit XIV soit pour Concilia, qu’il encourage, qu’il défend, en public et en prive. On remarquera notamment avec quel soin le pape, qui avait Interdit tout nouvel écrit entre Concino, San Vitale cl Ghezzi, ht savoir que la défense ne concernait rien d’autre et qu’il n'était pas du tout interdit à Concilia ni aux do­ minicains en général « d’enseigner, d’écrire et de défen­ dre la doctrine du probabiliorlsmc comme la plus plau­ sible et la plus sûre ». Saiidclli, op. cil.t p.58. D’illustres personnages de la cour romaine témoignèrent â Con­ cina leur sympathie ou même leur amitié. Art. Con­ cina. col. 702-705. Par ailleurs, le pape n’entend point entrer dans la querelle et prendre parti pour l’un contre l’autre; cf. Correspondance de ïtenott Xl \ ', éd. E. de Hetckeren, t. i. Paris, 1912, p. 50; il juge sans indul­ gence les excès où put verser Concina au cours de scs polémiques contre les jésuites, ibid., t. n. p. 157, 162, 182, et il redouterait même de la part de cet auteur une Interprétation forcée des doctrines du SaintSiège sur tel point de morale, par exemple le prêt à Intérêt. Ibid., t. i, p. 211. Il reste que dans l’ensemble la campagne de Concina et la doctrine qu’il représente semblent répondre aux vœux et aux préoccupations de Benoît XIV, tels que le témoigne une lettre privée de ce pontife, du 2G avril 1713 : « ... Nous dirons à Votre Éminence que la morale chrétienne est en très mauvais état par le grand relâchement qui s’est intro­ duit dans les opinions, et nous pouvons l’assurer que ce qu’il y a de mieux parmi les jésuites en convient et qu’on a fait tort à plusieurs d’entre eux de les regarder comme des auteurs de mauvaises maximes. On a rendu inutile la condamnation que r.-os prédécesseurs ont faite de diverses propositions en donnant à ces propo­ sitions des Interprétations forcées. On a trouve le moyen d’accommoder ensemble l’assistance â la messe et aux assemblées mondaines, la fréquentation des sacrements et celle des dames, et cela parce que les confesseurs ne suivent pas les vraies maximes touchant l’occasion prochaine, laquelle ne consiste pas, comme le sait bien Votre Éminence, dans les actes extérieurs et consommés, mais encore dans les actes intérieurs et de simple désir. » Jbid.9 t. i, p. 50. On peut donc pen­ ser, et nous le verrons confirmé plus bas. que persis­ taient alors â Borne les sentiments dont Innocent XI avait été le représentant. Pas plus à la date où nous sommes qu’au siècle précédent, le probabilisme n’a le droit d’invoquer pour soi les faveurs ponti­ ficales. Il s’est défendu et perpétué de sa propre Ini­ tiative, par scs seuls moyens, sous son exclusive respon­ sabilité. Ce nouvel épisode de la querelle marque une appropriation croissante du probabilisme de la part de la Compagnie de Jésus. La disjonction intro­ duite à grand’peine par Gonzalez entre le système et celle-ci, dont l’effet a quelque peu subsisté après lui, quoique en des conditions toujours précaires, ne semble plus guère promise à de longs et paisible* espoirs. 3° La < Theologia Christiana » de Concina. — La Storia était un type original d’ouvrage, inspiré ù Con­ cilia par les circonstances. Tandis qu’il l’écrivait, il avait commencé déjà un monumental ouvrage d’un type beaucoup plus répandu, une théologie morale â la mode du temps, mais où il entendait précisément rec­ tifier les solutions déviées de la récente casuistique. Les luttes que nous avons dites n’empêchèrent point l’étonnant écrivain de publier dès 1719 sa Theologia Christiana dogmatico-moralis, dont les douze tomes lu—1° étaient termines en 1751. Le plan s’en distribue à la façon devenue commune : le Décalogue, les pré­ ceptes de l’Église, la justice et le droit, les sacrements, les bénéfices, la simonie, les censures, les vices et les nier. DK tiiéol. catiîol. 578 péchés, les vertus opposées, les sept béatitudes. Aucun souci, on le voit, de ramener la théologie morale à son ordonnance classique; le mot de dogmatique dans le titre fait allusion aux fondements sur lesquels Concina entend établir sa morale; mais, sur chacune des ma­ tières étudiées, une multitude de problèmes pratiques d’obligation et de licéité, où Concina donne ses solu­ tions. En somme, une sorte de contre-casuistique, dont le détail ne le cède en rien aux modèles du genre. Il n'est guère aisé d’apprécier infailliblement celle-ci. Nous ne ferions pas difficulté d’avouer que, sur tel ou tel point, Concina est plus exigeant que de raison, ou plutôt qu’il est permis de juger autrement que lui. Il est en réaction, ne l’oublions pas, contre des abus cer­ tains, d’où le risque d’excéder en sens contraire. Mais la réputation générale de rigueur dont il jouit n’est méritée que comparativement; il est plus rigoureux que la masse des casuistes, mais en sol il n’est qu’un moraliste pénétré de la gravité de la vie chrétienne. Il est du reste remarquable que, dans la polémique a laquelle donne lieu à son tour la Theologia Christiana, et dont on lira les détails et l’imbroglio à l’article Con­ cina, col. 692-G94, on reprocha violemment à l'au­ teur scs attributions aux moralistes jésuites de propo­ sitions relâchées, mais on ne lui fit grief à lui-même d’aucune outrance opposée. Quant au système moral de Concina, nous le retrouvons, cette fols sous les formes didactiques, dans ΓApparatus qui, dans sa pensée, sert d’introduction au corps de son ouvrage. Au t. n de cette sorte de méthodologie, l’auteur revient tout au long sur le probabilisme, et l’on y peut voir la même doctrine que nous avons dégagée de la Storia, sur les points notamment qui ont été mentionnés. La différence de Concina et des moralistes jansénistes est plus que Jamais manifeste. Il développe en effet des énoncés comme ceux-ci : Licitum est sequi opinionem minus tutam evidenter pro­ babiliorem adversus tutiorem pro lege minus probabilem. Licitum est amplecti opinionem evidenter probabiliorem ex gravibus momentis pro libertate, relicta minus probabili tutiore pro lege. Ad licite operandum sufficit dictamen vere probabile seu inornlitcr certum, juxta SS. Thomnm. Anto­ ninum. nliosquc communiter tam antiquos quam recentes nntiprobabilistns. App.. t. Il, I. Ill, diss. N. c. i et n. Eu réalité, Concina perpétue en un temps qui a voulu s’en détacher l’une des règles traditionnelles de la morale chrétienne. La Theologia Christiana était dédiée â Benoit XIV. De ce pape, Concina a consigné dans V Apparatus. t. i. c. xmii, un grand nombre de constitutions relatives à la morale. H reproduit aussi une lettre italienne écrite, dit-il, de la propre main du souverain pontife, le 2G juin 1719. aux patriarches, archevêques et évêques, sur la préparation de l’année sainte. Ibid., t. n, 1. III, diss. 111. c. mil Benoît XIV y donne des avertisse­ ments relatifs â la confession où. après avoir cité le préambule du décret d'Alexandre VII, il écrit ces lignes remarquables et dont l’intention échappe aux chicanes textuelles : Sans entrer dans aucun détail particulier ni dans le» ques­ tions inextricables qu’on peut soulever sur le crédit des au­ teurs et de leurs doctrines, nous nous contenterons dédire que le bon confesseur, dans les matières douteuses, ne doit pas sc fier Λ son opinion privée; mais, avant de répondre, qu’il ne se contente pas de voir un seul livre, mais qu’il con­ sulte entre les livres les plus respectables; ensuite, qu’il prenne le parti qu’il verra plus appuyé par la raison et par l’autorité. Ainsi nous expliquions-nous dans notre ency­ clique sur les usures (la cxi.HP lettre dans le t. i de notre Ihdlairc, § S) : Suis privatis opinionibus ne nimis adluvreant, sed priusquam responsum rvddanl plures scriplores examinent qui magis inter micros privdicantur, deinde eas parles susci­ piant quas tum ratione tum auctoritate plane confirmatas intelligent. Nous le répétons maintenant, la maxime ne T. — XIII — 19. 579 PROBABILISME. L’ACTION devant pas «Ire restreinte à la seule matière de l’usure, mais être étendue Λ toute autre chose appartenant au for sacra­ mentel et aux règles de la conscience. DE S. ALPHONSE 580 thëologlquc depuis 1656, ct que Patuzzi comme Concinn illustre vers cc temps : Non enhn ferendum est ut quum habeant divino bénéficie Ce pape eut l’occasion de montrer à Concilia com­ domi quem sequantur monilis sclent he Magistrum... hanc bien il avait agréé l’hommage de son livre, parmi les (doctrinam | temere deserant et committant sua culpa ut di ill cul tés que suscitèrent à l'auteur scs anciens adver­ cum sua nlioriimque pernicie in alterutrum fortasse partem imprudentes declinent, ut aut Christianam vivendi severi­ saires, renforces notamment du P. Nocclli, S. J. Cf. tatem ab evangelica et ecclesiastica institutione revocent art. Concina, loc. cil. Aux côtés du maître dominicain vint sc mettre alors l’un de scs confrères, le P. Dinelli, ad consuetudinis libertatem licentiamque sentiendi; nut immodcnite praeceptorum acerbitate homines a cultu virtu­ qui écrivit des Epistolæ ad Nocclùun. Concina mourut tis absterreant. Dans Miscellanea dominicaria, Home, 1023, ;< Venise le 21 février 1756. p. 162. 1° successeurs de Concina. — L’impulsion vigou­ Sur la matière du présent paragraphe, une information reuse donnée par lui à l’antiprobabilismc ne devait documentée dans Dollinger-Hciisch, op. cil., t. i. p. 303 sq.; point décliner de sitôt. A peine publiée sa Theologia cf. p. 314-315. Christiana était sortie du même couvent vénitien la somme de renseignement qu’y donnait un de scs con­ V. Saint Alphonse de Liguoki. — Dans le même frères, Fulgencc Cuniliati, une Univena theologia mo­ temps où sc produisent les ouvrages et les controverses ralis accurata complexio instituendis candidatis accom­ que nous venons de dire, méditait de son côté sur ces modata, Venise, 1752, souvent rééditée. Sur le type des questions de morale le fondateur d’une récente congré­ théologies morales du temps, avec un souci doctrinal gation de missionnaires des campagnes, lui-même con­ peu accusé, l’ouvrage représente sur les questions de la sacré à cc ministère et préoccupé de ht sage administra­ conscience les thèses de l’antiprobabilismc. Il atteste tion de la pénitence, saint Alphonse de Liguori. Après l’activité et la cohésion du groupe dont Concina une première el brève adhésion au probabiliorismc. fut le grand personnage. Un cadet de celui-ci, J.- V. Pa­ bientôt abandonne comme doctrine rigide et malaisé­ tuzzi. n pris une part importante, nous l’avons dit, aux ment applicable, vint chez lui une période probabiliste controverses en cours. Il devait bientôt intervenir en dont témoignent les premières éditions de la ThMogk son propre nom, avec des ouvrages qui prennent la morale, 1718. sq. (qui ne fut d’abord, on le salt,quela suite des publications de Concina. Il donne en deux Medulla de Busenbaum annotée) ct deux Dissertations tomes à Venise, en 1758, un Trattalo della regola prosde 1719 ct 1755. Cette période ne fut d’ailleurs pas sima delle azioni umane nclla scella dette opinioni..., des­ exemple d'hésitations ct de tâtonnements. Voir les tinée, comme la Storia, à un public étendu. La doctrine titres et les informations plus détaillées, art. Al­ est exactement celle de Concina. Il n’y manque pas phonse de Liuuom (Saint), t. t, col. 906-920; voir non plus une partie historique, très abondamment aussi la biographie classique du P. Berthe, Saint documentée. Ouvrage de critique, dans l’ensemble, Alphonse de Liguori, t. i, Paris, 1906, p. 477 sq.; ct plus que de construction, mais, en cc genre, tout à fait F. Dclcrue, Le système moral de saint Alphonse de Li­ raisonnable. Nouvelle publication trois ans plus tard, gnori. docteur de P Église, Saint-Étienne, 1929, passim. en 1761, à Venise, sous le pseudonyme habituel d’EuEn 1761, dans la cinquième édition de son Istruziont sebio Eranlste ct sous la forme celte fols de Leltere ad c Pratlca, c. i, p. 3. n. 30 et 32, apparaît une nouvelle un ministro di Statu sopra le morali dottrinc de* moderni attitude où est exclu l’usage de l’opinion moins pro­ cas isti c i gravissimi danni the ne risultano al publdico bable. Saint Alphonse est dès lors entré dans la vole benc. alla socictà civile e ai diritti, autorilà c sicurczza où il demeurera jusqu’à sa mort (1787) ct selon laquelle dei sovrani. douze lettres intéressant la suite des polé­ il procède à l’élaboration du système auquel son nom miques de Concina. Patuzzi. qui s’y était déjà employé est resté attaché. Noire étude peut négliger les écrits dans l'ouvrage précédent, relève en celui-ci nombre de antérieurs à 1761, et parce qu’ils n’intéressent pas la propositions relâchées prises des casuistes : il est pensée définitive du saint, et parce qu’ils ne font que remarquable que la très grande part des auteurs incri­ représenter le probabilisme connu. Leur examen relève minés appartient au xvir siècle. Et la cause n’en est d’une biographie doctrinale de saint Alphonse, qui pas l’imitation de Pascal, de laquelle à son tour Patuzzi n'est pas notre objet. Nous retenons pour l’exposer ici se défend, nuis le déclin certain de la casuistique folle ct l'apprécier la doctrine définitivement adoptée et des premiers créateurs du genre. Vient enfin l’ouvrage i défendue par saint Alphonse; ensuite, nous considèredidactique, fruit de renseignement, le troisième en dix I rons lu destinée cl l’autorité de celte doctrine. ans qui sort du même couvent reformé de Venise, I /. Λ.4 DOCTRINE ifO/l Λ LE DE SAINT ALPHONSE DE 1’Ethica Christiana sive theologia moralis. Elle paraît à I uatJORt. — La brève Indication de V Istruzione e praBassano-Venise, en 1760. en trois lomjs in-folio; elle | tica est bientôt suivie, en 1762, d’une dissertation cir­ est rééditée en 1770 et mise en Compendium en 1783. Le I constanciée, qui restera un document capital de la plan général, commi le titre lui-même, rappelle de fort pensée alphonsiennc : Dreve disserlazione dell* usn près l'ouvrage similaire de Concina, dont il semble que moderato dell* opinione probabile. l’influence ait fortement marqué Patuzzi. Les exposés I Son objet d’ail leurs est beaucoup moins de com­ se partagent en Doctrina ct Consectaria, celle-là se battre le probabilisme, dont cependant n’est plus réclamant de saint Thomas et Introduisant un peu de admise la thèse favorable à la moins proliablc, que levain en cette masse de cas; ceux-ci sc référant aux d’éliminer le rigorisme, ainsi que parle l’auteur. Aussi discussions du temps ct réagissant contre le relâche­ les attaques lui vinrent-elles de cc côté; ce n’étall pas ment. 11 faudrait redire des solutions de Patuzzi cc que In première fols · on avait déjà dénoncé comme trop nous avons dit de Concina : morale grave, certes, mais bénigne la deuxième édition tic la Théologie morale; non rigoriste ni impraticable aux chrétiens. Nous le cf. Berthe, op cit . t. î. p. 511 · q Après la lettre d'un verrons a découvert dans les écrits les plus notoires de religieux anonyme parvenait l’auteur de In disserta­ Patuzzi. dus à la controverse qui le mil aux prises avec tion. en 1761, un opuscule de I V Patuzzi, dissimulé saint Alphonse de Liguori. sous le nom d’Adolfo Dositeo. Intitulé La causa del Au terme de cc paragraphe, il n’cst pas hors de pro­ probabilismo richiamata at? r mm da Monsignor D. Alpos de citer l’extrait d’une lettre envoyée à l’ordre des. lonsu de Liguori c convinta nov Ibnnmte di /alsith (le frères prêcheurs par le maître général Thomas de! P. de Liguori était dewuu év?q î<· 1« Sainte-AgathcBoxadurs. le 30 avril 1757, nouveau témoignage offi­ des-Golhs, le 11 juillet 1762), ( <· bt s lors entre les ciel du même esprit que nous observons en celle écoleÎ I deux Hiver .nires un échange d’i< » c· de la part de 581 PROBABILISME. L’ACTION DE S. ALPHONSE saint Alphonse, un souci de défendre son opinion contre les critiques entendues. Titres cl dates, art. cité, col.911 ; Berthe, op. cit, l. n,p. 153 sq.; Dclcrue, op.cit., p. 50 sq. (Il faut protester contre le ton de ces auteurs à l'endroit de Patuzzi. S'il est coupable de quelques fanfaronnades, sa doctrine est sérieuse, cl l’opposition qu’il lit à saint Alphonse digne d’être prise en considé­ ration.) (’.elle controverse a notablement contribué à l'élaboration ct À la justification du système alphon­ sien. Elle aura donc l’avantage de mettre en relief les traits caractéristiques de cette théologie morale. Rien n’est plus débattu en cette querelle que l’obli­ gation de la loi douteuse. La solution négative que saint Alphonse avait adoptée des le début semble être allée se confirmant à mesure que les arguments s’é­ changeaient, jusqu’à devenir le principe majeur ct typique de son système moral. Nous avons signalé chez Suarez., col. 173. l’origine absolument première de cette solution; nos auteurs ont perdu de vue ce lointain pré­ cédent, et Patuzzi se contente de remonter jusqu’à Se­ gneri et Tcrillus; il est certain en tout cas que saint Alphonse a trouvé l’idée dans le probabilisme en cours, où il l’emprunte. Patuzzi la lui reproche de toutes les manières. Vous confondez, dit-il à son adversaire, la pro­ mulgat ion nécessaire et suffisante de la loi avec la con­ naissance privée de la même loi. La causa..., p. 17. Vous ramenez indûment à la qualité d’opinion une loi au sujet de laquelle on doute, avec des raisons à peu près égales dans les deux sens. Ibid., c. m. Vous raisonnez, mal quand vous niez que de la loi douteuse puisse résul­ ter une obligation certaine. Ibid., c. iv. Vous identifiez, sans raison le doute dû au conflit de deux opinions équi­ valentes avec l’ignorance invincible. Ibid,, c. v. Et, comme l’auteur de la dissertation avait Invoqué en sa faveur saint Thomas d’Aquin, Patuzzi lui rétorque : < Incroyable, monseigneur, est le grand abus que vous faites de la doctrine angélique de saint Thomas, sans malice, je veux le croire, et par simple prévention en faveur de la sentence adoptée par vous, laquelle vous occupe lout l’esprit cl vous fail entrevoir ce qui jamais ne fut enseigné par le saint docteur, cependant que vous ne remarquez pas ses sentiments véritables exprimés par ailleurs avec une entière clarté. » Ibid., p. 69. — Que répond saint Alphonse à la critique capitale de Pa­ tuzzi? En substance ceci : * Il est certainement contra­ dictoire de dire que la loi. probablement existante rl probablement non existante, est certainement inexis­ tante; mais il n’est pas contradictoire de dire que la loi est probablement existante ct certainement non obli­ geante. pour la raison que l’opinion contraire (savoir qu’elle n'existe pas) est, elle aussi, probable, puisq c alors, n’étant pas suffisamment promulguée, elle n’in­ duit pas obligation. » Difcsa della disserlazione. 1765. Opère, t. xxxvin. Venise, 1831, p. 152. Où l’on passe, comme il est manifeste, d'un doute sur l’existence à une certitude de la non-obligation, sans que soit invoqué de l’un à l’autre aucun moyen terme; au lieu que, pour Pa­ tuzzi, un doute.sur l'existence emporte du même coup un doute rigoureusement égal sur Pobligatlon. Comme il avait dit naguère dans son Traîtato, 1.1. p. 231, au sujet des partisans de la loi douteuse non obligeante : « Ils devraient plutôt proposer leur principe comme ceci : • Quand il y a des opinions probables dans l’un ct dans « l’autre sens, sur la question de savoir si la loi s’étend • à commander ou à défendre quelque action, la loi < certainement ne s’y étend pas. » Et ils verraient alors sur-le-champ la fausseté ct le ridicule d’un principe qu’ils chantent sur tous les tons » - Aucun des deux adversaires ne convainquit l’autre, mais saint Alphonse, nous l’avons dit. ne fit que s'approprier de plus en plus le principe litigieux Patuzzi mourait en 1769. Deux autres écrivains entrèrent après lui dans la même que­ relle el dans le même sens, l’un en 1769, l’antre en 1771 ; 582 d’où nouveaux écrits de saint Alphonse. Sur ces évé­ nements ct les autres difficultés rencontrées par ce dernier, voir l’art, cité; Berthe, op. cil., t. n, p. 270 sq., 330 sq.; Dclerue, op. cit., p. 54 sq. En 1767, dans la sixième édition de la Théologie morale, paraissait pour la première fois la dissertation sur le système moral, remaniement des écrits de con­ troverse et fruit de ces quelques années de discussion. Avec des additions ct des amendements, elle figurera dans la huitième édition (1779), l'édition définitive, ou l'ancienne dissertation, selon l’avis d’un admirateur du saint, atteint sa perfection el constitue · le chefd’œuvre de saint Alphonse comme théologien mora­ liste ». Dclerue, op. rit., p. 73. Nous serons donc entiè­ rement équitable en exposant ct en appréciant d’après elle le système alphonsien. Il concerne le choix des opinions ct l’usage de la pro­ babilité, selon le sens fâcheusement restreint qu'a pris le mot de « système moral » dans la théologie moderne. On sc tromperait du tout au tout en cherchant ici une doctrine morale complète et ordonnée : saint Alphonse sc garde bien d'y prétendre, n’ayant souci, dit-il par un raisonnement curieux, que du salut de son lecteur et de celui des âmes. Lc relief privilégié ainsi reconnu aux questions de la conscience consacre ce déplace­ ment de la théologie morale que nous avons ci-dessus critiqué, lors de scs premières manifestations. Ainsi entendu, le système alphonsien tient en trois proposi­ tions. La première exprime le probabüiorismc de l’auteur : Si opinio qmr stat pro lege videtur certe probabilior, ipsam omnino sectari tenemur. Throl. nmr., I. L tr. L c.m, n. 51. (Nous citons d’après l’édition Gaudé, Rome, 1905 mj.) Elle est demeurée étrangère aux difficultés suscitées à l’auteur de son vivant; H sc trouve qu’on en dispu­ tera plus tard, comme nous dirons. La prenant comme elle se présente, elle définit la correction que s’est im­ posée à lui-même saint Alphonse par rapport à scs pré­ férences antérieures, ct elle mesure l’écart qui le sépare du probabilisme. L'opinion moins probable certaine­ ment connue comme telle n’est plus pour l’auteur une règle légitime de conduite. Les deux autres propositions Intéressent les cas où sont en conflit deux opinions également probables. En voici l’énoncé essentiel : Rico secundo quod, st opinio quæ %l.il pro libertate est tantum probabilis vcl «que probabilis ac altera qua? slnl pro lege, nec etiam ipsam quis sequi potest, eo quod sil probabilis. Nam ad licite operandum sola non sufffeit pro­ babilitas; sed requiritur moralis certitudo do honestate actionis... Propterva falsum reputo effatum illud commune luter probnbilistns, nimirum : « Qui probabiliter agit, pru­ denter agit. » Ibid.. n. 35. Dico tertio quod, duabus irque probabilibus opinioni­ bus concurrentibus, quamvis opinio minus tuta teneri non possit quoniam, ut diximus, sola probabilit é (nota, sola probabilitas) haud llnuum pnebet fundamentum ad licite operandum; tamen opinio illa quae stat pro libertate, cum «quali potiatur probabilitate ac opposita qua? stat pro lege, grave quidem Immittit dubium tin existât lex qua* act Ionem prohibeat ac proinde sufllcientcr promulgata minime dici potest; Idcoquc dum eo casu promulgata non est, nequit obligare; tanto magis quod lex incerta non potrst certam obligationem inducere. Et Iwc est sententia D. Thomæ quam ego sequor el qinr certa mihi apparet etc. Ibid., η. 56. Par cette façon d’amener et d’énoncer sa solution, saint Alphonse donne tout le relief possible au prin­ cipe réflexe, par la vertu duquel exclusivement sera dite bonne une action qui, sans lui, on le proclame, eût été jugée illégitime. El ce principe est à son tour expressément déclaré, el c’est qu* « une loi dont on doute si elle interdit ou non une action n’oblige pas, n'étant point promulguée quant au cas dont précisé­ ment on doute ». Nous revenons donc à la position qui 583 PROBABILISME. L’ACTION a $1 fort scandalisé ct qu’a si fort combattue Patuzzi. Le principal soin dc saint Alphonse, dans la suite dc ses explications, est dc défendre ct de justifier son principe, à l’encontre des arguments de son adversaire. Nous nc mettons pas en question que la promulgation soit de la raison même dc la loi, ct il est bien entendu que non promulguée une loi est dépourvue dc toute vertu obligatoire. 11 nous paraît moins évident à pre­ mière vue qu’un doute conçu au sujet d’une loi doive équivaloir au defaut de promulgation dc cette loi. Telle est pourtant l’affirmation dc saint Alphonse : il nc con­ sidère pas le cas où, de la part du législateur, la loi eût été mal promulguée, telle qu’on dût la considérer comme n’étant pas promulguée du tout; mais, quelle que soit sa promulgation effective, ct celle-ci étant même supposée irréprochable, il tient qu’un doute conçu par le sujet relativement à la loi, et il s’agit, on l’entend bien, d’un doute sincère, impuissance de s’assurer dc la prohibition portée par la loi, il tient que cc doute a la vertu d’assimiler la loi à une loi non pro­ mulguée ct donc non obligeante. Au point que l’auteur étend son principe aux cas où le sujet doute, non pas même dc la promulgation dc la loi et de son existence, mais dc la dépendance d’une action particulière par rapport à une loi dont il sait sans le moindre doute qu’elle est promulguée; saint Alphonse estime qu’alors, relativement ù cette action particulière, la loi n’est pas promulguée et qu’on demeure libre. Il ajoute enfin que le principe ainsi établi s’entend de la loi naturelle comme de la loi positive. Nc cherchons pas au nom de quel moyen terme est opérée cette identification du doute ct de la loi non promulguée. On nc le trouverait pas plus ici que dans les réponses faites à Patuzzi. Celte identification fut dès l’abord ct elle est demeurée pour saint Alphonse une évidence que rien n’a dissipée. Qu’elle sc soit im­ posée à son esprit avec cette force, on ne le comprend que moyennant une certaine conception dc la loi, sousjacente à cette affirmation. Dire que quiconque doute de la loi échappe de ce fait à l’obligation de la loi pro­ cède dc cette pensée première que la connaissance qu’on en prend fonde l’obligation dc la loi. Mais, s’il est établi par ailleurs que la connaissance n’est qu’une condition de l’obligation de la loi, dont la valeur obli­ gatoire est d’ores ct déjà fondée, en cc cas et le pré­ supposé alphonsien ct le système qui en procède sc trouvent singulièrement menacés. Or, on sc persuadera que le rôle dc la connaissance est non de fonder la valeur obligatoire dc la loi, mais dc réaliser chez le sujet une condition dc son application, si l’on veut bien considérer que In promulgation de la loi est une réalité absolument distincte de la connaissance que le sujet en prend. La promulgation, acte du législateur, est un caractère objectif dc la loi, antérieure à la con­ naissance du sujet et indépendante d’elle, tout en s’adressant à elle. Dès qu’elle est posée, la loi oblige, i Il est bien vrai qu’étant promulguée ct revêtue de sa force obligatoire une loi n’atteint un sujet (pie moyen­ nant la connaissance qu’en prend celui-ci, et c’est pourquoi un sujet Ignorant invinciblement une loi . dûment promulguée nc portera pas en conscience la responsabilité dc l’avoir enfreinte; en cc cas, la dis­ tinction que nous rappelons ct epic saint Alphonse n’a point faite est sans conséquence pratique; lui ct nous en jugeons tout pareillement. Mais la distinction prend son Importance précisément dans le cas du doute. Car douter d’une loi qui a force obligatoire avant d’être connue du sujet, ou bien d’une loi qui contracte sa force obligatoire dans la connaissance qu’en prend le sujet, n’est-cc pas s'orienter vers deux altitudes nette­ ment différentes? Dans le second cas, on dira que 1 l'obligation de la loi est mal assurée, exactement comme la connaissance même, et, parce qu’on est fort DE S. ALPHONSE 584 exigeant vis-à-vis des titres obligatoires de la loi, ou résoudra celte incertitude dans le sens dc la non-obli­ gation, assimilant le doute (par une nouvelle et sur­ prenante identification, mais héritée, elle aussi, de Suarez) à l’ignorance invincible. Dam le premier cas, on en demeure à ce qui est : savoir que l’on doute d’une loi dont on sait que la force obligatoire ne dépend pas dc la connaissance qu’on en prend; dans cc doute même, qui est le fait du sujet, encore une fois, et non du législateur, sur qui nous ne pouvons tout de même transporter et à qui nous nc pouvons faire subir les infirmités qui sont celles dc notre connaissance, dans cc doute il se peut que la loi existe, dûment promul­ guée. A partir de là, courra-t-on le risque d’offenser la loi? Mais comment le doute conçu à son propos con­ férerait-il ce droit? A moins que le législateur ne l’ait spécifié, auquel cas la situation est tout autre, le doute laisse entières la loi et son obligation, si elle existe. Dès lors, il n'y a qu’une issue, ct c'est qu’on agisse au plus sûr. Une fols reconnue l’analyse élémentaire que nous venons de rappeler, aucune autre conduite n’est jus­ tifiable. Bien plus, loin que le doute soustraie à la loi, on le considérera comme la notification à l’esprit d’une réalité possible, qu’on eût sans cela méconnue, mais à laquelle désormais on prendra garde. Le doute est une suppléance dc la connaissance certaine, grâce à quoi, quand même celle-ci ne nous est pas donnée, nous évitons de porter atteinte à l’ordre des choses, dont la loi est l’expression. Nous rappelons à dessein cette idée médiévale du doute tenu, non pour une libération, mais comme une sauvegarde. Elle nous permet de découvrir aussitôt le malentendu foncier d'où procèdent en dernier ressort les deux solutions divergentes que nous venons de dire. L'une relève d’une conception morale où l’on juge de l’action sur sa conformité à des valeurs réelles, celle que nous exposions à l’entrée dc cc travail; l’autre, (l’une conception où l'action est toute définie par les rapports de la loi ct de la liberté. Saint Alphonse est pour la dernière, que pas un instant il n’a songé à mettre en question. II l’a reçue toute faite de la tradi­ tion probabiliste. Il vit tranquillement sur ces pensées. La liberté y est traitée d’emblée comme Je bien origi­ nel dc l’homme. Agir à sa guise, tel est son premier droit, tel est son premier bien. Qu'une règle s’impose à l'action, elle gêne d'autant la liberté ct donc empiète sur le bien. En morale classique, on agit en vue dc quelque bien objectif, et les vertus, principes habi­ tuels de l'action droite, nc sc différencient que dans l'exacte mesure où se distinguent et se distribuent les biens offerts à nos prises. La règle y est donc essentiel­ lement aimable puisqu'elle conduit au bien. Elle est en morale alphonslcnne essentiellement contraignante. Elle entame d'autant le bien primitif ct proprement notre dc la liberté. Bien dc plus significatif en cc sens que la notion dc loi naturelle chez saint Alphonse. Nous pensions qu'elle était l'ordre même dc la nature, inscrit en sa constitution. On nous explique ici qu’a­ vant d’être lié par la loi naturelle même l’homme est libre; il y a donc lieu que la loi fasse scs preuves; tant qu'elles ne sont pas faites, la liberté prévaut. Ainsi, jusqu'à l’obligation de la loi naturelle qui est onéreuse! Une heure dc métaphysique peut-être eût dissipé cette idée ct celles qui s'ensuivent. Mais nous avons dit qu'elle a rang chez Alphonse de Liguori d'axiome indiscuté, constituant sa structure Intellectuelle de moraliste cela justement que l'on met en œuvre, sans y réfléchir, dans tous les raisonnements qu'on entre­ prend cela où sc heurtent le* plus doctes arguments de l’adversaire. En ces conditions, comment n'eût-il pas conclu que le doute délivre? A son tour, la peur tri- sincère du rigorisme », que l'on voit être h moteur de $a dialectique et l'àme dc 585 PROBABILISME. L’AUTORITÉ sa persévérance, s’explique ù partir des présupposés dont nous parlons. Observons en passant que, sous le rigorisme en question, il faut entendre même le probnbiliorlsme des adversaires de saint Alphonse : nouveau et libre emploi du mot, qui nc favorise pas la précision. En quoi donc est-ce montrer dc la rigueur que d’exiger dc l’homme qu’il tienne compte de son doute? Car c’est ainsi que l’on peut exprimer la différence dc notre auteur ct dc ceux qu’il critique : ils veulent qu’on prenne le doute en considération; lui, permet qu’on fasse comme si l’on nc doutait pas. Il arrivera dans un système qu’on s’impose une action à laquelle dc fait on n’était pas obligé; mais on y aura la sécurité entière dc nc point offenser l’ordre ni la loi. Il arrivera dans l'autre qu’on s'exempte d’actions auxquelles dc fait on était tenu, ct l’on aura pour toute compensation l’avan­ tage d’avoir bien « usé dc sa liberté ». Un homme pour qui le bien n’est point cc libre usage, mais la confor­ mité avec l'ordre ct la correspondance dc son action avec le réel, nc peut hésiter entre les deux, et dans la certitude de bien agir il trouvera non une rigueur, mais un admirable réconfort moral. Rappelons aussi, pour achever notre observation, que la solution des doutes en faveur du plus sûr n’est que l’issue dernière d'une situation à laquelle il a pu être pourvu selon d’autres voies; qu’on songe à tout cet ensemble dc règles édic­ tées par la morale classique pour les cas fort divers où l’interprétation de la loi fait difficulté. Par rapport à cc système soigneusement élaboré, l'universel axiome de saint Alphonse, Lex dubia non obligat, fait ligure d’étrange et regrettable simplification. Selon cc qui précède, nous tenons donc qu’entre Alphonse de Liguori ct Thomas d’Aquin il y a la dif­ férence de la morale moderne et de la morale classique. 11 est vrai que celui-là s’est réclamé du Docteur angé­ lique avec une pieuse insistance; il a cru lui être fidèle ct il s’est considéré comme son disciple avec la plus sincère conviction, comme avec la plus sincère con­ viction il traitait dc rigoriste qui nc partageait point son axiome. Mais la confrontation des deux doctrines nc laisse pas à la morale alphonslcnne le bénéfice effeetif de ce patronage ni dc cette dépendance. Patuzzi avait dix fois raison quand il écrivait à cc sujet les lignes (pie nous avons citées. Sur le point précis dc la promulgation dc la loi subsiste entre les deux docteurs le désaccord que nous avons dénoncé. Mais il n’est que l’afficuremcnt d’un dissentiment profond et général, tel (pic nous avons essayé de le dire brièvement et qui, concernant les conceptions primordiales de la vie morale, doit régner sur le développement entier des doctrines. Où l’inspiration est diverse, les thèses par­ ticulières sc rejoignent malaisément. Ι/entreprise est fausse dès le principe et elle devient bientôt décevante de découvrir dans saint Thomas l'attitude morale dè saint Alphonse ct les promesses dc son système. Voir nos observations sur Belfort tenté en ce sens par F. Dclenic, dans l’art, éclaircissements,.. Pour nous, qui avons suivi Jusqu’ici les vicissitudes dc la théolo­ gie morale et assisté ù son radical déplacement, ni cc désaccord ni la persuasion contraire dc saint Alphonse ne sont surprenants. Ils s’inscrivent le plus naturelle­ ment du monde dans la suite dc ccttc histoire, comme un phénomène que les précédents ont préparé. L’inspiration morale dc saint Thomas était alors depuis longtemps perdue, au point que les siens euxmêmes, nourris dc scs œuvres, en retrouvaient non la source, mais seulement certains effets. Pour compléter notre exposé du système moral dc saint Alphonse, signalons que le principe de possession est selon lui susceptible d'applications favorables ù la lol. Il arrive que les doutes conçus doivent être tran­ chés dans le sens dc l’obligation. Un fait, ces cas sont relativement rares, et le principe de possession lui- DE S. ALPHONSE 586 même est présenté par cet auteur non comme le prin­ cipe fondamental, mais comme un corollaire en son système, le principe fondamental étant que la loi dou­ teuse n’oblige pas. Sur cc point, voir Dcleruc, op. ci/., append, i. p. 169-177. Historiquement, ccttc Interven­ tion du principe dc possession chez saint Alphonse s’explique par l’usage qu’en avaient fait les théologies probabilistes, où nous l'avons vu naître ct prospérer, concurremment avec le principe devenu capital chez notre auteur. On peut comparer là-dessus Alphonse dc Liguori avec Suarez. Z/. DEETiSt-E ET AV TORI TE DE LA DOCTR/XE MORALE DE SA1ST ALPDOSSE DE UGVOTU. — 1° Du vivant de railleur. — Il nc semble pas que, de son vivant, Pauvre morale dc saint Alphonse ait Joui d’une faveur excep­ tionnelle, de préférence à celle d’un Concina, par exemple, conduite, ainsi que l’on sait, dans un esprit fort différent. Quelques indices en ce sens : Dlebolt, op. ci/., p. 25; Dollingcr-Reusch, op. ci/., t. i, p. 317. 125. De la part dc Benoit XIV, qui soutint Concina comme nous avons dit, on signale un éloge à l’adresse d’une thèse particulière défendue par saint Alphonse, cf. Berthe, op. ci/., t. I, p. 179, ainsi qu’une lettre de remerciement pour la dédicace de la deuxième édi­ tion de la Théologie morale en 1755; de la part de Clément XIII, une lettre de remerciement en forme de bref pour l’envol d'un ouvrage (les documents pontificaux favorables à saint Alphonse sont rassem­ blés en tète des Institutiones morales alphonsianx, de Cl. Marc). Mais en fait dc rapports avec le Saint-Siège, l’episode le plus remarquable dc la carrière de saint Alphonse fut un incident de la polémique soutenue contre Patuzzi. Cc dernier avait fait grand cas dc décrets portes contre des thèses dc théologie morale émanant du curé d’Avisio, dans le diocèse dc Trente (où nous retrouvons, chose curieuse, quelques-unes des propo­ sitions les plus étranges de Gravina, de qui nous par­ lions ci-dessus : témoignage du crédit que rencon­ traient alors de ces sortes d’ouvrages; scion Patuzzi. ces mêmes thèses avaient été défendues en 1751, au collège de la Compagnie dc Jésus à Palermo, où nous savons que Gravina résidait en effet). L'évêque de Trente les avait prohibées en 1761, bientôt imite par l’inquisition romaine, dont le décret fut confirmé par Clément XIII. Documents dans la Causa del probabilismo.... p. 237 sq. Sur quoi Patuzzi, insistant et pres­ sant, proclame condamné l’usage du probabilisme pur ct simple, y compris la proposition chère à son adver­ saire dc l'usage licite de l'également probable favo­ rable à la liberté. Saint Alphonse ne pouvait l’entendre ainsi et il soutint que les notes dc la condamnation portaient sur l’ensemble des thèses ct non sur chacune d’elles en particulier. Il en discute longuement et minu­ tieusement; en fin dc compte, il dit avoir interrogé làdessus, pour plus de sûreté, deux consulteurs du SaintOffice, le maître du Sacré Palais ct le secrétaire dc l’in­ dex. Leur réponse, qu’il reproduit, donne en effet rai­ son à son interprétation. 11 est toutefois observé dans l’une que la condamnation, si elle n'atteint pas le pro­ babilisme, ne le favorise pas pour autant. Bien plus, saint Alphonse adressa la même demande au cardinal pénitencier Galli, le priant de s’assurer du sens de la condamnation auprès du pape lui-même. Il en reçut une réponse assez prudente, mais qui lui continuait l’intention de condamner l'ensemble des thèses, sans qu’on prétendit prohiber celles qui sont librement dis­ putées dans les écoles catholiques. Textes ct discussion dans Dell' uso moderato,.., 1765, p. 282 sq. Patuzzi revint ù la charge. Il n'y a pas lieu dc lui donner rai­ son. Le probabilisme nc fut pas alors condamné, bien que saint \lphonse semble avoir eu quelque crainte qu’il ait pu l’être. Il en ressort que son interprétation 58 7 PKOBABII.ISME. L’AÜTOIUTÉ 1)1 dr ce décret fut la plus sage. Il n’eu ressort nullement que sa doctrine morale ail été jugée la meilleure. 2° Les procès de beatification et de canonisation. Le crédit exceptionnel dont jouit Alphonse de Liguori commence avec les actes relatifs â sa béatification. Us comprirent un examen de ses écrits, que conclut un décret du 1.8 mai 1803 portant — qu’on le remarque — sur l’œuvre entière du serviteur de Dieu, et dont la formule essentielle est que nihil in eis censura dignum repertum fuit. Marc, loc. cit. Aucune note théologique défavorable n'est donc applicable aux enseignements du saint (voir l’énumération deces notes dans l’ouvrage de Benoit XIV, De servorum Dei beatifîcatione..., 1. II, c. xxvin, n. 5, l. ii. Prato, 1810, p. 274); ce qui n’ex­ clut pas, bien entendu, la liberté de contester la vérité intrinsèque de ses opinions, pourvu qu’on le fasse de la manière que demande Benoit XIV : qu’on interprète les paroles des personnages vénérables, ditil. dans le sens le plus favorable; si on ne peut le faire, errorem modeste esse notandum, et cum honoris priefatione : nam... errores Patrum sunt ad instar defectus luminarium, quæ nonnunquam sustinent detrimenta splendoris, sed non desinunt esse (punt sunt. Ibid., η. 8, p. 275. On notera au surplus dans une lettre du postulatour Giattini celte explication : « D’après ce que j’ai pu saisir, bien que l’examen soit secret, notre vénérable aurait été considéré comme antiprobabilIste en pra­ tique. · Berthe, op. cit., t. ir, p. 638. En 1807 fut publié le décret constatant que «le vénérable AlphonseMarie de Liguori a pratiqué héroïquement les vertus théologales cl cardinales ». Selon les explications de Benoît XIV, l'héroTcité dc la prudence s’entend dc la direction de la conduite, sans signifier aucunement quelque excellence doctrinale. Saint Alphonse s’est héroïquement gouverné; il a pu gouverner dc même son institut : le décret, quelle que soit la plaidoirie, de l’avocat dc la cause (cf. Berthe, op. cit., t. n, p. 640641), n’a pas une autre portée. Voir Benoit XIV, op. cit., I. Ill, c. xxiv, § 1, t. m. p.255 sq. Après une inter­ ruption due aux malheurs des temps, le procès de béa­ tification fut conclu en 1816. sous Ple VIL On rap­ porte que cc pontife invita les évêques du territoire pontifical à introduire la Théologie morale du bien­ heureux dans les séminaires. Marc, loc. cit. En 1821, un livre paraissait contre le < semi-proba­ bilisme » du bienheureux Alphonse de Liguori, où l’on protestait contre le crédit accordé par quelques-uns â cette doctrine, sous prétexte qu’elle venait d’un homme de Dieu. Un rédemptoriste, le P. Basso, répondit à cet écrit. Bientôt, une nouvelle querelle s’éleva entre deux autres personnages sur le sens des décrets pontificaux relativement aux doctrines du bienheureux. D'autres oppositions se firent jour, notamment en France, où plusieurs évêques avaient interdit sa Théologie morale a leur clergé ou â leurs séminaires, cependant (pie paraissait à Amiens, en 1827, un livre fort peu sym­ pathique à son autorité. Berthe, op. cil., t. n, p. 667672; Dùlllngcr-Heusch, op. cil., t. i, p. 168. Bostnlnl tenait en médiocre estime la théologie de saint Al­ phonse, dans les principes de laquelle il relevait nom­ bre de contradictions (texte cité par Mondlno, Studio itorico-critico sut sistema morale di S. Alfonso M. de. L., p. 1 13-1 15). Par ailleurs, Léon XII. en 1825, envoyait tint lettre «l’encouragement ù l’éditeur Marietti, qui entreprenait la publication des œuvres du bienheu­ reux. Marc. loc. cil. En 1831, sous Grégoire XVI, évé­ nement plus important, une consultation fut adressée a la Sacrée Pénitencerle par le cardinal dc BohanChàbot, archevêque de Besançon, à l’instigation de. sou vicaire général, le futur cardinal Gousset, libellée comme 11 suit : S. \LPIIO.\SE 588 nititur apud omnes diœccsis sua· qui curam genint animarum, quorum nonnullis impugnantibus Theologiam moralem beati Alphoiisl Mnriæ a Ligurio tanquxim lixam nimii, periculos im saluti et s ime morali contrariam, sacra Pœnitentiariæ oraculum requirit, nc ipsi unius theologi® profes­ soris sequentia dubia proponit solvenda : 1. Utrum sacras theologias professor opiniones, quas innu Theologia morali profitetur B. Alphonsus n L., sequi tuto possit nc profiteri? 2. An sil inquietandus confessnrhis qui omnes B. Alphonsi a L. sequitur opiniones in pmxi sacri Pomi tent ia· tribunalis, hac sola ratione quod a sancta Sede apostolica « nihil in operibus censum dignum repertum fuit »? (lonfcssariut de quo in dubio non legit opera beati doctoris nisi ad cognos­ cendum accurate ejus doctrinam, non perpendens momenta rationesve quibus varia· nituntur opiniones; sed existimat se luto ngere, eo ipso quod doctrinam quæ · nihil censura «lignum » continet, prudenter judicare queat sanam esse, lutam, nec ullatenus sanctitati evangelicæ contrariam. La décision romaine fui ainsi rédigée ; S. Pœnitcntiaria, perpensis expositis, H®0 in Christo Patri S. K. E. card. arch. Vcsontionensi respondendum con­ sult : Ad IUin quiesitum : Affirmative, quin tamen inde repre­ hendendi censeantur qui opiniones ab aliis probatis aucto­ ribus traditus sequuntur. Ad 2umquaesitum:Negative, habita ratione mentis sanc­ tio Sedis circa approbationem scriptorum servorum Dei ad cflcctum canonization!·». Marc, Zoc. cit. La seconde réponse précise donc ht portée pratique du nihil censura dignum prononcé en faveur des œuvres de saint Alphonse : cc confesseur ne doit pas être inquiété, il a le droit d’agir comme il fait. La pre­ mière confirme expressément la liberté laissée par le même décret, qui n'entend nullement imposer comme seule recevable la doctrine approuvée: il en est d’au­ tres dans l’Église, qui conservent leur valeur. Dans une audience privée qui suivit de peu de Jours la déci­ sion de la Sacrée Pénitencerle, le cardinal de Besançon en obtint du saint-père la confirmation orale, avec l’approbation du projet formé de la publier par une lettre pastorale. Gf. Gousset, Justification de la * Théo­ logie morale du bienheureux Alphonse, Besançon, 1832, p. 251. C’est à la suite de celle affaire que le vicaire général de Besançon publia son livre, qui contribua à étendre en France l'influence de la morale alphonslenne. Dès 1818, Pie VH avait permis qu'on ouvrît le pro­ cès en vue de la canonisation. En 1825, Léon XII autorisait les informations apostoliques sur deux miracles attribués au bienheureux. Dans le décret du 3 novembre 1829 déclarant solennellement l’authen­ ticité de ccs miracles, il y a de nouveaux éloges des écrits pieux et doctes d’Alphonse. Ils sont repris dans la bulle de canonisât ion, promulguée par Grégoire XVI Te 26 mai 1839, avec cette Insistance où est mis en valeur le nihil censura dignum du premier procès : Illud vero imprimis notatu dignum est quod, licet copio­ sissime scripserit, efusdem tamen opera inoffenso pror­ sus pede percurri a fidelibus posse, post diligens insti­ tutum examen, perspectum fuerit. Pie IX à son tour con­ firma les Jugements de ses prédécesseurs. Il accepta la dédicace de la Théologie morale de Scavlnl, principale­ ment Inspirée de saint Alphonse; sous son pontificat, en 1855, la Snc ’ée Pénitcncerie permit ù un consultant «le suivre les doctrines de saint \lphonse, bien qu’il eût fait le soi suivre les doctrines do son uni­ versité, où i naît te -irobablllorisine; surtout, en 1871, le 2 i mars, était publié solennellement le décret élcdes «bu leurs de l'E ' ' · I’ . é' d' t au compte de l’ensemble dc son < îjvi nal i au ί «le s i ’ h-'nhtqle morale, dont l'éloge «-si ainsi tédlgé : Lud. Fr. AuU-, cardinal b dc Koluin-Chnbot. nrchlcpiscoSlquideri pu* Vr5ontionensis, «loclrinn? sapientiam et unitatem fovere I ni* Int- d« t v * dulh «'t innsenia’ i «c Thcologiæ 589 I’ΚΟΒΛΒΙ LISM E. L’AUTOBJTÉ DE S. ALPHONSE monilk tractationibus dhpulit nique dimovit, obdura insu­ per dilucidavit dublaque dccbinis'it, cum inter hnplrxn* theolo torum sive luxiores sive rigidiores sententias tuùun straverit vinm, |>< r qtinin christilldelium miinuirurn mode* nitores inoffenso pede incedere possent. Ces expressions sont reprises dans le bref pour la confirmation du titre dc docteur, en date du 7 juillet 1871. Les papes postérieurs eurent ù leur tour drs paroles élogiciiscs pour le saint docteur. Tous ces textes dans Mare, op. c//. 3° Autorité de saini Alphonse de Liguori,— Il n’est donc pas douteux que l’Église n'ait adopté la doctrine de saint Alphonse de Liguori, y compris sa morale. Le sens et l’étendue de celle adoption doivent être cherchés dans les textes mêmes que nous venons de relever. Il y apparaît que l'Eglise apprécie par-dessus tout le juste milieu où s’est tenu le moraliste, entre les extrêmes contraires du laxisme et du rigorisme. Cette position est en effet celle de saint Alphonse. Ainsi définie, elle lui est commune avec d’autres auteurs, notamment Patuzzl et Concilia» qu’on ne taxe de rigorisme, nous l’avons dit. que par un abus de ce mot. Nous avons du reste observé que le juste milieu avait été le souci d’un grand nombre de théo­ logiens depuis les premières réactions antîprobabilistes, et que maints ouvrages depuis lors s’étalent inspirés de cette pensée; ceux qu’on nomme probabilioristes l’ont particulièrement revendiquée. En ce sens, la glorification dc saint Alphonse consacre ce vaste mouvement de rectification commencé un siècle avant lui. dirigé par les condamnations pontificales et épisco­ pales. et dont il fut à sa façon l'héritier· En ce qu’il a de propre par rapport aux probabiliorlstcs, c'est-à-dire en la solution qu'il donne aux doutes dus ù la probabilité égale des deux opinions contraires, le système alphonsien a-t-il reçu une appro­ bation particulière? 11 n’a été fait mention de l’équiprobabilisme que dans la plaidoirie dc l’avocat de la cause répondant aux objections du promoteur de la foi, au cours du procès sur l’héroïcité des vertus (cf. ci-dessus); puis dc nouveau dans le rapport de l’un des deux théologiens consultés sur le dossier relatif au doctorat. Cf. Berthe, op. ai., t. n, p. 702-703. Ces jugements n’appartiennent qu'à leurs auteurs. Nous devons chercher celui de l’Église dans la teneur de scs déci­ sions ofllclcllcs. On n’y trouvera pas l’éloge spécial de l’équiprobabillsme. A la suite même de ces décisions, l’autorité romaine eut l’occasion de déclarer leur exacte portée, car une consultation de nouveau fut adressée bientôt à la Sacrée Pénitencerle, qui la transmit a la Congrégation des Kites, sur le sens des paroles contenues en l’acte du mois dc mars 1871. où l’on demandait s’il fallait entendre une préférence accordée par l’Église à réquiprobabilisme. A quoi il fut répondu dans les termes suivants : Ex nonnullis verb h quæ leguntur in decreto Urbis et orbis dici 11 mart il 187! de declaratione rt extensione nd univer­ sum Ecclesia in tituli doctoris in honorem S. AlphonsiMuria' de Ligorio. occasionem assumpsisti petendi solutionem insoquentiuin dubiorum a S. Pernitentlarlit npostollca. videlicet 1 · an verba « Inter implexas, etc. · trquiprobabillsmuni deno­ tent; 2· an per ea xeqiilprobnbflismus pnr probnblUsml xvstrnmte commendetur. Predictn autem dubia a memorata Pienltentlaria trans­ missa cum fuerint nd hanc S. Hituum Congregat Ionem, no* mino ejusdem S. Congregationis secretarii notum libi (acere debeo quod eadem dubia locum non habeant, quum S. Con­ gregatio Iis verbis nullam voluerit opinionem damnare aut unam altori pnr ferre; sed solum factum designare ab omni­ bus admissum quod videlicet S. Mphonsus suo systemate curaverit sive laxiores sive rigidiores evitare sententias, fex le dans In Revue des sciences rccfHhisUqtics, 1875, p.302303; reproduit par Mondino, o/>. ci/.. p. | 19-150. Il ressort do là qu'en l’exaltation de saint Alphonse et de sa morale, l’Eglise semble avoir considéré moins 590 le système de l’auteur que les solutions pratiques avancées par lui. Elle poursuivait ainsi l’œuvre répa­ ratrice à laquelle clic s’appliquait en morale depuis Alexandre VIL Ayant éliminé par diverses condamna­ tions les intolérables excès d’une casuistique déréglée ou les maximes outrées de quelques auteurs con­ traires. elle trouve maintenant une somme de cas dc conscience dont l’auteur joint un jugement sage et modéré a l’indubitable sainteté de la vie; dans le désarroi et parmi les contradictions où tant dc que­ relles ont jeté les consciences, elle estime cc livre salu­ taire et en sanctionne l’autorité. Par là, clic sait que seront évités dans le gouvernement des âmes les abus qu’elle réprouve; clic fournit aux confesseurs des déci­ sions dont aucune ne méritera censure. L’honneur dc saint Alphonse est d’avoir accompli l’œuvre dont l’Église en son temps avait besoin. Il a limité la noci­ vité pratique du probabilisme et du jansénisme. El, vu la situation de son siècle, vu l'état des problèmes et des esprits, peut-être valait-il mieux pour porter remède aux maux d’alors que survînt un homme dont la struc­ ture intellectuelle fût celle du temps, et qui. se tenant également loin des partis extrêmes, n’eût même pas l’air de favoriser l’un plutôt que l’autre. Telle qu'elle est, celte mission providentielle d'Al­ phonse dc Liguori et l’éclatante confirmation qu’en a donnée l’Église signalent un moment décisif dans l’histoire que nous racontons. Nous n’avions rien re­ levé jusqu'ici qui fût de la part du Saint-Siège une approbation véritable des nouvelles morales : le pro­ babilisme avait seulement échappe aux condamna­ tions. dans des conditions il est vrai qu’il jugeait signi­ ficatives, et il continuait dc subsister. Cette fois, sans approuver exclusivement ou spécialement l’équiprobnbilisme, comme nous venons de le dire, il est clair qu’on lui reconnaît droit de cité dans l’Église; et sur­ tout. parce que la morale alphonslennc est un type très représentatif des théologies nées dès le xvh· siècle, avec lequel le probabilisme revendique très justement maintes affinités (en dépit d’une thèse divergente), on peut dire que voilà accréditée dans l'Église une con­ ception morale fort différente de la théologie médié­ vale. Le fait en est indéniable, et le théologien ne doit pas s’en dissimuler l’importance. Il n’v a pas lieu pour lui, remarquons-le. d’atténuer cette différence que nous avons soulignée. Le jugement que nous pronon­ cions là-dessus reste entier. Entre saint Alphonse et saint Thomas, subsiste le désaccord de deux systèmes inconciliables. Tout essai dc conciliation, nous l’avons dit, est ici voué au concordismc. c'est-à-dire à l’arti­ fice, c'est-à-dire à l’échec. On n'évincera pas la réalité historique de leur malentendu. Il serait vain par ailleurs dc se réfugier dans l’idée d’un saint Thomas maître du dogme, tandis que saint Alphonse serait le maître de la morale, ou. moins grossièrement, mais très faussement encore, dans l’idée d’un saint Thomas docteur de la morale spéculative, au lieu que saint Alphonse demeure celui de la morale pratique. Leurs tâches nc sont pas aussi nettement distribuées. Bien n’est plus inacceptable que de réduire la morale de saint Thomas à n'être (pie spéculation, alors que son auteur la conçoit comme une science essentiellement pratique et sans autre fin que de fournir scs règles à l’action. Par ailleurs, le souci tout pratique de saint Alphonse ne le soustrait pas à la nécessité d’énoncer des principes ni nc le dispense pas de porter dans l’esprit une certaine conception de la vie morale. Les deux doc­ teurs se rencontrent sur le même terrain. On n'évite pas d’opter pour l’un ou pour l'autre. Saint Alphonse dépend de cc déplacement de la théologie morale que nous avons observé. Il est absolument inexact dc dire que ce théologien ne fait que tirer les conclusions im­ médiatement applicables des principes de saint Tho- 591 PROBABILISME. REGAIN mas : il travaille dans un autre esprit; il sc meut dans une autre atmosphère; il est d’un autre temps. Une sorte de déterminisme temporel commande ici les dif­ férences des deux docteurs. Avec cela, il n’est pas dou­ teux que la théologie morale de saint Alphonse, comme celles qui s'y apparentent, en vertu de l’appro­ bation del’Église. n’échappe, au moins pour une part, A la critique du théologien. Un thomiste en parlera-t-il encore comme faisait Patuzzi? Il semble que d’une part il le doive, puisqu’il professe la même conviction delà vérité de la morale de saint Thomas; mais, d’au­ tre part, comment le fera-t-il sans méconnaître le jugement de l’Église favorable à saint Alphonse? Car il ne peut qu’intégrer en son appréciation un tel juge­ ment, avec toute la signification qu’il doit comporter. Nous rencontrons donc ici un problème nouveau, un beau problème de méthode théologique, qu’éludent A l’avance tous ceux-là pour qui de saint Thomas A saint Alphonse il n'y a que des différences apparentes. 11 nous faudra le débattre au terme de notre enquête his­ torique, en conclusion de cc travail. Spécifions seule­ ment dès ici que le désaccord des deux auteurs sc situe au plan de la science morale, où nous l’avons envisagé, plutôt que de l'action pratique. Nous sommes loin de penser qu’entre les solutions particulières de saint Alphonse ct celles qu’a énoncées saint Thomas, ou qu’on tirerait A bon droit de ses principes, il y ail dans tous les cas opposition pure et simple; il est sùr que bon nombre coïncident. Bien plus, en vertu du jugement de l’Église, tous les fidèles, y compris les disciples de saint Thomas, aux prises avec les difficultés d’une ac­ tion concrète adoptent légitimement telle des décisions de saint Alphonse pour en inspirer leur conduite; car il advient que l’homme prudent agisse selon les règles ou le conseil des sages, incapable qu’il est lui-même, fût-ll docte, de décider un cas particulier. Ne dissimu­ lons pas cependant que les solutions alphonsicnncs ne sont pas toujours d’une entière netteté, car l’auteur n’échappe qu’incomplèlement A cette manière des casuist es d’accumuler sur une même question des pro­ babilités multiples ct embarrassantes. Dans l’énumé­ ration même des solutions antérieures, qui est une des pièces maîtresses de son système, il est souvent fort inexact, comme Je prouve surabondamment l'édition Gaudé. Il n’est pas certain non plus que toutes scs solu­ tions satisfassent tous les esprits ou agréent A toutes les consciences : qui sc serait convaincu de l’erreur de l’une ou l’autre s’interdit du même coup, bien entendu, le droit de la suivre. Enfin, la contrariété doctrinale dont nous avons parlé ne perd pas tout son intérêt, même quand les deux docteurs s’accordent sur une solution particulière : alors qu’on ferait la même ac­ tion, il est certainement très différent d'inspirer sa conduite de la théologie morale de saint Thomas ou de saint Alphonse de Liguori. Sur le crédit accordé par l’Église romaine à saint Al­ phonse, il Vest élevé de la part des protestants une impor­ tante littérature critique. Références dans Fr. ter I (aar, Dus fkkrrf dri P. Innocentlus XI. ûber dm Pro ba bills ni tut, Vorwort, p. i-tx. Voici le spécimen d’un titre : Auszûge a us der ron dm Püp\lm Plus IX. und f.ro XIII. ex cathedra als Xorm fur die ràmisch-kathulische Kirche sanklionlerlm Moral· théologie des hr il. Dr. Alph. M.de Liguori, und die furehtbare Ge/ahr dieser Moraltheotogli fur die XiUlichkrit der Vôlktr, pur B. Gratstnunn, Stettin. 1900. Dans leur ouvrage souvent cité. DôlUnger-Bcusch ont consacré a saint Alphonse une très longue étude, ct dans un esprit semblable au précédent. En Angleterre. Newman dut Interpréter A l'usage de scs compatriotes étonnés la glorification de saint Alphonse; cf. DOlhnger-Bcusdi. op. cff.. t. i, p. 170-472. Les réponses catholiques aux critiques protestantes ne sont pas toujours exemptes dr maladresses. Sur la question du système moral de saint Vlphonsc cl de scs rapports avec la doctrine de saint Thomas, il faut encore recommander l'excellente étude dr St Mondino, Studio 5(0· DE E X VEUR 592 rico-critico sul si.dema morale di S. \l/un>o M. de /,., Monzx·. présentée comme thèse de doctorat A l’université de Γη bourg en Suisse (1911). Sur la période étudiée dans cc chapitre, on trouvera le* listes de Hurler dans Nomenclator, I. iv, col. 129I-I30H 1312-1313, 1624-1611, 1619-1650, cl t. v. col. 225-239. VI. DE SAINT ALPHONSE DE LIQUORI A NOS JOURS. La glorification de saint Alphonse au xixe siècle, avec l’autorité qui désormais s’attacha à son nom, a favorisé dans la théologie morale la per­ manence de certaines conceptions et préoccupations, telles que nous les dégagions au chapitre précédent. Elle n’a pas opéré pour autant l’unification des sys­ tèmes : concuremment A l’équiprobabilismc subsiste ct même bat encore son plein, du moins ici ou là, le probabilisme des Ages précédents, non sans tenir compte de son voisin nouveau, cependant que des essais inédits se font jour, d'un intérêt peu décisif. Elle n'a pas non plus imposé universellement le règne de ce docteur, et de moins en moins, semble-t-il, A mesure que l’on s'inspire d’écoles plus anciennes ct que, sous l’impulsion de Léon XIII, par un phénomène dont nous soulignons la nouveauté, sont de mieux en mieux exploitées les ressources morales de la théologie du Moyen Age, considéré comme un siècle privilégié de la théologie. — L Regain de faveur du probabilisme. IL Probabilisme ct équiprobabilisme (col. 593). III. Formates nouvelles (col. 595). IV. En dehors du monde théologique (col. 597). V. État actuel (col. 598). I. Regain de faveur du probabilisme. — Réta­ blie la Compagnie de Jésus en 1811, sous le pontificat de Pie VII. le probabilisme a connu au xix° siècle un regain de faveur. A vrai dire, le système avait toujours fait l’objet, même aux pires heures, d’une garde vigilante. Conclna était encore réfuté en 1792 par E. de Pay va, ancien jésuite portugais, dans un livre pu­ blié A Assise sous le litre de Probabilismus vindica· lus...; cl. Hurler, Nomenclator, t. v, col. 518-519. Au xvm* siècle aussi, J.-B. Faure, de la même Compagnie, défend les idées chères aux siens de la suffisance de l'attrilion ct de la facilité de la confession. DôllingerReusch, op. cit.,t. 1, p. 3 IG sq. I n autre de ses confrères, G.-V. Bolgeni, publiait en 1811, A Brescia, un livre très répandu ct traduit en diverses langues : Il possesso, principio fondamentale per decidere i casi morali, illus­ trato e dimoslrato, dont on voit assez l’intention. Ibid., p. 315. Ces auteurs et d’autres sans doute ont fait le lien entre la tradition de la Compagnie de Jésus ct son activité nouvelle, dont le Collège romain fut le princi­ pal foyer. De IA en effet sortit l’ouvrage qui marqua pour le probabilisme un glorieux recommencement, le Compendium theologia: moralis, de J.-P. Gury, publié A Lyon-Paris en 1850, et dont des éditions successives et augmentées prolongèrent l’influence jusqu’au temps proche de nous. Son plan est celui que nous avons signalé dans les ouvrages similaires; son probabilisme celui de la plus belle époque. Le système moral de Gury lient eu quatre thèses (éd. de 1871. p. 52 sq.) : P Non licet sequi opinionem probabilem nec probabi­ liorem, relicta tutiore, quoties adest obligatio absoluta nlicujus finis determinati oblinendi, quem usus medii probabi­ liter inepti In periculum adduceret; tunc Igitur pars tutior csl sequenda. 2" Non licet sequi opinionem tenuiter probabilem, relicta tutiore. 3· LIcrt sequi opinionem probabilissimam, ct etiam pro­ babiliorem, relicta tutiore, ubi de sola actionis honestate agitur. I Licet srqul opinionem vere el solide probabilem, relicta tutiore *que probabili vel etiam vere probabiliori, ubi de solo licitu vel illicito agitur. On voit comment «'st souligné·» I1 limite de ce pro­ babilisme et combien l’énonce s’en inspire soigneuse­ ment des condamnations pontificales. En réalité, A la 593 PH0BAB1LISME ET ÉQUIP B OB Λ BILIS M E faveur de la quatrième thèse, le probabilisme fait sa rentrée, tel qu’il fut communément pratiqué. Car une opinion est classée probable «que tiennent pour abso­ lument vraie cinq ou six théologiens excellents en pro­ bité, en jugement, en science », p. 51; le tout serait de voir jusqu’où l’on se montre difficile en la vérifica­ tion de ces qualités. L’argument de Gury est que, dans le cas où sont en présence plusieurs opinions probables égales ou non, la loi cesse d’obliger : non certo constat, non obligamur. Il le confirme par les inconvénients du probabillorlsme, d’où suivent, dit-il, p. 29 sq., une excessive difficulté pour les confesseurs, de très gê­ nantes difficultés pour les lidèles, une perpétuelle luetuât ion de la doct rine. De la part d’un probabiliste, cette dernière remarque est assez inattendue. Dans les réponses qu’il fait aux objections achèvent de paraître quelles conceptions sur la nature de la vie morale cet auteur porte dans l’esprit. Il publia bientôt, en 1862, des Casus conscientia· appelés pour leur compte ù une longue fortune. Le système de la Théologie morale y est derechef exposé; mais on voit cette fois en la solu­ tion des cas de conscience où conduisent effectivement ces principes. Gury oblige à restitution le confesseur qui imposa au pénitent la réparation d’un dommage, dans le cas où deux opinions probables ont cours entre théologiens sur le sujet. Casus de conscientia, LyonParis, 1865, c. ix, p. 11. Sur le droit de changer d’avis selon que le requièrent nos intérêts, il n'est pas moins décidé. Voici l’un des trois cas envisagés, avec sa solution (ibid., c. xi, p. 46-17) : I. ucimuis hærcs admittit nt validum testamentum in su) favorem conditum, quamvis quibusdam debiti* fomuditatlbus carent, innixus probabili doctorum sententia. Sed ulla die, mutata sententia. Juridice postulat et obtinet irritatio­ nem alterius testamenti puriter informis, in favorem Call conditi, ut ipse propior lueres colligat luereditatem. Luclamis legitime potuit mutare sententiam in prnxl circa valorem testamenti aliqua forma legali carentis, pro variis circumstantiis, quia semper opinionem vere probabilem secutus est. Etenim sibi servando luereditatem, non ob­ stante defectu forma», ante sententiam judicis, licite egit, cum juxta opinionem vere probabilem egerit; sed non Ideo cessavit judicare oppositam ut solide probabilem. nec re­ nuntiavit juri quod cuilibet civi competit, prosequendi irri­ tationem alterius testamenti, *i luce irritatio Ipsi faveat î ergo, irritationem legati juridico postulando, jure suo usus est Lucianus; ergo minime inquietandus. L’esprit de Ia casuistique d’avant Pascal n'est·!! pas Ici de nouveau présent? On trouvera d'autres exemples des solutions de Gury dans 1 lôllinger-Itcusch. op. a/., t. t. p. 113 sq. 11 n’est pas outre mesure surprenant que les ouvrages i n morale chrétienne. 1850, contient une critique expresse du proba­ Ία royaum bilisme, qualifié d’ atomisme » moral. En ce système, nquièmo édition on confond, dit-il, le jugement de la raison avec la die Hin.nl tou (ée réelle de la conscience morale. La vraie conscience étique ne sont pas à 597 PROBABILISME. ÉTAT ACTUEL exclure absolument. Ibid,, p. 330-331. Personnelle­ ment, ce théologien semble professer une doctrine excessive. « En cas do doute sur une Obligation, nous devons, selon lui, nous ranger en règle générale du Côté de l'opinion plus probable. Nous tommes cepen­ dant obligés do choisir le parti le plus sûr, quoique peut-être h s raisons prépondérantes ne soient pas en sa faveur. Puisque, par exemple, il est plus sût qu’il vaut mieux souffrir du tort que d’en commettre, il faudrait payer une seconde fols une dette dont l’ac­ quittement reste douteux tout en restant très pro bable. · La morale chrétienne.Ce éd., t. n. p. 227. Pour déterminer la responsabilité morale, l'auteur n'admet pour ainsi dire pas l’excuse de l'ignorance. Il compare la situation d’un homme qui viole l’ordre moral par ignorance avec l’état de péché originel et appuie celle opinion sur l’Écriturc et l’expérience. 767«/., t. i. p. 217. Voir Diebolt. op. c/7., p. 339. Ces tentatives étalent peut-être trop originales et divergentes pour exercer une influence décisive sur révolution de la théologie morale dans l’Église catho­ lique. De fait, il ne semble pas que l’état contemporain des doctrines, sauf peut-être en Allemagne même, leur doive beaucoup. L’esprit routinier, dont on ne peut dire que soient exempts tous les théologiens, y est du reste pour quelque chose. IV. En dehors du monde niÉoi.oGiQUE. En dehors même du monde théologique, et dans la suite de la controverse ouverte par les Provinciales, dont on ne sait aujourd’hui encore quand elle sera close, on observe nu cours du xix* siècle quelques épisodes inté ressaut notre sujet. On sait quel procès du jansénisme et de Pascal a écrit J. de Maistre dans son ouvrage De Γ Église galli­ cane (1821), sans qu’il y parle d’ailleurs de la morale et s'il y avait lieu ou non de blAmer les jésuites. Il est certain que l’hostilité ainsi entretenue contre le jansé­ nisme a favorisé la persistance du probabilisme, conçu de plus en plus par bien des gens comme l'antidote de cette rigueur menaçante, l ue des rares joies que ménage ù l'enquêteur la littérature dont nous faisons l'histoire est le chapitre où. dans son Port-Royal, 1.111. c, xiv, Sainte-Beuve donne la réplique à .1. de Maistre et défend contre sa fougue les chers vieux auteurs dont il sait tant de secrets. Il faudrait signaler aussi l'influence sur notre sujet «le ce grand livre si la recherche n'en devait être trop longue. Disons du moins que les jugements de Sainte-Beuve peuvent agir sur I esprit de l’historien et du théologien par manière d'excitants, et qu'il y a toujours bénéfice ù savoir ce qu’a pensé de nos problèmes un laïque, au surplus sin­ gulièrement cultivé et pénétrant. Nous descendons de plusieurs degrés avec un certain Code des jésuites, paru en France vers 1816, où sont recueillies une fois de plus, tant le genre semble promis au succès, les propositions les plus scandaleuses des casuistes, mais sans l’assaisonnement d’une mise en œuvre quelque peu spirituelle. L'écrit néanmoins ne resta pas sans réponse; elle s’appelle curieusement Rêja talion du Code des jésuites, ou explication de textes théologiques cités sans être compris, par un élève de l’Université, Paris, 1816. Cette réponse révèle un pitoyable attachement aux mêmes errements qui jadis mirent Pascal cn colère. Nous renonçons à donner des extraits de l’opuscule, où le burlesque le dispute au cynique. Obscurs écrits, mais qui attestent comme un état endémique de la querelle, au moins dans les esprits français. Elle faisait éruption Quelque trente ans plus tard, et sur un I héAt re nouveau. I )ans les discours qu’il prononça a la Chambre des députes, en 1879, au cours des débats sur la liberté de l’enseignement supérieur, Paul Bert crut habile «l’évoquer la morale des jésuites, uhud 598 qu’il «lit. Moyennant des échantillons de solutions casuistiques, il argumenta cn faveur de l’art. 7, lequel refusait le droit d’enseigner aux congrégations non autorisées. Mgr 1 rcppcl ayant taxé Paul Bcrt de falsi­ ficateur de textes, celui-ci publia son discours copieu­ sement orné des citations propres A justifier scs conclu­ sions. On n’attendra pas que la critique «le Paul Bert soit irréprochable aux yeux «lu théologien; il joue plus ou moins sincèrement et habilement de son thème : il reste «pic la matière lui cn fut trop généreusement administrée par «l'authentiques casuhtes, où Gury a le premier rang. Par ailleurs, des écrivains sc sont avisés de défendre le probabilisme, dont ils avalent eu con­ naissance par Pascal; mais ces apologies sont peut être plus funestes au système que les objections des adversaires. Qu’on en juge d’après 1rs insupportable bavardages de Brmy de Gourmont, dans Le chemin de velours, où l’auteur justement semble avoir pris à des­ sein le contre pied «lu discours «le Paul Bert. V. État actuel de i.a question. De nos jours, on n’a pas cessé de parler «lu probabilisme. 1° Les manuels. - Les manuels font en général une place «le choix à ce système comme ù rivaux, qui servent d'indis|>cnsable introduction à la théologie morale. Par là. ces organes de l’enseignement se montrent dépendants en leur conception et cn leur méthode de leurs précédents du xvn* siècle. Il n’en est point qui ait encore franchement rectifié la posit ion même du problème, qu’ils acceptent telle qu on *e la lègue depuis cette époque et qui emporte, l’au rons-nous assez dit. un nouveau et fâcheux esprit dans la théologie morale. Si l’étude à laquelle nous venons de nous livrer doit avoir quelque utilité, ce serait notamment de faciliter, à la lumière de l’histoire, une réforme touchant au fond même des conceptions mises en œuvre en ces sortes d'ouvrages. Le besoin cn est d’ailleurs plus ou moins confusément éprouvé. Ortains manuels préfèrent le plan des vertus au plan des pré­ ceptes; ils étendent la place faite aux questions plus doctrinales; l’un va même jusqu’à Insérer les questions de la conscience au traité de la prudence. .Mais ces essais ne vont pas encore, il s’en faut. Jusqu’où l’on souhaiterait et. si audacieux qu’ils paraissent, ils ne le sont pas assez. tant sont entrées dans l’usage des conceptions et des habitudes en réalité accidentelles, mais qui tirent fortune. Les manuels thomistes euxmêmes Justifient leur titre par l’appareil notionnel ou l’ordre «le la matière plutôt que par lu qualité de la pensée. Il est d’ailleurs naturel que ce genre d’ouvrages ne profite pas en premier lieu du renouveau dont peuvent témoigner «les études plus scientifiques de théologie morale. Entre eux. les manuels se dis­ tinguent selon le choix qu'ils font d’un système, le probabillorisme. ou l’ctpiiprobabilisme. ou le probabi­ lisme, auxquels s’ajoute, nous l’avons dit. le compen­ sât ionnisine. adopté par un petit nombre. Le probabi­ lisme est représenté par des manuels fort répandus, soit celui , amplement et dcctcmcnt traités? Le malheur est jus­ ct du gouvernement de l'Église, laquelle régit les tement qu’ils sc trouvent là, A moins que certains mœurs comme la foi. On peut même renforcer l’argu­ d'entre eux n’aient été relégués jusqu’en philosophie ment en considérant un usage des Congrégations morale, alors qu’ils devaient donner A la théologie romaines qui, consultées sur quelque point de morale, morale son vrai caractère. A qui s’csl rendu familière renvoient volontiers aux probati auctores, desquels cer­ tainement on ne peut exclure, dans l’intention de ers une théologie morale de type thomiste, il n’est pas possible de n’éprouver point un serrement de cœur organismes ofllclels. les théologiens probabilistes; en quand il compare A celle-ci les théologies morales d'au­ observant en outre que des instances furent faites auprès jourd'hui. Et la comparaison n’en est pas hors de pro­ du Saint-Siège on vue de condamner cc système, sans pos, puisque ces dernières entendent diriger la pratique que l’autorité suprême sortit pour autant de sa réserve. comme le voulait précisément celle-là. Mais quelle Cf. Noldln, 1.1, 1929. p. 238-239. En ces conditions, il apparaît que nous rencontrons ici un problème de pratique appauvrie et quelles sèches directives d’un méthodologie théo logique, à la fois délicat ct intéres­ côté, tandis qu’il y a de l’autre d’immenses ressources sant . sur lequel nous nous expliquerions comme il suit. de pensée morale, que négligèrent trop de moralistes, 1° H appartient au théologien d'adhérer à une doc­ distraits de cc labeur magnifique par la vogue des pro­ blèmes liés aux difficultés des consciences ! Et cepen­ trine morale déterminée. — D’une part, il est assuré dant ne sc donnaient-ils point pour des maîtres on vio qu’entre une théologie morale thomiste et celle qui sc réclame ou s’inspire du probabilisme, il y a non point chrétienne? Il n’y a pas do plus beau rôle. Ils s’en firent, passage pur et simple du spéculatif au pratique, non il faut l’avouer, une idée bien modeste, dont pâtit point progrès doctrinal (comme certains le disent, aujourd’hui encore la théologie morale. Bien plus, Il n'est pas certain que, dans lochamp même échappant ainsi au problème que nous abordons), des problèmes pratiques, ceux qu'il revendiquait pour mais ce dissentiment que nous avons observé, suivi siens, le probabilisme, chez les auteurs du moins qui le et apprécié. Les rectifications que s’est imposées le pro­ babilisme à mesure qu'il persévérait laissent à peu près représentent en toute sa force, n’en ail pas rendu plus entières ces divergences initiales d’esprit ct de me­ diflicilcs l’étude diligente et l’exacte solution. Car il se thode. D’autre part subsiste le fait que nous venons de contente volontiers de la probabilité. Il ne prétend point A la réponse nécessaire ct dont l’autorité évince rappeler. De celui-ci, on tirerait certainement une conséquence indue si, en son nom. l’on interdisait en les autres. Il proclame celte entreprise malaisée, ct matière de probabilisme un jugement de valeur ou. cc peut-être certains ont-ils peur qu’on n’y réussisse trop bien, car une conduite unique alors s’imposerait, qid qui revient au même, si l’on imposait A tous de penser exclut le choix et gêne la liberté. Le mouvement de que s’équivalent les diverses conceptions morales en l’intelligence parvient malaisément ainsi jusqu’à son cours dans la théologie catholique. On trahirait par IA terme naturel. Son allure Initiale en est retardée d'au­ une grave méconnaissance de la nature de la théologie, tant. Alors que les problèmes, A mesure qu’lis sont plus laquelle. A partir des données qui sc résument en ren­ diflicilcs, demandent qu’on les aborde avec une sorte seignement actuellement acquis du magistère, porte d'allégresse intellectuelle et dans l'entrain de la con­ ses jugements propres et dont elle assume la responsa­ quête. le probabilisme n’ofïre A l’esprit que l’espoir bilité. Son rôle n’csl point d’enregistrer purement cl d'approximations également valables; si même l’une simplement ce qui se dit ou même ce qu’on a le droit de était plus faible, elle aurait encore tous les titres à dire, mais, s’en étant diligemment informé, de pronon­ régir la conduite. Dans ces conditions, quel élan pren­ cer a son tour son jugement. Ainsi firent les grands dre ct pourquoi dépister laborieusement la vérité der­ théologiens, ct c’est pourquoi apparemment il y a dans nière? Il y a IA une disposition psychologique dérivée l’Église des pensées théologiques diverses, telles qu’un de la nature même du probabilisme, et dont l’effet no même esprit ne peut adhérer à toutes A la fois. Le fait 607 phobabhjsme. jugement de i.λ ίί EOLOG1E en est notoire en maintes questions de dogme; il n’est pas plus surprenant en morale. Bien du reste ne permet de penser qu'en approu­ vant des docteurs dissemblables entre eux l’Eglisc entende limiter l’effort proprement théologique; elle signifie au contraire que le choix reste entier, à l’inté­ rieur de ses directives. Au théologien donc de pour­ suivre ses investigations, mettant en œuvre les procé­ dés qui le peuvent conduire jusqu’à une détermination plus précise ct fonder sa préférence. Il est clair que son souci est alors de découvrir la vérité et que c’est au nom de celle-ci en définitive qu’il adhère à une con­ clusion plutôt qu’à une autre. Car au nom de quoi vou­ drait-on qu’il le fit? Son esprit est de l’espèce com­ mune. Celte recherche et cc parti sont d’autant plus légitimes que le théologien se guide en son travail non sur des conceptions personnelles ou sur une vue origi­ nale des choses, mais sur une doctrine expressément autorisée, comme est celle de saint Thomas d’Aquin. Nous n’avons rien fait d'autre que de juger en tho­ miste, aussi fidèle que possible à son maître, la matière que nous livrait l’histoire. Bien entendu, le théologien, si l’on peut dire, est pris alors à son propre jeu : il adhère sincèrement aux conclusions qu’il a décou­ vertes, el il y adhère parce qu’il les tient pour vraies. N'est-ce pas ainsi encore qu'ont toujours fait les grands théologiens? Entre les opinions en cours ct les pensées permises, ils se sont fait la leur : plus que leur droit, c’était là leur devoir. Des probabilistes sc sont trouvés, nous l’avons dit, qui, sous les espèces de la modestie intellectuelle, proclamaient téméraire la ferme adhésion de l’esprit à quelque opinion; étendre celte appréciation à la théologie en général, sous pré­ texte de docilité, serait le reniement de la théologie même. Nous sommes pour notre compte, nu terme de ce travail, convaincu de la supériorité de la morale thomiste sur la morale probabiliste; nous le procla­ mons de toutes nos forces. Que le probabilisme soit venu plus tard, ce n’est point contre cette conclusion une raison décisive, d’autant que rien n'empêche sans doute une morale thomiste d’être une morale moderne, cl non moins que l’autre. Elle n’est pas impropre à satisfaire aux problèmes que s’est posés le probabi­ lisme : nous le montrions en commençant, nous le con­ firmerons ci-dessous. Si nous sommes répréhensible en la conviction que nous professons, ce serait non d’avoir fait un choix ct cédé à l’attrait de la vérité, mais pour avoir failli par quelque endroit à la bonne méthode en notre investigation même : la crainte de l’avoir fait en un champ aussi vaste et encombré est la seule réserve que nous puissions mettre en notre conviction. 2° Il y a lieu pour le théologien d'agréer de qu -Ique /açon les diverses doctrines morales reçues dans l'Église. — Mais du même fait de l'attitude de l’Église on ne tiendrait pas un compte suffisant si, le reconnais­ sant en lui-même, on ne tâchait de l’inclure dans l'appréciation définitive que l’on porte sur un objet donné, dans le cas sur le probabilisme. Nous venons de dire que cc fait n’ôte pas la liberté de préférer une doc­ trine à une autre parmi celles qui sont admises, ct que celte préférence sc fonde sur la conviction de la vérité. Par ailleurs, cette liberté ne va certainement pas jus­ qu’à permettre au théologien thomiste par exemple de dire que la morale alphonsienne ou la morale proba­ biliste sont irrecevables. Un tel jugement atteindrait l'Égllsc elle-même, qui. agréant ces morales, les sous­ trait du même coup à un verdict aussi péremptoire. Nous touchons, on le voit, au nœud du problème mé­ thodologique que nous nous sommes imposé. Au fond, il s'agit de savoir comment, professant la vérité d'une doctrine, cependant on n’exclut ni ne condamne les doctrines adverses que l’Eglise n’a point condamnées. Or, cette disposition d’esprit ne semble ni contradic 608 toireni impossible si l 'on veut bien distinguer dans une doctrine morale ce qu'il y a en elle de détermination due à I effort rationnel, aussi largement d'ailleurs qu’on comprenne ce mot, et ce qui en elle tombe sous la garantie de l’Église. Quand il s’agit de théologie dog­ matique, cette distinction est familière : d'une part, l'interprétation dont le théologien porte la responsabi­ lité; d’autre part, la donnée de foi entièrement respec­ tée, grâce à quoi son système est de ceux que l’Église approuve. Quand il s'agit d’une doctrine morale, nous dirons que la garantie de l’Église signifie qu’une telle doctrine, de quelque conception qu’elle relève en ses déterminations propres, est apte à conduire au salut celui qui s’y conforme. Car telle semble bien être l’intention formelle de l’Eglise quand elle exclut ou quand elle retient une doctrine morale, où il s’agit au fond de la conduite de la vie chrétienne : elle proclame demeurent la division maîtresse de celte méthode. Mais ajoutons qu’en morale rétablissement de la probabilité tiendra compte de la gravité de l’enjeu : on sera moins difficile pour juger probablement qu'aujourd’hul n’est point jour de jeûne, plus difficile pour juger probablement que ces témoins disent la vérité ou qu’un animal et non un homme est caché dans le fourré; en cc dernier cas même, la probabilité coïncidera avec la certitude sensible. Du reste, l’examen des cas serait ici beaucoup plus éclairant que ne peut l'être un énoncé de prin­ cipes généraux. Nous observions ci-dessus avec quelle maladresse un Barthélemy de Medina traduisait en formules abstraites les exemples particuliers qu’il avait dans l’esprit ; il faut toujours craindre une mésaventure pareille lorsqu’on entreprend un effort du meme genre. Une fois obtenue lu probabilité, on est. bien entendu, lié par elle. Car on juge alors, on affirme que telle action est requise. On l’affirme avec sincérité et conviction, quoiqu'on réserve la possibilité qu’il en soit autrement : réserve qui est la seule différence de la probabilité par rapport ù la certitude. Mais, si l’on s’est fait une opinion, comment userait-on pour diriger son action de l’opinion d’un autre, que l’on ne partage pas, dont on ne peut se convaincre qu'elle soit vraie, encore que scs partisans la présentent comme probable? Il est clair qu’on agirait alors sans sincérité ou. ce (pii revient au meme, avec duplicité (il est bien entendu que nous prenons ces mots dans leur sens étymologique), une T. — NID — 20. 611 PROBABILISME. CONCLUSIONS PRATIQUES duplicité que peut bien recouvrir mais non ôter le juge­ ment réflexif de certitude qu’introduisent ici les pro­ babilistes. Et l’on témoignerait par là n’avoir cure de la vérité de l’action, à laquelle il suffirait d’être con­ forme à l’une des opinions reçues connue probables, sans qu’elle le soit au jugement de son auteur. Peutêtre est-il pennis de concevoir ainsi les choses lorsqu’il ne s’agit que de se mettre en règle avec une loi. dont plusieurs interprétations sont autorisées, c’est-à-dire lorsque l’action se tient à un plan purement juridique; mais en morale, certainement non. C’est ici des proba­ bilistes à nous une difTércncc irréductible. L’action morale n’est pas chose de convention, mais une réalité de la vie humaine. Chacun est responsable de celle qu’il commet, il en a le contrôle exclusif, il en juge avec sa propre pensée. Eondera-t-on le prétendu droit de suivre quelque opinion probable sur ce que l’agent ne tient pas la sienne avec certitude? Mais, si la réserve qu’il met en son adhésion n’a pas de quoi cependant détacher de celle-ci son esprit, elle ne peut davantage l'autoriser à suivre un jugement étranger. On voit le sens de notre critique : nous ne refusons pas qu’un esprit, pour se faire une opinion, tienne compte de la pensée des autres ct de la probabilité attribuée aux opinions en cours; nous disions au contraire ci-dessus que la considération des « autorités · appartient de droit à une topique delà probabilité. M ds nous refusons qu’un esprit, s’il s’est /ait une opinion, néglige la sienne et emprunte celle d’un autre pour diriger son action. Il arrivera qu’on ne se fasse pas même une opinion. Comme la certitude, la probabilité parfois sc dérobe. Entre les opinions qui sc proposent, parmi les proba­ bilités (pii le sollicitent, l'esprit se sent incapable de choisir. La difficulté est précisément alors qu’il sc fasse celte conviction à laquelle nous voulions à l’ins­ tant que son action fût conforme. Reste peut-être une ressource. Il se pourrait qu'aux opinions en présence des degrés divers d · probabilité fussent communément reconnus, du plus probable au moins probable, ct le fait en serait assez constant pour que, privé de tout autre critère, l’esprit s’en remit du moins à celui-là. En ce cas, son choix irait infailliblement à l'opinion classée la plus probable, c'est-à-dire à celle-là qui aurait le plus de chances d’être vraie. Aucun autre objet que le vrai ne répond à l’inclination naturelle de l’esprit. S’il choisissait alors la moins probable en vue de conformer sur elle son action, l’agent n’éviterait pas cette contra­ diction avec soi-même que nous avons dénoncée. A défaut de tout critère pouvant décider l’esprit, on demeure dans le doute. La distinction médiévale du doute et de la probabilité, que nous avons consta­ tée aller s’effaçant, conserve pour nous tout son prix. Il y a là deux états spécifiquement distincts j de l’esprit (comme nous avions l'occasion de dire, à propos de Suarez, la distinction spécifique du doute ct de l'ignorance). De même que conserve pour nous tout son prix la règle qu'énonçaient pour cet état les anciens moralistes, cl dont nous sa­ vons quelle autorité elle n longtemps possédée. Rien ne nous a semblé satisfaisant des tentatives faites pour exempter de l'obligation celui qui doute. Même s’il ne s’agit que du licite, même s’il ne s’agit que des doutes de droit, on ira au plus sûr. Il n’y a point là le joug intolérable que certains pensent. Tous les chrétiens l’ont porté sans plainte jusqu’au xvr siècle. Entendons qu'il s’agit de ce qu’on appelle proprement un doute, c’est-à-dire de l'impuissance où est l’esprit de se fixer sur un parti, même probablement. Rappelons aussi que de ce doute on peut chercher l’issue, s’il en est; dès le Moyen Age, les moralistes avalent là-dessus des con­ seils que nous rapportions plus haut : il arrive qu’ils soient efficaces, tl. si l’on trouve d’autres moyens, pourvu qu’il* dissipent réellement le doute, on eu usera 612 sans crainte. Répétons en outre que la loi, chose majes­ tueuse, n’est pas cependant inflexible : il arrive qu’elle s’applique, il arrive qu’elle ne S'applique pas; la deter­ mination en est. il est vrai, délicate, mais une théologie morale comme celle du Moyen Age offre déjà l'exemple d’une doctrine élaborée en ce sens. Si mémo le législa­ teur en personne a prévu que des doutes conçus au sujet de sa loi exemptent de l’obligation, toute ques­ tion est alors tranchée, et la conduite est claire. Disons enfin qu’lci comme plus haut des formules générales risquent de m d traduire la ré dite el que des cas sont possibles dont la solution semblerait la négation de ce tutiorisme; nous en trouvions des exemples chez saint Thomas lui-mêmu L’énoncé le plus correct serait celui-ci : Chaque fois (pie le choix du mpins sûr, de la part de celui qui doute, slgnlflo le risque délibérément couru de pécher, le péché est commis. Quant à chan­ ger le doute en prétendue certitude pratique par le nwjen d'une < réflexion », c’est précisément le procédé qui nous a semblé dépourvu de toute efficacité. 2° L'agent moral est lié à la pensée d’un autre. — L II dépend d’un autre. —· On n’est pas toujours le maître de son action. Il arrive qu’on se conduise non d’après ses décisions propres, mais selon celles d'autres personnes de qui l’on dépend; ou .que l’on agisse non en son nom personnel, m ds au titre d'une fonction que l’on exerce. Des situations spéciales peuvent alors se présenter pour la conscience, que ne connaît point l’agent moral considéré jusqu’ici; car un désaccord peut régner entre les deux pensées en jeu. Soit qua le citoyen tienne pour injuste, par cxcin d*. la guerre où l’engage son prince, ou l’inférieur illicite l’action que lui commande son prélat; soit que le juge connaisse à titre privé l’innocence d’un accusé déclaré coupable selon les voies légales. Et le désaccord se vérifie, qut le citoyen, l’inférieur, le juge, aient une certitude de leur propre pensée, ou simplement une probabilité, ou un soupçon ou un doute en ce même sens. Ce genre de cas est tombé assez, tôt sous l'examm des moralistes. Nous avons même observé que par cette vole notam­ ment est entrée en théologie morale l’habitude de con­ sidérer la pensée des autres comme règle de l’action monde, sans qu’on discernât si elle s’imposait ou non à l’exécutant. Sont engagées dans la solution de ces cas une théorie de l’obéissance quant à la conduite du sujet ou de l’inférieur, une théorie de la fonction judi­ ciaire quant à celle du juge, ct ainsi de suite pour les diverses situations de même type qui peuvent sc pré­ senter. Autant de chapitres de la théologie morale où joueront des considérations appropriées. Il n’y a pas lieu de les écrire ici. Disons seulement (pie rien n’em­ pêche, moyennant les conditions requises selon les cas, que le sujet comme sujet, le juge commo juge, se con­ forment à l’ordre reçu ou aux règles do la fonction, faisant alors ce quo d’eux-mêmes ils n’eussent point fait ou n’eussent fait qu’avec hésitation. Cette déter­ mination n’a rien à voir avec le probabilisme; elle relève de critères étrangers à ce qu’on appelle mainte­ nant un système moral; un saint Thom is déjà l’auto­ rise. L’erreur du probabilisme fut même do s’emparer de ces cas très déterminés pour en tirer des règles de conduite plus générales : quoique nous récusions cellesci. nous ne versons pas dans l’intransigeance au sujet des situations où. originellement, elles s'appliquaient. 2. tïn autre dépend de lui Un peu à l’inverse des précédentes, i i situation pmt se présenter où l'on doit régler non son action d’après la pensée d’un autre, mil l’action d’un autre. όΙοπ si propre pensée. On le fait à des titres divers. d| Comme un chef ou un null· -, tout «l’abord, ayant aut« il sur r v’qu^ mi| *. D< i <| voirs spéciaux conce v .d " < *” ItHon :u.»r ^’on saint Thomas, υ ’ a n il nomme pru- 613 PROBABILISME* CONCLUSIONS PRATIQUES donee la vertu qui garantit la conduite individuelle : la seule différence «le l'une a l'autre est que celle ci est ordonnée au bien d'un seul, celle là du groupe sur qui le chef a autorité. C’est dire que le même soin de la vérité pratique, incombant à chacun pour son compte, incombe à quiconque gouverne la conduite des autres. Les memes règles que nous avons ci-dessus énoncées à l’usage des particuliers, toutes déduites de cette exi­ gence de vérité dans l'action, se retrouveront donc Ici, transposées à l’usage des chefs* Mais les disputes que nous avons racontées ont peu retenu de ces cas, aux­ quels avait été très attentive la théologie médiévale, lilies ont en revanche débattu à loisir ceux du con­ seiller ct du confesseur. Quant au conseiller, il dira ce qu’il pense, c’est-à-dire ce qu’il juge être vrai, avec le degré de certitude qu’il y attache; il mentionnera, s’il les connaît, les opinions divergentes et dira quel jugement il porte sur elles. En d’autres termes, il pratiquera l’attitude qu’on adopte spontanément chaque fois que l’on veut donner à quelqu'un un bon conseil, en quelque ordre de choses (pie ce soit. On s’inspire alors du sentiment que ces sortes de relations sont gouvernées par le soin de la vérité. Le consultant recevra le conseil dans le même esprit, soucieux qu’il est de connaître quel est vérita­ blement son devoir. Nous ne lui permettons pas de sc mettre en quête de l’opinion la plus commode, quoi qu’il en soit de sa vérité, dès là qu’est engagé dans l’affaire un intérêt proprement moral. A plus forte raison, et dans le cas encore où un tel intérêt se trouve engagé, ne lui permettons-nous pas d'adopter sur le même objet, selon que le demande son intérêt, tantôt l’une, tantôt l’autre des opinions contradictoires le concernant. Si telle action est vraie et juste quand elle tourne à son avantage, comment ne le serait-elle plus quand elle lui devient onéreuse? Vérité en deçà de mes intérêts, erreur au-delà, n’est point une maxime qui puisse gouverner la vie morale. Nous croyons ne rien dire en tout cela qui ne scit le langage de la nature. Quant au confesseur, il ne semble pas non plus trop dilhcilc, quoique le cas soit plus complexe, de tracer la voie qu’il doit suivre entre les extrêmes contraires. Il y a Heu de concilier cette fois l’autorité du confesseur avec la conscience du pénitent. En principe, il appar­ tient au confesseur d’éclairer le pénitent et de lui dire ce qu’il estime être la vérité, et cela quand même le pénitent se tromperait de bonne fol; car la bonne fol d’une conscience n’est pas dans tous les cas un état définitif : elle l’est si l’on croit sincèrement la vérité, elle ne l’est pas si l’on est sincèrement attaché à l’er­ reur. Dans la pratique, l’intervention du confesseur tiendra compte de la gravité du cas (on sait quel aver­ tissement solennel a donné Pie NI aux confesseurs, dans l’encyclique Casti connubii, sur le devoir « de ne point laisser dans l’erreur » touchant le précepte là rappelé les fidèles dont ils ont charge), de la certitude où il est de son propre jugement, du degré de volon­ taire qui pourrait être impliqué dans l’erreur du péni­ tent; au cas notamment où celle-ci serait absolument innocente ct si la matière souffre délai, le confesseur pourrait ne dire la vérité qu’après avoir peu à peu dis­ posé son pénitent à la mieux recevoir. Si le pénitent était occasionnel el que l’on ne dût plus le revoir, la gravite de son erreur pourrait faire que le confesseur eût à le détromper aussitôt. Il est superflu de «lire que la manière d’éclairer le pénitent tiendra compte de toutes les circonstances, telles que les apprécie la pru­ dence du confesseur, une qualité que le plus bel exposé de principes ne peut remplacer. Mais, quant au devoir même de faire connaître la vérité, nous ne voyons pas quel prétendu droit du pénitent y pourrait faire obstacle. Aurait-il le droit qu’on ne lui formât point la conscience? ou bien la disposition où il est do ne point 614 se rendre à la vérité lui conférerait-elle le droit de vivre dans l’erreur? Il aurait mieux valu à ce compte que le christianisme ne fût pas annoncé, ct par le Seigneur en personne, à tant de gens qui devaient y faire la sourde oreille L’office propre de quiconque a charge d’âmes est de les éclairer, non «le les ménager, quoiqu'il puisse les éclairer en les ménageant si la lumière alors doit mieux pénétrer en elles. Mais il faut éviter de faire une fin «le ce «fui n'est qu’une condition. D’autant que la vérité porte avec soi sa vertu; clic est de sa nature conquérante ct salutaire. On dirait que certains mora­ listes l’ont oublié, à voir, dans l’un ou l'autre des ouvrages rencontrés en notre enquête, quelle maigre liberté ils laissent au confesseur ct meme de quels châ­ timents ils le menacent pour peu qu’il ait exerce quelque contrainte sur l’opinion propre du pénitent. Devant le jugement du confesseur, il arrivera que le pénitent sc rende : le problème alors est résolu. Niais il arrivera qu’il conserve son opinion, et quand même le confesseur est assuré de la vérité de la sienne propre. Que l’opinion du pénitent soit singulière ct communé­ ment estimée intenable, telle que le confesseur y peut opposer le sentiment unanime des théologiens dans l’Eglisc. il nt doit certainement lui faire aucun crédit, mais la traiter comme une erreur, el le pénitent en conséquence. Mais il se peut que l’opinion du pénitent soit de celles qui entre théologiens sont reçues ou tolé­ rées, telle donc que des fidèles la peuvent légitimement partager. Le confesseur discernera alors si son péni­ tent y est attaché de bonne foi, estimant qu'elle repré­ sente la vérité. En ce cas, le pénitent est bien disposé, ct le confesseur, tout en divergeant d’avis, tout en esti­ mant pour son compte que le pénitent sc trompe, ne pourra que lui accorder l’absolution. Ou bien le péni­ tent est attaché à cette opinion, insoucieux de sa vérité (peut-être même estime-t-il que celle du confesseur a plus de chances d’être vraie), mais uniquement parce qu’il la sait soutenue comme probable et qu’elle a cours dans l’Eglisc. Il montre en ce cas une disposition que le confesseur a le droit de juger imparfaite ct qu’il peut s’employer à améliorer. Que le pénitent résiste, on a affaire manifestement à quelqu’un qui entend faire son salut au meilleur compte; mais, parce qu’il se tient dans les limites admises, parce qu’il recourt à un critère auquel le confesseur ne peut que sc soumettre, celui-ci absoudra le pénitent. Nous touchons ici à la conséquence pratique annoncée plus haut quand nous parlions du respect auquel a droit toute doctrine mo­ rale agréée dans l’Eglisc et au nom de cet agrément même. Comme le théologien, le confesseur ne peut que se ranger à ce fait, qui a valeur de soi. Nous aurons complété cet exposé des règles pra­ tiques de la direction de l'action si nous ajoutons que l’application en doit être mesurée selon la qualité des consciences. Elles s’appliqueront avec plus d’urgence aux consciences lâches et insouciantes, avec moins aux consciences minutieuses et scrupuleuses* On ne laisse pas d'être objectif en tenant compte do ce facteur. A chacun de l’apprécier en ce qui concerne sa propre conduite; à tous ceux-là de le considérer aussi, qui règlent la conduite des autres. La connaissance s’en acquiert surtout par l’expérience; elle est comme une sorte de lad, dont on voit aussitôt combien il est précieux et nécessaire, l’nc bonne morphologie des consciences et de leurs variétés facilitera du reste l'acquisition de cette qualité. 3° La nature d nos règles pratiques.— Il n’est pas nécessaire qu’on inscrive sous un système les règles que nous venons d énoncer. Nous avons «lit plus haut quel sens relatif est celui des vocables désignant désor­ mais les systèmes en cours; même le mol de proba* biliorisme, nous préférerions qu’on ne nous rappli­ quât pas. 11 ne s’agit point pour nous de choisir 615 PROBABILISME. DU RENOUVEAU DE LA MORALE savamment entre des probabilités ou opinions posées devant l’esprit, mais de suivre la nature de l’esprit, lequel tend au vrai. On ne marquerait qu'insuffi­ santment celte différence en parlant à propos des ègles ci-dessus d’un système de la probabilité unique, par opposition aux systèmes des probabilités multipit s. Notre soin est justement d’échapper aux systèmes. Au fond est-il certain qu’un système soit indispen­ sable à qui veut régir comme il faut sa conduite ou celle des autres? Les règles qu’on vient de lire s’inspirent du seul souci de la vérité pratique, objet formel du Jugement moral; nous avons seulement tenu compte des situations diverses où se trouve la conscience élabo­ rant son jugement. La morale veut qu’on soit naturel. Qu’on n’entende point par là un refus de voir les com­ plications qui sont réellement celles de la pratique. Naturel ne veut point dire fruste. Bien n’empêche que notre fonds de rectitude se cultive, s’affine. s’adapte, devienne savant. On n’cùt pas inventé les systèmes moraux si l’on n’avait substitué à cette éducation des procédés tout faits, d'un maniement plus sommaire, mais aussi d’une bienfaisance plus contestable. IV. Poun UN HENOUVEAU DE LA TIII.OLOOÎE MOIIALE. — Parmi les préoccupations pratiques qui l’ont inspiré et soutenu, le probabilisme et ses dérivés nous sont apparus comme étant avant tout une crise de la théo­ logie morale comme science. Nous avons porté ce jugement sans méconnaître le crédit qu’ils ont dans l’Église. Sans le méconnaître davantage, d’autant que toutes nos observations ne doivent pas atteindre l’una­ nimité des probabilistes indistinctement, nous pou­ vons maintenant indiquer, en dernière conclusion de ce travail, selon quelles maîtresses conditions s’opére­ rait à notre gré, d’un commun accord, le relèvement que tant de vicissitudes passées rendent souhaitable, en sorte que la théologie morale fût rétablie en son entière dignité de science de la vie chrétienne. 1· De quelque a ractèns de la doctrine me rate, — En celte science signalons d’abord l’exigence de la certitude. L’espoir comme le besoin d’être certains s’est affaibli chez les amis de la probabilité. Leur ten­ dance fut de multiplier les opinions probables, sans prendre assez garde que la lâche du moraliste, s’il pré­ tend à la science, est d’obtenir d’abord et autant qu’il sc peut des certitudes. L’une des causes en est la préoccupation utilitaire qui dominait leurs recherches. D’emblée, ils considéraient les choses morales non en leur nature, mais avec l’arrière-pensée des applica­ tions qui vont s’ensuivre. Le moraliste peut établir avec certitude qu’il esl mal de faire un faux serment; aucune hésitation n'affecte une telle proposition. Il advient seulement (phénomène propre à la science morale et qu’ignore, par exemple, le mathématicien démontrant que 2 et 2 font 4), il advient qu’établis­ sant ccttc proposition des cas particuliers se présentent à son esprit où il lui semblerait qu’un faux serment dût être assez bien en situation. Qu’il les retienne alors, et le soilà tenté d’énoncer qu’il est seulement probable que Ir (aux serment soit toujours défendu. Les proba­ bilistes résistent mal à ces sortes de tentations. Ils passent donc â des énoncés probables parce qu’ils ne considèrent plus assez purement les essences morales. L’impression des cas particuliers l’emporte chez eux •»ur la vue nette des principes. Partis pour faire de la science, ils risquent de verser dans l’empirisme. A ce point de vue, rendre à la théologie morale sa dignité M )rnlih<|uv comporte qu'im y établisse l'uniuersel. Il n est pas moins légitime ici qu’ailleurs, s’il est vrai qu’on y a iffaire à du réel, lequel est partout de même étoffe. Que I esprit du moraliste se désencombre des cas. Tout ne tient pas dans IIndividuel II y a un temps pour l’universel et po »r la certitude. Le respecter est de la méthode même de l’esprit humain. Ensuite de quoi 616 viendra en morale la considération du particulier. Mais on y passera à partir de l’universel et sans perdre devant la déconcertante confusion du concret le béné­ fice inappréciable d’une certitude absolument vraie. A ce compte, la théologie morale prendra un tour plus tranché, plus décisif, disons plus vigoureusement Intel­ lectualiste. Los tâtonnements viendront à leur heure; mais le moraliste n’est pas voue à ne se prononcer qu’avec hésitation. 1) n’use pas seulement du peut-être et du probablement ; il lui est permis de parler comme le demande !’Évangile el de dire : es/, est; non, non. Non que les certitudes doivent s'imposer à tout coup au plan de l’universel. Même là, et à mesure quo sc resserrera lu considération pour se rapprocher de Vhic et mine, nous concevons que des hésitations aient lieu el que des opinions divergentes se fassent Jour. La pro­ babilité n'est pas exclue de ce domaine. Mais qu’elle soit, de grâce, uni probabilité persuasive, agissant sur l’esprit qui la reçoit. Il ne suffit pas de savoir qu’un docteur ou plusieurs l’ont ainsi pensé, ni que des raisons ont été avancées en ce sens. Sur l’objet en < anse, avec le secours des raisons comme des docteurs, le moraliste exercera un véritable effort intellectuel, grâce à quoi il accède à une conviction que motive la vérité. Là est dans tous les cas la prétention naturelle de l’intelli­ gence. La probabilité est une qualité, el non l’objet de l’adhésion. Moins assurés de la vérité, c'est la vérité néanmoins quo nous voulons tenir. Que certains sc bornent à enregistrer les opinions en cours, nous ne les blâmerons pas, surtout s’ils le font avec soin, et il sc peut qu’ils rendent service; mais ils ne méritent point le litre de moralistes, au sens où le mol évoque une science. Il n’est du reste pas souhaitable que de tels auteurs se multiplient. Quant aux moralistes propre­ ment dits, ils feront comme nous venons de dire. A ce compte, on sera moins prodigue de probabilités. Si les probabilistes les ont accumulées, c’est qu'elles leur coûtaient peu de choses. Dans les premiers temps, certains faisaient du probable comme les faux mon· nayeurs de la monnaie. Moins d’opinions, mais mieux éprouvées (selon l’un des beaux sens du mot probable). Revenons à celte belle gravité des anciens théologiens, pour lesquels découvrir une probabilité était une con­ quête précieuse, sagement préparée, comme un gain effectif réalisé par de probes travailleurs qui savent le prix de l'argent. Sans donc prendre indistinctement des airs tranchants, sans méconnaître, ce qu’il y a de plus instable et fuyant en sa matière, la théologie mo­ rale ainsi comprise portera un caractère de fermeté intellectuelle, en sorte qu'elle ne détonne point outre mesure parmi scs sœurs les autres sciences. Ainsi rétabli Euniverscl, la théologie morale diri­ gera mieux la vie chrétienne. Pas plus que la vie mo­ rale tout court, celle-là ne consiste exclusivement dans le détail des actions. El quand on connaîtrait sans défaillance la solution de tous les cas possibles, et quand on saurait à tout coup sans hésiter ce qu'il faut faire, encore manquerait-il cela même qui donne aux actions particulières leur sens et leur intérêt, savoir l'esf rit qui les anime. A travers la multitude des ac­ tions où elle s’exprime successivement, une vie humaine est marquée de quelques grands caractères, elle conspire vers quelques grands objets, el nous savons bien que là est son prix. De mémo n'est-on pas chrétien seulement parce que l'on fait ceci ou évite cela, mais parce que l'on aime Dieu et que l’on met au-dessus de tout sa possession dans la vie éternelle. Qui nous informera de ces suprêmes vérités morales, sinon la théologie dit meme nom? Toute science morale serait dêfri tncusi qui, inquiète de résoudre les cas. no (norm vil m· î s principes. Le défaut en serait plus rnddcqu’-.J théologie I où nous sont dem ·’ ·'. et lue f difficiles où 617 PROBABILISME. DU RENOUVEAU DE LA MORALE les principes sont plus admirables et émouvants. 11 sc trouve que, voulant trop tôt être pratique, on l'est moins bien. Le plus pratique serait encore de commen­ cer par ne rétro pas. Son désintéressement récompen­ sera le moraliste. En ce sens, il n’hésitera pas â étendre son investigation et ά rechercher des certitudes du côté des vérités permanentes, apparemment éloignées de la pratique, cl dont la connaissance meilleure est d’un médiocre secours en effet pour la solution des cas; mais elles sont d’un bienfait incomparable quant ù l’esprit de nos actions, c'cst-â-dire quant û notre véri­ table vie morale, l ue mesure de réalisme spirituel, un front levé de temps en temps sers le ciel, et non pas obstinément penché sur les embarras des consciences : c'est de quoi les morales probabilistes ont perdu l'ha­ bitude et dont les chrétiens ont le plus grand besoin. A ces réflexions, les théologiens dont nous parlons répondront qu’ils font leur métier de moralistes, lais­ sant ù d'autres le soin de régler de plus hautes vies. Ils écrivent pour le commun des âmes, non pour l’élite. Ils entendent sauvegarder la simple honnêteté et non pro­ mouvoir la sainteté. Nouveau dissentiment entre les probabilistes et nous! Ils tiennent pour consacrée en théologie la distinction de la morale, de l’ascétique et de la mystique; nous y voyons un phénomène historique contingent et dont le detriment doctrinal n'est pas niable. // n’y a qu'une vie chrdienn% ù laquelle corres­ pond pour la diriger une seule science qui s’est appelée, jusqu’au xvir siècle, la théologie pratique ou morale. La moindre action du plus humble chrétien engage la vie éternelle. La sainteté n’est pas d'une autre essence que l'honnêteté chrétienne. Il y n certes en vie chré­ tienne des degrés et des variétés; mais il n’y a pas deux principes. Qui entend s'occuper d’elle, en quelque caté­ gorie de chrétiens qu’il la considère, ne peut en oublier le principe unique et l'unique esprit. Il n’y a rien de plus beau en ce monde que la foi, l’espérance et la charité : elles sont le lot de quiconque sc réclame du nom de Jésus-Christ et aspire à la vision de Dieu, La différen­ ciation du moral, de l’ascétique et du mystique n’est pas, comme on croirait d’abord, un progrès vers la pré­ cision; elle est la rupture d’une synthèse. On décou­ vrirait dans l’histoire bien des partages de cette sorte, qui ne font qu’offrir ù l'esprit une illusoire facilité, aux dépens de la vérité totale et de l’unité réelle des objets. Le pire effet de la présente distinction est sans doute l'appauvrissement de la vie morale, que régit une théologie ordinairement coupée de scs ressources doc­ trinales et spirituelles. Le retour de la théologie morale aux grandes pensées et à l’élan du cœur ne sera pas le passage indu d’un genre ù l’autre, mais le rétablissement de cette science en sa naturelle dignité. 2° Des conditions d'une meilleure casuistique. — Il apparaît déjà que nous ne bannissons pas de la théo­ logie morale l’étude des cas particuliers. Nous avons revendiqué qu’elle vienne ù son heure et en son lieu. En leur élude même, nous croyons que des améliorations s’imposent. La casuistique est à notre avis chose difficile cl qui requiert chez qui l’entreprend des qualités diverses et complementaires. En un seul cas sc rencontrent,outre l’universel et le particulier, maints problèmes qu’il y faut démêler, ordonner, décider. Mis en présence de la vie concrète, le casuistc ne saurait oublier les principes et renoncer fi sa qualité de théologien, mais il ne peut non plus méconnaître, sous prétexte de fidélité aux principes, les difficultés ou démentis que semble leur infliger l'expérience. Attentif a l’une des considéra­ tions requises, il n’aura garde d’omettre les autres, qui la doivent équilibrer. Selon son tempérament, il risque d’imposer une solution trop nette et trop simple, ou bien de renoncer à rien décider et de conclure approxi­ mativement. Ce dernier danger est de beaucoup le plus menaçant en probabilisme. Le crédit qu’on y professi» 618 pour l’opinion des autres est propre à l’aggraver sans limite. On aura déjà beaucoup fait pour une meilleure casuistique si l’on y règle l'usage de recourir aux auteurs. La théologie morale telle qu'elle est abuse des citations; elle en fait trop, elle les vérifie mal. Il y a bien quelque paradoxe de la part de ccs moralistes qui mobilisent ciel et terre pour défendre l’autorité des opinions et qui les rapportent si négligemment. Les plus illustres ne seraient pas en cela les moins répré­ hensibles. Par ailleurs, les modèles d’cxccllcnle casuis­ tique ne manquent pas. On les trouve moins chez les casuistes de profession que chez les théologiens, et les plus savants d'entre eux, un Cajétan. un saint Tho­ mas d’Aquin, des exemples de qui on tirerait sans trop de peine la méthodologie d’une plus qu’estimable casuistique. L'un des traits en serait sans doute l’exa­ men attentif du fait ou des ensembles de faits soumis à l'appréciation morale : il faut juger de ce qui est, de ce qu’offre la réelle expérience de la vie humaine, ce qui demande qu’on s’informe de celle-ci avec soin et selon des voies garanties. Des enquêtes positives et métho­ diques, des observations précises, contrôlées, scienti­ fiques, apparaissent ainsi comme la condition préa­ lable d’une sérieuse casuistique. D’autre part, on de certaines matières du moins, il ne semble pas que le jugement moral puisse être porté avec quelque garan­ tie si l’on n'a acquis sur l’objet en cause des informa­ tions techniques, relevant de quelque science, par exemple quand il s’agit des choses de l’ordre écono­ mique ou des opérations financières. On souhaiterait en ce sens que quelques-uns parmi les moralistes se fissent une compétence spéciale en l’un ou l’autre de ces domaines d’accès difficile, où la conscience d’un grand nombre se heurte aux plus embarrassants pro­ blèmes. Le goût de la vérité fera, nous le disions plus haut, qu’on aborde avec hardiesse et vigueur de telles recherches où sont requis tant de soins. Ajoutons une remarque. Les casuistes ont multiplié avec intrépidité les opinions; on n’imitera point leur audace, spécialement quand il s’agit de choses déli­ cates el propres à froisser les consciences. Il arrive qu’on n’ose approuver ni blâmer. Les anciens théolo­ giens invoquaient en de tels cas la décision du législa­ teur. Vu les garanties dont une loi est entourée, vu l’autorité nécessaire ù sa promulgation, on n’a pas à redouter que la reconnaissance par elle de certains actes ou usages ne facilite une extension du mal. A ce point de vue. la casuistique fut chez quelques-uns et pour une part l’usurpation indue de l’office du législa­ teur. Ces moralistes ont fait le prince : ils ont avancé des décisions qui eussent demandé de l’autorité. A l'encontre de leur façon, le casuiste averti sc souvien­ dra de sa fonction subalterne et qu’il n’est auprès des consciences que l’interprète et non l'auteur de la loi. Mais l’amélioration essentielle dont a besoin la casuistique est une restauration de la vertu de pru­ dence. Il y a une impuissance congénitale de la casuis­ tique, et nous entendons la meilleure et la plus com­ plète : c’est qu’elle est déconcertée par la vie. Les quelque vingt ou trente mille cas de Diana sont encore inférieurs à la réalité. Impossible que chacun trouve exactement dans un livre la réponse que son cas appelle. La prétention et, pour quelques-uns d’en­ tre eux, la frénésie des casuistes ont été de fournir réponse ù tout. Ils ont joué avec la vie à qui serait le plus fertile en difficultés. Ils ne pouvaient qu’être battus, la vie étant ù la fois plus simple et plus impré­ vue que leurs inventions. I ne saine casuistique est celle qui. pénétrée du sentiment de son insuffisance, ménage la place A une autre habileté, faite d’une autre étoffe et. puisqu’il s’agit de bien vivre, appartenant elle-même â la vie. De toute antiquité, la prudence fut conçue pour satisfaire ù cette tâche. Elle représente h 19 PHOBABILIS.ME - PIWCÈS ECCLESIASTIQUES l’équipement intérieur dont est muni un homme appelé à sc mouvoir parmi le réel ct à diriger sans re­ lâche sa conduite. Elle répond à la nécessité dejuger du bien et du mal sur le plan de l'action concrète. Elle consiste en un ensemble de ressources morales et intellectuelles, spirituelles ct sensibles, grâce â quoi se réalise au mieux de nos vertus l’incessante adaptation qu’exigent de nous le train des choses ct nos propres vicissitudes. Aucune Somme ne supplée cette education intérieure. Moins féru de casuistique, on jugera mieux de ce qui convient, si la prudence veille au-dedans de l'âme. En n’exploitant (pie secondairement cet héritage de l’ancienne théologie, le probabilisme s’est privé de la ressource essentielle qui dût favoriser pré­ cisément scs lins pratiques et toutes concrètes. Jus­ qu’aujourd’hui même, il ne semble pas s’être avisé encore de la perte qu’il a subie. A la vérité, nous le comprenons bien. Que la pru­ dence, au sens que nous venons de rappeler, ait cessé d’être, dans les théologies morales, cette pièce orga­ nique qu’elle fut jadis; que son étude et sa recomman­ dation n’y tiennent qu’un rang modeste, bien infé­ rieur à l’exposé des systèmes moraux, il y a là plus qu’une coïncidence. On s’est passé d’elle au nom du même esprit que nous avons observé au long de cette histoire, ct dont nous répétons qu’il a donné au proba­ bilisme sa consistance. La prudence est rendue peu nécessaire dans une doctrine où l’on insiste moins sur l'élaboration du propre jugement pratique que sur le choix d’une opinion panni celles qui ont cours, et de moins en moins à mesure qu’on tend à élargir la liberté du choix. Elle n’cst plus guère requise dans une con­ ception de la vie morale où il semble qu'on acquitte scs obligations comme on exécute une consigne, exacte­ ment mais sans amour. Car il faut remarquer en tin de compte celte curieuse réduction de l’acte humain à laquelle pratiquement se tiennent certains moralistes : ni l’intention initiale du bien et l'empressement de le trouver, d’où dérive dans l’action, si l’on peut dire, sa sève; ni la délibération intérieure avec scs qualités et scs difficultés propres; ni la détermination convaincue du devoir, telle que l’enquête objective y a conduit l’esprit, aucun de ces moments ne leur semble offrir de l’intérêt ou demander une attention ct une vertu spé­ ciales. Du livre à l’exécution, du livre où est inscrite toute faite la formule de l'action à l’exécution qui s'y conforme de justesse, ne semble-t-il pas que trop d’au- , leurs raisonnent comme si l’acte humain ne compor­ tait rien d’autre? En ces conditions, il est clair que la prudence, même si l’on en parle, est d’un prix diminué. Elle prend au contraire toute sa valeur dans une morale où l'homme tout entier sc livre en ses actes, où l’action se détache de lui comme un fruit mûr el savoureux. Il est certain qu’on n’agit bien qu’avec toute son âme. Du jour où tous les moralistes entendront celte formule avec la même force, peut-être leurs différends particu­ liers se composeront-ils plus facilement cl le probabiUsine aura-t-il cessé d’être des uns aux autres un objet litigieux. Th. Demax. PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES. — I. No­ tion et histoire. 11. Lc pouvoir judiciaire de l’Église (col. 623). III. Des procès en général (col. 627). IV Dr quelques procès en particulier (col. 635). V. Des causes de béatification ct de canonisation (col. (38). VL Do quelques procédures spéciales ..I Ul) L Notion et iiistoihi — 1® Xotion. —Trois termes principaux servent habituellement à désigner, dans it langage juridique comme dans le langage courant, l'ensemble des actes par lesquels une personne reven­ dique scs droits devant l'autorité publique : /uçe/nrn/. proefo et procédure. Employés souvent l’un 620 pour l’autre, Ils ne sont pourtant pas synonymes. 1. I.c jugement, judicium, qui désigne originaire­ ment une operation de l’esprit, consiste avant tout dans la connaissance de la cause, d’où découle la défi­ nit ion du droit controversé: le jugement proprement dit commence à la citation cl sc termine normalement par la sentence. 2. Dans le droit décrctalien, le mot procès marqua surtout les actes judiciaires posés par le juge: en ce sens, le procès n’est qu’uno partie du jugement. Cf. lkcr„ I. II. lit. ix. c. 5; I. I, lit. m, c. 22; I. I, til. XX!, c. 18; I. V, tit. xi, c. 2 in (dem. Chez les modernes, au contraire, il désigne tous les actes à poser pour découvrir la vérité et protéger le droit: le terme a donc une extension plus grande que le mot jugement puisqu’il comprend tous les actes pré­ liminaires aussi bien que toutes les fond ions exécutives qui accompagnent ordinairement la conclusion d’une cause. C’est dans cc sens plus large qu'il faut entendre le titre inscrit en tête du I. IV du Code, De processibus. La signification de cc mot est générique : il désigne non seulement la série des actes requis pour régler les litiges entre particuliers, mais encore la manière d’ex­ pédier toutes les affaires ou contestations dans les­ quelles le bien public est intéressé, par exemple le culte à rendre aux serviteurs de Dieu, ou la façon de procéder dans certaines questions d’ordre semiadministratif, semi-pénal. Plus rarement le terme procès est employé, au sens restreint de jugement, pour désigner simplement l’ensemble des actes à développer devant les tribunaux dans un ordre déter­ miné : c’est ainsi que Ton parle parfois de procès contentieux, procès criminel, publication du procès. Can. 1859. 3. La procédure est plutôt l’évolution extérieure ct pratique d’un procès. Le mot est tiré du Code civil français; il est souvent employé comme synonyme de jugement ou de procès. <1. Nous avons du jugement ecclésiastique une défi­ nition authentique au canon 1552 du (’ode : Contro­ versia: in re de qua Ecclesia jus habet cognoscendi, coram tribunali ecclesiastico, legitima disceptatio et de/initio. a) Ce qui spécifie et limite le jugement ecclésias­ tique, c’est avant tout son objet : res de qua Ecclesia habet jus cognoscendi; il doit porter sur une matière qui est du ressort de l’Église, soit de par le droit divin, soit par concession, dévolution, ou à tout autre titre. Cet objet est en général un droit controversé, un conflit de volontés, pour la solution duquel il est fait appel à l’autorité sociale. De façon plus précise, le can. 1552, $ 2. spécifie que le jugement a pour objet en premier lieu les droits des personnes physiques ou morales; seules en effet ces personnes peuvent avoir des droits, qu'elles poursuivent (persequenda) s’ils sont personnels, qu'elles revendiquent (vindicanda) s’ils sont réels. Le jugement peut porter en second Heu sur des faits juridiques que le juge a pour mission de déclarer. Les faits juridiques sont ceux dont dépend l’habilité à acquérir ou à exercer des droits, ou bien encore l’acquisition même, la mutation ou la perte de ces mêmes droits; par exemple l'état matrimonial, l’état libre, la majorité, la qualité d’héritier, la légi­ timité de la naissance, le paiement d’une dette, etc. Enfin, les délits peuvent être l’objet d’un jugement lorsqu’une information est ouverte à leur sujet en vue d’inlllgcr une peine ou de In déclarer. b) I.c sujet du jugement est double. Il va le sujet passi/ : ce sont les parties en cause, bleu qu’elles soient actives par rapport a la controverse; elh s portent les noms de demandeur, actor (qui prend le litre tVaccu­ sator dans les causes criminelles), cl de provenu, reus. Lc sujet arti/ est le Juge. c'est-à-dire la personne légi- 621 PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES. HISTOIRE llineinvnt constituée pour commit rc de In cause ct régler le litige entre les plaidants. c) Enfin, la /orme du procès comprend l’ensemble des actes et des solennités Juridiques Λ observer au cours des débats et pool le proni ncé de la sentence. 2° Division. I. Lc jugement ecclésiastique est dit ordinaire ou délégué, selon que la cause est portée devant un Juge muni du pouvoir ordinaire ou seule­ ment délégué. . 2. En raison des causes à définir. le jugement peut être spirituel s’il porte sur des causes purement spiri­ tuelles ou unies aux causes spirituelles, par exemple la juridiction, la nullité d’un sacrement, ou une ques­ tion de bénéfice ecclésiastique; il est dit temporel s’il a pour but de définir des Intérêts temporels, par exemple la validité d’un contrat passé entre clercs. Le jugement est pétitoire si la controverse perte sur un droit ou sur la propriété d'une chose; on l’appelle possessoire lorsque seule in possession d’une chose ou la quasi-possession d’un droit est en cause. 3. En raison de la fin. le procès est dit contentieux (nous dirions en France : au civil) lorsqu’il vise prin­ cipalement la poursuite ou revendication de droits privés ou la déclaration de faits juridiques concernant des personnes physiques ou morales. 11 prend le nom de criminel lorsqu’il a pour but d'infliger ou de décla­ rer une peine, à la suite d’une transgression Intéressant l’ordre social. 4. En raison de la forme, on distingue les jugements solennels, au cours desquels sont observées toutes les formalités requises non seulement par le droit naturel, mais encore par le droit positif, et les jugements sommaires, dans lesquels on omet les formalités du droit humain, susceptibles de retarder la marche du procès, pour ne conserver que les solennités du droit naturel. Notons que le (’.ode n’a pas retenu cette der­ nière distinction ct qu’il ne connaît pas à proprement parler de procès sommaires. Le can. 1555 ordonne au contraire de suivre ponctuellement les prescriptions contenues dans le I. IV, sauf s’il s’agit de jugements concernant le renvoi de religieux (can. 651-668) ou d’une cause portée devant le Saint-Oflice, ce tribunal observant une procédure qui lui est propre. 3° Histoire. — Seuls les peuples primitifs laissent aux particuliers le soin de se rendre justice à euxmêmes; dès (pic la civilisation apparaît, l’autorité publique intervient pour résoudre les conflits. Plus une société est parfaite, plus elle restreint le droit des citoyens à se faire eux-mêmes les défenseurs ou les vengeurs de leurs droits. L’Eglise, instituée par le Christ comme une société parfaite, ne tarda pas a intervenir peur régler les con­ troverses qui s’élevaient soit entre les fidèles, soit entre les clercs. Mais cc n’cst pas du premier coup qu’elle forgea un code complet de procédure judiciaire. Scs jugements furent d’abord très simples, sc réduisant le plus souvent à l’application des principes du droit na­ turel; elle sauvegardait les droits de l’accusé, ne le con­ damnant que si sa culpabilité était pleinement démon­ trée. admettant le droit d’appel et proportionnant la peine au délit. Au sortir des persécutions, le nombre des causes portées devant les tribunaux ecclésiastiques alla croissant. Cf. saint Augustin, De opere monachorum, c. XXIX, 7*. 7 ., t. xi. col. 576 , dit saint Jean Chrysostom··: · à l’évêque », dit saint Cypricn, Epist., lxvi, 8. Martel, p. 733. Déjà, nous trouvons, dans la manière de faire indiquée par le Christ, comme une première forme, un embryon de Jugement. On y trouve énonce le délit, un demandeur, un prévenu, des témoins un juge: Il n’y manque même pas une accu­ sation régulière, la sentence cl une sanction pénale pour les contumaces. On peut noter en outre que les parole* < liées sont suivies Immédiatement de cette autre dt< location En vérité, je vous le dis, tout ce que s nus inrrz lié sur In terre sera Hé dans le ciel », etc.. 624 .Matth., xvni, 18, comme si le Seigneur s’engageait a ratifier de son autorité la sentence prononcée parson Église, 2. La pratique des apôtres confirme cette manière d'interpréter 1rs paroles du Christ. — Nous voyons ceux-ci rendre la justice avec la pleine conviction qu’ils en ont reçu le pouvoir. a) En face de l’incestueux de Corinthe, qui scan­ dalise la communauté des fidèles, saint Paul n’hésite pas un instant. Cf. I Cor., v, I. Aussitôt informé, il s’érige en juge du coupable, judicavi ut prasens; ct il porte la sentence en vertu du pouvoir reçu du Christ. cum virtute Domini nostri Jesu. A lire ce texte, on ne saurait douter que des Jugements au for externe n’aient été en usage dès ce temps; pour en sauvegarder une règle naturelle, saint Paul, par une fiction, sc repré­ sente comme s’il était réellement en face du coupable. b) Le même apôtre enseigne également avec quelle prudence ct quelle réserve il faut recevoir les accusa­ tions portées contre les presbytres : Adversus pr'sbgterum accusationem noli recipere, nisi sub duobus aul tribus testibus. I Tim., v, 18. Ces paroles s’adressent à un évêque qui, à n’en pas douter, exerce le pouvoir judiciaire ct devant lequel on a coutume de porter des litiges ou des accusations; saint Paul exige que toute la discussion de l’affaire se fasse devant témoins, donc au for externe. 3. Les premiers pasteurs qui succédèrent aux apôtres revendiquèrent constamment pour eux le pouvoir judi­ ciaire. — Ils portèrent de vrais jugements sur les questions ecclésiastiques : < On juge, dans les assem­ blées chrétiennes, dit Tertullien, avec grande cir­ conspection, certains que nous sommes d’être en pré scncc de Dieu. » ApoL, 39, 7*. Λ., t. i, col. 467 sq. Saint Cypricn parle aussi des règles concernant la compé­ tence des divers tri ounaux, Epist, lix, Il ct 12. Martel, p. 678 sq.; plus haut il parle d’un hérétique qui com­ parut devant un synode africain et fut condamné par quatre-vingt-dix évêques Ibid., 10, p. 677. Et ces juge­ ments devant les évêques n’étaient pas des exceptions, mais des choses assez fréquentes pour que saint Augus­ tin allât jusqu’à se plaindre de la charge qu’elles lui imposaient. < En ce qui me concerne, dit-il, combien j’aimerais mieux chaque jour travailler de mes mains ct employer mes loisirs ù lire et à prier, plutôt que d’éprouver, au milieu du tumulte, les angoisses que m’occasionnent les différends des autres, alors qu’il me faut résoudre des affaires séculières par un Juge­ ment ou les trancher par un arbitrage. » De opere monachorum, c. xxix; cf. Sermo, ccci.i, n. 10, P. L., t. xxxix, col. 1515. Il n’y a qu’à lire les eau. 71 et 75 du concile d’El vire (vers 300) sur les faux témoi­ gnages et les dénonciations calomnieuses, les 13· cl 14· canons d’Arles (31 I) sur les tradilcurs ct les faux dénonciateurs, pour nous convaincre que l’Église eut dès les premiers siècles un for judiciaire distinct du for pénitentlcl. Sans doute l'appareil devait en être des plus modestes, surtout en temps de persécution. Mais, après le tv· siècle, on voit les causes des hérétiques dis­ cutées dans les conciles ct les sentences portées dans les formes usitées à cette époque; ce fui h· cas d’Arius à Nicée (325), de Nestorius à Éphèse (131), de Dloscore à Chalcédolne (451). Il serait donc faux de pré­ tendre que la procédure ecclésiastique date du xi· siè­ cle; s’il y eut alors des innovations en matière Judi­ ciaire, ce fut seulement dans la forme et les solennités extérieures. 4. Enfin, la doctrine de Γ Église concernant son pou­ voir judiciaire n’a jamais varié. Nous avons dit qu’elle organisa peu à peu scs tribunaux; elle le fit comme en une matière qui lui est propre et qui rentre dans la sphere de sa compétence exchislx.· Or. l’Églisc ne saurait se tromper en général surl’objel et l’étendue PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES. LE DROIT DE L’ÉGLISE de ses pouvoirs, (pmi qu’il en soit des applications par­ ticulières; nul doute donc que In puissance judiciaire ne lui appartienne pleinement sur les choses ecclésias­ tiques. Les définitions dogmatiques sur ce point de doctrine ne sont pas abondantes; cela s'explique par le souci qu’eut l’Églisc de défendre surtout son pouvoir légis­ latif, attaqué par les hérétiques. En défendant ce der­ nier, elle protégeait indirectement son pouvoir judi­ ciaire, qui en est la suite logique ct le complément nécessaire. Pourtant, lorsque surgirent des erreurs for­ melles, l'intervention du magistère ne fit point defaut. C’est ainsi que le concile de Trente définit, contre les protestants, le droit exclusif qu'a l’Église de juger les causes matrimoniales. Sess. xxiv, can. 12. Denz.Bnnnw. n. 982. Même assertion au can. I960 du Code : ('.ouste matrimoniales inter baptizatos jure proprio cl exclusion ad judicem ecclesiasticum spectant. CL Syllabus, prop. 71. Léon XI II proclama l'origine divine du pou­ voir judiciaire de l’Église, * conséquence, dit-il, de son pouvoir législatif ». Encycl. Immortale Dei,$ 19, Jtevera. Enfin, le can. 1553 du Code spécifie les causes dont le jugement appartient en propre ct exclusivement a l'Églisc. et qu'il nous faut étudier plus amplement. 2° Étendue. — 1. Le pouvoir Judiciaire de l'Églisc ne s'étend qu’aux personnes soumises à sa juridiction, c’cst-à-dirc à tous les baptisés, même hérétiques ou schismatiques, ct à eux seuls. Les infidèles, même les catéchumènes, ne sauraient donc être cités légitime­ ment devant un tribunal ecclésiastique, sinon de façon indirecte à cause de relations juridiques avec un fidèle baptisé, par exemple en cas de mariage, (.’est la règle posée par saint Paul : Quid enim mihi de his qui foris sunt judicare? 1 Cor., v. 12. En revanche, tout baptisé, de quelque dignité qu’il soit, peut être cité devant un magistrat ecclésiastique; il n’y a d'exception que pour le souverain pontife, à l’égard duquel aucun tribunal, pas même le concile œcumé­ nique, n’a de compétence, selon l’antique adage : Prima sedes a nemine judicatur (can. 1556). à moins cependant qu’il ne consente lui-même à se soumettre à un jugement humain. 2. Quant à la matière des procès, il est certain que l’Église n’a aucun pouvoir sur les causes purement temporelles des laïques; ce pouvoir, elle ne l’a jamais revendiqué. De grands pontifes du Moyen Age ont au contraire proclamé l’incompétence des tribunaux ecclé­ siastiques dans cet ordre de choses. Cf. Deer.. I. IL tit. i, c. G; I. H. tit. xxvtn, c. 7: I. Il, tit. t. c. 10; I. IV, tit. xvn. c. 3. Si donc des causes purement tem­ porelles ont été, au cours des siècles, portées devant l’autorité judiciaire de l’Église, ce ne fut qu’à titre adventice, soit en vertu d’une concession (au moins présumée) des princes, soit par le libre consentement des plaideurs, soit on raison de circonstances parti­ culières. 3. Dans les tout premiers siècles de l’Églisc, les chrétiens, suivant la recommandation faite par saint Paul. I Cor., vi, 9, évitaient de porter leurs différends devant les tribunaux des païens, soit par crainte de perversion, soit pour éviter des actes d’idolâtrie fré­ quents au cours des procès. Les Statut t Ecclcsiir anti­ qua vont même jusqu’à menacer d’excommunication ceux par le domicile ou quasi-domicile du prévenu. Pour­ tant, le voyageur dc passage à Home peut y être cité comme s’il y avait domicile; Il conserve néanmoins le droit dc réclamer son renvoi â son propre Ordinaire; relui qui habite à Borne depuis un an peut décliner le for de son Ordinaire et exiger, s’il h· veut, sa citation devant un tribunal de la ville. Le vagus a son propre for dans le lieu où il séjourne actuellement; un reli­ gieux dans le Heu où est sise sa maison. Can. 1562-1563. La compétence est encore déterminée : b) par le lieu où se trouve la chose en litige: c) par le lieu dans lequel le contrat a été passé; d) par le lieu où le ddlit a été com­ mis; c) par le fait dc l’union ou connexion d’une cause avec une autre, à moins que la loi ne s'oppose à ce que les deux soient jugées par le même tribunal; /) enfin, par le droit de prévention, lorsque deux juges sont éga­ lement compétents. Can. 1564-1568. 2° Les tribunaux : espèces et degrés, — Au-dessus de toutes les Juridictions ct dans un rang hors pair se pla­ cent les tribunaux du Saint-Siège, auxquels il peut tou­ jours être fait appel par tout fidèle, pour toute cause, même non réservée, et à tout stade du procès engagé devant n’importe quel tribunal. Can. 1569. Les tribunaux autres que ceux du Saint-Siège ne sont pas égaux en juridiction; il y a entre eux une hiérarchie, de telle sorte que Ton peut d’un tribunal inférieur en appeler à un tribunal supérieur; il y a aussi entre eux une coordination, de sorte qu’ils peuvent ct doivent sc prêter un mutuel secours lorsqu’ils sont sol­ licités par l’un d’eux. Can. 1570. L Le tribunal ordinaire dc première instance. — On l’appelle aussi officialité. Il doit être établi dans chaque diocèse pour juger en premier ressort toutes les causes qui ne sont pas réservées aux tribunaux supérieurs. Λ la tête de ce tribunal est un juge de première instance, qui peut être l'évêque en personne: mais il est convenable que le chef du diocèse se décharge de cette fonction sur des auxiliaires compétents; d’ailleurs, si le litige porte sur les droits ou les biens temporels de l’évêque, de la mense épiscopale ou de la curie romaine, l’affaire doit être déférée soit à un tribunal diocésain composé de l’officiai et des deux plus anciens Juges synodaux, soit nu juge immédiatement supérieur. Can. 1572. a) C’est pourquoi, bien que l’évêque puisse, en dehors des cas exceptés par le droit, exercer par luimême le pouvoir judiciaire, il est tenu de choisir un official, distinct autant que possible du vicaire général, qui aura le pouvoir ordinaire de Juger les causes por­ tées devant la curie diocésaine. L’oflicial constitue un seul ct même tribunal avec l’évêque du lieu; on ne peut donc en appeler à proprement parler de sa sentence à celle dc l’évêque; mais il ne peut juger les causes (pie l’évêque s’est réservées. b) A l'official peuvent être adjoints des aides, . c’est-à-dire tous ensemble» sous la présidence de l’officia) ou du vlcc-otficial. Can. 1574^1.576· d) Le président doit désigner un des juge* comme rapporteur (relator) ou ponent (ponens) pour faire au tribunal un rapport dc la cause ct rédiger par écrit la sentence. Can. 1581. e) En outre, lOrdinaire peut constituer, soit à titre permanent, soit pour une cause en particulier, un ou plusieurs auditeurs ou juges d'instruction; le juge, lui aussi, a la faculté d’en nommer un, mats seulement pour une cause pendante des ont lui et si lOrdinaire n’y a pas déjà pourvu. Le rôle dc l’auditeur est de citer les témoins, de les Interroger, en un mot d’instruire la cause selon la teneur dc son mandat, m iis non de por­ ter la sentence définitive. I) Dans chaque diocèse doivent être établis un pro­ moteur de la justice ct un défenseur du lien, lis sont choisis par lOrdinaire soit pour chaque cause en par­ ticulier. soit pour l’ensemble des causes, ct alors leurs fonctions nc cessent pas à la vacance du siège épis­ copal. Il est requis qu’ils soient prêtres, de réputation intègre, docteurs en droit canonique ou du moins instruits de cette discipline, d’une prudence éprouvée ct connus pour leur zèle de la justice. Lc promoteur a un rôle à remplir dans les causes contentieuses auxquelles sc mêle une question de bien public et dans les causes criminelles. Le défenseur du lien a sa place obligatoire dans toutes les causes qui traitent du lien matrimonial ou du lien des ordres sacrés. g) A tout piocès doit assister un notaire, choisi par (Ordinaire ou par le juge parmi ceux qui ont été au préalable légitimement constitues. Lc rôle du notaire est de rédiger ou du moins dc signer les actes du pro­ cès. spécialement les actes extrajudiciaires. Quant aux actes judiciaires proprement dits, leur rédacteur porte le nom de greffier (actuarius), qui >>eiit n'être pas dis­ tinct du notaire. h) Enfin, le tribunal se complète, s’il y a lieu, par les huissiers et les appariteurs. Ces derniers ont pour mis­ sion, dans la théorie, de faire exécuter les sentences et décrets du juge. Les huissiers (cursores) sont chargés d'intimer aux intéressés les actes judiciaires. Les uns et les autres peuvent être des laïques, sauf quelques exceptions indiquées par la prudence. Ils sont consti­ tués soit pour toutes les causes, soit pour une cause en particulier. La même personne peut i emplir les deux offices, et l’on doit avoir recours à leur ministère, à moins de coutume contraire légitimement approuvée. 2. Le tribunal ordinaire de seconde instance. — Celui qui a examiné une cause à un degré quelconque de la juridiction ne peut en connaître ù un autre degré 631 PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES. GÉNÉRALITÉS Gin. 157!. C'est pourquoi, du tribunal de l’évêque suf­ fragant, on fait appel nu métropolitain. Des causes traitées en première instance devant le métropolitain, on fait appel à l’Ordinaire du lieu, choisi par le métro­ politain une fols pour toutes, avec l’approbation du j Saint-Siège. (C’est ainsi que, de la sentence de l’arche­ vêque de Paris, on fait appel à l’évêque de Versailles en deuxième instance; du siège de Lyon à celui d’Autun, etc.) Lorsqu’un archevêque n’a pas de suffragant* ou qu’un Ordinaire du lieu n’a pas de métropolitain (parce qu’il est rattaché immédiatement au Saint- ’ Siège), les causes sont traitées en seconde instance devant le métropolitain choisi une fois pour toutes pour faire la convocation au concile provincial (eau. 1591), sauf dispositions spéciales dans des cas particuliers, par exemple Metz ct Strasbourg. Ia tribunal d’appel est constitué ct fonctionne comme le tribunal de première instance. H doit être nécessairement collégial si celui de première instance etc. Can. 1595, 1596. [ 3. Les tribunaux du Saint-Siège. — Le souverain pontife, en tant que juge suprême de l’univers catho­ lique. peut juger toutes les causes, recevoir tous les appels, et de sa sentence nul ne saurait appeler. H exerce son pouvoir judiciaire soit par lui-même, cc qui est rare, bien que non inouï, soit par les tribunaux qu’il a institués à cet effet, soit par les juges qu’il délègue. a} Les tribunaux ordinaires du Saint-Siège sont : a. La S. Bote romaine, dernier tribunal d’appel, qui juge également certaines causes en première ct en seconde instance. Can. 1599. Elle est composée de juges appelés « auditeurs » (au nombre de onze habituellement), dont le premier porte le titre de - doyen ». Voir Cour ro­ maine, t. in, col. 1968, à compléter par les can. 15981601 du Code. — b. La Signature apostolique, tribunal suprême dont les attributions ressemblent assez à celles d’une cour de cassation. Elle reçoit et juge les récla­ mations élevées contre les sentences de la Bote; elle prononce la · remise en état » (restitutio in integrum) des droits et des biens, ct tranche les conflits de com­ petence qui s’élèvent entre les tribunaux inférieurs. • m. 1602-1605. b) Les tribunaux extraordinaires du Saint-Siège sont le Sainl-Qfllce pour les causes qui intéressent In foi; le tribunal de la Sacrée Congrégation des Kites pour les causes de béatification ct de canonisation: enfin le tribunal suprême du Concite général. I. Les juges délégués. — Ils forment une catégorie à part, car, outre les règles générales des procès, ils doi­ vent tenir compte des canons qui régissent la juridic­ tion déléguée. Can. 199-207. Si la délégation vient du Saint-Siège, le juge délégué peut sc servir des auxi­ liaires constitués dans la curie du diocèse où il doit juger; mais il peut aussi en choisir d’autres à son gré, a moins d’une indication contraire contenue dans le h ertt de délégation. Quant aux juges qui reçoivent leur délégation des Ordinaires des lieux, ils doivent sc servir des officiers de la curie diocésaine, à moins que, pour un motif grave, l’évêque n’ait jugé opportun de constituer des ministres extraordinaires pour la circonstance. Can. 1607. 3e De la procédure. — 1. Des personnes qui intervien­ nent au procès. — a) Au premier rang, il faut placer le juge et les ministres du tribunal. Les can. 1608-1626 leur tracent minutieusement leurs fonctions. C’est ainsi que : a. S’ils sont conqiétenLs, les juges ne peu­ vent refuser leur ministère â qui le sollicite légitime­ ment mais Ils ne doivent pas engager de procès, sinon a la demande des parties, à moins que le bien de ΓEglise ou des âmes ne l'exige. — b. Les membres du tribunal ne peuvent faire traîner les affaires au delà dr deux ans en première Instance et d’une année en 632 deuxième instance. Can. 1620. - c. Il» prêtent serment de bien remplir leur office el sont tenus au secret pro­ fessionnel dans toutes les causes criminelles et parfois dans les causes contentieuses. Can. 1621-1621. — d. NI le juge ni les auxiliaires ne peuvent recevoir le moindre présent à l’occasion d’un jugement à rendre. —e. Le siège ordinaire du tribunal est une salle de l'évêché; les jours et les heures des sessions sont fixés par l’Ordinaire; aucun acte judiciaire n’a lieu les jours de fêle de précepte ni durant les trois derniers lours de la semaine sainte, à moins qu’une nécessité, la charité chrétienne ou le bien public ne l’exigent. — /. Ne doivent être admises aux séances du tribunal que les personnes que le juge estime nécessaires à l’expédition de l’affaire, par exemple un interprète; les autres doivent être écartées, de même que les assistants qui troubleraient la séance, les débats n’étant pas publics de leur nature. Can. 1771 et 1782. —q. Enfin, tous les actes judiciaires rédigés par écrit et autant que possible en latin (sauf les dépositions des témoins), doivent être conservés avec soin et dûment authentiqués par les signatures exigées par le droit. Can. 1613. Quant aux documents utilisés au procès, le juge les rendra aux parties, à moins que le bien public n’exige qu'il les retienne soit pour les conserver, soit pour les détruire (lettres anonymes ou lettres calomnieuses). Can. 1615. b) Les parties en cause. — Elles portent dans le Code les noms actor et de reus. Le demandeur (actor), appelé aussi requérant, plaignant ct accusateur dans les causes criminelles, peut être une personne physique ou morale, agissant en son propre nom ou au nom d’au­ trui. N'importe qui peut être demandeur, à moins qu’il n’en soit empêché par le droit; c'est le cas des excom­ muniés et aussi des religieux, sauf les exceptions pré­ vues au can. 1652. Le défendeur (reus), qu’en matière criminelle on nomme accuse, prévenu, inculpé, est obligé de répon­ dre quand il est légitimement cité; au cours du procès, Il lui est loisible de sc défendre par des arguments posi­ tifs, mais il peut aussi sc comporter passivement, car c'est au demandeur de faire la preuve des faits qui fon­ dent scs prétentions. Demandeur et défendeur peuvent avoir un procu­ reur, qui les représente et tient leur place dans les débats. Dans le droit civil, on l'appelle avoué. L’em­ ploi du procureur est facultatif, sauf dans les cas où le juge l'estime nécessaire et où le Code l’exige. Can. 1655, | L L'avocat est le personnage chargé de défendre les intérêts d’une des parties devant le tribunal. Lc Code exige la présence d’un avocat dans tout procès criminel pour assister l’accusé: de même dans les affaires con­ tentieuses lorsque des mineurs ou les intérêts de la société sont en cause. En dehors de ces cas, l'assistance d’un avocat est facultative2. Des actions et des exceptions. — L'action n’est autre chose que l'objet litigieux déduit en justice : déduire un droit vrai ou censé tel devant un tribunal, c'est agir. A l’action s’oppose Vexccption, ou contesta­ tion. voire exclusion de l'action; afin de se défendre, l'accusé excipe, à l'encontre du droit de l'adversaire, d'un droit opposé. Lc nombre des actions et exceptions n’est pas limité en droit canonique comme dans le droit romain. Il y n des exceptions dilatoires, qui ont pour but de retarder l'action du demandeur; d’autres sont péremptoires si elles visent à éluder l’action ou a la détruire totale­ ment . Le Code précise â quel moment du procès les unes ct les autres doivent être examine s par le tribunal. Quant aux actions, elles sont nombreuses; mais le droit soumet certain* d'entr ell< une procédure particulière qu'il n’v a p ·»% ff< u d’ex aminée Ici. Les actions contentieuses s‘ t* : n.( d par la près- 633 PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES. GÉNÉRALITÉS 634 criplion.sauf celles qui concernent l’état juridique des retarder ou même à terminer le débat, par exemple la personnes (mariage, ordre sacré, profession religieuse), contumace, ou refus de comparaître d’une des parties qui ne s'éteignent jamais. Les actions criminelles s’étei­ ou même de l'une ct l'autre, d'un témoin important, gnent par la mort du coupable, la condamnation du etc., l’intervention d’un tiers ayant quelque intérêt délit par l'autorité légitime, ou encore par la prescrlp- dans In cause, ou encore un attentat commis sur la chose en litige. Toutes ces questions incidentes doivent lion. 3. De la conduite du procès. — La procédure propre­ être réglées avant la continuation des débats au fond; ment dite commence à l'introduction de la cause ct sc elles le sont par des sentences dites interlocutoires ou termine par la sentence définitive. Entre ces deux par un décret du juge. extrêmes, le procès passe théoriquement par une série d) L’instruction de la cause étant terminée a lieu de phases que nous allons brièvement décrire, tout en aussitôt la publication du procès, c’est-â-dire que fa­ faisant remarquer qu’un seul ct même procès ne les culté est donnée aux Intéressés de prendre connais­ comporte pas nécessairement toutes. sance des preuves jusque-là restées secrètes, d’exami­ a) La cause est introduite par une requête adressée ner les actes ct même d’en demander copie; le but de au juge compétent, soit oralement, soit par un écrit celte publication est de permettre aux parties ou A daté et signé, qui contient, outre l'exposé du débat, un leurs avocats de préparer la défense. Si, après cette abrégé des preuves susceptibles de l'étayer : c'est le communication du dossier, les plaideurs déclarent libellus litis introduetorius. n’avoir rien A ajouter, le juge prononce la clôture de Le juge, après avoir examiné le fond de la requête, l’instruction. A partir de cc moment, aucune preuve l’admet ou la rejette. S’il l’admet, il cite dans les for­ nouvelle n'est admise, sauf s’il est établi qu'elle n’a pu mes légales le défendeur d’abord, le demandeur en­ être fournie auparavant, ou à moins qu'il ne s'agisse de suite. Cette citation est un acte important dont le causes concernant l'état juridique des personnes. can. 1725 souligne les effets : la question désormais Lc juge laisse alors aux parties et û leurs avocats le n'est plus entière, le débat est entamé; le juge prend temps de préparer leur défense. Toutes les plaidoiries possession de la cause; la juridiction déléguée devient doivent sc faire par écrit; un exemplaire du texte est ferme et n'expire plus avec le droit de celui qui l’a con­ remis à chacun des Juges ainsi qu’au promoteur de la cédée, la prescription se trouve interrompue, le procès justice ct au défenseur du lien. Le président du tri­ bunal peut même exiger l'impression des défenses avec devient pendant, d’où l’application de la règle du droit celle des principaux documents ct du sommaire des décrétalîcn : Lite pendente, nihil innovetur. b) Grâce aux arguments contradictoires apportés actes : cette pratique est de règle au tribunal de la par les deux parties, le juge arrive à déterminer le Bote. Lorsque les parties ou les avocats ont donné point de droit qui fait l'objet du débat : c'est la contes­ leur réplique, le promoteur ou le défenseur du lien ont le droit de faire leurs remarques (animadversiones). tation litigieuse, litis contestatio. Lorsque l’objet du litige est ainsi précisé, le demandeur ne peut plus modi­ toujours par écrit ; aucune plaidoirie orale n’est ad­ mise; le juge peut permettre cependant quelques expli­ fier sa requête. Le juge fixe alors aux parties un délai pour présenter cations de vive voix devant le tribunal pour faire la leurs arguments, et V instance commence aussitôt; elle lumière sur un point jugé obscur. La présentation de la durera autant que le jugement lui-même, A moins que défense s’appelle discussion de la cou**; elle peut avoir le demandeur n’y renonce lui-même ou ne la laisse lieu après la clôture de l'instiuction. Can. 1863 ct 1866. c) La parole est ensuite au juge pour le prononcé de périmer en ne faisant aucun acte de procédure (dans la sentence définitive qui termine la cause principale. le délai de deux ans en première instance, d’un an en Cette sentence doit porter sur l’objet même de la seconde instance). c) [/instruction de la cause sc poursuit par les soins requête; clic doit être juste, c’est-à-dire conforme au du juge; elle est menée A bien grâce A l’interrogatoire droit, et être fondée sur une certitude morale que le des parties, la recherche des preuves ou des indices, juge aura puisée dans les actes et les preuves du procès. A défaut de cette certitude, le juge doit, en principe, enfin la solution des questions incidentes. a. I es parties interrogées doivent répondre et dire la débouter le demandeur et renvoyer le défendeur. Quand le tribunal est collégial, les juges se réunis­ vérité, sauf s’il s’agit d’un crime commis par elles. Le sent au jour fixé, munis chacun de leurs conclusions juge leur défère habituellement le serment, sauf â rédigées par écrit; le ponent lit sa conclusion le pre­ l'accusé dans une cause criminelle. Le demandeur ct réciproquement le défendeur, le promoteur de la jus­ mier, puis les deux autres Juges dans l’ordre des pré­ tice ou le défenseur du lien, ont le droit de suggérer au séances; après une courte discussion, le ponent rédige le texte de la sentence d’après l’avis de In majorité. juge des questions ou des points sur lesquels il aura A Quand il n’y a qu’un juge, c'est à lui seul qu’incombe Interroger l’une ou l’autre des parties. b. Les preuves ne sont nécessaires ni pour les faits ce devoir. La sentence doit définir la controverse, statuer de notoires, ni pour les faits admis par les deux parties, ni pour les faits présumés par la loi. En dehors de ces façon précise sur les droits et obligations des parties, cas, la preuve s’établit par l’aveu judiciaire des parties, I contenir les raisons de droit et de fait sur lesquelles par les dépositions et les témoignages, par les rapports elle s’appuie ct enfin régler la question des frais du procès. Sous peine de nullité, elle doit porter l’indica­ des experts ou le transport du tribunal sur les lieux du tion de l’année, du mois, du jour, du lieu, avec la signa­ litige, par les documents publics ou privés, par les ture du juge ou des juges cl celle du notaire. présomptions légales ou pnr d’autres qui ne seraient I ne fois rédigée, la sentence sera aussitôt publiée. pas statuées dans le droit, pourvu qu'elles soient tirées d’un fait certain et déterminé, en rapport direct avec c’est-à-dire communiquée aux parties; trois modes l’objet du litige. Cf. l’art. 1353 du Code civil français, sont indiqués par le can. 1877 ; ou bien citer les parties qui, moins exigeant, abandonne aux · lumières cl A la el leur en donner lecture au tribunal, ou bien les Inviter à venir en prendre connaissance, ou enfin leur prudence du magistrat la question des présomptions, pourvu cependant qu’elles soient graves, précises cl en faire parvenir une copie nul lient ique par lettre concordantes ». En cas d’insullisunce des preuves, le recommandée avec accusé de réception. juge peut avoir recours au serment Judiciaire. ('.outre une sentence qu'elles estiment injuste, ou c. Enfin, au cours de l’instruction peuvent survenir trop onéreuse, les parties peuvent interjeter appel des faits imprévus, ou incidents de procédure (causa- dans les dix jours, sauf dans les cas exceptés par le incidentes) qui peuvent être de nature â modifier, Λ droit, ('.an. 1880. H peut y avoir aussi plainte en nul- lite ου opposition d'un tiers qui sc croit lésé. A défaut de remploi d'un de ces moyens, la sentence passe en l’état de · chose Jugée >; elle est présumée vraie cl juste, Jouit des garanties du droit et ne peut être atta­ quée directement. Dans certains cas cependant où l’in­ justice est manifeste· le droit accorde, sous certaines conditions, la réintégrande ou complète remise en étal des choses. Can. 1902-1908. I) La sentence ne peut être exécutée avant qu’elle soft passée à l’état de chose Jugée; dans certains cas urgents, cependant, il pourrait être procédé à une exé­ cution provisoire, en prenant toutes précautions pour sauvegarder les droits du condamne dans le cas où la sentence viendrait à être révoquée. Cnn. 1917. C’est à l’Ordinairc du lieu où a été prononcée la sentence de première instance qu’il appartient de la faire exécuter; il ne le peut cependant avant qu’un décret d’exécution ait été porté par le juge. Can. 1918-1920. L’exécution doit être immédiate pour les actions réelles; un délai de quatre mois csl accordé par le droit pour les actions personnelles, à moins que le juge ne prolonge ce délai ou ne le ramène ù deux mois. L’Ordinaire peut user de contrainte à l’égard des récalcitrants, au besoin par des peines spirituelles et des censures. Can. 1921-192 L g) Tout procès au contentieux csl onéreux et en­ traîne des frais pour les parties, ù moins que la pau­ vreté absolue de celles ci ne leur fasse accorder le béné­ fice de l’assistance judiciaire gratuite (can. 1911-19IG); une diminution des frais peut être accordée par le juge à ceux qui ne pourraient en payer la totalité. i En principe, c’est à la partie qui succombe dans le débat qu’incombe la charge des frais Judiciaires; ce­ pendant, assez, fréquemment, le juge les répartira entre les deux parties. Les tarifs oes frais judiciaires sont établis, pour les tribunaux romains, par les documents pontificaux; pour les tribunaux Inférieurs, il appartient au concile provincial ou à l’assemblée des évêques d’une région de déterminer la rétribution des avocats, procureurs et ministres du tribunal. Le Juge a le droit d’exiger du demandeur une provision ou caution pécuniaire pour indemniser les témoins, payer les honoraires des ex­ perts et couvrir les frais de procédure. Il n’est pas accordé de droit d’appel proprement dit contre la répartition des dépenses, mais la partie qui sc croit lésée a la faculté de faire opposition dans les dix jours devant le même tribunal. Can. 1909-1913. IV. Di. quelques PHocfcs ex particuijeii. — Après avoir décrit les principales phases de la procédure commune à tous les jugements, il reste, conformément d l’ordre suivi par le Code, à signaler certaines règles spéciales à une catégorie de procès dont la conduite est plus particulièrement délicate. Ce sont : 1° les procès criminels; 2° les causes malrimoniales; 3° les causes concernant les ordinations. 1· 1m procédure criminelle. — L II y avait dans l’an­ cien droit quatre sortes de procès criminels : a) Le procès accusatoire privé; l’Église cn avait emprunté la forme a l’ancien droit romain et l’avait suivie jus­ qu’au temps des Décrétales : un simple fidèle accusait un délinquant et prenait la charge de prouver l’accu­ sation devant le tribunal. — b) Le procès inquisitorial : le juge, même sans y avoir été incité par une dé­ nonciation. enquêtait sur des délits soupçonnés et poursuivait ainsi, à huis clos, jusqu’à la sentence finale. Ces deux premières formes n’existent plus dans le droit actuel. — c) Le procès accusatoire public, dans h quel le promoteur de la justice accuse, soutient racciuatlon et a la charge d’en faire lu preuve. Cette forme a été conservée. Can. 1934 sq. — di Enfin. le procès mixte, fait d'enquête et d’accusation; c’est la mronde forme du procès criminel d’après notre Code acturi. Can. 1939 sq. 2. H faut noter tout d’abord que le procès criminel ne poursuit plus aujourd’hui que des délits publia, jamais des crimes secrets. Encore est-il que certains délits de caractère spécial (clercs non résidents ou con· cubinaircs, curés négligents, etc.) relèvent d’une procédurc particulière pour l’application des sanction* pénales. Can. 21G8 sq. Il en sera parlé à la Un de cet article. 3. Les règles de procédure dans un jugement criminel sont les mêmes que pour un jugement ordinaire, sauf les dispositions suivantes : a) Seul le promoteur de la justice est apte à remplir le rôle de demandeur et, dans l’espèce. il prend le titre d’accusateur. Can. 1931. Tout fidèle peut se faire dénonciateur d’un délit; il le doit même cn certaines circonstances (eau. 1935, §2), mais seul le promoteur a qualité pour entreprendre une action judiciaire. - b) Si le délit est notoire ou cer­ tain, (Ordinaire du lieu passe immédiatement à la correction judiciaire, c’est-à-dire à la monition accom­ pagnée d’une certaine pénitence. C.an. 1917. Ce n’est qu’en cas (l’impossibilité d’appliquer la correction ou d’insuccès de ce remède que le promoteur institue un procès en forme ordinaire. Can. 1951. - c) Si le délit n’est ni notoire ni absolument certain, mais connu seu­ lement par la rumeur publique, une (dénonciation ou une plainte, le procès sera mixte, c'est-à-dire que l’ac­ cusation devra être précédée d’une enquête. Can. 1939 sq. Cette enquête, que l’Ordinairc peut faire lui-même, mais que généralement il confiera à un juge synodal choisi pour la circonstance, sera menée avec toute la discrétion el la prudence possibles pour ne pas éveiller les soupçons el diffamer peut-être un innocent. Cf. can. 1911-191 L Si l’enquête a donné des résultats néga­ tifs ou n’a apporté que des preuves insuffisantes pour une accusation formelle, les documents sont classés et conservés dans les archives secrètes. Quand au contraire les preuves que l’enquête a fournies donnent In certi­ tude du délit ou du moins une probabilité suffisante pour formuler une accusation, l’inculpé csl cité à com­ paraître; s’il fait des aveux, on le soumet, selon les cas, soit à la correction Judiciaire, soit au jugement crimi­ nel complet. — d) Rappelons qu'au criminel l’accusé est assisté obligatoirement d’un avocat qu’il choisit lui-même ou que le juge lui donne d'office. Can. 1G55. Enfin, lorsqu’il inflige la peine, le juge est libre de faire bénéficier le coupable du sursis, dans les cas et les con­ ditions prévues par le can. 2288. En résumé, cn matière de jugement criminel, le Code canonique s’est approprié beaucoup des formes mo­ dernes du Code civil français. Tout csl organisé pour que l’innocent ne soit pas victime d’une erreur Judi­ ciaire et pour que l’accusé ne soit ni tenu pour coupable ni déshonoré, avant que preuve certaine sclt faite de sa culpabilité. L'enquête est secrète. La correction judiciaire, recommandée toutes les foi*· qu'elle est pos­ sible, a l’avantage, moyennant quelques monitions et pénitences «ulutoiies, d’écarter nombre de procès cri­ minels et de laisser vierge le casier judiciaire du délin­ quant. Le rôle de l’avocat est entouré de toute liberté utile, et c'est lui qui a le dernier mol dnns les débats. Enfin, grâce au sursis, l’application même de la peine peut n’ètrc que conditionnelle. Ainsi sont sauvegardés, dans un esprit de haute équité el de sage modération, les droits de la société et la reput.dion de l’accusé. 2° Les causes matrimoniales. - 111« s sont de deux sortes et suivent une procédure différente scion qu’elles ont pour but : I. de trancher la question de validité ou d'invalidité du lien matrimonia; 12. ou bien de prouver la non-consommation du maiiagc ratifie, afin d’obtenir, moyennant des raison suffisantes, la dispense pontifical; Ce sont lu I· , s.ub causes matri­ moniales proprement dit . il peut <\l*.lcr d’autres débats concernant le ni ici ige. par x< mple l’action <>37 PROCÈS ECCLESIASTIQUES. (.AUSES MATRIMONIALES en dommages-intérêts pour rupture de fiançailles (cari. 1017); la séparation perpétuelle «les conjoints (can. 1130); l'enquête sur la mort du conjoint avant dépasser à un second mariage, etc. La solution de ces diverses questions n’a pas a suivre les formes solen­ nelles de la procédure, ou du moins pas de procédure «spéciale. Le eau. 1990 mentionne aussi certains cas dms lesquels, le droit et le fait étant clairs, on peut sc contenter d’une procedure sommaire : c’est lorsqu’il est certain que dispense n’a pas été demandée pour des empêchements publics dont l'existence est hors de toute contestation. Cf. CÀÔ 1990-1992. L Les procès de nullité du lien. —a) Sauf les causes rcscivées au souverain pontife ou aux tribunaux du Saint-Siège (eau. 1557 et 1962), c’est normalement devant l’otficialité diocésaine que sont portées ces sortes d'affaires en première instance. I.e juge compétent est celui du lieu où le m triage a été célébré, ou bien celui du lieu où la partie défenderesse a domicile ou quasidoinicilc. b) Le tribunal, obligatoirement collégial, est corn posé de trois juges. Le défenseur du lien a sa place dans les débats; il rédige cl suggère les questions ù poser aux parties et aux témoins; il a le dernier mot dans la discussion; tous ses elTorts doivent tendre ù empêcher la déclaration de nullité. Can. 1968*1969. De plus, il a le devoir de faire appel si la nullité est pronon­ cée en première instance; il peut aussi de nouveau faire appel si la nullité est prononcée cn seconde instance. c) Sont admis à introduire une action en nullité : a. les conjoints, pourvu qu’ils ne soient pas eux-mêmes la cause coupable de l'empêchement qui a provoqué la nullité; b. le promoteur de la justice, dans les cas d’em­ pêchement public. Can. 1791. Afin d’empêcher des abus en celte mil 1ère, la commission «i’interprétation du Code a précisé que la notion d’empêchement au m irlage devait s’entendre aussi de tous les vices de consentement (can. 1081-1093): chaque fois donc que les conjoints ou l’un d’eux mettent des conditions « illicites ou déshonnêtes > ù leur consentement, ils sc privent par là même du droit d’attaque»· leur mariage devant un tribunal d'ÉglIsc. Mais la partie innocente conserve ce droit: réponses des 12 mars 1929 et 17 juillet 1933; cf. Acta apost. Sedis, 1929, p. 170; 1933, p. 315. Le mariage ne peut être attaqué que du vivant de l’autre conjoint; après la mort de ce dernier, le mariage est censé avoir été valide; aucune preuve contraire n’est admise, à moins que la question ne surgisse inci­ demment. Can. 1972. d) Deux sentences conformes dans le sens de la nul­ lité sont nécessaires pour quo soit reconnue l'inexis­ tence du lien. Pourtant, les causes matrimoniales sont de celles qui ne passent jamais à l’état de chose jugée; le procès peut toujours être repris avec de nouveaux arguments pourvu que ceux-ci soient < graves · cl non médiocres. Bote romaine, 19 mai 1921 : cf. Acta apost. Sedis, 1921, p. 516. 2. Les procès de mariage non consommé. — C’est une procédure dilfércntc, le but de l'enquête étant avant tout d’établir de façon indubitable le fait de la nonconsommat ion, puis de rassembler des motifs qui puis­ sent inciter le souverain pontife à accorder une dis­ pense, ou relaxation du lien. Cette dispense, comme toute dispense, est une grâce, à la différence du procès en nullité, dont la sentence est un acte de justice. Quels que soient donc les preuves apportées el les motifs Invoqués, le souverain pontife reste absolument libre d’accorder ou de ne pas accorder la dispense. a) Dans ces sortes de causes, seule la Sacrée Congré­ gation «les Sacrements est competente; aucun juge inférieur ne saurait instruire un procès de ce genre sans avoir reçu d’elle une délégation formelle». Si même, nu 638 cours d’un procès cn nullité pour cause d'impuissance, un juge arrivait â établir que le mariage n’a pas tic consommé, il devrait transmettre tous les actes et documents a la Sacrée Congrégation susdite, qui procé­ derait par mode de dispense, s’il y a Heu. b) Le tribunal délégué sc compose d’un seul juge instructeur; celui-ci est obligatoirement assisté du dé­ fenseur du lien, dont le rôlr est de soutenir la consom­ mation «lu mariage cl de veillera ce qu’aucune fraude ne si» glisse dans les témoignages ou le? expertises. Ia-s actes sont rédigés par un notaire ou un grc filer, et les citations sc font comme pour un procès ordinaire. c) Dans les causes matrimoniales, qu’elles portent sur la nullité ou la non-consommation, les parents ou alliés des conjoints sont admis a témoigner. En outre, dans les seules causes d’impuissance ou de non-consornm.it ion. le droit exige que chacun des conjoints introduise cn sa faveur sept témoins de moralité (testes septima: manus i qui puissent affirmer, sous la fol du serment, que les epoux sont honnêtes cl incapa­ bles de mentir, meme cn leur propre faveur, dans l’af­ faire cn question. Can. 1975. Outre ces témoignages, le Code requiert une exper­ tise ou inspection corporelle de chacun des conjoints ou au moins de l’un d’eux, confiée â «les hommes de l’art, choisis par le juge cl assermentés. Des règles très précises el à observer scrupuleuse­ ment ont été données en la matière par la Sucrée Con­ grégation des Sacrements le 7 mai 1923, Acta apost. Sedis, 1923. p. 388-137. La même Congrégation a ajoute à ces règles un nouveau décret, du 27 mars 1929, indiquant les précautions à prendre pour éviter les substitutions frauduleuses de personnes dans l’exa­ men corporel. Cf. Acta apost. Scdis, 1929, p. 190-492. 3° Causes d’ordination. — Ces series de procès ont pour but d’attaquer : L soit les obligations qui décou­ lent d’une ordination reçue sous l'empire d’une crainte grave; 2. soit la validité meme du sacrement de l’ordre, par suite de l'incapacité ou du manque d’intention chez le sujet ou chez le ministre; 3. soit enfin celte même validité du sacrement, mise en doute par l’omis­ sion d’un rite substantiel. Dans les deux premiers cas, la requête doit être adressée à la Sacrée Congrégation des Sacrements ; dans le dernier, seul le Saint-Office est compétent. Il n’appartient qu’au clerc qui estime n’avoir pu» contracté les obligations attachées à la réception d’un ordre de demander à en être relevé. Si au contraire c’est la validité de l’ordination qui est en cause, celle-ci peut être attaquée non seulement par le clerc inté­ resse, mais encore par l’Ordinairc qui csl son supérieur, ou par l’Ordinairc du diocèse où a eu lieu l’ordination. Can. 199 L Le procès sc déroule devant un tribunal collégial de trois juges, assistés d’un défenseur du lien de l’ordina­ tion, comme dans les causes matrimoniales. 11 faut de même deux sentences conformes dans le sens de la nullité, cl l’appel se fait selon les règles du droit com­ mun. Can. 1995-1998. Ces sortes de causes sont rares dnns l’Église, ainsi que le témoignent les archives des tribunaux. Faut-il qu'elles soient devenues plus fréquentes en ces der­ nières années pour que la Sacrée Congrégation des Sacrements, dans l’instruction envoyée aux Ordinaires le 20 mars 1931. ail inséré une formule à faire signer sous serment par chaque ordlmmd avant chacun des ordres sacrés, et où il atteste qu’il en connaît parfai­ tement toutes les obligations et qu’il est pleinement libre? Cf. Acta apost. Sedis, t. xxm, 1931, p. 120 sq. Du moins, celte sage précaution aura pour elTct de réduire encore le nombre des procès de ce genre. V. Di s c wsi s ni uéaiihcation et ni. canoni­ sation·. — Pour la doctrine aussi bien que pour le 639 PROCÈS ECCLÉSIASTIQUES. BÉATIFICATIONS développement historique dc la procédure, nous ren­ voyons ù l’art. Canonisation, t. n, col. 1626 sq. Ci. aussi l’art. Béatification, t. n. col. 193. Les indications données aux col. 1615-1656 sur la procédure ont besoin d’être complétées et mises au point par les can. 1999-21 11 du Code. Le résume que nous en faisons ici donnera une idée dc la marche à suivre pour l'introduction cl la conduite de ccs sortes dc causes. 1° Généralités. — L Les procès de béatification et de canonisation peuvent être instruits dc deux façons : a) par la voie ordinaire d’absence de culte (per oiam non cultus); dans ce cas, la béatification ou canonisa­ tion sont dites formelles; b) par la voie extraordinaire dc culte, ou de cas excepte (per viam cultus seu casus excepti); la béatification est dite alors équipollenle. 2. Le jugement de ccs causes est exclusivement ré­ servé a la Sacrée Congrégation des Kites, mais les tri­ bunaux diocésains ont souvent à intervenir soit pour les actes préparatoires, soit pour les enquêtes à faire au nom de la Sacrée Congrégation. 3. Les personnes qui ont à intervenir au procès sont : a) Le demandeur ou actor, qui peut être n’importe quel fidèle ou association de fidèles; il demande que le procès soit introduit auprès du tribunal compétent. Si celte demande est agréée par l’autorité légitime, le solliciteur a le droit de poursuivre l’instance soit par lui-même, soit par un procureur, le procureur est né­ cessaire si le procès est entrepris par une femme. 11 est à noter que l’Ordinaire peut, de lui-même ou d'office, instruire une cause de béatification. — b) Le postula­ tes, personnage nécessaire dans toute cause, et qu’il faut constituer tout d’abord. 11 doit être prêtre et rési­ der a Home; il a la faculté de s’adjoindre un ou plu­ sieurs \ice-postulateurs. C’est sur lui que pèse le plus lourdement la charge de conduire le procès : il pousse la cause, fait les dépenses nécessaires, indique au tri­ bunal les documents et les témoins ù entendre, rédige les · articles » ou points sur lesquels devra porter l’in­ terrogatoire, etc. — c) Le cardinal ponent ou rappor­ teur, choisi par le souverain pontife parmi ceux qui font partie dc la Congrégation des Kites; il a pour rôle dc présenter ù ses collègues un rapport sur les dossiers ou preuves fournies par le postulatcur et le promo­ teur de la foi. — d) Le promoteur dc la foi, appelé vul­ gairement « avocat du diable »; il rédige les questions à proposer aux témoins, veille à l’observation du droit et soulève les exceptions ou objections qu’il croit opportunes contre la cause. —et Le notaire, charge dc rédiger les actes; les religieux sont exclus de cette fonction. — /) Enfin, il peut y avoir des nvoc ats ou procureurs comme dans un autre procès. L Dans les causes de ce genre, on n’admet que des preuves rigoureusement convaincantes, et seulement celles qui proviennent de documents ou de témoigna­ ge*. Ne peuvent être témoins ni le confesseur, ni le postulatcur, ni l’avocat ou procureur dc la cause, ni celui qui aurait fait fonction de juge dans la cause, mats on admet les parents, les alliés, même les hérétlquev ou les infidèles; les familiers du serviteur de Dieu ou ceux qui l’ont connu de près sont témoins d’ollicc. Le nombre des témoins exigé par le Code varie suivant les causes et même suivant les stades d’une cause; les règles concernant leurs qualités sont très strictes : on distingue les témoins oculaires (de visu), d’oul-dtrc immédiat (de audita a videntibus ),de tradition ondefde auditu auditus )9 de lecture (ex tectione). Cf. cnn. 2020. Nc sont pas admis comme ayant valeur probante les témoignages extrujudiciulrcs, les éloges funèbres et les articles nécrologiques composés aussitôt après la mort du serviteur de Dieu, ni les éloges écrits de son vivant. 2· BAdlflcalion formelle. — Premier stade. — Le pro­ cès commence devant V Ordinaire. Celui-ci, â la prière 640 du postulatcur, entreprend une triple tâche : 1. recher­ che des écrits du serviteur dc Dieu, 2. instruction du procès · informatif » super /ama sanctitatis, virtutum in genere uel martyrii et miraculorum; 3. procès sur Γαδsen ce de culte. Pour mener â bien son entreprise, l’Ordinaire a cons­ titué un tribunal qu’il préside lui-même ou qu’il fait présider par un prêtre qu’il delègue, mais, dans cc der­ nier cas, il doit lui adjoindre deux juges synodaux. Il peut au besoin envoyer des commissions rogatoires dans les diocèses étrangers, spécialement pour rassem­ bler les écrits. Deuxième stade. — Lorsque 1rs divers dossiers dc ce premier procès ont été dûment authentiques cl soi­ gneusement scellés, ils sont transmis, par Finlcrmédiaire du postulatcur, à la Congrégation des Dites. Celleci nomme deux examinateurs pour reviser les écrits et se rendre compte par là du caractère, de la vertu et aussi de l’intégrité doctrinale du serviteur de Dieu. Si l’on découvre quelque chose qui nc soit pas tout à fait conforme à la foi ou qui soit capable d’ollcnser les fidèles, on en réfère au souverain pontife, qui déclare si, oui ou non, il convient d’aller plus loin. Puis les car­ dinaux réunis en congrégation ordinaire examinent le procès informatif sur la sainteté, le martyre ou les miracles; le ponent pose alors la question : « Faut-il signer la commission d’introduction de la cause? * Si l’avis donné est favorable, on soumet au pape la signa­ ture de cette commission, dont on fait un décret. Ce décret ne donne plus au serviteur de Dieu le titre de vénérable, comme c’était le cas avant le Code, mais il soustrait la cause à toute autre juridiction pour la sou­ mettre uniquement à la Sacrée Congrégation des Kites. On examine enfin le procès sur l'absence de culte, et. selon les cas, la Congrégation confirme ou annule la sentence dc l’Ordinaire. Troisième stade. —Alors commence le procès aposto­ lique. Il est ordinairement double : l'un porte sur le renom de sainteté, des miracles et du martyre, le se­ cond sur les vertus elles-mêmes, les miracles en parti­ culier ou le martyre (car pour un martyr les miracles nc sont pas exigés rigoureusement). Souvent, le pre­ mier procès est omis, surtout s’il a été fait convenable­ ment par l’Ordinaire et depuis peu dc temps. 1. Pour instruire ces procès dans la curie diocésaine, cinq juges sont désignés par Borne, dont trois doivent toujours être présents aux séances. L’Ordinaire peut être l’un d’eux. Le promoteur général dc la foi désigne deux sous-promoteurs et leur envoie les questions à poser aux témoins. Le tribunal choisit un notaire avec un adjoint, et un expert au moins, pour le procès sur les miracles. Ce procès doit être achevé en deux années. Entre temps, le tribunal a fait une reconnaissance juri­ dique des restes du serviteur dc Dieu. Luc fois achevé, le procès est renvoyé à la Congrégation, qui juge de sa validité. 2. C’est alors que sc place la discussion sur l'héroïclté des vertus ou bien sur le marlvrc. Ccttc discussion se fait dans trois congrégations, dites nntépréparatolrc, préparatoire et générale. A cette dernière assistent le souverain pontife, les cardinaux, officiers et consulleurs des Kites. Après les observations contradictoires du promoteur de la foi et dc l’avocat, tous les prélats présents ('mettent un vote consultatif, après lequel le pape prononce son jugement. C’est alors qu’est publié le décret sur l’heroicitc des vertus le serviteur de Dieu est vénérable. 3. Vient ensuite la question des miracles; il en faut au moins deux pour la béatification, parfois trois ou même quatre. CL can. 2117. Pour un inmlyr, quand la cause est évldenh et que les miraclen (ont défaut, la Sucrée Congrégation décide si les signe ·> sont suffisants ou s’il faut demander au pape dispcii miracles. 641 PROCÈS ECCLESIASTIQUES ADMINISTRÂTES La preuve des miracles se fall comme celle de l’héroicltc cndant, pour maintenir plus complètement l’analogie avec la procession du Saint-Esprit, nous lui avons approprié les noms d’impulsion, d'inclination, d'affec­ tion. L'analogie sera plus accentuée encore si l’on observe que la volonté ne se porte pas vers son objet, à moins «pie cet objet ne lui soit au préalable présenté par l’intelligence qui l’a conçu comme un bien propre à In délecter. Mnsl, l’impulsion qui nous porte vers un bien désirable procède ù In fois du principe intelligent ct du principe aimant. Mais 11 faut de plus indiquer une différence essen­ tielle de ces deux processions «le -■ verbe ■ cl d’« amour ». « La philosophie insiste sur le caractère assimltaUf de la pensée : tout concept, quel qu’il soit, est la repré­ sentation, l’empreinte, l’image de la réalité connue; l’idée est le double Intellectuel de l’objet ; par la pen­ sée, nous nous saisissons d’un être et nous l’enfantons 649 PROCESSIONS DIVINES. AFFIRMATIONS DOGMATIQUES en nows. Tout le mouvement est centripète; au con­ traire. hi volonté est centrifuge. Essentiellement, l'amour est tendance a sortir de soi. à sc diffuser, à sc répandre au dehors en se donnant...; tantôt on s'em­ pare du réel. tantôt on est absorbé par lui; aussi, le verbe est-il semblable a l’objet qu’il représente; l’a­ mour ne ressemble point à celui vers lequel il s’élance. Nom» pouvons donc conclure que la notion analogique du verbe contient déjà en soi un élément de similitude qui fait defaut à la notion analogique d'amour. Et, comme des notions analogiques ne changent pas de nature par le fait qu’elles sc réalisent selon des modes foncièrement divers, cette différence entre le verbe ct l’amour persistera quel que soit le plan d'être où ces deux termes se retrouvent. » M.-T.-L. Penido, Le rdle de ^analogie en thfologie dogmatique, Paris. 1931. p. 291292. Tous les théologiens admettent cette analogie, pro­ posée avec plus ou moins d'hésitation par saint Augus­ tin. mais plus nettement par saint Thomas. Mais un certain nombre n’y voient qu’une analogie assez lointaine, simple comparaison ou image de la Trinité. Les thomistes y trouvent, au contraire, une * analogie métaphysique «le proportionnalité propre , qui, une fois le dogme proposé à notre croyance, permet d’at­ teindre formellement la réalité divine. Penido, op. a/., p. 300. Sur celle double analogie, on consultera Billot. De Dto Irino, prolégomènes, § n-iv, et surtout Penido, op. ut., p. 258*311· II. Les D! i x imocESsioNs υινίΝΚβ.— 1° Affirma­ tions dogmatiques. 2° Spéculations théologiques. 1° Affirmations dogmatiques. — Le dogme affirme en Dieu l’existence de deux processions, celle du Verbe ou Fils, procédant du Père: celle du Saint-Esprit, pro­ cédant du Pi re ct du Fils comme d’un seul principe, et il exclut de Dieu toute autre procession. 1. Procession du Verbe ou Fils. — On a v u. à l’article Fu s de Dieu, l’indication des documents scripturaires el patristicpies concernant l’origine du Fils, par consé­ quent sa procession du Père. Voir particulièrement, col. 2397. les textes du IV* évangile rapportant renseignement de Jésus lui-même, notamment Joa., ni. 13. 16: cf. xvi, 28: v. 17-10; x. 24-38; col. 2105. renseignement johannique, dans le prologue et la irf épltre, <1. col. 2102. les textes pauliniens dénotant l’origine du Fils, image du Père, Col., i. 15. splen­ deur de sa gloire cl ligure de sa substance. Ilebr.. t, 1-11. 1 ’expression procéder se lit Joa., vm. 12 : έγώ γάρ έκ του Θεού έΞήλΟου καί ήκω. Cette procession du \ erbe est certainement ad intra en raison même de la personnalité divine qui appartient au Fils de Dieu. Cf. Joa.. i. 1 : lleb.» i,2; Joa., v, 19. exposés par Billot, op. al . th. î, $ 2. Toute la tradition chrétienne· continue cet enseigne­ ment de l’Écriture puisqu’elle s’applique à marquer la génération éternelle du Fils cl à affirmer sa personna­ lité divine distincte, qui l’exclut du rang des simples créatures. Sur la génération éternelle, voir plus loin, col. 659. Sur la personnalité divine distincte du Fils, voir l’art Fu.s ni Du i : chez les Pères apostoliques, col. 2408; chez les Pères apologistes, col. 211 1-2116: chez saint Irénéc, col. 2125 (comparer I. vu. col. 2111); chez Hippolyte, Tcrtiillicn cl Novation,col.2430-2132; chez Clément d’Alexandrie, col. 2135: chez Origène, col. 2137-2139. et toute l'histoire de la controverse arienne, col. 2118 sq. V oir aussi, col. 2450 sq., l'ex­ posé de I? théologie postérieure jusqu’à suint Augustin. Le subordinatianlsme lui même pourrait presenter un sens acceptable en faveur du dogme de la procession du Fils, si le sens des expressions défectueuses qui le véhiculent pouvait être restreint (ct plus d’une fols 650 il doit en être ainsi) à la seule dépendance d'origine du Fils par rapport nu Père. V oir spécialement col. 2121. 2133, 2436, 2411-2413. 2115, et P. (rallier, De SS. Trinitate in se et m nobts, Paris, 1933* th. ιν-νι. La tradition concernant la procession du Verbe, marque mieux encore, s’il est possible, celte vérité dogmatique. On la trouvera, suffisamment indiquée, a Fils de Dieu, pour les Pères apologistes, col. 2415 sq.; pour Irénéc. col. 2425;pour Hippolyte, Tcrtullicn, No­ vat ien. col. 2430 sq.; Clément d’Alexandrie, col. 2435: Origène, col. 2138; Saint Athanasc, col. 2450; Saint Augustin, col. 2460. Voir quelques textes dans Van der Mccrsch, Tractatus de Dca uno ft trino, Bruges, 1928. n 701. L’enseignement officiel de l’Église apparaît dans tous les documents où m· trouvent affirmées la généra­ tion du Fils, sa dépendance de la substance du Père ct, nonobstant cette dépendance, sa divinité ct sa con­ substantialité avec le Père. Le symbole de Nicéc con­ fesse : · Not r<-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, unique engendré du Père, c’csl-à-dirc de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu », toutes expressions qui indiquent expressément la procession du Fils par rapport au Père. Cavallcra. Thesaurus, n. 518; Dcnz.-Bannw., n. 51. On retrouve ccs expressions dans le symbole de saint Éplphanc. Cav., n. 521: Dcnz.-Bannw.. n. 13. Voir aussi le 11· amithématlsme de Damase, Cav., n. 523; Dcnz.-Bannw.. n. 69; la profession de foi de Pelage, Cav.. n. 565; relie du IIe concile de Tolède et le 2e anathématisme du même concile, Cav., n. 567, 568; la profession de foi du XIe concile de Tolède, Cav.. n. 575; Dcmu-Bannw., n. 276; le sym­ bole de Leon III aux Églises orientales. Cav., n. 589. et l’épitrv synodale de Nicéphore au meme pape. Cav., n. 591: le décret Pro Jacobitis du concile de Florence. Cav., n. 603; Dcnz.-Bannw., n. 703, etc. 2. Procession du Saint-Esprit. - Les textes 1rs plus explicites en faveur de la personnalité du Saint-Esprit sont ceux qui fournissent à In théologie catholique la preuve la plus convaincante de la procession du SaintEsprit, du Père el du Fils. » Art. Em’iut-S vixt, t. v. col. 690. En cc qui concerne la procession ex Pâtre, on retiendra spécialement, dans renseignement du Christ, 1rs textes johannlqucs, Joa.. xiv, 16-19, 25-26; xv. 26-27: xvi. 7-15; dans l’enseignement des écrivains inspirés, 1 Cor., il 10-12: Born., vin. 9; Gai., iv, 1-5; voir art. cite, col. 690-691. L’expression « procède sc lit dans Joa., xv, 26 : ό ΙΙαράκλητος. έγώ πέμψω ύμΐν παρά τού IΙατρός, τό Πνεύμα τής άληΟεΙας, δ παρά τού 1 Ιατρός έκτορεύςτα^. La procession du SaintEsprit. du Père ct du Fils a clé étudiée, t. v, col. 762773. Enfin, la procession du Saint-Esprit est ad mtra, puisque l’Esprit-Saint esl une personne divine dis­ tincte du Père ct du FUs. mais consubstantielle à eux. Les formules dont se servent les premiers Pères, notamment les Pères apologistes, pour marquer la procession de l‘Esprit-Saint par rapport au Père et au Fils sont encore assez imprécises. Néanmoins, on en peut dégager la doctrine de la procession : voir sur saint Justin, col. 698; sur Alhénagorc. col. 700; Théo­ phile d'Antioche el Talion, col. 701. Même doctrine ébauchée par saint Irénéc. col. 702-701 (cf. t. vu, col. 24 16). De la doctrine, si difficile à saisir, d’Origène sur le Salnt-INprit. voir t. v. col. 701-711 (cf. I. xi, col. 1520-1523), se dégage néanmoins l’affirmai ion de la procession divine du Saint-Esprit, Origène considé­ rant toujours · le Per? comme la source de la divinité, comme la racine d’où germent le b'ils et le Sidnt-Esprit . Voir les textes expliqués et commentés, art. Espiiït-Saixt, col. 771-775. A partir de cette époque, la doctrine de la procession du Saint-Esprit est de plus en plus nettement exprimée par les Pères. Nous 651 PHOCESSIONS DIVINES. SPÉCULATIONS T 11 É O L OG IQ U ES n'axons pas à y revenir : on sc reportera à l’art, cité, col. 775 sq. Le magistère a maintes fois sanctionné ce dogme. En plus de l'article du symbole de Constantinople, έκ τού Πατράς έκπορευόμενον, (Lav., η. 528; Denz.Bannxs., η. 86. nous trouvons des formules analogues dans un grand nombre de symboles, qui s'échelonnent du v* nu xm· siècle, voir Cavallcra. n. 533, 534. Quant aux conciles, on trouvera ici leurs professions de foi, t. v. roi. «07-812. 3. Toute autre procession doit être exclue. — Celte affirmation peut recevoir deux sens : a) Dans la Trinité, deux personnes seulement « pro­ cèdent >. le Fils el le Saint-Esprit, le Père ne procédant pas, mais étant, au contraire, le principe de toute pro­ cession. Cette proposition est de /oi parce qu'elle est formellement contenue dans les assertions du magistère concernant le Père, Inengendré et ne procédant de per­ sonne. principium sine principio, comme le déclare le décret Pro Jacobitis. Cav., n. 603; Denz.-Bannw., n. 704. Voir le symbole d’Atlianase : Pater a nullo est ; symbole du Xi· concile de Tolède : Patrem non geni­ tum... ipse a nullo originem ducit: la profession de foi du IV· concile du Latran : Pater a nullo, Cav., n. 561574, 599; Denz.-Bannw., n. 39, 275, 128. Voir aussi Pfcnn, t. xn, col. 1188. b) En Dieu, Il n’existe pas d’autre procession que celles du Fils ct du Saint-Esprit ; cl donc il n’y a pas de · quatemité ». Celte proposition est au moins proche de la /oi, car elle n’est qu’un·? conclusion immédiate de la doctrine traditionnelle professée par l’Eglisc catho­ lique de la trinilé des personnes en Dieu. Sans doute, le IV· concile du Latran a défini qu’ «en Dieu il n’y a que la trinité, non une quatemité », Cav., n. 601 ; Denz.-Bannw.,n. 432, mais «cettedéfinition qui exclut une quatrième personne constituée par V essence divine n'exclut pas directement une quatrième personne qui serait en vertu d’une troisième procession ». Galtlcr, op. cil., n. 218. 2· Spéculations théologiques. — Le dogme ne saurait être objet de démonstration rationnelle. Mais la raison peut apporter 5 l'affirmation dogmatique un triple appoint : un appoint négatif, en montrant que le dogme ne renferme aucune répugnance; un appoint positi/, en mettant en relief certaines raisons de con­ venance qui l'accréditent ; une véritable confirmation, en partant des données révélées certaines, pour démon­ trer, par l'analogie de la fol, la vérité du dogme pro­ pose. Sous ce triple aspect, la spéculation théologique vient apporter au dogme des processions divines une lumière nouvelle. I. Il n’y a aucune répugnance à admettre en Dieu la procession de terme, ni à concevoir deux processions de ce genre. — Aucune répugnance du côté du principe : sam doute. Il répugnerait que l'acte pur reçût une per­ fection dont il serait le sujet. Mais, en éliminant de bleu la procession «l'opération, pour ne conserver que la procession de ternir, on peut concevoir un terme réel, substantiel, et non reçu dans le principe comme dans son sujet La doctrine des relations divines montre que le termç de la procession peut être a la fois substantiel sans multiplier l’essence divine et sans faire de l'essence divine un sujet réceptif d’une nouvelle perfection. \unim répugnance du côté du terme : aucune succritkm de temps ou de nature dans la production du terme En Dieu le ternie de la procession est posé par le principe dan> une parfaite simultanéité logique, qui ne laisse au principe qu’une priorité d’origine: aucune infériorité dans le terme, car la réalité du tenue est la réalité même du principe; aucune dépendance ou subordination du terme, sauf la dépendance d'origine, c'est-à-dire de la procession même comme telle. Cf. Galtlcr, op. cit., n. 213-216. 652 Aucune répugnance à admettre deux processions, car la simplicité divine n’est pas affectée de ce qu'à la double virtualité divine, Intelligence et volonté, puisse correspondre un double terme réel, leur réalité n’ap­ portant, comme on l’a dit. aucune multiplication ou composition dans l’essence divine, Infiniment par­ faite et Infiniment simple. Galtlcr. op. cit., n. 217. 2. Des raisons de convenance accréditent le dogme des processions divines. — C’est en partant des analogies humaines que nous pouvons nous élever Λ une certaine conception des processions divines. a) Dans notre Intelligence, la procession constituée par l’opération Intellectuelle se termine dans l’idée ou verbe mental. De même, en Dieu, nous pouvons con­ cevoir analogiquement la procession du Verbe. Non pas que, par un raisonnement, nous puissions aboutir, en partant du verbe humain, & démontrer l’existence d’un Verbe personnel divin: mais, l’existence de ce Verbe divin une fols connue par la révélation, nous pouvons, en partant du verbe humain, dont nous éli­ minerons successivement toutes les imperfections*nous élever â une conception analogique du Verbe divin. Dans un opuscule De differentia verbi divini et humani, qui. en réalité, est un extrait «le son commentaire sur le prologue de l'évangile de saint Jean, saint Thomas mai «pie les trois principales différences du verbe humain par rapport au Verbe divin : d’abord le deve­ nir : verburn nostrum prius est formabile quam forma­ tum..., sed Verbum Dei est semper in actu: ensuite. Ia multiplicité et l'inadéquation : nos concepts ne nous livrent la réalité que par fragments, ct ainsi nous sommes obligés de multiplier les idées pour connaître les choses, tandis que le Verbe divin, infiniment par­ fait, est nécessairement unique; enfin, le caractère accidentel : notre verbe n’est pas notre intelligence, mais un simple accident qui la perfectionne; le Verbe divin est consubstantiel â Dieu. Cf. in Joannem, c. i; Dr rationibus fidei, c. m; De potentia, q. n, a. 1; q. vm, a. 8; q. ix, a. 5; Cont. 'gent., I. IV, c. xi. Mais, cette triple élimination faite. Il restera que deux caractéristiques seront proportionnellement com­ munes au verbe humain ct au Verbe divin : celle d’être le fruit de l’intcllcction, terme distinct auquel aboutit l’activité intellectuelle, cf. I®, q. xxvif. a. I, et celle d’être relatif à l’objet connu et semblable Λ lui, cf. Cont. gent., I IV, c. xi. Keslc à proportionner celte notion à Dieu, La fol nous oblige à y voir un verbe subsistant, ct nous trouverons, à l'aide de la notion analogique de la génération, que ce Verbe est engendré en Dieu, qu’il est par conséquent en toute vérité et proprement Fils. Voir plus loin. Cf. l’enldo, op. cit., p. 278-280. b) De même, la procession de l’amour-terme dans notre volonté nous permet de saisir la procession du Saint Esprit et sa convenance en Dieu : « Dieu sc connaît et s'aime. Il s’aime, ct son amour jaillit du fond même de son être. Mais il s'aime en se connais­ sant, et son amour jaillit aussi de cette connaissance. (L’est donc un seul et unique amour qui procède de toute la vie divine comme un épanouissement ter­ minal. et la fol nous apprend «pie ce terme est une personne (Le n’est point par le Saint Esprit que Dieu s’aime. Mais, par là que Dieu s’aime. Il respire l’amour, comme un arbre, par IA même qu’il fleurit. sc couvre de Heurs \u point de vue de celte procession, dit saint Thomas. I·, q. χχχνιι, a. 2, « aimer n’est pas autre chose qu’émettre un souille d'amour, comme dire est produire un verbe, comme fleurir est produire des fleurs ». De Ilégnon. op. dt., t. n, étude p. 200-201. Nous avons note plus haut la dlITérence qui inter­ vient entre la procession du verbe humain ct celle de l'amour. Celle du verbe contient un element de .simi­ litude, en rahon mêm« de la procession, «pii fait défaut 653 PROCESSIONS DIVINES. SPÉCULATIONS T II ÉOLOG1Q f ES A celle de Γ amour. La théologie partira de cette constatalion pour expliquer comment, analogiquement, on devra concevoir en Dieu In procession du Verbe, comme une véritable génération, tandis que le Saint Esprit ne pourra être dit engendré. Sans doute, parce qu’il est le terme d’une procession divine, il sera en tout semblable au Père cl au Fils, mais cette simi­ litude parfaite en nature n< résulte pas de sa proces­ sion comme telle. \ olr plus loin. c) Enfin, il est convenable que la vie divine, vie parfaite s’il en est. présente quelque fécondité, car la fécondité est un signe de la per fcc lion. Or, la fécondité Implique la procession, c’est-à-dire la production d'un être vivant, tirant son origine de l’être fécond. Cette fécondité e.st d’autant plus intime à l'être fécond que cet être est plus parfait. En Dieu, l’Elre souveraine­ ment parfait, vivre et sc connaître sont identiques à son être même; aussi, l’image que son Intelligence forme de lui-même, l’amour substantiel qui procède de lui, ne peuvent que lui être immanents, s’identi­ fiant avec son être même, tout en se distinguant par leur origine. Cf. saint Thomas, Coni. gent., I. IV, c. xi, et surtout Bossuet, frlévatlons sur les mystères, 2' m-maille, élév. 1-1. 3. La raison enfin apporte une confirmation véritable au dogme, en partant de Γ analogie de la foi. — Des don­ nées de la révélation, en effet, nous pouvons déduire une série de conclusions nécessaires. La chose est par­ ticulièrement saisissable dans la question des proces­ sions et des relations divines. Cf. Maltiussi. In tract, de Deo uno ct trino adnotaliones, Borne. 1913, p. 77 sq. a) La foi catholique nous enseigne qu’il y a trois personnes en Dieu. Or, le seul moyen d’éliminer toute cent radiet ion de ce mystère profond, c’est de concevoir ces trois personnes comme constituées par des rela­ tions subsistantes; cf. De potentia, q. vin, a. 1. Ces relations subsistantes sont identiques, quant au titre de leur réalité, avec la substance divine; mais elles sc distinguent l'une de l’autre par leur opposition selon leur origine, c’est-à-dire selon leur procession : le Fils se distinguant du Père, parce qu'il est le terme relatif d'une procession dans laquelle il s’oppose, comme engendré, au Père qui l’engendre; le Saint-Esprit se distinguant du Père el du Fils, parce qu’il est le terme relatif d’une procession dans laquelle il s'oppose, comme spire », au Père ct au Fils, dont II procède. Cf. Ilugon, O. P., Tractatus dogmatici, l. ι. p. 355356. b) Bien plus, quoi qu'en pensent l’école nominaliste el certains théologiens éclectiques, on doit, avec saint Thomas cl scs disciples, affirmer que la raison exige qu’il n’y ait pas. en Dieu, plus de deux processions. D’autres processions, spécifiquement différentes, semblent inconcevables, car tout attribut divin.conce­ vable comme principe d'opération ad intra, se ramè­ nera toujours soit à l’intelligence, soit à la volonté per modum naluru se ramenant à la procession per modum intellectus. Sum. theol., I®, q. χχνιι. a. 5; De poten­ tia, q. ix, a. 9, cl ad 7un‘, nd 19«n>; Comp. theol., c. Lvi, etc.. D’autres processions, numériquement distinctes, semblent pareillement inconcevables, car II paraît impossible que le Père engendre un autre Eils, ou que le Fils ou le Saint-Esprit soient principe d’autres per­ sonnes. La distinction des personnes ne s’explique en Dieu que par l'opposition des relations, et iaqmitcrnlté des relut Ions épuise toute la fécondité de l’essence divine. Cf. Galtlcr, op. cit., n. 220 223; Penido, op. cil., p. 30 1 31 I. III. Ll l’HINCll*! EOKMFL DIS DEUX PUOC LSSloXs DBiNis. 1° Notions philosophique s et position du problème. 2® Principe formel prochain. 3® Principe formel immédiat. 654 1° Salions philosophiques et position du problème. — L Dans toute opération, on peut distinguer deux prin­ cipes ; le sujet qui agit, désigné par les philosophes scolastiques par l’expression de principium quod; la puissance ou faculté par laquelle agit le sujet, c'est-àdire le principium quo. Ainsi, dans la création. Dieu est le principe qui agit ; mais II agit par sa puissance rt sa volonté, «pii sont ainsi le principium quo.ïe principe par lequel s’exerce l’activité divine. Bien plus, dans ce principe formel, on peut distinguer encore le principe éloigné et le principe prochain. Dans le cas de la créa­ tion. le principe formel éloigné serait la nature divine, et le principe prochain rt immédiat rst la puissance ou la volonté. Certains auteurs appellent principe radical le principium quod; principe immédiat, le principium quo. Cf. A. A. Goupil, Dieu, t. i, Paris (1933), p. 130. Analogiquement, les mêmes distinctions philoso­ phique* peuvent intervenir a propos des processions divines. Ainsi, nous pouvons mettre de l'ordre dans nos Idées ct parvenir â une connaissance plus approfondie des asjx-cts intimes du mystère de lu Trinité. 2. La doctrine des processions divines s’inspire des mêmes considérations. Le Père est le principe qui engendre le Fils; le Père ct le Fils sont le principe qui émet l’Esprit. Mais i) reste a sc demander par quel attribut s’exerce l'activité du Père a l’égard du Fils, l’activité du Père et du Fils a l'égard de l’Esprit. En d’autres termes, on sc demande quel est le principe formel de la procession du Fils, de la procession du Saint-Esprit. a réponse commune des théologiens, réponse cerI. j laine en théologie, est que du Père procède le Fils par l’intelligence et que du Père ct du Fils procède l’Esprit par la xolonté. Sans doute, les opérations divines de l’intelligence et de la volonté ne se distinguent pas réellement entre elles, puisque en Dieu tout est acte pur, identique à l’essence divine ellemême. Mais, ainsi qu’on l’a rappelé û l’art. Αττιυηντβ divins, t. i, col. 2231, entre les perfections divines, nous devons, en raison de la transcendance même de l’être divin, placer des distinctions virtuelles, avec fondement réel. Sous peine de tomber dans les équivoques nominal Isles, II faut s’en tenir à cette formule traditionnelle, qui permet à notre Intelligence de pars cuir à une connais­ sance analogique mais formellement exacte de Dieu. 3. En effet, en raison de cette transcendance divine, • l’identifiait Ion des attributs n’équivaut pas à une confusion destructrice : il y a indistinction par excès. Par le fait qu’inlclligcnce el volonté se rejoignent dans l’essence unique,elles ne s’abolissent point pouraulant ; au contraire, dans cette ineffable Eminence, tout se passe comme si l’intelligence ct la volonté subsis­ taient séparément, de sorte que l'une ct l’autre peuvent être fécondes rt faire sourdre de soi un terme indépen­ dant. Nous ne comprenons pas, certes, comment une pareille identité n’exclut point celte indépendance, mais nous soyons bien que cela doit être ainsi, car. si Dieu possède une qualité, elle doit subsister en lui a I son maximum d'intensité ct donc remplir -elle, ct elle seule — sa fonction propre; autrement. Dieu n’aurait de ces perfections que le nom; II ne serait pas, I en toute vérité, juste, bon. intelligent, ce qui contredit aux exigences de la métaphysique. Penido. op. cil., I p. 265-266. 1. Γην opinion singulière, qui confine à l’erreur nominaliste, s’est fait jour sur ce sujet au début du Xiv siècle et rut pour défenseur Durand de Salnl-Pourçain. Durand estime que les processions divines sont sans rapport avec la distinction de l’intelligence ct de la volonté divines, el que la procession du Fils comme celle de l’Esprit a pour principe formel prochain la nature divine elle-même. in /·«»» Sent., disl. VI, q. n. 655 PROCESSIONS DIVINES. SPECULATIONS TH E < » I. ( )( ; I ( 11 ES De son opinion, ii apporte quatre raisons principales : a/ les Pèn» enseignent que le Elis procède par In nature ct non par l’intelligence; b) les processions r< sifflent de In fécondité de la nature; c) dans les creatures, la production naturelle résulte de l'activité Immédiate de la nature elle-même; dl enfin, si la procession du Fils sc faisait par l’intelligence, puisque l'Intelligence est commune aux trois personnes et que l'intellect ion leur doit être pareillement commune, il n’y aurait aucune raison pour que les trois personnes n’engendrassent pas. Durand n’admet donc que la voie de la nature comme principe prochain de toute procession. Sans doute» la fécondité de la nature est la source première de tout le processus trinitaire; mais il est impossible de s’en tenir là. Ce qu’on cherche, c’est une analogie qui permette d’expliquer pourquoi l’Ècriture nomme la seconde personne Verbe et non pas Amour; pour­ quoi l'une est dite Fils ct non pas l’autre; pourquoi le dogme affirme que l’Esprlt procède du Fils et non réciproquement le Fils de l’Esprlt. A toutes ces ques­ tions, Durand ne sait que répondre. Il doit interpréter métaphoriquement des textes scripturaires qui pen­ sent s’entendre au sens propre; aussi, son opinion estelle délaissée. 5. Derrière saint Thomas, quoique avec des nuances diverses, l’unanimité des théologiens catholiques s’est groupée : tous admettent que la procession du Fils est selon l'intelligence; la procession de l’Esprlt, selon la volonté. En raison de sa conformité aux Ecri­ tures et â toute la tradition catholique, cette doctrine est qualifiée par Suarez de doctrine commune ou même théologiquement certaine. De Trinitale. I. I. c. v, π. I. D’autres auteurs, cl non des moindres, qua­ lifient l’opinion de Durand d’opinion téméraire, péril­ leuse et même proche de l’erreur. Banvz. In lpari., q. xwn, a. 5, conci. 1 ; Jean de Suint-Thomas. In T** part., disp. XII, a. 5. n. 17-18; a. 6, n. 2; Scheeben, Dogmalik, t. 1. § 116, n. 935-943. D’autres auteur·, tout en la rejetant, ne lui infligent aucune censure : Billuart. De Trinitate, diss. II. a. I; Franzelln, De Deo trino, p. 106. D’autres enfin lui accordent même quelque probabilité : Toumély. De Trinitate, (|. n. a. 3, coud. I; Frassvn. Scotus acadcmicus, De Trinitate, disp. I. a. 3, q. i; Estlus, In /um Sent,, dist. X, u. 2; (list. XXVII, a. 3; Perrone, De S. Trinitate, c. vi, n. 100-104. Le P. de Bcgnon, op. cil., t. m. p. 391 sq.. pense même que l’opinion commune, dont le point d’origine lui parait, ù juste titre, être saint Augustin. n’a pas, à proprement parler, de fon­ dement dogmatique. Voir à ce sujet Gallier. op. cit., p. 164» n6te 1. 2” Principe formel prochain. - 1. Le principe /ormel prochain de la première procession, celle du Fils, est Γ intelligence. — C’est. en elTet. en vertu même de sa procession que le Fils depend de l’intelligence divine. Il semble difficile d'interpréter différemment les textes scripturaires se rapportant a la procession du Verbe ou «lu l ils. ai Le Verbe», ό Λόγος, est le nom propre du Fils. Joa . i. 1. cl Apoc.. xîx. 13. Or. cc nom. appliqué au Fih, pn sent» un rapport réel à rintelligcncc divine. C’e C'est donc du Père, c’est-à-dire par voie de procession, que le Fils tient son opération ct. partant, son être. La ' vision » dont il esl question ensuite marque le mode de procession, par l'intelli­ gence. Billot, op. cit., th. i. § 2. La tradition, d’ailleurs, entend unanimement ces textes dans le sens d'une procession selon rinlelligcncc. L’assertion de saint Augustin : Eo l'ilius quo Verbum, et eo Verbum quo h'ilius. De Trinitate, I. Vil, c. n, 3, P. L., t. xi.ii. col. 936. reste la norme des inter­ prétations. Saint Thomas l’adopte. 1 ·». q. xxxiv. a. 2, ad 3u,n, el Pie VI la consacre «lans la condamnation du synode janséniste de Pistole, sub /ine, Cavallera, n. 606; Denz.-Bannw.. n. 1597. Le P. Gal tier, op. cit., n. 232-233, énumère les autorités suivantes ; saint Justin, Apnl., i. n. 23; Dial., n. 61, P. G., t. vi, col. 364. 613; saint Hippolyte. C.ont. Xoetum, n. 16. P. G., t. x, col. 825; Tertulllen, Adn. Praxean, c v, P. L·., I. n, col. 183; Denys d'Alexandrie, dans son Apologie, cité par saint Athanase, De sententia Dionysii, n. 23. P. G., I. xxv, col. 513-516. Au iv« siècle, contre les ariens, les Pères défendent la divinité «lu Fils en partant de ce principe que le Fils est le propre Verbe de Dieu : saint Athanase. ('.ont. arianos, oral. !, n. 28, P. G., t. xxv!, col. 70; cf. Dr decret. Xicnai. synodi, n. Il, 17, t. xxv. col. 111, 452. I.e verbe humain est l'image «l’où nous pouvons déduire ce qu’est le X erbe divin. C.ont. arianos, «irai, ü, n. 36. P. G., t. xxvi, col. 223; saint Basile, Hom. in illud : In principio erat Verbum, n. 3, P. G., I. xxxi. col. 177. saint Grégoire de Xazianze, Oral., xxx (theol.. iv). n. 20, P. G., t. xxxvi, col. 129; saint Grégoire «le Nysse. C.ont Eunomium, I. II. I. IV· Oral, catcch.. n. 1. P. G , t. xi.v, col. 506 B-510 B. 624, 16; saint Cyrille «I’ Xlcxandrie, Thésaurus, assert. 6. 19, P. G., t. i.xxv. col. 76 et 80; cf. 56. col. 321 ; In Juannem, I. I. c. v. t. i.xxni. col. 81 : saint Ivan Damascene. Dr fuir orth., L I, c vi, P. G., t. xctv, col. 801-801. Les Latins suivent sur ce point saint Augustin (voir ici, l. !, col. 2319) et surtout Dr Trinitate, I. XX’, c. x, 19; c. xts. 23; cf. I. IX. c. iv, 4; c. v, K, P. t.,, xt.ü, col. 1071. 1076. 963. ‘165 Sur la sagesse, appliquée au Xertic «le Diim, voir I. X II, c. î. | Sq.t col. 931 sq.; cf. Phébadc d’Xgcn, Dr I dit dimnttatr e( consubstan­ tialitate, n. 6. P. L·., t. xx, col. 12. 657 PHOCESSIONS DIVINES. SPÉCULATIONS THÉOLOGIQUES A celle tradition. désormais fixée, les théologiens scolastiques ajouteront une précision en distinguant nettement rinteltcctlon de la diction, par laquelle le \ erbe est formé. Cf. saint Thomas, I», q. xxvn, a. 1 ; q. xxxiv, n. 1. ad 3“»’»; q. xxxvn, a. 1*2; Dr veritate, q. !v, a. 1-2; De potentia, q. x, a. L Sur le terme • Image >. voir I *, q. xxxv, a. 2: Dr veritate, <|. iv. a. 3. 2. Le principe formel de la seconde procession, celle du Saint-Esprit, est la volonté. - Mais. ici. la démonstration est plus difllcilc. l’Esprlt n'ayant pas de nom propre et les noms qu'on lui donne par appropriation n'ayant avec la volonté qu'une relation moins évidente. l ue première preuve est tirée des noms donnés à la troisième personne : Esprit-Saint, Amour. Charité. Dilection, Don du Père, Nœud du Père ct du Fils. Le mol esprit, souille » signifie un mouvement, une force qui emporte; par métaphore, I) désignera les actes de la volonté, car c’est de la volonté que vient le mouve­ ment. L'adjectif · saint complète celte signification : la sainteté se rapporte à la volonté, comme la sagesse â l’intelligence. L'Esprit divin est dit Saint parce qy’il procède d'un principe immédiat très saint, la volonté commune du Père et du Fils. Les autres termes sc rapportent plus étroitement encore à la procession selon la volonté. Cf. saint Thomas. D, q. xxxvn, a. 1, corp, et ad 3‘"n. Ces interprétations toutefois ne prennent figure de véritable argument que si elles sont juxtaposées à la doctrine très certaine concernant la procession du Fils par l’intelligence. La seconde per­ sonne est expressément le Fils unique, l'unique en­ gendré qui procède du Père selon rintelligcncc. Donc, la troisième personne ne peut procéder de même puis­ qu'elle n’est pas k· Fils. Peste donc, qu’elle procède selon l'opération de la volonté. Celte conclusion, que l’ensemble des théologiens estime théologiquement certaine, trouve sa confirma­ tion dans l’Ecriture et la tradition. L'Ecriture n'aflirme nulle part que l’Esprlt procède selon la volonté mais elle présente les opérations ad extra attribuées à l’Esprlt-Saint de telle sorte (pie. seule, la procession selon la volonté peut en rendre raison. A l’Espril-Saint, en effet, sont attribuées les «ruvres divines qui manifestent l’amour de Dieu : l’incarna­ tion du Verbe. Luc., t. 35; la justification et la sancti- t flcation des hommes, T1L, ni. 5-6; la distribution des charismes. I Cor., xn. 1-12; l’habitation de Dieu dans les âmes justes, I Cor., vi, 19; la tutelle et le gouverne­ ment de l’Église. Act., xm. 2; xx, 28. Or, ces «ruvres relèvent drs trois personnes; si l’ai tribut ion en est faite spécialement à l’Esprlt, c’est qu’elles présentent un rapport certain au caractère propre de la troisième personne. Ce caractère doit donc être la procession selon l’attribut de l’amour, la volonté. Encore qu'elle soit bien hésitante, la tradition con­ firme cet enseignement. Les œuvres attribuées par elle Le principe formel qua immédiat embrasse simultanément et rintelligcncc et la volonté essen­ tielles. d’une port, et, d’autre part, la propriété rela­ tive ou personnelle. Mais. ici. certains auteurs attri­ buent tout I clément formel du principe â la propriété relative ou personnelle: c’est, nous assurent ses édi­ teurs. l’opinion de saint Bonaventure, Opera, t. î, Quaracchi. 1882, p. 137-138; opinion exposée et réfu­ tée par Suarez. De Trinitate, I. L <'. V|k «>. t-8; I. VI, c. v. η. I. cl défendue par les Wirccburgeiises. n.369 sq. D’autres auteurs admettent que l’un et l’autre élément font partie, au meme titre, du principe formel : l’élé­ ment essentiel est la raison de la communication des propriétés essentielles: l’élément personnel est à l’ori­ gine de la relation personnelle. Telle est la solution proposée par Grégoire de X’alencia. In lAlu part. S. Thom#. De Trinitate, disp. IL q. xv, punct. 2, dont l'opinion est relatée cl réfutée par Suarez, op. cit., I. VI, e. v. n. 5; h i i. C. Ml. n. 5 S. c) Le principe formel quod, comme tel. n’inclut rien qui soit proprement relatif ou personnel : il désigne 659 PROCESSIONS DIVINES. SPÉCULATIONS THÉOLOGIQUES 6G0 IV· concile du Latran, Cav.. n. 601 ; Denz.-Bannw., directement fin recto) et formellement un élément, intelligence ou volonté, purement essentiel; mais en n. 432; etc.; d) Enseignement des théologiens, voir Fils connotant indirectement fin obliquo) la personnalité de Dieu, col. 2470 sq. 2. Sur la procession du Saint-Esprit, qui n'est pas qui est préalable à la procession. De sorte que l’intel­ ligence ou la volonté essentielles ne peuvent être prin­ une génération, voir Esprit-Saint, La démonstration cipe formel immédiat qu’en tant que possédées par la de cette vérité repose sur l’aflinnation constante que personne, ainsi conçue en possession de l’intelligence seul le Fils est engendré : a) La sainte Écriture n'appelle jamais la troisième ou de la volonté avant que se réalise la procession. personne ni Fils, ni engendré; au contraire, elle appelle Ainsi, l’intelligence est conçue comme appartenant au Père préalablement A la procession du Fils, de sorte la seconde personne Fils unique. b) Les Pères ont mis en relief cette vérité (à l'excep­ que, sans contradiction, on ne saurait concevoir le tion d'Hermas, voir l. v, col. 691-695, 2411-2443). Il Mis procéder de lui-même selon l’intciligcnce. C’est l'opinion de saint Thomas, I », q. xli, a. 5 : poten­ n'y a qu’un Fils unique, mais l'Esprit procède du Père tiam generandi significare in recto nuttirant divinam, et ne saurait être appelé Fils. Voir saint Athannsc, Ad sed in obliquo generationem; ou encore : potentiam Serapionem, cp. i, n. 16. P. G„ t. xxvi, col. 569; generandi, quantum ad essentiam qmr significatur, saint Basile, Ado. Eunomium, 1.11 T, c. vi ; Epist., exxv, communem esse tribus personis; quantum autem ad n. 3, P. G., t. xxix, col. 665; t. xxxn, col. 519; saint notionem quæ connotatur, esse propriam persona*. Grégoire de Nazianze, Oral., xxv, n. 16, P. G., t. xxxv, Patris, ibid., ad 3*m ; cf. in D™ Sent., dist. VII, q. i, col. 1221 ;Orat.,xxxi, n.8;xxxix,n. 12, P. G.,t.xxxvi, a. 2. En ce sens: Suarez, op. cit., I. I, c. vu. η. 9-12; col. 141, 348; Didymc ΓAveugle, De Trinitate. 1. I, I. VT, c. v, η. 6-10. el tous les théologiens en général. c. xv, P. G., t. xxxix, col. 320; saint Epiphane, AncoOn trouvent une bonne mise au point de l’opinion de ratas, n. 7, P. G., t. xliii, col. 28; saint Augustin saint Thomas dans Galticr, op. cit., n. 2-17-255. En con- ’ (voir t. i, col. 2349); cf. surtout De Trinitate, 1. XV, séquence, le terme formel de la procession n’est pas c. xxvi, 47, P. L., t. xlii, col. 1094. l'essence considérée simpliciter, mais l’essence en tant c) Les symboles et les conciles sont explicites : que communiquée à une personne, ou connotant la symbole d’Athanase, Caval fera, n. 561; Denz.personne à qui elle est communiquée. Bannw., n. 39; XIe concile de Tolède, Cav., n. 576; Ainsi expliquée, cette opinion montre bien pour­ Denz.-Bannw., n. 277; IV· concile du Latran, Cav., quoi à la formule de l’abbé Joachim de Flore on opposa n. 599, 601; Denz.-Bannw., n. 428-432. au IV· concile du Latran le texte : Illa res (essentia) d) Sur les théologiens, voir Esprit-Saint,col.815sq. non est generans, neque genita, nec procedens; sed est 2° L'explication théologique. — Quand il s’agit de Paler qui generat, et Filius qui gignitur, et Spiritus donner la raison pour laquelle la procession de l'Espritsanctus, qui procedit. Cav., n. 601 ; Denz. Bannw., n. 132. Sainl n'est pas une génération, les Pères sont hésitants. 1-a formule de Joachln signifierait la multiplicité des Saint Basile et saint Grégoire de Nyssc laissent en­ essences. Le mot essence ne saurait être pris ici pour un tendre que la procession du Saint-Esprit, venant après terme concret désignant la personne. Toutefois, si In génération du Fils, ne saurait être une nouvelle l’on trouve chez d’anciens auteurs le terme essence génération. On n’en voit pas très bien la raison. Basile, pris en ce sens concret, il faut i'interpréter bénigne­ Epist., xxxviu, n. 4, P. G., t. xxxv, col. 329;Grégoire ment, ut sic dicatur quod essentia divina generat, quia de Nyssc, Quod non sint très dit, P. G., t. xlv, col. 134. Pater qui est essentia divina, general. Sainl Thomas, Saint Augustin a tenté plusieurs explications, mais Contra errores Gnrcorum, c. iv; cf. 1% q. xxxix, a. 5, sans s’arrêter à aucune, bien qu’il paraisse avoir ad 5^®. Actuellement, une telle façon de parler serait entrevu la solution proposée plus tard par saint Tho­ inadmissible. Voir Noms divins, l. xi, col. 792. mas. Les principaux endroits, par ordre chronologique IV. La DISCRIMINATION DES DEUX PROCESSIONS sont : De fide el symbolo, c. tx, n. 19, P. L., t. xl, divines. — 1· Le dogme. 2° L'explication théologique· col. 191 ; De Trinitate, I. V, c. xiv, 15; L IX, c. xu, 17, 1· Lr dogme. — Le dogme tient en deux assertions ot t. xijï, col. 921, 970; In Joannis evang., tr. XCIX, a été suffisamment exposé ailleurs : la procession de la n. 8, t. xxxv, col. 1890, qu'on retrouve De Trinitate, seconde personne est une génération véritable de 1. XV, c. xxvii, 48, t. xlii, col. 1095; Contra Maximi­ l’ordre Intellectuel; la procession de la troisième per­ num, 1. Il, xiv, 1, t. xlii, col. 770. < Le premier texte sonne n’est pas urte generation. contient l’énoncé de la difllculté; le second apporte L Sur la génération du Fils, voir l'art Fils de Dieu. une distinction destinée à faire fortune : Exiit (Sp. s.), t. v. a) Écriture sainte, col. 2391-2106; b) Pères : non quomodo natus, sed quomodo datus; le quatrième Pères apostoliques, col. 2409; Pères apologistes, col. i donne une raison franchement mauvaise : filius nullus 2415-2416; cf. col. 2419-2421 ; saint Irénée, col. 2425; est duorum nisi patris et matris. Absit autem ut inter docteurs antimonarchlens du in* siècle, col. 2430; Clé­ Deum Patrem et Deum Filium aliquid (ale suspicemur. ment d’Alexandrie, col. 2435; Origène, col. 2440; Le troisième et le cinquième indiquent dans quelle Pères grecs du iv· siècle, col. 2450; Pères latins, col. I direction il faut chercher la bonne réponse : elle est 2152. et surtout, en ce qui concerne saint Augustin, « psychologique ». Seulement. l’auteur présente des col. 2459-2460; c) Documents du magistère : la formule observations, soit inexactes, soit insufllsamment pous­ genitus, non /actus, ou même unigenitus, se retrouve sées. Ainsi. De Trinitate, I. V, r. χιν. 15 ; l’amour pré­ dans les professions de fol les plus anciennes : symbole cède la connaissance, car il met en branle la pensée et de Nlcéc-Constantlnople. Cavnllem. n. 518; Denz.- 11 la suit, car II se complaît en elle; or. Pacte intellec­ Bannw., n. 54; symbole d'Épipliane, Cav., n. 517; tuel étant déjà une parturition, ce qui le précède ou te Dcnx -Bannw., n. 13; Fides Damasi, Denz.-Bannw.. 1 suit ne saurait prétendre à ce t it i <·./h Truutot·-. I. \\, n. 15; Libellus I aslorls, Cav., n. 560 ; Denz.-Bannw., c. XXVII. |8 ; tout Ills est l'image de son père; or, n 19; symbole dit de saint Athanasc, Cav., n. 561; l’amour n'est pus l'image du Verbe. Indication pré­ Denz.-Bannw., n. 39, 40; le pape Deny s. dans sa lettre cieuse, mais inexploitée par Augustin. Enfin, te dernier a Dt nys d'Alexandrie, Cav., n. 514; Denz.-Bannw., texte postérieur de douze ans au De Trinitate — n. 49; saint Damase, Anofh., 11, Cav., n. 523; Denz.- n'exprime quo le découragement en (ace de l'obscurité Bannw. n. 69; IIP. l\· et VP conciles de Tolède, du problème. Tout s’achève donc sur un aveu d’im­ Cav., n. 567, 570. 571; NI· concile de Tolède, Cav., puissance. » Pcnldo, op. cit., p. 289-290, note 1. Au Moyen Age. Hlchard tir Saint Victor opine que n. 575· Denz.-Bannw., n. *276; cf. n. 579, 281 ; symbolc le Saint Esprit procède do telle façon qu’il ne peut dr ï>on ÎX. Cav, n 761; Denz.-Bannw., n. 761, 661 PROCESSIONS DIVINES PROCLUS 662 plus parfaite de l’immanence. De plus, cette imma­ recevoir, connue le Fils, la fécondité naturelle que tout fils tient de son père, car du Saint-Esprit rien ne nence même exige que les processions cl leur terme ne procède. De Trinitate, L VI, c xi, xvm, xx, Pour soient en Dieu qu'au nombre de deux, les actes imma­ saint Bonaventure, l’Esprit ne saurait procéder par nents de l'être spirituel étant simplement le connaître et le vouloir. Enfin, cette Immanence nous permet de génération, c'est-à-dire être fils, parce qu’il ne peut comprendre quelque peu comment l’Esprit-Saint ne exprimer, avec la perfection du Verbe, le Père en tant vient qu'en troisième lieu après le Père et le Fils, la que principe de la personne qui procède. In / jrn Sent., procession Immanente selon l’intelligence devant avoir (list. XXXI, part. Il, a. 1. q. n. Alexandre de Halès et l'école scotlste se rapprochent assez de cette expli­ une certaine priorité sur la procession selon la volonté. 3° Processions parfaites et éternelles. — En Dieu, cation en affirmant que le Fils procède per modum aucun passage de la puissance à l’acte : donc, les pro­ naturic, et le Saint-Esprit. per modum voluntatis. La raison donnée par saint Thomas est plus pro­ cessions du Fils et de l’Esprit-Saint ont la perfection même de la coexistence étemelle au Père : aucune fonde et plus convaincante : l’Esprit-Saint procède infériorité, aucune postériorité, sinon dans l'ordre selon l’opération de la volonté; il procède comme d’origine; similitude, égalité, intimité parfaite, le amour; s’il est semblable au Père et au Fils, ce n'est pas formellement en raison de sa procession, mois principe et le tenue de chaque procession tenant toute leur perfection de la même réalité. Van Noort. De Deo parce que toute l’essence divine lui est communiquée. La génération, comme telle, (end ù la similitude de trino, n. 193-195. nature, in similitudinem natura:; la procession d’amour Ui question des processions touchant a U plupart des est simplement avec la ressemblance de nature : cum aspects du problème trinilnlrc. la bihboxraphlc devrait similitudine tu.turn·. · Aussi, dit saint Thomas, ce qui indiquer un nombre Imposant d'ouvrnacs et d'études con­ en Dieu procède par mode d’amour ne procède pas cernant ce problème. On m* contentera Ici d’indications comme engendré ni comme fils, mais plutôt comme sommaires mais utiles rt visant directement la question esprit (spiratio}; et par ce nom on désigne un certain spéciale des processions. mouvement et élan vital.selon qu’on dit que quelqu’un On devra, avant tout, consulter saint Thomas. S uni. theol.. 1\ q. xxvn, q. χχχνπι-χχχιχ; Sum. «ont or nies, est mû et emporté par amour vers quelque chose. » J. IV, c. xi, et les commentaires de Cajétan el de Sylvestre Ia, q. XXVII, a. I ; cf. In /,nn Sent., dist. X111, q. i, a. 3, de Ferrure. ad 2um; dist. XXIX, q. n, a. 2: Cont. gent., I. IV, Pour la partie positive, on se référera à Petau. Dr Trinic. xi, xix ; De potentia, q. v, a. 2. ad 1 lum et I2ura. \ oir tale, I. V-VII; au P. de Kégnon, Élude* de théologie positive aussi les commentateurs des deux Sommes, ainsi que sur la sainte Trinité, t. n et in, Paris, 1X92-1X9X. passim. les Salmanticcnses. De Trinitate, disp. 111. dub. u-iv. Tous 1rs traités didactiques Dr Trinitate ont un chapitre sur les processions divines. On ne manquera pas de s'y C’est la raison que nous avions laissé entrevoir, en reporter, en consultant non seulement les grands théolo­ exposant les analogies humaines de la Trinité. Cf. Pcnido, Cur non Spiritus sanctus a Patre Deo genitus? giens du Moven Age et les commentateur* de saint Thomas postérieurs au concile de Trente, mais encore les auteurs •S’. Augustinus et S. Thomas, dans la Hante thomiste, modernes de traités théologiques ou de manuels. Panni ccs 1930, p. 508 sq. derniers, on doit mentionner spécialement le De SS. Trini­ V. ConoLi.AiiiEs. — De ce qui précède, on peut con­ tate du P. (initier. Paris, 1933, et le 1.1 du manuel de Dieclure q. Voir ainsi la lettre des évêques d’Arménie â Proclos, retraduite du syriaque en grec par Schwartz, p. xxvu. La lettre publiée dans /». t. r.xv, col. 851. n’est pas authentique; elle est de l’archimandrite Basile, dont il sera question plus loin. Proclus leur répondit en leur envoyant son célèbre Tome aux Arméniens, dans lequel il réfutait la position dogmatique de Théodore sans le nommer. Peu de temps après, Ibas» qui avait succédé à Babbulas sur le siège d’Édessc, traduisit en syriaque les extraits de Théodore que les Arméniens axaient en­ voyés à Constantinople et s’efforça de démontrer leur orthodoxie. Proclus fut très irrité de la manière d’agir d’Ibas. Il envova son Tome aux Arméniens à Jean d’Antioche et y joignit les extraits de Théodore. Dans sa lettre d’envoi au patriarche Jean, il qualifiait dure­ ment le procédé d’Ibas, jugeait sévèrement les extraits de Théodore, toutefois sans prononcer le nom de leur auteur, ct demandait au patriarche d’Antioche de don­ ner sa signature au Tome et de condamner les extraits. Il est fort probable qu’ù ces documents Proclus axait joint une lettre explicative adressée aux évêques du patriarcat d’Anllocbc. dans laquelle il exposait en quel sens on peut dire ('nus ex Trin itate cruci fixus est. Deux fragments de cette lettre ont été conservés par Inno­ cent de Maronee ct par Jean Maxence. qui 1rs attribue faussement au Tome aux Arméniens. Voir la lettre de Jean Maxence au pape llormisdas. dans Schwartz. Acta..,, t. iv, vol. 2, p. 6 sq. Le concile du patriarcat d’Antioche consentit a signer le Tome aux Arméniens. dont 11 loua la belle ordonnance ainsi que sa conformité aux Écritures ct à la tradition des Pères. Mais i) refusa de condamner les extraits de Théodore, estimant cct évêque comparable aux grands docteurs de l’Eglisc et ne se croyant pas en droit de juger un mort. Voir la lettre de jean d’Antioche à Proclus. dans P. (i., t. i xv. col. 877. Proclus répondit à Jean qu’il n’avait pas demandé la condamnation de Théodore ni d’aucun mort ct protesta que les « chapitres qu’il avait joints à sa lettre étaient subtilitatem non habentia pietatis. A’oir P. G., t. i.xv, col. 879. Dans une lettre à son dlacn Maxime, qu’il avait envoyé à Antioche pour traiter cette affaire, Proclus répète qu'il n’a jamais demandé à Jean d’Antioche ct aux évêques de son ressort que la signature du Tome aux Arméniens et la réprobation des chapitres qu’il y avait joints ct dont il ignorait l’au­ teur, qua cujus sint ignoramus. A’oir P. G., t. ixx. col. 880. Quoi qu’il en soit de cette dernière assertion, il est avéré que Proclus refusa d’exiger que Théodore fût nommément condamné, malgré les objurgations que l’archimandrite Basile lui adressa et les manifesta** fions que Cyrille d’Alexandrie, pendant un ccttain temps, multiplia en faveur de cette condamnaiion.A oir Bauer, Proctos von Konstantinoprl. p. 8*2 sq. ; Schxxnrtz. t eln r cchlc and uneehle Schri/ten des PalrinTchen Pro· dus. p. 27 sq. A’oir aussi la lettre de l’archimandrite Basile a Proclus. dans P. G., t. i.xv, col 831 (indiquée comme riant lu lettre desévêques d’Arménie à Proclus). Il est assez vrahemblablc que Proclus fut l’inspira­ teur de lu leti c pur laquelle l’empereur Théodosc 11 recommandait u concile d'Antioche de ne rien entre­ prendre cort e des hommes morts dans la paix «le l’Églisc. Voir celle lettre dans le Synodicon Castnensr, c. cctx, Schxxnrtz. Actfi..., t t, vol. I. p. 211. Celle lettre Impériale, qui donnait gain d< cause aux évêqtics du diocèse d’Orlent, tout en par.iisnnnl dire que les bbo difficultés concernant Théodore avaient été suscitées par eux et tout en postant sous silence la condamna­ tion des i neux < hnpltrcs extraits de scs écrits, mit lin â la controverse. Gomme ses prédécesseurs. Proclus s’efforça d’éten­ dre les limites du ressort de Constantinople; c’est ainsi que par deux fols il intervint dans l’élection du métro­ polite d’Éphèse et qu'il désigna lui-même un évêque pour Césarée de Cappadoce et pour Gangrcs. Mansl, Concit., t. vu. col. 2‘J3, 2X0, 118; Socrates. Hist. eccl., I. V11, c. xi.vm, P. ίλ, t. i xvii, col. 840. Il essay a aussi d'étendre son autorité sur I* Ills ricum, qui relevait delà juridiction romaine; il réussit à faire insérer nu Code théoilosien une loi qui rangeait celle province sous la juridiction des archevêques de Constantinople, mais il ne parvint pas a y faire reconnaître son autorité. Sur cette question, voir le mémoire de Duchesne, Illy­ ricum ecclésiastique, dans ËglisCs séparées, p. 259 sq. H n'est pas improbable que la lettre intitulée Epistola sancti Procli, episcopi constantinopol Hani, directa uni· /armis ad singulos Occidentis episcopos, ait été vérita­ blement adressée aux évêques d’Illy rie et soit un ves­ tige de la tentative de Proclus pour étendre sa juridic­ tion en Occident. Se fondant sur une lettre de Théodoret à Flavicn. Tillemont a avancé que, sous l’épiscopal de Proclus, un concile réuni Λ Constantinople avait fixé les droits ct prérogatives de l'évêque de la capitale. La chose est possible, quoique non certaine. Proclus aurait de la sorte oux’erl la voie au fameux cnn. 28 de Chalcédoinc. Voir la lettre de Théodoret à Flaxuen, P. (λ, t. lxxxiii, col. 1’280; Tillemont. Mémoires, t. xiv, p. 713; Bauer. Proklos, p. Ill sq. Le 27 janvier 137. Proclus procéda â la translation du corps de saint Jean Chrysostome de Comane, lieu de son décès, dans l’église des Saints- Xpôtres, à Constan­ tinople. Cette translation, qui se lit avec une pompe extraordinaire, amena la réconciliation avec la grande Église des « johannites ». partisans intraitables du dé­ funt éx’êquc. Socrates. Hist, eccl., I. VIL c. xlv. P. G·, t. i.xvii, col. 836; Théodoret, Hist, eccl., L \c. xxxv. P. G.,t. i.xxxii, col. 1265; Bauer, Proklos,p. 16 sq. Socra­ tes considère cette réconciliation des johannites comme une preuve de l’esprit pacifique de Proclus. H le loue aussi pour sa répugnance ù recourir â l’autorité impé­ riale contre les hérétiques. Ilist.cccl.J· VII,c. xn. P. G., t. i.xvii, col. 832. Évidemment, Socrates, qui semble priser fort la mentalité irénique de Proclus. veut par là mettre sa manière d’agir envers les hérétiques en oppo­ sition avec celle de Nestorius. Toutefois, on a pu conslaterque,lorsqu’il s’agissait des partisans de Nestorius. Proclus n’était pas précisément accommodant. Enfin, Proclus baptisa Volusien. l’oncle de Mêlante la Jeune, venu à Constantinople pour conclure le ma­ riage d’b'udocle. fille de l’empereur Théodosc IL avec l’empereur Valentinien HL Axant sa mort, \ olusicn déclara que. s’il y avait à Rome trois hommes comme le seigneur Proclus. i) n’y aurait plus aucun païen dans cette ville. Rampolla, Sanla MelaniaGiunlore, p. 72 sq. On a voulu voir en Proclus l'auteur du Trisagion; tout ce qu’on peut dire, c'est qu’au temps de son épiscopal cette acclamât ion était connue ù Constantinople Bauer, op. cil., p. 5(» sq. Proclus mourut probablement en I IG cl il cul Fla­ vien comme successeur. Le concile de Chalcédoinc lui décerna l’épithète de Grand. Mansi, op. cit., t. vit, col. 161. Il fut souvent nomme et cité sous l’empereur Justinien, au temps de la controverse théopasrhite et de la querelle des Trois-Chapitres. A partir du milieu du ΧΊ· siècle. Proclus tomba dans l’oubli. Seuls quel­ ques rares florilèges le citèrent au courant du Moyen Agé L'Églisc célèbre sa mémoire le 2 1 octobre et le 20 novembre. Voir Martyrologe romain; Menotoge grec. GG6 21 octobre, dans P. G., t. ex vu, col. 125. ct les A/rn/es de novembre, Venise, 1X95, p. 123. II. (Levai s. - - Ie l.es discours. — Mngt-clnq ser­ mons sont attribués â Proclus dans les manuscrits. Vingt sont intitules Orationes, et cinq Harm Inc. Ces cinq dernières ont été publiées pour la première fois par le cardinal Mai. Le plus grand nombre de < rs ser­ mons ont été prononces â Γoccasion de fêtes de NotreScigncur. comme Nod (hom. iv); la Transfiguration (oral, vin); le dimanche des Hameaux (orat. ix>; te jeudi saint (orat. x);lc vendredi saint (orat. xi); la Ré­ surrection (orat. xn). Plusieurs sont des panégyriques en l’honneur de la sainte Merge (orat. i, v, vi) ct d’au­ tres saints, comme saint Paul (orat. xvm), saint André (orat. κιχ), saint Jean Chrysos tome (orat. xx», saint Clément, martyr d'Ancyre (hom. v), La question de l'authcnticitc de plusieurs de ces ptê< es n'est pas encore suffisamment élucidée. Le plus long des sermons, l'cni/io xi, en l'honneur de la sainte Merge, n'est sûrement pas de Proclus. Il contient un long dialogue entre Marie ct Joseph qui rappelle Je genre littéraire nommé Konlakia, cultivé plus tard par Romanos. Sur le Kontakton byzantin, voir le mémoire de Mans dans la Byzantinische Zeitschri/t. t. xix. 1910. p. 2X5 sq. On a aussi émis des doutes sur l’authenticité de Voratia il, qui traite de l'incarnation, de Voratio ix. qui est un sermon de Noël. ct du panégyrique de saint Étienne, oral. xvii. Toutefois, il est probable que des a livres oratoires de Proclus se trouvent encore enfouies dans le fonds inédit des bibliothèques. Bien des discours attribués par les manuscrits à saint Jean Cbry sostome. ct dont la critique a reconnu la non-authenticité. doi­ vent vraisemblablement être restitués à Proclus. Les discours de Proclus sont tous brefs : Voratio xi, fort longue, n’est pas authentique. Ils contiennent peu de réflexions morales et visent a expliquer le dogme. Pour la forme, Proclus imite saint Grégoire de Nazianze, mais en exagérant ses defauts. 