Imprimatur : Parisiis, dic 14° martii 1946. Λ. Lkclehc, v. g. DICTIONNAIRE DE THEOLOGIE CATHOLIQUE CONTENANT I,‘EXPOSÉ DES DOCTRINES DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE LEURS PREUVES ET LEUR HISTOIRE COMMENCÉ SOUS LA DIRECTION DR E. MANGENOT A. VACANT PROFESSEUR A L* INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY CONTINUÉ SOUS CELLE DR Mgr É. AMANN PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE CATHOLIQUE DE L*UNIVKHSrrÉ DR STRASBOURG AVEC LE CONCOURS D'UN GRAND NOMBRE DE COLLABORATEURS TOME QUINZIÈME γπεμιΑηβ partie TABARAUD - TRINCARELLA PARIS-VI LIBRAIRIE LETOUZEY ET 87, Boulevard Raspail, 87 1946 TOUS DROITS RÉSERVÉS ANÊ DICTIONNAIRE DE THÉOLOGIE CATHOLIQUE ------------------- £>» «O ■€> C------------------- prêtre de l’Oratoire (1744-1832). — Né à Limoges le 17 avril 1744; il fit scs études nu collège des jésuites de sa ville natale et entra dans la communauté de Saint-Sulpice; les supérieurs ne goûtèrent pas sans doute sa tournure d'esprit et il fut remercié; peut-être en garda-t-il quel­ que rancune et une certaine manière de juger les per­ sonnes et les choses relativement au clergé. Il fut reçu dans la congrégation de l’Oratoire à vingt-deux ans; son cours de théologie achevé, il professa les huma­ nités à Nantes, la théologie, le grec, l'hébreu A Arles; A Lyon, il travailla avec son confrère Valla A la com­ position d’un cours de théologie connu sous le nom de Théologie de Lyon; il eut surtout beaucoup de part A la seconde édition, publiée en 1780 sous les auspices de M. de Montazet, fortement attaché nu jansénisme, et contribua sans doute aussi au cours de philosophie du même auteur. Il se trouvait A Lyon en même temps que M. Émcry, professeur de théologie au séminaire Saint-Irénéc, et plusieurs fols ils curent à discuter en­ semble sur des questions rendues délicates par la pré­ sence d'un évêque appelant. En 1783, il devint supérieur de Pézenas; il était A La Rochelle en 1786, lorsque Louis XVI rendit l'état civil aux protestants : il écrivit, pour l'approuver, une première Lettre d’un théologien aux curés de La Rochelle. L'évêque. M. de Crussol. protesta le 26 février 1788dans un mandement qui fut supprimé le 3 avril par arrêt de la Cour; Tabaraud de son côté répliqua par une Se­ conde lettre d'un théologien aux curés de La Rochelle, xi34 p. Quand la Révolution éclata, il était supérieur de la maison de Limoges qu'il rebâtissait après un incendie. Il sc montra d'abord favorable aux réformes qu’il croyait utiles A l'État et A l'Êglise; A la demande de Neckcr, il indiqua celles dont le clergé avait besoin et publia : Motifs de fustes plaintes du clergé du second ordre, Limoges, 1788, ln-8°. Mais, la Révolution ayant dépassé très vite les limites dans lesquelles il désirait la voir rester, il écrivit en faveur de la monarchie, contre la Constitution civile du clergé, la persécution des prêtres : 1. Lettre du P. T. de l’Oratoire au P. R. de la même congrégation, Limoges, 27 Juillet 1790. En­ suite, il publia en faveur et au nom de plusieurs ci­ toyens paisibles de Limoges: 2. Prospectus et mémoire pour la Société des amis de la paix, Limoges, 1791, inTABARAUD Mathieu-Mathurln, DICT. DE THÉOL. CATHOU 8e; Exposition de la conduite et des principes des amis de la paix, Limoges, 1791; Adresse des habitants de la paroisse Saint-Michel au directoire de la Hauie-Vienne, Limoges, 1791, in-8e; Pétition aux administrateurs du directoire de la Haute-Vienne; Pétition des habitants de Saint-Junien au directoire de la Haute-Vienne, 1791, ln-8°; Adresse des habitants de la paroisse Saint-Michel· des-Lions; Adresse de la paroisse Saint-Pierre-desQueyrois de Limoges, 1791, ln-8®. Ces brochures, très rares, sont dirigées contre les jacobins ou les prêtres constitutionnels; c’est en partie grâce à leur auteur que l’ordre se maintint dans Limoges, tandis que d'au­ tres villes tombèrent dans l’anarchie. 3. Il adressa à l'évêque constitutionnel Guy de Vernon, deux Lettres, l'une du 14 avril 1791, l’autre du 14 mai 1791, et des Observations sur le mandement de l'intrus, 1792. Le véritable évêque, Mgr d’Argcntré, lui écrivit à propos de ces brochures : « J'ai lu tous les ouvrages que vous avez publiés pour la bonne cause : ils font autant d’honneur A vos talents qu'à la solidité de vos princi­ pes et A votre zèle pour tout ce qui pourrait intéresser la religion. > Dénoncé au club jacobin de Paris par celui de Limoges, il fut contraint de fuir à Lyon d’abord, puis A Paris. Le P. Moissct, supérieur général, était mort le 7 décembre 1790 et n'avait pu être rem­ placé; Tabaraud fut très probablement un des soixante oratoriens qui signèrent, le 10 mai 1792, une adresse au pape Pic VI, dans laquelle ils protestaient contre le sacre des premiers évêques constitutionnels et, «levant les yeux vers le centre de l'unité catholique comme vers le port assuré du salut, désiraient ren­ voyer leur dernier souille de vie au principe de qui l’Oratoirc l’avait reçu >; il l’a reproduite dans son his­ toire du cardinal de Bcrulle. 11 publia en 1792 un de ses ouvrages les plus importants : Traité historique et critique sur l’élection des évêques, Paris, 2 vol. in-12 : l'élection appartient au clergé, le peuple ne doit que manifester scs vœux. Allligé et effrayé de la journée du 20 juin 1792, il sc retira A Rouen, d'où, après les massacres de septem­ bre, il s'exila A Londres : pendant les dix ans qu’il y resta, sa plume lui fournit des moyens d'existence. Il rédigea la partie politique du Times, donna des arti­ cles A V Oracle. A VAnti-Jacobin Review. Il traduisit de l’anglais les Réflexions soumises à la considération des T. — XV. — 1. 3 TA B ARAUD ( M A T H i E U- M A T H U R ! N) puissances combinées, de John Bowles avec une préface et des notes, 1799, ln-8°. Il commença une Histoire du philosophisme anglais qui ne fut publiée que plus tard. Barbier dit, dans le Dictionnaire des anonymes, qu’il rédigea, avec son confrère le P. Manday, la lettre écrite en 1798 au pape Pie VI par plusieurs évêques de France pour le consoler dans scs tribulations; cette lettre, ainsi que la réponse du pape datée de Florence, 19 novembre, ont été publiées par l’abbé du Hamel, Londres, 1799, in-8°, 28 p. Λ cette même préoccupa­ tion répondent : Réfutation des calomnies répandues contre le clergé français réfugié en Angleterre; Lettre contre le serment civique; Première lettre à un évêque non démissionnaire. Il quitta l’Angleterre après le con­ cordat de 1801 et fut bien accueilli par Bernier qui voulut le mettre sur la liste des évêchés; mais il refusa et reprit sa vie d’étude, passant six mois dans sa fa­ mille à Limoges et six mois à Paris; son histoire se confond presque avec la liste de ses écrits. Il publie : De l'importance d'une religion de l'État, Paris, 1803, ln-8°, 70 p.; 2* éd. fort augmentée, Paris, 1814, in-8®, 108 p. Il y établit < qu’une constitution politique ne peut être bien organisée sans une religion d'Etat >. Seule, cclle-ci a droit d’être salariée par le gouverne­ ment; < que toutes les autres soient contenues de manière à ne pas rivaliser avec elle. » — Principes sur la distinction du contrat et du sacrement de mariage, Limoges, 1803, in-8°, 59 p.; 2· éd., Paris, 1816, deve­ nue un gros volume in-8°. Cette édition anonyme entièrement refondue est augmentée de l'examen des mariages contractés pendant la Révolution et de celui de deux projets de loi, l'un sur l'ordre à observer dans la célébration du contrat et dans l'administration du sacrement, l'autre sur la tenue des registres de l’état civil. L'auteur reconnaît que les époux sont tenus de recevoir la bénédiction nuptiale, à laquelle sont atta­ chées des grâces spirituelles propres Λ leur état; que les conjoints qui refuseraient de se présenter à l'église pour cela compromettraient gravement leur salut et que le prêtre devrait leur refuser l'absolution; mais il reproduit» ce qu’il avait déjà affirmé dans ses lettres sur l'édit de 1787 et dans une discussion en face de M. Émery au séminaire de Lyon (Gosselin, Vie de Λί. Émery, t. 1, p. 117), que le pouvoir d'établir des empêchements dirimants et d’en dispenser appartient de droit à la puissance temporelle et que la puissance spirituelle ne l’exerce que d'une façon précaire et en vertu de la permission des princes et sous leur protec­ tion. Son jugement sur l’Egllse est bien digne d'un janséniste : la portion de scs membres qui peut donner dans les erreurs contre la fol ne se réduit pas à quel­ ques personnes Isolées, c'est quelquefois le très grand nombre des pasteurs qui se trompe sur la grâce effi­ cace, sur la nécessité de l’amour de Dieu : l'histoire de la bulle Unigenitus en est la preuve. Il regarde comme une marque de ces ténèbres la croyance commune sur la conception et l'assomption de la sainte Vierge. On ne trouve les vrais principes sur le mariage que dans le Code civil : l'Égllse avait laissé s’altérer la bonne doc­ trine, Bonaparte l'a ressuscitée. Le concile de Trente est infaillible quand il statue sur la présence réelle, non sur le mariage, parce que cela intéresse les princes; il faudrait, pour rendre scs décrets valides sur ccttc question, un accord unanime de tous les Pères.L'Égllsc doit céder en cela à la jurisprudence; qu'on fasse le mariage devant l'ofllcler civil, sauf à attendre pour recevoir le sacrement. Voir l’analyse dans l'Amf de la religion, t. vm, p. 305, 344, 401. M. Boyer, de SalntSulpice, le critiqua vivement dans Examen du pouvoir législatif de l'Égllse sur le mariage, 1817, ln-8®. Les bons rapports qui avalent existé d'abord entre Tabariud et Mgr du Bourg, successeur légitime de Mgr d'Argentré à Limoges, s'étalent altérés peu à peu, 4 parce que, en 1809, l'évêque avait obligé tous les ecclésiastiques du diocèse à porter la soutane, et tous les sacristains à refuser les ornements pour dire la messe aux prêtres qui n'en seraient pas revêtus. Tabaraud avait démontré dans sa brochure, Des interdits arbi­ traires de célébrer la messe, 1809, ln-8·, 40 p., le vice de cette ordonnance. Mgr Du Bourg la condamna ainsi que les Principes..., 18 février 1818. L'inculpé répon­ dit par : 1. Lettre à Af. Du Bourg sur son décret du 18 février; 2. Réponse aux observations sur le décret de l'évêque de Limoges; 3. Du droit de la puissance tem­ porelle sur le mariage ou réfutation du décret de Ai. l'évê­ que de Limoges, Paris, octobre 1818, ln-8·; il y répète avec une certaine aigreur ce qu'il avait écrit précé­ demment dans les Principes. Les amis de l’évêque, en tête desquels il faut probablement voir M. Berthe­ lot, supérieur des sulplciens de Limoges, dépêchèrent quelqu'un à Toulouse pour imprimer : Observations sur le décret de M. l'évêque de Limoges et sur ta lettre de Al. Tabaraud au sufet de ce décret, avec ccttc épigra­ phe : Si quis aliter docet... superbus est nihil sciens, Toulouse, 1818. Nouvelle Lettre de Al. Boyer pour re­ procher à Tabaraud d’en appeler toujours à la souve­ raineté du peuple, pour 1'accuser d'injures grossières à son égard, etc. Voir l'Ami de la religion, 1819, n. 506, t. xx, p. 161-169. Tabaraud riposte par une Lettre à Al. Boyer, professeur de théologie au grand séminaire de Paris, Paris, 1819, in-8°, 20 p. Celui-ci compose une nouvelle réponse dans laquelle il se contente de répé­ ter avec assez de vivacité les arguments de la pre­ mière. Voir Ami de la religion, ibid., p. 314-320. Nou­ velle brochure : Examen du pouvoir législatif et de Γ Église sur le mariage. Tabaraud donne encore, tout à fait ab irato, une réplique aux Observations, in-8°, 45 p., où le pape est blâmé d’avoir confirmé par un bref du 9 mai la censure de l'évêque de Limoges. Il rappelle et maintient ce qu’il a écrit : Du droit de la puissance temporelle dans l'Église ou Réfutation du décret de Ai. l'évêque de Limoges, in-8°. Voir sur cette controverse Ami de la religion, t. xx, n. 506-515 et Lamennais, Réflexions sur l'état de l Église en France, 1819, p. 273-299. Enfin il donne des Principes..., Paris, 1825, in-8®, 506 p., une 3· édition fort aug­ mentée encore, dans laquelle il ne tient aucun compte de la censure épiscopale qui avait été portée contre l’ouvrage. Outre ces brochures et ces ouvrages de polémique on lui doit aussi : De la philosophie de la Henriade, 1805, in-8°; 2· éd. augmentée d'une préface curieuse, 1824, dans laquelle il critique finement l'Univcrsllé d’avoir rendu classique, sous le ministère de l'évêque Frayssinous, cette œuvre de Voltaire, œuvre où domine l'indifférence religieuse, où la religion est confondue avec le fanatisme, où il y a tant de vers malicieux contre les catholiques. Voir Ami de la religion, 1824, t. xu, p. 273; Dubédat, Tabaraud, p. 81. — Histoire critique du philosophisme anglais depuis son origine jusqu'à son introduction en France inclusivement, Paris, 1806, 2 vol. ln-8®. Cet ouvrage, qu’il avait pré­ paré en Angleterre et qui ne fut publié en France que sous l’Emplrc, peut être considéré comme son chefd'œuvre. Il devait être suivi de ['Histoire du philoso­ phisme français dont il était comme l’introduction et qui ne fut point composé. Voir La Gazette de France et le Journal de ΓEmpire de l'année; les Alélanges de phi­ losophie, 1.1, p. 433, 463. L'auteur de ce dernier article dit que Tabaraud a introduit en français l’expression libre penseur. — De la réunion des communions chré­ tiennes, Paris, 1808, ln-8®, 542 p. C'est l’histoire des négociations, conférences, correspondances qui ont eu lieu, des projets qui ont été formés à ce sujet depuis la naissance du protestantisme jusqu’au temps de l’auteur. Le récit est entremêlé de discussions qui 5 TA B ARAUD ( M AT H I E U- M AT 11 U B I N) prouvent la science et le talent de cclul-d, et dont le ton est plus modéré que dans scs autres écrits; 2· éd. augmentée, 1824. Voir les Mélanges de philosophie, t. v, p. 414-435 et Ami de la religion, 1825, t. xuv, p. 145. — 11 donne en 1820 une 2· éd. Des interdits arbitraires de dire la messe, avec VAppel comme d'abus, Questions sur l'habit clérical, Du célibat des prê­ tres. Il rêve d'une réunion de l'Égllse catholique avec les protestants : les deux confessions « feront régner entre elles une parfaite harmonie dans leurs rapports extérieurs ». — Lettre à M. de Dausset pour servir de supplément à son histoire de Fénelon, Paris, 1809, in-8·, 180 p. ; Seconde lettre à M. de Fausset, Limoges, 1810, in-8®, 245 p. La première s’occupe du quiétisme, la deuxième du jansénisme en faveur de qui elle intervient. Les deux ont été rééditées en un seul volume, Supplé­ ment aux vies de Fénelon et de Bossuet, 1822, in-8·, 526 p. Il blAmc tout ce qu'ont fait contre les jan­ sénistes, les papes, les évêques, le clergé; les Jésuites se sont trompés en poursuivant une secte chimérique. En 1811, Tabaraud fut nommé censeur de la librai­ rie, ce qui lui permit d'avoir une certaine influence sous M. de Pommercul, directeur général de la librai­ rie, pour entraver la publication des livres de théologie et de piété qui n'étaient pas favorables à scs Idées jan­ sénistes, favoriser la Théologie de Lyon, aux dépens de celle de Bailly. Il publie : Essai historique et critique sur l'institution des évêques, Paris, 1811, in-8°, 191 p. Il cherche dans la préface ù concilier ce qu’il dit ici avec le traité qu’il avait publié en 1792 sur l’élection. En 1811, Pie VII était prisonnier à Savonc; l’auteur essaie de prouver que, s'il refuse des bulles à une grande Église, celle-ci a le droit de revenir à l’ancienne discipline et de faire instituer les évêques par le métro­ politain. L'Essai fut mis à l’index le 17 décembre 1821. Lamennais le critique vivement dans sa Tradition des Églises sur l'institution des évêques, 1818, t. n, p. 376; t. ni, p. 288. — Observations sur le prospectus et la pré­ face de la nouvelle édition des Œuvres de Bossuet, Paris, 1813, ln-8°, 57 p., écrit dirigé contre l’édition de Ver­ sailles annoncée par Hémery d'Aubcrivc : sans faire de Bossuet un janséniste, il rappelle qu’il prodigua son estime A quelques-uns d'entre eux. — Du pape et des fésuites, anonyme, Paris, 1814; 2· éd., 1825. Ple VII venait de rétablir la Compagnie de Jésus. Tabaraud reproche à celle-ci · ccttc intolérance orgueilleuse qui la portait autrefois à ne soufTrir de bien que celui qui était fait par clic ». L'Ami de la religion dit que l’au­ teur est de « ces esprits tenaces sur lesquels l’expé­ rience n'a point de prise, des aveugles qui ne savent ni lire dans le passé, ni Juger le présent, ni prévoir l'avenir », t. m, p. 185. — Du divorce de Napoléon et de son mariage avec Marie-Louise, Paris, 1815, in-8®, 56 p. Conséquent avec les idées développées dans ses au­ tres ouvrages, il affirme la validité du premier mariage de Napoléon et la nullité du second. De l'époque de la Bestauration date : Histoire de Pierre de Bérulle, cardinal de la sainte Église romaine, ministre d'État, chef du conseil de la régence, suivie d’une notice historique des supérieurs généraux de ccttc congrégation, Paris, 1817, 2 vol. in-8·. Cet ou­ vrage, rédigé avec soin, a le grand avantage de faire mieux connaître l’opinion que l’on se faisait de l'Oraloirc au moment de la Bestauration; il est plus com­ plet que celui de Habert, bien inférieur aux trois volumes de l’abbé Houssaye. L'Ami de la religion lui reproche de s’être attardé Λ raconter des minuties et d'en avoir profité pour faire valoir son esprit de parti, 1818, t. xv, p. 321, l. xvi, p. 113. — Observations d'un ancien canoniste sur la convention du 11 Juin 1817, Pads, 1817, in-8®, 79 p. Tabaraud s'y montre mécon­ tent de tout et de tout le monde, ennemi de tous les concordats. Il en veut aux vivants et aux morts, à 6 ceux en particulier qu'il accuse d'ultramontanisme. Voir Ami de la religion, 1817, t. xiv, p. 113, n. 347. — MM. de Bausset et Lamennais, fustifleation de Lequeux et des éditeurs de Bossuet; des systèmes de M. de Lamennais sur les traductions de la Bible et sur la lec­ ture de Γ Écriture-Sainte, Paris, 1820, in-8®, 24 p. — Défense de la déclaration du clergé de 1682 : il relève encore une aberration importante de M. de Bausset, Paris, 1820, in-8®, 48 p. — Examen de l'opinion de M. le cardinal de La Luzerne, sur la publication du Concordat, Paris, 1821, in-8®, 23 p., réfutation de la brochure : Du pouvoir du rot de publier par une ordon­ nance le concordat de 1817. Il se moque de la soumis­ sion obséquieuse des évêques: Us auraient dû réclamer le droit de délibérer eux-mêmes; le pape ne peut Inter­ venir directement dans le gouvernement de notre Église ; tout au plus pouvait-il obliger à ce qu'on lui com­ muniquât la nouvelle organisation. Voir Ami de la religion, 1825, t. xxxn, p. 320. — De l'inamovibilité des pas­ teurs du second ordre, Paris, 1821, in-8·, 92 p., avec Supplément. Il prend la défense des prêtres qui sont mal avec leurs supérieurs et ont été frappés d'interdit. — Observations sut l'éloge de M. du Bourg, 1822, in-8·. — Des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie avec quelques observations sur le bréviaire de Paris, par un vétéran du sacerdoce, Paris, 1823, in-8®, 14 p. de préface dans laquelle il se nomme théologien de profession, élève de la vieille école. Il attaque la nouvelle dévotion, se plaint de l’enseignement du clergé, signale partout l’ultramontanisme. Il critique le nouveau bréviaire qui ne respecte pas les droits des chapitres, chicane sur quelques changements, sur l'introduction de l'office de sainte Colette, de saint Pie V. Voir Ami de ta religion, 1823, t. xxxvi, p. 272. Tabaraud publia une 2· éd., avec réponse aux attaques. Quérard signale une brochure, Des appels comme d'abus et de l'usage que le Conseil d'État en a fait au sujet d'une lettre ά M. le cardinal de Clermont-Tonnerre, par un ecclésiastique, Paris, 1824, in-8®. A la même polémique appartient Réflexions sur l'engagement exigé des professeurs de théologie d'enseigner la doctrine contenue dans la déclaration de 1682, Pâtis, 1824, in-8·, 47 p. Ces réflexions sont dirigées contre M. de Cler­ mont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, qui refusait au gouvernement le droit de s’immiscer dans l’ensei­ gnement des séminaires. — Examen de deux proposi­ tions de lois qui doivent être faites aux Chambres sur la célébration du mariage et sur la tenue des registres de l'état eivit, Limoges et Paris, 1824, in-8®, 64 p. Il répète ce qu'il a écrit dans la dernière édition des Principes, s’élève contre un projet de loi qui obligeait à faire le mariage religieux avant l'acte civil, loi dont il ne fut Jamais sérieusement question. — Lettre à M. Bel­ lari sur son réquisitoire du 30 juillet contre les journaux de l'opposition, Paris, 1825, ln-8®, 16 p. Il reproche à M. Bellart, procureur général à la cour royale de Paris, de s'endormir sur les progrès de l’ultrainontanlsme, sur les jésuites, etc. — Histoire critique de l'assemblée générale du clergé de France en 1682 et de la déclaration des quatre articles qui y furent adoptés, suivie du dis­ cours de M. l'abbé Fleury sur les libertés de l'Église gallicane, Paris, 1826, ln-8®, 406 p. En résistant ù l'édit de Louis XIV, le clergé est rebelle aux lois de la patrie et à l’intérêt de la religion : · Je sais bien, dit-il, qu'on n’a pas à redouter aujourd’hui la puis­ sance du pape sur le temporel... 11 n’en travaille pas moins à alarmer les esprits à cet égard; Il met scs conjectures à la place des faits, ses soupçons à la place de l’évidence. » Ami de la religion, 1826, t. l, p. 31. — Essai historique et critique sur l'état des jésuites en France depuis leur arrivée dans le royaume jusqu'au temps présent, Paris, 1828, ln-8®, 304 p. L'ouvrage parut en même temps que l’ordonnance du 19 juin TABARAUD (Μ Λ TH IE U-.M AT H U R I N) — TAILLEPIED (NOEL) 1828 qui fermait les collèges des jésuites : la critique qu'il fait de l’ordre est au moins fort déplacée. Il y eut, dit Quérard, une seconde édition la même année. — Vie du P. Lejeune, dit le Père VAveugle, prêtre de TOratoire, Limoges, 1830, in-8% 44 p., raconte un certain nombre de faits de la vie de ce grand prédicateur du xvn* siècle, que Ton ignorait ou qu'on avait oublié. Tabaraud a fourni aussi des articles aux Nouvelles ecclésiastiques, 3 Juillet 1790, aux Annales de la Haute· Vienne, aux Débats, à La France catholique pour dé­ fendre l’Oratoire, collaboré quelque peu à la Chronique religieuse, journal rédigé par Lnnjulnals, Grégoire, Dubertlcr et le président Agier : mais il a déclaré luimême n’avoir fourni que quelques articles à ce recueil dont il n’approuvait pas la ligne politique et religieuse. Voir Ami de la religion, 30 oct. 1819, t. xxi, p. 364. Il a travaillé â VEncyclopédie de Courtln. à la Biographie de Feller. Il fut un des principaux collaborateurs de la Biographie universelle de Michaud à laquelle il donna 770 articles, dont un certain nombre sont im­ portants tels ceux sur Arius, Baronius, Bellarmin, saint Augustin, saint Bonaventure, saint Charles Borroméc, saint Hilaire, etc.; ses idées gallicanes et Jansénistes y paraissent trop souvent; il se plaît à ridiculiser des personnages de grande valeur comme le P. Amelotc. son confrère. L’administration se lassa : il donna peu d'articles dans les trente derniers volumes. Depuis 1814, il était ailligé d'une cataracte et obligé de dicter scs ouvrages; il mourut le 9 janvier 1832. Il avait écrit dans son testament le 5 Janvier 1831 : « Je rends grâce à Dieu de m’avoir fait naître dans le sein de l'Église catholique, apostolique et romaine... et pré­ servé de toutes les erreurs qu’elle condamne... Si dans les ouvrages que j’ai publiés, il se trouvait quelque chose qui ne fût pas conforme à ces dispositions, Je le soumets au jugement de la dite Église, comme je demande à Dieu pardon de tout ce qui, dans mes dits ouvrages, pourrait avoir offensé les personnes. » Dans l’article de VAmi de la religion, t. lxxii, p. 561, Picot lui reconnaît « un talent véritable qui n'eût eu besoin, pour être plus utile, que d'avoir pris une autre direc­ tion ·. Dans l’introduction de La tradition de l'Église et dans le corps de son livre, Lamennais plaisante l’oratorien, «dont les ouvrages, remplis de conséquences fausses, tirées de faits infidèlement rapportés, vau­ draient infiniment mieux s'il se défiait davantage de sa main quand il copie et de son jugement quand il raisonne ». Voir Vallcry-Badot, Lamennais, p. 95. Il y a du vrai dans cette critique cependant injuste, car Tabaraud · était un homme de forte trempe et un cœur vaillant, un de ces hommes moulés, comme parle Montaigne, au patron des siècles anciens ». Dubédat, op. eit., p. 229. Son œuvre considérable est diminuée par l’entêtement gallican qui était de son temps et déparée par le jansénisme dans lequel il n'avait vu « qu'un mouvement libéral inauguré par des esprits généreux et honnêtes auquels il voulait se rallier. Nul plus que lui n'eut le courage de scs opinions dans la bonne et la mauvaise fortune ». Ibidem, p. 231. Une étude approfondie reste à faire, qui sans doute expli­ querait, mieux qu'on a fait jusqu’ici, les déficiences d'un très beau talent et d'une ardeur au travail audessus de tout éloge. L'Ami de la religion n publié une notice sur Tabaraud, le 21 juillet 1832, t. LXXII, p. 561, n. 1974, et la liste à peu prêt complète de se* ouvrages, 16 août 1832, t. lxxii i, p. 97, n. 1985; Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, êd. 1882. t. v, p. 1040; Dubédat, Tabaraud, Limoges, 1872, ln-8* de 271 p., paru d’abord dans le Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. \\, 1870-1S71, p. 1-234; Gosselin, Vie de Af. Emery, t. ï, 1861, p. 117; Intfold, Estai de bibliographie oratorienne, p. 165; Lamonnaii, CEuerej Inédites, publiées par A. Biaise, Paris, 1867, iû-8*, 1.1, p. 305, 307, 409; Michaud, Biographie universelle. 8 art. Tabaraud; Quérard, /-a France littéraire, art. Taba­ raud; Annuaire de la Haute-Vienne, 1833. A, Molien. TA BERNA j voir Taverne Jean-Baptiste, col. 80. TABOURIER Pierre-Nicolas, (1753-1806) na­ quit Λ Chartres en 1753; il prêta le serment civique en 1791 et devint curé constitutionnel de Saint-Martin de Chartres. Il assista aux conciles de 1797 et de 1801, convoqués par ceux qu’on appelait les · réunis » et qui se tinrent en l'église métropolitaine de Paris. Après le concordat de 1801, l'évêque de Chartres le nomma curé de Saint-Pierre de Chartres. C'est là qu'il mourut le 28 novembre 1806. Tabourler a écrit les ouvrages suivants : Tableau moral du clergé de France, 1789, s. 1., in-8° : l'évêque a le droit de nommer scs curés et ce sont ceux-ci qui élisent les doyens; voir Préclin, Les jansénistes du XPJZZ· siècle et la Constitution civile du clergé, p. 430. — Déjense de la Constitution civile du clergé, avec des réflexions sur l'excommunication dont nous sommes menacés, Chartres, 1791, in-8°. C'est l’écrit le plus important de Tabourier. Il avait prêté le serment exigé des fonctionnaires ecclésiastiques; il expose ici les motifs de sa démarche. Les abus étaient tels qu'il fallait une réforme radicale et Tabourier s’applique à justifier la Constitution civile des reproches qu'on lui adresse : elle ne brise point les liens qu'un catholique doit avoir avec le Saint-Siège; elle n'empiète nulle­ ment sur l'autorité spirituelle pour la nouvelle distri­ bution des diocèses; elle donne aux évêques un conseil qui lui est supérieur, mais les évêques avaient besoin de ces conseillers qui leur donneront l'autorité qu’ils avaient perdue; de plus, le peuple a le droit d’élire scs pasteurs; enfin, en déposant les évêques qui ont refusé le serment et en les remplaçant par ceux qui l'ont prêté, la Constitution civile a compris que le salut du peuple est le premier des devoirs du citoyen. D’ail­ leurs, les évêques ne sont pas déposés, mais simple­ ment dépossédés par le fait d'avoir refusé le serment. Les nouveaux évêques occupent le siège que leur con­ fère la volonté générale du peuple. En s'appuyant sur la proposition 91· de la bulle Unigenitus, Tabourier montre que les nouveaux évêques n'ont point à re­ douter une excommunication, laquelle d'ailleurs serait nulle d’ellc-mêmc, puisqu’elle serait portée pour une faute purement temporelle, à savoir, la prise de pos­ session d’un siège épiscopal. Nouv. eccl, du 16 août 1791, p. 130-132. — Discours pour tranquilliser les consciences sur les affaires du temps qui sont relatives à la religion, Chartres et Paris, 1791, in-8®. — Deux mots à la mère Duchesne sur la faiblesse de son antidote, ou Déjense de mon discours pour tranquilliser les cons­ ciences, Chartres, s. d., ln-8°. — Entretien sur la Révo­ lution, par P. Tabourier, curé de la ci-devant paroisse de Saint-Martin réunie à la cathédrale, Chartres, 1792, ln-8®. — Divinité de la religion chrétienne et de ses vérités fondamentales, s. 1., s. d., in-8°. — Adresse sur la divinité de la religion chrétienne ù tous ceux que l'im­ piété des derniers temps a séduits, par P. N. Tabourier, député au concile national par le clergé du départe­ ment d'Eure-et-Loire, Chartres, 1797, in-12. L'ou­ vrage se termine par un post-scriptum qui est une pompeuse apologie des théophil an tropes. Michaud, Biographie universelle, t. XL, p. 551 ; Follcr, Biographie universelle, t. vin, p. 66; Quérard, La France littéraire, t. IX, p. 309; Glaire, Dictionnaire des sciences ecclésiastiques, t. Il, p. 2220. J. Carreyre. TAILLEPiED Noèl, cordelier du xvi· siècle. — Né vers 1510, au diocèse de Boucn, il entra de bonne heure chez les cordeliers, prit à Paris le doctorat en théologie et enseigna cette science au couvent de Pon- 9 TAILLEPIED (NOEL) — TALMUD 10 toise cl en d'autres maisons de l'ordre; il passa ensuite, menter et h en déterminer le mode d’application. Les par désir de perfection, dans la branche capucine, prit scribes sont souvent mentionnés dans les évangiles et part Λ la fondation de la maison d’Angers où il mourut les Actes des Apôtres (66 fols), à côté des pharisiens en 1589. Outre des travaux d’archéologie sur Itoucn et cl des docteurs de la Loi ; des textes rabbiniques du sur Pontoise, un commentaire sur les Lamentations de n· siècle, Sifra, Lev., xix, 34; Sifré, Deut., xvn, 10; Jérémie (1582) et un abrégé de la philosophie d’Aris­ Tosefta, Eduyot, i, l...,les montrent se perpétuant A tote (1583), il a laissé les ouvrages suivants: 1. Vies de côté des rabbins, qui, plus tard, furent rangés dans une Luther, de Carlostadt et de Pierre Martyr, Paris, 1577, catégorie supérieure. Miehna, Sota, ix, 15. Les rabbins ln-8°; la Vie de Luther a été réimprimée avec celles de (appelés souvent les sages, hakhamim), qui finirent Calvin et de Théodore de Bèze par Jér. Boisée, His­ par supplanter les scribes, se donnèrent pour mission toire des vies, mœurs, actes et morts des (rois principaux propre, non seulement d'expliquer les Écritures, mais hérétiques de notre temps, Douai, 1616, in-12. — 2. His­ surtout de les compléter par la Lof orale. toire de Pétai et république des druides, cubages, saroCe dernier terme apparaît pour la première fois dans nides, bardes, pactes, anciens Français gouverneurs du un propos attribué à Hillel (donc tout au début de l'ère pays des Gaules depuis te déluge jusqu'à Jésus-Christ, chrétienne) : à un prosélyte qui contestait ses expli­ 1585, in-8% ouvrage de haute fantaisie, assez carac­ cations il répondait : « Tu as confiance en mol pour téristique, d'ailleurs, de l’humanisme du xvi· siècle. — ce qui regarde mon enseignement de l’alphabet; ale 3. Traité de l'apparition des esprits, à savoir des âmes con fiance aussi en mol pour ce qui regarde la Loi orale. » séparées, fantômes, etc., Douai, 1586, in-12, souvent Babli, Sota, 31 a, et plus développé dans A bot de Rabbi réédité dans les premières années du xvn· siècle, té­ Nathan, xv, 6. Ces instructions données de vive voix moignant d'une grande crédulité. — 4. Taillepied est finiront par porter sur toutes sortes de sujets : aux aussi l'auteur d’un recueil de textes patristiques réunis origines de l’institution elles portaient presque unique­ pour répondre aux protestants : Collectio quatuor doc­ ment sur la Loi : comment comprendre les prescrip­ torum Ambrosii, Hieronymi, Augustini, Gregorii, super tions bibliques, comment en assurer le respect par des triginta articulis ab haereticis modernis disputatis. Cet haies protectrices, comment les adapter afin de pro­ ouvrage est inséré dans le Compendium rerum theolo­ curer le mieux-être et le règne de la paix, en corri­ gicarum de Jean Bunderius (voir ici, t. n, coi. 1264), geant, atténuant ou supprimant ce qui était devenu mais il n’est pas de ce dernier et doit être restitué à impossible ou intolérable. Ce travail juridique avait Taillepied. — 5. De même inspiration une Resolutio pour objet, directement le culte et le droit civil et cri­ sententiarum S. Scriptura ab haereticis modernis in minel, indirectement la vie morale et la piété. suarum hæreseon fulcimentum perperam adductarum, Comment ces dispositions légales, considérées Paris, 1574. — 6. Et aussi Le thrésor de l'Église catho­ comme aussi obligatoires que les lois mosaïques, lique, Paris, 1586. qu'elles finissent par supplanter, arrivaient-elles à s’imposer? Plus tard, quand furent constituées des Wadding, Scriptores O. M.; Moréri, Le grand dictionnaire, écoles et des académies rabbiniques, fonctionnant éd. do 1753, t. x, p. 14; Michaud, Biographie générale, t. XL, p. 579; Hœfcr, Nouvelle biographie générale, t. xliv.coI. 751 ; comme cours législatives, se répandit le principe : toute décision a force de loi quand elle est portée par Férct, La faculté de théologie de Paris, Période moderne, un sanhédrin à la majorité des voix; si deux sanhé­ t. il,p. 230-239; Hurler, Nomenclator litterarius, 3*éd., t.ui, drins viennent en conflit, l’un ne peut annuler les col. 268. É. Amann. sentences de l’autre que s’il le dépasse par le nombre TALMUD. — I. Sa genèse. II. Composition et et la sagesse de ses membres. Sifré, Deut., xvn, 10; Sifra, Lev., xxvi, 14; Miehna, Eduyot. I, 5... Il semble caractères (col. 15). III. Le Talmud et le Judaïsme bien qu’à l’origine et longtemps encore il n’en était (col. 24). IV. Le Talmud et le christianisme (col. 26). pas ainsi : prenaient force de loi les dispositions légales I. Genèse du Talmud. — 1° La Loi orale. —Tout qui pouvaient se donner pour des traditions reçues. code législatif a besoin d’être constamment adapté aux Les scribes et les pharisiens reprochent à Jésus de ne circonstances toujours changeantes de temps, de pas suivre la tradition des anciens. Marc., vu. 5-13 et lieux et de personnes; les consignes générales requiè­ Matth., xv, 2-6; cf. Gai., i, 14. Josèphe dit des contro­ rent sans cesse des règlements d’application, des pré­ verses qui opposaient pharisiens et sadducéens, cisions. Aussi bien est-il stipulé dans la Tora : « En qu’elles portaient sur la tradition des Pères. Antiq., toutes les difficultés (relatives ù divers préceptes), tu XIIL x, 6 et XVI, 2; XV, vin, 1. Saint Justin parle à te lèveras et tu iras trouver les prêtres lévltlques cl le juge qui se trouvera en ces Jours : lu interrogeras et ils Tryphon de « la tradition de vos docteurs ». Dial., xxxvnî, 2; cf. xm, 1. C’est parce que la tradition est te feront connaître la parole du jugement... » Deut., le fondement requis, suffisant et nécessaire, de toute xvn, 8-12. Dans les livres prophétiques nous trouvons décision juridique, que les rabbins prennent soin de des allusions A cette prérogative des prêtres cl aussi spécifier qu’ils ont reçu telle sentence et de qui ils la des prophètes : formuler les lois. Jer., xviîi, 18; n, 8; tiennent. W. Bâcher, Tradition und Tradenten in den I’/.. vu. 26; xxii, 26; Os., XV. 6... Schulen Palàstinas und Babyloniens, Leipzig, 1914, Philon présente les prêtres et aussi les lévites, qu’il p. 1-20; et Die excgctische Terminologie der jûdischen met sur le même pied, comme les gardiens et les Inter­ Traditionsliteralur, Leipzig, 1899, t. i, p. G, 188-192. prètes des lois. Cont. Apion., n, 21 et 23; Quod deter, potiori insid. soleat, 19. Suivant Josèphe les prêtres Très significative dans ce sens est l’anecdote suivante ; Hillel, appelé en consultation sur une grave question seraient toujours en possession de celte charge et l'exerceraient, au moins en certaines matières. Bell, concernant la PAque, se voyait refuser tous les argu­ ments exegétiques par lesquels il essayait de justifier fud., Ill, vin, 3. En fait, depuis longtemps, probable­ ment depuis l’exil, cet ofllcc d’interprétation cl d'ac­ son opinion : on se rendit A son avis dès qu’il déclara commodation était passé aux mains de légistes pro­ avoir reçu cette tradition de Scmaia et Abtallon, ses maîtres. Pesahim, Babli, 66 a; Jeruialmi, iv, 1. fessionnels. Co furent d’abord les scribes, dont le Ce petit trait nous laisse entendre sous quelle forme modèle et le prototype est Esdras, · qui avait appliqué se présentaient ces traditions Juridiques. On admet son cœur à étudier la loi de Jahvé, ù la mettre en pratique et A enseigner en Israël les préceptes et les souvent, d’après les indications du document tradi­ ordonnances ». Esd., vu, 6, 10; Nch., vin, 4-7. Chargés tionnel qui nous renseigne sur les origines de la à l'origine de transcrire les Écritures cl de les lire au Miehna et du Talmud, la lettre de Sherira, gaon de peuple, ils furent nécessairement amenés A les com­ I\nnbcditha (vers 980), éd. Neubauer, Mediaeval 11 TALMUD. ORIGINE Jewish Chronicles, Oxford, 1887, que la Loi orale se serait transmise d’abord sous la forme midrach et n’aurait pris que plus tard la forme halakha. Le mot midrach (de la racine dreh, chercher), qui sc trouve dans II Par., xin, 22 et xxtv, 27, au sens de document historique, désigne un exposé, un commentaire et, spécifiquement, un commentaire biblique; l’exégèse a pris dans le judaïsme un développement toujours plus abondant ; nous possédons des commentaires des livres du Pcntateuquc, rédigés vers la fin du n* siècle après J.-C. et rapportant les interprétations des rabbins an­ ciens; de bonne heure également les docteurs se sont appliqués h fonder sur l’Écrilurc les traditions juri­ diques qu’ils proposaient, nécessité d'autant plus pres­ sante que les sadducécns rejetaient la Loi orale et n'ad­ mettaient que l'autorité de la Bible. Le mot halakha (de la racine hlk, aller) désigne la loi qui détermine la conduite à suivre; opposé à midrach, il s'applique aux préceptes juridiques, proposés sans aucun appui scrip­ turaire. Λ ne nous en tenir qu'aux documents existants, avant tout à la Michna, nous observons que les dispo­ sitions juridiques y figurent le plus ordinairement sans l’accompagnement d'une exégèse quelconque, suivant l'usage des textes postérieurs. Contre ce fait ne saurait prévaloir un témoignage aussi tardif que celui du gaon Sherira, qui est d’ailleurs de tendance toute théorique et systématique. Si l’on remarque que dans les temps anciens les dispositions légales de la Loi orale étaient assez rares, inspirées par les circonstances et en désac­ cord avec les stipulations mosaïques, que les progrès de l’exégèse en Israël précèdent de peu l’ère chrétienne on sera tenté de conclure : la Loi orale juridique s’est d'abord produite sous forme halakha; plus tard seu­ lement on a tenté de l’illustrer par des exégèses, par le midrach. Cf. art. Midrash et Mishna dans The Je­ wish Encyclopedia, t. vm, p. 518 sq., 610; H. Danby, The Mishna, Oxford, 1933, p. xix; J. Bonsirvcn. Le judaïsme palestinien au temps de J.-C., t. î, p. 263-272, sur la Loi orale; G. Aicher, Das Alte Testament in der Mischna, Iribourg-cn-B., 1906, p. 154-166. 2° La Michna. — La Loi orale juridique ne cessa de sc développer en Israël : nu temps de l’exil babylo­ nien. la nécessité de remplacer par l'étude et le culte des Écritures les institutions liturgiques de Jérusalem et de Palestine donne naissance à l'activité des scribes; aux approches de l’ère chrétienne, la restauration hasmonéenne et l’urgence de lutter contre les assauts de l'hellénisme conduisent à de nouvelles élaborations juridiques : elles étaient l’œuvre, avant tout, des pha­ risiens, mais aussi des sadducécns, qui possédaient également des rabbins et un code particulier : il ne faut pas croire, nonobstant Josèphe, Antiq., XIII, x. G, que ces derniers n’aient pas produit de leur chef une Loi orale. J. Bonsirvcn, Le judaïsme palestinien, t. I, p. 50 sq. A mesure que se multiplient les rabbins, s’étend aussi la Loi orale, comportant autant de ten­ dances que d’écoles : nous connaissons les controverses et oppositions qui dressaient l’une contre l’autre la maison de Hillel et celle de Shammaï, cette dernière en général plus rigoriste. Au moment où disparaît sous les coups de Titus l’État juif, c’est l’institution rabblnique qui sauve le judaïsme : quelque légendaires que soient certains détails sur rétablissement de Johanan ben Zakkaï à Jamnia (Jabnc), le fait ne parait pas contestable en lui-même : l'école que fonda le vénérable docteur de­ vint le centre de cet Israël que rien ne peut détruire; les enseignements religieux, les décisions juridiques, provenant de cette obscure bourgade de Judée, par­ viennent à animer la vie spirituelle de la nation, ά maintenir son unité. Tôt après IL Johanan, les écoles rabbinlques se met­ 12 tent à foisonner, chacune dispensant et défendant sa tradition cl sa doctrine : ainsi est née la Michna. Le mot, d’hébreu post biblique, dérive de la racine chna, qui signifie répéter. Le moyen majeur d'enseignement dans ces pays d'Orlent, qui font une si grande place à la mémoire, est la répétition inlassable du texte à retenir : en conséquence le verbe < répéter » prend rapi­ dement le sens d'enseigner et d'apprendre (en aramécn, tana : d'où le titre de tannaïles, donné aux doc­ teurs des deux premiers siècles). Par suite le substantif michna désigne : l’instruction ; le fait d’enseigner ou d'apprendre la tradition; le contenu de cet enseigne­ ment portant sur tel point particulier ou provenant de tel rabbin déterminé; dans un sens spécial, une halakha, c’est-à-dire un précepte juridique dépourvu de son appui exégétique; collectivement, un ensemble de michnayot (pluriel), professé dans une école donnée et se recommandant du chef de cette école. Il est probable qu'une première collection de michnayot et de halakhol fut compilée dès le ι·Γ siècle chrétien, au temps des anciens de la maison de Hillel et de la maison de Shammaï : ce serait la michna pre­ mière ou ancienne, dont il est fait quelquefois mention, Sanhedrin, in, 4; Eduyot, vu, 2; Gittin, v, 6. De larges portions en sont conservées dans notre Michna. Cette collection avait pour objet de fixer la Halakha tradi­ tionnelle, de la dépouiller de tout commentaire, de fournir aux docteurs une base pour leurs décisions et aussi un livre de texte pour leurs leçons. Ce recueil ou ces recueils étaient-ils fixés par écrit? Après avoir parcouru le dossier de cette controverse, il nous paraît plus probable que de bonne heure on mit par écrit quantité de traditions scolaires : les maîtres con­ servaient par devers eux ces livres, ils s’en servaient pour aider leur mémoire, mais ne les livraient pas à leurs élèves qui devaient apprendre en répétant. Strack, Einteitung in Talmud und Midrasch, v, § 2; Jewish Encyclopedia, t. vin, p. 614. La multiplication des écoles et le prurit juif de la discussion ayant entraîné d'inquiétantes divisions doctrinales, un synode tenu à Jamnia (vers la fin du î" siècle), sous la présidence de Gamaliel II et de Élcazar ben Azaria, entreprit de recueillir les an­ ciennes halakhol, de les reviser et de les fixer : ainsi naquit la collection Eduyot (témoignages), beaucoup plus volumineuse que le traité de notre Michna, qui porte ce titre. Comment étaient rédigés ces recueils de halakhol, conservés dans les écoles? Nous pouvons conjecturer, d'après les indices qui subsistent encore» que le prin­ cipe de groupement était tout formel, le plus souvent une association verbale : on Joignait ensemble les sen­ tences qui commençaient par les mêmes mots. R. Aquiba (mort en 135) fut probablement le premier à tenter un classement systématique. 11 réunit dans le même traité les décisions portant sur le même sujet et il rassembla ces traités en sections. Il semble aussi qu’il ait soumis à un traitement sévère le matériel tradi­ tionnel : éliminant certaines halakhol, les réduisant toutes à une forme plus simple et dépouillée. De toute manière subsistaient, laissées hors de la compilation officielle, bon nombre de sentences : déci­ sions de tendance différente, commentaires, fonde­ ments scripturaires : nous retrouverions une bonne partie de ce matériel dans la Toscphta, qui suit le même plan que notre Michna, qui souvent la répète et plus souvent encore lui ajoute compléments et scolles. Cf. Arthur Spanier, Die Tose/taperiode in der tannaitischen Literatur, Berlin, 1936, dont la thèse sug­ gestive n'est pas totalement acceptable. A l’imitation d’Aquiba, les chefs d'école rédigeaient leur michna : dans le nombre lient une place prépon­ dérante celle de R. Meïr, élève d’Aquiba : elle Inclut 13 TALMUD. ORIGINE Celle de son maître qu’il reproduit sans le nommer, clic y ajoute des halakhol provenant d’autres collections, même quand elles étaient rejetées par son maître. Juda le Prince (appelé par antonomase Kabbi) en­ treprit vers la fin du ti· siècle une nouvelle collection de halakhol : il semble avoir eu pour objectif à la fois de fixer la tradition et de recueillir les sentences trans­ mises dans les diverses écoles : fins en apparence con­ tradictoires qui expliquent les incohérences de sa com­ pilation. Elle a pour base première le recueil de Melr et celui d’Aquiba. fondus ensemble assez mécanique­ ment, comme le montre la critique interne:répétitions, clauses indispensables omises, formes différentes pour le même précepte, contradictions, deux réponses à la même question, incohérences dans le même traité, surtout différences de langue montrant l’emploi de deux vocabulaires, variantes dans les expressions et les références... Conclusions de Chanoch Albcck, L'ntersuchungcn Qber die Bedaktion der Mischna, Berlin, 1936. Ces défauts furent encore aggravés par les addi­ tions que subit le travail du patriarche : plusieurs de scs disciples, faisant un recueil plus large de mich­ nayot, les incorporèrent au travail de leur maître après sa mort (ce qui explique les références à Rabbi); on le compléta aussi par des emprunts faits à la Toscphta. Ces faits montrent que Rabbi prétendait, non pro­ duire un code faisant autorité, mais simplement un instrument scolaire. En réalité le crédit dont jouis­ sait le patriarche» les avantages de son recueil ont valu à ce dernier de devenir la Michna par excellence, supplantant toutes les autres, le texte qu’on étudiera dans les écoles, qu’on invoquera à côté des Écritures et presque sur le même rang. Nous donnerons plus loin le sommaire de la Michna : on est étonné de voir tel traité figurer dans la section à laquelle il appartient : ainsi le traité des Bénédictions dans la section des Semences, ceux des A’ariréens et des Vaux dans la section des Femmes. Dans le corps de chaque traité l’ordre n’est pas toujours aussi métho­ dique que l’attendrait notre logique : sentences jointes matériellement, blocs extraits tels quels de compilations antérieures» successions appelées par des préoccupations casuistiques. Certaines sentences et des groupes de sentences comportent des références scripturaires (environ 666), se rattachant ainsi au genre midrach; dans l’ensemble c’est plutôt la forme halakha. Les noms des autorités rabhiniques dont proviennent telles décisions sont parfois mention­ nés : ordinairement, quand elles sont contestées ou s’opposent à la loi traditionnelle, rapportées sans au­ cune référence personnelle. La forme ordinaire est sèche et précise comme il con­ vient dans un code juridique : rares sont les narra­ tions, les histoires et les explications. Même dans le seul traité contenant des maximes morales et édi­ fiantes (Pirqé A bot), la brièveté est de règle. La langue est un hébreu assez pur, mais différant notablement de l’hébreu biblique le plus récent, langue artificielle, parlée peut-être uniquement dans les écoles rabbin!· ques, mais se rattachant authentiquement à l’hébreu biblique. Le vocabulaire, en plus du vieux fonds clas­ sique, contient des mots importés de l'araméen, ainsi que nombre de mots grecs et latins; la syntaxe est très simple, peut-être par la contagion de l'araméen» plus probablement en raison de la préoccupation des docteurs de créer un style juridique, clair et technique. Cf. M. IL Segal. A Grammar o/ Mishnaic Hebrew, Ox­ ford. 1927. Nous pouvons distinguer trois recensions de la Michna : celle que produisent les manuscrits conte­ nant les michnayot, celle qui est à la base du Talmud de Jérusalem, et celle qui est à la base du Talmud de Babylone, ces deux dernières incorporant plus ou 14 moins les additions et modifications pratiquées par les rabbins palestiniens ou babyloniens. 3e Les Talmuds. — Cependant les écoles rabhiniques ne cessaient de sc multiplier et d'accroître leurs tra­ vaux, soit en Palestine, soit surtout en Babylonie, où le judaïsme jouissait d’une grande prospérité. Les doc­ teurs qui succédèrent aux tannaim s'appellent les amoras, ou amoraim, ceux qui se contentent de trans­ mettre, de réciter, de prononcer, non sans les commen­ ter, les traditions reçues; vers la fln du v* siècle, en Babylonie, leur succèdent les saboraim, ceux qui réflé­ chissent et examinent, ainsi nommés parce qu’ils pre­ naient pour objet de leur enseignement la doctrine proposée par les amoras. Dans les écoles quatre sujets d’étude : l’écriture ou miqra, le texte sacré étudié en lui-même et dans les exégèses traditionnelles, dans les commentaires (midrachim) tannaïtes; la michna, qui prend la place de la halakha, qu'elle présente sous une forme consa­ crée; la haggada, qui comprend tout ce qui n’est pas halakha, c'est-à-dire la morale, l’histoire, la piété, l’édi­ fication, voire les sciences profanes, médecine, astro­ logie, magie, en bref de omni re scibdi...; le Talmud, enfin, qu'il est nécessaire de définir exactement. Le mot, d'hébreu postbiblique (de la racine Imd, piquer, exercer, apprendre, enseigner), signifie étude, ensei­ gnement, science, tout particulièrement science de la Torn; le terme désigne souvent, comme midrach dont il devient synonyme, la confirmation par une exégèse biblique d’un texte juridique; il est employé aussi pour l'étude directe de la halahka. Et, comme les halakhot étaient codifiées dans la Michna, étudiée tant en Baby­ lonie qu'en Palestine, le Talmud finit par n’être plus qu’un commentaire de la Michna. D’abord distinct, 1 comme objet d’étude, de la Michna, le Talmud finit par absorber et désigner toutes les branches de la science rabbinique. En Babylonie le mot talmud est souvent suppléé par le mot gemara (gmr, compléter, apprendre), qui prend le sens spécifique de commen­ taire de la Michna (c’est par ce mot — en abrégé — que dans le Babli sont introduits ces commentaires). En son sens spécifique, Talmud désigne donc un com­ mentaire de la Michna : commentaire large qui com­ portait des traditions tannaïtes, des exégèses bibli­ ques, des interprétations juridiques, des discussions casuistiques, des notions lexicographiques, en un mot tout ce qu’un maître abondant et peu systématique peut glisser dans ses leçons et tout ce que les disserta­ tions de ses élèves peuvent leur ajouter. On a dit sou­ vent que le Talmud était le procès-verbal des enseigne­ ments donnés et des propos échangés dans les écoles rabhiniques, écoles rabhiniques de Palestine et écoles de Babylonie, les unes et les autres ayant leurs carac­ téristiques propres. Nous avons donc deux Talmuds» le palestinien et le babylonien. Le Talmud palestinien était régulièrement dé­ nommé à l’origine : le « Talmud de la terre d Israël ·, ou bien · Talmud de l’Occident »; peu Justifiée est la désignation, déjà ancienne, qui a prévalu : « Talmud de Jérusalem ». ou plus simplement Jcruialmi. L’autre est appelé Talmud babli, plus simplement Babli, le Talmud par excellence, parce que le plus long et le plus étudié. Les habitués disent plus rapidement : le Schas (abréviation de Scheta siderei, les six sections). Comme la Michna, les Talmuds sont des compila­ tions, œuvres d’une collectivité. Cependant la tra­ dition, simplificatrice, aurait voulu en faire hommage à une seule personnalité : tout autre est la réalité. On a dit souvent que le Talmud palestinien avait pour auteur R. Johanan b. Nappaha (appelé simple­ ment R. Johanan), le plus célèbre chef de l’école de Tibériade, le docteur amora palestinien le plus influent (f 279, Agé do 80 ans). Les références à des rabbins, 15 TALMUD. CONTENU postérieurs ù R. Johan an, les répétitions, les incohé­ rences, prouvent que le recueil n'a pas été composé par un seul compilateur. Il est possible qu’il repose sur une première rédaction établie dans l'école de R. Johanan, laquelle n'a cessé de recevoir des accroissements et des modifications au cours des iv· et v* siècles. Pareillement pour le Habit, on a longtemps admis que Rab Ashi, chef de l'école de Sura (375-427), en avait établi une première rédaction, qui aurait ensuite été complétée par Rab Abina II (ou Rabina, chef de l’école de Sura, 473-499) et définitivement mise au point par les saboraim. Les dernières recherches sur ce point imposeraient des conclusions plus réservées. Voici celles que formule M. Julius Kaplan, The redac­ tion of the Babylonian Talmud, New-York, 1933. Lc Talmud a longtemps gardé une forme flottante et indé­ terminée. Dans 1rs académies Juridiques les discus­ sions aboutissaient A des décisions prises à la majorité des voix par les docteurs : on donnait le nom de gemarot h ces décisions formulées en termes très concis, riches de sens, mais assez obscurs. Divers rabbins avaient composé des collections de ces gemarot, col­ lections qui ordonnaient les sentences autour de quel­ ques principes et exigeaient, pour être comprises, la connaissance de clés qui se perdirent dans la suite. Ces collections se conservaient par écrit dans les acadé­ mies où elles s'étalent formées; les étudiants les appre­ naient par cœur et sur ce thème s'engageaient les dis­ cussions, comportant des conjectures plus ou moins aventureuses, qu'on appelait Talmud et qu'il était interdit d'écrire. Cette interdiction subsista tant que durèrent les académies, autorités vivantes qui assu­ raient l'authenticité et la transmission des traditions scolaires. C'est seulement au moment où les rois perses supprimèrent les académies babyloniennes, que les saboraim se mirent A consigner par écrit les gemarot (en se fondant sur la collection de Rab Ashi) et aussi tous les commentaires et discussions qu'elles avaient provoqués. Ils y ajoutèrent, de leur propre cru, des notes explicatives, des arguments, des conjectures sur les auteurs de telle ou telle opinion; Ils n'hésitèrent pas à composer des dialogues ou des monologues qu'ils plaçaient dims la bouche des rabbins anciens. Leur œuvre fut complétée et définitivement arrêtée par les gaons; ayant constitué des écoles sur le modèle des académies orneras et une académie semblable A l'an­ cien sanhédrin, ceux-ci se trouvaient en possession d'un prestige suffisant pour conférer une autorité canonique à la collection, close et irrévocablement fixée. Ces vues, fondées sur une étude de critique in­ terne très attentive bt minutieuse, s'imposent dans leur ensemble : elles reconnaissent d'ailleurs la part considérable de Rab Ashi et de son école dans la rédac­ tion du Bablf. | IL Composition et caractères du Talmud. — 1· Plan et contenu de la Michna et des Talmuds, — Les Talmuds se présentant comme un commentaire de la Michna, c'est A celle-ci qu'il faut les référer. Aucun des Talmuds ne contient le commentaire intégral de la Michna; nous savons que certains de ces commentaires se sont perdus. Dans le JeruXalml les traités non commentés ne sont pas reproduits, alors qu’ils figurent dans le Babli. La Michna est divisée en six sections (sedarim, or­ dres ou classes) : chaque section comprend plusieurs traités (massèkit, qui signifie primitivement tissu, comparer notre mot : texte). Les traités furent de bonne heure divisés en chapitres (peraqim), euxmêmes divisés en versets (halakha ou michna). Voici la suite des sections et des traités (la lettre J indique que le traité est commenté dans le Talmud de Jérusa­ lem, le B qu’il est commenté dans le Babli). Section 1 : Zeraim (semences) : agriculture et fruits 16 des champs. — Traités : Berakot, J, B, bénédictions cl prières; Pea, J, angle du champ Λ réserver pour les pauvres (cf. Lev., xix, 9, 10; xxm, 22; Deut., xxiv, 19-22); Demai, J, fruits dont on ne sait pas si on a perçu les redevances sacerdotales; Kilaim, J, mé­ langes interdits dans les végétaux, animaux, étoffes (Lev., xix, 19; Deut., xxn, 9-11); Chebiit, J, l'année sabbatique (Ex., xxm, 11 ; Lev., xxv, 1-8; Dent., xv, 1 sq.); Terumot, J, redevances ecclésiastiques (Num., χνιιι, 8 sq.; cf. Deut., xvm, 4 el Num., xvm, 25 sq.); Maaserot, J, première dime, dîme des lévites (Num., xvm, 21-24); Maaser cheni, J, dime seconde, qui doit être consommée A Jérusalem, dans les pèlerinages (Deut., xiv, 22 sq.; cf. xxvi, 12 sq.); Halla, J, prélè­ vement sacerdotal sur les pâtes (Num., xv, 18-21); Oria, J (prépuce), produits interdits des arbres (cf. Lev., xix, 23); Bikkurim, J, prémices (Deut., xxvi, 1 sq.; Ex., xxm, 19). Section n : Moed (les temps sacrés). Les douze traités sont dans J et dans B. — Traités : Chabbat, prescrip­ tions diverses sur le repos du sabbat (Ex., xx, 10; xxm, 12; Deut., v, 14 sq.); Erubim, la fiction Juri­ dique des communications artificielles, en vue d'allé­ ger et tourner les obligations sabbatiques; Pesahim, la fête de PAque (surtout Num., ix, 13; Ex., xn; xxm, 15; xxxiv, 15 sq.; Lev., xxm, 5 sq.); Cheqalim, l'impôt du deml-siclc pour le Temple (Neh., x, 33); Yoma, le Jour par excellence, la fête de l'expiation (Lev., xvi); Sukka, fête des cabanes ou des taberna­ cles (Lev., xxm, 34-36; Num., xxix, 12 sq.; Deut., xvi, 13-16); Yom (ου (Jour férié), appelé aussi Besa (œuf), sur les interdits des jours de fête (œufs pondus en ces jours); Roch ha-chana, la fête du nouvel an (Num., xxvm, 11 sq.; x, 10); Taanit, ou bien au plu­ riel Taaniol, les jeûnes; Megilla, le rouleau (par excel­ lence) contenant l'histoire d'Esthcr, fête des Purlm (cf. Esth., ix, 28); Moed qaton, fête petite, Jours de fêtes intermédiaires; Hagiga, les fêles de pèlerinage A Jérusalem. Section m : Nachim (femmes) : droit matrimonial (plus deux traités sur les vœux). Sept traités qui se trouvent en J et en B. — Traités : Yebamot, loi du lévirat, beaux-frères ou parents obligés d'épouser une veuve sans enfant (Deut., xxv, 5-10; cf. Ruth, iv, 5); Ketubot, contrats de mariage; Nedarim, vœux et leurs obligations (cf. Num., xxx); Nazir, le vœu du naziréen (Num., vi); Gillin, les libelles de divorce (Deut., xxiv, 1); Sota, la femme suspecte d'adultère (Num., v, 11-31); Qidduchim, fiançailles cl unions matrimo­ niales. Section iv : Neziqim (dommages) : droit civil et cri­ minel. Dix traités se trouvant en J et B, sauf trois mentionnés plus bas. — Traités : Baba qamma (pre­ mière porte de la section), dommages en général et leurs réparations (cf. Ex., xxi, 33; xxn, 5, 6); Baba mesia (porte Intermédiaire), dommages mobiliers et Immobiliers, usure, locations; Baba batra (dernière porte), acquisitions, ventes et successions; Sanhédrin, tribunaux et peines capitales; Makkot (manque dans J), fustigation prévue par Deut., xxv, 1 -3; Chebuot, ser­ ments, leurs espèces cl valeur, dépôts (cf. Lev., v, 2-6); Eduyot (pas de gemara), témoignages, et discussions rabbinlques sur quelques questions; Aboda Zara, Idolâtrie; Plrqé Λ bot (pas de gemara), sentences mo­ rales et conseils des Pères (docteurs anciens); Horayot, décisions erronées. Section v: Qodachim (sacri flees et choses consacrées)· Manque dans J ; dans B les deux derniers traités sont sans gemara. — Traités : Zebahim, sacrifices (cf Lev., ι-vu); Menahot, offrandes végétales; Hullim, choses I profanes qu’on ne peut pas offrir ni manger; Bekorot, prcmlcr-nés (cf. Ex., xm, 2, 12 sq.; Lev., xxvn, 1 26 sq.; Num., vin, 16-18; xvm, 15-17; Deut., xv, 17 TALMUD. CARACTÈRES 19 sq.); Araqln, équivalences, estimations relatives | aux choses saintes, A leurs substituts (cf. Lev., xxvn, 2 sq.); Temura, substitutions aux offrandes (cf. Lev., xxvn, 10, 33); Kcritot, peine de ('extermination; Melia, profanations (cf- Num., v, 6-8); Tamld, le sacrifice perpétuel, biquotidien (ci. Ex., χχιχ, 38-42; | Num., xxvm, 3-8); Middot, mesures el description du Temple; Qinnim, sacrifices d’olscaux (cf. Lev., xn, 8; V, 1 sq.; I, 14-17). Section vi : Toharot (puretés):euphémisme désignant les Impuretés rituelles. — Traités: Kelim, vases, con­ ditions de pureté (cf. Lev., xr, 32 sq.; Num., xix, 14 sq.; xxxi, 20 sq.); Oha lot, souillures du fait d’un cadavre dans la maison (cf. Num., xix, 14); Negaim, plaies, la lèpre, scs impuretés et purifications (cf. Lev., xiii; xiv); Para, la vache rousse (Num., xix); Toha­ rot (puretés), impuretés diverses; Mlqwahot, bains rituels (cf. Lev., xv, 12; Num., xxxi, 23; xiv, 8; xv, 5 sq.); Nidda, B, impuretés (par le sang) de la femme (Lev., xv, 19 sq.; xil); Makchirim, liquides qui souillent (cf. Lev., xi, 34, 37, 38); Zablm, impuretés masculines (flux séminal, Lev., xv); Tebul yom, celui qui a pris dans la journée un bain de purification et qui reste Impur jusqu’au soir (Lev., xv, 5); Yadaim, ablutions des mains; Uqsim (pédoncules), impuretés des fruits. Traités extracanoniques, postérieurs A l’âge tannaïte et qui figurent dans le Babli (ordinairement après la section iv) : A bot de Rabbi Nathan, complé­ ment et commentaire des Pirqé A bot; Sopherim, règles pour la transcription des Livres saints; Ebel rabbati (euphémisme : semahot, joies), grand traité sur le deuil et les morts; Kalia (llancéeou épouse), sur les rapports conjugaux; Dèrèk éràr rabba (grand chemin de la terre), règles de conduite; Dèrèk èrès zuta (petit chemin de la terre), item, plus bref; Pèrèk ha-chalom, chapitre de la paix. Certains manuscrits contiennent sept autres petits traités: Séphér Tora (volume de la Tora), règles de sa transcription; Mezuza, sur l’écriteau à mettre audessus des portes (Dent., vi, 9; xi, 20); Tephillim, phylactères (Dent., vi, 8; xi, 18; Ex., xur, 9, 16); Sisit, sur les franges du manteau (Num., xv, 37-41); Abadim, code des esclaves; Kutim, Samaritains; Gerim, prosélytes. 2° Caractères des Talmuds. — 1. La forme. — A pre­ mière vue l’on est frappé par la différence de volume qui distingue les deux Talmuds, différence accrue en­ core par le fait que les éditions courantes du Babli entourent ou font suivre le texte de nombreux com­ mentaires, tandis que le Jeruiatmi est le plus ordi­ nairement imprimé, accompagné seulement de quel­ ques références. De toute manière il semble que le Talmud palestinien ne représente guère plus du quart ou du tiers de l’autre : cela tient à ce qu’il contient moins de traités et que sa manière est beaucoup plus concise. Base d’appréciation assez sûre, que ne peu­ vent fournir les douze in-folios des éditions classiques du Babtl, aux pages si inégales selon la quantité des commentaires qui encadrent le texte : la traduction de Goldschmidt contient environ 10 000 pages, In-8°, A l’impression massive et serrée, un quart A peine étant pris par les notes. Mode de citation : les éditions du Babli ayant toutes la même pagination, suivant l’édition princeps de Daniel Bomberg (Venise, 1520-1531), on se contente d’indiquer lu page du traité et de préciser recto (a) ou verso (b); pour le JeruSalmi, on donne le chapitre (et souvent le verset, ou michna·halakha) du traité et on joint parfois l’indication de la page (éditions de Cracovlc ou de Krotoschln) et mention de la colonne (a et b, pour le redo, c et d pour le verso). En principe les deux Talmuds se donnent pour un 18 commentaire de la Michna : dans le Jerufalmt elle est reproduite tout entière au commencement de chaque chapitre; le commentaire suit, divisé en para­ graphes (consacrés aux halakhot successives), de plus en plus brefs A mesure qu'on avance; dans le Babil, sont transcrits quelques lignes de la Michna, puis suit la gemara. Ce commentaire aurait pour objet de déter­ miner quelle est la décision obligatoire sur les sujets abordés; mais ce premier objectif n’est pas simple en sa réalisation et, en cours de route, surviennent bien des complications. D’abord la Michna sur le même point présente des décisions différentes, provenant de rabbins divers : lequel doit l'emporter? Au surplus, après la rédaction de la Michna, les écoles rabblniques n’ont cessé de fonctionner, élaborant des législations nouvelles, opposées entre elles et différentes des dis­ positions anciennes : laquelle fera autorité? Ces déter­ minations entraînaient entre docteurs des discussions en forme, dont nous trouvons le compte rendu dans les Talmuds : thèses contraires, objections, instances, arguments de toute espèce. Autres sujets d'enquête et de controverse : quelle décision s’applique A tel cas particulier? De quel docteur est telle opinion? Com­ ment s’accorde-t-elle avec telle autre opinion émise par le même rabbin, ou avec les vues de tel autre doc­ teur?... Arguties sans fin telles que pouvaient les con­ cevoir des Juristes doublés de casuistes et une gent raisonneuse entre toutes: on les nomme des pitpulim (grains de poivre), mot qui exprime bien la subtilité insaisissable de certains arguments. D'ailleurs A notre expression « couper les cheveux en quatre » préludait déjà le jugement porté dans la Michna (Hagtga, i, 8) : • Les règles sur la dispensation des vœux volent en l'air sans aucun support ; les prescriptions relatives au sabbat, aux offrandes pour les fêtes et nu sacrilège sont comme des montagnes suspendues A un cheveu, comportant peu de bases scripturaires et quantité de préceptes. » Le lecteur, non familiarisé avec cette lit­ térature, n’est pas long A perdre pied en certaines de ces discussions par trop enchevêtrées. D’autant que la dialectique mise en œuvre ne s'ac­ corde guère avec les habitudes que les esprits occiden­ taux ont contractées en pratiquant la logique aristo­ télicienne ainsi que les raisonnements par syllogisme et les déductions claires et rigoureuses. Nous retrou­ vons dans cette dialectique les procédés herméneuti­ ques, utilisés par les rabbins dans l'interprétation (les Écritures, lesquels sont également des méthodes d'argumentation. Voici les modes classiques. D’abord les sept règles de Hillel : il ne les a pas com­ posées ni codifiées lui-même, mais elles étaient en usage A son époque (début de l’èrc chrétienne) : 1. de minori ad majus, ou plus exactement a fortiori; 2. con­ clusion par assimilation; 3. établissement d'un prin­ cipe d’après une seule écriture; 4. établissement d’un principe sur deux écritures; 5. conclusions qu’on peut tirer de l’emploi du général et du singulier; 6. rappro­ chements de textes; 7. usage du contexte. De ces pre­ mières règles dérivent celles d’ismaèl (f 135) : si elles n’ont pas été arrêtées par ce rabbin, elles remontent A l’âge t minait e : 1. a fortiori; 2. assimilation; 3. établis­ sement d'un principe; 4. général et singulier; 6-11. di­ verses combinaisons du général et du singulier; 12. règle du contexte et proposition déterminée par sa finale; 13. comment concilier deux écritures qui se contredisent. On attribue A Éllézer ben José le Goliléen trente-deux règles, plus complexes et dont la plu­ part ne concernent pas la dialectique halakhiquc; citons les plus caractéristiques, qui viennent de K. Aqiba : inclusion ou exclusion résultant d’une ex­ pression prise en sa rigueur littérale; combinaisons d’exclusion et d’inclusion; répétitions, assimilationset paraboles... Cf. J. Bonsirvcn, Exégèse rabbinique et 19 TALMUD. CARACTÈRES cxJgÎse paulinlenne, Paris» 1939, p. 77-116, 160, 186199. Aux difficultés de cette dialectique spéciale se Joi­ gnent d'autres causes d’obscurité : une terminologie particulière que seul un long usage, sous la direction d'un maître, rend familière, cf. W. Bâcher, Die exegetiscke Terminologie der jûdischen Traditionsliteratur, Leipzig. 1899; des incohérences dans les développe­ ments, dont le fil est souvent rompu par l'introduction d’un sujet étranger et inattendu; un style parfois terriblement diiTus, parfois bref, dense et impéné­ trable, surtout dans le Jeruialmi, célèbre par sa concision. On trouve aussi des expressions conven­ tionnelles, probablement à Un mnémotechnique, A peu près inintelligibles; de tout autre espèce sont les sima­ niai. assez fréquents dans le Babil, groupements de lettres, qui ont pour but de rappeler une succession d’idées, l’essentiel d’une doctrine. La langue des Talmuds comprend deux parts. Nous trouvons l'hébreu post-biblique ou michnique, parlé dans les écoles : dans les citations de la Michna, dans les exposés halakhiques et les discussions des tannas et aussi, fréquemment, dans les propos juridiques des amoras. Nous avons aussi l’araméen, surtout dans les parties haggadiques, dans les sections narratives, d’une manière générale dans tout ce qui est populaire d'origine et de contenu. Dans le JeruSalrni cet aramécn est l’araméen palestinien ou occidental, appa­ renté A l’araméen biblique, au samaritain et à la langue des largums palestiniens. Dans le Babli c'est l’araméen oriental, proche du syriaque et du mandéen. Si l'on tient compte de ces particularités on com­ prend que la meilleure, sinon la seule méthode pour se rendre maître de ce redoutable grimoire est la mé­ thode traditionnelle, suivie par tous les grands talmudistes : sc mettre dès l'enfance à l’école d'un docteur rompu À la langue et à la terminologie, connaissant les arcanes de la législation et des traditions, lire et relire avec lui, répéter et apprendre ainsi, tout empirique­ ment, bien des notions qu'on ne découvrira jamais complètement dans les ouvrages les plus scientifiques et critiques : dictionnaires spéciaux, grammaires, ter­ minologies. 2. Le fond. — Comme l’indiquent les titres des trai­ tés, l’objet principal cl ordinaire des Talmuds est presque uniquement juridique : sauf les Pirqé Abot, haggadiques, ils n'étudlenl que des lois positives, dans lesquelles le culte du Temple et les observances rituel­ les tiennent une place considérable : directement rien sur le Décalogue ni sur les devoirs de religion inté­ rieure. Cette lacune sera suppléée par la part faite à la Haggada, dont nous parlerons. Les développements sur ces lois positives nous ren­ seignent-ils sur la liturgie du Temple, sur la vie sociale en Palestine aux environs de l’ère chrétienne? Assez peu. Les docteurs palestiniens et babyloniens ont continué de disserter et de discuter, même des siècles après leur suppression, sur le Temple, le Sanhédrin et autres institutions civiles et religieuses. Leurs propos, tant dans la Michna que dans les Talmuds, contien­ nent des éléments anciens, qu’on peut dégager avec quelque vraisemblance, ainsi dans le traité de la PAquc ou du Jeûne; mais presque tout n’a qu’une valeur académique : par exemple ce qui nous est rapporté sur la procédure criminelle du Sanhédrin reflète, non les usages pratiqués avant la ruine de l'État juif, mais les conceptions de rabbins qui dissertaient dans les écoles : vues théoriques et surenchères sur la justice idéale. Avant de proposer des conclusions historiques cer­ taines, il faudrait entreprendre un travail critique, à peine ébauché et commencé pour la Michna : la déter­ mination des sources. Pour la Michna, par l'étude cri­ 20 tique interne, par la comparaison avec la Tosephla, on arrive A découvrir les différentes couches de rédac­ tion. Pour le Talmud le discernement est autrement malaisé : on reconnaît ce qui provient de la Michna, de la Tosephla, des commentaires anciens (midrachim tannaïtes : Mekhilla sur l’Exodc, Si/ra sur le Lévilique, Si/ré sur les Nombres et le Deutéronome; por­ tions du Midrach rabba sur le Pentatcuque et les cinq megillot, c’est à dire le Cantique, les Lamentations, Ruth, Esther et l'EcclésIaste); on découvre des cita­ tions d’ouvrages aujourd'hui perdus; mais il y a aussi des sources uniquement orales, malaisées A identifier. Et même quand les sources sont identifiées, restent encore des problèmes insolubles : les traditions don­ nées comme tannaïtes (barailot) remontent-elles sûre­ ment aux deux premiers siècles et. dans ce long espace de temps, à quelle période précise? Nous avons déjà mentionné les portions de Haggada que contiennent les deux Talmuds, environ le tiers du Babli et le sixième du JcruXalnü. Ce genre plus facile était cultivé par la plupart des rabbins, principale­ ment en Palestine; certains étaient célèbres en raison de leur haggada. Ils en usaient, non seulement dans leurs prédications, mais aussi dans les écoles, pour éclairer leur enseignement juridique par des considé­ rations édifiantes, ou illustrer tel précepte par un exemple significatif et encourageant. Inévitablement, de cet usage nous trouvons de nombreuses traces dans le Talmud, plus largement dans le Babli, parce qu'au cours de sa rédaction prolongée il a pu recevoir de plus nombreuses additions; par contre les Palestiniens ne sentaient pas le besoin d’insérer dans leur collection des traditions qui étalent déjà publiées dans plusieurs ouvrages haggadiques de leur pays. Ces passages hag­ gadiques prennent parfois l'apparence de véritables interpolations, s’introduisant sans aucune raison dans la suite du texte; le plus souvent elles sont amenées par la suite du développement. C'est cette partie haggadique que des chrétiens peu­ vent plus facilement goûter et utiliser. Là nous trou­ vons d’abord des exégèses scripturaires, qui ne se limitent pas au point de vue juridique. Là aussi nous rencontrons les matériaux permettant de reconstituer ce que nous pouvons appeler la théologie rabbinique, terme très impropre puisque le Judaïsme ne professe aucune théologie officielle et que la haggada s’impose, moins encore que ia halakha, à l’obéissance ou à la foi. Cependant des rabbins symbolistes entendaient ainsi les mots du Deutéronome, xi, 22 : « Si vous marchez dans toutes les voles du Seigneur et vous attachez à Lui » : « Si tu veux connaître Celui qui a dit et le monde fut, apprends la Haggada, car ainsi tu connaî­ tras le Saint, béni soit-il, et tu t’attacheras à ses voies.» Si/ré, Deal., xi, 22. Nous ne pouvons songer à résumer cette doctrine qui remplirait des volumes; il convient pourtant d’en marquer les directions principales. Le dogme capital, confié par Dieu à Israël et qui demeure la raison d’être de son existence nationale, c'est le monothéisme, monothéisme moral, préciset-on souvent : non seulement la thèse de l’unité et de l'unicité divine, mais la notion corrélative: Dieu s’est révélé afin d’enseigner à ses créatures une doctrine de vie. Les maximes des rabbins sur Dieu présentent deux caractères qui semblent s’exclure : d’une part Ils sont très attentifs à éviter toutes les expressions qui com­ porteraient un manque de respect ou qui rabaisse­ raient l’Invisible au niveau de l’humain et du maté­ riel; d’autre part, surtout dans les prières, ils témoi­ gnent une confiance, une familiarité étonnantes et par­ fois ils décrivent le Très-Haut sous des traits tout ter­ restres. D'aucuns ont Incriminé cette liberté, comme irrévérencieuse et blasphématoire : en combien de I prédicateurs antiques retrouverait-on pareilles affa- À 21 Talmud, caractères bulatlons populaires et pareil plain-pled, enfantin et primitif! Voici d’ailleurs sur quels points la doctrine talmu­ dique, inspirée de la Bible, marque volontiers l’accent. L’unité divine est fortement affirmée, en contraste avec les aberrations du polythéisme et de l'idolâtrie. Le Dieu qu'on adore est infiniment élevé au-dessus des créatures, invisible et tout spirituel dans sa résidence des deux. Il s'affirme surtout dans son activité créa­ trice : 11 a créé de rien, par sa seule parole, le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent. Il ne cesse de pren­ dre soin de ses créatures par une providence univer­ selle, se mettant à leur service comme le plus diligent des serviteurs. Sa toute-puissance éclate dans les mira­ cles, plus encore dans la prédestination qui détermine l'être et la destinée de tout ce qui existe. Les règles de son gouvernement sont l’amour et la justice, le droit rigoureux et la miséricorde la plus indulgente, qui se concilient dans un accord imperturbable. Car Dieu est le « Père qui est aux deux > et aussi le roi à la volonté inflexible, abinu malkèinu. S’il commande la crainte, tout autant convient-il de lui vouer l'amour, plus haut et plus parfait. Cette théodicée, fidèle dans son ensemble à la doc­ trine biblique, accuse pourtant un infléchissement re­ grettable : une tendance à naturaliser Dieu, qui se traduit par les limitations qu'on voudrait prescrire à l’action divine, surtout dans le domaine de la liberté humaine. 11 deviendra de plus en plus difficile à un esprit juif d'admettre et de désirer le surnaturel pro­ prement dit, qui tient une si grande place dims la piété chrétienne, de concevoir même cette participa­ tion à la nature divine. Les Talmuds abondent en données sur les anges et les démons : héritage authentique des Écritures, mais trop souvent alourdi par les inventions d'une imagina­ tion orientale, prodigue en luxuriantes broderies. Malgré ces débordements de la fonction fabulatrice, cette angélologic tend à mettre en relief la grandeur divine : ces myriades qui entourent le trône du Sei­ gneur des siècles, qui s'empressent ù son service font sentir vivement l’altitude inaccessible de sa majesté, son universelle vigilance sur scs créatures. Le dévelop­ pement excessif donné à ces croyances prépare le ter­ rain pour des déviations doctrinales et surtout des superstitions. Si Dieu est le pôle autour duquel gravite la pensée juive, on peut dire qu’Israël est l’autre pôle qui attire et oriente conceptions et sentiments. Ce dogme, que nous appelons dogme national, se fonde, lui aussi, étroitement sur la révélation divine. L’Ancien Tes­ tament est rempli de témoignages sur l’élection de la nation aimée; les rabbins ne font que gloser les don­ nées traditionnelles. C’est gratuitement, avant tout mérite, que Dieu s'est attaché un peuple, le plus petit de tous. Cette grâce première a noué entre Dieu et Israël un lien indissoluble : au < peuple de Dieu » ré­ pond le « Dieu d'Israël »; les Israélites sont ses enfants, même quand ils lui désobéissent ; Ils sont la nation par laquelle le Saint a voulu que fût prononcé son nom. Aussi prend-il soin des siens dans une affection paternelle, qui se traduit tout autant par une justice vengeresse et médicinale que par des faveurs. Ce pri­ vilège oblige Israël à une haute sainteté et lui vaut des qualités éminentes. La nation sainte a pour principale mission d'être la dépositaire et la missionnaire de la Révélation divine : par là elle est en quelque sorte devenue nécessaire à Dieu. Ces convictions ont pour conséquence : d'une part, une estime excessive pour Israël qu'on décore de toutes les vertus; d'autre part, une sévérité systéma­ tique pour les nations étrangères : éloignement et hostilité qui trouvent leur excuse dans les vices des 22 païens et dans les persécutions et vexations qu'ils avaient Infligées au peuple de Dieu. Il ne faut donc pas s'étonner de trouver dans le Talmud à l’égard des gentils les pires condamnations : Dieu les hait et les rejette, en raison de leur Idolâtrie qui l’insulte et à cause des homicides et des débauches par lesquelles ils pervertissent leurs semblables. Aussi bien ne méri­ tent-ils pas d’être tenus pour des hommes, mais pour des animaux; et un docteur, qui avait beaucoup souf­ fert de la cruauté romaine, disait : · le meilleur des gentils, à mort! » Au reste, il serait injuste, comme le font les antisé­ mites, de taire les déclarations favorables aux païens. Leur idolâtrie est excusée, parce que coutume tradi­ tionnelle, et elle est considérée comme légitime hors de la Terre suinte. On célèbre les vertus de leurs justes : leur piété filiale, leur hospitalité... On déclare que le gentil qui observe la loi est semblable au grand-prêtre et a droit à la récompense divine, à la vie qui est pro­ mise à tout fidèle, quelles que soient sa condition et son origine. D’autres docteurs relèvent que Dieu a fait tous les hommes égaux, puisqu’il les a tous créés à son image, puisqu’il les fait venir tous du même père, puisqu’il a ordonné d’aimer son prochain comme soimême. A considérer l'ensemble de ce dossier, on doit re­ connaître qu’en théorie, malgré tous les accents de haine, le Talmud émettait des principes de franc universalisme. Cependant, en fait, le particularisme l’emporte, surtout en pratique. Dans leur vision de l’humanité, les Juifs étaient commandés par un seul point de vue : distinguer nettement les ennemis de Dieu des fidèles qui gardent sa Loi. Dans leurs pré­ ceptes touchant les rapports avec les étrangers ils visent ù un séparatisme à peu près total, afin de sous­ traire le peuple de Dieu à la contagion de l'idolâtrie et de l’immoralité ambiantes. Un chapitre Important de la dogmatique juive est celui des fins dernières, individuelles et collectives; en cette matière l’enseignement des rabbins reproduit et prolonge les données bibliques. Aussitôt après la mort les hommes sont jugés selon leurs œuvres, jugement particulier qui est suivi d’une rétribution, punitions de la géhenne ou délices dans un habitacle spécial : ainsi commence pour chacun le · siècle qui vient >. Fins dernières nationales : le messianisme. Plus on avance, plus vive se fait l’attente d’une restauration nationale : le peuple élu retrouvera, et dans une forme sublimée, ses institutions, son roi, son culte, soit sur cette terre, soit dans un momie renouvelé et transfi­ guré. Cette ère finale se distinguera tout à la fois par une prospérité matérielle extraordinaire et par le règne de la justice, de la paix, par une intimité étroite avec Dieu. Dans ce royaume nouveau la tradition assigne un rôle prépondérant au Messie. Pour les rabbins, ce personnage, quoique béni de Dieu, ne sera qu’un homme entre les hommes, n’ayant rien de surhumain, encore moins de surnaturel. Est-ce par opposition au christianisme que les rabbins ou bien négligent cer­ tains textes prophétiques faisant du Messie le Fils de Dieu, ou bien ne leur attribuent qu’un sens na­ turel? Plus fermes et plus conformes aux doctrines tradi­ tionnelles sont les vues sur les fins dernières univer­ selles : résurrection des corps, qui est un dogme pha­ risien, jugement universel, récompenses de l’Éden ou supplices ue la géhenne. Ces convictions qui soutien­ nent l’cspériuice, sont aussi un stimulant pour une vie morale plus haute. La théologie morale, professée dans le Talmud, honore grandement l’esprit Juif, surtout quand on met en parallèle avec elle les mœurs et règles de conduite en vigueur dans le monde antique. Ici encore les rabbins 23 TALMUD ET JUDAÏSME se maintiennent dans la voie frayée par les prophètes et les sages de ΓAncien Testament. Des notions justes sur la nature humaine, sur la liberté, sur les droits de Dieu, permettent de donner â la moralité des bases solides : Israël gardera la Loi de Dieu parce qu'il s'y est engagé en acceptant l'alliance du Seigneur, parce qu'il doit sanctifier le nom divin, procurer la gloire de son Créateur, l’imiter, lui témoi­ gner son amour. En outre les préoccupations morales de l'âme juive s'attestent dans les vues sur le péché, sur l'efficacité de la pénitence, qui comprend une conversion profonde, le renoncement aux habitudes mauvaises et la volonté de mener une vie droite. Les grandes lignes de la piété juive sont indiquées par la sentence d'un très ancien maître, Simeon le Juste (in· s. av. J.-C.) : · Le monde est supporté par trois bases : la Loi, le culte, les œuvres de charité. » Pirqué AM, i, 2. Cette formule montre la place prépondérante que la sagesse juive attribue à la Loi, ou plus exactement à son étude : obligation qui prime les autres, apprendre la Loi, fréquenter les écoles. Le juste et le saint, c'est avant tout le rabbin, qui étudie et enseigne la loi. C'est que le fondement de toute la religion est la Tora, à savoir, non seulement la Loi, mais l'Écriture com­ muniquant la Révélation divine. Ainsi ressort en haut relief le caractère essentiel du judaïsme : il est une religion positive, promulguant les exigences foncières de la religion naturelle, mais révélées par Dieu luimême. D'ailleurs les docteurs qui proclament le primat de la Tora et de son étude, déclarent que la vertu doit être supérieure à la science. Dans le détail, la morale rabbinique suit et déve­ loppe les prédications des livres prophétiques et des écrits sapientiaux. Nous ne pouvons donner ici que des indications générales et incomplètes. Une place très large est faite aux devoirs envers Dieu : partici­ pation à la liturgie du Temple; assistance aux offices de la synagogue; culte domestique qui fait du foyer un sanctuaire et de la table de famille un autel; prière intérieure qui rejoint d'un trait continu les oraisons imposées par la Loi; bénédictions innombrables qui sanctifient les actions de la journée; observances qui entourent la personne d'hommages à Dieu et du sou­ venir de sa présence. Relativement aux devoirs envers le prochain, la morale talmudique s'inspire de deux principes com­ plémentaires : règle de justice stricte, · ne pas faire à autrui ce qu’on déteste qu'il soit fait à sol-même »; esprit de charité, « aimer les autres comme soi-même ». Ces deux tendances, souvent si difficilement concilia­ bles, doivent déterminer les directives d'un code, com­ posé, non pour l'humanité en général, mais pour un groupe en quelque sorte familial, comme était la com­ munauté juive : envers des frères les devoirs de cha­ rité primeront les obligations Juridiques. En consé­ quence Il est interdit de faire aucun tort tant à la per­ sonne qu’aux biens du prochain et, de plus, il est or­ donné de prêter sans exiger aucun Intérêt à son com­ patriote dans le besoin; on ne doit pas retenir plus de sept ans un esclave Israélite, qui est, d'ailleurs, traité comme un membre de la famille. Et surtout il est imposé d'assister les pauvres par l'aumône et de pra­ tiquer les œuvres de charité : visiter les malades, con­ soler les afiligés, s’attrister avec ceux qui souffrent, se réjouir avec ceux qui sont dans la joie. On comprend que les étrangers soient traités d’une autre façon. Envers eux plus de devoirs de charité : non seulement on peut, mais on doit exiger l’intérêt de l’argent qu'on leur prête; on n'est pas tenu de leur rendre ces offices de bon voisinage qu’on pratique entre compatriotes. Certains rabbins auraient voulu qu'on pût, dans les transactions et dans les jugements, 24 profiter de leurs erreurs ou même les tromper, l.c prin­ cipe a prévalu qu’il ne faut leur causer aucun dom­ mage et qu'il est plus grave de léser un gentil que de léser un Israélite : que l'on prenne garde Λ ce que le nom divin soit, non blasphémé, mais reconnu et sanc­ tifié. Très belles et conformes ù l'idéal biblique sont les maximes qui règlent la morale familiale : en ce qui regarde l'union conjugale, le respect de la femme, l'au­ torité du père sur les enfants, le judaïsme s’est montré fort supérieur aux morales et civilisations païennes. 11 était également attentif à sauvegarder la pudeur, la chasteté, la bonne tenue. SI les prescriptions relatives à la morale sexuelle entrent dans tous les détails né­ cessaires, si l’on peut citer des mots choquants de tel rabbin, dans son ensemble, le Talmud, sur le chapitre de la chasteté et de la pureté, tout en tenant le langage des casuistcs, fait entendre la même note que les Pro­ verbes et que l'EcclésIaslique. Somme toute, nous pouvons porter sur le Talmud le même jugement que sur le judaïsme en général. Il est ordinairement fidèle â la doctrine révélée contenue dans l'Ancien Testament. Toutefois nous relevons des déviations, qui, sans atteindre le fond, orientent vers une religion de forme plus naturelle et plus rationa­ liste. Ces infléchissements sont dus à une majoration excessive de deux dogmes : l'élection d'Israël, l'auto­ rité divine des Écritures, de la Tora. Le souci prédominant de sauvegarder dans son être propre la nation sainte, conduit, en pratique, à un séparatisme et à un particularisme étouffants et rui­ neux, ù un orgueil ethnique inévitable, qui se tourne facilement en racisme, en haine à l'égard de l’étranger. Le culte pour un peuple, la quasi-adoration de la lettre de la Loi conduisent aux conséquences suivantes : une telle estime pour la liberté humaine qu’on la voudrait impénétrable au bon plaisir de Dieu et à l’action de sa grâce; une répugnance pour le surnaturel proprement dit ; l’esprit légaliste et juridique envahissant, qui mul­ tiplie les prescriptions, étouffe la vie dans un réseau impénétrable d'observances et de pratiques, ouvrant ainsi la porte au formalisme, si proche de l’hypocrisie; l’autorité exorbitante attribuée aux décisions rabbiniques, qui lient le vouloir de Dieu et mettent en échec ses commandements; l'hostilité à l'esprit intérieur; l’inintelligence croissante du prophétisme. Par suite, si le judaïsme demeurait très supérieur à toutes les religions et philosophies anciennes, s’il pou­ vait fournir aux âmes de bonne volonté un aliment solide et de bon aloi, il les fermait le plus souvent au message chrétien, tout surnaturel, et lui-même se murait de plus en plus jalousement dans un particula­ risme ombrageux, qui paralysait grandement son rayonnement et son expansion prosélytique. On trouvera de plus amples développements dans J. Bonsirven, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ; sa théologie,2 vol., Paris, 1935; du même, Les idées juives au temps de Noire-Seigneur, Paris, 1934; du même, Sur les ruines du Temple, ou le judaïsme après 70 (coll. La vie chrétienne), Paris, 1928. III. Le Talmud et le judaïsme : autorité et in­ fluence. — On ne peut citer aucune déclaration d'une autorité juive reconnaissant au Talmud force de loi. Il a joui pourtant pendant des siècles, et jouit encore auprès de beaucoup, d’un crédit unique : on a souvent dit · le saint Talmud », on l’a mis presque sur le même pied que les Écritures sacrées. Cette situation de fa­ veur tient surtout au fait que la compilation est de­ venue immédiatement objet d’étude cl de révérence dans tout le monde juif. Cependant le Talmud ne pouvait être tenu pour un code ayant autorité juridique. D’une part on sentait que scs parties haggadiques ne prétendent et ne peuvent 25 TALMUD ET CHRISTIANISME aucunement s'imposer à la croyance des fidèles : elles sont l'expression de la piété, des convictions, des rêve­ ries, des connaissances de rabbins vénérables : ce n’est pas suffisant pour constituer un credo. D’autre part, si on y cherche la hatakha, on y découvre des positions différentes, souvent opposées, entre lesquelles il faudra choisir; par ailleurs le défaut de composition systéma­ tique ne permet pas de traiter le Talmud comme un code. Il est la source à étudier pour la fixation de la halakha, comme le reconnaissent des écrivains Juifs parfaitement orthodoxes et pleins de respect pour le monument traditionnel. Cf. Samson Baphael Hirsch, Ueber die Beziehung des Talmuds zum Judentum und zu dec sozialen Stellung seiner Bekenner, Francfort-surle-Mein, 1884; Stern et autres; voir Strack, Einleitung im Talmud, vu, $ 1. Celte autorité, au contraire, on la reconnaît aux codes méthodiques, dérivés du Talmud : d'abord à la Michné Tora de xMalmonidc (1135-1204), pourtant d'abord vivement combattue par les fervents du Talmud, ce qui atteste le crédit inentamé de ce dernier; ensuite et surtout au Chulkan aruk (table dressée) de Joseph Caro (1488-1575), re­ cueil méthodique de toutes les observances, auquel se réfèrent encore croyants et pratiquants. Néanmoins le Talmud jouit d’une autorité supé­ rieure, d’ordre tout intrinsèque, qui vient de la place qu'il a tenue, presque jusqu'à nos jours dans la vie juive. S. R. Hirsch écrit : < Le Talmud est l'unique source dont dérive le judaïsme, le fondement sur le­ quel Il repose, l'Ame vivante qui l'a modelé et conservé. En fait le judaïsme, tel qu’il s’est Incorporé dans les manifestations historiques du peuple juif en Occident et tel qu’il apparaît dans ses virtualités et ses qualités, que même ses ennemis lui reconnaissent, est totale­ ment un produit de l'enseignement talmudique cl de l'éducation et de la culture qui en découlent. » Op. cit., p. 5 sq. Et l’auteur énumère toutes les vertus que le Talmud a développées chez les Juifs. En effet, d’abord en Orient, puis dans les pays du monde où prospéraient des communautés juives, assez nombreuses et puissantes pour entretenir des écoles, le livre sur lequel maîtres et étudiants exerçaient leurs facultés était, à côté de la Bible, le Talmud, principa­ lement le Babli, qui est le Talmud par antonomase. Bientôt les docteurs composaient des commentaires sur le Talmud ou sur quelques-uns de scs traités. Un des plus célèbres, le plus classique, toujours pratiqué, est celui de Babbi Salomon ben Isaac de Troyes (10401105), nommé simplement Rachi, d’après les initiales de son nom. Ces commentaires fondamentaux ne tar­ daient pas à se voir expliqués par des supercommen­ taires. Cette faveur, continuelle et universelle, du Tal­ mud ne fut combattue que par des adversaires qui ne purent en triompher : au vin· siècle, les Garnîtes, qui voulaient revenir à la lettre stricte des Écritures; aux xii· et xiii· siècles les adeptes de la philosophie araboaristotéllcicnne; un peu plus tard le succès de la Kab­ bale est dû à une réaction contre le juridisme rabblnlque. Dans les écoles, dans les Yechibot, les rabbins ne laissaient pas de consumer jours et nuits dans la lec­ ture du Talmud et dans les discussions qu’elle susci­ tait : là aussi était toute leur science. Comme le re­ marque un esprit fort libre, mais non moins ardent défenseur de l'ouvrage, révéré, I. Abrahams : « Pendant de longues périodes, le Talmud fut le principal ins­ trument de culture intellectuelle pour les Juifs. Plu­ sieurs des plus grands talmudlstes du Moyen Age ne laissèrent pas de sc vouer à la science et à la philoso­ phie, au sens technique du terme. Mais des quantités de Juifs ne s'intéressèrent intellectuellement qu'au Talmud et à la littérature connexe. Et la nature du Talmud les préserva de la stagnation. Car le Talmud 26 est un livre très varié, touchant presque tous les côtés de l’activité humaine. Le lire avec intelligence — et c’est ainsi qu’on le lit — forme largement aux arts, aux sciences et aux philosophies. Si vaste est le domaine couvert, qu'un étudiant du Talmud y trouve des renseignements sur bien des sujets, qui sont cons­ titués actuellement en disciplines distinctes. L'esprit de l’étudiant y demeure alerte et vivant. Jamais figé dans une attitude scolastique, mais toujours en con­ tact avec l'actualité. · Encyclopedia of Religion and Ethics, t. xii, p. 187. Apologie sincère mais forcée. Faire d’un livre si antique l'encyclopédie de tout le savoir était se con­ damner à tourner le dos à la science. C'est pourtant cette attitude d'obscurantisme systématique que les chefs d’école rabbinique, même encore au xx· siècle, en telle juiverie reculée de Pologne, voulaient imposer à leurs élèves, leur interdisant d’apprendre les langues et les littératures profanes, proscrivant les livres scien­ tifiques. Si le Talmud a sauvegardé pendant des siècles la vie et l'unité du judaïsme, s'il a aiguisé singulière­ ment l’intelligence de ceux qui l'étudient, n'a-t-il pas été préjudiciable à Israël? C'est ce qu'affirment bien des Juifs, pourtant très attachés à leur nation. Bernard Lazare déclare qu’en Imposant le Talmud les rabbanites retranchèrent Israël de la communauté des peuples, et en firent · un solitaire farouche... une nation misérable et petite, aigrie par l'isolement, abêtie par une éducation étroite, démoralisée et corrompue par un injustifiable orgueil ». L'antisémitisme, Paris, 1894, p. 14. Le grand historien du peuple juif, Graetz écrit : « Les défauts de la mé­ thode d'enseignement talmudique, la subtilité, l'habi­ tude d’ergoter, la finasserie, pénétrèrent dans la vie pratique et dégénérèrent en duplicité, en esprit retors, en déloyauté. Il était difficile aux Juifs de se tromper entre eux, parce qu'ils avalent tous reçu une éducation à peu près identique et que, par conséquent, ils pou­ vaient se servir des mêmes armes. Mais ils usaient souvent de ruse et de moyens déloyaux à l'égard des non-juifs, oubliant que le Talmud et les plus illustres docteurs du judaïsme flétrissent le tort fait aux adep­ tes d'autres croyances au moins aussi énergiquement que celui dont on se rend coupable envers des core­ ligionnaires. » Histoire des Juifs, trad, française, t. v, p. 154. Cette dernière citation suggère une distinction op­ portune : c’est moins le Talmud que l’éducation talmu­ dique qui ont causé aux Juifs traditionnels les plus lourds préjudices : les murer dans un ghetto spirituel, les réduire à une vraie minorité intellectuelle, les sépa­ rant ainsi du mouvement vivant de la civilisation, les dressant aussi contre l’ambiance chrétienne. IV. Le Talmud et le christianisme. — 1° Accu­ sations cl persécutions. — De bonne heure les chrétiens ont articulé contre le Talmud de graves accusations. On lui reprochait d'abord d’intolérables blasphèmes contre Jésus. De fait, malgré le vague et les anachro­ nismes des propos rabbinlques sur ce point, le Talmud contient le noyau de ces racontars, recueillis cl déve­ loppés dans l’infâme pamphlet des Toledot Jesu, com­ posé en Allemagne vers le ιχ· siècle, racontant la nais­ sance illégitime de Jésus, injuriant sa mère, expli­ quant comment le fondateur du christianisme fut mis à mort en punition de ses crimes d’hérésie et de magie. Isidore Lœb le reconnaît : < Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il se trouve dans le Talmud quelques attaques contre Jésus? Il serait singulier qu’il en fût autrement et, s'il faut s'étonner de quelque chose, c’est qu’il n’y en ait pas davantage. » Revue des études juives, t. i, p. 256. Autre grief : l’inimitié irréconciliable contre les chrétiens et, en général, contre tous les gentils. Nous avons déjà signalé les jugements sévères contre les 27 T/\LMUD ET CHRISTIANISME païens, les consignes à leur égard de rigoureux sépa­ ratisme. Nous trouvons, en outre, dans le Talmud, des condamnations particulièrement sévères portées con­ tre les minim : beaucoup voient là une désignation des chrétiens; des savants juifs assurent que ce vocable s'applique uniquement à des hérétiques juifs. Les adversaires du Talmud affirment également que les chrétiens sont désignés par les termes nokri (étranger, très voisin de nosri, nazaréen), akum, adorateurs des astres. Quoi qu’il en soit, on constate, même encore aujourd’hui, dans les Juiveries fermées un sentiment héréditaire de haine, tout au moins de méfiance, en­ vers tout ce qui est chrétien. B. Lazare, Antisémitisme, p. 350, 289 sq., voit là un legs du Talmud : < Le Juif est nnlichrétien partout où il vit à part, dans des ghettos, sous la direction de ses docteurs... Ce livre, le Talmud, contenait aussi les préceptes égoïstes, féroces et natio­ naux, dirigés contre les étrangers. Conservés dans ce livre dont l’autorité fut immense, dans ce Talmud qui fut pour les Juifs un code, expression de leur nationa­ lité, un code qui fut leur Ame, ces afllrmations cruelles ou étroites acquirent une force sinon légale, du moins morale... Le goy des Machabées, le minéen des doc­ teurs, devint le chrétien et au chrétien on appliqua toutes les paroles de haine, de colère, de désespoir furieux, qui se trouvaient dans le livre. » Bien entendu les chrétiens ne laissèrent pas passer ces attaques sans réagir vigoureusement. Ce sont d’abord des mesures juridiques et judiciaires. En 5*18 Justinien, par Ia novelle 146, interdisait de lire dans les synagogues la Michna, dont plusieurs docteurs chrétiens dénonçaient l’esprit antichrétien. Par la suite bien des évêques dévoilèrent tout ce que le Tal­ mud contenait contre le Christ et contre l’Église; l’opinion ne s’inquiétait pas, d’autant que les Juifs cachaient leur livre et sc présentaient uniquement comme les tenants de l’Anclen Testament. L’affaire prit une autre tournure quand des Juifs convertis pré­ cisèrent ces accusations, entre autres Nicolas Donin, de La Rochelle, qui soumit à Grégoire IX (1238) trente-cinq articles, reproduisant la doctrine du Tal­ mud : ordre fut donné aux évêques de se saisir du Talmud et d’ouvrir une enquête. A Paris, saint Louis, qui. d’ailleurs, gardait contre les Juifs une sainte animosité, fit brûler, en 1242, des exemplaires du Tal­ mud, après une dispute entre Nicolas Donin et le rabbin Yehicl. Depuis, on signale nombre de confis­ cations du Talmud, livré ensuite au bûcher, parfois par charrettes entières. Cependant les papes, plus tard, permettaient l’impression du livre, mais à con­ dition qu’il fut expurgé : d’où la nécessité pour les Juifs de sc livrer eux-mêmes à une censure, souvent plus rigoureuse que celle qu’aurait pratiquée l’Églisc; en conséquence dans la plupart des éditions manquent les passages qui auraient pu offusquer les chrétiens. Ces autodafés étaient souvent précédés de disputes entre rabbins et docteurs chrétiens, portant non seu­ lement sur le Talmud, mais sur tout le judaïsme. Ces polémiques donnèrent naissance à toute une littéra­ ture spéciale, attaques chrétiennes, apologies juives. En outre plusieurs chrétiens écrivaient contre les Juifs des pamphlets violents, les chargeant, surtout d’après le Talmud, des griefs les plus odieux : haine du nom chrétien, irrévérences envers Dieu, Indécences, morale corrompue... production infinie. Il serait in­ juste de faire figurer dans cette catégorie le Pugio fidei df Raymond Martini (1260), qui garde le ton d’un apo­ logiste modéré. Parmi les plus violents signalons : VEntdecktes J udenthum d’Elsenmcnger, dont la pre­ mière édition (1700) fut Interdite par l’empereur, à la demande des Juifs, deux volumes massifs et veni­ meux. mais bourrés de textes de toute espèce; le 77iL mudjude (le Juif du Talmud) d’Auguste Rohllng, avec 28 scs traductions en diverses langues (Munster, 1877) demeure encore une des armes les plus meurtrières de l’arsenal antisémite. Divers chrétiens s’honorèrent en prenant la défense du Judaïsme cl de scs livres : citons, au xvi· siècle un humaniste tel que Reuchlin, au xix· le savant estimé qu’était Eranz Delitzsch. Voir Félix Vernet, Juifs (Controverses avec les), ici, t. vin, col. 1870-1914; du même, Juifs et Chrétiens, dans Diction, apol., t. n, col. 1687-1694; Strack, op. cit., c. vu, § 1 ; Jewish Encyclopedia, t. xii, p. 22. Sur les attaques contre Jésus et l’Églisc : H. Laible, Jesus Christus im Thalmud, Leipzig, 1900; Strack, Jesus, die HOretiker und die Christen nach den âltesten jd· dischen Angaben, Leipzig, 1910; R. Travers Herford, Christianity in Talmud und Midrash, Londres, 1903. 2° Ressources pour la science des origines chrétiennes. — Nombreux furent aux xvi·, xvn· et xvm· siècles les savants chrétiens qui fouillèrent la littérature rabblnique afin d’y recueillir des données sur le milieu his­ torique et intellectuel du christianisme naissant : Reuchlin, Bartolocci, Surcnhusius, Morin, Ugolinl et tant d'autres. Aussi bien, en ces temps, trouve-t-on dans les œuvres des théologiens et écrivains catholi­ ques, Pctau, Thomassin, Pascal... des citations rnbbiniques; Bossuet, dans son Discours sur Γ Histoire universelle, part. II, c. xxi, déclare que, dans le Tal­ mud, « parmi une infinité de fables Impertinentes... on trouve de beaux restes des anciennes traditions du peuple juif », et, dans le chapitre suivant, il cite plu­ sieurs fois les rabbins. Cet usage semblait s’être perdu quand Schûrer et divers savants chrétiens remirent en honneur le recours à la littérature rabbinique; depuis on a vu quel profit ont tiré de ces écrits, chez nous, un P. Lagrange, un P. de Grandmalson, un P. Lcbreton... Nous nous permettons de reproduire ce que nous avons écrit «à ce sujet dans le Judaïsme palestinien, t. i, p. xiii sq. < Nombreux sont les auteurs chrétiens qui ont dénoncé, parfois avec une âpre Ironie, les tares qui doivent disqualifier ces documents (la littérature rab­ binique) ci détourner d’y recourir pour construire l’histoire : rédaction tardive, défaut d’éditions criti­ ques, flottements dans la transmission des sentences, incertitude sur leurs auteurs, crédulité puérile qui accepte toutes les fables, se complaît dans un merveil­ leux fantastique et dans les exagérations les plus sau­ grenues, anachronismes criants et Incohérences his­ toriques; par ailleurs ces écrits sont l’expression du pharisaïsme du second siècle et des milieux scolasti­ ques... Ajoutons les nombreuses difficultés que cette littérature oppose à scs familiers et à plus forte raison à tous ceux qui, dès l’enfance, n’ont pas été initiés à ses arcanes dans une école rabbinique : ils craignent tou­ jours quelques faux-pas en ce terrain semé d’embû­ ches. Néanmoins les savants chrétiens qui sc moquent des radotages rabbiniques reconnaissent de plus en plus que l’historien ne peut se dispenser d’interroger les livres rabbiniques; quant aux écrivains soit juifs, soit favorables au judaïsme, ils les déclarent la source principale, sinon unique. » (Ainsi Moore, Judaism in the first centuries of the Christian era, Cambridge, 1930, t. i, p. 126, volt là les écrits normatifs, représentant le judaïsme authentique). De fait nous arrivons à rassem­ bler des propos dont nous pouvons fixer la date, tout au moins le siècle; Il est ensuite facile de confronter entre eux ces matériaux, souvent disparates, de les comparer avec les données que nous fournissent le Nouveau Testament, les apocryphes et pseudéplgraphes de l’Anclen Testament, Josèphe, Philon : fais­ ceau de textes dont la convergence fournit une suffi­ sante certitude. Cf. G. Kitt cl, Die Problème des palAstinischen Spûtfudentums und das Urehristentum, Stutt­ gart, 1926; le même a montré, avec l’aide d’une équipe de spécialistes, ce que vaut cette méthode dans son 29 TALMUD — TAMBURINI (PIERRE) 30 Inappréciable Wôrterbuch sum N. T.; indispensable également nu travailleur est le Kommenlar sum N. T. ans Talmud und Midrash de Strack < l P. Biller beck. ben, Leipzig, 1927; Ix>wr, Tutorial preparation for Mlschna and Gemara, or Talmud without Master, Londres, 1926; XV. Bâcher, Die exegetlsche Terminologie der jûdUchen Traditlonsllteralur, Leipzig, 1899. Lu littérature du sujet. Immense·no peut être donnée ici : on lu trouvent en grande partie dons TEinleitung de Strack. Nous nous limitons h l'indication des instruments de travail nécessaires à une première Initiation. I. Textes et tkaductions. — 1· Michna : nombreuses éditions Juives, souvent accompagnées de commentaires; édition critique et études dans la collection entreprise par Beer et O. Holtzmann, Giessen, depuis 1912; H. Dunby The Mishnuh, translated from the Hebrew with Introduction and brie/ explanatory notes, Oxford, 1933; texte, traduction latine et deux commentaires (bins l'édition de Surcnhusius, Amsterdam, 1698-1703, 6 vol. 2e Talmud palestinien : éditions Juives courantes de Cracovie, Jitomlr et Krotoschin; traduction française de Moïse Schwab, Le Talmud de Jérusalem, traduit pour la première fois, Paris» 1371-1889 (réimprimé à Paris en 1932» 12 vol.); traduction latine de dix-sept traité» (en regard du texte) dans B. Ugolinl, Thesaurus antiquitatum sacrarum, Venise, 1755, 3· Talmud de Babylone : nombreuses éditions Juives; H. IXabhlnovicz, Sepher dikdukey sopherim. Varltc lectiones in Mischnam et in Talmud babylonlcum quum ex aliis libris antiquissimis et scriptis et impressis tum e codice Monacrnsi pncstantlssimo collects, annotationibus instructae (ne porto que sur les trois premières sections), Munich, 1868-1886, 15 vol.; I.. Goldschmidt, Der babylonische Talmud mil kurzen ErklOrungcn oersehen (texte peu critique et tra­ duction), Leipzig puls Hang, depuis 1897 (10 vol.); L. Gold­ schmidt, Der babylonische Talmud neu übertrayen (traduc­ tion seule avec quelques notes), Berlin, 1929-1938, 12 vol.; traduction anglaise, avec notes, par plusieurs collabora­ teurs, sous la direction du grand rabbin Herz (sections Xtzikim, Nashim ot Mocd), Londres, 1935-1938. •Ie Extraits : J.-J.-M. Rabbinowicz, Législation criminelle du Talmud, Paris, 1876; du môme. Législation civile du Talmud, Paris, 1878-1880, 5 vol.; A. Wuenschc, Der jerusalemlsche Talmud in seinen haggadlschen Bestandtheilen tum ers ten Male in's Deutsche ûbertragen, Zurich, 1880; du même, Der babylonische Talmud in seinen haggadlschen Bestandtheilen, Leipzig, 1886-1889; XV. Bâcher, Die Agada der Tannaiten, Strasbourg, 1881-1890, 2 vol.; du même. Die Agada der babylonlschen Amordcr. Strasbourg, 1878; du même, Die Agada der paldstinischen Amordcr, Stras­ bourg, 1892, 3 vol.; Cohen, Everyman's Talmud, Londres, 1932, traduction française sous le titre : Lr Talmud, exposé synthétique, Paris, 1933; C. Monteflorc et C.-G. Lœwe, Rabbinic Anthology selected and arranged udth Commenta­ ries and Introductions, Londres, 1938; Bricrre-Narbonne, Exégèse talmudique des prophéties messianiques (texte et traduction), Paris, 1931; E. Hcg, Anthologie juive, t. i, p. 177-285, Paris, 1923; N. Netter, Israël et son Talmud. Paris, 1926; H. Moins, Échos des Psaumes dans le Talmud, Nice, 1926; L. Bennan, Contes du Talmud, Paris, 1927. IL Introductions. — H. Strack, Einleitung in Talmud und Mîdrascht 5· édit., Leipzig, 1921; traduction anglaise, augmentée do notes, Philadelphie, 1931; M. Mlclziner, Introduction to the Talmud, 2· éd„ New-York, 1925; J. Fromer, Der Talmud, Geschichte, Wesrn und Zukun/t, Berlin, 1920; Eieblg, Der Talmud, seine Entstehung, sein Wesen, sein Inhalt, Leipzig, 1929; Schürer, Geschichte des jùdischen Volkes (m Zeltalter Jesu Christi, t. i, 4· édM Leipzig, 1901. Sur la langue : XL-H. S égal. A Grammar of Mlshnaic Hebrew, Oxford, 1927; Dalmann, Grammatik der jûdischpaldstlnischen Anundisch, Leipzig, 1891; Marshall, Manual oj the Aramaic Language o/ the Babylonian Talmud, Lcyde, 1929; C. Levian, Λ Grammar oj baby Ionian Aramaic. 2· éd., New-York, 1930; Margolis, Lchrbuch der aramdischen Sprachc des babylonischen Taimuds, Leipzig, 1910; Nathan ben Yehlel, Scpher ha-aruch (dictionnaire), 1180, réédité avec de nombreux compléments, par Kohut, Aruch completum. 2· éd.. Vienne, 1926, 8 vol.; J. Levy, Neuhebrdisches und chalddisches Wdrterbuch ûberdle Talmudlm und Mldraschim (réédition de Fleischer et Goldschmidt), Berlin, 1924; Jastruw, Λ dictionary oj the Targumim, the Talmud babli and yerushalmi and the midrashic Literature, New-York, 1926; G. Dalmann, Aramdisch-ncuhcbrdischcs llandivorterbuch zum Talmud und Mldrasch, 3· éd., Francfort, 1938; Eliezer Ben Jehuda, Thesaurus totius hebraitalis et veteris el recentioris (incomplet), Berlin ; Dalmann, Aramdischen Dialektpro- J. Bonsirven. TALON Jaoqu··, prêtre de POratoire, parent du célèbre avocat général Omer Talon, est né à Paris en 1598; scs études achevées. Il entra dans l’état ecclé­ siastique et s’attacha au cardinal de La Valette qu’il suivit à la tête de nos armécx dans les campagnes d’Allemagne de 1035 et 1636. Celui-ci étant mort en Italie en 1639, Talon défendit sa mémoire; en 1645, il assista, en qualité de député du 2* ordre à l’assemblée du clergé tenue à Paris et rédigea comme secrétaire le procès-verbal qui fut imprimé : Procéx-oerbal de VAssemblée du clergé, Paris, 1645, in-jolio. Il se retira ensuite au séminaire de Saint-Maglolre, où il reçut la prêtrise; Il entra dans la Congrégation le 11 novembre 1648 à l'âge de 50 ans. Il y composa instruction chrétienne, tirée du caté­ chisme du concile de Trente, qui comprend en abrégé les principaux points de notre religion, tant pour ce qui regarde la foi que pour ce qui concerne les moeurs, par le P. Jacques Talon, prêtre de la Congrégation de l’Oratoire, Paris, 1667, in-16. C’est un abrégé du concile de Trente qu’il avait rédigé pour lui-même et qu’il fit imprimer sur le conseil de scs amis. — Les exercices du très pieux Jean Thaulire, sur la oie et sur la passion de N.-S, J.-C., mis de Tallemand en latin par le P. Laurent Sur lus, de Tordre des chartreux, à Cologne, en faveur des dmes gui désirent faire leur salut; et quelques ouvrages édifiants sur le même sujet, de Texcellent et très pieux doc­ teur Eschius; traduits en français par le P. Jacques Talon, prêtre de l’Oratolre, Paris, 1669, in-12. — La vie et les oeuvres spirituelles de saint Pierre d'Alcantara, de Tordre de Télroile observance de Saint François, tra­ duites de l’espagnol, par le R. P. Jacques Talon, prêtre de l’Oratolre, Paris, 1670, in-12, 356 p. — La vie de la Mère Magdeleine de Saint-Joseph, religieuse carmé­ lite déchaussée, de la première règle selon la réforme de sainte Thérèse, par un prêtre de TOratoire de J.-C., édition revue et augmentée, Paris, 1670, in-4e, 756 p. C’est la vie écrite par le P. Senault, mais augmentée de plus d’un tiers. — Les oeuvres spirituelles du R. P. Louis de Grenade, de Tordre de Saint-Dominique, divi­ sées en quatre parties... Traduction nouvelle par Λί. Gi­ rard, conseiller du roi, Paris, 1664, 10 vol. in-8°; 1667, éd. in-fol. ; 2· éd., 1669, in-fol. Le catéchisme de Grenade, traduit par le même. 1668, in-fol. « C’est une tradition parmi nous, dit Battercl, p. 55, dont J’ai pour garants les PP. Cloyseault, Bordes, Brun, que le P. Talon est le vrai traducteur des œuvres de Grenade »; M. Girard n’a fait que commencer ù tra­ duire le Guide des pécheurs. — A brégé de la vie de sainte Magdeleine de Paxxy, religieuse de l'observance du Mont-Carmel à Florence, composé par le R. P. Marc de Gualalafura et Xavière, de Tordre de Saint-Dominique de la province d'Aragon. Traduit en français par le R. P. Jacques Talon, prêtre de l’Oratolre, Paris. 1771, in-12, 324 p. — Traité de la vérité de la religion chré­ tienne, ouvrage traduit de M. Grottius, ambassadeur de la reine et couronne de Suède vers le roi très chrétien, Paris, ln-8°, sans date et sans le nom du traducteur. — Talon mourut à Paris le 22 février 1671, ù l’âge de 73 ans. Il avait composé aussi Mémoires du cardinal de La Valette qui ne parurent qu’en 1772, 2 vol. in-12. Battercl, Mémoires domestiques..., I. m, p. 49-57; Ingold, Supplément d la bibliographie oratorlenne. A. Molîen. 1. TAMBURINI Pierre (l737-1827), naquit à Brescia, le 1er Janvier 1737; il fit ses études dans sa ville natale et devint professeur de philosophie puis de théologie au séminaire de Brescia, durant douze an­ 31 TAMBURINI (PIERRE) née*. Dès cette époque, il acquit une grande réputa­ tion pour sa vaste érudition; mais son enseignement le rendit suspect à l’évêque et il dut se retirer à Rome. Là, par la protection du cardinal Marefoschi, il fut nommé directeur des études au Séminaire des Irlan­ dais. L’impératrice Marie-Thérèse le désigna comme professeur de théologie morale à l’université de Pavie, où il demeura dix-huit ans; c'est alors qu'il se lia d'amitié avec Joseph Zola, avec qui il publia quelques ouvrages et il jouit d'une grande autorité auprès de Joseph II et de Léopold II, les deux princes réforma­ teurs de cette époque. L'cmpcrcur François-Joseph supprima son enseignement, mais le gouvernement français, durant l'occupation, lui confia la chaire de philosophie morale qu'il occupa Jusqu'au moment où la Lombardie fut rendue à l'Autriche. li mourut, comblé d'honneurs, à l’âge de 90 ans, le 14 mars 1827. Tamburini est le principal représentant du jansé­ nisme italien, avant et après le synode de Pistoie. Voici scs principaux ouvrages, dont les Nouvelles ecclésiastiques font un pompeux éloge : De summa ca­ tholica de gratia Christi doctrines prœstanlia, utilitate ac necessitate dissertatio; accedunt theses de oariis huma­ na natura statibus et de gratia Christi ad tutissima et inconcussa SS. Augustini et Thoma principia exacta, Brescia, 1771, ln-8®. Tamburini expose ce qu’il appelle la doctrine de l’Églisc (le jansénisme) et l'opinion erronée de Molina. L'Église tolère le molinisme, mais ne l'approuve point, car elle a fait sienne la doctrine de saint Augustin, avec laquelle le molinisme est en opposition complète, de l’aveu des mollnistcs euxmêmes. Seule, la doctrine adoptée par l’Églisc permet de montrer la nécessité et l'efficacité de la rédemption, d’expliquer la discipline de l'Égüse par rapport à la pénitence et le dogme du péché originel. Le moli­ nisme, en donnant naissance au système de l'état de nature, conduit directement à l'irréligion. Cet ouvrage de Tamburini. alors professeur au séminaire de Bres­ cia, provoqua les répliques des jésuites contre Tam­ burini et son confrère Zola. Nouo. eccl., 4 juil. 1773, p. 105-108. L'ouvrage fut réédité à Vienne et à Flo­ rence et traduit en français en 1775. Nouo. eccl., 27 mars 1775, p. 51-52. Une septième édition publiée en 1790 fut mise à l'index, avec d'autres ouvrages de Tamburini, çar décret du 2 août 1790. — Leltere di un teologo piacenlino, Plaisance, 1772, 3 vol. ln-8®, et Lettera III, 1785, où il fait l'apologie de son œuvre. Le Jésuite Bolgenl lui répondit dans un écrit intitulé : Il critico corretto, osia lûcerche critiche sopra la Littera III, Macerata. 1786, ίη-8°. — Analisi del libro dette prescriiioni di Tertulliano, Pavie, 1781, in-8®. L'auteur indique, en s’appuyant sur Tertullien, les caractères de la doctrine et des jugements de l’Églisc et tire des conclusions contre la règle des partisans de la bulle Unigenitus, qui prétendent donner pour la voix infail­ lible de l’Églisc celle du plus grand nombre des évê­ ques, unis au pape. Il prétend que toujours on a re­ connu la voix de l’Églisc dans le consentement libre et unanime du corps des pasteurs, soit assemblés en con­ cile généra], soit dispersés. Par suite, la bulle Unigeni­ tus n’est nullement acceptable. Cet écrit fut vivement combattu par divers théologiens : Bruni, Muzzarclli, Nanl, Noghera, Cappcllarl, dans plusieurs écrits : Osservazioni crttico-teologiche sopra l'Analisi det libro dette prescrizlone di Tertulliano, Assise, 1783; une édi­ tion de 1781, considérablement augmentée, signale les graves erreurs de Tamburini dims l’exposé du livre de Tertullien. L'ouvrage est de Joseph Fuensalida sous le pseudonyme de Gaétan de Brescia. Tralectiones de justitia Christiana et de sacramentis, Pavie, 1783-1784, t. i et n, in-8®; le t. rr fut publié en 1783. Tamburini note le misérable état où le péché originel a réduit la nature humaine, l’étendue de la 32 concupiscence et de l'ignorance, la nécessité d'une grâce toute puissante et les effets de ccttc grâce qui produit l'amour dominant. Dans cet écrit, l'auteur s'inspire de la fameuse Instruction pastorale de Rasti­ gnac sur la Justice chrétienne et des « bons ouvrages > du xvîi· siècle, de l’ouvrage d'or d'Arnauld. Le Traité des sacrements en général est exposé « d'après la méthode des Pères et des plus graves théologiens et non point d'après la méthode scolastique, aride et propre à dégoûter d’une si belle science, plus capable d'éteindre la piété que de la fortifier et de la nourrir ». Il insiste sur les questions pratiques, par exemple, les dispositions requises pour administrer ou recevoir les sacrements. II fait de même pour le traité de l'eucha­ ristie et il parle de la sainteté requise pour célébrer la messe. Le t. π publié en 1784, traite des sacrements de pénitence, d'extrême onction, d’ordre et de ma­ riage. Mais il parle surtout de la pénitence, · parce que c'est dons ce sacrement que les prêtres font les fautes les plus fréquentes et les plus dangereuses, soit par négligence, soit par défaut d’instruction, soit enfin parce qu'ils sont prévenus des opinions fausses et erro­ nées qui ont eu tant de vogue ». Il s’inspire de la Fré­ quente Communion d'Arnauld et du Traité d'Opstraet, Pastor bonus,.. « Pour absoudre un pécheur, il ne suf­ fit pas qu'on n'ait pas de preuves qu’il est mal disposé, mais il faut en avoir de positives de sa conversion sin­ cère. Des marques extérieures de repentir ne suffisent pas. » A propos du sacrement de l'ordre, il souligne les droits des curés, et recommande les ouvrages approu­ vés par le parti : Institution des curés, Les droits du second ordre, Les prêtres juges, dans les conciles, avec les évéques. La puissance ecclésiastique et le soin des Églises ont été confiés solidairement au corps des pas­ teurs, tant du premier que du second ordre. Il de­ mande la convocation des conciles généraux dont il déplore l’interruption, parce qu'on a introduit les chimères de l'infaillibilité· Pour le mariage, il soutient la thèse que le pouvoir d'établir des empêchements dirimants n'appartient qu'à la puissance temporelle. Nouv. eccl., 8 mal 1786, p. 73-76. Le t. m a pour titre : De ultimo hominis fine deque virtutibus theologicis et cardinalibus, 1785; 11 insiste surtout sur la nécessité de la fol et de la charité, Nouo. eccl., du 12 Juin 1787, p. 92-91 ; enfin le t. iv. De ethice Christiana, 1788, fut vivement attaqué par Gusta dans GU errori di P. Tamburini, 2 vol. in-8®. L'ouvrage de Tamburini fut mis à l'index le 2 août 1790. Vera idea della S. Sede, Pavie, 1784, in-8®, et Milan, 1818; traduit en français, Paris, 1818, in-8®. Cet écrit de Tamburini reprend et amplifie les thèses du richérisme. L’Églisc est composée de l'ensemble du clergé et du peuple chrétien. Le siège de Rome est indéfec­ tible, mais l’Églisc particulière de Rome, gouvernée par le pape, n'est qu’une Église, comme les autres, et elle peut tomber dans l'erreur. Lorsque le pape, évêque de Rome, parle, il ne porte qu'un jugement particu­ lier; s'il parle avec l’Églisc de Rome, il n'exprime que le sentiment de cette Église. Pour que les Jugements du pape aient une valeur universelle, il faut le consen­ tement moralement unanime de toutes les Églises, comme l'évêque d'un diocèse n'exprime l'avis de son Église que s’il a le consentement de scs curés. Les con­ grégations romaines ne sont que le conseil privé du pape et, par conséquent, ne peuvent exprimer que l’avis de l’Églisc de Rome. Le pape ne doit absorber ni les droits des métropolitains, ni les droits des pa­ triarches. La Juridiction de primauté ne donne qu'un droit d’inspection et de vigilance; elle donne au pape le droit de (aire observer les saints canons que l’Églisc a établis pour conserver l'intégrité de la fol, la pureté des mœurs, le bon ordre de la discipline générale et les usages constants de chaque Église particulière. Le pape 33 TAMBURINI (PIERRE) — TAMBURINI (THOMAS) n'a aucune juridiction Immédiate sur les diocèses des autres évêques, lesquels ont le droit de faire dans leur diocèse respectif ce que le pape a le droit de faire dans le sien. Les fidèles ne dépendent que de leur évêque; ils ne doivent l'obéissance au pape que par le canal de leur évêque. Pour l’autorité épiscopale, chaque évêque est l'égal du pape et, par suite, l'autorité de tous les évêques unis pour représenter l'Êglisc universelle est supérieure A celle du pape. Lu primauté constitue le pape chef de l’Églisc universelle et lui donne le pou­ voir de la représenter, mais la représentation ne peut lui être conférée que si le pape est d'accord avec l’Églisc universelle. La primauté confère aussi au pape la faculté de s'ingérer dans les affaires des autres Églises; Il a le droit de vigilance sur tous les diocèses, tandis que les autres évêques ont le devoir spécial de s'occuper de leur diocèse et, s'ils ne doivent pas se désintéresser de ce qui arrive à tous les fidèles du monde, ils ne peuvent user, hors de leur diocèse, que des voles de conseil, d'avis, de remontrances, mais non point d'autorité et de commandement. Le pape a le droit de se faire obéir des autres évêques, suivant les saints canons; les évêques doivent obéir au pape, mais ce devoir est canonique et non* point absolu. Dans l'administration de son diocèse, concertée avec son clergé, l'évêque n'est responsable que devant Dieu. L'évêque, peut, d'accord avec son clergé, gouverner son diocèse, comme il lui plaît, dans les choses qui n'atteignent pas la foi, les mœurs et la discipline générale de l’Églisc; il a pleine liberté pour maintenir les rites ou les rejeter, ou en admettre de nouveaux; d'autre part, le pape n’a pas le droit d’excommunier directement hors de son diocèse de Rome. Telles sont les idées générales exposées dans ce traité qui résume les thèses capitales du richérismc. Cet écrit fut très vivement attaqué, en particulier, par le jésuite Vincent Bolgenl dans Esame della ocra idea della S. Sede, Plaisance, 1781, in-8°, très souvent réé­ dité. Cosa è un appellante? Plaisance, 1784, in-8·, avec Continuatione, 1784, et Lettera terza, 1785, attaqué par Bolgenl dans un écrit intitulé : lit posta al quesito : Cosa è un appellante? ossia Osscrvazione tcologico-critiche sopra duo libri stampati in Piacenza, 1784, intilolati : Cosa è un appellante? e Continuatione dell* appeltante, Macerata, 1787, in-8·. — Les Nouvelles ecclésias­ tiques, en deux endroits différents, parlent d'un écrit de Tamburini, qui fait pendant ù son travail sur Ter­ tullien; il est intitulé : Les Apologies de saint Justin, cf. Nouo. du 30 octobre 1786, p. 174-175, et Analyse des Apologies de saint Justin, martyr, avec quelques réflexions, 1793, cf. Nouv. du 30 janvier 1799, p. 11-16. Dans cet écrit, l’auteur expose les principes généraux de l’apologétique de saint Justin, et montre que les erreurs de saint Justin étaient tenues comme des opi­ nions communes en son temps, par exemple: les préva­ rications des anges avec les filles des descendants de Caïn; les Ames ne souffriront la peine du feu qu’après le jugement dernier; Platon aurait emprunté aux Livres saints des vérités touchant la création, le dé­ luge, les prophéties touchant la naissance de Jésus... — Praelectione^ quas habuit in academia Ticinensi an­ tequam explicare aggrederetur tractatum de Locis theo­ logicis, Pavie, 1787, ln-8°. Tamburini indique ce qu’est l’Eglisc et ce qu’est la théologie, « science de la religion chrétienne », qu'il faut étudier pour elle-même, avec un cœur exempt de passion et rempli d’une sincère charité envers Dieu, car < on n'entre dans la vérité que par la charité ». Il est amené à parler de l'index, qui, dit-il, n’a aucune autorité dans les États impériaux et « il ne peut pas même servir A discerner les bons livres des mauvais; mais, si l’index ne doit pas empêcher de lire quantité d’excellents ouvrages, qui y sont notés, DICT. DE TIléOL. CATHOL. 