11 évite les lon­ gues périodes, s'applique à exprimer sa pensée en peti­ tes phrases ry thmées qui allectent le parallélisme des membres Sur la forme des sermons de Proclus, voir Norden. Dit antike Kunstprosa. t. 11, p. 855, qui a donné une série de textes bien caractéristiques de la manière de Proclus. L’ondio la fut prononcée en présence de Nestorius, le 23 décembre 128. Les anciens critiques croyaient que cette homélie avait été prononcée le jour de la fête de l’Annonciation. Mais nous saxons maintenant que du temps de Proclus cette fête n’existait pas et que Pro­ clus n'a pu louer l’incarnation qu'en connexion avec la ivlc (le Nud. Voir Abraham d’Ephèse. avec la note de Banlcnhewer, dans Maricnprcdigtcn der patrislischen Zcit, p. 107.109. Dans cette homélie. Proclus confesse la maternité divine de Mariée! limité du \ erbe divin. Fils de Dieu et b ils de la Merge. Dès le debut, il s’écrie que c’est en l’honneur de la vierge Marie ThMokos que les fidèles Mint assemblés* /*. (».. L i xv, col. 689. Il fait remarquer que celui qui est né de lu Vierge n’est ni i uniquement Dieu, Θεός ού γυμνός. ni simplement homme άνθρωπος où ψιλός. Répondant « cette objec­ tion qu’il n’est pas convenable pour Dieu d entrer dans le sein d’une femme, il expose qu’il ne saurait être Ignominieux pour l'architecte d’habiter la maison I qu’il a construite et que» si Dieu ne fut pas déshonoré en créant le sein de la femme, il ne saurait être désho­ noré en y naissant. Dans une longue apostrophe au sein de la Vierge, il l’appelle le temple dans lequel I Heu est devenu prêtre sans changer de nature, mais en revêtant celui qui est selon l’ordre de Melchisédceh ». Précisant sa doctrine christologiquc. il déclare que. si Dieu n’a pas habité Je sein de la Vierge, notre chair maintenant n’est pas assise sur le trône de Dieu : • Celui (lui est impassible de sa nature est devenu sujet ili I 667 PROCLUS DE CONSTANTINOPLE a la souffrance en vertu de sa miséricorde. Lc Christ n’cst pas devenu Dieu par suite de ses progrès, mais, étant Dieu, il est devenu homme en vertu de sa miséri­ corde... Nous ne proclamons pus un homme devenu Dieu, mais nous croyons qu'un Dieu est devenu homme. » Lc Christ, dit-il ensuite. « est de sa nature (comme Dieu) sans mèr< et selon l’économie sur terre (dans l’incarnation) sans père, (’.’est ainsi que saint Paul a pu le proclamer sans père et sans mère, άπάτωρ, άιήτωρ. S’il n’était qu'un homme, continue-t-il, il ne pourrait être sans mère, et. s’il n’était que Dieu, on ne le pourrait dire sans père, car il n un Père (dans la Tri­ nité). Maintenant, le même Christ est sans mère en sa qualité d»· créateur cl sans père en sa qualité d’homme.» Tous les hommes, étant pécheurs, devaient être livrés à la mort, a moins que cette peine ne fût rachetée. Or, comme ni un ange ni un homme ne pouvait fournir cette expiation. Il fallait qu’un Dieu In prit sur lui et subit la mort. Voir ibid., col. 685. Si le Christ est un autre que le Dieu I.ogos. alors il n’y a plus de Triade, mais une Tétrade. A la tin de son discours, Proclus fait allusion a la doctrine de V uterus clausus. Le Christ, dit-il, est sorti du sein de la Vierge comme il y est entré, par l’ouïe, δι’άκοής, il fut mis au monde comme il fut conçu, il y entra sans que la Vierge eût a en pâtir. άταΟώς. et H en sortit d’une manière ineffable. Ibid., col. 692. L'oratio n· a dû être prononcée après la condamna­ tion de Nestorius, car Arius, Macedonius, Eunomlus el Ncslorius y sont appelés le « quadrige du diable >. Ibid , col. 693. Lc fond de cc discours est sensiblement le même que celui de Vondio i* Notons cependant que Proclus enseigne que, si Dieu forma Èvc de la côte d’Adam pendant le sommeil de celui-ci, c’était afin que l’homme, ignorant le mystère de la naissance de la femme, ne prétendit pas élucider le mystère de la nais· siiuc du Christ Ibid . col. 697. L'ora/fo lit· énumère les fêles chrétiennes célébrées du temps de Proclus : la naissance du Christ, la sancti­ fication de l’eau (Épiphanie), la passion, la résurrec­ tion, l’ascension ct la descente du Suint -Esprit. Ibid., col. 765. He venant sur le mystère de l’incarnation, il enseigne que < la naissance du Christ fut le commence­ ment et le non-commencement de celui qui naquit cc jour-là, le commencement de l'humanité, tandis que la divinité n’a pas de commencement -, et réalisa d’union sans mélange des deux natures du Verbe cl de la chair». Dans l’oro/io xiia. nous lisons que la lumière d’en haut s’est incarnée dansla Vierge άτρέπτως,άσυγχύτως, άδιαιρέτως, sans subir ni changement, ni mélange, ni séparation. Ibid., col. 789. Dans Voratio xv·, prononcée le jour de Pâques, Proclus donne, dans une interpréta­ tion du prologue de salut Jean, un exposé de la doc­ trine trlnitairc dans la ligne de saint Grégoire de N ulanze. Ibid., col. 800 sq. 2· Les lettres. — Les manuscrits ont conservé un certain nombre de lettres de Proclus. Dans la collection publiée dans la P. G., la première de ces lettres est donnée comme étant celle que les Arméniens envoyèrent à Proclus quand il·, le consul­ tèrent sur l'orthodoxie de Théodore de Mopsuesle. Nous avons déjà fait remarquer que cette indication «t f tusse, la lettre des évêques d’Arménie n’étant con­ servée que dans une traduction syriaque, que Schwartz, a retraduite en grec ct publiée dans les Acta arcunieni· c^rum conciliorum, t iv, vol. 2, p. xxvn. La première lettre publiée dans Migne est celle qui fut écrite à Pro­ clus par l’archlm indritc Basile pour lui demander de condamner nommément Théodore. T. i.xv, col. K51. La deuxième lettre de la P. G., ibul., col. 856 %q.,| est le célèbre Tome aux Arméniens. Proclus débute en exposant que les philosophes grecs avalent eu raison de distinguer les vertus cardinales, mais que celles-ci 668 n'nvnicnt pu lour procurer que l’ordre de la vie terres­ tre, ignorants qu’ils étaient de In véritable vie. En rc vanche, les vertus chrétiennes ne se bornent pas â ordonner la vie présente, elles élèvent aussi l'homme I vers Dieu. Les principales vertus chrétiennes sont la foi, l’espérance et In charité. J n foi communique aux hommes les biens surnaturel», τά υπέρ φύοιν. cl l’as socie aux êtres spirituels. L’espérance donne la ferme confiance qui nous fait vaincre le présent en représen­ tant à notre pensée l’avenir qui n’est pas encore pré­ sent. Enfin, la charité est le point principal de la reli­ gion, c’est elle qui a provoqué l'incarnation. La foi est le miroir de la charité, ct h» charité est la consolidation «le la foi. Ibid . roi 857. Après avoir brièvement parle de la création, du péché d’Adam, de la servitude par la loi mosaïque, Proclus aborde l’exposé du mystère de l’incarnation. Il précise que le Verbe divin n’cst pas entré dans un homme fait, είς τέλειον άνθρωπον, mais qu’il est « remonté au principe de la genèse de l'homme % c’està-dire s’est plié à la conception ct ;< la naissance, il ne s’est pas non plus transformé en homme, la divinité demeurant au-dessus du changement. L’Écriture en­ seigne que le Verbe est devenu chair et qu’il a pris la forme de l’esclave. Joa., i. 1 I; PhiL, n, 7. En choisis­ sant le terme έγένετο, il s'est /ait chair, l’évangéliste a indiqué l’unité du Verbe incarné; en employant l’ex­ pression ; il a pris la forme d'esclave, l’Apôtrc fait res­ sortir l’immutabilité du Elis de Dieu. Devenu homme, le Dieu Logos n’a subi aucun amoindrissement dans sa nature immuable el. par sa communauté de souffrance, il a manifesté sa parfaite similitude avec nous. En expiant le péché, il a rendu à la nature la noblesse qu’elle avait perdue, ayant par son incarnation honoré la nature qu’il avait lui-même formée de la terre. · 11 n’y a donc qu’un seul Elis; honorant la Trinité con­ substantielle. nous ne lui ajoutons pas une quatrième réalité. Il n’y a qu’un seul Fils, né du Père sans com­ mencement..., qui.s'il parut sur terre, ne fut pas séparé du Père. Ce Fils voulut sauver ses créatures el il les sauva après avoir habité le sein qui est la porte com­ mune de la nature, le sein qu’il a sanctifié en y séjour­ nant cl qu’il a scellé par sa naissance; par son enfan­ tement qui surpasse la nature, il a démontré que son incarnation surpasse l’entendement. Le Christ n’cst pas un autre que le Dieu Logos: la nature divine ne connaît pas deux Fils; l’Unique a engendré le Fils unique... Si le Christ est autre que le Dieu Logos, alors le Christ n’est qu’un simple homme, même s’il est le temple de Dieu... Si le Christ n’cst qu’un simple homme, comment les êtres célestes ont-ils pu fléchir le genou devant lui? Phil., n, 10. H est Dieu de Dieu. · P. G., t. i.xv, col. 860 sq. Proclus rappelle ensuite que ceux qui estiment la crèche, les langes, le sommeil, la faim et la soif indignes d’un Dieu, nient Γ « économie », parce qu'ils nient la souffrance. En niant l’économie, ils ne croient pas à l'incarnation ct, en niant l’incarnation, ils ruinent leur propre vie. » Quant à mol, continue Proclus, je ne con­ nais qu'un seul Fils cl je confesse une seule hypostase, ύπόστασιν, du Logos incarné... qui a enduré les souf­ frances et accompli les miracles. Ibid., col. 864. Ses adversaires objectaient: «LaTrinité consubstan­ tielle est au-dessus de la souffrance; or, le Dieu Logos est de la Trinité; par conséquent, il est au-dessus de la souffrance. » A cc syllogisme, Proclus répond : • En raison de la divinité, la Trinité est consubstan­ tielle cl au-dessus de la souffrance; en disant qu’il (le Logos) a souffert, nous ne prétendons pas qu’il a soufj fort sous le rapport, τφλόγω. de sa divinité, la nature divine étant Inaccessible à toute souffrance; mais en , confessant que le Dieu Logos, l’un de la Trinité, τύν ένα της Τριάδας, s’est fait chair, nous expliquons à ceux 669 PHOCEUS PRODIGALITÉ G70 qui cherchent, en gardant la foi. pourquoi il s’est fail pélagien ct qu’elle visait la doctrine augustinicnnc. chair. » Pour vaincre les passions ct la soullrancc, Dieu Or. argumente Schwartz, il est inadmissible que Pro­ s’est fait homme puisque la soufïnincc cl les passions clus ail souscrit aux idées des amis de Théodore de ne peuvent al teindre que les cires composés, lundis Mopsueste cl de Ncslorius. Par conséquent, la lettre ne que la nature divine est essentiellement simple; mais, serait pas de Proclus. Konztlsludien, p. 30. Mais Dieen devenant un homme, le Verbe ne cesse pas d’être kamp fait remarquer que cette polémique nç contient Dieu. A ceux qui avançaient que celui qui est né d’une rien de spécifiquement pélagien et traduit simplement femme ne pouvait nécessairement qu’être un homme, les idées généralement reçues dans l’Église, cl lout par­ Proclus répond que la naissance virginale du Sauveur ticulièrement chez les Grecs. Bien ne s’opposerait donc énerve cc raisonnement el implique la divinité de celui à l’attribution de cette let Ire à Proclus. Theolngische qui est né de Marie. Ibid., col. 865 . Revue, 1917. p. 355 sq. Voir la lettre Ad Occidentis épis· Proclus termine en Insistant de nouveau sur l'unité copos, dans Schwartz. Acta..., t. iv, vol. 2. p. 65 sq. du Verbe incarné < qui a créé le monde, inspiré la Loi Lc Troctctus de trediticnr divinor missor, P. G., t. i.xv, ct les prophètes et qui s’est fait homme à la lin des col. 849-859, n’cst pas de Proclus. Il en est de même temps ». Il invite les Arméniens Λ ne construire leur fol d'une explication de l’oraison dominicale, publiée en que sur Punique fondement qu’est le Christ et à ne 1898 par Krasn seljccev. Sur cet écrit, voir Krumbapoint se laisser induire en erreur par une fausse science. ckcr dans Byzantlnische Zeitschrift, t. vin, p. 230. Ibid., col. 869. Le Tome aux Arméniens a joui d’une Lc* dé tails de la vie de Proclus se trouvent dans Socrates. très grande autorité ct i) fut traduit en syriaque, en Histoire ecclésiastique, L VH, passim. P. G., t. lxvii. arménien el en latin. Les écrits de Proclus, dans P. G., t. i.xv, col. 680 sq. Innocent de Maronée a cité comme provenant d’un Bnrdcnhewcr, Grichichtr der aliktrchlichen Litrratur, t. iv, deuxième Tome aux Arméniens un fragment qui polé1921, p. 202 m|.; Bauer. Proklax non KonHanlinopcl, Mu­ mise contre la conception subordinatienne de la Tri­ nich, 1914; V. Gnimcl, Les rt gestes des actes du patriarcal de Constantinople, t. i, fnsc. 1, 1932. p. 36-43. nité. La tradition historique ignorant complètement G. FniTZ. l’existence d’un second Tome aux Arméniens, l’attri­ PROCOPE DE GAZA. Procope de Gaza bution de cc fragment à un second Tome ne peut être que fautive. Toutefois. Schwartz va trop loin en décln- | naquit vers 470. Il enseigna avec grand succès la litté­ rant que cc fragment n’est pas de Proclus. Konzil- rature ct la rhétorique dans la célèbre école de sa ville studien, p. 17. Nous avons déjà fait remarquer que natale. Il mourut à Gaza vers 530. Procope est surtout Voralio xv* contient un exposé de la doctrine trlni- connu comme auteur de chaînes. Sur celles-ci, voir taire. Il esl fort possible que le passage cité par Inno­ l’art. Procope de Gaza, du Dictionnaire de la Bible l. v, cent de Maronée provienne d’une homélie ou d’une col. 686. Notons cependant qu’il ne saurait être ques­ tion d’une position exégélique prise par Procope : lettre de Proclus. Voir cc fragment dans Schwartz. il n’cst que compilateur ct transmet simplement les Acta..., t. iv. vol. 2, p. 72. Lc même Innocent cite deux autres fragments de explications puisées aux sources. La Patrologie de Migne donne cent quatre lettres de Procope; la col­ Proclus, qu’il attribue à un Liber de fide. Nous avons déjà vu que cc Liber de fide n’est autre que la lettre lection des Epistolographi Grxci en contient cent soixante-trois. Le vieux philologue allemand XVeslcrexplicative jointe par Proclus au Tome aux Arméniens mann apprécie ainsi ces lettres ; eus de minutis re bus ac lorsqu’il envoya cet écrit aux évêques du diocèse de nihilo plerumque solis urbanitatis /ormulis agere. De d’Orient. Proclus polémisc contre ceux qui refusent d’admettre que le Christ de Dieu a été cruci lié. Il leur epistolis gnrcis commentarius, t. i, p. 15. En ctTcl, leur oppose le dilemme: Celui qui a été crucifié est un de intérêt historique est nul. Le panégyrique de l’empe­ la Trinité ou un autre; s’il esl un de la Trinité, la ques­ reur Anastase Irr prononcé par Procope au début du vr siècle glori Ile les vertus et les faits cl gestes de cet tion est résolue; si c’est un autre, alors le Seigneur est empereur, mais sans souiller mot de sa politique reli­ une quatrième entité hors de la Trinité. - P. G., t. i.xv, gieuse. Anastase y est comparé aux héros de l’anti­ col. 887. Dans le deuxième fragment, nous lisons : « t n quité. Cyrus, Agésilas. Philippe de Macédoine. \oir de la Trinltén été cruci lié dans la chair qu’il esl devenu, in carne in qua /actus esl, non dans la divinité par la­ ce panégyrique, P. G., I. i.xxxvn. col. 2793 sq. La des­ quelle il est uni au Père et au Saint-Esprit·.. Si nous cription de Sainte-Sophie de Constantinople, attribuée disions qu’il a été crucifié dans sa divinité, nous attri­ à Procope de Gaza, voir ibid., col. 2827, n’est pas de buerions la soulTrance à la Trinité. Mais, en disant qu’il lui. mais de son homonyme, Procope de Césarêe. La Monodie sur l’effondrement de cette même église n’cst a souffert dans sa chair, nous alllrmons qu’un «le la Trinité a été crucifié, mais que la nature de la Trinité pas de notre Procope, mais de Pscllos. Voir celte Monodie. ibld., col. 2838 sq. Lc fragment d’un ouvrage demeura au-dessus de la soulïrance... Ce qui s’est incarné a été cruci lié; le Père el le Saint-Esprit ne polémique contre le philosophe Proclus n’est que le cxLvr chapitre de la réfutation de Proclus par Nicolas s’étant pas incarnés, ni le Père ni le Saint-Esprit n’ont été crucifiés. Un de la Trinité s’est incarné, le Elis; sa de Methone, théologien byzantin du xir siècle. Voir divinité est demeurée impassible, c’est dans la chair, ici, t. xi. col. 620. que seul il a assumée, qu’il a enduré la soulTrance. » Tous les écrits de Procope sc trouvent nu t. lxxxvii de P. G., t. i.xv, col. 887. Voir ces fragments dans In P. G. Voir aussi Biinicnhcwcr. Gcschichte der allkirchli· Schwartz. Acta..., t. iv. vol. 2, p. 73. chen Literatur, t. v, 1932. p. 82 %q«; K. Seitz, Die Xchutrvvn La lettre A i singulos Occidentis episcopos, récemment Gaza, Heidelberg. 1892. p. 9 sq. (L FniTZ. découverte, débute par un bref exposé de la doctrine PRODIGALITÉ. l ue élude théologique de trinitaire et chrislologiquc. Vient ensuite une contro­ verse assez détaillée contre les négateurs du libre la prodigalité doit sc rattacher à une double tradition : à celle que commande la parabole de l’enfant prodigue, arbitre, prétendant que les actions humaines sont Luc., xv. 11-21. cl a celle des philosophes moralistes. régies par la nécessité. La rémission des péchés par le La première est plus oratoire, moins précise, plus baptême y esl également mise en relief. On a supposé émouvante: la seconde, plus technique. Il existe néan­ que l’adresse de cette lettre ad Occidentis episcopos devait s’entendre des évêques de 1’Illyricum, qui, par moins entre les deux traditions un accord substantiel. La faute de l'enfant prodigue n’cst pas précisée avec rapport â (Constantinople, est situé à l’Ocddent. Schwartz a avancé que la polémique contre les néga­ la dernière rigueur par le texte évangélique. Deman­ der, le père vivant, sa part d’héritage n’cst pas de soi teurs du libre arbitre ne pouvait provenir (pic d’un 67 i P RODIGALITÉ 672 répréhensible: toutefois, ce geste peut dénoter chez le tueusement rectifie. Être Juste, tempérant, miséricor­ fib. ct il semble que tel soit le cas ici. une certaine pré­ dieux, bienfaisant el magnifique ne dispense point de cipitation. assez habituelle aux jeunes gens. Cette celle vertu de libéralité qui apprend simplement à apparence sc continue si Ton prend garde « à la rapidité ' faire acte de maître, d'homme libre, dans l’usage de la avec laquelle il réalise scs biens, à son goût des aven­ richesse. Nolons-lc toutefois, l’argent ni les richesses natu­ tures. puisqu'il va loin, à sa prodigalité imprudente . Lagrange. Évangile selon saint Luc, 3r éd.. p. 122. Par relles ne sont matière Immédiate de la vertu de libé­ cc dernier trait, le commentateur désigne une dissipa­ ralité. Celle-ci consiste exactement â mettre bon ordre tion rapide ct irréfléchie. La suite de la parabole n’in­ aux sentiments que l’on nourrit à l’égard de ces biens ; siste pas sur l'usage qui a été fait des richesses : le ζβν amour el désir, d’où résultent délectation â les passé· άσώτως, que la Vulgate traduit vivendo luxuriose, n’ex­ der et tristesse à s’en défaire. La libéralité a donc pour prime guère qu'une vie de dépenses. Il est vrai que chez objet immédiat ces passions humaines, mais celles-ci les jeunes gens la prodigalité vient souvent du liberti­ en tant qu’GlleS sont affectées par l’argent et les riches­ nage.· dc plus, l’indiscrétion du fils aîné, peut-être bien ses. Aussi ces réalités extérieures demeurent-elles, de renseigne, nous apprend que le prodigue a mangé avec façon médiate, matière propre de la libéralité, et celledes courtisanes la part dc son héritage, lin fin. nous ci a-t-elle pour dernière visée d’en régler l’usage. Ibid., voyons qu’au heurt de la dure réalité le prodigue s’est q. cxvn, a. 2, ad luni; a. 3, ad 3®m. Quelque but assagi, rentrant en lui-même, cl que sa conversion sin­ que l'on vise en usant de scs biens, il faut en effet sc cère lui rend avec les faveurs de son père sa place de pénétrer de cette vérité que l’usage de la richesse doit fils au foyer. L’est sous ces traits que se présente la s’accorder à la nature dc celle-ci et à l’espèce de pou­ notion traditionnelle dc la prodigalité en théologie voir qu'obtient sur elle son légitime possesseur. Argent biblique cl pastorale : péché de jeunes consistant en denrées, maisons, bijoux, crédit, si on les considère un défaut dc prudence quant â l’usage des richesses, sous leur commune raison de richesses, sont essentiel­ lié â une certaine précipitation de l’esprit cl d'ordi­ lement des biens utiles, c’est-à-dire des biens qui n’ont naire en dépendance d’un tempérament exubérant d’autre fin que d’être employés. Ibid., q. cxvn, a. 3. qui prédispose en même temps aux faiblesses de la On peut ct l’on doit les estimer el les rechercher, mais chair, ce vice n’est pas foncièrement antipathique, pour cette valeur d'utilité et pour celte possibilité comme le serait l’avarice, parce qu’il nc semble pas d'emploi, et non davantage, à moins que telle richesse détourner In nature de ses voies essentielles, parce qu’il ne vaille accidentellement, à un autre titre, comme csl exempt d’opiniâtreté ct parce qu’il trouve pour œuvre d’art par exemple ou comme souvenir d’une ainsi dire en soi sa limite ct son remède. Tel est dans scs personne aimée. D’autre part, si les biens comme tels grandes lignes le portrait classique du prodigue; en ne peuvent être estimés qu’en vue de leur emploi, on l’établissant d'une manière plus scientifique, la théo­ ne conçoit pas non plus que leur possesseur jouisse à logie morale ne le modifiera pas essentiellement. Nous leur égard d’un autre droit que du droit d’en user. Qui allons exposer celle-ci. telle que l’a élaborée saint Tho­ s’y attache au point de les rechercher avidement et de mas d'Aquin. ne pouvoir, l’heure venue, s’en défaire, ou qui s’en L Nature. — Au dire de saint Augustin. Dc lib. désintéresse jusqu’à négliger de s’en munir ct de con­ arbitrio, I. 11, c. xix. la vertu consiste dans le bon usage trôler leur usage, marque bien qu’il méconnaît leur des choses dont on pourrait mésuser. Au nombre de cel­ réalité de biens utiles et manque à la vertu de libéra­ les-ci figurent assurément les biens extérieurs; qui­ lité, là par avarice, ici par prodigalité. conque les possède détient à l'égard dc ceux-ci un pou­ On voit comment la prodigalité s’oppose en même voir ct un droit d’usage qu’il sied de mettre en œuvre temps à l’avarice et à la libéralité. Celle-ci suppose chez vertueusement. Voir l’art. Pkopiuétê. le maître des sentiments tels qu'il puisse user de scs Ccttc règle vertueuse a pour matière propre toutes biens correctement, en homme libre, mais aussi en les réalités extérieures dont il est loisible â l’homme de homme sérieux, conscient de ses responsabilités ct pré­ faire emploi. Cependant, la richesse pécuniaire mérite voyant. L’avare excède en ce sens qu’il a trop d’aflecdc retenir notre attention â un titre particulier, car elle tion pour l’argent, mais il pèche en definitive par mesure et représente toutes les autres. Sum. tlicol., II·»- défaut puisque, ne pouvant se défaire de scs biens, il II», q. cxvn, a. 2. ad 2um. Quiconque use vertueu­ omet de les employer quand el comme il faut; le pro­ sement dc son argent est censé capable dc la même digue, au contraire, ne prisant pas assez les biens de la vertu dans I usage des biens naturels, pourvu que l’on fortune, en fait un usage excessif puisqu'il les dépense considère ceux-ci strictement sous leur aspect dc quand et comme il nc faut pas. Ibid., q. cxix, a. 1. richesses à employer. Car toutes les richesses el l’ar­ On voit aussi pourquoi c’est à l’occasion de la jus­ gent lui-même peuvent être traités selon des points dc tice que la théologie aborde les questions dc la prodi­ vue différents. L’usage des biens de consommation doit galité, de l’avarice ct de la libéralité. Il ne suffirait pas être gouverné par la vertu de tempérance ou par l’une de remarquer que la libéralité est nécessaire à qui veut ou l’autre dc celles qui president à la modération dc la payer exactement ses dettes, vu que l’avarice rend ce paiement trop douloureux cl que le prodigue sc met dépense; la justice gouverne l’usage de l’argent si l’on considère celui-ci comme le moyen d'éteindre une dans le cas d’être insolvable. Ces conséquences de la dette, c'est-à-dire dc rétablir une égalité réelle, objec­ prodigalité aussi bien que de l’avarice nc sont pas tive ct extérieure entre les uns et les autres; la vertu moins funestes aux actes de miséricorde, de bienfai­ de bie nfaisance intervient de son côté si par le don se sance. dc magnificence, Un manquant à la libéralité, le réalise* le vouloir bienveillant d’un cœur épris de dilcc- prodigue ne manque pas à la justice le libéral donne tlon; il s’agira de miséricorde si l’on donne pour com­ du sien propre, tandis que le juste donne à chacun son bler une misère; cst-il question enfin de dépenser lar­ dû; dc plus, la libéralité rectifie directement les affec­ gi nient en vue d< réaliser de grandes choses, c’est a In tions. In justice met avant tout bon ordre aux opéra­ magnificence que l'on aura affaire. Ibid., q. cxvn. tions. Il y a néanmoins une certaine accointance entre a 3, ad 1®·; q. cxvm, a. 2. ad *2‘UM. Sans autre la justice et la libéralité parce que l’une cl l’autre vertu, référence. < est l’usage dc la richesse en tant que ri­ quoique a des degrés inégaux, s’occupent cl de biens chesse. de la monnaie en tant que telle, qui intéresse extérieurs et de rapports avec autrui. Même là, il con­ l.i srrtu de libéralité. Quel que soit le mobile extrin­ vient de faire à la prodigalité un sort spécial; on sait sèque qui nous pousse a faire usage dc nos biens, cet en effet que l’on ne peut enfreindre la justice que par usage pur et simple mérite, pour lui-même, d’èlrc ver­ défaut des deux vices Opposes a la libéralité, l’avarice P RODIGALITÉ 673 par défaut et la prodigalité par excès, le second nc souffre pas dc cette disgrâce spéciale dc ressembler à de l’injustice. Ibid., q. cxvn, a. 5; Dr mulo, q. xin, a. L Pour discerner plus exactement encore la nature dc la prodigalité, il faut se rappeler que l’usage des richesses présente une certaine complexité. User des biens extérieurs nc consiste pas, sans plus, a les con­ sommer pour satisfaire scs besoins directement ct Immédiatement. C’est encore user des biens extérieurs que de les transformer, les répartir, les conserver, les aménager en vue d’une plus satisfaisante consomma­ tion. On en use encore puisqu'on les emploie, mais on n'en fait cet usage préparatoire que pour les appliquer davantage à leur usage définitif, à leur destina­ tion essentielle, qui est leur consommation. Ibid., q. cxvn, a. 3. Lc libéral connaît et pratique la me­ sure convenable à chaque étape. Sachant el voulant dépenser, tant pour scs besoins propres que pour ceux d’autrui, il ne néglige pas dc s’en donner les moyens en amassant, en conservant, en administrant. L’avare, trop attaché à la possession de l’argent, amasse, con­ serve ct administre, sans dépenser. Le tort du prodigue, faute dc prendre en considération la valeur dc l’argent, est de dépenser à tort ct à travers, sans souci de gagner ni de conserver. Les choses nc vont pas toujours si simplement. Ibid., q. exix, a. 1, ad 1UÜ>; a. 3. ad 2um. Tels prodigues ne montrent nulle négligence à poursuivre les richesses. 11 arrive en effet au prodigue, par nécessité, s’il veut que dure son train de vie dispendieux, ou par dérègle­ ment moral, s’il n’a plus souci dc la mesure vertueuse, dc chercher et de prendre son bien un peu partout et sans scrupule. Le voilà donc attentif, comme le libéral ct plus encore que le libéral, à gagner, à administrer, à amasser; mais ce n’est point libéralité, c’est la suite d’une prodigalité qui se soutient. Eaut-il ajouter que l’excès et le défaut dont il est question ne sc rapportent pas à une mesure déterminée quantitativement? Si l’avare dépense trop peu et le prodigue trop, c’est par rapport à la mesure vertueuse qui convient et que la prudence seule définit. Quand il le faut, le libéral n’hésite pas à dépenser largement et plus (pie nc ferait peut-être le prodigue. Il fait preuve dc libéralité parfaite et non dc prodigalité, celui qui distribue tous ses biens pour suivre le Christ dans un détachement complet el effectif. Ibid., q. exix, a. 2, ad 3“«u. IL Causes de la prodigalitî (cf. Sum. theol., II*II®, q. cxvn, a. I, ad lurn). - La jeunesse n’est évi­ demment pas une cause propre dc lu prodigalité Si la jeunesse est souvent prodigue et la vieillesse avare, c’est par rencontre. Car il se trouve (pie la considéra­ tion des richesses, trop négligée du prodigue, s’acquiert généralement avec l’expérience dc la misère; il est naturel (pic les jeunes gens, s’ils ne connaissent la misère (pie de réputation, fassent peu de cas des biens extérieurs. Il est naturel aussi de chérir particulièrement cc que soi-même on a fait. Le vieillard (pii, au prix de patients elforls, a solidement assis sa fortune craint de compro­ mettre son œuvre ct verse aisément dans l’avarice. Le jeune homme, au contraire, s’il est riche de naissance ou s’il s’est enrichi subitement par un coup de fortune, n’éprouve pas celte complaisance particulière à l’égard de l’argent ; n’ayant pas eu la peine de le gagner, il n’y est guère attaché et il le gaspille aisément. Enfin, plus profondément, les caractères naturels dc la jeunesse prédisposent celle-ci à la prodigalité, tandis (pic la vieillesse est prédisposée par les siens à Γava­ rice. Le jeune homme est débordant de vie. d’activité, d’espoir, dc projets; il se décide de prime saut cl sup­ porte impatiemment le moindre délai dans l’exécution; DI CT. DE T1IÉOL. CATHOL. 674 jamais en repos, confiant dans son étoile, excité par les convoitise s de la chair et par les séductions dc la gloire, tant dc biens capiteux s’offrent a lui ct l'entraînent qu'il en conçoit moins d’estime pour l'argent et pour la sécurité qu’il procure; il le dépense sans regret pour satisfaire â ses multiples besoins, réels ou imaginaires, mais immédiats. La vision de l'avenir avec ses aléas, ses responsabilités, ses charges, avec la perspective d’une vie moins intense et d’une activité moins con­ quérante, dc l’avenir qu’un ménagement judicieux dc sa fortune pourrait assurer, nc le touche pas encore. Tout ce qui fait l’imprudence de la jeunesse fait aussi sa prodigalité. On le conçoit, l’âge importe moins ici que l’équilibre du caractère. Des personnes d'un naturel exubérant et prime-sautier conservent sous les cheveux blancs leurs entraînements prodigues. D’autres, de complexion physique moins généreuse, ou que la vie a plus tôt mûries, que la misère a peut-être déjà touchées, sont dès le jeune âge ennemies dc la prodigalité et même enclines à l'avarice. Il semble que les causes de la pro­ digalité doivent en fin dc compte sc rencontrer en ce carrefour : le commandement prudentiel qui déclenche l’usage ratio. •T. 675 P R 0 DIG A LIT É - - PROFESSI O N Enfin, la prodigalité a cet avantage estimable «le sc guérir aisément et comme de soi. ('/est que le prodigue est amène très tôt, par la force «les choses, à restreindre scs largesses, incapable qu’il est de soutenir son train de dépenses. C’est pour lui l’heure delà réflexion et sans doute du salut. Et, d’autre part, à mesure que les années passent ct avec elles la ferveur bouillonnante de la jeunesse, le prodigue tend à s’amender. Plus riche d expérience, plus conscient ur être justi lié; on professe de bouche pour être sauvé. * Horn., x. 10. On comprend que le fidèle qui ne fait aucun acte I > E F 01 676 extérieur de foi risque beaucoup de perdre la fol tota­ lement; l’abstention en retir matière, l’expérience le prouve, amoindrit les convictions et favorise le doute, tandis qu’une profession ferme el ouverte fortifie In croyance intérieure. Celte abstention ne va pas d’ail­ leurs sans une irrévérence grave à l’égard de Dieu, a «pii n’est pas rendu l’hommage universel qui lui est dû, ct sans un grave dommage pour l’âme, qui, s’abste­ nant de professer sa foi. s’abstiendrait, par exemple, de fréquenter les sacrements. Enfin, elle suppose une certaine lâcheté de la part du chrétien, qui n’ose conformer sa conduite, â sa croyance; elle fait de lui un citoyen indigne de l’Eglise, société visible, qui ras­ semble ses membres en une même unité par la profes­ sion extérieure de la même foi. 2° Si l’existence du précepte ne fait de doute pour personne, la détermination de son extension est plus délicate. On peut \ distinguer deux aspects : l’un afllrmatif, l’autre négatif. 1. En tant qu'apirmatil, le précepte, comme tous les préceptes affirmatifs non déterminés, n’oblige que quelquefois, mais cette obligation peut, en certains cas. aller jusqu’au péril de la vie. foute la ditliculté consiste à déterminer les temps et les circonstances dans lesquels un chrétien est tenu de confesser exté­ rieurement sa foi. Laissons de coté les cas où la profession de foi sc fait implicitement à l’occasion de l’exercice d’une autre vertu, par exemple de la vertu de religion : telle l’assis­ tance à la messe : ici. aucune ditliculté, l’acte de pro­ fession de fol étant déterminé par une obligation ve­ nant d’un autre précepte. Il va de soi également que tout fidèle est tenu de confesser sa foi extérieurement au moins de temps en temps dans sa vie, en tant que membre visible de l’Eglise; mais il suffit pour cela qu’il remplisse ses devoirs ordinaires de chrétien : assistance à la messe, réception des sacrements, etc. Mais il y a plus; il est des cas ou le précepte divin oblige tout chrétien à une profession directe et formelle de sa foi. A la suite de saint Thomas, Sum. thcol., II*II». q. m. a. 2, les moralistes avaient indiqué deux circonstances dans lesquelles cette confession s’impo­ sait, à savoir quand son omission enlèverait à Dieu l’honneur qui lui est dû. ou priverait le prochain d’un avantage qui lui revient ·. Ils avaient soin de noter d’ailleurs que le préjudice causé a la gloire de Dieu ou à l’édification du prochain devait être grave, ou du moins en matière notable, car le seul fait de ne pas pro­ curer à Dieu tout l’honneur possible, ou au prochain tous les avantages spirituels dont il pourrait bénéficier, ne saurait suffire à créer une obligation positive de pro­ fesser sa foi. Cf. saint Alphonse. Thcol. moral., L II, tr. I, η. 11 ; Ballerini-Palmicri. Opus thcol. moral., t. n, n. 68 70. Lc Code de droit canonique, en rappelant le précepte divin, a précisé les occasions dans lesquelles il y a. pour les fidèles, urgence à confesser extérieurement leur foi; à savoir chaque fois que le silence, la tergiversation ou la manière d’agir entraîneraient ou une négation implicite de la foi, ou le mépris de la religion, ou une injure à l’égard de Dieu, ou en lin le scandale du pro­ chain *. Can. 1325, § 1. Le silence cl la tergiversation sont en opposition directe avec le précepte positif de la confession de foi; la manière d’agir, qui comprend les paroles ambiguës aussi bien que les actes, les signes, les vêtements, les fictions, etc., s’oppose plutôt au pré­ cepte négatif, ainsi que nous le verrons Mais, dans toutes ces attitudes, ce sont la plupart du temps les circonstances ambiant es qui donneront aux paroles ct aux gestes leur signllleation spécifique cl détermine­ , ront. en dernier ressort, si t< ur usage ou leur omission sont en rapport àvci la profession de foi. Cf. saint Alphonse, op. rd., I. I L c. m, n. 1 L G77 PROFESSION DE FOI. LE DROIT DIVIN 678 a) Lc silence serait interprété comme un reniement b> La profession d’une foi fausse implique d’abord, implicite de la fol m, par exemple, un fidèle, interrogé pour un fidele, l'abandon de la vraie foi, ou apostasie, sur su religion, sc taisait alors qu*un autre répond a su cl. de plus, l’adhésion à une doctrine erronée. Cette place <|u‘ll n’est pas chrétien. Il en irait autrement si adhésion peut sc traduire soit par des paroles : par les circonstances ou l’ambiance permettaient de consi­ exemple le chrétien (pii se déclarerait publiquement dérer le silence comme un acquiescement persévérant a juif, musulman ou sectateur de Bouddha; soit par des actes ; ainsi fiéchir le genou devant une idole, lui la foi. b) Le mépris de la religion serait réalisé si un chré­ offrir de l'cnccns, communier à la cène des hérétiques. tien était contraint de manger gras un jour où l’Eglise Serait considérée comme une profession de judaïsme le défend, en haine de la foi cl par mépris pour l’auto­ la circoncision pratiquée avec l’intention d’accomplir rité ecclésiastique. j un rite religieux, cl non par mesure médicale ou d’hy­ c) Généralement il y aurait Injure à l’égard de Dieu si giène. De même, le fait de revêtir des habits ou insi­ un fidèle gardait le silence alors que, devant lui, on gnes qui signifient l’adhésion à une secte Indique une tourne en dérision l’Eglise et sa doctrine; Il ferait profession de la foi de cette secte, par exemple les insi­ preuve, dans la circonstance, do respect humain ou gnes maçonniques, à moins que le vêlement en ques­ d’inconstance dans sa foi. De même, si quelqu’un était tion ne serve à désigner la nationalité plus encore que interroge sur sa foi par une autorité publique, il devrait la religion, tel jadis le turban turc. Saint Alphonse, la confesser ouvertement ct sans hésitation, du moins toc. cit., n. 15. dans tous les cas ou une tergiversation de sa part serait Il n’est pas interdit ni contraire à la foi d’entrer dans injurieuse pour Dieu ou équivaudrait â une apostasie. les temples des hérétiques pour les visiter par simple G’est pourquoi Innocent XI a condamné la proposition curiosité, ou pour y accomplir un devoir de pure civi­ suivante : Si a potestate publica quis interrogetur, fidem lité (cf. S. ΟΠ., 11 janv. 1718); mats si cet accès pré­ ingenue confiteri, ut Deo el fidei gloriosum consuto: tacere, sentait les apparences d'une coopération aux rites ut peccaminosum perse non damno. Cen’est pas, ainsique sacrés ou une approbation de l’erreur, il équivaudrait à une apostasie, (’.’est pourquoi Jadis le pape Paul V le fait remarquer Suarez, De fide, dist. XIV. sect, in, n. 6. (pie la qualité de celui qui interroge puisse créer Interdit sévèrement aux catholiques anglais d’entrer une obligation en la matière, mais, dans les cas de cette dans les temples des protestants pour y assister aux espèce, l’honneur dû à Dieu ct à la religion exige la prières et entendre les prédications selon les prescrip­ plupart du temps une profession ouverte. Dans un cas tions de l’édit roval. Là encore ce sont les circons­ tances cl l’ambiance qui feront connaître les actes qui spécial pourtant, on ne saurait taxer de faute une revêtent un caractère d’apostasie ou d’adhésion à une habile tergiversation devant un magistrat, alors qu’il n’y a pas de scandale à craindre ni de dommage pour secte condamnée. Parfois aussi, l’Eglise, par l’organe la religion; c’est pourquoi, dit Vcrmecrsch, Epitome, de son magistère, a déterminé la conduite â suivre dans t. n, n. 659, dans les contrées où la loi Interdit de s’en­ des cas particuliers. Cf. S. OIL, 10 mai 1770; S. C. Proquérir de la religion des citoyens, il sera parfaitement pag., réponse de 1674. c) Il n’est pas davantage permis de simuler exté­ licite de se taire en faisant appel au texte de la loi. rieurement une religion fausse, même sans conviction Lorsque c’est une personne privée qui Interroge, on intérieure, afin d’échapper à la raillerie ou même â la peut licitement se dérober et repousser l’importun, a persécution. Celle simulation, outre qu’elle expose moins que, dans un cas particulier, la question ne soit posée en haine de la foi ct quc lc silence ne puisse être ceux qui la pratiquent à perdre la foi, est une lâcheté interprété comme une négation. Enfin, si dans une cir­ qui Offense Dieu cl un mensonge qui scandalise le pro­ chain. C’est ainsi que l’Eglise primitive considéra constance l’omission de la profession de foi devait comme des pécheurs publics ct sépara de sa commu­ diminuer de façon notable le respect cl l’estime que les infidèles ont pour Dieu el sa religion, il y aurait néces­ nion les liliellatiques. qui, durant les persécutions du tir siècle, achetaient aux représentants du pouvoir sité de faire celte profession publique. public des attestations écrites, bien que mensongères, d) Le scandale du prochain dont il est ici question doit s'entendre d’un scandale coupable, car il n'y a pas de leur abjuration du christianisme. Voilà pourquoi obligation stricte d’éviter tout scandale Indirect, mais aussi Benoit XIV fit savoir aux chrétiens chinois du xvnr siècle qu’ils ne pouvaient, en conscience, don­ seulement celui qui ne serait pas compensé par une cause proportionnée. Cf. Vcnneersch, ibid. Or. il y au­ ner des témoignages extérieurs d’adoration a une rait scandale coupable si l'omission de la profession de j idole, tout en ayant l’intention intérieure d'adorer la foi dans telle circonstance conduisait les autres fidèles croix qu’ils cachaient sous leur vêlement. Const. Ex à abandonner leur croyance el confirmait les Infidèles quo singulari (17 12). De même, la Sacrée Congrégation dans leur erreur. Genlcot ajoute qu'une grande utilité , de la Propagande a déclaré, le 19 février 1771. que pour le prochain peut exiger une confession ouverte de c’était simuler l’infidélité que d’assister au saint sacri­ la part d’un chrétien lorsque son exemple serait capa­ fice de la messe sans se découvrir, sans faire un signe de ble d’amener des païens ù la vraie foi. Theol. moralis, croix ou un acte quelconque de religion, par crainte des Turcs présents a la cérémonie par curiosité. Collec­ l. i, n. 196. 2. /ùi tant que négatif, le précepte défend trois [ tanea, n. 1653. Dans ce même décret, la Sacrée Congré­ choses : renier la vraie fol, en professer une fausse ou gation susdite déclare également coupables de faute grave les fidèles (pii s'assoient aux tables des Turcs seulement la simuler. a) En aucun cas, sous aucun prétexte et de quelque , aux jours de jeûne et d’abstinence, el y mangent des mets défendus par l’Eglise, ou du moins feignent d’en ni mlêre quo ce soit, par une parole ou par un geste. Il n’est permis de renier la foi, sous peine d’encourir 1 manger; < cette simulation, dit le décret, ne peut que l’anathème prononcé par le Christ. Matth., x, 33; Luc., ! donner À penser qu’ils ne sont plus soumis aux lois de ix, 26; cf. Il Tlm., n, 12. (.’est pourquoi l’Église a l’Église ct qu’ils se considèrent comme de vrais musul­ toujours frappé de peines graves veux de ses enfants i mans ». Ibid. (fui. dans les persécutions, renièrent leur foi soit tota­ 3. S'il n'est jamais permis de simuler une fausse lement. soit dans un Op. cit.. prennent part. n. 11. !<>·. Le pape Pie IV, par la bulle injunctum nobis, du Il n’est pas défendu non plus de se libérer à prix 13 novembre 1561, donna une formule de profession de d’argent d’une enquête prescrite au sujet dc la foi. qui fut en usage jusqu’au concile du Vatican; en croyance des citoyens; « souvent même, dit saint Al­ outre, il étendit l’obligation de la profession à tous les phonse. c’est une marque dc grande vertu dc savoir prélats religieux, même à ceux des ordres militaires. avec discrétion conserver sa vie pour la gloire de Dieu Pie V en fit une loi pour tous les candidats au grade et cacher sa foi par des moyens honnêtes ». Ibid.. "<>. de docteur et aux fonctions dc maître, régent ou pro­ A un édit général prescrivant aux fidèles de se présen­ fesseur, cl il ajouta la peine dc l’excommunication latte ter devant les tribunaux ou de sc faire reconnaître par sententia, avec privation de bénéfice, pour tous ceux l'usage dc certains signes extérieurs, nul n’est obligé qui oseraient promouvoir un sujet â ces grades sans d’obéir; car. d’une part, personne n’est obligé de dire ladite profession préalable. la vérité s’il n’y est invité en particulier; d’autre part, Ces décrets devinrent obligatoires partout où le con­ l'abstention en l’espèce ne saurait généralement être cile de Trente fut publié et reçu. Beaucoup cependant regardée comme une apostasie; il n’y aurait que le cas tombèrent en désuétude. Le pape Léon X 11 en rappela spécial où des chrétiens, manifestement connus comme les exigences pour tous les gradués, qu’il s’agisse du tels auparavant, n’auraient d’autre moyen à leur dispo­ baccalauréat, de la licence ou du doctorat (bulle Quad sition pour prouver qu’ils n’ont pas abandonné leur fol. divina sapientia); l’omission dc celte formalité entraî­ 1. Enfin, fuir ht persécution n'est pas renier sa loi. Le nait de plein droit la nullité des grades. Christ lui-même l’a conseillé â scs disciples. Mat th., x. Le 20 janvier 1877, Pie IX. par les soins de la Sacrée 23. Parfois même il peut y avoir obligation de fuir si Congrégation du Concile, fit insérer dans la formule le bien public l’exige. Il n’y n que les pasteurs d’âmes traditionnelle quelques additions concernant le dogme qui nc sauraient, sans péché, abandonner totalement de l’immaculée conception et les définitions du concile leur troupeau; ils le pourraient cependant pour un du Vatican. La même Congrégation prêcha, en une temps, ou s'ils sont seuls visés par les persécu­ réponse du 15 décembre 1866, que les curés même amo­ teurs, [>ourvu que le soin de leurs ouailles soit par vibles devaient renouveler la profession chaque fois ailleurs assuré. Voir Fuite de la peksécution, t. vi, qu'ils étaient transférés à une nouvelle paroisse. Enfin, col. 592 sq. Pie X ordonna que cette profession serait confirmée IL Le droit ecclésiastique. - Outre le précepte par serment el signée pnr ceux qui la feraient. Const. divin dc confesser extérieurement sa fol, dont le Sacrorum antistitum. lrrscpt. 1910. can 1325 n’est qu’un rappel, il existe une loi ecclé­ 2° Aujourd'hui. — Les can. I 106-1 108 du (’.ode pré­ siastique qui oblige certaines personnes à émettre, dans cisent de manière authentique quelles sont les per­ les cas prevus par le droit, une profession dc foi solen­ sonnes soumises à l’obligation de la profession de foi et nelle selon une formule déterminée. Cette formule est la manière dont elles doivent s’en acquitter. une sorte de résumé des articles de foi que l’Église pro­ I. Les personnes. Sont tenus d’émettre la profes­ pose à notre croyance. Une telle confession, entourée sion de fol selon la formule approuvée par le Saintde solennités, constitue un acte de culte; elle a pour Siège : but de fortifier les convictions de ceux qui la font, a) Ceux qui assistent, avec voix délibérative ou con­ d éditler le peuple chrétien qui en est témoin, et elle sultative, ù un concile œcuménique ou particulier ou ù peut, a l'occasion, servir a démasquer les faux frères. un synode diocésain. Le président fait profession de­ C'est pourquoi l’Église en fait une obligation spéciale vant rassemblée, les membres devant le président ou son délégué. aux représentants du magistère ecclésiastique, aux b) Ceux qui sont promus a la «lignite cardinalice. Ils bénéficier et a tous les clercs qui ont quelque office â font profession devant le doyen du Sacré Collège, le exercer a l'égard du peuple chrétien. Il importe, en 681 1*1101 ESSI ON DE EOI premier des cardinaux prêtres, le premier des cardi­ naux diacres et le cannei lingue de la sainte Eglise romaine. e; Devant le délégué du Saint Siège, ceux qui sont promus à un siège épiscopal, même non résidentiel, au gouvernement d’une abbaye ou prélature nullius* ou d'un vicariat apostolique. d) Le vicaire capitulaire, devant le chapitre dc la cathédrale. cf Devant l’Ordinaire du lieu ou son délégué en même temps que devant le chapitre, ceux qui sont pro mus à une dignité ou à un canonical. I) Devant l’Ordinaire du lieu ou son délégué et de­ vant les autres consullcurs. ceux (pii ont été nommés consullcurs diocésains. j) Devant l’Ordinaire du lieu ou son délégué, le vicaire général, le curé el tous ceux (pii sont pourvus d’un bénéfice, même amovible, comportant charge d’àtnc>; dans les séminaires, le supérieur et les profes­ seurs de théologie, de philosophie el de droit canoni­ que. au commencement de chaque année scolaire, ou du moins lors de leur entrée en fonction; ceux qui doi­ vent être DFOinus au sous-diaconat; les censeurs char­ gés de I.examen des livres à publier; les prêtres qui ont à entendre les confessions; les prédicateurs, avant de recevoir leurs pouvoirs. h) Dans les universités ou facultés canoniquement érigées, le recteur fait profession devant l’Ordinaire du lieu ou son délégué; les professeurs, devant le recteur ou son délégué, cela au début de chaque année scolaire ou du moins à leur entrée en charge; de même, après avoir subi l’examen, ceux (pii reçoivent des grades aca­ démiques. if Dans les < religions cléricales», le supérieur fait profession devant le chapitre ou le supérieur qui l’a nom né, ou devant leurs délégués. D’après la réponse de la commission d’interprétation du 26 juillet 1926, les supérieurs des compagnies de prêtres sans vœux, dont parlent les can. 673-681, sont soumis à la même obligation. j) La profession doit être renouvelée par tous ceux (pii, quittant un emploi, sont nommés ù un autre office» bénéfice ou dignité, fût-il de même espèce, s’il exige la­ dite profession. Can. 1 106, § 2. D’après cc canon, le confesseur ou le prédicateur qui recevrait simplement confirmation ou renouvellement de scs pouvoirs ne serait pas tenu d’émettre une nouvelle profession dc foi; d'après les réponses dc la Congrégation Consisto­ riale données avant le Code, il semble bien qu’on ne doive pas urger l’émission de la profession pour un pré­ dicateur ou un confesseur qui. ayant déjà satisfait à l'obligation, reçoit des pouvoirs dans un autre diocèse. Cf. S. C. Consist.. 25 oct. 1910.21 mars 1911,20 Juin 1913. 2. Les conditioni requises, a) Le texte officiel au­ jourd'hui imposé est la formule insérée au début du Code; c’est celle de Pie IV. avec les additions faites par Λ; Le temps utile pour émet Ire lu profession est fixé par le droit général ou les statuts particuliers. Pour les curés, c'est avant ou dans l’acte même dc prise de pos­ session (ran. 161); pour les évêques, c’est avant de recevoir l’institution canonique (can. 332. $ 2); pour les dignitaires, chanoines ou bénéficiers, c’est avant la prise de possession (can. 105, 2°); pour les autres, le Code a donné les précisions nécessaires au can. 1 106. r / I. obligation de faire profession est personnelle* de sorte que celui (pii s’en acquitte par mandataire ne satisfait pas au précepte. Can. 1 107. (/) H faut une autorité qualifiée pour recevoir la pro­ fession; celle-ci est de nul effet si elle est faite devant un laïque ou devant un supérieur qui n'est pas com­ pétent. cf L'obligation est gratte* vu les peines (pii atteignent PROMPSAULT 682 les récalcitrants. Elle lie ceux qui doivent émettre la profession, mais aussi ceux qui doivent H recevoir, de sorte (pie les premiers seront dispensés dc l'obligation si les seconds se dérobent. Cf. Vcrmecrsch, Epitome, t. n, n. 739. Si l’on n’a pas satisfait au précepte, celui-ci continue à urger jusqu’à son accomplissement. If Les rites extérieurs consistent simplement a pro­ noncer la formule, puis a faire le serment, la main sur l’Evangile. Si plusieurs font ensemble la profession de foi. il suffit que l’un d’entre eux lise â haute voix la for­ mule el que-, la lecture finie» chacun prête serment en touchant l’Évangile, dont le texte peut être pris dans un missel ou même dans un bréviaire, à défaut d’évangéliairc. g) Toute coutume contraire aux règles édictées par le Code au sujet de la profession de foi est expressé­ ment réprouvée; elle ne peut donc subsister si elle existe et nc peut prescrire en aucune manière pour l’avenir. Can. 1108; cf. can. 27, f 2. h) Enfin, le droit prévoit des moyens de contrainte contre les récalcitrants. Ils doivent d’abord être avertis d’avoir â faire profession dans un temps déterminé. Cc delai passé, le contumace sera puni dc peines diverses pouvant aller jusqu’à la privation de son office, béné­ fice, dignité ou emploi. Entre temps, et à partir de la monition, le coupable nc pourra s’approprier les fruits dc son bénéfice, ofllce ou emploi; il devra les restituer. Cnn. 2103. 3. A la question de la profession de foi sc relie direc­ tement la question du serment antimoderniste* prescrit par le rnotu proprio » Sacrorum antistitum du rr sep­ tembre 1910, pour combattre une erreur particulière­ ment dangereuse Λ cette époque. Depuis la promulga­ tion du Code, on pouvait sc demander si ce serment gardait sa force obligatoire, attendu que les canons n’en font aucune mention. Le Saint-Office, consulté, déclara, le 22 mars 1918, que ccttc mesure devait être observée jusqu’à ce que le Saint-Siège en ait décidé autrement. Acta apost. Sedis* t. x. 1918. p. 136. Cf. l’art. Modernisme, t. x, col. 2009 sq. D’après le motu proprio susdit et les déclarations subséquentes de la Sacrée Congrégation Consistoriale (25 sept., 25 Oct. et 16 déc. 1910). ceux (pii sont soumis au serment anti­ moderniste doivent auparavant faire la profession de fol de Pie IV, puis signer de leur main la formule du serment. De ce fait se trouve élargi le cercle de ceux qui. temporairement au moins, sont soumis à la profession de foi. Aux personnes énumérées au can. 1406, il faut ajouter les candidats aux ordres majeurs avant chacun de ces ordres; les officiers des curies épiscopales et des tribunaux ecclésiastiques; les prédicateurs de carême; les officiers des congrégations et tribunaux romains, en présence du cardinal-préfet el du secrétaire dc la congrégation ou du tribunal auquel ils appartiennent: les supérieurs et les professeurs des familles et congré­ gations religieuses, avant leur entrée en charge. Celui (fui possède plusieurs offices ou bénéfices n’est tenu qu’à un seul serment. De même, si plusieurs sont réunis pour prêter serment, il suflil que la formule soit prononcée par l’un d’eux, mais tous doivent la signer. Cf. S. C, Consist., 25 sept, et 25 oct. 1910; Acta apost. Sedis* 19in. p. 711 et 857. Les ouvrages à consulter en la matière sont, pour la première partie, les auteurs de théologie morule; pour la seconde, les commentateurs du Code. A. Bride. Jenn-Henrl-Romain, ecclé SlaStlqUO et pubhcish* françai' ( 1 7?S-1 S5Xi. \i à MpH télimar en 1798, il fut quelque temps professeur au grand séminaire de Valence, puis curé d’une paroisse rurale dans le même diocèse, vint enfin à Paris, où il fut aumônier de l’hospice national des Quinze-Vingts; c’est là qu’il mourut le 7 janvier 1858. PROMPSAULT 6 «S3 PROMPSAULT PROMULGATION DE I, \ Jeune, l'abbé Prornpsault s’était occupé assez acti­ vement de littérature médiévale (Gùivrcs de François Villon; Sermons français de saint Fernard ; Discours sur 1rs publications littéraires du Moyen Age, Paris, 1835); il avait traduit cn français le Pastoral de salut Grégoire le Grand et divers textes de Thomas a Kempis. Plus lard. Il s'adonna de préférence a l’étude du droit cano­ nique et plus spécialement de In législation civile ecclé­ siastique. C’est ainsi qu’il rédigea, dans la première Encyclopédie théologique de Mignc, un Dictionnaire rai­ sonné de droit et de jurisprudence en matière civile ecclédiadique, 3 vol., Paris, 1819, t. xxxvi-xxxvm de ladite collection. Très animé contre le gallicanisme politique, il critique avec verdeur les tendances des Portalis et des Dupin, sc montre particulièrement hostile aux Articles organiques et, dans la discussion des libertés dr l’Église gallicane, fait bon marché des vieilles théo­ ries des Pit hou cl des Dupuy. Comme il le dit dans sa préface, il entend montrer les vices de la législation civile ecclesiastique moderne, inconstitutionnelle dans son principe, anlichrélienne et contraire à la raison. Mais il s'en faut qu’il soit ultramontain », comme on disait alors, cl, bien qu’il sc défende d’être gallican, il laisse apercevoir où vont ses préférences; la Déclara­ tion de 1682, dont il présente un exposé quelque peu tendancieux, est signalée sans un mot de blâme. On comprend assez que, sc produisant à la date quo nous avons dite, au moment où Γ ultramontanisme » pre­ nait cn France une allure tant soit peu agressive, l’ou­ vrage de Prornpsault ait suscité des critiques assez vives. Voir par exemple celles de l’abbé André, dans le Cours alphabétique de droit canon, 3e éd.. 1860. t. vr, p. 179; celle do l’abbé Crouzet, dans son Essai de biblio­ graphie canonique, cite ibid. L’eues clique du 21 mars 1853 fournit a l’abbé Prornpsault l’occasion de mani­ fester bruyamment scs dispositions. Le document pon­ ti lical, occasionne, on le sait, par les violentes querelles entre catholiques français (affaire des classiques païens, lutte entre Mgr Slbour et L'Univers), exprimait cn pas­ sant un blâme sur un livre qui venait de paraître (en provenance, a-t-on dit. de l’entourage de l’archevêque de Paris) : Mémoire sur la situation présente de Γ Église gallicane relativement au droit coutumier, octobre 1852. L’auteur anonyme y protestait contre divers procédés de la Congrégation de l’index, contre divers change­ ments aussi apportés par Home aux décisions des ré­ cents conciles provinciaux. Pour défendre ce Mémoire, qui reproduisait des théories qui lui étaient chères, l'abbé Prornpsault lit paraître des Observations sur l'encyclique du 2/ mars 1SS3. Elles furent vivement attaquées dans les feuilles ultramontaines. Pour sc dé­ fendra, Prornpsault rédigea un petit livre : Du siège du pouvoir ecclésiastique dans Γ Église. Lettres à M. de Kégnon, fondateur et rédacteur de L'unité catholique . octobre 1853. Ce livre fut condamné par le cardinal Donald, dans un mandement du 11 novembre 1853; I archevêque de Paris essaya de. sauver Prornpsault en publiant une déclaration de celui-ci. Il ne put empê­ cher la mise à l’index du volume (22 avr. 1855). Lol 684 lateur, ou du moins pur l’autorité du supérieur «pii a le I pouvoir cn même temps que l’intention d’obliger les sujets. C’est pourquoi on la définit communément : l’intimation de la loi faite à la <•ommunauté pflr celui qui en a la charge ». Wcrnz. Jus decretalium, t. i, n. 100; cf. Venncersch. Epitome juris can., t. ι. n. 63. En droit civil, la plupart des codes modernes distin­ guent généralement un triple stade dans la promulga­ tion de la loi : le premier acte est la sanction legislative donnée à un texte et lui conférant force imperative; vient ensuite la promulgation proprement dite, acte solennel du prince ou du représentant de l’exécutif, reconnaissant la loi comme telle et ordonnant sa mise cn vigueur; enfin, la publication, acte émané de l’au­ torité compétente, ayant pour but de porter l’existence de la loi à la connaissance des citoyens. Le droit canonique, lui. Ignore la sanction législative cn tant qu’acte préalable el Juridiquement distinct de la promulgation; car. aux termes du eau. 8, § I. l’ins­ titution ou établissement de la loi csl l’elfct propre de la promulgation : leges instituuntur, cum promulgan­ tur. Selon la force de ces mots, on ne saurait non plus trouver une véritable distinction Juridique entre la promulgation cl la publication. Sans doute il y a sou­ vent dans la promulgation des lois ecclésiastiques, et spécialement des lois pontificales, deux actes succes­ sifs, à savoir la signature ou sanction législative don­ née par le supérieur au texte de la loi, ensuite la publi­ cation authentique ou intimation faite au peuple chré­ tien selon le mode prévu par le droit. .Mais, de ces deux actes, seul le second a un effet juridique complet cl mérite le nom de promulgation; le premier m· créait aucune obligation nouvelle pour les sujets : la loi n’était donc pas instituée .précisément parce qu’elle n'était pas promulguée. Voir l’art. Lois, I. ix. col. 893; cf. également le can. 9. où il est dit que les lois ponti­ ficales ne sont vraiment promulguées que lorsqu’elles sont publiées » dans les Acta apostolicæ Sedis. 11. Nécessité. — lu Pour qu'une toi ait force obliga­ toire, il est dans lu nature même des choses qu elle doive être portée de façon authentique à la connaissance des sujets. — Saint Thomas s’en exprime cn ces termes; /.ex imponitur aliis per modum regulæ et mensura·; regula autem et mensura imponitur per hoc quod applicatur his quæ regulantur et mensurantur : unde ad hoc quod lex virtutem obligandi obtineat, quod est proprium legis, oportet quod applicetur hominibus, qui secundum eam regulari debent; talis autem applicatio fit per hoc. quod in notitia eorum deducitur ex ipsa promulgatione; unde promulgatio ipsa necessaria est ad hoc quod lex habeat suam virtutem. ΙΛ-1Ier’. q. xc, a. I. En d’autres tern.es. hi loi est destinée à être la règle el la mesure des actes des sujets : elle ne saurait être eilicacc si elle n’csl con­ nue d’eux comme telle; la loi csl un précepte commun ù tous: il est indispensable qu'elle soit imposée à la communauté tout entière; enfin, la loi est un ordre du prince, émané de lui en tant que personne publique : il suit de là que cette volonté devra être manifestée d’une façon publique et solennelle, afin que tous les intéres­ sés cn soient saisis. C’est donc de la promulgation que .1.-1!.Glaire, Did. universel drsscience* ecclésiastiques, t. ir, la loi tire sa valeur et sa force obligatoire. J'ark, 1868. p. 1861; H. Reusch, Der Index drr ücrbutenen Il n’en faudrait cependant pas conclure que les su­ Ifucher, t. n, Bonn, 1883, p. 1103; Hurler, Nomenclator, 3· M.. t. v a, col. 1353-1351. jets ne sont pas liés par la loi s'ils n’en ont clé authen­ É. Amans. tiquement et personnellement informés. Bien que des PROMULGATION DE LA LOI. fidèles, par exemple, ne pèchent pas en conscience cn L Notion. IL Nécessité (col 681). 111. Mode (col. 686). agissant à l’encontre d’une loi ecclésiastique qu’ils IV. Vacation de la loi (col. 689). ignorent invinciblement, il n’en est pas moins vrai L Notion. — A s’eu tenir a l’étymologie, la promul­ qu'au (or externe ils sont considérés comme liés par gation (pro, vulgare) ne serait autre chose qu’une di­ cette loi, du tait qu’elle a été légitimement promulguée. vulgation ou publication de la loi, c'est-à-dire le fait La promulgation est un acte -//», disp. CLV. c. n. n. 16. Lyon. Ces conditions étant sauvegardées, le législateur a 1631. C’est aussi l’opinion de Sylvius. Commentaria in toute latitude pour déterminer le mode le plus apte à /“n-//«, q. xc, a. I. Anvers, 1698; de Pichler, Jus obtenir le résultat cherché : ce mode sera variable selon canonicum, 1. I, tit. it. n. 16. De nos jours, le P. \ er­ les temps et les lieux. Cf. Pic \. const. Promulgandi, meersch s’en est fait le défenseur, Theot. moral,, t. ι, 29 sept. 1908; Acta apost. Sedis, t. 1, p. 5. 2° En droit ecclésiastique, le mode de promulgation η. 161. \ l’encontre, un nombre impressionnant d’auteurs diffère selon qu'il s’agit de lois pontificales ou de lois pensent quo la promulgation de la loi n’est ni la loi ni portées par les conciles particuliers ou les évêques. une partie essentielle de la loi, niais seulement l’acte L Lots pontificales. - a) Dans les premiers siècles de par lequel on la fait connaître aux sujets, ce qui sup- j l’Église. on ne rencontre aucun mode de promulgation pose sa préexistence préalable in actu primo. Mais ils fixé et nettement défini. Le plus souvent, cl surtout à reconnaissent que. in adu secundo, la promulgation est partir du iv* siècle, les pontifes romains adoptent les nécessaire pour que la loi oblige; elle est plutôt une usages de la chancellerie impériale cn la matière : ils condition sine qua non : ( Ί lex oblige! in actu secundo, transmet lent leurs décrétales et les canons des conciles aliqua ejus promulgatio necessario requiritur... Promul­ aux évêques cl métropolitains, en leur envoyant des gatio non est de essentia legis, aut ratio formalis illius, légats (prêtres, diacres, acolytes ou simples fidèles), sed dumtaxat conditio necessario requisita, ut adualiter porteurs de lettres dites a pan ou a paribus, c’est-àobliget sibi subditos. Gonct, Clypeua theol. Ihomisticie, dire conformes à l’original conservé dans les archives tr. V, De legibus, disp. I. art. I. f 1, n. 55, 57. C’est éga- pontificales. Les destinataires, choisis soit cn raison de 687 PROMULGATION DE LA LOI leur dignité, soit â cause de la facilite de leurs relations avec les évêques circonvoisins, recevaient l'ordre dc promulguer les décrets non seulement à leur peuple, mais encore A leurs collègues des provinces ou réglons ci rcon voisines. C’est ainsi qu’en 385 le pape Siricc Irf. envoyant une décrétale à l'évêque de Tarragone, lui enjoignait de la faire connaître aux évêques voisins el même a ceux dc Carthngène, de la Bétique, du Portugal ct des Gaules. Jaffé, Regesta, n. 355. Cette manière de procéder demeura longtemps en usage, encore qu’elle ne fût pas l'unique mode dc promulgation : les papes, en effet, ne sc considéraient pas comme obligés d’inti­ mer leurs volontés jusque dans les diocèses les plus éloignes pour leur donner force de loi. Cf. Bouix, Dc principiis fur. can., part. Il, sect, n, c. vi. On vit aussi des lois ponti Ileales promulguées dans des conciles pro­ vinciaux ou nationaux réunis à cet effet. b) Lorsqu’il s’est agi, beaucoup plus tard, non plus de lois particulières ou isolées, mais de collections authentiques de décrétales, la promulgation en était faite d'ordinaire par l’envoi du recueil aux universités les plus célèbres dc la chrétienté. C’est ainsi que les Décrétale* dc Grégoire IX furent adressées aux doc­ teurs ct étudiants dc Bologne », et probablement aussi A ceux de Paris, par la constitution Rex pacifiais du 5 septembre 1231. Cf. Cicognani, Jus canonicum, t. i, p. 329. Le Sexte de Boniface VIII fut envoyé A l’univer­ sité dc Bologne, bulle Sacrosancta·, 3 mars 1298, puis A Paris ct aussi A Salamanque. Cf. Cicognani. ibid., p. 312 c) Cc fut vers la fin du xni· siècle que l’on commença â afficher les lois pontificales dans les lieux les plus fré­ quentés dc Borne ou dc la ville où résidait le pape. Il semble que ce fut Marlin IV qui inaugura l’usage, le 18 novembre 1281, en faisant afficher, aux portes de la principale église d'Orvieto, l’excommunication pro­ noncée contre l’empereur Michel Paléologue. d) Au xv* siècle, des hérauts pontificaux furent chargés de proclamer A haute voix les constitutions des papes dans les basiliques de Saint-Pierre du Vatican ct dc Saint-Jean du Lnlran. Le texte de ces proclama­ tions restait en outre affiché aux portes des deux basi­ liques ainsi qu’à l'entrée de la chancellerie pontificale ct au Champ-de-Flore. Peu à peu, la lecture publique des documents tomba en désuétude, et Γ affichage dans les lieux les plus célèbres de la Ville éternelle subsista comme mode principal de promulgation. Dans I intention des souverains pontifes, celle pro­ mulgation faite au centre dc la catholicité était valable pour toute l’Eglise; souvent même, les bulles ou consti­ tutions contenaient une formule indiquant que celte publication devait être considérée par tous et chacun des intéressés comme s’adressant à eux personnelle­ ment. D’ailleurs, les papes ne négligeaient pas les moyens de divulgation à leur portée, comme l’envoi dc copies authentiques aux évêques, avec charge d’en in­ former leurs diocésains. Bien plus, pour certaines lois d une particulière importance, telles que les lois Irri­ tantes. la promulgation hit déclarée obligatoire dans tous les lieux de la chrétienté : le fameux chapitre Tametsi du concile dc Trente, concernant la clandes­ tinité des mariages, devait être publié dans toutes les paroisses pour y avoir force dc loi. Scss. xxiv, c. i, De re/., Denz.-Bannw., n. 990 sq. Quelles que fussent sur cc point les intentions et la pratique du Saint-Siège, il sc trouva des auteurs de renom qui prétendirent que les lois pontificales, pour avoir force obligatoire dans l’Eglise universelle, deν' aient nécessairement être promulguées au moins dans les diverses provinces ou les divers diocèses. La ques­ tion fut Aprrment discutée surtout au temps du jansé­ nisme et du gallicanisme. Cf. Hciffcnstuel, Jus can. unium . î L lit. ti, n. 111-13 L L’opinion commune 688 (voir la série des auteurs dans Perraris, Prompta biblio­ theca, t. v, au mot Lex. art. 2. n. 7 ct 8) tient pour suf­ fisante la promulgation faite à Horne : publicatio Urbi facta, orbi facta. Elle s’appuie sur le texte d’inno­ cent 111 inséré dans les Décrétales (1200): ... Id solum sufficit, ut ad ejus [constitutionis pontificio·] observan­ tiam teneatur, gui nourrit cam sotemniter editarn, aid publice promulgatam. Deer. Greg. IX, I. I, lit. v, c. 1. Pourtant, saint Alphonse, interprétant de façon béni­ gne la pensée du Saint-Siège, admettait qu’une pro­ mulgation plus universelle était nécessaire pour cer­ taines lois irritantes ou portant suppression dc la juri­ diction. Theol. moral, t. !. Dc legibus, n. 96. A l’autre extrémité, ceux qui exigeaient pour les lois universelles une promulgation « faite dans les provinces », faisaient appel A la novelle 66 do Justinien (538); par ce recours au droit romain, ils suppléaient, disaient-ils, aux incer­ titudes du droit canonique ct faisaient valoir d’autre part les nombreux inconvénients de la promulgation faite exclusivement A Rome. Les plus illustres défen­ seurs de cette opinion étaient des gallicans ou des fébroniens : Pierre de Marca, De concordia sucent. ct im­ perii, L II. c. xv ; Van Espcn. Tract, de promutg, legum eccl. ac spécialim bullarum et rescriptorum, c. il. dans Opera, l. iv, Louvain, 1778, p. 125 sq.; Fébronlus, De statu Eccl. ct legitima potest, rom. pontificis, c. v, § 2. Mais cette opinion, qui n’eut jamais l’approbation du Saint-Siège, (ut peu à peu abandonnée, et la méthode d’affichage au centre de la catholicité resta légitime­ ment en usage jusque vers 1870. e) Ce fut à ccttc époque que s’introduisit l’habitude dc promulguer les actes des Congrégations (devenues les principaux organes législatifs), les règles de chan­ cellerie et les décrets du Saint-Siège, en les faisant simplement publier au secrétariat du dicastèrc qui les avait rédigés, avec l’approbation expresse ou tacite du souverain pontife. f) Toutefois, comme cette manière de procéder, bien que parfaitement valable ct légitime, manquait dc la solennité qui convenait aux actes de l’autorité suprême. Pic X introduisit une nouvelle discipline, par la constitution Promulgandi, du 29 septembre 1908. Celte constitution fut publiée dans le premier numéro du périodique officiel intitulé Acta apostolicir Scdis. paru le Pr janvier 1909. La promulgation dc toutes les lois, de tous les décrets cl constitutions du SaintSiège. qu’elles émanassent du pape, des congréga­ tions ou des offices de la curie, devait se faire désor­ mais par l'insertion dc ces actes dans l’organe officiel, ct sa publication sur l’ordre du secrétaire ou du prélat majeur de la congrégation ou dc l’office intéressé. C'est de cette façon que fut publié en 1917 le Codex juris canonici; il forme A lui seul un volume dans la collec­ tion des Acta apostolicn Sedis. La constitution de Pic X laissait cependant la voie ouverte A d’autres modes de promulgation que le Saint-Siège pourrait trouver plus opportuns : ainsi, le 26 décembre 1913, la Secrélalrerie d’Etat déchira que toutes 1rs lois et cons­ titutions contenues dans les quatre volumes des actes de Pic X devaient être considérées comme pleinement promulguées, au même titre que si clics avaient été textuellement Insérées dans le recueil officiel. CL Acta apost. Sedis, l. v, 1913, p. 558. g) Le Code, au can. 9, a reproduit substantiellement les dispositions de la constitution Promulgandi : * Les lois du Siège apostolique sont promulguées par leur publication dans le recueil officiel des actes du Siège apostolique, à moins qu’un autre mode dc promulgation n'ait été prescrit dans des cas particuliers. . Ccs paroles sont cintre et >v pansent de tout com­ mentaire. Notons seulement les points suivants : {.'édition des Acta >uppo· ■ un ’ iragv à un certain nom­ bre d’cxcinphiin s do it ><· partie nu moins sont mis C89 PROMULGATION DE LA LOI à la disposition du public. Selon la teneur du canon, la date de la promulgation n’est pas celle (pii est indi­ quée à la tin du document, mais celle qui est inscrite en tète du fascicule officiel contenant la loi, â moins d’une déclaration contraire faite expressément. Ce fut le cas par exemple du motu proprio du 25 mars 1917 qui supprima la Sacrée Congrégation de l’index le jour même, alors que le document ne fut publié (pie plus tard. De même. Ple XI, dans sa lettre du 21 janvier 1927, déclara dissoute à cette date même l'Association des jeunes éclaireurs catholiques; la lettre ne parut aux Acta que le lrf février suivant. Il faut noter que tous les documents insérés dans le recueil officie) n’ont pas force de loi. Pour en faire une discrimination com­ mode. la Secrétai rerie d’État avait décidé, le 5 janvier 1910, de diviser chaque numéro en deux parties : l’une officielle. réservée aux lois proprement dites, l’autre servant à la jurisprudence. Cette division ne fut pas introduite. Seuls les titres des documents peuvent in­ diquer si le législateur a voulu ou non porter une loi générale. — Par l’insertion d’un texte législatif dans les Acta apostolic* Sedis, la promulgation devient par­ faite. Les Ordinaires n'ont, de ce fait, aucune obliga­ tion spéciale dc publier à leur tour les lois générales dc l’Église ainsi promulguées. Toutefois, comme la fonc­ tion des évêques est dc faire observer les lois ecclésias­ tiques (can. 336), il peut être utile qu’ils favorisent la divulgation de la loi en l’insérant dans quelque pério­ dique diocésain; c’est uniquement une question dc zèle et de prudence. Cf. Cancc, Le Code de droit cano­ nique, I. i, n. 36, p. 16. note I. Il peut arriver d’ailleurs que cette publication soit demandée expressément aux Ordinaires par le Saint-Siège; c’est alors une forme exceptionnelle dc promulgation, qui doit être observée pour que la loi obtienne force obligatoire. Dans son décret du 7 décembre 1918 sur le renouvellement fré­ quent des saintes espèces, la Sacrée Congrégation des Sacrements ordonna que les prescriptions édictées fus­ sent publiées dans toutes les feuilles diocésaines. Cf. Acta apost. Scdis, t. xi, 1919, p. 8. 2. Autres lois dr Γi'glise. a. En dehors des lois pontificales, le droit de l’Église n’a jamais eu de règles précises concernant le mode* de promulgation des lois. \ussi était-ce une doctrine communément admise dès avant le Code que les lois épiscopales ou portées en svnodes diocésains, provinciaux ct nationaux pou­ vaient être légitimement promulguées, quelle que fût le mode employé, pourvu qu’il fût convenable, c’est-àdire apte à porter la loi à la connaissance de toute la communauté. On pouvait donc choisir entre une lec­ ture publique dans l'église cathédrale, une proclama­ tion faite sur la place publique, l’affichage dans un lieu public désigné d’avance, ou l’insertion dans un pério­ dique diocésain. Cf. Suarez. De legibus, I. IV, c. xv, n. 8. b. Le droit actuel du Gode laisse pareillement aux évêques et aux autres législateurs le droit de détermi­ ner le mod<· de promulgation le plus apte. Can. 335. § 2. Les lois épiscopales publiées en synode n’ont pas be­ soin d’autre promulgation, aux termes du can. 362. Quant aux décrets des conciles pléniers ct provinciaux, c’est aux Pères de ces assemblées qu'il appartient de determiner le mode de promulgation. Can. 291. § 1. IV. V scs γιον de i.s loi. A la question dc la pro­ mulgation dc la loi est intimement liée celle de la vaca­ tion. On désigne sous ce nom Γ intervalle (pii. par concession du législateur, s'écoule entre le Jour où la loi est promulguée et celui où elle devient obligatoire, afin dc donner aux sujets le temps de connaître la loi ». Cicognani, Norm* generales, p. 85. n. 5. La vacation n’est pas de l’essence de la loi ; celle-ci est complète ct peut produire tous ses effets dès qu'elle n été promulguée. Mais, si la vacation n est pas abso- 690 lumcnt nécessaire, clic peut être grandement utile : en particulier lorsqu'il s'agit de lois universelles, dont la divulgation dans toutes les parties dc la catholicité ne peut se faire instantanément. On comprendra aussi son opportunité pour les lois irritantes, dont 1rs effets sont graves ct dont les effets sont produits même lors· que la loi est ignorée pour quelque cause que ce soit. L'utilité de la vacation est moins apparente pour les lois particulières qui n'intéressent qu'un territoire res­ treint. Il est même des cas où le bien public peut exiger une application immédiate de la loi sans aucun délai, il appartiendra donc au droit positif de préciser les suggestions et les convenances du droit naturel, en déterminant l’opportunité et la durée de la vacation. 1° Vacation des lois pontificales. — 1. Avant le Code, le droit canonique ne contenait sur cette matière au­ cune disposition générale, aucune prescription d’en­ semble. Pour certaines lois en particulier, un temps dc vaca­ tion avait été spécifié dans le texte législatif lui-même. Ainsi, le pape Honorius III, écrivant à l’évêque de Bologne en 1224, l'informe qu’il excommunie les héréti­ ques ct violateurs des libertés de l'Église, qui n'auront pas amendé leurs écrits dans les deux mois. Dcer. Greg. IX. 1. V, tit. xxxjx, c. 19. Le décret Tamclsi du concile de Trente ne devenait obligatoire que trente jours après sa promulgation dans la paroisse. La consti­ tution de Pie IV Dominici gregis (1561) accordait une vacation de trois mois aux lois dc l’index. Le dé­ cret Ne temere concernant les mariages clandestins, promulgué le 2 août 1907, ne devint obligatoire qu’à Pâques dc l’année suivante. La constitution Divino afflatu, du 1er novembre 1911, portant réforme du psautier dc l’office divin, n'imposait ses modifications qu'à partir du 1* janvier 1913. Acta apost. Scdis, t. ni, 1911. p. 637. Dans l’ensemble des lois pontificales cependant, aucun temps de vacation n'était déterminé. De là des discussions entre les auteurs pour savoir d’une part s’il fallait reconnaître à ccs lois une vacation quelcon­ que et d’autre part quelle durée on devait attribuer à celle-ci. Les uns, s'appuyant sur la novelle 66 de Justi­ nien. réclamaient deux mois de vacation au moins pour les lois disciplinaires. Certains textes pontificaux pou­ vaient laisser supposer egalement qu’une certaine va­ cation était convenable ou même en usage : ainsi Inno­ cent I\ (1250), I. 111. tit. vu, c. I. in \ D. ct Pie IV dans la constitution Sicut ad sacrorum, du 18 juillet 1561; cf. Michiels, Norm* generales, t. i, p. 160. Saint \lph (.an. 9. a. Les trois mois doivent être comptés suivant le can. 31. $ 3. n. 2. c’est-à-dire qu'une loi publiée dans un numéro des Ada qui porte la date du 10 mars com­ mencera à obliger le lü juin; en effet, le point de dé­ part, qui est le jour inscrit sur le fascicule ct non le jour dr l’édition ou de la publication, peut parfaitement (ire assimilé au commencement du jour. CL Van I love. De legibus, p. 110-1 11. et les auteurs cités par lui; à l’encontre. Michtels. Xornur generales, l. f. p. 211, pré­ conise le comput du can. 3 i. $ 3. n. 3. à tort, scion nous. b L’effet de la vacation est tel que, tant qu’elle dure, toute efficacité de la loi est suspendue, même s’il s’agit d'une loi favorable. Pour en user avant l’échéance, il faudrait un induit. Une faveur de ce genre a été accor­ dée par Benoit XV le 20 août 1917 aux Ordinaires et aux cardinaux pour les faire bénéficier immédiatement de certains pouvoirs ou privilèges contenus dans le Code, dont la vacation se prolongeait Jusqu’au 19 mai 1918« \da apost. .Sr dit, I. i\ 1917. p· 175. c. Les lois liturgiques sont, de l’avis commun, sou­ mises a la vacation. De même les réponses de la Com­ mission d’interprétation du Code toutes les fois que l’interprétation est extensive, restrictive ou porte sur un point douteux. d Certains commentateurs ont prétendu excepter de la vacation les lois purement permissives (Vermcersch. Epitome, t. i, n. GG) ou même les lois prohl· liantes dont l’observation immédiate ne ferait tort a personne cl n’intéresserait pas la validité des actes. Cappello. Sumrnula juris can., ι. η. 72. Cette interpré­ tation, qui va contre un texte clair, ne semble pas défendable objectivement; juridiquement parlant, la loi n’est pas encore en vigueur. Il reste vrai néanmoins que les sujets peuvent plus aisément se former la conscience, surtout si l’on approche de l’échéance pré vue el si le législateur sc lait ou ferme les yeux : subjec­ tis ement donc, leur acte peut même être méritoire s’il dénote un empressement a sc soumettre à la volonté du législateur; mais nous sortons du droit strict ct objtitd e. Il faut noter enfin qu’il n’y a pas de \ acation pour 1rs artes pontificaux qui n’ont pas le caractère f/iu moralis, t. I. Rome. 1926. 2" i3»nunrîihiirc» du livre I du Code. — Maroto, fnttifulûmes juris can., Madrid. 19Î9; Chclodi-Rertngnoli, Ju* de personis. Trente, 1927; Veniiecrsch-Crcuscn, Epitome juris cun.. Malines, 1927; Cappello. Summa juris canonici. Rome, 1928; Claycs-Bonnnert. \tanualc juris can., t. I, Gand. 1930; ,M. Conte a Coronata, Inslilulioncs juris reel., Turin, 1928; Van Hove, Dr legibus reel.. Malines, 1930; Michiels. Xornur generales, Lublin. 1929; ( once. I.r Code de droit canonique, t. 1. Paris. 1930. 3· Arlielts de revues. Simivr, I.a promulgation des lois pontipcalcs. dans Rm. auguslinlrnne, t. 11, 1909, p. 151; R. do Schepper. Dr promulgatione legis, dans CoRutionrs Brugcnsrs, 1920. p. 239; Lot tin. La drpnition classique de ht loi, dans Hrv. nco-%, chez Eusèbc, Hist, eccl., I. IV, c. xxu, n. 1 sq., P. G., t. xx, col. 378; l’aveu de Celse, dans Origène, Cont. Celsum, I. VIII, 69, P. G., t. xi, col. 1620 (la persécution de Marc-Aurèle ayant exterminé les chrétiens partout); pseudo-Clémcnt. II Cor., n; Martyrium Carpi, Papijli. Ayathonices, 30. dans Kirch. Enchirid. font, ecclcs. his· torlæ, n. 8 I ; Mélilon de Sardes, dans Eusèbc» Hist, eccl., I. IV. c. xxv. P. G., t. xx, col. 393; saint !rénée, Cont. hier,, I. I, c. x. 2; I. II. c. xxxi. 2; I. III, c. iv, 2; c. xi, 8; I. V. c. xx, I. P. G., t. vu, col. 551, 824. 856, 885, 1177; l’épitaphe d’Abcrcius. Kirch, op. cit., n. 155; Clément d’Alexandrie, Stromata, 1. VI, c. xvm, P. G., t. IX, col. 396; Polycrate d’Éphèsc, dans Eusèbc, Hist, eccl., I. V, c. xxiv, n. 7; le païen Cécilius, dans Minu­ cius hélix, Octavius, c. ix. P. L., t. ni, col. 270, etc. A la fin du ir siècle, 1 larnack compte trente-trois com­ munautés réparties en Asie Mineure, en Thrace» en Thcssalle, dans les iles grecques, en Italie, en Afrique. II relève des désignations collectives de chrétientés au­ tour d’Antioche et de Smyrne, en Asie, en Mésopo­ tamie. en Égypte, dans la Grande-Grèce, en Gaule, en Germanie, en Espagne : le christianisme existe dans toutes les provinces ct déjà même, par les Églises de Mésopotamie, déborde les frontières de l’empire. Aux confins du nr siècle, nous avons les textes classiques de Tcrtullien. ApoL, c. vu, xxxvn, P. L„ l. i, col. 358, 524; Ad nationes, I. II. n. 8, ibid., col. 668; De baptismo, c. v. ibid., col. 1313; Ad Scapulam, c. v, tbid., col. 783; De corona, c. xu, P. L., t. n, col. 11 I; De fuga, c. xu. ibid., col. 136; Adi>. Judrros, c. vu, ibid., col. 650; De prirscript., c. xx. xxxu, ibid., col. 31. Il; cf. Ada. Marcionem, I. HI. c. xx. ibid., col. 335; De anima, c. xvn. ibid., col. 716. Mais les développe­ ments de Tcrtullien se ressentent de certaines exagé­ rations hyperboliques. Les témoignages d’Orlgènc sont plus objectifs, In Alatth., comment, series, n. 39, P. G., t. xiii. col. 1653 sq.; Coht. Celsum. I. HI. 8, 9, 15, 20, 30;l. VIII, 69. P.G., t. xi. col. 929. 932, 937, 957, 957, 1620; De principiis, L IV, c. i, n. 1 sq., ibid., col. 341. Ci. I llppoh te, Philosophumena, 1. X, c. xxxiv, P. G., t. xv! c, col 3151, saint Cyprien, Ad Demetrianum, c. xvn, P. L., I. iv. col. 576. Au début du iv siècle, le triomphe du christianisme est bien prè> d’être réalisé Nous en avons des témoi­ gnages non équivoques rapportés par Eusèbc, Hist. .<les provinces ct pays où le christianisme était tout à fait clairsemé cl n’existait pour ainsi dire pas : villes de l’ancienne Philistie, côtes nord ct nord-ouest de la mer Noire, ouest de la haute Italie, centre et nord de la Gaule. Belgique, Germanie et Bhélie, Bretagne et Norique. « A considérer l'ensemble, il n’est pas douteux que le christianisme a pris une extension puissante, et, comme il n’est pas restreint a une classe de la société, comme il a pénétré à la fois les villes et les campagnes, il s’impose comme un facteur important de l’empire. On admet généralement qu’il y avait mille huit cents évêchés (de dimensions fort inégales d'ailleurs) à la lin du règne de Constantin; cc nombre un pou réduit peut représenter l’état de l’Église au commencement du IV· siècle : on ne se tromperait guère en supposant pour cette époque de huit cents a neuf cents évêchés en Orient ct de six cents â sept cents en Occident. D’où il suit que le triomphe de l’Église était déjà virtuellement accompli ct que Constantin n’a fait que le reconnaître.Bivière, op. c//., p. 59. 2" La grandeur du but visé. — C’est ici surtout que notre argument, pour être complet et probant, devrait revêtir toutes les modalités décrites par le concile du Vatican. Il s’agissait, en effet, de renouveler le monde dans ses croyances, dans scs mœurs, dans ses aspirations. Cf. saint Thomas, Cant, gentes. I. I. c. νι. L Credendum (am ardua. Saint Thomas, /or. cit, — L’argument peut ici être présenté comme un commen­ taire de I Cor., i. 23 : Nous, nous prêchons le Christ crucifié; pour les Juifs, vrai scandale; pour les gentils, folie; mais pour ceux qui sont appelés soit Juifs, soit Grecs, vertu de Dieu ct sagesse de Dieu. Faire aban­ donner aux Juifs l’idée d’un Messie temporel; leur pro­ poser comme un Dieu à adorer celui-là même qu’ils avaient cruci lié; leur faire admettre la cessation de la Loi cl des rites mosaïques! Aux philosophes grecs, imbus de sagesse tout humaine, faire accepter une doc­ trine. en apparence tellement opposée aux exigences de la raison : un Dieu, trine dans son unité, le Fils de Dieu devenant homme sans rien perdre de sa divinité; cet homme-Dieu s’exposant à la mort la plus honteuse, lui, le juste et le sage par excellence! I.es espérances d’une vie future dans la communication même du bonheur de Dieu, avec la résurrection promise aux corps! On sait comment Paul fut accueilli à I Aréopage. Act., xviî, 32. A la foule des païens persuader que les idoles, par elle Jusque-là adorées, sont de vains simu­ lacres. doivent être brisées, leurs temples renversés, les sacrifices et les superstitions que des siècles de pra­ tique Idolàlrique avalent consacrés, doivent devenir un objet de haine! 2. Operandum (am difficilia. Id,, ibid. - Ici.c’est toute la réforme des mœurs. — Conversions individuelles : lis hommes doivent abandonner leurs habitudes et coutumes vicieuses invétérées et passer des failles de la chair, des crimes contre nature, de l’orgueil d’une fausse sagesse à une s le chaste, humble et pauvre. (X saint Justin, ApoL, t. 11. /·. G., t. vi, col. 348; Laclmice. Divin* institutiones, I. Ill, c. χχνι. I*. L., t. νι. col. 131 ; Éusèbc. Parparatm evangehea. I. 1, c. is . P» C . t. xm. col. 39. Les conversions furent réa­ lisées h s écris tins païens eux mêmes en témoignent. I*1lne le h une. Epist., I. N. xcm ; Lucien, Mort de /Vrégrmu*. n. 12 éd. Dindorf, p. 691; l’empereur Julien lui mente. au témoignage de Sozomène. Hist. cceL, I. V, c. xm, P. G., t. lxvii, col. 1262. Les conversions sont 700 le fait non de quelques individus, mais d’une multilude. Cette réforme prend plus de relief encore al on la compare aux vertus » des païens. Cf. Gatli, cité par Garrlgou-Lugrange, up. cit,, p. 270. Hé/ormes sociales profondes, La vie familiale res­ taurée; «lignite de l’épouse défendue contre la licence des mœurs païennes; unité et indissolubilité du ma­ riage; virginité et chasteté conjugale. Protection de l’enfant, par les pénalités portées contre l’avortement, la répression des expositions, ventes et meurtres d’en­ fants si fréquents chez les païens. Amélioration de la condition des esclaves, l’esclavage devant finalement être aboli chez les chrétiens. Sur tous ces points, voir Lacordaire. Conférences de Notre-Dame, années 18111815; A.-D. Sertillanges, //Église, Paris, 1917, I. IV; M.-S. Gillet. O. P.. L'Église et la famille, Paris, 1917; A. Cochin, L'abolition de l'esclavage, Paris, 1862; P. Al­ lard. i.es esclaves chrétiens, Paris, 1900, et d’excellentes pages de Joseph de Maistre dans Le pape, L III. La société civile elle-même ct les relations entre États devaient à la longue ressentir une influence sou­ verainement bienfaisante ; fondement divin de l’auto­ rité légitime, Boni., xm. 1; résistance uux lois in­ justes, Act., v. 29; équitable liberté des sujets et rejet du principe tyrannique; constitution des monarchies chrétiennes. Dans l’organisation des sociétés, l’Église se proposa toujours d’améliorer la condition des hum­ bles et de régler, conformément aux exigences de la justice et de la charité, les rapports des riches ct des pauvres, des employeurs et des employés, des maîtres et (les serviteurs. Dans les relations internationales, l’Église s’est efforcée, dès le début ct plus encore au cours des siècles, d’introduire les idées de justice, de charité, de paix : le code de la guerre a été transformé par elle. On ne peut qu'indiquer en traits généraux ces in­ fluences salutaires de la religion chrétienne dans le monde, qui relèvent de sa sainteté et de sa fécondité en toutes sortes de biens. Cf. Garrigou-Lagrange. op. cit., p. 281 sq. 3. Sperandum tam alta. Id., ibid. Ici encore, c'est une transformation radicale des aspirations humaines que se propose le christianisme. D’une part, le christianisme précise en regard des espérance humaines les conditions de la vie de l’audelà, avec la terrible alternative «lu bonheur éternel sans mélange ou du malheur éternel sans espoir. D’au­ tre part, il pose comme condition au bonheur du ciel la pratique des vertus austères et le renoncement à tout cc «pii. dans les biens de ce monde, pourrait faire obstacle à la vertu. Il institue même des écoles de per­ fection, les ordres religieux, où il invite les âmes d’élite à la pratique des conseils évangéliques. On relira sur ces points les Conférences de Lacordaire, 18II. Tout cela dépasse de beaucoup les horizons aux­ quels, en dehors de la foi chrétienne ct de la religion catholique, sont lixés les regards des hommes. 3° Les obstacles. Arrivés a ce point de la présenta­ tion do l'argument, un certain nombre d’apologistes (guidés d’ailleurs en ceci par le souci d'une objectivité historique qu’on aurait tort «le critiquer) exposent les causes favorables a l’expansion du christianisme. Nous préférons reporter l’expose de « es causes au paragraphe suivant, où l'on démontrera simultanément qu’elles ne sauraient constituer une explication sullisanle de la propagation de la religion chrétienne. 1. Nombre d’obstacles à l'expansion du christia­ nisme tiennent a la grandeur même du but réformateur cherché par la religion nouvelle. A sa doctrine tout d’abord. Le culte et la notion même du Dieu spirituel paraissaient trop austères a bien des âmes, «le sorte que les < hrctieiis «μη n’avaient pas d’idoles ni «le * iri ilices, étaient accust s d’alhëismc 701 PROPAGATION ADMIRABLE DU CHRISTIANISME! beaucoup phis encore que les Juifs, cependant qur, d’un autre côté, le culte du Crucifié les couvrait de ridicule. J. Rivière, op, c/L, p. 103. Double point sur lequel les apologistes durent sc défendre. Minucius Félix, op. cit.. c. x, /'. L., t. ni, col. 275; saint Justin, Apo/., i. 6; π. 3, P. G., I. vif col. 336, 113; Athénagore, Lci/atio pro christianis, n. 3, /*. G., t. vi, col. 896. Religion d'autorité, le christianisme effarouchait la raison à la fols exigeante <·( sceptique des païens. Voir des citations de Celse, Porphyre et Cédllus, dans Harnack, op. cit.. p. 111117. Ses mystères excitaient de vives répugnances : Porphyre critique l’eucharistie, qu'il entend en un sens matériel rl condamne comme sauvage et absurde, plus absurde que toute absurdité, plus sauvage que la plus grossière sauvagerie >. Cité par Harnack, op. cit., p. 197, note I. Paradoxal dut être d’abord, pour tous les païens en général, comme pour les Athéniens, le dogme de la résurrection de la chair et du jugement dernier. Cf. Minucius Félix,op.c/L. c. xi. P. /,.. t. m. col. *277; Tertulllen. Apo/., c. xi.vin, /*. L.. t. i. col. 527; Athénagore, De resurrectione mor­ tuorum, passim, P. G’., t. νι, col. 973 sq. Les exigences morales du christianisme étaient éga­ lement un obstacle considérable à son expansion : réprimer des passions longtemps caressées; rompre avec des habitudes enracinées, telles que la fréquenta­ tion des théâtres et la participation aux jeux publics; s’abstenir du luxe sous toutes ses formes et soin eut des simples relations de société, facilement entachées de pratiques idolâtrlqucs. I labituées au mal. quotidien­ nement exacerbées par la corruption universelle, trou­ vant dans la religion même, depuis l'envahissement des cultes orientaux. < avant tout un instrument d’excita­ tion malsaine et un prétexte à des désordres de toute espèce (Duchesne. Les oriymes chrétiennes, p. 10). combien les âmes se sentaient affaiblies! P. Buyssc, op. cit., p. 38. Mauvaise préparation à comprendre, à goûter, ù suivre jusqu’au dernier souille une morale dont la chas­ teté rigoureuse, l’humilité sans réserve, la mortifica­ tion des sens, l’amour du prochain, tant d’autres sacri­ fices, forment la trame et qui exclut même la pensée et le désir coupable! Les aspirations chrétiennes apportaient jusqu'au sein des familles ce redoutable obstacle que constituent les luttes du devoir et de l'affection. La religion chré­ tienne était souvent ce glaive » de séparation dont a parlé Jésus. Malt h., x. 21 ; 31-38. Le baptême donnait parfois lieu Λ des drames intimes ; enfants déshérités par un père en fureur; épouses répudiées par un mari qui ne sait supporter leur vertu. Tertulllen, Λ pot., c. m. P. L., t. i. col. 328 sq. Faits plus odieux : des femmes furent dénoncées au juge parleurs maris; des jeunes lilies, par leurs fiancés. Saint Justin. ApoL, il, 1-2, P. G., t. vi, col. 112 sq. En tout cas, séparation pénible des âmes, qui pouvait devenir tragique aux heures de persécution. CL I larnack,op. cil., p. 33(1 331 ; P. Allard, Dix leçons sur te martyre, 10 leç., p. 189-231. 2. En regard de ces obstacles, pour ainsi dire essen­ tiels au christianisme, il faut placer ceux qui lui vin­ rent de l’opposition du paganisme. Celui-ci. malgré le discrédit dans lequel il était tombé, gardait tout l’éclat du culte publicet le prestige delà tradition nationale. Il plongeait des racines tenaces au plus profond des habitudes familiales et sociales : cette rrligiosilt publique, qu'elle ail été. en somme, tlorisMintr ou décrépite, n’est pus l’unique «dément dont il faille tenir compte. Dims toutes 1rs provinces et dans toutes 1rs villes, a Rome aussi bien qu’A Alexandrie, en Espagne, en Asie, en Egypte. il y avait des idoles dans l’intérieur des maisons et «1rs familles, avec des usages, superstitions et cérémonies de toutes sortes. lui littérature s’en est rarement occupée; mais les pierres et 1rs chambres mortuaires, 1rs pap\ rus magique* nous en ont apporté la connaissance. On y voit que chaque fonction domestique avait son génie protecteur, que toutes 1rs allées et venues étaient soumises U la direction dr quelque dieu. Le monde religieux restait intact, celte religion de second ordre était partout vivante ct agissante. Harnack. op. cit.. p. 243-211; trad. J. Rivière, I». 106. L’opposition du paganisme au christianisme engen­ drait, contre cc dernier, les pires calomnies, A la plu­ part des esprits cultivés, le christianisme apparaissait une doctrine absurde, que seule la crédulité ou l'igno­ rance pouvaient admettre. Tertulllen, Λ pot., c. in, P. /... t. i, col. 328. On affirmait d'ailleurs que les chré­ tiens adoraient le soleil, la croix ou même une tête d'âne; que. dans leurs réunions nocturnes, ils se livraient à des orgies suivies de débauches innomma­ bles; qu'ils égorgeaient un enfant pour se nourrir de ses membres sanglants. Les plus libéraux parmi les païens les jugeaient tout au moins, en raison de leur intransigeance et de leur manière de vivre, des ennemis du genre humain. Leur impiété et leurs sortilèges étaient cause de tous les fléaux. Toutes légendes qu’ont dû réfuter les apologistes. Cf. Minucius Félix, op. cit., c. viii-tx, P. L., t. ni, col. 266 sq. ; Tertulllen, Apol., c. vit-vni, xx, P. L.. t. i, col. 358 sq.. et. plus lard, saint Augustin. De civitate Dei. L IL <·. m: Enarr. in Psalm., i.xxx. n. 1. P. I... I. xm, col. 19; t. xxxvn, col. 1033. De tels racontars, colportés par la rameur publique, excitaient le fanatisme haineux de la foule. .Mais, d’une façon générale, pour tout païen, le chris­ tianisme était une superstition : superstitio prava el immodica, dit Pline le Jeune, cf. Kirch, op. cit.. n. 30; superstitio nova et malefica, renchérit Suétone, ibid., n. 10; exitiabilis superstitio, ajoute Tacite, qui juge les chrétiens coupables et dignes des derniers châtiments. sontes et novissima exempla meritos. Ibid., n. 3L Minu­ cius Félix, â de multiples endroits de son Octavius, nous rapporte ces calomnies, dont Harnack donne un bref aperçu, p. 228-229. 108-110; cf. P. Xllard. op. cit., p. 117-121. Si la lin du ir siècle marque la cessation de ces accusations grossières, on reprochera encore, dans le camp païen, leur stupide crédulité » aux chrétiens. Cf. Marc-Aurèle. Pensées, xi.3.dans Kirch,op.cit., n.77. Les philosophes païens attaquèrent le christianisme au nom de la raison. Raison d’Etat chez ('.vise (vers 178). Ce philosophe, patriote et politique soucieux de défendre l’unité de l’empire, exploite contre le chris­ tianisme la division des sectes. Il raille l’histoire évan­ gélique. Le Christ est un illumine, sinon un imposteur; ses miracles sont dus ù la magie; sa morale est copiée sur celle des philosophes. Sa résurrection n’est qu’une hallucination de Madeleine. Le christianisme. Issu des fables répétées par les apôtres, est un défi porté à la fois au bon sens cl à la Providence. On peut sans doute faire quelques concessions aux chrétiens; mais les chré­ tiens doivent quitter leur particularisme et se rallier a l'imité nationale. Cf. L. Duchesne, Histoire ancienne de Γ Eu lise, t. i. p. 201. Contre la doctrine chrétienne, un siècle plus lard. t a fardeau fait de satiété, de mépris, de railleries et de Porphvrc écrira quinze livres de controverses, l*oudégoût pesait sur l’ensemble du paganisme. Mais on sc trom­ \ rage le plus riche cl le plus pénétrant qu’on ait jamais perait fort a croire qu’il en était ainsi partout Son seule­ écrit contre le christianisme ·. I larnack, op. cil., p. Ill; ment tout cela gardait une coiulstunce ofllcielle, mils un bon nombre «l'Amts s’attachaient encore A ces prescriptions ( cf. Duchesne, op. cit., p. 553-555. Porphyre s'attache à détruire les mythes chrétiens en montrant qu'ils n’ont cl cérémonies. Los nouvelles religions qui arrlvafcntd'Oricnt pas de fondement historique dans l’Ecriture. Pour lui, rnnirn lient les Vieux cultes, et les rites même 1rs plus suran­ le Christ est un homme très pieux; mais son image est nés rccrsaient parfois une nouvelle signilicalion !>e plus. 703 PROPAGATION ADMIRABLE DU CHRISTIANISME 704 défigurée dans l'Evangile par des traits invraisembla­ I fusion de J'Évungllc n’en fut avantagée que dans une bles et Inadmissibles. L'Ancien Testament ne fournit I faible mesure. Les pires ennemis des dieux, écris ains ou philosophes, furent aussi les adversaires les plus actifs aucune preuve prophétique de l’Église. Saint Paul est un rhéteur barbare, sans logique et sans bonne foi. du christianisme. Stoïciens et néo platoniciens riva­ Trois points surtout heurtent la raison dans le chris­ lisèrent de zèle contre la religion nouvelle. Sans doute encore il faut compter les aspirations tianisme : la création ct la fin du monde, l’incarnation, religieuses de nombreux païens comme un clément la résurrection. \oir Part. Poiiphyhe. Les apologistes répondirent sans doute; mais leurs favorable à l'expansion du christianisme. A mesure ouvrages pénétraient difficilement dans les milieux que la civilisation pénétra le peuple romain, que le païens. Au début du iv* siècle, Lactancc constate en le théâtre des luttes armées s’éloigna, que les arts de la déplorant qu’il n’y a pas d’auteurs chrétiens pour le paix furent cultivés, que les lettres cl la philosophie public lettré. Divimc instit., I. V, c. i, P. /... t. vi, ouvrirent à l’étroite imagination des Quirites . Lumen nitie, l'espérance du salut au début de sont pas charnelles. - II Cor., x, 4. Les apôtres vien­ l’ère chrétienne, Paris, 1916. p. 73. Néanmoins, il faut nent répandre dans le monde la fol au Christ, précisé­ sc garder des exagérations. Le culte dc Mithra s’attar­ ment en luttant contre les habitudes les plus invétérées dait sur les confins de l’empire; son influence sur le ct les préjugés les plus enracinés, sans même avoir le christianisme naissant est, à proprement parler, inexis­ secours de l'éloquence naturelle, dc la science, de la tante. Voir A. d’Alès. Mithra (La religion de), dans philosophie, du pouvoir politique ! La manière dont le Diet, apolog., t. m, col. 578 sq. Quant aux autres monde a été amené à la foi parait, à celui qui la consi­ cultes, on doit avouer qu’ils étaient pauvres de vie dère attentivement, vraiment incroyable. Des hom­ spirituelle : soucieux au premier chef des impuretés mes complètement étrangers aux disciplines libérales, toutes matérielles, entre autres dc l’ciïusion du sang n’ayant reçu aucune culture des sciences d’ici-bas. ne — qu’il y ait eu crime ou non — et du contact avec un possédant ni les ressources dc la grammaire, ni les mort, avides de la domination du monde (fût-ce du armes de la dialectique, ni l’avantage d’une éloquente monde au delà du tombeau) et désireux d’en capter les rhétorique, voilà les pêcheurs que le Christ a envoyés forces d’une manière mystérieuse, grâce à des rites en très petit nombre avec les seuls filets de la foi vers magiques, comment seraient-ils devenus les pionniers la mer de cc monde! Et c'est ainsi qu’il a capturé des nécessaires du christianisme, dc cette religion que poissons en si grand nombre et même, chose d'autant caractérisent des aspirations contradictoires aux leurs : plus admirable qu’ils sont plus rares, les philosophes la poursuite de la netteté morale ct l’amour du déta­ eux-mêmes. Grâce à un nombre intime d’hommes in­ chement? On sait d’ailleurs qu’Aurélien les opposa à connus. faibles ct sans habileté, le monde a été conduit l’envahissement dc la foi chrétienne. » P. Buyssc. à la foi; et il en fut ainsi parce qu'à l’aide de témoins ! op. cil., p. 30. Cf. Lagrange, Les mystères d'Élcusis ct aussi misérables la divinité s'est imposée plus admi­ le christianisme, dans Licit. biblique, 1919, p. 157-217: rablement. . Saint Augustin, De civitate Dei, L XXII, L. Duchesne, Hist. anc. de ΓÉglise, t. i, p. 542 sq.; c. v, p. L., t. xi J, col. 756. Cf. I Cor., n, 2-5. P. Allard, op. cit., p. 17; M. Brillant, Les mystères 2. Les moyens favorables issus des circonstances sont d'Élcusis, dans Le Correspondant. 10 janv. 1920; eux-mêmes insuffisants. — Ces moyens favorables peu­ G. Bardy. recension, dans Lien. peut, d'apolog., 1er mars vent sc ramener à l'influence du milieu, à l'attirance de 1917, de l’étude d’E. Jacquier, Mystères païens (Les) la doctrine chrétienne, à la contagion des exemples cl saint Paul, dans Diet, apolog., I. in. col. 964-1014, et donnes par les premiers fidèles. l’abondante bibliographie qui suit cet article. a) Le milieu. — Le paix et l’un/fé romaines favori­ Le judaïsme lui-même a rendu d’immenses services saient l’expansion des idées : les grandes voies mili­ à la cause du Christ dans l'empire. Au i«r siècle, répandus taires coupaient de leurs chaussées de granit les sables sur tous les points importants, les Juifs formaient dc la Syrie comme les forêts dc la Gaule; et. comme environ 14 % des sujets dc l’empire. Mais, loin du l’hellénisme avait créé une certaine unité de langues et Temple ct pour les besoins de la propagande parmi la société romaine, ils avaient simplifié leurs observances, d’idées, d’Antioche a Cadix, «l’Alexandrie a Bordeaux, k marchand, le soldat, le professeur, étaient partout réduisant leur doctrine à quelques traits essentiels, chez eux. Mais, on le voit, celte facilité était toute monothéisme élevé ct morale pure. Des Ames d'élite, matérielle ct ne concernait pas spécialement les idées lasses du polythéisme grossier, altérées de vie meil­ religieuses. Toutes les difficultés inhérentes au dévelop­ leure, ont sans doute été attirées par une telle reli­ gion, cl, lorsque le caractère trop national du judaïsme pement du christianisme subsistaient. Le discrédit du polythéisme, qui augmentait rapi­ les a rebutées, elles sc sont naturellement tournées vers le christianisme. dement. était certes un élément fa\arable. Mais la dif- 705 propagation admirable du christianisme Mais la particularité peut-être la plus favorable fut | le syncrétisme. « Le syncrétisme, écrit A. Baudrillarl, op. cil., p. 545, s’opère par un double procédé. Lc pre­ mier est la dénationalisation des dieux ct leur assimi­ lation. En diminuant le nombre des dieux, il favorise la marche vers le monothéisme. Lo second est beau­ coup plus hardi. Aux yeux de leurs adorateurs respectifs, le Baal syrien, Isis (una qutr omnia), Sérapls (Zeus Sérapls), Mithra, sont chacun le dieu unique. Les au­ tres déliés, auxquelles on ne refuse pas le culte, sont considérées soit comme des noms différents du dieu unique, soit comme des Renies secondaires. C’est ainsi que, sans manquer à la logique, un dévot peut se faire initier aux mystères dc plusieurs cultes, exercer meme plusieurs sacerdoces : c'est la divinité; il l'honorc, ct plus variés sont les modes qu’il emploie, plus 11 croit l’honorcr. « Lc christianisme, avec son Dieu unique ct transcendant, nc pouvait que profiter d’un tel état d’esprit. b) La doctrine chrétienne, en effet, renforce vivement les traits fondamentaux, issus du syncrétisme.Un Dieu unique, placé au-dessus des races et des peuples. Père provoquant l'amour plus que la crainte; le combat qu’elle ordonne contre toute tendance mau\aise capa­ ble dc ternir la grâce dc l’âme; la fraternité humaine, ct l’assistance sociale; l'appel â une vie profonde, à la­ quelle pécheurs comme justes sont conviés, et surtout un Sauveur. Dieu fait homme, prodigue de bienfaits, victime du péché, vainqueur dc la mort, devant récompenser les bons et punir les mauvais, n'cst-cc pas là le couronnement des aspirations syncrétistcs? El cependant. Ici encore, Il ne faut rien exagérer. Le même état d’âme qui orientait les païens vers la doc­ trine du Christ les en détournait aussi. Lc syncrétisme est caractérisé par l’acceptation précaire d’éléments choisis, sous réserve de Tautoncinic persévé­ rante de l’esprit et de l’action; le christianisme, au contraire, est caractérisé par la soumission Λ l’autorité et le don inté­ gral de sol. Les éléments de l’un ont beau sc retrouver iden­ tiquement dans l’autre (ce qui prête â controverse), la ma­ nière dc les accepter ct l’opposition «les conséquences pra­ tiques creusent un abîme entre 1rs «leux systèmes. Plutôt qu’à l’Église le syncrétisme devait donc aboutir aux srctrs qui satisfaisaient les mîmes tendances, mais nccircdhdent «le plus les conceptions disparates et les mœurs fantaisistes. Monothéiste en son fond comme le christianisme, la μ nose, avec scs cons ct scs dieux subalternes, souriait davantage nu polythéiste. Iji religion de Mithra présentait aux co urs nobles, outre le logos créateur cl ami des hommes, outre la • rédemption · ct les ■ sacrements », l’ascèse ct la vie future, un appât considérable ct même décisif : la tolérance des cultes nationaux ct la bonne fortune des faveurs imj étioles. P. Buyssc, op. cit., p. 33-3 L D'ailleurs, la masse populaire « échappait â l’at­ trait ». L. Duchesne, op. cil., p. 549. 198; cf. L. de Grand maison, L'expansion du christianisme d'après M. Harnack, dans les Études, l. xcu, 1903; B. Allô, L'Évangile en face du syncrétisme païen, Paris, 1910. c) Les prodiges dont furent témoins les premiers temps du christianisme el Vexemple même des premiers chrétiens devaient provoquer dans leur entourage im­ médiat « un enthousiasme, dont l’influence doit être comptée nu nombre des plus puissants moyens dc con­ version ». 1,. Duchesne, op. cit., p. 197. Le meilleur cha­ risme était celui dc la moralité : sainteté extraordi­ naire, exquise charité, dévouement sans bornes sur­ tout au moment des persécutions. Sans doute, l'argument est bon; mais il nc suffit pas à expliquer naturellement l’expansion du christia­ nisme. Car, tout d’abord, celte charité exquise, ce dévouement sans bornes, celte sainteté, nc sont pas naturellement explicables; ensuite, il resterait â prou­ ver que ces prodiges d'ordre moral ont eu une Influence décisive dans la conversion des foules, il n’y paraît pas. PICT. DK TIléûL. CATHOL. 706 En conclusion, on peut donc dire que, si la paix ct l’unité romaines ont été les conditions de l'expansion du christianisme, elles n'en ont pas été les causes. Et, si les autres circonstances ont pu avoir quelque in­ fluence naturelle en faveur de la propagation chré­ tienne, celte influence fut secondaire ct n'atteignit jamais les masses. Il reste donc à conclure que seul un miracle d’ordre moral peut fournir une explication satisfaisante. 111. Valeur probante de l'argument. — Cette conclusion est-elle vraiment légitime? L'argument at-ll, par lui-même, une valeur réellement probante? Cette dernière question peut présenter deux sens diffé­ rents. 1° On peut tout d’abord demander si l’argument, tiré de Γ · admirable propagation du christianisme », pris séparément des autres considérations énumérées par le concile du Vatican, constitue un motif dc crédibilité suffisant, ou s'il convient d’y adjoindre les motifs tirés dc la sainteté éminente, dc l’inépuisable fécondité, de l’unité catholique et de l’invincible stabilitédel’Église, pour avoir l'argument pleinement satisfaisant pour la raison humaine? Au cours dc l'exposé de l'argument, nous avons constaté plus d'une fois qu’il ne prenait sa signification totale qu’à condition d’englober dans 1' · admirable » propagation les transformations d’ordre moral qui accompagnèrent ccttc propagation parmi les hommes cl lui donnèrent précisément son caractère admirable. L’unité catholique dans son ins Incible stabilité nc sau­ rait également êt re éliminée ; n’avons-nous pas constaté que cet élément est primordial pour réduire à ses justes proportions — proportions infimes, on l’a vu — l’influence du syncrétisme religieux dans le développe­ ment de la foi chrétienne. 11 semble donc que l’argu­ ment ne prenne toute sa force qu’à condition d’être maintenu dans le cadre plus complet tracé par le con­ cile du Vatican. Cc qui n’empêche point que la consi­ dération exclusive de Γ < admirable propagation du christianisme », avec les moyens naturellement insuffi­ sants dont disposaient les premiers missionnaires — ct on peut encore, toute proportion gardée, en dire autant de sa propagation actuelle — peut constituer, pour toute une catégorie dc personnes, un argument de cré­ dibilité relative très suffisant. Que notre interprétation soit conforme à la pensée du concile, la chose parait indubitable. Les Actes nous font voir, en effet, que le premier texte soumis aux Pères proposait simplement l’Église comme un grand et perpétuel motif dc crédibilité, sans énumérer aucun des caractères miraculeux qui lui confèrent cet avan­ tage : quinimo Ecclesia a Christo /undata in seipsa est n agnum quoddam et perpetuum credibilitatis motirum. et divin# sum legationis irrefragabile testimonium. Trois amendements furent proposes. Le premier supprimait simplement le paragraphe relatif à la crédibilité de l’Église par cllc-nu’me. Le second intercalait, avec quelques variantes Insignifiantes dc texte, Pénumératlon des caractères apportant â l’Église sa propre cré­ dibilité, telle que nous l’avons aujourd’hui dans le document conciliaire. Un troisième amendement ajou­ tait les explications suis antes (hu e vel alia proponenda, disait la proposition d’amendement): ...tum jugi vati­ ciniorum de ea existentium complemento, tum mira sua origine et dilatatione, Ium innumerabilium suorum mar­ tyrum testimonio, tum intemerata inter perennes in/ensissimosque hostes conservatione, tum doctrina unitate, pru celsa plurimorum /iliorum suorum sanctitate, certissimisque miraculis per cos patratis, qutr absque pecu­ liari Dei interventu explicari non possunt. Mgr Martin, évêque de Paderborn, fut l'interprète de la Députation de la foi pour rejeter le premier amendement el maintenir le texte relatif à la crédibiT. — XIII —23. 707 PROPAGATION ADMIRABLE DI Hté de l’Église par elle-même; accepter l’addition pro­ posée en premier lieu et laisser de côté l’énumération, plus complète peut-être, des caractères miraculeux de l’Église, satisfaction suffisante lui étant accordée par le précédent amendement. Cet amendement est accepté, déclare le rapporte ur, parce qu’il est une belle exposi­ tion du motif de crédibilité que contient Γ Église. Cf. Va­ cant, Éludes sur tes constitutions du concile du Vatican, t. n, Paris, 1895. p. 383; cf. p. 151,359. L’Église, avec tous les caractères miraculeux qu’énumère le concile, ne forme qu’un motif de sa propre crédibilité. Ajoutons qu’il n’en saurait être autrement puisque le concile déclare ce motif « perpétuel ·. La propagation admirable n’est donc pas nécessairement, de nos jours du moins, un accroissement numérique et géographi­ que. mais la permanence à travers les siècles, nonobs­ tant les difficultés de toutes sortes, de la même foi, des mêmes Institutions, de la même vie rayonnante. Ici encore, c’est à la formule complexe du motif de crédi­ bilité perpétuel qu’il convient de se rallier. D’où il suit encore que. si l’argument de Γ · admirable propaga­ tion » du christianisme retient l’attention des apolo­ gistes surtout au cours des trois premiers siècles de l’Église, on ne doit pas le restreindre exclusivement a cette époque. L’expansion du christianisme à l’épo­ que actuelle peut et doit entrer dans les éléments du motif général de crédibilité. Le cidre de cet argument plus général a été tracé pir le P. Brou, dans l’art. Propayait ·η de Γ Évangile du Did, apoloy., t. iv, col. 362 sq. 2· On peut, en second Heu. se demander si la valeur de l’argument n’exige pas que la propagation admira­ ble soit tellement particulière au christianisme qu’il soit impossible de rencontrer un phénomène analogue en d’autres religions. La réponse affirmative ne saurait faire aucun doute. Si des religions autres que le christianisme pouvaient présenter, dans leur propagation, des caractères aussi exceptionnels que le christianisme, celui-ci ne trouve­ rait plus, dans sa propagation « admirable » un véri­ table motif de crédibilité· Les adversaires de la foi chrétienne n’ont pas man­ qué d’insister sur l’étonnante propagation de certaines religions : bouddhisme, culte des Césars et de Mithra a Borne, mahométisme, plus récemment protestan­ tisme. Nous n’entreprendrons pas ici un travail de comparaison, d’ailleurs ébauché en certains manuels, qui nous entraînerait hors des limites fixées à cet ar­ ticle. La plupart des auteurs, suivant en ceci la marche tracée par saint Thomas pour le mahométisme, Conl. gentes, I. I, c. VI, s'efforcent de montrer que la propa­ gation de ces diverses religions, soit pour la rapidité, soit pour les moyens, soit pour l’extension géogra­ phique et sociale, ne saurait approcher même de loin la propagation du christianisme. Cf. Garrigou-Lagrange, op. cil., p. 407 sq.; P. Buysse, op. cil., p. 42 sq. : E. Beurlier, Le culte impérial, Paris, 1891; A. Stein. Vnlcrsuchungm zur Geschichte und Verinaltuny Ægyptens unter rumischcr Herrschaft, Stuttgart, 1915; H. Dlcckmann, Der Kaiserkutl unter Augustus, dans Stitnmen der fait. t. cxvr, 1918, p. 46 sq.. 129 sq.; G. Herzog-Hauser, Kaiserkutl, dans Paulv-WissowaKroll, Heal-Enctjklopûdle der klass. Altrrtiims'inssrnschap. Supplcm utband IV,, Stuttgart. 1921, p. 806853; Hcrgcnrüthcr-Klrsch, Handbuch der allg. Kirchengeschichte. t. t. Frlbourg-cn-B., 1911, p. 361 sq., 382 sq.; Ester-Mansbach, op. cil., t. ni, p. 321. etc. La position que nous avons adoptée nous permet de négliger même ces éludes comparatives sur le point précis de la propagation cl de scs movens. SI, en ciTct, l’argument complet, irréfutable, en faveur de la mis­ sion divine de l’Église repose non seulement sur le fuit matériel d'une propagation rapide et apparemment inexplicable, mais sur ce fait bien plus remarquable et CHRISTIANISME PROPHÉTIE 708 complexe d’une propagation mettant en relief, à côté de l'expansion surprenante du christianisme nonobs­ tant obstacles et difficultés de toutes sortes, l'indpulI sable fécondité de l’Église en tous biens, sa sainteté, son unité catholique, son invincible stabilité, alor». aucune comparaison n’est possible pour rapprocher les autres religions du catholicisme. A ccs religions, il manquera toujours l’un ou l’autre des caractères trans­ cendants, dont l'ensemble forme le motif de crédibilité puissant et irréfragable, possession exclusive de I (’Église catholique. (’.'esl ce point de vue formel qu’a complètement né­ gligé A. Bayet dans sa conférence sur Les religions de salut et le christianisme dans l'empire romain. Trois religions pouvaient conquérir l'empire : le inétroacisme, le mlthriacisme. le christianisme. Seul ce der­ nier a survécu et s’est développé, sous l'influence de* pouvoirs publics, parce que seul, exclusif et intolérant par essence, il pouvait réaliser l’unité politique en même temps que l'unité religieuse. L’auteur oublie que la bienveillance des pouvoirs publics ne fut accordée au christianisme qu’après trois siècles de persécutions, tandis que, malgré la bienveillance impériale, les deux autres religions ont périclité. La situation n’est donc pas identique. En concédant qu’au début du iv*siècle la doctrine et les pratiques chrétiennes reçurent du pouvoir impérial un sérieux appui, 11 resterait à expli­ quer comment le christianisme avait pu progresser jus­ qu'à s’imposer aux empereurs. Il resterait surtout à montrer comment, dans la suite des années, l’expan­ sion chrétienne a pu maintenir l’unité de sa foi, la sainteté de scs principes et de ses institutions, sa stabi­ lité apostolique, que trop souvent compromit l’ingé­ rence des empereurs et que le schisme et l’hérésie ne cessèrent d'attaquer à toutes les époques. I nc bibliographie suffisante n été donnée dans l’histoire de l’argument, nu L Mais, sur les débuts du christianisme et la disparition du paganisme, on consultera avec profit, nonobstant ses tendance* protestantes, l’ouvrage <1’1. Gc(Tckcn, Der Ausgang des gricchisch-rûinischcn Heldcnlums, Heidelberg, 1920. dont la bibliographie est remarquable. Sur la lutte entre paganismi* et christianisme voir aussi P. de laibriolle, La reaction païenne. Élude de la polémique anUchrrtienne du Itr au VJ· siècle. Paris, 1931. A. MlCIIEI . PROPHÉTIE. — L’objet de cet article est strictement parallèle à celui de l’article Mthacle. Il ne s’agit donc pas d’exposer l’histoire et d’interpréter la réalisation des prophéties relatives au christianisme. On s’en tiendra aux considérations générales concer­ nant la notion de prophétie et l'emploi de l'argument prophétique comme motif de crédibilité. La division de l’article sera la même (pie pour le mi­ racle : L Notion; IL Possibilité (col. 720); III. Consta­ tation (col. 728); IV. Valeur probante (col. 735). I. Notion. — 1° Définition. — Le mot grec προφήτης, de προφάνχι (προφημι), correspond à l’hébreu ndbi, « Interprète, héraut, porte parole », ou encore à rd’éou hôzè, < voyant ». Sur l’emploi de ccs deux expressions dans l’Ancien Testament voir Diet, de la Hibte, art. Prophétie, t. v, col. 72*8. Ainsi Aaron est désigné par Dieu comme le «prophète » de Moïse. Ex., iv, 14-16; vn, 1. Cf. saint Augustin, Qu.tsI. in Hept., I. 11, q. xvn, P. L., t. xxxiv, col. 601. Voir, sur cette étymologie, A. Condamin, Prophétisme Israélite, dans Diet, apolnq., t. IV, col. 386-387: Eric Faschcr, Προφήτης, Pine Sprach- und reliqionsyexchichtliche Unlersuchung, GicsI sen, 1926. L’étymologie πρδ-φτίυω, retenue par Eusèbe de Césaréc, Drmnnstr. enanq., I. V, prol., P. G., t. xxn, col. 336, et par saint Thomas, Sum. theol., IIMI·", q. ci.xxî, a. 1, est moins sûre, quoi qu’il en soit des affirmations d’Isidore, Etgm., I. VII, c. vin, P. £., t. Lxxxii, col. 283. 709 PROPHÉTIE. NOTION Quoi qu’il en soit» πρδ ne désigne pas nécessairement une priorité chronologique. Le prophète est celui qui parie pour un autre : dans 1e cas présent, qui parle aux hommes au nom de Dieu. Prophétiser est donc, en sol, synonyme de proclamer, de ■ pro-fércr », et, en ce sens, prophétie équivaut a révélation. Toutefois, ce sens ne saurait être exclusif. Cf. Condamin. art. cite, col. 405, contre la prétention contraire de James Damicstcter, Les prophètes d'hrafl, Paris, 1895, p. 137. Saint Tho- I mas a lui-même reconnu ce sens général : 1 lM-llæ, q. ci.xxi, prol.; In epist. /**“ ad Cor., c. xiv, lect. 5; De veritate, q. xn, a. I ; Jn I Z'»m Sent., dist. I, q. i, a. 5. Ce sens général se retrouve sous-jacent h toutes les acceptions du mot · prophète » dans PÉcrlture. Ccs acceptions sc ramènent à trois. 1. Un sens très large. — Esl réputée prophétie » toute parole émise sous l'influence d'un instinct divin, ayant pour objet l’interprétation de la sainte Écriture et principalement des prédictions qu'elle contient, ou encore toute exhortation morale, tout entretien con­ cernant les choses divines, le chant même des divines louanges et des prophéties dans l’église. C'est là le charisme de la prophétie dont parle saint Paul ù plu­ sieurs reprises. I Cor., xn, 10, 28; Horn., xn, C»; Eph., iv, 11. A défaut du charisme, les grâces d'état du ministère sacerdotal tenaient lieu du don de prophétie. Didachè, c. xv, 1, dans Funk. Patres apostolici, t i, p. 32-34. Cf. F. Prat, La théologie de saint Paul, 17e éd.» t. i, 1930, p. 500. Sur les actes des prophétisants, voir I Cor., xi, 4, 5; xiv, 1, 3, 4, 5, 24. 31, 38; cf. Num., xi. 25, 27, 29; 1 Par., xxv, 1-3. Parce que les prophètes confirmaient parfois leurs prédictions par des miracles, ccs miracles eux-mêmes étaient appelés prophéties. Ainsi Eccli., xlviîi, 14; cf. IV Rcg., xui, 21; Eccll., xi.ix, 18 : les ossements d’Éllséc cl ceux de Joseph ont • prophétisé ·. 2. Un sens plus strict. — La prophétie est la connais­ sance des choses ou des événements occultes, qui ne peuvent être naturellement connaissables à l’homme. Mais II n’est pas nécessairement question de choses ou d’événements futurs. Ln prophétie est alors la con­ naissance surnaturelle d’événements ou passés qu’il n’est plus possible de connaître : ainsi Moïse · prophé­ tisa »en racontant les origines du inonde; cf. saint Tho­ mas, ln Z/1*» Sent., dist. 1, q. i, a. 5; ou présents, mais Impénétrables à toute connaissance humaine : ainsi Elisée connut par prophétie ce que son serviteur Glézi lit en son absence. IV Rcg., v, 26. Ln prophétie est en ce cas une connaissance surnaturelle des choses cachées ou des secrets du cœur, κρυπτόγνώσις et κοτρ8ιογν(7.σις. Quelquefois même, la simple familiarité avec Dieu, la connaissance des secrets divins, leur pré­ dicat Ion, sont appelées prophéties. Ainsi furent appelés prophètes Abraham, (ïcn., xx, 7, cl, en partie du moins. Moïse. Dent., xxxtv, 10. 3. Un sens très strict. — La prophétie doit alors être distinguée de toutes ccs grâces de connaissance sumnturclîe qui ne concernent pas spécialement des événe­ ments futurs. On peut la définir : la connaissance surnaturellement communiquée et la prédiction in/aillible d'événement* /ulurs naturellement imprévisibles. Cf. saint Thomas, H*-!!1’’, q. clxxî, a. 1; De veritate, q. xn. a. 2. Elle se distingue signifie l'Écriture tout entière, II Pctr., i, 19-21, et elle constitue un des charismes de la pri­ mitive Église. Rom., xn. G; I Cor., xn. 10. Λ l.i fois 71! PROPHÉTIE. NOTION pénétration des mystères et don de la parole, comme il a été dit plus haut. On peut donc dire qu?, par le nom de prophétie, l’Écriturc, Ancien et Nouveau Testament, désigne toute illumination surnaturelle des Ames. Cependant, nous y trouvons déjà une indication pré­ cieuse au sujet de l’argument apologétique tiré de la realisation des prophéties, entendues au sens strict du mot prédiction ; des futurs libres que l'intelligence humaine ne peut naturellement connaître. Les évangé­ listes ct les apôtres, en diet, aiment â montrer que le Christ ct scs mystères sont déjà prédits dans l’Ancien Testament et qu’il a réalisé — preuve de sa divinité et de sa mission cc que les Écritures avaient annoncé du Messie futur. Dans saint Matthieu : i, 23, cf. Is., vu, 14; n. 6. cf. Midi., v, 2; ir, 15, cf. Os., xi, I ; iv, 15, cf, Is., lx. I ; xi, 5, coll. Is.. ι.χι, 1. 5; χιι, 17. coll. Is., xlii. I; xm. 5. cf. Zach., ix. 9; xxvi. 51; xxvn, 9, col. Zach., xi, 12; xxvn, 35, coll. IS., xxi, 19;xxvm, 6. — Dans saint Marc : n, 2, cf. Is., xl, 3; ix, 11, cf. Is., Li. 3, I ; xii, 36 (Maith., xxn, 41 : Luc., xx, 42), cf. Pl., cix. 1 ; xiv, 49;xv, 28, coll. Is., lui, 12; xvi, 7.— Dans saint Luc : iv, 18, ct. Is., ι.χι, 1 : xxn. 37, cf. Is., Lin, 12; xxiv, 25 sq., 46. — Dans saint Jean : in, 14, cf. Num., xxi, 9; v, 46; xn, 14, cf. Zach., ix, 9; xix, 24, cf. Ps., xxi. 19; xix, 28, cf. Ps., lxviii, 22; xix, 37, cf. Z.ich.. \n. 10. Saint Pierre reprend le même argument dans les Actes des apôtres, n, 30, cf. Ps., cxxxi, 11; n, 34, cf. Ps., αχ, 1; m, 18; m, 22-26; iv. 11, cf. Ps.. ex vu, 22, cl Is., xxviii, 16. Saint Étienne invoque aussi l'argument prophétique. Act., vu, 52. Saint Paul également,ct plus spécialement quand il s’adresse aux Juifs, Act., xm, 16 sq.; Hcbr., i, 5 sq.; vu, 1 sq.; cf. I Cor., xv, 3, 4. Et meme, dans son enseignement sur l’insulilsance de la Loi. il invoque constamment l’autorité de l’Ancien Testament. Gai., m, 6, 11; Hom., i, 17; iv, 3. 2. L'argument prophétique dans la tradition. — La mission du Christ étant acceptée de la première géné­ ration chrétienne, il n'y a rien d’étonnant que l'argu­ ment prophétique, dans les écrits des Pères apostoli­ ques, ait fréquemment cédé la place à la doctrine même du Christ. Cependant, la Didachè rappelle, nu sujet du sacrilice eucharistique, la prophétie de Malachle, XIV, 3, cl, au sujet du jugement. Zach., xiv, 5. Le Pasteur d'Hermas fait aux prophètes deux fugitives allusions, 1 ïs., II. m. 4 (prophètes Eldad et Modat, Num.,xi, 26. 27);Sf/n., IX, xv. L Mais l'épftrc du pseudo-Barnabé fait un constant appel à l’Ancien Testament pour dé­ montrer la vérité du Nouveau, et l’auteur ne sait pas toujours sc mettre en garde contre les exagérations. On notera cependant la prophétie <ΓIsaïe, lui, 5-7, invoquée pour Justifier la passion du Christ. La /a Cle­ mentis commente tout le psaume xxi. en l’appliquant nu Sauveur, et s’appuie constamment sur les prophètes de l’Ancien Testament. Chez les apologistes, les prophetes occupent une position privilégiée. Saint Justin a appris d’eux tout cc qu’il sait de la vie, des miracles, de la mort, de la résur­ rection. de la glorification du Christ. A pot., i, 31. P. G., t. vi, col. 375. La moitié de cette apologie est ordonnée à prouver que I' Esprit-Saint a annoncé dAvance pur les prophètes tout ce qui sc rapporte à Jésus . Ibid.. 30, col. 373. Même tendance générale dans le Dialogue, n. 43 sq. Ibid., col. 569. La réali­ sation des prophéties garantit la mission divine des prophètes cl la vérité de l’économie prédite. ApoL, i, 53. ibid., col. 105. Les prophéties du Christ sont appe­ lées elles mêmes comme argument. Ibid., 12, col. 345. Plus expressément sc retrouve la prophétie de Mala< hiet Dial., n. 117, ibid., col. 715; la prophétie de Ml« live ">ur le lieu de naissance du Messie; celle d Isaïe sur *a conception virginale, la prophétie de Zacharie 712 sur l’entrée de Jésus à Jérusalem. Dial., n. 43, 53, 78, I 120, ibid., col. 569, 592. 657, 753. Déjà saint Ignace d'Antioche avait invoqué l’auto­ rité des prophètes en faveur de Jésus-Christ, Ad Phil., v, 2; i\. 2. Saint Irénée reprend la prophétie de .Miellée ‘ a l’occasion du sacrilice eucharistique, ('ont. hier., IV, xvn, 5; xviii, 1, P. G., t. vu, col. 1023 sq. L’argument tiré de la prophétie des soixante-dix semaines de Daniel fut Invoque par Clément d’Alexan­ drie, Stromata, I. I. c. xxr, P. G., t. vm, col. 853 sq. C’était un argument qui avait sa place aussi bien dans la controverse juive que dansJa controverse païenne. Nous n’avons pas à étudier ici les différentes solutions qu'y apportèrent les apologistes el les Pères. Nous signalons simplement les auteurs qui s’y référèrent. Terluilien, Ado. Judæos, c. vm, P. L.. I. n, col. 612; Origène, dans scs Stromales, cité par saint Jérôme, tn Daniclrm, c. ix, P. L., t. xxv, col. 518; saint Hippo­ lyte. In Danielem, P. G., t. x. col. 652-656; Eusèbe, DemnnsL eoang., I. VIII, c. n, P. G., I. xxn. col. 577; saint Athanase, Dr incarnatione, c. xi, P. G., t. xxv. col. 165: saint Cyrille de Jérusalem, Calech., xn, 19, P. G., t. xxxm, col. 748; saint Jean Chrysoslomc, Homil. ado. Judæos, c. v, n. 10, P. G., t. xi.viii, col. 898; routeur des Quiestiones ex octcri Testamento, n. 14, P. L., t. xxxv, col. 2245; saint Isidore de Séville, De fide catholica, l.V, P. L., t. lxxxui, col. 461. Dans son ensemble, l’argument prophétique était consacré dans l'apologie du christianisme, cl sous une forme bien déterminée, depuis saint Justin, qui, on l’a vu, avait Inséré dans sa première Apologie les oracles de Jacob, de .Michée, d'Isaïe et d’autres prophètes rela­ tifs à la venue du Messie et aux circonstances de cette venue. La conclusion qui s'en dégageait était l’attes­ tation divine en faveur de la mission du Christ. On retrouve cette apologie chez saint Cyprien, Quod idotu dii non tint, n. 13 el 14, P. L., t. iv, col. 579, 580; chez Laclance, Diviruv institutiones, L IV, c. xi; I. V, c. m, P. L., t. vi, coi. 476, 560; chez saint Jean Clirysostome. Quod Christus sit Deus, η. 11, P. G., I. xlviii, col. 828; et saint Augustin y recourt fréquemment, Enarr. in Psalmos, ps. lvi, enarr. 9, P. L., t. xxxvi, col. 666;De fide rerum qum non oidrnlur, c. v-ix, ibid., t. XL, col. 174-179; Dr unitate Ec.clesite, c. xix, n. 50, ibid., t. xi.iii, col. 430. Cf. Epist., cxxxvn, 16, P. L., t. xxxiiT, col. 323. Les auteurs qui, au Moyen Age, écrivirent contre les Juifs utilisèrent en passant l’argument prophétique pour prouver la vérité de l'incarnation et la mission divine du Christ. On peut citer Amolon, Liber contra Judæos, P. L., t. cxvi, col. 1 11 ; Fulbert de Chartres, Tractatus contra Judivos, t. cxt.i, col. 305; salut Pierre Damien, Antitogus contra Judæos, t. cxlv, col. 12; Guibert de Nogenl, De incarnatione contra Judæos, t. clvi, col. 489; Gislebert, Disputatio Judœi cum Christiano, t. eux, col. 1005; Pierre le Vénérable, Tractutus contra Judæos, t. clxxxix, col. 507; Abélard, Dialogus inter philosophum, iiubrum et chrislianum, t. cLxxvm, col. 1611 ; Pierre de Blois, Contra perfidiam Judieorum. t. ccvii, col. 825, etc. Saint Thomas d'Aquin a étudié la prophétie beaucoup plus en théo­ logien qu’en apologiste; voir cl-après; c’est donc tout à fait accidentellement qu’il s’est servi de l’argument prophétique pour démontrer la vérité chrétienne. Voir i cependant Sum. cont. gentes, I. I, c. vi. L’apologétique chrétienne s’est renouvelée au xm· siècle, en ce qui concerne l’usage de l'argument prophétique, avec le dominicain Kaymond Martini, dans son Pugio fidei. Ce savant dominicain avait étudié la littérature talmudique; il avait constaté que les anciens rabbins avalent cru aux prophéties messia­ niques tout comme les P< rvs de l’Eglise, et il entreprit donc de prouver aux Juifs la divinité de lésns-G.hrlst 713 PROPHETIE. NOTION par huis propres docteurs, (.’esl ainsi que dans la /Kirs 1 /*, c. in sq., il démontre les prophéties messiani­ ques ύ l'aide des traditions rnbbinlqucs, et. dans la pun ///·*. il démontre successivement la Trinité, (list. 1, c. m, iv; le pèche originel, dist. 11, c. vi; la divinité du Messie, dist. 111, c. i-m. 3. Ultimes précisions, consacrées par le concile du Va­ tican et les décisions récentes de le Commission biblique. L'argument prophétique, prenant comme point de départ la prophétie entendue en son sens très strict connaissance surnaturelle et prédiction d’un événe­ ment futur imprévisible - a été définitivement con­ sacré au concile du Vatican. On sc reportera aux textes conciliaires reproduits à l’art. Miracle, t. x, col. 1799. Dans la constitution Dei Filius, le concile place les prophéties sur le meme plan (pic les miracles, ct il les appelle des arguments extérieurs de la révélation », des · faits divins... qui, parce qu’ils manifestent excel­ lemment la toute-puissance divine et sa science in Unie, sont des signes très certains et appropriés â l’intelli­ gence de tous ». Et, comme confirmation de son asser­ tion, le concile apporte le texte de H Pctr., i, 19 : Ha­ bemus firmiorem propheticum sermonem, cui bene faci­ lis, attendentes quasi lucerna* lucenti in caliginoso loco. C. in, De fide, Denz.-Bannw., n. 1790. Ces idées se retrouvent dans la formule du serment antimodemiste de PicX. ibid., η. 2145. Voir l’art. Miracle, col. 1799. Depuis, les décrets de la Commission bibllcfuc sur Isaïe (29 juin 1908), dub. i-iix ; sur les psaumes (1er mal 1910), ®, 10amf 13°®; a. 11, ad 13”m s|.; In Jcremnim. c. xviu; In /saiam, c. xxxiv; In Matth.. c. I. Ainsi, bien que l'effet prédit ne s’accomplisse pin, la prophétie n'est pas fausse parce qu'elle indique cc qui arriverait, si les Prophétie dans l'état de dispositions de causes à effets n'étaient pas modifiées veille. par notre libre intervention, postérieurement a la Prophétie dans l ’ extase prophétie. Ibid., q. clxxi. a. 6, ad 2«®; De veritate, b. Matériellement. ou le ravissement. q. xi!, a. 11, ad 2ura; (.ont. (/entes, I. Ill, c. clv. Prophétie dans le som­ La prophétie faite avec, serment, cf. Ps., crx, I, est meil. toujours absolue. Exemples de prophéties commina­ ni Division en raison de l'objet. a. Par rapport à toires, Jon., m, 1; Is., xxxvîîi, 2. Γextension dr la connaissance de cet objet, la prophétie b) En raison du mode de connaissance, la prophetic admet quatre degrés de perfection décroissante. peut être considérée soit formellement, soit matérielleLe premier, le plus parfait, comporte la connaissance 1 ment. de l'événement futur, du temps où il se produira, de la a. Formellement, elle se divise en prophétie par vision signification prophétique de cet événement ct de l’ori­ intellectuelle, imaginative, sensible. Voir ci-dessus, gine divine de la prophétie. Cas extrêmement rare.. ι col. 716 sq. Cf. Lagrange, Pascal et les prophéties messianiques. La vision intellectuelle rend la prophétie en soi plus dans la Hevue biblique, 1906, p. 510. Dans l’Ancien parfaite, car la manifestation de la vérité divine dans Testament, on a voulu en trouver un exemple dans les la contemplation pure de la vérité est supérieure à soixante-dix semaines de Daniel. Voir t. iv, col. 75. toute manifestation de la même vérité sous l'image de Dans le Nouveau Testament, on peut citer les prophé­ choses corporelles; elle ressemble davantage ù la vision ties du Christ relatives ù son retour â Jérusalem, aux céleste qui fait voir la vérité dans l'essence divine ». souffrances qu’il devait v endurer, â sa mort, à sa résur­ Ibid., q. clxxiv, a. 2. Toutefois, < parce que la pro­ rection le troisième jour. Matth., xvi, 21; χνπ, 22: phétie implique une certaine obscurité el un éloigne­ xx, 19. Ou encore la prédiction du triple reniement de ment de la vérité intelligible, on donne, en un sens plus Pierre, la nuit même de l’arrestation de Jésus, avant le propre, le nom de prophète à celui qui voit au moyen chant du coq. Matth., xxvi, 31. de la vision imaginative ». A. 3. Le second degré comporte la connaissance de l'évé­ La vision imaginative sc produit soit à l’aide de nement futur, de sa signification, de l'origine divine de formes imaginaires imprimées dans les sen ; intérieurs, la prophétie, mais non de l'époque où se réalisera cet cf. Is., vî, 1 sq.; Ez., î, 3 sq.; Am., vu. 7 sq., soit dans événement. Cette indétermination résulte fréquem­ des visions symboliques. Ez., n, 9 sq., χχχνίί, 1 sq.; ment du manque de perspective historique des pro­ XL-xLvi. Elle comporte de multiples degrés cl aspects : phéties, comme on l’a exposé plus haut. Voir les cas la lumière prophétique est plus vive à l'état de veille d’Is., vu, 11, ct de Matth., xxiv, 1-36. que si elle emprunte le songe pour sc communiquer; les Lc troisième degré comporte simplement la connais­ paroles directement perçues sont plus expressives que sance de l’événement futur ct de sa signification pro­ les simples signes, symboles de la réalité prophétisée; phétique: mais l’origine divine de la prophétie et le plus les signes sont expressifs, ct plus haute est la pro­ temps do sa réalisation sont ignorés. C’est le cas du phétie: ct si le prophète non seulement entend, mais simple instinct prophétique, dont parle saint Thomas, voit celui qui lui parle, le degré de la prophétie sera Ι14-ΙΙ·υ, q. clxxi, a. 5; q. clxxiu, a. L dont les plus parfait : au rang suprême, s’il voit en celui qui lui prédictions peuvent être parfois incertaines ou fausses. parle une représentation de Dieu même, comine jadis Le quatrième degré ne comporte (pic l'annonce d’un Isaïe,vî, 1 ; moins parfait, si un ange apparaît; moins événement futur, mais le prophète ignore l’origine parfait encore, si l’interlocuteur n’est qu’un homme. divine de sa prophétie ct même la signification de la La prophétie par simple vision sensible est celle dans chose annoncée. C’est le cas de Caiphe. laquelle le prophète reçoit communication de la vérité Quant à la signification de la chose annoncée el en par le moyen même de scs sens externes. Ainsi Abra­ raison de sa surnaturalitc ou de son caractère pure­ ham vit trois anges. Gcn., xvm, 2; Moïse, le buisson ment naturel, la prophétie, dit encore le P. Garrigouardent. Ex., m, 2; Daniel, les caractères mystérieux, Lagrangc, comporte deux degrés : ou bien ellelmpllque Dan., v, 25; cf. vin, 15. Cf. saint Thomas, q. clxxiu, une lumière surnaturelle quant à la substance s'il a. 3. s agit d’une prophétie concernant un mystère de la b. Matériellement, la prophétie est réalisée dans un foi. ou bien elle s'accommode d’une simple lumière triple état possible : l’état de veille, l'état d'extase ou de surnaturelle quant au mode s’il s'agit d'un événement ravissement, l'état de sommeil. Cf. q. clxxiv, a. 1, 2, 3. d'ordre naturel. Il n’\ a dans les Livres saints qu’un exemple de révé­ b. Par rapport à la nature du fait futur annoncé, la lation faite par songe au prophète lui-même. Dan., vu, 1. prophétie sc subdivise en prophétie de prescience ou en prophétie de menace. Voir. dans le Dictionnaire de la Di Idc, l’art. Songe, I a prophétie de prescience ou absolue atteint l’objet t. v, col. 1833-1834, et Ici Extase, particulièrement prédit dans sa réalité même ct se réalise toujours. La col, 1881-1881, Cf. saint Thomas, IIs-11®, q. clxxv, prophétie de menace marque simplement le rapport a. 2, 3. dt % causes aux diets; elle signifie · que la disposition 11. Possibilité. -- Nous exposerons d'abord In de* . Parmi ces pré­ dictions essentielles, il fnul nommer celle du règne univer­ sel de Jahvé dans hi religion. In justice et la paix; celle du jugement qui devait préluder à l’inauguration de cc règne; celle du royaume qui devait grouper tous les Individus de tous 1rs temps cl de tous 1rs lieux, en qui ct par qui s’éta­ blirait le règne de Dieu; celle du roi messianique, futur représentant de Jahvé, Λ la tête de la nouvelle société, appelé â cc titre Λ présider A son inauguration rl A son déve­ loppement. ct. pour vire digne dc celte mission,revêtu par une influence très spéciale dc l’Espril dc Dieu, de toutes les vertus morales et religieuses qui doivent fleurir dans le royaume. Telle encore l’annonce de la continuité qui doit régner entre les diverses interventions dc Dieu dans le monde, son intervention dans le royaume d’Israël cl dc Judn, son intervention dans le royuume messianique, conti­ nuité telle que le royaume futur aura des Juifs pour premier noyau cl point dc déport, quo le futur roi sera de niccdnvidlque. · Les autres éléments. « tout en occupant une place importante dans les prédictions messianiques, n’occupcnl pourtant, â raison de leur caractère même, qu’un rang secondaire, une place accessoire. Ils constituent comme 1rs enveloppes, la gaine qui devait rtmfcrrner. entourer les éléments essentiels.pour les présenter sous une forme accep­ table aux premiers destinataires des prophéties; mais leur sort était (le se rompre, dc se déchirer ct finalement de dispaniitn* le jour on le fruit en serait venu ù sa pleine matu­ rité. Et le savant auteur mentionne, comme exemples d’èlrmcnls accessoires, tout ce qui tend à restreindre le 731 PROPHÉTIE. CONSTAT \ TI O N royaume rem talione, t. il. p. 129-130. la réalisation de la prophétie n’est pas l’effet du hasard ou d’une causalité naturelle entrevue conjecturalcEn bref, là où apparaissent un ordre, une coordina­ nicnt, mai* qu'allé dépend uniquement de la prescience tion s’imposant aux cause» secondes pour aboutir A la et de la volonté divines (sans exclure d'ailleurs le Jeu réalisation d’un événement prédit, le hasard n’rst pas naturel des causes secondes, mémo libres). une explication. Au principe de cet ordre cl de cette La démonstration, ici. est conduite par voie d'exclu­ coordination doit sc trouver la cause première rte tout sion : ni le hasard ni la prévision conjecturale des rap­ ordre. Dieu. ports naturels de causes à effets n’expliquent la réalisa­ b) I.a prévision conjecturale des rapports naturels de tion de l’événement annoncé; donc, la seule explica­ causes à effets ne saurait expliquer ta réalisation des pro­ tion possible reste l'influence de la prescience et de la phéties. — La démonstration de cette vérité s’appuie volonté divines. sur les mêmes principes que la réfutation de la thèse du a) Le hasard ne saurait donner une explication ration’ hasard. A un ordre manifeste dans l'agencement des nette de Γaccomplissement des prophéties, même s’il causes et des effets pour produire un effet naturelle­ s'agissait uniquement d’un détail particulier. Si, avec ment imprévisible correspond comme seule raison suf­ certains théologiens, on invoque ici le calcul des proba­ fisante la direction transcendante imposée par la bilités, la probabilité en faveur de l’accomplissement I volonté divine, éclairée par la prescience. Pour con­ d’une prophétie devient pratiquement nulle. Cf. Chr. naître et prédire infailliblement les événements, résul­ Pèseh, Prœtecliones dogmatica, t. i, n. 211. Mais cet tats derniers de cet agencement des causes (dont plu­ argument « mécanique » du calcul des probabilités, tout sieurs sont libres) el des effets, la simple prévision cn exprimant une part de vérité, ne répond pas absolu­ humaine conjecturale ne suffit pas; il faut une commu­ ment aux conditions du problème. Il s'agit, en elTct, nication de la prescience divine. d’événements dont la réalisation dépend d’une série Quatre considération* font valoir la force de cet argument : d'actes libres que nul, sinon Dieu, ne peut prévoir. 1. Comme l'ordre du monde ne peut provenir d’une L’agencement des causes à leurs clïcts que présuppose nécessité aveugle, parce qu'alnri le plus parfait sortirait du la réalisation de l'événement prédit ne saurait être moins parfait, le plus du moins, l'intelligible du non-intel­ expliqué par le hasard; il faut cn venir à l'intervention ligible; ainsi l’onlre des prophétie» et leur accomplissement d’une causalité unique, transcendante, imprimant à ne peuvent provenir «l’une nécessité naturelle sans la l’ordre des causes ù leurs effets la direction voulue pour direction .supérieure «le la divine Providence. 2. De plus» sous cette direction divine, l’onlre des pro­ que sc réalise tel événement déterminé. Les différents principe* qui montrent que l'ordre du inonde ne s mrait être h* résultat du has ird montrent égale­ ment la différence qui existe entre l'accomplissement d’une véritable prophétie et la rrnlhation fortuite d’une conjec­ ture n iturvllc. En effet : 1. De multiplex c uiscs ne peuvent concourir fortuitement pour produire un effet determine : autrement, cette unite serait sans raison suffisante. Or, d ms l'accomplissement de plusieurs prophéties, de multiples cuises concourent pour produire tel effet continrent déterminé et prédit. Exemple : le Christ n annoncé sa passion et s.» résurrection, en indiqmnt le» principale» circonstances : \ oil « que non* mon­ tons à Jérus dcm. et le Fils de l’homme sera livré aux prince* «les prêtres, aux scribes et aux ancien», ils le cond mineront ù mort el Ir livreront aux gentils, et il» l'insu lieront, cra­ cheront sur lui. le flagelleront cl le tueront; et. le troisième jour, il ressuscitera. · Marc.. x. 33-3 1. Dr même, il prédit le triple reniement «le Pierre, l’indéfcctibllilé de l’Eglise, les circonstances «h* I « ruine «le Jérusalem. De mémo, les pro­ phètes de I’ Xncicn Testament ont annoncé diverse» vertus du Messie cl le» principaux faits de si vie. 2. D’un seul principi· ne peuvent provenir fortuitement «le multiples effets parfaitement et essentiellement con­ nexes, Or, «le la primitive cl simple promesse du Rédemp­ teur procèdent de nombreux fuit», essentiellement et par­ faitement coordonné* entre eux : la série «les prophéties ni ♦sd mhpies et toute la religion judéo-chrétienne..· lTne telle progression de» événement» ne saurait être fortuite; elle est agencée par Dieu. 3. D’un seul principe ne peut provenir fortuitement l'imité «le consomm ition et de perfection pour d'innom­ brable» Ame». Or. de la promesse primitive du Rédempteur, «pii est i» l'origine de toute» 1rs prophétie*, provient la consommition «le toute 1« religion judilque, puis chrétienne· «pu nitnênr nu Christ, en une unité parfaite, d'innombrable* Ames «le bonne volonté Ici encore, une telle direction est imprimée, non par le hasard, mai» par Dieu. phéties et de leur accomplissement n’est pas encore naturel, car 1rs événements annoncés ne sont pas des effets naturels cl nécessaires, déterminé.» déjà dan» leurs cause* naturelles; ce sont des événement» futurs contingent» et libres, dépen­ dant fréquemment de la liberté de plusieurs Individus qui n'entendent pas accomplir une prophétie, comme il appa­ raît d ins la crucifixion du Christ. 3. Bien plus, le futur contingent annoncé est souvent un miracle dépend mt de la liberté divine : telle* l’incarnation du Fils, sa résurrection· la mission de l’Espril-Sulnt. la pro­ pagation admirable de l’Église et »u durée indéfectible. Or, le miracle, fuirce qu'il dépend immédiatement de la liberté divine, ne peut provenir ni du ha» mi ni «le Li ivce»· sité naturelle, et la Providence, qui s’étend non seulement A la substance du miracle, mab a «c* circonstances, ne peut réaliser un miracle qui viendrait accidentellement cn con­ tinu ition d’une fausse prophétie, puisque invinciblement cette prophétie serait admise comme vraie et «jue le» homine» seraient par Dieu lul-nihuc Incités A l’erreur. I. Enfin.... l'espérance messianique n’est pas apparue naturellement chez les Juifs; bien plus, fréquemment le» Juifs refusaient leur créance aux prophète* et les tuaient. Am., vu; Os.. i\. 5-11; Is.. xxsin. 7-13; Mich.. ni .1er., xix. 11; xx. f»; xxvi-xxtx. El il n’est pas vrai (comme l'insinue llcnani «pic le» ap«Mrc» cl les évangélistes se soient efforcé» do rctluirc les fait» historiques A leurs pré­ jugés, voulant A tout prix montrer les prophétie» accomplies «l in» la vie de Jésus-Christ. Cet accomplissement «les pro­ phétie* anciennes est, en effet, une vérité historique, attestée non seulement pnr le» évangéliste», mais encore par d’autre» écrivain». Quant aux npôlres. pend mt la passion et la cnicillxion «lu Sauveur, II» ne comprenaient pas encore que tout arrivait · afin que s’accomplit t’Ecriturc », et. le troi­ sième jour, ils se refusaient à croire ù la résurrection. (»nrrigou-laigrangc, op. cit., p. 130-131. On l’a constaté, plusieurs des arguments utilisés ont été déjà invoqués plus haut pour discriminer In vraie 73 5 PROPHÉTIE. VALEUR PROBANTE prophétie de la 'imple conjecture. Mais ils axaient également leur place ici. Enfin, sans tomber dans un cercle vicieux, on doit à priori supposer que la realisa­ tion d'une prédiction manifestant, par sa finalité même ct par les circonstances qui la conditionnent, un lien intime avec la religion cl le salut des âmes no saurait être relire â l'intelligence du prophète par un simple lien de conjecture. I rie garantir divine est nécessaire là ou le signe apparaît comme un témoi­ gnage divin en faveur de la vérité. IV. Valeur mon ante. — 1° Doctrine de Γ Église. Nous avons vu plus haut que le concile du Vatican, couronnant toute la tradition de l’Églisc sur l'emploi de la prophétie comme argument en faveur de la vérité révélée, place les prophéties sur le même plan que les miracles, et qu'il les appelle des < arguments extérieurs de la révélation », des faits divins.,., qui. parce qu’ils manifestent excellemment In toute-puissance divine ct sa science infinie. sont des signes très certains ct appro­ pries à l’intelligence de tous ». Voir col. 713. L’exposé que l'on a fait plus haut de la nature de la prophétie montre le bien-fondé de cette doctrine. 1. La prophétie est un fuit divin, connu comme tel par les hommes, dans lequel, par conséquent. Dieu engage son autorité. C’est un fait d'ordre intellectuel, manifestation d'une vérité connue de Dieu seul. C’est une manifestation divine ct préternaturelle, par vole de révélation. C’est une manifestation sensible, c’est-àdire extérieure, de manière à pouvoir devenir pour tous une preuve de la divinité du christianisme. 2. Les prophéties sont, comme les miracles, des argumerits de la révélation, dont elles sont, parce qu’elles manifestent la toute-puissance divine ct sa science infinie, des signes très certains. • La preuve de la révélation par l’annonce prophéti­ que de l’avenir n'est (donc) pas moins certaine que la preuve par les miracles de l’ordre physique. » .L-A, Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. n, n. 58G. 3. Enfin, le concile déclare que l’argument tiré des prophéties doit être rangé parmi les arguments omnium intelltgentiir accommodata. Théoriquement, la chose est indubitable. Tous les hommes, même d’intelligence très moyenne, compren­ dront facilement (pie leurs libres déterminations ne sauraient être connues d’avance par aucun moyen naturel cl qu'en conséquence Dieu seul peut les pré­ voir. 11 leur est en outre facile de constater l’existence d’une prophétie véritable *. il suffit pour cela, comme on l'a montre plus haut, de constater deux faits : d’une part, la prédiction d’un événement futur, Imprévisible naturellement, ct faite plus ou moins longtemps avant la réalisation de cet événement; d’autre part, cette réalisation même, survenue de la façon dont elle avait été annoncée d’avance. Pratiquement, l’argument prophétique peut parfois présenter, pour certaines intelligences, des dllllcultés inhérentes à la manière dont il est exposé. Mais ces dillkultés ne sont pas telles qu’elles puissent en aucune façon Infirmer la vérité de Γassertion du concile. Quoi qu’il en soit, si l'on compare l’argument pro­ phétique â celui du miracle, il présente « tout d’abord une double infériorité. Par rapport au miracle, la pro­ phétie est manifestement de caractère moins sensible et, par suite, d'efficacité moins saisissante. De cc chef, l'argument du miracle est la preuve populaire par excellence, tandis que l’argument prophétique convient surtout aux esprits cultivés. En second lieu, par sa nature même, la valeur de la prophétie reste suspendue jusqu'au moment de sa réalisation. Mais, d’un point de vue plus général, ces deux inconvénients se tournent en avantage : la prophétie fournit une preuve d’autant plus profonde et durable que (intervention divine, se 736 produit ici dans un ordre plus élevé. » .L Rivière art. ’ cité, col. 842. 2” Comment l'argument prophétique s'adapte l il à l'intelligence de tous? — Nous avons constaté plut haut, col. 729, quo l’apologiste pouvait employer deux pro. cédés pour faire valoir l'argument prophétique, 1. Il peut le considérer, au sens le plus strict du mot prophétie, comme manifestant, un miracle de prescience. C’est l’npologêt ique par le détail des prophéties. C’est là, dit encore J. Rivière, ibid., -■ une argumentalion d'architecture simple, de forme précise cl de résul­ tat péremptoire ». Sans doute, la rigueur dialectique do l’argument a pour contre-partie la difficulté de son établissement; aussi, l’apologiste ne pourra-t-il mettre ici en avant que des textes n d'authenticité certainect de signification bien définie. ce qui oblige à une exégèse préalable toujours longue et parfois délicate ». Mais enfin c’est à l’apologiste do faire cc travail difficile ct préalable : une fois en possession des éléments certains de son argumentation, il n’a plus qu'à proposer à scs auditeurs ou loctvurs sa démonstration, qui sera ainsi merveilleusement adaptée à l'intelligence de tous. Qu’on ne dise pas que cette preuve, s’attachant aux coïncidences de détail, perd eti importance ce qu'elle gagne en précision. Un détail, s’il manifesto une inter­ vention miraculeuse de Dieu, prend la proportion d’Üri événement considérable. De nos jours, on a peut-être un peu trop sous-estimé l'argument prophétique des détails. Pourtant, l’exposé des détails, dont la réalisation s’est faite en JésusChrist, est la thèse classique ct traditionnelle, celle qu’on retrouve dans toutes les théologies fondamen­ tales, celle qu'a esquissée saint Thomas d’Aquin, Sum. theol.. Il·-II®, q, clxxîv. n. 0, et utilisée Bossuet, Discours sur Γhistoire universelle, toc, cit., ct Élévations sur les mystères, x· semaine, Élévations sur les prophéties. Ainsi que l’a fort justement rappelé le R. P. Lagrange, Demie biblique, 1917, p. 591, la mé­ thode des · grandes lignes » ne doit pas faire oublier celle des < précisions détaillées ». 2. Mais l’apologiste peut considérer l’argument pro­ phétique dans Vensemble dos prophéties. Voir col. 730, < Moins rigoureuse en apparence, la méthode qui con­ siste à chercher l’argument prophétique dans les intui­ tions et anticipations du plan divin, fussent-elles les plus confuses, ne demande nu point de départ que des données plus générales, faciles à met Ire en œuvre. \ défaut de preuve géométrique, elle est susceptible de fournir un ensemble d’indices plus tenus, mais capa­ bles de faire ressortir par leur convergence un de ccs cas de finalité historique où se révèle la main de la Providence. Toutes suggestions qui sont appelées à convaincre l'esprit, sans perdre ce caractère religieux dont la démonstration chrétienne ne saurait jamais sp départir. » .1. Rivière, art. cité, col. K13. C’est sous celle forme que M. Touzard a présenté Γ argument général de la préparation messianique ». Comment utiliser l'ar­ gument prophétique? Paris, 1911. collection Science el religion, p. 36 sq. Voir également le P. Lagrange, Pascal et les prophéties messianiques, dans la Hernie biblique, 1906, p. 553, ct surtout Le messianisme chez les Juifs, l’.iris, 1907, p. 258 sq D’ailleurs, une méthode n’est pas exclusive de l’autre, ct c’est précisément le judicieux emploi des deux méthodes, en conformité des exigences pratiques du sujet, qui parvient à dissipor toutes obscurités el à accommoder parfaitement l'argument prophétique à l’intelligence de tous. Nous avons nous-même tenté une esquisse de l'emploi des deux inétImdcw conjuguées dans l'art. .Ii st s-Cnmsr, t. vm, col. Il 12-1121 3. Remarquons pour terminer quo l'argument pro­ phétique accommodé à l'intelligence do tous ne pn tend pas s'appuyer surtoute prophétie Indistinctement. 737 PROPHÉTIE Il est trop évident que, lorsque l'obscurité d’une pro phctlc présuppose (die-même une mise au point préa­ lable du sens et de la portée de la prophétie, celte mise nu point est nécessaire si l’on veut construire un argu­ ment valable, ('/est le ras des prophéties qui manquent de la perspective nécessaire pour que leur objet appa­ raisse clairement détermine. Dans ce ras spécial, il semble turn que l'argument tiré de l’ensemble des pro­ phéties puisse apporter une aide sérieuse aux argu­ ments tirés des détails obscurs. PROPRE CURE 738 d'aucun témoin ct ne pouvait cite Juridiquement prouve, tantôt relui qui n’avait pas été célébré devant I Eglise, a facte Eectesitr, ordinairement sans I’assis­ tance de témoins cl sans la bénédiction du prêtre A ces deux espèces de clandestinité vint s’en ajouter une troisième lorsque le IV* concile du Latran (I2l5)tat exigé que tout mariage fût précédé de la publication des bans; le mariage était clandestin si celte formalité avait été omise. Jusque la. les solennités requises n’étaient qu'une forme accidentelle n'intéressant pas la validité du contrat. Ce fut le concile de Trente, dont L'argument prophétique peut être envisagé : 1· au point le décret Tamelil exigeait comme forme substant Idle de vue strictement doctrinal, Et c'est a ce point de vue que la présence du propre curé et de deux ou trois témoins, l’on s’est presque exclusivement place dans cet article. On qui créa une quatrième espèce de clandestinité, la­ pourra consulter, h cet égard. Vacant, Atudrs t/iéoiôgfquei quelle avait pour effet de rendre le mariage nul. C’est air les constitutions du concile du Vatican, t. il, art. loi, la clandestinité proprement dite. A noter que la clan­ n. 581-587; saint Thomas, Sum. Ihrol.9 11«·-!I-·, q. < destinité ne nuisait pas a la validité des mariages (i.wiv; Hr rrrihitr, q. xu; Suarez, /)r /Ide, disp. Vtlî, sect, iv ; I looke, /'ruet. dr orra rt tigionr, diss. 11, dans Mlgne. contractés dans les pays ou le décret Tametsi n’avait Cunui thtfdughr, t. n; I. Ottlger* S. J., T/lCoiogla funda­ pas été promulgué. Pour ccs diverses raisons, on ne mentalis, t. i. l'ribourg-en-B., 1897, | 22-24; II. («arrigousaurait donc Identifier toujours mariages clandestins cl Ijigninge, /Je rrw/udonr, t. n, Paris. 1918, c. xx; (hr. Fetch. mariages nuis. Clandestin n’est pas davantage *ynol‘nvîrcUoîir.% dogmaliar, t. i, Vribourg-en-B., 1915, n. 209217; Monsubré, Introduction «tu dogme caiholigur, t n, J h 1 nyme de secret, car des mariages ont pu être célébrés jadis dans la forme du concile de Trente ct peuvent la prépurtiliori rationnelle dr Tarte de /<>( par Texamen de* l’être encore aujourd’hui selon toutes les prescriptions prOphéUrt·. L. de (ira nd mal son, Jèsiu-C/irisf, Paris, 1928, du Code sans être néanmoins publies ni inscrits dans p. 216-255. 2· Vu point de vue historique. critique cl rxégétique. On les registres habituels de l’Eglisc; c’est le cas des n’a aborde crt aspect du problème que d'une façon extrême­ mariages de conscience (can. I Hi 1-1107). que l’évêque ment sommaire et par de simples indications générales. Pour peut autoriser pour des raisons très graves cl très étudiera fond le problème historique du prophétisme et des urgentes. Ajoutons qu'aujourd'hui le Gode ne parle prophéties, il faudrait sc référer aux commentaires publies plus de clandestinité (le mot se trouve cependant dans sur les lis-res des prophètes. Les indications générales sont l'index analytique, avec un renvoi à matrimonium). largement indiquées par le P. Condninln, M. Touxnrd, le mais de forme de célébration du mariage, laquelle forme P. I ai grange. dans les études indiquées au cours de l’article. est imposée à toute l’Église latine, ainsi que nous A. M1CII LU l'expliquerons. PROPRE CURÉ. I. Généralités. Il Ladan 3° Du propre curé. L’appellation de propre curé dcstlnlté avant le Code (col. 738). 111. Le droit du relativement au mariage est encore un legs du concile Code (col. 717). L (iLNi’mvi.rn’.s. La question du propre curt en de Trente. Afin de remédier aux graves inconvénients matière matrimoniale n’est pas séparable de celle de la qui résultaient de s mariages purement clandestins, il fut statué que désormais les unions, pour être valides, clandestinité ou de la forme du mariage. devraient être contractées en presence du cure cl de 1° De /(/ solennité du mariage. De droit naturel, le. deux ou trois témoins. C’est ce prêtre que la jurispru­ mariage consiste essentiellement dans l'échange du mutuel consentement que se donnent, en vue de la vie dence subséquente a qualifié I< Γ. DI rilLOL. CATHOl., 739 PROPRE CURE. LE DROIT revêtu un caractère public ct sacré; souvent môme sa célébration a été accompagnée de rites religieux*. a) Chez les Hébreux, les noces étaient précédées de tractations entre les parents, d’accords au sujet de la dot, de fiançailles conclues du consentement dc la Jeune fille ct rigoureusement gardées; enfin, au jour fixé avait lieu la conduite de l’épouse dans la maison de I époux. Ces divers actes s’accompagnaient dc rites et dcprières,en souvenirdc la bénédiction donnée par Dieu au premier couple humain. Gen.. i. 28: cf. Tob.. vi, 7. b) Des tractations et des cérémonies analogues se retrouvent chez les Grecs ct les anciens Germains. Cf. Wcrnz-Vidal» Jus canonicum, t. v, n. 5*25 ; références, ibid., p. <‘>18, note I. c) Chez les Romains, la loi reconnaissait que le con­ sentement mutuel suffit à constituer le lien matrimo­ nial. Cependant, le vieux droit patricien prévoyait pour les gens de cette classe une cérémonie religieuse appelée confarreatio : c’était un sacrifice offert à Jupi­ ter en faisant usage d’un pain de farine d’épeautre; cette offrande, qui avait pour but d’associer solennelle­ ment la femme au culte privé du mari, sc faisait en présence du grand pontife ct de dix témoins. G. May. Éléments de droit romain, n. 11. 8° éd.. p. 111. Pour les plébéiens, la forme était moins solennelle, mais les signes dc consentement restaient habituellement accompagnés de rites religieux. Cf. Rosset, De sacra­ mento matrimonii, t. v, n. '2819, et Wcrnz-Vidal, Jus canonicum, t. v, n. 525. '2. Attitude dc T Église. — La place prépondérante donnée nu consentement dans le droit romain se conci­ lia facilement, dans le droit de l’Église, avec l’éléva­ tion du mariage à la dignité de sacrement. En sancti­ fiant le contrat, le Christ n’avait imposé aucune forme solennelle pour sa validité. Il semble bien établi do nos jours, en dépit des hésitations ct des réserves des Pères du concile de Trente (ci. Pallavicini, Hist. conc. Tridentini, I. XXII, c. iv). (pie l’Église n’a pas. avant le xvi» siècle, prescrit de solennités substantielles à accomplir sous peine dc nullité du mariage. Toutefois, dès la plus haute antiquité, elle blâma et prohiba les mariages clandestins à cause des aims très graves auxquels ils pouvaient donner lieu, du fait de la malice des hommes. Concile de Trente, sess. x.xiv, c. i, De rcf. matrim. Tout d’abord, elle accepta ou laissa .subsister les diverses formalités extérieures introduites par les lois civiles ou la coutume, telles que la demande en mariage dc la fiancée à ses parents ou tuteurs, le consentement accordé par ceux-ci, la dotation pour cause de mariage, la tradition ou conduite de l'épouse â la maison dc l’époux, l’imposition du voile ou de la bandelette (vittarosea) qui joint les fronts des époux, la remise de l’anneau, de pièces d’argent, etc. Cf. Esmein, 1s mariage en droit canonique. spécialement t. i, p. 153163, 196-198; t. iï, p. 163-170. Des documents anciens nous apprennent que. dès l’origine, l’Église s’ingénia à donner aux unions entre fidèles une certaine publicité et que, de bonne heure, scs ministres intervinrent pour assister a ces mariages ou les bénir de quelque manière. Sans faire état d’une lettre apocryphe attribuée par pseudo-Isidore au pape Évariste (96). et insérée dans le Décret de Graticn, eau s. XXX. q. v, e. 1. ni de la légende du bréviaire romain (26 Oct.), qui lui attribue un décret imposant la célébration publique du mariage avec bénédiction du prêtre, on peut citer le témoi­ gnage de Mint Ignace, martyr : Πρέπει τοΐς γαμούσι καί ταΐς γαμομέναις μετά γνώμης τού έπισκόπυυ την ενωσ·.ν ποικίσΟαι, ΐνα 4 γάμος ή κατά Κύριον καί μη κατ’ έπιΟυμίαν. Eptst. ad Polycarpum. c. v. P, G., I. v. col. 723. Tcrtulllen affirme de son côté : Apud nos occulti» quoque conjunctiones, id est non prius apud Ecclesiam profess#, juxta nvrchiarn et fornicationem judicari periclitantur. Dc pudicitia, c. iv, /*. L., t. u, \.\CIE\ 740 I col. 987. Il dit ailleurs : Undc sufficiamus ad enarran· dam felicitatem efus matrimonii, quod Ecclesia conciliai, I ct confirmat oblatio, ct obsignat benedictio, angeli renunliant, Pater rato habet. Ad uxorem, i. II. c. ix, P. L„ I t. n. coi. 1302. On sait le reproche qu'à tort ou à raison Hippolyte fait au pape Galiste d’avoir autorise dans certains cas des mariages clandestins entre de Jeunes patriciennes et des hommes de basse extraction. Si injuste (pie soit le grief, il montre que l’opinion chré­ tienne considérait avec défaveur de telles unions. Voir Philosophy I. IX, c. xn, 21. éd. Wendland, p. 250. .Saint Ambroise donne comme une règle établie de son temps : Ipsum confugium velamine sacerdotali cl bene­ dictione sanctificari,,. Epist., xix, Ad Vigil., 7, P. L, t. xvi, col. 981. Malgré leur caractère apocryphe, les canons dits arabes attribués au concile de Nicée, ainsi que le 13e canon des Statut# Ecclesia: antiqua, faussement attribués à un certain concile de Carthage (398), res­ tent des témoins de la pratique de l’Église vers la fin du v siècle (ci. I lefclc-LecIcrcq, Hist. des conciles, 1.1, p. 511 sq.; G. Morin, dans Itev. bénédictine, t. xxx, 1913, p. 331-31’2); ils nous montrent les époux sc pré­ sentant devant le prêtre à l’église ct recevant de lui la bénédiction. Gf. Graticn. cans. XX\ II, q. n, c. 50; caus. XXX. q. v, c. I. Souvent aussi, la célébration du mariage était accompagnée par l’offrande du saint sacrifice dc la messe qui se substituait ainsi aux sacri­ fices offerts par les païens aux fausses divinités. .Mais toutes ces formalités, tous ces rites, n’étaient pas regardés comme essentiels, et le mariage clandestin, c’est-à-dire conclu sans leur observation, n’était pas considéré comme nul, quoique gravement illicite. 3. Discipline ultérieure en Orient. — En Orient, on constate une réprobation semblable des mariages clan­ destins de la part des conciles et des Pères. Cf. Canons dits de Laodicée, 1. Bientôt, les lois impériales viennent continuer les règlements de l’Église. Justinien exige que les futurs époux se présentent à l’église, devant le prêtre ou l'évêque, qui, en présence dc trois ou quatre clercs, rédigera un acte en forme, daté ct revêtu dc la signa­ ture des contractants el des témoins. Novelle 71, c. iv illud’, cf. novelles 22 et 1 17. A cette publicité on ajouta, à partir du i.v siècle, la pratique de la bénédic­ tion ct du couronnement des époux par le prêtre, par­ fois avec menace dc peines à l’égard des contrevenant'. Mais Jusque-là nul n’avait fait dépendre dc celte publi­ cité ct de cette bénédiction la validité du mariage. L’étape fut franchie en 893 par l’empereur Léon le Philosophe, qui déclara nuis et sans effet les mariago contractés sans la bénédiction de l’Église. Pourtant, dès 866, dans sa réponse aux consultations des Bulgares, le pape Nicolas I,f avait opposé la coutume occidentale à celle de IOrient cl précisé (pie seul le consentement faisait le mariage, que rien nc saurait le remplacer cl que toutes les cérémonies que voulaient imposer les Grecs n’obligeaient pas sous peine de pêché. Graticn, cans. XXX, q. v, c. 3; Denz.-Bannw., n. 331. L I.es coutumes germaniques et T Église. — Les Ger­ mains convertis au christianisme conservèrent leurs anciennes coutumes relut ivement à la célébration solen­ nelle des mariages. Afin d’en sauvegarder le caractère public ct sacré, les papes, spécialement Nicolas 1·ς leur recommandèrent de conserver les solennités tradition­ nelles : constitution de la dot, présence des témoins, sans oublier les rites sacrés, entre autres la bénédiction par le prêtre. Graticn, catis. XXXI, q. n, c. I; cl. cans. XXVI H,q. i.c. 17; cans. XXX, q. v, c. 6. Mais, comme beaucoup des formalités en usage ne convenaient guère à la sainteté des églises, les Germains, habitués à trai­ ter leurs affaires en plein air, se mirent à célébrer les mariages devant la porte de l’église; c’est là que le prêtre interrogeait les futurs époux et leur donnait sa bénédiction; ils eut raient ensuite dans le Heu saint pour y assister au saint sacrifice. Cclto coutume, pas­ sée en l'rance et en Angleterre, y demeura en usage durant tout le Moyen Age el jusqu’au xvr siècle.C'est te qu'on appelait « contracter devant l’Eglise ou en présence de celle-ci », in fade Eccleslie. Cet elïort tenté pour donner aux noces publicité ct solennité ne dut pas aller sans résistance, si Ton en juge par les proscriptions lancées contre les mariages clan­ destins par les autorités civile ct ecclésiastique. Des capitulaires de Charlemagne (par ex. cap. 35, an. 803) ordonnent aux fiancés dc venir déclarer leur projet au prêtre; celui-ci est tenu de faire une enquête avant dc procéder au mariage. Esmein. op. cïL, t. i, p. 21 et 179 sq. Plusieurs synodes ou conciles provinciaux rap­ pellent l'obligation dc contracter publiquement : ainsi le synode de Ver (755) : ut omnes homines laid publicas nuptias faciant, tam nobiles quam ignobiles, can. 15. Ilefele-Leclercq, op. cil., I. in, p. 938. Les synodes de Trosly, au diocèse de Soissons (909), can. 8. ct dc Londres (Westminster. 1175). can. 11, s’élèvent pareil­ lement contre les noces clandestines. Ibid., t. iv, p. 725; l. v. p. 1060. Le pape Alexandre III alla jusqu’à édicter des peines pour frapper les contrevenants : le> époux étaient passibles d’une pénitence, et le prêtre qui les avait unis en secret se voyait infliger une sus­ pense de son ollice durant trois ans. Deer. Greg. IX. I. IV. tit. iv, De eland, desp., in line. Enlln. dès le début du xiii» siècle, on voit s’établir dans certains lieux comme une législation particulière, la pratique de faire annoncer publiquement par le prêtre la promesse de mariage des fiancés. Un synode dc Londres (West­ minster), tenu en 1200. pose en règle que le mariage sera annoncé trois /ois ct qu’il sera célébré in /acie Ecclesia· et pricsente sacerdote, can. 11.1 Icfelc-Leclercq, op. cit., t. v. p. 1225. Ces sortes Prescriptions complémentaires. — Le mode de dele­ gation lui-même est déterminé. Les cas extraordi­ naires de péril de mort cl temere, qui ajoutait que le curé ct l’Ordinairc devaient être invités et priés, invi­ tati c/ rogati. Le Code n’a pas cru devoir maintenir ces deux expressions qui visaient surtout à supprimer les mariages de surprise »; mais il a maintenu pour l'assis­ tance valide du témoin qualifié les deux dispositions essentielles qui suffisent à prévenir le retour de ces abus : cc sont l'activité cl la liberté. a) Le curé ne peut plus être un témoin passi/ puisqu'il doit demander el recevoir le consentement des futurs, à peine de nullité. Aucune forme d’interrogation n’cst prescrite, mais bien l’interrogation elle-même, que le prêtre peut faire par lui-même ou par un interprète, de vive voix ou par écrit, par signes même. Quant à la réponse, il faut qu’elle soit donnée de façon affirmative et perçue comme telle par le prêtre. Cf. Periodica, t. win, 1931. p. 201·. Gette manière de procéder est toujours requise ct ne comporte pas d’exception, même pour les mariages mixtes. Sont donc abrogées les dispositions du SaintOffice du 21 juillet 1912, permettant au prêtre de sc comporter passivement dans les unions de ceux qui auraient refusé obstinément de fournir les garanties exigées en pareil ens. Cf. Acta a post. Sedis, t. ιν, p. 113. b) La liberté suppose. aux termes du droit, l'absence de violence ou de crainte grave, venant l’une ct l'autre d’une cause extérieure el libre. Peu importe que la crainte ou la violence viennent des contractants ou d’un tiers. La ruse ou la fraude dont useraient les futurs ou d’autres personnes pour amener le cure à assister au mariage ne nuisent pas à la valeur du contrat, même si, sans l’emploi de ces moyens, le prêlrs aurait refusé son assistance. La crainte dont il esl question doit être provoquée pour extorquer en quelque sorte l’assistance du curé. Le droit ne distingue pas entre crainte juste ct crainte injuste; cette distinction ne s’impose guère, car on conçoit â peine que des menaces puissent être juste­ ment proférées à l’égard d’un prêtre pour obtenir sa présence, à moins que ce ne soit la menace d’un recours au supérieur, ou des peines qui pourraient frapper un refus injustifié ou une négligence grave : dans ce cas, l’assistance ainsi contrainte serait certainement valide. Toute violence grave, qu’elle soit ou non accompagnée de crainte, rend l'assistance, donc aussi le mariage, invalide. 2° Les conditions de licéité. I. Les préliminaires du mariage. a) Avant d'assister au mariage, te cure ou l’Ordinairc devront s'assurer de /’· état libre · des contrac­ tants, c’est-à-dire de l’absence de tout empêchement prohibant ou dirimant, spécialement de l'inexistence d’un lien antérieur. A cet effet, ils auront recours aux interrogations, certificats de baptême cl publicalions, conformément aux eau. 1020·!031. Le Code ne parle pas, sur ce point, des devoirs du prêtre délégué, attendu que la responsabilité de l’enquelo préalable incombe au curé ou à l’Ordinairc qui donne la délégation. Can. 1096, § 2. b) Il /aut en outre qu'au moins l'un des contractants soit de quelque manière sujet du curé qui assistera au mariage. Lc God indique à cct effet quatre chefs de 753 PHOPIlE CUKE LE DBO1T ACTUEL sujétion : le (l9in1clle.ee fut I nu jours le droit ; le quasidomicile. dont il «Votait plus question dans le décret Xr /rm-rr; la demeure dan mois, déjà connue de cc même décret : il ne s’agit pn* d’habitation proprement dite, mais d’un simple séjour, à litre d'hôte, de voya­ geur. d’artisan, etc. Pour calculer ce mois, il est fait abstraction de l’intention du contractant; seul entre en ligne de compte le séjour cITectlf; le temps est cal­ culé selon les règles du eau. 31, § 3. Le séjour devra être moralement continu jusqu'au moment du mariage; une interruption d’un ou deux jours ne nuirait pas a cette continuité, mais le séjour devra se poursuivre jusqu'à la célébration du mariage; s’il était terminé auparavant, fût-ce seulement depuis quelques jours, le curé perdrait tous ses droits. Enfin, la simple demeure actuelle suffit à déterminer le propre curé des vagi; cette actualis commoratio suppose pourtant un séjour de quelque durée, une. sorte de point d'attache momen­ tané qui ne va pas jusqu’au séjour d’un mois. Le curé n'omettra pas en outre, pour la licéité, d’en référer â l’Ordinairc avant de procéder au mariage des vagi. sauf le cas de nécessité, can. 1032; pour ceux qui n'ont qu’un domicile ou quasi-domicile diocésain, le propre curé est celui du lieu où ils demeurent actuellement. Cm. 91. $ 3. cf Lorsque les conditions de séjour ne sont pas réalisées comme ci-dessus, il jaut, pour assister licitement au mariage, demander la permission du curé ou de l’Ordi­ naire du domicile, ou du quasi-do miellé, ou de la rési­ dence actuelle, de l’un des contractants. Cette permis­ sion, licentia, n’a rien de commun avec la délégation; elle n’intéresse pas la validité ct ne vise que le main­ tien du bon ordre; à la différence de la délégation, elle peut être donnée d’une manière générale et peut se présumer avec une. raison suffisante. Elle n’est d’ail­ leurs pas nécessaire chaque fois qu'on se trouve en présence de vagi actuellement en voyage et qui n’ont pas de demeure proprement dite, ou encore lorsque survient une grave nécessité qui fait cesser l'obligation de demander cette permission â qui de droit. Can. 1097. J L 3°; cf. Wernz-Vidal, op. cil., n. 542· 2. La célébration du mariage, —a) En règle générale, le mariage doit être célébré devant le curé de la juture, sauf juste cause excusante. Le Code oppose ordinaire­ ment cause juste ou cause raisonnable à cause grave. Le précepte du can. 1097 n'obligeant pas sub grani, il suffira généralement d’une cause légère, comme serait le désir de faire bénir le mariage par le curé du fiancé, parent d’un des contractants, une plus grande facilité pour célébrer solennemcnt les noces dans l'autre pa­ roisse, la commodité pour entreprendre le voyage de noces, etc. Lorsque cette cause raisonnable existe, il n’y a plus d'obligation de demander la permission au curé de l’épouse; il est cependant convenable de l'avertir. b) I ne exception à la règle générale est faite pour les mariages contractés entre catholiques appartenant â des riles différents (mixti ritus) : à moins de disposi­ tions contraires du droit particulier, c’est dans le rite du futur et devant son propre curé que doit être célébré le mariage. Can· 1007« f 2. 3. Les pénalités, — Le décret temere avait prévu, contre 1rs curés qui contreviendraient à scs prescrip­ tions, l’application de peines dont la détermination était laissée aux Ordinaires. Art. 10. Lc Code n'a pas maintenu ces dispositions pénales,mais il a conservé ht sanction pécuniaire qui oblige le curé célébrant sans s’être muni des permissions requises par le droit â restituer au propre curé des contractants les droits d'étole indûment perçus. Cette obligation urgern justice, avant même la sentence du Juge, si le droit violé est clair. Kégulièrcnient, c’est au curé de l’épouse que seront remis ces droits d'étole : ils ne comprennent d'ailleurs id l’honoraire de la messe ni les autres dépen­ 754 ses faites à l’occasion du mariage. Si l’épous*. par suite de la multiplicité de domiciles ou quasi-domiciles, a plusieurs propres curés », 1rs droits d’étole seront par­ tages entre tous ces derniers. 3· Les cas extraordinaires, Ils sont au nombre de deux, que le droit excepte formellement de la loi géné­ rale concernant la forme, lorsqu'il y a Impossibilité morale d'avoir le témoin qualifié. Cm. 1098. L En péril de mort, le mariage contracté devant les seuls témoins est valide ct licite si l’on n’a pu. sans grave inconvénient, faire venir ou aller trouver ni le curé, ni l’Ordinairc du lieu, ni un prêtre délégué par eux. a) Le péril de mort ne doit pas nécessairement être imminent, ainsi que l’exigeait le décret ,Ve temere : in imminenti mortis periculo (art. 7); il suffit qu’il soit probable, apprécié moralement selon l'estimation com­ mune. (X can. 9 lu ct 1043.—b/ Il n’est pas requis que les deux futurs soient en péril de mort, mais seulement l’un d’eux. - c) Le mariage sera valide, quelle que soit la cause de ce péril : maladie, exécution capitale, opération, assaut. — d) Peu importe également le motif qui pousse les futurs à s’unir; les restrict ions contenues dans le décret ,\e temere : ad consulendum conscientur el, si casus jerat. legitimalioni prolis, sont supprimées. — e) La présence des témoins est, aux tenues du can. 1098, requise pour la validité; aucune qualité par­ ticulière. aucun acte spécial, ne sont exigés d’eux; il suint qu’ils soient formellement présents au moment de l’échange des consentements. — j ) Quant â l’impos­ sibilité d’avoir un témoin qualifié, il n’est pas néces­ saire qu'elle soit absolue; il suffit qu’elle soit relative, c’est-à-dire que cc témoin ne puisse être appelé ou rencontré sans grave inconvénient, Cct inconvénient peut être d’ordre matériel ou moral; il peut concerner les futurs ou le prêtre lui-même, une tierce personne ou le bien commun; ainsi, les futurs ne sont pas tenus de s’imposer des dépenses au-dessus de leurs moyens, ni d’entreprendre un voyage relativement duret pénible, ni de courir un danger sérieux; le prêtre non plus n’cst pas obligé de s’exposer à une fatigue excessive ou de compromettre sa santé ou sa réputation; le confesseur ne saurait non plus, en exigeant la présence d’un prê­ tre qualifié, exposer son pénitent à une grave infamie. La gravité de l’inconvénient sera donc appréciée dans chaque cas suivant les circonstances, -g) Y a-t-il obligation, pour atteindre le cure ou l’Ordinairc, de recourir à des movens extraordinaires ou considérés comme tels, selon les milieux, encore que d'un usage assez courant, tels que télégraphe, téléphone, automo­ bile. chemin de fer, motocyclette, bicyclette? Pour l’avion, les auteurs s’accordent à le considérer comme un moyen de transport qui actuellement sort de la normale. Quant aux autres moyens cités, les avis des auteurs sont partagés : les uns, comme Vlaming. pen­ sent qu'à l’heure actuelle ce ne sont plus des moyens extraordinaires, mais d’un usage quotidien (Prirlec* lianes juris matrim., n. 587 L les autres, comme Cancc. Le Code de droit canonique, t. u, n. 321. sont d’avis qu’il faudra tenir compte du milieu el de la facilité de l'usage, mais semblent pencher pour l’absence d’obligation; le cardinal Gaspard, De matrimonio, t. h, n. 1008, ne cite que l'avion comme moyen extraordinaire de com­ munication. Wernz-Vidal, Jus matrim., n. 311. note 03. dit sagement que, dans l’état actuel des choses, le télégraphe el le téléphone ne sont pas considérés comme des movens normaux pour résoudre des ques­ tions juridiques *; c’est pourquoi, jusqu'à décision contraire du Saint Siège, la possibilité de recourir ace double moyen n'enlève rien à l’urgence du cas ·. Dans la pratique, l’obligation n’étant pas certaine, le recours à ces moyens ne sera pas imposé. Ante jactum, on pourra en conseiller l’usage; post jactum, si l’on n’en a pas usé. le mariage sera tenu pour valide. PROPRE CURÉ. LE DROIT ACTUEL . 756 2. En dehors du péril de mort. le mariage célébré que pourtant l’omission de celte démarche soit un devant les seuls témoins non qualifiés est valide Λ deux obstacle à la validité. Can. 1098, 2°. Dans le décret A> conditions : que les futurs ne puissent, sans grave temere. la présence de ce prêtre était requise pour la Inconvénient, faire venir ou aller trouver le curé ou validité, mais seulement en eus de péril de mort. Art. 7. rOrdînaire ou le délégué; el qu’ils prévoient prudem­ 1° Les sujets de la loi. - I. Sont assujettis à la forme ment que la situation sc prolongera ainsi durant un substant idle ; mois. a J Tous ceux qui ont été baptisés dans Γ Église L’absence du prêtre compétent doit être une catholique et tous ceux qui se sont convertis après avoir absence physique; ainsi en a décidé la Commission d’in­ appartenu au schisme cl à l’hérésie (encore que dans la terprétation du Code le 10 mars 1928. Mais cette suite ils aient fait défection), chaque fois qu’ils contrac­ absence peut avoir pour cause une difficulté morale ct tent mariage entre eux. Can. HH)9, § 1, n. 1. L’Église non seulement un empêchement d’ordre physique : indique par là son intention de soumettre a sa loi maladie, éloignement, incarcération, etc. C’est le sens matrimoniale tous ceux qui, en pleine conscience, donc de la dernière réponse de la Commission, en date du après l'âge de raison, ont fait, au moins extérieurement, 25 juillet 1931. En conséquence, il est maintenant cer- profession de catholicisme. Ceux qui, après cette pro­ tain que la crainte des peines graves que prévoient fession. meme s’il elle n’a clé que temporaire, passent à quelques législations civiles, soit contre le prêtre, soit l’hérésie, à l’apostasie ct au schisme, ne sauraient béné­ contre les contractants qui n'observent pas les forma­ ficier de l’exempt ion. lités légales, est une raison suffisante pourquclc mariage Que faut-il entendre par baptême dans l'Église catho­ soit célébré devant les deux seuls témoins. Gaspard, lique? En premier lieu, le sacrement demandé par les op. rit., t. π, n. 1011-1017; l'autorité de ce cardinal, qui adultes ou reçu en pleine connaissance après l’âge de fut président de la Commission, est une garantie du raison. Pour les enfants, on considérera l'intention de sens authentique de la décision. Cf. Periodica. I. xxr, ceux dont ils dépendent juridiquement : les parents,ou J°32. p. 12. Marolo lui attribue une portée différente seulement l’un d’eux, le tuteur. A defaut de ceux-ci. on dans Apollinaris, I· année. 1931, p. 381. Tous les tiendra compte de l'intention du ministre; le baptême auteurs qui ont écrit de 1928 h 1931 devront générale­ sera censé conféré dans la religion de celui-ci. Pratique­ ment modifier leur rédaction pour la mettre en confor­ ment. Je registre des baptêmes fera preuve Jusqu’à mité de la dernière interprétation donnée au eau. 1098. preuve contraire certaine. Gasparri, op. rit.. I. i, La chose mérite attention, car le cas d'impossibilité II. 5« 5 575. morale de célébrer le mariage dans les formes prescrites b) La forme s’impose encore chaque fois que les per­ peut se vérifier même en pays chrétien : dans les Etats sonnes ci-dessus indiquées contractent avec des nonde Γ Amérique du Nord, où la loi civile prévoit des pei­ catholiques, baptisés ou non baptisés, même si la dis­ ne’» graves contre le curé qui assisterait aux unions pense de l'empêchement de religion mixte ou de dispa­ interdites entre noirs cl blancs; en France, où la loi rité de culte a été obtenue. Can. 1099, $ 1, n. 2. C'est punit sévèrement le ministre du culte qui procède au l’abolition définitive, déjà réalisée par le décret Ne mariage religieux avant quo soient accomplies les for­ temere, du principe de la communication de l’exemp­ malités civiles. Or. souvent il n’est pas possible de pro­ tion Issu du concile de Trente : il suffisait jadis qu’une céder d'abord au mariage civil, par exemple en cas de des parties ne fût pas soumise ù la forme pour que l’au­ péril de mort; dans le cas de l’existence, au for civil, tre bénéficiât de l'exemption, ('.’est aussi l’abrogation d’un empêchement non reconnu par l’Églisc; l’impos­ des concessions faites à l'Allemagne en 1906 (conslit. sibilité d’obtenir le consentement des parents au Provida) et à la I lofigric en 1909 (décret de la S. C. des mariage d’un mineur el la menace de graves inconvé­ Sacrements du 27 févr.), en vertu desquelles, dans ces nients (dont ('Ordinaire est juge. can. 1034), si le curé y contrées, les mariages mixtes n’étaient pas soumis à la assiste; le cas du militaire auquel est refusée l'autorisa­ forme moyennant certaines conditions. La réponse de tion de sc marier, à cause de l'insuffisance de dot de la la Commission d’interprétation du ('.ode du 30 mars future; la difficulté ou l’impossibilité d’obtenir un 1918, (pii déclarait ces concessions < lois particulières » étal civil en règle en vue du mariage, spécialement s’il ct non pas induits ou privileges (cf. can. I et 6, η. 1), ne s’agit d’étrangers. fut pas publiée dans les Acta apost. Sedis, mais commu­ Dans les régions, dit Gasparri, ibid., n. 1017, où la niquée de façon privée. Arrhiv fûr kathot. Kirchenrecht, loi civile édicte des peines contre le ministre du culte, si t. x< IX. 1919. p. 61. l’on peut conserver la forme substantielle prescrite c) Enfin, les Orientaux catholiques sont assujettis à sans s'exposera ers peines, le mariage contracté devant la loi quand ils contractent mariage avec des latins les seuls témoins serait invalide et illicite; ainsi, dans astreints à la forme substantielle. Cnn. 1099. § 1, n. 3. ΓAmérique du Nord, il suffit parfois d’aller célébrer le S’ils contractent entre eux, même dans les pays où mariage religieux danf l’Etat voisin, où la loi répres­ seule existe la hiérarchie latine, ils sont exempts de la sive n’est pas en vigueur. Mais si. le mariage civil étant loi du Code, qui ne concerne (pie l’Églisc latine, can. I ; impossible, le curé s’expose â des pénalités graves, la mais ils peuvent cire tenus par les lois spéciales de leur forme substantielle n’obllge plus ». pourvu que soit réa­ rite. Cf. Cappello, op. cit.. appendix de fure Orientalium, lisée la seconde condition, à savoir : n. 921. 6) La situation, selon toutes prudentes prévisions, 2. A’r sont pas assujettis à la forme substantielle du doit sc prolonger encore durant un mois. Selon une mariage : Interprétation authentique de la Commission d’inter­ a) Tous les non-catholiques, baptisés ou non bapti­ prétation du Code du 10 novembre 1925 (Aria apost. ses, lorsqu'ils contractent entre cuv. à moins que 1rs deux Scdis. t. xvn. p. 583). le seul fait de l’absence du curé conjoints n’aient fail défection après leur baptême ne suffit pas; la prévision prudente doit être fondée sur dans l’Eglisc catholique ou a|»rès leur conversion au des rahons sérieuses, une enquête ou un fait notoire; catholicisme. Bien quo les non-catholiques baptisés pratiquement, elle doit aboutir à la certitude morale soient, en droit, sujets des lots de ΓÉglise, le Code a que. durant un mois, les fiancés ne pourront ni faire ; sagement maintenu en leur faveur l’exemption déjà venir le curé ni aller le trouver. contenue dans le décret \r temere a lin de ne pas expo­ J* Dans tes deux cas (péril de mort, absence du prêtre I ser leurs unions à une nullité préjudiciable à la sainteté competent) et pour la licéité seulement, si un autre du mariage. b) Sont exemptés de même, quand ils contractent prrtn non qualifié peut être présent, il faut l’appeler, et il devra assister au mariage avec les témoins, sans ί avec une partie non catholique, tous ceux qui,nés de I'HOI’RE CUKE PROPRIÉTÉ 738 théologien préoccupés de cet objet; il est indispen­ sable de discerner leurs points de vue respectifs. Au regard de la philosophie, la question de la pro­ priété sc présente comme un chapitre particulier de toute élude relative à la loi naturelle et :iu droit natu­ rel exprimé par cette loi. Dès lor*, on apprécie l’insti­ tution dans la mesure où elle dispose J'homme a vivre honnêtement, à réaliser 1rs fin* individuelles et sociales que lui assigne sa nature d’être raisonnable. Pour le juriste, la propriété est avant tout réglée par le droit positif, ecclésiastique ou laïque, privé ou public. Ce droit positif, ayant pour but l’aménage­ ment de justes relations individuelles el sociales au sein d'une société déterminée, revêt nécessairement un caractère de contingence ou de particularité, mais en revanche se parc d’une certaine vigueur exécutoire allant jusqu’à la contrainte. La sociologie découvre dans la propriété un fait social de premier plan qui modifie et spécifie les repré­ sentations collectives d’un groupe donné. Elle sc préoc­ cupe d’analyser ce fait objectivement, de classer *es manifestations, d’en donner une explication scienti­ fique. Que rcstc-t-ll à faire lorsque la théologie a recueilli les conclusions émises par la critique philosophique. Juri­ dique. sociologique du droit de propriété? Tout rr*tc à faire en vue d’assumer ces conclusions dans une morale chrétienne. On évitera ici une confusion. la? point de vue théologique ne sc caractérise pas préci­ sément. comme on le dit parfois, par une réference au domaine » divin, pouvoir souverain de Dieu, créateur et providence, dont une délégation ou une dérivation descend jusqu’à l’homme, image de Dieu par sa raison el ministre de Dieu par son activité libre. Il ne suflit pas en effet de remonter d’échelons en échelons la hiérarchie des êtres jusqu'à la cause première pour entrer en théologie. Au vrai, il n’existe pas de méta­ physique décidée ct complète qui ne mène la pensée jusqu’à l’vlrc transcendant, analogiquement el néga­ tivement connu; toute métaphysique, en ce sens, est religieuse. Mais la théologie est surnaturelle dans ses principes et dans sa lumière : nous somme* donc ame­ nés, si nous voulons traiter théologiquement de la pro­ On trouvera nu t. ix, à Part. Maiuagi. pn>siin, avec une priété. à reprendre l’élaboration philosophique en fonc­ table abrégée, col. 2310-2317, une abondante indication tion des principes el sous la lumière théologiques, ou. d'ouvrages généraux «le monde ou de droit canonique. Nous en d’autres termes, à repenser ce problème, immédiate­ signalons ici seulement 1rs ouvrages nu articles spéciaux mit ment relatif à la loi naturelle, dans un contexte nou­ la matière, ainsi que les tnivaux récemment publiés : veau. plus vaste, où la loi naturelle s’est insérée par le Déduises, Questions pratiques sur te mariant (clandestinité), fait du Christ et qui n’est autre que la loi nouvelle. Paris. 1898; Boudinhon. /.«· mariage et les fiançailles. Paris, Or. la loi nouvelle consiste prim«»rdialement dans la 1907; Hossct, De gacrainriito matrimonii. Puri*. IS95; spé­ cialement t. iv rt v; Bassibcy. Dr la clandestinité dans te grâce de l’Esprit-Saint el secondairement en certaines maritale, Paris-Bordeaux, 1901; 1rs Commentateurs des dispositions propres à introduire cette grâce dans les « Décrétales », nu titre Qe clan destina des/umsalionr ; Calice. àmes (ordre sacramentel) ou à lui permettre de s’exer­ Le Code tir droit canonique, t. n, Paris, 1932; Cime lier. cer. A rendroit de ces dernières, l’usage légitime do la Pour étudier I· droit canonique. Paris. 1931 ; Claycs-Simenon. grâce prenant corps dans le* œuvres inspirées par la Manuate jur. can., t. n, lie sacramentis. (oind-Liege, 1931; charité surnaturelle et la loi nouvelle sc bornant au Gaspard, Tractatus canonicus <Λ matrimonio, spécialement nécessaire, le Christ n’avait, pour l'extérieur, qu'a t. n. Vatican. 1932. Les ndercncc* aux articles de revues sont indiquée* d’une façon sunisninmcnt complète dans le reproduire les préceptes moraux de la loi naturelle, en soulignant, pour l’intérieur» le précepte de la charité et courant de l'article. de l’intention droite. En outre, à coté des préceptes A. Biudi . PROPRIÉTÉ. 1. Introduction à l'étude thôo- necessaires, certaines dispositions contingentes, ca­ pable*. pour certains sujets cl on certain* cas. de fa\ologique du droit de propriété. 11. Généralités (col. 759). rlscr h* rayonnement extérieur de la charité et le Il L L’enseignement catholique traditionnel sur le droit de propriété (col. 769). IV. L’enseignement catholique développement de la grâce, font l’objet des conseil*. En ce qui touche le droit de propriété, le théologien sur l'usage de la propriété (col. 782). V. Erreurs rela­ peut donc à bon droit se référer à l'enseignement de In tives au droit de propriété (col. SOI). VL Observation des faits en matière de propriété (col. 816). VII. Essai loi naturelle; il ne s’écarte pas pour autant de la méthode théologique. puisque son dessein ne laisse pas de s\ nthèse (col. 831). un instant d’être dominé par la principalitas nome legis I. INTRODUCTION A I.TtüDI TIIÊ0100IQVE DV DHOIT di rnoi iui rr. On s’attachera à résoudre une ques­ (|ui est lu grâce chrétienne. Sans doute, il écoule le tion préjudicielle : A quel titre la théologie est-elle philosophe, il lui donne la main, il répète *r* propos, avec lui i) cherche rétablissement d’une vie honnête, competente pour traiter du droit de propriété? On voit tour à tour le philosophe, le juriste, le sociologue, le conforme aux di*|>osition* de la loi naturelle; mai* parents non catholique*, ont ôté clevis dés leur en/anee (inns l’hérésie, le schisme, l'infidélité, ou sans aucune religion, même s’ils ont été jadis baptisés dans l’Eglisc catholique ». Can. 1099, J 2. Le* dispositions de ce canon confirment ce que nous axons dit plus haut, ii savoir que l’Églisc ne seul pas obliger aux formalités du mariage catholique ceux qui n’ont jamais fait pro fession consciente «le catholicisme, encore qu'ils nient reçu le baptême avant l’âge de raison. A deux reprises, la Commission d’interprétation du Code a précisé, et étendu au moins hi première fois (cf. Aela apost. Sedis. t. xxm, rép. du 25 juill. 1931), la portée (le certaines expressions de ce canon : pour qu'un enfant soit dit né de parents non catholiques . il suffit que l’un des deux ne soit pas catholique (baptise ou non) (20 juill. 1929. Acta apost. Scdis, l. χχι, p. 573); par enfants nés de parents non catholiques, il faut entendre aussi les /ils des apostats, c’est-à-dire de ceux (pii ont totalement abandonné la fol. Cnn. 1325; cf. Apollinaris, t. v, 1932. p. 69. Des termes mêmes de la loi, il ressort (pie les enfants qui. bien que baptisés, n’ont pas fait de première com­ munion. ne sc sont jamais confessés et n’ont jamais entendu parler de religion, ne seront pas soumis à la forme du mariage si, persévérant dans l'indifférence, ils s’unissent plus tard à une partir non catholique. La question d’assujettissement à In forme substan­ tielle peut se poser à propos de l'union des fils de noncatholiques, dont parle le canon, lorsqu’ils contractent entre eux ou avec des Orientaux catholiques, non soumis aux prescriptions du Code. A défaut de texte explicit* qui les concerne et v u la valeur sensiblement égale des raisons que Ton peut apporter pour ou contre l’exemp­ tion. on peut considérer la chose comme douteuse en droit. Il est donc permis d’appliquer à ces cas la règle du can. 15 : Leges, ellam irritantes... tn dubio juris non urgent, ou le principe Juridique : In obscuris minimum est sequendum. Keg. juris xxx. in VP, En conséquence, dans la pratique, de telles unions, même informes, seront considérées comme valides. C’est l’opinion sou­ tenue par De Smcl. Dt sponsalibus ct matnm., η. 1 13; cf. Ephcm. Iheol. Louanienses, 1921. p. 563. 75 ί) Ρ H OP Β if: Tl·: pour le théologien spécialement la perspective de fond est plus lointaine. cet instrument de vie honnête veut être conçu comme un instrument de vie chrétienne, parce q ut l'honnêteté naturelle conditionne nécessaire­ ment, vreundum quod sunt de necessitate virtutis, l’usage correct de la grâce dans les œuvres de charité. On notera ensuite que cct exhaussement des visées comporte une transformation, sinon de la réalité même en quoi consiste techniquement le droit de propriété, du moins des vertus et des actes attachés a l’usage chrétien de ce droit Ces vertus doivent être des vertus infuses surnaturelles; ces actes, des actes surnaturelle* ment méritoires, chez le chrétien à l’état normal et vivant, c’est-à-dire en état de grâce. Enfin, le théologien, plus que le philosophe, sera sensible à l’appel des conseils de perfection ct notam­ ment, en l’espèce, à l’attrait de la pauvreté évangé­ lique. Non que le fait de prôner un certain détache­ ment suffise â caractériser le théologien : hoc tnim et Crûtes fecit philosophus, et multi utit divitius contempse­ runt, dit saint Jérôme. Mais de suivre le Christ par la pauvreté, voilà qui fait le chrétien parfait, comme de suivre le Christ par l’usage vertueux des richesses et des droits, voila (pii est de nécessité pour le chrétien. En résumé, le traite théologlque de la propriété ne se diftingueni pas du traité philosophique correspon­ dant par un apport intrinsèque de notions et de règles inédites; en fait, il a phi au Christ de ne pas modifier sur ce point la loi naturelle, et celle-ci n’a pas besoin de la révélation pour être certaine et complete en soi; sa construction est solide cl sc suffit harmonieusement, bâtie par la raison. On ne .s’étonnera donc pas de voir le théologien emprunter au sociologue, au juriste, au psychologue, au philosophe toutes les données maté­ rielles de cette élude : le droit de propriété est une réa­ lité sociale et une institution juridique / du droit de propriété. — Lc sujet du droit de propriété est toujours, au sens précis de ce terme, une personne. A ce point de vue encore, les propriétés pourront sc distinguer. La propriété colledive s’oppose â la pro­ priété individuelle en ce que le sujet de la première est une collectivité, tandis que le sujet de la seconde est un individu. I nc autre distinction se superpose â la précédente sans coïncider exactement avec elle : ia propriété privée ct la propriété publique, suivant que la personne propriétaire est de droit privé ou de droit public. On confond assez fréquemment propriété privée cl pro­ priété individuelle; en logique, il faut les distinguer, car il existe des personnes collectives ou personnes mo­ rales de droit prive. Quand on verse dans celte confu­ sion. on attache d'ailleurs au qualificatif de privé un sens qui ne l’oppose pas A public, mais qui dénote plu­ tôt le caractère exclusif, incommunicable, du droit de propriété, par opposition â communauté; on souligne alors un trait qui sc retrouve nécessairement en toute espèce de propriété. II convient en effet d’opposer a la propriété, tant individuelle que collective, tant privée que publique, la communauté ou communisme des biens par quoi l’on désigne une universalité de biens ou certains biens individualises comme appartenant à un groupe non personnalisé et donc comme soustraits au droit exclu­ sif de qui que ce soit. On ne confond donc pas en prin­ cipe la propriété collective dont une personne morale est la propriétaire exclusive el la communauté de biens, qui écarte l’idée même de propriété, aussi long­ temps que la mullilude intéressée ne constitue pas une personne collective juridiquement reconnue. Bien des questions qui n’offrent plus aujourd’hui qu’un intérêt théorique ou rétrospectif se posaient autrefois du fait que des êtres humains (esclaves, femmes mariées, enfants) qui n’étaient pas sui juris, qui étaient donc privés de la personnalité civile et incapables d'aucune propriété, pouvaient en fait dis­ poser d’un certain pécule. I ne question analogue se pose aujourd'hui encore, dans certaines législations, au sujet des associations non déclarées; celles-ci sont par­ faitement légales, quoique nulle personnalité juridique ne leur soit attribuée, el cependant, en leur nom, des actes de propriété sont exercés, des contrats sont passes; il sc constitue donc.cn fait, une sorte de patri­ moine acéphale, tenu en mains communes et admi­ nistré au nom de ses membres; ceux-ci, en l’absence de personnalité sociale juridiquement reconnue, sont les véritables propriétaires de leurs apports et de leur part Indivise dans les biens communs, avec obligation contractuelle de conserver ceux-ci dans l’indivision pendant une période conx’cnue ou Jusqu’à dissolution de l’association de (ait. Il semble néanmoins que la technique juridique manque ici de souplesse et ne s’adapte qu’lniparfaitcinent a la réalité sociale. Au point de vue du sujet, l’on oppose aux choses appropriées les choses sans maître; celles-ci se divisent en choses qui sont considérées comme communes cl non susceptibles d’appropriation.ct en choses qui acci­ dentellement n’ont pas de maître. La mer. l’air, l’eau courante, l’rau de pluie jusqu’au moment ou elle atteint le sol, sont (1rs exemples classiques de choses communes, on formule des règles juridiques pour leur Usage. Parmi le-choses susceptibles d’appropriation et 76« qui n’ont pas de maître, on signale les terres d’un pays inhabile et les animaux sauvages. On sait qu’en Prance toutes les terres vacantes el sans maître appartiennent a I b.tat; autrement dit, il n’y a plus en France de terres vacantes el sans maître. Mais on considère le gibier, les poissons, les crustacés et les mollusques, les produits de la nier, les choses abandonnées ou res dtn tichr (qu’il ne faut pas confondre avec les épaves, c’està-dire avec les objets égarés ou perdus) comme autant de biens vacants et sans maître. 3. La notion traditionnelle du droit de propriété. — a) Nature du droit de propriété. - Lc droit de propriété est un droit réel, c'est-à-dire un droit en vertu duquel une chose se trouve soumise au pouvoir d’une personne, par un rapport immédiat opposable à tous. C’est celle référence directe ct simple de la chose à la personne qui caractérise, dit-on. le droit réel. Au contraire, le droit personnel ou. mieux. le droit de créance, confère à une personne un pouvoir la reliant directement à une autre personne et permettant à la première d’exiger de la seconde l’accomplissement d’un fait ou une abstention. Celle distinction, très ancienne el très importante en pratique. n’a qu'une origine procédurière, sans prétention philosophique. Le droit romain ignorait le jus reale ct I’actio realis. Mais il con­ naissait en procedure Vactio in rem et Vactio in perso· nam, suivant (pie l ad ion visait déterminémenl telle chose certaine contre toute personne quelconque ou telle personne certaine â propos de quelque obligation de donner, de faire ou de s’abstenir. C’était au fond une question de commodité pratique el de clarté. De Vactio in rein on lira l’expression correspondante jus in rem, cl de l'udio in personam on lira jus in personam ou jus ad rem. ce (pie l’on traduisit beaucoup plus tard par 1rs formules droit réel et droit personnel. Mais les juristes (pii ne sont pas purs praticiens se rendent compte de l’ellipse que recouvre, dans sa simplicité apparente, l’expression de droit réel. Lu relation de personne à chose n’est pas d’essence juridique : quel droit opposer à l’égard d’une chose, quelle obligation correspondante mettre à sa charge, quelle justice satis­ faire entre personne et chose? autant de questions (pii ne peuvent sc poser el qui prouvent bien, par l’absurde, que le droit, comme objet de justice, ne peut interve­ nir qu’entre des personnes. De la personne à la chose, des relations de pur fait, d’usage, de jouissance s’éta­ blissent; le droit peut considérer cvs relations de fait, les prendre pour objet matériel, mais en lui-même il doit lier personne à personne. C'est par cette relation strictement juridique qui le réfère à d autres personnes déterminées ou déterminables, que le titulaire d’un droit réel se distingue d'un usurpateur; propriétaire et voleur entrent identiquement en rapport avec la chose, mais nul ne doit respecter I al lit mie prise par le voleur, tandis (pie tout le monde doit reconnaître pour Inviolable l’attitude du propriétaire. b) Espèces. — Il n’en est pas moins vrai que l'atti­ tude du sujet à l’égard de la chose, en tant qu’elle intervient comme objet ou contenu matériel du droit, fonde une distinction cl une classification objective des droits réels. La distinction sc prend, per prius et posterius, à par­ tir de la notion de pleine propriété, c’est-à-dire du droit réel parfait, en vertu duquel une chose se trouve soumise, d une façon absolue et exclusive, à Vaction d'une personne. Le propriétaire obtient done le pouvoir de disposer librement de la chose elle-même, de ses fruits cl de toutes ses utilités, dans 1rs limites de la lot et des conventions régulières, (’.’est le domaine parfait. Au contraire le domaine imparfait consiste dans un démembrement do la pleine propriété. On en observe plusieurs types : la nue propriété confère au proprié­ taire le droil de disposer légitimement de la chose. 765 P B OP KI ÉTÉ. DÉFINITION nuils avec obligation de respecter la libre? jouissance concédée â autrui; I usu/ruil donne ù son titulaire le pouvoir d’user et de jouir, mi vie durant, dr biens appartenant (en nue propriété) à une autre personne aussi librement que celle-ci en userait et en jouirait, mais a charge d'en conserver la substance, c’est-à-dire I de n’en pas disposer delinitis ement : l'iumpr.au sens technique que Ton considère ici, est un droit qui donne j à l’usager le pouvoir de se servir de la chose et d’en percevoir les fruits, mais seulement autant qu’il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille ·, Code tiv.. art. 630; — le droit d'habitation permet à son titu­ laire de demeurer avec les siens dans la maison d’au­ trui. - Les scruitudt < forment une. catégorie assez dis­ parate cl qui n'est pas limitativement Axée; on ne peut les définir que d'une manière générale. Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage ct l’utilité d’un autre propriétaire. Code clv.» art. 637. c) Caractères. — On s’en lient provisoirement aux caractères traditionnels, qui conviennent, mutatis mu· tandis, aussi bien à la pleine propriété qii'à scs démem­ brements. a. Le droit de propriété est un droit absolu, — En dépit des discussions soulevées autour de cette épithète, on peut se conformer non seulement à la lettre du Code civil, mais à la tradition juridique et philosophique condensée dans l'art. 541, en admettant cc terme, quille à l’expliquer. Quand on repousse le caractère absolu du droit de propriété, on le fait par souci de moralité et de justice. On estime qu’un droit ne saurait être absolu pour celte raison décisive que tout droit est relatif à une fin et que, du reste, rien n’est absolu en dehors de V Ipsum Esse. Ce raisonnement prouve trop; il nous conduirait à proscrire l'usage du mot absolu dans le langage vul­ gaire ou scientifique. Tout est relatif ici-bas, cl plus qu’ailleurs en matière morale ct juridique. Doit-on pousser la rigueur jusqu’à ce point de n’user plus du qualificatif absolu qu’à propos de Dieu? Ce serait un excès manifeste. Si lout est relatif, nos concepts n’é­ chappent pas à celle loi, et celui d'absolu ne fail pas exception. Lorsque nous rencontrons un être dégagé, par quelque endroit ct sous quelque rapport, de telle limite ou de telle condition (l’existence, nous sommes autorisés à parler d’absolu sans erreur ni absurdité, grâce à la souplesse analogique de l’esprit qui entend ce mot dans un contexte précis, sous un jour déter­ miné. Quelle dérision que d'attribuer le pouvoir absolu à cette faiblesse qu'est l'homme? Cependant, s’il est question de régime politique, si l’on veut signaler que ce monarque, en vertu de la constitution, ne se heurte à aucun pouvoir légal indépendant du sien el compé­ tent pour le contrôler, on parlera sans absurdité de pouvoir absolu. Nul ne s’y trompe, au surplus, et cha­ cun sait la relativité paradoxale des pouvoirs dits absolus. H en va de même pour le droit de propriété, dont le caractère absolu doit être sainement compris. Il ne signifie pas que nulle obligation morale ou juri­ dique ne pèse jamais sur l'exercice du droit de pro­ priété; pas davantage qu’aucune sanction, voire au­ cune contrainte, ne puisse corriger l’usage de ce droit. Plus profondément, on ne veut pas dire que le droit de propriété est absolu comme le serait une fin en soi ou un principe premier, ce qui l’empêcherait d’être essentiellement au service d'une tin ou d’être la con­ clusion d’un principe. On verra plus loin qu’à suppri­ mer cette relativité essentielle, cette Intime allégeance du droit de propriété, on lui ôte précisément sa raison d’être. Mais, dans un ordre donné, dans une discipline spéciale, on peut attribuer au mot absolu un sens tech­ nique, précisé par le contexte.C’est ce qui s’est produit à propos du droit de propriété, et l’histoire suffit à nous le faire comprendre. 76G Lc domaine* s'étalt décomposé sous le régime féodal, par suite de multipb s concessions contractuelle· réservaut la propriété au seigneur, mais attribuant au vas­ sal un droit de jouissance étendu cl durable. L'impor­ tance et la stabilité de la tenure curent un#· consé­ quence prévisible : le tenancier passa pour un véritable propriétaire, ayant le dominium utile, tandis que le seigneur se vit attribuer une sorte de propriété émi­ nente, dominium directum. Mais déjà sou\ l’Ancien Régime» la directe seigneuriale avait cessé d’etre consi­ dérée comme une véritable propriété; on y voyait cou­ ramment une servitude, une charge difficilement expli­ cable, pesant sur la propriété véritable du tenancier. Pothier écrivait au xvm· siècle : Le domaine direct... n'est plus qu’un domaine de supériorité et n’est plus que le droit qu’ont les seigneurs de se faire reconnaître comme seigneurs par les propriétaires cl possesseurs d’héritages tenus d'eux ct d’exiger certains devoirs et redevance· récognitifs de leur seigneurie... C'est, à l’égard des «héritages, le domaine utile qui s’appelle le domaine de propriété. Celui qui a cc domaine sc nomme propriétaire... Celui qui a le domaine direct s’appelle simplement seigneur... Ce n'est pas lui, c’est le seigneur utile qui est proprement propriétaire de l’hé­ ritage. » Traité du droit de domaine de propriété, n. 3. La Révolution ne lit qu'entériner l’état de fait, et le Code civil le mil en formules juridiques en affranchis­ sant la propriété foncière de cette charge désuète que faisait peser sur elle la directe seigneuriale. Depuis la nuit du t août 1739, la propriété pleine, ainsi affran­ chie des droits seigneuriaux, est la seule qui existe juridiquement en France. El c’est ce que l'on entend par son caractère absolu. Assurément, c’est une question de savoir s’il est nécessaire ou s’il est opportun d'attribuer à tous ceux (pii occupent le sol ce type qulritalre ct absolu de pro­ priété. Mais, avant de poser celte question, il était nécessaire d’en élucider tous 1rs termes. Il serait trop aisé de s’indigner contre une notion païenne, idolàtrique,immorale.égoïste de la propriété. On volt que le caractère absolu de lu propriété, si on l’entend en son sens technique, ne légitime pas, à lui seul, ces repro­ ches. Il implique un mode particulier d’appropriation réunissant au bénéfice du même titulaire le domaine direct et le domaine utile. Ce qu'on a appelé le domaine eminent de l’Etat ne constituerait une objection au caractère absolu du droit de propriété que si l’on considérait, à la mode féodale, la propriété comme une concession de l’Étatsuzeniln aux sujets-vassaux En réalité, sous l’expres­ sion domaine éminent de l’Etat. se trouve une réalité toute différente : c’est que l’Etat peut, non pas res­ treindre précisément le droit de propriété en lui-même, mais aménager son champ d’application concrète, qui varie avec l’étal économique et social» et prévoir cer­ taines règles légales organisant le régime de la pro­ priété pour le bien commun de la société politique. D’aucune façon. l’Etat n’exerce, à titre de proprietaire éminent, une sorte de domaine direct sur les biens que des particuliers posséderaient en domaine utile. L’État se trouve aujourd’hui à l'égard de tous les proprié­ taires ce qu'il était à l’égard des · alleutlerx » dépour­ vus des droits souverains de justice. On put en effet toujours discerner certains aliens, soumis à ht juridic­ tion du souverain justicier (non propriétaire); le pro­ priétaire alleulier n’avait donc pas la < justice », mats le seigneur justicier n’avait pas la propriété. C’est ce que Portalis, dans son exposé des motifs au Corps légis­ latif sur ht loi de la propriété (26 nivôse un XII). notait justement, après Pothier, Loysenu et Bodin; parmi les étincelles de raison · qu’il reconnaît dans le droit du Moyen Age. il signale que, dans les con­ trées on les lois féodales dominent le plus, on a con- ΊύΊ PROPRIÉTÉ. MODES D’ACQUISITION sLimmcnl reconnu des biens libres et allodiaux, ce qui prouve qu'on n’a jamais regardé la seigneurie féodale comme une suite nécessaire de la souveraineté... On distingue dans le prince deux qualités : celle de supé­ rieur dans l’ordre des fiefs et celle de magistrat poli­ tique dans l’ordre commun... On a toujours tenu pour maxime que les domaines des particuliers sont des propriétés sacrées qui doivent être respectées par le souverain lui-même. « Le caractère absolu du droit de propriété nc reli­ ront re-t-il aucun empêchement tenant au souverain domaine du Créateur sur les créatures? ici encore, la réponse est certainement négative si l’on réserve leur sens technique et à l’épithète d’absolu et à l’expression dc souverain domaine du Créateur. On verra plus loin que c’est par illusion anthropomoqihique que l’on attribue au domaine divin sur les choses, par opposi­ tion au domaine humain, les caractères d’un domaine direct par opposition a un domaine utile. Cette illu­ sion s’apparente à celle du concours simultané. En réalité, loin dc limiter le domaine humain, d’entrer en relation de contiguïté ou en compétition avec lui. le domaine divin le fonde en droit comme il le supporte en fait sans aucunement l'amoindrir. On peut dire du propriétaire humain ce que Loyseau disait du souve­ rain : · Le prince n’est pas moins suzerain (et. disonsnous. l’homme n’est pas moins propriétaire) pour être subie! à Dieu. » Bien au contraire. b. Le droit de propriété est un droit exclusi/. — Le droit de propriété est exclusif en ce sens qu’il attribue la libre disposition e! l’entière jouissance d’une chose à une personne déterminée, à l’exclusion de toute autre. C’est par là, disons-lc en passant, qu’on voit bien la relation juridique s’établir entre des personnes. Le droit dc propriété établit son titulaire, en ce qui con­ cerne la maîtrise d’un bien déterminé, dans une situa­ tion unique ù l’égard de quiconque. En principe, il est loisible au propriétaire d’interdire à toute autre per­ sonne l’usage de sa chose, dût-il ne souffrir aucun dommage ni aucune gêne de cet usage. A tous les tiers s’impose donc l’obligation véritable de ne rien entre­ prendre sur la chose sans le consentement du maître. La propriété collective ne contredit point l’exclusi­ vité du droit : c’est au bénéfice exclusif de la personne morale ou du groupe personnifié que cette propriété s’organise. Il en va un peu différemment de la propriété indivise. Alors que la relation exclusive s’accommode sans peine d’un sujet collectif, elle est directement intéressée par l’indivision. Il y a ici, en elïet. plusieurs sujets, entre lesquels se partage un même droit de pro­ priété. En cas d’indivision, le droit de chaque proprié­ taire porte sur l’ensemble dc la chose commune; dès que le droit porte sur une portion, on est sorti d’indi­ vision. On conçoit donc la relation juridique comme un réseau solidement noué du côté de la chose, mais se divisant de l’autre côté en autant de fibres qu’il y a de sujets propriétaires; chacun de ceux-ci est donc en relation avec toute la chose indivise, mais il la tient pour sa quote-part, c’est-à-dire pour une part abs­ traite qu’il reste à détailler. A prendre les choses phi­ losophiquement. il semble que la propriété indivise soit une propriété en devenir : elle s’actualise, el réalise alors la notion parfaite de propriété, soit par le par­ tage, qui détermine concrètement dans la chose des parts proportionnelles aux parts abstraites que chaque copropriétaire possédait sur l’ensemble dc la chose, soit par réduction à l’unité des divers copropriétaires. De toute façon, l’indivision, lorsqu’elle n’est pas exigée par la nature même de la chose ou de l’usage qu’on en fait, semble un phénomène transitoire, remplacé tôt ou tard par une propriété divise, individuelle ou collective. c. Jji perpétuité du droit de propriété. — On admet généralement que, de sa nature, le droit de propriété 768 est perpétuel, mais on convient que ce trait ne lui est pas essentiel. L'usufruit est essentiellement un droit viager. Le dominium perfectum lui-même est exposé a s’éteindre (expropriation pour cause «l’utilité publique, classement des cours d’eau navigables et flottables); le droit de superficie, le droit des auteurs, la propriété des concessions de mines, ne peuvent être que tempo­ raires; enfin, la propriété peut être affectée d’une con­ dition résolutoire qui la rende précaire. Il convient cependant de remarquer que le caractère perpétuel de la propriété explique qu’on ne puisse perdre ce droit simplement par le non-usage; nulle prescription n'é­ teint ce droit ni, en principe, l'action en revendication. D’ailleurs, en l’absence de toute prescription extinc­ tive, une propriété peut se trouver déplacée du fait d’une prescription acquisitive au profil d’un tiers. Et même, en droit français, par suite d’autres considéra­ tions, une prescription extinctive existe à l’égard dc l’action en revendication quand il nc s’agit que de meubles. Toutes ces dispositions ôtent quelque peu de leur importance au caractère perpétuel du droit dc propriété. 2U Les /ails attributi/s de propriété ou modes d'acqué­ rir. — 1. On acquiert le droit de propriété par certains faits juridiques reconnus el classés traditionnellement. D’après la portée plus ou moins étendue dc l’acqui­ sition, on distingue les modes à titre universel et les modes à titre particulier. D’après leur caractère écono­ mique, on distingue les modes à titre gratuit et les modes à titre onéreux. Selon le moment de l’acquisi­ tion, les transmissions entre vifs s’opposent aux trans­ missions par décès. Enfin, suivant que l’acquéreur est ou non l’ayant cause d’un propriétaire antérieur, on distingue les modes d’acquérir dérivés ou le mode ori­ ginaire. L’unique mode d’acquérir originaire est l'occupalion, par laquelle on prend possession, avec l’intention d’en devenir propriétaire, d’une chose susceptible d’appropriation et qui n’appartient â personne. C’est par occupation que l’Etat devient propriétaire des biens vacants et sans niaitre, c’est-à-dire des immeu­ bles abandonnés, des successions en déshérence. Les particuliers ne peuvent acquérir de la sorte que des biens meubles, par la chasse, la pêche, la récolte des produits de la mer, l’invention d’un trésor (on sait que par définition le trésor » est un bien sur lequel per­ sonne ne peut plus justifier de son droit). Le droit des prises au profit des marines dc guerre des Etats belli­ gérants et l'acquisition des épaves maritimes, flu­ viales ou terrestres (objets perdus) se rapprochent dc l’occupation parce que le propriétaire antérieur, bien qu’il existe toujours el n’ait pas abandonné sa pro­ priété, ne peut justifier de son droit ; en réalité, il y a mode dérivé d’acquisition, en vertu dc la loi ou par usucapion. 2. Les modes dérivés sont les plus nombreux et les plus importants; ils effectuent non simplement une acquisition, mais un transfert de propriété. A cause de mort, la propriété est transmise par succession (à titre universel) ou par legs testamentaire (à litre uni­ versel ou particulier). Entre vifs, le droit romain con­ naissait plusieurs modes Hcr. nov.. p. 285. Chacun donne des soins plus attentifs à la gestion de ce qui lui appartient en propre qu’il n’en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs; en ce cas, en cITcl, chacun évite l’effort et laisse aux autres le soin de pourvoir â l’œuvre com­ mune; c’est cc qui arrive là où il y a un grand nombre de serviteurs. · Sum. theol.. II*-Ilr, q. txvr, a. 2. Léon \ III peut donc conclure que la suppression de la propriété aurait pour résultat, entre autres incon­ vénients, « le talent ct l’habileté privés de leur stimu­ lant ct, comme conséquence nécessaire, les richesses taries dans leur source: enfin, à la place de ccttc éga­ lité rêvée, l’égalité dans le dénuement, dans l’indigence et la misère ». Her. nov.. p. 256. b) La propriété privée favorise l’ordre. - Si d'aven­ ture. après la suppression de la propriété privée, les hommes, poussés par dc bons instincts, secouaient leur apathie et s’astreignaient à un labeur énergique, à l’épargne, à l’organisation et à la mise en œuvre dc capitaux communs, ces efforts productifs s’effectue­ raient capricieusement, se porteraient au hasard, de-ci de là. sans vue lointaine, sans sécurité, sans suite mé­ thodique; on ne s’élèverait pas à une production pa­ tiente, prévoyante, aux fécondes pensées d’avenir. Chacun pousserait son outil et tniccrnlt son sillon sans plan concerté ; d’où résulteraient < la perturbation dans tons les rangs de la société, une odieuse et insup­ portable servitude pour tous les citoyens. Ja porte ouverte à tous les mécontentements, à toutes les dis­ cordes ·. Hcr. nov.. p. *256. Il y a en effet, plus d'ordre dans radinlnislrntlon des biens confiés à une per- i iô PROPRIÉTÉ. ENSEIGNEMENT SI R sonne, tandis que ce serait la confusion si tout le monde s'occupait indistinctement de tout ». Sum. theol., It· 11 . <|. i.xx f. .i. 2. r) Lu propriété privée favorise la paix cuire les hommes Enfin, si l’on voulait à tout prix, sans propriété, contraindre les hommes à travailler et à tra\ailler dans un ordre méthodique, l’expérience assure que l’on serait conduit a sacri lier un certain nombre de valeurs sans lesquelles la prospérité matérielle la plus brillante est destituée de sa dignité humaine, des biens tels que la joie, la paix, une certaine liberté dans la façon de concevoir la vie et de couler ses jours. Certes, au prix d’un caporalisme inexorable, l’orga­ nisme économique fonctionnerait comme un méca­ nisme bien réglé; chaque individu recevrait sa pitance moyennant une prestation de travail déterminée d’au­ torité. Mais ne disons pas qu’à ce prix les besoins hu­ mains seraient satisfaits, car ils ne le peuvent être s’ils ne le sont humainement. En effet, ce n’est pas simple­ ment de vivre que nous avons besoin, c’est de vivre en hommes. Or, dans notre hypothèse, sous la direction d’un comité omnipotent, inquisiteur, tyrannique, dis­ pensateur infaillible, la multitude mènerait une vie dégradée, infra-humaine. Le détail de son existence, de ses relations, de son travail, de son repos, de sa vie spirituelle et sentimentale, de ses plaisirs, le niveau de son éducation et la qualité même de ses pensées, tout dépendrait pour elle d’un arbitre étranger. Plus d'acti­ vité personnelle spontanée, plus de responsabilité, plus de libre disposition de soi, de son temps ni de son effort. Il est naïf de supposer qu’un tel régime puisse sc stabiliser, heurtant de front les inclinations les plus profondes et les plus constantes de l’humanité. Plus que tout le reste, le succès meme d’une telle entreprise sur le plan de la machine cl de la productivité maté­ rielle la condamne à se transformer, en allinant les psychologies, en suscitant des élites, en procurant â la multitude le loisir de penser avec l'inévitable nostalgie de la liberté spirituelle. Du reste, il s’en faut que l’expérience communiste, même par la violence, puisse écarter les injustices et étouffer les révoltes. Dans l’hypothèse communiste, toute inégalité fera figure d'injustice, et, contre elle, nul recours que dans la révolte. Bien ne vient adoucir l'amertume des comparaisons, panser la blessure de l'envie, au spectacle d’une chance aveuglante et inex­ pliquée. L’homme se révolte alors, non pour ce qui lui manque, mais pour tout ce qu’il attend. Or. la rébel­ lion, a supposer qu'elle réussisse, ne résout rien; elle profite au vainqueur, mais le problème demeure posé, quoique les termes en soient déplaces; et. en attendant, lu révolte des individus et des partis trouble la produc­ tion et I usage des biens communs. Au contraire, l'appropriation privée crée, en faveur de chacun, une sorte de présomption, un vrai parti pris de satisfaction, parce que notre domaine, tout pet il qu’il est. est notre œuvre, ou du moins le théâtre où se déploie notre activité, et cette considération, sauf injustice manifeste et flagrante inégalité, nous incline a l’aimer el même à nous en contenter. Que si toutefois nos ambitions ne peuvent s'y restreindre, elles ne nous acculent pas â la rébellion. Bien loin de nous aigrir, les comparaisons nous aiguillonnent vers d’au­ dacieuses entreprises cl nous soutiennent en de longs travaux Par là, accroissant notre patrimoine privé, nous créons aussi de nouvelles richesses qui, par mille détours infaillibles, profiteront â la communauté. Et si. malgré nos efforts, le domaine de notre voisin dépasse encore le nôtre, el si sa prospérité nous éblouit, il nous reste celte ressource, propre à nous satisfaire, de lui reconnaître un génie supérieur ou de lui attri­ buer une chance exceptionnelle. De toute façon la paix dt i m un» rt donc la paix publique seront mieux garan­ LE DROIT 776 ties sous un régime de propriété privée. C’est ce qu'ex­ prime saint Thomas : · La paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui lui appartient; on constate, en effet, de fréquentes que­ relles entre ceux qui possèdent une chose en commun el dans l'indivis. » Sum lheoL, II»-1I<·, q. ι,χνι, a. 2. 6. Le droll de propriété privée csl sanctionné par l'au­ torité positive. — C’est donc avec raison qui l'univer­ salité du genre humain. sans s’émouvoir des opinions contraires d’un petit nombre, reconnaît, en coiisidérant attentivement la nature, que dans ses lois réside le premier fondement de la répartition des biens cl des propriétés privées; c’est avec raison que la coutume de tous les siècles a sanctionné une situation si conforme à la nature de l’homme et â la vie calme el paisible des sociétés. De leur côté, les lois civiles, qui tirent leur valeur, quand elles sont justes, de la loi naturelle, confirment ce même droit el le protègent par la force. Enfin, l'autorité des lois divines vient y apposer son sceau, en défendant, sous une peine très grave, jus­ qu’au désir même du bien d’autrui. Tu ne convoite« ras pas la femme de ton prochain, ni sa maison, ni son • champ, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien « de ce qui est à lui. » (Dent., v, 21.) Rcr. nov., p. 252. On prouverait aisément, par l'exemple des justes de l’ancienne Loi. dont plusieurs étaient de grands pro­ prietaires, par l'attitude, par les paroles el les rela­ tions de Notre-Seigneur, par les recommandations de saint Paul, que Dieu approuve la propriété privée. Le Décalogue se propose de la faire respecter. Saint Au­ gustin, dans un texte cité par saint Thomas au sed contra de l’art. 2 de la q. lxvi de la llMIæ, fait grief aux < apostoliques » de ce que, contrairement à ren­ seignement de l'Église, ils refusent tout espoir de salut â ceux qui usent des biens dont eux-mêmes s’abs­ tiennent. De tout temps, l’Église a repoussé ces exagé­ rations. Par sa pratique, elle autorise la propriété; elle n’a jamais admis qu'on la réprouve au nom de l’esprit évangélique ou des traditions apostoliques. Pie IX condamne le communisme dans les encycliques Qui pluribus (1816) el Quanta cura (1861). Comme les précédents documents, le Syllabus le qualifie de • peste ». La propriété, par ailleurs, est revendiquée en termes exprès dans les encycliques Quad apostolici mu­ neris (1878) et Rerum novarum (1891) de Léon X111. cl Quadragesimo anno (1931) de Pic XL Sa légitimité fait partie de l’enseignement ordinaire et universel de l’Église. · Spicq, O. P.» Lu justice, t. n, p. 313, trnd. de la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin, Paris, libr. Revue des jeunes. 193 L On trouvera plus loin quelques références intéressant particulièrement cer­ taines erreurs condamnées. 2° Aménagement positif du droit de propriété. — Ici plus que jamais l’Église nous invite à ne jamais perdre de vue le double aspect. Individuel et social, du droit de propriété. L'encyclique Quadragesimo anno, a maintes reprises, signale le double écueil, les deux extrêmes a éviter, savoir le libéralisme individualiste et le socialisme communiste ou collectiviste. Elle loue Léon XIII de ce qu* il ne demande rien au libéralisme, rien non plus au socialisme, le premier s’étant révélé totalement impuissant à bien résoudre la question sociale, et le second proposant un remède pire que le mal, qui eût fail courir a la société humaine de plus grands dangers ». Quadr. anno, p. 399. I n peu plus loin, on explique l'hésitation de certains esprits à entendre l’enseignement de Léon XIII, qui, renversant si audacieusement les idoles du libéra­ lisme. ne tenait aucun compte de préjugés invétérés el anticipait suri avenir Quadr. anno. p. 310. \ propos de l'intervention des pouvoirs publics en matière éco­ nomique. a propos de la constitution des syndicat*. ù prop··' de la nécessité attribuée aux prétendues lois t»8 économiques. Pie XI prend rudement â partie le libé­ ralisme. Mais scs instances sont plu* pressante* encore pour mettre les fidèles en garde « «mire l'autre «langer, actuellement plus redoutable, b· socialisme ou le com­ munisme collectiviste, Dr l’ensemble, il résulte quo l’Église suit, en matière de propriété, une vole moyenne que l’on peut caractériser de la manière suivante : 1. J/uménagcment positi/ de la propriété privée n'est pas exempt de contingence, de variation, sur un fond nécessaire cl stable. Pas plus, en effet, qu’aucune autre institution de la vie sociale, le régime de la pro­ priété n’est absolument immuable, et l'histoire cn témoigne, ainsi que nous l’avons nous-mêlne observé en une autre circonstance. Combien «le formes diverses la propriété a revêtue* depuis la forme primitive que lui ont donnée les peuples sauvages et qui «le nos jour* encore s’observe vn certaines régions, en passant par celles «pii ont pré­ valu à l'époque patriarcale, par celles qu’ont connues les divers régimes tyranniques (nous donnons ici au mot sa signification classique), par les formes féodales monarchiques, pour en venir enfin aux réalisations si variées de l’époque moderne. Il est clair cependant que l’autorité publique n'a pas le droit de s’acquitter arbi­ trairement «le celle fonction. Toujours, cn effet. doivent rester intacts le droit nature) de propriété et celui «le léguer ses biens par vole d’hérédité. » Quadr. anno, p. 328. Il est impossible de ne pas entendre, en ces paroles, un écho des précieuses découvertes que la science moderne, par ses travaux d’histoire comparée, de pré­ histoire, d’ethnologie et de sociologie descriptive, a récemment accumulées. L’Église se garde bien de ver­ ser dans un évolutionnisme Inconsistant, mais, par la plume d’un pape historien, elle revendique toute parcelle «le. vérité. Le régime de la propriété, d'après l’enseignement même de l'encyclique, est appelé à «l’incessantes variations selon les circonstances histo­ riques et les conditions sociales. Cependant, la varia­ bilité n’en est pas illimitée; il reste un droit naturel inviolable portant sur le principe «le hi propriété et sur celui «le l'hérédité. En termes «l’école, «m pourrait exprimer celte vérité cn «lisant «pie le régime «le la pro­ priété appartient au jus gentium : en elïet. il suppose l’existence stable cl inconditionnée «le quelques prin­ cipes essentiels, liés strictement à la nature immuable «le l’homme, être raisonnable, libre et responsable de *a vie propre et «le la vie «les siens; d’autre part, il admet «les principes valables communément, reconnus par l’ensemble «le* peuples civilisé*, appliqués généra­ lement, sauf le* conjonctures exceptionnelles el. enfin, il supporte un lot de règles nombreuses, traditionnelles, aussi stables «pie le sont les sociétés humaines, et «pii organisent selon 1«·* circonstances la mise en œuvre concret«· du droit de propriété. Il semble «pi’à s’expri­ mer ainsi on ne s’écarte aucunement de renseignement commun, mai* «pi’on *c borne Λ le formuler en langage théologique. 