34 les jeunes gens ne doivent pas croire avoir La liberté de lire ceux qui sont contraires à la foi et aux mœurs ». Nouv. eccl., 27 février 1788, p. 33-37. — De fontibus s. theologiæ deque constitutione et indole Eeclesiæ Chris­ tiana ejusque regimine, Pavie, 1789, 1790, 3 vol. in-8·. Le premier volume qui traite de l'Écriture et de la Tradition fut mis à l’index. Lettere teotogico-politiche (12) su la présenté situazione dette case ecclesiastiche, s. 1., s. d., 4 vol. Les deux premières lettres sont anonymes et les deux dernières sous le pseudonyme d’Augustin de.Monte Vicetino,con­ damnées en 1797. L’auteur déplore la situation des affaires ecclésiastiques < si brillantes sous le gouverne­ ment du sage Léopold et de l’empereur Joseph II»; puis il étudie les sentiments du prétendu jansénisme tou­ chant l'origine, la nature et les droits de la souveraineté temporelle. Le pouvoir spirituel n'a aucun droit, ni di­ rect ni indirect, sur le temporel des souverains : tel est le résumé de la iv· lettre. Dans la v·, il étudie les droits de l’homme, l'origine et la nature de la société civile et de la souveraineté et il combat constamment l'ou­ vrage de Nicolas Spedalleri sur les droits de l’homme, imprimé en 1791. Nouv. eccl., 10 avril-15 mai 1794, p. 57-80. Plus tard, parurent les trois lettres suivantes, ibid., 19-31 décembre 1794, p. 157-168, où il étudie la société civile et la liberté, dont l'abus est la cause de la Révolution française, et les droits du souverain. < La fin de la puissance civile circonscrit ses droits dans les limites de l'utilité, de la vérité et de la Justice. » La huitième lettre étudie l'égalité. Le t. ni comprend les lettres ix et x. La ix· étudie l'infaillibilité du pape et l’indépendance de la puissance civile, la pratique du culte extérieur, les instituts religieux, la nature des biens ecclésiastiques, la tolérance et enfin la prétendue amitié des jansénistes avec les athées. La x* a pour objet la doctrine augustinlenne sur la prédestination et la grAcc, doctrine qui, seule, permet de placer en Dieu une confiance entière, tandis que le molinisme ne s’ap­ puie que sur la force de l’homme. Nouv. eccl., 26 mars26 avril 1797, p. 25-36. Le t. rv comprend les xt· et xii· lettres. La xt· expose et discute le système moliniste, la xir, le rigorisme qu’on attribue aux pré­ tendus jansénistes et la pratique de la pénitence, ce qui lui fournit l’occasion d’attaquer le laxisme et le probabilisme. Nouv. eccl., 7 nov.-5 décembre 1798, p. 89-100. Les Nouvelles ecclésiastiques des 16-30 jan­ vier 1799 citent la fin de la xn· lettre sur l’état des • affaires ecclésiastiques en Italie, dans l’époque où nous sommes ». — Introduzione alto studio delta filosofia morale col prespetlo di un corso delta medesima e dei diritti dett* uomo e delta società, Pavie, 1797-1798, 2 vol. in-8·; il reparut sous le titre de Lezioni di fllosofla morale, en 1818, 7 vol., condamnés par un décret de l’index du 5 septembre 1819. — Prælectiones de Ecclesia Christi et universa jurisprudentia ecclesiastica, Cologne, 1839, 2 vol., et Leipzig, t. ni et iv, condam­ nés en 1847. — On lui a attribué un traité De tolerantia ecclesiastica et civili in sensu Joseph! 11 édité sous le nom de Taddéc, comte de Trautmannsdorf en 1794. Michaud, Itiographie universelle, t. XL, p. 611-642; Glaire, Dictionnaire des sciences ecclésiastiques, t. n, p. 2227; Hur­ ter, Nomenclator, t. v, col. 868-871 ; Nouvelles ecclésias­ tiques, passim, font un compte rendu trè* élogieux do la plupart des écrits do Tamburini; Arturo Jemolo, H gianse· nisino in Italia, prima della revolutione, Bari, 1928, Ιη-8·; B. Ricci, /I maggiore teologo giansenlsta d'itaiia, dims Scuola catholica. Milan, 1921, t. xlix, p. 14-25, 276-291, 358-369, et t. xl, p. 100-115; Cantu, Les hérétiques d*Italie, t. v, p. 179-181, 222-221. J. Carreyre. 2. TAM BU R IN I Thomae, Jésuite sicilien (15911675). _ Né le 6 mars 1591 A Caltanisetta (Sicile), entré dans la Compagnie le 21 septembre 1606, il en· T. — XV. — 2. 35 TAMBURINI (THOMAS) scigna d'abord lu rhétorique, la philosophic et la théo­ logie dogmatique, puis, pendant dix-sept ans, la théo­ logie monalc dans les collèges de Messine cl de Pa­ ïenne» fut préfet des études et recteur de divers collè­ ges (Palermo, Messine, Mont-Rcalc, Caltanisctta), consulteur et censeur de l'inquisition sicilienne et exami­ nateur de la curie épiscopale de Palermo. 11 mourut à Païenne» à 84 ans, le 10 octobre 1675, renommé pour sa science et scs vertus (cf. l'éloge par Anl. Mongitore, au t. il de la Bibliotheca Sicula, reproduit par Zaccaria en tête des œuvres complètes). Ajoutons qu’il ne faut pas le confondre avec son homonyme, le P. MichelAnge Tamburini, né à Modènc en 1648, qui fut général de la Compagnie de 1706 à 1730. I. Œuvres. — En suite de son enseignement, Tho­ mas Tamhurini publia une série d’ouvrages de théo­ logie morale, qui eurent un grand succès; l'auteur les retoucha et les compléta dans des éditions successives. Nous les donnons d’après leur ordre de publication et avec leurs titres originaux. 1. Methodus expedita Confessionis, turn pro Confessariis turn pro Pœnitentibus. Complectens libros quinque... In quibus omnes /ere Conscientia casui ad Poenitentia Sacramentum, quà ministrandum, quà suscipiendum pertinentes, dilucide ac breviter enodantur, Home, 1647, In-12. 361 p.; nombreuses éditions; Sommcrvogel en cite treize du vivant de l’auteur. L’ouvrage ne fut Im­ primé en France qu’en 1659, avec les suivants. C’est moins une pastorale proprement dite de la confession qu’un exposé très casuistique de la doctrine morale pcnttentidle· traitant successivement de la contrition du cœur, de la confession orale, de l’absolution, de la satisfaction et du secret sacramentel. — 2. L’année suivante, parut, également à Rome, un ouvrage simi­ laire sur la communion : Methodus Expedita Commu­ nionis, tum pro Sacerdotibus, tum pro omnibus fidelibus communicaturis. Liber unicus... In quo omnes fere conscientia casus ad Eucharistia Sacramentum quà ministrandum, quà suscipiendum spectantes breviter, clareque, ac ut plurimum benignè deciduntur. Opuscu­ lum Authoris secundum, Rome, 1648, in-12, 377 p. Sommervogcl relève, Jusqu'en 1666, huit autres éditions séparées. L’ouvrage est donné comme un complément du précédent; il contient six chapitres, traitant des dispositions spirituelles et corporelles imposées pour la communion, de ce qui suit celle-ci, du précepte de la communion pascale, de la communion en péril de mort cl du ministre de la communion. — 3. En 1649, troi­ sième ouvrage du même type : De Sacri fido Missa expedite celebrando libri tres... Nunc primum prodit, Palermc, 1649, in-fol.,203 p.; autres éditions : Milan, 1654, Anvers 1656, etc. Le titre de cette dernière por­ tait le complément suivant, imité de l’ouvrage sur la communion : in quibus universi /ere conscientia casus ad Missa Sacrificium peragendum pertinentes clarè et, quantum licet, benignè digeruntur. — 4. Ces trois ouvrages furent, dès l’année où parut le dernier, réu­ nis en un seul volume sous le titre : Opuscula Iria de Confessione, de Communione, de Sacrificio Missa..., Païenne, 1649. Sous cette forme, ils furent édités en divers lieux, et spécialement à Lyon en 1659. — 5. De­ vant le succès de Ia Methodus expedita Con/essionis, le P. général, Vincent Carafla, avait demandé à l’auteur de composer une Somme complète de casuistique. Pour répondre à cette demande, Tamhurini fit paraît rc en 1651 la première partie d’un ouvrage sur les pré­ ceptes du Décalogue : Expedita Decalogi Explicationis Decem digesta Libris, in qua omnes fere Conscientia casus ad Decem Pracepta pertinentes mira brevitate, claritate et, quantum licet, benignitate declarantur, Pars Prior... Continens quatuor priores libros in Decalogum, Id est Isagogem et Expositionem Praceptorum Prima Tabula. In Theologorum, Jurisconsultorum, Confes- 36 sariorum, ipsorumque Pernitentium Gratiam, nunc pri­ mum in lucem datur, Venise, 1654, in-fol.,263 et 290 p. La II· partio (Pracepta Secunda Tabula, 6 livres) fui ajoutée dans l'édition de Milan 1655. Plusieurs réédi­ tions de l’ouvrage complet suivirent; citons celle de Lyon, 1659, qui donna lieu aux attaques des Curés de Paris (Dixième écrit). — 6. La Somme casuistique, demandée par CarafTa, se compléta en 1661 par un nouvel ouvrage : Expedita (sic) Juris Divini, Natu­ ralis et Ecclesiastici Moralis Expositin, in tres divisa partes continens Tractationes de Sacramentis, qua sunt de Jure Divino, de Contractibus in particulari, quos diri­ git Jus Naturale, de Censuris et Irregularitate, qua sunt de Jure Ecclesiastico... In Theologorum, Parochorum, Confessariorum, Sacerdotum, immo et Panitcntium, Gratiam, Palermc, 1661, 3 vol.. 400, 203 et 134 p. Réé­ ditions diverses de 1665 à 1672. — 7. Deux ans après s’ajouta comme une sorte d’appendice un Tractatus de Bulla Cruciata... avec une Explicatio casuum reserva­ torum in Panormitana Diocœsi cum annotationibus ad omnia opera ejusdem (auctoris) a Typoyrapho collectis, Palcrme, 1663, \’cnisc, 1665 et 1675. — 8. En 1665, dans sa Theologia Moralis adversus laxiores probabilistas, le dominicain Vincent Baron avait attaqué les ouvrages de Tamhurini; sous le nom d’un prétendu élève, celui-ci répondit par une brochure : Germana Doctrina B. P. Thoma Tamhurini, S. J., perspicue refellens impugnationes R. P. Vincentii Baronii adver­ sus illam allatas. Opusculum R. D. Don Lucii Sanmario. Sacerdotis et Caltanisctta in Diocœsi Agrigentina vicarii F., Palermo, 1666, 195 p. Tamburini proteste contre l’accusation de Laxisme et défend sa doctrine, en l’expliquant, sur dlx-sept points où elle avait été attaquée. — 9. Enfin, près de vingt ans après sa mort, Philippe Sidotl, curé de Saint-Hippolyte, à Païenne, publia des leçons professées par Tamburini dans le col­ lège de cette ville : Tractatus Quinque in quinque Eccle­ sia pracepta... Editio Prima, Païenne, 1694, in-4°, 724 p. Cet ouvrage eut plusieurs éditions et fut recueilli dans les œuvres complètes. Un avis se lisait en tête : ha (elucubrationes) sunt pura ipsa Lectiones, quas minus nitidas, captui scilicet Tyronum congruentes, in Collegio Panormitano dictavit; imo dicebat illis nequa­ quam ultimam se imposuisse manum ut prodire in lucem sine reprehensione possent. — 10. Trois ans après la mort de Tamburini, scs Opera omnia furent réunies et parurent à Venise, 1678; Sommcrvogel en cite cinq rééditions Jusqu'à la fin du xvn· siècle; la2·, en 1694, donnait, avec les propositions condamnées par Alexan­ dre VII et Innocent XI, la Germana Doctrina. Une autre édition des Opera omnia fut publiée à Lyon en 1679; l’ordre des traités est quelque peu différent de celui que donne l’édition de Venise. Enfin, au milieu du xvili· siècle, F.-A. Zaccaria fit paraître une nou­ velle édition : Theologia moralis R. P, Thomas Tamburini, qui est la plus complète cl la plus répandue, Ve­ nise, 1755, trois tomes. Dans le cours de l'ouvrage, sont Indiquées les diverses propositions condamnées par les documents romains, de manière à permettre de rec­ tifier, s’il y a lieu, la doctrine de l’auteur. — 11. Ajou­ tons enfin, pour être complet, que Tamburini, outre scs ouvrages de morale, publia en 1657 une traduction Italienne du livre de Boècc, la Consolation philoso­ phique, et, en 1664, une traduction dans la même langue d'un ouvrage latin, écrit sur la Sainte Vierge par le P. Octave Cajétan. II. Doctrine. — Tamburini est sans nul doute un des représentants les plus qualifiés de la casuistique probabiliste au xvn· siècle : méthode franchement casuistique, exposés doctrinaux réduits au minimum, abondance des cas réels ou scolaires; leur nombre, sans atteindre à celui de Diana, est cependant de plusieurs milliers; ils sont traités sobrement et résolus avec 37 TAMBURINI (THOMAS) — TANCHELIN 38 netteté, breviter, dilucide, clare..., est-ll dit dans les contente de dire : Est quidem doctissimus, sed nimis indulgens ac proinde cum cautela tegendus. Utres des ouvrages, et l'annonce n'est pas décevante; Pour être tout à fait juste envers Tamburini, nous l’information est copieuse et les opinions des auteurs paraissent rapportées avec exactitude. Par ces qua­ ferons cependant trois remarques : a) Selon nous, la promesse d’indulgence et de bénignité, donnée dans les lités de clarté, de netteté, d'information et de relative titres des ouvrages, n'est pas nécessairement à Inter­ concision, l'œuvre de Tamburini méritait le grand succès qu'elle remporta; elle reste des plus repré­ préter comme une déclaration de laxisme. Ces titres sentatives et garde une réelle importance histo­ ont soin, en effet, de la restreindre par des mots comme quantum licet, ut plurimum, etc... Pour les rigoristes du rique. temps sans doute était-ce insuffisant; si l'on veut bien Mais elle fut aussi très attaquée. Vautour tendait de parti pris aux solutions les moins sévères, certains sc rappeler qu’il s'agit non de direction et de décisions des titres, composés par lui ou ses éditeurs, le décla­ complètes Intéressant la vie morale entière, mais seu­ lement de jugements pénitentlels sur des fautes com­ raient : (casus) ut plurimum ou quantum licet benigne deciduntur. Bien d'étonnant qu'il ait été particulière­ mises ou sur la limite exacte de devoirs rigoureux, la déclaration de donner des solutions indulgentes, sans ment visé par la réaction qui suivit les Provinciales. sortir des bornes de la vérité et de l’objectivité, n'est Il ne figure, croyons-nous, dans ces dernières qu’en pas seulement défendable, elle est plutôt conforme à un seul passage : Tambourin — c'est la traduction française de son nom et elle était trop pittoresque pour la vraie théologie morale catholique; elle répond mieux à la Justice duc aux pénitents que le parti pris n'avoir pas été employée — se trouve dans la liste de leur imposer les opinions les plus sévères. — b) En burlesque des cnsulstes que donne la V· Provinciale; Il y est entre Ugolln et Fernandez. Les œuvres de Tam­ ce qui concerne les erreurs échappées à Tamburini, les probabilités insuffisantes que saint Alphonse et Zac­ burini n'avalent pas encore été éditées en France; ceux qui documentaient Pascal ne connaissaient donc sans caria lui-même relèvent chez lui — en moins grand nombre du reste que Baron, Concina et Dinelli — fai­ doute que de nom le casulste sicilien. sons observer, à la suite de Zaccaria et à la décharge L'année même où parurent à Lyon : V Exposition du de l'auteur sicilien, qu'il écrivait avant les condam­ Décalogue et les Trois méthodes (1659), un Écrit des curés de Paris (le x·, attribué à Arnauld; déjà le ix· par­ nations pontificales; il suffira donc de corriger les solutions erronées, ce qui est aisé, comme Zaccaria lait de Tamburini) dénonça l’ouvrage comme laxiste, l'a montré dans son édition. — c) Mais en un dernier pernicieux et destructeur de la morale chrétienne. Sa point, il est bien difficile d'excuser Tamburini, et ce condamnation par la Sorbonne était demandée comme point est important puisqu’il s'agit d'un principe l'avait été celle de D'apologie des casuistes du P. Picot; général capable précisément de fonder le reproche de mais Tamburini fut plus heureux que son confrère, laxisme. Il s’agit du passage, Jn Decal.. 1. I. c. m. § 3, l'affaire ne fut pas poussée et resta sans suites. n. 8. où, précisant la probabilité suffisante à former On l’a vu plus haut par la réponse que fit, sous le un Jugement prudent, il déclare satis esse in omnibus pseudonyme d'un disciple, Tamburini lui-même, le dominicain Vincent Baron reprit quelque temps casibus constare probabiliter opinionem esse probabilem. Ce passage souvent cité et reproché à Tamburini a été après ces accusations; outre la tendance générale à défendu et interprété favorablement par Lacroix et minimiser les devoirs, il incriminait chez Tamburini Zaccaria : une opinion probabiliter probabilis, ont-ils des doctrines sur la probabilité, les vertus théologales et la religion, la prière, le commandement de l’assis­ fait observer, n'est pas une opinion tenuiter probabilis et Tamburini, sc disant d’accord en ce point avec tance à la messe, le jeûne, le respect et l’amour des Salas, Vasquez, Sanchez, etc..., distingue dans sa parents, le droit de guerre, celui de propriété, le pensée l'une de l’autre. Nous avouerons volontiers que meurtre... Au siècle suivant Dinelli et Concilia, reve­ nant sur certains de ces points, et en ajoutant quel­ scs explications sont bien subtiles : si l’on veut con­ server Λ l'expression de « probabilité probable > quel­ ques autres, s’élevèrent violemment contre le Jésuite, en qui ils voyaient un des plus relâchés parmi les ca­ que sens, il est difficile de ne pas y voir une probabilité bien peu fondée. Le moins qu'on puisse dire, c'est que suistes. On trouverait ces accusations reproduites et Tamburini n’a pas été assez précis et assez ferme dans discutées dans les pièces reproduites par Zaccaria en sa doctrine de la probabilité et que de ce fait — si l’on tête de son édition. ajoute aussi ses solutions trop larges, qu’elles viennent En un passage de sa Théologie morale, 1. IV, n. 615, ou non de sa trop grande confiance en d’autres auteurs saint Alphonse a porté sur notre auteur un jugement mesuré qui est Λ citer en entier : ...Hiemihi permittatur — il n’est pas à absoudre de tout reproche de tendance laxiste. Par là encore il reste un représentant caracté­ obiter verbum dicere de hoc auctore, qui ab aliquibus ristique de son temps et de la casuistique probabiliste. nimis parvipanditur. Negari non potest quod auctor iste multum jacilis luerit ad tribuendum probabilitatis Sommcrvogel. llibl. de la Comp. de Jésus, t. vu. col. 1830pondus opinionibus, quic probabiles dici non mereban­ 1841; Hurter, Nomenclator, 3· éd., t. iv, col. 279-281; tur, unde cum cautela legendus est. Ctrtcrum ubi ille ex Dôllinger-Rcuich, Geschichte der Moralstrcitigkeiten..., sua sententia loquitur, ut verbis utar doctissimi et illus­ 1880, t. i, p. 44, 63 et 79. K. Brouillard. trissimi Episcopi D. Julii Torni, sane theologice loqui­ TANCHELIN ou TANCHE LME, agitateur tur et ex propriis principiis qmrstiones resolvit ita ut sententia· qua· probabiliores judicat, sapientium judicio, flamand du début du xu· siècle. — Parmi les héréti­ ut plurimum probabiliores sunt. Ce jugement (le saint ques contemporains qu’il mentionne dans son Intro­ Alphonse, à la fols sévère Λ l'égard de Tamburini et ductio ad theologiam, 1. Il, n. 4, Abélard cite un laïque lui reconnaissant cependant une vraie valeur person­ de Flandre, nommé Tanchelmc, « qui en vint à ce point nelle, a désormais prévalu : D'Annibale, Sum. theol. de folie de se faire appeler et proclamer Fils de Dieu, et à se faire élever un temple par un peuple fanatisé ». mor., 5· éd.. 1908, p. 5, note 57, ne fait que le résumer : Scripsit nimis Indulgenter, sed ex aliorum sententiis P. L., t. CLXXvm, col. 1056. Cette donnée, assez in­ magis quam suis...; Müller, Theol. mor., 5· éd., 1887, vraisemblable, s’éclaire par quelques renseignements t. i, p. 299, met Tamburini au nombre des casuistes founds par la Vie de saint Norbert, c. xni, n. 79; P. L., qui représentent le laxisme avec Caramur), Jean San­ t. clxx, col. 793, et qui sont abrégés dans la Sigeberti chez, les théatins Pasqualigo et Diana, le trlnitaire continuatio Pramonstratensis. ibid., t. clx, col. 367. Léandre et le Jésuite Moya; Prümmer, Theol. mor., Cette dernière, à l’année 1124, rapporte les origines de t. i, p. xxxvii, dans son catalogue des moralistes, se la fondation norbertine d’Anvers. Pour lutter contre les 39 TA NC HELIX restes d'une erreur semée par Tanchclin, on ne connut pas de meilleur moyen que de faire établir par Nor­ bert, dans cette ville, un couvent de son ordre. C'est l’occasion de rappeler les événements en question. Plus proche encore des faits est une lettre adressée par le clergé d'Utrccht, pendant la vacance du siège, à l'ar­ chevêque de Cologne, Frédéric, pour lui signaler les agissements de ce même Tanchclin. Cette lettre se date de 1112. Texte dans P. £., t. clxx, col. 1312, en note; mieux dans l'édition du Codex Udalrici, n. 168, p. 296. Ce document parle de l'activité de Tanchclin à Utrecht et dans les régions adjacentes. Celui-ci s'est fait un groupe compact de partisans, une petite année qui s'est rassemblée autour de lui, au milieu de laquelle il se donne des allures de souverain. Sa prédication, qui a d'abord séduit le monde féminin, déclame avec violence contre les abus et même contre les privilèges spirituels du monde ecclésiastique. C'est de la sainteté des ministres, déclare-t-il, que dépend l'efllcacité des sacrements et, comme trop de prêtres sont indignes, l’eucharistie qu’ils consacrent est sans valeur, les sacrements qu’ils administrent sont des souillures, non des rites de purification. Il fallait donc s'abstenir d'y participer, refuser aussi le paiement des dîmes. A l’appui de sa prédication, l’agitateur faisait valoir l'inspiration du Saint-Esprit dont il se sentait possédé. De là à passer pour une sorte d’incarnation de la divi­ nité, il n'y avait qu'un pas et, prétend la lettre, ce pas aurait été franchi par quelques partisans fanatiques : ut quidam in co divinitatem venerarentur. On se dispu­ tait les objets lui ayant servi; on conservait, comme un remède, l’eau de son bain. Si on laisse de côté ces excentricités, il reste que l’action de Tanchclin à Utrecht rappelle un peu ce qu’avaient fait à Milan les premiers promoteurs de la Pataria. Voir l'article. Dans la région flamande, la lutte entre le parti réformateur et le parti impérial a été fort vive. Cf. l'art. Sioebert de Gemiiloux. 11 n'y a rien d'étonnant à voir des par­ tisans de la réforme ecclésiastique préconiser la grève des fidèles contre les prêtres suspects d'immoralité; rien d'étonnant, non plus, à les entendre justifier cette abstention par des considérations dogmatiques dou­ teuses ou même erronées. L'action de Tanchclin se | situe très bien dans les milieux de la Basse-Allemagne , où se multiplient, à ce moment, des attentats contre la hiérarchie ecclésiastique. Aussi bien, l'agitateur, , toujours au dire de la lettre des clercs, serait-il allé à I Rome même, et nous n'avons pas le moindre indice que le pape Pascal II ait procédé contre lui. D’ailleurs | sa démarche en curie avait surtout un but politique : il s’agissait de détacher du diocèse d'Utrccht, pour les ’ joindre à l'évêché français de Thérouanne, certaines | régions que l'on voulait soumettre à l’autorité du roi | de France. Au retour de ce voyage à Rome, Tanchclin et un prêtre qui l'avait accompagné, avalent été retenus captifs par l’archevêque de Cologne. Les clercs d'Utrccht suppliaient le prélat de ne pas les remettre en liberté. 11 faut croire que, soit ruse, soit persuasion, Tanchclin recouvra sa liberté; on le retrouve un peu plus tard à Anvers et à Bruges. Dans la première de ces villes, l’unique curé de la cité passait pour vivre en concubinage avec une de scs parentes; Tanchclin re­ prit de plus belle l'agitation contre lui. Il fut, en fin de compte, assassiné par un prêtre qui vengeait ainsi les Injures faites au clergé. Ce devait être en 1115, date fournie par la Sigeberti continuatio Valcellensis, P. L., t. clx, col. 383. A Anvers, l'agitation se prolongea une dizaine d’années encore; elle ne se termina que par la prédication de saint Norbert et des siens. A ce mo­ ment les partisans, maintenant convertis, de Tanchelin vinrent rapporter les hosties consacrées (sans doute reçues de prêtres indignes), qu’ils avaient cachées. TA N NE K (ADAM) 40 Les sources ont été énumérées au cours do l’article. Voir aussi A. Hauck, KirditnyesMclite Deutschlands, 3·-4· éd., t. iv, 1913, p. 95 sq.; du même, l’art. TancheIni dans Pro­ test. Realencyclopddie, t. xix, p. 377 sq. É. Amann. 1. TANNER Adam, jésuite autrichien (15721632); le plus grand et même « le seul grand théolo­ gien d’Allemagne au xvii· siècle », au dire de Schcebcn, Ilandbuchder DogmalikA.ifP. 1095.— L Vie et œuvres. IL Caractères généraux de sa théologie. III. Doctrine de la grâce. IV. Opinion sur les procès de sorcellerie. I. Vie et œuvres. — Né le 14 avril 1572 à Insbrûck, entré dans la Compagnie de Jésus le 6 octobre 1590, ordonné prêtre le 20 septembre 1597, Tanner a pu déclarer dans la préface du grand ouvrage qui cou­ ronne sa carrière, que depuis l'âge de vingt-deux ans « il n’a cessé de s’occuper de théologie soit comme élève soit comme professeur ou écrivain ». 11 avait fait ses premières études littéraires dans sa ville natale; puis, après une année de rhétorique à Dilllngen, il avait commencé dans cette ville l’étude de la philosophie, qu’il ne devait terminer qu’en 1593, à Ingolstadt, une fois accompli, à Landsberg et à Munich, scs deux ans de noviciat. Étudiant en théologie, toujours à Ingol­ stadt, sous des maîtres tels que Grégoire de Valencia et Jacques Gretscr, il se fait remarquer tout de suite par scs talents et ses succès. 11 est même désigné, tout en continuant de suivre ses cours de théologie, pour remplacer, durant une année, le professeur d'hébreu appelé à Rome, puis pour remplir la charge de préfet des études auprès des jeunes écoliers. Dès le lende­ main de son sacerdoce, automne 1597, nous le trou­ vons à Munich comme professeur de théologie. Il en­ seigne d'abord les controverses jusqu'en 1599, puis la morale jusqu’en 1603. Et déjà il est nu premier rang des théologiens de son pays, comme aussi en pleine activité polémique. Au < Colloque amical » de Ratisbonne, novembre-décembre 1601, Maximilien de Bavière et le comte Philippe de Ncubourg étaient convenus d'opposer les meilleurs docteurs catholiques de Bavière aux premiers d'entre les prédicants luthé­ riens. La discussion devait rouler sur le magistère de l’Église et l'autorité doctrinale du pape. Justement, Tanner avait fait paraître en 1599, comme fruit de son enseignement sur les controverses, une thèse De verbo scripto et non scripto et de judice controversia­ rum. Cette circonstance le désignait pour soutenir la cause catholique. Aussi, dès la quatrième séance, le célèbre Gretscr se trouvant malade et étant d'ailleurs mal préparé à résoudre les objections adverses, Tanner prit la conduite de la discussion, exigea l'argumen­ tation en forme et, par sa science, remporta sur les adversaires un triomphe complet. Pour le jeune professeur cette victoire eut des con­ séquences diverses. Ce fut d’abord qu’il dut prendre part de nouveau les années suivantes, avec son maître Gretscr, aux débats pénibles soulevés par ses adver­ saires de Ratisbonne, débats dont il donnait en 1602 une Retalio compendiaria, et qui l'amenaient à publier l’année suivante Examen relationis quam Jlunnius edidit... Mais suri out, en récompense de services aussi signalés, il se vit proclamer coup sur coup, durant la même année 1603. docteur de l'université d’Ingolstadt, professeur ordinaire de théologie, membre du sénat academique et enfin doyen de la faculté de théo­ logie. Désormais, durant quinze années, il enseignera le dogme à Ingolstadt, non sans déployer parallèle­ ment une multiple activité comme polémiste, prédi­ cateur cl confesseur. De cette époque datent : De/ensionis Ecclesiœ libertatis libri duo contra Veneltv causte patronos, 1607, où il intervient aux côtés de Bellarmin pour défendre les privilèges canoniques de l’Église et les droits des ordres religieux; Ketzerisch Lutherlumb, 41 TANNER (ADAM) 1608, opusculo sur la justification par la fol, cri ré­ ponse à un ouvrage d’un prédlcant de Hatlsbonne, paru quelques semaines plus tôt; Anatomia confessio­ nis Angustante, en deux parties : I. Lutherus, 1613, où l'on apprend à juger du luthéranisme par la valeur de son auteur, tel qu’il apparaît dans scs écrits; IL Ecclesiasticus, 1611, où la doctrine des notes de l’Église est appliquée à l’Eglise luthérienne et à l’Église catholique. Puis — publication qui ouvre un jour Intéressant sur la personnalité intellectuelle cl morale de Tanner — voici une série d’études sur l’abbé Trithème. Le but en est de défendre la mémoire du célèbre polygraphe contre l’accusation de magie, et de révéler le véritable caractère de sa · Stéganographie ». Proposées d’abord sous forme de « Conclu­ sions », en 1614, à l'occasion d'une promotion de doc­ teur, ces études furent publiées ensuite sous le titre d’Astrologia sacra. C'est un premier excursus dans le domaine de la superstition. Il ne sera pas sans lende­ main. Enfin en 1617 paraît le plus important ouvrage que Tanner ait écrit en allemand : Dioptra fidei. C'est une apologétique complète, destinée à faire pièce à un écrit protestant, très répandu alors en Autriche, la Confutatio de J. Faber. L’auteur déclare y utiliser des ouvragée déjà existants, qu'il cite d'ailleurs en toute conscience et loyauté, mais qu’il dépasse de beaucoup par sa science patristlque et scs qualités de clarté et de précision. En 1618 s’ouvre dans la vie de Tanner une nouvelle période. A la demande de scs élèves, il réunit cette année même en deux volumes, suivant le plan de la Somme de saint Thomas, toutes les thèses qu’il avait fait défendre à Ingolstadt. Ce sont les Disputationum theologicarum... libri IV. Mais cette esquisse ne lui suiïlt pas. 11 rêve d'un grand ouvrage théologique adapté aux besoins de son temps. Pendant huit années Il va se consacrer à l’écrire, d'abord à Vienne, où l’em­ pereur Matthias le fait appeler pour succéder au P. Martin van der Becck (Bccanus), comme professeur de théologie, puis de nouveau à Ingolstadt, dont la bibliothèque est Irremplaçable pour lui. Fruit de vingt-cinq années d’enseignement, la Theologia scolastica paraît enfin en 1627 en 4 volumes In-folio. Tanner doit alors se rendre à Prague, où il devient chancelier de l'université récemment confiée aux Jésuites. Toutefois sa santé n’est plus ce qu’exigerait pareille fonction. Au bout d’un an elle se révèle même si compromise qu'un séjour au Tyrol parait s’imposer. On l’envole donc au collège de Hal et, de fait, il y retrouve assez de forces pour qu’en 1631, il puisse revenir à Ingolstadt. Mais c'est la guerre qui mainte­ nant va le chasser. Gustave-Adolphe est en Bavière et la « peste hongroise » y sévit par surcroît. A la hâte Tanner reprend le chemin de son pays natal, et déjà il touche au but, lorsqu’il est atteint par la mort le 25 mal 1632, Agé tout Juste de soixante ans. IL Caractéristiques de sa théologie. — 1° Comme controversiste, Tanner fait preuve en général d'une grande objectivité, citant abondamment ses adversaires et les laissant ainsi exposer eux-mêmes leurs idées; servi ensuite au mieux, dans la réfutation, par son érudition patristlque et sa science de Γ Écri­ ture. Par ailleurs, sa maîtrise de lui-même et sa cour­ toisie font de lui un des polémistes les plus humains de son temps. C'était là sans doute un fruit de l’ardent amour des Ames qu'il avait au cœur, zèle qui se tra­ duisait d’autre part d'une manière éclatante par son infatigable activité nu service de la vraie religion. 2° Comme théologien scolastique, il ne dispose pas d’une moindre richesse d’information. Sa connaissance de saint Thomas est d'ordinaire très sûre et cela est de conséquence, puisque c’est la Somme qui lui sert de fil conducteur dans la Theologia scolastica plus encore 42 que dans les disputationes. Mais il suit le maître avec liberté, modifiant à l’occasion l’équilibre des parties, allongeant ou diminuant suivant les besoins, Inter­ calant, quand il le juge utile, de longs développements nouveaux. Par ailleurs 11 se montre attentif à faire état, dans la discussion, de l'opinion des maîtres ré­ cents, surtout de ceux qui le touchent de plus près : Vasquez, Lessius, Valencia (dont il fut l’élève et dont il prétend modestement adapter les Commentaires aux questions récemment mises en lumière), enfin et surtout Suarez, dont on peut dire que Tanner s'est donné pour rôle de répandre les Idée· en Allemagne. Toujours il cherche autant qu’il le peut à mettre l'es­ prit de ses lecteurs en contact direct avec les pensées et les formules même des grands théologiens. Enfin, qualité plus éminente et plus rare, il a vraiment le sens de la théologie; son objectivité n’est pas simplement celle d'un homme de science, elle est celle d’un théo­ logien. C'est dire qu'à travers ses asserta concis, qui s'enchaînent les uns aux autres en une gradation claire et régulière, non seulement chaque progrès de la pensée apparaît avec sa valeur exacte, mais de plus on est toujours loyalement averti, quand la pensée de l’auteur quitte le domaine du dogme et de la certitude, pour entrer dans celui du système et de l’opinion per­ sonnelle. 3° Car on peut parier à son sujet d'une vraie per­ sonnalité doctrinale. Ses dons de penseur critique pren­ dront même un singulier relief dans l'appréciation qu'il portera sur les procès de sorcellerie. Et, pour alléguer un autre exemple, si on lui a reproché de justifier l’usure, c'est qu’il a cherché sous les solutions compliquées un terrain solide, et a admis la légitimité du prêt à intérêt dans certains cas, en essayant de ramener les titres légitimes à ceux de certains contrats simples, t. ni, disp. IV, q. 7, dub. m. En revanche il reste de son temps lorsqu'il traite de la liberté de conscience. Seuls, en somme, les infidèles y auraient droit, en raison de l’ignorance invincible où ils peuvent être. Les hérétiques, eux, sont passibles de peines canoniques et civiles, y compris la peine de mort, l'excuse de la bonne fol ne leur étant pas accor­ dée, encore qu’il puisse exister des cas d’hérésie ma­ térielle, t. m, disp. I, q- 8, dub. ix. Pareillement, malgré son goût pour les mathéma­ tiques et les sciences naturelles, et même un intérêt passager pour les observations astronomiques, il demeure fermement attaché au système aristotélicien du ciel incorruptible et des spheres rigides mues par des anges, 1.1. disp. VI, q. 3, dub. n-ni; et il discute en cinquante-quatre colonnes les observations et les con­ clusions de Tycho-Brahé. S’il admet les premières, il nie énergiquement les secondes, s'appuyant contre Copernic sur le décret du Saint-OHlce. Notons enfin, pour les historiens de la théologie, que notre auteur croit devoir refuser le privilège de l’immaculée concep­ tion à la vierge Marie, parce qu’elle n'a pas eu, en fait, les dons préternaturels qui accompagnent normale­ ment la justice originelle, t. iv, disp. IL q. 1» dub. n, n. 49. III. Doctrine de la grace. — Sur la prédestina­ tion et la grâce on ne s’attend pas à voir Tanner inno­ ver d'une manière sensationnelle. Ici l'orientation générale de sa doctrine lui est imposée par les direc­ tives de son ordre. 11 n'en représente pas moins dans le molinisme une direction de pensée relativement ori­ ginale, en raison de l’étude approfondie qu’il a fuite de la notion de · science moyenne », sur laquelle il a cherché à centrer, s’inspirant de Suarez plus que de Molina, tout son système de l’action de Dieu sur la créature libre. C'est presque dès ses premières pages que la Theo­ logia scolastica aborde le sujet. A propos des objets de 43 TANNER (ADAM) la science de Dieu, 1.i, disp. II, q. 8, l’auteur en vient rapidement à celui qui, seul, soulève de réelles diffi­ cultés : les effets futurs contingents conditionnés, sur­ tout ceux qui de fait ne sc réalisent pas. A cet objet bien spécial correspond en Dieu ce que Molina a appelé la science moyenne. Mais, relativement à la science moyenne. Tanner distinguera avec soin deux ques­ tions à traiter séparément : la question de réalité (an sit) et la question de modalité (qualis sit). Sur la réalité de la science moyenne (dub. v), il ne juge pas superflu de déployer tout un appareil dia­ lectique, La thèse s'avance jalonnée par plusieurs pro­ positions successives : 1. Dieu connaît infailliblement tous les effets futurs contingents non conditionnés; 2. il connaît au moins quelques futurs contingents conditionnés; 3. et cela infailliblement; 4. bien plus, il les connaît tous, même ceux qui ne se réalisent ja­ mais; 5. quel que soit le sens de la condition : causal, conditionnel pur, disparate, pourvu que le lien soit effectif; G. et cela en dehors de tout décret prédéter­ minant. Les arguments répartis entre ces différentes affirmations constituent un choix judicieux parmi ceux des molinistes antérieurs, en particulier de Sua­ rez. Les textes scripturaires Invoqués sont : I Reg., xxin, 10-12; III Reg., xi, 2; IV Reg., xm, 19; Sap., iv, 11 ; Is., i, 9; Jer., xxxvni, 17-18; et pour le Nou­ veau Testament : Malth., xi, 21 (Luc., x, 13); Matth., xxrv, 22; Luc., xvi, 31. Pour les Pères, cinq seulement sont retenus parmi ceux que Suarez a utilisés : Gré­ goire de Nysse, Chrysostome, Grégoire le Grand, Am­ broise et surtout Augustin, dont la doctrine est spécia­ lement étudiée en plusieurs passages. En Un, du point de vue rationnel, réponse affirmative est donnée à la question de savoir si un énonce futurible est suscepti­ ble de vérité. Mais c’est la nature ou modalité de la science moyenne qu’il importe le plus de tirer au clair; dans la terminologie scolastique cela revient à déterminer quel peut être le medium in quo de cette connaissance divine. Tanner procédera ici par élimination. D'abord les futurs conditionnels non réalisés ne sont pas connus de Dieu en eux-mêmes (dub. vi). Certes toute connais­ sance suppose un objet qui termine l'acte du connais­ sant. En ce sens les futurs contingents sont bien con­ nus de Dieu en eux-mêmes. Mais la connaissance pa­ rait impliquer aussi que la faculté est déterminée par l'objet. Or, comment admettre qu’un objet créé exerce une causalité vis-à-vis de Dieu, surtout s'il n’existe pas? — Ce n’est pas davantage par leurs causes que Dieu connaît les fuluribles (ibid.), parce qu'ils n’y sont pas assez déterminés pour être par là connus Infailliblement : assertion qui oppose Tanner à son maître Grégoire de Valencia. — Serait-ce, comme on l’a dit encore, · dans leur existence objective formel­ lement réalisée ab ælerno *? Mais justement ils n'exis­ tent pas (ibid.). 11 faut donc dire que Dieu connaît les futurs contingents, absolus ou conditionnels, en luimême (dub. vu). Seulement on n’expliquerait rien en faisant seulement appel aux idées divines. Celles-ci doivent bien être supposées dans la divine connais­ sance; mais elles ne suffisent pas à rendre compte de l’existence concrète cl conditionnelle, c’est-à-dire libre, dont 11 s’agit dans le cas des futurlbles. Surtout qu'on se garde de chercher notre medium in quo dans un libre décret de la volonté de Dieu. Non que Dieu ne puisse pas connaître le futur libre dans un décret de sa volonté. Mais le décret divin ne sauvegarde le caractère libre de l'acte sur lequel 11 tombe, qu'à condltion d'être guidé par la science moyenne. Il ne sau­ rait donc expliquer celle-ci. La chose est particulière­ ment manifeste en ce qui concerne la connaissance que Dieu a des actes peccamineux futurlbles. Passant maintenant à la partie positive, Tanner 44 présente ainsi sa pensée : tout ce que Dieu connaît en dehors de lui, il le connaît « secondairement et d'une manière quasi réflexe », dans « le verbe qui le repré­ sente » comme futur et qui est seul digne de mouvoir l'intelligence divine (dub. vu, assert. 6). Et ce qui fait que cette connaissance s'étend au contingent condi­ tionnel, c'est, d'une part, la perfection infinie de l’in­ telligence divine et, d'autre part, le lien d'exempla­ rité qui unit toute chose — cl en particulier le futur contingent, par sa futuribilité — à l’essence divine. On peut rcnonnaltre là une idée de Molina complétée grâce à Suarez. L'étude des autres attributs de Dieu fournit l'occa­ sion de compléter celte théorie de la science moyenne et d'en faire l'application d’abord au concours de la volonté divine à l’acte libre, t. i, disp. II, q. 10, dub. vu. A l'exception du péché, Dieu prédétermine ab wterno tout acte libre. Ceci suppose la science moyenne : Dieu sait ce qu’il veut. Quant au péché, Dieu ne le veut que d'une prédétermination concomi­ tante : il ne le veut qu'en subordination à la décision de l’homme; de même le châtiment, après prévision de la faute : car Dieu ne peut en aucune manière être cause du mal. La science moyenne est nécessaire tant pour l'efficacité de la volonté de Dieu que pour sauve­ garder la liberté de l’homme. Ce dernier point est traité à part en détail (dub. vm). On distingue trois sortes de prédéterminations : décret conditionnel, décidant le libre concours à la volonté créée (prédétermination concomitante); prédétermination de la cause qui fera agir le sujet libre (vertu, vocation, grâce efficace); prédéterminai Ion absolue en dehors de la volonté créée. La première ne touche en rien à la liberté; la seconde va être spécialement étudiée à propos de la grâce; la troisième est sujette à controverse, mais Tanner lient avec Suarez, contre beaucoup de moli­ nistes, la possibilité de la liberté en ce cas, grâce à la science moyenne, en vertu de laquelle II n'y a rien dans la détermination divine qui gêne la volonté créée. L'application des mêmes principes au problème de la providence et de la liberté, t. i, disp. III, q. 1, dub. v, et à celui de la prédestination, t. i, disp. III, q. 6, dub. ni, continue à mettre en lumière la nature de la science moyenne. Enfin, à propos de la discussion sur la grâce efficace, Tanner fut accusé d'avoir manqué au décret ponti­ fical. Est-ce à cause de l'ardeur avec laquelle il s'ap­ plique à grossir le nombre des adversaires de la pré­ détermination physique, de la sévérité des jugements qu'il note ou de l'attitude caractéristique qu’il adopte à l'égard d'une théorie, périmée à son sens et près de disparaître? Après l’avoir ainsi écartée, t. n, disp. VI, q. 2, dub. m, il rejette aussi la détermination morale et la · congruité non basée sur la science moyenne » (dub. iv), puis il critique la tendance opposée et rejette la « pure coopération » (dub. v). Ces deux dernières positions, pure congruité et pure coopération, qui ont pour auteurs des partisans notoires de la science moyenne, d’une part Mascarenhas, de l'autre Molina, Vasqucz, Lcssius, sont discutées avec beaucoup d’in­ térêt et de soin. La vraie théorie, selon Tanner (dub. vi), doit reposer sur la thèse de la science moyenne, comme celles de la providence cl de la pré­ destination. Elle veut s'inspirer du congrulsme de Suarez, de Bcllarmln et des discussions De auxiliis. Comme arguments théologiques, le seul témoignage de saint Augustin : Cujus Deus miseretur, sic cum vocat quomodo scit ei congruum ut vocantem non respuat. Et voici l'argument de raison : L’efficacité de la grâce doit tenir à sa nature et non au consentement auquel elle est antérieure. Elle n’est infaillible que grâce à la science moyenne, comme toute prédélcrmination ab­ solue. Ainsi l'efficacité de la grâce n’est pas simplc- 45 TANNER (ADAM) ment dépendante de la volonté de l’homme puisque le décret divin précède le consentement humain, ni sim­ plement dépendante de la volonté de Dieu puisque la science (moyenne) du consentement y est supposée. Ainsi Tanner a cherché son chemin au milieu des divergences des spéculations molinistes en utilisant plus strictement et plus radicalement la notion de science moyenne, et en même temps, sous l’influence de Suarez, en essayant de rendre le molinisme moins rigide grâce à une théorie de la science moyenne se résolvant finalement en une sorte de compromis entre la liberté de Dieu et celle de l’homme. IV. Critique des procès de sorcellerie. — On sait qu'à la fln du Moyen Age et au temps de la Re­ naissance le nombre des accusations de sorcellerie sans cesse instruites et jugées par l’inquisition est incroya­ blement élevé dans tous les pays d’Europe, mais nulle part autant qu'en Allemagne. 11 en coûtait cher aux malheureuses victimes. Or, pour être suspect de pra­ tiquer le métier de sorcier ou de sorcière, il suflisalt de bien peu. Qu'un fléau sévît quelque part ou qu'un simple accident survînt sans cause apparente, les bonnes gens y voyaient très vite le résultat d'une intervention diabolique provoquée par un mauvais sort. Qu'il y eût alors dans le pays un individu aux allures tant soit peu insolites, c'était lui le coupable présumé l Ainsi le voulait la psychose collective. On a dit à l’art. Sorcellerie, t. xiv, col. 2411 sq., combien il était regrettable que les grands scolastiques du xm· siècle n’eussent pas consacré aux croyances superstitieuses, si florissantes déjà de leur temps, des études critiques égales à l’importance sociale du sujet. Cette carence s'était prolongée et 11 faut bien recon­ naître que, jusqu'aux premières années du xvn· siècle, l'apport des théologiens dans ce domaine n’avait guère été de nature qu’à encourager les sévices des inquisi­ teurs. C'était encore le cas, par exemple, pour le Tractalus de confessionibus mate ficorum de Blnsfeld (1589) et pour les Disquisitiones magicœ du jésuite Del Rio (1599). 11 faut avoir présentes à l’esprit ces diverses circonstances pour rendre pleine justice au mérite des hommes clairvoyants et courageux, qui, comme Frédé­ ric Spec (voir ici, t. xiv, col. 2174 sq.) et avant lui Tanner, surent remonter le courant. C’est au traité de la Justice que la Theologia scolastica examine et apprécie la procédure employée contre les sorciers et sorcières. Mais cette étude juridicomorale présupposait une prise de position relative­ ment à la question théologique de la réalité des phé­ nomènes attribués à l’intervention du démon dans la sorcellerie. Là-dessus les premières mises au point de notre auteur avaient précédé de loin la Theologia scolastica. Dès 1615, dans son Astrologia sacra, il n’avait pas hésité à défendre Trithème du grief de magic et il avait montré que certains phénomènes apparem­ ment préternaturels s’expliquent au mieux quand on leur applique les procédés d’une méthode scienti­ fique. Trois ans plus tard, les Disputationes theologicæ avaient abordé de nouveau la question du merveil­ leux, objet des croyances superstitieuses. Dans le grand ouvrage de 1627 le problème est traité au t. i, disp. V, q. 5, dub. m et iv, à propos du pouvoir des anges bons ou mauvais vis-à-vis des hommes. Il existe à ce sujet deux opinions, déclare l’auteur. L'une attri­ bue tout à l’imagination, à la crédulité, à la super­ cherie. L’autre tient la possibilité d’un merveilleux angélique et spécialement démoniaque. Quant à lui, c’est au second parti qu’il se range, mais non sans en mitiger singulièrement la portée pratique, en souli­ gnant le rôle que peuvent jouer Ici l’hallucination, le rêve, l'autosuggestion. On aurait tort d'ailleurs d’exagérer son scepticisme en matière de sorcellerie, étant donné le sérieux avec 46 lequel 11 en reparle vers la fln de la Theologia, t. iv, disp. VIII, q. 4, dub. vin, lorsqu'à propos du mariage il traite de l'empêchement d’impuissance. Au surplus on ne doit pas perdre de vue que c'était là, à l’époque, un domaine des plus scabreux. Dan sa Cautio crimi­ nalis, où 11 cherche précisément à se couvrir de l’au­ torité de notre théologien, Frédéric Spee n'écrit-il pas (dub. vu) avoir entendu un Jour un Inquisiteur dire que, si on mettait jamais la main sur ce Tanner, il n'échapperait pas? Pourtant le point de vue Juridique et moral est traité dans le De justitia, t. ni, disp. IV, q. 5, en entier, avec beaucoup plus de fermeté et d'in­ dépendance, comme le montrent à eux seuls les titres des dubia : 1. Quelques principes à observer; 2. Une dénonciation sufflt-elle pour justifier torture et con­ damnation? 3. Convient-il dans ces procès de laisser tant de place à l'arbitraire des Juges? 4. Conduite du pasteur d’âmes à l'égard des prévenus. 5. Remèdes contre la sorcellerie. Pour ce qui est des principes, la sorcellerie rentre bien, sans doute, dans la catégorie des « crimes d’ex­ ception », mais cela ne dispense pas d'observer à son égard les exigences de la raison et de la justice. C'est un crime de condamner des Innocents, risque que l’on court fatalement par l’application de la torture aux suspects. · Si pour dix ou même vingt coupables un seul innocent doit succomber, mieux vaut s'abstenir de poursuivre les criminels eux-mêmes. » Et, quoi qu'aient pu dire Blnsfeld et Del Rio, on n’est pas fondé à s’en remettre à Dieu du soin d'empêcher qu'un Inno­ cent ne périsse. Aussi bien, nul ne doit être mis à la torture, qui n’a pas déjà été reconnu sûrement cou­ pable. Torturer pour obtenir un aveu est une procé­ dure injustifiable : il faut au contraire tenir pour nulle toute déclaration extorquée par le chevalet. Convientil, par ailleurs, d’inculper un malheureux sur n'im­ porte quelle dénonciation? Ce serait là, répond Tanner, avec une pointe d'humour, faire le jeu du démon, car celui-ci, naturellement, pousserait à dénoncer les per­ sonnes les plus vertueuses. Ne voit-on pas en effet que rien n’est si compromettant, aux yeux des inquisiteurs, qu’une piété exemplaire (considérée comme hypo­ crite) ou encore la communion frequente? Pour qu’une dénonciation formulée devant les Juges ait chance d’être sincère, au moins faudrait-il qu’elle ait été pré­ cédée chez le dénonciateur d'une véritable conversion et émane ainsi d’une conscience purifiée. Sur quoi Tanner s’en prend aux théologiens qui Justi liaient par le caractère d’exception du crime de sorcellerie l’ar­ bitraire quasi total laissé aux juges dans sa répression, très spécialement en ce qui concerne l'application et la répétition de la torture. Misérables subtilités que celles qui permettent de tourner les lois interdisant de répéter plusieurs fois la torture dans un même procèsl Enfin, après avoir examiné quelques uns des cas de conscience que peut avoir à résoudre le confesseur d’un condamné pris entre la vérité, les devoirs de réparation et la crainte de la torture. Tanner passe aux moyens dont il conviendrait selon lui de faire usage pour extirper le mal dont il vient de traiter. Nulle part peut-être son esprit de mesure et d’humanité ne s’oppose d'une manière plus éclatante aux tendances de l’époque. Tandis que les contemporains ne songent qu'à multiplier les peines afflictives contre les sorciers dont les appels nu diable ne font pour eux aucun doute, lui, en véritable théologien, recherche le remède qui ira à la racine du mal. Ce sera en tout premier lieu une intelligence vraie de la providence de Dieu, incom­ parable antidote contre le genre de superstition con­ sistant à voir le démon partout. Ce sera ensuite une vie chrétienne profonde : sacrements, prières, bonnes œuvres. Enfin, l'honnêteté «les mœurs : ce n’est qu'après avoir appliqué ces remèdes, qu’il resterait, le 47 TANNER (ADAM) cas échéant, à déterminer les méthodes de répression. Doctrine vraiment chrétienne en même temps que si parfaitement humaine! Doctrine où l’historien psycho­ logue saisit la marque d’un cœur resté à la hauteur de l’intelligence cl capable de la diriger. SommervOgel.BiM.de la Comp. de Jésus, t. vin,col. 18131855; B. Duhr, Gesehlchte (1er Jesuiten, t. n b, p. 380-386 et 516; W. Lurz, Adam Tanner and die Gnudenstreitigkcitcn des 17. Jahrhunderts, Breslau, 1932. J. Goetz. 2. TANNER Antoine, né à Art h (canton suisse de Schwyz), le 22 août 1807, mort le 22 novembre 1893 comme prévôt de Lucerne, s'est fait un certain renom dans sa patrie par scs publications apologétiques : Ueber das katholische Traditionsprincip und das protestantische Schriftprincip, Lucerne, 1862; Ueber den Materlalfcmus, ibid., 1861; Verhâltniss von Vernunft und Offenbarung, ibid., 1865; nombreux articles dans les Kath. Schweizerblâtler. Hurter, Nomenclator, 3· éd., t. v, col. 1544; quelques rec­ tifications dans Buchbcrgor, Lœikon für Théologie, t. ix. É. Amann. 3. TANNER Conrad, né lui aussi Λ Arlh, le 29 décembre 1752, entra en 1772 au monastère d'Éinsiedeln, dont il devint abbé en 1808 et où il mourut le 7 avril 1825. 11 a laissé quelques écrits de spiritualité cl de pédagogie : Bctrachtungen zur sittlichen Aufklârung im XIX. Jahrh., Augsbourg, 1804-1808, 5 vol.; Bildung des Geistlichen durch Geistesûbungen, ibid., 1807; Vaterldndische Gedanken ûber die mOgliche gute Auferziehung der Jugend, Zurich, 1787; Einsiedcln, 1853. On a publié après sa mort plusieurs volumes de Lettres relatives à la pédagogie. Kirchcnlexikon, t. xi, col. 1203; Hurler, Nomenclator, 3· éd., t. v, col. 1070; Buchbcrger, Lexikon, t. ix. É. Amann. TANQUEREY Adolphe-Alfred, sulpicien, né à Blalnville (Manche) le lor mai 1854, décédé à Aixen-Provence le21 février 1932. — Après de fortes éludes faites au collège de Saint-Lô (1867-1872), au grand séminaire de Coutances, à Saint-Sulpice de Paris et a Home, où il reçut le sacerdoce (1878), il entra dans la Compagnie de Saint-Sulpice. 11 enseigna succes­ sivement la philosophie à Nantes (1879), puis à Rodez la théologie dogmatique (1879-1887). Aux vacances de 1887, il fut envoyé aux États-Unis, au grand sémi­ naire de Baltimore, comme professeur de dogme (18871895), ajoutant pendant quatre ans à son enseigne­ ment principal un cours de droit canonique (18891893). C’est durant son séjour à Baltimore qu’il com­ posa et édita sa Synopsis thcologiæ dogmatica specialis (2 vol., 1894), bientôt suivi de sa Synopsis theologia dogmatica fundamentalis (1 vol., 1896). Ce manuel, qui en est aujourd’hui (1940) à sa 24· édition, s’im­ posa partout par sa clarté, par son souci de l’infor­ mation positive, par son adaptation aux besoins du temps, par la richesse de sa documentation. Une fois publiée, après dix-sepl ans d'enseignement du dogme, sa Synopse dogmatique, M. Tanquerey fut nommé, en 1896, professeur de morale au même sémi­ naire de Baltimore : c'est à cet enseignement, pour­ suivi pendant six ans (années auxquelles il convient d’ajouter scs quatre années antérieures d'enseigne­ ment du droit canonique) que nous devons les deux premiers volumes, parus en 1902, de sa Théologie morale et pastorale, Synopsis theologia moralis et pas· toralis. 11 fut alors nommé professeur de morale au séminaire Saint-Sulpice de Paris, où il enseigna pen­ dant trois ans (1902-1905) la « Justice»et les» Contrats»: et qui lui permit de publier, en 1905, le troisième et dernier volume de sa Théologie morale. « 11 avait à un degré extraordinaire le don de rendre claires les doc- | TAPARELLI D’AZEGLIO 48 trines les plus abstraites et de montrer leur portée pratique », a écrit un de scs anciens élèves de Balti­ more (The Voice, mars 1932). A Paris, écrit G. Hardy, « son cours fut un enchantement » ( Vie catholique, 5 mars 1932). M. Tanquerey quitta le séminaire SaintSulpice en décembre 1906, lorsque séminaristes et directeurs en furent chassés par application de la loi de séparation des Églises et de l’Étal. Directeur pen­ dant quelque temps du Séminaire normal (1907), il vint ensuite à Issy où, déchargé de tout enseignement, n'ayant comme ministère que la direction spirituelle des séminaristes de langue anglaise, il put se consa­ crer tout entier aux éditions successives de ses ou­ vrages cl à de nouvelles publications. C'est au cours de cette période, qu'en collaboration avec quelquesuns de scs confrères, il condensa en deux volumes toute sa théologie : Brevior synopsis thcologiæ dogmatica (1911); Brevior synopsis theologiæ moralis et pastoralis (1913). Nommé en 1915 supérieur de la Solitude (noviciat des sulpicicns), M. Tanquerey se consacra tout entier à l'étude de la spiritualité, et prépara dès lors son Précis de théologie ascétique et mystique qui, publié en 1923, connut partout, dans son texte français et dans scs dix traductions, le plus grand succès. Il publia aussi, en 1926, les deux premières séries de scs Dogmes générateurs de la piété. C'est pendant cette période également (1921-1927) que M. Tanquerey publia de nombreux articles de pédagogie ou de spiritualité dans le Recrutement sacer­ dotal, T Évangile dans la vie, la Vie spirituelle, et le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses. An­ térieurement, il avait collaboré, à Baltimore, à ΓAme­ rican Ecclesiastical Review, et à la Catholic Encyclo­ pedia, comme aussi à notre Dictionnaire de Théologie catholique, et à d'autres publications. Une telle activité épuisait scs forces. Déchargé, en 1926, de ses fonctions de supérieur de la Solitude, M. Tanquerey se relira en 1927 au grand séminaire d'Aix, où il continua pendant plus de quatre années sa vie de travail et son apostolat auprès du clergé. C'est à Aix qu’il adjoignit à scs Dogmes générateurs deux nouvelles séries : La divinisation de la souffrance (1931), et Jésus vivant dans ΓÉglise (1932). C’est à Aix aussi que, reprenant pour les adapter à un plus vaste public, ses Dogmes générateurs, il eut l'idée de publier sept petits opuscules Pour la formation des élites. M. Tanquerey se proposait d’étudier encore les Sacre­ ments, les Fins dernières, cl la Communion des Saints, comme autant de dogmes générateurs de la piété, lors­ que Dieu rappela à lui cet infatigable travailleur, le 21 février 1932. F. ClMETIEH. TAPARELLI D’AZEGLIO Louis, à partir de son entrée en religion (auparavant son prénom usuel était Prosper) (1793-1862), frère de l'écrivain et homme d'État célèbre du Risorgimcnto, Maxime d'Azcglio, naquit à Turin. Nommé par Napoléon élève à l’Écolc militaire de Saint-Cyr, il obtint un sursis; nommé ensuite à celle de Saint-Germain, il fut auto­ risé à rentrer dans scs foyers avant même d'avoir « rejoint ». Pic VII ayant rétabli la Compagnie de Jésus par la bulle Sollicitudo omnium Ecclesiarum, le 7 août 1814, le jeune Taparclli fut parmi les premiers novices admis le 12 novembre suivant Λ Sant* Andrea dei Quirinale. Après avoir passé quelques années dans un collège à Novare, il fut nommé, en 1824, recteur du Collège romain qui venait d'être rendu Λ la Compa­ gnie. Il abandonna cette charge en 1829 pour assumer les fonctions de provincial ù Naples. De 1833 ù 1850, il fut professeur ù Palermo. Il quitta la Sicile pour colla­ borer à la revue que la Compagnie venait de fonder à Naples, mais qui émigra bientôt à Rome, la Civiltà 49 TAPARELLI D’AZEGLIO 50 cattolica, dont il fut l'un des principaux rédacteurs pen­ but est de réintégrer le droit dans la morale, la sépara­ dant les douze dernières années de sa vie. La biogra­ tion de ces deux disciplines ayant été l'une des funes­ phie détaillée de Taparelli présenterait un vif intérêt tes conséquences de la Déforme. Le livre est divisé en sous bien tics aspects» mais elle déborde évidemment sept dissertations (entre lesquelles sont intercalées de le cadre de cette étude; ces quelques indications suf­ nombreuses et longues notes), qui traitent successi­ fisent pour situer le personnage. Néanmoins, avant vement des sujets suivants : l'action individuelle; les d’examiner l'œuvre doctrinale de Taparelli, il con­ théories de 1' « être social »; l'action humaine dans la vient, croyons-nous, d’aborder deux points qui doi­ formation de la société; les lois de l’action de la société vent être laissés dans la trame de sa vie : son action déjà formée; les lois morales assignées par la nature à pour la renaissance de la philosophie d’Aristote et l'action politique de la société; les lois de l’action de saint Thomas, et ses idées sur le principe des natio­ réciproque entre les sociétés égales indépendantes, fon­ dement du droit international; droit spécial. Il est nalités. Sans entrer dans les controverses auxquelles a impossible d’exposer ici, fût-ce de façon sommaire, les donné lieu l'histoire des origines du néo-thomisme, il idées maîtresses de ce volumineux travail; signalons semble qu’on puisse résumer ainsi le rôle de Taparelli à seulement ce qui concerne l'origine de la société (est-il cet égard : c'est au cours de son rectorat au Collège besoin de dire que Taparelli réfute le « Contrat social»?) romain que Taparelli conçut l’espoir de remettre en et celle du pouvoir (à comparer avec la théorie de honneur la scolastique. Effrayé de l'anarchie intellec­ Suarez), et surtout l’ordre international, qui fait l’ob­ tuelle qui régnait alors dans les écoles et conscient de jet de la sixième dissertation : le P. de La Brière a dédié son ouvrage sur La communauté des puissances scs responsabilités, il voulut y remédier par le retour à la philosophie péripatéticienne, qui était d'ailleurs Λ Taparelli, < précurseur le plus clairvoyant de toute prescrite par les constitutions de la Compagnie, mal­ l’organisation internationale contemporaine ». Parmi heureusement tombées en désuétude. Scs efforts ren­ les principes Λ la lumière desquels il faut se diriger en cette matière, relevons ceux-ci : le bien d'une société contrèrent de l’opposition. Provincial à Naples, il sc est subordonné à celui des personnes associées, pour donna pour tftche de réformer l’enseignement dans le qui l'association n'est qu’un moyen, ce qui exclut sens indiqué. Quoi qu'il en soit, son zèle fut l’occasion radicalement ce que nous appelons aujourd'hui le de quelque excès de la part de certains de scs disciples. Enfin, dans la Ciuiltà cattolica, il put exposer publique­ • totalitarisme »; la première loi des rapports entre les ment et avec plus d'ampleur ce qu'il pensait sur nations doit être l’amour mutuel. Taparelli examine d’une manière très fouillée les droits et les devoirs des l'orientation que devait recevoir la philosophie. Ainsi donc Taparelli déploya, au gré des diverses circons­ nations en temps de paix et en temps de guerre, il tances de sa vie, une activité inlassable d'ordre prati­ passe en revue les divers cas où l'on pourrait concevoir que en faveur du thomisme plutôt qu'il ne laissa luil’hypothèse d’une intervention et il énumère les con­ ditions requises pour que la guerre soit juste. Il nomme même une œuvre écrite, complète et approfondie, de ethnarchie la société universelle des nations produite philosophie. par les lois mêmes de la nature; notons bien, d’ailleurs, Une note de Taparelli, Intitulée Della nazionalità, qu'en ce groupement chaque nation conserve son exis­ parut en 18-17 à Gênes, à l’insu même de l’auteur qui tence propre : il s’agit là d’une association hypotactique, l'avait destinée à la prochaine édition de son Saggio c’est-à-dire une subordination de plusieurs sociétés. (cf. infra). Vu les circonstances, elle provoqua une Originairement l’autorité internationale est polyarcertaine émotion. Après avoir analysé les éléments qui, chique, en ce sens qu’elle réside dans l’accord des États selon lui, constituent la nationalité. Taparelli examine juridiquement égaux qui s'associent; mais cet accord les problèmes moraux qui en découlent. La question n'est pas cause de l’autorité, il n’en est que la forme fondamentale à résoudre est celle-ci : est-ce un devoir pour les peuples que de tendre à parfaire leur nationa­ concrète. Taparelli sait bien qu’il risque fort d’être accusé d’utopie, mais il veut néanmoins étudier ex lité? Voici l'essentiel de la réponse nuancée : c'est aux pouvoirs publics qu'incombe le soin de l’unité natio­ professo les problèmes si délicats que pose nécessaire­ ment la complexité toujours croissante des relations nale. Celle-ci est, sans nul doute, un bien réel, voulu par la nature et vers lequel les peuples tendent instinc­ internationales. La construction qu’il ébauche est parfaitement cohérente et en plusieurs points elle tivement, mais il ne faut le rechercher que par des moyens légitimes. Taparelli passe ensuite à une ques­ présente une ressemblance vraiment frappante avec les réalisations de la Société des nations de Genève. tion plus précise, particulièrement brûlante à l’époque Un autre livre, où Taparelli révèle son brillant talent où il écrivait : la nationalité comportc-t-cllc nécessai­ rement l’indépendance juridique? Hépugnc-t-il abso­ de polémiste, est Intitulé Esame critico degli ordini rappresentatiui nella società moderna (Examen critique lument à la nature d'une nation que celle-ci, au lieu de des ordres représentatifs dans la société moderne). constituer à clic seule un État, dépende officiellement d’une autre nation?La réponse, au premier abord para­ C’est un recueil d’articles parus dans la Ciuiltà catto­ lica, mais plus ou moins remaniés. l/Esame critico doxale, est négative. Souvent, en effet, il existe des reprend, sous une forme moins didactique et plus droits antérieurs, et tout droit doit être respecté; les vivante, des thèses déjà énoncées dans le Saggio, dont diverses situations sont donc Λ considérer; c’est ce il est comme une sorte de complément et de com­ que fait Taparelli avec beaucoup de sagesse. mentaire, sur l’autorité, la liberté, le suffrage univer­ L'ouvrage principal de Taparelli est le Saggio (eoretico di Drillo naturale appoggiato sui fallo (Essai théo- i sel, le naturalisme, les diverses institutions politi­ ques, etc. Taparelli combat l’esprit protestant qui a rlque de Droit naturel basé sur les faits), que Pic XI vicié les constitutions. Considérer Taparelli comme un se plaisait à louer. H fut édité pour la première fols à Palermo, de 1810 à 1813. Le /alto dont 11 est fait men­ absolutiste serait le juger d'une façon superficielle et fausse : il n'est pas oppose à toute espèce de parlemen­ tion dans le litre n'est pas le fait constaté, au sens moderne du mot, tel que l'entendent les sciences expé­ tarisme, mais il dénonce l’influence rationaliste qui a rimentales, mais il signifie plutôt le témoignage de la envahi les systèmes modernes de gouvernement et il conscience universelle exprimé par le langage courant. combat inexorablement toutes les erreurs qui font le Suivant une méthode chère à Victor Cousin, comme malheur de la société contemporaine. elle l'avait été d’ailleurs à saint Thomas, Taparelli Taparelli a fait paraître dans la Ciuiltà cattolica de prend comme point de départ les notions les plus com­ nombreux articles d'économie politique. Ils sont de munes, spontanément formulées par le vulgaire. Son deux sortes : les uns concernent les principes mêmes 51 TAPARELLI D’AZEGLIO — TAPPER (RUARD) de cette science et recherchent sur quel fondement elle doit être établie; les autres, dont la valeur technique est évidemment aujourd’hui dépassée, sont des appli­ cations à des points particuliers, tels que la propriété, la notion de prix, la monnaie, le crédit, etc. Taparelli critique très vigoureusement les doctrines utilitaires qui étaient alors classiques (malgré les efforts louables de Villcncuve-Bargcmont qu'il n’ignore pas). L’écono­ mie est < humaine »; c'est dire qu’elle ne peut être In­ dépendante de la morale. Également ennemi du socia­ lisme et du libéralisme, Taparelli prélude aux « catho­ liques sociaux · et, Λ ce titre, ses articles sont un docu­ ment historique Important. Nous pouvons conclure en disant que, sur plusieurs terrains, Taparelli apparaît comme un précurseur, ce qui n’est pas synonyme de novateur au sens péjoratif qu'on attache ά ce mot, car c'est dans le trésor de la tradition qu’il a puisé de quoi faire face aux exigences créées par l’évolution du monde moderne. Il fait preuve de remarquables qualités dans une œuvre monumentale, où l’on ne sait s’il faut admirer davan­ tage la solidité du fond ou la rigueur de la dialectique. 52 I Salamanque, qu’il refusa ultérieurement d'échanger I contre une chaire de CoTmbre. Nommé évêque de Ségovlc en 1640, il passa ensuite sur le siège de Sagontc I (1644), puis sur celui de Cordoue (1649) et finalement I sur celui de Séville (1651). C'est là qu'il mourut, le I 25 août 1657, après une vie toute remplie des travaux de l'apostolat. De son enseignement académique 11 reste une Catena moratis doctrina ; t. i, De actionibus moralibus et eorum principiis in generali, en 5 livres, in-foL, Séville, 1654; t. n, De virtutibus et villis in spe­ cie, pars prior, de fide, spe et caritate, prudentia et justi­ tia, in-fol., ibid., 1657; l’enseignement de P. de Tapia reste, on le volt, entièrement conforme aux traditions de son ordre. Quétif-Échard, Scriptores O. P., t. n, p. 588; cf. Loe. dans Kirchenlexikon, t. xi, col. 1214; Davüa, Tcalro de las Es­ paças; Ilurtor, Nomenclator, 3· éd., t. nr, col. 1195 sq. É. Amann* TAPPER ou TAPPAERT Ruard, théologien lovanistc, 1487-1559. — Né à Enkhuysen, aux PaysBas, en 1487, probablement le 15 février, Ruard Tap­ per étudia à l’université de Louvain où il fut l'élève du futur /Xdrien VI. Ayant embrassé l'état ecclésias­ 1· Principaux ouvrages de Taparelli. — La dernière édi­ tique, Tapper se consacra à l’enseignement; ses cours tion du Saggio teordtco di Dritto naturale appoggiato sut attirèrent au pied de sa chaire de nombreux étudiants faito a été publiée on 1930 (la couverture porte 1928) â et lui valurent un renom considérable. Doyen de la Homo. Civiltù cattoltca. L'Esame critico degli ordini rapprefaculté des arts en 1517, docteur en théologie en 1519, sentativi nella société modenia n’est plus dans lo commerce une première fois recteur de l'université en 1530, il depuis longtemps; Il en est do même du Corso dementare del naturale diritto ad uso delle scuole. Les articles do Taparelli exerça une grande influence sur ses collègues et scs ainsi que les comptos rendus bibliographiques, parus dans élèves. Diverses prébendes étalent venues entre temps la Civiità cattoi ica do 1850 à 1802, no sont pas signés; il faut lui manifester l’estime des pouvoirs publics. donc se reporter à la liste donnée par Sommcrvogcl dans la Dès les premières années de son enseignement à la üibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus ou par faculté de théologie, Tapper avait donné sa collabo­ le P. Pirri dans les Cartcggl cités ci-dessous (on y trouvera ration à l’inquisition. Son concours fut si favorable­ également les titres de tous les opuscules de Taparelli). Lu traduction française du Saggio, par le P. Oncialr et d’au­ ment apprécié qu'en 1537 il était nommé Inquisiteur tres pères do lu Province belge, ot celle du Corso dementare, général pour les Pays-Bas. Il montra dans ccttc charge par l’abbé Ozanoni, éditées à Tournai par Custermnn, sont redoutable des qualités de modération, qui lui valu­ épuisées; la traduction (trop large et Incomplète) do VEsame rent l'estime générale, mais aussi beaucoup de fer­ cri (tco par le P. Pic hot, S. J., est toujours en vento chez meté. Son programme était : « réprimer l'hérésie, non Lothlclleux, Paris. par la force brutale, mais par l'ascendant de la logique 2· Travaux. — Sur Taparelli, jusqu’à présent. Il n’exlsto et de renseignement. » Sa charge d'inquisiteur général, guère que de brèves monographies, la plupart en italien, sur des points de détail, ou bien des livres o(i il est question les divers contacts qu'il avait eus avec le peuple, de Tuparclli d’une façon seulement assez Indirecte, mais un avaient démontré «à Tapper la « nécessité d’un pro­ ouvrage d’ensemble, en langue française, sur Taparolll et gramme de foi au milieu du chaos des controverses son œuvre est en préparation, ulnsi quo la traduction anno­ entre les catholiques et contre les hérétiques de toutes tée de ses principaux articles d’économie politique. Un nuances ». Ce programme, il le réalisa en publiant une résumé des idées do Taparelli sur le droit international a été série de cinquante neuf propositions dogmatiques, qu’il publié à Paris, par l’auteur du présent article dans Vitoria, réduisit par la suite à trente-deux; dans cette seconde Suarez, Droit dis gens, Paris, 1939. On trouvera quelques pages sur Taparelli en tête de l’édi­ série, à l'usage du peuple, H avait éliminé ce qui avait tion Italienne du Saggio. Le P. Pirri, éditeur de l’épistolalro trait à la grâce et à la justification. Ce symbole eut un do Taparelli (Carteggi del P. Luigi Taparelli d'Azcglio, dims très grand succès; imprimé une première fois à Lou­ Bibliütrca di storia Italiana recenle, t. xiv, Turin, 1932), a vain, en 1545, il devait être approuvé par bref de publié une série d’articles sur Taparelli dans la Civiità calloPie IV. en 1661. lica (n·· du 5 avril, 3 mai, 7 juin 1921; 15 janvier, 5 mars, Tapper donna ce symbole comme base à son ensei­ 7 mal, I juin 1927; 17 mal, 3 novembre, 1·' décembre 1928; gnement. C'est ce qui nous a valu la Declaratio articu­ 2 février, 2 mars, 6 avril 1929). Signalons aussi l’étude du prof. DI Carlo Intitulée Diritto t morale seconda L. Taparelli lorum a veneranda facultate theologia Lovaniensis ad­ d'Azeglio, Païenne, 1921, ainsi que les pages v-lxxxiv do versus nostri temporis hareses, simul et eorum approba­ Un cartrggio inedito del P. L. Taparelli d'Azeglio coi fratelli tio, per eruditissimum virum S. Pagina professorem Massimo e Roberto, publié par le même auteur. Home, 1926. D. Ruardum Tappaert ab Encusia, ecclesia cotlegiata B. Jacquin. S. Petri Lovan. decanum, necnon florentissima Acade­ 1. TAPIA (Didace de), ermite de Saint-Augus­ mia cancellarium, de religione Christiana optime meri­ tin, théologien de Séguvlc (t 1591 ), a laissé un ouvrage tum, Lyon,1554. De incarnatione Christi, de admirando eucharistia Mécontent de son œuvre, Tapper se remit au travail sacramento, en deux livres, en appendice un De ri tu et, dès 1555, publia Explicationes articulorum veneranda missa, Salamanque, 1589. facultatis Sacra Theologia generalis studii Lovaniensis circa dogmata ecclesiastica ab annis triginta quattuor Antonio,11Ibllothrca hispana nova, 2· éd.; Hurter, Noniencontroversa, una cum responsione ad argumenta adver­ elalar, 3· éd-, t. UI, col. 146. É. Amann. sariorum tomus /, authore eruditissimo viro Sacra Pagi­ 2. TAPIA (Pierre d·), théologien moraliste de na professore, D. Ruardo Tapper ab Enchusia, ecclesia l’ordre des frères prêcheurs (xvn* siècle). — Né à Vlllo- cotlegiata S. Petri Lovaniensis decano, necnon ejusdem florentissima Academia cancellario, Louvain, 1555, ria. diocèse de Salamanque, en 1582, il enseigna la théologie en divers endroits et fut nommé par Phi­ ln-fol. Le t. il parut en 1557. Ces deux volumes sont le commentaire de vingt des trente-deux articles de 1545; lippe IV, ta 1623, à la première chaire de théologie de 53 TAPPER (RUARD) — TARAISE pour chaque article, l'auteur donne l'explication de la doctrine catholique et la réfutation de l’erreur protêt* tante opposée. L'ouvrage est inachevé; il devait être réimprimé tel quel à Louvain en 1565. L'enseignement et les travaux de Tapper, son zèle éclairé pour la réforme catholique, l'avaient désigné Λ I l'attention de Charles-Quint. Aussi celui-ci intervint-il auprès de l'université de Louvain pour faire désigner Tapper comme théologien et représentant de l'univer­ sité au concile de Trente. Nommé premier des quatre procureurs de l'université, Tapper arriva à Trente en septembre 1551. Dès les premiers jours il se signala ά l'attention des Pères du concile. Quelques semaines plus tard, l'ambassadeur impérial Vargas écrivait à Granvelle (Trente, 28 octobre 1551) : « Les docteurs de Louvain ont fait voir qu'ils ont de l'habileté. Leur doTen [Tapper] n'est pas moins recommendable, par ses grandes connolssanccs que par sa dignité..., il est, pour ainsi dire, le père de tous les théologiens qui sont Ici de la part de Sa Majesté... » Concilium Tridentinum, t. xi. Epistola*, éd. Buschbell, p. 682. Les légats eurent plusieurs fois recours à Tapper pour la rédaction de mémoires préparatoires aux discussions. Le théologien de Louvain eut une grosse part dans les travaux de la XIVe session, mais son rôle est trop dispersé pour qu'il soit possible de l'étudier ici en détail. Le lecteur devra donc se reporter aux divers travaux sur le concile de Trente et à l'édition des actes du concile par la Gôrresgesettschaft; le nom de Tapper y revient fréquemment. Signalons au passage, l'habile argumentation de Tap­ per contre les utraquistes. Rappelé en Belgique, Tapper quitta Trente en avril 1552. Λ son retour, il eut à intervenir dans les contro­ verses soulevées par son ancien élève Michel de Bai; il le Ht si vigoureusement qu’il s'attira de nombreuses attaques; on l’accusa même de pélagianisme; ces con­ troverses lui furent très pénibles. Voir Baïus, t. n, col. 39 et Soto (Pierre de), t. xiv, col. 2437 sq. Une des dernières préoccupations de Tapper fut la création de nouveaux évêchés dans les Pays-Bas, mais ce fut son ami Sonnlus (v. ce mot) qui fut désigné comme négociateur. Tapper mourut Λ Bruxelles le 2 mars 1559. Œuvres. — Outre les ouvrages dont les titres ont été donnés ci-dessus, Ruard Tapper est l’auteur des écrits suivants : Eruditissimi viri May. Ruardi de Enchusen quœstio quodlibetica de effectibus quos consue­ tudo operatur in foro conscientia, pronuntiata publice Lovant i an. 1520, Louvain, 1520, in-4°; — Ruewardi Tapped, decani et cancellarii Lovaniensis, orationes theologica potissimas religionis catholica controversias, et veram Germanur pacanda rationem explicantes, sui­ vis de Aureum corrolarium de veris aflUcta haresibus Germania, ac potissimum Belgica* causis, una cum solidis earumdem sanandarum remediis, ut ad concor­ diam cum catholica Christi Ecclesia reducantur, et de Refutatio quorumdam falsorum remediorum aulicorum, cum explicatione veri remedii ad Belgicam ab haresibus liberandam potissimum comparati, Cologne, 1577, ln-8® (écrits réunis par Lindanus, évêque de Rurcmonde); — De gratta et liberi arbitrii concordia epistola, dims Réglnald, De mente concilii Tridentini circa gratiam efficacem, Anvers, 1706, ln-8®; — la plupart des écrits de Tapper ont été réunis sous le titre : Ruardi Tapped omnia qua haberi potuerunt opera, Cologne, 1582, infol. L Via kt rcuvnns. — Foppens, Bibliotheca belgica, t. u, 1739, p. 1081; Van den Brœck, De Ruardi Tapped vita et scriptis oratio, dans Annuaire de VUntuerstté de Ixjuvain, 1854, p. 178-195; Biographie nationale de Belgique, t. XXXV, 1926-1929, col. 555-577 (importante bibliographie); Aubert Lo Mire, Auctarium de scriptoribus ecclesiasticis, Hambourg, 1718, p. 167; Mo réri, Le grand dictionnaire historique, éd. do 54 1759, t. x, p. 37; Ellies Du Pin. Histoire de ΓÉglise et des auteurs ecclésiastiques du X V!·siècle, 1703, p. 92-98; Michaud, Biographie universelle, t. XL, p. 684-685; Klrchenlcxlkon, t. xi, col. 1215; Hurter, Nomenclator, 3· éd., t. iv, coi. 1234 «|.; Revue bénédictine, t. vi, p. 268. IL Rolk au concile dk Trente et position doctri­ nale. — Hefelo-Lcclercq, Histoire des conciles, t. x a.' Les décrets du concile de Trente, par A. Micbel.pauün; Concilium Tridentium, éd. de la Gorresgeiellschaft, passim; Le Plat, passim; Rcusch, Der Index der verbotenen Bûcher, 1.1,1883, passim; Dictionnaire apologétique, t. ni, col. 1443; t. rv, col. 237; Mench, Le corps mystique du Christ, l. u, 1933, passim; Capérnn, Le problème du salut des infidèles, 1912, p. 275-276. J. Mercier. TARA IS E, patriarche de Constantinople du 25 dé­ cembre 784 au 18 février 806. — 11 naquit à Constanti­ nople, vers 730, d'une famille patricienne. Son père, Georges, fut préfet de la ville et sa mère s'appelait Encratia. Lui-même fut le grand-oncle de Photius. On ne sait rien de sa vie séculière, sinon qu'il était protoasecrclis quand 1 impératrice Irène et son fils Constantin VI Jetèrent les yeux sur lui pour en faire un patriarche. Quant à son action comme chef de l'Égllse byzantine, elle nous est connue d’abord par sa Vie qu'écrivit Ignace, métropolite de Nicée, qui fut son ami personnel. C’est trop un panégyrique. On a heureusement, pour la corriger, la Chronographic de Théophane, un contemporain, les actes du second concile de Nicée, la vie et les lettres de saint Théodore Studlte, certaines lettres de Taraise lui-mème, etc. On possède donc les éléments suffisants pour en juger avec impartialité. La situation religieuse était alors assez délicate. Léon IV le Chazar, fils et successeur de Constantin V, n’avait pas mis Un à la persécution contre les iconophiies; elle avait encore fuit des victimes suus son règne (775-780). Sa mort (8 septembre 780) avait cependant amené une accalmie. Un fort parti deman­ dait le rétablissement du culte des images et l’impé­ ratrice Irène y inclinait. Mais il fallait compter avec l'opposition et la régente n’osait prendre les décisions qui auraient rétabli la paix religieuse. Le patriarche Paul IV, qui avait fait le serment, lors de son sacre (20 février 780), de ne pas rétablir le culte des Images, se tenait sur la réserve. Cependant Irène songeait de plus en plus à rapporter la législation persécutrice et à renouer avec le reste de la chrétienté les relations rompues par le schisme et l’hérésie, et cela dans un but politique autant que religieux. Le patriarche tomba malade au début d'août 784. 11 donna sa dé­ mission et se retira au monastère de Florus, où il mourut le 31 août, après avoir vivement recommandé de rétablir le culte des images. Si l’on en croit la Vie de Taraise, il aurait même désigné celui-ci comme son seul successeur possible. Vila S. Tarasii, n. 6, P. G., t. xcvm, col. 1290BC; Théophane, Chronographia, éd. de Boor, p. 457-458. Quoi qu’il en soit, quelque temps après la mort du patriarche, Irène convoqua au palais de la Magnaurc une grande assemblée de fonctionnaires et de notables pour leur exposer la situation. Elle demanda qu’on voulût bien lui dési­ gner un personnage capable de prendre la place de Paul IV. On lui indiqua Taraise. A quoi elle répondit que tel était bien son désir, qu’elle le lui avait mani­ festé, mais qu’il refusait. Prié de s’expliquer, Taraise prononça un long discours, dont Théophane nous a conservé le thème, et posa comme condition la réunion d’un concile œcuménique pour rétablir l’unité de l'Égllse. 11 rallia ù son projet la grande majorité des suffrages et fut sacré le jour de Noël (25 décembre 784). Vita, n. 7-11, col. 1291-1293; Théophane, op. cit., p. 458-460. Il envoya au pape une synodique accompagnée de sa profession de foi. On n'a plus cette lettre, mais on 55 TARAISE 56 peut facilement juger de son contenu par la réponse connut plus tard que c'était faux. Ce qui est certain, qu'y fit Adrien Ier. Grumel, Régestes du patriarcat de c'est que Taraise dut revenir sur sa première décision Constantinople, n. 351. Quant à la profession de foi, et montrer plus de fermeté contre les simonlaques. elle était la même que celle qu’il envoya aux patriar­ Vita, n. 22-24, col. 1401-1403; cf. Grumel, op. cit., ches orientaux et dont on a le texte. Après avoir ré­ η. 366· Au mois d'août 795, l'empereur Constantin VI, qui sumé sa croyance sur la Trinité cl l'incarnation, il anathémalisait les hérétiques condamnés par les avait répudie, six mois plus tôt, sa femme Marie d'Ar­ six conciles œcuméniques, entre autres le pape Hono­ ménie, épousa Théodote, demoiselle d’honneur de rius. 11 se prononçait pour le culte des images, en se celle-ci. Le patriarche Taraise voulut s’opposer à ce fondant sur le 82· canon du Quini-Sexte (qu’il dit du mariage, mais, devant la volonté bien arrêtée du VI· concile) cl annonçait la convocation, faite par les prince, il laissa le grand économe Joseph faire la céré­ empereurs sur sa demande, d’un concile œcuménique. monie. Vita, n. 28-34, col. 1405-1410; Théophane, Dans sa lettre à l’impératrice Irène et à son ills Cons­ op. cit., p. 469-471. Cette conduite causa une grande tantin, le pape, tout en rendant hommage à la pro­ fermentation chez les moines. Saint Platon, parent de fession de foi de Tamise, protestait contre son élé­ la nouvelle impératrice, son neveu saint Théodore vation, parce que de simple laïc il avait été promu à Studite, d’autres encore rejetèrent la communion du l’épiscopat, contrairement aux canons. 11 déclarait ne patriarche et furent de ce fait emprisonnés par ordre pouvoir ratifier l'élection que si Taraise se montrait un de Constantin VI. Une fois encore Taraise revint sur Adèle coopérateur pour le rétablissement du culte des sa décision, mais seulement lorsque l'empereur eut été images. Jaffé, Reg. pont, rom., n. 2448. Ce passage détrôné par sa mère et qu’il eut eu les yeux crevés de la lettre pontificale, après entente avec les légats (19 août 797). Il prononça alors contre le grand éco­ pontificaux, ne fut pas lu au concile de Nicéc, pour ne nome Joseph la double peine de la déposition et de pas donner prise aux adversaires du culte des images l’excommunication. Grumel, op. cit., n. 368; Vita qui étaient aussi ceux de Taraise. Le blâme d'Adrien 1er S. Theodori, n. 19, 25, 43, P. G., t. xeix. col. 137 A, se retrouve encore dans sa réponse au patriarche lui- 141 C. 156 A. En 803, il couronna empereurs Nicé­ même. Ibid., n 2 i 49. phore Itr et son fils Slaurace. 11 mourut le 18 février Rome accepta la convocation du concile œcumé­ 806, en pleine vieillesse et fut enterré le 25 dans le nique et y envoya scs représentants. Voir Nicée monastère qu’il avait fondé au delà du Bosphore. En (II· concile de), t. xi, col. 417 sq. Les ennemis de mars 813, l’empereur Michel Rhangabé fit recouvrir Taraise s’agitèrent beaucoup pour empêcher la réu­ son tombeau d'une plaque d'argent pesant 95 livres. nion de l’assemblée et le patriarche dut prendre des Vita, n. 48-52, col. 1418-1420; Théophane, op. cit., mesures pour interdire leurs conciliabules. Ils eurent p. 481, 500. Taraise est honoré comme un saint par bientôt leur revanche. Le concile s’ouvrit, le 7 août l’Église byzantine, à la date du 25 février, qui est celle 786, dans l'église des Saints-Apôtres. 11 était à peine de son enterrement. L'Église romaine l’a introduit commencé que les soldats de la garde impériale et les dans son martyrologe à la même date. Cependant il y évêques Iconoclastes firent irruption dans le temple aurait bien des réserves à faire sur sa conduite. S'il et protestèrent violemment contre le rétablissement faut le louer de son action en faveur du rétablissement du culte des images. Pour éviter des désordres graves, du culte des Images, par contre son attitude dans l’af­ les souverains déclarèrent le concile dissous. Vila faire des évêques simonlaques et du second mariage S. Tarasii, n. 17, col. 1397; Théophane, op. cil., de Constantin VI fut celle d'un fonctionnaire habitué p. 461. Cependant le triomphe des opposants fut de à satisfaire la volonté du souverain et non d’un homme courte durée. L’impératrice changea les troupes de la d'Église soucieux de faire respecter le droit cano­ garde et il fut décidé que le concile se tiendrait en nique. dehors de la capitale, à Nicéc. Il s’ouvrit en effet le Taraise a laissé fort peu d’écrits. Toutes ses lettres 24 septembre 787. Ce fut Taraise qui conduisit les ne nous sont point parvenues. On a seulement celle débats. Ce fut lui aussi qui demanda l'indulgence pour qu’il adressa aux hiérarques et prêtres des patriarcats les évêques iconoclastes qui avaient fait opposition au d'Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem pour leur concile. 11 est probable qu’il n'agit ainsi que pour annoncer son élection. Grumel, n. 352; Mansl, t. xn, seconder la politique de l’impérat rice qui voulait avant col. 1119-1125; P. G., t. xevin, col. 1460-1468; celle tout la pacification des esprits. La vin· et dernière ses­ qu’il envoya aux empereurs Constantin et Irène sur sion se tint au palais de la Magnaurc à Constantinople le second concile de Nicéc, Grumel, n. 358; Mansl, et Taraise y prononça un discours. Vita, n. 20, t. xiiî, col. 400-408; P. G., t. xevin, col. 1428-1436; col. 1400-1402; Théophane, op. cit., p. 462-463. Il celle qu’il adressa nu pape sur le même sujet, Grumel, rendit compte au pape de ce qui s'était passé au con­ n. 359; Mansi, t. xm, col. 458-468; P. G., t. xcvrn, cile, par une lettre que nous avons encore. Grumel, col. 1436-1441; une à Jean, hlgoumènc et solitaire, op. cit., n. 359; texte dans P. G., t. xevin, col. 1436- sur les évêques ordonnés par simonie, Grumel, n. 363; 1441. Dans une autre lettre au pape, écrite probable­ Mansl, t. xm, col. 471-479; P. G., t. xcvm, col. 1452ment après octobre 790, H s'élève vivement contre les 1460; une au pape sur les ordinations simonlaques, ordinations simonlaques. Grumel, op. cit., n. 364. Grumel, n. 364; Mansl, t. xni, col. 462-471 ; P. G., C'était sans aucun doute pour justifier sa clémence à t. xevin, col. 1441-1452; enfin une lettre canonique l’égard des évêques reconnus coupables de simonie et aux évêques de Sicile pour les féliciter de tenir régu­ à qui il avait permis, après une pénitence d'un an, de lièrement le synode annuel prescrit par le second reprendre leurs fonctions. Il l’avait fait sur les ins­ concile de Nicéc, Grumel, n. 365; Mal, Nova Patrum tances de l’impératrice qui pensait ainsi ramener la bibliotheca, t. v b, p. 143-146; P. G., t. xevin, col.1477paix dans l'Église. Elle avait compté sans les moines 1480. Il a laissé une homélie pour la fête de la Présen­ qui protestèrent violemment et écrivirent à Rome. tation de la Sainte Vierge, P. G., t. xevin. col. 1481Dans sa lettre, Taraise déclare avoir interdit aux slmo- 1500, homélie dont plusieurs extraits ont passé dans niaques de reprendre les fonctions ecclésiastiques. Ses l’offlcc de l'Immaculéc-Conceptlon de l’Égllsc latine. adversaires prétendirent que c'était là une assertion Vita S. Tarasii, P. G., t. xcvnr, col. 1385-1124. et Acta mensongère. Le bruit se répandit même que le pa­ t. in febr., col. 581-595; Théophane, Chronographia, triarche avait, sur l’ordre de l'empereur, célébré avec ■ SS., M. de Boor, p. 457-161, 463, 469-171. 181, 500; J. Her­ les simonlaques. sans attendre que l’année fût écoulée. genrother, Photlus, t. i, p. 246-252, 255-258; Hefele-LeSaint Théodore Studitc, qui l’avait d'abord cru, re­ I clrrcq. Histoire des conciles, t. ni, p. 741-802, passim; 57 TARGNY (LOUIS DE) — TARTARET (PIERRE) 58 V. Gru mol, Hegcstes tics actes du patriarcat de Constantinople, I de théologie de Parts et ses docteurs la plus célébra, t. vi, fuse. 2, p. 12-22, n. 350*373 P· 75, 00-97 et t. vn, p. 242. B. Janin. I J. Carreyre. TARGNY (Louis de), ecclésiastique français TARQUINI Camille, jésuite italien et cardinal (f 1737). — Né à Noyon, il fil des éludes ccdéslasti- I (1810-1874). —Né à Maria, diocèse de Montefiascone, ques très sérieuses et acquit la réputation d'un savant il fut reçu dans la Compagnie en 1837,et enseigna penthéologicn. 11 fut très souvent consulté par les évêques dant de longues années le droit canonique au Collège opposés au Jansénisme et rédigea de nombreux nié- romain. Pour récompenser scs services» Pie IX l'éleva moires dont plusieurs furent publiés par des évêques, au cardinalat en décembre 1873, mais, moins de deux en particulier, par le cardinal de Kohan, évêque de mois plus lard, le nouveau cardinal mourait, 15 féSlrasbourg. 11 fut, avec Toumcly, un des douze corn- vrier 1874. En marge de ses occupations professlonmissaircs, nommés à la demande du syndic de Buml- ncllcs le P. Tarquini s'était vivement intéressé à l’argny, le 8 novembre 1729, pour examiner les moyens à chéologie. Un certain nombre de dissertations furent prendre afin d'arriver ù la paix par la soumission des même consacrées par lui à l'étude de la civilisation opposants, après la mort du cardinal de Nouilles, le et de la langue étrusque. Mais son œuvre principale 4 mai 1729. Targny mourut le 8 mal 1737. est sans contredit le traité de droit ecclésiastique Targny a publié un Mémoire sur l'étal présent des public qu'il fit paraître à Borne en 1862, Juris eccleréfugiés en Hollande, au sujet de la religion et un autre siastici publici institutiones. Accueillies avec faveur et Mémoire sur les projets des jansénistes, en date du vite devenues classiques, ccs Institutiones parvenaient 19 janvier 1729. C'est contre ces deux Mémoires que en 1892 à leur 14* édition. Dès la 8* édition, le P. AnPctitpied publia une lettre à un de ses amis : Lettre gellnl y avait joint, par manière de supplément, une à Couleur des Mémoires sur les projets des jansénistes, traduction latine de la dissertation sur le Place! royal. 1729. Lorsque Amclbt fut envoyé ù Borne, où il arriva publiée en 1851 dans les Annali della scienza religiosa. le 9 février 1715, pour négocier la convocation d'un D’autre part, une traduction française donnée en 1868 concile national au sujet de la bulle Unigenitus, l'abbé par l'abbé Onclair, sous le titre Les principes du Droit Targny alla lui aussi à Borne pour l'assister et il rédl- public de ΓÉglise, atteignait en 1891 sa 4* édition. Si gea un Journal curieux, qui relate les événements du depuis lors l'ouvrage a perdu de sa notoriété, distancé 15 janvier au 23 septembre 1715. Ce Journal fonne le et quelque peu mis dans l'ombre par de nouvelles tome 555 des Archives des Affaires Étrangères, Cor- publications, il n'en reste pas moins représentatif de respondance politique. Targny rédigea, par ordre du l'enseignement romain du droit ecclésiastique public clergé, les Acta cleri gallicani, t. vi et y ajouta des sous le pontificat de Ple IX. notes. C'est Targny qui composa probablement VinsLa question des droits de l’Église par rapport à la traction des quarante évêques pour l'acceptation de la société civile ou politique y occupe, on le pense bien. Bulle Unigenitus, après l’assemblée du clergé de 1714- une place centrale. Elle est traitée avec beaucoup de 1715. Sur tout ceci voir l'art. Unigenitus (Bulle). fermeté, en déduction de celle thèse que la fin propre La Bibliothèque nationale possède de nombreux de l’Église est la plus éminente de toutes les fins que manuscrits de Targny; ce sont des copies, des notes, peut poursuivre une société parfaite. Or. à la hlérardes remarques, qui, pour la plupart, se rapportent chic des fins correspond de droit la subordination des plus ou moins directement λ la question janséniste et pouvoirs. Notons que l’auteur a surtout en vue d’exà la bulle Unigenitus. Ce sont : Mss fr. n. 7039-7042 : dure les prétentions régaliennes, et que l’Êtal auquel recueil de pièces sur le jansénisme; le ms. 7041 ren- il songe est l’État chrétien homogène (catholique ou ferme des explications sur la bulle Unigenitus; hétérodoxe), non l État divisé de croyances. Bien que ms. 7043: Mémoire sur Vétat présent de la religion et l'ouvrage ait précédé de peu l'article où la Cioiltà les projets des jansénistes (publié en partie); ms. 9591 : cattolica devait répondre au discours de Malines par minutes de lettres écrites au cardinal de Fleury’ au la distinction de la thèse et de l'hypothèse, voir l’art, sujet de VExplication littérale... des prières et des céré- Lidérausme, t. ix.col. 584 sq., il n'y est pas fait appel monies de la sainte messe du P. Lebrun; ms. 9594 : à cette distinction. Tarquini est d’une autre trempe, notes sur les Conciles du P. Hardouln, avec quelques Sommcn^el. rfHa Comp. de t. vu. col. 1873lettres de celui-ci (1 725); ms. 10 503 : notes sur 1 appel Angelini, Notice biographique, en tête des hutituau futur concile (1717); ms. 10504 : remarques sur tioncs à partir do la 8· éd., 1882. un écrit Intitulé : La paix de Clément IX, suivi d’un J. de Blic. Mémoire du garde des sceaux, envoyé en 1725 h TARTARET Pierre, philosophe et théologien l'abbé de Targny: ms. 10 563 : notes relatives aux scotiste du xv· siècle. — Français d’origine, il étudia jugements de la faculté de théologie de Paris aux ù l'université de Paris, dont il fut recteur en 1490. 11 xv»· et xvîip siècles, sur rinfallllbllité de l’Église, les était de la famille franciscaine, mais seulement, parattdrolts du pouvoir temporel et la Justice chrétienne il, comme membre du tiers-ordre séculier. Son œuvre (1663-1734); ms. 10 577 : pièces sur le jansénisme et théologique principale est un commentaire sur les divers mandements d’évêques: ms. 10 600, 10 601 et Sentences, ad mentem Doctoris subtilis Scoti : le 1. IV 10 603 : recueil de pièces relatives à la bulle Unige- publié à Paris, 1520, Venise, 1580; les quatre livres, à nitus (1720-1725); ms. 10 605 : remarques sur la lettre Venise. 1583, 2 vol. ln-fol., réédlt. Naples, 1607; il a pastorale du cardinal de Noailles du 31 octobre 1727; donné aussi un commentaire sur les Quodtibeta de ms. 10 606, 10 608-10 611 : pièces relatives à la bulle Scot. Paris. 1519, ln-fol., réédlt. Venise, 1580 et 1583; Unigenitus; ms. 10 630 : recueil de pièces sur l’auto- et avec les commentaires sur les Sentences, ibid., 1607. rlté de l’Église; 10 631 : mémoires et notes relatives Mais Tartaret est surtout un logicien et un philosophe : au confesseur du roi; ms. 13 920 : recueil de pièces Expositio in libros logicæ Porphgrii et Aristotelis ad sur les affaires du jansénisme et sur le P. Qiiesnel. mentem Doctoris subtilis, neenon expositio in totam Les Lettres (au nombre de trois) de l'abbé*** (le philosophiam naturalem et metaphysicam Aristotelis P. Vlgler, de POratoIrc) d un de ses amis, en réponse aux usque ad VL librum juxta mentem Doctoris subtilis, libelles qui ont paru contre le nouveau bréviaire de Paris Venise, 1503; Paris, 1509; ouvrage complété en 1513, (revu par l’abbé de Targny), Paris, ln-4®, 1736 et 1737. ibid., par une Expositio in sex priores Aristotelis libros Feller, Biographie unlwnelle, t. vni, p. 8-1 ; Glaire, Dic- I ^iurtlltum, et publie aussi sous cette forme À \ enise Honnalrc des sciences reel., t. n, p. 2231 ; Barnd, Dictionnaire in même année, souvent réimprimé. — In libros totius historique et critique, t. iv, p. 40U105; Foret. Iai faculté I logica' Aristotelis, Paris, 1494, 1520, etc. — In sum- 59 TARTARET (PIERRE) muh Petri Hispani, en 7 traités, sans Heu, ni date; et aussi en 1501, 1503, 1509 (cette édit. Λ Paris)» 1514 (BAle). — Les Opera philosophica ont été réunis, Venise, 1614, 1621, 1623. Comme logicien, Tartaret a fait autorité. Quand il fonda l’université de Witten­ berg, l’électeur Frédéric III de Saxe voulut que les commentaires de notre auteur sur Aristote et Pierre d’Espagne y fussent utilisés comme livres classiques. Wadding, Scriptores O. Λί.; S band ea, Supplementum ad Scriptores O. M.; Kirchcnlalkon, t. xi, col. 1227; Hurter, Nommclator, 3· ôd., t. il. col. 995; Buchberger, Lexikon fur Théologie, t. IX. É. Amann. TASSIN Renê-Prosper, mauristc (1697-1777). — Né ù Lonlay, dans l'actuel departement de l’Orne, le 17 novembre 1697, René Tassin embrassa la vie monastique à l’abbaye de Jumlègcs» où il fit profession le 3 août 1718. Au noviciat, il se lia d’une étroite amitié avec dom Charles·François Toustain dont il devint le collaborateur Adèle et constant. Après avoir travaillé d’abord Λ l’édition de Théodore Studite, dom Tassin et dom Toustain publièrent de nombreux ouvrages dont on trouvera les titres et l’analyse succintr dans V Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, que dom Tassin lui-même a écrite; parmi ces ouvrages, il convient de citer le Nouveau traité de diplomatique, justement célèbre et dont l’intérêt n'a pas tant vieilli qu'on pourrait le croire. Un travail de dom Tassin et de dom Toustain, longtemps demeuré manuscrit, 1*Histoire de Labbaïe de Saint-Vandrille depuis Van J604 jusqu'en 1734, a été récemment édité par dom Laporte, Saint-Wan drille» 1936, in-4°. Dom Tassin intéresse l'histoire de la théologie par sa Lettre d'un appelant aux religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, qui ont donné des marques publiques de leur opposition à la bulle Unigenitus, 1733, ln-4°. On a aussi de lui une dissertation latine sur les hymnographes des grecs. Il mourut au monas­ tère des Blancs-Manteaux, à Paris, le 10 septembre 1777. I Matricule de lu congrégation de Saint-Maur, ms. do la bibliothèque de l’abbaye Sainte-Marie de Paris; Histoire littéraire de la congrégation de Salnt-Maur, Bruxelles-Paris, 1770, p. 701-721, passim; Bcrllèrc-Dubourg, Nouveau supplément ά l'histoire littéraire de la congrégation de SalntMaur, t. il, Maredsous-Gembloux, 1931, p. 228-231; Ulysse Robert, Documents Inédits concernant la congrégation de Saint-Maur, Paris, 1875, p. 56; Hauréau, Histoire, litté­ raire du Maine, t. x, p. 82-88; dom Paul Denis, Les béné­ dictins de la congrégation de Saint-Maur de l'ancien diocèse de Séez, Alençon, 1912, p. 35-36; Kirchenlcxikon, t. XI, 1899, col. 1229-1231; Feller, biographie universelle, t. vu, 1850, p. 87; Hoefer, Nouvelle biographie générale, t. xliv, 1866, col. 900-901 ; et la bibliographie donnée par Berlière-DuIxjurg, op. ciL·, p. 231. J. Merci eh. TASSO NI Alexandre-Mario, auditeur de Rote, né à Collalto, en Sabine, le 24 octobre 1749, mort le 31 mai 1818. On a de lui : La religione dimostrala e difesa, Rome, 1800-1805, 3 vol. in-8°; nombreuses édi­ tions postérieures; traduction française, Valence, 1838, in-4% Blondi. Vila dl A.-M. Tassant, Plse, 1822, in-8·; Hurter, Nomenclator, 3· êd., t. v, col. 630; Hoefer, Nouvelle biogra­ phie générale, t. XXXI v, 1865, col. 923-924. J. Mercier. TATIEN, apologiste du n· siècle. I. Vie et œuvres. IL Le Diatessaron (col. 61). III. La doctrine (t 1 ( 3i IV. Son hérésie (col. 65). L Vie et œuvres. — Tatien naquit en Assyrie, c'est-à-dire vraisemblablement dans la Syrie Euphratésienne, aux environs de l'an 120. Il reçut dans son enfance et sa jeunesse une éducation grecque assez soignée. Il étudia les sciences encyclopédiques, comme TATIE N 60 on le faisait alors; II s'intéressa surtout aux philoso­ phes, sans approfondir d'ailleurs leurs doctrines; puis, pendant un temps, Il exerça, paratt-11, la profession do sophiste, de colporteur de discours, allant de ville en ville pour y faire admirer son talent. Il était alors païen, mais les problèmes religieux l'intéressaient assez pour qu'il se fit Initier Λ plusieurs mystères, dans l'es­ poir d'y découvrir la vérité. Il eut, on ne sait quand, l'occasion de lire les livres saints des Juifs et des chré­ tiens et il admira fort la sagesse qu'il y découvrit. Ce fut ù Rome, Λ ce qu'on peut croire, qu’il se con­ vertit au christianisme. En tout cas, il y rencontra saint Justin, qui y tenait alors école et l'apologiste exerça sur lui une influence profonde. Chaque fois qu’il parle de lui, il le cite avec une admiration émue et re­ connaissante. Aussi longtemps que vécut Justin, Ta­ tien demeura son disciple : comme lui, il fut en butte aux dénonciations de Crescens, Orat., xix. Mais, après le martyre de saint Justin, il fut, selon l'expression de saint Irénée, exalté et enflé par la réputation de son maître; Il se crut alors supérieur aux autres, fonda une espèce de didascalée et finit par abandonner l'Église, Cont. hier., I. xxvin, 1. Il ne paraît pas d’ailleurs que la défection de Tatien ait immédiatement suivi la mort de saint Justin; le maître rendit son témoignage entre 163 et 167; la Chronique d'Eusèbe rapporte la chute de Tatien Λ la douzième année de Marc-Aurèle, c'cst-â-dire à l'année 172-173. Entre temps, Tatien tint école à Rome et, comme l'avait fait Justin, il y enseigna le christia­ nisme à ceux qui voulaient bien venir l'écouter. De ses auditeurs, le plus connu est Rhodon, dont Eusèbe, Hist, eccles., V, xnt, nous fait connaître l'activité théo­ logique et les polémiques contre Marcion. Tombé dans l’hérésie, Tatien quitta Rome pour retourner en Orient. Nous ignorons pendant combien de temps il y vécut encore; mais il dut y exercer son activité d'une manière assez prolongée, car son hérésie se répandit largement et son influence demeura très forte longtemps après sa mort, dont la date est in­ connue. Tatien écrivit de nombreux ouvrages, dont les titres ne sont pas rapportés par Eusèbe, à l’exception du premier : 1° Discours aux Grecs, Λόγος πράς Έλληνας, le plus beau et le plus utile de ses livres, ru témoignage d’Eusèbe. Hist, eccles., IV, xxix. C'est une apologie du christianisme, bien différente d’ailleurs par son esprit et son allure générale de celles de suint Justin. Tatien est un combattant, qui ne trouve rien de bon dans la culture gréco-romaine et qui accable de scs railleries la philosophie tout autant que les religions païennes : l'art des Grecs est immoral, leur littérature est puérile, leur philosophie mensongère, leur langue même laisse à désirer, car elle n’est ni pure, ni uniforme. Il dé­ montre, de son mieux, la supériorité des chrétiens sur les païens, tant au point de vue doctrinal qu’au point de vue chronologique : la doctrine chrétienne est plus belle et plus exacte que tous les enseignements des philosophes; elle est aussi plus ancienne et les livres de Moïse en particulier sont bien antérieurs à ceux des païens. On note, en particulier, le catalogue des sta­ tues que Tatien a rencontrées à Rome. Oral., xxxmxxxiv ; l'auteur tire argument de ces statues pour prouver l’immoralité foncière du paganisme; nous ! nous Intéressons davantage à la liste, qui est curieuse en elle-même. La date du Discours est controversée : tandis que Harnack suppose l’ouvrage composé à Rome du vivant de Justin et y volt en quelque sorte l’hommage rendu par Tatien au christianisme tout de suite après sa conversion, Kukula regarde le Discours comme la leçon d’ouverture du didascalée hérétique de I Tatien après son retour en Orient. La vérité doit être 61 TATIEN entre ces deux extrêmes : le Discours est une œuvre catholique, en dépit des exagérations dont il est rem­ pli; mais la manière dont il parle de Justin se com­ prend mieux si le maître est déjà mort depuis quelque temps. On peut, semble-t-il, s'arrêter à une date voi­ sine de 168-170. 2° Sur la perfection d'après le Sauveur. Clément d'Alexandrie, Strom., m, 13, qui signale ce livre, nous apprend qu'il contenait une condamnation absolue du mariage et il s'attache à réfuter cette thèse. L'ou­ vrage est d'ailleurs perdu. 3° Sur les animaux, ou Sur les êtres vivants, IIcpl ζφων, mentionné dans Orat., xv. 4° Sur la nature des démons : cet ouvrage est indiqué par Orat., xvi, comme étant en projet. 5° Contre ceux qui ont traité des choses de Dieu, Oral., xl; c'est-à-dire, scmblc-t-ll, contre les théolo­ giens païens. 6° Livre des Problèmes, cité par Rhodon, Eusèbe, Hist, eccles., V, xm, 8. Tatien y étudiait certaines dif­ ficultés tirées des Livres saints. 7° Le Diatessaron, διά τεσσάρων εύαγγέλιον, est une harmonie évangélique, c'est-à-dire un récit où les textes des quatre évangiles, grâce à un entrelacement ingénieux, sont présentés dans une trame continue. Le titre peut se traduire : 1' (ouvrage) à travers quatre évangiles, ou, plus probablement, la quarte ou l’accord, dans le langage de la musique ancienne. Cet ouvrage semble bien avoir été d’abord rédigé en grec, mais très vite il fut traduit en syriaque, peut-être par son au­ teur et c’est dans le monde syriaque qu’il rencontra le plus grand nombre de lecteurs, au point d'être adopté officiellement par l’Église à la place des textes séparés des évangiles. De tous ces écrits, nous ne possédons aujourd’hui que le Discours aux Grecs conservé par le manuscrit d'Aréthas et le Diatessaron. IL Le Diatessaron. — Il convient de donner quel­ ques détails précis sur l’harmonie évangélique de Ta­ tien. 1° Le texte original grec est perdu, à l’exception d’un court fragment découvert dans les fouilles de DouraEuropos. Cf. M. J. Lagrange, Introduction au Nouveau Testament. La critique textuelle, Paris, 1936, p. 627-633. Si bref soit-il, ce fragment est des plus importants pour l’historien parce qu’il permet d'affirmer avec certitude que Tatien a bien rédigé son harmonie en grec. 2° Une version arabe du xi· siècle est contenue dans deux mss du χπ·-χπι· siècle. Mais cette version repose sur un texte syriaque conforme à la Pcscbilto, c’est-àdire à une traduction de beaucoup postérieure à Ta­ lion. Elle permet de connaître le plan de l’œuvre et la méthode de l'auteur, mais non pas de retrouver le texte primitif. Elle a été éditée par A. Ciasca, Rome, 1888 et 1931, avec une traduction latine et plus récem­ ment par A. S. Mamardjl, Le Diatessaron de Tatien, texte arabe et traduction française, Beyrouth, 1935; cf. Recherches de science religieuse, 1937, p. 91-97. Une traduction allemande est due à Prcuschen-Pott, Hei­ delberg, 1926. 3° Un commentaire de saint Êphrem, conservé seule­ ment dans une traduction arménienne qui comporte de nombreuses omissions. Ce commentaire a été édité par les méchltaristcs de Venise en 1836; la traduction latine Evangelii concordantis expositio a pour auteurs J.-B. Aucher et G. Mœsinger, Venise, 1876. Cf. P.-E. Essabalian, Le Diatessaron de Tatien et la première traduction des Évangiles arméniens, Vienne, 1937. Le commentaire suit de près ie texte évangélique; mais sous le vêlement arménien, où il nous est parvenu, il est bien difficile de retrouver les détails de l’original. 4° Nous sommes plus heureux lorsque nous avons affaire à des citations textuelles faites par des écrivains 62 syriaques : Aphraatc, saint Éphrem, le Livre des de­ grés, Isho'dad de Merv, Dcnys Bar-Salibi, etc. Ces citations devraient être groupées et étudiées en­ semble. 5° Un Diatessaron talin, conservé surtout dans le codex Fuldensts : ce manuscrit fut écrit entre 541 et 546, sur l’ordre de Victor de Capoue, et l'harmonie évangélique qu'il contient semble avoir été traduite du grec. Son texte se rapproche du type Vulgate, mais on y retrouve bien des leçons de la vieille version latine. Édition Ranke, Marbourg, 1868. G® Une harmonie en langue flamande, qui remonte peut-être à un texte vieux-latin. M.-D. Ploolj, C.-A. Philips, A.-J. Bamouw, The Lieqe-Diatessaron, edited with a textual apparat us and english translation, Ams­ terdam, 1929-1935. Les critiques ne sont pas d’accord sur l'origine et sur la valeur de l'harmonie flamande et il n'est pas du tout certain qu’elle représente, comme on l’a prétendu, une révision de l'œuvre de Tatien. Il a certainement existé des harmonies diflérentcs de la sienne et il serait Injuste de prononcer son nom à tout propos. Cf. V. Tedesco, A. Vaccarl, M. Vattasso, Il diatessaron in volgare ilaliano, testi inedite dei sccoli χιπ-χιν, Città del Vaticano, 1938. Tous ces documents n’ont pas encore été confrontés dans une édition critique. La meilleure édition, celle de Th. Zahn, Talions Diatessaron, Erlangen, 1881, est vieillie et fort incomplète. Il serait urgent de reprendre la besogne à pied d'œuvre. En dépit des difficultés de la tâche, les critiques ont pourtant étudié le Diatessaron avec la plus grande attention, car il représente, dans la mesure où nous pouvons l'atteindre, un texte très ancien des évan­ giles, antérieur à tous nos grands manuscrits. D’autre part, le Diatessaron semble avoir joui, pendant long­ temps, d’un grand crédit.Nous avons déjà rappelé que, dans les Églises du monde syriaque, son autorité s’im­ posa au point de l’emporter sur celle des évangiles séparés : jusqu’au v· siècle, on employa l’harmonie de Tatien d'une manière officielle. Il n’en fut pas de même sans doute dans les Églises de langue grecque ou de langue latine. Mais on a remarqué qu'il existe de nom­ breux points de contact entre le Diatessaron d’une part, les vieilles versions latines et certains manuscrits grecs d’autre part. Le problème qui se pose est celui de l’explication de ces ressemblances. Tatien a-t-il eu devant les yeux un texte des évangiles qui a été également celui dont se sont servis les premiers traducteurs latins? Ou bien, au contraire, ceux-ci ont-ils utilisé le texte de Tatien? La première version latine des évangiles aurait-elle été une traduction du Diatessaron et aurait-elle ensuite exercé son action sur les traductions des évangiles séparés? Comment se fait-il que bien des leçons du Diatessaron syriaque se retrouvent dans les évangiles vieux-latins et figurent également dans une série de manuscrits grecs? Selon von Soden, le Diatessaron serait la source unique de toutes les transformations importantes opé­ rées dans le texte évangélique. Dans cette hypothèse, il faudrait faire une guerre sans merci aux « tat Ionis­ mes ■ pour retrouver, avec quelques chances de succès, le texte primitif. Mais la théorie de von Sodcn n’a pas été acceptée et Vogels, qui a spécialement étudié Ta­ tien, pense simplement que les leçons particulières du texte soi-disant svro-latin sont destatianismes. Cf. H.· J. Vogels, Die altsyrischen Evangelien in ihrem Vcrhûll· nis :u Tatian's Diatessaron, 1911; Heitrâge sur Ge~ schichte des Diatessaron im Abenland, 1919. Cette affir­ mation paraît encore trop absolue, car les variantes conformantes apparaissent avant Tatien» dans Mar­ don ou dans V Évangile de Pierre par exemple et on les retrouve également chez des auteurs qui ne sont TAT IE N pas sous la mouvance de Tntlen, saint Irénéc et Clé­ ment d’Alexandrie entre autres (L. Vaganay). Le problème reste obscur. Il mérite de retenir l’at­ tention des critiques qui doivent avant tout s’efforcer de restaurer le texte même de Taticn en dehors de tout esprit de système et d’idée préconçue. HL La doctrine. — Taticn se présente â nous comme l’ennemi né de la philosophie : il n’y a pas de sarcasmes qu’il lui épargne, d’insultes dont il ne la couvre. A l'on croire, rien de bon ne serait sorti de la philosophie grecque. Aussi faut-il résolument aban­ donner la sagesse de ce monde, tourner le dos aux fables et aux turpitudes du paganisme pour s’attacher à la vérité chrétienne. Celle-ci affirme avant tout l’unité de Dieu. Oral., v. Mais, pour être unique, Dieu n'est pas seul; tout au moins ne le reste-t-il pas : · Dieu, écrit Taticn, était dans le principe, et nous avons appris que le principe c'est la puissance du Verbe. Car le Maître de toutes choses, qui est lui-même le support substantiel de l’univers, était seul, en ce sens que la création n'avait pas encore eu Heu; mais en ce sens que toute la puis­ sance des choses visibles et invisibles était en lui, il renfermait en lui-même toutes choses par le moyen de son Verbe. Par la volonté de sa simplicité, sort de lui le Verbe, et le Verbe qui ne s'en alla pas dans le vide est la première œuvre du Père. C'est lui, nous le savons, qui est le principe du monde. » Oral., v. Il semble, à lire ce texte, que Taticn distingue deux états du Verbe. Avant la création, le Père est seul, bien que le Verbe soit en lui, comme la puissance de tous les êtres à créer. Lors de la création, le Verbe est proféré; il sort alors du Père, dont il est la première œuvre, έργονπρωτότοκον. Taticn n'emploie pas,comme le feront plus tard les ariens, le mot χτίσμα. Le terme d’œuvre est pourtant suspect. Il ne faut pas le presser, car l’apologiste continue en mettant en relief l’unité de nature du Père et du Verbe : « (Le Verbe) provient d'une distribution, non d’une division. Ce qui est divisé est retranché de ce dont il est divisé, mais ce qui est distribué suppose une dispen­ sation volontaire et ne produit aucun défaut dans ce dont 11 est tiré. Car, de même qu’une seule torche sert Λ allumer plusieurs feux et que la lumière de la pre­ mière torche n’est pas diminuée parce que d’autres torches y ont été allumées, ainsi le Verbe, en sortant de la puissance du Père ne priva pas de Verbe (λόγος) celui qui l’avait engendré. · OraL, v. La comparaison des torches, empruntée à Justin, corrige en partie les Insuffisances des premières expressions. Le concile de Nlcéc, en la reprenant pour combattre les ariens, achè­ vera de lui donner sa valeur. Le Verbe, une fols proféré par le Père, est l’instru­ ment de la création : · Le Logos céleste, esprit né du Père, raison Issue de la puissance raisonnable, a fait ù l’imitation du Père qui l’a engendré, l’homme image de l’immortalité, afin que, comme l’incorruptibilité est en Dieu, de même l’homme participe à ce qui est le lot de Dieu cl possède l’immortalité. Mais, avant de former l’homme, le Logos crée les anges. » Oral., vu. Avant même d'avoir fait les anges, Dieu avait peutêtre créé la matière elle-même. Tatien n’est pas très assuré en ce qui regarde l’ordre d’apparition des créa­ tures. L’Important est qu’il n’admette pas l’éternité de la matière et sur ce point il est très explicite. Il dé­ clare nettement que la matière n’est pas sans principe ainsi que Dieu et qu'elle n’a pas, n’étant pas sans principe, la même puissance que Dieu : elle a été créée; elle est l'œuvre d’un autre et elle n’a pu être produite que par le Créateur de l'univers. Oral., v. Le Verbe ne joue pas seulement un rôle dans la création. Il agit dans le gouvernement du monde, dans la prédiction de l’avenir, dans la promulgation de la 64 Loi : « Quant au Logos, comme il avait en lui-même la puissance de prévoir l'avenir,.., il prédisait l'issue des événements futurs et, par les défenses qu'il formulait, il se montrait comme celui qui s'oppose au mal et qui loue ceux qui savent rester bons. » Oral., vu. Ces for­ mules ne sont pas très claires, elles pourraient signifier que le Verbe a Inspiré les prophètes d'Israël et que ceux-ci ont parlé sous sa conduite : l'idée était fami­ lière A saint Justin et il ne serait pas surprenant que Tatien l'ait empruntée A son maître; mais celui-ci l'ex­ primait d'une manière incomparablement plus pré­ cise. Il ajoutait d'ailleurs que le Verbe avait également parlé, quoique d’une manière différente par la bouche des sages de la Grèce, et ceci Tatien est bien loin de le penser, puisque, pour lui, les plus grands de ces sages eux-mêmes ne sont que des sots. Le Saint-Esprit n'est pas mentionné dans l'exposé théologique des chapitres v et vu. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, car Tatien sc conforme à la réserve observée à son sujet par tous les apologistes. Il connaît pourtant l'Esprit-Saint et il mentionne son rôle à plusieurs reprises, tout en laissant dans l'ombre le problème de sa personnalité. Le texte le plus explicite sc trouve au c. xin : « Dans le principe, l'Esprit fut uni A l’âme, mais l’Esprit l'abandonna quand elle ne vou­ lut plus le suivre. Elle avait encore comme une étin­ celle de sa puissance; mais, séparée de lui, elle ne pouvait pas voir les choses parfaites; elle cherchait Dieu et sc formait dans son erreur des dieux multi­ ples, suivant les contrefaçons des démons. L'Esprit de Dieu n'est point en tous; mais en quelques-uns qui vivent justement il est descendu, s'est uni à leurs âmes et, par ses prophéties, a annoncé aux saintes âmes l'avenir caché; et celles qui ont obéi à la Sagesse ont attiré en elles l’Esprit qui leur est apparenté; celles qui lui ont désobéi et qui ont écarté le ministre du Dieu qui a souffert sc sont révélées les ennemies de Dieu plutôt que scs adoratrices. » Nous voudrions quelque chose de moins embrouillé. Pour Taticn, l’Esprit est le ministre du Dieu qui a souffert : prise à la lettre, cette formule contient l’affirmation de la personnalité du Saint-Esprit, mais aussi celles de sa subordination et de sa dépendance A l’égard du Christ. Elle est d'ailleurs isolée. On voit, au reste, que l’Esprit illumine les âmes : sans lui, l’homme peut chercher Dieu, mais il ne le trouve pas et tombe dans l'idolâtrie. Il faut la lumière de l'Esprit pour connaître le vrai Dieu; c'est ce qu'avait déjà dit saint Justin, Dial., 4. De même l'Esprit prophétise; il an­ nonce l'avenir caché : ailleurs cette fonction est réser­ vée nu Verbe; et dans saint Justin c'est le Verbe qui est apparenté à l'âme, tandis qu'le! c'est l'Esprit. On a relevé enfin un rapprochement entre la Sagesse et l'Esprit : peut-être ce rapprochement n’cst-il pas for­ tuit, car on le retrouve plus étroit chez saint Théo­ phile. Somme toute, la doctrine de Taticn sur la Trinité manque de précision. Il doit ù la tradition les noms des trois personnes divines et souvent il s'inspire de Justin pour décrire leur rôle. Mais il enseigne le double état du Verbe et met sa prolation en rapport avec la créa­ tion du monde et il laisse dans l’ombre la personne du Saint-Esprit. Au sujet de l’incarnation, l’apologiste est encore plus réservé. C’est A peine si l'on peut relever dans le Discours des allusions à ce mystère : c. xm, l’EspritSaint est appelé ministre du Dieu qui a souffert; au c. xxi, Tatien, argumentant contre les Grecs, déclare que ceux-ci n'ont pas le droit d'accuser les chrétiens de folle, car ils racontent très souvent des apparitions de dieux sous forme humaine; ils n'ont donc pas A s’éton­ ner que les chrétiens prétendent que Dieu est venu sous une forme humaine. Quelques historiens, comme 65 TATIEN — TA U LE R Pucch, ont pensé que le silence de Taticn s'explique­ rait par son docétisme. Mais, lorsqu'il écrivait le Dis­ cours, Tatien était encore orthodoxe. En réalité, il n'entrait pas dans sa perspective de raconter l'histoire du Sauveur. Il lui suffit, pour préparer les Ames à la foi, de combattre le paganisme et de mettre en relief les principes de la théologie chrétienne. L'explication de Γ Évangile ne fait pas partie des thèmes qu’il s’est proposé de développer. L'anthropologie de Tatien est peu explicite. L'homme se compose du corps et de l'âme. Il est fait à l'image de Dieu et possède la liberté. Oral., vu. 11 peut ainsi accueillir ou rejeter l’Esprit de Dieu : ceux qui l’écartent et lui désobéissent se montrent scs ennemis. Il possède par grâce, mais non par nature, l’immortalité qui, en elle-même, est le partage exclusif de Dieu. Ibid. Taticn va jusqu’à dire que les âmes justes elles-mêmes sont dissoutes pour un temps, Oral., xiii, mais qu'elles renaîtront grâce à l’union qu’elles ont eue ici-bas avec l'Esprit. La résurrection de la chair est par contre fortement affirmée contre les païens. « Il faut ajouter que Tatien distingue deux Esprits, Oral., xii ; un esprit Inférieur qui anime et différencie les astres, les anges, les hommes, les animaux; il le conçoit comme le faisaient les stoïciens; et, d'autre part, un Esprit supérieur et divin, qui est identifié avec la Lumière et le Logos. Ibid., xm. Il faut sans doute entendre par là la nature divine : si l'âme s'unit à cet Esprit, elle forme avec lui un couple ou syzygic selon la volonté de Dieu. Ibid., xv. Cette conception a une couleur gnostique évidente; de même l’opposition établie entre les psychiques et les pneumatiques. » J. Lcbreton, Histoire du dogme de la Trinité, t. ri, p. 491, note. IV. L’héhésie de Tatien. — Lorsqu’il écrivait le Discours aux Grecs, Taticn était encore orthodoxe: ce ne sont pas quelques expressions suspectes qui peuvent nous faire mettre en doute son appartenance à la grande Église et il ne semble pas juste d’écrire à son sujet : « L'autorité théologique en est médiocre, venant d'un homme déjà à demi engagé dans l’hérésie. » J. Lcbreton, op. cil., p. 487-488. 11 ne convient pas, sans doute, d'attribuer à Tatien une autorité à laquelle il n’a ja­ mais prétendu : comme beaucoup d’autres, il a été un docteur privé et il a enseigné sous sa propre responsa­ bilité. Il est un témoin de la fol, assurément, mais il n’a pas la valeur d’un représentant officiel de la tra­ dition. Par contre, on ne saurait dire qu’il était déjà à demi engagé dans l’hérésie lors de la rédaction du Discours : même ce qu’il écrit sur la matière, Oral., xviii, ne nous autorise pas à parler ainsi. Le premier auteur qui nous renseigne sur l’erreur de Tatien est saint 1 rénée, Cont. h ter., I, xxvin, 1 : nous avons vu qu’il attribue la chute de l’apologiste à l'orgueil qui s'empara de lui après la mort de Justin. « Quelques uns, écrit-il, contredisent le salut de notre premier père : Tatien le premier a introduit ce blas­ phème... Il imagina des éons invisibles comme ceux qu’on trouve dans les fables de Valentin; comme Mar­ cion et Saturnin, il appela le mariage une corruption et une débauche; de lui-même, il soutint qu’Adam n’est pas sauvé. » Cette notice est trop brève pour nous faire connaître au juste la doctrine do Tatien. Deux points seulement y paraissent en lumière : le rejet du salut d’Adam et la condamnation du mariage. Si saint Irénéc insiste sur le premier point, c'est parce qu’il s’y intéresse davantage et qu’il le trouve plus important. Mais on peut croire que la répudiation du mariage a tenu une place plus considérable dans la pensée de Tatien. Du moins, lorsque Clément d'Alexandrie parle de Tatien et rappelle son ouvrage Sur la perfec­ tion d'après le Sauveur, il ne lui reproche que ses docDICT. DE THÉoL. CATIIOL. 66 trines encratites et il s'attache à les réfuter en prou­ vant l'excellence du mariage. Les hérésiologucs postérieurs ont reproduit, avec des additions ou des commentaires plus ou moins étendus, les données de saint Irénée. Cf. Hippolyte, Philowph., VIII, xvi, 20; Pseudo-Tertullicn, Ado. omnes lueres., xx; Eusé be. Hist, cedes., IV, χχντιιχχιχ ; Phllastrius, livres., xlviii, lxxii, lxxxiv; Épiphane, Hæres., xi.vi, xlvii. Il est permis de se défier de ces commentaires. Eusèbe et Épiphane, par exemple, font de Tatien le fondateur de la secte des encratites, alors que saint Irénée rattache expressé­ ment sa doctrine sur la continence et sur le mariage à Saturnin et à Marcion. De fait, on peut relever tout le long du h· siècle, l’existence d’une tendance à la condamnation de la matière et par suite de la chair et du mariage. Cette tendance se manifeste aussi bien chez des auteurs qui paraissent sincèrement attachés à la grande Église que chez des écrivains franchement hérétiques et elle ne suffit pas à elle seule à caractériser une secte. Nous n'avons donc, à tout prendre, que des rensei­ gnements insuffisants sur l'hérésie de Tatien, puisque nous ne savons pas dans quelle mesure il s’est fait le disciple de Valentin en imaginant des éons invisibles. Si cette donnée est exacte, il faudrait conclure que l'apologiste a fini par sombrer dans le gnosticisme. Mais ce n’est pas cela qu’on a surtout retenu dans la suite. On a été beaucoup plus frappé par l’encratisme de Tatien et cela peut suffire à expliquer qu'on lui ait cherché des précurseurs gnostiques. Eusèbe, Hist, eccles., IV, xxix, 4, 5, parle d’une secte de sévérlens, issue d’un certain Sévère, qui au­ rait encore renchéri sur l’hérésie de Tatien. Mais la description qu’il en donne est plutôt faite pour ratta­ cher les sévériens aux judéo-chrétiens. Le souvenir de Tatien s’effaça d’ailleurs assez site dans le monde gréco-romain, il ne resta vivant que dans les Églises syriaques où l’on continuait à utiliser le Diatessaron. Le Discours aux Grecs ligure dans P. G., t. vi et dans le Corpus apologetarum de Th. Otto, lena, 1867-187X II a été encore édité par E. Schwartz, dans Texte und Untersuchungen, t. iv, fasc. 1, Leipzig, 1888, et par E.-J. Goodspccd. Dit dltcstcn Apologeten, 1914. Plusieurs passages en sont tra­ duits en français par J. Rivière, Les apologistes dudeuxièmt siècle, Paris, 1907. A. ihicch, Hechrrdies sur le Discours aux Grecs de Tatien, suivies d'une traduction française du Discours, Paris, 1903; J. Gctïcken, Zu*ci gricchische Apologeten, Leipzig, 1906; A. Pucch, Les apologistes grecs du deuxième siècle, Paris, 1912; H.-C. Kukula, Tâtions sogenannte Apologie, Leipzig, 1910; J. Lcbreton, Histoire du dogme de la Trinité, Paris, 1928, t. H, p. 485-491 ; V. A.-S. Little. The christology of the Apologists, 1931. G. Bardy. TA U LE R, prédicateur et écrivain mystique, de l'ordre des frères prêcheurs (xiv· siècle). — I. Vie. IL Écrits (col. 67). III. Doctrine (col. 69). IV. Contro­ verses posthumes (col. 75). I. Vie. — On connaît peu de détails certains sur la vie de Taulcr. 11 est né à Strasbourg vers la ûn du xm· siècle; impossible de préciser l’année. Sa famille était aisée. 11 laisse entendre dans l’un de scs sermons qu’il aurait pu vivre de · l’héritage » de son père. Vetter, Die Predigten Taulcrs, serai, lm, p. 262; cf. Hugueny-Théry-Corin, Sermons de Tauter, Traduction sur tes plus anciens manuscrits allemands, serai, lxx, t. ni, p. 158. Il entra vers 18 ans chez les dominicains de Strasbourg. Contrairement aux dires de « la plu­ part » des auteurs protestants, Tauler s’estima tou­ jours heureux d’être frère prêcheur. Vetter, serai, lvi, p. 261; Ilugucny, t. in, p. 158. A plusieurs reprises, il exprime, dims scs Sermons, la tristesse qu’il éprouve de ne pouvoir, à cause de sa faible santé, observer T. — XV. — 3. 67 TAULER. ÉCRITS < In règle dans toute sa rigueur ». X’etter, scrm. i,vif, p. 268, cf., p. 355. 434; Hugueny, t. ni, p. 46, 200. « Chez les dominicains de Strasbourg, dit le P. Théry, Taulcr a lu et étudié saint Thomas. » Hugueny, t. i, Introduction, p. 15. Le chapitre général des frères pr0cheursdeSaragosse.cn 1309, avait imposé à l’ordre l’obligation de suivre la doctrine de frère Thomas. Tauler toutefois s’écarte assez souvent de la doctrine de l’Aquin a te. C'est qu'en Rhénanie, au xiv· siècle, le thomisme ne régnait pas seul. La philosophie néo­ platonicienne, connue surtout par les écrits du pseudoDenys, y était très répandue. Nous trouvons fréquem­ ment dans les sermons de Taulcr, comme nous le ver­ rons, des théories néoplatoniciennes utilisées pour ex­ pliquer l'union mystique. Taulcr étudla-t-II aussi à Cologne, où était le Stu­ dium generale des dominicains? « Nous n'en avons aucune preuve directe; mais le contraire me paraîtrait invraisemblable », dit le P. Théry. Ibid., p. 22. C'est là qu'enseignait maître Eckart, de 1321 à 1327. Taulcr suivit sans doute ses leçons et devint l’un de scs plus fervents disciples. Il l’appelle dans ses sermons « un aimable Maître », « un grand Maître ». Vetter, scrm. xv, p. 59; Hugueny, t. i, p. 297. A plusieurs reprises il essaie de donner un sens orthodoxe aux propositions d'Eckart condamnées par le pape Jean XXII, le 27 mars 1329. Cf. Vcttcr, serm. lx°, lxxxi, p. 293, 432; Hugueny, t. n, p. 81 ; t. ni, p. 197. Taulcr fut surtout un grand prédicateur et un direc­ teur de conscience apprécié. Nous verrons que scs seules œuvres authentiques sont ses sermons. 11 a commencé son apostolat à Strasbourg, comme semble le laisser entendre une lettre d'un contemporain, Vcnturin de Bergame, adressée à Egnolf de Theuhcim. Cf. G. Clementi. Un santo patriota. Il B. Venturino da Bergamo, Rome, 1909, p. 89; voir le texte, dans Hu­ gueny, t. i, p. 29. Ce serait surtout dans des couvents de dominicaines qu'aurait prêché Taulcr. Au xiv· siè­ cle ces couvents étaient nombreux à Strasbourg, Spire, Worms, Mayence, Coblence, Bonn, Cologne, Mcdingen. Ils furent mis sous la direction des frères prêcheurs par le pape Clément IV en 1327. Le provincial dominicain de Teutonic et de Saxe, Hermann de Minden, décida que les prédications seraient données aux religieuses par des « frères doctes » et en conformité avec le degré de culture de leurs auditrices. Le P. Théry pense que la prédication de la haute et savante mystique de Tauler s’explique par là. Ibid., p. 35. Mais ce genre de prédication, si spécial, ne ticnt-il pas plutôt du mi­ lieu rhénan du xiv· siècle? On ne le trouve, en effet, nulle part ailleurs tel quel. Et n'avons-nous pas quel­ ques sermons de Tauler adressés à de simples fidèles et où se trouve exposé un enseignement mystique élevé? Quelle fut l’attitude de Tauler au moment où le pape Jean XXII lança l'interdit sur les régions sou­ mises à l’empereur Louis de Bavière où la ville de Stras­ bourg était comprise? Nous sommes peu renseignés à ce sujet. Cf. Théry, ibid., p. 37 sq. Ce qui est certain, c’est que, dans l’un de scs sermons, Taulcr exprime son absolue obéissance au pape. Vetter, scrm. xxxv, p. 255; Hugueny, t. m, p. 100. Taulcr a sûrement prêché à Cologne. Il a aussi séjourné et prêché à Bâle et à Mo­ dingen en Bavière. Très probablement, il visita Ruysbrœck à Grœnendall. Il mourut, en 1361, à Stras­ bourg, où l'on volt encore sa pierre tombale. Cf. A. Co­ rin, La tombe de Johannes Tauler, dans la Revue belge de philologie et d'histoire, t. i, 1922, p. 665 sq. II. Écrits, — Tauler n'a rien publié. Les sermons que nous avons de lui sont des résumés ou des sténo­ graphies plus ou moins fidèles de ses prédications faits par ses auditeurs et scs auditrices. Ils contiennent, sans doute, la doctrine exacte du prédicateur, mais les 68 nuances qu’il mettait dans l’exposé des questions dif­ ficiles ne sauraient y être cherchées d'ordinaire. Tauler fut aussi un directeur spirituel très apprécié. Il a dû écrire un bon nombre de lettres de direction. Elles n’ont pas été conservées. Nous n’aurions, s’il faut admettre les conclusions des critiques, qu'une lettre, envoyée au début de l'année 1316 à deux reli­ gieuses du couvent de Mcdingen : Élisabeth Scheppaels et Marguerite Ebner. Cf. P. Strauch, Margaretha Ebner und Heinrich von Nôrdlingen, Fribourg-en-B., et Tublngue, 1882, p. 270. La renommée du prédicateur fut telle, qu'on lui attribua, après sa mort, un bon nombre de sermons qu’il n'avait pas prononcés. Aux 84 sermons des édi­ tions de Leipzig (1498) et d’Augsbourg (1508), l'édi­ tion de Bâle (1521) en ajouta 42 nouveaux. Enfin l'édi­ tion de 1543, attribuée à saint Pierre Canlsius de Nlmègue, en a 25 de plus. Total 151 sermons. Nous verrons que la critique a réduit de beaucoup ce chiffre· Aux sermons apocryphes s'ajoutèrent des ouvrages doctrinaux que Taulcr aurait composés. Comment admettre, en effet, qu’un esprit si puissant se soit con­ tenté de la seule prédication? Saint Pierre Canlsius attribua à Tauler des instructions que le chartreux Laurent Surlus traduisit en latin sous le nom d'Insti­ tutiones divime, Cologne, 1548. Une édition, publiée à Francfort en 1644, a pour titre Medulla animæ. Les Institutiones sont tirées des sermons de Taulcr et d’autres écrits contemporains, comme le traité De pradpuis virtutibus de Ruysbrœck. Elles sont donc une exacte expression de la spiritualité rhénane du XIV* siècle. Surlus publia, en 1548, sous le nom de Tauler l’ouvrage célèbre : De vita et passione salvatoris nostri Jesu Christi qui édifia beaucoup d'âmes. Il est à croire que l’intention de justifier Tauler du reproche d'hétérodoxie, qu'on lui adressait au xvi· siècle, ne fut pas étrangère à ces attributions posthumes. Enfin, en 1621, le protestant Daniel Sudermann fit paraître sous le nom de Taulcr. l’Imitation de la vie pauvre de NoireSeigneur Jésus-Christ ou Livre de la pauvreté spiri­ tuelle. < N’est-on pas allé jusqu’à tenir le disciple de maître Eckhart pour l’auteur de la fameuse Théologie allemande (ou Livre de la Vie par/aite)l » A.-L. Corin, dans Hugueny, t. i, p. 59. Attribution qui n’était pas, cette fois.de nature à assurer l'orthodoxie du mystique rhénan. La critique s'est chargée de rétablir la vérité, autant que cela soit possible, au sujet des écrits de Tauler. Le travail fut commencé par Charles Schmidt, Johannes Tauler von Slrassburg, Hambourg, 1841. Il consista à revenir aux manuscrits des xiv·, xv· et xvi· siècles contenant, en totalité ou en partie, les œuvres authen­ tiques de Tauler. Les difficultés étalent grandes, car les sermons de Taulcr, qui ont été conservés, sont des résumés faits par scs auditeurs. Les manuscrits pré­ sentent forcément des variantes, les résumés ayant été faits par des auditeurs différents et dans les divers dia­ lectes rnénans du xiv· siècle. Le premier résultat de ce travail critique fut de ne retenir comme ouvrages authentiques du célèbre prédicateur que les sermons. Encore le nombre en a-t-il été réduit. La première édition critique des sermons de Tauler est de Ferdi­ nand Vcttcr, Berlin, 1910; elle contient seulement 80 sermons. Depuis, on en a ajouté 3 autres reconnus authentiques. Deux ont été publiés par D. Helander, I J. Taulcr als Prediger, Lund, 1923, p. 346 sq.; le trol! sième sc trouve dans l'édition critique des œuvres I allemandes de Henri Suso de Bihlmeyer : Heinrich ! Suse deutsche Schri/ten, Stuttgart, 1907. Il est permis de croire que cette œuvre négative de la critique est I exagérée : · Je ne doute pas, écrit M. Corin, que la cri­ tique revise, un jour prochain, son jugement et ne restitue au saint religieux telle des épltrcs et telle des 69 TAULER. DOCTRINE courtes instructions de l'édition de Cologne (1543), dont l’esprit, la tournure et la langue sont si bien de son cru. » Dans Hugueny, 1.1, p. 61. F. Vcttcr a reconstitué le texte allemand des ser­ mons · d’après les manuscrits d'En gel berger et de Fribourg ainsi que d'après les copies des anciens manuscrits de Strasbourg, faites par Schmidt ». Inévi­ tablement un travail de ce genre comporte une part de subjectif. Aussi les PP. Hugueny et Théry et .M. Co­ rin ont-ils corrigé parfois le texte de Vcttcr dans leur traduction des sermons de Tauler faite · sur les plus anciens manuscrits allemands ». Ce travail critique reconstitue, autant que possible, le texte authentique des sermons. Il nous permet d’avoir la pensée du célèbre prédicateur avec assez d’exactitude pour porter un jugement sur elle. III. Doctrinb de Tauler. — 1° Caractères de sa prédication. — Autant qu'on puisse le déterminer par les résumés que nous en avons, Taulcr n’écrivait pas totalement scs sermons. Une bonne part était laissée à l’improvisation. 11 ne donnait pas aux religieuses de grands sermons, mais plutôt des entretiens familiers, des exhortations. Il enseigne une doctrine abstraite : le renoncement à ce qui extériorise l'âme, la nécessité de se recueillir pour atteindre le fond de l’âme où s'opère la contemplation mystique. Mais il sait rendre cette doctrine concrète à l’aide de comparaisons sim­ ples, populaires, pittoresques, qui gravent pour tou­ jours un enseignement dans l'esprit. Le nombre de ces comparaisons est d'aillcurs restreint. Taulcr n’a pas le sentiment de la nature. Il ne sait pas, comme saint François d'Asslse, Hugues de Saint-Victor et saint Bonaventure s’élever à la contemplation mystique en se servant de l'échelle des créatures. Conformément au génie allemand, Tarder concentre l'ascension vers les états mystiques à l’intérieur de l’âme. C’est dans l'analyse de l'âme chrétienne qu’il trouve la voie qui conduit à la contemplation sublime. L’auditeur est sans cesse exhorté à suivre cetlc voie intérieure pour arriver à l’union intime avec Dieu, au fond de son âme. 2° Doctrine philosophique. — On trouve dans les ser­ mons des théories thomistes : la classification des pas­ sions procédant de l’appétit concuplscible et Irascible, Vetter, p. 234, 236, 237, 388; Hugueny, t. in, p. 26, 41, 256; la cause de nos tentations et de nos fautes, c'est l'amour désordonné de soi, Vcttcr, p. 94; Hugueny, t. n, p. 9; la division des facultés spirituelles de l'âme : mémoire, intelligence, volonté libre, Vcttcr, p. 9; Hugueny, t. i, p. 167-168; le désir naturel de posséder Dieu, Vcttcr, p. 57; Hugueny, t. I, p. 271; la succession des formes dans l’homme en formation, Vettcr, p. 136, 305-306; Hugueny, t. n, p. 27-28, 153, et t. m, p. 106. Sur plusieurs points, cependant, Tauler s'écarte des doctrines philosophiques de suint Thomas et suit les doctrines néoplatoniciennes. Par exemple dans sa con­ ception psychologique de l’homme : · On peut dire de l'homme, déclare-t-il, qu’il est comme composé de trois hommes qui n’en font cependant qu’un. Le pre­ mier est l’homme extérieur, animal sensible; le second est l’homme raisonnable avec ses facultés raisonna­ bles; le troisième est le Gem(Ut la partie supérieure de l'âme. Tout cela réuni ne fait qu’un homme. » Vcttcr, scrm. lxiv, p. 348; Hugueny, t. n, p. 356. Cf. Vetter, scrm. iv, p. 21 ; lxv, p. 357; lxvi, p. 363; lxvii, p. 365366; Lxvin, p. 373; Hugueny, t. i, p. 194-195; t. n, p. 356; t. ni, p. 51-53, 82, 87, 130-132. Cette concep­ tion psychologique s'inspire des trois termes néoplato­ niciens : le sensible (ψυχή), l’intelligible (νους) et l'Un. Tauler, nous le verrons, base son explication de la contemplation mystique sur cette conception philoso­ phique. 70 3° Doctrine théologique. — Tauler connaît et accepte la distinction scolastique du mal de nature et du mai de peine. Vcttcr, scrm. xl, p. 169; Hugueny, t. n, p. 236. Sa doctrine relative aux fruits de la communion est la même que celle de saint Thomas. Vetter, serm. xxxii, xxxm, p. 124, 125; Hugueny, t. n, p. 113, 116. De même au sujet de la messe. Vetter, scrm. lx, p. 318; Hugueny, t. n, p. 130. Tauler croit aussi, comme saint Thomas, que la sainte Vierge a été sanctifiée après sa conception. Vettcr, serm. xlix, p. 219; Hugueny, t. ni, p, 3. Voici des opinions théologiques différentes de celles de saint Thomas. Taulcr croit qu'Adam a été créé dans l’état de nature pure et ensuite élevé à l’état surna­ turel. Vetter, scrm. xxxn, p. 119; Hugueny, t. n, p. 106. Selon lui, conformément au pscudo-Denys, la lumière de gloire est Dieu même, alors que, d’après saint Thomas, elle est créée. Vcttcr, scrm. lxi, p. 329; Hugueny, t. n, p. 250. Le Docteur angélique enseigne que nous acquérons une connaissance analogique vraie de Dieu. Tauler, comme les néoplatoniciens, insiste sur la connaissance de Dieu par voie d'éminence et de négation : Dieu est au-dessus de nos conceptions; nous pouvons mieux savoir ce qu'il n'est pas que ce qu’il est. Tauler, suivant en cela Jean Scot Érigène. appelle Dieu un néant : · Saint Denys, dit-il, parlait de ce néant [Dieu], quand il disait que Dieu n'est rien de cc que nous pouvons nommer, comprendre et saisir. » Vcttcr, scrm. xlv, p. 201 ; Hugueny, t. n, p. 338. « Le néant créé [l'homme], s'enfonce dans le néant incréé [Dieu], mais c'est là un état qu'on ne peut ni com­ prendre, ni exprimer. » Vcttcr, scrm. xu, p. 176; Hugueny, t. n, p. 225. Une terminologie semblable se trouve chez Henri Suso, voir ici, t. xiv, col. 2862. Elle est plutôt regrettable. Cette incompréhensibilité de Dieu motive la nudité néoplatonicienne de l'esprit, condition essentielle pour Tauler de la contemplation mystique, comme nous le dirons. Cette énumération des opinions de Taulcr, qui est loin d’être exhaustive, montre combien la pensée du célèbre mystique est per­ sonnelle. 4° Doctrine mystique. — Tauler est surtout un mys­ tique. 11 faut donc exposer un peu longuement sa con­ ception de la contemplation, sans oublier cependant que l’explication détaillée de cette contemplation est réservée au Dictionnaire de spiritualité. Pour arriver à la contemplation mystique, il faut se dégager du sensible et de la volonté propre par la mortification et le renoncement, puis s’élever au-des­ sus de l'intelligible, images et idées, par la nudité de l’esprit, enfin entrer dans le fond de l'âme où s'opère la contemplation. 1. Vocation à la oie mystique. — Tous les fidèles sontils appelés à faire cette ascension mystique? Le P. Hu­ gueny croit que, d'après Tauler, une vocation spéciale est requise. T. I, p. 94 : «Dieu, ditTaulcr, refuse cette expérience sentie de leur fond à de purs et braves gens pendant toute leur vie. de sorte qu'ils ne reçoivent pas la moindre miette du festin jusqu'à leur mort. » Cf. Vetter, scrm. lx<, p. 317-318; Hugueny, t. n, p. 129 cl t. m, p. 102. Mais, ailleurs, il semble dire le contraire. Vettcr, scrm. vi, p. 26; Hugueny, 1.1, p. 211. 2. Mortification et renoncement. — Taulcr exhorte constamment ses auditeurs à mortifier < l'inclination à jouir des choses sensibles », défaut qui < a son siège dans le concuplscible ». Vetter, p. 234; Hugueny, t. in, p. 26. L’irascible doit être aussi réprimé. Ibid. Le renoncement au sensible est poussé fort loin. Il s’agit surtout du sensible en tant qu’il est une cause de péché ou d'imperfection. Le renoncement à la volonté propre s'opère par la soumission aussi parfaite que possible à la volonté divine. Acceptation de la place que Dieu nous a donnée 71 TAULER. DOCTRINE fci*bas, de la vocation ct de la profession où nous nous trouvons. Vetter, serm. xlii, p. 177 sq.; Hugueny, t. n, p. 292. /Xcccptation Joyeuse, le plus possible, des événements pénibles de la vie. Que nous ayons mérité ou non les épreuves qui nous surviennent, pensons qu’elles viennent de Dieu, soumettons-nous à lui. Vetter, scrm. ni, p. 18; Hugueny, 1.1, p. 188. Suppor­ tons aussi avec résignation la perte de notre honneur, de notre réputation et aussi de toute consolation spiri­ tuelle. On se soumettra, sans y consentir, aux tenta­ tions de désespoir qui peuvent survenir dans les purifi­ cations passives. Taulcr approuve que, dans ces états de grande désolation, l'âme fasse le sacrifice condition­ nel de son salut. Vetter, scrm. xxvi, p. 108 sq.; scrm. IX. p. 45; Hugueny, t. n, p. 44 sq.; t. i, p. 244245. L'âme se rappellera, alors, pour se consoler, l'abandon dont souffrit le Christ sur la croix. Vetter, scrm. lxvii, p. 371; Hugueny, t. ni, p. 96-97. Taulcr ne surveille pas assez scs expressions, lorsqu'il parle du sacrifice du salut ou de l'amour pur. Dans un passage ou deux de scs sermons, il semble exclure l'espérance de la récompense céleste quand il s’agit de l’âme plei­ nement abandonnée aux épreuves des purifications passives ou se livrant à la pratique de l'amour pur. « L'homme, dit-il, est alors dépouillé de lui-méme, dans I un absolu et véritable abandon, il plonge dans le fond de la volonté divine pour rester dans cette pauvreté et ce dénuement, non seulement pendant une semaine ou un mois, mais, si Dieu le veut, mille ans, voire toute l'éternité, ct pour devenir capable de s'abandonner â fond dans une souffrance étemelle, au cas où Dieu voudrait qu’il fût un étemel brandon d’enfer. » Vetter, scrm. xxvi, p. 108; Hugueny, t. n, p. 44 : « Celte igno­ rance ne les [ceux qui ont en vue leur intérêt bien plus que Dieu] excuse pas, car ils auraient dû avoir examiné leurs intentions, afin que, les ayant reconnues cl s'étanl connus eux-mêmes, ils leur donnent pour objet Dieu et non pas leur intérêt propre : récompense ou royaume du ciel, jouissance ou utilité. » Vcllcr, scrm. lvi, p. 260 sq.; Hugueny, t. ni, p. 155. Remarquons que nous n'avons que des résumés des sermons de Tauler. On ne saurait y chercher les nuances que le prédicateur mettait, sans doute, dans l'exposé de la doctrine. | 3. Nudité de l'esprit. — Une préparation intellec­ tuelle est requise autant que celle de la volonté pour rendre possible la contemplation mystique. Elle con­ siste à se dépouiller de toutes les images, espèces ou idées qui sont dans l’entendement et dans la mémoire. Rappelons-nous que, selon le néoplatonisme dlonysien. il faut se dégager de tout intelligible, si l’on veut contempler Dieu. Car aucune image et aucune idée ne sont capables de nous faire connaître Dieu. Conformement à cette doctrine, Tauler recommande souvent à scs auditeurs de dépouiller leur esprit de toutes les images qui y sont. Voici un passage du ser­ mon vi, Vetter, p. 26; Hugueny, t. i, p. 210 sq. • Hélas! >1 nobles et si pures que soient les Images, elles sont toujours un écran pour l'image sans contours arrêtés qu'ot Dieu. L’ûmo dans laquelle doit se refléter le soleil ne doit pus êlre troublée par d’autres images, mais elle doit être pure, car la présence d’une seule image dans le miroir fait écran. Tous ceux qui n’obtiennent pas cette netteté Intérieure et en qui par conséquent le fond mystérieux de l’àroe ne peut pas se découvrir ct se manifester, ne sont que des marmitons (au service de Dieu)... Mais pour ceux qui débarrassent ce fond, le nettoyent cl en écartent les Images, alln que le soleil puisse y répandre sa lumière, le Joug do Dieu est plus doux que le miel... · Le dépouillement des Images est non seulement nécessaire pour que Dieusc reflète dans l’âme comme dans un miroir, mais aussi pour délivrer l’homme de • l’esprit de propriété ·. • Si tu étais libre d’images ct do tout (esprit d’) attache­ ment, tu pourrais alors posséder un royaume, sans que cola 72 te nuise on rien. Sols donc sans esprit de propriété et sans Images et tu pourras posséder tout ce dont tu ns besoin. On raconte d'un saint Pêro qu'il était tellement dépouillé d'imagos, qu’il n'en pouvait conserver aucune on lui. Un jour un visiteur vint frapper à sa porte cl lui demander quelque chose. Le Père répondit qu'il allait le lui chercher, mais, une fois rentré dans sa cellule, il avait tout oublié. On frappa de nouveau et il demanda : · Que veux-tu? · L'autre fit pour la seconde fois la même demande; le Père lui affirma encore qu'il allait chercher l'objet demandé, puis il l'oublia comme la première fois. Comme on frappait pour la troi­ sième fois, il dit enfin : · Viens et prends toi-même ce qu’il te faut; je ne peux en conserver l'image si longtemps en mol, tellement mon esprit est vide de toute image... Dans ces gens ainsi détachés d'images, le soleil de Dieu pénètre...» Cette nudité complète de l'esprit rend celui-ci entiè­ rement passif. Elle est une condition de la contempla­ tion mystique, état purement passif selon la théologie dionysienne : « Pour que Dieu opère vraiment en toi, dit Tauler, tu dois être dans un état de pure passivité; toutes tes puissances doivent être complètement dé­ pouillées de toute leur activité et de leurs habitudes, se tenir dans un pur renoncement à elles-mêmes, pri­ vées de leur propre force, se tenir dans leur néant pur ct simple. Plus cet anéantissement est profond, plus essentielle et plus vraie est l’union. > Vetter, scrm. LXf, p. 314; Hugueny, t. n, p. 96; cf. Vetter, scrm. lxxiv, p. 400-402; Hugueny, t. ni, p. 206 sq. Cette partie de la doctrine mystique de Taulcr sug­ gère quelques remarques qui concernent, d'ailleurs, toute utilisation du néoplatonisme dans la théologie mystique spéculative. Tout d'abord, cette nudité de l'esprit, ce dépouillement total de toute image, de toute idée ne semblent pas nécessaires à la contem­ plation. Les auteurs mystiques étrangers à la philoso­ phie néoplatonicienne ne les exigent pas. Sainte Thé­ rèse n'en parle pas. Tous les mystiques disent que l’on ne se sert pas, d'ordinaire, des images ct des idées qui sont dans l'esprit, au moment de la contemplation. On se sert de celles qui sont proposées par Dieu. Mais il n'est aucunement nécessaire de détruire préalable­ ment les images et idées qui sont dans l'esprit. Elles ne servent pas à l'acte contemplatif. Et le mystique les retrouve lorsque la contemplation est terminée. De plus, il est très contestable et contesté que l’esprit soit totalement passif dans la contemplation mystique. 11 est passif en ce sens qu'il est mû par Dieu. Mais il est actif pour percevoir ce que Dieu lui montre. Psycholo­ giquement on comprend qu’il en soit ainsi. Enfin, Tauler recommande avec quelque imprudence au mystique de se mettre dans la passivité : « Hâtc-tol de rentrer dans le repos intérieur et la passivité ct, si tu ne retrouves pas aussitôt l'état de passivité, tu dois, ou au moins tu peux t'occuper à quelque œuvre inté­ rieure. ■ Vetter, serm. lxxiv, p. 400; Hugueny, t. ni, p. 206. C'est à Dieu à mettre le mystique dans la passi­ vité. Vouloir s'y mettre soi-même ce serait s'exposer au quiétisme. On volt les inconvénients du néoplato­ nisme si on l’introduit dans la mystique spéculative, sans lui avoir fait subir les corrections nécessaires. 4. Union et contemplation mystiques. — Il y a lieu de se demander, tout d'abord, dans quelle partie de l'âme s'opère l’union mystique. C'est dans le fond de l'âme : • Et cc fond est si noble, dit Tauler, qu'on ne peut lui donner aucun nom propre : parfois on le nomme le fond ct parfois la cime de l’âme. Mais il n'est pas plus possible de lui donner un nom qu’il n'est possible de donner un nom ù Dieu. » Vetter, serm. lvi, p. 267; I Hugueny, t. ni, p. 160. Taulcr l'appelle souvent Gcmûl, mot difficile â traduire, ou encore mens, En voici la description d’après Taulcr. Tout d’abord le fond de l'âme, le Gemflt n’est pas une faculté de l'âme. 11 se distingue des facultés comme le principe - se distingue de cc qui émane de lui : « C'est quelque 73 TA ULEB. DOCTRINE chose, dit Taulcr, de bien plus élevé ct de bien plus In­ térieur que les facultés, car c'est du Gemût que les facultés reçoivent leur puissance d'action; elles sont en lui, elles sont sorties de lui ct il leur est cependant immensément supérieur â toutes. Il est tout à fait simple, essentiel ct formel. » Vetter, scrm. lxiv, p. 350; Hugueny, t. n, p. 360. Le Gemût est plus puissant que les facultés. Il « peut garder, sans interruption, son attache à Dieu ct maintenir son Intention, tandis que les facultés n’ont pas le pouvoir d’être constantes dans leur attachement... Le Gemût est une chose délicieuse. En lui sont rassemblées toutes les facultés : raison, volonté, mais il leur est lui-même supérieur; il a quel­ que chose de plus. Au-dessus de l'activité des facultés, il a un objet intérieur et essentiel... » Vetter, serm. lvi, p. 262, 261 ; Hugueny, t. ni, p. 161, 160. Le fond de l’âme qu'csl-ll en lui-même? Il est un dynamisme, une activité de l’âme qui l’incline fon­ cièrement à revenir ù son origine : · Les maîtres disent, déclare Taulcr, que le Gemût de l’âme est si noble qu’il est continuellement actif, pendant le sommeil comme pendant la veille — que nous en ayons conscience ou non — ct qu'il n vers Dieu une perpétuelle inclination de retour, inclination déiforme, divine, ineffable, éter­ nelle. D'autres disent qu’il contemple toujours Dieu, qu’il l'aime ct en jouit sans cesse. Qu’en est-il de ce dernier point? Nous ne nous en occupons pas pour le moment; mais retenons que le Gemût se reconnaît Dieu en Dieu, tout en étant cependant créé. » Vetter, serin, lxiv, p. 350; Hugueny, t. n, p. 360-361. Le fond de l’âme est appelée par quelques docteurs « une étin­ celle de l'âme ». « Cette étincelle, dit Tauler, s'élance si haut, lorsqu'elle est bien disposée, que l'intelligence ne peut pas la suivre car elle ne s’arrête pas avant d'être rentrée dans le Fond [divin] d'où elle s'est échappée ct où elle était â son état d'incrééc. » Vetter, p. 347; Hugueny, t. n, p. 354; cf. Vetter, scrm. lvi, p. 261 ; Hugueny, t. ni, p. 161. Nous verrons plus loin ce qu'est cet état incréé où retourne le fond de l'âme. Remarquons, avec Tauler du reste, que ce retour du fond de l'âme en Dieu fait penser au retour néoplatonicien de l’âme dans l’L’n : ■ Proclus, dit-il, un maître païen, nomme cela un som­ meil, un silence, un divin repos ct dit : · Nous avons « une secrète recherche de l’Un qui dépasse de beaucoup • la raison ct l’intelligence. » Vetter, serin, lxiv, p. 350; 1 lugucny, t. n, p. 361. Le P. Hugueny traduit le mot Gemût par l’expres­ sion « vouloir-foncier », Sermons de Tauler, Introduc­ tion, t. i, p. 80. Cette expression désigne bien le dyna­ misme du fond de l’âme, mais ne suggère pas l’idée de réceptivité qui convient au Gemût ct que le P. Hu­ gueny n’a garde, d’ailleurs, de méconnaître. Le fond de l'âme est, en effet, une réceptivité, « une capacité passive », prédisposition <ù entrer en communication directe et immédiate avec l’Êtrc infini ». P. Noël, Œuvres complètes de Tauler, Paris, 1911, t. i, p. 45 sq. C'est dans cc fond que l’âme a reçu l’image de la sainte Trinité. Car Tauler s’écarte résolument de la pensée du Docteur angélique au sujet de la partie de l’âme où réside cette image : « Les maîtres parlent beau­ coup de cette image (de la sainte Trinité )... C’est ainsi que tous les docteurs disent qu’elle réside, à pro­ prement parler, dans les facultés supérieures, dans la mémoire, l’intelligence et la volonté; c'est par ces facultés que nous sommes vraiment capables de rece­ voir la sainte Trinité cl d’en jouir...» « Mais d’autres maîtres disent, et cette opinion est de beaucoup et indiciblement supérieure, que l’image de la Trinité résiderait dans le plus intime, au plus secret, dans le tréfond de l’âme, là où, dans ce fond, elle a Dieu essen­ tiellement, réellement cl substantiellement. · Vetter, serm. lxb, p. 300; Hugueny, t. n, p. 68-69; cf. Vetter, 74 serm. xxm, p. 92; scrm. lvi, p. 262; Hugueny. t. n, p. 6; t. in, p. 160. C'est dans le fond de l'âme que s'opère l'union de l’âme avec Dieu. C’est là que se réalisent les merveilles de l’union mystique ct de la divinisation de l’âme. Voici, en effet, quelles sont les relations du fond de J'âmc avec Dieu, d’après Tauler. · La proximité ct la parenté qu’il y a dans cc fond entre l'âme et Dieu sont si incffablcmcnt grandes qu'on n’ose et qu’on ne peut en parler beaucoup. » Vetter, serm. lvi, p. 262; Hu­ gueny, t. ni, p. 160-161 ; ct. Vetter, scrm. lxiv, p. 347; Hugueny, t. n, p. 353. Dieu habite dans le fond de l’âme : « Les facultés ne peuvent pas atteindre ce fond, pas même en approcher à la distance d’un millier de milles. L’étendue qui se présente dans le fond n'a pas d'image qui la représente, pas de forme, pas de moda­ lité déterminée; on n'y distingue pas ici ct là, car c'est un abîme insondable, reposant en lui-même sans fond... On s'engouffre dans un abîme, et dans cet abîme est l'habitation propre de Dieu, beaucoup plus que dans le ciel et en toute créature. Celui qui pourrait y par­ venir y trouverait vraiment Dieu et se trouverait en Dieu simplement, car Dieu ne quitte jamais ce fond... Celui à qui il arrive d'entrer ici a l'impression d’y avoir été éternellement ct de n'être qu’un avec lui [Dieu], bien que cette impression ne dure que de courts ins­ tants [pendant l'union mystique]; mais ces rapides coups d'œil se sentent et apparaissent comme une éternité; et cela projette une clarté au dehors et nous est un témoignage que l'homme, avant d'être créé, était de toute éternité en Dieu. Lorsqu'il était en Dieu, l'homme était Dieu en Dieu. » Vetter, serm. lxi, p. 331 sq.; Hugueny, t. n, p. 253 sq. Pour comprendre cette doctrine, il faut remarquer, avec les traducteurs de Tauler. que « nous existons de toute éternité en Dieu à l’état d’idée, d’idée dont la réalité se confond avec la réalité de l'essence divine, puisqu'on Dieu la pensée ct l’être ne sont pas réelle­ ment distincts... En cet état d'incrcé, notre union avec Dieu va donc Jusqu’à l’identification réelle, il n’y a entre Dieu ct les idées qu’il a des créatures, qu’une distinction de raison ». Hugueny, t. n, p. 255. note 1. L’effort de l’âme qui veut se sanctifier consiste à se dégager des sens, a se dépouiller des images, à se re­ cueillir dans le fond d'elle-même pour retourner à Dieu d’où elle vient : · C'est dans ce Gemût, dit Taulcr, qu'on doit se renouveler, en se recueillant continuel­ lement dans le fond, en se tournant bien en face de Dieu, sans aucun intermédiaire, avec une charité agissante et en fixant en lui son attention... » « Voici comment doit se faire ce renouvellement dans l’esprit du Gemût. Puisque Dieu est esprit, l’esprit créé doit se concentrer en lui, s’élever, puis se plonger dans l'es­ prit incréé de Dieu avec un Gemût bien dégagé. (De même que) l’homme, avant sa création, était éternel­ lement Dieu en Dieu, (de même) il doit maintenant (s’efforcer de) rentrer aussi complètement en Lui avec toute sa nature créée. » Vetter, scrm. lvi. p. 262 sq. ; Hugueny, l. m, p. 161. Dans le fond de l’âme, les personnes divines habi­ tent. Le Père céleste y dit son Verbe éternel et le même acte qui engendre le Verbe engendre aussi l’âme, fille adoptive du Père : « Si quelqu’un veut sentir cela, dit Tauler, qu'il se tourne vers l’intérieur, bien au-dessus de toute l’activité de ses facultés extérieures et inté­ rieures, au-dessus des images et de tout cc qui lui a Jamais été apporté du dehors, ct qu’il se plonge ct s’écoule dans le fond. La puissance du Père vient idors ct le Père appelle l’homme en lui-même par son Fils unique et, tout comme le Fils naît du Père et reflue dans le Père, ainsi l’homme lui aussi, dans le Fils, naît du Père cl reflue dans le Père avec le Fils, devenant un avec lui. C’est de cela que Noire-Seigneur dit : Tu 75 TAULER. CONTROVERSES POSTHUMES me nommeras Pire et ne cesseras d'entrer à la poursuite de ma hauteur; mais je l'ai engendré aujourd'hui par mon Fils et dans mon Fils. « Le Saint-Esprit sc répand alors dans une charité et une joie inexprimables et débordantes, et il inonde et pénétre le fond de l'homme avec scs aimables dons. > Vetter, serm. lx4, p. 301 ; Hugueny, t. u, p. 70-71. Ces citations expliquent les caractères de l'union mystique d'après Tauler. Elle est une union de l’es­ sence divine avec l'essence ou le fond de l'âme. Union sans intermédiaire, elle ne sc fait pas par le moyen des facultés, d’une image ou d’une idée. Union sans différence, c'est-à-dire que, pendant l’union mystique, l'âme perd la conscience d'être distincte de Dieu, bien qu'elle le soit en réalité et qu'elle ne cesse ja­ mais d'être une créature. L'union mystique ne confirme pas en grâce ceux qui en sont gratifiés. Il faut toujours craindre de tomber dans le péché. Vetter, serm. lv, p. 256-257; Hugueny, t. in, p. 105. Selon Tauler, l'union mystique comporte l’expérience et la jouissance de la présence de Dieu dans le fond de l’âme : < La fête suprême, dit Tauler, est la fête de la vie éternelle, c'est-à-dire l'éternelle félicité où nous serons vraiment en face de Dieu. Cela nous ne pouvons pas l'avoir ici-bas, mais la fête que nous pouvons avoir, c’est un avant-goût de celle-là; une expérience de la présence de Dieu dans l'esprit par la Jouissance intérieure que nous en donne un sen­ timent tout Intime. » Vetter, serm. xir, p. 57; Hu­ gueny, t. i, p. 270; cf. Vettcr, serm. xm, p. 61; Hu­ gueny, t. i, p. 279, etc. IV. Controverses posthumes. — Tauler eut à subir des contradictions de son vivant. Prédicateur renommé, directeur apprécié, ayant une pensée très personnelle, il devait être en butte à la critique. Il se donnait aussi comme le défenseur de maître Eckhart. De là des mécontentements. Il fait allusion dans l’un de scs sermons aux attaques dont il était l'objet : « S’il arrivait, par exemple, dit-il, qu'on me traitât de faux chien, qu'on tînt pour rien mes enseignements, que je fusse couvert d’ignoininies, celui qui s'en peine­ rait et qui ne verrait pas d'un bon œil ce bonheur qui m’échoit, ne recevrait pas pour autant, de mol, une goutte de plus d'affection; je l'on aimerais plutôt moins. » Vettcr, serm. lxx, p. 381 ; Hugueny, t. ni, p. 121. Il recommande à ce propos d’aimer ceux qui nous méprisent. Cf. Vettcr, serin, xlh, p. 180; serm. xlvi, p. 202; Hugueny, t. n, p. 297-298, 369-370, etc. I) est possible que Tauler ait été traité de béghard ou d'hérétique par certains. Peut-être ces critiques ontelles empêché Tauler de publier lui-même scs sermons. Au xvi* siècle, Tauler eut les faveurs de Luther, ce qui fut l'occasion de très vives controverses. Pourquoi Luther appréciait-il tant Tauler? Remarquons tout d’abord que Tauler ne fut pas le seul théologien mys­ tique cité par l’auteur de la Réforme protestante. Denys le Chartreux et d'autres le furent également. Mais Luther l'avait en singulière estime. Les éloges dithyrambiques qu'il fait de lui le prouvent : Hune doctorem [Johan. Taulerum] scio quidem ignotum esse in scholis theologorum, ideoque forte contemptibi­ lem. Sed ego plus in eo (licet totus germanorum verna­ cula sit conscriptus) reperi theologiæ solidie et sincerer quam In universis omnium universitatum scholasticis doctoribus repertum est, aut reperiri possit in suis sen­ tentiis. Resolutiones disputationum de indulgentiarum virtute D. Martini Lutheri ad Leonem decimum Pontif. Maximum, Conclusio x, Lutheri opera, léna, 1612, t. i, p. 73*. Ce qui charmait Luther dans la lecture des ser­ mons du prédicateur rhénan, c'était la tendance qu'il croyait y découvrir à diminuer, au profit de l’union mystique, l’importance des œuvres et des exercices spirituels et à affranchir la vie intérieure du fidèle et 76 surtout du religieux de toute règle extérieure. Resolu­ tiones disp., ibid. Luther s'autorisait aussi, pour éta­ blir ses erreurs sur le purgatoire, des récits de visions du purgatoire ou d'apparitions des âmes qui y souf­ frent qu’on trouve dans les écrits de Tauler. On comprend le mécontentement des auteurs catho­ liques chargés de réfuter les erreurs luthériennes. Puis­ que Tauler est si bien vu de Luther, il n'y a qu'à jeter pardessus bord un écrivain aussi gênant. Si Tauler est un hérétique, l'apologétique catholique n'aura qu'à le proclamer bien haut. Les doctrines de Luther seront ainsi ruinées par la base. C'est ce que fit l’un des pre­ miers et des plus redoutables adversaires de Luther, Jean Eck, le chancelier de l'université d'Ingolstadt. Voici un passage du très sévère jugement porté par lui contre le célèbre mystique : < Luther allègue, à l'appui de son sentiment (sur le purgatoire], Tauler son rapporteur de songes (somniatorem suum). Nous le réfuterons sans peine, puisque cet auteur a donné dans les erreurs des vaudois et dans celles de béghards énumérées dans les Clémentines (1. V, til. ni. De hæreticis, c. m). Qu'il ait été infecté de ces hérésies condam­ nées, c'est manifeste et nous le prouverons ailleurs. » Jean Eck semble reprocher à Tauler d'avoir approuvé cette erreur des béghards, condamnée au concile de Vienne en 1311 : « A l'élévation du corps du Christ, on ne doit pas sc lever, ni témoigner de révérence parti­ culière, car ce serait une imperfection de descendre des hauteurs de la contemplation jusqu'à penser au sacre­ ment de l'eucharistie. » Peut-être y a-t-il ici une exagé­ ration de Jean Eck. Eck se moque ensuite du dire de Luther prétendant que Tauler est supérieur, comme théologien, à tous les docteurs de toutes les univer­ sités. Enfin il reproche à Tauler d'avoir gravement nui à la discipline religieuse en mettant l'union mys­ tique au-dessus de la vertu d'obéissance : « Plût à Dieu, après tout, dit-il, que Tauler fût totalement dans l'ombre et qu'il n'eût pas nui aux monastères I Car (par son enseignement] il démolit toute règle, toute dis­ cipline religieuse et l'obéissance elle-même, la perle par excellence des vertus. Sans l’obéissance, que se­ raient les monastères sinon les gymnases du démon. » J. Eck, De purgatorio contra Lutherum, Paris, 1548, 1. III, c. xm, p. 125 sq. Cf. Vettcr, serm. lxiiî, p. 341342; serm. xn, p. 57; Hugueny, t. n, p. 228-229; t. i, p. 272. Ces critiques coïncidant avec les redoutables pro­ grès de l'hérésie luthérienne discréditèrent si bien Tauler que ses écrits n'étaient lus par personne. Il fal­ lait donc les défendre contre les attaques de Jean Eck. Trois écrivains s'en chargèrent : Louis de Blois, abbé de Lissies, saint Pierre Canlsius et le chartreux Lau­ rent Surius. Louis de Blois (t 1566) composa une apo­ logie de Tauler en réponse aux critiques formulées par Jean Eck dans son traité du purgatoire. Cette apologie fut mise en appendice au traité de Louis de Blois Inti­ tulé l’Institution spirituelle et envoyée en 1551 à l'un de scs amis, Florent du Mont : Ludovici Blosii Insti­ tutionis spiritualis appendix quarta, sive Apologia pro D. Joanne Thaulero adversus D. Joann. Fckium. Opera, Anvers, 1632, p. 329 sq. La réfutation des accusations de Jean Eck consiste pour Louis de Blois à renvoyer aux Institutions considérées alors comme l'œuvre de Tauler et aux Sermons. On attribue à saint Pierre Canlsius (Pierre de Nlmègue, t 1597) l'édition allemande des œuvres de Tauler de 1543. L'auteur de cette édition a utilisé les éditions antérieures et aussi des manuscrits. Cf. Hu­ gueny, t. i, p. 47. Le but de l'éditeur est évidemment apologétique : « montrer que Tauler n'est pas un pré­ curseur de Luther ». Dans la préface, Canlsius fait remarquer que la plupart des sermons de Tauler n'ont pas été rédigés par lui-même; ce sont les auditeurs qui 77 TAULER en ont recueilli des résumés. S’il s’y trouve des pas­ sages obscurs. Il faut les expliquer par le contexte. Cf. Hugueny, ibid., p. 49-50. Le chartreux L. Surlus (t 1578) dans la préface de sa traduction latine des œuvres de Tauler s’efforce, lui aussi, de justifier Tauler des reproches qu’on lui faisait. Ces controverses curent de graves conséquences pour Tauler, non seulement en Allemagne, mais aussi dans les autres pays d’Europe. Lorsque l’inquisition dut sévir en Espagne contre les Alumbrados, clic in­ terdit la lecture d’un certain nombre d'auteurs mys­ tiques. Son Index de 1559 mettait les Institutions de Tauler au nombre des livres prohibés. Le général des jésuites, Evcrard Mercurian, interdit aux Jésuites espa­ gnols de lire Tauler et 1 larphius, sans une autorisation spéciale. Cf. Alphonse Bodrigucz, Pratique de ta per­ fection chrétienne, IIe partie, v* traité, c. iv. Le jésuite François Suarez, lui aussi, estimait peu Tauler. De virtute religionis, tract. IV, 1. II, c. χιι, n. 17. En Belgique à la fin du xvi· siècle, une effervescence mystique obligea les supérieurs des capucins belges à Interdire à leurs religieux la lecture de Harphius, de Tauler, de Ruysbrœck, de Suso et de la Théologie germanique, Cf. P. Hildebrand, Un mouvement pseudo­ mystique chez les premiers capucins belges, dans Fran· ciscana, t. vu, 1924, p. 247 sq.; Les premiers capucins belges et la mystique, dans Revue d'ascétique et de mys­ tique, 1938, p. 258 sq. En France, au xvii· siècle, les controverses qulétistes allaient jeter aussi quelque discrédit sur Tauler. Préquiétlstcs et quiétistes lisaient avec avidité Tauler et les autres « mystiques du Nord ». D’où la réaction de ceux qui furent leurs adversaires. 11 nous suffira de rappeler les jugements assez sévères de Bossuet sur les écrits de Tauler. Ils sont inspirés par son aversion pour le quiétisme, et méritent d’autant plus d’être pris en considération que l’évêque de Meaux avait tout d’abord regardé Tauler comme · un des plus solides et des plus corrects des mystiques ». Instruction sur les étals d'oraison, Ier Traité, 1. 1, n. 3. Bossuet avait approuvé en tenues élogieux, en 1669, la tra­ duction française de l’écrit attribué alors ù Tauler : De vita et passione salvatoris nostri J esu Christi piissima exercitia. Cf. Urbain et Levesque, Correspondance de Bossuet, t. i, p. 506-507. Ce que Bossuet reproche le plus ù Tauler ce sont des exagérations de style: «Une ardente Imagination, dit-il, jette souvent ces auteurs dans des expressions absurdes et qui, sans rien vouloir diminuer de la réputation de Taulèrc, nous apprennent du moins à ne pas prendre au pied de la lettre tout ce qui lui est échappé. » Instruction, ibid., n. 7. Ce sont justement ces exagérations qui plaisent le plus aux quiétistes. Aussi Bossuet est-il sévère : «Si je voulais, poursult-il, recueillir toutes les façons de parler exces­ sives et alambiquées, qui se trouvent dans cet écrivain (Taulèrc) et dans scs semblables je ne finirais jamais ce discours. 11 me suffit d’observer que les plus outrées sont celles que les mystiques de nos jours aiment les mieux; en sorte que leur caractère, je le puis dire sans crainte, c’est d’outrer ce qui l’est le plus et d’en­ chérir au-dessus de tous les excès. » Ibid. C’est dire que l’influence de Tauler sur les quiétistes fut très fâcheuse, ce qui explique la mauvaise humeur de Bossuet. Au xvm· et jusqu’au milieu du xix· siècle, Tauler cl les autres mystiques du Nord furent englobés dans la réprobation du quiétisme. On les délaissa. Cepen­ dant les Sermons de Tauler curent leur première tra­ duction française en 1855, ce qui attira un peu l’at­ tention du public sur eux. Mais ce sont les études du P. Henri Suso Déni tic qui ont remis en honneur les mystiques rhénans, surtout l’anthologie tirée de leurs écrits : Das geistliche Le ben. Blumenlese aus den deut- 78 schen Mysliken und Gottes/reunden des 14. Jahrhunderts, Graz, 1873. L’histoire de la spiritualité en posant le problème de l'influence incontestable, heureuse ou non, du néopla­ tonisme sur la théologie mystique des auteurs rhénans du xiv· siècle, assure à Tauler, dans les années qui vont suivre, un grand nombre d’études. I. Editions. — La première édition allemande des ser­ mons de Tauler est celle de Leipzig chez Conrad Kacheloven, 1498, ln-4· do vni-281 fol. Cette édition contient 84 sermons. La seconde édition allemande fut publiée à Augsbourg en 1508, in-fol. Même nombre de sermons, mais texte contrôlé, scrrfble-t-ll, sur un manuscrit. Puis, à Bâte, Adam Pétri publia en 1521 et réédita en 1522 une édi­ tion allemande enrichie de 42 nouveaux sermons dont l’au­ thenticité n’était pas d’ailleurs garantie par l’éditeur : Thauler Predlgjast fruchtbar ru eün recht christhehen Le ben, in-folio. Saint Pierre Canlsius publia, en 1543, in-fol., à Cologne : Des erlcuchten D. Johannls Tauleri, von eym ivaren evan ge­ lischen Leben, Gôtllche Predtg, Leren, Epistolen, Canltlmeη, Prophetlen. Comme le titre l’indique, cetteéditioncontlent en plus des sermons, des instructions, des lettres, des cantilènes et même des prophéties de Tauler. Beaucoup de docu­ ments apocryphes sont Insérés, de bonne foi sans doute, mais dans le but de répondre aux reproches d’hétérodoxie adressés h Tauler. Les éditions de Francfort et Leipzig de 1703 et 1720, en 2 vol. ln-4·, avec une préface de Ph. Jacques Spener ne contiennent pas un texte bien sûr. Cette édition a été réim­ primée a Francfort-sur-le-Mcln en 1826 en 3 vol. ln-8·. La première édition critique des sermons de Tauler est celle do Ferdinand Vetter, publiée dans les Deutsche Texte des .Mittclalters..., t. xi tDie Predigten Taulrrs aus der Engelberger und der Frciburger Handschrift soude aus Schmidts AbschrifUn der ehemaligen Strassburg Handschriflen, Berlin, 1910, in-4·. De A.-L. Corin, Le Codex Vindobonensis 374 4, dans la Bibliothèque de la faculté de philosophie et lettres de Vuniver­ sité de Liège, fasc. xxxin, 1924, Liège, dialecte coloriais. Un autre manuscrit de Vienne en dialecte luosellan. IL Traductions. — 1· Latines. — La première a été publiée il Cologne on 1548 par Surius : D. Johannis Tauleri sermones de tempore et de sanctis totius anni, reliquaque ejus pietati ac devotioni maxime inserventia opera omnia a B. F. Laurentio Surio in lalinum sermonem translata. C’est l’édition de Pierre Canlsius qui a send de base à cette traduction. Une réédition do cette traduction a été faite à Cologne en 1553 par les soins do l’imprimerie Jean Quentcl, in-i·; des additions à la traduction princeps de Surius ont été fuites; au total 115 sermons de tempore et 39 de sanctis. Nouvelle édition par le même Imprimeur à Cologne en 1615, in-1·. La traduction latine de Surius a été rééditée plusieurs fois, ainsi à Paris, en 1623, in-t·, etc. 2· Traductions françaises. — Charles Sainte-Foi (Eloi Jourdain) a publié en 1855, Tours (Marne) en deux volumes in-8°, la traduction française do l'édition allemande de Francfort do 1826. Lo P. Pierre Noël, O. P., a fait paraître a Paris, 1911-1913, en huit volumes ln-8·, la traduction fran­ çaise de toute l’édition latine de Surius, révisée par Jean Quentel, de Cologne, 1553. Enfin les PP. Hugueny et Théry, O. P., et A.-L. Corin ont publié en trois volumes (éditions de la Vie spirituelle, 1927-1935), la traduction française des Sermons de Tauler, traduction faite sur les plus anciens ma­ nuscrits allemands, traduction bien scientifique, III. Travaux, — Quôtif et Echard, Scriptores O. P., t. I, p. 677-679; Touron, Histoire des hommes illustres de Tordre de Saint-Dominique, Paris, 1745, t. Il, p. 337 sq.; Hurter, Nomenclator, 3· éd., t. n, col. 667-669; Hugueny, Théry, O. P., ot A.-L. Corin, Sermons de Tauler, traduc­ tion, introduction historique, littéraire et théologiquo, t. i, p. 5 sq.; Pierro Noel, O. P., Œuvres complètes de Jean Tauler, traduction do la version latine de Surius, Introduction, t. i, p. 1-95; P. Fournit, La spiritualité chré­ tienne, t. n, p. 329 sq.; t. Ill, p. 198 sq.; Félix Vcmet, Alle­ mande (Spiritualité), dans Dict.de spiritualité, 1.1, col. 314 sq.; X. do Honistcin, Les grands mystiques allemands du JT/ V*slècle: Eckart,Tauler,Suso, Lucerne, 1922;ComtesseM. do Villermont, Un groupe mystique allemand. Élude sur la vie religieuse au .Moyen Age, Bruxelles, 1906; voir les Ency­ clopédies catholiques et protestantes, anciennes ot mo­ dernes. 79 TAULER — TAVERNE (JEAN-BAPTISTE) K. Schmidt. Johannes Tailler von Strassburg, Hambourg· 1841; Études sur le mysticisme allemand au XIV siècle, Paris, 1847, élude générale utile, mais à contrôler, ainsi que celle de W. Preger, Geschichte der deutschen Mystik im Mit· telaltrr, Leipzig, 1874-1893; D. Hclauder, J. Tauler als Prtdiger, Lund, 1925; M. Grnbmann, Mlttelalterliches Gelsteste ben. Abhandlungen tut Geschichte der Scholastik und Mystik, Munich, 1926; A. Chiquot, Histoire ou légende...? Jean Tauler et le· Meisters Huoch ·, Strasbourg-Paris, 1922. A propos do la légende selon laquelle Tauler aurait été converti ù la vie parlai te par un laïque, voir Denifle, Taulcrs Bekehrung kritlsch untersucht. Strasbourg, 1879. Au sujet de l’écrit : V Imitation de la oie pauvre de NotreSeigneur attribué À tort à Tauler, voir P. Denifle, Dus Buch von geistlichcr Armuth bishcr bekannt als Johann Tau· lers, Munich, 1877; Sicdel, Die Mystik Taulers, Leipzig, 1911. — Sur l'interdit porté par le pape Jean XXII, voir N. Paulus, Thomas von Strassburg und Ludolph von Sachsen. Ihre Stellung sum Interdikt, dans Hlstorisches Jahrbueh, t. xii, 1892. — Sur les relations de Tauler avec Huysbnrck, consulter l'introduction générale aux œuvres de Ruysbrœck l'admirable dims la traduction des Œuvres de Ruysbrtrck TAdmirable, par les bénédictins do Saint-Paul do Visques, Bruxelles, 1912,1.1, p. 28 sq. — Relativement àl’interdiction do la lecturo des écrits de Tauler au xvx· siècle, B. Krultwagen, O. F. M., De sallgc Petrus Canis lus en de mystlek van Johannes Tauler, O. P. fStudien, 1921, p. 347 sq.) — Sur l'excès de la critique relative aux œuvres de Tauler : Schlouszner, Mystikertexlc und Mystikerübcrset:ungen,dans Der Katholik, 1913; Strauch, Zeltschrl/t /ür deulsche Phi­ lologie, 1909, p. 20; Beitrûge sur Geschichte der deutschen Sprache, 1920, p. 12, 20; Spamer, Ueber die Zersetzung und Vererbung In den deutschen Mystikertexten, Giessen, 1910. — Sur Tauler prédicateur : A. Vogt-Terhorst, Der blldiche Ausdruck In den Predlgten J. Taulers, Breslau, 1920. P. Pourrat. TAVELLI Joseph (1764-1784), né à Brescia, en 1764, fit des études très brillantes et, dès l’âge de quinze ans, soutint des thèses de théologie. Il s'attacha à Joseph Zolla et à Pierre Tamburinl, directeurs du Séminaire germanique et zélés défenseurs des réformes introduites par Joseph 11. En 1779, il vint à Pavie, où il étudia la langue grecque, les Pères et l’histoire ecclésiastique. 11 prit l'habit clérical en 1781, et mourut à Pavie, le 28 octobre 1784, âgé de vingt ans. Son maître Zolla fit un grand éloge de scs talents dans une lettre qui fut publiée par les Annales ecclésiasti­ ques de Florence. On a de Tavelli deux écrits en langue italienne : Sag g io della doltrina de1 Padri gred, intorno alla prédes­ tina: tone, ed alla grazia di Gesù Cristo, con alcune riflessioni, Pavie, 1782, in-8°. Cet ouvrage, dédié à Ricci, évêque de Pistole, s'applique à justifier les positions prises par les Jansénistes sur les dogmes de la prédestination et de la grâce. Les Pères latins, à la suite de saint Augustin, ont approfondi cette question beaucoup plus que les Pères grecs, mais cependant ceux-ci ne sauraient être accusés d’être favorables au pélagianisme, comme le prétendent les molinistes (Nouv. eccl. du 7 mal 1784, p. 75-76). — Apologia del breve del Sommo Ponte flee Pio Via Monsignor Mar­ tini. arcivescovo di Firenia, overo dottrina della Chiesa sul leggere la Sacra Scrittura in uolgare, Pavie, 1781, ln-8·. Tavelli veut justifier les thèses jansénistes sur la lecture de ΓÉcriture sainte en langue vulgaire, thèses condamnées par la bulle Unigenitus. · Les saintes Écritures, d’après lui, sont le pain substantiel, propre à tous les âges et à toutes les conditions. » La pratique de l’Églisc a toujours été contraire à celle des adversaires qu’il combat : ceux-ci interdisent rigoureusement aux fidèles la lecture de l’Écrlture et les admettent aisément à la divine eucharistie. Nouv. eccl. du 29 septembre 1785, p. 157-158. J.-1L Bodelta, Memorle intorno alla vita ed agit serltti e cost ami dl G. Tavelli. chirrico bresetano, Brescia, 1784, in-12; Michaud, Biographie universelle, t. xli, p. 91; Feller, Bio­ 80 graphie universelle, t. vin, p. 90; Nouvelles ecclésiastiques 20 févr. 1785, p. 29-30. J. Carreyre. TAVERNE ou TABERNA Jcan-Baptl.t·, moraliste Jésuite. — Né â Lille, le 6 avril 1622, il entra au noviciat le 28 juillet 1640 et enseigna longtemps In philosophie et la théologie à Douai. 11 mourut dans cette ville, en soignant les malades dans une épidémie, h· 28 mars 1686. 1. — On a de lui une Somme casuistique de théolo­ gie morale, fruit de son enseignement. Des copies manuscrites en étalent répandues; elle fut imprimée et publiée douze ans après sa mort par le collège de Douai. Le titre complet de cette P· édition est le suivant : Synopsis Thcologiæ Practicæ, complectens et explicans principia generalia ad resolvendos Cons­ cientia: casus scitu necessaria. Digesta est per quaestiun­ culas, quæ servire possint consuetis examinibus ordi­ nandorum, con/essariorum, promovendorum ad bene­ ficia parochialia per concursum con/erri solita..., Douai, 1698, 3 vol., 274, 332, 352 p. L’approbation par Adrien Delcourt, professeur à Douai et prési­ dent du Collège des Bons-Pasteurs, est de 1694. L'ouvrage comprend trois parties : dans la P·, traités De actibus humanis. De conscientia, De peccatis, De legibus, De virtutibus theologicis; dans la 2e, De virtu­ tibus moralibus, De justitia et jure; dans la 3·, De sacra­ mentis. Cette somme marquait par · sa concise briè­ veté, sa clarté cl sa solidité > (Hurter); elle fut plu­ sieurs fois réimprimée : Sommervogcl indique six édi­ tions à Cologne de 1700 à 1754 et une à Bénévcnt, 1740. L’auteur est resté dévoué au probabilisme, qu'il professe explicitement dans le traité de la conscience; mais il subit l'in fluence de la réaction antiprobabiliste qui s’afllrmc au moment où il enseigne et en particu­ lier parait très Impressionné par les condamnations d'Innocent XL 2. — Malgré sa modération, le P. Taverne fut atta­ qué comme enseignant une doctrine relâchée. Il l’avait été déjà de son vivant. /Xprès la publication de la Synopsis, plusieurs écrits furent dirigés contre celle-ci; on en trouvera le détail dans Sommervogcl aux arti­ cles Taverne et Platel. Une lettre en latin et deux let­ tres en français reprochèrent à celui qui avait approuvé l'ouvrage, Adrien Delcourt, son jugement favorable. Un moine de Loos, le P. Ignace Deflossc, répondit aux deux dernières en faisant l’éloge de la théologie du P. Taverne; cf. Sommervogcl, l. v, col. 1899-1900. Soit contre les attaques précédentes, soit contre une attaque nouvelle, le jésuite Robert Philippe, profes­ seur au grand séminaire de Tournai, puis président de ce séminaire, écrivit vers 1703, en unissant au P. Ta­ verne le P. Platel également critiqué, un écrit apolo­ gétique en leur faveur : Le venin des écrits contre les oeuvres du P. Platel et du P. Taverne découvert... Som­ mervogcl, t. v, col. 880-881 et Supplément du P. Ri­ vière, p. 655, art. Philippe. Mais surtout, la Synopsis du P. Taverne subit une censure portée par Mgr Sève de Rochcchouart, évêque d’Arras. Elle est datée du 5 mai 1703. Treize propositions extraites de l’ouvrage sont condamnées avec qualification pour chacune d'elles; 11 est défendu à toute personne du diocèse de retenir la Synopsis, aux ecclésiastiques, prédicateurs et confesseurs d'enseigner aucune des treize maximes; ordre est donné aux étudiants qui les rencontre raient dans les écrits de leurs professeurs, d'apporter aussitôt ces écrits à l’évêque. Le tout sous les peines de droit. On trouvera ces treize propositions soit dans le Recueil des ordonnances, mandements et censures de Mgr de Rochcchouart, soit dans le Journal des Savants, 1703, p. 537-540, où elles sont reproduites. Nous nous con­ tenterons d'en citer trois : la plus générale, qui nous parait obvie aujourd’hui, c'est la 3e : · Le péché mortel 81 TAVERNE (JEAN-BAPTISTE) — TÉMOIGNAGE (FAUX) 82 estant un très grand mal... on ne doit pas dire qu'il Hurter. Nomenclator literarlus, t. rv, 1899, col. 1227, en ait esté commis, à moins qu'il ne soit parfaitement note. J. Mercier. volontaire et il ne peut être parfaitement volontaire TEDESCHI Nicolas-Marie, bénédictin italien s’il n'y a pas une parfaite udvertance à sa malice »; celle sur l’ivresse, la : « L’ivresse est un péché mor­ (1G71-1741), qu’il ne faut pas confondre avec un autre tel, si on y tombe pour la volupté seule; que si ç’estoit Nicolas Tcdeschl, surnommé Panormitanus, Nicolaspour une autre fin honneste, par exemple par ordon­ Marie naquit à Catane ai 1671 et embrassa tout nance de son médecin pour recouvrer sa santé... elle d'abord la carrière des armes. S’élant fait moine dans ne serait pas criminelle ·; et la 10e, sans nul doute la l'ordre de saint Benoit, il devint professeur de théolo­ plus étonnante de toutes, qui reproduit une conclu­ gie au Collège Saint-Paul a Rome. Dans son enseigne­ sion, assez commune chez les casuist es du temps, trop ment il suivit fidèlement la doctrine de saint Anselme, logiquement déduite d'une doctrine admise par beau­ comme on en peut juger par ses deux ouvrages : coup sur les contrats déshonnêtes : « L’n juge est obligé Schola divi Anselmi doctrina, Rome, 1705, in-4®, de restituer l’argent qu’il a reçu pour porter une sen­ recueil d’un millier de thèses ad mentem sancti Anselmi, tence, s'il l’a reçu pour une sentence juste et qu’il el Doctrina synopsis, Rome, 1708, in-t°. Nommé évê­ estait obligé de rendre... Mais, s'il a reçu de l'argent que de Lipari par Clément XI, en 1710, archevêque pour une sentence injuste, il est probable qu'il peut d’Apamée, consulteur du Saint-Office et secrétaire de le retenir. » Les autres propositions portent sur la for­ la Congrégation des Rites, en 1722, Tcdeschi renonça nication, la dispense des fêtes et des jeûnes, la colla­ à ces dignités sous Clément XII et sc retira au monas­ tion des jours de jeûne, les pensionnaires des béné­ tère de Subiaco. Rappelé à Rome par Benoit XIV, il fices, la défense de la vie et des biens, les actes volup­ mourut le 29 septembre 1741. Hurter, Nomenclator. 3· éd., t. iv, col. 1358-1359. tueux dans le mariage, le témoignage et le serment en J. Mercier. justice, et lu monitio non prolutura, dans le cas d'igno­ TÉLÉSPHORE (SAINT), pape vers les années rance invincible. Contre cette censure divers écrits défendirent le 125-136.— Dans la liste dressée par Irénéc, Cent. har., 111, ni, 3, P. G., t. vu, col. 851, il figure comme le P. Taverne. A Douai parut la censure de l’évêque avec, pour chaque proposition, la justification du moraliste seplième évêque de Rome, après Xyste et avant Hyet une liste des théologiens, qui avaient enseigné la gin. Irénée ajouta à son nom cette brève mention : même doctrine. Était ajoutée une « liste des saints ύς καί ένδόξως έμαρτύρησεν : « qui, lui aussi rendit canonisez, des papes, des cardinaux, archevêques, témoignage (c’est-à-dire fut martyrisé) glorieusement». évêques, docteurs, théologiens et jurisconsultes, sécu­ Eusèbe qui relève celle donnée de l'évêque de Lyon liers cl réguliers, dont les propositions sont condam­ précise que la mort de Télcsphore arriva la première année d’Antonin le Pieux (139). Mais il n’est pas im­ nées par Mgr d’Arras ». Deux lettres parurent aussi, adressées par un théo­ possible que ce renseignement repose sur des calculs logien au R. P. Barat, supérieur de l’Oratolre et curé peu sûrs. Il vaudrait mieux ne pas y insister. En tout de Saint-Jacques à Douai à l’occasion d'une censure état de cause il faut retenir plutôt la durée du ponti­ de la théologie morale du P. Taverne; cf. Sommer- ficat : onze années, qui est fournie par le Catalogue libé­ vogel, t. vu, col. 1900-1901. L’auteur de toutes ces rien et par Eusèbe, foc. cil. L’Église célèbre la mémoire réponses à Mgr d’Arras est, d’après le P. Rivière, le de Télcsphore le 5 janvier. De son pontificat nous ne même P. Robert Philippe, dont nous avons parlé plus savons rien. La décrétale que lui attribue Isidore Mer­ haut. Voir Sommervogcl, Supplement, col. 655, art. cator est, de toute évidence, apocryphe. Quant à la condamnation de Théodote le corruyeur dont parle le Philippe. Mgr de Rochcchouart chercha à obtenir une con­ Libellus synodicus dans Voell et Juste!, Bibliotheca juris damnation plus étendue du P. Taverne, si nous en can. vet., t.ni, p. 1167, c'est un évident anachronisme. jugeons par deux lettres que Fénelon, son métropoli­ S'il faut en croire Eusèbe, toc. cit., c’est seulement sous tain, écrivait en 1703 à son propre neveu l’abbé de le successeur de Télcsphore, Hygin. que la commu­ Baumont.cf. Œuvres complètes de Fénelon, 1852, t. vu, nauté romaine fut troublée par l’apparition des docp. 424 : il trouve lui-même les propositions « rabo­ trincs de Valentin et de Cerdon, en qui Eusèbe voit le teuses » et il ajoute : « M. d'Arras... me parle d’union de père du marcionisme. la province contre la morale relâchée. Je vois bien L. Duchesne, Le Liber Pontificalis, t. i; JafTé. Regesta qu’il faudrait tenir un concile provincial contre les pontificum romanorum, t. I, p. 6; Lipsius, Chronologie der jésuites; mais je ne puis le faire sans en demander la romischen Bischofc, Kiel, 1869. É. Amann. permission nu Roi. » TÉMOIGNAGE (FAUX).—LNature du faux L’afïaire en resta là. La censure d’Arras eut sans doute pour efTcl d'empêcher la réédition à Douai de témoignage. 11. Malice du faux témoignage (col. 85). la Synopsis; en tout cas nous n’en connaissons pas Ill. Questions secondaires (col. 88). L Nature du faux têmoignagi . — Au sens ordi­ de nouvelle édition française après la première. Mais elle fut, comme l'on a dit, réimprimée sans change­ naire et suivi par tout le monde, le faux témoignage ment — les jansénistes s’en plaignirent dans les est une déposition mensongère devant les tribunaux, Nouvelles ecclésiastiques — en Allemagne cl en généralement appuyée sur un serment judiciaire. Essen­ tiellement c’est donc un mensonge, toujours officieux Italie. et très souvent pernicieux; mais deux circonstances Sommervogcl, Bibl. de la Contp. de Jésus, t. vu, col. 1898- d’ordre judiciaire lui ont traditionnellement assigné 1901 (Taverne); t. vi, col. 880-881 (Platel); Supplément une place à part dans le Décalogue, tel que nous le du P. Rivière, col. 655 (Philippe); Hurter, Nomenclator, comprenons selon la doctrine chrétienne, et ainsi con­ 3· éd., t. IV, col. 599; chanoine J. Depottcr, Guy de Sève de fèrent à ce péché de mensonge une nature et une gra­ Rochcchouart. évéque d'Arras, Arms, 1893; Recueil des ordonnances, mandements et censures de Γévéque d'Arras, vité spécifique : ce sont les circonstances d une dépo­ sition devant un tribunal el de sa confirmation par 1710; Journal des savants, 1703, p. 537-5-10. un serment, qui devient ainsi un faux serment. R. Brouillard. Théologiquement, l’élude du taux témoignage, en TAVERNIER Jean, eccléslnstlque du xvi* siè­ cle, mort en 1558, auteur d’une dissertation De purga­ raison du faux serment qui le spécifie, se rattacherait torio animarum el d’un écrit De veritate corporis et plutôt au deuxième commandement et au respect dû au saint nom de Dieu. Mais depuis longtemps la trasanguinis Christi in Eucharistia, Paris, 1551. 83 TÉMOIGNAGE (FAUX) duction trop étroite du texte hébreu de l'Exode, ainsi formulée : « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain », Ex., xx, 16, a fait de ce péché la substance même du huitième précepte, dont ii a fallu plus ou moins facticement étendre la formule prohibitive au mensonge et à la diffamation. En fait, le texte hébreu de l'Exode, xx, 16, et du Deutéro­ nome, v, 20 se traduit littéralement : < Tu ne répondras pas par un témoignage de mensonge contre ton pro­ chain »; le huitième commandement interdit donc d’une manière générale toute parole mensongère con­ tre autrui, et tout spécialement la diffamation sous forme de témoignage, judiciaire ou non. Voir La Sainte Bible, t. n, A. Clamer, Le Deutéronome, p. 555. Ainsi a-t-on été amené à traiter de ce péché au chapitre du mensonge; c'est ce qui se constate dans tous les caté­ chismes et ouvrages de prédication, dans saint Tho­ mas, Π·-ΙΙ·, q. lxx, a. 4, et plusieurs manuels de théo­ logie. Étudions donc le faux témoignage comme un mensonge judiciaire. 1° C'esf un mensonge. — Le faux témoignage est par ( sa nature même un mensonge, c'est-à-dire une décla­ ration sciemment fausse, faite dans l'intention de tromper le prochain. Renvoyons à l'article Mensonge, t. x, col. 555-569, pour l’explication du mot; mais il faut insister sur les caractères de ce mensonge : il est un témoignage dont la fin éloignée, en trompant le tri­ bunal, est de rendre service ou de nuire à quelqu'un. 1. 11 est un témoignage, venant au secours d'une autre affirmation, celle d'un plaignant ou celle d'un prévenu, celle d’un demandeur ou celle d’un défen­ deur, et qui a pour tin de lui assurer créance ou d’in­ firmer des affirmations contraires. En prononçant son témoignage mensonger, le témoin ou celui qui se dit témoin d’un fait, d'une parole, a tout premièrement l'intention d'induire en erreur le juge, celui dont la fonction officielle est de chercher la vérité relative à un fait de la cause portée au tribunal. Or, le faux té­ moin cache la vérité : il la nie, il la dénature, il rembrouille, il l'entoure de toutes sortes d'obscurités, afin de provoquer dans l'esprit du juge une idée fausse ne correspondant pas à la réalité, ou du moins un doute sérieux qui lui fera porter une sentence peut-être injuste. 2. En trompant le tribunal, le faux témoin poursuit une fin éloignée et toute spéciale qu’il ne perd jamais de vue, celle de rendre service à quelqu’un, souvent en nuisant à un autre. a J Ordinairement, sinon toujours, le faux témoin veut d’abord rendre service; c'est même par cette considération qu’habituellement il essaiera de tran­ quilliser sa conscience. A une personne, à une famille, à un corps constitué, à un parti, à une cause, il apporte aide et secours, soit par Intérêt propre, amitié ou solidarité, soit parce qu’il a été acheté et qu’il a cédé à la tentation de cupidité. Ainsi le faux témoignage est directement un mensonge officieux qui tend à sau­ ver la vie, la liberté, l'honneur, la situation, la fortune de quelqu'un, ou encore à lui procurer ou conserver des avantages matériels. b) Souvent cet intérêt, voulu en faveur de quel­ qu'un, ne pourra se réaliser avec plus ou moins de pro­ babilité, qu’au détriment injuste d’un tiers. Le témoin se trouve ainsi en face d'un acte à double effet. Le premier, celui de l’intérêt, il le désire d'une Intention directe; l’autre, l’effet injuste, non seulement il le tolère ou l’accepte, mais il le veut comme moyen de servir ses intérêts propres ou ceux d’autrui. Parfois même, le tort injuste résultera immédiatement du profit réalisé, ou bien encore, sans poursuivre un inté­ rêt personnel ou un avantage en faveur d’un ami, le témoin se laissera exclusivement guider par le motif de nuire à un ennemi et de lui faire tort dans sa vie. 84 dans son honneur, dans ses biens. En pareil cas le faux témoignage devient proprement un mensonge per­ nicieux. 2° Un mensonge judiciaire. — En soi le faux témoi­ gnage peut être porté spontanément ou à la réquisi­ tion de n'importe quelle personne. Toutefois l'usage a restreint la signification du terme, en sorte qu'il n'est entendu que d'une déposition devant les tribunaux et normalement d'un témoignage avec faux serment. 1. Au sens technique du mot le faux témoignage est nécessairement judiciaire, qu’il soit prononcé devant un tribunal ecclésiastique ou séculier, contentieux ou criminel, proprement judiciaire ou administratif, par quelqu'un qui a été régulièrement cité dans une cause comme partie ou comme témoin. Certes, il ne manque pas de témoignages menson­ gers commis en dehors des tribunaux au moyen de dénonciations orales ou écrites. Près d’un supérieur, d'un chef, d'un patron on lance une calomnie et on se déclare témoin direct ou indirect de telle parole, de tel geste, de telle attitude, de tel fait ou méfait; pour nuire à un ennemi ou à un concurrent, par lettre anonyme on diffame un fiancé, on dénonce quelqu'un à la police. Strictement, au sens étymologique, ce sont là des faux témoignages, graves de leur nature. Pour­ tant il ne viendra à personne l’idée de les classer dans cette espèce de mensonges qui a pris le nom de faux témoignage. — Seules méritent cette dénomination, les dépositions faites généralement de vive voix à la requête du juge siégeant en son tribunal; le témoin est cité pour éclairer le tribunal, mais le faux témoin pro­ fite de cette circonstance pour en obscurcir et égarer l’appréciation. La citation par le juge est requise; aussi le faux dénonciateur ne devient-il faux témoin qu'à partir du moment où il a repris et développé sa déposition devant le tribunal. En revanche, il n’est pas nécessaire d'être témoin, au sens le plus strict du mot: celui qui est cité d’office ou sur la demande des par­ ties; les parties en cause, elles-mêmes, surtout quand elles sont assermentées comme en certaines causes ecclésiastiques, peuvent se rendre coupables de faux témoignage. Par contre nous n'accuserions pas de faux témoignage, mais de grave abus de pouvoir, le pro­ cureur, le substitut, l’avocat qui sciemment falsifie­ rait un texte ou un document. 2. Le faux témoignage est normalement appuyé sur un serment, celui de dire la vérité ou d’avoir dit la vérité. Cet élément si important n’est toutefois pas essentiel; et le faux témoignage n’en existe pas moins si la dépo­ sition judiciaire n'a pas été confirmée par ce moyen ordinaire. Le serment, voir ici t. xiv, col. 1940-1943, est l’af­ firmation solennelle de la vérité par l'invocation de Dieu comme témoin. C’est la définition théologique qui fait de l’invocation de Dieu en témoignage de la vérité un élément essentiel du serment ; pour le théo­ logien le vrai serment est un acte religieux. Devant le tribunal le témoin prononce habituellement une for­ mule juratoire par laquelle il s’engage devant Dieu à dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. En plus de son témoignage, que la société ne considère pas comme suffisant, il fait intervenir l’autorité de la vérité et de Injustice divines comme garante de ce qu'il va déclarer ou, plus rarement, de ce qu'il a déjà déclaré. Sa déposition est non seulement une affirma­ tion publique et solennelle, mais il a bien conscience d'accomplir un acte religieux quand il lève la main et, à l’invitation du Juge, prononce la formule sacrée. Toutefois il ne faut pas oublier qu'aux yeux de certaines législations le serment est uniquement une affirmation solennelle de la vérité, revêtue sans doute de formalités déterminées, mais dépourvue de tout caractère religieux. Il est donc permis de distinguer 85 TÉMOIGNAGE (FAUX) un serment proprement religieux et un serment sim­ plement laïc. L'emploi intentionnel de Tune ou l'autre formule, venant confirmer une déposition menson­ gère devant le tribunal, entraîne évidemment des diets différents en ce qui regarde la gravité spécifique du faux témoignage. Mais, dans les deux cas, il s'agira de faux témoignage, dont le premier sera théologi­ quement un faux serment, tandis que le second, appelé couramment faux serment, ne sera pour le théologien qu'un témoignage judiciaire d'une gravité particu­ lière en tant (pie mensonge. II. Malice du faux témoignage. — Pour bien juger de la moralité du faux témoignage, il ne suffit pas de s'appuyer sur la Bible, mais il faut encore tenir compte des éléments que l'analyse nous a fait décou­ vrir dans ce péché. 1° Les textes scripturaires, en effet, un excepté (Deut., xïx, 18-21), caractérisent sa gravité d'une manière générale, comme étant un acte odieux à Dieu, Prov., vi, 19, surtout dommageable au prochain : « C'est une massue, une épée, une flèche aiguë que l'homme qui porte faux témoignage contre son pro­ chain », Prov., xxv, 18, et · qui sera puni ». Prov., xïx, 5; xxi, 28. Le Nouveau Testament se contente de rapporter le huitième précepte du décalogue, par exemple Matth., xïx, 18; Luc., xvm, 20; Rom., xiii, 19. Seul un texte du Deutéronome attache de l'importance à la déposition judiciaire et condamne le faux témoin à la peine du talion : « Lorsqu'un té­ moin Λ charge se lève contre quelqu'un pour l’accuser d’un crime, les deux hommes en contestai ion se pré­ senteront devant Jahvé en présence des prêtres et des juges, alors en fonction. Les juges s’informeront avec soin, et si le témoin se trouve être un faux témoin qui a fait contre son frère une déposition mensongère, vous lui infligerez ce qu'il avait dessein de faire subir à son frère, et ainsi lu feras disparaître le mal du milieu de toi. Les autres l’apprendront, craindront, et l'on ne commettra plus une aussi mauvaise action au milieu de loi. Tu seras sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » Deut., xïx, 18-21. On remarquera aussi qu’aucun des textes, ni ceux qui mettent en garde contre ce crime, ni ceux qui relatent les faits de faux témoignage commis en justice contre Nabot h, III Reg., xxi, 10, contre Suzanne, Dan., xm, contre Jésus, Matth., XXVI, 59-61, cl contre Étienne, Act., vi, 13, ne font la moindre allusion à un serment corroborant la déposition mensongère. 2° Reprenons donc les éléments découverts par l’analyse du concept traditionnel du faux témoignage, pour en marquer clairement la multiple malice. Nous n'avons qu'à suivre la doctrine de Saint Thomas. Falsum testimonium habet triplicem deformitatem : uno modo ex perjurio, quia testes non admittuntur nisi jurati, et ex hoc semper est mortale; alio modo ex violatione justitia*, et hoc modo est peccatum mortale in suo genere, sicut et quadi bet injustitia. Et ideo in praecepto decalogi sub hac jorma interdicitur falsum testimonium, cum dicitur (Exod., xx, 16) : < Non loqueris contra proximum tuum jalsum testimonium » .· non enim contra aliquem jacit qui eum ab injuria jacienda impedit, sed solum qui ei suam justitiam tollit. Tertio modo ex ipsa falsitate, secundum quod omne mendacium est peccatum; et ex hoc non habet falsum testimonium quod semper sit peccatum mortale. IB-II·, q. lxx, a. 4. Il peut donc y avoir dans le faux témoignage trois malices spécifi­ ques, mais de gravité différente : une malice contre la religion, une autre contre la justice, une troisième contre la vérité. Les Décrétales disent la même chose en ces termes : Falsidicus testis tribus personis est obnoxius : primum Deo cujus persentiam contemnit; inde judici quem mentiendo jallit; postremo innocenti 86 quem jalso testimonio Irdtt. L. V, til. xx, De crimine /alsi, c. 1. Étudions-cn les malices selon saint Thomas, mais dans l'ordre inverse. 1. Dans son objet le faux témoignage est d'abord un mensonge, dont 11 revêt essentiellement la moralité, modifiée toutefois par les fins que poursuit le faux témoin : il veut tromper un juge, pour définitivement rendre service ù quelqu'un ou nuire à un autre. Ce sont là deux circonstances dont la première peut aggraver le mensonge et la seconde le fera générale­ ment entrer sur le terrain de la justice commutative. Le mensonge n'est pas de sa nature péché mortel, comme le fait remarquer saint Thomas : vouloir trom­ per quelqu'un ou l'induire en erreur peut n'être que véniel. Mais le mensonge devant le tribunal a comme fin première de tromper un personnage officiel, qui représente la société et, en raison du bien public, a droit à la vérité de la part des témoins; en d'autres termes le faux témoin essaie de tromper l'autorité légitime. En conséquence, à cet égard le faux témoi­ gnage n'est pas seulement la violation de la vérité, mais du droit à la vérité. Cette circonstance est-elle toujours notablement aggravante en sorte que le mensonge puisse devenir un péché mortel? Saint Tho­ mas ne l’exclut pas, et en cas particulier il serait bien difficile de le définir. Que si l'autorité judiciaire est incompétente et n'a pas droit à la vérité, par exemple dans une cause ecclésiastique appelée par un tribunal civil, le mensonge d'un témoin n'en resterait pas moins mensonge; le témoin aurait d'ailleurs à sa disposition d’autres moyens pour cacher la vérité non due, sur­ tout le refus de déposer. Ce sont les fins spéciales du témoin qui affectent spécifiquement la moralité de son action mensongère. Or, comme nous l’avons vu, le mensonge sera rare­ ment simple mensonge officieux sans répercussion injuste sur les Intérêts légitimes du prochain; sou­ vent il sera pernicieux. Supposons-le purement officieux; ne sera-t-il, de ce fait, que véniel, parce que le témoin aura seulement voulu sauver l’accusé qu'il sait coupable? Nous ne le croyons pas; car. en justice, l'acquittement d'un coupable, si favorable qu’il soit en apparence ou dans la réalité pour l’accusé, a de fâcheuses conséquences pour la société et pour le bien commun. C’est proba­ blement ce que saint Thomas a voulu dire quand il parle de gravité mortelle possible pour le mensonge comme tel, abstraction faite de l’injustice et du faux serment. La société a Intérêt à ce que les coupables soient découverts et punis et la justice légale, plus encore que la vérité, exige qu’on ne les sauve pas du déshonneur et du châtiment au moyen de mensonges. Un témoin ne saurait donc jamais s’excuser en disant : sans doute j’ai menti en procurant à mon ami un faux alibi, mais je n’avais que cette ressource pour le dé­ fendre et le sauver. Il en serait autrement si le témoin mentait pour sauver un Innocent qui va être condamné par suite de faux témoignages portés contre lui. Saint Thomas (ibid., ad 2·“) concède que le mensonge comme tel n’est que véniel, mais qu’il reste mortel en raison du faux serment. 2. Ordinairement, le faux témoignage est un men­ songe pernicieux et devient par le fait même une injus­ tice, directe ou indirecte selon les cas. L’injustice est directe si la déposition mensongère a eu pour fin et pour effet de faire condamner un innocent ou si elle n concouru à une sentence judiciaire qui a dépossédé un juste propriétaire. En ces cas, l’injustice, et d’inten­ tion et surtout de fait, est à coup sûr mortellement grave en raison de la gravité du tort injuste voulu et causé au prochain. Même si l’injustice est indirecte, la gravité n’en sera pas moins réelle, objectivement 87 TÉMOIGNAGE (FAUX) 88 faux témoignage, en matière civile sera puni d’un tout au moins. Elle est Indirecte, non pas dims son objet, c'est-à-dire, en l’espèce, dans la sentence, mais emprisonnement de 2 à 5 ans, et d'une amende de 50 à irL 303. dans les moyens employés pour obtenir celle-ci. Il 2 000 fran III. Questions secondaires. — Deux questions peut arriver qu’un accusé, certainement coupable, subsidiaires sc posent au sujet du faux témoignage : le ne soit condamne qu’à la suite du mensonge d’un faux faux témoignage peut-il être non coupable par bonne témoin, ou qu’un plaideur, injuste possesseur, ne soit justement condamné à restituer au légitime proprié­ fol? Le faux témoin cst-il tenu à restitution? 1° La question de bonne foi. — Saint Thomas touche taire qu’en suite d’un faux témoignage. Le mensonge a été pernicieux et a causé un tort injuste, parce que à la première question quand, se demandant si le faux témoignage est toujours mortel, il allègue et réfute le moyen était injuste; c'est en cITct le droit strict d’un l'objection tirée de l’ignorance du fait. Loc. cit., a. 4, accusé, même coupable, ou d'un possesseur, même Injuste, de ne pas être condamné sur des preuves juri­ ad lu«. Non, le témoin qui par faiblesse de mémoire affirme comme vrai ce qui est faux, tandis qu'avec un diques fausses. 3. En tant qu’appuyé sur un serment, le faux témoi­ peu plus de soin il aurait pu dire la vérité telle qu’elle gnage revêt la moralité circonstancielle, mais capi­ était, n'est pas gravement coupable par son faux tale, de faux serment. Saint Thomas la met en pre­ témoignage; la bonne foi le sauve du péché mortel. mière place et conclut qu'elle est toujours mortelle. La question est plus grave quand il s'agit, non d'une Mais, en nos temps modernes, il nous faut faire une ignorance de fait et de la bonne foi par examen Incom­ plet ou réilexlon insuffisante, mais de la bonne foi sur distinction que le saint docteur n'avait pas l'occasion le droit qu'on croit avoir de rendre un service amical de considérer parce que, à son époque, le serment était par un faux témoignage parfaitement conscient et toujours religieux, tandis que de nos jours il peut être voulu. On sc juge autorisé à sauver par un mensonge purement laïc. Au cas où le serment est incontestablement reli­ appuyé d’un sonnent un prévenu qu'on sait coupable ou un possesseur qu'on sait de mauvaise fol. Cette gieux, comme dans les tribunaux ecclésiastiques et là où la loi prescrit ou du moins permet de confirmer les bonne foi est-elle possible? Malheureusement oui; dépositions Judiciaires par l'invocation du témoi­ mais exempte-t-elle le faux témoin de toute culpabi­ gnage de Dieu, quelle qu'en soit la forme, le faux lité, il est difficile de le dire. Le subjectif peut-il aller témoignage contient manifestement un parjure reli­ aussi loin? On trouvera des moralistes qui admettront gieux : en plus de l'injustice, directe ou indirecte, le cette possibilité, en se tenant strictement sur le ter­ faux témoin commet un péché grave contre la reli­ rain de la morale ou plutôt de la casuistique d'un cas gion, en faisant irrévérencieusement intervenir Dieu, particulier; c’est l’opinion de Ballerini dans l’édition la Vérité suprême, comme garant d'un mensonge et du Compendium theologiæ mor. de Gury, Prati, 1901, d'une injustice. Péché qui est mortel ex toto genere, n. 977, note 3. Mais c’est en pareille matière qu’il ne selon la doctrine de saint Thomas suivie par tous les faut pas craindre de parler des abus et des suites désas­ théologiens, et selon la condamnation par Innocent XI treuses, et donc de la nature malfaisante, d’une pré­ de la proposition suivante : Vocare Deum in testem men­ tendue bonne foi. Sans doute il sera possible d'ex­ dacii levis non est tanta irreverentia, propter quam cuser tel ou tel fait de faux témoignage, mais il reste velit aut possit damnare hominem, Denz.-Bann\v„ pour le théologien, pour le prédicateur et le confesseur n. 1174. — C’est bien pour celle raison que ΓÉglise le grave devoir de combattre cette perversion morale, condamne sévèrement le faux témoignage à travers d'éclairer et de réformer les consciences au sujet du le faux serment. Les laïcs doivent être punis de l’in­ faux témoignage. terdit personnel qui leur défend l’assistance aux divins 2° Le /aux témoin est-il tenu à restitution? — C’est offices, la réception des sacrements et sacramentaux, une question qui relève des principes théologiques et même peut les priver de la sépulture ecclésiastique concernant le devoir de restitution des coopéraieurs (can. 2275); les clercs doivent être frappés de la sus­ injustes. En effet, le faux témoin tend à influencer le pense ab ofllcio et a beneficio. Can. 1755, § 3 et 1743, Juge et à lui faire porter une sentence Injuste; il peut § 3. Mais il est certain que ces peines n’atteignent que donc être considéré comme mauvais conseilleur. Il va les faux serments commis devant les tribunaux ecclé­ sans dire que la question de la restitution ne sc pose siastiques. Et il est digne de remarque que le Code pas si le faux témoignage n’a pas eu d'effet, mais seu­ qui punit le parjure non Judiciaire, can. 2323, a oublié lement si la sentence en fait a été Injuste entraînant les faux témoins devant les tribunaux civils, si ce un tort grave pour l’un ou l'autre des plaideurs. Ayant n'est en les regardant comme suspects et incapables été cause injuste, efficace et coupable du dommage, le de prêter serment devant les tribunaux ecclésiasti­ faux témoin, selon le principe général sur la coopé­ ques, can. 1757, § 2, η. 1 ; apparemment il a jugé que ration, est obligé de le réparer. les peines portées par les lois civiles étaient suffisantes. Mais dans quelle mesure et comment? Le problème Mais le serment peut n'êtrc que laïc, tant de la part devient ordinairement très compliqué. Le cas le plus de la loi qui n’admet pas le serment religieux, que de simple est celui d’un unique faux témoin dont la dépo­ la part du témoin dont l’intention est de jurer selon sition à elle seule exercera une influence déterminante la loi, et surtout de la part de celui qui formellement sur l'esprit du juge. A supposer que le témoin en ait exclut le serment devant Dieu. En ce cas, le faux conscience, son devoir est clair : il a été cause de tout témoignage n'entre pas sur le terrain religieux; quant le dommage, il est obligé de le réparer totalement. Le à sa moralité, en plus de l’injustice, il reste dans les devra-t-il par la révocation de son faux témoignage, limites du mensonge. Il est la violation d’une pro­ les auteurs généralement ne le demandent pas, car il messe solennelle de dire la vérité; violation, grave s’exposerait à des peines très graves. Et pourtant ce par nature, contre la vérité et la justice légale et qui serait la vraie solution, si la réparation d'une autre est sévèrement et justement condamnée. Voici briè­ manière n'était pas faisable. Mais les difficultés aug­ vement les peines portées par le Code pénal français : mentent quand plusieurs faux témoins sont inter­ Quiconque sera coupable de faux témoignage en ma­ venus et c'est le problème si ardu de la restitution tière criminelle, sera puni de la peine de réclusion, solidaire. Voir l’article Restitution, t. xm, col. 2482art. 361 ; quiconque en sera coupable en matière cor­ 2489. rectionnelle, sera puni d'un emprisonnement de deux S. Thomas, Sum. theol., ΙΙΜΙ·, q. i.xx, a. 4; Tnnqucrey, ■ns au moins et de cinq ans au plus, et d une amende Synopsis theol. moral., t. m, 1936, n. 368-370. Les autres de 50 francs à 2 000 francs, art. 362. Le coupable de auteurs no traitent pas du faux témoignage dans un etm- 89 TÉMOINS (DEVOIRS DES) pitro spécial, mail ne font quo lo mentionner à propos du faux serment. P. CHRÉTIEN. TÉMOINS (DEVOIRS DES). — De même qu’à 90 à deux mois; rien donc que l'intérêt sera une raison suffisante pour que le témoin cité ne se dérobe pas à son devoir, sous prétexte que l'obéissance au juge lui attirerait des ennuis du côté de la partie adverse. l'article Témoignage (Faux), le terme de témoin ne Pourtant ce devoir comporte des excuses; il peut sera entendu Ici que du témoin Judiciaire; ainsi est arriver qu’une citation soit illégitime en raison de témoin toute personne capable de confirmer ou d’in­ I incompétence du juge ou de l'incapacité de la per­ firmer un fait ou une parole Intéressant une cause sonne citée comme témoin, ou bien encore parce qu'un portée devant un tribunal et qui est citée par l’auto­ conflit de devoirs libère de la comparution, par exem­ rité judiciaire. — Nous n'avons à nous occuper que ple un médecin, un confesseur lié par le secret profes­ sionnel. En pareil cas on peut évidemment faire des devoirs qui s’imposent à la conscience des témoins selon les principes de la théologie catholique. Ces savoir au juge qu’on n’a rien à dire devant le tribunal. devoirs sont au nombre de trois : le devoir de compa­ .Mais un Juge acceptera difficilement son incompé­ raître après citation légitime, le devoir de prêter ser­ tence en matière de for ecclésiastique, et il persistera probablement à faire comparaître un prêtre alléguant ment et de répondre selon la vérité à l’interrogatoire du juge, enfin, en cas de faux témoignage, le devoir l'excuse de son ministère. Si le juge maintient sa déci­ sion, le témoin cité n’aura guère moyen d'échapper à de réparer. I. Devoir dk comparaître. — Le témoin, légiti­ cette nécessité; seul, le prêtre lié par le secret pro­ fessionnel, sacramentel ou autre, aurait à choisir mement cité, n comme premier devoir de conscience, entre le refus de comparaître puni d’amende et la celui de comparaître; par contre, tant qu’il n'a pas comparution durant laquelle il déclarera n'avoir rien été touché par une citation judiciaire, le témoin à dire et ne rien savoir dans la cause. matériel d’un fait n’a, en principe, aucune obligation 2e En principe, la comparution spontanée, sans d’offrir spontanément son témoignage. 1° Quelle que soit la cause, ecclésiastique ou pro­ citation préalable, n'est pas obligatoire; ainsi la per­ sonne dont la présence sur le lieu du crime est ignorée fane, civile ou pénale, correctionnelle ou criminelle, du juge ou dont les déclarations seraient d'une grande toute personne légitimement citée par le juge doit importance n’a pas à se faire connaître ni durant l’ins­ répondre à la citation en se présentant au jour fixé; truction ni pendant les débats. Pourtant accidentelle­ c'est là tout au moins un devoir d’obéissance et de ment l’obligation peut en surgir pour raison de charité justice légale. En effet, le juge qui a envoyé la citation ou de justice légale. est le représentant delà société dans l'exercice du droit 1. Le fait d’avoir connaissance d’un point concer­ de veiller au bien commun quand il s’agit de délits, nant une cause civile ou criminelle n’est pas en soi fon­ ou encore, sur leur demande et leur plainte, au bien des particuliers dans les affaires civiles. Or, pour pro­ dement d'une obligation d’en témoigner devant le tribunal; la prévision même que l’abstention aura des téger efficacement la collectivité et la sécurité ainsi que le bon droit des citoyens, il sera souvent néces­ conséquences dommageables pour une des parties saire de recourir au témoignage de personnes autres n'est pas encore une raison suffisante pour que la que les parties, pour découvrir les coupables ou pour vertu de justice commutative commande d'intervenir. 11 n'y a d’exception que pour les fonctionnaires de la éclairer le point de droit en contestation. 11 y a donc police qui ont la charge de dénoncer les délits et qui dans le refus d'accepter une citation judiciaire et d'y par conséquent manquent à la justice en cachant un donner suite, une désobéissance à l'autorité légitime attentat dont ils ont connaissance. Les autres, même ou une violation de la justice légale qui, comme on le sait, commande en certains cas particuliers de venir le témoin capital qui était présent sur le lieu et au au secours du bien commun et de contribuer à l'as­ moment du crime, qui a vu cl reconnu le meurtrier, peuvent garder le silence, rester dans l’obscurité, ne pas surer. Et puisque, d’après la connaissance que le juge répondre à l’appel lancé par voie de journaux ou d’affi­ possède de la cause, d’après les circonstances du fait ches, ne pas céder à l’appàt de la récompense promise et les premiers résultats de l’instruction et surtout d'après les indications du demandeur ou du défen­ ou même à l’intimation de la loi menaçant de sanc­ tions ceux qui négligeraient de dénoncer les coupa­ deur, telle personne a les moyens de mettre en lumière bles. Jamais, de la part des particuliers, il n’y aura un fait, comme celui du paiement d’une dette, ou bien injustice stricte à ne pas sc présenter spontanément à a été témoin d'un crime, ou au contraire, à l’heure la police ou au juge d’instruction, même si.cn raison présumée du crime, a été vue en un autre endroit en compagnie de l’inculpé, il y a évidemment grand in­ du silence de tel témoin, un innocent devait être con­ damné ou si un coupable devait échapper à la justice. térêt pour la cause que cette personne soit judiciaire­ Ces dommages qui frappent injustement des innocents ment entendue; le juge d'instruction ayant dans son ou trop sévèrement des coupables ou atteignent la so­ pouvoir discrétionnaire décidé que le témoignage avait de l'importance, elle doit se rendre à l’invita­ ciété, ne peuvent être qualifiés d'injustices. Le principe tion. Au moment des débats, ne devront sc présenter théologique à cet égard est très net. Le témoin qui ne se présente pas ou ne dénonce pas. sans doute prend que les témoins qui auront été retenus par le juge en place parmi les coopérateurs comme non manilestans; raison de l'intérêt de leurs premières déclarations. mais il est clair que sa coopération au dommage, sup­ Même, les débats étant déjà engagés, à la requête de posons même qu’elle soit effective et non plutôt sim­ l’accusé par l’intervention de son avocat ou même plement occasionnelle, n'est ni strictement ni formel­ sans cette intervention, le président du tribunal et lement injuste. L’omission de la dénonciation n’est pas le procureur ont la faculté de citer d’autres témoins. une Injustice stricte, car le droit de celui qui a subi Voir Code d'instruction criminelle, art. 321. des dommages, s’il a été violé, n’a pas été violé par le Le devoir de conscience, auquel nul ne peut se témoin ni par les moyens employés, c’est-à-dire par soustraire, est donc manifeste; devoir d’obéissance qui, dans bien des cas, se doublera d'une grave obliga­ son silence; en plus ce silence n’est pas coupable en soi, même s'il est volontaire. 11 ne le deviendrait que tion de charité, ainsi qu’il sera précisé plus bas. D’ailleurs, des peines qu’il serait imprudent de par l’intention malveillante et haineuse du témoin qui, mépriser, sont portées contre les defaillants ; les art. 80 par exemple, pour faire du tort à son prochain, lui et 304 du Code de procédure criminelle et l’art. 236 refuserait le service de son témoignage. Même dans du Code pénal condamnent les non-comparants à des ce cas, une au moins des trois conditions indispensa­ amendes et même à un emprisonnement de six Jours bles pour la damnification soumise au devoir de la 91 TÉMOINS (DEVOIRS DES) réparation» fait défaut, et nous n’arrivons pas à la formule tripartite nécessaire : damnificatio stricte, efficaciter et jormaliter injusta. 2. Toutefois. l’obligation morale ou de conscience de I se présenter comme témoin peut venir d’un autre côté, celui de la charité ou de la justice légale, qui urgeront en tels ou tels cas particuliers, dans des causes civiles ou pénales. La charité parfois fera un devoir A tel témoin de se présenter, s'il se rend compte que sa déposition est de nature A rendre grand service à l’intéressé, à défaut d'autres témoignages. Certes, c’est tout d’abord A chaque partie en cause qu’il revient de chercher des moyens de défense, pour revendiquer son bien et en garder la possession, ou bien pour se libérer d’une accusation et s'épargner un châtiment plus grave. Mais, si un témoin apprend que l'inculpé est sans dé­ fense, surtout s'il est sollicité par un Innocent d’ap­ porter un témoignage favorable qui sera déterminant, la charité intervient ; car tout homme qui, sans incon­ vénient relativement grave, peut secourir son prochain dans la détresse ou dans le danger de perdre des biens considérables, a le devoir d'exercer l’aumône envers celui qui n'est pas aidé ou insuffisamment aidé par les autres. Le simple ennui d’aller au tribunal ne peut être une excuse valable; et il faudrait pour exempter de ce devoir de charité un inconvénient grave et cer­ tain, comme celui d’être exposé A la haine et A la ven­ geance de la partie adverse. A plus forte raison au dan­ ger de perdre la vie. En d’autres circonstances, surtout en matière cri­ minelle, c’est la justice légale, cette forme de charité envers la collectivité, qui pourra imposer A un témoin le devoir de dénoncer un fait criminel ou de se pré­ senter spontanément au juge d’instruction; mais ces circonstances ne se produiront que quand il s'agira de dommages très graves pour la société. Le fait qu’un criminel échappera A la punition, bien que regrettable, ne suffit pas par lui seul pour engager la responsabilité d'un témoin qui garde le silence ou d’un complice qui se retire d'un complot. Toutefois, si le silence d'un témoin capital unique devait entraîner la ruine de la société, le renversement d'un régime établi ou un désastre public, le devoir s'imposerait gravement A la conscience. Quelques théologiens, après Lcssius, De justitia, 1. Il, c. îx, comme Lehmkuhl, t. i, n. 602 et Ballcrlnl. t. iv, n. 94. vont jusqu'A enseigner que cette obligation doit être remplie sub incommodo gravi usque ad periculum vitæ. D’ordinaire la dénonciation, même anonyme, suffira puisqu’elle guidera l'instruction dans des recherches qui finiront par être efficaces. Parfois cependant la comparution personnelle de celui qui a découvert le complot ou surpris les conspirateurs sera seule capable d'arrêter le crime menaçant la société; en effet, une simple dénonciation ne fournit pas encore les preuves, et un temps précieux s’écoulera non sans grand préjudice pour le bien commun. Il vaut donc mieux, il y a même obligation de justice légale pour le témoin de se présenter personnellement aux autorités de justice. Ainsi doit-on se mettre en garde contre l’indifférence pour le malheur des autres ou pour les intérêts de la société, qui trouve sa source dans l’égoïsme tranquille et dans le défaut de solidarité, si fréquents de nos jours: d'ailleurs 11 n’y a pas A s’exa­ gérer les ennuis de la déposition et surtout de la dénon­ ciation pour laquelle on obtiendra aisément une pro­ messe de discrétion. En cette matière, les ecclésiastiques ont une place A part quant A leur devoir de conscience, qui est réglé parle Code de droit canonique, il Importe de citer les der­ nières lignes du can. 139. J 3 : « Dans les causes crimi­ nelles des laïcs ayant comme objet une peine person­ nelle grave, le» ecclésiastiques ne doivent avoir aucune 92 part, pas même par leur témoignage, A moins qu'ils n'y soient contraints par la citation ou la nécessité de subir une peine grave. » Un clerc doit donc tout au moins s'abstenir de dénoncer un criminel quand il s’agit d’un délit entraînant la mort ou une peine de prison; c'est 1Λ un rôle étranger A l'esprit de l’état ecclésiastique qui est un esprit de charité et d'indul­ gence. II. Devoir de prêter serment et de répondre au juge selon la VÉRITÉ. — C'est la seconde obliga­ tion du témoin légitimement cité. 1° Généralement, au moins en matière criminelle, même durant l'instruction, le juge pourra déférer le serment au témoin dont les déclarations paraissent importantes; et devant le tribunal lui-même le ser­ ment est de règle pour tous les témoins, excepté ceux que la loi Interdit d'entendre sous la foi du serment, comme les enfants au dessous de quinze ans. Code d’instr. crim., art. 79. A cette prestation du serment le témoin ne peut échapper s’il en est requis; la société en effet a le droit, pour assurer la vérité des témoi­ gnages, d'imposer ce moyen extraordinaire basé sur le respect de Dieu et la crainte do ses châtiments. Un catholique pourrait-il refuser le serment pour la raison que dans la salle d’audience ne sc trouvent ni évangile ni crucifix? Certainement non; car un ser­ ment peut être parfaitement religieux sans formalités extérieures. Il va sans dire que cette obligation d’obéissance a pour objet un serment sincère, c'cst-A-dire un serment religieux si la loi et le juge le réclament; il en serait autrement si la loi n'a voulu que d’un serment laïc excluant toute intention religieuse. 2° Le témoin promet de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité en réponse aux questions du juge; c'est IA une obligation de véracité, ordinairement de religion et souvent de stricte justice. Le principe parait être sans obscurité; pourtant il n’est pas sans difficulté et l'application en est d'un maniement déli­ cat. 1. La vérité, rien que la vérité : le sens de cette pro­ messe est clair et toute conscience honnête en com­ prendra la portée et y sera aisément fidèle. Le prin­ cipal devoir du témoin répondant au juge est de ne pas le tromper par des mensonges, des faussetés, des inventions, des habiletés, quel que soit le nom dont il désirera couvrir la contre-vérité qu'il débite devant le tribunal. Même pour sauver un innocent injustement accusé ou pour aider au bon droit d'un ami en un procès civil, il ne peut être permis de mentir, en disant par exemple : · je ne sais pas, je ne me rappelle pas avoir entendu telle chose », ou bien en affirmant un fait ima­ giné, comme celui d'avoir été présent lors du paiement d'une dette. Ce sont IA des moyens injustes, et ici comme en toute chose vaut le principe: la fin ne Jus­ tifie pas les moyens. 2. Mais c'est dans l’explication de la formule : toute la vérité que peuvent sc présenter des difficultés, non seulement pratiques, mais même théoriques. Quel sens donner A cette promesse? Tout d'abord il est mani­ feste que sa signification n'est pas absolue et qu’il n’y a pas, pour tout témoin et dans tous les cas, une obli­ gation de conscience de dire toute la vérité, telle qu’il la connaît et quelles que puissent être les conséquences des déclarations qu'il sera amené A faire pour obéir scrupuleusement A cette injonction. Aucune autorité humaine ne possède pareil droit sur ce trésor qu'est la vérité ou plutôt sur la connaissance que nous avons pu en acquérir. Cela d’autant plus que, dans l'occur­ rence, Il s’agit d'une vérité qui peut nuire et par con­ séquent d’un acte A double effet, où 11 y a lieu d’établir une équitable proportion entre les bons effets réclamés I par la société ou des particuliers et les effets domina- ■ 93 TÉMOINS (DEVOIRS DES) — TEMPÉRANCE 94 gcablcs redoutables pour le témoin ou d’autres per­ l’obligation de dire toute la vérité, quand le témoin sonnes. D’ailleurs, le juge demandant toute la vérité s’aperçoit que sa déclaration va nuire à un accusé n'entend pas par là toute la vérité d’une façon absolue, certainement innocent ou à un défendeur qui indubi­ mais toute la vérité judiciaire, donc la vérité envisagée tablement a le bon droit pour lui; Il s'abstiendra donc sous un angle déterminé. Son Intention est d'éclairer de donner tel détail imprudent et il se contentera d'une cet angle et par suite son Interrogatoire revêt un sens réponse évasive ou même, s’il ne peut faire autrement, particulier et a une portée toute spéciale. En consé­ d’une nette dénégation. La solution est la même, si la justice lui défend d'apporter au tribunal des connais­ quence l’obligation du témoin est limitée elle-même par le sens de l’interrogatoire; et il doit en être de sances qu’il n’a pu acquérir qu’au moyen d’indiscré­ même du serment, car le serment, Ici chose accessoire, tions injustes en interceptant par exemple la corres­ suit nécessairement le principal, ici le témoignage. pondance de celui à qui la déclaration va faire un tort Bref, H peut être légitime en des circonstances parti­ considérable; il est en effet défendu d’employer des moyens injustes même sous prétexte de faire acte culières de donner un sens restreint à cette formule : d’obéissance. La charité pour sol-même sera aussi une toute la vérité; oui, toute la vérité, mais telle que la cause le demande et que le Juge l’entend et doit l’en­ excuse légitime au silence et à une formelle dénégation tendre. 11 ne sera pas toujours facile, même pour des à la question du juge, quand une réponse tout à fait exacte devrait entraîner pour le témoin lui-même de personnes honnêtes et Instruites en autres matières, de graves inconvénients, comme par exemple son arres­ se rendre compte du sens précis et de la portée des tation immédiate ou son déshonneur. Enfin et surtout questions prévues, partant de l’excuse qu’on peut avoir de ne pas dire toute la vérité. « 11 sera donc très c’est le respect du secret commis qui empêche obliga­ toirement un témoin de dire toute la vérité. A toute louable, écrit le P. Salsmans (Droit et morale, n. 402), question touchant ce secret, particulièrement le secret peut-être même obligatoire, de consulter un homme professionnel dont on n'est pas délié, et évidemment le de loi consciencieux et un prêtre instruit, de peur de manquer au serment.»— Établissons quelques règles sceau sacramentel, le témoin doit avoir une réponse toute prête : « je ne sais pas » ; il serait même imprudent, qui marqueront les limites de la formule d’apparence spécialement pour un confesseur, de laisser deviner si rigoureuse : toute la vérité. que c’est à cause du secret qu'il lui est Interdit de Et d’abord, le témoin n’est tenu que de répondre aux questions posées en fait par le juge. Ce qui évi­ répondre. La loi d’ailleurs admet cette excuse, et généralement, dès l’instruction, le témoin cité la fera demment veut dire qu’il n’a pas le devoir de répondre agréer par le juge. Voir l'art. Secret. aux questions captieuses de l’avocat adverse, à moins III. Réparation des dommages causés. — Le qu’elles ne lui soient transmises par le juge. Mais cela troisième devoir du témoin, éventuel celui-ci, est de signifie surtout qu’il n’y a pour lui aucune obligation de prévenir les questions, de les faciliter, de les solli­ réparer les dommages en cas de faux témoignage. Nous venons de préciser qu'il ne peut y avoir faux témoi­ citer, de les dépasser, quand il se rend compte que l’omission ou l’oubli ou la maladresse du juge va sin­ gnage quand, après serment de dire toute la vérité, un gulièrement favoriser telle partie, en laissant échapper témoin a répondu négativement à des questions aux­ quelles une loi supérieure lui défendait de répondre. Le un point Important de la cause. Certes, le témoin a le faux témoignage a à sa base un mensonge proprement droit de le faire dans l’intérêt de la société ou d'un dit, et non un silence ou une réponse évasive. Or, ce particulier, mais 11 peut aussi ne pas le faire pour ne mensonge positif, proféré de mauvaise foi malgré la pas nuire au défendeur ou à l’accusé. Ensuite le sens de l’interrogatoire est de faire décla­ promesse faite sous serment, a pu causer de graves rer au témoin ce qu’il sait par science directe et cer­ dommages à une des parties en cause; et comme ces dommages matériels ou personnels dans l’honneur ou taine, comme témoin oculaire ou auriculaire. Tant la liberté sont strictement injustes, celui qui en est qu'il n’est pas expressément interrogé sur ce qu’il sait responsable par sa déposition a le devoir de les réparer. par d’autres ou la rumeur publique, il lui est loisible 11 en a même le devoir quand, de bonne foi. Il a fait une de répondre qu’il ne sait plus rien sur l'affaire. Mais déposition contraire à la vérité; mais en ce cas non alors qu’il réponde avec prudence et discrétion au obligat cum tanto incommodo. sujet de cette connaissance indirecte ou intermédiaire; Cette réparation, il peut sans doute chercher à la prudence qui lui permettra de ne faire aucun état des rendre le moins dommageable possible pour sa bourse choses qu’il aurait apprises de personnes peu sûres. et sa réputation. Toutefois, s’il ne trouve pas les Le même principe guidera le témoin dans le cas où il moyens d’échapper aux conséquences de sa faiblesse serait interrogé sur sa conviction : < le croyez-vous coupable? »; sans mentir il peut sc dérober et rendre coupable ou de sa méchanceté, il devra les subir, même en rétractant sa déposition et en s’exposant ainsi service à un ami, même coupable, que le tribunal ainsi à une poursuite pour parjure. Les théologiens ne peut Juger légitimement que d’après des faits vont jusqu'à enseigner que le faux témoin, en tant que prouvés. calomniateur, est tenu à réparation, · dût-il pour ce Enfin le témoin peut sc trouver en face d’un conflit fait encourir un dommage égal ou même supérieur à de devoirs d'où il sortira légitimement en donnant la celui qu'il a causé à la victime ». Salsmans, Droit et prédominance au devoir de la discrétion; à la question morale, n. 403. du juge il répondra :« Je n’ai rien à répondre. Je ne sais pas », ou recourra, selon son habileté, à d'autres locu­ S. Thomas, Sum. throl., IIMI·. q. lxx. η. 1 ; S. Alphonse, tions conventionnelles pouvant couvrir la vérité qu’un devoir supérieur lui commande de garder secrète. Don­ Throl. mor.,\. III, n. 154; D* Annibale, Summula theol. mor., il, n. 587; A. Ballerini-Palmieri, Opus throl. mor., t. iv, nons quelques exemples. Parfois c'est un juge incom­ t. n. 460; Berardi, Praxis confessoriorum, t. i, n. 1130; pétent qui a fait comparaître un témoin, par exemple Lchinkuhl, Theol. mor., t. I, n. 820-821; Noldin, Summa en opposition avec les règles du for ecclésiastique; le theol. mor., t. n, n. 723-731; Salsmans, Droit et morale, témoin qui a dû sc rendre Λ la citation a certainement Bruges, 1924, n. 401-403. P. Chrétien. le droit de ne pas charger l’accusé et de ne pas dire TEMPÉRANCE. — La tempérance est la qua­ toute la vérité telle qu’il la connaît. Il en serait de trième des vertus cardinales. Les délectations qu'elle même, ou mieux il serait plus facile de refuser réponse, si le juge posait des questions que lu loi lui interdit de est appelée à modérer sont si vives et s’otTrent à nous poser; d’ailleurs, en pareil cas, l’avocat interviendrait si fréquemment, que l’absence de cette vertu se ferait immédiatement. De son côté, la charité prime sur sentir par d’innombrables désordres et par la ruine de 95 TEMPÉRANCE 96 bien des vertus. Aussi est-elle une vertu cardinale. Voir I ment requis aux opérations de la nutrition et de la génération, mais â ce qui est utile â ces opérations. Cardinales (Vertus), t. n, col. 1714. La prudence est la première des vertus cardinales, C'est ici qu'intervient le sens du goût dans les délec­ parce qu'elle a pour objet le bien de toutes les vertus. tations attachées â la nourriture : au goût, en effet, les La Justice vient ensuite, parce qu’elle règle nos devoirs aliments apparaissent plus ou moins attrayants, selon envers autrui, y compris le culte dû à Dieu. La force leur odeur ou leur saveur. Pareillement, dans l'ordre vient en troisième lieu, parce que, dans l'exercice de des délectations sensibles attachées â la génération, l'union des sexes relève du sens du toucher; mais la toutes les autres vertus, clic modère notre aversion beauté de la femme, sa parure, scs attraits physiques pour les maux sensibles. La tempérance ne vient qu’en quatrième lieu, parce qu’elle ne vise que notre bien relèvent d’autres sens et forment un objet secondaire individuel par la modération des plaisirs sensibles qui de la tempérance. Ibid., a. 5. Par 1Λ, l’homme tempé­ s'opposeraient Λ ce bien. S. Thomas, Sum. theol., II·- rant s'abstiendra non seulement des plaisirs immo­ dérés qui peuvent troubler sa raison et le détourner II·, q. cxli, a. 7 et 8. Cet ordre n'enlève rien à la tempérance de scs effets du devoir, mais encore de tout ce qui ne sert qu’à flat­ ter les sens et n’est que de pur agrément : il modérera salutaires sur l’âme et sur le corps. A la tempérance, en effet, on attribue la tranquillité de l’âme (quoique la vue, l'ouïe, l'odorat et surtout le goût qui est, de tous les sens, celui qui sc rapproche le plus de l'objet cette tranquillité soit l'apanage de toutes les vertus), parce que la tempérance réprime les passions les plus principal de la tempérance, le toucher. fougueuses et les plus propices aux dissensions. De j 3° Objet formel ou motij de la tempérance. — Le motif plus, elle communique à l’âme une certaine beauté qui formel de la vertu de tempérance ne peut être que le rejaillit sur le corps : en mettant une juste harmonie bon ordre à établir dans l'usage des plaisirs sensibles, entre l’âme et le corps, cette vertu embellit l'homme conformément aux exigences de l'honnêteté et du tout entier. La laideur du corps provient souvent des devoir, envisagés soit dans l'ordre naturel (vertu natupenchants de sa nature animale qui flétrissent le corps I relie de tempérance) soit, en s'inspirant d’un motif autant que l'âme : en communiquant à l'âme une sorte de foi, dans l'ordre surnaturel (vertu surnaturelle de de beauté angélique, la tempérance influe indirecte­ tempérance). Voir Vertus. Cette considération com­ ment sur la beauté du corps. Ibid., a. 2, ad 2U“ ; ad 3U®. mande le principe même qui permet au théologien de On exposera donc : L La vertu de tempérance con­ préciser la règle, la juste mesure de la vertu de tempé­ sidérée en soi. IL Les vertus connexes à la tempérance rance. et les péchés opposés â ces vertus. •1° Règle et juste mesure de la vertu de tempérance. — L La tempérance considérée en soi. — 1° La Le principe fondamental de cette juste mesure peut tempérance est une vertu spéciale. — 1. Vertu. — Il est être ainsi formulé : · La règle et la juste mesure qui de la nature de la vertu d'incliner la volonté vers le permettent de modérer les plaisirs sensibles confor­ bien. Cf. !·-!!·, q. lv, a. 3. Le bien, au point de vue mément à la raison, c’est essentiellement la nécessité naturel, c'est ce qui est conforme à la droite raison. La qu'imposent les exigences de la vie présente. » Le bien tempérance, qui comporte une modération (temperies) de l’homme c’est, en effet, l'ordre imposé par la raison. des plaisirs sensibles conformément aux exigences de Or, l’ordonnance de la raison implique avant tout la la droite raison, est donc une réelle vertu. Π·-Ι1·, conservation de l'individu et de l'espèce. Il faut donc q. cxli, a. 1. que la tempérance règle les plaisirs attachés à ces deux 2. Vertu spéciale. — Sans doute, toute vertu, quelle fonctions selon les exigences rationnelles du bien de qu’elle soit, concourt à tempérer la violence des pas­ l’individu ou de l'espèce. Ces exigences peuvent être sions et à mettre dans l’âme humaine cette modération absolues ou simplement relatives. Exigences absolues, qui s’attache toujours à son exercice. Toutefois, la sans lesquelles la conservation de l'individu ou de tempérance est une vertu spéciale, car elle a un objet l'espèce ne sauraient être obtenues; exigences rela­ distinct et comporte une modération d’un genre par­ tives, celles qui tiennent compte des circonstances de ticulier : il s’agit de réprimer les mouvements excessifs personne, de santé, d’âge, de fonction, de dignité, de de l’appétit sensible, conformément à la raison, et de richesse, d’honnêteté, d’usage reçu, de convenances l'éloigner des plaisirs qui le sollicitent le plus violem­ sociales, etc. Ces « exigences », qui sont plutôt des ment. Ibid., a. 2. convenances doivent parfois apporter des nuances non 2® Objet matériel de la tempérance. — 1. Objet prin­ négligeables dans l’appréciation de la juste mesure de cipal. — L’objet matériel de la tempérance est princi­ la vertu de tempérance. A. 6, et ad 2U®, ad 3U®. palement constitué par les plaisirs qu’on rapporte au De ce principe général, saint Thomas déduit les toucher parce que le toucher y a la part prépondé­ applications en considérant successivement la fin pro­ rante. plaisirs de la nourriture et de la boisson, utiles chaine qui commande la règle et la juste mesure aux à la conservation de l’individu, plaisirs charnels, délectations sensibles, et la fin dernière, que, dans utiles à la conservation et à la propagation de l'espèce. l'économie de la vie chrétienne, l’on ne saurait négli­ De même que la force règle et modère le mouvement ger. de répulsion que nous éprouvons à l'égard des maux i 1. Fin prochaine et règle propre de la tempérance. — sensibles dans l’accomplissement du devoir, ainsi la Cette règle commandée par la fin prochaine des délectempérance règle et modère le mouvement d’attrac­ tâtions sensibles, ce sont, avons-nous dit, les nécessités tion vers les plaisirs des sens capables de nous détour­ de la vie présente. Et, parce que la fin des plaisirs de ner du devoir. Par quoi la tempérance nous éloigne | la chair n’est pas la même que celle des plaisirs de la des délectations les plus vives et les plus opposées à la table, la règle pour les uns et pour les autres est dif­ raison : or. il n’en est pas auxquelles la nature nous ! férente. sollicite plus vivement et qui causent à la raison plus I a) En ce qui concerne les plaisirs attachés à l'acte de trouble que les plaisirs de la nutrition et de la géné­ générateur, la règle est qu’il faut s’en abstenir absolu­ ration. Ibid., a. 3, L On pourra s'étonner que saint I ment en dehors du mariage, parce que l'institution du Thomas, au sujet des plaisirs de la nourriture, parle mariage seule peut donner à la société le moyen de principalement du sens du toucher et non du sens du | conserver et de propager l’espèce humaine conformé­ goût. Il s’en explique lui-même à propos de l'objet I ment aux exigences de la nature raisonnable de l'homme. Voir ici Mariage, t. ix, col. 2016. L’usage des secondaire de la tempérance. 2. Objet secondaire. — L'objet secondaire de la tem­ plaisirs du mariage exige donc qu’aucun obstacle ne pérance est constitué, non par ce qui est essentielle- | soit apporté à la fin principale, la procréation des 97 T E Μ I* η π Λ N C Ε enfants ni même ώ la fin secondaire, leur éducation. Doit-on toujours avoir en vue cette lin dans l'usage du mariage? Explicitement, non certes; toutefois, on ne perdra pas de vue la condamnation par Innocent XI de la proposition 9 des erreurs laxistes : Opus conjugii ob solum voluptatem exercitum omni penitus caret culpa ac delectu veniali. Dcnz.-Bannw., n. 1159. b) En ce qui concerne les plaisirs de la table, la règle de la tempérance ne peut être que la bonne santé du corps et la disposition de l'esprit nécessaire pour l’accomplissement des devoirs quotidiens. Ni plus ni moins qu’il ne faut pour atteindre ce but. Ce qui ne veut pas dire, de toute évidence, qu’en raison de cir­ constances spéciales, il ne soit pas permis de faire des repas plus copieux ou mieux préparés : le nécessaire doit être entendu ici selon les règles non seulement de la nécessité absolue, mais encore de la convenance. Mais on se souviendra aussi de la proposition 8 con­ damnée par Innocent XI : Comedere et bibere usque ad satietatem ob solam voluptatem non est peccatum, motto non obsit valetudini; quia licite potest appetitus natura­ lis suis actibus jrul. Denz.