2. intervention légitime, mais mesurée, de l'Êlat. Des parole* meme* «le Pie XI que nous venons de citer, il résulte «pie l’État csl qualifié pour aménager cl modifier 1«· régime «le la propriété. Nous verrons «pie son intervention s'étendra aussi à la réglementation de l’usage; mai*, «lès l'aménage­ ment «lu droit de propriété, il faut compter avec lui. La conclusion «h· l’encyclique Herum novarum est un appel A la collaboration «le l’Etat en matière sociale : Que chacun *c mette A la part «pii lui incombe... Que les gouvernants fassent usage de l’autorité protectrice «les lois et «le* institutions. · P. 297. Il faut avouer «railleur* «pie Leon XIII n’a pa* cru devoir exposer en detail le* modalités de cette intervention : Ce qu’on demande d’abord aux gouvernants, c'est un concours d’ordre généra), qui consiste dans l'économie tout entière de* lois et des institutions. Nous voulons dire qu’il* doivent faire en sorte que. de l’organisation même et du gouvernement de la société, découle spon­ tanément et sans effort sla prospérité tant publique que privée. lier. non., p,272. Concrètement. l'Ét Her. non.. p. 257-259. Cc remède doit être cherche, comme nous le verrons, dans l'usage vertueux des richesses et dans l'emploi social du superflu. Mais, dès I institution du régime dc propriété, il semble que l’on doive tenir compte dc cette inégalité inéluctable en réglant le jeu de la répartition de telle sorte que les plus pauvres reçoivent autant que pos­ sible un traitement de faveur. On aurait tort de soup­ çonner je ne sais quelles influences démocratiques à l’origine de ccttc tendance : on n’y trouvera jamais qui· la prédilection du Christ a l’égard des pauvres. \h rr»or super turbam. La pauvreté n’csl pas un opprobre, et il ne faut pas rougir dc gagner son pain a la sueur de son front. C’est ce que Jésus-Christ XotrcSvigncur a confirmé par son exemple, lui qui. tout riche qu'il était, s'est fait indigent j»our le salut des hommes... C’est vers les classes infortunées que le cœur de Dieu semble s’incliner davantage. Jésus-Christ ap­ pelle les pauvres des bienheureux; il invite avec amour à venir à lui. afin qu'il les console, tous ceux qui souffrent ct qui pleurent ; il embrasse avec une chanté plus tendre les petits ct les opprimés. » Her. non., p.265266. D’où il suit que l’Elat doit fournir tout ce qui, de près ou dc loin, parait dc nature à améliorer leur sort. » Her. ms·., p. 275. Sans doute, la justice doit être sauve : * Les droits, où qu’ils sc trouvent, doivent être religieusement res­ pectés, ct l’Élat doit les assurer à tous les citoyens, en prévenant ou en vengeant leur violation. Toutefois, dan-» la protection des droits prives, il doit se préoccu­ per d’une manière spéciale des faibles ct des indigents. La classe riche se fait comme un reinpart de scs richesses el a moins grand besoin de la tutelle publique. La classe indigente, au contraire, sans richesse pour la mettre a couvert des injustices, compte surtout sur la protection de l’État. Que l’État sc fasse donc, à un titre tout particulier, la providence des travailleurs qui appartiennent Λ la classe pauvre en général. Hcr. nov., p. 277. Ce souci du pauvre entraîne une conséquence remar­ quable pour le cas d’extrême nécessité. On verra plus loin que le superflu des riches doit être consacré au ser­ vice de tous, dans la communauté, cl spécialement en fav eur des miséreux. Celle règle, on le voit, vise l’usage du droit de propriété. Mais, au jugement dc Léon XIII el de la tradition chrétienne, l’extrême indigence change la face du problème et porte atteinte au droit même du riche : Dès qu’on a suffisamment donné au nécessaire et au convenable, c'est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. Ce qui vous reste, donnez-le en aumônes. (Luc., xt, IL) C'est un devoir, non pas de stricte justice, sauf les cas d’extrême néces­ sité, mais dc charité chrétienne; un devoir, par consé­ quent. dont on ne peut poursuivre l’accomplissement par les voies dc la justice humaine. Her. noo.. p, 261. On a remarqué l’incidente : sait/ les cas d’extrême nécessite. Donc, dans ces cas. selon renseignement ordi­ naire de l’Eglise, il n’est pas question pour le riche dc faire simplement une aumône charitable: en versant son superflu, il remplit un devoir de justice stricte, qui pourrait être reconnu comme tel par la juridiction humaine; autrement dit. en présence dc l’extrême misère, le droit même du riche sur son superflu est atteint; cc superflu nc lui appartient plus; c’est, en justice stricte, le bien de l’indigent. IV. L'i \M IGM Ml \T CATIIOI.lQl I St II L’VSAGt DE la rnormi tiL — 1° Rapports du droit rt de Cusage. — Sur l’usage des richesses, voici renseignement, d'une excellence cl d’une importance extrêmes, que la philo­ sophie a pu ébranler, mais qu’il appartient ù l’Église de nous donner dans sa perfection ct de faire descendre de la connaissance Λ la pratique. Lc fondement dc celte doctrine est dans hi distinction entre la juste possession 783 PROPRIÉTÉ. ENSEIGNEMENT SI des richesses et leur usage légitime. La propriété prlvée. nous l avons vu plus haut, est pour l'homme de droit naturel; l'exercice de cc droit est chose non seulement permise, surtout a qui vit en société, mais encore absolument nécessaire. » lier, non., p. *263. Cette distinction entre le droit ct l’usage est reprise avec une netteté encore plus vigoureuse par l'ency­ clique Quadragesimo anno, à l’aide de formules vive­ ment tranchées ct contrastantes, où se manifeste la volonté de mettre au point certaines idées plus riches de généreuses intentions (pie de vérité précise. Le droit de propriété ne sc confond pas avec son usage. C’est en effet la justice (pie l’on appelle commutative qui prescrit le respect des divers domaines et interdit à quiconque d’envahir, en outrepassant les limites de son propre droit, celui d’autrui; par contre, l’obliga­ tion qu’ont les propriétaires de ne faire jamais qu’un honnête usage de leurs biens ne s’impose pas à eux au nom de cette justice, mais au nom (les autres vertus; elle constitue par conséquent un devoir dont on ne peut exiger l’accomplissement par des voies de justice. C’est donc â tort (pie certains prétendent renfermer dans des limites identiques le droit de propriété cl son légitime usage; il est plus faux encore d’allirmer que le droit de propriété esl périmé ct disparait par l’abus qu’on en fait ou parce qu’on laisse sans usage les choses possédées. Quadr. anno, p. 3'27. Cette page est d’importance. Il va de soi que le pou­ voir reconnu au propriétaire, pouvoir fondé en nature humaine, pouvoir précisé par les conditions sociales de la vie, pouvoir déterminé dans ses ultimes réalisations concrètes par le droit positif, n’a pas d’autre but (pie . l'honnête usage. Le pouvoir ne sc conçoit qu’en vue de l’acte, un pouvoir légitime en vue de l’acte légitime. Ce droit finalisé par l’usage emprunte donc, en tout cc qu’il est. à 1 honnête usage, sa détermination, sa mesure, sa rectification. De là vient que. sans léser le principe du droit de propriété, sa définition positive est sujette â s’étendre ou à se restreindre, selon la conjoncture sociale. L’État peut modi lier l'assiette de cc droit, organiser de façon concrète, et donc avec une indivi­ dualité précise et limitée, son institution juridique po­ sitive. Quelle lin légitime et mesure cette intervention nécessaire? Nulle autre que l’usage honnête à promou­ voir. Pour obtenir ce résultat, il conviendra parfois, nous le savons, de soustraire certains biens à l’appro­ priation privée, cl en d’autres rencontres, pour répon­ dre a des nécessités nouvelles, de soumettre à ce droit des objets nouveaux, conçus de toutes pièces par le cerveau d’un technicien ou lentement élaborés par I’effort de praticiens innombrables et anonymes. lit cependant le droit de propriété, dans les limites de sa définition» confère à son titulaire une autorité souveraine et absolue en ce qui concerne cette orien­ tation, cette rectification, aux fins de l’honnête usage. Entre le pouvoir ct son usage, il n’y a pus un lien de nécessité. Et c’est dans ce libre jeu, dans celle déter­ mination autonome, (pie glt, en cc qu’elle a de plus caractéristique. l’essence du droit de propriété. Il n’est fait (pie pour l’usage honnête, mais il esl fait par essence pour le libre exercice de cet usage. Bien entendu et tie autodétermination, comme tout usage de liberté, n'a rien d’un jeu gratuit; suivant la direction qu'elle prend, elle trace dans le champ de la réalité un sillon correct ou une ornière tortueuse, ce (pu ne laisse pas d’être caractérisé moralement cl d'entraîner des suites diverses, heureuses ou funestes. La liberté n’en sub­ siste pas moins. On voudrait parfois, pour conduire infailliblement a son but le droit de propriété, retirer au propriétaire cc libre pouvoir d’user; mais on fuit fausse route Émousser celte line pointe d'autorité souveraine revient a méconnaître, en dénaturant le droit de propriété, le tréfonds rationnel où s'enracine II I/I S\GE 7SÎ j cette liberté (iibrrtas est in ratione i et, par le fait i meme. à décharger le propriétaire de scs respon.Mtbili» tés morales cl sociales. \près (elle canitis deminutio il n’y a plus de vrai propriétaire, de dominait, et d’au, cutis s’en consoleraient aisément; mais l’enseignement chrétien condamne une telle mutilation qui, a la limite. démit lire l ’homme et le réduit à la condition d’un instrument irresponsable. Toute vie comporte des risques; la grande erreur sérail de s’en garantir en renonçant à vivre. Le risque proprement humain tient à l’usage de la liberté; on ne l’évite pas au prix d’une déchéance. 2° Caractère commun de l'usage. Maintenant, d l’on demande en <|iioi il faut faire consister l’usage de* biens. l’Église répond sans hésitation : sous ce rap­ port l’homme ne doit pas tenir les choses extérieure* pour privées, mais bien pour communes, de telle sorte qu'il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités, (.’est pourquoi l’Apôtrc a dit : Ordonne i aux riches de ce siècle... de donner facilement, de communiquer leurs richesses. » Rrr. non., p. '261. Léon XIII, pour exprimer la doctrine catholique sur l’usage commun des biens, emprunte le langage même de saint Thomas, Sum. theot., ID-II11’, q. i.xvi. a. 2. Mais celui-ci à son tour se borne à répéter la leçon tra­ ditionnelle. déjà formulée par Aristote : Il est évi­ demment préférable (pie la propriété soit particulière et que l’usage la rende commune. » Polit., n. I. Sans entreprendre ici un exposé constructif, bornons-nous à recueillir, dans les encycliques Rerum novarum et Qua­ dragesimo anno, la leçon irrécusable du christianisme. Quoique divisée en propriétés privées, la terre ne laisse pas de servir a la commune utilité de tous, attendu qu'il n’est personne parmi les mortels (pii ne se nourrisse du produit des champs. » Rrr. non., p. 251. Cette vérité, primordiale selon le vœu de la nature, obtient une vigueur plus pressante si l’on fait interve­ nir le fait surnaturel de l’incorporation de tous les hommes dans le Christ, qui est le preinlcr-né de beau­ coup de frères. « Tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce, appartiennent en commun cl indis­ tinctement à tout le genre humain, et II n’y a (pie les indignes (pii soient déshérités des biens célestes. Si vous êtes Hls. vous êtes aussi héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ. » Rrr. non., p. *267. Communauté de nature humaine, communion de grâce dans le Christ : c’est sur cette base (pie repose, dans la doctrine chrétienne de la propriété, le devoir de l’usage commun. De quelle façon ce devoir doit-il être entendu et accompli, c’est ce qu’il nous reste à montrer, en disant quelles vertus, selon l’enseignement commun de l’Église. le propriétaire est tenu de prati­ quer dans l’usage de ses biens. 3” L'usage moral de la propriété. La doctrine tra­ ditionnelle est fort nette, et l’on n’a que l'embarras du choix entre tous |ch exposés ou elle s’exprime corree· tement. Les tendances propres à chaque auteur ne doivent pas être méconnues, malsellessc bornent géné­ ralement à une manière plus ou moins originale de présenter une vérité commune, (’.’est ainsi (pic les uns verront dans l’usage vertueux de la propriété une fonc­ tion sociale de ce droit, d’autres une limitation (pic la morale lui apporte; pour d’autres encore, la propriété privée, est à considérer comme un avantage grevé de charges correspondant es. lout cela peut être discu­ table d'un point de vue systématique (voir ci dessous. Essai de synthèse. col. K31 sq.), mais ne laisse pas en pratique d’être admissible. Quoi qu’il en soit, nous nous contenterons ici d’ex­ poser les règles vertueuses présidant à l’usage de la propriet’·, telles qu’elles ressortent notamment des ciu-v cliques Rerum novarum et Quadram simo anno. Il semble (pie I on puisse très objectivement les grouper 785 PBOPKIETE. ENSEIGNEMENT SI B L’USAGE sous deux chi is ; hi conception chrétienne de hi richesse et de la pauvreté; l u sage vertueux de Ixi propriété. L La conception chrétienne de ta richesse et de ta pau­ vreté. — L’altitude traditionnelle de l'enseignement catholique est toute d'équilibre ct de sagesse sur ce point. a) La richesse elle-même, au la prospérité temporelle n'est pas un mal en soi» Elle peut accidentellement le devenir, scion l’usage qu’on en fait : Que vous abondiez en richesses et en tout ce qui est réputé biens de la fortune, ou que vous en soyez privé, cela n’importe nullement â l’éternelle béatitude; l'usage que vous en ferez, voilà ce qui importe, lier, noo,, p. 262. Positivement, on affirme. que, dans une société bien constituée, il doit .se trouver une certaine abondance de biens extérieurs, dont l'usage est requis à l’exercice de la vertu. » /fer. non., p. 275. bit, par cc biais, toute la vie économique» l’échange, le travail, la consomma­ tion, s’insère dans notre destinée surnaturelle, comme un moyen nécessaire ct honnête. Mais ces intérêts demeurent à leur place secondaire, et il faut se rappeler que la vraie dignité de l’homme et son excellence résident dans ses mœurs, c'est-à-dire dans sa vertu; que la vertu est le patrimoine commun des mortels, à la portée de tous, des petits et des grands, des pauvres et des riches; que seuls la vertu et les mérites, n'importe en quel sujet ils se trouvent,obtien­ dront la récompense de l'éternelle béatitude . lier, non., p. 266. Voilà l'ordre chrétien ct providentiel que le pape Pie N I souhaite si vivement : Nous entendons parler ici de cet ordre parfait que ne se lasse pas de prêcher l’Eglise et que réclame la droite raison ellemême. de cet ordre (pii place en Dieu le terme premier cl suprême de toute activité créée, et n’apprécie les biens de ce monde que comme de simples moyens dont il faut user dans la mesure où ils conduisent à cette tin. > La sagesse chrétienne ne croit pas que l'humble cours des choses humaines, la production, l’échange, le profil, la consommation, soit indigne de cette sublime orientation. Loin de déprécier, comme moins conforme à la dignité humaine, l’exercice des profes­ sions lucratives, celle philosophie nous apprend au contraire à y voir la volonté sainte du Créateur (pii a placé l’homme sur la terre pour qu'il la travaille el la fasse servir à toutes scs nécessités. Il n’est donc pas interdit à ceux qui produisent d’accroître honnêtement leurs biens; il est équitable, au contraire, que qui­ conque rend service à la société et l'enrichit profite lui aussi, selon sa condition, de l’accroissement des bleus communs, pourvu que. dans l’acquisition de la for­ tune. il respecte la loi de Dieu et les droits du prochain, ct que, dans l'usage qu’il en fait, il obéisse aux règles de la foi el de la laison. Quadr, anno, p. 372-373. td Cette conception est à la fois excitante ct modéra­ trice, — L’homme est encouragé par la perspective du but sublime qu’il doit al teindre cl qui consiste en ce (pie, · vivant en société et sous une autorité émanant de Dieu, il cultive ct développe pleinement toutes ses facultés à la louange cl à la gloire de son Créateur cl (pic, remplissant fidèlement les devoirs de sa profes­ sion ou de sa vocation, quelle qu'elle soit, il assure son bonheur à la fois temporel el éternel. Quadr. anno, p. 362. L'amour du travail. lu joie an travail méritent d’être exaltés, dans ce contexte surnaturel qui fait de l’activité la plus humble une véritable vocation; l’E­ glise en tire maintes conséquences relatives aux condi­ tions mêmes du travail, lesquelles doivent respecter la dignité humaine. Par ailleurs, l’idée que notre patrie définitive n’est pas sur cette terre exerce une influence modératrice sur l’activité économique et sur le désir des richesses. Le pape déplore que l 'économie moderne soit née au moment où le rationalisme s’implantait, car cette influence modératrice sc trouva neutralisée, alors 786 qu'elle devenait plus que jamais nécessaire. Dès lors. un beaucoup plus grand nombre d’hommes, unique­ ment préoccupés d’accroître par tous les moyens leur fortune, ont mis leurs intérêts au-dessus de tout et ne se sont fait aucun scrupule même des plus grands crimes contre le prochain. Quadr. anno, p. 37L Et, pourtant, à quoi servira aux hommes de gagner tout Γunivers par une plus rationnelle exploitation de scs ressources s’ils viennent à perdre leurs Ames? A quoi servira de leur inculquer les sûrs principes qui doivent gouverner leur activité économique s’ils sc laissent dévoyer par une cupidité sans frein ct un égnlsnu sor­ dide , par * celle soif insatiable des richesses et des biens temporels qui. de tout temps sans doute, a poussé l’homme à violer la loi de Dieu et a fouler aux pieds les droits du prochain, mais qui, dans le régime écono­ mique moderne, expose la fragilité humaine a tomber beaucoup plus fréquemment? Quadr. anno, p. 369. A quarante ans de distance, ces paroles faisaient écho aux protestations de Léon XIII contre l’état de fait qu’il avait sous 1rs yeux : Tout principe ct tout sentiment religieux ont disparu des lois et des institu­ tions publiques, et ainsi, peu à peu. les travailleurs isoles el sans défense se sont vus, aver le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains et â la cupidité d’une concurrence effrénée. I ’ne usure dévorante est venue ajouter encore au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l’Eglise, elle n’a cessé d'être prati­ quée» sous une autre forme, par des hommes avides de gain, d’une insatiable cupidité. · lier. non.. p. 247. cl En condamnant ers excès, ΓEglise ne perd pis de vue la réalité pour prôner je ne sais quel âge d’or idvlhque ou. tout le monde étant vertueux, les souffrances et les inégalités seraient inconnues. En regard de sa conception des richesses, il existe une conception chré­ tienne de la pauvreté ct des inégalités et souffrances qui s’en suivent. Nous avons vu que l’égalité absolue n’est qu’un mythe cl que nul ne peut ici-bas éviter son fardeau de souffrances. Mais l’Eglise ne sc borne pas à constater cc fait, elle l’explique. Celte inégalité tourne au profil de tous, de la société comme des indi­ vidus, car la vie sociale requiert un organisme très varié el des fonctions fort diverses, et ce qui porte pré­ cisément les hommes à se partager ces fonctions, c’est surtout la différence de leurs conditions respectives... Il en est de même de toutes les autres calamités qui ont fondu sur l’homme: Ici-bus, elles n’aumnt pas de fin ni de trêve, parce que les funestes fruits du péché sont amers. Apres, acerbes el qu’ils accompagnent nécessairement l'homme jusqu'à son donner soupir. Oui, la douleur et la souffrance sont l’apanage de l’hu­ manité. cl les hommes auront beau tout essayer, tout tenter pour les bannir, ils n'y réussiront jamais, quelques ressources qu’ils déploient ct quelques forces qu'ils mettent en jeu. lier. nov„ p. 258. Aussi, le pre­ mier principe à mettre en avant, c’est que I homme doit prendre en patience sa condition ». lier. non,, p. 257. Mais l’on ne nous prêche pas l'inertie ou une resigna­ tion fataliste. Jésus-Christ n’a point supprimé les afflictions qui forment presque toute la trame de la vie mortelle; il en a fait des stimulants de la vertu ct des sources du mérite, en sorte qu’il n’est point d’homme qui puisse prétendre aux recompenses éternelles s il ne marche sur les traces sanglantes de Jésus-Christ. Si nous souffrons avec lui. nous régnerons avec lui. D’ail­ leurs. en choisissant de lui-même la croix et les tour­ ments. il en a singulièrement adouci la force cl l’amer­ tume. et. afin de nous rendre encore la souffrance plus supportable, à l’exemple il a ajouté sa gràce ct la pro­ messe d’une recompense sans fin. Ainsi, les riches de ce monde sont avertis que les richesses ne les mettent pas a couvert (le la douleur, qu’elles ne sont d’aucune uti­ lité pour la vie éternelle, mais plutôt un obstacle; 7S7 PROPRIÉTÉ. USAG E Μ O R Λ L, I. ES V E RT US NÉCESSAIRES qu’il· doivent trembler devant les menaces Inusitées que Jésus-Christ profère contre les riches; qu’cnlln, il viendra un jour où il· devront rendre à Dieu, leur juge, un compte très rigoureux de l'usage qu’ils auront fait de leur fortune. Rer. non., p. 262-263. · Quant aux déshérités de ln fortune, ils apprennent de l’Église que. selon le jugement de Dieu lui-même, la pauvreté n’csf pas un opprobre et qu’il ne faut pas rougir de gagner son pain à la sueur de son front. Rer. non., p. 265. Ainsi les souffrances, les inégalités cessent d’être un scandale pour l’esprit droit cl généreux. Tout cela prend un sens, tout cela doit être vertueusement ordonné au bien des individus comme des sociétés. C’est dans ce contexte que prennent place les règles relatives à l’usage moral de la propriété. 2. Les perlas chrétiennes dans l'usage de la propriété. a) Position du problème. Il est vain de chercher ù ramasser en quelques formules la morale du proprié­ taire, comme si elle constituait, dans le domaine de la moralité, un compartiment spécial, justiciable de prin­ cipes qui lui fussent propres. En pleine homogénéité avec lout l’ensemble de la morale chrétienne, la morale du propriétaire ne se dis­ tingue du reste que matériellement; ni ses objets for­ mel· ni les vertus que ces objets définissent ne consti­ tuent un corps de doctrine autonome ou même distinct. Qui possédé des propriétés dispose, nous le reconnais­ sons, d’un domaine nouveau pour y exercer les vertus du chrétien, cl une responsabilité plus lourde accom­ pagne ccs possibilités d’action plus étendues. Mais les | vertus du propriétaire, jusque dans l’usage qu’il fait de ses biens, ne different aucunement des vertus chré­ tiennes. Il les lut faut toutes, mais il n’a pas à en cher­ cher de nouvelles. Son opulence lui permet de les prati­ quer avec un effet extérieur plus magnifique: elles n’en sont pas moins requises, en toute hypothèse, de tout chrétien, du moins à titre de disposition intérieure; par ailleurs, il suffit d’être vraiment un chrétien pour les posséder habituellement et pour les mettre en œuvre, des que l’occasion s’en présente, par l’usage des richesses ou autrement. Il esl regrettable que les auteurs aient pris l’habi­ tude de souligner exclusivement un petit lot de vertus : J justice, charité, libéralité, et de les présenter comme spécialement requises du propriétaire comme tel. On en vient même à se figurer ccs vertus comme la ran­ çon. l'excuse du privilège que serait la propriété; celleci. pour être juste ou du moins tolérable, devrait être en quelque sorte grevée d’un service ou d’une charge sociale, consistant dans la pratique obligatoire de la charité aumônière, de la justice, de la libéralité et de quelques vertus déterminées. El l’on conçoit aisément les développements que comporte cette doctrine : Tout avantage, dit-on, appelle une contrepartie; tout s< paie. Vous êtes propriétaire, el ù ce titre vous disposez librement d’un certain pouvoir économique doublé d une autorité sociale. En compensation, vous devez accepter un certain nombre d'obligations mo­ rales. équitable redevance, Impôt légitime, sinon prime d'assurance. · C’est ce que l’on appelle limitation monde, ou charge, ou fonction sociale de la propriété. Il nous semble que celte vue est beaucoup trop courte cl que la doctrine chrétienne est plus profondément morale que ne permet de le soupçonner cette représen­ tation mercantile. Biche ou pauvre, grand ou petit, chacun esl d’abord tenu de pratiquer toute la morale chrétienne, c’est-à-dire l’ensemble des vertus. I ne cir­ constance contingente, telle que la situation de pro­ priétaire ou celle de prolétaire, n’ajoute pas à vrai dire un article nouveau aux obligations morales du chré­ tien. mais détermine les conditions concrètes dans les­ quelles il lui faut s'en acquitter et dont sa raison tient 78S compte en toute prudence. Le chrétien n’attrml p.n d’être propriétaire pour se croire obligé ù l’exercice (It­ ioni es les vertus; niais, s’il est riche propriétaire, v» prudence lui Indique selon quelles modalités précises, adaptées à sa situation, il sied de les exercer, et il eM certain que ces modalités ne Mint pas celles qui con viendraient au cas de l’indigent. Aussi bien, une lecture attentive de Rerum novarurn et surtout peut-être de Quadragesimo anno montre bien que tel est l’enseignement ordinaire, sinon des auteurs, du moins de l’Église. Certes, les encycliques ne se proposent pas de départager les écoles de théo­ logie morale ni même de dégager l’enchaînement sys­ tématique des vertus morales. Il n’en est pas moins significatif de voir avec quelle insistance et quelle lar­ geur de vues elles font appel ù toutes les vertus chré­ tiennes. comment elles préconisent avant tout la réforme des mœurs. lors même qu’il s'agit, semble-t-il, de résoudre un problème précis d'organisation sociale. Nous devons suivre cette indication. ht Solution chrétienne du problème. — a. La prudence. Il n'est pas besoin d’être propriétaire pour se sentir tenu de pratiquer la vertu chrétienne de prudence; mais, si l’on est propriétaire, on aura a la pratiquer, entre autres circonstances, dans l’usage de scs biens. A souligner plus fréquemment celte vérité toute simple, on donnerait valeur vertueuse et chrétienne â la sollicitude légitime, aux dons de sagacité, d’habileté, de circonspection, de prévoyance, d’application que le propriétaire chrétien met en œuvre dans l’administra­ tion de ses biens. Lorsqu’il s’informe de la conjoncture économique, lorsqu'il délibère, lorsqu'il décide, il doit faire acte de prudence. Sans doute lui arrive-t-il de le faire sans s’en douter: cette circonstance ne saurait nous dispenser de reconnaître la vérité psychologique et morale : une vertu est chargée d’éclairer et de déter­ miner pratiquement les décisions du propriétaire chré­ tien en vue de l'usage chrétien de sa propriété, el cette vertu n’est autre que lu prudence. Ainsi, lorsque Léon XIII remarque que l’homme, sous la direction de la loi éternelle et sous le gouvernement universel de la Providence divine, est en quelque sorte à lui-même et sa loi et sa providence ·; lorsque le pape nous dit que la nature inspire au père de famille de veiller à l’avenir de ses enfants et lorsqu’il conseille à l’ouvrier d’être parcimonieux et de faire en sorte, par de pru­ dentes épargnes, de se ménager un petit superliti qui lui permette de parvenir un jour à l'acquisition d’un modeste patrimoine; lorsque Pie XI loue les sages pré­ visions de la production; lorsque l’on nous apprend à discerner le nécessaire, le convenable, le superflu, il est manifeste que la vertu de prudence est conviée très spécialement à Intervenir pour faire régner son ordre rationnel dans l’usage pratique de la propriété. L’expé­ rience ne prouve-t-elle pas d'ailleurs que les vices opposés ù la vertu de prudence s’étalent au grand jour dans le mauvais usage de la richesse : précipitation, témérité, défaut de considération attentive, de cir­ conspection. de précaution. Inconstance, laisser-aller négligent, astuce, et que les vices d’intempérance et de luxure qui corrompent l’usage vertueux de la richesse ne procurent d'ordinaire ce résultat qu’en troublant l’activité prudente de la raison? b. Les oertus théologales. La charité. — Au nom de quels principes la prudence gouverne t elle l’aclivilé rationnelle ’ Ne cherchons pas. pour l’usage chré­ tien de la propriété, d’autres tins que les fins constantes et communes de l’activité humaine, le bien vertueux, pour nous pins précisément le bien divin surnaturel. Bien entendu, il n’est pas inutile de le redire, la qualité de propriétaire ne met pa.4 sur les épaules du chrétien, comme nu fardeau supplémentaire, l’obligation de tendre a ccs tins. c’est-à dire d’aimer Dieu, d’aimer le 789 I’lUH’Kii.Tk. I S\r.i; MOKAL, LES VEHTLS NÉCESSAIBES prochain, de respecter It· droit d’autrui, de sc conduire honnêtement dans le plaisir et dans la peine; tout cela est bien pins profondément enraciné dan» la nature morale de l'homme que ne l'est la propriété privée et ne peut être considéré comme une obligation qui naî­ trait de celle-ci ou comme une charge qui ln grèverait Il apparaît au contraire clairement que l’homme bien né et que le chrétien régénéré par la grâce saisit avec empressement, dans l’usage de sa propriété, une occa­ sion. entre beaucoup d'autres d’ailleurs, de remplir ses obligations naturelles et surnaturelles, c’est-â dire de réaliser ses plus chères volontés et de suivre ses pen­ chants les plus profonds. Ces deux façons de voir sont toutes différentes : que l’on ne dise pas qu'en Un de compte les deux conceptions aboutissent aux mêmes résultats, à la pratique de l’aumône, de la justice sociale, distributive ou commutative, de la libéralité, de la magnificence, etc. En réalité, ce sont deux con­ cept Ions de la morale cl de l’homme, deux conceptions delà nature humaine et de la grâce, qui s’affrontent en ce qui concerne l ’usage de la propriété comme en ce qui concerne tout usage moral de notre liberté. C’est dire que l’usage prudent de ses biens, pour un propriétaire chrétien, doit être, comme tout le reste de son activité, orienté et mû par la charité. Et gardonsnous d'une notion trop étroite de la charité. L’amicale dilection que l’âme chrétienne porte au bien divin et qui donne le branle à toute l'activité vertueuse en même temps qu'elle rend ccllc-ci méritoire de vie éter­ nelle est un mouvement profond el universel, à l’instar d’une tendance de nature; elle ne saurait se styliser en tel geste déterminé comme serait le geste de l’aumône. Bien ne doit échapper à son impulsion, qu’il s’agisse de donner ou de recevoir, de dépenser ou d'acquérir, de travail ou de repos; quoi que l’on fasse, au nom de la charité s’établit une règle inviolable qui ordonne à l’homme de chercher avant tout le règne de Dieu et sa justice, dans la certitude que les biens temporels euxmêmes lui seront donnés pat surcroît, en vertu d’une promesse formelle de la libéralité divine ». Quadr. anno. p. 373. C'est en cfTct d’une abondante effusion de cha­ rité qu’il faut principalement attendre le salut. » Rfr. non., p. 298. Quelques réformes que l’on puisse lenter, pour les assurer pleinement, il faut compter avant tout sur la loi de charité, qui est le lien de la perfection. Combien se trompent les réformateurs Im­ prudents (pii. satisfaits de faire observer la justice commutative, repoussent avec hauteur le concours de la charité!... La justice seule, même scrupuleusement pratiquée, peut bien faire disparaître les causes des conflits sociaux, elle n’opère pas par sa propre vertu le rapprochement des volontés et l’union des cœurs. Or, toutes les institutions destinées à favoriser l’ent t’aide parmi les hommes, si bien conçues qu’elles paraissent, reçoivent leur solidité surtout d’un lien spi­ rituel qui unit les membres entre eux. Quand ce lien fait défaut, une fréquente expérience montre (pie les meilleures formules restent sans résultat. I ne vraie collaboration de tous en vue du bien commun ne s’éta­ blira donc que lorsque tous auront l’intime conviction d’être les membres d’une grande famille et les enfants d'un même Père céleste, de ne former même dans le < hrist qu'un seul corps dont ils sont réciproquement les membres, en sorte (pie, si l'un soutire, tous souffrent avec lui. Alors, les riches et les dirigeants, trop long­ temps indifférents au sort de leurs frères moins fortu­ nés, leur donneront des preuves de charité effective, accueilleront avec une bienveillante sympathie leurs justes revendications, excuseront el pardonneront â l’occasion leurs erreurs et leurs fautes. De leur côté. Ic< Iras ni leurs déposeront sincèrement les sentiments de haine et d’envie que les fauteurs de la lutte des classes exploitent avec tant d’hnbiloté; ils accepteront sans 7 9n rancœur la place que la divine Providence leur a assi­ gnée, ou plutôt ils en feront grand cas, comprenant que tous, en accomplissant leur lâche, ils collaborent utilement el honorablement au bien commun cl qu’ils suivent de plus près la trace de celui qui. étant Dieu, a voulu, parmi 1rs hommes, être un ouvrier cl être regardé comme un fils d’ouvrier. » Let hymne a la chanté montre le rôle primordial. • architectonique » de cette vertu dans la synthèse morale rt sociale. El il est clair que le propriétaire n’est pas h· seul à y être obligé; mais on conçoit aisé­ ment ce Quadr. anno, p. 329-330. (’.’est un devoir non pas de stricte justice, sauf le cas d’extrême néces­ sité, mais \(.l MOIIAl. LES \ I; HI I S \fccESS\l 15 ES autres, c’est-à-dire de leur vouloir et de leur faire le bien qui leur convient de ce chef. Que l’on ne dise pas que In charité, faisant mieux que In justice, rend celle-ci inutile. Lu charité poursuit le bien de l’humanité régénérée, considérée â la façon d’une communion intime; mais elle laisse subsister entre les hommes les distinctions et les oppositions secon­ daires; bien mieux, comme ccs diversités sont normales ct concourent au bien total, elles prennent une valeur humaine et chrétienne qui les rend respectables et désirables pour elles-mêmes dans une juste mesure. Et la charité, qui trouve son bien partout où il v a quelque valeur d’humanité, le découvre ici-même. Bien loin de niveler ces différences, sous le beau prétexte d'une humanité plus fondue et plus fraternelle, la charité nous invite à les aimer comme une part de ce tout com­ plexe cl ordonné qu'est le bien humain. Ainsi, les hommes sont nos frères, nos amis: cela nous engage à les aimer comme nous-mêmes. Mais ils sont autres : nous ne les en aimerons pas moins, mais nous aime­ rons. en outre. Jusqu’à ce trait qui les différencie cl qui est nécessaire pour la beauté de l’humanité. Bien loin par conséquent de rendre inutile la justice en nivelant ou en dissimulant ces légitimes el salutaires distinc­ tions. la charité, en goût du bien total ct le découvrant dans cet ordre même, exige que, sur le fond d'unité essentielle, s’organise ct s’affermisse entre hommes un réseau de relations et d'échanges respectueux de ces distinctions. En un mot. si la justice n'existait pas, c’est la charité qui l’inventerait. Inutile d’ajouter que la pratique de la justice s’im­ pose à tout chrétien; sa liaison nécessaire avec la cha­ rité en fait non un conseil, mais un précepte. Que l’on soit riche ou pauvre, propriétaire ou non. l’on doit en toutes rencontres pratiquer la justice, c'est-à-dire res­ pecter les droits d’autrui. Qu’il convienne de pratiquer ce devoir dans l’usage de sa propriété comme en toute autre circonstance, c’est ce qui ne fait pas l’ombre d’un doute. Toutefois, dans ce cas particulier, l’obligation générale d’étre juste revêt-elle un caractère plus pres­ sant ou plus précis? On ne le discerne pas très bien à première vue. Il faut même dire que la propriété, par elle-même ct à considérer les choses sans parti pris, confère un droit opposable en justice â autrui plutôt qu’une obligation précise de justice à acquitter envers (pii rpie ce soit. Bref, le propriétaire, en usant des biens qui lui appartiennent légitimement, est tenu, comme tout le monde, de respecter le droit d’autrui, d’observer la teneur des engagements qu’il a pu cou trader ct de réparer les dommages qu’il lui arriverait de causer: mais le seul fait qu’il use de son droit de propriété ne lui impose aucune obligation spéciale de justice à I égard de qui que ce soit. \ussi bien, la justice peut faire retour par d’autres voies. Rappelons d’abord qu'en cas de nécessité extrême toutes choses redeviennent communes : le propriétaire ne peut donc empêcher l'indigent réduit à celte extrémité de prendre ce qui lui est necessaire; â vrai dire, nous sortons de l'hypothèse, puisque le droit même de propriété privée est résolu dans le cas d dans les limites de cette extrême indigence; il ne saurait être question d’user justement d’un droit désormais inexis I .int. Mais voici deux autres voies par où l'obligation de Justice peut survenir, ailedant l’usage d’un droit de propriété indiscutable. Il arrive que, pour user plus efllcacement de ses richesses, le propriétaire s’assure le concours de collaborateurs, associés, employés, ou­ vriers, etc. Quelle que soit la forme Juridique de celle collaborai ion. empruntée par exemple à la technique des centrais de salaire, de société, de participation, de commandite ou de louage, la réalité sociologique et morale s’nnalvse en un tout organique et différencié. conq>osé de parties distinctes, hiérarchisées, unies dans un dessein commun. Lors donc que le propriétaire se trouve ainsi a la tète d'une entreprise qui n’est plus strictement son affaire personnelle, il est tenu, en vertu onh Si l’on ajoute a cela que l'Etat est qualifié pour extirper les vices nui­ le considère comme un fruit du péché ct le résultat de sibles au bien commun, pour exiger la pratique des la corruption humaine. II suffit de signaler celte attitude de refus préalable, actes vertueux dans la mesure où l’exige le bien com­ I mun, on ne sera pas surpris de voir l’Églisc reconnaître avec sa racine métaphysique. Au cours des siècles, elle a la loi civile un droit de regard et un pouvoir de sc manifeste de façon chronique, entraînant régulière­ ment avec elle des crises d'anarchie. D’après Clément Coercition, à l’effet d’obtenir des propriétaires un usage d’Alexandrie, le gnostlquc hérétique Epiphane, ills de moral ct vertueux de leur droit de propriété. Au nom de la justice legale, l’Etat peut ct doit organiser le Carpocrale, préconisait au ir siècle le communisme régime de l’usage, faciliter l’usage vertueux, découra­ intégral, en se fondant sur la justice de Dieu : alias ger ou interdire I usage égoïste, modérer ou exciter violata esset justitia Dei quæ consistit in irguaUtate selon les cas la soif d'acquérir, l'instinct de l’épargne, communionis ct se ostendit in eo quod omnia omnibus G., t. vm, le goût de la dépense; il doit seconder les initiatives communia jecit. Strom., I. 1IL c. n. généreuses, les susciter au besoin et, en cas d’urgence, c pour être le moyen pur lequel nous sommes destines, comme cause seconde, ù perpétuer le grand œuvre de la création ct à coopérer aux vues de son auteur. » Leur sécurité est si complète qu'ils ne craignent pas d’opposer nettement la classe oisive des propriétaires à la classe productive des travailleurs agricoles. Mais la conséquence de cette opposition n'est pas celle que nous attendrions aujourd’hui, l’éviction de la classe oisive. Bien au contraire, toute production provenant exclusivement de la terre, le premier service écono­ mique consiste à fournir celle-ci. Or, tel est le rôle du propriétaire : les travailleurs reçoivent de lui la terre, source de toute richesse; après Dieu, c'est le proprié­ taire qui met ù la disposition du genre humain cette source inépuisable et irremplaçable. Pour que cette argumentation valût dans la pensée des physiocrates, il fallait que, dénués de tout sens historique, ils tinssent pour évidemment naturelle ct nécessaire une certaine organisation sociale comportant des classes différentes. Turgot a une vue moins absolue et plus réelle lorsqu'il attribue à un fait historique contingent, à l’occupation, l’origine de la classe propriétaire et lorsqu’il cherche dans les services rendus la légitimation de cc fait. Mais 11 importe de souligner que cette faiblesse de la doctrine physiocratique, liée à une vue trop courte de l'ordre social, n’entraîne pas la ruine de la thèse libérale. Peu importe, au fond, la représentation que l’on se fait de l’ordre naturel; dès là qu’on admet qu’il y a un ordre naturel ct que cct ordre se réalise par une sorte de jeu spontané ou de mécanique infaillible en libérant l’instinct individuel de Vhcmo aconomicus, on est essentiellement un libéral, c’cst-à-dirc qu’on admet comme un dcginc le déterminisme des lois économiques nécessaires ct bienfaisantes. Cela est si vrai que le caractère rationaliste du libéralisme ira en s’atténuant: il accentuera plutôt son caractère pragmatique, positif, quelque peu sceptique à l’endroit de la raison ct de ses prétentions réformatrices. < Une société, dit A. Schatz, est un phénomène naturel, amoral, soumis à des loi* propres de développement sur lesquelles la raison n’a que très peu de prise. » On sourit alors des rêves socia­ listes qui supposent toujours que la raison peut domi­ ner les instincts, détourner le cour> des forces natu­ relles et organiser selon un plan l'organisme écono­ mique. On se borne à constater qu’il existe des forces inéluctables, tendant à un équilibre relatif dans un ordre en quelque sorte spontané, assez analogue à l'équilibre d'un organisme sain laissé à lui-même. Et, avec un parti pris d'objectivité scientifique, on con­ clut que la liberté et la propriété individuelle doivent être sauvegardées, puisque sans ces deux institutions le jeu naturel des forces ne peut se produire m leur équi­ libre sc réaliser. On volt que, sous-jacente aux formes nouvelles du libéralisme, se retrouve toujours la con­ ception déterministe, sinon fataliste, d’une nature réfractaire au pouvoir libérateur ct organisateur de la raison humaine. C’est donc sur cette infrastructure philosophique qu’il faut toujours sc représenter les arguments libé­ raux en faveur de la propriété. C’est par ce contexte qu’il les faut Interpréter. On se gardera en conséquence de confondre renseignement chrétien d’une propriété fondée sur le droit naturel avec l’enseignement libéral (pii use apparemment du même langage ct qui voit dans la propriété un fait naturel : le mot nature est employé ici ct là dans un sens tout différent. Pour l’Église, nous l’avons vu, il s’agit de nature humaine, essentiellement rationnelle, libre ct morale; pour lu philosophie libérale, pour la physiocrats comme pour toutes les doctrines (pii se sont partagé ou transmis l'héritage du libéralisme, il ne saurait être question (pie d’une nature physique, justiciable de lois neces­ saires et mécaniques, la seule nature connaissable expé- SO 7 PROPRIÉTÉ. LES ERREURS SOCIALISTES rinientalcmcnt ct scientifiquement, d'ailleurs étran­ gère au monde de la liberté cl de la moralité. En cc sens, on peut affirmer qu'il y a une erreur libérale, même dans la défense de la propriété. Quant au détail des arguments, souvent très ingénieux, il ne nous paraît pas qu’il soit opportun de nous y attarder : on les trouvera dans tous les manuels classiques d'écono­ mie politique. 2° txs erreurs socialistes. — Nous quai liions de so­ cialistes les doctrines qui excluent le principe meme de la propriété· Le socialisme est aujourd’hui une erreur, ou plutôt un recueil d’erreurs nettement condamnées; il mérite­ rait en loi-même et pour lui-même une étude impor­ tante. Plus qu’un système économique, plus qu'une technique de la production et de la répartition, plus qu'une solution au problème des rapports entre capi­ talistes et prolétaires, le socialisme est une conception philosophique de la destinée humaine. « Il épouse en quelque sorte la destinée de l’homme. » M. Aimé Blanc, La vie socialiste. du 13 avril 1929. « Il trouve nécessai­ rement ses mobiles dans les profondeurs d'une mys­ tique et d une foi. » M. Lévi-Strauss, La vie socialiste du 30 mars 1929. Il est « une règle générale de vie », une · catholicité », selon M. Léon Blum, une civilisa­ tion appelée à succéder « à deux autres grandes civili­ sations ; la civilisation païenne ct la civilisation chré­ tienne ». M. Laurent-Estienne, La France libre du 9 ocL I92L Sous cet aspect, qui lui est essentiel, le socialisme déborde largement les limites de l’article présent. Mais nous n'aurons garde de négliger ses bases philosophiques, bien faites pour donner tout leur sens aux attaques portées par le socialisme contre le droit de propriété privée. Il Importe en effet de souligner ce fait (pie le socia­ lisme contemporain est né et a grandi en réaction contre l’économie orthodoxe, ce qui revient à dire que le socialisme a beaucoup emprunté au libéralisme. 11 est aise de montrer que l'armature technique du socia­ lisme scientifique est un démarquage des thèmes ortho­ doxes. notamment des thèmes pessimistes développés par Ricardo. Mais il faut noter surtout que la philoso­ phie matérialiste ct déterministe rencontrée chez les libéraux se retrouve chez les socialistes, abstraction faite d’un socialisme plus sentimental et généreux que scienti lique, où Γοη voit percer l'ancienne tradition utopique cl panthéiste. Ajoutons que le départ est souvent malaisé entre les deux socialismes : dans un même esprit, les deux tendances se combinent aisé­ ment, puisque toutes deux conduisent à des conclu­ sions identiques et que seuls leurs principes méta­ physiques s’opposent dialectiquement. De là. pour le dire eu passant, la force et la faiblesse du socialisme : il séduit sans peine la foule des hommes généreux ou mécontents ct les groupe pour une œuvre de destruc­ tion. mais, s’il s'agit de construire cl de vivre en société, ce qui ne peut se faire que sur la base d’un idéal commun, l'équivoque fondamentale ne tarde pas à éclater, et le groupe se déchire. Quoi qu’il en soit. Il est impossible de comprendre les formes contemporaines du socialisme si l’on oublie cc qu’il doit aux économistes orthodoxes ou libéraux, (.’est par eux que le socialisme, de romanesque, d’é­ thique. devient en outre un système économique. 1. La notion de valeur. - Lc pivot du socialisme scientifique semble être la notion économique de • valeur ». Encore que Condillac ait, dès 1776. exposé une théorie psychologique de In valeur, notablement supé­ rieure à l’idée que s’en faisaient les physiocratcs, cette théorie ne devait pas connaître avant la seconde moitié du XîX* siècle la faveur qu’elle méritait. En effet, Adam Smith, par son fameux ouvrage sur La richesse 80S des nations, allait, en 1776 précisément, mettre en cir­ culation une théorie de la valeur qui devait longtemps s’imposer. H distingue valeur d’usage ct valeur d'é­ change» étudiant celle-ci sans référence à celle-là. Or, pour déterminer la valeur «l’échange sans tenir compte des désirs subjectifs. Smith oscille entre deux prin­ cipes : tantôt, il admet «pie le travail c'esl-à-dlrc «ce que chaque chose coûte de peine cl de trouble u celui qui veut l’acquérir », est la mesure réelle de la valeur échangeable de tous les biens; tantôt, Il mesure le prix réel de la chose à son vrai coût de production. Les deux règles sont distinctes. Dans une société précapitalistr, en effet, le rôle des instruments étant pratiquement négligeable, le travail seul, c'est-à-dire le temps que l’on perd et la peine que l’on prend pour atteindre tel résultat économique, mesure la valeur de cc produit. Au contraire, dans une société capitaliste, le coût de production doit comprendre, outre 1e salaire du tra­ vailleur. la rémunération «lue au propriétaire de la terre et des autres capitaux. Celte dernière rémunéra­ tion est-elle légitime? Smith l’affirme, en arguant non plus de cet ordre naturel, évident et nécessaire, selon lequel le propriétaire était prédestiné, au gré des physiocrales, à mettre la terre à la disposition du tra­ vailleur agricole, quitte à s'acquitter des « avances >, c’est-à-dire à consentir les frais d’aménagement; mais en arguant de ce que le « profit » doit en justice rému­ nérer le travail du propriétaire, conçu comme un en­ trepreneur (Smith n’a pas su distinguer le rôle de l’en­ trepreneur ct celui du capitaliste), couvrir ses risques de perle el couvrir les risques courus par le prêteur de capitaux. Ricardo s'empare à cc point de l’argumentation cl la pousse à fond avec la logique qui lui est habituelle. A quoi bon distinguer ainsi la rémunération du tra­ vail ct celle des capitaux? Une telle distinction n’a d'intérêt qu'au point de vue comptable. En réalité, lorsqu'on rémunère un capital, on rémunère un travail antérieur, « le travail dépensé pour former le capital > c'est-à-dire du travail accumule». Harcelé d’objec­ tions, Ricardo finit par renoncer à cette définition trop simple de la valeur : « Je peine à ma tâche, écrivait-il à Malthus, et j’essaie de comprendre la plus difficile des questions de l’économie politique. * Un mois à peine avant sa mort, il avouait n’avoir pas réussi â résoudre le problème de la valeur. Cependant, en dépit des hési­ tations de leur maître, les disciples de Ricardo, Mac Culloch et James Mill, continuèrent de soutenir la même thèse. < James Mill et Mae Culloch sont deux disciples intransigeants qui apportent à leur propa­ gande économique le zèle du religionnaire écossais. Mais 11 arrive que leur intransigeance les emporte au delà de la doctrine du maître. Ricardo admet lait qu’il y eût des limitations, des exceptions, à scs principes ; James Mill et .Mac Culloch, négligeant systématique­ ment toutes ces restrictions, seront plus ricardieiiS, pour ainsi dire, que Ricardo lui-même.» E. I ialévy. Lc radicalisme philosophique, 1901, p. 56. Les premiers socialistes anglais n’eurent qu'ft trans­ mettre cette conception «le la valeur à Karl Marx. Celui-ci s’en empara et en fit le pivot de sa critique du capitalisme. Puisque, entre les choses différentes «pic l’on échange, la justice exige qu’il y ait une valeur commune, seul le travail peut être ce quid commun·. Tout le reste peut différer en elles, mais, « en tant que valeurs, toutes les marchandises ne sont que du travail cristallisé ». Il proteste donc contre ce qu'il appelle un mystère d iniquité : si toute la valeur représente du travail, mieux encore, si le travail est la substance même de la valeur, pourquoi tout le prix ne revient-il pas au travailleur? Le socialisme scientifique était né, trouvant dans son berceau, contre la propriété, une arme empruntée aux doctrines libérales. 809 ΡΒΟΡΒΙΕΊΕ. LES EBBEUBS SOCIALISTES Le socialisme trouva son Ricardo en la personne de Bodbertus, héritier des salntsimonlens, qui, sans sc mêler aux agitations populaires comme Karl Marx, combina dans un exposé vigoureux 1rs idées sociales les plus avancées et le programme politique le plus conservateur. Lassalle, avant tout homme d'action ct tribun, est surtout connu pour la formule retentissante de < la loi d'airain des salaires , par laquelle 11 désignait la théorie essentiellement classique, depuis Turgot, Malthus ct Ricardo, du salaire nécessaire ou du salaire minimum. Marx donna au socialisme une charpente doctrinale. Ce fut à la fois une force ct une faiblesse, car, si l’allure scientifique el la fermeté du marxisme rendirent plus aisée la propagande socialiste, il faut reconnaître en revanche que beaucoup de thèses socialistes, liées pour un temps aux « catégories » marxistes, subirent le même sort que celles-ci; or, les thèses essentielles de la doctrine de Marx sont aujourd'hui périmées. Sans nous attarder à l’élude du marxisme, notons-cn ce qui con­ cerne la doctrine de la propriété : a) la vraie valeur des marchandises se mesure au quantum de travail social qui s’y trouve incorporé; b) l’ouvrier qui livre son travail pour un salaire n’est pas rémunéré pour la valeur issue de son travail, mais strictement pour la valeur de son travail, laquelle est déterminée par le quantum de travail socialement nécessaire pour pro­ duire les denrées et objets indispensables à l’entretien de l’ouvrier ct à sa « reproduction »; la différence entre la valeur du travail ct la valeur produite par cc travail est encaissée par le capitaliste, comme plus-value; c) ce mécanisme entraîne un antagonisme incurable entre la classe qui ne dispose que de son travail ct celle qui, disposant en propre des moyens de production, prélève la plus-value; d) comme la plus-value devient capital ù son tour el. par suite d’un nouveau travail, engendre une nouvelle plus-value, cet antagonisme entre le travailleur et le capitaliste, dans un régime de propriété privée ct de libre concurrence, ne peut qu’al­ ler en s’aggravant, jusqu’au jour où la collectivité expropriera les derniers capitalistes et s’emparera des moyens de production. Cette construction ne résista pas à l’épreuve des faits. Selon l’expression de Q. Sorel, le marxisme s’est « décomposé ». La décomposition du marxisme, 190S. Le néo-marxisme, d’une part, qui rejette les thèses marxistes et n’est pas révolutionnaire, le syndicalisme révolutionnaire, d’autre part, qui, sans souci des théo­ ries, n’a retenu que la lutte des classes, l’action directe et la grève générale, lui ont succédé. Récemment, sou$ le nom de néo-socialisme.des esprits distingués, comme A. Philip, .1. Much. IL Dubreuil, professent une théo­ rie de rationalisation générale, d’organisation écono­ mique visant « à créer des biens par les entreprises les mieux établies, avec les coûts de production les moins élevés, et à raccourcir les routes de la circulation de­ puis le producteur jusqu’au consommateur ». F. Leit­ ner, Wirtschaltstchre der rnternchmung, 5e éd.. 1926. Celle attitude n’offre rien de spécifiquement socialiste et n’attente pas à la propriété. De même, nous n’avons pas à nous occuper des théories dites intervention­ nistes, ni du socialisme d’Etat, pour la même raison. Quant au communisme fanonhisme, école libertaire), il enseigne un individualisme ouf roncier et n’entend abolir la propriété privée que parce qu’il y voit, après Proudhon, le moyen d’opprimer les non-possédants; il veut d’ailleurs supprimer toute autorité, persuadé que la raison ct la science établiront demain entre tous les hommes un ordre naturel et spontané. Lc bolchevisme, pour le moment· s'efforce de réaliser le marxisme, tran­ sition indispensable entre le régime capitaliste el le régime communiste, car, · avili par l’esclavage millé­ naire, peu homogène, peu souple, individualiste encore, 810 infecté du virus petit-bourgeois, le prolétaire n’acquerra qu’au prix d'efforts, prolongés pendant plusieurs géné­ rations, l’esprit de solidarité communiste, d'acquiesce­ ment absolu à Ια volonté générale, de soumission par­ faite ct spontanée aux intérêts de la collectivité ». 2. Les arguments du socialisme. — Lc socialisme appuie ses attaques contre la propriété privée sur trois fondements bien distincts, qui récapitulent en quelque sorte les phases de son évolution historique. a) Fondement éthique. — Lc socialisme n’a pas renoncé aux forces sentimentales ct morales. « Il ne suffit pas. déclare B. Malon. de faire appel aux intérêts économiques ct aux haines de classe ». car le socialisme ne sc laisse pas enfermer « dans la coquille du proces­ sus economique ». C’est là, avouons-lc, l’aspect le plus sympathique ct aussi le plus tenace du socialisme. Les Dialogues socialistes d’Ed. Berth, 1901, glorifient la valeur moralisatrice du socialisme, qui émancipe les deux puissances les plus aptes à moraliser l’homme : le travail el l’amour; le travail élevé du régime du sala­ riat au régime de l’association, l’amour rénové au sein de la famille ou entre 1rs sexes par l’indépendance donnée à la femme. Charles Andler estime lui aussi que l’on est d’abord socialiste par l’« adhésion du cœur » à un idéal < qui sc propose à nous pour sa beauté ». Lc travail débarrassé de préoccupations égoïstes et mercenaires : tel serait l’idéal du socialisme; il ajoute aussitôt que ce socialisme-là n’est pas le socialisme que l’on rencontre aujourd’hui... Sous ces sentiments infiniment respectables et tout à l’honneur de ceux qui les ont conçus, que découvrons-nous de précis4 La nausée d’un régime où la possession des richesses semble la lin de tout effort humain, le but unique du travail ct souvent même le honteux carcan où étouffent nos plu» spirituelles aspirations. C’est de cela qu’on accuse l'institution de la propriété privée, con­ sidérée comme le pivot du régime capitaliste tout entier et comme l’instrument de toutes les spoliations ct de toutes les servitudes. b) Fondements économiques.— Plus précise, mais plus discutable, se présente la base économique du socialisme. Dans une thèse ironiquement intitulée L’utilité sociale de la propriété individuelle, 1901. Ad. Landry oppose celte institution à l’intérêt social. Le produc­ teur. parce qu’il est mû par l’appât du profit individuel, peut être amené à orienter ses efforts dans une direc­ tion nuisible au bien général; ce qui l'intcrcssc, c'est moins la productivité » que la « rentabilité > de sou entreprise : il a intérêt à jeter à la mer ou â brûler une partie de sa récolte de blé ou de café, afin de maintenir les cours ct d’obtenir un bénéfice définitif plus grand; il peut substituer l’élevage à la culture sur scs terres. Dans les deux cas, son intérêt individuel l’emporte donc sur l’intérêt social, précisément à cause du carac­ tère individuel de la propriété. La consommation, à son tour, est mal servie à cause de la propriété privée : il parait juste de pourvoir aux besoins essentiels de l’humanité avant de satisfaire des besoins moins intenses, ou artificiels, ou meme nuisibles. Or. aujour­ d’hui. la consommation qui exerce la plus grande In­ fluence svr le marché, à cause de la propriété indivi­ duelle combinée avec la libre concurrence, est la con­ sommation des riches; en ce sens d'abord que les riches, par la hausse des prix, obtiennent seuls les den­ rées de première nécessité si celles-ci viennent à se raré­ fier; de plus, en ce sens que la production, orientée par la demande des consommateurs fortunés, s’applique à des industries de luxe, sans souci d’autres activités qui seraient moins rémunératrices, mais dont le besoin sc fait sentir tragiquement pour la foule des miséreux. c) Fondements philosophiques.— Sans prétendre nier cc qu’il y eut d’original dans l’œuvre de Karl Marx, PROPRIET! il est facile de constater que le marxisme nc sc borne pas .i emprunter aux économistes libéraux leur théo­ rie de In valeur. Malgré qu’il en ait, le socialisme scientifique repose sur une infrastructure philosophique où Ton reconnaît la conception déterministe de l’histoire propagée avec quelques variantes en Allemagne par les disciples dc Hegel, en France par les positivistes, et en Angleterre par les utilitaristes radicaux. On voit qu’il no faut accepter qu’avec beaucoup de réserve l'opinion cou­ rante selon laquelle l’année 1818 marque un renverse­ ment inopiné et définitif dc l’histoire socialiste : avant 1818, il n’y aurait eu qu'ulopic et sentimenta­ lité, toutes les revendications socialistes reposant sur quelque idéal moral ou religieux; 1818 aurait vu l'avè­ nement d’un socialisme doctrinal, systématique, armé d'une conception de l’univers, d’un socialisme objec­ tif et précis connue une science exacte. < L’originalité dc Marx est d’avoir groupé ce qui était épars avant lui... La paternité des idées n’appartient pas moins à leurs vrais auteurs. Or. c’est à Fichte qu’appartiennent la critique dc la théorie économique dc la valeur el l’antithèse dc la valeur et du prix; à Lamennais, l’idée de la loi d’airain des salaires et celle du surlravail; ή Owen, l’idée que, l’homme étant le produit du milieu, il faut changer le milieu pour changer l'individu; à Saint-Simon, l’idée que la société est de longue date partagée entre une classe laborieuse et une classe oisive dont l’antagonisme explique les crises historiques; à Auguste Comte, l’idée que les capitaux tendent à s’accumuler dans les mêmes mains cl que la dispari­ tion dc la petite entreprise est inévitable; à Fourier el à Considérant, l'idée que de là résulte une nouvelle féo­ dalité; à Mill enfin, l’idée que l’émancipation des sala­ ries doit être avant tout leur œuvre. » Gaston Richard, /.<> question sociale et le mouvement philosophique au Λ7Λ sitcle, Paris. 191 I, p. 201. Quelque décevantes que soient toujours ces re­ cherches de paternité, et même si les attributions, comme nous le croyons ici, demeurent discutables, elles Offrent du moins ce résultat positif de nous donner une meilleure intelligence du système dc pensée socia­ liste en en fouillant les origines. Or, il est incontestable que ce* origines se placent dans un fort courant maté­ rialiste. Entre autres précurseurs. Blanqui exposait déjà les thèmes économiques du matérialisme marxiste dans la Critique sociale, écrite deux ans avant la publi­ cation du Capital, t En philosophie, Blanqui était matérialiste comme Marx. Il a exposé ses vues dans une œuvre étrange, L'immortalité par les astres, où la conception mécaniste dc la nature est conduite logi­ quement à scs conséquences extrêmes. » L’individu perd toute espérance d’immortalité personnelle, mais • les lois mécaniques de la matière et du mouvement garantissent un équivalent dc l’immortalité » par une sorte de métempsycose ou de retour éternel. Gaston Richard, op. cit . p. 201-203. Il n’importe guère, après tout, que Marx ait emprun­ té. Au point dc vue historique, on ne peut nier que le socialisme scientifique ait trouvé en lui son expression. Celle-ci. on le sait, fut marquée par l’évolutionnisme dc l’époque et par l'idéalisme hégélien. Mais ce qui cons­ titue la trouvaille <1·· Marx, ce fut, â notre avis, cl peutêtre sous l'influence dc Feuerbach, dc renverser les termes dc cet Idéalisme pour attribuer au fait matériel la dialectique hégélienne de l’idée. Le matérialisme historique joue vraiment dans la doctrine marxiste le rôle de ex machina 'Pandis que l’idéal, selon Hegel, résorbait par synthèse la thèse et l’hypothèse contradictoires, c'est le fait pour Marx, qui porte en sol, avec le germe de sa propre destruction, la Ici évo­ lutive de son progrès. Toul fait se présente donc avec «a loi nécessaire; la loi abstraite et universelle n’existe. 812 pas, au gré de Marx. Il est vrai que celte génération nécessaire de l'idéal par le fait historique s'impose, semble-t-il, comme une loi universelle. Marx est prb ju piège. Parce qu’il pose en loi la dialectique nécessaire du réel, chargé de son germe évolutif, il rend a la méta­ physique un hommage aveugle nu moment qu’il croit l’assujettir à la loi du fail matériel. Sans doute, il veut nc connaître aucune loi de l’idéal; mais il a réintroduit la loi idéale, sa nécessité, son universalité, au cœur du réel. Les lois naturelles de l’évolution sociale formu­ lées par Marx ne sont qu'une autre forme symbolique, adaptée à notre époque d’athéisme, de celle loi supé­ rieure qui domine les destinées humaines et que les générations antérieures appelaient Dieu. L’évolution économique est pour Marx un Dieu sévère, violent et cruel... Il exige des hommes qu’ils sacrifient à un but reconnu inévitable absolument tout, jusqu’au senti­ ment de leur propre volonté. > A. Philip, Henri de Man cl la crise doctrinale du socialisme, 1928, p. 169. On ne saurait mieux dire : la loi évolutive du matérialisme historique, malgré Marx, devient pour lui en fait un axiome suprême d’explication métaphysique, cc que les théistes appellent cause première; les libéraux, ordre naturel el nécessaire; Blanqui, lois mécaniques de la matière el du mouvement, etc. Cf. B. Jacob. /.* matérialisme historique, dans Heu. de mét, et de mor., 1907. j). 101-120. Dans cette vue. la propriété capitaliste trouve son explication marxiste. Explication qui, par moments, rappelle les explications a quia, purement descriptive*. La propriété nc dépend d’aucun principe idéal, mais clic est inscrite nécessairement dans la phase capita­ liste du processus historique. Que, du reste, on nose rassure pas, car cette nécessité est toute provisoire. Dans le fait capitaliste, à côté de la thèse propriété, Marx aperçoit l’antithèse expropriation, qui se réalise fatalement, par le déroulement inévitable de l’exploi­ tation capitaliste. Le capitalisme, par sa loi interne, est · son propre fossoyeur » puisqu’il se concentre en quelques mains de plus en plus rares et engendre une prolétarisation de plus en plus générale. La synthèse s’ébauche, se dessine : une socialisation complète du capital, c’est-à-dire l’éviction de la propriété privée. La rigueur systématique du marxisme ne larda pas à se détendre grâce aux exigences de Faction sociale et politique cl grâce nu positivisme même des doctrines libérales qu'il avait à vaincre. * Pour B. Malon, le pro­ grès n’est plus, comme dans la doctrine dc Marx, uni nécessité; le sccialismc intégral, c’est-à-dire envisagé sous tous ses aspects, dans tous ses éléments dc for­ mation. avec toutes ses manifestations possibles, est l’aboutissement synthétique de toutes les actions pro­ gressives dc l’humanité présente. Le socialisme n’est pas exclusivement économique, son objectif est aussi philosophique, politique et social; il embrasse la pro­ priété, la famille, la religion, l'Êtat. L’idée, le senti­ ment. sont des facteurs du progrès au même litre que les forces organiques. G de Grecf. Le transformisme SOCiaï, Paris. 1S9.S. p. 289. Get élargissement, cet assouplissement de l’idéolo­ gie marxiste était aisé a prévoir, car le matérialisme dialectique à l’état pur ne caractérisait pas assez nette­ ment. aux veux de la foule et pour l’action, le nouveau socialisme. Est-ce que logiquement, le marxiste n’au­ rait pas dû, comme l'optimiste libéral, laisser faire et laisser passer sans prétendre arrêter ou seulement moditier le processus historique? Du reste, une reviviscence des philosophies idéalistes el crittcJstcs révélait la fai­ blesse de la conception matérialiste de l’histoire. On vit donc le marxisme se vider peu à peu des thèses les plus < ar icténstiques d< Karl Marx. Kujourd’hul, l’on serait en peine dc découvrir entre toutes les formes dr socialisme· h* liens d'une unité philosophique réelle. SI 3 PROPRIÉTÉ. LES ERREURS SOCIALISTES SI î Elles m distinguent pnr leurs méthodes d'action et pur sur le produit du travail pour les besoins publics. Cc l’étendue des revendications qu'elles affichent; mais n’est qu’un changement d'étiquette, ou peut-être un l’unité spirituelle leur manque cruellement. danger de surcroît : le gouvernement économique exer­ 3. Les variétés de socialisme. - Sous celle réserve» il cera une autorité au moins aussi pesante qu’un Etat n’est pas sans intérêt dc décrire rapidement l’attitude politique, et son intervention nc pourra même plus se des diverses écoles socialistes, non pas pour suivre colorer dc mobiles honorablement idéalisés; quant aux l'évolution d’un système ou les variations d’un parti, prélèvements sur le produit du travail, ne semblerontce qui ne nous intéresse pas ici, mais pour voir ce qu’y ils pas plus délicats à justifier et plus douloureux a devient la notion dc propriété. subir, plus proches dc la corvée, du service personnel, a) Le collectivisme. - - Poussant a bout l'idée dc que les impôts supportés aujourd’hui? C’est du reste • gouvernement des choses >, à laquelle le nom du comte la tare profonde du socialisme; après avoir sapé la pro­ de Saint-Simon demeure attaché, le socialisme, sous sa priété, sous prétexte qu’elle permet de trop fréquentes forme collectiviste, préconise une organisation com­ et dc trop injustes exploitations de l’homme par plète dc la production, dc la distribution cl même de l’homme, il organise un réseau d’obligations person­ la consommation, sous l’autorité dc l’Etat. nelles qui donneront à l’homme, A tout homme, la cer­ La propriété est donc absolument exclue, en tant titude d’être exploité, mais légalement cl méthodique­ que pouvoir dc libre déterminât ion en matière écono­ ment, par la collectivité ou ses représentants. mique. L’autorité seule apprécie les besoins, organise b) Le socialisme d’État. — Cc qui définit lesdiflrla production, rétribue chacun en unités dc valeur rentes sortes de socialisme d’Etat, c’est la socialisa­ sociale, c’est-à-dire selon le temps dc travail de qualité tion limitée aux seuls moyens dc production : terres, moyenne qu’il a donné A la production. Ainsi» l’on sc usines, moyens de transport» crédit. Mais on renonce flatte d’éliminer du haut en bas de l’échelle les divers A l’identlflcation marxiste de la valeur et du travail prélèvements que l’on y opère aujourd’hui sous le nom social. La valeur des produits et des services se déter­ dc loyers, dc dividendes, d’intérêts. Plus de profits ni mine selon le système liberal de l’offre et dc la demande dc salaires; la distinction entre capitalistes el salariés à la faveur duquel interviennent les appréciations s’évanouit. Plus d’échanges individuels ni de com­ libres, variables cl personnelles des consommateurs. Au prix dc celle entorse aux principes marxistes, le merce privé; en dehors des objets débités par les entrepôts publics, il ne peut y avoir aucune vente dc socialisme d’Etat réalise, avec moins dc peine que le collectivisme, l’équilibre de la production et des marchandises entre particuliers. Plus de monnaie au sens actuel du mot. » Bourguin, Les systèmes socialistes, besoins. La possibilité dc suivre le jeu spontané dc la 2· éd., p. 11. La logique marxiste peut ici sc donner loi dc l’offre cl de la demande procure un guide sûr aux producteurs, c’est-à-dire aux fonctionnaires dc la col­ libre carrière, en tirant toutes les conséquences de l’idée dc valeur-travail, pour réaliser sans détour, sans lectivité : ils auront la chance dc satisfaire dc vrais institution intermédiaire, l’échange direct des travaux besoins et dc ne pas s’entêter duns une production inu­ contre les produits. Le bon de travail n’a pas la signi­ tile et socialement ruineuse. Le danger est celui que présente un monopole absolu. La valeur est bien fixée fication d’une monnaie! il n’est qu’un certificat : « Un par la loi dc l’offre cl de lu demande, mais l’offre sc certificat quelconque, un bout dc papier imprimé, un trouve artificiellement concentrée aux mains de l’Etat, fragment d’or ou de fer-blanc, constatera le temps dc travail fourni et mettra l’intéressé en mesure d’échan­ seul et universel producteur, qui jouit en somme des ger ccs marques contre les objets dc tout genre dont il pouvoirs illimités d’un trust gigantesque, maître dc aura besoin. · Bebel, La femme, p. 273. La propriété toutes les branches dc l’économie. Sans doute cette puissance n’est pas nécessairement nocive; en sc met­ est donc radicalement exclue, aussi bien la propriété des moyens de production que celle des objets dc con­ tant à la tête de la production, l’Etat recueille l’en­ sommation, puisque ceux-ci sont obtenus par les tra­ semble des profits que jusqu’à présent sc partageaient vailleurs non pas suivant la productivité de leurs in­ les industriels, les actionnaires dc sociétés, les ban­ quiers. les entrepreneurs dc transport, etc., et rien ne struments de travail (cette base dc rétribution ouvrirait en effet les voies A l’inégalité), mais suivant un barème l’empêche, après avoir couvert ses frais et pourvu aux réserves opportunes, de faire un emploi judicieux dc administratif déterminant dans chaque catégorie le produit moyen d’une heure de travail. Cette apprécia­ scs bénéfices pour le bien de la collectivité. On satis­ tion. qui ne peut échapper nu soupçon d’arbitraire, fait ainsi A la requête fondamentale du socialisme : la enlève en réalité au travailleur tout espoir de consom­ suppression de l’exploitation capitaliste par intérêts et profils. La rente économique subsiste, mais elle passe mer une valeur exactement correspondante à l’eflicacité dc son effort et nc lui permet d’escompter que le entièrement A la collectivité, ce qui parait sc justifier pleinement, puisque c’est le développement des besoins niveau de vie déterminé pour lui par l’administration. On blesse au x if l’idée de libre disposition, essentielle A collectifs qui engendre cette rente. la propriété. Il reste que la machine administrative nécessaire au On devine les inconvénients du système ; responsa­ fonctionnement du socialisme d’Etat est aussi pesante bilités écrasantes de l’Etat cl retentissement catastro­ et compliquée qu’en régime collectiviste; que le pro­ phique de la moindre erreur dans les prévisions admi­ grès technique, ici el IA, dépend du zèle apporté à leur nistratives; risques de la routine cl du laisser-aller tâche par les fonctionnaires; que la liberté du travail, chez les fonctionnaires, de ou\oir. D'autre part, nn constate que, tant dc la civilisation patriarcale nomade que dc la moins d’un siècle après la conquête, Claude pouvait civilisation matriarcale stride. Non seulement une introduire des Gaulois dans le sénat romain et sc féli­ grande famille, mais plusieurs habitent la menu citer dc leur complète assimilation. Tacite, Ann., I. XI, grande maison ct travaillent en commun. c) Pendant la seconde moitié du paléolithique, la c. xxiv. Des troubles sociaux antérieurs â la conquête civilisation des chasseurs tolémish s et cell»· des agri­ et de la facilité avec laquelle la Gaule se plia a la légis­ culteurs à droit maternel prirent une extension notable lation romaine, on peut induire que la civilisation mais, à cause de leur sédentarité, ces civilisations ne gauloise n’était pas très profondément implantée et rencontrait encore des résistances. On s’expliquerait pouvaient espérer jouer un rôle mondial. Il en allait autrement de la civilisation des nomades pasteurs. celte situation si l’on se rappelait que 1rs Gaulois» Ceux-ci, au début «lu néolithique, «levaient se répandre comme les Celtes et les Ibéro-Ugurcs, faisaient dans dans toutes les directions, jalonnant leur route dc nom­ notre pays figure d’envahisseurs; lorsqu’ils s’y étaient breuses sépultures qui nous permettent aujourd’hui de installés, cinq ou six siècles avant notre ère, ils y les suivre tant bien que mal,comme à la piste. Dans la avaient trouvé une civilisation agricole néolithique région de l’Altaï cl dc l iénisséi. par exemple, au-des­ assez avancée ct solidement enraciner dans les cam­ sus d’un niveau de sépultures appartenant à une civili­ pagnes. Cf. G. Boupncl, Histoire de ta campagne fran­ sation de cultivateurs caractérisée par la présence d'us­ çaise, Paris, 1922. Les nous eaux senus s'étalent empa­ tensiles «le bronze el par l’absence d’animaux domes­ rés du pouvoir, asairnt constitué une classe aristocra­ tiques, on trouve une série «le tombes où abondent les tique. mais n’as aient pu évidemment éliminer la popu­ armes dc fer en rapport avec dc nombreux squelettes lation autochtone, que d'ailleurs ils exploitaient. de chevaux. On devine le passage «les nomades guer­ Axant la conquête romaine, la Gaule aurait donc riers issus de la Sibérie, baisant irruption chez des connu la forme dc civilisation mixte, dans le genre de*» civilisations composées dV nomades conquérants et de peuples culiivaleurs ou Internistes, qui. paisiblement installés sur les bords d'un fleuve, avaient atteint un cultivateurs. haut degré «le civilisation agricole ou industrielle, ces *2° Données historiques. 1. La propriété dan* la Grèce ancienne. - Au cours du vie siècle usant notre envahisseurs commencèrent par tout saccager; mais ensuite une nouvelle civilisation fleurit, plus complexe, ère, le peuple grec entrait dans l'histoire. On constate plus riche «pic la précédente et caractérisée par l’oppo­ des lors qu’à Mégare, à Athènes, à Syracuse, depuis les sition d’une classe aristocratique et d’une classe infé­ côtes de l’Asie Mineure jusqu’à celle5' dc l’Italie cl de rieure. A la première, maîtresse du pouvoir, de la la Sicile, sc déroulent d’àprcs luttes sociales. Pour les richesse, Hère ct soucieuse «le la pureté de son sang, Grecs, qui vivaient en majorité de l’auricullure. la pro­ appartiennent les descendants des barbares envahis­ priété foncière eut toujours une importance capitale. seurs; la seconde, laborieuse, soumise ct timide, groupe En dehors des politiciens qui passaient leur vie en les vaincus. Monarchie absolue, aristocratie, esclavage ville, l’exploitation directe du sol par le petit proprié­ taire était la règle. Le mouvement colonial lui-même plus ou moins rigoureux : telle est la structure de fut avant tout pour les Grecs une entreprise d agricul­ cette civilisation. Bien entendu, la propriété des autochtones n’a pas teurs; à peine débarques, les colons commençaient par se partager les terres. J. Laurent, Essais d9histoire traversé sans dommage une telle crise sociale. Les conquérants se sont persuadés qu’ils sont depuis tou­ sociale, t, La Grèce antique, p. 95 sq. Or. ht terre, à l’aube de l’histoire grecque, représen­ jours les vrais et légitimes propriétaires du sol; les autres n’ont pas lardé à leur reconnaître cc droit, sauf tait une propriété nettement familiale. Lc père l'admi­ à rappeler dans leurs poèmes ou leurs légendes le sou- nistrait plus qu’il n’en disposait. Chaque génération, venir dc leurs anciennes libertés. La religion, le plus à tour de rôle, avait la jouissance «les biens immobiliers souvent, sanctionne cet étal social : l’aristocratie pro­ qu’elle occupait; mais aucune «Pelles n’en avait à vrai priétaire se considère volontiers comme d’une race dire la pleine ct entière possession. · Guiraud. La pro­ divine; l’empereur est divinisé. L’expropriation des priété foncière en Grèce. IS93, p. 170. Dans la maison, indigènes au profit des pasteurs conquérants se pré­ la famille patriarcale sc pressait nombreuse : Lc sente sous des formes très diverses et plus ou moins magnifique palais de Priam contient cinquante cham­ bres nuptiales, construites l'une près de l’autre . Là accusées selon 1rs pays. Schmidt et Koppers, op. c/7.. reposent auprès de leurs épouses les dis de Priant. De p. 593. Dans l’Egypte ancienne, le paysan jouissait, moyennant certaines redevances, d’un droit utile l’autre côté et en face, dans la cour des femmes, s'é­ presque assimilable en fait à une véritable propriété: lèvent. l’une près de I «utre, douze chambres nup­ tiales aux toits superposés, où reposent auprès de leurs même situation dans l’ancienne Mésopotamie. Dans l’Inde, la classe dirigeante des envahisseurs (brahmes) chastes épouses, les gendres du roi. Iliade, iv, 2 13. Ce palais, comme aussi celui de Nestor, s’harmoniserait était trop peu nombreuse pour exproprier effectivement les cultivateurs du pays, mais elle aboutit au correctement avec une civilisation de type matriarcal, même résultat par «les procédés psychologiques, en avec la grande famille el le primat de l’activité agricole. Mais la présence d’une classe inférieure d'esclaves, de Inculquant aux castes Inférieures cette idée qu’elles devaient s’estimer heureuses de pouvoir servir les êtres vilains, de pauvres hères, travaillant pour le «ample supérieurs cl divins «pic sont les brahmes. L’ancien d’une classe noble et riche, nous rappelle l’invasion des Japon a connu mie expropriation plus nette : l’empe­ pasteurs. Odyssée. ni. 113. En dehors dc la terre «pii appartient à la famille, la reur cl la haute noblesse possédaient en propre le pays; propriété individuelle est solidement établie. Les ils en Investissaient leurs vassaux, et ceux-ci divisaient poetes nc craignent pas d’énumérer complaisamment leur fief en parcelles qu’ils affermaient; la population laborieuse cl productrice «lu Japon ne comprenait donc les richesses, les armes de prix, les bijoux qui honorent que des non-propriétaires, des fermiers. le guerrier el que convoite le pauvre; on so partage les Serait II téméraire d’imaginer une situation assez dépouHIes des morts. semblable dans la Gaule d’avant la conquête? César H arriva un jour où la terre ellemême devint pro­ signal·’ des troubles sociaux dans nombre de cités priété indis iduellc en même temps que se disloquait la PROPRIÉTÉ. DONNÉES HISTORIQl ES grande famille et que s introduisait In liberté de tes­ ter (fin du \r siècle pour Athènes, du iv pour Sparte). Lu propriété devenue mobilière, In plèbe put y accéder. L'émiettement et la concentration des propriétés sont les deux clïcts opposés que peut engendrer la lil>crté. Pour les écarter, philosophes el hommes d’Etat fixaient tantôt un maximum et tantôt un mini­ mum. il serait interdit de posséder des terres au delà d’une étendue déterminée, ou bien, cn deçà d’une cer­ taine étendue. In propriété foncière serait indivisible et inaliénable. Pour conserver le patrimoine, non seu­ lement on pratiqua l’indivision. ce qui tendait à reconstituer artificiellement la grande famille d’anlan, mais Sparte admit cn certains cas la polyandrie, et Athènes légalisa le mariage du frère et de la sœur, pourvu qu’ils ne fussent pas nés de la meme mère. Les femmes n’étant pas appelées â succéder, si l’héritière était une tille, on la nommait < épici ère », c’est-à-dire adjointe au patrimoine; son plus proche parent devait l’épouser, s’il voulait recueillir la succession; s’il ne le voulait ou ne le pouvait, il renonçait à l’héritage, qui passait alors avec la tille au plus proche parent suivant. Du reste, on admettait le divorce, cn ce cas, tant pour libérer une éplclcrc déjà mariée qui ne préférait pas renoncer a tous ses droits pour rester avec son mari, que pour permettre à un parent de se marier avec une riche épiclèrc. Pour corriger les excès individualistes de la libre propriété, les Grecs ont-ils admis certaines formes de communisme? Rappelons l’usage fréquent à Sparte des repas de munificence privés, celui des repas officiels et obligatoires ou sysslties. Ces institutions eurent pour résultat d’imposer aux riches et à l’État la charge de nourrir les pauvres. C’était, si l’on peut dire, du socia­ lisme d’État. Mais les Spartiates ne pratiquaient pas le vrai communisme; seulement, l’égalité absolue régnait entre eux pour la manière de vivre, c’est-à-dire en ce qui concerne l’utilisation des richesses. Le collectivisme des gens de Lipari ressemblait davantage au communisme; mais Lipari était un nid de corsaires, dont la constitution demeure exceptionnelle. Jamais le communisme ne fut admis à Athènes; cependant, les Athéniens se partageaient le plus pos­ sible les revenus de l’État par des distributions de blé. par des repas publics, par les honoraires accordés aux citoyens pour l’exercice de certaines fonctions, voire par la répartition entre eux d’excédents budgétaires. | D’autre part, chaque cité grecque possédait des pacages communaux. Bref, l’évolution de la propriété privée cn Grèce n’obéit pas à un principe simple. Sans doute, depuis le vin· ou le vir siècle jusqu’à la conquête romaine du ni* siècle, on constate que la propriété familiale cède la place a une propriété individuelle qui semble de plus cn plus dégagée d’entraves; mais, en revanche, on con­ state aussi que les abus de la liberté ont régulièrement suscité des correctifs plus ou moins satisfaisants; la propriété du sol, c’est-à-dire du moyen de production par excellence, demeure privée, mais l’usage des pro­ duits demeure sensiblement égal et commun, grâce aux distributions d'argent et de vivres, aux repas communs, aux fréquentes réductions ou abolitions des dettes privées cl aux mille artifices du socialisme d’État. Celle analyse des faits explique l’importance attachée par Aristote au problème social de la pro­ priété. source principale des révolutions. La solution qu’il en propose, par une distinction entre le pouvoir de gestion et de disposition. appartient au proprié­ taire à titre privé, et V usage des biens. qu’il faut s’effor­ cer de rendre commun, s’inspire, on le voit, de l’expé­ rience. 2. Lo propriet' duns ta Rome ancienne. - L Italie était peuplée dès le début du néolithique. Durant cette I 82 i période, la Péninsule devait porter une population assez dense, à en juger par l’importance et la richesse des stations lacustres el des terramares qui cn restent. Mais, depuis lors, par vagues successives, diverses populations s’installèrent dans le pays, après avoir soumis et dépossédé les habitants. Les premiers siècles de Home échappent encore .1 I histoire. Tout fait supposer que les premiers Humains ne différaient guère des autres populations de race latine, pasteurs conquérants commençant à s’enraci­ ner, adonnés à l’élevage el à la culture, sous un regime de grande famille patriarcale. Ln gens était à l’origine cette grande famille. Elle portait le nom (nomen gen­ tilitium) de l’ancêtre éponyme dont, par les mâles, tous scs membres descendaient. Chaque gens possédait un territoire plus ou moins étendu. Beaucoup plus tard, sous la république, un territoire sera encore l’ac­ cessoire indispensable d’une gens. Le Sabin Atta Clau­ sus, qui avait obtenu le droit de cité romaine, reçut le sien aux bords de l’Anio pour sa gens el ses clients. Tile-Live, 1. VI. c. xx. Mais la fondation de la ville témoigne déjà d’une évolution sociale peu favorable à la gens. Les gantes. trop nombreuses, s'étaient divisées, tous leurs membres ne pouvant plus cohabiter; les branches cadettes constituaient à leur tour des domus, ou grandes familles au sein de la gens. Les gentes demeuraient toutefois en principe propriétaires de leur territoire; une sorte de collectivisme agraire régnait entre les domus individualisées, sur le territoire geniilice qui leur était sans doute périodiquement réparti. Peu à peu, les paires /amilias, probablement par désué­ tude des reprises de lots et des partages, virent se con­ solider leur droit sur la parcelle qu’ils cultivaient; la domus sc trouvait insensiblement promue à la pro­ priété de son lot. Mais le droit de la gens revivait en certaines circonstances : ainsi, à défaut d’héritiers naturels, la succession était déférée aux gentiles; de même la gens fournissait tuteurs et curateurs aux chefs de famille incapables, non dans l’intérêt de ceux-ci. mais au profit de la gens elle-même. Notons encore que les clients de la gens recevaient fréquem­ ment, à titre de concession précaire et cn récompense de leurs services, un lot de terre cultivable; à leur pro­ fit également s’opéra une consolidation graduelle, et ils devinrent les propriétaires cfTectifs de leur parcelle, moyennant la prestation de certains obsequia et d’ope­ ra?. Une plèbe agricole se formait. Les gentes entrant cn relations se fédérèrent en tribus; chaque tribu eut son centre distinct. Les néces­ sités d’une vie sociale de plus en plus dense amenèrent les tribus à s’unir entre elles à leur tour : ce fut l'ori­ gine de la cité. Il fallait en effet un centre nouveau, qui ne se trouvât sur le territoire d’aucune tribu, d’aucune gens, un centre d’échanges, un lieu de culte, un forum judiciaire et politique. Le territoire fédéral avait été dis isé en trente curies,chaquedorm/s recevant 2 arpents do terre afin d’v établir son domicile urbain. Ainsi, la gens demeurait maîtresse cn principe sur son territoire, mais, par l'organisation cn curies, l’État entrait en contact direct avec les domus; celles-ci échappaient d’autant à l’autorité gentilice. A côté de cette population qui y faisait de courtes apparitions aux jours de marché ou de culte, le ter­ ritoire de la cite accueillit d’autres éléments, ceux-là cn marge de la vie politique el civile : commerçants et artisans immigrés, clients évadés du cadre de leur gens, réfugiés de rites voisines et peut-être aussi descen­ dants des populations autochtones, qui avaient bien pu être vaincues et soumises, mais non pas tout à fait éliminées. Cette plèbe, profitant des avantages de la vie urbaine cl remplissant des fonctions économiques importante1 el lucratives, s’organisa avec la faveur des premiers rois rn corporations et confréries de métiers. 825 P KO P IU ET I Son progrès devait l’opposer nu populus romanus des //rnfrs, qui soutenait chaque jour plus dilllcilcnient sa prétention à monopoliser In vie civile et politique Les rois furent, dans cette lutte contre l’ordre social fondé sur la gens, les alliés constants de la plèbe. Diverses reformes politiques (par exemple le recensement des patriciens cl des plébéiens repartis cn quatre tribus urbaines uniquement d'après leur domicile, le veto et la juridiction criminelle reconnus aux tribuns de la plèbe, l’élection de ces derniers transferee aux tribus) marquent les principales étapes de celle lutte séculaire. A plusieurs reprises, l’existence même de la cité parut compromise; mais il n’étnil plus temps de rompre. Les nécessites économiques, le besoin qu’il avait, le profit <|u*il lirait du commercium, amenèrent le pupulus a transiger avec la plèbe. Les XII Tables (an 301 de Home) enregistrent une législation égalitaire cl uni­ taire. La propriété, primitivement accordée au système gcnlilrce, s’adapta, quand la gens déclina, au groupe plus restreint de la domus. Les plébéiens obtinrent, quoique étrangers aux gentes, des lots de terre culti­ vable. Ainsi, tous les citoyens, les quirites, et eux seuls primitivement, accédèrent-ils à la propriété. Le contenu de le propriété mobilière s’accrût et se diversifia au rythme de la civilisation du commerce et des complètes : esclaves, monnaie cn lingots ou frappée, instruments de travail, denrées agricoles, autres mar­ chandises. La fortune immobilière. Issue de lu dissoluhilion des gentes et des assignationes ou lotissements opérés par l’autorité publique, se développa également. Reconnue primitivement sur l’cq/er roman us, elle fut étendue ensuite à toute ΓItalie et enfin aux colonies assez rares, qui furent, sous l’empire, assimilées au sol italien. Les terres provinciales appartenaient, par droit de complète, au peuple romain; celui-ci cn annexait une partie au domaine de l’État (agri pu­ blici); il rendait le reste (agri redditi) aux anciens possesseurs, qui pouvaient l’occuper, le posséder, en user, cn jouir (habere, possidere, uti. /rui liceto) sans (itre, sous le bon plaisir du peuple romain. Celte situa­ tion précaire se consolida vers la fin de la république, lorsque l’on imagina, peut-être pour faciliter quelques gigantesques manœuvres de spéculations foncières, de dédoubler le domaine des terres provinciales, en réser­ vant la propriété quiritalrc au peuple romain et cn accordant aux occupants un droit d’ailleurs mal défini, sous le nom de possession ou d’usufruit. Ce droit, dont l’octroi avait provoqué une hausse Incroyable de la valeur des terres, finit par ressembler an droit de pro­ priété, dont il constituait un type original; la pro­ priété provinciale était seulement assujettie ù un impôt foncier, que les terres italiques ne payaient plus, et don­ nait lieu à des modes de transfert et à des formes de procédure qui la distinguaient de la propriété quiritaire. Enfin, cette complication disparut au xr siècle, lorsque Justinien supprima toute distinction entre la propriété provinciale cl la propriété quirilaire. La propriété demeura toujours familiale chez les Humains, c’est-a dire affectée A la vie du groupe de parents soumis A la puissance du pater familias. Les mœurs d’abord, le droit ensuite, tempérèrent ce que cette règle pouvait avoir de rigoureux. Le pater pou­ vait autoriser ses enfants et scs esclaves A posséder un pécule, pratiquement distinct du patrimoine, s’il vou­ lait sc décharger sur eux d’une partie de l’exploitation ou s’il leur permettait d’exercer quelque activité éco­ nomique indépendante (industrie, négoce). Le droit prétorien, constitué en marge des lois sous l’inspiration de l'équité cl sous la pression des besoins, reconnut A ces pécules une individualité. On cn vint même, sous l’empire. A exclure du patrimoine familial tous les biens que l’enfant ne tenait pas directement du père (hono­ Λ2Γ> raires professionnels, solde, succession maternelle, dons personnels, etc.). La propriété familiale exclut, dit-on, toute liberté testamentaire. Si cette formule était exacte, le testa­ ment serait demeuré inconnu a Home. Or, il n’en est rien. Sans doute, pour qu i! \ ait testament et même pour qu'il y ail succession, i) faut une certaine notion de la propriété individuelle; lorsque la gens en bloc, était propriétaire, la mort du chef n’avait d’autre con­ séquence que l’avènement d’un autre chef, sans véri­ table transmission d’hérédité. Mais nous savons que, très vile, l’autorité du chef de famille prit un caractère d’autonomie, d'initiative personnelle, au service de sa domus. La grande préoccupation du pater conscient de ses responsabilités était de ne pas mourir intestat. 11 réglait minutieusement, par une sorte de charte testa­ mentaire, le sort de la famille et du patrimoine pour le temps ou lui-même aurait disparu; avant tout, il instituait donc un héritier, c’est-à-dire un successeur responsable, un continuateur de son œuvre, chargé de perpétuer le culte domestique; secondairement, il marquait â cet héritier les grandes lignes de sa tâche, nu mieux des intérêts familiaux. Ainsi entendu et pra­ tiqué, le testament ne s’oppose nullement, on le voit, A la propriété familiale; bien au contraire, par son caractère de charte constitutionnelle, par l’institution d’héritier qui lui est essentielle, il forme une pièce maîtresse du régime. Plus tard, les croyances religieuses et les mœurs s’é­ tant relâchées, on vit le testament s’écarter de sa fonc­ tion originelle et servir les rancunes, les fantaisies ou les faiblesses de pères moins pénétrés de leurs obliga­ tions. Alors le législateur dut intervenir et, par des res­ trictions A la liberté de tester aussi bien qu’à la faculté de disposer entre vifs, par le développement des inca­ pacités et des causes de caducité, il s’efforça de réser­ ver aux familles une part importante des biens qui leur sont naturellement affectés. Ainsi, les lois remédiaientelles aux excès de l’individualisme. L’interventionnisme étatique sc transforma au BasEmplrc en un véritable socialisme d'Etat. Il scmblequc l’on puisse mettre en parallèle le mouvement de désaf­ fection â l’égard des valeurs familiales (en ce qui con­ cerne la condition des personnes ou la condition des biens) cl la marche progressive du socialisme d’État. Les cadres sociaux intermédiaires s’étant presque tous dis­ sous, l’État entra cn contact Immédiat avec l’individu, veilla directement sur ses intérêts les plus divers et prit personnellement cn charge la réalisation de son bonheur. Dans les villes, le socialisme d’État s’organisa sur le plan syndicaliste des collegia, l’ont homme, s’il n’était prolétaire (auquel cas i) vivait directement aux cro­ chets de l’État), devait être assigné à une équipe; bien rares furent les vacantes ou les otiosi qui avaient réussi A esquiver cette sujétion Les équipes, collèges, anciens ou récents, s’acquittaient d’une lâche économique ou administrative, sous le contrôle de l’Etat. L’équipe affectée aux charges et honneurs municipaux, respon­ sable ortants qui constituent la pro­ duction proprement dite. L'acte de production n’cst pas une création instantanée, mais un mouvement d’organisation rationnelle, modifiant les éléments utiles préexistants et les conformant de telle sorte qu’ils offrent ensuite aux besoins humains de nou­ veaux rapports d’utilité. Si l’usage d’élaboration ainsi décrit appelle une appropriation de fait, c’est-à-dire la possession exclusive de telle utilité par telle personne, c’est donc dans la mesure où le processus de production requiert cette appropriation. En théorie, on imagine parfaitement que la raison pratique puisse marquer les choses de son empreinte et les modifier utilement sans se les attacher de manière exclusive; mais, en fait, comme notre raison ouvrière s’attaque au domaine de la matière ct use d’organes ct d’outils matériels, le phé­ nomène d’individualisation que nous avons déjà noté à propos de l’usage d’application se retrouve dans l’u­ sage d’élaboration. Les productions de l’esprit, qui ne sont pas les moins fécondes en utilités, échappent do soi à cette loi d’appropriation. Mais, dès que la produc­ tion intéresse les réalités matérielles, met en œuvre des moyens matériels, on volt poindre cette exigence ; pour que telle réalité extérieure reçoive la forme que mon industrie lui destine, il faut que Je la distingue et la sépare du milieu, que je la prenne entre mes mains, sous mon pouvoir physique; que, pendant quelque temps, je la d< tienne à un titre particulier el, sous ce rapport, exclusif; par nécessité, si je veux l’informer de mon Idée Je ne puis plus la considérer purement comme une chose, mais il faut que. d’une certaine manière et pour un c« rtaln temps, j’en fasse ma chose. 841 PROPRIETE. ESSAI DE SYNTHESE L’appropriation est la condition, In rançon si l’on veut, de la matérialité qui caractérise nos gestes humains les plus courants soit que nous absorbions cl nous appli­ quions des utilités, soit que nous en élaborions. c) Les caractères généraux et divers de l'appropriation. — Nous avons admis que l’usage d’application, visant à satisfaire des besoins présents en leur appliquant des utilités existantes, offre moins d’élasticité que l’usage d’élaboration. Il est à prévoir que l’appropriation de fait jouit elle aussi d’une inégale faculté d’extension, selon qu’elle s’attache à l’un ou à l’autre usage. Et, de même que la nécessité d’élaborer des utilités n’cst pas immédiate, mais conditionnée par celle d’en consom­ mer qui esl seule absolument rigoureuse, de même i) y a une appropriation indispensable : c’est celle qui s’opère dans et par l’usage d’application, tandis que l’appropriation qui sert l’usage d’élaboration n’cst que d’une nécessité conditionnelle et relative. Nous nous rencontrons ici, après bien des travaux d’approche, avec la doctrine exprimée dans II*-II®, q. I.XV1, a. 2. Observons cependant qu’en cct article, saint Thomas parle absolument (Tusus pour désigner cc que nous avons appelé usage d’application ct que maints auteurs nomment jouissance ou consomma­ tion. Λ l’usus ainsi entendu fait face la procuratio et dispensatio; cela évidemment n’cst pas autre chose qu’une manière particulière d’user, mais qui corres­ pond plus précisément à l’élaboration. Lc R. P. Bru­ net interprète exactement ccttc nuance lorsqu’il dit que, dans l’usage général tel que le conçoit l’art. 1, par opposition à la natura rerum, soumise au seul pouvoir de Dieu, « dans l’utilisation humaine il faudrait distinguer administration d’une part, ou si l’on veut, en langage moderne, production ct échange (potestas procurandi ct dispensandi ), et. de l’autre, jouissance ou consommation fusus) ». La propriété privée chez saint Thomas, dans Nouvelle revue théologique, nov.déc. 1934 En cc qui concerne Pusus ou usage d’application, nous savons qu’il entraîne une appropriation de fait, dans la consommation même, du moins s’il s’agit d’u­ sage matériel de biens matériels. Et, par ailleurs, nous savons que cet usage d’application s’impose directe­ ment à tout homme, au même titre du besoin, dans In mesure du besoin, avec la rigueur d’une nécessité natu­ relle. L’appropriation de fait inhérente à l’usage d’ap­ plication ne peut donc être considérée comme le pri­ vilège de quelques-uns, id comme un droit prescrip­ tible ou cessible. C’est en ce sens que les utilités exté­ rieures doivent être considérées comme communes : non habere res exteriores ut proprias sed ut communes. Celte formule n’écarte pas l’appropriation de fait, l'affectation exclusive de telle chose à telle personne, condition nécessaire de la consommation; elle exige seulement que tous aient part, sans exception, dans In mesure de leurs besoins, à cette consommation, parce que fous y ont droit au même titre. Remarquons d’ail­ leurs que ce droit de tous â l’usage d'application n’im­ plique pas un régime juridique de propriété indivi­ duelle généralisée. Pendant des millénaires, la plupart des êtres humains, soumis à la potestas d’un pater ou d’un maître, ne pouvaient prétendre à aucun droit de propriété pas même à l’existence juridique; ils vivaient cependant et exerçaient par la consommation leur droit naturel el imprescriptible à Pusus d’application, en s'appropriant de fait les utilités nécessaires à leur vie. Sous ce rapport, il n’\ a pas de différence essen­ tielle entre un esclave el un milliardaire, entre le sécu­ lier et le religieux qui a renoncé à tout droit de prOpliél·’. Il en vn autrement de l’appropriation inhérente à l’usage d'élaboration, c’est-à-dire de l’appropriation requise à la production et â l’aménagement des utlll- 842 tés nouvelles, à la procuratio ct à la dispensatio. Nous sommes ici en pleine contingence historique cl sociale. Bien de plus variable que les régimes de production; or, chacun d’eux a ses exigences particulières en ma­ tière d’appropriation. Essayons de nous en rendre compte sans verser dans un détail qui nous retiendrait indéfiniment. Il existe, en tousles régimes, une Dart d’activités pro­ ' ductrices qui reviennent aux individus ou au groupe restreint de la famille; cette part est relativement im­ portante dans les civilisations simples; elle va en dimi­ nuant à mesure que le réseau des relations sociales sc resserre ct s’enchevêtre. Voyons comment un Pygmée résout le problème alimentaire. Il s’empare d’une branche forte ct souple, il la façonne longuement ct minutieusement pour en faire un arc; il conserve par devers lui de manière exclusive cet outil de production, afin de pouvoir s’en servir en temps utile; il abat une pièce de gibier; il conserve ct prépare cette nourriture jusqu’à l’heure où il se l’approprie définitivement par la consommation. Cct homme s'est comporté en fait comme un propriétaire absolu ct exclusif, parce que cette attitude lui était imposée par les conditions mêmes de la production. S’il s’était départi un moment de sa propriété de fait, la série des operations logique­ ment ordonnées à la production sc fût trouvée inter­ rompue. Comparons à cc type la manière dont se réalise la production des utilités dans un régime économique de grande chasse : la technique de la chasse s’étant perfec­ tionnée exige un personnel nombreux aux fonctions spécialisées; le groupe social internent plus fréquem­ ment, pour la répartition des terrains entre les familles ou entre les équipes de chasseurs, pour la distribution du butin entre tous ceux qui prirent part de près ou de loin à l’expédition, pour l’observation des prescrip­ tions rituelles relatives à la chasse et des règlements de sécurité dont l'opportunité a été juridiquement recon­ nue. Le processus de production n’est plus mené à terme par un seul homme, mais il se réalise par une col­ laboration fondée sur un échange de services ct une multiplication sociale des efforts de chacun. Il suit de là que la rigueur individuelle de l’appropriation se relâche : l’outillage d’armes ct de filets appartient au groupe qui le fait entretenir par des spécialistes; d’au­ tre part, le gibier ne demeure pas nécessairement aux mains de l’homme qui s’en est saisi, mais il est distri­ bué selon les prescriptions de la coutume ou la volonté du chef. Il n’cst donc pas nécessaire que chacun se comporte en propriétaire exclusif et absolu pour que se déroule efficacement la série des actes de production. Cela suffit à expliquer pourquoi, selon les régimes économiques, les plus grandes variations s’introduisent dans 1rs conditions de la propriété. Tantôt la plupart des gens, pour subvenir à leurs besoins par l’usage d’application, sc livrent aux mêmes opérations de pro­ duction simple; cette égalité dans l’usage d’élaboration suppose qu’ils détiennent tous, en appropriation de fait, une quantité à peu près égale de moyens de pro­ duction; chacun a par exemple son arc: chaque famille son lopin de terre, sa barque, son troupeau. Tantôt, grâce nu développement el à la différenciation des techniques, ou pour des raisons d’ordre social (telle la présence d’une classe noble de prêtres ou de guerriers, ou d’une caste issue d'anciens envahisseurs), on réalise l’usage d’application au profit de tous sans s’attacher à conserver entre tous celte égalité dans l'usage d'éla­ boration. Les fonctions sc distinguent, et entre elles l’équilibre s’établit grâce à l'échange d’utilités (den­ rées ou services). En même temps, des hiérarchies éco­ nomiques sc dressent, subordonnant les unes aux autres les diverses activités de production. La procu­ ratio et dispensatio, l’usage d’élaboration devient le 843 PROPRIÉTÉ. ESSAI fait de quelques-uns, les autres y aidant par leurs ser­ vices. D’où il suit que l'appropriation de fait, en tant que la postule l’usage d'élaboration, se trouve iné­ galement répartie. Le seigneur du domaine ou le chef d’industrie détiennent en leur pouvoir exclusif des masses Importantes de ressources naturelles, dont ils s’efforcent de multiplier les utilités. A côté d’eux, le serf ou le prolétaire ne possèdent quasi rien sur quoi ils exerceraient leur pouvoir de procuratio et dispensatio. Saint Thomas ne proteste pas contre cette inégalité. S’il lui semble naturel ct necessaire que tout homme exerce, dans la mesure de scs besoins, l’usage d’applica­ tion en consommant les utilités existantes, il ne lui paraît pas naturel au même degré, ni rigoureusement nécessaire que tout homme s’emploie à l’usage d’éla­ boration en produisant des utilités, ou que ceux qui s’y livrent le fassent tous sur un pied d’égalité. Il y a entre les hommes des inégalités naturelles en ce qui concerne leur capacité d’élaboration féconde; la société y ajoute d’autres différences qui ne sont pas toutes illégitimes; il est normal que l’organisation de t la production s’en ressente ct s’en inspire. L’essentiel est que les utilités ainsi élaborées, quelque régime éco­ nomique ct social que l’on admette, aillent toutes à leur destination naturelle, c’est-à-dire servent à l’u­ sage d’application ou à la consommation définitive dont nul homme ne peut être exclu. Il est vrai que le régime de production ne sera pas sans influence jusque sur cette orientation de la consommation et il faut s’attendre que, suivant les conjonctures, scion l’état des mœurs privées ct publiques, tel régime qui avait fait scs preuves sc révèle par la suite inefficace ct fasse obstacle à Vusus commun. C'est affaire d’appréciation concrète, d’aménagement positif; le théologien doit se garder de toute opposition de principe ù l'encontre d’une évolution qui permettra peut-être de mieux satis­ faire les exigences essentielles, les seules imprescrip­ tibles, de la consommation. 2° Le droit positif de propriété. — Nous avons délibé­ rément écarté jusqu’ici la considération du droit de propriété proprement dit, nous tenant au plan prejuridique. Cependant, l’usage des choses par l’homme, tel que nous l’avons analysé, comme une donnée psy­ chologique ct sociale, comme une matière ù moraliser par la pratique de nombreuses vertus, constitue en même temps une donnée pour la construction juri­ dique. Et c’est seulement au terme de cette construc­ tion, c’est après l’information juridique de cette ma­ tière, que sc réalise le droit de propriété. Nous ne pou­ vons donc nous dispenser de signaler cette dernière étape. 1. L'élément formel du droit de propriété. — L’usage d’une chose par une personne est un fait intéressant le sociologue, l’économiste, le moraliste. Ce n’est pas , encore un droit, mais une matière qui peut être juridi­ quement informée. La forme juridique se manifeste | par certains procédés techniques, par un formalisme ! aux exigences variées, plus ou moins compliquées ct plus ou moins rigides. Mais il y a lieu de distinguer entre la forme elle-même, réalité simple et constante, et les formalités accidentelles qui révèlent et mani­ festent extérieurement la présence de la forme. Celle-ci consiste essentiellement dans un ordre impératif, œuvre de raison, intimé par la société, et assumant sur le plan juridique, avouant comme sienne telle matière donnée. Peu importe assurément l’organe qualifié pour prononcer cct Impératif au nom de la société. En défi­ nitive, c’est celle-ci qui se prononce et qui donne valeur juridique positive ή ce qu’elle agrée et sanc­ tionne. L'ordre conçu par le prince, par le parlement, par le peuple, exprimé par le décret, par la loi, par le referendum ou par la coutume, sc réalise dans les rela­ tion* sociale*. modifie quelque chose dans les rapports DE SYNTHÈSE 844 entre les individus cl la société ou entre les individu» en tant que membres de la société. Ces relations ainsi établies ou modifiées sont-elles troublées par un fait illicite, l’impératif social pèse sur le délinquant el réa­ git par une sanction, de façon à restaurer l’ordre lésé. On n’a pas ù insister sur celte thèse généiale, Λ mon­ trer que l’impératif juridique, œuvre de raison, ne se confond pas avec l’arbitraire, ni à rappeler que cct impératif a une valeur morale, non pas essentiellement à raison de son contenu, dont la teneur peut souvent laisser la morale indifférente, mais précisément en tant que tel, car l’impératif juridique supporte l’ordre social que notre nature postule; par le bien commun, toute prescription juridique se trouve donc conforme au devoir être moral, expression de notre être. On peut supposer cela admis. 2. Le contenu positif du droit de propriété. — Nous avons déjà noté que le donné préjuridique en matière d’appropriation est d’étendue variable, selon les con­ ditions concrètes de la vie sociale. On peut s’attendre à des variations analogues en ce qui concerne le contenu du droit de propriété. Mais tout le donné n’est pas assumé juridiquement, et ce qui en est assumé ne l’est pas précisément parce qu’il est donné, ct enfin le con­ tenu du droit accueille des éléments qui ne sont pas donnés. Toutes ces différences tiennent au caractère spéci­ fique du droit, dont l’impératif ne vise pas à réaliser le mieux possible les exigences de la morale, mais à établir le mieux possible la vie en société. Il suit de là que l’impératif Juridique ne s’intéresse positive­ ment ct n’accorde sa sanction qu’aux actes et aux rela­ tions ayant un rapport au bien commun, c’est-à-dire aux conditions de l’ordre social, et qu’il ne les assume que dans la mesure où cela convient à rétablissement et au maintien de cet ordre. Il est clair que, par le biais de la justice sociale, toutes les vertus concourent au bien commun; mais il n’est pas sûr que leur réglemen­ tation juridique y concoure en tous les cas. Ainsi, cer­ taines immoralités, plus spécialement anti-sociales, sont-elles réprimées par la loi; d’autres, qui ne sont pas pour cela moins graves au point de vue moral, ne le sont pas. Par ailleurs, l’impératif juridique va chercher son bien en dehors des catégories morales et il l’y trouve souvent, puisque des prescriptions de caractère purement technique, sans espèce morale, peuvent ser­ vir le bien commun. Il e$t aisé d’appliquer ces notions au cas spécial de la propriété. La forme juridique essentielle de ce droit, consistant en une reconnaissance ct une sanction socia loment autorisées de l’usage des choses par l'homme, n’affecte pas tous les éléments que nous avons analy­ sés au plan préjuridique. Seuls sont retenus ceux qui intéressent spécialement le bien commun ou l’ordre général de la société. L’usage d’application, sous lequel on range les faits de consommation, la libre jouissance des ressources naturelles, la faculté d’aller el de venir, de respirer, de contempler, de s’instruire, ne comporte aucune réglementation de principe; ce sont des droits fondamentaux que l’on reconnaît juridiquement sous le nom de libertés personnelles. Et, cependant, la con­ sommation et le libre usage des biens naturels se voient limites parfois, sur des points précis, pour des raisons d’ordre social ou public (interdits alimentaires, lois somptuaires, réglementations de police relatives au logement, à la circulation, etc.). Il est certain que la réglementation doit être discrète, cl elle l’est générale­ ment; mais on ne peut l’exclure absolument. Quant à l’usage d’élaboration ct au pouvoir de libre disposition (procuratio et dispensatio) qui lui est inhé­ rent rt nécessaire, ce sont là des activités que l’auto­ rité sociale est tenue de réglementer plus minutieuse. ment. On voit sans peine le rôle considérable que 8-i I» BOP HIET l£ 8\6 cn-B., 1908; le mime, Die Stoats-und Sozlallehre des hril. jouent, dans une société donnée,le régime du travail ct l’organisation économique. C'est à raison de cette im­ Thomas v, Aquin, Munich. 1930; Schwalm, La propriété la philosophie de saint Ihonuis d'Aquin, (Lins Rev. portance sociale que le régime (Çapproprinlion est d'après 1X95;SertiHanges, Socfa/fane et christianisme. Pari», juridiquement aménage. Pour permettre l'élaboration thomiste, 1903; Vnlensln, Traité de droit naturel, t. n, Paris, 1928, c.i; d'utilités abondantes, pour mettre plus d’ordre dans Vcrmeersch, Theologia mandls, t. n; 1c même, Dossiers de l'administration et la gestion des entreprises, pour l'Action populaire, 25 juin 1930. affermir la paix entre les hommes, bref, pour que l’u­ IL Doctrines lid&Iuli*-s et socialistes (sect, v), — Physlocrates, 18-16. 2 vol.; Badüd, pseudo· edestiniens contre le semi-pdagianisme, flans Rev. bdi/d. I t xiî. 1929. p. 156-170. Les capitula semblent appartenir à la période 135442. Dans le milieu romain. Prosper retrouvait la I tranquillité de l’esprit ct du cœur. Les fonctions impor­ tantes qu’il occupait, d’après scs biographes, à la chancellerie pontificale, auprès du pape saint Leon, ne lui laissaient pas le temps de s’occuper beaucoup du problème P. Λ.» t. lî, col. 198 A. A partir de 132. révolution de saint Prosper com­ mence à sc dessiner. Le Contra Collatorem ne dit pas un mot de la prédestination; il sc contente de revenir sur la gratuite absolue de la grâce, sur sa nécessité pour le commencement même de l'œuvre du salut et sur son efficacité; bien que la liberté du converti reste entière, sa conversion est cependant l’œuvre de Dieu, ct scs mérites sont aussi les dons de Dieu. Les réponses aux calomniateurs gaulois reviennent en revanche sur le problème de la prédestination : saint Prosper avait été mis en quelque sorte au pied du mur il ne pouvait pas ne pas répondre. Or, il adoucit les formules de saint Augustin : Il déclare sans doute que les élus ont été prédestinés gratuitement, indépendamment de toute considération de leurs bonnes o uvres, ut et qui salvantur ideo salvi sint quia illos voluit Deus salvos lied ; mais les méchants n’ont 849 PROSPER D’AQUITAINE (SAINT) — PROTESTANTISME été prédestinés ù la damnation qu’en conséquence de la prévision de leurs péchés : quod, quia Dei prœsclen· liant nec latuit nec fefellit, sine dubio talem nunquam elegit, nunquam prirdestinavil et periturum nunquam ab trlerna perditione discrevit... Idea prædestinati non sunt, quia tales futuri ex voluntaria pricvaricationc praesciti sinit p /„. t. 1.1. coi. 158, 161. Même doctrine dans les réponses nux objections formulées par saint Vincent de Lérins. Ici encore, saint Prosper affirme que la réprobation des méchants est postérieure il la prévision de leurs péchés ct que Dieu veut le salut de tous : « Il faut croire et professer en tonte sincérité que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Car P Apôtre, dont telle est l’opinion, nous ordonne avec sollicitude, cc qui d’ailleurs est très pieusement observé dans les Églises, de supplier Dieu pour tous les hommes. ■ P. L., t. i.i, col. 179 B; cf. ibid., col. 184 A. 186 B. Les capitula marquent un progrès dans la vole des concessions; assurément, ils condamnent formelle­ ment Pcrrcur des scmi-pélagicns sur la possibilité pour l'homme de concevoir par lui-même de bons désirs ct de saintes pensées, de commencer sans la grâce l’œuvre de la conversion et du salut, de correspondre par scs propres forces à la grâce de Dieu; mais les questions difficiles de la prédestination ct de la prescience divine sont écartées d'une manière décisive. « Cc n’est pas, dit l’auteur, que nous méprisions ccs problèmes étu­ diés avec soin par ceux qui ont combattu les héré­ tiques; mais il n’est pas nécessaire, pour avoir sur la grâce de Dieu une foi saine, de les avoir résolus : il suffit d’accepter simplement les décisions du Siège apostolique. > Comment ne pas souligner, dans cc pas­ sage, l’omission du nom de saint Augustin? C’est lui, â n’en pas douter, qui est visé lorsqu'on parle de ceux qui ont combattu les hérétiques; mais on évite de le désigner plus clairement ct l’on décide de s’en tenir aux actes du Saint-Siège, c’est-à-dire aux doctrines proclamées par les papes Zosime et Innocent Irr. L'altitude prise ici par Prosper est celle qu'adoptera saint Léon, Serm., xxm, I; xxxv, 3; xi îx, 3;lxvh, 2. 5, etc., et il n’est pas étonnant que l’on ait parfois attribué à saint Léon lui-même ccs capitula que saint Prosper a écrits auprès de lui et peut-être sous son influence. Le De vocatione omnium gentium va encore plus loin. L’auteur « veut concilier, avec l’existence en Dieu d'une volonté salvlflque universelle, qu’il admet, le fait de la réprobation d’un grand nombre. Il distingue à cet effet deux sortes de grâce : une grâce de salut générale qui est offerte â tous les hommes, virtute una, quantitate diversa, c nsilio immutabilis, opere multifor­ mis, et une grâce spéciale, specialis gratiir largitas, spe­ cialis misericordia, qui n’est due â personne, mais qui est donnée actuellement â beaucoup et qui les conduit effectivement au salut. Pourquoi cependant cette grâce spéciale n’est pas dispensée â tous et pourquoi elle est octroyée â ceux-ci et non pas â ceux-là, l’auteur ne peut le (lire. Il se volt obligé pour se lirer d’embar­ ras, de recourir â la profondeur insondable des divins conseils * J. 'Fixeront, Histoire des dogmes, t. m, Paris, 1912, p. 292. Tel semble avoir été, en ccs difliclles matières, le der­ nier mot de Prosper (l’Aquitaine. Parti de l’ailgustinisme le plus intransigeant. Prosper aboutit â des conclusions modérées qui sont celles de l’Église romaine elle-même. Son œuvre principale n été de discrimina­ tion h· premier, en effet, il a essayé de marquer ce qu’il fallait retenir de l’enseignement de saint Augus­ tin et ce qu’il pouvait être sage d’en laisser tomber. L’avenir devait apprécier une telle attitude, car l’infhicncc de Prosper a été grande sur les théologiens de l’époque carolingienne, qui lui accordent une place de 850 choix parmi les autorités patrlstiqucs. Plus encore, elle a été consacrée par le concile d’Orange de 529, dont les canons sont, pour une partie, empruntés aux Sentem lia extraites de saint Augustin par saint Prosper. ' Drs œuvres de saint Prosper ont été éditées par J.-B. I* Brun des Marcttes et D. Mangeant, Paris, 1711 ; c’est cette édition qui est reproduite dans P. L., t. u. L. Valentin, .Suint Prosper d'Aquitaine, étude sur la litlérature latine ecclÎsiaitlque au ?· tiède en Gaule. Toulouse. 1900; M. Jncquin. La question de la prédestination aux F«-F/· siècles : saint Protpcr (T Aquitaine, Vincent de forint, Castirn, dans Rev. d'hist. ccclès., t. vu, 1900. p. 269-300. Aux deux articles de dom M. Cappuyns cités au cours de notre étude, ajouter, du même auteur. Le premier représen­ tant de l'augutliniime médiéval : Prosper d'Aquitaine, dans Recherches de théologie ancienne et médiévale. t. î, 1929, p. 309-337. de dois beaucoup Λ ccs trois articles. G. Bardy. PROSPER URBANUS, frère mineur conven­ tuel italien. Né â Urbino, dans la Marche d’Ancône, vers 1533, d’une famille patricienne, il revêtit l’habit franciscain chez les conventuels, chez lesquels il exerça la charge de premier régent des études. 11 fut un théologien renommé, familier du duc d’Urbino ct inquisiteur à Sienne. Il mourut â Urbino le 13 août 1609. Il composa un abrégé de la Somme d’Alexandre de Halés à l’usage des étudiants ct des professeurs : Summula resolutionum Sumnur Alexandri Halensis theologica·, Urbino, 1603, in-i®. Il serait encore l’auteur de Commentarii uberes in symbolum S, Athanasii, Urbino. 1601, et d’une Oratio de Verbi Dei incarnatio­ nis mysterio, argumentis ex mathematica facultate petitis demonstrato. Quant à l’autre ouvrage : Difesa a favor della sereniss. republica di Venexia, nella quale pienamente si risoloono le opposizioni introdotlc contra dt lei nel libro di Emmanuel Tordisiglia, stampato in Madrid t’annn J616, inhtotato t Relation verdadera », onr si discorre la materia dei Uscocchi e dei presenti moti d'armi in Friuli per cagion loro seguiti, qui est attribué â Prosper Urbanus dans deux éditions de la bibliothèque Casanatcnsc de Home (une sans aucune indication de lieu ni de date, l’autre portant 1617). les continuateurs de J.-1L Sbaralca. Supplementum, t. n. p. 388. soutiennent que cet ouvrage ne peut être attribué â notre Prosper Urbanus. Le titre du livre ct le texte lui-même s’opposeraient à cette paternité. Cc traité constitue en effet une apologie de la répu­ blique de Venise, dirigée contre l’ouvrage d’Emma­ nuel Tordisiglia. intitulé Relation verdadera ct édite seulement en 1616, donc sept années après la mort de Prosper Urbanus. L. Wadding. Scriptores ordinis minorum. Home. 1906, p. 197; J.-H Sbaralca. Supplementum ud scriptores ordinis minorum, t. n, Horne, 1921. p. 388. A. Tketakht. Renvoyant â l’arti­ cle Hi’ FnitMi- photest wri; l’étude de la naissance, des premiers développements et des caractéristiques des diverses confessions protestantes, on n’étudiera, dans le présent article, que l’état actuel du protestantisme. I. Généalogie des confessions actuelles. IL Le luthé­ ranisme actuel (col. 856). HL Le calvinisme actuel (col. 870). IV. L’anglicanisme actuel (col. S86). V. Symptômes de l’opposition â l’anarchie doctrinale (col 901). I. Gêxêalogii m s coxi i ssioxs acte! éli s. Elles sont extrêmement nombreuses On en compte, dans les seuls pays de langue anglaise, plus de deux cents, issues de l’anglicanisme. Ce pullulement, dont affectait de sc féliciter Auguste Sabatier, effraye au­ jourd’hui les réformes qui voient clair dans le jeu de cette dissolution. Certains vont jusqu’à dire qu’il constitue · le péché de la Réforme ». D’autres, tels André Bouvier, tâchent de minimiser les dissidences. Ils PROTESTANTISME. 851 PROTESTANTISME. LES DIVERSES CONFESSIONS déclarent que cc sont de simples nuances qui séparent les groupements. Nous savons que ce sont parfois des fosses, que Ton n’a pas encore comblés après tant d'efforts de concentration ct d’appels à l’œcuménisme. Ie Chez to luthériens, les sectes avaient été fort nom- | tireuses ct fort irritées les unes contre les autres, du vivant même de Luther cl pendant tout le xvr siècle. La scolastique luthérienne du xvn* siècle avait mul- | tiplic encore davantage les dissidences. Mais, après la victoire de la pensée de Lessing, le luthéranisme a abandonné les thèmes scolastiques ou thcologiques qui le divisaient ct s’est trouvé comme transformé, dans une nouvelle manière d’être. Nous ne parlerons pas des sectes issues du luthéra­ nisme : il n’y a aujourd’hui que des formes politique­ ment plus ou moins fidèles à la notion ecclésiologique de Luther, où sc meuvent des fidèles partagés entre des multitudes de systèmes religieux, (leux-ci, ou bien sc réfèrent à la doctrine originelle de Luther, qu’ils lâchent de conserver, meme s'ils la déforment, et ils constituent l’aile droite ou orthodoxe du luthéranisme; on bien sc livrent à toutes les hardiesses de l’exégèse moderne, sans souci de la pensée de Luther; ils cons­ tituent l’aile gauche ou libérale ou libre penseuse. Cela pour la doctrine. Quant au type ecclésiastique, il varie avec les traditions politiques de chaque pays. En Suède, le luthéranisme est resté très conservateur : Gustave Vasa n’en voulait pas au culte romain, ù son rite.â sa hiérarchie. En Suisse.il a subi l’influence démo­ cratique et zwinglienne; il est devenu asacramenlairc et très laïque. En Allemagne, il est fort mêle; là où le calvinisme ne l’a pas imprégné, il est encore sacramcntaire et ritualistc; ailleurs, fort voisin du calvinisme. C’est là l’aspect général dont nous analyserons bien­ tôt les détails. 2° Quant au calvinisme, les schismes les plus terribles n’ont pas tardé à le déchirer. Nous ne rappellerons, pour le passé, que la scission voulue par (lastcllion, le véritable ancêtre du calvinisme actuel; le schisme des sociniens; le schisme arminien, aux Pays-Bas; le schisme des lotitudinaircs, qui déchirèrent l’Église calviniste pendant les xvn· cl xvm· siècles; le schisme de l’unitarianisnic au xixr siècle, qui est. en somme, une résurrection des thèses sociniennes. Cc dernier schisme affaiblit surtout les Églises calvinistes hon­ groises, anglaises, américaines. Plus près de nous, le calvinisme a été profondément divisé par la querelle qui, en France, mit aux prises orthodoxes et libéraux. Commencée vers 18-10, arrivée à sa phase critique vers 1880, relancée sur une voie nouvelle vers 1890. elle n’a cessé de provoquer les dis­ cordes parmi les adeptes de Calvin, qui sc proclament orthodoxes quand Ils conservent la doctrine de l’inspi­ ration biblique, de la divinité du Christ, de la rédemp- I tion par la mort du Christ; ou libéraux, quand ils abandonnent tous les points doctrinaux à la science rationaliste, en affirmant l’entière liberté du chrétien en matière de dogme. Il y a donc autant de sectes libé­ rales qu’il sc produit de manières d’expliquer le con­ tenu dogmatique du christianisme. Et meme se déclarent réformés libéraux certains théologiens qui. sans croyance positive au contenu traditionnel de l’Évangilc, estiment suflisant de se dire du Christ. C’est plus une attitude qu’une foi; une adhésion pleine de réticences qu’un abandon de disciple croyant. Celle séparation théorique des orthodoxes et des libéraux dans le calvinisme actuel date des événements suivants. \u milieu du xix* siècle, les éléments libé­ raux ou latiludimiires menaient une campagne fort vive contre les orthodoxes. Pour se protéger, ceux-ci invoquèrent la constitution même du calvinisme fran­ çais. qui remettait nu pouvoir séculier le droit et la charge de punir les trublions. Les libéraux, ainsi mena­ 85? cés, prirent le parti de dénoncer l’ingérence de l’filal et réclamèrent la liberté, par la formation d’Éÿ/bn libres. Vlnet, Frédéric Monod et le comte de Gasparin commencèrent une campagne de presse, qui aboutit. Des communautés furent organisées, que l’on groupa sous le nom d’/??///.scs évangéliques de France (1819). C’était une pépinière de hardis théologiens par qui h doctrine calviniste fut malmenée et pour ainsi dire pulvérisée. Mais, à travers Calvin, la doctrine chn tienne était, par eux, sensiblement atteinte. En 1872, on essaya, malgré les plus sombres pronostics, de tenir un synode national. Les calvinistes n’y employaient plus la même langue cl ils ne s’entendirent sur aucun point; il fallut clore l’assemblée. 11 y eut désormais deux fractions rivales et ennemies : la secte ortho­ doxe, qui s’appelle aujourd’hui Églises évangéliques et la secte libérale, ou Églises réformées. En 1906, les deux groupes essayèrent, à Jarnac, dr trouver un terrain d’entente, mais ils provoquèrent In formation d’une troisième secte qui, n’ayant pu vivre, sc fondit en 1912 avec le groupe des libéraux ou Église réformées. Celte division entre disciples de Calvin a franchi les frontières de la France. Partout où le calvinisme s’était implante : en Hongrie, en Bohême, aux Pays-Bas.cn certaines parties de l’Allemagne et du nouveau monde, 11 faut distinguer le fidèle croyant ou orthodoxe ct le disciple émancipé ou libéral. Ces deux cadres abritent d’ailleurs de multiples formes d'orthodoxie et de plus nombreuses espèces de libéralisme libre penseur. On doit y faire entrer, sur la foi de leur parole, de véritables agnostiques, qui n’ad­ mettent plus rien du christianisme positif, mais qui sc réclament vaguement du Christ de leur conscience, déclaré plus vrai (pic le Christ de l’histoire. On ne sau­ rait suivre les innombrables degrés par où passe un christianisme de moins en moins consistant. 3° C’est surtout l’anglicanisme qui a produit les sectes les plus hétéroclites. On sait comment les confessions non conformistes ont apparu dès le règne d’Édouard VI et comment l’influence calviniste a peu à peu corrompu la doctrine primitive du Prayer book (éditions de 1519 et de 1552). Les efforts d’Élisabeth pour organiser VÉglise établie ne furent pas plus heureux; les schismes surgirent de tous côtés. Mais c’est surtout aux environs de 1810 que l’anglicanisme subit sa transformation la plus pro­ fonde. Le mouvement d’Oxford l’a ébranlé cl obligé à se scinder en fractions rivales. Les anglicans qui refu­ sèrent de suivre Newman jusqu’à Borne cl restèrent à la suite de Pusey constituèrent bientôt un groupe d’anglo-cotholiques, ou ritualistes, ou puseyisles, que l’on appelle ordinairement aujourd'hui la Haute Église. A l’opposé, la Low Church prétend conserver l’angli­ canisme traditionnel. Mais, â sa gauche, s’est constitué un groupe agissant de luiitudinarlstcs. libéraux, mo­ dernistes. voire libres penseurs, qui forment la Rroad Church. Nous rattacherons à l’Église anglicane VÉglise protestante épiscopale des États-Unis, qui date des environs de 1790. Sa constitution intérieure est iden­ tique à celle de l’Église anglicane, sauf qu’elle ne con­ naît pas d’arehevêque-primnt. L'Église presbytérienne, fondée en 1560 par J. Knox, de type calviniste, sc distingue nettement de l’Église anglicane par su confession et son organisation démo­ cratique. Cependant, l'anglicanisme y compte une branche, mais qui s'est détachée du tronc principal. Cette Eglise anglicane est disestablished, ou Indépen­ dante d< l’Ét il. Reconnu par Guillaume 111 comme Église oHicielle ou Established. Church o/ Scotland, le presbytérianisme ne tarda pas à donner naissance à de nombreux schismes. L. premier fut I o uvre , John, alors pasteur de vingt ans, groupa quel­ ques étudiants fervents de l’université d’Oxford dans une sorte de congrégation protestante. \ l’ascétique catholique on empruntait la pratique des austérités et la soumission à une règle rigoureuse. Comme ces jeunes réformai cnrs prétendaient suivre une méthode précise de vie religieuse, on 1rs appela par dérision méthodistes. En 1738, ils vinrent s’établira Londres, se mirent à prêcher dans les rues et exercèrent leur apos­ tolat parmi les paysans et les mineurs. Cinquante ans après ces premiers efforts, et à hi mort de Wcslev (1791), les méthodistes étaient h peine cent mille. Mais leur action sociale rt philanthropique continua de s’exercer en faveur dr la rigoureuse observation du dimanche, des fondations d’hôpitaux, de la réforme des prisons, et leur nombre ne cessa de s’accroître Ils sont aujour­ 854 d’hui plusieurs millions ct aux États-Unis forment le groupe religieux le plus considérable (huit millions ct demi) apres celui des catholiques romains (vingt millions). Mais la création de Wesley fut bientôt en proie aux dissensions cl aux schismes. En Angleterre, le uesleysmc reste démocratique; aux États-Unis, il a adopté la forme épiscopale. On distingue aujourd'hui trois branches principales ; les méthodistes utesleyens, les méthodistes primiti/s, qui donnent un grand ,οίη aux questions politiques cl sociales ct restent très conser­ vateurs en théologie, ct les méthodistes unis, qui, sc groupant en une Église très différente des deux autres, sont surtout aujourd'hui orientés vers les solutions ultra-libérale s ct modernistes des problèmes religieux. Du presbytérianisme est encore sortie, vers 183‘>, la secte des irvingiens. Sous la poussée d’un mysticisme que la liberté presbytérienne rendait de plus en plus exigeant, quelques lidcles écossais prétendaient faire revivre les dons de guérison ct de prophétie de la pri­ mitive Église. Lc théologien Edward Irving (17921831) suivit le mouvement, ct. quand l’Église officielle refusa d’admettre les étrangetés du culte nouveau, il s’en sépara ct fonda une communauté. L'irvingisme sc présenta comme un extraordinaire amalgame de pra­ tiques rituelles d'un mysticisme exalté ct de croyances reprises à l’Église romaine : la notion de l’eucharistie, l'institution divine du sacerdoce et de la hiérarchie sacerdotale, la prière pour les morts, le culte de la Vierge. L'irvingisme sc répandit en Écosse, faiblement en Angleterre, à Genève, en Allemagne, en Amérique. De l’anglicanisme sortit, vers la même époque, la secte des darbystes. Elle relève du meme mouvement mystique qui sccouail alors l’Église presbytérienne. 11 s’agissait de faire revivre l’Église apostolique, scs rites ct ses manières de vivre, indépendantes de la vie du monde. Lc mouvement partit do Dublin, en 1828. dé­ clenché par Λ.-Ν. Groves, ancien dentiste devenu pas­ teur, qui partit comme missionnaire pour la Perse. Le groupe formé par Groves fut connu sous le nom des frères de Dublin. Mais à Pis mouth se constitua un second groupe, étroitement uni à celui de Dublin. En 1832, l’œuvre de Groves passa aux mains de JohnNelson Darby, ancien avocat devenu pasteur à Wick­ low, qui lui donna une impulsion toute nouvelle. Darby partageait un grand nombre d’idées <Γ Irving sur l’Église apostolique ct le retour plus ou moins dé­ tourné A certaines pratiques romaines. Surtout, il atta­ chait une importance singulière aux prophéties, qu’il Interprétait de manière assez curieuse. Les darbvstcs vivent dans l’attente du retour du Christ, qui rétablira l’Église dans sa pureté primitive. Lc darbysme s’est assez fortement implanté en Suisse ct aux États-Unis, mais les groupes auxquels il a donne naissance sont si nombreux qu’il n’est guère plus pos­ sible do retrouver l’idée de Groves, perdue dans ces foisons de schismes. En 1878, le protestantisme anglo-saxon vit éclore un groupe d’indépendants que son fondateur appela V Armée du salut. C’était William Booth, premier géné­ ral de cette nouvelle Église, qui essayait de jeter l’an­ glicanisme dans une vole nouvelle : celle de la philan­ thropie, devant laquelle s’effaçaient toutes les inquié­ tudes dogmatiques. Cette secte est. à vrai dire, à peine une Église puisqu’elle se désintéresse des formes ecclesiastiques, qu’elle ne voit dans le christianisme qu’une méthode île guérison pour les misères phy­ siques el morales de l’humanité, sans contenu propre­ ment dogmatique. 1° Viennent ensuite les multiples sectes où l'esprit luthérien, calviniste ou anglican n'apparatt même plus, mais qui vont d’un latitudinarisme voilé aux plus radicales formes de la libre pensée. Tout d'abord, la secte des unitaires, cjui regardent 855 PROTESTANTISME. LE LUTHÉRANISME, EVOLUTION comme une Idolâtrie le culte rendu ù Notrc-Scigneur Jésus-Christ et. n’admettant qu’un seul Dieu, une seule personne divine, ont poussé & scs extrêmes la thèse des antitrinitalres. Née en Angleterre, cette secte y compte aujourd’hui plus de trois cent cinquante Églises, et a été répandue aux États-Unis grâce aux efforts de Channing (1780-1842) et de Parker (1810-1860). Puis la secte des universalistes, qui admettent le salut universel, en quoi ils tournent franchement le dos à la doctrine traditionnelle de la Réforme sur le petit nombre des élus par prédestination éternelle. C’est d’ailleurs moins une secte religieuse qu’une école philosophique, puisque,â côté du Christ, ils mettent, et sur un rang qui nc semble pas inférieur, tous ceux qui, par leur sagesse et leur influence, peuvent être consi­ dérés comme les prophètes dc l’humanité, et puisque, à côté dc la Bible, regardée comme livre divinement ins­ piré, ils énumèrent comme presque aussi divinement inspirés les divers livres religieux ou philosophiques qui ont marqué une étape dans l’histoire de la pensée humaine. Procédant des baptistes dont nous avons vu l’ori­ gine, il faut citer les dunkers et les disciples du Christ. Ceux-là sont une secte des baptistes allemands venus en 1719 en Pensylvanle, et s’en distinguent par leur hiérarchie, qui comprend des diacres, des ministres et des anciens. Ceux-ci furent détachés en 1807 du pres­ bytérianisme par Thomas Campbell et ils pratiquent, comme les baptistes, le baptême par immersion, sans avoir d’ailleurs un credo fort défini, étant tout près d’accepter l’union avec les autres confessions qui admettent, â tout le moins, le Nouveau Testament. ' Les /rires unis en Christ constituent une secte â peu près uniquement répandue aux États-Unis, où Phi­ lippe Olterblin l’organisa à la fin du xviir siècle. Comme les précédents, Ils se montrent très peu exi­ geants pour le credo et se contentent d’une vague affir­ mation du rôle surnaturel du Christ. Ils ont une hié­ rarchie avec des évêques-surintendants. Assez près d’eux par leur constitution hiérarchisée, il faut citer encore les fidèles de Γ Association évangé­ lique. Jacob Albright l’organisa, en 1819, en Pensylvanie, panni des colons allemands; aussi a-t-il conservé beaucoup de points des confessions luthériennes. Parmi les plus récentes fondations dc sectes, issues des Églises déjà nommées, les adventistes forment un groupe très singulier. Un certain William Muller pré­ tendit en 1816 que le retour glorieux du Christ prédit dans l’Évangile allait bientôt se réaliser, et, sur celle affirmation, l’advenlismc s’organisa, toujours déçu dans ses espérances, mais toujours en progrès... Après les prédications de J.-N. Andrews, en 1871. l’adventisme s’est répandu en Europe, surtout en Angleterre, en Suisse cl jusqu’en Extrême Orient. Citons encore les Christian scientists, organisés par Mrs. Bakcr-Eddy (1821-1910). Ccs nouveaux chrétiens prétendent que toute maladie vient de Pâme et que guérir celle-ci par l’infusion de la foi au véritable Bien, c’est, par contre-coup, guérir le corps. La fol au Christ devient un talisman de santé. Ces extravagances ont été récemment diffusées en Europe, et surtout en Angleterre cl en France, par une habile et tenace cam­ pagne dc presse, qui ne semble pas toutefois avoir fait avancer chez nous les affaires de la doctoresse amé­ ricaine. 5e En somme, dans l’extraordinaire morcellement et l’infinie variété des credo et des sectes, on peut essayer de fixer quelque* points de repère. Les unit ariens el les universalistes libéraux possèdent, en Amérique, plus dc cinq mille Églises, avec un million et demi d’adhé­ rents Le % orthodoxes luthériens, presbytériens, réfor­ int s < piscopallstc*, possèdent plus dc quarante mille ÉsIIm s . C’est ù ce moment que s’est aggravée la crise pro­ prement religieuse du protestantisme allemand. Selon les curieux principes de la nouvelle théologie, dont nous avons vu quelques formules dans l’opuscule de Wic.neke, certains théologiens ne gardèrent plus de mesure. L’un, M. Krause, de Berlin, rejette l'Ancicn Testament et nc veut garder do l'Evangile qu'une image < héroïque » de Jésus-Christ. Blasphèmes que l’évêque de Berlin fut contraint dc blâmer; M. Krause fut révoqué. Les protestants se sont alors séparés. Ceux doThuringe prennent fait ot cause pour M. Krau­ se ct désavouent M. Ilossenfclder; ceux du Sud, Bavière. Wurtemberg, Bade, et ceux du Palalinat, de la Hesse, réunis à Stuttgart, déclarent se séparer des Deutsche Christen, qui mettent en danger la religion. On s’est réuni à Weimar afin de rechercher un terrain d’entente. Cependant, MM. Ilossenfclder ct Müller prétendent nc pas accepter ces méthodes parlemen­ taires dans l’organisation autoritaire de l’Eglise , et jouent aux dictateurs religieux. Mais, à Bonn, Karl Barlh dénonce ces nouvelles autorités, qui, dit-il, nc sont au pouvoir qu'à la faveur d’une usurpation. Telle est, à l’heure actuelle, la situation du luthéra­ nisme allemand. Si le hitlérisme est décidément vain­ queur, il est probable que s’ouvrira une ère de Kulturkampf contre les luthériens dissidents. Si celte lièvre doit bientôt tomber. l’Eglise du Belch restera, pour longtemps encore, blessée el affaiblie par l’acceptation de principes païens, politiques, antireligieux et certai­ nement antichrétiens. 2° Organisation du luthéranisme en Allemagne. L’organisation de l’Eglise évangélique vient de réali­ ser, depuis 1920. un sérieux progrès. Tous les candidats au pastoral sont obligés, une fols leurs études achevées dans une faculté do théologie à l’université, de passer un an dans un grand séminaire. Leur formation ecclé­ siastique s’y achève pur des cours et des exercices pra­ tiques. Ils font les catéchismes et s'initient aux œuvres si importantes de la Mission intérieure. D’ailleurs, le prestige du petit catéchisme de Luther est fort en baisse; on trouve qu’l! n’est plus adapté à l’heure pré­ sente, cl beaucoup vont Jusqu'à dire quo renseigne­ ment catéchistique ne convient plus à notre société. On tend à le remplacer par la lecture directe des Ecri­ tures, commentées el discutées. Quant à la liturgie, on distingue le service religieux du matin cl celui de l’après-midi. Pour le premier, on sc sert d une liturgie fixe, qui est, ù peu de chose près, celle du luthéranisme primitif ou du calvinisme. Pour le second, chaque pasteur peut l’organiser ù son gré. Il est incontestable que le mouvement liturgique a pris, ccs dernières années, une grande ampleur. Les pasleurs s'intéressent au culte catholique, ù notre liturgie, à nos ornements, à nos fêtes, ù nos groupements pieux. On a vu des pasteurs organiser des services dc requiem ou même des processions en l'honneur de la croix. 3° Le protestantisme en Suisse. Dollinger a déjà fait celle remarque : · On n’a jamais essayé d’établir dans toute la Suisse une seule ct grande Eglise pro­ testante. » L’est que la Suisse a été un carrefour, où les nouveautés se sont rencontrées, heurtées, installées chacune sur un morceau du territoire. Et les conditions géographiques ont contribué à stabiliser ct à différen­ cier ces réformai Ions diverses. Aux pays de langue alle­ mande, la réforme luthérienne; aux territoires de nier. i>e Tiié.oL. cathol. 8G6 Zurich, la réforme zwlnglicnnc; aux cantons de langue française, la réforme calviniste. D'ailleurs, en chacun de ccs territoires politiques ct ecclésiastiques, des quan­ tités de subdivisions de la secte principale, el l’emprise d’un césaropapisme qui n’a cessé que de nos jours, fort relativement d’ailleurs. Celte crise du régime des Eglises d’Etat développe aujourd'hui meme ses con­ séquences, que nous étudierons. Examinons d’abord cc qu’est devenu, au point dc vue doctrinal, le pro­ testantisme issu dc ces trois branches initiales 1. Évolution doctrinale. — Dire qu’il y a encore une doctrine zwmgliennc ou luthérienne serait aventuré! Il n'y a plus qu’une mentalité : elle sc caractérise par une opposition violente, presque départi, contre l’Église romaine. Les haines de Luther ct dc Zwingli se sont transmises, là plus qu'ailleurs. aussi simplistes dans leur aveuglement. On garde ici des sympathies pour les doctrines sacrament alistes; la, une aversion pro­ fonde. Mais d’originalité dans la pensée, point. La théologie allemande el celled’A. Sabatier, d’A.Loisy et des principaux réformés français d’aujourd’hui, pé­ nètrent la dogmatique helvétique. Sur l’influence actuelle de la pensée de Calvin en Suisse romande, le pasteur A. Eorncrod écrit : A I heure actuelle, vous ne rencontrez pas un seul calviniste pur. parce que le dogme dc la prédestination, tel qu’il a etc formulé par Calvin, heurte trop la conscience moderne, qui ne saurait admettre que Dieu prédestine, de toute éternité, des créatures aux peines éternelles. · Le principe du protestantisme. Lausanne, 1923, p. 16. Le pasteur Maurice Neeser nous avertit aussi que le terme d’orthodoxie a changé de sens et que les ortho­ doxes d'aujourd’hui, parmi les pasteurs, ne sauraient être les orthodoxes d’il y a quarante ans La séparaJ lion à Génère. r»19. p 31. Aujourd’hui, chaque pasteur enseigne à Genève sous sa propre responsabilité. Il fait ou choisit son caté­ chisme et ses définitions dogmatiques. Celui dc M. l’rank Thomas, paru à Genève en 1909, el celui de M. Paul Vallollon. paru a Lausanne en 1919 et qui en est à son cinquantième mille, sont profondément dif­ férents dans la manière même de vider de leur sens originel les anciennes formules du Cretio. Sur I atti­ tude que celle Église est appelée à conserver à l’égard de la Bible, quelques aveux sont éloquents. Le pasteur Charles Chenevièrc. de Genève, n'hésite pas à écrire : « Je ne vols pas aujourd’hui un seul pasteur de notre Église croyant à l’inspiration littérale des Écritures. » L'Église et les jeunes, Genève, 1919, p. IL Les théories modernistes concernant la formation, la valeur histo­ rique ct l'inspiration de la Bible ont ravagé l’Eglise hel­ vétique, et l’on peut suivre l'étendue de cc mouvement dans un livre assez récent dc M. M- Neeser. La Hible et l'autorité de ht joi dans le protestantisme, 1916. Quant aux tendances de l’exégèse relativement a la personne de Jésus, rien n’est plus strictement suggestif que le livre du pasteur G. Bcrguer, intitulé Quelques traits de ta rie de Jésus, au /joint de rue psychologique ct psycha­ nalytique, Genève, 1920. Toutes les hypothèses aujour­ d’hui mises en avant par la pensée rationaliste ou protestante libérale sont appelées à résoudre l'énigme chrétienne. Les uns y voient un syncrétisme de la mythologie gréco-orientale, par quoi s’expliquent les doctrines chrétiennes de l’incarnation, de la rédemption, de la résurrection et des sacrements. D’autres, le produit d’une exaltation mystique, par quoi s’expliquent tous les récits relatifs à la naissance, aux miracles, à la divi­ nité du Christ, mort en croix. On nc peut dire qu’une réaction soit encore en faveur auprès des théologiens de cette Église helvétique livrée à toutes les fantaisies de la critique moderniste. M. Bcrguer n’éprouve aucune hésitation à avaliser toutes les suggestions dc la méthode historique *. Il afllrmc, avec une égale ccrT. — NUI — 28. $67 PROTESTANTISME. LE LUTHERANISME, < HtG \ N I S \ ΊΊ u \ (itudc, que les fragments historiques de l'Evangile sont entoures d’une gangue mi-partie légendaire, mi-partie dogmatique; qu’il csl néanmoins impossible de reconnaître cl de distinguer ces trois éléments; mais qu’il est indispensable de renoncer â leur signification, afin de restituer la figure du Christ historique, et que la seule et légitime voie est de reconstituer son histoire d’après les Interprétations que la psychologie et la psy­ chanalyse permettront, sans d'ailleurs conférer A aucune d’elles la moindre certitude. Ce que AL Bcrguer assure avec tant de confiance, un autre professeur de théologie â Genève, Ai G. Fulliquct. l’avait déjà pro­ posé cn partie en nous révélant que Jésus avait pris connaissance de la notion du Fils de l’homme, dans les ouvrages de la Perse! Les problèmes d'outre-tombe, 1918. D’une façon générale, l’influenccde 1 iarnack. auteur de L’essence du christianisme, sc fait sentir en tous ces milieux; Jésus leur apparaît comme le prophète d’une religion qu’il aurait voulue sans prêtres et dont la tra­ dition ecclésiastique a transformé le sens primitif. L’influence de Lolsy est encore assez active, el rien n'est plus commun que d'entendre reprocher au Nou­ veau Testament et à l’Église originelle d’avoir, par une longue erreur, annoncé la proximité de la fin du monde, ce qui obligea peu à peu les chrétiens à rénover leur foi autour de principes complètement nouveaux, mais déterminés par la persistance d’une Église que l’on avait crue assez tôt destinée à disparaître dans la gloire du rovaume des cieux. On a pu remarquer que la jeunesse studieuse ressent le contre-coup de ces batailles d’idées où se perd la foi traditionnelle. Elle va d’une solution à une autre solu­ tion contraire, et · cette alternance d'affirmation el de recherche traduit fort bien, dit-on. ce qu'est l’âme reli­ gieuse en notre temps . AL Ch. Clerc. Journal de Genève, 29 sept. 1923. Du point de vue dogmatique, la Réforme suisse semble donc aujourd’hui livrée aux plus actives forces du rationalisme allemand. Son attitude en face du culte et de la liturgie ne sera pas moins confuse. On y con­ serve généralement la haine aveugle de Zwingli contre toutes les cérémonies du culte catholique : guerre aux sacramentaux, guerre aux manifestations liturgiques de la pieté catholique : prières vocales, chants, pro­ cessions, prostrations, objets sacrés du culte. On n'uti­ lise pour la cène que des coupes et des plats de bois, on s’y montre extrêmement déliant à l'égard des inno­ vations rituelles, que la liturgie anglicane, par exemple, adopte de plus en plus nombreuses. Des pasteurs, comme M. M. Neeser. y dénoncent cn termes d’un étrange archaïsme « des traces de cléricalisme · et prévoient avec une terreur comique que ces innova­ tions innocentes ne tarderont pas à entraîner après elles l’épiscopat et la confession auriculaire, et le mysti­ cisme sacramentel qui exigera, sur des autels rétablis, autre chose qu* « une indéfinissable hostie ». Bref, le mouvement liturgique est accusé de servir de véhicule a la foi romaine, et c'est à quoi les pasteurs se déclarent hostiles. Il est en effet bien à craindre que l'hostilité butée de ces théologiens, à qui · l’indéfinissable hostie » ne dit rien que superstition et idolâtrie, n’étouffe, pour de longues années, les timides essais de restauration liturgique que certains avaient tentés au temple de Lausanne. Le mouvement de la Haute Église anglicane et allemande n’existe encore pour ainsi dire pas dans ΓÉglise helvétique. 2 Organisation. — Reste à montrer ce qu’est deve­ nue l’organisation de l’Église helvétique telle que Zwingli l'avait décrétée. Pour Zwingli, la liberté < évangélique doit se con­ cilier avec la notion d’Église d’État. Celle-ci domine, et l'on assure que celle-là ne souffre pas de cette main­ mise Le nationalisme dirige la piété, ou plutôt sc sou- SGS met la vie religieuse. Zwingli a créé une Éfllise d’État, tandis qu'à Genève Calvin instituait un Etat évangé­ lique. L’idée de Zwingli a été battue cn brèche, vers 1815, par le pasteur Vinci, qui protesta, au nom de la liberté,contre la tyrannie de l’État. A la suile de Vinci, les deux tiers des pasteurs du canton de Valid sc sépa­ rèrent de l’Eglise Institutionnelle pour fonder une Eglise libre. D’ailleurs, ces Eglises libres, autonomes,cl qui ne comptent pour assurer leur développement que sur elles-mêmes et la générosité de leurs adeptes, n’ont pas cessé de décliner, au moins autant du point de vue matériel (pie du point de vue spirituel. Aujourd’hui même, la question de l’organisation de l’Église helvé­ tique préoccupe les pasteurs, et quelques-uns, que met dans l’embarras l'antinomie fatale entre la liberté évangélique et le concept d’Église organisée, n’hésitent pas â conseiller la suppression radicale des Églises et l'instauration d'une communauté religieuse sans pas­ teurs ni Bible. < Cet effondrement de l’Église nous paraît nécessaire, inévitable, une libération. Toutes les Églises sont des organisations passagères, trop petites et trop étroites pour retenir l'esptil de celui qui ap­ porta lu bonne nouvelle au monde. H faut que le vase soit brisé pour que l’odeur du précieux parfum rem­ plisse la maison. * Ilans Faber. Le christianisme de l'avenir, 1920, p. 188. D'autres, moins radicaux,souhai­ tent simplement voir se multiplier des « Églises beau­ coup plus restreintes et plus différenciées qu'elles ne le sont actuellement ». Frommcl. Études religieuses et so­ ciales, 1895. En somme, une pullulation de series, vaguement unies par une vague foi commune. .Mais on n’avait pas prévu la fortune de sectes assez étrangères au protestantisme helvétique qu’elles mettent aujour­ d’hui en véritable péril. Telle Église sc donne à la secte des frères dissidents ou darbysles larges, telle autre à la Christian science, telle autre aux adventistes du septième four, telle autre à V Assemblée du corps de Christ. Cette course à l’individualisme pur aboutit â ce que l’on a appelé les Églises multitudinistes. O régime d'une liberté sans frein pouvait, à la rigueur, ne pas trop effrayer, aussi longtemps que toutes ces formes religieuses restaient sous le contrôlée! l’influence et l’autorité bienfaisante de l’État. .Mais, depuis le 30 juin 1907, la situation s’est trouvée subitement transformée. A Genève, la séparation des Églises et de l’État fut votée. Il fallut songer à réorganiser une nouvelle Église nationale protestante genevoise. La nécessité s'imposa de grouper les fidèles et de limiter leur liberté d'action et d'examen. On ne vit pas d’autre moyen pour sauver de la ruine l’Église cn péril. On élabora donc une constitution (7 julll. 1908), à laquelle furent censés adhérer tous les protestants < qui se considé­ raient comme faisant partie de l’Église ». D’ailleurs, aucune obligation ni Juridique ni dogmatique. II suf­ fisait de voit en Jésus, de quelque manière qu’on le com­ prenne, le grand Inspirateur des âmes. La constitution l’appelait cependant le Sauveur des hommes. Elle sc référait à la Bible « librement étudiée à la lumière de la conscience chrétienne el de la science ». Elle accep­ tait ΓÉvangile < comme une source de vie éternelle et de progrès individuel et social ·■. C’est à ce compromis entre la libre pensée et la foi que s’arrêtèrent les pasteurs trop avisés sur la situation véritable de leur confession pour risquer le grand refus, s’ils avaient nettement posé le problème de la fol chrétienne aux regards de leur Église en désarroi! M. Neeser, Lu separation à Genève, 1919. I Déjà les nécessités de la vie ont apporté des modi­ fications profondes au régime de la séparation. En fait, les destinées des Églises dépendent encore de l'attitude des pouvoir» civils à leur égard. Ou ? distingue tou­ l jours les 1 Xli ·. s Officielles et les Églises libres. Comme SM PHOTEST \ NT! SME. 1.1. CALVINISME, ORGANISATION Ir protestantisme représente cn Suisse les trois cin­ quièmes de la population et que la classe paysanne n’y est pas encore dominée pat la classe ouvrière irréli­ gieuse, les forces nationales continuent de secourir les Églises, qui y conservent un démocratisme tout à fait conforme à l’esprit public et national, La plupart des cantons suisses ont leur propre Église» soit ollicielle, soit libre. I es Églises olllclelles sont cn majorité et tiennent à conserver l’appui des États ou cantons, afin de se mieux préserver contre le catholicisme, qui pro­ gresse un peu partout, el contre les excès de l’indivi­ dualisme protestant. Ces Églises officielles ont formé une fédération depuis 1920. Malgré le principe de In separation, Églises et cantons s'entendent tacitement pour tolérer un certain contrôle civil sur les manifes­ tations de la vie religieuse, sans toutefois que l’État s’ingère dnns les affaires proprement ecclésiastiques. Les Églises organisent leur activité comme elles l’en­ tendent. La plupart conservent l'organisation pres­ bytérienne. Leurs synodes sont mixtes, c'est-à-dire composés de pasteurs et de laïques. Leur autonomie est très accusée. Les paroisses élisent leurs pasteurs, les destituent pour fautes graves, taxent leurs mem­ bres, disposent de fonds spéciaux, surveillent l’in­ struction religieuse el l’organisation du culte. Comme elles ne peuvent cependant couvrir la totalité des frais cultuels, l’État en supporte la majeure partie. Ce sont là les Églises « populaires », où sc perpétue, plus ou moins modifiée par l’esprit rationaliste que nous avons déjà décrit, l’in fluence de la pensée zwinglicnne ou calviniste. \ côte de ces Églises privilégiées, les Églises libres font ligure de parents pauvres. Elles ont été pour la plupart créées par opposition à la suprématie de l’État. Les individus ont préféré leur sens propre au dogme traditionnel et sc sont révoltés contre des formes patronnées par l’élément civil. Elles renoncent ainsi ù la tutelle de l’État, mais aussi à ses largesses. Elles ont une double origine. Les unes sont issues du Rtoril qui fut, dans le protestantisme du xix· siècle, la révolte «les âmes fidèles au principe de la liberté d’examen et de l'indépendance religieuse, contre l’autorité civile s’in­ gérant dans les affaires religieuses. Les autres sont ducs à l’évangélisation étrangère. Nous avons vu com­ ment méthodistes, baptlstes et autres sectes anglosaxonnes se sont installées en Suisse ces dernières années. Certaines enfin proviennent du piétisme alle­ mand. La vie religieuse semble plus active, plus pro­ fonde on ces centres d’opposition. Il y a encore là l’ar­ deur des néophytes. Mais sur l’ensemble des autres Églises les observa­ teurs s’accordent à reconnaître que s'étend l’indUTéicntisme. Le peuple ne comprend plus les rites tradi­ tionnels; il ne 1rs aime plus, car ils ne parlent plus à son Ame. Le culte reste cn général trop austère et trop simple. I ne liturgie sans décor, la prédication de la Bible entre quelques cantiques et des formules de prière adressée à un Seigneur lointain. Le peuple suit encore par atavisme, sans élan du cœur. L’instruction religieuse n’atteint guère que les enfants. Afin de secouer 1rs masses, les essais d’évangélisa­ tions libres se multiplient, mais ce qu’elles gagnent ne va plus aux Églises officielles. \insi naissent les petites paroisses autonomes, qui affaiblissent plus qu'elles ne fortifient la grande Réforme suisse. Celle-ci sc dilue dans un émiettement fatal. Il n donc paru qu’en vue de reformer une unité à peu près viable, force était de ne plus s’arrêter aux divergences dogmatiques, mais de se rapprocher sur le terrain pratique. Le christianisme social, venu de Prance, n récemment conquis plusieurs communautés suisses. Il s’appuie, comme nous l'étudierons un peu plus loin, sur la prédication du royaume de Dieu . 870 c’est-à-dire sur hi valeur sociale du christianisme, (.et aspect d'un christianisme vidé de son contenu dog­ matique semble avoir permis à l’Église helvétique de contrecarrer la propagande du socialisme et de l'irré­ ligion sur les masses populaires, auxquelles on ne demande aucune adhésion à une dogmatique étroite, mais simplement d'être du Christ, proclamé initiateur de charité, de justice et d’humanité. Le grand pro­ blème actuel du protestantisme cn Suisse est de savoir si ces nouveaux adeptes se contenteront d’une Église réduite à un système de philanthropie ou si, déçus dans leur soif d'un idéal surhumain, ils ne rejetteront pas définitivement un christianisme qui n'apprend plus à regarder au delà des vicissitudes humaines. (l’est sur­ tout aux efforts de lx utter et de Bagoz que l’on doit cet actuel développe nient du christianisme social. Aujourd'hui, la Réforme helvétique es* en plein désarroi et à I» croisée des chemins. 111. Li. calvinisme ACTif.i. — 1° Organisation. -- A prendre encore le calvinisme nu sens le plus géné­ ral et cn négligeant les multiples formes qu’il a revê­ tues, on peut dire que l'organisation de l’Église de Calvin dépend de la notion d’Église propre a celui-ci. Sans doute, Calvin concède que · l’Église ne peut errer aux choses nécessaires au salut », mais, par la dis­ tinction qu'il établit entre cette iiicrrnncc rt le concept catholique d’Église. il montre bien qu’en définitive l’Église ne lui parait qu’une institution secondaire pour l’œuvre du salut. l\cs catholiques, dit-il, « attri­ buent autorité à l’Église hors la parole; nous, au con­ traire, conjoignons l une avec l’autre inséparable­ ment... IK babillent que l’Église a puissance d’approu­ ver l’Écriture.,. Mais assujettir ainsi la sagesse de Dieu à la censure des hommes, qu’elle n’ait autorité sinon cn tant qu’il lui plait. c’est un blasphème. Comme si la vérité étemelle et immuable de Dieu était appuyée sur la fantaisie des hommes. » 1/organisation ecclésiastique est donc un élément de mediocre importance : la parole de Dieu csl établie une fols pour toutes. L’assistance du Saint-Esprit , assurée a tous les chrétiens, leur permet d’en prendre l’intelligence par un contact direct, personnel et par une expérience qu’aucun décret étranger n’est capable de suppléer. La liberté d’examen arrache le fidèle â la tyrannie d’une direction prétendument religieuse. Pour tous ces motifs. Calvin rejoint Luther dans la conviction que la parole de l’Écriture est tout, que la Bible suffit, et que l’ecclésiologle est la partie la moins essen­ tielle do la Réforme. Cependant. Calvin, devant les excès commis en son temps, par les adeptes de la liberté d’examen absolue et de l’antisacerdotidismc. essay n de réagir. Sans doute, dit-il, le Christ a promis son assistance « à un chacun fidèle en particulier ». mais il convient de faire une place particulière * à la compagnie des fidèles » ou • aux conseils de vrais évêques », parce que. dans ces groupements où la présence du Christ est plus efficace, il doit sc trouver des lumières plus grandes. Voilà réha­ bilite le principe de la hiérarchie ecclésiastique. L’his­ torien recent de Calvin, M. le pasteur J. Pannier, a pu montrer que. malgré l’absence apparente de hiérar­ chie dans son Église, Calvin avait personnellement nue certaine sympathie pour une forme ecclesiastique hié­ rarchisée comme dans l’Église romaine. Mais la ten­ dance fondamentale de son œuvre fut plus forte : les réformés étaient appelés à se libércrdu joug des prêtres, de la superstition du sacerdoce et à se référer au Livre seul, à la Bible, souveraine de la pensée cl de l’action. Le calvinisme établit une forme religieuse qui parait fondée sur la démocratie et hostile à toute hiérarchie. .Avec encore plus de force que Luther. Calvin a enseigné à combattre le principe d’Église ù* institution. où l’on prétend que le travail invisible du clergé tend 871 PROTESTANTISME. LE CALVINISME, ÉVOLUTION À assurer la prééminence du snccrdot alisme. C’est parce que leur existence requiert des ministres pour les distribuer que l’Eglise conserve les sacrements et toute une hiérarchie de puissances ecclésiastiques. Cette armature cléricale, Calvin en a libéré son Eglise en détruisant la caste sacerdotale. Cependant, le calvi­ nisme a une ccclésiologic bien plus nuancée que celle du luthéranisme ou du zwinglianisme. D'après M. Doumerguc, l’historien le plus dévoué â Calvin. le concept calviniste d’Église est un habile moyen terme entre l’anarchie du sacerdoce universel cl la tyrannie de l’au­ torité ecclésiastique. Toute son organisation repose sur une constatation de fait : Calvin envisage l’Eglise comme une association d'individus. Elle est une asso­ ciation en cc sens que scs membres font une même pro­ fession de foi et adhèrent à une vérité objective qui constitue le lien de l'association. Mais l’individu règle lui-même les destinées de l'association. On a dit que le calvinisme était, beaucoup plus que le luthéranisme, démocratique, par le rôle actif qu’il accorderait à chaque fidèle dans l’organisation de l’Église. En ce sens il est vrai que Luther, en cédant les droits des fidèles au pouvoir séculier qui dirige l’Église â sa guise, a moins bien compris que Calvin le développe­ ment logique d’une réforme qui prétendait libérer la conscience individuelle. Mais ce sont IA des apparences. L'Église de Calvin n’est certes pas démocratique; son organisation ne repose nullement sur le suffrage uni­ versel. 11 s’oppose meme à l'action des ensembles, ù mesure que les Intérêts deviennent plus généraux. En s’élevant du consistoire aux synodes, le calvinisme demande les conseils de membres de moins en moins nombreux, de plus en plus sélectionnés, el c’est une conception aristocratique qui préside aux destinées de cette Église. Par la manière habile dont Calvin amal­ game le concept démocratique el le concept aristocra­ tique. il a su gagner les hommages d’un luthérien moderne d’esprit fort averti. >L Troeltsch, et d’un anglican fort cultivé, M. Leighton Pullnn. L’Allemand avoue que l’organisation calviniste esl admirable pour s’adapter aux besoins des diverses civilisations. L'An­ glais admire Calvin pour avoir su réaliser la synthèse entre l'individu el l’Eglise,entre l’autorité et la liberté. En fait, l’organisation calviniste ne tient presque aucun compte de l’individu, sinon pour l’assujettir â une volonté de groupe, puis d’ensemble. Calvin orga­ nisait son Église d’après cc qu’il avait trouvé dans l'Écrilure, les quatre ordres institués par le Christ : pasteurs, docteurs, anciens et diacres. Pour contreba­ lancer cette organisation ecclesiastique et cléricale, Calvin créa le consistoire, qui peut représenter la volonté de la communauté et tempérer la force cléri­ cale par la force laïque. C’est l’apparence; en fait, le consistoire n’est rien d’autre qu’une simple juridiction, un conseil disciplinaire. D’autre part, afin de mieux soustraire le ministère proprement dit â l'influence démocratique, à la volonté populaire, Calvin enseigne que son autorité ne vient pas du peuple, que la continu- ' nauté ne l’institue pas. que sa doctrine n’est pas assujettie à la censure des hommes ». On ne permettra pas à un fidèle quelconque de prêcher « sa vérité, sous le prétexte que le pasteur « fait fausse route ». « Dieu, dit Calvin, a commis en dépôt cc trésor à son Église; Il a institué des pasteurs et des docteurs pour enseigner. » Ces principes commandent l'organisation de l’Église calviniste. Elle est théocratique, comprenant une masse de fidèles organisés, soumis à des chefs de la doctrine cl de la discipline, qui eux-mêmes se soumettent à la parole de Dieu, seule souveraine. L’État ou puissance séculière ne peut dominer un organisme créé sur la parole divine. L'État doit être chrétien, protéger l’Église. v maintenir au besoin la saine doctrine et la régularité des mœurs, et, selon le mot de l’Écrilure, les 872 magistrats seront les lieutenants de Dieu >. Mali l’Église reste maîtresse de son credo et de sa liturgie Au contraire de Luther, qui avait préconisé pour sc» Églises le système territorial, chaque prince ou gouver­ neur étant chef de l’Église établie sur ses terres. Calvin a inst it lié le sustème théocratique, mais, ce faisant. Il est revenu aux Églises d'institution, qu'il avait prétendu abolir. 2° Doctrine et liturgie. — De la doctrine calviniste, il n’est pas téméraire de dire que presque rien ne sub­ siste aujourd’hui. I n réformé suisse a osé, naguère, poser l'impertinente question : Que /aul-il garder du calvinisme de Calvin? Et il y répondait par une critique pertinente de tous les points doctrinaux où s'appuyait le réformateur. On ne conserve plus la théorie de la prédestination, qui est cependant le fondement même du calvinisme; plus d’excès logiques sur la justification par la foi seule, sur la grâce, sur le symbole eucharistique, sur l'imimissibllité de la justification, sur la corruption totale de la nature et l’absence de liberté humaine, sur l'impos­ sibilité du mérite, sur la nature de la grâce sacramen­ telle; plus de croyance en l’Église d’institution, créa­ tion du Christ, chargée de prêcher la doctrine et de distribuer les sacrements. Ayant éliminé tout ce fond doctrinal. M. P. \ allot ton écrivait qu’on ne pouvait conserver du calvinisme que le principe de la liberté d’examen, ce qui est d’une belle ironie ou d’une rare méconnaissance de l'histoire. Calvin ayant surtout frappé de sa main impitoyable tous ceux qui, invoquant ce principe luthérien, osaient exprimer une pensée per­ sonnelle. en contradiction avec le dogme fixé par le réformateur de Genève. Paul \ allot ton. Que fauldl garder du calvinisme de Calvin? Genève, 1919, cl E. Pétavel-Ollif. Les bases logiques d'un néo-calvinisme. Montbéliard, l'.’l L il y a même une sorte de joie pour les calvinistes modernes à rejeter la paternité du réformateur : < Il appartient à chaque réformé de lire la Bible avec sa conscience et sa raison. Que tout protestant sc fasse donc sa religion en prenant dans la Bible cela seul qu'admet sa raison. Cette religion raisonnée et tout individuelle, qui n’est pas du tout l'orthodoxie Impo­ sée à tous les fidèles par l’autoritaire Calvin, c’est le protestantisme libéral dont le père est incontestable­ ment Rousseau. » Un autre écrit : « En réalité notre protestantisme moderne, tout au moins notre protes­ tantisme libéral, vient moins de Calvin que de Sébas­ tien Custellion. Traducteur de la Bible, exégète, cri­ tique, théologien, théoricien de la tolérance et de la pensée libre, il n’est aucune de nos voies qu’il n’ait déblayée devant nous. Nous sommes scs héritiers, plus, beaucoup plus que ceux de son irascible antago­ niste. » Cité par le pasteur Noel Vesper, alias M. Nou­ gat. dans L et que la liberté individuelle reprendrait tous ses droits, en dépit de l’orthodoxie. De cette per­ sée de quelques historiens allemands : Biedermann. mission les libéraux usèrent pour déclarer que l’Église I.ipsius, PHeldercr. Baur. qui ne voyaient eux-mêmes dans l’histoire que le moyen d’appliquer les théories ofllcielle ne cessait d’opprimer leur pensée et. prétextant certaines manifestations de l'indignation des ortho­ de leur maître commun, le philosophe Hegel. Nos his­ toriens libéraux convenaient de ces arrière-pensées. doxes devant leurs impiétés, ils firent schisme, créèrent une « Union des Églises évangéliques de France · cl Albert Réville « avouait franchement qu’il était hégé­ harcelèrent leurs ex-coreligionnaires. L’orthodoxie se lien el, comme tel. voyait dans l’histoire religieuse, el spécialement dans l’histoire des dogmes, le mouve­ tourna vers les pouvoirs publics, implorant aide et ment naturel à la marche de l’humanité, qui oscille secours. En 1852, les pouvoirs publics ne répétèrent pas les fautes commises par les princes allemands, entre des nflirinations contraires — thèse et anti­ et tend vers un point de vue supérieur, où se suppliés en 1525 par Luther. Les orthodoxes se défen­ thèse dirent par leurs propres moyens et, au synode de 1872, concilient les contraires. Mais cette « philosophie de proposèrent de constituer un synode ayant autorité l’histoire , qui apparaissait alors incontestable et à de contrôle, de juridiction el de pénalité ù l’égard de laquelle Renan lui-même s’est docilement soumis, tous les consistoires... Les liberaux ripostèrent en n’est plus aujourd’hui qu'une défroque de la pensée humaine dont les historiens sc libèrent. La métaphy­ déclarant menacé le principe même de la Réforme : le sique n’a pas ù expliquer les faits historiques. Sa des­ libre examen, el menacée l’Église calviniste, où l’on tâchait d’introduire un élément de catholicisme : l’nu- tinée est de les déformer. Les travaux conçus selon les lorité. Grâce à quoi les protestants libéraux conti­ principes hégéliens sonl soumis à une revision totale, nuèrent d'inonder la France de leurs productions exé- cl de l’œuvre historique de l’école libérale calviniste, gétlques et théologiques, où triomphait la tendance tout est remis sur le chantier Quelques protestants en conviennent. Parlant de ccs historiens, M. André \rnal rationaliste des théologiens allemands. C'est que précisément, entre les libéraux de Paris écrit : «Ce sonl les notions hégéliennes de l’absolu cl de et les rationalistes d’outrc-Rhin, l’école protestante de l’infini qui sonl génératrices de leurs systèmes el de Strasbourg remplissait un rôle de trait d’union extrê­ leurs erreurs. Or. ce sonl des notions fausses. «Arnal» La personne du Christ et le rationalisme allemand con­ mement actif. C’est Strasbourg qui servit ù fondre les deux pen­ temporain, Montauban. 1901, p. 313. M. \rnold Rey­ mond. après avoir constaté que l'anarchie doctrinale sées. Sons l’influence de Colani et de Scherer, on créait du protestantisme actuel provient en partie de la con­ la /teinte de Strasbourg, qui, de 1850 a 1869. remplit un fusion (pie l’on a établie, dans les milieux théologiques. rôle de critique corrosive fort important. Ce n’était 875 PHOTESTA NT1SM E. LE CALVINISME, ÉVOLUTION 87G nous montre la succession progressive do la religion mire théologie el philosophie, ajoute : En prlqflpc, primitive, inférieure et grossière, évoluée puis devenue la pensée protestante n’est liée â aucune philosophie hébrafsme. qui lui-même a évolué cl est devenu le pro­ officielle, En fait, le protestantisme a subi toutes les phétisme. l’évangélismo et finalement le christia­ fluctuations «les grands courants philosophiques qui se nisme. route celle histoire, dit Sabatier, aboutit à sont fait jour au cours de ces derniers siècles. Jlrvuc de thMugie et de philosophie. 1923, p. 117. Jésus. Celui-ci a simplement réveillé la piété. Or. on a 2. L'action d'Auguste Sabatier. Tandis que le cal­ écrasé son œuvre sous une armature dogmatique. vinisme français était ainsi dissocié, travaillé, affaibli, Sabatier explique cette deformation par l’évolution la pensée allemande finit de le conquérir, grâce à un de la primitive religion du Christ. Elle a changé, en passant par les étapes de la première génération chnhomme de très grande valeur intellectuelle, théologien subtil, historien averti, écrivain-né. véritable ouvrier tienne, puis celle de saint Paul, (pii a systématisé cc qui était une effusion du cœur du Christ, puis celle des des lettres. Auguste Sabatier. Jusqu'en 1896 son influence s’était surtout exercée évangélistes, puis celle des philosophes helléniques et sur ses élèves et un groupe d’amis, Sabatier enseignant enfin celle des docteurs du haut Moyen Age. A travers toutes ces étapes se sont formées, cristallisées, enri­ la théologie à l'université de Paris. Mais, en 1896, le grand public fit un accueil triomphal à son livre inti­ chies et métamorphosées des formules théologiques cl tulé Esquisse d'une philosophie de la religion d'après philosophiques, que l’on appelle des dogmes. Ils nais­ la psychologie et l'histoire. Sur l’action exercée, par ce sent d’un besoin de l’âme chrétienne. Nés du cœur, ih volume, nous pouvons en croire M. Ménégoz. qui deviennent la proie de la raison, (pii ratiocine sur eux l’appelle le plus grand livre dogmatique de la théolo­ selon des systèmes de philosophie régnants. Ils sont gie protestante depuis l’Institution chrétienne de Cal­ ainsi toujours retouchés, on fonction des systèmes en vin ». Et· en effet, le calvinisme français est encore, à vogue. Ils sont donc relatifs et n’ont qu’une valeur de l'heure actuelle, sous l'influence directe de ce livre, (pii symbole. Ils demeurent comme des images toujours a presque relégué dans l’ombre celle du grand livre changeantes, qui reflètent des pensées toujours en do Calvin. Il est donc important de connaître les idées devenir. Sont vivants les dogmes qui suivent ces modi­ fondamentales où s’appuie la dogmatique calviniste fications de la vie. Ceux que l’on a figés en des formules actuelle. définitives sont déjà morts, étant inadéquats aux L'Esquisse est une adaptation â l’esprit français des besoins des âmes toujours renouvelés. L’histoire multiples systèmes élaborés en Allemagne au xtxr siè­ enseigne donc l’origine humaine des dogmes. cle Ce fait, aujourd’hui reconnu, nous permet de répé­ Ces idées. Sabatier les défendit, les fortifia par d’in­ ter que le calvinisme actuel a fait preuve d’une origina­ nombrables articles (pii accrurent son prestige el décu­ lité do pensée fort médiocre et, d’autre part, d’une plèrent son action. Quand il mourut (1901), il avait incroyable soumission à la pensée de théologiens luthé­ réellement modifié le calvinisme traditionnel. Après la riens. Ainsi s’est accomplie la fusion des dogmatiques mort de Sabatier, on fit paraître de lui, en 1901. un des deux sectes de la Réforme. ouvrage non moins essentiel, intitulé Les religions d'au­ a) Sabatier analyse le concept de religion. A la torité et la religion de l'esprit. manière de Schleiermachcr, il y voit une création do la Les religions d’autorité, on s’en doute bien, c’est conscience, écrasée par le sentiment de s» détresse, et d’abord le catholicisme, dont les deux organes d’autorité objectivant ses besoins et scs aspirations. Toute reli­ sont le pape infaillible el l’Église divine. Sabatier pré­ gion positive implique la notion de révélation. A la tend exorciser ces deux fantômes par rhislolrc.cn mon­ manière de Lessing, Sabatier réduit la révélation aux trant l’évolution des idées qui les a naturellement fait conceptions de plus en plus hautes que la conscience se éclore. L’infaillibilité pontificale. Sabatier prétend en crée à elle-même au cours de scs expériences. Toute fixer les origines humaines, après avoir établi qu’elle religion positive enclôt sa révélation dans un livre, qui était étrangère à la première communauté chrétienne. est pour le christianisme la Bible. A la manière de L'Église divine : Sabatier prétend qu’elle n’a rien de Lessing, Schleicnnacher el Bitschl. Sabatier ne con­ divin, étant une création assez tardive du labeur ecclé­ serve de la Bible que les pages utiles â nos âmes, qui siastique ct clérical. Le Christ ne l’a ni voulue ni insti­ présentent une valeur morale. Pour les autres, récits, tuée; les théories paulinicnnes l’ont à peine dégrossie: histoires, décrets rituels ou formules dogmatiques, les traditions juridiques gréco-romaines ont assuré son « l’esprit de vie n’est pas là ». organisation; les événements historiques du Moy-m b) Sabatier analyse alors les concepts de miracle el Age ont défini son armature. Quant à ses organes d’inspiration, (pii sont les motifs dt crédibilité Invo- ( essentiels, épiscopat ct papauté, l’histoire en montre qués par les religions positives, el particulièrement le les origines humaines ct la formation tardive. christianisme. Le miracle est ce que la piété admire et Telle est la partie critique où Sabatier prétend avoir ce que la science refuse d’admettre. L’inspiration est raison du catholicisme religion d’autorité ». Il y a une une extase qui devient, par le travail de sublimation autre forme d’autorité : celle qui est donnée non à des naturel aux prophètes », une divine possession de hommes, mais à un livre. Ainsi du protestantisme, qui l’homme par l’esprit créateur. Ainsi, la religion repose n’admet (pic l’autorité de la Bible. Sabatier examine la sur deux Illusions. Voilà ce que la psychologie enseigne valeur de ce livre el établit l’illusion do celte autorité. des origines de la religion. On apprend alors (pie la Bible est d’origine purement c) Et voici ce qu'enseigne l'histoire: la loi des faits, humaine, que son seul but était d’ordre pratique, c’est la loi de continuité par évolution (thèse de Hegel). créateur de vie et non règle de fol, quo le canon des Il n'y a pas do commencements absolus. Tout va de Testaments est sans valeur, que doit être regarde I imparfait vers une perfection Indéfinie, qui peut-être comme divin tout livre profitable à la piété, (pie doi­ ne sc réalisera jamais en perfection totale. Or, la reli­ vent vire exclus do ce canon tous autres livres, mais gion se donne comme un commencement, parfait dès qu’on peut introduire dans le catalogue sacré d’autres son origine. C'est une contradiction à la loi de la mar­ œuvres étrangères, telle l’épitre de Polycarpe, où cir­ che du monde. Donc, il convient de prendre ce (pii est cule une inspirât ion plus apostolique (pic dans la le fond même de la religion positive (le dogme) cl de seconde cpltre de Pierre -. La conclusion est (pie nulle montrer que, comme toute chose, il a été soumis au autorité externe (Institutions, hommes ou livres) n'est devenir. produclrin de In vraie religion et que la seule autorité Sabatier brosse alors un tableau fantasmagorique de I esprit < est -a dln de la noix de la conscience et du des étapes parcourues par l’idée de religion. L’histoin sentiment doit décider les âmes religieuses. S77 3. La pensée calviniste actuelle, - C’est dans l’en­ semble de ces mouvoine.nls ol dans l’inllueuce exercée par A. Sabatier qu’il faut rechercher les véritables origines de la pensée calviniste actuelle. D’une part, celle-ci est caractérisée par un manque absolu de spon­ tanéité; clic n’a guère fait que suivre les théoriciens allemands. D’autre part, elle diffère essentiellement du calvinisme de Calvin. Elle a réalisé une véritable cou­ pure entre deux protestantismes, qui s'opposent comme la libre pensée s’oppose à la croyance. La dog­ matique de Calvin était précise, impérieuse ct somme toute animée d’une foi profonde. La dogmatique calvi­ niste actuelle repose sur dos principes négateurs du surnaturel et est orientée vers un naturalisme dont nous verrons les manifestations. Enfin, elle est carac­ térisée par une Incoercible éclosion d’anarchie intellec­ tuelle, qui pousse l’aile gauche — ou radicale — du calvinisme français à perpétuellement retoucher le dogme traditionnel dans un sens do plus en plus ratio­ naliste ct antichrétien, et qui met l’aile droite — ou orthodoxe — ainsi que le centre, groupe des irrésolus, en posture, de combattants trop souvent résignés à la défaite. On le vil bien en 1910, au congrès tenu à Ber­ lin par le protestantisme libéral, puis en 1912, a la réunion que tinrent au temple de l’Oratoire. à Paris, les représentants officiels de la gauche et du centre des Eglises réformées. On recherchait l’union par conces­ sions réciproques. M Ménégoz nous apprend que, s’il y cul des concessions, elles vinrent toutes de la part du centre, qui cédait el abdiquait, tandis (pie la gauche ne renonçait à aucune de ses thèses rationalistes. Il fau­ drait être aveugle, ajoutait M. Ménégoz, pour ne pas voir les in 111 Irai ions continues et progressives du fidéisme dans les milieux de la droite... L’orthodoxie s'effrite sur toute la ligne. J’en parle à bon escient. » Il ne faut donc plus parler de doctrine calviniste, mais de doctrines provisoirement acceptées par des fractions opposées du calvinisme français. Parmi ces fractions nous distinguerons, suivant l’ordre chrono­ logique des faits, celle qui s’intitule le groupe des lidéislcs, puis le groupe du christianisme social, le groupe on lin qui commence à poindre dans dos milieux calvinistes en quête d’une foi retrempée aux sources traditionnelles. a) La doctrine synibolo-fldéiste. — Elle esl professée par les < symbolo-tidéistes », ou « symbolistes », qui reconnaissent comme chef le pasteur E. Ménégoz. Collègue d’Sabatier à la faculté de théologie de Paris, M. Ménégoz avait surtout retenu de l’enseigne­ ment de son collègue la valeur de l’explication symbo­ lique des dogmes chrétiens. Il restait à tirer les consé­ quences extrêmes de ces principes. M. Ménégoz s’y employa. Le croyant, dit-il ne peut exprimer sa fol que dans le langage de son temps, et celle expression est tributaire de la conception du monde formant l’atmosphère spirituelle dans laquelle il vit. L'objet de foi dépend donc de la philosophie ct de l’histoire, qui sont les facteurs matériels de l’expression dogmatique. \insi, il /aut dégager la /oi de Γhistoire ou, en d’autres termes, élaguer des Livres sacrés tout cc qui est apport historique, récits de la Bible ct récits du Nouveau Tes­ tament. Or, il n’y a pas, dans la Bible, un seul récit que l’on soit autorisé à ériger en article de foi . Bien plus, ces récits sont suspects, du seul point de vue histori­ que : * On considère les récits bibliques comme divi­ nement inspirés el l’on s’efforce d’imposer aux chré­ tiens la croyance à ces récits, alors quo leur historicité est con trouvée ou du moins fort contestable. · De cela, M. Ménégoz ne doute pas depuis (pie les sciences actuelles ont découvert de prétendues contradictions dans les récits bibliques. On jette pnr-thtsilS bord les récits de la création, du paradis terrestre, de la chute, du déluge, de l’allianct de Jahvé avec son peuple et S» 8 bien d’autres encore, que l’on déclare irrecevables pour un esprit cultivé ». Dans le Nouveau Testament, les récits de la naissance virginale de Jésus, de sa mort et de sa résurrection seront rejetés de l'acte de foi. L’histoire nous demande deles sacrifier, mais M. Méné­ goz propose de les sauver, à condition de les interpréter correctement. Par exemple, souvenonv-nous que le Christ enseignait a faire naître en soi un homme nou­ veau. Cette notion morale s’est concrétisée dan* la prétendue naissance de l'homme nouveau, par la volonté du Christ sorti du tombeau. Or, l’Evangile est rempli de faits que l'on donne comme historiques, contre toute vraisemblance. L'Église va-t-elle Imposer aux chrétiens la croyance à ces récits, en en faisant < une condition de salut »7 M. Ménégoz enseigne que l'on doit libérer la foi de l’histoire ct n’envisager sou* la gangue des faits que le pur enseignement du Christ. A plus /orte raison /aul-il libérer la /oi de la philoso­ phie qui pénètre les concepts religieux. La métaphy­ sique emplit la religion de ses affirmations gratuites. Dégager la formule de foi de l’apport de l'esprit philo­ sophique. c’est lui restituer sa pureté primitive. Or. la vérité évangélique a été déformée par la métaphysique platonicienne du Logos, d’où dérive k dogme do la préexistence éternelle de Jésus; par la philosophie païenne d'Aristote ou des Alexandrins, ou des penseurs de rOrient, qui sont responsables de la christologie mystérieuse des Livres saints. A plus forte raison, les formules dogmatiques énoncées par les conciles sontelles sous la dépendance des diverses métaphysiques qui avaient alors la faveur de I Église. Il n’y a rien la • de la parole de Dieu ». Que reste-t-il, au terme de cette double tentative d’éliminations, comme · objet de la foi »? M. Ménégoz prétend bien que le fait même d’éprou­ ver de la complaisance pour certaines paroles des Livres saints est signe révélateur de l’action de l’E*prit. · Un facteur mystérieux, spirituel, indépendant de notre esprit et le pénétrant néanmoins au point de sc confondre avec lui, agit en nous; c’est lo SaintEsprit. · Fait d’expérience intime que l’on sent, mais qui ne sc démontre pas. Ayant fait bon marché des textes solides, qu’il est possible de juger d'après des méthodes précises qui ne nous font point perdre pied ct quillcr la réalité, M. Ménégoz s’évertue à nous per­ suader de celte action mystique, indémontrable et insaisissable, à coup sûr. Vainement prélcnd-ll que l’action de Dieu « immanent dans l’esprit de l’homme est « immédiate, perçue par la conscience ». que « nous nous trouvons là dans le domaine de l’intuition spintucllo de cette certitude morale qui est le résultat non de la reflexion ou du raisonnement, mais d’un témoi­ gnage intérieur portant en lui-même le cachet de la vérité ». Tous ces mots cachent ma) la part d’illumi­ nisme qui esl celle do celle nouvelle doctrine. Que l’intuition, dont un esprit averti no voudra admettre la réalité quo sur témoignages probant* cl non sur une prétention d’âme en proie à l'illusion, soit la condition de l’acte de foi, nu sens de ces my Dialogues du symbo­ lisme, c’en est assez pour éveiller toute notre défiance à l’égard du contenu même de cette foi. En voici une vue d’ensemble, qui permettra do juger des innova­ tions apportées par cette dogmatique lidéistc. M. .Ménégoz découvre d'abord au cœur de l’homme un sen* aigu de sa misère. C’est le sen* du péché, qui s’accompagne d’une aspiration ver* un bonheur, consi­ déré comme la délivrance, le salut de l’homme libère du péché. Posséder la certitude que l’on a secoué sa misère et son péché, c’est avoir le salut. Or. c’est Dieu qui révèle cette certitude du salut. Survivance lutherienne. dont M. Ménégoz convient lui-même qu’cUc présente de grandes difficulté* mais cela, ajoute-til. ne prouve rien contre sa vérité . Celle affirmation 879 PROTESTANTISME. LE CALVINISME, ÉVOLUTION est d’une logique étrange, mais elle est nécessaire à rétablissement du symbolo-fidéisme, car. si la conscience suffit à prendre une connaissance certaine de ses souillures et de son élection par Dieu, ce senti­ ment intime constituo la vraie religion, et tout le reste est surcrogatoirc. Reste à établir cc qu’un chrétien peut attendre de cette action de la conscience éclairée par Dion. D'après les fldéistes, il peut en attendre la révélation immé­ diate de Jésus. Lc chrétien, en effet, poussé par Γ Es­ prit-Saint, découvre devant lui la figure du Christ et s’aperçoit, par une intuition mystérieuse, « que jamais homme n’a perçu plus clairement ct plus purement le témoignage du Saint-Esprit, que jamais homme ne fut aussi qualifié pour révéler au monde la pensée de Dieu ·-. L’expédient saute aux jeux; un fidéistc n’ac­ corde aucune attention aux témoignages ex/ernes de co rôle de Jésus : ni textes évangéliques, ni miracles, ni rien de semblable. Il fallait cependant sauver du nau­ frage la personne de Jésus : on la rend sensible aux yeux du cœur!... Mieux encore, ce Jésus nous parle, ct nous entendons sa voix. < Nous la reconnaissons pour la voix de Dieu, car elle est en pleine harmonie avec la voix divine dans notre conscience. » Cette merveilleuse plasticité de la conscience, à laquelle les fldéistes doi­ vent bien accorder de singuliers privilèges s’ils veulent donner un minimum de crédibilité à leur foi, remplace les Écritures, les miracles, les motifs externes de la croyance. C’est la première transformation que la doctrine de ces néo-calvinistes a fait subir au principe cher à Calvin de l'inspiration du Saint-Esprit en chaque lecteur de l’Écriturc. Voici ce que devient un autre axiome calviniste : le dogme de la justification par la foi. L’Évangile sc révèle comme un message de pardon apporté par Jésus aux pécheurs, à la seule condition qu’ils aient foi en un Dieu d'amour. La clef de ce message, elle est dans cc texte : < Celui qui croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle », c’est-à-dire sera sauvé, est déjà sauvé. Qu’à celte leçon d’amour rédempteur sc réduise l'essence do l’Évangile, M. Ménégoz s’en dit assuré par un mouvement de sa conscience. Et aussi que les deux Testaments n’ont pas une autre signification : · Quand nous étudions ces documents, nous y retrouvons, sous les expressions les plus variées, la profession la plus unanime ct la plus harmonieuse de la doctrine de la justification par la foi. » Le fidéisme sauve donc un second principe de la doctrine calviniste, mais à quel prix! Calvin lui-même n’aurait pas voulu de ce fonde­ ment doctrinal, étayé sur un aussi capricieux subjecti­ visme. Quoi qu’il en soit, sur ces deux piliers authenti­ quement calvinistes, les fldéistes n’édifient aucune doctrine véritable. Leur théologie est essentiellement négative. « Éliminer tout ce que notre raison ne saurait s'assimiler, voilà le principe de la théologie évangélique moderne. » Si la raison déclare inassimilables les don­ nées évangéliques, que fera la théologie moderne? Soumettre la raison à un principe mystique qui la dépasse? Ou rejeter l’Évangile? M. Ménégoz a aperçu le danger ct, pour l’écarter, a cru découvrir en effet un principe mystique supérieur à la raison. Nous avons, dit-il, · le sens des affinités spirituelles ». Expression vague, mais commode expédient pour conserver, au nom de l'« affinité », ce que la raison rejetterait. au nom de la vraisemblance humaine. « Notre conscience reli­ gieuse sent cc qui est religieux, et notre raison natu­ relle origines de celte formule dans une conférence que le pasteur Gouth, d’Aubenas. donna en 18H7 sur le rôle du pasteur dans les questions sociales. « Prêcher l’Évangile n’est rien d’autre que prêcher le royaume du Christ, et celui-ci est ici-bas... Nous devons reven­ diquer pour chacun le droit de faire son devoir,c’csl-àdire la possibilité matérielle de remplir tous sc* devoirs, de développer son individualité, de penser a son Ame dans les loisirs du dimanche et les heures de repos de la semaine, en un mot, de réaliser sa destinée temporelle, morale el spirituelle. Eugène Bersiei frappa la formule d’après ces paroles de pitié humaine, ct en 1902 le pasteur Gounelle faisait de la formule trouvée un principe essentiel du christianisme social. De là les multiples interventions des nouveaux doc­ teurs dans tous les domaines de l’activité humaine : vie familiale, vie prcfcssionnelle, vie politique, vie inter­ nationale, problèmes «les races, de la guerre ct de la paix, du droit pénal, cl, ccs derniers jours encore, interventions à l’occasion des tendances racistes, xénophobes et singulièrement antisémites du protes­ tantisme allemand. La formule paraissant heureuse, éclatante et féconde en applications, le christianisme pratique en a fait un considérable usage. En 1025, rassemblée de Stockholm y vit une sorte de mot de ralliement, et son message officiel lancé à la chrétienté proclamait : Le premier droit de l’âme est le droit au salut. » M. \V. Monod justifiait bientôt ce principe dans une éloquente mais trop personnelle paraphrase du royaume de Dieu. Cependant, dès 1909, M. Méncgoz opposait à tous ccs exégètes nouveaux une raison de bon sens ; Où M. Gounelle, disait-il. a-t-il trouvé dans l'enseignement de Jésus la moindre trace d’une idée pareille? Publications diverses sur le l'idéisme, t. n, Paris, 1909, p. 62. \u vrai, cet enseignement est tout plein de préoccupations différentes : la confiance au Père interdit une excessive sollicitude à l’égard des nécessités de la vie. Luther avait fermé les yeux aux sages tempéraments de I Évangile cl n’avait retenu «pie la confiance. Les docteur* du christianisme social Testent sceptiques sur la Pros Idem e et ne retiennent que II sollicitude humaine. 1 IS UUs ,es autres se heurtent sur une exégèse incomplete mais que les uns < l le- autres deviarent *cu c conform· à la pensée du Christ De la b s conlllls qui. surtout au concile de 885 Stockholm, en 1925, ont dressé le* luthériens contre les novateurs calvinistes. L'évêque de Saxe, Ihmeh, montra cc qu’avait d’arbitraire cl d’insolite le sens de la formule adoptée par le christ Ionisme social, et le docteur Wolf s'éleva contre la prétention de réduire l’Église chrétienne à un rôle d’intermédiaire politique ct social, sans mission spécifiquement religieuse, c’est-à-dire doctrinale. Le docteur KHngeinann dénia même, avec une certaine brut alité, que le progrès des affaires de ce monde vers plus de charité el de solida­ rité Internationales fût * un pas vers la réalisation du royaume de Dieu ». La thèse luthérienne restait Invio­ lée : séparation du royaume el de la politique ou de l’ordre social. Cependant, quelques luthériens moins fervents se laissèrent gagner par les pathétiques adju­ rations des pasteurs français Gouncllc <4 W, Monod· A la suite de l’évêque <1’1 psal, Nathan Sn dcrblom. Ils concédèrent que les deux conceptions — contradic­ toires < ont beaucoup à apprendre l’une de l’autre ». qu’« elles sont nécessaires toutes les deux · cl qu’il faut rechercher « une synthèse -. Ce fut le prince de Suède qui tira la moralité de l'aventure el fixa l’altitude con­ venable. Devant cc chaos d’opinions, il proclama que l'unité de confession n’était point nécessaire ct que les chrétiens avaient un terrain commun où leur activité s’exercerait de concert : le terrain rie faction, ('.'était précisément ce qu’avaient proclamé le* calviniste* français, lassés de rechercher l’unité des croyances et résignés à se contenter de l'unanimité des efforts dans l’ordre moral et social. Mais, qu’on le voulût ou non, c’était, cela, découronner le christianisme et le ravaler au rang d'un organisme bienfaisant, que d’habiles philanthropes manient avec dextérité pour assurer le bien-être d’une humanité malheureuse. Quels ont été les résultats obtenus par le christianisme pratique? Du point de vue de l’action bienfaisante, sans avoir apporte des créations d’institutions charitables com­ parables à celles qui existaient déjà en toute* le* Eglises protestantes, le christianisme pratique a abordé cer­ tains problèmes sociaux actuels, tels que la lutte contre la pornographie et le malthusianisme, (.’est un appoint sérieux de bonnes volontés; ce n'est pas une croisade menée par des croyants pour la victoire d’un idéal reli­ gieux. Du point de vue des répercussions sur les diverses Eglises protestantes, le christianisme social peut invo­ quer les succès suivants. Il a organisé un comité exé­ cutif, qui s'appelle le conseil œcuménique du christia­ nisme pratique, lequel groupe l’Eglisc orthodoxe d’Oricnt. l’Eglisc anglicane dont l’évêque de Chiches­ ter est actuellement président de la session du comité, les Eglises issues de la Réforme en Europe et en Amé­ rique et l’Eglisc vieille-catholique. Les délégués de ces différentes Eglises sont-ils In voix autorisée d’un grand nombre d’adhérents ou de quelques initié*? En Angle­ terre, le mouvement chrétien social a pris une réelle importance. Depuis le* efforts de Charles Kingsby (1851), une conférence tenue à Lambeth en 1888 prit nettement position en faveur des réformes sociales. En 1908. le docteur Price Hughes prêchait le sens moderne du royaume de Dieu Non* avons, disait-il, à chercher le royaume de Dieu cl sa justice Ici-bas, dan* h·* brouillards de Londres, non dans le paradis.» On créa des settlements. groupes de jeunes gens qui allaient évangéliser les milieux le* plus hostiles à l’idée religieuse. L’Eglise anglicane donne aujourd’hui une part très active à cette évangélisation par le* méthode* de la charité. En Mlemngne. h· mouvement se heurta à une diffi­ culté particulière. le luthéranisme étant en principe opposé à la conception pratique du royaume de Dieu. Cependant, vers 1890, le pasteur Xdolf Stocker, avec l’aide d’Xdolf Wagner. Harmick et Naumann, inaugure 886 les « congrès évangéliques sociaux ». Naumann pousse hardiment le mouvement à scs conséquences extrêmes; pour lui. hi religion n’est qu’un moyen de transformer la politique, ct l’indifférence au contenu doctrinal n’empêchc pas scs adeptes de se proclamer chrétiens sociaux. Λ lin non religieuses et environ 500 religieux. Cependant, l'Église ignore ofllciellemcnt ers congrégations, , d'être « incapable dc rétablir la discipline dans l'Église qu'il préside ». de « favoriser le romanisme et diver­ ses tendances réactives, on ne peut manquer de souli­ gner les mouvements qui sc produisent aujourd’hui dans le luthéranisme, l’anglicanisme el, en une très faible proportion, dans le calvinisme français. Chez les luthériens, c’est la formation, depuis 1918,de la Haute Église; chez les anglicans, le puissant développement du groupe /mill and order qui a tenu en écliec, par le congrès de Lausanne de 1927. les apparentes victoires du protestantisme sceptique ù Stockholm, en 1925; chez les calvinistes, quelques aspirations récentes vers une règle dc vie plus imprégnée de foi chrétienne cl la réhabilitation des pratiques ascétiques, qui n’ont, à y regarder fixement, aucun sens dans un protestan­ tisme authentique. Un pasteur, Adolf Deisj-mann, ne craint plus dc prendre en bloc l’Évangilc, sans opposer, à la suite dc Harnack, les innovations de Paul aux prémisses dc Jésus. Le H. P. Parkes Cadman s’élève avec force contre le subjectivisme protestant et demande le retour aux éludes objectives d’un texte reconnu comme digne de cou fiance. Le luthérien Zôllner réclame nettement une transformation de la science protestante, accusée de sacrifier l’objectif au subjectif, alors que la vraie vole serait dc donner toujours plus à la sainte Ecriture sa prérogative, comme norma normans ·. ('.es voix nouvcllcsjpvuvent cl doivent jeter 907 PROTESTA XTISM E PROVERBES )c protestantisme d'aujourd'hui vers des dot hires qui rapprocheraient l'heure des grandes réconciliations. Nous ncpouvoriMlonnerlciqifune bibliographie succincte. I. Outre 1rs ouvrages cités dans le récit, on pourra consulter: I fergcnrôtlicr, Handbuch drratlgcnu inen Kirchengeschtehte, Fribourg, 1911; I’. llinncberg, l'ie christHche Religion, Leipzig. HH»6; André Bouvier, A'o/re enqur le surit.s Eglises protestantes du monde, 1925; André Paul, L'unilé chrétienne, Paris, 1930. IL E. Fonton&t, Etude sur Isssing, Paris, 1X67; W.-B. Selble. Schlticrmachcr, Londres, 1913; M. Goguel, Im théologie d'A. Litsch!, Paris, 1905. — Sur les dernières pha­ ses dc la dogmatique luthérienne : F. Smcnd, Adolf von Harnack’, Leipzig, 1927; .L Bixler, Men and tendencies in German religious thought, dans Harvard theological review, 1930; du inline. The new thcotogisms, /nun Harnack to liarlh, dans Ic limes. 11 avril 1929; Grtilzniacher, Alt und Xcuproteslanismus, Leipzig. 1020; E. Vrmiril. L I I. ils sont prêts à mourir si cela est nécessaire », Contra Beaucoup plus souvent cicorc, il arrive que de ix proverbe* dans une même collection, ou d’une collec­ Αρίοη., i. 8. Maison peut noter que la mémoire gardée tion à l’autre (cela plus rarement toutefois), coïnci­ par les docteurs du Talmud ct quelques écrivains Juifs post-talmudiques d'anciennes controverses relatives a dent pour la mod lé du distique seulement, l’autre moitié étant différente; ainsi, dans la première collec­ la valeur canonique des Proverbes montre assez clai­ tion salomonicnne : x. 2, ct χι, 1 I ; x, G ct 11 ; x. K ct rement que la décision touchant la canonlcité de ce livre ne remonte pas à une trop haute antiquité : 1(1; x, 15. cl xvm, 11; xi, 13, ct xx. 19; xi, 21. cl « Autrefois, on disait : les Proverbes... doivent être xvi, 5; Xu, I I ; xm, 2, et xvm, 20; xm. H, et xiv, 27 ; xiv, 31. et xvn, 5; xv, 33. cl xvm, 12; xvi, 12. ct cachés (déclarés apocryphe»), car ils contiennent des paraboles.... cl on résolut de les cacher. H. Xathan. xx. 28; xix. 12. ct xx, 2; xx, 10, ct xx. 23; dans la .1 both, c. i, en écho du traité Schabbath, 301* : « On vou­ deuxième : χχνι, 12, et xxix, 20; de la première â la deuxieme : x, 1, cl xxix. 3; xv, 18, cl xxix,22; xv, 23, lait... cacher le livre des Proverbes parce qu’il renferme des contradictions; mais on ne l’a pas fait... » Ces ct xxv, 11 ; xvi, 12, cl xxv, 5; xvn, 3, et xxvn, 21; • contradictions furent définitivement levées au xix, 1. cl xxviii, G; dans les « Paroles des sages : synode de Jamnia (Jabné) vers l’an 100 après Jésusxxn, 28, el xxm. 10; xxm, 17 18. ct xxiv, 19-20. En revanche, la même pensée se trouve exprimée quel­ Christ, ct le livre fut maintenu dans le canon. Elles portaient à peu près uniquement sur l’opposition appa­ quefois â différents endroits dans des tenues non tout a fait Identiques; ainsi constituent de simples twni- rente des deux passage» χχνι, t : « .Ve réponds pas à tions d’un menu proverbe : x, 1 I; xm, 3, et xiv, 3; x. l'insensé selon sa folie... ». et ibid., 5 : « Réponds à 25, et xii, 3, 7; x, 28, et xi. 7; xi. 5. et xm. 6; xi, 20; l’insensé selon sa folie... », à ramener simplement à une xii. 22, ct xv, 8; xiv, 27, ct xvi, 22; xvi. 18. ct xvm, question d’opportunité. Les docteurs juifs préférèrent rapporter I aux choses de la terre ct 5 aux choses reli­ 12; xtx. 13, et xxvn, 15; xxvm, 12, 28. cl xxix. 2. gieuse». Une autre difficulté* soulevée a propos de la Les deux collections salomonienncs x-xxn, IG. el xxv-xxix, no semblent pas avoir été ordonnées sui­ péricopc de la femme adultère, vu, 7 ct 10-13, avait vant quelque principe visant à grouper toujours des clé résolue de la même façon : le» descriptions passion­ nelles de cc passage, jugées d abord inconvenantes proverbe» de même nature ou de pensée analogue; et si les auteurs el commentateurs ont bien pu ranger pour un livre sacré comme trop réalistes ct trop sug­ gestives, furent à interpréter dans un sens purement eux-mêmes sous des titres très généra ix ces multiples maximes, cc n’a été qu’en négligeant beaucoup de allégorique. On peut soupçonner enfin que ces légères fluctuations de la tradition juive louchant la canoni­ details rebelles à l'ordonnance du plan présumé le plus naturel ct le plus logique. Cf. O. Zœcklcr. Die Sprû'he ale des Proverbes masquaient un sentiment de doute Salomons, Bielefeld, 1867, p. 29, ct II Lesêtre, Le relativement à la composition du livre dans son entier par Salonnn. vu l'étrange opinion, rapportée dan» livre des Proverbes, Paris, 1879, p. 30, cités dans B. CorIhba R ilhra, 1 Ib-15\ qui faisait d Ézéchlas et de nely, Introductio specialis in libros Vel. Test., I. n, ses aides » les auteurs des livre» d‘ haie, des Prawbes, Paris, 1887. p. 137-139. Il ti'ost même pas possible non plus d'introduire dans le long morceau des avertisse­ du Cantique et de l'Ecdésiaste. Le» chrétiens ont reçu de; Juifs le livre des Pro­ ments de la Sagesse (ι. 7-tx, 18) des divisions cl subdi­ visions rigoureuses, bien que le sujet traite soit unique verbes avec la Bible grecque, ct donc le considèrent ct «pic l'exposé se déroule d’une seule haleine du com­ comme livre canonique. Les écrivains apostoliques le citent en effet, ou expressément comme Écriture » : mencement à la lin. Aucun plan ne se remarque non Jac.. iv, G (Prov., ni, 31); Hom., in. 15 (Prov·.. ι, 16); plus dans les autres collections. Pandes des sage», Bom., χιι. 20 (Prov., xxv. 21. 22). ct comme < exhor­ xxn, 17-xxiv. 31, et d’Agur. xxx. Pour obtenir une vue générale cl complète des précepte» ct maximes tation » divine: Heb., xn. 5 (Prov., m, 11-12); ou du livre des Proverbes suivant presque chaque bran­ librement, sans formule d'introduction, à l’effet d’in­ che de la morale pratique, il faut regrouper ces pro­ culquer ù leurs lecteurs de» précoptes de morale reli­ verbes d'après leurs sujets « c i triant telle» quelles do gieuse : Il Cor., ix. 7 (Prov., xxn. 9). vin, 21 (Prov.. m. I); Luc., XIV. 10 (ITov., xxv, 6. 7); Ile’)., xn. 13 Tamis toutes ct chacune de ces perles pour les cailler en chapelet» différents ». Ce travail a clé fait en pnrll- (Prov., ιν, 26); 1 Pe»r.. n. 17 (Prov.. xxiv. 21); iv, 8 (Prov., x. 12); iv. |S (Prov.. xi. 31); v, 5 (Prov.. m. culler par B. F. Horton, The book o/ Proverbs. 1891 31); Il Petr.. n, 22 (Prov., χχνι. 11). etc. Le» premiers ( The expositor's Riblc). Pères suivent leur exemple : Burn.ibj. Kpisl., v. Clé­ III. CaxonicitiL — Lc traducteur grec de l l.celément Komain, / Cor.. 1 I. 21. 30, 56. 57; Ignace. Ad siastique témoigne indirectement l’admission déjà sec daire du Ii\ re des Proverbes au canon hébreu, lors­ Ephes.. 5; Ad Mtign . 12: Polycarpo, {d Philip., 6. Seul dans l’antiquité. Théodore de Mopsueste non qu’il loue son grand-père d’avoir voulu écrire, < lui auisi », après s’être appliqué longtemps à la lecture seulement nia l'inspiration prophétique des Pro­ verbes, Kihn, Thr » I»? non AÎoptutslla, Fribourg. 1889. de la Loi, des Prophètes cl des autres livres denos pères », p. 78. mais leur contesta toute inspiration divine, un · traité d'éducation et de sagesse ·. Il est évident au dire du concile général de Constantinople de que ce nouveau traité de morale de Jésus, fils de Sirnch, s’oppose ici au recueil de même caractère, celui des 553, qui le condamna : Proverbia... qiur ipse (Salomo) i x ses ri· iisox v ad aliorum utilitalem composuit, quum Proverbes, lu par le nouvel auteur dans la collection des hagloj.raphes (autres livres) déjà constituée pour une pnopifirriJB quidem gratiam non accepisset, prudes γι/ε vero gratiam, qua9 evidenter xi.tkra est prater illam, bonne part. Eccli., prol. Le recueil salomonien se trouve même fort probablement signalé dans ICccli., secundum S. Pauli nocent 1 Cor., XIl, 8 (per Spiritum datur sermo sapientia·). Mansi. Concit,, t. x. coi. 223. xlvii, 18 (\ il g., 17) entre le Cantique et l’EccléslâstC παροιμίαις comme émané du grand roi débor­ Cf. Ren. bibi.. 1929. p. 389-390. dant d'intelligence céleste ». Cf. xxiv, 23 27, ?t Spinoza, Tractatus theologico pditicus, 1670. c. n, III Bcg., m, 9. 11-12. On peut aussi être assuré quo ρ. 15, I Jean Le Clere, Sentiments de quelques théologiens Josèphc comptait les Proverbes nu nombre des · qua- I de Hollande, Amsterdam. 1685, lettre xn. ont repris tre hymnes et prescriptions morales» qu'il ajoutait aux celte opinion. Les Proverbes de Salomon ne sont nulle­ < inq livres de .Moïse el aux treize* livres des prophètes I ment inspirés, attendu que particulièrement suix ant pour parfaire la somme des vingt-deux livres conte- | Jean Lc ('.1ère · dis senfences do ct genre ont pu être 915 PROVERBES LIVRE DES. COMPOSITION formulées sans l'inspiration, par n’importe qui; qu’on y trouve nombre de proverbes populaires et de sens commun qui n’ont rien de divin; qu’on y lit beaucoup de conseils d'économie domestique que des servantes et des campagnards entendent sans aucune révéla­ tion; qu’on en aurait pu mémo émet Ire de meilleurs sans une gràco de l’Esprit-Saint, cl que c’est bien peu estimer l’esprit de prophétie que do lui en attribuer de teh; bien plus, nombre d’entre eux blessent la charité évangélique, car, si les marchands de notre époquocon­ naissent aussi bien que ceux du temps de Salomon l.i règle de ne cautionner point autrui à l’aveuglette, vi. I; xxn, 26; xxvn, 13. il peut se faire qu’à l’économie soit à préférer la charité, comme il appert de la para­ bole du Samaritain, qui, mû par la charité, cautionna lo Juif laissé pour mort sur le chemin. A ce compte, répondait Richard Simon, Réponse aux sentiments de quelques théologiens de Hollande. Rotterdam. 1686, c. xtiî, devrait péricliter aussi l’inspiration de beau­ coup d'autres livres bibliques, car ils contiennent bien dei choses dont la connaissance ne nécessitait point l'inspirât ion. Mais autre chose est l’inspiration et autre chose la révélation : l’inspiration d’un livre ne doit pas être déduite de son contenu, mais de la révé­ lation divine elle-même à nous certainement mani­ festée *. D’autre part, on ne voit pas quel antagonisme existerait entre le précepte d’éviter de donner une caution imprudente cl celui de la charité : quiconque agit suivant la charité n’agit pas à l'aveuglette ou imprudemment. Voir col. 923 au bas. Texte el versions (conclusions). IV. Composition', a fit γη ht date. 1q Compo­ sition. Le livre des Proverbes sc présente ά nous comme un recueil do collections de maximes ou sen­ tences morales auquel sc trouve préfixée une longue introduction : poème suivi faisant l’éloge de la Sagesse dont sont remplis les proverbes eux-mêmes, i, 7-ix. S'échappe à cette catégorie que le morceau final. XXXI. 10-31, de la « Pomme forte », lequel est un poème alphabétique d’une seule venue et d’un seul sujet. Entre les deux collections des maximes de Salomon . x-xxiî. 16. et xxv-xxix. qui forment présentement le corps do l’ouvrage, l’auteur de l’introduction parait bien avoir intercalé, moyennant un court préambule tout a fait de son style, xxn, 17-21. deux petites séries de « Paroles des sages . xxn, 17-xxiv, 22. et xxn. 23-31, dont une partie, xxn. 17-xxm, 11, semble avoir été sinon tout â fait empruntée, du moins verba­ lement imitée - préambule cl maximes du livre égyptien (texte hiératique) des Maximes d9 Amenémope, du début du premier millénaire avant Jésus Christ. (a livn de* Maxime* d'Ammrmopr contient, distribuées < n trente chapitres toute sorte de maximes de bonne vie rolllieuse, monde et philanthropique. Les points de contact avec la première série des Paroles des sages sont les sui­ vants : Un., ni,‘1-10. et Prov.. xxn. 17; Am., ni. II. 16. et Prov,. xxn. IM; Am., xxvn. 7-8, rt Prov.. xxn. 20; Am., i, 3*6, cl Prov., xxn. 21; Am., iv, I. 5. et Prov.. xxn, 22; Am.. xi. 13. I I, rt Prov.. xxn. 2Γ, Am., XI. 16, 17. cl Prov., xxn, 25; \ni.. vni. 9. 10, et Prov.. xxn. 28; Am., xx\ n. 16. 17, rt Prov.. xxn. 29; \m.. xxiii, 13-18, et Pros'., xxm. 1-3; \m.. ix. 10. 1 I. 16, cl Prov., xxm. I; Am., ix. 19; x, I, 3, et Pros., χχηι. 5; Am . xiv. 3, 6. et Prov., xxm. 6; Un . xiv. 7-10, rt Prov.. xxm. 7; Am., xiv, 17. 18, rt Pro· ., xxm, 8; Am., xxn. 11. 12, et Prov.. xxm, 9; Am., vit. 12; mu. 9. « l Prov.. xxm, 10; Un., vu. 19; vm. 10, et Prov.. xxm. II. Beaucoup de ces rapprochements hilts de plant». ou Institues grâce ü rapport du texte (1rs Septante, cornirant rt rétablissant le texte hébreu plus ou moins al tvn- dans h· détail, sont frappants. Fait sivnitlcatif. le rapport idéal et verbal entre la série des proverbes xxn. 17xxin. 11, et l<’·» Maximes d* A mm?map* cesse brusquement ♦sec Prov., xxm, 12; rt il est impossible de relever dans tout le reste du lis rr hébreu d’autre rapport. Idéal et verbal 91G â lu fois, avec ces ΛΛ/xnnr.s. D’n litre part, des quatre ver» h de la série non représentés dans le texte d’Amrnriiiopr. xxn, 19. 23. 26 et 27, deux', 19 et 23, ne peuvent être consi­ dères comme rompant ou désagrégeant le petit bloc des emprunts sciemment faits mi livre égyptien, n’étant que h signature même de l'emprunteur Israelite, par leur carac­ tère essentiellement jnhvisle; 1rs deux mitres. 26 et 27.uns analogues non plus dans Unencmopc, rt ne constituant qu’une seule maxime (celle du cautionnement hnprudrmment engagé), ont bien pu exister dans une recension lüératique dilîrrenlc de celle que nous possédons ou venir de quelque autre collection égyptienne ou même Israelite. Ihi reste, railleur hébreu adapte manifestement ccs emprunts faits â la sagesse égyptienne Λ la pensée rt nu st\le hébraï­ ques. par suppression, condensation rt remaniements de détail. P. Humbert, Recherches sur les sources égyptiennes de la littérature sapientiale d* Israël. Neuchâtel. 1929, p. >.11, donne la bibliographie des plus Intéressants travaux sur h question, depuis 1921, ou Fcinpnint fut signalé pour la pre­ mière fois par Emian. A. Mallon. La sagesse de Γ Égyptien Amen-rm-upe rt les Proverbes dt Salomon, dans IJiblicn, Rome, 1927, p. 3-30, admet la relation intime entre 1rs passages des Proverbes et l’écrit égyptien. G. Ijunbcrt, De /antibus leggptiacis Librorum \apicnlialium. dans Vrrl>u/n domini, Rome, 1931, p. 121-128, recommande la plitsgrende prudence â ce sujet. A. Vnccari, De libris didaeticisfInstita· lionr\ blblicar >, 1929. p. 55, admet lui aussi une grande rcUtion, mais indirecte, entre les deux écrits, lesquels dépen­ draient alors d’une source commune très vndscnihlableinent hébraïque. En 1929. E. Dhonnc, dans la Revue bibll· que, p, 622-621, niait tout emprunt : r A peine une influence indirecte, parce que Fauteur des Proverbes aime â consulter la sagesse des peuples. · Voir également Diet, apnlog.. fasc. 22, 1927, col. 1209-1210 : · Dans ce cas. il vaut mieux parler d’imitation que d’einpnint...; la connaissance que l’écrivain hébreu a eue des maximes du sage égyptien n pu n’etre qu'indirecte ou puisée â une source commune. » (A. Vnccari, foc. cil.) J. Renié, Manuel , xxin, l2-xxtv,22, l·· série, comprendrait même encore trois autres petits g -oupos de maximes, introduits chacun par une courte phrase d’alhire générale et parénétique ; χχπι, 12-18, introduit par 12 : Applicpie ton cœur â l’instruction (qui suit) >; xxîii, 19-25. introduit par 19 : «Écoute, mon fils, et sois sage >; xxin, 26-xxiv, 22. introduit par 26 : ♦ Mon fils, donne-moi ton cœur (ton atten­ tion). P. Humbert, op. cil., p. 28. Quant â la collec­ tion xxrv. 23-21. elle constitue, avec son préambule: Ce (fui suit vient encore des sages », jusqu’à la deuxieme collection salomoniennc, commo un cin­ quième groupe des susdites séries intercalaires. Les Paroles d’Agur, fils de Jaqô % XXX, et les Paroles du roi Lemuel », xxxt, 1-9. terminent le livre ou recueil de collection de maximes; et ces deux groupes peuvent également avoir été adjoints à l’en­ semble par l’auteur même de l’introduction sur la sa­ gesse. Le premier parait toutefois constitué par deux séries encore de maximes, xxx. 1-10, 32-33, formulées au discours direct, et xxx. 11-31 (sauf 17), distinctes des précédentes par leur caractère particulier de pro­ verbes numériques et insérées eu groupe compact au milieu des paroles d’Agur proprement dites : les ver­ sets 32-33 rejoignent en clfet naturellement, comme pnrénétiques. les versets 1 10 lorsqu’on fait abstrac­ tion des énigmes 11-31 (sauf 17). L'adjonction de ccs diverses petites collections de maximes voire d’énigmes, parait avoir été Intention­ nellement annoncée parle compilateur et préfacier du livre dans son préambule, ou prologue général, conti­ nuant h titre, i, 5 6 ; Que le ago écoute..., Π com­ prend! a le proverbes et les sens msstérieux, les maxi­ mes des sages et leurs énigmes. > Des deux grandes collections de Maximes de Salomon . Et premiere, x, l-χχπ, t6, i pas dû avoir été format nécessairement avant la < onde, xxv-xxtx, attrib uêc lux hommes d’Ézéchla î cette dernière 917 t P lui VE B B ES LIVBE 1>ES dut être admise au grand recueil après l'autre : Voici encore des maximes de Salomon... * xxv, 1 Le compi­ lateur eut connaissance d'abord do la première, et peut-être l’a-t-il réunie lui-même, tandis quo la se­ conde existait déjà dans sa forme cl sa teneur actucLet, ou bien attendant son tour do venir à la lumière, ou bien déjà connue mais réservée pour compléter en temps voulu la première et les petites séries des « Paroles des sages ». L'auteur et préfacier du recueil entier des collée- i lions de proverbes ou maximes n’a pas été l'auteur dt.s proverbes eux-mêmes : il le marqua clairement en indi­ quant, après l’introduction composée par lui. le ou les auteurs présumés des maximes de chaque collection : x, 1 : « Proverbes de Salomon »; xxn. 17 : Ecoute les paroles dos sages »; xxv, 1 : Encore des proverbes de Salomon... », etc. 11 ne se donne même pas pour Salo­ mon lui-même : après avoir écrit le titre si long du recueil où il veut présenter au lecteur des Proverbes de Salomon, Ills de David, roi d'Israël , i. 1-7, l’auteur du livre se laisse aller à recommander plus longuement encore la sagesse qu’ils renferment concurremment avec ceux des < sages », i. 5, et, cc long invitatoirc enfin terminé, il so voit obligé d’écrire de nouveau, x. 1 : « Proverbes de Salomon »; c’est donc qu’il distingue essentiellement ces proverbes royaux de ceux qu’il a pu formuler pour sa part dans la préface qu’il s’est complu longtemps à élaborer et à écrire: autrement dit, qu’il n’est pas Salomon lui-même, auteur de ccs proverbes. Bien qu’il manque dans les Septante et dans la version syriaque, ce titre en reprise ne peut cire traité de surérogatoirc ou de superflu. Comely. Introductio..., 2« éd., l. n, p. 1 13. Par ailleurs, le st vie et la composition de l’introduction sonl si différents de ceux des proverbes proprement dits, qu’ils trahissent la diversité d’auteur, et ils s’apparentent de si près à ceux des «Paroles des sages», tout au moins dans leur première grande série intercalaire, xxn. 17-xxtv, 22. que ces dernières pourraient être considérées sans trop de hardiesse comme un épilogue au livre des Proverbe s de Salomon d'abord restreint dans l’intention de l’édi leur â la première grande collection x-xxir, 16, enca­ drée de la double parénèse t-ix el xxn. 17-xxiv, 22. Bossuet l’a bien compris : Commendatio sapientia· lus tribus versibus (xxn, 17-19) indicat epilogum praceden­ tium... I 'nde stylus postea aliquanto diversus, supra, singula sententia· singulis versibus promebantur : har mugis coherent, et ad lectorem quem « filium · vocat sermo dirigitur usque ad XXIV, 23 qui stylus propior dii novem priorum capitum. Libri Salomonis..., Paris. 1693. ad loc. Ainsi, Ia « crainte de Jahvé » fermait le discours exhortaloire. xxiv, 21. comme clic l’avait ouvert, i. 7. El la formule de la composition du livre des Proverbes la plus proche de la vérité serait peutêtre la suivante : un écrivain juif poslsalomonien enve­ loppe un groupe considérable de maximes proverbiales attribuées au roi magnifique, x. 1-xxn. 16, dans un eloge de la sagesse, dont la racine esl la « crainte de Jahvé », i-ix el xxn. 17-xxiv, 22, éloge tiré comme de son propre fonds cl des dires des - sages »;puis. au livre non modifié dans son ordonnance première, ajoute successis ement d'autres · Paroles dos sages », xxtv.2331, d'autres proverbes de Salomon, xxv-xxix, les • Paroles d’Agur », xxx, celles du < roi Lemuel », xxxi, 1-9, le poème de la < Femme forte », xxxi. 10-31. La traduction alexandrine du livre (Septante) témoi­ gne en quelque façon de ce processus;car les transposi­ tions de morceaux ou do groupes do proverbes qu’elle a trouvées dans son texte hébreu ne dépassaient pas le domaine des additions faites au bloc principal el Ini­ tial de i-xxiv, 22, celui-ci intangible parce qu’il avait existé un temps bien ramassé sur lui-même et pour lui seul. \l TE U H 918 2*> Λ’auteur du noyau central. La tradition scrip­ turaire el patriotique attribue à bon escient au roi Salomon tout au moins la composition des pre ver­ bes » inclus dans les deux collections x-xxn, 16. et xxv-xxîx. Les titres donnés à ccs collections ne sont pas en effet indignes de créance, très anciens qu’ils sont cl apposés par l'auteur do tout le recueil avec autant de clarté cl de simplicité que 1rs autres litres relatifs aux sages, à Agur, à Lemuel : ricn d’autre que la nécessité d’être sincère et véridique n'empêchait cet auteur d’attribuer aussi à Salomon les proverbes mb sous le nom de ccs divers personnages. L'abréviateur des livres des Bois parait connaître déjà des recueils de maximes salomoniennes qu’il mettait au-dessus d'œuvres similaires ducs aux sages orientaux et par­ ticulièrement aux Égyptiens. HI Reg., v, 10-11. Ces derniers lisaient depuis des siècles des livres de maxi­ mes de caractère religieux, moral cl social, composés par quelques-uns de leurs rois ou de leurs princes. Salomon put les lire également â une époque où les relations extrêmement fréquentes depuis des millé­ naires de l’Egypte ascc les côtes et même le hinter­ land palestiniens ne s’étaient pas encore ralenties. N’avait-il pas épousé, du reste, une princesse égyp­ tienne, « fille du pharaon »? Ill Beg., in, 1 ; tx. 17. 24. Que scs « proverbes » composes a l’exemple des princes égyptiens, aient été après lui groupés de façons différentes el se soient même perdus pour le plus grand nombre; que, dans chacun des groupes conservés à la postérité, quelques-uns de ces pros erbes aient élé omis, ou qu’il en ail été ajouté quelques-uns dans des recen­ sions diverses cl successives; que leur texte, dans la suite des siècles postérieurs à leur composition pre­ mière, ail subi quelques changements et se soit même plus ou moins imprégné d’araméismes, rien de tout cela ne sulht à faire douter de leur authenticité. C’est là une série de vicissitudes auxquelles ne poux aient échapper des textes anciens, lout d'abord sans doute transmis oralement (Salomon prononça les trois mille maxi­ mes que lui attribue le Iîxtc des Bois. III Rcg.. v, 12) et consignés par écrit â un certain nombre d’années peut-être d'intervalle, comme il est arrivé, par exem­ ple, des maximes de !’Egyptien Ptahholep. vizir d'un des rois de la Ve dynastie (antérieure â l’an 2000). dont les manuscrits portent des divergences assez considé­ rables, sans que l’on puisse douter néanmoins de leur haute antiquité. Les · hommes d’Ezéchias », auxquels nous devons la deuxième collection des proserbes salomonicns. com­ prenaient et parlaient à l’occasion l’aramécn, langue encore étrangère à la masse du peuple hébreu à cette époque, l\ Beg.. χνιπ. 26 : quelques mots ou expres­ sions de ce langage étranger, destiné à supplanter tota­ lement l’hebreu.ont dû presque nvcessaircnicnl pren­ dre la place des vocables ou tournures propres a la langue originale au cours des transcriptions multiples effectuées depuis l’Jge de Salomon. Pour dénier â Salomon la composition de ses pro­ verbes. on a cru pouvoir arguer de ce (ail qu’en aucun endroit ils ne s’élèvent, ù l’instar des discours des pro­ phètes preexiliens, contre le polythéisme à quoi sc trouvèrent si enclins les Israélites sous les rois, ce qu’ils auraient dû faire assurément s’ils avaient été écrits au temps des premiers prophètes tels que Na­ than et Ahia. Ill Beg., i, 32, 38; xi. 29-39; xn, 15; xrv, 2. Or, il esl à remarquer que jamais peut-être, sauf dès après l’exil, les Israélites ne furent plus ar­ dents monothéistes, plus exclusivement jahvistcs que sous les rois David et Salomon, à l’exemple de ceux-ci : « le roi et tout Israël » s’unissaient alors pour honorer Jahvé, 111 Beg., m, 7; vin, 1-3; ιχ. 62. 65-66, à l'ex­ clusion de toute autre divinité. Salomon ne toléra qu’ au temps de sa vieillesse · le culte des dieux 919 PROVERBES (LIVRE DES). TEXTE étrangers, et à cet elTet ne retira même à celui (h* Jahvé qu'une partie de son cœur ». III Beg.. xr. I. Les proverbes avaient été pour lui œuvre de jeu­ nesse et d'âge mûr. Ibid,, v. 9-1 I; νπ, 1 ; x, 1-13. Il ne pouvait alors songer A combattre un polythéisme qui n'existait plus qu’en souvenir, les baals cananéens ayant été proscrits pour un temps par les efforts con­ jugués ou successifs de Samuel, de Saûl et do David. Salomon fut un < sage tel qu’il en existait certai­ nement à son époque chez les Orientaux ct en Égypte, témoin Anicncmopo (voir plus haut), et capable en cette qualité de composer des maximes proverbiales. Lui refuser ce caractère sous le prétexte que les pro­ phètes préexiliens ne connaissaient point de « sages » ni de sagesse » du genre supposé par les proverbes, ct que les s iges ou la sagesse dont ils parlent ne sont on réalité que les faux prophètes cl leurs fausses prédic­ tions, ls.. xxix, 1 I. les scribes menteurs adultérant la Loi, Jcr., vin. 8-9. c'est oublier que les prophètes des temps davidique et salomonien. conseillers dos rois, par leur caractère et leur action, tenaient beaucoup plus du taçr que du prophète : Nathan, Il Beg.. vu. etc.. Gad, ibid., xxiv, 11 sq.. Seinaïa, III Bcg., xn. 22 sq.. même Ahia do Silo. ibid., xî, 29, parlaient plutôt do sens rassis, et le premier surtout dans lo genre gnomlquc du malal parabolique. Il Bcg., xn, I sq. 3° L'auteur de la collection. — Bien, au fond, n’empêchc d’attribuer à Salomon lui-même la composition de la masse des proverbes renfermés dans les deux collections qui portent son nom. Bien dans ces pro­ verbes mêmes qui accuse nécessairement un autre lan­ gage ou qui révèle un autre milieu social quo ceux do l’époque des premiers rois. Il n’en est pas ainsi du long prologue ct de l’épilogue entre lesquels se trouve encla­ vée la première de ces collections. Ici, rédftcur use d’un style tout â fait différent de celui des collections xalomonicnncs : ce ne sont plus des aphorismes indé­ pendants l’un de l'autre, serrés en un vers de deux membres parallèles, mais d'amples ct majestueuses périodes qui exhortent tout autant qu’elles affirment ou prescrivent: et il peint dans ses leçons la société fortement agitée d’une époque de troubles politiques ct do décomposition morale, telle que celle des derniers temps de la domination porsano cl des siècles de l’op­ pression hellénique : les violents ct les impies opposés aux humbles et aux fidèles â la crainte de Jahvé, i, 10 sq., 22 sq.; n, 12 sq.; m, 31 sq.; iv, 1 I sq., etc.; xxii. 22 23; xxiv, 1-2, 11-12. 19-20; les mauvaises mœurs introduites par les femmes étrangères, n. 10 sq.; v, 3 sq., 15 sq.; vi, 2 I sq.. etc.; xxm. 26-28; la paresse. | νι. 6-11; xxiv, 30-31; la gourmandise, xxm, 19-21; J’ivrogncri ·. xxm, 29-35... San* doute trouve-t-on dans les proverbes salomonicns un blâme sévère de toutes ces impiétés, perversités cl injustices; mais cc blâme est bref, comme il convient à une époque où l’homme injuste, impie el pervers dans le sens indiqué n’est qu’uno exception individuelle dans une masse de valeur cl de vertu moyennes, qu’il n’est point néces­ saire encore de ramener â la sagesse à grand renfort d'objurgations ct de vives peintures propres à éloigner ou à détourner du vice, de l’irréligion ou de le violence. Quant aux trois appendices des · Paroles d’Agur », des Paroles du roi Lemuel » et de la Femme forte >. 11 est a peu près impossible d’en déterminer l’auteur et la dale. Les Paroles d’Agur-, dans leur partie paré nélique, xxx. 1-10. 17. 32-33. proverbes d’un » sage > réputé, bien qu'homme privé d'origine ismaélite, juif peut-être de race, ct ainsi demi-étranger dans la société judéenne de» v-iv* siècles, paraissent emprein­ tes d’un certain pessimisme que nous ne retrouvons plus que dans l’Ecrit shistc (conip. xxx. 1-1. cl Ecd.,1ijî ct iv, 1-D. Fortement nramehantes du point <1· vue ET AERSIONS 920 du vocabulaire et du style, les Paroles du roi Lemuel » trahissent également leur origine étrangère, vraisem­ blablement le pays montagneux de Séfr, colonisé de­ puis le temps d’Ézéchias par des Israélites essaimes de la tribu de Simeon. I Par., iv, 11-12. Le poème de la Femme forte .dont l’alphabétisme indique une assez basse époque, a bien pu être composé par le compila­ teur du livre pour faire contraste avec le portrait de la femme étrangère, ou adultère, si souvent esquissé dans l'introduction, n, 16-19; v. 3-20; νι, 21-29; vu, 16-27; comme au banquet de la Sagesse il avait opposé celui de la Folie, ix. 13-LS. La lin de cc morceau. 3Ûb : · La femme qui craint Jahvé est celle qui sera louée... » l’assimile aussi à toute la première partie du livre, î, 7xxiv, 22. introduction, premiere collection salomonlcnno et épilogue, dont le loit motiv parait bien avoir été celui do la < crainte de Jahvé >, tout â fait inconnu, ou pour le moins absent des sections intercalaires ou supplémentaires des < autres paroles des sages », xxi v, 23-2-1. des proverbes de Salomon reçut illis par les gens d’Ézéchias, xxv-xxix, des paroles d’Agur, xxx, el de celles du roi Lemuel, xxxi, 1-9. La rédaction de l’ensemble du livre des Proverbes pourrait alors se placer au cours du iv« siècle avant notre ère, vers l’an 350. (L’était l’opinion de dom Calmet, qui s’arrêtait au temps d’Esdras ou de < ceux qui révisèrent les Livres sacrés après la captivité de Baby­ lone ct qui les mirent en l’étal où nous les avons >. Une date plus tardive que celle de l’crc persane, à savoir celle des débuts de l’influence grecque en Palestine, vers 300, s’imposerait toutefois s’il fallait voir dans la femme étrangère » de l’introduction, dont tout bon Israélite doit sc garder, la culture grccquo elle-même (Clément d’Alexandrie, Slrom.. 1. I. c. v, P. (i.t t. vm. col. 717), contre laquelle s’insurgeront plus tard les Macchabées. Il ne semble pas qu’il soit nécessaire do descendre plus bas. Cf. X'igouroux, Diet, de ta lliblc, t. v. 1912, col. 787 789â V. Texte et vr.usions. — 1° Texte. — Le livre dans toutes scs parties a été écrit en hébreu, sous forme poé­ tique. L’hébreu est celui de la période classique et n’offre que quelques mots uniques ou rarement em­ ployés dans les autres livres de la Bible hébraïque. Les araméismes y sont aussi relativement rares, sauf dans les · Paroles d’Agur » et surtout dans celles < du roi Lemuel . Cc texte a souffert plus d’un dommage dans sa transcrlption. comine le montrent déjà les corrections marginales de la Massore, qui en général proposent de meilleures leçons en d'assez nombreux passages. Les manuscrits offrent de même quelques leçons préférables à celles du texte massorétique officiel, et cela en accord avec une ou plusieurs des versions grecque, arainéennc ou Vulgate, vm, 16; xr, 25;xn. 28. Ces mêmes versions autorisent également plusieurs amendements avanta­ geux dans les passages m, 8; vm. 36; ix, 1 ; x, 21 ; xvi, 11; xvm, 22. CL Kaulen-lloberg, Einteitung in die hetilge Schri/I. IF part.. J ribonrg-en-B., 1913, p. 169. Éditions critiques : S. Bncr cl F. Delitzsch, Liber Prover biorum. Leipzig, 1880; G. Becr, Proœrbla. dans Biblia /icbrcitni, <·), vient de l’une ou de l’autre de ces traductions. Kaulen-Hobcrg, loc. cit. Il faut observer pourtant qu’en quelques endroits ces additions du grec au texte hébreu ne sont qu’appa­ rentes et qu’elles ont en réalité traduit quelque élément de ce texte aujourd’hui tombé ct disparu (ainsi du distique actuel xi, 16, dont les membres ne sont parallèles que par une sorte d’artifice ct reçoivent cha­ cun, dans le grec, leur antithèse naturelle). D’autre part, il sc trouve, dans le texte reçu des Sep­ tante, quelques omissions qui peuvent être énumérées comme il suit dans leur totalité : manquent 1. 16; iv, 5Λ; iv. 7; vn.25b; vm,29ab;32b et 33; xi. I; xm,6; xv, 31; XVI. 1-3, 6-9: xmi, 19b; xvin, 8, 23-21; xîx. 1-2; xx. 11-19; xxi. 5 et 18b; xxn. G; xxm. 23;\xv, I 9a. 19 (incomplet). Des transpositions de proverbes sc remarquent enfin dans la première collection salomoniennc : xvi. 1, ! est placé après 5; xvi, 6, entre xv, 27 ct 28; xm. 7. entre xv, 28 et 29; xm, 8-9. entre xv, 29-30; xx. 20-22, entre 9 ct 10; et. après cette première collection, les groupes supplémentaires sc succèdent jusqu’à la fin du livre dans l’ordre suivant : xxn, 17-xxiv, 22, paro­ les des sages;xxx, l-l I, < Paroles d’Agur » (lr* partie); xxiv, 23-21. autres paroles des sages; xxx. 15-33. < Paroles d’Agur » (2* partie); xxxi, 1-9, «Paroles du roi Lemuel >; xxv-xxix. deuxième collection salomo lienne; xxxi, 10-31, poème de la « Femme forte ». b ) Vulgate latine. — Elle est l’œuvre de saint Jérôme qui la ΠΙ en 398. cf. Pnrf. in libros Salomonis, P. I... t xxvm. col. 1211. et l'adressa aux évêques Chromucv d’Aquiléc ct Heliodore d’Altino. Cette version s’écarte de l’hébreu en plus de cinquante passages. On n'en peut conclure toutefois que le texte traduit par le soli­ taire de Bethléem différait beaucoup, dans ces pas, sages, du texte massorétique actuel; car c’est en trois jours seulement que fut exécutée l’< Interprétation » des trois écrits salomonlens, Prov., Cant, ct Eccl. : tridui opus nomini vestro consecravi, interpretationem videli­ cet trium Salomonis voluminum; ct ccttc hâte excessive peut expliquer mainte lecture inexacte, ou même tout a fait fausse, du texte original. En deux endroits seu­ lement la Vulgate hiéronymlenne renferme de courtes additions qui lui soient propres, c’est-à-dire qui n’aient point leurs correspondantes ni dans l’hébreu ni dans In version des Septante : c’est xiv, 2tb:çui credit m Domino, misericordiam diligit, et xv, 26 : firmabitur 923 PROVERBES (LIVRE DES). TEXTE nè eo (purus sermo). On y trouve environ un tiers seu­ lement des additions des Septante : iv, 27b; v, 2b; vi, 1 lb; x, (b; xn, llb; xin, 13b; xiv, 15b; xv, 5b; XVI, 5b; xvn, 16b; xvni, 8b; xvin, 22b; xxn, 9b; xxv, ΙΟ1» et 20b; xxvn, 2ib; xxix, 27b. Des critiques en ont conclu que, dans sa traduction, saint Jérôme avait subi l’influence de la version grecque par l’intermé­ diaire de l’ancienne version latine faite, comme on sait, sur des textes grecs. Cette conclusion est loin d'être assurée, car, dnns les meilleurs des anciens manuscrits de la Vulgate qui paraissent avoir gardé le mieux, au moins dans les Proverbes, le texte hiéronymicn, ne se trouvent pas ces additions. Ces manuscrits sont ceux des Bibles espagnoles, qui nous ont transmis en maints et maints passages le texte très pur transcrit sous 1er» yeux mêmes de saint Jérôme parles scribes de Licinius Détiens, évêque d'Andalousie, et ami du saint doc­ teur pour leur maître. Le Codex Toletanus (vin· siècle). Bible sévillanv, n’a pas les treize dernières de ces addi­ tions; il n'a meme pas les deux additions xiv, 21b et xv, 26, in fine, propres â la Vulgate (collation Paloinarès, P. L., t. xxix, col. 973-978). S’il admet les quatre premières, son témoignage est infirmé par celui des autres bibles de même origine. Codex Cavensis (vnrix· siècle); Corn'd, (première Bible d’Alcala. ixesiècle); Bibl. nat., // 553 (Bible de Saint-Germain, ix· siècle); Bible de Théodulfe (Bibl. nat., 9380, νπι·-ΐχ· siècle), qui n’ont pas ces interpolations ou qui les ont cxponcl liées de première main. 2. Version dérivée : l'ancienne latine. — Nous n’avons que quelques rares débris de la version latine des Pro­ verbes faite sur le grec : fragments sur un palimpseste à la Bibliothèque impériale de Vienne, n. 954, publics par Vogel, Hcilrâgc zur Hersttilling der alien lateinischcn Ilibcl-Vcbcrsctzung, Vienne, 1868, et sur deux feuillets egalement palimpsestes au monastère de Saint-Paul, Lavanthal (Carinthiv) publiés par Moon. De libris palimpsestis, Carlsruhc, 1855. Des extraits de ! celte ancienne version ont été découverts dans le ms. n. 11 de la bibliothèque conventuelle de SaintGall, vin* siècle, de la p. 217 à la p. 222. Ces extraits sont groupés sous des litres généraux selon leurs affinités particulières, par deux ou trois proverbes ou éléments de proverbes — parfois un seul proverbe, nu même un seul membre constituent l'extrait (ainsi : De fratribus, xvni, 19: De morte cl vita, xvm, 21®; De falso teste, xix, 5®...); en revanche, la série xxx, 21-23,24-28, 29-31 ; xxxi, 1-5. sc trouve intitulée Quod pertrea (tria) moretur terra, d’après le premier élément, xxx, 21®, lequel ne s’applique cn réalité qu’au premier groupe. 21-23. Sauf cn deux ou trois leçons, cette trentaine de proverbes choisis pour l’instruction ou Γ édification des moines, sont des décalques latins du grec des Septante. Ce latin est celui des citations des Pères des n* et v· siè­ cles. témoins des versions anciennes appartenant au groupe dit « italien ». Les additions de proverbes passées des Septante dans la Vulgate hiéronymlcnne voir plus haut — sont à considérer également comme des frag­ ments de version latine ancienne, et il en doit être de même des autres additions restées dans les marges seu­ lement des anciennes Bibles d’origine espagnole (voir aussi plus haut) et non insérées dans la Vulgate lors de l'unilication du texte de cette version dans la Bible de l'université de Paris, la nôtre encore aujourd’hui dans kcs principaux traits. Quelques conclusions de portée théologique sc déga­ gent de tous ces menus faits intéressant le texte origi­ nal ou les versions du livre des Proverbes. Il appert d'abord que le texte hébreu sur lequel saint Jérôme exécuta sa version latine vulgate de ce livre ne dilTérait qu’en très peu de details de l’hébreu massorétique ictucl. I nc tradition bien caractérisée ayant maintenu longtemps pure île toute surcharge la fidèle ET VERSIONS 92 4 image de ce texte transmis par la Synagogue, tel qur l'avait constitué l’école juive de Tibériade, après l’avoir dépouillé déjà peut-être des additions posthumes dont témoignent les Septante, c’est ce texte qui doit être tenu pour inspiré et canonique, encore que le concile de Trente ait déclaré · authentique » l'édition latine hiéronymicnnc surchargée et interpolée qui avait cours alors depuis quelques siècles dans l’Église. · Authen­ tiques > cependant, et « non à rejeter, dans les leçons, discussions, prédications cl expositions publiques a,les interpolations, dans la Vulgate, de pro verbes venus des Septante par l'intermédiaire îles anciennes versions latines et dont le corpus (ils sont dix-sept) équivaut n un chapitre — voire à un psaume — de moyenne dimension, puisque l’édition ollicielle de la Bible sixtoclémentine les renferme. Quant aux additions des Sep­ tante elles-mêmes, passées ou non dans la Vulgati* hiéronymlcnne — et elles sont au nombre d’environ cinquante-trois - leur caractère adventice par rap­ port au texte hébreu canonique représenté actuelle­ ment par la Afassure et la Vulgate pure de toute inter­ polation, ne peut les empêcher d'être authentiques cl même inspirées el canoniques, ayant été reçues dans le Velus fjrircuni Tcstanicnturn juxta Septuaginta recogni­ tum de Sixte-Quint, avec mandat d’y rester sous peine d’encourir l’indignation Dei omnipotentis bealorumqut apostolorum Petri et Paali; et l’on pourrait les considé­ rer comme autant de petits morceaux deutérocanoniqtics. Les omissions des Septante dans le texte reçu de l’édition sixtine peuvent être suppléées d’après d’an­ ciens manuscrits — Γ Alexandrinus cn particulier — pour une bonne part, comme cn suppléèrent quelquesunes les éditions d’AIdc Manure et de la Polyglotte d’Alcala. Une, xvn, 19b, se trouve rétablie par les ver­ sions de Symmaque et de l’héodotion (Ilexaples). Les scellés romaines extraites des manuscrit s consultés pour l’édition de Sixte-Quint cn restituent aussi plusieurs: xx. 1 1-19; xxi. 5; xxi. 6. Ces omissions étalent sans doute propres au manuscrit Vaticanus sur la base du­ quel fut faite l’édition. On ne peut affirmer toutefois que les supplements ainsi fournis par ces sources diverses jouissent des mêmes prérogatives que les additions officiellement admises des Septante ou de la Vulgate, pour l'inspiration, la canonicité, rauthenticité doctrinale. On pourra trouver toutes les additions mix Proverbes des Septante et de la Yulgntc signalées cn traduction française, ainsi que toutes les autres divergences, dans / ci sainte UiMe, traduction d'tiprh tes textes originaux, par l'abbé A. Crampon (<•<1. révisée h Parls-Touniai-Hoinc. 