-Bannw., n. 1158. Le plaisir du boire et du manger ne saurait être une fin; ce n’est qu'un moyen : « Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. » 2. Fin dernière et règles supérieures de la tempérance. — Dans l’économie présente de la lin surnaturelle à laquelle l'homme est appelé, la fin prochaine et la règle propre de la tempérance doivent être subordon­ nées à des règles supérieures, propres à la fin surnatu­ relle de l'homme. Dans l'usage des plaisirs sensibles, il faudra aussi faire attention à ne nuire en rien au bien spirituel et surnaturel de l'âme, et même on devra s'abstenir de ces plaisirs dans la mesure où, selon le tempérament, la situation, la vocation de chacun, ce sera nécessaire ou même simplement utile pour parve­ nir à la fin surnaturelle. De là, l’utilité et la nécessité des mortifications, des œuvres satis facto! res pour les péchés, du célibat ecclésiastique, du vœu de chas­ teté, etc. 5° Le juste milieu de la tempérance. — Le propre des vertus morales est de tenir un juste milieu entre deux excès opposés. Saint Thomas traite des excès opposés à la tempérance dans la question cxlii. Il part du même principe qui lui a servi à établir la nature et l'objet de la tempérance. La nature a attaché une délectation sensible à tout ce qui est nécessaire à la conservation de l’individu et de l’espèce. Sans cette délectation qui fait contre-poids à des inconvénients graves, le genre humain s’étein­ drait bientôt. L'un s’abstiendrait de nourriture ou n’en prendrait qu'une insuffisante, pour s’épargner la peine de la chercher ou de la préparer. L’autre ne vou­ drait pas d'enfants pour éviter les Inconvénients inhé­ rents à leur éducation. L’absence de la délectation nécessaire, c'est l’insensibilité : quand cette insensi­ bilité est le résultat d’une volonté égoïste, clic est non seulement un défaut, mais une faute. Toutefois, saint Thomas fait ici remarquer qu’en raison des fonctions qu'on remplit, s’abstenir de certains plaisirs sensibles peut être louable : les soldats, les athlètes, les intellec­ tuels sc privent de l’usage du mariage pour mieux accomplir les devoirs de leur état; les malades sc met­ tent à la diète pour recouvrer la santé du corps, les pénitents à l’abstinence, pour recouvrer la santé de l’âme. L'autre excès, c’est l’intempérance sous toutes les formes qui recouvrent les péchés contraires aux vertus connexes à la tempérance. Ibid,, a. 1. Saint Thomas compare l’intempérance à un défaut d’enfant. Sans considérer l’ordre de la raison qu’il est encore incapable de percevoir, l’enfant désire ce qui flatte son appétit, fût-ce quelque chose de honteux et de laid aux yeux de l’esprit. Si l’on obéissait à l’enfant, DI CT. DE THÉOL. CATH0L. 98 on le fortifierait dans ses Instincts pervers. Cf. EccL, xxx, 8. Plus on accorde à la concupiscence, plus elle demande; la passion satisfaite, dit saint Augustin, de­ vient une habitude et l’habitude, une nécessité. Con­ fessions, I. VIH, c. v, 12. P, L,, t. xxxn, col. 754· On corrige l'enfant par la verge; on doit sc servir de la discipline pour réprimer la concupiscence superflue ou intempérance, qu. cxlii, a. 2. Comparée à la timi­ dité et à l’insensibilité, l’intempérance est plus grave tant au point de vue de sa matière que de la responsa­ bilité de l'homme qui s'y livre volontairement, a. 3; on peut même dire que l’intempérance est le plus déshonorant et le plus honteux des vices : plongeant l’homme dans les voluptés qui lui sont communes avec les animaux, elle le prive du bon usage de la raison et littéralement l’abrutit; ci. Ps., xlii, 21. Ibid., a. 4. IL Vertus connexes a la tempérance et péchés opposés a ces vertus. — 1· Parties de la tempérance (q. ex Lin, art. unique). — Se référant à la doctrine exposée aux q, XLVin et cxxvm, saint Thomas dis­ tingue dans une vertu cardinale les parties intégrantes, subjectives, potentielles. 1. Parties intégrantes de la tempérance. — Comme l'indique le mot, la partie intégrante concourt a l'exercice de la vertu à titre de complément néces­ saire. La pudeur est une disposition à la tempérance, Γhonnêteté en est une condition. La pudeur, en effet, nous met en garde contre les choses honteuses; l’hon­ nêteté nous fait aimer la beauté de la modération imposée par la tempérance à nos puissances Infé­ rieures. Sur la pudeur, voir la belle étude de J. de La Vaisslèrc, La pudeur instinctive, Paris, 1936. 2. Parties subjectives. — Ce sont ici de véritables vertus, mais subordonnées à la tempérance, comme les espèces le sont au genre. La tempérance modérant les délectations relatives au manger et au boire, on compte, sous ce rapport, deux parties subjectives de la tempérance: la vertu d'abstinence, voir t. i, col. 271, à l'égard des plaisirs du manger, la vertu de sobriété à l’égard des plaisirs du boire. Quant aux plaisirs de l’acte générateur, c’est la chasteté qui le modère quant à l’essentiel, voir t. n, col. 2319 sq.; c’est la pudicité qui en modère les accessoires, baisers, touchers, atti­ tudes, etc. Voir t. ix, col. 1351. 3. Parties potentielles. — On appelle parties poten­ tielles des vertus annexes qui se rattachent à la vertu principale parce que leur objet constitue pour ainsi dire une partie secondaire de l’objet de la vertu prin­ cipale. En ce qui concerne la tempérance, les vertus annexes, qui en sont les parties potentielles, ont pour objet de modérer les mouvements de l’âme. Par rap­ port aux mouvements intérieurs, on peut énumérer, à l'égard des mouvements de concupiscence, la conti­ nence; à l’égard des mouvements d’audace et de pré­ somption, Vhumtlilé, voir t. vu, col. 321; à l’égard des mouvements de colère et de vengeance, la clémence ou la mansuétude; à l’égard des désirs exagérés de savoir et, peut-on ajouter, des mouvements de paresse, l'amour ordonné de l'étude (studiositas). Par rapport aux mou­ vements extérieurs, on peut énumérer, à l’égard de la tenue du corps la modestie; à l’égard des actes à accom­ plir, la décence et le bon ordre; à l’égard des distrac­ tions et des jeux, selon les cas, l'eutrapélie ou, au con­ traire, l'austérité; enfin, dans les vêtements et les parures, la simplicité, qui doit s’étendre également à tout le train ordinaire de la vie. 2° Péchés opposés ά ces vertus. — Les péchés opposés à la loi de l’abstinence et au jeûne sont étudiés à ces mots, t. I, col. 271; t. vin, col. 1411 sq. A la sobriété et à l'abstinence s'opposent les péchés de gourmandise et d’ïpresse, étudiés t. vi, col. 1520 sq. A la chasteté, s’oppose le péché de luxure sous toutes ses formes, voir t. ix, col. 1339 sq. A la vertu de mansuétude et de T. — XV. — 4. 99 TEMPÉRANCE — TEMPIER (ÉTIENNE) démence s’oppose la colère, étudiée t. ni, col. 355. A la vertu d’humilité, t. vu, col. 321, s’oppose le péché ^orgueil, t, xi, col. 1110. On trouvera à Paresse, t. xi, col. 2023, l’étude d’un péché qui, sans s’opposer direc­ tement à la tempérance, peut cependant en cer­ taines drconstances être considéré sous cet aspect spécial. Dans diacun de ces articles, on trouve les indications utiles qui groupent, autour de l’espèce prin­ cipale, les espèces subordonnées de fautes similaires. A. Michel. TEMPIER (Étlonno). — Originaire d’Orléans, il étudia la théologie à Paris. Chanoine de NotreDame, il succède, comme chancelier, Λ Aymeric de Vcire, avant mars 1263. Il entre presque aussitôt en conflit avec l’Université; sous prétexte qu’il lui appar­ tient, en qualité de chancelier, d'admettre les bache­ liers, il entend commencer lui-même à faire office de maître régent sans prêter les serments d’usage; il pré­ tend aussi, quoique dernier promu, prendre le titre et la fonction de doyen; il se permet en lin d’admettre à la licence les bacheliers qui lui agréent, sans consul­ ter comme il se doit les maîtres régents en théologie. De là, plaintes et procès à Home. En 1268, après la mort de Héginald de Corbcil, il est élu évêque de Paris, et prête serment le 7 octobre. Sa grande préoccupa­ tion, à en Juger par les documents que rapporte le I Gallia Christiana, t. vin, col. 108-115, fut de faire reconnaître 1» droits temporels de l’évêque de Paris. Il s'occupa aussi particulièrement de l’Université. C'est sous son épiscopat que se place le second ensei­ gnement parisien de saint Thomas. Il prit part au 11* concile de Lyon, eut maille à partir avec Philippe le Hardi qui, en 1273, l’exila quelque temps de son dio­ cèse. Il mourut le 3 septembre 1279. Son œuvre litté­ raire et théologique semble des plus réduites; on ne possède de lui ni traités ni commentaires. Seuls ont été conservés trois sermons prononcés en 1273 (Paris, Blbl. nat., lut. 16 481, fol. 77 v·, 136 V», 214) et quel­ ques fragments de statuts synodaux. Il exerça pour­ tant une Influence considérable sur le développement et l'orientation de la pensée philosophique et théolo­ gique au xni· siècle par ses deux interventions dans la polémique antiaverroïste et antipéripatéticienne : sa condamnation de 1270 et son Syllabus de 1277. I. La condamnation de 1270. — Elle est la pre­ mière digue officielle dressée contre la vague de ratio­ nalisme qui déferlait alors sur l’Université de Paris, et plus particulièrement sur la faculté des arts. Le nom d’averroïsme latin, par lequel on désigne ce courant de pensée, doit s’entendre non pas d’un averroïsme inté­ gral que les latins, précisément, n’adoptèrent Jamais, mais plu> exactement d’un aristotélisme intégral, au­ quel l’adjonction de certaines thèses capitales de l’averrolsme donne une allure toute spéciale, mais confère un danger tout particulier aussi. Ces thèses concernaient surtout l'unité de l'intellect humain; la négation, conséquente, de la liberté et de la responsa­ bilité humaine; la négation aussi de l’immortalité per­ sonnelle et donc de la rémunération et du châtiment, puisqu’il n'y a pas survie. Cet apport spécifiquement avcrroTste s’alliait, chez les philosophes parisiens, à tout l’ensemble des doctrines aristotéliciennes qu'il présupposait. Le système d’Aristote s'imposait en effet à eux comme le dernier mot de la pensée philo­ sophique et la seule explication satisfaisante de l’uni­ vers. A la suite du Maître, on pouvait s’engager sans crainte; accepter, évidemment, toutes ses données organiques si cohérentes entre elles; mais aussi aller Jusqu'au bout de scs exigences et de ses conclusions, y compris celles qui ne pouvaient se concilier avec l’enseignement révélé, l'éternité du monde par exem­ ple et celle du mouvement; le déterminisme universel asec le rôle Joué par les constellations, et le retour 100 cyclique des événements et des civilisations. Quelles que soient les conséquences auxquelles elle aboutit, la raison sc doit de poursuivre implacablement sa route. Le Commentateur par excellence, Averroès, vient l'y aider, et c'est pourquoi on a recours à lui; d'autres encore, tel Avicenne, à qui l'avcrroïsme latin emprun­ tera également une de scs théories : sur l'action des «Intelligences* dans la production des êtres et le gouver­ nement des sphères, avec les conséquences que cela comporte sur la providence ou plutôt la non-interven­ tion de Dieu dans la destinée humaine et son bonheur. Il est certain que, ainsi compris et érigé en système cohérent (voir Ici même, l'art. Avehhoïsme, t. i, col. 2629 sq.), l'avcrroïsme latin constituait un danger très réel, tant pour la fol que pour les mœurs. On ne nie pas en vain la liberté, la responsabilité personnelle, les sanctions de l’autre vie et les conclusions pratiques en sont vite comprises et appliquées. Guillaume de Tocco a conservé à ce propos la réflexion do cc soldat qui refusait de faire pénitence de ses péchés sous le beau prétexte que, ne faisant qu'un avec saint Pierre en vertu de leur commune intelligence, la sainteté de celui-ci lui était acquise. C'était logiquement la porte ouverte à tous les abus et à l’inconduite. C’était surtout la foi mise en péril. L'autorité du Philosophe et du Commentateur étaient telles qu’elles faisaient accepter pour vrais même les points de doc­ trine directement opposés à l’enseignement révélé. On s’en tirait en protestant de l’orthodoxie des intentions, ou même en reconnaissant la vérité infaillible de l’Églisc; mais on n'en abandonnait pas pour autant les conclusions philosophiques qu’on tenait pour vraies et nécessitantes dans leur ligne. Semblable concordat, d’ailleurs faux, ne pouvait durer longtemps; la fol y sombrerait presque à coup sûr. D’autant plus que, répandues surtout à la faculté des arts, ces doctrines trouvaient là des auditoires de Jeunes étudiants insuf­ fisamment formés, prompts à s'enthousiasmer pour toute nouveauté et toute velléité d'indépendance. Par ailleurs l’averrolsme latin avait trouvé son principal théoricien en la personne de Siger de Brabant; et celuici avait à un haut degré les qualités du chef, chef d'école et chef de parti. Voir ici Sïoer de Bramant, t. xiv, col. 2041 sep Devant le danger qui s’affirmait ainsi, sans doute aux environs de 1266, et ne cessait de croître, la Fa­ culté de théologie s'était émue et la résistance aux thèses avcrroLstes s'y était organisée. On peut la suivre s'intensiflant à mesure que gagnaient les thèses ad­ verses. C'est saint Bonaventure d'abord : en 1267, dans scs Collationes de deeem prweeptis; puis, l’année sui­ vante en divers sermons et dans ses Collationes de donis Spiritus Sancti. Puis saint Thomas reparaît sur lu scène parisienne; et ce sont ses questions disputées De anima, en 1269, avec l'édition des quest. disp. De spiritualibus creaturis; ses quodlibets 1-III, XII; cer­ tains de ses opuscules : De motu cordis; De unitate intellectus. Auprès de lui, Jean Peckham, le régent de l’école franciscaine, avec plusieurs questions disputées, sur l’éternité du monde par exemple; Gérard d'Ab­ beville, dans son quodlibet XIV entre autres; Albert le Grand aussi dans son De quindecim problematibus, en réponse à la consultation que lui avait demandée Gilles de Lesslnes. Par l’entremise de cette dernière, précisément, on sait que dans le cours de l’année 1270, circula au sein de la Faculté une liste de quinze propo­ sitions Jugées répréhensibles et susceptibles de con­ damnation. Sans doute les maîtres, régents ou autres, ont-ils été sollicités comme Albert de donner leur appréciation sur elles. Gilles en parle d’ailleurs comme /am in multis congregationibus impugnatos. C’est alors qu'intervient l’acte du 10 décembre 1270. Étienne Tempter dénonce, condamne, excommunie les 101 TE M PIE R (ÉTIENNE) treize premiers articles de In liste Incriminée. Voir les textes dans Denifle-Chntclaln, Chartul. univers, Paris., t. i, p. 486-487; Mandonnet, Siger de Brabant, 2* éd., t. i, p. 111, η. 1. Dans ces articles l'essentiel de la doctrine averroîste, dans ce qu'il y a du moins de répréhensible en clic, se trouve contenu : négation de lu providence divine dans l'ordre de la contingence (art. 10-12); éternité du monde (art. 5-6); unité numérique de l'intelligence humaine, avec ses consé­ quences (art. 1, 2, 7, 8, 13); négation du libre arbitre I et règne de la nécessité (art. 3, 4, 9). « Ces erreurs, | disait le prologue, ont été condamnées et cxcommuniées, ainsi que tous ceux qui les auraient enseignées sciemment ou soutenues, par le seigneur Étienne, évêque de Paris, l'an du Seigneur 1270, le mercredi après la fête du Bx Nicolas d’hiver. » II. Lk Syllabus de 1277. — Si judicieux qu'ait été le choix de ces articles et si clairement formulées qu'aient été les doctrines réprouvées, l’acte de 1270 ne produisit pas l'effet escompté. La fonne condition­ nelle de la condamnation : qui eos docuerint.,, vel asse­ ruerint pouvait s'interpréter comme visant l’avenir seulement, ou comme ayant aussi un effet rétroactif. Certains en profitèrent pour contester la portée du geste; on le voit par la question soulevée trois mois plus tard au quodlibet IV, q. xiv de saint Thomas. D'autres mirent sans doute en avant le privilège dont jouissaient les membres de l’Université de ne pouvoir être excommuniés sans faculté spéciale du Saint-Siège. On ne volt pas non plus qu’il y ait eu alors de condam­ nations nominales ni de sanctions personnelles. Tout au plus — et c’est un grief qui reviendra dans cer­ tains écrits de saint Thomas tout comme dans le décret du 2 septembre 1276 porté par l’Université — ren­ seignement des doctrines réprouvées se fit-il plus dis­ cret, portes closes, en de petits convcnticules. D'ail­ leurs des troubles universitaires auxquels l’influence et l’action de Sigcr de Brabant ne furent pas étran­ gères, tant s’en faut, désorganisèrent assez profondé­ ment la faculté des arts et y compromirent l’enseigne­ ment. Or, commencé au début de 1272, le schisme soulevé par l'élection du recteur ne prit fin qu’en mal 1275 par l’arbitrage du légat Simon de Brion. Trois années d’anarchic et d’énervement au cours desquelles les esprits se montent, les abus sc glissent et les doc­ trines condamnées gagnent du terrain. La Faculté des arts et l’Université s’efforcent de réagir par de nou­ velles décisions, en date du l nisation de saint Thomas, l'édit d’Étienne garda force de loi jusqu’au xv* siècle, qu’il jouit de la plus grande autorité même en Angleterre et qu’au total, surtout lorsqu’il fut corrigé, il eut un résultat salutaire : il pré­ serva l’orthodoxie de l'université de Paris et contribua pour sa part à enrayer un engouement dangereux et excessif en faveur de l’aristotélisme pur. » P. Mnndonnet, Siger de Brabant et l'averroïsme latin au ΒΠ9 siècle, 2· éd., Louvain, 1911 ; Jules d’Albl, Saint Bona­ venture et les luttes doctrinales de 1267-1277·, A. Callcbaut, Jean Pecham, O. F. M., et l'augustinisme, dans Archia, Iranclsc, hist., t. xnn, 1925, p. 441-172; P. Glorieux, Réper­ toire des maîtres en théologie de Paris au XIIP siècle, 1933, notice 177; E. lloccdcz, La condamnation de Gilles de Borne, dans Rech. de théol. anc. et méd., t. iv, 1932, p. 33-58; M. Grabtnunn, Dos Werk De amore des Andreas Capcllanus und das Verurteilungsdekret des Bischofs St. Tempter von Paris vom 7 Mdrs 1277, duns Speculum, 1932, p. 75-79; Die Opuscula De summo bono sloe de vita philosophi und De sompnlis des Boetius von Daclen, dans Arch, d'hist, doclr. et lilt, du M. A., t. vi, 1932, p. 287-317 ; Gorce, L'essor de la pensée au Moyen Age, 1933, p. 178-20-1; O. Lottin, Le libre arbitre au lendemain de la condamnation de 1277, dans Rev. nêoscol., 1935, p. 213-233. P. Glorieux. TEMPS (SUPPUTATION DU). —C’est un titre nouveau, inconnu de l’ancien droit canonique, qui a été introduit dans les Normie generales du Code, tit. ni, can. 31-35. Le législateur a rassemblé dans quelques | canons les principes généraux de comput, auxquels on devra se référer dans les nombreuses matières juridi­ ques où intervient une question de temps : âge et domicile des personnes, promulgation de la loi, cons­ titution de la coutume, prescription, delais de pro­ cédure, etc... 11 est spécifié, can. 31, que les matières liturgiques, sur lesquelles le Code s’abstient généralement de légi­ férer, échappent à cette réglementation, sauf mention expresse. Rien n’est donc changé en ce qui concerne le calendrier liturgique : le dimanche appelé « premier de septembre » pourra tomber en août; on continuera d’observer les heures fixées pour la célébration de la messe aux diverses saisons ou pour la récitation des diverses parties de l’ofllce divin. Il peut y avoir aussi d’autres exceptions dans les cas où des stipulations différentes seraient contenues dans la loi ou des conventions particulières. Ainsi le droit précise que le Jour valable pour le gain des indul­ gences est en réalité de trente-six heures. Can. 923. Le supérieur a la liberté de fixer la durée de scs ordon­ nances aussi bien que leur date d’entrée en vigueur. De même les contractants ont la faculté de déterminer dans la lettre du pacte le temps de leurs obligations réciproques; à défaut de spécification expresse, l’exé­ cution deviendra obligatoire au temps marqué par le droit civil en vigueur dans le lieu du contrat. Can. 33, On notera enfin que le temps canonique se calcule 108 physiquement et non moralement. En conséquence, on ne saurait adopter comme normes d'interprétation en celte matière les axiomes : Parum pro nihilo reputatur, Dies incepta pro completa habetur..., à moins que le texte de la loi n’y autorise expressément : ainsi, l'obli­ gation du jeûne cesse à soixante ans commencés, can. 1254; le diaconat peut être conféré nu début de la quatrième année du cours de théologie. Cnn. 976. Mais ordinairement le Code suppose un temps com­ plet; cf. can. 12, 88, 331, 367, 434, 555, 559, 975, etc... La validité de certains actes peut être mise en cause : par exemple l'entrée au noviciat ou la profession reli­ gieuse avant l’âge requis, cnn. 542 et 572; de même la profession avant une année complète et continue de noviciat. Can. 555. Au contraire, s'il s’agit du renou­ vellement des vœux, l'acte peut se faire au jour anni­ versaire de la première profession. Can. 34, § 3, 5°. Bien que, de sa nature, le temps soit quelque chose de continu, on peut, par une fiction de droit, le consi­ dérer comme interrompu dans certaines circonstances. Lorsque le Code exige un temps continu, il ne doit y avoir aucune Interruption : ainsi pour la validité du noviciat, can. 555; de même pour qu'une coutume puisse s’établir légitimement à l’encontre d'une loi ecclésiastique, il faut qu'elle ait été prescrite durant quarante années complètes et continues. Can. 27. Voir aussi Prescription, t. xm, col. 116. Au contraire, les mois de vacances accordés par le droit aux curés, aux chanoines, aux évêques, peuvent être continus ou interrompus. Can. 465, 418, 338. — On appelle temps utile celui qui est accordé à quelqu'un pour l'exercice ou la poursuite de ses droits, sous réserve que ce temps n'est pas censé courir, tant que l’intéressé Ignore son droit ou ne peut l’exercer. Can. 35. Ainsi le prévenu qui reçoit le 10 mars notification d'une sentence pro­ noncée contre lui le 5, aura, jusqu’au 20 mars, soit dix jours complets, pour bien interjeter appel. Can. 1881. I. Règles générales de comput. — 1° Le temps canonique, comme le temps civil, se calcule par heures, jours, semaines, mois et années. Le jour sc compose de 24 heures, comptées de minuit à minuit, la semaine de 7 jours, le mois de 30 jours et l'année de 365 jours, sauf s'il est spécifié que les mois et les années doivent être comptés comme au calendrier : ce dernier cas se réalise lorsque l'autorité a fixé le point de départ et que le temps est continu, par exemple deux mois de suspense à partir du 15 février. Can. 32. 2° Dans la manière de compter les heures du Jour, la norme générale est de s’en tenir à l’tuage commun du lieu. On adoptera donc, suivant les cas, l’heure nor­ male du méridien (temps zonalre), ou l’heure légale extraordinaire, ou même un comput propre à un terri­ toire ou à une communauté en vertu d’une concession ou d'une coutume légitime; ainsi, ù Rome, l’heure de FAoe Maria ou Angélus du soir, qui sert de base pour la distribution du temps de l'après-midi, dans les églises et certains collèges ou institutions de la ville. Cf. I.acau, De (empore, p. 38. II. Règles spéciales de comput des heures pour certains actes privés. — Ces actes sont, aux termes du can. 33 : la célébration privée de la messe, la réci­ tation privée des heures canoniales, la réception de la sainte communion et l'observation du jeûne ou de l'abstinence. Le caractère privé de ces actes sc déduit du fait qu’ils ne sont pas imposés par une loi ou une réglementation, plutôt que de l'absence de solennité extérieure : ainsi la messe conventuelle, même basse, la messe pro populo, la récitation de l’ofllce nu chœur par un corps moral qui y est tenu, sont des offices publics; au contraire une messe même chantée, les vêpres paroissiales restent des offices privés au sens i canonique. 109 TEMPS (SUPPUTATION DU) — TEMPS PROHIBÉ Peut-on, coniine le veulent certains auteurs (Vcrmcersch, Capello, Clayes-Sirnénon, De Meester), étendre les faveurs de la loi à d'autres actes non énu­ mérés dans le texte, par exemple le gain des indul­ gences ou l'observation du repos dominical et festival? Il ne semble pas; car cette disposition législative, bien que favorable, est une exception à la norme générale, donc de stricte Interprétation· Can. 19. Pour ces oeuvres d’ordre privé, le législateur accorde la faculté de suivre soit le temps local vrai (marqué par les cadrans solaires), soit le temps local moyen (qui supprime les variations du temps vrai, en attri­ buant à la terre un mouvement uniforme), soit le temps légal régional, appelé aussi zonairc (fourni par l'adoption d'un fuseau horaire, pour la France l’heure du méridien de Greenwich), soit le temps légal extra­ ordinaire (par exemple en France, l’heure d'été en avance de GO minutes). Entre ces divers systèmes horaires, on a la liberté de choisir. Can. 33. Mais, cst-ll permis d’en adopter plusieurs simultanément? C’est le sujet de grandes controverses entre les auteurs, théologiens ou mora­ listes. Tous sont d’accord pour laisser l'entière liberté d’option dans les cas où il s’agit de préceptes divers à accomplir en des temps différents; encore faut-il que les variations qui s’ensuivent n’aboutissent pas à la violation d’une loi certaine : par exemple, Λ restreindre la loi du repos ou celle de l’abstinence à une durée de vingt-trois heures. Il va de sol que le choix d’un fuseau horaire n'est pas laissé à la liberté d’un simple parti­ culier, mais doit être déterminé par l’autorité légi­ time. Cf. Com. interpret. Cod., 10 nov. 1925, Acta Ap. Sedis, t. xvn, p. 582. — Mais la controverse demeure sur le point suivant : le choix du temps cst-il chose permise en toutes circonstances, de telle sorte que, en face de plusieurs obligations à remplir au même mo­ ment ou Λ la suite l’une de l’autre, l'option faite d’un système horaire pour l’accomplissement d’une de ces obligations ne soit pas un obstacle au choix d’un sys­ tème différent pour l’accomplissement d’une autre obligation? Pour éclairer la controverse, il faut se souvenir qu’elle est actuellement une question de droit positi/ et que le canon 33 doit être Interprété selon sa teneur et selon la pensée du législateur, sans que cette Inter­ prétation aboutisse ù une conclusion déraisonnable ou contradictoire. Avant le Code, les moralistes posaient une question semblable, non à propos de systèmes horaires différents, mais à propos des variations pos­ sibles ù l’intérieur d’un même système, les horloges d'un lieu ne marquant pas le même temps. Le cas-type était celui-ci : Un prêtre, sc trouvant en présence d’horloges qui indiquent des heures différentes dans la nuit qui précède la Pentecôte, peut-il simultané­ ment user d’une probabilité pour manger et manger gras, comme si le Jeûne et l’abstinence de la vigile avaient cessé, et de l’autre probabili té pour célébrer le lendemain, attendu qu'une des horloges ne marquait pas minuit ? La plupart des auteurs répondaient qu’on ne peut user simultanément de deux probabi­ lités contraires, attendu que le passage de l’une ù l'autre entraînait nécessairement la violation de l’un ou de l’autre précepte. Cf. Lugo, De eucharistia, disp, xv, n. 52-53. D’autres donnaient des solutions plus favorables : Lchmkuhl, Thcol. mor., t. 1, n. 205; Vermccrsch, Théol. mor., t. i, n. 382, p. 356 (2· éd.); Salsmans. Noua. rcv. théol., 1922, p. 148. Le même cas-type peut être transféré du terrain moral sur le terrain canonique, mais en faisant remar­ quer que les « systèmes horaires » ne sont plus des probabilités, mais une concession authentique du législateur. Dans son usage, il suffira que soit sauve­ gardée l’observation de tous et de chacun des pré­ 110 ceptes, dont l'accomplissement urge au même instant ou consécutivement. 1° En présence d'un seul et même précepte dont l’ac­ complissement s’étend sur deux ou plusieurs jours, la faculté d'option est entière, si ce précepte est positi/ : ainsi, un clerc peut satisfaire Λ l’obligation de son bréviaire, s’il le veut, en 23 heures au lieu de 24, et adopter un autre système horaire pour son obligation du lendemain. Il faut dire le contraire si le précepte est négatif, par exemple le Jeûne quadragésimal. Ces sortes de préceptes étant obligatoires semper et pro semper, il n'est pas loisible de créer entre deux jours de jeûne, au moyen du changement d’heure, une sorte de zone neutre durant laquelle la réfection serait permise. 2° S’il s'agit de préceptes divers dont l’obligation urge en même temps ou consécutivement, il faut dire que la liberté d'option cl de variation en face des systèmes horaires est absolue. Un certain nombre d’auteurs ont, sur ce point, formulé des réserves cl donné des solu­ tions contraires, à propos du cas-type. Cf. Maroto, Institutiones jur. can., t. i, n. 258; Lacan, De tempore, p. 40, n. 44; L'Ami du clergé, 1923, p. 200-203; Cicognani, Normes generales, p. 191 ; Capello, Summa faris can., I. i, n. 179; Clayes-Siménon, Manuale jur. can., t. I, n. 191 ; Ojetti, Norma generales, p. 197; Leitner, Handbuch des kath. Kirchenrechts, t. i, p. 16; Too, Comment, jur. can., I. i, p. 104. Cependant il nous semble que l’on peut se ranger raisonnablement a l’opinion qui défend la liberté, non seulement à cause de sa probabilité extrinsèque (admise par Vermeersch, Michiels, Cocchl, Crcusen, Clmcticr, Cancc, Eich­ mann, De Mecster, Matthieu Conte a Coronatu), mais encore à cause de sa valeur intrinsèque. Il n’y a en effet ni contradiction ni empêchement à ce qu’un voyageur, rentrant chez lui au milieu de la nuit qui précède la fête de la Pentecôte, ne choisisse, pour l’ac­ complissement du précepte du Jeûne et de l'abstinence, l’heure légale d’été; l’obligation ayant cessé à minuit (heure légale extraordinaire), il lui est permis de man­ ger, et même de manger gras. D’autre part, il lui est loisible de choisir pour le jeûne eucharistique du dimanche l’heure normale, dite d’hiver, il s’ensuit que ce voyageur pourra légitimement, sans violer aucune loi, en usant seulement d’une faveur accordée par le Code, faire un repas gras entre minuit et une heure (calcules selon la norme estivale) et communier le jour de la Pentecôte. Cf. Van Hove, Comment. Lovan., t. m, p. 260. Le canon 34 donne des règles détaillées pour le calcul des années, des mois et des jours. Antonelli, De tempore legali. Home, 1860; Fœnutius, Tractatus de momento temporis. Venise, 1603; Soy en. Dies et annus juridicus, Cologne, 1662; Durand, Elude sur le · dies incertus ·. Lyon, 1884; HUcker, Dissertatio de naturali cl civili computatione temporis, Lyon, 1747; Laeau, De tem­ pore, Horne. 1921; Michiels, Normo* generales, t. il, Lublin, 1929; Maroto, Institutiones jur. can., t. i, Madrid, 1918; Vcnncvnch-Crcusen. Epitome jur. can., t. 1, 1924; Cicogniurl, Comment, ad Lib. 1 Codicis, Home, 1925; Ojetti, Comment, in Cod., 1. I, Home, 1927; Cajwllo, Summa jur. can., t. 1, Home, 1928; Clayes-Siménon, Manuale jar. can.. t. i, 4· éd., Garni et Liège, 1934; Matthieu Conte a Coro­ natu. Inst. jur. eccl., t. i, Turin, 1928; Eichmann, Lehrbuch des Kirchenrechts, Paderborn, 1926; Cocchl, Comment, in univ. Cod., t. I, Turin, 1924; Cance, Le Code de droit canonique, 1.1, Puris, 1933; Cimetler, Supputation du temps. dans Diet. prat, des connais, rtl., t. vi, Paris, 1927; Vermeersch, ProÿaMHimr. duns Did. apol. de la Foi cath., t. iv, col. 358-359, Paris, 1924; Crcusen, Minuit canonique, dans Noue. rev. théol., 1923, p. 464; L'Ami du clergé, un. 1922, p. 636 et un. 1923, p. 200. A. Bhide. TEMPS PROHIBÉ. — I. Notion. H. Aperçu historique (col. 111). 111. Droit actuel (col. 113). 1. Notion. — On l’appelle aussi temps clos (tempus Ili TEMPS PROHIBÉ dausum), parfois temps férié (tempus feriatum ou feriarum). En matière matrimoniale, l’expression désigne les périodes ou temps sacrés durant lesquelles le droit de l’Église a interdit soit la solennité des noces, soit môme la célébration du mariage. Sur ce point, la législation ecclésiastique a varié au cours des siècles; mais surtout l’interprétation des textes n’a pas été uniforme. On peut dire que, pratiquement, Jusqu’à la parution du Code cette défense de l’Église a été rangée au nombre des empêchements prohibants. Si quelques commentateurs anciens ont voulu attri­ buer à la clause du tempus feriatum un effet dirimant, ils n’ont pas été suivis et leur opinion a été définitive­ ment abandonnée. Cf. Wemz-Vidal, Jus canonicum, t. v, n. 571 ; Esmcin, Le mariage en droit can., 1.1, p. 397. A ne considérer que le droit divin, il n'est pas dou­ teux que le mariage puisse être célébré valldement et licitement tous les jours de l’année. Cependant d'assez bonne heure l’Église a cru devoir Interdire durant cer­ tains temps sacrés la solennité des noces, comme peu compatible soit avec l’esprit de pénitence et de prière de rigueur en avent ou en carême, soit avec la Joie sainte du temps pascal et la réception des sacrements de règle à cette époque. Cf. Deer. Grat., caus. XXXIII, q. iv, c. 1. La tradition chrétienne n’avait pas oublié le conseil donné par l’Apôlrc aux gens mariés de « se priver l’un de l’autre d’un mutuel accord et pour un temps, afin de vaquer à la prière ». I Cor., vn, 5. Cer­ tains livres pénitent tels allèrent jusqu’à établir une pénitence pour les époux qui ne gardaient pas la con­ tinence durant certains temps sacrés. Ce n’est pas, ainsi que l'explique saint Thomas, que l'acte matri­ ‘ monial constitue une faute, ...tamen, quia rationem deprimit propter carnalem delectationem, hominem reddit ineptum ad spiritualia; et ideo in diebus, in quibus spiritualibus esi pacandum, non licet petere debi­ tum. Sum. theol., 111», suppi., q. lxiv, a. 7. A plus forte raison faut-il écarter de cette prohibition de l’Église toute idée de tyrannie ou toute intention supersti­ tieuse héritée du paganisme. Ce fut pourtant l’accu­ sation lancée par les protestants, spécialement par Calvin, Instil, chrél., 1. IV, c. xix-xx. Le concile de Trente y répondit, Scss. xxiv, de Ref. matr., can. 11 : Si quis dixerit prohibitionem solemnitatis nuptiarum certis anni temporibus superstitionem esse tyrannicam, ab ethnicorum superstitione profectam..., a. s. Sur les superstitions en vigueur chez les païens relativement aux époques de la célébration des noces, cf. Kosset, De sacram, matrim., t. H, n. 1213, p. 429. Quelquesunes de ces idées superstitieuses avalent cours encore au xvii· siècle, témoin cet avertissement du synode de Bordeaux (1621), c. vn. n. 5 : Abolenda sane illa ac superstitiosa quorumdam opinio, mense maio uxorem non ducendi, quasi aliquid ex eo mali augurii emanans fidelitati contrahentium, ac prosperitati nuptiarum offi­ cere possit. Doceatur igitur populus, et ab omnibus paro­ chis sape instruatur, ut superstitiosis illis magis fidem haudquaquam adhi beat. On ne confondra pas la prohibition qui porte le nom de tempus clausum avec le petitum ou interdictum Ecdestæ, pas plus qu’avec l’interdit pénal. Le vetitum (ou interdictum) n’est pas une loi générale de l’Église, mais une défense spéciale, intimée à un fidèle, de con­ tracter mariage durant un laps de temps déterminé ou avec telle personne; la raison de cette défense est le plus souvent un doute ou un soupçon portant sur l'existence d'un empêchement prohibant ou dirimant, parfois aussi un scandale à éviter, la paix à conser­ ver, etc... Quant à l'interdit proprement dit, c'est une peine médicinale ou vindicative qui peut atteindre certaines personnes ou certains lieux, à la suite d'un délit. Voir Interdit, t. vu, col. 2280. IL Aperçu historique. — Durant les trois pre­ 112 miers siècles on ne trouve pas trace de lois écrites interdisant la célébration des noces, ou du moins leur solennité, en certains temps de l'année. Nul doute pourtant que le « conseil » de saint Paul, I Cor., vu, 5, n'ait été suivi dès l’origine et n'ait fait reporter la célébration du mariage des chrétiens en dehors des jours saints et des temps sacrés; niais nous ne con­ naissons pas de prohibition proprement dite sur ce point. Le premier texte conservé est celui du concile de Laodicée (380?), dont le 52· canon défend expres­ sément de célébrer des mariages ou des anniversaires de naissance en temps de carême. 11 a été reproduit par Gratlen, pars 11% caus. XXXIII, q. iv, c. 8, 9. Cf. Hefcle-Lcclcrcq, Hist, des cone., t. i, p. 1022. On a faussement attribué au concile de Lérida (Illcrda) au vi· siècle, ibid., t. n, p. 1062 sq., l’extension de cette prohibition aux trois périodes suivantes : de la septuagésime «à l'octave de Pâques, de Pavent jusqu'après l'Épiphanie et durant les trois semaines qui précèdent la fête de saint Jean-Baptiste. Les conjoints ayant contrevenu à ces dispositions devaient être séparés. Cf. Deer. Grat., pars 11% caus. XXXIII, q. iv, c. 10. En réalité, ce texte n’est que la corruption du canon 3 du synode de Seligenstadt (1023), qui ajoute aux temps déjà prohibés les jours de jeûne et les vigiles, mais réduit à deux semaines le temps qui précède la fête de saint Jean-Baptiste. Hcfele-Leclercq, t. iv, p. 923. C'est dire que la notion même de temps clos et surtout son extension était loin d’être uniforme. En 866, dans sa réponse ad Bulgares, n. 48, Nicolas Ier ne retenait encore que le temps de carême. Cf. Dccr. Grat., loc. cil., c. 11. A partir d'Urbain II, le droit commença à s'uniformiser; le concile de Bénévcnt (1091) précisa au canon 4 que l’on ne devait pas célé­ brer de mariage depuis le dimanche de la septuagésime jusqu'à l'octave de la Pentecôte (certains manuscrits disent : de Pâques), et depuis le premier dimanche de Pavent jusqu'à l'octave de l'Épiphanie. Hefcle-Leclercq, op. cil., t. v, p. 353. A cette décision vint se joindre la fameuse décrétale de Clément III (11871191), qui passa dans la collection authentique de Grégoire IX en 1234, 1. II, tlt. ix, c. 4. 11 est intéres­ sant de noter que, d'après le texte de Clément III, les trois semaines qui précèdent la fête de saint JeanBaptiste ne visent point à honore:· le Précurseur, mais bien à souligner la fête de la Pentecôte, qui tombe souvent durant ces semaines. Le temps clos est donc calculé du premier jour des Rogations à la fin de l'octave de la Pentecôte. Le pape déclare en outre n'avoir pas l'intention d'étendre à l’Église universelle la coutume romaine qui interdit les mariages de Pâ­ ques à la Pentecôte. Ainsi fut constitué le droit com­ mun, qui instituait une triple période de temps clos; il resta en vigueur Jusqu'au concile de Trente. Quelle était la portée exacte de ces prohibitions? Nous avons dit que quelques auteurs, s'appuyant sur le texte attribué au concile de Lérida : Quod si factum fuerit, (conjuges) separentur, voulurent y voir une irritation du mariage des contrevenants. Mais, dès le xii· siècle, Bernard de Pavlc entendait le separentur d'une séparation purement temporaire, prononcée par le juge ecclésiastique comme peine de la contraven­ tion. Le temps clos avait donc le caractère d'un empê­ chement simplement prohibitif. Beaucoup même se demandaient si l’Église défendait vraiment la célé­ bration du mariage, ou seulement les solennités ou réjouissances qui l’accompagnent et peut-être aussi la consummatio matrimonii ? La plus ancienne tradition était plutôt dans ce sens. Dans la pratique c’était la coutume ou les ordonnances particulières des évêques ou «les synodes qui déterminaient la partie exacte de la défense. En général c'était bien la conclusion même du mariage qui était interdite. 113 TEMPS PROHIBÉ Le concile de Trente vint préciser et limiter la législation concernant le temps prohibé. D'une pprt il spécifia que ce qu'il entendait proscrire à certaines époques, c'était seulement la « solennité des noces », selon l’antique discipline; d’autre part, il réduisit les périodes de temps clos à deux (au lieu de trois, cl même quatre à Home), tout en diminuant leur durée, Λ savoir : du premier dimanche de Pavent jusqu'au jour de l'Épiphanie, et du mercredi des cendres à l'octave de Pâques Inclusivement. Sets, xxiv, De rej. matrim., c. x. Les évêques, qui étaient chargés par le même concile de maintenir la modestie et la décence des mariages célébrés même en dehors du temps clos, pensèrent en grand nombre que le recueillement qui s'impose durant les temps sacrés ou le respect dû au sacrement serait mieux sauvegardé si aucun mariage n'était célébré à certains Jours ou à certaines heures. De là des ordonnances synodales, des prescriptions de con­ ciles particuliers ou enfin d'anciennes coutumes inter­ disant purement et simplement la célébration du ma­ riage à certaines fêtes ou Jours de pénitence, par exem­ ple les jours de Jeûne ou d'abstinence, aux quat re-lemps, le dimanche, et même le samedi, pour ne pas nuire à la sanctification du Jour du Seigneur; ou enfin â cer­ taines heures du Jour, par exemple dans l'après-midi, de nuit ou après le coucher du soleil, afin de mieux sauvegarder le respect dû au sacrement et favoriser l’assistance à la messe de mariage. Certaines régions n'admettaient même pas la proclamation des bans de mariage en temps clos. Gf. Wcrnz, Jus Decretalium, t. iv, n. 184 et 548. Le concile de Trente avait déclaré que ces coutumes et d’autres semblables, en usage dans certains diocèses de France, d'Autriche cl de Bel­ gique, ainsi que d'autres cérémonies traditionnelles (par exemple l'habitude d’étendre un voile blanc sur les deux époux, ou seulement sur la tête de l'épouse) pouvaient être conservées. Sess. xxiv, De re/, mate., c. I. Dans l'Églisc orientale la prohibition de la solen­ nité des noces durant les temps sacrés est également en vigueur. Aux raisons qui ont motivé l'institution du temps clos dans l’Église latine vient s’ajouter ce fait qu’en carême la grande liturgie de la messe ne se célèbre que le samedi et le dimanche. Cf. Benoît XIV, Const. Demendatam, 24 déc. 1743, § 8. L'ancien rituel romain avait indiqué ce qu’il fal­ lait entendre par < solennité des noces » : ...nuptias benedicere, sponsam traducere, nuptialia celebrare con­ vivia, lit. vn, c. i, n. 18. La bénédiction interdite — cl cela sub gravi — n’était pas la bénédiction simple que le rituel prévoit aussitôt après l'échange des consen­ tements, mais la bénédiction « solennelle ■ donnée au cours de la messe de mariage. De même c'est seule­ ment la traductio sponsae ou deductio in domum viri accomplie en grande pompe et avec mai Ifest at ion s bruyantes qui était interdite, mais non une conduite privée, pas plus que le festin sans apparat qui en est la suite naturelle. Sous l’ancien droit, il était entendu que les évêques avaient pouvoir de dispenser des prohibitions concer­ nant le temps de la célébration du mariage, lorsque ces prohibitions avaient pour origine le droit particulier ou une coutume locale. Mais ils ne pouvaient, sans induit apostolique, permettre la bénédiction nuptiale solennelle, ni autoriser des pompes ou réjouissances, en opposition avec la sainteté des temps fériés. Wcrnz, Jus Decretalium, t. iv, n. 549. III. Le droit actuel. — Le canon 1108, confir­ mant la discipline déjà admise antérieurement, dé­ clare que « le mariage peut être célébré en tout temps de l'année ». Il n’y a donc plus, à strictement parler, d'empêchement prohibitif de · temps clos ». Seule la 114 bénédiction nuptiale solennelle ne peut être donnée aux époux « du premier dimanche de Lavent au Jour de Noël inclusivement, et du mercredi des cendres au soir de Pâques ». Il y a donc sur ce point adoucisse­ ment du droit en vigueur depuis le concile de Trente. En outre le Code donne aux Ordinaires des lieux la faculté de permettre celle bénédiction solennelle « pour une juste cause »; une cause grave n'est donc pas requise. La permission accordée par l'Ordlnalre comporte la faculté de dire la messe votive pro sponso et sponsa, mais « en sauvegardant les lois liturgiques ». Les rubriques du missel interdisent cette messe votive les dimanches et fêtes de précepte (même supprimées en France) ainsi qu'aux doubles de 1" cl de 2· classe. Aux termes d'un rcscrit de la S. C. des Rites, en date du 14 Juin 1918, on ne peut la dire non plus durant les octaves de Pâques. Pentecôte, Épiphanie et FêteDieu — ni aux fériés privilégiées (mercredi des cen­ dres et trois premiers jours de la semaine sainte) — ni aux vigiles de Noël, Pentecôte et Épiphanie. Les jours où, même avec permission de l'Ordinairc, on ne peut dire la messe pro sponsis, on insère la bénédiction nup­ tiale à la messe du jour, et on fait mémoire de la messe de mariage sous une conclusion distincte, sauf aux fêtes de Noël, Pâques, Épiphanie, Pentecôte, Trinité et Fête-Dieu, qui n'admettent qu'une seule oraison, donc une seule conclusion. Acta Ap. Sedis, 1918, p. 332. Lorsque l'Ordinairc autorise la bénédiction solen­ nelle des noces durant les temps sacrés, il doit recom­ mander aux époux d’éviter tout excès dans les céré­ monies cl réjouissances, ut a nimia pompa abstineant, can. 1108, § 3. Ne sont donc interdits ni les signes extérieurs d’une Joie modérée, ni le traditionnel repas de noces, ni même le cortège nuptial et la deductio sponsæ in domum mariti, là où l'usage en subsiste, pourvu que ce soit sans manifestations intempestives, telles que danses, musique, sonnerie extraordinaire des cloches, etc... Le droit général permet la célébration du mariage à toute heure du Jour et même de la nuit, donc aussi dans l’après-midi; cependant, comme il convient d'as­ surer aux époux l'assistance à la messe et la bénédic­ tion nuptiale qui se donne au cours de celle-ci, les heures de la matinée sont plus indiquées. Certains sta­ tuts particuliers en font une obligation, interdisant de célébrer, sans permission de l’évêque, le mariage le soir ou dans l'après-midi. Ces dispositions étant pra ter jus peuvent louablement être conservées, même après la publication du Code. On sera plus étonné de voir subsister dans certaines législations diocésaines la défense assez stricte de contracter mariage les diman­ ches et jours de fête, cl même le samedi. Ces lois ou coutumes particulières, quelque vénérables qu’elles soient, semblent bien en opposition avec le droit du Code; et il parait difficile d’alléguer l'impossibilité de leur abrogation · prudente ». Cf. can. 5 et 6, Ie. Capello, De sacramentis, l. m, n. 726; Chrétien, PrælecL de matrimonio, p. 197. Du moins faudra-t-il admettre qu’une cause juste pourra facilement excuser de l'ob­ servation de ces réglementations particulières. Gas­ pard, Tract, canon, de matrim. (éd. 1932), n. 1063. 11 va de sol que l’Ordinairc peut, pour de Justes motifs, interdire la bénédiction nuptiale ou même la célébra­ tion du mariage à certaines heures dans des cas indi­ viduels. On notera enfin que le droit liturgique ne permet pas l’octroi de la bénédiction nuptiale solennelle le vendredi saint, â cause de l’absence de messe ce Jourlà, ni le jour des morts (2 ou 3 novembre) à cause do l’impossibilité de célébrer une messe autre que celle des défunts. Seul un induit pontifical pourrait auto­ riser de donner la bénédiction nuptiale extra missam. 115 TEMPS PROHIBÉ — TENTATION D’après les rubriques du missel, dans les églises parois­ siales où ne se célèbre qu'une messe, il est interdit de dire la messe pro sponsis durant les trois jours des Rogations, si Ton y fait la procession. La plupart des codes civils modernes ne reconnais­ sent pas de « temps clos · qui s’oppose Λ la célébration du mariage devant l’autorité civile. Un grand nombre cependant ont introduit une réglementation analogue par le moyen d'interdictions de contracter mariage, qui pèsent sur certains individus pendant un temps déterminé. C’est le cas, dans certaines nations, des militaires en activité de service, ou de ceux qui n’ont pas encore satisfait aux obligations militaires. La femme séparée ou divorcée est souvent tenue d’atten­ dre un certain temps avant de contracter une nou­ velle union. Il y a aussi pour les veuves « l’année de deuil ·, laquelle est ordinairement de dix mois. A. Bride. TENCIN (Pierre Ouérln de) (1680-1758) naquit à Grenoble d’une famille de magistrats, et son père était président de la Chambre des comptes. 11 com­ mença scs éludes chez les pères de l'Oratoire et il les termina en Sorbonne; en 1700, il accompagna le car­ dinal Le Camus au conclave qui élut Clément XL Re­ venu A Paris, il fut prieur de Sorbonne et docteur en théologie. Il reçut l’abbaye de Vézelay» le 15 avril 1702. Ccttc nomination fut l'occasion d'un procès, au sujet du prieuré de Mcrlou. Tencin fut accusé de simonie et de confidence (Bibl. Nat., fonds Clairambault, 1209, fol. 36-80) et Saint-Simon, dans ses Mémoires. t. xxxvîi, p. 2-10, édit. Bolsllle, l'attaque avec injus­ tice; voir de Coynard, Les Guérin de Tencin, p. 191-199. Tencin devint grand vicaire de Sens, le 15 décembre 1703. En 1721, il accompagna le cardinal de Blssy au conclave qui élut Innocent XIII et, A Rome, il fut chargé des affaires du roi, après le départ du cardinal de Rohan, jusqu'au moment où il fut nommé arche­ vêque d'Embrun, le 9 mal 1724; cependant il ne quitta Rome que le 5 octobre 1724. En 1727, il convoqua le célèbre concile d'Embrun, qui condamna l’évêque de Senez, Soanen; voir J. Carrcyrc, Revue des questions historiques, 1" avril 1929 et tiré A part, Bordeaux, 1929, in-8°. Tencin fut créé cardinal le 15 juillet 1739 et nommé archevêque de Lyon le 25 février 1740. Après la mort de Clément XII (6 février 1740), il assista au long conclave qui se termina par l’élection de Be­ noit XIV, A laquelle Tencin contribua grandement. Il fut de nouveau chargé des affaires du roi, le 20 octo­ bre 1740, jusqu’à 1742. Après la mort du cardinal de Fleury, il devint ministre d'État, le 26 août 1742. Enfin il revint dans son diocèse de Lyon. 11 mourut le 2 mars 1758. Ses relations avec le financier Law. dont il reçut l’abjuration à Melun, le 28 novembre 1719, la fâcheuse réputation de sa sœur, lu trop célèbre Mme de Tencin, son procès pour le prieuré de Merlou, scs luttes contre le jansénisme au concile d’Embrun et ses très nombreux mandements contre le jansénisme lui ont valu des attaques passionnées et souvent Injustes. Les premiers écrits de Tencin se rapportent au con­ cile d’Embrun, 1727-1728. Plusieurs de ses écrits, qui, dit-on, ne sont pas tous sortis de sa plume, sont dirigés contre la Consultation des avocats du Parlement de Paris au sujet du jugement rendu à Embrun contre l'évêque de Senez; d’autres sont adressés A ses diocé­ sains et condamnent les Instructions pastorales de l’évêque de Montpellier, Colbert de Crolssy, avec le­ quel il eut de violentes polémiques. Les plus impor­ tants de ces mandements, dont quelques-uns sont de vrais traités de théologie, sont les mandements du 10 août 1730 contre l’évêque de Montpellier, qui avait pris U défense de l'évêque de Senez; l’instruction pas­ torale du 15 août 1721, «dans laquelle il est prouvé que la constitution l'nigenitus est un jugement dogma­ 11G tique et irréformable de l’Égllse cl une règle de croyance »; le mandement du Itr mal 1732, qui con­ damne la Morale renfermée dans TOraison dominicale; les mandements des 1er septembre et 3 octobre 1732 contre les Mémoires historiques et critiques de Mézeray; les mandements des 10 mal et 5 octobre 1733 contre les faux miracles de Saint-Médard; le mandement du 15 février 1734, qui condamne deux écrits: Mémoire sur les droits du clergé du second ordre et les Lettres ά un ecclésiastique sur la justice chrétienne et les moyens de la conserver et de la réparer; le mandement du 15 oc­ tobre 1735, qui condamne la Consultation sur la juri­ diction et l'approbation nécessaires pour confesser, ren­ fermées en sept questions. Le catalogue de la Biblio­ thèque lyonnaise de Coste, Lyon, 1853, in-8®, cite 45 manuscrits ou instructions pastorales de Tencin. Aux Archives du Ministère des Affaires étrangères, Rome, Correspondance, on trouve de nombreuses let­ tres de Tencin, ordinairement rédigées avec beaucoup d'habileté et sans scrupule sur l'emploi des moyens : t. 628-632 (pour le cardinalat de Dubois); t. 632-652 (pour les affaires du roi de 1721 A 1724); t. 774-777 (pour son chapeau de cardinal, 1739); t. 775-780 (pour le conclave de 1740, qui aboutit à l’élection de Be­ noît XIV); t. 781-790 (pour la dernière mission de Tencin, 1740-1742). Barrai, Dictionnaire historique, littéraire et critique, t. iv, p. 428-430; Ladvocat, Dictionnaire historique et biogra­ phique, t. ni, p. 515; Allard, Bibliothèque du Dauphiné, p. 307-308; Adolphe Rochas, Biographie du Dauphiné, 1.11, p. 433-138; abbé Audouy, Notice historique sur le cardinal de Tencin, in-8·, Lyon, 1882 (ressemble A un pamphlet); Maurice Boutry, Intrigues et missions du cardinal de Tencin, ln-8·, Paris, 1902; Pierre-Maurice Masson, Madame de Ten­ cin, in-12, Paris, 1909; de Coynard, Les Guérin de Tencin, ln-8·, Paris, 1910; Le Drun, Sur le progrès de la fortune de l'abbé de Tencin, devenu archevêque d'Embrun et ensuite cardinal-archevêque de Lyon et primat de France et sur la religieuse Tencin, sa saur, aux Archives des Affaires Étran­ gères, Rome, Mémoires et documents, t. lxxiii A lxxv. J. Carreyre. TENTATION. — Cet article donnera des notions générales sur la doctrine théologique de la tentation, sa nature et ses divisions, et résumera l’en­ seignement de lu théologie morale concernant deux questions plus spéciales : la tentation de Dieu, péché contre la vertu de religion et la tentation source du péché humain et œuvre particulière du démon. Une étude plus complète de la tentation dims la vie spiri­ tuelle se trouverait dans les ouvrages ascétiques; nous nous contenterons d’y renvoyer. L Notions générales. Nature et divisions de la tentation. — 1° D'après l'étymologie du mot, tenter quelqu'un, c'est le soumettre à un examen, A une épreuve, afin de se rendre compte de ses dispositions, de ses qualités, de scs défauts, spécialement de sa va­ leur morale. Tenlare, dit saint Thomas, est experimen­ tum sumere de aliquo ut sciatur aliquid circa ipsum.,.. Sum. theol., Is, q. cxiv, a. 2. Ce qui peut être fait, ajoute-t-il, el verbis et jactis. 11*-II·, q. xcvn, a. 1. La tentation peut du reste être considérée soit dans son rapport avec celui qui procède à l’épreuve, ten­ tation active — on parlera ainsi de tentation exercée sur l'homme par Dieu, par le démon, par d'autres hommes, ou même de celle, A laquelle, d’une certaine manière, l'homme soumet Dieu (tentation de Dieu) — soit Indépendamment de ce rapport, c'est-à-dire en tant que subie ou reçue; la tentation est alors regardée en elle-même, dans l’objet qui la constitue, tentation passive; dans la vie spirituelle, on envisage ainsi la tentation que l'homme doit supporter et surmonter, quelle qu’en soit l'origine. 2° Depuis saint Augustin s’est établie une division générale de la tentation que l’on peut regarder comme 117 TENTATION classique. En plusieurs passages de ses écrits, ce doc­ teur distingue : tentatio probationis et tentatio decep­ tionis vel seductionis; ci. De consensu eu an g., I. II, c. xxx, n. 71, P. L., t. xxxiv, col. 1113; In Hepta­ teuchum, L II, q. lviii, t. xxxîv, col. 616; Epist., ccv, ad Consentium, n. 16, t. xxxm, col. 947-948, etc. Ccttc division concerne la tentation regardée active­ ment; elle repose moins sur la diversité des objets que sur la fin cl l'intention de celui qui l'exerce. 1. La tentation de simple épreuve (tentatio probatio­ nis) n'a pas pour but de nuire au sujet ou de le pous­ ser au mal, mais au contraire de mettre en vue ce qu'il vaut, de le perfectionner en lui permettant d'exercer sa volonté, de manifester ou d'accroître ses qualités et son énergie, de le faire mériter et monter en force et en sainteté. Dieu peut être l’auteur de la tentation ainsi com­ prise; il ne l'envoie pas afin de connaître lui-même ce que vaut celui qu’il est dit tenter, autrement sa science infinie serait en défaut; mais fl veut ainsi manifester les qualités et les vertus de celui qu'il éprouve et le faire progresser. C'est ainsi que doivent être compris les textes de la Bible où Dieu est dit tenter son peuple et ses amis, afin d'apprendre ce qu'ils ont au fond du cœur et ce qu'ils peuvent à son sendee; en particulier, Deut., xiii, 3 : « Jahvé votre Dieu, déclare Moïse aux Hébreux, vous éprouve afin de savoir si vous aimez Jahvé, votre Dieu, de tout votre cœur et de toute votre âme », la Vulgate traduit très clairement dans ce sens : ut palam fiat; Gcn., xxn, 12 : l'ange de Jahvé, c'est-à-dire Dieu lui-même, dit à Abraham : « ...Je sais maintenant que tu crains Dieu cl que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » En ce sens, on peut même regarder tout l'ensemble des maux et des difficultés qui se présentent dans la vie des hommes comme des tentations voulues du maître souverain et entrant dans le plan divin. La vie humaine est, dans sa tota­ lité, une épreuve, une tentation divine. A cette tenta­ tion de simple épreuve se rattache celle que, à l’in­ verse, l'homme peut exercer à l'égard de Dieu; elle sera étudiée plus loin. 2. La tentation de déception ou de séduction (elle est dite encore par certains théologiens : tentatio subver­ sionis) a pour but au contraire de faire commettre le péché, de séduire et d'amener la ruine spirituelle. Elle propose soit un mal sous l'apparence d'un bien, soit un bien relatif ou un objet Indifférent, qui, par leur at­ trait, par le plaisir ou le trouble qu’ils causent, ten­ dent ù amener la volonté â abandonner le devoir. Λ se dérober Λ l'ordre divin. Celte tentation, qui sollicite au péché, est celle qu’on entend le plus souvent en théologie, surtout en théo­ logie spirituelle, par tentation : c'est la tentation pro­ prement dite. Dieu, dont la bonté suprême ne peut vouloir le péché, ne saurait être dit l’auteur réel de la tentation ainsi comprise. Cf. Jnc., ι, 13-14 : « Que nul, lorsqu'il est tenté, ne dise : c'est Dieu qui me tente. Car Dieu ne saurait être tenté de mal et luimême ne tente personne... » Il ne peut que permettre la tentation de ce genre, en ce sens que, nous donnant les secours nécessaires pour en triompher, il tolère que ceux qui veulent la perte de nos âmes nous éprou­ vent ainsi et que, nous-même, nous trouvions en nous des occasions de pécher et des sollicitations au désordre. La sixième demande du Pater, qui se traduit littérale­ ment : « Ne nous induisez pas en tentation », Matth., vi, 13; Luc., xi, 4, ne peut être comprise comme une supplication â ne pas nous solliciter au péché, mais simplement ou comme une demande de ne pas nous laisser succomber à cette sollicitation (et c’est ce que porte la traduction française habituelle), ou de ne pas permettre que nous soyons trop lourdement tentés. Notons, en terminant ces explications sur les deux 118 espèces augustlniennes de tentations, qu'une même tentation peut appartenir & la fois h l'une et n l'autre, soit par suite de deux agents qui y concourent, soit du fait d'un seul et même agent : la tentation la plus fameuse de l'Anclcn Testament, celle de Job, était de la part de Dieu tentation de simple épreuve et de la part du démon tentation de séduction; la tentation de Notrc-Seigneur après Je Jeûne du désert fut chez Satan d'abord une tentation d’épreuve, puisqu'il dési­ rait avant tout savoir ce qu'était au Juste ce saint extraordinaire, mais il cherchait en outre à le faire tomber, s'il était possible, dans le péché. On volt par ce qui vient d'être dit qu'il ne faut pas exagérer la rigueur de cette division : elle est plus utile à résoudre certaines difficultés, surtout bibliques, qu'à distinguer et classifier strictement les tentations. 3° A cette division, qui concerne la tentation consi­ dérée activement, ajoutons celles qui se rapportent plutôt à la tentation entendue passivement et en ellemême : elles sont établies d'après les objets ou ma­ tières des tentations. Ainsi les moralistes les classeront selon les vertus auxquelles elles s’opposent; les au­ teurs ascétiques, dans leurs ouvrages descriptifs ou pratiques, les diviseront d’après les divers moments de la vie spirituelle et les difficultés qu'elles opposent aux progrès de l'âme; les orateurs sacrés retiendront surtout les plus fréquentes dans leur temps, celles contre lesquelles ils croiront utile de mettre spéciale­ ment en garde leurs auditeurs. IL La tentation de Dieu. — Traitant, dans la Somme théologique, des vices opposés par défaut à la vertu de religion, Ib-II·, q. xevu sq., saint Thomas nomme en premier lieu et examine la tentatio Dei. A l’article Reuoion (Vertu de), t. xiîi, col. 2312, ce manque de respect envers Dieu n'étant que sim­ plement indiqué, nous croyons devoir résumer, par mode de complément, la doctrine que présente sur lui la Somme théotogique, en y ajoutant quelques préci­ sions des commentateurs ou des moralistes plus mo­ dernes. 1° Le nom vient de la Bible ; sous ce terme on pré­ sente toute une série de faits, où l’on voit soit le peuple hébreu, soit certains personnages mettre la patience de Dieu â l’épreuve, en manquant à son égard de con­ fiance, de soumission, de sincérité, ou encore recou­ rant avec Irrévérence â sa puissance, et. Num., xtv. 22 ; Deut., ix, 22; xxxm. 8; Judith, vin, 11 ; Ps.. Lxxvin, 18, 41, 56; xcv, 9; evi, 14 ; Is., vn, 12, etc. Devant des faits de ce genre, Moïse recommande aux Hébreux. Deut., vi, 16 (Notre Seigneur usera de ce texte dans la tentation au désert, Matth., iv, 7) : « Vous ne tenterez point Jahvé, notre Dieu, comme vous l’avez tenté ù Massah » (où Ils avaient douté du Seigneur, cf. Ex., xvn, 7). Et les Livres sapientiaux invitent à prier et â agir en se gardant de tenter Dieu. Eccli., xvm, 22: Sap., i, 2. Dans le Nouveau Testament, Ananio et Saphlrc sont dits avoir tenté Dieu par leur dissimulation. Act., v, 9; saint Paul prescrit aux premiers chrétiens de ne point tenter le Christ comme les Hébreux ont tenté Jahvé. I Cor., x, 9. 2° La doctrine de saint Thomas sur la tentation de Dieu, IB-II·, q. xcvn, est présentée en quatre arti­ cles. Dans les deux premiers, on rcchen he respective­ ment ce qu'elle est et ce qui constitue sa malice; les deux autres traitent de questions secondaires : est-ce bien ù la religion que s’oppose la tentation de Dieu? Est-elle péché plus grave que la superstition? Cette doctrine peut être résumée ainsi : 1. La tentation de Dieu est une épreuve que l’homme institue au sujet de quelque perfection de Dieu, de sa connaissance, de sa volonté, de sa puissance. Elle est faite en paroles ou en actes, ouvertement ou par ruse et, surtout, elle est soit expresse, soit interprétative : 119 TENTATION 120 motif, qui est à son origine, en dehors de sa définition dans la tentation expresse, il y a le dessein conscient d’éprouver sa puissance, sa miséricorde, sa sa· ! et si l'on admet qu'une épreuve n’implique pas néces­ gesse, ete,..; la tentation interprétative ne présente pas sairement doute ou ignorance : l'on peut mettre quel­ cette intention formelle; · on y demande une chose qu'un à l'épreuve simplement pour lui faire manifester une qualité que l’on connaît; c'est ainsi que Dieu qui n'a rien d’utile indépendamment de cette épreuve», a. 1, corp.; en elle, nul doute d'aucune perfection, mais éprouve l’homme et que, dans la tentation interpréta­ négligence des moyens humains, présomption et dé­ tive de Dieu, l’homme cherche à lui faire exercer une faut de prudence. A. 3, corp. C'est l'équivalent d’une puissance, dont il ne doute nullement. Les casuîstes d'hier et d'aujourd’hui s'accordent épreuve faite en doutant; ainsi dirait-on qu'on donc en général pour définir, en fermes divers du éprouve un cheval, si on le fait galoper sans aucune utilité. A. 1, corp. ? reste, la tentation de Dieu : < une parole, une prière, un acte par lequel on éprouve si Dieu possède ou 2. Il n'y a pas tentation de Dieu dans le cas des saints qui demandaient à Dieu des miracles : ils le exerce quelqu'une de ses perfections, science, puis­ sance, miséricorde, etc. ». Noldin, De princeplis, faisaient avec quelque utilité ou nécessité, a. I, ad 2um, Ί· éd., n. 171. Ils reconnaissent qu'elle peut naître ou bien ils avaient l'expérience du secours de Dieu, surtout de deux dispositions vicieuses : de l’infidélité, comme sainte Agathe, refusant dans scs tortures les remèdes terrestres. Ibid., ad 3e®. Les prédicateurs de quand il y a doute sur la perfection en question et de l’Évangile, qui abandonnent les secours naturels pour la présomption, si, sans nécessité ou utilité, on de­ mande à Dieu ou on attend de lui un effet extraordi­ s'adonner plus librement à la parole de Dieu, comptent sur lui sans le tenter : ils ont une raison de s'en remet­ naire. Par exemple, au sujet de l’eucharistie, ce sera tre à Dieu. Ibid. Nous ne tenions pas Dieu en cher- I tenter Dieu que de lui demander dans le doute sur la présence réelle, de voir le Christ sous les espèces chant à faire l'épreuve experimentale de sa volonté et sensibles, ou, si l’on croit fermement à cette présence, à goûter sa douceur. A. 2, corp. Le roi Achaz avait tort de réclamer la faveur faite à plusieurs saints, de voir en refusant de demander un signe, parce qu’il y était le divin Enfant dans l’hostie. invité par le prophète en vue du salut de tous. A. 2, 2. Division. — La théologie morale moderne relient ad 3·®. Abraham et tous ceux qui, sous l’impulsion du Saint-Esprit, demandent humblement une manifes­ généralement la division thomiste de tentation ex­ tation de la volonté de Dieu et de son bon plaisir, ne le presse et tentation interprétative; elle leur donne par­ tentent pas. Ibid. fois des noms différents, la première est encore appelée 3. La tentation de Dieu est immorale, avant tout De monog., xn. Le dernier terme de l’évolution est fourni par le De pudicitia, où l'on voit le pouvoir de remettre les péchés conféré, non pas à l’Églisc hiérarchique, c’est-à-dire pratiquement aux évêques, mais à l’Églisc spirituelle. Ecclesia quidem delicta donabit, sed Ecclesia Spiritus per spiritalem hominem non Ecclesia numerus episco­ porum. De pudic., xxi. A ce moment l'Église n'a pour ainsi dire plus de réalité visible : elle réside essentielle­ ment dans l’Esprit-Saint qui est sur la terre le principe de l'union des fidèles,comme il est au ciel le principe de l’union des trois personnes divines : Nam et Ecclesia proprie et principaliter ipse est Spiritus, in quo est Trinitas unius divinitatis. Paler et Filius et Spiritus Sanctus. Illam Ecclesiam congregat quam Dominus in tribus posuit. Atque ita exinde etiam numerus omnis qui in hanc fidem conspiraverint Ecclesia ab auctore et consecratore censetur. De pudic.. xxî. Nous sommes ici bien loin de l’Églisc catholique, telle qu'elle était représentée dans le De proscriptione horeticorum. Mais, en parlant comme il le fait dans le De pudicitia, Tertullien sc borne à exprimer scs idées personnelles, ou au plus celles du petit groupe auquel il s’est rattaché. Dans le De proscriptione, au con­ traire, sa voix faisait écho à celle de toute la catholicité. 2° Les sources de la foi : Écriture et tradition. — L'Église véritable tire sa foi de l'enseignement divin. Cet enseignement, qu’elle doit garder et transmettre avec fidélité, se trouve contenu dans l’Écriturc Sainte et dans la Tradition. 1. L'Écriture. — C’est un bloc, dont toutes les par­ ties doivent être reçues avec un égal respect. Elle comprend deux recueils de pareille autorité : l'Ancien Testament : vetus instrumentum. Adv. Hermog., xx; instrumentum Judaico litteratura, De cullu (emin., i, 3; armarium judaicum, ibid.; et le Nouveau Testament : novum Testamentum, De oral., i; Adv. Marc., v, 4. Ce dernier se divise lui-même en deux parties •.euangelicum instrumentum, Adv. Marc., iv, 2; et apostolica instru­ menta, De resurr. earn., xxxix; evangelicœ et apostoliac littera. De pncscr., xxxvi. A ces deux recueils, l’Église puise la doctrine de vérité : (Jsla Ecclesia) legem et prophetas cum euange­ licis et apostolicis litteris miscet; inde potat fidem. De prescript., xxxvi. Marclon, on le sait, rejetait ΓΛηcicn Testament, où il voyait l'œuvre du Dieu Juste, le Père du mensonge. Tertullien tient à affirmer, contre l’hérésiarque, que les deux Testaments sont l’ouvrage du même Dieu; que, s'ils sc distinguent comme le fruit se distingue de la semence, ils ne sont nullement oppo­ sés l’un à l’autre. Adv. Marc., iv, 11. Le canon de l’Ancien Testament a été reçu des Juifs. Tertullien ne sc pose à son sujet aucune question et U reçoit avec un égal respect les protocanoniques et les deutérocanoniqucs. SI l’on ne trouve pas dans scs œu­ vres d’allusions à Ruth, Esther et Aggée, parmi les premiers, à Toblc et aux fragments d’Esther parmi les seconds, c’cst par hasard et parce que les circonstances ne lui fournissent pas l’occasion de citer ces ouvrages. Quant nu Nouveau Testament, Tertullien défend contre Marc ion le caractère inspiré des quatre évangi­ les dans leur intégrité, les Actes des apôtres, les treize premières épttres de saint Paul. Il cite encore, comme Écritures divines, la première épttre de saint Pierre, la première de saint Jean, l’épllre de saint Judc et P Apocalypse qu'il attribue expressément à saint Jean. Ad Scap., xn ; Ado. Marc., m, 14 ; De (uga, ix. L'épttrc 144 aux Hébreux est mise à un rang Inférieur, parce qu’elle est regardée comme l’œuvre de Barnabé, mais Tertullicn ne fait aucune difficulté pour reconnaître qu’elle est plus généralement reçue que le Pasteur d'Hcrmai De pudic., xx. Parmi les apocryphes, Tertullien cite plusieurs fob Hénoch, bien qli’il n'ignore pas la défaveur de certains fidèles pour ce livre qui ne figure pas dans le canon juif, De cultu femin., i, 3, et 11 le tient personnellement pour inspiré. De même, il pense que la Sibylle a pro­ noncé des oracles du vrai Dieu et qu'il faut lui faire confiance, Ad nation., n, 12; Apol., xix (fragment de Fulda). Dans scs ouvrages catholiques, il parle du Pasteur d'I lermas avec respect et II le cite volontiers, De oral., xvi; mais, une fols devenu montanistc, il le rejette comme apocryphe et fauteur d'adultère. De pudic., x et xx. Il met en garde les fidèles contre les Actes de Pau/, écrits, assure-t-il, de son temps, par un prêtre d'Asie, qui fut pour celte faute, déposé de son office. De bapt., xvn. Le plus souvent, Tertullien emploie, pour l’Ancien Testament, la version des Septante et, pour le Nou­ veau, le grec original, qu'il traduit lui-même en latin. Il va jusqu'à déclarer que tout chrétien doit s'en tenir au texte des Septante, seul capable de décider dans les cas douteux. Apol., xvm. Cependant, il n'ignore pas l'existence de versions latines et il est un des témoins les plus anciens de ces vieilles traductions populaires, que nous ne connais­ sons avant lui, que par les Actes des martyrs scillitains. vrai dire, il ne nous renseigne pas sur elles avec autant de précision que nous le voudrions, car il cite habituellement la Bible d'une manière très libre et le même verset reparaît ici ou là dans scs œuvres avec des variantes très notables. Tandis que, chez saint Cyprlcn, on pense constater une réelle fidélité à suivre une version unique, on a l'impression qu'au temps de Tertullien, l’Églisc d'Afrique devait posséder plusieurs essais de traductions latines, sans donner la préférence à aucun d'entre eux et le rhéteur carthaginois ne se fait pas faute de proposer scs propres interprétations. Quelques critiques ont même pu sc demander si Ter­ tullien témoignait réellement en faveur des traduc­ tions latines : leur scepticisme porte à faux, et quel­ ques unes de ses formules tout au moins sont décisives pour trancher le débat. L'Écriture appartient à l’Églisc. Seule l’Églisc a donc le droit de l’interpréter (l’une manière authen­ tique. Les hérétiques, lorsqu’ils proposent des explica­ tions nouvelles, ne méritent même pas d’être entendus, car ils emploient un livre qui n'est pas à eux. De prtrscr., xu, xiv. On peut cependant formuler les règles d'une bonne exégèse : procéder du connu à l’in­ connu, du certain à l’incertain, expliquer les passages obscurs par l'ensemble des passages clairs, De resur. cam., xxi ; Adv. Prax., xxvi; De pudic., xvn; ne pas s’arrêter aux mots, mais s'efforcer de pénétrer l’esprit, Scorp., vu; rechercher dans le Nouveau Testament le sens exact des passages de l’Anclcn sur lesquels on éprouve des hésitations. Ibid., ix-xn. Toutes ces règles sont très sages. Elles aboutissent à une condamnation de la méthode allégorique, dont Tertullien marque bien les défauts : n’en vient-on pas, sous prétexte d'allégorie, à tourner en symboles tous les enseigne­ ments de l’Écriturc, en particulier ceux qui concernent la résurrection des morts? n'est-on pas amené à cher­ cher une signification figurée aux moindres détails et ne tombe-t-on pas de la sorte dans de vaines subtilités? De resur. earn., xx sq.; De pudic., vin sq. L’exégèse de Tertullien s'efforce donc avant tout d'expliquer l’Écriturc au sens littéral et le plus souvent clic est sagement conduite. Les livres contre Mnrcion en particulier témoignent d’une véritable maîtrise et 145 TERTULLIEN. DOCTRINE, LA TRADITION l'argumentation du rhéteur carthaginois est menée avec une vigueur qui ne laisse place à aucune échappa­ toire. Faut-il ajouter cependant que, dans ses ouvrages montanis! es, Tertullien en vient trop souvent à dé­ tourner l’Écriturc de son vrai sens pour y découvrir scs propres idées? Il refuse ainsi de croire à la bigamie des patriarches, sous prétexte que l’Écriturc ne parle que des femmes de Lantech, sans rien dire de celles de scs descendants avant le déluge : or, ajoute-t-il, les fautes que l’Écriturc ne condamne pas, elle les nie. De monog., iv. Il ne veut pas davantage appliquer au pécheur repentant les paraboles de l'enfant prodigue ou de la brebis perdue et il en restreint l’application au cas de l'infidèle qui se convertit, en déclarant que les para­ boles doivent être interprétées d’après l’enseignement courant, De pudic., vn-ix; mais 11 oublie que luimême a déjà expliqué ces textes dans un sens plus large. 2. La Tradition. — Toutes les vérités enseignées par le Christ et transmises par les apôtres ne sont pas con­ tenues dans l’Écriturc. A côté des Livres Saints, il y a donc lieu de tenir le plus grand compte de la Tradi­ tion. Celle-ci est d’ailleurs très vaste. Lorsque fut soule­ vée, dans les Églises d'Afrique, la question de savoir si les soldats chrétiens avaient ou non le droit de porter la couronne remise à l’occasion du donatioum, Tertul­ lien fut sommé de présenter les textes de l’Écriturc qui justifiaient sa position sévère. Il fit alors observer, à juste titre, que bien des usages consacrés par l’Églisc et regardés comme étant d’institution divine n’étalent pourtant pas explicitement ordonnés par les Livres Inspirés; et il cite comme exemples les rites du bap­ tême, celui de l'eucharistie, les offrandes pour les morts, les fêles des martyrs, la liturgie du dimanche, celle du temps de Pâques le soin qu’on prend de ne pas laisser tomber à terre une goutte du calice eucharistique, le signe de la croix, le voile des femmes. De cor., ni. Pourtant, Tertullien est amené, en d’autres circons­ tances, à reconnaître que l’emploi de l’argument de tradition risque d’être délicat. A propos du voile des vierges, par exemple, dont il prétend fixer les dimen­ sions, on lui oppose la coutume locale. 11 n'en résiste pas moins à un usage invétéré à Carthage et il prend position contre la coutume au nom de la vérité. De nirg. vel,9 i. Sans doute, à ce moment, a-t-il définitive­ ment abandonné l’Églisc. Mais nous savons que saint Cyprion écrira avec force qu’il ne faut pas sc laisser prescrire par la tradition, mais vaincre par la vérité : que reste-t-il alors de la tradition? 3° Les hérésies. Foi et philosophie. — A la fol aposto­ lique, fidèlement conservée dans la tradition des Églises, s'opposent les hérésies. Quelques uns s'en étonnent et s’en scandalisent. Pourtant, l'hérésie a sa raison d’être comme les maladies et la fièvre. Elle est nécessaire pour permettre le discernement des esprits : les forts ne sc laissent pas troubler par elle; les faibles, au contraire, succombent à la tentation. Les hérésies plongent leurs racines dans cette sa­ gesse du siècle que le Christ est venu confondre et c’est à la philosophie qu’elles empruntent le meilleur de leurs arguments. « Valentin, le théologien des éons avait été platonicien; Marcion, l’apôtre du Dieu dé­ bonnaire, stoïcien. L'immortalité de l’âme est niée par les épicuriens; la résurrection corporelle par tous les philosophe^, sans distinction d’écoles. La matière a été divinisée par Zenon; le feu par Héraclitc. Aristote a mis au service de ces faux docteurs la dialectique, ou­ vrière de construction et de destruction, caméléon de langage, forcée dans ses conjectures, dure dans ses raisonnements, féconde en disputes, fâcheuse à ellemême, se reprenant toujours sans arriver à se satis­ faire. De là ces fables et ces généalogies interminables; 146 de là ces questions vaincs que l’apôtre ordonne de fuir. » A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 202-203. 1. Réfutation des hérésies. — Que faut-il faire pour réfuter les hérésies? On pourrait sans doute les exami­ ner l’une après l’autre et montrer ce que chacune d’elles a substitué à la vérité apostolique. Tertullien ne s'est pas refusé à ce devoir. Il a publié un gros ou­ vrage contre Marcion, qui est son chef-d’œuvre dans l’ordre de la controverse et dans lequel il répond à tous les arguments proposés par l’hérésiarque dans ses Anti thèses. Il a écrit contre Hermogène, contre Apelle et ses disciples, contre les Valentiniens, contre Praxéas et les monarchiani s tes patripassiens. Il n’y a pour ainsi dire pas une des hérésies de son temps qu’il ait laissée sans réfutation. | Il y a pourtant un moyen plus rapide à lu fois et plus efficace de venir à bout des hérésies que de les combat­ tre séparément. Nous savons que l’Églisc est en pos­ session de la vérité. Or, la vérité est immuable; rien ne saurait la prescrire. L'erreur au contraire est chan­ geante; elle est aussi tardive dans son origine et cela suffit à la condamner. Puisque les hérétiques sc récla­ ment des Écritures, on peut les renvoyer sans plus, car ils n'ont aucun droit sur les Livres Saints qui sont la propriété exclusive de l’Église catholique. L'Église a revendiqué ces Écritures avant eux, elle les a possé­ dées et interprétées avant eux; elle ne les a jamais abandonnées; bien au contraire, elle n’a pas cessé de les réclamer comme son bien propre. Au temps de Tertullien, ses droits sont aussi forts que jamais, aussi inviolables que jamais. La conclusion à tirer de cet état de fuit est évident : Si hœc ita se habent... constat ratio propositi nostri definientis non esse admittendos hæreticos ad ineundam de Scripturis provocationem quos sine Scripturis probamus ad Scripturas non pertinere... Aica est possessio, olim possideo; habeo origines firmas ab ipsis auctoribus quorum fuit res. Ego sum hares apostolorum. De prascr., xxxvu. Ce fier langage recouvre un argument Juridique bien connu des Romains, l’argument de prescription; et c’est ce qui fait son intérêt. Déjà avant Tertullien, saint Irénée avait mis en relief l’importance de la tra­ dition; mais il n’avait pas su donner à l’argument sa forme rigoureuse. Tertullien, partant du principe que l’accord des Églises apostoliques n’est pas l'eiTct d’un pur hasard, mais l’indice d’une tradition primitive, arrive à conclure qu’en matière de dogme possession vaut titre. L'Église possède les Écritures : cela suffit. Puisque les hérésies lui sont postérieures, elles ne sau­ raient légitimement les réclamer, les expliquer» les mettre à leur service. L’accord des communautés entre elles confirme la preuve : puisque toutes, depuis les temps les plus anciens, possèdent la même foi et Usent les mêmes Écritures, les prétentions des hérétiques se heurtent à un mur inébranlable. Alors même que, dans la pratique, le caractère apostolique d’un usage et l'accord de toutes les Églises peuvent être parfois dif­ ficiles à constater, l’argument est solide. Le mérite de Tertullien est d’avoir trouvé la formule définitive de l’argument : Quod apud multos unum invenitur, non est erratum, sed traditum. De presser., xxvin. 2. Foi et raisonnement. — Dans ces conditions, quel besoin a-t-on de la libre recherche, des spéculations de la philosophie, des arguments de la dialectique? Au cours de sa jeunesse. Tertullien a étudié avec soin les livres de la sagesse humaine et il n’y a pas trouvé le repos pour son intelligence. Devenu chrétien, il se défie du raisonnement auquel les hérétiques se plaisent à recourir : c'est ta foi, dit le Christ, qui t’a sauvé; ta foi et non pas la lecture studieuse des Ecritures. Sans doute, il ne craint pas Λ l’occasion d’utiliser les philosophes. Le traite De anima est tout stoïcien d'al­ lures et d’inspiration. Dans I*Apologétique, ü rappelle 147 TERTULLIEN. DOCTRINE, LA TRINITÉ 148 volontiers que les sages dc la Grèce ont su s'élever au ' consacré d'une manière exclusive à réfuter le dualisme monothéisme cl que la révélation chrétienne leur fait dc l'hérésiarque ct à prouver qu'il ne saurait y avoir écho. Apol., xvn. Il va jusqu’à rapprocher le dogme de deux dieux, distincts l’un de l'autre. l’incarnation des fables païennes qui montrent les Quelle est la nature du Dieu unique? Un texte dieux se manifestant sous des formes humaines. Apol., déconcertant de V Adversus Praxcan, vu, semble faire XXL II s'autorise de ceux qui ont prêché la métempsy­ dc Dieu un être corporel : Quis negabit Deum corpus cose pour exposer le dogme chrétien de la résurrection. esse etsi Deus spiritus est? Spiritus enim corpus sui De rtsur. tamis, passim. Il arrive à parler de l’âme generis in sua effigie. A entendre ce passage au sens naturellement chrétienne ct consacre tout un traité propre, l'esprit n'est pas autre chose qu’un corps d’un au témoignage qu'elle rend spontanément au dogme; genre spécial; et d'autres passages confirment cette cf. Apol., xvn, xxi, xlvi-xlviiî; De spectac., n; De interprétation, en particulier l'affirmation très nette anima, n; De testim. animæ. Il va jusqu'à parler dc du De came Christi, xi : Omne quod est, corpus est Seneca ssepe noster. De anima, xx. sui generis. Nihil est incorporale nisi quod non est. S’il Il ne faut pourtant pas se laisser tromper par ces est vrai que l'incorporel n'existe pas, il suit dc là que déclarations. En réalité, Tertullicn n'aime pas la phi­ Dieu est corporel. Saint Augustin, De lucres., 86, sug­ losophie, dans laquelle il voit la mère dc toutes les gère, il est vrai, une interprétation plus bénigne; il hérésies. < Qu’y a-t-il dc commun, écrit-il, entre le imagine qu'on peut entendre le mot corpus au sens philosophe ct le chrétien? entre le disciple dc la Grèce général de substance; de la sorte, dire que Dieu est ct celui du ciel; entre l'acheteur dc la réputation ct corporel reviendrait à affirmer qu'il a une substance. celui dc la vie, entre l’ami dc l’erreur ct son ennemi; Cette explication a été acceptée par Petau ct par plu­ entre celui qui fausse la vérité et celui qui la recherche sieurs historiens récents. Peut-être ne résout-elle pas pour l'exprimer dans sa vie; entre celui qui la dérobe complètement la difficulté. En réalité, Tertullien a ct celui qui la conserve? » Apol., xlvi. II vaut mieux toujours eu beaucoup de peine à concevoir l'esprit ignorer ce qu’on n'a pas besoin dc connaître. La curio­ pur : il n’hésite pas à faire de l’âme humaine une réa­ sité doit passer après la foi; la gloriole dc l’esprit après lité corporelle, subtile assurément, mais douée de le salut de l’âme. Ne rien savoir contre la règle, c’est forme, de volume, d'étendue. D'autre part, il n'a pas tout savoir. De præscr., xm-xiv. l'esprit d'un véritable métaphysicien et il ne se préoc­ Il faut même aller plus loin, croire d'autant plus cupe pas d'employer des termes rigoureusement précis. qu'on est moins capable dc comprendre : Quid ergo? De là, dans sa pensée de regrettables flottements» si Nonne mirandum et lavacro dilui mortem? Atquin eo bien que, tout en affirmant la simplicité de Dieu, son magis credendum si, quia mirandum est, idcirco non infinité, son absolue perfection, il a trop dc difficultés creditur. Qualia enim decet esse opera divina, nisi super à se le représenter comme spirituel pour s'en dégager omnem admirationem? Nos quoque ipsi miramur, sed totalement. quia credimus. Ceterum incredulitas miratur, non credit. 2. La Trinité des personnes. — Plus importante que De bapt., n. Le baptême est admirable, incroyable : son enseignement sur l'unité de Dieu est la doctrine raison dc plus pour Je croire. Jamais Dieu ne se montre de Tertullicn sur la Trinité. Tertullicn est en effet le si grand que lorsqu'il sc fait petit pour l'homme, ni premier théologien dc langue latine qui ait essayé d’ex­ si bon que lorsqu’il sc fait méchant pour l'homme, ni primer la doctrine traditionnelle en cette matière si un que lorsqu'il sc fait deux ou plusieurs pour difficile. l'homme. Ado, Marc., n, 2. Dès 197, dans ΓApologétique, il donne une première Le dernier mot en ce sens est dit dans le De carne formule dc la foi chrétienne sur le Fils dc Dieu ct ses Christi, v, où l’auteur s’adresse à Mardon : Parce rapports avec le Père : uniae spei totius orbis, qui destruis necessarium dede­ U une ex Doo prolatum didicimus ot prolatione genera­ cus fidei. Quodcumque Dei indignum est, mihi expedit. Salvus sum, si non confundar de Domino meo... Cruci­ tum ct Idcirco Filium Del ct Deum dictum ex unitate subs­ tantias. Nam ct Deus spiritus. Et cum radius ex sole porrigi­ fixus est Dei Filius : non pudet, quia pudendum est. tur, portio ex summa; sed sol erit in radio, quia solis est ra­ Et mortuus est Dei Filius : prorsus credibile esi, quia dius, nec separatur substantia, sed extenditur. Ita do ineptum est. Et sepultus resurrexit : certum est quia spiritu spiritus ct de Deo Deus, ut lumen do lumine accen­ impossible est. Ce n'est pas littéralement le Credo quia sum. Manet integra et indefecta materia» matrix, etsi plures absurdum, autour duquel on a fait tant de bruit, mais Indo traduco'» qualitatis mutueris : ita ot quod do Deo pro­ fectum est, Deus est ct Del Filius, ot unus ambo. Ita et do ç’en est l’équivalent. En devenant chrétien, Tertullicn spiritus ct do Deo Deus modulo alternum numerum dit un définitif adieu à la sagesse dc ce monde. La foi spiritu gradu non statu fecit, ot a mati Ico non recessit sed excessit. qu’il a accordée à l’Église, celle qu’il exige dc tous ses Apol., xxi. frères est une foi totale, absolue, inconditionnée, qui n’a aucun rapport avec les désirs même les plus légi­ Cc passage est d’autant plus intéressant à retenir times en apparence de la raison. qu’au iv· siècle il n été reproduit presque littéralement 4® Dieu. Lu Trinité. — La première des vérités affir­ dans VAltercatio de Germlnius de Sirmium avec Héramées par le symbole de fol est l’existence d’un Dieu I clius comme étant l'expression dc la fol catholique. unique, créateur du ciel et de la terre. Tertullicn ne I De fait, il exprime la parfaite divinité du Fils, dans s’arrête pas longuement à prouver l’existence de Dieu. I l’unité dc la substance divine ct 11 la fait comprendre Le seul argument qui lui soit propre est celui dc l'âme aussi clairement que possible en reprenant la compa­ naturellement chrétienne. D’une manière en quelque raison des flambeaux qui avait été déjà employée sorte spontanée, l'âme rend témoignage à Dieu, vers I par saint Justin et par Taticn. Mais Tertullicn n'insiste lequel elle crie, en cherchant du regard non le Capitole, pas et l’on comprend que, dans un ouvrage destiné mais le ciel où Dieu réside et d’où elle descend elle- I aux magistrats païens, il ne puisse pas s'arrêter lon­ guement sur le plus grand et le plus mystérieux des même. 1. L'unité de Dieu. — Que Dieu soit unique, la chose I dogmes. C'est dans V Adversus Praxcan qu'il expose toute sa nous parait aujourd’hui presque évidente. Tertullicn doit pourtant insister sur cc point, en présence des doctrine. Cet ouvrage, rédigé après 213, semble-t-il. appartient à la période montanistc de sa vie; mais erreur* soutenues par les gnostiques et par les marnous savons déjà qu'en cc qui regarde la Trinité, les donltes. Les traités contre Hcrtnogènc ct contre les Valentiniens, les livres contre Mardon y reviennent montanis tes étalent fidèles à l’enseignement tradifréquemment Tout le I. I contre Mardon est même [ tionnel. Il faut pourtant rappeler que Praxéas était TERTULLIEN. DOCTRINE, LA TRINITÉ un monarchicn, c'est-à-dire un partisan farouche, ex­ clusif, de l’unité de Dieu ct que, d'après Tertullien, le monarchianis me possédait, dans la masse du peuple fidèle, un grand nombre d’adeptes effrayés sans doute par la crainte du polythéisme. En réfutant l’hérétique, Tertullien expose donc ses propres théories, qui, en tant que telles, ne sont pas nécessairement celles de lu grande Église. S'il a raison dc combattre l'erreur monarchienne, il est possible qu’il apporte à la lutte un peu trop de vigueur ct qu'il emploie des formules inégalement heureuses pour exprimer la distinction des personnes. Il n'y a, déclare Tertullicn, qu'un seul Dieu : Unius uulcm substantia* et unius status d unius potestatis, quia unus Deus, ex quo et gradus isti et forma: d species in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti deputantur. Adv. Prax., ii. L'unité divine n’est pas compromise par la trinité des personnes : Non enim desinit esse qui habet Filium ipse unicus, suo scilicet nomine, quotiens sine Filio nominatur, cum principaliter determinatur ut prima persona, quæ ante Filii nomen erat proponenda quia Pater ante cognoscitur et post Patrem Filius nomi­ natur. Itaque unus Deus Pater et absque eo alius non est. Quod ipse in/erens non Filium negat, sed alium Deum; ceterum alius a Patre Filius non est. Adv. Prax., XVH1. D'autre part, la trinité des personnes dans l’unité dc substance est indiquée par l'emploi du terme per­ sona, que Tcitullien introduit dans la théologie ct qui y demeurera comme une acquisition définitive. Il y a donc trois personnes en Dieu : Secunda persona Sermo ipsius ct tertia Spiritus in Sermone. Adv. Prax., xn. Et cette trinité de personnes ne nuit en rien à la monarchie divine, tout en maintenant intacte l’écono­ mie, c'cst-à-dirc la dispensation par laquelle le Père engendre le Fils : Ita trinitas per consertos et connexos gradus a Patre decurrens et monarchia nihil obstrepit et oeconomia* statum protegit. Adv. Prax., vin. Le Père est naturellement le principe des deux au­ tres personnes; et par suite il possède par rapport à elles une certaine supériorité : Pater enim lota subs­ tantia est; Filius vero derivatio totius et portio, sicut ipse profitetur, quia Pater major me est. Adv, Prax., ix. Dicens autem : Spiritus Dei... (Luc., i, 35), non directo Deum nominans, portionem totius intelhgi voluit quic cessura erat in Filii nomen... Quod Deus Dei tanquam substantiva res, non erit ipse Deus, sed hactenus Deus qua ex ipsius Dei substantia, qua ct substantia est et ut portio aliqua totius. Adv. Prax., xxvi. De telles expres­ sions ne laissent pas dc surprendre, car il n’est pas exact de dire que le Fils est une portion dc la substance paternelle et les comparaisons, familières à Tertullien, du soleil et des rayons, de la source et du fleuve, dc la racine et dc la tige, suffisent peut-être à expliquer dans quel sens on peut interpréter le mot « portion ». Il reste que, dans l’ensemble, les formules employées par Tcrtullien ont une saveur subordinalienne et qu’il est par­ fois difficile de leur trouver un sens orthodoxe. Au commencement, Dieu était seul, en ce sens que rien n'existait en dehors dc lui; pourtant, il n’était pas absolument seul, car il avait en lui sa raison que les Grecs appellent λόγος et les Latins sermo : Ante omnia enim Deus erat solus, ipse sibi et mundus et locus d omnia. Solus autem quia nihil aliud extrinsecus prê­ ter illum. Ceterum ne tunc quidem solus : habebat enim secum quam habebat in semel ipso rationem suam. Adv. Prax., x. Il faut d'ailleurs bien entendre cc mot dc sermo cl dc λόγος : la raison est comme le fond cl la substance dc la parole et la parole est la raison en exercice. Nous ne pouvons pas en effet penser sans parler intérieurement notre pensée, ni parler sans exprimer ce que nous pensons. Ainsi Dieu, nécessai­ rement pensant, possédait nécessairement en lui une 150 parole Intérieure qu'il produisait ct qui était, par rap­ port à lui, un second terme. Ibid. Cependant, Dieu n’avait pas encore proféré cette parole, qui lui restait Intérieure. Ce fut seulement lorsqu'il décida de créer l'univers qu’il exprima son Verbe : Ut primum Deus voluit ea quæ cum sophtv ratione et sermone disposuerat intra se, in substantias et species suas edere, ipsum primum protulit Sermonem, habentem in se individuas suas rationem d sophiam, ut per ipsum fierent universa, per quem erant cogitata atque disposita, immo et lacta jam, quantum in Dei sensu. Hoc enim eis deerat, ut coram quoque in suis speciebus atque substantiis cognoscerentur et tenerentur. Adv. Prax., vi. Au Verbe immanent succède ainsi le Verbe proféré ct celui-ci est l’instrument de la création, par laquelle les choses qui existaient déjà dans les desseins de Dieu, sortent en quelque façon de lui et deviennent sensibles. Le Verbe devient alors tout ce que son nom signifie; il est une parole, une voix, un son, au moment où Dieu profère le Fiat lux, qui marque le premier acte de son œuvre créatrice. Cette prolation constitue la naissance parfaite du Verbe, qui jusqu’alors était caché dans le sein du Père, forme (conditus) en lui, porté dans scs entrailles. Désormais il est enfanté ct il apparaît comme Fils : Hæc est nativitas perfecta Sermonis, dum ex Deo procedit : conditus ab eo primum ad cogitatum in nomine sophia: : « Dominus condidit me initium via­ rum. · Dehinc generatus ad effectum : · Cum pararet cælum, aderam illi simul. » Exinde eum parem sibi /aciens, de quo procedendo filius /actus est, primogenitus ut ante omnia genitus, d unigenitus ut solus a Deo geni­ tus : proprie de vulva cordis ipsius, secundum quod Pa­ ter ipse testatur : « Eructavit cor meum sermonem opti­ mum. > Adv. Prax., vit. Avant la création, pourraiton dire, le Verbe n'était pas encore Fils. Il devient Fils par l'oeuvre de la création, lorsqu’il sort du Père. Toutefois cette prolation ne constitue pas un chan­ gement substantiel; elle n'apporte au Verbe qu’une modification dans son état. Quelle est la nature du Verbe ou du Fils ainsi engen­ dre? Les hérétiques, suivant en cela les principes de la logique stoïcienne, n’y volent rien autre chose qu’un vain bruit, qu’un souille d’air, comme dans la parole humaine. Mais ce n’est pas du tout cela. Le Fils est un esprit, comme le Père; il est une personne distincte du Père, par le fait dc sa génération : Quxcumquc ergo substantia Sermonis fuit, illam dico personam et illi nomen Filii vindico, d dum Filium agnosco, secundum a Patre delendo... Omne quod ex origine profertur, pro­ genies est, mullo magis Sermo Dei, qui diam proprie nomen Filii accepit. Adv. Prax., vn-vai. Le Verbe a donc une existence réelle : il est Dieu dc Dieu, lumière de lumière. Apol., xxi. 11 est étemel, puisqu'il a tou­ jours existé en Dieu comme raison immanente, bien qu’il ne soit devenu Fils que par la création et c’est en cc sens qu’il faut entendre un passage difficile de l'Ac/o. Hermogenem, ni : Fuit autem tempus cum et delictum et filius non fuit, quod judicem et qui patrem Dominum jaceret. Dieu, explique ici Tertullien, n’a pas toujours été juge ct père; car il a fallu un délit pour qu’il fût juge ct un fils pour qu’il fût père et cchi n’a pas toujours été. Nous ne concluons pas de là que le Verbe a été créé, ainsi que le diront plus tardies ariens, mais seulement que le Verbe n’a pas toujours été fils. Sur cc point, encore, la pensée de Tertullien est inexacte ct elle devra être modifiée par les réflexions des théologiens ultérieurs. On pourrait s’attendre à cc que Tertullien insistât beaucoup sur le Saint-Esprit. Le Paradet ne Joue-t-il pas un rôle décisif dans la théologie montaniste et les prophètes dc Phrygie n'ont-ils pas eu pour but d’an­ noncer son avènement imminent? De fait, Tertullicn affirme énergiquement que l’Esprit-Saint est Dieu, 151 TERTULLIEN. DOCTRINE, LA CRÉATION Adv. Prax., χιπ, xx. de la substance du Père, id., in, iv; un même Dieu avec le Père et le Fils. Id., π. I! ajoute qu'il procède du Père par le Fils : Spiritum non aliunde puto quam a Patre per Filium. Id., ιν. Il est par suite le troisième terme de la Trinité : Ita connexus Patris in Filio et Filii in Paracleto 1res cflicit cohnrentes alterum ex altero, qui tres unum sint, non unus. Id., xxv. Cependant sa pensée n’est pas toujours claire et il lui arrive de parier de ('Esprit Saint, comme s’il ne le distinguait pas nettement du Elis. La seconde per­ sonne, dit-il, est la parole du Père et la troisième ('Esprit dans la parole, Spiritus in Sermone. Ado. Prax., xn. Ailleurs, id., xxvi, il écrit : Hic Spiritus Dei idem erit Sermo. Sicut enim Joanne dicente : « Sermo caro /actus est », Spiritum quoque intelligimus in men­ tione Sermonis, ita et hic (Lue., i, 35). Sermonem quoque agnoscimus in nomine Spiritus. Nam et spiritus subs­ tantia est sermonis et sermo operatio spiritus, et duo unum sunt. » Un peu plus loin, id., χχνη, il paraît enseigner l’incarnation du Saint-Esprit : De Spiritu sancto virgo concepit et quod concepit, id peperit, id ergo nasci habebat quod erat conceptum et paviendum, id est Spiritus, cu/us et vocabitur nomen Emmanuel, quod est interpretatum nobiscum Deus. Ces formules sont assu­ rément équivoques; elles s’expliquent en partie par le fait que Tertullicn· dans Γ Adversus Praxean, com­ bat les monarchiens < qui, plutôt que de distinguer des personnes dans l'essence divine, les distinguaient en Jésus-Christ, mettant d’un côté le Christ, c'est-à-dire Dieu, le Père, ('Esprit; de l'autre Jésus, c'est-à-dire l’homme, la chair. Pour les réfuter, il importait de montrer la divinité même, l'esprit, se faisant chair. L’apologiste croit découvrir, dans l’évangile même de l’incarnation, ce nom d’esprit appliqué à la personne du Verbe et il s’en empare, sans se préoccuper des complications inextricables introduites par ce langage dans la théologie de la troisième personne. » A. d’Alès, op. cit., p. 98. Ces remarques sont exactes, mais elles n’empêchent pas l’équivoque de subsister. Nous pouvons maintenant mettre en relief ce que la théologie de la Trinité doit à Tertullicn. Celui-ci in­ siste, comme il convient, sur l'unité de Dieu, mais il ajoute aussitôt que cette unité n'empêche pas une cer­ taine économie; et, par ce mot qui lui est cher, il indi­ que une dispensation, une communication de l'unité qui en fait découler une trlnité. L’économie ne divise pas l'unité; elle la distribue seulement en trois per­ sonnes, numériquement distinctes entre elles : Duos quidem de/inimus Patrem et Filium, et jam tres cum Spiritu Sancto secundum rationem aconomüe quæ /acit numerum. Adv. Prax., xm. Ces trois personnes sont également Dieu : Et Pater Deus et Filius Deus et Spiri­ tus sanctus Deus et Deus unusquisque. Id. Elles ne sont pas unus, mais unum, parce qu'il y a entre elles unité de 'ubstance et non unité numérique : Ego et Pater unum sumus ad substantia* unitatem, non ad numeri sin­ gularitatem. Id., xxv. Toutes ces formules, et il est facile d’en trouver beaucoup d'autres semblables dans ΓAdversus Praxean, sont définitives. En dépit de ses lacunes, Tertullicn a donc réalisé, dans la théologie de la Trinité, un progrès sensible; il a touché au consubs­ tantiel et 11 a trouvé la formule : Tres persona, una substantia, qui restera toujours celle de l’Église latine. 5· La création, les anges, les hommes. — Dieu est créateur du ciel et de la terre. Tertullicn a dû défendre ce dogme contre les hérétiques, Hermogène et Mardon. Hcnnogène prétendait que la matière est éter­ nelle comme Dieu et qu'elle est la source du mal. Tertulhen lui répond que l’éternité est un attribut de Dieu et que proclamer la matière éternelle revient à la diviniser» Plus subtile était la thèse de Marcio n : il admettait bien la création, mais il l’attribuait au Dieu juste de l’Andcn Testament et il ne voulait pas y 152 reconnaître l'œuvre du Dieu bon. Tertullicn lui oppose que le monde est bon et qu'ainsl il n'a rien d’indigne i du Dieu bon. Par ailleurs, il affirme que Dieu seul est I véritablement créateur, De resurr. earn., xi, bien qu’il • semble admettre que les anges qui ont apparu aux hommes se sont fait ex nu Ila materia le corps sous Ιο­ ί quel on les a vus. De carne Christi, vi. Ce dernier pas· i sage est d'ailleurs des plus embrouillés et il n’y a pas lieu d’y insister. Les créatures les plus élevées sont les anges : les philosophes eux-mêmes, comme Socrate et Platon, ont admis leur existence· Apol., xxn, xlvi; De anima, i, 36. La conscience populaire, les religions païennes plaident en faveur des démons ou des génies. Apol., xxxn. Les affirmations de ('Ancien et du Nouveau Testament sont d'ailleurs pour les chrétiens des argu­ ments décisifs. Les anges sont des esprits matériels, issus du souille de Dieu, Adv. Marc., n, 8; m, 9, pos­ sédant un corps subtil, igné, qui se déplacent avec une prodigieuse rapidité : ils exercent sur les hommes une action protectrice et veillent spécialement sur les petits enfants. Apol., xxn; De anima, xxxvn, Sou­ vent, ils sont apparus aux hommes sous une forme humaine, au moyen de corps qu'ils se sont donnés pour la circonstance. Adv. Marc., ni, 9; De carne Christi, IU, VI. Tous les anges ne sont pas restés fidèles à Dieu. Il semble que le premier péché du diable fut un péché d'orgueil et de jalousie à l'égard de l’homme. De patient., v. Cependant, Tertullicn s'arrête plus volon­ tiers sur le passage de la Genèse (vr, 1. 2) qui raconte l'union des fils de Dieu avec les filles des hommes et il en conclut que les mauvais anges ont commis une faute charnelle, ce qui les a fait déchoir de leur dignité. Les descendants de ces unions sont les démons, encore plus mauvais que les anges déchus. Apol., xxn; De cultu /em., x. Diables et démons emploient toutes leurs activités à séduire l’homme, à l'entraîner au mal, à le perdre. De anima, xx; Apol., xxm, xxvn. Pourtant leur pouvoir est borné et ils sont vaincus par les exorcismes chrétiens. Apol., xxm, xxvn; Ad Scap., n, iv; De cor., xi. Après les anges, les hommes. L’homme est composé d’un corps et d’une âme qui lui est intimement unie : Vocabulum homo consertarum substantiarum duarum quodam modo fibula est, sub quo vocabulo non possunt esse nisi cohérentes. De resur. earn., xl. L’âme ellemême peut être définie de la sorte : Definimus animam Dei /latu natam, immortalem, corporalem, effigiatam, substantiam simplicem, de suo sapientem, varie proceden­ tem, liberam arbitrii, accidentiis obnoxiam, per ingenia mutabilem, rationalem, dominatricem, divinatricem, ex una redundantem. De anima, xxn. Et cette définition résume toute la doctrine que Tertullicn a exposée dans son traité Sur Pâme. L’Ame est donc de nature corporelle : sans doute est-elle un corps à part, plus subtil que les autres; mais elle possède toutes les qualités des corps; elle a, comme eux, une disposition (habitus), une limite (terminus), trois dimensions et même une figure dis­ tincte et une couleur, d’ailleurs très pâle et comme aérienne. Sur ce dernier point, Tertullicn se réfère aux révélations d'une voyante montanlstc, qui a aperçu un jour une Ame humaine. Sur les autres, il se contente de recourir à l’autorité des stoïciens, en particulier à celle du médecin Soranus et de réfuter de son mieux les thèses spiritualistes de Platon. Bien que matérielle, l’âme est simple cl Indivisible. Elle est aussi unique et il n’y a pas lieu de distinguer, comme le veulent quelques philosophes, entre animus le principe actif, siège de l’énergie psychique, et anima principe vital passif. Elle est enfin immortelle et la , mort, bien loin de marquer le moment de sa déchéance 153 TE BT ULLI EN. DOCTRINE, L’INCARNATION lui apporte au contraire la délivrance de tous les maux auxquels elle était assujettie par le fait de son union avec le corps. Sur le problème de l’origine de l'âme, Tertullicn pro­ fesse un traducianlsrnc grossier. Rejetant également la préexistence des âmes et In métempsycose, il croit que toutes les âmes sont conçues en mémo temps que les corps : l’acte générateur est un tout indivisible par lequel l’homme entier est produit. De anima, xxvn. Ainsi toutes les âmes étaient en quelque sorte conte­ nues en Adam, de qui elles viennent. La liberté est une des facultés essentielles de l’âme. Tertullicn en affirme très énergiquement l’existence et il pense trouver dans l'exercice de cette liberté l’ex­ plication du mal moral et du péché. Ado. Mare,, n. 5-7. La liberté cependant n’est pas seule responsable de nos fautes personnelles. Il faut encore tcnircomptc de la déchéance dans laquelle la faute d'Adam a en­ traîné l’humanité entière. A la suite de cette faute, la race humaine se trouve condamnée ù la mort et aussi à de nouvelles fautes et «A leur châtiment : Homo dam­ natur in mortem ob uni us arbusculœ delibationem et exinde proficiunt delicta cum panis et pereunt jam om­ nes qui paradisi nullum cespitem norunt, Adv. Mare., i, 22. Portavimus enim imaginem choici per collegium transgressionis, per consortium mortis, per exilium paradisi. De resur. carnis, xux. La faute originelle a Introduit dans l'humanité, dans toutes les âmes par conséquent, une souillure, une tare : Ita omnis anima eousque in Adam censetur, donec in Christo recenseatur, tamdiu immunda quamdiu recenseatur. De anima, xl. C’est notre naissance et notre descendance d’Adam qui nous rendent héritiers de la perversion et du châtiment : Per quem (Satanam) homo a primordio circumventus ut pncceptum Dei exce­ deret et propterea in mortem datus, exinde totum genus de suo semine injectum, suit etiam damnationis tradu­ cem jecit. De test, an., ni. Tous les hommes, sans exception, sont ainsi souillés; et le traducianisrne de Tertullicn explique parfaite­ ment comment les âmes des enfants peuvent recevoir de leurs parents la tare qui les fait fils du diable. Si les enfants nés d’un père et d’une mère chrétiennes possèdent une sorte de sainteté Initiale qui les rend candidats au baptême, ils n’en sont pas pour autant exempts de la faute originelle. De anima, xxxix. On le voit, Tertullicn ne songe pas encore ù montrer que la faute originelle consiste surtout dans la priva­ tion de la grâce, dans la déchéance de l'état surnaturel auquel avait été élevé le premier homme. Il se contente de retenir l’attention sur les conséquences concrètes de la faute d’Adam, qui a incliné l’humanité vers le mal et l'a rendue sujette aux maladies et ù la mort. Si grand que soit l’empire de la concupiscence, celleci ne détruit pourtant pas la liberté. Tertullicn a vigoureusement défendu l'existence du libre arbitre contre Mardon et contre Hermogène : l’homme, ne ccssc-t-ll pas de répéter, est responsable de ses actes. Adv. Marc., π, 9-10. Dieu l’a créé â son image et il ne saurait perdre sa liberté sans perdre aussi quelque élé­ ment essentiel de cette image divine qu’il porte en lui. Comment d'ailleurs pourrait-on attribuer ù Dieu le mal cju’il fait? Cependant, l’homme a besoin de la grâce pour faire le bien : c’est Dieu qui attire les pécheurs ù la péni­ tence; mais les secours qu’il accorde à l’humble prière, il les refuse à l’orgueil cl Tertullicn décrit éloquemment la lutte de l’âme entrée dans la vole de la pénitence, mais encore sollicitée par l’attrait des plaisirs qu'elle vient de quitter. De pirnit., vi. Qui sera victorieux dans ce combat? Dieu n’a pas coutume de violenter le libre arbitre, De monog,, xiv, encore qu’il l’incline vers le bien : ceux qui profitent de ses grâces en obtiennent 150 de plus grandes encore, et ceux qui les méprisent per­ dent tout droit â son assistance. De pænit., vi. Ainsi pouvons-nous mériter personnellement notre félicité et satisfaire pour nos fautes. < Cette théorie du mérite et de la satisfaction, mise en relief surtout par Tertullien, est peut-être, dans toute son œuvre, celle où sc trahit le plus son esprit de ju­ riste. Il a créé pour elle une terminologie qui a sub­ sisté et qui reste caractéristique de la théologie latine... Si nous agissons bien, nous méritons auprès de Dieu, nous méritons Dieu : Omnes salutis in promerendo Deum petitores. De psrnit., vi. Quomodo multæ mansiones apud Patrem, si non pro varietate meritorum? Scorp., vi. Dieu devient notre débiteur. De pornit,, π. La récompense est un prix. Scorp., vi. Au contraire, par le péché, nous offensons Dieu et nous devenons scs débiteurs, mais nous devons et nous pouvons lui satisfaire. De ptenil,, vu... Inutile d'insister sur le caractère propre de ces expressions; elles sont bien représentatives du génie positif latin. » J. Tixeront, La théologie anténi· tienne, 9* édit., Paris, 1924, p. 409-410. G® Le Christ. Incarnation et rédemption. — Au temps où paraît Tertullicn, la doctrine traditionnelle sur le Christ est combattue par des adversaires nombreux et tenaces. Les adoptianistes nient résolument la divinité du Sauveur. Ils en font un homme comme les autres, rempli seulement de grâces plus abondantes et adopté en quelque sorte par Dieu à cause de sa sainteté. Les monarchiens, qui identifient le Père et le Fils, quitte à les distinguer comme des aspects divers ou des noms différents de l’unique divinité, prétendent que Dieu s'est incarné en Jésus, que ic Père a souffert lors de la passion. Les docètes de tout genre nient la réalité du corps du Christ ou en altèrent la nature. Pour Mardon, le corps du Christ n'est qu’une apparence : il se mani­ feste subitement la quinzième année de Tibère; il dis­ paraît tout aussi subitement, sans laisser de traces au moment de la passion. Selon Apelle, le Christ a un corps astral; selon Valentin, un corps psychique et spirituel. Ces rêveries ne sont pas les seules. Certains gnostiques n’admettent entre les deux éléments, humain et divin, dans le Christ qu’une union factice et transitoire. D’autres, semble-t-il, voient dans l'incar­ nation une transformation du Verbe en la chair ou une fusion en une seule des deux natures unies. Tertullicn a donc affaire à forte partie pour rétablir ou pour maintenir la vérité. Il le fait avec ardeur, et, le plus souvent avec succès. Il a trouvé, pour parler du Christ, des formules heureuses, qui deviendront défi­ nitives dans la théologie latine. Tout d’abord. Tertullien affirme la réalité du corps du Christ. Ce corps a été conçu et est né comme le nôtre; il est, comme le nôtre, composé de chair et d’os. De carne Christi, 1, v, ix. Et qu’on ne croie pas qu’il s'agisse lâ d’un détail : nier la réalité du corps du Christ, c’est nier les soufïrances et la mort du Sauveur; c'est porter atteinte â toute l’économie de la rédemption. Il est vrai que les hérétiques multiplient ici les objec­ tions : l’incarnation est indigue de Dieu; les anges, lorsqu’ils apparaissent aux hommes, prennent des corps sidéraux. Tertullien répond que les anges ne viennent pas pour mourir et que, leur message ac­ compli, ils disparaissent aussitôt. Le Christ, au con­ traire, est venu pour donner sa vie afin de racheter les hommes : il devait naître dans un corps mortel, puis­ qu’il devait mourir. De carne Christi, vi. Il est donc né de la substance même de la Vierge, ex ea, et non pas, comme le prétendent les Valentiniens, per earn, en passant par elle comme par un canal. Tertullien insiste sur ce point et ne craint pas d’entrer dans des détails d’un réalisme très cru pour démontrer la vérité de cette naissance corporelle. 11 va jusqu’à affirmer que Marie a perdu su virginité en mettant au monde l’enfant 155 TERTULLIEN. DOCTRINE, LES SACREMENTS Jésus et il prétend appuyer son affirmation sur les textes des prophéties. De carne Christi, xxin. Il excède manifestement sur ce point et son propos de sauvegar­ der la vérité de l’incarnation lui fait perdre toute mesure. Homme, le Christ a connu toutes les faiblesses de l'humanité, sauf le péché. Il a été laid. Il a souffert de la faim, de la soif; il a pleuré; il a frissonné devant la mort. Il a répandu son sang. Cependant, tout homme qu’il est, il est Dieu en même temps. Sur ce point, Tcrtullien ne se contente pas de répéter les affirma­ tions traditionnelles. Il s’efforce encore d'éclaircir le mystère. Tout d’abord, dit-il, le Verbe n'est pas changé en l’homme ni en la chair; en s'incarnant, il reste ce qu’il était; il a seulement pris l’homme, sus­ cepi/ hominem; Il a pris la chair, assumpsit carnem; il a revêtu la substance de l’homme, substantiam hominis induit. Ces expressions reviennent Λ chaque instant sous sa plume et il s’explique clairement à ce sujet dans V Adversus Praxean, xxvn : Igitur Sermo in carne, dum et de hoc quœrendum quomodo Sermo caro sit /ac­ tus, utrumne quasi transfiguratus in carne an indutus carnem? Immo indutus. Ceterum Deum immutabilem et in/ormabilem credi necesse est, ut æternum. Transfi­ guratio autem interemptio est pristini. Omne enim quodcumque transfiguratur in aliud, desinit esse quod /ucrat et incipit esse quod non erat. Deus autem neque desinit esse, neque aliud potest esse. Sermo autem Deus. Ii n’est donc pas permis de parler d’une transformation, ou d’un changement de Dieu en l’homme. Dieu reste ce qu'il est et l’homme reste ce qu’il est. Ce n'est pas l’homme, en Jésus, qui est le Fils de Dieu, comme le prétendent certains modnlistes. Et si l’on attribue au Christ total le titre de Dieu, la filiation divine est, en quelque sorte, prêtée à l’homme qui l'a empruntée. Adv. Prax., xxiv. Par où II faut entendre non pas que Jésus est seulement le Fils adoptif de Dieu, mais qu’il est son Fils en vertu de l’union. L’humanité et la divinité dans le Christ ont leurs opérations distinctes : Tcrtullien énonce déjà la doc­ trine que reprendra saint Léon le Grand : Sed quia substantia? ambæ in statu suo quæque distincte agitant, ideo illis et operæ et exitus sui occurrerunt. Adu. Prax., xxvn. Qme proprietas conditionum divinæ et huma­ nt aqua utique natura utriusque veritate dispuncta est, eadem fide et spiritus et carnis. Virtutes spiritum Dei, passiones carnem hominis probaverunt. De carne Christi, v. Faut-il alors employer le mot de mélange pour caractériser l’union? Tcrtullien utilise parfois cette expression : miscente in semetipso hominem et Deum, Adv. Marc., n, 27; mais ce qu'il dit par ailleurs de la permanence des opérations propres à chaque nature montre bien qu'elle ne traduit pas sa pensée définitive. En réalité, il y a entre Dieu et l’homme dans le Christ une union d’un genre spécial, unique, telle qu’on peut attribuer à Dieu les souffrances de l’homme et à l’homme les grandeurs de Dieu : Deus pusillus inven­ tus est ut homo maximus fieret. Qui talem Deum dedi­ gnaris, nescio an ex fide credas Deum crucifixum. Adv. Mare., ii, 27. Nasci se Deus in utero patitur matris. De pat.. in. Finalement, Il faut dire, et c'est aussi l’expression à laquelle t'arrêtera la théologie catholique, qu’il y a en Jésus-Christ une personne et deux natures ou subs­ tances : Sic et Apostolus de utraque e/us (Christi) nu bstant ta docet : « Qui Iactus est, inquit, ex semine David »,hic erit homo et filius hominis qui definitus est Filius Det secundum spiritum. Hic erit Deus et Sermo Dei Filius. Videmus duplicem statum, non confusum sed conjunctum in una persona, Deum et hominem Jetum. Adv. Prax., xxvn. Pourquoi le Fils de Dieu s’est-il Incarné? Pourquoi 156 a-t-il souffert les humiliations et la croix? Pourquoi est-il mort? Sans aucun doute, pour nous racheter. Tcrtullien dit en propres termes que nous n'aurions pas pu être sauvés sans sa mort et sa résurrection : Nec mors nostra dissolvi posset nisi Domini passione, ncc vita restitui nisi resurrectione ipsius. De bapt., xt. Mais il insiste rarement sur ce point et cela tient sam doute h ce qu’il n'a pa% trouvé Ici d'adversaires à com­ battre. Il prouve longuement contre Marcion que le Christ n accompli toutes les prophéties de l'Andcn Testament, que sa mission n’a pas eu le caractère d'une révolution violente, mais qu'elle a mis le sceau aux révélations de Dieu, qu'il n’est pas venu pour détruire la loi mais pour l'accomplir. Il déclare encore que le Christ est l'Emmanuel, l'illumlnatcur des na­ tions, le conquérant des âmes, le prêtre universel du Père, Christum Jesum, catholicum patris sacerdotem, Adu. Marc., iv, 9; le pontife authentique de Dieu le Père, authenticus ponti/ex Dei Patris, id., ιν, 35; le médiateur entre l’humanité et Dieu, Sequester Dei at­ que hominum, De resur., li; le nouvel .Adam, le prin­ cipe en qui Dieu récapitule toutes choses. Ce sont là des mots jetés en passant et sur lesquels il ne s'arrête pas. On a pu s'étonner que Tertulllcn, après avoir si nettement parlé de la satisfaction que le pécheur doit à la justice de Dieu, n’ait pas songé à mettre cette idée en valeur â propos de la mort de Jésus-Christ. J. Tixeront, op. cil., p. 117. Nulle part, en effet, il n’a fait ce rapprochement. Sa théologie de la rédemption est manifestement incomplète, et nous devons nous borner à le constater. 7° Les sacrements. — 1. Idée générale. — Il ne faut évidemment pas chercher dans les œuvres de Tertullien les éléments d'un traité des sacrements en général. Le terme même de sacramentum qu’il emploie très souvent revêt chez lui de multiples acceptions : il signifie naturellement d'abord serment militaire ou consécration; puis règle de foi ou de vie religieuse; puis mystère ou symbole; et c'est de là qu’est venue la signification de sacrement au sens technique, car le sacrement est essentiellement un signe mystérieux. Le baptême, De bapt., i; l’eucharistie, Adu. Marc., IV, 34; v, 8; le mariage, Adu. Marc., v, 18; De anima, xi, reçoivent de Tcrtullien le nom de sacrements, non encore d’une façon exclusive, mais d’une manière générale. 11 faut pourtant relever l’emploi de ce terme destiné ù une si haute fortune. De même, il est Important de souligner que Tcrtullicn met admirablement en relief les effets Invisibles produits dans l’âme par le signe sensible. Le corps et l'âme, explique-t-il, sont Indissolublement unis l’un ù l’autre; Ils ne peuvent pas vivre l’un sans l'autre, et c’est par le corps que le signe atteint l’âme pour la sanctifier : Caro salutis est cardo. De qua cum anima Deo allegitur, ipsa est qua? efficit ut anima allegi possit. Scilicet caro abluitur ut anirna emaculetur; caro ungitur ut anima consecretur; caro signatur ut et anima munia­ tur; caro manus impositione adumbratur ut et anima Spiritu illuminetur; caro corpore et sanguine Christi vescitur, ut et anima de Deo saginetur. De resue. carnis, VIII. Toutes les expressions ne sont d’ailleurs pas Irrépro­ chables dans ce texte, car Tcrtullien attache une im­ portance exclusive à l'élément matériel du sacrement. Il semblerait, à le lire, que l'eau du baptême, l’huile de la consécration suffisent à elles seules pour produire la grâce, Indépendamment des paroles qui doivent en accompagner l'administration. Lorsqu'il parle du baptême, il va jusqu'à laisser entendre que l'eau, bénite par le prêtre, reçoit une consécration spéciale qui la rend propre désormais à effacer les péchés · elle devient ainsi capable, quand on y plongera le baptisé 157 TERTULLIEN. DOCTRINE, L’EUCHARISTIE en invoquant la sainte Trinité, de le transformer en un homme nouveau : Omnes aqua de pristina origine prærogatlva sacramentum sanctificationis consequuntur, invocato Deo. Supervenit enim statirn Spiritus de cadis et aquis superest sanctificans eas de semetipso et ita sancti ficaltr vim sanctificandi combibunt... Igitur medicatis quodammodo aquis per angeli interventum, et Spiritus in aquis corporaliter diluitur et caro in eisdem spiritaliter mundatur. De bapt., iv. Ces formules de­ meurent imparfaites; elles s’expliquent en particulier chez Tcrtullien parla doctrine de la corporéilé de l'âme. 2. Baptême et confirmation. — Le sacrement par le­ quel on entre dans l'Égllse est le baptême : à l'exem­ ple de Jésus-Christ, I Ιχθύς divin, nous naissons dans l'eau et nous ne pouvons pas être sauvés autrement qu’en demeurant dans l'eau. De bapt., i. Le baptême est nécessaire pour être sauvé; il ne peut être suppléé que par le baptême de sang qui, de plus, peut rendre l'innocence première aux baptisés qui l'ont perdue. De bapt., xvi. L'Église admet au baptême les tout petits enfants. Tcrtullien connaît cette pratique, qui témoigne de la croyance à la faute originelle et Λ la nécessité de sa purification; mais il est loin de l’ap­ prouver. Il n’est pas, à propos, dit-il, de précipiter le baptême pour les enfants et d'engager téméraire­ ment des parrains qui peuvent mourir ou se trouver impuissants devant le vice. Mieux vaut attendre que les enfants aient grandi et qu’ils sachent apprécier l'importance de leurs engagements, voire qu’ils aient passé l’âge difficile des passions et qu’ils soient ou mariés ou sérieusement engagés dans la pratique de la continence. De bapt., xvm. Le baptême ne peut être donné qu’une seule fols; de ΙΛ son importance. Toutefois, le baptême des héré­ tiques n’est pas le véritable baptême, puisque, étran­ gers Λ la communion de l'Égllse, les hérétiques sont sans Dieu et sans Christ dans le monde. Aussi faut-il réitérer le baptême reçu dans l’hérésie. De pudic., xix. Le ministre ordinaire du baptême est l'évêque. A son défaut, les prêtres et les diacres délégués par lui, et en cas de nécessité, les laïques peuvent et doivent baptiser. Les femmes par contre se garderont bien d'usurper un ministère qui ne leur appartient pas. De bapt., xvîi. Le jour le plus convenable pour baptiser est celui de la solennité pascale. De bapt., xix; les jours suivants Jusqu'à la Pentecôte sont également Indiqués pour cela. D'ailleurs, n'importe quel jour, n’importe quelle heure peut convenir : la solennité diffère, non la grâce. 