1923. p. 803-8-17, dans 1rs notes. De même, les suppléances cn langue grcc<|iie aux omissions des Septante dans l'édition sixtine, d'après les sources ctalcssus indiquées, au bas des p. -161-17’’ du V'rtu.i Tc^tainriition gnreum de Jager. Paris, 1810. Les extraits des Proverbes dans lu version latine ancienne, du ms. n. Il dr la blbliothècpie conventuelle de Saint-(»all. ont été cités d’après l'édition dr S. Berger, dans Notice dr quel­ ques textes latins inMÎts dr TAncirn Testament, Paris. 1893, p. 23-23, et les leçons des Bibles espagnoles relatées d’après l'ouvrage du int-riie auteur. Histoire de ta Vulgate pendant les premiers siècles du Moyen Age, Nancy, 1893, p. 63-66, 105106, 135 s(|., 168 sq. Panni les Interpolations de seconde main que signale particulièrement cet auteur comme écrites dans les marges de quelques-unes de ces Bibles, nous men­ tionnerons comme étant d'intérêt doctrinal et tout h fnlt uniques (manquant même dans les Septante) 1rs deux sui­ vantes : ix, |8, qui adplicabitur ilti (stultitirc) descendet ad inferos, nain qui descesserit ab ea salvabitur, cl xix, 23, Nurn qui %inr timoré (Dei) est habitat in lacis quoe non uhitat Jztern us. VI. CAiiACTriiiE ηκυαιεσχ et moral. — La J « sagesse », dans le livre des Proverbes, est nffalre de morale religieuse. Elle est comme une création de Dieu i en faveur des hommes, un don. un présent qu’il leur a 925 PHOVEBBES (LIVRE DES). ENSEIGNEMENTS destiné dès avant hi création du monde lui-même, une qualité de l’ordre moral qu’ils doivent toutefois s’efforcer d’acquérir et d’affermir cn eux cn pratiquant d’abord la < crainte de Dieu ·. il n’est pas une maxime de conduite dnns l'accomplissement de tout devoir qui «’émane d'elle, ce devoir ne dût-il être que de bien­ séance ou de pure utilité soci.de ou personnelle. 1° La Sagesse. Son origine. — La Sagesse, qui pré­ sentement « aime vivre avec les humains », vin. 31 ; qui • s'adresse aux humains > en tous Houx qu’ils fréquen­ tent, vin, 1-1 ; qui les invite Λ sa table, dans sa mai­ son », ix, 1-6, est personnifiée par l’auteur de l'intro duct ion aux * Proverbes de Salomon », dans une ligure de style prestigieuse et hardie, sous les traits d’une enfant, d’une fille que Jahvé aurait « eue » jadis — comme Èvc « eut » Caïn, Gvn., rv, 1 — · prémi oc de scs œuvres (ad extra) ». vin, 22. Elle aurait donc été dès lors « ourdie » par Dieu comme le sont les premiers linéaments de l’être humain dans le sein maternel. 23 [lire la Vulgate: ordila sum (comp, les traductions hiéronymiennc.s, Is., xxv. 7 : lelarn quant orditus est; xxx, 1 : ordiremini telam. Ps., n, G : orditus sum regem meant, et cxxxix, 13 : orsusque es me in utero) au lieu de ordinata sum, bévue évidente du copiste dans le texte reçu, et au sens passif admis dans la latinité de l’époque impériale]. Ainsi «conçue* bien avant qu’il y eût Γ « abîme » des eaux primitives, 21 (Vulg., con­ cepta eram, lire l’hébreu : Mreyll ou lioubbaltl au lieu de hôlaltt), elle < naquit » de même avant la terre, les monts et les collines. 25-2G. Elle était donc « présente * lors de l’agencement des cicux, de la mer el du sol. 27-29, et, telle qu’un jeune « nourrisson » (lire l’hébreu : ’dniod/i, Aquila : τιΟηνουμένη, alumnus) « s’ébat­ tait » parmi les choses du monde créé « auprès » du Créateur. 30-3lft, heureuse » bientôt d’être « parmi les enfants des hommes », 31b. C’est à ce titre de Hile de Dieu et â raison de cette priorité de date, qui lui ont permis d’être contemporaine el spectatrice des sages œuvres divines, qu'elle veut être reçue cl écoutée : \unc ergo, filii, audite me... vm. 32. Par son origine, elle est donc divine. Cf. n, G. Par sa nature, abstraction faite de toute image figu­ rative, elle est û la fois théorique et pratique. Elle csl, par définition, connaissance el intelligence des paroles et des choses, réflexion cl discernement dans le savoir et dans l’action, i, 2-7; n. Il; vm, 12. 1 I. Mais clic intéresse surtout la vie pratique el entend diriger celle-ci conformément aux lois de In piété et de la morale judaïques : seul est sage celui qui connaît et craint Jahvé, n. 1-5, qui comprend et réalise la droiture et l’équité, n.9; est /ou l’impic et le pécheur, v. 23: vm, 22; ix, 13 sq.; xiv. 8-9; xv. 21 ; xxiv, 9. Créée et donnée par Jahvé. n, 6 sq., elle ne peut être ainsi que de caractère religieux et moral. Par destination, elle est œcuménique, universelle : elle doit être le lot de tous les humains. Dans le livre des Proverbes, elle s’adresse manifestement à tous, l, 20-33; vm, 2-3; ix, 3; surtout, vm, -l et 31b. Elle est du reste représentée comme intégrée dans le monde créé par Jahvé : terre, deux, abîme, m. 19-20; elle gou­ verne même, a leur Insu, le monde politique des rois et drs princes, des grands et des juges de la terre, vm, 15 16. C’est seulement dans les livres postérieurs de l’Ecclésiastique cl de la Sagesse qu’elle sera dite avoir fait de Jérusalem sa demeure fixe. Ecdi., xxiv. 8-31, et s’être révélée tout entière dans l’histoire d’Israël. Sap., x xi, 3. Son excellence est affirmée et établie d’un double poiid de vue. Considérée en elle-même, elle n’est appréciée que brièvement par simple comparai­ son de su valeur intrinsèque avec celle drs métaux ou joyaux a quoi l’homme attache le plus haut prix : or pur. argent, perles, m. 1 1-15; vm, 10-11. 19; xvi. 1G; xvn. 11»; xx, 15. C’est surtout par l’énumération sou­ 926 vent reprise des avantages qu'elle procure Λ qui la pos­ sède, qu’on s’efforce de la faire valoir. Ces avantages sont de deux sortes : avantages de l’ordre matériel et social : longs jours cl années de vie et de paix, m, 2; iv, 10; », 11; x, 27; santé du corps, m, 8; rv, 22; abondance de biens et richesses, m, 10; vm. 1«. 21; xxiv. 3-1; sécurité et assurance de la demeure, m. 23-26; estime, honneurs et considération, iv, 8; vm. 18; force et pouvoir dans la paix et dans la guerre, xxiv, 5-6; avantages de l’ordre spirituel et moral : ennoblissement de Pâme couronnée par elle d’un dia­ dème de grâce, parée d’un collier de vertus, i, 9; m. 22; iv, 9; paix et tranquillité intérieure, ï, 33; bon­ heur intime, fruit de la protection divine, n, 7-8; m, 23-26; connaissance de Dieu. n, 5-6; préservation du péché. n. 11, 15-19. 2® La crainte de Jahoé est le commencement de la sagesse, i, 7; ix. 10. Elle s'identifie avec la « confiance » cn Jahvé », m. 5; xxix, 25, laquelle obtient, du reste, les mêmes prérogatives et produit les mêmes effets de bonheur et de sagesse, xvi, 20; xxvm, 25. C’est par elle que doit « commencer * dans les écoles des sages, l’apprentissage et, dans la vie, l'exercice de la sagesse. La sagesse cn effet, la présuppose, car la sagesse aban­ donne à eux-mêmes ceux qui n'ont pas désiré la crainte de Jahvé, i. 29-31 ; celle-ci est son « école », xv, 33. » école d’humilité, qui · précède » la sagesse glo­ rieuse. xv. 33b; xi. 2; xxxi, 30, et dont le < fruit · même est la crainte de Jahvé. xxn. f. En retour, la sagesse témoigne dans sa recherche et son propre exercice cette nécessaire condition initiale qui est la crainte de Jahvé, n, 1-5. Mieux, elle consiste dans cette « crainte de Dieu » même, car cette dernière, piété austère — qui s’assimile encore ù la « recherche de Jahvé ». xxvm. 5 — est aussi le seul art de bien diriger sa vie. l’unique judicieux comportement de l’homme sage qui veut jouir des avantages que procure la sagesse, m. 7: vm. 13; x. 27; xiv, 2, 26; xv, 16; xn. 6; xix, 23; xxm. 17: xxiv. 21. L’auteur de l'Ecclésinstique dira plus tard que la crainte de Dieu est tout â la fois la racine, le commencement, la plénitude cl le couronnement de toute sagesse venue du Seigneur, i, 1, 11-20. C'est, expressément formulée, la doctrine même du livre dos Proverbes. Ι-a crainte de Dieu et In confiance cn lui sont ainsi la base de la religion et de la morale: la première en tant que sentiment de la grandeur divine el de la dépendance de l’homme à l’égard de Dieu, la seconde en tant que garantie de l’aide et du secours divins. Eprouver ce sentiment nu apprendre d’abord à l’éprouver, reconnaître la réalité ou concevoir l’espoir certain de cette garantie, c’est toute la sagesse. Celleci est fuite non peut-être d’amour pour Dieu, mais de respect envers lui comme prodigieux créateur et gou­ verneur du monde, el comme juge élevé el juste rému­ nérateur pour l’homme impuissant vers lequel il s'in­ cline avec douceur et bonté. VH. Enseignes!FNTS nocrniNxux. — Les enseigne­ ments doctrinaux du livre des Proverbes ne pouvant être que de l’ordre religieux et moral, ils expriment, d’une part, et veulent implanter chez les hommes les croyances ou les t raditions religieuses professées depuis des siècles par les esprits les plus élevés de la nation juive: de l’autre, ils formulent les préceptes ou les con­ seils de conduite pratique cn rapport de conformité avec ces croyances et ces traditions. La première série intéresse les vérités se rapportant il Dieu, â sa création, A l’iminnie, physiquement et moralement la créature la plus élevée dans la hiérarchie des êtres du monde visible; l’autre expose les lois du monde moral ù scs trois étages, individuel, domestique et social, dans leur application occasionnelle, sous forme le plus souvent imagée, ou décrit différents caractères pris dans le déve- PROVERBES (LIVRE loppcmcnl de leurs tendances particulières ct de leur action. lü Enseignements religieux. — 1. Dieu, a) — Son exis­ tence ct son nom. — Dieu existe pour Israel sous son nom propre de Jahvé, lequel nom est pour le juste comme une < tour forte », un lieu de « refuge », xvm, 21 : un nom réellement divin qui reste la propriété de l'Israélite, même sur le sol étranger, xxx, 9 (paroles d’Agur : « le nom de mon Dieu (Êloah) n’est pas à outrager), en même temps qu'il est toujours comme le sceau de 1' « alliance » contractée au désert, n, 17 (la femme Israélite elle-même ne doit pas oublier l’alliance de son Dieu, Élohim). Mais il existe aussi comme Dieu universel, seul maître et seigneur du monde et des hommes : lui seul connaît bien son nom créateur, xxx, 3-1; lui seul est objet de connaissance religieuse, m, 5; lui seul (parallèlement aux hommes, ses créatures) juge de la vraie sagesse, in. 4. b) Ses attributs. — Dieu est éternel, puisqu’il crée la sagesse « de toujours . avant toute œuvre temporelle, vm, 22-23; il est saint, ayant en horreur la perversité ct les pensées mauvaises, aimant la droiture ct la bien­ veillance, m, 31-32; xv, 26; il est même « le Saint », ix. 10; immuable, en scs desseins qui toujours s'accom­ plissent, XIX, 21; omniscient : scs yeux observent les voies et sentiers de l'homme, plongent jusqu'aux enfers, pèsent les esprits ct les cœurs, v, 21 ; xv, 3-11 ; xvi, 2. xxu, 12; omnipotent : il a pu créer l'univers, vm, 22-31; il « incline » à son gré ■ même le cœur du roi », xxi, 1 ; bon : même quand il châtie, c'est comme un père l’enfant qu’il chérit, m. 12; juste : < la balance ct les plateaux justes sont de lui, χνι, 11 ; les faux lui sont en horreur, xi. I. 2. La création. — (Euvre de Dieu indépendant et libre, m, 19-20; χνι, I; xxx, I, elle est décrite avec quelque détail dans vm. 22-31. Dieu la gouverne par sa providence, m. 19-20, et, particulièrement dans le monde moral, tout y arrive conformément à sa direc­ tion occulte et cachée aux yeux de l’homme, χνι, 9; xx, 21; xxi, 1, 30-31. Ce sont les biens terrestres : santé, longue et heureuse vie, richesses, qui font le principal de la juste rémunération que Dieu accorde à celui qui le craint, m. 5-10. Sa bénédiction, sa faveur, m. 3235; xu, 2,raffermissement ou le secours qu'il octroie, xv, 25; xvm, 10-11, ont le même objet ; ainsi rend-il à chacun selon scs œuvres, xxiv, 12, même quand il maudit, damne ou punit, χνι, 5. 3. L'homme, ct sa destinée. — Dans son être composé physique, l’homme est doté d'une âme (ntiâmâh, souille vital, principe de vie), comparée à une « lampe » dont la lumière pénétrante illumine tout Γ « intérieur » de l’homme, xx. 27, et qui est allumée par Jahvé lui-même, ('.elle âme esl dans un corps (bélén), 27b, cf. XMH, 8 et xxvn 22. fait aussi par Jahvé. xx, 12. j Chacun de ccs composants réagit sur l’autre, le corps sur l’âme : « fermer les yeux, pincer les lèvres » est déjà méditer la tromperie.commettre le mal, χνι, 30; l'âme sur le corps : < une bonne nouvelle » tortille les os. xv, 30b. « un cœur joyeux » est un remède, xvn, 22a; en revanche, un esprit abat lu » desséché le corps. xvn, 22b. L'immortalitr de l’âme est-elle allirméc explicite­ ment dans le proverbe «le Salomon xu, 28 : « Dans le sentier de la justice (est) la vie; ct la vole de son (?) sentier (la) non-mort Ί Le texte hébreu, déjà embar­ rassé, de ce verset devient suspect si on le compare au texte des versions Immédiates. Septante ct Vulgate, qui porte d’abord, avec vingt-cinq manuscrits inassoréllqucs, la locution vers la mort » — εις θάνατον, ad mortem, hébreu : cl muré! — formant parallélisme antithétique avec le premier vers, où l'on va a la vie, ct indiquant le terminus d’un sentier autre que celui de la Justice. La version des Septante définit ce sentier ; δδοί ' u o i. s □ r, i ( » is ΛΙ j·, I 5 928 οέ μνησίκακων, « voies des rancuniers »; la Vulgate : ittr autem devium. < chemin tortueux ». Aux lieu cl place de l’hébreu reçu n'tibâh, « sentier », véritable doublet de dérék, ■ voie », le grec a lu vraisemblable, ment ; 'ébrah el le traducteur latin : nipab, plus vrai­ semblablement encore. La portée du « proverbe se rétrécit ainsi au sort malheureux du pervers qui, par le fait de sa perversité prend le chemin d'une mort prématurée en s'écartant de la voie droite qui assure une vie longue el heureuse. Cf. n, 18-19; v, 5; vu, 27; ix, 18; xxi, 16, etc. Dans son être moral, l’homme est doué de Ubcrtr, puisqu'il peut ne pas répondre Λ l'appel de la sagesse, lui rérister, négliger ses conseils, sa réprimande, i, 24· 25. Par nature, il n’est donc pas ù l’abri du péchéet il ne peut être assuré de n’avoir jamais péché, xx, 9. C’est pourquoi le malheur peut atteindre le juste, qui se relève pourtant, tandis que le méchant y est · pré­ cipité » sans espoir, xxiv, 16. Les fins dernières de l’homme paraissent considérées dans le livre des Proverbes d’un double point de vue: du lieu où s’en vont « tout entiers » tous les mortels, i, 12b; XXÏ> 10b; xxvii, 20; xxx, 16, et de la sanction, récompense ou châtiment, dans l’au-delà, appliquée à chacun selon ses œuvres et scs mérites, xu, 11 (xxiv, 12). Les morts «descendent », i, 12b; v, 5b; vu, 27b, au schéol, « séjour de la mort », situé dans les < profon­ deurs de la terre ct opposé aux « deux », ix, 18; xxv, 3, impénétrable aux regards des humains, xv. 11. et représenté parfois comme un être monstrueux dont la gueule «insatiable » engloutit les vivants, i, 12*; xxvn, 20; xxx, 6. Les mots, grec ct latin qui traduisent l’hébreu &'ôl évoquent des images semblables : injerut ou infernus, « souterrain », et άδης, « invisible . trois fois ces vocables sont mis en parallèle avec la « mort elle-même, n, 18; v, 5; vu, 27; une fois avec le «puits. ou la « fosse » où l’on enterre les défunts (hébreu ; Mr; latin ; lacus). i, 12b. Par lâ, le séjour des morts s’identi11e en quelque manière avec leur tombeau. Considérés dans leur totalité, ces morts forment cependant < au schéol » comme une · assemblée », xxi, 16 : · l’assem­ blée des rfalm , cf. il, 18b; ix. 18s que les versions dénomment « géants » : xxi, 16, γίγαντες, giflantes, ou « fils de la Terre » : ix, 18, γηγενείς, ct que le grec une fois en particulier représente curieusement comme des âmes-oiseaux s’en allant jucher — έπΐ πέταυρον άδου, «sur le perchoir de l'hadès », ix, 18 — lointaine réminiscence de la fable babylonienne qui décrit «l’ha­ bitant de la maison dos ténèbres, les bras vêtus d’un vêlement d’ailes et nourri de poussière cl de bouc ·. Gilgamés, labl n, col. iv, b, lig. 28, 33-31; ISlar aux en/ers. r°, llg. 7-10. Est-il réellement fait mention dans le livre des Pro­ verbes d'une sanction d’outre-tombe? Le texte xxni, 18. par le mot 'ahartl, in novissimo (Vulg.), parait sc référer à l’au-delà, faisant promesse d’un < avenir , récompense de la crainte de Jahvé, objet d’une « espé­ rance impérissable »; mais il esl encore fort embar­ rassé dans l’hébreu ; < car si donc (est) un avenir, ton espérance ne sera pas déçue , et ne s’explique que par l’omission d’un mot essentiel qui sc retrouve dans le grec : 17. * Que ton c-/. le Saper Parabolas... Salomonis allegorica expotilio serait bien de Bède, et le Libellus ne serait que la transcription du dernier chapitre de cc commen­ taire.) 933 PROVERBES LIVRE DES). COMMENTATEURS 2° Au Moyen Age. - Saint Albert le Grand, ayant écrit super totam Bibliam per modum postilla: a certaine­ ment commenté de celte façon le livre des Proverbes. Si nous en croyons Cornelius n Lapide, Il aurait même composé In Prov. XX Xi de muliere /orti ingens volumen; ces ouvrages n’ont toutefois pas encore vu le jour. Un autre dominicain, Hubert Holkot, serait aussi l’auteur des Explanationes Proverbiorum Salomonis, Paris, 1510, si souvent éditées depuis. Avant eux, Brunon d’Astl avait également commente la péricope de la « femme forte », Expositio de muliere forti, P. L., t. clxiv, col. 1220-1234, ct Honorius d’Autun écrit des QuwsHones et ad easdem responsiones in Prov. et Eccl., P. L., t. clxxii, col. 311-348. Hugues de Saint-Cher, Nicolas de Lyre, Deny.s le Chartreux, avec d’autres théolo­ giens scolastiques des xm·, xiv· ct xv· siècles, dont les œuvres sont encore inédites, expliquèrent de même, par ■ postules » ou par · commentaires », tout ou partie du livre saloinonicn. 3° Dans les temps modernes (xvp-xvnr siècle). — Il y a abondance de commentaires des Proverbes qui recherchent surtout le sens littéral. S. Munster, Prov. Salom. juxta hcbraicam veritatem translata et adnotatiombus illustrata, Bâle, 1525; Cajétan, Parabola: Salo­ monis ad veritatem ebraicam castigata: et enarrata:, Lyon, 1545; Arboreus, Comm, in Prov. Salomonis, Paris, 1549; R. Bayne, Comm, in Prov. Salom., Paris, 1555; Jansénius de Gand, Paraphrasis ct adnotationes in Prov. Salom., Louvain, 1569 (autres éditions meil­ leures en 1586 sq.); Jérôme Osorio, Commentaria in Parabolas So/omom’s, Anvers. 1569; J. Mercerus, Comm, in Salomonis Proverbia, Genève. 1573; Th. Cartwright, Commentarii succincti et dilucidi in Prov. Salom., Leyde, 1617; Fr. Quir. de Salazar, Expositio in Prov. Salom., tam litteralis quam moralis et allegorica, Paris, 1619-1621; Ant. Giggei, In Prov. commentarii trium rabbinorum (larchi, Abenesra. Lévi ben Gerson) cum variis lectionibus chald. et syr..., Milan, 1620 (trad, annotée); Bohl. Ethica sacra, sive comment, super Prov. Salom., Rostock, 1640; J. Maldo nat, Scholia in Psal­ mos, Proverbia..., Paris, 1643; Ant. Ageilius, Comment, in Proverbia, Paris, 1611-1649 (Vérone); Jansénius d’Ypres, Analecta in Prov., Louvain. 1611; M. Geler, Proverbia regis sajnentissimi Salomonis cum cura enu­ cleata, Leipzig, 1653 sq.; P. Gorse, Salomon ou expli­ cation abrégée des Proverbes avec des notes sur les pas­ sages obscurs, Paris. 1655; Bossuet, Libri Salomonis, Prov., Eccl., Paris. 1693. Au xvni· siècle commence l’explication surtout cri­ tique et scientifique, autrement dit l’interprétation his­ torique des Livres saints. Cette exégèse, dont un des plus lointains promoteurs avait été. dès avant Martin Luther lui-même. Mélanchthon. lequel en appliqua le principe dans ses Παροιμίαι, sive Proverbia Salo­ monis cum annotationibus, Nuremberg, 1525 et 1586, et La Haye. 1525 sq., fut principalement celle des doc­ teurs et maîtres de l’Eglise réformée : C.-B. Michaelis, Notre uberiores in Prov. Salom., Halle, 1720; A. Schultens. Proverbiorum Salomonis versionem integram ad hrbraum fontem expressit atque commentarium adjecit, Liège. 1718; L. Nage.l, Dit SprOchivorter Salomon's umschrieben (paraphrasés), Leipzig, 1767; J.-F. Hiris, Vfdlstdndigere ErklÛrung der Sprtlchc Salomons, léna, 1768; J.-D. Michaelis, Vebersetzung der SprOche (und des Predigers) Salomons mit Anmerkungcn, ftlr Ungelehrte, Gœttinguc. 1778; J-.C. Dœderlcln, SprOche Salomo's neu nbersctzt mit kurzen erlduterndcn Anmer­ kungcn, Altdorf, 1778 sq.; B. Hogdson. The Proverbs of Salom. translated from the Hebrew with notes, Oxford, 1788; C.-L. Ziegler, Ncue Ueberselzung der Denksprhche Sal., im Geistder Parallelen, mil einer vollsltindigen Einleitung, philotogischen Erlàuterungen und praktischen Anmerkungcn, Leipzig, 1791; C.-G. Henslcrs, ErlOu- 934 terungen (des ersten Bûches Samuels und) der Salom. Dcnksprüche, Hambourg ct Klei, 1796. Au même siècle, les commentaires catholiques littéraux de dom Cal met (1707-1716) ct de Louis de Carrières (1701-1716). 4° Au x/x9 siècle ct de nos jours. — Peu nombreux sont les commentaires catholiques des Proverbes. Dans les bibles entières traduites et commentées : Fr. Alliob, Nuremberg, 1830-1835 (trad, franç. Gimarey, Paris, 1853-1854); A. Arnaud. Paris, 1881 ; Cl. Drioux (éd de Ménochius ct notes nouvelles), Paris, 1872 ct 1884.Puis A. Rohling, Das Salom. Spruchbuch übersetzl und erÂMr/, Mayence, 1879; H. Lcsêtre, Les Proverbes, Paris, 1879; Knabenbauer, Commentarius in Proverbia, Paris. 1910; Wcismnnn, Das Buch der Sprûche, Bonn, 1923; Mezzacasa, Il libro dei Proverbi, Turin, 1921. Avant d'entrer comme partie intégrante dans les collections embrassant la totalité des livres de l'Anden Testament commentés par plusieurs auteurs travail­ lant du point de vue critico-historiquc, le livre hébreu des Proverbes, a été traité suivant la même méthode, au cours du siècle dernier, principalement par C. Cmbreit, Heidelberg, 1826; Lœwenstcln, Francfort, 1838; E. Bertheau, Leipzig, 1847; J.-G. Valchlnger, Stutt­ gart, 1857; F. Hitzig, Zurich, 1858; E. Elster. Gœttinguc, 1858; O. Zackler, 1866; H.-F. Muhlau («Agur » et « Lemuel >), Leipzig, 1869. Ont commenté les IToverbes dans le Bibtischer Commentar de Leipzig. Frz Delitzsch, 1873; dans le Kurzgcfasstes exegetisches Handbuch de Leipzig, Nownck, 1883 (21 éd.); dans le Kurzgcfassler Kornmentar de Munich, H. Strack, 1887; dans le Handkommentar de Gœttinguc, Frankenbcrg, 1898; dans le Kuner Handkommentar de Tubingue, Wildvboer, 1897 ; dans la Heilige Schrift d’E. Kautzsch, 4· éd., Tubingue, Stcueniagel, 1923; dans l’internatio­ nal critical commentary d’Oxford, C.-H. Toy, 1899; dans hi Cambridge Bible for schools and colleges, T. Pcronnc, 1916. On trouvera Imitées plus ou moins longuement toutes les questions générales intcrrssnnt le livre des Proverbes dans les commentaires ci-dessus énumérés depuis le xvm· siècle ct dans lc> divers manuels introductions ct dictionnaires bibliques composés depuis 1« dernières années du xix·. Manuels. — Vigoureux. 12· éd.. Paris, 1906; Gigot (anglais), New-York, liMMi; Verdunoy, Dijon. 1925, 1029; Renie. Lyon-Pari*. 1930. Introiturtions. — Strack, Munich. 18S3. 1906; Riehm. Halle, 1889; Kônig, Bonn. 1893;Comill. 1891. 1913; Driver, itdlmbourg. 1897; Baudissln, Leipzig, 1901; L. Gautier, lauivanno-Puris 1906, 1914; Sellin, Leipzig, 1910; Struernngel, Tubingue. 1912; Lochr, Leipzig, 1912; llôpll. Rome, 1925, 1931; Mcinhold. Giessen. 1926; Gœttsbcrgcr, Frlbourg-en-B., 1928; Vacciiri. Rome. 1929; Pnrdo, Turin, 1931. Dictionnaires. — De Hastings, t. iv, RMC. art. de Toy; Encyclopa-dia biblica, de Clmync, t. m, 1902* art. de Nowaek; Didionnairr de la Bible, de Vigoureux, l. v, Paris 1902, art. do J. Marie. Cf. aussi : Ed. Reuss, la Bible. Paris 1878. VP part.; Cheyne, Job and Solomon, Ixmdres, 1887; Mclgnnv, Salo­ mon, Paris. 1890; A. Lolsy, /.e Ht»rr des Proverbes, 1889; Blckcll, Krilliche Bcarbettung dee Proverbien. Vienne, 1891 ; Wildcbocr, Dic l.iteratur des Alt. Test., Gœttinguc, 1905; Tobac, / es cinq livres de Salomon. Sur le sens du mot malal dans la Bible hébraïque : Lagrunge, Htt’iic bibligtu. Taris, 1909. p. 312-367; D. Buzy. Introduction aux paraboles évangéliques, Paris 1912. p. 52· 134. — Sur In métrique particulière du livre des Proverbes: G. Blckcll. Carmina Veteris Testamenti metrice, Inspnick, 1882; N. Schlœgl, Etudes métriques et critiques sur tellure des Proverbes, Paris, Hevue biblique. 1900, p. 518-525. —Sur les rapports du texte hébreu du livre ct des anciennes versions: J.-G. Jivgcr, Observationi \ in Prov. Salom. versionem Alexan­ drinam, Ixdpz.ig, 1788; J.-G. Dahler. A nimad torsiones in cap. /-.V.r/F versionis gra-cæ Prou, Salom., Strasbourg, 1786; 1’. de Ijignrdc, Anmerkungcn sur gricchischm Uebersehung der Proverbien, Leipzig. 1863; A.-J. Baumgartner, Eludt critique sur Pétât du texte du livre des Proverbes d'après 935 PROVERBES (LIVRE DES· /ei principales traductions anciennes, Leipzig, 1890; Mezzacasa, // libro dei Proverbi di Salomone (studio critico suile aggiuntc grcco-alessandrine ), Home, 1913. Cf. Hevue bibli­ que, 1914, p. 300-302. Sur h version syriaque (Pcschilo),\n version tahidlquc, le targum des Proverbes, voir Dictionnaire de la Hiblc, t. v, Paris 1912, col. 793-794, ct W.-1L Worrell, The Proverbs of Solomon in sahidic Coptic according to the Chicago manu­ script, Chicago, 1931. L. Bigot. PROVIDENCE. — On étudiera successive­ ment : L La providence dans la sainte Écriture; 11. La providence selon les Pères grecs (col. 941); IIL La pro­ vidence scion saint Augustin (col.961); IV. La provi­ dence selon la théologie (col. 985). I. LA PROVIDENCE DANS LA SAINTE ÉCRI­ TURE. — Ce que le commun langage appelle provi­ dence, les théologiens le nomment plutôt gouverne­ ment divin. Ils réservent cc terme de providence pour désigner le divin et éternel programme, dont le gou­ vernement du monde par Dieu représente l’exécution historique. La sainte Écriture, bien entendu, parle le langage de tout le monde. Essayons néanmoins d’intro­ duire quelque distinction dans scs propos. Voyons cc qu’elle nous dit d’abord du gouvernement divin, puis de la providence ct enfin de la prescience liée néces­ sairement ά la providence. I. Le gouvernement divin. — Ce serait perdre son temps que d’entreprendre de prouver que, pour la sainte Écriture, Dieu gouverne le monde qu’il a créé. La Bible n’a pas d’autre objet que cc gouvernement divin du monde et spécialement de l’humanité. Que font en effet les livres historiques de ('Ancien ct du Nouveau Testament que de nous raconter ses succes­ sives entreprises? Et les livres prophétiques que de les annoncer à l’avance? Et les livres sapientiaux ou doc­ trinaux que d’en faire l’apologie? 1° Sa marche générale. — Dès les récits de la créa­ tion, Gen., i-iî, nous voyons s'affirmer l'anthropocen­ trisme du gouvernement divin. Dès l'histoire du paradis, Gen., n. l’homme nous apparaît élevé à l’ordre surnaturel. D’où nous pouvons conclure que Dieu va gouverner le monde (anthropocentrisme) ct l'huma­ nité au bénéfice des destinées surnaturelles de l’homme. Le gouvernement divin du monde sc révèle un gouver­ nement surnaturel. Cependant, la chute originelle, Gen., ii-iii, va lui imprimer un cours nouveau. Le gou­ vernement surnaturel devient un gouvernement de rédemption. La nature elle-même, au dire de saint Paul, Boni., vm, 19-22, pour avoir été dès l’origine coordonnée à l'homme, se trouve engagée en ce nou­ veau système : « La vive attente de la nature appelle en effet la révélation des fils de Dieu. La nature a été assu­ jettie à la vanité, non de son propre chef, mais par celui qui l’y a soumise, dans l’espoir que la nature aussi sera délivrée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous savons en effet que la nature entière gémit et souffre, en tous les êtres qui la composent, les douleurs do l'en­ fantement jusqu'à maintenant. ■ Nous devons d’ail­ leurs avouer que la signification précise de ces paroles nous échappe. Ce dont nous ne pouvons douter, c’est que la nature ct l’humanité, telles que nous les avons sous les yeux, appartiennent l’une et l’autre à l’ordre de la chute ct sont gouvernées solidairement par Dieu en vue de la rédemption. Le gouvernement divin se développe sous forme de choix successifs effectués au sein de l’humanité. La Genèse les évoque tour à tour, avec leur contre-partie d’éliminations progressives. A la première génération. Set h est élu ct Caïn rejeté. Plus tard, c’est Noé qui survit, tandis que le gros de l’humanité périt dans les eaux du déluge. Voici Scrn. que Dieu favorise d’une bénédiction spéciale qui n’est point accordée à ses PROVIDENCE 936 deux frères Dans la suite, Abraham bénéficie, parmi lu descendance de Sein, d'une élection que la Genèse met en rapport direct avec la promesse originelle d’un Ré­ dempteur. Isaac, à son tour, est choisi, à l’exclusion d’Ismaël, ct finalement c’est à Jacob-Israël que se ter­ mine le processus des élections divines, ÉsaQ étant rejeté. A propos de ces derniers choix, saint Paul a for­ tement souligné la souveraine liberté de Dieu en ces actes majeurs do son gouvernement. Boni., ix, 6-13. Jacob-Israël est le père du peuple nommé Israël d’après son propre surnom, peuple de Dieu, peuple mes­ sianique, qui devient l’objet privilégié de ce gouverne­ ment divin, dont nous avons dit qu’il était tout orienté vers le Bédempteur et la rédemption. Ce n’est pas à dire quo Dieu ait jamais, pour autant, cessé do gouverner ces portions de l'humanité qu’il n'élisait point en vue de l'accomplissement de sondessein spécial de rédemption. I.e prophète Amos nous en est un garant particulièrement précieux. « Les ana­ thèmes contre Damas, les Philistins, Tyr, Édom, Am­ mon, Moab, qui précèdent, aux c. î-π, la condamnation do Juda ct d’Israël, mettent clairement en relief, dès le début du livre, cette idée que Jahvé exerce son empire sur tous les peuples, que tous relèvent de sa justice souveraine. Il est à noter que cc n’est pas seulement comme protecteur de son propre peuple, mais à un titre absolu que Jahvé revendique ct met en œuvre le pouvoir sur les nations païennes. » Van 1 loonacker, La douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 103. Plus décisif encore est l’enseignement do saint Paul. Pour être en quelque sorte concentré sur Israël, le gou­ vernement salviflque de Dieu n’en embrasse pas moins l’humanité tout entière. Ce n'est pas assez de dire que l’œuvre rédemptrice dont Dieu prépare en Israël l'ac­ complissement tournera finalement au bénéfice spé­ cial des gentils. Entre temps. Dieu ne les a pas aban­ donnés. · Ce Dieu, déclare Paul aux païens de Lystres, dans les siècles passés, a laissé toutes les nations suivre leurs voies. « Act., xiv, 15-17. Ce qui veut dire surtout qu’il ne leur a pas donné de loi semblable à la loi mosaïque. « Cependant, il n’a pas cessé de sc icndrc témoignage à sol-même, en faisant du bien, en dispen­ sant du ciel les pluies et les saisons favorables ct en nous donnant avec abondance la nourriture qui rem­ plit nos cœurs de jolo. » Paul insiste dans son discours aux Athéniens : < D'un seul homme, il a fait sortir tout le genre humain pour peupler la surface de toute la terre. 11 a fixé pour chaque nation la durée de son existence ct les bornes de son domaine, afin que les hommes le cherchent comme à tâtons, quoiqu’il ne soit pas loin de chacun de nous. Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être... » Act., xvu, 26-28. Λ Paul précise sa pensée, Boni., î, 19-20 : «Tout coque l’on peut connaître de Dieu leur (aux gentils) est clai­ rement connu. Dieu le leur a fait connaître. Depuis la création du monde, ses Invisibles perfections sc décou· vrent à la pensée par le moyen de ses œuvres, à savoir sa puissance éternelle et sa divinité. » Mais ils ignorent la loi de Dieu! Non pas. · Lorsque des gentils,qui n’ont pas de loi, accomplissent naturellement ce que pres­ crit la Loi, ces gens-là, qui n’ont pas de loi, sont ù eux-mêmes leur loi. Ils montrent que les prescrip­ tions de la Loi sont gravées dans leur cœur. Leur con­ science aussi leur rend témoignage, de même quo ccs débats intérieurs qui tantôt les accusent ct tantôt les défendent. C'est ce que l'on verra au jour où Dieu, selon mon évangile, jugera les actions secrètes des hommes par Jésus-Christ. Horn., n, I 1-16; cf. Eccli., xvu. 5-8. que nous aurons l’occasion de citer plus loin. Qu’on n'objecte point qu’à co régime les gentils, d après I nul, ne sont arrivt s a rien. A prendre scs propos à la lettre, les Juifs n’ont pa eu meilleur succès. 937 PROVIDENCE. LA SAINTE ÉCRITURE 938 2. L‘action divine. — Comme second moyen d’action Tableau d’onsoinble, songeons-nous, dont l'application du gouvernement divin, l’Écriture fait état de la coo­ aux particuliers demeure incertaine. Cependant, le Kédumptcur est venu au temps mar­ pération do Dieu à toutes les activités de la créature. Dieu, d’abord, conserve tout cc qu’il a créé. C’est qué, Jésus-Christ. Le gouvernement divin s’ouvre des voles nouvelles. L’Eglise de Jésus-Christ succède à comme une création permanente : · Qui ne sait, parmi tous ces êtres, que’ la main de Jahvé a fait toutes Israël comme centre d’application ct bénéficiaire de cc gouvernement. Or, c’est une Église de gentils. Saint choses, qu’il tient dans sa main l’âme de tout ce qui Paul, Item., ix-xi, commente cette suprême élection vit ct le souille de tous les hommes? » Job, xn, 9-10. Des textes innombrables affirment cette perpétuelle ct le rejet des Juifs, qu’il dit être provisoire. Entré désormais dans la phase des réalisations, le gouverne­ et entière dépendance, pour ce qui regarde leur exis­ ment divin s’oriente, à travers des combats dont l’Apo­ tence même, de tous les êtres. Ceux que nous lisons, calypse de saint Jean évoque la suite mystérieuse, vers Eccll., xmn, 26 : καί b/ λόγω αύτοΰ σύγκαται πάντα, son objectif final, qui est le règne glorieux de Dieu. et I lebr., î. 3 : φίρων τε τά πάντα τω ρήματ: της Mais il est apparu que le Bédempteur envoyé de δυνάμεως αύτολ, évoquent le récit de Gen., 1, ct font de la conservation une création continuée. Lc mot de Dieu était un homme-Dieu. Cela est de conséquence pour le gouvernement divin. Non seulement, JésusPaul aux Athéniens : bj αύτω γάρ... και κινοζμεΟα..., Christ comme homme sc révèle chef de l’Église, qui est Act., xvu, 23, rattache expressément l'activité de son corps, mais, à raison de Tuition substantielle de son l’homme à l’action de Dieu : έν αύτω. humanité à la divine personne du Verbe, il sc subor­ Cc rattachement ct celte dépendance s’expriment donne de plein droit la création tout entière, visible cl avec force, sur le plan de la grâce et du salut, dans le Nou­ invisible. Il finalise, en réalité et depuis l’origine, le veau Testament. Les textes les plus décisifs .se lisent, gouvernement divin, tout en étant lui-même référé à Joa., xv, 5 : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments. la gloire do Dieu. Saint Paul explique cc nouveau mys­ Celui qui demeure en moi et on qui je demeure porte tère, spécialement dans les épltres aux Éphéslcns ct beaucoup de fruit ; car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire. » Gai., n, 20 : « Cc n’est plus mol qui vis, c’est aux Cotassions. le Christ qui vit en moL » Le mot d’Eph., î, 1 L a plus 2° Ses moyens d'action. — 1. La Loi. — Lc premier est la Loi. Tout le inonde a lu la belle évocation des lois d’ampleur encore : « ...Comme des gens qui ont été pré­ par lesquelles Dieu régit scs créatures, dont nous som­ destinés suivant le dessein de celui qui accomplit tout cc que sa volonté a décidé. » Le texte connu de Bom., mes redevables à l’Ecclésiastlquc, xvi-xvn. Il suffira de la transcrire, ne pouvant citer les nombreux pas­ vin, 30, sur la prédestination est une impressionnante sages parallèles que nous offrent en particulier les illustration du précédent. Enfin, le passage de PhiL, n, 13, est catégorique à souhait : · Car c’est Dieu qui livres sapientiaux. opère on vous le vouloir ct le faire selon qu’il lui plaît. » Voici, d’abord, la loi du ciel : L’Ancien Testament marque bien, toujours sur le Les œuvres de Dieu subsistent depuis l'origine telles qu’il les plan surnaturel, les souveraines initiatives de Taction Dès In création, il en n distingué les parties. (n établies. divine vis-à-vis de cette volonté humaine qui se révèle Il n orné pour toujours scs ouvrages. pourtant la plus autonome des causes créées. Voici Les plus beaux pour toute la suite des âges. Ils ne connaissent ni la faim ni la fatigue. quelques textes entre mille: Lam., v, 21 : « Fais-nous Ils n'interrompent pas leur tâche. revenir à toi, Jahvé, ct nous reviendrons. » Ps., lî Aucun d'eux ne heurte son voisin; (Vulg., L), 12 : · O Dieu! crée en moi un cœur pur et Ils obéissent toujours à la loi divine. Eccll.. xvi, 24-26. renouvelle en moi un esprit ferme. » Ez., xxxvi, 26 : Puis la loi de la terre : « Je vous donnerai un cœur nouveau ct je mettrai en vous un esprit nouveau... Je mettrai en vous mon Le Seigneur, ensuite, s’occupa de la terre. Esprit et je ferai que vous suiviez mes commande­ 11 la remplit de ses biens. ments. » De portée plus générale sont des mots comme Des animaux de toutes sortes en peuplèrent la surface. C’est dans son sein qu’ils retournent à leur mort. celui de Prov.,xxi, 1 : «Le cœur du roi est comme une eau Lc Seigneur forma l’homme de la terre. courante dans la main de Jahvé, il le dirige à sa guise. » Et 11 le fait retourner à la terre. Pour significatifs qu’ils soient, il est évident que ces Il lui n assigné son compte de jours, un temps déterminé, enseignements do l’Écriture laissent une large place à 11 lui a donné pouvoir sur tout ce que porte la terre. l'indispensable spéculation théologique. Il Ta revêtu d’une puissance singulière. 3. Les interventions divines. — Nous rencontrons Il l'a fait â son image. enfin un troisième moyen d’action du gouvernement Il n inspiré sa crainte â toute chair. Il lui n donné l’empire sur les bêles et les oiseaux. divin. Cc sont ces interventions divines dans l’histoire Eccll., XVI, 27-XVit, I. que l’Écriture appello les jugements de Dieu ct aux­ quelles il sied de joindre des interventions divines plus C’est maintenant la loi propre de l’homme : spécialement dans la nature, les miracles. Il lui a donné In judiciaire, la langue, 1rs yeux. a) Les jugements de Dieu. — La loi do Dieu appelle Les oreilles ct le cœur pour penser. le jugement de Dieu. L’Ecclésiastique, xvi-xvn, après Il l’a rempli de science ct d’intelligence. avoir parlé de la première, introduit, en conséquence, Il lui a fait connaître le bleu ct le mal. le second : Il n fixé scs regards sur son cœur Pour lui découvrir la grandeur de ses œuvres. (Tout cela) pour qu’il loue son saint nom. Pour qu’il célèbre scs œuvres admirables. Eccll», xvu, 5-8. Voici en lin la loi d’Israël : De nouveau, il lui a donné la science. Il l’a mis en possession de la Loi de vie. Il n contracté avec lui une alliance éternelle, Il lui a enseigné ses commandements, Scs oreilles ont entendu les accents magnifiques de sa voix. Il lui a dit : · Garde-toi do toute Iniquité. · Il lui n donné des préceptes fi l’égard du prochain. A chaque peuple il assigne un chef. Mais Israël est la portion du Seigneur. Eccli., xvn, 9-12,1 L Ses voles (de l’homme) sont constamment sous ses yeux, Bien ne peut le cacher Λ scs regards. Tout ce qu’il fait est devant lui comme le soleil. Ses yeux sont fixés en permanence -*ur scs voies. Ses Injustices ne lui sont pas cachées. Tous scs péchés sont devant le Seigneur. L'aumône d’un homme est comme un sceau pour lui; Il garde sa bonne œuvre comme la prunelle de l’œil. Ensuite il se lèvera et lui rendra selon ses œuvres; Il fera retomber son dû sur sa tète. Cependant, Λ ceux qui sc repentent il accorde le retour. 11 encourage ceux que l'espérance abandonne. Ivccli.. xvu, 13, 15-19. 939 PROVIDENCE. LA SAINTE ÉCRITURE 940 L'Auden Testament fut lent à dépasser, en fait de I de Job, xxxviii, 2 : · Qui est celui-ci qui obscurcit la Jugements divins, l'horizon terrestre de la vie pré­ providence par des mots dépourvus de science? · où sente. Ici même, nous lisons : Jnhvé rabroue ce pauvre Job. III. La prescience. — La providence apparaît, Tourne-toi vers lo Seigneur ct quitte tes péchés. Prie devant sn face ct réduis l’ofTcnsc. dans Γ Écrit lire, en Unison avec la prescience de Dieu, Reviens nu TréviTnut ci détourne-toi de l'injustice. soit commune, soit salvi lique. Déteste avec force l'impiété. 1° La prescience commune. — Nous la trouvons expli­ Qui louera le Três-lfaut, nu séjour des morts. citement enseignée à diverses reprises A la place des vivants qui sont scs adorateurs ? Is., xlvi, 10 : « Moi qui, dès le comnicnceinenl, A l'homme mort, qui n'est plus, la louange est interdite. annonce la Un, et, longtemps à l'avance, ce qui n'cxlste C'est le vivant, le bien portant qui loue le Seigneur. pas encore; qui dis : · Mon dessein subsistera d j’acQu’elle est grande In miséricorde du Seigneur.' «complirai toute ma volonté. » — S’il annonce, c’est Qu'il est grand son pardon envers ceux qui reviennent à lui! L'homme ne peut pns tout avoir, qu’il sait. Et d’où le sait-il? De la décision qu’il n prise Le fils do l'homme n'est pns Immortel. d'accomplir et qui ne saurait être frustrée. Nous avons Quoi de plus brillant que le soleil? Il s'obscurcit pourtant. ici un cas très net de prescience fondée sur un decret Le méchant pareillement s'abandonne à la chair et au sang. divin d’exécution et donc de vraie providence. Le soleil visite l'armée des cieux, là-haut. Ps , cxxxix (Vulg., cxxxvin), 16 sq. : « Je (David) Mais l'homme est terre ct cendre. EccIL, xvn, 20-27. n'étais encore qu'un informe embryon que déjà tes yeux Dans ces conditions, il n'est pas étonnant (pie le fait me voyaient. Dans ton livre étaient tous Inscrits les du mal ait inquiété la pensée israélite et posé devant jours qui m'étaient destinés. · Seule, la seconde partie elle le problème de la justice des jugements divins, sur­ du texte se réfère clairement à la prescience. Dieu sait tout lorsque l’idée qu’on s’en faisait se fut décidément d’avance quelle sera la durée de la vie de David. Cette individualisée. Ce problème fait tout le sujet du livre connaissance est mise en rapport avec l’acte divin qui de Job et de l'Ecclésiaste. Le second, qui n’arrive pas à est censé la fixer : < Dans ton livre... » La nature de dépasser l’horizon de la vie terrestre, n’y fait pas d’au­ cette relation n'est pas autrement précisée. Cependant, tre réponse que celle de la soumission religieuse. Le l’acte de fixer le destin doit être considéré comme logi­ premier en vient, semble-t-il, à entrevoir aux limites quement antérieur. Ici encore la notion de providence do l’histoire un ultime et juste Jugement : s’aflirme expressément. Eccll., xxxix, 19 : « Les œuvres de toute chair sont Et moi, je sais que mon défenseur est vivant. devant lui. Impossible de se dérober à scs yeux » C’estQue, le dernier, il sc lèvera sur la terre. Que, derrière ma peau, je me tiendrai debout à-dire simplement (pie Dieu volt tout. Mais : < Son re­ Et que, de ma chair, je verrai Éloah; gard atteint de l'éternité à l’éternité. Il n’arrive rien Lui que mol je verrai, moi-même dont il soit étonné. » C’est donc qu’il a tout prévu. Et que mes yeux regarderont, moi et pas un autre. Aucune précision n’ist donnée. Mon cœur languit dans ma poitrine. Job, xix, 25-27. Boni., iv, 17 : « Il (Dieu) appelle ce qui n’est pas L’espérance de la résurrection, el donc d’une autre encore comme s’il était. · 11 appelle à l’existence, inter­ vie, qui pointe ici, se précise dans Sap., xn, 1 sq. : prète le P. Lagrange, qui cite comme textes parallèles: • C'est aussi ma main qui a fondé la terre et étendu les Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, cieux. Je les appelle et aussitôt ils se présentent », Is., Les tourments ne sauraient les atteindre. XLvni, 13, ct : · Toi qui as appelé, dès le commence­ Aux yeux des insensés, ils font ligure de morts. Leur sortie a l’air d'un malheur, ment du monde, ce qui n’était pas encore, ct ils t’obéis­ Leur départ a l’apparence d’un anéantissement. sent », Apoc. de Baruch, χχι, I, où < appeler » s'entend Mais ils sont dans la paix. de la Parole créatrice. N’est-ce pas d’ailleurs l’exégèse Quand bien même au jugement des hommes ils seraient imposée par le contexte : « ..Le Dieu qui donne la vie Leur espérance est pleine d’immorlidité. [châtiés, aux morts et appelle ce qui n'est pas encore [à l’exis­ tence] comme s’il était·? Mais, dans cette hypothèse, Elle s'affirme enfin II Macch., vu, 9 : « Scélérat, tu la comparaison : < comme s'il était » s’entend mal. Peutnous ôtes la vie présente, mais lo Bol de l'univers nous être vaut-il mieux laisser au mol « appeler · un sens ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons plus général impliquant que ce qui n’est pas encore est par fidélité à ses lois. » présent à la pensée divine tout comme ce qui existe. Cependant, il appartenait au Nouveau Testament de Et cette pensée divine s’aflirme comme providence. mettre en pleine lumière cette grande espérance, en La présence de prophéties dans l'Écriture suppose dehors de laquelle la doctrine des Jugements divins, nécessairement la prescience divine. « C’est la pre­ appliquée non plus à un peuple, mais aux individus, science de Dieu qui m’a révélé ces choses», lisons-nous demeure un tourment pour l’esprit. b) La miracles. — L’Ancien et le Nouveau Testa­ dans Judith, xi, 16. Bien plus, les divines annonces ment attestent que le miracle est un moyen de gouver­ nous apparaissent généralement en dépendance d’un dé­ nement auquel Dieu, au cours de l’histoire, a eu fré­ cret divin d'exécution positive ou de permission, ce qui nous conduit à penser qu’il en va de même do la divine quemment recours. Mais ils nous révèlent en même prescience. Est-il nécessaire do rappeler que les pro­ temps que ce gouvernement divin qui n’hésite pas â phéties enregistrées dans l’Écrlture portent sur des recourir au miracle est, comme on l’a dit plus haut, un gouvernement surnaturel, c’est-à-dire tout appli­ événements contingents ct le plus souvent libres? Qu’il suffise de citer, à titre d’exemple, la prophétie sur qué à la réalisation des destinées surnaturelles qu’il lui le serviteur souffrant en Isaïe et les prophéties sur là a plu d’assigner à l'humanité. La nature elle-même et passion dans les évangiles. Et toujours la prescience est l'histoire sont gouvernées par Dieu au bénéfice de ce en même temps providence. grand dessein. 2* La prescience salut figue — C'est un cas particu­ II. La providence divine. — Son nom grec est lier de la prcsclence-prOvldonco. Nous en avons déjà πρόνοια. pari» à propos do la prédestination. Voir t. xn, Nous la trouvons mentionnée Sap., xiv, 3 : « Mais, ύ Père! c'est votre providence qui le gouverne ». à I col. 2809 sq. Complétons ici la documentation scrip­ turaire. savoir le navire. De même Sap., xvn, 2 : à propos des 1 Potr., i, 2<» : Vous avez été affranchis... par un Égyptiens persécuteurs d’Israël « ...fuyant eux-mêmes sang précieux, celui de l’agneau sans défaut et sans votre incessante providence». Mais providence vaut, en ces propos, gouvernement divin. Il en est de même I tac!’· jle s mg du Christ, préconnu avant la création 941 CE. PÈKES G BECS, LES APOLOGISTES du monde, manifesté on cette fin des temps à cause de vous qui, par lui, croyez en Dieu qui l’a ressuscité I des morts et lui a donné la gloire. » On songe à I Pclr., n. I, parlant du Christ, élu de Dieu pour être mis à l’honneur ». Prescience ct élection se tiennent. Mais leur rapport n'est pas autrement précisé. Act., n. 23 : Ce (Jésus] livré selon le décret arrêté ct la prescience de Dieu », τη ώρ’.σμένη βουλή καί προγνώσει του Θεού. La prescience est nommée après lo décret. Est-co leur ordre logique? Rom., xi, 2 : < Dieu n’a pas rejeté son peuple qu’il a préconnu (δν προέγνω). » Entendez : rejeté par rap­ port A la grâce chrétienne. · Préconnu » est Ici un terme de significat ion analogue A celle d’ élection de grâce », Rom., xi. 5, et de « selon l’élection ». Ibid., 28. Prescience ct élection sont des actes divins associés. Mais dans quel ordre? Nous avons déjà cité 1 Pctr., j, 1-2 : « Pierre... aux élus... selon la prescience de Dieu lo Père », où l’élection paraît être l’appel. La maîtresse pièce do cotte providence, qui, on l’oublie trop, est en fait surnaturelle, est, pour parler comme saint Paul, le · mystère du Christ ». L’Apôtre écrit aux Ëphéslcns, i, 9-10 : « ...en nous faisant con­ naître le mystère de sa volonté en vue d’une dispensa­ tion réservée pour la plénitude des temps, à savoir tout rassembler sous un chef unique dans le Christ ce qui est au ciel el ce qui est sur la terre ». Et plus loin, in, 8 sq. : < ...Cette grâce m’a été donnée... de mettre en lumière pour tous l'économie du mystère tenu caché depuis l'origine des siècles en Dieu, le créateur de toutes choses, pour que soit maintenant révélée..., selon son dessein éternel, la sagesse multiforme de Dieu. » Cf. Col., i. 26 sq. La prédestination n’est qu’un développement de ce mystère où la providence divine trouve son centre \ it al. SI brèves que soient ces indications de l’Écrlture, elles méritent d'être prises en sérieuse considération, (.'est Ici que les Pères de l'Église ont trouvé le point de départ de leurs méditations sur le gouvernement divin des choses et des personnes et sur le plan qui le règle de toute éternité. Ici encore que la théologie des âges sui­ vants, appliquant aux mêmes problèmes les ressources de la dialectique et de l'ontologie, a trouvé son point d'appui pour les vastes synthèses où s'est complu son génie. Aucune monographie d’ensemble A signaler. Les récents commentaires sur les livres sapientiaux peuvent fournir, en même temps qu’une orientation générale, des données importantes. A. Lemonnyeb. IL LA PROVIDENCE SELON LES GRECS. — L’affirmation de la providence PÈRES divine c’est-à-dire l’existence en Dieu d’un ensemble ordonné do desseins el de dispositions dont son gouvernement assure l’exécution — so présente, pour les Pères de l’Églisc grecque, comme une vérité fondamentale que la révélation présuppose et dont elle constitue lo plus éclatant témoignage. La négation de la providence entraînerait lo refus d’accepter toute l’économie chré­ tienne el contredirait même l’une des conclusions les plus assurées de la philosophie hellénique· Le raisonne­ ment humain, les Pères en sont parfaitement cons­ cients, se montre sur ce point en spéciale harmonie avec les enseignements de la foi. C’est pourquoi, si l’on met à part quelques opinions aventureuses d’Origenc, portant d'ailleurs sur des points secondaires, on doit enregistrer l’accord unanime des docteurs et des théo­ logiens autour de la doctrine traditionnelle; aucune définition solennelle ne s’est trouvée nécessaire pour affirmer un dogme dont aucun conflit n’avait altéré la pureté. Les memes raisons expliquent pourquoi les écrivains sacrés parlent relativement peu de la providence; ils lo 942 font cependant, soit pour louer la sagesse et la bonté de Dieu, soit pour combattre les erreurs de certains philo­ sophes. soit pour enseigner le peuple chrétien troublé par les idées manichéennes. Si le premier de ces objets leur est commun à tous, la polémique sera engagée et poursuivie surtout par les Pères du n* ct du nr siècle, tandis que l'exhortation présaudra chez les grands évêques-docteurs de l’âge des conciles; elle atteindra son expression parfaite dans la prédication de saint Jean Chrysostome. I. Pères apostoliques ct apologis­ tes. II. L'opposition au gnosticisme. Saint Irénée (col. 9-13). III. Les premiers alexandrins ct leurs dis­ ciples (col. 945). Ιλ . Les Cappadociens (col. 949). V. Le grand théologien de la providence, saint Jean Chryso­ stome (col.951). VL Les seconds alexandrins (col. 955). VIL Les Antiochicns (col. 956). VIII. La synthèse de la théologie grecque, sninl Jean Damascène (col. 958). IX. Conclusions (col. 960). I. Pères APosToi iques et apologistes. — 1° Parmi les Pères apostoliques, il n'en est point qui fasse aussi souvent mention de la divine prosidcnce que saint Clement de Rome dans son Éf tire aux Corinthiens. On peut distinguer ù ce sujet une série de thèmes géné­ raux, en liaison mutuelle, qui forment comme l’arma­ ture générale de la lettre; les affirmations doctrinales s'y unissent étroitement aux considérations morales que l’auteur a plus spécialement en vue. Tous les biens, et particulièrement les biens spirituels, les vertus, nous viennent de Dieu, xxxiv, 2-xxxv. 4, Funk, Patres aposlolici, t. i, Tubingue. 1901. p. 140-112; d’où la nécessité de rendre grâces, xxxvm. 4. p. 148, et défaire ce bien qui nous est donné, xxmii-xxx. p. 13-1-136; xxxiv, 2, p. 1 10. 11 nous faut imiter Dieu, qui ne cesse de faire le bien, xxxm, 1-8, p. 140; imiter l’ordre et l’harmonie qui régnent dans ses œuvres, xxxv, 4-6. p. 142-144. En effet. Dieu gouverne dans l’ordre ct dans la paix le monde visible qu’il a créé. xx. p. 126-128. Ainsi, les chrétiens doivent-ils respecter l’ordre ecclé­ siastique qui a été, lui aussi, établi par Dieu, dans l’ancienne alliance, xxxn, 1-2, p. 138. comme dans la nouvelle, xi.-xi.il, p. 150-152. Dans ce même ordre d’idées, dans lequel gouvernement divin ct gouverne­ ment ecclésiastique se rejoignent. Dieu est appelé < le créateur et l'évêque de tout esprit », ux, 3, p. 176. et Noire-Seigneur Jésus-Christ, dans lequel se consom­ ment tous les dons de Dieu, est · le grand prêtre de nos oblations ». xxxv i. 1. p. 11 L C’est de ces hauteurs que Clément juge cl dirime le conflit ecclésiastique qui di­ vise la chrétienté de Corinthe. 2° Comme celle de saint Clément de Rome, la pensée des apologistes du il· siècle est dominée par l’idée d’une providence divine qui gouverne le monde et accorde un soin spécial aux actions des hommes. Saint Justin estime que la question de la providence ct celle de l’unité de Dieu, de sa « monarchie ». font l’objet principal des recherches philosophiques. Dial., i, P. G., t. vi. col. 173 C. Comme apologiste, il accorde une valeur particulière A l’argument prophétique. Non seulement les conduites de Dieu sont ordonnées, mais il les a révélées à l’avance, afin que, le moment venu, nous puissions reconnaître avec certitude son action. A pot., i, 30, col. 373-376; Dial., vu. col. 192 BC. Justin insiste, de façon spéciale, sur l’aspect moral du gouver­ nement divin. Dieu a créé le monde pour l’homme, Apol., n, 5, col. 452 BC; celui-ci est doué de liberté, Apol., i. 13, col. 392-393, il sera récompensé ou puni se­ lon scs mérites, i, 43 et 11. col. 393-396. Tel est l'ordre immuable du /alum chrétien. Col. 393 B. Justin l’oppose au déterminisme fataliste des stoïciens, qui ne laisse place ni à la liberté humaine, ni A des mérites, ni A une vie future. Ibid. Par ailleurs, l’apologiste s’oppose aux philosophes qui estiment que la providence s’étend seulement aux genres ct aux espèces ct néglige les 943 PROVIDENCE. PÈRES GRECS, IRÉNÉE Individus·Dial., i, col. 473 C-176 A. Panni les attributs qui conviennent ù Dieu, cause de l'être de toutes choses, Dial., m, col. 181 B, Justin mentionne au premier plan la bonté. Dieu a créé le monde pour l’homme par bonté et il distribue à tous ses bienfaits, A pot., i, 10, col. 310 C; d’où, en échange, le bien-fondé delà prière, de l’action dc grâces et de l'eucharistie. L’incarnation du Christ et son supplice ont été voulus par le Père pour la rédemp­ tion du péché. Apol., n. 6, col. 153 B; Dial., lxiii, col. 620 C; xcv, col. 701 CD. Le sacrifice eucharistique non seulement rend grâces du bienfait de la création, mais il commémore également la passion du Sauveur et la libération du péché et de scs conséquences. Dial., xu, col. 561 C. Si l’on mentionne la place faite, dans le gouvernement divin, aux intermédiaires angé­ liques et le rôle, partout mis en relief, des démons, on aura groupé les traits essentiels de la pensée de Justin philosophe, apologiste et théologien, sur le gouverne­ ment de Dieu à l’égard de ses créatures. Comme l’avait fait Justin, Talion, son disciple, insiste sur les fins morales que poursuit le gouverne­ ment divin; les hommes sont libres de toute inclina­ tion fatale au mal, cette liberté est la seule cause du péché, car aucun mal nc peut venir de Dieu. Discouru aux Grecs, xi, P. G., t. vi, col. 829 BC; le maître de toutes choses laisse pour un temps les démons et ceux qui leur obéissent faire leur œuvre mauvaise; il se réserve dc juger toutes les créatures à la tin du monde. Ibid., xn, col. 832 C. Alhénagore invoque l’ordre du monde comme un argument en faveur de l’affirmation dc la providence divine. Legatio pro chrlslianis, xxv, P. G., t. vr, col. 919 CD. Dieu exerce sa prévoyance ù l’égard dc tout ce qu’il a créé grâce au ministère des anges. Ibid., xxiv, col. 918 A. Les démons, anges déchus, ont amené le trouble dans l’ordre établi par Dieu, ils sont causes que certains esprits aient pu mettre en doute l'exis­ tence d’une providence. Ibid., xxv, col. 918 C-949. Ainsi Aristote a-t-il nié que celle-ci puisse s’étendre aux réalités du monde inférieures au ciel. Ibid. Dans le môme ouvrage, Athénagore prend parti contre Γέχπύρωσις des stoïciens et la doctrine de l’éternité de la matière. Ibid., xx, col. 929 B. Mais c’est surtout dans son traité Sur la résurrection des corps que le phi­ losophe chrétien Insiste sur l’objet moral du gouver­ nement divin. Celui qui admet la providence univer­ selle de Dieu, sa sagesse et sa justice, doit également admettre le châtiment final des méchants et la récom­ pense des bons, tant dans leur âme (pie dans leur corps. De resurr., χνιι, P. G., t. vi, col. 1009 BD. Dans son l,r livre à Aulolycos, Théophile d*Antioche reprend et développe l’argument esquissé par Athéna­ gorc : l’ordre du monde nous permet de connaître quelque chose dc Dieu; c’est par sa providence qu’il se manifeste à nous, de même (pie l’âme d’un homme nous est dévoilée par les mouvements do son corps. Ad Autol., i, 1-6, P. G., t. vi, col. 1029 B-1033 C. Le II· livre oppose aux doctrines philosophiques et cos­ mogoniques des anciens sur l’origine du inonde et sur la providence les enseignements tirés de ΓÉcriture et, plus spécialement, du livre de la Genèse. Ad Autol., n. 1-11, col. 1052-1069. En effet, Dieu s’occupe du genre humain; il lui a donné la loi et les prophètes (pii lui enseignent et l’unité de Dieu et les vertus au moyen desquelles on peut obtenir la vie éternelle. Ibid., 31, col. 1108 AB IL L’OPPOStTIOX AU GNOSTICISM E, SAINT IllHNl’ E. ---- Saint Irénée, pour théologien qu’il soit, sait faire égale­ ment leur part aux affirmations de la raison naturelle touchant la providence. Certains païens, dit-il, moins adonnés que d’autres aux voluptés coupable» et au culte des idoles, ont pu connaître quelque chose du Père, artisan de toutes choses, (pii gouverne lo monde pour nous. Conl. hier., 1. III, c. xxv, 1, I*. (t., t. \ n, col. 968 B. Les épicuriens se voient reprocher d’avoir nié la providence, I. Ill, c. xxiv, 2, col. 967 C, tandis que Platon, · plus reli­ gieux », est loué d’avoir confessé la bonté, la justice et la puissance divines. L. III, c. xxv, 5, col. 969-970. Irénée affirme, en termes très forts, comment rien n’échappe au gouvernement divin, I. II, c. xxvi, 2-3, col. 801-802; les anges et les démons même y sont sou­ mis, 1. 11, c. vr, 2, col. 721-725; ce pouvoir universel de Dieu est comparé à celui qu’exerce l'empereur dans l’Élat. Ibid. Gomme l'avaient fait les apologistes, l’évêque do Lyon estime que l’un des actes essentiels du gouvernement divin est la récompense dos bons et la punition des méchants. L. IV, c. xxxvi, 6. col. 1096 C; c. XL, 1-2, col. 1112-1113; I. V, c. xvni, 3. col. 1171 Q S’opposant aux hérésies dualistes, Irénée affirme avec une vigueur spéciale, contre les gnostlques, l’unité du Dieu créateur, 1. Il, c. i-iv, col. 709-721, et contre Marcion l’identité du Dieu créateur et juge et du Dieu Père, révélé dans le Nouveau Testament. L. III.c. xxv, 2-3, col. 968-969. L'argumentation du conlrovcrsiste est appuyée surtout par des textes scripturaires; on ne peut relever ici le détail delà discussion; qu’il suf­ fise de faire mention d’un argument théologique,d’une forceréellcet d’une originalité indiscutable, qui faitétat du dogme eucharistique pour prouver l’unité du plan divin. Comment le Christ aurait-il pu dire que le pain est son corps et le vin son sang, si son Père n’était pas le Dieu qui a fait le pain et lo vin? Pour pouvoir nous nourrir de son corps après nous avoir rachetés par son sang, Jésus doit être le Fils de celui qui a < fabriqué »cc monde visible. L. IV, c. xvni, I, col. 1027; c. xxxin, 2, col. 1073 B; I. V, c. n, 1-2, col. 1123-1125. Irénée use de tonnes qui font image pour mettre en relief, contre la gnose, l’unité du plan divin ; Adam avait été comme une pâte, un plasma sous les doigts du Créateur; l’application de la rédemption, le don de la grâce est une nouvelle plasmatio. L. IV, c. xxxix, 2-3, col. 1110-1111 ; 1. V, c. xvi, 1, col. 1167 AB. De même, l’homme avait été créé ù l’image de Dieu, mais, le Verbe étant alors invisible, il a facilement perdu cette divine ressem­ blance. Le Verbe fait chair, image visible du Dieu invi­ sible, est venu rendre à l’homme et consolider sa simi­ litude avec lo Père invisible. L. V, c. xvi, 2, col. 11671168. On louche ici à la doctrine de la récapitulation dc toutes choses dans le Verbe, qui constitue la fin parti­ culière en même temps que le moyen privilégié du gouvernement divin. Cette récapitulation, c’est l’otxoνομία, le plan, la disposition de Dieu sur l’humanité, réalisé par l’incarnation el la passion du Christ. Tantôt Irénée parle des dispositions divines, οίκουομίαι, que le Saint-Esprit a révélées par le ministère des prophètes, I. Le. x. l.col. 519 B; tantôt il emploie commo syno­ nymes disposition el gouvernement, disponens et guber­ nans, 1. I. c. xxii, l. col. 669 C : disposition et provi­ dence, providens et disponens, I. Ill, c. xxv, I, col. 968 B; tantôt il met e i conjonction disposition et récapitu­ lation : Christus Jesus Dominus noster veniens per uni­ versam dispositionem et omnia in semrtipsum récapitu­ lons. L. III, c. xvi, 6, coi. 925 C. Au contraire, ceux qui admettent une pluralité de principes, de dieux cl d’éons redent extra dispositionem, en dehors dc l’ac­ complisse nent gratuit de la récapitulation dans le Christ. L. III. c. xvr, 8, col. 926 C. Il semble qu’il était difficile do marquer, dans une doctrine théologique plus forte el plus nette,l’unité du plan divin surl’humanité. Dans la Démonstration dt ht prédication apostolique, catéchèse plu élémentaire, Irénée se contente d’afllrmor quo tout >malno do Dlout tout coqui'·’ dépendance doit agir pour lui . Démonstr., 3, /*. O , t, xn, p. 758. 945 PROVIDENCE. PÈRES GREC 111. Les phi.mii.ns alexandrins et leurs dis­ ciples. — 1· Clément d*Alexandrie a sa manière, qui lui est propre, de marquer l’unité et la continuité du plan providentiel. Alors qu’lrénéc comparait Dieu â un potier pétrissant la pâte humaine, le maître de l'école catéchétlque d’Alexandrie emprunte ù ses occupations familières l’idée d’une éducation progressive de l'hu­ manité; l’action divine est, avant tout, une divine pédagogie. Le Logos, sagesse et conseiller du Père, est le suprême didascalos. Strom., VU, n, P. G., t. ix, col. 412 A. La loi ancienne, la philosophie grecque et la loi nouvelle sont comme les étapes de ccttc initia­ tion providentielle. (Sur le rôle providentiel de la phi­ losophie grecque, cf. art. Clémi xt d’Alexandrie, t. m, col. 168-171.) Bien que Clément étende ccttc conception ù l’histoire entière de l’humanité, elle ne présente pas chez lui le caractère d’une vérité abstraite. Dieu n’est pas seulement le maître des causes univer­ selles, il régit les êtres particuliers et jusqu'aux plus infimes. Strom., VI, xvn, col. 388G-392; VU. II. col. 416 AB. Chaque Ame particulière est l’objet dc son action, les meilleures surtout jouissent dc ses faveurs. Loc. cil., col. 390 AB. La sainteté du gnos· tique consiste dans une libre correspondance aux bien­ faits de la providence, grâce aux sentiments d’une amitié réciproque. Strom., VII, vu, col. 157 C. La prière du vrai gnostique, toujours conforme ù la volonté de Dieu, est toujours exaucée. Strom., VII, vu. passim. Il est peu d’idées sur lesquelles Clément insiste autant que sur celle de la bonté infinie et toujours agissante de Dieu. l\rd.. I, vm, P. G., t. vm, col. 325-329; Strom., VI, xvi, P. G., t. ix, col. 369 B; VI, xvn, col. 381-385. Il est dc sa nature d’être bon, il ne cause, en aucun cas, le mal. Strom., VII, II, col 116 A, il le permet seulement, et sa providence est telle qu’il lui est loisible de faire sortir d’un mal particulier quelque chose de bon et d’utile. Strom., I, xvn, t. vm, col. 801 AB. Les souffrances mêmes des martyrs rentrent dans 1’« économie > de la divine providence, qui tend, avant toute autre chose, à notre sanctification. Strom., IV, xn. t. vm. col. 1296. 2° Origène. — Une indication de Grégoire le Thau­ maturge, dans son discours de remerciement â Origène, manifeste de façon précise, les tendances Intellectuelles du grand alexandrin. Il nous apprend comment celuici l’avait exhorté à la lecture des philosophes, sans rien rejeter de leurs écrits, si cc n'est ce qui sc trouvait con­ traire ii l’existence de Dieu et à sa providence. In Ori~ genem oratio panegyrica, xm. P. G., t. x. col. 1088 B. La notation est précieuse, elle souligne à la fols l'im­ portance accordée par Origène ù l’idée de providence et la tentative qu’il inaugure d’un emploi raisonné des philosophies païennes dans l’élaboration théologique du dogme chrétien. Origène fait d'ailleurs lui-même écho aux déclarations de son disciple. Dans son traité De la prière, il classe nettement les penseurs en deux groupes : ceux qui admettent Dieu et sa providence, ceux qui les rejettent sinon de bouche, du moins dc fait. De oral., 5, P. G., t. xi. col. 129 B. Dans le Péri· arcMn, l'auteur affirme qu’en toute chose il entend dé­ fendre la providence de Dieu, qui s'exerce, de façon si variée, à l’égard dc l'âme immortelle. De prine., HL i, 17. P. G., t. xt, col. 285 B. Cc nc sont point là de vaines paroles, car. dans le Contra Celsum, il touche à plu­ sieurs reprises à la doctrine de la providence: il l'af­ firme aussi bien contre le fatalisme professé par les stoïciens, que contre les négations des épicuriens avec lesquels ('else se trouve trop souvent d'accord. Conl. Cels., L 10, P. G., t. xi, col. 676 A. Ailleurs, dans le même ouvrage, Origène reprend avec vivacité les railleries de Celsc lorsque celui-ci estime que les chré­ tiens n’ont aucune raison d’affirmer que Dieu a créé toutes choses pour l’homme. L'apologiste chrétien sait j Ici opposer, avec beaucoup , P. G . t. χχν, col. 5 CD; 1, 949 PROVIDENCE. PÈRES GRECS, col. 9 1); 0-7, col. 12 D 16 C. Au point dc vue positif, Athannsc marque que Dieu est le maître souverain de toutes choses, ibid., 29, col. 57 B, et qu’il prend un soin spécial de l'âme raisonnable. Ibid., 35, col. G9 B. En effet, quoique l'homme ne puisse ni voir ni comprendre la nature divine du Créateur, il peut, dc quelque façon, le connaître par ses œuvres; ainsi, sans voir Phidias, on peut reconnaître sa main dans la disposition et les pro­ portions que manifestent scs ouvrages. Ibid. Tout cela, en somme, n’est pas particulier à Athanu.sc, mais l'ori­ ginalité de l’adversaire d'Arius sc marque mieux dans la mention continuelle qu’il fait du Verbe divin dans l’œuvre de la création et du gouvernement divin. Comme conclusion d’un long discours sur l'ordre du monde, l’harmonie de ses parties, l'équilibre qui règne entre les éléments contraires dont il est composé, Athanasc affirme que, si cet ordre, ccttc harmonie, cct équilibre, dénotent l'unité du Maître dc toutes choses, ibid., 39, col. 77 B-80 B, ils démontrent aussi que tout a été fait ct que tout est dirigé par le Verbe, sagesse éternelle du Père. Ibid., 10, col. 80 B-81 B. Le Logos, raison, mesure, harmonie, conduit la création ct lui communique lumière, bonté ct beauté. Toutes les choses sont bonnes dans la mesure où elles sont à l'image dc Dieu, ibid., 4, col. 9 D. dont le Verbe est l'image parfaite. Mais, plus que toute créature privée dc raison, l’homme est fait â l'image de Dieu, donc par le Verbe. Ibid.. 8, col. 16 D; 31. col, 68 : · A. Telle est la raison pour laquelle Dieu prend un soin particu­ lier des hommes ct leur a envoyé son Verbe, afin qu’il puisse réparer ct parfaire ccttc similitude divine que le péché avait détruite. Or. de incarnat., Ί, P. G., t. xxv, col. 108 D-109 A. Telles sont les notions fonda­ mentales de la théologie d'Athanase; telles il les a exposées dans l'ouvrage de jeunesse qui a été cité, telles il les reprendra plus tard, inlassablement, dans ccttc affirmation dc la divinité du Verbe incarné qui sera l'œuvre de sa vie. IV. Les Cappadocikns. — 1° L’enseignement de saint Basile sur la providence est nettement adapte aux fins pratiques de son ministère pastoral. Il ne s'attache pas â combattre les opinions des phi­ losophes grecs dont les doctrines, opposées les unes aux autres, sc détruisent mutuellement de façon suflisante. //i hexacm., i. 2, P. G., t. xxix, col. 8 A. Leur negation de la providence provient dc leur ignorance de Dieu et des choses divines. Ibid. Le Créateur gouverne toutes choses — κυβερνών τά σόμπαν τα ...οίκονομών τά καθ' έκαστον — Il rend â chacun selon ses mérites; en douter, c'est « marcher selon le conseil des méchants ». Ps., i, 1. Bienheureux au contraire est l’homme qui n’a aucune Inquiétude au sujet de la providence de Dieu; il est semblable Λ ceux qui dorment tandis qu’un vent favorable pousse leur navire au port. Horn, in Psalm., r. L P. G., t. xxix, col. 220 CD. Lorsque Basile veut donner quelque argument en faveur de l’existence delà providence, il fait appel â des considérations familières qui sauront toucher les populations agricoles de la Cappadoce. A propos de ces paroles de la Genèse : Germinavit terra herbam virentem d /acientem semen, Gen., i. I I, il Interroge son auditoire en ces termes : « Si la nourriture a été préparée pour le bétail, la nôtre ne serait-elle pas digne des soins de la providence? Celui qui a donné aux bœufs et aux chevaux leur fourrage te prépare, à plus forte raison, richesse et bien-être. Celui qui nourrit tes troupeaux augmente d'autant les provisions nécessaires Λ ta vie. Qu’est-ce donc que la création des semences sinon la préparation de ta propre subsistance? D’autant que beaucoup dc plantes el de légumes servent aussi à la nourriture des hom­ mes. » In hrxaem., v, 1. P. G., t. xxix, col. 96 C. Un peu plus loin, l'évêque de Césarée cite en exemple le figuier, dont le feuillage abondant est nécessaire â la protec­ 950 tion des fruits, tandis que les noix, dans leur rude écorce, n'ont pas besoin d'une semblable garantie. On volt bien ainsi que rien n’est fait sans cause, ni par hasard, mais est le produit d'une sagesse infinie. Ibid., 8, coi. 112 D-l 13 A. Ailleurs, à propos d’un verset du psaume exiv : Cus/odiem parvulo* Dominus, Basile évoque l'existence dc l'embryon dans le sein dc sa mère; dans un espace étroit, ténébreux et humide, il vit comme un poisson plutôt que comme un homme et cependant 11 demeure sain et sauf sous la garde de Dieu. Horn, in Psalm., exiv, P. G., t. xxix, col. 189 D. Dans le même esprit, d'une simplicité toute surnatu­ relle, le saint évêque s'attaque aux objections qui courent parmi scs ouailles contre la providence dc Dieu; c'est le spectacle du juste tombé dans la misère tandis que le fripon s’enrichit, Hom. in Psalm., xi.vin 17, ibid., col. 153 D-456; c'est la famine ct la sécheresse qui désolent le pays, ce qui donne matière à une homé­ lie, Horn. tempore /amis d siccitatis, P. G., t. xxxi, col. 303-328; cc sont des deuils cruels en face desquels le grand évêque trouve des paroles dc consolation empreintes des plus religieux sentiments de résigna­ tion ct de soumission a la volonté de Dieu. EpisL, v, P. G., t. xxxii, col. 237-241 ; EpisL, vr, ibid., col. 241245. Basile saisit avec empressement toutes ccs occa­ sions pour affirmer que, si nous ne pouvons pas com­ prendre les desseins secrets du Créateur, nous devons néanmoins croire à sa sagesse ct à sa bonté; il ne veut que notre bien, ct les épreuves qu’il nous envoie sont une condition dc notre progrès. En somme, l'évêque de Césarée applique aux circonstances quotidiennes de la vie ccttc conception du rôle pédagogique de la provi­ dence que les Pères d'Alexandrie avaient développée sur un plan plus spéculatif. Cependant, Basile sait, lui aussi, s'élever à des considérations théoriques. Dans l'homélie qui a pour titre : « Dieu n'est pas l’auteur du mal », il prend vivement à partie les doctrines mani­ chéennes en affirmant que le mal n’est pas une sub­ stance. Hom. « Quod Deus non est anclor malorum », 5, P. G., t. xxxi, col. 341 C, qu’il n'a pas été créé par Dieu, qu'il est attribuable Λ la volonté perverse des anges, ibid., 8, col. 315 D-347, ct des hommes. Ibid., 3, col. 332 D-333. Dans cette même homélie, Dieu est appelé : ό φρόνιμος καί σοφός των ψυχών οικονόμος. « le prudent ct sage économe des âmes ». Ibid., 5, col. 340 C. Tout cela conduit ù la même conclusion : quand Basile parle de la providence, il envisage avant tout, comme Cyrille de Jérusalem, l’action toujours actuelle et toujours bienfaisante dc Dieu sur le monde. 2° La pensée théologique dc saint Grégoire de Xarfa/ire, plus fine et plus spéculative que celle de son ami Basile, se meut cependant dans un même cercle d’idées. Dans le discours sur le saint baptême, que l'on pense avoir été prononcé à Constantinople le 7 jan­ vier 381, l’orateur fait mention dc la providence divine dans la profession de foi qu’il propose à ses auditeurs. Après avoir confessé la Trinité, au nom de laquelle il a été baptisé, le fidèle doit croire que le monde visible et invisible a été créé pur Dieu ex nihila ct qu’il est « gouverné par la providence de celui qui l’a fait et le conduit vers un état meilleur ». Le chrétien doit éga­ lement rejeter les erreurs manichéennes, c’est-à-dire croire que le mal n'est pas une substance, qu’il n’a pas été créé par Dieu, qu’il provient dc nos péchés et des œuvres du malin. In sand. bapt., xi.v, P.G., t. xxxvi, col. 421 A B. Dans le second des grands discours théo­ logiques, prononcés également Λ Constantinople, l'évèque. après avoir affirmé que la nature divine dépasse tout entendement créé et toute parole humaine, Orat. theol., n, 4, ibid., col. 29 C-31 A, enseigne que nous pouvons cependant connaître l’existence de Dieu. Ibid., 5, col 32 C. En effet, Dieu est cause dc la créa­ tion et de la conservation dc toutes choses, rien ne peut 951 PROVIDENCE. PÈRES GRECS, JEAN CHRYSOSTOME 952 se soutenir sans le concours toujours actuel de Dieu; chez lui, quelque chose de l'ordre, de la beauté, de la ainsi, quand nous voyons une cithare, que nous admi­ grandeur qui brillent dans l'œuvre même de Dieu. rons la beauté de scs proportions ou que nous enten­ Comme pour Bossuet, auquel, depuis Villcmaln, on a dons la mélodie de scs sons, nous pouvons savoir quel­ coutume de le comparer, il existe une affinité préétablie que chose de celui qui l’a faite, même si nous ne le con­ entre le génie de l’homme et les merveilles du gouverne­ naissons pas de vue. Ibid., 6, col. 32 D-33 A. Le pre­ ment providentiel qu'il s’attarde à décrire; aussi sait-il mier discours d'invective contre Julien l’Apostat fait le faire avec nue ampleur de vues, une sûreté de trait, plusieurs fois mention du gouvernement universel de un tact que bien peu, si même il en est. possèdent à un pareil degré. Dieu sur le monde qu’il a créé. Cont. Jul., i, 17, P. G., t. xxxv, col. 572 B; 78, col. 601 C. Lc discours sur l’a­ L’évêque de Constantinople ne s’attarde pas à dis­ mour des pauvres fournit également â son auteur cuter avec ceux des philosophes qui nient la provi­ l’occasion de parler du domaine divin sur la créature. dence divine; la dialectique scolaire n’cst pas son fait; Grégoire blâme d’abord ceux qui s'autoriseraient des c'est en orateur, en théologien, en moraliste surtout décrets de la providence pour abandonner les Indigents qu'il aborde et traite la question. Dès le début de sa à leur malheureux sort, sous prétexte que celui-ci est carrière, il proclame que seules la malice des hommes conforme à la volonté de Dieu. On voit, dit l'orateur, et leur mauvaise conduite ont pu les empêcher d’ad­ que ceux qui raisonnent de la sorte ne reconnaissent mettre une vérité plus claire que la lumière du jour. pas que leur propre fortune vient de Dieu; sans cela, A du. oppugn, vihc mon., ni, 10, P. G., t. xlvii, col. 365. ils en useraient davantage selon Dieu. De pauperum A la fin de sa vie, il est plus convaincu que Jamais de amore, 29, P. G., t. xxxv, col. 896 D-897 B. D’ailleurs, la même doctrine : l’ordre ct l'harmonie du monde, dans cette vie, nous ne pouvons savoir si le malheur les astres, les règnes de la nature, démontrent suiliest la punition d’une faute ou l'épreuve de la vertu, les samment l’existence d’une providence divine. Ad eos desseins de Dieu nous restent cachés. Ibid., 30, col. gui scandalizati sunt, v-vi, P. G., t. lu, col. 488; vu, 897 C-900 A. Quelques lignes plus loin, le saint évêque col. 191-196; développements parallèles : De com­ reprend vivement ceux qui font argument des misères punctione ad Stclechium, n, 5, t. xlvii, col. 418-119; de la pauvreté pour calomnier la providence divine ou Ad populum Antiochenum, horn, ix, I, t. xux, pour tout abandonner aux hasards de la fortune ou col. 109; hom. x. 2-3, col. 113-115. La splendeur du aux exigences de la fatalité. Ibid., 32-33, col. 900 D- jour, les mers, les sources, les couleurs variées du plu­ 904 A. Il termine son discours en exhortant scs audi­ mage des paons, sont tour à tour invoquées; l’univers teurs à la miséricorde, il leur montre l'exemple de possède un tel éclat qu'il semble toujours neuf ct Dieu ct celui du Christ, il leur rappelle les figures bi­ fabriqué d'aujourd'hui; il est si beau qu’on a pu le bliques de Job, de Lazare ct du mauvais riche, la prendre lui-même pour un dieu. Ibid., col. 114-115. parabole du bon Samaritain; enfin, ii insiste sur l’uti­ Ailleurs, Chrysostome, comme l'avait fait Basile,donne lité morale ct sociale de la pauvreté. une attention particulière à la nature végétale; la fer­ Saint Grégoire a consacré en outre deux poèmes ù tilité des prairies, cette « graisse du froment » (ex adipe célébrer la providence divine, Poemata dogmatica, v frumenti), dont parle le psaume qu'il commente, Ps., ct vi, p. G., t. xxxvii, col. 124-138. et la mention de la cxlvii, 14, lui sont un moyen de démontrer l’existence providence revient souvent dans son œuvre poétique. de la providence de Dieu. P. G., t. lv, col. 479. Aussi Index Anahjlicus, P, G., t. xxxviii, col. 1279. 11 s'agit est-il naturel que cette même providence soit comparée toujours du gouvernement divin qui s’étend à toute ailleurs aux eaux d'un fleuve puissant qui apporte la créature ct contient toute chose dans son action souve­ fécondité à toute la région qu’il arrose. In Ps., xlv, 1, raine. ibid., col. 205. 3° Telle est également la doctrine exposée de façon Le gouvernement de Dieu s’étend â toutes les créa­ plus didactique, par saint Grégoire de Xi/sse. tures, aucun des êtres singuliers n'y échappe, chacun Le mot même de providence est rare dans ses écrits. d’eux y est spécialement soumis. Ad Stagirium a dieOn peut en signaler l’usage dans le petit traité intitulé mone vexatum, i, 5, P. G., t. xlvii, col. 437; In Quod non sunt très dit, où l'auteur affirme que la pro­ Ps., cxxxiv, 1.1. lv, col. 392; In Matth., hom. xxviii, vidence ct le gouvernement des créatures sont com­ I (al. xxix), 3, t. lvii.coI. 351. D’une façon plus absolue muns aux trois personnes divines. P. G., t. xlv, encore, l'orateur sacré affirme que, sans la providence, col. 128 D. De meme, dans le dialogue avec sa sœur, le monde ne pourrait ni durer ni se soutenir un sur l’âme et la resurrection, Macrine fait mention des seul instant. Ad pop. Antioch., hom. ix, 4, t. xux, erreurs des épicuriens qui nient la providence et attri­ col. 109; hom. x, 2-3, col. 113-111. L’exemple qu’il buent toutes choses au hasard. De anima ct resurr., prend est celui du corps humain, composé de divers P. G., t. xlvi, col. 21 B. En revanche, ni dans le Contra éléments, ct qui ne peut rester lui-même que sous l’ac­ latum, ni dans les homélies sur l’oraison dominicale, on tion ct le gouvernement de l’âme qui l’anime. Ainsi, ne rencontre de développement sur la doctrine de la bien que l’idée d’une prévoyance divine ne soit pas providence. La manière de Grégoire apparaît nette­ exclue, la notion de providence évoque plus spéciale­ ment dans sa grande catéchèse. H entreprend de mon­ ment pour Chrysostome, comme pour les Pères grecs, trer la bonté ct la justice du gouvernement divin tel cette continuité de l'action créatrice qui soutient ac­ qu’il sc réalise de fait. Or. catcch., xx. P. G., t. xlv, tuellement toute chose dans son être ct la dirige dans col. 56-57. Lc mot οικονομία est employé, celui de pro­ son mouvement; mais encore faut-il, pour atteindre le vidence ne l'est pas, cc qui, au point de vue du voca­ sens exact de l’idée grecque, ajouter que cet être est bulaire théologique, est évidemment plus exact. beauté, ct ce mouvement harmonie; le monde con­ V. Le grand théologien de la providence, servé dans l’ordre, la paix ct la splendeur, tel est l’effet saint Jean Chrysostome. — Alors que les Pères de propre de la providence divine. Cappadoce s’étalent contentés de toucher brièvement Le passage de l’ordre de la nature Λ celui de la vie â la doctrine de la providence, saint Jean Chrysostome, morale, on le volt, est ahé. L'homme, créature de Dieu, nu contraire, dans scs homélies, dans ses exposés de la n’échappe point évidemment ù l’action précise ct par­ sainte Écriture, dans ses traites de morale ct d’ascèse, ticulière du Créateur qui s’exerce sur chacun de scs sc plaît visiblement ù consacrer à la même question actes. De même que nous ne pouvons rien ajouter à d'amples développements. notre taille, de même est ce 11 prosklencc divine qui, C'est un sujet, d’ailleurs, dans lequel il excelle; un dans nos o uvres, parfait toute exécution. Sans elle, discours calme, majestueux, puissant, sait faire reluire, ni souci·., ni peines n efforts ni nous seraient de 953 PROVIDENCE. PÈRES GRECS, JEAN CHRYSOSTOME quelque ut Hite, In Matth., hom. xxi (al. xxn), 3, P. G., t. lvii, col. 298. Cf. art. Pîilihstixaiîon, t. Xll, ' col. 2829. Mnis, si l'existence d’un gouvernement uni- i verset de Dieu se révèle de façon suffisamment mani­ feste dans l’ordre admirable de la nature, il n’en va pas . toujours de même, aux yeux de certains chrétiens, dans les conduites morales de la providence. Si Dieu gouverne souverainement toutes choses, pourquoi les tentations du démon, les scandales, les tribulations des justes, le triomphe des méchants? Telles sont les objections courantes, familières a ses ouailles, que Chry­ sostome connaît bien. Aussi, sans parler des homélies nombreuses où il touche ces questions, il les examine en détail dans deux ouvrages composés au début ct â la tin de sa carrière apostolique ct qui constituent l'un ct l’autre une très haute apologie des voies providen­ tielles. Lc premier est dédié au moine Stagirc, que les attaques répétées du démon avalent fait tomber dans la tristesse ct le découragement, P. G., t. xlvii, col. 425418; le second est adressé à ceux qui se scandalisent des persécutions dont soutire l’Église de Dieu de la part des impies, t. lu, col. 179-528. Le raisonnement y suit, ici et lù, une même marche, dont il suffira de donner un résumé rapide. Lc point de départ est con­ stitué par une affirmation absolue de la providence divine ct du caractère bienfaisant de son action; c’est alors que l’auteur fait intervenir, en confirmation de la doctrine, ces développements sur l’harmonie de la créa­ tion auxquels on a fait allusion; ils ont pour but de venir en aide ù notre foi ct d’exclure toute hésitation de notre part. En effet, si toute la nature proclame la bonté et l’amour de Dieu à l’égard de l’ouvrage de scs mains, ses desseins particuliers sur les hommes nous demeurent impénétrables en cette vie; nous ne pou­ vons ni les connaître ni les juger; la providence de Dieu nous est incompréhensible. C’est lù un des thèmes favo­ ris de Chrysostome, et il aime citer, ù cette occasion, l’exclamation de saint Paul, Boni., xi, 33 : O altitudo divitiarum sapienliæ ct scicntiie Dei! quant incompre­ hensibilia sunt judicia ejus et investigabiles viw ejus. Voir Adv. Judæos, ι, 1, P. G., t. xlvui, coi. 813; Ad eos qui scandalizati sunt, n, t. lu, col. 482-184; dévelop­ pements parallèles : Ad Stagirium a dæmone vexatum, i, 8, t. xlvii. col. 413; In epist. ad Kom., hom. xvi, 7, t. i.x, col. 557-559; In Ephes., hom. xix, 4-5, t. lxii, col. 132-136. D’ailleurs, non seulement l’apôtre Paul, mais les puissances célestes elles-mêmes ignorent le secret des dispositions divines, seuls le Fils et ΓEspritSaint les connaissent. Ad cos..., m, t. lu. col. 181-486. Les anciens patriarches, Abraham, Joseph. David, ont donné ù cc sujet un exemple significatif d'humilité, de patience ct de soumission ù des décrets divins dont ils ignoraient encore le sens et la portée. Ibid., x, col. 500507. Il nous est donc absolument Interdit de mettre en cause les conduites de Dieu ù notre égard, nous sommes seulement assurés de deux choses ; d’une part, la pro­ vidence de Dieu n’est pas moins admirable dans les afflictions el les tentations que dans la joie ct le bon­ heur. Ad Stagirium, i, 3. P. G., t. xlvii, col. 429430; d’autre part, le seul mal véritable est le péché, ct, dans cet ordre, personne n’cst lésé que par soimême. Ad cos..., xv-xvi, t. lu. col. 516 (Chrysostome renvoie ici explicitement au traité qu’il vient de com­ poser : Quod nemo læditur nisi a se ipso, P. G., t. lu, col. 459-480). Appuyé sur ces deux principes, l’évêque de Constan­ tinople n’a pas de peine ù montrer l'utilité morale de la soulTrance en même temps que son caractère relatif ct passager. S’adressant ù Stagirc, il insiste spéciale­ ment sur l’utilité des tentations ct des assauts des démons pour y voir l’occasion d’un progrès spirituel. Ad Stagirium'. I, 4. P. G., t. xlvii. col. 133-131, el l’assurance d’une plus grande perfection, ibid., 10, 954 col. 117-118; écrivant aux fidèles que troublent les persécutions, il montre comment, selon le mot de saint Paul, Hom., v, 3-1, · la tribulation produit la patience, ct la patience la fidélité éprouvée », Ad eos..,, xxi, P. G., t. lu. col. 522-523; d’ailleurs les attaques mêmes auxquelles l’Église est en butte sont le signe éclatant de sa force ct de sa vitalité. Ibid., xxm, col. 526. Le saint évêque se rend compte que la grande loi provi­ dentielle de la rédemption par la souffrance heurte assez rudement ses auditeurs cl que seuls les enseigne­ ments de la foi peuvent la leur faire accepter. Aussi prend-il soin d’illustrer son exposé par des exemples tirés de la sainte Écriture; Abraham, Joseph, le saint homme Job, le pauvre Lazare de l’évangile de saint Luc, saint Paul, sont fréquemment invoqués par lui comme témoins. Mais, plus encore, il présente a scs auditeurs l’exemple du Christ : le mystère de la croix, « scandale pour les Juifs, sottise pour les païens », n’cst-il pas la source de notre salut et l’origine de toutes les grâces? Ad eos..., xv, ibid., col. 515-516; les souf­ frances mêmes endurées par Notre-Selgncur dans sa passion nous sont un gage irrécusable des tendresses divines. Ad Stagirium, i, 5, P. G , t. xlvii. col. 436; Ad eos..., xvn, t. lu, col. 516-518. D’ailleurs toutes les époques de la vie de l’Église ont connu le scandale des persécutions; les temps apostoliques n’en furent pas plus exempts que les nôtres, ibid., xiv, col. 512-515; xx, col. 521-522, ct les martyrs sont lù pour nous donner la même leçon. Ibid., xix, col. 518521. De l’histoire universelle se dégage nettement I l’affirmation de la nécessité providentielle de la souf­ france. Mais le saint évêque sait aussi quitter ces hau­ teurs de la théologie ct de l’histoire pour tenir à l’in­ quiet Stagirc un langage plus familier el plus proche des réalités quotidiennes. A cc moine qui sc plaint des fatigues ct des épreuves qu’il rencontre dans la vie spirituelle, il conseille de sc faire introduire dans un hôpital, de visiter une prison, afin de pouvoir prendre contact avec des maux vraisemblablement plus réels que les siens. Ad Stagirium, m, 13, P. G., t. xlvii, col. 490-191. Enfin, ct c’est le dernier trait de la doctrine auquel on s’arrêtera, toutes les douleurs ct toutes les souf­ frances de cette terre témoignent simplement que la providence de Dieu n’embrasse pas seulement le cours de notre vie mortelle; son action s’étend au delà du temps; nos Ames sont immortelles, un jugement les attend avec une récompense ou un châtiment définitifs. C’est alors seulement que la justice et l’harmonie des desseins providentiels seront pleinement réalisées ct manifestées. In Matth., hom. xin, t. lvii. col. 215218; Expos, in psalmum ir, 10, t. lv, col. 55; 11. col. 56-57. En attendant leur accomplissement, nous sommes soumis, par l’effet même de la bonté de Dieu ù une pédagogie (παιδεία) souvent douloureuse ct dont le secret parfois nous échappe, mais qui nous conduit en toute sûreté vers les meilleurs biens. Ad Stagirium, L 6, t. xi x n. col. 440; 7. col. 111-1 12. Tels sont, brièvement Indiqués, les thèmes essentiels que développe saint Jean Chrysostome et dont il com­ pose cette vaste apologie de la providence divine ù laquelle son œuvre esl en grande partie consacrée. L’analyse peut sans doute dissocier les divers argu­ ments, noter les principales étapes de la pensée, mais elle ne peu! rendre ni cette vivacité de la piété, ni cc mouvement large et naturel du style qui viennent donner aux idées exprimées un Incomparable pouvoir de séduction. Si l’on ajoute que cct apologiste magnifique des bienfaits de la providence divine a souffert, pendant les années de son épiscopat, la persécution, la calomnie et l'exil, on sera porté ù admirer dans scs écrits, plus encore que le talent du théologien ct l’éloquence de l’orateur, la sérénité et l’élévation d’âme d’un saint. 955 PROVIDENCE. PÜRES GRECS, LES ANTIÜCHIENS 95G VI. Les seconds alexandrins. — 1° A Alexandrie, du péché. Il y a là. de façon occasionnelle, un emploi le patriarche Théophile, l’adversaire déclaré de Chry­ presque technique de la notion ct du terme de sostomc, sc fait aussi connaître par sa fougue anliori- providence. géniste. Parmi les erreurs dont elle fait grief à l’auteur VIL Les Antiociiisns. — 1° A l’encontre de saint du Periarchôn, sa lettre festale de 102, traduite par Cyrille, Theodorei de Cyr, formé aux mêmes disciplines saint Jérôme, en mentionne deux qui touchent à la que Jean Chrysostomc, emploie, de façon continuelle, doctrine de la providence : 1. Origène aurait refusé le mot de providence ct par deux fols, il consacre à la d'étendre l’action providentielle à toutes les créatures, πρόνοια d’importants développements. mais aurait circonscrit ses elTet.s au domaine des Dans le traité que les traductions latines intitulent sphères célestes. S. Hieronymi Hpisiolte, xcvni, 14, Gra'carum affectionum curatio, le I. VI esl consacré tout P. t. xxn, col. 802; 2. Le docteur alexandrin aurait entier à la doctrine de la providence. P. G., 1.lxxxïh, également enseigné que la puissance de Dieu est limi­ col. 956-992. Le prologue de l’ouvrage expose de façon tée, quelle ne peut s’étendre au delà des êtres qu’elle a, explicite le but que s’est proposé l’auteur: combattre de fait, créés, les seuls que sa providence se trouvait en l’impiété de Diagoras, le blasphème d’Épicure el mesure de gouverner. Ibid., 17, col. 865-806. On remar­ l’opinion tronquée d’Aristote; louer au contraire Pla­ quera que les deux chefs d’acrusation ne sont pas ton et Plot in et tous ceux qui ont. avec eux, un juste absolument cohérents : le second semble bien admettre sentiment de la providence; en lin. montrer, par des ce qui est supposé nié dans le premier, à savoir que la raisons physiques, comment la vérité est manifestée, providence divine dirige toute créature. En fait, le pre­ sur ce point, par la création et toutes les choses que mier grief est nettement exagéré; il eût été plus juste de Dieu a faites. Ibid., col. 785 CD. La marche du déve­ dire qu’Origènc, comme l’avaient fait les apologistes loppement est alourdie par une masse de citations du π· siècle, accorde un rôle très important aux inter­ d’auteurs profanes,cc qui d’ailleurs constitue peut-être médiaires angéliques dans le gouvernement divin. Le la meilleure richesse de l’exposé. second reproche est mieux fonde; il est d’ailleurs repris, Le même sujet est également traité par Théodorct, appuyé par des citations du Pcriarehôn, dans la lettre mais sans étalage d’érudition et d’un point de vue de Justinien à Menas de Constantinople. P. G., moins philosophique, dans une série de dix longs dis­ I. lxxxvi o, col. 917 CD, 981 CD, 989 C. Sur cc point, cours qui sont moins une œuvre oratoire que dix cha­ la pensée d’Origène a évidemment besoin d’être inter­ pitres d’un traité composé et écrit à loisir. Les premiers prétée avec une certaine indulgence. Il est facile discours démontrent l'existence de la providence à par­ d'ailleurs d’agir de la sorte, puisque ce docteur ex­ tir de ses elTels naturels : les deux ct les astres, î, P· G., plique que la puissance divine est limitée, en cc sens t. lxxxïh. col. 556-573; Pair, la terre et les eaux, n, qu’elle ne peut réaliser ni le mal, ni l’impossible, ni rien col. 576-588; le corps de l’homme ct scs organes, avec qui soit indigne d’elle; ce qui, celte fois, est incontes­ un développement particulier sur la langue et les tablement orthodoxe. Cont. Cels., Ill, 80, P. G., t. xr, organes de la parole, m, col. 588-605; enfin, la main col. 1012 D-1013 A; V. 23, col. 1216 D-1217 A. humaine ct les dilTérentes activités techniques dont 2° Le neveu et successeur de Théophile, saint Cyrille elle est capable, iv, col. 605-621. Les morceaux sui­ d'Alexandrie, semblable en ccd à Grégoire de Nysse, vants envisagent les diverses hiérarchies qui sont le n‘emploie presque jamais le mot même de providence. fait des hommes, mais dépendent aussi de la provi­ Ainsi, les index (d’ailleurs Incomplets sur cc point) de dence divine : le pouvoir exercé par l’homme sur les l’édition de J. Aubert ne mentionnent le terme que animaux, v, col. 621-611; l’inégalité dans la distribu­ trois fois (P. G., t. Lxxvi, col. 1 I7G B) et les références tion des biens de la fortune, vi, col. 641-665; les rela­ données renvoient, non pas au texte même de saint tions sociales entre maîtres ct serviteurs, vu, col. 665Cyrille mais à des auteurs qu’il cite. 685. Le dessein général est ici une apologie de la pro­ Ce n’est pas que l’évêque d’Alexandrie méconnaisse vidence qui établit ou permet de telles situations en vue le domaine souverain de Dieu sur sa créature; il en du bien ct de l’harmonie de la cité. D’ailleurs, sous le parle au contraire avec beaucoup de force; cf. par rapport des biens naturels que la providence départit exemple In Amox (iv. 13), xi n. P. G., t. lxxi, col. 188- directement à chacun ; l’air, la lumière..., tous les 189, ct (v, 8-9), xi.vi, col. *193*498; Conl. Julian., n, hommes sont égaux et ils peuvent trouver dans la pau­ P. G., I. i.xxvi, col. G01-606. Mais les expressions dont vreté el la servitude, qui leur paraissent un mal, l’occa­ il use sont celles de pouvoir, gouvernement, direction, sion d’un progrès spirituel plus assuré. Le vm· dis­ gouvernail (TrrfiiJ.w, une image qu’il semble aiïec- cours s’engage plus nettement dans fies considérations ttonner); la πρόνοια n’est pas nommée, alors que, dans d’ordre moral; il tient à montrer, grâce surtout à des les mêmes conditions, elle reviendrait sans cesse sous exemples scripturaires, que les mauvais maîtres ne la plume de Chrysostomc. portent pas nécessairement préjudice à leurs servi­ De même, lorsque Cyrille énumère les attributs di­ teurs, ceux-ci acquièrent plus de mérites à pratiquer la vins, il mentionne la lumière, la vie, la puissance, la vertu, vm. col. 865-716. Enfin, quoi qu’il advienne vérité, la sagesse, la justice... Glaphyra in Genesim, v, ici-bas, la justice sera toujours récompensée par Dieu adhuc de Jacob, 1, P. G , t. i.xix, col. 277 B, mais ici après cette vie; l’âme est immortelle cl capable de encore la providence est passée sous silence. Cependant, gloire éternelle, ix, col 716-740; l'incarnation du Sau­ si notre auteur ne fait guère usage du vocable, il sc veur notre Dieu ct toute l’économie chrétienne sont les rapproche plus que d’autres de la conception, aujour- , plus magnifiques témoignages des bienfaits de la pro­ d’hui classique, de providence. Il envisage en elTet en vidence divine, x, col. 740-773. Dieu, cl cela de façon explicite, un ensemble préconçu Cette simple énumération des sujets traités montre ct organisé de lins ct de moyens, une série de desseins que Théodorct entend foire un exposé systématique étemels qui sc réaliseront dans le temps. Thésaurus, des grands thèmes qu'avait développes la prédication t lxxv, col. 292 B-293 A; Glaphyra in Genesim. î. de de Jean Chrysostomc, mais la manière sèche et didac­ Adam, 5, t. lxix, col. 25-30. Il s’agit, dans ccs passages, tique de l’évêque de C\ r ne possède ni le souffle ni la des décrets rédempteurs de Dieu relatifs à la mission vie qui animent l’œuvre de son devancier; elle se du Verbe. Ccttc doctrine est appuyée lumière et de beauté dans l'homme et dans la nature, ou de correction, l'abandon « pédagogique » έγκατά- pour en faire un «ont him I et filial hommage à la proλαψίς οικονομική καί παιδευτική. Col. 968 B. Jeun I videncc de Dieu, Père, Fils et Esprit. Damascènc est ici l’écho de toute la théologie grecque; I 1L-D. Simonin. 961 PROVIDENCE. S. AUGUSTIN 962 < La cité de Dieu, dit Portalié, explique l'action de Dieu TIN. — Bien que Lous les Pères latins aient parlé de la dans le monde. » Art. Augustin, col. 2291. On y providence en commentant les textes de Γ Écriture où retrouve en effet les grands aspects du problème du il en esl question, nous nous contenterons d'étudier mal qui ont préoccupé Augustin toute sa vie et d'où cette doctrine chez, saint Augustin, qui l’a beaucoup l’on tirait des objections contre la providence. Le mal plus approfondie que scs prédécesseurs ct l’a considé­ physique d’abord, que les païens imputaient aux chiérée non pas seulement du point de vue moral ct pra­ liens ct a leur Dieu; les afflictions des chrétiens aussi, tique par manière d’exhortation, mais du point de vue qui faisaient redire aux païens le Ubi est Deus eorum? spéculatif, en touchant à tous les grands problèmes , q. xxii, a. l. Nous sommes ici dans un ordre purement intentionnel : necesse est quad ratio ordinis rerum in finem in mente divina pneexistai. Et la providence ainsi déftnic se distingue du gouvernement divin. La notion augustinlcnnc, elle, 968 est beaucoup plus confuse, ct se rapprocherait, si l’on veut, dc la providence au sens large dont saint Tho­ mas dit : ad providentia curam duo pertinent : scillctl ratio ordinis qua: dicitur providentia, d dispositio d exeeulio ordinis qua dicitur gubernatio. Et le pilote dc saint Augustin remplit en effet ccs deux fonctions. Mais c’est le gouvernement, la réalisation du plan qui retient surtout l’attention de notre docteur. Il nc serait donc pas légitime dc conclure qu’Augus­ tin a ignoré les éléments distingués par saint Thomas. Il est vrai qu’il insiste sur l'aspect réalisation et gou­ vernement, mais cette ratio ordinandorum inpncm,q\ù constitue la providence au sens strict dc Thomas d’Aquin, fait penser qu’Augustin a déjà parlé lui aussi dc la ratio gubernanda universitatis qui Inclut la Un vers laquelle tendent tous les êtres sous l'action dc la providence. Cf. De cio. Dei, XII, v. Pour saint Thomas encore, la providence est éternelle, comme Dieu luimême, tandis que le gouvernement ou réalisation du plan providentiel se déroule dans le temps. Cf. loc. cit. Augustin avait dit : In ipsius (Dei Jætbrn it ate atque in ipso ejus Verbo, eidem œterno, jam prœdeslinationc fixum erat, quod suo tempore futurum erat. De civ. Dti, XII, xvi ; cf. Xl, χχι; XII, xiv et xvu. Avec le consilium sempiternum et cettc una, eademqite sempi­ terna et immutabitis voluntas de Dieu, Augustin n’a donc pas ignoré le plan divin, la ratio ordinis, mais il ne l’a pas séparé dc sa réalisation : la distinction nc présentait pour lui aucun intérêt immédiat, ct rien ne l’obligeait à préciser davantage, tandis que saint Thomas a poussé plus loin l'analyse dc cet ensemble complexe qu’Augustin avait pris en bloc. IV. L’uni vehsalité ou l’extension de la provi­ dence. — 1° Sa place de premier rang dans les préoccu­ pations d'Augustin. — La notion augustinienne dc pro­ vidence est donc relativement peu originale. La véri­ table originalité du grand docteur est dans sa défense de Vuniversalité de la providence. Sans doute il a bien connu les autres propriétés delà providence, spécialement son Infaillibilité ct son unité; mais elles apparaissent chez lui comme subordonnées ù l’universal lté, ct Augustin nc semble en avoir parle que dans la mesure où clics Intéressaient celte universalité. En effet, pas d’universalité sans infaillibilité ct sans unité. Ccttc importance qu’Augustin accorde à l’universa­ lité dc la providence lui était comme imposée par le milieu ct les circonstances historiques. On sait que cc sont les difficultés soulevées par le problème du mal qui ont amené l’évêque d’Hipponc à s’expliquer sur la providence. Or, ccs objections allaient toutes, en fait, à limiter ct à restreindre l’action dc la providence. Pour les païens : ou bien ils nient le Dieu des chré­ tiens ct sa providence, ct alors le gouvernement de l'univers sc partage entre ccttc multitude dc dieux qu’Augustin se plaît à mettre en opposition les uns avec les autres; ct, dans ce cas, l’universalité dc ccttc providence est ruinée par cette division ct celte oppo­ sition; ou bien, s’ils consentent à prendre en considé­ ration le Dieu de ceux qu’ils persécutent, c’est pour montrer la faiblesse dc son bras et les limites dc sa providence, puisqu’elle nc peut protéger scs propres fidèles des mains qui, en bonne justice, ne devraient frapper que leurs ennemis. Pour les manichéens : Dieu, le Dieu bon, n’a pu s'opposer à l'action du principe mauvais : l’universalité dc sa providence n’est donc qu’un mot. M ils il y a plus : pour emprisonner celui qu’il nc peut supprimer, le Dieu bon s’est vu contraint de créer la matière elle monde sensible qu’il abandonne à I' ici Ion. à l’empire. Λ la providence du principe m inviis. Ic , ni unité ni univers dilé. Pour les juristes romains, cette providence, si elle est une» ne s’étend pas ; i qu'à la prescience munibus operibus tuis que inchoavit Deus facere. · Dies enim septimus etiam noi ipif erimus, quando ejus fuerimus benedictione ct sanctifica­ tione pleni atque refecti. Ibi vacantes. videbimus quoniam ipse est Deus: quod nobis ipsi esse voluimus, quando nb illo cecidimus, audientes n seductore : · Eritis sicut dii ». et recedentes n vero Deo; quo faciente dii essemus ejusparticipatione, non desertione... De civ. Dei, XXII. χχχ. Ce texte contient en résumé toute la fin vers laquelle tend l’univers sous la direction de la Providence : le repos dans la vision de celui qui est, vision accordée par une participation miséricordieuse à sa vie intime, vision enfin qui fera naître ie cantique éternel de la louange. Béatitude des saints cl glorification de Dieu, ou mieux glori lient ion de Dieu par la béatitude des saints, tel est le but ultime de la providence. 1. Béatitude des élus. — Tout concourt à la préparer. C'est pourquoi dès ici-bas rien ne peut priver ceux qui ont été prédestinés de ce qui les fait riches aux yeux de Dieu : Quibus recte consideratis atque perspectis, attende utrum aliquid mali acciderit fidelibus et piis quod eis non in bonum verteretur; nisi forte putandam est apostolicam illam vacare sententiam ubi ait : « Scimus quia diligenti­ bus Deum omnia cooperantur in bonum. » De civ. Dei, I, ix. Car, si la providence distribue scs biens, Ici-bas, aux fidèles el aux impies, indistinctement, cc n'est pas là uhe disposition définitive : Placuit quippe divinx providentiæ præparare in posterum bona justis quibus non /ruentur injusti, et mala impiis quibus non excru­ ciabuntur boni. Ibid., 1, vm. C'est Dieu en effet qui donnera la béatitude à ses élus dans la cité céleste; ils y recevront la récompense de leurs œuvres. Aussi, Dieu ne cesse d'inspirer ctd’cnseigner celle cité céleste, eam inspirat et docet verus Deus dator vilæ leternæ. Ibid., V I, iv. C’est pourquoi il envoie d'en haut, en gage de l'héritage, cette foi à laquelle est promise la récompense et qui, dès ici-bas, commence à rassembler ct à rattacher ensemble les membres qui composent cette «société des saints »cn marche vers sa fln : Merces autem sanctorum longe alia est, etiam hic, opprobria sustinentium pro civitate Dei, quæ mundi hujus dilectoribus odiosa est. Illa civitas sempiterna est; ibi nullus oritur, quia nullus moritur; ibi est vera d plena felicitas, non dea, sed donum Dei. Inde fidei pignus accepimus, quandiu peregrinantes ejus pulchri­ tudinis suspira nus. Ibid., V, χνι. C’est Dieu qui sera cette béatitude, car il sc donnera lui-même en partage. Il se donne comme objet de con­ templation. Les anges, qui le contemplent ainsi, nous le promettent. C'est cctlc vision, qui est aussi une union, qui fera vraiment notre béatitude; tel est le terme de toute notre vie, le but de tous nos efforts, la récom­ pense de nos vertus : Ad hunc videndum sicut videri potest, eique cohærendum, ab omni peccatorum ct cupidi­ tatum malarum labe mundamur, et ejus nomine conse­ cramur. Ipse enim fons nostræ bealitudinis, ipse omnis appetitionis est finis... ad eum dilectione tendimus, ut perveniendo quiescamus; ideo beati, quia illo fine per­ fecti. Ibid., X. m. Cette vision sera la récompense de notre foi : Pntmium itaque fidei nobis visio ista servatur, de qua et Joannes apostolus loquens : · Cum apparuerit, inquit, similes ei erimus, quoniam videbimus eum siculi est. » Ibid., XX11, xxix. Il se donne dans une ineffable intimité, intimité que les platoniciens avaient bien entrevue : non dixerunt beatum esse hominem /ruentem corpore, vel /ruentem animo, sed /ruentem Deo, non sicut corpore vel seipso animus aut sicut amico amicus, sed I sicut luce oculus. Ibid., VIII, vni. Voilà la fln que Dieu a amoureusement assignée à ses élu·, et que s i providence poursuit inlassablement : cette fin. cette béatitude, c’est lui-même. Et cette i béatitude ι celle de tous; celte vie sera la vie de tous, et « est ainsi que sc constitueront, que sc consti­ 981 PROVIDENCE. S. AUGUSTIN, LA FIN 982 tuent même, dès â présent, le royaume ct le peuple de inhabitare dignatur; non in omnibus quam in ungulis Dieu : Quid est enim aliud quod j>er prophetam dixit : major... Et c’est la, en notre cœur, qu’il trouve l’autel ■ Ero illorum Deus, ct ipsi erunt mihi plebs Sic enim ! du sacrifice : Cum ad illum sursttm est, ejus est altare cor et illud recte i ntelt igitur quod ait apostolus : · Ul sit Deus nostrum; ejus Unigenito eum sacerdote placamus; ei omnia in omnibus. » Ipse finis erit desideriorum nostro­ cruentas victimas ciedimus quando usque ad sanguinem rum, gui sine fine videbitur, sine fastidio amabitur, sine pro ejus veritate certamus; ei suaoissimum adulemus fatigatione laudabitur. Hoc munus, hic affectus, hic actus incensum, cum in ejus conspectu pio sancloque amore profecto erit omnibus, sicut ipsa vita, icterna communis. flagramus; et dona ejus m nobis nosque ipsos vovemus et 2. Glorification de Dieu. — La société des saints sc reddimus;,., ct sacrificamus hostiam humilitatis et laudis trouve ainsi constituée. Mais cela ne suffit pas : dans in ara cordis igne fervidæ charitatis. Ibid., X. in ; cf. X, le plan de la providence, tout doit converger vers cc vi. Ce sacrifice commencé ici-bas se continuera éter­ Dieu, qui, à la tôle de la société des saints ct consti­ nellement après le jugement. Ibid., XX. xxvi. 2° Place de l’homme dans le plan providentiel. — 1. Si tuant avec elle l’ensemble de la cité de Dieu, en est «le roi ct le fondateur », ct tout doit retourner a cc Dieu l’on s’arrête à la teneur matérielle de l'exposé, on est qui, par la béatitude qu’il donne à scs élus, exerce sur frappé de voir la place de premier rang qu’Augustin eux son règne éternel : quemadmodum scriptum est parait accorder à l'homme dans ie plan providentiel, et in Euangelio ; « Jlegni ejus non erit finis. » De cio. Dei, l’on pourrait en conclure que pour lui l'homme est XXII, i. Aussi, par un admirable retour, après avoir l’objet principal de la providence. reçu de Dieu cette béatitude, la société des saints Cctlc importance apparente peut s’expliquer. La lui olTrc maintenant ia louange de sa gloire ct elle lui providence, en effet, relève de l’activité ad extra et a pour objet tout le créé. Or, l’homme, en raison de sa fait l’oblation de son sacritlce. a) La société des saints offre à Dieu la louange de sa nature intellectuelle cl du don de la grâce, apparaît gloire. — La louange doit être en effet l’œuvre de la comme la partie centrale de l'univers» el donc comme cité de Dieu : ipsi duitati Dei, de qua nobis est ista ope­ l'objet principal de ia providence qui régit cet univers. rosissima disputatio, in sancto dicitur psalmo : * Lauda, Les circonstances historiques d’ailleurs permettent Jerusalem Dominum, collauda Deum tuum, Sion. » De aussi d’expliquer cette prépondérance que notre doc­ ciu. Dei, XIX, xi. Alors, tout ce qui aura servi aux teur semble attribuer à l’homme dans le plan provi­ saintsjpour exercer les œuvres de vertu, que Dieu cou­ dentiel. Les objections qui l’avaient poussé à prendre ronne maintenant, tout cela nous servira aussi à chan­ la défense de la providence étaient en effet principale­ ter à Dieu le cantique de louange : Quanta eril ilia féli­ ment tirées du mal dont l’homme est le sujet : mal citas ubi nullum erit malum, nullum latebit bonum; physique, calamités de l’empire, afflictions du juste, vacabitur Dei laudibus, qui erit omnia in omnibus! Nam limitation injuste et contre nature de la liberté de quid aliud agatur... nescio. Omnia membra et viscera l’homme par la prescience divine, enfin arbitraire incorruptibilis corporis... proficient in laudibus Dei. prétendu de la prédestination. Dès lors, on comprend Ibid., XXII, xxx. Et celte louange des possesseurs du comment il a dû faire à l’homme une large place dans royaume sera éternelle dans le repos, ia vision ct sa réfutation. Cependant, cette prépondérance n’est qu’apparente, l’amour. b) La société des saints fait La prière de la reine Esther, ibid., xtv, 12-19, en ccs mêmes circonstances n’est pas moins émouvante ct clic affirme mieux encore l’infaillibilité de la provi­ dence à l’égard même des actes libres des hommes, car elle demande que le cœur du roi Assuérus soit change, cl elle l’obtient : « Je n’ai d’autre secours que vous, Seigneur. Vous connaissez toutes choses, et vous savez que je hais la splendeur des méchants...; délivrez-nous de leurs mains ct tirez-moi de mon angoisse... · El. de fait, comme il est dit un peu plus loin, xv, 11 : < Dieu changea la colère du roi Assuérus en douceur »; celui-ci ne tarda pas ensuite à sc rendre compte de la perfidie d’Aman ct il l’envoya au supplice, en donnant aux Juifs pour sc défendre contre leurs ennemis l'appui du pouvoir. Voir aussi dans Daniel, xm, 12, la prière de Suzanne et comment elle fut exaucée. On voit par là que la providence divine s’étend infailliblement, non seulement jusqu'aux événements extérieurs les plus particuliers, mais Jusqu’aux secrets des caurs et aux actes libres les plus intimes, puisque, à la prière des justes, elle change les dispositions inté­ rieures de la volonté des rois. Socrate ct Platon ne sc sont jamais élevés à des vues si hautes et à des certi­ tudes si fermes sur le gouvernement divin. Il y a dans l’Ancien Testament bien des textes sem­ blables sur lesquels ont souvent insisté saint Augustin ct saint Thomas. On lit dans le livre des Proverbes, xxi. 1 : · Le cœur du roi est comme un cours d’eau dans la main de Jahvé, il l’incline partout où il veut. Toutes les voies de l’homme sont droites â scs propres yeux, mais celui qui pèse les cœurs, c’est Jahvé. » Le livre de l’Ecclésiastique, xxxui. 13, dit aussi : « Comme l’argile est dans la main du potier ct qu'il en dispose selon son bon plaisir, ainsi les hommes sont dans la main de celui qui les a faits, cl il leur donne selon son jugement. · De même encore, Isaïe, xiv, 21. dans ses prophéties contre les nations païennes : «Jahvé, Dieu des armées, a juré en disant : Oui, le dessein qui est arrêté s’accomplira ct ce que j’ai décidé se réalisera· Je briserai Assur dans ma terre... et son Joug sera ôté de dessus mon peuple. » C’est la, ajoute le prophète, · la main qui est étendue contre les nations. Car Jahvé. Dieu des années, a décidé, ct qui l’empêcherait? Sa main est étendue, et qui la détournerait? » Toujours sont affirmées la liberté de l’élection divine, l’universalité et l’infaillibilité de la providence descendant aux moindres détails ct aux actes libres des hommes. De plus, dans les textes d’Isaïe que nous venons de citer et dans beaucoup d’autres, il est nettement affirmé que Dieu de toute éternité veut certaines lins, comme le salut d’Israël, ct qu’il décide éternellement d employer certains moyens qui seront infailliblement réalisés dans le temps pour obtenir la lin préalablement voulue. Ainsi, le prudent ou le prévoyant veulent d’abord la lin. puis déterminent les moyens et les em­ ploient, de telle sorte que la lin, qui est voulue d’abonl, n’est obtenue qu’en dernier lieu : le maçon ne cons­ truit un mur que s’il s’est d’abord proposé de le cons­ truire. et, pour aller à tel endroit, il faut d’abord avoir voulu y aller. C’est celle vue de sens commun que des philosophes comme Aristote expriment en disant : · La fin, qui est première dans l’ordre d’intention, est der­ nière dans l’ordre d’exécution. » Sans cette vue de sens 992 commun plus ou moins explicitement exprimée, on ne saurait concevoir la prudence ct la prévoyance hu­ maines, ni la providence divine. Cette remarque sur la distinction de l’ordre d’intention et de celui d’exécu­ tion est d’une importance souveraine lorsqu’il s’agit de la fin de l’univers corporel et spirituel. Et il est de toute évidence que celle distinction, sans laquelle on ne saurait concevoir ni la prudence, n! la providence, est bien antérieure à saint Thomas; elle se trouve déjà explicitement dans ΓEcriture, sans y être évidemment formulée de la manière technique qui est courante chez les théologiens. C'est ici que l’on volt que les vérités les plus hautes sont des vérités élémentaires scrutées, approfondies par la méditation ct détenues objet de contemplation. 3° A quelle fin la providence universelle et in/aillible a-t-elle ordonne toutes choses, selon ΓAncien Testament? — Les Psaumes, sans nous donner encore toute la lumière qui nous viendra de l’Evangile, disent souvent que Dieu ordonne toutes choses au bien, à la manifes­ tation de sa bonté, de sa miséricorde et de sa justice; qu'il n’est nullement cause du péché, mais qu’il le permet pour un plus grand bien, assez souvent cache. La providence apparaît ainsi comme une vertu divine toujours unie à la justice et à la miséricorde, comme, dans l’homme vertueux, la vraie prudence ne peut jamais être contraire aux vertus morales de justice, de force, de modération, mais est connexe avec elles. La connexion des vertus ne peut exister en sa perfection souveraine qu'en Dieu. Très souvent, dans les Psaumes, reviennent des paroles comme celles-ci : » Tous les sentiers de Jahvé sont miséricorde et vérité. » Ps., xxiv, 10. « Toutes scs œuvres s’accomplissent dans la fidélité. Il aime la jus­ tice ct la droiture; la terre est remplie de sa bonté. » Ibid., xxx!!, 6. < Conduis-moi dans la vérjlé et ins­ truis-moi, car tu es le Dieu de mon salut, tu es tout le jour mon espérance. Souviens-loi, Seigneur, de ta miséricorde et de la bonté, car elles sont éternelles. Ne le souviens pas des péchés de ma jeunesse ni de mes transgressions. Souvicns-toi de moi selon ta misé­ ricorde, à cause de la bonté. » Ps., xxiv, 1. « Jahvé est mon pasteur; je ne manquerai de rien... Il restaure mon Ame, il me conduit dans les droits sentiers, â cause de son nom. Même quand je marche dans une vallée d’ombre de mort, je ne crains aucun mal, car tu os avec moi. Ta houlette et ton bâton me rassurent... · Ps., XXII, 1-5. < En toi. Seigneur, j’ai placé mon refuge et mon espoir; que jamais je ne sois confondu!... Mes destinées sont dans ta main : délivre-moi de la puis­ sance de mes ennemis! Eais luire ta face sur ton ser­ viteur, sauve-moi par ta grâce... Qu’elle est grande ta bonté pour ceux qui te craignent et qui espèrent en toi; tu les mets à couvert, dans l’asile de ta face, contre les machinations des hommes et contre les langues qui les attaquent. » Ps., xxx, 1,16, 20. Si la providence est ainsi absolument universelle, s’étendant aux moindres détails, si elle est en même temps infaillible et ordonne toutes choses au bien, elle doit être très manifeste pour ceux qui veulent voir. D’où vient donc quo ses voies sont souvent impéné­ trables pour les justes eux-mêmes? L’Ancien Testa­ ment louche plusieurs fois ce grand problème. 1° La providence est à la /ois pour nous tris manifeste et, en certaines de ses voies, absolument insondable. — Considérée en général, la providence, selon la Bible, est évidente, soit par l’ordre du monde, soit par l’his­ toire du peuple élu, soit par ce (pii constitue l’ensemble de la vie des justes ou de celle des impies. L’ordre du monde, disent les Psaumes, proclame l’existence d’une intelligence ordonnatrice : « Les deux I racontent la gloire de Dieu, et lo firmament annonce I l'œuvredcses mains. » Pi., xvni, 2. C’est lui quicouvre 993 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LES DONNÉES SCRIPTURAIRES let deux de nuages, qui prépare la pluie pour la terre, qui fait croître l’herbe sur les montagnes, qui donne la nourriture aux troupeaux, aux petits du corbeau, qui crient vers lui. · Ps.. cxi.vi. 7; ci. Job, xxxvin, H. • Insensés sont les homines qui ont ignoré Dieu, qui n’ont pas su, par les biens visibles, s’élever â la con­ naissance de celui qui est; ni par la considérât ion de ses œuvres, reconnaître l’ouvrier. Ils sont inexcusables, car s’ils ont acquis assez de science pour chercher a connaître les lois du monde, comment n’en ont-ils pas connu plus facilement le Seigneur? *Sap., xm. I et 8. La providence n’est pas moins manifeste dans l’his­ toire du peuple élu. comme le rappelle en particulier le psaume cxm, In exila Israel dr Ægypto : Quand Israël sortit de l’Égypte,·., la mer le vit H s'enfuit... Tremble, ô terre! devant la face du Seigneur, devant la face du Dieu de Jacob, qui change le rocher en étang et le roc en source d’eau vive... Jahvé s’est souvenu de nous : il bénira la maison d’Israël... Il bénira ceux qui le craignent, les petits et les grands... · Dans l’ensemble de la vie des justes, la providence so montre aussi par la récompense souvent visible qu’elle leur accorde : « Heureux l'homme qui craint le Seigneur, qui met toute sa joie à observer ses précep­ tes! Sa postérité sera puissante sur la terre, la race des justes sera bénie. . La lumière sc lève dans les ténèbres pour celui qui est miséricordieux et juste... Son cœur est ferme, confiant dans le Seigneur, son cœur est iné­ branlable; il ne craint pas ce que scs ennemis peuvent lui faire; il sème l’aumône, il donne à l’indigent; sa justice subsistera à jamais... Ps.. cxi. Le Seigneur apparaît même dans les Psaumes comme la providence des malheureux : ■ 11 relève le malheureux de la poussière; il retire le pauvre du fumier pour le faire asseoir avec les princes, avec les princes do son peuple. » Ps.. cxn, 7. Par contre, la malice des impies reçoit déjà son châ­ timent, et souvent même un châtiment visible : La voie des méchants est comme les ténèbres, ils n’aper­ çoivent pas ce qui va les faire tomber. > Ps.. iv. 11. • Le Seigneur sc rit du méchant, car il voit que son jour arrive. » Ps., xxxvi. 12. · Le mal tue le méchant, ct les ennemis du juste sont châtiés. » Ps.. xxxni, 32. Dieu retire aux impias sa bénédiction, tandis qu’il vient au secours de ses serviteurs, parfois mime de façon extraordinaire, comme il dit à Élio : * Dirigc-toi vers (Orient et cache-toi au ton eut de Carit h.... j’ai commandé aux corbeaux de te nourrir là... »111 Heg., xvn, 3. Si la providence < st ainsi manifeste dans ce qui con­ stituo l’ensemble de la vie des justes ct de celle des impies, elle rosie cependant insondable en plusieurs de scs voies, surtout en certaines voies très supérieures comme celles dont parle Isaïe en annonçant les souf­ frances du Sauveur ou du serviteur de Jal.vé. Is., lui. Le meme prophète dit aussi : · Invoquez Dieu pendant qu’il en est temps encore... Car, dit le Seigneur, mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voles. Autant les ckux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de VOS voles, et mes pensées au-dessus de vos pensées. » ls., i.v, 6. Le ps. xxxv, 7. dit de nu nie ; - Ta justice· Seigneur, est comme les montai nés inaccessibles, tes jugements comme le vaste abîme. · Cc qui parait le plus déc om et tant. ce sont les souf­ frances des justes. I no réponse pourtant est donnée : • Bien des tribulations atteignent le juste, mais le Sei­ gneur l’en délivie toujours. Ps., xxxm, 20. Nos pères, dit Judith, vm, 21. ont été éprouvés afin que l’on connût s’ils servaient véritablement leur Dieu. Abraham fut éprouvé par <1< nombreuses tribulations ct il est devenu l’ami de Dieu. 1 e mime Isaac, do mémo Jacob, de meme Moïse et tous ceux qui ont plu mer. di: tiu-ol. catiiol. 994 a Dieu ont passé par beaucoup d ’afflictions en demeu* rant fidèles... Ne nous laissons donc pas aller à l'impa­ tience a cause des maux que nous souffrons. Mais esti­ mons que ces tourments, moindres que nos péchés, sont les verges dont le Seigneur nous châtie pour nous amender, ct croyons que ce n’est pas pour notre perte qu’ils nous sont envoyés. Il y a dans ce beau texte deux choses assez, differentes ; au début, il est question et la justice de ma cause sera reconnue· ■ Après ce sublime cri d’espérance. Job maintient, xxvm-xxxi. que le malheur ici-bas n’est pas toujours le châtiment d une vie criminelle. Il ignore, dit-il, la raison de scs souffrances; mais cette raison. Dieu la connaît dans sa sagesse, qui reste insondable pour l'homme. < Il huit ainsi par réduire au silence ses inter­ locuteurs. sans cependant trouver lui-même le mot de l’énigme. » Diet, de la Bible, art. Job, col. 1560. A la fin du livre, le Seigneur lui-même, sans discuter, répond en faisant passer sous les yeux de Job un tableau magni­ fique des œuvres do la création, depuis les étoiles du ciel jusqu’aux diets las plus admirables de l'instinct des animaux, xxxvm-xxxtx. On a dit que cette ré­ ponse div inc ne touche pas au coté philosophique de la question agitée. En réalité, elle montre que Dieu ne fait rien que pour le bien et quo. s’il y a un ordre si admi­ rable dans les choses sensibles,& plus forte raison il doit y avoir un ordre bien supérieur dans les choses spiri­ tuelles cl morales, quoiqu'il reste parfois bien obscur pour nous, à cause do sou élévation même. Cet à for­ tiori sc retrouvera dans l’Évangile, dans le sermon sur la montagne Begardez. les oiseaux du ciel : ils ne sè­ ment ni ne moissonnent... Le Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux? > Matth., vi. 26. Le mol de l’cnigmc se trouve dans le prologue du livre de Job, dans ce que le Seigneur a dit à Satan: « Il n’y a pas d’homme comme Job sur la terre, intègrcet droit, craignant Dieu et éloigné du mal. · i. 8. A quoi Satan répond : « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu?... Il a tout en abondance... mais étends la main, touche à ses biens.et l'on verra s’il ne te maudit pas en face, i, 11. Le Seigneur dit alors i\.Satan : » Je te livre T. — XH1 — 32. 995 PROVIDENCE, THÉOLOGIE, LES DONNÉES SC R I PT U R A 1 R ES 996 tout cc qui lui .appartient; seulement no porte pas lu Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup main sur lui. > Ces paroles font penser à celles-ci de plus qu’eux?... Votre Père céleste sait ce dont vous Notrc-Seigncur à Pierre avant la passion : Simon, avez besoin. Cherchez premièrement le royaume de Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cri­ Dieu et sa justice, ct tout cela vous sera donné par bler comme le froment. » Luc., xxn, 31. Cc c. irr du surcroit... A chaque jour suffit sa peine. » Matth., vi, livre de Job éclaire le livre tout entier; mais Job lui· 26-33. mémo ignore ce quo le Seigneur a dit à Satan cl ce qu’il Les exemples donnés ici par Noire-Seigneur mon­ lui a permis de faire. Ce sont là précisément les voies trent que la providence s’étend à toutes choses ct cachées de la providence ; réprouve des justes. El le : donne à tous les êtres ce qui leur convient, selon leur Seigneur, à la lin du livre, conclut en disant aux amis nature. Si elle pourvoit à ce qui est nécessaire aux do Job : « Ma colère est allumée contre vous puree que oiseaux, combien plus Λ ce qu’il faut à une âme spiri­ vous n’avez pas parle de moi selon la vérité, comme tuelle et immortelle, qui a une (lu incomparablement l’a fait mon serviteur Job... Offrez pour vous un holo­ supérieure à celle de l’animal. causte; Job. mon serviteur, priera pour vous, et c’est Jésus ajoute que cette assistance se fera plus parti­ par égard pour lui seul que je ne vous traite pas selon culièrement sentir au moment de la persécution : « Ne * votre folie. xi.iî, 7-8. craignez pas ceux qui tuent le corps el no peuvent tuer Tout le livre s’éclaire ainsi par le prologue, où il est Pâme; craignez plutôt celui qui peut perdre l’âme cl dit que le Soigneur avait permis au démon d’éprouver le corps dans la géhenne. Deux passereaux ne se venson serviteur Job, intègre ct droit et éloigné du mal ». | dcnt-ils pas un as? Et il n’en tombe pas un sur la terre La conclusion esl donc manifeste déjà dans l’Ancien sans la permission de votre Père. Les cheveux memes Testament, avant la lumière de l’Évangile ; Dieu de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc envoie des tribulations aux hommes, non seulement point : vous êtes de plus de prix que beaucoup de pas­ pour les punir de leurs péchés, mais aussi pour < les sereaux. Matth., x, 28 sq. éprouver comme l’or dans la fournaise » ct faire gran­ (Les dernières paroles n’affirment pas moins Vinfail· dir leurs vertus. Cf. Eccl i., n, 1-10. C’est la purification i libilité de la providence ù l’égard de tout ce (pii arrive de l'amour. Par là s’éclairent en partie dès l’Ancien que son universalité. Cette infaillibilité s’étend mani­ Testament les voies cachées de la providence. festement, selon l’Évangile, aux secrets des cœurs cl Cependant, celui ci ne parle guère que d’une façon à nos actes libres futurs : · Un de vous inc trahira », voilée el symbolique du bien supérieur auquel sont dit Jésus. Matth., χχνι, 21 ; cf. Joa., vi, 61; xm, IL ordonnées les épreuves des justes. Il le fait surtout en Il annonce ù Pierre son reniement, il prédit des persé­ décrivant la gloire de la nouvelle Jérusalem. On lit cutions. et, s’il connaît avec certitude ces futurs con­ dans Isaïe, i.x, 19 : Le soleil ne sera plus ta lumière tingents, à plus forte raison le Père céleste les donnaitpendant le jour, ct la lune ne t’éclairera plus de son il infailliblement. H nous dit aussi : < Prie ton Père flambeau; Jahvé sera pour loi une lumière éternelle, (pii est dans le secret, et ton Père qui voit dans le cl ton Dieu sera la gloire... et les jours de ton deuil secret te le rendra. » Matth., vi, 6. La prière suppose seront achevés. » Cf. Is., i.xv, 18. Lc livre de la Sagesse, que la providence s’étend à nos moindres actes : · Si m, 1, dit aussi : * Les âmes des justes sont dans la main vous, tout méchants que vous êtes, vous savez, donner de Dieu, el les tourments ne les atteindront pas. Aux de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre yeux des insensés, ils paraissent être morts, et leur Père qui est dans les deux donnera-t-il cc qui est bon sortie de cc monde semble un malheur ct un anéantisse­ à ceux qui le prient. » Matth., vu, 11. « Comment Dieu ment ; mais ils sont dans la paix... Leur espérance est ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient à lui nuit ct pleine d'immortalité (les justes de l’Ancien Testament jour; comment larderait-il à leur égard? » Luc., devaient après la mort attendre aux limbes que le xvm, 8. Rédempteur leur ouvrît les portes du ciel). Après une L’Infaillibilité de la providence est liée à la toutelégère peine, ils recevront une grande récompense; car puissance : « Mes brebis entendent ma voix; je les con­ Dieu les a éprouves ct les a trouvés dignes de lui. Il les nais et elles me suivront. Et je leur donne la vie éter­ u purifiés comme l’or dans la fournaise et les a agréés nelle, ct elles ne périront jamais, et nul ne les ravira de comme un pariait holocauste. Au jour de leur récom­ ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus pense, les justes brilleront, semblables à la flamme qui grand que tous, et nul ne peut les ravir de la main de court ù travers les roseaux. Ils jugeront les nations, ct mon Père. « Joa., x, 27. Ces paroles touchent le mys­ d< mineront sur les peuples et le Seigneur régnera sur tère de ht prédestination infaillible, (pii est, â raison eux a jamais... Car la grâce el la miséricorde sont pour de son objet, la partie la plus haute de la providence. scs saints; el il prend soin de scs élus. » Et de même, · L’Évangile dit clairement (pie tout, même la persé­ v, 15: « Les justes vivent éternellement; leur récom­ cution. concourt au bien de ceux qui aiment Dieu : pense est auprès du Seigneur, et le Tout-Puissant a soin « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la jus­ d’eux. · tice, car le royaume des deux est à eux. » Matth., v, 10. Tel est déjà assez clairement exprimé dans l’Ancien C'est la pleine lumière que faisait entrevoir le 1. II des Testament le bien supérieur auquel la providence Machabées, vit, 9, où l’un de ces martyrs, au moment divine ordonne toutes choses, en particulier les d’expirer, dit au persécuteur : - Scélérat que tu es, tu épreuves des justes. C’est la Im du gouvernement nous ôtes la vie présente, mais le Roi de l’univers nous divin. ressuscitera pour une vie éternelle, nous (pii mourons 5’ Toux rc.* enseignements que. le théologien trouve duns pour être fidèles à ses lois » De mieux en mieux appa­ T Ancien Testament sont beaucoup plus clairement encore raît le but suprême vers lequel la providence ordonne dans le Souvenu. H nous apprend surtout bien mieux toutes choses. Saint Paul l'exprime en disant : · Toutes à quel bien supérieur la Providence ordonne toutes choses. choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, Not ri-Seigneur dans l’Évangile élève les âmes à de ceux qui sont appelés selon son éternel dessein. » la contemplation du gouvernement divin, en nous Rom . vm, 28 il «ht aussi Nulle créature n’est rendant attentifs à l’ordre admirable qui existe dans cachée devant Dieu, mais tout est à nu el à découvert les chutes sensibles ct en nous faisant entrevoir que, aux veux de celui à qui nous devons rendre compte. » à plus forte raison. Il doit y avoir un ordre providen­ Hebr., tv, 13. tiel dans les choses spirituelles, ordre beaucoup plus (.< ,m ro'uit. si le Nouveau l’cstamcnl montre beau­ beau, «alutahe cl impérissable. « Regardez les oiseaux coup mieux que l’Ancien le but suprême du gouvernedu ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent..., ct votre ni' iii divin, il tf affirme pas moins que certaines voies 997 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA de la providence restent absolument impénétrables. Parmi ces voies, il y a le mystère de la rédemption, c’est-à-dire de la douloureuse passion ct de scs suites, mystère que Jésus ne révèle que progressivement à scs apôtres, au fur et à mesure qu’ils le peuvent porter, mystère qui les déconcertera, malgré ces prédictions, au moment où il s’accomplira, (’.’est le mystère de la croix qui doit se retrouver dans la vie du chrétien; C’est aussi celui de l’élection divine ct du salut. Saint Pau! insiste sur ces voies mystérieuses de la providence : Nous prêchons le Christ crucifié, scan­ dale pour les Juifs ct folie pour les païens, mais puis­ sance do Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. Car la folie de Dieu est plus sage et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes... Ce que le monde tient pour insensé, c’est cc que Dieu a choisi pour confondre les sages, ct cc que le monde tient pour rien, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les forts..., afin que nulle chair ne sc glorifie devant Dieu. » 1 Cor., i, 23-29. 11 a choisi la croix comme moyen de salut; il a choisi les douze apôtres parmi de pauvres pécheurs de Galilée, et c’est par eux qu’il a triomphé du paganisme et qu’il a converti le monde à l’Évangile, au moment même où une grande partie d’Israël s’est montrée infidèle. C’est là le mystère dont parle saint Paul dans répitre aux Romains, ix, 6-29. Dieu, dil-il, peut, sans être injuste, préférer qui il veut. C’est librement qu’il a choisi autrefois un peuple parmi les autres, qu’il a choisi Scth de préférence à Caïn, puis Noé, puis Scm de préférence à ses deux frères, puis Abraham. Isaac de préférence à Ismael, finalement Jacob. Maintenant, c’est librement qu’il appelle les gentils et permet l’éloi­ gnement d’une partie d'Israël : · Je ne veux pas, frères, que vous ignoriez cc mystère... Une partie d’Israël est tombée dans l'aveuglement jusqu’à cc que la masse des gentils soit entrée... mais, vu égard au choix divin, les enfants d’Israël sont aimés à cause de leurs pères... et ils obtiendront miséricorde... O profon­ deur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu! Que scs jugements sont insondables et ses voies incom­ préhensibles! Car qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller? Qui lui a donné le premier, pour qu’il ail à recevoir en retour? De lui, par lui ct pour lui sont toutes choses. A lui la gloire dans tous les siècles! > Hom., xi. 25-36. Ces voles insondables sont le scandale des prudents ct des sages », dont parlait Notre-Seigneur» en rendant grâce au Père d’avoir révélé ces mystères aux petits. Matth., xi, 25. De fait, les simples et les humbles admettent facilement que. malgré leur obscurité cl leur austérité, ces voies supérieures sont des voies de bonté et d’amour C’est là, dans le plan providentiel, un des clairsobscurs qui frappent le plus; il sc résume en ceci : d’une part, Dieu ne commande jamais l’impossible ct il veut rendre le salut réellement possible à tous, comme le dit saint Paul, I Tim., n» 4. D’autre part, comme le dit le même saint Paul : « Qui est-ce qui te distingue? Qu'as-tu que tu ne l'aies reçu? » l Cor., iv, 7; comme l’amour de Dieu pour nous est source de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. Autant ces deux vérités sont lumineuses el cer­ taines prises séparément, autant leur intime concilia­ tion est obscure pour nous, car elle n’est autre que l’in­ time conciliation de l’infinie Justice, de l’infinie miséri­ corde el de la souveraine liberté dans la vie intime de Dieu, qui reste pour nous inaccessible tant que nous ne Voyons pas Dieu comme il se voit. La pr ivldcnce, selon l’ Ancien et le Nouveau Testa­ ment, est ainsi manifeste dans les lignes générales du plan qu'elle suit, mais ses voles les plus hautes restent très mystérieuses pour nous. PREUVE A POSTERIORI 998 IV. Pni.uvf. a posteriori de i.'existence de ia Providence. — La théologie doit descendre des hau­ teurs de la révélation dont il vient d’être parlé pour juger, sous la lumière de la foi. de la valeur de la preuve rationnelle de l'existence de la providence qui sc tire de l’ordre du monde. C’est la plus populaire des preuves de l’existence de Dieu. Facilement accessible à la raison naturelle, elle peut être toujours approfondie par la raison philosophique el, étendue de l’ordre phy­ sique à l’ordre moral, elle peut conduire à la plus haute contemplation. Elle sc trouve exprimée dans le ps. xvm, 2 : Ctcli enarrant gloriam Dei, « les deux racontent la gloire de Dieu, ct le firmament annonce l’œuvre de scs mains ». Voyons d’abord le /ait qui est le point de départ de la preuve, nous verrons ensuite le principe qui permet de s’élever de cc fait jusqu’à l’existence de la provi­ dence. 1® Lc /ait. - Il consiste en ceci qu’il y a dans la nature, chez des êtres dépourvus d'intelligence, des moyens admirablement ordonnés à des fins, « Cela sc voit, dit saint Thomas, I·, q. il, a. 3, car ces êtres dépourvus d’intelligence. comme les astres, les plantes, les animaux, agissent toujours ou du moins le plus souvent pour produire cc qu’il y a de mieux. » La finalité ou l’ordre apparaissent déjà dans l’allraction universelle des corps ordonnée à la cohésion de l’univers, dans le mouvement de translation du soleil qui entraîne avec lui tout son système, dans le double mouvement de la terre, celui de rotation autour de son axe qui produit le jour ct la nuit, ct celui de translation autour du soleil, qui produit chaque année la variété des saisons. Cette régularité constante du cours des astres montre qu’il y a là des moyens ordonnes à une fin, comme l’ont dit les plus grands astronomes ravis d’admiration par les lois qu’ils découvraient. L’organisme des plantes n’est pas moins bien ordon­ né; il leur permet d’utiliser les sucs de la terre, de les transformer en sève, pour se nourrir el se reproduire de façon régulière et constante. Il su 111 t de considérer un grain de froment mis en terre pour voir qu’il est ordonné à produire un épi de blé cl non pas de l’orge ou du seigle. De même, les racines du chêne ct sa sève sont manifestement pour la v ic de ses branches cl de scs feuilles. De même encore, les organes d’une fleur concourent à la formation du fruit, qu’elle est ordon­ née à produire, el de tel fruit déterminé, non pas d’un autre. Comment ne pas voir une idée directrice dans la formation de ce fruit? La finalité est plus manifeste encore dans l’organis­ me des animaux, dont les parties sont évidemment ordonnées à leur nutrition, à leur respiration el à leur reproduction. Le cœur fait circuler le sang rouge dans tout l’organisme pour le nourrir; puis le sang noir, chargé d’acide carbonique, vient sc retransformer en sang rouge dans les poumons :u contact de l’oxygène de l’air. Il est clair que le cœur ct les poumons sont organisés pour la conservation de ranimai el de l'homme. Certaines parties de l’organisme sont de véritables merveilles : les articulations du pied pour la marche, celles de la main pour les mouvements les plus variés, celles des ailes de l’oiseau pour le vol; la struc­ ture de la moindre cellule en rapport avec des milliers d’autres est chose admirable lorsqu’on la considère au microscope. Particulièrement belles sont l’harmonie des multiples parties de l’oreille pour percevoir les sons, et la structure si compliquée de l’œil, où l’acte de vision suppose treize conditions réunies, cl chacune de ces conditions en suppose une foule d’autres, toutes ordonnées à cet acte si simple qu’est la vision. Il y a là Vordination d’une quantité prodigieuse de moyens à une même fin,et l’œil se forme toujours, ou le plus sou­ vent, pour produire ce qu’il y a de mieux, comme le 999 P ROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA PREUVE Λ POSTERIORI disaient Socrate, Mémorables, IV, ni, et Platon, Phé­ don, 96. 199. Aristote a bien montré aussi que « tout agent natu­ rel agit pour une fin ». Physique, I. Π, c. m. C'est parti­ culièrement visible dans l’activité instinctive de cer­ tains animaux comme l'abeille : il faudrait être un mathématicien de génie pour inventer ct construire une ruche d’abeilles, et nul chimiste n’est encore par­ venu à faire du miel avec le suc des fleurs. Cependant, comme le remarque Aristote, Physique, I. II, c. vin, on ne peut dire que l’abeille soit intelligente, car elle ne varie jamais son travail, clic ne le perfectionne pas, elle est déterminée à le faire toujours par instinct natu­ rel de la même façon et elle le fera toujours de même, tant qu’il y aura des abeilles, tandis que l’homme per­ fectionne toujours les outils qu'il a inventés, parce qu’il connaît par son intelligence leur finalité. L’abeille clic, agit pour une lin, sans le savoir, mais elle agit admirablement. L’araignée fait de même un travail merveilleux, que le plus habile des tisserands ne par­ viendrait pas à reproduire. Sans doute, Democrite, suivi par beaucoup de maté­ rialistes, a cherché à expliquer l’ordre du monde par la cause matérielle et par le hasard. Platon l’en raille fort dans le Phédon, 100, et Aristote dans la Physique, 1. II, c. vin. Comme le dit ce dernier, ibid., cc qui arrive par un heureux hasard se produit non pas toujours ou très souvent, mais d'une façon fort rare. C’est par hasard qu’un trépied lancé en l’air tombe sur ses trois pieds, mais c'est rare. C’est par hasard quo celui qui creuse une tombe trouve un trésor, mais c’est rare. Au con­ traire, l’ordre admirable de la nature dans les règnes minéral, végétal ou animal est celui de lois fixes, qui s’appliquent toujours, ou le plus souvent, dans un sens . déterminé ct excellent. C’est comme la symphonie de l’univers pour ceux qui savent entendre, tels les grands artistes, les grands penseurs et les simples, â qui la nature parle de Dieu. Les évolutionnistes objectent, renouvelant une hypothèse des matérialistes anciens : un hasard heu­ reux a pu autrefois, au milieu de beaucoup de combi­ naisons inutiles d’atomes ou d’éléments, en former quelques-unes d’admirables, aptes à la oie, qui par ‘ suite se sont conservées, tandis que les combinaisons inutiles ont disparu. C'est la théorie de la survivance des plus aptes, défendue par Darwin. Spencer, I laeckel etc., ct plus récemment par W. James, L'expérience religieuse, trad. Abauzit, p. 369. Mais cela reviendrait à dire que le hasard est la cause première de 1 harmonie de l’univers et de ses parties. Or. comme le montre Aristote, Physique, I. H. c. vm. cela est impossible. Pour s’en rendre compte, il suffit de réfléchir à cc qu'est le hasard. Le hasard ct son etïet sont quelque chose d’accidentel : c'est accidentelle­ ment que le trépied lancé en l’air tombe sur scs trois pieds; c’est accidentellement que celui qui creuse une tombe trouve un trésor. Or, l’accidentel suppose le non-accidentel ou l’essentiel, le naturel, comme l'acces­ soire suppose le principal. S'il n’y avait pas de loi naturelle de la pesanteur, le trépied lancé en l’air ne tomberait pas accidentelle­ ment sur scs trois pieds. Si celui qui trouve accidentel­ lement un trésor n’avait pas eu l’intention de creuser là une tombe ct si personne n’avait mis là cc trésor, cet eflet accidentel n’aurait pas tu lieu. lx hasard n'est que la rencontre accidentelle de deux action* qui, elles, ne sont pas accidentelles, mais inten­ tionnelles, au moins au sens d’inclination naturelle inconsciente, comme la pesanteur ordonnée à la cohé­ sion de l’univers. El donc dire que le hasard est la cause première de l’ordre du monde, c'est expliquer l'eMcntiel par l'accidentel, le primordial par l’accès 1000 I soire; c'cst donc détruire J'essentiel, le naturel, toute nature et toute loi naturelle. Il n’y mirait plus que des rencontres fortuites, sans rien qui puisse se rencontrer; ce qui est absurde. Dire, comme Epicure cl nombre de matérialistes ou positivistes modernes, que le hasard est cause de l’ordre admirable de l’univers, c’est non seulement ne rien expliquer, mais c’est donner une explication absurde, car c’est mettre en principe l’acci­ dentel à la base du naturel ou de l'essentiel; c'est dire par suite que l’ordre admirable de l’univers ct de ses parties est sorti du désordre, de l’absence d’ordre, du chaos, sans cause aucune; c’est dire que l'intelligible, que découvrent les différentes sciences, est sorti de l’inintelllgibile; (pie notre cerveau et notre intelli­ gence viennent d’une fatalité matérielle ct aveugle ct d’une rencontre accidentelle d’éléments; c’est dire que le plus sort du moins, le plus parfait du moins parfait. C'est l’absurdité même mise à la place du mystère de la création, mystère qui a ses obscurités, mais qui est conforme aux principes premiers de la raison naturelle, tandis qùe l'hy pothèse dont nous parlons est leur abso­ lue négation. Il reste donc que le fait, qui est le point de départ de notre preuve à posteriori de la providence, subsiste: il y a de l'ordre et de la finalité dans la nature, c’est-àdire des moyens ordonnés à des fins, car des êtres dépourvus d’intelligence, comme les plantes el les ani­ maux, agissent toujours, ou le plus souvent, pour pro­ duire ce qu’il y a de mieux. L'attraction universelle est pour la cohésion de l’univers, le germe du grain de fro­ ment est pour produire l’épi, la fleur pour le fruit, le pied de l’animal pour la marche, les ailes de l’oiseau pour le vol, le poumon pour respirer, l'oreille pour entendre, l’œil pour voir. Le fait de l'existence de la finalité est indéniable; le positiviste Stuart Mill luimême l’avoue, Essais sur la religion, trad, franç., p. 162. Bien plus, non seulement c'est un fait que tout agent naturel agit pour une lin, mais il ne peut en être autre­ ment, comme l’a fort bien montré Aristote, Physique, I. II, c. m, ct après lui saint Thomas, In, q. xuv, a. 1; Ια-11®, q. i, a. 2; Cont. genl., 1. 111, c. n : tout agent doit agir pour une fin, car, pour l’agent, agir c'est tendre à quelque chose de déteimlné qui lui convient, c’est-à-dire à une lin. Et si un agent n’agis­ sait pas pour une lin déterminée, il ne produirait rien de déterminé, pas plus ccd que cela, il n'y aurait pas de raison pour que l’œil vît au lieu d’entcndie. j our que l’oreille entendit au lieu de voir. Comme le dit saint Thomas, I&, q. xi.iv, a. I : Omne agens agit propter finem, alioquin ex actione agentis non magis sequeretur hoc quam illud nisi a casu. El nous venons de voir que le hasard, étant quelque chose d’accidentel, sup­ pose l'essentiel ou le naturel, auquel il s’ajoute. Hart­ mann. Philosophie de l'inconscient, trad, iianç., t. il, J). 1 I I, a bien mis en relief cette nécessité de la cause finale, en prenant pour exemple le cas le plus simple, l'attraction : un atonie qui en attire un autre. · La tendance, dit-il. qui ne poursuivrait aucun but. n’au­ rait aucun objet et j nr conséquent n’aboulirait à aucun résultat ; il n’y aurait aucune raison pour qu'elle produisit l’attraction plutôt qu’autre chose, la répul­ sion par exemple; pour qu'elle changeât avec la dis­ tance suivant telle loi plutôt que suivant telle autre. · ('.‘est exactement ce qu’avait dit saint Ί homas dans le Contra gentes, I. III. e. ιι : .S/ agens non tenderet ad aliquem rt quod agerrt. Omne igitur agens tendit ad aliquem determinatum tfjeclum quod dicitur finis ejus. 1001 PKOVI DENCE. THEOLOGI Une action qui ne tendrait vers rien de déterminé, serait elle-même sans détermination, elle ne serait pas plus attraction que répulsion, vision qu'audition, di­ gestion (pic respiration. Il faut une raison spéciale pour que la cause efficiente (ct toute cause efficiente) agisse au lieu de rester en repos, de ne pas agir, et pour qu elle agisse ainsi plutôt qu'nul rement, dans ccttc direction et dans ce sens plutôt (pu* dans un autre. Ccttc raison spéciale est la cause finale, la lin, le bien (pii convient à l’agent cl pour lequel il agit, (/est le principe de fina­ lité, LA I* H EU Vi·. A PR ΙΟ KI 1002 but, l'oiseau ramasse une paille pour faire son nid, mais comme le dit saint Thomas, IMi·. q. î. a. 2, il connaît sensiblement la chose qui est fin, sans perce­ voir en elle la raison de lin : cognoscit rem qui? est finis, *ed non cognoscit rationem finis. Ι/abeille qui recueille le suc des Heurs pour faire du miel ignore que le miel est la raison d’être de cette récolte. Seule l'intelligence atteint non pas seulement 1rs qualités sensibles, cou­ leur, son, etc., mais l’être intelligible et les raisons d’être des choses et de leurs actions. Seule une intelligence ordonnatrice a pu ordonner dans les choses de la nature des moyens a une fin. Sans elle, le plus sort du moins, l'ordre du désordre. Kant objecte : Celte preuve établit tout au plus l’existence d’une intelligence très puissante et très étendue, mais non pas infinie; elle nous conduit â concevoir Dieu comme l’architecte du monde, et non comme le créateur? Il est facile de répondre : une intelligence finie ou limitée, comme celle d’un ange si parfait qu’on le sup­ pose, n’est pas la Pensée même, I’Intellection même, m la Vérité même. CL saint Thomas, 1®. q. liv, a. t, 2, 3. Or, une intelligence, qui n’est pas la vérité même toujours connue, est seulement ordonnée â connaître la vérité. Et cette ordination passive suppose une ordination active, qui ne peut provenir que de Γ Intelligence suprême, qui est la Pensée même ct la Vérité même. Voilà le terme auquel aboutit notre preuve : une intelligence ordonnatrice souverainement parfaite qui est la Vérité même ct donc l’Êtrc même, puisque le vrai c’est l’être connu. C'est le Dieu de I Ecriture : Ego sum qui sum. C'est la Providence, ou raison suprême de l’ordre des choses, qui a ordonne toutes les créa­ tures â leur fin ct les dirige vers la fin dernière de l’uni­ vers, qui est la manifestation de la bonté divine. Nous saisissons mieux maintenant le sens de la parole du psaume : Cirli enarrant gloriam Dei. L’ordre admirable du ciel étoilé raconte et chante la gloire de Dieu, nous fait connaître son intelligence infinie. De celte preuve à posteriori de la Providence dérive la grande leçon morale exprimée confusément à la lin du livre de Job et clairement dans le Sermon sur la mon­ tagne : S’il y a un pareil ordre dans le monde physique, à plus forte raison doit-il exister dans le monde moral, malgré les crimes que la justice humaine laisse impu­ nis, comme elle laisse sans récompense bien des actes héroïques. S’il y a un ordre admirable dans le monde sensible, depuis la gravitation de l’atome ou des astres jusqu’aux merveilles de l’instinct des animaux, à com­ bien plus forte raison doit-il x avoir de l’ordre dans la conduite de la Providence à l'égard des justes, même lorsqu'ils sont le plus éprouves. · Itegardez les oiseaux du ciel, il nu sèment ni ne moissonnent, le Père céleste les nourri! Ne \ahv VOUS pas beaucoup plus qu’eux? » Matlh., νι, 26. V. PllBUVl Ql XS! A piuoiu i>i: l’existence de la PiIOVIDEXCI , SELON LA DEDUCTION DES ATTRIBUTS DIVINS, A LA LUMI&RE DE I.’t:NSEIGN1.MI NT DE L’É­ GLISE. Après la preuve à posteriori de l’existence de la providence, il convient d’exposer celle quasi à priori qui, une fois admise l’existence de Dieu, cause pre­ mière, procède par déduction de cc que Dieu est une cause intelligente. C’est seulement une preuve quasi â priori, car la providence ne peut se déduire selon une nécessité absolue de la nature divine puisqu’elle sup­ pose que Dieu a voulu très librement créer; mais, cet acte libre supposé, il est facile de montrer que la pro­ vidence doit exister, ou que Dieu doit ordonner toutes les choses créées à une fin ct gouverner le monde selon le plan providentiel. Nous proposerons celte preuve, comme il convient en théologie, à la lumière de ren­ seignement de l’Église. Ie Enseignement de l* Église. I {appelons d’abord 1003 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA les principales définitions de l’Église, qui propose celle vérité comme vérité révélée, bien qu’elle soit aussi démontrable.* Le concile du Vatican déclare : Universa, quæ condi­ dit. Deus providentia sua tuetur atque gubernat, · attin­ gens a fine usque ad finem lorliler et disponens omnia suaviter ». Sap., vm, I. Omnia enim nuda et aperta sunt oculis ejus, Hc’>r., tv, 13, ea etiam quæ libera creatura­ rum actione futura sunt. Dcnz.-Dannw., n. 17*81. Celte définition en suppose plusieurs autres relatives aux perfections divines et à l’acte créateur : Deus est intel­ lectu ac voluntate omnique perfectione infinitus, ibid., η. 1782; liberrimo consitio et non ab œterno ad extra operatur. Ibid., n. 1783. A quoi on comparera ce texte du Syllabus de Pie IX. Deus gubernat omnia agendo in mundum cl in homines. Ibid., n. 1702. Le Dcnzingcr résume justement ces définitions et plusieurs autres dans l’index, p. 15 : Deus cognoscit a b icterno omnia, bona et mata. n. 321, pnrterila, præsentia et futura scientia visionis, η. 2181 ; habet potestatem infinitam, η. 210; potuit aliter facere ea quæ fecit. η. 37 f. De même, p. 27 : Deus ab ælerno certe pnrscivit et immutabiliter praeordinavit omnia futura, non tamen ideo omnia de necessitate abioluta eveniunt, et il renvoie aux η. ο. 3 Ιό. 321 sq. Le η. 300 se rapporte à la lettre envoyée par le pape Adrien Ier aux évêques d'Espagne, en 785. au début de la querelle adopt ianiste. Faisant allusion à certaines opinions que l’on reprochait, île surcroît, aux Espa­ gnols, le pape y rappelle le mot de saint Fulgence. Opera misericordia: ac justiliæ pneparavit Deus in æternitate incommutabilitatis suie... pneparavit ergo jus­ tificandis hominibus merita, prieparavit iisdem glorifi­ candis et præmla; malis vero non pricparavit voluntates malas aut opera mala, sed praeparavit cis justa et irterna supplicia. Le n. 31G renvoie au lrr canon du concile de Quierzy de 853 (cf. id, t xu, col. 2920), relatif à la prescience divine cn ce qui concerne les réprouvés; et le n. 321. au 2f canon du concile de Valence (ibid., col. 2922). I.e Dcnzingcr aurait pu citer aussi, dans le même sens, la synodale du concile de Thuzcy (ibid., col. 2930), où est formulé le principe qui devait mettre lin au querelles théologiques du ixc siècle : Nihil in cœto vel in terra fit. nisi quod ipse Deus aut propitius facit, aut fieri juste permittit. Celte proposition, ù la fois négative el uni­ verselle. n’admet aucune exception : rien de. bien ne se fait que Dieu ne le. fasse (qu’il s’agisse du bien d’ordre naturel ou de celui de l’onlre de la grâce, qu’il s’agisse d’actes libres salutaires, faciles ou difficiles). et rien de mal n’arrive que Dieu dans sa justice ne le permette, làprincipe domine toutes les questions de la providence et de la prédestination relatives au bien et au mal. Notons aussi qu’il fut déclaré contre Eckart qu’il est faux de dire : Deus vult aliquomodo me peccasse. Denz»-Baimw., n. 51 I, cl contre les protestants il est allirme : Drus peccata tantum permittit, n. 81 G. Par opposition, Innocent XI condamna ces deux proposi­ tions qui nient le souverain domaine de Dieu sur toute créature : Deus donat nobis omnipotentiam suam, ut ea utamur, sicut aliquis donat alteri villam vel librum. Deus subjicit nobis suam omnipotentiam, n. 1217 sq. Il tui aussi déclaré autrefois par l’Église que l’homme en ses actes n’est pas soumis à la direction des astres, ni régi par le fatum, n. 35. 239, 607. l-a lin pour laquelle Dieu a créé et gouverne toutes choses n’est pas moins clairement indiquée par les conciles : c’est pour manifester sa bonté. Cf. concile du Vatican : Deus bnnitate sua et omnipotenti virtute, non ad augendam suam beatitudinem. nec ad acquirendam, sed ad manifestandam perfectionem suam per bona, qua erraturis impertitur. Dcnz.-Bannw.. n. 1783. CL au n. 1806 : mundum ad Dei gloriam conditum esse. PREUVE A PRIORI 1004 C’est de foi. On traduit parfois en disant : la lin que Dieu eut en créant est sa gloire extérieure ·, mais cette expression gloria externa n’écarte pas toute équivoque : si par · gloire extérieure » on entend la connaissance de Dieu, accompagnée de louange, qui csl dans les créa­ tures supérieures quelque chose de créé, on ne peut dire qu’elle est In fin de l’acte créateur, qui, lui. est incréé; l’ordre des agents doit en elïet correspondre a l'ordre des fins, et la fin du Créateur n’est pas infé­ rieure à son action. Aussi vaut-il mieux dire, comme le fait le concile du Vatican : * Dieu a créé el gouverne toutes choses, pour manifester sa bonté incréée »; il serait Inexact de dire : · Dieu a tout créé pour la mani­ festation créée de sa bonté », car tout ce qu’il crée, doit avoir une fin supérieure. Saint Thomas l’a parfaite­ ment noté. Ia. q. cm, a. 2. 2° A la lumière de renseignement de l’Église, ainsi expliqué, nous pouvons proposer la preuve quasi à prion de Texistence de la providence. — C’est celle que donne saint Thomas. I*. q. xxn. a. 1 : Utrum providentia Deo conveniat? Le saint docteur suppose ce qui a été établi plus haut sur la science et la volonté de Dieu. La preuve revient à ceci : En tout agent intelligent préexiste la raison ou l’idée de chacun de scs clïcts. Or, Dieu, parson intelli­ gence, est cause de tout bien créé el parsulte del’ordre des choses à leur fin, surtout à leur fin ultime. Donc, cn Dieu préexiste la raison de l’ordre des choses à leur fin ou leur ordination suprême, que nous appelons la providence, selon la définition nominale de ce mot. Ainsi, par analogie avec la prudence et la prévoyance du père de famille ou du chef d’État, nous pouvons et devons parler de la providence divine. Elle est, dans l’intelligence divine, la raison de l’ordre ou l’ordination de toutes choses à leur fin, et le gouvernement divin est l'exécution de cet ordre. Ibid., ad 2um. Pour avoir l’intelligence de celle preuve quasi à priori, il faut rappeler brièvement ce qu’elle suppose du côté de l’intelligence et de la volonté divines. (C’est ici que se trouvent les difficultés métaphysiques, qui sem­ blent avoir arrête Aristote, lequel n’avait pas l’idée explicite de création.) La preuve suppose que Dieu, étant immatériel, se connaît parfaitement lui-même et connaît par suite sa puissance et tout ce â quoi elle peut s’étendre el s’étend de fait, c'est-à-dire tous les possibles et tout ce cjui a été, est et sera. Ainsi csl résolue la difficulté qui semble avoir empêché Aristote d’affirmer nettement que Dieu connaît le monde, com­ me si celte connaissance entraînait une passivité ou une dépendance de l'intelligence divine â l’égard du monde. Toute dépendance est exclue, car Dieu, comme le montre saint Thomas. I», q. xiv, a. 5, connaît toutes choses dans sa vert u divine, ou puissance, qui est cause efficiente de tout : Manifestum est quod Deus seipsum perfecte intelligit.. cum suurn esse sit suum intclligere. Si autem perfecte aliquid cognoscitur, necesse est quod virtus ejus perfecte cognoscatur. Virtus autem alicujus rei perfecte cognosci non potest, nisi cognoscantur ea ad qiuv virtus se extendit. I 'nde cum virtus divina se exten­ dat ad alia, eo quod ipsa est prima causa effectiva omnium entium (ut ex supradlctis, /·, q. Π, art. 3, patet), necesse est quod Deus alia a se cognoscat. Et pour mieux exclure toute dépendance de l'intelligence divine à l’égard des choses, des créatures et de leurs actes, saint Thomas ajoute : \lia a se Deus vidrt non in ipsis, sed in seipso, in quantum essentia sua continet similitudinem aliorum ab ipso. Cf. ad l“m: Verbum Augustini, in t. S3 quæst.. quod Deus ni lui extra se intuetur, non est sic intel/igendum. quasi nihil quod sit extra sc intueatur; sed quia id quod est extra seipsum, non intueatur nisi in seipso. Dans la connaissance qu’il a des êtres créés et de leurs actes. Dieu ne dépend nullement d’eux; cette connais­ sance ne pros i< nt pas do l'exploration de ce qu’ils sont, 1005 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA PREUVE A PRIORI 1006 de ce qu’ils font et feront, ni de ce qu'ils feraient s’ils crée, car le bien est de sa nature dillusif de soi, com­ étaient placés vn telles circonstances. Cf. tbid., ad 2tun. i municable; mais Dieu veut librement le communiquer Déplus, Dieu connaît les choses créées non pas seule­ de fait. ment d’une façon générale et confuse, mais d’une façon S’ensuit-il de la que l’ac/r tibre en Dieu soit quelque distincte, précise, car, dit saint Thomas, 1% q. xiv, chose de. contingent? Cela poserait une imperfection a. 6 : · Il ne se connaîtrait pas parfaitement lui même cn Dieu. Saint Thomas se pose celle difficulté, qui dut arrêter Aristote. I·, q. χιχ. a. 3, obj. f·. Il répond. s’il ne voyait comment sa perfection est participabitpar les autres et il ne connaîtrait pas non plus parfai­ ibid., ad înm : Certaines causes nécessaires ont parfois tement la nature de l’être s’il ne voyait toutes Its un rapport non nécessaire a tel effet, par suite de l'immodalités de l’être ». perfection de l'effet cl non pas a raison de l'imperfec­ Enfin, la science de Dieu csl cause des choses, comme tion de la cause. Ainsi le soleil a un rapport non néces­ celle de l’artiste est cause de l’œuvre d’art; encore ' saire avec certains phénomènes tout contingents qu’il faut-il pour qu’elle les produise que la volonté divine produit sur la terre, non pas que ses rayons manquent d'énergie, mais parce que la mauvaise disposition de s’y ajoute, ou que Dieu veuille les produire. Scientia Dei est causa rerum, secundum quod habet voluntatem certaines choses les soustrait à leur action (ainsi des conjunctam, dit saint 'I hoinas, Ia, q. xiv, a. X. (’/est raisins mal exposés au soleil n’arrivent pas à maturité). De même, si Dieu ne vcul pas nécessairement tout ce là le décret divin qui suppose l’union de l'intelligence et de la volonté, tout comme chez l’artiste, qui, après qu’il vcul, nous ne devons pas l'attribuer à l’imperfec­ tion de la volonté divine, mais a celle des choses vou­ avoir conçu une œuvre, décide de la réaliser. De la lues. car toutes les choses finies ne peuvent rien ajouter sorte, la science divine par elle seule rend raison de l’in­ a l’infinie perfection, et la bonté suprême n’a pas telligibilité des choses, et la volonté divine de leur besoin de se répandre en elles pour être l’infinie bonté.» existence. L’acte libre divin n’est pas contingent, car le contin­ Mais ici sc présente une seconde difficulté métaphy­ gent, c’est ce qui peut ne pas être, cn raison de sa sique, qui semble elle aussi avoir arrêté Aristote; elle propre imperfection, et non pas ce qui peut ne pas être, concerne la liberté divine. Comment peut-il x axoir en en raison de l’imperfection d’autre chose. Dieu, où tout est nécessaire, un acte libre qui pourrait Averroès objecte, In // /. Physic., text. 18: · De ce ne pas exister? Et comment cet acte ne se surajoutequi est indifférent ad utrumlibet, ne provient aucune t-il pas à l’essence divine comme un accident contin­ action, s’il n’est pas ultérieurement détermine a la gent, ce qui supposerait que l’essence divine n’est pas produire ». Or. la volonté divine n’est pas ultérieure­ acte pur, mais ultérieurement déterminable ou per­ fectible? " gB I ment déterminable, surtout par une autre cause. Saint Thomas, répond. D, q. xix, a. 3, ad : Comme le montre saint Thomas, D, <|. xix, a. 2, • Luc cause qui est de soi contingente (comme notre Dieu veut les autres êtres parce qu’il est le souverain volonté) a besoin d’être déterminée par une cause Bien el que le bien de sa nature est communicable ou extérieure à elle pour produire un elïet déterminé; diiTusif de soi. Ainsi. Dieu veut communiquer à mais la volonté divine, qui est de sol nécessaire, se d’autres que lui-même une participation du bien qui détermine elle-même par elle seule à vouloir les choses est cn lui. 11 s’aime lui-même comme fin, el les autres qui n’ont pas de relation nécessaire avec elle. » êtres comme ordonnés à lui, à la manifestation de sa On insiste encore : « Il y aurait du moins l’imperfec­ bonté. tion d’une pluralité d’actes volontaires en Dieu : Platon cl les néo-platoniciens l’avaient dit, mais sans l’acte nécessaire par lequel il s’aime lui-même et l’acte distinguer suffisamment In cause efficiente (volonté libre créateur et conservateur, celui sans lequel ne se divine) et la cause finale (le souverain Bien); ce qui les conçoivent pas la providence ni le gouvernement avait conduits à admettre que les choses émanent divin. » nécessairement de Dieu, comme du soleil ses rayons. Dans le Contra Gentes, 1. 1. c. i xxxn, saint Thomas Contre cette position et conformément à ce que dit répond : La volonté divine par un seul et même acte se la révélation divine de la liberté du fiat créateur, saint veut elle-même el veut les choses créées, mais son rap­ Thomas. D, q. xix, a. 3, explique que Dieu veut librement les autres êtres. < La volonté divine, dit-il, port à elle-même est nécessaire et naturel, tandis que son rapport aux créatures est seulement un rapport a un rapport nécessaire ù la bonté divine infinie, qui est son objet propre. Dieu veut donc ou aime néccssal- de convenance, ni nécessaire ou naturel, ni violent ou rement sa bonté, comme l’homme veut nécessaire­ contre nature, mais libre. · Il n’y a donc rien en Dieu de contingent nfde defec­ ment le bonheur, de même que toute faculté se porte ti ble; son acte libre est l’acte necessaire d’amour de nécessairement vers son objet propre et principal, lui-même cn tant qu’il se termine à un objet qui pour­ comme la vue vers la couleur, car il est de l’essence même de toute faculté de tendre vers l’objet qui la spé­ rait ne pas être aimé et voulu. La défectibilité est seu­ cifie. Les autres choses, Dieu les veut cn tant qu’elles lement dans cet objet non en Dieu. La liberté divine sont ordonnées à sa propre bonté comme ù leur fin. Or. est l'indifférence dominatrice, non point d’une puis­ on ne veut nécessairement les moyens en vue d’une fin sance ultérieurement déterminable, mais d’un pur acte «l’amour éternellement subsistant. De plus, en que s’ils sont indispensables ù l’obtention de cette fin : Dieu l’acte libre est éternel; il n’est pas sujet au chan­ c’est ainsi quo celui qui veut conserver la xie doit nécessairement vouloir manger et celui qui veut tra­ gement. Dieu ne commence pas â vouloir ce qu’il ne voulait pas hier. C’est sans changer de volonté qu’il verser la mer a nécessairement besoin d’un navire. Mais, lorsqu'un inox en n’est pas indispensable à l'ob­ veut le changement qui s’accomplit dans les choses créées. I·, q. χιχ. a. 7. On s’explique ainsi «pie l’action tention d’une tin. il n’est pas nécessaire de le vouloir: divine ad extra, formellement immanente et virtuelle­ il n’est pas nécessaire par exemple de vouloir avoir un ment transitiv-e, sans être nouvelle, produise un elïet cheval pour sc promener lorsqu’on peut sc promener à pied. Or, la bonté infinie de Dieu est parfaite par elle- I nouveau. Saint Thomas dit très nettement, Cont. Gent. même et peut exister sans les choses créées, puisqu’elle I. II. c. xvxv : X'ovitax divini effectus non demonstrat n’en reçoit aucune perfection. Dieu ne veut donc pas novitatem actionis in Deo, cum actio sua sit sua essentia... Sicut per intellectum determinatur rei factio et qua­ nécessairement les choses créées; mais, supposé qu’il cumque aha conditio, ita et pncscribitur ei tempus... les veuille, il ne peut pas ne pas les vouloir, car sa .\ihil igitur prohibet dicere actionem Dei ab artemo fuisse, volonté est immuable. » Il y a certes une haute convenance à ce que Dieu effectum autem non ab artemo, sed tunc cum ab artemo 1007 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA (f/sposm/... Deus simul in esse produxit et creaturam el tempus. C ost là ce qui a échappé à Aristote et plus tard ù Averroès ct à scs disciples, (’.es derniers disaient : Posi­ ta causa m actu, ponitur e(Jictus. Sed Deus est ab tederno causa in actu ipsius mundi : Ergo mundus esl ab sderno. Sainl Thomas répond. I·, q. xlvi, a. 1, ad 9urn : Comme l'effet naturel dérive de la cause naturelle, selon le mode de la forme de celle-ci; ainsi l’effet volon­ taire procède de l'agent volontaire, selon la forme pré­ conçue et déterminée par celui-ci. Et donc, bien que Dieu soit ab ælerno la cause pleinement suffisante du monde, il n’est pas nécessaire que le monde existe avant le temps déterminé par la volonté divine. » Il faut ajouter, comme le montre saint Thomas, i», q. xix, a. I, que non seulement Dieu est cause libre du monde, mais qu’il l’a produit et le conserve par sa volonté; en cela il diffère par exemple de l’homme qui engendre sans doute librement, m ils en raison de sa nature même, ct non par sa volonté; d’où il suit que l’homme ne peut engendrer qu’un homme, tandis que Dku peut produire les créatures les plus variées se­ cundum determinattonem voluntatis ct intellectus ipsius. Ibid. La raison en est que, comme nous l’avons vu dans la preuve A posteriori de la Providence, au-dessus de tous les agents naturels qui agissent pour une lin est requis un agent suprême qui 1rs dirige et qui agisse Immédiatement par son intelligence ct par sa volonté. Contre les averroistcs de son temps, sainl Thomas, a l>eancoup développé ces points de doctrine dans le Contra gentes, I. II. c. xxn : Quod Deus omnia possit; c. xxm : Quod Deus non agat ex necessitate nature; c. xxn : Quod Deus agit per suam sapientiam; c. χχνιxxix : Quod divinus intellectus non coarclatur ad deter­ minatos effectus, nec divina voluntas; c. xxx : Qualiter in rebus creatis possit esse necessitas absoluta; et I. IU, c. xcvm ct xcix : Quod Deus operari potest pneter ordi­ nem nature Cf. De potentia, q. vi, et Sum. Iheol., I\ q · '. ». 6. Les raisons exposées dans ces articles valent égale­ ment contre le déterminisme panthéistique de Spinoza rt celui de nombreux philosophes modernes ct même contre le déterminisme de la nécessité morale proposé par Leibniz dans son optimisme absolu, selon lequel le monde actuel est le meilleur des mondes possibles. Sainl Thomas, avait dit, Ia, q. xxv, a. 5 : ■ Le plan réalisé de fait par la sagesse infinie ne lui est pas adé­ quat, il n’épuise pas son idéal, ni scs inventions. Le sage ordonne toutes choses en vue d’une fin, ct. quand la lin est proportionnée aux moyens, ceux-ci sonl par là même déterminés et s’imposent. Mais la bonté divine qui « st la fln universelle, dépasse infiniment toutes choses créées (ct enables) rt n’a avec elles aucune pro­ portion La sagesse divine n’est donc pas bornée à l’ordre actuel des choses, elle peut en concevoir un autre Leibniz a trop considéré ce problème comme un problème de mathématique, dont les divers élé­ ments ont entre eux une proportion déterminée. Il objecte : La suprême sagesse n’a pu manquer de choisir le meilleur. > Théodicée, vin. Saint Thomas as lit répondu d’avance, 1% q. xxv, a. 0, ad lum : La proposition Dieu peut faire mieux qu'il ne fait peut s'entendre de deux façons SI le terme mieux est pris substantivement, dans le sens d’objet meilleur, la proposition rst vraie, car Dieu peut rendre meilleures le- chose* qui existent, ct faire de meilleures choses que celles qu’il si faites, qualibet re a se facta polest facere altam meliorem. Mais si k mot mieux est pris adverbialement rt signifie d’une manière plus parfaite. altnx on n<> peut dire que Dieu peut faire mieux qu’il ne fait, car i) ne saurait agir avec plus de sagesse et plus de bonté. · NATURE 1008 Le monde actuel est un chef-d’œuvre, mais un autre chef-d’œuvre divin est possible, tout comme l’orga­ nisme de la plante, étant donnée la fin qu’il doit réa­ liser, ne saurait être mieux disposé, mais l'organisme de l’animal, ordonné à une fin supérieure, est plus par­ fait. Ainsi sont résolues les difficultés métaphysiques qui paraissent avoir arrêté Aristote dans l'affirmation nette de l'existence de la providence et celles qui ont contribué A altérer la notion de cet attribut divin chez des déterministes comme Leibniz. Nous saisissons mieux maintenant le sens et la por­ tée de la preuve quasi à priori (pic nous proposions au début de ce chapitre : En tout agent intelligent préexiste la raison ou l’idée de chacun de ses effets. Or, Dieu, par son intelligence est cause de tout bien créé et par suite de l’ordre des choses à leur fin. surtout à leur fin ultime. Donc, en Dieu préexiste la raison de l'ordre des choses à leur fin, ou leur ordination suprême, que nous appelons providence. Et donc nier la provi­ dence, ce serait nier que Dieu esl intelligent; en d’autres termes, cc serait nier l’existence de Dieu. VI. Nature intime de la Providence : ce qu’elle suppose en Dieu du côté de l'intelligence et de la volonté divinks. —· Après avoir traité de la définition nominale et de l’existence de la Providence, il faut parler de sa nature intime, non pas certes telle qu’elle est en soi el comme la voient les bienheureux, mais selon notre mode imparfait de connaître. La définition nominale, qui contient confusément la définition réelle, nous a montré (pie la prévoyance hum dne est la prévision et l’ordination de moyens en vue d’une fin à obtenir dans l’avenir, et que la provi­ dence attribuée à Dieu a un sens analogue. Saint Tho­ mas, D. q. xxn. a. 1. la définit : ratio ordinis rerum in finem in mente divina existens. « la raison de l’ordre des choses ou leur disposition, leur ordination à une fin. dans l’intelligence divine ». Cette notion n’implique aucune Imperfection, comme celles d’intelligence, d’ordination, de volonté; par suite, on peut attribuer analogiquement A Dieu la providence, ct non pas seulement par métaphore, mais au sens propre du mot (analogia proportional itatis, non mdaphoricic, sed propriæ). Ce (pie la prévoyance humaine est aux choses qu’elle dispose A l’avance, la providence divine l’est A l'ensemble de l’univers el A ses parties. Mais il faut se rappeler au sujet de l’ana­ logie entre Dieu cl la créature, cc qu’en dit le IVe con­ cile du Latran : Inter Creatorem el creaturam non est tanto similitudo, quin sit semper mafor dissimilitudo notanda. Denz.-Bannw.. η. 132. La similitude consiste en ceci que, en nous, la pré­ voyance ou providence humaine est la partie princi­ pale de la prudence, eu tant que, par le souvenir du passé et l'examen attentif des circonstances présentes, nous prévoyons ce qu’il faut préparer pour l’avenir, ct prenons des mesures en conséquence. Cf. Sum. theol., IIa-lIm, q. xLvni, a. 1; q. xlix, a. <>. Ainsi, Dieu prévoit ce qui arrivera ct ordonne toutes les choses de l’univers à une fin. La dissimilitude consiste surtout en ceci : notre pré­ voyance ne peut que conjecturer les futurs contingents, tandis que la providence divine prévoit infailliblement tout ce qui arrivera. De plus, notre prudence et pré­ voyance ordonnent à une tin et nos actes et les choses extérieures, tandis que la providence divine ordonne . non pas 1rs actes de Dieu, mais seulement les choses créées cl leurs actions, car. comme le dit saint Thomas. I\ q. xxn η I : in ipso Deo nilul est ordinabile in finem, cum ipse sil finis ultimus. La providence ainsi définie est-elle dans l’intelligence ou dans (a volonté de Dieu? La question pose du fait qu’on admet une distinction virtuelle entre les deux. Saint Thomas répond, ibid., ad 3um : - La provi­ dence (comme prévision ct ordination) est dans l’in­ telligence, mais elle présuppose la volonté de la lin à atteindre. Nul en cfïct ne dispose et ne prescrit ce qu’il faut faire en vue d’une On, sans la vouloir. C’est pour­ quoi la prudence, en nous, présuppose les vertus mo­ rales, qui reclinent l’appétit (rationnel ct sensitif) visà-vis du bien à réaliser, comme le dit le Philosophe, Éthique, 1. VI, c. xn. » Aristide montre en cllct (pie, sans l'intention droite ct efficace de la fin de la justice, de la force et de la tempérance, la prudence ne peut commander avec droiture et efficacité les moyens pour atteindre la fin de ccs vertus morales. 1° La providence, selon cette réponse, est lormellement un acte de l'intelligence divine, qui suppose un acte de volonté, Γ intention de la l'in. Et même, comme plu­ sieurs actes réellement distincts concourent â notre prévoyance, ainsi plusieurs actes virtuellement dis­ tincts concourent à la providence divine. Connue l’expliquent les Salmanlicenses et plusieurs autres thomistes, Gonct Godoï, etc. : 1. Dieu veut comme fin manifester sa bonté, c’est la première intention divine; 2. // juge des moyens aptes à cette fin, et parmi les mondes possibles, connus par sa science de simple intel­ ligence antérieure à tout décret, il juge comme apte à la fin voulue cc monde possible, où se subordonnent les ordres de la nature et de la grâce, avec permission du péché, cl l’ordre d’union hypostatique. 3. Il choisit librement ce monde possible et ses par­ ties. comme moyens de manifester sa divine bonté. 1 // commande Γ exécution de ccs moyens, par un acte intellectuel, imperium, qui suppose les deux actes efficaces de volonté appelés intention de la lin et élec­ tion ou choix des moyens. La providence, selon les thomistes, consiste formellement dans cet imperium, ou commandement. Saint Thomas, dit, la, q. xxn, a. 1, ad lum : Prœciperc de ordinandis in finem, quo­ rum rectam rationem habet, competit Deo secundum illud Psalmi : tPrirceplum posuit cl non privteribil ». Δ7 secun­ dum hoc competit Deo ratio prudentia! ct prooidcnttfe. Cf. ibid., ad 3«™. Des théologiens ont objecté : après l’élection divine des moyens, Il n’y a aucune difficulté pour l’exécution, car rien ne peut résister â la volonté dMnc.l.’imperium ou commandement, acte de l’intelligence, parait donc superflu, et par suite la Providence consiste plutôt dans l’élection divine, qui esl un acte de la volonté. A celn, les thomistes répondent : Vimperium ou com­ mandement n’est nullement superflu après l’élection volontaire, il est nécessaire pour diriger l'exécution des moyens choisis, meme s’il n’y a pas de difficultés à vaincre. Cette direction de l’exécution des moyens déjà choisis ne s’identifie pas avec celle qui est requise d’a­ bord pour le choix de ces moyens. Bien plus, l’élection ou choix des moyens appartient à l'ordre d’intention qui descend de la lin voulue jusqu’aux moyens infé­ rieurs, tandis que Γimperium ou commandement ap­ partient à l’ordre d’exécution qu’il dirige en sens in­ verse, en remontant des moyens infimes jusqu’à la fin, qui n’est obtenue qu’en dernier lieu. Elle est première dans l’ordre d’intention et dernière dans celui d’exécu­ tion. Quant au gouvernement divin, il est l'exécution dirigée par la providence, ou l’exécution du plan pro­ videntiel. Ct. saint Thomas, ibid., ad 2,,ni. a) Que présuppose la providence du coté de l'intelli­ gence divine? Elle suppose la science de simple intel­ ligence qui a pour objet les possibles. Elle suppose aussi la science de vision, qui est. avec la volonté, cause des choses, car la Providence est l’ordination des choses créées à leur fin. C’est ce que dit saint Thomas. De ventate, q. v, a. 1, ad 2um : Providentia plus habcl de ratione voluntatis quam scientia practice absolute : scientia enim practica absolute communiter se habet ad cognitionem finis et eorum qua: sunt ad finem, unde non priesupponit voluntatem finis. Voir aussi ibid., ad 5πτη : Sicut scientia se habet ad scitum, providentia ad provi­ sum. Ainsi, en nous la science morale, qui ne requiert pas nécessairement la rectification de la volonté ou l'intention droite, est présupposée par la prudence qui requiert cette rectification. La providence, dit encore saint Thomas, ibid., ad 9um, se distingue en un sens de Vart divin, qui regarde la production des choses, plus que leur ordina­ tion à la fin de l'univers, qui est la manifestation de la bonté divine. Ainsi, en nous la prudence, recta ratio agibilium, esl distincte de l’art, recta ratio /adibilium. La providence sc distingue aussi de la loi éternelle. Comme le dit saint Thomas, ibid., ad 6um : < La provi­ dence suppose la loi éternelle, comme son principe »; ainsi, en nous la prudence ct la prévoyance supposent la connaissance des premiers principes pratiques ou de la loi morale : < il faut faire le bien et éviter le mal ·, etc. M Que présuppose, la i rovidence du côté de la volonté divine? Nous avons dit qu’elle présuppose la volonté de la fin, la volonté de manifester la bonté divine. Que suit-il de là? La providence divine présuppose Vamour de Dieu pour les créatures et ce qu’on peut appeler les deux ver­ tus de l’amour incréé, la miséricorde ct la justice. Cela sc déduit facilement de cc que nous avons affirmé plus haut avec saint Thomas. I*, q. xxn. a. 1, ad 3U® : « Nul ne dispose ct ne prescrit ce qu’il faut faire en vue d’une fin, sans la vouloir. Aussi la prudence présuppose-l-elle les vertus morales, qui rectifient l’appétit (rationnel et sensitif) par rapport au bien à réaliser. » Ainsi apparaît mieux la diflérence de la prudence ou providence et de l’art. L’art n’a pas de sol une fin universelle, mais une fin particulière : produire l'œuvre d’art, peinture ou sculpture, tandis que la prudence, dirige nos actes vers la fin dernière de l’homme tout entier cl suppose l’intention droite et efficace de celte fin. De même, analogiquement, Dieu n’est pas seule­ ment le grand architecte de l’univers, mais le très saint ordonnateur de toutes choses à cette lin ultime, qui est la généreuse manifestation de sa bonté. Et, comme l'homme ne peut être prudent ct prévoyant que s’il est juste ct bienveillant envers les autres, de même la pro­ vidence divine présuppose la miséricorde et la justice cl dirige l’exécution des œuvres divines qui mani­ festent ccs perfections. c) La providence suppose-t-elle à la /ois la volonté divine antécédente et la volonté divine conséquente? — Comme l’explique saint Thomas. I*, q. xix, a. 6, ad 1«’»», la volonté antécédente est celle qui sc porte sur ce qui est bien en soi, indépendamment des cir­ constances de temps et de lieu, tandis que la volonté conséquente est celle qui se porte sur ce qui est bon hic et mine. Et comme le bien est non pas dans l’esprit, dans l’idée des choses, mais dans les choses mêmes, ct que celles-ci n’existent que hic ct mine, la volonté antécédente est une volonté conditionnée (si un plus grand bien ne s’y oppose pas), tandis que la volonté conséquente, qui se porte sur cc qui est bon hic et mine, est absolue et efficace. Ainsi, le marchand pendant la tempête, voudrait de volonté antécédente, conserver ses marchandises, s’il n’y avait pas de danger, car en soi elles sont bonnes; mais il veut efficacement, de volonté conséquente, hic ct nunc, les jeter à la mer, pour sauver sa vie. Analogiquement. Dieu veut de volonté antécédente que tous les fruits de la terre arrivent à maturité, si un plus grand bien ne s’y oppose pas; Il veut de même que tous les animaux trouvent le necessaire à leur subsistance et à plus forte raison que tous les hommes soient sati- 1011 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, L’UNI \ E HSA LITE vés. Mais, tout considere, /7 nc veut pas efficacement ou de volonté conséquente que, sans exception, tous les fruits mûrissent, que tous les animaux nient le néces­ saire, que tous les hommes soient sauvés, il permet que les créatures défcctibles défaillent parfois, il le permet en vue d’un bien supérieur dont il est juge el qui ne nous est pas toujours connu. Il suit de lâ, comme renseignent les thomistes, que la providence présuppose non seulement la volonté divine antécédente, mais la volonté divine conséquente de manifester la bonté de Dieu par les moyens choisis par lui, c'est-à-dire par l’ordre de la nature et de la grâce (avec permission du péché) ct par celui del’incar­ nation rédemptrice. Cela suppose la volonté antécédente de sauver tous les hommes (en vertu de laquelle Dieu qui nc commande jamais l'impossible, rend ses com­ mandements réellement possibles A tous) et la volonté conséquente de conduire efficacement au salut tous ceux qui de fait seront sauvés. C’est ainsi que la prédestina­ tion est, â raison de son objet, une partie de la provi­ dence etla plus élevée. Cf. saint Thomas, I»,q.xxin, a. 1. Les thomistes en concluent que la providence, lors­ qu’elle suppose la volonté conséquente de lu fin, est doublement infaillible quant â l’ordination des moyens ct quant à l’obtention de la fln, tandis qu’elle est infail­ lible seulement quant à l’ordination des moyens et non pas quant â l’obtention de la lin lorsqu’elle suppose seulement la volonté antécédente de cette fin. La rai­ son en est que l’efficacité de la providence (ou de l’im­ perium divin) pour l’obtention de la fin. dépend du vouloir efficace de cette fin. En cela la providence géné­ rale, qui s'étend â tous les hommes et leur rend le salut réellement possible, diffère de la prédestination, qui conduit infailliblement les élus au terme de leur desti­ née. Cf. saint Thomas, De veritate, q. vi, a. 1. 2° Comment la providence surnaturelle se distingue-telle de celle de l'ordre naturel? — Il y a en Dieu une seule providence, qui cependant, A raison de ses divers objets, peut recevoir diverses dénominations : 1. La providence universalissime ou intégrale est l’ordina­ tion de tous les êtres créés à la lin universelle, qui est la manifestation de la bonté divine. 2. Par rapport aux fins particulières, on distingue, la providence naturelle ct la providence surnaturelle, ct aussi la providence ordinaire ct la providence extraordinaire, de qui dépend le miracle. La providence dite naturelle porte sur les choses naturelles, mais celles-ci sont subordonnées par la providence universalissime à la vie surnaturelle des Justes ct au Christ, chef du royaume de Dieu. Les fins particulières nc sont pas toujours efficacement voulues par Dieu; ainsi, bien que tous les hommes soient ordonnés par la Providence à une lin dernière surna­ turelle, ils nc l’atteignent pas tous. Au contraire, la fin universalissime de tout l’univers, manifestation de la bonté divine, est efficacement voulue par Dieu. 3e Comment la providence sc distingue-t-elle du gou­ vernement divin? — Ces deux expressions sont souvent prises comme synonymes; cependant, à proprement parler, comme le dit saint Thomas, · la providence est la raison de l’ordre des choses ou leur ordination, et le gouvernement divin est l’exécution de cet ordre. · l\ q. xxu, a. 1, ad 2um; a. 3, corp.; q. xxiu, a. 2; q. cm, n. 1. Gouverner, c’est, sous la direction de V imperium providentiel, conduire les choses à leur lin. Aussi.comme nous allons le voir, la providence s’étendelle Immédiatement de toute éternité à toutes choses si infimes qu'elles soient, tandis que Dieu gouverne les choses Inférieures par l’intermédiaire des créatures les plus élevées, ce qui nc sc réalise que dans le temps. Cf. saint Thomas, I*, q. ex, a. 1, ct De veritate, q. v, .i. 1 Le gouvernement divin sc distingue ainsi de la providence comme la motion qui suit V imperium sc distingue de celui-ci. 1012 1° Comment enfin, la providence sc distingue-t-elle du fatum au bon sens du mot? - Saint Thomas a plusieurs fois traité cette question. Dans le De veritate, q. v, a. 1, ad l‘«n, il dit : «Ce qu’est l’idée divine A l’espèce de la chose créée, la providence l'est au fatum », qui est l’ordre des choses constitué en elles par la providence, comme le dit Boècc, Dr consol., L IV, prosa G. Dans la Somme théologique, I·, q. cxvi, a. 1, saint Thomas rappelle que, selon bien des anciens, le fatum est la disposition des astres sous laquelle tel homme a été conçu ou est né, parce qu’ils croyaient qu’elle Influait sur les actes humains et sur les événements fortuits. D’où l’expression : être né sous une bonne ou sous une mauvaise étoile. « Mais, dit le saint docteur, cela ne peut s’admettre, car les corps célestes agissent A titre d’agents naturels, déterminés ad unum: ils ne peuvent donc être cause des événements fortuits, qui sont tout accidentels. Quant aux actes humains, comme ils procèdent de notre volonté spirituelle, ils ne sont soumis A l'influence des astres que d’une façon tout indirecte », A raison de notre organisme; ct, tant que nous avons l’usage de la raison, cet influx n’est pas plus nécessitant que l'attrait des choses sensibles. Cf. ibid., q. cxv, a. I. Si l’on prend le mot /alum en un bon sens, comme l'a fait Boècc. est-il dit. ibid., q. cxvî, a. 2, il signiffe «la disposition ou l'ordre des causes secondes constitué en elles par la providence pour produire certains effets ». Nous parlons aujourd’hui de la concaténation des causes et du déterminisme physique des lois de la nature qui sont hypothétiquement nécessaires : · Si la chaleur agit sur le fer, elle le dilate; si le feu agit sur notre organisme, il le brûle », mais Dieu peut par miracle agir en dehors de ces lois, comme lorsqu’il empêche invisiblement le feu d’exercer son influence sur un corps humain. De même, le déterminisme des lois naturelles, hypothétiquement nécessaires, n’em­ pêche pas qu'il y ait des événements fortuits, n'em­ pêche pas celui qui creuse une tombe de trouver quel­ quefois par hasard un trésor; aussi, ne peut-on pré­ tendre que tout ce qui est soumis A la volonté et A la puissance de Dieu soit soumis au fatum, en prenant cc mot dans un bon sens. Cf. ibid., ad l’,rn, ct a. I, ad Nous voyons mieux ainsi quelle est la nature de la providence ct cc qu’elle présuppose tant du côté de l’intelligence de Dieu que du côté de sa volonté. 11 nous faut considérer maintenant les propriétés prin­ cipales de la providence : son extension A toutes choses ct son infaillibilité. VII. L’EXTENSION DE LA PROVIDENCE Z COMMENT S'ÉTEND-ELLE IMMÉDIATEMENT A TOUTES CHOSES, SI — L’Écriture dit claire­ ment que tout, jusque dans les détails, est soumis A la providence : « Deux passereaux ne sc vendent-ils pas un as? Et il n’en tombe pas un sur la terre sans la per­ mission de votre Père. Les cheveux memes de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point : vous êtes de plus de prix que beaucoup de passereaux. » Matth., x, 28; Luc., xu, G, 7; xxi, 18. — ■ Quand on vous livrera.... cc que vous aurez à dire vous sera donné A l’heure même; car ce n’est pas vous qui parle­ rez, c’est l’Esprit de votre Père (pii parlera en vous. ■ Matth., x, 19. 20.— · C’est Dieu qui produit en vous le vouloir ct le faire, selon son bon plaisir. » Phil., n, 13. — « On jette le sort ou les dés dans le pan de la robe, mais toute décision vient de l’Étemel. » Prov.,xvi, 33. Déjà dans la Genèse, xlv. 8. Joseph vendu par scs frères, leur dit, lorsqu'il sc fait reconnaître par eux : Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais c’est Dieu; il m’a établi... maître de la maison de Pharaon ct gouvet aeur de tout le pays d’Égypte. . De la sorte cela toi me qui est fortuit tombe sous la providence ; si infimes qu’elles soîent? 1013 P H Ο V II) E N C. E. T II fi 01. OG 1 E, L’J N F Λ 1 L LI BI L l T É les marchands ismaélites qui achetèrent Joseph étaient passés une heure plus tôt ou plus tard, l’histoire de cc dernier eût été changée; mais, de toute éternité, Dieu avait décidé qu'il irait ainsi en Égypte ct deviendrait le bienfaiteur de ceux qui avaient voulu le perdre. De même, à plus forte raison, dans la vie et la passion de Jésus tout était fixé de toute éternité jusque dans les détails par la providence, ct nul nc pouvait mettre In main sur le Sauveur avant que son heure fût venue. Comment la providence s'étend-elle ainsi immédia­ tement à toutes choses si infimes qu'elles soient, sans supprimer la contingence des événements, le caractère fortuit de plusieurs et sans être responsable du mal? Saint Thomas a souvent traité cette question : Sum. theol., I®, q. xxn, a. 2; q. cm, a. 5; De veritate, q. v, a. 3, 4, 5, 6, 7; Cent. Gerit., 1. III. c. î, lxiv, lxxv, lxxxix, xc, xcvm, etc. Voici comme il s'exprime Ia, q. xxu, a. 2 : « Comme tout agent agit pour une lin, l'ordination des effets à leur fin s’étend aussi loin que s’étend la causalité (efficiente) de l’agent premier. Si. en effet, dans ce qui est produit par une cause, quelque chose s’écarte de la lin pour laquelle elle agit,cela pro­ vient d’une autre, cause qui opère en dehors de la fina­ lité de la précédente. Or la causalité (efficiente) de Dieu,agent premier, s'étend à tous les êtres, non seule­ ment quant ù leur caractères spécifiques, mais quant Λ leurs caractères individuels, qu’il s'agisse des êtres incorruptibles ou des êtres corruptibles. Donc, il est nécessaire que tout ce qui a l’être, de quelque manière que ce soit, soit ordonne par Dieu À une fin, ou soit soumis à la providence. » Cette preuve est fondée, on le voit, sur le principe de finalité : · Tout agent agit pour une fin »; or. la causalité (efficiente) de Dieu, agent premier, s’étend â toutes choses jusqu’aux moindres détails, qui sont encore de l'être, Jusqu’aux caractères individuels des êtres corruptibles, caractères qui dépendent de la matière, laquelle explique la multiplicité des individus de chaque espèce ct est elle-même causée par Dieu. Saint Thomas avait dit de même, I·, q. xiv. a. 11 : « La science de Dieu s'étend aussi loin que sa causalité; or, comme la puissance active de Dieu s’étend non seu­ lement aux formes, qui correspondent ù nos idées uni­ verselles, mais à la matière, I®. q. xttv, a. 2, il faut que la science divine s’étende jusqu’aux êtres singu­ liers, qui sont individués par la matière... Il en serait de même d’un artiste s’il produisait non seulement la forme de l’œuvre d’art, mais sa matière ·; alors, il nc connaîtrait pas seulement en général les reproductions qu’on peut faire d’un de ses chefs-d’œuvre, il les con­ naîtrait chacune en particulier. Cf. Kég. GarrigouLagrange, O. P., Dieu, son existence el sa nature. 5e éd., j» 395-127, G72-682, ct append· Ajoutons, comme le dit saint Thomas, I·, q. ciîi, a. 3, que la lin du gouvernement divin est la manifes­ tation de la bonté divine; or, rien de réel el de bon ne peut exister qui nc soit ordonné Λ la manifestation do cette divine bonté, dont il est la participation. El. ainsi rien de réel ct de bon n’échappe au gouvernement divin, tant du côté de la cause efficiente que de celui de la cause finale. Cf. I®, q. χι.ιν, a. 4, et De veritate, q. v, a. 3. Quant aux événements fortuits, ils sont appelés ainsi par rapports aux causes secondes : par exemple, trouver un trésor en creusant une tombe esl fortuit pour celui qui la creuse, c’est en dehors de sa prévision ct de son intention. Mais c'était prévu par Dieu. Ainsi, la rencontre de deux serviteurs d’un même maître peut être fortuite par rapport A eux el avoir été prévue par le maître s’il les a envoyés, sans les prévenir, au même endroit. Ainsi Dieu envoya les marchands ismaélites qui achetèrent Joseph vendu par scs frères. Aucune action particulière en ce qu'elle a de réel ne peut être 1014 soustraite a la causalité cl ii l’ordination de Dieu, cause première universelle. Bien plus. le hasard, arrivant en dehors de l’intention ou finalité soit de la nature, soit de notre volonté, est à sa manière une preuve de la finalité, car, si celle-ci n'existait pas, il n'existerait pas non plus, tout comme il n’y aurait pas des exceptions aux lois si les lois n’existaient pas. Cf. Sum. theol., 1®. q. cnr, a. 5. ad lQin. Pour ce qui est du mal. il n'est pas comme tel quel­ que chose de positif, il est la privation d’un bien. I®. q. xlviii, a. 1 ; pourquoi est-il permis par Dieu? Les théologiens répondent comme le fait saint Augustin, Enchidirton, c. xi : ■ Dieu tout-puissant nc permettrait pas que le mal se glissât dans ses œuvres, s’il n’était assez puissant ct assez bon pour en tirer un bien supé­ rieur »; In corruption d’un corps sert à la génération d’un autre; la mort de la gazelle, à la vie du lion, el la patience des martyrs n’existerait pas sans la persécu­ tion des tvrans. Voir ci-dessous, col. 1018. Sans doute, il est dit que < Dieu, en créant l’homme, l’a laissé dans la main de son conseil t, car il lui a donné une faculté de vouloir et d’agir qui n’est pas déterminée ad unum: mais les actes de notre libre arbitre n'échappent pas j>our cela â la providence. Bien plus. Dieu a un soin particulier des homme* à raison de leur âme spirituelle et immortelle et. comme le dit saint Paul, Boni., vin, 28, il fait que toutes choses concourent au bien de ceux qui l’aiment. » el qui persévèrent dans cet amour. Ainsi la providence descend jusqu’aux choses les plus infimes, mais pour les subordonner a celles qui sont plus élevées ct à la fin de tout l’univers. Son ordination s’étend ainsi immédiatement aux moindres details; mais, pour cc qui est de Γ execution de cet ordre. Dieu gouverne les êtres inférieurs par les plus élevés, non par manque de puissance, mais au contraire pour communiquer aux créatures la dignité de la causalité. Cf. saint Thomas. I®. q. xxn. a. 3. Ainsi est exclue l’erreur de Platon ou des platoniciens, qui admettaient trois providences subordonnées, ne comprenant pas la différence qu’il y a entre la connais­ sance ct l’ordination divines du plan providentiel, qui. pour n’être pas imparfaites, doivent s’étendre à tous les détails, cl l’exécution de ce plan. qui. elle, admet des intermédiaires subordonnés. Il reste pourtant que certains effets nc peuvent être produits que par Dieu seul el immédiatement; lui seul peut crier quelque chose de rien cl conserver l’être en tant qu’être de tou­ tes choses; lui seul peut mouvoir ab intus nos intelli­ gences cl nos volontés; elles sont en effet ordonnées au vrai universel cl au bien universel, et l’ordre des agents doit correspondre à celui des fins; seule la cause première universelle peut mouvoir vers une tin univer­ selle. Cf. saint Thomas, 1®, q. xi.x. a. 5. q. civ, a. 1 ct 2; q, cv, a. I, 3, 4, 5. 6. VI11. L'infaillibilité de la Providkncf. et le libre auditui*. — Si la providence, qui s’étend ainsi aux choses les plus particulières cl à nos actes inté­ rieurs est infaillible, il semble qu’il n’y ait plus de con­ tingence, ni de liberté. Aussi, Cicéron. De divinatione, 1. 11, c. vm, pour sauvegarder le libre arbitre de l’hom­ me, a-t-il nié qu’il fût soumis à la providence, ce qui j faisait dire A saint Augustin, que, « pour faire les hommes libres, il les a faits sacrilèges ». L'infaillibilité de la providence est clairement affir­ mée par la révélation, comme le définit le concile du Val lean : Universa qua· condidit Deus providentia sua tuetur atque gubernat, · attingens a fine usque ad finem fortiter et disponens omnia suaviter », Sap.. vm. 1. • Omnia enim nuda et aperta sunt oculis ejus . Hcbr., IV. 13. ea etiam qu(v libera creaturarum actione /uturu sunt. Denz.-Bannw.. n. 1781. Saint Thomas, a traité cette question. 1®. q. xxn. a. I; q. cm. a. 7 el 8; 1015 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, L’I ΝΓΛ IL LI BI LIT É Con/. Gent., I. II. c. xciv et xcv. etc. Considérons d'abord l’infaillibilité de la providence et ce en quoi elle diffère de l’infaillibilité de la prédestination. P Saint Thomas montre l'infaillibilité de la provi­ dence en établissant que rien nc peut arriver en dehors de son ordination ou de sa permission. Ia, q. cm. a. 7 et 8. — lui raison en est qu’aucun agent ne peut agir sans le concours de Dieu, cause universalissime de qui dépend l’élrc en tant qu’être de toute chose. De la sorte, ce qui s’écarte dc l’ordre de la providence sous un point de vue y rentre sous un autre; ainsi est-il établi de toute éternité que le péché sera justement puni. Cf. ibid., a. 7, et a. 8, ad lum. En d’autres termes, comme le dit saint Thomas. Cant. Gent., I. 111, | c. xciv, § 8 ; Divina provisio cassari non poted. Voir aussi. Sum. Iheol., Ia, q. xxn, a. I. ad 2»*n> et ad 3um : Divina providentia non deficit a suo efftclu, neque a modo eveniendi, quem providit. Cependant, comme le note saint Thomas, De veri­ tate. q. Vf. a. I. < dans toute ordination à une lin, il faut considérer ct l’ordre ο i rapport à la lin, et l’obten­ tion dc la lin. car, parmi les êtres qui sont ordonnés ù une lin, tous n’y parviennent pas. Or, la providence regarde l’ordre ù la lin (ct pas toujours l’obtention de la lin); c’est ainsi que par elle tous les hommes sont ordonnés à la beatitude; la prédestination regarde non seulement l’ordre ù la lin. mais l’obtention dc cette lin; aussi ne porte-t-elle que sur ceux qui seront sauvés. Ce texte s’oppose-t-il aux précédents ? Nullement. Il sullit de remarquer, comme l’ont fait bien des tho­ mistes, Sylvestre de Ferrure, Gonct, Alvarez, etc., que l’elllcacité de la providence ou de l’imperium divin, quant ù l’obtention dc la lin. dépend de l'cfflcaclté du vouloir divin ou dc l’intention divine relative à celte fin. Par suite, comme nous l’avons indiqué plus haut, la providence, lorsqu’elle suppose la volonté consé­ quente ou efficace de la lin, est infaillible même quant ù l’obtention de la lin, par exemple à l’égard de la lin de l'univers, et même à l’égard de lins très particu­ lières comme des fruits (pii dc fait arrivent â maturité; I tandis que, lorsqu’elle suppose seulement la volonté | antécédente ou conditionnelle dc la lin (si un bien supé­ rieur nc s’y oppose pas), elle est infaillible seulement quant à l’ordre des moyens à la lin. par exemple à l’égard des fruits qui auraient pu arriver à maturité et qui n’y sont pas arrivés de fait. Il reste, comme l’a dit saint Thomas, D. q. xix, a. 6. ad luin. que tout ce que Dieu veut simplement et clffcaccmenl arrive, bien que cc qu’il veut seulement d’une volonté antécédente ou conditionnelle n’arrive pas : quicquid Deus simpli­ citer vult, fit; licet illud quod ante -edenter vult, non flat. Ainsi, rien n’arrive que Dieu ne l’ait voulu ou permis. 2° Cette infaillibilité de la divine providence est-elle seulement une infaillibilité de prescience ou aussi une infaillibilité de causalité? - A l’égard du péché comme tel.dont Dieu ne peut être cause ni directement ni indi­ rectement, elle n’est qu’une infaillibilité de prescience; mais, à l’égard de tout ce qui, en dehors dc Dieu, est réel ct bon, c’est aussi une infaillibilité de causalité, car Dieu est cause première de tout ce (pi’il y a de réel ct dc bon en dehors dc lui. Tel est manifestement l’en­ seignement de saint Thomas. I\ q. xxn.a. 2, ad lum: Cum omnes causa* particulares concludantur sub uni­ versali causa, impossibile est aliquem effectum ordinem caus.r universalis effugere. Cf. I*, q. xix, a. 6; <|. cin, a 7 ct 8; Conf. Genl.. I. HI, c. xciv, § 8. i 3* Si telle est l'infaillibilité de la providence, comment ne supprime-t-elle pas toute contingence et toute liberté? D’apres les principes exposés, saint Thomas répond I® q. xxii, a. t : « La providence ordonne toutes choses ù leur lin. Or, après la bonté divine, qui est une fin séparée des choses, le bien principal qui existe dans Ic3 choses même* est la perfection de l’univers, et cette 1016 perfection demande quo Ions les degrés de l'être sc trouvent dans l’univers. C’est pourquoi Λ certains effets Dieu a préparé des causes nécessaires pour qu’ils arrivent nécessairement, et à d’autres des causes con­ tingentes pour qu’ils arrivent de façon contingente. > Dc même, ad 2“™ : . L'ordre immuable et certain dc la divine providence fait que tout ce qui est lixé par elle arrive comme il a été lixé, soil nécessairement, soit de façon contingente. · Et encore, ad 3um ; « Le mode dc contingence et le mode de nécessité sont des modes dr l’être ; ils tombent donc sous la providence dc Dieu, qui est la cause universelle de l’être · ou de toute créature en laid qu’être. Pour avoir I intelligence de cette preuve, il faut sc rappeler ce qu’a dit saint Thomas plus haut, ΙΛ, q. xix, a 8, dc l’elllcacité transcendante de la volonté divine Lorsqu’une cause a toute l’elllcacité de l’action, elle donne à son effet non pas seulement l’existence. mais le mode cjtii lui convient. Quand un (ils par exemple nc ressemble pas à son père, il faut l’attribuer à la fuiblesscde la vertu génératrice. Donc, puisque la volonté divine est souverainement ellicace. non seulement elle accomplit tout ce qu’elle veut, mais elle fait que tout s’accomplisse! comme elle le veut. Or, Dieu veut, pour l’ordre ct la perfection de l’univers, que certaines choses arrivent nécessairement et certaines autres d une manière contingente. En conséquence, en vue de» effets nécessaires, il dispose des causes nécessaires cl indéfectibles; en vue des effets contingents, il pré­ pare des causes coiit ingentes et défectiblcs. Sous la conduite d’un grand chef, les soldats nc font pas seulement cc qu'ils doivent faire, mais ils le font rnnme ils doivent le faire : Il y a la manière. » Il y a celle aussi des grands peintres, celle des grands poètes. H y a par-dessus tout celle dc Dieu, qui est comme son si vie ù lui. C’est ce (pii fait dire â saint Thomas, ΙΛ, q. i.xxxm, a. 1, ad 3um : « Notre libre arbitre est cause de son acte, mais il n’est pas nécessaire (pi’il en soit la cause première. Dieu est la cause première (pii meut les causes naturelles et les causes volontaires. En mou­ vant les causes naturelles, il ne détruit pas la sponta­ néité ou le naturel de leurs actes. De même, en mou­ vant les causes volontaires, il ne détruit pas la liberté de leur action mais bien plutôt il la fait en elles. Il opère en chaque créature, comme il convient à la nature qu’il leur a donnée. En d’autres termes, loin de détruire en nous la liberté, il l’actualise, il est cause en nous et avec nous-mêmes du mode libre de notre choix, il fait passer notre volonté de l'indifférence domina­ trice potentielle h l’indifférence dominatrice actuelle, avec laquelle elle se porte vers un bien particulier qui nc saurait invinciblement l’attirer puisqu’elle est spécillée par le bien universel el sans limite. Ainsi, un grand maître communique :i ses disciples non seule­ ment sa science, mais son esprit ct sa manière. C’est pourquoi saint Thomas ajoute. De malo, q. vi, a. 1, ad 3,|o> : * Dieu meut immuablement (immutabiliter) notre volonté, â cause de la souveraine efficacité de sa puissance, (pii ne peut défaillir; mais la liberté demeure à cause de la nature (el de l'amplitude) de notre volonté (spécifiée par le bien universel) (pii est indif­ férente à l'égard du bien particulier qu'elle choisit. » \insi. la souveraine clllenclté de la causalité divine, loin dc détruire la liberté, est la raison formelle pour latpielle la liberté est non seulement sauvegardée, mais actualist r. Celte actualisation dc notre libre arbitre nc peut être l’effet que de Dieu seul; c’est là une dc scs gloires ct non In moindre. Il v a certes là un mystère : celui de l’action divine, (pii n’a Ibid., xi. 33 : () altitudo divitiarum sapientiir ct scientiir Dell Nulle intelligence créée, humaine ou angélique, avant d’avoir reçu la vision béatiflque. ne peut voir l'intime conci­ liation des deux principes dont nous venons de parler. Ce serait voir comment l'in fl lie justice, l’infinie misé­ ricorde et la souveraine liberté s’identifient, sans sc détruire,dans l’éminence delà Délié.dans la vie intime dc Dieu, dans «la lumière inaccessible où Dieu habite», 1 Tim., vi, 16, lumière trop forte pour nos faibles yeux ct qui nous fait l’effet de l’obscurité; c’est elle que les mystiques appellent la « grande ténèbre ». L'important ici est dc ne pas nier le clair à cause de l’obscur : ce serait tomber dans l’absurde, ct de laisser le mystère à sa vraie place, là où il est, au-dessus de tout raisonnement et de toute spéculation théologique, objet de foi et de contemplation surnaturelle. X. La pKitaiE BT l’abandon confiant a la Phovidence. — 1° Signification de tu prière. — Lorsqu’il est question de l'infaillibilité et de l’immutabilité des décrets providentiels, il n'est pas rare qu’une difllculté se présente à l’esprit : si la Providence infaillible est universelle et si elle a tout prévu, quelle peut cire l’uti­ lité de la prière? Comment nos supplications pour­ raient-elles éclairer Dieu et lui faire changer ses des­ seins, a lui qui a dit : Ego sum Dominus, et non mulor? Par ailleurs, il est dit dans l’Evangile : · Demandez et vous recevrez. En réalité, cette objection, souvent formulée par les incrédules, en particulier par les déistes du xvur ct du xix1 siècle, vient d'une erreur sur la cause première de l’efllcacilé de la prière et sur le but auquel elle est ordonnée. Voir Part. Piuère, «·>!. 201. Comme l'explique saint Thomas, II»·II®, q. lxxxiîî, a. 2, la prière n’est pas une force morale qui aurait son premier principe en nous, ce n’est pas un elïort de l'âme humaine qui essaierait de faire violence à Dieu, de lui faire changer ses dispositions providentielles. Si l’on parle ainsi quelquefois, c'est par métaphore. La prière a été voulue par Dieu bien avant que nous voulions nous mettre ù prier. De toute éternité, Dieu a voulu la prière comme une cause des plus fécondes dans notre vie spirituelle; il l’a voulue comme un moyen d’obtenir la grâce qui nous est nécessaire. C’est lui-même qui l'a inspirée aux premiers hommes qui, comme Abel, lui ont adressé leurs supplications; c’est lui qui la faisait jaillir du cœur des patriarches et des prophètes. La réponse à l’objection que nous venons de rap­ peler est au fond très simple, malgré le mystère de la grâce qui s’y trouve contenu. Cette réponse consiste en ceci : la vraie prière faite dans les conditions voulues est infailliblement efficace, parce que Dieu, qui ne peut pas sc dédire, a décrété qu'elle le serait. Non seulement tout ce qui arrive a été prévu ct voulu (ou au moins permis) par un décret providentiel, mais la manière dont les choses arrivent, les causes qui produisent les événements, les moyens par lesquels s'obtiennent les lins. Dans tous les ordres, depuis celui dc la matière brute jusqu’à celui de la vie de la grâce, en vue dc certains effets. Dieu a préparé les causes qui les doivent produire; en vue de certaines fins, il a pré­ paré les moyens proportionnés. Or, la prière est une cause ordonnée dc toute éter­ nité par la providence à produire cet effet qui est l’obtention des dons dc Dieu nécessaires au salut. Et donc l'immutabilité des desseins de Dieu, bien loin «le l'opposer a l’clllcaclté de la prière, en est le suprême fondement. Le Seigneur, lorsqu’il nous dit; Demandez Λ DIE L 1020 et vous recevrez », est comme un père qui est résolu d’avance d’accorder un plaisir à ses enfants cl qui les porte à le lui demander. Mais, pour que la prière soit bien ordonnée, elle doit se rappeler celte parole dc l’Evangile : < Cherchez le royaume des cieux, el loul le reste vous sera donne par surcroît. » Ainsi, clic est un culte rendu à la Providence, elle reconnaît con­ stamment que nous sommes sous le gouvernement de Dieu, et même celui qui prie comme il faut, avec humi­ lité, confiance et persévérance, en demandant, pour soi el pour les autres, les biens nécessaires au salut, coopère au gouvernement divin, car Dieu a décidé dc toute éternité de ne produire tel effet salutaire qu'avec notre concours, qu’à la suite de notre intercession. 2° L* abandon à la providence. —■ La prière doit s’accompagner d’abandon confiant à la providence. Il importe ici dc rappeler brièvement les principes du véritable abandon, ils dérivent de la notion de la pro­ vidence qui a été exposée plus haut. La doctrine de l’abandon à la providence manifes­ tement fondée sur l’Evangile, a été faussée par les qulétistcs, qui se sont laissés aller à la paresse spiri­ tuelle, ont plus ou moins renonce à la lutte nécessaire à la perfection cl ont gravement diminué la valeur ct la nécessité de l’espérance, tandis que le véritable abandon est une forme supérieure de la confiance ou espérance, unie à l’amour dc Dieu pour lui-même. On peut, il est vrai, s’écarter aussi de la doctrine de l’E­ vangile sur ce point par un défaut opposé à celui des quiétlstes; ce défaut opposé à leur paresseuse quiétude est l’inquiétude vainc ct l’agitation stérile. Ici comme ailleurs la vérité est un point culminant, au milieu et au-dessus dc ces deux erreurs extrêmes opposées entre elles. Pour se préserver des sophismes qui ne contiennent qu’une fausse apparence dc per­ fection chrétienne, il importe de rappeler ici le sens el la portée de la vraie doctrine dc l'abandon, en disant pourquoi et comment nous devons nous abandonner à la providence. 1. l'ourguoi devons-nous nous abandonner à la pro­ vidence? — Tout chrétien répondra : à cause de sa sagesse et dc sa bonté. C’est certain, mais, pour le bien entendre ct éviter l’erreur qùiétistc. qui renonce plus ou moins à l’espérance et à la lutte nécessaire au salut, pour éviter aussi l’autre extrême, l’inquiétude vainc et l'agitation, il faut rappeler quatre principes qui dérivent de la notion de providence qui nous est don­ née par la révélation. Le premier de ces principes est celui-ci : « Bien n'arrive que Dieu ne l'ait prévu de toute éternité el qu’il ne l’ait voulu (si c’est un bien) ou du moins per­ mis (si c’est un mal). » Le second principe est que « Dieu ne peut rien vou­ loir et rien permettre qu’en vue «le la Un qu’il s’est proposée en créant, c’est-à-dire qu’en vue de la mani­ festation de sa bonté, de ses perfections infinies, cl en vue de la gloire de l’H mime-Dieu, Jésus-Chrisi, son Elis unique. Omnia enim vestra sunt, vos aillent Christi. Christus autem Dei. » I (.or., in, 23. A ces deux principes s’ajoute celui-ci, formulé par saint Paul, Boni., vm, 28 : « Nous savons que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son éternel dessein » ct qui perseverent dans son amour. Dieu fait concourir à leur bien spirituel non seulement les grâces qu'il leur accorde et les qualités naturelles qu’il leur n données, mais aussi les maladies, les contradictions, les échecs jusqu à 1« urs fautes, dit saint Augustin, qu'il ne permet que pour les conduire à une humilité plus vraie, à un amour plus pur, comme il permit le triple reniement de Pierre pour le rendre plus humble el plus défiant dc lui-même, par la même plus confiant en la divine miséricorde et plus fort. Voir saint Thomas, Comment. 1021 PROVIDENCE. THÉOLOGIE, LA EIN DU GOUVERNEMENT DIVIN in EpisL ad Rom,, vm, 28, où sont cités les principaux textes do saint Augustin sur ce sujet. D’après ces trois principes, nous sommes certains d’avance que c’est nu bien que la divine Providence ordonne infailliblement toutes choses, ct nous sommes plus sûrs de la rectitude de scs desseins que de la droi­ ture do nos meilleures intentions. Nous n’avons donc, en nous abandonnant à Dieu, rien a craindre (pie dc ne pas lui être assez soumis (crainte qui empêche l’espé­ rance dc tourner à In présomption). Mais ces derniers mots, nous obligent à formuler, contre le quiétisme, un quatrième principe non moins certain que les précédents : « Cet abandon ne nous dis­ pense pns évidemment de faire ce qui est en notre pou­ voir pour accomplir la volonté de Dieu signifiée par les préceptes, les conseils, les événements. > Mais, quand nous avons loyalement voulu accomplir au jour le jour la volonté dc Dieu signifiée (voluntas signi), nous pouvons cl nous devons nous abandonner pour le reste ù la volonté divine dc bon plaisir, si mystérieuse qu’elle soit (voluntas beneplaciti ). Ce quatrième principe est équivalemment formulé par le concile de Trente, sess. vi. c. xm, lorsqu’il dit que tous nous devons très fermement espérer dans le secours de Dieu et nous confler en lui, en veillant à l’accomplissement dc scs préceptes. On trouve ainsi l’équilibre dc la vie intérieure audessus des deux erreurs notées plus haut. Par la fidé­ lité au devoir de minute en minute, on évite la fausse ct paresseuse quiétude des quiétistes, et par l’aban­ don conflant on échappe à l’inquiétude ct à l’agitation. En ce sens, il est dit, Ps., ijv, 23 : Jacta super Dominum curam luam, ct ipse te enutriet, Repose-toi sur le Sei­ gneur, ct lui-même le nourrira ·. ct dans la lrt épitre dc saint Pierre, v, 6 : Déchargez-vous sur Dieu de toutes vos sollicitudes, car lui-même prend soin de vous. » 2. Comment rt en quel esprit devons-nous le /aire? — Non pas, comme l’ont dit les quiétistes, dans un esprit qui diminue l’espérance du salut, sous prétexte dc haute perfection, mais dans un grand esprit de foi, de confiance et d’amour. La volonté de Dieu signi liée par ses commandements est que nous devons espérer en lui et travailler avec confiance à notre salut, quels que soient les obstacles; celleoolontésignifiéecsl le domaine de l’obéissance et non pas celui dc l’abandon. Celui-ci regarde la volonté dc bon plaisir, non encore signi liée, dont dépend notre avenir encore incertain. Paire, sous prétexte de perfection, le sacri lice de notre salut, serait chose contraire au désir naturel ct légitime du bonheur ct aussi à la vertu surnaturelle d’espérance, qui, loin de disparaître chez les saints, devient au milieu des plus grandes épreuves l’espérance héroïque · contre toute espérance humaine », selon le mot de saint Paul. Enfin, un pareil sacrifice dc notre béatitude étemelle serait contraire à la charité elle-même, qui nous fait aimer Dieu pour lui-même el nous fait désirer le pos­ séder pour le glorifier éternellement. Voir sur l’abandon : saint h’rançois de Sales, L'amour de Dieu, I. VII f, c. m à vu ; I. IN, c. i à vi ; c. xv ; Entre­ tiens, n el xv; Bossuet, États d'oraison, I. VIII, 9, et Discours sur l'acte d'abandon à Dieu; Alexandre Piny, O. P., Le plus partait (1683); P. de Cnussade, S. J., L'abandon à la Providence; Dom Vital Lchodcy, Le saint abandon, Paris, 1919; Rvg. G.irrigou-Lagrange. O. P., La Providence ct la confiance en Dieu, Paris, 1932. XI. La fin nu «ouveiixi mi xr divin. Pour ter­ miner cet article, il convient de rappeler quelle est la tin du gouvernement divin, qui veille à l’execution du plan providentiel. Celle fin est la manifestation de bonté divine, qui donne et conservo aux justes la vie éternelle. C'est ce que montre saint Augustin dans l’ouvrage qu’il écrivit sur la Providence : La cité dc Dieu, sa constitution progressive ici-bas et son plein 1022 développement dans l’éternelle béatitude. Voir ci-dcxsu$, col. 979 sq Dans Γ Ancien Testament, la fin dernière du gouver­ nement divin n’était exprimée que d’une façon encore imparfaite, souvent symbolique. La Terre promise, par exemple, était la figure du ciel; le culte tout entier ct les prophéties annonçaient la venue du rédempteur promis, ct cette annonce contenait confusément celle dc la vie éternelle, qui devait nous venir par le Sau­ veur. Dc plus, on s’explique que l'Ancien Testament ne donne pas beaucoup de lumière sur Γéternelle béa­ titude, car, avant la passion ct la mort du Christ, les Ames des justes devaient attendre dans les limbes que le Sauveur leur ouvrit les portes du ciel. Cependant, de temps à autre, les prophètes avaient des paroles très hautes, fort expressive*·, sur la gran­ deur dc la récompense que Dieu réserve aux justes dans l’autre vie, paroles qui précisaient ce qui avait été dit avant eux : Gcn., v, 21; xvn. 8; xxv, 8, 17; xxvf, 21; xxxv, 29; XLVii, 9; xi.ix. 18. 29-33; Num., xx. 24; xxvn, 13; Dcut., xxxn, 30. Le Psalmista avait dit : « Pour moi, dans mon innocence, je verrai ta face. Seigneur; À mon réveil, je me rassasierai dc ton image. satiabor cani apparuerit gloria tua, » Ps.. χνι. 15. Job avait parlé dc même» xiv, 13-25; xix, 25-27. Isaïe, parlant de la nouvelle Jérusalem, disait : < Jahvé sera pour toi une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta gloire, ton soleil ne sc couchera plus, car Jahvé sera pour toi une lumière éternelle ct les jours dc ton deuil seront achevés. » 1$.. lx, 19. Daniel écrivait, c. xn. 13 : « Ceux qui auront eu l'intelligence des choses de Dieu (et auront été fidèles à sa loi) brilleront comme la splendeur du Armament ; Ils seront comme des étoiles éternellement ct toujours. · 11 ne s’agit pas ici des justes futurs qui viendront plus tard sur la terre, il s'agit de ceux qui existent déjà et dc ceux qui sont morts; la récompense qui leur estpromise est éternelle. Plus clairement, il est écrit au I. H des Machabées, vif, 9, qu’un de ces martyrs dit a ses bourreaux en expirant : < Scélérat que tu es. tu nous ôtes la vie présente, mais le Roi de l’univers nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour être fidèles à ses lois. » C’est aussi de la béatitude éternelle que parlait le livre de la Sagesse, in. 1. en disant : < Au jour de leur récompense, les justes brilleront semblables à une flamme qui court à travers les roseaux. Ils jugeront les nations el domineront sur les peuples; le Seigneur régnera sur eux à jamais... Car la grâce et la miséri­ corde sont pour ses saints, cl il prend soin de scs élus. · < Les justes vivent éternellement, leur récompense est auprès du Seigneur, et le To ut-Puissant a soin d’eux. ■ Ibid., v, 1 sq. Dans le Nouveau Testament, la lin du gouverne­ ment divin ne saurait être plus clairement énoncée et de façon plus accessible ù tous. Tandis que tout ce qui précédait le Christ annonçait sa venue, lui-même désor­ mais annonce le royaume de Dieu à tous les peuples ct conduit les âmes à la vie éternelle. Très souvent, celle expression revient dans les ser­ mons du Sauveur conserves dans les trois premiers évangiles ; « Les justes iront a la vie éternelle. » Matth., xxv. 16; Marc., x. 30; Luc., xx. 36. » Le Eils de l’homme leur dira : * Venez, les bénis dc mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé des la fondation du monde. ■ Matth.. xxv, 31. « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu... Réjoiiissez-\ous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux. · Matth.. v, 8-12. Dans l’évangile el les autres écrits johamdqucs il est constamment question dc la fin du gouvernement j! ‘ 1023 PROVI I) ENCE divin; â plusieurs reprises, il y est dit : · Celui qui croit en moi a la sic éternelle. ■ Joa.. m. 36; vî, 10, 47, c'està-dire : celui qui croit en moi d’une foi vive, unie à l’amour de Dieu, a la vie éternelle commencée,puisque In grâce ct la charité ou amour de Dieu ne dois ont pas finir. Cf. Joa.» vin, 51 ; xi, 25 sq. ; xvu. 3, 21 ; et I Joa., lu, 2 : Cc que nous serons n’a pas encore été mani­ festé; mais nous savons que, lorsque ce sera manifesté, nous serons semblables à Dieu parce que nous le ver­ rons tel qu’il est. » Saint Paul ne parle de façon différente : · Aujour­ d’hui nous soyons (Dieu) dans un miroir, d’une manière obscure, énigmatique, mais alors nous le ver­ rons face à face; je ne connais maintenant Dieu qu'iinparfaitement, mais alors je le connaîtrai comme je suis moi-même connu de lui. · I Cor., xm, 12. Alors, les soies insondables de la Providence s’écialrcront, nous serrons comment sc concilient intime­ ment les deux principes dont nous parlions plus haut : d’une part. Dieu ne commande jamais l’impossible ·; d'autre part, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ». Nous verrons l'intime conciliation de ces principes parce (pie nous verrons comment s’identifient. sans se detru re. dans la Deité, l’infinie justice, l’infinie miséricoidc cl la souveraine liberté. Dans cette lumière de Dieu, nous adorerons tous les décrets de sa providence Ordonnés â la manifestation de sa b mlé, et nous nous subordonnerons pleinement à lui. La bibliographie relative à la question de la Providence serait évidemment des plus étendues, même si elle voulait noter seulement les principaux ouvrages, dont plusieurs ont été cités au cours de cet article. Nous ne l’entreprendrons pas, car rien n’est plus facile que de trouver dans leurs œuvres ce qu’ont dit sur ce sujet les grands théologiens la où ils en parlent er pro/esso, et cc qu'ont écrit leurs principaux commentateurs ct les théologiens plus récents dans leurs traités de dogmatique. H. Gahhigou-Laghanqe. 1. Nécessité de la vertu car­ dinale de prudence. II. Nature de la prudence (col. 1021). HI. Les phases du discernement prudentiel (col. 1027). IV. La prudence vertueuse (col. 103 ). V. La prudence surnaturelle (col. 1036). VL La pru­ dence dans lu phase délibérative du conseil (col. 1010). VIL La prudence dans la phase résolutoire du jugement (col. 1016). VIII. La prudence dans la phase impérative des réalisations (col. 1050). IX. Lc manque de prudence (col. 1058). N. Les fausses prudences (col. 1066). XL Les diverses espèces de prudence (col. 1071). I. Nécessité de i-λ veiitu cardinale de peudence. — Pour saint Thomas, la vertu cardinale de prudence est · la vertu la plus nécessaire à la vie hu­ maine ». Le présent article va s'appliquer ù Justifier celte singulière aflirmation en faisant voir, dans la prudence, le bon génie du gouvernement de nousmêmes, le vertueux discernement de notre conscience, la cheville ouvrière de notre moralité. Quand nous nous regardons agir, nous voyons (pie nos actions sont en correspondance avec des buts vers lesquels elles tendent. Si, dans cc dynamisme de tous les instants, nous faisons intervenir, comme nous le devons, le point de vue moral, nous nous apercevons que notre raison superpose, en face de nos désirs cl de nos vouloirs, des réglementations ct des lois, d'après lesquelles elle Juge nos actions comme bonnes ou mauvaises, comme devant être accomplies ou écar­ tées. Notre moralité est circonscrite entre ces deux extrêmes : d une part, les normes morales, les Uns vertueuses; d’autre part, nos actions pratiques, mul­ tiples et complexes, qui doivent s’y conformer. Si nous agissons sans que notre raison prenne garde à cette conformité. nous agissons à la manière de l’animal. PRUDENCE PRUDENCE 1024 qui suit l'impulsion de son instinct, sans ce contrôle intelligent qui est l’apanage des natures douées de raison; tout au plus agissons-nous comme les passion nés, qui s’aveuglent volontairement sur l’obligation des lois morales ct ne veulent suivre en leurs actions que la logique de leurs convoitises. L’homme moral agit par choix délibéré; il niait rise son action par un discer­ nement qui rend celle-ci tributaire de buts vertueux, acceptés comme obligatoires. Mais ce discernement ct ce choix ne vont pas tout seuls. On ne passe point aisé­ ment des intentions générales aux actions concrètes. L’n hiatus existe entre ces deux extrêmes, entre les lois morales, rigides, intangibles et la mobilité fuyante des actes courants, engagés tous et chacun dans les va­ riables circonstances qui forment la trame de la vie humaine. L’animal ne dispose que d’un petit nombre d’opérations qui conviennent à son espèce ct dont le jugement est préformé dans son instinct. Mais l’homme, par son âme intelligente, dont la vertu s’é­ tend pour ainsi dire à l’infini, doit chercher son bien ct réaliser son bien moral à travers une multitude sans nombre d’activités diverses ct diversement circon­ stanciées. Il doit établir la soudure entre les fins géné­ rales auxquelles il aspire ct la mobilité incessante cl multiforme de ses actes, puisque aucun d’eux ne sera moral et vertueux que par son accord avec les inten­ tions morales ct vertueuses. Quel peut être cet intermédiaire lumineux entre la fin et les moyens, entre les règles morales et les actions morales, sinon la raison, qui est en nous puissance de délibération, de comparaison ct de rapprochement entre les réalités les plus diverses? Seul, l’esprit peut devenir toutes choses » pour juger de toutes choses. Le discernement moral de toute action, appréciée ct dictée en conformité avec la volonté vertueuse, sera donc en nous œuvre de raison. La prudence est vertu de notre raison. Je dis vertu parce qu’il ne faudrait pas croire que l’esprit nu, l’intelligence pure, soit capable de cet universel discernement. Notre intelligence spé­ culative η'α-t-elle pas besoin d’être perfectionnée par de multiples sciences, péniblement acquises, pour con­ naître les réalités du monde? De même, il faut à la raison pratique, pour diriger les actions humaines, de multiples perfectionnements, des qualités précises qui, en se réunissant, assureront son vertueux discernement. La perfection de la prudence est à ce prix. Au surplus, cette perfection vertueuse du discernement moral sup­ pose la conscience solidement établie dans ses convic­ tions morales et rectifiées vis-ù-vis d’elle. Dans celte lumière du devoir et sous l’impulsion d’une volonté tout ardente à le pratiquer, la raison prudentielle procède à l'enquête et à la détermination des actions les plus aptes à ce but. Elle part des convictions mo­ rales pour éclairer la conduite; elle recherche ct juge, elle dirige ct Impose les réalisations vertueuses. Notons le caractère de cette doctrine thomiste : avec la prudence, vertu de la raison, nous sommes en plein dans la vertu; ce sont des qualités d’esprit qui garan­ tissent en nous la moralité, et elles sont influencées elles-mêmes par la qualité de nos amours. Heureux mélange et parfait équilibre d’intellectualisme et de volontarisme. C’est par le bon usage de l’intelligence que l’on arrive à sc gouverner humainement; mais, d’autre part, l’intelligence n’est en mesure d’assurer cette bonn· conduite de la vie que si elle est elle-même tout imbibée do bon vouloir. Parla prudence, l’esprit devient tout à fait vertueux ct adonné ù la vertu. Saint Thomas, Sum. theol., IMI», q. lvii, a. 5; De virtutibus, q. î. n. 6 ct 12. IL Nstuui de la Pin di sci . Lft prudence est rtu de ι ι ilson, mais de ι raison pratique Au surplus elle présuppose la rectitude morale de notre volonté. PRUDENCE. SA NATUBE 1025 1· t.e discernement mural est ouvre de raison. - Lc prudent, dit saint Thomas, est relui qui sait prévoir le bien-fondé, les circonstances ct les conséquences d’une action future, d'une action qui n’cxislc pas encore, mais qui sera éventuellement réalisée. Celte action n’étant pas encore posée, le prudent non seulement l’imagine, mais il la fait naître et vivre dans sa pensée telle qu’elle devra exister, selon les exigences de la loi morale ct en adaptation exacte avec les circonstances qui la verront se dérouler, bans la pensée du prudent, cette action, entrevue comme devant être accomplie, , se présente en comparaison avec des actions contraires inopportunes ct dont l'idée ct le désir sont repoussés, parce que le choix raisonnable el xolontairc se porte sur l’action la plus valable ct la plus conforme à la loi et aux circonstances, IMI*. q. xlvij, a. 1. Une telle prévision, qui table à la fois sur les normes morales ct sur les opportunités des choses ct des évé­ nements. ne convient qu'à la raison; car seule la raison peut établir des comparaisons ct les apprécier. L’ani­ mal, qui n’a pas de raison, ne compare ct ne prévoit pas; il juxtapose des sensations immédiates ou des souvenirs, mais sans établir de liaison raisonnée; cc qui fait la liaison dans son imagination, cc n’est pas la réflexion de l’esprit — car il n’a pas d’esprit — mais le déterminisme de l'instinct ou l’automatisme habituel auquel on l’aura plié par dressage. Que cc soit dressage ou instinct, l’animal sc répète toujours; il ne crée rien, n’invente rien, ne peut saisir l’adapta­ tion d’un moyen à un but, le rapport d’un effet à une cause. L'homme, au contraire, en face de buts qu’il se donne librement, est sans cesse occupé à créer des moyens nouveaux, à combiner des actions originales et neuves; il substitue aisément une manière d’agir à une autre, ct sa raison n’est pas vile à court d’expé­ dients. C'est surtout dans le conseil intérieur, quand il s’agit d’une action particulièrement embarrassante, que le discernement prudentiel s’accuse comme une œuvre de raison. Il arrive que, dans un cas donné, nous ne savons que faire : plusieurs alternatives sc présentent avec des conséquences avantageuses ou désavanta­ geuses; pour savoir quel parti prendre, de multiples raisonnements sont nécessaires, avec affrontement de leurs conclusions ; car il faut tout voir, envisager les multiples aspects, tenir compte des points de vue opposés; pour aboutir à une solution certaine et unique, il faut travail ct souplesse d’esprit. 11 est donc clair que le discernement prudentiel est œuvre de rai­ son. Saint Thomas, toc. cit., ad 2um. Quelle est la forme du raisonnement intérieur de la prudence? En xoici un exemple simple : · Il est dé­ fendu de faire tort à autrui cl de s’en venger injus­ tement. Or. cette médisance qui me vient à l'esprit à propos de cet individu lui ferait tort et serait une injustice. Donc, celte médisance est défendue. » La majeure du syllogisme est une règle morale générale acceptée par tous; elle relève de la loi naturelle el en même temps de la loi positive divine; car celle-ci, exi­ geant la charité à l’égard d’autrui, exige d’abord et en mémo temps la justice. La mineure du syllogisme vient de la perspicacité de la raison qui comprend que dé­ noncer telle ou telle faute secrète chez quelqu’un c'est commettre une médisance. De tels raisonnements sont continuels dans notre conscience. Nous réfléchissons à cc que nous devons faire, à ce que nous devons ne pas faire; nous axons à prendre attitude en face de tel ou tel événement. Si le cas est embarrassant, nous deman­ dons du temps pour réfléchir, c’est-à-dire pour raison­ ner, choisir, ct finalement agir d’après cette détermi­ nation. Manifestement, la prudence est œuvre de rai­ son. Pour diriger et gouverner moralement toutes les actions de ma vie, il me faut comprendre, délibérer. DJCT. DE TIIÉOL. CATHOI. 