11 faut se préparer au baptême par une sérieuse pénitence, par la prière, par le jeûne, les agenouille­ ments, les veilles, la confession de tous ses péchés. De bapt., xx. La pénitence paraît même si Indispensable Λ Tcrtullien qu'il semble dire, De panii., v», que, sans eHc, le baptême serait vain : Lavacrum illud obsignatio est fidei, qua fides a panitentia fide incipitur et com­ mendatur. Non ideo abluimur ul delinquere desinamus, sed quia desiimus, quoniam /am corde loti sumus. Hac enim prima audientis intinctio est, metus integer. A prendre ces formules à la lettre la pénitence serait la véritable cause de la rémission des péchés, tandis qu elle n’en est que la condition pour l’adulte et qu'elle n'est manifestement pas nécessaire pour l'enfant. D’ailleurs, Tcrtullien lui-même reconnaît que la prépa­ ration sans générosité ne compromet pas la validité du sacrement et la purification de l’âme, ibid., mais il redoute qu’elle n’offre aucune garantie pour l'avenir. Ici, comme souvent ailleurs, il est victime de la rhéto­ rique qu’il déploie pour convaincre ses lecteurs et les formules qu’il emploie manquent de précision, voire parfois de cohérence. La liturgie baptismale comporte une renonciation solennelle au diable, à sa pompe et â ses anges, une 158 profession de foi à la sainte Trinité et une triple Immersion. Ces cérémonies sont suivies de la présen­ tation et de la dégustation d'un mélange de lait et de miel. De cor., ni. Le baptême est suivi d'une onction. De bapt., vu, qui rappelle les onctions de l’ancienne Loi et le nom même du Christ. Ccttc onction est une cérémonie com­ plémentaire du baptême; elle signifie que le néophyte est devenu comme un autre Christ. C’est seulement après l'onction qu'est administré le sacrement de confirmation : cclle-d comporte essen­ tiellement le rite de l’imposition des mains qui fait descendre le Saint-Esprit dans l'âme du nouveau bap­ tisé : Deinde manus imponitur, per benedictionem advo­ cans et invitans Spiritum Sanctum. De bapt., vin. L'im­ position des mains est accompagnée d'un signe de croix fait sur le front du néophyte. De resur. earn., vin. Tertullien explique que, comme le jeu des doigts fait circuler l’air dans les orgues hydrauliques, ainsi Dieu, par la main de l’évêque, remplit de son Esprit cet orgue vivant qu'est l'homme. De bapt., vin. 3. //eucharistie. — L’initiation chrétienne s'achève par la réception de l'eucharistie. Quelle est la pensée de Tertullien sur ce sujet? On rencontre parfois dans ses écrits des expressions obscures. Il écrit, par exemple, que, par le pain, le Christ représente son corps : panem quo ipsum corpus suum représentai. Ado. Marc., î, 14. Le mot repræsentare signifie ici rendre présent, comme l’a bien montré A. d’Alès, op. cit., p. 356-360, et non pas figurer ou symboliser. Il écrit encore, en expliquant Jérémie, xi, 19 : Venite, mittamus lignum in panem ejus, utique in corpus, ccs paroles qui, au premier abord rendent un son étrange : Sic enim Deus in evangelio quoque vestro revelavit panem corpus suum appellans, ut et hinc jam eum intellegas corporis sui figu­ ram pani dedisse, cujus retro corpus in panem prophetes figuravit, ipso Domino hoc sacramentum postea inter­ pretaturo. Adv. Mare., in, 19. Il ne faudrait pas, en traduisant ce texte, entendre le terme figura comme s’il excluait la réalité : argumentant contre Marcion. qui abusait du passage classique de saint Paul. Phil., ii, 6, 7, pour nier la réalité du corps du Christ, Tertullien affirme que saint Paul entend bien enseigner que le Sauveur était un homme véritable, car, dit-il, il ne serait pas permis de parler de similitudo, d'effigies, de figura, s’il n’y avait pas une réalité correspondante ù la ressemblance, au portrait, à la figure. Adv. Marc., v, 20. A propos de l’eucharistie, on a le droit, semblet-il, d'employer le même raisonnement. Cependant, on peut bien reconnaître que le mot figura reste équivoque. En un autre passage, Adv. Λ/arc., îv, 40, Tertullien écrit : Acceptum panem et distributum d he I pul Is corpus suum ilium fecit, hoc est corpus meum dicendo. Id est tigurn corporis met. Figura autem non fuisset, nisi veritatis esset corpus. Ceterum vacua res, quod est phantasma, figuram capere non posset. Aut st proptercu pattern coq»us sibl finxit, qui a corporis carebat vei itato, ergo panem debuit trudere pro nobls. Faciebat ad vanitatem Marc Ionis, ut panis crucifigeretur. Cur autem panem corpus suum appel­ lat, et non magis peponem, quam Marcion cordis loco ha­ buit? Non Intellegens vcteiem fuisse Istam figuram corporis Christi, dicentis j»cr Ilieremiam : · Adversum me cogitave­ runt cogitatum, dicentes : venite, conjiciamus lignum In panem ejus ·, scilicet crucem in corpus ejus. Itaque Illumina­ tor antiquitatum quid tunc voluerit significasse panem satis declaravit, corpus suum vocans panem. Sic ol in culicis mentione testamentum constituens suo sanguino obsigna­ tum, substantiam corporis confirmavit. Nullius enim cor­ poris sanguis potest esso nisi camis. Nam etsi qua corporis qualitas non earnest opponitur nobis, certe sanguinem nisi carnea non habebit. Ita consistet probatio coqjorls de tes­ timonio camis, probatio carnis do testimonio sanguinis. Ici encore, Tertulllcn veut prouver contre Marcion la réalité du corps du Christ et il emploie le même 159 TERTULLIEN. DOCTRINE, LA PÉNITENCE texte de Jérémie, pour étayer son argumentation. Puisque le pain est la figure du corps, il faut bien que j Jésus ait eu un corps réel. Cela prouve-t-il que le pain lui-même soit le corps du Christ? Oui, car, à la Cène, le Christ a fait du pain son corps. Nous voudrions assu­ rément que l'auteur eût insisté sur ce dernier point qu’il affirme en passant parce qu’il ne l’intéresse pas directement et nous sommes un peu gênés par l’insis­ tance avec laquelle il explique le sens figuratif de l’oracle de Jérémie. Mais de quel droit voudrionsnous trouver ici toute sa doctrine eucharistique? Ailleurs, c'est le mot censetur qui fait difficulté : dans le commentaire de l’oraison dominicale, Tcrtullien parle du pain quotidien que nous devons demander ù Dieu : et d’abord du pain materiel; puis il continue : Quanquam « panem nostrum quotidianum da nobis hodie », spiritaliter potius intellegamus. Christus enim panis noster est, quia vita Christus et vitœ panis. « Ego sum, inquit, panis vitæ »; et paulo supra : « Panis est sermo Dei vivi, qui descendit de aciis. » Tunc quod et corpus ejus in pane censetur : · Hoc est corpus meum. ■ Itaque petendo panem quotidianum, perpetuitatem postulamus in Christo et individuitatem a corpore ejus. De orat., vi. Il y a, dirions-nous, trois espèces de pains que nous demandons à Dieu : le pain matériel qui entretient la vie du corps; le pain de la parole de Dieu; le pain du corps du Christ, car ie corps du Christ est une espèce de pain, en vertu des paroles prononcées à la Cène. On pourrait ici encore souhaiter un mot plus clair et plus précis que le verbe censetur; mais ce verbe n’exclut pas la présence réelle et il signifie être compté, tirer son origine, ou plus généralement être, dans le voca­ bulaire de Tertullicn. Cf. A. d'Alès, op. cit., p. 366. Si les allusions à l’institution de l'eucharistie sont habituellement obscures, c’est qu'elles viennent dans des contextes où Tcrtullien s'occupe de tout autre chose que de la croyance à la présence réelle. On trouve des formules plus claires lorsqu’on rencontre des passages où il s’agit de la célébration eucharistique elle-même. Ici, Tcrtullien n’a plus à démontrer des thèses, à développer des arguments, à discuter contre Marclon et contre les docèles. Il est le témoin de la fol de l’Église et il dit simplement comment se compor­ tent les fidèles eu face du sacrement. Nous avons déjà cité à propos du baptême (col. 156), le passage célèbre du De resurrectione carnis, vin : Caro... corpore et sanguine Christi vescitur ut et anima de Deo saginetur. Sans doute est-ce un rhéteur qui a écrit cette phrase et l'on sent, en la lisant, qu’il s'est complu au jeu brillant des antithèses. Le corps est lavé, oint, muni du signe de la croix, couvert par l'imposition des mains, pour que l’Amc soit transfor­ mée d'une manière analogue et reçoive la grâce sym­ bolisée par le signe corporel. Lorsqu’il en vient à parler de la nourriture, il ne dit pas un mot du pain; mais bien au contraire : la chair est nourrie du corps et du sang du Christ, pour que l’Amc soit engraissée de Dieu. Il est difficile d’employer des expressions plus réalistes. Ailleurs, nous apprenons que le pécheur repentant, lors do son retour ù l’Église, sc nourrit du corps du Seigneur, c’est-à-dire de l’eucharistie : (ethnicus con­ versus) opimitate dominici corporis vescitur, eucharistia scilicet. De pudic., ix. Qu’il sc trouve des fidèles à ce point désireux d’observer la règle du jeûne aux jours des stations, qu’ils renoncent ces jours-là à recevoir le corps du Seigneur et à assister aux prières du sacri­ fice, Tcrtullien s’en indigne : ces fidèles scrupuleux ne feraient-ils pas mieux de se tenir auprès de l’autel, de recevoir dans leur main le corps du Seigneur et de le mettre en réserve pour le consommer lorsque le mo­ ment sera venu de rompre le jeûne. De oral., xix. Ail­ leurs. en parlant de la femme chrétienne qui a un mari p«Icn, Tcrtullien s'inquiète : cet homme pourra-t-il 160 ignorer quelle est cette nourriture que sa femme prend avant toute autre? Et si on lui répond que c'est du pain, sera-t-il assez naïf pour croire que c'est du pain vulgaire et commun? Ad uxor., îi, 5. Ailleurs encore, Tcrtullien rappelle que l'on reçoit le sacrement dé l’eucharistie dans les assemblées qui précèdent le lever du Jour et que, seuls, les présidents de la réunion ont le droit de le distribuer; que l'on prend bien garde de ne pas laisser tomber à terre la moindre parcelle du pain consacré. De cor., m. Do pareils textes ne nous rensei­ gnent pas seulement sur les usages liturgiques de l'Afrique au début du ni· siècle. Ils nous apprennent quelle était la foi des chrétiens en l'eucharistie. L La pénitence. — Tandis que nous ne connaissons la doctrine eucharistique de Tcrtullien que per des allusions rapides, nous avons la bonne fortune de pos­ séder du rhéteur carthaginois deux traités entiers sur la pénitence : l’un, le De pœnitentia, remonte à la période catholique de sa vie et traduit la doctrine cl la pratique de l’Église; 1’autrc, le De pudicitia, est une œuvre de parti pris, composée à la fin de sa carrière, à un moment où la haine du catholicisme le possède : il n'en est pas moins précieux par les faits nouveaux qu’il nous révèle. On a déjà, à l’article Pénitence, attiré l'attention sur ces deux traités; nous pouvons Ici nous contenter de rappeler l’essentiel. a) Le c De poenitentia ·. — Tcrtullien distingue deux sortes de pénitence : l’une préparatoire au baptême, l'autre qui s'accomplit après le baptême, s’il est néces­ saire. La première a pour but de purifier le catéchu­ mène et de l'affermir dans scs résolutions, de façon à rendre durable l’effet du sacrement qu'il va recevoir. Normalement, cette première pénitence devrait être la seule. Après avoir reçu le baptême, le chrétien ne doit plus pécher; tout au moins ne devrait-il plus tomber dans des fautes graves. Cependant, la réalité est souvent tout autre et il arrive à des baptisés de commettre des péchés que ne sauraient réparer les sacrifices quotidiens ou les prières habituelles. A ces pécheurs, Dieu a réservé une seconde planche de salut : « Une fols fermée la porte du pardon, une fols tirés les verrous du baptême, il a voulu qu’il y eût encore une ouverture; il a placé dans le vestibule (de l’Église) une seconde pénitence pour qu'elle serve à ceux qui frap­ peraient. » Cette pénitence, qui ne peut être reçue qu’une seule fois et après laquelle i) n'y a plus de pardon, ne sc passe pas seulement dans le cœur du pécheur ou dans le secret de sa maison. Elle comporte une série d'actes extérieurs, dont l'ensemble constitue l'exomologèse, et dont Tcrtullien décrit ainsi l’ensemble: Exomologesis... qua delictum Domino nostrum confitemur, non quidem ut ignaro, sed quatenus satisjactio conjessione disponi­ tur, confessione poenitentia nascitur, pœnitentia Deus mitigatur. Itaque exomologesis prosternendi et humili­ ficandi hominis disciplina est, conversationem injungens misericordiae illicem. De pœnit., ix. L'exomologèse est donc quelque chose de pénible et d'humiliant. Elle commence par la confession des péchés. Tcrtullien ne dit pas explicitement à qui cette confession doit être faite; mais plusieurs hypo­ thèses peuvent être exclues : tout d'abord celle d'une confession adressée à Dieu seul, car Dieu n’a pas besoin de notre aveu pour connaître nos fautes; puis celle d'une confession publique que rien ne suggère dans l'ensemble du texte et qui est écartée par le silence même de Tcrtullien· Scion toutes les vraisemblances, c’est à l’évêque que doit être fait l’aveu des fautes dont le pécheur s'est rendu coupable et c’est lui aussi qui détermine la rigueur et la durée de l’expiation. Après l'aveu vient en effet l'expiation qui, elle, est accomplie publiquement, en présence de tous les frères* Le pénitent couche sur la cendre, néglige les 161 TERTULLIEN. DOCTRINE, LA PÉNITENCE soins de propreté et renonce aux bains, sc nourrit de pain et d'eau. Jeûne, pleure, mugit nuit et jour devant le Seigneur. Consigné à la porte de l'église pendant le service divin, Il se traîne aux pieds des prêtres, des veuves, de tous les amis de Dieu; il supplie tous les frères d’intercéder pour lui. C'est ainsi qu’il satisfait réellement Dieu, qu'il apaise sa colère, qu'il éteint les feux de l'enfer dont il était menacé. Les prières et les larmes que les fidèles répandent pour lui sont comme les prières et les larmes du Christ; elles attirent sur lui le pardon divin. Pas plus qu’il n'entrait dans le détail sur la confes­ sion des péchés, Tcrtullien n'explique la manière dont est conféré le pardon. Il est manifeste pourtant que le pardon est assuré au pécheur repentant d’une manière officielle et qu’il doit être prononcé par un acte public; au bout d'un certain temps en effet, le pénitent est admis à rentrer dans l'Église, à participer à la liturgie avec les fidèles et cela ne sc comprend que s'il a été réconcilié au vu et su de tous. On n'entre pas comme on veut dans la catégorie des pénitents; on n'en sort pas non plus comme on veut : il n'y a, croyons-nous, qu'une décision de l’évêque qui puisse ouvrir les portes de l’Église, après les avoir fermées. Le parallélisme rigoureux, établi entre la pénitence et le baptême, exige que la pénitence ait des effets analogues, qu'elle opère dans l'âme un véritable renouvellement, faute de quoi elle ne servirait de rien. Or, la pénitence sert; elle est bienfaisante; elle rend à celui qui l’a subie tous scs droits de chrétien. On le voit, le De pœnitentia laisse dans l’ombre bon nombre de questions. Telles quelles, les descriptions que donne ce traité et les renseignements qu'il apporte sont déjà d'un très haut prix. On ne saurait douter qu'aux environs de 200, l’Eglise de Carthage eût connu et pratiqué l’usage de la pénitence. Tous les péchés, quels qu'ils soient, peuvent être accusés et remis : nulle part Tcrtullien ne laisse même soupçonner qu’il con­ naît des fautes Irrémissibles. 11 sait sans doute qu’il y a des fautes plus graves les unes que les autres et, de leur nature, toutes les fautes qui sont la matière d'une pénitence officielle sont déjà graves; mais il ne fait pas de distinction entre celles qui peuvent être pardonnées et celles qui ne le peuvent pas. L’Église a le droit de faire rentrer dans son sein tous ceux qui sc sont soumis aux exigences de l'exomologèse. La seule restriction concerne l'unité de la pénitence cl Tcrlulllen y insiste : après le baptême, il n'y a plus qu’une planche de salut : sed jam semel quia secundo, sed am­ plius nunquam, quia proxime jrustra. De pœnit., vu. Les relaps sont définitivement condamnés, non par Dieu sans doute, qui seul connaît les intentions et qui porte le jugement définitif sur les Ames, mais par l’Église. Même à l'article de la mort, le relaps est abandonné : son sort éternel appartient au Seigneur. b) Le < De pudicitia ». — Le traité De pudicitia est sans doute le dernier ouvrage que nous possédions do Tcrtullien; 11 est aussi le plus passionné et il est parfois difficile de faire la part entre les renseignements précis qu’il apporte et les exagérations dont 11 est rempli. Son témoignage est cependant précieux à recueillir. L’occasion du traité est bien connue. Un évêque, que Tcrtullien désigne par Ironie sous les titre· de pontijex maximus, episcopus episcoporum, benedictus papa, et qui, selon toutes les vraisemblances, doit être identifié à l’évêque de Carthage Agrlpplnus, a fait publier un édit en vertu duquel peuvent être remises les fautes d’adultère et de fornication. Tertullicn s’en Indigne comme d’une nouveauté criminelle. L’étonnement de Tcrtullien nous étonne nousmême. Dans le De pœnitentia. nous venons de le rap­ peler, l'écrivain ne connaît pas do fautes Irrémissibles. Dans l’Arfp. Marc., iv, 9, il énumère sept péchés DIOT, DK TRàOL. CATHOL 162 particulièrement graves : septem maculis capitalium delictorum... idololatria, blasphemia, homicidio, adul­ terio, stupro, /also testimonio, /raude. Mais ii ne songe pas à dire que ces péchés sont exclus du pardon ecclé­ siastique. Dans le De pudicitia, au contraire, il affirme avec netteté qu’il y a trois fautes irrémissibles : l'idolâ­ trie, l’impudicité et l'homicide. Il ne se contente pas de l’affirmer. Il s'efforce de le prouver en faisant appel au témoignage de l'Écriture elle-même. Si forte est son indignation qu'il nous est difficile de croire à une feinte. Deux hypothèses s'offrent à nous pour l'expliquer. D’une part, il y a lieu de tenir compte des exigences de la morale montaniste, plus rigoureuse et plus sévère que la monde catholique. Tcrtullien, complètement gagné par la nouvelle prophétie, n'ayant plus il garder aucun ménagement envers ceux qu'il désigne sous le nom injurieux de · psychiques », ne sau­ rait admettre qu'on acceptât dans l’Église des baptisés coupables de l'une des trois fautes indiquées. .Mais cela ne suffit pas. Car il est manifeste qu'Agrippinus, évêque catholique de Carthage, a décidé d'absoudre les impudiques et les adultères. Donc, on ne le faisait pas avant lui; tout au moins était-on resté quelque temps sans le faire. On est donc amené à croire qu'en­ tre le De pœnitentia et le De pudicitia, la discipline de l’Église de Carthage s'était modifiée dans le sens de la sévérité et qu'Agrippinus avait cru devoir revenir aux pratiques indulgentes de ses prédécesseurs. Nous n’avons pas à être surpris de ces variations. Saint Hip­ polyte nous atteste qu’à Home, le pape saint Calliste a témoigné également beaucoup d’indulgence pour les pécheurs repentants, et que scs réformes ont été vues d’un mauvais œil par les partisans de la sévérité. Plus tord, au temps de saint Cyprien, sc posera d’une ma­ nière pressante la question des lapsi et cc n’est pas du premier coup qu’en sera fournie la solution définitive. Plus Importante que le pardon accordé aux adul­ tères et aux impudiques qui font pénitence est l’in­ dication du ministre de cc pardon. Le De pœnitentia était muet sur cc point. On voit clairement, dans le De pudicitia, que le droit de pardonner appartient à l'évêque. L’édit insiste : Ego... dimitto. Agrippinus s’appuie sans doute sur les exemples du Sauveur, sur les leçons données dans le Nouveau Testament; mais c’est lui qui commande, cl après avoir justifié sa misé­ ricorde, il légitime encore scs droits : l’Église a le pou­ voir de remettre les péchés et l’Église est représentée par l'évêquo qui en est le chef : n'est-ce pas l'évêque, en effet, qui a hérité des droits conférés à Pierre par le Seigneur lui-même? L’embarras avec lequel Tcrtullien accueille ccs Aères déclarations est visible. Il ne peut pas contester le principe général, le pouvoir de l’Église de remettre les péchés; seulement, il fait ici une distinction subtile : l’Église, dit-il, est proprement et principalement Γ Es­ prit, c'est-à-dire la Trinité divine, Père, Elis et SaintEsprit, puis les fidèles qui s’y agrègent. Ainsi l’Église remettra les péchés, mais l’Égllsc-Esprit, par le minis­ tère de l’homme spirituel, et non l’Église collection d'évêques : Ipsa Ecclesia propria et principaliter est Spiritus... Et ideo Ecclesia quidem delicta donabit, sed Ecclesia Spiritus, per spiritalem hominem, non Ecclesia numerus episcoporum. De pudic., xxi. C’est la pure doctrine montaniste. Ici, elle n'est pas autre chose qu’une échappatoire et nous ne savons pus comment Tertullicn lui-même en aurait fait l’application. Il est vrai qu'il conteste la portée de l’argument mis en avant par Agrippinus. · Tu prétends, dit-il, que le pouvoir de délier et de lier a passé également à toi, c'est-à-dire à toute Église voisine de Pierre, ad te... id est ad omnen Ecclesiam Petri propinquam. Qu’ôs-tu donc, pour détruire et transformer l’intention mani­ feste du Seigneur, qui a conféré personnellement cc 163 TERTULLIEN. DOCTRINE, LES FINS DERNIÈRES 1θ< Que devient l'âme à ce nionient-là? Les âmes dei pouvoir à Pierre. > Ibid. Mais il ne Justifie pas son interprétation Autant ii est Intéressant de voir l’évê­ martyrs entrent immédiatement au paradis; mais elles sont les seules Λ obtenir cette faveur. L'unique clé du que catholique faire appel au texte célèbre de saint Matthieu sur le pouvoir des clés, autant le commen­ paradis est le sang, De anima, lv; cf. Scorp., xn ; Adv. Marc., v, 12; Apol., xlvii. Saint Jean, dans l'Apoca­ taire de Tcrtullicn semble contraint et forcé. Finalement d'ailleurs, Tcrtullicn sc trouve obligé lypse, n'a vu sous l’autel que des âmes de martyn; d'admettre que l’évêque a le pouvoir de remettre les sainte Perpétue, elle aussi gratifiée des visions de l’aufautes légères : Lenioribus delictis veniam ab episcopo delà, n'a vu au paradis que les âmes de ses compagnons consenui poterii. De pudic., xvni. Les fautes légères de supplices. Ceux qui veulent que le ciel s'ouvre sans dont il est ici question ne sont d'ailleurs pas celles retard aux âmes justes montrent donc un empresse­ ment qui ne saurait être satisfait. Aussi longtemps que que nous appelons aujourd’hui vénielles; ce sont des le Christ est debout et non pas assis ù la droite do son fautes graves, différentes des trois péchés irrémissibles que Tcrtullicn réserve à la justice de Dieu. Dans | Père, aussi longtemps que la trompette de l’ange n’a l’Églisc, le jugement de ces fautes appartient à l'évê­ pas encore sonné, le ciel demeure fermé. Où donc vont toutes les autres âmes, en attendant le que : le fait est trop certain pour pouvoir être contesté , et Tcrtullicn le reconnaît, quelque gênant que cela jugement général? Aux enfers, c'est-à-dire dans le puisse être pour son système. | séjour mystérieux où le Christ passa le temps qui sé­ En dehors de l'évêque, y a-t-il dans l'Églisc d'au­ para sa mort de sa résurrection. Il y a d'ailleurs plu­ tres personnes qui aient le pouvoir d'absoudre les I sieurs demeures dans les enfers. L'une d’elles est pécheurs? Tcrtullicn affirme qu'Agrippinus a reconnu le sein d'Abraham qui est réservé aux justes : Tertulce pouvoir aux martyrs : « Voici, écrit-il, que tu livres I lien la décrit ainsi : Eam itaque regionem, sinum dico cette même puissance aux martyrs. A peine quelqu'un 1 Abrahæ, etsi non cœlestem, sublimiorem tamen inferis, d'entre eux a-t-il, grâce à des geôliers complaisants, interim refugium prœbituram animabus justorum, donec revêtu de bénignes chaînes, aussitôt affluent les adul­ consummatio rerum resurrectionem omnium plenitudine tères, les débauchés; c’est un concert de prières, un mercedis expungat... temporale aliquod animarum fide­ déluge de larmes, de la part de gens tarés. Les plus lium receptaculum, in quo jam delinictur futuri imago ac empressés Λ payer, pour sc faire ouvrir la prison, ce candida quadam utriusque judicii prospiciatur. Adv. sont ceux qui ne peuvent plus paraître Λ l'église... Et Marc., IV, 31. quand vit-on les martyrs, quand vit-on les apôtres Distinet du sein d’Abraham est la partie des enfers où vont ceux qui n'ont pas entièrement satisfait à la eux-mêmes disposer de ce qui n'appartient qu’à Dieu? Qu’il suffise au martyr d’expier scs propres péchés 1 justice de Dieu avant de quitter ce monde : In summa, Le Christ seul peut par sa mort, expier le péché d’au­ cum carcerem illum, quem Euangelium demonstrat, in­ trui 1 » De pudic., xxn. feros intelligimus, et novissimum quadrantem modicum Qu’il y ait beaucoup de rhétorique dans ce passage, quoque delictum mora resurrectionis illic luendum inter­ nul ne songe à le nier. Cependant, Tcrtullicn ne doit pretamur; nemo dubitabit animam aliquid pensare apud inferos, salva resurrectionis plenitudine per carnem pas tout inventer et il y a un point de départ véritable à scs affirmations. Les fidèles n'ignoraient pas plus à quoque. De anima, lviii. Le nom de purgatoire n’est Carthage qu’allleurs l’efficacité de la prière et la valeur pas prononcé, mais l’idée est très nette et très précise, spéciale de l’intervention des martyrs. Il était dès lors et Tcrtullicn y revient plusieurs fols, par exemple naturel qu’ils sc recommandassent à cette intercession Adv. Marc., m, 24 : Hœc ratio regni terreni, post cujus et à cette prière. Comme les autres, plus que les autres, mille annos, intra quam letalem concluditur sanctorum les pécheurs devaient agir ainsi. On est en droit de resurrectio pro meritis maturius vel tardius resurgen­ conjecturer qu’Agrippinus a organisé et réglé un usage tium... transferemur in cœleste regnum. Gf. De anima, qui existait avant lui et qui se maintiendra après lui. xxxv; Adv. Mare., v, 10; De resur., xlii. Au milieu du ni· siècle, lors de la persécution de Déco, Quant aux méchants, à ceux qui ont commis des les confesseurs de Carthage adresseront à saint Cy- fautes trop graves pour être jamais prédestinés, ils prien ou aux prêtres qui le représenteront à Carthage, commencent tout de suite après leur mort à subir le des libelles de recommandation en faveur des apostats châtiment; mais ils n'entreront au séjour du supplice pénitents; et ces libelles seront si nombreux, Us seront éternel qu'après le jugement dernier. rédigés d’une manière si Impérative, si impertinente, Tcrtullicn croit que celui-ci n'est pas très éloigné. que l’évêque devra s’en plaindre et rappeler que lui Dès V Apologétique, il rappelle que la fin du monde avec seul a autorité pour régler les conditions auxquelles les les effrayantes calamités qu’elle doit amener est faillis pourront être réintroduits dans la communion ’ retardée par la puissance de l’empire romain, Apol., de l’Églisc. Selon les vraisemblances, dès le temps de xxxii, et il ajoute que les chrétiens prient pour obtenir Tcrtullicn, les martyrs avaient pris l’habitude de le retard de l’événement, Oramus... pro mora finis. rédiger et de transmettre à l'évêque des billets de com- | Apol., xxxix. Dans le De oral., v, il déclare (pie le vœu munlon : l’évêque leur reconnaissait une certaine des chrétiens est au contraire la prochaine venue du valeur, il sc montrait tout au moins disposé à en règne de Dieu. Dans le De cultu feminarum, u, 9, il tenir compte; et c’est sans doute ce que marque le fou­ écrit : Nos sumus in quos decurrerunt fines siv.culorum. gueux rhéteur lorsqu’il reproche à son adversaire de Nos destinati a Deo ante mundum in extimatione tem­ faire passer aux martyrs le pouvoir d’absoudre les plus porali. Cf. Ad uxor., i, 2, 5; De resur., xxn; De exhort, graves péchés. On n’a pas le droit d’aller plus loin et castit., vi ; De monog., vu; De pudic., i. il est fort peu vraisemblable que les martyrs aient Sa croyance est d’ailleurs fortement teintée de jamais reçu le droit d'absoudre eux-mêmes les coupa­ millénarisme, surtout durant la période montanlstc de bles. même sous l’autorité de l’évêque. sa vie. A la fin du 1. Ill de V Adversus Marcioneni, 8· Les fins dernières. — Tcrtullicn, argumentant c. xxiv, Tcrtullicn, après avoir établi la réalité du contre les valcntiens, déclare, dans le De carne Christi, royaume céleste, ajoute que celte réalité n’exclut xi!, que l'âme est le tout de l’homme : In hoc vana nullement celle d'un royaume du Christ sur la terre. distinctio est, quasi nos seorsum ab anima simus cum Ce dcniler royaume doit venir avant l’autre, pour les totum quod sumus anima sit. Denique, sine anima nihil Justes ressuscités et il durera mille ans dans la Jéru­ sumus, ne hominis quidem, sed cadaveris nomen. A la salem nouvelle descendue du ciel : Γ Apôtre y fait allusion quand il parle de notre droit de cité céleste mort, l’âme quitte le corps et 11 ne reste plus rien qu’un Phil., ni, 20. Montrée à Ézéchiel, Ez., xlviii, puis à cadavre. 165 T E R T U L LI E N. D OCT R I N E saint Jeun, Apoc.· xxi, ccttc cité est proche, aux dires des nouveaux prophètes du montanisme. Elle est si proche qu’on l’a vue, des païens même l'attestent, nu cours d’une récente expédition d'Orlcnt (sans doute, pense-t-on aujourd'hui, la campagne de Septime Sé­ vère contre les Parthos en 197-198). Pendant quarante Jours, en effet, on put apercevoir le matin une cité merveilleuse, suspendue entre le ciel et la terre, qui s'évanouissait au lever du jour. Comment ne pas recon­ naître là cette Jérusalem céleste où, durant mille ans, les justes jouiront de l'abondance des biens temporels, comme compensation des sacrifices accomplis et des peines endurées pour Dieu? Quoi qu'il en soit du règne des mille ans, la doctrine des fins dernières est claire. Les corps des hommes res­ susciteront. Les païens et les gnostiques s'acharnent particulièrement contre cette croyance. Tcrtullicn n’hésite pas à consacrer deux traités, le De carne Christi et le De resurrectione carnis à l’exposer et à le démontrer de son mieux. Il réfute les objections vul­ gaires; il cite et commente avec abondance les textes scripturaires qui établissent la réalité de la résurrec­ tion; il prouve que la résurrection est nécessaire, si l'on veut que l’homme soit récompensé ou puni, non pas seulement de scs intentions et dispositions inté­ rieures, mais aussi de scs actes extérieurs. De resur., xvii. Il est juste que le corps qui a souffert ou péché avec l'Ame soit récompensé ou puni en même temps qu’elle. Comment les corps ressusciteront-ils et quelle en sera la condition? Tcrtullicn s'appuie pour répondre à ces questions sur les Indications fournies par saint Paul dans la première Épîtrc aux Corinthiens. Il estime que Dieu rendra au corps l’intégrité de scs membres, que les corps glorieux jouiront de l’impassibilité et qu'ils n’auront plus à exercer les fonctions exigées seulement ici-bas par leur condition mortelle. Il affirme surtout que c'est bien notre corps qui ressuscitera et non pas un autre. Seuls, les justes posséderont des corps sans défaut, impassibles, immortels, glorieux. Les réprou­ vés, au contraire, seront laids et misérables. Après le jugement dernier, les réprouvés seront pré­ cipités dans l'enfer : là, ils seront livrés au feu vengeur de la Justice divine, feu plus inextinguible que celui des volcans. Quant aux justes, ils seront enlevés dans le ciel, où ils Jouiront de spectacles merveilleux, auprès desquels les pauvres spectacles de la terre ne seront que vanité et néant : ils contempleront le triomphe de la majesté du Christ; ils verront les abîmes de feu dévorant les impies; ils goûteront enfin les joies que l'œil n'a pas vues, que l’oreille n’a pas entendues, que le cœur n'a pas senties, mais qu’on atteint par la fol et que promet l’espérance. De spect., xxix-xxx. 9° Conclusion. — Il est difficile d’exagérer l’impor­ tance de Tcrtullicn dans l’histoire de la théologie chré­ tienne, où il tient une place de premier plan. Il est tout d'abord le plus ancien théologien de lan­ gue latine. Même s’il fallait admettre l'antériorité de rOctaoius par rapport à Γ Apologétique, cet aimable dialogue n’apparattralt jamais que comme un chefd'œuvre littéraire et un beau témoignage do la fol chrétienne chez un homme cultivé. Avec Tcrtullicn, c’est toute la doctrine chrétienne, le dogme aussi bien que la morale, qui obtient droit de cité dims le monde latin. Nous n'osons pas dire que Tcrtullicn est le créateur de tout le vocabulaire qu’il emploie. Avant lui, il y avait eu bien des chrétiens à parler latin et les pre­ mières traductions de la Biblo ont sans doute large­ ment contribué à donner au christianisme les expres­ sions et les formules dont il avait besoin. Mais Tertulllcn n’était pas homme à reculer devant les néologis­ mes audacieux et, d’autre part, l’ampleur de sa for­ 166 mation classique, la rigueur de son éducation juridique le rendaient mieux préparé que quiconque à introduire dans la langue de l’Églisc toutes sortes de mots jus­ qu’alors réservés à l’usage profane. Nous avons sou­ ligné surtout l’importance de la contribution qu’il a apportée au vocabulaire des dogmes de la Trinité et de l’incarnation. Lorsqu’il s'agit du péché, de la péni­ tence, de la grâce, son rôle est à peine moins considé­ rable. A son sujet, bien plus qu’à celui de tout autre, 11 est permis de poser le problème du latin chrétien ou de la langue latine des chrétiens, c'est-à-dire de sc demander si les chrétiens d’Occident ont employé la langue com­ mune de leurs contemporains, en y introduisant les seuls mots dont ils pouvaient avoir besoin pour expri­ mer les réalités nouvelles, ou s'ils ont eu une langue à part, dont ils ont été les seuls usagers et qui leur a per­ mis de constituer un groupe reconnaissable parmi tous les autres. La première hypothèse reste la plus pro­ bable, en dépit du talent avec lequel les philologues de l'École de Nimègue ont vivement défendu la seconde. Le rôle de Tcrtullicn n’en est, semble-t-il, que plus important. Il faut ajouter que ce rôle est loin d’être exclusive­ ment linguistique. Les mots sont les véhicules des idées qu’ils expriment et qu’ils incarnent. Pas plus que les autres sciences, la théologie n'est exclusive­ ment une langue bien faite. Mais elle est aussi cela. On n'a pas expliqué le mystère de la Sainte Trinité lors­ qu’on a parlé des trois personnes et de l'unique subs­ tance divine; mais on a montré où réside le mystère et que son énoncé n’a rien de contradictoire. Obligé de lutter à la fois contre les patripassiens, qui confon­ daient la personne du Père et celle du Fils, et contre les adoptianistes, qui faisaient du Sauveur un homme comme les autres, bien que rempli de grâces spéciales, Tcrtullicn a réussi à donner de la foi traditionnelle un énoncé plus exact et plus précis que scs prédécesseurs : c’est toute la pensée théologique qui s’est trouvée éclairée de la sorte. Comme moraliste, Tcrtullicn n'a pas moins d’impor­ tance. On peut même dire que les problèmes moraux l’intéressaient davantage que les problèmes stricte­ ment théologiques. S’il s’est occupé de l’unité de Dieu, de la Trinité, de l’incarnation et de la rédemption, c'est parce qu’il a dû lutter contre des hérétiques qui mettaient en péril la doctrine de l’Églisc. Il n’aurait pas songé, semble-t-il, à écrire de lui-même un grand traité pour exposer soit aux païens, soit même aux chrétiens, l’ensemble de la théologie : il faut aller à Alexandrie pour trouver cette idée conçue et réalisée vers la même époque, par Origènc. Lui-même sc con­ tente d'écrire contre les Valentiniens, contre Hermogène, contre Apelle, contre Mardon, contre Praxéas; et l’on sait de reste que ce n’est pas en écrivant contre quelqu’un ou contre quelque chose que l’on est à même d’exposer une doctrine dans sa totalité. Au contraire, il traite des questions morales pour elles-mêmes et il est amené à toucher la plupart des problèmes que soulève, au début du m· siècle, la vie quotidienne des chrétiens dans le monde païen. Il ne se contente pas de recommander la patience, la péni­ tence, la prière. 11 parle du voile des vierges, des spec­ tacles, de la fuite en temps de persécution, du Jeûne, des secondes noces, de l’idolAtrie. Certaines matières l'intéressent très particulièrement : c'est ainsi qu’il re­ vient à plusieurs reprises sur le mariage et les devoirs des femmes et sur les secondes noces. Le plus souvent, même durant la période catholique de sa vie, Il se montre partisan des solutions sévères. Pour lui, il n'y a guère de milieu entre le christianisme et l’idolAtrie. Si l'on est chrétien. Il faut l'être à fond, s’engager de toute son Ame et renoncer pour toujours 167 TERTULLIEN. INFLUENCE 168 dance de son esprit, la vigueur de sa dialectique, il faut aux faiblesses et aux compromissions. Avec le temps, ajouter sans doute l’orgueil de son cœur trop sensible sa sévérité s’accroît et, lorsqu'il est devenu montanistc, elle ne connaît pour ainsi dire plus de limites. Les se­ à l’indifférence ou aux reproches. Il combattit avec conds mariages qu'il avait commencé par autoriser, une ardeur Incomparable les doctrines qui heurtaient non sans réserves d’ailleurs et comme un pis aller, de front sa raison ou sa foi et même après avoir rompu avec l’Église, Il réfuta sans pitié les hérésies de Mar­ deviennent pour lui une faute impardonnable et c'est ù peine s’il trouve légitimes les plus honnêtes et les don et de Praxéas. Il était déjà hérétique qu’il était plus naturels des mariages. Les jeûnes doivent être peut-être le seul à ne pus s’en apercevoir, tellement 11 de plus en plus rigoureux et n'admettent aucune ex­ était assuré d’avoir raison. Mais, parce qu’il était trop ception. Les spectacles sont interdits avec la plus personnel, il ne pouvait pas être le témoin impartial et entière rigueur et le seul d'entre eux qu’il permette désintéressé de la fol commune. L’Église n'oublie pas les services qu’il lui a rendus; elle ne saurait les égaler aux chrétiens fidèles est celui que leur réserve, au à ceux d'un génie plus humble, d'un saint Irénée, dont lendemain du jugement général, la vue des réprouvés. La fuite en temps de persécution est un crime com­ nous l’avons tout à l’heure rapproché. IV. Influence. — C'est justement à cause de son parable Λ l'apostasie : le vrai chrétien doit demeurer à son poste, quoi qu’il arrive, peut-être même s'offrir caractère trop exclusif, trop individuel que Tertulllen n'a pas joué dans l’Église le rôle auquel semblait le de plein gré aux coups des persécuteurs. prédestiner son génie. Ame de feu, ardent, emporté, Tertulllen porte en Sans doute, son souvenir n’a pas été immédiatement lui, par cela même les limites de son action. Même dans perdu et beaucoup d’auteurs anciens ont lu scs ou­ scs premiers écrits, les exagérations ne se comptent vrages. Au dire de saint Jérôme, saint Cyprion fut un pas. Lorsqu’il déclare par exemple que, de son temps, de ses plus fervents admirateurs; il faisait de scs livres les chrétiens remplissent les villes et les campagnes, le sa nourriture presque quotidienne et, lorsqu'il désirait sénat, le palais et les camps, il s’en faut de beaucoup un de ses ouvrages, Il se contentait de demander le que ces formules répondent à la réalité. A plus forte maître, De oir. (II., lui; Epist., lxxxiv, 2. Il est vrai raison, lorsque la haine obscurcit son intelligence, doitqu'il ne le mentionne jamais dans ses propres écrits; on prendre garde à scs formules absolues. Il pouvait y avoir en Afrique, aux environs de 210, quelques évê­ mais il suffit de lire le De oratione dominica, le De bono ques qui avaient été mariés deux fois, mais ils n’étalent patientiæ, le De habitu virginum pour y trouver des sans doute pas la majorité, comme pourrait le faire traces non équivoques de la lecture des livres de Ter­ croire l'exclamation indignée : quot digami prœsident tulllen sur les mêmes sujets. Une remarque analogue peut être faite au sujet de inter nos! Le De pudicitia entre autres est tellement violent qu'on peut à peine utiliser son témoignage pour Novatlcn. Celui-ci ne cite pas Tertulllen, mais il Lulldiscerner les abus que Tertulllen y reproche à son Use, par exemple dans le De Trinitate. A la même époque, le traité pscudo-cyprianiquc De adversaire. On est naturellement tenté de comparer Tertulllen spectaculis, le De circumcisione, le De cibis judalcis, le à saint Irénée, dont 11 a peut-être connu et utilisé le De bono pudicitiae, qui portent, à tort ou à raison, le nom de Novatlcn, sont à rapprocher des traités de grand traité Contre les hérésies. L'évêque de Lyon et le prêtre de Carthage étudient souvent les mêmes pro­ Tertulllen sur des sujets semblables. Le parallélisme blèmes; Ils combattent les mêmes hérétiques; Ils utili­ n’cxlste pas seulement dans les titres, mais dans la sent, pour réfuter l’erreur, le même argument de manière même d’envisager les problèmes et dans les l’origine apostolique des doctrines. Cependant un solutions proposées. abîme sépare ces deux hommes. Saint Irénée est, Au début du iv* siècle, Lactance est le premier à avant tout, dans tout ce qu’il écrit, le disciple de la nommer Tertulllen, Inst, div., V, î, 23, et à plusieurs tradition. Il sc garde d’innover quoi que ce soit. Il reprises il s'inspire de V Apologétique, de V Adversus répète, d’une manière originale d’ailleurs et en y met­ Praxean, de l'Ad Scapulam. Vers la même époque, tant la marque de son esprit personnel, ce qu'il a Tertulllen est révélé au monde grec par Eusèbc, qui appris de ses maîtres; et, lorsqu'il veut montrer où possédait une traduction de l'Apologétique, Hist, eccles., se trouve la vérité, Il sc contente de renvoyer aux II, n, 4, et xxv, 4; III, xx, 9, et xxxm, 3; V, v, 6. Églises qui conservent l'enseignement apostolique, à D’ailleurs, bien que Tertulllen ait écrit en grec quel­ ΓEglise de Home avant toutes les autres. Tertulllen ques traités, il ne devait jamais être très connu en donne une forme nouvelle à l’argument de saint Iré­ Orient : il semble que Didyme l'Aveugle ait lu le De née; Il lui imprime la marque de son esprit juridique et baptismo; en dehors de lui, on ne saurait citer aucun propose toute une théorie de la prescription. La pres- I témoin assuré. cription est valable, sans aucun doute, mais, par la Au cours du iv· siècle, les témoignages se multi­ force des choses, l'autorité apostolique qui la fonde plient, bien que Tertulllen ne soit pas toujours nommé. n'apparalt plus au premier plan. Ce que l’on volt tout Saint Fébade d'Agen, écrivant contre les ariens, d’abord c’est la forme nouvelle qu’a prise le raisonne­ multiplie les emprunts à Γ Adversus Praxean. Dans ment et le juridisme qui l’inspire. Qu'y a-t-il d’étonV Altercatio Heractiani laid cum Germinio episcopo nant, dès lors, si, devenu montanlste, Tertulllen aban­ Sirmiensi, la formule de fol d'iléracllen est presque donne l’argument de prescription? Ce n'est pas lui qui textuellement empruntée à 1*Apologétique. Paclen de a écrit la formule : Non est de præscriptione arguendum Barcelone transcrit plusieurs passages du De pænitensed de ratione vincendum. Mais cette formule de Cyprlcn lia. Grégoire d’Elvlre, dans les Tractatus de libris exprime sa pensée telle qu'elle apparaît dans ses Sanctarum Scripturarum,compte le De resurrectione, et derniers écrits, surtout dans le De pudicitia. Qu’im­ s'inspire souvent des autres ouvrages de Tertulllen. porte la prescription, si la raison lui donne tort? ou, L’auteur Inconnu du Carmen adversus M arcionent met plus encore, si l'Esprlt ajoute de nouveaux enseigne­ en vers tout ce qu’il peut des livres de Tertulllen con­ tre Marcion. ments à ceux des apôtres? Telle est en effet la dernière D'autres auteurs citent expressément Tertulllen. étape d’une évolution que l'on souhaiterait moins rigide. Emporté par l'exagération d’une Impitoyable I Saint Optat de Milèvc le nomme parmi d’autres asser­ tores Ecclesiae catholicae. De schism, donat., I. ix. Saint îogique, Tertulllen devient le docteur de l’inspiration Hilaire de Poitiers note à propos de Matth., v l : privée après avoir été celui de la fidélité aux enseigne­ Tertullianus hinc volumen aptissimum scripserit} sed ments traditionnels. Ce fut sa fougue qui le perdit et avec elle l’indépen­ I consequens error hominis detraxit scriptis probabilibus 169 TERTULLIEN auctoritatem, L'Ambrosladcr nomme deux fois Tertullicn dans son commentaire des épttrcs de saint Paul, /n Hom., v, 14; 7n / Cor., xm, 2. Saint Jérôme parle à tout instant de Tertulllen et connaît scs prin­ cipaux ouvrages; il conserve les titres de quelques livres perdus; il nous apprend que, parmi scs contem­ porains, Paul de Concordia, NépoUcn, Chromatius d'Aquiléc, Marcellin et Anapsychlas, Helvidius, avaient entre les mains des manuscrits de Tertulllen ou s’inspiraient de scs idées. Rufin possède V Apolo­ gétique et sans doute d’autres écrits encore du rhéteur carthaginois. Somme toute, on peut affirmer que tous les grands écrivains chrétiens de langue latine au iv· siècle ont connu les œuvres de Tertulllen et s’en sont Inspirés. Mais ils n’ont pas ignoré davantage sa sécession finale ni les erreurs doctrinales qui déparent tel ou tel de ses livres et ils ont su faire à son sujet les indispensables réserves. A partir du v· siècle au contraire, Tertulllen est moins souvent cité ou utilisé. Saint Augustin connaît la secte des tertullianistcs dont il a aidé les derniers fidèles à rentrer dans l’Église catholique; mais, lors­ qu’il cite les principaux écrivains latins, dans le De doctrina Christiana, il évite de mentionner parmi eux le nom du rhéteur de Carthage. Saint Vincent de Lérins, Common,, xvin (xxiv), le cite au contraire et fait è son sujet les réserves nécessaires. Gennade de Marseille prétend que Commodien dépend de lui. Finalement, le décret de Gélasc range les écrits de Tcrtullien au nom­ bre des « apocryphes » dont la lecture est ù rejeter : si cette condamnation n’empêche pas saint Isidore de Séville, par exemple, de lire encore Tcrtullien et de citer plusieurs passages de ses ouvrages, elle contribue ύ le faire tomber dans l’oubli. Le Moyen Age ne le connaît guère en cfTet, et l’on en a pour preuve le petit nombre de manuscrits qui nous restent de lui : le manuscrit d’Agobard de Lyon au ix· siècle est exceptionnel. Sans doute V Apologétique a été plusieurs fois copiée, mais elle est seule ά avoir bénéficié d’un traitement de faveur d’ailleurs tout relatif. Les autres livres du grand Carthaginois restent enfouis dans do rares bibliothèques. Il faudra la curio­ sité des chercheurs du xvi· siècle pour les en faire sor­ tir. Λ partir de ce moment, Tcrtullien est de nouveau lu et apprécié. Bossuet en particulier sc plaît à le citer, sans méconnaître scs erreurs. Au xix· cl au xx· siècle, on multiplie les travaux sur sa vie et sur ses œuvres. Les théologiens utilisent volontiers l’argument de prescription et font honneur à Tcrtullien des formules claires et précises qu’il emploie pour parler de la Tri­ nité et de l’incarnation. Les historiens lui demandent des renseignements sur les premières manifestations de la vie chrétienne en Afrique. Les philologues consa­ crent Λ sa langue et ά son style des études minutieuses. Les critiques enfin s’eflorccnt d’établir le texte défi­ nitif de scs œuvres. Sur ce dernier point tout au moins, il reste beaucoup à faire. Le Corpus de Vienne n’a publié Jusqu’à présent que les tomes 1 et ni de scs écrits : le t. î, préparé par RelfTcrschcld a été édité, après sa mort, par Hartel (1890) : il a été l’objet de critiques nombreuses et Justifiées. Hartel, qui s’est cru obligé de respecter l’œuvre de son prédécesseur, a luimême présenté des observations sur sa valeur dans scs Patrislische Studien des Sitzungsberichte der k. Akademie der Wissenschaften von Wien, t. exx, cxxi, cxxiv (1889-1891). Cf. S. van Vllct, Studia ecclesias­ tica, i, Lcydc, 1891; E. Kroymann, Quaestiones tertullianeœ criltcæ, Gœttinguc, 1893; H. Gomperz, Tertullianea, Vienne, 1895. Le t. in, préparé par E. Kroy­ mann (1906) est meilleur, mais il pourrait encore être corrigé. Les éditions partielles qui ont été signalées plus haut ont souvent réalisé de grands progrès. 170 Il n’est pas possible et il ne serait pas utile de dresser une bibliographie complète de» ouvrage* consacré· a Tertulllen. Nous nous contenterons donc de quelques Indications essen­ tielles. L Editions.— Il faut rappeler le* édition* de Gangnerius, Pari», 1545, de Gelenius, Bâle, 1550, de Panel, Pari*. 1579, qui reposent sur de* manuscrits de ta famille de ΓΑροδατdinus et qui, pour certains traité*, le De jejunto et le De pudicitia, suppléent aux manuscrits aujourd’hui disparus. Les éditions do Beatus Rhenanus, Bâle, 1521 et 1539, s'ap­ puient sur de* manuscrits du xi· siècle dont plusieurs sont perdus. Parmi les éditions récentes, il faut citer celle de F. Oehler, 1851-1854 en 3 volumes. Comme on l’a dit, l'édi­ tion do Vienne est encore incomplète. P. Waltzing a donné une traduction française de ΓApolo­ gétique. Des morceaux choisis ont été traduits en français par J. Tunnel, Tertulllen, Paris, 190-1, et par L. Bayard, Tertulllen et saint Cyprien, Paris, 1930. Une traduction complète est due a De Genoude, Pari», 1852. II. Ou vu ag ils d’ensemble. — Freppel, Tertulllen, Paris, 1864; A. Scander, Antignosticus, Getst des Tertulliani und Elnleitung in dessen Schrillen, 2· édit., Berlin, 1849; A. Hnuck, Tertulliani Leben und Schriften, Erlangen, 1877; E. Noeldechen, Tcrtullian, Gotha, 1890; P. Monceaux, His­ toire littéraire de VA trique chrétienne, t. î, Tertulllen et les origines, Paris, 1901 ; H. Leclercq, L'Afrique chrétienne, 1.1, Paris, 1904; A. d’Alès, La théologie île Tcrtullien, Paris, 1905; Ch. Gulgnebert, Tertulllen. Étude sur ses sentiments à l'égard de l'empire et de la société civile, Paris, 1901; P. de Labriofie, La crise montaniste, Paris, 1913; J. Berton, Tcr­ tullien le schismatique, lùiris, 1928; J. Morgan, The Impor­ tance of Tcrtullian in the development of Christian dogma. Oxford, 1928; R.-B. Wak field, Studies in Tcrtullian and Augustine, Oxford, 1930; R. Hœslinger, Die aile afrlkanischc Kirche im Llchte der Kirchenrcchtsforschung, nach der kulturhistorischcn Methode, Vienne, 1935; E.-R. Roberts, The theology of Tcrtullian, 1924; M. Guilloux, L'évolution religieuse de Tcrtullien, dans Remit d'histoire ecclésiastique, t. xix; P. Vltton, I concetti giuridici nellt opere di Tertul­ liano, 1924; A. Bock, Eômisches Hecht bel Tertulllan und Cyprian, 1930; C. de L. Shortt, The Influence o/ philosophy on the mind o/ TertulUan, 1933. 1IL L’apologiste. — G. Schelowsky, Der Apologist Ter­ tullianus in scinem Verhdltnis zu der gricchisch-romischcn Philosophie, Leipzig, 1901 ; J. Lortz, Tcrtullian air Apologist, 1927-1928. IV. Lf. niHLisTE.—J.-G.-D. Aulders, Tcrtullianos'Cilatcn ult de Hoangelien en de oudlatijnschc HiMvcrtalingen, Ams­ terdam. 1932; P. Capelie, Le psautier latin en Afrique, Home, 1913; M.-J. Lagrange, Introduction au Nouveau Tes­ tament : La critique textuelle, Paris, 1930; G. Zimmermann, Die hcrmcnculistischc Prinzipien Tertullians, 1937. V. La Th in it»:. — E.-F. Schulze. Elemcntf finer Théo­ dicée bei Tertullhui, dans Zeitschrift fûrudssenschaftl Théo­ logie, t. XLiii, 1900; J. Stier, Die Gottrs-und iMgoslehrc Tertullians, Gœttingue, 1899; M. Krlebcl, Studien zur âltcrcn Entivicklung der abcndldndischen Trinitdtslehre, bei Tcrtullian und Novation, 1932; G.-L. Prestige, God in patristic thought, Oxford, 1936; E. Bosshart, Essai sur l'ori­ ginalité et la probité de Tcrtullien dans son traité contre Marcion, Lausanne, 1921; A. von Itanuick, Marcion. Dos Evangelium des frcmden Galles, 2· édit.» Leipzig, 1921. VI. Les sachements. — E. dr Backer, Sacramentum. Le mot et l'idée représentée par lui dans les oeuvres de Tcrtullien, Louvain, 1911 ; J. do Ghellinck, etc.. Sacramentum chez les Pères anténicécns, Louvain, 1924; F.-X. l'unk, Tertulllen et l'Agape, dan* Hevuc d'hist, red., t.iv, 1903; t. v, 1904; l. vu, 1906; P. BatiiTol, L'Eucharistie, 5* êd., Paris. 1913; E. Bol fis, Dos Indulgent Edikt des romischen Hischofs Kallisl kritisch untersucht, Leipzig, 1893; F.-X. Funk, Dos fndulgenzedlkt des Papstes Kallistus, dans Theol. Quartalschr,, t. Lxxxvui, 1906; P. BatiiTol, Etudes d'histoirc cl de théo­ logie positive, Ie* Série, Paris, 1904; E. Vacandard, Tertullien et les trois péchés irrémissibles, dans Hevue du clergé fran­ çais, t. L, 1907, p. 113-131; G. Essor, Die Husschriften Ter· lui IIans und das Indulgenzedikt des Paptcs Kallistus, Bonn, 1904; Stufler, Die liussdlsziplin der abendld ndlichen Kirche bis Kallistus, dans Zeitschr. fûr kath. Théologie, t. xxxi, 1907; A. d'Alès, L'édit de Calliste, Paris. 1914 ; H. Koch, Cathedra Pétri, 1930; J. I loh,Die kirchliche Liasse im S.Jahrhundert, 1932; P. Galtler, L'Eglise et la rémission des péchés aux premiers siècles, Paris, 1932; 11. Koch, Callist 171 TERTULLIEN - TESTAMENT un i Tertnlllan, 1920; J. Kôhne, Die Ehen zuiischen Christen und Heiden in den ersten christlichen Jahrhundcrten, 1931. VII. L’éolisk, LA Tradition. — M. Winckler, Der TrnditiansbcgrifJ des Urchristentums bis Tertullian, Munich, 1897; J. Kohlberg, Verfassung, Kultur und Disziplin der christlichen Kirche nach der Schriften Tertullians, Braunsberg, 1886; A. Vellico, La riuelazione e le sue fonti net · De praescriptione haereticorum · di Tertulliano, Home, 19X5; K. Adam, Der KirchenbcgrifJ Tertullians, 1907; M. Perroud. La prescription Ihéologique d'après Tertullien, Montpellier, 1911; D. van don Eynde, Les normes de renseignement chré­ tien dans la littérature patristique des trois premiers siècles, Louvain, 19X3; E. Al tendorf, Einheit und Heiligkett der Kirche, 1932; E. Mersch, Le corps mystique du Christ, Lou­ vain, 1933. VIII. L'ame, la grace, la rédemption. — G. Esser, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893; J.-H. Wnszlnk, Tertulliani De anima, Amsterdam, 1932; De anima, index verborum et locutionum, Bonn, 19X1 ; K.-H. Wirth, Der Verdlenst-Hcgriff in der christlichen Kirche, t. i, Leipzig, 1892; J. Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris, 1905. IX. Le moraliste. — F. Nielsen, Tertullians EthlktlfD^; F. Wagner, Der SittlichkcilsbcgrifJ in der hl. Schrift und in der allchrlstl. Ethik, 1931; J. Stclzenbergcr, Die Ùeziehungen der frûhehristlichen Sittenlehre sur Ethikder Sloa, 1933; J. Tl seront, Tertullien moraliste, dans Mélanges de patrolo­ gle et d'histoire des dogmes, Paris, 1919, p. 119-152; Th. Brandt, Tertullians Ethik, 1922; J. Schümmer, Die altchristllche Fastenpraxls mit besoiuL Ileriicksichtigung der Schriften Tertullians, 1933. G. Bardy. 1. TESTAMENT, — Ce n'est pas un article de droit civil qui va s'aligner dans les colonnes du Dic­ tionnaire de théologie catholique, niais une élude de théologie monde, basée évidemment sur les principes de droit naturel et les dispositions du droit testamen­ taire français en même temps que sur la doctrine de la morale chrétienne et du droit canonique. Après une brève explication de la notion de testament, nous exa­ minerons quelques problèmes moraux qui peuvent sc poser à une conscience chrétienne à l'occasion d'une succession testamentaire. I. Notion du testament. — D'après l’article 895 du Code civil français, le testament peut être défini : « un acte révocable par lequel une personne, jouissant de la rapacité juridique, dispose, pour le temps où elle ne sera plus, de tout ou partie de ses biens ». L'auteur d’un testament s’appelle testateur; la dis­ position qu’il fait de scs biens prend le nom de legs, et par conséquent celui qui en bénéficie est appelé, non pas héritier, mais légataire. 1· Le testateur. — Le testateur, qui ne peut être qu'une personne physique, et non morale, doit jouir de la capacité de tester au moment de la confection du testament. Sous peine de nullité de l’acte, il est requis, non seulement qu’alors il ait été sain d’esprit, mais surtout qu'en écrivant et qu'au moment de la mort, il n'ait été frappé d’aucune incapacité légale, soit absolue, soit relative. En particulier, ne peuvent valldement disposer de leurs biens par testament, les mineurs, âgés de moins de seize ans et, au delà b) Conclusions, — En raison de la controverse il est permis de tirer les conclusions suivantes au sujet tant du légataire d’une disposition civilement nulle, par exemple en vertu d’une instruction non signée, que de l’héritier naturel ou du légataire entré légitimement en possession du legs universel. Tout d’abord il est hors de doute que tous les inté­ ressés doivent se soumettre, si gravement lésés qu’ils sc sentent dans leurs prétendus droits, à la sentence Judiciaire qui est intervenue après plainte de l'une ou l’autre partie, quelle leur soit ou non favorable. Donc, si l’héritier naturel a intenté un procès pour faire annuler le testament ou pour faire restituer des som­ mes d’argent ou des meubles, retenus sous prétexte de testament verbal, et qu’il ait gain de cause, ses adver­ saires qui se basaient sur la parole ou l’écrit non signé du défunt ont perdu tout droit; d’aucune façon ils ne peuvent, après exécution de la sentence, recourir à la compensation occulte, quand bien même la volonté du testateur eût été pour tous indubitable. Au rebours si la sentence est contraire aux intérêts de l’héritier, il devra rendre le legs, quelle qu’en soit la valeur. En dehors d’une sentence judiciaire, donc avant la plainte des héritiers et surtout dans le cas où, par suite d’ignorance du droit ou du fait, les héritiers ne songent nullement à réclamer, chacune des parties peut, selon ses intérêts, s’appuyer ou bien sur le droit naturel et regarder le legs comme valide ou au con­ traire sc baser sur la loi civile et considérer le legs comme nul. Ainsi celui qui a été avantagé par une disposition dépourvue de forme légale ou malgré son incapacité a certainement le droit de réclamer des héritiers les legs qui lui sont attribués; en conscience il peut garder les objets qu’il détenait déjà conformément à la vo­ lonté du testateur et qui ne sont pas encore en pos­ session de l’héritier ou du légataire universel; très pro­ bablement il peut même faire acte d’occupation et s’approprier ainsi les objets légués, si la prudence le lui permet. Mais il est très douteux qu’il ait le droit de s’emparer en cachette de ce que le défunt lui avait oralement promis. En ce cas comme au précédent, la prudence et la charité, tout au moins, le dissuadent d’appréhender ces objets contre le gré des héritiers, particulièrement s’il les voyait déterminés à lui faire un procès dont Tissue lui serait défavorable. En tout cas. Jamais il ne lui sera permis d’user de fraude pour s’assurer la propriété des legs, par exemple en Imitant la signature du testateur, en ajoutant la date, ou en­ core en subornant des témoins pour proclamer devant les héritiers la volonté expresse du défunt. En revanche, l’héritier a le droit de penser que le testament n’a aucune valeur ou que le legs verbal de son parent ne l’oblige pas en conscience, non plus que les libéralités qu’il a faites à des œuvres philanthropi­ ques sans personnalité civile. 11 peut donc engager un procès pour faire déclarer la nullité de la pièce. 180 refuser la délivrance du legs, réclamer, par exemple de la servante, la somme qu’elle détient en alléguant une déclaration faite par le défunt devant témoins; il peut dissimuler les dispositions écrites, mais sans valeur légale, comme le sont souvent les instructions non signées laissées parmi les papiers du défunt. En tout cela il ne s’agit, c’est évident, que de droit strict; mais summum jus summa injuria, et pour éviter cette vio­ lation d’une justice supérieure, la piété familiale, l’équité, la charité conseilleront souvent à l’héritier de tenir compte des dernières volontés charitables du défunt, même si aux yeux de la loi elles n’ont pas de valeur. Pourtant si l’héritier avait été lui-même témoin du legs verbal du défunt cl surtout qu’il lui eût promis de s’y conformer, on ne volt pas comment il pourrait rassurer sa conscience contre l’injustice for­ melle envers le légataire. 3. Causes pies, — a) État de la question, avant et depuis le Code. — Sitôt qu'il s’agit de dispositions tes­ tamentaires ad causas pias, c’est le droit canonique qui prévaut sur le droit civil, puisque ces bonnes œu­ vres sont de sa compétence exclusive. Avant le Code, les auteurs se partageaient en deux opinions : la première et plus commune affirmant l'obligation d'acquitter les legs pies et l’autre leur appliquant les règles des causes profanes et déclarant douteuse l’obligation des héritiers. Cette controverse était née de l'interprétation différente donnée à la ré­ ponse /te/afum d'Alexandre III aux juges de Vitcrbe,au sujet du nombre de témoins nécessaires pour les testa­ ments super relictis Ecclesiœ. Mandamus, décrète le pape, quatenus cum aliqua causa talis ad vestrum jucrit examen deducia, eam · non secundum leges, sed secundum decretorum statuta tractetis », Decretal., 1. Ill, til. χχνι, cap. 2; le souverain pontife décrète donc, à l'occasion d'un cas particulier, qu’en matière testamentaire et de legs faits à l'Égiisc il faut juger, non d'après les lois civiles, mais d’après les canons. Le sentiment commun des théologiens et canonistes maintenait à la décrétale d’Alexandre III une valeur de droit et de fait; en re­ vanche quelques-uns, dont le plus notoire était le car­ dinal D'Annlbalc, prétendaient qu'en fait l’application du droit n’était plus possible, surtout parce que l'Église, en cas de désaccord avec la loi civile, avait effectivement renoncé à sa compétence sur les legs pieux; Ils concluaient que,à raison de la controverse, l’obligation de respecter le legs pie étant douteuse ne pouvait être Imposée à la conscience de l’héritier. Le canon 1513 du Code a supprimé celle contro­ verse et le doute sur l’obligation qui en était la suite; désormais, particulièrement depuis l’interprétât Ion authentique de ce canon en date du 17 février 1930. nous avons le principe Incontestable : les héritiers ont le devoir de respecter les legs pies, même s’ils sont civilement nuis. Commentons le texte du canon 1513, § 1, ainsi que la conclusion tirée au § 2 du même canon. b) La discipline actuelle. — Le principe est claire­ ment énoncé dans le Code : Qui ex jure naturæ et eccle­ siastico libere valet de suis bonis statuere, potest ad causas pias, siue per actum inter vivos sive per actum mortis causa, bona relinquere, can. 1513, § 1 ; nous no nous occupons que des actes mortis causa et unique­ ment des actes testamentaires. Pour le commenter avec exactitude, observons tout d'abord qu’il est une exception au principe général du canon 1529 par lequel l’Eglise, pour scs contrats, ac­ cepte la législation civile des différents pays. Mais elle entend bien garder sa compétence exclusive quant aux donations pieuses et aux legs pieux et. en cette matière, d’une façon encore plus formelle que dans les Décrétales, sa loi canonique prime toute loi civile conI traire, simplement prohibitive ou irritante. C'est là 181 TESTAMENT — TESTAMENT (ANCIEN ET NOUVEAU) l’esprit qui doit nous guider dans l'interprétation du canon 1513. Toute libéralité testamentaire en faveur d’une cause pie doit être considérée comme acquise à l'Égiise; ce principe est à prendre dans le sens le plus large et sans aucune restriction provenant de la loi civile, qu’il s’agisse de défaut de formalités ou d'incapacités. Il suffît, mais il est requis aussi, que le testateur possède pour tester la capacité de droit civil et de droit ecclé­ siastique; pratiquement, qu’il soit sain d'esprit, qu’il dispose de ce qui lui appartient et que le droit cano­ nique ne l'ait pas inhabilité par la profession reli­ gieuse solennelle. A ce propos, faisons remarquer une exception qui mérite notre attention. Quand, en ma­ tière de causa pia, la loi française déclare nulles les libéralités excédant la réserve, la loi canonique n'entre pas en lutte avec la loi civile et elle admet que le legs soit nul en conscience. La raison en est que la réserve en faveur des ascendants et descendants est de droit naturel; or, le canon 1513 n'a pas pour but de modifier le droit naturel, mais uniquement de maintenir contre la loi civile la compétence exclusive du droit ecclé­ siastique en fait de dernières volontés. Une petite difficulté avait été soulevée par quelques auteurs au sujet de la terminologie différente dans les § 1 et 2 du canon 1513 : au § 1, le texte mentionne les causa pia, donc donne un sens général au principe, mais il semble en restreindre la portée au §2, en em­ ployant les mots in bonum Ecclesia, c’est-à-dire, d'après le canon 1498, en appliquant le principe seu­ lement aux personnes morales ecclésiastiques, quand il s’agit de legs dépourvus des formalités civiles. Mais cette difficulté est en train de disparaître, car les au­ teurs, Noldin et Vromant, qui s’appuyaient sur cette différence de termes pour enseigner que les legs civile­ ment Invalides ne seraient que douteusement valables pour la conscience, n’ont pas maintenu leur opinion dans les éditions subséquentes. Vromant, De bonis Ecclesia temporalibus, éd. 1934, n. 155; Noldin, Summa theol, moralis, t. n, éd. 1932. n. 556. Il est donc juste de conclure avec Creuscn-Vermcersch. Epitome juris canonici, t. il, éd. 1930, η. 835, sub nota 1 : errat qui obligationem conscientia exsequendi legati pii civiliter in/ormis extenuare vellet. Aucune distinction n’est à faire entre les causes de nullité civile. Nonobstant n'importe quelle nullité, tout legs pieux, de sa propre nature, est valable, pourvu que le testateur possède la capacité naturelle et canonique; c'est l’ancien principe de l’exclusive competence de l’Égiise en cette matière, et d’ailleurs le canon 1498 semble lui-même supposer que le terme Ecclesia peut recevoir un sens plus large ou plus étroit que celui de qualibet persona moralis in Ecclesia. Tout legs pie gardant sa valeur de droit naturel et de droit ecclésiastique, la conséquence ne peut être autre pour les héritiers qu’un devoir de conscience d’accomplir fidèlement les dernières volontés du défunt. Le canon 1513, § 2, l’exprime, mais d’une façon si délicate que le texte n donné lieu ù des obscurités dans le cas où le legs n’a pas été revêtu des formalités civiles nécessaires : (ha sollemnitates juris civilis) si omissa luerint, heredes moneantur ut testatoris voluntatem adimpleant. La difficulté porte sur le sens exact du terme moneantur. Omettons l’avis de ceux cjul pensaient que cela équivalait à non obligentur; cette opinion est directement opposée à la lettre et à l’esprit du texte. D’autres ont compris le verbe monere dans son sens exhortatif et concluaient que l’obligation d’exécuter le legs existait, mais qu’il fallait se contenter d’en recommander l’accomplissement aux héritiers. Enfin une opinion plus commune, qui est devenue certitude 182 par l’interprétation authentique de la Commission pontificale d’interprétation des canons du Code (17 févr. 1930, Acta A post. Sedis, 1930. p. 196). don­ nait au verbe monere le sens de rappeler un devoir, donc une signification préceptive comme le dit expressé­ ment la réponse de la Commission pontificale. Mais la forme délicate de cette prescription reste significative. Elle ne vaut, cela va de sol, que si Ici dernières volontés sont certaines, et nul héritier ne peut être obligé en conscience d’exécuter un legs pie dont il n’a pas la preuve. Avant de s’y résoudre, il a le droit de demander un écrit dont il reconnaîtra l’écri­ ture comme étant certainement celle du testateur, ou encore au moins deux témoins sérieux de l'affirmation que l'on prête au défunt; en cas de doute, il pourra ne pas sc rendre et attendre la sentence d'un tribunal ecclésiastique. La forme choisie par le Code indique aussi que la monition doit sc faire avec prudence. C'est d’ailleurs, en théologie morale, la règle générale qui guide et modère toute monition, en prescrivant le choix du moment, des mots et des autres circonstances. Le canon 1517 lui-même énumère quelques règles spé­ ciales de prudence, marquant bien que l'Égiise ne veut pas procéder avec esprit de lucre et de dureté en ces affaires qui ont un aspect tout d'abord matériel. Si l'exécution du legs, en raison de la grandeur des sommes en question ou de la situation économique des héritiers, parait trop dure, trop lourde, que les héritiers s'adressent au Saint-Siège par une supplique demandant la réduction et la modification du legs, can. 1517. § 1; que si elle est devenue moralement impossible sans qu’il y eût eu faute de la part des héritiers, l’Ordinaire a le pouvoir d’en diminuer la charge, à moins qu’d ne s'agisse de réduction de messes, question qui est de la compétence exclusive du Saint-Siège. Can. 1517, § 2. Les héritiers ont donc les moyens d’arranger ces sortes d'affaires avec l’auto­ rité ecclésiastique qui sc montrera conciliante autant que le droit le lui permettra. Tous les ouvrages de théologie morale traitent la question des testaments : avant le Code,Lallcrini-Palmlrri, D’Anni­ bale, Gousset, Lehmkuhl, Marc, Gênicot, ITummcr, Tunquorey; pour l'explication du canon 1513, en plus des nou­ velles éditions de Noldln-Schmitt, Marc-ltauss, GénicotSidsiuans, Tanquerey, les ouvrages de Vermeench, Theol. moralis, t. n, 1928. p. 564; Vromant, De bonis Ecclesia temporalibus, éd. 1934, n. 154-155; Crcusen-Venncersch, Epitome juris canonici, t. ιι, 1930, n. 835; Salsmans. Droit et morale, 1921, n. 322-330. — Pour l'explication du Code civil français : Planiol-Ripert, Traité élémentaire de droit civil, 1937, t. m, n. 2512 sq.; Allègre, Le Code civil com­ menté d l*usage du clergé, 1.1, 1S95, p. 628-631. P. Chrétien. 2. TESTAMENT (ANCIEN ET NOUVEAU). — Dans la langue ecclésiastique, le mot · testament », simple transcription de testamentum latin, lequel tra­ duit d’ordinaire le διαθήκη grec, a un sens très parti­ culier qui ne sc rattache que d’assez loin à celui de • disposition testamentaire ». Accompagné de l’une des deux épithètes · ancien > ou « nouveau », le terme désigne en premier lieu l'économie de salut réalisée par Dieu avant et après la révélation terrestre du Eils de Dieu. On parle des institutions de l’Anden Testament, on dit que certaines d’entre elles ont été abolies sous ou encore par leNouveau Testament. C’est dans le mémo sens que l’on dit : Γ Ancienne et la Nouvelle Loi et, avec une nuance un peu différente : l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. Dans cotte acception les mots tes­ tament, loi, alliance sont à peu près équivalents. Par abrégé, les mots Ancien Testament, Nouveau Testament, en sous-entendant le mot < histoire », sc disent aussi des événements dans et par lesquels se sont manifestées ces deux économies de salut : « la 183 TESTAMENT (ANCIEN ET NOUVEAU) 185 vocation dAbraham, l’apparition de Dieu à Moïse En définitive dans un « pacte ■ de cc genre, le caraedans le buisson ardent sont deux faits capitaux de tère bilatéral est plus ou moins masqué. La διαΟήχτ ΓAncien Testament; la mort de Jésus-Christ est le qui règle les rapports d’Israël avec Dieu est beaucoup fait central du Nouveau ». moins une · alliance » que l’expression d’une volonté Enfin cette histoire de l’une et de l’autre économie unilatérale de Dieu. C'est Dieu qui impose, au peuple est consignée en deux groupes de livres que l’on I qu’il a choisi, un ensemble de dispositions spéciales, désigne eux aussi sous le nom d’Ancien et de Nouveau dont les unes proviennent directement de la nature Testament. On parle du texte, du canon, des versions, même des choses, dont les autres sont librement sura· de l'interprétation de l’Ancicn et du Nouveau Testa­ ; Joutées par la divinité. Aussi, pour les Septante, le mot ment. L’Ancien Testament est l’ensemble des livres διαθήκη prend-il, en dernier ressort, la signification de inspirés et canoniques antérieurs à Jésus-Christ; le < disposition », d* « ordres ». d' < ordonnances »; il ne Nouveau l’ensemble des écrits inspirés et canoniques I traduit plus seulement beril, mais à l’occasion aussi postérieurs à Jésus-Christ. I /dra/i, dûbâr (cf. Deut., ix, 5), hôq; dans les textes I. Le mot « Testament » et la réalité. 11. L’Ancien Tes­ poétiques, il vient, en raison du parallélisme· comme tament (col 186). HL Le Nouveau Testament (col. 190). équivalent de νόμος (loi), πρόσταγμα (ordonnance), L Le mot « Testament » et la réalité. — Il est έντολαί (commandements), δικαιώματα ou κρίματα intéressant de voir comment le mot διαθήκη (testa(jugements). Il est trop clair que, pris ainsi comme mentum) qui, dans la langue classique et le grec hel­ synonyme de νόμος, le mot διαθήκη n’a plus du tout le lénistique, signifie, le plus ordinairement « expression sens de · pacte », de « traité », d'« alliance », mais seu­ des dernières volontés », en est venu, dans le langage lement de commandement s'imposant d'autorité. scripturaire et ecclésiastique, à l’acception courante Aussi διαθήκη sera-t-il surtout employé pour la < loi » d’· économie de salut ». du Sinaï; cf. Ex., xxxiv, 27; et surtout Deut., iv, 13: A vrai dire le sens premier n'est pas entièrement « Jahvé promulgua sa διαθήκη, qu'il vous ordonna inconnu dans l'Écriturc. Cf. Gai., m, 15 : « Le testa­ d'observer : (c’est à savoir) les dix paroles (commande­ ment en bonne forme d’un homme, nul ne peut le ments), qu’il écrivit sur les deux tables de pierre. » Ces casser ou le modifier. » Et Hebr., ix, 16 : « Là où il y a tables de la loi sont conservées dans le coffret sacré, testament, il est nécessaire (pour qu’il soit exécutoire) qui de ce fait s'appelle justement Γ « archc d’alliance », qu’intervienne la mort du testateur. » Ce sens ne se κιβώτος της διαθήκης, nommée dans Ex., xxxi, 7, rencontre d'ailleurs que dans les écrits néo-testa­ haârôn la'cduf, l'arche du témoignage, tandis que, mentaires, car l’Ancienne Loi ne connaissait guère Deut., xxxi, 26, elle est appelée *ordn beri( Jhvh, le droit de tester. l'arche de l’alliance de Jahvé. Ainsi la διαθήκη n’est Pour l’ordinaire, le sens du mot διαθήκη dans la rien d'autre, en définitive, que la Loi. Le parallélisme langue du Nouveau Testament est le même que celui des deux expressions est bien indiqué I Mac., i, 59-60: de διαθήκη dans les Septante. Or, chez ces derniers, il « Si l’on trouvait quelque part les livres de la Loi, on est, dans l’immense majorité des cas, la traduction du les déchirait et on les brûlait. Celui chez qui un « livre mot hébreu berif9 dont il importe de rechercher dès de l’alliance » était trouvé... était mis à mort. » Com­ lors la signification exacte. parer Eccli., xxiv, 22 : < Tout cela, c’est le livre de On s’exposerait à de graves contre-sens en tra­ l’alliance de Dieu, c’est la Loi que Moïse a donnée pour duisant uniformément le terme hébraïque par « al­ être l’héritage de l’assemblée de Jacob. » liance ». C’est quelquefois exact : David et Jonathas Ne mettons pas, d'ailleurs, sous le mot de Loi un font entre eux un · pacte », une « alliance », qui ren­ concept exclusivement légaliste. Comprise ainsi, la force leur mutuelle amitié et la met plus spécialement Loi est sans doute un complexe d'institutions de divers sous la protection de Jahvé. I Hcg., xvm, 3; xx, 8; genres, mais ce complexe est ordonné au · salut » du xxm, 18. Ainsi avaient fait jadis Jacob et Laban, tant peuple et des individus qui composent celui-ci. Nous en leur nom personnel qu’en celui de leurs ayantsvoici au concept d’économie de salut. Ce sens est très cause, Gen., xxxi, 44-54, où l’on remarquera, d’ail­ clair dans Jer., xxxi, 31 sq., où est dénoncée la cadu­ leurs, que Jahvé intervient au contrat, comme garant cité de la διαθήκη donnée au Sinaï et promise une de son exécution. διαθήκη nouvelle; celle-ci ne sera plus inscrite sur des Mais, le plus ordinairement, le ôerff, la διαθήκη tables de pierre; cette loi, Dieu l’écrira dans les cœurs : dont parlent les textes scripturaires désigne un pacte « Tous connaîtront Jahvé, depuis le plus petit jus­ d’un genre assez spécial : celui qui met en rapport qu'au plus grand, car, dit Jahvé, je pardonnerai leur l’homme et la divinité. Cf. Gen., xv, 18 : pacte entre iniquité et je ne me souviendrai plus de leur péché. · Jahvé et Abraham, scellé par un rite sacrificiel d’un Par où l'on voit que la nouvelle διαθήκη est quelque genre très particulier, ibid., 8-11 cl 17; cf. Jcr., chose d’intérieur et de moral, une connaissance et une xxxiv, 18 sq. Il va de sol que, dans un pacte de ce charité, à la différence tarie, Ueber den < Odateuchus Clementinas », seine Geschichte und seine handschrijRiche Ueberlie/erunq, dans ROmische Quartalschri/t, t. xiv, 1900, p. 1-45; ci. 291-300. C’est plus tard que l’Église monophysltc d’Égypte se constitua sur le même plan un Oclateuque clémentin, qui s'ouvrait lui aussi par le Testament; cette traduction copte fut à son tour traduite en arabe et en éthiopien; Mgr Rahmani en a colligé quelques va­ riantes dons son édition. De cet Octnteuquc copte il faut distinguer un court recueil copte, en dialecte sahidfquc, qui parait remonter à un original grec; il a été publié d'après le ms. Or. 1320 du British Museum par P. de Lagarde dans scs Ægyptiaca, Gœttingue, 1883; G. Homcr en a donné une traduction anglaise, The Statutes o/ the Apostles or Canones ecclesiastici, 1>ondres, 1901. Different encore de ces textes les • 127 canons des apôtres · qui n’existent plus qu’en arabe et qui ont été publiés et traduits par J. et A. Pérîer dans la Pair. Orient., t. vin, 1912, p. 551-570. Divisés en deux livres, renfermant respectivement 71 et 50 canons, ils sont parallèles, pour le I. I, au Tes­ tament, allégé de toutes scs formules de prière; le 1. IL étant une simple réédition, avec un numérotage spé­ cial des 84 (85) canons apostoliques. Toutes ces indications, qui nous écartent un peu du 200 Testament de N.-S. Jésus-Christ, ont du moins l’intérêt de montrer la complexité des problèmes textuels que posent tous ces écrits canoniques. A la vérité ces pro­ blèmes intéressent davantage les historiens de la litur­ gie et du droit canonique que ceux de la théologie. Pour ce qui est du Testament en particulier, les rensei­ gnements dogmatiques que l’on y peut trouver «c réduisent à bien peu de choses et il faut beaucoup de sagacité pour y découvrir les attaches de l’auteur pri­ mitif avec le monophysisme. Le fait que, dans une des formules liturgiques, le Fils est nommé avant le Père mérite d’être relevé : Of]erimus tibi hanc gratiarum actionem, œterna Trinitas, Domine Jesu Christe, Domine Pater..., Domine Spiritus sancte. L. I, c. xxm, éd. Rah­ mani, p. 13. Mais l’on n'en saurait tirer d’autres consé­ quences. La formule de la distribution de l’eucharistie a été également signalée : Corpus Jesu Christi, Spiritus sanctus ad sanationem animæ et corporis, I. II, c. x, р. 133; elle n’implique nullement une confusion entre les personnes de la Trinité. Le discours my.stagogique mis sur les lèvres de l'évêque pour l'instruction des seuls fidèles, à l’exclusion des catéchumènes, les jours de Pâques, de l’Épiphanie et de la Pentecôte, 1. I, с. xxvni, roule essentiellement sur le mystère de l'incarnation; il demanderait à être étudié de près; il ne nous semble néanmoins rien dire qu’un mclchite n'auralt pu avancer. L’assertion, selon laquelle le Verbe de Dieu, désireux de sauver le genre humain, descend au sein de la vierge · en se cachant à toutes les armées célestes et en trompant les phalanges adver­ ses », p. 61, est évidemment un trait d’archaïsme. La phrase qui suit : · Quand celui qui était incorruptible a revêtu une chair corruptible, il a rendu Incorruptible la chair qui était soumise à la mort », cette phrase est susceptible d’une Interprétation orthodoxe et ne suffit pas pour que l’on puisse ranger l'auteur parmi les aphtartodocètes. Bref les formules liturgiques ne trahissent guère la confession à laquelle appartenait l’auteur ou le traducteur. L’intérêt de l’ouvrage est ailleurs; encore faudrait-il être bien certain, avant d’en faire un témoin de la liturgie du vi· ou du vn· siè­ cle, que l’auteur reproduit fidèlement les rites et les formules de son époque. Mais n’est-il pas à craindre que l’utilisation de textes archaïques l’ait entraîné à contaminer les formulaires qu’il lisait dans son livre et ceux dont il était le témoin à son époque? C’est dire que la publication du Testament n’a pu être qu’un point de départ pour des recherches ultérieures. La l,e édit. complète du Testament est celle do Mgr Ignace Éplircm Rahmani, Testamentum Domini nostri Jesu Christi, texte syriaque et traduction latine, Mayence, 1899; mais ce texte était connu antérieurement : Ronaudot en parle déjà dans La perpétuité de la toi, dans Péd. d’Ant. Arnould, Paris, 1782, t. n, p. 573 sq.; de même J.-W. BIckell, Gesch. des Kircherirechts, t. i, p. 183 sq. P. de Lagarde publie le texte syriaque en 1856 d’après le texte très incomplet du ms. même qu’avalent vu Ronaudot et Blckcll, dans Reli­ quia· furis ecclesiastici antiqulsslm/v syriace, p. 2-19; celte édition ne contient que la lr· partie du Testament, l’ajiocalypso; un autre texte syriaque de celte apocalypse a été publié aussi par J.-P. Arendzen, dans Journal ol theol. studies, t. îl, 1001, p. 401-416. Outre les travaux mentionnés en cours d'article ou aux articles précédents, U faut signaler le travail capital do F.-X. Funk.Dai Testament unseres Iferrn und die uerwandten Sdirtjten, Mayence, 1904; lu mise au point actuelle est bien faite par O. Bardenhewer, Altkirchl. Literatur, t. iv, 1921. p. 262-275; Indications a relever dans E. Hcnnecke, Neutestamentliche Apokryphen, 2· éd., 1921, p. 551 sq. E. Αμλνν. TÉTRAQAM ΙΕ, conflit qui s* éleva entre l’Église byzantine et l'empereur Léon VI le Sage à la suite des quatre mariages successifs de ce prince. Voir Léon le Saoe, t. ix, col. 367-379, où la question a été longuement traitée. Sur le décret d'union, τόμος 201 TÉTRAGAMIE — THALASSIUS ένώσεως, qui mit fin au débat, voir V. Grume), Begestes des actes des patriarches de Constantinople, fasc. 2, p. 169-171, où l’on trouvera tous les renseigne­ ments utiles sur ce document qui fixe la législation de l’Église orientale A propos des secondes et des troi­ sièmes noces. La date du décret d'union est le 9 juil­ let 920. Voir aussi É. Amann, dans Miche-Martin, Histoire de /’Église, l. vu, p. 117-125. B. Janin. TEX 1ER Claude, Jésuite fiançais de la province (l’Aquitaine (1611-1687). — On lui doit plusieurs re­ cueils de sermons (avent, carême, dimanches de l’an­ née, fêtes de la sainte Vierge, fêtes des saints, octave du T. S. Sacrement) ainsi qu’une Conduite spirituelle pour les personnes qui veulent entrer en retraite, Paris, 1677, dédiée A Mgr de Fénelon, évêque de Sarlat. Une édition de scs Œuvres complètes a paru à Avignon en 1845, puis à Lyon en 1847, 9 volumes. 202 taillé avec une glose Indiquée par des notes marginales extrêmement pratiques. Mais ce qui importe plus encore à ce Dictionnaire, c’est l'influence profonde que M. Teysscyrrc a eue sur Lamennais, en particulier pour la composition du premier volume de V Essai sur l'indifférence. Le diman­ che 29 janvier 1809, dans l’église Saint-Sulpice, devant un concours de plusieurs milliers d’auditeurs, surtout des étudiants, l’abbé Fraysslnous avait fait une conférence sur l'indifférence en matière de reli­ gion, et montré d’une façon saisissante tout ce que cette attitude a de déraisonnable et de funeste. L’abbé Teysscyrrc trèsfrappédeccrcmarquableexposé en nota les idées, y ajouta ses réflexions et des cita­ tions d’auteurs. C’est A l’usage de sa Communauté des clercs qu’il avait fait ce travail. Le manuscrit com­ prend trois traités : 1° Sur l'indifférence et la tolérance en matière de religion; 2° Réfutation du système de la tolérance et de l'indifférence en matière de religion; 3° Sur l'indifférence en matière de religion. C’est grâce Sommcrvogel, Blbl. de la Comp. de Jésus, t. vu, col. 19511954. I aux instances de Teysscyrrc que Lamennais se mit J. DE BUC. A composer le premier volume de ï'Essai sur Γindif­ férence, et on reconnaît dans l’œuvre de Lamennais TEYSSEYRRE Paul-Émile, né A Grenoble, l’influence du manuscrit dont nous venons de parler. d’une famille de magistrats, le 13 juin 1785, mort au M. Christian Maréchal, dans La feunesse de Lamen­ séminaire Saint-Sulpice dans la nuit du 22 nu 23 août 1818. Nature d’élite, belle intelligence, A lu fols pro­ nais, Paris, 1913, ln-8°, en a, dans les pages 598 A 632 de son volume, donné la preuve. Lamennais travail· fonde et sachant se mettre A la portée de ses auditeurs; huit sur ces matériaux y a ajouté la magic de la pré­ cœur généreux, sensible, puisant dans un ardent amour de Notre-Seigneur un amour débordant pour sentation, qui faisait dire A Teysscyrrc dans une lettre les Ames, en particulier pour les enfants. Ses études à M. Poiloup: «Vous allez voir paraître un ouvrage de M. de Lamennais qui réunit le style de Jean-Jac­ littéraires terminées A Grenoble, il entra, à seize ans, A ques Rousseau, le raisonnement de Pascal et l'élo­ l’École polytechnique, où il fut reçu le 12· sur 108. quence de Bossuet. » Mais ce qu'on ne trouve pas dans Après deux années à l’école des Ponts-et-Chaussécs, il les matériaux founds par Teysscyrrc, restés toujours revint à l’École polytechnique en qualité de répétiteur. Partout il s’était montré fervent chrétien. Le 17 no­ dans la pure tradition de l’Église, et ce qui commence A percer dans ce premier volume, c’est un esprit nou­ vembre 1806, il entra au séminaire Saint-Sulpice, où il reçut le sacerdoce le 8 juin 1811. G’était le mo­ veau qui s’accentuera dans les suivants. L’audace du ment où un décret de Napoléon chassait les membres nouvel apologiste n’était pas préservée des écarts, son de la compagnie de la direction des grands sémi­ éducation théologique étant Incomplète. M. Tcysscyrre mourut peu de temps après. A la naires. M. Teysscyrrc fut prié d’y demeurer en qualité de professeur d’Écriture sainte. La chute de l'Empire nouvelle de sa mort, Lamennais s’écria avec douleur : « L’Église de France ne pouvait pas faire une plus ayant permis la rentrée des sulplciens, il demanda grande perle. · d’être agrégé à la compagnie. Après la mort de M. Montaigne, il fut chargé de la direction des caté­ Sur In vie do Teysscyrrc et scs écrits, on jwut voir : L. Bertrand, Bibliothèque sulpicienne, t. n, p. 50-53; chismes de Saint-Sulpice. Mgr Dupanloup, dans son PogucHc de Follenny, Monsieur Tcysscyrre, sa vie, son aru­ incomparable livre : L'oeuvre par excellence, ou entre­ tiens sur le catéchisme, Paris, 1868, in-8°, t. vi, Deux ere, ses lettres, Paris, 1882, in·!2 ; Christian Maréchal, La feunessede Lamennais, Paris, 1913, ίη-8·; AL Tcysseyrre, expériences, mentionne la profonde et inoubliable 16 vol. manuscrits reliés contenant : des notes de M. Da­ impression que lui firent la vue et la parole de M. Teys­ ma rsa is sur la vie do Tcysseyrre, des lettre* do ce dernier» scyrrc, directeur des catéchismes de Saint-Sulpice. 11 des Instructions dogmatiques et des dissertations, des notes lui attribue le génie du catéchiste. D’autre part la de catéchisme, des règlements de la Petite communauté, etc., Λ la bibliothèque du séminaire Saint-Sulpice. découverte qu’il lit un jour au séminaire de la rue du E. Lévesque. Pot-dc-Fer, des petits papiers de M. Teysscyrrc, · frag­ THALASSIUS, moine cl écrivain ascétique ments d’instructions familières, avis pour la première communion, histoires racontées aux enfants, para­ byzantin (vu· siècle), auteur de quatre Centuries spiri­ tuelles Περί άγάπης καί έγκρατείας καί της κατά νουν boles, homélies », fut pour lui une révélation. Il y avait en ccs noies « une telle alliance de l’esprit le plus vif πολιτείας (P. G., t. xci, col. 1428-1469). — On l'iden­ tifie d’ordinaire avec l’abbé Thalassius, higoumène et du cœur le plus tendre, de la naïveté la plus aimable d’un monastère voisin de Carthage durant la première avec la sublimité et la profondeur qu’on eût dit qu’il moitié du vu· siècle. Ce personnage Jouissait en Afri­ bégayait avec les enfants une langue céleste ». Tout que d’un grand renom de science et de vertu, au dire cela était écrit d’une façon difllcile A lire, mais quand de la Διήγησις ψυχωφελής publiée par Combélls, on était arrivé A déchiffrer cette écriture, on avait le Auctarium novissimum, 1672, t. i, p. 325. 11 entrete­ sentiment de la découverte d’un trésor. Ce fut une révolution dans les habitudes d’esprit du jeune nait des relations suivies avec Maxime le Confesseur qui composa A son Intention le De van is sacra ScripDupanloup et l’éveil de sa vocation de catéchiste. Il fit copier ccs papiers de M. Teysscyrrc sur des feuilles tune difficultatibus, P. G., I. xc, col. 24 1 sq., et lui in-4° de couleur bleue pour ménager sa vue et relier adressa au moins cinq lettres. Ibid., t. xci, col. 445, en 16 volumes. Les notes concernant le catéchisme 616, 633-637. Maxime l’appelle son · maître et sei­ forment les cahiers 8 A 14. Les autres volumes concer­ gneur », sans autre dessein vraisemblablement que de nent des lettres, des matières de théologie et la direc­ souligner l'âge et lu dignité sacerdotale de son corres­ tion de la petite communauté. C’est A lui vn efTct pondant. Wagvnmann et B. Scebcrg (art. Maximus qu’on doit la création de la Petite communauté des Confessor, dans Protest, Realencyclopûdie, 3· éd., t. xn, clercs de Saint-Sulpice, Il lui donna un règlement dép. 463) identifient l’écrivain ascétique et l’ami de saint 203 TIIALASSIUS — THANNER (MATTHIAS) Maxime avec le prêtre et hlgoumènc du monastère romain de Sainte-Lucie de Renalis dit aussi des Armé­ niens que nous trouvons A la n· session du Concile du Latran de 649 (Mansi, t. x, col. 903, 910). Cette opinion pourrait s’expliquer par l’ignorance de la Διήγησις ψυχωφελής chez les auteurs cités. Les quatre centuries sont adressées A un prêtre Paul. Les initiales des pensées forment un acrostiche con­ tinu qui n'est autre que l'envoi. Les maximes sont remarquables de concision et presque uniformément composées de deux membres sensiblement égaux. Elles ne suivent pas d’ordre déterminé. L’auteur Insiste surtout sur la purification qui prélude à l’apathie : rectification du concupiscible par la charité, de l'iras­ cible par la tempérance (έγκράτεια). Il n’en men­ tionne pas moins, à de nombreuses reprises, la deuxième phase de la vie spirituelle : prière pure et contemplation dont il connaît les degrés. Rien de neuf: tout au plus un memento fidèle des leitmotiv de la spiritualité monastique byzantine, qu’il s’agisse des étapes de l’ascension spirituelle, de l’anthropologie ascétique et de tous les concepts fondamentaux. L’ins­ piration générale rattache la doctrine des Centuries à Maxime en de multiples passages, à Évagre, directe­ ment ou indirectement, en d’autres. On trouvera de nombreux exemples de ces dépendances dans l’étude de M. Viller, Aux sources de ta spiritualité de saint Maxime, dans Hevue d'ascétique et de mystique, t. xi, 1930, passim et surtout p. 262, 266, notes 199, 210. Chaque centurie s’achève sur des pensées de contenu dogmatique : incarnation, Dieu, Trinité. Λ juger par ce qui regarde l’incarnation, la compilation parait antérieure A la crise monolhélile dont il n’est pas souillé mot. Sur la théologie des attributs divins et de la Trinité, l'auteur appartient à la ligne DenysMaximc. Pour la procession du Saint-Esprit, pas la moindre mention d’un rôle du Eils. Thalassius (iv, 92, 94, 99) en reste strictement à la notion d’àp/ή et de προβολείς. Malgré l’absence de toute préoccupation polémique, le διά του Τίοϋ est entièrement absent. Edition princeps des Centuries par Fronton du Duc, Blblloth. Pair. gr. lai., t. n, Paris, 1624, col. 1179 sq., repro­ duite par Gallandi, Veterum Patr. bibl., t. xm, 1779, p. 323,puis par Migno, foc. cil. Ce texte appellerait quelques cor­ rections, par exemple îctx au lieu de δια(ι1,99), πίστεως pour γ/; σΐΎι>; (tv, 61). Le Libellus ad Theodosium imperato­ rem publié par Migno, t. xci, col. 1472, au compte de ThaLimIus appartient a un homonyme du v· siècle (130), lecteur et moine; cf. Fabricius, Bibliotheca grtre., I. X, 1737, p. 167-168 (2· éd., t. χι,ρ. 112-114, P. G., t. xcj, col. 14261127); A. EUrha rd dam K. Krumbacher, Geschichte der bgt. Llteratur, 2· Cd., 1897, p. 147. J. Gouîllabd. THALOFER Valentin, théologien allemand (1825-1891). — Né à Unterroth, près d’Ulm (Wurtem­ berg), le 21 janvier 1825,11 prit le doctorat en théologie A Munich, par une thèse sur les sacrifices non sanglants du mosalsnie (1848), enseigna les sciences bibliques au lycée de Dillingen de 1850 à 1863 et devint à cette dernière date recteur du Georglanum de Munich et professeur de théologie pastorale à l’université. En 1876 il fut nommé doyen du chapitre cathédral d’Eichstâtt et finalement prévôt; il enseignait en même temps la liturgie au séminaire de la ville; il mourut le 17 septembre 1891, laissant le souvenir d’un bon prê­ tre en même temps que d'un professeur consciencieux. Directeur de l’Augsburger Pastoralblalt (1860-1863), 11 fut aussi à la tête de la Bibliothèque des Pères dite de Kempten, de 1869 A 1888, et donna à cette publication une vigoureuse impulsion. Voir ici PènBS, t. xn, col. 1213. Son œuvre personnelle est principalement d’ordre exégétique (surtout une Erklàrung der Psalnen, 1857, nombreuses éditions, dont une encore en 1923), mais 11 faut citer : Die Opjerlehre des Hebrûer- 204 briejes und die katholische Lehre vom h. Messopjcr, Dillingen, 1855, ouvrage repris et augmenté sous le titre Das Opfcr des A. und A’. Blindes, mit bcsonderer Bûcksicht au/ den IJebrâerbrie/ und die katholische Messop/crlehre exegetisch-dogmatisch geivûrdigt, Rullsbonne, 1870; son liandbuch der katholischen Liturgie, Fribourg-en-B., 1883, complété par A. Schmid, 1893, 2* éd. par Eiscnhofer, en 1912, est demeuré classique et a exercé une heureuse Influence dans le sens du renouveau liturgique. On cite également ses Beitrdge zur Geschichte des Ajtermysticismus und insbesondere des Irvingianismus im Bisthum Augsburg, Hallsbonne, 1857. Allgcmeine deutsche Biographie, t. xxxvn, p. 616-648; Klrchenlexikon, t. XI, col. 1451-1453; monographie de Λ. Schmid, V. Thalo/er, tint Lebenskizzc, Kempten, 1892; Buchbergcr, Lexikon fûr Théologie, t. x, col. 19-20. É. Amann. THAN N ER Matthias, écrivain ascétique alle­ mand et docteur en l’un et l’autre droit, sc lit char­ treux à Frlbourg-en-Brisgau vers 1595 et remplit l’of­ fice de vicaire dans les chartreuses autrichiennes de Grcnnitz et Aggspach. Le chapitre général de 1648, en notifiant sa mort A l’ordre, déclara qu’il y avait vécu louablement plus de cinquante-deux ans. Dom M. Thanncr a beaucoup écrit en latin et en allemand et la plupart de ses ouvrages approuvés pour être imprimés restèrent néanmoins inédits à cause des frais d’im­ pression. 1. Ven. Catharina’ de Geiuesiviler, priorissie Subtiliensis sen Unterlindensis, Ord. S. P. Dominici, Colmariæ in Alsalia, De vilis primarum sororum monasterii sui. Dom Matthias compléta cet ouvrage par l’appendice suivant : Appendix de oitis aliquot aliarum pietate pnestantium ejusdem ordinis virginum e diversis mss codd. collecta, Molsheim, 1625, ίιι-8·. M. Thanncr avait traduit ce recueil en allemand et, au commence­ ment du xvni· siècle, le bénédictin dom Bernard Pcz promit d’imprimer (ou de réimprimer) cette traduction. Quoi qu’il en soit de cette promesse, le même dom Pcz a publié l’ouvrage de la vénérable Mère C. de Gcweswilcr et plusieurs des Vies comprises dans l’appendice dans le t. vin· de sa Bibliotheca ascetica imprimée à Ratisbonnc. (Pleurs dominicaines ou les Mystiques l'entaille faite par un glaive Incandescent simplement Incision ou brûlure par incision, et cependant l'incision est distincte de la brûlure (brûlure du feu, incision du glaive) : ainsi en parlant d’une action théandrique du Christ, nous comprenons cependant les actions de ses deux natures, la divinité opérant une action divine, l'humanité opérant une action humaine. » De fide orth., I. III, n. 20, col. 1080 CD. Voir ici. t. vui, col. 735. Toutefois, Jean Damascène expose différentes ma­ nières de communication de la divinité û l’humanité dans les opérations du Christ. Au c. xv, rappelant qu'en Jésus < le Verbe agissait avec l’autorité et la puissance divines, et que l’humanité accomplissait les choses propres à l'humanité », il ajoute que cet accom­ plissement · se faisait ù la volonté du Verbe qui était uni à l’humanité et qui s’étalt appropriée celle-ci ». Col. 1057. Plus loin, au même c. xv, il parle de « la communication qu'avait la chair au Verbe dans les opérations de la divinité, quand le Christ accomplissait avec le concours de son corps, des œuvres proprement divines». Col. 1060. Enfin, dans l’un et dans l’autre chapitre, Damascène parle de < la divinité demeurant impassible dans son union avec la chair souffrante, et rendant ces souffrances mêmes salutaires », c. xv, col. 1057 BC; ou encore, c. xrx, de la communication faite par la divinité à l’opération de l’humanité (de la 211 THÉANDRIQUE (0 P É R AT 10 N) chair), < pour que l’action de la chair soit vraiment salutaire *. Col. 1080 B. 6. On pourrait s’arrêter là : il est néanmoins utile de constater qu’au xr siècle l’interprétation catholique de la formule dionysicnnc règne sans conteste. Euthymius Zigabène, après avoir montré qu’il est impossible d'aflirmer en Jésus-Christ une seule volonté ou une seule opération, car ce serait nier à la fois l’humanité et la divinité du Sauveur, interprète dans le sens du dyé­ nergisme l’opération théandrique, laquelle, selon lui, ne peut signifier que l’opération divine et l’opération humaine, mais considérées simultanément. De même, l’expression cyrillicnnc μία ένέργεια doit s’entendre de l’opération du Christ considérée dans son rapport avec la personne et non pas uniquement dans son rap­ port avec la nature. Panoplia dogmatica, tit. χχι, P. G., t. exxx, col. 1117 AC, 1120 AB. Un siècle plus tard, Théorlanos l’expliquera dans le sens d’une opéra­ tion où, chacune sur son plan et dans sa sphère, la nature divine et la nature humaine apportent leur concours. Il prend l’exemple du miracle rapporté par saint Jean, ix, 6 : « Faire un peu de bouc avec la salive est une œuvre essentiellement humaine, mais placer cette boue sur l’œil pour la changer en lumière, c’est une opération divine. » Et, pour faire comprendre sa pensée, il apporte, lui aussi, la comparaison du glaive incandescent dans le feu : non seulement, comme glaive, il coupera; mais, comme incandescent, il brû­ lera. Disputatio cum Armenorum catholico, P. G., l. cxxxiii, col. 180 BC. On a pu le constater, en face de la tendance monophysitc interprétant la formule dionysicnnc dans le sens du monénergisme, il existe, à partir du vi· siècle, une interprétation catholique expliquant en bonne part cette formule, en sol douteuse. Dans cette inter­ prétation catholique on peut même relever deux sens connexes, l’un plus strict, qui réserve l’appellation de théandrique à l’opération à laquelle concourent for­ mellement la nature divine et la nature humaine, en l’espèce toute opération concernant le salut des hom­ mes, les miracles, la satisfaction offerte par le Christ, les mérites du Sauveur, etc.; l’autre, plus large, qui reconnaît comme théandrique toute opération, quelle qu’elle soit, qui procède de l’une ou de l’autre nature du Verbe incarné, considéré comme tel. II. Lk concile de 619 et la théologie postéhieure. — Il nc serait pas difficile de montrer que le dyénergisme défini au VI· concile œcuménique trouve dans la tradition de l’Église occidentale un point d’appui solide. On peut citer Terlulllen, Apologeticum, χχι. P. L. (1844), t. I. col. 397; Ado. Praxcan, xxvn, t. π, col. 190; saint Ambroise, De fide, 1. Il, c.vn, n. 56, P. L., t. xvi (1844), col. 571; De incarnationis dominica sacramento, c. v, n. 55, col. 827; In Lucam (xxii, 42), x. 60, t. xv, col. 1819; saint Paclen, De similitudine carnis peccati, éd. G. Morin, dans Éludes, textes, découvertes, t. i. Maredsous, 1913, p. 137-143; Leporius. Libellus emendationis, η. 9, P. L., t. xxxi, col. 1228. Il est intéressant toutefois de trouver dans un ouvrage attribué à saint Hippolyte une remarque louchant la raison dogmatique qui, plus tard, devait légitimer, chez les Grecs, l’appellation de théandriques pour les opérations du Verbe incarné : « L’Incarnation une fois faite, ni le Verbe n’opère sans une participa­ tion de la nature humaine, à laquelle il est uni hypostatiquement, ni le Christ homme ne peut agir sans une participation de la divinité, car cet homme est toujours Dieu. · Serm. ado. Beronem et Heliconem, fragm., P. G.. t. x, col. 889. A qui appartient cette réflexion^ A quelle date la situer? On l’ignore encore. I· La définition du concile de 649. — On a exposé, t. x. col. 186 sq.. l’occasion du concile du Latran de 649 ainsi que la marche des sessions conciliaires. Un seul 212 canon nous intéresse ici, c’est le can. 15. dont l'objet est précisément la formule dionysicnnc de l’opération théandrique : Si quls secundum scelero­ sos hærcticos dolvirllem ope­ rationem, quod Gnvcl dicunt Οιανδριχήν, unam operat Io­ nem Insipienter suscepit .non autem duplicem osse confi­ tetur secundum sanctos Pa­ tres, hoc est, divinam et hu­ manam, aut ipsam deivirilis, quœ posita est, nonani voca­ buli dictionem unius esse de­ signat i vani, sed non utri us­ que mlritlcxc ct gloriosas uni­ tionis demonstrativam, con­ demnatus sit. Denz.-Bannw., n. 268. Si quoiqu'un, avec les cri­ minels hérétiques, traduit follement l'expression grec­ que · opération théandrique » par opération unique et s’il no confesse pas, avec les saints Pères, que cette opé­ ration est double, à savoir divine et humaine; s'il dit que dans la formule en ques­ tion, le mot « nouvelle · (opération) doit se compren­ dre comme désignant l'uni­ que être du Christ, sans mar­ quer aussi la glorieuse ct merveilleuse union do l'une et de l'autre nature, qu'il soit condamné. A la simple lecture du texte, on saisit la pensée du concile : il a voulu uniquement fixer les limites du dogme catholique. S’en tenir à la formule dyonisienne, qui nc précise pas que l’énergie théandrique implique dualité de nature et d’opération, à plus fortc raison interdire, comme l’Ecthèsc l’avait fait, de parler de syénerglsme, c’est manquer à la vérité catholique autrefois promulguée par saint Léon : agit ulraque forma cum alterius communione. Il faut confesser dims le Christ une opération double, l’opération divine et l’opération humaine. Mais là s’arrête la précision apportée par le concile : c’est, si on le veut, un point de vue encore partiellement négatif et qui laisse aux théologiens la possibilité d’interpréter avec des nuances sensiblement différentes la formule de l’opé­ ration théandrique. Or, on a vu ces nuances apprécia­ bles chez Sophrone et Maxime, d’une part, ct, d’autre part, chez Jean Damascènc ct les écrivains postérieurs. Toutefois, le canon suivant (can. 16), voir t. x, col. 192, rappelle qu’il serait hérétique, pour sauve­ garder le dyénergisme, de vouloir, entre les deux opé­ rations humaine et divine, introduire des discordes et des divisions. Conformément à la doctrine cyrillicnnc, il faut rapporter essentiellement à une seule ct même personne, la personne du Verbe incarné, les expres­ sions évangéliques, qui montrent que « le même » est naturellement Dieu et homme. Denz.-Bannw., n. 269. Cf. la lettre de Martin Ier à l’empereur Constant, P. L., t. lxxxvi, col. 137-146. 2° Le pape Agathon et le concile de Constantinople. — 1. Le concile romain de 680. — Dans un concile romain de 680, Agathon reprend la doctrine canonisée par saint Léon et par Martin I" : le Verbe, en s’incarnant, n’a pas changé sa nature divine ct n’a pas changé la nature humaine; unies dans le même sujet, nous ne pouvons séparer les deux natures qu’en pensée, et cependant les deux natures coexistent en JésusChrist sans confusion, sans séparation, sans mutation. « Chaque nature conserve ses propriétés, chaque forme opère l’action qui lui est propre, mais avec la partici­ pation de l’autre, le Verbe faisant les actions qui sont du Verbe, ct l’homme celles de l’homme... En consé­ quence, il faut reconnaître en Jésus-Christ deux vo­ lontés naturelles et deux opérations naturelles. » Cette profession de foi fut transmise par le paix* avec quel­ ques explications supplémentaires, en particulier l’affirmation que les deux volontés naturelles ct les deux opérations naturelles nc sauraient être opposées ou discordantes, ni appartenant à des sujets différents. Voir Cavaliers, Thésaurus, n. 736, 737, 738. El c’est en ce sens, déjà consacré par des interprétations officielles, qu’Agathon se réfère à Denys l’Aréopaglte. Epist. ad imperatores, dans Mansi, t. xi, col. 233-316. 21.3 THÉANDRIQUE (OPÉRATION) 2. Le VI· concile œcuménique (681). — Ce concile n’ajoute rien à la doctrine rappelée par Agathon. Après avoir rappelé en Jésus l’existence de deux volontés non contraires, il conclut à l’existence de deux opérations, l'humaine et la divine, unies dans le même sujet, mais inséparables et sans confusion possible de l’une avec 1’nutre. C’est la paraphrase de l’asser­ tion de saint Léon : agit ulraque forma cum alterius communione quod proprium esi. Verbo scilicet operante quod Verbi est, et carne exequente quod carnis est. Et, un peu plus loin, il se réfère à Cyrille d’Alexandrie pour affirmer l’unité du sujet auquel, indivisément mais inconfusément, se trouvent rapportées les deux natures et les deux opérations. Une dernière indication est néanmoins ajoutée : c’est dans cette inconfusion et cette distinction des natures et opérations que l’on saisit comment la double opération du Christ a pu concourir à notre salut. Denz.-Bannw., n. 292. L’opé­ ration théandrique n’est pas nommée; mais l’idée qu’on s’en faisait est à la base de toute cette profession de fol. 3° Doctrines théologiques. — Les théologiens se sont emparés de ces données dogmatiques ct, dans leurs commentaires à la Somme théologique, 111·, q. xïx, a. 1, apportent leurs dernières précisions Λ la doctrine de l’opération théandrique. 1. Saint Thomas. — Il est utile de voir ce que saint Thomas lui-même a pensé de l’action théandrique. La formule dyonisicnne est apportée par lui en objection, pour démontrer qu’il ne peut y avoir en Jésus-Christ qu’une seule opération. Et voici son Interprétation : Denis admet dans le Christ une opération théandrique, c’est-à-dire dlvino-humalno, non par la confusion des opéra­ tions ou des vertus de l’une et de l’autre nature, mais parce que son opération divine se sert de l’opération hu­ maine ct que son opération humaine participe à la vertu de l’opération divine. D’oti, comme il le dit lui-même dans In lettre à Caîus, dans l’homme le Verbe opérait ce qui est de l'homme : ainsi la Vierge le conçut sumaturellement ct l'eau fugitive se solidifia sous ses pieds. Il est évident qu'il appartient à la nature humaine d’être conçue, comme la marche est une opération de l'homme; mais, dans le Christ, ces deux choses ont existé surnaturellement. De même en­ core, la vertu divine opérait humainement, comme quand elle guérit le lépreux en le touchant. Aussi Denis ajoute-t-il, dans la même lettre : · No faisant pas les choses divines comme Dieu, mais en tant que Dieu fait homme, il accom­ plissait ainsi de* choses nouvelles par l'opération conjointe de Dieu et de l'homme. · Il est prouvé que Denis a compris qu’il y avait deux opérations dans le Christ, l'une relevant delà nature divine et l’autre de la nature humaine,car dans le De divinis nominibus, c. n, il dit que, pour ce qui appar­ tient à l’opération humaine du Christ, le Père et Γ EspritSalnt n’y ont aucune part, à moins qu’on ne l’explique en disant que le Père ct l'Esprlt-Salnt ont voulu dims leur miséricorde que le Christ fit ct souffrit ce qu'effecti voment il a fait ct souffert en tant qu’homme. Et le même Denis ajoute que le Père et le Saint-Esprit prennent part Λ l'opé­ ration sublime et ineffable quo le Verbe de Dieu, même après son Incarnation, n accomplie en tant que Dieu im­ muable. Il est donc évident que l'opération humaine, dans laquelle le Père ct le Saint-Esprit n’ont d’autre part que leur acceptation miséricordieuse, est autre que l'opération accomplie par le Christ, en tant que Verbe de Dieu, et qui lui est commune avec le Père et le Saint-Esprit. Îmc. cit., nd 1··. Le corps de l’article contient un excellent exposé théologique de la question de l'opération théandrique. Les partisans du monénergisme n'admettant dons le Christ qu'un seul vouloir sont logiques avec eux-mê­ mes en nc lui reconnaissant également qu’une seule opération. El saint Thomas indique immédiatement le point défectueux du raisonnement par lequel les hérétiques veulent justifier leur erreur. Dans un même sujet où les facultés sont subordonnées les unes aux autres, disent-ils, les actions ct mouvements des puis­ 214 sances inférieures sont dirigées par les puissances supé­ rieures; clics sont plutôt operata qu’operationes. Ainsi, « dims l'homme, se promener, qui est l’action des pieds, palper, qui est l'action des mains, sont des œuvres de l'homme, dont l’âme opère l’une par le moyen des pieds, l’autre, par le moyen des mains. Mais, du côté du sujet qui opère et qui est unique, l'opération est une cl sans différenciation possible; toute la différencia­ tion se trouve du côté des choses opérées ». Appliquant ce principe au Verbe incarné, dont la nature humaine était régie et réglée par la nature divine, les hérétiques disaient que « l'opération demeurait la même de la part de la divinité qui opère, quoique les choses opé­ rées fussent diverses, en tant que la divinité du Christ agissait, soit par elle-même, portant toutes choses par la puissance de sa parole, soit par l’humanité, par exemple en marchant corporellement ». Et saint Tho­ mas de rappeler ici les paroles de Sévère, récitées au VI· concile général, dans la x· session. L’erreur des adversaires consiste en ce qu’ils veulent ignorer que, même les principes d’action subordonnés ά des agents supérieurs conservent sous cette impul­ sion la forme propre selon laquelle ils ont leur propre opération. C’est ainsi que l'instrument, entendu au sens le plus strict du mol, possède une double opéra­ tion : celle qui répond à sa forme propre, celle qui répond à la forme de l’agent supérieur qui l’anime et qu'on appelle pour ce motif opération instrumentale. Et saint Thomas de rappeler l’exemple classique de la hache, dont l’opération propre est de couper et qui, mue instrumentalemcnl, fait des meubles. Ainsi, · par­ tout où le moteur ct l’objet mù ont des formes ou des vertus operatives différentes, il faut que l'opération de celui qui meut soit autre que l’opération propre de celui qui est mis en mouvement. Et cependant celui qui est mû participe à l’opération de celui qui le meut et celui qui meut se sert de l'opération propre de son instrument : il y a ainsi de l'un à l'autre une commu­ nication réciproque. De même, dans le Christ, la na­ ture humaine a sa forme ct sa vertu propre par laquelle elle opère, cl il en est de même de la nature divine. Donc, la nature humaine a une opération propre dis­ tincte de l’opération divine ct réciproquement. Mais la nature divine se sert de l’opération humaine, comme d'une opération instrumentale, ct la nature humaine participe à l’opération de la nature divine, comme l’instrument participe à l’opération de l’agent princi­ pal. C’est ce que dit le pape saint Léon dans l’épître à Flavicn : « l’une cl l’autre forme, c’est-à-dire la na­ ture divine aussi bien que la nature humaine, fait ce qui lui est propre en communication avec l’autre, le Verbe opérait ce qui est du Verbe et la chair exécutant ce qui est de la chair. » S’il n’y avait qu’une seule opération de la divinité ct de l’humanité dans le Christ, il faudrait dire ou bien que la nature humaine n’a pas de forme et de vertu propre (car il est impos­ sible de le dire de la nature divine), d’où il suivrait qu'il n’y aurait dans le Christ que l’opération divine, ou bien il faudrait dire que la vertu divine ct la vertu humaine sont fusionnées dims le Christ en une seule vertu. Deux hypothèses pareillement impossibles. En acceptant la première, on ne met dans le Christ qu’une nature imparfaite; par la seconde, on confond les deux natures. » Art. 1, corpus. Pour bien comprendre toute la pensée de saint Thomas, il ne faut pas s’en tenir à l’art. 1. Au fond, l'importance du débat sur l’opération théandrique est qu'il faut, avant tout, sauvegarder dans le mystère de l’Hommc-Dieu, non seulement l’intégrité de la nature humaine et de toutes ses propriétés, mais encore la possibilité d’un mérite rédempteur. Si toute opération devait être rapportée à l’unique nature divine, la pos­ sibilité du mérite serait sans fondement. La question 215 THÉANDRIQUE (OPÉRATION) de l'opération humaine dans le Christ amène saint Thomas à élucider d'abord la question de l'extension de l’acte proprement humain dans l’humanité du Sau­ veur. Tout en admettant la multiplicité des fonctions et des opérations vitales dans le Christ, saint Thomas fait observer qu’ « en Jésus-Christ, comme homme, il n'y avait aucun mouvement de la partie sensitive qui ne fût réglé par la raison ·. Bien plus, « les opérations naturelles et corporelles appartenaient aussi d’une cer­ taine manière à sa volonté, en ce sens qu’il dépendait de cette faculté que son corps fît et souffrit les choses qui lui sont propres. Aussi, dans le Christ, il y a eu une opération humaine beaucoup plus tôt que dans tout autre homme ». A. 2. Cette incursion sur la puissance instrumentale de 1’rtmc du Christ relativement aux opérations du corps, voir ici Jésus-Christ, col. 1316, complète heureusement la mise au point touchant l’ac­ tion théandrlquc et prépare les articles suivants touchant le mérite de l'opération humaine du Christ, d’abord pour lui-même (a. 3), ensuite pour les autres (a. 4). 2. Les commentateurs. — A la suite de Cajétan, les commentateurs de saint Thomas font remarquer que le problème de l'opération unique ou multiple dans le Christ est facile â résoudre quand on l’envisage par rapport au principe actif agissant par sa vertu propre. Il s'agit, pour employer un terme scolastique, non du principe premier d’action dans un sujet, principe qui se confond avec le sujet lui-même, principium quod, mais du principe humain et immédiat de l’opération, principium quo. Ainsi l’homme est le principe premier agissant et son action se manifeste par l’opération de scs facultés Intellectuelles, sensitives, motrices, etc. En s’en tenant à cette considération, sc demander si dans le Christ il n’y a qu’une seule opération commune à la divinité et à l'humanité, c’est équivalcmment demander si. dans le Christ, il n’y a qu'un seul principe immédiat de l'opération soit divine soit humaine. Et, puisque dans le Verbe Incarné il y a les deux natures, et une humanité intègre et parfaite, jouissant de son activité propre. Il est évident que, conformément à la définition du VI· concile, il faut affirmer dans le Christ deux opérations, l'opération divine et l’opération humaine. Mais les commentateurs font ensuite observer que ces deux opérations appartiennent à un unique sujet, le Verbe fuit homme : il faut donc, selon la célèbre formule de saint Léon, qu'elles soient coordonnées entre elles. Or. si l’on considère de près les raisons de coordination invoquées par les Pères, on en relève trois. La première sc tient uniquement dans un ordre de perfectionnement moral, l’opération humaine étant toujours dirigée par la divinité de telle sorte qu’elle s'est montrée toujours conforme aux exigences de l'ordre : « Je vous ai donné l’exemple, dit le Christ, afin que vous agissiez comme moi-même j’ai agi. » Joa., xm, 15. La seconde considère l’ordre de l'efficience instrumentale par rapport aux œuvres surnaturelles, miracles et prodiges de toute sorte, que l’humanité était appelée à accomplir en tant qu’inst ruinent de la divinité. La troisième, enfin, sc rattache à la com­ munauté d'action de la divinité unie Λ l’humanité dans l'ordre du mérite et de la satisfaction, en tant que la divinité du Verbe, par le fait de l'union hypostatique, communiquait è l’humanité sainte du Sauveur la va­ leur infinie attachée aux actions d’un sujet divin. Tous ces aspects de l’action théandrlque sc trouvent indiqués par saint Jean Damascènc, voir ci-dessus, col. 210. Les commentateurs en concluent que n’importe laquelle des actions du Christ considéré dans son humanité peut être dite théandrlque, sous l'un des trois aspects précités, puisqu'il n’existe aucune action humaine du Christ qui n’ait été au moins dirigée par la 216 divinité. Mais la réciproque n’est pas vraie : les opéra­ tions proprement divines ne sont théandriques que si elles utilisent de quelque manière l'humanité. Les commentateurs ajoutent que l'opération théandrlque est surtout celle qui a pour objet de conférer à l'opéra­ tion humaine du Christ un mérite et une valeur de satisfaction infinis comme l’exige la dignité infinie du Verbe Incarné. Le cardinal Billot a exposé fort lucide­ ment ces trois degrés, de plus en plus parfaits, de l’ac­ tion théandrlque, pour s’arrêter avec plus de com­ plaisance sur le dernier qui a trait ά la satisfaction et au mérite du Sauveur : < On peut donc considérer l’opération théandrlquc dans un ordre triple : dans l'ordre de la perfection mo­ rale, dans l’ordre des mutations sur les choses exté­ rieures, dans l’ordre de la satisfaction et du mérite auprès de Dieu. « Sous le premier aspect, l’opération théandrlque pré­ sente cet exemplaire suprême de sainteté qui, pour tout le genre humain, a resplendi dans le Christ. Sous le second aspect, l’opération théandrlquc se rapporte aux miracles accomplis par le Sauveur. Sous le troi­ sième aspect, elle implique la satisfaction qui a ôté le péché de ce monde et le mérite infini qui a rendu la grâce aux hommes. « A ne considérer que l’extérieur des choses, ce qui frappe notre esprit, il faudrait donner la première place aux deux premiers aspects de l’opération théandrlque. Car, sous ces deux aspects, l’opération théandrlquc manifeste très particulièrement le mystère de l’incar­ nation; elle en est un signe qui le rend croyable et qui nous Incite à le croire. Si donc on affirme ici que l’opé­ ration théandrlque se rapporle principalement aux œuvres du Christ concernant son mérite et sa satisfac­ tion, c'est parce que ces sortes d’œuvres n’ont pu être accomplies, de quelque façon qu’on les envisage, que par un Homme-Dieu, tandis que le modèle de sain­ teté, les miracles, ne réclament pas aussi impérieuse­ ment l’union personnelle de la nature créée à Dieu. En effet, Dieu, de puissance absolue, aurait pu orner un homme de tant de grâce et régler et modérer ses actions en toutes choses de telle façon que cet homme, dépassant toutes les catégories particulières de la na­ ture humaine, aurait été pour tout le genre humain un modèle parfait de sainteté, proposé â l’imitation de tous et de chacun, modèle que nul n’aurait pu égaler, dont tous auraient participé cl qui aurait présenté une mesure de sainteté au moins égale â la mesure de l’imi­ tation, comme la chose fut réalisée en fait dans le Christ. Pareillement Dieu, de puissance absolue, au­ rait pu, par l’instrument d’une simple créature hu­ maine, opérer tous les prodiges qu'il opéra par son humanité unie à sa divinité : ressusciter les morts, guérir les malades, commander aux éléments terres­ tres, chasser les démons, accomplir les autres merveilles que nous lisons dims l’Évangilc. Mais, pour offrir une satisfaction suffisante ù la réparation du péché, était absolument requise l'humanité comme instrument conjoint ù la divinité, puisque d’une part il fallait une œuvre satisfactolre offerte par une créature humaine, et d’autre part la valeur infinie que la divine hypos­ tase communiquait à cette œuvre. Une telle satisfac­ tion est donc bien l'opération théandrlque par excel­ lence. » De Verbo incarnato, Ί· éd., Borne, 1927, th. xxxi, corollaire, p. 333-334. S. Thomas, Summa throt., IIP, q. xix, a. 1, et les com­ mentateurs. Cf. Cont. Gent., I. IV, c. lvi; Compendium theologlæ, c. ccxi; Petau, De incarnatione, L VIII, c. vii-xni; Noel Alexandre, Hist. eccl., mbc. Vil, dissert, ix; Franzelln, De Verbo incarnato. th.xi.; Stent rup, Christuloqia, th. li-liiî; L. Billot, De Verbo Incarnato, th. xxxi; A. d’Alès, Dr Verbo incarnato, th. xm. A. Michel. 217 THE1NER (JEAN-ANTOINE) - 1. THEINER Jonn-Antoine, ecclésiastique alle­ mand, finalement sorti de l’Église (1799-1860). — Né ù Breslau le 15 décembre 1799, Il fut ordonné prêtre en 1822; deux ans plus tard 11 fut nommé professeur d’exégèse et de droit canonique ù l’université de sa ville natale, où il prit, en 1826, le doctorat en théologie et en droit canonique. Il écrivit à cette date : Variai doctorum catholicorum opiniones de /ure statuendi impe­ dimenta matrimonii dirimentia, Breslau, 1825, et De pseudo-isidortana collectione, ibid., 1827; mais aussi des publications d’ordre moins scientifique en faveur du mouvement catholique réformiste : Die katholische Kirche in Schlesien, 1826, et surtout : Ein/ûhrung der erztvungenen Ehelosigkeit bei den christlichen Geistlichen und ihre Folgen, 1828, violente attaque contre le célibat ecclésiastique. Obligé de quitter sa chaire, il devint curé de Polsnitz, en 1830, puis de Hundsfeld, en 1837. Il passa ouvertement au rongianlsme, fut excommunié en 1815 et prit, dans < l’Église catholique allemande », la direction de la communauté de Bres­ lau. 11 ne tarda pas, d’ailleurs, à se brouiller avec Ronge, contre qui il écrivit Rcformatorische Ilestrebunqen in der katholischen Kirche, 1846. Retourné à la vie laïque, il devint secrétaire de la bibliothèque de Breslau (1855-1860), et mourut le 15 mal 1860, sans s’être réconcilié avec l’Église. Klrchentcxlkon, t. xi, col. 1488; Buchberger, Lexikon für Théologie, t. x, col. 26. É. Amann. 2. THE 1NER Augustin, frère cadet du précé­ dent, membre de l’Oratoire d’Italie (1804-1874). — Né à Breslau le 11 avril 1804, d’abord hésitant sur la voie à suivre, amené par son frère dont il subit toujours l’influence, aux éludes juridiques, il entreprit de longs voyages de recherches en Belgique, en Angleterre, en France — il s’y rencontra avec Lamennais — se fixa définitivement à Rome, où il situe lui-même sa conver­ sion; cf. Histoire de ma conversion, Paris, 1838. Ordonné prêtre. Il entra dans l’Oratoire de saint Phi­ lippe de Nérl, où il rencontra, pour les travaux d’érudi­ tion auxquels il voulait se livrer, de singulières faci­ lités. Membre de plusieurs congrégations romaines et de diverses sociétés savantes, il eut la faveur de Gré­ goire XVI. plus tard celle de Pie IX, qui devait fina­ lement le disgracier après le concile du Vatican, durant lequel il avait été en étroites relations avec la minorité antlinfaillibllistc. 11 mourut Λ Civita-Vecchia le 8 août 1874; on a pu se demander s’il était mort dans le sein de l’Église catholique; il était toujours resté Intime avec Doellinger. Son œuvre littéraire, qui est considérable, intéresse bleu plus l'historien que fe théologien. Pourtant ce der­ nier y rencontrera nombre de documents inédits du plus haut intérêt; malheureusement Theincr est un esprit brouillon, trop souvent négligent et qui ne laisse jamais un plein sentiment de securité. 11 avait débuté par une étude d’histoire du droit canonique : Disqui­ sitiones in privcipuas canonum et decretalium collec­ tiones, in-4·, Rome, 1830, puis était passé à des sujets plus modernes : Die neuesten Zustdnde der katholischen Kirche in Polen und Russia nd, 1811 ; Die Rückkehr der regierenden Utiliser Rraunschiveig und Sachsen zur katholischen Kirche, 1843; Herzog Albrechts von Preussen geivcsenen Hochmeiste.rs des deutschen Ordens und Friedrichs /. KOnigs von Preussen versuchtc Rückkehr zur kath. Kirche, 1845; Zustdnde der kath. Kirche in Schlesicn, 1740-1758, 1846. L’ouvrage qu’il avait Λ la demande de Pic IX rédigé sur le pontificat de Clé­ ment XIV, Geschichte des Ponti/ikats Klemens* XIV., 2 vol., Paris, 1853; trad. Ital., 3 vol., Milan, 1855, ne brille pas par l’impartialité; 11 lui valut des répliques de Fr. IL Relncrding et du P. de Ravignan, et la traduction italienne fut interdite dans les États pon­ THÉISME 218 tificaux. A partir de 1855, Theincr, préfet des Archives vaticancs, put puiser A pleines mains dans ce rtche dépôt et publia une série de documents du plus haut intérêt pour l’histoire de l’Église. Il avait d’abord tenté de poursuivre la continuation des Annales eccle­ siastici de Baronlus, à partir du point où les avaient laissés Rinaldi (de 1199 a 1565) et Laderchl (de 1565 à 1571); c’est ainsi qu’il publia à Rome, 1856, trois volumes qui menaient l’histoire ecclésiastique jusqu’à la fin du pontificat de Grégoire XIII (1585); Il parlait de rassembler les matériaux qui lui permettraient d’atteindre la fln du règne de Pic VL Mais il fut bien­ tôt arrêté par la masse des documents à mettre en œuvre. Sur les entrefaites il fut sollicité par l’éditeur Guérin, de Bar-lc-Duc, de donner une nouvelle édition des Annales en prenant comme point de départ l’édi­ tion de Lucques, dont Mansi avait assuré la publica­ tion. Encore que la préface du t. !«, Bar-le-Duc, 1864, promette d’importantes modifications à l’œuvre de Mansi, il ne semble pas que l’édition procurée par Theincr, 37 vol. grand ln-4· qui parurent à Bar, puis à Paris, de 1864 à 1883, ait changé grand’ chose à l’édi­ tion de Lucques; elle a seulement rendu plus acces­ sible au grand public la consultation d’une œuvre devenue fort rare. A partir de 1859. délaissant la continuation des Annales, Theincr se mit à publier sous le titre de Vetera monumenta des pièces inédites concernant l’histoire ecclésiastique de divers pays : Hongrie, 2 vol. ln-fol., Rome, 1859, 1860; Pologne, Lithuanie et pays avoisinants. 4 vol., ibid., 1860-1864; Slaves du Sud, 2 vol., ibid., 1863; Irlande et Écosse. ibid., 1861. Il donna aussi en français les Monuments historiques relatifs aux règnes d'Alexis Michaélovitch, Féodor Ztr et Pierre le Grand, czars de Russie, extraits des archives du Vatican et de Naples, Rome, 1859; en latin un Codex dominii temporalis sanetx Sedis, 3 vol., Rome, 1861-1862; des Monumenta spectantia ad unio­ nem Ecclesitr grivcæ et roman» (en collaboration avec Miklosich), Vienne. 1872. De même Inspiration, sinon de même facture, un travail traduit en allemand par Mgr Fessier sous le titre : Die zivei allgemeinen Konzilien von Lgon und Konstanz und die ivellliche Herrschaft des h. Stuhles, 1862. qui eut un gros succès. Par contre 1*Histoire des deux concordats de la République française et de la République cisalpine de 1801 et de 1803, Bar-le-Duc, 1869-1870, fut vivement attaquée. Pendant le concile du Vatican, Theincr avait com­ muniqué au cardinal de Hohenlohe plusieurs docu­ ments relatifs au concile de Trente que la curie voulait garder secrets; ce fut la cause de sa disgrâce. Ces docu­ ments et d’autres furent publiés après la mort de Theincr sous le titre à* Acta genuina concilii Tridentini, 2 vol., A grain, 1874; ils sont devenus sans grand Inté­ rêt depuis la publication des Actes de Trente entre­ prise par la Gocrresgcsellschaft sous le haut patro­ nage de la curie romaine. Allgemelne drulsche Biographie, t. xxxvn, p. 674-677; Kirchenltxikon, t. xi.col. 1486-1488; IL Rcusch.Das Index der verbotenen Bûcher, t. îi. p. 1124 *q., 1140 sq.; Hurter, Nomenclator, 3· êd., t. v b, col. 1630-1634; Buchberger, Lexikon fiïr Théologie, t. x, col. 27-28. É. Amann. THÉISME, doctrine qui professe l’existence d’un Dieu personnel, créateur c! provident. — A l’art. Déisme, l. iv, col. 231-232, on a expliqué la distinction actuellement faite entre les mots « théisme » et • déisme », qui ont pourtant tous deux la même étymo­ logie. Encore que le mot · théisme » doive s’opposer d’abord Λ celui d’< athéisme », voir t. i, col. 2190 sq. et ù celui de · panthéisme », voir t. xi. col. 1855 sq., c’est principalement au mot « déisme » qu’on l’oppose aujourd’hui. Ce dernier système, tout en reconnaissant l’existence de Dieu et sa distinction d’avec le monde. 219 THÉISME — THÉMISTIUS rejette a priori toute intervention de la Cause suprême dans son œuvre. Au rebours, le théisme admet cette intervention. Sans doute rcconnatt-il que, parson seul labeur, la raison humaine peut arriver à la connais­ sance de Dieu, de son existence, de ses attributs, de son action et tout particulièrement de sa providence. Mais, ceci posé, il laisse ouverte la question de la pos­ sibilité des rapports entre Dieu et son œuvre. Cette œuvre, la Cause suprême ne la dirige pas seulement par les lois générales de la nature; elle domine d’assez haut tout le système des causalités qui dérivent d’elle pour qu’il lui soit loisible d'y intervenir, môme au détriment du déterminisme des lois naturelles; en d’autres termes, le théisme admet la possibilité du miracle. Tout spécialement il reconnaît la possibilité de ce miracle d’ordre psychologique qu'est la révéla­ tion : Dieu par des procédés divers, d'ordre extérieur ou d'ordre intérieur, fait s'épanouir dans une cons­ cience humaine des pensées, spéculatives mais surtout pratiques, auxquelles n'aurait pas abouti d'emblée le psychisme humain. En d’autres termes le théisme est avant tout interventionniste. C'est le théisme qui constitue le substratum sur lequel s’édifie ultérieure­ ment la théologie du révélé. C'est l'exposé général du théisme qui est fait ici à l’article Dieu, aux articles Attributs divins, t. i, col. 2223-2235; Création, Miracle, Révélation. É. Amann. THÉMISTIUS, diacre d’Alexandrie et chef de la secte des agnoètes (vi· siècle). — On est mal rensei­ gné sur les circonstances de sa vie. Selon Libératus, il était déjà en fonction sous le patriarche antlchalcédonien Timothée III (518-535) et c'est à celui-ci qu'il aurait soumis d’abord ses idées sur « l’ignorance » où l’humanité du Christ aurait été de certaines choses. Breviarium, c. xix, P. L., t. lxviii, col. 1034. Re­ poussé par le patriarche, il aurait fait schisme. Selon le pseudo-Léonce, De sedis, act. V, c. iv-vi, P. G., t. lxxxvî a, col. 1232, cette altercation doctrinale se serait produite non point avec Timothée, mais avec son successeur Théodose (voir ci-dessous, col. 325), alors que cclul-cl était déjà en résidence à Constantinople, donc après 536; c’est dans la capitale que le schisme aurait éclaté, les partisans de Thémistius s'étant alors séparés de la communion de Théodose. Les deux don­ nées ne sont pas absolument incompatibles; la pre­ mière discussion a pu avoir lieu à Alexandrie, au temps de Timothée, amenant une certaine fermenta­ tion; Thémistius a pu néanmoins être du nombre des clercs de tout grade qui, de bonne grâce ou contraints, accompagnèrent Théodose à Constantinople, où se serait produit l’éclat définitif entre le patriarche et son diacre. Ces discussions curent leur écho à Alexandrie, où un certain nombre de personnes se rallièrent aux idées de Thémistius. Il restait encore de ces thémls- ■ liens ou agnoètes au temps du patriarche melchite, saint Euloge (581-008), qui discuta leurs arguments et fut de ce chef félicité par le pape saint Grégoire. Voir BpUL, X, xxxix, P. L., t. lxxvh, col. 1096. Cette lettre est de 600, on n'y trouve plus la moindre allusion à Thémistius qui devait être mort depuis assez long­ temps. Les idées du diacre et leur genèse nous sont mieux connues. A l’encontre de la théologie, plus ou moins teintée d'cutychianisme, que soutenait Julien d’Halic amasse, Thémistius était rallié au monophysisme modéré (presque verbal) de Sévère d’Antioche; avec ce dernier il admettait que l'humanité du Christ, étant consubstantielle à la nôtre, avait été affectée des mêmes Indigences que nous, avait été capable de souf­ france* réelles, avait été sujette à la corruption et à la mort. Mais il poussait jusqu’au bout les consé­ quences que tirait Sévère de ce principe incontestable. 220 Les déficiences de l'humanité, ce ne sont pas seule­ ment celles de la chair, mais celles de l'esprit : la con­ naissance humaine est vite au bout de scs limites. Il n'en a pas été autrement dans le Christ; bien que son savoir ait de beaucoup dépassé le nôtre, il avait, comme le nôtre, ses lacunes, scs ignorances; plusieurs passages de l'Évangile le montraient bien : Jésus de­ mandait où l'on avait mis le corps de Lazare, Joa., xi, 34, c’est donc qu’il ne savait pas où sc trouvait le cadavre; chose plus grave, il avait solennellement déclaré que, «pour ce qui était du jour et de l’heure du jugement dernier, nul ne le savait, ni les anges, ni le Fils lui-même, mais le Père seul ». Marc., xrn, 32. A la vérité, Thémistius n'était pas le premier à relever ces textes relatifs à « l'ignorance » du Sauveur; les ariens les avalent mis en avant et, en leur temps, les Pères avalent répondu à leurs difficultés ; plusieurs, et non des moindres, avaient reconnu cette « ignorance » en la mettant au compte de l’humanité du Christ. Pour qui admettait la doctrine des deux natures il n'y avait point ici de difficulté Insurmontable. Mais Thé­ mistius, il ne faut pas l'oublier, était monophysite : s'il n'y a plus, après l'incarnation, qu’une seule na­ ture, la nature divine en laquelle s’absorbe la nature humaine, s'il n’y a plus — et Thémistius le reconnais­ sait — qu'une seule « opération », attribuer l’ignorance au Verbe Incarné, c'est faire entrer l’ignorance dans la divinité même. Néanmoins il ne faut pas perdre de vue que le monophysisme sévéricn est plus verbal que réel. C'est en paroles surtout que l’on y maintient la μία φύσις τού Θεού Λόγου σεσαρκωμένη ; dans la réalité, Sévère et Thémistius admettaient, tout comme les chalcédoniens, que l’humanité du Christ était créée comme la nôtre et possédait toutes les caractéristiques que nous possédons nous-mêmes; s'ils ne voulaient pas dire qu'elle était une φύσις distincte de la φύσις divine, c'est que, faisant de φύσις le synonyme absolu ά’ύπόστασις, ils craignaient de tomber dans le < nesto­ rianisme », comme le faisaient, disaient-ils, les chalcé­ doniens. Pour inconséquente que fût leur doctrine, les sévériens admettaient des déficiences possibles dans l'humanité du Christ. Toute la question était de savoir Jusqu’où allaient ces déficiences; Sévère et Théodose s’arrêtaient aux déficiences de la chair, Thé­ mistius admettait les limitations de la connaissance. C'étaient surtout des arguments de fait qu’il faisait valoir et il n’en avait guère de nouveaux à produire. Le diacre paraît avoir été un écrivain fécond; mais de cette production il ne nous reste plus que des titres et quelques fragments. Dans le dossier de la contro­ verse monothélitc rassemblé avant le concile du Latran de 649 et qui fut également employé pour le VI· concile œcuménique, il est question, à plusieurs reprises, d'un tomos adressé par Thémistius à l’impé­ ratrice Théodore, en réponse à un mémoire qu'avait composé, à l'intention de la souveraine, le patriarche Théodosc. Mansi, Concit., t. x, col. 1118; t. xi, col. 440 D où 1'écril est appelé άντιρρητικδς κατά τού τόμου Θεοδοσίου; c'est le même écrit qui est déjà signalé par Maxime le Confesseur, Dialog., P. G., t. xci, col. 172. Maxime connaît aussi un autre traité (πραγματεία), qu’il faut Identifier avec le « Traité contre Colluthus », cité dans le dossier du Latran, Mansi, t. x, col. 1118; ce Colluthus, un personnage de l'entourage de Théodose, avait écrit, au nom de son patriarche contre Thémistius. Ibid,, col. 1121. Le même dossier signale aussi une « Épître dictée par lui (Thémistius) pour les Salamitcs »; une « Lettre adres­ sée au prêtre Marcel et au diacre Étienne »; un « Dis­ cours abrégé dédié au moine Charlslus »; une < Ré­ ponse à ce que lui avait écrit Constant, évêque de Laodlcée »; une dissertation Ιϊρδς τούς λέγοντας, 0τ*. διά τά μίαν είναι Οεοπρεπή την ένέργειαν του Χριστού 221 THÉMISTIUS — THÉOCRATIE πάντων είχε την γνώσιν ή άνθρωπότης αύτοϋ; une < Apologie des vingt chapitres, adressée à une réunion de moines ». Photius, deux siècles plus tard, connais­ sait un livre de Conon, Eugène et Thémistius contre le De resurrectione de Jean Phllopon, IHbl., cod. 23, P. G., t. cm, col. 60; si le Thémistius ici nommé est bien notre diacre, cela montrerait qu'il avait des sym­ pathies pour un des groupes trithéistes (voir l'art. Tiutiiùisme). Enfin le même Photius fait mention d'une polémique littéraire entre Thémistius et un moine alexandrin nommé Théodore. A l'apologie de Thémistius — sans doute la même qui est citée plus haut — et dont le titre complet était Καλωνύμουτοΰ καί Θεμιστίου άπολογία ύπέρ του b; άγιοΐς Θεοφοβίου (nous Ignorons tout de ce dernier), le moine Théodore répliqua par un volumineux ouvrage, au titre ver­ beux : "Ελεγχος ώς έν συντόμφ της άνωθεν καί έξ αρχής Θεμιστίου κατά των ημών Πατέρων προπετοϋς καί άλογωτάτης ένστάσεως, έκ προφάσεως νυν ήμϊν πεπονημενος των προβεβλημένων ύπ’ αύτου κατά τής άληθεΐας ζητημάτων τε καί προτάσεων καί σαφής διευκρίνησις τής προκειμένης ύποθέσεως. (Réfutation abrégée de l'ouvrage jadis et dès le début composé par Thémistius, où il s’insurge avec précipitation et sottise contre nos saints Pères, discussion des ques­ tions soulevées par lui contre la vérité et examen dili­ gent de l’hypothèse qu'il propose.) A cet ouvrage, con­ tinue Photius, Thémistius répliqua par un court traité, un μονοβίβλος; Théodore ne s'avoua pas vaincu et riposta par une œuvre, en trois tomes. Fut-ce même la fin de la polémique? Les fragments conservés de Thémistius ont été colligés par les adversaires du monothéllsme pour dé­ montrer que l’affirmation de l'unique < énergie » et de l'unique volonté ne se trouvait que chez des héré­ tiques. Tous ceux que nous avons ne se rapportent donc qu'à ce point très spécial; ils insistent sur l'unité de volonté (Οελήσις) et de connaissance (γνώσις) en Jésus; mais de même qu’ils distinguent deux θελήματα, deux vouloirs, de même ils devaient — malheureuse­ ment il ne s’est point conservé de textes en ce sens — distinguer deux γνωρίσματα, deux façons de connaître, deux objets et deux modes de connaissance, ce qui permettait au diacre alexandrin d'échapper aux con­ séquences de l'affirmation de l'unique nature et de l’unique énergie. En définitive la psychologie du Christ qu'il proposait était plus voisine du chalcédonisme qu’il ne le pensait lui-même. Les agnoètes étaient, dans le fond, des chnlcédonlens qui s’igno­ raient. Le pseudo-Léoncc en fait la très judicieuse remarque, De sectis, act. X, c. ni, P. G., toc. cit., col. 1261 : · La question des limites exactes de la con­ naissance (humaine) du Christ n’a point été tranchée par le Concile. » En polémiquant contre les thémistiens, Euloge ne semble point s’être douté que ceux-ci étaient plus près de Chalcédoine que les sévériens de stricte observance, lesquels, Λ leur tour, étalent plus orthodoxes que les Jullanistcs, eux-mêmes plus pro­ ches des catholiques que les vrais eutychiens. Peutêtre n'cst-il pas inutile de faire ces remarques si l’on veut entendre le sens des condamnations portées, a-t-on dit, par le pape saint Grégoire le Grand contre l’agnoétisme. lx?* source· ont été étudiées au cours do l’article; ni Timo­ thée de Constantinople, Dr rcccpt. h/vrette., P. G,, t. lxxxvi, col. Il, 53, 57, ni Jean Dumascène. De Torres., 85, P. G., t. xciv, col. 756, n’ajoutont rien que l’on no trouve avant eux; Nicéphore Callisto, //. E., I. XVIII, c. l. P. G., t. cxlvi, col. 133, confond Thémistius avec le philosophe païen de mémo nom du iv· siècle, attribuo à celui-ci l’erreur ngnolte, qui aurait repris consistance au vi· siècle; Michel le Syrien, Chronique, éd. et tmd. Chalxit, t. n, p. 248, n’est pas plus renseigné (pie les autours grecs. Voir pour la mise en œuvre J. Maspéro, Histoire des patriarches d*Alexandrie, 222 Paris, 1923, pasiim (table au mot AgnoHes, Thémistius). Pour la question proprement théologiqur, voir ici nu mot Agnoètes, t. i, col. 595 et Science du Christ, t. xiv, col. 1616-1647. É. Amann. THÉOCRATIE. — Le mot paraît bien avoir été forgé par l'historien juif Flavius Josèphe : < Parmi les peuples, écrit-il, les uns ont confié à des monar­ chies, les autres à des oligarchies, d’autres encore au peuple le pouvoir politique. Mais notre législateur (Moïse) n'a arrêté scs regards sur aucun de ces gouver­ nements; 11 a, si l’on peut faire cette violence à la langue, institué comme gouvernement U théocratie, plaçant en Dieu le pouvoir et la force, ώς δ'άν τις είποι βιασάμενος τβν λόγον, θεοκρατίαν άπέδευξε τύ πολίτευμα, Θεώ την άρχην καί τύ κράτος άναθείς. » Cont. Apionem, 1. II, c. xvi. Et un peu plus loin, faisant l'apologie de ce genre de gouvernement : « Peut-il y avoir, dit-il, une constitution plus belle et plus juste que celle qui attribue à Dieu le gouvernement de tout, qui charge les prêtres d'administrer au nom de tous les afïaires les plus importantes et confie au grandprêtre, à son tour, la direction des autres prêtres...? Les prêtres (dans ce système) ont la surveillance rigou­ reuse de la loi et des autres occupations, ils sont les surveillants et les juges et châtient eux-mêmes les coupables. Peut-il exister une magistrature plus sainte que celle-là? » Ibid., c. xxi et xxn. Par où l’on voit que, à l’estimation de Josèphe, la théocratie, qu’il vaudrait mieux appeler la hiérocratie (souveraineté des prêtres) est proprement le régime qui a gouverné les Juifs entre le retour de la captivité et la ruine de Jérusalem en l’an 70 de notre ère, quoi qu’il en fût des divers pouvoirs laïques qui pouvaient interférer avec celui du sacerdoce. Cf. Ici l’art. Ju­ daïsme, § in, institutions, t. vin, col. 1606-1614. Mais l'historien juif fait remonter à Moïse lui-même la res­ ponsabilité de cet état de choses. Jusqu’à quel point cette vue correspond-elle à la réalité, ce n’est pas ici le lieu de le discuter. A étudier l’histoire d'Israël, on se rendrait compte que la théocratie, telle que la défi­ nit Josèphe est, en ce qui concerne la nation juive, de date relativement récente. Il est toutefois un autre aspect du régime politique du peuple Israélite qui donne aux gouvernements suc­ cessifs de celui-ci allure théocratique. En vertu de l'alliance du Sinaï, les choses civiles et les choses reli­ gieuses étaient si intimement unies que les préceptes religieux étaient lois d’État et inversement; dès lors la transgression d’une loi civile (lois sur les héritages par exemple, ou sur les mariages) était considérée comme une atteinte directe à la volonté divine. Par ailleurs c'est Dieu qui avait investi directement et sans intermédiaire scs représentants visibles. Moïse, Josué, les juges, Saûl, David; toutes les lois et ordon­ nances concernant la conquête, la division, l’adminis­ tration, la défense du pays étaient censées avoir été données par lui. L’institution même de la monarchie ne changea pas essentiellement ces rapports entre Dieu el son peuple : les rois étaient les représentants de Jahvé, investis de droits sacerdotaux, plus ou moins étendus, plus ou moins admis par le sacerdoce en exercice; on voit les prophètes leur transmettre les communications divines et les souverains amenés, par force ou par amour, à suivre ces Indications. De son côté, la hiérarchie sacerdotale elle-même n’était pas sans intervenir, à l’occasion, pour rappeler aux rois leurs devoirs. Bref, sans être une théocratie au sens exact où nous avons entendu Josèphe définir ce régime politique, l’État juif, au temps des rois, sc rappro­ chait jusqu’à un certain point de la conception plus ou moins idéale que représente ce mot. A-t-ll subsisté quelque chose de ces idées théocra- 223 THÉOCRATIE ligues dans la nouvelle économie du salut instaurée par Jésus-Christ? Est-il dans les vues du Sauveur ou de v»n Église que les sociétés civiles soient gouvernées immédiatement par Dieu, c’est-à-dire, dans la pra­ tique, par scs représentants, par le sacerdoce? Nul, à coup sûr, ne le soutiendra. Le Christ a nettement mar­ qué la limite entre les deux pouvoirs temporel et spi­ rituel qui sc partagent le gouvernement des hommes, Mat th., xxn. 16-22; il a déclaré formellement que son royaume n’était pas de ce monde, Joa., xvm, 36, refuse de trancher de son autorité propre des diffé­ rends relatifs à des affaires d’héritage, Luc., xn, 13-14. Dès qu’elle a réfléchi À la loi constitutive de la société devenue chrétienne, l’Égiise a clairement défini In distinction des deux zones qui ressortissent respecti­ vement au pouvoir temporel et au pouvoir spirituel. Dans sa zone d’attribution, chacun de ces deux pou­ voirs est indépendant de l’autre. Nul ne l’a dit avec plus de clarté que le pape Gélase (492-496) dans sa lettre fameuse à l’empereur Anastase. P. L,, l. lix, col. 41. De fait, à partir du moment où l’empire romain sc convertit au christianisme, le péril est bien plutôt du côté d’empiètement du pouvoir séculier sur le domaine spirituel que d'ingérences du spirituel dans le temporel. Les revendications de l’Égiise, d’ailleurs assez timidement exprimées, visent à obtenir dans le domaine des choses religieuses une Indépendance qui lui est, A bien des reprises, strictement mesurée. Loin de chercher à mettre la main sur le domaine propre de l’État. l'Égiise doit bien plutôt se défendre contre les empiètements des souverains laïques. On a étudié à l’article Pouvoir du pape en matière temporellle, i t. xn, cnl. 2701 sq., comment la papauté médiévale a été amenée à revendiquer et quelquefois à exercer une certaine autorité sur le temporel. Les historiens indé­ pendants donnent assez volontiers le nom d’idées théocratiques, de théocratie médiévale, etc., à l’en- , semble de vues qui sc sont fait jour au milieu du xi* siècle sur les rapports entre le « sacerdoce et l’em­ pire ». Ils parlent du régime théocratiquc conçu d’abord par Grégoire VU, clairement exprimé par Innocent III et plus encore par Innocent IV, rappelé avec une sorte de brutalité par Boniface VIII. Tout en constatant cet usage, il faut regretter l’abus du mot. Les théories des papes en question prétendent assurer au pouvoir spirituel une prépondérance de dignité et d’autorité par rapport au pouvoir temporel, mais elles n’entendent pas supprimer la distinction entre les deux pouvoirs. Tout au plus pourrait-on dire que, par la métaphore des « deux glaives », les théoriciens du « pouvoir direct » laissent quelque prise A l’accusation portée. Les « deux glaives » sont d’abord, en théorie, aux mains de l’Égiise, entendons que celle-ci possède radicaliter l’un et l’autre pouvoir, le spirituel et le temporel. Mais elle ne les retient pas tous les deux. Gardant l’usage du glaive spirituel, clic remet au pouvoir séculier le glaive temporel, tout en sc réserv mt de contrôler l’usage qui en sera fait. Les deux pouvoirs demeurent donc distincts, encore que le tem­ porel soit subordonné au spirituel. Nous sommes assez loin de la définition que donnait Josèphe de la théo­ cratie. Quant à la concentration dans les mêmes mains du pouvoir spirituel et du temporel par le fait que h pape < st devenu le souverain d’un État Indépen­ dant. ou It s évêques seigneurs temporels plus ou moins autonomes, elle n'a rien à faire avec la théocratie : en­ core qu’exercés par la même personne, les deux pouvoirs restent distincts par leur nature et leur application. P-zor la premiere partie «Théocratie Israélite»,Be reporter i l’art. Hots t Livres drt), t. xiu, » art oui col. 2332 iq., 2340 ; 4 compléter par l’art. Paralipomène* (Livrât 2«/. t xi. «urtout col. 1077 *q.; enfin à l’art. Judaïsme, < vin, col 1606-161K THÉODORE 1er 224 Pour la « théocratie pontificale· ·, outre l’art. Pouvoir du pape en matière temporelle· se reporter aux articles con­ cernant les divers papes Grégoire VII, Innocent III, Gré­ goire IX, Innocent IV (particulièrement important), Boniface VIII. É. Amann. THÉODICÉE. — Ce mot, qui signifie étymo­ logiquement · justification de Dieu » (Θεός et δίκη), a été employé pour la première fois par Leibniz : Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de Γhomme et l'origine du mal, Amsterdam, 1710; cf. art. Leibniz, t. ix, col. 175. Les ouvrages de P. Bayle, tout spécialement le Dictionnaire et la Réponse aux ques­ tions d'un provincial, avaient ravivé la question du problème du mal; cf. art. Bayle, t. n, col. 488 sq. C’est à la demande formelle de la reine Charlotte de Prusse que Leibniz composa son ouvrage pour répon­ dre aux objections de Bayle et Justifier contre lui les prérogatives divines, tout spécialement la providence. Mais l’usage a peu à peu élargi la signification origi­ nale du mot. Le problème du mal constituant la difllculté la plus considérable qui puisse être faite à l’exis­ tence d'un Dieu unique, créateur souverainement sage, souverainement puissant, la discussion de ce problème devra former une partie considérable de toute étude sur Dieu. Ainsi le mot « théodicée » a fini par désigner ce que l'on appelait autrefois la « théologie naturelle », c’est-à-dire la science de Dieu telle qu'elle peut s'éta­ blir par les seules lumières de la raison, en dehors de tout appel (au moins explicite) aux enseignements de la révélation. Voir ici l'art. Dieu, t. iv, col. 756 sq., où la première section, Connaissance naturelle de Dieu, est consacrée à établir la légitimité de la théodicée, col. 757 sq., et la seconde à fournir les preuves ration­ nelles de l’existence de Dieu, col. 874 sq.; la troisième, Dieu, sa nature d'après la Bible, col. 948-1023 ne res­ sortit pas à la théodicée, pas plus que l'ensemble de la section iv, Dieu, sa nature d'après les Pères; mais lu théodicée se retrouve au dernier paragraphe, col. 1148 sq. : Apport philosophique dans la théodicée des Pères, aussi bien qu'à la section v : Dieu, sa nature selon les scolastiques, car les spéculations de ces der­ niers sont surtout d'ordre rationnel; la fin même de cette section est consacrée aux éléments pérlpatétlclens introduits en théodicée, col. 1185-1202 et tout spécialement à l'influence de la philosophie religieuse des Arabes, col. 1202, et du juif Maimonide, col. 1223. Quant à la section vi : Dieu, sa nature d’après la philo­ sophie moderne, col. 1243 sq., elle donne une histoire détaillée de la théodicée moderne et des différents problèmes avec laquelle celle-ci a été aux prises; elle signale aussi les principaux ouvrages sur ces divers aspects de la théodicée. É. Amann. THÉODORE Ier, pape du 24 novembre 642 au 14 mal 649. — D’origine orientale — son père était de Jérusalem — il succéda, après une vacance de cinq ou six semaines, au pape Jean IV. Les premiers mois de son pontificat furent troublés par la révolte du cartulaire Maurice contre l’exarque de Bavcnne, Isacius, avec qui ce fonctionnaire avait jadis eu partie liée. La tentative de Maurice échoua; enlevé de Sainte-Marie Majeure où il avait cherché un asile, le malheureux fut livré à l’exarque et décapité à Bavcnne. Isacius ne tarda pas, d'ailleurs, à mourir et fut remplacé par Théodore Caliopa, que l'on retrouve dans l'histoire du pape Martin successeur de Théodore. Le Liber ponti­ ficalis à qui nous devons ces détails sur les troubles romains de l'hiver 642-643, ne dit pas quelle fut en l'occurrence l’attitude du pape. Il faut penser qu'il resta loyal envers l’exarque byzantin; le Liber ne signale pas de difficultés entre les deux pouvoirs du­ rant les années suivantes. Λλ <> THÉODORE Ier — THÉODORE D’ALANIE 226 Cela ne veut pas dire que Théodore Ier ait souscrit ù ne parlent pas de ce cérémonial imposant. » Il se pour­ lu politique religieuse de Constantinople· Celle-ci s’agi­ rait fort bien que ce détail soit légendaire : Théophane tait autour de l'acceptation de VEcthèse monothélltc n’est pas toujours un garant absolument sûr. d’Héracllus. CL art. Monoth^lisme, t. x, col. 2320. G’cst encore sous le pontificat de Théodore, et ver· A défaut de Rome, qui, dès le temps du pape Séverin, les derniers moments, que sc place la publication par avait pris position contre le document impérial, l’em­ l’empereur Constant II du Type, rendu vraisembla­ pereur Constant II escomptait la fidélité du titulaire blement A la demande du patriarche Paul et qui cons­ de Constantinople. Depuis l’automne de 041, le siège tituait un recul du gouvernement byzantin par rap­ patriarcal était occupé par Paul, qui, d'ordre du baslport à VEcthèse. Nous Ignorons si Théodore eut con­ leus, avait remplacé Pyrrhus, compromis dims les naissance de cet acte et, supposé qu’il l'ait connu, événements politiques Λ la suite desquels Constant II l’attitude qu’il prit à son égard. Ce serait son succes­ était arrivé au trône. Paul, d’ailleurs, tout en restant seur, Martin Ier, qui mettrait sensiblement sur le même fidèle ù VEcthèse, entendait bien ne pas rompre avec le pied VEcthèse · très impie » et le Type « scélérat ». premier siège; le pape Théodore, assez mal renseigné Théodore Ier mourut le 14 mal 649, laissant, au dire sur les circonstances dans lesquelles Paul avait rem­ du Liber pontificalis, une réputation de grande bonté. La ville de Rome et la banlieue lui doivent l’érection de placé Pyrrhus, essaya d’obtenir du patriarche en quelques sanctuaires qui paraissent avoir été assez exercice une rétractation de la doctrine monothélite et de l’adhésion ù VEcthèse. Au cours de 643 il en­ modestes. voyait à Constantinople une légation, qui comprenait, Jaflé, Ré gesta pontificum romanorum, t. i, p. 228 sq.; entre autres, le diacre Martin, son futur successeur. V. Grumel, Règestes du patriarcat de Constantinople, fasc. 1 ; Les lettres qu’elle emportait se sont conservées : Jaffé, Liber pontificalis, édit. L. Duchesne, t. i, p. 331-335 (la Regesta, n. 2019, 2050, 2052. Toutes insistaient sur la notice, presque contemporaine, doit beaucoup aux acte» du concile du Latran de 649; cf. Ici art. Marten I·, t. x, nécessité de procéder régulièrement contre Pyrrhus, qui n’avait pas été canoniquement déposé, et sur l’obli­ col. 186 sq.). Voir les diverses histoires de la papauté et de ΓItalie gation pour le nouvel élu d’abandonner VEcthèse, que dans les bibliographies des papes contempo­ Rome avait condamnée. Mais c’était se méprendre sur mentionnées rains; y ajouter : V. Grumel, Recherches sur l'histoire du les dispositions réelles de Paul qui sc montra finale­ monothêllsnie, dans Échos d'Orlent, t. xxvn, 1928; Caspar, ment un partisan aussi convaincu de la formule mono­ Geschichte des Papsllums, t. Il; É. Bréhler, dans Fllchethélite que scs deux prédécesseurs Sergius cl Pyrrhus. Martln, Histoire de l'Égiise, t. v, p. 165 sq. Les négociations sc prolongèrent quelque temps, sans E. Amann. que nous puissions en dire le détail. Finalement, ù une 2. THÉODORE 11, pape en novembre 897. — date qu’il est impossible de préciser et après réception 11 remplaça le pape Romain, lequel avait été élu en d’une lettre du patriarche constituant une fin de non août après l’insurrection qui avait jeté bas Étienne VI, recevoir (cf. Grumel, 1Ugestes, n. 300), le pape Théo­ le triste président du « concile cadavérique ». si cruel dore prononça contre Paul une sentence de déposition, à la mémoire de Formose. Romain avait pris à l’en­ d’ailleurs inexécutable : propter quod justa ab apostolica droit de celle-ci les premières mesures de réparation ; Sede ipse depositionis ultione percussus est, dit le Liber ce fut Théodore II qui les mena à bien. Dans les trois pontificalis, qui emprunte cette phrase, comme plu­ semaines qu'il lut pape, il eut le temps de tenir un sieurs autres de sa notice, ù un discours prononcé par synode où fut réglée l'affaire des ordinations conférées le pape Martin Ier au concile du Lalran de 649. Cf. par Formose. Le concile cadavérique les avait décla­ Mansi, ConciL, t. x, col. 878. rées invalides et le pape Étienne VI avait exigé des Un moment Théodore avait cru être plus heureux ecclésiastiques ainsi ordonnés des lettres constatant avec l’cx-patriarche Pyrrhus. Déposé, comme nous qu’ils renonçaient à leurs fonctions. Aucun d’entre l’avons dit, en 641, celui-ci avait fini par sc rendre en eux néanmoins n’avait été réordonné. Le synode de Afrique où on le trouve, en 645, soutenant avec le Théodore leur rendit tous leurs droits; leurs lettres de célèbre Maxime le Confesseur une discussion, demeu­ renonciation furent brûlées. D’autre part le corps de rée fameuse, sur les deux « énergies » et les deux vo­ Formose, jeté dans le Tibre quelque temps après le lontés dans le Christ. Voir t. x, col. 449. A la suite de concile cadavérique et qu’une crue du fleuve avait cette controverse, Pyrrhus s’était déclaré convaincu déposé dans la campagne, fut ramené par le pape de la vérité du dyothélismo et, toujours accompagné de Théodore, avec toute la solennité possible, à SaintMaxime, s’était rendu à Rome pour se réconcilier avec Pierre où il retrouva sa place parmi les tombeaux de le pape Théodore, sans doute vers la fin de cette mémo ses prédécesseurs. L’apaisement provisoire que ces année. Celui-ci se prêta de bonne grâce aux demandes diverses mesures produisirent à Rome ne devait mal­ de Pyrrhus, qui, après avoir condamné le monothéheureusement pas survivre au décès de Théodore dont lismc soutenu par lui et son prédécesseur et après avoir il est difllclle de préciser la date. Au dire de Flodoard, professé la foi orthodoxe, fut reçu avec les honneurs ce pape n’avait siégé que vingt jours. qui convenaient à son rang : fecit (Theodorus) cathe­ Mémos sources ot mémos travaux quo ceux Indiqués aux dram ei poni juxta altarem (sic), honorans eum ut sacer­ article· Formose, Marin, etc. Les textes essentiels rassem­ dotem regite duitatis, dit le Liber pontificalis, qui ajoute blés dans Jaffé, Regesta, t. i, p. 441. Cf. É. Amann, dans ce détail aux précisions données par le pape Martin FUcbo-Martin, Histoire de l'Égiise, t. vu, n. 25-26. dans le discours déjà cité. Au fait, Pyrrhus désirait É. Amann. 3. THÉODORE D’ALANIE (1« moitié du surtout avoir l’appui du pape Théodore pour remonter sur le trône patriarcal. Quand il vit cette chance lui xiu· siècle). — Titulaire de cette ville, située dan* la Russie méridionale et qui administrait les colonies échapper, il joua sur l’autre tableau; venu à Ravenne, il chanta de nouveau la palinodie. Alors un synode byzantines en bordure de la Mer Noire, cet évêque a romain rassemblé par le pape A Saint-Pierre le con­ laissé un récit très vivant d’un voyage apostolique damna et sanctionna sa déposition. Théophane, entrepris par lui dans l’arrière-pays, chez les Alains. Chronographia, an. 6121, signale un geste tout à fait Ce récit est adressé au patriarche grec de Constanti­ extraordinaire fait par le pape à cette occasion; sur le nople, pour lors en résidence ù Nicée, et ù son synode tombeau de saint Pierre il aurait fait apporter le calice permanent. Texte dans P. G., t. cxl, col. 388-413. Les et aurait versé dans l’encrier quelques gouttes du renseignements fournis par cette relation sont du plus précieux sang, pour signer l’acte de condamnation. vif intérêt, tant au point de vue géographique qu’û « Les documents romains, fait remarquer L. Duchesne, celui de Γ histoire de l’évangélisation de la Russie. Les DICT. DE Tlléou CA TH O L. T — XV. — 8. 227 THÉODORE D’ALANIE — THÉODORE BAH-KONI Alains chex qui pénètre Théodore sont chrétiens, mais quels singuliers chrétiens! Très jalouses de leur juri­ diction, les autorités ecclésiastiques locales ne brillent ni par la science, ni par la vertu. — De ce même Théo­ dore, A. Mal signale, à la suite d’Allatius, un écrit d'ordre ascétique : 'Ηθικά, en dix sections, dont il donne les incipit et qu’il a trouvé dans un ms. du Va­ tican, qui n'est pas autrement désigné. Par ailleurs le ms. d’Oxford, Bodl. Barocc. 13 J (xiv· s.), fol. 185-186, donne un discours prononcé par Théodore d'Alanic à l’intronisation du patriarche Germain II de Constan­ tinople (1222-1240), qui, au temps de l’Emplre latin, était réfugié à Nicéc. Notice de Mal dans Nova biblioth. Patrum, t. vi b, p. 379397, reproduite dons P. G., t. cxl, col. 385 sq.; A. Eh rlia rd, dans Krumbachcr, Gesch. der byzant. Lltcratur, 2· éd., 1897, p. 157. É. Amann. 4.THÉODORE D’ANDIDA, auteur d'une ex­ plication des cérémonies de la messe,—A. Mal a publié dans la Bibliotheca nova Patrum, t. vj, p. 545, une brève dissertation intitulée : Προθεωρία κεφαλαιώδης περί των h τη Οε(α λειτουργία γινομένων συμβόλων καί μυστηρίων, Commentaire abrégé des symboles et des mystères de la divine liturgie, reproduite dans P. G., t. cxl, col. 417-468. Elle sc donne comme l'œuvre d’un Théodore évêque d’Andida, adressée par lui ù son collègue Basile, évêque de Phytéa. L'un et l’autre per­ sonnage nous sont inconnus par ailleurs et même leurs sièges épiscopaux ne seraient pas faciles à identifier. D'après Lequicn, ils seraient à chercher dans la Phry­ gie salutaire; A. Ehrhard met Andida en Cappadoce. Les dates de ces deux évêques ne se laissent pas non plus déterminer avec exactitude. On a parlé, sans au­ tres preuves, du xi· ou du xir siècle. Toutes ces impré­ cisions n’empêchent pas la dissertation en cause d’être fort intéressante. On en a déjà dit quelques mots à l'art. .Messe, t. x, col. 1332. Par ailleurs, F. Kattenbusch, à l'art. Mystagogische Théologie de la Prot. Healencyclopâdie, t. xm, p. 612-622, a montré l'im­ portance de cette dissertation qui se situe dans une série de productions analogues s’échelonnant de la Hiérarchie ecclésiastique du pseudo-Denys (fin du v· siècle), jusqu’au De divino templo de Syméon de Thessalonlquc (milieu du xv· siècle). Ces compositions ont ceci de commun qu'elles développent, avec plus ou moins de bonheur, le symbolisme des rites et des prières de la messe. Partant de cette idée traditionnelle que la messe est une reproduction et comme une représentation du sacrifice de la croix, les auteurs de ces écrits cherchent à retrouver dans les cérémonies de la liturgie une image des diverses circonstances de la passion du Sauveur, ou même de cc qui l'a précédé et de ce qui l'a suivi. On sait que l'Occidcnt latin a connu aussi de semblables tentatives, à commencer par celle d’Amalairc de Metz. Or, l’intérêt du travail de notre Théodore consisterait en ceci qu’il est le pre­ mier à avoir trouvé dans les rites liturgiques une repré­ sentation figurée non plus seulement de la passion du Sauveur, mais de toute sa carrière terrestre, de toute Γέπχδημία, de toute ΓοΙχονομία de Jésus. C’est l’idée sur quoi il insiste, parce qu’il sent bien qu’elle n’est pas acceptée de tous, dans son introduction. N. 1. Il se rend bien compte, d’ailleurs, que le parallélisme entre l'histoire du Christ et les cérémonies de la messe n’est pas toujours facile à établir, surtout en cc qui concerne les rites de l'avant-mcsse. .Mais, fort de l’exactitude de son idée, il ne se laisse rebuter par rien. On lira avec Intérêt comment il volt dans les cérémonies de la pro­ thèse, la représentation du mystère de l’annonce à Marie. N. 10; on sera plus surpris encore de découvrir que le pain de la prothèse, s’il représente le corps du Christ, ne laisse pas de représenter aussi la sainte 228 Vierge : είς τύπον της άει παρθένου καί Θεοτόκου. Ν. 9. La table de la prothèse elle-même est à In fois le symbole de la crèche de Bethléem, de la maison de Nazareth où s'écoula la vie cachée du Sauveur, du tombeau où son corps fut déposé après sa mort. Aussi bien, fait remarquer assez naïvement Théodore, on ne peut pas multiplier indéfiniment les autels dans le sanctuaire! Les différentes lectures représentent la vie publique de Jésus, mais aussi, par anticipation, la pré­ dication des apôtres dans l’univers. La < grande entrée » est la répétition du cortège triomphal qui mène Jésus, au Jour des Hameaux, de Béthanie à Jérusalem. N. 14 sq., surtout 18. Le reste des cérémonies saintes est ensuite raccordé, tant bien que mal, aux événe­ ments qui se succèdent dans la semaine sainte Jusqu’à la mort, la sépulture et la résurrection du Sauveur. Tout n’est pas également heureux dans les rapproche­ ments faits par Théodore et son imagination s'est par­ fois donné trop libre carrière. Il ne laisse pas de rester un témoin précieux tant de l'état des cérémonies de la messe byzantine vers le xi· siècle, que des idées théo­ logiques admises par tous à ce moment. Si contestable que soit le dessein de faire cadrer les divers rites de la liturgie avec des événements historiques, la doctrine demeure qui voit dans la messe le renouvellement de la Cène et du drame du Calvaire. Se reporter à l'article cité de F. Kattenbusch, et à la pré­ face d'A. Mal reproduite dans P. G,, t. cxl, col. 413 sq.; cf. A. Ehrhard, dans Kruinbachcr, Gesch. der byzantin, /.ileratur, 2· éd., p, 137. É. Amann. 5. THÉODORE BAR-ΚΟΝΙ (ou Kcwani), théologien nestorien du vin· siècle. — Sa personne est mal connue. Assémani l'identifiait avec un Théodore, évêque de LaSom en 893; depuis, on en a fait un évê­ que de KaSkar au début du vu· siècle (Bubons Duval). J.-B. Chabot a fait remarquer que dans les mss du Livre des Scolies, le seul ouvrage de Théodore qui nous soit conserve, l’auteur n'est pas présenté comme un évêque, mais est simplement appelé · docteur du pays de Kalkar »; 11 parait donc être un moine < écrivant pour ses frères ». D'autre part une note dit que le 1. IX a été achevé en 791. Cette date est à retenir. Le cata­ logue d'Ébedjésus, dans J.-S. Assémani, Bibliotheca orient^ t. ni, a, Home, 1725, p. 198, lui attribue « un Livre de Scolies, une histoire ecclésiastique, des ins­ tructions ascétiques et des discours funéraires ». Seul le premier ouvrage s'est conservé; il a été édité par Addal Scher, dans le Corpus scriptorum Christianorum orientalium, Script, syri, sect, il, t. lxv-lxvi. C’est une compilation où sont mélangées toutes sortes de don­ nées philosophiques, théologiques, apologétiques. Il est divisé en onze livres; L I-V, scolies sur l’Anclen Testament; 1. VI, introduction au Nouveau Testa­ ment, formée surtout par des définitions théologiques; L VII et IX, scolies sur le Nouveau Testament; 1. VIII, deux traités, l'un contre les chalcédonlens et les monophysltcs, l’autre contre les ariens; 1. X, dialogue entre un chrétien et un païen (celui-ci est en réalité un musulman); 1. XI, traité contre les hérésies, partiel­ lement dérivé de saint Épiphane, mais qui ajoute des données fort intéressantes et généralement de bon alol sur les manichéens, les mandéens et autres sectaires peu connus. C’est à cause de ces notices que Théo­ dore a eu en ces derniers temps un regain de notoriété. Voir ici art. .Mandéens, t. ix, col. 1812; art. Mani­ chéisme, fdid., col. 1842, 1855, 1874, etc. On a signalé l'édition donnée par Adda! Scher; il n'y a pas Jusqu'à présent de traduction complète; mais les textes relatifs au manichéisme sont traduits dans H. Pognon, Inscriptions mandates des coupes de Khonabir, Paris, 1899, et dans F. Cumont, La cosmogonie manichéenne d'aprb Théodore bar Koni, Bruxelles, 1908; cf. aussi Baumstark, 229 THÉODORE DE CANTORBÉRY dans Orient chrlstianus, 1905, p. 1-25; Martin Lewin n pu­ blié les scolios sur Gen., xn-i, : l)lr Scholim des Theodor bar K6ni zur PatrlarchrngcschlcJdc, Berlin, 1905. Voir les histoires do la littérature syriaque : Habens Duvul, p. 308, 369; Buumstark, 6’ric/i. der syr. LUcrat., p. 218-219; J.-B. Chulxit, Littérature syriaque, 1934. p. 107108. Je n'al pu consulter G. Karlan i, dans G lornale della Soc. as hit. Ual.t nous*, série, t. f, 1925-1926, p. 250-290. É. Amann. 6, THÉODORE DE CANTORBÉRY, 7· ar chevêque de celte ville (602-690). — On ne sait ù peu près rien de la première partie de sa vie. Né à Tarse, en Cilicie, il a dû recevoir dans celte ville, qui, au vu* siècle, avait conservé quelque chose de sa gloire passée, une solide formation intellectuelle; il l’a per­ fectionnée à Athènes cl s’est acquis par là une répu­ tation d’humaniste et de philosophe : Grœco-latinus ante philosophus et Athenis eruditus, écrit de lui, cin­ quante ans après sa mort le pape Zacharie. Jaffé, Re­ gesta pontif. rom., n. 2286. La première fols qu’il sort de l’ombre, sans qu’il soit possible d’esquisser son curriculum vitœ antérieur, c’est en 667; à cc moment il est en Italie, où il peut être venu avec l’empereur Cons­ tant II, qui a fait son entrée solennelle dans Home en 663 et a séjourné en Occident jusqu’à sa mort (668). Moine dans un des couvents grecs des environs de Naples, il n’a encore reçu aucun ordre, mais il a la pleine confiance de l’abbé Hadrien, que le pape vou­ lait justement élever au siège de Cantorbéry. La jeune Église d’Angleterre était alors profondément trou­ blée; les rois de Kent et de Northumbrie, favorables aux usages romains, si vivement combattus par les Scots et qui venaient seulement de triompher à la conférence de Whitby (664), avalent envoyé à Rome, pour l’y faire consacrer comme archevêque parle pape, un prêtre nommé Wighard. Mais, peu après son arri­ vée, celui-ci était mort de la peste. Cf. Jaffé, n. 2089. Dès cc moment le pape s’intéressait vivement à l’Églisc d’Angleterre; sur le refus de l’abbé Hadrien, il choisit comme métropolitain de Cantorbéry le moine Théodore qu’il consacra lui-même le 26 mars 668. Jaffé, ibid., post η. 2093. C’est seulement deux ans après sa consécration que Théodore put arriver dans sa ville épiscopale. Mais, durant son passage en Gaule, il avait déjà pu sc rendre compte de toute la complexité des problèmes que les questions de personnes tout au­ tant que celles de doctrine créaient en Grande-Breta­ gne. Investi d’une autorité quasi-patriarcale sur l’Églisc d’Angleterre, le nouvel arrivé entreprit dès l'abord la visite de son ressort, s’efforçant d’instaurer partout les règles monastiques conformes à celles du continent et de faire reconnaître le comput pascal ro­ main, théoriquement accepté à la conférence de Whitby, mais qui était encore loin de s’imposer de manière générale. Une lâche non moins importante était la constitution d’un épiscopat. De fait, au mo­ ment où Théodore entrait en fonctions, il n’y avait pas plus de quatre évêques pour l’heptarchie anglosaxonne; encore la situation de trois d’entre eux étaitelle irrégulière. L’archevêque réussit à faire remonter Wilfrid sur le siège d’York, à régulariser la promotion de Ccadda, ci. art. Réohdinations, t. xin, col. 2400, qui fut installé à Licht field, à consacrer plusieurs au­ tres prélats. Quand, en septembre 673, Théodore réu­ nit à Hertford le concile de la Grande-Bretagne anglosaxonne, il avait déjà autour de lui un épiscopat. Cc concile est très important; grec d’origine, l’archevêque s’était muni de la Collectio canonum qu'au début du vu· siècle son compatriote, Dcnys le Petit, avait com­ pilée et traduite en latin; il en tira un certain nombre de prescriptions qu’il recommanda spécialement à l’at­ tention de l’Églisc d’Angleterre. Elles sont relatives au comput pascal, à l’organisation de l’épiscopal, à la discipline monastique, à l’indissolubilité du mariage. 230 Voir la lettre synodale dans Bède, H. E,, IV, v, P. L., t. xcv, col. 180-183. En acceptant ces prescriptions l’Églisc anglo-saxonne sc rattachait à l’organisation générale des Églises du continent. Théodore entendait bien que ccs prescriptions ne demeurassent pas lettre morte; H continua à travailler à la constitution de l'épiscopat, dans le sud, d’abord, puis dans le nord, où son intervention n’alla pas sans quelque raideur. Wilfrid, qui, grâce à Théodore, avait recouvré le siège d’York, s’était heurté aux mauvaises dispositions de la cour de Northumbrie. Profitant de cc début de disgrâce, l’archevêque de Cantorbéry, qui n’hésitait pas à regarder Wilfrid comme l’un de ses suffragants, arrive à York et démembre le très grand diocèse de Wilfrid, où il crée trois autres sièges, Lindis­ farne, Hexham et Whiteme. Rien ne prouve que Wil­ frid fût opposé nu principe de la subdivision, mais il se considérait, à juste titre, comme ayant voix dans la question. Il fit appel au pape Agathon et, non sans de multiples délais, sc rendit à Rome, où son droit fut reconnu. Pour le détail du concile romain, voir les indications dans Jaffé, Regesta, post η. 2106. Mais, quand il rentra en Angleterre, Wilfrid n’arriva pas à faire reconnaître par la cour de Northumbrie les déci­ sions de Rome; il fut même emprisonné, puis exilé, tandis que les évêques dont le pape avait ordonné la retraite gardaient leurs sièges. Théodore consacra deux nouveaux prélats en 681 ; on le retrouve encore dans le nord en 684, puis en 685 où il ordonne un nouveau titulaire pour le siège de Lindisfarne. Ne voyons pas, d’ailleurs, dans celte attitude de l’archevêque une ré­ volte contre Rome, qui, clic-même, ne lui tint pas rigueur. En 680, il est invité par le pape Agathon au concile romain où doit être arrêtée l’attitude à prendre dans l’affaire du monolhélismc; le pape espérait beau­ coup de la présence de celui qu’il appelle famulum atque coepiscopum nostrum, magnx insulæ Britanniæ archiepiscopum et philosophum. Cf. Mansi, Concil., t. xi, coi. 292. Théodore ne sc présenta pas, mais il reçut communication des actes du synode romain, qu’il transmit à l’épiscopat anglais au concile d'Hctfield (septembre 680). Cf. Bède, 11. E., IV, xvn. Quelques années plus tard, en 686, il se réconciliait avec Wilfrid. D’après le biographe de celui-ci, Eddius, Théodore aurait confessé l’injustice qu’il avait commise et au­ rait offert à Wilfrid sa propre succession; mais le titu­ laire d’York tenant à rentrer en Northumbrie, il de­ manda seulement qu’on l’aidât à recouvrer son siège. Ainsi fut fait et la rentrée de Wilfrid dans le nord inaugura pour celui-ci une trêve de cinq ans; il con­ naîtrait par la suite de nouvelles disgrâces, un nouvel appel à Rome. Théodore ne devait plus être mêlé à ces dernières agitations autour de Wilfrid; il mourut en effet le 19 septembre 690, à l’âge de quatre-vingt huit ans; il en avait consacré vingt à sa patrie d’adoption. L’œuvre de cc Grec en Angleterre a été de capitale importance. C’est vraiment Théodore qui a fait l’Eglise anglo-saxonne et qui a. par là-même, contribué à faire la nationalité anglaise. Il a réussi dans l’œuvre d’orga­ nisation où avaient échoué saint Augustin de Cantor­ béry cl scs premiers compagnons. S’il n’est pas l’auteur du premier rapprochement entre Bretons et AngloSaxons — le premier honneur en revient à Wilfrid — du moins a-t-il déployé, pour parfaire l’uniflcation, des efforts qui furent couronnés de succès. A celle Église il a donné une solide organisation épiscopale et rompu définitivement avec les vieux errements des chrétientés celtiques et de leurs évêques gyro vagues. Quand il meurt, il y a vraiment un épiscopat anglosaxon, qui ressemble à celui du continent, qui s’appa­ rente, par le droit canonique qu’il met en œuvre, aux épiscopats d’Italie et des Gaule-s, plus encore peutêtre à ceux d’Oricnt. Ce dernier point est d’intérêt et 231 THÉODORE DE CANTORBÉRY — THÉODORE LE LECTEUR d'Ailleurs se comprend sans peine. Formé en pays de langue grecque, Théodore devait marquer d'une em­ preinte spéciale la jeune Église d’Angleterre. Son ac­ tion a été considérable et plus encore peut-être dans le domaine de la pratique morale que dans celui du droit canonique proprement dit. On a dit à l’art. Pénitentikls, t. xii, col. 1166 sq., voir surtout col. 1168, les caractéristiques des compilations qui sc réclament du nom de Théodore. Encore qu’il soit impossible d’at­ tribuer à l'archevêque lui-même la paternité du pénitcntlel qui porte son nom et qui d’ailleurs se présente sous des formes très diverses, il n’en reste pas moins que, d’une manière ou de l’autre, les Judicia Theodori remontent, par tradition orale ou écrite, au grand ar­ chevêque. Par là il a eu sur le développement de la morale chrétienne, non seulement en Angleterre, mais sur le continent même, une très considérable influence. Ajoutons que, par la création des écoles monastiques anglaises, œuvre où l’aidèrent l’abbé Hadrien, venu de Home avec lui, et Benoît Biscop, Théodore a été l’un des malntencurs en Occident de la culture classique, dont, aux âges suivants, Bède d’abord. Alcuin ensuite seront les plus Illustres représentants. 232 col. 899. Mais il faut sans doute attribuer à notre Théodore plusieurs autres pièces de la collection. Daphnopatès a d’ailleurs composé des discours plus personnels. L’un d’eux sur la Nativité de saint JeanBaptiste est publié parmi les œuvres de Théodorct, P. G., t. lxxxiv, col. 33 sq. L’autre, en traduction latine seulement, a été prononcé nu premier anniver­ saire de la translation à Constantinople d'une relique du Précurseur, en 956. P. G., t. ext, col. 611. Dans l’introduction à sa Σύνοψις Ιστοριών, Cédrénos cite, parmi les historiens qui l'ont précédé, notre Théodore. P, G,, t. cxxi, col. 25. On s'est demandé si une œuvre historique de cet auteur ne s’était pas conservée et l'on a émis l'hypothèse que la dernière partie du 1. VI du Theophanes continuatus (règnes de Romain Ier, Constantin Porphyrogénète et Romain 11) aurait été rédigée par Daphnopatès. Au fait, la facture de cette dernière section est assez différente^ du moins pour la disposition des matières, de l’ensemble de la Continuation de Théophane, On a publié un certain nombre de lettres en provenance de la chancellerie de Romain Itr et dont le rédacteur est certainement notre Théodore; il y en a d'adressées au pape, au métropo­ lite d'Héraclée, Anastase, à l’émir d'Égypte, à Syméon de Bulgarie. Voir J. Sakkelion dans le Deltion, t. i, 1883-1884, p. 657-666; t. n, 1885-1889, p. 38-48; 385-409. 1· Sources. — L'ossentiol «t dans Bèdo, Historia eccle­ siastica. 1. IV ot V, passim, P. L., t. xcv, voir l’index, au mot Theodorus, col. 1711 ; à compléter par lo biographe de Wilfrid, Eddius, dans Mnbillon, Acta SS. O. S, D,, t. n; Guillaume de Malmesbury, De gestis pontificum an glorum, Fabrlchis-Harlcs, Bibliotheca grwca, t. x, p. 385; C. Ou­ 1.1, P, L,, t. CLXXîX; Haddan ot Stubbs, Councils and eccle­ din, De scriptor, cccleslast., t. n, p. 448 (reproduit dans P. G,, siastical documents, t. in, p. 114-226. Tous cos renseigne­ t. exi, col. 607-612); K. Krumbacher, Gesch. der byzant. ments sont mis en œuvre par lo Rév. W. Stubbs dans l'ar­ Literatur, 2· éd., 1897 p. 170 (A. Ehrhard), p. 348 et surtout ticle Theodorus von Tarsus dans Smith ot Waco, A Dictio­ p. 459, nary o/ Christian biography, t. iv, 1887, p. 926-932; cf. dans É. Amann. le même recueil l'art, consacré à Wilfrid, p. 1179-1185. 8. THÉODORE D’HÉRACLÉE (iv* siècle). 2e Le Pénltentiel de Théodore, — Le Pænttcntiale Theodori i — Évêque de cette ville de Thrace, Théodore était l’un n été publié pour la première fois au complet par F.-W.-H. des plus remarquables représentants du parti euséblcn. Wosserschlcben, Die Bussordnungen der abendldndischcn Il eut un rôle prépondérant au fameux concile d’An­ Kirche, Hallo, 1851, puis par Haddan et Stubs, op. cit., tioche de 341, dit concile de la Dédicace. Deux ans t. m, 1871, p. 173-213; antérieurement avalent été publiés des textes plus ou moins complets et plus ou moins purs; plus tard il fit partie avec Narcisse de Néronias, Ma­ la plus importante de ces éditions est celle do L. d'Achéry, ris de Chalcédoine et Marc d’Aréthuse d'une ambas­ Spicilegium, lr· édition, t. ix, 1669, p. 52 sq.; 2· éd., ln-1·, sade ecclésiastique envoyée à l'empereur Constant par 1.1,1723, p. 486 sq. Sur la publication do J. Polit, Pœnitenson frère Constance, pour expliquer les raisons du se­ tiale Theodori, Paris, 1677, voir l'art. Petit Jacques, t. xn, cond exil d’Athanase. Socrate, II, E,, II, xvm. En col. 1337. En 1840, Benj. Thorpe publie un texte très voisin Occident, l’ambassade refusa de se mettre en rapport du texte original; Il est reproduit par Kunstmann, Die lai, avec l'évêque d'Alcxandric et clic présenta à Constant Poenilentlalbûcher der Angelsachsen, Mayence, 18-14. Sur les Judicia Theodori qui sont au point do départ du Disci­ la iv· formule d'Antioche, dont Théodore avait assuré pulus Umbrtnsium, voir Ici, t. xii.col. 1167, où so trouvera la rédaction. Cf. Athanase, De synodis, § 25; Socrate, l’essentiel de la bibliographie. loc. cit. L'évêque d’Héracléc fit également partie de la l^es Capitula Theodori qui no sont pas contenus dans lo députation envoyée par les Orientaux à Sardlquc en Pénitentlel sont publiés dans Haddan ot Stubs, op. cit., 343; il est mentionné par la lettre du concile des Occi­ t. m, p. 211-212; le paragraphe sur les commutations de dentaux en tête des évêques arianlsants qui sont dé­ peines, qui, en divers pénitentlols, est attribué a Théodore, n'est certainement pas de lui. posés et excommuniés. Cette sentence, on le sait, de­ ^V^fAl^N 7. THÉODORE DAPHNOPATÈS, ërudit byzantin (x· s.). — Haut fonctionnaire — il était protasccretis et honoré du titre de patrice — ce personnage devint, sous Romain II (959-963), préfet urbain. Il ne se renfermait pas d’ailleurs en scs fonctions adminis­ tratives et faisait partie de ce cercle d’érudits qu’ani­ mait Constantin VU Porphyrogénète. Parmi les occu­ pations de ces lettres, la moins remarquable n’était pas la composition d”ExXoyal ou ’Απανθίσματα, sor­ tes de ccntons, qui groupaient, pour développer un thème donné, des passages divers d'un Père de l’Églisc. On trouvera dans P. G,, t. lxi, col. 567-902, une série de Deflorationes de ce genre : περί άγαπής, περί ευχής,, μεττνοίας, etc., qui rassemblent, non sans habi­ leté, sur ces divers sujets, de beaux passages de saint Jean Chrysostome. Dans la collection susdite le noml de Théodore se lit en tête de deux morceaux seule­ ment : hom,, xxx, éloge de saint Paul, toc.cit.,col. 787,, et hom., xlvhi :" Απάνθισμα...συλλεγεν παρά Θεόδωρου’ τί πράττων ό χριστιανός κληρονομήσει ζωήν αΙώνιον;; vait être sans effet. Théodore mourut en 355. Saint Jérôme le signale comme un écrivain élégant et clair, auteur de commentaires qui n'étaient pas sans mérite sur le Psautier, les évangiles de Matthieu et de Jean et les épîtres. De vir. ill., n. 90; cf. Epist., cxn, 20, P, L,, t. xxn, col. 929; Comment, in Matth., præf., t. xxvi, col. 20. En 1643, Cordier avait publié un com­ mentaire sur le Psautier en grec et en latin, qu’il croyait être celui de Théodore, mais qui s’est révélé une com­ pilation tardive. Les chaînes ont gardé un certain nom­ bre de fragments de Théodore. É. Amann. 9. THÉODORE LE LECTEUR, historien ceclésiastique du νι· siècle. — Ainsi nommé de la fonc­ tion de lecteur qu’il remplissait à Sainte-Sophie de Constantinople, il n’est pas autrement connu; tout au plus peut-on fixer ses dates vers l'époque du V· concile (553). Son œuvre littéraire, qui était assez considérable, n’est que partiellement conservée. Elle compor­ tait : 1° Une Histoire tripartite, composée en fusionnant les trois ouvrages de Socrate, Sozomènc et Théodoret, 233 THÉODORE LE LECTEUR et qui racontait les événements depuis la 20· année de Constantin Jusqu’en 439. Cette tripartite n’a pas en- I core trouvé d'éditcur. H. Valois a utilisé, pour l’édition | des trois historiens en question, les variantes de Théo­ dore que lui avait communiquées Léon Aliatius, lequel avait en sa possession un mi, passé aujourd’hui à la bibliothèque Saint-Marc de Venise («= 3//). Cet ou· vrage de Théodore a été à son tour abrégé et l'Épltomè I de la Tripartite a été utilisé par plusieurs historiens byzantins. — 2° Un récit personnel des événements depuis la mort de Théodose II (450) Jusqu'à l'accès- , sion de Justinien (527), qui ne s’est pas intégralement I conservé, mais seulement en des extraits de prove­ nance diverse. Un certain nombre de ceux-ci ont été recueillis pour eux-mêmes dans des collections indé­ pendantes, par exemple dans le Baroccianus 142; d'au­ tres figurent dans des historiens ultérieurs, tel Nicé­ phore Calliste au xnr siècle, ou même dans des théolo­ giens. Lors de l’iconoclasme, l’attention des défenseurs des saintes Images s’est arrêtée sur divers faits mer­ veilleux racontés par Théodore et justifiant le culte des | icones. Saint Jean Damascène en a recueilli plusieurs | au 1. Ill du De imaginibus; l'on en trouve aussi quel- 1 ques-uns dans les actes du II· concile de Nicéc, sess. i et sess. v. Les érudits modernes ont aussi enrichi de quelques fragments ce bagage assez mince que H. Va- I lois avait rassemblé au xvii· siècle. Tout cela ne per­ met guère de porter un Jugement sur la valeur litté- ! raire et historique de l'œuvre. Le reproche que Γοη I entend faire à Théodore d'avoir trop de confiance aux | récits merveilleux repose sur les anecdotes relevées I par Jean Damascène; les autres fragments conservés ne le justifient pas de tout point. THÉODORE MÉTOCHITÈS 230 qui en a conservé le texte. Hist. byzant., I. X, c. u, P. G., t. cxLvin, col. 672 sq. C'est à Grégoras égale­ ment que nous devons le meilleur de nos renseigne­ ments sur la vie de Théodore. Voir I. VII, c. xi, 2; 1. VIII. c. v; 1. IX, c. v et vit; L IX, c. vu, vni, xm, etc. L’empereur Jean Cantacuzène, dans son Histoire, 1. I, c. xi, P. G., t. cun, col. 116, témoigne aussi de l'ampleur des connaissances et de la vivacité d'esprit de Théodore. Même note en d’autres contem­ porains, en particulier dans Thomas Magistros. Encore que l'œuvre de Théodore Métochitès ne soit que très Imparfaitement publiée, les divers témoi­ gnages en question ne laissent aucun doute sur la place considérable qu’a tenue notre auteur dans le grand mouvement de résurrection de l'hellénisme qui prend naissance dans l’empire byzantin après la re­ conquête sur les Latins et dont le règne d’Andronic Ier marque l’épanouissement. On a souligné, non sans raison, qu’il s'agit là d’une véritable renaissance et que c’est à ce moment que sc prépare, en milieu grec, le grand retour à l'antiquité classique qui, après la chute de Constantinople, ira toucher également les Occiden­ taux. Or. Métochitès est l'un des personnages les plus représentatifs de cette première renaissance. 11 l’est par l’ampleur et la variété de scs connaissances : Nicéphore Grégoras l’appelle une bibliothèque vi­ vante; il l’est par son ardeur au travail : bien qu’in­ vesti de fonctions administratives très absorbantes, il trouve le moyen de consacrer un temps considérable aux choses de l’esprit. Sa production littéraire, qui fut considérable, n’est malheureusement pas très accessible. Son œuvre prin­ cipale : ' Υπόμνηματισμοί καί σημειώσεις γνωμικαί. (Miscellanea philosophica et historica) a seule été édi­ L’édition de P. G., t. lxxxvi a, col. 165-228, reproduit tée au complet, par Chr.-G. Müller et Th. Kiessling, celle do Valois, 1673 (à la suito do Philostorge), ou plutôt Leipzig, 1821 ; il n’y en a dans la P. G. que des bribes, cello do Valois-Roading, Cambridge, 1720. Plus récemment t. cxlïv, col. 936-954; du moins la table des morceaux des fragments nouveaux ont été recueillis par E. Miller, penne telle de se faire une idée de l’œuvre. C’est une dans Mélanges de philologie et d'épigraphle, 1Μ partio, Paris, 1876 (reproduit de Hevue archéolog., nouv. sér., t. xxvi, série d’essais, de longueur fort diverse, sur les thèmes 1873); par A. PajMidopoulos-Kônimcus, dans le Journal les plus variés : philosophie profane et religieuse, du Ministère de Γinstruct, publique (russe), janvier 1901; histoire, littérature. Parmi les sujets qui intéressent par Fr. Dlckamp, Histor. Jahrbuch, t. xxiv, 1903, p. 553la morale chrétienne, signalons au moins les n0· 66, 558. sur la Providence; 73 et 74, sur la possibilité de conci­ Sur la Tripartite, voir J. Bldez, La tradition manuscrite de lier la vie chrétienne et le soin des affaires; 76. sur le Soiomène et la Tripartite de Théodore le Lecteur, dans Texte célibat. Mais on ferait erreur en voyant dans cette und Unters., t. xxxil, fasc. 2 b, 1908, qui touche aussi à l’activité générale do Théodore; on continue à citer une œuvre un écrit religieux; l’ensemble est d’inspiration dissertation do G. Dangers, De fontibus... Theodori lectoris et très laïque et témoigne d’un commerce assidu surtout Eoagril,c\. unedo J.-V. Sarrazin, De Theodoro Lectore Theo­ avec les philosophes et les historiens de l’antiquité phanis fonte priccipuo, dans Commentationes philologie classique. Si Théodore s’inspire parfois d’écrivains Jenenses, t. i, Ixdpzlg. 1881, p. 163-238; un article do chrétiens, c’est Synésius qui est son garant principal Nolte dans Theolog. Quarlahchrift, t. XLiit, 1861, p. 569 sq. et l’on sait que celui-ci a été tout formé par l’hellé­ Voir surtout Pauly Wlssova, Kealencyclopaedie fur Alternisme. Voir son article. — Traitent de thèmes ana­ tumskunde, 2· êd., t. x, 1934, p. 1869-1881. É. Amann. logues, à la façon non plus des essayistes, mais à celle 10. THÉODORE MÉTOCHITÈS, érudit et des rhéteurs, dix-huit discours, dont deux seulement polygraphe byzantin (f 1332). — Fils de Georges ont été publiés par K. Sathas dans la Μεσαιωνική βιδλιοΟηκή, t. i. — Beaucoup plus importantes sont Métochitès, lequel avait, comme archidiacre de Jean Beccos, énergiquement travaillé à l’œuvre de l'union, des paraphrases d’Aristote qui ont eu une influence Théodore n’hérita point des tendances unionistes de considérable dans la résurrection de l’aristotélisme. son père. Tout au contraire, on le voit dans l’intimité Théodore a ainsi expliqué les huit livres de la Physique, d’Andronic II Paléologue, qui fit échouer définitive­ le De anima, le De c&lo, le De generatione et corruptione et l’ensemble des Parua naturalia, le De memoria, le ment la politique de réconciliation avec Rome. Ami et conseiller très écouté du busllcus, il exerça, à partir De somno, le De motibus animalium, les quatre livres de 1314, la charge très importante de grand logothète. des Météores. Cette paraphrase n’a pas été publiée Quand, en 1328, Andronlc fut détrôné par son petit- en grec; Gontran Hervct en a donné une traduction ills Andronic III, Théodore partagea les disgrâces du latine, Bâle, 1559, rééditée en 1562, puis à Ravennc en vieux souverain. D’abord exilé à Didymotiquc, il eut 1614. A côté de ces travaux philosophiques, il faut finalement la permission de rentrer dans la capitale et placer une Introduction au système astronomique de sc retira au monastère de Chora (τής χώρας), qu’il Plolémée; elle témoigne d’une connaissance appro­ avait restauré au temps de sa fortune; c'est là qu’il fondie de l’astronomie, que Théodore s’était parfai­ mourut le 13 mars 1332, après avoir pris au dernier tement assimilée, encore qu’il y mêlât trop de spécula­ moment l'habit monastique, suivant de très près son tions astrologiques; cf. Grégoras, Hist, byz., 1. VIII, maître dans la tombe. Son éloge funèbre fut prononcé c. v. — La production poétique de Métochitès est non par son disciple de prédilection, Nicéphore Grégoras, moins considérable : une vingtaine de poèmes, dont 235 THÉODORE MÉTOCHITÈS — THÉODORE DE MOPSUESTE l’ensemble ferait bien dix mille vers, sur les événe­ ments et les personnages dc l’époque. Plusieurs sont d’inspiration religieuse, célébrant Dieu, la Vierge; deux poèmes sont consacrés aux Pères de l'Église : Athanasc, Basile, Grégoire dc Nazianzc, Jean Chrysostome, — Théodore a-t-il fait œuvre d’historien pro­ prement dit? Quelques-uns l'ont cru cl J. Meursius a donné Λ Lcydc en 1618 : Theodori Metochitx historia roman te a J. Cæsare ad Constantinum liber singularis, texte grec ct traduction latine. En fait Meursius s’est laissé tromper par le titre du ms. qu’il a publié. L’ouvrage en question est simplement une partie dc lu Chronique dc Michel Glykas. Dans la préface de son édition, Meursius promettait de donner aussi une Histoire sacrée en deux livres ct une Histoire de Cons­ tantinople, Βυζαντίς, du même Métochitès. Bien dc cela n’a jamais paru ct ici encore il pourrait y avoir confusion avec d’autres œuvres, soit dc notre Théo­ dore, soit d’écrivains différents. — Parmi les lettres dc Théodore qui attendent encore un éditeur, H. Omont a signalé une lettre latine adressée au roi de France Charles IV le Bel, datée du 13 mai 1327; elle est rela­ tive à la mission à Constantinople du dominicain Benoît dc Cômc, venu pour traiter, au nom dc Jean XXII, dc l’union des Églises. Cette mission n’eut aucun succès. Cf. H. Omont, Projet de réunion des Églises grecque et latine sous Charles le Bel, dans Hiblioth. de T Ecole des Chartes, t. Lin, 1892, p. 254-257. Fabriclus-IIurles, Biblloth. gricca, t. x, p. 112-126, repro­ duit dans P. G», t. cxliv, col.929-954 ; K.Sathas,Mcaauü9i*z^ βώ)ιο9ηχή, t. i, p. 19-135; K. Krumbacher, Gesch, der bgzant. L( teratur, 2· éd., 1897, p. 550 sq. É. Amann. 11.THÉODORE DE MOPSUESTE, ainsi nommé dc la ville dc Cilicie dont il fut évêque; nommé aussi Théodore d’Antioche, ccttc ville étant son lieu de naissance; le personnage le plus représentatif, tant en exégèse qu’en théologie, dc l’Écolc d'Antioche (350-428). L Vie. IL Œuvres (col. 237). III. L’exé­ gète (col. 244). IV. Le théologien (col. 255). I. Vie. — Théodore naquit à Antioche vers 350, d’une famille riche et dont plusieurs membres occu­ pèrent des situations importantes. Comme Jean Chry­ sostomc, sinon en même temps que lui, il a été, dans sa ville natale, l’élève du fameux rhéteur païen, Llbanius. Converti par Jean à la vie ascétique, en même temps qu’un de leurs amis communs, Maxime, qui deviendra évêque dc Sélcucie d’Isauric, il sc fait bap­ tiser et se retire dans un ascétérion dirigé par Cartérius ct par Diodore, le futur évêque dc Tarse. A cc mo­ ment, Théodore pouvait avoir vingt ans. Après quel­ que temps d'une vie exemplaire, il est tenté de rentrer dans le monde cl de se marier, ne sc sentant pas fait pour la vie monastique. C’est alors que Jean lui adresse les deux petits traités Ad Theodorum lapsum, P. G., I. xlvîi, col. 277-316, dont le second avait été spéciale­ ment composé à son intention. Cf. l’édit, française de I^egrand. Théodore ne resta pas sourd aux prières dc son ami; il renonça à l'idée du mariage ct revint à la vie monastique. Sozomène, H. E., VIII, n; cf. Socrate, H. E., VI, ni; mais la Responsio Theodori lapsi, P. G., t. XLviii, col. 1063, est, à n’en pas douter, inauthen­ tique. Sur les dix années qui suivirent cette crise nous avons peu de renseignements. Ce furent sans doute, des années de travail intellectuel intense sous la direc­ tion de Diodore, qui devait quitter l’école en 378 pour monter sur le siège dc Tarse. Celte période fut décisive dans la vie de Théodore; c’est alors qu’il sc pénétra des principes exégétlques et théologiques que son maître avait hérités de la première génération des Antiochlens. En 383 il est ordonné prêtre, selon toute vraisem­ blance par Flavian, qui depuis 381 gouvernait le parti mélétlen de l’Église d’Antioche. Voir art. Méeêce, 236 t. x, col. 520. Mais il ne paraît pas s'êtrc beaucoup mêlé aux pénibles discussions qui déchiraient les catholiques antiochlens en deux factions rivales. Dans toute son œuvre littéraire on ne trouve rien qui y fasse allusion. Bien plutôt avait-il la préoccupation dc réfu­ ter les hérétiques ct de commenter, à l’usage des per­ sonnes savantes, les divers livres dc la Sainte Écriture. Dès cc moment, en effet, il entreprend son travail d'exégète qu'il poursuivra jusqu'à scs derniers jours. Prédicateur dc quelque renom, cf. Facundus d'Ucrmianc, Pro de/ensione trium capital., VIII, 4 : agebat frequenter... sermonibus in populum contra Synuslastas, P. L., t. Lxvn, col. 722, il vit sa gloire pâlir quand, en 386, Jean Chrysostomc inaugura sa carrière oratoire. Diodore, son ancien maître, l'attirait auprès de lui; c'est à Tarse qu'on le trouve entre 386 et 392; c'est là qu'on vient le chercher pour en faire l’évêque dc Mop­ sueste, pas très loin de Tarse, dans la Cilicie seconde. Un siècle plus tard, Léonce dc Byzance, qui ne lui vou­ lait pas de bien, racontera qu'à la mort dc Diodore l'évêque de Mopsueste aurait intrigué pour monter sur le siège de Tarse ct que Théophile d’Alexandrie aurait mis bon ordre à ccttc tentative. Contra nestorian. cl eutychian., P. G., t. lxxxvi, col. 1364. C'est un mé­ chant propos d'une méchante langue. L'épiscopat de Théodore devait durer vingt-six ans, niais l’on sait peu de chose dc son activité durant cette période. On ne saurait douter dc son zèle à procurer le bien des Ames; la fameuse lettre d’Ibas atteste que Théodore convertit dc l’erreur à la vérité sa ville dc Mopsueste. Sa renommée dc science dépassait de beau­ coup les limites de son diocèse. C'est ainsi qu’il aurait assisté à la conférence d'Anazarbc, entre catholiques et macédoniens. Cf. P. O., t. ix, p. 506. Il est à Cons­ tantinople en 394, au concile qui jugea le dissentiment entre Agapius ct Bagadius au sujet de la possession du siège de Bostra; c’est sans doute à cette occasion qu’il prêcha devant Théodose le Grand, lequel admira la fermeté de sa théologie ct la profondeur de son élo­ quence. Facundus, op. cit., II, 2, col. 563. Le drame de 404, dont fut victime Jean Chrysostomc, ne le laissa point indifférent. Voir la lettre cxn dc Jean, qui lui est adressée, P. G., t. ui, col. 668; cf. lettre cciv, col. 725. En 418, Théodore vit arriver à Mopsueste Julien et les évêques pélaglcns d'Italie qui avaient été déposés par le pape Zosiinc ct pensaient trouver en lui un défenseur. Voir Marios Mercator, Commonitorium, 15, dans la Collectio palatino. Acta concil. oecum. (A.C.O.), t. i, vol. v, p. 23. Julien resta auprès de lui jusqu'en 422, date à laquelle il retourna en Italie. S’il faut en croire Mercator, ibid., sitôt Julien parti, Théodore l'aurait condamné dans un synode provincial. Peutêtre l'évêque dc Mopsueste prit-il prétexte, en effet, d'une assemblée réunie à d'autres fins pour préciser sa propre doctrine au sujet du péché originel. Il mourut six ou sept ans après, vers la fin dc 428. Théodorcl, H. E., V, xxxix, 40. C’était le moment où Ncstorius d’Antloche venait d’être désigné pour le siège dc Cons­ tantinople. Un des historiens dc celui-ci, BarhadbeSabba, fait passer Ncstorius par Mopsueste, alors qu’il sc rendait dans la capitale; Théodore aurait donné ù l’archevêque nommé des conseils de modération. Texte dans P. O., t. ix, p. 517. C'est possible, ce n’est pas cer­ tain. Voir art. Nestohius, t. xi, col. 91. On rappro­ chera dc cc récit un texte fort tendancieux d'Évngre le Scolastique, //. 1, il, P. G., t. lxxxvi, col. 2425, suivant qui c’est à ccttc entre vue que Ncstorius aurait reçu les semences dc l'hérésie qu’il ne devait pas larder à répandre. Pour s’affermir en scs idées, Ncstorius n'avalt pas besoin des derniers avis du vieil évêque dc Mopsueste. En dépit dc certaines attaques auxquelles il avait été en butte à diverses reprises, Théodore mourut dans 237 THÉODORE DE MOPSUESTE. ŒUVRES la paix de l'Église. Plus lard, pour dégager sa mémoire, scs défenseur» feront élut des relations qu’il put avoir avec les docteurs les plus réputés de l'Oricnt. Facundus parle dc scs bons rapports avec Théophile d'Alexan­ drie, Op. cil., VIII, 5, col. 725 D; avec Grégoire de Nazianzc, ibid., VII, 7, col. 709 A. Qu'il ail connu ce dernier, c'est chose assurée, mais la lettre signalée comme lui ayant été adressée par le Théologien était, en fait, destinée à un autre Théodore, évêque dc Tyanc. Cf. V* concile, act. v, dans Mansl, ConciL, l. ix. col. 255. En tout état dc cause il est certain que Théo­ dore eut de bonnes relations avec saint Cyrille, qui en 412 avait remplace Théophile sur le siège d'Alexan­ drie; il lui dédia, en effet, son commentaire sur Job. 11 n'empêche que, sitôt déclenchée l'affaire nestorienne, le nom de Théodore dc Mopsueste fut jeté dans la mêlée théologique. Dès 431, à Éphèse, on avait condamné, mais sans prononcer son nom, une formule dc fol que certains disaient provenir dc lui. Mansi, ConciL, t. iv, col. 1341; ci. Actio Charisii, duns A. C.O., 1.1, vol. 1. Peu après l’acte d'union de 433, qui aurait dû amener l’apaisement, Théodore est dénoncé comme l'un des pères du nestorianisme. Cf. art. Nestoiuus, col. 130. Le concile de Chalcédoinc évita dc le mettre en cause ct entendit sans aucune manifestation d'hos­ tilité les éloges qui étaient décernés à son action ct à sa doctrine par la célèbre lettre d’Ibas. Mais, à partir de la fin du v· siècle, on discuta bruyamment sa personne ct son œuvre littéraire. Les attaques vinrent d’abord du camp monophysltc qui inscrivit parmi scs griefs contre Chalcédoinc le fait que le « concile maudit · avait écouté sans sourciller les éloges donnés à Théo­ dore par Ibas. Bientôt, pour retirer ccttc arme aux anlichidcédoniens, les orthodoxes feront chorus avec les monophysites. Dans l’affaire des Trois-Chapitres, c'est surtout l’évêque de Mopsueste qui est compromis. C'est lui qui fournil à Justinien d’abord, au pape Vigile ensuite, la plus ample matière à condamnation. Scs écrits sont condamnes; finalement, en dépit des efforts du pape Vigile, sa personne même est vouée à l’anathème. Sur tout ceci, voir l’art. Thois-Ghapithes. C'est en Afrique seulement que son œuvre ct sa mé­ moire trouvaient des défenseurs ct ceci n'a pas été sans influence sur la conservation d’une partie dc scs tra­ vaux. 11 est juste d'ajouter que, dans le temps même où Théodore devenait la bête noire de l'Église d’empire, Il commençait dans l'Église orientale, c'est-à-dire dans l'Église dc l’Empirc perse (si improprement appelée l’Église ncstorlennc), sa prodigieuse carrière. Bien vite Il était promu au titre d’interprète par excellence dc l'Écrlturc fmefatkenat) et, faut-il ajouter, dc théolo­ gien irréfragable, dc la doctrine duquel il était interdit dc s’écarter. Voir Nkstoriknnb (Église), t. xi. col. 290. Et ceci encore explique que c'est dans celle Église que se retrouvent les renseignements les plus abondants sur l'activité littéraire du grand évêque dc Mopsueste, que se découvrent peu à peu les textes les plus importants ct les plus caractéristiques de son œuvre théologique. IL Échits. — A la suite des condamnations qui l’ont frappée, l’œuvre littéraire dc Théodore u partiel­ lement disparu dans son texte original. A l'exception dc quelques ouvrages conservés au complet, H n’en subsiste guère que des fragments sur l'authenticité desquels on n’est pas toujours au clair. Quelques tra­ ductions latines ou syriaques en rest Huent des parties importantes. 11 convient donc d’abord de dresser le catalogue exact de l’œuvre entière que l'on fera suivre d’un essai dc datation; dc préciser ensuite cc qui nous reste dc ccttc succession, cl sous quelle forme cela nous est parvenu. 1° Recensement et datation des a livres de Théodore. — 1. Les catalogues. — Deux historiens nesloriens ont 238 essayé dc dresser le catalogue des écrits dc Théodore : l’auteur anonyme de la Chronique de Séert, publiée en arabe avec traduction française par Mgr Dlb, dans P. Ο., I. v, p. 289-291 (cette chronique est difficile à dater, ιχ·-χιπ· s.); et Ébedjésu, métropolite dc Tsoba (Nlslbe), en 1318, texte dans J.-S. Assemani, Eibliotheca orientalis, t. ni a, p. 30 sq. Ces deux catalogues se recouvrent à peu près, celui de la Chronique de Séert étant plus embrouillé que l'autre; pour plus de clarté nous distinguerons œuvres exégétiques ct œuvres pro­ prement théologiques. Nous donnons les numéros suc­ cessifs d'Ébcdjésu, en faisant suivre entre parenthèses ct précédés d'une S les indications de la Chronique de Séert. a) Œuvres exégétiques. — Ébedjésu signale des com­ mentaires : sur la Genèse (S : Pentateuque); sur les Psaumes (S : David); sur les douze petits prophètes (S : idem); sur les livres dc Samuel (S : Samuel et Cédron?); sur Job (S : idem, mais à une autre place); sur l’Ecclésiaste (S : idem); sur Isaïe (omis par S); sur Ézéchiel, Jérémie ct Daniel (S : idem ct dans le même ordre); sur saint .Matthieu (S ; idem, mais ajoute saint Marc); sur Luc ct Jean (S : idem); sur les Actes (S : idem); sur les épltres paulines, dans l'ordre sui­ vant : Rom., I ct II Cor., Gal., Eph., Philipp., Col., I ct II Thess., I ct II Tim., TH., Phil., Hebr.(Sdonnele même ordre, sauf pour la fln, où, par un lapsus évi­ dent, il écrit, après les deux aux Thcssalonicicns : deux à Philémon ct Hébreux, une à Timothée). — Les com­ mentaires sur la Genèse (Commentum de creatura?), les Psaumes, Job, Matthieu, Luc, Jean, les Actes et l'épître aux Hébreux sont signalés dans les actes du V* concile, sess. iv. Mansl, ConciL, t. ix, col. 202 sq. b) Œuvres théologiques. — Ici il est plus difficile dc faire converger les deux listes d’Ébcdjésu et de la Chronique, les titres grecs ayant pu être rendus dif­ féremment dc part et d’autre. Voici la liste d'Ébcdjésu avec les titres qui nous paraissent y correspondre dans S .· De sacramentis ou De mysteriis (S : explication de la messe); De fide (S : explication du symbole de Nlcée); De sacerdotio (S .* Du sacerdoce); De Spiritu sancto (S : De l’Esprlt saint); De incarnatione advenus apollinaristas et anomxos (S : sur l’humanité de Noire-Seigneur); Adversus Eunonuum (S : refutation d'Eunomc); Adversus asserentes peccatum in natura insistere (S : réfutation de ceux qui prétendent que le péché est inné dans la nature); Adversus magiam (S : réfutation des mages); Ad monachos (pas dans S); De obscura locutione (pas dans S); De perfectione ope­ rum (S : sur la parfaite direction?); Advenus allego· ricos libri quinque (S : contre ceux qui ne volent dans la lecture des Livres que le côté parabolique); Pro iiasilio (pas dans S); De assumente et assumpto (S : réfutation d’Apollinaire); Liber margaritarum (S : des lettres appelées « perles »; un livre dims lequel il réfu­ tait tout innovateur, qu’il remplit d’excellentes cho­ ses, il l’appela le « livre des perles); De legislatione (rien dans S qui puisse correspondre). S signale de plus une Explication de la doctrine d'Anus et une Lettre adressée à un renégat; s'agirait-il dc ΓEpistola ad Theodorum lapsum, ci-dessus col. 235, mise par erreur au compte dc Théodore au lieu de l’être à celui de Chrysostomc, ou de la Responsio Theodori lapsi? — De ces divers ouvrages le V· concile signale : Vlnler· prctatio symboli nicæni ad baptizandos, qui correspond certainement au De fide; le De incarnatione; un Contra Apollinarem ct synusiastas, qu’il y a tout lieu d’identifler avec le De assumente et assumpto. Si le Commen­ tum de creatura n’est pas un commentaire cxégéllquc sur la Genèse, ne pourrait-on l'identifier à VAdvenus magiam? 2. Identification des ouvrages signalés. — Pour les commentaires dc l’Écrlture, il ne saurait y avoir de 239 THÉODORE DE MOPSUESTE. ŒUVRES difficulté. Mais il y a intérêt à remarquer dès l'abord que certains d’entre eux sont également signalés par d’autres écrivains et que la plupart ont fourni des fragments, plus ou moins nombreux, plus ou moins considérables, aux auteurs de chaînes scripturaires. a) Œuvres exégétiques. — Le commentaire sur la Genèse signalé par Ébedjésu pourrai» être identique ù I "Ερμηνεία της κτίσεως, mentionné par Photius, Biblioth., n. 38, P. G., t. cm, col. 69. L’existence d’un fragment sur l’Exode (dans P. G., t. lxvi, col. 66) et de fragments encore Inédits sur le Lévitique, les Nom­ bres et le Deutéronome pose la question de l’exacti­ tude de la donnée de S qui parle d'un commentaire sur le Pentateuque. — Les autres commentaires signalés par Ébedjésu et la Chronique de Séerl ont tous laissé au moins quelques traces dans les chaînes exégétiques. On aura remarqué que nul des deux catalogues ne men­ tionne de commentaires sur Josué, les Juges, Ruth, les Rols, ni, nour ce qui est du Nouveau Testament, sur j Marc, les Epîtrcs catholiques et l'Apocalypse. Des fragments encore inédits subsistent en des chaînes sur les quatre premiers de ces livres, mais leur origine théodoricnne reste bien douteuse. On ne saurait donc i être certain que l'évêque de Mopsuestc a commenté ces livres. Par ailleurs les fragments sur le Cantique rassemblés dans P. G., t. cit., col. 699-700 et qui vien­ nent du V· concile, n. 69-71, ne semblent pas provenir d’un commentaire, mais d’une lettre. Encore qu’il 1 subsiste quelques fragments sur Marc, P. G., ibid., ! col. 713, il n'est pas vraisemblable (pie Théodore ait commenté cet évangile. Il n'a pas commenté non plus les épîtres catholiques, Léonce de Byzance le déclare expressément, Cont. nestor. et eutych., 1. III, 14, P. G., t. lxxxvi, col. 1365; le témoignage des chaînes serait ■ donc à rejeter. Somme toute on peut donc considérer comme complète la liste des commentaires fournie par Ébedjésu, en remarquant néanmoins qu'il n’est pas impossible que Théodore ait commenté l’ensemble du Pentateuque et non pas seulement la Genèse. b) Œuvres théotogiques (nous suivons la liste d'ÉbedJésu). — Le De sacramentis (De mysteriis) et le De fide sont Identifiés depuis la découverte de Mingana, voir ci-dessous. C'est une double série de catéchèses prépa­ ratoires au baptême et parallèles ù celles de saint Cyrille de Jérusalem. On y retrouve les extraits qu’a relevés le V· concile, comme provenant du Liber ad baptizandos, n. 35-39, 41 et 42. — Le De sacerdotio, sauf une allusion fugitive dans un traité spirituel nestorlcn (dans Woodbroke Studies, t. vu), n'a pas laissé de trace. — Le De Spiritu sancto, auquel le pseudoLéonce de Byzance fait allusion, De sectis, IV, 3, P. G., t. lxxxvi, col. 1221 A, doit vraisemblablement s’identifier avec le procès-verbal de la conférence d’Anazarbe, où Théodore, peu avant ou peu après son élévation à l’épiscopat, défendit, contre les macédo­ niens, la divinité du Saint-Esprit. — Le De incarnatione est attesté par Cyrille d'Alexandrie, Episl., lxx et Lxxiv; par Gennade, De vir. HL·, n. 12; par Facundus, op. cit., I. IX, 3, col. 747; par Léonce de Byzance, Cont. nestor. et eutych., dans les pièces justificatives qui terminent le 1. 111, P. G., t. lxxxvi, col. 1384 sq. (avec renvoi à t. lxvi, col. 972 sq.); par Justinien (cf. P. G., t. lxxxvi, col. 1073 A); par le V· concile en une douzaine de passages; par le pape Pélage II, Epist. ni ad episcopos Histriae. C'était un ouvrage considérable, de près de quinze mille stiques, divisé en quinze livres, dont chacun est attesté, â l'exception des I. Ill et IV. — Il faut bloquer ensemble les deux titres Adversus Eunomium et, beaucoup plus bas dans la liste d'Ébedjésu, Pro Basilio et lire, comme faisait Photius, cod. 4, cf. cod. 177 : Υπέρ Βασιλείου κατά Εύνομίου, P.G.,t. ciii,col.52,517. L'ouvrage est attesté aussi par le pseudo-Léonce, toc. cil., et par Facundus, op. cit., 240 IX, 3,col. 754 C; il était fort étendu, en vingt-cinq livres, dit Photius. Autant que l’on en peut juger, c'était une défense de saint Basile contre Eunomlus, analogue A l'écrit de même inspiration composé par Grégoire de Nysse. — Le traité Adversus asserentes peccatum in natura insistere, connu de la Collectio palatina (voir l'art. Marius Mercator, t. ix. col. 2482), l’a été aussi de Photius, cod. 177, qui en traduit le titre Πρός τούς λέγοντας φύσει καί ού γνώμη πταίειν τούς ανθρώπους; réfutation d'une doctrine, plus ou moins bien com­ prise, du péché originel, P. G., t. cm, col. 513 sq. — L* Adversus magiam est caractérisé par Photius, cod. 81 : περί της έν ΙΙερσίδι μαγικής καί τίς ή τής ευσεβείας διαφορά, έν λόγοις γ'; il ne s'agit pas de la magic, mais de la doctrine des mages persans, adora­ teurs du feu, à laquelle Théodore opposait les vues de l’Église sur l'origine du monde. Ibid., col. 281. — Nous n'avons aucun renseignement sur les trois termes sui­ vants du catalogue d'Ébedjésu : Ad monachos, De obscura locutione, De perfectione operum. — L'Adversus allcgoricos en cinq livres est vraisemblablement Iden­ tique avec le De allegoria et historia contra Origenem, dont Facundus, op. cit., III, 6, col. 602 sq., a donné quelques extraits. — Le De assumente et assumpto était évidemment un livre sur l'incarnation. Dans S il cor­ respond au titre : Réfutation d*Apollinaire, ce qui cor­ robore la supposition que nous avons afialrc ici avec le De Apollinare et ejus hæresi dont Facundus a conservé un assez long fragment, op. cit., X, 1, col. 769 B, et qu'il cite encore III, 2, col. 585 B; IX, 4, col. 755. C'est à un Contra Apollinarem que sont empruntées les douze premières citations du V· concile et trois textes de Justinien. — Le Liber margaritarum est un recueil de lettres. — Nous ne saurions dire à quoi correspond le De legislatione; œuvre exégétique? œuvre de théo­ logie? il est impossible de trancher la question. 3. Datation des ouvrages de Théodore. — Quelques points de repère permettent de donner une chronologie au moins relative, de l'œuvre littéraire de Théodore. Voir, à cc sujet, Vosté, dans Revue biblique, 1925, p. 54 sq., dont nous adoptons les conclusions. La première œuvre en date est le Commentaire du Psautier, comme Théodore le reconnaît lui-même dans la préface du livre Adversus allegoricos, citée par Facundus, III, 6. Encore qu'il ne faille pas prêter aux propos de Léonce de Byzance une importance exagérée, il convient de remarquer que cet auteur attribue à la prime jeunesse de l'exégète — il aurait eu ù peine dix-huit ans — ses premiers essais scriptu­ raires. Le Commentaire sur les petits prophètes a dû suivre d'assez près, c'est la même ardeur Juvénile qui s’y remarque et aussi les mêmes audaces. Tout cela a dû amener quelques réserves de la part de l'opinion et peut-être de l'autorité ecclésiastique. Pour quelque temps Théodore va abandonner l’exégèse et sc consa­ crer, sans doute pour donner des gages de son ortho­ doxie, à la lutte contre l’hérésie. C'est le temps de sa prêtrise (382-393). D'une part il prêche contre les synousiastes, c’est-à-dire contre les apollinaristcs, par­ tisans de la confusion des natures dans le Christ. D'autre part il les combat par la plume; le De incar­ natione est de cette période, composé, au dire même de la préface du Contra Apollinarem, trente ans avant cc dernier ouvrage qui est de la fin de l’épiscopat. Fa­ cundus, X, 1, col. 769 B. Selon toute vraisemblance c’est encore de l’époque de la prêtrise que date le traité Pour Rasile contre Eunomlus, où sont pris ù partie les survivants de l’arianisme. C’est à la période de l'épiscopat qu'il faut évidem­ ment reporter la double série de catéchèses De fide et De mysteriis, sans que l’on puisse préciser le mo­ ment. Le De Spiritu sancto est soit antérieur de peu à I l’épiscopat, soit des débuts de celui-ci, ayant été rédigé 24 1 THÉODORE DE MOPSUESTE. ŒUVRES à l'occasion de la conférence d'Anazarbe où l'on cher­ cha ά rallier les derniers macédoniens. Mais c'est sur­ tout le travail exégétique qui n rempli la majeure partie du séjour à Mopsuestc. Peut-être le De obscura locutione, qui faisait la théorie des sens de l'Écriturc, a-t-il été composé au début. Les commentaires sur ('Ancien Testament ont paru d'abord et, en premier lieu les petits prophètes, puis les autres livres selon l'ordre même du canon, ù l'exception du commentaire sur Job, composé plus tardivement et dédié à Cyrille d’Alexandrie en 417, date ù laquelle celui-ci rétablit dans les diptyques le nom de Jean Chrysostomc. Les commentaires sur le Nouveau Testament vinrent après ceux de 1*Ancien et dans cet ordre : Matthieu, Luc, Jean, les épltrcs paulincs. Peut-être l'Ecclésiaste ne fut-il expliqué que postérieurement, un peu avant Job. Les dernières années de l'épiscopat furent occu­ pées à des travaux d'ordre plus théologique. Le traité Adversus asserentes peccatum in natura insistere dolt être l’écho des polémiques entre Pélage et ses adver­ saires en Palestine qui eurent leur dénouement au concile de Diospolis (415), à moins qu'il ne faille le retarder jusqu'après l'arrivée à Mopsuestc de Julien d'Éclane, à la fin de 418. De cette même période, sans qu'il soit possible de préciser davantage, serait le traité Adversus allegorieos et certainement aussi le Contra Apollinarem (De assumente et assumpto), postérieur de trente ans au De incarnatione; de ce temps aussi les ouvrages d'ascétique que nous connaissons si mal : Ad monachos, De perfectione operum, De sacerdotio, peut-être De legislatione. Nous ne savons trop où placer le Traité contre la religion des mages, qui a laissé fort peu de traces. 2e Les Reliquiæ de l'œuvre de Théodore. — Que subsiste-t-ll aujourd'hui de cette œuvre immense, qui, si elle était intégralement conservée, classerait l’évê­ que de Mopsuestc parmi les écrivains les plus féconds de l'ancienne littérature chrétienne? Relativement peu de chose : quelques traités ou commentaires nu complet, mais, pour la plus grande part, des frag­ ments plus ou moins nombreux, plus ou moins authen­ tiques, plus ou moins loyalement cités. L Ouvrages intégralement conservés. — a) Commen­ taires de l'Ecriture. — Sur les douze petits prophètes, conservé en grec, publié à deux reprises par A. Mal, d'abord sans traduction dans Scriptorum veterum nova collectio, t. vi a, puis avec traduction latine et quelques notes dans Nova Patrum bibliotheca, t. vu. Le tout reproduit dans P. G., t. lxvi, col. 123-662. — Sur saint Jean, conservé intégralement en syriaque, publié en 1897 par J.-B. Chabot, qui en promettait alors une traduction latine. On annonce comme prochaine une nouvelle édition avec traduction par le R. P. Vosté. — Sur les petites épttres de saint Paul (c'est-à-dire toutes les épltrcs paulincs moins Rom., I et il Cor., Hcbr.), commentaire qui s'est conservé en une vieille traduc­ tion latine du vi· siècle en provenance de l’Afrique. Publié d’abord par Pltra, Spicilegium Solcsmense, t. i, 1852, p. 49-159, puis par J.-L. Jacobi, Commentaria in Epistolas Pauli minores, publication échelonnée entre 1855 et 1872; beaucoup mieux par H.-B. Sweete, Theodori M. in Epistolas IL Pauli commentaria, 2 vol., Londres, 1880-1882. — Sur (es Psaumes. On peut con­ sidérer, jusqu'à un certain point, comme une œuvre complète, le Commentaire de Théodore de M, sur les Psaumes /-lxxx, que vient de publier R. Dcvrcesse, dans les Studi e Testi, n. 93, Cittù dei Vaticano, 1939. A la vérité cette édition ne donne l’exégèse continue que des psaumes xliii Λ xi.tx, mais les fragments soit grecs, soit latins des autres psaumes sont si solidement encadrés que l'on a la sensation de lire le texte intégral de l'exégète. R. Dcvrcesse, en ce qui concerne la tra­ duction latine, a largement profité de l'édition fournie 242 par G.- L Ascoll en 1878, Il codice trlandese deW Ambrosiana edito e illustrato. b) Œuvres théotogiques. — Les Catéchèses ont été conservées dans une traduction syriaque et publiées, avec traduction anglaise, par A. Mingana, dans Wood· broke Studies, Christian documents edited and translated, t. v, Cambridge, 1932 (explication du symbole de Nicéc), t. vi, 1933 (explication du Pater et des sacre­ ments de l'initiation chrétienne). Cette publication est d'un intérêt considérable, puisqu'elle permet de lire, dans un texte continu et qui a toutes chances d’être authentique, un exposé doctrinal complet de l'évêque de Mopsuestc. — Les critiques ont failli avoir le même bonheur avec le De incarnatione, dont Mgr Add ai Scher, archevêque chaldéen de Séert (Kurdistan) avait annoncé en 1920 la découverte en une traduction sy­ riaque et la publication incessante. Le précieux ms. a malheureusement disparu, en 1922, lors du massacre du prélat et du pillage de sa bibliothèque. Y a-t-il quelque espoir de retrouver cet exemplaire ou un autre? — On peut considérer comme complet le traité De Spiritu sancto qui représente l'intervention de Théodore dans la conférence contradictoire d'Ana­ zarbe. Texte dans P. O., t. ix, p. 635 sq. 2. Fragments. — Du reste de la production littéraire de Théodore, il ne subsiste que des fragments. a) Comment ont-ils été transmis?— Π faut distinguer entre commentaires d’une part et œuvres théologiques de l'autre. — a. Fragments exégétiques. — C'est le plus ordinairement, mais pas toujours, par les « chaînes » qu’ont été transmis les fragments de l'œuvre exégétique de l'interprète. Cf. R. Devrecsse, Par quelles voies nous sont parvenus les commentaires de Théodore? dans Revue biblique, 1930, p. 362 sq. Il ne saurait être question d'entrer ici dans le détail. Seules quelques remarques générales sont à faire; pour les précisions voir R. Dcvrcesse, art. Chaînes exégétiques dans le Sup­ plément au Dictionn. de la Bible, t. i, 1928, col. 10841233, en se reportant à chacune des sections. Le pre­ mier travail qui s'impose est de vérifier l'exactitude du lemme qui, dans une chaîne donnée, introduit tel ou tel fragment. Tandis qu'en effet certains caténistes Inspi­ rent pleine confiance, d’autres ont des attributions plus ou moins fantaisistes. Parfois aussi intervient l’inattention d’un scribe. 11 n’est pas rare qu’on lise le lemme Θεόδωρου alors qu’il faudrait lire Θεοδώρητου; on n'est pas toujours certain que le Théodore annoncé soit celui de Mopsuestc ou au contraire un des innom­ brables Théodore de l’histoire littéraire bvzantinc. F. Fritzsche a rassemblé ainsi, parmi les fragments incontestablement théodoriens, un certain nombre d'autres qui n'appartiennent pas à (’Exégète. On ne saurait donc utiliser sans précaution les textes que, ù la suite de Fritzsche, Mignc a rassemblés dans P. G., t. lxvi. Mais l'authenticité d’un texte théodorien étant démontrée, il est loisible, s’il s'agit d’un frag­ ment exégétique, de s’y fier sans arrière-pensée. L'exé­ gèse de Théodore a été moins suspectée que sa théo­ logie et, dans l'ensemble, les caténistes ont respecté la pensée et les expressions de celui qu'ils considé­ raient comme une autorité exégétique de tout premier ordre. b. Fragments d'œuvres théologiques. — Il faut en juger tout autrement quand il s’agit des extraits fournis par une deuxième catégorie de témoins, ceux qui font servir à des buts polémiques les textes qu’ils tirent soit des œuvres théologiques de Théodore, soit de scs commentaires. Le procès de la mémoire de Théo­ dore a commencé dès le deuxième tiers du v· siècle, est allé s'exacerbant au vi* siècle, pour aboutir à la condamnation de 553. Toute cette effervescence a amené les polémistes ù fouiller, soit pour l'attaquer, soit aussi pour la défendre, la production littéraire 243 THÉODORE DE MOPSUESTE. EXÉGÈSE de l’évêque de Mopsueste. Il va de sol que l'impartia­ lité n’a pas toujours été la règle de ces enquêtes. Déta­ ches de leur contexte, coupés parfois de manière tendancieuse, bien des fragments, d'ailleurs authenti­ ques, peuvent rendre un son qu’ils n'avalent pas dans l’œuvre primitive. Marius Mercator ouvre la liste. A la suite de son Commonitorium adversum ha*resim Pelagii et Cxlestii, où ii a pris Théodore à partie dès le début, et avant de donner les pièces de la controverse nestoricnnc, il insère une Expositio prava: fidei Theodori, un symbole de foi qu’il prétend être de l'évêque de Mopsueste et qu’il fait suivre d’une réfutation. Texte dans A. C. O., 1.1. vol. v, p. 23-28; cf. P. L,, t. xlviiï, col. 1041-1046. — Au début du vr siècle, quand déjà est dans l'air la controverse des Trols-Chapitres, Léonce de Byzance, pour faire le procès de Théodore, rassemble tout un dossier dont les pièces sont extraites surtout du Contra Apollinarem et du De incarnatione. Voir Léonce, Contra nestor. et eulych., fin du 1. 111, P. G., t. lxxxvi a, col. 1383-1390 en tenant compte de la note de la col. 1385 qui renvoie à l. lxvi, col. 972 (sic) et sq.— C'est à Léonce surtout que Justinien empruntera ses documents dans un petit traité rédigé sous forme de lettre et qui tend Λ justifier la condamnation déjà pro­ noncée par lui d'ibas, de Théodore! et de Théodore. Justinien cite de ce dernier huit textes, dont quelquesuns assez longs, sept en provenance du Contra Apolli­ narem, un venant du De incarnatione. Voir P. G., t. lxxxvi a, col. 1049C, 1051 C, 1053 A, 1057 B, 1060 A, 1061 D, 1071 D, 1073 A (De incam.). Presque toutes ces citations sont déjà dans Léonce. — Mais, un peu avant la réunion du concile prévu, une enquête plus approfondie est faite dans l'œuvre de Théodore. On finit par en extraire 71 propositions, qui seront sou­ mises au concile à la iv· session. Elles sont empruntées, sans qu’il soit possible de voir dans quel ordre, au De incarnatione (12 extraits), au Contra Apollinarem (12 extraits), aux Catéchèses (7 extraits), au Commen­ tum de creatura (5 extraits), à divers commentaires exégétiques: chaque proposition est munie de sa réfé­ rence. Texte dans Mansi, t. ix, col. 202 sq., en latin seu­ lement, car il n’y a pas d’original grec du V· concile. Beaucoup des citations du concile doublent celles de Léonce, dont il y a intérêt à comparer le texte grec avec la version latine, souvent difficile à comprendre. — Le Constitutum publié par le pape Vigile en mai 553 (date d'ouverture du concile), reproduit les 61 pre­ mières propositions du concile (les numéros d’ordre ne se correspondent pas toujours); mais ne donne pas les références. C’est donc au texte conciliaire qu’il vaut mieux se rapporter; beaucoup plus étendu que les dossiers de Léonce et de Justinien, il est la source essentielle pour beaucoup d’ouvrages de Théodore. L’édition du Constitutum de la Collectio Avellana,dans le Corpus de Vienne, t. xxxv a, p. 230 sq., a l’avantage de mettre sous les yeux le texte grec de Léonce cor­ respondant au latin de Vigile et du concile. — Sensi­ blement a la même date l'cxccrpteur de la Collectio palatina (qu’il ne faut plus identifier avec Marius Mercator) donne de Théodore un certain nombre de textes relatifs au péché originel, empruntés à V Adver­ sus asserentes peccatum in natura insistere. Dans A. C. O., t. i, vol. v, p. 173-176, et un fragment de la viir catéchèse, Ibid., p. 176-177; cf. P. L., t. xlviii, col. 1051-1056. — Postérieurement au schisme d'Aquiléc. Pelage 11 pour convaincre les schismatiques de la culpabilité de Théodore, reproduit, dans sa 3· lettre aux évêques d’istric, sans y rien ajouter, une partie des textes déjà mentionnés par Vigile. P. L., t. lxxii, col. 715 sq.; mieux dans A. C. O., t. iv, vol. H, p. 112132. Lors de la controverse des Trois-Çhapitrcs, les dé­ 244 fenseurs de Théodore ne sont pas restés inactifs. SI l’on peut négliger au point de vue qui nous occupe les œuvres des deux diacres Rusticus et Libératus, de Vérécundus, évêque de Junca, il faut accorder une grande attention au traité du diacre Pélage (le futur pape Pélage Ier) contre le Judicatum du pape Vigile, éd. R. Dcvrcessc, Pelagii diaconi (n defensione Trium Capitulorum, Rome, 1933, Sludi c Testi, n. 57, et sur­ tout au volumineux ouvrage de Facundus d’licrmiane, Pro defensione Trium Capitulorum, P. L·., t. Lxvii, coL 527-852, qui donne de Theodore un nom­ bre important de textes inconnus par ailleurs : un du Cont. Eunomium : IX, 3, col. 754 ; sept du De incam. : III, 2, col. 587; IX, 3, col. 748, 750, 751, 752, 753, 762; deux des Catéchèses: III, 2, col. 585; IX, 3, col. 747; trois du Cont. Apollinarem : III, 2, col. 585; IX, 4, col. 755; X, 1, col. 769; un du De allegoria : III, 6, col. 602; un du Commentaire sur Hom. : III, 6, col. 601 ; un sur Matth. : IX, 2,col. 742; un sur Joa. : ibid., col. 746; un sur le Ps. xliv : col. 739; enfin un fragment d’une lettre à Artémius, importante pour l'enseigne­ ment trlnitairc : III, 5, col. 599. Encore que le point de vue de Facundus soit faux — il voudrait désolidariser complètement Théodore et Nestorius — cet auteur ne laisse pas de fournir des fragments théodoriens qui rendent un son bien différent de ce que l’on entend ailleurs. C'est dans la littérature théologique de langue sy­ riaque que l’on aurait le plus de chance de retrouver des textes non encore remarqués de Théodore. Ce tra­ vail a été à peine commencé par P. de Lagarde, qui dans scs Analecta syriaca, Leipzig, 1853, donne sans traduction, p. 100-102, des fragments syriaques de Théodore, empruntés à un florilège de toute apparence jacobitc, et par Ed. Sachau, Theodori M. fragmenta syriaca e codicibus Musivi Britannici nitriacis, Leip­ zig, 1869, qui reproduit les textes de P. de Lagarde, avec traduction latine, et fournit des textes nouveaux. b) Où trouver ces fragments rassemblés?— Le t. lxvi de P. G. est, à l’heure présente, le seul recueil tant soit peu complet. L'éditeur a surtout utilisé les travaux du professeur zurichois O.-F. Fritzsche (1812-1896) et il donne, outre la dissertation de celui-ci De Theodori M. vita et scriptts : le commentaire sur les petits prophètes (de Mal); les fragments sur l’Ancicn Testament (à compléter, pour ce qui est des Psaumes, par l’édition Dcvrcessc); les fragments sur le Nouveau Testament (d'après Fritzsche, Zurich, 1847), à compléter par l’édi­ tion du Commentaire sur Jean; les fragments dogma­ tiques, d'après Fritzsche. De ces fragments dogmati­ ques on trouvera un bien meilleur texte dans l’édition fournie par II.-B. Sweete, Theodori M. in epistolas B. Pauli commentaria, à la suite du commentaire (en latin) des petites épttres paullnlcnnes, t. n, toute la fin : les fragments sont disposés dans l’ordre suivant : De incarnatione, Contra Apollinarem, Contra Eunomium, les Catéchèses (y substituer l’éd. fournie par Mlngana), le Traité sur le péché originel, enfin les Epltrcs. Malgré les enrichissements récents, la conservation de l’œuvre de Théodore demeure donc tout à fait médiocre. C’est dire avec quelle prudence les critiques devront s'exprimer sur sa doctrine. III. L'exégète. — Presque dès les débuts de son activité littéraire, Théodore a été un · signe de contra­ diction >. L’Église orientale a vu de bonne heure en lui l’exégète par excellence, de qui nul n'avait loisir de s’écarter; mais, au même moment, l’Église d’État de l’Empire byzantin lui vouait une haine qui le pour­ suivra jusqu’à sa condamnation en 553. Et ce n’est pas seulement le théologien de l’incarnation qu’elle a condamné en lui; son exégèse, qui constituait somme toute le gros de sa production littéraire, n’a pas été attaquée avec moins de violence que ses spéculations 245 THÉODORE DE MOPSUESTE. LE CANON 246 christologiques. On s’en fera une idée en linant dans A reprocher A l'évêque de Mopsueste des lacunes dans Léonce de Byzance le réquisitoire prononcé contre son canon scripturaire. Reste A examiner les pointa l'évêque de Mopsueste, Contra nestor. et eutych,,\. III, sur lesquels Théodore aurait rompu en visière avec la 7-13, P. G., I. lxxxvi a, col. 1364 sq. Théodore y est doctrine de son Église : il s'agit pour le Nouveau Tes­ représenté commençant, à peine Agé de dix-huit ans, tament de l’épître de Jacques, et, pour l’Ancien, de à déblatérer contre les saintes Écritures, rejetant ce Job et du Cantique A quoi l’on peut ajouter la question qu'avaient dit avant lui les docteurs autorisés, retran­ des titres des psaumes. chant arbitrairement du canon les livres qui ne lui Pour ce qui est de l'épître de Jacques, nous n'avons convenaient pas, Job, l'épître de Jacques, Esdras et que l’affirmation de Léonce; encore manque-t-elle les Paraffpomènes, s’escrimant contre le psautier, dans de précision. Le théologien byzantin semble mettre le lequel il supprimait les titres mis en tête de chaque rejet par Théodore de ladite épître en relation avec les psaume, interprétant tous les cantiques sacres d'une critiques adressées par celui-ci au livre de Job : · C'est manière judaïque, en les rapportant A Zorobabcl ou A sans doute pour ce motif, à mon avis du moins, qu’il Ézéchias, n'en accordant que trois, et de quelle ma­ n'accepta pas i'Épltre de Jacques et rejeta ensuite les nière dédaigneuse, A Jésus-Christ. épîtres catholiques écrites par les autres apôtres. » L’accusation est chargée. Que faut-il en retenir? Que Dans sa généralité cette dernière phrase est inexacte, pensait Théodore du canon biblique? Quelle était sa car il est certain que Théodore acceptait la I* Petri doctrine de l’inspiration? Quels étaient les principes et la I* Joannis. Il y a tout lieu de penser que l'affir­ généraux dont il faisait la règle de son interprétation? mation de Léonce sur l'épître de Jacques a la même valeur. A-t-il vraiment été trop sévère dans la discrimination Les critiques faites par Théodore du livre de Job, des prophéties messianiques? Ces questions ont d'au­ critiques qui ont été relevées par le V· concile, sess. iv, tant plus d'intérêt que, sur ces divers points, l'évèquc de .Mopsueste est loin d'être un novateur. Il ne fait que n. 64-67, ne doivent pas faire oublier que l’Exégète avait consacré A cet écrit de l'Ancien Testament reproduire, en somme, renseignement qu’il tenait de un commentaire qu'il dédia A saint Cyrille d'Alexan­ Diodore de Tarse, lequel était, A son tour, l’héritier d’une tradition exégétique remontant jusqu’au mar­ drie. Ce fait doit rendre circonspect dans l'expli­ tyr Lucien. Et scs doctrines générales sont aussi les cation des phrases de Théodore qu’a conservées le V· concile. A prendre celles-ci pour des affirmations mêmes que professèrent saint Jean Chrysostomc et Théodorct. Mais « Diodore a laissé trop peu pour être sans appel du commentateur, on serait amené A con­ représentatif de son école, Chrysostomc fut un prédi­ clure que notre exégète ne croyait pas A l’inspiration du livre. Mais ne pourrait-on supposer qu’il s’agit là cateur bien plus qu'un exégète de cabinet; Théodorct n'est guère qu’un compilateur judicieux de Chrysos- d'objections, d’ailleurs assez pertinentes, qui auraient été faites contre l’inspiration du texte sacré, objec­ tomc et de Théodore. Théodore, lui, est un écrivain tions qui auraient servi de point de départ aux exégè­ indépendant et néanmoins plus profondément pénétré ses rectificatives de Théodore? Le Ve concile a pure­ que Chrysostomc ou Théodorct des traditions de l'école antiochlcnnc. Il n’avait pas d'auditoire A Hat­ ment et simplement entériné sur le sujet les conclu­ sions des théologiens de Justinien. Ceux-ci, nous au­ ter, pas de concile à craindre. Il allait devant lui avec rons encore l'occasion de le constater, n’étaient pas la fermeté d'un homme conscient de représenter un tellement scrupuleux quand ils maniaient les ciseaux 1 grand principe et pleinement convaincu de la vérité de celui-ci. » Swecte, dans Diction, o/ Christian biogra­ On remarquera, d’ailleurs, que le pape Vigile, dans son Constitutum, a laissé tomber ces propositions censées phy, l. iv, p. 947 b. extraites du commentaire sur Job. Ci-dessus, col. 243. 1° Le canon scripturaire de Théodore. — Au dire de On serait tenté d’appliquer le même traitement aux Léonce, Théodore aurait donc rejeté du canon : Job, propositions retenues aussi par le concile et relatives le Cantique, les titres des psaumes, les deux livres des au Cantique. Remarquons d’abord qu’il ne s’agit pas Paralipomènes et Esdras (c'cst-A-dirc Esdras et Néhémic), l'épître de Jacques et les épîtres catholiques des ici de phrases extraites d’un commentaire; les criti­ autres apôtres. Par les Actes du V· concile nous appre­ ques faites par Théodore proviennent d'une lettre adressée par lui à un ami, qui, sans doute, lui avait nons aussi que Théodore avait exprimé sur Job et le Cantique des appréciations sévères, semblant indiquer demandé son sentiment sur l'explication du Cantique. L’Exégète avoue qu’il n’a pu se faire encore une reli­ qu’il ne recevait pas ces livres comme canoniques. gion sur le genre littéraire auquel appartenait le livre Dans la iv· sess., n. 65-67, 68-71. Est-il possible de en question. Finalement il jette sur le papier une préciser ces accusations demeurées vagues? L. Pirot tentative d’explication et, s’en tenant aux premières s’y est efforcé dans sa thèse sur L'oeuvre exégétique de apparences, il voit dans le Cantique un epithalame, Théodore de Mopsueste, Home, 1913, p. 121-153. De son étude il ressort que l’Exégète dans son apprécia­ composé par Salomon pour célébrer ses noces avec la tion s'est le plus ordinairement laissé guider par fille du roi d'Égypte. Cette circonstance historique exclut-elle une signification plus profonde? Théodore l’enseignement de l’Église d'Antioche sur le canon parait le dire. Pourtant, dans sa jeunesse, il avait scripturaire. Celle-ci, pendant longtemps, ne considéra donné du psaume xliv, Eructavit cor meum, qui est un point comme canoniques l’ensemble formé par 1 et II épitbalamc lui aussi, une interprétation d’ordre plus Parai, et I et II Esdr.; fidèle, par ailleurs, au canon relevé. 11 appliquait A l’union du Christ avec l’Église palestinien, elle n’acceptait point les deutérocanoniques de l'Ancien Testament, encore que l’Ecclésfas- son épouse, les louanges adressées par le psalmistc au lique servit A Antioche A l’instruction des catéchu­ couple royal. Il interprétait au sens spirituel ce qui était dit dans le psaume des charmes de la reine, de la mènes. Dans le Nouveau Testament elle ne faisait pas splendeur de ses vêtements, de la richesse de sa cor­ de place aux petites épîtres catholiques, c’est-à-dire Il Pct., II et 111 Joa., et Jude; et elle restait hési­ beille de mariage, du virginal cortège qui l’accompa­ gnait jusqu’au palais de son époux. Et il concluait : tante sur la question de l’Apocalypse. • Toute la suite des développements montre bien qu’il On ne saurait faire reproche A Théodore d’avoir n'est pas possible d’appliquer le psaume A d’autres suivi en ceci les directives générales de son Église. On remarquera d'ailleurs que Léonce de Byzance, qui, qu’au Seigneur et A son Église. · Voir R. Dcvrcessc, Le commentaire de Théodore sur tes psaumes, p. 274-299 pour son compte personnel, A la suite de nombreux Pères de l’Église grecque, n'acceptait pas les deutéro(le texte est conservé dans son intégrité). L’Exégète a-t-il complètement renié A l’Agc mûr les vues qui canoniques de l'Ancien Testament, était bien mal venu 247 THÉODORE DE MOPSUESTE. HERMÉNEUTIQUE 248 avalent séduit sa jeunesse? On peut tout au moins venues des intelligences humaines, et, d’autre part, poser la question, et se demander s’il faut prendre sur un Salomon, à qui clic fait énoncer de* précepte* comme expression dernière de la pensée de Théodore de conduite parfois un peu terre à terre et de* maxime* les boutades de sa lettre sur le Cantique. Il reste que morales auxquelles la prudence humaine pourrait ellenotre auteur ne raie pas du canon le poème en ques­ même atteindre. En définitive chaque livre saint est Inspiré pour être ce qu'il doit être d’après les Inten­ tion. Il le fait rentrer dans le genre historique, ce qui est une tout autre chose. 1 tions divines, les livres historiques proprement dits, pour nous enseigner l’histoire du passé, sous un ongle La question des titres des psaumes se résout d’une manière beaucoup plus simple encore. Il est très cer­ religieux, les livres prophétiques pour préparer l'ave­ tain que Théodore n’attache pas une importance nir, les sapientiaux pour donner au temps présent sa majeure à ceux qu’il Ht dans le texte grec. · Nulle ligne de conduite. 11 ne nous reste aucune des préfaces part, écrit-il, nous ne voulons être esclave des titres aux livres historiques; nous sommes donc privés d’in­ et nous avons dit, dans notre préface (elle n'est pas dications sur la manière dont Théodore concevait conservée), que nous recevons ceux-là seuls dont nous l’inspiration divine poussant à la composition de tels pouvons vérifier l’exactitude. » Dans Dcvrccsse, ouvrages. La conservation complète du commentaire op. cit., p. 334. Selon toute vraisemblance, c'est la sur les petits prophètes permet au contraire de voir comparaison de ces titres dans les différentes versions clair dans sa doctrine de l’inspiration prophétique, qui a mis en garde Théodore contre la tentation de qu'il considère toujours comme se produisant dans l'extase. A ce point de vue d'alUeure, il assimile David leur accorder valeur normative. Entre les Septante et la Pcshita en particulier il y a sur ce point des écarts aux prophètes proprement dits. La brève indication considérables. Ccttc dernière pousse au maximum fournie par le V· concile sur l'inspiration de* Proverbe* l’arbitraire dans la détermination du sujet de chaque et de l’Ecclésiaste n'est pas suffisante, elle non plus, pour permettre une étude complète de ce que l’on psaume. Pourquoi Théodore n’auralt-H pu y aller lui pourrait appeler le mécanisme de l'inspiration dans aussi de ses conjectures personnelles? On volt combien s’amenuisent, à les considérer de le cas des livres sapientiaux. Nul doute que, si l’œuvre près, les griefs que Léonce a faits à Théodore en ma­ de Théodore nous était mieux conservée, nous ne tière de canon biblique. Tout bien pesé, il ne semble trouvions chez lui de quoi calmer les scrupules des modernes exégètes. pas qu’il se soit jeté dans l'aventure. Sa règle est bien 3° Principes généraux d'herméneutique. — L'École celle de l'Égllse d'Antioche et il n'y a pas à lui tenir rigueur d’une attitude qui était celle de scs contem­ d'Antioche avait mis, si l’on peut dire, sa coquetterie à exorciser l'nUégorisme dont l'École d'Alexandrie, porains. trop fidèle à l'exégèse philonienne, avait fait l’usage 2e Doctrine de Théodore sur l'inspiration. — Que le plus intempestif. Plus que personne Théodore a tous les auteurs sacrés de l'Anclen et du Nouveau travaillé dans ce sens. Un de scs ouvrages, V Adversus Testament aient écrit sous l’influence d’un seul et aliegoricos, était consacré ex professo à la critique de même Esprit, c'est ce que Théodore tient pour tout à l’allégorismc. Un autre, le De obscura locutione, énonçait fait assuré, et c'est plus spécialement à la troisième personne de la sainte Trinité qu’il rapporte ccttc ac­ vraisemblablement les principes de l’exégèse qu’il entendait substituer à l’exégèse allégorique. L’un et tion. Voir les textes dans Pirot, op. cit., p. 157-158. Sur ce point l’Exégètc ne diffère en rien de ses prédé­ l’autre ont disparu sans laisser d’autres traces que la citation de Facundus, III, 6, col. 602, qui ne touche cesseurs. S’il parait avoir une opinion particulière, pas la question, mais il n’est pas impossible en utili­ c’est quand il distingue comme deux modes ou deux degrés de l'inspiration : ce qu’il appelle la grâce do sant les commentaires de l’Exégète de reconstituer prudence ou de sagesse, degré inférieur, et d’autre l’essentiel de scs idées sur la matière. \,La critique de TaUégorismc.— «‘'Αλλο άγορεύειν, part l'inspiration prophétique. Cette distinction est nettement exprimée par la 63· proposition du V· con­ dire autre chose que ce qu’il y a dans le texte à com­ cile, qui ne donne pas de référence précise. ; menter », c’est bien l'essentiel de l’allégorismc. La Genèse parle de la création du monde, de l'agence­ On a voulu trouver quelque saveur hétérodoxe à ccttc distinction. L. Pirot écrit : < Théodore a grave­ ment de scs diverses parties, de la formation de ment erré en distinguant deux degrés dans la grâce l’homme et de la femme, du paradis où les place la bonté du Créateur, de l’épreuve qu’il leur impose, de d'inspiration; son opinion n'a aucune attache avec la tradition catholique. » Op. cil., p. 175. A bien prendre la tentation, de la chute, des sanctions qu’amène le* choses, il ne nous semble pas que l'opinion de celle-ci. Histoire bien terre à terre que tout cela, pour une exégèse allégorisantc, et qui ne peut avoir été Γ Exégète soit tellement blâmable. Elle revient à dire racontée pour elle-même dans un récit sacréI Toute que l’Esprit-Saint ne donne pas à tous les écrivains inspirés des secours cl une assistance comparables. 1 cette aventure doit être Interprétée nu sens figuré et Aux un* il donne la connaissance des événements, soit l'on sait en quel drame phllosophlco-mystlquc l'avait transformé Philon, trop aveuglément suivi par les passés, soit futurs, sous une illumination telle, que ces inspirés, qui sont au plein sens du mot des prophètes, maîtres chrétiens d'Alexandrie et par Augustin luiperçoivent en ces faits une signification qui échappe à · même. Et à côté de ccttc exégèse continue, la manie encore de détacher de son contexte tel épisode, telle ceux que n’anime point ù ce degré l'Esprit de Dieu. Pour d’autres — et c’est le cas de l’auteur des Pro­ phrase, tel mot et, sous prétexte d’un vague rapport verbes et de l’Ecclésiastc, dans la citation faite par le | avec des situations du Nouveau Testament, d’en faire V· concile — l'Esprit divin se contente d’une assis- , une prédiction se rapportant au Christ, Que l'on se tance qui les préserve de toute erreur et leur fait dire, rappelle les exégèses d’un Justin, celles plus cocasses sans leur communiquer de lumière spéciale sur le encore de Pscudo-Bamabé. Tout cela se retrouvait passé ou l'avenir, les choses que Dieu lui-même leur | largement étalé dans l’œuvre de Clément, dans celle veut faire exprimer. C’est dire, en d’autres termes, que d’Orlgènc; et ces deux maîtres avaient formé des l'action du Saint-Esprit s'exerce diversement suivant disciples. A tout ce monde Théodore est sévère. « Il lui le genre même des ouvrages qu’elle inspire. Elle n'est reproche de voir à tout instant le Christ dans les Écri­ pas la même sur un Moïse, sur un David, sur un Isaïe, tures et d’exposer ainsi les Livres saints aux moqueries sur un Daniel, à qui elle ouvre, sur le passé, dans le cas des Juifs et des païens. Dans son commentaire sur de Moïse, sur l’avenir, dans le cas des prophètes sui- | l épttre aux Galates, à propos du texte de saint Paul vint*, de* aperçus auxquels ne seraient jamais par­ sur Agar et Sara et de la fameuse sentence : quœ sunt 249 erf I THÉODORE DE MOPSUESTE. per allegoriam dicta, dont s'autorisaient les allégoristcs pour substituer à l'histoire de vaines fables cl de dan­ gereuses et ineptes rêveries, il dresse contre les disci­ ples d’Orlgènc un réquisitoire en règle. » Pirot, op. c/L, p. 182. Entre lu manière de Paul et la leur, dit-il, il y a un abîme. Paul part du fait historique et en tire un enseignement moral et doctrinal. Sous la plume des allégoristcs, au contraire, les faits historiques sc vola­ tilisent en vues philosophiques qui ne sont pas sans péril, quand ce n'est pas en rêveries et en Insanités. 2. La recherche du sent littéral. — Ainsi le premier devoir de l’exégète est-il de préciser le sens littéral du texte. La grammaire, le dictionnaire, sont évidem­ ment les premiers instruments à mettre en œuvre. Sweetc a noté avec beaucoup de finesse qu'à cet égard l’exégèse du Nouveau Testament est plus facile A Théodore, élevé dans un milieu profondément hellé­ nisé. Quand il s'agit de l'Ancien Testament, notre au­ teur sc trouve moins à son aise, car sa connaissance de la langue originale est fort déficiente. 11 ne laisse pas d'ailleurs de faire appel h l'hébreu. Dans le com­ mentaire des Psaumes il fait ainsi justice de certains contre-sens commis par les Septante. Telle explica­ tion, dit-il, doit être rejetée comme contraire «A l’hé­ breu, « qui est le premier guide en herméneutique ». Devrccsse, op. cit., p. 195. De même a-t-il remarqué qu’en de multiples endroits le futur du grec doit se rendre par un imparfait ou un parfait et que ce simple redressement des temps rend clairs des passages qui demeurent sans cela inintelligibles. Faute de pouvoir recourir au texte original, Théodore a d’ailleurs la res­ source de comparer entre elles les diverses versions. Dans le même commentaire il recourt très fréquem­ ment à celle de Symmaquc, qu’il déclare plus claire que le texte des Septante; plus réduit est l’usage qu'il fait de Théodotion, qu’il ne laisse pas cependant d’uti­ liser. Il n'est pas jusqu'à la Pcshita qu’il n'ait étu­ diée. Si plus lard, à la suite sans doute d'objections qui lui ont été faites, il devait sc montrer sévère à l'endroit de ccttc version « sans autorité », il n'en était pas là au début de sa carrière; à tel endroit il déclare que le texte fourni par elle est plus clair que les autres. Devrccsse, op. cil., p. 93, 1. 16 sq.; p. 395, 1. 