1026 juger, employer activement mon intelligence. Mais de quelle Intelligence s’agit-ll? 2° La prudence esf ouvre de raison pratique. — Notre raison n’est pas toujours occupée a diriger moralement nos actions. Elle s'applique encore au saxoir spécu­ latif. Qu’il s'agisse de connaissances philosophiques qui Jugent du pourquoi des choses, qu'il s'agisse de connaissances scientifiques qui contrôlent des faits ct établissent les lois qui les régissent, l'esprit cherche uniquement la vérité; il s’applique à connaître pour connaître, sans que l'objet de son savoir ait aucune relation avec des lins immédiates d’action. Par exemple, celui qui apprend les mathématiques pour passer un examen a sans doute pour fin éloignée la réussite de cet examen, mais, comme fin immédiate, il veut seulement savoir pour saxoir, trouver la démons­ tration des théorèmes, indépendamment de ce qu'il fera tout à l’heure quand il quittera son élude, quand il aura à débrouiller la graxe difficulté dont il a laissé le souci pour sc livrer au traxail intellectuel. Au con­ traire, la raison pratique est un discernement, une délibération intérieure ordonnée à poser une action, pour savoir si décidément on la fera ou si l’on ne la fera pas. Ibid., a. 2. La raison spéculative ct la raison pratique ne sont pas en nous deux facultés différentes; c'est notre même raison qui a deux façons distinctes de s'appliquer à connaître ; connaître le vrai des choses par curiosité de savoir ct connaître cc que l’on xa faire en jugeant ct en déterminant la raison de le faire. Dans les deux cas, nous cherchons la vérité, mais pas la même espèce de vérité. Dans la spéculation, il s’agit de concevoir exactement cc qui est, de conformer, de mesurer son esprit à une réalité, à une vérité telle qu’elle est. Dans la raison pratique, il s’agit de vérifier, de mesurer une action à faire à une fln préalablement conçue ct vou­ lue. Ces deux manières d’appliquer la réflexion de notre esprit s’accusent si différentes qu’une manière nous est souvent plus facile ct plus connaturcllc que l’autre, encore que nous usions fréquemment des deux. Suivant les tempéraments, les dispositions de nos facultés de connaissance sensible ct intellectuelle, suivant aussi l'entraînement des habitudes contractées nu cours de notre formation intellectuelle ct de notre éducation, notre intelligence va plus facilement soit dans le sens spéculatif, soit dans le sens pratique. Il y a des gens spéculatifs, abstraits, peu pratiques ct, à l’opposé, il y a des gens pratiques, peu portés à la spéculation ct au savoir scientifique, mais habiles, avisés, experts à trouver la meilleure solution dans les cas embarrassants ct les difficultés de la vie. Dans le I discernement prudentiel, cc qui est mis en œuvre ce n’est pas la raison spéculative, mais la raison pra­ tique. Ce savoir-faire est différent de la science morale, qui emploie la raison spéculative. 11 y a des moralistes ; qui dissertent savamment du fondement du devoir. des lois de la morale, mais qui ne savent guère raison­ ner. pour leur propre conduite, de ce qu’ils ont à faire ou à ne pus faire. Je dis que la prudence ne suppose pas la science philosophique de la morale. Toutefois, clic présuppose obligatoirement une certaine science morale, au moins la connaissance des obligations morales, de la loi de Dieu, des préceptes du Décalogue, des commandements de l’Eglise, de leurs obligations générales. On doit per­ fectionner cette connaissance, aussi minutieuse et dé­ taillée que possible, de son devoir religieux. Individuel, social el familial : Il x a toujours à apprendre sur cc point. Lc discernement prudentiel a son point de déI part, sa base de raisonnement en cette connaissance exacte et claire des prescriptions morales. Mais, tout en étant lié à cette connaissance, il est lui-rnêmc un judicieux cl lucide jugement appliqué à voir, dans les T — Χ1Π — 33. 1027 PRUDENCE. LES PHASES DE L'ACTE circonstances immédiates et concrètes, quelle est l’ac­ tion à poser ou â interdire, pour que soit obéie la loi de Dieu et que soient observées toutes les exigences du devoir. Qu’csl-cc que je dois faire en ce moment, en face dc ce devoir, dans celte difficulté, devant celle tentation, pour être fidèle à l’amour dc Dieu? Voilà l'enjeu, continuellement insistant dans nos vies, du discernement prudentiel. 3° La prudence présuppose la volonté du bien ver­ tueux. — Ce n’est pas seulement dans nos discer­ nements de prudents que nous mettons en œuvre notre ' raison pratique. Continuellement, nous utilisons celleci pour diriger nos besognes matérielles et intellec­ 1 tuelles, nos occupations journalières, nos labeurs dc 1 toute sorte qui demandent réflexion, raisonnement, attention de notre esprit. Les besoins humains créent sans cesse toute une activité de savoir-faire profes­ sionnel, de métiers, d’arts techniques. Mais, dans toutes ces occupations raisonnables cl intelligentes, l’esprit pratique n’est pas nécessairement au service d’une fin morale. Des habiletés techniques sont sou­ vent utilisées en vue dc buts immoraux, réprouvés par la loi dc Dieu. On peut être un bon artisan, un bon chaulTeur d’auto, un sculpteur génial, une dentellière aux doigts allés et délicats, et ne rien valoir au point de vue religieux ni au point de vue moral. Évidemment, nous devons si nous avons une conscience surnatu­ relle— sanctifier nos tâches, ne rien produire au point de vue métier, enseignement, écrit, art, besogne maté­ rielle. occupations courantes, qui offense la loi de Dieu ou l’honnêteté. Mais la réussite technique de l’œuvre que nous faisons el dans laquelle peut se déployer toute l’ingéniosité de notre esprit ne dépend pas du but que nous nous donnons : ce but peut être bon ou mau­ vais, utilitaire ou désintéressé, visé pour Dieu ou pour l’applaudissement public. Le discernement prudentiel, au contraire, ne s’exerce ' qu'en vue d’une fin moralement bonne, il suppose nécessairement la volonté efficace du bien vertueux. IIMI», q. XLvn, a. I. C’est sous l’impulsion de cette | volonté, à l’état d’amour, (pie se déploie la sagacité intellectuelle de la prudence : on veut accomplir son devoir et, à cause de cela, on s’empresse de trouver la meilleure ligne de conduite; on aime Dieu et, parce qu’on l'aime, on veut lui prouver son amour par des actes vertueux conformes à sa loi. Kègle péremp­ toire : le discernement prudentiel est sous l’intimation du vouloir moral ; dans la conscience surnaturelle, il est sous l'intimation de la charité pour Dieu. Le discer­ nement de raison au service du mal, c’est la prudence de la chair, la fausse prudence, celle du pécheur. Dans le discernement moral, on ne raisonne que pour faire une bonne action, le point de vue n’est pas tant d’agir que de bien agir. Cette finalité morale est caractéris­ tique du discernement prudentiel et qualifie en lui l’activité de l’esprit. Il s’agit d’un raisonnement pour la vertu, d’une logique déployée pour la bonne con­ duite. La même raison, qui a établi en nous les convic­ tions morales en donnant à notre volonté dc les viser comme des buts décisifs et des intentions préférées se porte, par son discernement, sur les moyens d’y par­ venir. Ccs moyens, quels peuvent-ils être, sinon nos actions concrètes et nos réalisations vertueuses? La prudence y pourvoit : son choix réfléchi marque au coin du raisonnable le déploiement de toutes nos actions. Ill Li s phases du discernement prudentiel. — O que nous venons dc dire de la nature dc la prudence n’est encore qu’une vue sommaire. Cette sagesse dc l’action vertueuse est un tout complexe qu’il nous i faut désormais analyser. Et. pour cela, nous devons rappeler les diverses phases et articulations de l’acte humain. Sans doute, cette psychologie de l’action. HUMAIN 1028 nous l’envisagerons en dehors de sa qualité morale; nous regarderons comment notre raison et notre volon­ té fonctionnent en prescrivant nos actions bonnes ou mauvaises; mais, dans ccttc description, il nous sera pourtant loisible de marquer l'endroit des convictions momies et celui du discernement prudentiel. L’action humaine, c’est l’action propre à l’homme et dont l’ani­ mal n’est pas capable. On l’appelle encore l’action volontaire, l'action raisonnable; notre raison en est maîtresse, parce qu’elle la commande comme adaptée à un but, comme appropriée à une fin. A cause de cela, cette action volontaire est responsable : elle sort dc nous, elle ne nous est pas imposée du dehors, par contrainte, (l’est nous et nous seulement qui la posons; nous y consentons, nous la décrétons; elle est donc libre. Selon la tin bonne ou mauvaise à laquelle notre raison l'adapte, l’action est elle-même bonne ou mau­ vaise. Mais, quelle que soit sa qualité monde, l’action humaine est la réalisation d’un acte adapté à une tin sous le gouvernement de la raison. Comment cela se fait-il? Nous donnons l’aumône â un pauvre, nous nous vengeons d’un ennemi; voilà des actions réalisées par nous extérieurement. Mais, avant leur réalisation, que se passe-t-il en nous? Nous le savons déjà : notre raison intervient. Mais comment intervient-elle, par quel acte, par (fuels procédés? En jugeant? en raisonnant? en commandant? Sans doute. Mais notre raison n’est pas seule à intervenir. D’une action humaine, nous ne disons pas seulement qu’elle est raisonnable, mais encore qu’elle est volontaire. Autant dire qu'elle est le fruit du jeu combiné de notre raison et de notre volonté. Et c’est un jeu très com­ pliqué, une entrecroisement très serré d’actes d'intel­ ligence et d’actes dc volonté. Il s’agit donc dc décrire ces composantes d’une action humaine. Dans le langage courant, avant d’agir, nous disons parfois : « Je vais réfléchir. · Toutes les actions que nous posons comme responsables sont soumises à notre réflexion. Or, celte rumination intérieure qui précède nos actions sc com­ pose d’une série d’actes (l’intelligence et dc volonté entrecroisés et dont on doit distinguer trois étapes successives : 1° phase de l’intention; 2° phase dc la consultation et du choix des moyens; 3° phase dc la réalisation. 1° Phase de l'intention ou dc la fin. — Premier acte : ridée d'un bien aimable, d'une fin désirable. — Avant d’agir, je dois avoir un but. Une fin générale est ainsi posée devant mon esprit. L’idée d’un but désirable, d’un bien à conquérir, d’une satisfaction à obtenir, est le point dc départ dc toute action. C’est notre intelligence qui met en avant l’idée dc la fin, que ccttc idée nous vienne spontanément on qu’elle soit le fruit de réflexions antérieures. C’est moins notre raison spé­ culative qui assigne ainsi des buts à notre activité que notre intelligence pratique, intelligence qui est inspiratrice d'un amour, d’un désir, d’un vouloir. Car c’est un but aimable, un bien désirable, une satisfac­ tion alléchante, vus comme tels, motivés comme tels par notre esprit, qui vont mettre en branle notre vo­ lonté. Le premier mouvement de l’action humaine est donc un acte d’intelligence. IMI®, q. ix, a. 7, ad 2um. Deuxième acte : amour de complaisance pour le bien qui finalise. — Dès qu’on a l’idée d’une fin désirable, il est impossible que la volonté n’y soit pas complai­ sante : elle acquiesce à la lin suggérée; elle adopte ce bien proposé par l’intelligence el sc sait Inclinée vers lui. Le second mouvement dc l’action est donc dans la volonté; c’est la complaisance en ce bien, en cotte fin désirable. ΙΛ-ΙΓυ, q sm, a. 7. Troi\i< me ach : jugement appréciant la possibilité de conquérir ce bien, dc réaliser celle fin. — Jusqu’ici, nous n’avons pour ainsi dire qu’un optatif, un but qui pourrait être, dans lequel nous nous complaisons; mais 1029 l’K U DE N CE. LES PHASES DE L’ACTE HUMAIN 1030 nous n'avons pas jugé si la chose était vraiment pos­ est opportun de faire en regard dc la situation telle qu’elle sc présente et des circonstances telles qu'elles sible, c’est-à-dire réalisable par nous. Pour agir, non sont. Ce qui est opportun n'est pas toujours simple. pas en projet ébauché, mais en réalité clfcctlvc, il faut un jugement dc notre esprit nous ccrtiliant la possi­ Et il arrive que la réflexion aboutisse a envisager plu­ bilité d’arriver au résultat désire en prenant les moyens sieurs moyens, plusieurs façons dc faire. Ι*-Π®, q. vin, nécessaires. Et c’est notre Intelligence (pii, supputant a. 1. nos ressources et les conditions objectives du but, volt Sixième acte : consentement de la volonté a ccs divers avec clarté et prononce qu’il y a lieu d’aboutir et par moyens. — La consultation dc ma raison étant faite, il conséquent de vouloir les moyens obligés. Nous nous reste à ma volonté d’acquiescer à ces divers moyens rassurons dans cette certitude de pouvoir atteindre le proposés. C’est parce que je veux la fin avec ferveur but : alors, nous sommes prêts —étant ainsi éclairés — que j'ai appliqué ma raison à l'enquête des moyens. a le vouloir clllcacement. Le troisième mouvement Quand ceux-ci, après délibération, sont trouvés, ma dc l’action humaine est donc un acte d’intelligence. volonté ne peut qu’y applaudir. 11 n'est d'ailleurs pas Quatrième acte : volonté efficace de tendre à la réati- | facile d’instituer un conseil vis-à-vis des complications talion de la fin, — Parallèlement à cet acte d’intelli­ et des diflicultés dc l’action, ni surtout de faire aboutir gence, va naître, dans la volonté, une tendance à réaliser ce conseil; tout le monde n'y est pas apte, et nous cette lin jugée possible, la volonté efficace d’aboutir verrons que c’est là une des phases les plus difficiles de au but. C’est la résolution décisive, la volonté péremp­ l’action humaine, Ibid., a. 3, ad 3^. toire de la fin. Quelle différence entre un projet Septième acte : Jugement de la raison se fixant sur le idéalement conçu, n’engendrant qu’une velléité et un moyen le plus apte. — 11 faut néanmoins se décider projet jugé comme réalisable et voulu ardemment! pour un des moyens en rejetant les autres. L'action Tout le inonde n’y est pas aussi habile : les uns sont humaine est une : pour aboutir à une lin, il n’y a qu’un précis dans leurs desseins; d’autres n’ont que des moyen qui pratiquement puisse être le meilleur, le résolutions flottantes qui ne savent point sc fixer. Il plus apte. D'où la nécessité d’un nouvel acte de l’intel­ en est qui, s’étant proposé un but, savent le vouloir ligence : le jugement, qui se fixe, en connaissance de clllcacement. D’autres, plus mous de volonté, hésitent , cause, sur le moyen le mieux adapté à la tin, d’après et tergiversent. La volonté efficace est celle qui n’est les circonstances. Cet acte de jugement réclame un pas idéaliste mais réaliste, sort des nuages et sc jette discernement avisé. Un homme qui a du jugement à l’action concrète, dilllcile ou non, et la mène hardi­ pratique, cela ne se voit pas tous les jours; il y faut ment et rudement jusqu'au but escompté. beaucoup d’expérience, dc maturité, de bon sens, de Au point de vue moral, cette première phase de clarté d’esprit. Bien souvent on n’y réussit pas soil’action humaine est décisive, aussi bien pour la claire même et l'on est obligé d'aller chercher l’avis d’un motivation des buts moraux que pour l’entraînement sage conseiller. Ibid., q. xiv, a. 6. efficace dc la volonté agissante. C’est l’instant, dans Huitième acte : choix, par la volonté (élection), du la conscience, des convictions morales, des fins ver­ moyen jugé le plus apte. — Une fois que le jugement tueuses, des vouloirs énergiques. Ce n’est pas encore s'est déterminé à un moyen de préférence à tous les l’action morale elle-même, qui appartient à l’ordre des autres, la volonté, parallèlement, l’adopte; elle fait moyens et dont s'occupera tout à l’heure, le discer­ choix de cette action jugée la plus apte. Dans cc choix nement prudentiel avec ses actes spéciaux d'intelli­ définitif, s’affirme la liberté. Pouvant faire ceci, je me gence et de volonté, mais seulement son point de décide à le faire, parce que ma raison en Juge ainsi, départ, ses principes de direction et d’impulsion. Et alors qu’elle pourrait trouver des motifs de faire le c’est beaucoup déjà, pour la valeur morale de l’action contraire, ou tout au moins de s’abstenir. Le choix, future et pour sa réalisation même. Car on devine bien que précède le jugement, est la conclusion logique des que la force d'efficacité (pii assurera la pratique ver­ convictions, des finalités vers lesquelles tout ù l’heure tueuse sera proportionnée à la densité d’énergie con­ j’étais en haleine dans la phase de l’intention. Entre tenue dans les convictions mondes. Nous le verrons l’intention générale et la conclusion pratique, il y a eu plus loin : le discernement moral ne sera vertueux un raisonnement, un syllogisme avec la majeure (la fin qn’autant qu’il supposera la volonté entièrement rec­ générale), une mineure portant sur le moyen pratique, ti liée. Après cela et au nom dc cela, la conscience dicte déterminé à adopter, puis en lin une conclusion. Der­ péremptoirement, a travers un discernement avisé, les rière toutes nos actions, il y a un raisonnement sem­ actions pratiques. De ce discernement même, voyons blable; c’est pourquoi on les appelle raisonnables : le mécanisme psychologique. elles sont une œuvre de raisonnement, Ibid., q. xm. 2° Phase de la consultation et du choix des moyens. — a. 3. Reprenons le tableau descriptif des actes intérieurs 3° Phase des réalisations. — Jusqu’ici l’action ne qui composent l’action humaine. Après la phase de la s’est pas réalisée. J’ai réfléchi, raisonné, j’ai abouti à lin ou des Intentions, voici celle de la délibération et décider ce que Je voulais faire; mais cela n’est pas du choix des moyens. On est donc décidé, d’une volon­ encore fait. Il y a des résolutions très précises qui ne té efficace, à aboutir à une lin générale que l’on a jugé passent jamais à l’acte. Réaliser, c’est le moment déci­ possible d’acquérir. Mais par quel moyen? par quelle sif de l’action, à cause de la résistance possible des action précise? passions contraires et des efforts à fournir pour vaincre Cinquième acte : conseil institué pour rechercher les les difficultés rencontrées. moyens de réaliser. — Une fin, étant donné qu'elle est Neuvième acte : intimation ou précepte de la réalisa­ générale, postule divers moyens, souvent très diffé­ tion du moyen de l'action. — Une fols que, dans Je rents, plus ou moins aptes. Et il ne s’agit pas ici d’une jugement el le choix, on a décidé une action, il reste à aptitude seulement théorique, mais d’une aptitude l’intelligence d’en intimer la réalisation. 11 ne s’agit pratique en regard des circonstances actuelles, souvent plus de dire : Voilà ce qu’il faut faire ·, mais < Faimultiples el variées, dans lesquelles l’action devra sons-le coûte que coûte. » Ce verdict peut être parti­ s’engager. Car nos actions sont concrètes, mêlées aux culièrement pénible dans la lutte momie, mais il doit mouvements et aux incidents de la vie réelle, accom­ exister : la moralité est dans les mœurs, non dans les plies dans un moment donné, en regard de tellcou telle intentions el les résolutions factices, mais dans les circonstance dc lieu, de temps, de personne. Il faut actions réelles et réalisées. Ibid., q. xvn. a. 3, ad 1^. absolument que la raison intervienne auparavant pour Dixième acte : volonté gui applique les facultés exécu­ prendre conseil, réfléchir, peser et examiner cc qu’il trices. — Cette intimation du précepte étant donnée 1031 PRUDENCE. VERTU NATURELLE reste l'effort volontaire qui applique â l’accomplis­ sement de l’action les facultés executrices. Ces facultés exécutrices varient suivant les actions à réaliser, l’es­ prit, s’il s’agit d’un travail intellectuel, les membres, s’il s’agit d’un labeur matériel, etc. Cette réalisation, pour sc continuer, est le fait d’une motion volontaire persévérante. !bid., q. xvi, a. 3, ad lUIn. Onzième acte : la satisfaction de la volonté qui a con­ quis la fin désirée. — Enfin, cette exécution même met dans la volonté la joie de posséder enfin le bien désire, la fin escomptée. L'action a son résultat. Le cycle de cette action est terminé. Voilà donc l’action humaine dans sa complexité, dans sa coupe foncière ct sa configuration psycholo­ gique. Nous en donnons ici un tableau résumé. ACTES D’INTELLIGENCE ET DH VOLONTÉ QUI INTÈGRENT UN ACTE VOLONTAIRE COMPLET D'APRÈS SAINT THOMAS Actes de l'intelligence. Actes de volonté. 1· En regard de la fin : L Idée d’un bien aimable, 2. Amour de complaisance pour cc bien, pour cette d’une fin désirable. fin. 3. Jugement appréciant In 4. Volonté efficace de tendre possibilité de conquérir à la réalisation de la fin. ce bien, de réaliser cette tin. 2· En regard des moyens : 5. Conseil institué pour re­ G. Consenti ment ù ces «li­ chercher les moyens de vers moyens proposés réaliser la fin. par l'esprit. 7. Jugement qui détermine 8. Choix (élection) du moyen le moyen le plus apte. jugé le plus apte. 3· En regard des réalisations : 0. Intimation ou précepte de 10. Vouloir qui applique les la réalisation du moyen, facultés exécutrices, de l'action. 11. L'acte étant réalisé par l’une ou l'autre des in­ cultes dont il relève, la volonté jouit de la pos­ session de la fin obtenue. Quand nous disons que tous ccs actes interfèrent s d’intelligence ct de volonté composent l’action hu­ maine, nous entendons celle-ci de l’action humaine in­ térieure par opposition à l’action humaine extérieure. Qu'est-ce à dire? L'action humaine extérieure, c’est l’ac­ tion particulière réalisée : tel acte vertueux, tel acte de vertu ou de devoir d'état, cette étude, cc renoncement, cette prière, cette démarche, cc service rendu, etc., en un mot. toute œuvre que nous faisons, toute besogne que nous accomplissons, toute activité que nous dé­ ployons. Nous la nommons extérieure, non parce qu’elle sc manifeste toujours extérieurement par des mouve­ ments corporels, mais parce qu’elle est en dehors de ( action intérieure de discernement qui la commande raisonnablement. Cette action humaine intérieure est précisément cc complexe d’actes d’intelligence et de volonté dont nous venons de parler en tout ce cha­ pitre. Π me faut, pour faire œuvre raisonnable d’étu­ dier. de prier, d’être charitable, etc., avoir raisonné préalablement, en conformité avec un but précis, de l'opportunité de l’action en cause. La raison du but, la raison du moyen : voilà le raisonnable obligé de l’ac­ tion humaine. Au sein de cette action intérieure, de cette réflexion et de cc jugement pour l'action raison­ nable, le discernement, on l’a vu, affecte trois actes qui sont actes d’intelligence : le conseil, le jugement ct l’intimation. Et ce sont précisément ces actes qui, lorsqu’ils seront parfaits, c’est-à-dire Intelligents, lu­ cides. sagaces, accommodés aux exigences de la loi morale et à celles des actions pratiques qu’ils comman­ deront, constitueront la vertu cardinale de prudence 1032 ou vertu du gouvernement de soi-même. Dans la conscience surnaturelle, la vertu «infuse» de pru­ dence sera également le parfait usage de ccs trois actes Intellectuels en vue de discerner, sous l'impulsion de l’amour de Dieu, les actes qui accomplissent sa loi. Le vrai prudent sera l’homme du bon conseil, du bon ju­ gement et de la bonne décision impérative. Les per fcctionncments necessaires à la prudence auront pour effet d’assurer plus d’acuité Intellectuelle à ccs trois actes. C’est aussi par la déficience ou l'imperfection dr l’un ou l’autre de ces memes actes que seront caracté­ risés les vices opposés à la vertu de prudence. Est-ce «pie tous ces actes d’intelligence ct de volonté qui composent l’action humaine intérieure jouent à pro­ pos de tout ce que nous faisons, cl j’entends parler ici de toutes nos actions raisonnables? Non, pas toujours, de façon aussi explicite : quelques-unes de nos actions se présentent sans complication, car elles sc renou­ vellent dans des circonstances quasi inchangées, elles n’ont pas besoin d’être précédées d’un conseil infor­ mateur ni d’un long raisonnement, surtout si elles sortent d'habitudes depuis longtemps fixées et orien­ tées. IMI®, q. xiv, a. I, ad 2,xm, ad 3un‘. Au début, il a fallu réfléchir; mais le raisonnement, au moins dans sa complication, n’a plus à intervenir. Toutefois, ccs automatismes ont besoin d’être surveillés; le discer­ nement doit toujours être attentif à toute action,même habituelle, à cause des modifications inattendues dans les circonstances qui l’accompagnent. La vertu de pru­ dence donne à notre conscience d’appliquer sa clair­ voyance à toutes nos situations, embarrassées ou simples, ct d’en faire sortir le verdict de l’action morale. IV. La prudence vertueuse. — La prudence est une vertu morale, parce qu'elle suppose la rectification de la volonté vis-à-vis de tout le bien moral; il s’agit d’accomplir de bonnes actions en les discernant par­ tout où elles sont exigées. Elle est sans doute une per­ fection de l’intelligence, mais son discernement est au service de la volonté rectifiée vis-à-vis de tout le bien raisonnable. Le prudent ne discerne pas pour le plaisir d'examiner des cas compliqués et de faire preuve de souplesse et de perspicacité d’esprit, mais parce qu’il veut bien faire, pratiquer la vertu, obéir à la loi de Dieu. La prudence est préccptivc du bien. lla-llr, q. xlviîj, a. -1. 1° La prudence est une vertu spéciale. — Elle se dis tinguc des autres vertus. Nous savons qu’il y a trois cadres principaux de vertus : les vertus intellectuelles d’ordre spéculatif, les vertus intellectuelles d’ordre pratique, et les vertus morales. Tout d’abord, la pru­ dence sc distingue des vertus intellectuelles spécula­ tives. Celles-ci sc divisent en deux catégories : lo sagesse ou les sagesses, puis les sciences. La sagesse, et les sciences visent à connaître le vrai, qu'il s’agisse du vrai, explication dernière des choses comme la sagesse, ou qu’il s'agisse du vrai par raisonnement ou par induction, comme les sciences. Elles ont trait à cc qui est vrai en tout état de cause, en dehors de toute contingence : la philosophie étudié les raisons premières des êtres; les sciences étudient les lois générales des phénomènes et des faits. La prudence, tout comme les vertus Intellectuelles, discerne le vrai, mais le vrai pratique, l’action à réaliser en tant qu’elle est con­ forme à la loi du bien, à la volonté de Dieu. Mais ce n’est pas la même façon «le raisonner que dans les sciences spéculatives on ne cherche pas à connaître pour connaître, pas même à devenir savant en fait «le doctrine morale, tel le moraliste, ou en fait de cas pra­ tiques. tel le casuiste; on cherche culomcnt à voir comment 11 faut agir pour être vertueux et pour bien sc conduire. La prudence te distingue «les vertus intellectuelles pratiques ordonnée^ aux ouvres de métier, aux be- 1033 PRUDENCE. VERTU NATURELLE Migncs ct fabrication* de toute sorte, En d’autres termes, la prudence se distingue de l’art. Par art, ici, l'on n’entend pas spécialement les beaux-arts, bien qu’ils y soient compris, mais tout savoir technique de fabrication quelconque, utilitaire ou non, tout savoirfaire professionnel. L’art cl la prudence se ressemblent en tant qu’il s’agit, de part ct d’autre, d’un perfectionnement de l’intelligence pratique. Art et prudence sont en vue de l’action. De plus, art ct prudence sont des · vertus », lesquelles ont pour economic de diriger avec perfec­ tion l’œuvre ou l’action qu’elles visent, et cela confor­ mément à un plan préalablement conçu, ù une fin actuellement voulue : elles sont toutes deux régula­ trices d’œuvre ct d’action. La prudence me dicte com­ ment me comporter dans telle occasion dangereuse; mon arl ou mon métier me dicte la façon de bât ir cette maison, de confectionner cct habit. IMI®, q. lvh, a. 4. Mais la différence de leur lin respective met une différence radicale entre l’art ct la prudence. La fin sur laquelle doit sc régulariser la prudence, c’est la desti­ née suprême de l’homme ct, en cette visée, sa perfec­ tion morale. Cette lin générale s’impose toujours ct en toutes circonstances. Impossible, si l’on veut se con­ duire en homme raisonnable ct surtout en croyant, d’agir à l’encontre de ce but. L’art n’est rectifie que vis-à-vis d’une fin particulière, d’un idéal restreint cl déterminé. Le choix de cet idéal n’engage pas, de soi, l’idéal moral de la vie humaine. On peut embrasser telle ou telle carrière, avoir tel ou tel métier, fabriquer tel ou tel objet, le but de perfection vertueuse restant sauf ct devant être assuré par ailleurs ct en tout état de cause. Ibid. De celte différence dans les fins suit une différence dans les moyens employés. La fin de la prudence étant universelle, les moyens de l’atteindre participent ù celte universalité : les manières d’être moral, d’être prudent, se renouvellent ct sc multi­ plient à l’infini, étant données la multiplicité des ac­ tions humaines cl la variété des circonstances dans lesquelles elles s’engagent; car partout et toujours, nous sommes obligés d’être vertueux et de servir Dieu. La fin de l’art étant particulière ct restreinte, l’artisan a. pour ainsi dire, la carte forcée dans le choix de ses moyens; du moins la variété de ces moyens n’est pas de rigueur : il suffit que ceux qui sont employés habi­ tuellement servent à réussir le type d’œuvre que l’on a en vue. II y a du procédé au fond de toute technique, ct la science technique est précisément la science des meilleurs procédés. Mais il n’y a pas de procédés ne varietur en morale : la prudence vertueuse doit accom­ moder son discernement à l’infinie variété des actions cl à l’instabilité de leurs circonstances changeantes. Pour autant qu’il tendrait à sc mécaniser, le discer­ nement se rapprocherait du procédé. La casuistique, poussée à l’excès, substitue des procédés et des recettes à l’infinie souplesse que doit garder la prudence ver­ tueuse en face des complexités de la vie morale. IR-H®, q. xlvii, a. I. ad I De cette même différence des fins, sur lesquelles sc rectifient l’art ct la prudence, suit une différence capi­ tale. L’art, ne visant qu’une fin particulière, ne cesse point, chez celui qui le possède, du fait que cc dernier ne l’exerce point, l’n médecin, par exemple, ne cesse pas d’être médecin parce qu’il refuse de soigner quel­ qu’un. Un savoir technique reste avec toute sa valeur, même quand on ne l’utilise point. Si, de fait, on l’uti­ lise, c’est pour un motif extérieur Λ lui ct qui n’est pas la condition expresse pour que subsiste cc savoir 1 technique. Un artisan peut exercer son métier pour gagner de l’argent; mais H peut l’exercer pour un autre motif; il peut même s’abstenir de l’exercer parce que tel est son bon plaisir. Mais, parce que la prudence suppose la rectification du vouloir vis-à-vis du but | 1034 final de toute la vie, de tout bien, quel qu’il soit, il en résulte qu’elle ne peut manquer de s'exercer, c’est-àdire d'appliquer son discernement à réaliser toute ac­ tion qui se présente en convenance de ce but final. La prudence inclut, dans sa perfection de vertu. Je vouloir efficace du bien; elle est faite pour en assurer la réali­ sation pratique. Le médecin qui refuse, dans un cas donné, d'exercer sa science médicale n'en mérite pas moins le nom de médecin, tandis que celui qui ne décrète pas 1'accomplUscment du bien et, de fait, ne l’accomplit pas chaque fois qu’il le doit, ne mérite pas le nom de prudent. II*-11*, q. xlvii, a. 1, ad 3«®; Ia-II®, q. i.vn, a. 4. Cette différence entre art et prudence au point de vue de la nécessité de la mise en œuvre, se poursuit dans la qualité même de l’œuvre réalisée. Un artisan peut sciemment et volontairement saboter son ouvrage, il ne perd pas. pour autant, son savoir-faire : ce n’est point son art qu'il faut accuser ici, mais son caprice ou sa mauvaise volonté. Au con­ traire, la prudence, c'est la moralité en action; si donc elle s’employait volontairement à dicter des actions mauvaises, elle ne serait plus la moralité, elle ne serait plus la prudence vertueuse. Les vertus intellectuelles, dans l’ordre spéculatif ou dans l'ordre pratique, n'entrent pas par elles-mêmes dans la moralité d'un individu; elles ne fournissent des œuvres mondes que lorsqu'elles sont sous la coupe des vertus morales, lorsque la vertu de prudence leur dicte, au delà de leur but immédiat, un but moral. Et c'est la vertu de pru­ dence qui, au service d'un but vertueux, doit décider du bon usage de nos arts, de nos sciences, de notre savoir-faire technique : on n’a pas le droit de faire une œuvre intellectuelle ou artistique, une œuvre quel­ conque qui ait un emploi immoral, encore qu’en ellemême. au point de vue intellectuel, artistique ou pro­ fessionnel. celte œuvre puisse être parfaitement réus­ sie. IMI·, q. lvii, a. 3. ad 2um. Les vertus intellec­ tuelles sont donc subordonnées aux vertus morales, ct. si l’on veut parler de hiérarchie dans les vertus hu­ maines, il faut dire que les vertus morales sont les premières des vertus; et la prudence, qui suppose la rectification totale de la volonté et garantit l’exercice de toutes les vertus, sc place au premier rang des ver­ tus morales. 2° La prudence «Z distincte des autres vertus morales. — La prudence applique son discernement aux actions de toutes les autres vertus; elle juge cc qu’il faut faire pratiquement pour être juste, fort, tempérant, dans tous les cas qui sc présentent. La prudence se ren­ contre ainsi au carrefour de la pratique de toutes les vertus. Cependant, elle n’en est pas moins distincte des autres vertus, dit saint Thomas, de même que le soleil rayonne sa lumière sur tous les corps, tout en restant distinct de ceux-ci. Tous les actes vertueux sont la matière de la vertu de prudence, en tant qu’ils relèvent de son discernement qui en dicte l’opportune obligation ct le «juste milieu * raisonnable. IMI·, q. Liv, a. 1-4. En revanche, la prudence à l’étal de vertu suppose la conscience établie dans toutes les vertus. Certes, il n'est pas nécessaire de posséder toutes les vertus pour poser un acte de discernement moral. Il y a des gens qui ont des mœurs dépravées et qui, par ailleurs, sont pleins d’équité dans leurs affaires commerciales ct dans leurs rapports avec autrui. Même dans l’ordre de leur penchant vicieux, par exemple dans l’ordre de l’or­ gueil ou de la sensualité, ils peuvent avoir des retenues, des actes d’abnégation ct d’humilité, par conséquent de véritables actes de prudence. Mais la prudence, ou discernement moral, ne sera dans une conscience à l’état de vertu garantissant la pratique vertueuse en toutes circonstances que si celte conscience est plei­ nement et universellement vertueuse. Le discernement 1035 PRUDENCE. VERTU SURNATURELLE prudentiel, pour qu’il s'affirme toujours, dans n’importe quelle occasion, ct dicte impérieusement le devoir, sup­ pose nécessairement l’habituelle ct efficace volonté ver­ tueuse, l’amour du bien, l’amour dc Dieu auquel on sc trouve prêt à obéir, quelle que soit l’action en cause, quel que soit le devoir qui se présente. Si l’amour du bien n’est pas total, si, par exemple, la volonté n’est pas armée contre telle ou telle faiblesse de passion, le discernement flanchera lorsque cette passion surgira. Soyez justes habituellement ; mais, si vous n’avez pas la vertu don de conseil. — Lc don de conseil est auxi­ du jugement, auquel répond, dans la volonté, le choix liaire de la vertu · infuse · de prudence. Cc n’cst pas ou élection; la phase du précepte ct parallèlement, le lieu de rappeler In théologie des dons du Saint- dans la volonté réalisatrice, la mise en œuvre des Esprit qui viennent en suppléance des vertus surna­ facultés exécutrices. Nous allons reprendre, l’une après turelles, théologale et morales. Voir l’art. Dons du l’autre, ccs phases du discernement prudentiel, en Saint-Esprit. Supposant connue ccttc économie des approfondir la psychologie, voir de quoi est faite leur • dons · dans la vie spirituelle, donnons brièvement la perfection ct d’où peut venir leur Imperfection. Tout raison d’être du don or conseil. d’abord, du conseil et du consentement ou phase déli­ Comme tous les autres dons, le don de conseil nous bérative, nous verrons : la nature de l’un et de l’autre, rend souples ct dociles aux inspirations du Saint ce qui est requis pour leur perfection, cc qui nuirait ù cette perfection. Esprit dans le discernement de notre conduite morale sanctifiée. Qu’elle soit acquise ou infuse, la prudence 1® lit script ton du conseil d du consenlanenl. - 1. Le procède par délibération, réflexion raisonnement, ju­ corueil. — Pour agir humainement, il faut réfléchir. 1041 PRUDENCE. SON ROLE DANS LE CONSEIL N’étant pas des intuitifs, ne saisissant pas d’emblée, » avec certitude, par un regard simple, toute la com­ plexité des choses ct du réel, nous devons y regarder A plusieurs fols, envisager les uns après les autres tous les aspects ct toutes les circonstances, ct ensuite deli­ berer, comparer, évincer, adopter. Nos actions évo luent dans lu mobilité déconcertante de circonstances extérieures et intérieures toujours changeantes. Nos affectivités, nos passions, nos sentiments, qui pré­ sident à nos actions, dillèrcnt continuellement. Nos lignes de conduite sont souvent tributaires d'événe­ ments fortuits qui ne dépendent pas de nous; elles s’engagent parfois en face des libertés d’autres per­ sonnes dont nous ne saxons pas d’avance l'orientation. Pour agir humainement, il faut compter avec ccttc mobilité de nos sentiments, de nos dispositions, des événements, des choses et des personnes. Dans ccttc universelle contingence, notre raison, sollicitée par notre volonté amoureuse du bien ct impatiente de trouver les meilleurs actions, s'applique donc à une enquête préalable des moyens les plus aptes A réaliser la lin; car cet amour de la fin postule et exige des moyens qui lui soient parfaitement adaptés s’ils en­ tendent prouver l’amour. Saint Jean Damascènc appelle le conseil « un désir qui s’informe ». En prin­ cipe, le conseil est affaire personnelle. Nous devons, pour notre propre compte, discuter des meilleurs moyens d’accomplir nos devoirs, de gouverner nos passions, de réaliser notre sanctillcation. Cependant, dans les cas difficiles ct exceptionnels, nous pouvons avoir besoin du conseil d'un autre plus sage, plus expé­ rimenté et plus objectif que nous. Mais encore, c’cst notre conseil intérieur qui nous dicte ainsi l’opportu­ nité de demander conseil, puis de bien user des avis qui nous sont donnés. Toutes nos actions doivent-elles être soumises à cette empiète préalable du conseil? Non. Lc conseil est en vue du jugement qui décidera de l'action en dernier ressort : c’cst une premiere démarche qui doit finalement aboutir au choix d’un moyen unique con­ venant à la tin. Mais, si le jugement en question ne soutire pas de difficultés. si l’on sait d’avance ce que l’on a ù faire, il est parfaitement inutile d’enquêter par un laborieux conseil. Il y a des actions habituelles qui s’imposent telles quelles et n’ont qu’a se répéter; tenir conseil A leur propos ne ferait que troubler ct entraver leur bonne réalisation. D’autre part, cela va sans dire, on n’enquête pas sur des détails qui n’ont pas d'influence sur la bonne réussite de l’action. Notons bien ceci : la raison meme de l'argumentation pruden­ tielle, de ht prudence elle-même, c’est le doute, surgi en notre conscience à propos de ce que nous avons à faire quand cela même nous met en incertitude ct en perplexité. Nous nous mettons A raisonner pour passer du doute Λ une certitude pratique. IMI», q. xiv, a. 4; ibid, ad l«m, 2lïm, 3,,rn. Supposons qu'il y ait doute et incertitude, par con­ séquent matière A conseil : comment ce conseil dolt-ll fonctionner? Il part de la lin bien vue et résolument voulue; mais son rôle est de débattre la convenance des divers movens A réaliser cette fin; puis de bien peser si ccs movens sont actuellement réalisables. Quelle est la fin que suppose le conseil? Cc n’cst pas immédiatement ce que nous appelons la fin dernière. c’est-A-dire, dans la conscience surnaturelle. Dieu aimé, ou, dans la conscience naturelle, le bien honnête et vert lieux ; il est entendu que le but d’amour de Dieu ou du bien vertueux préside, au moins implicitement. A tous nos conseils de moralité cl que toute fin parti­ culière que nous nous proposons s'y réfère, sinon actuellement, du moins virtuellement. Mais la fin que présuppose le conseil, avant de commencer son en­ quête. est celle qui est Immédiatement désirée, attin- 1042 giblc par l'action, c’est-à-dire, dans une conscience vertueuse, telle ou telle prescription à observer : par­ donner une injure, soulager une détresse morale, s'ac­ quitter d'un devoir de sa charge, etc. C’est a partir de ccttc fin particularisée que le conseil s'exerce à découvrir les moyens convenables ct actuellement réalisables. I*-I1®, q. xiv, a. 2. Lc conseil peut-il sc prolonger indéfiniment? Non. parce qu’il n'examine pas les divers moyens dans l'abstrait : dans cc cas, il irait à l'infini. 11 n'entend délibérer que des moyens opportuns ct réalisables : a un certain moment, il faut savoir terminer toute consi­ dération, car il faut agir et parfois agir immédiatement. En sorte que cc sont les moyens qui sc présentent a nous comme répondant â la réalisation prochaine ou immédiate qui constituent l'objet de son enquête et sa conclusion. Ibid., a. 6. 2. Lc consentement. — Dans la phase délibérative des moyens, le conseil, quand il a trouvé ceux-ci. termine la situation au point de vue de la raison. Mais, parallèlement, la volonté entre en jeu ct consent à ccs moyens dont la raison fait valoir la convenance. I<11®, q. xv. Je veux aboutir â un but : par conséquent, A travers ccs moyens trouvés par mon conseil intérieur, ma volonté se complaît à déjà entrevoir, à presque toucher le résultat; c'est pourquoi cct acte de la volon­ té est appelé consentement (sentir avec, toucher de près). Ce consentement, nous le donnons librement. Ccttc volonté consentante est la même volonté que la volonté de la fin qui, précédemment, a imposé à la raison l’enquête des moyens. C’est la même volonté qui tout à l’heure, après le jugement, choisira un unique moyen et, après le précepte, deviendra volonté réalisatrice. Ou plutôt, c’cst le même individu qui. ai­ mant une fin. considère les moyens de la réaliser, y consent, juge ct choisit le meilleur de ccs moyens et finalement l'exécute. Il y a une parfaite ct constante unité psychologique qui enveloppe toutes ccs atti­ tudes diverses de notre conscience emportée d’un même clan de volonté vers l’action. 2° Ce qui est requis à la perfection du conseil. — La raison prudentielle qui enquête des moyens adaptés à une fin vertueuse a besoin, pour réussir, d’une mémoire, riche en expériences morales, d’une intelligence qui saisit avec perspicacité les conditions réelles de l’ac­ tion. Cette intelligente expérience de la vie s’accroît, de plus, par la docilité A sc laisser enseigner ct conseil­ ler; par la sagacité personnelle qui conjecture, avec clairvoyance, l’opportunité d’une action. Enfin, il faut utiliser toutes ces ressources par une habile et judi­ cieuse raison. Nous allons étudier les uns après les autres ces perfectionnements qui doivent être réunis pour assurer la perfection du conseil. L La mémoire. — La prudence, nous le savons, est le discernement de nos actions contingentes, tribu­ taires de circonstances essentiellement mobiles et susceptibles de conséquences qui peuvent être plus ou moins graves. Pour juger du bien-fondé d’une action, il ne s’agit pns de juger dans l’abstrait, sans tenir compte des résultats, des aléas, des adaptations. Et le difficile, c’cst qu’il faut juger d'avance et prévoir les conséquences futures. Comment cela est-il possible? En jugeant d’après ce qui est arrivé communément dans le passé, d’après des cas similaires ou analogues A celui qui se présente actuellement. L’expérience de ce qui n été vu. fait, de ce qui a réussi ou n’a pas réussi, va nous renseigner sur ce que nous devons faire avec le plus de chance d’aboutir A un bon résultat. Une telle expérience du passé suppose le ressouvenir d'une foule d’événements ct de faits, de leurs particularités ct de leurs conséquences. II*-H·. q. xlîx, a. L II y a des dispositions natives plus ou moins heureuses pour une bonne mémoire reproduisant avec netteté l'expérience 1043 PRUDENCE. SON ROLE DANS LE CONSEIL de la vie morale passée. On rencontre, sur ce point, des mémoires plus facilement éducablcs les unes que les autres. Des hommes très intelligents au point de vue spéculatif présentent parfois une mémoire pratique fort courte et mal organisée. Les gens de bon conseil, au contraire, ont une mémoire heureuse et très claire, où toute l'expérience humaine se trouve inscrite mé­ thodiquement, toute prête ù s’évoquer et par consé­ quent à fournir, par les comparaisons qu’elle permet, la solution pratique des cas les plus compliqués. 2. L'intelligence. — Le mot « intelligence » n’est pas pris Ici au sens de la faculté même de l'intelligence. Dire qu’il faut de l’intelligence pour le conseil pruden­ tiel signifie qu'il faut s’y montrer intelligent. L'en­ quête par laquelle on détermine, en regard d’une lin voulue, les moyens adaptés et réalisables, sc fait par raisonnement. Tout raisonnement sc compose d’un principe appelé la majeure et d’une mineure. Ici, la majeure c'est la lin; par exemple : il faut pardonner les injures, cire juste pour autrui. La mineure pose les moyens adaptés ù cette fin. Or, pour découvrir ces moyens adaptés, est nécessairement requise une intui­ tion intelligente et avisée de ce qui est opportun cn face des aléas, des circonstances et des conséquences possibles. Ibid., a. 2, ad loro. Celle bonne intelligence 1 des choses, cette compréhension exacte des réalités et des situations est facilitée par le fonctionnement par­ fait d’une faculté sensible interne, appelée · cogita- ( live » et dont il faut dire, en quelques mots, la nature et l’emploi dans le raisonnement qui préside ù l’action humaine. Cette faculté, quand on l’envisage chez l'animal, est appelée estimative (æstimatioa). C’est l’instinct : en­ semble d’images innées propres ù déterminer l'action utile à l’individu et à l’espèce et â fuir tout ce qui leur serait nuisible. Chez l’homme, la cogitative est inter­ médiaire entre la raison pratique et l’action concrète. En plus des instincts de l'estimative animale, très atté- I nuée chez l’homme, qui a sa raison pour y suppléer, cette faculté associe les images propres ù déterminer l’action utile et favorable; elle se combine avec la mémoire pour former l'expérience des moyens les plus aptes à l'action. La perfection, dans l'exercice de cette faculté, provient de dispositions natives et des acqui­ sitions successives de l'expérience. C'est la faculté maîtresse des gens pratiques, des artisans, de ceux qui ont du savoir-faire; elle est le sens des bonnes trou­ vailles, des heureuses combinaisons, des réussites d’ac­ tion. Dès lors, on comprend qu'elle soit nécessaire au discernement de la prudence appliqué ù la bonne réussite de l'action morale et qui est, en quelque sorte, le savoir-faire vertueux. La prudence utilise donc la cogitative, qui est comme son instrument-né et qui lui présente, comme matière de raisonnement, des va­ riétés d'actions possibles ou des variétés d’aspects et de points de vue à propos d’une même action. Faculté sensible, la cogitative ne raisonne pas : scs combi­ naisons heureuses ne valent rien pour la moralité tant que l’intelligence ne les sanctionne pas et ne les em­ ploie pas aux fins de la vertu. La prudence a besoin pour son conseil intérieur — el tout h l’heure pour son jugement — de vues très nettes sur l’expérience courante de la vie, sur le cours normal des actions humaines et des circonstances habituelles dans lesquelles elles se déroulent. D’où pourraient venir, à la raison prudentielle, ces vues nettes, absolument nécessaires? Sinon de la mémoire et de la cogitative, de l’ajustement de l’expérience du passe aux conditions immédiates du présent. Telle est la base d'information nécessaire au conseil prudentiel et d'où jaillira le judicieux discernement qui motivera et décidera l’action vertueuse. Cette expérience de la vie. fruit d’une mémoire bien informée et d une cogi­ 1044 tative experte, n’est pas acquise en un seul Jour; elle utilise d’heureuses dispositions natives, mais elle est surtout faite de l’ensemble des leçons qu’apportent la maturité de l’âge et la durée de l’existence. La science morale peut appartenir aux jeunes gens aussi bien qu'aux vieillards; c’est la question d'intelligence et résultat d’une étude méthodique el appliquée. Tandis que l’expérience morale, nécessaire au discernement prudentiel vertueux, suppose une connaissance avertie des mœurs humaines, connaissance qui d’ordinaire n’est vraiment au point qu’avec la maturité de l’âge. ΙΙΛ-Ι1«, q. XLix, a. 3, ad 3iun; q. xiax, a. 3. Cepen­ dant, puisque la vertu de prudence doit appartenir ft tout âge, l’expérience de la vie, encore inachevée chez les jeunes, est heureusement suppléée par ces autres qualités de la conscience vertueuse : la docilité, la sagacité de l’esprit el la justesse du raisonnement. 3. La docilité. — La prudence, nous le savons, est le vertueux discernement de nos actions. Celles-ci se présentent avec une infinie diversité et revêtues de multiples circonstances. Un seul homme ne peut qu’à la longue se rendre compte des variables points de vue selon lesquels se présentent les actions humaines; c’est pourquoi son expérience morale personnelle est sou­ vent insuffisante. Il lui faut donc écouter les leçons des gens expérimentés : des vieillards qui ont beaucoup vécu, des sages et des prudents qui sont plus particu­ lièrement renseignés. La docilité est nécessaire pour l’acquisition de tous les savoirs. La prudence exige tout particulièrement cette docilité. Dans les sciences spéculatives, on peut parfois se passer de maître; mais, pour le discernement prudentiel, qui n’est pas une déduction théorique, mais une induction par compa­ raison et analogie, il faut un entassement d’expé­ riences de toute sorte, étant donné que chaque cas ne reproduit jamais complètement un autre; il faut donc écouter les enseignements de ceux qui ont beaucoup vu, beaucoup vécu et beaucoup réfléchi. Par tempé­ rament, on peut être plus ou moins porté à cette doci­ lité et disposé â cn profiter. Mais il y aurait présomp­ tion et sottise â ne pas vouloir recueillir les leçons des gens renseignés, ft les négliger par paresse, ou à les dédaigner par orgueil. Cette docilité est nécessaire à la prudence personnelle de ceux qui obéissent; mais elle convient aussi â la prudence de ceux qui commandent, il n’est personne qui, dans la direction difficile et com­ pliquée des affaires humaines, surtout dans la con­ duite des autres, puisse, partout et toujours, se suffire à soi-même. Celui qui commande devra donc, lui aussi, être docile à l’égard des anciens, des sages, de ceux qui l'ont précédé dans le commandement et qui sont susceptibles de le renseigner. Ibid., ad 2um, ad 3°m. 4. La sagacité d'esprit. Une exacte Intelligence des moyens adaptés et réalisables est donc nécessaire à la délibération du conseil. Cette justesse d’apprécia­ tion sur les bons moyens s’acquiert par l’expérience morale, par la docilité ù l’endroit de l’enseignement des prudents et des sages. Mais elle résulte aussi de la sagacité personnelle. Ceci ne remplace pas cela, mais y ajoute. Si la docilité nous rend prêts ù recevoir des autres de bonnes directives, il appartient à la perspi­ cacité personnelle de trouver, par elle-même, quand il le faut, scs propres directives. Cette promptitude de l'esprit ù deviner vite et aisément ce qui convient est nécessaire, car l'expérience passée et les enseignements des gens expérimentés n’apportent que des faits ana­ logues et qui ne s’ajustent pas toujours ù ce qu'exige la situation. 11 faut donc que, par ingéniosité person­ nelle. l'esprit fasse les réadaptations obligées. ΠΜ!*, q. xr.ix, a. I. Celte promptitude d'esprit a l’air de s’opposer à la lenteur et à la pondération exigées pour le conseil; mais clic lui -cil av contraire et assure la bonne marche de 1045 PHUDENCE. SON BO >E DANS LE CHOIX ses délibérations. Au surplus, elle peut suppléer le con sell quand il faut agir sur-le-champ, sans retard. 11 est bien clair, ici encore, que celle sagacité peut avoir cn nous des prédispositions natives. 11 y a des gens dont l’esprit prompt, rapide et intuitif perçoit d'emblée ce qu’il est opportun de faire, meme dans les situations les plus enchevêtrées; il y en a d'autres qui n’abou- I lissent que péniblement â voir comment ils doivent agir· //>/ par l'anarchie des fonctions sensibles : les représentations nc correspondent pas â la réalité ou sont déformées par l’hallucination; les images sont incohérentes, illogiquement assemblées, toutes prêtes â fournir matière a l’extravagance du délire; l’affectivité est désaxée, ordinairement impul­ sive ct violente. Il y a donc coupure entre la raison cl l’action : celle-ci reste Ingouvcrnée; elle sort sans motif, sans logique, sans explication, du chaos des images, des Instincts et des passions. Cette absence totale de « raison délibérante » arrive de deux façons : ou bien par Insuffisance de développement cérébral, comme chez les idiots, irrémédiablement condamnés à une vie végétative et instinctive, ou bien par obturation de l’espr.l. Dans cc dernier cas, l’esprit subsiste; il pour­ rait, hors de l’état de démence, fournir une délibé­ ration motivée et un discernement de conscience, s'il n'y avait, pour annihiler toute activité de sa part, le détraquement des facultés sensibles. Cette « ligature > de I intelligence, qui est congénitale et durable chez l’idiot, inguérissable dans certains étals démentiels définitifs, peut n'êlre que temporaire et accidentelle chez les confus, hallucinés, phobiques, mélancoliques, maniaques ct délirants. Chez les « demi-fous », nous ne rencontrons plus un manque absolu de discernement, mais un discernement incomplet et amoindri, d'où nc peut sortir qu’un contrôle moral atténue. Et cette atténuation présente des nuances â l’infini. On sait la multiplicité (les actes qui sont nécessaires â la prudence : réflexion, raison­ nement. adaptation du jugement à la réalité concrète, comparaison du cas avec les nonius morales, considé­ ration des circonstances, prévision des opportunités, des difficultés et des conséquences. Or, dans ce tout complexe. Il peut y avoir, pour des causes patholo­ giques. déficience de l'un ou l’autre des éléments requis; il en résulte fatalement un jugement de conscience déficitaire, gauchi. Inadéquat. Au surplus, In volonté el la sensibilité viennent parfois, par manque d’équilibre physico-psychique, rendre vacil­ lant le jugem *nt décisif de l’action. Cette imperfection, plus ou moins accusée, du contrôle rationnel sc ren­ contre chez certains déments dans les périodes inter­ calaires d< lucidité, mais spécialement chez les psy­ chasthéniques qui nc connaissent pas, mhn.· transi­ toirement, de véritables accès de folie, mais dont l’appréciation morale reste rudimentaire ou en partie faussée, ou chez lesquels l’aboulie volontaire ou l’im­ pulsivité émotive gène l’û-propos du discernement ou précipite l’acte avec tant d’emportement que la I DE PRUDENCE 1060 raison, inerte ct sidérée, ne peut le saisir ni l’apprécier. Les psychopathies constitutionnelles, avant qu’ellci tournent à l’hallucination el nu délire, donnent Heu à ces discernements tendancieux où se mêlent le réel el l'irréel. Le mythomane travestit facilement les faits et juge d’après des situations pour une bonne part fictives, Chez l’hystérique, l’hypertrophie de l'imagi­ nation affaiblit l'appréciation morale, la rend fabula­ trice cl menteuse. Le cyclothymique, â l’esprit ins­ table, manque de certitude el de continuité dans ses décisions pratiques. L’hyperémolif. à cause de l'inten­ sité ct de la célérité de scs réactions, n’a pas le temps de placer un discernement valable entre sa passion cl ses actes. Le paranoïaque porte un jugement grossis­ sant et déformant sur tout c.· qui se rapporte à son idée de persécution ct de revendication, alors qu’il demeure fort avisé à l’égard de tout autre objet. Le pervers instinctif se jette animalemcnt â la satisfaction de son penchant, sans capacité d’adverlance ni d’inhi­ bition. Sur la responsabilité morale chez les psycho­ pathes voir 1L-I). Noble. Les passions dans la vie morale, t. i. c. xu; t. π. c. vi; on trouvera lâ les textes de saint Thomas qui se rapportent à la question. 2° Le tempérament ct le discernement. — Nous ne parlerons Ici du tempérament que par rapport au discernement moral. Sur la nature du tempérament, ses causes, scs influences favorables ou défavorables sur la moralité, voir 1 !.-!>. Noble, op. cit., t. i, c. x: l. H, c. v. Tout d’abord il faut rappeler ce principe général : le tempérament, quel qu’il soit, serait-il la disposition la plus heureuse, doit subir, dans son incli­ nation et son penchant, le contrôle de la raison pruden­ tielle; il est â sens unique cl déterminé. Or, l’action vertueuse, avec ses complications modifiables d'après les opportunités ct les circonstances, a besoin d’une raison qui aille dans tous les sens, d'une raison qui réfléchisse, divise, compose, ordonne ct unifie. Sans cette discrimination rationnelle qui, dans certains cas, doit créer à neuf les dispositifs de l’action, le tempé­ rament n’est qu’impulsion, sans ordonnance ni mesure. Souvent le rôle de la prudence sera de rectifier le tempérament préjudiciable au conseil, au jugement ct au précepte de In raison pratique ou encore à la fermeté de l'intention et du choix volontaire. Le tempérament le plus heureux ne pourra suppléer à la prudence. Celle-ci, dit saint Thomas, peut avoir à son service une aptitude native à la rectitude du jugement; mais celle aptitude doit être complotée par l’expérience, l'entrai­ nement, voire par la grâce, c’est-à-dire par la vertu ■ infuse » de prudence el le don de conseil. Cela étant rappelé, indiquons les allures diverses des tempéraments, pour autant qu'ils sont utiles ou nuisibles à la perfection du discernement moral. Indi­ quons cela brièvement, car recenser toutes les variétés des tempéraments serait un discours sans lin. Il y a des esprits qui sont plus aptes que d’autres â la pénétration cl à la sagacité requises au discernement. Ce ne sont pas précisément les gens abstraits, spécu­ latifs ct théoriciens, mais les gens réfléchis et pondérés dans l’ordre pratique, esprits réalistes s'adaptant aux faits, observateurs, assimilateurs, critiques, habiles à dépister les difficultés, capables de renouveler des jugements préconçus, fertiles en trouvailles heureuses. De telles intelligences sont servies par une mémoire exacte et ordonnée, par une Imagination disciplinée, un sens commun centralisateur et une · cogita­ tive riche d'expériences accumulées. L’Intelligence soupir · l novatrice accuse son maximum de pénétra­ tion et dt fini In tant du jugement* Après le conseil, qui exploré de tous côtés et proposé diffé­ rents moyens d’aboutir .» une lin donnée, le jugement doit par une perspicacité nouvelle, comparer, distlngiier, associer le éléments pour aboutir à la préférence 1061 PRUDENCE. LE MANQUE DE PRUDENCE de l'action la meilleure et la plus opportune. Nous ivons déjà cité cette observation de saint Thomas : « Beaucoup de gens sont habiles à instituer délibé­ rai ion cl conseil et, en même temps, manquent de jugement. Déjà parmi les spéculât ifs. nous voyons des esprits très Ingénieux ct fort prompts à multiplier les raisonnements, parce que leur imagination suscite facilement d'abondantes images, ct cependant Ils nc parviennent pas a bien juger, par défectuosité de leur < sons commun » qui nc sait pas organiser entre elles les sensations >. Saint Thomas réclame deux vertus pour cette réflexion intérieure : la vertu de conseil, puis la syncais (nous dirions le bon sens moral), preuve qu’avant ccs deux vertus formées les dispositions qui tes préparent diffèrent. !1Λ-II»·, q. i.i, a. 3. SI, pour le conseil et le jugement prudentiels, cer­ tains hommes sont aides par d’heureuses dispositions, d’autres hommes en sont dépourvus, et, s’ils ne corrigent point cc fâcheux tempérament, ils risquent fort de manquer de discernement, tout au moins dans les situations difficiles ct les cas embarrassants. Ne parlons pas des esprits irrémédiablement puérils, presque Incapables de se conduire, ni des étourdis qui sc précipitent sans réflexion à agir n’importe comment, ni des confus et incohérents qui nc mettent deux idées ensemble que difficilement» ni enfin de ccs indo­ ciles orgueilleux qui nc retiennent rien des leçons de l’expérience pas plus que de renseignement qui vou­ drait les éclairer. Il est des esprits qui nc manqueraient pas de justesse, s’ils n’étaient constamment troublés par une imagination désordonnée, qui déforme, invente ct devient dupe de ses fictions, tandis qu’elle inspire des appréciations fantaisistes sans critique ni objecti­ vité. D'où le manque de coordination, de pondération, d’ordre ct de mesure dans le discernement, dès qu’il est obligé de s’appliquer rigoureusement aux faits et de serrer de près les circonstances mouvantes ou inattendues. La tendance à l’automatisme intellectuel ne favorise pas la faculté d’ajustement qui doit pré­ sider au discernement : les esprits systématiques procedent à priori et partent de vues théoriques ct d’opinions toutes faites; ils nc distinguent pas, nc confrontent pas et sont insensibles aux imprévus de l’action; ils jugent des cas pratiques abstraitement, articulent toujours les mêmes déterminât Ions, n’ap­ précient qu'avec lourdeur, raideur ct étroitesse; aucune expérience ne les instruit; leur mémoire méca­ nique répète les mêmes sentences routinières, cl leur jugement est tout d’une pièce et sans nuance. Dans l’ordre pratique, ce sont des esprits faux, dont les décisions ne présentent aucune sécurité, quelle que soit par ailleurs leur envergure d’intelligence spécu­ lative. La dilTérencc des tempéraments affectifs sc marque encore dans la plus ou moins grande objectivité de la délibération morale. Il y a des gens qui ont un mal inouï à se dégager de leurs partis pris d'affection, de leurs points de vue intéressés ct de leurs buts préférés quand ils doivent porter un jugement sur d’autres qu’ils n'alment pas, sur une situation qui gêne la leur, sur des événements qui vont à l’encontre de leur attente. Au demeurant, c’est une tare de notre psycho­ logie humaine que cette tendance à juger dans le sens de nos utilités, de nos convenances et de nos amours. Mais la vertu a précisément pour économie de corriger nos désirs et nos Inclinations et de ne les laisser passer «pic dans une direction raisonnable approuvée par le discernement prudentiel. Quand celui-ci sc laisse gui­ der par la passion, il manque infailliblement de recti­ tude ct d’objectivité. Les passionnés sont exposés au jugement faux, autant, sinon plus, que les esprits automate 1 1 systématiques. Les tempéraments sc présentent donc comme favo­ 1062 rables ou défavorables â ccs deux premiers actes de la prudence : le conseil ct le jugement. Mais l’aide ou l'entrave sc continuent A propos du troisième acte : le précepte ou décision Impérative. Étant acte de l'intel­ ligence, les modes de celle-ci auront sur lui leur immé­ diate influence : la mise en garde contre les embarras ct les difficultés de la réalisation, la perspicacité qui veille sur les circonstances et les conséquences de l'ac­ tion seront singulièrement desservies par la tendance de l'esprit a l'inattention, A rinconsidération, au manque d’objectivité; mais clics seront facilitées par les qua­ lités contraires. Si le précepte est clairvoyance intellectuelle sur les opportunités et les modes de la réalisation, cette clair­ voyance ne devient verdict d'exécution que par l’ap­ point de l’efficacité volontaire. Les tendances qui renforceront le vouloir ou énerveront son efficacité I auront donc leur répercussion sur l'acte dernier ct principal de la prudence. Au point de vue général de la disposition a agir, nous trouvons des gens dont le tempérament est tourné a l'action. Il faut qu’ils agissent, qu’ils remuent ct sc dépensent. Entrepre­ nants, aimant la lutte, pas découragés pir les diffi­ cultés, confiants dans le succès, ils vont de l'avant, abattent de l'ouvrage, nc s'arrêtent jamais. Cc goût de l’action peut prendre une allure vive, hardie, exubé­ rante, batailleuse, ou une allure plus calme, plus lente, ct plus tenace dans sa persévérance. Quand ce pen­ chant sera contenu, modéré ct ordonné par la vertu de force — qui est la vertu des réalisations — il sera un auxiliaire puissant pour la phase décisive de discer­ nement : le précepte impératif. Au contraire, cette vertu de force aura bien du mal à s’implanter chez ceux qui, par nature, sont inactifs, inertes, mous, languissants, toujours fatigués, découragés d'avance de ce qu’ils entreprennent, dépourvus de constance ct de persévérance, craintifs des difficultés réelles mais aussi des difficultés qu’ils se forgent illusoirement. La volonté clic-même est tributaire, pour la densité de son énergie, de dispositions variables selon les individus, dispositions qui résultent de la plus ou moins bonne facture de l'esprit, de l’imagination, de la mémoire, de la cogitative, du sens commun et de la sensibilité. Le vouloir, en effet, résume toutes les forces de la conscience et il les rassemble pour sa propre efficacité. Chez les grands volontaires, qui agissent résolument, avec persistance dans la duree et Apreté dans la lutte, avec une continuité qu’aucune contrariété nc déconcerte, il y n certainement, pour expliquer ccs résolutions actives ct durables, une intelligence lucide établie dans des convictions solides, fixée A des buts précis et A des mobiles généraux inchangcablcs; il y a aussi un discernement souple qui sait adapter les circonstances nouvelles aux lins accep­ tées, résoudre les difficultés inattendues en maintenant toujours les décisions prises. Le type le plus accompli du volontaire, dans l’ordre moral, c'est le vertueux, dont toute la conscience est ordonnée au bien, avec des habitudes enracinées et une prudence rectifiée : là sc rencontrent toutes les garanties du puissant et efficace vouloir. A l’encontre, les esprits confus, illo­ giques, automates, les Imaginatifs, les passionnés, les impulsifs, nc sont pas préparés à l’énergie du vouloir : volontés faillies, chancelantes, mobiles, aussitôt dé­ faites que formées, entêtées parfois, reculant devant l’elTort, déconcertées par la résistance, sans constance ni persévérance. Ce n’est pas ici le lieu d’apprécier la va’cur mo­ rale des actes, fruits du temperament, ct nous n'en dirons que quelques mots. En principe, le tempéra­ ment natif, normalement parlant, n'est qu’une dispo­ sition qui incline A l’action, mais ne lui enlève pas sa liberté ni sa responsabilité. Entre la tendance ct 1063 PRUDENCE. LE MANQUE DE PRUDENCE Taction, la réflexion et le discernement peuvent et doivent intervenir et prendre leur droit de contrôle. Il y a lieu, dans certains cas. d’envisager une respon­ sabilité atténuée dans la mesure où ce contrôle a moins d’aisance ct de sûreté. Le tempérament est corrigible, surtout lorsqu’il affecte les modes de la sensibilité ct de la volonté, et il y a obligation de s’employer à cette éducation qui demande continuité ct patient labeur. Les déficiences du côté de l’esprit ct du jugement pratique sont moins réparables et donnent souvent lieu à une responsabilité diminuée. Cependant, celui qui a peu de garanties sur cc point trouvera dans sa bonne volonté l’indication oppor­ tune de se défier de son propre jugement et de prendre conseil. N’oublions pas non plus que, dans la cons­ cience en état de grâce, la vertu « infuse » de prudence ct le don de conseil sont toujours prêts â assister le discernement, â donner leur suppléance en tout ce qui a trait à la sanctification personnelle. 3° La passion ct le discernement. Indépendamment de ccs prédispositions favorables ou défavorables au discernement, celui-ci peut manquer de facilité el de clarté par le fait de la passion « antécédente », c’est-àdire antérieure à cc discernement, passion non retenue ni maîtrisée dans son attraction ct sa vivacité. La complaisance donnée â celte passion entrave la déli­ bération morale ct risque de la troubler, sinon de l’aveugler. Avec saint Thomas voyons, à travers les actes successifs du discernement, les perturbations que peut causer la passion. Nous supposerons un état de passion qui laisse subsister la responsabilité volontaire. Il faut rappeler tout d’abord cette loi générale de notre psychologie : toute passion, par nature, en raison de sa force d’attrait ct de l’émoi physiologique et psychique qu’elle produit, tend à concentrer sur son objet l’attention de la conscience, l’application de l'esprit ct l’entrainement du vouloir. Cela ne veut point dire que la raison ne puisse plus s’exercer ni la volonté résister — nous sortirions de l’hypothèse — mais, dans la conscience tenue en haleine par l’ait rail prépon­ dérant. la raison est stimulée à approuver la passion; elle se trouve plus débile à la désapprouver parce que les considérants qui inculquent cette désapprobation amoindrissent le relief de leur valeur. Cette loi générale de l’absorption de la conscience par l'attrait de la pas­ sion étant rappelée, il est aisé de voir comment la passion vive compromet tous les actes dont se compose la perfection vertueuse du discernement prudentiel. Saint Thomas désigne quatre actes de l’intelligence pratique cl les examine tour à tour dans leur conflit avec la passion. 1. Le premier de ces actes est préalable à la pru­ dence elle-même, mais il la commande toute. C’est le jugement qui dénonce la valeur d’attrait de la lin mo­ rale, oriente l’intention vertueuse el se prononce pour le devoir à l’encontre du plaisir, pour la loi de Dieu à l'encontre de la satisfaction déréglée, par exemple l’in­ tention qui opte pour le pardon et non pour la ven­ geance, pour la continence cl non pour la jouissance sensuelle. Cette estimation, cette mise en préférence des finalités vertueuses, suppose que la raison se prononce, en connaissance de cause, pour les valeurs spirituelles de la moralité, pour Dieu contre le péché, pour l’esprit contre la chair, pour la vertu même crucifiante contre le plaisir même enivrant. Si la pas­ sion surgit dans cet étal d’âme cl, par son attrait vif et impérieux, retient l'attention et la complaisance de la conscience, si elle appuie pour que la raison se désiste de scs rigueurs morales et approuve plutôt les plaisirs réclamés par la passion, cette même raison sera tentée de voir avec moins de relief la plus-value des fins spirituelles ct vertueuses; les convictions' morales seront ébranlées ct menaceront de vaciller. En dehors 1064 de l’état de passion, en dehors de cette passion qui, présentement, nous secoue et nous trouble, rien n’est plus clair, devant la conviction, que l’obligation de préférer la vertu au plaisir; mais, sous l’empire ct parfois la tyrannie de la passion, les points de vue changent d’aspect et de couleur; le bien moral rallie moins notre enthousiasme; notre bien véritable le plus tentant ne nous apparaît plus celui que tout a l’heure notre raison proclamait, à froid et dans la paix de la conscience, mais celui que vient offrir la passion, bien qui ne se présente pas à l’état abstrait, mais a l'état de sensation immédiatement éprouvée. II·-!!*". q. clîii, a. 5. 2. Le deuxième acte de raison dans la conscience vertueuse, le premier de la prudence, c’est le conseil intérieur qu’elle doit instituer en face de l’embarras des circonstances el des alternatives. La perfection de cc conseil n’est pas d’ordinaire chose aisée. Nous savons qu’une vertu y est requise ct à quelles conditions nombreuses est liée sa perfection : il y faut la mémoire du passé, l’intelligence des circonstances présentes, la prévision sagace des conséquences éventuelles, l’habile comparaison des alternatives, la docilité â recueillir opportunément l’avis des hommes éclairés el expéri­ mentés. toutes choses qui réclament la pondération de l’esprit. Sc jeter à l'action sans contrôle, en suivant, sans plus, l'impulsion première, se précipiter à satis­ faire sa vengeance, sa gourmandise, sa volupté, rentrent bien dans les mœurs courantes de la passion, surtout si la passion est vive. Le passionné ne veut pas réfléchir, il ne veut rien entendre, il n'écoule ni remontrances ni avis, il refuse de s'entendre lui-même, de s’arrêter à un instant de réflexion qui risquerait de lui faire manquer le plaisir dont il est avide. Ibid. 3. Le jugement est le deuxième acte de la prudence ct il clôt le conseil par la détermination de la meilleure alternative, par la décision du choix. Il y faut, nous l'avons vu, une particulière rectitude de la raison, une intuition décisive cl sagace, qui réclament une atten­ tive considération de tout l’esprit. On peut s’enfermer dans un conseil qui rumine avec lenteur et agite entre elles toutes les alternatives sans qu’on aboutisse à en sortir. Il faut avoir mûrement considéré toutes circons­ tances ct toutes éventualités pour arriver à bloquer toutes les considérations autres que celle qui l’emporte en valeur ct provoque le jugement décisif. Or. que la passion surgisse, et voici que le jugement en sa faveur semble bientôt le seul en situation, le seul qui offre des motifs valables. Cette insistance à vouloir refouler toute autre considération et cette application à éner­ ver toute idée de résistance amènent bien souvent la faillite du jugement de conscience, du jugement moral, que seul pourtant devrait adopter le vertueux. Ibid. L Enfin, la prudence a un acte dernier et principal : le précepte, qui intime les réalisations vertueuses. Nous connaissons les diflicullcs que présente cc passage de l’intention à l’action, du discours moral intérieur à la vie murale pratique. C'est le problème moral luimême, dans tout son réalisme ct son acuité : seul esl vertueux celui qui produit des actes de vertu. La prudence n’est la prudence que lorsqu’elle mène la conscience au delà de cette impasse où tant de belles résolutions trouvent leur pierre d’achoppement. Or. c'est ici précisément que la passion concentre sa force d’arrêt, fait jouer son mirage et déploie son ensorcel­ lement pour interdire une dérision qui viendrait contredire sa convoitise. Qu’on le remarque, i) peut arriver que la passion, même impérieuse, n’ait pas abouti à troubler le conseil ni à fléchir le jugement du discernement : on volt clairement qu’il faut repousser cette suggestion, renoncer â ce péché, à cette Injustice, à cette vengeance, à cette sensualité; le jugement d'action esl tout prêt à s'identifier au jugement de 1065 PRUDENCE. LES FAUSSES PRUDENCES 106G de réfléchir, avant d'agir, à la façon dont il doit agir. conscience. Oui, niais il y a loin de la coupc aux II*-11·, q. i.iv, a. 1, 2 ct 3. lèvres, loin des résolutions prises aux résolutions Iné­ Cc manque de prudence par négligence volontaire branlablement tenues; car la passion est toujours là avec son attrait et son effervescence; le vouloir de­ se spécialise en différents travers, selon que la défi­ cience affecte l’un ou l’autre des actes de raison néces­ meure subjugué, el le c; mais elle est, par dérivation, ou bien, à coté de cette prudence individuelle, en dans le subordonné qui. comme l’ouvrier, s’assimile le existe-t-il d’autres qui envisagent nos rapports dc plan ct l’exécute. Non pas que la prudence du subor­ conduite â l’endroit des différents groupes sociaux aux­ donné soit identique dans ses formules et ses points de quels nous appartenons et des différentes fonctions vue de discernement à celle du chef : le subordonné que nous avons à remplir? accomplit les actions (pie commande le chef; mais le L’homme ne vit pas seul; il est englobé dans des chef, en les commandant, s’inspire de raisons qui sont groupements divers. Nous pouvons avoir à diriger ct plus universelles que les raisons qui motivent la a commander, ou tout simplement â obéir. Ces groupes prudence du subordonné; le mémo chef, en vue du plus ou moins élargis qui enveloppent notre individua­ bien commun, soumet à des obédiences diverses la lité ont respectivement leur but à atteindre et. par multitude de ses sujets, semblable en cela — pour conséquent, une moralité collective dont nous ne reprendre la même comparaison — à l’architecte qui pouvons nous désintéresser. Sans doute, quelques-unes commande tous les ouvriers, lesquels exécutent le plan de nos actions morales sont strictement privées, mais d’ensemble par des travaux différents. IIM1®, q. l, une foule d’autres ont un retentissement social. D’ail­ a. 2. corp, cl ad leurs. notre moralité privée elle-même n’est pas sans Pour mieux saisir la nécessité ct la nature exacte rapport, nu moins indirectement, avec la moralité de la prudence ■ politique ·, chez le subordonné, il faut sociale. La question est donc de savoir si. outre la faire état d’une autre vertu qui lui est préalablement prudence individuelle qui dirige la moralité de chaque nécessaire : la justice « légale , par laquelle comme homme, il n’y a pas lieu d’envisager la nécessité membre d’une collectivité, comme partie d’un lout, d’autres prudences ordonnées à des discernements spé­ il ordonne scs activités, ses œuvres, son dévouement, ciaux, comme celui de gouverner, comme celui d’obéir, voire sa moralité personnelle à l'intérêt général. Ce comme celui de diriger une famille, etc. n'est pas le lieu de décrire de quelle façon el jusqu’à 1° La prudence sociale. — Il s’agit ici d’une prudence quel point il importe que s’accomplisse ce devoir. En dont le discernement se rectifie sur un bien commun tout cas. celui-ci est certain, cl il n’est pas si facile. à « plusieurs ». Ce bien commun, ici. ce n’est pas le bien Pour certains caractères, individualistes à l’excès, ce général de l'humanité. H varie selon les différents souci du bien commun ct celle active collaboration groupements qui entourent l’homme; celui-ci a une à l’intérêt général ne sont pas une tendance spontanée, famille, une cité, une patrie; Il appartient à divers il y faut un effort persévérant ct l'acquisition lente groupes collectifs. Chaque groupe a une directive d’en­ d’une vertu éprouvée. Or, précisément, la prudence semble vis-à-vis de laquelle chacun de scs membres < politique » vient servir, par son discernement intel­ doit être rectifié moralement. Il est bien clair que la ligent. les réalisations vertueuses de la justice < légale » prudence de celui qui détient l’autorité el préside au qui observe les lois et obéit aux ordres de l’autorité. bien commun doit porter plus loin que sa prudence Elle est à la justice ■ légale ce que la prudence indi­ strictement individuelle. On peut savoir se conduire viduelle est aux vertus morales individuelles. Π*-II*» et ne pas cire apte à exercer l’autorité; on peut être q. xi.vu. a. 10» a Après avoir ainsi fait Connaître ses (navres au public. Prudence disparuit de l’histoire. Nous ne savons rien sur la date de sa mort. IL (Euvres. - Les œuvres de Prudence sont gene râlement classées en poésies lyriques ct en poésies didactiques. On peut sc tenir à cette division. 1° Calhdmérinon. — C’est un recueil de douze hymnes pour les dilTérentvs heures du jour : t, pour le chant du coq; n, pour le matin; ni-iv, avant et après ^lc repas; v, pour l’heure où l’on allume les lampes; vi. avant le sommeil; pour les ditlérentes circons­ tances de la vie; vii-vm, sur le jeûne et son efficacité bienfaisante; ix, action «le grâces envers le Christ; x. sui la ré· urrcclioii ; pour les fêles chrétiennes dt Noël (xi) el de l'Épiphanie (xit). ('es hymnes sont fort longues, variant de quatre-vingts vers (vin) a deux cent huit (xn); elles sont aussi de facture assez compliquée; aussi la liturgie n’en a t-elle retenu qui quelque » fragments : Alex dit t nuntius à laudes du I mardi (t). .Vox ct (en· brteel nubila à Liudesdu mercredi (n). Lux ecc· surgit aurea, a laudes du jeudi (n); 1077 PRUDENCE (AURELIUS CLEMENS) Ouïeunique Chr fatum quart! fa, h In Transfiguration (xn); O Mta maqnarum urbium, ù FÉpÎphanic (xn); Audit tyrannus anxius et Salvete, flores martyrum (xn) â la fête des saints Innocents. D’autres passages ont encore figuré à certaines époques dans les bréviaires locaux, spécialement dans le bréviaire mozarabe ; cf. A. S. Walpole. Early lutin hymnes, Cambridge, 1922, p. 115-1 1K. 2· Pérfattphanon. Nous avons lâ une série de quatorze poèmes destines ù chanter les •couronnes ■ des martyrs. La seconde moitié du iv< siècle avait été marquée à Home, en particulier, par un renouveau dc ferveur envers les anciens martyrs. Le pape Damasc avait recherché leurs tombes et les avait fait orner dc vers dc sa composition : il en était résulté un grand élan dc piété pour ccs premiers témoins du Christ. Prudence s’associa à cet élan, et le Péristepharwn est destiné Λ raconter la mort glorieuse d’un certain nombre de martyrs. Le patriotisme espagnol du poète l'amène ύ chanter plusieurs de ses compatriotes : Éméritus et Célidonius, Eulalic de Mérida, les dix-huit martyrs de Saragosse. le diacre Vincent dc Saragossc. l’évêque Fructuosus de Tarnigone, les martyrs de Calahorra, et aussi des saints particulièrement honorés en Espagne: Qulrinnus de Siscia. Romain de Césarée, Cyprion de Carthage. Les autres pièces du recueil sont écrites ù la gloire dc martyrs romains et ont été inspirées à l’auteur par un voyage qu’il fit vers 100-402 dans la capitale du monde chrétien : saint Laurent, saint Camers, saint Hippolyte, saint Pierre ct saint Paul, sainte Agnès. Il ne faut pas chercher, dans ces poèmes, des rensei­ gnements historiques. Prudence ne sait, sur les mar­ tyrs, que cc que lui apprennent les traditions popu­ laires. ct ccs traditions, il ne fait aucun effort pour les vérifier. Bien au contraire, il les amplifie, car il manifeste un goût prononcé pour le tragique, pour l'effrayant : aucun genre de supplice n'est trop dou­ loureux ou trop atroce, et ses descriptions affichent un réalisme qui fait reculer nos sensibilités délicates. Les interminables discours qu’il place dans la bouche des martyrs ne sont que des déclamations oratoires, écrites au mépris le plus entier dc la vraisemblance. Mais, lorsqu'on a fait ccs réserves, il faut ajouter que le poète manifeste un merveilleux talent littéraire; il déploie une extraordinaire virtuosité dans l’emploi des rythmes les plus variés et les plus compliqués: il est, dans l’histoire de la littérature latine, un des derniera â savoir correctement utiliser les mètres les plus savants dc la poésie lyrique. Ajoutons que les hymnes du Pfrfatéphanon sont un important témoignage du culte rendu aux martyrs et qu’à cc titre ils ne sont pas sans intérêt pour le théologien. 3° Apathéosis. — Précédée d’une double préface, V Apotheosis, dirigée contre les hérétiques et les juifs, combat en mille quatre-vingt-quatre hexamètres un certain nombre d’erreurs opposées ù la Trinité et ù la divinité du Christ. Prudence commence par combattre les pntripnss’ons (1-177) et les sabelliens (178-320) puis 11 s’attaque aux juifs, négateurs dc la Trinité (321-550); aux éblonltcs, qui rejettent la divinité du Sauveur (551-781); aux manichéens, qui nient la réalité, de son humanité (952-1061 ). Les vers 782-951 forment une digression sur la nature de l’âme. On s’est étonné parfois de voir Prudence s’attaquer, dans cct ouvrage, à des hérésies anciennes, ct l’on a supposé qu’il voulait en réalité atteindre le priscilllanlsmc. Cette hypothèse est peu vraisemblable, ct les allusions que l’on a cru découvrir ù l’enseignement dc Priscillien sont trop vagues pour la fortifier. En réalité. Prudence sc contente de versifier des écrits antérieurs, en parti­ culier VAducrsus Praxcan ct le Dr carne Christi de Tertulllcn. Il se soucie peu d'avoir affaire Λ des héré­ | . , ; ! 1078 tiques actuellement dangereux; il lui suffit d’exposer sa foi, qui est celle dc l'Eglise, en vers sonores et d’illustrer, par des images souvent très heureuses, des Idées abstraites. 4° Contra Symmachum. — Les deux livres Contre Symmaquc, écrits en 102 ou 103, ne sont pas davantage des écrits dc circonstance : à ccttc date, en effet. Il y avait une vingtaine d’années qu'était définitivement réglée l'affaire dc l’autel dc la Victoire, ct l'on n'a pas de raison décisive pour supposer que Symmaquc eût essayé de I ouvrir dc nouveau. Ici encore Prudence a vu. dans cct incident, matière à de beaux dévelop­ pements poétiques. Le premier livre, après une préface dc quatre-vingt-neuf aselépiades, condamne en sixcent cinquante huit hexamètres le paganisme romain ct, en particulier, le culte dc Mithra; le second livre, précédé d’une préface en soixante-six vers glyconiques. réfute, en onze cent trentc-ct-un hexamètres, la rela­ tion de Symmaquc : ici Prudence suit de très près saint Ambroise, cl il n'est pas sans intérêt dc comparer l’œuvre dc l’évêque ct celle du poète. Disons seulement que celui-ci a etc rarement mieux inspiré que dans cette œuvre, où il trouve des accents d’une vraie éloquence pour chanter la gloire immortelle de Borne, la mission providentielle dc l’empire, le renouvellement du monde par le christianisme. Le patriotisme le plus ardent a servi merveilleusement Prudence. 5° Psychomachia. — Le poète décrit ici en iteufccnl-quinzc hexamètres que précèdent, en guise d’introduction, soixante-huit trimètres lambiques. la lutte qui met aux prises, dans les Ames, les vertus chrétiennes ct les vices païens. Tour a tour, nous voyons combattre la Foi ct 1 Idolâtrie, la Pudeur et ΓImpureté, la Patience ct la Colère* l'Humilité et la Jactance, la Sobriété et la Luxure, la Miséricorde el l’Avarice, la Concorde et la Discorde ou Hérésie. Fina­ lement la Foi triomphe dc cc dernier ennemi, ct toutes les vertus sont invitées â élever au Christ un temple magnifique. Malgré la virtuosité déployée par Pru­ dence. le poème reste souvent froid ct languissant. Les allégories des vertus et des vices n’ont rien dc vivant, cl le dénouement est trop prevu, malgré les incidents qui le retardent, pour attiser la curiosité. Nous sommes aujourd’hui tentés dc nous montrer sévères pour la Psychomachie. Nous ne devons pas oublier, avant de porter sur elle un jugement définitif, que le Moyen Age l’a beaucoup lue ct beaucoup goûtée; elle a été, pen­ dant des siècles, une des sources où allèrent puiser à l’envi moralistes, lettrés cl artistes, et les cathédrales gardent encore les marques de l’influence exercée par Prudence sur leurs sculpteurs. G® llamartigénia, en neuf cent soixante-six hexa­ mètres que précèdent soixante-trois trimètres iam­ biques. Prudence examine ici, contre Mardon, le pro­ blème de l’origine du mal. Au dualisme de son adver­ saire, il oppose la réponse chrétienne : le père du mal est Satan, qui a entraîne l’homme au péché el Dieu a permis la faute pour apprendre à l’homme à sc gouverner lui-même. Ici encore le poète s'inspire de Tertulllcn, dont VAdrcrsus Marcionem est souvent mis â contribution. Mais, comme le problème moral ne cesse jamais d’être actuel, d multiplie les allusions aux vices de son temps, qu’il fustige avec vigueur; les descriptions du ciel el dc l’enfer qui terminent le poème sont parmi les plus détaillées que nous possé­ dions. 7® Dittochicon. Cc litre, un peu mystérieux, dé­ signe un recueil de quarante-neuf quatrains en hexa­ mètres destinés, semble-t-il, ù être inscrits sous des. tableaux représentant des scènes de l’Ancien ct du Nouveau Testament. Les vers sont médiocres; mais le recueil est Intéressant, car il jette un jour assez neuf sur l'ornementation des églises chrétiennes ù la fin 1079 PBUDEXCE PBUDENCE du iv· siècle. Nous apprenons par lui quelles scènes étalent représenter* sur leurs murs ct même comment y étaient traitées les thèmes classiques. Nous n’avons pas ici à porter de jugement littéraire xur l'œuvre de Prudence : qu’il nous suffise de dire qu’on est d’accord pour voir en lui le plus grand poète du iv* siècle. Les théologiens liront utilement ses œuvres, qui sont d’intéressants témoins de la foi d’un laïque cultivé aux environs de l’an 100; ils n’y trou­ veront sans doute pas d’aperçus originaux, mais ils y apprendront comment un fidèle s’inspirait des ensei­ gnements de l’Eglise et comment il les traduisait pour l’édification de ses frères, (’/est surtout comme mora­ liste que Prudence a exercé une influence durable : la Psychomachie marque le point de départ de toute une littérature. DE TKOYES 1080 mande d’une noble dame » éprouvée; mais cet abrégé pourra .servir aussi aux voyageurs et â ceux qui sont empêchés de réciter les heures canoniales. Dürnrnlcr pense que la ■ noble dame » pourrait bien être l’impé­ ratrice .Judith et donne comme dates possibles 830 ou 833. Voir Mon. Germ. hist., HpistoL, 1. v, p. 323, note 4. 2° Florilegium ex sacra Scriptura (col. 1121-1110). Avec des citations de l’Ancien et du Nouveau Testa­ ment, Prudence, devenu évêque de Troyes, composa à l’usage des candidats au sacerdoce un recueil d’instruc­ tions diverses : Præcepla, A la suite de ccs priecepla, Aligne donne, d'après dom Marlène, des extraits d’un pontifical de Prudence; le mot exact serait « rituel ». Il n’est pas sûr d’ailleurs que Prudence soit l’auteur de ce rituel. D’après dom \ ilmart. il s’agirait en réalité d'un missel du χι· siècle. Cf. Jtev. bénéd., 1922, p. 282, L'édition, définitive sons doute, des œuvres de Prudence ct Cabrol, Les livres de la liturgie latine, p. 53. 51. est désormais celle de .1. Ben. num, Aurelii Prudentii cornu· 3° Sermo de tu ta cl morte gloriosæ virginis Mauræ na, dans le Corpus de Vienne, Vienne et Leipzig. 1926. (col. 1367-1376). Panégyrique d’une sainte (pic Pru­ f/OUvruge (ΓΑ. Pticch. Prudence, Paris. 1888, est clas­ dence avait connue. Cf. Molinior, Sources de I'hisL de sique. On verra encore E,-B. Lcjim·. .4 iqinlactic, stylistic and France, t. i. p. 257. metrical study o/ Prudentius, Baltimore. 1898; .1. Bergman. 1° (Eunres portiques et correspondance. - Bien ou L Prudentius Clemens, der grossie chrtstliche Pichler des lllertums. Tartu, 1922; P. Allard. Prudence historien, dont presque rien ne nous en a été conservé. Un petit Rev. des quest, histur., t. xxxv. 1X8-1. p. 315-385; le inunc. poème sur les évangiles indique son origine espagnole : Rome au IV· sièclr d'après les poème* de Prudence, ibid., Hesperia genitus. Cellas adductus et altus. Voir P. L., t. xxxvi. 1X8*1, p. 5-61; Λ. Hosier, lier kalhollsche Lichhr t. cit., col. I 119-1120, el Mon. Germ, hist.. Poetic, t. π, Aurelius Prudentius Clemens, Ein Rritrag zur Kirchen-und p. 679. Cc poème précédait une histoire évangélique LOgmengt seJiichtr des IV. und V. Jahrhundcrts, Fribourg. 1886; M. Lavarcnnc, Etude sur la langue du poète Prudence, ofTerlc par Prudence à son église de Troyes.— La seule lettre qui lui soit attribuée est adressée à son frère, Paris, 1933; le mémo. Prudence, Psychomachie, Introduction, évêque aussi, sans doute resté en Espagne. P. L., t. cil. texte et traduction française. I aris, 1933. col. 13t»7. (». Bardy. 5° Continuation des ■ Annales de Saint-licrtin », de 2. PRUDENCE DE TROYES, évêque de celte ville au milieu du ιχ· siècle (t 861). I. Sa per­ 835 à 861, dans Pertz, Mon. Germ. Hist., Scriptores, sonne. II. Scs œuvres. III. Scs idées théologiques. l. i, p. 119 sq., reproduit dans P. L., I. cil., col. 1377I. Sa personne. - Son vrai nom est Galindo. 11’20. » Chronique ollicielle très exacte ct le plus Commo beaucoup de scs contemporains, il prit un souvent 1res impartiale », dit Molinier, op. cit., p. 216. Ce n’était pas l’avis de l’archevêque I linemar, qui fut surnom : Prudence, sous lequel il est plus connu. Espagnol d’origine, il vécut à la cour de Louis le le continuateur des Annales après la mort de Prudence. Débonnaire, où il exerçait sans doute les fonctions de Avant de reprendre l’œuvre, Il exprime en termes assez durs son opinion sur son prédécesseur. Pertz, loc. cit,, chapelain palatin. Sous Charles le Chauve, il devint p. 155; P. L., l.cxxv. col. 1203. Il écrit : « Galindo, évêque de Troyes. La date n’vsl pas facile à préciser. En 816, nous trouvons pour la première fois sa signa­ surnommé Prudence, évêque de Troyes, espagnol ture sur un acte officiel : une confirmation des privi­ d’origine, fut un esprit très cultivé. Pendant quelques années, il combattit Goltcscalc le prédeslinatien, mais lèges de I abbaye de Corbie, par un concile de Paris. Ilefele pense avec beaucoup de raison que ce concile ensuite, rempli d’amertume contre certains évêques (pii combattaient avec lui I hérétique, il se fil le eut Heu en février 816.. I iefcle-Lcclercq, Hist, des défenseur acharné de l’hérésie elle même. Il composa conciles, t. iv, ρ. Γ26; pour le texte, cf. P. L., I. exx, alors d’assez nombreux écrits peu cohérents entre eux col. 36 D. D’autre part, la lettre xi.r de Loup de et contraires à la fol. Quoique épuisé par une longue Ferrières, adressée a l'évêque Prudence (éd. Levillain, dans Les classiques de Phist. de France au Moyen· maladie, il n’n cessé d’écrire qu’en cessant de vivre. » t(/r, t. i, p. 172). nous apprend que Prudence et Loup En ce qui concerne l’atTaire de Gotlescalc. I linemar jugea donc nécessaire de retoucher l’œuvre de Pru­ ont été chargés d’une visite d’inspection ct de réforme dans divers monastères Celle lettre, datée par M. Lc- dence. A la date de 819, le compte rendu du synode de Quierzy qui condamna Gotlescalc ne lui parut point villain du début d'avril 815. fait allusion ù une autre assez sévère pour l’hérétique. Voir les variantes don­ mission accomplie par les mêmes l’année précédente. nées par Migne, P. L., t. cxv, col. 1402, Cependant, comme on trouve le nom du prédécesseur A la date de 859 (ibid., col. I 118), Prudence afIIrme de Prudence au bas d’un privilège de 813. on ne peut que le pape Nicolas donna son approbation à la thèse faire remonter plus haut que celte date, sa nominat ion «le la double prédestination ct du sang du Christ au siège dr Troyes. L. Duchesne. Fastes épiscopaux, répandu pro credentibus omnibus. I )e cette approbation t n, p. 152. Sur la part qu’il a prise Λ la controverse papale Hincmar déclare dans une lettre ù Égilon, prédvslinaticnne voir Part. Prédestination, § iv, archevêque de Sens, ne connaître aucun autre témoi­ passim, et spécialement col. 2912. 2921. 2925. gnage : Quod per ahum no i audivimus nec alibi le.· Prudence ligure parmi les évêques marquants du gimus. Il prie donc Egilon de s’en informer auprès royaume de Charles le Chauve. Il meurt en 861. Son du pape lui même. car. dit il. il serait scandaleux nom sc trouve en divers martyrologes, mois pas au que le pape approuvât l’opinion de Gottcscalc. P. L., martyrologe romain. t. cxxvî. col. 70 B. Il Œvmii-.s. Elles sont publiées dans P. L., (.’est en etTct sur la qihstion de la grûce ct de la t «s’* I "»‘5-1158. I prédestination que se concentre I activité théoloΓ Breviarium Psalterii (col. 1119-1458). «Abrégé gîqu< d. Prudence a propos de l’idlalre de Gottcscalc, du psautier ■ ou mieux · Fleurs des Psaumes . Flores afTatre qui occupa l'Ëgll ( puis le cOndlè pialmvrum. C’est une œuvre de piété. Le prologue explique que l’auteur a composé ce recueil à la de- I de Mayence, en 818. jusqu ù la mort de Gottcscalc, 1081 PRUDENCE en 858 ou 839. Il va sans dire que l'archevêque Hinc­ mar était lui-même trop personnellement engagé dans le conflit, pour qu’il nous soit possible de souscrire à tous ses Jugements. G® Textes retail/* à lu querelle prédestinât iront La pensée de Prudence s’exprime dans trois ouvrages : 1. Epistula ad Hincmarum et Pardulutn (roi. 9711010). Prudence n'assistait pas au synode de Quierzy de 819, qui condamna Gottcscalc. Son nom ne ligure pas en effet sur la liste donnée par I linemar dans son compte-rendu. I linemar. De privde st i natione, P. L, t. exxv, col. 85. D’autre part. I lodoard dit que, après ce Synode, Hincmar écrivit à Prudence pour lui de­ mander son avis et spécialement s'il fallait accepter Gotlescalcù la communion pascale. Histur. Item. Eccl., P. /*., t. cxxxv, col. 295 I). On ne sait si Prudence répondit à cette lettre. Cependant Gottcscalc écrivait dans sa prison, cl ses écrits se répandaient, au point que Hincmar crut devoir rédiger une réfutation qu’il adressa Ad reclusos ct simplices. Il parui alors à plusieurs théologiens de marque (pie Hincmar poussait trop loin ses thèses ct s'écartait de la tradition augustinienne. Telle fut l'opi­ nion de Ratramne. de Loup de Ferrières et de Pru­ dence. Prudence seul nous intéresse ici; il écrivit à Hincmar et à Pardulus, son suffragant de Laon qui s’était rangé ù ses côtés, un long mémoire où il insiste sur la nécessité de rester fidèle à la doctrine d’Augus­ tin sur la double prédestination. Le ton est cordial et ne sent pas la polémique. Hincmar ne fut pas satisfait et communiqua le mémoire â Raban Maur, qui déclara lui aussi ne pouvoir accepter les conclusions de Pru­ dence. Voir la lettre de Raban Maur à Hincmar, dans Mon. Germ. hist., Epist., I. v, p. 190-199; P. L.,l. exil, col. 1519 A. 2.De praedestinatione contra Joannem Scotum (col. 1109-13GG). — Hincmar et Pardulus avaient désiré connaître l’opinion de personnages compétents et organisé dans ce but une sorte d’enquête. Jean Scot, sollicité, avait répondu en 851 par un De prédestina· lione, dans lequel il prit position contre Gotlescalc, mais d’une manière telle que l’on put croire que la doctrine catholique elle même se trouvait atteinte. Scot était pour Hincmar un allié dangereux, et sans doute celui-ci regretta de l’avoir consulté. Voir l’art. ÎùugLne. Scot a le mérite de montrer comment les mots : prédestination, prescience, sont équivoques et expriment mal la connaissance et la volonté de l’Elre suprême pour qui on ne peut parler que d'éternel présent: mais, plus philosophe que théologien, il évite mal le panthéisme, et l’on ne voit plus comment il peut y avoir péché ct sanction dans son système. Le problème est supprimé radicalement. En 852, Prudence entreprit donc une réfutation de Scot. Wénilon, archevêque de Sens, lui avait envoyé dix-neuf propositions tirées de l’ouvrage de Scot et qui lui semblaient hérétiques. Prudence déclare que ces dix-neuf propositions le sont en effet et de plus, dans un vaste travail, il reprend l’ensemble de l’œuvre de Scot : point par point, il expose l'opinion de son adversaire ct en fait la critique. A la fin. dans une récapitulation de tout l’ouvrage, il condense, toujours sous la même forme quasi dlaloguée, les éléments essentiels du problème théologique. Voir art. Pri· des­ tination,. col. 2912 sq. 3. Epistula tractoria ad Weniloneni. Dans le concile tenu à Quierzy en 853. Hincmar avait rédigé les propositions où il était affirmé qu’il n’y a qu’une prédestinntion. que la liberté est guérie par la grâce, (pie Dieu veut sauver tous les hommes, que le Christ a souffert pour tous. Ibid., col. 2920 sq. Le même Hincmar assure que Prudence signa ccs quatre propo­ sitions. De pnedestinatione, P. L., t. exxv, col. 182 C, DE TROYES 1082 268 D. Quoi qu'il en soit de l'cxactllude de cc rensei­ gnement. nous voyons, quelque temps après. Prudence opposer aux propositions d'Hincmar quatre contrepropositions adressées a Wénilon. archevêque de Sens. Les évêquet de la province de Sens s'étalent réunis (a Paris ou â Sens) pour le sacre d* faire. évêque de Paris. Prudence, malade, ne put se rendre â ce concile, mais il y envoya un de scs prêtres porteur de sa lettre. P. L·.. t. cxv, col. 1385-1368. Prudence n’est pas seul d’ail­ leurs à refuser les propositions d’Hincmar : Rcmi de Lyon cl le concile de Valence de 855 sc prononcent contre elles, lin 859, à Langns. puis â Savonnières, elles seront encore écartées. Mais après 853 la partici­ pation de Prudence à In controverse est difficile â déterminer, HL IdiU.s THÉoLoGiQVES. La querelle prédest inaticnne ne devait sc terminer qu’avec le concile dt Thuzey, en 860. Elle s’acheva non par une solution définitive d'un problème qui n’en comporte pas, mais par un accord des controversi si es qui, au lieu d’oppo­ ser thèse à thèse, surent dégager les éléments communs de leur foi orthodoxe. Pour Prudence, Ratramne, Ebon de Grenoble et Rémi de Lyon, non seulement Hincmar se montre a l’égard de Gottcscalc d'une sévérité excessive, mais aussi, dans son ardeur a combattre scs idées, il devient suspect de semi-pélagianisme. Quant â Hincmar. nous avons vu qu’il place nettement Prudence parmi les partisans de Gottcscalc et le traite en hérétique. La question reste toujours pendante de savoir dans quelle mesure Gottcscalc fut hérétique. En tout cas. à l’estimation de Prudence, il sc montra simplement « august Inieii > : ses thèses et l’argumentai ion qui doit les établir sont reproduites de la doctrine du maître. Celle-ci avait été comme consacrée par le concile d'Orange de 529; il semblait donc aux meilleurs théo­ logiens qu’il suffisait de s’y tenir. Par suite, en présence des thèses de Gottcscalc qui semblait pousser hors des limites de l’orthodoxie la doctrine de la double prédes­ tination, les théologiens augustiniens furent moins inquiets des outrances reprochées à Gottcscalc que de la manière dont on les combattait. Pour eux. puisque d’aucune manière on ne pourra sortir du mystère, il importe de tenir ferme les vérités certaines que l'on possède : sur la maîtrise absolue de Dieu ù l’égard de l’homme ct du monde, sur sa toute puissance, sur sa liberté, sur l’initiative divine en matière de salut. Sans doute, en face de l’être divin, il faut aussi consi­ dérer l’homme et sa propre liberté, mais qu’est-ce que l’homme par rapport à Dieu? l’n essai de conciliation ne doit pas porter atteinte aux droits de Dieu ». Si le dogme est mystère, c’est-à-dire ombre et lumière, l’es­ sentiel est que l’être divin soit dans la zone éclairée : attitude peu humaniste mais essentiellement théo­ centrique. L'attitude psychologique d’un augustinicn à l’égard du mystère divin étant ainsi indiquée, on peut synthé­ tiser comme il suit la pensée de Prudence sur la grâce cl la prédestination. Par le péché originel, toute la masse humaine en nos premiers parents a été perdue, justement condam née. Dieu pouvait légitimement abandonner toute cette humanité pécheresse à sa perle éternelle. Dans sa miséricorde, il n'a pas voulu qu’elle fût perdue tout entière. Il a donc prevu, prédestiné, prépare ceux que, par sa grâce et par le sang de son Fils, il tirerait de cette masse et amènerait à la vie éternelle. Paral­ lèlement. il a prévu, prédestiné, prépare pour ceux qu’il ne tirerait pas de celte masse, les peines éter­ nelles méritées par leurs péchés. Et, cc faisant, il ne les condamne pas À pécher, mais, ù cause des péchés qu’ils commettent librement, il les condamne au juste châli ment. P. L·., t. cxv, col. 976 A. On reconnaît ici In 1083 PRUDENCE DE TROYES double prédestination : Tune à la gloire, l’autre, non pas au péché, niais ù la peine méritée par le péché soit originel, soit actuel. Lc principe posé, deux questions subsidiaires doivent être examinées : ci) Le sang du Christ a-t-il été versé pour tous. ou seulement pour quelques-uns? — II n’a été versé, disent Prudence ct ses amis, que pour quelques-uns : les pré­ destinés à la gloire. Lc texte de l'institution de l'eu­ charistie donné par les trois synoptiques est formel : pro mullis dans Matthieu ct Marc; pro vobis dans Luc. P. L., t. cxv, col. 976 C. Cependant, saint Paul, I Tim., π, I, dit qui mill omnes homines salvos fleri. II n'y a pas contradiction entre ce qu’enseigne le Maître et cc qu'affirme l’apôtre : le mot impartant est vutl. Dieu veut ct il n'arrive que cc que Dieu veut, sinon où serait sa toute puissance? Mais Dieu peut vouloir de diverses manières : il peut · vouloir » d’une volonté globale, générale et d’une volonté particulière, indivi­ dualisée. Ainsi, puisque certains hommes ne sont pas sauvés, c'est parce qu’il n’a pas voulu les sauver et donc que sa volonté salviilquc n’cst pas générale ct globale, mais particulière, individuelle. Ibid., col. 977 A-979 H. b) Que devient la liberté humaine? — La première proposition formulée dans VEpistola tractoria ad Wenilonem semble dire que, comme châtiment de la désobéissance, l’homme n perdu le libre arbitre : liberum arbitrium in Adam merito inobedientiœ amissum. Col. 1366 B. On se rappelle que les quatre propositions formulées dans celte lettre s'opposent aux quatre propositions de Hinemar au c meile de Quierzy en 853. Or, ici. on peut penser (pie Prudence fait une concession excessive ù Hinemar. qui avait écrit (2· prop.) ; Libertatem arbitrii in primo homine perdidimus, quam per Christum Dominum nostrum recepimus. L’iJlirmation un peu inquiétante de Hine­ mar avait été relevée par Kémi de Lyon, qui s’ex­ prime ainsi : cc qui est perdu, c’est seulement la volonté pour le bien, mais non la volonté pour le mal I ct les plaisirs naturels. La formule de Prudence en cct endroit est donc fautive parce qu'elle est trop som­ maire. Un autre texte nous donne plus explicitement sa I pensée sur cc point ; Λ Jean Scot, qui constatait (pie I supprimer la volonté libre, c'était supprimer la nature, ‘ il répond, avec saint Augustin : Perdidit liberum I arbilr uni, id est, libertatem voluntatis ad bo. i electionem non autem perdidit libertatem voluntatis ad mati elec­ tionem ac perpetrationem. Contra Seclum, coi. 1056 A. Enfin, la conclusion du mémoire adressé ù Hinemar et â Pardulus, nous présente une formule heureuse (col. 1010 B), empruntée à Gennadc, P. L., t. lviii, col. 986 A : · L'initiative de notre salut vient de la | miséricorde de Dieu, mais l'adhésion à cette inspira­ tion salutaire vient de nous. Pour que nous obtenions ce que l’avcitisscmcnt divin nous a fait désirer, il faut un autre don de Dieu. Quand ce don du salut nous a été accordé, nous avons, pour ne pas le perdre, notre effort personnel ct l'assistance divine, sollicitu­ dinis nostra est ct cœlcstis pariter adjutorii. Mais, si nou » le perdons, c’est à nous seul et à notre lâcheté qu’il faut en attribuer la responsabilité. » En définitive. Prudence nous apparaît comme un des représentants les plus décidés de l’augustinisme rigide, au ιχ· siècle. Encore insuffisamment nuancé, ignorant les distinctions (pie la théologie ultérieure Unira par introduire, son enseignement sc contente de reproduire avec exactitude l’un des aspects de la doctrine august inicnnc, dans les formules de laquelle il sc coule tout naturellement. La science théologique de l’évêque de Troyes n’a pas laissé néanmoins de faire grande impression sur scs contemporains. PRUTENUS (LOUIS; 1084 1. Textes. — L’ensemble des textes relatifs A lu prédes­ tination n été donné pour la première fois par le président Mmimiin; le tout n été nubile de nouveau <1 complété telle­ ment qucllcmcnt dans P. ?... t. cxv ; A quoi il faut ajouter les quelques fragments, simulés nu cours de l’article, purus dans les Monumenta (îrrmanfa historica. IL Travaux.— Sc reporter aux art. Augustinisme, ÉniGtNE, COTTESCALC. IflNCMAH, J.OL P cl Mirtoilt Pl06. p. 157; J.-IL Sbnralca, Supplementum ad scriptores ordinis minorum, t. n, Home. 1921, p. 159. Λ. Tketaeht. PRUTENUS Louis, dit aussi Louis de Prusse, frère mineur de l'observance, du xv· siècle. Il est encore désigné sous le nom de Louis d Hilsbcrg, d’où certains concluent qu’il est probablement originaire de Heilsbcrg-sur-1'AIIc, en Prusse Orientale. Peu de dé­ tails de sa vie sont connus avec précision ct peuvent être déterminés avec exactitude au point de vue chronologique. Nous savons qu’il s’appelait Jean Wohlgemuth. Les principales sources biographiques de cc franciscain sont les deux lettres qui précèdent l'édition de son ouvrage Trilogium animie, dont l’une fut cerite, en I 196, par Paulin de Lemberg, alors vicaire de la province des observants de Bohême, ù Nicolas Glassbcrger» confesseur ù Nuremberg, dans laquelle il lui demande de vouloir faire imprimer ledit ouvrage dans cette ville La seconde lettre, datée du 20 février I 198, contient la réponse de Glassbcrger. De ccs documents, il r< suite que Louis de Prusse étudia à l’université de Cologne, où il fut promu vers I 157 (ante >9 annos, dit la première lettre). En 1156, il > assist, it â une dispute, dans la quelle on souleva la question si Aristote et d'autres païens qui ont vécu avant le Christ peuvent être comptés parmi les élus. II enseigna ensuite et dirigea les Studia de Posen, de Thorn < t d’ailltur-. La date de son * niric chez lesobscrm p< ut as» < ! itude. 1 )*aprèi 1085 PHUTENUS LOUIS) — PSAUME (NICOLAS) 1086 f.-H. Sbaralea, Supplementum, p. 193, il faudrait la Jacques du Paradis, mais surtout saint Bonaventure el placer en 1466; d’après Grcldcrer, Germania /rancis- Alexandre de H dès. Duns Scot n’cst cité que rarement eana9 I. i, n. 277, en 1461. H tint une allocution nu ct encore dans des questions controversées entre fran­ ciscains et dominicains. Dans les théories débattues chapitre général de Florence en I 193. Il fut aussi le maître du célèbre Alex de Breslau, O.F.M., mort en entre écoles, Louis se rattache généralement à saint odeur de sainteté. L’année de sa mort ne peut être Bonaventure cl à Alexandre de Halés, comme par fixée avec précision. Il paraît toutefois qu'il faut la exemple pour la composition de l’âme de matière et placer entre 1196 et 1 198. En effet, dans la première dr forms, la définition ct le but de la théologie, l’iden­ lettre, citée ci-dessus, il est encore considéré comme tité de la grâce cl de la vertu, etc. vivant, tandis (pic dans la seconde il semble relégué Cc traité fournil aussi des-données caractéristiques sur quelques scolastiques. Ainsi il cite la Summa de parmi les morts. Si nous ne pouvons refaire avec précision ct exac­ creaturis d'Albert le Grand sous le titre de Liber de titude la biographie de Louis de Prusse, nous pos­ quatuor taxais (IIP part., c. xm). 11 ne tarit pas sédons toutefois quelques détails plus précis sur son d’éloges pour la Summa theologica d’Alexandre de Haies. Pour en démontrer la haute valeur. Louis de activité littéraire. Il est en elîet l’auteur d’un traité Intitulé Trilogium anima·, qui présente un intérêt Prusse cite les témoignages caractéristiques de Gerson particulier pour l’histoire littéraire. Il le composa au ct de Thomas d’Aquin, Cc dernier toutefois ne parait Studium du couvent Saint-Bernardin de Brunn et le pas être authentique. 11 lient en outre que saint termina en 1193. Il l’emporta la même année au cha­ Thomas dépend en grande partie d’Alexandre, surtout, pitre général de Florence pour le soumettre à l’appro­ dit-il, dans la II ••11«. Les quatre parties de la bation des capitulaires. Le censeur Louis de Turre le Somme sont attribuées indistinctement â Alexandre. retint trois années ct dans son rapport ne tarit pas La Summa de anima de Jean de Kupclla n’est pas d’éloges à son sujet. Le vicaire de la province de citée. Il y est affirmé que la Métaphysique d’Aristote Bohème transmit cct ouvrage en 1196 à Nicolas ne comporte que douze livres, alors qu'en réalité Glassbcrger, à Nuremberg, avec la prière de le faire elle en comprend quatorze, d’où II faut conclure que imprimer en celle ville. Le 20 ou le 22 février 1 198, probablement, au milieu du xv siècle, douze livres cc dernier répondit qu’il avait donné le traité à l’im­ seulement de celte Métaphysique étaient traduits en primerie Kobcrger, qui l’édita encore la même année latin ct connus. Louis de Prusse est un fervent dis­ ciple de saint Bonaventure cl fait des efforts répétés (in-1®, 351 p.) avec le litre significatif : Trilogium anima: non solum religiosis verum etiam siccularibus pour le faire accepter comme maître préféré dans les prwdicatoribus.conlessoribus, contemplantibus cl studen­ Studia db l’ordre parce que sa théologie n’cst pas tibus lumen intellectus ct ardorem c fidus adminis­ purement intellectuelle comme celle de saint Thomas ct de Duns Scot, mais aussi et avant tout mystique. trans. De ces paroles il résulte que l’auteur a voulu En parcourant cct intéressant traité, on rencontre écrire un manuel pratique, dans lequel il rassemble une foule d’autres détails non moins importants sur toutes les connaissances nécessaires ou utiles aux prêtres, aux prédicateurs el aux confesseurs, non les scolastiques ct leurs doctrines. Il est à remarquer enfin que le c. vi de la troisième seulement pour illuminer leur intelligence, mais aussi partie n’est pas de Louis de Prusse, mais de Nicolas pour en Hammer leurs cœurs. Glassbcrger lui-même. On y examine l’opinion émise Ce traité est divisé en trois parties, comme le fait par l’augustin Jacques-Philippe de Bergame. d’après «upposcr le litre. La première partie traite de la noblesse de l’âme et de ses puissances tant sensibles laquelle saint François d’Assise aurait etc le disciple de Jean Bonus de Mantouc, aurait reçu de lui l’habit que spirituelles, de son origine, de son union avec le corps (52 chap.); la seconde est consacrée aux pas­ cl fait profession entre ses mains de la règle de saint sions en général et. en particulier, à l’amour qui unit Augustin. L’auteur prouve que cette opinion doit être rejetée comme contraire aux données de l’histoire. l’âme à Dieu < t qui est cm isagé sous toutes ses formes D’après J.-IL Sbaralca. Supplementum, p. 193, el (32 chap ); la troisième esl dédiée aux habitus, grâce, 11. I lurtcr, Xomendator, t. n, col. 11)08. Louis de Prusse vertus théologales, cardinales, morales (principalement la sagesse el la prudence), dons du Saint-Esprit, béati­ aurait encore composé deux petits traités intitulés De immaculata conceptione li.M.V. cl De usu liberi arbi­ tudes, etc. (33 chap.). Dans l’exposé de ccs différentes matières, tout en ne négligeant point les données de trii 1LM.V. in utero matris. 11 paraît toutefois plus probable que ccs deux opuscules ont été extraits du la philosophie et de la théologie spéculative, Louis de Prusse ne laisse pas de montrer sa prédilection pour grand ouvrage Trilogium anima:, dans lequel sont traitées ccj mêm?s quedions. la théologie mystique, la ■ théosophle ». comme il l’appelle. Il a recours ù celte dernière dans presque L. Wadding. Annater minorum, t. xv. Quunicchi, 1033, tous les chapitres cl s’efforce de fonder sur elle les différentes théories exposées au cours du traité; ne an. 1191. n. i.xin. p. 103; le même. Scriptores ordinis mino­ rum. Home. 1900, p. KH; J.-H. Sbaralca, Supplementum, s’agit-il pas d’vu Hammer les cœurs de l’amour divin ad scriptores ordinis minorum, t. n. Home. 1921. p. 193; et de les exciter à l’union intime avec Dieu*? Les V. (irriderer. G’rrmuniu Iraneiicana. l. i. Inspnick. 1777. théories mystiques de l’auteur ne sont cependant point I. IV. n. 277 ct 313. p. 734 cl 773-774;Pierre Rodolphe de sentimentales, elles reposent sur les fondements solides Toixi^nano. Historia seruphtar religionis, 1. 111. Venise, 158··. p. 328 c; N. <»1 issbcrgcr. Chronica, dins Analecta de la philosophie chrétienne el de la théologie scolas­ franciscana, t. il. Quunicchi. 1887. p. νι·ιχ; L. Hnln.Krpertique. t’ne des notes les plus caractéristiques de ce torium bibliographicum, t. n a, Berlin. 1923. n. 10 315; W.-A. traité est d’ailleurs que son auteur cite abondamment Copln ter, Supplement to Hain's Hcpcrhtrlum, Ie* part.,Berles philosophes cl les théologiens qu’il a utilisés, ce qui lin. 192». p. 306; P. M Inges. Dus · Trilogium aninvc · des est rare chez, les écrivains de cette époque. Parmi les Ludwig von Preusscn, O.b'.M., dins l'ranzi’ik. Studien, 1.1, philosophes, Louis de Prusse dénote une prédilection 1911, p. 2)1-311; 11. Barter. Xomendator, 3· éd., t. H. marquée pour Aristote, auquel il emprunte d’ailleurs col. 1008. la division tripartite de son ouvrage. Parmi les théolo­ A. Τεεταεπγ. giens. Il allègue le plus souvent Hugues el Kichard de PSAUME Nicolas (aussi Pseaumc ct Psraulme), Saint-\ iclor. le traite De spinta ct anima, saint Ber­ abbé de Saint-Jean de Vcrdui, do l’ordre de Prémon­ nard, Pierre Lombard, saint Thomas d’Aquin, saint tré, évêque de Verdun (f 10 août 1575. I. Biographie. Albert le Grand, Nicolas de Lyre, Pierre d’Aquila. II. Ouvrages. Gerson, saint Bernardin de Sienne, Henri de Heisc, 1. Binon\piiir. — Nicolas Psaume est une des 1087 PSAUME (NICOLAS) figures marquantes de ia ConIre-Réforme en France. Il naquit en 1518 â Chaumont-sur-Airc, dans le duché de Bar. au diocèse de Verdun, de parents de condition modeste. Son éducation scientifique fut confiée à son oncle, François Psaume, abbé du monastère de SaintPaul de Verdun, de Perdre de Prémontré, qui renvoya plus lard aux universités de Paris, d’Orléans et de Poi­ tiers. V son retour â Verdun, son onde résigna en sa faveur, en 15*10, l’abbaye de Saint-Paul. Nicolas psaume en devint abbà commendat aire. Il lui répu­ gnait cependant de rester un étranger pour la commu­ nauté qui lui était subordonnée cl, dès le 25 janvier loin, il fit profession dans l’ordre entre les mains de Nicolas Goberti. évêque de Panéade, abbé commendataire de Saint-Vanne cl évêque suffragant de Verdun. Pendant le carême suivant. Nicolas Psaume fut promu aux saints ordres, el après Pâques, Il reçut la bénédic­ tion abbatiale. Il alla ensuite compléter ses études à Paris, où il obtint le titre de docteur en droit canon le 16 décembre 1511. Dès son retour ù Verdun, l’abbé Psaume entra d’em­ blée dans la haute direction de l’ordre de Prémonlré. A cc moment l’abbaye chef avait ù sa tête, comme abbé commendalaire. François de Pise, cardinal diacre de Saint-Marc, qui avait obtenu cette abbaye en cour de Rome, nonobstant le concordat de 1516 qui spéci­ fiait qu'aucune abbaye chef d’ordre,en France, ne serait donnée en commendo. Au chapitre général de l’ordre, réuni à l’abbaye de Saint-Martin de Laon en 1512. Psaume fut délégué pour présenter au roi les doléances de Fa&semblée ct obtenir son intervention à Rome pour libérer Prémontré. François Irraccueillit favorablement la requête et acquiesça au désir des ministres de voir nommer Psaume abbé général de Prémonlré. Un con­ trat avec le cardinal de Pise aurait laisse a Psaume, de concert avec Josse Coquerel, abbé de Snint-Just-enBeauvaisls, la haute direction de Prémonlré el de l’ordre et conféré une pension annuelle au cardinal. Mais celui-ci profita des troubles qui agitaient la France pour rétracter ses engagements. Le roi députa alors Psaume à Rome, en qualité de procureur de l’ordre, afin de faire confirmer par le Saint-Siège la nomination arrêtée par le roi. Cc n’est qu’en 1513 que l’abbé put partit pour Rome, où il devait en même temps s’occuper de la canonisation de saint Norbert. Il ne put cependant mener à bonne lin sa double mission. C’est à Rome qu’il se lia avec les jésuites Salmeron ct Postel. L’ordre délégua Psaume pour le représenter au con­ cile de Trente ct lui adjoignit l’abbé Josse Coqucrcl pour cette mission. Mais l’abbé Psaume fut empêché par le cardinal Jean de Lorraine, qui lui transmit l’évê­ ché de Verdun, avec l’agrément de Paul 111. le 13 juin 1518. Il prit possession de son siège le 13 juillet et fut sacré le 26 août. 11 céda l’abbave de Saint-Paul au car­ dinal Châties de Guise, en échange des revenus de l’é­ vêché, tout en se réservant la juridiction spirituelle sur le monastère. Comme les trois villes épiscopales de Metz, Tout cl Verdun relevaient encore de l’empire, Psaume encourut l’indignation de Charles-Quint pour avoir accepté l’évêché de Verdun sans l’agrément du suzerain. Pour renouer les liens. Psaume se rendit à Bruxelles et y reçut l'investiture laïque du comte de Verdun, le 5 octobre 1518. En 1519, fut tenu le synode provincial de Trêves, convoqué par l’archevêque Jean d’iscinbourg. Psaume s’y employa à la rédaction des statut v De retour à Verdun, Il s’en proem a une édition (1549), qu’il lit distribuer ù tout son clergé. Entre temps, il rebâtit le palais épiscopal ct récupéra nombre de biens aliénés de la mensc. lorsque le concile de Trente fut convoqué derechef, en 1551, Psaume fut délégué par l’empereur (lettre ou 23 mars 1551) ct par l'archevêque de Trêves (lettre du 1088 I I avril 1551) pour \ assister. Il devait excuser ce dernier auprès des légats pontificaux. Psaume arriva m Trente le 3 mai. deux Jours après l’ouverture de la F‘ (XI*) session. Le rôle de l'évêque de Verdun, pendant cet te.seconde période, ne le mit point au premier rang Ce n’est qu’â la congrégation générale du 23 novembre 1551 qu’il se fit remarquer par un discours persuasif contre les commendes. Si cet abus ne cessait, dit-il, toutes les réformes projetées resteraient superflues cl Irréalisables. Quand le I f janvier 1552 une commission fut formée pour la rédaction des canons sur la messe cl l’ordre. Psaume se trouva au nombre des dix-sepl députés el eut une part active dans le travail A la suspension du concile, l’évêque revint dans son diocèse. Ce fut pour être mêlé très intimement aux négociations qui amenèrent l’entrée dans Verdun du roi de France, IIcnri II (12 juin 1552). La déception ne tarda pas. Pour assure! la défense de la place contre les troupes que l’empereur avait ralliées, le gouverneur fit détruire toutes les habitations des faubourgs et les églises voisines des murs d’enceinte. Dans ce désastre disparut l’église abbatiale de Saint-Paul, une merveille d’architecture. Celle destruction se lit si rapidement que Psaume eut à peine le temps de faire prendre copie des inscriptions ù l’intérieur de l’abbatiale. Le même .sort échut ù l'abbaye même, ainsi qu a l’église cl à une partie du monastère des dominicains. Ce qui resta des bâtiments de ces (lenders servit d’asile aux prémontréj expulsés de Saint-Paul, tandis que les dominicains furent forcés de se retirer dans l'hôpital de la ville. La ruine spirituelle du diocèse, occasionnée par ces troubles, retint l’attention de Nicolas Psaume II réunit en 1553 un synode pour s’opposer ù la propa­ gande hérétique: il parcourut cl visita tout le diocèse ct édita un Expose de la messe, il lutta contre les me­ neurs calvinistes Jean Poinelgnon cl le gouverneur Bcucard.cn s’appuyant tantôt sur la loi française,tan­ tôt sur les édits impériaux, tantôt sur la force des armes. Pour s’assurer l’intégrale adhésion à la foi catholique chez ses subordonnés, il lit imprimer une profession de foi qu’il présenta ù la signature du clergé, de la noblesse, des magistrats el des citoyens. Lors de la nouvelle convocation du concile de Trente en 1562, Psaume répondit à l’appel aussi vite que le lui permirent les événements. Il quitta Verdun, le 2 oc­ tobre,;! l’appel du cardinal de Lorraine et rejoignit les prélats français â Dijon. Ensemble, ils firent route a travers la France ct le nord de l’Italie et arrivèrent le 13 novembre à Trente, où les Pères du concile les accueillirent avec enthousiasme. La présence du grand cardinal français était un gage d’union cl une assurance pour l’achèvement de l’œuvre de réforme. Aussitôt installé ù Trente, Psaume eut une part Importante aux travaux et discussions conciliaires. Il annota cl résuma avec le plus grand soin toute la suite des déli­ bérations dans un journal ou diarium, que nous pos­ sédons encore, cl qui permet de souligner le rôle que joua l’évêque de Verdun dans celle assemblée. Le concile s’occupait en ce moment de formuler les canons qui avaient rapport au sacrement de l’ordre en même temps qu’il discutait la question de la résidence des évêques. Dès le 2 décembre. Psaume prit la parole, après le cardinal de Lorraine, pour appuyer les recom­ mandations que celui-ci avait faites aux Pères de pro­ céder avec calme el modération à l’examen de ccs graves et difficiles questions Dans la séance du -I dé­ cembre, le cardinal avail parlé avec autant de profon­ deur que d'éloquence de l’institution divine de l'épis­ copat et de la primauté du pape Le lendemain, l’évê­ que de Verdun défendit également avec une grande hauteur de vues les droits divins du Saint-Siège. Il ht valoir les mêmes arguments que Jaccpies Layncz, S. J. théologien du pape, avait exposes dans la séance du 1089 PSAUME (NICOLAS, 20 octobre et qu’il résuma dans celle du 9 décembre. A la séance du 21 Janvier 1563, parmi les députés chargés de l'élaboration des décrets sur la résidence. Psaume se trouve le premier dans la série «tes évêques. Les réunions dans ce but eurent lieu chez le cardinal de Lorraine, ct Psaume commença par y déclarer qu’il n’y assisterait plus si l’on n’allait pas de l'avant Dans cette commission, il fut chargé de faire une rédaction Oflldcllc du résultat des délibérations. Le 3 février. Il s’indigne de la proposition de l’évêque de Mantoue de différer les séances Jusqu'après Pâques. Le 23 février, les appariteurs du concile annoncèrent à l’évéque de Verdun qu’il venait d’être désigné pour faire partie de la commission qui devait rédiger les canons de abusibus circa ordinrm. En conséquence il devait être présent aux réunions qui sc tiendraient à l’hôtel de l’ambassa­ deur du roi de Pologne, avec les autres membres de la commission, lesquels étaient, outre cet ambassadeur, le patriarche de Venise. les archevêques d'Antibes, de tirasse el de Sens, les évêques d’Orense, d ; Parme ct quelques autres. On leur donnerait communication des articles proposés dans ce but. A cette réunion. Psaume fut sous-délégué par les autres députés pour faire la rédaction demandée: la hâte première fut d’ailleurs calmée par la mort de Seripando : il fallut attendre l’arrivée d’un nouveau légat. Les affaires ayant traîné jusqu’au 21 avril. l’évêque d’Ermlnnd l’homme que Pierre Caslnius nomme h· meilleur évêque de son temps — proposa de ne recommencer les séances que le 3 juin suivant; mais le cardinal de Lorraine exigea comme date extrême, le 20 mai. Psaume, énervé par tous ces retards, prit la parole pour dire que ccs ter­ giversations étaient un scandale pour les catholiques ct une risée pour les adversaires, et il insista pour que les conclusions des députés fussent examinées sans retard, en vue d’aboutir ù une rédaction définitive. Cc programme fut en lin réalisé le 12 mai. ct quand, à la séance du 22 mai. la rédaction fut soumise Λ l’approba­ tion. Psaume prit la parole pour la défendre. A la séance générale du 9 Juillet, fut soumis tout le pro­ gramme de doctrina ct canonibus ordinis ct de decreto resident tie. Dans la discussion, sur l’institution divine de l’épiscopat et sur le « droit divin » de la résidence. Psaume ajoute au texte qu’il a annoté, quod utrumque verissime (amen credo et i) prend hi parole pour faire adopter dans le texte, à la place d'ordinatione divina, institutione divina. Pour la question de la loi de rési­ dence. il trouve qu’on est trop indulgent ct insinue quelques petits changements dans le texte proposé. A la session générale du 16 juillet. Icvéque de Verdun défendit de nouveau tout son programme et insista sur la nécessité d’ériger des pédagogies scolastiques » ou séminaires et sur la conservation des différents ordres mineurs dans l’ordination. Le 8 septembre II traite de la préface ù placer avant les canons, au sujet du sacre­ ment de mariage, el le 17 septembre il propose quel­ ques modificat ions aux canons pour la réforme dans la meme matière. Enfin, h· 2 décembre, à propos du c. xtx de la xxiv session, il prend la parole pour s’élever contre le fléau de la commcnde et il trouve que le texte proposé à cc sujet était peu digne : « Il faut le biffer ct adopter le texte formulé dans le dernier concile du Latran. » Cf. le discours contre la commcnde par Psaume publié par Le Pial, Monumenta concilii Tridcntini, t. v, p. 585·■· ■. placé nu 5 déc· 1562. Au début de son séjour â Trente, Nicolas Psaume s'était hôte de se rendre, le 11 décembre 1562, ù Inspruck, où séjournait Ferdinand Ier qui avait été élu empereur. Le prince-évêque de Verdun «levait recevoir de ses mains l’investiture du comté de Verdun. A ccttc cérémonie, le 19 février, le vassal adressa un discours latin à l'empereur cl s’excusa de n’avoir pu se présenDîCT. DE T1IÉOL. CAT HO 1.. 1090 1er plus tôt devant son suzerain, surtout a cause de la rébellion des hérétiques. Malgré les occupations du concile, l’évêque entretenait aver scs représentants à Verdun, < t avec *ses bons amys·, comme II appelle ses ouailles, une correspondance active. Elle est publiée par N*. Frison dans la Petite bibliothèque oerdunoise, au t. in. A la clôture de la dernière session du concile, le I décembre, Psaume donna sa signature pour les dé­ crets publiés. Il quitta Trente le 12 décembre. Le voyage de retour sc fit par le Tyrol, la Souabe et Trêves; Psaume était a Verdun le 2 Janvier 1561. Le peuple se pnrlacn foule a sa rencontre, mais le chapitre, froissé de ce que l’évéque avait al taqué l’exemption des corps canoniaux durant les sessions, s’était abstenu. Le dimanche 3 janvier, l'évêque présida une procession solennelle, a l'occasion de laquelle il flt,â l’église des franciscains, une longue allocution, dans laquelle il rendit compte des travaux du concile en faveur d'une reforme stable et demanda des prières pour le succès de l’application des décrets Le 10 février. Il réunit son chapitre pour lui communiquer oniclcllement les décrets d«' réforme publiés au concile. Pour enlever tout prétexte d’ignorer ccs décisions, il réunit i Verdun, le 11 avril, un synode diocésain, dans lequel il insista spé­ cialement sur les décisions ordonnant Ih visite régulière des paroisses et des organisations corporatives reli­ gieuses. Sans attendre que l’autorité du Roi Très Chré­ tien s’occupât de la chose, il exigea dans son diocèse une application intégrale des décrets. Dans cc but. il réunit lui-même une rédaction des décrets du concile, qu’il Ht éditer en 1561, avec une dédicace au cardinal de Lor­ raine. Entre temps il insistait auprès de l’archevêque de Trêves pour qu’il réunit un concile provincial ct il se rendit au synode convoqué â Reims en 1561 par le cardinal de Lorraine. Les dernières années de l’évêque Psaume furent assez mouvementées. En 1567,1e monastère des bénédictins de Saint-Vanne fut détruit par un incendie. En 1568. In peste fit de grands ravages dans la ville de Verdun. Bien que souvent ses ordonnances réformatrices fussent reçues froidement, il ne se départit jamais de la ligne de conduite qu’il s’était tracée. Il parcourait son dio­ cèse, visitait les paroisses ct, Λ la demande du cardi­ nal de Lorraine, qui n’en était que l’administrateur Inique, Il veilla en même temps au bien spirituel du diocèse de Metz. Après la défaite des huguenots près de Moncontour. le 3 octobre 1569, il plaça les héré­ tiques de son comté devant le choix de quitter le pays ou de professer la religion catholique. En 1570,11 fonda ù Verdun un collège qu’il confia aux jésuites el il en bâtit un autre â Pont-â-Mousson en 1571. Cette même année il écrivit le Portrait de Γ figtisc, qu’il envoya au cardinal de Lorraine. 11 n’oubliait pas les Intérêts temporels de ses sujets : en 1571, i) donna â sa cité de λ erdun une nouvelle constitution qui réorganisait la Justice el l’administration, régularisait l’usage des antiques libertés, auxquelles Henri II avait porté atteinte en 1552. Il promulgua en outre d’utiles ordon­ nances pour la manutention des vivres, pour la prospé­ rité de l’industrie cl du commerce, pour la protection de la moralité publique. Le cardinal de Lorraine mourut ù Avignon le 21 dé­ cembre 1571 ; il avait institué Psaume exécuteur testa­ mentaire. De concert avec le cardinal Louis de Guise, Psaume se rendit Λ Helms, où il reçut la dépouille mor­ tel le de son ami et présida aux cérémonies de l’enter­ rement. le 30 Janvier 1575. De retour ù Verdun, il fit demander des prières publiques pour obtenir la pro­ tection du ciel contre les menaces d’invasion qui ve­ naient de l’Allemagne. Il sc rendit aussi ύ Pont-ΛMousson, où. en vertu d’une bulle de Grégoire XIII du 5 décembre 1572, une université confié? aux jésuites avait été inaugurée au mois d’octobre 1571 sous sa préT. — XIII — 35. 1091 PSAUME (NICOLAS) sidcnce, et où il publia, le 3 mars 1575, la bulle de fon­ dation, cn présence de deux illustres princes, premiers eleves de l’institut : Charles, Ills du duc de Lorraine, et Charles, fils du comte de Vaudémont, qui devinrent dans la suite, tous les deux cardinaux. Depuis quelque temps Psaume était atteint de linéiques infirmités. Le 27 juin, il tomba gravement malade. Scs dernières forces sc concentrèrent cn ce moment autour d’un point de son programme qu’il n’avait pu mettre en exécution : la fondation d’un sémi­ naire pour la formation de son clergé. Mais la maladie empira, et il mourut le 10 août 1575. Son corps fut inhumé à l’église cathédrale, dans le mausolée que de >on vivant il s’était fait construire dans la chapelle du Saint· Sacrement. Nicolas Psaume fut un évêque de grande érudition et d’une vie irréprochable. Son zèle et sa piété le placent aux premiers rangs parmi les apôtres de la res­ tauration catholique au xvi· siècle. Les fluctuations de sa politique, qui hésitait entre l’empire et la France, s’expliquent par les temps troublés où il a vécu. H. Ouvkaoes. — Nicolas Psaume est surtout connu par le Journal qu’il a rédigé du concile de Trente; nous mentionnerons â la suite d’autres ouvrages publiés ou encore inédits : 1° Le « Diarium ». — 1. Les manuscrits. — Au xvn· Uêclc on conservait â Saint-Vanne de Verdun les mss. suivants :a) Actes et journaliers du concile de Trente, depuis le Ier mars 1551 jusqu’au 28 avril 1552, delà main de l’évêque, in-fol., papier (semble perdu). — b) Actes et journaliers du 13 novembre 1562 ù la con­ clusion du concile, décembre 1563, in-fol. — c) Les mêmes actes et journaliers, mieux écrits, et des éclair­ cissements des congrégations du concile de Trente. Actuellement on possède les mss. suivants : Paris, i lut. 3771 A, parch., ln-8°, xvi· siècle, autographe de Psaume. Paris, lat. 1559, grand format, p. 168-201. est un autographe. — Paris, lat. 1532, p irch., in-fol., xvn* .siècle. - Paris, lat. 1533, pet. in-fol. — Paris, lut. 1531, in fol., transcription du précédent. — Paris. (fonds nouv.) !/ 612, xvn· siècle, transcription du pré- ! cèdent. — Un manuscrit de la bibliothèque municipale b mot de (efiltôf pourrait servir à désigner le contenu des Psaumes, pourvu qu’on le prenne au sens large de prières, aussi bien la prière de supplication ou dc drVI. — Peut-on admettre mande, que celle dc louange. L'expression Séfér (ehilicntrntin eorum admitti pos- l’opinion de ceux qui pensent limt pour dénommer le livre des Psaumes, est attestée sit qui tenent, inter psalterii que, parmi les psaumes, il en psalmos nonnullos esso sive est quelques-uns, soit de par Origène, dans le canon qu’il a placé en tete de son Davidis sive nilorum nue- David soit d'autres auteurs, commentaire sur les Psaumes, sous la forme Σίφτρ torum, qui propter rationes qui. pour des raisons lilurΟιλλίμ, P. G., t. xn, col. 1081; cf. Eusèbe, Hist. eccl.. liturgicas cl musicales, osri- giques et musicales, par la \ I. xxiv. 2, P. G., t. XX, col. 581, et aussi par saint tantiam amanuensium allas- négligence des scribes, ou Jérôme, qui écrit à Sophronius, en tète de sa traduction ve incompertas causas in pour d’autres causes incondes Psaumes jtixla /trbrutcunt veritatem : .Vain et titu­ ptares fuerint divisi vcl in mies, ont été, soit divisés en lus ipse hebraicus sepuak thai.i.lm, quod interpretatur unum conjuncti; itemque plusieurs, soit réunis en un alios esse psalmos, uti Mise· seul; ou encore que d'autres VOLUMES’ ηγ.Μ.χοιιΐ Μ, P. L., t. XXVIII. col. 1124 rrrr mri, Dent, qui, ut me- psaumes, par exemple le Notre mot de psaumes vient des Septante qui em­ lius aptarentur circumstantiis Miserere mri. Deus, pour ploient le terme de ψαλμοί comme titre de notre livre historicis vel solemnitatibus être mieux adaptés aux cirde PAncicn Testament. Le vocable ψαλμ^ς correspond populi Judaici, leviter fue- constances historiques ou à l’hébreu mi:ntàrt qui désigne un chant avec accom­ rinl retractati vcl modificati, aux solennités du peuple pagnement d’instruments à cordes; l’hébreu mizmôrsc subtractione aut additione juif, ont été légèrement re­ présente dans les titres de cinquante-sept psaumes. linitis alteriusve versiculi, touchés ou modifiés, par la salva (amen totius textus soustraction ou l'addition dc Dans le grec des Septante, l’expression Βίβλος ψαλμων sacri inspiratione? l'un ou l’autre verset, sans est l’équivalent de l'expression hébraïque Stfér lehilltm Hexp. - Affirmative nd atteinte toutefois dc l'inspl- et c’est sous cette forme Βίβλος ψζλμών que notre utrarnqiir partem. ration du texte sacré tout livre est cité deux fois dans le Nouveau Testament, entier? Luc., w. 12. et Act., i. 21). Rép. —■ Oui sur les deux Quant au terme dc psautier, on le trouve dans le points. Dubium 17/. — Utrum Vil. — Peut-on soutenir Codex Alexandrinus : ψαλτήριον; cc nom était à l’ori­ sententia connu inter reeen- comme probable l'opinion dc gine celui d’un instrument â cordes. tiorcs scriptorum qui, indi- ccs écrivain* modernes qui. 3° Xombre et division des psaumes. —■ Tant dans le cils dumtaxat intends innixi s'appuyant uniquement sur texte massorétique que dans les Septante, les psaumes vcl minus recta sacri textus des indices internes ou sur sont au nombre de cent cinquante. interpretatione, demonstrare une Interprétation inexacte Toutefois la numérotation n’est pas tout ù fait In conati sunt, non paucos esse du texte sacré, sc sont cfTormême dans le texte hébraïque que dans les Septante psahnos post tempora El- cés dc démontrer que nomdræ et Nrhcmiæ, quln imo bre dc psaumes ont été comet les versions qui en dérivent. Dc part et d’autre, les ec vo Mnchabæonim. compo- posés après l'époque d'Eshuit premiers et les trois derniers ont des chiffres qui sc sitos, probabiliter sustineri dras et dc Néhcmie, et correspondent; mais les Septante réunissent avec rai­ possit? même nu temps des Mnchnson les ps. îx et x dc l’hébreu, qui sont les deux Resp. — Negative. bées? parties d’un psaume alphabétique; ils joignent ensuite, Hép. — Non. mais celle fois à tort, les ps. exiv et cxv du texte Dubium \ III. — Utrum VIH. — Faut-il, sur les hébraïque, puis séparent en deux, sans quo celte divi­ ex multiplici lacronirn IJ- témoignages multiples des broruin Novi Testamenti tes- saints Livres du Nouveau sion soit justifiée, le ps. cxlvii de l’héhreu. L’on a timonio et unanimi Patrum Testament, du consentement ainsi le tableau de correspondance suivant : consensu, latentibus Ctinm unanime des Pères et de LXX Hébr. judnicic gentis scriptoribus, l'aveu même des écrivains do ι-vin i-vm plum agnoscendi sint psalmi race juive, reconnaître pluIX-X IX prophcticl et mcssianlci. qui sieurs psaumes prophétiques xr-cxm X-CXll luturi liberatoris adventum, et messianiques, prédisant cxiv-cxv CMU regnum, sacerdotium, pas- l'avènement, le règne, le CX VI CXIV-CXV sionem, mortem et resurrec- sacerdoce, la passion, la CXVH-CXLV! CXVI-CXÎ.V tioncin vaticinati sunt; ne mort et la résurrection du CXLVII CX1.VI-CXI.VII proinde rejicienda prorsus futur libérateur? Et. par CXLVIII-C.I. cxLvm-ci. eorum sententia sit, qui In- suite, faut-il rejeter nbsodolcm psalmorum propbe- himcnt l'opinion dc ceux qui, Nous suivrons la numérotation du texte massorc ticam ac mexshinleain per- dénaturant le caractère protique dans toutes les citations que nous ferons des vertentes. eidem de Christo phétlque et messianique des psaumes au cours dc notre article. oracula ad futuram t intum psaumes, restreignent ces sortem poptili clrctl prænun- oracles sur le Christ h «les Les divergences que nous constatons entre le texte liandam conrctanl? prédictions concernant unimassorélicpte el celui des Septante prouvent qu'une Rexp. — Affirmative ad quement l’avenir du peuple latitude relative a régné dans la composition de* utniuiqiic parte ni. élu? Rép. — Oui sur les deux psaumes. Mais il y a jilus. On peut remarquer, en elTct, que certains psaumes, points. qui sont sépares dans le texte hébreu et le texte grec 2· Titre du psautier. Dans la Bible massorélique. actuels, seraient h rapprocher. Par exemple, les ps. le livre îles Psaumes porte actuellement le nom de XLi! cl xt.iH formaient manifestement un seul poème, (chilllm; h titre usité par les Juifs est Séfér (ehillim puisque le rythme et le refrain de ces deux psaumes (contracté quelquefois en Tittirn). Le mot dc (ehilUm sont les mêmes. On a proposé aussi de réunir cxm et nc sc présente nulle part ailleurs; il est de même racine extv, < xvii et < xvni. ι.χχχιν et cxxxv, mais les f/iu/af. · louer ·) que telulldh. · louange ·, qui fait au I preuves qu’on en donne ne sont pas suffisantes. Pai contre, d'autres psaumes gagneraient ù êtn pluriel tehillêf (cc dernier terme se trouve employé dans IS., χχιι. I); si l’on voulait mettre une nuance divises et ils I et aient peut-être a l'origine : par exem entre IHidlIm il llitUi't. sans doute pourrait-on voir pie. î· ps. xix, dont les v. s 1 > sont une louange dc la dans le premier mot la forme de la composition, cl loi de Jahvé (\ulg. : hex Domini immaculala); le .-12 < tgcnl brusquement d< «Lins le second le sujet traité; quoi qu’il en soit, l’ex­ I ps. vu dont I’ pression Sé/ér frhdUm signifie Livre des louanges t lu nie (\ ulg : I xsurqr. Domine m via fini); h» ps. xxtt. 1097 PS \ UMES (LIVRE DES). dont les >. 28-32 sont peut-être adventices (Vulg. : Rtniinlscenlur fl convertentur); le ps. xxiv, dont les v. 7-10 sont à mettre ù part (Vulg. : Attollite portas), tandis que les v. 1-6 sont à ajouter nu ps. xv; Je ps. xxvii dont les V. 7-13 (Vulg. : Exaudi Domine oocem meam) s’adressent subitement à Jahvé; le ps. xxxi sc diviserait avantageusement, semble-t-il, en trois poè­ mes dont le deuxième serait formé par les y. 10-19 (Vulg. : Miserere mei Domine) et le troisième par les ï. 20-25 (Vulg. : Quam magna multitudo); le ps. xl dont les ÿ. 15-18 correspondent, à quelques variantes près, au ps. i.xx (Vulg. : Confundantur et revereantur); le ps. tvn dont les >'. 8-12 (Vulg. : Paratum cor meum) équivalent au ps. cvm, ÿ. 1-6; le ps. lx dont les ÿ. 8-14 (Vulg. : Deus locutus est in sancto suo) forment la seconde partie du ps. cvm, >'. 8-14 (ce ps cvm est donc un très bon exemple, car il est formé dc deux frag­ ments des ps. lvii et lx); le ps. i.xix est un emmêlage de deux psaumes; le ps. i.xxvii dont les v. 17-21 com­ mencent un nouveau thème (Vulg. : Viderunt te aquæ Deus); le ps. i.xxxi commence nu ÿ. 6 (Vulg. : Testimo­ nium in Joseph) un nouveau psaume: les ps. lxxxix el xc sont l'un el l’autre amalgamés; le ps. cxxvi. dont les y. 3-5 (Vulg. : Eccc hereditas Domini) passent à une autre idée; le ps. cxi.iv, dont les ÿ. 12-15 (Vulg. : Filii sicut novella· plantationes) appartiennent ά un autre thème. A la suite des cent cinquante psaumes, les Septante ont ajouté un psaume (cli) qui n’est pas canonique, ni probablement authentique. En voici la traduction d’après l’abbé Lesvtre, Le livre des Psaumes, Paris, 1883, p. 691 : 1. Ce psaume est écrit par David lui-même et hors nombre Quand il combattit seul contre Goliath. 2. J’étais .petit parmi mes frères. Et le plus jeune dans la maison «le mon père. 3. Je paissais les brebis de mon père: .Mes mains liront une flûte, .Mes doigts arrangèrent un psaltfrion I. Qui donc l'annonce à mon Seigneur? C’est le Seigneur, c’est lui-même qui entend. 5. l.ul-mfmc envoya son ange, Il me tira d’avec les brebis de mon père. Et m'oignit de l'huile de son onction. 6. Mrs frères étaient beaux el grands, Mais ce n’est pas en eux (pie se plut le Seigneur. 7. Je sortis A lu rencontre de l’étranger. Et il me maudit par ses idoles. S. Mais mol. ayant tiré mon glaive. Je le décapitai. Et j'enlevai la honte des ills d'Israël. On voit (pie ce morceau hors nombre » n’est qu'une libre composition sur I Reg., xvi, 1-14, el xvn. De cc psaume on rapprochera aussi les Psaumes dc Salomon et les Odes de Salomon, qui ne sont pas non plus dans le canon. Les premiers figurent dans les éditions des Sep­ tante n la suite du IV· livre des Machabécs. Les Odes ont été découvertes en syriaque en 1909. Actuellement l’hébreu partage le psautier en cinq livres qui ont chacun leur doxologie sauf le dernier: L. I. — Ps. î-xi.i : Béni soit Jahvé, le Dieu d’Israël, dans les siècles des siècles! Amen! Amen! L. IL Ps. xliî-lxxii : Béni soit Jahvé, le Dieu d’Israël, (pii seul fait des prodiges! Béni soit à jamais son nom glorieux! Que toute la terre soit remplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! Fin des prières de I )avld. Ills d'Isaï. L. 111. - Ps. Lxxm-Lxxxix : Béni soit à Jamais Jahvé! Amen! Amen! L. IV. Ps. xc-cvi : Béni soit Jahvé, Dieu d’Israël, d’éternité en éternité! El que tout le peuple dise : Amen! Alleluia? L. V. — Ps. cvii-cl. Celle division en cinq livres, avec leur doxologie sc retrouve dans les Septante et dans la Vulgate. Le FORMATION 1098 V· livre, qui n’a pas dc doxologie spéciale, sc termine par un psaume qui peut être considéré comme une véritable doxologie, à cause dc son caractère de can­ tique de louange. 1® Formation du psautier. - Il est difficile dc recons­ tituer avec précision les phases par lesquelles a passé le psautier actuel; la seule chose qui soit certaine c’est (pic le psautier s’est formé graduellement au cours des temps. 1. Une première constatation s’impose; elle résulte de la note qui se trouve insérée après la doxologie du 11« livre des psaumes : « Fin des prières de David, fils d'Isaï ·, ps. lxxiî. 20. Or, les 73 psaumes attribués û David par les cinq livres du texte massorétique se répartissent comme suit : L I : 37; L 11 : 18; L 111 : 1 ; 1. I\ : 2> L V : 15. Si la note du ps. lxxiî convient â la rigueur comme finale des deux premiers livres, (pii comptent 55 psau­ mes dits davidiques, sur 72, elle prouve que son rédac­ teur ignorait l'existence d’un certain nombre de psaumes davidiques qui sont ainsi restés en dehors de la collection qu’il avait constituée et (pii ont pris place dans d’autres recueils formés après le sien. 2. Maintenant, si l'on examine les 72 premiers psaumes, l’on s’aperçoit que l'on a des doublets, qui semblent indiquer que les deux premiers livres des psaumes (i-xli; xliî-lxxii) ont d’abord existé ù l’état séparé et que leur conservation est duc â un rassemble­ ment postérieur. C’est ainsi que le ps. xiv (qui appar­ tient au 1. I) est identique au ps. lui (qui appartient au L II) et que le ps. xl. 14-18 (qui fait partie du 1. 1) forme à peu de changements près le ps. lxx (qui est dans le 1. II). Or, tous ces psaumes sont attribués à David. H n’est pas vraisemblable que le même collec­ tionneur ail ainsi groupé par inadvertance des psau­ mes identiques dans un recueil primitif. L’on est donc porté a admettre que les deux premiers livres ont existé d’abord à l'état séparé. 3. Les psaumes du I. 1 (i-xli) sont tous attribués â David, sauf les deux premiers qui sont anonymes, ainsi que le ps. x, qui doit être rattaché au ps. ix dont il est la suite alphabétique, et le ps. xxxiii qui est anonyme dans le texte massoréliquc, mais attribué lui aussi â David dans les Septante. Par contre, parmi les psaumes du 1. II (xlii-lxxii), seuls les ps. u-i.xv, LXV1H-LXX, soit 18 en tout, sont attribués a David par le texte inassorétique. Les Septante considèrent le ps. lxxî comme étant de David et quelques critiques supposent que le ps. lxxh a porté primitivement la mention de David. Quelques mss. hébraïques donnent aussi les ps. lxvi et i.xvn comme étant de David. Quoi qu’il en soit, on peut sou­ tenir que la section qui va du ps. li au ps. lxxu est. en gros, de David Quant au début du L II, qui comprend les ps. XLii-L, voici quelles en sont les attributions : le ps. xliîi est anonyme, les ps. xlîi, xliv-xlix sont attribués aux fils de Core, le ps. l à Asapb. Si l’on néglige les psaumes anonymes, nous abou­ tissons donc au résultat suivant : L. L — Ps. i-xli : David. L IL — Ps. XLii-XLix : fils de Corc. Ps. L : Asaph. Ps. Li-Lxxn ; David. Ce résultat corrobore la constatation déjà faite que les deux premiers livres des psaumes n’ont pas formé une collection primitivement unique : dc plus, il montre que le L II n’est pas un recueil homogène et (pic la note : Fin des prières de David, fils d'Isaï ·, qui clôt le ps. lxxiî. ne s’applique qu’au groupe ter­ minal LI-LXXII. 4. D’autres psaumes sont attribués aux fils de Coré et ù Asaph; précisément presque tout le LUI (lxxhilxxxix) sc partage entre ccs deux familles: Λ Asaph 1099 les ps. PSAUMES (LIVRE aux (Ils de Core les ps. lxxxiv, lxxxv (le ps. Lxxxvi est attribué à David), lxxxvii, I.XXXVHI (le ps. lxxxix est attribué à Éthan ΓΕζrahltc). Il n’y a, on le voit, que deux exceptions. Dès lors on est en droit de reconstituer ainsi les deux recueils : Fils de Coré : ps. xlii, xliv-xlîx (1. II). lxxih-lxxxiii; ps. LXXXIV, LXXXV, LXXXVIH (L ΠΙ). Asaph LXXXVII, : ps. l (I. II). ps. LXXIH-LXXXIII (L 111). Or il est facile de se rendre compte que les trois col­ lections : la seconde de David (li-lxxh), celle des Ills de Coré, celle d’Asaph, primitivement indépendantes, se sont compénétrécs de la façon suivante : Fils de Coré : ps. xlii, xliv-xlîx. Asaph : ps. l. David : ps. li-lxxii (tin du 1. II). Asaph : ps. lxxih-lxxxiii. Fils de Coré : ps. lxxxiv, lxxxv, lxxxvii, DES). FORMATION hoo deux derniers livres. On sait que dans les psaumes Dieu est désigné tantôt sous le nom de Jahvé, tantôt sous celui iVEIÔhlm. Le tableau suivant donne le total de ces désignations pour tout le psautier : JAIIVL I. I. I. I. I. 1.............. H.............. HI.............. IV.............. V............. 272 30 H 103 236 I.LotilM 15 104 43 0 7 L’on peut déduire de ce tableau que le Ier livre est jahvistc, le I Ie, elohistc, le IIIe, mi-partie Jahvistc, mipartie élohistc, le IV·, totalement Jahvistc, le V·,pres­ que entièrement jahvistc (puisque, des sept Elôhlm qu’il contient, six appartiennent au ps. cvm,quiest un amalgame des ps. lvii, 8-12, el i.x, 7-11, du I. II. tous deux clohistes, et un au ps. cxi.iv, 9, où il ne semble pas primitif, ce psaume étant jahvistc). Beaucoup de critiques sont d’avis que tous les LXXXVIH. psaumes ont employé primitivement le nom de Jahvé Cette compénétration s’est donc faite avant la divi­ pour désigner Dieu ct que, par un scrupule théolo­ sion en cinq livres qui vient séparer une partie des gique, on aurait substitué, dans des remaniements psaumes des fils de Coré et une partie des psaumes ultérieurs du texte, le mot d'Elôhim à celui de Jahvé : d’Asaph. Peut-être même, textuellement parlant, par exemple, le ps. xiv, 2, I, 7 (I. I) emploie trois fois avons-nous eu d’abord un premier arrangement : le terme de Jahvé, là où le psaume Identique lui, 3,5, Asaph 7 (1. II) se sert du mot Elôhhn; le ps. lxx, 1 (1. Il) David change en Elôhtm le mot Jahvé qui se trouve dans le Asaph psaume identique XL, II (1. I). puis un second avec la collection des fils de Coré qui D’ailleurs, la comparaison de certains versets de aurait ainsi encadré un recueil existant déjà précédem­ psaumes avec d’autres passages de FAncicn Testament ment (Asaph, David, Asaph) pour aboutir â la dispo­ montre un phénomène de substitution semblable : sition actuelle: dans le ps. l, 7. on lit : < Je suis Élôhlm, ton Dieu », Fi fs de Coré alors que dans Ex., xx, 2, on lit : < Je suis Jahvé, ton Asaph Dieu ». La phrase d’Ex., xv, 11 : < Qui esl comme toi David parmi les dieux, 6 Jahvé? » devient dans le* ps. lxxi, Asaph 19 : · O Dieu, qui est semblable à toi? » Fils de Coré. 7. En outre, les deux derniers livres du psautier, que 5. Cette hypothèse d’un double arrangement succes­ nous venons de mettre à part à cause de leur emploi sif semble trouver une confirmation dans le texte de exclusif du nom Jahvé pour désigner la divinité, se II Par., xxix, 30; « Le roi Ézéchias ct les chefs dirent présentent avec certaines autres caractéristiques no­ aux lévites de célébrer Jahvé avec les paroles de David tables. Tout d’abord on y rencontre très peu de nota­ et d’Asaph le voyant, el ils célébrèrent avec joie, et, tions musicales dans les titres : cette rareté contraste s'inclinant, ils adorèrent. » avec l’abondance de ccs notations dans les trois pre­ La cérémonie prescrite par l’izechias s’ouvrirait à miers livres. — En second lieu, c’est dans ces deux merveille par le ps. l d’Asaph : derniers livres que l’on constate le plus de psaumes privés de tout litre (on les appelle psaumes «orphelins» () Jahvé II convoque la terre Du lever du soleil nu couchant pour les distinguer des psaumes qui, tout en ayant un De Slon, splendide en beauté, || litre, n’ont pas de noms d’auteurs cl qu’on appelle pour Il s’avance, notre Dieu, el ne sc tait point.u 1-3. cela « anonymes ») ; sur les3 I psaumes * orphelins»que Les « paroles de David et d’Asaph le voyant pa­ contient le psautier, 28 appartiennent aux deux der­ raissent bien désigner les ps. l-lxxxhi, tels que nous le niers livres. En troisième lieu, un certain nombre de révèle le premier arrangement (Asaph, David. Asaph) psaumes des deux derniers livres sont attribués à avant qu’il ne fût encadré par la collection des tils de David, 2 dans le I. IV ct 15 dans le I. V. Or le ps. c.vm Coré; (I. V) n’est que la juxtaposition des ps. lvii, 8-12 et C’est ainsi que se précisent les divers étals successifs lx, 7-1 I (L II)· (’elle attribution ·. 8-22 correspondent au ps. cv, 1-15; auxquelles ils sc condamnaient pour expliquer les les ÿ. 23-33 sont la reproduction du ps. xevi; les y. 31litres grecs. Nous nous en rapporterons donc aux ins­ 30 sc retrouvent dans le ps. cm. 1. 17, 18. Or ce dernier criptions, quand le contenu du psaume ne les démen­ psaume <.vi (ermine le I. IV du psautier actuel, ct jus­ tira pas formellement, cc qui arrive du reste assez tement 1 Par., xm, 36 reproduit la doxologic de cel. IV, rarement. · 6° .1 uteurs des psaumes. — Voici comment sc répar­ en en modifiant légèrement la finale en ccs termes : ■ Béni soit Jahvé, le Dieu d’Israël, d'éternité en éter­ tit l’attribution des psaumes: nité. Et tout le peuple dit : Amen! cl : Louez Jahvé! » A Moïse, le ps. xc. A David, les ps. iu-ix, xi-xxxn. xxxiv-xli, li-lx\ . Mêmesil’on soutient, avec quelques critiques, que la LXMII-LXX. LXXXVÎ, CL CIll, CVIII-CX, CXXtl, CXXI\ , prière n’a pas été prononcée par Asaph et ses frères CX.XXI. CXXXIII, CXXXMH-CXLV, soit en tout 73 psau (I Par., xm, 7) ct que le v. 37 doit par conséquent se mes. joindre directement nu v. 7. il reste qu’au moment de A Salomon. 1rs ps. lxxii ct cxxml l’insertion de la prière par le chroniqueur, aux alen­ A Asaph, les ps. L, ι.χχιπ-ι.χχχπι. soit en tout tours de l’an 300 avant Jésus-Christ, le psautier était 12 psaumes. divisé en nos cinq livres actuels avec leur doxologic Aux Bis de Coré. les ps. xlii. xliv-xlîx, lxxxiv, spéciale. En second lieu, on lit dans 11 Mach., n. 13, que lxxxv, lxxxmi, i.xxxMii, soit en tout 11 psaumes A lleman. le ps. lxxxviii (attribué aussi aux fils de Néhémic · fonda une bibliothèque el y recueillit les livres concernant les rois ct les prophètes, ceux de Coré). A Éthan, le ps. lxxxix. David (τά τού Δαυε(δ) et les lettres des rois [de A .îeduthun. les ps xxxix. lxil lxxmî (les deux Perse ] au sujet des dons sacrés ». Que le psautier exis­ premiers psaumes portent aussi le nom de David; le tât déjà sous sa forme actuelle au temps de Néhémic troisième celui d’Asaph). (444-424), on ne saurait l’affirmer avec certitude, car il \u surplus, 55 psaumes portent, souvent avec l’ad­ sc pourrait que le terme τά τού Δαυείδ désignât seule­ ment les collet lions davidlques, encore indépendantes. : jonction d’un nom propre (David, ills de (’.ore. Asaph >, Au contraire. H y a tout lieu de reconnaître le psau­ le terme hébraïque de lamena^'ah. Ce tenue dérive d’une racine nâpift. qui au pïel signifie conduire, tier. constitué dans sa forme définitive, en tête de la présider, diriger ·. d’où le sens proposé pour lamettatroisième classe d’écrits canoniques, mentionnée dans le prologue de l’Ecclésiasliquc. aux abords de 180 scah au maître de chant «. Les Septante n’ont pas avant Jésus Christ sous celte formule lu loi, les pro­ compris ce mol cl l’ont rendu : βΐς τύ τέλος, que la \ ulgale traduit lillcralemcnt : m finem. La même phètes ct les autres écrits de nos pères ». Enfin signalons que le ps. lxxix, 2 3 est cité comme confusion des Septante et de la \ ulgale se reproduit a la tin du livre d’Habacue. ni. 19, où les deux mots qui Ecriture (κατά τούς λόγους οΟς Ιγραψεν)ρπΓ 1 Mach., signifient : Du maître de chant. Sur des instruments μι, 17. pendant In lutte machnbvvimv de Γ(innée 162. Le terminus ; nous y reviendrons plus loin. Faut-il accorder tout crédit aux mentions d’auteurs que nous ont gardées les litres el considérer chacun de ces psaumes comme ayant été composé indubitable­ ment par l’auteur cité dans la suscriplion ? Pas nécessairement, encore qu’une présomption existe toujours en faveur du nom inscrit en tele d’un psaume; mais on n’aboutira à une certitude que si d’autres indices, pris de l’ordre externe ou tirés de la critique interne, viennent s’ajouter à cette suscription, dont il faut retenir la valeur jusqu’à preuve du contraire, à moins que l’on n’ait des arguments sérieux pour la mettre en doute. Par le tableau que nous avons dressé au début du paragraphe. Γοη voit qu’une grande partie du psau­ tier, dans son état actuel, présente le nom de David comme auteur ; ceci justitio l’appellation sous la­ quelle le décret promulgué par le concile de Trente, dans sa session du 8 avril 1510, sur les écrits canoni­ ques a désigné le psautier : Psalterium Davidicum ISO psalnwrum, cf. Denz-Bannw., Enchiridion, n. 781. Mais la discussion qui eut lieu à celle occasion montre bien que les Pères du concile n’ont pas voulu affirmer que tout le psautier était de David, mais qu’en raison du nombre de psaumes attribués a David on pouvait donner au psautier le nom de < davidique ·. Que David ail composé des psaumes, il n’y a rien détonnant; on sait par la sainte Ecriture que David, des son jeune âge, était doué d’un véritable talent musi­ cal, I Bcg., xvi, 18-23; xvm, 10, qu’il avait organisé autour de l’arche le service religieux avec danses et com­ positions religieuses. Il Bcg., vi, 5-16; 1 Par., xv. 28; Esd., m. 10; Nch., xn, 21, 36; l'on nous apprend qu a l'occasion de la mort de Saul et de Jonathas I lavid avait composé une élégie qui nous a été conservée, 11 Keg., i. 19-27. ct que la mort d’Abner lui avait inspiré un chant funèbre. Il Keg., m, 33-3-1. C’est la raison pour laquelle le plus ancien des prophètes d’Israël, Amos. vî. 5, avait gardé de David l'image d’un musicien : Ils folâtrent nu sou de In harpe; ( ornrnc David, ils ont invente des instruments de musique. Vers la fin de sa sic, David compose un cantique, II Bcg., xxii, qui est reproduit, à quelques variantes près, dans le ps. xvm, et les dernières paroles qu’il prononce avant de mourir ont l’allure d’un poème pri­ mitif. Il Bcg., xxiii, 1-7. Certains critiques ont voulu rejeter l’authenticité davidique des psaumes acrostiches xxv, xxxiv, el xxxvi! : apparemment nous avons là, en etlet, un mode de composition trop artificiel pour qu’il remonte au temps de David même. Mais on ne saurait le con­ clure avec évidence. D'autres ont vu dans les aramaïsmes des psaumes cm, cxxii, cxxxix, cxliv, une raison péremptoire pour en retirer la paternité à David. Est-ce suffisant? Il est bien difficile, souvent, de sc rendre compte si Γοη sc trouve en présence d’un véritable aramaïsme ou il une forme particulière de langage en usage dans telle ou telle région, ou d'une adaptation faite à une époque postérieure, ou même, comme dans le ps. n. 12. d’une glose mal comprise. Qu'on nous parle de temple déjà bâti, par exemple jw v, g; xxvii, I. nous avons là un indice de compo­ sition postérieure â la construction du sanctuaire saloinonicn, mais crt indice devrait être corroboré par d'autres constatations pour que nous puissions affir­ DES). A UTE U RS 1104 mer avec certitude que le psaume ne peut être attribué à David. Prétendre qu’un psaume reticle plus spécialement telle période plutôt que celle de David, pour quelques expressions assez générales, qu’on peut tout aussi bien invoquer en faveur d’une autre époque, c’est vouloir faire reposer sur une base assez fragile la datation d’un psaume. Par ailleurs, lorsque des pensées assez équi­ valentes se retrouvent dans un autre livre scripturaire, il est parfois malaisé de dire à qui revient la priorité de la citation. Il n’est pas paradoxal de soutenir que la méthode interne, appliquée sans aucune discrétion comme l’a fait souvent Cheyne, pourrait aboutir à dénier à David la composition de tous les psaumes qui lui sont attri­ bués dans les titres. I ne extrême prudence est de rigueur en cette matière, surtout lorsque l’on consi­ dère cc fait que certains psaumes ont été souvent re­ maniés au cours des siècles el ont reçu des gloses par­ fois assez étendues. Avec raison, la Commission biblique demande qu’on retienne comme étant de David les ps. n, xvi, xvm, xxxii, lxix, ex. On y ajoutera aussi les ps. in, iv, VII-XIII. xv, XIX, XXIII, XXIV, XXIX, LI, LXl, LXIV, dont l'authenticité davidique ne peut être mise en doute par aucune raison valable, cl si l’on veut bien prendre en considération que, dans le ps. lî, les v.20-21 sont une glose indubitable, on n’aura pas de peine à admettre ), Paris, 1931. Avec son esprit critique extrêmement averti, saint Sur cc point tout le monde est d’accord. Mais les Jérôme ne pouvait qu’être frappé d’un tel état de 1 dissentiments entre exégètes commencent lorsqu’il choses. A In demande du pape Damnsc, il entreprit à < faut déterminer la forme même suivant laquelle ont été Borne, en 384, la révision dc l'ancienne version latine : conçus les psaumes : métrique et strophlquc. L’on pour ce travail, qu’il exécuta avec une assez grande trouvera toutes les Indications voulues dans le com­ rapidité, il prit comme mojcn de contrôle la version mentaire dc P. Dhdrine sur le livre de Job : c. xi. des Septante; lui-même le déclare : Pialterium Borna* Mètres et strophes, p cxi.iv sq,. et dans l’ouvrage déjà dudum positus emendaram, et juxta Septuaginta inter­ cité d'A. Condamin. pretes, liret cursim, magna illud ex parte correxeram, L’un des procédés dc composition, que l’on discerne P. L·., t. XXIX. coi. 117 Cette recension hiérony- dans tout poème hébraïque, ct not miment dans les mitnne dc l’ancienne version latine du psautier d’a­ psaumes, c'est le panülélism< -·'»! 7. Contrairement ù l’opinion dc M. Duhm. qui attri­ buait surtout aux psaumes un caractère privé, M Sig­ mund MowinckcL professeur à l’université d’Oslo, poussant plus avant les idées de M. Gunkel qu’il appel­ le son maître, :i revendiqué un caractère el une origine cultuels pour presque tout le psautier. Son travail a paru dans six volumes intitulés Psalmensludien. tout d’abord en partie en norvégien, puis en totalité en allemand, de 1921 à 1921. Kristiania (Oslo), Selon le savant norvégien, les psaumes individuels de lamen­ tation auraient été composes, non pas par les malades eux-mêmes, mais par les chantres du sanctuaire; ce seraient comme des formulaires liturgiques, dressés d’avance a I usage des fidèles qui les récitaient au cours de certaines cérémonies. Si les psaumes de re­ connaissance étaient composés par les fidèles euxmêmes, ceux-ci les remettaient aux chantres du sanc­ tuaire cl les psaumes devenaient ainsi cultuels. On s’est en général assez peu attaché ù celte trouvaille dc M. MowinckcL Mais sa théorie sur la fête « d'introni- 1111 PS \ UMES (LIVE E DES) sation de Jahvé» a davantage retenu l’attention. Sc fondant sur la fête de Marduk à Babylone (décrite récemment par M. Heinrich Zimmern, Dos babylonische Neujahrs'esl, Leipzig, 1926), sur les récits du trans­ fert de l’arche à Jérusalem au temps de David ct dans Ir Temple au temps de Salomon, sur le contenu de certains psaumes (xi.vn, xcm, xcv-c) qui célèbrent la royauté universelle de Jahvé, ct sur certaines com­ positions liturgiques qui semblent avoir été récitées pendant une procession (ps. xxiv, cxxxn). M. Mowinckel, qui n’a connu que très tard une thèse déjà présentée par M. Volz, Das Neujahrslest-Iahwes, Tubinguc, 1912, a rapporté à une prétendue fête d’in­ tronisation de Jahvé, au nouvel an. quarante-huit psaumes, soit à peu près le tiers du psautier. Chaque année, Israel célébrait la fêle des récoltes, en automne (cette fête esl devenue la fête des Tabernacles); mus, primitivement, c’était la fêle du nouvel an, qui était marquée par la célébration d’une intronisation solen­ nelle de Jahvé comme roi ct par un renouvellement de l’alliance du peuple avec son Dieu. De celle fêle il n’est question nulle part dans les livres de (’Ancien Testament et, s’il est sûr que le peu­ ple Israélite sc plaisait à circuler en procession, tout en chantant des cantiques, on nc découvre aucune trace d’une intronisation solennelle de Jahvé avec chants très spécialement adaptés à celle cérémonie. Des as­ syriologues ont protesté contre celte assimilation entre une fête de Jahvé à Jérusalem et une intronisa­ tion de Marduk à Babylone, cf. Dhorme, Revue bi­ blique, 1921, p. 113-111. Une élude récente vient de réfuter la thèse de Mowinckel sur la fête Israélite du nouvel an, en sc plaçant sur le terrain critique, cf. M. Pap, Das israelitische Neujahrsjest, Kampen (11)1 lande), 1933. On trouvera une mise au point judicieuse de toutes les idées de Mowinckel dans un article syn­ thétique de M. L. Aubert, Les psaumes dans le culte d'Israël, paru dans la Revue de théologie et de philoso­ phie (prot.). Lausanne, 1927, p. 210-210. La théorie de M. Mowinckel a été exposée longuement ct avec sym­ pathie par M. Adolphe Lods, Les idées de M Moudnekcl. dans la Revue de Phistoire des religions, Paris, 1925, p. 15-3L Voir ici Part. Messianisme, col. 11581163, 1537-1538. M. Gottfried Quell se situe entre Duhm et Mowin­ ckel par son étude sur le problème cultuel des psaumes el la recherche de la place que tient la vie religieuse dans la poésie des psaumes, Das kultische Problem der Psalmcn. Versuch einer Deutung des religiùscn Erlcbens m der Psalmendichtung Israels, Berlin, 1926. Il se de­ mande en quel sens cl Jusqu’à quel degré la < pieté psalmistique ■ est dépendante de la vie cultuelle, el jusqu’à quel point elle apparaît, en regard de cette vie cultuelle, comme un phénomène spécial. A cette ques­ tion il répond : Le culte est l’expression matérielle et l’organisation sociale de la vie de piété. Ce culte peut avoir une double direction : l’homme ou Dieu. Dans son aspect anthropocentrique — ct c’est le principal — la pieté esl · sacramentelle ·; sous son aspect théo­ centrique la piété est < sacrificielle», Cependant tous les psaumes ne sont pas cultuels. On peut établir dans le psautier trois groupes de psaumes assez distincts : 1. Le groupe cultuel, formé par les psaumes où domine k cercle de pensées cultuel. 2. Le groupe, à la fois cul­ tuel et religieux, qui contient les psaumes, où la ligne de pensées cultuelle est Interrompue par la manifes­ tation du sentiment religieux extracultuel; 3. Le groupe religieux proprement dit, qui offre les psaumes dans lesquels domine une direction de pensée où le culte n’a aucune place. A la fin de son élude, M. Quell a dressé la liste de tous les motifs cultuels qui lui ont servi à classer les psaumes. D’une part. Il y a le cycle matériel (désigna- , USAG E CULTUEL 1112 lion de Dieu, lieu saint, endroits sacrés en dehors de Jérusalem, temps sacré, personnes sacrées, vêlements sacrés, objets sacrés, sacri lices et tout cc qui s’y rap­ porte, processions et fêles publiques· préceptes sacrés, pureté et impureté, bénédictions et malédictions, mani­ festations de piété, manifestations de louanges). D’autre part, il y a le cycle social (communauté, com­ munauté du passé, désignations collectives de cercles pieux, membres de la communauté du culte, tribus, instruction). 11 ne sera pas sans intérêt de donner ici la classifica­ tion suggestive à laquelle aboutit M Quell, même si sur tel ou tel point une revision s’impose; on remar­ quera que l’auteur a cité aussi quelques autres pas­ sages de l’Ancien Testament, qui se rapprochent des psaumes, ou certains psaumes de Salomon Ps.Sal 1. Le groupe cultuel comprend :a) Des hymnes : hym­ nes sur la nature (xxix, cxi.vm); hymnes de proces­ sion (xxiv, xlvii, xlviii, lxviii, xcv, c); hymnes de fêtes (xxxm, xi.vi, i.xxvi, i.xxxi, xcin, xcvi-xctx, CXIII, C.XIV, CXVII, CXXXIV-CXXXVI, CXLVH, CXIJX, cl; Jud., v; Dan., m, 52-90, d’aprèsles Septante; Ps. Sal., xi). — b) Des prières : prières d’actions de grâces (i.xv, lxvii); prières pour le roi (xx, xxi, lxxii); sup­ plications ou lamentations publiques (xu, xuv, i.x, LXXIV, Î.XXIX, LXXX, Ι.ΧΧΧΙΙΙ, LXX.XV, xc, Cl!, 13-23 et 29, |cxv], exxv, cxxvi; Dan., ni, 26-15, d’après les Septante; Eccli., xxxm, 1-19; Ps. Sal., iv, vu, ix). — c) Des chants : liturgies (n, xv, i., i.xxxvii, cvn, cxxiv, cxxvin); chants royaux (xlv, cx, cxxxn; Ps. Sal., xvn, xvm);méditations (xiv«liii, Lvm.i.xxxn. cxxix; Ps. Sal.. i); enseignement (i, i.xxvm, cv, cxn. cxxxm; Ps. Sal.. vi, x, xiv; Bar., ni, 9-îv, I). 2. Le groupe à la fois cultuel el religieux comprend : a) Des hymnes : hymnes sur la nature (vm, civ); hymnes généraux (i.xxv, cm. cxi.v. cxi.vi; Ps. Sal., m). — b) Des prières : méditations (xix, 8-15; lxxiii, evi); liturgies (ix, x, xxxvi, cxvin; Ps. Sal., n); lamentations publiques (i.xxxix, xciv, exxm; Ps. Sal, v. vin); chants d’actions de grâces publics (xvm; Ex., xv, 1-18: Ps.So/.,χιη; Judith, χνι, 2-17); lamentations individuelles (m-v, vu, xm, xvi, xvn, xxn, xxv-xxvm, xxxr, xxxv, xui, xi.ni, lï, lîvI.VII, LIX, LXI-LXIV, LXIX. Ι.ΧΧΙ, I.XXVII, LXXXVI. CIX, exxx, cxl-cxlii.cxliv, 1-11 ; Ps. Sal.,\u; Prière de Manassé — Ode 8 d’après le grec); chants d’actions de grâces individuels (xxx, x.xxiv, i.xvi, xcn, exi, cxvt, cxxxvm; Is., xxxvm, 10-20; Jonas, m, 2-10; Eccli., Li, 1-17; Ps. Sal., xv, χνι). — c) Des chants : méditations (xr, xxm, mi, ci, cxxi, cxxxvn; II Bcg., xxm. 1-7); chants de pèlerinage (i.xxxiv, exxn); enseignement (xxxn, xxxvu, xlix, c.xix; I Bcg., n, 1-10; Eccli.. xi.ii, 1Vxi.ni. 33). 3. L'· groupe religieux proprement dit comprend: al Une hymne (xix, 1-7). — b/ Des lamentations indioiduelles (vr. xxxvm. xxxix, xlî. lxxxviii, cii A, exx, cxliii) — cl Une méditation-prière contre les ennemis (cxxxix). — d) Une prière de conflanc· (cxxxi). — e) Deux psaumes d'enseignement (xci, cxxvn). I n problème qui se rattache indirectement au carac­ tère cultuel du psautier esl de savoir cc que désigne le je ou le moi des psaumes. Est-ce un individu qui parle ou est-ce la communauté qui prend cc ton per­ sonnel? L’on avait d’abord penché pour l’interpréta­ tion collective de ccs psaumes (Reuss, Smend); mais depuis qui Emll Balla, Das Ich der Psalmen, Gocttingue. 1912. a pris position pour l’interprétation in­ dis idu 'liste de*, psaumes, la majorité des critiques s’est ralliée i celte opinion, tout en admettant que la communauté a pu modifier dans mi Sms collectif cc Ί'1' ’■· ·:! d ’.h··rd été conçu et écrit . un sens indi­ vidualiste. 1113 PSAUMES (LIVRE 11° Littératures parallèles, Il y a longtemps que l'attention des exégètes a été attirée par les parallèles que l'on trouve dans la littérature assyro-babylonlcnne A certaines compositions du psautier hébraïque: Morris Jastrow, Die Jleligion Babyloniens and Assyriens. I. n. (Hessen, 1912, p. 133-137, a consacré tout un paragraphe à celte comparaison. Il suffit de par­ courir Dhorme, Choix de textes religieux assyro-babyIoniens. Paris, 1907, et Fr. Martin, Textes religieux assyriens et babyloniens. Paris, 1903, pour avoir une idée du parallélisme entre le psautier ct la littérature assyro-babylonlenne : l’un des textes les plus frap­ pants à cet égard est le poème du juste souffrant, Dhorme, op. e/L, p. 372-379. Le problème a tenté M. Fr Sluinmer, qui en fait l’objet d’une thèse, soutenue en 1917 et publiée en 1922, Sumeriseh-akkadische Paral­ lel™ zum Aufbai der ulttestamentlichen Psalmen. Pa­ derborn, 1922. En rapportant quelques exemples dans une longue note de son ouvrage. Les « Pauvres » d'Israël. Stras­ bourg, 1922, ρ. 126-127, M. A. Causse formule cette juste appréciation : < Les analogies sont plus formelles que réelles. Elles portent sur la phraséologie religieuse plus «pie sur l’expérience religieuse elle-même. Cela n’est ni la même théologie ni la même éthique. La religion des psaumes babyloniens reste profondément polythéiste. D’autre part le mécanisme de la repen­ tance ct de la délivrance qui en découle est beaucoup plus rituel que moral. Nous sommes ici en pleine ma­ gic. Il nc saurait être question d’une influence di­ recte de Babylone sur la Bible mais seulement d’une parenté plus ou moins lointaine dans la langue de la piété. Et quand on a étudié dans tous scs détails cette parenté et que l’on a classe les textes parallèles, on n’est sans doute encore qu’au côté extérieur et secon­ daire des problèmes. Il reste toujours que les psaumes hébreux sont les documents d’une expérience reli­ gieuse essentiellement personnelle et originale... la •prière de l’homme de Dieu » (Ps., lî, 7, 9, 1*2).· Voir aussi A. Causse, Les plus vieux chants de la Bible. Paris, 1926. p. Ill, note 3. C’est à la même conclusion qu’aboutit M. G. R. Driver, au terme de sa conférence sur The psalms in the light of Babylonian research, dans The psalmists. Oxford. 1926. Ayant signalé quelques ressemblances, il écrit, p. 172: «Mais combien plus significatives sont les diffé renées, ù la fois moralesct spiritucllcs.»Quant aux points de ressemblance eux-mêmes, il ajoute, p. 173 : « Je suis convaincu (pie beaucoup de ces points,sinon la ma­ jorité, sont le résultat d’une réflexion Indépendante. » Dans la même série de conferences. Μ. A.-M. Black­ man a étudié The psalms in the light of Egyptian re­ search. loc. cit.. p. 177-197. Il conclut son parallèle par ces mots qui nous semblent exagérer quelque peu l’influence de l’Égypte, même réduite ù quelques traits généraux, p. 197 : « La somme totale des conceptions des Égyptiens sur la viret la religion impliquait deux constituantes importantes. D’une part, c’était leur vue concrète sur le fait du péché ct le besoin du pardon: cc qui était d’origine sémitique. D’autre part, c’étaient les qualités natives égyptiennes d’esprit, telles qu’une naturelle sensibilité pour les beautés de la nature, un amour pour les êtres vivants, même pour les hippopo­ tames et 1rs crocodiles, de la gaieté, un sens du plai­ sant, une grande sociabilité, ct une remarquable bonté de cœur. La présence et la combinaison de ces const!tuantes dans la civilisation ct la religion égyptiennes sont responsables des conceptions religieuses remar­ quables de la période de la XVIII· dynastie ct des sui­ vantes. conceptions qui ressemblent si étroitement à celles des psalmistes (pie l’on peut presque dire que les chants de Sion ont été chantés sur une terre étrangère avant d’être chantés à Sion même. » DES). THEOLOGIE I I l'i Voir encore dans l’article de M. A. Causse, La sede fuioe et la nouvelle ptété, dans /tenue d'histoire et de philosophie religieuse^ scpt.-oct., 1935, les notes 28 sq. sur le parallélisme entre le psautier et les textes reli­ gieux assyro-babylonlcns. IL Théologie des psaumes. — Il y aurait deux méthodes pour retracer la théologie du psautier. La première consisterait, après avoir daté chaque psaume, à en extraire le contenu doctrinal et à marquer ensuite les progrès des idées religieuses ct morales dans le développement successif du psautier. Nous aurions ainsi une théologie historique du psautier; cette théo­ logie historique devrait tenir compte du milieu litté­ raire et religieux où est né chacun des psaumes, afin de saisir les influences qui ont pu s’exercer sur chaque psalmislc et de discerner les répercussions qu’a pu avoir à son tour chacun des psaumes. Cette tâche serait considérable, pour nc pas dire impossible; elle se heur­ terait tout d’abord à la difficulté de donner souvent une date précise à tel ou tel psaume; en outre, les psaumes étant fréquemment anonymes,même quand on serait en mesure de leur fixer une date approximative, il deviendrait malaisé de déterminer le milieu qui les a vus naître cl d’indiquer sous quelles influences di­ verses ils ont été écrits. Encore faudrait-il essayer de rendre leur physionomie primitive a des psaumes qui ont été remanies et adaptés à de nouvelles circons­ tances. Tout au plus, par conséquent, peut-on jalon­ ner de quelques points fixes l’histoire de telle doctrine religieuse, par exemple l’histoire du messianisme, ainsi qu’on a tenté de le faire dans la première partie de l’art. Messianisme. L’autre méthode celle que nous suivrons — prend le psautier comme un tout. Elle l'étudie à par­ tir du moment où il a été définitivement constitué, ct, après en avoir recherché patiemment les principales idées, les organise sous des thèmes hiérarchisés dont la contexture nous est offerte par la théologie actuelle. Cette méthode a l’avantage de nous présenter en une vue synthétique, encore que schématique, l’ensemble des conceptions morales ct religieuses qui ont impré­ gné l’esprit ct inspiré la dévotion des Israélites à par­ tir du nr siècle avant Jésus-Christ, ct qui continuent d’exercer leur bienfaisante action sur tous ceux qui, par fonction ct par pieté, se livrent ù la lecture des psaumes. Dès lors, il nc saurait être question, cela va de soi, de faire de la théologie comparée, soit historique en recourant aux livres qui sont de même date que certains psaumes, soit même doctrinale, en instituant des parallèles avec les autres livres didactiques de la sainte Écriture. Voir, sur la comparaison entre Job ct les psaumes. Dhorme. Le livre de Job. Paris, 192G, p. cxxix, x(. note 5; p. xci note 1 ; p. ci, < iv. cv. A ce dernier point de vue. quiconque a tant soit peu pra­ tiqué la lecture de la Bible peut avoir, à propos de telle ou telle doctrine, une préférence pour un livre déterminé de l’Ancicn Testament; par exemple sur le problème du mal pour Job. sur la doctrine saplentielle. pour PEcclésiastlquc ou la Sagesse; mais s’il veut por­ ter un jugement d’ordre général, il n'hésitera pas à trouver dans le psautier le plus bel ensemble doctrinal (pii existe dans tout l’Ancicn Testament. Le psautier est, sans contredit, le résumé le plus complet et en même temps l’exposé le plus nuancé, le plus riche et le 1 plus vivant de toute la pensée religieuse ct morale j contenue d ms le canon de l’Ancicn Testament. Nous diviserons cet exposé en trois parties : 1υ Dieu; 2° L’homme; 3· Le Mossi ·. Le psautier, en effet, en­ visage avant tout les relations concrètes qui unissent Dieu cl l’homme. Ccs deux termes ne sont pas étudies pour eux-mêmes et abstraction faite de l’un ou de l’autre; quand le psalmistc parle de Dieu ou de scs attributs, c’est toujours en référence avec l’homme, que 1115 PSAUMES (LIVRE DES). LES NOMS celui-ci soit un être individuel, ou qu’il représente Israël; quand il s’exprime sur l'homme, c’est pour montrer que sa véritable el seule tendance doit être dirigée vers Dieu; d’autre part, toute la révélation sur les rapports entre Dieu et l’homme étant orientée sers le Messie, il n’est pas surprenant que le psautier contienne une foule dc données concernant le Messie, dont le rôle sera de rapprocher encore davantage l’homme ct Dieu. /. — i° Aoms (twins. — Les noms les plus fréquemment employés dans les psaumes pour dési­ gner Dieu, sont Elôhtm ct Jahvé; on a relevé plus haut (col. 1 (/96) le nombre de fois que ccs deux noms sont cités dans le psautier : ce nombre est sensiblement le môme de part ct d’autre. Primitivement le nom propre et personnel de Dieu. Jahvé, était d’un usage plus courant; mais au cours des siècles, surtout après l’exil, le nom dc Jahvé a été remplacé par celui plus général d'Elôhtm (Dieu) et aussi par 'Adôndi (Seigneur), en vertu du même scru­ pule théologique qui poussera les massorètes â mettre sous ce tétragramme divin, devenu de plus en plus imprononçable, les voyelles des mots 9 Adôndi ct Elô­ htm, afin dc faire remplacer par les lecteurs le terme de .Jahvé par ceux d" Adôndi ou d'Elôhtm. A côté du pluriel de majesté ou d'intensité Elôhtm (Dieu), on trouve aussi fréquemment la forme plus simple d’EI ct plusieurs fols le singulier Elôah (pii a servi à former directement Elôhtm (voir xvin, 32; i., 22; exiv. 7; cxxxix, 19). Pareillement, à côté de la forme complète dc Jahvé, on rencontre à plusieurs reprises une forme plus brève du nom personnel dc Dieu, Jah, notamment dans l’expression < Louez Dieu · : Alleluia qui se décompose en hallelu-Iah. A ce nom sacré dc Jahvé. est parfois adjoint le plu­ riel féminin feM’d/, qui veut dire « années ». L’on abou­ ti Pains!à la formule,« Jahvé désarmées .Cetteformule est très ancienne dans la Bible. C’est une appellation traditionnelle en Israël. Primitivement, elle sc rap­ portait sans doute aux années dc combat, formées par Israël ct dirigées par Jahvé; elle finit, semble-t-il, par désigner simplement le Dieu d’Israël (ps. i.îx, 6) ou ! même le Dieu de toutes les puissances cosmiques, le Dieu du monde entier. En un seul endroit, nous lisons aussi Dieu des armées (ps. lxxxix, 9), avec le mot Elôhtm (Dieu) correctement mis à l’état construit Elôhê; encore la formule « Dieu des années » est-elle précédée du mot Jahvé : < Jahvé, Dieu des armées. > Si bien que l’on peut se demander si le mot Elôhê n'a pas été ajouté pour éviter l’expression · Jahvé des armées ». C’est du moins le scrupule qui a fait intro­ duire en notre texte actuel le mot d'Elôhtm, à l'état absolu, dans les psaumes suivants : i.ix, G; i.xxx. 5, 8, 15, 20; i.xxxiv, 9,où nous lisons les formules, incor­ rectes au point de vue grammatical, Elôhtm sebû'ôt ct Jahvé Elôhtm febd'ôt. La vraie formule est celle de • Jahvé des armées », conservée en son état normal dans les ps. xxiv, 10; xlvi, 8, 12; xlvhi, 9; i.xix.7; I LXXXIV. 2, 13. Plusieurs fois, l’expression « Jahvé des armées » est en relation avec celte autre formule « Dieu de Jacob » : Jahvé des armée* est avec nous ; Le Dieu de Jacob est pour nous une citadelle· I. s. 12.) Jahvé II de* armées, entend* mit prière; Pn te rorrlllc. Dieu de Jacob. (i.xxxiv. 9.) Ou, plus simplement le parallélisme s’établit entre Jahvé ct le · Dieu de Jacob · : Heureux celui qui n pour appui le Dieu de Jacob, t.clui dont l’espoir e*t en Jahvé. miii Dieu, (cxi.vi, 5.) Il* disent : · Jahvé ne volt pa»; Ijc Dieu dc Jacob ne comprend pas. · (xciv, 7A DIVINS I I If) Ccs paraDéllsmcsmontreiit que, pour le Juif,le Dieu qu'il nomme et auquel il s'adresse est un Dieu Dictant. Mon âme a,soif de Jahvé, Du Dieu vivant· (XLn< 3 j Mon âme soupire ct s’épuise Après tes parvis, Jahvé. Mon cœur et ma chnir exultent Après le Dieu vivant. (i.xxxiv, 3.) Jahvé possède une personnalité vivante. La vie fait partie dc sa nature. Et cette vie, Jahvé la communique aux siens : Près de toi est la source de la vie; Par ta lumière nous voyons la lumière, (xxxvi, 10.) Le Dieu vivant, source dc vie, Jahvé s'est manifesté à la race israélitc depuis les grands ancêtres. C'est le Dieu d’Abraham. ps. xlvii, 10, aussi bien que le Dieu d'Isaac ct de Jacob, ps. cv, 7-10. Mais il est incontes­ table que le psalmistc a une prédilection pour l’ex­ pression < Dieu de Jacob », l’ancêtre Jacob ayant mar­ qué peut-être davantage la race, à qui il a donné son nom d’Israël. Je chanterai les louanges du Dieu dc Jacob, (i.xxv, 10.) Λ ta menace. Dieu de Jacob, 'Ils se sont endormi* ceux qui montaient des chevaux’ l(i xxm.7.) Sonnez de la trompette h la nouvelle lune, A lu pleine lune, au jour dc * nos fêtes ’ ; Car c’est un précepte pour Israël, Une ordonnance du Dieu de Jacob. (lxxxi, 4-5.) L’expression < Dieu dc Jacob » est même devenue stéréotypée, à ce point que l’on nous parle du « nom du Dieu de Jacob », ps. xx, 2, de la < face du Dieu de Jacob », ps. xxiv, G. D’autres noms traditionnels sont appliqués ù Dieu. Tout d’abord ’Adôndi, qui signifie « Seigneur » (litté­ ralement « mes Seigneurs »). Ce terme sc Ht une cin­ quantaine de fois dans le psautier. Mais on rencontre aussi les formes plus simples d’où a été dérivé le terme d'AdonaT : le singulier 'Addn, par exemple dans ce pas­ sage où il est en correspondance avec Elôah : Devant la face du SeigneurCAdôn) tremble, ô terre. Devant la face du Dieu ( Elôah J de Jacob (exiv, 7), et le pluriel *Adôntm (ps. vm, 2,10; cxxxv, 5; cxxxvi, 3; exiv, 7; < Seigneur de toute la terre », xcvn, 5). En second Heu ' Eliôn qui veut dire « Très-Haut ». Tantôt il est en apposition â Elôhtm el signifie alors « Dieu très haut » (ps. lvii, 3; lxxviii, 56); tantôt il est employé seul (ps. ix, 3; χχι, 8, etc.). Des trois passages où on le trouve avec Jahvé (ps. vu, 18; xi.vn, 3; xcvn, 9), le premier ct le troisième semblent justement avoir voulu gloser le mol Eliôn par le terme dc Jahvé, tandis que dans le deuxième passage, Jahvé est sujet de la phrase. Le troisième nom est Guidai, dont le sens le plus probable est « Tout-Puissant »; rappelons ù ce sujet le passage de l’Exode, vi, 2-3, dans lequel on nous rap­ porte ccs mots de Dieu â Moïse : « Je suis Jahvé. Je suis apparu à Abraham, â Isaac el à Jacob comme 'El Saddai, mais sous mon nom de Jahvé Je ne me suis pas fait connaître â eux. » Le mol dc éaddal se ren­ contre dans le psaume archaïque ct malheureusement très abîmé, lxvhi, 15, et dans le ps. xc.i, 1, où il fait parallèle à 'Eliôn : AttU a l’ul>rl du TrH-lfnut ('Eliôn), A l’ombre du l’out-Puiss mt (iaddai) demeure. (On pourra comparer l’usage de » noms divins, Elôah, Elôhtm, éaddai-dans Job; voir P D ho rme. Le livre de Job, p. tu sq.) Johp/(cclui qui est ou celui qui fait être) sc présente. 1117 I’bAUNhb (Liviih J)hb). LES d’apres les noms qu’on lui donne dans le psautier, comme lo Dieu qui régit Israel ct le inonde (Jahvé des arm(es)t\i: Soigneur /'AdÔnâi> dc toute la terre. J1 est â In fols le Très-Haut (Eliôn) et le Tout-Puissant (Suddii). Nul doute qu’il n’y ail déjà, impliquée dans ccs noms divins, toute une théologie. SI le lecteur juif ne pouvait en expliciter le contenu, du moins avait-il le sentiment d’un Dieu personnel et transcendant,d’un Dieu fort et puissant, quand il prononçait le nom sacré par excellence. Jahvé. 2° Existence. — L’Israélite n’a pas besoin qu’on lui prouve l’existence dc Dieu. SI le psalmiste fait appel aux créatures pour monter jusqu’à Dieu, c’est bien plutôt afin de célébrer la louange de leur Créateur, que pour en établir solidement l'existence : Jnhvé, notre Seigneur, combien glorieux Est ton nom par toute la terre. (vm. 2.) Les cieux racontent la gloire de Dieu. Et le firmament l’œuvre de scs mains. l.c jour nu jour en annonce la nouvelle, El la nuit à la nuit en K· vêle la connaissance. Ce n’est pas une nouvelle, ni des paroles, Dont on n’entende pas la voix. Dans toute la terre s’en répand le bruit. Et jusqu’à l’extrémité du inonde les accents, (xix.2-5.) Aussi est-ce une purc folie que dc nier Dieu devant le témoignage de toutes les œuvres divines : L’insensé a dit d ms son cœur: • Il n’y a point de Dieu ». (xiv, 2; un, 2.) Tu m’as réjoui. Jahvé. par ce que tu ns fait. Devant les œuvres de tes mains je tressaille. Qu’elles sont grandes, tes œuvres. Jahvé! Combien profonds sont tes desseins! L’homme stupide ne le sait pas. Et l’insensé ne le comprend pas. (χαι. 5-7.) 3° Monothéisme. - Ce Dieu est un Dieu unique : Qui est Dieu en dehors dc Jnhvé, Et qui est un rocher, sinon notre Dieu? Toi seul, tu es Dieu. Jnhvé des années, qui est comme loi? (xvm, 32.) (i.xxxix, 9.) Car tu es grand. Jahvé, Et tu ns fait des merveilles, toi seul. «I.XXXVI, 10; cf. cxxxv, 3.) Cependant, il faut bien reconnaître que, dans les formules, celte unité et cette transcendance divines nous sont présentées comme si d’autres divinités pou­ vaient subsister à côté de Jahvé qui les surpasserait de toute sa grandeur : Célébrez le Dieu des dieux Célébrez le Seigneur des seigneur*. (cxxxvi, 2-3.) Mais cel hénothvismc n’est qu’apparent. Le psal­ miste ne reconnaît aucune réalité aux autres divinités. Tous les dieux des peuples ne .’sont que néant. (x< vi. 3.) Pour lui, néant cl idoles, c’est tout un el, à l’instar des autres écrivains dc l’Ancien Testamen! (Os., vm. G; Jcr., x, 1-1 G; Is., XL, 18 sq; xliv, 6-23; xlvi; Bar., vi, 7 sq; Sap.. xm-xv), Il fait éclater sa verve sati­ rique contre ces idoles de vanité cl de néant : Leurs idoles, c’est de l’argent cl dc l’or Œuvre «les mains de l’homme. Elles ont une bouche ct ne parlent point ; Elles ont des yeux ct ne volent point ; Elles ont des oreilles ct n’cntcndcnl point ; Elles on! «les narines et ne sentent point ; ’Elles ont* «les mains et ne touchent point; ’Elles ont* des pieds et ne marchent point. ((cxv. 1-7; cf. « x\x\. 15-17.) 1118 ATTKIBUTS DIVINS La malédiction pèse sur ceux qui se prosternent devant ces idole* : Ils seront comme elles, ceux (pii les ont faites Tous ceux qui sc confient en elles. (cxxxv, J#,) Et voici la recommandation pressante dc Jahvé : Écoute, mon peuple; je te l’ordonne. Israël, puisses-tu m’écouter! N’aie point dc dieu étranger El ne te prosterne pas devant un autre dieu! Moi. je suis Jahvé, ton Dieu, Qui t'ai fait monter du pays d’Égyptr. (t.xxxi, 9-11.) 1° Anthropomorphisme». — Cette lutte contre les idoles,cctlc affirmation farouche dcl'existence cl delà transcendance divine épurent sans doute la notion que les Israélites ?e faisaient de Jahvé; toutefois, le genre poétique adopté par le psalmiste admet beauboup d’anthropomorphismes. Le poète compare volon­ tiers Jahvé à un héros et il lui prête des sentiments et des gestes humains. Les yeux de Jahvé sont sur les justes. Et ses oreilles sont attentives Λ leur* cris, (xxxiv, 16.» Alors il se réveilla. Jahvé, comme un homme endormi. Comme un héros qui était subjugué par le vin. Et il frappa scs ennemis par derrière Et d’un opprobe éternel II les couvrit. (i.xxvrn. 65-66.) lui droite «le Jahvé a montré sa force; Li droite dc Jnhvé m’a exulté. (cxvni. 16.) L’auteur sacré, du reste, n’est pas dupe de ccs ima­ ges. S’il les emploie, c’est par métaphore el elles sont toujours engagées dans un contexte dont la poésie contine au sublime. Par exemple, quand il parle du vêtement de Jahvé, l’on sc rend vile compte que cette manière de parler, bien loin de le tromper, n’est que l’expression d’un état d’âme sensible à la beauté de la nature : Mon Ame, bénis Jahvé. Jahvé. mon Dieu, tu es grand (); Dc splendeur et dc majesté tu es revêtu ; Il s’enveloppe de lumière comme d’un manteau; Il déploie les deux comme une tente; (liautcs Il établit dans les eaux (supérieures) ses chambres Il fait des nuages son char; II s’avance sur les ailes du vent; Il fait des rafales ses messagers. Du feu qui dévore son ministre. Il a fixé la terre sur scs bases: Elle sera Inébranlable toujours ct à jamais, (av, 1-5.) Lorsqu’il fait allusion à la « face », à la « droite », au « bras », à la « main » de Jahvé, le morceau poétique où ces anthropomorphismes prennent place ne risque nullement, tant son élévation est belle, de nous donner le change sur la véritable conception du psalmiste. Telle cette description : C’est toi «pii domines l’orgueil de la mer; Quand scs flots se soulèvent, c’est loi qui les apaises; C’est toi qui as écrasé, comme un blessé, lluhab. Par 11 force de ton bras, tu ns dispersé tes ennemis. \ toi sont les cieux. A toi aussi In terre; Le monde cl son contenu, c’est toi portes, élevez vos sommets; Surélevez-vous, entrée* antiques; Et le roi glorieux entrera. Quel est cc roi glorieux? C’est Jahvé des armées; C’est lui le roi glorieux. LES C’est lui seul qui n formé leur cœur. Qui connaît toutes leurs actions; Point de roi qui Vainque par le nombre des troupes. NI «le guerrier «pii sc sauve par la grandeur de sa force. (xxtv, 7-10.) Il n’y a pas davantage à s'arrêter aux comparaisons que les psalmislcs établissent souvent entre Jahvé et le roc, le rocher, la forteresse, le bouclier, etc., pour montrer la sécurité dont l’on jouit auprès du Dieu en qui on se confie Ces formules de style sont très fré­ quentes dans le psautier. Il suffira de citer ce début de psaume : Jahvé est mon roc et ma forteresse [): Mon Dieu est mon rocher o(i je m’abrite; Il est mon bouclier ct la corne de mon salut. Ma citadelle cl mon asile sauveur. (xvm, 3-1.) 5e Éternité. — Aucun concept n’est plus difficile ù exprimer peut-être que celui de l’éternité de Dieu. Le psalmiste en affirme l'existence et, quand il cherche à nous en donner l’idée, il le fait par vole d’opposition avec notre vie et sa durée, nos changements et nos transmutations. Rien de plus délicat, d’ailleurs, que ces images de notre existence fugace, en regard de la plénitude qui est le propre de Dieu. Jahvé (I lu demeurer f] de génération en génération; Avant que 1rs montagnes ne fussent née* Et que I.» terre et le monde ne fussent enfantes, D’éteniité en éternité lu es, A Dieu. Oui. mille nns ù tes yeux Sont comme le jour d’hier (| ct la veille «h· la nuit. Le wimnrll 1rs anéantit le matin. Il* sont comme l’herbe qui disparaît. I^e ni «tin elle fleurit et pousse; Le soir elle sc fane ct sc dessèche. Oui. tous nos jours s’en vont (); Nos années ^’évanouissent comme un son. Ix*s jours «le nos années (] s’élèvent h soixante-dix an*, Et. s’ils sont vigoureux, â quatre-vingts an*. Mais leur · total · n’est que peine et vanité. Car il passe vite et nous nous envolons! (xc, 1-10.) Le coursier est impuissant pour la victoire. Et avec toute su vigueur ne peut sc sauver. Voici, l’œil de Jahvé est sur ceux qui le craignent () Pour délivrer leur âme de la mort f (xxxm, 13-10.) Les impies ont beau faire : ils n’échapperont pas à celte vigilance de Dieu; rien n'est plus sot que leur langage : Ils disent: · Jahvé ne voit pus; Le Dieu «le Jncob ne comprend pas. · Comprenez. vous, les plus stupidis du peuple Et vous, insensés, quand serez-vous avisés? N’cntcndrait-ll pas celui qui n planté l’oreille. Ou ne vrmiit-ll pas celui qui a fait l’œil? Celui qui chûtle les nations ne réprimandera It-il pas, Lui «pii apprend ft l’homme la science?, (xciv, 7-10.) C’est une très belle réplique aux insensés : la science divine surpasse infiniment la notre, qui ne peut exister que par celle de Dieu. Cette science est mise en relation avec la présence de Dieu en toutes choses et particu­ lièrement dans le plus intime de nous-mêmes. Nous sortons avec le ps. cxxxix de tous les anthropomor­ phismes qui demeurent dans les citations précédentes ct nous entrons dans une conception extrêmement pure de la théologie la plus exigeante : lui parole n’est pas sur ma I ingue Que délft. Jahvé. tu I i connais toute... Merveilleux pour moi est ’Ion* savoir Si «levé «pu- je n’y atteins pas. (cxxxix, I. G.) Et l’auteur se livre ensuite A une description détail­ lée de celle pénétration divine en tout son être, en toutes tes démarches, en tous ses actes. Voici, restituée par quelques corrections textuelles, cette description émouvante : 0(1 iral-Jo loin de ton reprit. Et oh fuirai-je loin de ta face? SI je monte mix deux, tu v ex; Si je me couche au schcôl, t’y x’ollft. 1121 PSAUMES IJ VUE DES). LES ATTRIBUTS DIVINS Que je prenne les idles do l'aurore. Et que j'nlflc aux extrémités de la terre, DI nus»! tu main me conduit. Et ta droite me saisit Aussi voit-on associer à celte puissance de Jahvé, son règne ct sa majesté : Jahvé règne, de majesté il est vêtu; Π est vêtu, Jahvé, de puissance. 'Jahvé de puissance' s’est ceint. Si je dis : Au moins que l'obscurité me couvre' ! Et si je ’fais descendre’ In nuit autour de moi. Même les ténèbres ne sont pas obscures pour toi, Et la nuit brille comme le jourf). Plus que les voix des grandes eaux. Plus que les vagues de la mer 11 est puissant Il est puissant dans la hauteur. Jahvé, [(xcm.1.4; cf. xxix, 10; x. 16.) Je te loue à cause de toutes les merveilles, Me trouve’ admirables tes œuvres; Car c’est toi qui as tonné mes reins. Qui m’as tissé dés le sein de ma mère. Sur la « royauté » de Jahvé, voir ps. xevi, xcrx; CXLV, 1 ; CXLVI, 10; Que tes pensées sont importantes pour moi. O Dieu, que leur total est élevé. .Je les compte, elles sont plus nombreuses que le sable. Je m’éveille et j’en suis encore avec toi. ((cxxxix, 7-18.) Le psalmiste, on l’a vu, fait allusion â un livre sur lequel sont inscrits les jours de chacun, et, on peut bien le deviner, les actions de tout homme; c’est un « livre de vie ». L’Exode, xxxn. 32. s'exprimait déjà de cette manière par la bouche de Moïse : < Pardonnez main­ tenant leur péché; sinon ciïaccz-moi de votre livre que vous avez, écrit. » A quoi Jahvé répondait : · C’est celui qui a péché contre mol que J’cITacerai de mon livre. » Cette conception se retrouve dans le psautier en deux autres endroits encore. La première fois, dans un passage, où un glossatcur a bien vu qu'il s'agissait du · livre des vivants » ou du < livre de vie ». Ma vie agitée, toi, tu l’os inscrite; Mes pleurs ont été mis dans une outre. (lvi, 9.) Une réflexion, qui s'est glissée ensuite dans le texte, mais à la fin du verset, précise sous forme interroga­ tive où < la vie agitée > du psalmiste a été inscrite : « N’est-ce pas dans ton livre? » dit le glossatcur à Dieu. La seconde fois l’auteur sacré appelle la malédiction sur scs persécuteurs : Donne-leur iniquité sur iniquité. Et qu'ils n’aient point de part à ta justice! Qu’ils soient effacés du livre des vivants. Et qu'avec les justes ils ne soient point inscrit·· ((LXTX, 28-29.) La science de Dieu, à qui tout est présent ct pour qui tout est inscrit comme sur un livre, est illimitée : Notre Seigneur est grand ct très puissant A son intelligence 11 n’y a pas de mesure, (cxi.vit, 5.) 7° Puissance. — Le psalmiste vient de nous décla­ rer, ps. cxi.vn, 5, que la puissance appartient à Dieu: Tout ce qu’il veut, il le fait. ps. cxv, 3. Cette puissance, il l’a manifestée dans la création. Aussi, quand l’auteur sacré considère les œuvres de Dieu, il s’écrie devant Jahvé : (extv, ·!.) Bien de plus impressionnant parmi les œuvres de Jahvé que les montagnes : leur majesté tranquille conduit le psalmiste jusqu’à Dieu : Il affermit les montagnes par sa force Il est ceint de puissance. Par sa puissance Jahvé règne à jamais, ps. i 2. lui puissance est à Dieu. Et a toi Jahvé la bonté. Oui, toi, tu rends A chacun selon son œuvre. Tes yeux voyaient ‘tous mes jours’, lit sur ton livre Ils étalent tous inscrits; Les jours ‘étaient inscrits’ ct fixés. Avant qu’aucun d’eux n’existât. D1CT. DE TIIÉOL. CAT1IOL. cxlîx, 8e Ponté H justice. — Un même texte rapproche la puissance, la bonté ct la Justice de Dieu : Mon Ame tu ’connaissais depuis longtemps' ; Mes os n’étalent pas cachés devant toi. Lorsque je fus frUt dans le secret. Façonné dans les profondeurs de la terre. Elles disent la gloire de ton règne Et proclament ta puissance. 1122 (LXV, 7.) lxvi, 7. (Lxn. 12-13.) La Justice n'est pas nommée, mais c'est bien a elle qu’il incombe de rendre à chacun selon scs œuvres. Le sentiment de la justice est l'un de ceux qui sont le plus avérés au cœur de l’Israélite; rien ne lui répugne tant que les iniquités des méchants et des impies; in­ dividus ou nations seront soumis à un jugement et à un châtiment dans la mesure où ils auront transgressé la justice. Le psalmiste aime à se représenter ce juge­ ment : Voici’ Jahvé siège pour toujours; 11 a dressé son trône pour juger; Et lui. il juge le monde avec justice; 11 juge les peuples avec droiture. (ix. 8-9.) Dieu protège le Juste; car il aime le droit, ps. xxxvn, 28 : L’impic guette le juste Et cherche ü le faire mourir; Jahvé ne l’abandonnera pas en sa main Et ne le laissera pas condamner en son jugement. ((xxxvn. 32-33.) On peut donc dire qu’il y a une harmonie préétablie entre Jahvé ct celui qui pratique la justice. · Jahx é m’a récompensé selon ma justice; Jahvé m’a rendu selon ma justice », dit le ps. xvm, 21, 25. Un mot peut résumer les conceptions du psalmiste : Jahvé est juste en toutes ses voles. (cxxa, 17.) Et il ajoute aussitôt : Et bon en toutes ses œuvres. Bonte ct justice, cc sont les attributs que le psautier aime à réunir, ps. cm. 17. L’auteur sacré s’adresse à Jahvé : lui justice ct l’équité sont la base de ton trône; La bonté et la fidélité précédent ta face, (lxxxix. 13.) La La 141 Et bonté ct la fidélité sc sont rencontrées; justice ct la paix se sont embrassées; fidelité a germé de la terre. la justice n regardé du haut des deux. ((lxxxv, 11-12.) On ne conçoit pas la bonté divine sans la justice, ni la justice sans la bonté. Cependant, avec quelle pré­ dilection le psalmiste chante la bonté de Jahvé! On sent bien que. s’il fait appela la justice divine pour punir les méchants ct les impies, c’est parce qu’ils ne veulent pas sc repentir ct qui11er leurs voies de perdi­ tion. c’est parce qu’ils continuent d’opprimer les faibles et les malheureux. Mais, pour les fidèles,pour les dévots, pour les justes, honte et jùsticc divines vont de pair : • Continue ta bonté â ceux qui te connaissent Et ta justice A ceux qui ont le cœur droit, (xxxvi, 11.) T. — XIII — 36. 1123 PSAUMES (LIVRE DES . LES ATTRIBUTS DIVINS 1124 Aussi le poète qui a composé le ps. xxxvr magni lie- ' vent imbriqués. Le psalmlstc détaille les œuvres que t-il ccs deux attributs dc Dieu : Dieu a créées, mais c’est pour alllrmer aussitôt, ou bien que Dieu s'en occupe, ou bien que toutes les créa Jahvé ‘comme’ les deux est ta bonté, turcs célèbrent la louange divine, ou bien que Dieu sc Ta fidélité ‘va’ Jusqu'aux nues. trouve derrière toutes les manifestations de la nature Ta justice est comme les montagnes de Dieu. Tes jugements comme’ le vaste Océan. C'est Λ la parole divine que l'auteur du ps. xxxm Ι/homme ct Tanima! tu les sauves; attribue la création, et, dans cette œuvre divine, il Jahvé, combien précieuse est ta bonté, (xxxvr, 6-8.) discerne une activité générale dc tous les attributs dr J Dieu. D'autres auteurs lui font écho Élevée Jusqu'aux deux est ta bonté, El Jusqu'aux nues ta fidélité, (tvn. Il ; cf. evur, 5.) Dans le psautier on ne voit que bonté universelle dc Dieu, une bonté qui sc traduit en faveur ct en miséricorde : Auprès de Jahvé est la bonté. (exxx, 7.) Jahvé est bon envers tous, Et sa miséricorde est sur toutes scs œuvres, (cxt.v, 7.) Ιλ terre est remplie de la bonté de Jahvé. Ta bonté est meilleure que la vic. (xxxm, 5.) (lxiii, L) Universelle, celte bonté est également éternelle : Jahvé, ta bonté est étemelle. (exxxvin. 8.) C’est pourquoi le psalmislc ne cesse dc proclamer la fidelité dc Jahvé, en mémo temps que sa bonté, ps. xxv, 10; LVH, 4 ; lxi, 8; lxxxix, 2, 25. 29, 31 ; xevin, 3; cxxxvnv, 3. Une bonté éternelle, ps. xxv, 6; c, 5; evi, 1 ; cv», 1, est une bonté fidèle. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que parfois revienne comme un refrain ou comme une réponse Λ des litanies cette courte phrase : «Car sa bonté est éternelle. »Ps. cxxxvi, l-26;cf.c.xvrn, 1-1, 29. Le Juif ne pouvait, en elTet, oublier qu’en un Jour solennel Jahvé lui-même s’était écrié devant Moïse : « Jahvé! Jahvé! Dieu miséricordieux ct compatissant, lent à la colère, riche en bonté e! en fidélité, qui con­ serve sa grâce Jusqu'à mille générations, qui pardonne l’iniquité, la révolte et le péché. » Ex., xxxiv, 6-7. Ces mots, il les retrouvait dans son psautier, i.xxxvi, 15, ct il les voyait exaltés en une magnifique comparaison, celle de la miséricordieuse bonté d’un père pour scs enfants : Jahvé est miséricordieux ct compatissant, lx*nt à la colère et riche en bonté (). Il ne nous traite pas selon nos péchés, El ne nous rétribue pas selon nos Iniquités. Mais, autant les deux sont élevés sur la terre. Autant s’élève’ su bonté sur ceux qui le craignent; Autant l'Orient est loin dc l'Occident, Autant il éloigne dc nous nos fautes. Comme un père est miséricordieux pour scs enfants, Jahvé est miséricordieux pour ceux qui le craignent. Car lui. il silt de quoi nous sommes formés. Il se souvient que nous ne sommes que poussière. L’homme, scs jours sont comme l’herbe ; (’otnme la fleur des champs il fleurit ; Qu'un souffle passe sur lui cl il n'est plus; Et le lieu qu’il occupait no le connaît plus. (au. 8-16.) Les bontés de Jahvé. tant envers sa race qu’envers lui. l’Israélite s’en souvenait et le psalmiste les lui rappelait, ps. xxv, G; lxxvîiî, 38. Et c’est pourquoi le tldèle pouvait répéter avec l’auteur sacré : « En la bonté, J’ai confiance, Jahvé », ps. xm, 6. Et encore : lorsque je (Jisals : · Mon pied chancelle ·, Tu bonté. Jahvé, me soutenait. (xciv, 18.) 9e Création, providence, gouvernement divin. — Si nous unissons ccs trois concepts, cc n’est pas que le psautier les confonde, c’est parce qu’ils sont très sou- lai parole de Jahvé est droite. Et toute son œuvre il l’a faite dans la vérité. Il aime la justice et l’équité; La bonté de .Jahvé remplit la terre. Par la parole dc Jahvé 1rs deux ont été fait!», Et par le souffle de sa bouche toute leur année. Il rassemble comme en un tas les eaux dc la mer; il place en des réservoirs les océans. Toute In terre craint devant Jahvé; Tous les habitants du monde tremblent. Car lui, il n dit ct tout s'est fait; Lui, il a ordonné, et tout a subsisté. (xxxm, 4-9.) Il est difficile dc s'exprimer d’une manière plus formelle au sujet de cette dépendance totale du monde vis-à-vis de Dieu qui l'a tiré de rien, uniquement par la parole qui appelle tout à l’existence. D’autres psaumes viendront nous décrire en des strophes d'une haute inspiration, l’intervention de Dieu dans la nature. Les phénomènes les plus divers, Dieu les produit encore par sa parole toute-puissante: Il envole son ordre sur la terre; Avec rapidité s'élance sa parole. Il répand la neige comme dc In laine; 11 saupoudre le givre comme de la poussière. Il projette sa grêle comme par morceaux; Devant sa froidure les eaux sc gèlent ; Il envoie sa parole el il les fond; Il fait souffler son vent el les eaux coulent. ((CXI.VH, 15-18, ) C'est toi qui as partagé, par ta puissance, la mer. Brisé les têtes des dragons sur les eaux. C'est toi qui ns fracassé les tètes du Léviathan, Qui l'as donné en pâture nu peuple *dcs’ bêles fauves. C'est toi qui as fait Jaillir la source et le torrent; C’est toi qui ns mis à sec des fleuves intarissables! A toi est le Jour, à toi aussi la nuit ; Car c'est toi qui ns créé la lumière et le soleil. C’est toi qui as fixé toutes les limites dc la terre. L'été ct l’hiver, c'est toi qui les as établis. 1(1 wiv. 13-17.) Outre le ps. xcin, que nous avons déjà cité, Il faut mentionner encore le ps. civ, dans lequel routeur nous fait assister à une véritable féerie d’activités humanodivines; son regard sc porte successivement sur toutes les créatures ct il en trace un portrait d’une variété remarquable. Extrayons-cn ce simple passage Eux tous, ils attendent dc toi Que tu leur donnes leur nourriture en son temps. Tu la leur donnes. Ils la saisissent. Tu ouvres ta main ils sont rassasiés do biens. Tu Tu Tu Et caches ta face, ils sont dans l'épouvante; reprends leur souffle. Ils expirent ; envoles ton souffle, ils sont créés; tu renouvelles la face de ht terre. (αν, 27-30.) Bien n’échappe à cc gouvernement général du monde, ni à la providence particulière de Dieu : Il compte le nombre des étoiles. Toutes 11 les appelle pur leur nom... C’est lui qui couvre les deux dc nuages, Qui prépare la pluie pour la terre. 1125 PSAUMES (LIVRE DES). LES MINISTRES DE DIEU C'est lut qui fuit germer du gazon sur les montagnes ‘Et uez Jahvé des deux ; Loucz-le dans les hauteurs ; Ix)uez-Ie, vous tous, ses anges; fx)uez-le, vous tous, son armée. Louez-le, Louez-le, Louez-le, Louez-le, soleil ct lune; vous toutes, étoiles de lumière; deux des deux ; eaux supérieures (au-dessus des deux). Qu’ils louent le nom de Jahvé, Or, lui, Il n commandé et Ils furent créés; Illes a établis A jamais, pour toujours; Il n donné un statut qu’ils ne 'transgresseront' pu*. Louez Jahvé, de la terre. Monstres et vous tous, océans. Feu et grêle, neige et nuages. Souffle de l'ouragan, exécuteur de sa pnrole. Montagnes et vous toutes, collines. Arbres à fruits, el vous tous, cèdres. Animaux cl vous tous, bestiaux. Reptiles et oiseaux ailés. Rols dc la terre et vous tous, peuples. Princes ct vous tous, gouverneurs de la terre. Jeunes gens ct vous aussi jeunes filles. Vieillards et enfants. Qu’ils louent le nom de Jahvé. Car son nom. seul, est élevé; Sa majesté est sur, toute la terre. Et il a élevé une corne pour son peuple, (cxlmii, 1-13.) 10e Les ministres de Dieu. — Dans le concert de louange qui monte vers Jahvé, nous venons de voir les anges appelés à jouer leur rôle. En un autre pas­ sage, le psahnistc s’adresse dc nouveau à eux : le con­ texte montre nettement que pour lui l’expression (cix. G). IL L'ttOMME. — 1° Nature de Thomme. — L'anthro­ pologie du psautier n'est pas différente de celle des autres livres de TAncien Testament. « Les auteurs sacrés n’ont jamais eu l’intention de nous faire une théorie complète du composé humain. Trois termes toutefois ont à cet égard une importance spéciale : cc sont les mots bdiàr, néféü ct rûah, traduits couram­ ment par < chair >, « âme » ct « esprit >. L'identification du mot bdiûr est facile; il désigne la chair, cette pous­ sière, ccttc bouc terrestre organisée par Yahweh en un corps humain, Gen, n, 7. » J. Touzard. Le développe­ ment de la doctrine de Timmortalité, dans Revue bi­ blique, 1898, p. 209. Le mot rûah sc présente une quarantaine de fois dans le psautier; mais la plupart du temps il a le sens de « vent ». î,4 ; χνπι, 11, IG, 43; xxxv, 5, etc. Lorsqu'il s’applique à l’homme, il désigne ou bien la partie supérieure de l’âme qui est le siège de l’affliction ct de l’abattement, xxxiv, 19; i.i. 19; lxxvh. 1, des sentiments religieux ct moraux, li, 12, 13, 14; xxxn, 2; Lxxvm, 8; cxliit, 10; ou bien le principe de vie qui peut défaillir, cxlii, 4 ; cxliii, 4, 7, ou s'évanouir, cxlvi, 4; en cc dernier cas, l’homme retourne à la poussière. Cet esprit de l’homme appartient à Dieu; c'est lui qui l’insuffle à l'homme pour le faire vivre, c’est lui aussi qui le retire pour le faire mourir : mais cc n'est pas un cas spécial à l’homme; tous les êtres vi­ vants sont pareillement dépendants : Tu Tu Tu Et caches ta face, ils sont dans l’épouvante; reprends leur souille, ils expirent. envoles ton souille, ils sont créés; tu renouvelles la face de la terre. (αν, 29-30.) C’est à la garde de Dieu que le psalmistc confie cette rûah, qu’on la prenne pour le principe de vie, ou pour la faculté de vie supérieure : En tes mains, je remets mon esprit. Tu m’as délivré, Jahvé. (xxxi, 6.) Le psautier emploie bien plus souvent le mot de né/éJ, qui veut dire · âme ». On peut se demander si après la mort la rûah, le souille, l'esprit est rendu à l’homme; la réponse parait bien négative. Mais l'âme ne périt point, elle continue de subsister, ainsi que nous le verrons, ct tandis que, Dieu ayant retiré son souffle de vie, le corps ou la chair s'en va au tombeau, la né/ti ou « l’âme » ne disparaît point, mais s'en va au séjour des morts (schcôl). Souvlcns-tol. Seigneur', de cc qu'est la vie. Pour quel rien tu ns créé tous les Dis «les hommes. Quel est l’homme visunt qui ne verra pas la mort. Soustraira son âme au schcôl? (lxxxix, 4X-49.) Nous reviendrons plus loin sur cette Idée du schcôl. Pour le moment, retenons celte loi universelle de la mort, et aussi la constatation assez amère de la misère de l'homme. Cette constatation, nous la retrouvons 1128 en d'autres passages. Nous avons déjà cité les p* χΓ 3-10, et cm, 15. *' ’ Jahvé, qu’est l’homme pour que tu le connaisses? Le ills de l’homme, pour que tu penses â lui? L’homme est semblable ù un souffle; Scs Jours sont comme l’ombre qui passe, (ext iv, 3-|.) Fais-moi connaître, ô Jahvé, ma fin; Et la mesure de mes jours quelle est-elle? [) (IQuelqucs palmes tu as données à mes Jours; Et ma durée est comme un rien devant toi. JComme un souffle se tiennent tous les hommes; JComme une ombre l’homme s’en va ; JPour rien il s’agite; il amasse; Et ne sait pas «pii recueillera. (xxxix, 5-7.) La brièveté de la vie est dépeinte sous les Images d'un souffle, d’une ombre, de l'herbe qui sc flétrit, ct aussi sous celle de la sauterelle qui disparaît : Comme l’ombre qui décline Je m’en vais; Je suis ballotté comme la sauterelle. (αχ, 23.) Soixante-dix ans. peut-être quatre-vingts, cc total de nos années · n'est que peine el vanité, car il passe vite cl nous nous envolons », ps. xc. 10. Et pourtant un psaume, qui nous est familier, ne laisse pas de chanter la grandeur de l’homme en des termes Incomparables. Le psalmistc, ému de tant de dignité, entonne la louange de Jahvé devant le spec­ tacle que lui offre la splendeur de l'homme, centre de toute la création : Quand je contemple 11 l’ouvrage de tes mains, La lune cl les étoiles que tu as formées. Qu’est donc le mortel que tu songes à lui. El le fils de l’homme que tu l'en occupes? Car tu lui ns fait manquer de peu d’être un Dieu, Et de gloire et de majesté tu l’as couronné. Tu le fais présider aux oeuvres de tes mains. Tu as tout placé sous ses pieds : Brebis et bœufs tout ensemble. Et aussi bêtes des champs. Oiseaux des deux et poissons de In mer, Cc qui sillonne les sentiers des eaux. ('ΤΠ, 4-9.) 2° Vie religieuse ct morale. — M. I L YVheeler Robin­ son, The inner Life of the psalmists, dans The psalmists, Oxford, 1926, p. 46, a essayé de définir en quoi consis­ tait essentiellement In vie religieuse cl morale de l'homme d'après le psautier ct il écrit : « La note tonique du psautier semble être donnée dans ccs mots du ps. L, 15 : Appelle-moi au jour de la détresse Je te délivrerai ct lu me glorifieras, mots qui, ainsi que le dit Gunkel, résument brièvement toute la vie du fidèle. » Nous ne pouvons souscrire à cette opinion. Sans doute, cc verset du ps. L nous offre l'une des pensées les plus chères aux psalmistcs: Dieu ne se laisse pas appeler en vain par son fidèle; il vient à son secours; cl le fidèle n'a rien de plus à cœur que de glorifier celui qui l'a délivré. Mais c'est faire trop dépendre la vie religieuse de l'Israélite de la détresse où il sc trouve. Antérieurement à ces sentiment s. Il y en a d’autres plus calmes, el tout aussi vrais; ils correspondent à un étal d’âme plus général, Indépendant de la détresse mo­ mentanée du pieux Israélite. Pour nous, la vie religieuse ct morale du psautier sc résume bien mieux dans la strophe suivante : l’nc seule chose j’ai demandé à Jahvé; Cela je le recherche : Habiter dans la maison de Jahvé Tous les Jours de ma vie, A lin de Jouir de l’amitié de Jahvé Et d’ndmlrcr son temple. (xxvn, 4.) PSAUMES (LIVRE 1129 LES). LE CULTE DU TEMPLE 1130 soutient dans leur marche difficile. Voici comment Ces deux derniers mots caractérisent fort bien l'idéal nous restituons ccs versets : du Adèle : jouir de l'amitié de Jahvé et admirer son temple. Nous retrouvons sous la plume du psalmistc cc Heureux ceux dont la force esl en loi. que la religion nouvelle ne fera que mettre davantage Pèlerins de la vallée de larmes. en valeur : l'amitié de Jahvé. Y participer, en jouir, Ils placent les ‘montées’ dans leur cœur, n’est-ce pas le principal de la vertu théologale par Et le guide entonne les 'bénédictions* . excellence? Si l'auteur ajoute : ct admirer son temple, Ils vont de plut en plus vaillants. Marchant vers Dieu dans Slon. (lxxxiv, 6-8.) c’est que, pour lui, le temple n'est pas seulement la construction de pierres dont s'émerveilleront un jour Le pèlerin ne peut qu'envier le Juif qui habite Jéru­ les disciples môme de Notrc-Seigncur, c'est l'habita­ tion de Jahvé. A Sion, Jahvé a placé sa demeure, salem ct qui peut sc rendre chaque jour, et plusieurs fois par jour, au sanctuaire divin : ps. IX. 12; XLViii, 2-1 ; lxxvi, 3; c'est la montagne où il fait sa résidence, ps. lxxiv, 2. De Sion, il protège Combien est aimable ta demeure, les siens, ps. xx, 2, ct bénit son peuple. Ps. cxxvm, 5. Jahvé des armées. Mon âme soupire et s’épuise 1. Culte du temple. — Que le Adèle demeure à Jéru­ Après tes parvis, Jahvé. salem ou cju’il s’y rende en pèlerinage, c’est vers le sanctuaire que scs yeux se tournent : là, il sera sous la Mon cœur et ma chair exultent houlette du bon pasteur ct n'aura rien à craindre. Après le Dieu vivant. Volontiers, Israël sc compare au peuple du pâturage ’Après* tes autels, Jahvé des armées. de Dieu, au troupeau que sa main conduit, ps. xcv, 7; Mon roi et mon Dieu. c,3. C’est pourquoi, sous la direction du pasteur qu’est Môme l’oiseau se trouve [] un nid. Dieu, il parviendra à la maison de Jahvé, sans en­ Où il dépose ses petits. combre, sans souffrances, sans embûches : Jahvé est mon pasteur, je ne manque de rien ; Dans les prairies il me fait coucher. Près des eaux ou l’on se repose, il me conduit ; Il restaure mon finie. Il me guide dans les bons chemins A cause de son nom ||. Avec moi sont ta houlette ct ton bâton; Ils me sauvegardent. Tu En Tu Ma Car un jour dans les parvis vaut mieux Que mille 'dans les rues’ Et se tenir nu seuil de la maison de mon Dieu Que séjourner dans les tentes (|. (lxxxiv, 2-5, 11.) De ccs pèlerinages le fidèle remportait dans sa pro­ vince le souvenir réconfortant : Voici ce que je me rappelle, en répandant En mol mon Ame : .le me rendais en compagnie des ’nobles* A la maison de Dieu. En des accents de joie et de louange. Tumulte de fête. (xm, 5; cf.xun, 3-4.) as dressé devant mol une table. face de mes ennemis ; as oint d’huile ma tète. coupe est abondante. Oui, la bonté ct la faveur me poursuivent Tous les jours de ma vie; Et j’habiterai dans la maison de Jahvé Pour de longs jours. Heureux ceux qui habitent ta maison. Ou sans cesse ils le louent. 1-6.) Si le Adèle désire la maison de Jahvé, c’est pour y trouver Dieu; en réalité, cc qu’il poursuit, c’est le commerce intime avec Jahvé : ’Jahvé’, tu es mon Dieu, je te cherche; Mon Ame a soit de toi; Ma chair languit après toi. Comme une herbe desséchée (J, sans eau. C’est ainsi que dans le sanctuaire je te contemplais. Pour voir ta puissance cl ta gloire. (t.xm. 2-3.) Quoi de plus élevé que cette recherche de Dieu el que cette contemplation divine! Le Adèle v trouve sa véritable félicité : Heureux qui tu choisis et fais approcher» Pour qu’il habite tes panis ! ’ II’ sera rassasié du bonheur de ta maison. ’Dr’ la sainteté de ton temple. (lxv, 5.) Aussi est-ce une vraie joie pour l’Israélite que de se rendre en pèlerin à Jérusalem. D’avance son âme exulte : Je me réjouis quand on me dit : Allons Λ la maison do Jahvé. · Soi pieds sc sont fixés A les portes, Jérusalem. Jérusalem, bâtie comme une ville 0(1 l’on ’sc réunit’ ensemble; C’est lâ que montent les tribus. Les tribus de Inh. Xcxxn. 1-3.) On sent, a travers le texte mutilé d'une partie du ps. lxxxiv, que la vision qui attend les pèlerins les Xul doute qu’au milieu de ces réjouissances, le pèle­ rin. comme le Adèle de Jérusalem, ne goûtât la pré­ sence divine : Pour faire entendre la voix de ta louange Et pour raconter toutes tes merveilles. Jahvé, J’ai aimé le séjour de ta maison. Et le lieu ou réside ta gloire. ((χχνι. 7.) Voilà bien cc que cherchait avant tout l’âme de tout Israélite dans scs visites au sanctuaire de Sion : le lieu où réside la gloire de Jahvé. Lâ, on était sûr de ren­ contrer l'amitié divine, en présence du Dieu vivant. Splendide conception de vie religieuse, que Ton oublie trop souvent quand on parle de la piété du psautier! Et si proche de la religion nouvelle! Bien de formaliste en ces accents du psalmistc. qui révèlent l’objet pro­ fond de sa contemplation intérieure, Jahvé : La splendeur et la majesté sont devant sa face. Li puissance cl la magnificence dans son sanctuaire. (txcvj, fi.) Si la fréquentation du Temple est avant tout satis­ faction d’une vie surnaturelle, il n’en est pas moins vrai qu’elle s’accompagne de manifestations extérieures, communes à toute religion, mais particulièrement dé­ veloppées chez les Israélites, dansçs, processions, chants, musique, cf. ps. cxlïx et cl. En outre, le culte du Temple comporte un rituel, holocaustes, offrandes, accomplissement de vœux, sacrifices de toutes sortes. Le psautier n’a garde d’oublier cet aspect sacrificiel de la religion juive : A toi 'convient* la louange ’Jahvé*. dans Sion; Et on acquitte le vœu envers toi. Qui entends la prière. 113! PSAUMES (IJ VUE Jusqu’à toi vient toute chair, *A couse’ des iniquités. Nos transgressions pèsent sur ’nous*; Toi, tu les pardonnes. (CXV, 2-4.) J’en trend dans ta maison avec des holocaustes ; J’ncquiItérai envers toi mes vœux. Pour lesquels mes lèvres se sont ouvertes Et que ma bouche a prononcés dans ma détresse. J’apporterai des brebis grasses en holocaustes I). J’offrirai le Ixruf ct les boucs. ((lxvj, 13-15; cf. i.vi, 13 ; cxvi, 12-14. 17-19.) C’est d’ailleurs l’ordre formel du psalmlste : Donnez ù Jahvé La gloire de son nom ; Apportez l'offrande Et venez Λ scs parvis. (xevi, S.) Cependant il est indéniable que Jahvé réclame impé­ rieusement le culte intérieur avant le culte extérieur. Une religion qui ne sc traduirait que par des rites sacrificiels n’aurait pas sa faveur. Cc que Jahvé exige de ses fidèles, c’est,d’une part, l’adoration ct la louange et, d’autre part, la contrition ct l’humilité du cœur en même temps que la pureté ct l’innocence de l’âme. Voici trois beaux textes qui apportent sur cc sujet toute la clarté désirable. Dans le premier. Jahvé s’a­ dresse à son peuple : Ce n’cst pas A cause de tes sacrifices que je te reprends ; Car tes holocaustes sont toujours devant mol. Je ne prends pas de ta maison le jeune taureau, NI de tes bcrcails les boucs. Car A mol sont tous les animaux de la foret. Toutes les bêtes des ’montagnes’ par milliers. Je connais tous les oiseaux ’des deux*. Et cc qui se meut dans les champs m’appartient. SI j’avais faim, je ne te le dirais pas; Car A mol est le monde ct tout cc qu’il contient. Est-ce que je mange la chair des taureaux? Est-ce que je bols le sang des boucs? Offre A Dieu le sacrifice de louange Et accomplis tes vœux envers le Très-Haut. Et appclle-mol au jour de la détresse. Je te délivrerai et tu me glori Hems. (l, 8-15.) Par réaction contre une religion trop ritualistc ct trop matérialiste, l’auteur du Miserere accentue davan­ tage le sentiment Intérieur qui doit animer le fidèle ct fait écho à plusieurs diatribes des prophètes contre un culte sacrificiel sans Ame et sans esprit : Tu ne te plais pas au sacrifice (1 Et si j’offre l'holocauste, tu ne l’accueilles pas. I] lx» cœur contrit et humilié, ’ Jahvé’, tu ne le dédaignes pas? (u, 19.) Une glose a fort bien compris cc que voulait le psal­ miste. Elle commente de la manière suivante : < Les sacrifices de Dieu, c’est un esprit contrit. » Voilà cc quo Jahvé accepte favorablement, voilà à quoi il sc plaît. Lc troisième texte sc meut dans une atmosphère plus calme et plus Irénlque. Il spécifie quelles sont les conditions pour être admis dans le Temple ct y goûter les joies spirituelles de l’amitié ct de la contemplation divines : DES). LA LOI 1132 vic pure de tout mal et capable de tout bien? L’uutcur du ps. Lxxxvn a cru à cette possibilité; celte idée l’exalte ct II voit en pensée une multitude de peu­ ples se rattachant à Jahvé. Le centre du culte étant à Jérusalem, il a corn| osé un chant dithyrambique pour célébrer ce qu’on peut appeler, sans aucune exagération, la maternité spirituelle de Slon; on \ perçoit cct enthousiasme universaliste que nous avons constaté dans le ps. lxvih et, malheureusement, comme dans ce dernier psaume un glossatcur natio­ naliste et particulariste a apporté de tels changements par quelques retouches textuelles que le chant en est devenu très difficile à comprendre. En voici un essai de restitution : Jahvé aime les portes de Slon Plus que toutes les tentes de Jacob. On rapporte de fol des merveilles, Ville de Dieu. Je compte Rahab et Babel Parmi ceux qui ’connaissent Jahvé’ lui Phllistle, Tyr, avec Cousb. Ils sont nés, chacun, là. Λ Slon ils disent : ’Maman*, Car chacun y est né (1. Jahvé enregistre par écrit [J: Celui-ci est né là. 2. La Loi. — Avoir les mains innocentes ct le cœur pur ct ne point porter son Ame vers le mal. qu’cst-ce autre chose dans le concret que pratiquer la Loi qui & été donnée à Jacob ct établie en Israël, ps. lxxvhî, 5? Pour célébrer la beauté de ccttc Loi, l’auteur sacré lui a consacré tout un psaume de 176 versets, psaume alphabétique, merveilleusement composé au point de vue technique, dont chacune des vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu commence successivement huit ver­ sets, voir F. ZorclLS. J., Textkriiischesziim 119. (118.) Psalm, dans Btblica, 1923, p. 375-380. Tout y est dit avec une plénitude et une variété qui prouve dans son auteur un véritable artiste. Λ côté de cc long poème didactique, le psautier con­ tient un chant délicieux dans sa brièveté : lui loi de Jahvé est parfaite; Elle recrée l’âme. L’enseignement de Jahvé est sûr; Il instruit l’ignorant. Les préceptes de Jahvé sont droits ; Ils réjouissent le cœur; Lc commandement de Jahvé est clair ; Il Illumine les yeux. La crainte de Jahvé esl pure ; Elle demeure A jamais. Les jugements de Jahvé sont vérité; Ils sont tous équitables. Ils Et Et Et sont plus précieux que l’or que beaucoup de métal Un. Ils sont plus doux que le rniel que le produit des rayons. Aussi ton serviteur s’y attache; A les garder II y a grand profit. Les erreurs qui les fera remarquer? Purifie-moi de celle que j’ignore. (xix, 8-13.) Qui gravira la montagne de Jnhve, Et qui te tiendra dans sa demeure sainte? Celui qui n les mains Innocentes el le cœur pur. Qui ne porte point son Ame vers le mal (1. (xxiv, 3-4.) C’cst un vrai bonheur que de méditer jour ct nuit sur la loi de Jahvé, ps. i, 2. L’homme qui s’y prête, Le ps. xv, qui est à rattacher directement au ps. xxiv, ne fait que préciser en quoi consistent ccs conditions : Innocence ct pureté de cœur; cf. aussi ps. χχνι, 5-6. N’était-ll pas possible de trouver en d’autres peuples qu’en Israel cct’appel vers Jahvé ct ccs conditions de (i, 3-4.) 11 sera comme un arbre planté Auprès des cours d'eau. Qui donne son fndt en son temps El dont le feuillage ne se flétrit point. Tout cc qu'il fait il réussira, Ici encore, il s’agit bien plus de culte intérieur, de culte en esprit ct en vérité que de pratiques extérieures. PSAUMES (LIVRE LES). LE PÉCHÉ 1133 1134 Je me conduirai (Lins l’innocence de mon cœur, Λ l’intérieur de ma maison. Je ne pincerai devant mon regard Aucune Intention scélérate. La Ixii doit être inscrite dans le cœur du fidèle, ps. xxxvil, 31. Elle n'est que l'expression de la volonté divine. La mettre en pratique, c'est avant tout faire la volonté de Dieu : lui victime ct l'offrande. tu n'a* pas désiré; Mais tu m’as 'ouvert' les oreilles. L’holocauste cl le sacrifice tu n’as pas demandé; (J Vois, je suis venu. ‘Celui qui commet’ des fautes j’ai détesté; fl ne s'attachera pas à mol. Ix pervers s'éloignera de moi; Le méchant, je ne le connaîtrai pas. () Le rouleau du livre est écrit en moi Pour que je fasse ta volonté. Mon Dieu tu as ‘reconnu’ () ta loi Λ l’intérieur de mes entrailles. Celui qui calomnie en secret son prochain. Celui-là je l’exterminerai Celui qui n l’œil hautain et le cœur orgueilleux. Celui-là je ne le supporterai pas. (xl, 7-9.) Trois vertus, qui sont souvent prônées dans les psaumes, aident le fidèle A garder la loi et les comman­ dements de Jahvé, malgré toutes les difficultés de ccttc tâche : a) La confiance en Jahvé, xxv. 2; xxvn, 3; xxviii, 7; XL, G; lvî. 5, 12; etc. b) L'espérance en Jahvé, xxv, 3; xxxix, 8; xl, 5, etc. c) La crainte de Jahvé, xxv, 12; xxxiv, 10; cm, 17; cxv, 11. Celte crainte n'a pas nécessairement un caractère servile. On peut même dire qu’elle est surtout inspirée par l'amour ct qu'elle attire l'amour et la familiarité de Dieu. Mon regard sera sur les fidèles du pays. Pour qu’ils demeurent avec mol. Celui qui marche dans la vole de l’innocence. Celui-là sera mon serviteur. Il ne demeurera pas à l’intérieur de ma maison. Celui qui pratique La fourberie. Celui qui dit des mensonges ne restera pas Devant mon regard. (a. 1-7.) Lc ps. L contient ccttc diatribe contre le pécheur Qu’as-tu à parler de mes décrets Et à mettre mon alliance (Lins ta bouche. Alors que tu huis la discipline Et que tu jettes mes paroles derrière toi? Lc secret de Jahvé est pour ceux qui le craignent. ((xxv. i l.) Jahvé prend plaisir en ceux qui le craignent. En ceux qui espèrent en sa bonté. (CXLVii. 11.> Si tu vois un voleur, tu deviens son ami, El avec les adultères tu fais cause commune. Tu livres ta bouche au mol. Et ta langue tisse la tromperie. Jahvé est proche de tous ceux qui l'invoquent. De tous ceux qui l’invoquent avec sincérité. Il réalise le désir de tous ceux qui le craignent. Il entend leur cri ct les sauve. Jahvé garde tous ceux qui Palment. (cxlv, 18-20.) Aussi nous dit-on que la crainte de Dieu est le prin­ cipe ou le summum de la sagesse, exi, 10. Lc fidèle, confiant en Jahvé, qui espère en lui et qui le craint, s’attache de toute son Ame à la Loi; il en garde toutes les prescriptions et peut s’écrier : Alors je serai parfait ct pur. Sans une multitude de péché*. En plus des péchés individuels, il y a les péchés nationaux, les fautes d'Israël contre son Dieu, dont 11 n’a pas reconnu les bienfaits : Nous avons péché comme nos pères. Nous avons commis l’iniquité. Nous avons fait le mal. (XIX, 11.) 3. Lc pMtf. — Lc péché, pour le psalmiste, est une transgression de la loi de Jahvé. un manque de con­ fiance et d'espoir en Dieu, une absence de crainte de Jahvé. Lc péché comporte une souillure dont il faut sc laver intérieurement, ps. j.i, 3. C’cst un pesant fardeau, trop lourd à porter, ps. xxxvin, 5. Les espèces de péché sont très diverses; elles sont aussi variées que les ordonnances de la Loi. Certaines sont plus particulières aux fonctions spéciales remplies par des catégories d'individus comme les magistrats et les juges, ps. i.vm, i.xxxn, xciv. Le ps. xv nous énumère quelques Infractions réprou­ vées par Dieu el qu’évite le vrai fidèle : Celui qui marche innocent rt pratique la justice Et qui dit la vérité en son cœur. Qui ne calomnie pas avec su langue. Qui ne fait pas de mal Λ son prochain Et ne jette pas l’opprobre sur son voisin. S’il a fait un vœu onéreux. Il ne change point Il ne prête pas son argent ù hitérêt Et ne reçoit pas de présent contre l’innocent. ((xv, 2-5.) Dans le ps. ci, nous voyons le fidèle dans l’exercice de sa vie morale et sociale. Lc psalmlste indique com­ ment il conçoit cette activité de chaque jour : en regard des diverses infract Ions que commet le méchant, le juste qui pratique comme Dieu la bonté ct le droit détaille sa manière de faire : lui bonté ct le droit 'je garderai’ A cause de toi Jahvé (J. Jr semi attentif Λ la voie de l’innocence. (I qui sc présentera Λ mol. Tu parles ‘honteusement’ contre ton frère; Tu lances l’injure contre le fils de ta mère. Voilà cc que tu as fait ct je me suis tu; Tu t’es imaginé que j’étais comme toi. (L, 16-21.) (cvi. 6.) Tout le ps. cvî, est un rappel des ingratitudes d’Is­ raël. Dans le ps. lxxvhî, qui est l’histoire du pardon divin dans l'histoire d'Israël, nous trouvons le même reproche : Ils Et Et Et n’ont pas gardé l’alliance de Dieu. sa Loi ils ont refusé de la suivre. Ils ont oublie 1rs hauts faits les merveilles qu’il leur avait fait voir. ((Lxxvin. (10-11.) Aveu, repentir, appel A la pitié et A la miséricorde divine, tels sont les sentiments du fidèle qui veut sc faire pardonner sa faute : Pour mol. j’ai dit : Jahvé. ale pitié de mol. Guéris mon Ame; Car j’ai péché contre toi. (xu. 5.) H n’est pas exagéré de dire que tout le psautier est rempli de cct appel ù la pitié de Jahvé. Des péchés do ma jeunesse ne te souviens pas. (xxv, 6.) A cause de ton nom. Jahvé. Tu pardonnes mon péché, car il est grand, (xxv, 11.) ’Secours’ ma misère ct ma peine Et pardonne tous mes péchés. (xxv, 18.) C'est que l'auteur du ps. cxlhi, 2, déclare : Aucun vivant n’cst juste devant ta face. L’Église a fait choix, dans le psautier, de sept psau­ mes destinés A devenir des formules de prière pour les 1135 PSAUMES (LIVRE DES). LES PAUVRES 1136 hébraïque 'dvén a le sens de < magic », que n’a pas su découvrir le dictionnaire de Gcscnius-Buhl; les pé’a/é'âvén (que l’on traduit d'ordinaire par ■ artisans d’ini­ quité ») sont donc des « magiciens ». De cette magic on retrouve des manifestations dans la croyance populaire Israélite. Or, les psaumes Individuels de plainte ont uniMon âme est dans une grande épouvante ; grande ressemblance avec les psaumes babyloniens. Mais toi, Jahvé, jusques à quand?... Mais ccs psaumes babyloniens sont tout Imprégnés de Reviens (], délivre mon Ame; Sauve-moi A cause de la miséricorde. (vr, 4-5.) formules ct d'allusions magiques. Il est donc clair que la magie est également en vue dans les psaumes hé­ Puis la chute avec ses funestes conséquences, braïques. Ce sont des sorciers qu’i 1 faut voir sous le mol ps. xxxvni : générique d’ennemis. Les psaumes individuels étaient des psaumes liturgiques, qui portent encore la trace de Il n'y a rien d'intact dans mi chair (); Il n'y n rien de sain duns mes on []. leur destination cultuelle; on se rendait au Temple Oui, mes iniquités ont dépassé m i tête ; pour accomplir les rites de purification contre la magie Comme un pesant fardeau, elle pèsent trop pour moi. ct scs funestes sortilèges. Dès avant la période des ((XXXvin, 4-5.) Machabécs, quand on cessa d’employer les rites de Ensuite la contrition après le péché commis, ps. li : purification contre la m igic, on changea la destination des psaumes individuels de lamentation ct, par des Ale pitié de moi, ’Jahvé’, dins tn bonté; additions diverses, on leur donna un sens collectif. Selon la grandeur de ta miséricorde efface men péchés. A cela on peut répondre que sans doute la magic joue Lave-moi complètement do mon iniquité Et de ma faute purifie-moi. un grand rôle dans les psaumes babyloniens; mais n’est-il pas hâtif d’en conclure, â cause de vagues res­ Car mes péchés, mol je les conn ils semblances, que les psaumes hébraïques de plainte Et mon iniquité est constamment devant mol. sont, eux aussi, de caractère magique? Car il ne saurait Contre toi. contre toi seul, j'nl péché. échapper â personne que la magie ne s'est aucunement Et j'ai fait cc qui est m il Λ tes yeux... développée dans la religion hébraïque comme dans la religion babylonienne; les témoignages, contrôlés avec Ote mon péché avec l'hysopo ct je serai pur. Lave-moi ct je serai plus blanc que la neige... soin, sur l’existence d'une magic Israélite sc réduisent Détourne ta face de mes péchés. à peu de chose. Reste le mot hébraïque 'âvén qui forme Et toutes mes iniquités eiTace-les. (U, 3-6, 9. il.) le point de départ de l’argumentation de M. Mowin­ ckel. Est-on en droit de lui donner le sens de magic? Voici l’appel vers le secours divin, suivi du pardon, Mous ne le croyons pas. M. Mowinckel invoque deux ps. en, exxx, cxliîl Le De profundis est un chefversets des Nombres, xxiii, 21, 23, qu'il rapproche et d’œuvre d'ardente supplication : un passage de I Reg., xv, 23, où le mot 'âvén serait en Des profondeurs je t'ai appelé. Jahvé, parallèle avecqésém, «divination ». Le rapprochement Entends ma voix. des deux versetsdes Nombres ne s'impose pas tellement Qu'elles soient attentives, tes oreilles, qu’il faille recourir au sens de < magic » pour le terme A ma voix suppliante ! 'âvén. ct dans le livre des Rois 'âvén est en relation, plus probablement, avec le mot « péché » (cf. Dhorme, Si tu observes les fautes. Jahvé, Qui donc subsistera? £e.