15 et 25. .Mais la simple philologie ne permet pas de saisir complètement le sens littéral d'un texte. Bien plus importante se révèle la connaissance des conditions diverses dans lesquelles le texte a été composé. La question d'auteur est primordiale. Théodore ne s'y attarde guère, n’ayant point de raison pour contester les indications qu'il trouve en tête des divers livres ou que lui fournit la tradition. Pour le psautier il n’a pas une minute d’hésitation : il est tout entier de David, quoi qu’il en soit des titres qui se lisent, dans les Septante, en tête d’un certain nombre de psaumes. Quant au contexte historique de chaque livre, il a été étudié par lui avec beaucoup de soin; Théodore s'est fait de la chronologie et de l’histoire du peuple d'Is­ raël une représentation qui, pour l’époque, est très exacte· Chacune des préfaces aux commentaires des douze petits prophètes est à ce point de vue digne d’étude. Voir surtout l’introduction à Aggée, P. G., t. lxvi, coi. 173 sq., qui est un bon résumé de la chro­ nologie générale et aussi du sens que prend, dans ce contexte, chacun des petits prophètes. Dès le commen­ taire des psaumes, d'ailleurs, il s’était fait sur ce point une doctrine. David n'cst-ll pas le chef de file de la longue série de prophètes qui, reprenant en sous-œu­ vre le travail de Moïse, doivent préparer le peuple de Dieu à son rôle historique et religieux? Voir par exemple l'argument du ps. i.xxi, dont, malgré l’indi­ cation du titre, Théodore fait une œuvre de David. Devrccsse, op. cit., p. 170. Et notre auteur s'efforce de distinguer les plans successifs que discerne dans l'ave­ HERMÉNEUTIQUE 250 nir le voyant éclairé par Dieu. On trouvera peut-être qu’il y a une large part d'arbitraire dans la discrimi­ nation de ces plans. Les préfaces à chacun des petits prophètes s’cllorccnt de préciser ceux-ci. Éludions ceux que Théodore Imagine quand il s'agit des visions prophétiques de David. Parmi les oracles — ne faisons pas de ce mot le synonyme exact de prophétie — émis par le psalmiste, il en est bien qui visent directement l'époque du roi. Exprimant les sentiments de David en telle circonstance de sa vie, ils sont un avertissement pour les contemporains qui les entendent. Ils pourront ensuite inspirer des pensées et des sentiments analogues à ceux qui, dans la succession des Ages, connaîtront de sem­ blables situations. D’autres oracles visent directement des périodes ultérieures de l’histoire d’Israël. Pénétré de l'importance religieuse du règne d'Ézéchias, Théo­ dore rapporte à celte époque quatorze psaumes au moins, les uns exprimant, trois siècles à l’avance, les sentiments de crainte qui agitèrent le cœur du pieux roi, quand il sc vit menacé par toutes les forces d’Assour, IV Bcg., xvHi, la confiance en Dieu qu’il ne cessa de garder dans sa pire détresse, les actions de grâces enfin qu’il fit éclater quand un coup miracu­ leux de la Providence l'arracha au danger. Ibid., xix, 20. Voir dans Dcvrecsse, op. cit., la table alphabétique au mot Êzéchias. Une autre époque non moins impor­ tante dans la vie d'Israël, c’est la captivité de Baby­ lone; David l’a prévue. Il a prévu la carrière de Jéré­ mie dont le ministère consista surtout à annoncer l’imminence du châtiment. Voir Devrccsse. op. eit., p. 169. Il a mis sur les lèvres des déportés le psaume xxxix : Exspectans exspectavi Dominum; le ps. xli : Quemadmodum desiderat cervus ad /ontes aquarum, d’autres encore (nous ne possédons pas le commentaire du ps. cxxxvi, Super flumina Babylonis, mais il n’est pas douteux que Théodore l’ait expliqué dons ce sens). La restauration du peuple Juif sous l’action de Zorobabel est encore une époque capitale dans la vie d'Is­ raël. David l’a vue en esprit et a mis sur les lèvres du prince cl de ses contemporains un certain nombre de psaumes. En lin la période machabécnne fut, elle aussi, présente aux yeux du roi-prophète; la belle résistance du grand-prêtre Onias et des fils de Mathatias aux séductions de l’hellénisme est annoncée aux ps. liv, lv, lvi, LVH, Lxi. Lxvni (ce dentier en dépit du t. 10 : Zelus domus tuæ comedit me, et du t. 22 : Dederunt in escam meam fel. etc., qui invitaient à en faire au Christ l’application directe). Sur ces psaumes « macbabéens », voir Fr. Baethgen, Siebenzehn makkabâische Psalmen nach Theodor von 3f., dans Zeitschr. /ür die alltestam. Wissensch.,1. vi, 1886, p. 261-288; t. vu. 1887. p. 1-60. Qu’Il y ait une part considérable d’arbitraire dans sem­ blables déterminations du sens < littéral · des textes prophétiques, il serait vain de le nier. A bien des re­ prises les conjectures faites par Théodore pour déter­ miner les situations que vise l’écrivain inspiré égalent en fantaisie les plus belles trouvailles des allégoristes! Nous n’avons pas le moyen de préciser les critères positifs qui orientaient Théodore vers telle ou telle explication. Tout au plus les textes conserves per­ mettent-ils de relever 1a règle suivante. Pour saisir à quel événement, à quel personnage s’applique au sens littéral une prophétie, il faut avant tout en considérer l’ensemble. 11 ne s’agit pas d'en arracher de ci, de là des lambeaux, qui paraissent clairs quand ils sont isolés de leur contexte, mais qui, remis à leur place, perdent beaucoup de leur évidence. Soit le psaume xxi; à ne considérer que les t. 17 cl 18 : Foderunt manus meas, etc., il semblerait bien sc rapporter, au sens littéral, à la passion du Sauveur. Mais, si l’on observe que, dès le début, celui dans la bouche de qui le psalmiste met celle prière parle de ses péchés : Longe a salute mea 251 THÉODORE DE MOPSUESTE. verba delictorum meorum, on est forcé de reconnaître que ce ne peut être le Christ qui parle en cet endroit. A quel moment la prière cesse-t-elle d’être la suppli­ cation d’un pêcheur pour devenir celle de la toute pureté? Bien habile qui le dirait 1 Ce « changement de personnes » est inconcevable : ένχλλαγη δέ προσώπων έσΗ μέν κατά τό άληΟέζ b τοϊς ψαλμοϊς ούδεμία. Dcvreesse, p. 280,1. 9 (toute la suite est Λ lire); cf. aussi l’argument du ps. lxxi : Deus judicium tuum régi da, ibid., p. 469 sq. Comment interpréter, dans ce dernier, i « telle partie de Salomon, telle autre du Christ, com- I ment passer de celui-ci à cclui-ΐά et inversement, expliquer le psaume comme s'il y était question de ( deux frères plus ou moins également partagés? La cause de cet abus, c’est le fait, pour les exégètes, de I s’appliquer servilement aux mots et de ne point sai- 1 sir l'ensemble. » Il suffit de généraliser ces mots de . Théodore pour comprendre son attitude à l’égard des . divers textes prophétiques qu'il a expliqués. Les < argu­ ments » mis en tête de chacun des petits prophètes con­ firmeraient à coup sûr cette règle. Appliquée à des 1 textes de médiocre longueur, elle est certainement | sage, quoi qu’il en soit de telles ou telles applications qui en ont été faites. Elle revient à dire : la première ’ chose quand il s’agit d'expliquer un morceau scriptu­ raire, c’est d'en saisir l’idée directrice et d’ordonner tous les détails de l'exégèse en fonction de celle-ci. Il va sans dire que l'exégèse des textes propre­ ment historiques ou d’ordre didactique ne sc heurte à aucune difficulté sérieuse. En l’absence de commen­ taires complets, il est malaisé de dire comment a pro­ cédé Théodore en semblable occurrence. 3. Le sens typique. — Mais, si l'essentiel pour un commentateur est de s'assurer avant tout de l'inten­ tion de l'écrivain sacré, de sc refuser à accepter une signification secondaire et plus subtile quand les mots peuvent porter un sens littéral, l'interprète de récri­ ture ne laisse pas d'avoir, quand il s'agit de l'Ancicn Testament, une autre obligation. Aussi bien doit-il sc convaincre que le recueil sacré n'a pas en lui-même sa fin; il ne prend toute sa signification qu'en fonction de la Nouvelle Alliance qu’il est destiné à préparer. Théo­ dore est plus convaincu que personne de cette vérité. Le principe que l’histoire Juive — et donc aussi les livres qui la racontent — est ordonnée à la préparation du Christ est pour lui au-dessus de toute contestation. Il a écrit son commentaire des petits prophètes pour s’élever contre la méthode allégorique et c'est pour­ tant dans les < arguments » de chacun des prophètes qu’on trouve le plus clairement indiquée l'existence d’un sens typique. Voir en particulier l'argument de Jonas, P. G., t. lxvî, col. 317 sq. : Dieu, auteur de Γ An­ cien et du Nouveau Testament, fait servir l'un et l’au­ tre A l’édification du genre humain; ainsi les faits de ΓAncienne Alliance sc trouvent-ils être les types, les représentations anticipées des réalités de la Nouvelle, Ιχογτα μέν τχνα μίμησιν πρδς ταυτα. Sans doute les livres sacrés apportent-ils quelque utilité aux contem­ porains, mais leur signification prophétique est bien supérieure à leur utilité présente. Les événements qui accompagnaient la sortie d’Égypte, par exemple, et qui sont rapportés dans l’Exodc n'étalent pas sans quelque utilité pour les Hébreux, mais surtout ils figu­ raient à l’avance, ώς έν τύποις, la délivrance de la mort el du péché que le Christ est venu nous apporter. C’est bien ce qu’enseigne Paul : « Tout cela, dit-il, arrivait aux Hébreux en figure. » Et c’est non moins vrai des institutions qui leur furent données : sans doute clics n’étalent pas sans apporter quelque avantage à ceux qui en usaient, mais surtout elles signifiaient les très grands biens que nous avons reçus par Jésus-Christ. Tout cela est dit pour Introduire le commentaire de Jonas, ce prophète dont l'histoire même préfigurait HERMÉNEUTIQUE 252 celle do notre Sauveur. Voir encore In Joël., n, 28-32, ibid., col. 232-233. Dès le commentaire sur le Psautier, Théodore avait donné un premier crayon de cette doc­ trine. Voir par exemple ce qui est dit du psaume xv, Conserva me Domine et de son application à Notre· Seigneur. Devrccssc, op. cil., p. 99 sq. Ainsi donc l'ensemble de l'histoire d’Israël se trouve être une préfiguration de l’économie nouvelle; nombre de ses détails — mais non pas tous — expriment à l'avance, selon la préordinal ion divine, des événe­ ments qui sc sont accomplis lors de la manifestation de Dieu parmi les hommes. Ne disons pas, pour autant, qu'il s’agisse là de prophéties au sens propre. Dans la prophétie l'événement futur est annoncé par les mots eux-mêmes, par le texte en provenance de l’écrivain inspiré. Dans le type l'événement est annoncé par les faits, par les personnes que racontent ou que décrivent les textes. Soit, par exemple, le t. 3 du psaume vin : Ex ore infantium et lactentium perfecisti laudem. Nous avons ici une prophétie au sens propre du mot. David entend, un millénaire à l'avance, 1'Hosannah des en­ fants acclamant le Christ à son entrée au temple; cf. Matth., xxi, 16. Au contraire, l’aventure de Jonas et du poisson est une figure, une anticipation dans les événements de ce qui devait arriver à Notre-Scigncur enseveli et ressuscité; cf. Matth., xn, 38-42. Mais de ce fait qu'il existe dans l'Ancicn Testament des · types » d'événements du Nouveau, il découle une conséquence importante : les expressions employées pour décrire les premiers pourront être appliquées par les écrivains du Nouveau Testament à décrire les seconds. Joël prédit, par exemple, n, 28-32, une effu­ sion, sur Israël restauré, de la vertu divine; il s'agit là de ce qui doit arriver après le retour de la captivité, c'est l'annonce prophétique de réalités qui se sont accomplies dans l'histoire juive. Mais cette effusion de grâces est le « type », la figure anticipée, d’une autre effusion qui se passera au jour de la Pentecôte. Pierre, dès lors, parlant aux Juifs ce jour-là, avait bien le droit de se servir des paroles de Joël pour parler de la descente du Saint-Esprit, qui réalisait, bien mieux que n’avait pu le prévoir le prophète, l'abondante effusion des dons divins. Act., n, 16-21. En d’autres termes, Joël n’a pas prédit la Pentecôte mais un évé­ nement beaucoup plus rapproché de lui; Pierre, de son côté, faisait au miracle de l’effusion de l’Esprit une application exacte des paroles de Joël. Dans leur magnificence, celles-ci dépassaient de beaucoup le fait entrevu et signalé par le prophète, elles n'avaient que dans le miracle de la Pentecôte leur signification com­ plète. Voir tout ce développement qui est capital dans P. G; t. lxvï, col. 229 sq. Cf. dans Mlchée, l’explica­ tion de v, 1 sq. : El lu Bethleem, ibid., col. 372 : la pro­ phétie de Mlchée s'applique directement à Zorobabcl, mais, comme celui-ci est une figure du Christ, elle trouve sa pleine réalisation dans la naissance de Jésus à Bethléem. Dans le commentaire des petits prophètes cette théorie est clairement exprimée, mais elle figure déjà dans l’explication du psautier, voir par exemple l'exégèse du ps. xv, Conserva me, et du ps. xxi, Deus, Deus meus, respice in me. Il fallait insister sur ce point, car on a parlé, à pro­ pos de cette utilisation par les auteurs du Nouveau Testament de textes empruntés à l’Ancicn, de « sens accoinodatlcc ». Il est bien vrai que Théodore signale à maintes reprises l’utilisation par des personnages du Nouveau Testament de textes empruntés à l'Ancicn, parce que ces textes s’adaptent, plus ou moins exac­ tement, à leur situation; voir Devrccssc, op. cit., table au mot accommodatus sensus. Mais, dans l’application à la Pentecôte de la prophétie de Joël et dans tous les exemples analogues, la pensée de l'Exégète est tout à I fait claire : le fait arrivé dims l'économie nouvelle jus­ 253 THÉO DO HE DE MOPSUESTE. Il E H M E N E UT IQ U E tifie plus qu’umplemcnt l'utilisation du texte de l’Anclcn Testament. Ce dernier visait un fait qui s’était réalisé quelque temps après l'annonce qui en avait été donnée, mais ce fait était de trop mince Importance pour autoriser les hyperboles du prophète. En appli­ quant les expressions de celui-ci à l'événement de la Nouvelle Alliance, l’apôtre, l’écrivain Inspiré leur don­ nait leur pleine et complète signification. On ne sau­ rait parler ici de sens « accomodatlcc » tel que le com­ prennent les exégètes modernes. 4. Le sens prophétique. — Tout ceci pose la question de savoir jusqu’à quel point Théodore a reconnu dans le Vieux Testament des prophéties au sens propre du mot et tout particulièrement des prophéties messia­ niques. Que les écrivains sacrés aient été, en maintes cir­ constances, favorisés par Dieu de clartés sur l’avenir et aient annoncé des événements qui se sont ultérieu­ rement réalisés, il est trop clair, par ce que nous avons vu, que Théodore l’admet. Nous avons également signalé la tendance qu’il a à situer dans un avenir qui n’est pas trop éloigné du prophète les événements pré­ dits. 11 n’est pas favorable à cette confusion des pers­ pectives prophétiques dont certains exégètes anciens et modernes ont fait si grand état. Λ l’en croire, les voyants d’Israël distinguaient assez nettement dans l’avenir les plans successifs où sc situaient les choses qu’ils annonçaient. Ceci posé, il est trop clair que Théodore devait accepter qu’un certain nombre des oracles de l’Ancicn Testament se rapportaient, direc­ tement et au sens littéral, à la personne même du Christ, à des circonstances déterminées de sa vie, à son œuvre rédemptrice et à la continuation de celle-ci. En cela il ne sc sépare point des exégètes qui l’ont précédé, accompagné ou suivi. Où il en diffère, c’est par le caractère quelque peu pointilleux de scs remarques sur des textes à peu près universellement considérés comme messianiques, par les précautions qu’il accumule avant de prononcer que tel passage scripturaire est, dans son sens littéral, une prédiction relative au Sauveur, par les exclusives qu’il n prononcées contre des oracles que la tradition inter­ prétait unanimement du Christ. Il faut voir en ces ten­ dances l’effet de sa réaction vigoureuse contre les excès de l’école allégorisantc. Instruit dès sa prime jeunesse à se mettre en garde contre ceux qui voyaient dans chaque ligne de la Bible d’Israël une allusion à l’économie chrétienne, une prophétie plus ou moins obscure du Christ et de son œuvre, peut-être a-t-il exa­ géré la sévérité des conditions nécessaires pour recon­ naître dans tel oracle une prophétie messianique au sens littéral. Exagération d’une qualitéI La méthode allégorisantc était beaucoup plus nocive à une vraie compréhension de la Bible que ces exigences critiques de Théodore. L. Pirot a relevé et classé avec beaucoup d’acriblc les divers textes que Théodore considère comme sc rapportant au Messie. Parmi les psaumes — et les con­ clusions de L. Pirot sont renforcées par la publication de IL Devreesse — Théodore recevait comme messia­ niques au sens littéral le Ps. n, Quare /remuerunt Gen­ tes, le Ps. vin, Domine Dominus noster, pour des raisons que nous avons signalées plus haut, le Ps. xliv. Eructavit cor meum verbum bonum, célébrant à l’avance l’union du Christ avec l’Églisc son épouse, enfin le Ps. cix, Dixit Dominus, annonçant la royauté et le triomphe définitif de l'Homme-Dleu. Étaient considé­ rées comme s’appliquant directement à des « types » du Messie et dès lors indirectement au Messie luimême les Ps. xv, Conserva me, liv, Exaudi Deus ora­ tionem meam (mais dont il faut restituer le commen­ taire à Théodorct), lxxxviii, Misericordias Domini suivant ce que dit Théodore dans son commentaire 250 sur Mlchée, v, 1-2. Enfin plusieurs psaumes étalent regardés par lui comme messianiques au simple sens « accommodatlce » : le Ps. xxi, Deus, Deus meus respice in me, le Ps. lxvti, Exsurgat Deus, le Ps. lxvhi, Salvum me /ac Deus, le Ps. lxxi, Deus judicium tuum régi da. Il n’y a guère que sur le premier des psaumes de cette série que Théodore se mette en contradiction avec l’enseignement unanime des exégètes, mais nous en avons dit ci-dessus la raison. Voir col. 250-251. Dans les autres livres de l’Ancicn Testament dont il nous est resté des commentaires intégraux ou seule­ ment fragmentaires, il faudrait retenir les oracles sui­ vants : messianique au sens littéral serait Gen., xiax, 10-12, cf. P. G., t. lxvî, col. 645; messianiques au sens typique, Joël, n, 28-29 (cf. ci-dessus, col. 252); Amos, ix, 11; Zacharie, ix, 9; Malachie, m, 1. Par contre il ne faudrait pas voir d’allusion au Messie dans les tex­ tes suivants, cités comme messianiques par d’autres commentateurs : Os., xi, 1; Mich., iv, 1-3; v, 1-2; Agg., n, 10; Zach., XI, 12-14; xn, 10; Mal., r, 11; iv, 5-6. On n’oubliera pas que nous n’avons presque rien des commentaires de Théodore sur les grands pro­ phètes et que, dès lors, les listes précédentes sont très loin d’épuiser la somme des prophéties reconnues par lui comme messianiques. 5. L'exégèse du Nouveau Testament. — A l’heure présente il n’est guère possible de se faire une idée de la méthode de Théodore que par le commentaire sur les petites épitres de saint Paul et sur l’épttrc aux Romains dont une partie notable est conservée; le commentaire sur saint Jean reste encore pratiquement inutilisable. Dans ce qui reste des explications sur les évangiles, on remarquera, avec Swectc, la précision avec laquelle Théodore s’attache à la lettre de l’auteur qu’il com­ mente (cf. Matth., xxv, 24), l’habileté à mettre au service de l’interprétation ces petits mots d’un texte que les exégètes sont souvent tentés d’oublier (cf. Joa., xiii, 33, réflexion sur la particule άρτχ), l’attention aux finesses de la grammaire, de la ponctuation, la discussion attentive des sens possibles (cf. Joa., i, 3, sur la coupure à faire dans la phrase : sine ipso lactum est nihil quod /actum est), le tact à faire ressortir tel point d’une parabole, d’un discours. Ce n’est pas à dire que tout y soit parfait. On aimerait à trouver parfois plus de pénétration mystique (cf. Joa., xi, 21) ou de sentiment (ibid., 30). A l’occasion les préjugés théo­ logiques de l’auteur ont déteint sur son exégèse; c’est le cas tout spécialement pour Joa., xx, 22 cl 28. • Le commentaire sur saint Paul, continue Swcete, est digne de la réputation de Théodore; on y trouve beaucoup de soin et de précision, un effort soutenu pour suivre la pensée de l'Apôtre. Ceci est d’ailleurs un peu gâté par les questions théologiques qui inter­ fèrent souvent avec l’explication du texte; encore ces digressions ont-elles leur valeur comme exposition de la théologie antiochienne; elles nous permettent aussi de surprendre le processus par lequel l’esprit subtil el pénétrant de Théodore pouvait faire sortir des épitres paulinlennes sa propre théologie ou même concilier deux systèmes de pensée qui semblaient d'abord diver­ ger sans espoir de conciliation. » Sweete, dans Dici, o/ christ, biography, loc. cit., p. 947 a. Conclusion. — Que reste-t-il en définitive des véhé­ mentes critiques adressées par Léonce de Byzance à l’exégèse de Théodore? 11 reste que l’ancien moine origéniste les aurait épargnées à l’Exégète, si, au lieu de se mettre au service des vues intéressées de Justinien, il avait pris la peine d’étudier avec impartialité la puis­ sante création de Théodore, s’il s’était mieux renseigné sur l’état exact de la tradition exégétique à Antioche, s’il s’était rendu compte qu’en face de l’exégèse origénienne il y avait place pour une autre interprétation 255 THÉODORE DE MOPSUESTE. THÉOLOGIE des livres saints. Nous sommes mieux placés que Léonce pour comprendre la position de Théodore. Plus sa pensée se découvre A nous avec exactitude, plus aussi nous remarquons en son exégèse un cachet de vérité, une allure aussi de jeunesse bien propres A lui concilier les sympathies des commentateurs d'au­ jourd’hui. IV. Le théologien. — 1° Remarques préliminaires, — 1. Méthode d suivre, — Ce que Ton a dit ci-dessus de l’état de conservation des œuvres théologiques de Théodore cl de la manière dont les restes en ont été sauvés permet de comprendre la difficulté qu'éprouve la critique Λ restaurer avec exactitude la pensée de l’évêque de Mopsuestc. C'est A travers des amas de ruines qu'il fallait, jusqu'A présent, rechercher les matériaux d’une synthèse qui demeurait toujours pro­ blématique. Que, pour l'ensemble, la pensée de Théo­ dore fût conforme A la doctrine générale de son temps, on le savait de reste, mais pour des points spéciaux, spécialement pour la christologie ct la sotériologie, l'on se trouvait réduit A demander des renseignements A des textes d'une authenticité pas toujours sûre, d’une conservation douteuse, tronqués peut-être, en tout cas séparés d’un contexte qu'il était diflicile de conjecturer. La remarquable synthèse esquissée par Sweet e, op, cit., p. 943-946, est loin de donner, A ce point de vue, tous les apaisements. Une autre méthode est désormais possible. La dé­ couverte des Catéchèses de Théodore permet de donner un exposé plus systématique ct plus sûr de la doctrine de l'interprète. Etant rédigées A l’intention des candi­ dats A l’initiation chrétienne, suivant pas A pas les articles du Credo, elles ont chance de représenter le développement homogène d'une pensée sûre d'cllcmême. A quoi l’on objectera, sans doute, que, desti­ nées A des commençants, elles n’ont pu pénétrer jus­ qu'au fond des problèmes théologiques soulevés par l’explication du symbole, que, prononcées par un évê­ que conscient de scs responsabilités, elles ont eu ten­ dance à amenuiser certaines théories plus hardiment exposées par Théodore en d'autres endroits de son œuvre, qu’elles représentent, somme toute, un ensei­ gnement exotérique A quoi l'on pourrait opposer la doctrine ésotérique du même auteur. Tout cela n'est que partiellement exact. En fait les Catéchèses sont une œuvre de haute tenue théologique; elles font état de plusieurs critiques qui d'ores ct déjà avalent été faites à certains exposés de l’auteur; il n'y a aucune raison de suspecter la sincérité d’un théologien qui, dès scs premières productions littéraires, s’est fait remarquer par sa hardiesse A traiter les problèmes difficiles. Tout spécialement en ce qui concerne la christologie, elles reprennent, mais d’un autre biais, les doctrines déjà émises dans le De incarnatione ct qui reviendront dans le Contra Apollinarem, Le mieux sera, en exposant l’enseignement d'après les Catéchèses, de signaler au passage les modifications ou au contraire les confirma­ tions qu'apporte la lecture des deux autres traités ou plutôt de ce qu’il en reste. 2. Le milieu où se situe Vaeuore théologique de Théo­ dore. — A la différence des Catéchèses qui sont une œuvre d’exposé serein, les autres écrits théologiques de Théodore sont des traités de polémique, qu’il t'agisse des livres sur la christologie ou de ceux qui sont relatifs A l'état primitif de l’homme et au péché originel. Il est utile de remettre les uns et les autres dans leur milieu. La doctrine antlochienne de l’incarnation — c'est elle qui préoccupe surtout — est née d’une violente protestation contre l’apolllnarismc. C'est contre la doctrine hérétique d’Apollinaire, vrai docétisme, que Diodore de Tarse l’a d’abord ébauchée. Tandis qu Apollinaire mutile la nature humaine du Sauveur, 256 réduite A n'être plus guère qu'un corps manœuvré par le Verbe divin, ou tout au plus une chair animée, sim­ ple instrument passif aux mains du Monogène, l'idée essentielle de l'évêque de Tarse c'est de montrer l'exis­ tence en Jésus d'une nature humaine complète, par­ faite, concrète ct agissante. Jésus n'est pas, parmi nous, une mystérieuse apparition semblable aux théo­ phanies de l’Ancien Testament : il a eu tout, absolu­ ment tout, de l'homme. 11 est Ills de David, comme U est Fils de Dieu. De ce chef, Diodore est amené A ex­ primer le dogme des deux natures d’une manière qui laisse place A la critique. De ce que le Sauveur est A la fois fils de David ct Fils de Dieu, il conclut que l'on peut distinguer, < dans les manifestations évangéli­ ques, le Fils parfait de Dieu, qui est Fils de Dieu par nature, ct d'autre part le flls parfait de David, devenu Fils de Dieu par grâce ». Et nous voici A la doctrine damnable des « deux flls ». De celui qui est Fils de Dieu par grâce, Diodore s'essaie ensuite A esquis­ ser la psychologie. Or, d’après les rares textes qui subsistent, il est aisé de voir que cet auteur admet dans le filius David assumptus un progrès certain. Ne disons pas — nul texte nc nous y autorise — que l’union entre le Filius Dei ct le filius David est allé en se resserrant du point de vue métaphysique; du moins la divinité n'a-t-clle pas conféré dès le début toute la sagesse au flls de David. Et la comparaison est expres­ sément faite entre la psychologie du fils de David et celle des prophètes, quoi qu’il en soit de différences importantes et que Diodore a pris grand soin de sou­ ligner. Ainsi, dès le début de l'Écolc antiochlenne, la doctrine orthodoxe des deux natures complètes, con­ crètes et agissantes a pris la forme dangereuse ct hétérodoxe de la doctrine « des deux ills ». Quoi qu’il en fût des protestations d’orthodoxie de Diodore, quelques efforts qu’il eût faits pour affirmer l’unité du Christ, sa position demeurait compromettante. D'autant que l'autorité ecclésiastique s'étalt émue de l’expression. Dès 362, au concile d’Alexandrie, avaient été blâmés simultanément et le premier apollinarisme ct la doctrine de ceux qui, en réaction contre lui, parlaient de · deux flls ». Les condamna­ tions formulées en 380 ct 382 par le pape Damase visaient également l'apollinarlsme et l'erreur adverse. Anathematizamus eos qui duos filios asserunt, unum ante sæcula et alterum post assumptionem carnis ex Virgine. P, L,, t. xm, coi. 395. Bien que l'autorité ecclésiastique s'exprimât avec plus de sévérité sur le compte de l'apollinarisme, elle ne laissait pas de signi­ fier A la formule des « deux ills » son congé définitif. Dorénavant il ne serait plus loisible d'expliquer la distinction des natures par ce vocable dangereux. 3. Développement historique de la pensée de Théodore, — Tel est le problème devant lequel se trouve Théo­ dore : maintenir de Diodore tout ce qui est A maintenir et tout spécialement lu doctrine des deux natures au sens le plus complet du mot, exprimer en même temps l’unité du Fils de Dieu fait homme. Le De incarnatione est écrit A l’heure où la lutte con­ tinue ardente, A Antioche, contre l’apollinarlsme. Aussi bien z\pollinaire ensclgnc-t-ll encore dans la capitale de la Syrie, où saint Jérôme suivait scs leçons en 379. La grande préoccupation de Théodore, qui écrit certainement après les condamnations damasiennes, c’est de noter, contre le Laodlcécn, l'existence des deux natures ct de ce que l'on peut appeler l'au­ tonomie de la nature humaine. De IA son insistance à parler des opérations, ou, comme l'on dira plus tard, des « énergies » humaines du Sauveur. C'est A cette préoccupation qu'il faut attribuer les remarques si appuyées de l’auteur sur le progrès psychologique, intellectuel ct moral, qui se note en l’âme du Christ. Toutefois cette préoccupation d'assurer la distinction 257 THÉODORE DE MOPSUESTE. LES CATÉCHÈSES des natures ct · l'autonomie » de In nature humaine nc fail pas disparaître entièrement celle de préserver l'unité du Sauveur. Il n’est jamais question des < deux fils ». Sans doute se trouve-t-il encore une distinction assez subtile entre la filiation divine qui est carac­ téristique du Verbe divin et la filiation divine qui s'ajoute aux caractéristiques de l'homme Jésus. Sans doute encore trouve-t-on quelque insistance sur le moment du baptême de Jésus où est proclamée, pour ne pas dire réalisée, sa filiation. Mais cela n’empêche pas de découvrir dans le De incarnatione un sérieux effort pour serrer de près le problème de l’union, en tenant compte des données de la Tradition ct des directives de l’autorité. C’est ce qu’en avait retenu Gennade : < Dans cet ouvrage plein de science, dit-il, Théodore montre par la raison ct les témoignages scripturaires, que le Seigneur Jésus, comme ii eut la plénitude de la divinité, eut aussi celle de l’humanité... Le XIV· livre de cet ouvrage est consacré à la nature incréée, seule incorporelle ct souveraine de tout, la Trinité, en même temps qu'à l’ordre des créatures, ct Théodore s'en explique en tablant sur l’autorité des saintes Écritures. Le XV· livre confirme et renforce toute l’œuvre, par des citations tirées de la tradition des Pères. » De oir. ill., n. 12, P. L., t. lvtii, col.1067. Les Catéchèses mettent plus encore en lumière un effort semblable. Visiblement il s’agit pour Théodore d’écarter de son exposition tout ce qui pourrait être chez les competentes cause d’étonnement ou d’erreur. On ne peut pas ne pas voir ici la préoccupation du pasteur ayant charge d'âmes. Au premier plan est mise l’unité du personnage historique de Jésus : Credo in ünvm Dominum, Jesum Christum. Quelle que soit l’insistance de l’auteur ù faire de Jésus, à la suite du texte qu’il explique, le primogenitus in multis fra­ tribus, nulle part il ne lui arrive d’assimiler pleine­ ment à la nôtre la filiation de Vhomo Christus Jesus. Pour l’auteur des Catéchèses, Jésus est bien, en toute vérité, Dieu apparaissant sur la terre et, si l'on veut, la manifestation historique du Dieu vivant. D’ordre plus scientifique, le Contra Apollinarem reprend la même attitude qui avait été celle du De incarnatione, mais il insiste plus encore sur la dualité des opérations ct aussi sur le rôle de la grâce, disons de l’influx du Saint-Esprit, dans les actions humaines de l’Hommc-Dicu. Tout ce qui est dit en ce sens se ramè­ nerait sans difficulté, croyons-nous, aux notions au­ jourd’hui courantes sur la grâce du Christ, les dons du Saint-Esprit qui lui ont été départis, toutes notions qui ont dans l'Évangile un très sûr point de départ. Les traces de la doctrine des deux fils nc sont plus du tout perceptibles. Sans doute, étant donnée la manière dont les fragments de l’œuvre nous ont été transmis, nous nc voyons pas que l’auteur y ait insisté sur l’unité. Il n’empêche qu’une formule qu'a conservée Facundus, op. cit., IX, 4, col. 756 B, en provenance du I. IV de Théodore, se rapproche ù s’y méprendre des formules postérieures ù Chalcédolne : In Domino Christo dicimus quoniam in forma Dei extat forma seroi. C’est presque l'expression de φύσις ίνυπόστατος qu’imaginera Léonce de Byzance. 2® La théologie de Théodore d’après les Catéchèses. — Nous allons maintenant exposer d’après les Catéchèses la doctrine d’ensemble de l’évêque de Mopsuestc. Nos renvois sont faits à l’édition anglaise de iMingana, dans les W'oodbrooke Studies, l. v et vi. Elle prend comme point de départ un symbole bap­ tismal, qui est expressément donné comme celui des Pères de Nicéc. En réalité cette profession de foi dif­ fère en des points notables de celle de 325; sans s’iden­ tifier avec le symbole dit de Nlcée-Conslantinoplc, elle se rapproche plus de celui-ci que de la formule même de Nicéc. Voir le texte reconstitué par B. Devreesse, DICT. DE THÉOL. CATIIOL. 258 dans Heo. des sciences rel., t. xm, 1933, p. 426. Surtout elle n’a rien de commun avec ce que l’on est convenu d’appeler le Symbole de Théodore de Mopsueste, transmis par Marius Mercator, au n. 3 de la Collectio patatina, dans A. C. O., 1.1, vol. v, p. 23-25; cf. P. L., L. xlvîh, col. 1043-1016, sur l'authenticité théodorienne duquel il subsiste les doutes les plus graves et sur lequel, dès lors, il nous paraît inutile de nous appe­ santir. Le symbole commenté par Théodore dan* les Catéchèses est en somme une adaptation antiochienne du symbole de Nicéc, complétée d’ailleurs, en ce qui concerne le Saint-Esprit, d’après les indications du con­ cile de 381. Cf. Mingana, t. v, p. 101. 1. L’unité dioine et la trinité des personnes (hom. i ct π). — Λ l’encontre du polythéisme païen il faut affirmer l’unité divine, tout en maintenant contre l’obstination judaïque la trinité des hypostases; c’est proprement la formule antiochienne, d’abord con­ testée par les nicéens authentiques, mais qui a obtenu à Alexandrie, en 362, un laissez-passer définitif : τρεις ύποστάσεις έν μία ουσία. Cette trinité des hypostases n'a pas été révélée, si ce n'est d'une manière très im­ parfaite, aux prophètes de l'Ancicnne Loi; elle nc l’a été que par Jésus-Christ, encore ne fut-ce qu’au mo­ ment où il allait quitter la terre. Les dernières paroles de l'évangile de Matthieu, xxvin, 19-20, sont le fon­ dement même où s'appuie toute la foi chrétienne. Sur l’ignorance où avaient été les prophètes du Vieux Tes­ tament, Théodore a beaucoup insisté dans scs œuvres exégétiques; cf. In Joel., n, 28-32, P. G., t. lxvi, col. 229; In Agg., n, 1-5, col. 484. Les apôtres euxmêmes, avant l’ascension, n'avalent pas de la Trinité une idée claire; cf. In Joa., i, 47, col. 737; xx, 28, col. 783-784, ct aussi De incarn., col. 969A. Ils furent alors illuminés cl c'est conformément à leur doctrine que nous croyons nous-mêmes à l’unique nature divine se manifestant dans les trois hypostases du Père, du Fils ct du Saint-Esprit. Chacune de ces hypostases est vraiment Dieu, mais la nature divine, dont les carac­ téristiques essentielles sont l'éternité ct le pouvoir créateur, cette nature divine est unique; il nc s’y trouve qu’un entendement, qu’une volonté, qu’une opération ad extra. Sur lu circumincession ou périchorèse, Théodore reviendra plus loin. Voir col. 265. 2. L'incarnation et l'unité de personne dans le Christ (hom. m). — Cette doctrine est exposée à propos de la deuxième phrase du symbole : · Je crois en un seul Seigneur Jésus-Christ, ills unique de Dieu, premier-né de toute la création, τόν υίάν του Θεού τύν μονογενή, τύν πρωτότοκον πάσης κτίσεως. ■ Ces mots résument l’enseignement que donne l’Apôtrc : « Nous n’avons qu'un seul Dieu, le Père de qui tout vient et qu’u/i seul Seigneur Jésus-Christ, par qui sont toutes choses. » I Cor., vin, 6. L'expression paulinlenne inclut une double idée : celle du Verbe qui est un vrai flls, con­ substantiel au Père et qui est très Justement appelé Seigneur et celle aussi de Jésus, en qui la nature divine devint notre salut. De même, très exactement, dans la phrase du symbole, les mots « un seul Seigneur » se rapportent Λ la nature divine, tandis que, · pour inclure en une même expression la nature humaine assumée pour notre salut, le symbole joint au mot < Seigneur », celui de Jésus, ce nom de Jésus étant celui de l’homme que Dieu a revêtu », tandis que le surnom de Christ fait penser à Ponction qui lui a été conférée par le Saint-Esprit. Ce Jésus-Christ est Dieu à cause de son union étroite (le syriaque suppose un terme comme άκρα συνάφεια) avec la nature divine qui est vraiment Dieu. Aussi bien le symbole, qui vient de dire en la seule expression : « un seul Seigneur Jésus-Christ », l'objet unique de notre croyance, à savoir la personne unique (πρόσωπον) du Fils (t· v, p. 37,1. 24), distingucT. — XV. — 9. 259 THÉODORE DE MOPSUESTE. LES CATÉCHÈSES t-il ensuite expressément les deux natures qui s'y ren­ contrent : nature divine et nature humaine. En quoi il ec conforme à la parole de Paul qui, parlant de la race juive, déclare « que vient d’elle le Christ selon la chair, qui est Dieu au dessus de tout ». Rom., ix, 5. Où l’on volt que les mots « selon la chair » expriment la nature humaine, et les mots « Dieu au-dessus de tout » la nature divine, les deux expressions étant employées ù propos d’une seule personne, pour nous enseigner l'union intime des deux natures et rendre manifeste lu majesté et l’honneur qui revient à Vhomo assumptus. De même fait aussi le symbole qui, par la double épithète attachée à l’unique Seigneur : unigenitus d’une part, primogenitus de l'autre, désigne les attri­ buts de l'une et de l'autre nature. Car chacun de ces mots a un sens exclusif de celui de l’autre. Qui dit • fils unique », dit quelqu’un qui n’a pas de frères, • premier-né » dit celui qui en possède. Ces frères de Jésus, ce sont les élus < que Dieu a formés ύ l’image de son Fils, de telle sorte qu'il soit, lui, le prcmler-né de beaucoup de frères ». Rom., vin, 29. S’il est primoge­ nitus in multis fratribus, l’Homme-Christ est d’ailleurs aussi primogenitus omnis aeaturæ, Col., i, 15, en fait de la création renouvelée. Car lui, Vhomo assumptus, fut le premier A être renouvelé par la résurrection, amené par elle A une nouvelle et ineffable vie. Voir ci-dessous, col. 262. En attribuant ainsi à une seule personne ces deux attributs dissemblables d'unigenitus et de primogeni­ tus, le symbole montre l’étroite union des deux natures et aussi l'unité de filiation, cette union s'étant effec­ tuée par la bienveillance divine (κατ’ εύδοκίαν). Toutes les idées exprimées ici sc retrouveraient ail­ leurs. Pour ce qui est en particulier du moyen par lequel s'est réalisée l’incarnation, à savoir par l’assomption d’une nature humaine complète et concrète, c’est le thème spécial du De incarnatione, où se retrou­ vent à tout Instant les expressions L. VU, col. 977 C. Pour embrouillée et un peu inquiétante que soit la phrase, elle ne laisse pas d’être susceptible d’une Interprétation orthodoxe. Elle exprime simplement celte idée que l’union du Verbe avec Vhomo assumptus, réalisée dès le sein de la Vierge (έν αύτη τη διαπλάσει), n’empêchait, durant la carrière terrestre de Jésus, ni les souffrances physiques, ni les luttes morales, tandis que, dans son état de ressuscité, l'humanité du Sau­ veur ne connaît plus ces difficultés ni ces troubles. Il n’empêche que le développement est peu clair et lais­ serait l'impression d’un resserrement de Γένωσις dans le nouvel état de Vhomo assumptus. Ceci nous paraît, d’ailleurs, ne pus correspondre à la vraie pensée de Théodore. 6. La doctrine théologique de Γincarnation (hom. vin). — Ayant terminé l’explication des articles du sym­ bole relatifs A Jésus-Christ, le catéchiste, avant de passer aux derniers mots du Credo, s’attarde A donner un exposé plus didactique, plus technique aussi du mystère de i’incamation. Il semblerait même que l’on découvre, A l’arrière-plan, une préoccupation de dé­ fense contre des attaques qui lui auraient été adressées. Qui donc est Jésus-Christ? 11 n’est ni Dieu exclu­ sivement,^ homme seulement, il est l'Homme-Dicu, ou plus exactement le Dieu-homme : Deus assumens, homo assumptus. Celui-là même qui était « en forme de Dieu > a pris · la forme de l'esclave >. Il s’agit donc 264 bien ici d'une apparition de Dieu lui-même en tone par assomption d'un homme et c'est de l’hypostaie même du Verbe qu'il faut d’abord partir, c'est A elle que revient le rôle actif et principal. Mais, ceci posé, il faut aussitôt marquer la différence de nature entre Vassume ns et Vassumptus, l'un Dieu par nature, consubstantiel au Père, l'autre consubs­ tantiel (le mot n'est pas prononcé, mais c'est bien l’idée) à scs ancêtres : A David, A Abraham dont il est vraiment le fils. Cf. Matth., i, I ; xxn, 42. Cette doc­ trine du double aspect de l’être de Jésus-Christ s’ex­ prime de diverses manières et d’abord par le concept de l'inhabitation, fondé sur les mots du Christ dam Joa., n, 19 sq. : Soloite templum hoc, où le Seigneur montrait suffisamment la différence entre lui-même, le constructeur du temple, et celui qui était destructible. Ajoutons, d'ailleurs, que cette Inhabitation n’était pas transitoire, mais permanente; elle a subsisté même pendant la passion et elle a permis la résurrection qui a rendu l'humanité parfaite. Le rapport entre les deux natures s’exprime aussi par les deux mots assumens et assumptus. Théodore avait trouvé l'expression dam Phil., n, 7 : μορφήν δούλου λαβών; la retrouvant dans Hcb., π, 16, σπέρματος ’Αβραάμ έπιλαμβάνεται, Il fait de toute la péricope Heb., n, 5-18, un commentaire fort curieux : «Ce n'est pas aux anges, explique l'apô­ tre, que Dieu a soumis la terre entière, mais à ce fill de l'homme dont il est dit qu'il a été honoré de la visite de Dieu (cf. Ps., vin, 5-6)... Dieu, en effet, n'a pas assumé quelqu'un des anges, mais c'est bien un des­ cendant d'Abraham qu'il a assumé. Cet assumptus nous le voyons d’abord mis à un degré inférieur aux anges (Ps., vin, 7), passible et mortel, mais, après cela et A cause de cela, couronné de gloire et d’honneur, devenu maître et seigneur de toute la création (Ps., Ibid.). » Et, pour nous enseigner comment II a pu souf­ frir, Paul ajoute : « Ainsi donc nous voyons Jésus cou­ ronné A cause de sa passion, car, sans Dieu, il a goûté la mort pour tous. » [Au lieu du texte reçu : δπως χάριτι Θεοΰ ύπέρ παντός γεύσηται θανάτου, Théodore lit : χωρίς γάρ Θεού ύπέρ παντάς έγεύσατο θανάτου). En quoi Paul montre bien que la nature divine voulait qu’il goûtât la mort pour tous, mais montre aussi que sa divinité était séparée de celui qui souffrait (allusion vraisemblable aux mots Deus meus ut quid dereliquisti me, prononcés par le Sauveur sur la croix), parce qu’il lui était Impossible de goûter la mort si la divinité ne s'était pas soigneusement éloignée de lui, mats en demeurant toutefois assez proche pour faire le néces­ saire A l'endroit de la nature assumée par elle. Au fait la divinité ne fut pas soumise à l’épreuve, mais elle était près de lui et faisait pour lui les choses qui conve­ naient à sa nature A elle, qui est la puissance créatrice, elle le conduisait A la perfection par la souffrance et sc préparait A le faire pour toujours immortel, impassible, incorruptible. (Le V· concile a cité cette phrase, sess. iv, n. 37, cf. P. G., col. 1013, mais en supprimant la finale, qui seule permet un sens acceptable.) Ayant ainsi établi l'existence des deux natures, Théodore consacre le reste de son exposé A l’ineffable union qui s’est faite de l'une avec l'autre, en cherchant dans les Livres saints divers passages où les attributs d’une des natures sont référés A l’autre, en d’autres termes les passages où s'affirme ce que nous appelons la communication des Idiomes. Et de citer les textes suivants : « Les Juifs, de qui est, selon la chair, le Christ qui est Dieu béni par dessus tout. » Item., ix, 5, où l’on voit qu’au Christ selon la chair (disons A la nature humaine) est attribuée une propriété de la nature divine. Et encore : « Quand vous verrez le Fils de l’homme monter où il était d’abord. » Joa., vi, 62; cf. Joa., m, 13. En ces deux textes il semblerait être question de Vhomo assumptus (du I lls de l'homme), 265 THÉODORE DE MOPSUESTE. LES CATÉCHÈSES 266 comme s’il avait été au ciel avant l'incarnation, mois Pour être d’un ordre infiniment supérieur, l’inhnbitails s'expliquent bien si Ton réfléchit que les mots de tion de la sainte Trinité dans Vhomo assumptus ne l'Évangllc appliquent au Verbe lui-même Λ Passumens, laisse pas d’être le modèle transcendant de cette qui avant l'incarnation était au ciel, la qualification de • visite » de Dieu à l’âme fidèle et aimante. Quoi qu’il Fils de l’homme, rapportant ainsi à l’une des natures en soit, le Christ, dans la simplicité de son existence ce qui appartient ù l'autre. Λ vouloir distinguer ce qui terrestre, est bien, d’après tout ce que vient d’expli­ appartient à chaque nature, le Christ se serait exprimé quer Théodore, la manifestation sur la terre du Dieu autrement; il a voulu parler ainsi pour tout rapporter vrai et vivant. à un seul et rendre manifestes les admirables privi­ Nous ne sachions pas que, dans ses autres ouvrages lèges accordés à celui qui était visible. En définitive, théologiques, l’évêque de Mopsueste ait exprimé avec et pour citer les paroles mémos de Théodore, · la dis­ autant de fermeté et de souple logique la doctrine de tinction entre les natures ne supprime pas l'étroite l’incarnation qu’il a résumée dans cette catéchèse. Du union, mais les natures demeurent distinctes en leurs moins nous croyons pouvoir dire que rien, dans ses existences respectives et, d’autre part, l’union est œuvres plus techniques, ne contredit le magistral ex­ sauve parce que Vassumptus est uni en honneur et en posé qu’on vient de lire. Ceci est d’autant plus remar­ gloire avec 1’assumens, selon la volonté de 1*assumens ». quable que la plupart des extraits des livres en ques­ T. v, p. 89-90. tion proviennent de gens qui voulaient prendre Théo­ Reste à couper court à une objection. A force d’en­ dore en flagrant délit d’hétérodoxie. Avec plus d’acri­ tendre revenir les mots : Fils unique de Dieu et fils de monie que de sincérité ils ont mis l’accent sur les pas­ David, on pourrait étre amené à distinguer * deux sages qui accentuaient la distinction des natures et ills », le Fils de Dieu, le ills de l'homme. Depuis long­ tout spécialement l’autonomie de l’humanité du temps c’était le reproche que l'on faisait aux Antlo- Christ. Qui nous dit que ces textes ne s’encadraient chiens. C’est contre quoi s’élève Théodore, en un pas­ pas en une synthèse aussi puissante que celle de la sage qui a été conservé par Facundus, op. cit., 1. IX, viii· catéchèse et où s’exprimait un égal souci de 3, col. 747 B, et la Collectio palatina, A. C. O., t. î, mettre en relief l’unité de la personne de Jésus, Fils de vol. v, p. 176, cf. P. £., t. xlviii, col. 1056. « Du fait Dieu? C’était l’impression qu’en avait gardé Gennade. que nous parlons de deux natures, nous ne sommes Ci-dessus, col. 257. point amenés à parler de deux seigneurs, ou de deux 7. La divinité du Saint-Esprit; les derniers articles du (lis, ou de deux Christs : ce serait une folie. · Car, l’un symbole (hom. ix et x). — La synthèse théologique de étant ills et seigneur par nature et l’autre n'étant par la viii· catéchèse avait interrompu la suite de l’ex­ nature ni ills, ni seigneur, nous disons que le second plication du symbole. Théodore y revient et consacre reçoit cette attribution par suite de son union intime la ix· homélie et une partie de la x« à l’article relatif au Saint-Esprit. 11 commence par cette remorque que avec le Fils unique et ainsi nous tenons qu’il n’y a qu’un seul Fils; nous entendons que celui qui est vrai­ les développements relatifs à la troisième personne ment Fils et Seigneur est le seul qui possède ces attri­ ajoutés à la formule de Nicée ne changent rien à la foi buts par nature; dès lors, par la pensée, nous lui ajou­ que les Pères du premier concile avaient professée. tons le temple qu’il habite et en qui il veut toujours et L’hérésie des pneumatomaques, contre laquelle l’ora­ inséparablement demeurer, compte tenu de l'insépa­ teur s’élève avec véhémence, a nécessité les précisions ultérieures. < C’est avec le sens de leur devoir que les rable union qu’il a avec lui et à cause de quoi nous confessons que lui, Vhomo assumptus, est à la fois Fils docteurs de l’Église, assemblés de toutes les parties du monde et vrais héritiers des premiers Pères (ceux et Seigneur. Ainsi fait Paul qui parle de l’Évangllc de Nicée), ont proclamé devant tous les hommes ce « relatif au Fils de Dieu, né de David selon la chair », Rom., î, 3, appliquant à Vassumptus, né de David que ceux-ci croyaient et, en de soigneuses délibéra­ tions. ont interprété leurs pensées. Et ils nous ont l’appellation de Fils de Dieu, non qu’il soit dit tel écrit des paroles qui mettent en garde les fils de la foi simpliciter, mais à cause de l’union qu’il a avec celui et détruisent l’erreur des hérétiques — allusion pro­ qui est vraiment fils. bable à ce τόμος du concile de Constantinople dont il Mais il faut aller plus loin et faire rentrer dans la est question dans Thcodorct, IL E., \\ ix, 13. — sainte Trinité Vhomo assumptus, non point comme une quatrième personne, ή Dieu ne plaise I mais bien de la 1 Comme leurs prédécesseurs de Nicée l’avaient fait dans façon suivante : quand nous prononçons les noms des leur profession de fol concernant le Fils pour réfuter l’impiété d’Arius, ainsi flrcnt-ils dans leurs paroles trois personnes, nous exprimons, à chacun des noms de Père, de Fils, de Saint-Esprit, qu’il s’agit de l’uni­ concernant l'Esprit-Salnt pour confondre ceux qui blasphèment contre celui-ci. » que nature divine, mais avec une relation de l’une des La meilleure preuve que l’Esprit est Dieu, c’est pré­ personnes aux deux autres. De plus, quand mainte­ nant nous parlons du Fils, nous subsumons (cette cisément qu’il dispense la sainteté à crux en qui il se complaît et les délivre de l’inclination vers le mal. Car expression scolastique rend bien le sens du texte) ù les êtres créés ne sont pas saints par nature, ils reçoi­ la notion de divinité, Vhomo assumptus, en qui le Verbe vent leur sainteté de celui qui est la cause de leur être. a été connu et prêché, en qui il demeure toujours, tandis que le Père et l’Ésprit n’en sont point éloignés. Dans les entretiens du Christ après la Cène, l’Esprit est aussi dénommé Esprit do vérité. Joa., xv, 26. Qu’estAussi bien un dernier pas est à franchir. En vertu ce à dire, sinon qu’il procure des biens impérissables, de cette inséparable union entre les trois personnes de qui, dans leur vérité, s’opposent aux faussetés des la sainte Trinité que l'on appellera ultérieurement périchorèse ou ctrcumincession, il faut admettre en biens qui ne durent pas? Or, si l’Esprit procure de ces Vhomo assumptus la présence du Père et de l’Esprit J réalités qui ne passent point, c’est qu’il est lui-même aussi bien que du Verbe. C’est d’ailleurs ce que récri­ étemel et impérissable de sa nature. Un tel être est en ture exprime en maint endroit, cf. Joa., xiv, 10, pour fait une nature divine. De lui il est dit encore qu’il procède du Père. Joa., ce qui est du Père; Joa., 1, 32-34, pour ce qui est de l’Esprit, ù rapprocher de ICor.,ii, 11. Ainsi dims Vhomo ibid. Cela signifie qu’il est partout avec le Père et insé­ assumptus il y avait le Fils, le Verbe, qui est propre­ parable de lui, qu’il est de lui, de sa nature, qu’il est ment Vassumens, mais ni le Père, ni l’Esprit n’étaient toujours connu et confessé avec lui. Aussi disons-nous séparés de lui. Qu’y a-t-il lù d’étonnant, d’ailleurs? encore qu’il est vivifleateur. II le fut pour l'humanité Cette Inhabitation de la Trinité n’a-t-ellc pas été pro­ du Christ, quand, après la résurrection, le corps de mise au plus humble des croyants; cf. Joa·, xiv, 23? celui-ci est devenu Immortel par le pouvoir du Saint- 267 THÉODORE DE MOPSUESTE. LES CATÉCHÈSES Esprit. II le sera pour nous, si nous en sommes Jugés dignes, comme le dit l’Apôtrc : « Si l'Esprit de celui qui a ressuscité Notre-Sclgncur Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus vivifiera vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » Rom., vin, 11. Mais être vivlflcateur, c’est participer à la puissance créatrice et donc à la nature divine. Quant à la dernière parole du Christ sur la terre, Matth., xxvin, 19, elle montre à l’évidence qu'unique est la nature divine du Père, du Fils et du Saint-Esprit. L’ensemble de cette doctrine du Saint-Esprit s’appa­ rente à ce que Théodore avait déjà dit à la conférence d’Anazarbe, ci-dessus, col. 240-241; mais la démons­ tration s'est faite Ici plus rigoureuse. L'explication des derniers articles du symbole : Église, baptême, résurrection, vie future est vile achevée, puisqu‘aussi bien les catéchèses mystagogiques auront à revenir sur tous ces points. On est bap­ tisé, en effet, pour devenir membre de l'Égiise, mem­ bre du corps du Christ, avec l’espoir de participer un jour, avec celui-ci, aux merveilles futures dans le monde à venir. 8. Les catéchèses mystagogiques : la prière, les sacre­ ments. — Parallèles, en gros, aux catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem, ces instructions en diffèrent au moins en ceci qu'au lieu d’avoir été prononcées après réception des rites de l’initiation, elles semblent l'avoir été avant et comme préparation à celle-ci. C'est cer­ tain des catéchèses relatives au baptême (hom. iî, ni, rv); ce l'est peut-être moins de celles qui ont pour objet la sainte eucharistie (hom. v et vi). Elles n'ap­ portent d’ailleurs rien de très spécial; il suffira de les parcourir rapidement. a) La prière. — La première qui est consacrée à la prière, permet de connaître quelques vues de Théodore sur la vie morale, mais donne aussi des indications d’ordre christologlquc, en particulier sur la prière de Jésus. C'est pour l'avoir vu prier, que les apôtres lui ont demandé de leur enseigner à eux-mêmes à prier et qu'il leur a donné le Pater. La prière, il l’a résumée en quelques phrases pour leur apprendre que l’oraison consiste moins en paroles que dans l’amour et le zèle pour le devoir. Et le catéchiste d'indiquer, avant de commenter mot à mot le Pater, la lutte que nous de­ vons soutenir contre nos ennemis surtout contre ceux de l’intérieur. Tout autant que les Pères occidentaux, Il met l'accent sur la faiblesse inhérente à notre nature, laquelle nous amène à tomber involontairement en une multitude de fautes. C'est contre quoi nous arme la prière, qui nous permet de tendre Ici-bas vers l’idéal qui ne sera réalisé que là-haut. b) Le baptême. — Les instructions sur le baptême s'ouvrent par une doctrine générale des sacrements, « actes visibles qui sont des signes ou des symboles de réalités invisibles et Indicibles ». Ces signes prolongent l’action terrestre de Jésus, le souverain prêtre, dont le sacerdoce est caractérisé en quelque traits, et présenté surtout comme une anticipation de ce que nous devons faire et de ce que nous devons espérer. · Les hommes ne pouvaient entrer au ciel qu'après qu'un homme d’entre nous aurait été assumé, serait mort confor­ mément à la loi naturelle de l’humanité, serait ressus­ cité glorieux de la mort, serait devenu Immortel et Incorruptible par nature, serait monté au ciel et aurait été constitué grand-prêtre pour le reste de l’humanité et comme les prémices de notre ascension au ciel. » Aussi bien le baptême est-il un signe, en ce sens d'abord qu'il rappelle la mort et la sépulture de Jésus et ensuite sa résurrection. Il ne fait pas qu’évoquer ces événements qui sont à la base de notre salut; il nous donne la réalité même que ces faits ont apportée au monde; il nous fait mourir au péché et ressusciter A une vie nouvelle, vie de l’âme sans doute, mais aussi 268 vie du corps qui reçoit comme un germe de l'immor­ talité. Toutes ces considérations amènent une doctrine très explicite du péché originel et de ses suites que nous retrouverons plus loin. Ci-dessous, col. 270 sq. Fort intéressantes du point de vue de l'histoire de la liturgie sont les explications détaillées des cérémo­ nies du catéchumènat et du baptême proprement dit. Nous ne pouvons nous arrêter au détail; notons seule­ ment la nécessité de la bénédiction de l'eau, qui y fait descendre le Saint-Esprit. Le célébrant demande, dans cette cérémonie, que la grâce de l'Esprll-Saint vienne dans l’eau et lui donne la puissance de concevoir les enfants de ta grâce, de devenir le sein maternel pour la renaissance sacramentelle. Notons encore la consi­ gnation qui suit Immédiatement le baptême : de même que Jésus en sortant du Jourdain reçut la grâce du Saint-Esprit, véritable onction d'ordre spirituel qui lui vaut son nom de Christ, de même le baptisé, par l'onction matérielle du chrême, reçoit une participa­ tion à cette grâce du chef de l'humanité. c) L9eucharistie. — Après avoir reçu une nouvelle naissance, les baptisés vont accéder à la nourriture immortelle qui convient à leur nouvel état. Les deux dernières catéchèses, v et vi, présentent d’abord une doctrine rapide de l'eucharistie, puis l’explication des actes successifs de la liturgie. La signification de la nourriture et du breuvage qui sont donnés aux fidèles est clairement indiquée parles paroles de Jésus à la dernière Cène. Quand il donna le pain à scs disciples il n'a pas dit : · Ceci est le symbole de mon corps », mais bien « Ceci est mon corps », parce qu'il voulait que nous n’envisagions pas ces éléments, après qu’ils ont reçu la bénédiction et la venue du Saint-Esprit, d’après ce que l'on en voit, mais que nous les recevions comme le corpset le sang de Not re-Sel· gneur. Les paroles de la promesse de l'eucharistie, Joa., vi, 35 sq., sont un gage de la vérité de cette Inter­ prétation. C’est quand les apôtres < verront le Fils de l'homme monter là où il était d'abord », t. 62. qu’ils auront la pleine intelligence du mystère eucharistique. Ils comprendront alors quelle transformation vient de s’opérer, par la résurrection, dans le corps mortel du Sauveur, transformation qui, œuvre du Saint-Esprit, fait passer ce corps à l'immortalité définitive et lui donne d'être j>our ceux qui le recevront désormais un gage, un germe d’immortalité. Aussi bien nous qui avons reçu la grâce du Saint-Esprit par le symbole des sacrements, ne devons-nous pas regarder les · élé­ ments » comme du pain cl comme du vin, mais comme le corps et le sang du Christ, auxquels ils sont transfor­ més par la descente du Saint-Esprit. Quoique, en effet, le pain (sacramentel) ne possède pas de sol le pouvoir de donner l'immortalité, pourtant, quand il n reçu l'Esprit et sa grâce, il est rendu apte à communiquer à ceux qui le mangent la joie de l'immortalité! Il ne le fait pas par sa propre nature, mats par l'Esprit qui habite en lui, de même que le corps de Notre-Selgneur, dont ce pain est la « représentation » a reçu l’immor­ talité par le pouvoir du Saint-Esprit et Impartit dès lors l'immortalité aux fidèles. Pour être moins « réaliste » que celle de Cyrille de Jérusalem et surtout que celle de Jean Chrysostome, la doctrine de Théodore sur l'eucharistie ne laisse pas, on le voit, de faire justice aux mots de Γ Évangile qui présentent le pain et le vin consacrés comme le corps et le sang du Sauveur. Mais, pour avoir trop Insisté sur le rôle du Saint-Esprit dans la transformation des • éléments » — à ce point de vue il serait le témoin le plus notable, dans l’antiquité, de la signification de i'épiclèse, cf. t. vi, p. 104 — Théodore a plutôt appuyé sur la « vertu » qui est dans le sacrement et moins sur l’identité qu’il faut reconnaître entre les éléments con! sacrés et la chair et le sang de Jésus. Qu'il ait, d’ail­ 269 THÉODORE DE MOPSUESTE. LE PÉCHÉ D’ORIGINE leurs, conçu les espèces consacrées comme abritant la réalité du corps cl du sang du Sauveur, c'est ce qui est clair dans une explication liturgique donnée un peu plus loin. A partir du moment où les « éléments » sont déposés sur l'autel, les diacres, dans le rite syrien, ne cessent d'agiter autour d'eux de grands éventails : · Ils montrent par ce geste, continue Théodore, la grandeur du corps qui git sur l'autel. C'est la même coutume que l’on observe quand le corps d’un grand personnage de ce monde est porté dans une bière (ouverte); des gens ne cessent point d'agiter l'air au-dessus de lui. C'est à juste titre que le même geste est fait ici pour le corps qui gît sur l'autel, qui est saint, inspirant la révérence, à l'abri de toute corruption... Ce faisant, les diacres offrent honneur et adoration au corps sacré et vénéra­ ble qui est là; ils font entendre aux assistants la gran­ deur de l’objet placé sur l'autel... et, pour montrer que le corps qui est là étant noble, vénérable, saint, étant vraiment le Seigneur, par son union avec la nature divine, c’est avec grande crainte qu’il doit être touché, vu et gardé. » T. vî, p. 86-87. Plus loin, parlant de la sainte communion, il la considère comme une visite que Notre-Seigneur fait à l'âme du fidèle : · Nous de­ vons alors nous représenter que le Seigneur, par cha­ que portion de pain, vient vers celui qui le reçoit, le saluant, lui parlant de sa résurrection, lui donnant l’assurance de ce don d’immortalité que procure cette nourriture immortelle. » Ibid., p. 107-108. L’acte liturgique qui s’accomplit à l’autel chrétien est un sacrifice, ibid., p. 79 sq.; ce n'est pas néanmoins un sacrifice nouveau, mais le mémorial du sacrifice offert réellement sur la croix; aussi bien Jésus a-t-il dit : · Ceci est mon corps rompu pour vous, ceci est mon sang répandu pour vous. > Et maintenant, dans le ciel, le Christ continue à exercer son sacerdoce; · il n’offre pas à Dieu d’autre sacrifice que lui-même, que Dieu a jadis livre à la mort pour tous ». Au ciel il continue donc à intercéder pour nous et à présenter à Dieu son immolation passée; car unique est le sacrifice qui a été immolé pour nous. 11 ne laisse pas néanmoins d’y avoir sur l'autel, pendant la divine liturgie, une sorte de recommencement du drame du Calvaire. « Chaque fois que nous mangeons ce pain et que nous buvons à ce calice, c'est bien la mort du Sauveur que nous annonçons jusqu'à ce qu’il revienne. · 1 Cor., xi, 26. « Chaque fois donc que s’accomplit ce vénérable sacrifice qui est la figure des réalités célestes..., nous devons mentalement nous représenter que nous som­ mes quelque peu au ciel et, la fol aidant, nous faire une image des choses célestes, en pensant que le Christ qui est mort pour nous est ressuscité, qu’il est monté aux deux et qu’il s'y offre encore maintenant. » Ibid., p. 83. 11 nous est impossible de suivre ici l'explication détaillée des cérémonies de la liturgie eucharistique. Elles ne feraient que mettre en plus vif relief les idées de Théodore sur la présence réelle, sur l’adoration duc au sacrement, sur le caractère sacrificiel du culte chré­ tien. d) La pénitence. — Un mot pour terminer des dispo­ sitions nécessaires à la communion. La pureté de conscience est requise, mais il ne faut pas que les fidèles sc laissent détourner de l'eucharistie par les péchés qui viennent de l'humaine faiblesse. Sans doute ceux qui vivent dans l’habitude du péché ne doiventils pas être poussés sans discrétion vers la table du Seigneur, mais ceux qui se préoccupent de leur salut doivent y chercher l’aliment nécessaire de leur vie spirituelle; ils trouveront, dans la communion, avec une aide toute spéciale, la rémission de leurs péchés. Pour celui qui est coupable d'un grand péché, il doit s’abstenir de communier. Il lui faut recourir aux re­ mèdes que Dieu a institues. « Des règlements à cet effet ont été portés dès le début. Les prêtres qui ont à soi­ 270 gner et à guérir les pécheurs, donnent ces remèdes à l’ârnc des pénitents qui en ont besoin, d'après les ordonnances ecclésiastiques et en les proportionnant à la grandeur des péchés. » Ibid., p. 120. Théodore voit une anticipation de cette discipline pénllenllelle dans l’attitude de Paul à l’endroit de l’incestueux de Co­ rinthe. I Cor., v, 1-5 (cf. II Cor., Π, 6-7, passage qu'il rapporte à la même personne que le premier). Ces indi­ cations, sommaires mais explicites, relativement à la pénitence méritaient d’être relevées; les autres caté­ chèses mystagogiques connues ne font jamais allusion à la rémission des péchés commis après le baptême. 3° Quelques points de. théologie non traités explicite­ ment dans les Catéchises. — A plusieurs reprises les Catéchèses louchent en passant à des points de doctrine qu'elles ne développent pas, tout spécialement en ce qui concerne l’état primitif de l'homme, la chute origi­ nelle cl la transmission de la faute d’Adam à sa descen­ dance. Comme l’on a fait grief à Théodore de s’être écarté sur ce point de l'enseignement traditionnel, il convient d'examiner sa doctrine avec quelque atten­ tion. Malheureusement l’ouvrage capital de Théodore sur la question a presqu'entièrement disparu. Ébedjésu a conservé le titre d’un livre en deux tomes · adoersus asserentes peccatum in natura insistere ». Celui-ci exis­ tait encore en grec au temps de Pholius qui en donne le titre : ΙΙρύς τούς λέγοντας φύσα καί ού γνώμη πταίειν τούς ανθρώπους, et une analyse succincte. HibL, cod. 177, P. G., t. cm, coi. 513 sq. Il était dirigé, dit le patriarche, contre des Occidentaux qui étaient tombés dans l'erreur et prétendaient que l’homme suc­ combe au péché par nature et non par sa libre volonté. « Originaire d’Occident, le chef de cette hérésie avait séjourné en Orient et y avait composé des discours à ce sujet, qu’il envoya dans son pays natal où ils curent grand succès. Son nom, ou son surnom était Aram (le Syrien; cf. Hieronymus). Il avait fabrique un cin­ quième évangile, prétendument trouvé par lui à Césarée; il rejetait la traduction des Septante et les autres versions grecques de l’Écrilure, auxquelles il avait voulu substituer une traduction de son cru, malgré sa connaissance limitée de l’hébreu, etc. » Le signalement de l'adversaire à qui s’attaque Théodore est aisément reconnaissable; il ne peut s’agir que de saint Jérôme; les « discours · composés en Orient ne sont rien d’autre que les Dialogues contre les pélagiens, qui amorcèrent la violente campagne menée en Palestine par Jérôme et Orosc contre Pélage et qui avorta si lamentablement au concile de Diospolis de 115. Cf. art. Pélagianisme, t. xn, col. 688 sq. De cet ouvrage de Théodore l’excerpteur de la Collectio palatina a transcrit un certain nom­ bre de fragments, qu’il donne sous ce lemme : Theodore Mompsuesteni episcopi de secundo codice, contra sanc­ tum Augustinum defendentem originale peccatum et Adam per transgressionem mortalem factum catholici disserentem. Dans A. C. 0., t. i, vol. v, p. 173-176; cf. P. L., I. xLvm, coi. 1051-1056, voir aussi P, G., I. Lxvi, col. 1005-1012. C’est par une méprise, qu'il a fait de l’ouvrage de Théodore une œuvre dirigée contre saint Augustin. Les indications de Pholius rela­ tives à l’adversaire visé sc complètent, en effet, par le relevé des « erreurs » que Théodore reprochait à celuici : 1. Les hommes, d’abord bons par nature, ont vu leur nature devenir corrompue et mortelle par le péché d’Adam; ils ont perdu le libre arbitre et ce n'est pas en vertu d’un choix qu’ils se livrent au péché, καί ούκ έν τη προαιρέσει κεχτησΟαι τήν άμαρτίαν. — 2. Les enfants, eux-mêmes, ne sont point sans péché, car, à la suite du péché d'Adam, la nature devenue péche­ resse est transmise à tous scs descendants. — 3. Nul homme n'est juste.----1. Le Christ lui-même, en tant qu'il a assumé une nature pécheresse, n’est pas abso- 271 THÉODORE DE MOPSUESTE. LE PÉCHÉ D’ORIGINE Jument exempt de péché. — 5. Le mariage, dans ses conditions physiologiques, est une œuvre de la nature corrompue. Il n'est pas malaisé de retrouver ces « erreurs » de l'adversaire visé par Théodore. Saint Jérôme, ni dans la Lettre à Clesiphon, ni dans les Dialogues contre les pélagiens, ne dominait d’assez haut la question débattue : « torrentueuse et trouble son argumentation sc char­ geait de paradoxes dont quelques-uns vraiment Inop­ portuns »; le moindre n'était pas celui qui était relatif A la non-inipeccabilité du Christ. On sait à quel dia­ pason la controverse était montée en Palestine et comment les outrances de Jérôme et les maladresses de ses amis amenèrent la fâcheuse solution de Diospolls. C'est en fonction de tout cela qu'il faut s'efforcer de comprendre les assertions de Théodore, qui va prendre le contre-pied des thèses qu’on lui a dit avoir été développées par Jérôme. Il y a bien peu de chances en effet qu'il ail lu pour son compte les ouvrages ■ mêmes de celui-ci. C'est par les échos qui sont venus | jusqu'à Mopsueste de la querelle palestinienne qu’il faut expliquer le ton pcrsifficur dont Théodore pour­ suit le mirabilis assertor peccati originalis, le sapientisslmus de/ensor, l'homme au mauvais caractère que tout le monde redoute et contre qui nul n'ose parler, potentlæ metus nullum contra sinebat e/Jari. Il ne faut donc pas s'empresser de faire du traité théodoricn un ouvrage < contre le péché originel »; il est avant tout une œuvre de polémique contre saint Jérôme et une certaine conception du péché originel et de ses suites, conception dont toutes les parties ne sont pas d'une égale solidité. Aussi faut-ll Joindre, pour bien entendre la pensée I de Théodore, aux quelques extraits transmis par la ! Palatina et aux Indications fournies par Photius, un certain nombre de passages relatifs à la condition générale des êtres raisonnables et donc à leur état primitif, passages qui sont donnés par le V· concile comme extraits d’un Commentum de creatura. Sess. xv, 1 n. 57-61, Mansi, t. IX, col. 202 sq.; cf. P. G., t. lxvï, I col. 633-666. Qu'il s'agisse, comme on l'a pensé, d'un commentaire exégétique sur la Genèse, cf. ci-dessus, col. 239, ou d'un traité indépendant, il reste que ces i quelques pages donnent sur la pensée de Théodore des clartés spéciales qui permettent de fournir des thèses ' oulranclèrcs du polémiste une interprétation plus ‘ bénigne. Et celle-ci se raccorde bien aux données que procurent les œuvres exégétiques et les Catéchèses. Toute créature raisonnable, estime Théodore, passe l régulièrement par deux stades successifs, l'un d'ins­ tabilité, l'autre d'immutabilité. Entendons qu’elle est ' premièrement dans un état où sc liguent contre sa per­ sévérance dans le bien des difficultés d'ordre divers. Concit., n. 58. Les purs esprits eux-mêmes ont connu ces conflits intérieurs, qui ont tourné fâcheusement pour les uns, ont assuré aux autres l’immutabilité dans le bien. N. 60. Dans l'homme la lutte d'ordre spirituel sc double d’une autre, qui vient de sa constitution même par quoi il tient à la fois de l'ange et de la bête, lui présence en lui d’un corps naturellement mortel, exposé à la corruption, ayant scs exigences pour se conserver cl sc reproduire, lui rend plus difficile qu'au pur esprit l’acquisition de cette immutabilité dans le bien, qui ne laisse pas de demeurer pour lui un idéal. N. 58. Cette immutabilité ne peut sc réaliser que par la résurrection, qui amène en lui un changement d’état complet, autant pour ce qui est du corps que pour ce qui est de l'âme. Des efïets de la résurrection nous avons, dans ce qui est arrivé à Γ/iomo assumptus une promesse et un gage. De même qu’elle a introduit celui-ci en un état nouveau et définitif, ci-dessus, col. 262, de même fera-t-elle de ceux qui ressusciteront pour la gloire céleste. N. 59. De la sorte le péché, en­ 272 core qu'il ne soit pas voulu directement par Dieu, ne laisse pas d'avoir, dans la vie de l'individu comme dam celle de l'humanité, un rôle que la Providence rend bienfaisant. Il vient opportunément rappeler l’insta­ bilité de la condition présente et faire désirer cette immutabilité qui sera ultérieurement concédée. Sam doute, Dieu qui peut tout aurait pu fermer l'accès au péché dans l'homme. Il ne l’a pas voulu parce qu'il voyait les avantages du stade de mutabilité. N. 60. Or, c'était une conception bien différente de l'état primitif que l'évêque de Mopsueste trouvait ou croyait trouver dans Jérôme. A en croire celui-ci, le plan de Dieu, A peine réalisé aurait été, du fait de l’homme, complètement bousculé. A l’humanité Dieu avait garanti une immortalité qui, loin d'apparaltre comme un privilège, semblait un attribut nécessaire de sa nature, un peu comme c’est le cas des anges. La faute d'Adam avait changé tout cela; une sentence de mort avait frappé les premiers parents et leur descendance, qui transformait du tout au tout la nature; cclle-d devenait au demeurant incapable d'autre chose que du mal; le libre arbitre était dorénavant impuissant à bien faire; « c'était par nature que l’homme péchait, non par un effet de sa libre volonté ». Telle était l’idée — oserait-on dire la caricature — que sc faisait Théo dore de la doctrine soutenue en Palestine par Jérôme cl les amis d'Augustin. On comprend qu’en ait été scandalisé l'évêque de Mopsueste, habitué à tabler davantage sur la relative bonté de la nature humaine. On comprend aussi la critique acerbe qu’il va faire d'une doctrine si différente de la sienne. Il en conteste les fondements scripturaires et oppose aux textes de l'adverse partie d’autres passages de l’Écriturc où est enseignée la responsabilité personnelle de chacun, ainsi Ezech., xvm, 2-4; Rom., n, 6; Gai., vi, 5, etc. II conteste la preuve que Jérôme, après Augustin, tirait de la coutume immémoriale du baptême des petits enfants pour montrer en tous les hommes l’existence d'une faute. Du point de vue de la raison, il fait le procès d’une sentence de mort qui vient frapper des innocents. El il propose à son tour son explication qu’il fait dériver de sa théorie générale des deux états. L'homme a été créé mortel, cela tient à sa nature même; poussière, il doit redevenir poussière; fleur d’un Jour, un souffle qui passe sur lui sufllt pour le flétrir. Ps., en, 14-16. Dès l'origine Dieu avait arrêté que les hommes seraient d'abord mortels, que plus lard seule­ ment ils Jouiraient de l'immortalité. Jam ab initio Deus hoc habuit apud se definitum ut primum quidem mortales fierent, postmodum vero immortalitate gaude­ rent. Dans A. C. Ο., 1.1, vol. v, p. 175, L 22. Aussi bien, quand il fait une défense au premier couple, Dieu ne dit pas : « Si vous l’enfreignez, vous deviendrez mor­ tels », mais bien : · vous mourrez », sentence d’ailleurs que sa bonté lui fait ensuite différer. Ibid., p. 173, L 22 sq. sXvant le péché l'homme aurait eu besoin pour soutenir sa vie de se nourrir des fruits du paradis; après la faute il a le même besoin des productions de la terre, seulement, en punition, Il se les procurera avec plus de difficulté. L’immortalité, en tout état de cause, ne sera donnée à l’homme qu’ultéricurement, quand, pnr la résurrection générale — dont la résurrection du Christ est le modèle et le gage — il arrivera à l'état d'immutabilité où le Christ est dès maintenant par­ venu. En définitive Théodore, dans le livre en ques­ tion, semble professer la doctrine qu’au même mo­ ment, ou à peu près, condamnait le concile de Carthage de 418 : Adam primum hominem mortalem /actum, ita ut, sive peccaret, sive non peccaret, moreretur in cor­ pore, hoc est de corpore exiret non peccati merito sed ne­ cessitate naturae. Dans le Commonitorium adversum hirresim Pelagii et Caelesti i, Marius Mercator fait expres­ sément de l'évêque de Mopsueste l’auteur de l’hérésie 273 THÉODORE DE MOPSUESTE. LE PÉCHÉ D’ORIGINE péhigiennc. Dans la Paluttna, Λ. C. O., toc. cil., p. 5, I. 30 sq.; ci. P. L., t. xlvhi, col. 109 sq. Pourtant Théodore avait, en des ouvrages anté­ rieurs, développé des conceptions beaucoup plus rap­ prochées de la doctrine traditionnelle. C’est vrai tout particulièrement des Catéchèses, et spécialement des Catéchèses mystagoglques. Un texte de la ir· homélie sur le baptême est à citer en entier : Le Seigneur fit l'homme do In poussière, à ion Imago, et l'honora de beaucoup d'autres dons. En particulier il lui Ot grand honneur en l'appelant son imago, en sorte que seul l'homme fût digno d'être appelé Dieu et Fils de Bleu (cf. Ps. lxxxi, 6, 7). S'il avait été sage, l'homme serait demeuré avec celui qui était pour lui la source de tous les biens qu'il possédait. Mais l'homme s'est comporté à la manière du Mauvais, qui, comme un rebelle, s'était élevé contre Dieu et prétendait usurper à son compte la gloire qui n'était due qu'au Créateur. Par toutes sortes de strata­ gèmes le diable s'est efforcé de détacher l'homme de Dieu et de s'approprier ainsi l'honneur dû à Dieu seul. Le Rebelle assuma donc (vis-à-vis do l'homme) les attributs et la gloire d'un sauveur et, parce que l'homme céda à scs paroles et suivit le Rebelle,comme s'il était son vrai sauveur, Dieu lui Infligea comme punition do retourner à la poussière d'oü il avait été tiré. Et à hi suite do ce premier péché, lu mort est entrée (dans l'humanité) ot la mort a affaibli lu nature et engendré en elle une grande Inclination vers le péché. L'une (la mort) et l'autre (le péché) ont grandi côte à côte, car l'inexorable mort renforçait et multipliait le péché, de même que lu condition de mortalité causait la perpétration de nombreu­ ses fautes. Même les commandements donnés pur Dieu pour mettre en échec le péché tendaient à le multiplier et ceux qui violaient ces commandements renforçaient à leur tour leur punition par le nombre même de leurs transgrexilons. Mingana, l. vi, p. 21. Et un peu plus loin, Théodore d’expliquer nu caté­ chumène qui déclare s’enrôler dans la milice du Sau­ veur que le diable n’a pas sur lui de droits réels. Celuici, il est vrai, conteste au nouveau croyant le droit de se libérer de son joug : Le diable plaide que depuis toujours, depuis la création du chef do notre race, nous lui appartenons de droit; il narre l'histoire d'Adam, la manière dont cclul-cl a écouté scs paroles, n volontairement rejeté son Créateur et préféré le servir hii-mêmo; comment tout cela enflamma lu colère de Dieu, qui chassa l'homme du Paradis, prononça contre lui une sentence de mort et l'cnchatna ά ce monde an lui disant : • C’est à la sueur do ton front que tu mangeras ton pain », et encore : · lui terre no produira pour toi qu'épincs et ronces, air tu es poussière et tu retourneras en poussière. · Ces paroles, continue le Diable, qui ont rendu l'homme esclave du monde, ot le fait d’autre part que volontaire­ ment il a choisi de me servir montrent clairement qu'il m'appartient, car je suis · le prince des puissances do l'air, celui qui œuvre dans les fils do désobéissance · (Eph., Il, 2). Ibid., p. 27-28. Devant ccttc prétention de Satan nous devons éta­ blir, au tribunal de Dieu, l’injustice de celui-ci. Nous n’appartenions pas Λ Satan à l’origine, mais ù Dieu qui nous avait créés à son image. C’est par l'iniquité et la méchanceté du tyran que nous avons été jetés en exil, que nous avons perdu l'honneur de notre image; puis, à cause de notre culpabilité, nous avons reçu la mort comme punition. A la longue, le pouvoir de Satan s’est appesanti sur nous et, par le péché, nous nous sommes de plus en plus livrés à lui. Ibid., p. 28. Ainsi, du fait du premier péché, la mort, les souffrances, le penchant au mal sont entrés dans l'humanité; et l'orateur, nous solidarisant avec le père de notre race, semble presque dire qu’en lui et par lui nous avons péché, que, du moins, nous avons tous été entraînés dans les suites de sa désobéissance. Ailleurs il insiste sur le penchant au mal qui, de ce chef, s’est développé dans la race humaine. Expliquant les mots du Pater: « Que ta volonté se fasse sur la terre comme au ciel ·; c’est en nous efforçant, dit-il, d’imiter 274 dès maintenant la vie que plus tard nous mènerons au ciel, que nous pourrons satisfaire à ces paroles de la prière du Seigneur. Nous ferons, dans cette vie nou­ velle, la volonté de Dieu mieux que nulle part ailleurs. Ici bas il ne nous est pas possible de la faire constam­ ment dans notre nature mortelle et changeante. Ibid., p. 10. Et pour cc qui est de la demande : « RemeUnous nos dettes », elle est plus opportune encore. Aussi bien nous devons tendre à la perfection et néanmoins il nous est impossible de vivre continuellement sans péché, car nous sommes forcés de tomber involontai­ rement en beaucoup de fautes, à cause de la faiblesse de notre nature. Il ne faut donc pas cesser de dire : « Ne nous induis pas en tentation », parce qu'en ce monde nous sommes assaillis par nombre d’afillctlons qui nous viennent, et de la maladie du corps, et des mauvaises actions des hommes, assaillis par bien d'au­ tres choses qui nous accablent ou nous exaspèrent, au point qu’à certains moments notre âme est bouleversée par des pensées qui risquent de nous enlever l'amour de la vertu. Ibid., p. 13. Et ce n’est pas seulement en s'adressant À des caté­ chumènes que l’évêque de Mopsueste a insisté sur le funeste héritage que nous a laissé la faute du premier père. Les commentaires savants expriment des idées absolument analogues. Π faut au moins s’arrêter à l’exégèse que donne Théodore des textes capitaux en la matière, ceux de l’épître aux Romains. A coup sûr, 11 sait trop le grec pour comprendre par In quo omnes pec­ caverunt les mots de l’original : έφ* ω πάντες ήμαρτον, Rom., v, 12, et 11 commente : « La mort a dominé sur tous ceux qui ont péché, de quelque façon que ce soit. Du fait que leurs péchés ne ressemblaient pas à celui d’Adam, les autres hommes ne sont pas, pour autant, demeurés en dehors des prises de la mort. C’est pour les péchés qu’ils ont commis de quelque manière que cc soit, qu'ils ont tous été atteints par une sentence de mort, car la mort n’a pas été déterminée comme peine de tel péché spécial, mais comme châtiment de tout péché. » P. G., t. lxvi, col. 796-797. Ne nous empres­ sons pas de conclure : < Donc la mort, dans l'humanité, est le châtiment des péchés personnels, et non la sanc­ tion de la faute originelle. » Car l’exégète ajoute tout aussitôt : ■ Adam ayant péché et de ce chef étant de­ venu mortel, le péché, d’une part, a trouvé un passage dans ses descendants, ή τε αμαρτία πάροδον ίλαβεν είς τούς έξης, la mort, d'autre part, α régné sur tous les hommes. Mais le salut apporté par le Christ a été plus grand que la prévarication, car, si le simple péché d'un seul a entraîné la mort de tous les hommes cl γάρ xal ή του ένός άμαρτία τοίς άνΟρώποις τύν θάνατον έπηγαγεν, la faveur accordée par le Christ a été beaucoup plus grande pour l'ensemble des hommes. » Col. 797 B. Et quelques lignes plus loin, à propos du t. 16 : » Un seul a péché et, ayant été condamné pour cela, a été la cause que le châtiment est passé dans sa postérité, les faisant ainsi participer à sa condamnation à mort : είς ήμαρτηκώς καί κατακριΟεΙς διά τούτο, είς τούς έξης την τιμωρίαν ένεχΟηναι παρεσκεύασε, κοινωνούς της άποφάσεως έσχηκώς τού θανάτου. » I bid. C. Et, pour bien montrer qu’il y eut un retentissement de la faute d’Adam sur toute sa descendance, Théodore compare à cette funeste influence du premier père sur sa posté­ rité, celle du Christ qui ne s’étend pas seulement, dans sa bienfaisance, aux hommes venus après lui mais qui, remontant le cours des Ages, va s’étendre jusqu’aux tout premiers pécheurs : τούς προειληφότας έλυσε των έγκλημάτων. Ibid. D. « Et, comme le péché d'Adam a fait les autres hommes mortels et enclins au péché, θνητούς τε έποίησεν καί έπιρρετεις περί τήν άμαρτίαν είναι, — c'est ce que veut dire l’Apôlre en disant que nous sommes tous pécheurs — de même le Christ nous a fait le don de la résurrection de telle sorte que, étn- 275 THEODORE DE MOPSUESTE. LE PÉCHÉ D’ORIGINE blis enfin dans une nature immortelle, nous vivrons (après h résurrect ion) ένάΟχνάτωτη φύσει καταστάντας, dans l’exactitude de lu justice. » Ibid., col. 800 B. L’héritage que nous tenons d’Adam, ce n’est point seulement la mort, c'est le penchant au péché : 0οπη περί τό άμαρτάνειν. Les mots de saint Paul, Ibid., t. 21 : · le péché a régné en nous dans la mort », signi­ fient que. devenus mortels, nous avons une inclination plus grande vers le péché, un entraînement qui pro­ vient de tous les désirs relatifs au boire, au manger, à h parure, aux relations sexuelles, désirs qui tendent sans cesse à dépasser la mesure. Voilà qui n'arriverait pas dans une nature immortelle. < Mais, parce que nous sommes devenus mortels et que nous le sommes par nature, O'/ήτοι γεγόναμέν τε καί έσμεν την φύσιν, nous sommes troublés par ces passions et nous subis­ sons un violent entraînement vers le péché. » Ibid., col. 800 C; cf. In Horn., vi, 14, col. 801 CD : ή έπΐ τό χείρον ρωπή; vu, 5, col. 807 : ύπό της θνητότητας μείζονα του άμαρτάνειν την ένόχλησιν ύπεμένομεν, νπ, 21, col. 816 C. En tous ces passages est affirmé le lien étroit qui existe entre la concupiscence et la • mortalité ». Λ vrai dire, il ne faudrait pas considérer comme iné­ luctable cet entraînement au péché et Théodore in­ siste avec force sur l’existence, en l’état présent, du libre arbitre, qui est un attribut de l’être raisonnable. Dieu nous a donné une nature susceptible d’être ensei­ gnée et. par la loi, il nous fait connaître ce qui est bien. Dès lors, encore qu’il y ait chez nous un fort entraî­ nement au mal, l’âme ne laisse pas néanmoins d’avoir une connaissance précise du bien et il n'y a pas d’homme pour ignorer absolument ce qu’est la vertu. Mais nous ne pouvons pas faire le bien aussi facilement que nous pouvons le connaître, tant que nous demeu­ rons dans l’état de mortalité. Aussi Dieu nous donnera-t-il une seconde vie, bien préférable à la vie pré­ sente, immortelle, sans passion, libre de tout péché. Elle ne sera pas seulement un renouvellement et un redressement de celle-ci, mais un perfectionnement, ούκ άνακαινισμδς καί διόρθωσις μόνον των παρόντων, αλλά γαρ καί τελείωσις. Tout ce qu’ici-bas nous savons qu’il faut faire, mais que nous ne pouvons exécuter, tout cela nous deviendra facile, car nous aurons un véritable éloignement du mal cL un amour invincible du bien. In Horn., xi, 15, col. 849-852; In Eph., n, 10, col. 916. Encore que la plupart de ces passages proviennent des chaînes, leur authenticité est garantie par leur accord complet tant avec les Catéchèses qu’avec le Commentum de creatura. C’est bien partout la doctrine des deux états : mortalité et immortalité, instabilité et immutabilité, propension au mal et confirmation dans le bien. Admise cette authenticité, admise éga­ lement celle du traité antihiéronymien, un problème sc pose. Comment expliquer la contradiction qui se re­ marque entre la doctrine pélagianisanlc du dernier ouvrage et les idées si proches de l’augustinisme des compositions antérieures? Brusque volte-face? C’est bien peu admissible dans un homme qui passe à bon droit pour très ancré dans scs idées. Besoin de contre­ dire un adversaire peu sympathique par ailleurs? Ce n’est pas Impossible et. dans l’histoire de la théologie, Théodore ne serait ni le premier ni le dernier à com­ battre ses propres sentiments après les avoir vus dans la bouche d’autrui. Mais ne vaudrait-il pas mieux penser qu’entre les deux exposes, celui des Catéchèses et des commentaires d’une part, celui du traité contre Jérôme de l’autre, la contradiction est plus apparente que réelle? Au fait, de ce dernier ouvrage nous n’avons que quelques extraits, ils nous disent les critiques fort vives adressées par Théodore à une seule des thèses de Jérôme; U y avait certainement autre chose dans le 276 traité et tout spécialement, Photlus dans sa descrip­ tion nous en est garant, un exposé de la doctrine du double état de l’humanité. En cette partie Théodore pouvait reprendre ses idées favorites sur la transmis­ sion par Adam à sa postérité de la mortalité d’abord et du penchant au mal. En fait c'était bien par Adam que le péché était entré dans le monde et par le péché la mort et ainsi, pour reprendre les paroles de Paul, • la mort était passée dans tous les hommes ». C'était aux yeux de Théodore l'essentiel de la doctrine, et il était trop au courant des affirmations de l'Apôtrc pour le contester. A tout prendre, son idée ne différait pas tellement de l’idée augustinienne bien entendue. Sui­ vant l'évêque d'Hippone, nos premiers parents au­ raient pu ne pas mourir, mais l'immortalité incondi­ tionnée n'était pas un apanage nécessaire de leur nature. 11 semble que sur une thèse ainsi présentée l'évêque de Mopsueste serait tombé d’accord. Et,d’ail­ leurs, ce qui lui importait et ce qui finalement importe à la doctrine, c'était beaucoup moins de savoir ce qui aurait pu se passer que d’être au fait de ce qui s’était passé dans la réalité. Dans le plan divin la chute de l’homme était prévue et donc aussi sa < mortalité », son penchant au mal et la culpabilité du genre hu­ main; mais la réparation l'était aussi qui était effec­ tuée par la mort et la résurrection de Vhomo assump­ tus. Au fond Théodore était-il tellement loin de nous qui, à la fête pascale, chantons : O certe necessarium Adce peccatum quod Christi morte deletum est. O felii culpa quit· talem ac tantum meruit habere redemptorem? Le rédempteur c'est Vhomo assumptus. En vertu de son union absolument étroite et indissoluble avec le Verbe divin, il a traversé, sans la moindre défaillance — ce qui ne veut pas dire, sans peine et sans lutte — le stade d’instabilité et de mortalité. Sa mort est en même temps son triomphe sur Satan, car elle est le point de départ de la résurrection et donc du passage à l'immutabilité et à l’immortalité. Cette résurrection est le gage de celle qui nous est assurée à nous-mêmes et qui nous fixera nous aussi dans l'état de stabilité morale et d’immortalité corporelle. Conception à la vérité un peu simpliste de la rédemption, où il manque une idée précise de la satisfaction vicaire, mais d’où celle-ci n'est pas non plus exclue. Cette rédemption elle s'applique en fait aux baptisés d'abord, à ceux, bien entendu, qui ont conservé Intact le sceau de leur baptême. Figure de la mort et de la résurrection du Seigneur, ce sacrement donne, à qui le reçoit et le garde en son intégrité, le gage assuré de la résurrection bienheureuse qui l’introduira de manière définitive dans l'état d'immutabilité parfaite. Mais les effets de la rédemption ne sc limitent pas à ceux qui sont venus après le Christ et ont effectivement reçu le baptême. Nous avons entendu Théodore expliquer les effets rétroactifs de l’obéissance du Christ. Ci-dessus col. 274. A aller Jusqu’au bout de sa pensée on décou­ vrirait même que la rédemption pourrait bien n'ex­ clure, en fait, aucun de ceux à la nature desquels a participé Vhomo assumptus. Dans son analyse du traité antihiéronymien, Photlus semble dire que Théodore n'excluait pas les idées d'Origène sur l'apocatastase : καί την Ώριγένους κατά γε τό τέλος ύποφωνειν της κολάσεως. Λ la vérité, pour l’évêque de Mopsueste, les tourments des damnés étalent de leur nature étemels, non ad tempus, sed œterna sunt. In 11 Thess., i, 9; mais la raison et l’Écritüre nous amènent à cette conclusion que le repentir pourrait en obtenir la remise. « Quel bienfait, demande-t-il. serait-ce pour les méchants que la résurrection, s'ils ressuscitaient seulement pour être punis sans espoir et sans fin? · Ex­ trait de la Palatina, dans A. C. O„ t. i, vol. v, p. 176, 1. 25 sq.; P. L·., t. xlviii, col. 1056. Et quel serait alors I le sens de passages comme ceux qu’on lit dans Matth., 277 THÉODORE DE MOPSUESTE A. 26 6 tu n'en sortiras que tu n'aies payé Jusqu'à la dernière obole ») et dans Luc., xn, 47-48 (sur l'inégalité des châtiments)? D'ailleurs, comme le fait remar­ quer Swectc, la conception fondamentale qu'il avait de la mission et de la personne du Christ obligeait Théodore ft croire ft une restauration finale de toute la création : Ornnia... recapitulavit in Christo quasi quamdam compendiosam renovationem ci ad integratio­ nem totius faciens creaturae per eum. Hoc autem in /uturo sæculo erit quando homines cuncti nccnon et rationabiles virtutes ad illum inspiciant, ut fas exigit, et concordiam inter se pacemque firmam obtineant. In Eph., i, 10. En somme l'adversaire d’Origène sur le terrain scripturaire sc retrouvait d'accord avec le docteur alexandrin sur les points les plus discutables de In théologie de ce dernier. Conclusion générale. — Λ tout prendre, l'évêque de Mopsueste n'est donc pas le révolutionnaire que l’on a dit. Inspirée des plus pures traditions de l'Écolc anllochicnnc, son exégèse a eu le singulier mérite de ramener ft l'étude du texte scripturaire une interpréta­ tion de la Bible que les fantaisies de l'allégorisme ris­ quaient d’égarer en des Impasses. Il ne lui a manqué qu’un peu de souplesse et quelque révérence pour les commentateurs antérieurs. C'est en exégèse surtout qu'est Indispensable l’esprit de finesse; l'esprit géo­ métrique de Théodore s’est trop complu en des sché­ matismes qui lui ont fait faire parfois d'amusants contre-sens sur la signification de tel des Livres saints. Il faut en dire autant de sa théologie. Pour autant qu’il soit loisible d'avoir sur elle une vue d'ensemble, clic représentait une synthèse grandiose dont toutes les parties s’agcnçalcnt étroitement. Au centre la doc­ trine de Vhomo assumptus où sc fait l'union de la créa­ ture et du Créateur; l'ordre restauré par Ift dans un Cosmos où l’homme, être raisonnable et corporel ft la fois, aurait dû primitivement faire l’articulation entre les purs esprits et les êtres matériels; et toutes les conséquences qui se déduisent de cette restauration et que décrivent si amplement les Catéchèses. Ici donc rien que de traditionnel. Dans l'étude même de Vhomo assumptus, Théodore a fait porter également son attention sur les deux termes de cette expression. Si le Christ est un homme, c’est un homme · assumé » pur le Verbe divin. La dis­ tinction des deux natures, l’autonomie des opérations de la nature humaine, c'est le point de doctrine que Théodore a réussi ft mettre en évidence contre tous les docétismes; de son activité théologique c’est bien cela qui restera. Il a été moins heureux quand il s'est agi d’exprimer correctement, sinon d’expliquer, l’union étroite entre les deux éléments que la pensée chré­ tienne a toujours reconnus en Jésus-Christ. Qu’il ait afllrmé avec un redoublement d’insistance une union étroite. Indissoluble, existant depuis le premier Ins­ tant de la conception entre Vhomo assumptus et le Verbum assumens, nous l'avons vu de reste cl tout l'effort du catéchiste a bien été de faire entrer cette Idée en la conscience de ses auditeurs. Mais de cette union 11 n'a pas su trouver une expression satisfai­ sante. Pour être trop demeuré sur le terrain de la psy­ chologie et des faits, il n’a pu se hausser ft une explica­ tion métaphysique qui Ht droit ft toutes les exigences de la foi aussi bien qu’à toutes celles de la raison. Ne lui faisons pas grief d'avoir rejeté ■ l'union physique · que préconisera bientôt Cyrille d’Alexandrie; c’est là un terme mal venu et dangereux. Pas davantage de n’avoir pas prévu le concept d’union « bypostatlque », qui ne prendra qu’au début du vi· siècle, avec Léonce de Byzance, la signification exacte qu'il pos­ sède aujourd'hui. A son époque φύσις et ύττόστασις sont, pour beaucoup, des termes synonymes; il faudra du temps pour mettre entre eux deux l’importante | 278 différence que l'on sait. Ce qu’on peut lui reprocher par contre c'est, dans scs ouvrages techniques sur la ma­ tière, d'avoir, par un esprit de contention qui lui a joué d’autres tours, poussé ft l'extrême scs déductions, d’avoir déroulé, quand il s'agissait des opérations de Vhomo assumptus, des conclusions qui ne sont peutêtre pas entièrement inexactes, mais dont l'accumula­ tion toute dialectique ne laisse pas d’inquiéter. Le Christ du De incarnatione ou du Contra Apollinarem risquerait parfois de faire figure de < grand inspiré », plutôt que celle de Elis de Dieu. Après Théodore un travail restait ft faire qui conciliât la doctrine correcte des deux natures complètes, concrètes et agissantes avec l'affirmation de l’unique Fils, ft laquelle, en dépit de ses apparentes audaces, Théodore se ralliait. Ce tra­ vail malheureusement ne s'est pas accompli dans la sérénité nécessaire. A peine Théodore a-t-il disparu que les incartades de Ncstorlus viennent attirer l'at­ tention sur les déficiences de la théologie antiochicnne. L’évêque de .Mopsueste ne tardera pas ft être rendu responsable des outrances de langage, \nire des er­ reurs plus ou moins caractérisées de l’archevêque de Constantinople. Il était impossible qu’un jour ou l’autre des luttes passionnées n'éclatassent autour du nom de Théodore. Étudiée avec le dessein de la trou­ ver fort criminelle, son œuvre révéla à des Inquisiteurs sans bienveillance nombre de pensées qui, arrachées au système général, tronquées parfois dans leur expres­ sion, pouvaient difficilement s'accorder avec d’autres systèmes qui étalent en voie de s’imposer. La condam­ nation de ces textes isolés était inéluctable. longtemps ils sont restés comme les seuls témoins de la pensée de Théodore. Au fur et ft mesure que celle-ci se révèle dans son authenticité primitive, l’évêque de .Mop­ sueste perd quelque chose de ce qui le rendait antipa­ thique aux croyants. A l'historien impartial de la théologie et du dogme 11 apparatt maintenant comme le représentant autorisé d’une école qui, pour n'avoir pas résolu entièrement les problèmes — quelle école pourrait se vanter de le faire? — n'en a pas moins fait réaliser un progrès définitif ft nos pauvres conceptions du Christ et de Dieu. Le dyopbysisme chalcédonien a trouvé en lui sa plus claire et sa plus ferme expression. L Textes et éditions. — lui question n été traitée nu cour* de l'article, col. 237-211. IL Etudes dioohapiiiuves et littérales. — Outra le» anciennes histoires littéraires : Cave. 1.1, p.217; E» du Pin. t. m, p. 91,et surtout Tillemont.Afénioircjc.t.xii, p. 433 sq.; voir en particulier Léo AUaUus, Dr Theodoris diatriba, (lxv, publiée par A. Mal, dans Hibllotheca nova Patrum, t. vi, p. 116. et reproduite partiellement dans P. G., t. lxvi, col. 77-104; O.-F. Fritzsche, De Theodori .Mopsuesteni vlta et scriptis commentatio. Halle, 1836, reproduit dans P. G., ibid., col. 9-78; et parmi les auteurs récent» H.-B. Sweete, art. Theodor von .Mopsuestia, dans Dictionary of Christian Uiography, t. iv, 1887, p. 934-948, article magistral auquel se réfère, en se contentant d’ajouter quelque» compléments. E. Loofs.dans Protest. Realencyclopddle, t.xix, 1907, p.598605; O. Bardenhower, Altkirchliche Literatur, t.ni.p. 312 sq. (très hostile ft Théodore); H. Devreessc, Le florilège de l^once de Ityzancc dans Hev. des sciences rel., t. x, 1930, p. 515 sq. III. Exéoi-.se. — Bibliographie bien mise Λ Jour par L. Picot, L'uruure exégé ligue de Théodore de .Mopsueste, Home, 1913; ft compléter pour ce qui est du Psautier ;>or H. Dovrcossc, 1^ commentaire de Théodore de .M. sur les Psaumes, Cittft dei Vaticano, 1939, ouvrage préparé par de nombreux articles dans la Revue biblique, ft partir de 1924. Travail sjiécial do Specht, Der exegelischc Standpunkt des Theodor von .M. und Theodorei von K gros in der Auslegung messi un ischer Weissagungen, Munich, 1871, ot do Kilm, Theodor von .M. und Junilius Africanus als Excgcten, Fribourg-en-B., 1880. IV. Théologie générale et cuniSTOLOOlB. — Se repor­ ter ft la bibliographie de l’art. NestoriUS, qui donnera un apoiçu sur la nécessité de · reconsidérer » le problème de la 279 THÉODORE DE MOPSUESTE — THÉODORE DE PHARAN théologie anllochlcruie. Depuis cetto date, voir É. Aninnn, /λχ doctrine christologique de Théodore de Mopsuestc d propos d'une publication récente (Il s’agit des deux séries de Caté­ chèses publiées par Mingana), dans Rev. des sciences ret,, t.xiv, 1934, p. 160-190. 280 qu'il était « aussi du parti sévérien ·; cela parait impliquer que Théodore en était également. De ce rattachement de Théodore à la dissidence sévérienne, on a voulu trouver une preuve dans la lettre adressée par le pape Agathon au VI· concile. L· É. Amann. pape, après avoir cité nombre de Pères orthodoxes qui 12. THÉODORE DE PHARAN, évêque de déposent en faveur du dyothéllsnic, signale ensuite ccttc ville d’Arabie Pétrée, dans le massif du SinaT les hérétiques qui s'y sont opposés : Apollinaire, Sé­ (1* moitié du vu· s.). — Le concile du Latran de 649 et vère d’Antioche, Théodose d’Alexandrie « dans le le VIe concile œcuménique de 680-681 font de ce Théo­ tome écrit par lui à l'impératrice Théodora », puis dore, sinon l’auteur responsable, du moins l'un des Théodore de Pharan, dans sa réponse ù Sergius d'Ar­ premiers fauteurs de l'hérésie monénergiste, qui devait sinoé, enfin la série des patriarches constantinopolisc transformer en monothélismc. Voir art. Monotalns, Sergius, Pyrrhus, Paul et Pierre. Mais, préci­ thélisme, t. x, col. 2317. 11 n’est pas très facile de dire sément, la présence de ces derniers sur la liste infirme quel fut exactement son rôle, cl le mieux est de sérier la preuve que l'on pourrait tirer du rapprochement qui est fait au début entre Sévère et Théodose d’une d'abord les documents que nous avons sur lui. part, et l'évêque de Pharan de l'autre. Texte dans A la troisième séance du Concile romain de 649, l'un des membres demanda que lecture fût donnée des Mansi, t. xi, col. 273-276. La lettre du synode romain de 680 qui mentionne, comme auteurs du monothé­ écrits de Théodore de Pharan, étant chose notoire que cet évêque était le premier auteur de la nouveauté isme, Théodore de Pharan, Cyrus d’Alexandrie, Ser­ gius et ses trois successeurs ne fournit aucune préci­ monénergiste. Ainsi du moins l'affirmait comme un sion. Elle se contente de présenter la généalogie du fait patent Étienne de Dor. Mansl, Concil.t t. x, monothéisme comme l'on faisait à Borne depuis 649. col. 958 sq. On apporta donc dans l’assemblée un écrit Ibid.t col. 292 E. de Théodore, envoyé par lui à Sergius, évêque d’ArsiAu VI· concile, ces documents romains furent lus noé en Égypte. Lecture fut faite de cinq passages assez brefs, tous concluant à l’affirmation d'une unique et c'est ainsi qu'y fut d'abord prononcé le nom de Théodore. A la x· session, qui se déroula tout entière ένέργεια dans le Sauveur. A la suite furent cités six autour du cas de Macaire d’Antioche, on commença, passages un peu plus longs du même auteur, tirés d'un afin d'arracher à celui-ci le désaveu du monothélismc, ouvrage qui fut présenté comme une explication de par lire une interminable série de textes patristiques textes patristiques : έρμήνεια των πατρικών χρήσεων. Ccttc lecture terminée, le pape Martin fit remarquer affirmant la double volonté, puis, comme contre­ partie, on entreprit de montrer l'accord du patriarche les erreurs qui abondaient dans ces quelques textes; antiochlcn avec les hérétiques : Thémistius, Anthlmc, ils n’allaient ù rien de moins qu'à réduire l'humanité du Christ ù n'êtrc qu'une sorte de fantôme; et le pape Sévère (dans une lettre à Paul l’hérétique), Théodose d’opposer à ccttc doctrine les paroles des Pères les d'Alexandrie (dans une lettre a l’impératrice Théo­ plus orthodoxes, Cyrille, Grégoire de Nazianzc, Denys dora), enfin · Théodore l’hérétique s’adressant à (l’Aréopagite), Basile. La suite des débats donne l’im­ Paul ». De ce Théodore était cité un texte qui déclarait pression que, dans l’idée du concile, Théodore a été le rejeter Chalcédoinc et le tome de Léon, accepter par premier à mettre en circulation la formule monéner­ contre i’Hénotique en tant qu’il rejetait le concile, Ibid., col. 448 DE. Le personnage ainsi désigné est-il giste et que Sergius de Constantinople n’a guère fait que le suivre. l'évêque de Pharan? On l’a dit; mais sans remarquer Tout autre est le son rendu par la discussion de que la mention de I’Hénotique, aux premières décades Maxime le Confesseur avec Pyrrhus. On sait quelles du vu· siècle, était un singulier anachronisme; il y précisions cc fameux dialogue apporte sur les origines avait bien longtemps à cette date que l’acte de l’em­ du monothélismc. Maxime ayant exprimé à Pyrrhus pereur Zénon n’était plus considéré par personne tout le dégoût que lui avait causé, aux débuts de la comme une tessère d’orthodoxie. Le Paul auquel cc controverse, l'attitude peu franche du feu patriarche Théodore adressait sa profession de foi nous parait de Constantinople, Sergius, son interlocuteur essaie de donc être le même que le personnage auquel Sévère rejeter sur les agissements de Sophronc la responsa­ avait écrit des choses semblables. Et, dès lors, l’héré­ bilité des premières discussions. Et Maxime de ré­ tique Théodore ici mentionné doit être cherché aux pondre : « Où était donc Sophrone, quand Sergius a dernières années du v· siècle ou aux premières du vi% écrit a Théodore de Pharan en lui envoyant, par l'in­ cent ans au moins avant la date certaine de Théodore termédiaire de Sergius Macarona, évêque d’Arsinoé, de Pharan. le soi-disant discours de Ménas (où il était parlé de C’est seulement à la xm· session du VI· concile l’unique opération et de l’unique volonté) et en l'en­ (28 mars 681) qu'il fut question de cc dernier. La session gageant à soutenir la doctrine de cc discours? Où précédente avait mis en accusation Sergius, Cyrus, était Sophrone, quand, après réception de la lettre Pyrrhus et scs deux successeurs; on y ajoutait main­ susdite, Théodore répondit ù son correspondant tenant Théodore de Pharan. L'archidiacre Constantin (d'Arsinoé)? Où était-il, quand, de Théodosiopolis, fit alors connaître qu’il avait en main différents écrits Sergius (de Constantinople) écrivit à Paul le Borgne, de la bibliothèque patriarcale provenant de celui-ci, lui aussi du parti sévérien (καί άπδ Σευηριτών), et qu'il entre autres une épltrc de lui Λ Sergius d'Arsinoé rela­ lui envoya le discours de Ménas et la lettre approbative tive Λ l'unique ένέργεια et aussi des έρμηνείαι διαφόρων !» I\ vêque de Pharan? » Mansl, Concit., t. x, col. 741- πατρικών χρήσεων. Cc sont exactement les mêmes 744. 11 semble bien que, d'après Maxime, ce soit Ser­ ouvrages qui avaient été allégués au concile romain de gius de Constantinople qui ait Induit l’évêque de Pha­ 649 et exactement les mêmes passages qui sont cités ran en tentation, en lui présentant le discours (authen­ de part et d'autre. Les variantes sont insignifiantes. tique ou apocryphe) de Ménas comme une preuve à Mansl, L. xi, col. 560 B, 568 B-572. C’est la lecture l’appui de la formule monénergiste. L'évêque de Pha­ de ces textes qui détermina la condamnation défini­ ran était-il de l’Église mclkite? Faisait-il partie de la tive de Théodore de Pharan, en même temps que celle dissidence sévérienne? La question a été discutée. Il des patriarches d'Alexandrie (Cyrus), de Constanti­ nous semble que le texte grec tranche le problème. nople (Sergius et ses trois successeurs), de Home enfin Maxime dit bien de Paul le Borgne, a qui Sergius (Honorius). Voir le texte à l’art. Honohius I«r, t. vil, s'adressa après son intervention auprès de Théodore, col. 115 sq. Nulle autre précision n'est apportée qui 281 THÉODORE DE PHARAN permette d'identifier plus exactement Théodore et de déterminer sa responsabilité dans l’aventure mono· thélih·. En définitive il y a deux présentations possibles. L'une est celle des Occidentaux, (pii l'ont plus ou moins imposée au VI* concile. Elle fait de Théodore de Pharan l'inventeur de la formule monénergiste; dans une visite à Constantinople, il la suggère au pa­ triarche Sergius. C'est un peu plus tard seulement que re dernier, entrant dans ses vues, lui transmet par l'intermédiaire de l’autre Sergius, celui d’Arsinoé, des documents — entre autres le fameux discours de Ménas — propres à affermir sa conviction et à faire de lui le propagateur de la doctrine monénergiste. Au rebours l’exposé de Maxime, que corroborent quel­ ques autres indications, fait de Sergius de Constanti­ nople l’inventeur conscient et responsable de la doc­ trine monénergiste. Il y avait plusieurs années déjà que le Constantlnopolitain pensait à des formules de ce genre comme au moyen le plus propre à seconder la politique d'union des Églises inaugurée par le baslleus. Cf. Grumel, Régestes de Constantinople, n. 279, 281. La visite du sévérien qu’était Théodore de Pharan — si tant est que l’on en puisse montrer la réalité — a révélé à Sergius qu’il pourrait compter sur un secours inattendu. Dès lors il lance Théodore dans la voie du monénergisme conquérant. C’était prêcher un con­ verti. Si, comme nous le pensons, l’évêque de Pharan était un sévérien, il n’avait aucune difficulté à trans­ poser les formules monophysites relatives à l’unique nature en formules relatives aux opérations de l’Hommc-Dlcu. Il l’a fait d’ailleurs avec une incontes­ table mattrisc, étant beaucoup plus théologien que Sergius, homme politique, lui, plutôt que penseur. Les formules de Théodore lues aux deux conciles du Latran et de Constantinople, expriment au mieux le monénergisme primitif. Seule, à l’entendre, la divi­ nité, dans le Christ, est active. « Tout ce qui est rap­ porté du Verbe Incarné nous manifeste une activité unique, dont le metteur en œuvre c’est Dieu, l’huma­ nité n’étant que l’instrument, βργανον. » n, 6. On ne saurait dire de façon plus précise que l’humanité du Christ est quelque chose de purement passif, aussi Incapable de rien émettre par elle-même que l’orgue, s’il n’est mis en branle par l’artiste. Et II s’agit de toutes les actions de cette nature humaine, des plus humbles aux plus relevées, « que l’on parle de la puis­ sance du thaumaturge ou de ces mouvements physi­ ques de l’homme que sont l’appétit pour la nourriture, le sommeil, la fatigue, la peine, l’anxiété, tous mouve­ ments qui sont appelés des passions, πάθη, mais qui sont au vrai des manifestations du dynamisme interne du vivant animé et doué de sensibilité, qu’il s’agisse enfin de ce que nous appelons proprement des souf­ frances, πάθη, le crucifiement et tout cc qui l’a accom­ pagné. Tout cela est appelé à juste titre l’unique opé­ ration de l'unique et même Christ, μία καί τού αυτού ένδς Χριστού ένέργεια ». π, 2. · Tout ce qui est rap­ porté (le Jésus-Christ, du Dieu, de son corps, de son Ame, du composé humain, Ame et corps, tout cela s’engendre μοναδιχώς καί άδιαιρέτως (dans l’unité et l’indivision), tout cela a son principe et pour ainsi dire sa source dans la sagesse, la bonté, le dynamisme du Verbe, en passant par l’intermédiaire de l’Amc raison­ nable et du corps; et c’est pourquoi tout cela est attribué Λ l’unique opération d’un seul tout, l’unique et même Sauveur ». I, 3. En conséquence ■ tout cela était œuvre de Dieu, que cela fût divin ou humain; tout cela, la piété l’appelle l’unique opération de la divinité et de l’humanité ». I, 4. En d’autres termes» du commencement A la fin, toute l’incarnation et tout ce qui en est, grandes et petites choses, n'est en vérité qu'une seule, très élevée et toute divine opération ». THÉODORE DE RAITHOU 282 I, 5. Bien entendu l’on devra dire de la volonté en particulier cc qui est dit en général de l’activité : • 11 n’y a dans le Christ qu’une volonté, la volonté divine. » n, 1. Il n'est pas malaisé de voir que, dans une concep­ tion de cc genre, l’humanité du Christ n’est plus qu’une apparence et le pape Martin Ier avait grande­ ment raison de dire que le système de Théodore était un docétisme larvé. · Larvé » serait même une expres­ sion bénigne. Un passage de l’évêque de Pharan montre bien le monophysisme foncier, où s’orlginait son monénergisme ; « Notre Ame à nous n’a pas suffi­ samment de force pour secouer les propriétés natu­ relles du corps; notre Ame raisonnable n’est pas à ce point maîtresse, qu’elle ait puissance sur cet qualités du corps que sont la masse (όγκος), le poids (£οπή), la couleur, et qu’elle puisse s'en dégager. Voilà pourtant ce qui est arrivé pour le Verbe incarné (littéralement pour « l'économie » de Notre-Selgneur) ». Car c'est sans masse et pour ainsi dire sans corps (άόγκως xal άσωμάτως), sans créer de déchirure (άνευ διαστολής), qu’il est sorti du sein (de la Vierge), sorti du tombeau, qu’il est entré toutes portes fermées; c’est pour la même raison (parce qu’il était sans poids) qu’il a marché sur les eaux. (Le passage s’interrompt ici et nous ne pouvons savoir comment la divinité du Christ avait empire sur les couleurs de son corps; peut-être Théodore recourait-il au miracle de la transfiguration, ou à l'épisode des disciples d’Emmâus, Luc., xxiv, 16, 31, et de l’apparition à Marie de Magdala, Joa.» XX, 14.] Il faudrait comparer ces explications avec celles qu’émettaient en des sens contradictoires, un siècle plus tôt, Sévère d’Antioche et Julien d’Halicamassc, phtartolâtrcs et aphtartodocètes. Voir l’art. J vu en d'Halicahnasse, t. vin. col. 1934 sq. La comparaison montrerait sans nul dnutc, que, en dépit de certaines exégèses, la doctrine du Pharanitc était un monophy­ sisme bon teint. Comprenant à sa manière le dogme de Chalcédoinc, ou plutôt le détruisant, comment auraitil pu entendre les expressions si claires du tome de Léon : Agit utraque forma qusr sua sunt, sed cum com­ municatione alterius. Son monénergisme, qui est loin d'être purement verbal, était la conséquence inéluc­ table d’un monophysisme qui était, lui, très réel. Les plus fermes adeptes du monothéllsme — il faut penser tout spécialement à Macairc d'Antioche — ne seront pas plus explicites; qu’il ait soufflé sa formule de < l'unique énergie » à Sergius, ou que, sollicité par celui-ci, il ait donné à une doctrine encore floue tour­ nure philosophique, Théodore de Pharan doit être regardé comme le vrai fondateur du monénergisme. Voir les travaux cités à l'art. Monothélismh, et tout spé­ cialement V. Grumel, Recherches sur Γhistoire du manothélisme, dans Échos d'Orienl. t. xxvn, 1928, p. 259 sq. Nous nous séparons d’ailleurs assez sérieusement de cet auteur; plus encore dr Part. Theodorus of Pharan du Dictionary o/ Christian biography, qui n'a pas laissé de nous fournir des données importantes. É. Amann. 13.THÉODORE DE RAITHOU, hiéromoine et théologien du vi· siècle. — Théodore n’est connu, au moins sous cc nom, que par son traité intitulé Θεοδώρου πρεσδυτέρου της ΤαίΟου προπαρασχευη τις καί γυμνασία τφ βουλομένφ μαθειν, τις ό τρόπος τής Oelotç ένανΟρωπήσεως καί οικονομίας, χαΟ’δν πέπραχται, χαΐ τίνα τα πρδς τούς ταύτην μή όρΟώς νοουντας λεγόμενα παρά των τής ’Εκκλησίας τροφίμων. Les anciennes édi­ tions jusqu’à celle de la P. G., t. xci, col. 1484-1504, n’en donnaient que la première partie. 11 a été édité intégralement par Fr. Dlekamp, Analecta patristica. Texteund Abhandlungen:ur griechischen Patristik,dans Orientalia Christiana analecta, n. 117, Home, 1938, p. 185-225. Dès le début de son ouvrage l’auteur w 283 THÉODORE DE RAITHOU — THÉODORE LE SABAITE expose son but. .Alors que les disciples d'Eutychès et de Dioscorr font sucer avec le lait l'hérésie à leurs en­ fants, ne convient-il pas que les orthodoxes s’appli­ quent A connaître leurs erreurs, leur histoire, les chefs qui leur ont valu leur nom? Sans doute 1 ’Église est-elle en paix : les hérésies doivent maintenant se cacher dans leurs repaires; les orthodoxes se reposent de leur combats. Mais les mauvais Jours peuvent revenir. D’ailleurs une bonne formation théologique est utile en toutes circonstances. Après ce préambule, édit. Die­ kamp. p. 185 sq., Théodore expose sommairement les erreurs opposées de Menés et de Paul de Samosatc, d’Apollinaire et de Théodore de Mopsueste, de Neslorius cl d’Eutychès, ibid,, p. 187-190, puis la doctrine de l’Égllse, qui a toujours suivi la voie royale entre les deux rangées d’hérésies, p. 190-196. Cette doctrine, il la définit par ces deux articles : 1. μία φύσις του Θεού λόγου σεσαρκωμένη, σαρκΐ έμψυχωμένη, ψυχή νοεργ καί λογική. — 2. δύο φύσεις ούσιωδώς ηνωμένας... καί ού μόνον δύο φύσεις ούσιωδώς ηνωμένας, άλλα καί ένώσει τη καθ’ ύπόστασιν άδιασπάστως άμα καί άσυγχύτως, ρ. 191. Théodore place donc la formule de saint Cy­ rille, une nature incarnée, sur le même plan que celle de Chalcédoinc, deux natures unies, tout comme Jean le grammairien de Césarée, cf. Sévère d’Antioche, Liber contra impium Grammaticum, éd. L. Lebon, t. n, dans le Corpus script, christ, orient., Scriptores syri, versio, sér. IV, t. v, Louvain, 1929. p. 154. Au vi· siècle tous les théologiens dyophysites admettaient cette formule, mais ne lui faisaient généralement pas un tel honneur. Après un commentaire de sa définition, Théodore s’attaque enfin aux chefs des hérésies contemporaines, Julien d'IIalicarnassc cl Sévère d’Antioche, p. 196200. Il est difficile de ne pas s’étonner de la brièveté de cette section, alors qu’une phrase de l’auteur nous incite A considérer tout ce qui la précède comme une sorte d’introduction, p. 196, 1. 1 ; cf. p. 186, 1. 26. Dans plusieurs manuscrits et dans les anciennes éditions le texte de la Προπαρασκευή s'arrête ici. La section philosophique qui vient ensuite, p. 200-222, n'est rattachée en effet ù la première partie hlstoricodogmatique que par un lien très artificiel : l’afllrmallon. toute gratuite, selon laquelle Sévère n'aurait ap­ précié les théologiens qu’en raison de leurs connais­ sances philosophiques, p. 200. Son authenticité n’en est pas moins indiscutable. On pourrait la définir, une paraphrase chrétienne de Vlsagogé de Porphyre et des Catégories d’Aristote. Elle s'étend surtout sur les no­ tions d'essence, de nature, d’hypostase et de personne, leurs équivalents philosophiques, leurs différences et leurs rapports, p. 200-216. Toute cette partie intéresse dons une certaine mesure la théologie de l’incarna­ tion, le reste, p. 216-222, est purement philosophique. Quand donc la Προπαρασκευή a-t-elle été écrite? Autrefois on faisait de son auteur un contemporain de saint Maxime le Confesseur (+ 662). A. Ehrhard a fait remarquer avec raison que le silence absolu de cet ouvrage sur le problème des deux volontés du Christ ne permettait pas de repousser la date de sa composition au delà de l’an 620. Dans Krumbacher. Geschichlc der byzantinischen Litteralur, 2· éd., Mu­ nich, 1897, p. 64. Selon Fr. Diekamp, op. cit., p. 174, cette date doit être cherchée entre 580 et 620. Ce n’est pas vraisemblable : si Théodore Ignore le monothé­ isme. il ignore également les agnoètes, le trithéisme, les décidons du concile de Constantinople, la théologie oHI< idle de l'empereur Justinien, celle de Léonce de Byzance* les formules des moines scythes. Celte igno­ rance peut s’expliquer dans une certaine mesure par l'isolement de Kalthou; mais cette explication ne suffit pas. D’autre part la phrase de son préambule sur les ebets» ήγεμύνες* auxquels les hérétiques doivent leurs nom*, άφ’ ών ίχουσιν την προσωνυμίαν, se comprend 284 mieux si clic a été écrite avant que les appellations théodoslcns et gafanites n'aient commencé à concur­ rencer celles de sévérlens et Julianistes. Bref, à consi­ dérer le contenu de la Προπαρασκευή, on est amendé conclure que cct ouvrage a été rédigé bien avant 580, sous le règne de Justinien, à peu près certainement avant 553. Les quelques lignes consacrées aux avatars de Sévère, p. 196, semblent supposer celui-ci vivant. D’autre part la description que donne le préambule de la situation de l'Égllse serait bien flattée si Alexandrie avait été encore en ce temps gouvernée par un patriar­ che monophysite. Mais la série des patriarches dyophy­ sites d'Alexandrie commence en 537 seulement avec Paul, et Sévère est mort en 538. 11 serait imprudent de conclure de trop faibles indices que la Προπαρασκευή a été écrite dès l’arrivée de Paul; mais on ne se trompera sans doute pas en y voyant une œuvre du second quart du vr siècle, écrite par un homme que les intri­ gues politico-religieuses de Constantinople n’avalent pas effleuré. La Προπαρασκευή est-elle le seul ouvrage de Théo­ dore de Baïthou? J.-P. Junglas, Leontius oon Byzanz, Paderborn, 1908, p. 16-20, attribue également à cet auteur le traité De sectis, P. G., t. lxxxvi, col. 1193-1268, dont le véritable titre doit se traduire : « Notes de Léonce, le scolastique byzantin, prises au cours de Théodore le très pieux abbé et très sage philosophe... ». Les arguments de Junglas sont malheu­ reusement d'inégale valeur. Il faut d’ailleurs en dire autant de ceux que Fr. Diekamp leur a opposés, op. cit., p. 176 sq. La question reste donc pendante. Avouons que sa solution ne présente qu'un intérêt théorique, car une bonne trentaine d’années sépare In date de composition de la Προπαρασκευή de celle du De sectis, rédigé après 579, et une trentaine d’années remplies d'événements bien propres à modifier quel­ ques idées chez un théologien du dogme de l’incar­ nation. Ces deux ouvrages intéressent en quelque sorte deux chapitres différents de l’histoire du dogme, qu'ils soient ou non l'œuvre du même auteur. D’ailleurs cette différence d’âge, loin d'être un argument contre l’attribution du De sectis à Théodore de Rafthou, la rend plus vraisemblable. Elle permet d’expliquer pourquoi Théodore, ici prêtre de Kafthou, est appelé là le très sage abbé; pourquoi on constate aussi entre ces deux ouvrages tant de dissonances. Elle rend d'au­ tant plus notables certaines consonnanccs, qui n'ont pas été suffisamment notées jusqu’ici, et qui sont assez sérieuses pour que l'hypothèse de Junglas apparaisse très vraisemblable. Cette hypothèse expliquerait bien une des particularités les plus notables du De sectis : cet ouvrage juge fort librement, disons même sévère­ ment, aussi bien la doctrine de Léonce de Byzance, cf. M. Richard, Le traité De sectis et Léonce de Byzance, dans Revue d'hist. eccl., t. xxxv, 1939, p. 712, que la politique religieuse de l’empereur Justinien ; cf. P. G., t. lxxvi, col. 1237 D. Une telle attitude eût été imper­ tinente chez un jeune homme. Elle ne se comprend bien que chez un vieillard qui aurait eu sa théologie de l’incarnation toute faite avant de lire Léonce et avant d'entendre parler des Trois-Chapitres. Mais l'auteur de la Προπαρασκευή répond fort bien à ces exigences; il est peut-être le seul théologien connu du vi· siècle qui y réponde vraiment. Or, il s'appelle Théodore; il est moine et épris de philosophie. 11 est bien difficile de fermer les yeux à tant d’évidence. M. Richard. 14. THÉODORE LE SABAITE, évêque d'Édesse, est probablement la création d’un faussaire. Sa Vie, écrite au ix· ou au x· siècle (le ms. grec le plus ancien, Λ notre connaissance, est le Mosq. synod. | 321 de l'année 1023) par son · neveu », Basile d'Émèsc, 285 THÉODORE LE SABAITE — THÉODORE DE SCYTHOPOLIS est une mosaïque de légendes et de plagiats. Né et instruit à Édesse, Theodore entre à la laure hiérosolymltalne de Saint-Sabas, à l'âge de vingt ans; il y reste Jusqu'à sa soixantième année. Le patriarche d'Antio­ che le place à ce moment sur le siège d’Édcssc où il travaillera à rétablir l'unité chrétienne. 11 convertit même un calife de Bagdad, MoAwia I*r (661-680) ou MoAwia II (683-684) dont il se fera le légat auprès de Michel III T Ivrogne et de Théodora (entre 842 et 856)! L’auteur n’est nullement gêné de conduire à Constan­ tinople au milieu du ix· siècle son oncle évêque qui avait atteint la quarantaine à la fin du vu· siècle sous • Adramelech » (le calife Abd al-Mallk, 685-705), non plus que de le faire parler, dans une homélie, du II· concile de Nicée (787) « récemment tenu >. Théo­ dore meurt et est enterré à Mar-Saba un 19 juillet. P. Peeters (La passion de saint Michel le Sabaîte, dans Analecta Holland., t. xlviii, p. 64-98) a montré que la Vie de Théodore dépend d’une passion de saint Michel le SabaYte recueillie des lèvres de Théodore Abû Qurra par un certain Basile de Saint-Sabas. Certaines particularités — nous y ajouterons la polyglossie des héros — lui font dire avec raison : « après qu’on a éliminé toute cette fantasmagorie, il reste les linéa­ ments d’une figure dont les traits individuels sont empruntés à la vie cl au rôle historique du célèbre évêque de Harrân, moine à Mar-Saba, évêque, cont.rovcrsisle, docteur itinérant, champion de l’orthodoxie en pays hérétique et ù la cour du khalife de Bagdad, et il est probable que la liste de ces contrefaçons fla­ grantes s’allongerait encore, si la vie et la légende d’Abù Qurra nous était moins mal connue. » Loc. cit., p. 82. La consistance de l’œuvre littéraire, au reste fort mince, attribuée à Théodore d’Édesse en est naturel­ lement ébranlée. Le « neveu » lui adjuge expressément un sermon fait de pièces rapportées et notamment d'un long extrait de la Προπαρασκευή de Théodore de Haït hou (voir coi. 282) qui sc rattache Λ la ligne M (Ambrosianus, 681, x· s.) de l’édition de Diekamp (Orientalia Christiana analecta, n. 117, p. 183). L’au­ teur de la Vie a visiblement spéculé plus d’une fols sur l’homonymie. On fera bien, en tout cas. avant de conjecturer une rédaction arabe primitive complète de la Vie, d’interroger des emprunts de ce genre. No­ tons encore que c’est du sermon en question qu’il s’agit dans les extraits qui s’intitulent διδασκαλία περί πίστεως όρΟοδ. (Mosq. syri. gr. 415, xvi· s., fol. 111-118) ou λόγος πίστεως (Sabbait. 409, χιιι·$., fol. 318-332) et que plusieurs auteurs (A. Ehrhard, dans K. Krumbacher, Gesch. der byz. Literal., p. 151152; IL Engberding dans le Lcxikon /ûr Théologie und Kirchc, I. x, p. 37 sq., à l’art. Theodor v. Edessa) sc flgorent inédits. D’après le neveu du saint, celui-ci aurait, sur l’invi­ tation de scs confrères, improvisé une < Centurie » de préceptes spirituels recueillis sur le champ par un tachygraphe. Ils font suite à la Vie dans les mss les plus anciens, comme celle-ci l’annonce au c. xl. Ils sont connus par l'édition de P. Poussin es, Thesaurus asceticus, 1684, p. 345, et par la Philocalic de Nico«lèmc l’Hagiorite, édit, de Venise, 1782, p. 265-281; éd. d’Athènes, 1893, t. i, p. 182-194. Ils devaient figurer au l. clxu de la P. G. Théodore y emprunte largement Λ plusieurs ouvrages d'Évagre : Gallandi (P. G., t. xi., col. 1216 B) l'avait remarqué; M. Villcr, Aux sources de la spiritualité de saint Maxime, dans Reo. d'ascét. et de mystique, t. xi, 1930, p. 266, note 210 et passim, de même qu’l. Hausherr, Le traité de l'oraison d'Évagre le Pontiquc, ibid., t. xv, 1934, p. 3738, ont abondamment confirmé sa constatation. On relève pareillement une dépendance par rapport à Maxime le Confesseur; cf. M. Villcr, ibid., passim. 