< livres de Samuel, p. 135). M. Mowinckel traduit Mais près de toi est le pardon. encore pôalê-'âvén par magiciens, sous prétexte C'est pourquoi j'ai espéré. que ccttc expression s’applique à des gens qui causent du dommage à des hommes innocents ct sans Jahvé, mon âme a espéré; défense, qui les tuent, qui leur enlèvent leurs biens, Et après ta parole j'aspln qui les rendent malades, qui exercent dans l'ombre Mon Ame aspire après Jahvé. leurs pratiques perfides, qui agissent avec leur langue Plus que les veilleurs après l'aurore. ct des mots puissants, qui se servent de moyens ct de Espère. Israël, en Jahvé. gestes singuliers ct leur attribuent une puissance Car près de Jahvé est la miséricorde. particulière. Mais ce sont là des traits qui ne sont C'est lui qui rachète Israël nullement spéciaux aux magiciens. Et encore faut-il De toutes ses fautes. (exxx. 1-8.) dire que M. Mowinckel choisît des formules qui ren­ Enfin s'épanouit le bonheur après le pardon, ps. draient l'équivalence entre 'doén cl magie plus natu­ xxxii : relle ct plus évidente. Il suffira de lire, par exemple les ps. xi! et xia; on n’y découvrira rien de magique, mais Heureux celui dont la faute est pardonnéc, des lèvres trompeuses et des médisances dont la mal­ Celui dont le péché c>l couvert. faisance n’a pas besoin pour agir efficacement de s’ai­ Heureux l'homme, â qui il n'hnputc pas, Jahvé, l'iniquité. der de pratiques magiques. Voir un minutieux compte rendu de la thèse de M. Mowinckel par M. E. PodeJ’ai avoué ’contre moi* chard, dans Revue biblique, 1923, p. 141-145. Ma faute a Jahvé ; L’on voit par là que rien n'est plus facile que de faire Et toi, tu as eiT.icé des thèses à propos du psautier. Le fidèle sc sent écrasé L'iniquité de mon péché. (xxxu, 1-2, 5.) sous le poids de ses fautes; il s'imagine que son âme I. Artisans d'iniquité el pauvres. — Un terme revient va descendre au schcôl; il décrit son état comme une fréquemment dans le psautier, c’est celui de pô’alémaladie qui le met à deux doigts des portes du tom­ ’én. que Γοη peut traduire par < artisans d’iniquité ». beau. D’où la tentation de voir dans tous les psaumes Ce sont les méchants, les impies, les orgueilleux, les semblables des morceaux composés par des malades blasphémateurs, les oppresseurs. M. Sigmund Mowin­ qui vont chercher près de Jahvé, avec le secours de ckel en n parlé abondamment dans sa première élude rites magiques, la santé qu'ils ont soi-disant perdue. sur les psaumes, parue sous le titre : Aivân und die Le fidèle se sent dominé et opprimé par une caste de indiüiduftlm Klagepsalmen, Kristiania, 1921. gens s ms aveu ct de richt s sans foi ni loi; il oppose sa En négligeant les nuances, on pourrait résumer la pauvreté à la richesse des méchants. D'où la tentation thèse de M Mowinckel de la façon suivante : le mot d'identifier fidèle et pauvre rt de fain de ces pauvres jours de pénitence, de deuil et de calamité. Ccs sept psaumes de la pénitence forment un ensemble, dont on peut souligner l'ordonnance logique de la manière suivante : Tout d’abord la tentation avec scs émois, ps. vî : 1137 PSAUMES (LIVRE DES). LES SANCTIONS une communauté <|u i s'oppose à In caste des méchants. Cette dernière thèse commande toute la première par­ tie de l'ouvrage d'h. Loch. Λα littérature des pauvres dans ta Bible. Paris, 1892, el II faut constamment réa­ gir contre un esprit systématique «pii dirige toute la discussion et en fausse les nombreuses données et les multiples renseignements. Pourtant Loch écrit, p. 7 : « La misère du a pauvre », on le sait, est moitié réelle ct moitié fictive... Dans sa misère ct dans les souffrances qu'il endure de la part du méchant, il y a beaucoup d'illusion,le mal dont il soutire est à moitié imaginaire, un mal de poète, où il entre une forte dose de conven­ tion. » Cette constatation aurait dû garder l'auteur d’une systématisation qui nuit gravement à son expose. M. A. Causse, Les · pauvres » (ΓIsraël, Strasbourg, 1922, p. 100, proteste contre ces réflexions de Loeb : < Les souffrances de la pauvreté, même sous le ciel palestinien, ne sont pas nécessairement des fictions lit­ téraires. » D'accord. Mais il nous paraît que c'est une faute de perspective que de vouloir centrer toute la piété juive du psautier sur une conception des < pau­ vres ». Le psautier est le livre du fidèle, bien plus que le livre des «pauvres» conçus comme un groupement, bien que le fidèle soit parfois réduit, par les procédés malhonnêtes des méchants, à la plus extrême pauvreté, ct qu’il puisse être jeté dans un état lamentable de prostration par la considération de scs péchés. Je ne citerai qu’un exemple de cc gauchissement pratiqué par M. Causse. Dans le chapitre qui concerne la com­ munauté des pauvres (rien ne permet de traduire ainsi la grande assemblée dont il est parlé, ps. xxn, 23; xxxv, 18; XL, 10-11), M. Causse écrit, p. 105 : « Il est seulement vrai que les pauvres dispersés dans le pays sc savent unis par des liens très étroit^ Ils sont une famille spirituelle. Ils soutirent ensemble et ils luttent ensemble pour le triomphe de la loi de Dieu. Ils con­ naissent la douceur infinie de l’union des âmes, l'union dans le culte et dans l'aspiration. » Et l’auteur cite à l'appui le ps. cxxxin, dont nous pouvons donner la traduction critique suivante : Voici, qu’elle est bonne et qu’elle est agréable La cohabitation des frères [j. C’est comme une huile délicieuse sur la tête ’Qui’ descend sur la barbe. ’C’est comme* In barbe d’Aaron qui descend Sur le bord de ses vêtements. C’est comme une rosée de l’Hcnnon qui descend Sur les monts de Slon. Car c’est 1Λ que Jahvé a envoyé La bénédiction (] pour toujours. 1138 soit pas encore organisée, peu Importe, le fondement est pose ; c’est déjà l'esprit qui inspirera les groupe­ ments des premiers chrétiens, et plus tard les ordres monastiqu.’s. » (C’est nous qui soulignons.) Dans cc commentaire, par ailleurs si sympathique, la seule chose que nous n'admettrons point.ee sont les mot\qui ont été mis en italique, où l’on dépasse, nous semble-t-il, le sens du texte. 5. Sanctions. — Même coupable, le fidèle n'a pas de raison de sc décourager, pourvu qu'il se repente ct revienne près de Dieu solliciter le pardon au nom de Jahvé. Ainsi que le dit une glose du ps. cm, 9 : « Jahvé ne sévit pas pour toujours, ni ne se fâche à jamais. » Dieu est miséricordieux et compatissant : Il ne nous traite pas selon nos péchés. Et ne nous rétribue pas selon nos Iniquités, (cm. 10.) Quand il compare son sort à celui du méchant, le juste ne peut en éprouver que de la sécurité : Les souffrances sont pour le méchant; Mais celui qui sc confie en Jahvé La miséricorde l’entourera. Eux Mais Eux Mais (xxxn. 10.) ’montent’ (] des chevaux; nous, ’nous sommes forts* au nom de Jahvé (j. s’inclinent ct tombent ; nous, nous restons debout et fermes, (xx. 8-9.) Pourtant les méchants ct les impies semblent pros­ pérer. Mais ce n'est qu’un bonheur passager : Ne crains pas lorsqu’un homme s’enrichit. Lorsque s’accroît l’honneur de sa maison ; Car à sa mort il n’emporte rien. Et son honneur ne descend pas derrière lui. Oui. son âme pendant sa vie est ’bénie*. Et on ’La’ loue, car elle ’se* fait du bien. Elle entre dans la lignée de ses pères; A jamais ils ne reverront plus la lumière. L’homme dans la splendeur ’ne dure pas* Il est semblable aux bêtes qui périssent, (xlix. 17-21.) C’est dans le même ordre d’idées que sc meut l'ail· tcur du ps. xxxvii ; le contraste entre le bonheur stable du juste ct la réussite momentanée du méchant est flagrant : Ne t’irrite pas nu sujet des méchants ’Et* n’envie pas ceux qui font le mal; Car comme l’herbe bientôt Us seront fauchés. Et comme la venture du gazon Us sc flétriront. Confie-toi en Jahvé ct fais le bien; Habite le pays ct pratique la fidélité. \lors tu auras tes délices en Jahvé, Et U te donnera ce que ton cœur désire. Ce petit morceau est tout à fait charmant. L’écri­ Encore un peu de temps et le méchant n’est plus. vain sacré a trouvé de jolies comparaisons pour chan­ Et tu regarderas sa place cl U ne sera plus. ter la cohabitation fraternelle. Il n’y a rien de plus et Mais les malheureux posséderont le pays c’csl déjà beaucoup. M. Causse (op. cit.) commente Et jouiront d’une grande paix. d’abord assez rigoureusement le texte, puis peu à peu reprend son idée de la communauté des 'andtdzn, qu’on Le peu du juste vaut mieux n’aperçoit pas du tout dans le psaume, à moins de iupQue l’abondance de nombreux impies ; poser que tout fidèle est un 'tlndü : « Dans les paroles de Car les bras des impies seront brisés ; Mais Jahvé soutient les justes. cc psaume s’exprime un sentiment d’une douceur infi­ nie : la joie de la communion des saints, t’n sentiment J’ai été jeune ct je suis devenu vieux. dont nous ne retrouvons l’équivalent dans aucune Et je n’ai pas vu le juste abandonné []. autre antiquité... Les anciens, Grecs et Latins, ont écrit Chaque jour il est généreux cl il prête des pages exquises sur l'amitié, l'amitié qui unit des Et sa postérité sera en bénédiction. âmes qui se sont rencontrées sur le chemin de la vie, ((xxxvu. 1-1, 10-1 J. 16-17. 25-26.) et que rapprochent certaines allinités de pensée et une De cc psaume alphabétique, mais aux pensées larges commune manière de sentir et de vouloir. Mais ici il ne s’agit pas de quelques âmes mises à part, il s'agit de et dans un style qui sc déploie, on rapprochera le toute une communauté religieuse. Tous les 'andvtm se ps. Lxxitl, qui ne le cède au précédent ni en élévation sentent unis, ils sont vraiment frères par l’esprit. Les d'esprit, ni en perspicacité d’observation. En regard de cette description du bonheur évanespauvres s’aiment entre eux, que celte communauté ne 1139 PSAUMES (LIVRE DES». LA VIE Et moi. je suis comme un olivier verdoyant Dans la maison de Dieu. J'ai confiance en la bonté de Dieu. Toujours cl à jamais. (] Et j’espère en ton nom. car il est bon Λ l'égard de tes dévots. (lu, 10-11.) D’ailleurs, le psalmistc déclare lui-même la règle qui dirige toute sa pensée el tout son cœur : les ennemis de Jahvé. ce sont les siens propres; on ne saurait leur accorder de pardon; il faut qu’ils soient exterminés: Puisses-tu faire mourir l’impie Et éloigner de moi les hommes de sang ! Eux. ils te résistent avec perfidie; Ils prennent pour des mensonges tes pensées! Le juste n’a pas seulement scs délices en Jahvé. Ce n'est pas une vague promesse qui lui est faite quand on dit de Jahvé qu’il lui donnera ce que son cœur désire. Le ps. cxn chante, en effet, la prospérité de celui qui craint Jahvé : N’ni-je pas de la haine pour ceux qui te haïssent ? Du dégoût pour ceux 'qui en ont pour toi’? Je les hais d’une haine absolue; Cc sont des ennemis pour mol. (cxxxix, 19-22.) L'opulence ct la richesse sont dans sa maison. Et sa justice demeure â jamais. (exil, 3.) Il relève de la poussière le faible; Du fumier il retire le pauvre. Pour 'le'faire habiter (1 avec les nobles de son peuple. Il donne à la femme stérile une maison : Ι-·ι mère avec des enfants est joyeuse. (cxm. 7-9.) Le psautier contient, plusieurs psaumes ou passages de psaumes dont les imprécations atteignent parfois une très grande violence, v, 11 ; xvm, 10-19; χχνιιι, 1 ; xxxv; uv, 7; lv, 16,21; lviil 11-12; lîx;lxiv, 8-11; lxix, 23-29; lxxxiii, 17-19; xciv, 23; cix; cxxxvn, 7-9; cxx.xix, 19; cxi., 10-12. On ne peut évidemment juger de ccs appels à la justice divine et ù la vengeance en sc mettant uniquement au point de vue chrétien, qui a placé le pardon des injures au premier rang des vertus du Christ. Le principe qui régit souvent les relations du Juif avec son adversaire, c’est celui du talion : œil pour œil, dent pour dent. Aussi n'est-il pas surprenant que, devant la trahison d’un ami. le psalmiste ait l’âme particulièrement révoltée : Certes, cc n’est pas un ennemi qui m'insulte Et que je supporte; Ce n’est pas mon halsscur qui s’élève contre mol Bt de qui je m’écarte. Voir la réponse apologétique â l’objection que l’on lire des psaumes imprécatoires dans A. Vaccari. art. Psaumes, dans Diet, apo!., col. 193-195. 3° Vie /liture, — En dehors des sanctions terrestres, y a-t-il une rétribution dans l'au-delà? Peut-on parler d’une doctrine de la vie future dans le psautier? Celte question est dépendante de la réponse que l’on fait au problème qui lui est intimement lié : le psal· miste a-t-il envisagé un au-delà? Sous quels traits le dépeint-il? Pour le psalmistc, comme pour de nombreux auteurs inspirés qui l’ont précédé, à la mort les âmes s’en vont au scheôl, voir Dhorme, Le séjour des morts chez les Babyloniens et les Hébreux, dans Brime biblique, 1907, p. 59-78, où tous les textes sont rassemblés ct classés; on lira aussi Touzard, Le développement de la doctrine de P immortalité, dans Bévue biblique, 1898, p. 207-211. Le scheôl est conçu par le psalmistc à la manière d’un séjour souterrain, où les défunts mènent une vie fort diminuée ct où ils sont comme des ombres | (re/atm), tels les mânes des anciens. Il esl donc redou­ table de tomber dans les filets du scheôl, dans les rêts de la mort, dans les torrents de l’enfer. Cc séjour des morts,on l’appelle aussi 'abaddôn,comme Job, xxvi.6, et les Proverbes, xv, 11. C'est la terre de l’oubli, le puits profond. Pour signifier sa détresse ct son désar­ roi, le psalmistc imagine qu’il descend déjà au scheôl : Mais c’est toi, homme de mon rang. Mon confident ct mon ami. Ensemble nous avions un doux commerce Dans la maison de Jahvé (J... Ils m’ont enveloppé, les filets de ln mort Et les rôts du scheôl. Elles m’ont atteint, l'angoisse et Γη fillet ion. Mais j’invoque le nom de Jahvé, (cxvt, 3.) Car ils n'ont point de relâche Et ne craignent point Dieu. On étend les mains contre ses 'amis’ On viole son pacte. Les Les Les Les Sa bouche est plus douce que le beurre. Et son cœur 'fait la guerre*. Scs discours sont plus onctueux que l’huile. Et cc sonl des épées nues. (lv. 13-11. 20-24.) Sur ccs amis traîtres,sur ccspersécuteurs des amis de Dieu, on attire la malédiction : , Mais toi, Jahvé, tu les feras descendre Dans la fosse du tombeau. Les hommes de sang cl de ruse N’atteindront pas la moitié de leurs jours {). 'flots* de la mort m'avaient entouré; torrents de l'enfer m'épouvantaient; filets du scheôl. m'avaient enlacé; pièges de la mort avaient été dressés contre moi. [( xviii, 5-0.) Dans le scheôl, l’on ne connaît plus personne. Du moins n’y a-t-on plus d’ami : Tu as éloigné de mol l'ami. Et 'seules* les ténèbres sont mes connaissances. [(LXXXVUl, 19.) Saisi comme dans un filet, le mort ne peut sc dégager de scs liens; H demeure attaché dans le scheôl : (lv. 21.) D’autres fols, le psalmistc identifie les ennemis de Dieu avec ceux qui veulent exterminer le peuple choisi, la nation d’Israël; et l’imprécation jaillit des lèvres du psalmistc qui voit l’injure faite à Dieu : Jahvé. qu’il n’y ait point de repos pour toi ; Ne sols pas sourd, ni Inactif, ô Dieu. Car voici tes ennemis s’ameutent ; Et tes halsscurs lèvent la tète. t i 40 Contre ton peuple fis trament un complot. El ils conspirent contre tes protégés, *Jahvé*. «(JAllons et supprimons-lcs comme nation, Et qu’on ne se souvienne pas du nom d'Israël (J. . ((Lxx.xtn, 2-5.) cent des impies, le psalmistc applique au juste, en sa personne, une image qui donne bien l'impression de sa sécurité : El voici qui met le pauvre en compagnie des no­ tables du pays, fidèles eux aussi à Jahvé : FUTURE Tu as éloigné de moi mes connaissances; Tu m’as rendu pour eux un objet d'horreur; 'Moi’, je suis enfermé rt ne puis sortir; Mon œil a dépéri par l'affliction. (i.xxxvm, C-10.) Cette dernière strophe, ct surtout le dernier vers, montre que l’auteur prend un style métaphorique pour dépeindre son état présent de prostration : Mon Ame est rassasiée de maux. Et ma vie touche au scheôl. Je comptr panni ceux qui descendent dans la fosse; Je suis comme un homme Λ bout de force. 1101 PSAUMES (LIVRE DES/. LA VIE FU1URE Tu m’a* place dans le puitu profond. Pans les ténèbres *n l’ombre L’atté­ nuai ion est évidente. Un lecteur a dû être choqué par le sens extrêmement réaliste du verset : El derrière toi. par la main, lu m'as pris. Mais la signification fonda­ mentale reste la même ct M. Podcchnrd, en commen­ tant ce texte. Revue biblique, 1923, p. 251.l’a bien mise en lumière : « Du sort des justes, l'essentiel seulement est affirmé. On en sait moins long ù leur sujet que sur la destinée des méchants. De celle-ci, la connaissance qu’on avait du cheol antique permettait de parler avec quelque détail, et surtout on pouvait insister sur la nécessité d'un châtiment d’outre-tombe pour les im­ pies dont toute la vie ici-bas fut heureuse : l'injustice ne serait-elle pas criante si nulle part leurs crimes n’étaient punis? Aussi s'étend-on avec complaisance sur ce sujet. A l'exception du seul t. 16, le ps. xux tout entier n’a pas d’autre objet, ct c’est encore le thème principal du ps. t.xxm. Mais c’est par une voie quelque peu differente que les psalmistcs sont arrivés â la con­ naissance de la vie future des justes. Ils ont moins conscience d’avoir droit â une récompense éternelle qu’ils ne sont frappés de ce qu’il y a de scandaleux dans la prospérité des méchants. Ils ne présentent pas la vie future comme un droit pour eux. ni comme le salaire dû â leurs mérites, mais comme un don de la bonté divine. C’est surtout, semble-t-il. un besoin de leur cœur. Avec la fol A l’éternelle Justice el â l’infinie bonté, c’est leur piété qui les élève aux espérances d’outre-tombe. Leur attachement à Dieu est si pro­ fond qu’il aspire ù durer toujours, qu’il ne comprend pas la séparation et entend braver la mort : quel amour ne veut être éternel? Aussi n’imaginent-ils pas cette nouvelle vie comme une accumulation de biens et de Jouissances. Ils n’y conçoivent d’autre Joie que celle de la société de Dieu, seul bonheur qu’ils aient apprécié sur terre. » Cc qu’avait encore de lacuneux les deux textes pré­ cédents sur le sort du Juste après la mort, le ps. xvi va y suppléer. Ici encore l’intérêt qu’ont porté les lecteurs â ce passage des plus importants les a poussés A faire quelques réflexions ou changements qui voulaient 1143 'PSAUMES (LIVRE DES). LE MESSIE 1444 compléter encore le texte sacré ct ccs réflexions ou | 1165; les psaumes exilions ou postexillcns xxn, xevi, changements sont passés comme gloses dans notre xcvn, xevin, ainsi que des passages dans les ps. 1, xiv, psaume actuel, mais sans en changer radicalement le LXvn, Lxxxvr, en. cxxvi, CXLIX, col. 1505-1510. Une sens ct sans en fausser la signification. étude synthétique rassemble ensuite cl compare entre Jahvé est ma part d’avoir et ma coupe (); ( elles toutes les données messianiques contenues dans les livres dc l’Ancicn Testament, ct, spécialement dam txcs cordeaux sont tombés favorablement pour moi. le psautier, col. 1535-1552. Oui. ‘mon’ héritage est bien beau pour moi. Essayons cependant de dégager une vue d’ensemble Je bénis Jahvé qui m’a Inspiré; Même la nuit mes reins m’ont averti. des prophéties messianiques, en ne faisant appel qu'aux psaumes que la majorité des critiques reconnaît comme l’ai placé Jahvé devant mol toujours messianiques et en rangeant les idées principales sous Parce qu’il est Λ ma droite, je ne chancellerai pas. quelques rubriques C’est pour cela que mon cœur sc réjouit 1° La promets* du Messie. —- Celte promesse,nous Et que mon ‘foie’ a tressailli. la trouvons dans e ps. lxxxix. Ce psaume se compose Même ma chair demeure dans la sécurité. dc deux poèmes amalgamés, dont le rythme est difléCar tu n*abandonncras pas mon âme au scheôl. rent, le premier est une louange dc la toute-puissance Tu ne permettras pas â ‘ton dévot’ de voir l’abîme. divine (î. 2, 3, 6-19) : nous en avons cité quelques Tu me feras connaître le chemin dc la vie : larges extraits plus haut; le second célèbre la royauté Rassasiement / the Psalms, Londres, 1928; .1. Weber, /x psautier du bréviaire rouiatn, Paris, 1932; l'r. W'utz, Die Psalmen, Munich, 1925; l'r. Zorrll, S. J.. Einführung in die Mtlrlk und die Kunst/orinm der hebrahrhrn Psalmen· •lichlung, Miinstcrcn-W*., 191-1; le mémo, Psalterium « 'ifbnro lalinum, Home, 1928. P. Synave. PSELLOS Michel, célèbre polygraphe byzan­ tin du xi* siècle (1018-mnrs 11)78). I. Vie. il. Écrits sc rapportant aux sciences ecclesiastiques. 111. Doctrine. 1. Vie. — Né à Constantinople en 1U18, d’une modeste famille bourgeoise, Constantin Psellos, qui prit plus tard le nom de Michel en révélant pour quelques mois seulement l’habit monastique, reçut une education soignée, grâce â l’intelligente ténacité de sa mère, Théodote. Il parcourut le cycle régulier des études primaires ct secondaires de l'époque ; mais, à l’âge dc seize ans, pour subvenir aux besoins de sa famille, il dut interrompre ses études et prendre un poste dc fonctionnaire en Anatolie. La mort dc sa sœur aînée lui permit bientôt de parfaire son instruction ct de s’i­ nitier â tout le savoir de son temps. Merveilleusement doué au point de vue intellectuel, d’une curiosité sans bornes, d’une souplesse et d’une faculté d’assimilation prodigieuses, il devint en peu de temps le savant uni­ versel. pour qui l’antiquité classique dans tous scs domaines et les sciences sacrées n’eurent bientôt plus dc secret. Cette science encyclopédique, il la dut moins a ses maîtres qu'à son labeur personnel. Λ son époque, en elïet. la haute culture était en pleine décadence à Byzance. Plus que tout autre de scs contemporains, il contribua bientôt à sa restauration, en collaboration avec ses illustres maîtres ou condisciples qui ont nom Jean Mauropous, Nicélas dc Byzance, Constantin Likhoudis, Jean Xiphilin de Trébizondc. Une fols ses études terminées, la science du droit, qu’il avait acquise comme les autres, lui permit de prendre une place au barreau de la capitale. Nommé ensuite juge à Phlladelphie.il ne resta pas longtemps â ce poste. Son condisciple el ami. Constantin Likhoudls, devenu ministre dc l’empereur Michel V le Paphlagonlcn (1011-1012), le lit venir à la cour avec le titre de secrétaire Impérial. Dès lors, son ascension dans les honneurs fut des plus rapides. Sous Constantin Mononi a que (10-12-1051) il devint l’une des personnalités les plus en vue de l’empire. Il se vit décerner les litres enviés iVhtjperil me (Excellence) et dc consul des philo· sophes, ύπατος των φιλοσόφων, en même temps qu’on lui contiail la chaire de philosophie â l’université de Constantinople restaurée (1015). Neuf ans durant, Il occupa brillamment cette charge, tout en gardant son poste à la cour. Avec son ami Jean Xlphilin, recteur de l’Écolc dc droit, il contribua puissamment Λ la renais­ sance de l’université d’Élat. I! était encore â la cour qunnd le cardinal Humbert et les légats du pape saint Léon IX vinrent â Constan­ tinople pour traiter à la fols d’une alliance politique contre les Normands d’Italie ct de la reprise dc la communion ecclésiastique avec le patriarcat œcumé­ nique, interrompue depuis plusieurs années, sûrement depuis 1013. En cette affaire, son rôle ne fut pas de premier plan. 11 était évidemment du côté de l’empe­ reur, ct nous savons par l’édit synodal de Michel Cérulaire (10 Juill. 1051) que le consul des philosophes se trouvait au nombre des ambassadeurs que Constantin Monomaquc dut envoyer à Michel Cérulairc pour lléchlrla colère du patriarche, à la suite de l’cxcommunicatlon lancée par le cardinal Humbert· et la révolte populaire qui s’ensuivit. Cf Charles Will, Acta el scripta qua* de controversiis Ecclesia? grrrea· et latinœ sirculi Xt composita exstant, Leipzig, 1861, p, 166. 1150 Au demeurant, notre philosophe ne parait pas avoir ajouté grande importance à cette querelle ecclésias­ tique, ct il la passe complètement sous silence dans sa Chronographic. C’est à peine s'il lui donne une men­ tion dans V Éloge funèbre de Michel Cérulairc. Cette affaire, du reste, ne lui laissait aucun bon sou­ venir. A peine, en effet, les légats du pape étaient-ils partis que sa fortune pâlit. Ses amis Likhoudis, Mau­ ropous ct Xlphilin encoururent la disgrâce dc Constan­ tin Monomaquc el embrassèrent la vie monastique. Poursuivi lui-même par l'envie d'implacables ennemis, il ne tarda pas à rejoindre Xiphilin dans son couvent du Mont-Olympe. Admis au nombre des moines sous le nom de Michel, qui devait lui rester, il se dégoûta vite dc cette nouvelle existence. Aussi ne tarda-t-il pas a rentrer à Constantinople, après la mort de Constan­ tin (1051). L’impératrice Théodore (1051-1056) lui fit le meilleur accueil cl recourut à scs conseils. Toujours en butte aux intrigues des courtisans,il ne put s'établir à la cour el n’y parut qu’à de rares intervalles. Mais, sous les successeurs de Théodore : Michel VI Stratio­ ticos (1056-1057), Isaac Comnène (1057-1059), Cons­ tantin Doucas, son ancien condisciple (1059-1067), Eudocie el Komain IV Diogène (1067-1072), el même au début du règne de Michel VII Doucas, son ancien élève, son rôle dans la vie politique dc Byzance fut de tout premier plan, et il occupa durant tout ce temps les charges les plus importantes de l’Élal. Négociateur entre Michel VI et Isaac Comnène révolté, premier ministre de cc dernier après la retraite dc Constantin Likhoudis, il contribue pour une large part à l’éléva­ tion au trône de Constantin Doucas, qui en fait son conseiller intime cl son commensal. A Komain IV Dio­ gène, qui, sans l’éloigner.lui témoigne quelque défiance, il répond par une conjuration dont il est l'âme ct qui fait perdre le sceptre au malheureux vaincu dc Manzicourt au profit dc Michel VII Doucas (1071). Il semble qu’avec l’élévation dc Michel, son ancien élève, qui lui doit le trône, la fortune de Psellos va atteindre son apogée. Ironie du sort, ou plutôt Justice immanente! Après les premières faveurs, la disgrâce humiliante ne larde pas à le frapper. Michel VII lui préfère bientôt comme premier ministre l’intrigant Nikiphoritzis (1071-1072). et c’est dans l’obscurité el l’isolement, ct peut-être dans une gêne voisine de la misère que le « consul des philosophes » termine son existence en mars 1078. D’un des derniers actes de sa vie politique nous n’avons pas à le louer. Ce fut lui, en effet qui, d’accord en cela avec son ancien condisciple et ami Jean Xiphilin. devenu patriarche (1063-1075), fit repousser par le nouvel empereur Michel VII les propositions d'union religieuse portées par les ambas­ sadeurs du pape Alexandre IL Cf. art. Constanti­ nople (Église de), t. m. col. 1375. De son vivant comme après sa mort, la réputation de Michel Psellos comme savant et comme philosophe fut immense, et son influence intellectuelle a été sérieuse et durable sur la littérature byzantine en scs diverses branches. De nos jours on admire surtout le littérateur el l’artiste; mais historiens el critiques sont sévères, dans leurs jugements, tant pour la vie pu­ blique que pour le caractère privé de ce prodigieux poly graphe. Il faut reconnaître en elïet qu'en Psellos l'homme n'est pas â la hauteur du savant cl dc l'artiste. Le moins qu'on puisse dire dc lui, c'est qu’il manque totalement dc caractère el qu’il est un des plus grands vaniteux que l’histoire des lettres connaisse. Ayant vécu ù la cour — ct quelle cour! — la plus grande partie de sa vie, du courtisan il a la grande lare, qui consiste â changer avec le vent qui souille d’en haut. On le voit par exemple tour à tour accusateur ct panégyriste du patriarche Michel Cérulairc, qui parait avoir eu dc lui médiocre estime, bien qu’il lui ait confié 1151 PS EL LOS (MICHEL) l'éducation de ses neveux. En lisant l’une et l’autre pièce, la morale de la fable Les animaux malades de la peste vous revient spontanément â la mémoire. Un byzantinistccontemporain écrit de lui : ■ Il avait l’âme médiocre, peu de courage et peu de sens moral; il était capable de toutes les intrigues, de toutes les palinodies, de toutes les trahisons. Ch. Diehl, Préface à l'édition de la Chronographic de Michel Psellos par Émile Penaud (coll, byzantine Guillaume Budé), t. i, Paris, 1926, p. vi. Un autre, tout cn n’étant pas plus tendre, plaide les circonstances atténuantes : «Aucune époque ne fut plus dangereuse pour le caractère d’un homme d’État que cette époque de changements perpétuels de souverains â l’esprit faible et accessibles aux influences les plus contraires. Psellos ne fut pas â la hauteur des exigences qu’un pareil entourage réclame de la force morale d’un homme : la plus belle parure de l’homme, la sincérité et l’honorabilité, il la perdit dans l’air dis­ solvant de la cour. > K. Krumbachcr, Geschichte der byzantinischen Lilteratur, 2· éd., Munich, 1897, p. 135. Les Byzantins, â cn jugtir par les en-tête des écrits de Psellos dans les manuscrits, ont ignoré ces sévérités et lui prodiguent les épithètes de πανσοφώτατος, de τιμιότατος et (Γύπέρτιμος. La gloire du savant et de l’artiste leur a fait oublier les petitesses de l’homme. IL Écrits se rapportant aux sciences ecclé­ siastiques. — Michel Psellos est le type du polygraphe qui sait tout et qui écrit sur tout. Ses écrits sont innombrables. On n’en a pas encore dressé la liste com­ plète et définitive. En 1886, Charles-Émile Ruelle, dans sa Bibliographie des écrits inédits de Michel Psel­ los, que nous savons incomplète, arrivait à un total de deux cent dix-huit numéros. 'Ελληνικός φιλολογικός Σύλλογος, είκοσιπενταετηρίς, t. χνιπ (1886), παράρτη­ μα τού ιη* τόμου,, ρ. 591-6Μ. Depuis ce temps, une dizaine environ de ces inédits ont vu le Jour. D’autres ont été découverts. Il va sans dire que nous n’avons pas ici ù aligner la liste de toute cette production littéraire. Il nous suffira de signaler les principaux ouvrages et opuscules inté­ ressant la théologie et les sciences ecclésiastiques cn général. Nous parlerons d’abord des écrits édités; nous mentionnerons ensuite les inédits. Avant de commen­ cer, faisons quelques remarques. Tout d’abord le nombre des ouvrages de notre polygraphe ne doit pas nous faire illusion sur leur importance. La plupart sont de tout petits opuscules, quelquefois de simples épigrammes. En dehors de la Chronographic, histoire anecdotique de l’empire byzantin allant du règne de Basile II (976) à 1077, qui tient en moins de 300 pages in-8®, Psellos n’a laissé aucune œuvre de longue haleine, Les plus longs écrits, après la Chronographic, parais­ sent être les deux discours sur Michel Cérulairc, \'Acte d'accusation et V Oraison funèbre(80 pages chacun envi­ ron). Il faut noter ensuite que Psellos n’est original que par la forme et le style. Tout son fonds de science est emprunté. Son mérite est souvent de dire clairement et brièvement ce que d’autres avant lui ont exprimé longuement et plus ou moins confusément. SI l’on a beaucoup parlé Jusqu’Ici de Psellos philosophe et de Psellos littérateur, on n’a presque rien écrit sur Psellos théologien et exégète de l’Écriture et des Pères, auteur d’homélies et de panégyriques sacrés. Cette partie de son héritage littéraire a été la plus négligée, et c’est dans ce domaine que les inédits abondent le plus. If Voici d’abord la liste des écrits intéressant la théo­ logie (au sens large du mot), réunis dans la Patrologie grecque de Mignc : 1. Panégyrique de Siméon Métaphraste, P. G., t. exiv, col. 183-200. suivi d’un Office (ακολουθία) en l’honneur du même, ibid., col. 199-208, dont le princi­ pal morceau est un canon. Les deux pièces ont d’abord été publiées par Allatius dans son De Symeonibus. Il 1152 faut sc garder de traduire ακολουθία par messe, comme le fait Chr. Zavos dans sa récente monographie : Un philosophe néo-platonicien du xr· siècle. Michel Psellos. Sa vie, ses œuvres, scs luttes philosophiques, son in­ fluence, Paris, 1920, p. 32. 2. Commentaire du Cantique des cantiques, en project I cn vers politiques entremêlés du commentaire des « trois Pères », c’est-â-dirc de saint Grégoire de Nysse, de saint Nil et de saint Maxime : texte grecct traduc­ tion latine; d’abord publié dans le t. n de la BiblioI theca veterum Patrum, Paris, 1621; édition reproduite par P. G., t. cxxii, col. 537-686; œuvre assez étrange, où les paroles du Cantique sont appliquées â l’Église. ; 3. De omnifaria doctrina (Διδασκαλία παντοδαπή) Questions quodlibét iques au nombre de cent-cinquante· sept, dont les soixante premières intéressent la théolo­ gie dogmatique et morale. Elles débutent par une courte profession de fol t unitaire. Elles sont fort inté­ ressantes et nous montrent en Psellos un véritable sco­ lastique appliquant la philosophie â l’élucidation des données révélées. Psellos emprunte beaucoup â saint Maxime et â saint Jean Damascènc. P. G., t. cxxii. col. 687-781. L Vers politiques sur le dogme (Περί δόγματος), opuscule intitulé aussi dans les catalogues des manus­ crits : Des sept conciles œcuméniques. L’auteur, après l’exposé de la foi orthodoxe sur la Trinité et l’incarna­ tion, énumère les hérétiques et les hérésies condamnés par les sept conciles œcuméniques. P. G., t. exxn, col. 811-818, reproduisant pour le texte grec l’édition de Mecrman, Thesaurus juris, t. i, La Haye, 1751. Signalons un gros contresens dans la traduction latine, col. 811. lig. 17, â propos de la procession du SaintEsprit : εκ τού 1 Ιατρός την πρόοδον έσχηκώς ύπέρ φύσιν έκπορευτην, ούχ υΐίκήν, καν άγνωστο; ό τρόπος : qu’il ne faut pas traduire par : Ex Patre processum habet non ex Filio, mais par : non per modum filiationis. 5. Dialogue sur l'opération dcsdérnons ( ΙΙερΙ ένεργείας δαιμόνων διάλογος), P. G., t. exxn, col. 819-876, d’après l’édition de Goulmin, Paris, 1615, ouvrage souvent édité, objet de plusieurs études anciennes et récentes, où Psellos réfute les pratiques magiques des sectes manichéennes, spécialement des messaliens ou euchites, et nous donne en passant scs idées sur l’angélologie. Traduction française par P. Moreau, Traité par dialogue de l'énergie ou opération des diables, traduit en français du grec, Paris, Guillaume Chaudière, 1573. 6. Grœcorurn opiniones de diemonibus (Τίνα περί δαιμόνων δοξάζουσιν Έλληνες), P. G., t. cxxii, col. 875-882. opuscule dont le titre indique suffisamment le sujet. 7. Characteres Gregorii Theologi, Basilii Magni, S. Joann is Chrgsostomi et Gregorii Nysseni (Χαρακτήρες Γρηγορίου τού Θεολόγου...), P. G., t. cxxii, col. 901908: appréciation d’ordre littéraire sur les docteurs nommés. 8. Réponse à un moine au sujet de la détermination de la mort de chaque individu (’Αντιγραφή πρός έρώτησίν τίνος μοναχού περί όρισμού τού θανάτου), P. G., t. cxxii, col. 915-920 : solution de Psellos sur cette question souvent débattue chez les Byzantins, qui touche â la fols à la prescience divine et à la prédes­ tination Psellos parle cn parfait scolastique avec les distinctions voulues. 9. Opinions sur Pâme, (Δόςαι περί ψυχής), P. G., t. exxn. col. 1029-1076, ouvrage avant tout philoso­ phique, 2. Le t. v est rempli par quatre oraisons funebres, trois nuscrit* grecs de la Ribliothèque nationale, de 11. Omont, panégyriques, quatre apologies, deux-cent-huit lettres t. î, p. 217-251. Le dernier morceau, fol. 317-319, et quelques autres opuscules de moindre importance. | mérite d’être mentionné spécialement. 11 porte le litre Toute celte littérature n’a rien à voir avec la théologie. suivant : Άπόδειςις άπό διαφόρων λόγο>ν της τού Κυ­ Il faut en except er quelques lettres, notamment la lettre ρίου Γ?σωματώσεως’ έστά/.η πρδς τον σουλτάνου ατό ci.xxv, p. 111-151, que Psellos écrivit à Jean Xiphilin τού βασι/ίως. pour se justifier de son amour pour Platon et les autres Signalons ensuite : philosophes. Voir aussi la lettre cv, p. 317-350. L Une homélie assez longue Sur fa décollation de saint Jean-Raptiste, contenue dans le Parisinui 1J77, 3° Dans ces dernières années, plusieurs nouveaux écrits de notre polygraphe se rapportant aux sciences du xr siècle· fol. 250-261. 2. Discours sur te trans/ert des reliques de saint ecclésiastiques ont été publiés en divers recueils. Si­ gnalons : Étienne premier martyr, είς την ανακομιδήν τού τίμιου L Un discours inédit de Psellos. Accusation du pa­ λειψάνου άγιου πρωτομάρτυρος Στεφάνου, signalé par Allatius. Diatriba de Pscllis, lxvîi. Cf. P. 6.. t. cxxti, lriarche Michel Cérulaire devant le synode (1059), éd. coi. 519. L. Bréhier, dans la Revue des études grecques, t. xvj, 3. Sur les miracles de saint Michel, είς τά θαύματα 1903, p. 375-116, et t. xvn. 1901, p. 35-76; tirage à I τού αρχιστρατήγου Μιχαήλ. Allatius, ibid. part. Comme nous l’avons dit, dans ce morceau, où il I. Sur le grand dimanche, fête de sainte Agath - et sur ne faut pas chercher l’impartialité historique, Psellos ses élèves, είς την μεγάλην κυριακήν, έορτήν τη; άγιας fait le complet silence sur les événements de 1051. 2. L’opuscule intitulé : 1100c? Sv τις γνοίη έλληνιχαις ΆγάΟης, καί είς τάς μαθήτριας οώτης. Ibid. 5. Sur saint Grégoire le Thaumaturge, προς τόν πρωτ·/άποδείξεσιν την κόσμου συντέλειαν, édité par F. Boll, dans la Ryzantinische Zeitschrift, t. vu, 1898, p. 599- σύγκελ).ον περί τού αγίου Γρηγορίου τού θαυματουργού. G02. Ibid., col. 520. Allatius signale encore plusieurs autres opuscules 3. Trois textes inédits sur les Psaumes, publiés par d’ordre théologique, ibid,, col. 529-530, dont l’authen­ A. Huelle, dans le Sijlloguc littéraire de Constantinople, ticité serait Λ vérifier. A. Ehrhard parle aussi d’un (Supplément au t. A vm, 1886), suivis de l’opuscule : opuscule sur la procession du Saint-lîsprit que nou> ΕΙςτάςέπιγραφαςτών ψαλμών. p. 603-61 (.Disons à ce propos que de nombreux lemmes sur les psaumes sc n’avons vu signalé dans aucun manuscrit ; cf. K. Krumbacher, Geschichte der bgz. Litteratur, 2e éd., Munich. rencontrent dans le Coisl. grive. 1S9 (xv* siècle) sous le 1897, p. 80. Dans sa Hibliographie des écrits inédits de nom de Psellos. On en trouve aussi dans le recueil de Michel Psellos, loc. cit., n 13-L Ruelle donne d’une Cordior. K. Devrcesse, art. Chaînes exégétiques, dans le Homélie sur l'Annonciation un incipit qui ne corres­ Supplément du dictionnaire de la Bible, t. i, col. 1139. pond pas à celui de l’homélie que nous avons publiée. n’est point assuré de leur authenticité. La question de son authenticité sc pose. L Discours sur le miracle survenu aux Blakhernes, Nous n’avons pas parlé des commentaires des écrits Λόγος έπΐ τφ έν Β)αχέρναις γεγονότι Οαύματι. d’Aristote et d’autres philosophes grecs attribués a D’abord publié incomplètement par P Bézobrazov, Psellos. L'authenticité de plus d’un soulève un point dans le Journal du ministère russe de Γ Instruction publique, t. cclxii, 1889, p. 72-91. ce curieux morceau | d’interrogation,comme le fait remarquer Krumbachcr· a été édité en cntier.cn 1928, à la fois par X.Sidéridès op. cit., p. 137. En revanche, il faut considérer comme dose la question longtemps débattue de la paternité dans la revue ‘Ορθοδοξία, t. n, p. 508-519 et 539-518, du philosophe byzantin sur la Summula logicalis de el tirage à part,et par Joseph Bidez, dans son ouvrage : Pierre d'Espagne (t 1277). 11 est sûr que cet ouvrage Michel Psellos, épttre sur la Chrysopéc, opuscules cl extraits sur l'alchimie, la météorologie et la démonologie n’a rien à voir avec Psellos et que le texte grec qui se lit dans certains manuscrits n’est autre chose que la (cn appendice, Proetus, Sur l'art hiératique: Psellus, traduction de l’original latin de Pierre par Georges Choix de dissertations inédites), L vi du Catalogue drs Scholarius, au xv· siècle. Cette traduction parailra au manuscrits alchimistes grecs, p. 192-210. La pièce est t. vin des (Euvres complètes de G. Scholarios. Sur cette moins un discours qu’un acte officiel rédigé dans les controverse voir Chr. Zervos. op. cit., p. 39-12, qui. formes et dûment authentiqué par l'autorité impériale, relatif ù un procès dont la \ ierge des Blakhernes ren­ encore en 1920, hésitait à se prononcer sur le débat. 111. Doctiunb. — Il ne peut s’agir ici de faire le dit la sentence par un miracle. Sur le contenu voir l’ar­ relevé des opinions de Michel Psellos sur les questions ticle de \ . Gruincl, Le « miracle habituel > de NotreDame des Blakhernes, dans Échos d'Onent. L xxx, 1931, théologiques. Comment le tenter alors que tant d’iné­ dits sont encore inaccessibles? Nous nous contenterons p. 129 1IG. 5. Homélie sur ΓAnnonciation (ΕΙςτδν χαιρετισμόν), de mentionner sa doctrine sur certains points particu­ que nous avons publiée dans hi Patrologia orientalis, liers. Mais auparavant faisons remarquer que l’origina­ t. xvj, p. 517-525, morceau à la fois Irès élégant et très lité de Psellos en théologie n’est pas ù chercher dans doctrinal. des opinions nouvelles. Elle consiste bien plutôt dans t». Chronologie appliquée (IIcpl της κινήσεως του la comparaison entre les données révélées et les docniCT. DK TIIÉOL. CATIIOU T. - XIII — 37. 1155 PSELLOS (MICHEL) trines des philosophes de 1'nntirjuité et dons la tenta­ tive d’éclairer les dogmes chrétiens par la raison philophique. Si, dans le domaine littéraire, Psellos fail ligure d’un humaniste dc la Renaissance, sur le terrain de la théologie il rappelle nos scolastiques du Moyen Age. Ommc eux, il applique la philosophie â la théologie et fait dc crlle-h’i la servante de celle-ci. Certains de nos contemporains l’ont, sous ce rapport, fort mal Jugé. Ils nous le présentent comme une sorte de demi-païen plus ou moins sceptique, donnant partout le pas aux philosophes anciens sur l'Ecriture el les Pères. Chr. Zervos, par exemple, écrit : « Loin dc subor­ donner. comme les trois Cappadoiivns, la sagesse de l'antiquité à la théologie, il donne constamment le pas a la philosopic hellénique sur les directions de la pen­ sée chrétienne. > Op. cil., p. 18G. De nombreux passages des écrits dc Psellos protestent contre ce jugement. ’ C'est tout le contraire qui est la vérité. Notre Byzantin a pu négliger ou pratiquer médiocrement les vertus chrétiennes, mais il est toujours resté un croyant con­ vaincu. cl il n'a rien du scepticisme souriant que quel­ ques-uns dc nos modernes, le jugeant d’après euxmêmes, voudraient lui prêter. Sans doute, dc son vivant même, il fut accusé de faire la p irt trop belle à Platon, à Porphyre et à Proclos. L’accusation de paga­ nisme fut portée contre lui et il dut se Justifier devant l'empereur par une profession de foi. Que cette pro­ fession ait été sincère, c’est ce dont témoignent suffi­ samment les écrits publiés dc lui jusqu’ici, sans parler des inédits. Ce qui nous éclaire sur sa véritable p.msée, c’est la lettre qu’il écrivit â Jean Xiphllin pour répondre au reproche d'aimer trop Platon et de le préférerau Christ. 11 s’y montre vrai scolastique, faisant la part de la foi et de la raison et donnant à chacune la place qui lui revient : Λ la théologie, la première; â la philosophie, le rôle dc collaboratrice subordonnée. · Il y a long­ temps, frère très cher, écrit-il à son ancien condisciple, que j’ai reçu comme un héritage paternel la dignité de chrétien et que je suis devenu le disciple du Crucifié, l’élève des saints apôtres et l’écho très exact de l’inef­ fable doctrine touchant la divinité. Quant aux Platon ou aux Chrysippe que tu mentionnes, je les al aimés, en effet : comment faire autrement?... Mais dans leurs doctrines j’ai fait un choix. Hejetant les unes, j’ai retenu les autres comme pouvant servir les nôtres el faire corps avec les saintes Ecritures. Ainsi en ont agi B isile cl Grégoire, ces grandes lumières de l’Eglise. · Lettre au moine Jean Xiphitin devenu patriarche, Sathas, op. cil., t. v, ρ. 117. < L'usage du syllogisme, continue-t-il. n’est pas chose inconnue dans l’Eglise, ni une méthode étrangère à la philosophie: c’est bien plutôt l'unique instrument de vérité el le moyen dc découvrir la solu­ tion aux problèmes posés. Une déclaration semblable se lit au dernier chapitre de son ouvrage : Διδασκαλία παντοδαπή, dédié à l’empereur Constantin Doucas : Dans l’intention dc vous apporter un grand nombre de pensées sur l’Amc, j’ai puisé dans nos propres cra­ tères aussi bien que dans les eaux amères des 1 tellèncs. J’ai pris soin de puntier les doctrines profanes afin de les introduire dans nos dogmes, sans toutefois réussir a leur ôter complètement leur caractère. Quant à vous, Il ne suffit pas de connaître les divines paroles, (pii sont pleines dc vérité, mais il faut y croire fermement. En ce qui concerne les opinions qui rappellent les doctrines hellènes, sachez que Je ne fais que les exposer. Je vous conseille d'en profiter pour savoir la différence qui existe entre nos dogmes et les opinions des païens. Par cette comparaison vous constaterez (pie nos écrits sont dc véritables roses, tandis que les livres grecs pro­ duisent avec de Jolies fleurs des substances véné­ neuses. · Emile Ruelle. Quarante-deux chapitre* inédits et complementaires du recueil de Michel Psellos intitulé : 1156 Διδασκαλία παντοδαπή (celui qui est dans la P. G.)t dans V Annuaire dc t*Association des études grecques* t. XHI (1879), p. 277-278. La méthode de Michel Psellos était donc irrépro­ chable aux yeux du croyant éclairé. Elle n’en inspirait pas moins de la défiance dans les mil leux ecclésiastiques et monastiques Cette utilisation dc la sagesse païenne leur paraissait présenter de graves dangers pour la fol. Et II faut reconnaître que cc danger était réel. Nous trouvons en Occident, aux xn· et Xin· siècles, la même opposition, chez beaucoup d’hommes d’Édisc, à l’usage de la dialectique en théologie el à l'adap­ tation de la philosophic antique au dogin? révélé. Mais, tandis que dans l’Eglise occidentale le mou­ vement scolastique, après des péripéties diverses, Unit par obtenir droit de cité el produisit de magnifiques chefs-d'œuvre, à Byzance il fut bientôt arrêté à la fois parl’Egliseel p ir l’Elat. Psellos était à p ‘lue mort que son successeur comme recteur de l’Académie des lettres, Jean Italos, était cond i nné. Une série de conciles, sous Alexis Comnïnc, étouffèrent presque au ber­ ceau la scolastique byzantine naissante. Quant aux convictions chrétiennes de Psellos, nous trouvons une nouvelle preuve de leur fermeté dans celle déclaration insérée au c. xn de VHistolre de Théodora, Chronographic, éd. E. Renauld, t. il p. 7778 : « Pour moi, ce n'est pas la raison scientifique qui m'a détourné de ces questions (de l’astrologie); c'est une force divine qui m’a retenu, el cc n’est ni aux syl­ logismes, ni certes aux autres moyens de preuve que je prête l'orclllc; mais la même cause qui a fait des­ cendre des âmes vraiment fortes et expertes à l’accep­ tation de la culture hellénique, c’est la même qui, pour mol, me presse el m’élève à la certitude de notre foi. Aussi, que me soient propices el la mère du Verbe cl le Elis i tierce, et la passion qu’il a soufferte, cl l’épine qui couronna sa tête, et le roseau et l’hysopc et la croix, mon orgueil et ma gloire, même si mes actions n'ont pas été d'accord avec mes paroles. ■ Recueillons encore ces paroles de notre chronographe sur les deux philosophies, la profane et la sacrée : · J’ai étudié la philosophie supérieure qui repose sur le mystère dc notre religion plutôt que la profane, d’une part en sui­ vant la doctrine des illustres Pères de l’Eglise, d'autre part, en contribuant de mon propre fonds Λ compléter la science divine. · Chronographic, Constantin IX, c. xut, Renauld, t. i, p. 137-138. C’est aussi la foi chrétienne qui illumine sa conception de l'histoire: < J’ai l’habitude dit-il, d'attribuer ù la divine Providence le règlement des choses de quelque importance, ou plutôt de rap­ porter à elle tout ce qui nous arrive, sauf ce qui pro­ vient de la corruption de noire nature. •Chronographic, Michel IV, c. xxx, Renauld, t. i, p. 71. Cf. Cons­ tantin IX, c. i.xxn, ibid., p. 152. Comme nous l’avons déjà dit. l’originalité de Psellos en théologie, autant qu'on peut en juger par les œuvres publiées, est avant tout dans la méthode, non dans le fond dc la doctrine. Sur les questions particulières, il s'en lient ordinairement au sentiment commun dc scs contemporains. Nous ne signalerons sa position <|uc sur les points suivants : 1° .Sur la procession du Saint-Esprit II adopte la doc­ trine officielle de son Eglise au xi· siècle : Le SaintEsprit procède du Pire, non du E Is, mais il est commu­ niqué aux fidèles par le Fil* C’est la formule qu’il em­ ploie au début dc son recueilquodlibétiqueΔιδασκαλία πα'/τοδαττη : « έκ 1 Ιατρός μεν έκπορτυόμενον, δι 'Που δέ μ.-ταδιδόμ€'/ον. » Ρ. (λ, t. γχ.χπ, col l>88 A Le Père est a la fols πατήρ τού μονογτ/Ους Τίου et προ€ο>χύς -νύ αγίου Πνεύματος. Dans le Panégyrique de Michel Cérulair» il félicite cc dernier de son zèle pour défendre Porthndoxie sur c<· point contre la doctrine des Latins qu'il qualité d. suprême impiété, égale à l’hérésiè d’A- 1157 PSELLOS (MICHEL) PUCELLE (HENÉ} 1158 phiques. son inflience, Parts, 1920, p. 1-42; et surtout rius cl d’Eunomius; puls II esquisse un semblant η u7.oz γΰο/ογ ζός ΕίχοσίζηταιτΓ,ρίς, t. xvni, 1886, καράρττμα τονς μέν άλλοις ούδέν έάόκει τό πράγμα δεινόν. τού (ή τομον ρ. 591-614. Comme nous Pavons dit. cette Quant à ce qu’il dit de la doctrine catholique, on liste des inédits n’est ni complète ni absolument sûre. volt bien qu’il ne la connaît pas et qu’il la défigure. Ixs sources dc la vie dc Psellos sont surtout scs propres Ibid,, p. 319-350. Lui qui sc vante quelque part de écrits. Elles ont été utilisées surtout par Sathns dans ses savoir le latin ne laisse rien percer, dans scs écrits, dc longues introductions aux t. iv et v de la Mmumvizt, sa connaissance dc la littérature ecclésiastique latine. ^•.ô/tohry.r,; résumées par Chr. Zervos et É. Renauld. op. Cf Émile Hrnauld, Étude de ta langue el du style de cil., el aussi dans l'introduction 5 l’édition de la Chronogra­ phic. Du point de vue littéraire la meilleure etude est celle Michel Psellos, Paris, 1920, p. 117-119 : < Pas une fols dans scs œuvres, pourtant si variées, il ne cite une d’É. Renauld. Peu dc choses ont été écrites sur Psellos théo­ source latine; pas une seule fois le lecteur ne tombe sur logien. Voir S. SnUvflle, Philosophie et théologie ou episodes <1 Rgzanee dc 1057 a 1117, dans Échos λ’ άνωθεν από Θεού τήν υπαρ- | saires de la bulle avec une violence inouïe, qui le fit Ειν £σχε. exiler dans son abbaye dc Saint-Léonard dc Corbigny, 5° Comme exemple de sa manière de traiter les ques­ au diocèse d’Autun, cl il sc déclara ouvertement en tions purement scolastiques, où la foi n’est pas engagée faveur des miracles du diacre Pûris. Il mourut ù Paris, cl où les hypothèses peuvent se donner libre carrière, le 1« février 1715. on peut citer ce qu’il dit sur le nombre respectif des Tous les actes de Puccllc sont dirigés contre la bulle anges et des hommes. Il estime que les anges ont été Unigenitus: on trouve, dans les Correspondances des créés moins nombreux que les hommes, parce que plus évêques de Sénez et dc Montpellier, plusieurs lettres dc un être est parfait et proche de Dieu, moins il est mul- ' Puccllc et, dans les Recueils du temps, des discours, tiplié, tout comme les nombres plus voisins de l’unité ordinairement très violents, contre la bulle et contre la sont plus petits. Saint Thomas, Summa theologia, 1·, cour de Home. q. L, a. 3, soutient le contraire pour la raison que Dieu se doit de multiplier les choses les plus excellentes pour Michnud. lliogr. universelle, t. xxxiv, p. 499-500; Hoefer, la plus grande perfection de l'univers. Notas, biogr. générale, t. xi.i, col. 167-16S; Feller -Weiss, lliugr. universelle, t. vu. p. 66-89; Morért, Le grand diction­ Michel Psellos est mois doute le Byzantin sur lequel les naire, t. vni. p. 624; Éloge de Tabb Puerile, dans Le Mercure dc fevr. 1745; Nouvelles ccclésiasliques du 23 junv. 1745, érudits ont le plus écrit. Sa bibliographie correspond ù sa polygraphic. I-llle est immense. Nous nc pouvons que ren- p. 13-16; Picot. Mémoires pour servir d Thlsl. ecclésiastique voj cr lo lecteur : 1· pour les ouvrages édités ri les travaux sur pendant le XI7//· nècle, t. n. p. 283-284; 330-331. 388; Saint-Simon, Mémoires. . Abate, O. M.Conv.,dans \h*crllanea francrscana, t. xxx, 1930, p. 40-41, et ii part. Assise, 1931, p. 153-156. A. Teetaert. PUPPER DE GOGH Jean «1· vrai nom était théologien catholique dont on a tenté de faire l’un des précurseurs de la réforme luthérienne. Il était né A Goch, au duché de Clèves, dans les premières années du xv· siècle. Il reçut sa première formation, suivant toute vraisemblance des Frères de la vie com­ mune, peut-être A Zwolle, puis fréquenta l’université de Cologne (immatriculé le 19 déc. 1154), peut-être aussi celle de Paris. Il entra chez les Frères de la vie commune, devint prêtre, chanoine régulier de SaintAugustin et fonda en 1459, un couvent de chanoinesses de Saint-Augustin, à Thabor, près de Malines, dont il devint le directeur ct où il mourut le 28 mars 1475, A. Fonce, selon Foppcns, Ribliotheca belgica, t. n, Bruxelles, 1739, PUGLISI Placide, irère mineur conventuel, célèbre A cause d’une vive polémique suscitée autour p. 715. Telles sont les données habituelles. Il faut recon­ naître qu’il y a là des dates difficiles A interpréter : d’un de scs ouvrages théologiques vers le milieu du siècle dernier. Il fit scs études supérieures de théologie comment un homme né au début du siècle n’aurait-il au collège ou au Studium de Saint-Bonus enture de son été immatriculé qu’en 1451, comme étudiant? S’agiordre à Home. Approuvé au concours du 11 mai 1829, rait-il donc d’une vocation tardive? Et comment un il fut promu docteur le 24 novembre 1831. Élu secré­ étudiant inscrit en 1454 a-t-il pu fonder un couvent de taire provincial de Sicile au chapitre du 29 avril 1816, ; religieuses dès 1459? Betenons donc simplement pour i certain qu’il fut directeur d’un monastère et qu’il il mourut probablement dans la même année. Il fut mêlé malgré lui à une Apre polémique qui, vers appartint lui-même aux Frères de la vie commune, le milieu du xix* siècle, souleva les théologiens de ΓIta­ c’est-à-dire qu’il fut pénétré par ce courant mystique, appelé devotio moderna, dont sortit ΓImitation de Jésuslie méridionale. L’occasion en fut un concours ouvert à Messine, en 1813, en vue de pourvoir une chaire de théo­ Christ, dont Érasme ct Luther même, A un moindre degré toutefois, furent touchés plus tard. logie â l’université de cette ville. Parmi les candidats, Les écrits de Pupper de Goch ne circulèrent d’abord deux l'emportaient sur les autres, le P. Puglisi ct le prêtre séculier C. Messina. Bien que de droit, paraît-il, qu’en manuscrit. Son principal ouvrage, De libertate le conventuel dût prévaloir, Messina fut désigné pour Christiana, n’est pas antérieur à avril 1473. Il ne fut la chaire. La thèse présentée par Puglisi dans le con­ publié qu’en 1521, A Anvers; on n’en connaît que deux cours avait pour titre Thesis de sacramento confirma­ exemplaires. L’année précédente (1520). le même édi­ tionis. et elle fut imprimée A Messine en 1813. A cause teur (Cornélius Grapheus) avait déjà publié de Pupper une Epistula apologetica contra dominicanum quemdam, de sa supériorité sur les autres travaux présentés, cc traité suscita aussitôt une opposition acharnée de la composée en 1171, et qui pourrait bien n’être que le part du clergé séculier. Joseph Crisafulli Trimarchl complément du De libertate. L’ouvrage le plus mémo­ ouvrit le feu par un article dans un journal local. Scilla rable de Pupper est son Dialogus de quatuor erroribus circa legem ciKingelicam exortis, publié vers 1523, en c Cariddi, du 1er juin 1813. Le conventuel Salv. M. même temps que In divimr grativ et Christiana: fidei Scilla riposta dans un opuscule intitulé Apologia di ttna disscrtazionc che parta per titolo Thesis de confirmationis commendationem, contra /alsam et pharisaicam multo­ sacramento, di riscontra alla critica del sacerdote G. Cri- rum de justitiis et meritis operum doctrinam et gloria­ sa/ulli, Palermo, 1843, in-8°, 106 p. La thèse et l’apo­ tionem, fragmenta aliquot D. Joan. Gocehii Mechtinien· logie furent attaquées par le curé Vincent Ciccolo dans sis antehac nunquam excusa. Ccs fragments parurent précédés d’une préface de Luther, écrite probable­ le libelleRi vida alla spiegazione della lest del Padre PL ment en août 1522. Voir Luthers Werke, éd. do Wei­ Puglisi, Messine. 1813, in-8°, 31 p. Pour mettre lin A une trop acerbe polémique» on lit appel A un juge im­ mar, t. x b. p. 327-330. Dans cette préface (Epistula gratulatoria), Luther partial, (pie l’on crut avoir trouve dans la personne de rappelle comment il n lutté pour l’honneur de la Bible l’abbé Antoine Samo. Au grand mécontentement du contre In théologie scolastique et contre Aristote. Il dit clergé séculier, celui-ci prit lu défense du conventuel dans son ouvrage Risposta alla Rivista data dal Par· sa joie d’être dans la ligne de la véritable théologie roco Sig. Ciccolo alla spiegazione della test fallu dal allemande, celle de Taulcr. de la Theologia deulsch, de Wessel et de Goch. Il nomme ce dernier vere germanus P. PI. Puglisi, Messine, 1843, ln-8°, 24 p. Trompé dans son espoir, le clergé tramait un complot contre le con­ ct gnesios theologus, au double sens du mol Germanus. ventuel et nc cherchait qu’à le perdre définitivement. 11 conclut en disant que, si l’Allemagne les suit, la Puglisi toutefois trouva un défenseur inattendu dans le scolastique disparaîtra bien vite ct qu’il naîtra de véri­ capucin Jcsnald de Bronte, qui, dans Osservaztont cri· tables enfants de Dieu. Il n’en a pas fallu davantage A Capupper), 1163 PUPPER DE GOCH (JEAN) — PURGATOIRE 1164 Ullmnnn pour faire une place à Puppcr de Goch dans du in· siècle (col. 1179). III. La tradition orientale à «es Reformatoren vor der Reformation, 2· éd., Gotha, l’époque classique (coi. 1198). IV. La tradition latin·· 1866. p. 17-148. Ritsehl ct surtout Otto Clcmcn ont (col. 1212). V. L'union réalisée à Lyon et à Florence rectifié les affirmations d’UIImann. (col. 1237). VL La controverse protestante et le concile 1® Λu sujet de Γ Écriture, Goch doit être regardé de Trente (col. 1264). VIL La théologie posttrldcntlnc comme orthodoxe. Sans doute, on trouve chez lui une (col. 1282). VIH. Conclusion (col. 1319). formule aussi absolue que la suivante : Sola Scriptura L L’enseignement de l’Écbitube. — Il est d’au­ canonica fidem indubiam ct irrefragabilem habet auc­ tant plus nécessaire de relever renseignement de l’É­ toritatem : antiquorum patrum scripta tantum habent criture que Luther avait osé formuler la proposition auctoritatis, quantum canonica: veritati sunt conformia.., suivante, condamnée par Léon X, bulle Exsurge Modernorum vero doctorum, maxime ordinum mendican­ Domine, prop. 37 : Purgatorium non potest probari ex tium, scripta..., vanitati magis deserviunt quam veritati. sacra Scriptura quæ sit in canone. Denz.-Bannw., Epistula apologetica, fol. B a. Mais il ne separe pas η. 777. La preuve peut être demandée soit à l’Ancien, l’Écriture de l'Églisc. Il sait que l’Église seule est soit au Nouveau Testament. garante de l’Écriture « canonique ». Ce seul adjectif est /.DANS C ancien testamen T. 1° Doctrine générale, un signe de sa pensée. El on lit dans son De libertate imprécise ct confuse. — il ne semble pas que les Hé­ (i, 9) : Ecclesiir auctoritas est maxima auctoritas, quia, breux aient eu une notion très précise de l’état des ut dicit Augustinus : si non crederem Ecclesia*, non cre­ âmes dans la vie future. Le séjour des morts en général, derem Euangelio. tant pour les justes que pour les impies, est uniformé­ 2° Au sujet de la justification, Goch reste constam­ ment appelé le scheôl. Gen., xxxvn, 5; Num., xvi, 30. ment sur le terrain catholique, il admet le mérite des Avant que le Christ vînt ouvrir le paradis aux Aines bonnes œuvres. Sans doute il insiste sur la bonté ct la justes, toutes les âmes des défunts n’étaient-ellcs pas miséricorde de Dieu, sans lesquelles un tel mérite en quelque sorte placées dans le même lieu, aussi loin serait inconcevable. Il déclare que le mérite repose sur du ciel que de la terre? Et cc lieu du scheôl est un lieu l'acceptation de Dieu. Mais en tout cela il est strictement redoutable pour tous, sans distinction. Cependant, catholique. 11 ne parle pas de justice imputée au sens bien qu’aucune différence explicite ne soit indiquée par luthérien. Il ne parle pas de justification par la foi les plus anciens livres inspirés (Pcntatcuquc, Josué, sans les œuvres. Il ne connaît que la fides informis et Juges, Rois), touchant le sort des justes et des cou­ lu fides caritate formata, au sens catholique. La foipables, une discrimination très réelle existe néanmoins certitude du salut des réformés lui demeure étrangère. à leur endroit. L’enseignement des saints Livres repose 3° Au sujet de la scolastique, Goch est éclectique. Il en cITct sur deux principes : la responsabilité indivi­ admet, avec les nominalistes, non point l’accord de la duelle devant Jahvé et l’espérance messianique appli­ raison cl de la foi, mais l’opposition entre la philoso­ quée à chaque âme. Ainsi la responsabilité départage phie ct la théologie. Il est fidéisle, comme Luther le dans l’au-delà justes et coupables. La mort des justes sera, mais aussi comme il était assez de mode de l’être est une réunion, dans la paix ct le repos, à leurs pères au xv· siècle. Le point où Goch sc rapprocherait le plus ct â leur peuple. » Gen., xv, 15; Dont., xxxi, 16, etc. de Luther serait le point, assez secondaire en somme, Le châtiment suprême réservé aux criminels est la de la distinction des Préceptes ct des Conseils, qu’il • séparation d’avec leur peuple ·. Aux justes renfermés rejette, comme Luther devait le faire. 11 estime, en vrai dans le scheôl les promesses messianiques ne sont pas mystique, que les conseils et les préceptes s'adressent à retirées. Dieu reste, pour eux, dans le trépas, le Dieu tous les chrétiens et que le fondement traditionnel de favorable ct bénissant. Gen., xxvi, 24; xxvm, 13; la vie monastique est en définitive caduc. 11 y aurait xlvï, 1, 3; Ex., ni, 6; iv, 5. L’espérance d’une vie aussi chez lui une pointe de quiétisme fénelonien, en ce future est invoquée pour eux. Cf. Num., χνι, 22. sens qu’il affirme que Varnour ou charité devrait être Jahvé est le Dieu « qui donne la vie ct la mort, conduit ïunique motif de tous nos actes. Il revient avec insis­ au scheôl et en ramène ». 1 Reg., n, 6; IV Reg., v, 7, tance sur cc point, qui lui tient particulièrement au Cette délivrance du scheôl, le psalmiste la promet aux cœur. justes. Ps., xv (Vulg. ct ainsi du reste), 9, 10; xvi, 15; xlviii, 15-16; i.xxii. Et Job sait que le scheôl est le Foppcns, Bibliotheca Belgica, t. il, Bruxelles, 1739; I II- lieu où l’on attend l’heure de la miséricorde divine. mnnn, Reformaionn vor der Reformation, 2* éd.. Gotha, t. i; Kitschl, Die christliche Lehrt eo/ι der Rcchtfcrtlgung und Job. xiv, 13; cf. xv, 18-21. Néanmoins, ce serait grandement sc tromper que de Vcrsblmung, 4· éd., 1895-1903, t. 1, p. 142: Otto Clcmcn, Johan Puppcr ron Goch, Leipzig, 1890; du même l’art. Goch, vouloir trouver dans le scheôl la forme primitive de la dans Protest. Rcalenxgklopidit. croyance au purgatoire. Le dogme du purgatoire éveille L. Cbistianl l’idée d’un étal intermédiaire entre celui des élus cl 1. PURGATO IRE. - - Le présent article a pour celui des réprouvés. Dans le scheôl, justes ct réprouves but de retracer le développement du dogme du pur­ sont enfermés dans l’attente de l’avènement du Christ. gatoire, depuis la révélation qui en a été faite dans Être délivré du scheôl c’est donc, pour le juste, voiries l’Écriture jusqu’à sa formulation définitive aux trois espérances messianiques se réaliser à son égard; mais conciles généraux de Lyon ( 1271), de Florence ( 1 139) ct ce n'est pas nécessairement être délivré d’une expia­ de Trente (1563). La question théologique du feu du tion d'outrc-lombe, telle que nous la concevons pour purgatoire a déjà été abordée à l’art. Feu (t. v, col. les âmes du purgatoire. Il faudrait, pour pouvoir éta­ 1246). Nous nous efforcerons de n’y point revenir; tou­ blir un rapprochement sérieux entre les peines du tefois, dans maints témoignages concernant le purga­ scheôl ct le purgatoire, montrer que dans le scheôl toire, il est impossible de séparer la question du pur­ même les justes ont encore des peines à expier. Or,un gatoire lui-même de celle-là; de plus, une plus grande tel rapprochement ne saurait être esquissé que d’une facilité d’atteindre les sources elles-mêmes ayant per­ manière très lointaine. Toutefois certaines Indications mis de corriger, de modifier, de compléter certains peuvent être relevées. En exposant que, sur cette points, on ne devra pas s’étonner si des améliorations terre, le juste souffre, le psalmiste rappelle que ce juste, ont trouvé place dans la présente élude. Le purgatoire n’csl pas tout à fait sans péché : Ps. xxxvm, 5 ; xxxix, chez les Orientaux, postérieurement au concile de Flo­ 13; cxlii, I, 2. La mort, meme pour le juste, est un rence, est réservé pour l’article suivant. passage plein d’angoisse ct de crainte. Ps., i.iv, 5-6; Nous exposerons successivement : I. L’enseignement exiv, 3-5; cxlii, 2-7. Et Jahvé délivre le juste des dou­ de l’Écriture. IL La tradition orientale jusqu’à la fin leurs du scheôl. Ps., χχιχ,Ι ;cvi, 10-1 L II y a là comine 1165 P IJ B (J Λ TO I KE. L’ANCIEN TESTAMENT une vague indication que, même dans l’au-delà,le juste aura besoin de la miséricorde divine. Les livres prophétiques ne font que développer ccs données. Peut-être la différence de l’état des justes cl | de celui des pécheurs s’aUirme-l-clIc avec plus de pré­ cision : les espérances messianiques, en particulier, sont présentées avec plus de force ct de relief, ct par­ fois en relation avec la résurrection de la chair. Os., . vi, 3; Is., xxvi, 19-21; Ez., xxxvn, 1-14; Ban., xn, 1-3. Mais la mort et le scheôl demeurent toujours ct pour tous, justes cl impies, un double objet d’effroi. Faut-il voir dans celte crainte que les prophètes ins­ pirent à tous sans exception une indication positive de peines et d’expiations à subir dans l’au-delà avant la complète purification des âmes ct la réalisation pour elles des promesses messianiques? Certains auteurs estiment qu’on peut le supposer. L. Atzberger, Die christlichc Eschatologie in den Stadien Hirer Ofjenba· rung, Fribourg-en-B., 1890, p. 93. Les deutéroennoniques mettent en bien meilleur relief le sort des justes par rapport au sort des pécheurs. Néanmoins, sauf dans le 11° livre des Machabées, on n’y rencontre encore aucun texte explicitement révéla­ teur du purgatoire. 2° Les textes discutables. — 11 faut donc savoir se contenter d’indications imprécises et confuses qui, par elles-mêmes, ne sauraient fournir une base sérieuse au dogme des expiations futures. Ça été peut-être le tort, en face de l’assertion luthérienne, des apologistes ca­ tholiques de vouloir à tout prix trouver dans l’Écriture de nombreux textes à l’appui de la croyance au purga­ toire. Ces apologistes ne se sont pas aperçus qu’ils affai­ blissaient ainsi l’argument script traire. Des théologiens de la valeur d’Eck et de Bcllarmin n’onl pas su résister à cet entraînement. Plusieurs textes ont ainsi été invo­ qués, qui sont à coup sûr tout au moins fort discutables. Tel est le texte de Tobic, iv, 18, recommandant « de placer du pain et du vin sur Je sépulcre du juste ·, cc qui, déclare Bcllarmin. ne peut s’entendre que d’un repas offert aux pauvres afin qu’en retour ils prient pour l’âme du défunt. Il s’agit bien plutôt de repas funèbres en usage pour célébrer la mémoire des morts. Cf. Jer., xvî, 7. Tels les exemples de sacrifices cl déjeunes offerts par les justes de l’ancienne Loi à la nouvelle de la mort de leurs amis. Cf. I Beg., xxxi, 13; II Beg., i, 12; ni, 35. Bcllaimin reconnaît que cc sont là « simples signes de deuil et de tristesse », tout en insinuant qu' « on peut croire qu’il s’agit d’aider les âmes des défunts ». Telle encore la prière du psalmiste demandant à Dieu · de ne pas l ’examiner dans sa colère ni le repren­ dre dans sa fureur », Ps., xxxvn, 2; cf. vi. 2. ou le remerciant d’avoir introduit son peuple dans un lieu de rafraîchissement, après qu’il n passé par le feu cl l’eau. Ps., i.xv, 7. Il n’est question, là, que des fautes personnelles de David; ici, que des tribulationset de la délivrance di peuple juif. Telles encore les descriptions des prophètes où Dieu apparaît · purifiant les souillures des filles de Sion ·. Is., iv, 1; brûlant l’impiété comme un grand feu, Is., ix. 18; amenant l’âme juste à la lumière après qu’elle aura supporté la colère divine, Midi., Ml, 8-9; délivrant les captifs du lac desséché, Zach., ix, 11; purifiant comme au feu ct affinant les enfants de Lévi, Mal., m, 2-3. Le sens littéral de tous ces textes ne sau­ rait être rapporté nu purgatoire. Bcllarmin le recon­ naît lui-même, De purgatorio, 1. L c. m, et est obligé de s’appuyer sur des interprétations patristiques pour en tirer ce dogme. Mais ici les Pères ne sauraient faire autorité comme en matière doctrinale, car le sens qu’ils attribuent à ccs passages, en les rapportant au purga­ toire, est nettement accommodaiice. Cf. Atzberger, op. n7., p. 93, note. 1166 3° Le texte de // Mac., xn, 39 /6. - Le seul texte de l’Ancien Testament qui implique réellement l'idée d'un état intermédiaire, apanage dans l’autre vie des Ames jpstes non encore entièrement purifié· s. est celui de II Mac., xn, 41-48. Au lendemain de sa victoire sur Gorgias, Judas Machubéc découvrit sous la tuni­ que de scs soldats tombés sur le champ de bataille des objets idolâtriqucs provenant du pillage de Jamnia. Ces objets étant essentiellement impurs au regard de la Loi, il s avait eu faute à les garder. Judas vil, dans la mort de scs soldats, un châtiment de Dieu : C'est pourquoi tou* bénirent le juste jugement du Sei­ gneur, qui avait rendu manifestes les choses cachées. Et ainsi, s’étant mis en prière, ils demandèrent (au Seigneur) que l'offense qui avait été commise fût livrée â l’oubli. Mai** le très s'aillant Judas exhortait le peuple à sc conserver sans péché, voyant sous leurs yeux cc qui était arrivé à cause des péchés de ceux qui avaient été tués. Et, une collecte ayant été faite, il envoya à Jérusalem 120* 0 drachmes d’urgent, afin qu'un sacrifice fût offert pour les péchés des morts, pensant bien ct religieusement tou­ chant la résurrection Jcar s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé devaient ressusciter, il (lui) aurait semblé superflu et vain de prier pour les morts l: mais c’est parce qu'il considérait que ceux qui s’étalent endormis dan* la piété recevraient une très grande grâce (h eux) réservée. Elle est donc sainte et salutaire, la pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. Le texte grec est quelque peu différent de la Vulgate, sur laquelle est faite notre traduction : < Il considérait en outre qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui s’endorment dans la piété, et c’est là une pen­ sée sainte ct pieuse. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice expiatoire pour les morts, afin qu’ils fussent délivrés de leur péché. » Dans le fond, l’idée est identique, sauf que l’auteur inspire n’a en vue ici que le péché commis par les soldats morts. L’authenticité du texte est indiscutable. Dans sa traduction latine de l’Ancien Testament, Sebastien Munster soupçonne ce passage (v 43-46) d’avoir été ajouté en cct endroit. Or, tous les exemplaires grecs, latins et syriaques, tant imprimés que manuscrits, le portent uniformément,comme Ia Vulgate,ct les anciens Pères l’ont cité cl connu, sans aucune variété ni aucun doute. Cf. Dom de Bruyne, Le texte grec des deux premiers tiares des Machabées, dans Rev. biblique, 1932, p. 4L Le sens du texte est démonstratif en faveur de l’exis­ tence du purgatoire. Sans doute, Judas Machabée a en vue, avant tout, la résurrection de ses soldats pécheurs. Mais i) subordonne cette résurrection à l’ex­ piation. dans l’autre vio. du péché commis dans le pillage de Jamnia. Ces soldats devaient ressusciter un jour; autrement la prière pour les morts serait vaine. Bessuscités, ils auraient part à la récompense réservée à ceux qui s’endorment dans le Seigneur. Mais aupa­ ravant, ils devaient être libérés de leur péché : c’est cc résultat que procurait le sacrifice expiatoire offert à Jérusalem. Ci. Hugo Bevenot, O. S. B., Die beiden Makkabuerbdeher, Bonn, 1931. p. 39-40. Il faut donc admettre que ces âmes n’étaient pas en enfer : ou leur faute n’était pas mortelle, ou elles avaient eu le temps de s’en repentir avant la mort, comme l’avaient fait jadis < beaucoup de ceux qui avaient péri dans le déluge ». Cf. I Pet., m. 19-20. Mais ces âmes n’étaient pas encore au ciel et elles ne pouvaient y entrer, non seulement parce que le ciel était encore fermé aux justes, mais parce que leur pèche les empêchait d’y être reçues. Leur étal se trou­ vait donc être cet état intermédiaire que nous appe­ lons le purgatoire, étal où les âmes sont purifiées par l’expiation cl aidées à cet effet par les suffrages des vivants. L’auteur inspire raconte le fait avec insistance et y λ 1167 PUBGATOIHE. L’ANCIEÏ^ TESTAMENT ajoute scs réflexions» destinées à inculquer la légitimité Cc texte de Matthieu est éclairé par le texte parallèle de Luc., xu, 58-59. Notre-Selgncur use de paraboles pour enseigner aux Juifs la conduite à tenir en face du jugement futur de Dieu. Les destina­ taires de la parabole sont encore « en chemin », c’est-àdire en cette vie. Mais celui â qui s’adresse la recom­ mandation : ■ Sois facile avec ton adversaire » est un accusé débiteur. Le châtiment divin n’est pas envisagé comme une coercition temporaire : le thème n’est donc pas In réconciliation, mais la nécessité de la pénitence pour éviter le châtiment. Ce qui ressort de la para­ bole, c’est donc qu’il faut être en paix avec son pro­ chain, en règle avec Dieu, pour éviter un châtiment redoutable. Faut-il pousser plus loin l’allégorie ct reconnaître dans la « prison » dont est menacé le débi­ teur soit l’enfer, comme le pensent les Pères latins en général, soit le purgatoire, comme opinent quelques exégètes à la suite de saint Cvpricn, Epist., i.v, ad Anton., n. 20, Hartel, p. 638? II est difficile de le dire, encore qu’il soit certain que Jésus ne nie pas que la dernière obole puisse être payée. Tout ce qu’il est per­ mis d’affirmer en s’en tenant au texte lui-même, c’est qu’il n’est pas impossible d’y voir une allusion au pur­ gatoire. Mais celte interprétation ne s’impose pas exclusivement ct n’a pas de valeur dogmatique abso­ lue. Cf Knabcnbauer. Evang. sec. Matthœum, t. i. Paris, 1892, p. 22(1; Lagrange. Eoang selon saint Luc, Paris, 1921, p. 376; Evangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 100-101. Bellannin dépasse donc la portée du sens littéral lorsqu'il volt dans ce texte l’in­ dication claire du purgatoire. Ce texte, dit II en sub­ stance. ne peut s’interpréter de l’enfer, comme le vou­ lait saint Augustin, De sermone Domini in monte, I. I. c. xi. P. L., t. xxxiv. col. 1213, ni même de l’ensemble des peines de l'enfer ct du purgatoire, comme le vou­ laient Albert le Grand, Op ta, éd. Vlvès, t. xx, p. 184-195, et Cajétan. In Mallhaum, v, 22, puisque le 1172 texte « indique clairement » une peine qui doit finir un jour. Bellannin ajoute que ce texte ne peut s’entendre des jugements et des peines de cette vie, comme le veut seinl Jean Chrysostomc, P. G., t. Lvn, col. 254, puisque l’expérience de celte vie montre fréquemment que les prisonniers sont graciés avant l’expiration de leur peine. Seul donc le purgatoire répond à cette pri­ son dont on ne sort qu'après avoir entièrement payé sa dette. 3° Luc., xvi, 9. — · Et moi je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent de l’injustice, afin que, lorsqu’il fera défaut, ils vous reçoivent dans les tentes éter­ nelles. » D’après Bellannin. le sens de ce texte n’est pas seulement que ceux qui auront fait l’aumône seront sauvés après leur mort à cause de leurs bonnes œuvres, mais qu’après leur mort les prières des saints soulage­ ront leurs âmes. En réalité, une telle interprétation est excessive. Celle conclusion se lit à la fin de la parabole de l’intendant infidèle, qui avait su prendre les débi­ teurs de son maître par l’intérêt et en avait fait ses complices. De tels procédés, la véritable sagesse ne peut tirer, en les constatant, qu’une intense mélanco­ lie. Mais il y a mieux à faire, ct c’est ce qu’indique Jésus-Christ dans la conclusion. La parabole est alors transposée : avec cet argent, le vrai disciple du Christ saura se faire des amis dans l’autre monde, non pas en trafiquant, comme l’économe infidèle, mais en se dépouillant par l’aumône au profit des pauvres. Quand l’argent d’injustice (lisez : qui pourrait facilement devenir occasion d’injustice) fera défaut, en raison de la mort où il faut tout abandonner, l'aumône qu’on aura faite avec lui procurera des amis dans l’autre vie. Cette amitié, sans doute, se traduira d’une façon effec­ tive, mais de quelle façon. Sans doute de manière â nous faciliter l’entrée au ciel. Mais l’idée de la déli­ vrance du purgatoire ne saurait être ici que très vague. 4° Matth., v, 22. « Moi, je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère sera justiciable du tribunal; ct quiconque dira à son frère : Kacal sera jus­ ticiable du sanhédrin; ct quiconque dira : Fou! sera justiciable envers la géhenne du feu. » Bellannin cons­ truit sur cc texte un argument dialectique en faveur du purgatoire : quand le Christ menace ainsi de sanc­ tions celui qui s’irrite contre son frère, il parle des peines à souffrir dans l’autre vie; or. parmi ces peines, la géhenne du feu est indiquée pour l’injure la plus grave; il existe donc des sanctions moins sévères. Il est incontestable que Jésus oppose ici le jugement divin dans l’ordre spirituel au jugement terrestre, tel qu’il était prévu par la Loi interprétée par la tradition juive. D'après la justice juive, l’homicide est justiciable du simple tribunal de vingt-deux membres pris dans le sanhédrin; mais, pour une simple colère d’un frère contre son frère (au ÿ. 47, le Christ laissera entendre qu’il ne s'agit pas seulement d’un frère Israélite, mais de tout homme, tous devenant frères par le christia­ nisme), déjà un jugement comparable à celui du simple tribunal est promis. Une injure plus forte sera justi­ ciable du sanhédrin tou! entier, c’est-à-dire sera jugée par Dieu plus sévèrement encore. Enfin, la géhenne, punition suprême, est réservée à l’injure suprême. La conclusion que Bellannin veut tirer de ce passage n’apparait que fort lointaine : elle est légitime cependant, surtout si l’on sc souvient que tout cc passage de Mat­ thieu prépare l'allusion à la prison dont l’accusé ne sor­ tira qu’après avoir payé la dernière obole. Voir cidessus, n. 2. 5° Luc., xxm, 12. · Il ajoutait : Jésus, sou viens-tof de moi quand lu viendras dans ton règne. » Il s’agit du bon larron, qui · jamais n'aurait ainsi parlé s’il n’avait cru qu'après celle vie les péchés peuvent être remis, que les âmes ont besoin de secours et peuvent en être l réconfortées -, Si vague cl si lointaine que soit ici l’ai- 1173 PUHGATOI HE. LE NOUVEAU TESTAMENT luslon à uno expiation d’outre-tombe» elle n’est cepen­ dant pas complètement négligeable* De toute évidence, le bon larron, un Juif assurément, croit au royaume messianique, dans Icaucl, par sa mort, le Christ va entrer. Il adresse â Jésus une humble prière, se recom­ mandant ù lui d’une manière générale. Tandis que le mauvais larron demande insolemment un miracle, le bon larron, avec une foi sans hésitation, entrevoit, après la mort, l’avènement du Messie. 11 sc recom­ mande donc, pour l'état dans lequel il va entrer après la mort, à celui qu’il considère comme le chef du royaume de Dieu. En lui promettant le paradis, Jésus lui accorde bien plus qu’il n’avait demande. C° Ad., n, 24. - lei, Bellannin Ht une leçon que la critique accepte difficilement. Dans son discours, saint Pierre parle de Jésus que les Juifs ont fait mourir, * l’aynnl élevé â la croix par la main des infidèles ». Et l’apôtre ajoute : · Dieu l’a ressuscité, ayant délié les liens de la mort. » Bellannin lit : les liens de l'enfer. Sur cc texte, voir Jacquier, Les Actes des apôtres, Paris, 1926, p. 66. D’ailleurs, ce n’est pas au texte lui-même des Actes que Bellannin se réfère pour trouver un argument en faveur du purgatoire, mais aux com­ mentaires qu’en ont donné les Pères. De nombreux Pères appliquent le texte : ayant délié les liens de l’enfer » aux Ames délivrées par le Christ de souf­ frances infernales; et, comme il ne peut être question de damnés, il doit nécessairement s’agir des âmes qui sc purifiaient dans le purgatoire. L’argument tradi­ tionnel peut avoir de la valeur; mais l’argument scrip­ turaire ne présente aucune base à la croyance au pur­ gatoire. Même en admettant la leçon τάς ώδΐντς τού άδου, il ne saurait être question d’y trouver une libéra­ tion par le Christ des âmes du purgatoire. Il n’est ques­ tion que du Christ lui-même, la suite du texte l’in­ dique clairement : · Dieu l’a ressuscité, ayant délié les liens de la mort (ou de l'enfer) », parce qu’il n’était pas possible qu’il restât au pouvoir de celle-ci (ou du schcôl). Et Pierre invoque â l’appui de son assertion le ps. xv, 8-11, certainement messianique. 7° Les autres textes invoqués par Bellannin sont de saint Paul. Le premier est pris dans / Cor., xv, 29. Saint Paul prêche aux Corinthiens la résurrection future. Et il ajoute â sa prédication un argument indi­ rect : « D’ailleurs (s’il n’en était pas ainsi), que feront ceux qui se font baptiser pour les morts? Si les morts ne doivent pas du tout ressusciter, pourquoi sc font-il baptiser pour eux? · Le sens obvie de ce texte est que les Corinthiens sc faisaient baptiser à la place, ou, mieux, en faveur de leurs parents ou amis qui étaient morts sans avoir reçu le baptême. Ils pensaient les rendre ainsi dignes de la résurrection glorieuse. Sans approuver ni blâmer cette singulière coutume, saint Paul s’en sert pour démontrer sa thèse ct il conclut qu’elle suppose la foi â la résurrection. Cc sens littéral ne suffit pas â ceux qui veulent trouver ici un argument péremptoire en faveur de l’existence du purgatoire. Le • baptême » dont H est question serait un baptême de larmes et de pénitence, qu’on accepte quand on prie, qu’on jeûne, qu’on fait des aumônes, etc.; le sens serait donc : Que feront ceux qui prient, qui jeûnent, qui pleurent, qui sc mortifient pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas? Nous aurions ici un témoignage explicite de l’utilité des suffrages offerts pour les âmes souffrantes. Mais cette interprétation, loin de s’impo­ ser, paraît inadmissible. Bellannin reconnaît lui-même qu’elle est discutable et admet comme probable l’in­ terprétation littérale que nous avons rappelée. Tou­ tefois, cc < baptême pour les morts » n’attesle-t-il pas, lui aussi, â sa façon, que les vivants peuvent quelque chose en faveur (les défunts? Et c’est lù un indice non négligeable de la croyance primitive A l’expiation dans l'au-delâ. Voir Baptême pouh les morts t. n, col. 360, 1174 ct B. Allô, Première épttrc aux Corinthiens, Paris, 1935, p. I : 8e Phil., n, 10. — · Qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur la terre et dans les enfers. · Les < enfers · dont il est question peuvent représenter les , âmes du purgatoire, bien qu’il puisse désigner égale­ ment les damnés. Vraisemblablement les deux En faveur des âmes du purgatoire, on peut apporter l’ap­ pui d’un texte similaire d’Apoc.» vi. 13. Mais il est dif­ ficile de trouver ici une indication solide en faveur du dogme du purgatoire. 9° Deux textes que n’a pas relevés Bellannin el qu'il convient cependant de citer, c’est Luc., xu, 18, ct Il Tim., !. 16-18. Le texte de Luc est une allégorie : · Le serviteur qui connaît la volonté de son maître ct qui n’a pas préparé ou agi selon sa volonté recevra un grand nombre de coups. Mais celui qui ne la connaît pas ct qui agit de façon à mériter des coups, en recevra peu .11 s’agit du jugement de Dieu ou du Christ. Ce châtiment léger, pour ceux qui peuvent avoir des excuses, n’est-il pas l'indice que, dans les jugements de Dieu, il y a une punition qui n’est pas la perte étemelle? Cf. Lagrange» Évangile de saint Luc. Paris, 1921. p. 371; B. Allô, op. cil., p. 67. II Tim., i, 16-18, est une prière : Que le Seigneur répande sa miséricorde sur la maison d’Oncsiphore, parce que souvent il m’a rafraîchi et n’a pas rougi de nos chaînes; mais, lorsqu'il est venu à Borne, il m'a cherché avec empressement el m’a trouvé. Que le Sei· I gneur lui donne de trouver miséricorde en ce jour! » L’expression « la maison d’Onéslphore » qu’on retrouve plus loin encore (iv, 19). semble indiquer qu'au ino, ment où Paul écrivait sa lettre, Onésiphorc était déjà mort. La prière faite au Seigneur en sa faveur indiquerait alors le suffrage des vivants pour les morts. 10° Reste le texte classique sur lequel beaucoup de théologiens sc sont fondés pour affirmer l’existence du purgatoire, I Cor., m, 11-15 : De fondement» nul ne peut en poser d’autre que celui qui est L’i. qui est Jésus-Christ. Et si quelqu’un, en bâtissant» superpose à cc fondement de l’or, de l’argent, des pierres de prix, «les pièces de bols, dr l'herbe» de 11 paille, l’ouvrage de chacun sera mis en évidence, car le · jour le montrera, parce que c*esl au feu «pie sc fait cette révélation; ct l’ouvmge de chacun, cc qu’en est la qualité, le feu l’éprouvera. Si l'ouvrage de quelqu’un» qu’il a superposé en bâtissant, subsiste» il recevra une récompense; si l’ouvrage de quel­ qu'un est consumé, il subira un dommige; lui. il xera bien sîiuiv, niais ainsi frmvr* le /eu. L Exégèse du texte. - Dans cette allégorie, trois tonnes sont â considérer : la nature de l'édifice. le « jour », le feu qui éprouve la superstructure apportée au fondement. a) La nature de Γ edifice. — Nous sommes les coo­ pérateurs de Dieu; vous êtes la culture de Dieu, la bâtisse de Dieu », écrit l’Apôtrc au ê. 9. Quel est cet édifice que les ouvriers apostoliques ont mission de construire cl d’achever? Saint Paul parle d’un seul édifice. Il ne s’agit donc pas de l’édifice personnel de la perfection chrétienne, propre à chaque chrétien, dont le fondement est la foi, dont les matériaux sont, d’un côté, les bonnes «ruvres, d’un autre côté, les péchés graves, les affections charnelles ou les péchés véniels. Cette Interpret rat i«»n. qu’on retrouve sous des formes â peine dissemblables, chez Origène, Jean Chrysostomc. Jérome. Augustin et Grégoire le Grand, outre qu’cllc se heurte â l’unité de l’édifice va contre le sens général : cc fondement de l’édifice c'est fa foi, et des matériaux tels que péchés et affections charnelles ne sauraient reposer sur la foi. H ne s’agit pas davantage de l’édilice qu’est l’Église (cf. Matth., xvi, 18), dont les lidèh· 1173 PUBGATOIHE. LE NOUVEAU TESTAMENT sont 1rs pierres vivantes (ci. I Petr., π, I ; Eph., r i. 20), édifiées sur la pierre angulaire qu’est le Christ, les matériaux périssables étant les pécheurs et les réprou­ vés. Mais alors comment ceux qui les auraient fait entrer dans l’Église pourraient-ils eux-mêmes être sau­ vés? Il s’agit donc clairement de l’Évangile lui-même (cf. Bom.. xv, 20), dont Paul a pose le fondement à Corinthe en prêchant Jésus-Christ, abrégé de la foi, et que scs successeurs ont mission de compléter et de pa­ rachever par leur enseignement. Personne n’a le droit de déplacer ce fondement ou de lui en substituer un autre; mais tout prédicateur de l’Évangile a le droit et le devoir de continuer l’édifice. Or. comme la construction est de même ordre et dr même nature que le fondement, les parties surajoutées h l’édifice fondé par Paul seront nécessairement les doctrines du christianisme, non pas des doctrines mortes, purement spéculatives, sans in­ fluence aucune sur l'accroissement du corps mystique, m us des doctrines vivantes agissantes, capables de transformer l'esprit et le cœur de ceux qui en font leur régie de vie. L’or, l’argent, les pierres de prix sont Λ divers dezrcs les doc­ trines utiles et fructueuses; le bois, le foin, le chaume, subs­ tances fragiles cl peu durables, symbolisent, non pas les erreurs et les hérésies, mais les enseignements frivoles, les récits futiles, bons Λ repaître la curiosité des auditeurs, mais sans action sérieuse sur leur vie morale. Lc souverain .Juge parait soudain. I n feu dévorant le précède. L’or, l’argent, les pierres de prix, résistent Λ l’épreuve; le bois, le foin, le chaume sont consumés ct les imprudents ouvriers qui les employaient, voyant périr leur œuvre, sc sauvent fi travers les flammes. F. Pntt. La théologie de saint Paul, 17· éd., t. i, p. I1L Cette explication, jadis retenue par l’Ambrosiaster, est aujourd’hui adoptée par l’immense majorité des exégètes. L’interprétation plus large, récemment pro­ posée par le P. Allô. op. cit., p. 59-60, ne contredit pas essentiellement celle qu’on vient de rapporter. Le fon­ dement est le Christ lui-même, que Paul a d’ailleurs comparé à la pierre angulaire, à la tête du corps. La superstructure signifie donc tous les résultats du tra­ vail des instructeurs qui prétendent faire l’œuvre du Christ, l’accession des nouvelles recrues, les doctrines qu elles reçoivent, les œuvres qu’on leur fait pro­ duire, etc. L’édifice, en somme, c’est l’Église, mais l’Église avec scs membres, la foi ct la charité qui les unissent; ensemble qui doit être homogène, harmo­ nieux ct parfaitement adapté au fondement. Cette in­ terprétation extrêmement compréhensive n’cst pas à confondre avec celle qu’on a rejetée tout à l’heure. Dans cet édifice, les matériaux, personnes.œuvres, doc­ trines, sont de qualité bien diverse. Les matériaux infé­ rieurs peuvent sc rencontrer avec ceux de qualité supé­ rieure. b) Le « jour . — La Vulgate a dies Domini; mais le texte grec porte seulement ή ημέρα, le ■ jour ■ par antonomase, c’est-à-dire le grand Jour de la parousic, Jour 6ù se fera le discernement des bons cl des mé­ chants, la distribution des peines ct des récompenses. Ce jour est le plus souvent appelé « le jour du Seigneur ou le jour du Christ >; cf. I Cor., i, 8; v, 5; II Cor., i, 11: Phil., t. 6-10; il, 6; 1 Thess., v, 2; II Thess., n, 2; I Petr., in. 10-12; Apoc., χνι, 1 I; il est encore désigné par έχε(νη ή ημέρα, II Thess., ι, 10; H Tim., t, 1218; ιν, 8. el par ή ημέρα tout court. Hebr., x, 25; ci. Bom., xtn. 12. C’est le jour du jugement. C’est là l’interprétatlon commune. On ne saurait donc accepter les interprétations différentes qui se présenteraient avec exclusivité de l’interprétation commune: surtout celles qui sc fondent sur un sens accommodaticc, la ruine de Jérusalem (Lightfooti. la tribulation (saint Augustin, qui d’ailleurs n’exclut pas d’autres Interprétations, voir plus loin.col. 1177),le jour delà mort (Cajétan), un jour indéterminé (Grotius), la claire lumière de l’Évangile (Er;.*me. Bèzr). etc. Toutefois, remarque opportuné­ ment k P Allô, op. cit., p. 61, «ce peut être en réalité 117(1 presque tout cela à la fois. On voit au chapitre suivant (IV, 3) que Paul pouvait donner à ημέρα le sens très général de jugement on de séance judiciaire. Or, le Christ exerce scs jugements cl peut avoir son «Jour. de bien des manières. La principale, la décisive est évi­ demment celle de la parousic; mais Jésus (Luc., xvn, 22), a parlé d* · un des jours du Fils de l'homme ·. comme s’il pouvait y avoir plusieurs de ces «jours ·, ou Il manifeste sa puissance suivant tel ou tel mode, dans tel ou tel événement... Aussi pouvons-nous croire, avec saint Thomas, que, dans ce verset, il s’agit du triple jugement de Dieu, le jugement général, le jugement particulier à la mort de chacun, et les jugements durant celte vie mortelle. Il faut toutefois remarquer que ce è. 13 ne vise expressément «pic le Jugement qui sera porté sur l’œuvre extérieure du ministère. » Quoi qu’il en soit, ce « jour » sera le jour du discerne­ ment du bien et du mal, des bons et des mauvais ou­ vriers, de la distribution des peines et des récompenses. Saint Paul nous représente les ouvriers de l'édifice sur­ pris par ce jour, el ils sc divisent en trois catégories. Les uns, auxquels il est fait allusion au >\ 17, sont les mauvais ouvriers qui, au lieu de bâtir, s’cflorcent de détruire le temple de Dieu que sont les fidèles, qu’est l’Église : Dieu les détruira eux-mêmes, comme ils ont détruit. D’autres ont construit un monument solide cl n’ont employé que des matériaux excellents : ils rece­ vront la récompense duc aux ouvriers fidèles. Enfin, les derniers font usage de matériaux périssables : ils souffriront dommage. Saint Paul ne dit pas expressé­ ment en quoi. Mais ils sc sauveront comme par le feu, pareils à l’ouvrier qui, employant des matériaux com­ bustibles, voit l’incendie sc déclarer dans l'édifice qu’il consi ruit ct sc trouve obligé oc s’enfuir au milieu des flammes pour sc sauver. c) Lc feu », d’après le P. Allô, op. cit., p. 61, serait toutes les activités destructrices dont l’édifice spi­ rituel de Corinthe (et l’Église en général) subiront l’assaut. Dieu l’ayant ainsi ordonné pour en faire l’é­ preuve (αποκαλύπτεται) et la purification. Si ccttc épreuve est différée, jusqu’aux derniers jours pour cer­ taines «superstructures», la parousic au moins,épreuve suprême, montrera cc qui valait quelque chose ou ce qui ne valait rien pour rétablissement du « règne de Dieu » éternel. » Mais d’autres exégètes veulent un sens moins général. Il est bien évident, tout d’abord, que le feu dont parle ici saint Paul ne peut être entendu directement du jeu du puryaloire : le feu du purgatoire, en effet, purifie, mais n’éprouve pas et, de plus, il n’a rien à faire avec les œuvres excellentes symbolisées par l’or, l’argent, les pierres précieuses. Ce n’cst pas non plus le jeu de l'cn/er (interprétation de saint Jean Chrysos­ tome), interprétation abandonnée des exégètes. Ce feu de l’enfer punit, mais n’éprouve pas, et l’on ne peut dire, sans violenter le texte, que le damné sera sauvé (σωΟήβΓΤαν), c’est-à-dire conservé vivant, pour souf­ frir éternellement. Ce sens donné à σωΟησεται est inouï, comme l’ont démontré au concile de Florence les contradicteurs de Marc d’Éphese. Cf. Mans!. Concil.. l. xxxi, col. 189. el Feu du puroatoiiie, col. 2250. De plus, on ne comprendrait pas que saint Paid opposât ζημίωΟηοεται, detrimentum patietur, à σωΟήσεται, sal­ vabitur, si l’un ct l’autre terme signifiaient la peine du feu de 1‘enfer. Cf. Comely, Commentarius in S. Pauli epistolas, I Cor., Paris, I89O.I. n, p. 91. Il ne s’agit pas non plus du feu métaphorique de la tribulation, interprétation secondaire chez saint Augustin et saint Gregoire le Grand. Fi u du puiigatoikk, col. 2250. Il suffira de mentionner l'opinion singulière deBellarmin, qui veut que le premier feu du V. 13 soit le feu de la conflagration générale, le second, même verset, le feu métaphorique du jugement, et que le feu du t? 15 1177 P U B G A T Ο ! B E. LE .X Ο I V E A U Mill le feu réel du purgatoire : opinion Insoutenable et sévèrement notée par list lus; cf. art. cité., col. 2251. Nous avons expose l'interprétation de nombre de Pères rapportant cc (eu nu feu réel de la conflagration générale. La plupart des Pères, des théologiens cl des exégètes volent dans le feu dont parle saint Paul le feu de la conflagration qui s’allumera au · jour du Sei­ gneur » (au jugement), c'est-à-dire le feu de la con­ flagrat leu en tant gu il sc rapporte au jugement qui éprouve les œuvres des hommes et en tant qu'il ser­ vira de feu purificateur pour les dernier* justes encore non entièrement purifié*... A ccs Pères il faut ajouter saint Augustin, qui, expliquant i Cor., HJ, 13-15, for­ mule nettement l'hypothèse d’un feu réel purificateur qui, après la mort, tourmentera plus ou moins long­ temps certains fidèles d’ailleurs sauvés en principe. » Voir les références, ΙΊ·:υ du pi hgatoihe, col. 2251. L’interprétation de Cujétan, qui entend le feu dont parle I Cor. du feu métaphorique du jugement, paraît aujourd’hui plus probable aux meilleurs exégètes, même catholiques. Elle est adoptée parle P. Prat, qui n’hésite pas à affirmer que le feu de la conflagration est etranger à renseignement de saint Paul ». Op. cit., p. 113, note 1. On aurait tort de le voir dans II Thess·, i. 8, έν πυρί φλογδς δίδόντος έκδίκησιν, car ces paroles sont une citation d’Isaïe, lxvi, 15, où il est ques­ tion du feu du jugement. D’ailleurs, ajoute le P. Prat, le feu du jugement est si souvent mentionné dans l’Écriturc et le feu de la conflagration l’est si peu qu’il n’est guère probable que saint Paul ait voulu désigner cc dernier. L’Apôtre parle d'un feu qui éprouve les doc­ trines el les actions des hommes, d’un feu qui accom­ pagne el manifeste le jour du Seigneur. Or ce feu ne peut être que le feu du jugement. Ce feu, qui fait par­ tie obligée des theophanies, escorte le char du Seigneur venant juger le monde. C’est un feu intelligent, qui rendra manifeste le contraste entre les bonnes doc­ trines, durables comme l'or, l’argent ct le marbre, ct les doctrines frivoles, aussi corruptibles que le bois, le foin et la paille. Cc même feu sondera les consciences des imprudents architectes, en leur infligeant le châ­ timent mérité : « Ils seront sauvés comme par le feu ». Ici, le mot « feu » a son sens ordinaire; seulement il y a une comparaison qu’on pourrait développer ainsi : ils seront sauvés, mais non sans douleur et sans angoisse, comme sc sauvent à travers les flammes les gens sur­ pris par un brusque incendie. ■ Op. cit., p. 113. 2. L'argument gu'on en tire en faveur du purgatoire. — Qu’on adopte l’interprétation du feu de la confla­ gration ou celle du feu du jugement, on ne possède pas d’argument direct en faveur de l’existence du purga­ toire; mais l'argument indirect ne laisse pas d’avoir quelque valeur. Voici l’argument en cc qui concerne le feu de la con­ flagration : Le feu de la conflagration dernière, étant placé aux contins de la vie présente et de la vie éter­ nelle, aura, pour ainsi dire, une double action : en tant qu’il termine la vie présente, il s’attaquera ù tou* cl â tout, brûlera et détruira les bons et 1rs mauvais dans leur vie corporelle ct, en ce sens, il ne sera pas le feu qui éprouve; en tant qu’il appartient déjà à la vie future, instrument de la divine justice, il punira ct purifiera les Ames des derniers Justes dont il aura causé la mort. A pari, on peut donc inférer logiquement qu’après le jugement particulier, qui sera le jour du Sei­ gneur » pour chacun des hommes. pareille purification sera nécessaire aux Anus non complètement encore dégagée* des souillures du péché ». l i u nu puroa· toim . col. 2252, avec les références aux théologiens ayant usé do cct argument. Voici l’argument en ce qui concerne le feu métapho­ rique du jugement ; - Le feu dont parle saint Paul n’cst plus probablement que le feu du Jugement, par lequel T E ST A M E N T ! 178 les bonnes œuvres seront approuvées, les mauvaise rejetées. Or, ce n’cst pas a J dernier jugement qu’est manifesté tout d’abord cc qui aura été bien ou mal dans les œuvres des hommes; le jugement dernier ne fera que manifester et confirmer devant l'univers entier cc qui aura été déjà fait au Jugement particulier. Donc, d’après l’Apôtrc lui-même, il peut arriver qu’au Jugement quelqu'un soit condamné à subir des peines pour des œuvres moins parfaites ct que, cependant, il soit ensuite sauvé. Mais c’cst précisément la tout le dogme catholique du purgatoire. · Ch. Pesch, Protec­ tiones theologiae, l. ιχ, η. 590. I.c P. Prat. op. cit., p. 112, conclut lui aussi, d’après le texte de saint Paul. qu’« il y a des fautes qui ne sont pas assez grave* pour fermer le ciel et pour ouvrir l’enfer, ct qui sont punies néanmoins d'un châtiment proportionné. Le dogme catholique des péchés véniels et celui du purgatoire trouvent ainsi dans notre texte un très solide appui ». Lc P. Alto présente l’argument sous une (orme nou­ velle : · Nous avons interprété le feu · au sens It plu* étendu, comme l’ensemble des épreuves ct des jugements auxquels le Christ, juge invisible d'abord, puis visible au Jour du grand avènement, soumettra l’ouvrage de ceux qui ont voulu ou prétendu — tra­ vailler pour Lui. Mais le t. 15, disions-nous, montre que ce n’est pas l’ouvrage tout seul,c’cst aussiTouvrier qui pourra être atteint par la flamme, bien qu'il soit destiné au salut. Comme rien n'indique que ccs épreu­ ves du travail de chacun doivent toutes avoir lieu durant la vie présente, il faut reconnaître que Paul envisage, pour les âmes élues qui auront quitté ce monde, la possibilité d'une dette à acquitter encore envers Dieu. Où el quand cette dette leur sera-t-ellc réclamée? On ne voit que le moment où elles comparaî­ tront devant le tribunal du Christ (II Cor., v. 10; Hom., xiv, 10). Ce jugement du Christ ne peut être les assises générales de la parousic. Car, d’après le même chapitre de II Cor., le sort de quelques-unes au moins sera déjà actuellement fixé avant celte consommation; la, et encore dans l’épltrc aux Philippicus, l’Apôtre exprime l’espoir de Jouir déjà, avant la résurrection, de la compagnie du Christ. Est-ce que cette détermi­ nation sera exceptionnelle? Et la masse des élus, jus­ qu’au jour de la consommation, restera-t-elle en sus­ pens, dans une espèce d’incertitude sur le sort final qui l’attend, ou condamnée à une sorte de sommeil? Puis­ que certaines âmes au moins y échapperaient, c’est donc cpie cette attente équivaudrait à une punition pour les déficiences de leur travail à élever le · temple de Dieu » autour d’elles et en elle*. De toute façon, nous serions ramenés à l’idée d’un temps ou d’un état d’expiation après la mort corporelle, à un < pur­ gatoire. · Ajoutons néanmoins que, pour ingénieuses qu’elles soient, ces exégèses diverses témoignent d’un « concordisme », dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’impose pas. ///. COS'CLVs/oy. — Portée exacte du fondement scrip­ turaire du dogme du purgatoire.— Il ne s’agit pas Ici de discuter l’emploi «pii a été fait de l’Écriturc sainte pour démontrer l’existence du purgatoire, mils d’expliquer le sens objectif de la condamnation, portée par Léon X. contre la 37· proposition de Luther. Cette condamna­ tion, avons-nous déjà dit, n’oblige pas à trouver dans I Écriture une révélation explicite du dogme du purga­ toire. La finale gmr sil in canone montre bien que Luther avait en v ne de rejeter la preuve du purgatoire parle texte des Machnbécs, dont il contestait précisé­ ment la canonlcilé. C’est ce texte surtout qui manifeste l’existence d’une expiation dans l’au-delà et l'efficacité des suffrages pour les morts. Aussi, ne pouvant nier l’évidence, le réformateur nia la canonicilé du livre tout entier, tout comme, refusant aux bonnes œuvres toute valeur méritoire. Il nia résolument, impudemment 11 79 PURGATOIRE. LA TRADITION PRIMITIVE 1180 b canonicit t de l’épltrcdc Jacques. Ainsi la condamna­ soit individuelles. Voir II Keg., xi-xn : péché el con­ tion portée par Léon X visait non seulement â procla­ fession de David; III Keg., xxi, 27-29 : crime ct repen­ tir d’Achab; IV Reg., xx, 12-19 ; faute d’Ézéchias, mer le fondement scripturaire du dogme du purgatoire mais encore à restaurer la canoniclté du II· livre des qui s’humilie sous le châtiment divin; H Par., xxxni, 11-13 : repentir de Manasse. Deux idées se trouvent Machabécs niée par Luther â recension de cc fonde­ ainsi fréquemment juxtaposées : hi nécessité d’une ment. L'anahsc des textes du Nouveau Testament invo­ expiation pour le péché, la loi de solidarité qui permet au juste de se substituer au pécheur. A vrai dire, cctlc qués en faveur de l'existence du purgatoire montre qu’ici l’argument déni nsi rat if est moins direct, moins seconde idée apparaît assez tant dans la théologie juive. efficace. On doit meme convenir que plusieurs de ccs Dans le livre de Job, ia souffrance du juste demeure textes ne sont pas ad rem ou qu’il faut employer un encore un mystère. C'est surtout dans la prophétie mes­ véritable raisonnement théologique pour en tirer une sianique du « serviteur de Jahvé », Is., lui, que In sub­ indication en faveur du purgatoire. Quelques-uns stitution du juste au pécheur est affirmée nettement. néanmoins, notamment Matth., xn, 31-32. et I Cor., Ici, en effet, le serviteur de Jahvé désigne non l’Israël m, 10, d’une façon plus nette, Matth., v, 25, ct peut- . réel, ni l’Israël idéal, ni aucune collectivité, ni aucun Cire I Cor., xv, 29, d’une façon plus lointaine, suffisent personnage de PAncien Testament ; il désigne le Messie: â contrecarrer les prétentions de Luther. « Sons avoir le Sauveur innocent soutire pour les coupables cl à leur par eux-mêmes rien de démonstratif, [ces textes | s'op­ place; sa substitution présente un caractère pénal, ct posent néanmoins à son principe fondamental de la son expiation, de la part de Dieu comme de sa part, est justification par la foi, qui soustrait le pécheur à toute une œuvre d’amour. pénalité, à toute expiation ultérieure ». Bernard, Au rr siècle de notre ère, la théologie juive recueille art. Purgatoire, dans Diet, apoL, t. iv, col. 501. celte idée de solidarité en vue de l’expiation. Elle C’est, semble-t-il, sur cet aspect de l’argument insiste sur les mérites des pères, les bonnes œuvres des scripturaire qu’il aurait fallu insister davantage dans justes, l’efficacité de leurs suffrages. Voir surtout dans la polémique contre les protestants. El c’est peut-être le II· ct le IVe livre des Machabées les jeunes martyrs le meilleur point de dépari pour défendre, contre des sauvant Israël par leur sacrifice expiatoire. Sur tous négations radicales, le développement de la croyance à ccs points, on consultera A. Médcbiellc, L'expiation l'expiation d’outre-tombe. D'ailleurs, le théologien ea- ! dans Γ Ancien et le Nouveau Testament, ι, V Ancien Tes­ t ho) ique sait que l’assertion scripturaire explicite n’est tament, Home, 1925; art. Expiation, dans .Suppl, du pas nécessaire pour appuyer la révélation : renseigne­ Diet, de la Bible, t. ni, col. 97 sq. ** ment oral d’une tradition divine ou apostolique suffit. Pour faire sortir de cette double idée générale : l'ex­ De plus, le purgatoire n’étant pas un dogme dont la piation nécessaire à toute faute ct l’efficacité de l’inter­ connaissance explicite est requise pour le salut, on peut vention des Justes en faveur des pécheurs, l'essentiel de concevoir que sa révélation a tout d’abord été plus ou notre dogme du purgatoire, il aurait suffi de projeter moins implicitement renfermée dans le dogme général cette doctrine dans la vie de l’au-delà. A part la brève de l'expiation personnelle exigée par la justice divine, indication relevée, dans II Mac., il ne paraît pas sous l’économie présente de la rédemption, pour nos qu'une doctrine juive so soil formée à cet égard. Du fautes personnelles. C’est là, estimons-nous, le meil­ moins allons-nous trouver dans le Nouveau Testament leur argument dans la polémique anliproleslante. une indication en cc genre? Aussi, sans négliger la valeur implicite des arguments 2. L'expiation personnelle en face du mystère de la scripturaires rappelés d-dessus, devons-nous mainte­ redemption. La rédemption par le Christ est une nant envisager, dans le dogme général de l’expiation expiation du juste pour les pécheurs : celte conception chrétienne, les premières manifestations de la croyance n’était pas, nous l’avons vu, inaccessible aux Juifs, implicite au purgatoire. puisqu’elle s’était déjà affirmée dans le Serviteur de H. La tradition orientale jusqu’à la fin du Jahvé annoncé par Isaïe ct dans les sacrifices expia­ ni* SIÈCLE. — /. eoxoemexts. — 1“ L'expiation per­ toires offerts par les jeunes martyrs des livres des Masonnelle dans l'économie de la rédemption. — 1. L'hé­ c ha bées. A plus forte raison faut-il accorder au Christ ritage de la théologie fuioe. — L’Ancien Testament, de s’être, dans son sacrifice, substitué aux hommes avons-nous dit, tout au moins jusqu’à l’époque d’Espour leur obtenir de Dieu le pardon de leurs fautes ct dras, est orienté vers les rétributions collectives de la réconciliation de leurs âmes. cc monde : la Loi a pour but de rappeler nu peuple élu Toute la question est de savoir si l’expiation offerte de Dieu le rôle qu’il doit jouer ici-bas, pour y conserver par Jésus-Christ est exclusive ou non d’une expiation et propager le culte du vrai Dieu. Les fautes contre la personnelle, à laquelle les pécheurs seraient encore Loi ont pour compensation des expiations d’ordre tenus à l’égard de Dieu. Élucider ce point de départ est légal, expiations purement rituelles par le sacrifice absolument nécessaire à la théologie du purgatoire. extérieur, indépendant, semble-t-il, des sentiments de a) Les péchés remis par le baptême ne comportent pas pénitence intérieure qui devraient les commander. cette expiation personnelle du pécheur. —La voie nor­ Toutefois, à côté de l’expiation rituelle par le sacri­ male du baptême, par laquelle se fait à l’homme pé­ fice extérieur, moyen officiel d expiation, on devine cheur 1’applicatlon première des merites satisfactoires souvent, on saisit parfois un autre moyen d’expia­ du Christ, dégage l'homme régénéré de toute obligation tion, celui-là d’ordre intérieur : l’expiation du péché de satisfaire à Dieu pour ses péchés effacés. Non seule­ par la prière cl la pénitence et souvent par l'intermé­ ment la réparation est complète, mais le fruit de la diaire du juste en faveur du pécheur. La Bible offre rédemption est, pour l’àme régénérée, une élévation à ainsi des exemples de pardon accordé en considération la vie surnaturelle. Jésus est sauveur par la croix ct il des mérites des justes : voir l’intercession d’Abraham ne nous sauve qu’en nous associant à sa mort. Pour en faveur des villes coupables, Gen., xvm, 17; l’épi­ devenir salutaire, cette participation à la mort du sode d'Abiméltch, Gen., xx; la médiation de Moïse Christ se réalise en chaque homme par le baptême : en faveur du peuple rebelle Num., xiv, 13-19; Samuel Ignorez-vous que nous tous qui nvons été baptisés en le priant pour le peuple d Israel, I Beg., xn, 19 sq. Christ Jésus, nous nvmu été baptisés en sa mort? Nous D’autres (ois, c'est le coupable lui-même qui expie par avons donc été ensevelis avec lut par le baptême (pour nous la prière cl la souffrance sa propre faute : le livre des unir) à sa mort, afin que, comme le Christ n été ressuscite Juges cl les livres des Bois contiennent maints des morts par lu gloire de son Père, nous marchions aussi exemples de ccs expiations salutaires, soit collectives, dans la nouveauté de l.i vie. SI, en effet, nous avons été unis 1181 PURGATOIRE. L’EXPIATION PERSONNELLE 1 1 82 baptême et remis par la pénitence, a. — Que l’enseigne­ ment de Jésus aux apôtres ait envisagé une rémission des péchés plus étendue que celle du baptême, c'est là un point de doctrine qui ne fait aucun doute. La situation des fidèles dans le royaume instauré par le Messie, Ce n’est pas le lieu de refaire l'cxégéscdcce texte, ct c’est-à-dire dans l’Église, ne saurait être pire que celle d’en défendre lu signification vraie contre les interpré­ des Juifs, déjà réconciliés par les sacrements de l’an­ tations plus ou moins minimisantes des protestants. cienne Loi ou le repentir et néanmoins retombés dans Cf. F. Pral. La théologie de saint Paul, t. i, p. 261-208; I le péché. Or, toute la vie publique du Sauveur est rem­ t. π, p. 368 sq. Saint Paul est très affirmatif : Vous êtes plie d’invitations a la pénitence, adressées à des pé­ morts au péché, c’est-à-dire vous avez dépouillé la cheurs de cc genre : Zachéc, la femme adultère, la larve du péché et vous êtes délivrés de sa tyrannie : pécheresse du festin de Simon le Pharisien, le paraly­ • Celui qui est mort est affranchi du péché. > Horn., vr, tique de Caphamaûm; ct le divin Maître semble pré­ 7. Dans cette affirmation, pas de restriction ni d’excep­ voir encore la possibilité de péchés ultérieurs; cf. Joa., v, 1 I. Cctlc prévision de péchés postérieurs à l’entrée tion : tout cc qui s’appelle péché au vrai sens du mot, péchéoriginel, péchés actuels, s’évanouit dans le bap­ dans le royaume par le baptême sc retrouve dans les tême; il n’y a plus aucune condamnation possible à j paraboles du filet, de la zizanie, qui marquent claire­ porter contre ceux qui sont dans le Christ Jésus. l es ment dans l’Eglise même le mélange des bons cl des idolâtres. les impudiques, les voleurs, les détracteurs, méchants. Jésus ne prémunit-il pas les siens contre les scandales futurs, Matth., v, 29-30; xvm. 6-9; contre les blasphémateurs d’hier, ont été « purifiés, sanctifiés, justifiés au nom du Seigneur Jésus-Christ ». I Cor., le danger de tomber, corps cl âme, dans la géhenne? m, 11. Matth., x, 28; Luc., xir, 5. El ceux qui auront ainsi péché contre leurs frères seront punis au jour du juge­ Celle idée se retrouve dans l’affirmation de la mort ment. Matth., xxv, 31-46. Or, ces péchés commis par du vieil homme » crucifié avec Jésus-Christ. Ce vieil des chrétiens sont rémissiblcs. Cette vérité nous est homme désigne tout ce que nous avons de commun avec le premier Adam, tout ce que, par notre origine, suggérée tout d'abord par la « volonté · cl le souci du Père que pas un des petits du troupeau du Christ ne nous tenons de lui comme chef de l’humanité. Mais périsse; par la sollicitude du pasteur à chercher la tout cela disparaît par le fait de notre union avec le brebis perdue cl à la ramener au bercail. Matth.. xvm, nouvel Adam. Saint Paul marque celte union dans la 10-11. Ensuite, par la formule même de la prière domi­ métaphore · revêtir le Christ ». Etre baptisé dans le Christ, revêtir le Christ, être unifié dans le corps mys­ nicale cl le bref commentaire qui la suit. Matth., vî, 12; 1 1-15. Enfin, par la recommandation expresse faite à tique du Christ, ce sont là, pour saint Paul, trois for­ mules exprimant en des termes différents la même réa­ Pierre de pardonner non une fois, mais soixante-dix lité. Le baptême en Christ (cf. Gai., ni, 27-28, εις fols sept fois, c’est-à-dire pratiquement toujours. Matth., xvm. 22; cf. Luc., xvu, 3. Sans doute, en tous Χριστόν έβαπτίσΟητε) a un double effet : le premier est de nous faire revêtir le Christ (Χριστόν ενεδύσασΟε); ccs textes, il n’est pas nécessairement question de ré­ mais cc revêtement n’est pas comparable à un man­ mission sacramentelle des péchés : il apparaît claire­ teau qui couvrirait notre Ame; c’est une forme vitale ment néanmoins qu’est entrevue la possibilité de péchés à expier, même après le baptême. qui nous fait vivre de la vie même du Christ. Lc second D'ailleurs, il est de foi que Jésus a promis à scs effet est de nous unifier dans le Christ : πάντες υμείς apôtres, comme à Pierre, le pouvoir de remettre les είς έστε έν Χριστώ Ίησου. Etre baptisé dans le Christ, péchés commis après le baptême : ce pouvoir est ren­ revêtir le Christ, c’est finalement la même chose qu’être incorporé à son corps mystique, qu’être fait membre fermé dans le pouvoir plus général de lier ct de délier. Matth.. xvm. 15-18; xvi, 18-20. Jésus a conféré ce vivant du Christ ct qu’être par lui assujetti à la force pouvoir aux apôtres, après sa résurrection. Joa., xx, surnaturelle de PEsprit-Salnt.qui est l’âme de l’Eglise. 19-23; cf. Matth., χχνιιι, 18-20; Luc., χχιν, 17-19. Et Ce fait de revêtir le Christ, d’être incorporé au Christ, cc renouvellement de notre vie spirituelle, les apôtres eux-mêmes, en certains cas dont les Actes toutes affirmations très nettes d’un changement total, cl les Épltrcs pauli nie ones semblent apporter quelques laissent peu de place à l'hypothèse qu’un homme régé­ exemples, ont exercé cc pouvoir â eux conféré. Voir Piaitkxci:, t. xn, ccl. 719-753. Le sens de Joa., xx, néré, lave du péché, revêtu du Christ, entré en lui pour 19-23, a été clairement proposé par le concile de Trente, vivre de sa vie, puisse encore avoir quelque expiation à subir pour scs péchés, 'roule la tradition exclut cette sess. xiv, c. I ; mais le concile n’a pas défini que, sans hypothèse. voir BaptAmî , t. n, col. 175, 201-202, ct, l’interprétation de la tradition, ce sens s'impose d’une façon claire et certaine. Cf. Galticr, De pirnitentia, si l’enseignement catholique admet que les pénalités de celle vie demeurent encore ct sont offertes au chré­ n. 131. La remission envisagée ici est certainement distincte tien comme une épreuve sanctifiante cl un motif dt vie plus surnaturelle, il exclut toutefois, du chrétien régé­ de la rémission des péchés par le baptême. La puissance néré, l’obligation de sc soumettre à une expiai ion pour concédée aux apôtres a une extension peur ainsi dire achever la réparation des fautes remises par le bap­ infinie : ίν τινων άφήτε. Or, le baptême ne peut remet­ tême. Le concile de Trente est,d’ailleurs, affirmatif sur tre qu’une seule fois les péchés. Il s’agit donc ici d’un pouvoir de remission qui, tout en renfermant la rémis­ cc point : dans la v* session (péché originel), il reprend, au c. v, quelques-uns des textes pauliniens que nous sion attachée au baptême, s’étend au-delà. De plus, le pouvoir concédé aux apôtres s’affirme comme un pou­ avons cités ct conclut : « Dieu ne hait rien en ceux qui sont régénérés, el il n’y n point de condamnation pour voir judiciaire : remettre ou retenir les péchés, con­ ceux qui sont vraiment ensevelis dans la mort avec forme à la puissance générale de lier et de délier qui Jésus-Christ par le baptême, qui ne marchent pas selon avait été promise. Or. du pouveir de baptiser, on ne la chair, mais qui, dépouillant le vieil homme et se revê­ saurait dire que c’est un pouvoir judiciaire; cc n’est que tant du nouveau, qui est créé selon Dieu, sont devenus très improprement qu’on y trouverait le pouvoir de innocents, purs, sans tâche et sans péché, agréables à retenir les péchés (ne pas conférer le baptême). Que, Dieu, ses héritiers et les cohéritiers de Jésus-Christ; en dans les controverses baptismales, les Pères nient appli­ sorte qu'il ne reste rien du tout qui leur /asse obstacle pour qué au baptême Joa., xx, 21. il faut le reconnaître; entrer dans te ciel. · Denz.-Bannvv., n. 792. ma’s ils voyaient dans la collation du pouvoir rap­ b) Jl n'en est pas de même des péchés commis après le porté par saint Jean un principe plus général dont ils |H>ur croître avec lut par l'im igc de bu mort, nous le *crnn« «usd quant a la résurrection. sachant que notre vieil homme 3 été crucifié avec lui,n lin que le corps du péché soit détruit, pour que nous ne soyons plus les esclaves du péché, car quiconque est mort est iifinincbi du péché. Rom., si, 3-7. 1183 PURGATOIRE. L’EXPIATION PERSONNELLE 1184 étaient en droit de déduire une application particulière fils qu'il sc délivrera par l’aumône de tout péché cl de relative Λ Ια rémission des péchés dans le baptême; ils la mort ct que de la sorte son âme n’ira pas dans les n’y ont pas vu une indication directe el propre du pou­ ténèbres. Tob., iv, 11. Le prophète Joël montre que voir de baptiser. Tout au contraire, un bon nombre, Dieu pardonne au pécheur, mais, a la conversion du surtout après la controverse novaticnnc, l'entendent cœur nécessaire, le pécheur ajoutera le jcùnc, les du pouvoir de remettre les péchés commis après le bap­ pleurs, les gémissements. Joël, u, 12. Au repentir doit tême, Ainsi Paden, Epist., ni, n. 11, P. L., t. xm, donc s’adjoindre l’expiation personnelle. C’est cc que col. 1O7O-IU7I; saint Ambroise, De pænilentia, 1. 11, rappelle Jean-Baptiste aux Juifs, les exhortant â (aire n. 6-8, P. L., I. xvi, cul. 167; saint Augustin, Epist., de dignes fruits de pénitence s’ils veulent éviter la clxxxv, n. 19, P. L., t. xxxm, col. 811; Serin., lxxi, colère future. Luc., m, 8. C’est aussi la pensée de saint n. 20; xeix, n. 9; ccxcv, n. 2, P. L., t. xxxvm, Paul, félicitant les Corinthiens d’avoir eu b tristesse col. 155, 600, 1319. Et, faisant écho â cet enseignement qui plaît à Dieu et pratiqué une pénitence salutaire. traditionnel, le concile de Trente définit comme un Il Cor., n, 10. Le même apôtre, qui a tant prêché h dogme de foi la distinction du sacrement de pénitence suffisance et la surabondance de la réparation cfierté par rapport au sacrement de baptême. Cf. ses*. xiv. par le Christ, attire l’attention des mêmes Corinthien* r. ir, sess. vi, c. xiv. Voir Pénitence, col. 1090. sur les maladies nombreuses et les morts fréquentes qui b. - Mais, dans la remission du péché par le sacrcmen t sc produisent parmi eux, avertissements paternels de de pénitence, toute la peine temporelle due au péché n'est Dieu, qu’ils pourraient éviter en se jugeant eux-mêmes pas nécessairement remise. — C’est ce qu'enseigne le avec plus de rigueur. Et il note (pie ce jugement du concile de Trente : < H est faux et contraire à ren­ Seigneur esl un avertissement, pour que nous ne soyons seignement divin d'affirmer que la faute n’est jamais pas condamnés avec le monde. Ceux (pii avaient été remise par Dieu sans (pic soit remise également toute ainsi punis n’étaient donc pas pécheurs impénitents ni la peine duc au péché. Les saintes Écritures four­ morts dans l’impénilencc, puisqu’ils n’avaient été nissent en effet d’illustres et manifestes exemples, frappés que pour être sauvés. I Cor., xi, 31-32. On qui, même en dehors de toute tradition divine, réfutent pourrait d’ailleurs ajouter d’autres textes; voir plus péremptoirement cette erreur. D’ailleurs, le caractère loin ceux (pii se rapportent à l’expiation antérieure au même de la divine justice semble exiger que soient retour du Christ, col. 1187. reçus différemment en grâce ceux qui ont péché avant Cc ne sont pas là des cas particuliers, arbitrairement le baptême par ignorance el ceux qui, délivrés une provoqués par la volonté divine. Cc sonl là des appli­ première fols du péché et de la servitude du démon, cations d'un principe général qui vaut pour tous cl que cl ayant reçu le don du Saint-Esprit, n’ont pas craint saint Paul exprime d’un mot : Dieu rendra a chacun de violer sciemment le temple de Dieu (I Cor., m, 17) et selon ses ouvres. Boni., n, G : « C'est le principe de la de contrister l’EspriDSaint (Eph., iv, 30). La divine sanction morale, dans le Nouveau Testament comme clémence se doit de ne point nous pardonner les péchés dans ΓAncien el il ne faudra pas oublier (pic Paul luisans exiger de satisfaction, afin de nous épargner, l’oc­ même l’a posé quand il discutera la valeur relative de casion se présentant, de considérer tous péchés comme la fol ct des œuvres. Or il n’était pas disposé à faire en légers et dès lors, faisant injure et outrage à l'Espritfaveur du chrétien une exception qu'il refuse à un Saint, de tomber dans des fautes plus graves, nous Juif. · Lagrange, Éptlre aux Domains, Paris, 1916, amassant ainsi un trésor de colère pour le jour de la colere. p. 45, note G. Cf. Gai., vi, 7 sq.; I Cor., m, 13-15; ix, Hebr., x, 29; Horn., n, 5; Jac., v, 3. » Voir Pénitence, 17; II Cor., v, 10; ix, 6; Eph., vi, 8; Col., m, 21. On col. 1101. peut se reporter aussi à Ps., i xi, 13; Prov., xxiv, 12; Les Illustres el manifestes exemples auxquels fait Matth., xvi. 17. allusion le concile nous montrent des justesdcl’Ancicn c. —Il faut donc conclure que l’expiât ion offerte poi Testament obligés par Dieu d’expier encore leur faute, le Christ ne supprime pas nécessairement au pécheur même après qu’elle leur a été certainement pardonnéc. rentré en grâce l’obligation d’une satisfaction personnelle Ccs textes avaient été insérés dans le projet primitif pour les fautes commises après le baptême ct pardonnées du chapitre en question. Thelncr, t. i, p. 589 a. C'était par la pénitence. d’abord l’exemple d’Adam, que Dieu avait très certai­ A moins de rejeter toute la doctrine qu’on vient nement tiré de son péché, Sap., x. 2, et que cependant d’exposer, il faut accepter ccttcconclusion. Ellccst niée il soumit à de graves peines. Gen., in, 17 sq. Marie, par les protestants, (pii, logiques avec leur doctrine sœur de Moïse, reçut de Dieu le pardon de son péché, sur la justification extérieure par la foi seule, ne peu­ ct cependant (ut séparée sept jours du peuple. Num., vent concevoir qu’après le pardon du péché puisse xn, 11 sq. Moïse et Aaron, en raison de leur moment encore subsister une peine à expier. Elle est également d’incrédulité — faute dont ils furent certainement parniée par les orthodoxes orientaux, qui refusent d’ad­ donnés avant leur mort — furent empêchés par Dieu mettre la distinction du reatus culpic et du reatus d’entrer dans la Terre promise. Num., xx. I sq.; pamiv. xxvn, 12 sq.; Deut., xxxiv, 1 sq. De même, David, Pour étayer leur système du pardon total, les pro­ coupable d'adultère ct d’homicide, volt, grâce à son testants en appellent surtout à saint Paul, Rom., vin, repentir, M>n péché pardonné. Mais,quant à l’expiation 1 : « Il n’y a donc maintenant aucune condamnation de la faute, elle est transférée à l’enfant qui vient de contre ceux (pii sont dans le Christ Jésus. · Saint Paul naître cl qui mourra en punition du péché de son père. venait de parler des condamnations dont la Loi (mo­ 11 R( . xn, 13-14. saïque) avait été l’occasion el, rappelant l’abrogation D’ailleurs, soit dans l’Anden, soit dans le Nouveau i de celle loi parle sacrifice du Sauveur, il conclut triom­ Testament, les auteurs inspirés nous montrent Dieu phalement : « Il n’y a donc plus de condamnation promettant de remet Ire péché ct peine duc nu péché contre ceux qui sont dans le Christ Jésus. Les ennemis si les hommes lui offrent des expiations compensa­ de l'homme, le péché, la mort, la concupiscence, la Loi trices. Ainsi Dieu promet ù Salomon de pardonner les elle-même, sont désormais impuissants devant la croix péché" rt de purifier la terre au peuple converti qui de Jésus. » L'exclamation de Paul résume ccttc victoire aura invoque son nom ct fait pénitence de ses voies totale du Sauveur S’il faut donner un sens plus précis détestables. Il Par., vu, 13-14. Ainsi Daniel conseille à à ce texte, cc sera le sens que lui reconnaît le concile de Nabuchodonnsnr de racheter scs péchés par des au­ Trente, sess., v, e. v. Le concile rite cc texte pour prou­ mônes. ct scs Iniquités par des miséricordes â l’égard ver la rémission compK te pur le baptême de tout cc qui des pauvres. Dan., iv, 21. Ainsi Tobie enseigne â son • st Après lui avoir ·, ; Hextes leçon· 1185 PUBGATOIHE. EXPIATION ET JUGEMENT die conclut : //α ut nihil prorsus cos ab ingressu Ctrl i remoretur. C’est une explication analogue qu’il convient d’ap­ porter ù llcbr., x, 1 1-18. Le but visé par l'auteur de l’épltre est de mettre en relief le contraste qui existe entre le sacrifice du Christ cl celui d’Aaron. La phrase, citée avec complaisance par les ennemis de l’expiation personnelle, exalte simplement la valeur in Unie du sacrilicc de la croix en regard de la valeur restreinte du sacrifice d’Aaron. Dans le sacerdoce aaronique, le grand prêtre (dirait, une fois l’an, un sacrifice solennel pour tout le peuple, et les prêtres d’un rang inférieur offraient tous les jours d'autres sacrifices pour les par­ ticuliers. Mais l'oracle de Jérémie, xxxi, 33, 31, est réalisé : « Jésus-Christ, par une seule oblation a con­ sommé ù jamais ceux qui ont été sanctifiés. Et là où il y a rémission des péchés, il n'y a plus d'oblation pour le péché. » Le sacrifice du Christ une seule fols offert suffit a tout Jamais parce que seul il est vraiment effi­ cace pour la rémission des péchés. Quelle que soit la rémission à intervenir, elle ne sera Jamais qu'une appli­ cation du même sacrifice. Aucune opposition entre ccttc doctrine el la nécessité d'une expiation person­ nelle du pécheur pour les péchés commis après le bap­ tême. Celte expiation, n’ayant de valeur que la valeur qu’elle emprunte aux mérites du Sauveur. · n’obscur­ cit en rien la vertu du mérite el de la satisfaction de Jésus-Christ ». Conc. de Trente, sess. xiv, c. vin. En cc qui concerne les péchés commis avant le baptême, l’assertion de l’é.pîtrc aux 1 lébreux trouve son applica­ tion littérale : leur rémission Cut totale, même quant â la peine, ct n’appelle plus d’oblation. La parole mise par Isaïe dans la bouche de Dieu, xi.ni, 25, marque la gratuité du pardon que le Seigneur est prêt à accorder à Israël, malgré scs crimes ct scs ingratitudes:· C’est moi-même qui effacerai tes ini­ quités à cause de mol, et de tes péchés je ne me sou­ viendrai pas. » C’est détourner la phrase de son sens obvie que de lui faire signifier l'inutilité d'une expia­ tion personnelle pour des péchés personnels. El il faut en dire autant d’un passage similaire de Jérémie, xxxi, 34 : · Je pardonnerai leur iniquité ct de leur péché Je ne me souviendrai plus. » Précisément dans la discussion relative au purga­ toire. les Grecs s’étonnèrent ù Florence de la distinc­ tion apportée par les Latins entre la coulpe ct la peine. Celte distinction leur paraît contraire ù des faits cer­ tains et incontestés. On ne voit pas les princes, déclare le mémoire des Orientaux, poursuivre le châtiment d’une olïensc qu'ils ont pardonnéc ; à plus forte rai­ son Dieu, dont le plus insigne attribut est la bonté. Aussi voit-on dans le Nouveau Testament le publicain s’en retourner non seulement absous, mais encore jus­ tifié, Luc., xvm, 1 1; dans l’Anden, Manassé, après s’être humilié, délivré de scs fers cl rétabli sur son trône, II Par., xxxm, 13; les Ninlvites, grâce â leur pénitence, soustraits aux coups qui les menaçaient, Jon., in. 5. Le paralytique reçoit, avec le pardon de son péché, le redressement de son corps. Matth., ix. 6. On ne trouve pas dans l'histoire ecclésiastique el dans la doctrine chrétienne trace d'une telle distinction. L’exemple de David, absous de son adultère ct cepen­ dant frappé par la perle de son fils, n’est pas con­ cluant. La perte de cet enfant fut moins un châti­ ment qu’une peine insignifiante ; David eut delà même femme un autre fils qui non seulement vécut, mais hérita de son trône: ce fut le grand Salomon. Donc, on ne peut poser en principe général qu’après le par­ don de l’offense il reste à subir une peine. Pour dé­ mentir ce principe, l’exemple du baptême suflil : avec le pardon de scs péchés, le baptisé reçoit la remise de toute peine. Tels sont les arguments mis en avant par les Grecs ct résumés d’apres les Actes · de Florence, ni CT. DF. THÉOL. CATIIOL. 1 I SG publiés par Mgr Petit, P. t). de Grallin-Nau. I xv. fasc. 1. Cf. d’Alès, La question du purgatoire au concile de Florence, dans Gregorianum, l. ni, 1922, p. 38. Sans doute — nous continuons à nous inspirer du méinoin de Marc d Éphèsc — il faut distinguer le reatus culpae du reatus ptrnœ. Mais il ne les faut pas séparer, comme le font les Latins. Itemise la faute, remise aussi est la peine par le fait même. C’est pourquoi chez les Grecs l’absolution n’est donnée aux pénitents qu’après l'ac­ complissement de ï’épitimie ou satisfaction. Marc dis­ tingue. trois sortes de rémissions : la première est celle du baptême, qui ne comporte point de peine, mais est toute grâce; la seconde, après le baptême, exige l'ac­ complissement d’une peine : la grâce divine y a moir s de part, la volonté humaine s'exerçant à apaiser Dieu. La troisième est dans l’autre vie : au moment de la mort. l’Église, en absolvant le pénitent, lui remet par I le fait toute la peine temporelle qu’il aurait dû accom­ plir el qu’il n’a pas accomplie; mais il reste les péchés véniels, pour lesquels les âmes justifiées rie seront pas châtiées; elles devront simplement attendre leur déli­ vrance, soit à la fin du monde, soit au moment que leur procurera l’intercession «les vivants. Voir les mêmes documents; cf. P. Venancc Grumel, Marc d'Ephèse, dans Estudis jranciscans, 1926, p. 112 (tiré à part, p. 20). On verra plus loin les hésitations cl les variations d< Marc d’Éphèsc cl des Grecs sur cc sujet. Cc qui donne à penser â priori qu’à la doctrine consistante de la théo­ logie latine la théologie orientale est bien embarrassée pour opposer une doctrine ferme et solide. Pour l’ins­ tant, il suffit de faire remarquer la fragilité des argu­ ments opposes par Marc d’Ephcse â la thèse catho­ lique. Il est fort vrai que les arguments scripturaires invoqués par les théologiens latins sonl loin d’être pleinement démonstratifs, el c’est vraisemblablement le motif qui les a fait éliminer par les Pères de Trente de la rédaction définitive du c. vm de la xiv* session. Néanmoins, en les interprétant dans le sens d’une expiation à offrir à Dieu en vue d’effacer le reatus pa·n:* qui peut encore subsist er après la rémission de la coulpc, il semble qu'on soit plus près de la vérité qu’en adop­ tant les interprétations assez arbitraires de Marc d’Èphèse. D’ailleurs, c’est l’enseignement de la tradition qui fixe le sens de la révélation, el ici renseignement traditionnel, manifesté par les Pères et par la disci­ pline pénllenlielle de l’Eglise, a été authentiquement promulgué au concile de Trente, sess. xiv, c. vin, can. 12; voir Pi’.nitence, col. 1102, 1110. Les raisons théologiques ne manquent pas, qui justifient cette doc­ trine. Voir Satisfaction. On voudra bien d’ailleurs (aire deux remarques : a) le cas de la rémission totale, coulpe ct peine, réali­ sée dans le baptême, est admis par les Latins, voir col. 1180,sans qu'il y voient un démenti infligé à la loi générale de l’expiation personnelle requise pour les fautes commises après le baptême; β) celte loi générale est même compatible avec des cas exceptionnels, où le sentiment de contrition est tellement ardent qu’il obtient de Dieu une rémission totale de la peine 2° Le point de départ de la doctrine du purgatoire : l'expiation nécessaire projetée dans la perspective du jugement. — 1. Rapport de l'expiation au jugement dans le Xoiiveau Testament. — Si l’on examine attentive­ ment les exhortations ù la pénitence dont est émaillé le Nouveau Testament, on constate que fréquemment ccs appels sont adressés aux hommes pour les préparer au jugement que doit prononcer le Messie. Saint Jean·Baptiste ne distingue pas encore nette­ ment la première et la seconde venue du Messie : « Faites pénitence, dit-il, car le règne des deux est proche... Faites de dignes fruits de pénitence... Déjà la i cognée est placée à la racine des arbres : tout arbre qui T. — ΧΙΠ — 3«. 1187 PURGATOIRE. EXPIATION ET JUGEMENT ne fait pas de bons fruits va être coupé ct jeté au feu. Pour moi, je vous baptise dans l'eau pour la péni­ tence; mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi... Lui vous baptisera dans l’Esprit ct dans le feu. Il a le van en main et il nettoiera son aire, et il amassera son froment dans le grenier, mais il brûlera la balle dans un feu qui nc s’éîelnt pas. ■ Matth., ni, 3. 8-10; Luc., in, 3-9. Lc baptême de feu dont il est ici question nc saurait être que le jugement. Voir Bap­ tême PAR LE FEU, t. Il, COl. 359. Jésus lui-même prêche ia pénitence en raison de la proximité du royaume. .Matth., iv, 17. il vaut mieux s’imposer la perte volontaire d’un œil ou d’un membre que d'exposer le corps entier ù aller dans la géhenne. .Matth., v, 29; cf. .Marc., ix, 46. Et c'est la pensée du royaume qui motive cette austère mesure. Matth., xvni, 3 sq. Les malédictions proférées contre Chorozaln, Bcthsaïda ct Capharnaûm, qui, malgré les mi­ racles du Christ, n’ont pas fait pénitence, sc rapportent à leur sort ali jour du jugement. Matth., xi, 21-24; cf. Luc., x. 13-15. Les hommes de Ninive se lèveront au jugement contre la génération incrédule, car eux du moins ont fait pénitence à la prédication de Jonas, ct cependant le Christ est plus que Jonas. Matth., xn, Il ; cf. Luc., xi, 31-32. D’ordinaire, la prédication apostolique,Mïe que nous la font connaître les Actes, se contente d’inviter les hommes à la pénitence. Toutefois, quand les apôtres développent leur pensée, il apparaît bien qve cette pénitence prépaie le retour du Messie-Juge : · Repen­ tez-vous, déclare Pierre aux Juifs de Jérusalem, et convertissez-vous, pour que vos péchés soient effacés, de façon que viennent les temps de rafraîchissement venant de la face du Seigneur, et qu’il envoie celui qui vous a été destiné d’avance comme Messie, Jésus. · Act., m, 19-20. Le repentir ct la conversion doivent ainsi précéder, alln que puissent venir des temps de rafraîchissement ct qu’ait heu la parousie du Christ. Cf. E. Jacquier. Zzs AcZes des apôtres, Paris, 1926, p. 111. Un écho de cette prédication, à l'adresse de tous les méchants en général se retrouve dans II Pelr., n, 1-9. Voir aussi Jac., v, 3-8, cl Judc, 15, 21. Saint Paul ne parle pas autrement devant les Athé­ niens : < Passant par-dessus ccs temps d’ignorance, Dieu fait savoir maintenant a tous les hommes, en tous lieux, qu'ils sc repentent, parce qu’il a fixé un jour où il doit juger le monde en justice, par un homm. qu'il a destiné, fournissant ù tous la foi, en le ressuscitant d’entre les morts. » Act., xvu, 30-31. Paul voulait pré­ parer les Athéniens ù entendre le nom de Jésus : il leur annonce que Dieu exige des hommes la pénitence en vue du jugement que présidera celui qu’il a déjà res­ suscité. Cf. Jacquier, op. cit., p. 538-539. Dans son épître aux Romains, s’adressant au Juif pécheur ct orgueilleux, le même apôtre l’exhorte à la pénitence : Estimes-tu que tu échapperas au jugement dc Dieu? Méprises-tu la richesse de sa bonté, ignorant que la bonté de Dieu t’invite au repentir? Et alors, par ton endurcissement ct ton cœur impénitent, tu t'amasses un trésor au jour dc la colère et de la manifestation du juste jugement... > Rom., π, 1 sq. Les lettres aux sept Églises, dans V Apocalypse, sont riches en enseignements de ce genre, bien qu’il ne soit pas toujours aisé dc discerner la perspective eschatoiogique dans les menaces ou les promesses qui y sont faites. Jean fait parler le Christ. A Éphèsc: · Convertis* toi, ct tes premières œuvres fais-les (de nouveau); sinon, je viens à toi. > n, 5. A Pergame : · Convertis· toi; sinon, je viens â loi promptement. * n, 16. A Thyatire : Je lui ai donné (ù la femme Jézabcl) du temps pour qu’elle se convertisse... Mais à vous, ct à tous ceux qui n’ont pas cette doctrine..., je ne jette pas sur vous d’autre fardeau : seulement , ce que vous avez, u88 tenez-y, jusqu'à ce que je vienne. · n, 21, 24. Suit l’annonce du triomphe spirituel de l’Église, qui se con­ sommera à la parousie. Cf. B. Alio, L’Apocalypse, 1921, p. 34. A Sardes : « Rappel le-lol comment tu as reçu ct tu entendis, et observe-le ct convert is-tol. Si lu n’es pas vigilant, je viendrai comme un voleur cl tu ne sauras nullement à quelle heure je viendrai sur toi. » m, 3. A Philadelphie, il recommande de continuer vigilance et fidélité cl ajoute : « Je viens prompte­ ment. > m, 11. La tiédeur dc l'ange dc Laodicéc ap­ pelle une menace, m, 16, qui n’est pas purement cschatologlque; niais la promesse faite au victorieux de s’asseoir sur le trône messianique est cschatologique ct appartient à la perspective du la vie future. Voir aussi Apoc., xvi, 15. Encore que cc rapport de l’expiation nécessaire au jugement ne signifie pus nécessairement que cc juge­ ment soit prochain, la pensée de la première génération chrétienne semble s'être volontiers complu dans lu proximité du retour de Jésus dans les fonctions dejuge souverain : cette pensée correspondait d'ailleurs à une préoccupation fondamentale de l'enseignement du Christ : « 11 suflit d’ouvrir tant soit peu l’Évangilepour reconnaître aussitôt que la parousie est bien véritable­ ment l'alpha ct l'oméga, le commencement et la fin, le premier et le dernier mot de la prédication de Jésus; qu’elle en est la clef, le dénouement, l’explication, la raison d’être, la sanction; que c'est enfin l'événement suprême auquel tout le reste est rapporté ct sans lequel tout le reste s'effondre ct disparaît. > Billot, La parou­ sie, Paris, 1920, p. 10. Nous n'avons pas à discuter ici le problème de la croyance personnelle ct de l’enseigne­ ment des apôtres relativement à la proximité de la parousie. Nous constatons simplement un fait inhé­ rent à nombre de prophéties : deux événements, dont l’un est le type ct l'image dc l’autre, quoiqu’il en soit séparé par des siècles dans sa réalisation historique, sont placés par In prophétie sur un plan unique, comme si l'un coïncidait dans le temps avec l’autre, quant à leur propre réalisation. Ainsi, la prophétie faite par Isaïe dc la Vierge mère, dont la réalisation est présen­ tée pour ainsi dire comme coïncidant avec les événe­ ments qui la provoquent; ainsi encore la prophétie faite par Jésus-Christ concernant la fin du monde ct dont la réalisation semble se confondre avec la des­ truction dc Jérusalem qui en est l'image anticipée. Ainsi, dans le cas présent, le jugement particulier qui, pour chaque homme pris individuellement, marque en réalité le retour du Christ-Juge, est-il confondu, dans renseignement du Nouveau Testament, avec le juge­ ment général dont il est la préparation ct, pour chaque âme, l'anticipation. Voir sur ce sujet, Jugement, col. 1765. Aussi, les exhortations à la vigilance ct à la péni­ tence en vue du jugement s'expliquent sous la plume et dans la bouche des écrivains inspirés, parce que «la parousie, telle qu’elle nous est donnée par la révélation du Nouveau Testament, se présente à nous sous deux aspects bien différents qu’il faut avoir constamment sous les veux... : premièrement, dans sa réalité future, au jugement général, ct secondement, dans ses antici­ pations Journalières en la mort de chaque homme en particulier. Ce que saint Jérôme a très bien exprimé en disant : « Lc jour du Seigneur (ou dc la parousie) : < entendez par là, soit le jour du Jugement, soit le jour « dc la sortie du corps dc chacun d’entre nous, car ce « qui se fera au Jour du jugement pour tous les hommes • pris dans leur ensemble s’accomplit au jour de la • mort pour chacun d’eux pris individuellement. » Billot, op. cit., p. 1 15. Cf. saint Jérôme. In Joel., n, 1, P. L., t. xxv. col. 965. Celle observation proposée, un fait reste indéniable : les chrétiens dc l'âge apostolique croyaient toucher à 1189 l’URGATOIBE. LE FEU lu lin des temps, et saint Pierre le voyait contraint dc justifier les longs délais du Christ. 11 Pclr., ni, 9. D’où la propension dc la première génération a nc considé­ rer comme temps propice à l'expiation pour le péché iv, 12. Lc jugement sera plus ou moins sévère ni, 1, ians miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde, n, 13, el cependant la miséricorde s’élè­ vera encore au-dessus du jugement. Ibid. Et il s’agit bien ici du jugement final, qui coïncide avec l’avène­ ment du Seigneur, v, 8-9. Saint Pierre, rq>renant une formule de saint Paul, rappelle que Dieu juge sans acception de personne selon l'œuvre de chacun. I Pelr., i, 17. Bientôt se pro­ duira cc jugement qui commencera par la maison de Dieu, c'est-à-dire par lés justes. « ct, si le juste est a peine sauvé, l'impie ct le pécheur où sc présenterontils? » iv, 17-18. Cette difficulté du salul pour les justes au moment du jugement attesterait que le jugement devra purifier leurs âmes des restes d’imperfections. La chose est dite équivakmment dès le début de t’épltrc, où l'apôtre déclare que lui el les fidèles ont été régénérés... en vue du salut qui doit être révélé â la fin des temps. Or, peu dc jours les en séparent, el cepen­ dant il leur faut encore être contristés par diverses ten­ tations, afin que l’épreuve dc leur foi, bien plus pré­ cieuse que l’or (qu'on éprouve par le feu), soit trouvée digne de louange, dc gloire et d'honneur, à la révélation (au jugement) dc Jésus-Christ, i, 5-7. La deuxième épilrc, corrigeant l’impatience des chrétiens â l'égard du jour du Seigneur, fait de multiples allusions au feu du dernier jour; mais. ici. de toute évidence, il s’agit d’un feu réel de la conflagration. Quant au jugement lui-même, il sc produira après le temps que la patience divine laisse â tous pour faire pénitence, ni, 5-12. Peu d’indications dans les épttres johanniques; tou­ tefois, c’est encore au jour du Seigneur que l’apôtre rapporte la confusion des pécheurs, la confiance des justes. I Joa., n, 28, et la manifestation publique de leur filiation divine, m. 2; cf. iv, 17. L’épitre de saint Jude contient, nu contraire, un en­ seignement direct sur l’œuvre qui s’accomplira au jugement. Empruntant la prophétie d’Hénoch, elle annonce que le Seigneur vient exercer son jugement contre tous les hommes sans exception, convaincre les impies touchant les œuvres d’iniquité qu’ils ont faites, tandis que les justes pourront attendre la miséricorde dc Notre-Scigneur Jésus-Christ, 15. 21. Toutefois, les justes devront s’efforcer encore de sauver les pécheurs « en les arrachant au feu ». Ici. l’allusion au feu du der­ nier jour — conflagration, enfer, jugement, qui sait? — est claire. Dans V Apocalypse, pas d’autre perspective que celle du jugement final. Voir Jugement, col. 1763. Du point de vue qui nous occupe, une formule surtout est à rete­ nir à cause dc sa généralité même : Dieu « rendra à cha­ cun scion ses œuvres ». Cf. n. 23; xx. 12. 13; xxn. 12. Dans cette généralité même, il y a place pour la proba­ tion des œuvres imparfaites. c) Les Pères apostoliques. — On retrouve chez eux la même attitude. Lc feu de l’épreuve, dans la Didachè, xvi, 5. ne se rapporte pas au jugement. Voir Feu du JUGEMENT, COl. 2211. Parmi les trois . dogmes du Seigneur », le pseudoBarnabê énumère « la justice du jugement, principe ct fin » dc la foi, i. 6. Ce jugement sera accompagné de la peine éternelle du feu pour les impies. Mart. Polyc., xr. 2. Qui nie cc jugement est le premier-né de Satan. Epist. Polyc., vu, 1 ; cf. // Ctem., ix, 1: Barn. Epist., n. 12. Le jugement, ici encore, est présente comme recti­ fiant les anomalies morales de la vie présente el devant rendre à chacun selon scs œuvres. Cf. / Clem.. xxvu, 1 ; Hennas.Sum/.. \ I. m, 6. Dans la Simii., IV, Hennas établit une comparaison qui rappelle un peu I Cor., ni. 11-15: le jugement futur révélera la valeur des œuvres de chacun; ces œuvres sont comparées à des 1191 PURGATOI RE. L’EXPIATION arbres; les arbres que la vie future rendra verdoyants sont les œuvres des justes; ceux que la vie future lais­ sera secs et arides sont les œuvres des impies, œuvres destinées â être consumées par le feu. A l’égard des Justes, le jour du Seigneur est un jour de misericorde; aussi ne devons-nous pas nous laisser troubler par les Injustices de la présente vie. // Ctem., xvm-xx, 4. De toute évidence, c’est au juge souverain que fait allu­ sion Hermas, Simii., IX, vi, 2 sq., faisant entrer en scène un homme de haute taille, dépassant la tour et venant, au milieu d’une multitude d’autres, inspecter la valeur des matériaux. Bien plus, vu, 1-2. ce juge ordonne de corriger les défauts des pierres reconnues impropres à la construction : celles qui pourront être rectifiées seront employées, les autres définitivement rejetées. Bien qu’il soit difficile de rapporter au juge­ ment dernier cet examen cl cette rectification des pierres non employées, la personnalité du juge permet de songer qu’à ce moment-là il y aura vraisemblable­ ment une rectification de ce genre. Il faut remarquer, cn effet, que déjà les Pères apos­ toliques ont une sorte d’intuition que la rétribution des récompenses et des peines commence dès la mort. Voir Jugement, col. 1767. C’est en germe, la doctrine du jugement particulier, mais c’est aussi, posée devant la théologie, la question d’une expiation antérieure au jugement dernier, déjà préparée cependant par le pre­ mier Jugement subi par Pâme au moment de sa sépa­ ration d’avec le corps. //. PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DE LA DOCTRINE d'une expiation d'outre-tomde. — 1° Remarques préliminaires. — Au moment où, vers le milieu du n· siècle, la pensée chrétienne commence à systémati­ ser les doctrines cschatologiques, il semble que plu­ sieurs causes soient intervenues pour empêcher et même parfois entraver l’évolution de la croyance à une expiation d’outre-tombe. Nous n’insisterons pas sur le millénarisme (voir ce mot, t. x, col. 1760), qui d’ailleurs ne fit Jamais figure d’enseignement officiel dans l’Église; mais deux points semblent devoir plus particulière­ ment être retenus. Au premier, il a déjà été fait allusion ù Feu nu pur­ gatoire, col. 2252. et ù Jugement, col. 1768. Au il· siècle, la conception du scheôl judaïque s'est trouvée presque naturellement transposée dans la théologie chrétienne, tout en subissant de notables perfection­ nements. La croyance à la proximité de la parousie aidait d’ailleurs singulièrement a cette transposition. Le Christ devait revenir bientôt; pendant ce temps, que feraient les âmes déjà séparées de leur corps? L’u­ nique perspective réunissant à la fois l’expiation et le jugement n’étant pas dédoublée, il s’ensuivait que l’é­ tat des âmes séparées était un état d’attente, dans le bonheur ou le malheur déjà entrevu du jugement final. A la différence des âmes du scheôl. < ce sont «les âmes vivantes, capables de Joie ou de souffrance, ayant déjà reçu comme un acompte de leur misère ou de leur félicité futures ». Labauchc, Dogmatique spéciale, t. n, Paris, 1911, p. 378. Ainsi, saint Justin pense que les âmes attendent, celles des bons dans un endroit meil­ leur, celles des mauvais dans un endroit pire, le jour du grand jugement. Dial,, v, 3, P. G., t. vi, col. 188. Mais le moment de la véritable rétribution est reporté au jugement lui-même, et sur ce point, tous les apologistes sont d’accord. Jugement, col. 1769. Un commencement timide d’explication sc trouve cependant chez saint Irenée. Quoi qu’ait prétendu Bellarmin, Irénéc partage de tout point le sentiment de Justin sur le délai d'attente des âmes après la mort. Voir Irénée, t. vu, col. 2199 sq. Mais * l'état des justes qui attendent la résurrection semble susceptible de progrès. Le progrès csl la loi de la vie présente et de la vie future. Cl semper quidem Deus D’OUT RE-TOMBE 1192 doceat, homo autem semper discat quæ sunt a Deo, celte formule,!. II, c. xxvm, n. 3, P. G., t. vu, coi. 806, el hi suivante, 1. IV, c. xxxvn, n. 7, col. 1101 : uti... tandem aliquando maturus fiat homo, in tantis maturescens ad videndum el capiendum Deum, s’appliquent à tout le développement de la vie humaine ». Art. Irénée, col. 2500. Ce progrès dans l’état d’attente, celte < ma­ turation » des âmes, est une vue nouvelle, dont on peut regretter l'imprécision, mais qui à coup sûr s’accorde avec l’idée d’une purification incessante dans la vie future. Nous retrouverons plus loin, à la base des négations de l’Église orthodoxe concernant le purgatoire, cette doctrine de l'état d’attente des âmes dans l'au-delà. Un second point ne saurait être négligé et il sc rap­ porte plus ou moins directement à la discipline pénitcnlicllc. Mais ici nous manquent les documents posi­ tifs, et nous ne le pouvons proposer qu’à titre de con­ jecture vraisemblable. Si la possibilité d'une seconde pénitence après celle du baptême fut si parcimonieuse­ ment concédée par l’Église ou si l’Église ne la décou­ vrit qu’avec prudence aux nouveaux chrétiens, c’est que l’Église entendait tenir la vie morale de ses mem­ bres à la hauteur d’idéal que lui avait léguée la pre­ mière génération. Faire entrevoir, au lendemain du baptême, que des facilités de pardon pouvaient être accordées eût été une prime à la lâcheté. Voir Péni­ tence, col. 761. D’où il semble qu’on puisse légitime­ ment inférer qu’une prédication trop affirmative d'une expiation dans l’au-delà eût encore ajouté à ces tenta­ tions de lâcheté. L’Église n’y arrivera que progressive­ ment, poussée par les événements, comme progressive­ ment elle est venue à la pénitence fréquemment réité­ rée, à la satisfaction facile accomplie seulement apres le pardon reçu. Cette seconde remarque serait suscep­ tible d’expliquer le silence de plus d’un apologiste de la fin du n® siècle. 2° Développement de la doctrine d'une expiation d"ou­ tre-tombe en Orient : Clément df Alexandrie et Origène. — On a voulu voir dans ces deux auteurs les inventeurs de la doctrine du purgatoire. Voir l’étude de G. Anrich, Clemens und Origencs als Regrtlnder der Lchre vom Fegfeuer, dans Theologischc Abhandlungen, Tubinguc 1902. L’auteur allemand, s’emparant de la doctrine du progrès incessant qui est à la base du système philoso­ phique des deux Alexandrins, montre une application de ce principe dans la loi de purification universelle qui, dans l’autre vie, aboutira à la restauration de tous les êtres dans l’amitié de Dieu. La doctrine générale de l’apocataslase, transposée à une catégorie de fautes, telle serait l’origine du dogme catholique du purga­ toire. Sur la théorie de 1'apocatastase chez Clément d’Alexandrie, voir Clément d’Alexandrie, t. lit, col. 180-187, cl surtout Enfer, t. v, col. 56-57; chez Origène, voir Enfer, col. 58-59, et Origine, t. xt, col. 1547 1518. La vérité, semble-t-il, est que Clément d’Alexandrie et Origène, chacun à leur façon, ont formulé un premier essai de systématisation sur l’expiation purificatrice des âmes encore capables de pleinement se réconcilier avec Dieu. Si le principe de progrès intervient ici, c’est j à juste titre. L’erreur parallèle de l’apocataslase ne | doit pas nous empêcher de reconnaître cn Clément et cn | Origène, les deux premiers témoins explicites de la croyance au purgatoire. 1. Clément d'Alexandrie. — Bien que la doctrine de Clément soit assez confuse cn ce qui concerne le carac­ tère médicinal des châtiments d’outre-tombe infligés par Dieu aux impies, et qu’on ne puisse conclure à la théorie de l’apocataslase qu’avec vraisemblance, les i critiques s’accordent généralement pour trouver en Clément une réponse ferme en ce qui concerne les âmes pécheresses, mais non scélérates Déjà, en effet, pour 1193 PURGATOIRE. L’EXPIATION D’OUTRE-TOMBE 1194 expliquer le rôle du châtiment à l'égard des pécheurs puriflcatkn après la mort, Origène cite Job. xiv, 4, encore cn vie, Il distingue expressément cn ceux-ci deux qu’il apporte dans la vni· homélie In Leoittcum pour categories : celle des corrigibles et celle des Incorri­ démontrer la nécessité du baptême pour les petits gibles; â l'égard des premiers, le châtiment est διδασ­ enfants. L’âme est donc souillée par le fait de son union καλικός; â l’égard des autres, il est κολαστικός.Strom., avec le corps. Ainsi, aucune âme ne pourra se trouver, IV, xxiv, P. G., t. vin, col. 1364; cf. VI, xiv, t. ix, à la résurrection, dégagée de tous scs défauts. In Lucam, col. 333. Rien d’étonnant qu’apris la mort on puisse hom. xiv, t. xm, col. 1836. Ainsi, tous seront purifiés encore envisager la catégorie des corrigibles dans l'aude leurs souillures, « du plomb qui les alourdit et qui delà : elle est constituée par les Ames des pécheurs ré­ doit être résolu dnns le feu, pour ne plus laisser paraître conciliés avec Dieu au lit de la mort, mais sans avoir que l'or >. In Exodum, hom. vi, t. xn, col. 334-335; eu le temps de faire pénitence de leurs fautes. Sur ces cf. In Leviticum, hom. ix, n. 8, t. xn, col. 519. âmes, la justice de Dieu s'exercera avec bonté et sa b) La purification des pécheurs. — Le véritable pé­ bonté s'exercera selon sa justice. Ces âmes pécheresses cheur est symbolisé par du plomb pur, sans alliage d'or sont sanctifiées (άγιάζειν) par un feu intelligent, tan­ Id., ibid. L'épreuve sera plus terrible pour lui; mais scs dis que le feu punira également les âmes des scélérats : souffrances cependant auront un terme, car le pécheur, • Nous disons que ce feu sanctifie, non les chairs, mais comme le juste, quoique plus difficilement· sera purifié. les âmes pécheresses; ce feu n'est pas un feu, consumant Cette purification, postérieure à la résurrection, sera (ούτοπάμφαγον),comme le feu de la forge; c'est un feu faite par le moyen d’une souffrance d’autant plus véhé­ intelligent (τθφρόνιμον), pénétrant l'âme, qui est traver­ mente que le coqis ressuscité csl plus subtil et plus par­ sée par lui. > Strom., VU, vi, P. G., t. ix, col. 4 40; cf. fait. Combien de siècles durera celte purification. Dieu V, xiv, col. 133. Le texte de Clément montre tout d'a­ seul le sait. In epist. ad Romanos, vm, n. 12, L xiv, bord qu’il n’est pas possible d’interpréter d’une manière col. 1198; d. Comment, in ps. r/(cx Apologia Pamphili purement métaphorique ce feu purificateur. Le sens pro Origene}. t. xn, col. 1177-1178. On trouvera ici le obvie indique une cause extérieure à l’âme, devant résumé de la doctrine de l’apocataslase d’Origène, art. provoquer en elle cl cn dehors de sa volonté mémo une Enfer, col. 58. Tout cn condamnant comme hérétique expiation purificatrice. Il ne peut être question, la doctrine de l’apocataslase, on peut être en droit d'y cependant, d'envisager un feu qui ressemblerait â trouver une manifestation encore confuse, mais réelle, notre feu matériel : Clément l’exclut positivement. de la croyance catholique à des souffrances purgatives C’est un feu d’une nature spéciale, un feu intelligent, de l'au-delà. Certains textes, notamment In Numéros, qui pénètre les esprits et les purifie de leurs souillures. hom. xxv, l. xn, col. 769-770; In Jeremiam, hom. n, Cf. Fr. Schmid, Das Fegfeuer, Brixcn, 1904, p. 98. t. xm. col. 280-281, semblent indiquer que telle était Dans Strom., VI, xiv, Clément rappelle que la purifi­ la pensée d’Origène pour une certaine catégorie de cation des âmes sc fait au moyen des châtiments « né­ pécheurs. Celle impression est nettement confirmée cessaires pour parvenir ù la demeure réservée >. P. G., par la position adoptee par Origène cn ce qui concerne t. IX, col. 332. Cette phrase Indique d’abord le délai de la purification des Justes. la béatitude, opinion si fréquente dans les premiers c) La doctrine du purgatoire proposée par Origène siècles; elle énumère ensuite la nature des châtiments dans sa conception de ta purification des justes. — Tan­ qui subsisteront, d'après l'auteur, même après la puri­ dis que l'épreuve du feu réservée aux pécheurs est une fication : délai de béatitude, confusion cn raison des idée courante, en dehors des milieux chrétiens, dans péchés commis, peines morales. Ibid., xv, P. G., t. ix, l’eschatologie juive, par exemple (voir Fl v de l'enfeu. col. 332. Ces indications assez vagues se retrouveront t. v, col. 2199), l'idée de faire passer les justes euxplus tard dans la théologie des Orientaux. mêmes par le feu purificateur est une idée spécifique­ On le voit, chez Clément, il n'y a encore qu’un indice ment chrétienne. Cf. Baptême par lk feu, t. n, col. 359 (ù propos des Oracula sibyltina). Mais, chez plutôt qu’une confession explicite de la croyance au purgatoire. L’indice cependant n’est pas négligeable. Origène, d’autres raisons font voir dans la purification Nous allons trouver chez Origène une doctrine déjà des âmes Justes une action divine, différente de celle mieux assurée. que Dieu exerce à l’égard des pécheurs. L’examen de ces raisons permet de conclure avec certitude au 2. Origène. — On aurait tort de considérer l’apocatastase comme absorbant toute la doctrine origénistc témoignage d’Origène cn faveur du purgatoire. de la purification des âmes. Origène, en effet, au moins a. Les « sordes » opposées aux < peccata >. — La purifi­ â partir d’une certaine époque, a apporte une distinc­ cation des justes sc distingue de celle des pécheurs, tout d’abord cn ce qu’elle a pour matière les fautes tion fondamentale entre la purification des âmes justes et celle des f ines impies. C'est dans la doctrine de la inhérentes â la nature humaine, souillures beaucoup purification des âmes justes que se trouve, à notre avis, plus que véritables péchés. In Lucam, hom. iv, P. G., une claire manifestation de la croyance d’Origène au t. xm, col. 1836. Souillures contractées dans la lutte purgatoire. avec le démon. In \ umeros. hom. xxv. n. 6. t. xn. a) J a purification des justes. — l ue épreuve géné­ col. 770. Souillures comparables, chez, les justes, au plomb mêle â l’or; l’or seul doit demeurer après l’é­ rale attend tous les hommes : même les justes devront venir â cette épreuve du feu annoncé par 1 Cor., ni. 13, preuve de la purification. In Exodum, hom. vi, n. L cl qui doit éprouver quelle est l'œuvre de chacun. In ibid., col. 334-335. Ainsi semble-t-il qu’Origènc dis­ ps. .x.\.\rt. hom. ni, η. 1. P. G., t. xn, vol. 1337. L’é­ tingue deux sortes de pêchés à purifier: les uns. simples preuve du feu sur les Justes se traduira par une purifi­ souillures (ρύπος), les autres plus graves, (προς θάνατον cation suprême, analogue nu baptême, Int reductive des αμαρτία); les premiers sont relativement plus légers âmes dans le ciel : l’épreuve du feu est commune â tous que les seconds; comparables aux souillures qu’en­ les hommes, mais ce · baptême par le feu » est réservé lèvent le nitre et l’herbe de borilh (cf. Jer., n, 22), il aux seuls justes, déjà baptisés du baptême d’eau. In suffira de l’esprit du jugement pour les purifier: les Lucam, hom. xxiv, t. xm, col. 1861-1865. Le but dé seconds sont pires (όταν χείρονα άμάρτωμεν ) el ne ce baptême par le feu est la purification des souillures seront purifiés que par l’esprit de combustion. In que nul ne peut sc flatter d’éviter ici-bas. Puriflcatkn Jeremiam, hom. n, t. xm. col. 280. On notera l'expres­ Ineffable et mystérieuse, surtout lorsqu'il s’agit d’un sion esprit du jugement » opposée â esprit de com­ Paul ou d’un Pierre, qui ont tant combattu pour Dieu bustion ». ('.’est le feu du jugement purificateur des et humilié tant d’ennemis. In Numéros, hom. xxv, pèches moins graves, opposé au feu de l'enfer. t. xn. col. 769-770. Pour prouver la nécessité d’une b. Purification instantanée cl purification de longue 1195 P UR GA T 01 R E. L’E X PI A TIO N D’OUTRE- T O M B E durée. - Le* torde* étant différentes des peccata, leur purification ne se fera pas dc la môme façon : les souil­ lures seront purifiées en puisant par le feu; les iniqui­ tés, en ij restant. Le juste, comparable À l’or, ne fera que déposer dans le feu son alliage dc plomb; le pé­ cheur sera englouti dans le feu pour y être longuement purifié. Les textes déjà cités suffiraient Λ établir celte opposition. On peut y ajouter In ps. XXX Vi, n. l,t. xn, col. 1337, et surtout In LeoiL, horn, vin, π. I, où Ori­ gène interprète allégoriquement la durée des purifica­ tioni légales par rapport ri la purification des derniers temps. C’est au bout d’une semaine de jours qu’arri­ vera la consommai Ion du monde Tandis que nous sommes encore revêtus de notre chair mortelle, il nous cit impossible d'atteindre â une pureté sans tache, sinon au huitième jour, c'est-à-dire au moment où arrivera le temps du siècle à venir. En ce jour-là, tou­ tefois, celui qui est nulle cl aura agi virilement, aussi­ tôt a rentrée du siècle à venir est purifié...; il recevra de la résurrection une chair purifiée dc tous ses vices (c’est-à-dire le Juste sera instantanément purifié). Mais si, au contraire, en lui-même il n’a rien montré de viril pour .s’opposer au péché, si dans ses actions il s’est con­ duit en lâche ct en efféminé, s’il s’est laissé aller surtout il commettre un péché tel qu’il ne peut être remis ni en ce siècle ni en l’autre (Matth., xn, 31), il devra passer une ou deux semaines dans son péché (c’est-à-dire .subir une purification dc très longue durée), ct cc n’est qu'au commencement de la troisième semaine qu'il sera puri­ fié... 9 P. G., t. xn, col. 197. c. Époque des purifications. — L’épreuve par le feu étant commune aux Justes ct aux pécheurs, il ne peut y avoir d'opposition quant â leur époque initiale, qui est le jour du jugement coïncidant avec la conflagrat ion finale. Mais, puisque l’une est instantanée, son époque coïncidera exactement avec le dernier jour; l'autre, étant dc longue durée, sc prolongera dans les siècles. Fidèle à hi conception dc l’eschatologie juive, Origène, comme Justin et Irénée, enseigne que les justes trou­ veront après leur mort, une demeure dans un lieu caché. C’est, pour les âmes justes, le paradis, prépara­ toire au véritable paradis de délices que l'âme n'obtien­ dra qu’après le jugement dernier. Cf. De principiis, 1.11, c. xi,n.G, P. G., t.xi,col. 1012; In Ezechiclcm, hom. xm, n.2,t.xnr,col.763 ; In Numeros, hom. χχνι,η. 1,t.xn, col. 776. Dc même, les pécheurs attendent le dernier jour pour subir l'épreuve du feu. In Exodum, hom. vi, n. 3, t. xn, col. 331. Mais cette attente ne constitue pas en réalité un véritable recul : pour Origène comme pour Clément d'Alexandrie, la fin du monde est imminente; cf. De principiis, I. 11L c. v, n. 6, t. xr. col. 330, et l’on peut donc encore, même dans cette hypothèse, parler de l'épreuve du feu comme d’une épreuve qui nous attend au sortir dc la vie. Cf. In Lucam, hom. xxrv, P. G., t xm, col. 1861-1865. Toutefois, c’est bien au Jour du jugement, après la résurrection générale qu'a lieu l’épreuve du feu : la pensée d’Origène est ferme sur ce point. Cf. In Jeremiam, hom. n, t. xm, col. 280-281 ; In LroUlcum, hom. vm, η. 1. t. xn, col. 197; In Exo­ dum, hom. vi, n 3. t. xn. col. 331; In Lucam, hom. xiv, t. xm, col. 1836; In ps. vt, fragment tiré de I’Apologia pro Oriqene, t. xn, col. 1177-1178. L'épreuve îles justes ne prolongera pas au-delà de ce dernier jour; aussi­ tôt la consommation des temps arrivée, elle sr fera, elle sera faite; aussitôt baptisé dans le feu. le Juste passera au bonheur auquel 11 aspire. In Lucam, hom. xxiv, t xm, col. 1865. L’épreuve des pécheurs, nu contraire, sr prolongera longtemps après le dernier jour, non seu­ lement pendant tout le siècle a venir, mais encore pen­ dant les tiècles des siècles. Sur l'expression orlgéniste, siéetfs des siècles, rf. In Exodum, horn. VI, η. 13, I. xn, col. 310; De principiis, L II. c. in, n. 3, t. xi. col. 183181; In Joannem, tom. xix. n. 3, t. xiv, col. 551; 1196 voir lluct, Origeniana, I. II, c. n, q. xi, u. 26, dam P. G., I. xvn, col. 1013 sq. et Instrument de la purification. ~ Des oppositions relevées cl-dcssus entre la purification des pécheurs ct celle des Justes, on peut déduire, semblc-t-ll,une consi­ dération importante touchant la nature de l’instrument dc la purification. Peut-être pourrait-on dire que la purification des justes, ou plus exactement l'épreuve du feu à laquelle sont conviés tous les hommes à la lin du monde, se fait par le moyen d’un feu réel, tandis que le châtiment des impies sc fait par le moyen d’un feu métaphorique, succédant à l’épreuve du feu réel. La thèse du feu métaphorique de l’enfer est très certaine­ ment d’Origène : si tous les damnés doivent un jour être réconciliés avec le Christ, à quoi servirait un feu réel dans l'enfer, vide de ses victimes? Sur le feu méta­ phorique voir De principiis, L II, c. x, η. I; Cont. Cel­ sum. I. IV, n. 13; 1. VI, n. 71, P. G., t. xi, col. 236-237, 1012-1013, 1105-1 108; In Numeros, hom. xxvn, n. 8, t. xn. col. 789; In Matth., commentariorum series,η.ΊΊ, t. xm, col. 1716. Cf. Feu ni; i/bnfer, col. 2201. Mais il parait bien que l’épreuve générale du feu au dernier jour ct, partant, la purification des Justes, dite bap­ tême par le feu, sc font, au sentiment d’Origène par un feu réel. Ici, en effet, il s'agit d’une épreuve passagère, d’une purification instantanée, laquelle peut emprun­ ter le feu de la conflagration générale, cc feu agissant sur les corps ressuscités pour purifier en eux les sordes peccati. c. Conclusion. — On n noté que la purification des justes est réservée, selon Origène, à l'esprit du juge­ ment. Cct esprit du jugement, que dans l’homélie In Jeremiam Origène oppose à Γ · esprit dc combustion ·, purifie cependant par le feu — tous les autres textes l’affirment — et probablement par le feu réel dc la con­ flagration dernière, les justes qui, sans exception, ont tous à sc dégager dc quelque souillure avant d'entrer au ciel. Sans doute, la conception qui envisage une purification dc tous les justes sans exception est erro­ née. Voir Feu du jugement, col. 2211. Sans doute encore, la conception qui recule au jour du Jugement la purification des justes qui peuvent en avoir besoin renferme une erreur de perspective; mais elle est excu­ sable chez Origène comme chez tant d’autres Pères qui l’ont commise avant ou après lui. Mais nous pouvons retenir, comme expression certaine d’une croyance à la purification des fautes légères dans l’au-delà, la con­ ception orlgéniste du baptême par le feu, c’est-à-dire dc la purification des justes avant leur entrée nu para­ dis. Cette conception est spécifiquement différente dc l’apocataslasc : elle fournit «loue un témoignage nou­ veau et doctrinalement bien plus certain que l’apocatastase en faveur dc la croyance primitive au purga­ toire. En cc sens, Il est permis de saluer en Origène non le fondateur, mais le premier témoin du dogme catholique. 3. Après Origène. — La conception «l’un feu purifi­ cateur au moment du Jugement se continue, après Ori­ gène. en Orient, tout comme nous la retrouverons en Occident. L'un des adversaires les plus acharnés dc l’orlgénlsme, Méthode d'OIympe, enseigne expressé­ ment qu’ «après la résurrection,il n’y aura aucune nou­ velle loi, aucun nouvel enseignement, mais le jugement ct le ίοικούκέτι μετά ταύτην (sc. αγνείαν) (σεσΟαι νόμον ή διδασκαλίαν Ιτέρχν. αλλά κρίσιν και πυρ ·. Convi­ vium. x, I, Ρ. G., t. xvin, col. 200. Ce feu aura pour objet la purification ct le renouvellement du monde. Voir Fin du .monde, col. 2530. Méthode ne parle pas dc la purification des âmes; toutefois, il nous avertit que, si < Ccttc purification,répond Maxime, ne concerne pas ceux qui sont parvenus à un amour parfait dc Dieu, mais ceux qui ne sont pas arri­ vés à la complète perfection et qui ont leurs vertus mélangées dc péchés. Ceux-ci comparaîtront au tribu­ nal du jugement ct, suivant l’examen comparatif de leurs bonnes cl de leurs mauvaises actions, seront éprouvés comme par le feu. Si, dans la balance, le pla­ teau des bonnes œuvres l’emporte, les mauvaises seront expiées dans une juste crainte ct peine. > P. G., t. xc. col. 792-793. Encore une fois, il n’est pas dit que ccttc expiation sera dans ct par le feu. 11e Dans l’opuscule J)e iis qui m fide dormierunt. attribué (faussement d’ailleurs) à saint Jean Damascène, l'auteur narre l’histoire d’un disciple très négli­ gent qui. malgré son peu dc préparation au moment de la mort, fut pris en pitié par Dieu, touché des larmes et des prières dc son vieux maître. Ce dernier vit son malheureux disciple tout d’abord plongé dans le feu jusqu’au cou, puis, une autre fols, émergeant Jusqu'à la ceinture, enfin totalement libéré. N. 11, P. G., t. xcv. 1204 col. 256. C'est un peu plus loin qu’on trouve l'histoire dc Trajan libéré dc l’enfer par les prières dc saint Gré­ goire. Quoi qu’il en soit dc ces historiettes, le seul fait qu’elles soient rapportées montre bien la croyance de l'Église d’Oricnt à une expiation ultra-terrestre. Conclusion. — Nous arrêtons ici cette première par­ tie de notre enquête concernant l’expiation ultra-ter­ restre. Désormais, la théologie orientale ira s'obscurcis­ sant dc plus en plus par l’apport dc considérations plus ou moins erronées. Elle était pourtant déjà loin d'être claire I On l'a constaté par tous les textes qui précèdent: l'influence do I Cor., m, 15, sur la purification des fautes dans l'au-delà est prépondérante. L'influence de l'exégèse d’Origène ne l'est peut-être pas moins ct, sauf quelques rares indications concernant un feu mé­ taphorique (voir saint Cyrille d’Alexandrie, in Gene­ sim, 1. IV, n. 1, P. G., t. lix, col. 177 BG), la plupart dc nos théologiens n’envisagent que le feu réel delà conflagration générale. Il ne saurait être question pour eux d’un feu spécial préparé, dans un lieu spécial. Ccttc interprétation doit être d’autant plus fermement écartée que, jusqu’au v· siècle, les Pères sont encore la plupart du temps confinés dans la formule archaïque dc l’âme vraisemblablement déjà jugée tout aussitôt après la mort, mais placée dans un état d’attente du jugement définitif, lequel ne sc produira qu'à la fin du monde. Voir Feu du purgatoire, t. v, col. 2252. Sans doute, à partir du i v® siècle, bon nombre dc Pères entre­ voient déjà la rétribution immédiate, nu moins pour les récompenses (voir Jugement, t. vm, col. 1786. sq.); mais beaucoup retiennent encore les formules ar­ chaïques dc l’état d’attente. Ccs formules trahissent l'embarras du théologien qui ne peut encore adapter complètement ses formules explicatives aux données positives dc sa foi. Voir art. cit., col. 1787-1788. Elles nous permettent du moins de constater que les Pères des iv· et v· siècles, ct spécialement saint Cyrille d’Alexandrie ct Maxime le Confesseur, auraient facile­ ment adapté leur conception d’une purification dans l'au-delà à notre croyance actuelle au purgatoire. Pour arriver à une conception plus nette, il aurait fallu que la théologie orientale sc dégageât complète­ ment des formules archaïques et notamment dc celles qui ont trait à la dilation des châtiments. Mais c'est le contraire qui peu à peu sc produira ct, lors du schisme du ix· siècle, Phot lus he contribuera pas peu à faire accep­ ter cette erreur par tous, creusant ainsi entre la théolo­ gie orientale et l'enseignement dc l’Église romaine un fossé bien difficile à combler. Cf. Jugic, Theologia dog­ matica Christianorum orientalium, t. iv, p. 63 sq. Tou­ tefois, en sc dégageant des formules accessoires ct que le progrès du dogme eût dû rendre caduques, on cons­ tate que le fond dc la théologie orientale des iv· ct v· siècles admet la doctrine d’une expiation dans l’audelà, réservée et proportionnée à certaines fautes qui ne séparent pas définitivement l’âme dc Dieu; or, c’est là l’essence même du purgatoire. Il convient — ct ceci renforce encore ccttc dernière constatation — d’y ajouter l’autre élément du dogme : la prière pour les défunts. Sur cc point, les témoignages de l’Église orientale des iv* ct v· siècles sont pleine­ ment concordants. //. les super kgpour les depüsts. · a par­ tir du iv· siècle, nombreux sont les témoignages qui sc rapportent à la prière faite par les vivants pour les défunts en vue de leur soulagement. Nous inter­ rogerons les Pères, les liturgies ct l’éplgraphlc. 1° Les Pères. Eusèbe de Césarée rapporte qu’eu 337 le corps dc Constantin le Grand fut déposé devant l’autel où prêtres et fidèles offrirent à Dieu des prières pour l’empereur défunt. Vita Constantini, I. IV,c. ι,χχι, P. G., t. xx, col. 1225. En318,snfnf Cyrille de Jérusalem nous montre quelle 1205 PURGATOIRE. LES SUFFRAGES POUR LES MORT (ORIENT) 1206 est ht croyance de l'Église touchant l'offrande du saint sacrifice de la messe Λ la mémoire dc ceux qui ne sont plus. Nous faisons mémoire, dit-il, des saints patriar­ ches, apôtres, prophètes, martyrs, afin de faire accep­ ter par Dieu, grâce à leurs prières et supplications, nos propres prières : ensuite, nous faisons mémoire des saints Pères ct évêques ct généralement dc tous les saints qui reposent parmi nous (le mot · saint » est pris ici pour chrétiens morts dans la communion dc la foi; cf. Hum., xn, 13; xv, 16, etc.), persuadés qu'un grand secours sera accordé à leurs Ames, pour les­ quelles est présentée notre prière en présence de la très sainte et très redoutable victime du sacrifice. Catech. mysl., v, n. 9, P. G., t. xxxm, col. 1115. El Cyrille continue en expliquant par un exemple l'efficacité des prières pour les défunts : pas réduits nu néant, mais qu'ils existent et vivent prés du Seigneur? Quelle prédication plus religieuse que celle qui donne une telle espérance aux vivant* priant pour leur* frères, comme s’il s’agissait de voyageurs parti* pour l’étran­ ger?... Nous faisons mémoire des juste* ct de* pécheur*. Pour les pécheurs, nous'Implorons la miséricorde divine. Des justes nous faisons mention afin de séparer, d’un hon­ neur particulier. Notre-Selgneur Jésus-Christ dc l’ordre des humains, ct de lui rendre un culte supérieur qui le differen­ de des mortel», quelle que soit la sainteté pour nin*i dire infinie dont ils sont revêtus... Mais, même abstraction faite de cc* misons, je dis que l’Église se doit de faire nécessaire­ ment ce qu’elle a reçu comme un rite transmis par les an­ ciens. Et, comme toute* ces dioscs excellente* et admirable* sont établies dans l’Église, rien qu’à ce titre Aériu* est con­ vaincu d'imposture. Ado. htrr., uxv, n. 8, P. G.A. xlxî, col. 513 B; cf. n. 3, 7, col. 508 C, 513 A. Beaucoup posent ccttc question : Quel profit peut tirer de In prière faite h sa mémoire une âme qui a quitté ce monde dans le péché ou sans péché? Si un roi envoyait en exil des sujets qui l’ont offensé et qu’ensuite les proches parents de ces exilés, tressant une couronne, l’offrissent au roi en réparation pour adoucir la peine infligée ù leurs ami* exilés le roi ne leur ferait-il pas la gracieuse remise des châtiments? C’est de la même façon que nous offrons à Dieu nos prières pour les défunts, même s’ils sont pécheurs : nous ne tres­ sons pas de couronne, mais nous offrons le Christ immolé pour nos péché* (Χριστόν (σφαγιασμένων ύζερ ημττΖρων αμαρτημάτων πρωσφίρωμχν), nous efforçant de rendre la dé­ mence divine propice aux défunts aussi bien qu’à nousnièmcs. Ibid., n. 10, col. 1116-1117. Une seule phrase pourrait faire difficulté dans ce texte : · Les prières que nous faisons pour les morts leur sont utiles, bien qu'elles ne détruisent pas tousles péchés. > Il n'est pas nécessaire de songer a la mitiga­ tion des peines de l’enfer pour trouver a cette formule, même en l'appliquant au purgatoire, un sens accep­ table. Dans le livre Περί έξόδου ψυχής δικαίων καί αμαρ­ τωλών, attribué à Macaire d'Alexandrie (nr siècle), on rencontre plusieurs allusions aux prières liturgiques faites pour les Ames justes des défunts, aux neuvième, trentième ct quarantième jours. P. G., I. xxxrv, col. 392. Au v siècle, Théodoret, dans son Histoire ecclésias­ tique, rapporte que l'empereur Théodose II fit rame­ ner en grande solennité les reliques de saint Jean Chry­ sostome ct qu’à cette occasion il recommanda ses parents défunts à l’intercession de ce saint. Hist, eccl., 1. V, c. xxxvi, P. G., t. i.xxxn. col. 1268. Le pseudo-Drnys enseigne également que le prêtre prie pour les défunts afin de les libérer des fautes échappées à la faiblesse humaine, ct qu’il soient pla­ cés dans le lieu de lumière, dans le sein d’Abraham, loin de la tristesse ct de l'affliction. De hier, eccl., vu, (ni, § 4), P. G., t. ni, col. 560 AB. Toutefois, l’auteur fait observer que les prières des justes ne peuvent, soit en ccttc vie, soit après la mort, être utiles qu’à ceux qui en sont dignes. Id., ibid., § 6, col. 560 D. Eustrate, prêtre attaché à l'église Sainte-Sophie, familier du patriarche Eutychius, dont il prononça l'oraison funèbre en 583, a publié un ouvrage intitulé Discours réfutant ceux qui disent que les âmes humaines, après la séparation d'avec leurs corps, n'ont plus aucune activité et qu'elles ne retirent aucun profit des prières el des sacrifices offerts à Dieu pour elles. Certes, elles en profitant ct en tirent du soulagement, ainsi qu'on va le voir dans ce volume. Cc discours a été traduit par Allatius, d’une manière incomplète, dans son De utriusque Ecclesiæ occidentalis atque orientalis perpetua in dog­ mate de purgatorio consensione. Home, 1655, p. 319580 (texte grec et traduction latine). Texte latin dans Aligne, Patrologie grecque·latine, t. i.xxx. col. 823889, et dans Theologiæ cursus completus, t. xviu, col. 461 sq. C’est d’après le Cursus que nous citons. L’ouvrage est d'autant plus intéressant qu'il réfute la théorie qui devait dans la suite avoir tant de vogue chez les Byzantins, d’un état purement passif pour les Ames entre la mort et le jugement dernier. Bien au contraire, toutes les Ames après la mort, soit les âmes des bons (n. 13 sq., col. 180), soit celles des pécheurs (n. 25, col. 504), manifestent leur activité. L’auteur répond ensuite affirmativement à la question si les prières des vivants sont utiles aux Ames des défunts : la raison en est que l’Église prie pour elles. Et, parce que le peuple d’Israël porta le deuil de Moïse pendant quarante jours, parce que le Christ est ressuscité au troisième jour, parce qu'il est apparu après huit jours Saint Jean Chrysostome insiste à plusieurs reprises sur l'utilité des prières ct du sacrifiée eucharistique pour les défunts : · Portons-leur secours, dit-il, el fai­ sons leur commémoraison. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice dc leur père, pourquoi douterions-nous (pic nos offrandes pour les morts leur appor­ tent quelque consolation? N’hésitons pas à porter secours â ceux qui sont partis ct à offrir nos prières pour eux. » In l epist. ad Cor., hom. xli, n. 5, P. G., t. lxi, col. 361. Et, quelques lignes auparavant, Chry­ sostome insistait sur la nature dc cc secours : pas dc larmes, mais des prières, des supplications, des au­ mônes, des oraisons. Ailleurs, il fait remonter aux apôtres eux-mêmes l'institution du Memento des morts au sacrifice eucharistique : Songeons au soulagement que nous pouvons obtenir pour les morts. Ce n'est pas en vain (pie les apôtres ont établi eux-mêmes qu’il serait fait mémoire des défunts au saint sacrifice. Lors­ que tout le peuple est assemblé et qu’il prie, les mains levées vers le ciel, et que la victime trois fols sainte se trouve sur l’autel, comment notre voix ne s’élèveraitelle pas avec confiance vers Dieu en faveur des défunts?» In Act., hom. xxi, n. 1. t. ix. col. 170. Voir aussi De sacerdotio, I. VI, n. I, t. χιλίιι, col. 680. Chrysostome insiste tellement sur le secours apporté par nos prières aux défunts (pi’il ne paraît exclure de leur efficacité aucune catégorie dc disparus, pas même les pécheurs les plus coupables et les infidèles. Un passage de l’homé­ lie m sur l’épftre aux Philippicus, n. 4, P. G., t. i.xm, col. 203, accentue tellement la pensée de l’orateur en ce sens que certains critiques s’en sont fait une arme pour attaquer l'orthodoxie de l'évêque de Constanti­ nople relativement il la mitigation des peines de l'enfer. On y veut voir « une dernière trace d’origénlsme ». Voir notre interprétation, Mitigation des peines de I-a vie FUTUIIE, t. x, col. 2001. La foi de l’Église au iv* siècle, est déjà si fermement établie que saint Epiphane range parmi les hérésies reconnues ct condamnées la doctrine d'Aérius affir­ mant l'inutilité de la prière pour les morts. Voir, t. I, col. 515: Quoi do plus ulile que dc faire mémoire des mort*? Quoi de plus opportun et de plus admirable que ccttc persuasion oii sont le* fidèles présents, que 1rs morts vivent ct ne sont 1207 PURGATOIRE. LES SUFFRAGES POUR LES MORTS (ORIENT) â ses apôtres et qu’il est monté aux deux au bout de quarante jours, l’Église a déterminé que les troisième, neuvième et quarantième jours seraient consacrés ù la mémoire de chaque défunt, les solennisant par l’of­ frande de scs prières et du sacrifice de la rnessc. Or, elle ne le fait pas en vain puisque déjà le sacrifice offert par Judas Machabée fut agréable à Dieu et que Denys l’Aréopagitc, Éphrem le Syrien, Cyrille de Jérusalem, Cyrille d’Alexandrie, promettent tant d'avantages aux défunts par le moyen dc la prière et du sacrifice eucha­ ristique. N. 28, col. 508 sq. D’ailleurs, le choix du troi­ sième, neuvième, quarantième jour et du jour anni­ versaire était consacré dans l’Église grecque, comme ayant une origine apostolique. Voir Constitutions apos­ toliques, I. VIII, c. XLH. L’auteur du iis qui in fide dormierunt, rapporte, sous le nom d’Athanasc, le texte qu’Eustrate attribue à Cyrille d’Alexandrie. N. 19, P. G., t. xcv, col. 265. Quoi qu’il en soit du véritable auteur qui semble bien n'êire ni l'un ni l’autre, ce texte exprime la doctrine courante déjà au vr siècle. De ces auteurs de langue grecque, il faut rapprocher le témoignage du Syrien saint Éphrem (ive siècle), dans son Testament : i) demande qu’on sc souvienne dc lui, une fols mort, dans les prières des vivants. Il le demande surtout au trentième jour, car, dit-il, < les morts sont aidés par l'offrande faite par les vivants. · Testamentum, n. 72, éd. Assémani, Opéra græce et latine, t. n, p. 401. 2° Liturgies orientales. — 1. Le < Memento » des morts. — «La prière pour les morts, ainsi que leur mémoire pendant les offices sacrés, est une pratique perpétuelle et commune chez tous les chrétiens orien­ taux, qui la font remonter aux apôtres. » Ainsi parle Benaudot, Lilurqiarum orientalium collectio, t. i, p. 193, que nous citons d’après la 2« édition, plus cor­ recte, Francfort-sur-Mcin, 1847. Les Constitutions apostoliques auxquelles sc réfèrent les Orientaux sont, on le sait, une compilation qui, tout au moins dans son terminus a quo, remonte au début du v* siècle. Dans la liturgie du VIII· livre, on trouve la prescription suivante : » Prions pour le repos dc tel (ou telle), afin que le Dieu bon, recevant son âme. lui remette toutes ses fautes volontaires et involontaires cl que, dans sa miséricorde, il la place dans le lieu des âmes saintes. » C'est d’ailleurs, à peu dc chose près, la formule qu’on rencontre dans toutes les liturgies orientales cl qui correspond à notre Memento des morts : après la lecture des diptyques qui renfer­ maient les noms des évêques et des fidèles morts dans la paix du Christ, le célébrant récitait l’oraison dite Oratio post nomina par laquelle prêtres el assis­ tants demandaient à Dieu pour ccs âmes le repos éternel. La messe de saint Basile fait prier le prêtre pour tous ceux qui sc sont endormis dans l’espérance de la résurrection future ». Il demande à Dieu « de les faire reposer dans le lieu dc lumière, d’où s’enfuit la tris­ tesse ». Gone, Εύχολόγιον sive rituale Grivcorum, éd. dc Venise, 1730, p. i 15 AB. La messe dc saint Jean Chrysostomc, si Importante dans le rite byzantin, emploie des termes presque identiques. Ibid., p. 63 Σ. Toutes les messes trancritcs par Benaudot dans sa collection contiennent des prières analogues et souvent plus développées. Ainsi, panni les liturgies d’Alexan­ drie (coptes), celle dc saint Basile : · Souvenez-vous aussi. Seigneur, dc tous ceux qui se sont endormis et reposent, prêtres ou laïques dans tous les ordres, Daignez, Seigneur, accorder à leurs âmes le repos dans Je sein d’Abraham, Isaac cl Jacob dans le paradis de volupté ». t. i, p. 22; la liturgie dc saint Grégoire de Nazianze : « Souvenez-vous, Seigneur, dc nos pères et frères qui sc sont endormis déjà dans la foi orthodoxe; 1208 donnez-leur à tous le repos, avec vos saints... », p. 33; la liturgie dc saint Cyrille : « Souvenez-vous, Seigneur* dc nos Pères, les archevêques orthodoxes, qui déjà sont morts, et dc tous ceux... dont la mémoire nc nous est pas présente, mais qui dorment cl reposent dans la foi du Christ. Daignez, Seigneur, accorder que leurs âmes reposent toutes dans le sein dc nos pères... », p. 4L » Voir des prières analogues dans les liturgies coptes. transcrites du ms. grec-arabe, Bibl. nat., ms. 3023; la liturgie dc saint Basile, Benaudot,op. cit., 1.i, p. 71; celle dc saint Grégoire, p. 103-104; la liturgie grecque dite dc saint Marc, p. 135-136. La liturgie éthiopienne contient des formules semblables : < Nous vous prions aussi, Seigneur, pour ceux qui déjà sc sont endormis, afin que vous leur donniez le repos. > P. 483. Les liturgies jacobites présentent les memes parti­ cularités ; les deux textes, ordo communis et ordo gene­ ralis, traduits par Benaudot, contiennent expressé­ ment le souvenir des défunts ; < Souvenez-vous, Sei­ gneur, de ceux qui sont morts, et donnez-leur le repos, à eux qui vous ont revêtu dans le baptême et vous ont reçu dc l’autel. » Le diacre continue ccttc prière du célébrant en formant le vœu que ceux qui ont mangé le corps et bu le sang du Sauveur reposent avec Abra­ ham, ù la table de Dieu (nous dirions aujourd’hui au banquet éternel). On doit souligner la dépendance ici marquée entre la communion eucharistique et le salut éternel. T. n, p. 10; cf. p. 37. La liturgie dc Jacques, frère du Seigneur, contient une prière caractéristique : « Voici l’oblation présentée, et voici que les âmes sont purifiées. Que par elle soit accordé le repos aux défunts peur qui elle a été oITcrlc. Cette oblation, présentée a Dieu par les vivants pour les défunts, expie l’iniquité de l’âme et par elle leur sont remis leurs péchés... Agneau de Dieu et pasteur mort pour vos brebis, donnez. Seigneur, par votre grâce, le repos aux fidèles défunts... Joie dans les sphères supérieures, espérances heureuses dans les inférieures, par les oblations que font les vivants pour leurs défunts. ■ Ibid., p. 43. Dam la liturgie de saint Xyste, pape romain, laquelle appar­ tient néanmoins aux liturgies orientales, le souvenir des défunts intervient; on demande pour eux à Dieu une résurrection bénie d’entre les morts et, dans le royaume des cicux, une vie nouvelle et éter­ nelle. * P. 137. La liturgie dc saint Pierre, prince des apôtres, fait mémoire dc tous les défunts du lieu où l’on prie el de tous lieux, mais principalement dc ceux pour (pii est offert le sacrifice. P. 150; cf. p. 158. Sous une forme différente, la liturgie de saint Jean l'Évangéliste insiste sur l'aspect universel de cette prière pour les morts ; < Souvenez-vous, Seigneur, par votre grâce, dc ceux qui sont séparés de nous et ont émigré vers vous, qui ont reçu votre corps et votre sang précieux, et ont été marqués de votre caractère, depuis le temps dc la première instituti* n chrétienne jusqu’à nos jours. · P. 167. Voir aussi la liturgie des douze apôtres, dite dc saint Lac, p. 173, et celle de saint Marc, p. 181, où l’on rencontre des traits analogues. Celle de saint Clé­ ment. p. 195-196, contient un très long memento des | morts ; < Ile prie, demandant une « mémoire honorable et la félicité pour tous corps, âmes et esprits de tous nos pères, frères el maîtres, temporels et spirituels, qui sont morts dans n’importe quelles réglons ou cites ou provinces, ou qui ont été étouffés dans la mer ou les fleuves, ou qui sont morts en voyage et dont aucune Église constituée sur la terre ne fait mémoire. » Cette insistance à prier pour tous, en développant sous divers i aspects ccttc universalité, est ici très caractéristique. D’autres formules analogues et tout aussi touchantes se lisent dans la liturgie de saint Denys, évêque d’A­ I thènes, p. 208-209, de saint Ignace, p. 221, du pape romain Jules, p. 226, 230; de saint Jean Chrysoslomc, 1 p. 247, de Mnroula, évêque de Takrit (t 619), p. 266; 1209 PURGATOIRE. LES SI EPRAGES POLII LES MORTS (ORIENT; de Dioscorc, p. 292, de Philoxène dc Mabboug, p. 301, dc Sévère d'Antioche, p. 326, dc Jacques Bar Adai, p. 338. La liturgie de Jacques de Saroug, évêque dc Batnun, est aussi touchante que possible : « Souvenezvous, Seigneur, de tous ceux qui déjà se sont endormis dans la vraie foi, depuis Adam jusqu'à cc jour... Don­ nez. Seigneur, le repos aux Ames dc ceux dont nous faisons mémoire; inscrivez leurs noms dans votre livre de vie... Que personne d’entre eux, que personne parmi nous ne soit condamné, rejeté, exclu de votre royaume céleste! Seul est apparu sur terre, exempt dc péché, votre Fils unique et Notre Seigneur et Dieu, JésusChrist ; par lui, et à cause dc lui, nous aussi espérons obtenir miséricorde et pardon des péchés, tant pour nous que pour eux. » P. 363-364. Voir également la liturgie de Jacques d’Édcssc, p. 376, et dc quelques mitres jacobites. P. 395, 404, 415. Les liturgies dc Michel le Syrien, p. 443, et dc plu­ sieurs autres, qui terminent le recueil dc Benaudot (cf. p. 450, 464, 486, 499, 516, 533, 587, 615), bien que moins expressives, renferment toutes explicitement le souvenir des défunts. Mais déjà, avec ces dernières liturgies, nous avons dc beaucoup dépassé l’époque où devait sc cantonner notre enquête. Une certitude du moins s’en dégage très nettement, c’est que les Églises orientales ont toutes pieusement gardé la pratique im­ mémoriale de recommander à Dieu, au saint sacrifice dc la messe, les fidèles trépassés. Sur le rapport de ccs liturgies orientales entre elles, on consultera les articles du Diet, d'archéol.: Alexan­ drie (Liturgie), t. i, col. 1182 sq.; Égypte, t. iv, col. 2183; Grecques (Liturgies), t. vi, col. 1591. Voir sur les liturgies orientales, prières pour les morts, F. Probst. Liturgie der drci ersten christlichen Jahrhunderte, Munster-cn-AV., 1893; F.-J. Mono, Lateinische und Grie· chische Messcn aus den IL-VL Jahrhunderten, Francfort-s.-M.. 1850; E. Freistedt, Altchristliche Totengeddcht nistage, Munster-cn-W.. 1928. 2. Prières pour les morts, spécialement aux /unerailles. — Le Sacramcntaire de Sérapion, découvert en 1891, est une sorte dc rituel ou de pontifical, conte­ nant trente prières, dont quelques-unes sont nommé­ ment attribuées à Serapion de Thmuis (t après 362). Nous trouvons une formule d'intercession : « Pour tous les défunts dont on fait la mémoire, nous prions ainsi : Sanctifiez ccs Ames, car vous les connaissez toutes; sanctifiez toutes celles qui dorment dans le Seigneur et mcttez-les au rang de toutes vos saintes puissances et donnez-leur place et séjour dans votre royaume. · Le même Sérapion a conservé une prière pour l'inhuma­ tion : · ... Nous vous prions pour le repos dc l’âme de votre serviteur (ou dc votre servante); donnez le repos à son esprit dans un Heu verdoyant el paisible et res­ suscitez son corps au jour (pic vous aurez marqué. > Journal oj theological studies, t. i, p. 106, 275. L'euchologe de Goar contient les prières pour les funérailles des fidèles défunts, p. 423-438. On y retrouve exprimés les sentiments que nous avons trouvés dans la liturgie de la messe ordinaire, au Memento des morts. Voici, par exemple, une prière du début : « Prions le Seigneur. O Dieu de tous esprits cl dc toute chair! qui. en vainquant la mort, avez vaincu le démon cl donne au monde la vie, donnez. Seigneur, le repos à l’âme de voire serviteur N..., défunt, dans un lieu de lumière, dans un lieu agréable, dans un lieu de rafraîchissement. d’où sont exclus la douleur, le chagrin cl les soupirs. Pardonnez-lui, Dieu clément, tout délit, commis par lui, soit en parole, soit en œuvre, soit en pensée. H n’est pas un seul homme (pii vive sans pécher; vous seul vous êtes manifesté exempt dc foule; votre justice est la Justice éternelle; vos paroles sont la vérité. Parce (pic vous êtes la résurrection et la vie et le repos dc votre serviteur, nous vous rendons gloire, ô Christ 1 I j i ΐ 1 | j 1210 notre Dieu!...» P. 124. On insiste aussi pour que soient pardon nés t les péchés commis sciemment ou incons­ ciemment, volontairement ou involontairement. » P. 424, 426. L'invocation à la sainte Vierge en faveur du défunt revient fréquemment, p. 426, 427, 428, 132, alternant avec les leçons morales que suggère la pensée dc la mort et qui, dans l'office oriental, font songer aux leçons de Job de notre F* nocturne. Et finalement cette prière, qui condense tout le dogme dc la communion des saints relativement au soulagement des Ames du purgatoire : « Que, par là intercessions de sa Mère sans tache, des saints apôtres glorieux et célèbres dans tout l'univers, de nos ancêtres bienheureux qui ont porté Dieu sur terre, que le Christ, notre vrai Dieu, qui est ressuscité des morts, place dans les tabernacles des Justes l'âme dc son serviteur défunt, qu'il la dépose dans le sein d’Abraham, qu’il l'adjoigne aux justes et que, bon et clément, il prenne pitié de nous. Amenî » P. 432-133. Les notes de Goar montrent que ccs rites nc sont que l'écho dc la doctrine traditionnelle des Pères. Suivent, dans le même recueil, les prières pour les funérailles des moines, p. 138, des prètres, p. 451, et, d’après certains cuchologcs antiques, des textes dis­ tincts pour les funérailles des hommes, p. 168, et des femmes, p. 471. Les prières pour les funérailles des enfants apportent Ici encore leur valeur dogmatique. Pour les enfants, nulle intercession demandant le par­ don de fautes dont ils sont incapables, mais l'expression d’une confiance filiale dans le bonheur concédé immé­ diatement à leur innocence : « Seigneur, qui dans ce siècle gardez les enfants et, dans le siècle futur, à cause de la simplicité de leur âme et de leur état d'in­ nocence, en remplissez le sein d’Abraham el les faites habiter dans les lieux splendides où séjournent les esprits des justes, recevez aussi dans la paix l 'âme de votre serviteur. N... Car vous-même l’avez dit : le royaume des deux appartient à de telles (âmes). » P. 178. On trouve même, dans les liturgies orientales pour les défunts, des formules qui ressemblent à celles de l’ofïertoire dc nos messes de Requiem: Délivrez, Seigneur, les serviteurs dc votre Église du feu terrible... des ténèbres denses, des grincements de dents et du ver gui punit toujours. » Office in sabbato animarum. vigile dc la Pentecôte. De toute évidence, le contexte exige qu’on Interprète ccs formules comme nous le faisons nousmêmes des formules latines. Voir plus loin, col. 1300. On le voit, dans les liturgies orientales, la prière pour les morts présente exactement les mêmes caractères que les prières des liturgies occidentales. Elles manifestent donc la même crovance relativement aux situations dc l’au-delà. On trouvera un bon exposé, en raccourci,de ces prières des liturgies orientales dans Jugie, Theologia dogmatica Christianorum orientalium, t. iv. p. 89-95. 3. L'épigraphie orientale. — Les documents épigra­ phiques qu’on a cités dans ce dictionnaire sur les rela­ tions de l’Église militante et de l’Église soutirante sont presque tous empruntés aux catacombes romaines ou aux monuments dc l’Église latine. Voir Communion des saints f.Monum. de l'antiquité chrétienne), t. in, col. 460. Il est donc utile de rappeler brièvement (pie de tels documents existent encore dans les Églises orien­ tales et attestent, comme à Borne et en Afrique, la croyance à l’efficacité des suffrages en faveur des âmes des défunts. Il ne saurait être question de dresser ici un réper­ toire complet des épigraphes funéraires de l’Orient, ni même dc reproduire en fac-similé celles que nous cite­ rons. Le travail a été fait d’une façon abondante par dom Leclercq, dons le Dictionnaire d’archéologie chré­ tienne et de liturgie. Quelques rappels suffiront ici pour le but théologique que nous poursuivons, et l’on vou­ dra bien se reporter aux articles dc dom Leclercq pour retrouver les formules originales. 1211 PURGATOIRE. LES LATINS AVANT SAINT AUGUSTIN 1212 n'est exempt de péché, lors mémo que sa vie serait d’un Λ Alexandrie même, l’épigraphie funéraire n'offre que rarement des formules Intéressantes. En voici seul jour sur la terre (cf. Job, xiv, 4-5), pour que je sob cependant deux assez suggestives : ■ Seigneur, Dieu de digne d’entendre cette parole bienheureuse; Entre dans la joie de ton Seigneur » Biondi, Inscriptions coptes, nos pères, ayez pitié de Pâme de votre serviteur ct faitcs-la reposer dans le sein de nos pères saints, dans Annales du sera, des antiquités de TEgypte, l. vin, 1907, p. 179; Diet, d'archéol., t. ni b, col. 2857. .Abraham, Isaac ct Jacob, nourrie du bois de la vie. Le diacre Jean a été enterré au mois de phamenoth... » Voici, pour terminer cet aperçu sur les inscriptions G. Botli, Sleh cristiane di epoca bizantina es istenti ne! égyptiennes, un texte qui, pour être du xu· siècle, n’en museo di Alessandria, dans Bessarione, 1900, p. 438, reflète pas moins la doctrine traditionnelle de l’Oricnt sur les suffrages pour les morts. C’est l'inscription du n. 4. · Que le Seigneur se souvienne de la dormilion cl du repos de Makara, la très douce; que le lecteur prie prêtre Marianos, à Assouan (1157). « Dieu des esprits (pour elle). * Ibid., p. 277, n. 14; Diet. d'archéol., t. ία, ct de toute chair, vous qui avez ennobli la mort, foulé col. 1157, 1159. aux pieds l’enfer et dispensé la vie au monde, faites L’épigraphie copte fournit en revanche des spécimens reposer l’âme de votre serviteur Marianos, prêtre, dans nombreux. En Basse-Égypte, on cite l'inscription sui­ le sein d’Abraham, d’Isaac ct de Jacob, où il n’y a ni vante (ιχ· siècle), de dialecte mêlé, mi-bohaïrique et douleur, ni chagrin, ni soupir; tout acte (répréhensible) mi-sahidique : « Dieu qui avez fourni le repos de l’âme | qu’il a commis par parole, en fait ou d’intention, de nos ancêtres, donnez aussi le repos à l’âme de votre oubliez-le, Seigneur, vous qui êtes bon et miséricor­ serviteur Abraham, afin qu’il soit nourri dans les verts dieux; pardonnez-lui puisqu’il n’y a pas d’hommequi pâturages, au bord des eaux du rafraîchissement (cf. ' puisse vivre sans péché; car vous seul, ô mon Dieu! ps. xxn, 2), dans le paradis de la joie, lieu d’où ont fui êtes la justice sans défaillance; votre justice est éter­ la peine et la douleur (cf. Is., li, 11), dans la lumière nelle, Seigneur, et votre parole, qui est la vérité, de vos saints. Amenl » Bergmann. Inschri/lliche Dcnk- demeure éternellement; vous êtes la résurrection ct le mâler, dans Hecueil de travaux, 1886. t. vu, p. 195; repos... de votre serviteur Marianos, prêtre. Nous ren­ Diet, d'archéol., t. m b. col. 2835. D’autres, assez nom­ drons gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit...» Musée breuses, demandent à Dieu de « faire miséricorde · au du Caire, n. 8396; art. Égypte, dans Diet, d'archéol., défunt : « Moi, Jean, diacre, j’ai quitté ma mère veuve. t. iv b, col. 2195-2496. On rapprochera le texte de cette Je suis venu dans la ville de Cos, j'y suis mort; on m’a stèle de la prière du début des funérailles, citée par emporte, on m’a placé dans cc tombeau : souvenezGoar dans son Euchologe, voir col. 1209. vous de moi, mes bicn-almés, afin (pic Dieu me par­ Proche de l’Égypte, l’Éthiopie fournit de multiples donne. » E. Hcvillout, Les prières pour les morts, dans exemples d’inscriptions funéraires où les vivants Céplgraphie égyptienne, dans Rev. égyptotogique, t. iv, demandent à Dieu d'accorder sa miséricorde, un Heu 1885, p. 2, η. 1. < Jeûnez tous pour moi, a tin que Dieu de rafraîchissement ct de paix, la lumière et la gloireâ (fasse miséricorde) à mon âme. » Ibid., p. 3, n. 2. «Dieu ceux qui ne sont plus. Souvent , la sainte Trinité est de nos seigneurs les apôtres saints, vous ferez miséri­ Invoquée; parfois, mais rarement, il est fait mention de corde avec Pâme du bienheureux Épimaque, le maçon, la Vierge. Voir les textes art. Éthiopie, dans Diet, qui s’est reposée le 14 du mois de pagni de cette année, d'archéol., t. v a, col. 617-623. X· indiction. Ayez la charité de prier pour moi, vous L’épigraphie à Antioche est pauvre. Elle fournit tous qui me connaissez, afin que Dieu fasse miséri­ cependant quelques éléments en faveur de l'existence corde à ma malheurciisc âme. Amen! Fiat! Jésus- des suffrages pour les défunts. Dom Leclercq reproduit Christ. · Ibid., p. 4, n. 1. C’est par dizaines que l’ins­ une inscription assez suggestive, publiée par W.-K. cription « Dieu fasse miséricorde · sc lit dans les docu­ Prentice, Fragments of an early Christian liturgy in ments épigraphiques publiés jusqu'à cc jour. Voir art. Syrian inscriptions, dans Transactions and proceedings Défunts, dans Diet. d'archéol., t. iv a, col. 450; art. of the American philological Association, t. xxxm, Copte, ibid., t. m b, col. 2836, 2851-2883. passim. 1902, p. 96. C'est une prière au Christ : « Toi qui donnes Un certain nombre d’épitaphes funéraires Invoquent, la vie au genre humain ct la mort en punition du péché, a\ec la protection de Dieu ou de la Trinité, celle de la et er ignem purgatus Ibit salvus, et non sicut perfidi adrrnoigne m perpetuum torqueatur; ut ex aliqua parte opene pretium sit. credidisse in Christum P. /... t. xvn. col. 2H; ct. In epist. ad Horn., c. v. 11; In epist. 11 ad Tmu, c. n, 20. P.L., l. vi, coi. 99 C. 318 1). Avec l’erreur miséricordieuse du salut de tou* les chrétiens, c’est encore la forme archaïque du feu du jugement, inspirée de 1 Cor., in. 11-15, qui domine lu pensée de VAmbrosiaster. On se tromperait donc étran­ . gement, en jouant pour ainsi dire sur l’expression • purifiés par le feu ». si l’on voulait trouver ici mot | pour mol la formule des théologiens latins après saint Grégoire le Grand du « feu du purgatoire >. 8. Sutnf Jérôme. Si farouche adversaire qu'ait été saint Jérôme à l'égard d’Origene (qu’il avait cepen­ dant tant admin* avant 391). il n'en est pas moins vrai que Jérôme continue, comme Ambroise ct VAmbmsiaster, à penser que tous les chrétiens, si pécheurs qu’ils soient, seront finalement sauvés. Et c’est là proprement une conception orlgéniste. C’est la conclu­ sion de son commentaire sur Isaïe, i.xvt, 21. Si le démon ct les impies, les apostats el les athées doivent souffrir éternellement, les pécheurs chrétiens seront purifiés, el leur sentence au jugement sera mêlée de miséricorde : Et sicut diaboli et omnium negatorum atque impiorum qui dixerunt in corde suo : Non est Deus, credimus irterna tormenta; sic peccatorum et tamen Chris­ tianorum, quorum opera in igne probanda sunt atque purganda, moderatam arbitramur et mixtam clementia· sententiam judicis. P. 1866. t. xxiv, coi. 701 B. Plus nettement encore, dans Epist., cxix, n. 7 (vers 406 ): Qui enim tota mente m Christo confidit, etiamsi ut homo lapsus mortuus /uerit in peccato, fide sua idvit in perpe­ tuum. Alioqui mors ista communis ct credentibus et non T. — XIII — 39. 1219 PURGATOIRE. SAINT AUGUSTIN credentibus debetur icqualiter; et omnes pariter resur­ recturi sunt, alii in confusionem aternam, alii, ex co quod credunt, in sempiternam nilum. P. L., t. xxn, coi. 973; cf. Epist., xxxix, n. 3; In Danielcm, vn, 9; In Lueam, xvi, t. xxn, coi. 169; t. xxv, coi. 556 BC; t. xxix, coi. 673 I). 9. Saint Paulin de Noie el Prudence. — Peut-être serait-il possible de trouver chez ccs deux auteurs quelques allusions à la peine purificatrice du feu dans le jugement futur. Le premier, en effet, exhorte les fidèles ù prier Dieu, afin que leurs œuvres ne soient pas semblables au bols, au foin, à la paille, mais plutôt à l’argent, A l’or, aux pierres précieuses. Il parle de cc feu savant (ignis ille sapiens) par lequel nous passerons pour être examinés; il importe de n’en être pas enve­ loppé pour subir la punition de sa brûlure. Epist., xxvm, n. 1,2. P. L., t. ι.χι, col. 309 BC;cf. χχ.χνι,η. 2, col. 351 D. Même pensée dans un poème, vu, ibid., col. 119 D : Opus per omne curret ignis arbiter, Quod non crcmnrit llainnui, sed probaverit, Illud perenni prænilo pensabitur. Quod concremanda gesserit, damnum feret. Sed ipse salvus evolabit ignibus Tamen subusti corporis signis miser Vitam tenebit... Le poète Prudence a, lui aussi, des vers où il chante « la peine légère qui doit le brûler miséricordieuse­ ment. ■ Hamartigenia, v. 966, P. L., t. tax, col. 1078 B. Paulin de Noie admettait, lui aussi, que le pécheur croyant serait sauvé en raison de sa foi. Cf. Poema, vu, P. L., t. i xi. col. 150 A. Conclusion. — De cette première partie de notre enquête chez les Pères latins, nous conclurons que, malgré les obscurités de pensée et les hésitations d’ex­ pression, la foi en des peines purificatrices dans l’audelà est déjà très nettement formulée par les Pères. Sans doute c’est une croyance répandue communément au iv* siècle que tous les chrétiens, si pécheurs qu’ils soient, seront toi ou lard, en raison de leur foi, réunis ù Dieu. Affirmer que cette foi est. en toute hypothèse, la /Ides caritate /armata, comme l’insinue le P. de Drool, Conspectus historiae dogmatum, 1.1, Borne, 1931, p. 198, c’est proposer une exégèse quelque peu facile. Cc serait trop beau ct les textes ne fournissent aucune base à ccttc interprétation. Aussi bien la croyance miséricordieuse des Pères semblait solidement appuyée par I Cor., ni, 15; et c'est pourquoi ce texte de saint Paul revient sans cesse à la base de toutes les affirmations sur le sort futur des âmes. C’est dans la foi chrétienne qu’on plaçait la vert u. capable d’opérer le salut de tous ceux qui la profes­ saient. Par ccttc foi, le chrétien est fondé sur JésusChrist. ct, quelles que soient les œuvres inutiles ou mauvaises édifiées sur cc fondement, si le feu doit dévo­ rer les œuvres, le fondement étant solide, le chrétien lui-même sera épargné. Un instant de réflexion suffit à nous convaincre que ce feu purificateur du jugement contient implicite­ ment ou mieux constitue sous sa forme première le dogme du purgatoire, aussi bien chez les Latins que chez les Grecs. Sans doute les Latins, jusqu'à la fin du iv· siècle, exagèrent cette doctrine puisqu’ils regardent comme susceptibles d’être purifiés tous les chrétiens pécheurs sans exception. Sans doute aussi l'expression dr la doctrine du purgatoire est encore entourée de bien des hésitations héritées des conceptions plus ou moins archaïques touchant l’état des âmes dans l'autre vie. Il faudra donc, pour que la ligne traditionnelle de la doctrine du purgatoire s’affirme plus ferme ct plus nette que le génie de saint Augustin vienne, sur ce point, comme sur tant d’autres, imposer la direction de sa lumineuse théologie. 1220 2° Saint Augustin. — Toute l'enquête qui précède montre la part d’exagération contenue dans l’afilrina· lion de Hofmann, selon qui saint Augustin aurait été le premier Père à formuler d’une manière précise h doctrine du purgatoire, simplement insinuée chez les Pères antérieurs. Voir plus loin, col. 1221. L'exposé qui va suivre en montrera la part de vérité. On y verra aussi ce qu’il y a de tendancieux dans l’assertion de J. Tunnel, selon qui Augustin n’affirmerait pas le pur­ gatoire et fui simplement, à la fin de sa vie, sur le point de l’accorder. Eschatologie à la fin du /n siècle, dans Rev. d'hisl.et de tilt, relig., 1900 (tiré à part, p. 59-61). 1. Précisions apportées par saint Augustin sur l’étal des âmes après la mort. — Le premier bienfait apporte par la théologie augustinienne fut de réagir sensible­ ment contre la théorie si répandue dans les premiers siècles d’une période d’attente pour les âmes avant l’entrée dans le bonheur ou dans le malheur éternels. Sans doute, même avant Saint Augustin, on pourrait trouver, aussi bien chez les Grecs (voir ici Jugement, t. vin, col. 1786-1787), que chez les Latins (col. 1796, et ci-dessus, col. 1215 au bas), des textes montrant que les âmes sont en possession du bonheur ou du malheur éternels aussitôt après le jugement particulier. Néan­ moins il reste encore un certain flottement dans la pensée de beaucoup de Pères concernant le séjour des âmes ct la plénitude de la récompense des élus ou de la punition des damnés. Tout en demeurant encore à bonne distance de nos précisions actuelles, la théologie d'Augustin apporte sur cc sujet difficile des lumières qui orientent la pensée chrétienne vers les solutions définitives. Pour saint Augustin, aussitôt après la mort, le sort éternel est fixé, ct les âmes criminelles sont cnfenqées dans un lieu de tourments, et les âmes justes dans un séjour de repos ct de bonheur ; les damnés souffrent déjà du feu infernal, ct les élus jouissent de la vision de Dieu. Il ne s’agit pas de res­ treindre celte vision aux seuls martyrs; si Augustin parle spécialement des martyrs, c'est qu’à eux princi­ palement il appartient de régner avec Jésus-Christ. Mais les autres saints sont dans la même paix qu’eux. Paradis ct sein d’A braham ne sont qu’une façon de par­ ler pour designer une des nombreuses demeures du ciel. Sur tous ccs points, voir Augustin (Saint). L i. col. 2111-2117. Là oü la théologie d’Augustin est encore en hésitation, c'est sur la question de l'apport réalisé ù la résurrection, par le fait de la reprise du corps par l’âme au bonheur ou au malheur éternels. « z\ la résurrection supplices ct récompenses des âmes recevront, d’après Augustin, un complément bien plus substantiel que la théologie ne renseignera plus tard, el c’est là, croyonsnous. la différence essentielle entre sa théorie ct rensei­ gnement commun. » Col. 2117. 11 n’en reste pas moins vrai que la perspective d’un jugement purificateur après la résurrection générale sc trouve nettement brisée. C'est après le jugement par­ ticulier qu’il conviendra désormais de chercher l'é­ poque des peines purificatrices. Mais encore faudra-t-il dissiper les équivoques fondées sur l’interprétation de I Cor., ni, 15. Ce sera le deuxieme service rendu à la théologie du purgatoire par l’évêque d'illppone. 2. L*interprétation miséricordieuse de I Cor., ni, ll-lfi, rejetée par saint Augustin. — Nous avons en­ tendu les partisans du salut de tous les chrétiens invoquer I Cor., ni, 11-15, en faveur de leur opinion; pour être sauvé, il suffit de demeurer dans l’unité cathoI ique, car ainsi l’on conserve le Christ comme fondement. Augustin connaît celte opinion. De. clv. Del. 1. XXI, c. XXI, χχνι, P. Z... t. xîj. col.73 1,7 13. D’autres, ajoute Augustin, considèrent que la fol seule procure le salut, quelles que soient les œuvres. find., I XXI. c. χχνι, η. I. col. 7 13; De fide et operibus, n. 21, t. xl, col. 213. Sans doute In sentence du jugement dernier concerne J221 PURGATOIRE. SAINT AUGUSTIN 1222 les œuvres; mais le feu éternel qu'elle comporte ne Ainsi donc, après la mort, l’âme coupable devra concerne pas les chrétiens. Dr fide d operibus, n. 25, I subir, selon la nature de sa culpabilité, l’une ou l’autre col. 211. Λ cette argumentation des miséricordieux, peine : vel ignem purgationis, vet pernam aternam. De Augustin réplique que le Christ lui-même a voulu dis­ Genesi contra Man., c. xx, n. 30, P. L., t. xxxiv, siper toute équivoque; n'a-t-il pas ajouté, en parlant coi. 212. Aussi Augustin demande-t-il à Dieu pour luides méchants, coupables d’œuvres mauvaises:sic ibunl même de le purifier en ccttc vie, pour n’avoir pas a HU in combustionem aternam? Malt h.,xxv, 16. Donc il souffrir après la mort le feu purificateur, emendatorio faut conclure que leur combustion sera éternelle comme igne. In ps., xxxvtt, η. 3. P. L., t. xxxvi, coi. 397. le feu, crit ergo ale ma combustio, sicut ignis. De fide et [ C’cst toujours d'ailleurs 1 Cor., ni, 13-15, qui inspire operibus, toc. cit. ainsi sa pensée ct lui fait distinguer du feu des damnés D’autres arguments montrent bien l'insuffisance de le feu qui sert d'expiation pour les justes, emendabit 1 Cor., ni, 11-15, pour prouver la these miséricordieuse. eos qui per ignem salvi erunt. Id., ibid. D’autres textes, en nombre impressionnant, indiquent 4. La nature du feu purificateur est encore, pour clairement la nécessité des œuvres pour le salut : insuf­ Augustin, incertaine. — Jusqu'ici, il est bien acquis, fisance de la foi sans les œuvres, proclamée par saint contre les miséricordieux, que le texte de saint Paul, Jacques, n, 14; nécessité d'une conscience pure pour quasi per ignem, ne saurait concerner que les fautes que le baptême produise le salut, 1 Pet., m, 21; inuti­ plus ou moins légères. C'est sans conteste, d'un feu lité de la foi en l’absence de la charité, I Cor., xm, 2-3, purificateur qu'il est ici question. Mais de quelle nature exclusion des criminels de toute espèce du royaume de est cc feu? Saint Augustin reste hésitant sur hi réponse Dieu. 1 Cor., m, 9. 10; Gai., v, 19-21 ; enfin nécessité, exacte à donner. Ordinairement, il s'attache au sens proclamée par Jésus-Christ lui-même d'observer les métaphorique : Feu des épreuves ct des châtiments de commandements. Matth., xix, 17. D'ailleurs, dans la cette vie? De cio. Dei, I. XXI. c. XXvi, P. L·, t. xli, sentence du jugement dernier, Jésus-Christ ne reproche col. 713; De fide el oper., n. 27, t. xl, col. 216. C’est pas aux damnés de n'avoir pas cru en lui, mais de n’a­ ainsi que, par rapport aux objets symbolisés par le bois voir pas accompli les bonnes œuvres. En conséquence, la paille, le foin, cc feu est < une douleur purifiante, qui 1 Cor., in, 15, ne doit pas être interprété dans le sens résulte nécessairement de la perte (de ccs) objets, non que lui donnent les miséricordieux. De fide et operibus, pas certes préférés à Jésus-Christ, mais tout de même n.26, col. 21 1. Ailleurs saint Augustin fait observer que :dmés avec excès ». A. Lehaut, L'éternité des peines de cc feu doit éprouver tous les hommes sans distinction, l’enfer dans saint Augustin, Paris, 1912. p. 69. Est-ce bons ct méchants; les parfaits eux-mêmes doivent le la mort avec ses douleurs cl scs séparations inévi­ traverser pour parvenir au salut. 11 n’cst donc pas pos­ tables? De cio. Dei, I. XXI. c. χχνι, n. 1, t. xli. sible de l’idcntlller avec le feu de l'enfer. Enchir.. col. 745; Enchir., c. lxviii. P. L., t. xl, col. 264. Ainsi, c. lxviii, t. XL, col. 2G1; cf. De cio. Dei., 1. XXI, « le feu, ce n’cst plus la souffrance causée par la perte c. xxvr, n. 3, t. XL!, col. 741. de biens temporels, mais celte perte elle-même qui Que sera donc cc feu? C'est ici que commence la par­ effectivement laisse intacts les édifices d’or, d'argent, de pierres précieuses, c’csl-à-dire les trésors de pen­ tie constructive de la doctrine de saint Augustin. Pour l’exposer objectivement, il faut séparer nette­ sées divines, tandis qu'elle détruit les édifices de bois ment cc qui est présenté comme certain, cc qui est pré­ de foin, de paille, c’est-à-dire les affections purement terrestres, mais exemptes d’un caractère criminel qui senté comme possible ou vraisemblable. 3. L'existence de peines purificatrices dans l’autre oie arracherait l’âme du fondement qu’est le Christ ». est, pour Augustin, une vérité absolument certaine. — Lehaut, ibid. Mais la pensée d’Augustin sur cc point n’cst ni ferme Dans scs différentes explications sur le feu, instrument du salut annoncé par saint Paul, I Cor., ni, 13-15, ni définitive : d’autres interprétations lui paraissent saint Augustin considère toujours que le bois, le foin, possibles. De cio. Dei., 1. XXI, c. χχνι, il 2, P. L., la paille, symbolisent des attachements coupables, t. xli, col. 741. Aussi peut-être existe-t-il, entre la sans doute, mais non cependant au point de faire pas­ mort ct le jugement, un feu réel qu’on peut concevoir ser Jésus-Christ après les biens terrestres. De fide et à la manière du feu de l’enfer. De cio. Dei., loc. cit., il 4, operibus, n. 27, 28, t. xl, col. 215, 216; Enchir.. col. 715. Xon redarguo, quia forsitan verum est, déclare saint Augustin. Nous l’avons déjà entendu d’ailleurs c. lxviii, col. 261; De civ. Dei. 1. XXI, c. xxv. n. 2, t. xi.i, col. 711. 11 y a donc des fidèles qui, tout en désigner les peines d’outre-lombc par les expressions gardant l’essentiel des préceptes de Jésus-Christ, sont ignis purgationis. Ignis emendatorius. L’expression trop attachés aux plaisirs des sens et aux affections ignis purgatorius, qui va désormais avoir droit de cité permises. Id., ibid.; Enchir., c. lxviii, col. 261. Cc dans la théologie catholique, est employée dans l’£nsont de tels chrétiens qui ont besoin de miséricorde, chiridion. c. i xix, t. xl, col. 265. C’est la dernière et Us n’en sont pas indignes. De civ. Dei., 1. XXI, explication probable que le grand évêque donne de c. xxiv, n. 2; Enchir., c. ex, col. 283. quasi per ignem. Il vient de parler des purifications Ccs chrétiens, entachés d’une culpabilité qui cepen­ possibles en ccttc vie par l’épreuve de la tribulation, ct dant n’est pas suffisante pour entraîner leur damna­ il ajoute: Tale aliquid etiam post hanc vitam fieri, incre­ tion, devront expier, avant le Jugement dernier, soit en dibile non esl. ct utrum ita sit. quteri potest cl aut inve­ cc monde, soit dans l’autre, leur trop grand attache­ niri aut latere, nonnullos fideles per ignem quemdam pur­ ment aux biens terrestres. Voilà ceux qui seront sauvés gatorium. quanto magis minus ve bona pereuntia di texe­ quasi per ignem, c’est-à-dire après avoir subi diffe­ runt, tanto tardius citiusquc salvari, non tamen tales, de rentes peines: temporarias poenas alii in hoc tala tantum, quibus dictum est, quini regnum Dei non possidebunt, alii post mortem, atii ct nunc ct tunc, verumtamen ante nisi convenienter panilcnlibus eadem crimina remittan­ judicium illud severissimum novissimumqiie patiuntur. tur. Et si quelque purification est encore nécessaire au De civ. Dei, 1. XX I.c. xin. t. xli. col. 728. On lcvoit.il moment du jugement, le « feu du jugement · achèvera ne s’agit plus d’uno expiation au jugement même, mais cette purification en certaines âmes : igne judicit novis­ antérieure au jugement; assertion très ferme chez simi mundabuntur. De civ. Dei, 1. XX, c. χχνι, η. 1, Augustin ct qu’il renouvelle plus loin sans l’ombre t. xli, col. 701. d’hésitation, c xvi. col 731. Plus nettement encore, Pour être bien comprise, la pensée d’Augustin doit c. xxiv, n.2, col. 738, il affirme que ccs peines, souffertes être rétablie dans sa synthèse générale. Il apparaît par les âmes des défunts, leur obtiendront, au juge­ ainsi, d’une pari, qu’Auguslin tient comme très cer­ ment, miséricorde ut in ignem non mittantur aeternum. taines les peines purificatrices de l’autre vie; d’autre 1223 PURGATOIRE. APRÈS SAINT AUGUSTIN part, qu’il est très hésitant sur la nature même de ces peines : sa pensée oscille entre le feu métaphorique et le feu réel. Ce sera, somme toute, la position qu'adop­ tera l'Église elle-même en proposant aux fidèles la croyance nu purgatoire. 5. Questions secondaires. Saint Augustin a exprime sa pensée sur l'intensité des peines purificatrices de l'autre vie. il nc faut pas se faire illusion : elles dépas­ seront toutes les douleurs de la terre. Parce que ΓΑpulre a dit : salons erit..., on méprise ce feu. Mais pre­ nez garde : itu plane quamvis salvi per ignem, gravior tamen erit ille ignis, quam quidquid potest homo pati in hac vita. Et Augustin ajoute : Et nostis quanta hic passi sunt mali ct possunt pati. In ps. XXXVH, n. 3, t. xxxvr, coi. 397. La durée du purgatoire nc peut être conçue au delà du jugement dernier. La sentence finale ne connaît plus que les élus et les réprouvés. De civ. Dei, L XXI, c. xm, t. xli, col. 728; cf. c. xvi, col. 730. Et nous avons déjà vu que, si certaines Ames ont encore besoin dc purification à ce moment, elles seront purifiées complè­ tement par le feu du jugement. Augustin fait appel à ce sujet à l’autorité de Malachic, m, 1-6,ct d’Isaïe, iv, I : videtur evidentius apparere in illo judicio quasdam quorundam purgatorias panas juturas. De civ. Dei, 1. XX. <. xxv, col. 700. Enfin, l'état des times du purgatoire est suffisamment indique par Augustin au cours dc toutes scs explica­ tions du quasi per ignem. Ce sont des Ames qui ont encore à expier, mais qui néanmoins ont gardé ou recouvré la grâce de Dieu. Dans VEnchiridion, c. ex, P. L., I. XL, col. 283, il redit que ceux-là seuls sont soulages par les prières dc l’Eglise, qui ont mérite durant leur vie, d'être aidés par les suffrages des vi­ vants. Cf. De octo Dulc.qu:vst.,c\. n, P. L.,l. XL, col. 157158. Enfin, il signale expressément que les enfants baptisés, mort s avant d’avoir commis des fautes per­ sonnelles, sont délivrés non seulement de l’enfer, mais de toute peine purificatrice : non solum panis non prirparetur «’ternis, sed ne ulla quidem post mortem pur­ gatoria tormenta patiatur. De civ. Dei. L XXI, c. xvi, ?... t. xi i. coi. 730. 3° Après saint Augustin. — \. Le cadre de l'enseigne­ ment. — La grande autorité de saint Augustin a réduit les perspectives cschatologiques à leurs exactes propor­ tions. Désormais l’idée d'une rétribution repoussée jusqu’à l’époque du jugement dernier est bannie dc l’enseignement commun des auteurs. Seul Cassien fait encore exception, n’accordant aux Ames, avant le juge­ ment général, qu’un avant-goût dc cc qui les rttend après. Collationes, 1. 1, c. xiv, P. t. xlix. col. 503 B. La doctrine commune est ainsi formulée par saint Césaire d’Arles : « Quand le corps, pour lequel nous avons tant de complaisance,commence à être dévoré par les vers dans le tombeau, l’Ame est présentée à Dieu par les anges dans le ciel; ct là déjà, si elle est juste,elle sera couronnée, ou, si elle est pécheresse, elle sera projetée dans les ténèbres. Scrm., ccci, n. 3, P. L., t. xxxvitl, col. 1382. Cf. Gcnnade, De certes, dogmat., c. i.xxix, P. L·., t. i.vin, col. 998 C; saint Gré­ goire, Moral.. I. IV, n. 56; I. XI11. n. 18; In evangel., hom. xix. η. I ; Dialog., L IV, c. xxviii, P. L., I . lxxv, col. 666. 1037, 1156; t. xxxvi. col. 365; saint Isidore, Sentent.. L I, c. xiv, n. 16, P. !... I. lxxxiii, col. 568; saint Julien dc Tolède, Prognosticon, L I. c. xm. P. I... t. xevi, col. 168; saint Bède le Vénérable. Hist, ccd., I. V. « xn P. L . t x< v. col. 250. Tout naturellement la doctrine du purgatoire s’in­ sère entre le moment du jugement particulier el l'en­ trée au ricl des Ames justes. Il semble que les hésita­ tions de saint Augustin sur la nature du feu dispa­ raissent et que les auteurs envisagent un feu réel, ana­ logue à celui de l’enfer. Nous arrivons ainsi par eux à 1224 I la conception latine, telle que nous la trouverons sys­ tématisée chez les théologiens du Moyen Age. 2. Saint Césairc d'Arles. — L’enseignement de saint Césairc est en corrélation avec sa doctrine sur les péchés. Césairc distingue deux sortes de péchés ; les péchés capitaux (capitalia) el les péchés menus (mi­ nuta). Des uns ct des autres il dresse même une liste détaillée. Voir Ci saiki d'Aiu.ks, t. n, col. 2180. Les péchés capitaux non pardonnés conduisent in­ failliblement l’Ame en enfer. Cf. col. 2182. Mais les péchés menus n’empêchent pas l’entrée de l’Ame au ciel : ils doivent simplement être auparavant expiés, soit sur cette terre par les bonnes œuvres, soit dans l’autre vie par les peines du purgatoire. L’enseignement de Césairc sur ce point est très net el très ferme. Com­ mentant I Cor., m, 15, il écrit : Ceux qui comprennent ni d cc texte se laissent tromper par une fausse sécurité. Ils croient que, édifiant sur le fondement du Christ des crimes capitaux, ccs péchés pour­ ront être purifiés en passant ù t ni vers le feu et qu'almi ils pourront parvenir ensuite à la vio éternelle. Corrigez, nies frères, cette minièredc comprendre : sc flntterd’unc pareille issue, c’est se tromper lourdement. Dans ce feu de passage (transitorio igne), dont l’Apôtrc n dit : lui-même sera rnuvi. niais comme a travers le feu, ce ne sont pas les péchés capi­ taux. m iis les péchés menus qui seront purifiés... Bien que ccs péchés, selon notre croyance, ne tuent pas l’Ame, ih la défigurent... ct ne lui permettent dc s’unir A l’époux céleste qu’au prix d’une extrême confusion... C’est par de* prières continuelles et des jeûnes fréquents, que nous par­ venons à les racheter.... cl ce qui n’a pas été racheté par nous devra être purifié dans ce feu dont l’Apôtrc a dit : (l’ouvrage de chacun) sera révéle par le /eu; ainsi le pu éprouvera Pauvre dc chacun. I Cor., ni. 13... Ainsi donc, pendant que nous vivons en cc monde, mortifions-nous.... et ainsi ccs péchés seront purifiés en cette vie. de telle sorte que, dans l’autre, ce feu du purgatoire ou ne trouve rien ou nc trouve en nous que peu dc chose ;i dévorer. Mais, si nous ne rendons pas grâces à Dieu dans nos nflïÎctions ct si nous nc rachetons pas nos fautes par de bonnes œuvres, il nous faudra demeurer dans le feu du purgatoire aussi longtemps que nos péchés menus l’exigeront pour être consumes, comme du bois, du foin ct de la paille. Que personne nc «lise : Que m’importe dc demeurer nu purgatoire si je dois ensuite parvenir à la vie étemelle’. Ah! nc parlez pas ainsi, très chers frères, car cc feu du purgatoire sera plus pénible que toute peine que nous pouvons concevoir, éprouver ct sentir en cc monde... Serin. ctv, η. 1 sq., P. L·., t. xxxix, col. 1916-1918. Le sermon se continue par des exhortations à la pénitence ct pour les péchés graves, dont les flammes éternelles ne nous purifieraient jamais (n. 2, col. 1916), et pour les péchés menus, afin de ne pas demeurer longtemps dans la souffrance avant d’entrer sans tache ct sans rouille, dans la vie éternelle. Ibid., n. 5. col. 19 17-1918. Dans un autre sermon (ccLtr, n. 3, col. 2212), Césairc applique au feu purificateur de l’autre vie le· fleuvedc feu * dont parle Daniel, vu, 10, en rapprochant celte expression de I Cor., ni, 15; plus nos péchés fourniront dc matière au feu, ct plus notre séjour en ce feu sera long. Quanta fuerit peccati materia, tanta ct pcrlranscundi mora; quantum exegerit culpa, tantum sibi ex homine vindicabit giuvdam flamniœ rationabilis disci­ plina. L’Ame non encore purifiée est semblable à la marmite vide. qu’Ezéchiel commande de placer sur des charbons ardents afin qu'elle soit dégagée de sa rouille. Ez., xxiv, 11. On voit en quel sens réaliste a évolué la tradition latine en ce qui concerne la nature des peines purifica­ trices de l’autre vie! 3. L’auteur inconnu du De vera ct falsa pœnitenlia ((pii est certainement d une époque bien posté­ rieure, voir Pinitenci col. oit) rappelle à celui qui cherche au moment de la mort une pénitence vraie qü'il doit s’ il t endre à t roux or la miséricorde divine plus 1225 PURGATOIRE, FIN DE L’AGE PATRISTIQUE grande encore que sa propre iniquité. Mais, même si sa conversion lui rend la vie (de la grâce), on nc peut lui promettre d'échapper à toute peine, car · il lui faudra auparavant être purifié dans le feu du purgatoire, qui reporte dans l'autre vie le fruit de la conversion. Bien que ce feu ne soit pas étemel, il est néanmoins remar­ quablement douloureux el la souffrance qu’on endure par lui dépasse tout ce qu’on peut souffrir ici-bas. · N. 17. 18, P. L.. t. XL, col. 1118. •1. Saint Grégoire le Grand. - Avec lui l'évolution dc la théologie du purgatoire est terminée. Scs œuvres fournissent sur le sujet une abondante littérature. Les Dialogues posent directement la question : FautIl croire à un feu du purgatoire après la mort? La réponse est nettement affirmative : il faut admettre un feu purificateur pour effacer les petites fautes. La Vérité a déclaré que celui qui blasphémerait contre l’Esprit-Saint ne verrait son péché remis ni en ce monde ni dans l’autre, Matth., xn, 31-32, nous lais­ sant entendre que certaines fautes peuvent être I remises sur terre, d’autres même dans l’autre vie. Mais un tel traitement est réservé aux petits péchés ou aux péchés graves qui comportent une erreur d’ignorance. I Cette croyance au purgatoire s'appuie également sur l'affirmation de saint Paul, 1 Cor., ni, 15. Grégoire pense qu’il est difficile d’entendre cc feu du feu dc la tribulation présente; il s’agit donc d'un feu purifica­ teur futur. Celui-là sera sauve par ce feu, qui aura édifié sur le fondement (du Christ) non du fer, de l’airain ou du plomb, c’est-à-dire des péchés plus graves et donc une mal ivre trop dure pour être fondue par le feu. mais du bois, du foin ct de la paille, c’est-à-dire des péchés légers que le feu consume facilement. Dial.. I. IV, c. xxxix, P. L.t t. i.xxvn, col. 396. Plus loin saint Grégoire confirme son enseignement en rapportant avec une singulière complaisance certaines révélations privéessur le sort d’âmes tourmentées dans le feu. où visiblement l’imagination se donne libre carrière. Cf. c. i v, col. -120. On trouve également des allusions di­ rectes au « feu du purgatoire », ignis purgationis, dans V Expositio in septem psalmos ρπη ilentlaies, i (ps. vi.l) et dans le commentaire sur le lfr livre des Bois, c. n. n. 26. 27, deux œuvres attribuées à Grégoire le Grand, mais certainement apocryphes, P. !... I. i.xxix, col. 553. 123. Il est intéressant d’ailleurs dc constater que, pour saint Grégoire, le fait de n’êlrc point réunie à Pieu cons­ titue déjà, pour l’âme séparée du corps, une sorte de châtiment : sunt quorumdam justorum anima: qua: a adest i regno qui busdam adhuc mansionibus di ήc run­ tar: in quo dilationis damno quid aliud innuitur, nisi quod dc perjccta justitia aliquid minus habuerunt ? Dial.. 1. IV, c. xxv. P. Z.., t. lxxvii. coi. 357 C’est déjà, cs(pussée d’un mot, la distinction appliquée par In théologie postérieure aux peines du purgatoire, peine du dam et peine du sens. D’autres questions subsidiaires sont agitées par Grégoire; nous n’en retiendrons ici qu’une, qui prélude aux investigations curieuses des théologiens: De quelle nature sera ce feu purificateur? Comment pourra-t-il s’alimenter? Comment brûlera t-il sans consumer? Pour Grégoire, le feu atteindra l’âme tout en brûlant le corps (il s’agit évidemment du feu de l’enfer, mais celui du purgatoire est dc même nature). Cc feu de In géhenne est corporel, sans quoi il ne serait pas un feu véritable. Mais il n’est allume par aucune Industrie humaine el n’a pas besoin d’être alimenté par du bois. Créé une fois pour toutes par Dieu, il dure inextin­ guible et n'a besoin d’aucun entretien pour conserver toute son ardeur. Moral., I. XV, c. xxix; cf. c. i.xvi, P. I.·, t. lxxxi, col. 1091, 1915 1916. Quant à l’âme séparée, nous disons qu’elle est saisie par le feu. quand elle est dans le tourment du feu ct en le voyant | 1226 ct en le sentant ·. Dial., I. IV, c. xxix, P. L., t. Lxxvn, col. 365. Cc n’est pas seulement en voyant le feu. mais en expérimentant son ardeur que l’âme souffre, non solum videndo, sed etiam experiendo. D ailleurs, Grégoire glisse rapidement sur le problème, car il conclut aus­ sitôt : « SI le diable et ses anges, Incorporels qu’ils sont, doivent être torturés par un feu corporel, quoi d’étonnant que les âmes avant d’être réunies à leurs corps, puissent sentir les tourments corporels? · Col. 368. 5. Ixs docteurs espagnols dc l’époque font écho à saint Grégoire. Saint Talon, évêque dc Saragosse, reprend l’inter­ prétation de ! Cor., in. 15, favorable au feu du purga­ toire, fout en concédant que l’expression ignis désigne ici le feu dc la conflagration. Il rappelle l’exégèse apportée par saint Grégoire : les péchés légers seuls sont désignes par le bois, le foin, la paille; car, pour symboliser les péchés graves, il faudrait prendre le fer. l’airain, le plomb. Enfin, dernière précision.qui est un écho de la doctrine de saint Augustin, ne profiteront du feu purificateur que ceux qui l’auront mérité pen­ dant leur vie mortelle. Sent.. I. V. c. xxi, P. L·, t. lxxx col. 975 BD. Saint Isidore de Séville s’étend assez longuement sur la nécessité morale d’un purgatoire. Plusieurs textes scripturaires indiquent que seuls entreront directe­ ment dans le royaume des deux ceux qui auront souf­ fert ici-bas, cf. Matth., v, 3: v, 10, ou auxquels aura été appliqué le pouvoir dc lier et de délier. Matth., xvni. 18. Donc ceux qui. sans sc séparer du Christ, se seront quelque peu éloignés dc lui (longiuscule) de\ ront avant d’entendre la sentence du juge, venite bene­ dicti, être purifiés. Il y aura donc une purification dans l’au-delà. cf. Marc., m, 29, une sorte de baptême parle feu. Matth . ni. 1 L Isidore applique la première partie dc Luc., in. 17, a l'épreuve du purgatoire, insistant sur la différence du baptême par le feu ct de la combustion par le feu : aliud est enim igne baptizari, aliud igne com· buri inexstinguibili. Lc feu de la géhenne ac Matth.. v, 22, n’est que le feu du purgatoire, celui dont parle saint Paul, I Cor., ur, 15. Dc ordine creaturarum, c. xiv, P. L., t. Lxxxni. col. 917-918. Interprétant comme Grégoire le bois, le foin, la paille des péchés légers, cri­ mina non principalia, quw non multum nocent, Isidore nous donne de ces péchés un certain nombre d’exemples colères, négligences dans la prière, paroles inutiles, usage immodéré du mariage, gourmandise, levers tar­ difs. etc. Ibid., n. 1 L col. 919. Notre auteur se demande si les pénitents qui reçoivent la réconciliation à l’article de la mort, reçoivent alors la pleine rémission dc leurs fautes, de telle sorte qu’ils soient dispensés de passer par le feu purificateur. Ipse scit. répond-il. qui. renes el corda conspiciens, punitentiir dignitatem considerat. Ibid., π. 12, col. 919 C. Enfin, la peine du purgatoire est une peine plus grave, plus acerbe, plus longue que n’importe quelle peine qu’on puisse concevoir sur terre. Ibid., n. 12. col. 950 A. Julien dc Tolède reprend pour son compte celte der­ nière assertion, mais il se réfère à Augustin. Il invoque l’autorité de saint Grégoire pour affirmer l’existence d’un feu purificateur des fautes légères avant le juge­ ment. A la suite d’Augustin, il distingue donc entre le feu de l’enfer, réservé à ceux à qui le Christ dira : Κα­ ί irez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel ». et le feu du purgatoire, créé pour ceux qu’il doit sauver. L’autorité d'Augustin l'incite aussi à confesser que ce feu du purgatoire existera avant le jugement dernier cl précédera cet autre feu dans lequel les impies seront plongés par le jugement du Christ. Il est peut-être encore plus intéressant dc souligner la différence dans l’intensité et la durée des peines du purgatoire : puto quod sicut non omnes reprobi, qui in ivtcrnum ignem damnandi sunt, una cadcmque supplicii qualitate arde· 1227 PURGATOIRE. L’ÉPOQUE C Λ RO IJ N G I E N N E bunt, sic omnes, qui per graves purgatorias panas suivi esse creduntur, non uno codcmque spatio (emporis cru­ ciatus spirituum sustinebunt, ut quod in reprobis dis­ cretione pomorum, hoc in istis, qui per ignem salvandi sunt, mensura temporis agitetur. Prognostica..., L Π, c. xix-xxni, P. L., t. xevi, coi. 483-486. 6. Hide le Vénérable. — bans les œuvres de cc doc­ teur, deux genres de textes sont ù relever. Les uns, empruntés aux œuvres exégétiques, font écho à ren­ seignement doctrinal des Pères précédents. D’autres, tirés de V Histoire ecclésiastique, s'attachent au récit de certains faits merveilleux, lesquels n’ont viaiscmblablcmcnt pas de fondement bien sérieux. Ccs récits, du moins, témoignent de l’état d’esprit des chroniqueurs concernant la notion du purgatoire. On peut d’ailleurs en dire autant des anecdotes dont saint Grégoire a émaillé ses Dialogues. Au point de vue doctrinal, Bède est un disciple de Grégoire. Dans le Commentaire sur les psaumes (œuvre d’authenticité douteuse), au ps. xxxvu, 1, on dis­ tingue ceux qui seront repris par Dieu dans sa fureur, c’est-à-dire ceux qui n’auront pas construit l'édifice de leur vie sur le Christ, ct ceux qui seront repris par Dieu dans sa colère, c'est-à-dire ceux qui auront bâti leur édifice sur le fondement du Christ, mais auront mêlé à l’or, le bois, la paille, le foin, c’est-à-dire auront commis des péchés véniels, plus ou moins considérables, Ceux-ci seront donc repris par Dieu dans sa colère, c’est-à-dire seront, avant le jugement dernier, placés dans le feu du purgatoire, afin que soit purifié tout ce qui en eux est impur. P. L., t. xcm, col. 680. Comme les auteurs précédents, Bède pense que les peines du pur­ gatoire sont plus graves que tout cc qu’on peut ima­ giner. Ibid., col. 681 B. Voir également Hist, eccl., I. III, c. xix, P. L., t. xcv, col. 117. Sur Ίο durée du purgatoire, Bède sait qu’après le Jugement dernier il n’y aura plus de purgatoire. Mais il estime que, si leur peine n’est pas abrégée par les prières, les aumônes et les suffrages des vivants, cer­ taines âmes resteront en purgatoire jusqu’à ce juge­ ment; de ce nombre sont en particulier les âmes qui n’ont fait pénitence qu’au moment de la mort. Horn., i, η. I, P. L., t. xciv, col. 30; cf. Hist, eccl., 1. V, c. xn, L . t. xcv, col. 250. Dans cc chapitre de son Histoire ecclésiastique, Bède rapporte la vision d’un chrétien mort, puis ressuscité, ù qui le purgatoire et l’enfer ont été montrés. Le purga­ toire renferme deux lieux différents. Dans l’un, à côté de tourbillons de flammes dévorantes, souillent en ouragans la neige ct les frimas : les âmes vont des flammes à la glace, sans trouver jamais de repos. Ccs âmes sont < les âmes de ceux qui, différant la confession de leurs fautes et remettant sans cesse leur amende­ ment, sc réfugient cependant dans la pénitence au moment môme de la mort ct quittent leurs corps en cet état. Ceux-là cependant, parce qu’ils se sont confessés ou tout au moins repentis à l’heure de la mort, par­ viendront tous au royaume des cicux au jour du juge­ ment. » L’autre lieu est un lieu agréable et fleuri. « Là sont rassemblées les âmes de ceux qui meurent ayant accompli de bonnes œuvres, mais qui cependant ne sont pas assez parfaits pour entrer immédiatement dans le royaume des deux. Tous cependant, au Jour du jugement, entreront dans la joie du royaume céleste et seront admis à la vision du Christ. Et tous ceux qui sont parfaits en toute parole, œuvre ou pensée, par­ viennent, aussitôt leur âme séparée du corps, au royaume céleste. » P. L., t. xcv, col. 250. On trouve là déjà comme un avant-goût des spécu­ lations théologiques postérieures sur l’inégalité des peines du purgatoire, intensité ct durée. 7. Du VH!' au xn· siècle.—Nous avons déjà indiqué les auteurs qui durant cc laps de temps, ont continué, 1228 sur les peines du purgatoire, renseignement tradition­ nel de l’Église latine. Voir Feu du l’unoAroiiu:, t. v, col. 2259. Il n’en est peut-être aucun qui ne s'appuie sur I Cor., m, 15, pour y trouver, soit directement, soit indirectement, mais le plus souvent directement, l’en­ seignement d’un feu purificateur dans l’autre vie. Pour un certain nombre même, c’est là tout leur ensei­ gnement : citons Kerni d’Auxerre, Hathier de Vérone, Burchard de Worms, Hupcrt de Deutz, Hlldcbert du Mans. Saint Bruno invoque également II Pet,, ni, 10-12, et Bruno de Segni, Mattii., xn, 31-32. ilildebert du Mans est vraisemblablement le premier qui ait em­ ployé l’expression : < le purgatoire ·. Scrm., lxxxv, P. L., t. ci.xxi, col. 711. Plusieurs ajoutent à celte idée centrale l'affirmation du soulagement des Ames souffrantes par les suffrages : ainsi saint Boniface de Mayence, Gérard de Cambrai. Si les autres auteurs sont un peu plus explicites, ils manquent en général d’originalité. Alcuin reconnaît que I Cor., ni, 15, se rapporte au feu du jugement; mais il pense qu’on peut y voir le feu du purgatoire. C’est ce feu qui séparera les justes des impies, les justes encore entachés de menus péchés. De plus les mérites divers des justes (auxquels répondent les multœ mansiones de l’Évangile) appellent divers degrés de purification. De fide SS. Trinitatis, LUI, c. xxi, P. L., t. ci, col. 53. Haban Maur, après avoir invoqué en faveur du pur­ gatoire le texte de Matth., m, 11, donne de I Cor., ni, 13-15, une interprétation plus complète. Bien qu’on puisse entendre cc feu du feu de la tribulation , on peut l’appliquer au feu du purgatoire qui fera la séparation des justes, comme l’insinue Luc., ni, 17. In Matth., 1. L c. ni, P. L., t. cvn, col. 773. Toutefois, dans son commentaire sur I Cor., ni, 15, l'auteur observe que le feu doit éprouver même les justes complètement inno­ cents. 11 y aura donc comme un double feu, le feu spi­ rituel qui touchera les parfaits dès cette vie, le feu de l’épreuve judiciaire dans l’autre : quos ignis spiritalis in pnrsenti temporum examinat, in /uturo judicio per ignem probabit. In I Cor., P. L·., t.cxii, coi. 36. Malsll ne faut pas s’abuser ct croire epic tout péché sera puri­ fié : il ne saurait être question ici que des péchés moindres. Ibid., col. 38 A. Et, plus complet qu’Isidore de Séville (auquel il semble avoir emprunté plus d’un Irait), l’archevêque de Mayence énumère un certain nombre de péchés pour lesquels aucune purification n’est à envisager en dehors de la pénitence de cette vie. Enfin le purgatoire sera de longue durée, longo tempore cruciandi. Col. 39 D. Tandis que les pécheurs non per purgatorium ignem transire merebuntur ad ullam, sed icterno incendio praecipitabuntur ad mortem. Id., ibid. Haymond d’Halberstadt est sur le purgatoire un des auteurs les plus complets du haut Moyen Age. Dans le De varietate librorum, il établit, par I Cor., ni, 15, l'exis­ tence du purgatoire, réservant aux péchés légers les expressions bois,foin, paille,qu'il oppose au fer,plomb, airain des péchés graves. C. i. P. L., t. cxviii, col. 933. L’or, l'argent, les pierres précieuses représentent les pensées que les Justes ont pour Dieu (cogitare quæ surit Dei); tandis que le bois, le foin, la paille, représentent les pensées qui s’attachent aux choses du monde. Le feu séparera les unes des autres. Mais, plus les justes auront donné d'affection aux biens périssables, plus tard aussi seront-ils sauvés ; quanto magis minusue bona pereuntia dilexerunt, tanto tardius ciliusque salvari... Mais les criminels ne doivent pas attendre le salut dans l’autre vie, à moins de s'être repentis ici-bas de leurs crimes ct d'en avoir obtenu rémission. Col. 931. Plus loin (c. v), traitant de la différence des peines, il insis­ tera sur une idée analogue: tanto illis minus vel majus ignis purgatorii extendetur supplicium, quanto hic minus vel amplius bona transitoria dilexerunt. Col. 935. 1229 PURGATOIRE. LES SUFFRAGES POUR LES MORTS (OCCIDENT, 1230 Donc Inégalité des peines. Le c. v oppose les peines regionibus, ajoute à la notion du purgatoire, crucifiant purificatrices do la vie présente aux peines purifica­ lésâmes qui y attendent la résurrection, l'idée de peines trices de la vie future. Les uns expient dès maintenant, diverses, prius cruciandi aut calore ignis, aut rigore /riles autres expieront après la mort. Col. 935. Haymond garis, aut alieujus gravitate doloris. L'hypothèse très réfute ensuite l'opinion, si courante au iv* siècle, qu'il hasardée du froid, juxtaposée â la conception de la suffit d'avoir le fondement de la foi pour être purifié peine du feu, montre bien que la peine du feu n'est pas par le feu : contra eos qui per /idem solam abaque bonis 1 considérée encore comme une vérité absolument cer­ operibus per ignem purgatorium salui esse creduntur. La taine. Bernard ajoute que nous pouvons ct devons sou­ foi seule ne suflil pas : ce serait faire mentir saint lager les âmes souffrantes : les damnés ne méritent pas Jacques, et saint Paul lui-même, qui énumère les d’être rachetés, les élus du ciel n’ont pas besoin de œuvres qui méritent l’enfer (cf. I Cor., vi, 9-10), y con­ rédemption; restat ut ad medios transeamus per com­ tredirait. Col. 935-936. Parmi les justes, certains Iront passionem, quibus /uncti /uimus per humanitatem. immédiatement au ciel à leur mort, d’autres passeront Coi. 663 1). Et il conclut : Surgam in adjutorium illis, par le purgatoire. Col. 936 C. Les c. νπ-ιχ, font valoir interpellabo gemitibus, implorabo suspiriis, orationibus la puissance de l'intercession tic l’Église en faveur des intercedam, satis/aciam sacrificio singulari. Coi. 661 A. âmes soutirantes, par la prière, les aumônes, l'offrande Enfin, dans le In Cantica, serm. lxvi, n. 11, saint Ber­ du saint sacrifice de la messe : l’auteur s’appuie sur nard réfute « ceux qui n'admettent pas le purgatoire », saint Grégoire. Col. 937. Enfin, après avoir rappelé que ct contre eux il en appelle à Matth., xn, 32. Col. 1100. la crainte â l’heure de la mort pouvait, pour certaines «Ceux-là » sont les « albanais » ct les « apostoliques », âmes peu coupables, cire un moyen de purification, voir ccs mots, t. i, col. 658; 1631. Haymond conclut que le purgatoire aura lieu avant le Conclusion. — Partie des mêmes perspectives que la jugement. Col. 913. Du même écrivain on trouve en­ tradition orientale, la tradition latine s’est engagée, core quelques lignes sur le purgatoire dans son Com­ sous l’influence du génie de saint Augustin, dans une mentaire sur Isaïe, 1. II!, c. lxvi, P. L., t. cxvi, voie nouvelle, plus précise et plus logique que la posi­ col. 1081. tion adoptée par les Pères grecs. Tandis que ceux-ci, en On pourrait citer également divers ouvrages d’ima­ cc qui concerne la peine positive, purificatrice des gination où les auteurs font du purgatoire ct de l’efll· péchés, dans l’autre vie, s’en tiennent plus ou moins a cacité des suffrages en faveur des âmes souffrantes un la conception archaïque du feu du jugement, les Pères tableau qui a du moins la valeur de témoignage histo­ latins se sont aperçus des difficultés théologiques inhé­ rique par rapport à la croyance fondamentale de rentes à cette conception. Reléguer la peine purifica­ l’Eglise. Ainsi le Liber de visione et obitu Wctini mona­ trice au moment de la parousie, c’est s’obliger pour chi. d’Hetton, ancien évêque de Bâle, P. L., t cv, ainsi dire ù maintenir, pour les âmes séparées de leurs col. 771 sq.; et plus tard, le curieux Tractatus de Pur­ corps, cet état d’attente mal défini qui, dan* la gatorio sancti Patricii, Hibernorum apostoli, P. L., logique du système, ne peut prendre (ln qu’au jour du t. ci xxx. coi. 977 sq. jugement général. Situation difficilement conciliable Paschase Ixadberl appuie le dogme du purgatoire sur avec le sentiment tic l’Eglise touchant la rétribution Matth., m, 11. Bien que le Saint-Esprit soit feu, on dit immédiate réservée aux martyrs el aux grands saints. ici que le baptême se fera dans l’Esprit-Saint et par le Augustin en est donc arrivé â concevoir la peine puri­ ficatrice comme infligée entre la mort et le jugement feu. Mais de quel feu s’agit-il? S’il faut l'entendre du purgatoire, la purification apportée par ce baptême ne dernier, mais il hésitait encore â considérer celte peine pourra sc produire que sur les péchés légers, comme comme Infligée par l’instrument du feu. Au jugement l’exige ! Cor., m, 15. Mais Paschase Radbert admet un dernier le feu de la conflagration générale se présentait naturellement à l’esprit comme instrument de purifi­ autre feu, le feu du divin amour, qui est allumé nu saint autel par l’eucharistie et doit dévorer tous les cation. Avant le jugement on pouvait sc demander quel feu serait cet instrument. Les hésitations d'Augustin fidèles. In Matth., 1. I I.c. in, P. L., t. exx, col. 165-166. Pierre Damien à deux siècles de distance, parle inci­ ne sc retrouvent plus chez ses successeurs cl disciples : une transposition fut bien vite faite, et le < feu du purdemment du purgatoire dans deux sermons (lviii cl i.ix). La seule note spéciale qu’il donne ù son enseigne­ i gatoirc » proposé comme instrument de purification, au lieu ct place du feu de la fin du monde. El c’est tou­ ment, c’est — et tant d’autres l’avaient déjà fait avant lui — «l’insister sur la nécessité de n’admettre à la puri­ jours à I Cor., m, 15, que les auteurs se réfèrent pour justifier leur théorie par ΓEcriture sainte. fication du feu que ’es péchés légers. Les crimes sont On ne saurait voir dans cette référence commune destinés à l’enfer. P. L , t. cxliv, col. 831 A. 837-838. une interprétation dogmatique du texte. Les Pères ont La nature des peines du purgatoire inspire ù Mono· rius d'Autun des suggestions assez hasardées : post trop varié entre eux sur cc point au cours des siècles; mortem vero purgatio erit aut nimius calor ignis, aut ils ont même trop hésité sur le sens à donner à ce pas­ magnus rigor /rigoris, aut aliud quodlibet genus poena· sage, ct surtout ils n’ont jamais laissé entendre qu’ils prétendaient donner la pensée du magistère. D’où il rum. Hlucidarium. I. HI, n. 3, P. L., I. clxxii, suit qu’autant leur doctrine sur l’existence d’une peine coi. 1158 I). L’auteur veut de toute évidence établir un parallélisme entre les pénalités du purgatoire el celles ultra-terrestre, purificatrice des fautes légères ou des que certains auteurs contemporains et lui même restes du péché, doit être tenue comme l’expression (col. 1159 D) entrevoyaient en enfer, interprétant de authentique d’une croyance officielle de l’Église. au­ l'enfer Job, x.xiv, 19. Voir Enfer, t. v, col. 108. Hono­ tant leurs explicalionssur la nature de celte peine — le rius reste davantage dans la note traditionnelle en feu devra être considérée comme une simple opinion aflirmant que la plus petite peine du purgatoire est n’engageant pas l’enseignement de l’Église elle-même. supérieure au plus grand mal qu’on puisse concevoir C’est ce que plus lard, conscient des exigences de la sur terre. Ibid., col. 1158 D. vérité, le concile de 1 lorence saura reconnaître. Les derniers textes patristiques Λ signaler sont de 11. LA DOCTRINE DES SCFERAGES I*QVK LES MORTS saint Hcrnard. Nous en avons relevé cinq. Sermo in DANS L'ÉGLISE LATINE. — Dans l’Église latine, obitu Domni llumbcrli, n. 8. P. L., t. ci.xxxiii, comme dans les Eglises orientales, aucune hésitation col 518 BC; Serm., xvi. De diversis, n. 5, col. 571 D; sur l’utilité des suffrages des vivants offerts pour le xxxvm. De diversis, n. 6, col. 619 B. Cc sont de simples soulagement des âmes des défunts. Pour ne pas multi­ allusions au feu par lequel il faudra passer afin que soit plier sans nécessité les textes — aucune controverse éprouvée l’œuvre de chacun. Le serm. xlii. De quinque n’étant ici possible nous nous contenterons de l’es- 1231 PURGATOIRE. LES SUEE RAGES POUR LES MORTS (OCCIDENT) sentie!, en interrogeant successivement les Pères, les conciles, la liturgie, l’éplgraphte. 1° Zzs Pères. — I. Avant saint Augustin. — Nous avons signalé la célèbre Passion de Perpétue, qui nous montre In martyre implorant Dieu en faveur de Pâme de son petit frère Dinocratc et lui obtenant de passer du lieu de misère où il était retenu dans un lieu de rafraîchissement, de rassasiement et de joie. Passio S. Perpetuic, vii-vhî, éd. Arm. Robinson, dans Texts and studies, t. r, fasc. 2. p. 72; cf. P. /.., t. in, col. 31. Ce texte nous reporte à Carthage el c'est aussi dans l’Église d’Afrique que l'on trouve les premiers témoi­ gnages explicites sur l’efficacité des suffrages pour les défunts. Tertullien écrit, à propos d’un défunt, que, dans l'intervalle écoulé entre sa mort et sa sépulture,il fut accompagné de la prière du prêtre : cum in pace dorrnisset et morante adhuc sepultura, inierim oratione presbyter i componeretur. De anima, c. ι.ι, P. /.., 1866, t. n, co|. 782 B. On ne sait si celte prière du prêtre est déjà un acte liturgique, mais du moins on sait que déjà Pon priait pour les morts. Dans le De exhortatione castitatis, Tertullien tire argument, contre les secondes noces, de l’embarras où se trouverait un veuf remarié el tenu par l’usage à faire les prières et les oblations annuelles pour l'âme de sa femme défunte. C. xi, P.L., t. n, col. 975 C. Même embarras pour la veuve rema­ riée, qui « pour Pâme de son mari (défunt) prie el demande pour lui le rafraîchissement cl la réunion dans la première résurrection, el fait des offrandes au jour anniversaire de sa mort >. De monogamia, c. x, Λ L·., t. n, col. 992 C. C’est encore à Tertullien qu’on doit le renseignement relatif à la coutume d’offrir l’eucharis­ tie pour les défunts le jour de leur enterrement ct le jour anniversaire de leur mort. De corona, c. ni, P. L., i. ff, col. 99 A. Saint Cypricn relate que les évêques scs prédéces­ seurs ont porté une loi interdisant à un mourant de constituer un clerc son exécuteur testamentaire, ac si quis hoc fecisset, non offerretur pro eo, nec sacrificium pro dormitione efus celebraretur; neque enim apud altare Dei meretur nominari in sacerdotum prece, qui ab altari sacerdotes et ministros voluit avocare. Epist., î, n. 2, Hartcl, p. 166. Ce texte nous apprend deux faits inté­ ressants. Tout d’abord que l'habit udc d'offrir le sacri­ fice eucharistique pour les défunts était une tradition reçue â l’époque de Cypricn dans l’Église de Carthage; ensuite qu’être nommé au .Memento de la liturgie était un privilège hautement apprécié. La discipline qui pri­ vait de celte faveur certains coupables était déjà une arme redoutable entre les mains des évêques. Les anni­ versaires des martyrs étaient également commémorés par l'offrande du sacrifice eucharistique, mais avec une intention toute différente, comme il ressort des expres­ sions différentes de Cypricn. qui ne donne pas à enten­ dre que les martyrs puissent avoir besoin des prières des vivants. Epist, xn, n. 2, Hartcl, p. 503; xxxix, n. 3, p. 583. Au contraire, les vivants peuvent avec raison se recommander aux prières des trépassés. De habitu virginum, η. 21; Epist. lx, η. 5, Hartcl, p. 205 et t 95. Arnobe. aux environs de 300, présente un curieux témoignage. Il proteste contre la destruction des églises parce qu’on y prie pour les vivants et pour les morts : Cur immaniter conventicula dirui? in quibus summus oratur Deus, pax cunctis ct venia postulatur..., adhuc vitam degentibus et resolutis corporum vinctione. Adv. Sationes, L IV, c. xxxvi, P. L., t. v, coi. 1076. Au iv siècle les témoignages de saint Ambroise cl de saint Jérome sont â recueillir. Le premier, écrivant a un ami qui pleure la mort de sa sœur, fait celle recommandation ; Il ne faut pas tant la pleurer que l'assister de vos prières; ne l’attristez pas par vos larmes, mats recommandez plutôt son âme à Dieu par de* oblations. · Epist., χχχιχ, η. I; voir aussi, dans le 1232 même sens, De obitu Valentiniani, π. 56, 78, P. h., t. xvi, col. 1116 B, 1136. 1112 C. Dans l’oraison funèbre de l'empereur Théodosc, saint Ambroise rap­ pelle la coutume des Églises de consacrer certains jour* à la prière pour les morts, en certaines Églises, le troi­ sième et le trentième; en d’autres, le septième el le quarantième. N. 3, col. I 118 B. Plus loin il s’adresse a Dieu en ces termes : < Accorde, Seigneur, le repos a ton serviteur Théodose, cc repos que tu as préparé à tes saints... Je l’aimais, c’est pourquoi je veux l’accompa­ gner au séjour de la vie; je ne le quitterai pas tant que, par mes prières cl mes lamentations, il ne sera pas reçu là-haut, sur la montagne sainte du Seigneur, où ceux qu’il a perdus l’appellent. » De obitu Theodosii, η. 36,37, P. L·.. t. xm. col. 1 160 AB. Jérôme, lui, dans sa lettre à Pammachius pour le consoler de la mort de sa femme, fait l’éloge de sa con­ duite. « D’autres, dit-il, répandent sur les tombeaux de leurs épouses des bouquets de violettes, de roses, de lis, de Heurs empourprées! et c’est là toute leur conso­ lation. Notre cher Pammachius verse le parfum de l’aumône sur une cendre sanctifiée, sur des ossements vénérables. Oui, voilà les aromates qu’il répand en leur honneur, sc souvenant,qu’il est écrit : « Comme l’eau éteint le feu, ainsi l’aumône efface le péché. » (Eccll., in, 33). · EplsL, lxvi, n. 5, P. L., t. xxn, col. 612. 2. Saint Augustin. — Ce maître si ferme dans son enseignement sur l’existence de peines purificatrices dans l’autre vie, est tout aussi affirmatif sur le secours apporté aux défunts par nos prières, nos aumônes, nos offrandes du saint sacrifice. · Nul doute, dit-il, que les prières de la sainte Eglise et le sacrifice salutaire et les aumônes des fidèles n’aident les défunts à être traités plus doucement que leurs péchés ne mériteraient. En effet, ce que nous avons appris de nos Pères (c’est-àdire le Christ a probablement délivré guise de préface à l’élude des textes conciliaires, les toutes les âmes du purgatoire. Col. 828. divergences créées par l’enseignement des théologiens. 3. Nous ne trouvons qu’une allusion en passant chez Nous examinerons donc successivement : 1° i/enseilllchurd de Saint-Victor, Pierre le Chantre, Alain de giiemenl des théologiens latins de la tin de l’époque Lille. Voir I eu du purgatoire, col. 2259. Mais, chez patriotique au xiv· siècle; 2® renseignement des théo­ maître Bandin (qui résume Pierre Lombard), nous logiens byzantins de la fin de l’âge palrislique nu retrouvons la formule de la quadruple division des IP concile de Lyon; 3° la doctrine du purgatoire au âmes après la mort (formule qui s’inspire de saint Au­ IP concile de Lyon (1271); -1° la doctrine du purga­ gustin. Enchir., c. ex) : les oalde boni, les mediocriter toire .m concile de Florence ι î 139)· boni, les mediocriter mali, les valde mali. Les suffrages /. //A’.V^A7<7.VAJrr.Vr PA'S THÉOLOGIENS LATINS l>E no sauraient profiter aux valde mali et peut-être pas LA UN DS L'ÈFOME PATRIOTIQUE AU Λ/P· SIÈCLE. — aux mediocriter mali. C’est la position d’Hugues de 1° Avant les sententiaires. — C’est l’influence de saint Saint-Victor, P. L., t. cxcn. col. 1110-1111. 1239 PURGATOIRE. LES SENTENTIA I R ES I. Avec Pierre Lombard nous arrivons aux formules qui ont servi dc thème aux variations des théologiens sur le purgatoire. Dlst. XXL Le Maître des Sentences se demande tout d’abord si certains péchés sont remis après cette vie. Et. invoquant Matlh.,.xn, 32. et I Cor., m. 15, il rappelle l'interprétation encore hésitante de saint Augustin sur ce dernier texte (De en». Dei, 1. XXI, c. xxvi, η. f; voir ci-dessus, col. 1222) ct conclut que le texte dc l’épttrc aux Corinthiens · insinue ouverte­ ment que ceux qui édifient Je bois, etc., emportent avec eux des constructions combustibles, c’est-à-dire des péchés véniels, lesquels devront être consumés dans le feu purificateur ». Il y a donc des péchés remis après cette vie. La peine du purgatoire ne sera pas égale pour tous. Le texte de saint Paul l'indique egalement. Les péchés véniels sont représentés par le bois, le foin, la peille. Mais le bois, cc sont des péchés plus sérieux; le foin, des péchés moins importants; enfin la paille, des fautes minimes. D’où il suit que, selon l’importance i des fautes, les âmes seront délivrées les unes plus vite, les autres moins rapidement. Parallèlement, l’or, l’ar­ gent. les pierres précieuses, ont des significations dif­ férentes : l’or, c’est la contemplation divine; l’argent, c'est l'amour du prochain; les pierres précieuses, cc sont les bonnes œuvres en général. C’est là l’interprétation de ki Glose ordinaire, qui s’inspire de saint Augustin, Enchir., c. ι.χνιπ. I ne dernière question se pose à Pierre Lombard : le bois ■ qui sera consumé par le feu doit-il être entendu du péché hd-même ou de la peine duc au péché? Pierre opine que c’est du péché lui-même qu’il faut l’entendre, car on peut être surpris par la mort sans avoir eu le temps de sc repentir du péché véniel. La question du purgatoire appelle nécessairement celle des sullrages pour les défunts. Pierre Lombard l’aborde dans la (list. XLV. Après l'énumération des réceptacles dans lesquels sont accueillies les âmes avant le jugement, le Mailre des Sentences expose, c. n. le problème théologique des suffrages. Le texte de ΓΕ71chiridion sur les différentes catégories dc défunts lui sert de thème. Voir col. 1221. Et il en tire une leçon tou­ chant quatre catégories de défunts : les valde boni, les mediocriter boni, les mediocriter mali, les valde mati, .Mediocriter malis suffragantur ad panic mitigationem; mediocriter bonis ad plenam absolutionem. On sait qu'au Moyen Age nombre de théologiens ont admis une cer­ taine mitigation des peines pour des damnés moins cou­ pables. Voir Mitigation, t. x, col. 2000. Mais, à coup sûr, les mediocriter boni sont les âmes du purgatoire auxquelles nos suffrages apportent soulagement et entière délivrance. Dans quelle mesure nos suffrages sont-ils appliqués? Les prières des obsèques sont-elles utiles? Autant de questions proposées par Pierre Lom­ bard et auxquelles les commentateurs apporteront leurs solutions. 2° Les sententiaires. — Les sententiaires étudient n la suite dc Pierre Lombard la question de la purifica­ tion des péchés dans l’autre vie et celle des suffrages. I. La purification des péchtfs dans l'autre vie. - Con­ formément â l’ordre observé par Pierre Lombard, la question dc la rémission des péchés véniels vient en premier lieu. Alexandre de Halès sc demande si les péché' véniels sont remis au purgatoire quant à la coutpe. Summa, part. IV, q. xiv, membr. m. a. 3, § 5. La réponse est négative, le libre arbitre, après la mort, étant Immobile, et le mérite impossible. C’est donc sim­ plement la peine qui est remise au purgatoire. La coulpe est remise a l’instant même de la mort, par la grâce dc In persévérance finale. Même opinion chez \lbcrt le Grand, In IV·* Sent., disl XX La. 1, cl, plus tard, chez Major, ibuL, q. m. Chez saint Thomas, une é volution s’accuse dans la pensée. Au début, en confor­ 1210 mité avec Pierre Lombard, il enseigne que « dans l’autre vie, le péché véniel est remis (quant à la coulpe même) par le feu du purgatoire à celui qui meurt en état de grâce, parce que cette peine, étant d’une cer­ taine manière volontaire, a la vertu d’expier toute faute compatible avec la grâce sanctifiante ». In I \ ■■ Sent., disl. XXL q. r, a. I, qu. 1. Mais plus tard saint Thomas modifie sa pensée : le péché véniel n’existe plus au purgatoire quant â la coulpe; sitôt l’âme Juste affranchie des I iens du corps, un acte de charité parfaite efface sa faute, dont il ne restera que la peine â expier, l’ihne étant dans un état où il lui est impossible de méri­ ter une diminution ou une remise de cet te peine. Demalo, q. vu. a. 11. L’opinion de saint Thomas a conquis «le nombreux suffrages chez les sentent iaires : Kichard de Médiavilla, Pierre de la Pahi, Durand dc Saint Pourçain ct même des nominalistes comme Al main l’ont accueillie dans leurs commentaires sur la dist. XXL Avec saint Bonaventure, nous trouvons une opinion moyenne. L’art. 1. q. i,de la dist. XX I pose comme base de raisonnement que le péché véniel ne saurait être remis sans la grâce sanctifiante ». Dans l’art. 2, q. i, Bonaventure reprend l’opinion de Pierre Lombard; après cette vie, le feu purifie l’âme non seulement «le la peine, mais de la coulpe du péché véniel : les âmes souf­ frantes sont en étal de grâce,el, pour produire son effet de purification, la charité est aidée, au purgatoire, par la souffrance. Denys le Chartreux a repris celte solu­ tion, ibid., q. i, ainsi que plus tard Dominique Soto, dist. XV, q. π, a. 2. Sur la doctrine en général dc saint Bonaventure, on consultera avec profil Tho­ mas Gerster de Zeil. Purgatorium juxta doctrinam scraphici doctoris S. IJonavcnturic, Turin, 1932 Contrairement à l’opinion émise en dernier lieu par saint Thomas, Duns Scot revient à l’idée d’une faute remise postérieurement â l’accomplissement dc la peine. In I V°» Sent., disl. XXI,q.i. Toutefois, dans les Depor­ tata Paris., il semble beaucoup se rapprocher du Doc­ teur angélique. Voir Duns Scot, t. iv, col. 1932. Quel sentiment animera donc l’âme souffrante rela­ tivement à ses péchés? Pas de contrition véritable, telle qu'on la trouve dans la pénitence sacramentelle ou dans Pacte méritoire dc pénitence; le regret du péché équlvout chez l’âme du purgatoire au désir d’être déli­ vrée : unimie purgatorii sacramcntaliler vel meritorie conteri nequeunt, sed tantum solutorie, ideoque ob repu­ gnantiam sui status. Alexandre de Halés, op. cit., q. xvn, membr. n, a. 2. § 3. Albert le Grand rappelle, lui aussi, cette incapacité des âmes souffrantes. Leurs peines ne sont volontaires «pic secundum quid. La peine volontaire, en effet, est celle que la volonté librement recherche el s’impose. Or les âmes subissent leur peine parce que cette peine leur permet d’arriver au ciel. C’est la différence qui existe entre la satisfaction de la vie présente el la satispassion du purgatoire. A. 7. Saint Thomas dira pareillement que les âmes soutirent d’une volonté condit ionnée, en tant qu’elles savent «pic leurs souffrances les conduiront au ciel. Loc. cit., qu. I. Bonaventure admet pareillement (pie la peine du pur­ gatoire n’est qu'à demi volontaire : la volonté la subit, la tolère, mais tout en désirant sa cessation; elle n est pas méritoire. Ibid., q. iv. Cette constatation amène les deux grandi théolo­ giens à déclarer, eux aussi, «pie la moindre peine du pur­ gatoire est supérieure à la plus grande souffrance d’icibas. Mais, alors que saint Thomas se contente de reproduire l’assertion telle que nous l’avons déjà ren­ contrée chez maint auteur, Bonaventure lui adjoint une explication opportune : Dans l’autre vie, en rai­ son dc l’état des âmes, la peine purificatrice sera, en son «eniik, plus grave que la plus forte épreuve d’icibas. En ajoutant ■ dans son genre ·, Bonaventure éta­ blit une proportion qui dissipe les malentendus pos- 1241 PU RG ΑΤΟ I HE. EES SENTE ΜΊΛΙ RES siblvs : pour le même péché, la plus petite peine du purgatoire sera supérieure à la plus grave punition terrestre correspondante. S. Thomas, loc. cil., a. 1, qu. 3; S. Bonaventure, loc. cil., q. iv; cf. dist. XX, part. I, a. 1, q. 11. La plupart des autres autcurssuivent saint Thomas : voir surtout Kichard dc Médiavilla, dist. XX, n. 2, q. il ; Pierre de la Palu. dist. XXI, q. i, a. 1, concl. iv. Mais, si grande que soit leur peine, les âmes ne se croient pas damnées et elles n’ignorent pas qu’elles sont en purgatoire. Saint Thomas, id., qu. 4. Leur état est tel qu'elles possèdent une certitude de leur salut, plus grande que celle qu’elles avaient sur terre, moins grande que celle qu’elles auront au ciel. Cette doct rinc est commune â tous les docteurs dans leur commentaire soit à la dist. XXI, soit à la dist. XLV. Ce sont ccs peines qu'on appelle d'un nom qui les englobe toutes : le « purgatoire ». L’existence dc ces peines purificatrices est démontrée par un double argu­ ment. l out d’abord, la raison théologique : A la mort, certaines âmes sont assez parfaites pour aller directe­ ment au ciel; les damnés iront en enfer; mais cer­ tains pécheurs, qui ne méritent pas l’enfer ct ne peuvent cependant pas entrer immédiatement au ciel, passeront par l’épreuve du purgatoire. S. Thomas, dist. XXI, q. i, a. 1, qu. 1; Cont. gent., 1. IV, c. xct; cf. Opusc. Declaratio quorumdam articulorum, c. ιχ; Contra Armenos, Grœcos cl Saracenos; S. Bonaventure, dist. XX, a. 1, q. n. Ensuite, la révélation. Sans s'attarder à Sap., v, 25; Is., xxxv, 8; Apoc., xxi, 27 (Declaratio...), tous nos théologiens sans exception font état de 1 Cor., m, 11-15. L’exégèse de I Cor., m, 11-13, reflète chez tous l influence de Césalre d’Arles. Tous interprètent unanime­ ment des péchés véniels le « bois », la « paille », le * foin ». Certains, comme Albert le Grand ct saint Thomas, donnent même un sens différent à chacun de ccs symboles : le bois, ce sont les péchés véniels plus important s; le foin, ce sont les péchés véniels moindres; la paille, les péchés véniels minimes. L’or, l’argent, les pierres précieuses, ce sont les œuvres qui reflètent les pensées de Dieu; le bois.le foin, la paille, les œuvres qui reflètent les pensées du monde. Alexandre de I kdès, op. cit., q. xv. membr. iii.nrf. 1-3; S. Albert le Grand. loc. cit.. a. 2; S. Thomas, Cont. gent., toc. cit.; dist. XXI, q. i.a.2, qu. 2; In epist. / ad Cor., m, led.2. Pour Alexandre de I lalès. le fondement est I;» foi seule, bien qu’il faille considérer que cette foi doit entraîner la charité. Ibid., a. 2. Albert le Grand fait observer qu’on n édifie pas des péchés, même véniels, sur la foi; ils sont donc commis concomitamment avec la pré­ sence dc la foi dans l’âme. A. 3. D’après le texte de saint Paul, ccs péchés véniels seront donc pmi liés quasi per ignem. D’où nos théolo­ giens enseignent unanimement que la peine positive du sens sera, au purgatoire, par le feu : feu matériel et corporel, (’.eux qui ne professent pascet enseignement ù leur commentaire de la disl. XXL ainsi que le font saint Thomas et saint Bonaventure, s’v rallient dans leur commentaire de la dist. XLI\ (Scot. Gabriel Biel. Durand de Saint-Pourçain. Kichard. Pierre de Tarvrttaise. etc.), où l’on étudie plus spécialement l'action du feu sur les âmes. Voir ici 1T t ni i.'rxn n. col. 22302231. Alexandre dc 1lalès va même jusqu’à écrire : Quidquid in hoc opinando dixerit beatus Augustinus, omnes reliqui Ecclesia dodores ignem purgatorium ma· tenaient esse aperte conclamant. Q. xv. membr. m, a. I. q. ι-n. Assertion qui, si Ton sentient â la consi­ dération superficielle des conceptions archaïques du feu du jugement, pourrait être à la rigueur considérée comme matériellement exacte. Mais le mérite de saint \uguslin a été précisément dc dégager les différents aspects des perspectives cschatologiques. ce qui logi­ quement devait l’amener â émettre quelques doutes sur k 1242 la matérialité du feu purificateur. Les éditeurs dc Quaracchi ont même cru pouvoir ajouter au texte de saint Bonaventure la remarque suivante: Purgationem ani­ marum post hanc vitam fieri per ignem, qui niamen exclu­ dantur alise panse, negant Græct, affirmant nunc Latini, quorum sententia gravissimis auctoritatibus confirma­ tur, nondum autem ab Ecclesia definita esi; nec constat quod omnes purgandi illam poenam sensus patientur. Ad dist. XXί, a. 1, q. n. Il est difficile, après le concile de Florence (voir plus loin), dc présenter sous cc jour la doctrine du feu matériel. Voir Feu du purgatoire, coL 2260. Tous les sententiaircs admettent qu’à l’instar des châtiments dc l’enfer, les peines du purgatoire com­ prendront, outre la peine du feu, la peine du dam. Être empêché d’entrer dans le bonheur du ciel, voilà, certes, pour les âmes du purgatoire une véritable peine, qu’on peut comparer à celle du dam. Voir les commentateurs des dist. XX ct XXI, parmi lesquels, outre saint Tho­ mas et saint Bonaventure, il faut citer Pierre de la Palu, Kichard de Médiavilla ct, au L III, dist. XXII, q. iv. Durand de Saint-Pourçain. La plupart de ccs auteurs admettent même que ccttc peine du < dam »est la principale peine du purgatoire; qu’en toute hypo­ I thèse elle sc fait sentir d’une façon cruelle aux plus saintes âmes, qui. mieux que les autres, comprennent de quel bien elles demeurent privées. Saint Bonaven­ i ture toutefois fait remarquer qu'en raison des certi­ t tudes et des espérances du salut cette peine chez les , saintes âmes ne saurait être considérable. In IV·* Sent., dist. XX. a. 1. q. ü. | Enfin, alors que tous les théologiens entendent du jugement le dies Domini, saint Thomas en étend la I signification â tout jugement de Dieu, ct Duns Scot enseigne que ce · jour du Seigneur · est la tribulation ! dc la vie présente, mais qu'on peut le rapporter au i jugement particulier. Saint Thomas, In epist. I ad Cor., c. m, lect. 2, éd. de Parme, t. xtn. p. 179: Scot, In IV·* Sent.. dl$L XXL q. t. Deux points dogmatiques très importants com­ I plètent cet enseignement sur le purgatoire. Tout d'abord, le purgatoire sera plus ou moins sévère et long selon le nombre et la gravité des péchés a expier, \lexandrc de I lalès, op. cit., a. 4.§3; S. Ί bornas. In IV·* Sent., dist. XXL q. r. a. 3. qu. 3. Mais saint Thomas ajout»' une considération spéciale : il est certain que l’un sera délivré plutôt que l’autre du purgatoire, selon le degré d'affection qu’il a eu au péché véniel. Mais précisément, si le péché véniel est moindre et 1 affection plus accentuée, il est possible qu’une âme demeure plus longtemps au purgatoire, tout en souffrant moins. Ensuite tous nos théologiens sont unanimes ù décla­ rer qu’aussitôl purifiée l’âme entrera en possession du bonheur céleste, \lbert le Grand en conclut que c’est une erreur d’enseigner, comme le font les Grecs, que personne n’entrera au ciel qu’aprèsle jugement dernier. Lac. cil., a. 10. Saint Thomas n’héMtepas à quali tier d’/ic résic la doctrine de la dilation des récompenses. Suppl., q. i xix, a. 2. On sait qm . sur ce point, le dogme ne fut défini qu’en 1336 par Benoit XII. Voir t. il. col. 657. A celte synthèse, il convient d’ajouter quelques trails accessoires. Le lieu du purgatoire semble inquié­ ter beaucoup les théologiens sententiaircs. Dans sa doc­ trine des réceptacles des âmes après la mort, Pierre Lombard avait posé les bases de la discussion. Tous situent le purgatoire vers le centre de la terre, à proxi­ mité de l’enfer, soit après, soit avant les limbes. S. Thomas. In IV·* Sent., (list. XXI, q. i, a. 1, qu. 2; S. Bonaventure, q. vi; Kichard de Médiavilla, a. 1. q. m; Pierre de la Palu. q. m; disl. XLV, q. i. a. 1; Durand de Saint-Pourçain, In III·* Sent, (list XXII, q. iv, etc. Est-ce un compartiment de l’enfer? Kien de certain â cet égard. Mais, d’après les révélations faites 1243 PURGATOIRE. LES THÉOLOGIENS GRECS Λ certains personnages, surtout celles que rapporte Bède (voir col. 1227), il est probable qu'il y a deux lieux du purgatoire : l’un, selon la loi commune, est contigu à l’enfer; l'autre, pour les cas exceptionnels, est réservé aux âmes dont Dieu permet les apparitions pour don­ ner des leçons aux vivants ou demander des prières. Il est improbable toutefois que les âmes soient là ou elles ont commis le péché : sur cc point saint Thomas et les sentent iairescontredisent I lugucs de Saint-Victor. Voir col. 1238. Λ quelle distance de l’enfer seront ces lieux exceptionnels? Saint Bonaventure affirme que ce peut être en des lieux moyens, jamais en des lieux supé­ rieurs, La théologie sera longue à sc dégager de ces spéculations assez puériles. Sans doute le feu sera l’instrument de la purification, mais Dieu sc servira-t-il également des démons pour faire souffrir les âmes? Saint Thomas et saint Bona­ venture répondent négativement. S. Thomas, ibid., a. 2, qu. 3; S. Bonaventure, ibid., q. v. Pour ce der­ nier, les âmes sont conduites au purgatoire et au ciel par leurs bons anges, id., ibid. Albert le Grand avait clé hésitant sur ce point, tout en penchant pour la né­ gative. Dist. XXL a. 9. Les théologiens postérieurs suivent l’opinion de saint Thomas. Il est assez difficile de dégager d’une manière bien nette ce que les théologiens du xnr et du xiv* siècle considèrent comme relevant dc la foi catholique, et ce qu’ils proposent comme simple opinion expliquant le dogme. L'existence du purgatoire, c’est-â-dire de peines purificatrices après cette vie, parait bien, dans leur esprit, appartenir au dogme lui-même, puisqu'ils > appuient celte doctrine sur la nécessité d’une satisfac­ tion donnée â Dieu pour le péché véniel ou pour la peine due au péché pardonné. Le caractère temporaire du purgatoire, la libération des âmes, aussitôt leur expiation terminée, voilà deux autres vérités sur les­ quelles il ne paraît pas y avoir la moindre hésitation. L'existence d’un feu réel au purgatoire est proclamée, par Alexandre de Halés, une vérité certaine appuyée sur le témoignage de tous les docteurs, sauf Augustin. La restriction que le théologien franciscain est obligé d'apporter â son affirmation est déjà pnr elle-même significative. Les autres théologiens sc contentent d'affirmer le feu réel ou corporel, mais il semble bien que leur conviction intime soit celle échés légers rt minimes sont purifiés; s’ils n’ont pas été remis nu cours de l’rxislenre. ils chargent l’âme après la mort. 1249 PUHGATOIRE. LE II” CONCILE DE LYON 1) ne s'ngit pas ici sans doute d'un document ponti­ fical ex catlu dru. Mais il était intéressant dc citer intégnilcment cc texte d'Innocent IV parce qu'il montre clairement que le pape ne voyait, entre l'affirmation des Latins ct la position des Grecs, qu'une différence verbale. 3. Sous Clément JV. — Les pourparlers étaient en­ gagés entre l’autorité romaine ct l'empereur Michel Paléologuc et déjà la profession dt foi qui devait être sanctionnée a Lyon était préparée ct proposée à l’em­ pereur. Voir Lyon (//c concile creuménique), col. 1382. Mais la mort du pape empêcha la réalisation immédiate de l’union. Pendant le long interrègne pontifical, les cardinaux chargèrent leur collègue Rodolphe Grospanni, évêque d’Albano, dc régler l'afTairo de l'union si la chose était possible, mais toujours avec le texte préparé par Clément IV (1270). 2° La profession de foi des Grecs au concile de Lyon. — La profession de fol préparée par Clément IV fut admise sans discussion. Nous n’en reproduisons ici que la partie concernant les · erreurs · des Grecs sur l'es­ chatologie. Voir le texte latin, t. ix, col. 1385. Mais, à cause de diverses erreurs que certains ont intro­ duites par ignorance ct d'autres par malice, elle (l'Églisc romaine) dit et proclame (pie ceux qui tombent dans le péché après le baptême ne doivent pns être rebaptisés, mais que, par une vraie pénitence, ils obtiennent le pardon de leurs péchés. Que si, vraiment pénitents, ils meurent dans In etiarité avant d'avoir, par dc dignes fruits de pénitence, satisfait pour cc qu'ils ont commis ou omis, leurs fîmes, comme nous Γη expliqué frère Jean, sont purifiées après leur mort, par des peines purificatrices ou explainers rt, pour l'allégement de ccs peines, leur servent les suffrages des fidèles vivants, à savoir les sacrifices des messes, h s prières, les aumônes et les autres œuvres dr piété que les fidèles ont coutume d'offrir pour les autres fid< les selon les Institutions de l'ÉpHsc. Les fîmes de ceux qui. après avoir reçu le bnptime, n'ont contracté absolument aucune soudhiredupéché, celles aussi qui, après avoir contracté la souillure du péché, en ont été purifiées ou pendant qu’elles restaient dans leur corps ou après avoir été dépouillées de leur corj s. comme il n été dit plus haut, sont aussitôt reçues dans le ciel. Sur cc texte, quelques remarques littéraires sont nécessaires. Le frère Jean dont il est question est le franciscain Jean Parostron (de Bnlastrl), « Grec d’origine, habile dans la langue grecque el zélé pour l’union. » Cf. Georges Pachymèrc, Μιχαήλ Παλαιολάγος, I. V, c. xi, P. G., t. cxlviii, col. 823. Le texte latin correspondant aux deux mots que nous avons soulignés est bien : panis purgatoriis seu catharteriis, C’est là le texte vulgarise. Denz.-Bann>\.. η. 464 ; Cavoilera, n. 1155. L’expression est sage et pru­ dente, car elle évite les controverses sur le lieu du pur­ gatoire ou sur le /eu. Dans le texte latin des professions de foi envoyées par Michel Paléologuc, en 1277 au pape Jean XXI, en 1277 nu pape Nicolas 111, on lit : pu ms purgatorii seu cathartcrii. A. Theiner et Miklosich, Monumenta spectantia ad unionem Ecclesiarum. Menue, 1872, p. 9. Dans le texte grec de In profession dc foi d’Andronic Pnléologue, 1277, on lit: ποιναϊς ττουργατορίου ήτοι καθαρτηρίου. Ibid., p. 17. Dans celui de la profession dc fol du patriarche Jean Veccos, on lit : τάς όυ/άς πυρί καΟαρττρίω μετά θάνατον χαΟαρίζεσΟαι... Ibid., ρ. 26. Si ccs leçons devaient être tenues pour xraies, il s’ensuivrait que la volonté expri­ mée par Innocent l\ concernant l’appellation ellemême de purgatoire aurait été sanctionnée par le con­ cile. Mais la chose reste aussi douteuse que le texte rapporté par 1 heiner, ct comme la question du lieu des souffrances purificatrices n été nettement écartée par le concile de Florence, nous sommes en droit de négli­ ger, au point de vue théologique, les textes divergents cités p u Ί h< incr-Miklosich. Au point de vue dogmatique, le texte Imposé aux PICT. PB THÉOL. CAT1I0L. 1250 Grecs représente à coup sûr la doctrine catholique. 11 est l’équivalent d'une définition ex cathedra. C'est In foi dc l’Églisc catholique qui est ici proclamée. Toute­ fois, en cc qui concerne l’admission immédiate au ciel des âmes complètement purifiées, la formule max in en Ium recipi trouvera dans la définition de Benoît XII de nouvelles et nécessaires précisions. La foi de l’Églisc, en ce qui concerne strictement Je purgatoire, s’attache uniquement à deux points : dans l'autre vie, les âmes Justes, mais non encore complète­ ment purifiées, devront subir des peines purificatrices. L'allégement dc leurs peines est obtenu par les suf­ frages des vivants, sacrifices de la messe, prières, aumônes et autres ouvres dc piété, d'ailleurs consa­ crées par l'usage ct la pratique universelle dc l'Églrse. Du caractère temporaire des peines purificatrices H n’est rien défini directement, mais ce caractère tem­ poraire ressort avec évidence du fait qu’aussitût après leur purification les âmes sont reçues immédiatement dans le ciel. Désormais l’Églisc s'en tiendra à ces formules gene­ rales : ni le lieu ni le feu du purgatoire ne seront envi­ sagés dans ses définitions. 3° Apres le concile de Lyon. — L Une intervention pontificale à regard de Γ Église arménienne. — Le pape Benoit XI1, sollicité par les Arméniens dc leur envoyer du secours contre les Sarrasins, répondit en exigeant tout d’abord leur renonciation à certaines erreurs, dont la liste avait été dressée d’après des dépositions asser­ mentées d*Arméniens et de Latins ayant vécu en Arménie cl d’après quelques livres arméniens. Cf. F. Tournrbize. Les cent dix-sept accusations présentées à Benoît XJ 1 contre les Arméniens, dans Heo. de Γ Orient chrétien, t. xi, 1906, p. 163-181, 274-300, 352-370, et ici Benoît XII, t. n. col. 696. En ce qui concerne l'état des âmes apres la mort ct le purgatoire, voici les erreurs reprochées aux Armé­ niens. Avant le jugement général, les âmes n entrent pas au ciel ct ne vont pas en enfer; elles restent sur cette terre ou dans l’air, comme les démons. A. 7, 15, 23.31. En conséquence, pas de purgatoire : Item quod Armem ccmmunitcr tenent, quod in alio suculo non est purgatorium animarum, quia, ut dicunt, si Christianus confiteatur peccata sua, cmnia peccata ejus et panse pec­ catorum ei dimittuntur. Xec etiam ipsi orant pro dejunc­ tis, ut eis in atio suculo peccata eis dimittantur, sed generaliter orant pro minibus mortuis, sicut pro beata Maria, apostolis... Denz.-Bannw., n. 535. La réponse des Arméniens fut donnée au concile dr Sis, en 1342. X olr 1 Icicle-Leclercq, op. cit., t. v i, p. 861. La réponse montre la doctrine arménienne assez ferme sur l’état des âmes justes et des âmes pécheresses après la mort : les âmes pécheresses descendent en enfer, les âmes justes vont toutes à la vie éternelle, comme il est dit souvent dans la liturgie. Quant au purgatoire, In doctrine est bien ce qu’elle pouvait être après le concile Idc Lyon. Les Arméniens n'admettent que depuis quelque temps le mot purgatoire, mais, en revanche, ils ont professé dc tout temps la doctrine correspondant à ce mot. Et le sjnode dc Sis apporte des preuves à l’appui dc son affirmation. Ils prient pour les défunts pécheurs, mais il est faux qu’ils prient pour Marie et pour les saints du ciel afin qu’ils soient rendus parti­ cipants du repos éternel. Cette prière demande seule­ ment que les saints ne conçoivent pas, à cause de nous, dc la tristesse et du trouble, c’est-à-dire que nous res­ tions libres de tout péché. Voir le texte des articles Incriminés et des réponses dans Mansi, Concit., t. xxv, col. 1188. L’nfTnlrc devait traîner en longueur : l’union ne fut scellée qu’au concile de Florence. Le même pape avait d'ailleurs fait une allusion très claire au purgatoire, | dans sa bulle Benedictus Deus, en parlant des dînes qui, T. _ xni — 40. 1251 PURGATOIRE. LE CONCILE DE FLORENCE 1252 Si tous les Orientaux avaient eu la mentalité de après leur mort, auraient acheté [Je se purifier]. Voir Manuel Calécas, l’union eût été facile, elle eût été ici. t. π, col. 658. d’avance réalisée. Malheureusement telle n’était pas la 2. Continuation des controverses théologiques. — Les adversaires de l’union ne manquèrent pas après le réalité. On va le voir en étudiant les actes du concile de Florence. concile. En cc qui concerne la croyance au purgatoire, /K. LA DOCTRINE DU PURGATOIRE AU CONCILE les principaux adversaires sont Matthieu Koîestor i Ange Panarétos, théologien de la seconde moitié du DE FLORENCE (1439). — Le 8 février 1 138, l’empereur Jean Vil Paléologue et les représentants de l'Églisc xiv* siècle, et Siméon de Thessalonique (t 1 129). grecque débarquaient â Venise pour se rendre a l'invi­ Le premier a écrit un traité sur le feu du purgatoire, tation que leur avait adressée le pape Eugène IV. réfutation du c. ix de l’opuscule de saint Thomas, Declaratio... Voir col. 1217. Malheureusement il est I Voir t. vi, col. 21-25. Dès la iir séance du concile encore inédit. Son titre est Θώμα φιλοσόφου τού (encore à Fcrrare), les questions débattues entre Άχίνου λόγος περί καθαρτηρίου πυράς καί προς τούτον Grecs ct Latins furent abordées. La question du pur­ άντίθεσις Ματθαίου Κοιαίστωρος τού Παναρέτου. Sur gatoire vint la première en discussion. Les Actes de les manuscrits voir P. Kisso, dans Roma e ΓOriente, cette discussion ont été enfin publiés en 1920 par Mgr Petit, dans la Palrologia orientalis, (P. Ο.), I. xv. t. vm. 1914, p. 178. Cf. Panarétos, t. xi, col. 1844. Ils comprennent six documents, en grec ct en latin : La diatribe de Siméon de Thessalonique contre le feu du purgatoire se lit dans son Dialogus contra lue· 1° exposé de la doctrine catholique par le cardinal reses, c. xxin, P. G., t. clv, col. 116 D. C’est, dit-il, Julien Ccsarini; 2° mémoire de Marc d’Éphèse en en substance, renseignement de tous les saints : aucun réponse aux Latins; 3° mémoire de Bessarion [ce mé­ d’entre eux ne reconnaît pour les âmes pécheresses moire, publié une première fois ù Bâle, avec une tra­ d’autre peine que celle d'être enfermées, comme en une duction de Jean Ilartuiig, dans Orthodoxographa theo­ prison, en des lieux de désolation, dans la tristesse, en logia! sacrosancta: ac syncerioris fidei doclores numero attendant leurs peines; les âmes des justes, au con­ LXxvi, Bâle, 1555, p. 1376-1390, parut ensuite, en traire, sont dans des lieux de lumière ct de réjouissance simple traduction latine due à Vulcanius, Leyde, 1595; attendant le bonhcurcspérc.avccla réunion à leurcorps. il eut d’autres éditions ct s’égara au xvn* siècle sous Dieu accorde un certain soulagement dans leur tristesse divers noms; Arcudius l’attribuait au moine Barlaam, ct leur crainte à ceux qui ont quitté cette vie dans des De purgatorio igne adversus Rarlaam, Home, 1637; il sentiments de pénitence véritable mais imparfaite. Il fut ensuite attribué à Nil Cabasilas, voir ici l. n, n’y a pas de feu qui les purifie, comme l'affirment les col. 1296 [Mgr Petit le restitue à Bessarion J; 4°réponse Latins, mais simplement les prières sacrées ct les sacri- l aux Grecs par le dominicain Jean de Turrccremata; flees offerts par l'Églisc à Dieu à leur intention... enfin 5° les précisions réclamées par les Latins sont En revanche, l'affirmation de l'efficacité des suf­ apportées par les deux derniers mémoires, dus à Marc frages subsiste toujours. On vient de la trouver même d’Ephèse. Ccs documents ont été publiés d'après le ms. dans J’attaque de Siméon de Thessalonique. Cette uti­ grec 653 de la bibliothèque Ambrosicnnc; le texte latin lité des prières pour les défunts se retrouve affirmée a dû être traduit du grec par Mgr Petit. Récemment le par Georges Pachymèrc dans scs annotations au De P. Hoffmann a découvert plusieurs pièces inédites rela­ eccles. hierarch, du pseudo-Dcnys, c. vu, § 6 ct 7, tives au concile de Florence à la bibliothèque SaintP. G., t. m, col. 576-577, 580, ct par Nicolas Cabasilas, Marc de Venise : deux de ces documents sont le texte Liturgies expositio, c. xxxm, P. G., t. cl, col. 111 sq. latin original des documents i et iv susindiqués. Orien­ Un seul théologien expose pleinement la doctrine talia Christiana (O. C.), t. xvi, 1929, n. 3; t. xvn, catholique parce que, catholique de sentiments, il a 1930, n. 2. Nous suivrons, dans notre exposé, l’ordre reçu des dominicains une forte empreinte doctrinale mémo des documents et nous conclurons par le texte ct qu’il s’est fait dominicain lui-même; c'est Manuel officiel du concile. Nous nous Inspirerons du travail Calécas(t 1110). Dans son Adversus Griecos libri, dont d’A. d’Alès, La question du purgatoire au concile de nous ne possédons nu complet que le texte latin (P. G., Florence en 1438, dans Gregorianutn, 1922, p. 8-50. t. clii), un chapitre du 1. IV, est consacré au feu du 1° Exposition de la foi catholique par le cardinal Cesapurgatoire, col. 228 sq. L’auteur établit d’abord que rini (P. O., t. xv, p. 25-32; O. C., t. xvi, p. 285-298). — le dogme du purgatoire est pour ainsi dire postulé La croyance de l’Eglisc catholique est formulée d’après par le fait des pénitences imparfaitement accomplies le texte du II" concile de Lyon. Le texte édité par le sur la terre, col. 229 BC, cl qu’il est Impliqué dans la P. Hoffmann, porte panis purgatoriis, op. cit., p. 286 pratique des prières pour les défunts. Col. 229 C. (31). La croyance de l’Églisc romaine s'appuie sur sept On ne prie, en cITet. ni pour les élus ni pour les dam­ arguments: II Mac., xn, 46; Matth., xn, 32; I Cor., nés. Col. 229 C. Λ supposer même qu’il n'y ait que m, 13-15, le feu dont il est question ici ne pouvant des péchés légers à expier, le purgatoire répond à la s’appliquer aux damnés; la tradition de l’Églisc catho­ nécessité d'effacer tout cc qui peut nous empêcher de lique, latine ct grecque, qui prie et toujours a prié pour nous unir à Dieu, col. 232 BC; il faut donc conclure à les morts; sans purgatoire, cette prière serait vainc: l’existence du « feu du purgatoire ». Col. 232 C. Si cc l’autorité de l’Église romaine qui toujours a tenu cette feu n'existait pas, cc serait equivalcmment admettre doctrine dès le temps de l’union avant le schisme; l’en­ qu’un mal reste impuni, cc serait aller contre Dieu et le seignement des Pères latins ct grecs; enfin les exigences détruire. Col. 233 AB. Les prières faites par l'Églisc à de la justice divine, qui ne doit laisser aucune faute l’intention des défunts, demandant pour eux le repos impunie et qui proportionne l’expiation au péché. Ct. ct la paix, démontrent l'existence de ce lieu de soufDcut.. xxv, 2; Ez., xxxm, 1 I, 15; Sap., vu, 25. Frances ct d'expiation. Col. 233 D, 236 AB. Jusqu'ici, Le dossier patristique renferme plusieurs apocry­ par une heureuse fortune, nous avons, parallèlement phes. Le P. d’Alès a fait le triage des indications four­ au texte latin, l’original grec. Mais du dernier para­ nies par le document conciliaire (op. cit., p. 12-13). Nous reproduisons son intéressante note. graphe, Migne ne donne que le texte latin. Il s'agit de I Cor., m, 13-15, sur la signification du mot « feu ». V· concile œcuménique (Constantinople, 553), Act. m, L'auteur rapporte l'interprétation de Chrysoslomc, Mansl. t. ix. col. 201-202 : (Pscudo-Augustin, en réalité Céqu’il repousse, ct s’attache â démontrer que Grégoire sairo d'Arles), Serra., civ, 1, P. i.., t. xxxix, col. 1946; de Nysse a fourni la véritable explication, un feu tem­ S. Augustin, Drefo. DH, XXL 13 et 20. P. t. xi.t, col. 72«S poraire, dans ses effets, et qui n’est pas le feu de l'enfer. et 738; S. /Augustin, De cura pro mortuis gerenda, i, 3, Col. 235-236 CD. P. L., t. xl, col. 593; iv. 6, col. 596; (Pseudo-Augustln), 1253 PURGATOIRE. LE CONCILE Dr vcra cl Jalsa panitentia, xvn, 3, J·. /.., t. xl, coL 1127...; S. Augustin· Strain, ci.xxn, 2. P. L., t. xxxvm, col. 936; S. Ambroise (Ambrodmter), In / Cor., m, P. /.., t. xvn, col. 200 C; S. Grégoire le Grand, Dial,, IV, 39, p. /,,, t.!.xxvn, col. 396 AB; S. Basile, dans Κύχο/ογιο·/ το μ'-γα, Liturgie de la Pentecôte, 2* id., Venise. 1862, p. 375, 376; Liturgie des morts, p. 107; S. Grégoire de Nysse· De consolatione et statu animarum post mortem, P. G., t. xlvi, col. 97 C, 100 A; Ik mortuis, id., col. 524 B; (Pseudo-1)enys), Eccles, hier., VI 1,4, P. (i., t. ni, col. 560 B; S. Épiphanc, liar., lxxv, 8, P. G., t. xi.n, col. 513 B; (Pseudo-Damascene), Ik iis qui in fide dormierunt, ill, P. G., t. xcv. col. 249, cité par saint Thomas, /n /Vum Sent.» «list. XI.V, q. 11 ». 1; Théodoret, In 1 Cor., ill, P. G., t. LXXX11, col. 252. note 23 (authenti­ cité douteuse)·, 2° Mémoire de Marc d’Éphèse (P. O., p. 39-60). — Après avoir énoncé la doctrine des Grecs sur la vie d’outre-tombe, Marc reprend les trois arguments d’Écriturc apportés par Ccsarini. Les deux premiers seraient étrangers à la question du purgatoire; le troi­ sième est inefficace ct favorable à l'origénismc. Marc , passe sous silence les arguments tirés de la tradition des Églises; il discute les preuves tirées des témoi­ gnages patristiques ct rejette le septième argument : la raison théologique. A son tour il prend l’offensive ct énonce onze chefs d’argument. Ce mémoire de Marc fut repris dans le mémoire suivant, par Bessarion qui fusionne en une seule réponse la riposte de Marc ct In sienne propre. 3® Mémoire de Eessarion (Marc cl Bessarion fusion­ nés (P. O., p. 61-79). — L’inspiration en est plus chré­ tienne, ct la forme plus courtoise. Document de pre­ mière valeur, qui souligne les profonds malentendus de 1 Orient et de 1 Occident sur la question du purgatoire ct qu’il faut examiner de près. Les Grecs, déclare Bessarion. n’ont trouvé chez aucun de leurs docteurs une croyance à l’expiation temporaire accomplie, après cette vie, par le feu. D’autre part, ils admettent, selon l’enseignement de leurs docteurs, que les prières de l’Église sont utiles aux défunts. La controverse du purgatoire se ramène, pour Bessarion, ù deux questions : 1. Y a-t-il, après celte vie, une rémission des péchés? 2. S’il existe une rémission des péchés dans l’autre vie, comment s’ac­ complit-elle? Est-ce par un pur effet de la miséricorde divine, acquiesçant aux prières de l’Église; est-ce par le moyen d’un châtiment? Et, s’il s’agit d’un châti­ ment. de quel châtiment? La captivité, la crainte, les ténèbres, l’ignorance, ou bien le feu. un feu réel et matériel? | Sur cc dernier point la doctrine grecque est bien arrêtée : pas de feu matériel et temporaire. Si l’on admettait cette sorte de feu, on pourrait craindre de favoriser l’erreur origénistc qui nie l'éternité des peines. ; Sur le premier point les Grecs admettent qu’après cette vie il y a place pour une rémission des fautes vénielles. Reste donc un unique point â débattre : comment s’ac­ complit cette rémission. Bessarion, sans apporter une solution complète, insiste surtout sur ce qui lui semble inadmissible dans l’enseignement des Latins touchant ! le feu purificateur. Il reprend plusieurs arguments du mémoire de Cesarinl. Les deux textes scripturaires. Il Mac·, xn, 46, ct Matth., xn, 32, visent bien une rémission de certains ; péchés dans l’autre vie, mais laissent Intacte la ques­ tion de la purification par le feu. Quant â I Cor., ni. 11-15, les Grecs l’expliquent conformément Λ l’inter­ prétation de saint Jean Chrysostome, qui possède une autorité hors de pair, soit comme exégète, soit comme disciple passionné de saint Paul. La tradition de ; l’Églisc de Constantinople affirme que l’apôtre Paul vint en personne l’instruire : Proclus, disciple ct suc­ cesseur de Chrysostome, l’a contemplé de scs yeux I dans une vision mystérieuse. Or, Chrysostome entend | DE FLORENCE 1254 ce texte du feu éternel qui conserve ct’nc rend pas ses victimes. Saint Augustin, sans doute, â expliqué diffé­ remment ce texte; mais, dans l'interprétation d’un texte grec, l'opinion d'un Père grec tel que saint Chry­ sostome doit être préférée. Saint Augustin avait le souci de confondre l'erreur de ceux qui, étendant ce texte â toutes sortes de fautes, supprimaient en fait l'éternité des peines de l’enfer. Il ne trouva rien de mieux que d’admettre ici un feu temporaire. Il a pris le chance sur le sens du mot σωΟήσεται ; or, les Grecs savent que σωζεσΟαι, σωτηρία, expriment simplement la conservation d’un être. Ainsi l'ont entendu en cet endroit Jean Chrysostome ct tous les Pères grecs. Pour dlrlmer la controverse, il suffit de se reporter aux Écri­ tures, à Rom., xm, 12, aux autres passages où il est question du feu du jugement dernier. Dan., vu, 10; Ps., xi.ix, 4; xevi, 2; Il Petr., 111, 12. 15. Commentant le ps. xxviii, 7, Basile montre le feu allumé par la divine justice et produisant un double effet : d'une part, i) fait resplendir les vertus des justes, d’autre part, il torture les impies qui lui appartiennent pour toujours. Pour saint Paul, cc feu consumera les œuvres des impies, qui seront perdues; mais l’impie sera ré­ servé pour le châtiment étemel : σωθήσεται. Quant aux textes des Pères, les uns, ceux qui affir­ ment que la prière des vivants est utile aux trépassés pour la rémission de certaines fautes, sont reçus avec vénération par les Grecs. Mais ils ne prouvent pas le feu du purgatoire. Le texte de Théodoret est introu­ vable dans ses œuvres. Le seul qui soit vraiment favo­ rable aux Latins est le texte de saint Grégoire de Nysse. Mieux aurait valu, pour l’honneur de ce Père, que son autorité fût passée sous silence, car ici Gré­ goire. quelle que soit sa sainteté, a participé â la fai­ blesse humaine et s’est trompé. A son époque, l'éter­ nité des peines était encore une question sur laquelle l’enseignement de l’Église n’était pas fixé. Grégoire admet donc I’apocatastase des pécheurs, doctrine net­ tement origénistc. D’autres personnages, comme Irénéc, Dcnys d’Alexandrie, ont erré aussi avec leur époque. Grégoire le Théologien (de Nazlanze) ne dit-il pas lui-même, dans son discours sur le baptême, après diverses considérations sur le feu éternel : « A moins qu’on ne préfère une doctrine plus miséricordieuse ct plus digne du souverain Juge. > Oral,, xl. n. 36, P. G., t. xxxvj, col. 412. Mais le V· concile œcuménique con­ damna cette erreur. Si Grégoire de Nysse a enseigné 1’apocatastase, il a erré, ct les Grecs aiment mieux s’attacher à l’enseignement de l’Église et à la règle des Écritures qu’aux assertions particulières de tel ou tel docteur. La distinction de deux châtiments ct de deux feux n’est conforme ni à l’Écriture ni au V· concile œcuménique. Sans doute la purification par le feu sc lit expressé­ ment chez saint Augustin, saint Ambroise, saint Gré­ goire-Dialogue; mais ces auteurs latins, développant en latin des vues personnelles, ne s’expriment pas avec une parfaite clarté. Dans leur écrits connus en Orient, on ne trouve qu’une chose certaine : l'utilité pour les défunts des offices et prières de l’Églisc. Il y a peu d’années que les œuvres d’Augustin et de Grégoire ont été traduites en grec; comment les Grecs pourraient-ils connaître cc qu’ils n’ont jamais vu ni entendu? D’ail­ leurs renseignement des Latins n’est qu'un enseigne­ ment de circonstance : désireux d’éliminer une erreur pernicieuse, la rémission finale de tous les péchés, ils se sont jetés dans la voie moyenne, accordant le moins pour ne pas céder le plus. Même en admettant leur parfaite sincérité, il faut s’en tenir â une doctrine con­ traire, qui découle avec certitude du texte de l'Apôtrc, commenté par saint Chrysostome, ct expliqué par tout le contexte. Les révélations cl les faits miraculeux rapportés par 1255 PURGATOIRE. LE CONCILE DE FLORENCE Grégoire au IVe livre de scs Dialogues sont-ils autre chose que des allégories? Quoi qu’il en soit, ('Écriture ne prouve pas la thèse des Latins, et saint Grégoire la ruine lui-même en disant que les fautes légères des justes peuvent être ou bien compensées Ce qu’il faut, c’est prier Dieu pour lui demander simplement le triomphe de la vérité. L’oraleiir latin distingue quatre parties dans la réponse des Grecs : 1. Le premier point concerne l’état des âmes saintes apres la mort. Sont-elles enlevées Immédiatement au ciel? Pareillement, les âmes que la mort a trouvées en état de fléché mortel descendent-elles aussitôt en enfer pour y être châtiées? Ou bien les unes et les autres attendent-elles le jour du jugement dernier et la résur- 1257 PURGATOIRE. LE CONCILE rcctlon générale qui doit fixer leur tort? Quant aux Ames de la catégorie moyenne, sur lesquelles | porte la controverse, quel est leur sort? Subissent- J elles une peine? Quelle peine? Est-ce simplement le delai d’attente? Est-ce une douleur sensible? S’il s’agit d’un tourment proprement dit, en quoi con­ siste-t-il? Après leur purification, ces Aines sont-elles enlevées au ciel? Sur tous ces points, les Latins atten­ dent la réponse des (irecs. 2. Le second point est relatif à la purification par le feu. Les Grecs craignent que la croyance au feu tem­ poraire nc provoque, chez les chrétiens, l’hérésie de I’apocatastase finale. Crainte peu justifiée, en réalité, ct Où sont les âmes de ceux qui moururent dans le péché mortel? Elles sont dans les enfers, torturées par l’attente et la crainte de leur triste sort. g) Comment les âmes des saints jouissent-elles d’une joie parfaite, sans avoir encore part aux biens inef­ fables? Elles jouissent par avance d’une félicité bien­ heureuse, dans l'espérance des biens promis. h) La privation de la vision divine est-elle pour les damnés une peine plus grande que le feu éternel? Sans aucun doute, cette privation étant le plus dur tour­ ment des âmes déchues de toute espérance. i) Quelles peines les âmes de la catégorie moyenne endurent-elles? Les souffrent-elles tour â tour?C'est la question proprement dite du purgatoire, la question des âmes · moyennes ·, destinées â voir Dieu après une expiation temporaire. Marc répond que les peines en­ durées par ces âmes sont diverses ct inégales, comme les fautes qui les leur ont méritées. j) Qu’est-cc que les Grecs entendent par · l’incer­ titude de l’avenir »? C’est l'ignorance où demeurent ces âmes quant au temps où, leur expiation étant consom­ mée. elles se verront réunies au chœur des élus. k) Qu’cst-ce que la honte de la conscience? Toute faute Încxpiée engendre une certaine honte. Quelque­ fois, la pénitence est assez complète pour effacer entiè­ rement le péché; mais il n’en est pas toujouis ainsi, l’âme qui n’a pas suffisamment fait pénitence doit tra­ verser une période de châtiment; ainsi en est-il pour beaucoup de fautes quotidiennes qui échappent à notre fragilité. On ne songe guère â en faire pénitence. Mais la miséricorde divine peut en faire remise au pécheur, et les prières de l’Église peuvent acquitter sa dette. l) Que faut-il penser du soulagement des damnés par la prière des vivants? La prière des vivants peut obtenir aux damnés quelque adoucissement avant le jugement général. m) Quelles sont les fautes petites et légères, qui affectent les âmes de la catégorie moyenne? Sur ce point, les Grecs ont un sentiment différent des Latins. Us ne reconnaissent pas les fautes vénielles; ils n’ad­ mettent pas que les pêchés soient remis par la charité. La rémission des péchés est duc à la pénitence : si la pénitence est parfaite, rien ne manque à l'expiation du péché; si la pénitence esl imparfaite, le péché, dans la mesure où il n’est pas encore remis, devra être expié outre-tombe. Pas de distinction entre la coulpe et la peine. n) Pourquoi les prêtres grecs imposent-ils une péni­ tence en absolvant les pécheurs? De cette pratique, Marc apporte cinq raisons et laisse entendre qu’il peut en exister d’autres : toutes raisons d’opportunité, dont la plus admissible est le caractère médicinal des satis­ factions sacramentelles. A l’article de la mort on absout et on communie le moribond, en comptant que Dieu suppléera â cc qui lui manque. 6°Définition du concile.— Telles sont les pièces du procès, du moins celles qui sont aujourd’hui connues. La discussion sc prolongea un mois et demi encore; cf. Mansi. Coneil., l. xxxi Ibid., p. 192, n. 39, 10; cf. p. 189, n. 25. Pour légitimer cette conclusion, il faudrait montrer que les peines étemelles ne sont remises qu’à la condition d’une compensation de peines temporaires au purgatoire, ce que n’enseigne pas l'Écrlture. Ibid., p. 200, n. 77. Et voici qu’ils veulent racheter les satisfactions ducs par les défunts avec les indulgences et le sacrifice dc la messe! Apologia, a. 12 (5), De pienitentia, p. 169, n. 15. Or, d'une part, c’est mal comprendre les indulgences que de leur attribuer de l'efficacité pour délivrer les Ames du purgatoire. Ibid., a. G, De confessione ct satisfactione, p. 262, n. 78; cf. p. 170, n. 26. D’autre part, les papes ont transféré l'application des messes aux Ames du purga­ toire, a. 21 (12), Dc missa, p. 262, n. 61, délivrant ainsi ces Ames des peines du purgatoire par la simple application d’une messe, qui aux vivants même ne saurait profiter sans la foi! La doctrine positive dc Mélanchthon est expo­ sée, dans la même Apologia, dans l'a. 24 (12) sur la messe. La messe nc confère pas la grâce ex opere operato; si elle est appliquée aux vivants ct aux dé­ funts, elle ne mérite ex opere operato aucune rémission des péchés, coulpe ou peine. Ce qu’elle fait, c’est vaincre par la foi les terreurs du péché ct de la mort. P. 250, η. II. S’il en est ainsi, il est inutile de célébrer la messe pour les défunts et d'admettre un purgatoire. Ibid., p. 268. n. 90. Sans doute, il faut croire que la cène du Seigneur a été instituée pour la rémission des péchés, et c'est dc véritables péchés qu’il s'agit. Et pourtant la messe n’offre pas une satisfaction pour le péché, car elle deviendrait ainsi l'égale dc la mort du Christ : la rémission dc toute faute nc peut s’obtenir que par la foi; la messe n'est donc pas une satisfaction, mais une promesse, un signe sacré (sacramentum) qui requiert la fol. En appliquant les messes aux défunts, on va donc contre l’Ecriture. N. 92. Le canon de la messe grecque « applique » la messe aussi bien aux saints du ciel qu’aux défunts; donc il ne s'agit pas de satisfaction à offrir à Dieu; c'est une simple mémoire, une action dc grâces. Id., p. 269, n. 93. Quand les catholiques allèguent les témoignages des anciens Pères sur Voflrande du sacrifice (oblatio), il ne s’agit en réalité que de prières pour les défunts, et nousmêmes ne les interdisons pas (scimus veteres loqui dr oratione pro mortuis, quam nos non prohibemus); mais nous rejetons absolument (improbamus) une appli­ cation de la cène du Seigneur pour les morts, ex opère operato. J.-T. Muller, op. cit., p. 269, n. 91. Si Aérius a été condamné, c’est (pi’il refusait dc prier pour les morts, et ce n’est pas pour avoir nié que la messe constituât un sacrifice pour les vivants et pour les morts. Ibid., p. 269. n. 96. Et Mélanchthon de cou- 1269 PURGATOIRE. LES NÉGATIONS PROTESTANTES 1270 dure que la doctrine catholique concernant la rémis­ précieuses. Lc « jour du Seigneur » n’est pas autre sion des péchés par un sacrifice extérieur est une chose que sa présence qui sc révèle à chaque tribula­ doctrine renouvelée du judaïsme ou même du paga­ tion. Lc « fondement » .sur lequel sc bAtlt l'édifice, ce nisme. Ibid., n. 97-98. A noter que, dans son commen­ sont les principaux et nécessaires articles de la foi. taire sur la I Cor., m, 13-15, Mélanchthon entend < le Ceux qui édifient avec du bois, de la paille, du foin, cc feu » des tentations dc la vie présente. Opera, dans sont ceux qui s'abusent en d'autres choses : leur ou­ vrage périra. < Parquoy, conclut Calvin, tous ceux qui Corp, reform., t. xv, p. 1068. 3® Calvin, — Calvin n’a jamais eu les < ménagements » ont contaminé ia sacrée pureté des Escritures par dc Luther ou de Mélanchthon. Après avoir tonné cestc fiente ct ordure du purgatoire, il faut qu’ils contre les indulgences, il fond vigoureusement sur le laissent périr l’ouvrage. » Ibid., col. 173. Lc plus difficile est dc réfuter l'argument tiré de la purgatoire : · Maintenant, pareillement qu'ils nc nous tradition, c'est-à-dire «le la pratique de prier pour les rompent plus la tête dc leur purgatoire, lequel est morts. Sans doute, avoue Calvin, cette coutume est par ccstc colgnec coupé, abattu ct renverse jusque* à • desià introduite devant treze cens ans,... mais le leur la racine. Car le n'approuve point l'opinion d'aucuns (sans doute fait-il allusion A la Confession d* Augsbourg) demandera}' selon quelle parolle dc Dieu, et par quelle qui pensent qu'on doive dissimuler cc polnct et sc revelation, ct suyvant quel exemple cela a esté faict ». Ibid., col. 171. Or il n'y a rien dans l'Écrlture qui garder dc faire mention du purgatoire, dont grandes noises, comme ils disent, s’esmeuvent ct peu d'edi- autorise la prière pour les défunts; ccttc pratique est donc une illusion introduite par Satan, ou un emprunt flcatlon en vient. Certes, ie scroye bien aussi d'advis aux coutumes simplement humaines du païennes. qu’on laissas! tels fatras derriere, s’ils ne tiroyent grande consequence après eux : mais veu que le purga­ • L'Escriturc donne une bien meilleure consolation, toire est construit dc plusieurs blasphèmes ct est dc en prononçant que ceux qui sont morts en Nostrc iour en lour appuyé encore de plus grans, ct suscite de Seigneur sont bien heureux, ajoutant la raison qu'ils grans scandales, il n'est pas mestier dc dissimuler. sc reposent dc leur peine (Apoc., xiv, 13). ■ Sans Cela possible sc pouvoit dissimuler pour un temps, doute, · saint Augustin au livre de ses Confessions recite que Monique sa mère pria fort à son trépas qu’on qu’il a esté inventé sans la parolle de Dieu, voire avec fist mémoire d'elle A la communion de l’autel : mais folle ct audacieuse témérité inventé; qu’il a esté ie dy que c’est un souhait dc vieille, lequel son fils reçeu par revelations ie nc sa y quelles, forgées de l'astuce de Satan; que pour la confirmer on a mes- estant esmeu d’humanité n’a pas bien compassé à la chammcnt corrompu aucuns lieux de l’Escriturc... > ! règle dc l'Escriturc, en le voulant faire trouver bon ». Ibid., col. 175. Les anciens Pères ont fait quelque Et, relevant que le purgatoire n’est pas autre chose, « sinon une peine que souffrent les Ames des trépassez mention des morts en leurs prières sobrement et peu souvent, et comme par forme d’acquit. Les « papistes » en satisfaction dc leurs pochez », il conclut qu’une telle conception est un blasphème contre la satis­ sont toujours après, préférant cette superstition A faction offerte par le Christ. Institution chrétienne, toutes œuvres dc charité. Ibid., col. 176 L’interprétal. III, c. v, n. 6, Œuvres, t. iv (Corp, reform., xxxn), i tion de I Cor., m, 12-15 du feu métaphorique de la tri­ bulation sc retrouve dans le commentaire de Calvin sur col. 168. Quant aux témoignages des Écritures, Calvin les cette épltre. T. xlix (Corp, reform., lxxvii). col. 537. 1° Zivingle. — Zwingle est d'accord avec Calvin repousse. Les papistes invoquent Matth., xn, 32; pour interpréter du feu métaphorique de la tribu­ Marc., m, 28; Luc., xn, 10 : « Je demande s’il n’est lation I Cor., m, 12-15. Voir son commentaire, Opéra pas évident que le Seigneur parle 1Λ de la coulpc du vol. vi. t. n. Zurich. 1833, p. 113. Mais sa doctrine péché. » Donc le purgatoire est inutile pour expliquer ces textes. Mais Calvin veut · bailler une solution plus ; concernant le purgatoire est résumée dans les thèses dc 1523 : th. lvh : « La vraie Écriture sainte nc claire ». Voulant montrer comme un péché nc peut connaît aucun purgatoire après cette vie ; th. lx : être remis ni en cc monde ni en l’autre, il explique que « Que l’homme implore avec Insistance Dieu en faveur Jésus-Christ a en vue deux jugements : « Pour cc que le Seigneur voulait oster toute espérance dc recevoir des défunts pour leur attirer sa miséricorde, je n’y pardon d’un crime tant exécrable, il n’a pas esté vois aucun inconvénient. Mais pour cela fixer un content de dire qu’il nc serait fumais remis; mais temps et en vouloir tirer un profit, voilà qui est non pour amplifier il a usé de cette division, mettant d une pas humain, mais diabolique. » E.-F. Karl Muller, Die Hckcnntnisschriftcn der reformierten Kirche, Leipzig, part le jugement que la conscience d’un chacun sent 1903, p. 6. en la vie présente ct d'autre part le jugement dernier Les thèses dc Berne, 1528 (de Kolb ct l (aller), s'ins­ qui sera publié au jour dc la résurrection. Donc aucun pirent des idées même de Zwingle. La th. vu affirme pardon, ni maintenant ni au dernier jour, tel est le sens exact des textes. Ibid., col. 168-169. Les enfers qu’il n'y a pas de purgatoire dans l’Écrilure, que tous dont il est question dans Phil., n. 10, ce n’est pas le les Jours consacrés au culte des défunts, vigiles, messes purgatoire: cc texte exprime simplement la seigneurie de funérailles, services, messes des septième et tren­ tième jours, anniversaires, sont inutiles (vergeblich). souveraine du Christ en tous lieux. Ibid., col. 169-170. Ibid., p. 30. Reste II Mac., xn, 39-16. Calvin explique le but Dans la Fidei ratio de 1530, voici comment s’ex­ dc Judas Machnbée faisant prier pour les morts. Ce but concerne les vivants, afin de leur donner estime prime Zwingle : Credo purgatorii ignis figmentum tam contumeliosam rem esse in gratuitam redemptionem per pour ceux qui étaient tombés, < pour que ceux au nom desquels II offrait fussent accompagnez aux Christum donatam, quam lucrosa fuit auctoribus suis. fidèles qui estaient morts pour maintenir la vraye Nam si suppliciis et cruciatibus scelerum nostrorum religion ►. Ibid., col. 171. Mais, A coup sûr, le zèle de ’ commenta eluere est nccesse, fam frustra erit Christus Judas Machabée était « Inconsidéré ». Ibid. I mortuus, jam evacuatur gratia. A. 12. ibid., p. 92. 5e Les confessions de ΓÉglise réformée. — 1. Confes­ Enfin, il attaque la « forteresse invincible ». I Cor., sio Helvetica prior (1532), η. 26; Quod autem quidam m, 12-15. Mais le feu dont il est question ici n'est que tradunt de igne purgatorio, fidei christ iantr : < Credo • croix et tribulation, par laquelle le Seigneur examine les siens pour les purifier de toutes leurs ordures ». remissionem peccatorum ct vitam reternam » purgatioIbid. Et, de fait, cela est beaucoup plus vrai que ! nique ptenic per Christum, ct Christi Domini hisce d'imaginer un purgatoire. Le · feu » est donc une sententiis (on cite Joa., v, 2 I ; xiu. 10) adversatur. Ibid., métaphore, tout comme l'or, l'argent, les pierres | p. 217. 1271 PURGATOIRE. RÉPONSES CATHOLIQUES 1272 pestifera M. Luthcri dogmata, I· lorence, 1520, I. IV, p. 85 sq.; Jacques 1 foogstratcn, De purgatorio seu de expiatione venialium post mortem libellus, Anvers, 1525; Antonio Varani (cf. Jocher, /xx/Aon, Leipzig, 1751, t. iv, p. 1114), De purgatorio (s. i.); Berthold de Chicmscc, Teulxchc rheologic (s. i.), c. LXXXIxxxin. On peut ajouter ; Jean Faber, Desponsiones i. duœ dc anltlogiis, Cologne, 1523; Malleus in hirresim Lutheri, Cologne, 1521; Fred. (Iran, Contra catludiae fidei adversatios, Mayence, 1521; J. Cllchtove, Anti· lutherus, Paris, 1521; Vine. Gracchari, Dc purgatorio et suffragiis, Venise, 1535; J. Tavernier, De purgatorio animarum, Paris, 1551. Nous n’avons pu consulter que les quatre auteurs suivants : 1. Cajétan. — Les deux questions dc Cajétan, qui forment son opuscule (xxm) De purgatorio ont été écrites â Augsbourg, 25 septembre-17 octobre 1518. Cf. Cajétan, Saint-Maximin, 1931-1935, p. 42-43. Elles visent principalement les erreurs luthériennes de la proposition 38 condamnée par Léon X. Voir col. 1266. Au purgatoire, dit Cajétan, il ne peut plus y avoir de mérite : les âmes sont en état de satisfaire, non de mériter ou de démériter. Si, en clïet, elles pouvaient encore démériter, elles seraient encore capables dc sc damner : ce qui est contraire à la nature même «lu pur­ gatoire. De plus, ces Ames sont certaines de leur salut : n’y aurait-il, pour leur donner cette certitude, que l’enseignement de la foi qu'elles ont reçu encore sur terre, ce serait déjà suffisant. Mais elles ont de plus une parfaite connaissance de leur état par la science intuitive qu’elles possèdent d’elles-mèmes. Enfin, clics ne vivent pas dans l'horreur perpétuelle, car « clics aiment la divine justice et subissent volontiers leurs peines par soumission à cette justice ». Cajétan se pose l’objection des visions dans les­ quelles certaines Ames auraient affirmé leur Incertitude par rapport au salut : < La doctrine de l’Église, répond-il, ne s’appuie pas sur ces visions. L Église ne les a pas approuvées : ce ne furent peut-être que des songes... ou des illusions diaboliques pour introduire dc nouveaux dogmes. » Opuscula, Lyon, 1575, p. 116117. 2. Priérias (Silvestre Mazolini). — Le titre exact Art. 23 de 1552 : Art. 22 de 1562 : dc l’ouvrage de Priérias contre Luther est Errata el Scholasticorum Doctorum romnnensium argumenta Martini Luteris recitata, detecta, repulsa el doctrina de purgatorio, dr indulgentiis, de veneratione et ado­ copiosissime trita, 1520. Le titre habituellement cité, ratione tum imaginum, tum reliquiarum, nccnon de invoca­ De juridica et irrefragabili Ecclesiœ veritate, n’est qu’un tione sanctorum, rrs esl Iutilis, inaniter conficta ct nullis sous-titre. Ce n’est pas au 1. IIL mais au 1. II que sc Scripturarum testimoniis innititur, imo wrbo Dei perniciose trouve la controverse relative au purgatoire, c. xi-xn, contradicit. p. ci.xi v°-clxxxv Γ». Il est inutile d’entrer dans le Ibid., p. 513. détail des idées et des discussions. La réfutation écrite par Priérias a servi de thème à Eck, dont l’ou­ H.LE9RÜACTIONS DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE.— A vrai dire, toutes ces négations protestantes s’ap­ vrage. plus considérable, ne fait que développer l’écrit puient sur des bases bien fragiles. L’exposé qu'on a de Priérias. \ oir plus loin. Mais on trouve déjà chez fait plus haut de la tradition catholique montre, mieux celui-ci la justification du terme catholique : purgato­ rium et le rejet de l’expression punitorium. C.clxxviî. encore que l’exégèse des textes scripturaires le plus 3. John Fisher. — l)ans son Assertionis luthcranæ souvent invoqués, la force ct la vigueur de ce mou­ confutatio, composé en 1520, imprimé à Paris en 1523 vement doctrinal qui part de l'idée de l’expiation en (voir I isiirn, t. v, col. 2558), l’évêque dc Rochester général (idée éminemment scripturaire), pour aboutir reprend un à un chacun des quarante articles luthé­ ù celle de l’expiation du péché pardonné par des peines purificatrices de l’autre vie. Cette position tradition­ riens, condamnés par la bulle dc Léon X. lùi réfutant les art. 2, 3. i. 37, 38, 39, 10, c’est un véritable traité nelle sera en somme,nonobstant quelques exagérations du purgatoire qu'a écrit John I isher. Tout l'essentiel dans l’exposé des preuves scripturaires du purgatoire, de la synthèse bcllnrminlcnne s’y trouve déjà. L’écrit, la position adoptée d’abord par les théologiens controversistes, par les conciles provinciaux, par les facultés on le sait, est composé sous forme de dialogue entre • l’évêque » ct Luther. de théologie et en lin par le concile de Trente. a) La réfutation de l’art. 2, In pueris baptizatis 1° 1x5 théologiens catholiques contre Luther. — l ’n manere peccata, op. cit., p. xevi, prend la théorie assez grand nombre de polémistes catholiques prirent luthérienne à son point de départ : même chez les part à la controverse relative au purgatoire. A la suite enfants baptises, le péché demeure, qui leur interdit de K Werner, Geschichte der apologetischen und polemischcn Literatur, Schaflhouse, 1865, nous cite­ l’entrée du ciel. b) Ainsi est rendu intelligible l’art 3, Fumes pec­ rons : Cntbarin, Apologia pro veritate catholica et cati, etiamsi nullum adsit actuale peccatum, moratur apostolica- fidei ac doctrina adversus impia el valde 2SCon/cssio Gallicana, a. 21 : *« Finalement nous tenons le purgatoire pour une illusion pro codec d’icelle rnesme boutique «le laquelle sont aussi procé­ dez les vœux monastiques, pèlerinages, defenses du mariage et de l’usage des viandes, l’observât ion cérémo­ nieuse des jours, la confession auriculaire, les indul­ gences et toutes autres telles choses, par lesquelles on pense meriter grâce ct salut. Lesquelles choses nous reiettons, non seulement pour la faulse opinion du merite qui y est attachée, mais aussi parce que ce sont inventions humaines, qui imposent ioug aux consciences. » Ibid., p. 227. 3. Confession d'Erlau (1562). De purgatorio : Purga­ torium omnium delictorum nostrorum est gratia Dei, san­ guis Christi, Spiritus sancti sanctificatio per /idem et verbum... Mentum gratin Dei et redemptionis Christi culpam cl panam condonavit et combussit. Satisfecit perfecte pro peccatis nostris.,. Impium et diabolicum figmentum est papisticum purgatorium, subterraneum igneaterno ex/rstuans ubi purgari animas impie lingunt. Caret enim Scriptura veritate el contrarium gratia Dei, Christi merito est. Ignis et aqua peccata purgans ct exurens, gratia Dei, meritum Christi. Spiritus sancti­ ficatio est. (Pauli 1 Cor., in.) Ignem judicii et condem­ nationis punientis peccata, intelligit per diem et ignem, id est tribulationem, ille ignis non purgat peccata, sed damnat impiorum peccata; est enim ignis inr Dei. Ibid, p. 293. Les âmes saintes vont donc au ciel. On peut citer Lazare dans le sein d’Abraham, Luc., xvi, ou encore le Cupio dissolvi et esse cum Christo, de saint Paul, Phi!., i, 2. Les âmes ne vont donc pas au purgatoire, mais, comme l’écrit saint Jean dans l’Apocalypse : Beati mortui qui in Domino moriuntur... xiv, 13. Au contraire 1rs âmes des impies sont dans la prison, dans le lieu de tourments, sont elles-mêmes torturées sans lin. Cf. I Petr., ni, 19; 11 Pctr., n, 9. C’est ainsi que l’Écriturc ct les Pères ont défini le sort futur des âmes, ct même Pierre Lombard enseigne que les saintes Ames attendent sous l’autel le dernier jour. 1. Confession anglicane. — Les quarante-deux articles de 1552 (les trente-neuf (Bulle, η. I.) vi. · lai peine du purgatoire est la terreur et l’horreur dr la damnation ct de l’enfer. · —Fausses, téméraires ct sans fondement. (Qualification se rapportant aux deux prop, v et vi.) vu. e II est probable que les âmes du purgatoire sont dans une telle confusion qu’elles ne taxent pas dans quel état elles sont, de damnation ou de salut; il leur semble même qu'elles vont â la damnation el tombent dans l'ablme. · vm. · Elles sentent seulement le commencement de leur damnation, sauf qu’elles sentent que la porte de l'enfer n’est pas encore fermée sur elles. » — Fausses, offensives des oreilles pies, injurieuses à l’état des âmes du purga­ toire. (Qualifications se rapportant aux deux prop, vu et ct vm.) ix. « Toutes les âmes qui descendent en purgatoire n’ont qu’une foi imparfaite et même, de quelque façon qu’on les délivre de leurs peines, elles ne peuvent acquérir la « santé» parfaite si on ne leur ôte d’abord le péché, c’est-à-dire l'imperfection de la foi, de l’espérance, de la charité. » — Dans toutes ses parties, fausse, téméraire,en désaccord avec une saine intelligence de l’Écriture. Duplessis d’Argent rv» Coll, judic., t. ï b, p. 372. III. LE COXCILE DE TRENTE. — Depuis le début du concile, la question du purgatoire était prévue au pro­ gramme. Massarelli nous apprend que, dès le 19 juin 1547, des articles sur le purgatoire avaient été dis­ tribués aux théologiens mineurs et que leur discussion avait occupé les séances des jours suivants. Cône. Trid., t. 1, p. 665. Les événements ct l’ordre des discussions conciliaires retardèrent l’examen de la question jus­ v. (Luther) rejette la satisfaction requise à la suite du qu’à la fin du concile. A l’issue de la congrégation pêché mortel pardonné, puisqu’il prétend que Dieu remet générale du 15 novembre 1563, il fut décidé que des la peine en même temps que la coulpe du péché. théologiens oe toutes nations rédigeraient les canons vu. Il formule des erreurs ineptes sur les peines du purga­ sur les dogmes restant à définir : purgatoire, indul­ toire ct l’état des âmes après cette vie, par exemple qu’au­ gences, culte des saints ct des images, que les Pères cune âme n’y soutire pour des péchés mortels, mais seule­ ment pour des péchés véniels. adopteraient par placet. Cone. Trid., t. ix, p. 1017, vm. Ou encore : que les âmes du purgatoire aiment note 6. Lc décret des théologiens mineurs était prêt Dieu d’un amour défectueux ct coupable, y pêchent sans dès le 30 novembre: ccs théologiens observaient que interruption ct cherchent plutôt leur intérêt que la volonté ccs matières avaient déjà été traitées dans d’autres de Dieu, cc qui est contre la charité; que les morts, non conciles ct notamment à Florence ct même en cer­ moins que les vivants, sont en état de mériter pour la vie taines sessions du concile de Trente, ct qu’en consé­ étemelle... Duplessis d’Argentré, Coll, judiciorum, t. i b, quence il suffisait de les aborder brièvement ct en des p. 358-359. formules générales, laissant aux évêques le soin de Dans son jugement du 7 novembre 1519, la faculté faire le reste. Ibid., t. ix, p. 1069. Ces «canons*» écrit de Louvain se contente de stigmatiser la proposition | l’évêque de Verdun, Psaume, rédigés ct approuvés générale de Luther relative à l’inutilité de la satisfac­ a nonnullis doctissimis Patribus el theologis, avaient tion. Prop. 17, ibid, p. 360. distribués par écrit par le secrétaire du concile 2. La faculté de théologie de Paris publia le été peu avant la réunion plénière. Ibid., t. n, p. 878. Le 15 avril 1521 sa célèbre Determinatio super doctrina décret sur le purgatoire fut lu par l’évêque de Cas­ hutheri hactenus revisa. Dans l’introduction on indique tel hmet a. Ibid., t. ix, p. 1069. De timides observa­ expressément que Luther répand · d’intolérables erreurs sur... la satisfaction..., les peines du purga­ tions furent faites. Claude de Saintes, abbé de Luneville, aurait désiré qu’on ajoutât des textes scriptu­ toire ». raires; Laynès désirait qu’un canon vint corroborer Parmi les « propositions tirées des écrits de Luther hi déclaration du décret. Ibid., p. 1071. Les évêques autres (pie la Captivité de Habylone », la faculté de français désiraient partir et ne pouvaient être rete­ Paris signale (tlt. xi) neuf propositions touchant le nus; les décrets furent donc lus, comme il avait été purgatoire, ct elle leur inflige une censure doctrinale : convenu, ct acceptés par acclamation par la presque l. · Il n’y n absolument rien dans l’Écriture sur le purga­ totalité des Pères. Ibid., p. 1076. Dès le lendemain, le toire. · (A. 37 de In bulle).— Fausse, favorable â l’erreur décret sur le purgatoire fut publié en la xxv· ct der­ des vnudois, répugnant nu sentiment des saints Pères. nière session. n. · Il ne paraît pas prouvé que les âmes du purgatoire 3° Censures des universités. - 1. La première faculté qui s'occupa de Luther fut la faculté de Louvain. Elle soumit à l'examen de la faculté de Cologne un travail de 488 pages avec diverses publications de Luther. Lc 30 août 1519, la faculté de Cologne donna son jugement en tonne solennelle. Elle signale les erreurs suivantes touchant le purgatoire : soient hors d’état de mériter ou de croître en charité. · (Th. xvm du 31 oct. 1517; bulle, a. 38).— Fausse» témé­ raire. impie et. en tant qu'elle pretend que ccs âmes sont en cet état, erronée dans la fol. m. « Il ne parait pas prouvé que 1rs âmes du purgatoire soient certaines de leur salut, du moins toutes. » (Ibid., th. xix; bulle, n. 38). - Fausse» présomptueuse ct, en tant qu’elle alllrmc cette incertitude, contraire â la tradi­ tion de l'Église cl à la doctrine des saints. iv, « Les âmes au purgatoire pèchent continuellement, Cum catholica Ecclcsia, Spiritu Mincto edoctu, ex sacris Litteris cl antiqua Patrum traditione, in sacris conciliis et novissime in hac œcumcnlca synodo docuerit, purgatorium esse, unimasque ibi detentas ndclhim suffra­ giis, potissimum vero ucceptablli altaris sacrificio juva- Puisque 1* Église catho­ lique, instruite par l’EspritSaint. à la lumière des saintes Écritures et de l’an­ tique tradition des Pères, u enseigné dans les sucrés con­ ciles ct enseigne en dernier lieu dans cc concile oecumé­ nique qu’il y n un purgatoire ct que les âmes qui y sont 1279 PURGATOIRE. LE CONCILE DE TRENTE ri : pnrclplt sancta synodus détenues sont secourues par episcopis, ut sanam de pur- les suffrages des fidèles et gntorio doctrinam, n sanctis surtout par le saint sacrifice Patribus et sacris conciliis de l'autel, le saint concile traditam, n Christi fidelibus prescrit aux évêques de credi, teneri, doceri cl veiller Λ ce que lu doctrine ubique pnrdicnri diligenter vraie du purgatoire, reçue studeant· Apud rudem voro des saints Pères et des saints plebem difficiliores ne siibti- conciles, soit prêchéc parllorrsquxstJones, quæquc ad tout avec zèle cl que les «di «ca lion cm non faciunt, chrétiens en soient instruits, ct ex qulbtis plerumque nulla s’y attachent cl la croient, fit pietatis accessio, n popu- Mais, près de la foule peu laribus concionibus scchi- instruite, les prédications dantur. Cf. 1 Tim., !, 4; populaires devront être déit. 23; Tit., m, 9. Incerta pouillées de toutes questions item, vcl qua· specie falsi plus difficiles ct subtiles, (pii laborant, evulgari ac trac- ne présentent aucune utilité tari non permittant. En pour l'édification ct desvero qua· ad curiositatem quelles il ne sort la plupart quondam aut superstitionem du temps aucun profit pour spectant, vel turpe lucrum la piété. Les évêques ne persapiunt. tamipiam scandala mettront pas qu’on y aborde cl fidelium offendicula pro- les points incertains ct qu'on hibeant. Curent nutem épis- y affirme des choses nppacopi, ut fidelium vivorum reniaient fausses. Qu’ils Insuffrngia, missarum scilicet terdisent comme scandaleux sacrificia, orationes, clccmo- ct offensant pour les fidèles synxe (iliaque pietatis opera, tout cc «pii sc rapporte à la qu» n fidelibus pro nlils fide- pure curiosité, tout ce qui libus defunctis fieri consue- s'inspire d'un lucre honteux, vcrurit. secundum Ecclcslæ Mais, au contraire, les instituta pic et dévote liant, évêques veilleront Λ cc que ct qua· pro Illis ex testato- les suffrages des fidèles vi­ rum fundationibus vcl alia van ts, â savoir les sacrifices ratione debentur, non per- des messes, les prières, les functorie, sed a sacerdotibus aumônes ct les mitres œuvres et licclcsiæ ministris et aliis, de plétéqucles fidèle»s ivants qui hoc pnrstarc tenentur, ont coutume d’offrir pour les diligenter et accurate pcrsol- fidèles défunts sc fassent vantur. Denz.-B.innw.,n. 983 nsec piété et dévotion, selon (sauf la finale) ; Cuva liera, les institutions de l'Églisc. n. 1462. Les suffrages dus aux défunts par suite des fondations éta­ blies par testament ou de toute mit rem inièrc, devront être acquittés non avec né­ gligence, mais avec soin et diligence, par les prêtres ct les ministres de l'Églisc et les autres qui y sont tenus. 1280 Des conciles les Pères de Trente rappellent simple ment le décret d’union des Grecs, bulle Lœlcntur arli, ! du concile do Florence. D'apres l’indication fournie par E. Elises, Conc. Trid., t. ix, p. 1077, note 3 ct L Le concile de Trente lui-même avait déjà touché in­ directement ou directement à la question du purga­ toire en deux endroits, sess. vi. De justificatione, can. 30, ct sess. xxn. De sacrificio missa:, can. 3, cf., c. n. Le rappel de ces deux textes conciliaires fixe l'objet précis de la définition tridentine. 2. Objet précis de la définition tridentinc. — a) Sess. vi, can. 30 : Si quis post acception Justificationis gratiam cuili­ bet peccatori pie ni tenti ita culpam remitti ct reatum «tenue pœnæ deleri dixerit, ut nullus rem oieat reatus pœnæ temporalis, exsolven­ da* vcl in hoc ssoculo, vel in futuro, in purgatorio, ante­ quam ad regna cælorum aditus patere possit: A. S. Denz.-B.mnw., n. 840. Si quelqu'un dit qii’h tout pêcheur pénitent qui a reçu la grâce de la justification l’offense est tellement remise cl l'obligation h la peine éter­ nelle tellement effacée, qu’il ne lui reste aucune obligation de peine temporelle à payer, soit en ce monde, soit dans l’autre, au purgatoire, avant que l’entrée au ciel lui puisse être ouverte, qu’il soit ana­ thème. Dans le c. xiv, qui correspond à ce canon, le concile s’était contenté d'affirmer que « la pénitence d'un chré­ tien tombé dans le péché est bien différente de celle du baptême; elle renferme... la satisfaction par le jeûne, les aumônes, les prières et les autres exercices de la vie spirituelle, non certes pour la peine éternelle qui est remise avec la faute par le sacrement ou par le désir du sacrement, mais pour la peine temporelle qui (ainsi l'enseignent les saintes Écritures), n’est pas toujours, comme dans le baptême, remise entièrement ». Dcnz.Bannw., n. 807. Dans le canon, le concile fait allusion à la possibilité de payer cette dette satisfactoirc, soit en ce monde, soit dans l'autre, au purgatoire. La doctrine générale de la satisfaction pour la peine due nu péché, pardonné est reprise par le concile, sess. xiv, c. H et can. 12. Voir Pénitence, t. xn, col. 1089, 1110. b) Sess. xxii, De sacrificio missa:, can. 3 : Si quis dixerit, missa· sa­ crificium tantum esse laudis ct gratiarum actionis, nut nudam commemorationem sacrificii in cruce peracti, non nutem propltlatorium, vel soli prodesse sumenti, neque pro vivis et defunctis, pro peccatis, pœnls, satis­ factionibus ct aliis necessita­ tibus, offerri debere; A. S. Dcnz. - Bannw., n. 950. Si quelqu’un dit epic le sacrifice de In messe est seu­ lement [un sacrifice] do louange et d'nctlon de grâces, ou une simple cornmémondson du sacrifice ac­ compli sur la croix, ct non pas un J sacrifice) propitia­ toire, ou bien qu’il ne profite qu’au seul prêtre commu­ niant ct qu’il ne doit pas être offert pour les vivants et pour les morts, pour les pé­ chés, les peines, les satisfac­ tions ct toutes les autres nécessités, qu'il soit ana­ thème. Cc decret concernant la croyance au purgatoire est intéressant à plus d'un titre ct appelle uti commen­ taire : 1. Les sources de la croyance au purgatoire sont indiquées : Écriture sainte, tradition antique des Pères, conciles et très récemment le concile de Trente luimême. De la sainte Écriture le concile ne dit rien de plus précis; il laisse donc aux théologiens et aux exégètes le soin de chercher en quelle façon l’Écriture peut donner un fondement à la croyance au purgatoire, soit par des textes précis, comme Eck avant le concile de Trente ct Bcllarmin, après cc concile, ont voulu le faire, pour­ Ce canon correspond au c. n, dans lequel le concile chassant ainsi Luther sur le terrain même que sa pro­ rappelle la valeur propitiatoire du sacrifice de la position 37 voulait éluder, soit parla doctrine générale, messe : celte valeur ne fait, en aucune façon, tort à ( xpllcltcmcnt proposée par l’Écriture, d’une expiation celle du sacrifice de la croix : « aussi, conformément ù nécessaire pour tout péché non encore entièrement la tradition des apôtres [la messe] est oITcrtc non seu­ réparé. Nous avons ici même tracé la marche de cette lement pour les péchés, les peines, les satisfactions et double démonstration ex sacris Litteris. les autres nécessités des fidèles vivants, mais encore De l anlique tradition des Pères, les théologiens et pour ceux qui sont morts dans le Christ ct ne sont pas les prélats assemblés à Trente ont invoqué dans leurs encore entièrement purifiés ». I)cnz.-Bannw., n. 910. travaux préliminaires les deux chapitres de la premiere Voir Euciiaiustii:, t. vi, col. 833-831. partie du Décret de Grotlen, can. I, Qualis; can. 5,Qui Ces deux points, déjà définis avant )a xxv· session, in aliud, disL XXV, le premier tiré de saint Grégoire, fixent la portée dogmatique du décret concernant le /)l il.. I IV, c. xxxix, P. L.. t. lxxvii, col. 396, le se- 1 purgatoire : sont proposés comme vérités de fol divine cond attribué a saint Augustin, en réalité de l’auteur ct cothellque les deux seuls points déjà touchés au con­ inconnu du De cera cl /alsa pernitentia, n. 18, P. L., cile de Florence et antérieurement énoncés par le t. xl, col. 1118. II’ concile de Lyon : existence du purgatoire, c’est-à- 1281 PURGATOIBE. SYNTHÈSE CATHOLIQUE 1282 dire de peines ultra-terrestres subies par les dînes non Florence(voir col. 1262) et la profession de foi de Pie IV. encore totalement purifiées de la dette de peine atta­ Dcnz.-Bannw., n. 1084. chée aux péchés pardonné*; utilité des suffrages des 3. Profession de foi de Benoît XIV ( 1743) imposée vivants pour le soulagement des défunts, ct principa­ aux Orientaux. — Reprise des professions de foi de lement de l'oblation du sacrifice eucharistique. · Il y a Florence et de Trente. Denz.-Bannw., η. 1168, 1173. un purgatoire, dit noire décret, ct les âmes qui y sont L Condamnation par Pie VI de la proposition 12 du détenues sont secourues par les suffrages des fidèles ct synode Janséniste de Pistoie, déclarant · lamentable et surtout par le saint sacrifice de la messe. · illusoire l'application des indulgences aux défunts ». 3. Prescriptions disciplinaires. — Cette doctrine Dcnz.-Bannw., n. 1512. saine du purgatoire, qui se réduit essentiellement à ccs 5. Déclaration de Léon XIII : deux points, devra être prêchéc partout avec zèle; les De plenitudine infiniti spirit uniis thesauri ad eoi quoque chrétiens devront en être instruits, s’y attacher ct la dilectos Ecclrsbe filios, largius quo fieri possit prodesse cupi­ croire. Les évêques devront veiller à cc qu’il en soit mus. qui morte justorum obita de militia hujus vitλ: migra­ ainsi. Le concile n’exclut pas de l’enseignement les runt cum signo fidei ne mysticæ vitis Inserti propagini, ita autres questions plus difficiles et subtiles, mais il ne tamen ut prohibeantur ingressu in æternam requiem usque veut pas qu’elles soient le thème des prédications popu­ dum divinse justitia ultrici pro contractis debitis nd mini­ mum reddunt quadrantem. Movemur autem tum piis laires. Et la raison en est qu'elles ne présentent aucune catholicorum sotis... tum lacrimabili pœnarum quibus utilité pour l'édification ct qu’il n’en sort souvent au­ defunctorum animx cruciantur .atrocitate... Sic nimirum cun profit pour la piété. Avec quelque apparence de piæ nnimie, in quibus noxarum reliquiæ terribili cruciatuum vérité il faut considérer comme inutiles les questions magnitudine cluuntur, peropportunum nc singulare sola­ concernant le lieu du purgatoire, la nature, l'intensité tium percipient ex hostia salutari. Ex litteris Quod anniver­ et surtout la durée des peines que les âmes y souffrent. sarius, dic Paschatis 1838. à l’occasion du Jubilé. Cava liera, Ou. si l’on aborde ces questions devant un auditoire n. 1463. Cf. Acta sancta: Sedis, t. xx, p. 4!8. plus cultivé, qu’on le fasse avec toutes les nuances et VU. La synthèse catholique dans la théologie les réserves voulues. L’état des âmes souffrantes par postthî dentine. — Depuis les définitions du concile rapport ù leur salut éternel nous semble, au contraire, de Trente, deux théologiens ont surtout contribué a entrer dans l’exposé du dogme lui-même du purgatoire: donner a la théologie du purgatoire sa physionomie le purgatoire, étant par définition un état essentielle­ définitive, Bcllarmin et Suarez. Ce n’est pas cependant ment temporaire ct préparatoire à la béatitude, ne aux détails mêmes que s’applique cc caractère défini­ saurait être exposé en ses lignes essentielles sans qu’on tif : des précisions exégétiques, amorcées pour une affirme en même temps l’état de sainteté des âmes qui bonne part par Suarez, ont été apportées au sens des expient et la certitude où elles sont de posséder un textes scripturaires: aux xix* et xx« siècles, la critique jour le bonheur céleste. 1 a dû restituer certains documents pntristiques à leurs Les points incertains, par exemple les prétendues véritables auteurs; la piété ou la curiosité des théolo­ certitudes de libération des âmes grâce â l'application giens a soulevé, sans pouvoir d’ailleurs les résoudre de certains suffrages, devront être éliminés. Les choses sérieusement, plusieurs à-côté du problème tradition­ apparemment fausses, comme les récits d'apparitions nel. Mais, en somme, le cadre ct les solutions indiqués qui ne seraient pas historiquement démontrées, seront par Bcllarmin et Suarez sont demeurés à la base des impitoyablement passées sous silence. Enfin, tout ce traités modernes De purgatorio. Avec les théologiens post trident ins, nous ferons la qui pourrait scandaliser les fidèles, tout cc qui relève­ rait de la pure curiosité, tout ce qui touche à In super­ synthèse de ce traité en étudiant : Ie l'existence du stition ou s’inspire de l’esprit de lucre, est d’avance purgatoire; 2e les peines; 3° l'état des âmes; 1° l’effi­ condamné. C’est ainsi que, dans le décret disciplinaire cacité des suffrages offerts pour les défunts; 5° quel­ ques aspects secondaires du problème. De observandis cl evitandis in celebratione missarum /. L*BX1STR\CB DC PURGATOIRE. — Elle est consi­ (voir ici, t. x, col. 1139-11 11), le concile prescrit l’abo­ lition · d’un nombre déterminé de messes, célébrées dérée par tous comme un dogme de la foi. Elle est par manière de superstition bien plutôt que par esprit démontrée par l’Écriture, par la tradition, par la raison de pitié véritable ». Conc. Trid., t. vm, p. 963. Cette théologique. Enfin les apologistes font valoir l’accord interdiction est précédée, dans le décret, de l’obliga­ de la doctrine catholique avec les exigences purement tion < de n’introduire dans la célébration de la messe rationnelles ainsi que ses convenances morales. 1® La démonstration scripturaire. — Nous avons aucune pratique, cérémonie ou prière que celles approuvées par l’Église et reçues par un usage louable reproduit, au début de cet article, les témoignages sur cl répandu ». Les neuvaines pour les âmes du purga­ lesquels s’appuie Bcllarmin pour démontrer, en pre­ toire ainsi que la célébration des trente messes grégo­ nant le contre-pied de la proposition 37 de Luther, riennes sont approuvées par l’Église. elles font donc l’existence du purgatoire. Bcllarmin, Controversiκ, De exception à ces prohibitions portées par le concile. Il purgatorio, dans Opera, éd. \ ivès, t. m. p. 53 sq. On faut en dire autant de toute pratique de pieté accom­ a noté que, pour conférer à la plupart des textes de plie en faveur des âmes souffrantes, dès ΙΛ que cette l’Ancien Testament une valeur démonstrative. Bellarmin avait dû les faire escorter d’un imposant cortège pratique est autorisée par l'Églisc. La dernière partie du décret concerne les fondations d’interprétations pntristiques qui en précisent le sens. de prières ou de messes en faveur des âmes du purga­ J. de La Servière,jLa théologie de Dellarmin, Parts, toire. Le concile prescrit â ceux qui sont chargés de iWJSTp. 2787------- ---------- ~------les acquitter de le faire avec tout le soin et toute la Suarez suit de plus près le sens littéral des textes. diligence possibles. Le can. 6 De reformatione de In De pirnilentia, disp. XLV, De purgatorio in genere, xx!i· session concède cependant â l’évêque un droit dans Opera, éd. VlvèS, t. x.xti, p. 879 sq. De l’Ancien de commutation des dispositions testamentaires, s’il y Testament il nc retient comme texte vraiment probant a des raisons graves. Ibid., p. 96G. que 11 Mac., xn, 42 sq. Les autres témoignages ou 5° Le magistère de T Église après le concile de Trente. peuvent être discutés, ou n’apportent qu’une indica­ — 1. La profession de foi de Pie IV (1564): Constanter tion probable, ou encore doivent être abandonnés. Du teneo purgatorium esse, animasque ibi detentas fidelium Nouveau Testament certains textes lui paraissent dis­ suffragiis juvari. Dcnz.-Bannw.. n. 998. cutables ou d’une valeur simplement probable : 1 Cor., 2. Profession de foi de Grégoire XIII (1575), impo­ xv, 29; Luc., xvi, 9; d’autres sont démonstratifs: ser aux Grecs. — Elle reprend le texte du concile de Matth., v, 26; xn, 32; d'autres enfin lui paraissent PICT. DE TltâoU CATIIOL, T. — XIII — 4L 1283 PURGATOIRE. EXISTENCE affirmer un principe dont on pourrait déduire ie pur­ gatoire, ct c’est encore bien obscur: Act., n, 21; Mat th., v, 22. C’est I Cor., m, 11-15, qui retient toute l'atten­ tion de Suarez. H est hésitant sur le sens à donner à la métaphore du bois, dc la paille, du foin : péchés véniels ou péchés mortels? Mais salvus erit indique à coup sûr non la persistance dans l’existence, mais le salut éter­ nel. N. 11-18. Incertitude également quant à la per­ sonnalité des constructeurs de l’édifice : n’importe que! juste ou simplement les prédicateurs de la foi? Hésita­ tion pareillement sur le feu dont il est question comme instrument de l’épreuve à laquelle seront soumises les œuvres dc chacun. N. 22-28. Mais finalement Suarez s’arrête à ccttc solution : < Tous seront examinés par le feu parce que tous seront jugés pour savoir si le feu purificateur doit leur être appliqué. » N. 28. On le voit, à part le texte de 11 Mac., grandes hési­ tations partout, même dans l’interprétation de I Cor., ni, 11-15. Cc texte cependant a été si universellement invoqué dans l’Église latine que presque tous les théo­ logiens modernes l’ont retenu, unanimes à s’appuyer sur II Mac., xn. 12; Matth., xn, 32, ct I Cor., tn, 11-15. Ainsi D. Palmieri, De novissimis, § 20, n. 5-11 (il ajoute un quatrième texte, Luc., xn, 58); C. Mazzclla, De Deo creante, n. 1331-1333; Ch. Pesch. Pnrtecliones dogmatics, t. ix, n. 589-591 ; Billot, De nouissimis, th. v (certains textes dc l’Ancien Testament cependant cités comme illustrant, par l’usage antique dc la Syna­ gogue, le geste de Judas Macha bée); Lépicier, De novissimis, q. v, a. 1, n. 3 (p. 251-251) (en plus, Matth., ni, 11); Sanda, Synopsis, t. i, § 350, n. 1-5; Hugon, Tractatus dogmatici, t. iv, De nouissimis, q. iv, a. 2 (en plus, Matth., v, 26); Tanquerey. Synopsis, t. ni, n. 1126, etc. Plus strict, Perrone n'admet, avec raison, nous semble-t-il, que H Mac., xn, 12, cl Matth., xn, 32, Printedtones theologiae, éd. Migne, Paris, 1856.1.1,col.836. Diekamp s’appuie sur II Mac., xn, 12, I Cor., m, 10-15 et II Tirn., i, 16-18, Theolo­ gia· dogmatlie manuale, t. iv, Tournai, 1931, p. 516517. Labauchc passe sous silence l'argument scrip­ turaire, Leçons de théologie dogmatique, t. n, Paris, 1911, p.-lll. On peut s’étonner, en revanche, de trouver encore des auteurs qui accordent une importance exagérée à certains textes de l’Ancien Testament. G. Atzbergcr n’a pas su éviter ce défaut dans son volume, Die chrislliche Eschatologie inden StadienihrerOfJenbarung, Fribourg-cn-B.. 1890. Et nous le rencontrons, plus accentué encore, dans J. Bautz, Dus Ecgleuer, Mayence, 1883, ct Fr. Schmid, Das Eeg/ruer, Brixen, 1901. 2° L'argument de tradition. — L’argument de tradi­ tion est développe avec complaisance par Bcllannin. Ce théologien montre d’anciens conciles des diverses Églises reconnaissant expressément le purgatoire, ou l’admettant équivalcmment lorsqu’ils recommandent la prière pour les morts. Il signale cette prière dans toutes les liturgies connues; il montre que cette prière n’a pas seulement pour but, comme le disaient Pierre Martyr. Loci communes, Londres, 1576, p. 768, ou Cal­ vin. institution chrétienne, (ci-dessus, col. 1270) de rap­ peler aux vivants la pensée de la mort ou d'empêcher que le souvenir des défunts ne périsse de la commu­ nauté chrétienne; mais les textes liturgiques et les inter­ pretations qu’en donnent les Pères montrent bien que l’objet de la prière est le soulagement, la délivrance des âmes soutirantes. Bcllannin. op. rit., c. vi, p. 76. Enfin il est possible d'apporter des textes positifs dans lesquels les Pères ou recommandent la prière pour le soulagement des défunts, ou exposent clairement la doctrine catholique sur la matière. Ibid., c. x, p. 79-82. Bcllannin n’apporte aucun texte clair antérieur au iv siècle; mais sa démonstration lui parait si convain­ cante qu'il n'hésite pas à conclure : « Quand bien même 1284 les Pères n’auraient jamais nommé le purgatoire, il suffirait de leur enseignement si clair sur le besoin que certaines âmes ont de soulagement, ct sur le secours que leur apportent les prières des fidèles, pour être fixé sur leur sentiment. > Ibid., p, 81. Cf. J. dc La Scrvièic, op. rit., p 282-283· Suarez n’apporte rien de nouveau aux textes invo­ quée par Bcllannin. Il fait simplement remarquer que beaucoup d’assertions relatives au purgatoire sont formulées par les Pères dans leur commentaire des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament qu’on a coutume d’invoquer, surtout de 1 Cor., m, 11-15. Plu­ sieurs autorités citées par Suarez doivent être aujour­ d’hui éliminées comme inaulhentiques. Op. cil., n. 3033. Les théologiens postérieurs n’ont pas ajouté grand’ chose à ccs essais encore informes de théologie positive. Il convient cependant de rappeler l'opuscule d'Arcudius, De purgatorio igne adversus Barlaam, Borne, 1637 (on sait que l’étude attribuée ici à Barlaam est en réalité le discours dc Bessarion au concile de Florence, voir col. 1252) ; l’ouvrage d’Al latins, De utriusque Eccle­ sias occidentalis atque orientalis perpetua in dogmate de purgatorio consensione, dans Migne, Theologi ic cursus, t. xviu (cet ouvrage, paru à Home, en 1655, s’efforce de supprimer toute divergence entre l’Église grecque cl l’Église romaine : la critique y perd parfois scs droits); Arnauld, Perpétuité, de la /oi, éd. Migne, Lin, L VIII, c. vi-x, p. 1123 sq. Les deux dernières éludes ont contribué dans une large mesure à attirer l’atten­ tion des théologiens sur les points dc contact ct de dis­ semblance qui régnent entre les deux Églises. Le tra­ vail a été repris, au xix® siècle, d’une manière encore assez peu critique par Valentin Loch. Das Dogma der gricchischen Kirchc uom Purgatorium, Kalisbonnc, 1812. Des deux ouvrages déjà cités de Bautz ct dc Schmid la critique est totalement absente. Bartmann. Das Fegfeuer, Paderborn, 1928, est plus au point. L’ouvrage d’Atzberger, Gcschichte der christlichen Es­ chatologie innerhalb der uornicdnischen /.cil, Fribourgcn-B., 1896, s’efforce d’élucider, pour les trois premiers siècles, plus d’un point obscur. Les théologiens récents insistent tous sur le fait que, dès les débuts, l’Église a prié pour les morts. Quant aux textes positifs concernant le purgatoire, ils sc con­ tentent le plus souvent dc faire un choix parmi ceux qui leur paraissent le plus convaincants. Le manuel dc Tancpiercy) op. cit., I. m, n. 1127, nous semble avoir fourni Tamcillcure indication relativement à la façon d’envisager l'argument de tradition : il marque trois stades dans l’aflirmation du dogme du purgatoire : pendant les quatre premiers siècles, l’existence du pur­ gatoire est confessée dans l’universelle pratique d’offrir des prières el des sacrifices pour les défunts, et même déjà quelques Pères parlent explicitement du purga­ toire; à partir dc saint Augustin les témoignages en faveur du purgatoire commencent à sc multiplier ct à se préciser, et les Pères postérieurs à Augustin précisent encore cette doctrine; enfin la pleine possession de la vérité se manifeste au Moyen Age avec les scolastiques et s’affirme â Lyon ct à Florence. On remarquera que c’est le cadre même de notre article. Ch. Pesch est peut-être 1’auteur qui a le mieux utilisé les documents dc la tradition, op. cil., t. ix, n. 592-596; mais aucune élude d’ensemble n’a encore été faite. L’argument de tradition doit se compléter par l’é­ lude des conciles. Bcllannin et Suarez ont rappelé opportunément certaines decisions de conciles parti­ culiers concernant les suffrages accordés aux défunts. Bautz a assez bien colligé ces décisions. Op. rit., part. I, § 9, p. 105-108. Mais le concile de Florence n’a pas été suffisamment étudié sur la question du purgatoire. Les théologiens sont d’ailleurs excusables, les Actes con- 1285 PURG ATOIRE. EXISTENCE «niant le purgatoire n'ayant été publiés qu'en 1922. Aussi avons-nous voulu les résumer ici aussi complètement que possible. Les éditions futures devront tenir davantage compte du décret d'union qui, précisément pour permettre l'union, se tait sur la question du feu réel. Enfin l’argument s’achève par le rappel des liturgies diverses, qui toutes comportent la prière pour les défunts. Sur ce point l’argument proposé par nos théo­ logiens posltridentins sc ressent de la solidité et de l’antiquité de la tradition ecclésiastique elle-même. Les auteurs plus récents y ont apporté une érudition plus considérable et un souci plus marqué dc la critique des documents. Mais essentiellement l’argument demeure, comme il l’a toujours été, le plus solide de tous. 3° La raison théologique. — Un certain nombre d’au­ teurs passent sous silence cct argument, par exemple Perrone, Palmieri, Ch. Pesch. D’autres ne font que l’indiquer en passant, ou même la confondent avec l’ar­ gument dc raison de convenance. 11 nous semble qu’un argument très solide ct très convaincant dc raison théologique doit être apporté en faveur dc l’existcncc du purgatoire. C'est celui-là même que nous avons développé dans le § 1 dc la deuxième partie dc cet article : l'expiation personnelle dans l'éco­ nomie de la rédemption (col. 1179 sq.). Bcllannin, sans remonter à cc principe général, en note cependant les applications à propos du purga­ toire : il y a des péchés véniels ne méritant qu’une peine temporelle; il peut donc arriver qu’un homme meure ayant dc tels péchés sur la conscience; ils doivent donc être expiés dans l’autre vie. Le même raisonnement vaut pour le pécheur réconcilié avec Dieu mais ayant encore une peine temporelle à expier. Loc. cit., c. x, p. 81. Entre les très bons, à qui la récompense éter­ nelle est immédiatement conférée, ct les très mau­ vais, qu’attend le supplice éternel, il y a place pour les médiocres, qui doivent être purifiés avant d’entrer dans l’éternel bonheur. Ibid., p. 85. Suarez, plus théologiquement peut-être que Bellarmin, rappelle les trois principes qui commandent l’ar­ gument de raison théologique : l’existcncc des péchés véniels non expiés à la mort. op. cit., n. 34: l’existence d’une peine temporelle due aux péchés mortels pardonnés, n. 35; la nécessité morale (ad diviruc justitii? æquitatem pertinere) d’une expiation pour que le pécheur encore endetté envers la justice <11 vine puisse entrer au ciel. N. 36. C'est l’argument ébauché par saint Thomas dans les deux articles De purgatorio dc l’appendice dc la Somme théologique (voir col. 12 10) ct que l’on retrouve, plus ou moins écourté, dans la plupart des manuels dc théologie. Mazzella, op. cit., n. 1335; I higon, op. cil., q. iv, a. 2, n. 8, p. 791 ; Hervé. Manuale, t. iv, n. 656; Lépiclcr, loc. cit., n. 8; Diekamp, Manuale, t. iv, p. 518-519. Tanqucrcy, à tort, y volt une simple rai­ son de convenance, toc. cit., n. 1130; Billot se contente, dans son traité des fins dernières, de parler en géné­ ral des raisons théologiques per se obvias; c’cst qu’il a développé cct argument ailleurs, De personali et origi­ nali peccato. Home, 192 f, Dc reatu panse, p. 77 sq. ; De p ccato veniali, th. vin, p. 109 sq. 1° Les raisons de convenance. On les trouve déve­ loppées plus ou moins en connexion avec lu raison théologique. Nulle part on ne les trouve mieux présen­ tées que dans l’art. Purgatoire du Dictionnaire apolo­ gétique de lu foi catholique, l. iv, col. 512-515. L’auteur envisage tout d’abord les convenances rationnelles; ensuite les convenances morales. 1. Convenances rationnelles. — Pour les spiritualistes, le dogme du purgatoire n’a rien qui ne s’accorde pleinement avec les principes mêmes de la raison. L’ordre moral doit être rétabli dans la mesure où il a clé violé; 1286 j or, le rétablissement dc la Justice ne s’effectue en cc j monde que d’une manière très imparfaite : il semble donc conforme à la justice divine qu’une dette subsis­ tant encore à son égard après la mort appelle une répa­ ration dans l'au-delà. Ce qui différencie cet argument dc la raison théologique, c'est que la raison théolo­ gique s'appuie, en dernière analyse, sur les vérités cer­ taines que lui apporte la révélation touchant la répa­ ration due au péché; ici, la simple raison naturelle ne fait état que dc scs propres lumières. Dans le premier cas, l’argument est dc valeur contraignante; ici, il /offre comme une simple convenance, infiniment vrai­ semblable, mais qui ne s’impose pas à la raison d’une manière absolument certaine. Et c’cst à ce point de vue dc la convenance rationnelle que les auteurs rapportent les croyances convergentes des peuples païens euxmêmes, Égyptiens, Babyloniens, Perses, qui, sous des formes différentes, ont promulgué la nécessité d’une expiation pour les péchés, voire d’une sorte dc purga­ toire préparant l’entrée des âmes dans la félicité. Voir ici, col. 1167-1169. La doctrine de Platon confirme ccttc convenance rationnelle du purgatoire : · A peine séparées de leur corps, les âmes arrivent devant le juge, qui les examine attentivement... Aperçoit-il une âme défigurée par le péché, il l'envoie aussitôt avec igno­ minie aux cachots où elle doit subir les justes châti­ ments de ses crimes... Or il y en a qui profitent des peines qu’ils endurent; cc sont ceux dont les fautes sont de nature à être expiées... Toutefois cet amende­ ment ne s’opère en eux que par la voie des douleurs et des souffrances, car il n'est pas possible d'être délivré autrement de l'injustice. Pour ceux qui ont commis les plus grands crimes ct qui, en raison dc ccttc perversité, sont devenus incurables, Ils servent pour l’exemple. Leur supplice ne leur est d'aucune utilité parce qu'ils sont incapables dc guérison. » Gorgias, 522 sq.; Phé­ don, 113 sq. 2. Convenances morales. — Est-il besoin de montrer combien la doctrine du purgatoire est, pour le catho­ lique, bienfaisante cl douce? ( | En nous donnant une si haute idée dc la sainteté et de la majesté divine ct en tortillant en nous le sens de la justice, [celte doctrine j avive dans les âmes rapprehension de toutes fautes, même des plus légères, si bien que la pensée d’un purgatoire ou se purifient les défunts est puri­ fiante elle-même pour les vivants. Elle répond en même temps aux sentiments 1rs plus profonds comme aux aspirations les plus élevées du cœur humain. En nous rendant familière la croyance Λ l’immor­ talité dc l’âme et en tournant le cours de nos méditations vers l’au-dcl.i. en nous apprenant que le lien si fort et si doux qui nous attachait à nos chers disparus n’est pas entièrement brisé par le trépas, que nous restons en commu­ nion de pensée et de suinte charité avec eux; que nous pouvons encore faire quelque chose pour eux. alléger leur souffrance, leur ouvrir plus vile les joies du ciel, elle main­ tient vivant ct agissant le culte d’affection qui les entourait dan* leur vie ct qui s’exalte a la mort. Γt notre cœur nous pousse à leur donner, tant que nous leur survivons, le meilleur dc nous-mêmes, nos prières, uoe sacrifices, nos bonnes œusrcs. C’est la suprême consolation dans le déchi­ rement des séparations cruelles. Art. cltt, col. 514. 5° Les objections. — La théologie post trident Inc com­ plète ordinairement la question de l’existence du pur­ gatoire par la réfutation des objections soulevées pur les protestants. A Bellarmin. op. cit., c. xn. p. 86 sq., a Suarez, toc. cil., n. 38-10, il faut ajouter Ici Estius, In / Vun» .Sen/., dist, XXL § L qui semble avoir donné d’une façon plus précise encore, le cadre de celte dis­ cussion. Les efforts des adversaires portent à la fois sur le terrain scripturaire, patristique et dogmatique. 1. Au point de vue scripturaire, l’apologiste catho­ ( lique doit tout d’abord rétablir et défendre l'autorité cl le caractère canonique du II· livre des Machabécs. Voir plus haut, col. I IGG. Il lui faut ensuite établir le PURGATOIRE PEINES sens exact des textes du Nouveau Testament sur les­ quels il pense pouvoir fonder la révélation du dogme du purgatoire. Il est enfin nécessaire de préciser le sens et la portée dc certains textes qui semblent exclure un état intermédiaire entre le ciel et l’enfer pour les âmes séparées de leurs corps. Ces textes, dit Suarez, /oc. cit., n. 38, contiennent deux affirmations. La première est qu’après cette vie il n’y a plus possibilité dc mériter ou dc satisfaire par scs œuvres propres, mais il faut subir la juste sentence du juge, que ccttc sentence concerne l'enfer ou le pur­ gatoire, peu importe. Ainsi doit être compris Eccl., ix, 10:11 n’y a plus ni œuvre, ni science, ni sagesse, dans le séjour des morts où lu vas. » La seconde est qu’après cette vie il n'y a que deux termes ultimes vers lesquels sc dirige l’humanité responsable de ses actes: le para­ dis et l’enfer, cc qui ne veut pas dire qu’avant ce terme ultime du paradis, une expiation préparatoire nc sera pas à subir. Ainsi doivent être compris Eccl., xi, 3; Matth., xxv, 34, il; Marc., xvi, 16. Cf. Bcllarmin, op. d/., c. xn, p. 86. Si les adversaires insistent et pro­ posent certains textes qui semblent promettre la ré­ compense aux justes immédiatement après la mort, sans aucune attente, par exemple Ps., cxxvi, 2, 3; II Cor., v, I ; Apoc., xiv, 13; Joa., v, 21. il faut répon­ dre que l’Écriture, en aucun de ccs textes, ne parle d'une récompense immédiate : elle sous-entend tou­ jours la condition d’une justice parfaite au moment de la récompense, si digni sunt vel perfecte purgati. Cf. saint Augustin, In Joannem, tr. xlix, n. 10, P. t. xxxv, col. 1751. Suarez fait observer que ccs textes n’ont pas tous besoin d’une semblable explication. Au sens littéral le ps. cxxvi ne regarde pas la récompense de la vie future; saint Paul, dans II Cor., v, 1, invite à l'espérance d’une demeure éternelle, sans préciser le moment où on pourra l'habiter; l’Apocalypse ne vise que les parfaitement justes et, pour les autres, qui ont encore quelque expiation à offrir, il est déjà exact de parler de repos, puisqu’ils sont certains dc leur béati­ tude éternelle. Au canon dc la messe nous prions pour les Ames du purgatoire, qui reposent dans le Christ et dorment du sommeil de la paix. Suarez, loc. ctt.9 n. 3940. Saint Augustin avait proposé ici une autre explica­ tion : le cas visé serait celui des martyrs, be civitate Dei, I. XX, c. ix, η. 2, P. L., t. xli, coi. 671; cf. Lépicler, op. cit., p. 261. Enfin, Joa., v, 24, doit s'interpréter d’une recompense future, mais non nécessairement immédiate. Lépicler, op. cil., p. 265. 2, Au point de vue patristique, les textes objectés comportent certaines assertions relatives à l’impossi­ bilité, dans l'autre vie, de faire pénitence el d'offrir à Dieu des satisfactions. Saint Cyprlcn, Contra Demetrianum, n. 25, Harte!, t. i, p. 370; saint Jérôme, Comment, in Amos, I. III, c. ix, 5, P. L., t. xxv, col. 1111 D; saint Jean Chrysostome. In Epist. / ad Cor., hom. xxvm, n. 2, P. G., t. i.xi, col. 231; saint Augustin, Enchiridion, c. LXvm (simple doute sur cette possibilité), soir ci-dessus, col. 1222. Ccs textes doivent s'interpréter d’une manière générale comme les textes similaires de l’Écriture. On peut cependant trouver à chacun d’eux une explication particulière. Voir Lépicicr, op. cit., p. 265-266. Bcllarmin répond simplement qu’en déclarant qu’après la mort il n’y a plus de pénltcncc ni de satisfaction possible les Pères entendent parler de la satisfaction, dc la pénitence (pii précède In justification : « Les Pères, en effet, font mention expresse d'une double satisfaction : une qui précède la justification, et par laquelle Dieu est apaisé de congruo, par laquelle il est incliné à la rémission de la faute; l'autre qui suit la justification et par laquelle répara­ tion est faite à Dieu de. eondigno pour la peine encore duc · Op. cil., c. xm, p. 89. Par là nous rejoignons les objections dogmatiques. 1288 3. Au point de vue dogmatique, en effet, les protestants insistent surtout sur le fait que le Christ a suf­ fisamment satisfait pour nos péchés et que c'est faire injure à sa passion que d’exiger encore de notre part une satisfaction nouvelle, soit en cc monde, soit en l'autre. Cf. ci-dessus, col. 1267. Ils invoquent surtout Ueb., x, I I. Bcllarmin répond à l'objection dans le traité du purgatoire. Sans doute les mérites du Christ sont assez, grands pour effacer toute faute du pécheur et toute peine due à ccs fautes, « mais, pour être cfll· caces, ces mérites doivent nous être appliqués; celle application se fait par les sacrements et par les actes dc l’homme. Dieu a voulu en effet qu’après le baptême les mérites du Christ soient appliqués par la contrition et la confession, jointes à l'absolution du prêtre, pour la rémission de la faute; qu'ils soient appliqués parles œuvres satisfactolres de l’homme, pour la rémission dc la peine temporelle. Lorsque la faute est remise, la peine éternelle qui lui était due se change en peine tem­ porelle, la justice exigeant que le péché soit puni en quelque façon. » Op. cit., c. xiv, p. 92. Dans les déve­ loppements donnés par Bcllarmin ù cette idée fonda­ mentale, on retrouve les principes qui ont guidé le con­ cile de Trente dans l’élaboration du c. xiv, de la vî· session et du c. n de la xiv session. Voir ici, t. vm, col. 2178 sq.; t. xn, col. 1090. Dans le sacrement de pénitence la rémission des péchés se fait d'une manière moins libérale et moins plénière que dans le baptême : le pécheur justifié doit encore ordinairement expier quelque peine, soit en ce monde, soit en l’autre. S'il est vrai d'affirmer que l’homme nc peut plus mériter au purgatoire, il est faux que toute satisfaction doive être méritoire : « Celui qui pale une dette parce qu’un arrêt du juge l’y force satisfait h ses créanciers bien qu’il soit contraint. » Op. cil., c. xiv, p. 92. Aussi, pour marquer cc caractère contraint dc l’expiation temporaire d’outre-tombe, la plupart des théologiens posltridentlns emploient-ils l’expression de satispassion. Mais la plu­ part réfutent l’objection dogmatique des protestants dans le traité dc la grâce, au chapitre de la justifica­ tion, ou dans le traité de la pénitence, à la question du reatus pœnœ. La certitude d’une dette de peine, que laisse subsis­ ter la rémission de la coulpe, détruit par sa racine même une des principales objections des Orientaux. Voir col. 1251. L'objection proposée en premier lieu par Bcssarion (voir col. 1252) a retenu l'attention de quelques théologiens modernes. Billot a bien montré qu'il n'y a aucune parité entre le bien léger des damnés et le mal léger des élus. Le mal léger des élus ne sup­ prime pas leur mérite du ciel et n'exige qu’une expia­ tion temporaire. Le péché mortel, au contraire, morti­ fie toutes les actions méritoires accomplies par le pécheur avant sa faute : les bonnes œuvres ne sont méritoires qu'en raison de l’ordination à la récompense éternelle que leur confère la volonté divine; or, cette ordination n’existe plus dans les œuvres inert I fiées, et par conséquent celles-ci nc sauraient exiger, avant la peine éternelle, une récompense temporaire. Billot, op. cil., j). 97-98. Cf. saint Thomas, In /V“ln Sent., écïié/cneffêt?TestdcessentieHement dans la rotante de faire le mal, et donc, Pâme ayant pris, dans l’acte offensant Dieu, la part princlgaleet formelle, peut satisfaire sculeàlajusticedivinc. Γη purgatoire prolongé jusqu’à la résurrection des corps n’est donc pas nécessaire. En second lieu, il faut affirmer que la durée de la peine, loin d’être égale pour toutes les Ames, sera plus ou moins longue en propor­ tion de l’expiation requise. D’où suit une conséquence certaine, c’est que toutes les Ames nc resteront pas en purgatoire jusqu’à la fin du monde. Disp. XLVI, sect, iv, n. 3-6. Conclusion qui vaut, même abstraction faite du secours apporté par les suffrages de l’Église. Mais peut-on, en toute hypothèse, assigner un terme â la durée des peines. On sait que Dominique Soto en­ seignait que les souffrances du purgatoire sont si teribles, que les suffrages dc l’Église sont si efficaces, qu’aucune Ame, quelle que soit sa dette n’y doit séjour- [ ner plus dc vingt cl même de dix ans. In l Ve® Sent., (list. XIX, q. ni, a. 2. Bcllarmin rejette cette opinion, s’appuyant sur la pratique de l’Église autorisant l’of­ frande du saint sacrifice dc la messe pour des fidèles ! morts depuis cent ans et plus. Loc. cit. Quelques rares théologiens, entre autres Maldonal, De purga­ torio, q. v. ont suivi Soto sur ce point, mais hqires^ue nmpùmit é hn est plus ou mollis hostile. Tout en réprou­ vant 1 λρίηΐίίΐΐ (îcSol o, SCæ*zTWTaCToit pas digne dc censure, mais simplement incertaine, cl personnelle. Toutefois, il faut se souvenir de la condamnation por­ tée par Alexandre VI1 contre la proposition suivante : Γη legs annuel (fondation) pour l'âme d'un de/unl ne dure pas plus de dix ans. Denz.-Bannvv., n. 11 13. Voir t. i, col. 746. Sans réprouver directement l’opinion dc Soto, le pape condamne la conclusion pratique que cer­ tains en tiraient. Sur l’opinion deSoto et scs partisans, voir Diana. Desolationes morales, Lyon, 1667. part. IV, tr. \ III. resol. 101. Reprenant une expression d’Au­ gustin. Suarez conclut simplement : quanto magis mt· nusve transeuntia (anima·) dilexerunt, tanto brevius lar· diusvc salvabuntur. Les théologiens, en général, se pro­ noncent pour une durée assez longue. Cf. Bcllarmin. De gemitu columba·, 1. Il, c. tx. Il est d’ailleurs bien risqué dc sc demander combien de « temps » les Ames demeurent au purgatoire. Le i temps est la durée qui mesure les choses matérielles. Au purgiitoirc.il n’y n plus ni jours, ni années, ni temps, mais Kvum ou · éviternité ■. Voir Étehnitî . L v, col. 915. Comment estimer une durée qui échappe à nos conceptions terrestres? Aussi la plupart des théolo­ giens passent-ils rapidement sur une quest ion parfaite­ ment insoluble. Un seul problème intéressant se pose au sujet des justes que la fin du monde trouvera encore en vie? Comment leur purification pourra-t-elle avoir lieu en cet instant suprême? Les auteurs sc contentent en général de reproduire la réponse dc saint Thomas, Zzi 1290 / V·» Sent., dist, XLV II, q. n, a. 3, qu. 2, ad 5e® : ccs justes auront souffert auparavant des angoisses qui leur tiendront Heu dc purgatoire; le feu dc la confla­ gration générale leur servira dc feu purificateur avec d’autant plus d’efficacité qu’ils en accepteront volon­ tairement les atteintes; enfin l’intensité dc la peine (dc la chaleur, dit saint Thomas) compensera sa durée. Ainsi Palmieri, op. cil., p.76;Hugon,op. cit.,p.&0\; Hervé, op. cit., p. 641 ; Lépicier, op. cil., p. 373. Billot adoucit quelque peu, tout en demeurant dans le même sens doctrinal, cc qu’il y a dc peu vraisemblable en cette explicat ion. Op. cit.,p. 101. La solution nous parait contestable; elle est donnée dans l’hypothèse d’une purification faite nécessairement par le feu et compor­ tant une durée temporaire. Or, même dans l’opinion des Latins, la purification faite par le feu nc s’impose pas nécessairement comme explication, el l’évitemité doit être considérée comme la duree mesurant déjà cet instant solennel du jugement dernier. L'intensité de la peine, quelle que soit cette peine, peut donc seule être Invoquée ici comme explication plausible. 2° Sature des peines.— Bellarmin expose que trois choses sont certaines touchant la nature des peines pu­ rificatrices : la principale peine est la privation dc la vue de Dieu; il existe en outre une peine positive du sens; enfin cette peine est essentiellement un feu, soit réel, soit métaphorique. Mais il ajoute que. dc l’avis commun des théologiens, le feu du purgatoire est réel : les textes dc l’Écriture qui le décrivent ( !) doivent être pris au sens propre quand il n’y a pas dc raison dc les en détourner, et toutes les descriptions des Pères ne peuvent s’entendre que d’un feu réel. Op. cit., 1. II, c. x, xi, p. 118, 119. 1. La dilation de la vue de Dieu. — Suarez, reprenant le même thème, sc demande d'abord si la privation de la vision béatiûquc doit être considérée chez les Ames du purgatoire comme une peine du dam. Il relate tout d’abord l’opinion de Cajétan, qui. tr. IV, De attritione el contritione, q. iv, admet sans doute dans l’Amc puri­ fiée l’absence de la vision divine, mais nie que ccttc absence soit une peine. Cajétan estime que, toute aversion par rapport à Dieu étant ôtée de l’Amc sainte, la peine du dam, correspondant â ccttc aversion, nc saurait exister en clic. Suarez fait observer que, nonob­ stant la charité dont les Ames du purgatoire sont ani­ mées envers Dieu du fait qu’elles expient en raison des restes du péché, l’absence de vision béalifique com­ porte pour elles une véritable privation, donc une véri­ table peine. L’expiation requise est en effet une suite non seulement de la conversion vers le mal. mais encore de l’aversion de Dieu, qu’implique tout péché. Op. cit., disp. ΧΙΛΊ, sect. i. n. 1-3. Mais il est bon de noter (pie Cajétan n’envisage pas le cas des Ames du purgatoire. Il se peut donc que la polémique de Suarez manque d’objet. L'expression pana damni est retenue par la plupart des théologiens. Citons, parmi les mo­ dernes. Bautz. op. cil.,p. 130: Palmieri, op. cit., p. 70; Mazzella, op. cit., n. 1337; Tanquercy, op. cil., t. m, n. 1132; Hugon, op. cit., p. 792; Lépicier, op. cit., p. 2GS. Toutefois, la plupart dc ccs auteurs corrigent, par l’explication qu’ils en donnent, le sens du mot dam appliqué à la peine de la privation ou mieux, disent-ils, de la dilation de la vision héatlfique. Il ne s’agit donc pas en réalité de peine du dom au sens propre du mot. Ch. Pesch. op. cit., t. ix, n. 601. et Hervé, op.cit., t. iv, n. 662, notent expressément que ce n’est qu'un dam secundum quid el Billot nous semble avoir heureuse­ ment rompu avec la terminologie reçue en parlant sim­ plement de la peine de la dilation de la gloire. Op.cit., th. vu. C’est une véritable peine, écrit-il, puisqu’elle prive les Ames de la vision béatifique à un moment où elles auraient pu cl dû la posséder. P. 101. Et c'est là précisément le caractère qui distingue la dilation du 1291 PURGATOIRE PEINES purgatoire de celle des limbes avant Jésus-Christ. Pour les justes des limbes, le temps de la vision béatifique n’était pas encore arrivé; donc la dilation n’avait aucun caractère pénal. Hugon, loc. cit., p. 791. Nous estimons pour notre part que l’expression • peine du dam » devrait être éliminée totalement de la terminologie relative au purgatoire. Tout le monde est I d’accord pour reconnaître que le prétendu dam du pur­ gatoire n’est que très lointainement analogique au dam de l’enfer : pourquoi maintenir une expression capable d’induire cn erreur sur le véritable état des âmes au purgatoire? Le seul fait de l’espérance el de la certi­ tude du salut enlève à la privation temporaire de la vue de Dieu le caractère d’une véritable damnation. On lira, sur cette privation de la vue de Dieu, comme peine du purgatoire, la belle page de Lessius, De per/., div.,]. XIII, c· xvn: Les âmes justes, au moment même oü la gloire qui leur est préparée devait leur être conférée, sc volent rejetées et reléguées cn un cruel exil, tant qu’elles n’auront pas satis­ fait pour leurs péchés passés : elles cn ressentent une dou­ leur Incroyable. Combien est grande leur douleur, nous le pouvons conjecturer par quatre considérations. Premiè­ rement. elles sc voient privées d’un si grand bien, et cela au moment même oü elles auraient dû en jouir. Elles com­ prennent l’immensité de ce bien avec une force qui n’a d’égale que leur ardent désir de le posséder. Deuxièmement, elles volent qu’elles cn sont privées par leur faute. Troisiè­ mement. elles déplorent la négligence qui les n empêchées de satisfaire au moment oü elles auraient pu le faire faci­ lement, alors que présentement elles sont contraintes à de grands maux, et cette constatation accroît singulièrement l’nccrbité de leur douleur.Quatrièmement, enfin, elles voient quels trésors immenses de'TIens^terne!·. quels degrés de gloire céleste, si facilement accessibles, elles ont par leur faute négligés quand il était temps. En prenant conscience d’une façon extrêmement vive de tout cela, ces fîmes en éprouvent une grande douleur, comme nous-mêmes l’éprou­ vons dans les dommages humains, quand ces quatre circons­ tances sont réunies. On pourrait citer également bien des passages du Traité du purgatoire de sainte Catherine de Gênes, pris des c. ni et vi principalement : C’est une peine si excessive, écrit-elle, que la langue ne saurait l’exprimer, ni l’intelligence cn concevoir la rigueur... Si, dans le monde entier, il n’y avait qu’un seul pain qui pût satisfaire la faim de toutes les créatures, et qu’il suffit de le regarder pour être rassasié, songez ù ce qu’éprouverait un homme qu’un instinct naturel invite ft manger quand il est bien portant, et qui ne pourrait ni manger, ni être malade, ni mourir! Sa faim deviendrait de plus cn plus cruelle; sachant qu’il n’y n qu’un seul pain capable de le rassasier et qu’il ne peut y atteindre, il resterait en proie ft des tortures insupportables. C. vi. Cf. P. Faber, Tout pour Jésus, Paris. 1926, p. 388; !.. Bouzic, purgatoire, Paris. 1923. p. 163. 2. La peine du sens. — Suarez distingue nettement la question de la peine du sens, loc. cit., η. I sq., de la question du feu du purgatoire. J bld., sect, ιι, η. 1 sq. Non qu’il admette une peine positive distincte de celle que cause le feu. mais parce qu’il se pose tout d’abord la question de savoir sK/outeylcs âmes souffrent, en plus de la · peine du dam », uiie peine du sens. La tristesse qui résulte de la dilation de la vision béatitique ne sau­ rait ft proprement parler être nommée peine du sens, ibid., n. 6; mais peut-on concevoir que certaines âmes soient purifiées uniquement par cette dilation et la tristesse qui cn résulte? Certains l’ont prétendu, en raison des visions rapportées par Bède. Voir col. 1227. Parmi ces · certains » il faut compter Bellannin, qui admet comme probable l’existence d’un ilcîÇ faisant partie du purgatoire · où les âmes n’ont plus la peine du sens, mais seulement la peine du dam, purgatoire fort adouci, prison honorable, et comme sénatoriale, mais où cependant les âmes ne sont pas heureuses et 1292 souffrent même du retard apporté à leur béatitude ». Op. cit., c. vu, p. 112. Sans nier absolument lu vérité de cette vision, Suarez estime qu’elle doit êtrelnterprctée;quoi qu’il en soit, il if admet pas qu’au purgatoire la peine de la dilation de la vue de Dieu soit séparée de la peine du sens. Loc. cit., sect, i, n. 9-12. L’opinion contraire n’a d’ailleurs rien qui offense la doctrine catholique: clic est simplement étrangère au sentiment de la plupart des théologiens. Palmieri s’y rallie. Op. cit., p. 71. Toutefois il est nécessaire de rappeler que les Grecs, tout en niant l’existence du /eu du purga­ toire, n’entendent pas nier l’existence d’une peine positive du sens, affliction, douleur, chagrin, honte de la conscience, etc. Voir col. 1253, 1262. 11 est donc utile que, dans la synthèse théologique de In doctrine du purgatoire, on tienne compte de cette nuance. Peu de théologiens latins l’ont fait. 3. l'eu réel ou métaphorique? — Voir F BV du puhgatoihe, t. v, col. 2258 sq. Sur le degré de probabilité de l’opinion des Latins, voir col. 2260. 3° intensité. — Bellannin n’approuve pas l’opinion de saint Thomas d’après laquelle la moindre peine du purgatoire est plus douloureuse que la plus affreuse souffrance de la terre. Il sc rallie ft celle de saint Bona­ venture. Voir col. 1210. Sans doute la privation de Dieu est une grande souffrance, mais · adoucie, soulagée par l’espoir assuré de le posséder; de cet espoir naît une incroyable joie qui s’accroît ft mesure qu’approche la fin de l’exil ». Op. cit., c. xiv, p. 121. Des âmes con­ damnées au purgatoire peuvent n’avoir, au moment de la mort, que quelques fautes légères; il semble bien dur qu’elles soient punies par un supplice plus affreux que toutes les peines de la terre. Tel est le thème géné­ ral sur lequel sc sont greffées des opinions nombreuses et variées. 1. Gravité de la peine de la dilation. — Suarez n’hé­ site pas ft présenter cette peine comme la plus grave et la plus douloureuse pour les âmes du purgatoire. C’est là, dit-il, la doctrine commune, communis sen­ tentia. Op. cit., disp. XLVI, sect, i, n. 2. Le texte de Lessius, cité ci-contre, laisse entrevoir les raisons de cette douleur immense. Suarez reprend ccs raisons. Ibid., sect, ni, n. 1. Mais son instinct théologique lui fait entrevoir une difficulté devant laquelle saint Bona­ venture déjft s’était arrêté. Si ces raisons sont vraies, il suit de Ift que < les plus saintes âmes du purgatoire, bien que très légèrement coupables, sont punies le plus sévèrement quant ft cette peine et ft cette tristesse (de la dilation). En effet elles sont privées d’une gloire plus considérable, le bien qu’elles ne possèdent pas est plus grand, et la charité, racine de la douleur dans les âmes saintes, est plus grande cn elles. » Ibid., n. 2. De fait, nous trouvons chez certains mystiques des assertions de ce genre. Résumant la doctrine de sainte Catherine de Gênes, le P. Fabcr écrit · : L’âme se sent constam­ ment entraînée par la violence de son amour vers Dieu, qui peut seul la satisfaire. Celte violence est sans cesse croissante, tant que l’âme demeure privée de l’objet dont elle est si avide, et scs souf]rances croîtraient ά proportion, si elles n’étaient pas adoucies par l’espé­ rance ou plutôt par la certitude que chaque instant la rapproche du moment de son bonheur éternel. · Tout pour Jésus, p. 388-389. A cette difficulté, saint Bona­ venture avait répondu en disant que, du chef de la dilation, la souffrance des âmes n’était pas considé­ rable. Voir col. 1212. Suarez trouve ft bon droit cette réponse trop simple, et il fait deux remarques sensées; la première est que si, par rapport ft la nature même des choses, la peine de la dilation de la vue de Dieu doit apporter aux âmes les plus saintes la plus grande souf­ france, cependant, par rapport ft l’ordre de la justice divine, cette souffrance est tempérée en proportion de l’affection apaisée et parfaite avec laquelle les saintes 1293 PURGATOIRE. PEINES âmes l'acceptent, sans compter que l'espérance cer­ taine du bonheur adoucit la souffrance; la seconde est que la tristesse des Ames répond bien davantage aux degrés de gloire A Jamais perdus qu’à la dilation même de la gloire, ce qui fait que la tristesse est plus grande en une Ame moins parfaite, précisément parce qu’elle a perdu plus de degrés de gloire. Loc. cil., n. 3-1. Les modernes, en général, n’ont pas envisagé cet aspect de la question. 2. Gravité de la peine du sens. — Tous les théolo­ giens enseignent que la peine du sens est très grave et dépasse nos estimations d'ici-bas. Toutefois l’opinion de saint Bonaventure nülje de plui en plus les suffraîc^'iTcT'aïlÎ< u rs. 'S uafrz?’quTsignalcfes âcûÔTopinToïisTïWcT, nTô/d, conclut en disant qu'il n’est pas possible d’établir entre les peines du purgatoire et les souffrances d’ici-bas une comparaison proprement dite : on ne peut comparer que des réalités homogènes, et ici les peines sont de nature très différentes. Spéci­ fiquement toute peine du purgatoire, mêmî la plus minime, dépasse les souffrances de la terre, précisé­ ment parce qu’ello est d’un autre ordre de douleur et de mal. Mais accidentellement, c’est-à-dire dans scs effets sur telle ou telle Ame, la comparaison pourrait être établie; pourtant Suarez n’ose trop se prononcer. Voir, en faveur de l’opinion de saint Bonaventure, telllotjop. · il Πι.^νιι. § 2, p. 103-105; Pèse h.. op. cil., ΤΤΤΧΤη. 6O4.(Léplcîe^ qui semble pencher cn faveur de l’opinion plus dure de saint Thomas, conclut par une excellente remarque qui rappelle celle de Suarez : diximus pœnam purgatorii in suo genere omne id supe­ rare quod in hoc mundo patimur, quia cum altera sit con­ ditio animas separata* ab ejus conditione in prasenti vita, oportet ut etiam alterius rationis sit perna : unde comparatio non est univoca, sed secundum proportio­ nem. Op. cit., p. 271. Peu de théologiens ont tenté de supputer la gravité de la peine du sens au purgatoire par rapport à la peine du feu en enfer. Notons à ce sujet cette simple remar­ que des Snlmanticenses : « Nous ne pensons pas incon­ venant qu’un Juste quittant cette terre avec une quan­ tités! considérable de péchés véniels ou avec une dette si lourde pour des péchés mortels remis quant à la coulpe, mais non quant à la peine temporelle, subisse dans son temps de purgatoire une peine du sens plus atroce que celle qu’auront à endurer certains damnés, éternellement punis pour un ou deux péchés mortels. » La comparaison, notent ces théologiens, ne tient évi­ demment que pour certains aspects de l’atrocité de lu peine. De vitiis et peccatis, disp. XVIII, club. n, § 6. 1° Objet des peines purificatrices. — L’expiation pu­ rificatrice a-t-elle pour objet la coulpe ou la peine du péché? Lu question se pose non pour les péchés mor­ tels, mais pour les péchés véniels. Déjà ce problème avait été envisagé par les sentent laircs, et les théolo­ giens post trident ins n’en ont guère fait progresser les solutions. Quant aux péchés mortels, seul le debitum picnic peut être cn cause. L La coulpe des péchés véniels. — Bellannin sc demande comment les péchés véniels dont l’Aine peut être encore souillée au moment de la mort sont remis au purgatoire? Op. cit., L I, c. xiv, p. 93. 11 suit l’opi­ nion de saint Thomas : « Les péchés véniels sont rends dans le purgatoire par les actes d’amour et de patience qu’y produisent les Ames souffrantes; en effet, cette acceptation de la peine infligée par Dieu, procédant de la charité, peut être appelée une pénitence virtuelle, et, bien qu'elle ne soit pas proprement méritoire puis­ qu’elle ne mérite pas une augmentation de grâce ou de gloire, elle peut obtenir la rémission du péché .» Ibid., j). 93. Remarquons toutefois que saint Thomas, dont Bellannin cite l’opinion d’après le Commentaire sur les Sentences, a précisé, sinon corrigé, sa réponse dans le 1294 De malo (voir col. 1210) : c’est tout aussitôt que l’âme est affranchie des liens du corps, qu’un acte de charité parfaite efface la coulpe du péché véniel. Suarez, qui traite cette question dans la disp. XI, sect, iv, expose les diverses solutions bien plus claire­ ment que Bellannin et, après avoir rejeté les opinions qui lui paraissent improbables, sc rallie finalement à celle de saint Thomas dans le De malo : « Dansjejre­ in icr instant de la séparation de l’âme eT ducorpT, ITâmc émêrtln*àCtê lèK'Cnl «râfhoûr Iîe ÜletTêTee nu­ trition parfaite de toutes scs fautes précédentes. » Étant cn état de grâce, l’âme juste est en mesure, connaissant son état, de tendre parfaitement vers Dieu de toute la force de sa volonté soutenue et surélevée par la charité. Et ce mouvement suffit à cnlevcr.aussitôt tout ce qui est encore coulpe cn elle Loc. cit., n. 13. Ici se place une controverse extrêmement intéressante contre Cajétan. A cet instant de la séparation de l'âme d'avec le corps, Cajétan pense que l’âme est encore en état de mériter ou de démériter, puisque nondum est omnino extra viam, sed in termino vitre. In part. Sum. theot., q. i.xin, art. 5, fine. Le dernier Instant de la voie se confondrait ainsi avec le premier instant de l’état de terme. Suarez rejette avec vivacité cette hypothèse insoutenable : quæ sententia semper mihi dis­ plicuit, quia ex illa sequitur posse hominem esse in gra­ tia toto (empore vitre, et in illo instanti illam amittere; quod, ut opinor, repugnat Scripturis. L'inverse pourrait aussi devenir vrai : un pécheur, mourant en état de faute mortelle, pourrait ainsi, in primo instanti sepa­ rationis animie a corpore, sc réconcilier avec Dieu, ce qui n’est pas moins contraire aux Écritures. Suarez ajoute que le terme de la voie est extrinsèque à la vole elle-même; donc l’âme, à l’instant même où elle est séparée du corps, ne peut plus mériter ni démériter; elle est confirmée cn grâce ou fixée dans le mal. Loc. cit., n 14. 11 faut donc conclure que l’acte de charité agit, dans la rémission de la coulpe des péchés véniels à l’instant de la séparation, simplement comme dispo­ sition suffisante, et non comme cause méritoire. Voir, concernant la controverse susindiquée, les arguments que nous avons fait valoir, dans le sens de la thèse de Suarez, à propos d’un article récent. L'Ami du clergé, 1933, p. 756-761. L’opinion de saint Thomas, reprise par Suarez, est commune parmi les théologiens. Voir de Lugo, De pienilentia, (list. IX. sect, π; Palmieri, op. cit., § 22. p. 64-65; Mazzei la, op.cit., η. 1321 ; Pesch,op. cit.,n.598; Billot, De peccato, p. 121; Hugon, loc. cit., t. ix, p. 825; Hervé, op. cit., t. iv, n. 666; Lepicicr, op. cit., p. 281; Schccbcn-Atzbcrger. llandbuch der kath. Dogmatik, t. vm, Eribourg-cn-B., 1903, § 113, p. 855, et tous les thomistes. Il ne reste donc à élucider que le problème de la rémission de la peine, qui est le même pour le péché véniel que pour le péché mortel. 2. Rémission de la dette de peine. — Bellannin n’en­ visage (pie le fait général de la rémission de la peine duc aux péchés pardonné* : ce fait sc confond avec le dogme même du purgatoire. Mais comment cette rémission est-elle obtenue? A propos de cet aspect du problème, il se contente de rappeler que, dans le pur­ gatoire, les Ames ne peuvent plus ni mériter ni démé­ riter : il leur manque l’état de voie. Op. cit., L II, c. n111, p. 101 sq. Suarez et les théologiens postérieurs partent du même principe pour établir les deux doctrines explica­ tives. qui marquent la position de la théologie posttri­ dent ine sur ce point : la satispassion des Ames et la rémission progressive des peines. a) Suarez rappelle d’abord, op. cil., disp. XLVII, sect, n, n. 5-6, que les Ames du purgatoire possèdent toute la charité dont elfes sont capables; que cette 1295 PURGATOIRE. ÉTAT DES AMES charité nc peut être accrue en elles puisqu'elles sont hors d’état de mériter. Et il continue : On doit déduire de ccs principes que les Ames du purga­ toire sont en état d’offrir Λ Dieu non une véritable satis­ faction. mais une simple satispassion. I41 chose est mani­ feste si Ton explique ccs termes en fonction de la doctrine précédemment exposée sur la satisfaction. Du péché par­ donné demeure encore, avant tout ct essentiellement, une dette de peine Λ l’égard du feu et de la souffrance nu purga­ toire. Or, cette peine, les âmes peuvent l’endurer et, puisqu’elle est temporaire, ccs âmes, par une durée suin­ tante de souffrances, peuvent offrir une satispassion répon­ dant â la qualité ou â la quantité de leur dette : il leur sulllt simplement d’être en état de grâce. Toutefois, aux justes encore sur terre, il a été concédé de pouvoir mériter en quelque façon la rémission de leur peine par l’acceptation volontaire de peines de la vie présente moralement équiva­ lentes et conformes A la loi divine el A une juste institution: c’est lA, A proprement parler, la satisfaction. Les Ames du purgatoire, disons-nous, nc peuvent offrir de telles satis­ factions, car, si la vie présente est le seul temps oti l’homme puisse mériter, c’est aussi le seul état pour satisfaire par des peines ct des souffrances volontaires... Avant que soit portée la dernière sentence [du jugement I. c’est le temps de la miséricorde; la sentence une fols portée, c’est le tempsde In justice rigoureuse ct de l’exécution de la peine infligée par la sentence... Si la peine du purgatoire est accompagnée dans l’âme d’une volonté soumise A la volonté divine, elle n’est cependant pas volontairement recherchée, ct une telle volonté de J’iime souffrante n’apporte pas à la justice divine de quoi compenser la dette : cette compensation n’est acquise que par l’expiation accomplie selon la loi et la mesure portées par Dieu... Ibid., n. 7. El Suarez de conclure, n. 8, que pas même d’un mérite de convenance, les âmes du purgatoire ne peuvent, par elles-mêmes, mériter une diminution de leur peine. Cette théorie de la satispassion, avec les considé­ rants qui l’accompagnent, esl enseignée par tous les théologiens qui expliquent par là comment une satis­ faction volontaire de l’état de vole est bien plus effi­ cace qu’une satispassion imposée au purgatoire â l’âme encore endettée envers la justice divine. Voir ci-dessus, col. 12*10. b) La question d'une diminution progressive des peines du purgatoire est plus obscure. Quelques théo­ logiens seulement l’ont envisagée. On se reportera à .Mitigation des peines de la vie future, t. x, col. 2007-2009. Le seul point qui, à notre connaissance, n’ait pas été abordé par les théologiens posttridentins est de montrer comment cette diminution progressive, pos­ sible eu égard aussi bien aux peines considérées en elles-mêmes qu'aux suffrages des vivants, peut entrer dans le cadre de la durée qui mesure l’existence des âmes du purgatoire. Cette durée n’est plus le temps, mais l’æru/n ou éviternité. Or, l’éviternité, mesure des esprits séparés, est définie par saint Thomas : « la durée d’un être immuable substantiellement, mais accidentellement soumis à des changements ». Immu­ tabilité substantielle qui peut cependant, il faut le remarquer, concerner non seulement la substance de l’esprit, mais ses opérations mêmes. Cette éviternité est la durée des esprits purs et des âmes séparées, car leur vie propre est faite d'immutabilité substantielle et de successions accidentelles. Sans changement possible dans leur être, esprits ct âmes séparées voient leur existence mesurée par le perpétuel présent de l’éviternité. C'est aussi cc perpétuel présent qui est la durée de la connaissance et de Γα/nour naturels qu’ils ont d’rux-mêmvs et par eux-mêmes de Dieu, auteur de leur perfection. C’est également l’éviternité qui mesure l'acte par lequel ils adhèrent a leur lin dernière el, dans le cas des âmes du purgatoire, cette fixité de leur volonté dans le bien ct dans l’amour de Dieu. Dans ccs âmes, destinées au ciel mais souffrant encore au purga­ 1290 toire, l'expiatîon purificatrice sera un · instant » accidentellement joint au présent perpétuel inclus dans l’acte d'adhésion définitive que ccs saintes âmes ont faite â leur fin dernière surnaturelle. En tant que privation de Dieu, 1'« instant » du purgatoire ne comporte pas, ne saurait comporter de succession. Cette privation est; elle dure ce que dure la peine essentielle du purgatoire, avec laquelle d’ailleurs elle s'identifie. Quelle succession imaginer en une durée qui n'apporte â l’être de l’âme ct ne comporte en elle· même aucun changement? Aussi semble-t-il exact d'affirmer que la durée de la privation de Dieu doit être conçue au purgatoire comme une mesure ne comportant pis de succession. .Mais de lâà conclure que la diminution progressive de souffrances, même des souffrances résultant de la peine de la dilation de la gloire, soit impossible, il y a un abîme. Car de la privation de Dieu résultent dans l’âme divers senti­ ments qui se succèdent réellement, apportant leur contingent de regrets, de repentirs, de douleurs ct d'actes de soumission â la volonté divine, mais auxquels également, en raison de l'acquittement de la dette et des prières des vivants, s’adjoint, de plus en plus vivement, l'espérance du bonheur futur. Quant au tourment positif de la peine du sens, même et surtout s’il s'agit du tourment cause par le feu, la souffrance endurée sera continue et sans arrêt. Nouvelle nécessité d’admettre, jointe â l’immobilité substantielle où se trouve fixée l’âme souffrante, une véritable succes­ sion de souffrances, succession mesurée par une durée qui sans doute n’est pas notre temps, mais lui res­ semble. Cf. saint Thomas, 1% q. lui, a. 3 et ad lum. ///. lé ÉTAT DES AMES. — Cet aspect du problème théologique du purgatoire a été traité par les théo­ logiens posttridentins avec un soin particulier, en rai­ son même des attaques de Luther contre renseigne­ ment traditionnel. Les éclaircissements apportés peuvent se grouper autour de deux points : les âmes du purgatoire sont fixées dans la grâce; elles sont certaines de leur salut. 1° Fixées dans la grâce. — Le point de départ théologique de cette assertion certaine est la condam­ nation de la proposition 39 de Luther. Pour Luther, les âmes du purgatoire pécheraient perpétuellement parce qu’elles n’acceptent pas leurs peines dont elles ont horreur. Voir col. I26G. La théologie posttridentlne, réfutant l’assertion luthérienne, procède par affirmations nuancées qui projettent un jour intéressant sur l’état des âmes séparées. 1. Tout d'abord elles sont, dit Suarez, dès l’instant de la séparation d’avec le corps, confirmées dans la grâce qu'elles possédaient auparavant. C’est le principe fondamental qui doit diriger tout raisonnement sur l'état de terme. La vole du mérite et du démérite est close pour l’homme par la mort. Et donc, dans l’étal même on l’âme esl trouvée par la mort, elle persiste d’une manière immuable soit par l'obstination dans le mal si elle est trouvée en état de péché, soit par la confirmation dans le bien si elle esl en état de grâce. D’où les âmes tiennent-elles leur confirmation dans le bien? Suarez y volt uniquement une protection de la grâce divine, rendue nécessaire par l’état même de ces âmes. qui. étant destinées au ciel, ne peuvent ni pécher mortellement - ce qui les éloignerait â tout jamais de leur fin dernière ni pécher véniellement, ce qui les retarderait sans fin de leur bonheur. Op. cit., disp. XLVII. sect. 1, n. 0-7. Il semble qu'on doive ajouter à celle raison extérieure â l’âme une raison tirée de sa psychologie intime : le choix définitif fait de la fin dernière par le libre arbitre, dégagé enfin des conditions d'excrcici de l’état d’union avec le corps. Aussitôt, en effet, que l'âme est détachée du corps. 1297 r c RG atoire Etat des a mes 1298 Toutefois impossibilité de mériter nc signifie pas clic prend les conditions normales de l’activité propre aux esprits, activité Indépendante de toute opération nécessairement impossibilité de corriger les habitudes sensible el procédant par vole non d'abstraction, m iis défectueuses et d’acquérir des dispositions plus par­ faites. d'm/ufffon. Ainsi les esprits ne connaissent pus le bien in abstracto; ils nc s'attachent pas au bien suprême à Les habitudes défectueuses, acquises sur terre, dis­ travers les biens périssables et changeants d’icl-bas; paraissent par la mort dans leur élément sensitif; en tant qu'elles sont dispositions mauvaises de la volonté, Ils ne choisissent pas leur lin dernière sous l'influence des passions ou des habitudes; d’un seul acte d'intelli­ elles seraient appelées à disparaître par le seul fait gence et de volonté, qui épuise du premier coup leur qu’en purgatoire elles ne peuvent plus trouver l'occa­ puissance d'activité quant à la fln dernière, Ils sion de s’exercer; mais, tout comme les péchés véniels, s'arrêtent au bien qu'ils conçoivent comme cette fln elles disparaissent vraisemblablement par un acte de et s'y fixent sans changement ultérieur possible. Ce vertu contraire assez Intense pour les supprimer. bien est un bien concret, et l’amour par lequel Ils s'y Cf. Palmieri, op. cit., § 23, n. 3; Mgr Chollet, Nos morts attachent devient immédiatement le principe premier au purgatoire, au ciel, Paris, 1908, p. 135. Palmieri va plus loin et estime que, nonobstant de tous leurs désirs, de tous leurs vouloirs. Telle fut la psychologie du premier acte délibéré par lequel les l'état de terme, les âmes du purgatoire peuvent, dès le purgatoire, acquérir les dispositions s'ertueuscs qui anges, au commencement du monde, s'attachèrent pourraient leur manquer pour être proportionnées à comme à leur lin dernière, les uns à Dieu, les autres à l’excellence de leur propre moi. (’.et acte les fit entrer leur futur état de gloire. Loc. cit., n. 2-3. Et, à cc dans l'état de. terme, ct leur gloire, comme leur sujet, il cite le texte suivant de Lessius : déchéance, fut acquise définitivement. Il en est de âmes détenues nu purgatoire peuvent y corriger même de l’âme après la mort. Dans l’au-delà cesse facilement cl en peu de temps toute» leurs affections, el pour l’âme «toute variabilité relativement à l'objet par consequent y acquérir les habitus de toutes 1rs vertus. quelle aura placé au sommet de ses affections et aime Cc qui ne signifie pas qu’il y ait Ici lieu Λ mérite: pour qu’un par-dessus tout. Alors, l'amour de cet objet devient habitas soit infusé Λ l’ûme, point n’est requise l’existence l’immuable pivot de son libre arbitre, ct cet objet lui- d’un acte méritoire de cet habitus: il suffit d’une disposition ultime correspondant aux exigences de la nature ou de même le pôle fixe vers lequel restent désormais tendues Dieu. Ainsi un pécheur peut croître en fol, en espérance, toutes les puissances de son vouloir. De là le principe en tempérance, bien qu’il nc mérite pas. tk. jummo frono, énoncé par saint Jean Damascènc ct passé depuis I. II. c. xxix. axiome de la théologie : Que la mort est pour 3. Enfin, les âmes du purgatoire, en raison même l’homme ce que le premier acte délibéré a été pour les de leur attachement au bien suprême, n'éprouvent anges. » Billot, La providence de Dieu et le nombre in/ini d'hommes en dehors de la voie normale du salut, aucun de ces sentiments d'angoisse ou d'horreur que dans fctudes, 1923, p. 402. Que survienne donc la leur prête Luther, et qui seraient, en elles, une faute mort, < il en résulte, ipso facto, pour les uns. une défi­ I véritable. Leur souffrance, dit Bellarmln, nc les absorbe pas nitive obstination dans le mal ou désordre moral et. pour les autres, une confirmation, définitive aussi, au point qu’elles en perdraient la véritable notion de dans le bien, dans la beauté de l'ordre, avec l'heureuse leur état ou qu’elles sc laisseraient aller au troubled impossibilité de s'en jamais sortir ». Ibid., p. 397. Tous au désespoir comme si elles étaient en enfer. La parales théologiens enseignent bien que l’âme au purga­ 1 hole du mauvais riche ne montre-t-elle pas qu’un damné lui-même peut parfaitement se rendre compte toire est incapable de perdre la grâce, puisqu’elle n’est plus dans l’état de voie; mais aucun n'a donné la de son supplice ct de ses causes? L'Église d’ailleurs prie à la messe pour ccs âmes < qui dorment du som­ raison psychologique profonde qu'apporte le cardinal meil de la paix ». Or « ccs âmes endormies du sommeil Billot et dont nous nous sommes inspirés nous-même do la paix ne sont pas des âmes anxieuses, des âmes dans Les fins dernières, Paris, 1927, p. 11-13. 2. Ensuite, et précisément parce qu’elles sont con­ désespérées; mais plutôt une incroyable consolation se mêle à leurs souffrances, à cause de la certitude où firmées en la grâce qu'elles possédaient, les âmes du purgatoire ne peuvent ni perdre cette grâce par le elles sont de leur salut ». Op cit., I. IL c. iv, p. 108. C’est là le thème que les théologiens reprennent à démérite, ni l’accroître par le mérite. L’état de voie, l’envi, en exposant le rôle de la volonté des âmes condition indispensable au mérite ou au démérite, est passé. C’est encore ici la raison fondamentale qu'ap­ souffrantes par rapport a leur expiation. Les peines portent tous les théologiens. Voir Comhgxo (nr). du purgatoire sont dites volontaires, c’est-à-dire t. ni, col. 11 18 A celte raison fondamentale, Suarez acceptées par la volonté de l’âme, en ce sens que ces ajoute trois raisons accessoires : le jugement particu­ âmes, parfaitement soumises à la volonté divine el lier qui a fixé à tout jamais le sort des âmes; la conve­ sachant que la souffrance est pour elles le moyen de parvenir au bonheur, acceptent avec reconnaissance nance du mérite acquis pendant l’union de l’âme au corps; enfin les absurdités qui résulteraient, eu égard et amour leur expiation. Ce qui n’empêche pas leur aux lois de la Providence, d'un renversement possible douleur d’être contraire aux aspirations de leur des mérites grâce au purgatoire. Op. cit., disp. XLVII, I volonté cl par conséquent de lui infliger une véritable tristesse présente. Suarez, op. cit., disp XLVL sect. I. sect, n, n. 3. A ces raisonnements on peut objecter que η. I. De là. il faut conclure que la souffrance ainsi les âmes, dans l’au-delà, nc sont pas dans un état acceptée par les âmes du purgatoire, quelle que soit d'engourdissement et de sommeil (cf. prop. 23 de la tristesse qu'elles en éprouvent, nc saurait produire Kosmini. condamnée par le Saint-Oillce. I I déc. 1887. Dcnz.-Bannw,, n. 1913) et par conséquent peuvent agir en elles, ni désespoir, ni trouble, ni angoisse. Ibid., et agir librement. Pourquoi donc, possédant la charité, disp. MAI I. sect. in. η. 3 I Si sur terre les âmes justes se soumettent avec amour à la divine Providence ne mériteraient-elles pas? C’est, dit Suarez, parce que leur grâce a atteint son degré complet d’intensité. dans leurs tribulations, à plus forte raison les âmes Cette raison, jetée comme en passant, n. 5, est beau­ du purgatoire, qui sont confirmées en grâce et savent que leurs peines sont très justes ct leur sont infligées coup plus profonde que peut-être Suarez lui-même ne l’a pensé. Elle répond pleinement â la doctrine tho­ par une disposition divine. Elles ne se troublent donc miste de l'impossibilité d'accroître en notre âme la pas, elles n’éprouvent même pas d’impatience, elles grâce sancti liante ex opere operantis, sinon par des sc conforment pleinement à la divine volonté; aussi actes de charité plus intenses. Cf. Ghaci , t. vi. col. 1628. au canon de la messe. l’Église afllrmc-t-ellc qu'elles 1299 PURGATOIRE. ÉTAT DES A M ES reposent et donnent en paix. La véhémence de leur douleur ne peut même pas leur apporter un trouble involontaire : ce trouble serait concevable en une Aine encore unie à son corps, niais, dans l’âme séparée du corps, il n'en peut résulter qu'une tristesse d’ordre intellectuel, incapable d’apporter le moindre trouble. Ces remarques de Suarez, loc. cit., η. I, se retrouvent d’une façon presque identique chez les théologiens qui ont étudié cet aspect de l’état des âmes du purgatoire: « Hélas! mon Thcotimc, les âmes qui sont en purga­ toire y sont sans doute pour leurs péchés, péchés qu'elles ont detesté et détestent souverainement; mais quant â l'abjection et peine qui leur en reste d’estre arrestees en ce licu-là, ct privées pour un temps de la jouissance de l’amour bienheureux du paradis, elles la souffrent amoureusement, et prononcent dévo­ tement le cantique de la justice divine : « Vous estes juste, Seigneur, ct vostre Jugement equitable. > (Ps., c.win, 137). » Saint François de Sales, Traité, de l'amour de Dieu. 1. IX, c. vu. Sainte Catherine de Gênes a. sur ce sujet, d'admirables pages que com­ mente avec profondeur le P. Faber, op. cit., p. 388-390. 2° Certaines de leur salut. — L La doctrine. — Cette deuxième vérité est supposée dans tout ce qui précède. La certitude du salut, que possèdent les âmes du purgatoire, n’est pas. dit Bellarmin, celle des bien­ heureux, « qui exclut l'espérance et la crainte ► ; elle n'est pas la quasi-certitude que les justes peuvent atteindre sur terre, « laquelle n'exclut ni l'espérance ni la crainte, et peut être appelée une certitude conjecturale ». C'est une certitude spéciale, · qui exclut la crainte, mais non l'espérance; le bonheur réservé â ccs âmes est futur, non présent, elles peuvent donc l’espérer; par ailleurs ce bonheur leur est acquis, elles ne peuvent donc en craindre la perte ». Op. ci/., I. II, c. IV, p. 105. Ayant ainsi défini cette certitude, Bellannin la prouve par l’existence du jugement 1 particulier. Si le sentence définitive de ccs âmes a été ^prononcée aussitôt après la mort, rien ne prouve ' qu'elles n’en aient pas connaissance : le but du jugei ment particulier est précisément de noli lier l’arrêt divin â celui qui en est l'objet. Ibid., p. 107. Les âmes 7 d’ailleurs peuvent se rendre compte qu’elles sont en purgatoire, non en enfer, en constatant qu'elles-mêmcs et leurs compagnes de peine ne blasphèment pas Dieu, mais l’aiment ct sont pleinement soumises à sa volonté. Ibid. Ccttc certitude du salut est enseignée par tous les théologiens comme une vérité très certaine. Suarez. op. (il., disp. XLVII, sect, in, η. 5. Suarez analyse ccttc certitude plus complètement que Bellarmin. Deux éléments, dit-il, y concourent : le premier est qu’à la sortie du corps ces âmes sc sachent en état de grâce; le second est qu'elles sachent que jamais elles ne seront damnées. Le premier élément leur serait-il fourni par la science intuitive qu’elles ont d'ellcsmêmes? Déjà Cajétan, op. cil., q. n, et Bellarmin lui-même ont indique cette raison. Suarez en doute, car, dit-il, comment l’intuition qu’elles ont de leur nature pourrait-elle les conduire à la connaissance de réalités surnaturelles? 11 leur faudrait une science surnaturelle infuse, ct nous ignorons si une telle science leur est octroyée par Dieu. C’est donc, tout d’abord indirectement, en raison des actes surnaturels d'amour de Dieu qu’elles accomplissent au purgatoire, qu’elles concluent avec certitude être en état de grâce. De plus, le jugement particulier leur a fait connaître qu'elles ne sont point damnées; or. elles savent que quiconque est trouvé sans l’état de grâce au jugement particulier est damné. Enfin elles savent que les damnés Ont obstinés dans le mal et n’ont aucun espoir du pardon ; ccs deux sentiments étant contraires a leurs dispositions présentes, les âmes du purgatoire 1300 en déduisent la certitude de leur état de grâce, Loc. cit, n. 6. Le second élément, la certitude de n'êlrc pas damnées un jour, leur est inculqué par la foi qu'elks ont retenue de la terre el qui leur apprend que, ne pouvant pécher, elles ne risquent pas d'encourir plus tard la damnation. Et si quelque âme trop ignorante ne connaît pas ccs principes, Suarez estime que Dieu y suppléera par une lumière nouvelle, au besoin par l'enseignement de l'ange gardien. Ibid., n. 7. Mais toutes ccs raisons ne sont qu'indirectes. Dans la sen­ tence du jugement particulier Suarez trouve un argument direct ct très démonstratif de la certitude des âmes par rapport â leur état de grâce ; la sentence du jugement est pour elles une révélation leur donnant toute certitude sur leur état présent et sur leur future béatitude. N. 8. Ges divers arguments sc retrouvent plus ou moins nettement invoqués chez les théologiens modernes. Palmieri,op. cit., n. *21, p. 68, Mazzella, op. cit., n. 1353, Ch. Pcscb, op. cit., t. ix, n. 599 (lequel ne voit dims le jugement particulier qu’un argument de vraisem­ blance), se contentent de résumer Suarez. Billot est plus personnel, ct son argumentation mérite d’être notée : De novissimis, p. 107-108. L’argument de Cajétan, délaissé par Suarez, ne laisse pas de plaire aux thomistes. Le cardinal Lépîcler l’adopte pleinement. De novissimis, p. 3’26. Le P. Hugon l’indique d’un mot. op. cil., t. iv, p. 799. renvoyant pour de plus amples explications au traite philosophique de la connaissance des âmes séparées, Cursus philosophiœ thomisticœ, Paris, 1907, p. 138-119; cf. Réponse théologique à quelques questions d'actualité, Paris, 1924, L'état des âmes séparées, c. in, p. 230 sq. On trouvera également de bonnes indications dans Le monde invisible, Paris, 1931, part. H, c. n, § 4, p. 191 sq.. du cardinal Lépicier, et dans Mgr Chollet, La psychologie du purgatoire, Paris, 1924. Sur la pensée de Denys le Chartreux touchant la certitude qu’ont les âmes de leur salut, voir Lépicier, op. cil., p. 328, qui défend l’orthodoxie de cet auteur. 2. L'objection. — Si les âmes sont certaines de leur salut, pourquoi l’Église, â l'offertoire de la messe des défunts, demande-t-elle · que les âmes des fidèles soient délivrées des peines de l'enfer ct de la fosse profonde, ne soient pas dévorées par le lion infernal, ne soient pas absorbées par le Tartare cl ne tombent pas dans l’obscurité »? Et, â l'absoute, ne dit-elle pas, au nom du défunt : · Délivrez-moi, Seigneur, de la mort étemelle, en ce jour terrible, quand deux ct terre seront ébranlés? » De telles prières, qui ne peuvent être offertes que pour les âmes du purgatoire, semblent bien signifier que, dans la pensée de l’Eglise, ces âmes sont encore exposées aux flammes étemelles. Bellarmin apporte deux réponses. Tout d’abord l’Eglise, bien que sûre du salut des âmes du purgatoire, prie cependant pour les défunts a été reprise de nos jours par Mgr Chollet. du Christ, car le Christ s'y trouve faisant un, en lui, op. cit.. Post-scriptum : Un rayon dans la nuit, p. 312ceux pour qui on l’offre. C. xlii, dans Opera omnia, 356, ct Lettre pastorale sur La foi aux fins dernières, Cologne, 1571. part. I, p. 139-140. Cf. Mcrsch. op. cit., 1923, texte publié dans la Documentation catholique, t. n, p. 265, note 1. 17 févr. 1923. Bellarmin reprend pour son compte Γargument du Que prétend donc l’Église? Elle se reporte par une sorte corps mystique, op. cit., I. Il, c. xv, p. 122. de fiction nu moment qui précède le Jugement, c’est-à-dire Celte doctrine du corps mystique, fondement dog­ à la minute suprême o(i les âmes sont encore dans In lutte, matique des suffrages pour les défunts, se retrouve dans l’agonie, disputées entre le lion infernal qui veut les suit explicitement, soit implicitement exprimée par les dévorer et l'archnngc qui vent les conduire dans le séjour théologiens catholiques. Elle est, chez Suarez, à la de lumière, et P», elle supplie Dieu d'accepter ses prières base de toute la sect, i de la disp. XLVIII, De suffra­ et ses hosties do louanges et. en retour, d'accorder aux âmes giis. Voir également Gonet, De pivnitentia, disp. XIII. dont elle fuit mémoire les grâces de foi et de repentir qui les délivreront de la mort éternelle, des peines de l’enfer, a. 5, n. 61-62. des morsures du lion, des ténèbres de l'abltnc. 2. Le triple mode de suffrages. — Un autre pré­ Or il ne serait pas digne de l’Église de se livrer Λ une telle supposé doctrinal concerne la triple façon dont un fiction si 1c geste était Inutile, et si l’âme ne devait en tirer membre du corps mystique du Christ peut subvenir aucun profit. lui réalité, c'est que l’Église. en se plaçant aux besoins d’un autre membre. Ainsi que l’expose ainsi, par un retour sur le passé, au moment de l'agonie Suarez, loc. cit., η. I, celle action mutuelle des finale cl en intercedant pour celui qui vu paraître devant Dieu, sait que ses prières actuelles ont été vraiment pré­ membres du corps mystique répond à la déclaration de sentes i\ Dieu Λ l’heure de cette agonie, que Dieu les a consi­ saint Paul : adimpleo ea qux desunt passionum Christi dérées et qu’il n pu, dans sa misericorde, s'en inspirer dans in carne mea pro corpore ejus quod est Ecclesia. Coi., i, sa conduite envers l’âme... P. 355. 24. Non que la passion du Christ présente quelque Pour Justes que soient ccs considérations, elles insuffisance, mais il s’agit ici de la participation que n’en doivent pas en faire oublier une autre; c’est que le corps mystique lui-même doit avoir à l’œuvre nos prières liturgiques reflètent dans leur archaïsme rédemptrice du Sauveur. Suarez, loc. cit., n. 5. l’imprécision de l’eschatologie primitive qui a été Or. les théologiens sont unanimes À enseigner que signalée ci-drssus. cette participation revêt une triple forme : Γimpétra­ IV. LES SUFFHAQES DES VIVANTS POÜH LES DÊtion, le mérite, la satisfaction. Cf. Bellarmin, loc. cit., PUNTS. — · Le suffrage est le secours par lequel les c. xiv; Chollet, op. cit., I. L c. vi; l/Ami du clergé. 1303 P l K G A T 01 R E. S (j F E R A G ES DES VI \ A NΊ S 1926, p. 323 sq. Il peut arriver (railleurs que la même action, la prière par exemple, possède à la fois cette triple formalité. N oir Pmi ni:, t. xm, col. 231-235. Le mérite pour autrui ne peut, en toute hypothèse, être qu’un mérite dc convenance. Voir Congruo (de), t. m, col. 1113-1111. Dc ces principes, dont on ne peut marquer ici que les grandes lignes, l’Église a déduit la légitimité des indulgences, sous la forme qu elles revêtent présentement, appliquées aux dé­ funts. Ici, la théorie, déjà formulée au xm· siècle, a singulièrement devancé l’application officielle Voir Indulgences, t. vn, col. 1611 ct 1616. Les suffrages énumérés par le concile de Trente (voir col. 1279) el proposés par tous les théologiens rentrent dans l’une ou l’autre des trois catégories : sacrifices de la messe, prières, aumônes, autres œuvres de piété (dont les pénitences volontaires ct les indul­ gences), toutes ccs manifestations de notre activité surnaturelle en faveur des défunts ont valeur impétratoire, satisfacloire ou méritoire, soit disjonclivement, soit simultanément. Sur le détail dc ces suffrages pour les Ames du purga­ toire, voir J. Terrisse, Le purgatoire ou pouvoir, motifs ct moyens que nous avons de secourir les âmes du purga­ toire, Paris, 1911-1912, p. 223-307; Chollet, op. cit., loc. laud.; .J. Munford, Traité de la chanté envers les âmes du purgatoire, dansBouix, Le purgatoire, 3· éd., Paris, 1883; L. Itouzic, Le purgatoire, Paris, 1922, c. xxi-xxvn; A. Molten, La prière pour les défunts, Avignon, 1929. 3. La manière dont les suffrages aident tes défunts.— C’est là un troisième point où la théologie a dù appor­ ter quelques éclaircissements. a) La prière. — Il s’agit de la prière considérée uniquement quant à sa valeur impélratoire. Les théologiens sont assez divisés sur la manière dont la prière, par sa seule valeur impélratoire, peut apporter secours aux Ames du purgatoire. Les uns estiment que la prière, considérée unique­ ment sous la formalité d’impétration, peut obtenir de Dieu directement la remise de la peine encore duc à la justice divine par les Ames du purgatoire. Le Christ n’a-l-ll pas dit sans restriction : « Demandez, et vous recevrez? De Lugo, De pienitrntia, disp. XXIV, n. 20. Bellarmln adopte cette solution. · La prière, dit-il, aide d’une double façon les Ames des défunts : d’abord en tant qu’œuvre pénale et laborieuse...; ensuite, en tant que simple impétration, ce qui est le caractère propre de la prière, tout comme les prières des bienheureux sont utiles et à nous et aux Ames du purgatoire, bien quelles ne possèdent pas dc valeur satisfacloire. » Dp. cil., I. Il, c. xvi, p. 123. Théophile Raynaud distingue entre prières des vivants ct prières des saints du ciel : les premières seules auraient une influence directe en faveur de la rémission des peines du purgatoire. Scapulare marianum, q. v, dans opera, I. vil, Lyon. 1665. p. 289. « Doctrine pieuse, probable et peut-être vraie ·, déclare Suarez, op. cit., disp. XLVIIL sect, v, n. 5; mais combien incertaine et peu fondée, ajoute-t-il aussitôt. Car. si par nos prières, considérées comme simples impétrations, il nous est impossible d’obtenir pour nous-mêmes la rémission dc la dette de peine dont nous sommes encore redevables à Dieu après le pardon dc nos fautes, combien la chose sera-t-elle plus Impossible encore à l'égard d’autrui. (L'est donc en tant qu’œuvres satisfacto!res, que nos prières obtien­ nent directement cl pour nous-mêmes el pour autrui une rémission des peines dues aux péchés pardonnes. En tant qu’œuvres Impétratoires. elles peuvent indi­ rectement obtenir cette rémission en demandant à Dieu d’appliquer aux Antes souffrantes les satisfactions dc Jésus-Chiht, dc la sainte Vierge et des saints et 1301 surtout d’inspirer aux fidèles de ( 'Église militante L» pieuse pensée et la charitable résolution d’offrir satisfactions pour les Ames en faveur de qui sont faite s ces prières. Cette seconde opinion nous parait île beaucoup plus probable. En effet, de leur naturel» I peines du purgatoire sont dues à la justice divine, ct le ‘ soulagement de ccs peines doll être normalement obtenu par des satisfactions offertes par ceux-là qui sont en état dc les offrir. Demander à Dieu que 1» Ames soient libérées gratuitement, c’est-à-dire indé­ pendamment de toute satispassion de leur part ou de satisfaction de notre part, c’est s’exposer grandement à ne pas être exaucé. Cf Lépicier. op. cit., p. 299; Ch. Pesch, op. cil., t. ix, n. 611; L’Ami du clergé, 1932, p. 1 11-112. Cette solution éclaire la question connexe dc Vintervention des saints du ciel en faveur des âmes du purga­ toire. Cette intervention ne saurait être mise en doute. Deus veniæ largitor... quœsumus clementiam tuam : ut nostne congregationis fratres... qui ex hoc sirailo transierunt, beata Maria semper virgine interci;· dente cum omnibus sanctas tuis, ad perpdux bea tilud inis consortium pervenire concedas. Deuxième collecte de la messe quotidienne pro defundis. Mais le mode d’intervention doit être explique conformément aux principes énoncés tout à l’heure. Les saints, en effet, outre leur impossibilité de mériter et d’oilrir à Dieu des satisfactions présentes, entendent bien sc conformer, en priant pour les défunts, à l'ordre de la Providence, qui fait dépendre de l'expiation la rémis­ sion de la peine ou totale ou même partielle. La sainte Vierge ct les saints offrent donc à Dieu les satisfactions passées de Jésus-Christ et leurs propres satisfactions acquises pendant leur vie terrestre; Ils demandent à Dieu d’inspirer aux vivants la pratique dc satisfactions en faveur des Ames souffrantes et peut-être au cas où certains suffrages offerts pour des Ames déterminées ne pourraient leur être appliqués (soit parce qu'elles sont déjà au ciel ou qu'elles sont damnées), la Vierge ct les saints désignent-ils à Dieu par leur intercession les Ames auxquelles peuvent être transmis le bénéfice des suffrages inutilisables. Sur tous ces points, voir J.-B. Terrien, La Mère des hommes, t. n, Paris, s. d., p. 320-326. Avec Suarez le P. Terrien estime peu probable que les saints du ciel (la même raison vaut aussi pour les prières des vivants) obtiennent de Jésus-Christ qu’il applique lui-même aux défunts la quantité de scs propres satisfactions nécessaire et sulllsantc pour qu’ils soient délivrés. Une délivrance ainsi obtenue serait gratuite et du côté du donataire ct du côté de ses avocats; mais la justice aurait néanmoins pleine satisfaction du côté du Christ. Ce mode d’application ou de rémission semble improbable, du moins d’une façon régulière, parce que < Jésus-Christ, cause et source universelle de toute rémission de la peine, ayant établi des instruments et comme des causes secondes pour appliquer ses satisfactions, il n’a pas coutume d’en faire l’application de lui-même, en dehors des moyens institués par lui. Si donc il le fait quelquefois, c'est par une économie spéciale qui ne tombe ni sous la science, ni sous la loi. · Terrien, op. cit., p.32L note 1. Voir aussi Palmieri, op. cit., § 31, η. I. En réalité nous ne pouvons que faire des conjectures plus ou moins vraisemblables, Dieu demeurant tou­ jours libre d’agir par pure bonté cl miséricorde. De plus, les théologiens admettent généralement que si les saints ne peuvent venir réconforter par leur présence les Ames dans le purgatoire, il n’en est pas de même des anges gardiens, que Dieu ou la Vierge Marie peuvent députer vers les Ames (pii souffrent pour les soutenir ou leur annoncer leur proche déli­ vrance. Suarez, De angelis, I. V, <·. ix. n 9, Opéra, I j I i 1305 PU RG ATOI HE. SUFFRAGES DES VIVANTS 1306 t. II. p. 763. C'est pourquoi la liturgie, s'inspirant de corps dont le Christ est le chef. Or, dans le corps hu­ main, chaque membre agit non seulement pour son Luc., XVI. 22, Invoque la protection de saint Michel utilité propre, mais pour i’utilité de tous les membres. pour les Aines souffrantes (offertoire de la messe des Il en est dc même dans le corps mystique dc l’Églisc. défunts), ou encore confie aux anges le soin de con­ Et l'on peut trouver une confirmation de cette vérité duire l'âme au paradis : In paradisum deducant te angeli... Ce ministère des anges s’exerce, comme dans les usages humains : la charité a plus dc puissance l’expose saint Thomas. 1% q. evin, a. 7, ad 3·®, par sur Dieu que sur les hommes; or, un homme, par amour le moyen d’illuminations intellectuelles. Voir plus loin pour autrui, peut acquitter les dette*, de son prochain envers 1rs hommes; donc et a plus forte raison un le lieu du purgatoire, col. 1310. Cf. Lépicier. op cit., chrétien le pourra faire à l’égard des jugements divins. p 300-301. Une autre question connexe concerne la possibilité De pienitentia, diss. IX, art. 5. Est-ll possible d’entendre cette thèse générale du pour les Ames du purgatoire de demander elles-mêmes cas particulier de l’œuvre satisfacloire offerte pour les A Dieu leur libération ou leur soulagement. Parmi les Ames du purgatoire? Peut-on admettre que cette théologiens qui abordent ce problème, plusieurs, notamment Bellarmin, op. cit., I. Il, c. xv. Sylvius, satisfaction-vicaire d’un vivant pour un mort puisse avoir près de Dieu valeur de condignité. tout comme In Suppl, sum. theol., q. lxxi. a. 2, Grégoire dc A l’égard d'un membre vivant? Suarez le pense, op. cit., Valencia, op. cit., t. in, disp. VI, q. n, punct. 6, disp. XLVIII, sect, vi, n. L La solution, dit-il, Suarez, De. religione, lr. IV, I. I, c. xi, n. 12, répondent dépend de la promesse dc Dieu. par l’aflirmative. La réponse négative nous semble plus probable. Les prières des Ames du purgatoire ne Si nous admettons que cette promesse existe à l'égard peuvent avoir tout au plus que valeur impélratoire. des vivants, fl n’y u aucune raison pour que nous ne l’éten­ Or, la rémission de leur peine ne peut être accordée, dions pas aux âmes du purgatoire, qui nou< sont unies aussi par Li charité ct ont besoin de notre aide tout autant que avons-nous dit, à la prière que si la satisfaction les vivants ct même davantage, puisqu’elles ne peuvent l’accompagne. Et il ne convient pas ici que les Aines par elles-mêmes offrir qu’une satis|mssion el non une satis­ soutirantes, qui acceptent pleinement l’œuvre de De plus, elles ne sont pas encore parvenues tout justice qui s’accomplit en elles, interviennent pour Afaction. fait au terme et elles poursuivent encore leur vole. Aussi, adoucir ou abréger cette œuvre. Les saints du ciel tant dc leur côté que du nôtre, il y a fondement ct possi­ et les vivants dc la terre peuvent faire appel en cc bilité pour ce pacte ou celte promesse. Du côte de Dieu i) sens à la miséricorde divine dans un sentiment dc y a la meme convenance dc libéralité et dc misericorde, sans répugnance â la justice. In même manifestation de charité; mais la situation des Ames du purgatoire n’est pas la infime que la nôtre : leurs instances près volonté, puisque, autant que nous le montre la pratique ct dc Dieu, en leur propre faveur, serait contraire à la tradition de l’Églisc. la loi des suffrages Λ l’égard des défunts est la même qu':*· l’égard des vivants : l’Églbe offre l’ordre. Cf. Lépicier, op. cit., p. 302-303. pareillement ses suffrages pour les vivants ct les morts. b) Le mérite.— Les théologiens n’envisagent guère I Loc. cit. la question du mérite de convenance offert A Dieu en La thèse dc Suarez pèche par un point : il ne s’agit vue de l’adoucissement des peines du purgatoire. \ oir cependant Suarez. De pamilcntia, disp. XLVIII, 1 pas, du côté dc Dieu, d’une convenance de libéralité et dc miséricorde, mais d’une acceptation. Celte sect, v, n. 1. Dc toute évidence cette question doit acceptation se conçoit facilement dans le corps mys­ être résolue conformément aux principes énoncés au tique dont les membres vivants, encore dans l’état dc sujet de. la prière pour les défunts. Eu égard aux voie, n’ont pas donné leur mesure finale; elle semble mérites offerts en faveur des Ames du purgatoire, il est plus difficile à concevoir à l’égard dc membres, vivants convenable que Dieu, sans leur accorder directement la rémission de leur peine (quoiqu’il le puisse, s’il le sans doute, mais parvenus (quoi qu’en dise Suarez en veut), provoque chez les vivants l’inspiration d’offrir cc texte) A l’état de terme simpliciter. Aussi nombre d’auteurs pensent-ils que celle substitution dc satis­ des satisfactions pour les morts. D’ailleurs, en fait, il n’est aucune œuvre méritoire qui ne soit, sous faction, offerte A Dieu par manière de suffrages, n’u devant Dieu qu’une valeur de convenance à l’égard des quelque aspect, également satisfacloire. Cf. Gond. défunts. C’est l’opinion de Cajétan. Opusc. xvi. q. v. Clypeus theologi» thomistiae, Dc pirnitenlia, disp. el d’autres maîtres du xm* siècle, Pierre Solo, Mel­ XIII, art. 2. §3. n. 18. c) La satisfaction. — L’œuvre satlsfnctoirc peut être chior Cano. Medina (Jean), Corduba, etc. L’opposition définie : une œuvre dont le caractère expiatoire offre entre les deux opinions se retrouve (voir plus loin), sur a Dieu une compensation pour la peine temporelle l’effet infaillible ou non des suffrages. Mais ici il s’agit encore due aux péchés pardonnés Cette compensation, moins d’effet infaillible que de proportion de justice. Ils seront infailliblement agrees par Dieu, mais seronton peut l’offrir pour soi-même. On peut aussi l’offrir ils agréés de telle sorte que Dieu y voie une satisfaction pour autrui. Cf. Suarez, op. cil., disp XLV111, sect, n, qui cite, n. 1. une longue liste de théologiens favo­ de condignité offerte à sa justice, ou bien n’y trouverarables A cette doctrine, qu’on doit dire certaine dans t-il qu’une’satisfaction de convenance proposée A sa l’Eglisc. Elle peut être offerte pour autrui A titre de miséricorde? Tel est le vrai point en litige. Les deux thèses pourraient bien finalement se con­ condignité, c’cst-A-dirc pour se substituer en toute justice A la satisfaction qu’autrui devrait offrira Dieu. cilier dans l’ignorance où nous sommes de la mesure La seule condition exigée ici par les théologiens, c’est exacte de l’acceptation divine. Ignorance que tous les théologiens sont obligés de confesser. l’état dc grâce en celui qui offre la satisfaction ct. Quand on se souvient de la doctrine ofliciellement bien entendu, en celui pour qui elle est offerte. Telle promulguée sur la valeur de l’indulgence plénière est très certainement la doctrine exprimée par saint appliquée aux défunts (voir Ixdulgexces. l. vu, Thomas. JSuppl., q. xi.a. 2; cf. In / Srnb.dlst XX. col 1622-1623), quand on se rappelle renseignement a. 2; /n s ymb. apost., a. 10; In epist. ad Galatas, vi. 2; Cont. gent., I. Il Le. clviii, fine. Les meilleurs commen­ des théologiens sur l’application de la valeui salisfactateurs thomistes proposent ct défendent celte dec- loire du sacrifice de la messe (voir Messe, L x. col. 1301 sq., ct surtout Conclusion, col. 1301), on doit trine. Cf. Snlinnntlccnses. Dc pirnitentia. disp X. bien convenir que la substitution de nos satisfactions dub. n. Suarez lui consacre ici toute une section, op. cil.. disp. XL\ III, sect. Ht. Bllluart la rattache A la doc­ aux sulispasslons des Ames souffrantes est de la part dc Dieu beaucoup plus question de bonté el dc misé­ trine générale du corps mystique Nous sommes un dans le Christ, et noos sommes les membres d’un seul ricorde que de justice. 1307 PURGATOIRE. SUFFRAGES DES VIVANTS 1308 Quant â l’action des suffrages par mode d’impé­ Sur l'expression suffrages ct per modum suffragii tration. on ne saurait lui poser aucune limitation de voir la bulle de Sixte I\ (3 août 1 176) el celle du 27 novembre 1477. Cavallera, n. 1261, 126.5. personnes. Sur tous ces points lire l'excellente mise au 2· Les bénéficiaires des suffrages. — De toute évi­ point de Lehmkuhl, Theologia moralis, t. n, n. 175-181. dence, seules les Ames du purgatoire sont bénéficiaires 3° Les modalités. - Sous ce nom de modalités, U ne dc nos suffrages. Les bienheureux n’en ont pas besoin, peut être question d’exposer en detail les diverses ct les damnés en sont radicalement incapables. L’opi­ formes qu’ont prises au cours des siècles, sous la poussée nion dc certains scolastiques touchant l'efficacité des des dévotions Introduite par la piété chrétienne, les suffrages par rapport aux damnés mediocriter malis suffrages offerts pour les défunts. Nous nous tenons dans le domaine des généralités ct nous envisagerons (voircol. 1238)cst désormais périmée. Il faut également éliminer du bénéfice des suffrages les Ames enfermées simplement la valeur des suffrages ex opere operato cl dans les · limbes des enfants ». Suarez, op. cil., disp. ex opere operantis : l'application des suffrages à des XLVHI, sect, v, n. 18. Enfin, même pour leurs seuls défunts déterminés et l’infaillibilité de cette appli­ péchés véniels ou pour la peine duc aux péchés cation; les suffrages communs; les cérémonies funé­ pardonné*, les damnés ne peuvent profiter des suf­ raires. frages. Ibid., sect, iv, n. 16. La raison en est que le 1. Valeur « ex opere operato » et « ex opere operantis », bénéficiaire doit être en état dc grâce. Ibid., sect, νπ, — La célèbre formule sacramentaire (voir t. x, n. 2. col. 1081) trouve une application à propos des suf­ Trois conditions, en effet, sont requises pour qu’un frages. Certains suffrages produisent leur effet ex pécheur puisse bénéficier des suffrages offerts à son opere operato, en ce sens qu'il suffit d’accomplir l’œuvre intention. 1. que la faute qui appelle le bénéfice des prescrite par l’Église pour que soit présenté à Dieu, au suffrages soit déjà remise quant à la coulpc : les nom de l’Église même, le secours d’impétration ou de suffrages ont pour objet la rémission de la peine encore satisfaction en faveur des défunts. C'est le cas des duc pour des péchés déjà pardonné*; 2. qu’il soit en indulgences ct de la prière publique. L'état de grâce état dc grâce (le pécheur pouvant être retombé en dc pourra être requis comme une des conditions pres­ nouveaux péchés); 3. qu’il soit encore débiteur â crites par l’Église, par exemple dans le gain de l’indul­ l’egard dr la justice divine. Suarez, ibid., n. 1, 2, 5. gence plénière; mais la rémission dc la peine eu égard Or les âmes du purgatoire vérifient toutes ccs condi­ â l’indulgence offerte sera indépendante de la ferveur tions. Ont-elles toutes droit aux suffrages? el du mérite de qui l’a gagnée. Cf. Galtier, De pæniLa question ne sc pose pas pour les âmes dc baptisés tentia, n. 592. Parfois, l’état de grâce nc sera pas morts dans la communion de l’Église. Mais, même absolument nécessaire, comme dans le cas de la valeur après le concile de Trente, les théologiens se sont d impétration annexée Λ la prière publique faite au demande si les suffrages profilaient à toutes les caté­ nom de l’Église pour les défunts. Cf. Suarez, op. cit., gories de pécheurs du purgatoire. disp. XLVHI. sect, vjir, n. 2, 3. La valeur propitia­ Avant le concile de Trente, Cajétan admettait toire ct satisfactoire de la messe, à fortiori sa valeur qu'une catégorie d’âmes s’étalent rendues indignes des impétratoire, sont en soi indépendantes de la valeur suffrages de l’Église par le mépris qu’elles en avaient 1 morale ct de la foi du célébrant. Voir Messe, t. x. fait pendant leur vie ou leur négligence à prier pour col. 1299 : c’est qu’elles sont ex opere operato, Ibid., les morts. Opusc. .xvj, De indulgentiis, q. v. Même opi­ col. 1301. nion chez Navarrus (Aspilcueta), De indulgentiis. En revanche, toute valeur d’impétration des prières notab. 22, n. 42. Sur cette opinion, voir Lépicier. op. privées, toute valeur de mérite ou de satisfaction des cit., p. 310-312. Bcllarmin, au contraire, nc voit aucune bonnes œuvres, offertes comme suffrages pour les raison d’établir une catégorie d’âmes auxquelles il défunts, dépendent de la qualité de l’œuvre accomplie serait impossible d’appliquer les suffrages. < Bien ne ainsi que de la grâce ornant l’âme du fidèle, (pii offre, prouve, dit-il, (pie des dispositions ou des mérites du degré de sa ferveur et dc sa charité. C’est là un spéciaux soient requis pour qu’une âme puisse béné­ suffrage qui obtient son effet ex opere operantis. ficier des suffrages de l’Église : l’état de grâce suffit. Ccttc distinction permet de résoudre le cas dc la Op. cit., J. IL c. xvni. p. 127. communion « offerte pour les défunts >. Cette com­ C'est aussi l’avis dc Suarez : « Si nous parlons des munion nc saurait agir ex opere operato a la façon du suffrages en général et sans précision, il faut dire que sacrifice de la messe, des indulgences ou de la prière toutes les âmes sont capables d’en profiter. » Op. cil., publique. Mais elle est profitable aux défunts ex opere disp. XLVHI, sect, vi, n. 9. Toutefois, en cc (pii operantis, c’est-à-dire tant en raison des œuvres dc concerne spécialement l’application du sacrifice de la pénitence qu’elle implique, confession, jeûne, etc., messe. Suarez sc demande s’il peut être appliqué à un qu’en raison de la ferveur de la charité qui est l’effet catéchumène défunt, ct il répond par la négative. Dc propre de ce sacrement et d’où proviennent les prières même, il lui semble (pic les suffrages communs de ardentes, les désirs plus fervents, qui peuvent agir l’Église ne peuvent être appliqués qu’aux défunts plus efficacement sur Dieu en faveur de la libération baptises. Ibid. Et, par analogie, il déduit que vraisem­ des âmes du purgatoire. Aussi, pour avoir universel­ blablement les indulgences ne peuvent être appliquées lement el sans restriction blâmé cette pratique popu­ qu’aux défunts baptisés. Op. cil., disp. LUI. sect. tv. laire. Théophile Raynaud a vu condamner par l’index n. 7-8. son livre Error popularis de communione pro mortuis, 18 décembre 1616. Pour la solution de ccs problèmes, et dans la mesure 2. L'application des suffrages à des défunts déter­ où ccttc solution, en matièresoù l’initiative principale vient de Dieu, peut être conjecturée avec quelque minés el son infaillibilité. — Ccttc application pose trois problèmes : le fait dc l’application, son extension vraisemblance, on sc reportera, en cc (pii concerne à plusieurs défunts, son infaillibilité. l’application du sacrifice eucharistique, à l’art. Messe, a) Lc fait. — D’anciens auteurs (pie cite saint t. x. col. 1313-1316. L’opinion dc Cajétan pourrait Thomas, Zn Z V·»· Sent., tiennent que les suffrages sans doute trouver une justification qui l’accorde avec le sentiment commun dans la distinction qu'on a faite offerts pour une âme nc servent pas à elle seule, mais a toutes les autres aussi bien qu’à elle-même, comme entre propitiation ct satisfaction (ibid., col. 1303), une lampe allumée par le maître de la m tison éclaire certaines âmes trop coupables nc pouvant bénéficier aussi bien que lui les serviteurs (pii habitent le même des satisfactions qu'après que les suffrages et surtout la domicile. Mais l'enseignement commun des théolomesse auraient obtenu pour clics la propitiation divine. 1309 PURGATOIRE LIEU 1310 col. 1623; voir, sur l’efficacité du trentain grégorien ct givns, consacré d'ailleurs, en ce qui regarde la messe, par une décision olllciclle de l’Église, est que les les interprétations abusives que l’Église a voulu élimi­ suffrages offerts pour des défunts déterminés profitent ner, Bcringcr, Les indulgences, trad, fr., 1.1, Paris, 1925, .aux seules Anus pour lesquelles les suffrages sont n. 977 ; sur l'autel privilégié, ibid., n. 978 sq., et surtout offerts, car l'application de ccs biens dépend de l’in­ n. 980. Il est interdit d'ajouter à l'inscription : autel tention dc celui qui les applique, ct ccs suffrages ne privilégié, qu'il est louable de conserver, une autre ins­ doivent pas être comparés à la lumière d’une lampe, cription indiquant que la célébration de la messe à cet mais plutôt à une somme d’argent payée par un I autel délivre immédiatement d infailliblement l'âme homme pour un autre ». Bellarmin, op. cil., 1. Il, pour laquelle la messe est célébrée. Décret du 9 déc. c. xvni, p. 127. i 1606, Analeda ecclesiastica, vol. xn, fasc. 11, n. 773, Sans doute, ia charité qui unit les membres du p. 460. L’Ame est délivrée, si placuerit Deo. corps mystique n’exclut personne du bénéfice des 3. Iss suffrages communs. — Restent les suffrages suffrages, mais dans l'application des suffrages inter­ communs, c'est-à-dire ceux que l’Église ou les fidèles vient un élément autre que la charité, V intention. Si offrent à Dieu pour les défunts en général, sans dési­ l’intention doit ne pas contrarier la charité et, par gnation de bénéficiaire particulier. Nous ignorons conséquent, ne porter aucune exclusive, cependant elle certes la loi qui préside à leur application. Cette loi sullit à diriger le suffrage en un sens déterminé. Aussi cependant doit exister dans la sagesse ct la justice la thèse catholique semble-t elle exactement formulée divines; Dieu doit régler l’application d'après cer­ en ces termes : Suffragia specialiter pro uno defundo taines dispositions qu’ont possédées les défunts au Iada, illi magis quam ederis prosunt. Lépicier, op. cit., cours dc leur vie mortelle, par exemple leur soin â p. 309. On peut appliquer aux suffrages en général gagner pour eux et pour d’autres des indulgences, leur l’indication fournie par Pie VI dans la condamnation dévotion envers la sainte Vierge, leur charité à l'égard dc la proposition 30 du synode janséniste de Pistoic. d’autrui, etc. Aucune Injustice dans cette distribution Voir ce mot, t. xn, col. 2211. inégale puisque la charité des Ames est, d'une manière b) L'extension à plusieurs défunts. — De la doctrine normale, la condition de la possibilité de leur soulage­ qui a été exposée â l'article Messe, t. x, col. 1291 sq., ment. C'est toujours l’application du principe formulé on peut déduire avec certitude que l'extension à plu­ par saint Augustin : non pro quibus fiunt, omnibus sieurs défunts d’un même suffrage en diminue d’autant prosunt, sed iis tantum quibus, dum vivant, comparatur l’application à chacun d’eux. Si la chose est vraie dc la ut prosint. De cum pro mortuis gerenda, c. xvni, n. 22, messe, dont la valeur est infinie, à plus forte raison P, L., t. xl, coi. 609. El puis, comme le déclare sera-t-elle vraie d’un suffrage de valeur finie, comme la Ch. Pesch, op. cil., t. ix, n. 616 : « Il est impossible de prière, l’indulgence, le mérite. Aussi Suarez en con­ savoir cc que Dieu décide pour chaque défunt en par­ clut-il que la même œuvre satisfactoire exclusivement I ticulier puisqu’il s’agit ici de ses secrets desseins. » offerte à l’intention d’un défunt, ne peut profiter aux 4. Les cérémonies funéraires. — Reprenant le thème autres qu’à titre d’impétration ou dc mérite de simple souvent développé par les théologiens du Moyen Age, convenance. Op. cit., disp. XLVHI, sect, vi, n. 8. Bellarmin termine son traite du purgatoire par la c) L'infaillibilité de l'application. — A supposer défense des cérémonies en usage pour la sépulture des qu'un défunt se trouve dans les conditions générales morts. Ccs cérémonies sont anciennes ct pieuses; elles requises pour pouvoir profiter des suffrages, recevra- sont pleines d’utilité pour les fidèles qui les accomplis­ t-il infailliblement l’effet du suffrage présenté à Dieu à sent; par elles est attestée lafoi à l’immortalité de Pâme son intention? ct à la résurrection du corps; par elles la pensée dc la Les théologiens sc divisent sur ce mot « infaillible­ mort reste présente aux vivants; par elles la recon­ ment ». Les uns, avec Suarez, répondent affirmative­ naissance et l’affection des vivants est témoignée aux ment. Op. cit., disp. XLVHI, sect, vi, n. 6-7. Et le morts. Enfin ces cérémonies sont utiles aux morts euxmême auteur ajoute que les suffrages profitent aux mêmes puisqu’elles attirent à leurs Ames les prières des défunts selon toute leur valeur. Ibid., n. 8. On trouve vivants. un écho de cette opinion chez Lépicier, op. cil., p. 31 I Tel est le thème, emprunté lui-même à saint Thomas, sq. Ce qu’on peut dire, c'est que les suffrages sont , Suppl., q. lxxi. a. 11 et aux autres sententiaircs (voir infailliblement présentés à Dieu ct dans toute leur col. 1213) que développent les considérations des théo­ valeur. Mais comment Dieu les applique-t-il? Il semble logiens modernes touchant l'utilité des cérémonies des dilïicilc de faire jouer ici*une règle infaillible. C'est sur­ obsèques cl des divers rites funéraires. Tous rappellent tout à propos du fruit dc la messe que la question se l'assertion de saint Augustin : Ista omnia, id est curalio pose. El la solution que nous apportions à cet aspect /uneris, conditio scpultunv, pompa exequiarum, magis du problème (voir t. x, col. 1298 et 1303) vaut à for­ sunt vivorum solatia, quam subsidia mortuorum. De tiori pour les suffrages autres (pic le sacrifice eucharis­ cura..., c. iv, n. 6, P. L., t. xl. coi. 596. Toutefois, tique. Les dispositions des défunts, en raison non seule­ si ces cérémonies sont faites pour une lin dictée par ment de leur charité présente, mais encore dc leur atti­ l’esprit de foi, on doit dire avec Bellarmin qu’indicéetude nu cours de In vie terrestre envers les autres lenient elles peuvent profiter aux défunts eux-mêmes. membres du corps mystique et de leur soin à sc procu­ Cf. Palmieri, op. cit., § 32. p. 86; L. llouzic, Lc pur­ rer des suffrages après leur mort, régleront les décisions gatoire, c. iv; A. Molien, La prière pour les défunts. divines à leur endroit. Cf. Salmanlicenses. De eucha­ Quant nu détail des cérémonies funéraires, à leur ristia, disp. XI H, dub. vt; Ch. Pesch. op. dt., t. ix, signifiait ion, Meuroriglne, a leur utilité, au choix des n. 616. I jours consacrés au souvenir des défunts, nous nc pouEst-il donc possible d’être jamais assuré de la llbé- I sons ici que renvoyer le lecteur aux ouvrages spéciaux ration d’une Ame retenue au purgatoire? La réponse de liturgie. nc peut-être que négative. Lépicier, op. cit., p. 330. F. QiTKt.Qtrxÿ aspects secondaires nv rtioni.S^R. L’Église en accordant des indulgences plénières, en | — On étudiera brièvement ce qui se rapporte au lieu multipliant les autels privilégiés, en permettant la pra­ du purgatoire, aux visions, aux révélations privées con­ tique du trenlain grégorien, n’a jamais entendu affir­ cernant le purgatoire, à la dévotion aux Ames du mer qu’une chose : la possibilité de libérer une Arnc. purgatoire, enfin à la prédication que l’Église demande Voir la réponse de la Congrégation des Indulgences à des vérités relatives au purgatoire. l'évêque de Saint-ΙΊοιΐΓ. sur l’indulgence plénière de 1° Le heu du purgatoire. — Au Moyen Age. la fol au l’autel privilégié, 28 Julll. 1810. 4n»ui.oexci s. t. vu, purgatoire, à l’enfer, au ciel se confond pour ainsi dire 1311 PURGATOIRE. LIEU avec la foi aux lieux mûmes désignés par ccs mots (voir ci-dessus, col. 1238-1211); après le concile de Trente, les théologiens conservent encore la terminologie tra­ ditionnelle dans l’Église latine, Suarez n'hésite pas ù écrire : certa veritas fidei est dari post hanc vitam purga­ torii locum. Op. cil., disp. XLV, sect, i, n. 3. Et Bellar­ min envisage le purgatoire comme· un lieu dans lequel, comme dans une prison, les Ames qui n’ont pas été pleinement purifiées en cette vie achèvent leur puri­ fication... · Op. cit., L I, c. i, p. 53. Les auteurs plus récents n'osent engager la foi sur cc point. Billot estime que l'existence de tels lieux (ciel, enfer, purgatoire) répond à un sentiment des Pères et des théologiens dont personne ne peut s'écarter sans une grande témérité. » De novissimis, q. n, § 3, p. 43. Cf. Hugon, De novissimis, dans Tract, dogmat., t. ni, p. 762. Cc dernier théologien s'efforce d’appuyer cette doctrine sur la révélation. 141 suinte Écriture, dit-il, insinue que le ciel ct l’enfer sont... des lieux. Saint Paul atteste ossiblcs, puisqu'elle ne les écarte pas ù priori quand il v a lieu d’en soumettreù son jugement; 2· pour réelles en certains cas, puisqu'elle n autorise, approuve même plusieurs, soit par ties sentences permissives ou laudatives, soit parla canonisation desafnts personnage* auxquels elle* avaient été (nites, soit par l’approbation ou l’établissement de fêtes liturgiques basées sur elles; 3· pour relativement Aires, puisqu'elles les exa­ mine toujours, sinon avec une méfiance positive, du moins avec une extrême circonspection; 4· pour nécessairement subordonnées ù In révélation publique, et même pour justi­ ciable* de la théologie, qui est toujours appeler il les juger Zi la lumière de lu fol catholique; 5® pour Âfru/îgêrrs nu dépôt de la révélation générale cl universellement obligatoire, puisqu'elle ne considère jamais comme hérétiques ceux qui refusent de les admettre, encore qu’ils puissent quelquefois être, en cela, imprudents et téméraires. Didiot. art. JZéoélatlon, duns Did. a pol., t. iv, col. 1008. T. — ΧΠΙ — 42. 1315 PURGATOI HE. QUESTIONS DIVE USES On voit par la quelle circonspection s’impose quand il s’agit d'accueillir «les revelations privées touchant le purgatoire. Dans son traité bus Lcglcucr, Baulz a recueilli les assertions les plus intéressantes de sainte Brigitte, de sainte Meehlilde ct de quelques personnes recommandables. Les révélations privées qu’on peut accueillir avec le plus de faveur sont à coup sûr celles de sainte Catherine de Gênes, dont le Traite du pur­ gatoire a reçu en 1660» les approbations de la Sor­ bonne. Au cours du procès de canonisation de la sainte, la doctrine de ce traité a été pleinement approuvée par le P. Martin d'Esparzu, S. J. Or les révélations » de la sainte sont bien éloignées des materialisations que cer­ tains prédicateurs apportent sur le purgatoire; elles ne tentent pas de pénétrer les secrets de l’au-dcla. Les théologiens leur font généralement bon accueil. Le P. Ch. Pesch a jugé bon d’en faire le résumé dans son traité du purgatoire, Printed, theol., I. ix, n. 605; c’est d’après l’aperçu qu’en donne le P. Faber dans son Tout pour Jésus, que nous l’avons cité à plusieurs reprises. En dehors de cc petit traité qui a reçu une iorte de laissez-passer officiel de la part de l’Église, on ne connaît guère de révélations privées sur le purga­ toire qui puissent être de quelque utilité à la théologie. Il faut donc accueillir avec beaucoup de réserve les précisions apportées, dans des révélations privées (ou prétendues telles), â la durée, à In gravité des peines du purgatoire. 1 'Église n’ayant sur ces deux points, aucun enseignement ferme, il convient de demeurer prudent avec l’Église. 3° La dévotion aux âmes du purgatoire. — 11 ne s’agit pas ici de la dévotion qui consiste à prier pour les âmes du purgatoire, mais de celle qui consiste à prier les âmes du purgatoire afin qu’en retour elles prient Dieu pour nous. Les deux éléments de celle dévotion sont corrélatifs: si nous prions les âmes du purgatoire, c’est qu’elles entendent nos prières ct peuvent les trans­ mettre à Dieu avec l’appui de leurs propres suffrages. Deux courants d’opinions se sont fait jour sur ce problème. Les anciens théologiens répondaient plutôt par la négative. Saint Thomas parait avoir nié la pos­ sibilité d’invoquer les âmes du purgatoire ct de recou­ rir à leur intercession. < Ceux qui sont dans cc monde ou dans le purgatoire, dit saint Ί homas, ne jouissent pas encore de la vision du Verbe pour qu'ils puissent connaître cc que nous pensons ou cc que nous disons. Et c’est pour cela «pie nous n’implorons pas leurs suf­ frages par la prière. · .Sum. thcol.. Il»*-11·®, q. lxxxiii, a. I. Voir Pmi he t. xm, col. 227. D’ailleurs les âmes du purgatoire, en raison de leur état d’expiation, ne sont pas en état de prier pour nous, elles ont plutôt besoin que l'on prie pour elles. A. 11, ad 3’im. Telle était l’opinion des anciens, dit Suarez, De oratione, L 1, c. x, n. 25, Opera, l. xtv, p. IL Et Suarez cite avec saint Thomas, Alexandre de 1 lalès, saint Antonin, Alphonse Tost at, Navarrus, Pierre de la Pain, Richard de Médinvilla rt, en général, les sententiaires. In I Vum Sent., dist. XV. Sur l'opinion de saint Thomas, voir J. Ernst, Drrheit. Thomas und die Anrujung der armen Seelcn, dans Der Katholik, 1916, t, n, p. 217 sq.. 3(-9sq. Voir également plusieurs articles de revues (Katholik, l'ranziskunische Studlcn, Divus Thomas de Fribourg. Theol. prakt. Quartalschrijt), signalés par Dlckamp, op. cit., p. 526 De nos jours, la thèse a été reprise par le P. Gerland, O. P., dans La vie spirituelle, 1923, p. 130 sq., et avec plus de nuances, par le P. Menncssier, La religion, trad. fr. de la Somme théologique, t. î, Paris, 1932, p. 261-267. On peut citer aussi J. Didiot, · Morale surnaturelle spéciale, vertu de religion, Lille, 1899, n. 162. Deux motifs principaux, on l’a vu, Incitent ccs théo­ logiens à nier le pouvoir d’intercession des âmes du purgatoire ct, par sole de conséquence» Futilité des 1316 prières que nous pourrions leur adresser: a) Elles ne connaissent pas nos prières : « Si les bienheureux con­ naissent les événements qui concernent ceux qu’lh aiment, c’est «pic leur béatitude exige qu’ils ne soient frustrés d’aucun désir légitime... Bien de tel pour l’âme livrée â la douloureuse purification. * Menncs­ sier, op. cit., 1.1, p. 266. — b) Leur expiation, leur souf­ france les met hors d’état de prier pour nous, non que leur souffrance leur enlève la liberté de leurs pensées (voir col. 1299), mais parce qu'elle enlève à leur prière toute efficacité normale impéli alive. Cf. Menncssier, loc. cil. Le P. Gerland ajoute un troisième motif; La prière liturgique est une prière parfaite; jamais nous n’y rencontrons un appel aux âmes du purgatoire. » Loc. cit., p. 132. On conçoit facilement que, si la liturgie se prononçait en ce sens, la controverse n’existerait même pas : lex orandi, lex credendi. L’argument du silence ne vaut rien en l’espèce. On peut facilement lui opposer la tacite approbation accordée par l’Église â un enseigne­ ment opposé à celui de saint Thomas cl (pii est devenu pour ainsi «lire l’enseignement commun des modernes, moderni /ere omnes, dit le P. Prümmer, O. P., Manuale theol. moral., t. m, n. 33 L Aux autorités des < anciens · Suarez pouvait déjà opposer l’autorité de mulli recentiares. L’initiateur de l’évolution doctrinale en un sens opposé à l’opinion de saint Thomas parait être Jean Médina ( r 1516), De oratione, q. v. Après Médina les théologiens partisans de la prière aux âmes du purga­ toire sont devenus légion. C’est Suarez, loc. cil.; Gré­ goire de Valencia, Commentarii theol., t. in, disp. VI, q. n, punct. 7; Sylvius, In q. lxxxiii, a. 11 ; Bellarmin, op. cit., I. H, c. xv; Lessius, De justitia, 1. Il, c. xxxvu, n. 23; Bonacina, De horis canonicis, disp. CXCII, part. I, n. 8; Elbcl, Theol. moralis, t. n, n. 398. Aujourd’hui, comme l’écrit le P. Prümmer, c’est la presque unanimité «les théologiens qui défend l’opi­ nion que Bellarmin qualifiait déjà de commune. Citons chez les moralistes, Lehmkuhl, op. cil., t. î, n. 182; Noldln, De prœceplis, n. Ill; Scavini, Theol moral., t. n, n. 203 («pii écrit: hodie videtur sententia communis evasisse, maxime Romm); chez les auteurs dogmatiques, Ch. Pesch, op. cit., t. ix, n 619; Palmieri, op. cit., §24, n. 2; Jungmann, De novissimis, n. 120; Mazzella, De Deo errante, n. 1356; Billot, De novissimis, q. vî, § 1 (qui qualifie l’opinion contraire : communi fidelium sensui plane repugnat, p. 127); Mgr Chollet, La psy­ chologie du purgatoire, c. vî, n. 20; Bartmann, Dus Kegleuer, § 10, p. 130 sq., etc. Aux arguments de Suarez, résumés ici, t. xm, col. 227, on ajoutera les considérations suivantes : 1. Il n’est pas exact que les âmes du purgatoire ne puissent s’occuper de nos besoins sans les connaître cl qu’elles ne connaissent pas ces besoins au moins dans une certaine mesure : « les âmes des morts peuvent s’occuper des Intérêts des vivants sans connaître leur état, comme nous nous occupons des morts en leur appliquant nos suffrages, bien que nous ne sachions pas quelle est leur destinée. Elles peuvent aussi con­ naître les actions «les vivants, non par elles-mêmes, mais par les âmes de ceux qui vont de cette vie dans l’autre, ou par les anges et les démons, ou par l’esprit de Dieu qui le leur révèle.» Saint Thomas, IB,q.LXXXix, a. 8, ad lum. Gf. l lugon, O. P., Réponses Ihéologiqucs..., p. 210 sq. D’ailleurs on peut avec Bellarmin apporter une réponse péremptoire à l’argument tiré «le l’igno­ rance où seraient les âmes souffrantes par rapport à nous en raison de l’absence de vision béallflque : le IF livre des Machabécs, xv, 11-16, rapporte une vision de Judas touchant les prière . d'Onias pour le peuple juif. Or, Onias ne pouvait être «pic dans les limbes et ne jouissait pas encore de la vision béatiüquc.ce qui ne l’empêchait pas «le prier pour son peuple. 1317 PURGATOIRE. QUESTIONS DIVERSES 2. Nom avons déjà dit que la grandeur des souf­ frances du purgatoire n’était pas, psychologiquement | parlant, un empêchement à leur pensée ct au mouve­ ment de leur prière en notre faveur. Ccs peines sont, subjectivement du moins, toutes spirituelles; aucune lésion organique, aucun trouble physiologique, ne peuvent donc empêcher l'acte de 1 Intelligence et de la volonté. Enfin, pourquoi refuserait-on à la charité dont sont animées les âmes du purgatoire l'acte de la prière en faveur des vivants dont elles ont gardé le souvenir et auxquels elles ont conservé leur affection? 3. Un argument positif semble devoir être pris dans Je dogme do la communion des saints. Il y a comme un flux cl un reflux dans les communications des Églises triomphante, souffrante, militante. Et en quoi ces communications des défunts aux vivants peuvent-elles consister, sinon précisément dans les prières que ccs saintes âmes peuvent offrir ù Dieu pour nous? Et cette ! raison, remarque à bon droit Billot, op. a/., p. 127, est universelle, ct le lien de la charité qui unit l’Église souf­ frante à l’Église militante tombe sous cette loi. 1. Dlckamp fait remarquer qu’il existe une prière indulgcnciéc par Léon XI11 (Il déc. 1889), où l’on demande aux Ames du purgatoire d’intercéder pour nous près de Dieu, de prier « pour le pape, l’exaltation de la sainte Église, la paix des nations ». Op. ci/., p. 525. Texte de la prière dans Acta Sancta Sedis, t. xxïi, p. 173; en français dans Bcringcr-Steincm, Les indulgences, 4· éd.. t. i. p. 327. 5. Lc P. Menncssier accepte un sens où la dévotion aux âmes du purgatoire lui parait théologiquement défendable : · c’est celui de la prière interprétative ». Op. cit., t. î, p. 267. (’.cia veut dire que leurs mérites passes font partie du trésor de la communion des saint* et ont Videur devant Dieu. Quand nous prions les saints, nous nous appuyons à leur intercession et à leurs nvrilts. Prier une .une du purgatoire, ce serait, en cc sens, faire appel à ses mérites «levant Dieu pour être exaucé de lui. Il semble «pie tcllesoit la portée de l'argument que certains theoloxiens donnent en faveur de la prière adressée Λ ccs un .'s, et qu’ils appuient sur leur appartenance A la communion des saints. Il semble que, si l’argument doit être accepté sous cette forme, il faut en pousser la logique jusqu'au bout. Nous prions les saints du paradis en nous appuyant non seulement sur leurs mérites, mais encore sur leur intercession. Pourquoi cette intercession serait-elle refusée, aux saints du purgatoire? Conclusion, — Pratiquement, cependant, il ne faut pas exagérer la dévotion aux âmes du purgatoire, basée sur l'opinion des modernes. L La prière aux Aines du purgatoire doit rester quelque chose de très accessoire. La vraie dévotion en­ vers les Ames du purgatoire est de prier pour elles : leur état est trop pitoyable pour que nous songions d’abord à nous-mêmes ou que nous y songions sur un pied d'égalité. C’est le cas de redire avec saint Thomas : Non sunt in statu orandi, sed magis ut oretur pro eis. 2. La prière aux Ames du purgatoire pour obtenir par leur intercession les grâces dont nous avons besoin doit rester une dévotion i\'ordre privé. Puisque l’Église n’a pas jugé opportun de nous inviter, dans sa liturgie, à la prière aux Ames du purgatoire, il ne faut pas faire sortir de son cadre cette dévotion, d’ailleurs légitime. 3. La prière aux Ames du purgatoire doit être faite avec plus de circonspection que la prière adressée à Dieu ou aux saints du ciel. Voici, à ce sujet, les graves paroles de Bellarmin. dont la doctrine sur cc point ne j saurait être suspecte de partialité : Tout cela est vnd. dit-il en parlant de l'opinion qu'il défend, ct cependant il serait exagéré cl superflu «le prier ordinairement les Ames du purgatoire ct do leur demander leur Intercession. En effet, elles ne peuvent Ordinairement 1318 connaître no* action* et no* besoin* en particulier: elle» savent simplement d'une minière générale le* danger» que nous courons, tout comme nous ne connaissons qu'en générai le» tourment* qu'elles endurent. Elles n'inter­ viennent pa* dm» tous les événements; elles ne voient pas no* prières en Dieu, puisqu'elles ne sont pal bienheureuses, ct il n'est pas vraisemblable que Dieu leur révèle ordinai­ rement ce que nous faisons ou dem indons. /.oe. eil. En terminant, notons que le Catéchisme de Pic X avait donné asile à la doctrine affirmant le pouvoir d’in­ tercession des âmes du purgatoire en faveur des vi­ vants : 1 beati det paradiso e le anime dei purgatorio sono anch' essi nella communione dei santi, perché, congiunti Ira loro e con noi dalla can (à, ricevono gli uni nostre prcghicre e le altre i nostri sufjragi, e tutti ci ricambiano con la lora intercessione presso Dio. Catechismo della dottnna cnstiana, tratlo dal testo publicato per ordine di S. S. papa Pio X, Grottafcrrata, 1921, p. 28. Sur tous ccs points, voir L'Ami du clergé, 1921, p. 9,78,765. Il faut également observer que le fail de refuser aux âmes du purgatoire le pouvoir de prier pour ellesmêmes n’implique pas l'impossibilité pour elles de prier pour nous. Billot, loc. cit.; Lépicier, De noviss. p. 302 et 320. Ce dernier auteur admet que les âmes du pur­ gatoire prient pour nous ct cependant demande qu’on ne les invoque pas régulièrement. Toutes les differences avec l'opinion des modernes sont ici dans les nuances. 5° L·/ prédication des vérités relatives au purgatoire. — Les théologiens modernes ne font ordinairement que reproduire sur ce point la partie disciplinaire du décret du concile de Trente. Voir ci-dessus, col. 1281. Scion leurs tempéraments, ils envisagent avec plus ou moins de faveur la prédication ouverte de certains points où l’Église ne s’est cependant pas officiellement pronon­ cée, la peine du feu. par exemple. On nous permettra, avant de clore cet article, d’exprimer ici notre senti­ ment personnel. 1. Avant tout, il semble nécessaire de réagir contre la tendance de certains prédicateurs qui présentent le purgatoire comme un véritable enfer, moins 1 éternité. Le châtiment du purgatoire diffère, dans sa nature même, du châtiment de l’enfer. Celui-ci est purement penal, celui-là est essentiellement expiatoire ct purifi­ cateur. Ce serait une erreur de se figurer la souffrance temporaire de l’autre vie comme une simple peine, sous le coup «le laquelle les Ames demeurent purement pas­ sives, attendant leur entrée au ciel. La peine existe, certes, mais c’est une peine d’expiation salutaire qui provoque, chez les Ames non encore complètement purifiées, des sentiments d’humilité, des élans de désir, des actes d’amour par lesquels elles deviennent de moins en moins indignes de Dieu. Bossuet, avec cette netteté d’expression qui caractérise sa belle ct pro­ fonde théologie, établit ainsi la comparaison de l’enfer et du purgatoire : Lc caractère propre de l’enfer, cc n'est pas seulement la peine, m ils la peine sans la pénitence; car je rcmirque deux sortes «le feu dans les Écritures divines. 11 y a un feu qui purge cl un feu «pii consume ct qui dévore : uniuscujusque opus' prohibit ignis... I Cor., m, 13; Cunt igne devorante. Is., xxxiii. I I. Cc dernier est appelé dans l'Évangllc « un feu qui ne s'éteint pas ·, ignis non exlingutlnr (Marc., IX, 47), pour le distinguer de ce feu qui s'allume pour non* épurer et «pii ne minquo jamais de s'éteindre quand il n fait cct olllce. L* peine accompagnée de la pénitence, c'est un feu qui nous purille. lai peine sans 1a pénitence, c'est un feu qui nous dévore cl qui nous consume, ct tel est proprement le feu «le l'enfer. .Sermon sur les souffrances, 3· point, éd. Lebarq.» t. iv, p. 72. 2. En conséquence, on évitera dans la prédication les descriptions exagérées des flammes du purgatoire, descriptions qui ne sont en somme qu'œuvre de pure imagination. Déjà, en parlant du feu de l'enfer, la réa­ lité de ce feu n'autorise pas à le concevoir à la manière 1319 PURGATOIRE. CONCLUSION d’un feu materiel : le crucior in hac flamma doit, en bonne théologie, supporter une interprétation analo­ gique. Que ne devrons-nous pas penser des « flammes du purgatoire >? S’il est certain que les saintes âmes du purgatoire soutirent un tourment positif, nous ne pou­ vons affirmer rien de précis sur la nature même de ce tourment. L'Église n’a vu dans la doctrine du feu réel du purgatoire qu’une opinion, très respectable sans doute» mais qu’il est loisible dc ne pas accepter sans blesser la foi. In omni modo, déclare nettement Billot, animadvertes separatam esse causam ignis purgatorii et ignis inferni. De novissimis, p. 102. Dans quelle mesure les prédicateurs peuvent-ils utiliser 1’« opinion » latine du feu réel du purgatoire? C’est affaire de tact, de nuances et de précision théologique, peut-être d’audi­ toire. Toujours faudra-t-il, si l’on estime devoir en par­ ler : a) éviter les descriptions purement imaginaires; b) marquer très nettement le degré dc simple opinion à accorder à celle peine positive; c) insister surtout sur le caractère spirituel dc cet te peine infligée ù des esprits. Mgr d’Ilulst a donne ici une excellente indication en affirmant que les flammes du purgatoire sonl, avant tout, < le feu dc l’amour jaloux. L’amour se venge comme il convient à l’amour; sa vengeance détruit non l’objet aimé qui a été infidèle, mais son infidélité même cl ainsi, en le punissant, elle le purifie ct le fait digne de l’amour. » Lettres de direction, cvn. On ne saurait trop relire l’admirable conférence du P. Monsabré sur le purgatoire, Carême 1889. modèle parfait des conve­ nances doctrinales que doivent respecter les prédica­ teurs. 3. Enfin on évitera d’avoir recours aux révélations privées pour étayer les enseignements dc la chaire. • L’Église, dit le P. Monsabré, nous invite, par l’organe • du concile dc Trente, à nous abstenir dc toute curiosité ct vainc recherche dans les questions d’outre-tombe. Les révélations sur ce sujet doivent être acceptées avec la plus grande discrétion. > Op. cit., notes sur la 97· con­ férence. En tout cas, une révélation privée ne doit pas être apportée en confirmation dc la vérité d’un ensei­ gnement discuté. V111. Conclusion. — Notre conclusion générale doit comporter une triple indication sommaire concernant : 1· l’évolution dc la croyance au purgatoire dans l’Églisc catholique; 2° l’évolution dc l’attitude des ortho­ doxes après le concile de Florence; 3° l’évolution de la pensée protestante après le concile de Trente. 1° Évolution dogmatique de la croyance au purgatoire dans Γ Église catholique. — Nous avons dû, pour suivre le canevas classique des traités sur le purgatoire, com­ mencer par l’exposé des textes de l’Ancien ct du Nou­ veau Testament, dans lesquels les théologiens ont cru trouver une révélation explicite du purgatoire. Le lec­ teur attentif n pu se demander — et nos réflexions ne Pen ont pas dissuadé — si le point de départ était aussi net qu’on veut bien le dire parfois. Il a pu constater que, si l’Écriturc fournil un excellent point dc départ a la croyance à une expiation dans l'au-delà, c’est beaucoup plus en rappelant la nécessité dc l’expiation personnelle, nonobstant la rédemption du Christ, qu’en affirmant d’une façon directe l’existence de peines purificatrices dans l’autre vie. Dans son Sermon sur le culte dû à Dieu, Bossuet rappelle opportunément que, · pour connaître la justice [dc Dieu], il faut la connaître dans tous les états où elle s'exerce el ne croire pas plutôt ia punition des crimes capitaux dans l’enfer que l’expiation des moindres péchés dans le pur- i gatoire. · Carême de Saint-Germain, 2 avril 1666, éd. ’ Lebarq, t. v, p. 117. Or, touchant cette connaissance dc la justice divine même à l’égard de l’expiation des moindre* péchés, l’Écriturc fournit de précieuses cl irréfutable* indications. D’autre part, la prière pour les défunts pécheurs, si nettement enseignée dans le 1 1320 II· livre des Machabées, el déjà passée dans la pra­ tique dc la primitive Église, est une de ccs vérités générales qui impliquent l’idée particulière dc l’expia­ tion d’outre-tombe. Ce fut vraisemblablement un excès de zèle des apolo­ gistes catholiques voulant suivre et battre Luther sur son propre terrain qui les engagea dans la voie d’une démonstration purement scripturaire du purgatoire et leur suggéra de chercher, dans l’Écriturc, une révéla­ tion explicite du dogme. En réalité, on a pu le constater, le point de départ scripturaire n’est pas aussi net que l’ont affirmé Prié· rias et Eck, Bellarmin et Suarez. Sans doute on peut démontrer l’existence du purgatoire à l’aide de l’Ecri­ ture, mais il faut avouer l'insuffisance d’un certain nombre dc textes classiques, el il serait préférable de n’employer les autres que dans un cadre de démons­ tration plus générale. On ne s’est pas assez rendu compte que le dogme du purgatoire, vérité dont la connaissance n’est pas néces­ saire au salut, ni dc nécessite de moyen, ni même dc nécessité de précepte, pouvait parfaitement, dans les débuts de l’Église, être simplement cru d'une manière plus sommaire et en quelque sorte implicite dans le dogme plus général de la justice divine exigeant du pécheur pardonné une expiation pour ses fautes, tout comme le dogme de l'infaillibilité du pape était cru dans la vérité plus générale du magistère dc l’Église, tout comme le dogme de l’immaculée conception était cru dans la vérité plus générale de la sainteté parfaite de Marie. On ne s'est pas assez rendu compte également qu’un dogme ne tient pas nécessairement sa valeur de vérité révélée du fait qu’il est contenu dans l’Écriturc ct que la Tradition, c'est-à-dire l’enseignement dc l’Église, s’exprimant souvent par des pratiques dont l’Écriturc ne fait pas même mention, sulllt à clic seule à authentiquer une vérité révélée. Le dogme du purgatoire plonge des racines pro­ fondes et dans l’Écriturc et dans la Tradition, et celle double ct solide assise lui confère un caractère authen­ tique dc vérité divinement révélée. Mais c’est précisé­ ment peut-être en raison dc ccttc double assise que le développement de ce dogme s'csl réalisé d’une façon qu’il est peut-être audacieux (bien que cette expression nous semble assez exacte) dc qualifier iVunormale. En effet, en cc qui concerne la révélation par la tra­ dition chrétienne, la croyance au purgatoire nous appa­ raît dès l’origine sous une forme à peu près définitive, dont les époques postérieures ne mettront en relief que des aspects très secondaires : la prière pour les défunts. C’est la forme à laquelle s’est attachée l’Église grecque, cc qui lui permettra d’ailleurs, aux époques d’entente avec l’Église latine, de trouver assez facilement une voie de réconciliation. Le protestantisme, qui rejettera la pratique traditionnelle de la prière pour les défunts, ne saura opposer à l’Église romaine que des négations stériles. Mais, en ce qui concerne l’Écriturc qui atteste la purification nécessaire de toute faute, le progrès a été difficile, et, la systématisation théologique étant sur­ venue dans l’Église latine avant la précision dogma­ tique, les théologiens ont dépassé du premier coup le but à atteindre el, quand l’heure sonna des définitions garanties par l'infaillibilité, l’on s’csl vu obligé de reve­ nir pour ainsi dire en arrière. La nécessite d’une expia­ tion d'outre-tombe est à la base de l’enseignement scripturaire; mais quand sera cette expiation? où sc fera-t-elle? par quels moyens? Autant de questions sur lesquelles l’Écriturc est en réalité absolument muette. On a cru trouver la solution dc toutes difficultés dans le texte de saint Paul, I Cor., ni. Il 15. Et c'est ainsi qu'en Orient comme en Occident le feu de la conflagration générale, que beaucoup identifiaient avec le 1321 PURGATO! RE. CONCLUSION feu du jugement, n retenu rattention des Pères ct des écrivains ecclésiastiques. 11 fut ensuite difficile à quel­ ques-uns, impossible ù beaucoup, «l’abandonner ccttc perspective cschatologiquc et de situer en conséquence l’époque de l’expiation entre les deux jugements. En Occident, le génie d’Augustin réalisa et imposa cette disjonction; mais la notion dc feu, devant laquelle Augustin hésitait, a été retenue par les héritiers do sa pensée, el les siècles suivants ont tellement identifié la notion du purgatoire et celle du feu purificateur qu’il semblait impossible aux théologiens du xni· siècle de les séparer dogmatiquement. La théologie avait pris le pas sur le dogme, l’explication précédait l'alllnnation des principes. Dc là une courbe anormale dans le déve­ loppement dc la doctrine. Après avoir été trop loin, il a fallu rebrousser chemin, et la juxtaposition des thèses grecques el latines à Florence a réalisé une mise au point qu’il ne faut pas hésiter à qualifier dc providen­ tielle. En matières si obscures, en effet, nos expériences terrestres nous interdisent des affirmations trop préci­ pitées, et il est sage de s’en tenir aux lignes générales sanctionnées â Lyon, à Florence ct à Trente: existence dc peines purificat rices dans l'autre vie, utilité des suf­ frages pour le soulagement des âmes souffrantes. Et il convient de renoncer à toute autre précision doctrinale hormis les vérités concernant l’étal des saintes âmes fixées dans l'amour dc Dieu par leur jugement ct désor­ mais assurées de leur salut. · L'Église est sage, a dit le P. Monsabré. Son enseignement nous met à l’aise dans le conflit des opinions ct nous permet de n’acccptcr que les conclusions qu’on peut tirer sans effort des prin­ cipes de la foi. » Confèrence citée. Paroles d’or. 2° Évolution des orthodoxes après le concile de Flo­ rence. — On la trouvera décrite à l’article suivant, col. 1326 sq. 3° Évolution de la pensée protestante après le concile dc Trente. - La question n’intéressant la théologie catholique qu'lndirectemcnt, on se contentera d'indi­ cations sommaires. Après le concile de Trente, les théologiens protes­ tants n ont modifié en rien l'attitude prise en dernier lieu par Luther â l’égard du purgatoire. Brentz, Ochin, Pierre» Martyr, Bucer. opposent au dogme catholique une dénégation basée sur la suffisance dc la rédemption du Christ. Un seul point cependant les gène : la pra­ tique de la prière pour les morts dès les premiers temps de l’Église. Chemnitz seul le reconnaît loyalement; mais, s’empresse-t-il d’ajouter. « ce n’est pas que l’on ait cru à des tourments endurés dont les défunts se­ raient rachetés par nos suffrages; c’était uniquement pour la formation morale des vivants, pour leur récon­ fort. pour leur consolation ». Examen concilii Tridentini, Berlin. 1361, p. 621. Avant l’envahissement du protestantisme par les tendances rationalistes, la thèse était simple : pas dc purgatoire: donc, ù la mort, nu bien, pour les bons, l’entrée immédiate au ciel el la possession de la vision béat i tique, ou bien, pour les impies, la damnation im­ médiate en enfer. L’ancienne dogmatique luthérienne sc trouve bien exposée dans Hatteras redivivas, refonte par Hase des Loci communes dc Léonard Hutter (t 1G16), 10·éd.. Leipzig. 1862 : « La croyance au pur­ gatoire a été rejetée, comme une restriction apportée ù la justification générale par la fol. par l’Église évangé­ lique, qui enseigne l’entrée immédiate des âmes dans le bonheur ou dans la damnation. » Op. cit., p. 322. Même doctrine chez Quenst vdt (f 1668), dans une note em­ pruntée à sa Theologia didactico-potcmica, Ie éd., Leip­ zig, 1715, et ajoutée Λ cc passage de VHullerus redivi­ vus. C'est d’ailleurs ce «pic confirme Leibniz (qui n’hé­ site pas â blâmer la position prise par scs coreligion­ naires). «Les protestants,dit-il, pensent que lésâmes dc ceux qui meurent parviennent aussitôt ù l'éternelle 1322 félicilé ou sont damnées pour jamais; ainsi ils rejettent 1 comme superflues les prières pour les morts, ou les réduisent à des vœux inutiles, comme on en forme sur cc qui est passé ct termine, plutôt par une certaine habitude «pie par utilité. » Système théologique, n. lxxîi. Avec ccs protestants, qui admettaient encore l’insI piration ct l’autorité divine dc l’Écriturc, il était peutêtre encore possible dc tenter un rapprochement. Bos­ suet n’a pas manqué d’exposer sur cc point les prin­ cipes utiles. Dans V Histoire des variations, I. XV, n. 159160, i) rappelle que « les principes des protestants prouvent la nécessité du purgatoire ». Les âmes justes peuvent sortir de cc monde sans être entièrement puri­ fiées. Grotius, dit Bossuet, prouve que cette vérité est reconnue par les protestants, par Mestresat et Span­ heim, sur cc fondement commun de la réforme que dans tout le cours dc celte vie, l’âme n’est jamais tout à fait pure. Grotius, Lettres, 575, 578, 579. Le SaintEsprit ayant prononcé lui-même que rien d'impur n'en­ trera dans la cité sainte (Apoc., xxi, 27), le ministre Spanheim démontre lui-même que l’âme ne peut être présentée à Dieu si elle n'est sans tache et sans ride, pare et irréprochable. La question sc pose, après cela, si ccttc purification dc l’âme sc fait au dernier moment ou après la mort, et Spanheim laisse la chose indécise. « Le fond, dit-il, est certain; mais la manière et les cir­ constances ne le sont pas. » Fr. Spanheim, Dubia evangelica, Genève, 1658, t. m. dub. cxli, n. 6-7. Bossuet montre qu’il faut passer plus avant avec l’Église ca­ tholique, en raison dc la tradition de tous les siècles qui nous a appris < à demander pour les morts le sou­ lagement de leur âme. la rémission de leurs péchés et leur rafraîchissement », ct il conclut (n. 161) en mon­ trant la modération de l’Église au concile dc Trente, où elle n’a voulu · déterminer que le certain ». C’est le même esprit dc conciliation qui anime le « projet de réunion entre les catholiques et les protes­ tants d’Allemagne ». Le projet de Molanus, traduit en français par Bossuet, avait rangé la question du purga­ toire parmi celles « qui ne peuvent être terminées par l’explication des termes ambigus ou équivoques», puis­ qu'il s’agit « d’opinions directement opposées les unes aux autres ». C. xxx. El Molanus opinait qu’il ne fallait pas s’opposer « â ceux qui tiendraient ce dogme pour problématique, comme a /ait saint Augustin.» C. xxxv. Bossuet donne son opinion. La prière pour les morts, acceptée par la Confession d'Augsbourg, est un article qui peut faire l’union sur le dogme du purgatoire. Episcopi Meldensis... sententia, part. I, n. 29. Les doutes dc saint Augustin portent sur le feu; mais les prières, les sacrifices, les aumônes offertes pour les défunts, appartiennent, d’après Augustin lui-même, à l'universelle tradition dc l’Église. N. 40. Aussi, dans le projet de profession de foi ù présenter au souverain pontife, prenant comme point de départ le texte dc la Confession d'Augsbourg, Bossuet propose, n. 89, de confesser l’utilité des suffrages pour les défunts. Ainsi, conclut-il, toute controverse sur le purgatoire cessera. Bossuet. Œuvres, éd. Outhcnin-Chalandre, Besançon, 1836, t. ix, p, 152, 151, 161, 165-166, 181. Voir aussi les inflexions de M. l'évéque de Meaux sur Técrit de M. l'abbé Molanus, c. ni, η. I, p. 509· On sait que le rapprochement désiré ne se produisit pasrNon pas cependant que la croyance catholique au purgatoire fût un obstacle insurmontable : il ne manqua pas, en effet, de théologiens protestants — que Bautz, op. cit., p. 7, appelle, on ne sait trop pour­ quoi. les «semi-rationalistes » — pour trouver une solu­ tion moyenne entre la fol catholique ct la négation trop radicale des luthériens rigides. Bautz nomme Baumgarten-Crusius, de Welle, Hase, Ullmann ct Umbreit. dans leurs Theologischen Studicn and Kritiken: Dorner ct Llebner, dans leurs JahrbQchcrn fûr dcutsche Théo- 1323 PURGATOIRE. CONCLUSION 1324 avouer franchement qu’il existait à cct égard une certaine obscurité dans la doctrine des protestants. » Handbuch der protest. Polcmik, Berlin, 1861, p. <22; cf. Eoangelische Dogmutik, Leipzig, 1812, p. 109. Plus caractéristique encore l’aveu de Marlcnsen, dont le manuel a une si grande vogue dans l'Allemagne du Nord et les pays Scandinaves : « Aucune âme n’ayant atteint l’état de consommation parfaite lorsqu'elle quitte ce monde, il faut bien admettre un état Inter­ médiaire où l’Ame achève de se développer, de sc purifier, de sc mûrir pour le jugement dernier. Bien que la doctrine catholique du purgatoire ait été repoussée à cause du mélange d’erreurs grossières qu'elle renfermait, cependant elle a ceci de vrai que l’état intermédiaire est nécessairement, dans un Nequc tnincn de dunitionr poenarum infernalium theo­ sens spirituel, un Heu de purification pour les âmes.» logi rccentiorcs omnino consenserunt. aliis asienui impiorum Die christtiche Dogmalik, Berlin, 1870, p. 431. supplicia, aliis pœnxis damnatorum. cum sc ad meliorem Malheureusement cc revirement de la pensée protes­ frugem receperint, Unitum vcl saltem mitigatum iri statuen­ tante va tout droit vers la suppression de l’enfer. tibus (pernas vel absolute, vcl hypothetice, vcl relative C’est, au fond, la doctrine origénistc de 1'apocatastase ii'tcni.ish.. P. 491. Hominem improbum, etsi pernis vita? future emendatus in aliam cnmdemquc mitiorem nbicrlt universelle qui se renouvelle. La doctrine catholique conditionem, numqmtm tamen vita* terrestris male actu· du purgatoire n’est plus suffisante : « dans la forme recordatione (censemus) liberatum iri, vcl beatitate iis qu’elle a revêtue, elle ne s’accorde pas avec nos parem fore, qui vita terrestri honeste netu defuncti fuerint. conceptions morales et religieuses actuelles. H n’y a Inde patet, pernas infernales recte dici sensu quidem pas de place pour un purgatoire dans un système où diverso ct sternas et non œternns. P. 496. l’on admet que, même de Patilre côté de la tombs, Des idées analogues seront à relever déjà chez Lange, Phomme reste un esprit libre, toutours capable de revenir dans son commentaire sur les épîtres de saint Pierre au bien, et dont tu destinée est de se développer éternel­ (I Petr., iv. i-ι;. Halle, 1734), où il semble que la lement dans le sens de la perlection. · E. Picard, restauration universelle soit préconisée; StAudlin, art. Purgatoire, dans V Encyclopédie des sciences reli­ Lehrbuth der Dogmalik und Dogmengesthiclde, Gœt­ gieuses, t. xi, p. 30. tinguc, 1801. p. 540, 552; de Welle, Dogmatik der Toute doctrine qui admet, après la mort, une possi­ evan g.-luth. Ktrche, Berlin, 1821, p. 211; Baumgarten- bilité de pénitence (au sens théologique du mot) est Cnisius, Grundriss der evangeUsch-kirchlicIten Dogma­ fausse cl dangereuse, parce qu'elle ouvre la porte â lik, léna, 1830, p. 90 sq.; Lehmann, qui admet une ccs perspectives miséricordieuses qui aboutissent à la purification possible pour certaines catégories, Evansuppression de l’enfer. On peut se demander si Her­ gelische Retigionslehre, Gœttinguc, 185G, et les mann Schell s’est suffisamment défendu contre cctlc Theolugische Studien und Knliken, de 1861 et 1866. tendance. Voir sa Katholische Dogmalik, t. ni b, Baulz ne manque pas de citer les Agenden (rituels p. 787. On doit affirmer, en revanche, à coup sûr, que protestants) dans leurs prières relatives au soula­ toutes les théories spirites contemporaines, avec la gement des défunts. Op. cil., p. 9. doctrine universellement acceptée par elles de la Singulière évolution quo celle qui consiste à nier le réincarnation des Ames, aboutissent A une conception, purgatoire pour le rétablir sous une forme nouvelle d’une sorte de purgatoire qui supprime l'enfer. en supprimant plus ou moins radicalement l’enfer! Au point de vue critique et historique, les protes­ On comprend le reproche Ironique adresse aux pro­ tants contemporains font en général remonter l’idée testants par Joseph de Maistre : · Γη des grands motifs du purgatoire â saint Augustin, encore fut-ce à titre de la brouilleric du xvi· siècle fut précisément le de simple hypothèse : · Celte hypothèse fut admise purgatoire. Les Insurgés ne voulaient rien rabattre comme une réalité par Césuirr d’Arles et répandue de l’enfer pur et simple. Cependant, lorsqu’ils sont ensuite dans lout l'Occident par (irégoirc le Grand, > devenus philosophes, ils se sont mis à nier l'éternité Picard, loc. cit., p. 30. Kud. Iloflmann cependant des peines, laissant néanmoins subsister un enfer à découvre déjà des traces de l’idée de purgatoire chez temps, uniquement pour lu bonne police et de peur Cypricn et chez Grégoire de Nazianzc, Grégoire de Nysse, de faire monter au ciel, tout d’un trait, Néron ct Basile, qui tiendraient celte idée d’Origène. Ambroise Mcssalinc à côté de saint Louis ct de sainte Thérèse. l’aurait transmise â l’Église occidentale; Augustin en Mais un enfer temporaire n'est autre chose que le aurait admis la possibilité; C.ésaire d’Arles aurait ap­ purgatoire, en sorte qu'après s’être brouillés avec nous puyé sur l'idée et Grégoire le Grand l’aurait convertie parce qu'ils ne voulaient point de purgatoire ils sc en dogme. Ce n’était d’ailleurs qu’une simple doctrine brouillent de nouveau parce qu'ils ne veulent quo le de purification fort dillércnte de la théorie du purga­ purgatoire. » Soirées de Saint-Pétersbourg, vin* en­ toire Imaginée au Moyen Age cl sanctionnée par le tretien. concile dr I rente. Ecalenri/klopddie /(P prot. Theol., Ne faudrait-il pas cependant voir dans cette évo­ t x, p, 11 f Enfin, dernière concession de la critique lution Inattendue un retour a une plus juste apprécia­ protestante. Clément d’Alexandrie cl Origène doivent tion »ncilium Florentinum : L Entes Gutachten der Ixiteinrr ulter das Fcgfeucr, dans OrtrnMIa cJir(«tillrri, Thesau­ rus, n. 1162. CL Concilium Tridenlinum, cd. de la Gôrresgcsellsciuilt. t. ix. p. 1060. Pour la sess. vi. c. xiv. et can. 39, voir t. v. 2* p irt., p. 638-639, 641» 716, 796, 799. Pour la ses*, xxii. c. n et can. 3, voir t. vm. p. 960, 062. V. Controserse ρκοτχ^γλντκ. — Ixrs sources protes­ tantes Indiquée* nu cours de l'article: Luther. Werke, éd. de Weimar; Calvin, Institution chrétienne, L III, e. v, (Eitrrts, t. xxxn (Corput re/orrndorum, t. xli, col. 168 sq.; pour les autres textes, voir I.-Tob. Müller, Die sgmMische Ihicher drr ct^ingrlisch-lutherischm Kirrhc, GOterslob, 1912» ct F. F. Karl Müller. Die nckenntnlssehrijten der reformiertrn Kirche, IxipzJg. 1903. Postérieurement nu concile : Brentz, Commentaria m Esaiam, dans Opera, t. tv, Tubingue. 1876. p. 366 *q. ; Chemnitz. Eramm eoncilu Tridcntini, Francfort. 1578; Jean Gcriinnl. J «ci thmlogid caouTUmes cum pro adslrurnda, tum pro destruenda quortimuii ran tradi cent tum lat.situtr, îêna, 1610-1625. t. π; Léonard Hutter, Compendium loco­ rum theologicorum, Wittcmberg. 1610, avec sa réêd. par K. Hase, Hutlerus rcditdvus, 10* rd., I elpzlg. 1862; et 1rs autre* auteurs cites col. 1321 sq. VI. SvxTnftsx. — I-a meilleure synthèse est h coup sûr celle de Suarez, De pernitentia, disp. XLV-XLVIII. dans Oftera, Paris, 1856. t xxn, p. 879 sq. File reprend, en les disposant en un ordre plus didactique et en les complétant do tout l’apport des controverses antigrecques ct anti­ protestantes, 1rs idées émises par les théologiens des xiir ct xiv* siècle* dans leurs commentaires sur les Sentences, dist. XXI et ΧΙΛ. I-c* manuels n’ont fuit que prendre chez Suarez l’essentiel de la doctrine. Vne place à part doit être faite au De novissimis du canlinal Ix-picier. qui n su grouper en un excellent exposé, d'après l’ordre du Supplé­ ment de la Somme, toutes les questions scripturaire*, pntristiques dogmatiques ct théologiques intéressant la croyance nu purgatoire. Au point de vue apologétique, l’art. Purgsitoirc du D(ct. aptdog. de la fol ialh., d’A. d’Alès (P. Bernard) est un modèle du genre. A. Michbl. 2. PURGATOIRE DANS L’ÉGLISE GRÉCO-RUSSE APRÈS LE CONCILE DE FLORENCE. —- I Considérations prclinri! noires. II. Théologiens gréco-russes, partisans de la doctrine catholique Divergences sur des points secon­ daires (col. 1328). 11L Les adversaires , διηρημένον εις τόμους δύο, dc Dieu. Il appuie celle opinion sur les légendes bien Leipzig, 1759, un amalgame assez incohérent emprun­ connues dc la délivrance de l’empereur Trajan par les te à Joseph Brycnnios et à Marc d’Éphèse, mais d’où prières de saint Grégoire cl dc celle dc la païenne il ressort que Jérémie il admet une troisième caté­ Falconilla par l'intercession de sainte Thèclc. Il fait gorie de défunts pour lesquels intercèdent l’Église aussi allusion au cas de l'empereur Théophile rapporté militante et l'Église triomphante. plus haut, col. 1246. Cf. loc. cil., p. 511, 525, 533-535. Encore au x\ r siècle, les Grecs de \ cuise, Interrogés 2° Au AF/· siècle. — Plusieurs théologiens en­ par le cardinal Claude de Guise sur la question du seignent une doctrine équivalente à celle dc Schola- purgatoire, empruntèrent les éléments de leur réponse rfoi à Manuel le Bhétcur pour ce qui regarde le lieu et le C’est d’abord Manuel le Jlhéteur, dit le Corinthien feu. et à Marc d’Éphèse pour ce qui regarde l’existence (t 1551), dans sa Itéfulaticn des chapitres du frère de l’état Intermédiaire et les peines qu’on y soutTre. François. de l'ordre des prêcheurs. Il admet une troi­ 3° Au x Vfsiècle. Si nous passons au xvir siècle, sième catégorie dc défunts, ceux qui meurent chargés 1 les témoins de la doctrine catholique abondent, et ils seulement dc péchés véniels. A ceux-là il assigne un sont de marque. Nous avons pour les Busses : Laurent temps d’arrêt dans la région des (clonies avant d'arri­ Zizanii. Pierre Moghlla (1596-1G16), Adrien, patriarche ver â la béatitude. Les prières de l'Église les aident à de Moscou (t 17(Ml); pour les (irecs : Metrophane se libérer des < douaniers > d’ontre-toinbe. Mais CritopouIOs (+ 1639), Georges Coressios (t 1611) et son Manuel persiste à voir dans le feu du purgatoire latin disciple, Grégoire de Chio, Dosithée, patriarche de Jérusalem (1011-1707), dans la première édition de sa un rejeton de l'hérésie orlgénlste : Τούτο τής τού Confession de /ni (1672), devenue un des livres dits ‘ίΐριγένους αίρέσεώς έστιν αποκύημα. Cod Vatic. Pal grireus J117, p. 277. Cf Valentin Loch. Dax Dogma symboliques dc l’Église gréco-russe moderne. Dans son Grand catéchisme, Moscou, 1G27, Laurent der griechischen Kirche nom Purgatorium, Hatisbonne, Zizanii continue s.ms doute à accuser les ladlns d’orl1512, p 118. Des extraits de l’opuscule dc Manuel : Απολογία καί ανατροπή των κεφαλαίων τού Φρα génlsmc à cause du feu du purgatoire. Cela ne rempêche point de distinguer deux enfers, l'un pour les Φρτντζέσκου, publiés par Étienne Le Moyne. Lcydc. damnés, l’autre pour ceux qui n’ont pas satisfait 1685, sont reproduits dans la P. G., t. cxi., col. 171suffisamment ici-bas pour leurs péchés Cf. Hinskil, 482. Le catéchnne de Laurent Zizanii (en russe), dans les Gabriel Sévère, métropolite de Philadelphie (15111616), serait irréprochable sur la question du purga­ 1 Troudg de ΓAcadémie de Kiev, t. ni, 1898. p. 273, et le Pravoslavntfi Sobiescidnlk. 1855. p 118, 131-131. toire s’il ne rangeait panni les μέσοι certains fidèles 1333 PURGATOIRE. ÉGL. GRÉCO-RUSSE, LES PARTISANS Du fait que le Catéchisme dit de Pierre Moghila ou Confession orthodoxe de T Église orientale nie expressé* ment l'existence d’une catégorie de défunts intermé­ diaire entre les élus et les damnés et toute peine temporelle après la mort, comme il sera dit plus loin, il ne faudrait pas conclure que Pierre Moghlla est un adversaire dc la doctrine du purgatoire. C'est tout le contraire qui est la vérité. Dans la rédaction primi­ tive dc son catéchisme, le métropolite dc Kiev ensei­ gnait clairement cette doctrine, et on la trouve pro­ posée par lui dans ΓInstruction sur les commémoraisons pour les défunts insérée au Trebnik ou Euchologe, qu’il publia l'année même de sa mort (16IG), p. 835-819. Les négations de la Confession orthodoxe doivent être attribuées au théologien grec Mélèce Syngos. comme il a été dit a l'art. Mooiih.a (Pierre), l. x, col. 20692080. Cf. Lettre du docteur Scogardi à Schmit, ambas­ sadeur impérial (G nov. 1612) dans le t. iv de la Collection Hurmuzaki (Documenta pnvitoare la istoria Ilomanilor), p. G68. A l’exemple des théologiens de Kiev, les Moscovites enseignaient aussi communément, â la même époque, une doctrine identique sur l'état intermédiaire. Nous en avons pour preuve la formule dc foi que le dernier patriarche de Moscou. Adrien, proposa en 1699 à Palladius Rogovskii, lorsque celui-ci quitta le catho­ licisme pour l'Église russe. Rogovskii dut reconnaître trois catégories de défunts : les élus, les damnés et «ceux (pii sont morts pénitents avant d’avoir fourni une satisfaction suffisante pour leurs péchés >. Cf. Nikolskii, Palladius Rogovskii, dans le Pravoslavnoe Obozrenie, t. x. 1863, p. 162-172. Dans sa Confession de fai, aux c. xm et xx, le Grec Métrophanc Critopouios est tout à fait explicite sur l’existence d’une peine temporelle que doivent subir, après la mort, dans leur âme seule, ceux qui n’ont pas ici-bas complètement satisfait pour leurs péchés. Ces défunts ont Vcspérance ferme el certaine de parvenir à la béatitude. En attendant, ils sup­ portent le châtiment paternel de Dieu. Pour eux, l’Église adresse à Dieu des prières cl des supplications dans l’intention dc leur obtenir une prompte déli­ vrance, ou du moins quelque allégement et consolation dans leur prison : Δεύτερον δί, είναί τινας μή μετά θάνατον ευθέως της ένεργτίφ σωτηρίας τύγχανειν, αλλά δυνάμει καί έν έλπίδι ταύτην έκδεχεσΟαι· έλπίδι λέγω βεόαίακαί άναντιρρήτω οί πειραθέντες πρότερον τηςτου θεού πατρικής ράβδου άξιούνται έν καιρω καί της ένεργεία σωτηρίας. E.-J. Kimmel-Weissenborn. Monumenta fidei Ecclesia· orientalis, t. n, léna, 1851. p. 11*1-195. Georges Coressios, dans son Traité sur le feu du purgatoire, encore inédit, n’est pas moins clair que Métrophanc Critopouios sur le sort dc ceux qui « après avoir péché mortellement et s’être convertis ù Dieu, meurent avant d’avoir été pleinement purifiés par l’action des pénitences sacramentelles » et sont encore dans l’état dc convalescence spirituelle. A ceux-là ne convient ni une peine infinie, puisqu’ils sont les servi­ teurs dc Dieu, ni le paradis, puisqu’ils sont encore imparfaits et ont besoin de purification. Des peines temporelles, qu’ils subissent en enfer car (.oressios n’admet point de troisième lieu, mais plusieurs com­ partiments en enfer - suffisent A les purifier : Συνείρουσιν άρ’άδου τοίς τοιούτοις έγχρονοι πράς καθα­ ρισμόν ποιναί. Cite par L. Allai his. De utriusque Ecclesia occidentalis atque orientalis perpetua in dog­ mate dc purgatorio consensione, Home. 1655, p. 221. Le hicromolnc Grégoire de Chio, disciple de Cores­ sios, est pleinement d'accord avec son maître sur la question qui nous occupe. Comme lui. il admet trois catégories de défunts mais deux lieux seulement. Il place donc en enfer les pécheurs réconciliés avec Dieu avant la mort mais n’ayant pas eu le temps d’achever 1334 leur · canon » nu pénitence sacramentelle. La miséri­ corde de Dieu, unie aux prières de l'Église et aux bonnes œuvres accomplies à leur intention par les fidèles vivants, les tire du lieu des tourments, qui.tout comme le séjour des élus, a plusieurs demeures : 'II ανατολική ’Εκκλησία κρατεί καί πιστεύει πώς να είναι τρων λογιών αί ψυχαί, όπου ξεχωρίζουσιν άπδ τά σώ­ ματα, όχι τρεϊς τόπους..., διατί ένα μόνον τόπον μάς διδάσκει ή θεία γραφή, άμή έχει πολλάς καί διαφόρους κολάσεις καί μονός τόσον των αμαρτωλών όσον τών δικαίων. Σύνοφις τών θείων και ιερών της ’Εκκλησίας δογμάτων, \ enise, 1635. Cf. λ Loch, op. cil., p 135. Il est remarquable que, pour prouver l'existence d'un état Intermédiaire mire le salut et la damnation. Gré­ goire cite non seulement les textes évangéliques : Matlh., v, 25-26. et xn, 31-32, mais aussi le fameux passage de la I Cor., ni. 11-15, où il est question de l'épreuve par le ira. A Cyrille Lucar qui, dans l’art. xmii dc sa Confcss ion de foi, avait rejeté la doctrine du purgatoire comme une invention et nié tout châtiment tempo­ raire après la mort. Dosither, patriarche dc Jérusalem, opposa, dans su Confession de foi, c. xvni. un ensei­ gnement contraire. Sans prononcer le mot dc purga­ toire. sans parler dc troisième lieu, il affirme expres­ sément que les âmes dc ceux qui, ayant péché mortel­ lement durant leur vie. sc sont repentis avant de mourir sans avoir accompli ces fruits de pénitence, < que l’Église désigne â bon droit par le mot de satis­ faction * ίκανοποίησιν, descendent aux enfers pour y subir une peine, ποί'/ην ύπομένειν, à cause des péchés commis, peine dont iis ont l’espérance certaine d’être délivres par la miséricorde de Dieu cl les i suffrages des vivants. 11 y a là, on le voit, tout l’essen­ tiel de la doctrine catholique définie par les conciles. I® Au AF///e siècle. — Celte même doctrine se maintient, tant chez les Grecs que diez les Russes, durant la première moitié du xmîi* siècle. Chez 1rs Russes, nous trouvons Étienne Javorskii. auteur du célèbre ouvrage de controverse contre les erreurs protestantes, intitule Kamen \ ierg (La pierre de foi). Dans son septième traité : Des suffrages pour les morts9 il réfute les principales objections îles réformés contre le purgatoire cl l'cfllcacilé dc la prière pour les défunts i à la manière de nos scolastiques, dont il connaît toutes les distinctions. La peine temporelle pour les péchés déjà pardonnes mais non sullisammcnl expies ici-bas est la raison fondamentale de l'existence dc l’état intermédiaire dans lequel se trouvent les âmes des défunts pour lesquels l’Eglise prie. S'il rejette le feu du purgatoire, lavorskii est favorable a un troisième lieu, qu’il place, comme Seholarios. dans la région des triantes. Au demeurant il considère comme orthodoxes crux qui n'admet tent que deux séjours des Ames : le ciel cl l’enfer. L’enfer, en effet, dit-il, peut servir de prison commune tant pour la détention temporaire que pour la détention perpétuelle. Kamen Vierg, vu. Cf. A. Bukowskii. Die (ienugtuung )ür die Sündc nach der Aufjassung der russischcn Orthodoxie, Paderborn, 1911, p. Hd-itJ. Le Grec Élias Méniatês (1662-171 i). dans son opus­ cule sur le schisme et les différences entre les deux Eglises intitulé Πέτρα σκανδάλου et répandu jusqu'à nos jours dans les diverses Églises autocephales, ne veut pas entendre parler dc troisième séjour des morts; mais il admet une troisième categorie de défunts soumis à un châtiment temporal, dont Dieu seul connaît la nature. Il s’agit de ceux qui n’ont pas complètement payé ici-bas leurs dettes â la justice divine, bien qu’ils sc soient repentis avant de mourir : καί με τήν τιμωρίαν πληρώνουσι τό χρέος, όπου έχουσι μέ τηνΟεΙαν δικαιοσύνην. 1 Ιέτρα σκανδάλου, éd. d* Vthènes, 1810, p. 132-133. 1335 PURGATOIRE. ÉGL. GRÉCO-RUSSE, LES PARTISANS lin 1722, les patriarches d’Oricnt écrivaient une LcUre dogmatique aux Antiochiens pour les mettre en garde contre les erreurs latines. Sur la question du purgatoire, ils rejetaient ct le mot, et le feu, cl un troisième lieu, mais ils admettaient diverses demeures au ciel cl en enfer et distinguaient clairement trois catégories de défunts : les élus, les damnés et les Intermédiaires, chargés seulement de péchés véniels, qui ont l’espérance d'être soulagés el délivrés par la miséricorde dc Dieu, sollicitée par les prières, les saints sacrifices ct les aumônes de l’Église : υπέρ των τοιούτων, των μέτρια δηλαδή καί συγγνωστά άμαρτησάντων, γίνονται παρά της Εκκλησίας αί προσευχαί. MansiPetil, ConciL·, I. xxxvn, col. 191. Cinq ans après l'envoi de celle Lettre, en 1727, les mêmes patriarches, réunis de nouveau en synode â Constantinople dans le même dessein d'enrayer la pro­ pagande catholique parmi les melchilcs de Syrie, pro­ mulguaient une Confession de foi, rédigée vraisembla­ blement par Chrysanthe, patriarche de .Jérusalem, dans laquelle une doctrine identique était enseignée : Παρέ/ctv δέ ίνεσιν καί παρηγορίαν της οδύνης και τού φό5ου τοις έν μετανοία, άτελώς όμως άπο&ώσασι τάς ύπέρ αύτών γινομένας εύποΐας ». Mansi-Petit, ibid., col. 9(10-901. On s’élevait seulement contre l’idée, gratuitement prêtée aux Latins, qu’un homme, c'està-dire le pape, pût a son gré délivrer les Ames du feu purificateur. 5° Dans la seconde moitié du xnm siècle d Jusque vera 1840, La doctrine d’un état intermédiaire entre le ciel cl l’enfer s’obscurcit dans l’Église russe sous l’influence de la théologie protestante et trouve des négateurs décidés, dont nous aurons à parler tout à l’heure. Mais avec la réforme opérée par le procureur du synode dirigeant, Protasov, qui oblige les théolo­ giens russes à revenir à l’orthodoxie du xvrr siècle, cette doctrine est de nouveau représentée par des théo­ logiens de marque. 11 faut reconnaître pourtant que la pensée de plusieurs d’entre eux reste obscure et frise parfois la contradiction. Cela ne doit pas nous sur­ prendre, car ccs théologiens ont eu à tenir compte à la fois de la Confession orthodoxe de Pierre Moghila, où l'existence d’un état intermédiaire et d’une peine tem­ porelle après la mort est niée catégoriquement, et de la Confession de Dosithée, qui, nous l’avons vu, expose une doctrine tout opposée. L’obscurité règne en particulier chez plusieurs au­ teurs dc manuels de théologie. Dans !e Précis d’Antoine Amphitéatrov, c’est la Confession de Dosithée qui l’em­ porte. Cf. la traduction grecque de ce manuel par ValHanos. Athènes, 1858, p. 376. Chez Macaire Bulgakov, 1 au contraire, c'est plutôt la Confession orthodoxe, dite de P. Moghila. Macaire, en elïct, à la suite dc ccttc Confession, nie l’existence de toute peine temporelle, aussi bien pour les vivants que pour les morts. Par ailleurs, H enseigne que les suflrages de l’Église sont utiles aux défunts, morts dans une vraie pénitence d exempts de tout péché mortel. Os défunts sont non seu­ lement soulagés, mais aussi délivrés par les prières de l’Église ct les suffrages des vivants. Ccs suffrages cons­ tituent même 1’unlquc moyen de délivrance pour celle catégorie de défunts. Il faut conclure dc là que le théo­ logien russe a une doctrine Identique à celle de Marc d'Éphesc. pour qui la seule raison d’être de ce quo nous appelons l’état intermédiaire, étal que Macaire nie en paroles tout en l’admettant en réalité, vient des péchés véniels non remis en cette vie. Ajoutons que le même théologien repousse non seulement le purgatoire des Latins considéré comme troisième lieu, mais aussi l’Hadès des félonies, admis par plusieurs théologiens ru'scs il la suite de Georges S< holarios cl d'autres an- ' cirns. Pravoslavno-dogmaticeskoe bogostooie, éd. de Petrograd. 1883, t. n. p. 590-610. 1336 Si des auteurs de manuels nous passons aux théo logions plus indépendants, nous rencontrons encore parmi les Busses contemporains des partisans décidés de l’état intermédiaire. Le moine Metrophane, dans son ouvrage intitulé Comment vivent nos défunts (trad fr„ parue â Petrograd en 1881, sous le litre : La vie de nos défunts d la nôtre après la mort), admet à la fols ct une troisième catégorie de défunts et un troisième lieu, qu’il appelle enfer ou I Iodés. Cet Hades comprend deux parties : la première est le domicile des âmes de l’état intermédiaire; la seconde, le séjour des infidèles, des hérétiques obstinés et des chrétiens orthodoxes morts en étal de péché mortel. Cette seconde section dc l'enfer est comme le vestibule de la géhenne el doit disparaître au jugement dernier, alors que ses habi­ tants seront jetés dans la géhenne proprement dite, distincte de l’Hadès et séjour éternel des damnés. Cf. A. Bukowskii, op. cit,, p. 198-200. Métrophane n’admet pas la doctrine de la satispassio, c’est-à-dire l'efficacité des peines de l’étal intermédiaire pour délivrer les Ames qui les subissent. Celte délivrance est due uni­ quement à la misericordi· de Dieu sollicitée parles suf­ frages des vivants. C’est une doctrine à peu près identique qu’enseigne T. Nikolskii dans son ouvrage Dc la prière pour les morts, dont la première édition remonte à 1825. Lui aussi distingue entre la géhenne ct 1'1 ladès. La géhenne est pour les damnés, l’Hadès est le séjour propre des Ames dc l’état Intermédiaire el correspond aux diverses stations des télonies, dont parlent certains anciens Pères. L’Hadès, dit Nikolskii, ne doit pas être confondu avec le purgatoire des Latins parce qu’il n’a pas de feu ma­ tériel. Les Ames n'y sont purifiées que par le feu spiri­ tuel des prières des vivants et du sacrifice dc la messe oITort pour elles. Op, cit., éd. de Moscou, 1890, p. 13, 113-123, 221, 235, 251. CL Bukowskii, op. cil., p. 167170. A. Mallzcv, Die Sakramenle der orthodox-kathoUschen Kirche des Morgenlandcs, Berlin, 1898, p. cxxvn, sq., ne découvre qu'une seule difTércncc entre la doc­ trine des Gréco-Busscs et In doctrine catholique sur la question du purgatoire : celle qui a trait à un lieu dis­ tinct de l’enfer et du ciel. Il reconnaît du reste queccttc difTércncc est atténuée par le fait que l’Église romaine (il serait plus exact de dire : certains t héologiens catho­ liques) enseigne que les peines du purgatoire ne dif­ fèrent des peines de l'enfer qu'en raison de leur durée. Voir aussi l’article de Taralsc Sercdhiskil dans La lec­ ture chrétienne, t. iî, 1868, p. 691-697, Intitulé Peut-on prier pour les morts sans admettre le purgatoire latin? Le purgatoire latin, pour cet auteur, est constitué par le feu ct l’existence d’un troisième lieu. Après tous ccs témoignages concordants de théolo­ giens gréco-russes admettant cc qui fait l’essentiel du dogme catholique, on comprend qu’un théologien russe contemporain, P. J. Sviellov, déclare que celle diver­ gence entre les deux Églises est une pure invention des polémistes, grossie par eux à plaisir. G'cst à peine, ditil, si l’on peut marquer entre les deux théologies une difTércncc de détail : celle qui regarde la nature des peines. Khristtanskoe Vieroulchenie, 3* éd., I t. Kiev, 1910, p. 191195 Ge jugement, pourtant, appelle un correctif : à côté des théologiens <|ui s’accordent pour le fond avec l’enseignement catholique, il y en a mal­ heureusement d’nutrcs, dont nous allons parler, qui le sapent par son fondement. Tout comme chez les Busses, nous trouvons chez les Grecs du xix· rl du xx* siècle quelques partisans de la doctrine catholique Signalons Nlcodèrnc l’Haglorlle. dans son I·’*ομο)ογητ I »'d Venise. 1835, p.287288. qui enseigne expressément l’existence d'une peine temporelle due au péché mfmr pardonné, peine qui doit être supportée par le p· hvur, soit en cc monde, 1337 PIJIIGATOIKE. ÉGL. GHÉCO-RUSSE, LES ADVERSAIRES soit en l’autre. Nectaire Képhalas, dan» son opuscule Tà lepà μνημόσυνα, Athènes, 1802. p» 28-30, admet tout du purgatoire catholique, le feu non excepté; mais ce feu, il ne veut pas qu’on l’appelle καθαρτικόν puri­ ficateur ·, mais κολάζον, τιμωρητικόν, punitif, ven­ geur », Plusieurs catéchismes grecs actuellement en usage, notamment celui dc l'archimandrite G G. Kol* dakis, ’Ορθόδοξος χριστιανική κατήχησες, Athènes, 19(M>, p. 187-188, sont aussi très explicites sur l’exis­ tence d’un étal Intermédiaire : celui des défunts morts dans la penitence cl la grâce dc Dieu avant d’avoir fourni une satisfaction suflisante pour leurs péchés, ou chargés de péchés véniels non remis ici-bas, A ceux-là profitent les suffrages de l’Église. ill. Les adversaihes nu dogme catholique. Bien que favorable dans son ensemble à la doctrine catholique du purgatoire, l’ancienne tradition byzan­ tine renfermait cependant certains éléments obscurs ct équivoques, susceptibles d’être interprétés dans un sens nettement contraire à celte doctrine. On a vu plus haut, col. 1245, le pseudo-Damascène et Théophyluetc enseigner assez clairement que des défunts chargés dc péchés gras es mais non endurcis dans le mal avaient chance d’être délivrés dc leurs tourments avant le juge­ ment dernier. Et il ne s’agit pas là dc ccs délivrances miraculeuses cl tout a fait exceptionnelles que les théologiens orientaux, depuis le haut Moyen A g·, ont toujours admis et admettent encore sur la foi des vieilles légendes de Trajan cl de Falconllla, mais bien de l’efficacité courante des suffrages des vivants pour les morts. Ccs données troubles de l’ancienne tradition, des polémistes, adversaires du purgatoire latin et ou­ verts à l’influence de la théologie protestante, s’en sont emparés à partir du xvr siècle, et l’on a vu alors appa­ raître dans l’Église gréco-russe dc véritables négateurs du dogme catholique. Ceux-là ne rejettent pas seule­ ment le mot de purgatoire, mais la doctrine qu’il signi­ fie. Ils n’en veulent pas seulement au feu purificateur ct au troisième lieu, mais à l’état intermédiaire luimême. Ils ne connaissent que deux catégories de défunts : les élus et les damnes, et deux séjours d’outre-tombe : le ciel et l’enfer. Seulement d’après eux, d’après la plupart du moins, l’enfer n’est pas encore définitivement ferme : on peut en sortir avant le juge ment dernier. Sollicité par les prières de l’Église et les bonnes œuvres des vivants. Dieu, dans sa miséricorde, non seulement mitige les tourments des damnés, mais il en délivre régulièrement un grand nombre. Qui* conque n’est pas mort endurci dans le mal, quiconque n’a pas commis le péché contre le Saint-Esprit, c’està-dire quelques-uns dc ccs grands forfaits qui décou­ ragent la miséricorde divine, peut espérer sortir d’une prison qui est. de sa nature, éternelle. C’est ainsi qu’en combattant le dogme catholique du purgatoire on arrive à transformer en purgatoire une bonne partie dc l’enfer. Les théologiens <|e cette catégorie ne manquent pas dans l’Église gréco-russe, dc nos jours surtout, et, chose aussi grave qu’inattendue, ils peuvent légitime­ ment Invoquer l’autorité d’un document dogmatique officiel, le plus olllcicl sans doute qu'ait promulgué l’Église gréco-russe depuis le concile de Florence et auquel un grand nombre accordent une valeur égale à celle des anciens conciles œcuméniques : nous voulons parler de la Con/etsion orthodoxe de rÉglise orientale* autrement dite Catéchisme de Pierre Moghila. 1° Le premier théologien moderne qui ail sape par la base le dogme du purgatoire, au point de n’en rien lais­ ser subsister, est le patriarche d’Alexandrie, Mélèce Pigas (t 1601). farouche polémiste antipapiste, qui tra­ vailla de tout son pouvoir à empêcher l’union des Kulhèncs Λ I Église catholique, union qui fut réalisée au synode de Brest (1595). Dans une espèce de caté­ chisme dialogué, publié pour la première fois à Vilnn, 1338 en 1596, sous le litre δ’Όρ048θξος διδασκαλία, Mélèce fuit sienne la doctrine protestante sur la satisfaction de Jésus-Christ, satisfaction totale et plénière qui exclut toute satisfaction secondaire fournie par le pécheur pardonné pour le* péchés commis après le baptême. La pénitence sacramentelle imposée par le confesseur n’est en aucune façon vindicative, mais seulement pédagogique et prophylactique : "Οπου δια τής μετά­ νοιας έξαλειφΟώσιν αί άμαρτίαι, οϊχεται πάντως καί συναφανίζεται τά τής κολάσεως. . Ού κόλασις ή παιδεία. 'Ορθόδοξος διδασκαλία, cd. de Jassy, 1769, p. 310 sq. Après l’absolution sacramentelle, aucune peine temporelle satisfactoirc ne reste a la charge du pécheur soit encc monde, soit en l’autre. Marcd’Éphèsc avait bien dit que la peine du péché était toujours remise avec la coulpe, mais il n'avait pas exclu la peine ellemême, qui pouvait être subie, en ce monde du moins, avant l’absolution sacerdotale. Pigas, lui, est plus radi­ cal : il nie l’existcncc dc toute peine temporelle pour le péché. A ses yeux, non seulement l’« épilimie » sacra­ mentelle, mais encore 1rs épreuves de celte vie sont dépourvues de tout caractère punitif et satisfactoirc pour le péché. Dieu ne 1rs envoie, ou ne les permet que pour nous préserver du péché, exercer notre vertu. ' augmenter notre mérite. Cette doctrine, on le voit, sup­ prime la principale raison d’être du purgatoire. Ce serait même la seule, s’il fallait en croire Pigas luimême, qui afllrme a plusieurs reprises : Le purgatoire des Latins est introduit non pour remettre le péché: mais pour payer la dette du péché, les peines qui Pcx· pient... Le purgatoire ignore la rémission du péché ·, Τό δέ πουργατύριον ούκ είς άπόλυσιν αμαρτίας, άλλ* εις άπόλυσιν έκτισεως αμαρτίας καί ευθυνών καί ποινών είσάγεται ... "Λ φέσιν αμαρτίας το πουργατόριον αγνοεί. Op. ci/., ρ. 293. 296. C’est oublier l’autre raison d’être du purgatoire, qui est le péché véniel non remis pendant la vie. Mais notre polémiste sc tait sur les péchés véniels. Ou il les ignore et n'en a cure, oull ne les distingue pas des péchés mortels, à 1 exemple des réformés. 11 déclare en effet, à un endroit, que tout péché mérite de sol une peine éternelle. Ibid., p. 252. Quant aux fruits de pénitence dont parle l’Écrilurc, il ne faut point y voir une compensation satisfactoirc pour le péché, mais dc simples indices d'un vrai repen­ tir. Si donc un pécheur meurt le cœur contrit sans avoir eu le temps de fournir ccs indices. Dieu lui accorde une pleine rémission de ses fautes à cause des mérites de Jésus-Christ, cl il est en règle avec la justice divine : le ciel lui est ouvert. Quiconque, en effet. par­ vient au terme de la vie présente doit nécessairement aller ou dans le sein d’Abraham avec le pauvre Lazare, ou descendre dans la géhenne avec le mauvais riche : Έπάν δέ τέλος έκαστου φΟάση, ανάγκη πάσα ή μετά Λαζάρου του πένητος εις κόλπους ’ \6ραάμ άπαίρειν, ή μετά του πλουσίου καταφέρεσΟαι εις γέενναν. Ibid., ρ. 272. Après la mort, il n’y a pour les âmes que deux états et deux séjours. Le purgatoire est su­ perflu ct sent l’origcnismc et le paganisme. Il est super­ flu. parce que ceux qui meurent dans la penitence sont complètement purifiés par le sang de Jésus-Christ ct n'ont besoin d’aucune autre purification. Il origénise, parce qu'il introduit des supplices purificateurs qui ne durent qu’un temps et amènent l'apocatastase univer­ selle. Il hellénise puisque Py thagore n connu une fable semblable. On peut même dire qu’il judabe : les phari­ siens, en effet, posant en principe <|u’aucun fils d'Is­ raël ne peut périr, livrent les pêcheurs, après la mort, a des tourments purificateurs : Ποφέλκον έοτί, περιττόν, ώριγενίζει καί έλληνίζει τύ πουργατύριον. Ibid., ρ. 269. Passant aux textes scripturaires sur lesquels les théologiens latins ont l’habitude d’appuyer la doctrine du purgatoire, le théologien grec trouve le moyen de les tourner contre celte doctrine elle-même. Dans le 1339 I’U H G Λ TO HU·: . GHECO-KUSSE, LES A I) VE USAI KES passage évangélique, Mat th., v, 26 : Non exies inde, donec reddas novissimum quadrantem, le mot donec, έως. n’indique point une période de temps limitée, mais signifie : Dans la prison, c’est-à-dire, cn enfer, tu seras puni pour tous tes péchés, même pour les plus petits. · ibid., p. 293-295. Voir aussi la Lettre aux Chhtcs, éd. de Métaxas, Constantinople, 1627, p. 22. Quant au texte de 11 Mac., xu, 13 sq., loin d’établir le purgatoire, il le détruit : Judas Macchabée, cn effet, fait offrir un sacrifice pour l’expiation non d’un péché véniel, mais d’un grave péché d’idolâtrie commis par des gens qui moururent dans l'hnpénitence. Le feu dont il est question dans I Cor., in, 13-15, n’est pas le feu du purgatoire, mais le (eu de l’épreuve, auquel seront soumis les justes aussi bien que les pécheurs pour ce (pu regarde leurs œuvres bonnes ou mauvaises. Enfin le texte de Matthieu, xn, 32 : Qui dixerit verbum contra Spiritum sanctum, non remittetur ei neque in hoc sivculo, neque in futuro, ne signifie qu une chose, A savoir que le péché contre le Saint-Esprit ne sera jamais remis, comme il ressort des passages parallèles de .Marc., ni, 28-29, et de Luc., xn, 10. Du reste, répète Mélècc. le purgatoire ignore la rémission du péché; il ne regarde que la délivrance de la peine. 'Ορθόδοξος διδασκαλία, p. 275-279,290-296 : Lettre aux Chiotcs, p. 23. .Notre théologien découvre une raison théologique à faire valoir contre le purgatoire : il est contraire à la justice, dit-il, quo pour les péchés qu’elle a commis avec le corps l’Amc soit punie toute seule, qu’elle souffre pendant que le corps jouit du repos de la tombe; les deux doivent être punis ensemble : ΙΙώς δέ ούκ άδικον τύ περί τού πουργατορίου δόγμα; ... 'Γό σώμα δέ ζατα).ιπούσα τω Ιδίω χοί έπαναπαύεσΟαι, αύτς αόνη τάς φλόγας εισέρχεται καΟαρΟησοαένη, ώς μή δέον καί τό σώμα συ*ρ<αθαίρεσθαι. 'Ορθόδοξος διδασ­ καλία, ρ. 289. Λ celui qui rejette ainsi tout état intermédiaire entre la béatitude et la damnation sc pose le grave problème de la prière pour les morts, pratiquée de tout temps par l’Eglise. L’interlocuteur de Pigas ne manque pas de lui poser l’objection : « A quoi donc peuvent servir les suffrages des vivants pour les morts? » Pigas n’est pas h court de réponses : « Tout d’abord, dit-il, toute bonne œuvre accomplie en faveur des défunts morts dans la piété glorifie Dieuquilcsa béatifiés,et augmente notre mérite. Si les défunts sont dans l'enfer, les suf­ frages peuvent leur procurer du soulagement et même les délivrer entièrement si leur vie n’a pas été totale­ ment mauvaise. On le volt par l’exemple de Trajan et de Ealconilla. Sans doute les flammes de l’enfer sont éternelles, mais ceux que Dieu cn délivre n’y passent qu’un certain temps. En (ait l’Église prie pour tous les chrétiens morts dans la foi et n’exclut que ceux qui sont partis dans l’impénitcnee manifeste. »’Εκεΐσε τοίνυν καί νυν διατρίβειν τινάς, ούς ώφελήσαι εις άπολύτρωσιν τάς των ζώντων εύποιΐας δύνατον. El δέ πάντως ού παραδεκτέον τοϊς l·/ άδου κατεχομένοις είς άπολύτρωσιν γτ/έσΟαι της ’Εκκλησίας τάς* εύποιΐας, άλ>?ούν γε είς κουφισμόν των βασάνων γενέσΟωσαν. ibid., ρ. 301; ■ ί. ρ. 297, 300. 309; Lettre aux Chivies, ρ. 23. Tello est la conclusion à laquelle aboutit celui qui a accusé les Latins d’ongéniscr : «Les suffrages pour les morts ont pour effet ou de délivrer quelques damnés, ou du moins d’adoucir leurs tourments. » 2· Théologiens du XVtf siècle. — SI nous avons exposé dans le détail la doctrine de Mélècc Pégas, c’est d'abord parce que ce théologien est, à notre connais­ sance, le premier parmi les Grecs qui ail nié l’existence d’une peine temporelle due aux péchés commis après le baptême; c’est aussi parce qu'il a rassemblé cn un tout ce que la polémique grecque a trouvé de plus fort contre le dogme catholique. Il a eu peu de disciples parmi scs contemporains du xvr siècle. C’est A peine 1340 si Gabriel Sévère sc rapproche un peu de lui longue, citant le passage bien connu de Théophylactc (cf* col. 1245), il fait délivrer par les prières de l’Église quelques pécheurs coupables de péchés graves. Mais au xvn· siècle nous trouvons parmi les négateurs du purgatoire des théologiens de marque· (/est d’abord Cyrille Lucar, tout à (ait gagné aux doctrines calvinistes, qui écrit ù l’art. 18 de sa Confes­ sion de foi: Qui hic justi/icuntur nullam amplius posthac subibunt pœnam; qui autem non justificati moriun­ tur in pomus destinantur adernas. Ex quo patet commen­ tum de purgatorio non esse admittendum, sed in iteritate statuendum est unumquemque debere in hoc sicculo resipiscere. Klmmcl-Weissenborn, op. cit., I. 1, p. 38. C'est ensuite Zacharie Gerganos, qui, dans son Caté­ chisme, publié à Wittenberg en 1622, déclare que le pseudo-purgatoire des papistes est une invention du poète païen Virgile; que quiconque meurt dans la péni­ tence va au ciel; que les livres des Machabées Ignorent le purgatoire et (pic la prière pour les morts a pour objet de soulager les morts. Dieu n’ayant pas encore accordé aux démons pleine liberté de les tourmenter. Cf. Jean-Matthieu Caryophy Ile, Έλεγχος της ψευδό· χριστιανικής κατηχήσεως Ζαχαρίου τού Γεργάνου, Itonie, 1631, ρ. 316, 332, 3 16, .357, 118. Mais c’est sur­ tout la Confession orthodoxe dite de Pierre Moghila, corrigée par le Grec Mélèce Syrigos et approuvée, après ccs corrections, en 1613, par les quatre patriarches d'Orient. A ht question lxiv de la lfe partie de ce caté­ chisme ainsi conçue: «Y-a-t-il une catégorie de défunts intermédiaire entre les élus et les réprouvés? » il est fait la réponse suivante : « Des hommes de cette cate­ goric il n'en existe pas. Mais il est sûr (pie beaucoup de pécheurs sont délivrés des liens de l’enfer non par leur propre pénitence ou confession selon, qu’il est écrit: « Qui vous confessera dans l’cnier... » (Ps., vi, 15), mais par les bonnes œuvres et les prières des vivants, prin­ cipalement par le sacri hcc non sanglant, que l ’Église offre chaque jour indistinctement pour les vivants cl pour les morts, tout comme le Christ est mort pour les uns et pour les autres. » Τοιαύτης τάξεως άνθρωποι δέν εύρίσκονται. Μά βέβαια πολλοί από τούς «αμαρ­ τωλούς έλευΟερώνουνται από των δεσμών τού αδου, ο/ι με μετάνοιαν ή έξομολόγησιν έδικήν τούς... άλλα μέ τάς εύποιΐας των ζώντων. Kimmcl-Welsscnborn, op. cil., p. 132-133. A la question suivante qui a trait ù l'efficacité des suffrages pour les morts, on cite le passage de Théophylnctc de Bulgarie où il est dit que les suffrages sont utiles pour ceux (pii meurent avec des péchés graves; puis, à la question lxvi, on nie expressément l’existence de tout châtiment temporel, (pii purilierait les Ames après la mort. C’est pour avoir soutenu une pareille opinion que le II· concile de Constantinople condamna Origène. Après la mort, l’Amc séparée ne peut recevoir aucun sacrement de l’Église. S’il était possible qu’elle pût expier ses péchés par une satisfaction propre, elle pourrait recevoir ainsi une partie du sacrement de pé­ nitence, cc «pii est contre la doctrine orthodoxe. Pour délivrer ccs Ames, Γ Église offre le sacri lice non sanglant et des prières. Mais les réprouvés eux-mèmes ne subis­ sent aucune peine (pii les purilie : Ούδεμία Γραφή δια­ λαμβάνει περί τού πυράς τού καθαρτηρίου, νά εύρίσκεται δηλαδή ζαΐ μία πρόσκαιρος κόλασις καθαρτική των ψυχών ύστερα από τόν θάνατον. Kimmcl-Wclssenborn, op. cil., p. 135. Voila donc la délivrance des damnés par les prières de I Église explicitement ensei­ gnée. Gel le délivrance constitue l’objet propre de hi prière pour les morts. Et c’est une Confession de foi approuvée par les quatre patriarches d’Orient (pii nous dit cela, confession qu’un grand nombre de théo­ logiens. encore de nos jours, révèrent A l’égal d’un document de fol œcuméniquet 1341 PURGATOIRE. ÊGL. GRÉCO-RUSSE, LES ADVERSAIRES 1342 Ce n’est pas de Pierre Moghila, nous l'avons dit plus peccadilles, dont nul mortel n’est exempt, sont remises haut, que vient cette doctrine, niais de Melice Syrigos, généreusement par Dieu, a l’heure de la mort, cn consi­ correcteur de l'œuvre de Moghila aux Conférences de ' dération du bien prépondérant qui sc trouve dans les Jussy, en H» 12. De la pensée de ce théologien, l’un des âmes Justes. S'il n'en était pas ainsi, nul ne monterait plus marquants du xvn· siècle, nous avons une autre au ciel après la mort. Ce sont donc les âmes des pé­ source, a savoir son grand ouvrage intitulé :Όρ0ό3ος% I cheurs coupables de péchés mortels qui sont soulagées άντίρρησις κατά των κεφαλαίων καί έρωτησεων τού et tirées de l’enfer par les prières de l’Église cl les suf­ Κυρίλλου, publie par Dosithée de Jérusalem, â Buca­ frages des vivants. La quatrième différence découle de rest, en 1090. Dans cet écrit, Syrigos soutient, pour le la troisième et supprime l’autre raison d’être du purga­ fond, un enseignement identique à celui de la Confession toire, à savoir la peine temporelle duc au péché déjà orthodoxe, mais il donne certaines précisions. C’est ainsi effacé par le repentir ou l’absolution sacerdotale. A qu’il exclut du bénéfice des suffrages de l’Église les ceux qui, prévenus par la mort, n’ont pu porter de infidèles, ceux qui sont morts dans le désespoir, les dignes fruits de pénitence le Christ remet parfaitement grands scélérats. Avant le jugement universel, dit-il, tout péché et toute peine. 11 les sanctifie, les glorifie cl tous les péchés des défunts, à l’exception du péché leur donne la joie des bienheureux. Dire que les péchés de ccs hommes ont été remis et que la peine de contre le Saint-Esprit, peuvent être remis non parla pénitence ou la satisfaction des défunts eux-mêmes, leur péché demeure, c'est de la plaisanterie, c'est de la mais soit parce que leurs bonnes œuvres l’ont emporté, folie; ce n’est pas l'affirmation de théologiens sains durant leur vie, sur leurs œuvres mauvaises, soit parce d'esprit. Τό 3έ /-sr^zv/ έπΐ των τοιούτων, 0τ. άφείθη que les saints et l’Église intercèdent pour eux. Si le i μέν ή αμαρτία, μεμένηκε 8: ή πον/ή παιζόντων εστί pauvre Lazare avait intercédé pour le mauvais riche, il καί ούκ ευ φρονούντων, » Paroles de Marc d’Ephese. aurait été exaucé. Bien que tous ceux pour lesquels Nous confessons donc, conclut Dosithée, que ceux qui l’Église prie ne soient pas délivrés des chaînes de l’en­ se sont repentis de leurs fautes ne sont pas punis en fer, tous du moins tirent des suffrages profit et souln- I enfer, attendu que les fidèles ont leur séjour dans l'Égement dans leurs tourments : Ale τούτο δείχνει πώς glisc céleste des premiers-nés. Que ce soit au contraire συγχωροΰντχι των ανθρώπων κάποια αμαρτήματα είς dnns l’enfer que sont punis les grands péchés et que ce soit de l’enfer que sont lires les pécheurs, c’est ce qui τόν μέλλοντα αίωνα ύστερον άπο την ζωήν ταύτην. Άντίρρησις, Bucarest, 1690, ρ. Ill; ci. ρ. 138-111. ressort de l’histoire des Machabées: IIcpl των μεγά­ λων αμαρτημάτων γίνεσΟχι είς Μου τςν τε τιμω­ Nous voilà certes loin de la doctrine catholique! Au moment où il publiait l’ouvrage de Mélècc Syrigos ρίαν καί την λύτρωσήν καί άπύ της ιστορίας των Μακκαcontre Cyrille Lucar, c’est-à-dire cn 1690, Dosithée, ύαίων φαίνεται. Έγχειρίδιον, ρ. 81-85. Quoiqu’ils sc patriarche de Jérusalem, avait déjà changé de senti­ trouvent dans l’enfer proprement dit. les réprouvés qui sont délivrés par les prières de l’Église ne souffrent ment au sujet du purgatoire. Nous avons vu plus haut, col. 133 1, que dans sa Confession de foi, rédigée au con­ pas la peine du feu, car, d'après Dosithée et beaucoup cile de Jérusalem en 1672, il avait nettement affirmé, à d’autres théologiens orientaux, le feu infernal n’en­ l’art. 18, tout l’essentiel du dogme catholique. En 1690 trera en action qu’après le jugement dernier. Los peines il publia une nouvelle édition, revue, corrigée et aug­ des réprouvés ne sont présentement que d’ordre moral: mentée de cette Confession en appendice à l’ouvrage tristesse, regrets, remords de la conscience, emprison­ de Syrigos sous le titre : Έγχειρίίιον έλεγχον την j nement , ténèbres, crainte, incertitude de l’avenir, voire καλδινικήν φρενοβλάδειαν, dans laquelle il abandonne la seule peine du dam. Si, comme Mélècc Syrigos, notre théologien parait exclura la délivrance des désespérés — il nous en avertit lui-même — sa première opinion sur l’existence d’une troisième catégorie de défunts, cl des grands scélérats, il ajoute qu’au jour du juge­ morts dans la pénitence, mais n'ayant pas suffisam­ ment, Dieu, dnns sa grande miséricorde, fera grâce à ment satisfait ici-bas pour leurs péchés, pour embras­ un grand nombre : Έν καιρφ της κρίσεως, πολλούς ser la doctrine même de Mélècc Syrigos et de la Con­ έλεήσει ό πολυέλεος Θεός. όρ. ciL, ρ. 85. Nous voilà donc bien renseignés sur l’ultime théo­ fession orthodoxe, revisée par lui. Il ne sc contente pas d une simple affirmation. mais il justifie sa nouvelle logie de Dosithée. Ce qu’il importe de noter, c’est que position par de longues considérations, dont quelques- | sa rétractation n'a pas été remarquée dans l’Église unes sont empruntées mot pour mol au premier dis­ gréco-russe. On s’en csl tenu nu texte de la première cours de Marc d Éphèsc sur le purgatoire. Entre la doc­ édition de sa Confession. C'est ce premier texte qui est considéré par beaucoup de théologiens dissidents trine catholique et celle que, de son propre chef, il attribue maintenant à l’Église orthodoxe, il ne décou­ comme un livre symbolique de toute l’Église grécovre pas moins de quatre différences. La première dif­ russe, un document infaillible au même titre que les férence, dit-il. est que nous n’admettons pas un troi­ définitions des conciles œcuméniques. Et l’on constate sième lieu, séparé ou voisin de l’enfer, dont les âmes ainsi que les deux Confessions de foi de l’Église grécorusse moderne, celle de Pierre Moghila el celle de Doslpuissent être délivrées, mais nous affirmons que cette rédemption s’opère parmi les habitants de l’enfer thec, ne représentent pas, pour tout leur contenu, la même, · attendu qu'aucune sentence définitive n’a vraie pensée de leurs auteurs. Moghila a renié la sienne encore été portée par le Sauveur contre les réprouvés · parce qu'elle avait été corrigée par un autre; Dosithée (ού γέγονεν εως άρτι ή τελεία καί καθόλου άπόφασις ' a corrigé lui-même la sienne, mais on n’a pas tenu τού Σωτηρος κατά των άποβεόλημένων). La seconde compte de ses corrections. Ce qui augmente notre éton­ nement. c'est que ces deux Confessions, dans le texte différence est qu’il n’existe aucun feu purificateur cn dehors de Dieu, qui est proprement par lui-même le feu reçu de tous, se contredisent formellement sur la ques­ purificateur opérant la parfaite rédemption ou rafraî­ tion du purgatoire. chissement ou rémission et réconciliation des âmes. Ce La dernière opinion de Dosithée sur le sort des âmes n’est que par métaphore qu’on peut donner le nom de après la mort n'attaque pas seulement le dogme du purification. κάΟαρσις. à la tristesse et aux gémisse­ purgatoire; elle ébranle aussi la doctrine sur le juge­ ments de ceux qui sont détenus en enfer. La troisième i ment particulier. Nous l’avons cn effet entendu dire différence est la plus grave : répétant les paroles de ! que le sort des réprouvés n'est pas définitivement fixe Marc d’Éphèse. Dosithée déclare (pic les péchés véniels ' avant le Jugement général. Sur ce point spécial du ne comptent pas après la mort. Dieu n’en tient nul jugement particulier, qui csl intimement lié au dogme compte, et Ils n'entraînent aucun châtiment, aucune du purgatoire, le patriarche de Jérusalem a eu des pré­ peine pour les âmes des défunts qui les ont commis. Ces 1 décesseurs et des disciples. Parmi les prédécesseur*, Il 1343 PURGATOIRE. ÉGL. GRÉCO-RUSSE, LES ADVERSAIRES faut compter Csrillc Lucar, avant qu'il eût adopté le sentiment contraire dans sa Confession de foi. On a, dans un manuscrit de Lcydc, des annotations de sa main au catéchisme de Bellarmin. Le jugement parti­ culier y est qualifié d’invention mensongère : τό περί της μερικής κρίσεως δόγμα, ψέματα, ψευδές καί έπίπλαστον. Gf. E. Legrand, Bibliographie hellénique du a 17/· siècle, 1.1, p. 242. Malgré l'approbation donnée en 1643 par les quatre patriarches d’Oricnt ù la Confes­ sion orthodoxe de Pierre Moghila, qui enseigne expres­ sément l’existence du jugement particulier, le patriar­ che de Constantinople, Méthode, répondant à une con­ sultation dogmatique des Busses, aux alentours de 1668-1669, rejetait ce jugement en ces termes : Nos vero unum ri solum judicium agnoscimus coram Dei tri­ bunali in die resurrectionis, et tunc putamus animas unitas corpori accepturas esse coronam aut damnationem ; e corporibus vero abeuntes legimus solum praesentire futu­ ram gloriam aut panam, t. v des manuscrits d’Eusèbc Benaudol conservés â la Bibliothèque nationale de Paris, p. 305 sq. Cf. Malvy-Viller, La Con/ession orthodoxe, Paris, 1927, p. 165-166. 3° Sur la fin du xr///1 siècle, d’autres négateurs du jugement particulier apparaissent dans l’Église grec­ que. Eugène Bulgaris (f 1806) cl scs disciples Atha­ nase de Paros (f 1813) cl Théophile Papaphilos sont de ce nombre. Sans doute ccs théologiens ne repoussent directement le jugement particulier qu’en tant qu’il implique la rétribution immédiate après la mort. .Mais il est incontestable que cette négation favorise l’opi­ nion de Mélcce Syrigos ct de Dosilhée sur la délivrance des damnés par les prières de l’Église, avant le juge­ ment dernier. Théophile Papaphilos, du reste, Ταμεϊον δρΟοδοζίας, éd. d’Athènes, 1908, p. 201, déclare (pie l’enfer demeure ouvert jusqu’au jugement général, et que les prières de l’Église peuvent en faire sortir les âmes. Les théologiens russes de la fin du xvin· siècle et de la première moitié du xîx· jusque vers 1810 sont sous l’influence de la théologie protestante. La Theologia Christiana do Théophane Procopovitch, telle qu'elle esl éditée par Samuel Mislavskii (1782-1781), garde le silence sur les suffrages pour les morts. Le métropolite de Moscou, Platon Levkhine (fl812) fuit de même dans sa célèbre Théologie chrétienne abrégée, composée pour son élève, le tsarévitch Paul Pétrovllch (P* éd., Pélcrsbourg, 1765). Mais Thvophx lacté Gorskii (t 1788), dans son manuel de théologie dogmatique Intitulé Orthodoxa orientalis Ecclesia dogmata seu doc­ trina Christiana de credendis, nie expressément tout étal intermédiaire entre la béatitude ct la damnation. Facile hinc intiltigilur, dit-il, quid de illorum existi­ mandum sit sententia gui sine ullo fundamento statum quemdam medium admittunt. Erroribus eorum sequen­ tia recti opponuntur : a) Quod Scriptura sacra duos tan­ tum status post hanc ritum commemoret, inferni et beatitudinis (Matth., vu, 23; xm, 30; Mare., xvi, 16; Luc., xvi, 22); b)Exempto latronis qui cum Christo cru­ cifixus est ( Lue., xxm, 13), Lazarl, Stephani, patet quod homines pii post mortem, qua animam, statim ad beatitudinem perveniant, impii vero ad locum damnatorum defe­ rantur Op. cil., Moscou, 1831, p. 290. Dans celle édi­ tion de Moscou, qui est la dernière, une note n clé ajoutée qui contredit formellement ce qui précède el rétablit une troisième catégorie de défunts, ceux qui sont morts dans l’espérance et le repentir sincère de leurs péchés sans avoir eu le temps de porter de dignes fruits de pénitence. A ceux-là profitent les suffrages des vivants. Gf. M. Jugle, Theologia dogmatica Chris­ tianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium» Ï . Parr. 1931, p. 153. D’après Sylvestre Lcbcdinskii (t 1808), Compendium theologiv classicum, 2* éd., Moscou, 1805, p. 555, ct 1344 append., p. xxvm, il ifexiste aucun étal intermédiaire entre l’état de béatitude éternelle ct celui de damna­ tion éternelle. Le purgatoire est traité par lui d'ethnicorum inventum, pontificiorum ( les catholiques) commentum, indulgentiarum fundamentum, conscien­ tiarum tormentum, marsupiorum purgamentum, cleri­ corum papalium incrementum ct simpliciorum laicorum terriculamentum. En 1811-1812, trois théologiens russes, Théophylactc, évêque de Biazan, Méthode Smirnov, évêque de Tver, et l’archimandrite Philarète Drozdov (le futur métropolite de Moscou), appelés à dresser la liste des divergences dogmatiques entre l’Église romaine ct l’Église orientale, sc trouvaient d’accord pour rejeter tout état intermédiaire, toute peine temporelle après la mort ct pour interpréter la formule d’absolution pro­ noncée sur les défunts qui est en usage dans l’Église russe dans le sens d’un simple suffrage pour les morts dont l'effet n'est pas indiqué, ou même d'un rite sym­ bolique rappelant que le défunt, pendant sa vie, a eu fol en l’absolution sacerdotale. Théophylactc de Bla­ zon écrivait ces paroles sibyllines : Ecclesia orientalis credit ecclesiasticam auctoritatem fus habere absolvendi a peccatis, pirnilentia manifestata. Talis absolutio potest et debet defunctis postulari, sicut et vivis, quatenus Deus ad preces quum vivorum tum defunctorum altendere potest. Voir les Réponses de ccs trois théologiens dans les Tchleniia de la Société impériale d'histoire et d’archéologic russes de l'université de Moscou, L. i, 1879, p. 1-11. Gf. art. Piiilak&te Dnoznov, t. xn, col. 1389. 1° Expulsée, durant quelques années, des séminaires ct des académies ecclésiastiques russes par la réforme de Protasov, la doctrine niant tout état intermédiaire avait de nouveau commencé à y pénétrer dans ces der­ nières années par des manuels de théologie dogmatique cl polémique. Non seulement on niait couramment l’existence de toute peine temporelle pour le péché par­ donné durant la vie ou après la mort, mais on ensei­ gnait la délivrance de certains damnés par les prières de l’Église ct la mitigation de leurs peines. C'est le cas pour lu Cours et le Manuel de théologie dogmatique orthodoxe de N. .Mallnovskil, où se lit le passage sui­ vant ; < En enfer, sc trouvent des âmes non complète­ ment endurcies dans le mal, qui peuvent concevoir de vifs sentiments de repentir pour les péchés commis durant leur vie, les délester cl tendre par l’esprit ct le cœur vers le bien négligé ici-bas. En vertu d’une loi de la miséricorde divine, ccs âmes peuvent être délivrées des tourments de l’enfer, par l'oblation du sacrifice non sanglant et par l’intervention des saints de l’Église céleste el du Sauveur lui-même. » Esquisse de théologie dogmatique orthodoxe, l. n, Scrghiev-Possad, 1908, p. 172. C'est bien la possibilité d’une pénitence salu­ taire après la mort que nous enseigne ici le théologien russe. Contre le dogme catholique du purgatoire il fait valoir la parabole du Lazare et du mauvais riche, le salut immédiat du bon larron, · qui, d’après les postu­ lats de la doctrine romano-catholiquc. aurait dû être livré à des peines purificatrices ut qui entendit pour­ tant de la bouche du Sauveur ces paroles : Hodie me· cum cris in paradiso. · I. Perov, dans sa Théologie polémique (Oblilchitclnoc bogoslovie), I? éd., Toula, 1905, parle à peu près comme Malinovskii. Des vestiges du purgatoire kdin, dit-il, sc rencontrent chez certains auteurs anciens, comme Ori­ gène, saint Augustin, saint Grégoire le Grand, mais l’opinion privée de quelques docteurs nu saurait pré­ valoir contre le sentiment unanime de l’Église univer­ selle exprimé dans lus canons du V· concile œcumé­ nique. La doctrine du purgatoire disparaît avec son fondement, qui n’existe pas, à savoir la peine tempo­ relle vindicative pour les péchés. Les texte» scriptu­ raires sur lesquels s’appuie cetli doctrine sont dénués PURGATOIRE. ÉGL. GRÉCO-RUSSE, LES INDÉCIS de valeur probante. En particulier le passage de Il Mac., XII. 13 ** Cette doctrine n’est pas simple­ ment ce que déclarèrent ct acceptèrent les Grecs au concile de Florence. Ce n’est pas non plus simplement la contradiction du dogme défini au concile. C’est, si l’on veut, ceci ct cela, le pour et le contre. Ou plutôt il vaut mieux dire : L’Église gréco-russe, actuellement, n'a aucun enseignement arrêté sur la question, et ne peut en avoir, tant qu’elle restera cc qu’elle est. Chez elle, cette question appartient toujours au domaine de la libre discussion, et les thèses contradictoires ont chacune leurs partisans. Les sources ont été indiquées au cours de l’article. Nos considérations préliminaires sont éclairées par cc que nous avons dit dans notre article La question du purgatoire au concite dc Fcrrare-Florence, dans Echos (TOrient, t. xx. 1921, p. 269-282. lui doctrine de l’Église russe moderne est bien étudiée par A. Bukowoskii, Die Gcniigtuung fur die Sünde naeh der Auflassung drr russischcn Orthodoxie, Paderborn, 1911. On trouvera une étude d’ensemble avec des développements au t. iv de notre Theologia dogmatica Christianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium, Paris, 1931. p. 16-21, 84-178. M. JUOIE. 3. PURGATOIRE CHEZ LES NESTORIENS ET LES MONOPH YS ITES. — L La doctrine du purgatoire dans l’Église nestorienne. 11. La doctrine du purgatoire dans les Églises inonophysites. L La doctrine du purgatoire dans l’Eglise nestorienne. Il ne faut point chercher dans la plus ancienne des Églises séparées d’Orlent une doctrine nettement caractérisée sur la question pré­ cise du purgatoire, (’.elle Église a cependant conservé, dans son usage liturgique, les éléments essentiels de cette doctrine. Gomme toutes les autres Églises chré­ tiennes dc l’antiquité, clic prie, â la messe, pour les âmes des défunts qui sont partis de ce monde dans la fol véritable », et demande pour elles la rémission des péchés commis durant la vie terrestre. On lit dans la Liturgie dite de Xestorius In prière suivante, où un théologien peut trouver tout l’essentiel du dogme du purgatoire : Jtogamus etiam cl deprecamur te. Domine, ut memineris ad istam oblationem.... omnium eorum qui decesserunt et pro/ecti sunt ex hoc streuto in fide veritatis, quorum nomma scis, solvens rt remittens 1353 PURGATOIRE CHEZ LES NESTORIENS ET LES MONOPHYS1TES (7/ü quodcumgue peccaverunt aul in quo deliquerunt coram /r tanquam hominem proclives et passionibus circumdati. E. Rennudot, Collectio liturgiarum orhntalium, t. n, Paris, 1716, et éd. de Francfort, 1X17, t n. Une oraison semblable se lit dans la Liturgie mise sous le nom de Théodore dc Mopsuestc : Omnibus liliis Ecclcsiw sancta’ catholica·, qui in fide veritatis transierunt ex hoc mundo, ut per gratiam tuam, homine, veniam it lis concedas omnium peccatorum et delictorum, qua· in hoc mundo in corpore mortali ct anima muta­ tioni obnoxia peccaverunt aul deliquerunt E. Henau­ dot, ibid. Le calendrier nestorlen présente ceci dc particulier (pi’il fond en une seule solennité nos deux fêles dc la Toussaint el de la commémoraison générale dc tous les défunts. Cette solennité sc célèbre le vendredi de la neuvième semaine après l’Épiphanie. I n Interprète anonyme des olliccs ecclesiastiques ayant vécu vers le ix· siècle en dit cc qui suit : Juste, postquam ex sanc­ torum universitate singulis certisque nominibus com­ memorationes instituimus, novissime jam omnes de­ functos honoramus, ut qui inter eos digni quidem sunt, sed ignoti, honorentur; et qui peccaverunt absolvantur per commemorationem sacrificii Domini nostri, quod factum est pro peccatoribus. Quapropter omnibus simul concessa est bona commemoratio memoria·, eorum. Expositio officiorum Ecclesiæ, éd. H.-H. Connolly, t. n, ρ. 122 (t. ex π du Corpus scriptorum Christia­ norum orientalium de Chabot). En dehors de cette commémoraison générale, les nestoriens font mémoire dc chaque défunt les troi­ sième, septième, quinzième et trentième jours après la mort. L’interprète anonyme explique la signifi­ cation de chacune de ces mémoires ct ajoute : Quando commemorationem facimus et passionem, mortem et resurrectionem figuramus, per luce condonantur debita defuncti. Dicunt enim recreari animam defuncti, quando pro ca facta est commemoratio. Op. cit., t n. p. 139-1 Ιθ. I n interprète plus ancien de la liturgie, Abraham bar Lipheh (vu· siècle), dit également que le sacrifice eucharistique profile aux morts comme aux vivants Ed. R. Connolly, ibid., p. 163. Si les théologiens nestoriens s’en étaient tenus aux données des livres liturgiques, écho de la tradition chrétienne primitive, ils se seraient gardés de certaines erreurs sur le sort des Aines après la mort. Mais plu­ sieurs d’entre eux se sont livrés aux spéculations philosophiques. Sous l'influence visible de la philo­ sophie aristotélicienne, ils ont conçu l’état des Ames séparées comme un état d’inconscience el d’inactivité complète jusqu'au jugement général. Ce sommeil des puissances, ils l’attribuent A toutes les Ames indis­ tinctement, aussi bien à celles des justes qu'à celles des pécheurs el même à l’Ame de Noire-Seigneur in triduo mortis. Toutes subissent donc le même sort et n’éprouvent ni joie ni tristesse.'Poule rétribution est remise au jour dc la résurrection générale. C’est pour­ quoi les uns assignent A toutes les Ames indistinc­ tement un même séjour, tandis que d’autres accordent aux Ames justes un domicile séparé et plus noble, par exemple le paradis terrestre. Le patriarche Timo­ thée 1" (780-823) ct Salomon de Bassorah (xm· siècle) sont de cet avis; mais Timothée n soin d'ajouter que celte différence de lieu n'influe en rien sur le sort commun des Ames : non quod animie fusiorum m paradiso delectentur, iniquorum extra paradisum crucientur; sed fingunt uterque locus typum ejus qui post resurrectionem futurus est animabas ct corpo­ ribus simul. Paradisus enim est typus regni cirloriim; pariter locus extra eum positus adumbratio est exsilit extra regnum cirloriim. Timothei I epistola· LIX, éd. O. Braun (t. ι,χνιι du Corp, script, christ, orient.^ Episl., it et xiv, p. 30. 76, 1X1. Dans cette théorie, le purga­ 1354 toire tel que nous l'entendons est évidemment suppri­ mé. Timothée cherche cependant à sauvegarder l’cfllcacité dc la prière pour les défunts en disant que celte efficacité sera connue ct appliquée aux Ames A la résurrection générale. EpisL, n. p. 36 : Fructus talis sacrificii non hoc tempore animæ el corpori innotescit, sed post resurrectionem mortuorum cognoscetur. Tunc, quando mensura peccatorum aperte cognoscetur, etiam mensura char itatis in remissione ex sacrificio Filii Dei, qui pro nabis datus est, cognoscetur. Tous 1rs théologiens nestoriens n’ont heureusement pas donné dans celte rêverie. Plusieurs rejettent le sommeil des Ames, mais ils n’accordent aux justes comme aux pécheurs qu'une rétribution commencée et fort imparfaite avant le jugement général. Sur l’cfllcacité même des suffrages dc l’Église pour les morts soit avant le jugement dcmicr. soit au moment même dc ce jugement (d’après les partisans du sommeil des Ames), les mêmes théologiens ne s’entendent pas. Timothée Ier parle dc la grande rémission qui est accordée aux défunts, mais il paraît exclure la possibilité d’une délivrance définitive : Etsi non omnino et totaliter peccata expiantur — non enim ad lacrimas et p.rnitentiam fugerat is qui tran­ sivit, quanto tempore hic potestatem et liberam volun­ tatem habuerat — tamen magna fit remissio et ita ut multiplex in ea appareat philanthropia Dei. Epist., ii. p. 36. Le patriarche Timothée II (1318-1332), au contraire, fait allusion A la délivrance de quelques pécheurs au moins par les prières de l’Église: Anima quie corpore exuta est oblationibus juvatur; nam sicut anima tn virtutes corporis agit, ita agere potest in animam seipsa infirmiorem... In libro Paradisi (c’està-dire dans les Vies des Pères) legitur, ob quemdam precum modum, dc loco in locum, id est ex crucia­ tibus ad voluptates translata: sunt animie quorumdam peccatorum (allusion aux récits dc la délivrance de Trajan et de Ealconilla). Quum igitur anima orantis potentior sit ea qine a corpore migravit, hiec infirmior a validiori agitur et illuminatur, atque ad recipien­ dum beatiludtnis donum a mente activa et a Spiritu Sancto praeparatur. Liber de sacramentis, c. vi, cité par Assémanl, Dibliotheca orientalis, t. in, 2· part., p. 315. Au témoignage des missionnaires, les nestoriens de nos jours croient que les Ames des défunts sont sou­ lagées par les prières el les bonnes œuvres des fidèles. LA sc bornent les précisions qu’on peut en obtenir. II. Dws lfs Eglises moxoiuiysit» s. L’escha­ tologie des groupes inonophysites est, en générai, moins imprécise que celle des nestoriens. Cela vient de cc que plusieurs d’entre eux, el notamment les i Arméniens, ont subi l'influence dc l’Occident catho­ lique. De nos jours, l’influence doctrinale des Grecs dissidents se fait aussi sentir dans l’Église copte d’Égypte. 1· Les liturgies. Tout comme les Gréco-Russes, les inonophysites rejettent le purgatoire dc la théo­ logie latine; mais, A y regarder de près, on s’aperçoit que c’est au mot qu’ils s’en prennent ct non à la chose qu’il signifie, La prière pour les défunts, en elTct, et les divers ofllccs, commémoraisons cl suffrages qui existent dans les autres groupes orientaux sont éga­ lement en honneur dans les trois églises inonophysites : copte et abyssine, syro-jacobite el arménienne. On a déjà donné plus haut. col. 1207 sq., plusieurs extraits des messes coptes cl syro-jacobilvs relatifs au Memen­ to des morts. Quant ù la messe arménienne, elle n’a pas moins dc trois commémoraisons des défunts. Dans la première, on parait prier pour tous les fidèles défunts en général, y compris les saints cl les justes, A peu près dans les mêmes termes que nous avons rencontrés dans les messes grecques. Dans la liste des griefs contre les Arméniens que les missionnaires latins cl 1355 PURGATOIRE CHEZ LES NESTORIENS ET LES MONOPHYSITES quelques Arméniens unis présentèrent ù Home au xxv* siècle, la prière pour les saints était incriminée. Les Arméniens sc défendirent en ccs termes : Non petimus ibi pro promemoratis, ni quiescant a panis, tribulationibus et laboribus ; absili quia omnino carent miseria et habent bcatitudinem aternam; sed quia sancti Dei quiescunt ct gaudent de salute nostra et honore Dei, sicut angeli gaudent de salute peccatorum. Igitur petendo in missa quietem sanctorum, petimus nobis gratiam, honorare Deum et salvari ct collocari cum illis. Mansi, Conci !.. t. xxv, coi. 1001. Quelques manuscrits de ^Explication des prières de la messe par Chosrov le Grand (+ vers 972) donnent une autre Interprétation. On y lit que les saints n’ont pas encore atteint la béatitude parfaite et qu’ils sont succplibles de progrès; que du reste le bonheur des élus consiste dans une sorte de progrès indéfini : Etsi glorificati sunt illi et in requiem ingressi, perfectionem tamen nondum assecuti sunt, sed esuriunt in dies ct augmen­ tum quierunt... Ascendunt semper in dies de gloria in gloriam. Sicut angeli, qui cmni dic novam scientiam et sapientiam hauriunt, ita sancti. Cf. P. Vetter, Chesrote Magni, episcopi monophysitici. explicatio precum missa, Fribourg, 1880, p, 38, 40, 45, 47. Ce n’cst pas seulement ή la messe que les Églises monophysites prient pour les défunts. Elles ont aussi diverses commémoraisons soit générales, soit parti­ culières. Chez les Arméniens, on fait mémoire des défunts le lendemain des grandes fêtes de l’Épiphanie, de Pâques, de la Transfiguration, de l'Assomption, de l’Exaltation de la sainte croix et des saints Vartans. Cf. art. Abm . i'me religieuse, t. t, col. 1953. Pour un défunt, on récite des prières les premier, second, huitième, quinzième et quarantième jours après la sépulture et au jour anniversaire. Cf. Tournebize, Histoire politique et religieuse de ΓArménie, Paris, 1900, p. 623-024. Le Syrien Jacobite Barhebrœus (1226-1286), dans son Nomocanon, td. Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. χ,2· part., p. 36, recommande les commé­ moraisons des troisième, neuvième et trentième jours et de l'anniversaire. Chez les Coptes, on célèbre la messe pour le défunt les troisième, septième, trentième ct quarantième jours après la mort, au semestre et à l'anniversaire. Dans un de leurs catéchismes, publié récemment, â la question : « Les âmes des défunts reçoivent-elles quelque profit des prières ct bonnes œuvres faites à leur intention? » on répond : « Il est sûr que les prières de l’Église, l’oblation du saint sacrifice el les œuvres de miséricorde sont profitables aux âmes de ceux qui sont morts avec quelques défauts et fautes de fragi­ lité, mais non aux âmes de ceux qui, tombés dans le vice ct l'endurcissement du cœur, n’ont pas demandé pardon ni fait pénitence. Celte vérité, l’Eglise univer­ selle du Christ l'a toujours enseignée. L’Église d’Israël elle-même lui est favorable nu livre des Machabées, où l’on raconte que Judas Machabée offrit un sacrifice pour les soldats morts. » Qommos Phi lot liée, Taiwvir al mubtad'ina /I taUini ad-din, Le Caire, 1912, p. 67. Signalons pourtant que certains théologiens coptes de nos jours, tel le qommos ( = higoumène) Jean Salâmi, enseignent que les âmes ne recevront le fruit des suffrages offerts pour elles qu’au jugement dernier. En attendant, ccs âmes n’éprouvent aucun soula­ gement. Cf. Clément Kopp, Glaube und Sakramente der ItOpUschcn Kirche, Borne, 1932, p. 71-73 (t. xxv des Orientalia Christiana). 2· Les théologien». — On peut recueillir dans les écrits des anciens théologiens arméniens et syriensJacobltes de nombreux témoignages en faveur de la doctrine catholique du purgatoire dans ce qu’elle a d’essentiel Qu’Il nous suffise de rapporter les suivants. 1356 Lc catholicos arménien Isaac ill (677-703), dans une de scs réponses canoniques, déclare qu’il n’est pas permis de faire célébrer de son vivant scs propres funérailles ct des messes pour le repos de son âme, car. dit-il, les apôtres ct les Pères ordonnent d’accom­ plir ccs cérémonies apres la mort, · pour le repos de l'âme et la remission des péchés ». Réponses aux questions de Jean le Sigillé, éd. Mai, op. cil., p. 301 -302. Chosrov le Grand, dans son Explication des prières de la messe, écrit : Ut dicimus sanctorum preces ft intercessiones auxilio nobis esse, ita nos quoque prius defunctis succurrere debemus precibus, imprimis sancta missa, quœ est spes, vita ct redemptio defunctorum. P Vetter> op. cit., p. 39. Les polémistes arméniens qui aux xixi· ct xxv* siècles furent les adversaires de l’union avec les Latins et attaquèrent le purgatoire maintiennent pourtant dans leurs écrits l’existence d’une troisième catégorie de défunts, à qui les suffrages de l’Église procurent soula­ gement et délivrance. Il est vrai que quelques-uns retardent la délivrance jusqu’au jour du jugement. Ainsi Jean Vanakan (t vers 1250) déclare que les âmes des fidèles qui n'ont pas tout abandonné pour suivre le Christ et se sont souillés au contact du monde ne montent pas au ciel, mais restent sur la terre jus­ qu’au jugement dernier avec l'espérance d’obtenir miséricorde. Cf. Galano, Conciliatio Ecclcsiic Arment» cum Romana, t. ni, p. 200, Home, 1661. Vartan le Grand (t 1271), disciple de Vanakan, écrit â son tour que les âmes des pécheurs qui sont morts après la confession de leurs péchés sont seulement tourmentées par la tristesse et la crainte. Elles sont sanctifiées ct purifiées par les sacrements de l’Église, par les suffrages ct les sacrifices des vivants. Celte crainte ct ce chagrin leur sont comptés comme expiation. Galano, ibid., р. 199. Parmi les Syriens jacobilcs, il faut signaler Jacques de Saroug (451-521), qu’on a pris longtemps pour un catholique. Dans une de scs nombreuses homélies publiée en 1895 par P. Bedjan, Acta martyrum et sanctorum, t. v, et portant le titre : De la fraction du pain en mémoire des défunts, il exhorte les fidèles â faire offrir le sacrifice de la messe pour leurs défunts. • Les péchés des défunts, dit-il. sont effacés par les saintes oblations que les vivants font pour les secou­ rir » Et il appuie cette doctrine sur l'exemple de Judas Machabée. Il ajoute une précision importante : « Par le sacrifice de l’autel les péchés sont remis â ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu. » Jean, évêque de Dara au ix· siècle, parle expres­ sément d’une catégorie de défunts distincts des élus ct des damnés qui sont purifiés par te feu après leur mort : Ncccsse est ut anima cui malitia adlursit una sit in igne, donec sordes rt malitia pravorum operum, qua in ea congregata sunt, illo igne purificentur..· Ilive au­ tem afflictio non est ad damnationem, sed ad peccatorum purgationem ct macularum... Sunt quippe qui stalim in hoc mundo a malitia purgantur: ct sunt etiam qui post hanc vitam per ignem juxta passiones suorum vulnerum curantur. De resurrectione corporum, I, IV, с. xxiv. cité par Assemnni. Dissertatio de monophysitis, p. 21-22, qui l'emprunte à Abraham Echrllensis. Nota ad catalogum Ebcdjesii, p. 172. Moïse bar Kepha (813-903), dans son Traité sur Tûmc, c xli, enseigne clairement l’utilité des suffrages des vivants pour les morts ct appuie celte doctrine tant sur l’autorité de l’Écriturc (II Mar ., xn 37 sq.) que sur celle des anciens Pères, spécialement de saint Jean Chrysostome, dont il cite plusieurs passages. Cf. O. Braun, Moses bar Replia und sein lluch von der Seele, Fribourg, 1891, p. 127-130. Grégoire Barhebræus. dans son Livre des rayons. parle d’une catégorie d'âmes qui séjournent dans un 1357 PURGATOIRE — PURITANISME lieu Intermédiaire entre le ciel et Tenfer : Anima bona, si voluptati corporis minime dedita sit, sdalim atque decedit, regni culorum particeps fit, sin autem corporis voluptatibus implicita sit, ut anima Latronis qui con­ fessus est, in [hi radi sum Eden transfertur, ubi quum materialia omnia desideria paulatim contusa fuerint, ad gradum regni in resurrectione elevabitur. Liber radiorum, tr. \ , c. v, 3. cite par Assémani, Dissertatio de nwnophysitis, p. 23. On voit par celte dernière phrase que le purgatoire de Barhebræus doit durer jusqu'il la résurrection générale. Nous avons déjà trouve la même opinion chez plusieurs autres Orien­ taux. Quant à l'utilité de la prière pour les morts, Barhebræus l’enseigne très clairement : Anima bus fidetium, nisi /adatw existant, aliquod gaudium spiri­ tuale est mediantibus orationibus pro eis; et si /adatie existant, mediantibus orationibus pro ipsis, magis cura­ bunt expolire sua specula a maculis qiue illis adluerent, et naufragantium instar auxilium exspectantium a suis sociis, movent sc ad salutem. Ego enim maximum juva­ men agnosco ex orationibus. Liber radiorum, dans Assé­ mani, ibid., p. 22, ct Nairon, Evoplia, 111* part., c. hi, p. 316. Ajoutons que les Dialogues de saint Grégoire le Grand, où la doctrine du purgatoire est si clairement indiquée, furent traduits en arabe en 779, d’après la version grecque du pape saint Zacharie. Cf. E. Benaudot, Collectiones titurgiarum orientalium, t. n, éd. de Ι-rancforl. p. 107. Cette traduction a dû exercer quelque influence sur les chrétiens de langue arabe. Les sources ont été indiquées au cours de Piytkle. On trouvera un exposé de la doctrine sur les fins dernières dans ccs Églises dans le tome v de notre Ίhevlngiaorienta­ lium. Paris, 1935, p. 336-347. 758-787; voir surtout p. 341314. 774-782. M. JüGIL. PURITANISME.— I. Notion et description. H. Historique abrégé. I. Notion ht description. — On confond assez généralement les deux termes « presbytériens » et • puritains >. Et pourtant l’article Pm siiytî hianismi a pu être écrit presque en entier sans même que soit prononcé le nom de puritanisme. C’est qu’il y a en réalité une grande différence entre les deux notions. Le puritanisme n'cst'pas d'abord une doctrine incarnée dans une secte. C'est un état d’esprit devenu un concept politique et l’idéal d’un parti. Le presbytérianisme au contraire est une conception religieuse devenue une Eglise el meme, en certains lieux, une Eglise d’État. Γη historien anglais récent. George Macaulay Treve­ lyan, remarque fort justement qu’il y eut au moins trois sortes de puritains depuis l’avènement d’Élisa­ beth, ceux qui admettaient l’épiscopalIsme, mais aspi­ raient â le purifier de toute souillure papiste; ceux qui trouvaient meilleur le régime · presbytérien »; enfin crux qui voulaient abolir tout pouvoir coercitif dans l’Église et laisser les individus sc constituer librement en congrégations indépendantes. England under the Stuarts, 1 t· éd., Londres, p. 61 sq. Les historiens anglais ont noté depuis longtemps que pas un des chefs puritains du Long Parlement n’était presbytérien, que ni Pym (1581 1 (» 13). ni Hampden (1591-1613), n'étaient opposés à l'épiscopalisme et que ce fut uniquement pour des raisons politiques que les puritains démocrates sc jetèrent dans le système presbytérien, au temps de l’assemblée de Westminster (années 1643 sq.), pour mieux combattre le parti royaliste cl gagner l’alliance précieuse de l’Écosse presbytérienne. Il suit de là que l'on ne peut faire du puritanisme qu’une description psychologique et théologique. Deux choses ont fait le puritain : le culte de la Bible et le dogme de la prédestination calviniste. 1358 Lc puritain est avant tout l'homme d’un livre. Il ne connaît ct ne veut connaître que la Bible. Elle est pour lui le code religieux, moral, social, liturgique, politique. La Bible dit tout, renferme tout, renseigne sur tout. La Bible est tout. Lc limeo hominem unius libri doit être appliqué au puritain plus qu’à tout autre. Son livre le guide, l’inspire, lr disculpe, l’ab­ sout ou le glorifie en tout ce qu’il fait. Lc ton grave des grands prophètes entre dans son langage. Les images orientales de la littérature hébraïque donnent un accent étrange au sombre enthousiasme qui l'a­ nime. Il est volontiers sentencieux, dogmatique, apocalyptique. El ce n'est pas seulement l’expression qui est ainsi transformée, c’est aussi la pensée, la conduite, la vie tout entière. Le puritain prend en horreur les vanités du monde, l’art, la littérature profane, le théâtre, et surtout les modes et les jeux. La joie élisabéthaine, comme disent les Anglais, aussi bien que la frivolité de la cour des Stuarts, à com­ mencer par Jacques I·*, n’ont pas eu d'adversaires plus déterminés. Le puritanisme fait profession de mépriser les jouissances sensibles. Il se pique de jus­ tice, de liberté, de self-control absolu, de noblesse d’âme ct par-dessus tout d'obéissance à la parole divine, contenue dans la Bible. Le puritain est l’équi­ valent de notre janséniste, du piétiste luthérien, du stoïcien de l’antiquité. Il vise â être au-dessus de l’humanité. Il est éminemment cornélien, mais avec une nuance de raideur ct d’ostentation qui continent au pharisaïsrne. Le puritanisme nous apparaît donc comme une prodigieuse exaltation ct une sorte d’hy­ pertrophie de la foi calviniste. Que les circonstances s’y prêtent, ct cc fanatique, qui affecte de n’aimer que les douces et innocentes joies de la famille ct de l’amitié, sera aisément sanguinaire, tout comme ccs révolutionnaires de 1793 qui passaient sans transition des attendrissements d’un foyer bourgeois aux vio­ lences meurtrières des clubs. Mais ce n'est pas seulement la lecture assidue de la Bible qui explique l’état d’esprit puritain. 11 faut recourir pour le comprendre au dogme calviniste de la prédestination. Nous avons dit que le puritain est l’homme d’un livre, l’homme qui ne peut remuer la tête sans qu’il tombe de ses lèvres une sentence biblique, un verset de psaumes ou une adjuration des prophètes d’Israël. Mais nous devons maintenant compléter ccttc définition : le puritain est l’homme qui se sait · prédestiné >. Et comment le sait-il? Précisément par ce goût de la parole sacrée qu’il découvre en lui. De la Bible il passe à l’ivresse de la prédestination. C’est que pour Calvin, comme du reste pour Bucer, l’évolution psychologique et morale d’un élu est quelque chose de saisissable, de percep­ tible, ct qui diffère de tout au tout de l'évolution du réprouvé. Les élus forment au sein de la société religieuse un cercle privilégié. La loi divine reluit dans leur existence tout entière. Ils se tiennent donc d’autant plus droits ct raides devant la masse mépri­ sable des réprouvés - à qui Dieu a refusé les grâces qui conduisent au salut — qu’ils sc sont Inclinés plus bas devant Dieu, dans le sentiment profond ct exquis de leur impuissance. Le puritain est ainsi une Bible vivante. Il ne possède pas seulement la Bible comme un livre où sont renfermés tous les secrets. Il la vit, il la réalise, il en accuse les traits. Il la résume en scs actes, dans ses attitudes morales ct religieuses. On voit en lui, par transparence, à la fois la Loi ct l’Évangile. que Luther opposait ct que Calvin unit. Les puritains sont les bénis du Père, les fils du paradis. Ils ont déjà un pied au ciel pendant qu’ils poursuivent leur existence terrestre, qui n’est plus pour eux une épreuve, depuis qu'ils en ont perce le mystère ct vaincu les ombres. Lc puritain est donc en définitive « celui 1359 PURITANISME qui sc sail élu, parce qu’il lit sa propre élection dans sa fidélité â la parole cl â la volonté de Dieu ». Les deux choses qui font le puritain se dédoublent fina­ lement en quatre éléments : le biblicisme intégral et intransigeant; le fatalisme prédestination; le dogme de la justification par la foi seule, ct enfin le maintien rigoureux des exigences de la loi divine, considéré par Calvin comme le seul signe certain de la prédes­ tination. C’est à cause de ce dernier point que le puritanisme est une apparition strictement calviniste ct, si on l’a rencontré chez les épiscopaliens et les indépendants, c’est parce que ccs deux branches du protestantisme avaient subi l’influence profonde de la dogmatique calviniste. II. ilisTOHiQUi* abhégé. Au sens large, le purita­ nisme sc trouve partout où le calvinisme s’est propagé. Au sens strict, i) est limité aux pays anglo-saxons, comme le presbytérianisme. 1° Sous Élisabeth. — Le nom de puritain apparaît pour la première fois en 1561. II désigne alors les membres de l’Église anglicane qui trouvent qu’il reste trop d’éléments catholiques dans la liturgie du Prayer-Book. On les désigne aussi sous le nom dc dissenters, ou de récusants. Ccs puritains appartiennent à l’Eglise officielle. Ils sonl épiscopaliens. Mais on les accuse dès lors d'afficher des opinions analogues â celles des presbytériens qu’inspire, en ce temps-ΙΛ. un Cartwright, ou des congregational isles que groupe un Robert Browne. Les principaux puritains se nomment Humphrey, Sampson, Jewel, Grindal, Horn, Cox. Ils ont été formés en Suisse, sous le règne de Marie Tudor, qui les avait tenus en exil. C’est toujours vers Genève ou Zurich qu’ils regardent dans leurs doutes ou leurs scrupules. Leur principal oracle n’est pas tant Calvin, qui meurt du reste en 1561, que Bullinger, qui a succédé à Zwingli en 1531 et vil jusqu'en 1575. Les cas dc conscience qui les agitent nous semblent passa­ blement enfantins. El pourtant ils en sont tourmentés au delà de toute mesure : peut-on regarder comme indifférentes des cérémonies qui ont été liées aux superstitions papistes, telles que le port du surplis, l’usage du signe de la croix dans le rite baptismal, dc l’anneau dans la bénédiction du mariage, l’inclination de la tête au nom dc Jésus? Le gouvernement civil a-t-il le droit d’imposer ccs choses et d’ordonner aux ecclésiastiques de s’y conformer? Pendant les vingt premières années du règne d'Élisabeth, de vives controverses se déroulèrent sur ces questions. Ce fut la vestiarian controversy, ce que nous traduirions par la < querelle des ornements ». L’université de Cam­ bridge est alors la grande forteresse des opposants. Élisabeth s'impatientait de plus en plus des résis­ tances lorsque Grindal, successeur de Parker sur le siège dc Cnntorbéry osa prendre la défense des « puritains », chez lesquels se manifestaient des ten­ dances séparatistes. La reine voulut en vain le con­ traindre à se rétracter. Il aurait été acculé à la démis­ sion, si la mort n’avait devancé la colère de la souve­ raine (6 juill. 1583). Élisabeth le remplaça par Whil- | gift (1583-1601), (pii employa toute son énergie a la destruction du puritanisme. En décembre 1583 fut créée par ses soins la Haute Commission ecclésias­ tique, tout-puissant instrument du conformisme. C'était une cour suprême de justice royale en matière de religion. Elle était investie de tous les pouvoirs «le la couronne. Par elle, l'archevêque-prlmat dc Canlorbéry exerçait surtout le royaume un pouvoir supérieur à celui des papes les plus absolus. Le tribunal de ΓInquisition n’eut jamais, même en Espagne, une autorité supérieure â celle de la Haute Commission. La persécution des dissidents fut menée sans pitié. Les uns s'exilèrent en Hollande, en attendant de 1360 passer en Amérique (pilgrim (others). D'autres sc soumirent, d’autres furent châtiés avec sévérité. Des centaines de pasteurs furent privés de leurs bénéfices. La persécution eut pour résultat de leur gagner les sympathies de celte gentry qui était d’autant plus attachée â la Bétonne qu'elle s’était enrichie des dépouilles de l’Eglise. Le puritanisme se trouva rejeté vers le presbytérianisme, qui, dit un historien anglais, • d’une clique purement cléricale devint un parti populaire ». De la querelle dite · vestimentaire », au cours de la lutte, le conflit se porta sur la constitution de l’Eglise et sur l’origine du droit des évêques. C'est à la suite des discussions qui s'ensuivirent sur ce point Impeccable, qui n'a pas but de l’ouvrage est de décrire les malheurs de toujours été exempte, on l'a dit, de pharisaismc. Le I l’Église et notamment les fautes du clergé et dc Borne dogme calviniste de la corruption radicale de l’homme même, de montrer le châtiment du ciel prêt à fondre par le péché originel, de l'impuissance qui en résulte sur la chrétienté cl de faire appel à l’esprit de péni­ d’observer la loi divine dans son esprit, joint â celui tence ct dc réforme. L’œuvre de Berthold revêt un de la prédestination, dont le signe est justement caractère apocalyptique. Il veut opposer aux vaincs l’observation extérieure impeccable, de cette même loi, prédictions des astrologues les prophéties d’un devait avoir pour résultat de favoriser l’hypocrisie croyant, qui voit le bras dc Dieu levé sur scs fils qui recouvre de belles apparences les vices cachés et rebelles. Berthold a été inspiré par la publication qui identifie P« honorabilité » à la sainteté véritable. venait dc sc faire ù Venise, en 1516. des révélations Pour les sources et les ouvrages ù consulter, voir la biblio­ dc Joachim dc Flore : Abbas Joachim magnus pro­ pheta, ainsi que par les révélations dc sainte Brigitte, graphie donnée û l’art. Presbytérianisme. A ajouter, pour l’étude spéciale du puritanisme: Mémoires qu'il utilise largement. En somme, il a compilé les de Mrs Hutchinson; Life of Herbert of Cher bury by l imsetf; apocalypses du Moyen Age et notamment le De Cromwell's letters and speeches, éd. Carlyle; Cambridge mo­ septem statibus Ecclesiir, qui était lui-même une dern history, t. n et m; Vies de Grindal et de Whitgift, par compilation de V Arbor d’tberlino da Casale. Mais i) Strypc; Vies de Milton, de Cromwell rt autres persannagesdu a mis dc l’ordre el dc la clarté dans les ouvrages qu’il temps; Barclay, Inner life of the religious societies of the Commonwealth, 1876; Ludlow's Memoirs, cd. Firth, 1891; a largement utilisés cl il y a joint de nombreuses Burnet, History of his own times; Daniel Neal. History o/ the observations locales ct personnelles. Son livre est puritans, 1732-1738. précieux pour la description du temps. Tout en ne L. C1UST! AM. ménageant pas les critiques à la cour romaine, il reste PURSTINGERou PIRSTINGER Berthold, sur le terrain strictement catholique. Il faut même voir en Berthold l’un des premiers et des plus vigou­ plus connu sous le nom de Berthold de Chiemsee. reux défenseurs de la foi traditionnelle en face du évêque el théologien allemand du xvr siècle. protestantisme naissant. Maurcnbrccher a dit de son I. Vie. — Berthold Pûrslinger appartenait a une livre La théologie allemande (Teudsche Theologey) famille bourgeoise de Salzbourg. 11 naquit dans celle ville vers 1165. Licencié, puis docteur en droit cano­ qu’il était < l’un des témoignages les plus consolants nique, il fit sa carrière à la cour du prince-archevêque et les plus bienfaisants de l’esprit chrétien >. Et il de Salzbourg. On l’y trouve comme maître de la ajoute cet éloge particulièrement savoureux sou\ la plume d’un protestant : · En chaleur religieuse et en chambre (trésorier) vers I 195. Il fut plus lard vicaire général. En 1508, il recevait la dignité d’évêque de loyauté de conviction, il ne le cède pas aux meilleurs Chiemsee. qui depuis 1218 était liée aux fondions ouvrages des protestants. » Gcsch. der kathol, Refor­ d’évêque auxiliaire et dc vicaire général de Salzbourg mation, Nordlingen. 1880, p. 218. Berthold n’est point el qui comportait le tilre de prince, au moins pour nominaliste. Il emploie les formules thomistes, mais ceux qui étalent nobles de naissance. Il devait con­ retravaillées par les théologiens de l'École à la fin du Moyen Age. Il est ainsi l’un des précurseurs du concile server celte dignité pendant dix-huit ans ( 1508-1526). de Trente. La critique des thèses protestantes, surtout II servit d’intermédiaire, en 1511 el en 1521, entre les celles de Lui her. mais aussi de Zwingli, (Ecolampadc, paysans révoltés cl l’archevêque. Karlsladt. esl généralement vise et catégorique. Ber­ Salzbourg possédait depuis 151 I, comme évêque thold dénonce les « fruits * dc la prétendue Réforme. coadjuteur puis comme archevêque (1519), Matthieu Il en subit cependant l’influence en ce qu’il s’attache, Lang. d’Augsbourg, cardinal depuis 1512. Lang avait plus que scs prédécesseurs, à démontrer les dogmes pris tout de suite posit ion contre Luther et avait catholiques par l’Écriturc, les Pères cl spécialement poussé l’empereur aux mesures de rigueur dès 1521. Lui-même il s’occupa énergiquement de réforme dans sainl Augustin, el en ce que la question dc la foi et de son diocèse ct fut l’un des signataires de la Ligue de la Justification est placée par lui au tout premier rang. Le Teudsch Rational de Berthold est une exposition Batisbonne, formée, â l’instigation du légal Laurent Cnmpeggio, le 7 juillet 1521. Texte dans Goldasl, ct une défense dc la messe catholique, d’après Durand dc Mende (1237-1296) cl Gabriel Biel (f I 195), el le Collectio constitutionum imperialium, Francfort. 1615, Keligpûchct n’en est qu’un complément surin commu­ t. m. ρ. 187 sq. Berthold fut l’un des instruments de Lang dans cette œuvre réformatrice. Lang avait pour nion sous une seule espèce. lui la plus haute estime. Les documents relatifs à la Hcithincicr. Rrrlholds, Uischofs non Chiemsee, Teivtschr reforme émanant de Lang portent des traces visibles Theologey, .Xcu heruusgegcben und mit Annwrkungcn, cincm Wôrterbuche und eincr Biographie, Munich. 1832: Wcrncr. de l’influence de Berthold, (’.e dernier devait être Dir Elugschrift · Onus lùxlrsir » mit cincm Anhang ûber al teint dc précoces infirmités, car 11 demanda et obtint \ozial-und kirchenpolltischen Prophetlcn, Glcssen, 1901; un coadjuteur en 1525, abandonna son siège l’année lAmnier, Die ^frtridentinischc-kalholischc Théologie des Re­ suivante et sc relira au couvent de Baltenshashich. Il formations Zeltaltrrs, Berlin. 1838; Janisen. L'Allemagne et ne devait mourir que le 19 juillet 1513. ù Saalfelden, ht Réforme, trad. Paris, Paris, 1900, t. vu. p. 513-341; où II avait fondé en 1533 un hôpital pour les prêtres j Johannes Fickcr, art. Pürstingrr, dans latest. Realcnzyct une chapelle. ktupadie, IL (Ervnirs. Cedant aux instances de Lang. L. CltlSTlANI. Berthold de Chiemsee consacra les loisirs de sa PUSCH Slglsmond, né à Gratz le 16 août 1669. retraite â la publication dc diverses œuvres théolo­ admis d ins la Compagnie de Jésus en 1686, enseigna giques ou morales; Teudsche Theologey, Munich. 1528; I la philosophie el la théologie ù Gratz ct à Vienne, fut 1363 PUSCII (SIGISMUND) — PUSEYISME pendant quatorze ans chancelier de l’université de Vienne ct mourut Λ Gratz le 29 juillet 1735. Il publia une Theologia speculativa en 8 volumes. Gralz, 17231730. D'une vaste érudition, il laissa en outre deux ouvrages d’astronomie ct surtout une Chronographia sacra ducalus Stgriœ, Gratz, 1715 (continuée par le P. Bucellini). De nombreux matériaux rassemblés park P. Pusch sur l'histoire de Hongrie ont été utilisés par le P. Érasme FrÔlich dans ses deux ouvrages Diplomalarium Garslense, Vienne, 1751, et Diplomataria sacra ducalus Styrùe, 2 vol., Vienne, 1756. Stocgcr, S. J., Scriptores Provinctir Austriaca Societati* Jesu, Vienne, 1856, p. 285-286; Sonimcrvogcl. Blbttoth. dt la Comp. de Jéiux, t. vj, col. 1311-1312; Ifurtor, Nomenc/nlor, 3· éd.. t. K. col. 1008. -P. Grausem. J. PUSÉYISME ET RITUALISME.- Las. cession de Newman (18*15), précédécct suivie d’un grand nombre d’autres conversions, avait porté un coup sensible au mouvement d’Oxford et paru légitimer l’accusation portée contre les tractaricns de conduire a l’Église romaine. Si profondément qu’ils sentissent ces départs, ceux qui restaient dans l’anglicanisme ne désespérèrent pas de l’avenir. Pusey, dont l'in­ fluence parmi les tractaricns n'avait cessé de grandir depuis son adhésion au mouvement en 1831, en de­ vient le personnage principal el lui donne son nom le puséyisme. Lc but visé reste le même : restaurer les doctrines catholiques dans l’Église d’Angleterre ct relever le niveau de la vie religieuse. Le mouvement conserve avant tout ct par-dessus tout un caractère doctrinal, mais son centre sc déplace. Ce ne sera plus la ville universitaire d’Oxford, où un nouveau libéralisme négateur des dogmes triomphait, mais Londres, Cc déplacement lui fait perdre son caractère académique; de plus, s’adressant désormais aux prêtres des pa­ rtisses ct au grand public, il doit devenir plus pra­ tique. Pour atteindre le peuple, surtout celui des paroisses pauvres des grandes villes, l’enseignement oral des doctrines catholiques se montre insuffisant ct demeure inefficace. C’est par le côté extérieur qu’on s'efforcera d’atteindre ces populations ouvrières, qui ont peu à peu abandonné toute religion, par lu restauration des cérémonies et de tout l’accessoire du culte, dont on sc servira comme du véhicule normal de la vérité et comme du seul moyen propre à élever le niveau reli­ gieux. Le puséyisme devient ainsi le ritualisme. Puscy ct beaucoup des anciens tractaricns se montrent d'abord réfractaires a cette transformation. Mais Puscy lui-même comprenant que ers pratiques litur­ giques nouvelles sont étroitement liées aux doctrines qu’il s’efforce de faire prévaloir, se rallie au ritualisme, à un ritualisme modéré, sc montrant toujours opposé à toute exagération. A partir de 1866, les deux mou­ vements puséyiste ct ritualistc vont de pair. Ils produisent au sein de l’anglicanisme une renaissance partielle de la doctrine cl de la pratique catholiques, qui prendra au xx* siècle le nom d'anglo-catholicisme. L Puscy. IL Le puséyisme (col.1366 ). 111 Le ritua­ lisme (col. 1387). IV. Lc mouvement ritualistc au xx’siècle (col. 1399). V. Conclusion (col. 1*121). L Pvsly. —- 1° Vie.— Edward Beuverie, deuxième fils du premier vicomte de Folkestone, Jacob Bouvcrie, naquit le 22 août 1800 d’une ancienne famille de huguenots établie dans le sud de l’Angleterre. (Le nom de Puscy, qui est celui d’une propriété acquise par sa famille dans le Berkshire, avait élé ajouté au nom de Bouvcrie peu avant la naissance d'Ed­ ward). En 1818, Edward entre au collège de Christ Church, â Oxford; en 1821, devenu fellow d’Oriel, il est en relation avec Newman ct Kcble. Il poursuit 1364 ses études en Allemagne (1825-1827), à Gœltinguc, a Berlin, à Bonn. Il revient imbu du rationalisme allemand, que l’on remarque dans un ouvrage publié en 1828, dirigé contre .L-Μ. Rose, ardent champion du High Church à Oxford. Quelques années plus tard, quand commence le mouvement traclarlen, il aura abandonne ses idées libérales et se montrera en com­ munauté de sentiments avec les auteurs des Tracts /or the times. Dans l’intervalle, il avait reçu du duc de Wellington la chaire de regius professor d’hébreu à Oxford, chaire à laquelle était attaché le canonical de Christ Church qu'il conserva jusqu'à sa mort. Sur la part qu’il prit au mouvement d’Oxford, cf. t. xi, col. 1681 sq. Après la conversion de Newman, au milieu du désarroi général, Pusey sera tout indiqué pour prendre la direction du mouvement, en devenir le véritable, l'unique chef. On a souvent noté les différences profondes qui existaient entre Newman cl lui : «S'il [Puscy] n’a pas le génie supérieur de Newman, son ouverture d’idées, sa pénétrante com­ préhension de tous les états d'esprit, son charme séducteur, sa prestigieuse action sur les âmes, il a l’autorité que lui donnent sa situation, sa science ct surtout sa vertu. » 'I hureau-Dangin. La renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, t. n, Paris. 1923, p. 10. A partir de 1834, il suivra en droite ligne la direction tracée par les tractaricns, ayant toujours en vue le meme idéal : ramener dans l’Église d’Angleterre les doctrines catholiques d’avant la Réforme. Dans cc dessein il s'adonnera à l'élude des Pères et de la vie catholique dans les premiers siècles. Celte étude lui fera constater les lacunes de son Église, auxquelles il s’efforcera de remédier. Améliorer l’Église anglicane sera tout le programme ct toute l’histdre du pu­ séyisme. Au cours des controverses, Puscy sera con­ traint de concéder que, sur bien des points, c’est l’Église romaine qui a raison contre l’Église anglicane; mais il ne conclura pas pour cela à la supériorité absolue du catholicisme romain cl à la nécessité de quitter l’anglicanisme. Il regardera son Église comme une partie de l’Église catholique, séparée des autres parties par des circonstances malheureuses. Après Newman, il verra partir Faber, Wilberforce, Manning ct d’autres; l'idée qu’il pourrait les suivre ne sc présenta pas à son esprit. Dans les périodes mêmes où se multipliaient les conversions de ceux que l’an­ glicanisme ne pouvait plus satisfaire, il ne sc laissera pas aller â ccs attaques faciles contre le romanisme, que certains croyaient nécessaires pour manifeste! leur loyalisme envers l’Église établie. Il parlera toujours de l’Église romaine en « termes tendres ct respectueux el sans les aspérités habituelles des controvcrsistes anglicans ». Lettre de Llddon à Newman, Life of Pusey, t. iv, p. 308. Dans les défaites doctrinales, lorsque, par exemple, il était question de supprimer le symbole Quicumque, la seule solution qu'il envisageait comme possible était de. résigner scs fonctions ecclésiastiques. L’Idée d’une sécession ne l'a jamais effleuré. L’explication de cctlc attitude est qu’il considérait l’anglicanisme, ainsi que le font encore les anglo-catho­ liques d’aujourd'hui, comme une des trois branches du catholicisme; de plus, l’expérience religieuse lui donnait la conviction de l’excellence de son Église. 11 constatait qu’elle produisait des fruits de sainteté en lui-même, dans son foyer, dans le groupe tractarien, dans tout le camp ritualistc. Elle avait donc en elle une vertu divine. Peut-être ne possédait-il pas toute la vérité; maïs la part qu’il en avait lui suffisait. Mgr Lagrange, évêque de Chartres, rapporte, dans la lettre pastorale qu'il écrivit à l’occasion de sa prise de possession, que Puscy lui déclara, alors qu'lis 13 6 5 PUSEYISME. PUSEY, VIE ET ŒUVRES I 366 venaient de réciter ensemble Fofllcc de la Chaire de Sermon on the presence o/ Christ in lhe holy eucharist, saint Pierre (18 janv. 1866) : ■ Je crois explicitement puis dans un ouvrage considérable, en 1855, The tout ce que je sais être révélé et Implicitement tout doctrine o/ the real presence, as contained in the Fathers ce qui l’est. » On retrouve celte profession de foi dans from the death o/ S. John the Evangelist to the fourth son testament, écrit en 1875 : «Je meurs dans la foi general council vindicated, puis, deux ans plus lard, de l’Église une, sainte, catholique ct apostolique, pour répondre aux critiques soulevées par cctlc publi­ croyant explicite tout cc que je sais que le Dieu tout- I cation, The real presence o/ the body and blood o/ our puissant n révélé en elle; et implicite tout cc qu'il J.ord Jesus-Christ, the doctrine of the English Church, peut avoir révélé en clic ct que je puis ignorer. » ■ with a vindication of the reception by the wicked and Llddon, op. cit., t. iv, p. 390. I of the adoration of our Lord Jesus-Christ truly present. C’est dans celte pleine quiétude de conscience qu’il La reprise de la pratique de la confession dans mourut, le 16 septembre 1882, après avoir exerce dans l’Église anglicane fut préparée par deux sermons, The son Église, suivant le mot de Lord Selborne, « un entire absolution o/ the penitent, 1816; il revient sur ce pouvoir supérieur à celui d’un évêque ou d’un arche­ sujet en 1850: The Church o/ England leaves her chil­ vêque ». Personal and political Memorials, l. π, p. 72. drens /ree to whom to open their grie/s; cn 1878 : Habi­ Newman a cherché a percer ce mystère d’hommes tual con/ession not discouraged by the resolution accepted éclairés el pieux, comme Pétait Pusey, demeurant by the Lambeth Conferences. La même année, il donnait dans l’anglicanisme. Il donne A la conduite de Dieu des conseils, d’après le livre de l’abbé Gaumc.à l'usage envers de telles âmes celle raison : ■ Ccs hommes sont des confesseurs, Advice for those who exercise the minismaintenus où ils sont, sans plus de lumière qu’ils n’en try o/ reconciliation trough confession and absolution. ont, étant de bonne foi anglicans, afin de préparer Il écrit, cn 1850, The royal supremacy not an arbi­ graduellement leurs auditeurs ct leurs lecteurs, en trary authority but limited by the laws of the Church of plus grand nombre qu'au! renient il n’eût été possible, wich kings are members, pour montrer que, bien pour la foi vraie cl parfaite cl afin de les conduire, cn comprise, la suprématie royale n est pas contraire temps opportun, dans l’Église catholique... S’ils aux précédents de la primitive Église, mais qu’elle a eussent eux-mêmes senti qu’il était de leur devoir de simplement pour but de protéger les individus contre devenir tous catholiques en une fois, l’œuvre de con­ les préjudices temporels qui pourraient leur être causés par les cours ecclésiastiques. version aurait du même coup pris fin; il y aurait eu A la question de la réunion de l’Église anglicane à une réaction. » Lettre citée par Thurcau-Dangin, op. ι cil., t. ni, p. 223. l’Église romaine, qui le préoccupe surtout à l’époque du concile du Vatican, sc rattachent trois Eirenikon. 2° Œuvres. — On trouvera une bibliographie très détaillée des sermons et des ouvrages de Puscy dans où Puscy essaye d'aplanir les difficultés qui existent Liddon, op. cit., I. iv, p. 395-116. Nous ne donnerons entre les deux Églises : 1. The Church o/ England a portion o/ Christ’s one holy catholic Church and a Ici que les plus importantes de scs œuvres. Pusey est avant tout un controvcrsistc. Si l’on met means of restoring visible unity, 1865; 2. The reveren­ à part The minor prophets with commentary, 1865, tial love due to the ever blessed Theotokos and lhe doc­ tous scs ouvrages sont des œuvres de polémique, trine ol her immaculate conception. 1869; 3. Healthful presque toujours consacrées à la question du jour. reunion as conceived possible before the Vatican council. 1870. La doctrine catholique sur l'immaculée concep­ Avant le mouvement d’Oxford, il public en deux parties, cn 1828 ct en 1830, An historical inquiry into tion est encore étudiée dans Tractatus de veritate the probable causes of the rational character lately conceptionis beat.x Virginis ct dans The fifty-third predominant in the theology of Germany. II commence chapter o/ Isaiah according the Jewish interpreters. Il prend part à la discussion provoquée par les sa collaboration avec les tractaricns par la publi­ théologiens de l’Église d’État et les dissidents sur cation, en 1833, d’un tract sur le jeûne, qu’il signe seulement de scs initiales. En 1835 il public un l’éternité des peines de l’enfer, par la publication de What is of faith as to everlasting punishment, 1880, supplément au tract 18, On the benefits o/ the system réfutant spécialement les idées de Farar contenues of lasting prescribed by our Church. L’année suivante il donne, sous les η. 67-69, une longue étude qui devait dans Eternal hope, 1879. Enfin ses nombreux sermons ont été rassemblés modifier le ton ct le caractère des tracts : The doctrine of holy baptism as taught by holy Scripture and the dans plusieurs collections : Parochial sermons, I vol., 1832-1850; University sermons, 3 vol.. 1861-1879; Fathers. Lenten sermons, 1858 ct 1874. Avec Kcble ct Newman il entreprend In publication IL Lk pusiyismk.— Les puséyistes, continuateurs de VOxford library o/ the Fathers of the holy catholic des tractaricns, s efforcent de restaurer certains élé­ Church anterior to the division of the East and the il est. ments de foi ct de pratique cat ludiques obscurcis par dédiée ù Parchcvêque de Cantorbéry; lui-même le fait des circonstances malheureuses qu’a traversées travaille ù la traduction des Confessions de saint Augustin ct rédige plusieurs introductions ù des l’Église d’Angleterre. Lc mouvement sc rattache au éditions faites par d’autres collaborateurs. En 1837 revival catholique du xvu· siècle, tenté par l’évêque Andrews et par l’archevêque Laud, interrompu par la parait hi Catena Patrum, η. I : Testimony o/ writers of the later English Church to the doctrine of the eucharist réaction protestante, à l’époque de Cromwell, repris ύ sacrifice. Aux accusations de romanisme que soulève la restauration catholique ct qui tut l’œuvre de Jcr. l’exposé de ces doctrines il répond par A teller lo the Taylor, des · théologiens carolins », Bramhall, Bar­ Hight Heu. Fathe- in (ïod Hichard lord bishop of Oxford 1 row. Pearson. South. Slillingflecl. de l’évêque Ken. on the tendency to romanism imputed lo doctrines held œuvre ίι laquelle mit fin la sécession des non-jurors o/ old as now in the English Church, 1839. sous le règne de Guillaume III (1688-1702). Cf. Coolcn. En 1813. il prononce û l’université son célèbre Histoire de ΓEglise d'Angleterre. Paris, 1932, p. 99 sq. sermon sur l’eucharistie. The holy eucharist a comfort Par ces évêques et ccs théologiens du xvu· siècle to the. penitent, où il développait, en soutenant les ils veulent remonter, non pas, comme le faisaient les idées de l'évêque Ken. de Jeremy Taylor, de George protestants anglais du xix· siècle, A l’Église aposto­ Herbert, la doctrine de la présence réelle ct du sacri­ lique telle qu’elle était connue par l’Écriture. mais ù fice. cc qui le fit suspendre de ses fonctions pour deux l’Église des premiers siècles, ά scs doctrines cl à ses ans par le vice-chancelier. Il reprend l’exposé de cette pratiques attestées par les Pères et par les grands doctrine dans un nouveau sermon donné cn 1853, conciles. Us ne sont pas des novateurs, mais ils se 1367 PI SE Y IS ME. LA SUCCESSION APOSTOLIQUE proposent de revenir à la tradition et à la doctrine catholique*. Ils ont le souci d’établir que l’Églisc est une société fondée par Dieu, avec des caractères dis­ tinctifs essentiels A son intégrité, que ses dogmes sont surnaturellement révélés, scs sacrements divinement institués, que sa hiérarchie dérive des apôtres cl pos sède l’autorité du Christ. C'est l'identité de l’Eglise anglicane avec l’Églisc apostolique sous ce triple aspect que les successeurs des tract ariens veulent restaurer. Cf, Sparrow Simpson, The Anglo-catholic revival from Z .1/5, Londres, 1932, p. 9 sq. P Situation du « revival » en 184$. - Au lendemain de la conversion de Newman, Pusey avait publié dans VEnglMi Churchman, 16 octobre LS 15, un mani­ feste où, par des considérations surnaturelles très élevées, il explique A scs amis cette conversion et où il précise son attitude, qui ne sera pas d’hostilité mais de neutralité, envers Rome, qu’il continue d’admirer. Dans sa correspondance avec Samuel Wil­ berforce, nommé évêque d’Oxford en 1815, qui se détachait de plus en plus du parti tractarien et qui venait de se montrer très dur pour lui, Pusey expose franchement sa position doctrinale : possibilité de concilier la doctrine formellement définie par l’Eglisc romaine avec la souscription des trente-neuf articles, ('.etle profession de foi amena une condamnation de tout le mouvement d’Oxford (5 déc. 1815). Cf. Liddon, Life o/ Pusey, t. ni. p. 10-18; Life o/ Wilberforce, t. i. p. 299-305. Dans la lutte qu’il va entreprendre, Pusey sera entouré et soutenu par un groupe d’amis fidèles, qui avaient fortement subi l’empreinte de Newman. J. Keblc, promoteur du mouvement d’Oxford, se rapprocha davantage de Pusey, après la conversion de Newman, professant les mêmes idées (pie lui sur la possibilité d'une union en corps avec Rome, ayant la même mentalité envers le centre de la chrétienté. Liddon, Life of Pusey, t. n, p. loi Ch. Marriott, collaborateur de la Bibliothèque des Pères, fut aussi fidèle A Pusey qu’il l’avait été à Newman. Il en fut de même, mais avec plus de réserve, de Fr. Rogers, que les tendances romanlsantes de Newman avaient un moment écarté du groupe des tractarlcns; de R.-W. Church, l’historien du mouvement d’Oxford, qui, découragé, quitte la ville universitaire pour le ministère paroissial. J.-B. Mozley, fellow de .Magdalen depuis 1810. prendra une place importante dans l'œuvre du revival. Il fut un des fondateurs du Guar­ dian, qui. publié à Londres à partir du 21 janvier 1816. devait répandre les idées traclaricnncs, avec le con­ cours de Fr. Rogers, du légiste Haddan, de Montague Bernard, un laïque. et de deux clergymen. Church et \rlhur Haddan. Pusey el Keble restèrent en dehors de la direction du journal. Celui-ci complétait fort heureusement l’action déjà exercée par le périodique trimestriel Christian remembrancer. Manning, enlln, que son aversion pour Rome avait séparé de Newman el des premiers tract ariens, se fait un défenseur de l’idée, particulièrement chère aux puséylstes. de l'in­ dépendance spirituelle de I Eglise. 2° La théorie de la succession apostolique de T Eglise anglicane. La foi des tractarlcns à la vérité de leur Église cl a refllcaclté de ses sacrements reposai! sur le principe de la succession apostolique : l’Eglise est la seule dispensatrice légitime des sacrements parce | que seule elle possède la succession apostolique. Cette idée est à l’origine du mouvement. Elle est exposée par Newman dans le tract 1. Thoughts on the ministerial commission, par Keblc. dans le tract I, Adherence to the apostolic succession, par Pusey, dans lc< Catena Patrum (tracts 76, 78, 81), par les conser­ vateurs du parti, Bese, Palmer. Perceval, aussi bien que par les progressistes, Fronde ct Newman. La | 1368 grande charte sacerdotale esl la mission du Christ. « 11 a donné à scs disciples son Esprit, ceux-ci ont imposé les mains à leurs successeurs, ces derniers aux leurs, cl ainsi le saint don est descendu sur les évêques actuels qui nous ont institués leurs auxiliaires. » Tract 1. Depuis l’Age apostolique jusqu’à la Réforme, l’ordination n'a jamais été faite que par les évêques. Elle n’est pas seulement, d’après Keble, la succession dans le service de la parole, dans l’administration des sacrements et le pouvoir des clefs, mais avant tout un don divin. Ce don divin ne peut être obtenu que par la succession apostolique : il rend capable de dispenser les sacrements, surtout la < mystérieuse confection du corps et du sang du Christ ». Quiconque n’est pas un anneau dans cette chaîne apostolique n’a pas le droit d’exercer ccs fonctions, car seule la mission du Christ, transmise par la succession apostolique, donne leur efficacité aux sacrements. La succession apostolique est le signe de la véritable Église, dans lequel sont contenus tous les autres : npostolicité. catholicité, el autonomie; c’est le signum signans. A ce point de vue, l’Église anglicane épisco­ pal ienne esl la plus parfaite; les autres Églises épiscopaliennes sont malades; les Églises non épiscopaltenues sont des rameaux confiés », des sectes, dans lesquelles il n’y a pas de moyens de salut parce qu’il leur manque la succession apostolique. L'Église ro­ maine n’est pas une secte, elle est dans la succession apostolique, mais, par le fait de son enseignement sur la puissance et l’infaillibilité du souverain pontife, elle n'a pas maintenu la doctrine apostolique. L’Église grecque a mieux conservé la communion et la doctrine apostoliques. «Seule l’Église d’Angleterre, qui unit 1 Orient et l’Occidcnt, qui étend scs rameaux aux quatre coins du monde, est une sorte de type de l’unique Eglise catholique. · Pusey. cité par Buddensieg, art. Traklarianismus dans Protest. Itealeneyklopûdie, 3· éd.. t. xx. 1908. p. 16. En revendiquait ainsi la succession apostolique, les tractariens n’étaient pas des novateurs. Pusey a recueilli tin grand nombre de textes d'autorités angli­ canes du xvir siècle : les archevêques Laud, Bramhall, Wake, les évêques Andrews, Sanderson, Jer. Taylor, Pcarson, Beveridge, toute une série de · non-jurcurs », les évêques Wilson, Horsley, Jcbb, Van Mildert, affirmant la permanence de la fonction apostolique dans l’Église, le droit divin de l’épiscopat, (fui, suivant le sentiment des Pères, a vraiment succédé à l’apos­ tolat; le droit d’ordonner exclusivement réservé à l’évêque, en vertu de la commission donnée par le Christ aux apôtres; la possession sans discontinuité de la succession apostolique par l’Angleterre. Cf. Simpson, op. cit., p. 25-27. Mais Pusey el ses disciples ne se contentent pas de se rattacher à l’enseignement des théologiens anglicans postérieurs à la Réforme. Comme ils attachent une Importance extrême à celte doctrine, ils vont recher­ cher les témoignages de l’Église primitive. Arthur Haddan recueille, en 1869, les textes des Pères sur celte question dans Apostolic succession in the Church o/ England. Ces textes ont aidé à réfuter ceux qui prétendaient ne règle pas le cas des adultes; que l'accord ne peut se faire parmi les hommes loyaux el consciencieux sur des sujets aussi difficiles. La Cour déclarait donc que la doctrine enseignée par Gorham n'était pas contraire ct nc répugnait pas à la doctrine déclarée de l’Église d’Angleterre, telle qu'elle était établie par la loi. Cf. Br< derick and Ervcmanllc, Eccles, judgements of the Privy Council, p. 91-105. Plus lard, les anglicans â tendances catholiques devaient regarder cc jugement avec la plus grande indifférence. Mais, en 1850. ce fut de la consternation, w Dodsworth, < arc de Christ Cbiircb, à Londres· constate que cette décision renverse substantiellement la position de l’Église d’Angleterre. « Il ne voit pas que la décision pourrait être répudiée comme simple deci­ sion de I État. Le seul remède qu’il envisage serait le rétablissement immédiat des symboles de l’Église cl l'intervention de l’Église imposant des termes qui nc 1371 PUSÉYIS.ME. L’INDÉPENDANCE DE L’ÉGLISE 1372 souffriraient aucune ambiguïté. · Simpson, op. cil., | moyen de rendre à l’Église le droit de sc faire entendre, en faisant revivre les Convocations. Cf. Life of Wilberp. 52. Les anciens tractariens, les highchurchmen, s'agitent : protestations, résolutions, adresses â la force, t. ii, p. 125-135. Les deux Convocations de Cnniorbéry et d’York, reine et aux évêques, brochures sur la vertu régéné­ ratrice du baptême, tout est mis cn œuvre. Certains, composées chacune de deux chambres, la chambre comme Keblc, vont jusqu’à demander la séparation haute comprenant les évêques, el la chambre basse, comme seul moyen de sauvegarder l’indépendance les représentants du clergé, établies en 1295, avalent doctrinale de l’Église. Dans deux meetings monstres, primitivement pour objet de voter les impôts à payer tenus à Londres le 23 juillet 1850, les chefs du mou­ par l’Église el de délibérer sur les alTaires spirituelles. vement, Keblc, Pusey, Denison, B. Wilberforce, Avec le schisme, leurs pouvoirs diminuèrent. En 1531, Manning, Hope, développent celle idée .le l’indé­ Henri VIH leur défendit de sc réunir pour édicter des pendance doctrinale de l’Église. Les causes religieuses canons et des prescriptions sans le mandat du roi. doivent être soumises à des Juges religieux. En 1661, elles perdirent le pouvoir de voter les impôts Ces juges religieux ne peuvent être que les évêques. du clergé, lai 1717, quand la chambre basse voulut Mais comment obtenir une décision doctrinale des condamner les opinions du latiludinarisle Hoadley, évêques, divisés comme ils le sont sur ce même terrain évêque de Bangor, la couronne imposa silence à la doctrinal? De plus en plus apparaît l’impuissance de Convocation. De 1717 à 1852 elle ne se réunit plus l’Église à échapper au latitudinarisme antidogmalique — encore n’était-ce qu’une simple formalité — qu’à et à la dépendance du pouvoir séculier. Le Bév. l’occasion de l’ouverture de chaque parlement. Maskell n’a pas de peine à établir ce vice irrémédiable Wilberforce commença sa campagne pour la restau­ de la situation anglicane : il est certain que la juri­ ration de la Convocation à la Chambre des Lords cn diction du Conseil privé en matière doctrinale est 1851. 11 se heurta à l’opposition des ministres, de la contraire à la Ici du Christ. D’autre part, cette auto­ presse, des lords el du Broad Church, même de certains rité du Conseil privé est la conséquence logique et évêques, dont le primat de Cantorbéry. Le principal nécessaire de l'organisation de l’Église telle qu'elle a argument des adversaires était l’interprétation de été. réalisée par Henri VIH et Élisabeth. On est dans l’acte de soumission du clergé, sous Henri VIH, décré­ une Impasse. tant que le clergé ne pouvait élaborer de canons sans Cette constatation suscite des réactions diverses. le mandat du roi de faire, de promulguer ou d’exé­ Les uns veulent en tirer des conclusions immédiates: cuter de tels canons. Les juges informèrent la Chambre pour Hope. < si i Église d’Angleterre ne défait pas ce des Lords que, suivant cet acte, la Convocation, non qui vient d’être fait, nous devons nous unir à l’Église seulement no pouvait pas s’assembler sans mandai romaine ». Thureau-Dangin, op. c/7., t. n, p. 156. Les royal, mais, même assemblée régulièrement, elle ne autres sont d avis de patienter, considérant, ainsi que pouvait traiter (confer) de questions religieuses sans le fait Keblc, ce Jugement comme un accident regret­ permission du roi. C'est pourquoi la Convocation avait table, (pii ne met pas cn question la légitimité de toujours été réunie par ordre du souverain, mais l’anglicanisme. En fait, à la suite de ce Jugement, jamais elle n’avait pu délibérer des alTaires religieuses. plusieurs passèrent à l’Église romaine : Manning (ci. Wilberforce consulta les légistes et les hommes poli­ t. ix. col. 1895-1915), Maskell. Dodsworth, Anderdon, tiques. De ces consultations il ressortit que la défense Hope, Scott cl d’autres. Beaucoup furent ébranlés, de délibérer, après réunion régulière de la Convocation mais demeurèrent dans l’anglicanisme. Pusey écrira avec autorisation royale, était une invention du Lord plus tard que ce qui l’a retenu dans l’anglicanisme, chief justice Coke et avait prévalu depuis Jacques Ier. après le jugement Gorham, ce fut la conviction que Le Bév. Edw. Dodd et IL Hoare prouvèrent que le l’Église d’Angleterre contredisait continuellement et mot délibérer (confer) ne se trouvait pas dans l’acte par le fait annulait pour scs membres le mauvais de soumission. Ainsi la Convocation avait besoin de la enseignement du Conseil privé. Pusey, Un law, 1881. licence royale pour sc réunir, mais, une fois assemblée, p. 3-1. Pour répondre à .Maskell, il écrit The royal elle pouvait délibérer des alTaires religieuses sans supremacy, not an arbitrary authority. Celte inter­ nouvelle autorisation particulière : les légistes, les vention de l’État dans les alTaires religieuses n’est pas théologiens et les hommes d’État avaient été trompés sans précédent dans les annales de l’Église, el le role par Coke. Cf. Simpson, op, cit., p. 179-180. de l’Etat n’est pas précisément de traiter de questions L’opposition persévéra. Même ceux qui en principe dogmatiques, mais de protéger les individus contre les étaient favorables à la restauration de la Convocation abus possibles des cours ecclésiastiques. En réalité, craignaient les divisions des évêques, qui manifes­ la prétention de l’État venait de se révéler tout autre : teraient au grand jour leur impuissance à s’entendre non seulement il avait protégé Gorham contre l’évêque sur les points de doctrine; on redoutait aussi l'in­ d'Exelcr. mais 11 avait tranché la question doctrinale. fluence que pouvaient exercer les chambres basses, à Pusey cn était réduit à utiliser tout argument qui avait rencontre des chambres hautes, alors que seuls les l’apparence de Justifier sa position et qui pouvait évêques avaient de droit divin autorité pour gouverner amener les âmes inquiètes à patienter. l’Église. D’autres, avec Gladstone, contre Pusey el I. Restauration de la Convocation.—· L’impuissance Keblc, voulaient élargir les Convocations en accordant des évêques à faire triompher la saine doctrine, tout une place aux laïques. particulièrement dans I’alTaire Gorham, jetait le Grâce à la ténacité de Wilberforce, la Convocation discrédit sur l’Église anglicane. Gladstone commu­ put sc réunir sous son ancienne forme, pour un jour, niqua scs sentiments à ce sujet à Wilberforce, évêque cn 1852. En 1855, elle siégeait trois jours. Mais elle d Oxford, lui montrant comment ce jugement avait était loin d’avoir reconquis une place indépendante établi un principe (pü permettrait de détruire l’un dans les alTaires religieuses : c’élall toujours la cou­ après l'autre les articles du Credo, (pii donnait à ronne qui la convoquait, qui fixait la durée de la l’État le droit d’interpréter les doctrines de l’Église. session, qui déterminait l'objet et la portée des Il y avait là un grand danger, tout permettant de délibérations. El contre ses décisions pouvait tou­ craindrc que le Banc de la reine se laisserait île plus jours intervenir, en dernier appel, h Conseil privé. Le cn plus influencer par le latitudinarisme cl rien ne succès était mince; mais on se réjouit néanmoins de laissant espérer que les évêques pourraient réagir el Γ acceptation du principe qu’aucune mesure tou­ s’entendre sur les points de doctrine. Wilberforce chant profondément aux intérêts de l’Église ne serait tenta de rassurer son ami et, de son côté, chercha le désormais soumise au Parlement sans (intervention 1373 PUSEYISME. LUTTES DOCTRINALES formelle et lu consultation d’une assemblée cccléslas* tique délibérante ». Simpson, op. cit., p. 185. L'Église d’Angleterre aura son mot a dire dans ses propres alTaires. L'avenir montrera qu’elle ne sera pas toujours écoutée par le Parlement et par les tribunaux. I· Luttes doctrinales, - 1. L'eucharistie, -- En 1813, dans un sermon prononce à l’université, Pusey avait allirme sa croyance à la présence réelle et, pour ce fait, avait été suspendu de ses fonctions par le vice-chan­ celier de l’université. En 1853, dans des circonstances identiques, il avait repris le même sujet : réalité de la présence objective du Christ dans l’eucharistie, cn ayant soin de rejeter la doctrine do la transsubstan­ tiation. Il ne lut pas inquiété. Llddon, Life of Pusey, t. m. p. 422 126. La controverse reprit avec les sermons de Denison, archidiacre de Taunton, donnés ù la cathédrale de Wells (1853-1851). « Il n’est pas vrai, enseignait Denison, que le pain et le vin consacrés subissent un changement dans leurs substances naturelles, car ils demeurent dans leurs vraies substances naturelles et par suite ne peuvent être adorés. Il est vrai qu’un culte est dû à la présence réelle, quoique invisible et surnaturelle, du corps cl du sang du Christ, dans la sainte eucharistie, sous la forme du pain et du vin. » .Vo/rs o/ rny li/e, p. 251. Les points dont l’archidiacre était appelé à rendre compte étaient les suivants : - Le pain et le vin deviennent, par un acte de consécration, la partie extérieure ou signe de la cène du Seigneur et, cn tant qu’objet des sens, ne sont pas changés par l’acte de consécration, demeurant dans leur vraie substance naturelle; la partie intérieure, ou chose signifiée, est le corps el le sang du Christ; le corps et le sang du Christ, étant naturellement présents au ciel, sont surnaturellement et invisiblement, quoique réellement présents dans la cène du Seigneur, au travers des cléments, en vertu de l’acte consécratoirc; un culte est dû au corps et au sang du Christ, surnaturellement et invisiblement, mais réellement présents dans la cène du Seigneur, sous la forme du pain el du vin, cn raison de celle divinité avec laquelle ils sont person­ nellement unis. Mais les éléments par l’intermédiaire desquels le corps et le sang du Christ sont donnés el reçus ne peuvent être honorés d’un culte. » Simpson, op. cil., p. 56. Il résultait nécessairement de celte doc­ trine (piétons les communiants, les mauvais aussi bien que les bons, recevaient le corps et le sang du Christ. l ue plainte avait été portée contre cet enseignement au docteur Sumncr, archevêque de Cantorbéry. Aussi­ tôt Pusey et Keblc entreprennent de défendre l’accusé, mais sans pouvoir se mettre parfaitement d’accord sur les doctrines contestées, le premier disposé à renoncer ù l’adoration pour sauver la doctrine de la présence réelle, tandis que le second donnait plus d importance â l’adoration, n’ayant pas nue convic­ tion forme sur la doctrine. Leur intervention n’empê­ cha pas la condamnation : le 22 juin 1855, la doctrine de Denison était déclarée par l’archcvêquc contraire ù celle de l’Église anglicane. Invité ù sc rétracter, Denison refusa el fut déposé. (’.elle fois, c’était l’autorité ecclésiastique elle-même qui décidait d’une question doctrinale. Cela ne pouvait qu’augmenter l’embarras des puséyistcs. Néanmoins, Pusey, Kcble et leurs amis rédigèrent une protes­ tation, s’efforçant de montrer que In doctrine condam­ née avait été généralement admise dans l’Église d’Angleterre, appelant de la décision à un synode de la province de Cantorbéry ou â un synode de toutes les Églises de leur communion. Pour réaliser ce projet, il fallait l’appui des évêques et des clergymen. Parmi 1rs premiers, seul celui d’Exelcr se montra favorable. Wilberforce hésita. Les clergymen étaient indécis. Il 1374 fallut renoncer a recueillir des adhésions et rejeter l’autorité particulière de l'archevêque de Cantorbéry. Pour Justifier leur position, Pusey publie son traité The doctrine o/ the real presence, as contained in the Fathers, 1855, et Keblc, dans Eucharistie adoration, 1857. apporte les preuves de la croyance à l'cfTet surnaturel produit sur les éléments par l’acte consé­ cratoirc, croyance qui fut celle de l’Église anglicane depuis la Réforme et celle de l’Église primitive. Deni­ son cependant avait appelé de la sentence portée contre lui par Sumner : il fut acquitté par la Cour des Arches, cn 1857, et par le comité judiciaire du Conseil privé : les deux cours cassèrent le jugement de Γarchevêque pour vice de procédure. Cf. Liddon, Li/e o/ Pusey, t. ni, p. 126-118; Li/e o/ Wtlber/orce, t. π, p. 2.31-210, 320-329; Arch. Denison, Notes o/ my li/c, p. 222-267. La Cour des Arches et le Conseil privé n’avaient pas touché au fond de la doctrine. Une approbation devait venir aux puscylstes de la où ils ne l'attendaient pas. Si le parti ecangelical refusa de voir dans !0, déposa et. au bout dc quatre mois, n’ayant pas reçu sa la Revue de Westminster lit de cette publication attira rétractation, il proclama l’évêché vacant. La sentence l'attention sur celle-ci. Wilberforce en dénonça les de Gray fut annulée par le Conseil privé dc la reine erreurs dans un mandement, puis la critiqua dans le i (20 m irs 1855). L’évêque du Cap voulut passer outre; il Quarterly. L'émotion fut grande dans les cercles unlver- prononça l'excommu lication majeure contre son sutTrasitaircset dans les paroisses. Pusey, Keble et leurs amis, gant, m ils, lorsqu'il s’adressa aux autres évêqun pour ne furent pas les derniers à relever les atteintes portées obtenir leur appui, il ne reçut que de bonnes paroles. à l'autorité de Γ Écriture ct A la valeur des dogmes Dans les deux a I lire», l’autorité civile avait tranché du christianisme; highrhurchmm et lovchurchmen ou­ contre le dogme; dans la seconde, la Convocation bliaient leurs divisions pour défendre la foi commune. s’ét üt nuntrée impalss mte. Les puséyistes étaient les Pressés d’intervenir contre les sept (septem contra premiers à constater la carence do leur Église, l'impos­ Christum), les évêques, au nombre de vingt-sept, sibilité o i elle se trouvait de préciser un point de doc­ adressent aux essayistes une lettre de reproche, rédi­ trine; bic i plus, ils n'arrivaient pas eux-mêmes à pré­ gée par Wilberforce (févr. 1831). Saisie â son tour, la ciser leur propre pensée sur les points discutés. On Cour des Arches condamne deux des essayistes, Wil­ comprend leur inquiétude devant cette constatation, liams et Wilson, à une année de suspension (déc. 18 32). car, ù l’opposé dc leur Église, celle de Home apparais­ Mais, sur appel au Conseil privé, les deux essayistes I sait d )tée de la plus fortc autorité possible pour main­ étaient acquittés (8 févr. 1851). Le triomphe du Broad tenir l’intégrité de la fol. Pusey signalait à Tait que le Church s’accrut encore lorsque Stanley fut nommé p ir « docteur M inning se servait avec succès » de ces la reine doyen dc Westminster. Il ne se gêna pas pour événements paur arracher les âmes troublées â l’an­ constater que · désorm lis il est fixé pour toujours qu* glicanisme et les conduire à Home. Thureau-Dangin, l'Église d’Angleterre n’admd ni l’inspiration verbale op. cit., t. U, p. 111. de (’Écriture, ni l’imputation d *s mérites, ni l’éternité 5° Restauration des ordres rcligieu c. — L’idée de cette des peines ». Life of Stanley, t. n, p. 11. Stanley devait restauration renonte aux origines du mouvement faire dc son abbaye dc Westminster la citaddle du d’Oxford. En 1838, Newman, écrivant â G. Eaussctt, Broad Church, attirant les ministres non conformistes, | rappelait l'opinion d· l'archevêque irlandais Bramhall, les savants non chrétiens, entrant en relation avec tous au xvp siècle, qui parlait favorablement de la vie mo­ les révoltés, le P. Hyacinthe, Renan, DJIlinger, etc. il istiquj ct la ten üt pour conip itlble avec la religion En 1869, un auteur des Essays. Ternpie, sera nommé réformée. En 1812, Pusey représentait à l’archevêque par Gladstone évêque d’Exelcr, puis, en 1885, évêque «I · G mtorbéry les < institutions monastiques comme dc Londres et, en 1893, archevêque de Cantorbéry. un refuge contre les ennuis ct la vanité du monde et un L'agitation continua. On s’éleva contre le jugement moyen offert aux individus pour atteindre une plus misérable rendu en l’occurrence, et contre l’évêque de haute perfection. Certains y aspirent; ils peuvent être Londres, Tait, que l’on accusa d’avoir trahi l’Église restaurés dans une form 3 primitive... » Simpson, op.cil.. en votant avec la majorité pour acquitter les deux p. 23 )-23l. essayistes. Disraeli devait le récompenser en le nom­ Satisfaction ne tardera pas à être donnée à cc désir. mant. en 1868, archevêque de Cmtorbéry. Pusey re­ En 1815, l’année même de la conversion de Newman, cueillit onze mille protestations d·.· clergymen, environ s’ouvre la première communauté de religieuses dans lu la moitié des ecclésiastiques du royaume et cent trente- paraisse de Christ Ghurch, Albany Street : c'était le sept mille signatures laïques. A la C invocation de 1811, résultat de l'enquête que Pusey était allé faire en Ir­ Wilberforce ht condamner à une très forte m ijorité lande sur les formes de la vie religieuse ct des rcnscidans les deux chambres les Essays and reviews. comme gnemmts quj lui avaient fournis ses amis sur cc qui se • contenant une doctrine contraire à celle qui est reçue passait sur le continent. Cette restauration lui tenait par l’Église d’Angleterre, en commun avec l’Église fort à c«c ir. Lorsquo sa llllc était â la mort, il lui catholique tout entière ». L'É’lise établie affirmait sa avait demandé, le 22 avril 18H, de « prier, une fois en volonté de maintenir la doctrine dans son intégrité, présence du Hédcmptcnr, pour ces institutions aux­ mais sans pouvoir rien faire contre ceux qui y por­ quelles elle avait espéré elle-même appartenir ·. Lidtaient atteinte. don, IJfe o/ Pusey. t. n, p. 383. La règle dc la nouvelle Pendant que se déroulait la controverse sur les communauté était inspirée de celle de saint Augustin; Essays, une autre publication manifestait les mêmes le bréviaire rom lin fut le modèle suivant lequel furent tendances et soulevait la même opposition. Colcnso, llxés les offices, les prières et les dévotions. Le but était évêque du Natal, publiait à Londres, en 1862 et 1863, dc visiter les pauvres, de secourir ct «l’instruire les deux volumes sur le Pentateuque : il en rejetait com­ enfants délaissés, d’assister les mourants. L’organisa­ plètement l’autorité et l’inspiration. Dc plus, il décla­ tion n’alla pas sans difficulté; il y eut des tâtonne­ rait ne plus accepter le service liturgique de l’ordina­ ments; l’accusation «le romanisme reprit avec plus de tion, imposé par le Prayer book, parce «pi’il affirmait la force, si bien que Pusey, qui en avait assuré la direction vérité dc la Bible, ct rejeter le service du baptême, spirituelle, aidé par le vicaire de la paroisse, Dodsworth, parce qu’il faisait allusion nu déluge. se sentait découragé et déconseillait ceux qui sc sen­ taient portés ù l’imiter. L’évêque du Cap. Gray, dénonça son sulTragant et demanda sa condamnation. Pusey exposa à Tait le Ceux-ci pourtant allèrent dc l’avant. Une nouvelle préjudice que causaient à PÉglIsc d’Angleterre de telles communauté, les sœurs de la .Merci, est créée en 1818, doctrines, en montrant son impuissance à défendre la â D?vo.ap >rl. avec l.i sanction de l’évêque d’Exctcr. A vérité. Wilberforce agit «le son côté sur les évêques la suite des attaques dont les religieuses sont l’objet, pour les amener â sc prononcer contre Colcnso. Tait l’évêque fait une enquête, dont les résultats sont favo­ rables. La supérieure. Miss Scllon, écrit su défense. hésitait à agir ouvertement. Tout cc que put obtenir Lord Cileridgs sc déclare plein d’admiration. Ci/e of Wilberforce, ce fut une lettre collective, signée par quarante ct un évêques, demandant a Colcnso de rési- I Lord Cderidge. t. r, p. 189. 1381 l’USÉYISME. L’ÉGLISE ROMAINE Les mêmes attaques suivent la fondation de Wantage community dc la vierge Marie, réalisée en 18l8sousl’inspiration de Butt 1er aidé de Manning, suivie bientôt delà conversion dc cc dernier ct dc celle de la supérieure, .Miss Lockart. La communauté survécut a la crise ct continuadcs’adonncrà lapénltcnccct à renseignement. Puis cc furent 1rs fondations des sœurs dc SaintJean-Baptiste, en 1851, par le chanoine Carter, de Cle­ ver, dont la supérieure, Harriett Monscli, fut établie par l’évêque Wilberforce; celle de St. Margaret. East Grinstead, en 1851, par le docteur J. M. Nealc, avec l’autorisation bientôt retirée, sous prétexte d’intro­ duction de la confession, de l’évêque de Chichester. Pour ai. Pusey. Les premiers cherchent ή dégager leur respon­ dans une lettre adressée à raideur de Christian Year sabilité Plusieurs de ceux qui avaient protesté contre (Keble). Pusey revendique pour son Église le droit de le Jugement du Conseil privé de 1850 proposent de ma­ se dire une partie de l’Église universelle. Pendant long­ nifester leur Intention de repousser toute réconcilia­ temps elle lui a été unie; des circonstances malheu­ tion et toute relation avec l'Église romaine tant que reuses ont brisé l’union : on doit s’efforcer de la réta­ celle-ci ne sera pas réformée. Les amis de Pusey sont blir. Mais l'union extérieure n’est pas absolument né­ divisés. Keble serait disposé ù une déclaration antiro­ cessaire; il a existé dans les premiers siècles des Églises maine pour sauver h parti. Pusey, malgré la surveil­ indépendantes de Rome. Quant ô l’union intérieure, lance et la suspicion dont il se sent entouré, el qui sont elle existe, grâce ô un principe supérieur de cohésion telles qu'il songe un moment à abandonner toute con­ qui est le Christ. Au point dc vue doctrinal, l’Église trovert·. s'y refuse. A quoi d’ailleurs aboutirait une anglicane professe toutes les vérités essentielles du telle déclaration? Si son attitude n’a pu convaincre ses I christianisme : les trente-neuf articles sont suscep­ adversaires de son attachement à l'Église anglicane. tibles d’une Interprétation cathollque (tract. 90). L'au· 1385 PI SÉYISME. L’EGLISE ΚΟΜΛΙΝΕ 1386 lorllé du pape rembarrasse : la suprématie de l'évêque contiendraient le maximum dc ce que les anglicans de Home, dit-il, est plutôt utile que nécessaire; elle peuvent admettre, dc façon que Home examine si l’u­ est de droit ecclésiastique, pas de droit divin. nion peut sc faire sur dc telles bases. Newman l’encou­ Mais,continue-t-il, si l’accord est facile sur ccs points rage, mais en remarquant que les propositions de­ de doctrine, de graves divergences subsistent sur le vraient être signées par un grand nombre dc clergy­ «système pratique du romanisme », surtout sur le culte men et d’évêques et en insistant sur la question du de In Vierge, la MariolAtric ». Il y soit le principal pape, centre de l’unité. Pusey veut d’abord un examen obstacle à la réunion, confondant les exagérations des propositions in abstracto; après seulement, si elles d’une dévotion mal entendue avec les pratiques légi­ sont accueillies, il les soumettra A scs coreligionnaires. times. Il précise qu'il nc s’agit pas dc conditions pour des con­ Comment réaliser l’unité? Que l'Eglise d’Angleterre versions individuelles. Il écrit dans ce sens à Mgr Du· affirme son accord avec la doctrine de Trente; que panloup, à scs amis, Liddon et Mackonochie. Son idéal l'Eglise catholique déclare que cela suffit, qu’elle n’im­ serait < une intercommunion entre deux Églises auto­ pose pas certaines opinions, certaines pratiques qui, nomes qui, traitant dc puissance a puissance, s’uni­ sans appartenir au dogme essentiel, sont aujourd'hui raient en une sorte de fédération ». Thurcau-Dangin, répandues; que ces opinions ne soient pas déclarées op. cit., I. m. p. 13L Mgr Dupanloup et Mgr Darboy dogmes dc foi, comme il a été fall pour l’immaculée promettent a Forbes, évêque de Brechin, de présenter conception. les propositions in abstracto et d’obtenir qu’elles soient Pusey attachait tant d'importance à son Eirenikon examinées. Le P. dc Buck, bollandistc, qui a fait une qu’il voulut le faire connaître aux catholiques du con­ recension favorable de V Eirenikon dans 1rs fctudes en tinent. Il ht deux voyages successifs en France (18651866, presse Forbes d’envoyer les propositions aux con­ I8G6), au cours desquels il se rendit chez un grand grégations pontiflcalcs, lui recommandant d’aller â nombre d’évêques. Seul l’évêque de Laval se montra Home avec Pusey. Il s’avance a préciser les conditions indifférent. Les autres, surtout Mgr Darboy et Mgr Du- que l’on pourrait obtenir pour l’anglicanisme eu cas de panloup, l'accueillirent avec bienveillance et l’encou­ réunion : réordinal ions conditionnelles, communion ragèrent dans ses efforts en faveur du rétablissement sous les deux espèces, maintien du Prayer book avec de Puni lé de l'Eglise. L’archevêque de Paris lui aurait un petit nombre de modifications doctrinales, permis­ laissé entendre que l’accord pourrait se faire sur la base sion aux ecclésiastiques maries dc conserver leurs du concile de Trente. On ne sait si la question délicate femmes, minimum exigé dc croyance en ce qui con­ de l’autorité du pape a été sérieusement discutée au cerne le culte dc la sainte Vierge, condamnation pos­ cours de ccs visites. En tout cas, dans une lettre A sible des exagérai ions de ce culte, etc. Cf. ThurcauDangin, op. cit., t in. p. 133-131. Il va a Home en 1869 J. Acton, qui devait être communiquée à l’archevêque dc Paris (25 janv. 1870), Pusey précisa sa position sur porter nu cardinal Bllio un mémoire confidentiel. expo­ ce point : J’avoue qu’il y a une difficulté spéciale dans sant les bonnes dispositions d'Eptscopus X et docl’autorité attribuée au pape. La primauté a été recon­ tores Oxonienses, et suggère les mesures a prendre. Le 17 novembre 1869. le Saint-Office répondait en invi­ nue non seulement maintenant, mais jadis, par les théologiens anglicans. Il s’agit de savoir si la primauté tant le général dc In Compagnie dc Jésus a prier le inclut ce que nous appelons la suprématie. Une grande P. de Buck de sc tenir tranquille. La bulle dc convocation au concile montra ce que autorité parmi vous m’a assuré que non. Mais tout Home pensait des prêtent ions dc l’Eglise anglicane : parait tendre chez vous vers la centralisation de toute autorité a Home et si. en cas de réunion, nous devons les anglicans étaient compris dans la bulle adressée être placés sous des évêques comme Mgr Manning, ce omnibus protestant!bus atiisque acatholicis et invités à serait livrer les nôtres aux exagérations du Marfan sys­ se joindre au seul troupeau. Le peu d’espoir qui pou­ tem et A tout l'ultramontanisme. Thurcau-Dangin, vait encore rester â Pusey lui fut enlevé par la vague ultra-protestante qui déferla en Angleterre a l’appro­ op. cit., I. m, p. 11 note L ' Eirenikon reçut bon accueil dans le High Church. che du concile et par la nouvelle que Forbes lui avait l. auprès des évêques de Salisbury el de Bristol, à ΓΚπ- ramenée dc Home « que l’ultramontanisme triomphait partout ». Il hésita de plus en plus à rédiger des propo­ fjlish Church union, sans que cependant l’on se fît trop d'illusion. ChurcJi, dans le Times du 12 décembre 1*865. sitions. mais publia au printemps dc 1869 un second Eirenikon sous forme dc lettre ù Newman : The referen­ tout en louant l'idée généreuse, montra ce qu’elle avait de chimérique ; Home n’entrerait jamais dans des tial lore due to the ever blessed Theotokos and the doctrine explications ; quant a bipartie protestante dc l’Eglise of her immaculate conception. Il v reprenait scs attaques d'Angleterre, elle l'attaquait violemment. Tait, dans contre les pratiques de dévotion à la sainte \ ierge et un mandement de 1866. sc disait honteux de cc que contre le dogme défini par Pie L\. Aux reproches de Newman, il répondit par un troisième Eirenikon. éga­ l’on eût osé solliciter Home. Les catholiques anglais sont divisés. Le Weekly lement sous forme dc lettre: Is healthful reunion impos­ sible? Il y traitait plus spécialement de la réunion, exa­ Beyister publie les approbations de Lockhart (18 nov. minant les différents points qui s’y opposaient des deux 18651, d’Oakley (23 nov. 1865). Puses leur répond et dit qu'il reconnaît la primauté du Saint-Siège, mais de côtés, suggérant des solutions aux difficultés, insistant droit ecclésiastique. L’accueil est plus froid chez W ard tout particulièrement sur l'infaillibilité pontificale. La définition dc l'infaillibilité apparaissait de plus qui annonce à Pusey son intention de le combattre. Cf. Liddon. Li/r o/ Pusey. t. iv. p. 119. Le Month (déc. en plus probable. Pusey abandonna son projet de rédi­ 1865) est acerbe. Newman est désappointé, car il craint ger des propositions relatives à la réunion. Après le que \ Eirenikon ne retienne dans l'anglicanisme les vote, il modifia le titre de son troisième Eirenikon : Ames bien disposées. Il le réfute : Lettre adresser au Per, Healthful reunion, as conceived possible before the Vati­ E. B, Pusey. à l'occasion (te son · Eirenikon > (déc. 1865). can council (La réunion salutaire, comme on en conce­ reprochant A l’auteur sa partialité en cc qui concerne la vait la possibilité avant le concile du Vatican). dévotion catholique, appuyant le culte dc la \ ierge sur Pusey sera dix ans sans loucher aucun livre dc con­ l’autorité des Pères, distinguant doctrine et pratiques troverse romaine. Perdant tout espoir de corporate de dévotion, expliquant et justifiant les variétés de In reunion avec Home, certains amis de Pusey, Liddon ih votion, s ans en nier les abus. entre autres, sc sentent un instant attires par les vieuxΛ l'approche du concile du Vatican» Pusey conçoit catholiques; mais Pusey sc tint dans la plus grande le projet de rédiger pour le concile des propositions qui réserve devant ce mouvement. Cf. td/e and letters of 1387 PUSEYISME ET K IT UAL IS ME Liddon, p. 167; Li/e o/ Puscy, t. iv, p. 292-29.3. Les tentatives d'union avec les Grecs orthodoxes ne l’aitiraient pas davantage. Cc qu’il avait rêvé, c’était la réu­ nion avec la grande Église d’Occidcnt, ou plutôt la reconnaissance par cette Église, qui exerçait une telle fascination sur tous les membres du parti tractaricn, de la catholicité dc l’Église anglicane. Son rêve était détruit. Il se taira, il attendra; mais Jamais il ne mêlera sa voix aux attaques des protestants contre Home. III. Le ritualisme. — 1° Aperçu général sur le rilua· lisme. - Le mouvement ritualiste, d’apparence plutôt pratique, s’est développé parallèlement au mouvement tractaricn cl puséylste, dc caractère plus spéculatif. Les promoteurs de la renaissance religieuse inaugu­ rée Λ Oxford s’étaient proposé un but essentiellement doctrinal : affirmer les vérités de la religion catholique contre le vague protestantisme qui dominait l’Église d’Angleterre. Mais, après la sécession de Newman, lorsque le centre du mouvement se déplaça d’Oxford à Londres, surtout lorsqu'on voulut faire pénétrer scs idées dans lus paroisses, les mettre à la portée des multitudes ignorantes dans les quartiers deshérités des grands centres industriels, il perdit son caractère académique. Pour le peuple, le froid exposé de ques­ tions théologiques aurait été de nul effet : l’Anglais est le moins théologique des peuples ». W.-L. Knox, The catholic movement in the Church o/ England, p. 217. II fallut recourir À d’autres moyens, et l’on utilisa pour l’instruction du peuple les cérémonies extérieures que l’Église catholique a employées de tout temps comme expression de sa dévotion. Le ritualisme est ainsi en connexion étroite avec le puseyisme : la doctrine des tractaricns est à la base de la restau­ ration liturgique. Le mouvement tractaricn appelait d’ailleurs une rénovetion du cérémonial : le retour aux traditions antérieures a la Réforme, le besoin d'harmonie avec l’Églisc universelle, la sympathie pour le catholicisme, la nécessité d’élever l’idéal religieux, rien dc tout cela ne pouvait trouver satisfaction dans l'ancien culte anglican. Comment, en particulier, concilier la croyance en la présence réelle, les marques extérieures de respect qui devaient en être la conséquence, avec la liturgie sèche cl étriquée du Prayer book, avec la nudité des églises protestantes? Gladstone a décrit l’avilissement de ces services religieux, au début du XIX* siècle, tel qu’il n’en est pas de pareil au monde et qu’il aurait choqué un brahmane et un bouddhiste. Contemporary review, 1875. Une des préoccupations du ritualisme fut de ramener la décence dans le culte divin. Cc fut surtout d'accentuer la doctrine sur l’eucharistie et dc faire revivre les pratiques essen­ tielles dc la vie catholique. Ainsi, la messe chantée avec les cérémonies traditionnelles de la grand’messc deviendra le trait principal du culte dominical, avec d'autres messes moins tardives pour permettre de communier à jeun; on reprend la célébration dc la messe privée en semaine, même s’il n’y a pas de communiants, la célébration de certaines fêtes; l'usage du sacrement dc pénitence comme moyen d’obtenir la rémission des péchés ou d’avancer dans la perfection chrétienne se répand malgré la plus vive opposition. Cf. Knox, op, ctt„ p. 221-223. Les premières manifestations ritualistes furent re­ gardées avec méfiance par Puscy cl scs amis : ils pouvaient craindre, en effet, qu’une trop grande attention apportée à tout cc côté extérieur de la reli­ gion ne nuisit au progrès doctrinal, que l’on ne fit consister toute la religion dans un liturglsmc étroit. Mal», quand Puscy vit que les ritualisles n'étaient pas moins attachés que lui-même aux vérités essentielles de la religion catholique, que les nouvelles pratiques n’étaient que la traduction en actes dc son onset 1388 gncmenl, il abandonna ses préventions cl devint la ligure prédominante du ritualisme. Les adversaire» d’ailleurs ne s’y trompèrent pas : quand il s’opposèrent à l’introduction cio nouvelles pratiques, comme l’em­ ploi des ornements sacerdotaux, l’usage de l’encem, etc., ils les combattirent non pas à cause de leur nouveauté, ou de leur ressemblance avec les usagei de l’Église romaine, mais à cause dc la doctrine de la présence réelle ct du sacrifice eucharistique qu'ils y voyaient afiirmée. Pour justifier leurs innovations ou plus exactement le rétablissement des anciens rites, les ritualiste» s’appuyèrent sur les rubriques du Prayer book. Ce fut le cas notamment pour la reprise du surplis au chœur. Au reproche d’illégalité ils répondirent en invoquant le Prayer book d’Élisabeth, dont une rubrique ordonnait le port des ornements, l’emploi des cierges allumés sur l’autel et quelques autres points en usage avant la Reforme. Sans doute Élisabeth avait-elle pensé pouvoir en maintenir l’usage, mais, à cause des sentiments calvinistes de ses évêques, elle ne put obtenir que le maintien du surplis ù la messe. La rubrique fut maintenue à la restauration, mais on substitua en fait la chape aux ornements eucharis­ tiques dans certaines cathédrales. Les évêques camlins ne firent rien pour faire revivre ces éléments dc la pratique catholique ordonnés par la lelne Élisabeth. Au xix· siècle cette rubrique était complètement tombée en désuétude; on ne portait même plus le surplis. Néanmoins les ritualistes avaient sur cc point la loi pour eux. Ils en appelèrent donc au statut légal dc l’Église d’Angleterre, à l’autorité de l'Etat, qu’ils rejetaient en théorie dans les affaires religieuses. Les autorités ecclésiastiques tenues par ce statut légal trouvaient qu’il ordonnait des pratiques qu’elles auraient bien voulu supprimer, tandis que les juges qui devaient appliquer la loi étaient trop pénétrés du protestantisme traditionnel pour ne pas être persuadés que, en condamnant les ritualistes.ils repré­ sentaient l’intention des réformateurs. Ccs diverses attitudes envers le statut légal se rencontreront dans toute la controverse ritualiste. L’opposition sera concentrée sur des points parti­ culiers de doctrine ou de pratique. Mais elle a une base plus profonde : l’opposition entre l'idéal de la sainteté que s'efforçaient d’inculquer les ritualistes et le niveau habituel de moralité conventionnelle. L’An­ glais moyen sc contentait d’une respectabilité tout extérieure. Il ne croyait pas que la religion impliquât la consécration de toute la vie au service de Dieu; or cela était évident pour les ritualistes comme pour les tractaricns, qui voyaient dans le système sacramentel et dans les pratiques de dévotion des moyens pour aider l’homme à se consacrer entièrement Λ Dieu et pour exprimer extérieurement cette consécration. L'opposition était grande surtout entre l’idéal du clergyman anglican et l’idéal du prêtre suivant la conception ritualiste. Le premier se contentait de donner un bon exemple de moralité personnelle, dc diriger le service religieux el de prêcher une saine morale. Le prêtre ritualiste au contraire sc donnait comme le représentant dc Jésus-Christ, désigné par lui comme intermédiaire nécessaire entre l’Amc du fidèle ct Dieu; Il sc tenait pour obligé de consacrer toute sa vie par la prière ct le sacrifice au salut des Ames. C'est cette nouvelle conception du caractère sacerdotal, Impliquée dans la célébration quotidienne du sacrifice de la messe, dans l’administration du sacrement de pénitence, qui donnera à la controverse toute son acuité. Les adversaires du ritualisme seront nombreux. La presque unanimité de l'épiscopat lui sera hostile. Wilberforce, évêque d’Oxford, Phillpotts, évêque 1389 l’USl'.YISME KT RITUALISME. I’REMli.HES MANIFESTATIONS 1390 d'Exelcr, qui étaient sympathiques aux tractaricns, dantes d’une fausse Église ». 3 hureau-Dangin, np. cit, condamneront lotit essai d'enseigner leur doctrine au t. in, p. 323. L’évêque Wilberforce, accusé de laisser moyen du culte extérieur. Les évêques tenteront par introduire des pratiques romançantes dans son col­ tous les movens d’obtenir la condamnation du ritua­ lège théologique de Cuddesdon, doit les désavouer et lisme, soutenus par J. Bussell et Disraeli, deux des changer les professeurs compromis. Cf. Life of Wilber­ grandes figures de la vie parlementaire dc l’époque. force. t. ti. p. 359-373. Gladstone, le troisième grand homme d’État du temps, En 1850, on pouvait déjà constater un changement qui partageait 1rs idées 1 rai tariennes, ne pourra souffrir appréciable dans les églises desservies par les ritua­ le ritualisme le plus modéré. Les evangelicals, conduits listes. Sir J. Stephen, dans les Essays in ecclesiastical par Shaftesbury, seront les plus acharnés contre le biography, t. n. 1850, p. 391-395, montre comment mouvement, excitant · la fureur ignorante dc la s’opérait alors dans les esprits la réaction contre le racaille protestante », Knox, op. cil., p. 228, suscitant puritanisme. des émeutes pour contraindre les tribunaux à inter­ La videur du symbolisme ct dc la beauté artistique venir. pour amener les masses a la religion était reconnue Malgré la force de ces oppositions, à laquelle s’ajou­ par ceux-là même qui n’avaient pas dc sympathie teront d’autres obstacles provenant des conversions à pour le ritualisme. Dans une lettre pastorale de 1851, l’Église romaine, des divisions entre modérés ct extré­ l'évêquc d’Exelet* écrivait : · Peu de choses m’ont mistes dans le parti lui-même, celui-ci sortira victo­ plus affecté que les lamentations des pauvres fidèles rieux de la lutte : il imposera ses doctrines cl ses I dans un des districts de la capitale, quand ils virent pratiques à une fraction importante dc l’Églisc angli­ la suppression prochaine, par suite dc l'intervention cane. de la populace ameutée, du rituel qu’ils aimaient et 2° Les premières manifestations ritualistes (1840- qui était chaque semaine ct, pour beaucoup d’entre 1860). — Les premières manifestations dc l'esprit eux, chaque jour, une consolation de la pauvreté dans ritualiste sont aussi anciennes que le mouvement laquelle la Providence divine les faisait vivre. » Simp­ d’Oxford. Les chefs mêmes du mouvement n’y sont son, op. cit., p. 70. A cette date de 1851, le ritualisme, qui avait lar­ pas, jusqu’il un certain point, étrangers. En 1839, Protide se félicitait des nouveaux aménagements gement pris contact avec le peuple des paroisses, intérieurs qui s’opéraient dans les églises. Remains of avait déjà suscité des troubles, notamment à SaintFraude, part. II, I. i, p. ix. L’année suivante, Puscy . Barnabas, où le curé, le Bév. W. Bennett, avait dû donnait comme cinquième point de son programme démissionner, avant été peu soutenu par son évêque, < le souci de la partie visible dc la dévotion, comme puis à Saint George’s in the East ; à la suite dc cette la décoration de la maison dc Dieu, qui agit insen­ dernière émeute, l'évêque de Londres, Tait, s’était siblement sur l’esprit ». Liddon, Life of Pusey, t. tf, décidé « à mettre fin à de telles folies ·; L’opposition p. 110. Les nouveaux principes sont appliqués par s’était accentuée à la suite de 1« agression papale » de Newman à Littlcmore, par Puscy, dans l’église Saint- la restauration de la hiérarchie en 1850. Les ritua­ Saviour qu’il fait construire à Leeds : un véritable listes sont attaqués pins encore peut-être que les autel de pierre remplace l’ancienne table dans ces puséyistcs, par suite dc la ressemblance de plus en plus étroite qu’il était facile dc constater entre leurs deux églises. Cependant les chefs tractaricns mettaient en cela ofllccs et ceux dc l’Églisc romaine. Le premier ministre. la plus grande discrétion. A propos d’un tract sur Lord J. Bussell, s’abaissait jusqu’à qualifier leurs céré­ l’observance dc la rubrique des ornements, Puscy monies de « mômeries de la superstition ·, d’autres leur reprochaient les « ornements fastueux d’un met en garde contre les singularités Imprudentes ou peu sérieuses, Liddon, ibid., p. 1 13-115. Ces conseils ritualisme théâtral » et dénonçaient I égale impiété ne sont pas toujours écoutés : Oakley érige dans la des sacerdotalisto anglicans et des prêtres romains. chapelle d’OId Margaret Street un autel de pierre sur Simpson, op. cit., p. 126. L'opposition des hommes d’État el des hommes lequel il place un crucifix ct des cierges et qu’il orne de fleurs; Il s'inspire dans ses offices de la liturgie d’Église amena les ritualistes à s’organiser pour se défendre avec plus de succès contre leurs attaques. romaine. On reprend le surplis; certains y ajoutent l’étole ct la chape ou la chasuble. Le premier cas | Ils fondèrent d’abord, en 1855, la Société de la Sainted’emploi des ornements eucharistiques daterait, d’a­ Croix pour les ecclésiastiques, el sa filiale, la Confrérie près une enquête faite en 1897 par le Church Times, du Saint-Sacrement, ouverte aux clercs et aux laïques. Entourées d’un certain mystère afin d’échapper aux dc 1810. curiosités malveillantes des protestants, les deux La Cambridge Camden Society, fondée en 1839, est un des foyers de cette réaction religieuse ct artistique, sociétés avalent un but religieux : promouvoir la foi e t influencée par le romantisme du temps. Elle a pour la dévotion au culte eucharistique par la réserve et programme de · promouvoir l’étude de l’art chrétien J l'adoration des saintes espèces, restaurer la messe, dont et des antiquités chrétiennes, plus spécialement en cc on reprenait le nom. Mais, pour se défendre, il fallait qui regarde l’architecture. l’arrangement et la déco­ un autre organisme : ce fut I’English Church Union. ration des églises ». Elle fut condamnée le 25 juil­ Eondécen 1860, elle avait pour but desoutenir la lutte let 1811 pour avoir érigé un autel de pierre dans publique sur tous les terrains, d’aider les ritualistes l’église du Saint-Sépulcre û Cambridge, mais la Cour , poursuivis el condamnés. Lord Halifax en prendra des Arches lui donna raison (31 janv. 1815). Blomfleld, la présidence en 1868, après la conversion dc son premier président, Lindsay, qui avait été suivie de évêque dc Londres, et Phlllpotts, évêque d’Excler, veulent, en 1812 et en 1811, Imposer le surplis à tous celle dc soixante-dix-sept membres dc (’English 1rs clergymen; ils reculent devant l’opposition popu­ Church l’nlon, et pendant plus d’un demi-siècle y défendra avec succès les principes anglo-catholiques. laire. C'est, en effet, quo ces légères Innovations dans Puscy le représente comme un homme « d’une modé­ l'ornementation des églises et la tenue d, écrivait Church. L’évèque dc Lincoln l’accepta, disant pouvoir s’y soumettre en conscience. Les protestants en furent dépités. La Church Asso­ ciation en appela au Conseil privé. La décision de l’archevêque allait, en effet, notamment contre la sentence du Conseil privé de 1871. qui avait déclaré illégale Veastward position. Lc Conseil privé attendra deux ans pour publier sa décision. Les hommes politiques en avaient assez de toutes ccs discussions I « en matière dc costumes, dc posture» de formes du rituel » (Lord Salisbury), qui ne pouvaient que briser l’Église ou séparer d’elle des éléments d’ailleurs excellents. Aussi le Conseil privé ne fit-il qu'approuver la décision de l’archevêque. Lc jugement de Lambeth, approuve par le Conseil privé, n’intéressait pas seulement un cas particulier; il eut une portée générale et. comme le remarque le Church Times du 5 août 1892, donna le signal de la fin des poursuites judiciaires et de la persecution. Pleine satisfaction n’était pas encore donnée aux ritualistcs : l’Église d’Angleterre demeurait toujours sous le contrôle dc l’État, puisque le Conseil privé avait dû intervenir pour autoriser l’intervention de l’archevêque et pour approuver sa sentence. Néan­ moins. les ritualistcs pouvaient demeurer fidèles a leurs pratiques dans l’ensemble. L’accalmie qui suivit fut favorable au dévelop­ pement du ritualisme. D’après le Tourist's Church guild, le nombri des églises où l’on observait Veastward position s’était successivement élevé en 1881 Λ 2 051; en 1896. A 5 961; en 1898, ù 7011. Même progression pour les autres rites contestés, les vête­ ments ecclésiastiques, les cierges d’autel, le mixed chalice, etc. » Thureau-Dnngin, op. cit., t. ni, p. 508. note I. La Church Association estimait à 9 600 le nombre des clergy ιη« n qui · favorisaient le mouvement vers Home dans l’Église nationale ». Ce n’est pas seulement le cérémonial qui devient de plus en plus catholique; mais les pratiques de la dévotion catho­ lique s’introduisent el se développent; des associations se fondent en vue de la prière pour les défunts, The Guild o/ all souls; les livres dc prières el les manuels de dévotions empruntés aux catholiques se diffusent largement; Lord llalifaxdonne.cn 1895, une vive 1399 P USÉ Yl SME. I/ \NGLO-CATIIOLICISME, TEN I) \ NCES 1400 impulsion au mouvement en vue de la corporale Déforme. La loyauté envers l’anglicanisme devenait union, arrêté en 1896 par l'encyclique Apostolien· chose secondaire; cc qui importait avant tout, c’était eunt' de Léon XIII, qui déclarait invalides les ordi­ de développer la foi ct la dévotion, d’atteindre les nations anglicanes. cœurs et les consciences. Cette tendance devait s’affir­ 5. ! r. jugement des archevêques à him bel h (1899). — mer d’autant plus facilement au xx· siècle qu’une Dan* une lettre de 1899, l’évêque Creighton, recon­ génération s’élevait qui n'avait pas connu le Prayer naissant avoir rencontré une grande résistance dans book y Knox, op. cil., p. 233. Pour ceux qui n’avalent son essai d’interdire l’usage de l’encens el l’emploi de pas été élevés dans les traditions anglicanes, pour les cierges allumés à l’évangile, soumettait ces deux cas à générations façonnées par les tract ariens et les rituaJ‘archevêque de Cantorbéry, à la conférence de Lam­ listes, c’était un handicap certain d’en appeler à des beth. Au même moment, alors qu’allait s’ouvrir la formulaires liturgiques mal adaptés à l’expression des conference de 1899, deux cents bénéficiers présentaient croyances catholiques, de laisser «le côté l’attraction plusieurs résolutions aux évêques sur l’obéissance et la variété des méthodes de dévotion de l’Église canonique. obéissance due aux lois «le toute l’Église romaine. Aussi, tout en modifiant certaines pratiques catholique du Christ, sur le droit à la réserve de du catholicisme occidental pour conserver une certaine l’eucharistie et â l’usage de l’encens, pratiques con­ continuité avec les traditions de l’anglicanisme, formes à l'usage de toute l'Églisc catholique ct incluses n'a-t-on pas hésité à introduire des pratiques romaines dans la rubrique des ornements du Prayer book. Cf. très importantes, telle que la réserve du saint sacre­ Simpson, op. cil., p. 157. ment. la dévotion à la sainte Vierge ct aux saints, Les archevêques décidèrent que l’usage liturgique l’usage des statues cl «les Images des saints. de l’encens et celui des cierges allumés dans les pro­ Comme dans le cours du mouvement ritualiste, tout cessions n’étalent pas conformes â la loi et ils ordon­ cela s’est réalise contre la volonté de l’autorité ecclé­ nèrent au clergé de s'abstenir de ces pratiques. Les | siastique. des évêques. Mais ceux-ci avaient toléré de deux cents bénéficiers avaient placé leur intervention tels abus, de telles négligences, «pic les ritualistcs se sur le terrain catholique» les archevêques avaient croyaient justifiés a m· pas leur obéir. Ils devaient répondu d’après le point de vue le plus étroit, le point être des révolutionnaires. Les premiers Iraclaricns de sue légal, s’appuyant sur l’acte d’uniformité de avaient cru pouvoir transformer lentement, par leur 1559. Pour l'encens, ils invoquent l’argument du prédication et par leurs ouvrages, l’esprit de l’Église silence» ne voulant pas sc rendre compte, remarque anglicane. Ils avaient échoué. Les ritualistcs agirent Sunday, que l'usage liturgique de l’encens était bien illégalement pour le salut des âmes. Les efforts furent établi dan* l’Églisc universelle depuis l’année 385, parfois peut-être désordonnés; il y eut des avances et qu'une telle décision renforçait l’insularité de l’Église des reculs. C’est que le mouvement ritualiste fut une d’Angleterre, alors qu’il importait d’élargir sa catho­ bataille de soldats. Depuis la mort de l’uscy» il n’y eut licité. La décision des archevêques causa du désappoin­ personne pour prendre la tête du mouvement, s 11 est tement. Encore fallait-il qu’elle fût obéie. L’obéis­ caractéristique de celte periode du mouvement que, sance à l’évêque était cependant un principe catho­ si nous cherchons les noms de ses chefs, nous ne pou­ lique admis par les ritualistcs; mais comment auraientvons les trouver. L'homme le plus en vue fut un prêtre ils pu se soumettre à des évêques qui. dans des vues de paroisse qui demeura vicaire assistant jusqu'à la surtout politiques, étaient tous choisis en dehors du lin de sa vie, Arthur Henry Stanton. Knox, op. cit.. parti el pris parmi les adversaires du revival catho­ p. 231-239. lique? La division du parti ritualiste au xx· siècle ne se IV. Le moi vhmknt iiit< aijsii: λγ xx· siLci.e. — remarque pas seulement par l’afllrmation de ces deux 1* diverses tendances de l'anglo-< atholicisme. tendances. D’autres points séparent gravement les Deux tendances sc manifestèrent dès le début du anglo-catholiques. Beaucoup se laissent attirer par les mouvement ritualiste. Les uns 8'cfTorçalent par leurs erreurs modernistes. Le modernisme, qui s’est large­ reformes de maintenir la continuité avec l'histoire de ment infiltré dans l’Église anglicane, a touché éga­ l’Églisc d’Angleterre depuis la Déforme; ils conser- | lement les milieux anglo-catholiques. Certains con­ valent les formes autorisées du culte anglican, en les testent l’historicité des récits de l’Évangile, pour ne interprétant dans le sens le plus catholique. Cette rien dire de ceux de l’Ancien Testament. Selon eux. méthode avait l'avantage de conserver des expres­ ccs récits < ne sont vrais que dans le sens qu’ils ex­ sions familières de culte, d’utiliser les services du priment sous la forme de l’histoire la vraie notion de Prayer book aimés par ceux qui avaient été élevés Dieu, l'amour de Dieu pour les hommes et la manière dans ccs traditions. Malgré tout, ces services anglicans dont 1 homme doit s’approcher de Dieu *. Knox, op. ne pouvaient que difficilement être adaptés à la dévo­ cit., p. 32. Ils rejettent l'inspiration des Écritures, la tion catholique, notamment en ce qui concerne la naissance virginale, la résurrection, la divinité de presence réelle cl le service cucharisli«pie. plutôt Jésus-Christ, «pii n’est plus qu'un prophète... Une impliqués qu’affirmés dans le Prayer book. De plus, le société (ondée en 1898, Churchmen's l’nion /or the nombre des offices dans le Prayer book était singuliè­ advancement o/ liberal reUy ions thought, répand ces rement restreint, par suite de la suppression des idées â l’aide «l’une revue mensuelle, The modem fêtes : le clergyman qui voulait dire lu messe chaque churchman. Un motlerniste notoire, le docteur Ilenson, jour devait reprendre toute la semaine la messe du fut nommé en 1918, évêque «le Hereford, malgré la dimanche Le Prayer book avait exclu la réserve des protestation de la Société «lu Saint Sacrement, qui saintes espèces, la dévotion â la sainte Vierge cl aux avait réuni vingt mille signatures contre celte nomi­ saints, la prière pour les morts. Enfin l’assistance nation, laquelle constituait un véritable défi. Docu­ conventionnelle au service «le la communion, qui mentation rath., I. xr, col. 131 et 1 12. Cf. Simpson, op. cil., p. *253-251. Le chanoine Bright reconnaissait que, bien qu’elle ne fût pas permise par les rubriques. In réserve pour la communion des malades pouvait être acceptée, mais II rejetait toutes les pratiques de dévo­ tion envers elle : adoration, bénédiction, etc. Le chanoine Liddon, la même année 1882. écrivait : Rien dans le langage et les autorités de notre Église n’auto­ rise Pollice de la bénédiction. Cela s’explique puisqu’il n’existait pas avant la Réforme et qu’il est d’origine récente... L'adoration est la conséquence nécessaire ou l’accompagnement de la présence réelle plutôt que le but pour lequel cette présence n été léguée à I Église. » Simpson, op. cil.. p. 254. La réserve des éléments consacrés, si elle était en dehors de l’horizon tract arien ct ne fut, pendant long­ ; temps, considérée que d’un point de vue théorique, devait être imposée par le développement de la doc­ trine sur la réalité de la présence de Noire-Seigneur dans l’eucharistie. Elle devint une nécessité dans bien des cas, pour répondre au désir de communier de ceux à qui leurs occupations ne laissaient pas le loisir d’attendre l’heure de la célébration de Pollice, une nécessité aussi pour la communion des malades. Le ( Prayer book envisageait la célébration A domicile de la I cène pour la communion des malades. L’habitude de célébrer quotidiennement ù l’église rendait impossible cette célébration A domicile. La réserve se pratiqua d’abord uniquement en vue de la communion. Mais, comme l’effet de la consécration est permanent, que I |A où sont les éléments consacrés IA aussi est le Christ, il en résultait naturellement un culte rendu A la pré­ sence du Christ. Les fidèles se rendirent dans les 1402 églises à l'endroit où était conservée la réserve. La dévotion privée fut encouragée par les prêtres, dirigée par eux. Des dévotions publiques extra-liturgiques eurent lieu au cours de l’oflice du soir, exposition, bénédiction, procession. Le développement de ces usages nouveaux dans l’Église anglicane fut rapide. Les autorités s’en émurent : les uns se demandaient si la présence réelle autorisait cette extension de l’usage du sacrement pour une autre fin que celle pour laquelle Not rr-Scigncur l’avait institué; d'autres remettaient en question toute la doctrine de la pré­ sence réelle et suggéraient de soumettre les éléments consacrés A une analyse scientifique!... Simpson, op. cit., p. 256. La question fut nettement posée par le chanoine Lacey dans une lettre adressée à l’archevêque de Cantorbéry. en 1899, en vue de soumettre les argu­ ments en faveur de la présence réelle a la conférence de Lambeth. Lacey ne cherche pas à prouver que la nouvelle pratique est legale, mais utilise en sa faveur cet argument : cc qui n’est pas défendu peut être permis. 11 réfute les objections que l’on pourrait tirer de l'art. 28, de la rubrique de 1662 sur la consommation après la cène de ce qui reste des especes consacrées et du service de la communion pour les malades : · lu pratique de la réserve n’est défendue ni expressément ni implicitement... Elle ne rentre pas par le fait dan»» la catégorie des choses illégales. » Elle est donc laissée A la discrétion de l’autorité. Mais quelle autorité? Le prêtre dans mi paroisse? L'évêque pour tout le dio­ cèse? Le prêtre doit avoir toute autorité pour juger de l'opportunité de conserver les saintes espèces pour la communion des malades. Mais, pour tout autre usage tel que l’exposition du saint sacrement, le prêtre n’a plus autorité pour l’introduire, car son pouvoir est restreint à l’administration du sacrement, et, ici. c’est un usage étranger â l’institution de l’eucharistie. Aussi doit-on laisser ce cas particulier â In discrétion de l’évfique qui a pouvoir de régler la pratique ct même de la défendre en certains endroits..., mais il ne doit pas la défendre sans cause grave, sérieusement examinée cl exposée dans cliaqùO cas ». Simpson, op. cit., p. 259. L’archevêque Temple lui répondit l’année suivante : « Je suis obligé de décider que l’Églisc d'Angleterre ne reconnaît actuellement la réserve sous aucune forme; ceux qui pensent qu'elle peut être permise, bien qu'ils soient pleinement justifiés A essayer d'obtenir des autorités une modification de la loi. n’onl pas le droit de pratiquer la réserve tant que la loi n'aura pas été modifiée. » Simpson, op. cit., p. 259. L’absence de loi autorisant lu réserve n’entrava nullement son développement. On s’en tint à la re­ marque de Laces (pic ce qui n’est pas défendu peut être autorisé. Quinze ans après, la pratique devenait générale. Les ritualistcs se trouvaient cette fols appuyés par certains membres de l'épiscopat, nu moins en cc qui concerne la réserve pour la communion des malades. L’évêque Gore, en 1917. dit sa satisfaction de voir celte coutume se répandre ct être acceptée par tous les évêques de la province du Sud; mais s'il la croit très justifiée pour cette fin, il la repousse pour tout autre but quel qu’il soit », car il v voit un usage Inconnu dms l’Église pendant mille ans. inconnu dans l’Église orientale actuelle, sans aucun point d’appui dans le Nouveau Testament. La question fut de nouveau agitée quand fut pré­ parée la révision du Prayer book, l ’nc conférence fut réunie A l ’arnham Last le par l'évêque de Winchester pour étudier spécialement ce point de pratique. L’évêque Gore maintint son ancien point de vue : autoriser la réserve pour la communion, A l’exclusion ! 403 PISÉ Y IS ME L’A X GLO-CAT H OLICISM E, des dévotions rattachées à la prière du soir; l’évêquo Temple permit les dévotions privées, mais rejeta celles qui sont organisées par le prêtre. Le docteur Danvcll Slone résuma la question des dévotions cxtraliturgiqucs en quatre propositions : L La présencc dc Noire-Seigneur dans le sacrement est atta­ chée au rite, non à la foi du communiant. 2. II n’y a pas de raison de supposer que cette présence est limitée de façon à ne pas persister après l'offrande du sacri­ fice et la communion. 3. Cette présence est celle de Nolrc-Scigncur lui-même; par le fait, il doit être adoré dans le sacrement. L S’il est vrai que la présence dc Notrc-Scigneur est permanente, non transitoire, l'adoration n’est pas restreinte au temps dc la litur­ gie, mais elle doit avoir lieu quand le sacrement est conservé. On invoqua aussi en faveur de la dévotion extmliturgiquc le fait que cette dévotion commença ù l’âge d’or de l’Église, que son développement fut dû au besoin dc nouvelles méthodes pour stimuler l’esprit de dévotion et qu'il accompagna une augmen­ tation de la fréquence des communions. La confé­ rence refusa de se placer sur le terrain dc la légalité; le seul coté doctrinal fut examiné : mettre la pratique d’accord avec la doctrine de la présence réelle. Le seul argument qui empêche dc reconnaître les dévotions en l’honneur du saint sacrement est que l’eucharistie fut instituée pour être un sacrement et un sacrifice. C’est sc détourner du but de l’institution que de l’uti­ liser pour l’exposer et bénir les fidèles. On a remarqué que, lors de cette conférence de Farnham, on n’avait entendu prononcer aucun de ccs termes blessants : fétiche, idolâtrie, superstition, que l’on appliquait si facilement autrefois aux nouvelles pratiques inspirées par le catholicisme romain. Les synodes diocésains qui sc réunirent à cette époque el qui traitèrent dc la question de la réserve témoignent des progrès réalisés. Ainsi au diocèse de Southwark, 119 clergymen approuvèrent la réserve, contre 115 opposants; 185 contre 31 laissèrent ù l’évêque le soin d’en régler le lieu et le mode; mais la question dc savoir si la réserve pourrait cire utilisée dans le but de dévotion ou d’adoration publique fut repoussée par I 11 non contre 7X oui. Cf. Simpson, op. cit., p. 261. On n’en continuait pas moins à rendre un culte public au saint sacrement : de cc chef, le Rév. Wason, vicaire de Cury, au diocèse de Truro, et le Kév. Winter, curé dc Saint-John, à Taunton, furent condamnés parla Bishop’s consistory court, pour avoir introduit dans leur paroisse la bénédiction du saint i sacrement, ct destitués (1919-1920). Cf. G. Coolen, hi dispute du suint sacrement dans ΓÉglise anglicane, dans Àcu. apolog., t. xxxi, p. 206-211, 277-287. ’ Les projets de revision du Prayer book (cf. infra) marquèrent une tentative de réaction prononcée contre la réserve, malgré le fort mouvement qui sc manifestait partout en sa faveur. Celte tentative dc restriction avait pour cause les actes de dévotion dont elle était l’objet, la tendance à organiser des cérémonies paroissiales cxtraliturgiqucs. Les anglo-catholiques expliquèrent bien que la raison essentielle dc la réserve était ct avait toujours clé la communion, que le culte qui était associé avec elle n’était pas un but, mais une conséquence accidentelle. Cette distinction ne put convaincre les opposants, surtout parce qu’ils voyaient ccs dévotions devenir la forme normale des services dominicaux. C’était au point que l’évêque Gore se disait empêché « d’assister ou de prêcher à l'office du soir dans les églises appelées avancées, car il serait contraint dc suivre les fonctions suivantes : vêpres, sermon, puis procession transportant la réserve au maître-autel où on l’expose, cl bénédiction... » Simp­ son* op. cit., p. 262. 3· La revision du « Prayer book ». — Durant le IX) CT Kl NES 1404 cours du xix· siècle la question de la révision du Hook o/ common prayer avait été soulevée à diverses re­ prises. Les ritualistcs s’y étaient opposés, car elle aurait été faite contre eux, surtout en ce qui concerne : la rubrique des ornements; mais au début du xx· siècle cette révision parut inévitable : les négligences des evangelicals et les additions des ritualistes avaient jeté l’Église anglicane dans un invraisemblable chaos nu point dc vue cérémoniel. Remettre un peu d’ordre dans la maison, sortir de l'illégalité, introduire dc la variété dans les offices et les rendre plus attrayants, telles furent les principales causes de la révision du Prayer book. Cf. Knox, op. cil., p. 229-232. Cette fois les anglo-catholiques prirent une part active aux discussions dans le but de faire prévaloir sinon toutes leurs innovations, au moins celles aux­ quelles ils tenaient le plus. Ils y étaient encouragés par la sixième conférence de Lambeth, qui avait émis un vœu favorable «ù une revision dans le sens catho­ lique. La procédure de revision serait différente dc cc qu’elle aurait été au siècle précédent, grâce à la loi du 23 décembre 1919, Church of England assembly ad, ou plus communément Enabling act, par laquelle le Parlement sc déchargeait sur l’Église elle-même dc la discussion des questions religieuses, sc réservant seulement d’approuver ou dc rejeter les décisions prises. L’étude dc la révision avait commencé avant le vote de celte loi : sur le rapport d’une commission royale, le roi avait autorisé, en 1901 ct en 1906, les évêques à préparer un projet. Commencé aussitôt, interrompu par la guerre, le travail dura vingt ans. Il était difficile; les évêques voulaient concilier les diverses tendances de l’Église anglicane, celle des anglo-catholiques, celle des libéraux, celle des parti­ sans du statu quo. Ils aboutirent ù un compromis qui sc manifesta par des rubriques < alternatives », va­ riantes laissées au choix du célébrant. Il en fut ainsi notamment pour la cène. Le canon de 1662 est modifié aux dépens dc sa cohésion. La prière de la consé­ cration est précédée d’une formule qui spécifie que le Christ est mort sur la croix pour notre rédemption, oblation constituant un sacrifice parfait cl suffisant, qui a satisfait pour tous les péchés du monde. Dc plus, le récit dc l’institution est suivi d'une invocation au Saint-Esprit, par imitation dc l’épiclèsc de la liturgie grecque, mais en des termes qui introduisent la doctrine calviniste. Le Saint-Esprit est Invoqué pour bénir et sanctifier les fidèles ct aussi le pain cl le vin, afin que ce pain ct cc vin < puissent être en nous le corps ct le sang » du Christ. Cela laisse supposer que l’on enlève toute efficacité aux paroles dc la consé­ cration ct que l’action du Saint-Esprit ne sc produit qu’au moment de la communion. Une formule alter­ native est donnée également pour le baptême, avec des suppressions qui devaient contenter le llroad Church. Parmi les concessions faites aux anglo-catholiques il faut mentionner le maintien dc la rubrique des ornements édouardiens dc 1519, l’addition d’eau au vin dans le calice, la forme d’hostie. La réserve est prévue pour la communion des malades, avec beau­ coup dc restrictions : il faut autorisation spéciale dc l’évêque, on doit la placer dans un coffre, du côté nord, clic ne peut être l’objet d'aucune adoration, exposition ou autre cérémonie. Pour le mariage, malgré la loi anglaise sur le divorce, le nouveau Prayer book maintient l’affirmation de l’indissolubilité du mariage. Des prières sont insérées pour les morts, avec une messe pour les défunts, contenant le Pequicm æternam..., malgré l’art. 23 qui condamnait la doctrine romaine sur le purgatoire comme une chose folle, vainc, inventée, sans base ni garantie dans l’Écriturc. 1405 PUSEYISME. 12 Λ N G LO-C AT H OLIC ÎS Μ E, L’UNION A ROME 1406 Une plus grande variété est introduite dans les parties En fait, cc nouveau livre dc prières, avec l’impor­ propres de la messe, par l’addition dc collectes, 1 tance donnée au sacrifice eucharistique, avec ses épilres et évangiles, pour les fériés du carême, les prières pour les défunts, avec l’admission, si restreinte semaines de Pâques et de la Pentecôte, par l'accrois­ qu’elle soit, dc la réserve, était trop opposé à l’esprit sement des fêtes de saints commémorés. On autorise protestant de l’ensemble dc la nation pour être admis. une fête du Corpus Christi, ou plus exactement une D’autre part, « il était tout ù fait impossible de réaliser messe « en action de grâces pour l'institution de la la révision a un niveau qui pùt contenter la Chambre sainte communion ». des Communes. Le luthérien Heller pense que, si les La révision était prête au début de 1927 : du évêques anglicans avaient condamné complètement 7 février au 30 mars,le texte fut examine et approuvé la réserve, ils auraient pu être l’occasion d’un schisme par les deux Convocations de Cantorbéry et d'York; désastreux. » Simpson, op. cit., p. 251-252. du 5 au 7 juillet, il fut soumis ù la Church Assembly, La situation des évêques, après cc double rejet, dont les trois chambres, évêques, clergé ct fidèles, était délicate. Ne pas tenir compte du Parlement l’approuvèrent. Il n’avait rencontré qu’une faible était un défi dangereux. S’y soumettre était abdiquer majorité à la Convocation et à la Church Assembly, le droit de l’Église de régler sa liturgie, renoncer à son opposition qui se fondait principalement sur le second indépendance spirituelle. L’archevêque de Cantorbéry canon, la réserve ct la prière pour les morts. Du 11 au avait proclamé officiellement à la Convocation, en 15 décembre, le Parlement l'examina; le projet fut termes soigneusement pesés et approuvés avec cha­ accepté à la Chambre des Lords, où les évêques purent leur, le droit de l’Église de régler scs dévotions. Le le défendre, mais repoussé ù la Chambre des Com­ Prayer book modifié devint, en réalité, une base pour munes par une majorité de quarante-deux voix. La les discussions synodales. Les évêques agirent chacun vraie raison de cet échec sc trouve dans les tendances dans son diocèse. L’un d’eux revendiqua le droit de • romanisantes » du nouveau livre dc prières. Dc plus, l'évêque d’ordonner la liturgie suivant les besoins spi­ voulant plaire aux deux partis extrêmes, il avait rituels de scs diocésains. Un autre permit A cent finalement abouti à les mécontenter tous les deux. soixante dc scs prêtres de continuer A réserver les Cf. Documentation cath., t. xix, col. 707-717, 1027-107 L éléments consacrés comme auparavant, en observant Les évêques pensèrent que, à l’aide dc quelques toutefois les prescriptions du Prager book dc 1928. modifications, ils pourraient vaincre l’opposition dc En cela, comme en bien d’autres choses, il y eut de la Chambre des Communes. Mais l’intervention du nombreuses divergences. L’action collective de l’épis­ Parlement avait dc nouveau soulevé la question dc copat était impossible. < Mais cc qui est significatif, l'indépendance dc l’Église : l’Église d'Angleterre c’est que le rejet dc la revision par le Parlement a avait-elle la liberté dc régler elle-même l'organisation amené les évêques à proclamer leur indépendance dc son culte, ou devrait-elle toujours sc courber sous spirituelle d’une manière qui aurait été impossible au la férule de l’État? Avant le rejet du projet, les anglo- siècle precedent. Et cette indépendance spirituelle est cat ho liques avaient déjà pris position : « Il n'y a un dc ccs grands principes sur lequel le revivat catho­ lique avait résolument insisté... » Simpson, op. cit., qu’un remède possible à la situation : l’Église doit revendiquer le droit de nommer elle-même ses chefs p. 253. 1° La réunion à ΓÉglise catholique. — L Comment et dc décider elle-même de scs propres affaires. · Cf. Couturier, Le « Book o/ common prayer » et ΓÉglise tes anglo-catholigues envisagent la réunion. — L’indé­ pendance dc l’Eglise ne peut être réalisée dans une anglicane, p. 166. Et l’on recommença de parler dc Église d’État. La restauration des principes catho­ parution. Dans le second projet la rubrique sur la réserve liques dans la doctrine et dans le culte conduisait tout recevait dc nouvelles restrictions. La réserve perpé­ naturellement les anglo-catholiques à porter leurs regards vers la grande Église du continent. L’idée tuelle exigeait une autorisation spéciale dc l’évêque, qui ne serait donnée que s’il y avait vraiment néces­ d'une réunion possible avait déjà été chère ù Pusey sité. La réserve transitoire, pour la communion d’un (cf. col. 1384). Le concile du Vatican l’avait désillu­ sionné ct découragé. Cette idée fut reprise en 1891 par malade, serait permise, mais Pévêquc désignerait Lord Halifax, le président dc l’English Church Union, l’endroit où elle serait conservée : dans un réceptacle ou coffre-fort;il pourrait la faire reléguer à la sacristie, encouragé par un lazariste français, E. Portai. L’cncysi c’était nécessaire, pour éviter toute manifestation cliquc Apostolic# curas (1896) sur les ordinations an­ de culte; le ministre seul aurait la clef du coffre ct 11 glicanes émut Lord Halifax, sans toutefois lui faire il ne pourrait toucher ù la réserve que pour la com­ perdre tout espoir. Il sera l’âme de la propagande en munion des malades ou pour le renouvellement heb­ faveur dc la réunion au xx· siècle. Nous n’avons pas l’intention dc traiter ici de toute domadaire des espèces. Le nouveau compromis se réalisait aux dépens des la question dc l'union des Églises, mais uniquement de anglo-catholiques, sans satisfaire leurs adversaires. préciser l’attitude des anglo-catholiques ù cet égard. Pour connaître la doctrine catholique sur ce point on La discussion reprit dans la presso sur la réserve, ainsi que sur la question du jeûne eucharistique, qui, à la sc reportera aux lettres encycliques de Léon XIII, Ad Anglos, du 11 avril 1895, Satis cognitum, du Church Assembly, sera déclaré louable mais non obligatoire. Le 6 février 1928, le nouveau Prayer book 29 juin 1896, de Pie NI, Ubi arcano, du 23 dé­ reprit les pérégrinations qu’il avait faites l'année | cembre 1922, Mortalium animos, du G janvier 1928. Comme les tract.irions, les anglo-catholiques sont précédente : le 15 février une approbation de principe était donnée par les trois chambres de la Church opposés aux conversions individuelles; ils ne veulent Assembly; le 29 mars, par les deux Convocations, où envisager que la réunion dc leur Église ù l’Église la majorité fut moindre que l’année précédente. romaine, une corporale reunion. A la suite de Pusey, Enfin, le 1 1 juin, la Chambre des Communes le rejetait ils veulent une réconciliation avec Home qui ne serait malgré dc beaux plaidoyers en sa faveur par Lord pas une soumission humiliante, mais qui serait réalisée Cecil, par Churchill ct par le premier ministre Baldwin. par des négociations fondées sur des concessions La crainte du « désétablissement », la perspective dc mutuelles. voir les anglo-catholiques se détacher dc l’anglica­ La position anglicane sur cc point a été exposée ct nisme au profit de Borne, n'émurent point les députés. discutée dans la seconde conférence dc Malines A une majorité plus forte qu’en 1927 ils refusèrent (1 I mars 1923). Le mémorandum préparatoire, rédigé d’adopter le nouveau Prayer Book. par trois anglicans dc nuances diverses, supposant 1407 PUSÉYISME. L’ANGLO-CATHOLICISME, L’UNION l'accord réalisé sur les questions dogmatiques, indique à quelles conditions pourrait sc faire l’union. L’Eglise d’Angleterre, dont la difluslon dans le monde est considérable, puisque de vingt et un A l’époque de la Bétonne, le nombre de scs évêques était monté ù trots cent soixante-huit lors de la conférence de Lam­ beth en 1920, devrait avoir A cause de son importance une sorte d'autonomie. Dans la pratique, l’exercice de l’autorité du pape sur les évêques ct la province de la communion anglicane ne devrait pas se substituer A celle des archevêques cl des évêques, mais serait plutôt regardée comme une prééminence régulière reconnue au souverain pontife sur tous 1rs évêques, qui se manifesterait dans le recours à lui pour les questions sc rapportant ά l’Église universelle ». Le doyen de Wells reconnut dans la discussion que le pape ne pouvait pas renoncer A son droit de juridiction et déclara que la difficulté pratique serait écartée si, cn fait, l’intervention ne se produisait que dans les cas exceptionnels. Provisoirement la hiérarchie catholique romaine existant actuellement en Angleterre pourrait subsister, telle quelle existe, exempte de la juridiction de l’ar­ chevêque de Cantorbéry et rattachée directement au Saint-Siège, comme cela eut lieu autrefois pour l’abbaye de Westminster, pour d’autres couvents cl églises. Cela éviterait un certain nombre de difficultés pratiques. En cc qui concerne les relations de l’archevêque de Cantorbéry avec le Saint-Siège, elles pourraient, après régularisation des ordinations, être .symbolisées, sui­ vant un ancien précédent, par l’octroi du pallium, cn signe d’investiture qui donnerait à celui-ci pleine juri­ diction. Dans l’avenir, comme dans le passé, un nouvel évêque ou archestque serait, après élection et confir­ mation. cn pleine possession de sa juridiction, qui. durant la vacance du siège, serait exercée comme autrefois par le doyen cl le chapitre ou par le vicaire général. L’archevêque de Cantorbéry serait placé dans une situation analogue à celle des anciens pa­ triarches. La régularisation des ordinations pourrait sc faire, a-t-on remarqué dans la discussion, par l’im­ position des mains, tout au moins sous condition. L’imposition des mains serait faite par le pape ou par son légat pour l’archevêque de Cantorbéry, et ensuite par l’archevêque pour ses sullragants. L’Église d'Angleterre ainsi unie au Saint-Siège conserverait certaines pratiques disciplinaires parti­ culières : l'usage Art. cité, p. 655. La situation esl donc nette : on accepte sur tous les points la position doctrinale de l’Église de Borne. Cc qui met obstacle â la diffusion de ces idées, ce n’est pas tant le préjugé antipapiste du centre de l’anglocatholicisme. préjugé qu’il sera possible avec le temps de faire disparaître, que la tendance moderniste de l’aile gauche. 11 y a là un grave danger qu’il est ciiflicilc de conjurer. Le même phénomène se produit dans l’anglo-catholicisme, qui s’était déjà manifesté dans l’Église anglicane. La cause en est identique : le défaut d’autorité. Les évêques anglicans se sont montrés impuissants à maintenir l'unité doctrinale dans leur Église, par suite de leurs opinions personnelles contra­ dictoires. On ne voit pas comment les anglo-catho­ liqucs pourraient réagir contre cet Individualisme. Il y aura inévitablement un déchet considérable dans leurs rangs. l’nc autre cause de diminution de leur influence se trouve dans les conversions au catholicisme. On évalue de onze mille à douze mille le chiffre annuel de ces retours dans les vingt dernières années. Cf. G. Coolen, L'anglicanisme d'aujourd'hui, p. 188. Il est Incontes­ table (pie ces conversions viennent du groupe le plus avancé des :inglo-catholi<|ues, de ceux qu’on appelle proromalns. Leur chiffre élevé esl une preuve de l’importance de cc groupe. Cependant certains auteurs 1415 PUSÉYISME. L’ANGLO-CATIIOL., OIUENTATION ACTUELLE 1416 catholiques» généralement bien informés, croient pou- i elles sont la source de toute la doctrine chrétienne, mais elles ne sont pas par elles-mêmes une autorité qui voir restreindre â, cn sorte que les deux substances n’en font plus qu’une seule. Il s’agit donc d’une consubstantiation, non pas dans le sens luthérien d’une conjunctio reaHs réalisée par l’usage du sacrement, mais d’une consubstantiation objective produite par les paroles du Chi 1st. Toute idée de transsubstantiation fut d’abord reje­ tée. En parlant de l’eucharistie, Pusey avait un < souci scrupuleux d’éviter toute parole, proposition, explica­ tion qui supposerait ou impliquerait un changement de substance, conforme à la doctrine du concile de Trente, ou contraire â l’art. 28 ». Simpson, op. cit., p. 66. Beau­ coup d'anglo-catholiques s’en tiennent encore A cette position. Certains, cn revanche, ne reculent pas devant la doctrine catholique de la transsubstantiation. < L’his­ toire de l’Église montre que dès le début elle a tendu vers une seule direction : la répétition des paroles de Jésus A la cène sur les éléments du pain et du vin par un ministre de l’Église dûment qualifié produit en eux un changement par lequel ils cessent d’être du pain et du vin ordinaires pour devenir le corps et le sang de Jésus qui furent offerts pour le salut des hommes sur la croix... Ce changement n’affectc pas les qualités exté­ rieures..., mais transforme leur matière essentielle de pain cl de vin cn celle du corps et du sang de JésusChrist... Les éléments consacrés sont le moyen par lequel II communique sa vie divine aux hommes... Le développement de la doctrine catholique suit la signi­ fication naturelle des paroles de Jésus à la cène, qui, dans leur sens obvie..., impliquent l’identité des élé­ ments consacrés avec son corps et son sang... D’où il est nécessaire de supposer que dans les éléments eucha­ ristiques quelque changement a eu lieu qui rend pos­ 1120 sible cette identification. ■ Knox, op. cil., p. 63-65. Également au cours de la première conférence de .Malines, les anglicans déclarèrent admettre « le changement du pain et du vin en le corps et le sang du Christ par In consécration ». Lord Halifax, op. cil., p. 1 L L’article 28 ne les gêne plus; ils font eu effet remarquer (pie cet article a été rédigé avant < la session du concile de Trente qui définit la transsubstantiation, par consé­ quent on ne pourrait lui reprocher de condamner la doctrine officielle de l’Église romaine, mais seulement les abus de l’époque ». IL A. Winter, De l'anglicanisme à Home, dans Reu. apolog., t. xxxn, p. 1 13. Avec une plus nette affirmation de la présence réelle on reprit l’idée de sacrifice eucharistique rejetée par l’art. 21 : « L’offrande du Christ offerte une seule fois est la parfaite rédemption, la propitiation el la satis­ faction pour tous les péchés du monde entier, originel aussi bien qu’actuels; il n’y a en dehors de celle-là aucune satisfaction pour le péché. C'est pourquoi les sacrifices des messes où, disait-on communément, le prêtre offrait le Christ pour les vivants et pour les morts, n’étaient que fables impies et illusions dange­ reuses. » Fronde et Perceval avaient déjà interprété les mots τούτο ποιείτε de I Cor., xî, 23-26, dans le sens de sacrifice. Pour eux et pour beaucoup, l’eucharistie était « le sacrifice commémoratif pour les vivants et pour les morts pour la rémission des péchés. Lors du procès Bennett, en I860, le juge de la Cour des Arches, le Dr Phillimore, s’appuyant sur d’anciens maîtres éminents de l’Église d’Angleterre, était arrivé à la « conclusion certaine qu’il était légal pour un clergy« man de parler, dans un sens, du sacrifice offert par le « prêtre et du caractère sacrificiel de la sainte table. » Simpson, op. cil., p. 62. Dans la réponse qu’ils adressèrent â l’encyclique de Léon XIH sur les ordinations anglicanes, les arche­ vêques anglicans exposèrent leur doctrine sur ce point : « Nous enseignons en outre un véritable sacrifice de l’eucharistie et nous ne le regardons pas comme une « simple commémoraison » du sacrifice de la croix... Mais dans la liturgie dont nous usons à la célébration de la sainte eucharistie, élevant nos cœurs à Dieu et alors consacrant les dons qui ont été précédemment offerts et les consacrant pour qu'ils nous deviennent le corps et le sang de Notre-Scigneur Jésus-Christ, nous exprimons ainsi suffisamment le sacrifice qui s’accom­ plit à ce moment même. En effet, la mémoire perpé­ tuelle de la précieuse mort du Christ, qui est not re avo­ cat auprès du Père et qui est la propitiation pour nos péchés jusqu’à son avènement, est ce que nous célé­ brons conformément à son précepte. » Responsio..., p. 16. C’est sur ce texte que s’appuient les théologiens anglicans de Malines pour donner comme doctrine acceptée par eux (pie ■ le sacrifice de l’eucharistie csl le même sacrifice que celui de la croix, mais offert d'une manière mystique et sacramentelle ». Lord Halifax, op. rit., p. 296. e) Extrême-onction. — Les trente-neuf articles ne parlent de l'extrême-onction que pour la rejeter du nombre des sacrements. Le Prayer book a conservé un service pour la visit e des malades, mais sans cc sacre­ ment. Les ritual 1st es, dans A Prayer book revised, avalent introduit une formule de prières pour Ponction des malades. Dans les débats à In Chambre du clergé, en 1921, lors de la discussion de la revision du Prayer book, l’extrême-onction fut envisagée comme un moyen surnaturel de guérison et comme acte surna­ turel, ayant pour but de faire obtenir une grâce par l’accomplissement d’actes extérieurs et visibles. W. Knox la regarde comme un sacrement fondé sur l’ordre donné par Notrc-Sclgncur à ses disciples de guérir les malades, ordre qu'ils accomplissaient par 1421 P US E YIS M E. L’A N G L Ο -C Λ Γ H Ο L,, Ο KI E N T A TIΟ X A CT U E LL E l’onction de l’huile et l’imposition des mains, cérémo­ nies extérieures accompagnées de prières, et sur l’épllrc de saint Jacques, où l’on voit que l’onction des malades a pour elïet non seulement le rétablissement de la santé, mais aussi le pardon des péchés. L’objet du rite est donc de procurer un bienfait spirituel, le pardon des péchés et aussi le bienfait de la guérison du malade, si c'est la volonté de Dieu. Op. cil., p. 85-X6. I) Ordre. — L’Église anglicane n’a conservé que le diaconat, la prêtrise et l'épiscopat, considérés mainte­ nant comme un sacrement, < dont la forme extérieure est l'imposition des mains de l'évêque, héritier du plein pouvoir de conférer le don du Saint-Esprit, qui a d’abord été donne aux apôtres, imposition des mains accompagnée de prières qui, soit en vertu de leur te­ neur actuelle, soit en vertu des circonstances qui les accompagnent, entendent clairement octroyer cette grâce particulière [du sacerdoce) ·, Knox, op. cit., p. 103. L’origine du sacrement de l’ordre se trouve dans h choix par Noire-Seigneur des douze apôtres, qui reçu­ rent, le jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit pour l’ac­ complissement de leur tâche. Le Nouveau Testament indique de plus les commencements d’une transition dans rétablissement des presbytres, institués par la prière et l’imposition des mains des apôtres, pour le gouvernement, l’enseignement et le culte, et dans le choix des délégués d'apôtres destinés a les remplacer. Évêques el prêtres ont ainsi des pouvoirs d’origine divine, les premiers ayant un pouvoir supérieur â celui des seconds. Cf. Knox, op. cil., p. 91-103. g) Mariage. — Le mariage reprend lui aussi sa place parmi les rites sacramentels. \V. Knox reconnaît qu’il était convenable qu’un fait aussi important que le mariage fût l’objet de mesures de prévoyance de la pari de la religion chrétienne. La virginité est un idéal qui exige une vocation spéciale. Mais le mariage est la situation normale; rentrée en cet état est entouré des sanctions sacramentelles de l’Église. Il n’y a pas de forme définie pour la sanction et la bénédiction de l’Église. L’élément extérieur est constitué par la pré­ sence, devant le prêtre qui représente le corps des chrétiens, des deux conjoints, qui prennent solennellement les obligations du mariage chrétien et reçoivent la bé­ nédiction de l’Église. Le mariage ne peut être dissous; seule la séparation peut être autorisée en certains cas, mais sans remariage. Knox, op. cil., p. 86-91. V. Conclusion. — Le mouvement catholicisant dans l’Église anglicane a fait des progrès considérables, surtout au xx' siècle. Que les résultats obtenus soient • magni tiques cl de portée considérable, écrit M. Win­ ter, ancien pasteur anglican converti au catholicisme, on ne saurait le rder. Excepté le clan extrême du parti protestant anglican, qui d’ailleurs perd beaucoup de son importance, il n’y a pas de recoin où il n’ait fait sentir son influence bienfaisante. Les évêques ont été contraints de se considérer comme des chefs spirituels cl non pas simplement comme des fonctionnaires de l’État. Les cathédrales ont cessé d'être des · coquilles \ ides et sont devenues plus ou moins des centres de vie et île grâce. Les églises ont été ornées cl embellies. De nombreuses confréries pour l'organisation et le déve­ loppement de la vie spirituelle sont florissantes. Les missions et les retraites se succèdent sans interruption. Les communautés religieuses des deux sexes sont reconnues et même approuvées par les autorités. Des milliers de fidèles regardent l’usage du sacrement de pénitence comme une exigence normale de leur vie religieuse, plusieurs milliers reçoivent la sainte com­ munion chaque semaine, et même la communion quo­ tidienne devient de jour cn jour moins rare. A Londres seulement, cinquante églises ont la réserve sacramen­ telle et, dans beaucoup d’entre elles, il y a, une ou deux I 4 22 fois par semaine, des exercices publics d'adoration devant le saint sacrement en présence des fidèles assemblés; le cérémonial ordinaire de l’Église catho­ lique csl observé et reçu avec faveur. · A. Winter, De l'anglo-cutholicfome à Rome, dans Rev. apolog., t. xxxir, p. ! M. On est cependant frappé des graves divisions qui séparent le parti anglo-catholique cn divers groupes el l’on est amené à sc demander si ccs divisions ne met­ tront pas obstacle au succès. Les anglo-catholiques ne s’en effrayent pas outre mesure. Ils constatent qu’elles remontent aux premiers jours de l’ere tractaricnne et qu’elles n’ont pas empêché le revival d’imprégner la vie religieuse de l’Église anglicane. A ces divisions il y a différentes causes ; opposition entre la gravité pleine de dignité qui fut l’idéal de la classe moyenne sous le règne de Victoria cl la sponta­ néité naturelle, l’absence de toute contrainte artifi­ cielle, qui caractérisent la génération moderne; la jeune génération étouffe dans la liturgie anglicane offi­ cielle qui satisfait encore scs aînés. L’attitude envers l’anglicanisme officiel crée un grave problème, résolu différemment : jusqu’où peut-on aller dans les inno­ vations sans être déloyal envers l’Église établie? La controverse fut vive de 1910 à 1920. Elle a diminué depuis, sans cesser complètement. Les événements ont décidé cn faveur des audacieux. t ’nr autre difficulté vient de la situation des anglocatholiques cn face de l’Église anglicane et de la com­ munion romaine : ils doivent justifier leur double pré­ tention â la continuité avec l’anglicanisme et au catho­ licisme. La crainte d'être accusés de déloyauté ou de paraître rnmanisants les entrave dans leur exposé géné­ ral de la doctrine catholique.cn particulier dans l’adop­ tion du système sacramentel el dans la question de l'autorité ecclésiastique, les uns proclamant leur obéis­ sance à l’autorité papale, comme si elle les liait actuel­ lement, les autres recherchant un système d’autorité qui aurait Imite l'cfllcadtc du système romain. Il y n dans ccs controverses un signe de faiblesse que les anglicans reconnaissent. Ils voient qu’il y aurait avantage à prêcher tout l’Évangile et à reconnaître franchement que l’Église d’Angleterre dans sa situa­ tion présente, ne peut être un asile permanent pour l’enseignement de la religion catholique : ou elle sera tellement imprégnée de catholicisme que la réunion sera possible, ou elle rejettera tout élément catholique pour être une société purement protestante. La contro­ verse a été utile auprès de ceux qui étaient déjà favo­ rables ù un anglicanisme « orthodoxe et modérément sacramentel > et auprès des habitants des quartiers pauvres des grandes villes, retombés dans un complet paganisme, auxquels il a fallu enseigner l’Évangile dès le commencement. Elle n’eut pas de succès auprès de ceux dont toute la religion consistait en une vague admiration morale pour la personne de Noire-Seigneur. Elle fut impuissante à retenir ceux qu’elle poussait au catholicisme, Cf. Knox. op. cil., p. 272-277. < L’espoir de l’anglo-catholicismc est de surmonter ces petits détails de In controverse et de se dévouer Λ la prédication intégrale de la religion catholique. S’il veut apprendre Λ concentrer scs forces pour le salut des Ames, sans se préoccuper si ses méthodes sont loyales envers les traditions anglicanes ou si elles sont capables de produire un système exact d’autorité ecclésiastique, il n’y a pas do limites à ses espoirs de travailler à la gloire de Dieu et au salut des Ames, cn faisant abstrac­ tion de l’époque où. par la puissance du Saint-Esprit, l’Église catholique sera restaurée dans son unité : c’est par la prédication de In religion de Jésus-Christ dans sa plénitude que les anglo-catholiques pourront beau­ coup pour hâter la conversion de l'Angleterre cl la réunion de la chrétienté. · Knox, op. cil., p. 277-278. 1Î23 P USÉ Y IS ME Les catholiques romains — disons les catholiques (oui court — ne se doivent-ils pas dc suivre avec une fraternelle sympathie des efforts dont la sincérité ne semble pas contestable? Ne sc doivent-ils pas de con­ tribuer, au moins par la prière, à la réussite d’une en­ treprise si conforme au vœu exprimé par Notre-Sclgneur, dans la · prière sacerdotale » : Ut sint unum, Pater, sicut cl nos (Joa., xvn» 11)? 1424 tions at Malines ( 1921-1923 ), Londres, 1930; Lambeth Confercncx encyclical Idlers, resolutions and reports, Londres, 1908, 1920, 1930; Lord Davidson. Tic six Lambeth Confe­ rences, IS67-1920, Londres, 1930; P. E. Shaw. Tie early Ira tarions and tlw eastern Church, Milwaukee, 1930; IL J. Palmer, The destiny of the anglican Churches, Londres; Hel­ ler, Im Ringcn umdie Kirchen, Munich. 1931 ; Sparrow Simp­ son, The anglo-catholic revival from 1315, Londres, 1932; C. P. S. Clarke. The Oxford movement and after, Londres, 1932; J. Bivort de la Saudéc, Après un siècle du mouvement d9Oxford (1333-19331, dans Éludes, 20 sept. 1933; W. Perry’. Pour l'histoire des débuts du mouvement trnctnricn ct la The Oxford movement in Scotland, Cambridge, 1933; J. L. biographie des principaux personnages, voir article Oxford, May, The Oxford movement, ils history and its future : a (Mouvement d* ). layman's estimate, Londres, 1933; D. Morse-Baycott. The On trouvera de nombreux articles dans les revues, soit secret story of the Oxford movement, Londres, 1933. françaises : Documentation catholique, Revue apologétique, II. Questions doctrinales. — Andcrdon. Contending Études, Échos d*Orient, Le Correspondant, L'Union des Égli­ for the fail!», 1850; F. G. I-ce. Order out of chaos, Londres, ses: soit mdlises: The. Christian East, The Church quar­ 1881 ; Ch. Gore, The Church and the ministry, Londres, 1889; terly Review, The Church Times, Dublin Review, The green le même, Roman catholic claims, 1894; le même, The creed quarterly Review, The Month. The official year Rook <>/ the of the Christian, 1895; le même, The new theology and the old Church of England, The Tablet, The Universe... religion, 1908; le même, The religion of the Church, 1916; I. Histoire du mouvement. — .1. Stephen, Essays in E. Dimnet, La pensée catholique dans l'Angleterre contem­ ecclesiastical biography, 1850; W. Fraser, The constitutional poraine, Paris, 1906; Harwell Stone, Holy baptism, 1899; le nature of the Convocation of the Church of England, 1852; même, Outlines of Christian dogma, 1900 ; le même. The Church, W. Ward. IV. G. Ward and the Oxford movement, Londres, ils ministry and authority, 1902; le même, A history of the 1860; Fr. Oakley, Hist, notes on the tractarian movement, doctrine of the Holy Eucharist, 1899; le même, The reserved Londres, 1865; Mellor, Ritualism, 1867; J. T. Coleridge, sacrament, 1917; le même. The eucharist sacrifice, 1920; A memoir of J. Keble, Londres, 1868; Tulloch. Movements of Sparrow Simpson, Papal infallibility. Londres, 1908; W. IL religious thought in Britain, Londres, 1869; Reflections on the Mallock, Doctrine and doctrinal description being an exami­ P. IV. R. A.and ritualism, by a Looker-on, 1875; Mac Cnrthy, nation of (he intellectual position of the Church of England, Λ history of our own times, Londres, 1879; P. Galloway, Londres, 1909; P. C. Ingroville, Our sacrifice of praise and Twelve lectures on ritualism, Londres. 1879; P. Martin, Anthanksgiving, Londres, 1909; T. A. Lacey, Catholicity, gtican ritual, Londres, 1881; F. Mo/Jcy, Reminiscences Londres, 1914; Bishop of Chelmsford, Reservation, 1917; chiefly of Oriel college and the Oxford movement, 2 sol., F. Datin, Le désarroi doctrinal chez les anglicans el le tas du Londres, 1882; J. Morris, S. J„ Catholic England in modern docteur Henson, (tins Études, 20 mars 1918; le même. L'antimes, Ixmdrrs, 1892; 1Γ. Brown, S. J., The Oxford movement, glicanismc et les problèmes du temps présent, ibid., .5 et dans Catholic truth Society, nov. 1892; Bay Held Kober ts. 20 mal 1921; z\. d’Alês, Anglicanisme cl protestantisme, History of E. C. U. ( 1339-1394 ), Londres, 1895; dc Madaune, ibid., 5 août 1922; C. C. J. Webb. .4 century of argllcan theo­ Hi doirtdc la renaissance catholique en Angleterre, Paris, 1896 ; logy and other lectures, Oxford, 192.3; G. C. Rawlinson» An Bagey, La crise religieuse en Angleterre, Paris, 1896; .1. IL anglo-catholic's thoughts on religion, Londres, 1921; E. J. Overton. The anglican revival, Londres» 1897; Wakeman. Bicknell. .4 tlcological introduction to the 39 articles of the History of the English Church, Londres, 1897; P. Llddon, Life of Pusey, 4 vol., Londres, 1893-1897; Walsh. The ( Church of England, 2' éd.. Londres, 1925; T. A. Lacey» Es­ says in fwsilivc theology: le même. The one body and tl e one secret history of the Oxford movement, 5* éd.. Londres, 1899; spirit, a study of the unity of the Church, Londres. 1925; le Nyc, Story of the Oxford movement, Londres, 1899; II. Link­ même. The anglo-catholic faith, Londres, 1926; P. BalilTol. later. True limits of ritual in the Church, Londres, 1899; Catholicisme el papauté. Les difficultés anglicanes cl russes, J. Guibert, la réveil du catholicisme en Angleterre, Paris, Paris, 1925; Essays catholic and critical, by members of the 1907; Buddcnsieg. art. Pusey ct Traktorianismus, dins anglican communion, Londres, 1926; Bate, Faith and order, Hauck, Rralcncyklopadie fur prol. Theol, und Kirche, 3· rd., Lausanne, 1927; Report of the anglo-catholic congress : The t. xvi et XX. Leipzig; G. F. Bridges, The Orford reformers and Holy Eucharist, Londres. 1927; J. W.C. Wand. Tie develop­ English Church principles. Their rise, trial and triumph, ment of sacramcntalism, Londres, 1928; Vernon Johnson, Ixmdrcs, 1908; N. Smyth, Passing protcstanlism and coming One Lord, one faith, an explanation, Londres, 1929; Report of Catholicism, Londres, 1908; Canon Moyes, Aspect of anglithe anglo-catholic congress: The Church, Milwaukee. 1930; oanism, or tome comments on certain events of the nineties, Z. N. Brooke, The English Church and the Papacy, Cam­ Londres, 1909; llagcy, L'anglicanisme; Lr ritualisme, Paris. bridge. 1931 ; C. IL Turner, Catholic and apostolic, Londres, 1911; J. B. IL Masterman, The Church of England, 1912; 1931; Oxford movement centenary tracts. The Church of En­ Viscount Halifax, Leo XI11 ami anglican orders, Londres, gland and the Holy See, 1933, sq.; C. Webb, .4 study of reli­ 1912; Bishop Gore, Rasis of anglican Fellowship, 191 I; lc gious thought in England from 1360, Oxford. 1933; E. H. même, Crith in Church und nation, 1915; Spencer Jones. Dunklcy, The Church of England and Catholicism, Londres. England and the Holy See, 1911; P. Bull, Revival of the reli­ 1933; H. E. Symonds, The council of Trent and anglican gious life, 1917; P. Tnureau-Danjzin, Iai renaissance catho­ formularies, Oxford, 1933; F. L. Cross, The traclarlans and lique en Angleterre au XIX· siècle,!· cd.» 3 vol., Paris, 1923; roman Catholicism. Londres. 1933; \V. IL Mackcan, The F. Weston, In defence o/ th· English Catholic, 1923; Report euc/viristii doctrine and the Oxford movement, Londres 1933; of the anglo-catholic congress, Londres, 1923; L Wadoux, B. IL Malden, The roman catholic Church and the Church of Noirs sur TÉgllse anglicane et sa crise actuelle, dans Docu­ England. Oxford, 1933; J. Keating, Ia" centenaire du mouve­ mentation ctith., t Xit, XIII, xiv; Storr, Crisis in the Church, ment d'Oxford et les angln-catholiqucs, d ins Documentation 1925; Bishop («ore. The anglo-catholic movement to-day, catholique, 4 juillet 1933. Ixmdres» 1925; Sh. Kaye-Smith, Anglmcalholicism, Londres, 1925; S. L. Olla rd, The anglo-catholic revival, Londres, 1925; HL Controverse sur l'union des Imh.ises. — .Jones C. B. Moss, Anglo-cut hoiicism at the cross roads, Londres, Spencer, England and the Holy Srr, Londres, 1902; William 1925; J.-L. de lai Vcrdonie, Difficultés anglicanes, d ins Rev. Peoples, Roman claimx in the tight of history, Londres, 1901; apologétique, P» nov. 1926; le même. Influence du motiveB. H. Streeter, Restatement and reunion : a study in first mrnt tTOxford sur les conversions au catholicisme en Angle­ principles, Londres, 1914; T. A. Lncey, Unity and schism, terre, ibid., févr. 1931; W. IL Carnegie, Anglicanism, an Londres, 1917; Leslie J. Walker. S. !.. The problem of reu­ introduction |o ils history and philosophy, Londres, 1926; nion, Londres, 1920; le mémo, Oar separated brothers, 1 An­ dres. 1921; IL Kelly, Principlrx of reunion, Londres, 1920; \ C. Hendltm. The Church of England, 1926; Mgr Mercier A. C. Ilcadlam. Tie doctrine of the Church and Christian reu­ les conversations dr Malines, 1926; J. E. G. Weldon, The. nion, Ixmdres, 1920; J. A Doti I hr relati <>/ (hr English Church, a retrospect and a forecast, Londres, 1926; anglican Chard cs with the Orthodox, 1921 ; T. A. Ijiccv. The J. Couturier, Ix · Rook of common prayer · et 1* Église angli­ universal Church. .4 study in the Lambeth call to reunion, cane, Paris, 1928; F. A. Ircmonger, Men and movements in Londres, 1021 ; Brent and Gore. The return of Christendom, the Church, 1828; W. L. Holland, Tekel, or the two Prayer Londres, 1022; Lord Halifax,.*! rail Io r-union, Londres, books weighed in the balance of reason and revelation, Londres. 1922; le même, Furtner considerations on behalf of reunion, 1928; W. L Knox. The catholic movement in the Church >f 1923; le même. Catholic reunion, 1926; le même, Krunion England, 2* éd.. l-ondrrs, 1930; Lord Halifax, The co/umtmi- 1425 PUSEYISME — PUY (ARCHANGE DU) and the roman priuacy, 2· éd., 1933; F. Woodlock. Constan· thiople, Canterbury and Rome, New-York. 1923; le ml nie, The Church o/ Enqlund and reunion; S. II. Scott. Anglo-ealhnllclsrn and reunion, Londres. 1923; W, Loss rie, Problems of the Church unity, Londres. 1921; Ch. Journet, /'union des Églises, Purl·, 1927; K. D. Mackenzie, The confusion of the Churches, un echo of the World call, Londres, 1927 ; le mime, The confusion of the Churches. 4 survey o/ lie problem of reunion, Londres, 1932; C. IL Most, Thr old catholic Chur· ehes and reunion, Londres, 1927; G. Coolen, Le problème dc l'union des Églises et l'anglicanisme, dans Rev. apolog., murs 1928; .L Marchant, The reunion 0/ Christendom. A survey of lhe present p.jxitlon, Londres. 1929; C». K. A. Bell. Docu­ ments on the Christian unity. 3 vol., Oxford, 1920,1921, 1930; Jones Spencer, Catholic reunion, Oxford, 1930; IL Scott. The anglican Church and the centre of unity, Humford Press, 1930; A. (L Ilcadhiin, Christian unity, Londres, 1930; •I. de Bivort de la Saudée, / e problème de l'union anglo· romaine, dons f-c Correspondant, 23 mal 1930; T. Witton, The necessity for catholic reunion. Londres, 1933. L. Marchal. 1426 nom de Claude contre celui d’Archangc. Il fut suivi à bref délai dans l’ordre par son jeune ct unique frère, François, qui y conserva son nom. Tous les deux quit­ tèrent Paris el firent leurs études dans la province de Toulouse, sous la direction du P. François de SaintEtienne. En 1597, le P. Archange reçut scs Ici très de pré­ dicateur ct donna scs premières stations a la demande dc Joyeuse, gouverneur du Languedoc, en l’église métropolitaine de Toulouse pendant l avent 1597 el le carême 1598. Le P. Archange fut le confident intime du duc dc Joyeuse et prit une part active à son entrée au couvent. Faisant preuve dans scs sermons d’une rare éloquence, le P. Archange acquit bientôt une grande renommée comme prédicateur. Les prédica­ tions de Pavent 1598 et du carême de 1599, tenues a Paris à la paroisse royale de Saint-Gcrmaln-l'Auxerrois, sur l’ordre dc Jérôme de Sorbo, général dc l’ordre, alors en visite canonique à Paris, sont restées célèbres â cause des événements inattendus qui les ont suivies. PUTEUS AloTse, frère mineur de Γobservance Le 11 mars 1599, en présence du roi Henri IV, il prit du xvr siècle, frère d’Archangc de Borgonovo, auquel â partie le fameux livre que Duplessis-Mornay avait est consacrée ici une courte notice, t. n,col. 1758. Né à Borgonovo, au diocèse de Plaisance, en 1507, il entra édité contre la messe, le réfuta, le décria el exhorta le roi à le faire brûler. Le P. Archange eut gain de cause, de bonne heure chez les franciscains de la régulière observance, chez lesquels il exerça les charges de com­ car au sortir du sermon le roi donna ordre dc défendre livre cl d’en suspendre la vente, ct le 6 avril sui­ missaire général et dc ministre général (1565-1571). cc vant les exemplaires restés chez les éditeurs furent Théologien célèbre, il attira les regards de Pic IV. qui brûlés. l’envoya au concile de Trente comme théologien. D’a­ Mais il réussit moins bien dans un autre événement, près L. Wadding, Annales, t. xxi, an. 1580, n. 82, ct où il opposa les lois de l’Église aux libertés gallicanes, J.-1L Sbaralea, Supplementum, t. i, p. 31, Aloise Pu­ (pie le Parlement protégeait avec un soin exagéré. teus ou Pozzo, aurait tenu un discours devant les L'occasion en était la fameuse Marthe Brossier, qui Pères du concile le 22 février ct le 26 avril 1562. Il prit était dite possédée du démon ct pour l’examen de une part active à différent es sessionsen 1562 et en 1563. laquelle l’évèquc de Paris avait institué une commis­ Ainsi il ligure sur la liste des théologiensdc la xvurscs- , sion de théologiens ct dc médecins ù l’abbaye dc Saintesion du 26 février 1562 (cl. St. Elises, Concilium Triden- Geneviève. Le Parlement y mil fin en mettant la soilinum, t. vni, p. 367). Comme parmi les généraux des disant possédée en prison. C’cst alors que les capucins ordres religieux, présents à cette section, sc trouve entrèrent dans la lutte. Elle fut ouverte par le P. Ar­ François Zamora, pour les observants, il en résulte change, qui le 8 avril 1599 proclama du haut de la qu Aloise n’était pas encore général à cette époque, chaire que le Parlement outrepassait scs attributions comme le soutient à tort J.-IL Sbaralea. Le 17 juin en se mêlant d’une affaire relevant exclusivement dc 1562, dans la réunion des théologiens dc la xx* session, la juridiction ecclésiastique. Le 28 avril suivant il fut il exposa son opinion au sujet des articles dc usu sacra­ écroué avec le P. Alphonse, qui, alléguant la défense menti eucharistie. Cf. Ehses, op. cit., t. vm, p. 564- | ecclesiastique faite aux religieux de comparaître de­ 565. Il est encore nommé parmi les théologiens de la 1 vant un tribunal séculier, avait refusé de livrer le première classe qui prirent part ù la xxir et xxin· ses- i P. Archange aux mains dc la justice. Après de longs sion. Ibid., p.«981, ct t. ix, p. 6 et 381. Le 15 février I pourparlers ct de sévères admonestations les deux 1563 il développa scs idées sur les articles concernant Pères furent rendus À la liberté. le mariage, soumis à l’examen des théologiens de la Le P. Archange rentra dans son couvent dc Toulouse xxiir session. Elises, op, cit., t. ix. p. 106. Il fut un où, la même année, i) fut nommé gardien et déflnileur admirateur et un disciple de Duns Scot, dont il provincial, ainsi qu’en l’année 160L Au chapitre pro­ défendit les doctrines par la parole ct par la plume. vincial de 1603, saint Laurent dc Brindes, alors mi­ D’après Wadding cl Sbaralea, il aurait composé des nistre général, enleva la voix active et passive à tous Commentaria in Scoti scripta. Il mourut â Bologne , les membres de la définition sortante et leur donna la en 1580. permission de passer à une autre province. Le P Ar­ change ct son frère, le P. François, quittèrent Tou­ L. Wadding, Annules minorun, t. xm, Qunrncchl* 1931, louse ct s’incorporèrent ù la province de Lyon. Après un. 1580. n. 82, p. 281; J .-II. Sbandca, Supplementum ad la visite de la province de Toulouse, faite par le P. Bo­ scriptores ordinis minorum, 1.1. Home, 190% p.31; IL Holz­ naventure de Catanzaro, qui y avait été envoyé en qua­ apfel, llandbuch der Geschichlt des l'runziskanrrordens, lité de commissaire général par le chapitre générrl de Fribourg-cn-B.. 1909. p. 3Ο9-31Ο 1605,1c P. Archange fut rappelé â Toulouse, mais ne A. Tl. ETAT HT. donna aucune suite â ce rappel. Pour le faire rentrer les PUY (Archango du), frère mineur capucin, fils aîné dc Jacques du Buy. seigneur de Saint-Gaimier, capitulaires l’élurent provincial dc Toulouse en 1606. Il y retourna ct exerça dans la suite les charges impor­ dans le Lyonnais (aclucllcm. dép. dc la Loire), ct de Catherine de Villars, dont le frère Nicolas était évêque tantes I de gardien, de déflniteur ct dc provincial, jusqu’il d’Agen el dont étaient parents les quatre Villars, qui ù i cc < qu’en 1617 H fut de nouveau banni Λ Lyon parle gé­ cette époque, se succédèrent sans interruption sur le i néral Paul dc Césène. Celui-ci, pris dc remords, s’cllorça. siège archiépiscopal de Vienne. C'est donc par une âi son arrivée ù Lyon, dc réparer sa faute en provo­ regrettable confusion que Bernard de Bologne, dans la quant < l’élection du P. Archange au provinciahit. En llibtiothcca scriptorum capuccinorum, le dit originaire 1 1622, le P. Archange fut élu provincial ù Toulouse .