286 L'œuvre doit sc placer entre le vu· et le x· siècle. Ce peut être une production issue de Saint-Sabas. Elle est, de toutes manières, antérieure à la Vie dans sa rédaction complète. Une autre pièce, le Théorétikon, dans la Philocalie de Venise, p. 281-287 et d’Athènes, t. I, p. 194-199, qui «levait aussi paraître dans P. G., t. clxu, avec le titre «le Regulator, est placée sous le nom de Théodore d’Éde.ssc. C’est un résume de philosophie ascétique sur la purification des puissances de l’Amc, décrite dans sa nature et dans scs moyens. L’insistance sur la distinction de la connaissance naturelle et de la con­ naissance surnaturelle, de la vertu naturelle et de la vertu surnaturelle, sur le constitutif de la béatitude indique une œuvre Influencée par l’Occidcnt, tout orientale qu’elle reste sur l'ensemble des points. Elle n’est sûrement pas antérieure au xiv· siècle. L’inclpit ex abrupto fait croire qu’elle est mutilée du début. Quoi que puisse révéler l'examen définitif — encore à faire — de la Vie de Théodore, le nom du personnage ne représente, par rapport aux œuvres que nous avons énumérées, qu’une étiquette plus commode que celle de nullius. La Vie de Théodore a été d’abord publiée dans une tra­ duction slavonnc par la Société des amateurs de littérature ancienne, livraisons 46, 61, 72. La V· éd. du texte grec est due à L Poinjalovsklj, 2 itle ije υο sviatykh ottsa nachego Theodora Arkhleptskopa Edcsskago, Saint-Pétersbourg, 1892. On en possédait aupa­ ravant une adaptation abrégée, de but édifiant : Βίυλο; χαλοχαιριμη περιέχουσα... βίου; άγίων παρ ” \ γα­ ζιού, Venise, 1780, ρ. 222-238. Le Paris, arab. 2 IS de Ια Bibi. nat. (calai. Zotenbcrg, p. 55) contient une Vie arabe de Théodore. Sur la Vie, sc reporter aux études de Chr. Loparev, Vizantijskila 2itija sviatykh v VU l-l X v., dans Visant. Vremennik, t. xix. 1912 (Petrograd, 1915), p. 10-64 ; L. Bréhicr, L*hagiographie byzantine des VH/· et IX* siècles, dans Journal des savants, 1917, p. 16 et sq.; du même, f-e romantisme et le réalisme à Ryzancc, dans Le Correspondant, 1929, p. 327331; N. Bonwotsch, Die Vita des Theodor, Erzblscho/s von Edessa, dans Ryzant. neugritchlsche Jahrbücher, 1921, p. 28529Π. J. Govillahd. 15.THÉODORE DESCYTHOPOLIS, évê- que de cette ville nu milieu du vi· siècle. — Il fut mêlé Λ la seconde controverse origéniste, qui débuta, on le sait, dans les milieux monastiques de la Nouvelle-Laure. Voir Ici t. xi, col. 1574 sq. Notre Théodore, au dire de Cyrille de Scythopolls, appartenait au groupe que l’on appelait les « isochrlstes ·; cf. ibid., col. 1579. Quand Théodore Askldas, entré fort avant dans la confiance de Justinien, fut devenu archevêque de Césarvc de Cappadoce, il fit nommer, entre autres Isochrlstes, notre Théodore au siège de Scylhopolis, en Galilée. Le triomphe d'Asktdas fut d’assez courte durée, le vent tourna contre les isochrlstes; Théodore de Scyt impolis fut amené, de gré ou de force, à faire une rétractation écrite de ses opinions. On possède le « libelle » qu’il adressa ù l’empereur Justinien et aux quatre patriarches orientaux : Eutychlus de Constan­ tinople, Apollinaire d’Alexandrie, Domninus d'Antio­ che et Eustochius de Jérusalem. Convaincu de l’im­ piété des doctrines d’Origène, Théodore y anathématise les enseignements suivants : 1. La préexistence des Ames. 2. La préexistence de l’âme de Jésus-Christ. 3. L’erreur suivant laquelle le Verbe se serait rendu semblable aux divers ordres angéliques. 4. Celle sui­ vant laquelle le règne du Christ prendrait fin un jour. 5. Celle d’après quoi, après la résurrection, les hommes auraient des corps sphéroïdes. 6. La croyance que les astres seraient des êtres animés. 7. L’erreur selon la­ quelle le Christ, dans un autre monde, serait crucifié pour le salut des démons. 8. La limitation de la puis­ sance créatrice de Dieu. 9. L’apocutastase (rétablisse- 287 THÉODORE DE SCYTHOPOL1S — THÉODORE LE STUDITE 288 des plus soignées, car il était destiné ù prendre la suite dc son père. Mais l'action do l’higoumènc Platon, frère de Théoctista, qui était retiré dans quelque cou· vent de l'Olympc de Bithynie, finit par conquérir toute la famille à la vie monastique. La mère dc Théo­ dore ct une dc scs sœurs entrèrent en un couvent de la capitale; le père, avec ses trois fils, Théodore, Joseph, le futur archevêque dc Thessalonlque, ct Euthyme, sc mirent sous la direction même de Platon, nu couvent du Saccoudion, dans ccttc même région bithynlenne (en 781). Bientôt Platon, décidé à mener un jour ou l'autre la vie dc reclus, vit dans Théodore, son succes­ seur à la tête du Saccoudion, en sorte que le jeune moine, qui avait d’ailleurs donné la mesure dc ses talents d’administrateur, fut associé ά son onde comme hlgoumène. Un peu avant, ou un peu après l'élection qui ratifiait ccttc désignation, Théodore fut ordonné prêtre par le patriarche Taraisc. 3® L'aflaire machianlste et le premier exil (796-797). — Bientôt, d’ailleurs, allait éclater une affaire qui mettrait Théodore en conflit avec le gouvernement impérial et qui, se prolongeant pendant plus dc dix ans, le brouillerait même avec les patriarches dc Cons­ tantinople. 11 s'agit dc « l'affaire mœchlcnnc ». Marié contre sa volonté par sa mère, l'impératrice Irène, à une femme qu’il n'aimait pas, le basilcus Const an tinVI avait distingué parmi les dames d’atours dc la baillissa, une personne nommée Théodotc, qui se trouvait apparentée à Théodore. En janvier 795, on apprit soudain que l'épouse légitime, Marie, avait été ton­ surée ct enfermée dans un monastère. Au mois d'août suivant Théodotc, proclamée Augusta, était couron­ Se reporter aux Indications fournies par lu notice do née; quelques semaines plus tard, l’higoumènc d’un Gallandi (dans P. G., t. lxxxvi a, col. 229-232), à la suito de des couvents de la capitale, le prêtre Joseph, passant laquelle se Ht le texte du Λίβώλος θιρ&ώρου έπισκόπου ΣχυΟοπύ) ιως ; et cf.Dickamp, Dic orlgenlstiscnen Streltfgkei- outre à la volonté du patriarche, donnait la bénédic­ ten Im F. Jahrhunderl und das V. allgcmelne Condi, Muns- tion nuptiale au couple adultère. Ce fut bien vite dans le monde ecclésiastique dc la capitale un véritable tci-en-W., 1899. toile. Sans doute le patriarche Taraisc sc ralliait-il, sans É. Amann. trop dc peine ù une politique d'accommodement — 16.THÉODORE LE STUDITEi ainsi appelé • d'économie », comme l'on dirait — qui consistait à du monastère du Stoudion à Constantinople, dont il s’incliner, quand l’on ne pouvait faire autrement, fut longtemps hlgoumène (759-826). I. Vie ct action. IL Œuvre littéraire (col. 294). I devant « le fait du prince ». Par contre l’émotion fut grande dans les milieux monastiques, tout particu­ I. Vie et action. — 1® Sources. — 11 existe dc Théodore trois Vies, dont on trouvera les deux pre­ lièrement au Saccoudion; on y fulminait et contre mières dans P. G., t. xeix; la plus ancienne, col. 233- l'adultère du basilcus, et contre la forfaiture de i’hl328 (désignée ordinairement comme Vila B, parce goumène Joseph, et contre la faiblesse même dc Ta­ qu’elle a été publiée postérieurement à l’autre) est raisc. Sur ces déclamations contre Taraisc voir en par­ l'œuvre d’un moine Michel, du Stoudion, ct doit être ticulier Epist., I, lui, col. 1101 sq. L’hostilité témoi­ postérieure ù 868. C'est d'elle que s'est Inspiré l'auteur gnée alors au patriarche explique sans nul doute les de la Vila A, col. 113-232, qui n'a guère fait que la appréciations très fâcheuses dc Théodore sur le IIe con­ démarquer. Une troisième a été éditée par Lntychev, cile de Nlcée, dont Taraisc avait été l'âme. Epist., dans Viiantifskif Vremennik, t. xxi, p. 258-301. Anté­ I, xxxvni, voir surtout coi. 1044 CD. Ces propos rieurement à ces Vies, peu après 848, avait paru un ne restaient pas confinés dans le monastère, des discours sur la translation du corps de Théodore ct dc échos en parvinrent au patriarcat; les discussions pri­ son frère Joseph, archevêque dc Thessalonlque, qui rent un tour plus vif. Platon finit par déclarer qu'il donne sur la vie des deux grands lutteurs dc précieux se séparait de la communion du patriarche. Entre renseignements. Texte dans Anal, bolland., 1913, temps le basilcus, venu à Brousse pour prendre les p. 27-62. Cc discours permet de rectifier quelques don­ eaux, essayait d’obtenir des moines du Saccoudion une nées de la Vita B. Le panégyrique prononcé par Théo­ apparence d’hommage; il en fut pour scs avances. En dore lui-même à la mémoire dc son oncle, l’higoumènc septembre 796, Platon, Théodore ct un certain nombre Platon, fournit lui aussi des indications précieuses. dc moines étaient arrêtés et internés au fort des Ca­ Texte dans P. G., t. cil., col. 804-849. Enfin et surtout thares. Théodore et son frère Joseph furent ultérieure­ l'œuvre littéraire même dc Théodore, tout spéciale­ ment expédiés à Thessalonlque, où ils arrivaient le ment sa Correspondance ct la Petile catéchèse, abonde 25 mars 797. Sur tout ceci, voir Théophane, an. 6288, renseignements historiques. Il faut les compléter 6289; Laud. Platonis, c. xxvi-xxx; Vita B,c. χιν-χνι; ct les encadrer par les données fournies par les histo­ Vita A, c. xviii-xxih; Epist., I. ni, où est décrit le rien* cl chroniqueurs byzantins contemporains, au voyage de Théodore de Constantinople à Thessalonlque. premier rang desquels il faut mettre Théophane, dans 4° Retour; faveur d’Irène; le Stoudion. — Cc premier sa Chronograph ta, et à partir dc 813, les continuateurs exil ne devait pas durer; en juillet 797, Irène déclen­ de celui-ci. Voir art. Iconoclasme, t. vu. col. 594. chait contre son fils Constantin VI une révolution qui 2· Entrée en religion. — Théodore naquit à Constan­ aboutissait au renversement du basilcus; le 15 août tinople en 759, fils d’un fonctionnaire du fisc impérial il était aveuglé sur l'ordre dc sa mère. Celle-ci deve­ nommé Photinus et de Théoctista. Son éducation fut nait, pour cinq ans, seule souveraine de l’empire. Un ment final dans le bien) des démons et des damnés. 10 (presque identique à 2). La préexistence de l'âme dc Jésus-Christ. 11. La doctrine spécifique des isochristes : « nous serons un jour égalés au Christ, en­ fanté par la sainte Théotokos, et le Verbe divin s'unira A nous, comme il s'est uni suivant l'ousie ct l'hypostasc à la chair animée prise de Marie. 12. Enfin la dis­ parition définitive de tout ce qui est corps après l’apoca ta st asc. Si l’on se reporte aux deux documents officiels qui ont condamné l'orlgénlsme au vi® siècle : la lettre de Justinien dc 543, entérinée par le patriarche Ménas, art. cité, col. 1577, et les « quinze canons des 165 Pères du V· saint concile réuni À Constantinople », ibid., col. 1581 sq., on s’apercevra que la liste des erreurs reprochées à Orlgènc par Théodore et abjurées par luimême, suit dc très près la première de ces pièces : 1 de Théodore = 1 de lettre à Ménas; 2 T — 2 ct 3 M; 3 T - 4 M; 5 T - 5 M; 6, 7, 8, 9 T « 6, 7, 8, 9 M; par endroits la correspondance est presque verbale; d'au­ tre part les n. 4. 11 et 12 dc Théodore sc retrouvent dans les n. 12 (À la fin), 12 (début), ct 14 des · quinze canons ». Cette particularité exclut l'hypothèse sui­ vant laquelle la profession dc foi dc Théodore aurait été rédigée après le concile dc 553, quand le patriarche dc Jérusalem, Eustochlus, rassemblant ses ressortis­ sants, leur fit approuver les actes du Concile. Art. cité, col. 1588. Mieux vaut sc rallier à la solution de Dlekamp, selon laquelle Théodore aurait écrit cette ré­ tractation en 552 pour pouvoir être admis au V· con­ cile. THÉO DO K E LE STUD1TE, VIE 289 de ses premiers soins fut .ίον διύτιρον, Saint-Pétersbourg, 1904, qui comprend 121 sermons. 2· Les discours spirituels. — Le rassemblement a été fait par Migne, t. cit., col. 688-901, qui a joint à neuf discours publiés par Mal, Nooa Pair, blbt., t. v et vi, deux pièces fournies par les botlandistes (saint Platon, Acta sanct., avril, 1.1; saint Arsène, Juillet, t. iv),une publiée par Fabri­ cius (Pibl. grœca, t. xu) et une donnée par Grctzer (De cruce Christi, t. n). 3e Ascetica. — La plus grande partie a été publiée par A. Mai, ibid., t. v, d'oü elle est passée dans P. G. 4· Écrits polémiques. — La partie la plus Importante a été rassemblée par Sirmond (resp. J. de la Baune) : Les trois Antirrhétiques; la Refutatio carminum iconomachorum; les Problemata; les Capita septem; VEpistola ad Platonem. 5· Correspondance. — Les L 1 et II ont été publiés d’abord par J. de la Baune; Cozza-Luzi en a donné 277 autres au t. vm a de la Nova Patrum bibliotheca. Une édition vraiment scientifique de cette correspondance serait bien désirable· 6· Compositions poétiques. — Les · lombes · avaient déjà été publiés par Sirmond (reproduits dans P. G., col. 17801812); Pitra, nu 1.1 des Analecta sacra (1876), consacres aux poètes sacrés de l’Église grecque, n donné, p. 336-380, un certain nombre de cantiques de Théodore. Les deux · Ca­ nons · publiés dans P. G., col. 1757-1780, ont été empruntés l'un à Grctzer, op. cil., t. m, l'autre a Baronius. IL Travaux. — 1· Notices littéraires. — Il y a toujours intérêt à consulter les notices anciennes : Préface de Sir­ mond, au t. v des Œuvres complètes; G. Cave, Hist. lit!., t. n, p. 8 sq.; Oudin, Comment., t. il, p. 32 sq.; B. Ceilller, H Ut. gén. des auteurs ecclés., t. xvm (V· éd.), p. 489 sq.; L. Allât lus, Diatriba de Theodoris, dans Mai, Nova Pair, bibl., t. vi, p. 158; mais tout particulièrement la notice de Fabricius, complétée par Maries, üiblioihcca grsrca, t. x, p. 434-174 (reproduite dims P. G., t. xcxx, col. 9-50). Plus récente la notice de A. Ehrhard, dans Krumbacher, Gesch. der bgzant. Lilteratur, p. 147-151, et de Krumbacher luimême, ibid., p. 712-715. 2e Notices historiques. — Tous les historiens de l'tconoclasmc font une place plus ou moins considérable a Théo­ dore, voir art. Iconoclasme, t. vu, col. 59-1-595; ajouter aux travaux modernes, G. Ostrogorsky, Studien zur Gesch. des bgzant. liilderstrtilcs, Breslau, 1925. Pour la querelle • mœchlaniste · se reporter à l'art. Méthode de Constan­ tinople, t. x.col. 1600, ct compléter par les indications four­ nies par V. Gnimcl,dons Les Ré gestes des actes du patriarcat de Constantinople, fasc. 2, 1936, note des p. 60-62. Pour un exposé synthétique, voir É. Amann, dans Fhche-Martin, Histoire de F Église, t. vi. p. 165-173; p. 229-246. Il y a de nombreuses monographies sur Théodore; citons au moins : C. Thomas, Thewior von Studien und sein Zcil· alter, Osnabrück. 1892; A. Schneider, Der hl. Theodor von Studion, Munster, 1900; E. Marin. Saint Théodore (7SU826), Paris, 1906; Grossu, Saint Théodore, son temps, sa vie, scs œuvres (en russe), Kiev, 1907; A.-P. Dobroklonskij, Saint Théodore, higoumène du Sloudion (en russe), 2 vol., Odessa, 1913-1914. Le P. Van der Vorst, bollandiste, a donné plusieurs études de détail dans Analecta bollandiana, 1913, p. 27-62; 230-235; 439-447; 1914, p. 31-52; elles ont été utilisées dans le pré­ sent article; études de détail aussi dans Échos d'Orient, 1914, 1921, 1926, 1937. . E. Amann. 17. THÉODORE LE TABÉNNÉSIOTE (iv· siècle) succéda Λ saint Pacômc dans le gouverne­ ment des communautés monastiques fondas par celuici. Au témoignage de Gcnnadc, De vir. ill., n. 8, P. L., 299 THÉODORE LE TABÉNNÉSIOTE TI1ÉODORET 300 força d’abord de ramener ses brebis errantes à la vraie fol : c'est, semble-t-il, au commencement de son épis­ copat qu'il écrivit contre les marcionltes, contre les juifs, contre les ariens et les macédoniens cl qu'il rédi­ gea son ouvrage contre les · maladies de l’hellénisme. Il remporta, dans ces combats, d’importants succès: 11 convertit plus d’un millier de marcionltes et il fit dis­ paraître des églises où ils étaient conservés et utilisé* plus de deux cents exemplaires du Diatcssaron de Tatien, qu'il remplaça par le texte des Évangiles séparés. Le souci de l’orthodoxie l’amena naturellement à prendre parti lorsqu'éclata la controverse nestorlcnne. Formé scion les méthodes de l'école d’Antioche, il était tout naturellement porté à insister sur l’humanité du Christ et, des erreurs récentes, nulle ne lui paraissait plus redoutable que i'apollinarisme, dont les thèse* tendaient à ruiner le dogme de l'incarnation· D’autre part, il était personnellement lié avec Nestorius et il Tous le* travaux relatifs à saint Pacôme font une place plu* ou moins grande Λ Théodore. Voir surtout P. Ladeuze, ne se sentait pas disposé à l’abandonner. Dès qu'il eut Étude sur le cénobitisme pakhomien, Louvain, 1898; R. connaissance des anathématismes dirigés contre Nes­ Pletschmann, Theodorus Tabenneslota und die sahldische torius par saint Cyrille d'Alexandrie, il se hâta d’en UebersetzunQ des Osterbriefes des Athanasius vom Jahre 367, écrire la réfutation : A ses yeux, l’évêque d’Alexandrie dans le* Nachrichten do l’académie de Gœtlinguc, phil.renouvelait l’erreur apollinariste; il niait la nature hist. Ktasse, 1899, p. 87-104; cf. aussi Sermons de Théodore, humaine du Sauveur et, en appelant Marie mère de publiés par Amclineau dans Mémoires de la mission fran­ Dieu, sans se croire obligé d'expliquer ce terme, il fai­ çaise au Caire, t. iv, fuse. 2, Paris, 1895, p. 620 sq. É. AMANN. sait courir à la foi catholique les plus grands risques. Saint Cyrille ne laissa pas sans réponse l’ouvrage de THÉODORET, évêque deCyr, en Syrie euphratésienne, de 423 à 460 environ. L Vie. IL Ecrits Théodore! : il le combattit dans une lettre adressée à Evoptlus, évêque de Ptolémaïs. Le concile d’Éphèse (col. 303). III. Enseignement (col. 317). I. Vie. — Théodore! naquit à Antioche aux envi­ n'était pas encore ouvert que déjà Theodorei s’était rons de 393. Ses parents, aussi nobles par leurs senti­ révélé comme un des adversaires les plus redoutables ments que par leur origine, étaient longtemps restés de la théologie cyrilliennc. Arrivé à Éphèse avant Jean d’Antioche cl scs par­ sans enfants, en dépit de leurs prières et des supplica­ tisans, Théodore! commença par multiplier les efforts tions qu'ils avaient adressées aux plus saints moines pour qu'on les attendît et qu’on n'ouvrît pas les débats du pays. Finalement, un ascète du nom de Macédonius en dehors de leur présence. Battu sur celte question avait promis à sa mère qu'elle mettrait au monde un fils et celle-ci avait consacré A Dieu, dès avant sa nais­ de procédure, il refusa de souscrire à la déposition de Nestorius et à la condamnation de sa doctrine el jus­ sance, l’enfant ainsi annoncé. qu'au bout il se montra un des plus ardents défenseurs Lorsque l’enfant eut fait son entrée dans le monde, il reçut le nom de Théodore! et, dès scs premières des Orientaux ;cf. art.Nkstohius, t. xi.col.76. Envoyé auprès de l'empereur avec quelques-uns de scs amis, années, il donna le spectacle des plus belles vertus. Élevé au milieu des moines, il apprit d’eux à la fois les il fut le porte-parole de la délégation orientale. Episl., eux. Il ne parvint d’ailleurs pas à convaincre l’empe­ lettres humaines et les lettres divines; il apprit en reur et son entourage et dut rentrer dans son diocèse même temps à mener une vie ascétique, si bien que, tout naturellement, il sc trouva conduit a la pratiquer sans avoir rien obtenu. Il n’en continua pas moins la lutte contre saint Cy­ dans toute sa rigueur aussitôt que son Age lui permit de le faire. Certaines traditions, ou tout au moins les rille. Tandis que Jean d’Antioche acceptait d'entrer en pourparlers avec l'évêque d*Alexandrie pour rétablir conclusions de quelques historiens veulent qu’il ail compté saint Jean Chrysostome et Théodore de Mop- la paix et l’union entre les Églises, Théodore! publia suestc parmi ses maîtres, que Nestorius et Jean d’An­ d’abord un grand ouvrage contre Cyrille cl le concile tioche aient été du nombre de scs condisciples. La d’Éphèse. Puis, lorsque Cyrille cl Jean se furent mis d'accord pour souscrire la formule d’union, Théodorel chose n’est pas invraisemblable, mais elle est loin d’être prouvée. demeura Intraitable. Ce n'était plus certes la doctrine Le jeune homme vivait dans un cloître aux environs I exposée par cette formule qui lui déplaisait : il est d’Antioche, lorsqu’on 423 — il pouvait alors avoir vraisemblable qu'il avait été lui-même l’auteur du trente ans — il fut élevé contre sa volonté è l’épiscopat symbole accepté par les deux partis; mais il se défiait cl chargé du diocèse de Cyr. Epist.,cxni et cxvi, P. G., encore de la loyauté de saint Cyrille el il aurait voulu t. lxxxiii. Cyr était une petite ville de la Syrie cuphra- voir celui-ci condamner expressément la lettre des téslenne, à deux Journées de marche d'Antioche, et I anathématismes, ce qui était demander l'impossible. elle était comprise dans le ressort métropolitain de Il refusait, avec plus d'énergie encore, de souscrire i Hiérapolis (Mabbug). Le pays dont elle était le centre la déposition de Nestorius. Il préférerait, écrivait-il ù était d'aspect sévère, couvert de montagnes, mais I l’ancien évêque de Constantinople, sc voir couper les cependant fort peuplé. On ne comptait pas moins de deux mains plutôt que de signer le décret de condam­ huit cents paroisses dans le diocèse. nation porté à Éphèse. Epist., clxxi. Finalement, il Le zèle d'un évêque pouvait d’autant mieux sc I fallut que Jean renonçât à exiger de lui un geste qu’il déployer qu'il y avait, fi Cyr et dans les environs, regardait comme une sorte de trahison à l'égard d un beaucoup de païens et de Juifs. On y trouvait aussi un ami malheureux, pour qu’il signât enfin la formule grand nombre d'hérétiques, non seulement des ariens d’union et fît la paix avec saint Cyrille. et des eunomiens, mais encore des marcionltes et des \ ers 438, cette paix si difficilement rétablie fut à encratites : les plus vieilles erreurs conservaient ainsi nouveau troublée. A la suilc de circonstances assez des adeptes dons ces régions lointaines. Avec un 1 obscures, saint Cyrille avait été amené à écrire un dévouement qui ne sc ralentit jamais, Theodorei s’ef­ I traité contre Diodore de Tarse et Théodore de Mop· t. lviii, col. 1064. on conservait de lui trois lettres, dans lesquelles il rappelait les enseignements de son prédécesseur c! s’cîTorçail de rétablir entre les com­ munautés la paix qui avait été troublée à la mort de Pacôme. Il est tout A fait probable que saint Jérôme avait annexé A sa traduction de la règle paeômienne celle des trois lettres en question. En fait, dans les édi­ tions actuelles il ne figure qu'une seule lettre de Théo­ dore. P. t. xxni, col. 99-100. L'abbé y donne à scs moines les consignes pour la célébration des fêtes pas­ cales. Une autre lettre très brève est conservée en grec, qui annonce aux moines la fin de la persécution arienne; clic sc trouve dans un mémoire sur les gestes de Théodore adressé par Amoun à l'archevêque d'Alexandrie, Théophile. Dans Ada sand., mai, t. ni, éd. Palmé, p. 54·-61· (texte grec), p. 346-355 (traduc­ tion latine); la lettre respectivement p. 60· et p. 354. 301 T UEO DO B ET. VIE sueste, les deux autorités les plus considérées de l'école d’Antioche. Théodore! fut chargé de lui répondre et il le fit dans un ouvrage où il reprenait pas A pas l'ar­ gumentation «le l’évêque d’Alexandrie et où il mon­ trait l'orthodoxie foncière de ceux que ce dernier avait attaqués. Si grave que parût l'enjeu de cette nouvelle controverse, elle ne compromit pas cependant l'union. Théodorel et Cyrille avaient l’un cl l’autre éprouvé trop de difficultés à la sceller; on la leur avait trop vivement reprochée à l’un cl A l’autre cl d’ailleurs ils étaient tous deux trop profondément catholiques pour ne pas détester le schisme de toutes leurs forces. Théodore! profita du répit que lui laissaient les controverses doctrinales pour s’occuper davantage de l’Écriturc sainte el surtout pour se livrer à l’évangé­ lisation de son diocèse. Nous sommes assez peu au courant de son activité pastorale, dont seules les grandes lignes nous sont connues. Du moins savonsnous que l’évêque de Cyr se montra, en loutcs circons­ tances, le modèle des pasteurs. Qu’il s’agît de convertir les païens, les juifs ou les hérétiques, de construire des églises, d’embellir la ville de Cyr et d’y accroître les ressources en eau pntablc, de prendre soin des pauvres et des malades, Théodore! n’épargna aucun soin. Sa correspondance nous le montre en rapports incessants avec les évêques, avec les fonctionnaires impériaux, avec tous ceux dont il pouvait attendre une aide pour le bien de scs fidèles ou à qui il pouvait être utile. Particulièrement touchantes sont scs lettres à son métropolitain. Alexandre de Hicrapolis. Entêté dans le schisme, Alexandre ne voulait ni condamner Nes­ torius, ni souscrire A l’Actc d'union. A sa ténacité se heurtaient, l’une après l’autre, toutes les bonnes volontés. Théodorel espéra longtemps qu’il lui serait possible de ramener le vieil obstiné A de meilleurs sen­ timents. Il lui écrivit les lettres les plus pressantes, fit valoir les arguments les plus forts et les plus variés. Alexandre ne voulut rien entendre. Finalement, on fut obligé de le déposer et de l’envoyer en exil. Cependant, Théodorel ne devait pas connaître long­ temps la tranquillité. En 447, Dioscore d’Alexandrie se plaignit auprès du nouveau patriarche d’Antioche, Domnus, de ce que Théodore!, dans des homélies pro­ noncées par lui à Antioche même, aurait divisé le Christ en deux fils. Celte plainte donna le signal d’une nouvelle querelle. Dès 148, Théodorel répondit direc­ tement ù Dioscore j>our s'expliquer sur son enseigne­ ment; il n’hésita même pas. à la fin de sa lettre, Episl,, lxxxiii, à condamner ceux qui niaient la ma­ ternité divine de Marie cl qui divisaient en deux son fils unique. Des explications aussi loyales ne diminuèrent pas la rancune de Dioscore. En vain, Théodorel l’in vit a-til, lui et scs amis, à relire scs sermons et scs livres, non seulement les plus récents, mais même les plus anciens, les mettant au défi d’y trouver la doctrine des deux fils, l’intraitable évêque d'Alexandrie n’en poursuivit pas moins ses manœuvres. Il commença par jeter l'anathème ù Théodore! ; puis il réussit par scs intri­ gues A mettre la cour impériale en mouvement. Un édit de 448 interdit A Théodore! de dépasser les limites de son diocèse cl surtout d’aller prêcher A Antioche. D'autres édits de 449 lui défendirent de se présenter au concile qui venait d’être convoqué A Éphèse, A moins qu’il ne fût invité par le concile lui-même. Naturellement, il ne le fut pas. Bien au contraire, le concile déclara déchu de l'épiscopat l’évêque de Cyr, de même que Domnus d'Antioche cl d’autres amis anciens de Nestorius. Théodore! en appela aussitôt un pape saint Léon, dont il connaissait d’ailleurs la lettre A Flavien cl en qui il pouvait être sûr de trouver un protecteur. Episl., exui. Mais cet appel n'avait pas d’effet sus­ 302 pensif. L’évêque de Cyr fut obligé d’abandonner son poste et de sc retirer dans un monastère. Il avait tou­ jours gardé très vif l'amour de sa première vocation et c'est à son corps défendant qu'il avait jadis quitté le cloître pour accepter le fardeau de l’épiscopat : ce fut» semble-t-il, au cours de son exil A A pâmée qu'il rédigea son Histoire ecclesiastique, donnant ainsi un admirable exemple de sérénité et de grandeur d’âme. Cependant, des jours meilleurs ne devaient pas tarder à arriver. Le pape saint Léon, comme il était permis de s’y attendre, cassa les décisions prises par le concile de 449 et le nouvel empereur. Marclcn, rappela Théodore! sur son siège. Bien plus, il lui ordonna de prendre part au nouveau concile qui allait se réunir à Chalcédoine en 451. La présence de 1 évêque de Cyr au concile n'alla pas sans soulever des protestations vio­ lentes de la part des diuscoriens : avant de pouvoir prendre sa place parmi les évêques, il fallut qu il accep­ tât de faire figure d’accusé. Bien plus, on exigea de lui la condamnation expresse de Nestorius à laquelle il n’avait jamais voulu consentir jusqu’alors. Il accepta toutes les conditions et. Je 26octobre 45t.à la huitième session du concile, il declara : · Anathème à Nestorius et ύ tous ceux qui refusent le titre de Mère de Dieu à la sainte Vierge Marie et Λ ceux qui divisent en deux fils le Fils unique, le Monogène. · Après quoi, tous les évêques le proclamèrent docteur orthodoxe el lui ren­ dirent son rang. Après le concile de Chalcédoine, Théodorel put enfin jouir de la paix si laborieusement recouvrée. Il consa­ cra ses dernières années au gouvernement de son dio­ cèse et à ses travaux littéraires, réfutation des héré­ sies cl commentaires de l’Écriturc. De tout cela, l’histoire n’a pas conservé le souvenir, si bien que la date même de sa mort est inconnue. Nous savons seu­ lement. par le témoignage de Gennade. De vir. ill., 86. qu’il mourut sous le règne de l'empereur Léon Ier (457-474). Le comte Marcellin. Chrorucon. ad h. ann., précise que cette mort est à fixer en 466, mais il n’apporte aucune preuve en faveur de cette date. Très discuté pendant sa vie, Théodore! le fut encore après sa mort. 11 avait pris en 438 la défense de Diodore et de Théodore, attaqués par saint Cyrille d’Alexandrie. Lorsqu'au νι· siècle fut soulevée l’af­ faire des Trois-Chapltres, on se souvint de l’appui qu’il avait apporté à la cause de Théodore, de la fidélité personnelle qu'il avait longtemps gardée à Nestorius, de l'opposition qu'il avait faite aux anathématismes de saint Cyrille. Ses écrits furent déférés au jugement du concile de Constantinople en 553; plusieurs pas­ sages en furent lus devant les Pères et finalement une condamnation intervint qui proscrivait les ouvrages de Théodorel contre Cyrille et le concile d’Éphèse. Voir l’art. Tnois-CiiApiTRBS. La mémoire de Théodore! a naturellement souffert des mesures prises contre ses ouvrages par le concile de 553. Cependant, les critiques les plus exigeants onl dû s'incliner devant les hautes vertus de l’homme et de i’évêque. Comme le dit Tlllemont, « son éducation et toute la suite de sa vie particulière a été sainte et édi­ fiante. Il a honoré son épiscopat par des travaux véri­ tablement apostoliques, qui ont eu le succès que Dieu donne d’ordinaire aux pasteurs prudents et fidèles. Il n'y a rien de plus saint, de plus humble et de plus généreux que les sentiments qu'il a fait paraître dans ses afflictions ». Mémoires. t. xv, p. 208. Sans doute on lui a reproché sa longue fidélité ù Nestorius : longtemps il refusa de reconnaître comme valable la déposition de l’évêque de Cons­ tantinople cl d’onalhématiser sa personne. Cette atti­ tude s'explique sans trop de peine si 1 on sc sou­ vient que Nestorius a été condamné ù Éphèse par une assemblée où ses adversaires étaient en majorité el qui 303 THÉODORET — ÉCRITS POLÉMIQUES avait refusé d’attendre l’arrivée de scs partisans. Dès le premier jour, Théodoret avait protesté. Il continua à le faire avec une belle intrépidité et il faut bien avouer que la sentence portée à Éphèsc aurait eu plus de force si elle avait été rendue en des conditions Absolument indiscutables. On sait d’ailleurs que l’évê­ que de Cyr n’était pas homme à fermer les yeux de­ vant les évidences et qu’il n’hésita pas Λ abandonner Alexandre de Hlérapolls, lorsqu'il le vit obstiné dans son attitude. S’il n'abandonna Ncstorius qu'à la der­ nière limite, voir le détail à l'art. Trois-Chapitres, n’est-ce pas qu’il croyait sa personne défendable ? II. Écrits. — Théodoret est un des plus féconds parmi les Pères de l’Églisc : on reste dans l’admiration devant le nombre cl l'importance de ses ouvrages, surtout quand l'on songe qu’il avait la responsabilité d’un vaste diocèse et que, bien loin de négliger les beso­ gnes de son ministère, il les a toujours considérées comme les premières et les plus essentielles de sa vie. 11 est difficile d'ailleurs d’établir la liste complète de | scs écrits. Un certain nombre d'entre eux ont dis­ paru; d'autres ont été conservés sous le couvert d’un pseudonyme. La condamnation portée contre eux au concile de 553 ne leur a pas été favorable et nous de­ vons nous estimer heureux si elle n’a pas eu pour la plupart d’entre eux des conséquences plus fâcheuses. Théodoret lui-même fournit quelques renseigne­ ments précieux sur son activité littéraire. Les lettres lxxxiî, cxiii, cxvi, cxlv, qui datent de 449 et de 450 signalent en effet un certain nombre de scs produc­ tions antérieures et l’une d'elles, Epist., cxlv, évalue à trente-cinq le nombre des livres qu’il a écrits jus­ qu'alors : πέντε καί τριάκοντα συνεγράψαμεν βίβλους. P. G., t. lxxxîii, col. 1377 A. Il s'agit chaque fois, pour l’auteur, de montrer qu’il n'a pas eu à changer . d’opinion et qu’il a toujours ffdèlcrnent suivi l'ensei­ gnement de l’Églisc : aussi ne se préoccupe-t-il pas de citer tous ses ouvrages et moins encore de les men­ tionner, comme on a pu le croire d'abord, selon l'ordre chronologique. Pour utiles qu'elles soient, les indica­ tions qu’il fournit de la sorte sont incomplètes. Plus insuffisante encore est la notice consacrée à Théodoret par Gcnnade de Marseille, De vir. Ht., n. 8G. Cette notice n'est pas seulement Incomplète ; elle est pleine de fautes et elle est plus propre à soulever des difficultés qu'à en résoudre. Une autre notice, fournie par l’historien syriaque Ébcdjcsu, dans Assemanl, bibliotheca orientalis, t. in a, Borne, 1725, p. 39 sq., est plus complète; mais elle est loin de donner une pleine satisfaction. Pour fixer la chronologie des œuvres de Théodoret, nous disposons surtout des renseignements que nous fournit l’évêque de Cyr lui-même. D'une part, il lui arrive parfois de renvoyer à telle ou telle de scs œuvres antérieures; de l’autre, il donne Ici ou là des Indica­ tions sur les événements contemporains. On peut de la sorte arriver à connaître les dates, au moins approxi­ matives, de ses principaux ouvrages. Toutefois, il sera plus facile, pour mettre en relief son extraordinaire activité et la multiplicité des domaines où elle s'est exercée, de grouper ici les ou­ vrages de l’évêque de Cyr d’après leur objet. 1· Ouvrages dogmatiques ou polémiques. — La plu­ part des ouvrages dogmatiques de Théodoret présen­ tent en même temps un caractère polémique plus ou moins accentué. Les circonstances dans lesquelles ils ont été rédigés suffisent à expliquer cette particularité. 1· Réfutation des douze anathématismes. — L’ou­ vrage, composé vraisemblablement au début de 431, est perdu soin sa forme primitive. On en connaît plus ou moins exactement le contenu grâce à la réponse de saint Cyrille : Epistola ad Evoptium advenus impugna­ tionem XI/ capitum a Theodoreto editam, P. G., 304 t. lxxvi, col. 385-452; et dans Schwartz, A. C. O., 1.i, vol. i, fasr. 6, p. 107-146. 2. Contre Cyrille et le concile d'Êphèse. — Cet ou­ vrage a dû être écrit très peu de temps après le concile, soit à la fin de 431, soit au début de l’année suivante. Il comprenait cinq livres. Condamné par le concile de 553, il était encore entre les mains de Photius, Hiblio· theca, cod. 46, P. G., t. cm, col. 80 BC; mais il a dis­ paru depuis. Il en reste une Importante collection d’ex­ traits dans une traduction latine : Fragmenta Theodoreti ex libris quinque adversus beatum CyriHum sanctum· que concilium Ephesinum. conservée par la Collectio palatina, dans.*!. C.O., t. i, vol. v, p. 165-170; cf. P. L., t. xLvin, col. 1067-1076. Quelques fragments grecs donnés comme provenant d'un I Ιεντάλογος de Théodo­ re! ont été publiés par Gamier et reproduits dans P. G., t. lxxxiv, col. 65-88, mais il y aurait lieu de les sou­ mettre à une critique sévère. Cf. A. Ehrhard, Dit Cyrill von Alexandrien zugeschriebene Schrift Περί της του Κυρίου ένανΟρωπησεως, Tubl n gu e, 1888, p. Il6sq„ 137 sq.; E. Schwartz, Die sogenannten Gcgenanalhema· tismen des Nestorius, Munich, 1922, p. 30 sq. Une tra­ duction du florilège du 1. IV est publiée à la fin du traité du pape Gélase, éd. Schwartz, Publizistiche Sammlungen zum acacianischcn Schisma, dims les Abhandlungen de l'Acad. de Bavière, philos.-hist. AbtclL, neue Folgc, t. x, 1934, p. 96-106. 3. De sancta et vivifica Trinitate et de incarnatione Domini. — Cet écrit, divisé en deux, nous a été con­ servé sous le nom de Cyrille d'Alexandrie, P. G., t. lxxv, col. 1147-1190; 1419-1478. En réalité, Il ne s'agit pas de deux ouvrages différents, mais de deux parties d'un seul ouvrage, et celui-ci n'est pas dû à saint Cyrille, mais à un théologien de l’école d'Antio­ che, comme il est facile de s'en rendre compte d'après la doctrine qui y est exposée, et plus précisément en­ core à Théodoret; cf. A. Ehrhard, op. cil., et E. Schwartz, Zur Schriflslellerei Theodoreis, dans les Comptes rendus de l'Acad. de Bavière, philos.-philo!, und hist· Klassc, 1922, fasc. 1, p. 30-40. Théodoret, en effet, dans des lettres écrites en 449-450, parle d’un ouvrage qu’il a consacré, longtemps auparavant, Περί θεολογίας καί της θείας ένανΟρωπησεως, Epist., exui, P. G., t. lxxxîii, col. 1317 A, ou De sancta Trinitate et de divina dispensatione, dans le Synodicon, n. 129 (40); cf. Epist., cxlv, P. G., t. lxxxîii, col. 1377. L'ouvrage, dirigé contre « les héritiers de la vanité d'Apollinaire» a pu être écrit avant le conciled'Êphèse; il semble bien avoir été retouché par son auteur en 432. 4. Défense de Diodore et de Théodore. — Ouvrage perdu. Théodoret a dû le composer vers 438, en ré­ ponse à l'écrit de saint Cyrille, Contra Diodorum et Theodorum. Des extraits en furent lus au brigandage d'Êphèse, en 449; nous en avons une traduction du syriaque dans J. Fleming, Akten der ephesenischen Synode oon Jahre 4/9, Berlin, 1917, p. 105 sq. Théo­ doret mentionne cet ouvrage, Epist., xvi, P. G., t. lxxxîii, col. 1193 B. 5. Contra arianos et eunomianos. — Cité à plusieurs reprises par Théodoret, sous différents titres, Epist., cxni, lxxxiî, cxvi, cxlv; Hierct. fabul. comp., v, 2; In I Cor., xv, 27. Garnier, qui croit reconnaître l’œu­ vre de Théodoret dans les cinq Dialogues sur la sainte Trinité et dans les deux Dialogues contre les macédo­ niens, attribués par la tradition manuscrite à saint Athanase ou à Maxime le Confesseur, P. G., t. xxvm, col. 1115-1268, 1291-1338, Identifie les Dialogues i cl n sur la Trinité à l’écrit Contre tes ariens et les eu no mie ns. Cette opinion a été vivement combattue : DrAseke attribue les trois premiers dialogues à /Kpollinalre de Laodlcéc, ce qui est invraisemblable; Stolz voit dans les sept dialogues l’œuvre de Didyme, ce qui n’est pas j beaucoup mieux fondé; Loofs estime que les Dialogua 305 THÉODORET — ÉCRITS POLÉMIQUES sur la Trinité ont dû être rédigé· entre 395 et 430, tandis que les Dialogues contre les macédoniens sont plus anciens et remontent aux années 380-390; Il pense, par suite, que le nom de Théodoret pourrait être re­ tenu pour les Dialogues sur la Trinité. Le problème demeure entier et mériterait un nouvel examen. Il semble, en tout cas, que l'ouvrage de Théodoret contre les ariens et les cunomlens n dû être écrit avant le concile d'Êphèse. Plus tard, l'évêque de Cyr n’aurait pas eu le temps ou l’occasion de s'occuper d’hérétiques qui avaient cessé d'être vraiment dangereux. 6. Contra macedonianos, Πράς τούς τα Μακώονίου νοσούντας, Epist., lxxxiî, P. G., t. lxxxîii, col. 1265 A, intitulé encore De Spiritu Sancto, Περί του άγιου πνεύματος, en trois livres. Hæret. /ab. comp., v, 3. Contemporain de l’ouvrage contre les ariens, cet écrit a disparu, à moins qu’il ne faille l’identifier aux Dialogues contre les macédoniens du pseudo-Athanasc. Cf. supra, 5. 7. Contra apotlinaristas, ΙΙρδς τούς την Άπολλιναρίου φρενοβλάβειαν άσπαζομέυους, Epist.. cxlv, col. 1377 B, ou Πρός την ΆπολιναρΙου τερθρείαν, Epist., lxxxiî, col. 1265 A. Rédigé sans doute avant le concile d’Êphèse. Ouvrage perdu. Cf. supra, 5. 8. Contra marcionitas, Πρδς τούς τη Μαρκίωνος σηπεδόνι κατεχομένους, Epist., cxlv; cf. Epist., lxxxiî : Πρός την Μαρκίωνος λύτταν; Epist., cxvi : Κατά Μαρκίωνος. Théodoret s’efforçait de prouver que Dieu n'est pas seulement bon, mais qu'il est également juste et qu'il n'est pas, comme le prétendent les inarcîonltes. le sauveur de créatures étrangères, mais celui de ses propres créatures. En rédigeant, avant 431. cet ouvrage contre les marcionltes, Théodoret avait en vue le salut de ses diocésains, parmi lesquels se trouvaient de nombreux disciples de Marclon. Comme les précé­ dents, l'ouvrage est perdu. 9. Expositio rectœ confessionis, conservée sous le nom de saint Justin, P. G., t. vi, col. 1208-1240. Cet ouvrage a été justement restitué à Théodoret, dont il est un des premiers écrits; cf. J. Lebon, Restitutions à Théodoret de Cyr, dans Rev. d’hist. eccl., t. xxvi, 1930, p. 536-550; M. Richard, L’activité littéraire de Théo­ doret avant le concile d’Êphèse, dans Revue des sciences phil. et théol., I. xxiv, 1935, p. 83 sq. 10. Liber mysticus, Μυστική βίβλος, en douze livres ou λόγοι, qui défendait les mystères de la fol contre les attaques des hérésies, Epist., lxxxiî; Hartl. fab. comp.9 v, 2, 18. Ouvrage perdu, et connu seulement par les allusions indiquées. 11. Eranistes seu Polymorphus, Έρανιστής ήτοι πολύμορφος, P. G., t. lxxxîii, col. 27-336, contre les monophysites. Dans l'introduction, Théodoret ex­ plique que le monophysisme n’est qu'une forme nou­ velle des anciennes hérésies : après Simon le magicien, Cerdon et Marcion, Valentin et Bardcsnnc, Apollinaire, Arius et Eunomlus, Eutychès vient Λ son tour mendier la crédulité du public. On ne s'y trompera pas et on chassera honteusement ce mendiant aux cent visages. L’ouvrage lui-même est constitué par trois dialogues entre l'orthodoxe et le mendiant; Théodoret montre successivement que la nature divine dans le Christ est Immuable, άτρεπτος; que, dans le Christ, la nature divine et la nature humaine demeurent sans mélange, άσύγχυτος; enfin que la nature divine est par ellemême impassible, απαθής. Les trois mots άτρεπτος, άσύγχυτος, απαθής, servent de titres aux trois dialo­ gues. Chaque dialogue est suivi d’un recueil de textes patristiques. Le florilège de Théodoret s'inspire d’un florilège antérieur, rédigé en 431, après le concile d'Êphèse, par les évêques du patriarcat d’Antioche, pour combattre la christologie de saint Cyrille et particulièrement VApotogeticus pro XII capitibus adversus orientales ( 306 episcopos. Le compilateur de ce premier florilège pa­ raît avoir été l'évêque Helladius, de Ptolémgfs en Phénicie. .Mais Théodoret sc garde bien de reproduire telle quelle l'œuvre de son devancier; il y ajoute plu­ sieurs citations des ouvrages de saint Cyrille; par contre, il en retranche les textes empruntés ù Théodore de Mopsueste et h Diodore de Tarse, qui sont suspects aux yeux de beaucoup. ï/Eranistes était achevé en 448, comme le prouve une lettre de cette année-là, qui le cite équivalcmment, Epist., lxxxiî, col. 1272 C: cf. Epist., xvi, col. 1193 B, el exxx. col. 1346 CD. Selon L. Saltet, Théodoret en donna, un peu plus tard, une seconde édition, revue et corrigée; en particulier. Il tint à revoir le florilège et à l'augmenter en utilisant les textes patristiques cités parle pape saint Léon 1er dans sa lettre à Elavien.C’est cette seconde édition que nous avons conservée. Cf. L. Saltet, Les sources de T'Epa^errr^ de Théodoret, dans Revue d’hist. eccl., t. vi, 1905, p. 289-303. 513-536, 741754. Cette hypothèse émise dans Vart. cit., p. 289-298 et reprise par M. Richard. Rev. des sciences rel., t. xiv, 1934, p. 57 «q., d’une deuxième édition faite par Théodore! lui-même après Chalrédoinc doit être aban­ donnée. C'est un copiste cl non Théodoret qui a inséré dans le florilège de V Eranistes celui de saint Léon. Parmi les œuvres théologiques de Théodoret, l'Era­ nistes occupe la première place. L’évêque de Cyr donne là une réfutation méthodique et serrée del’cutychianisme; et, tout en évitant avec soin les formules naguère employées couramment par les théologiens de l’école d'Antioche, Il établit nettement la distinction entre la nature divine cl la nature humaine dims l’uni­ que personne du Christ. Il sc montre ainsi en Orient le meilleur défenseur de l'orthodoxie. 12. Photius, Ribliotheca, cod. 46, signale vingt-sept traités contre différentes thèses, λόγοι κζ* πρός διαφόρους θέσεις, qui sont répandus sous le nom de Théodoret el qui sont divisés en deux livres. Le second de ces livres, comprenant d’après Photius les traités vm-xxvn, cl en réalité les traités vii-xxvii, n’apparllcnt certainement pas à Théodoret, mais, comme on l'a depuis longtemps reconnu, à Euthérius de Tyane. Cf. G. Ficker, Euthérius von Tyana, Leipzig, 1908, p. 3 sq.. 38 sq. Le I. I, ou tout au moins les traités i-v paraissent irrémédiablement perdus. Les trois pre­ miers de ces traités s’élevaient contre la doctrine d’une nature unique dans le Christ; le iv* expliquait l’ensei­ gnement des saints Pères sur l'incarnation; le v* reve­ nait sur la négation de la dualité des natures dans le Christ et le vi* s'efforçait de montrer que Noire-Sei­ gneur Jésus-Christ est un seul Fils. 6τι είς έστίν υΙός ό κύριος ήμών ’ Ιησούς ό Χριστός. On admet volontiers que ce dernier traité est à Identifier avec le livre édite en 1759 par Bongiovanni sous le nom de Théodoret, bien qu’il soit anonyme dans la tradition manuscrite, ’Ότι καί μετά την ^ανθρώπησιν είςυίός ό κύριος ημών ’Ιησούς Χριστός, P. G., 1. lxxxîii, col. 1433-1440. Pour vraisemblable qu’elle soit, l'identification n’est pas au-dessus de tout soupçon. M. Richard y volt un factum composé par Théodoret pendant l’hiver de 448-449, pour protester contre les accusations dont il était l’objet. Cf. Rev. des sciences rel., t. xiv, 1934, p. 34-61. 13. Ébcdjésu, et lui seul, parle d'un traité de Théo­ dore t A dvers us Origencm; rf. Asseinani,B(è/io//i. orient., l. in a, p. 40. On n’a aucune trace de cet ouvrage, qui, s’il a existé, n’était sans doute pas authentique. 14. Un Libellus contra Nestorium ad Sporadum, P. G., t. lxxxîii, col. 1153-1161, reproduit littérale­ ment le chapitre consacré :t Nestorius dans le thrreticarum fabularum compendium cl le tait suivre d’une nouvelle polémique contre Nestorius. 11 n’a aucune chance d’être authentique. 307 THÉODORET. ÉCRITS APOLOGÉTIQUES 308 2° Ouvrages apologétiques. — Théodoret a eu plu- 1 aussi la plus belle des apologies contre le paganisme sieurs fois l'occasion de prendre la défense du christia­ et ce Jugement est des plus mérités. Pourtant Théodo­ nisme contre les païens et les Juifs. Il est le dernier des re! était encore au début de sa carrière lorsqu'il l'écri­ grands apologistes do l’antiquité. vit, s’il est vrai qu'il le composa avant 431, commole pense M. Richard, art. cit., sur de bons argumenti. 1. Un ouvrage Ad qmrsita magorum, Πρός τάς πτύσεις των μάγων, Epist., Lxxxn, col. 1265 Λ, Les citations qu'en donne Fauteur lui-même, ou le» allusions qu'il y fait, Epist., cxm, cxvi; Quast. m ou Πρό; τούς b Περσίδι μάγους, Epist., exil!, Levit., i, ne fournissent aucune précision supplémen­ col. 1317 A n’est connu que par quelques allusions de l'auteur. Le ms. Coislin ü, fol. 115 v· contient un taire. L'œuvre comprend douze livres : le premier traite fragment assez important : Θεοδω(ρή)τ(ου) έχ τού de la fol et de sa nécessité comme fondement de la v' λόγου τού κατά Μανιχαίων, inc. Τούτο βμοιον τό υπό Παύλου λεγόμενον, qui mériterait d’être examiné. connaissance religieuse. Les suivants sont consacrés À l’existence et 5 la nature de Dieu, 1. 11; ù la doctrine 11 était dirigé contre les mages persans ù l’instigation desquels avait été déclenchée la longue et douloureuse chrétienne sur les anges, par rapport ù la doctrine païenne sur les dieux, 1. III; à la matière et au monde persécution de Bahram 1er et de Jazdegerd II; il répondait à leurs griefs contre le christianisme et com­ visible, 1. IV’; ù la nature de l’homme, qui est la plus parfaite des créatures terrestres, 1. V; à la Providence battait l'adoration du feu. Cf. Hist. eccl., V, xxxviii; qui veille sur toute la création, 1. VI; au sacrifice, qui Qutcsliones in Levit., î. J. Schulte, Theodorei non Cyrus ais Apologet, ein BeiIrag zur Geschichte der A polo· est l’expression la plus achevée de l’adoration, I. Vil; gettk. Vienne, 1904, p. 2-6, place en 429-430 la com­ au culte des saints et des martyrs, I. V'IIl; aux lois païennes comparées aux exigences de la morale chré­ position de ect ouvrage et en voit l'occasion dans un tienne, 1. IX; aux oracles païens et à leur origine, 1. X; appel que les chrétiens de Perse eux-mêmes auraient adressé è Théodoret. En toute hypothèse, l’évêque de à la fin du monde et au jugement dernier, 1. XI; enfin à la vie pratique des philosophes païens et des disciples Cyr avait bien des raisons pour s’intéresser aux mages du Christ, 1. XII. Λ première vue, on découvre mal et pour en dénoncer les doctrines. Cf. J. Bidez et l’idée générale qui préside à l'enchaînement des livres, J. Cumont, Les mages hellénisés, Paris, 1938. et souvent des digressions viennent encore obscurcir le 2. Un ouvrage Contra judiros, ΙΙρός ’Ιουδαίους, plan de l’ensemble. Cependant, Théodoret indique Epist., cxiii et cxv, ou Κατά ’Ιουδαίων, Epist., cxvi, l'ordre qu'il sc propose de suivre, lorsqu'il explique, au datant lui aussi des premières années de l’activité début du 1. I, que la foi précède la science, et que la littéraire de Théodoret, est perdu, à l’exception peutêtre d’un assez long fragment, conservé par un manus­ science conduit à Faction; après un livre sur la fol, vient en ellct un exposé de la doctrine chrétienne, crit de Florence, sous le titre de Quæstioncs adversus 1. I I-Vl ; puis un exposé de la vie chrétienne, 1. VIIjudxos cum elegantissimis solutionibus, ’ Ερωτήσεις κατά XI. ’Ιουδαίων μετά χαρςεστάτων λύσεων. Ccs quaestiones Pour parler du paganisme, Théodoret cède habi­ sont anonymes; mais la langue et le style sont ceux de tuellement la place 5 des écrivains païens. Selon les Théodoret et, ce qui est plus important, questions et statistiques données par Schulte, il ne cite pas moins solutions trouvent dans les œuvres authentiques de de cent cinq philosophes, poètes, historiens ou autres l'évêque de Cyr des parallèles très nombreux. L’auteur met en relief la valeur propédeutique de l'Ancicn Tes­ auteurs profanes; trois cent quarante citations environ expriment le témoignage de ces écrivains : elles sont tament qui prépare et symbolise la nouvelle alliance. Cf. J. Schulte, op. cit., p. 6-22. Le fragment de Flo­ pour nous d’autant plus précieuses que, souvent, elles nous font connaître des œuvres aujourd’hui perdues. rence n’est pas reproduit dans P. G. On le trouvera Sans doute, l’érudition de l’évêque de Cyr n’est pas dans l’ouvrage cité de Schulte ou dans celui de habituellement de première main : elle doit beaucoup A.-NL Bandini, Catalogus codicum manuscriptorum en particulier a deux apologies antérieures, la Démons­ bibliothccic Medicem-Laurentiam?, t. î, Florence, 1764, tration évangélique d’Eusèbe de Césarce et les Stroma· p. Il" 112. 3. I ne série de discours sur la providence divine. De i tes de Clément d’Alexandrie. Ce qui n’est pas emprunté à Eusèbe et à Clément provient, pour une bonne part, providentia orationes decem, ΙΙερΙ προνοίας λόγοι δέκα, de florilèges païens, comme les Placita d’Aétius. En nous a été conservée. P. G., t. i.xxxih, col. 555-774. utilisant de pareils recueils, Théodoret se conforme à Le x· traite de l’incarnation; la doctrine qui y est l’usage de son temps; il va sans dire qu’il s'expose aussi exposée ne permet guère de supposer qu’il ait pu être écrit avant le concile d’Éphèsc, comme on le dit ordi­ I Λ bien des erreurs, puisqu'il reproduit de confiance ce qu’il a trouvé dans scs sources, sans sc soucier le moins nairement. Ces discours se proposent de justifier la providence de Dieu contre les objections des païens et du monde de recourir aux originaux. traitent, les cinq premiers des désordres apparents qui | Ces remarques n'enlèvent rien ni à la valeur de l’ou­ régnent dans le monde physique, les cinq derniers de vrage, ni au mérite de l’auteur. Au v· siècle, le paga­ ceux qui troublent la vie morale et sociale. Finale- I nisme ne présentait évidemment pas pour l’Eglise ment l'auteur est amené â conclure que la plus grande chrétienne un danger aussi grand qu'au il· cl l’apolo­ preuve de la providence est fournie par l'incarnation gétique était un genre littéraire bien défini, avec se» du Fils de bleu. En dépit de certains détails d’un goût usages et scs règles. Lorsqu'on n'avait pas nfïairc Λ un ou d’une valeur discutable, l’ensemble est fort beau : adversaire nettement défini, à Porphyre ou à Julien Théodoret manifeste 5 la fois l'étendue de son érudi­ par exemple, dont les ouvrages trouvaient encore de tion et la profondeur de son sens chrétien, pour traiter fervents lecteurs, on était plus ou moins obligé de un sujet difficile et toujours nouveau malgré les appa­ suivre ccs règles et l’on s’exposait à composer une rences. œuvre assez artificielle et assez froide. Cependant il 4. Gnrcarum affectionum curatio. — Le plus impor­ n'était pas inutile de reprendre, pour l’opposer aux tant des ouvrages apologétiques de Théodoret est doctrines païennes, la somme de la doctrine chré­ celui qui porte le titre de Gnrcarum affectionum tienne : dans les milieux cultivés, le paganisme connais­ curatio seu evangehcie veritatis ex gentilium philo­ sait un renouveau; on s'y Intéressait soit pour faire sophia cognitio, 'Ελληνικών θεραπευτική παθημάτων opposition au gouvernement, soit pour chercher h εύαγγελ-.κής αλήθειας έξ ελληνικής φιλοσοφίας satisfaction de certaines aspirations mystiques, soit έπίγνωσις, P. G., t. lxxxih. col. 783-1152. On a dit pour maintenir les vieilles traditions. Théodore! ne maintes fols que cet ouvrage était la dernière mais lutte pas contre des fantômes lorsqu’il présente à ses 309 THÉODORET. ÉCRITS EXÉGÉTIQUES lecteurs un remède aux maladie* causées par l’hellé­ nisme. Il est d’ailleurs le dernier à entreprendre une œuvre d’ensemble. Après lui, les dangers du paganisme vont en s’affaiblissant, tandis que d’autres adversaires sc présentent contre lesquels il faudra des armes nou­ velles. Après lui aussi, pendant longtemps, l’Église d’Oricnl n’aura plus de lutteurs capables d’écrire des livres aussi puissants et aussi fortement construits que lu Curatio, 3° Ouvrages exégéltques, — Comme tous les théolo­ giens de l’école d'Antioche, Théodoret s’est beaucoup occupé de la Bible. Ses ouvrages exégellques s’éche­ lonnent à peu près tout le long de sa carrière d’écri­ vain. Les uns sont des commentaires suivis de tel ou tel livre biblique; les autres répondent à des difficultés particulières et ressortissent au genre littéraire des Questions et réponses. 1. Questiones in Octateuchum, P. G., t. lxxx, col. 75-528. — En dépit du litre, la plupart des ques­ tions étudiées dims cet ouvrage sont relatives au l’cnlateuque. Josué, les Juges et Buth ne sont traités que sommairement et seulement par manière d’appendice. Les questions soulevées sont d'ailleurs très variées, comme aussi l’étendue et la valeur des réponses. D’après la préface, l’ouvrage a été composé à la de­ mande d’IIypatius. le plus cher des fils de Théodoret. Comme dans les Questions sur le Lcvilique, 1, l’auteur renvoie à plusieurs de ses écrits antérieurs, en parti­ culier à ceux contre les hérésies, έν τοϊς προς τάς αΙρέσεις, c’est-à-dire a VH creticarum fabularum com­ pendium, qui a été rédigé après 153. il s’ensuit que les Questions datent des dernières années de la vie de l’évêque de Cyr. Le texte de l’ouvrage, tel qu’li a été édité, est loin d’étre sûr : on trouve par exemple dans les questions sur la Genèse 20-22. 25, 28, 39-40, de lon­ gues citations de Diodore, de Théodore cl d’Origène, qui ont été introduites 1À par des copistes. Il y aurait lieu d’étudier de près la tradition manuscrite de l’œu­ vre entière, comme aussi bien celle de tous les écrits exégétiques de Théodoret. Celui-ci a été l’un des auteurs les plus habituellement cités par les compilateurs des chaînes; il a même, en bien des cas, fourni le texte central autour duquel les caténlsles ont groupé leurs extraits. 11 n’est pas surprenant, dans ces conditions, que bien des fragments étrangers aient pris le nom de Théodoret ou que, inversement, bien des fragments de Théodoret nous soient parvenus sous un nom différent du sien. 2. Quiestioncs in libros Regnorum cl Paralipomenon, P, G„ t. lxxx, col. 527-858.- Ces questions sont pré­ sentées comme la suite des questions sur l’Octalcuque et elles ont été clics aussi écrites à la demande d’Hypallus. Le nom des Paralipomènes qui figure dans le litre ne doit pas nous faire illusion. Théodoret ne consacre qu’une question à chacun des livres des Chroniques et l’on peut se demander s’il n’a pas éprouvé une lassitude croissante à répondre Λ des pro­ blèmes dont beaucoup devaient lui paraître de peu d’importance. 3. Interpretatio in Psalmos, P. G., t. lxxx, col. 8571998; cf. t. lxxxiv col. 19-32. — Théodoret a publié un commentaire sur tout le psautier; et tout le long de l’ouvrage, il commence par reproduire le texte du fragment qu’il va expliquer, puis il donne l’explication elle-même, de telle sorte que nous connaissons bien la recension qu’il a eue entre les mains. Cf. E. GrosscBrauckmann, Der Psallertexl bei Theodorei, dans Nachrichten der kgl. Gescllsch, der Wissensch. :u Gottingen, phllol. hisfor. KL. 1911, p. 336-365. De nombreuses chaînes nous ont conservé en tout ou en partie ce commentaire; mais il est arrivé trop souvent que le nom de Théodoret a été confondu avec celui de j 310 Théodore de Mopsueste ou d’un des autres Théodore connus par la tradition; de la sorte, bien des erreurs ont été commises lorsqu'on s’est avisé d’imprimer les chaînes ou de reconstituer d’après clics le commen­ taire de tel ou tel auteur. On ne peut avoir dans nos textes imprimés qu’une confiance assez limitée. Jus­ qu'au Jour où la critique aura achevé de démêler l'écheveau embrouillé de la tradition manuscrite. Cf. K. Devrcessc, Chaînes exégétiques grecques, dans Supplément du Dictionnaire de la Eible, l. r, col. 1135 sq. Sur la nature de son commentaire des Psaumes, Théodoret s’exprime ainsi : · J’ai pris connaissance de divers commentaires dont les uns tombaient Jusqu’à l’excès dans l’exégèse allégorique, tandis que les au­ tres cherchaient à appliquer les prophéties ellesmêmes à l’histoire du passé, de telle sorte que leur interprétation s’adressait plutôt aux juifs qu'aux chré­ tiens. J’ai regardé comme de mon devoir d’éviter éga­ lement ces deux extrêmes. Tout ce qui s’accorde avec l’histoire ancienne doit lui être reconnu. Mais les pré­ dictions qui concernent le Christ Notre-Seigneur, l’Église des nations, l’expansion de l’Évangile, la pré­ dication des apôtres ne doivent pas être détournées de leur véritable sens et appliquées à d’autres objets, comme si elles avaient été réalisées par les Juifs. » Pr^f., t. lxxx. col. 860 CD. 11 est facile de reconnaître les adversaires à qui s’oppose Théodoret : les allégorlsles ont pour chef Origènc; les historici st es, Théodore de Mopsueste. Entre les uns et les autres, l’évêque de Cyr sc propose de tenir la balance égale : il ne nie pas l’existence des psaumes messianiques, comme le con­ cile de Constantinople devait reprocher, bien Injuste­ ment d’ailleurs, à Théodore de Mopsueste de l’avoir fait, mais il refuse de sacrifier aux fantaisies de l’allé­ gorie. H suit la vraie croyance, tout en sc rattachant aux traditions d'exégèse historique qui caractérisent l’Écolc d’Antioche. Dims la même préface, Théodoret déclare qu’il avait eu l’intention et le désir de commenter le psautier avant d’avoir entrepris l’étude d’aucun autre livre biblique. Mais cette intention a été maintes fois entra­ vée cl des invitations pressantes l’ont obligé à écrire d’abord les commentaires du Cantique des Cantiques, de Daniel. d’Ézéchiel. des douze petits prophètes. Ce n’est qu'oprès avoir satisfait aux désirs de ses amis qu’il a pu se mettre à l’élude des psaumes. Il est dif­ ficile de préciser davantage la date de ce commentaire, dont il est fait mention Epist,. lxxx». cl Qiuest, in II Rcgn., xlih. 4. Interpretatio in Canticum Canticorum, P. G,, t. lxxx!. col. 27-214. — Ce commentaire, comme nous venons de le voir, est signalé dans le prologue du com­ mentaire des psaumes : il a dû être un des premiers travaux exégétiques de Théodoret. Son authenticité avait été naguère contestée; cf. Garnier, dans P, G„ t. lxxxiv, col. 217 sq.; elle semble aujourd’hui hors de doute; car aux environs de 585. le pape Pélage II cite déjà cet ouvrage sous le nom de Théodoret. Epist., v. 20. P. L., t. lxxii, col. 736. L’évêque de Cyr rédigea l’explication du Cantique à la demande d’un certain Jean, que l’on identifie parfois à Jeun d’Antioche (429-441), mais qui est plus probablement Jean de Germanide (431-459). 11 déclare, dans son introduc­ tion, que le Cantique est un livre spirituel, πνευματικόν βιβλίου, c esl-ù-dirc qu’il célèbre non pas des amours humaines, mais l’amour du Christ pour son Église. Il semble bien d’ailleurs avoir utilisé le commentaire d’Origène. W. Blcdcl, Die Auslcgung des Hohcnhcdts in der judischtn Gemcinde und der griechischen Kirche, Leipzig, 1898, p. 86-95. 5. In Isaiam commentarius, éd. A. Mohlc, Berlin, 1932. — Jusqu'à ccs dernières années, on n’a connu le commentaire de Théodoret sur Isaïe que par un recueil 311 THÉODORET. ÉCRITS EXÉGÉTIQUES 312 ses commentaires ont souvent l'honneur de figurer au d'extraits empruntés aux chaînes, Interpretationis in Isaiam epitome, P. G., t. lxxxi. col. 215-495. Le texte centre de la page, c'est-à-dire d'être regardés comme le complet a été retrouvé dans un manuscrit de Cons­ texte à compléter ou à interpréter par d’autres. De fait, on peut louer sans réserve la clarté de ses explica­ tantinople. Il fournit une importante contribution à tions et le judicieux bon sens qui y préside. Théodore! notre connaissance de l’exégèse de Théodoret· 6. Interpretatio in Jeremiam, P. G., t. lxxxi, col. n'est pas homme Λ chercher mille subtilités dans le texte biblique. S’il connaît à fond le syriaque qui est 495-806. — Théodoret n’y explique pas seulement le livre de Jérémie, mais encore Baruch et les Lamenta­ en quelque sorte sa langue maternelle, il ne sait pas l’hébreu cl c'est toujours le texte grec de la Bible qui tions. D’après la note qui termine l’ouvrage, il l’a rédigé après avoir achevé de commenter les autres est a la base de ses commentaires. Il lui arrive parfois prophètes : de fait, on y trouve des mentions des com­ de citer les traductions d’Aquila, de Syminaque, de Théodotion; il n’en reste pas moins fidèle aux Sep­ mentaires sur Isaïe et sur Ézéchiel. tante et utilise, comme les autres Antiochiens, la re­ 7. Interpretatio in Ezechielem, P, G., t. lxxxi, col. 807-1255. — Rédigée, d’après le prologue du com­ cension de Lucien. Comme il cite toujours le texte qu’il mentaire des Psaumes, après le commentaire sur commente, on conçoit que ses ouvrages permettent aux critiques de mieux connaître cette recension Daniel. luciantque : encore faudrait-il, pour qu’ils rendissent 8. Interpretatio in Danielem, P. G., t. lxxxi, col. 1256-1545. — Ce serait le plus ancien des commen­ tous les services qu’on peut en attendre sur ce point, taires sur les prophètes et sa composition aurait suivi qu'on en possédât des éditions critiques, ce qui est loin d’élre le cas. Trop rares sont les écrits de Théodo­ immédiatement celle du commentaire du Cantique. Théodoret y combat les Juifs avec une énergie très ret, en particulier ses commentaires, qui ont été l’objet d'études complètes dans leur tradition manuscrite. spéciale. Il leur reproche en particulier de n’avoir pas Il est à peine besoin d'ajouter que l’évêque de Cyr compté Daniel au nombre des prophètes. Il explique, s’attache surtout au sens historique des Livres Saints: en bonne place, le cantique des trois enfants dans la fournaise, mais non pas les passages sur Suzanne et il n’aurait pas été un anliochien s'il avait agi autre­ ment. Mais il ne se croit pas obligé pour autant de sur Bel et le dragon. Il est fort possible qu’il n’ait pas renoncer â chercher des applications morales ou même regardé ces passages comme canoniques, bien qu’il lui arrive de faire allusion â l'histoire de Suzanne. EpisL, des exégèses allégoriques. On a depuis longtemps re­ ex, P. C., t. lxxxiii, col. 1704. Cf. L. Canet, Pour marqué à quel point il s’oppose ici à Théodore. Sans l’édition de saint Jean Chrgsostome, λόγοι κατά ’ Ιουδαίων doute, il regarde Théodore de Mopsucste comme un et de Théodoret, ύπόμνημα είζ τάν Δανιήλ, dans Me­ des maîtres incontestés de l’Égiise, cf. Hist, eccl., V, xxxix; il écrit, contre Cyrille d’Alexandrie, un ou­ langes d’archéologie et d’histoire, t. xxxiv, 1914, p. 97200. vrage pour le défendre des attaques dont il est l’objet; s’il évite de le citer dans les florilèges de l’Eranistes, 9. Interpretatio in duodecim prophetas minores, P, G., t. lxxxi, col. 1545-1988. — Rédigée, semble-t-il, après c'est pour éviter de donner prise aux critiques de* monophysites qui n'admettaient pas son autorité, le commentaire sur Ézéchiel. Eran., I, P. G., t. lxxxiii, col. 80 C; cf. Epist., xn. 10. Interpretatio in quatuordecim epistolas S. Pauli, P. G,, t. lxxxii, col. 35-878, et aussi dans la Biblio­ Mais, lorsqu’il s'agit d’exégèse, il n’hésite pas à prendre parti contre lui. Théodore regardait le Cantique des theca Patrum Ecclesia qui ante Orientis et Occidentis Cantiques comme un chant nuptial composé â l’occa­ schisma fhiorerunt, t. i, 1852, par C. Marlott, t. il, sion du mariage de Salomon avec une princesse égyp­ 1870, par P.-E. Pusey; on trouvera dans cette édition tienne : Théodoret, sans d’ailleurs nommer Théodore, seulement l’exégèse de Gai., n, 6-14. Parmi les livres déclare que cette explication est un conte que n’ose­ du Nouveau Testament, Théodoret n’a commenté que raient pas soutenir des femmes stupides, In Gant., proles Épttres de saint Paul; cf. Episl,, î, n, lxxxii, log., t. lxxxi, col. 29. Théodore ne reconnaissait que cxiii; Quasi. in Levit., 1. Ce commentaire a dû suivre ceux de ΓAncien Testament, mais il est antérieur aux , quatre psaumes messianiques : Théodoret déclare que Questions. les psaumes n'ont pas tant été écrits pour les Juifs 11. On attribue parfois à Théodoret les Quastiones que pour les chrétiens, parce qu’ils contiennent de nom­ et responsiones ad orthodoxos qui figurent dans certains breuses prédictions et que même les souvenirs du manuscrits sous le nom de Justin et dont on possède ! passé sont orientés vers l’avenir. In psalm., prolog., deux éditions notablement diflérentes : l’une, dans les t. lxxx, col. 860. On pourrait multiplier les exemples. Volontiers, l’évêque de Cyr se plaît ύ montrer dans œuvres de Justin, P. G., t. vi, col. 1249-1400; l’autre donnée par Papndopoulos-Kérameus dans les Zapiski ' l'Ancien Testament le symbole ou le type des réalités de la faculté d'histoire et de philologie de Pétcrsbourg, | du Nouveau. Il insiste avec complaisance sur la con­ t. xxxvi. 1895. La plupart de ces questions sont rcla- | descendance de Dieu qui s’est manifesté progressive­ lives à des textes bibliques et soulèvent des problèmes ment à l’humanité cl qui n'a enseigné d’abord aux d’exégèse; mais plusieurs autres ont un contenu phi­ Juifs que les vérités qu’ils étaient capables de com­ losophique. On peut regarder comme assuré que l’ou­ prendre. La bénédiction de Jacob sur Juda est une vrage remonte au v* siècle cl qu’il appartient à un 1 prédiction qui a trouvé dans le Christ son plein accom­ écrivain de Γ École d’Antioche. La restitution A Théo­ plissement. Quast. in Genes., 110, t. lxxx, col. 217. La doret de V Expositio fidei, ci-dessus, col. 305, rend assez Pâque est le type de l’agneau sans lâche que nous vraisemblable l’attribution à Théodoret, car les deux | immolons et toutes les prescriptions relatives A la ouvrages sont fort probablement l’œuvre du mémo Pâque sont des préfigurations énigmatiques de nos auteur. D'autre part, trois autres écrits pseudo-jus- mystères, Quast, in Ezcch., 44, t. lxxx, col. 252. En liniens sont certainement sortis de la même plume : les tout cela, Théodoret insiste sur ce qu’avait déjà dit Quastiones Christianorum ad gentiles, les Quastiones Théodore et sc rapproche de saint Jean Ghrysostome. gentilium ad Christianas et la Confutatio quorundam Avant d’être des exégètes, ils sont tous trois des pas­ Aristotelis dogmatum, P. G., t. vi, col. 1401-1564. teurs d’âmes et leurs premières préoccupations vont Théodoret a été maintes fols appelé le plus grand aux troupeaux dont ils ont la charge. Sans doute, exégète de ΓÉcole d’Antioche, sinon de toute l’anti­ Théodoret est plus intellectuel que Jean : celui-ci quité chrétienne. La popularité dont il a joui trouve prononce des sermons, et celui-là écrit des commen­ taires. Mais dans les commentaires de Théodoret, en particulier son expression dans les chaînes : il est un des auteurs qui y sont le plus fréquemment cités et on retrouve le même souci de l’apostolat, le même 313 THÉODORET. ÉCRITS HISTORIQUES 314 désir de lu clarté, la même défiance à l'égard des propose de montrer comment l’amour de Dieu a été explications contournées. Lorsque Théodoret ren­ le principe de toutes les vertus pratiquées par les contre un passage difficile, Il n'hésite pas à le recon­ ascètes. H y a U, selon l’expression de Tillcmont, naître et il lui arrive de sc moquer agréablement des Mémoires, t. xv, p. 330, un modèle d'éloquence, mais commentateurs qui veulent à tout prix expliquer ce il est fort douteux que ce beau morceau ait été écrit qu’ils ne comprennent pas. par Théodoret. Du moins, le problème de son origine Aussi ne cherche-t-il pas à faire parade d'origina­ n'est pas encore éclairci. lité. Il déchire volontiers qu'il s'inspire des Pères, qu’il L'Histoire religieuse est un des plus anciens docu­ transmet les biens hérités des Pères. In Cantie., pro­ ments que nous possédions sur les ascètes orientaux. log., t. lxxxi, col. 48; In Epist. S. Pauli, prolog., Théodoret a connu un bon nombre des personnages t. lxxxii, col. 37. Dans le prologue au livre de Daniel, dont il rapporte l’histoire. Pour ceux qu'il n'a pas vus il écrit : · J'ai rassemblé, en la mendiant auprès de et entendus lui-même, H a tenu ù s'informer sérieuse­ beaucoup de pieux interprètes, un tout petit peu de ment auprès de témoins dignes de foi. Il est impossible de mettre en doute sa sincérité ou même la valeur de science. » T. lxxxi, col. 1257. Dans le prologue aux petits prophètes : · Semblable aux femmes qui filaient son information. On est d'autant plus surpris devant les récits merveilleux dont l’ouvrage est rempli. L’évê­ et qui tissaient la laine demandée ù d’autres et qui achevaient ainsi les tapis de la tente, cf. Exod., que de Cyr ne rapporte pas seulement des prouesses xxxv, 25; xxxvui, 8, nous voulons aussi rassembler extraordinaires en fait de mortification; il raconte les explications que nous avons recueillies de divers aussi des miracles étonnants, avec la plus parfaite côtés et en fabriquer un livre avec l'aide de Dieu. » assurance. Les esprits critiques hésitent devant de pareils récits. Pourtant ils sont garantis par l’indiscu­ Ibid., col. 1548. Evidemment, il ne faut pas exagérer ces déclarations de modestie. Théodoret est tout autre table autorité du narrateur. Le problème qui se pose ici n'est pas spécial à VHistona religiosa, mais il se chose qu'un copiste ou un compilateur : on s'en rendra présente, dans le cas présent, avec de particulières mieux compte lorsqu’on aura fait la recherche à peine difficultés. commencée des sources auxquelles il a puisé et l’on La date de VHistona religiosa est difficile à déter­ pourra alors faire la part exacte de ce qui lui revient en propre. En s'inspirant des anciens, il a d’ailleurs miner avec certitude. On peut cependant noter que Théodoret y indique, c. n, la durée de l’épiscopat suivi l'exemple des autres exégètes : saint Jérôme, d’Acace de Béréc : cinquante-huit ans. Si Acace est pour ne rappeler que le plus grand de tous, n'avait pas agi d'une autre manière. Il avait trop de valeur devenu évêque en 379, comme il est vraisemblable, la personnelle pour se contenter de reproduire ses devan­ cinquante-huitième année de son épiscopat tomberait ciers cl même s’il n’avait pas déclaré qu'il s’était livré en 437, ce qui donnerait un terminus a quo pour 1*His­ toire religieuse. Mais cette série de déductions est fra­ à des recherches personnelles, cf. In Cantic., prolog., gile : Acace semble bien être mort assez peu de temps t. lxxxi, col. 48; In XII prophet. min., prolog., après l’Acte d’union de 433. Les chiflres sont toujours I. lxxxi, col. 1548, on retrouverait sans peine la trace plus ou moins suspects, étant donné la facilité avec de son génie propre. laquelle ils peuvent être modifiés dans les copies. Enfin Il reste vrai qu’aujourd'hui nous nous Intéressons moins à l’exégèse de Théodoret qu’on a pu le faire au­ la date de 379 pour le début de l’épiscopat d’Acace n’est pas assurée. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que trefois. Parce que l’évêque de Cyr est un esprit moyen, Théodoret mentionne V Historia religiosa, sous le nom parce qu'il n’a pas apporté d'idées neuves dans le domaine de la littérature biblique et aussi parce que de Των αγίων ό βιός, dans la lettre lxxxii qui date de 449 : l'ouvrage est donc certainement antérieur à cette scs commentaires nous paraissant un peu secs, un peu arides, nous en négligeons la lecture. Ne nous mon­ date. 2. Historia ecclesiastica, Εκκλησιαστική Ιστορία, trons-nous pas ù leur égard d’une excessive sévérité? P. G., t. lxxxii, col. 882-1280. Cet ouvrage renvoie 4° Ouvrages historiques. — Théodoret n’a pas été assez fréquemment à VHistoria religiosa; cf. I, vî; seulement un théologien, un apologiste et un exégète. IL xxvi; IIL xix; IV, xxn. xxiv, xxv. Dans les let­ Il a encore été un historien. On lui doit ici : tres lxxxii, cxiii, cxvi, écrites en 349 et qui se réfè­ 1. Historia religiosa seu ascclica vivendi ratio. rent aux ouvrages antérieurs de l’auteur, VHisloire Φιλόθεος Ιστορία ή ασκητική πολιτεία, P. G., ecclésiastique n’est pas encore citée. Pourtant elle doit t. lxxxii, col. 1283-1496. Cet ouvrage est un recueil avoir été composée avant la mort de Théodose IL d’histoires édifiantes ou de biographies de moines, 28 juillet 450, car elle parle de lui comme de l’empereur assez analogue ù V Histoire lausiaque de Palladius. actuellement régnant, ό νύν βασιλεύων. V, xxxvi. On Cependant, tandis que Palladius s’était proposé de peut donc placer sa rédaction pendant l’exil de Théo­ conduire son lecteur à travers tout l’Empirc romain, doret. au cours de l’année 449-150. pour lui montrer partout la pratique de la perfection L’Histoire ecclésiastique de Théodoret, comme celles chrétienne, Théodoret sc borne à rappeler les hauts de Socrate cl de Sozonienc, se présente comme la con­ faits des ascètes qui ont brillé comme des astres dans tinuation de J’œuvre d’Eusèbe. Elle prend son point le ciel de Portent; et il faut entendre ici le mol Orient de départ en 323, lors des débuts delà controverse dans son sens strict, comme désignant le diocèse dont arienne et s'achève en 129, avec la mort de Théodore Antioche est la capitale civile. Les chapitres i-xx de do Mopsuesle et de Théodote d’Antioche. Si illustres VHisloire religieuse sont consacrés aux athlètes qui qu’aient pu être ces deux hommes, leur célébrité n’est ont déjà reçu la couronne de la victoire, ù commencer pas lu vraie raison qui a poussé Théodoret Λ ne pas par Jacques de Nisibe, c. i, et Julien de Saba, c. n; continuer son ouvrage au delà de la date de leur mort. les dix derniers chapitres parlent des athlètes qui combattent encore, en particulier de Slméon le Sty- En réalité, les années 128-429 marquent le commence­ ment de l’affaire de Nest ortus et l’évêque de Cyr n’a lite, c. xxvi ; les chapitres xxix-xxx proposent même aucune envie de s’engager dans le récit d’une lutte où à l’imitation l'exemple do deux femmes. Les ascètes il a eu son rôle personnel à jouer. Bien que le 1. V rap­ du diocèse de Cyr ont une belle place dans l’ouvrage, porte encore quelques incidents postérieurs à 429, il car les chapitres xiv-xxv leur sont réservés. Dans des ne le fait que d’une manière accidentelle et Théodoret éditions Imprimées et dans plusieurs manuscrits, se garde d’oublier la limite qu’il a lui-même fixée à son VHisloire religieuse possède un appendice, Oratio de œuvre. divina et sancta caritate, Λόγος περί της θείας καί Il est manifeste que Théodoret a accompli rapideάγίας αγάπης, Ρ. G., t. lxxxii, col. 1 197-1522. qui se 315 THÉODORET. SERMONS ET LETTRES 316 ment le travail de documentation et de composition le 1. X des Phitosophoumrna d’Hippolyte et VHiihin qui a donné naissance Λ ΓHistoire ecclésiastique : l’ou­ ecclésiastique d’Eusèbc. C'est seulement dans le L IV vrage se ressent de la rapidité avec laquelle il a été que l’œuvre de l’évêque de Cyr a une valeur indépen­ préparé et écrit. D’autre part, il ne semble pas que dante : pour parler d'Arhis et d'Eudoxe de Germa l’évêque de Cyr ait eu réellement les qualités de l’his­ nfeie, Théodorct peut faire appel à sa propre Hiitotn torien : il lui manque la claire vue des grands événe­ ecclésiastique et aux documents qu'l! y a utilisés. Les ments et le sens des idées générales, sans lesquels il ne chapitres relatifs u Nestorius cl à Eutychès sont plus saurait y avoir de véritable histoire. Au surplus, il ne personnels encore, puisqu’il s’agit de contemporain» dissimule guère son dessein apologétique : ce qu’il ra­ que l’auteur a connus et contre lesquels il a dû lutter. conte, c’est la lutte et c'est le triomphe de l’Église en 5° Sermons. — Nous ne possédons qu'un très petit face de l’arianisme. Il n’a plus rien à dire lorsque le nombre de sermons dus à Théodorct. Il est pourtant catholicisme a définitivement triomphé des ariens et certain que l’évéquc de Cyr a beaucoup prêché ao des hérétiques qui sc rattachent plus ou moins à eux, cours de sa longue carrière et nous savons par wn les apollinaristcs et les macédoniens. Il se plaît aux propre témoignage qu’il a obtenu, à Antioche en par­ grands tableaux qui mettent en relief la puissance de ticulier, les succès oratoires les plus flatteurs. Epid., l’Églisc : n’est-cc pas à lui, par exemple, qu’on doit le lxxxîh, xc. xci, cxlv, cxlvii. Il est assez étonnant, récit, émouvant certes mais apprêté, de la pénitence dans ces conditions, que ses homélies ou scs discourt de Théodosc? n’aient pas été conservés. Peut-être avait-on négligé Socrate et Sozomènc. qu’il semble bien avoir utili­ de les recueillir au moment où ils furent prononcés. sés. sont donc supérieurs à Théodorct comme histo­ Peut-être aussi Théodorct n'y attachait-il pas grande riens. Mais cela ne veut pas dire que son Histoire ecclé­ Importance. En tout cas, presque toute son œuvre siastique soit sans intérêt et sans valeur. Tout d'abord, oratoire a disparu. Il nous reste seulement : Théodore! a eu à sa disposition des sources documen­ 1. Les dix discours apologétiques sur la Providence, taires très riches, auxquelles 11 puise abondamment. Il dont nous avons déjà parlé (col. 307). — 2. Le discours ne copie pas les documents qu’il cite dans les œuvres sur l’amour de Dieu, qui figure à la suite de 1’Historia de ses devanciers. Il a tenu à s’informer lui-même, â religiosa (col. 313). — 3. Quelques fragments en latin voir les recueils de lettres et d’actes conciliaires, Λ y de sermons chrlstologlqucs, P. G., t. lxxxiv, col. 53choisir cc qui lui paraissait essentiel et, grâce à lui, 64, conservés dans les actes du IIP et du V· concile nous connaissons bien des pièces capitales de la contro­ œcuménique. Ces fragments sont extraits, semble-t-il, verse arienne. D’autre part, tandis que Socrate avait des sermons prononcés par Théodorct à Chalcédoine écrit son Histoire en se plaçant surtout du point de vue contre Cyrille d'Alexandrie, lorsqu’il y fut envoyé par de Constantinople. Théodorct rédige la sienne du les membres du parti antlochien au concile d’Éphêse. point de vue d’Antioche. Il connaît bien la métropole Le texte grec de ces fragments a été pour la première de l’Orlcnt et pour tous les détails compliqués de ses fois publié par E. Schwartz. Ncue Aktenstücke :um évêques au cours du iv· siècle, c'est à lui surtout qu’il l ephesenischen Konzil von 137, Munich, 1920, p. 25-27, faut recourir. et reproduit dans /1. C. O., i, 1,7, p. 81-83. — 4. Quel­ 3. Hœretlcarum fabularum compendium, ΑΙρβτικής ques fragments de cinq discours sur saint Jean Chryκακομυθίας έτιτομή, P. G., t. lxxxîh, col. 335-556. I sostome conservés par Photlus, P. G., t. lxxxiv, Cette histoire des hérésies, composée après le concile de col. 48-54, qui admire autant la beauté de l’expression Chalcédoine et dédiée au comte Sporaclus. le commis­ que l’élévation de la pensée. — 5. Un discours sur h saire impérial délégué au concile de Chalcédoine, est nativité de saint Jean-Baptiste, édité par Garnier sous divisée en cinq livres. Le 1. Ier traite des erreurs qui le nom de Théodorct, P. G., t. lxxxiv, col. 33-48, admettent un créateur différent du Sauveur de l’uni­ paraît bien inauthentique. Il doit être l’œuvre de vers et qui enseignent le docétisme : le premier inven­ l’homilète Théodore Daphnopatès, au x· siècle. teur de ces fables est Simon, le mage de Samarlc, et le 6° Lettres. — Comme les sermons, les lettres de Théo· dentier Manès le Persan. Le 1. II est consacré aux dorct son1 perdues en grande partie. Au xts*· siècle, hérétiques qui admettent l’unité de Dieu, mais qui | Nicéphore Callisto, Hist, eccles., XIV, liv, en connais­ regardent le Sauveur comme un pur homme : Éblon sait encore plus de cinq cents. De cc nombre, nous est le premier de ces hérétiques; les plus récents, Mar­ possédons environ 230 lettres : l’édition de P. G., cel d’Ancyrc et Photln. Le I. Ill parle de ceux qui se t. lxxxîh, col. 1173-1191 comprend 181 numéros. Une placent entre ces deux extrêmes et qui ont enseigné découverte heureuse de S. Sakkelion, en 1885, a permis des doctrines variées. Dans le 1. IV. il est question des d’y ajouter 49 numéros. Le recueil de Migne donne, nous elles hérésies depuis Arius jusqu'à Eutychès. avec les lettres personnelles de Théodorct, dix lettres Enfin, le I. V oppose à la diversité des hérésies un écrites par le groupe des évêques orientaux à Éphèsc, résumé de la doctrine orthodoxe. Hpist., clh-clxi. et sept lettres des députés envoyés Au Heu de suivre l’ordre chronologique adopté par par cc groupe auprès de l'empereur Théodose, Ëpist., ses devanciers. Théodorct s’est donc efforcé de renou­ CLxin-cLxviii, ctxx. En outre, il contient deux lettres veler le genre des Contra hrrreses en utilisant un ordre ί de Cyrille d’Alexandrie, Epist.. cxlvih cl CLXXIX et logique. On ne saurait dire que sa tentative a été cou­ I une lettre de Jean d’Antioche, Epist., cxlix. Pur ronnée de succès : si, dans les deux premiers livres, il contre. H laisse de côté plusieurs lettres de Théodore! arrive tant bien que mal à établir un classement, il est dont la traduction latine a trouvé place dans le Syno­ obligé, dès le I. III. de rassembler les éléments les plus dicon adversus tragirdiam ! rennet, par exemple la lettre disparates; et le 1. IV revient purement et simplement à au peuple de Constantinople, Synod., n. 128 (40), et l’ordre chronologique pour traiter des erreurs récentes. | celle à Alexandre de Hiérapolls, Synod., n. 161 (72). Au reste, Théodorct ne se pique pas d’originalité : H : D’autres lettres, qui sont traduites intégralement dans utilise beaucoup les anciens héréslologues : Justin et le Synodicon, ne figurent qu’à l’état de fragments dans Ircnée. Clément d’Alexandrie et Orlgène, Eusèbe de I le recueil. Sur le Synodicon, voir ici t. xt. col. 87-88. Césaréc et Eusèbe d'Emèse, V Adamantins. Tltc de ; A ccs lettres plus ou moins bien conservées, il faut Bostra, Diodore de Tarse. Georges de Laodicéc. d’au­ ajouter une lettre écrite après 451 à Jean de Clliclc et tres encore. Il est remarquable que l’œuvre de saint I dont H ne reste que deux fragments syriaques, dans P. O., t. xm, p. 190 sq. Ccs fragments sont fort imporEpiphane lui ait échappé, en dépit de son importance. Pratiquement, les sources les plus volontiers em- I tants car ils montrent comment Théodorct compreloyées sont le I. I du Contra hirreses de saint Irénéc; I naît et défendait la formule de Chalcédoine. Ils per­ 317 TH RO DO H ET. CH HISTOLOGIE mettent aussi de penser que la lettre du pseudo-Chrysostomc au moine Césaire, P. G., I. lu, col. 755-760, pourrait bien être sortie de la plume de Théodoret. Ajoutons enfin que la lettre clxxx. adressée à Jean d’Antioche sur la mort de Cyrille est un faux évident. Les lettres de Théodoret présentent le plus vif Intérêt A la fois pour l'histoire générale et pour la con­ naissance plus approfondie du caractère de leur au­ teur. Plusieurs de ces lettres sont purement privées : elles ne sont pas nécessairement les moins Importantes parce qu’elles nous révèlent l'étendue des relations que pouvait avoir, au v· siècle, un évêque d’un diocèse lointain et pauvre avec les personnalités 1rs plus en vue de la cour impériale et qu'elles jettent des clarté» nouvelles sur la vie des provinces à cette époque. Mais d’autres ont trait aux grands événements dont Théo­ doret ne fut pas seulement le témoin, mais l’un des principaux acteurs. Elles nous jettent au plein milieu des luttes christologiques, elles nous montrent avec quelle fidélité Théodorct refusa longtemps de condamner la personne de Nestorius, elles nous font voir avec quelle sincérité il s’efforça ensuite de fléchir son métropolitain, Alexandre de Hlérapolis.en lui mon­ trant l'orthodoxie de la formule d’union et la laideur des schismes; clics nous permettent surtout d’appré­ cier le rôle de l’évêque de Cyr contre l’eutychianismc naissant et le courage qu’il déploya, en dépit des per­ sécutions qui s’abattirent sur lui, pour défendre la foi. Ces lettres n’ont pas encore été étudiées comme elles mériteraient de l’être : la chronologie de plusieurs d'entre elles demeure incertaine; beaucoup, qui n’exis­ tent plus, sinon sous une forme fragmentaire, dans le texte grec, sont conservées dans la traduction latine du Synodicon; d’autres sont entièrement perdues, mais ont laissé des traces de leur existence. Il y aurait tout un travail d'établissement des textes, de classement, etc., à entreprendre à leur sujet. III. Docthine. — Le seul point vraiment intéres­ sant de la doctrine de Théodorct est sa christologie. Pour le reste, il n'est nul besoin d’insister. L'évêque de Cyr a enseigné sur la Trinité, sur l’Églisc, sur les sources de la foi cc qu’enseignaient les docteurs catho­ liques de son temps. Il a beaucoup demandé A l'Écri­ ture Sainte qu’il possédait â fond et dont il a com­ menté, en tout ou en partie, un grand nombre de livres. Nous avons déjà rappelé que son exégèse n’avait rien de très original : elle est celle qu'on peut attendre d'un homme intelligent et instruit, qui s'ap­ puie sur la tradition et qui cherche avant tout à déga­ ger le sens littéral de la Bible. Il a beaucoup demandé aussi aux Pères : il n’est certes pas le créateur de l’ar­ gument de tradition, qui a été employé avant lui au cours des controverses ariennes et que saint Augustin n repris contre Pélagc. Dès le début de la controverse nestorienne, saint Cyrille d’Alexandrie a utilisé cet argument et s’est plu Λ citer plusieurs témoignages des Pères; le concile d’Éphêse lui-même s’est fait lire un ample florilège. Mais Théodoret a développé le pro­ cédé : il en a saisi l’importance et ce n’est pas hasard que chacun des livres de VEramstes sc termine par une importante série de citations patrlsllqurs. Il semble hors de doute que l’évêque de Cyr veut mettre cette preuve en un saisissant relief. 1® La christologie. — Naturellement, cc que Theodo­ rei demande avant tout aux Pères, cc sont des argu­ ments en faveur de la christologie antlochiennc. Comme il est resté, jusqu’au concile de Chalcédoine, le défenseur persévérant de Nestorius, comme II a dé­ fendu contre saint Cyrille, même après avoir souscrit l’Acte d’union, dont il avait peut-être été le rédacteur, les formules de Diodore de Tarse et de Théodore de .Mopsueste, on s’est demandé bien souvent s’il n’a pas franchi les limites de l’orthodoxie et enseigné, au 318 moins au début de sa carrière, le < nestorianisme » proprement dit. Il est difficile de répondre â cette question, d’autant plus que le « nestorianisme » lui-même est assez malaisé à définir dans les circonstances historiques où ont ensei­ gné ses protagonistes. Non» sommes aujourd’hui capa­ bles de condamner sans réserve la doctrine qui ensei­ gne deux personnes en Jésus-Christ. Le mot personne a maintenant un sens précis sur lequel il est impossi­ ble de sc tromper; mais 11 n’en était pas ainsi au v* siècle et, pour juger de l'orthodoxie d'un auteur, il faut tenir compte non seulement des formules qu’il emploie, mais du contexte qui les entoure et des cir­ constances où il les écrit. Selon Théodoret, avant l'incarnation. Il n’y a pas deux natures en Jésus-Christ ; il n’y en a qu’une seule, car la nature humaine a été unie aussitôt que pro­ créée; l’union s’est accomplie h τη συλλήύει. Eran., II. P. G., t. lxxxîh, col. 141, 137, 140, 324. Mais, après l’incarnation, le Christ possède deux natures; il faut distinguer en lui ή λαβουσα et ή ληφΟείσα φύσις. ibid.. col. 109. Est-ce Λ dire que la nature assumée soit un homme parfait? Dans V Expositio rectæ confessionis, qui est, semble-t-il, le premier essai de synthèse théologique tenté par Théodorct, on trouve cette expression : « Le Verbe, ayant fait choix d’une vierge de la race de David pour réaliser l’incarnation, a pénétré dans son sein, tel un sperme divin, et s’est façonné à lui-même un temple, l’homme parfait, en prenant une partie de la nature (de cette vierge) et en lui donnant la forme du temple. > Expos, rectæ confes., 10, P. G., t. vi, col. 1'224. Dans le De incarnatione Domini, il revient souvent sur la même idée. Quand le Créateur, prenant en pitié sa créature, s’en vint à son secours, il ne voulut pas le faire dans le déploiement éclatant de sa toutepuissance, mais d’une manière humble et douce. C’est pourquoi, · dissimulant la magnificence de la divinité sous l’humilité de l'humanité, il prépare l’homme visi­ ble ù la lutte et. après sa victoire, il le couronne. » C. xi, P. G., t. i.xxv, col. 1433 C. Et ailleurs : « Il est évident, je pense, pour tous les gens sensés, que le Dieu Verbe n’a pas assumé (un homme) dépourvu d’âme ou d’esprit, mais un homme parfait. » C. xvm, col. 1452 B. El ailleurs : · Le nom de Christ ne désigne pas seulement l'assume, mais encore le Verbe assu­ mant avec l’assumé : ce socablc est en effet significatif de Dieu et de l’homme. » C. xxx. col. 1472 A. Même langage dans la réfutation des douze anal hématlsmes : « Si. dans l’homme qui est un. nous dis­ tinguons les natures et appelons celle qui est mortelle corps et celle qui est immortelle âme, ù bien plus forte raison, si nous sommes logiques, reconnaîtrons-nous les propriétés des natures du Dieu qui a assumé et de l’homme qui a été assumé. · P. G., t. i.xxvi. col. 404. Et encore dans le Prntalogos. composé contre saint Cyrille et le concile d’Éphêse : cet ouvrage est perdu, en dehors de quelques citations traduites en latin par le compilateur de la Collectio Palatina : voici l’une de ccs citations : Emmanuhel autem et ejus qui sumpsit et e/us qui adsumptus est naturas insinuat. No biscum enim Deus interpretatur, hoc est in nostra natura Deus, in homine Deus, Deus in templo humano; nobiscum Deus propter unitatem ejus quem ex nobis accepit. A. C. O., t. i, vol. v, p. 166. Parfois, ii arrive A Théodoret de distinguer Dieu et l'homme dans le Christ comme s’ils constituaient deux personnes : έτερος ό κατοικήσας κατά τόν λόγον της φύσεως, καί έτερος ό νάος. De inc., c. xviir, col. 1452 A. Cc n’est pas le Dieu-Verbe qui a été con­ duit au désert pour y être tenté; c’est le temple pris par le Dieu-Verbe, de lu semence de David. » Ibid., c. xm, col. 1437 D. 319 T II ÉODO RET. C II R ISTO LOG I E Nous connaissons ces formules qui caractérisent la théologie antiochiennc : quel est le théologien de cette école qui ne parle pas de l’homme assumé, qui n’em­ ploie pas la comparaison de temple et de son habitant? Mais ces formules n’aboutissent pas nécessairement A la dualité des personnes. Chaque nature garde sans doute dans Γunion ses propriétés et son action ; ταις ένεργείαις μεν διηθημένος (φύσεις), τω προσώπφ οέ συνημμένος..., τάς τε των φύσεων Ιδιότητας καί τού προσώπου κηρύττει (ό Παύλος) την ενωσιν. Ibid», c. xm et XXII, col. 1156 Λ, 1460 A. < Évitons en par­ lant des natures du Christ tout cc qui pourrait insi­ nuer une idée de mélange, κράσις, de confusion, σύγχυσις, de changement, τρόπη. En effet, si un chan­ gement se produisait, Dieu ne conserverait pas sa pro­ pre nature, ni l’homme la sienne. Nécessairement, l’un et l’autre sortiraient des limites de leur essence. Dieu ne serait plus Dieu et l’homme ne serait plus homme. · C. xxxîi, col. 1472-1473. Théodore! insiste même sur certains aspects délicats du problème, il ne rejette pas l’expression Θεοτόκος à propos de la très sainte Vierge. Bien plus, il l’admet expressément cl il l’emploie volontiers, surtout dans les ouvrages composés après sa soumission à l’Actc d'union. Mais il sc refuse à condamner le mot άνΟρωποτόκος, en dépit des suspicions que divers propos de Nestorius avaient valu à cc mot et il le croit orthodoxe pourvu qu’on l’entende correctement. De inc., c. xxxv, col. 1477. De même, il sc refuse à accepter que l'on puise parler des souffrances et de la mort de Dieu cl du Verbe. < L’anal hémalisme xu de saint Cyrille lui paraissait intolérable et il s’est moqué agréable­ ment dans VEranistes, de l’explication qui consistait ii dire que le Verbe a souffert impassiblement, έπαΟεν ύ Λόγος απαθώς. Eran., HI, t. lxxxiu, col. 264 sq. » Dans le fragment de son discours prononcé A Antioche, en 444, lors de la mort de saint Cyrille, il pousse la chose à l’extrême : Nemo jam neminem cogit blasphe­ mare. Ubi sunt dicentes quod Deus est qui crucifixus est? Non crucifigitur Deus. Homo crucifixus est, Jesus Christus qui ex semine est Davidis, filius Abrah«. Homo est qui mortuus est, Jesus Christus. T. lxxxiv, coi. 62. Cf. J. 'Fixeront, Histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne, l. m. p. 100-101. De même, lorsqu’il s’agit de la science humaine de Jésus-Christ, Théodorct ne fait nulle difficulté d’ad­ mettre que cette science était limitée et que Jésus, en tant qu’homme. était sujet à l’ignorance. Dans le De incarnatione, c. xx. aussi bien que dans le Pentalogus, P. G., t. lxxxiv, col. 68-73, il s'appuie sur le texte de saint Luc, n, 52, pour prouver que Jésus-Christ était vraiment homme et possédait une Ame humaine, car seule pouvait croître en sagesse l’Amc humaine qui apprend peu A peu les choses divines et humaines. Dans le critique de i’anathématisine iv, P. G., t. lxxvi, col. Ill, il tire la même conclusion du texte de saint Mat­ thieu, xxiv, 36 : Jésus, dit-il, avouait ici une ignorance réelle du Jour et de l’heure du jugement, car en lui l'hu­ manité ne savait que ce que lui avait révélé la divinité. Cependant, bien que les natures soient distinctes et non confondues, Théodorct admet la communication des idiomes et il en parle correctement dansVEranistes, 11, P. G., I. lxxxiu, col. 148, 210, 280. Il admet sur­ tout que le Christ n’est pas deux, mais qu’il est un. Il peut bien dire que, dans l’union, tout est affaire de bienveillance, de philanthropie cl de grâce; il ajoute aussitôt que cette union n’est pas seulement morale, qu’elle est physique : πλήν καί φυσικής ένταύΟα τής ένώαεως ούσης, ακέραια μεμένηκε τά των φύσεων (δια. Eran., Il, I. lxxxiii, col. 1G5 A. Par suite en JésusChrist, il n’y a qu’une personne, un fils : Bv μέν πρόσωπον καί ένα υΐδν καί Χριστόν. Critique de l’anaIhem. in, t. lxxvi, col. 404. 320 Cc dernier point tient spécialement à cœur à Théo­ dore!· Lors des premières manifestations du mono­ physisme, les Alexandrins reprochent en elïct A l’évê­ que de Cyr d’avoir soutenu la doctrine des deux ills, d’avoir divisé le Christ. Théodorct proteste de toutes ses forces contre une pareille accusation. · Jamais, déclare-t-il, il n’a enseigné deux fils. Personne, affirme t-il, ne m’a jamais entendu prêcher deux fils. · Epist., civ, P. G., t. lxxxiu, col. 1297 B. El ailleurs : « Je n’ai pas conscience d’avoir jamais enseigné jusqu’à ce jour qu'il fallait croire à deux ills. » Epist., cix, col. 1304 A. 11 va même plus loin, car il met au défi scs accusateurs de trouver dans ses œuvres antérieures un seul passage où il ait enseigné une semblable doctrine. Ne fallait-il pas qu’il fût bien sûr de lui pour oser lan­ cer un tel défi, alors que ses livres étaient de notoriété publique et que plusieurs d’entre eux avalent été écrits, les uns avant le début de l'afTaire nestorlcnne, les autres, au plus fort de la controverse, qui opposait l’un à l’autre l’évêque de Cyr et celui d’Alexandrie? On voit dès lors comment on peut répondre à la question posée tout à l’heure? Théodore! a-t-il été«nestorien »? Quelques auteurs le croient. M. Bertram, en particulier, estime que l’évêque de Cyr a réellement, dans le principe, partagé l’erreur de Nestorius et qu’il ne s’en est dégagé que plus tard, peut-être vers 435. Cette conclusion ne saurait être retenue. Il est vrai qu’au début de sa carrière d’écrivain et de théologien, Théodorct a employé, sans faire de réserve, les for­ mules en usage dans l’école d’Antioche. Il a parlé de Vassumptus homo, de l’habitation du Verbe comine dans un temple, de la complaisance que le Seigneur a témoignée A l’égard de l’homme qu’il s’était uni, etc. Mais ces expressions étaient alors reçues, au moins dans de larges milieux, et saint Cyrille se trompe cer­ tainement lorsqu’il écrit : «Cette opinion qu’un homme a été assumé par Dieu est étrangère aux saints Pères; ils n’ont jamais pensé cela, ils disent bien plutôt que le Verbe du Dieu Père, lui-même, s’est fait homme en s'unissant à une chair douée d’une Ame spirituelle. » P. G., t. lxxvi. col. 449. Plus tard. c'csl-A-dire après sa réconciliation défini­ tive avec l’évêque d’Alexandrie, Théodorct s’est rendu compte des imperfections ou des insuffisances du lan­ gage qu’il avait employé jusqu’alors; on ne trouve plus, dans ses derniers ouvrages, les formules discu­ tables dont il s’étalt servi tout d’abord. Il évite, par exemple, de parler de Vassumptus homo pour employer de préférence les expressions abstraites cl enseigner l'humanité assumée. Il est remarquable que, même après avoir obtenu de saint Léon, puis du concile de Chalcédoine, des lettres d’absolution, Théodorct ne revient pas à ses premières formules. Dans la lettre clxxxi au légat Abundius de Côme, il fait une profes­ sion de foi explicite : N une vero Salvatoris nostri in corpore humano pnesentiam, et unum Filium Dei et perjedam ejus deitatem, e.t perfectam humanitatem con­ fitemur et non in duos filios unum dominum nostrum Jcsum Christum dividimus : est enim unicus; sed difierentiam Dei et hominis cognoscimus et scimus quod alte­ rum ex Patre est, alterum ex semine David et Abraham, juxta divinas Scripturas. P. G., I. lxxxiu, coi. 1492. Mais il parle de la divinité et de l’humanité du Sau­ veur, bien plus que de l’homme et de Dieu, tout en rappelant ces dernières expressions. Et ensuite, il res­ tera fidèle A la ligne de conduite qu’il s’est imposée. Même si quelque opportunisme a joué un rôle au début dans ce changement d’altitude, il est manifeste que Théodorct a fini par se rendre compte de l’ainblgulté ou de l'insuffisance de certaines expressions : c’est en toute loyauté, encore que de mauvaise grâce, qu’il avait rendu hommage A l’orthodoxie de saint Cy­ rille, après la signature, de l’Acte d’union. Sa foi à lui 321 THÉODOHET. L’EUCHARISTIE, LA TRINITE est au dessus de tout soupçon et les condamnations du concile de 553, dictées par des raisons d’ordre poli­ tique, n'atteignent pas la doctrine qu’il a enseignée. *2° L'eucharistie. — De la doctrine christologique de Théodorct, il faut rapprocher sa doctrine eucharis­ tique, car c'est en pensant au Christ que l'évêque de Cyr a étudié les mystères de la présence réelle et de la transsubstantiation. Il faut noter d’abord, sans avoir besoin d’y Insister, que Théodorct est un témoin de la foi commune de l’Église pour tous les points qui sont l’objet de cette foi. Il enseigne que la présence du Christ dans l’eucharistie lui permet d'être sacrifié sans sacrifice, distribué sans division, consommé sans des­ truction. In psalm, lxü. 3, P. G., t. lxxx, col. 1337. Il exige que l'on soit pur pour porter à sa bouche le corps de Jésus-Christ, bien qu’il attribue spécialement A la communion la vertu de remettre les péchés. In epist, / ad Cor., xi, *27, t. lxxxii, col. 317; In Isaiam, vi, 6, t. lxxxî, col. 268. Sur la conversion seulement, il présente quelques enseignements Importants. On sait que certains eutychlens admettaient dans le Christ une confusion des deux natures ou la conversion de l’une des deux na­ tures en l’autre et par suite la passibilité de la nature divine. Théodorct s'élève contre cette dernière erreur et 11 indique pour la réfuter le rite de la Cène. · En divi­ sant l’eucharistie comme type de sa passion, του πάθους τδν τύπον, Jésus-Christ n’a pas parlé de sa divinité, mais bien de son corps et de son sang. « Ceci • est mon corps, ceci est mon sang , c’est donc le corps qui a été crucifié, qui n souiTcrt, non la divinité... » Le monophysitc qui discute contre l’orthodoxe ne se tient pas pour battu. Π argue au contraire de l’eucha­ ristie pour démontrer que le corps du Seigneur, après l’ascension, a été transformé en la divinité. Avant l’épiclèsc, dit-il, on n’a sur l’autel que du pain et du vin; après la consécration, on appelle les oblats le corps et le sang de Jésus-Christ, et on les reçoit comme tels dans la communion. « De même donc que les symboles du corps et du sang du Seigneur sont une chose avant l’épiclèsc sacerdotale cl après l'épiclèse sont convertis et deviennent autre chose, ainsi le corps du Seigneur, après l’ascension, a été converti en la substance divine. » Eran., il, t. lxxxiu, col. 168 B. Théodorct n’accepte pas le raisonnement de son adversaire; il n’accepte même pas ses prémisses. Sui­ vant lui. le fait invoqué est faux : « Après la sanctifi­ cation, les symboles mystiques ne perdent pas leur nature propre; Us demeurent et dans leur substance première et dans leur apparence et dans leur forme, visibles et tangibles comme auparavant. On ne peut que concevoir cc qu'ils deviennent et le croire et l’adorer, comme s’ils étalent cc qu'on croit. » Ibid. Mais alors, que sc passe-t-il dans le pain et dans le vin, puisque les noms sont changés, puisque le pain n’est plus appelé pain, mais corps du Christ? Théodoret ne peut échapper à cette question et 11 essaye tic la résoudre dans le premier dialogue de VEranistes. Il est vrai, dit-il, que le pain et le vin sont appelés corps et sang; mais il l'est aussi que le Christ s’est appelé luimême vigne et qu’il a donné à son corps le nom de fro­ ment. Les Initiés comprennent cc changement de nom ; « Le Christ voulait que ceux qui participent aux divins mystères ne s’attachassent pas à la nature de cc qu’ils voient, mais, considérant les changements de noms, qu’ils eussent foi en la conversion qui est le fait de la grâce, πιστεύειν τή έκ τής χάριτος γεγενημένη μεταβολή. Car. s’il a appelé son corps naturel froment et pain, comme il s'est appelé lui-même vigne, il a honoré les symboles qui sc voient du nom de corps et de sang, non pas qu’il ait changé la nature, mais parce qu’il a ajouté la grâce à la nature. » Eran., 1, col. 56. « La consécration opère donc une μεταβολή. Mais DICT. DE THÉOL. CATHOL. cette μεταβολή n’est pas la conversion au corps de Jésus-Christ de la substance du pain : cette substance acquiert seulement une grâce, une dignité qui lui vient de son union avec le corps du Sauveur produit et pré­ sent, union qui permet entre le pain et le corps cet autre échange d’appellation que l'on constate. Théo­ dorct n’insiste pas sur la production, dans la consé­ cration, du corps de Jésus-Christ : c'était un point acquis; mais il nie que cette production soit le résultat d’une conversion des oblats et il explique que ces oblats sont, vis-à-vis du corps de Jésus-Christ, dans une relation analogue a celle où l'humanité de JésusChrist se trouve par rapport à sa divinité. De cc corps, il découle encore une vertu ou une grâce qui Ici sanc­ tifie sans changer ni détruire leur nature. > J. Tixeront, op. cit., p. 250. Ce système nous surprend un peu, mais pour le com­ prendre, il faut se placer dans la perspective christologlque de l'évêque de Cyr. De même qu’il y a deux natures dans le Christ, il reste en quelque sorte deux natures dans le pain consacré. Celui-ci ne cesse pas d’être du pain; mais l'union qu’il contracte au corps du Sauveur est assez étroite pour être indestructible et pour former un tout inséparable. On pourrait ici parler d’union physique. Sur le sacrifice eucharistique, Théodorct n'a que quelques lignes. Il remarque que le Sauveur a inauguré à la Cène l'exercice de son sacerdoce, qu’il continue d'exercer comme homme par le ministère de l’Église, alors qu’il reçoit, comme Dieu, l’offrande du sacrifice. In psalm. CIX, 4, t. lxxx, col. 1772-1773. H y a donc dans l’Église un sacrifice divin et non sanglant θεία και αναίμακτος Ουσία, dont Jésus-Christ est le prêtre principal, dont la victime est aussi le seul agneau immaculé qui porte les péchés du monde. In Malaeh., t, 11, t. lxxxî, col. 1968. Tout cela n'a rien d’original, et Theodorei se contente de parler ici en représentant de la tradition. 3° La Trinité. — Sur les autres dogmes, il est pos­ sible de passer plus rapidement. En ce qui regarde la Trinité, Théodorct n’ajoute pas grand’chosc à ce qu’il a appris de scs devanciers. Il condamne les ariens et les macédoniens, à la réfutation de qui il consacre des ouvrages spéciaux, perdus d’ailleurs. Avec toute l’Église, il professe que les trois personnes de la Sainte Trinité sont consubstantielles et ont droit à la même adoration et aux mêmes honneurs. Sur un point seu­ lement, sa doctrine mérite d’être relevée, c'est celui qui concerne la procession du Saint-Esprit. Saint Cyrille avait écrit, dans le ix· anathématlsme, que le Saint-Esprit n'est pas une puissance étrangère à Jésus-Christ, mais une puissance qui lui appartient en propre, comme étant son propre esprit, ίδιον αυτού πνεύμα, par lequel il opérait scs mira­ cles. Cette formule choque Théodore!. L’évêque de Cyr répond en effet que, si, par l’expression ίδιον τδ Πνεύμα τού Πού, Cyrille veut dire que le Saint-Esprit est consubstantiel au Fils et procède du Père, c’est là une assertion pieuse et digne d'être reçue; mais s’il signifie que le Saint-Esprit tient son existence du Fils ou par le Fils, c’est là un blasphème et une impiété que l’on doit repousser : cl δ* ώς έξ Υιού ή δ*.’ Τίού την ύπαρςιν έχον (τό IIνεύμα), ώς βλάσφημον τούτο καί ώς δυσσεβές άπορρίψομεν. P. G., t. lxxvi, col. 432. A vrai dire, les expressions de Théodore! ne sont pas aussi claires qu'on pourrait le désirer. Depuis le tv* siè­ cle, l’Église grecque était d'accord pour admettre que le Saint-Esprit procédait du Père par le Fils, δι* Τίού mais elle se divisait sur la question de savoir en quel sens il fallait entendre cette procession par le Fils. Le Fils jouait-H un rôle actif dans la procession de PEsprit? ou était-il simplement un canal par lequel l'Esprit du Père s'écoulait en quelque manière? C'est, sembleraitT. — XV. — 11. 323 THÉODORE? il, l’opinion mime à laquelle s'arrête Théodorct, après Théodore de Mopsueste. L’évêque de Cyr ne rejette pas l’expression δι* ïloG : elle est trop répandue, trop classique pour être abandonnée. Il ne se borne pas davantage à condamner ceux qui feraient de l’EsprltSalnt une créature du Elis : cette opinion avait été soutenue par les macédoniens, mais elle est trop vio­ lemment opposée à la doctrine orthodoxe pour avoir besoin d’être à nouveau condamnée. D’ailleurs, Théodore! déclare, Eranistrs. III, t. lxxxi, col. 264, que le Saint 1 sprit tient son être du Père : έκ του Πατρόςκαί Θεοϋ καί τούτο (τό II νεύμα )2χε* Οπαρξιν. et cela ne signifie pas que T Esprit soit créature du Père, mais seulement qu’il procède de lui. On peut donc croire que. pour Théodoret, la doctrine condamnable est celle qui attribue au I lls un rôle actif dans la procession de l’Esprit-Saint. Celui-ci ne procède que du Père; et s’il procède par le I ils. il passe seulement par lui; 11 le traverse, mats ne lui doit rien de sa subsistence. 4° L'homme. La chute et le remuement. — Le premier homme, déclare Théodorct, a été élevé par Dieu à une condition meilleure que la terre, c'est-à-dire à l’immortalité Quæsl. in Genes., 28, 37, t. lxxx, col. 125, 137. Mais l'évêque de Cyr ne s'explique pas très lon­ guement sur la nature et les privilèges reçus par Adam. Il constate seul· ment que son péché l’a rendu mortel, sujet à la corruption, à la concupiscence, au péché et il ajoute qu’Adama engendré des enfants sujets comme lui-même à la mort, à la concupiscence et au péché. In p homélies ι-m figurent également dans lc> Actes du concile d’Éphèse, Mansl, Concit., t. v, col. 183-203, 204-218, 221-226; cf. A. C. O., i, 1, 2, p. SO sq., 73 sq., 71 sq. L'homé­ lie iv a été publiée pour la première fols par F. Combefl* : Sanctorum Patrum Amphilochii Iconiensis, Methodii Pala· rendis et Andre# Cretensis opera omnia, Parts, 16-11, p. 3556. Les homélies vel viont été éditées en latin par le même, dans sa Bibliotheca Patrum concionatorla, t. i, Venise, 1719, p. 111-113, 199-201; le grec de lu dennerc par M Jugic.dunsf*. O., t. xix, p. 318-355. Voir la notice, p.289sq. L’homélie vi, 13. P. G., t. lxxvii, col. 1431,elle la qua­ trième églogue de Virgile. Ct. A. Kurfcss, Die griechische Uebcnelzung der vierten Ektogc Vergils, dans Mnemosyne, t. IV, 1937, p. 283-283.B. Marx. Procliana. Munster-cn-W.. 1940, p. 91, signale des passages communs entre l’hom. 1 de Théodotc cl l’hom. iv de Proc lus. G. Bahdy. THÉODULFE, évéque d’Orléans (7507-821).— L Vie. IL Œuvres. I. Vie. — Théodulfe fut un des évêques les plus marquants (lu règne dc Charlcmiignc, ct il est pour nous un témoin précieux de cette époque. D’origine espagnole, il fut ù une date qu’il est difikile de préciser (781 ?) pourvu par Charlemagne de l’évêché d’Orléans; le roi lui donna ensuite l’une après l’autre les princi­ pales abbayes dc l'Orléanais : Saint-Aignan, SaintLlphard, Sainl-Mrsmin, et principalement Fleury ou Saint-Bcnoft-sur-Loire; étant donnée l'importance de celte dernière abbaye et le souci qu’avaient les moines de maintenir leurs privilèges anciens, il semble qu’en ce qui la concerne, Théodulfe fut l’objet d’une élection régulière (en 7962-801?). Il fut donc a la fois évêque d’Orléans ct abbé de Fleury. Bien n’indique qu’il ait été réellement moine, bien qu'il se soit occupé sérieusement de la vie religieuse 331 THÉODULFE et même de la reforme des abbayes qui lui avalent été données. Près de Fleury, à Gcrmigny-dcs-Prés, où il avait une villa, Théodulfe Ht construire une église qui subsiste encore aujourd’hui et, bien que très restaurée, est un vestige intéressant de l’architecture carolin­ gienne. Une lettre d’Alcuin, du 22 juillet 798 (Mon· Germ, hist., Epistola, t. iv, p. 241 ; cf É. Amann, L'adoptia­ nisme espagnol, dans Hevue des sc. rel., juillet 1936) nous apprend que Théodulfe fut appelé en consulta­ tion sur le cas de hélix d’Urgel et de son adoptianisme. On Ignore s’il répondit par écrit cl quelle fut sa par­ ticipation aux divers conciles qui traitèrent de la question. Nous avons plus de détails sur son rôle dans l'affaire du Filioque et au concile d'Aix-la-Chapelle en 809, dont il fut, avec Smaragde, abbé de Saint-Mihiel, chargé de préparer les travaux; il ne fit point partie de la légation qui porta au pape Léon III les conclu­ sions du concile. Entre temps, en 798, avec Leidrade, qui venait d'être nommé archevêque de Lyon, il fut chargé comme « missus » d’une inspection en Pro­ vence et en Scptimanie; lui-même nous en a laissé le récit dans un poème. Ce sont là quelques épisodes marquants de sa vie, mais l'impression que nous laisse la lecture de son œuvre est qu’il fut avant tout un évêque aux préoccu­ pations pastorales. Théologien assez érudit pour qu’on le consultât dans les problèmes qui surgissaient, il tourna cependant le principal de son activité vers l'évangélisation des populations qui lui étaient con­ fiées, la bonne tenue du clergé, la vie religieuse des abbayes. Ami d’Alcuin, malgré une brouille momen­ tanée à propos d'un clerc d'Orléans qui s'était enfui et réfugié à Saint-Martin de Tours, en relations avec tout ce que la cour de Charlemagne comportait de notabilités, apprécié par le roi des Francs, il ne se mêla guère de politique, comme le faisaient Alcuin lui-même ou Adhalard, l'abbé de Corbie. Ce fut pourtant la politique qui lui valut une fin presque misérable. Il avait pour Charlemagne et tout ce qui touchait à sa personne une admiration profonde, même en tenant compte des exagérations inévitables du style poétique, puisque c'est surtout dans ses poèmes que se révèlent les pensées et les sentiments de l’évêque d'Orléans. Sans être un théoricien de cet ■ augustinisme » qui s’efforçait alors d'appliquer à la politique de Charles les considérations de la Cité de Dieu, Théodulfe croit certainement à la mission divine du fils de Pépin : les victoires remportées sur les Huns, les Arabes et autres peuples païens lui apparaissent comme autant de victoires du Christ, il fut de ceux qui contribuèrent à créer cette atmosphère impériale dont la cérémonie de Noël de l'an 800 fut l'aboutissement concret : aussi ne doit-on pas s'étonner qu’il ait chanté l'événement avec enthousiasme. Le partage de l’em­ pire entre les trois fils de Charles, pourtant conforme au vieux droit germanique, lui inspire de l'inquiétude. Que Dieu, dit-il, préserve le siècle présent de ressem­ bler à Géryon, le monstre aux trois têtesI Theodulphi carmina, P. L., t. cv, col. 315, 327, 330, 374. Qu’il ait tenu en médiocre estime le pâle successeur de Charles, c’est possible, mais rien dans son attitude ne le fait supposer. L'auteur anonyme de la Vie de Louis le Pieux, toujours très attentif à nous décrire les faits et gestes des personnages de la cour royale, nous apprend qu'à peine connue à Orléans la mort de Charles, Théodulfe envoya scs condoléances à Louis qui sc trouvait alors près d'Angers et lui manifesta le désir de le voir à Orléans. Vita Ludooici, P. L.,t.civ,col. 940. Eflcctivement Louis se rendit à Orléans, où Théodulfe le reçut avec toute la solennité possible et lui exprima son loyalisme dans un poème que Mablllon a retrouvé, Vetera analecta, Paris, 1723, p. 411, 412; P. L., t. cv, 332 col. 377. Deux ans plus tard, toujours d’après la Vifa Ludouici, il fui désigné pour accompagner le pape Étienne IV venu à Helms pour sacrer l’empereur, P. L., t. civ, col. 944 ; ce fut à cet te occasion sans doute qu’il reçut le pallium, auquel il fera plus tard allusion dans sa justification. Carmina, P. L.. t. cv, col. 340B. D'autre part, bien que, d'après Églnhard, il ait été appelé — parmi beaucoup d'autres d'ailleurs — à ap­ poser sa signature au testament de Charlemagne, il n'était pas l'un de ces personnages encombrants con­ tre qui un gouvernement nouveau doit prendre ses précautions. Quoi qu'il en soit, il fut Impliqué dans h révolte de Bernard d’Italie; la Vita Ludouici l'accuse positivement de complicité : hujus sceleris conseil. P. L., t. civ, col. 947 C. Théodulfe sc trouva donc com­ pris dans cette proscription générale qui envoyait en divers exils les principaux conseillers de Charlemagne: Adhalard, Wala, Leidrade, etc... Carmina, P. t. cv, col. 337-340. Mais il semble avoir été traité plus sévèrement que d’autres. Emprisonné dans un monas­ tère à Angers, il se refuse à toute bassesse pour obtenir sa liberté; il prend le pape lui-même à témoin de son innocence. Ibid., col. 340 C. Il ne vécut pus assez long­ temps pour profiter de l'amnistie de 821. Depuis 818, il était remplacé par Jonas sur le siège d’Orléans. I) y a deux traditions sur sa mort, l'une, la plus vraisem­ blable, le fait mourir en exil; l'autre le ramène à Or­ léans, pour y mourir bientôt empoisonné. D’après un nécrologc, la date serait le 18 septembre 821. IL Œuvres. — 1° Œuvres théologiques. — La plus considérable est son traité De Spiritu Sancto, P. L., t. cv, col. 259-276, qu’il composa à la demande de Charlemagne pour justifier l’addition du Filioque par les Francs au symbole de Nicée. A vrai dire c’est moins une œuvre composée qu’un recueil de textes patristiques en faveur de la thèse. De la plume même de Théodulfe, on ne peut relever que la préface (en vers) à Charles empereur, mais le choix des textes montre l’érudition de l’évêque d'Orléans et, par la même occasion, nous apprend, si c'était nécessaire, quelles connaissances patristiques possédaient les théologiens du ixe siècle. Plusieurs textes cités n’ap­ partiennent pas en réalité aux auteurs à qui ils sont attribués, par exemple les textes de saint Athanase sont tirés d'un De Trinitate qui n'est pas de lui mais figure sous son nom dans l’édition latine de scs œu­ vres. Le symbole Qulcumque également est attribué à tort à saint Athanase, mais il n’est pas nécessaire d'insister, l’erreur étant beaucoup plus ancienne que Théodulfe. Parmi les extraits de saint Augustin, plu­ sieurs ne figurent pas dans scs œuvres authentiques, mais la tradition fut toujours généreuse à l’égard du grand docteur. A ccttc question il faut rattacher un commentaire très sobre du Quicumque, publié par Ch. Cuissard, Théodulfe, sa vie et ses œuvres, Orléans, 1892, p. 343. Comme plusieurs évêques d’alors, Théodulfe com­ posa un traité De ordine baptismi, P. L., t. cv, col. 223240, pour répondre à l’enquête proposée par Charle­ magne en 811. L'ouvrage est adressé à Magnus, arche­ vêque de Sens, pour être transmis à l’empereur: il consiste dans l’explication détaillée des rites du bap­ tême; on trouve à l’occasion du symbole deux allu­ sions aux controverses du moment : et in Jesum Chris· tum... verum Dei filium, non /actum aut adoptivum sed genitum (coi. 227 B), et plus loin sur le Saint-Esprit : Deum verum ex Patre Filioque procedentem (coi. 227 D). 2° Œuvres scripturaires. — Charlemagne avait chargé Alcuin de mettre de l’ordre parmi les textes bibliques aux variantes multiples qui étalent en cir­ culation; son esprit simplificateur envisageait une sorte de textus receptus qui réalisât l’uniformité; Al­ cuin sc mit à l'œuvre et s’efforça de restituer la Vul- 333 THÉODULFE — THÉOGNOSTE gate hléronymlcnnc, les variantes étant éliminées de l’édition. Le but de Théodulfe n’est pas le même : il n'a pas le cœur de choisir parmi les variantes; sa pensée là-dessus nous est bien indiquée dans une épltrc en vers adressée Λ sa < fille · Gisèle, en lui envoyant comme cadeau de noces un psautier magnifique ar­ gento algue auro quod radiare vides; ce psautier con­ tient, dit-il, les deux versions de saint Jérôme : sensi­ bus egregiis utraque, crede, micat, l’une et l’autre brillent de très beaux sens. P. /.., t. cv, col. 326 C. Ce psautier a disparu, mais les Bibles qui nous restent, en particulier l’exemplaire de la Bibliothèque nationale (lal. ys8O) et celui qui est conservé au trésor de la cathédrale du Puy, témoignent de la même disposi­ tion : un système compliqué de ponctuation, de ratu­ res, surcharges, additions Interlinéaires ou marginales, sur un texte de base apparenté de près au Codex Toletanus montre le désir de ne sacrifier aucune va­ riante intéressante. Plusieurs versions latines inter­ viennent, les Septante et aussi, nous dit-on, l’hébreu : pour ce dernier, son influence se voit surtout dans l’ordre adopté pour les livres. Théodulfe voulut que les Bibles sorties de son scriptorium fussent accompa­ gnées d’une chronique, qu’il emprunta à Isidore de Séville, d’une « clé » pour l’explication symbolique et enfin d’un speculum : recueil de préceptes moraux, de sentences tirés des livres saints, qu’il trouvait parmi les œuvres de saint Augustin. Ajoutons que, malgré la complication de l’apparatus, ces Bibles sont fort belles, tant par la calligraphie que par les miniatures qui les décorent. Cependant elles n’eurent pas grand succès : le système était trop compliqué. Il faudra attendre les érudits du xvi· siècle pour avoir l’idée de semblables éditions avec toutes les variantes d’un texte. Théo­ dulfe est le précurseur des éditions critiques; cf. De­ lisle : Les Bibles de Théodulfe, dans Bibliothèque de Γ École des chartes, 1879, t. XL, p. 5 et *17. 3e Œuvres pastorales. — Elles consistent principale­ ment en deux recueils de préceptes, conseils, direc­ tions, donnés par l’évêque d’Orléans à scs prêtres et qui se présentent à nous, à l'instar des textes législatifs royaux, avec le titre de Capitula et Capitulare; le second recueil est appelé parfois · Pénitenticl » : de fait, il est en grande partie constitué par l’énumération classique des fautes. affectées de la pénitence qu elles comportent. P. L., t. cv, col. 191-208, 208-221. Il est Impossible de donner Ici un résumé même suerint de ces deux recueils, mais Ils sont importants, le premier surtout, pour la connaissance de la législation reli­ gieuse à l’époque carolingienne et très révélateurs de l'organisation diocésaine et paroissiale; cf. Carlo de Clcrcq, La législation religieuse franque de Clovis à Charlemagne, Louvain, 1936. On trouvera une bonne analyse dans dnm GèllÜcr : Histoire générale des au­ teurs sacrés et ecclésiastiques, éd. Vivès, t. xn, p. 264 sq. Ch. Cuissard a tiré des capitulaires de Théodulfe une longue description de lu vie religieuse dans l'Orléanais Λ celte époque, op. cil., passim. Dom d’Achery, au t. v de son Spicilegium (1661), donne deux extraits assez courts de sermons, repro­ duits dans P. L., t. cv, col. 275-282. Enfin, Il faut rat­ tacher aux œuvres pastorales une explication du canon de la messe qui est plutôt une œuvre d'édification que de théologie, publiée par Ch. Cuissard, op. cil., p. 332. L opuscule s’intitule : Interpretatio misser et l’explication s’étend depuis la préface jusqu’à V Agnus Dei inclus. Notons pour la théologie de l'eucharistie ce bref commentaire du Qui pridie : Quis unquam crede­ ret quod corpus in panem potuisset converti vel sanguis in vinum, nisi ipse Salvator diceret, qui panem el vinum creavit et omnia ex nihilo /ccil? Facilius est aliquid ex aliquo /acere quam omnia cx nihilo creare. Ibid., p. 338-339. 33'. 4° Œuvres poétiques. — Elles représentent la plue grande partie de l'œuvre de I Léodulfc. P. /... t cv, col. 283-380, et surtout Dümmlcr, Mon. Germ, hist., PoetmA. î, p. 437 581. Elles ont été naturellement très étudiées du point de vue de Tliidolrt- littéraire c! aussi du point de vue de l'histoire de la ch lllsat ion Guizot m a tiré un chapitre de son Histoire de la nnihmhon en France, xxin· leçon. Ebert, dans son Histoire gmérale de la littérature du Moyen Age en Occident (trad. Aymé· ric-Condamin, t. n, p. 81) n’a guère retenu qu’elles de l’œuvre de Théodulfe. Le fait est que ers poèmes abondants et faciles constituent un document de pre­ mier ordre. Ils nous font connaître <1 une manière sympathique l’auteur lui-même, sa culture antique. sa sensibilité; on ne s’étonne plus qu’il ait apporté tant de soin à la construction et à la décoration des églises, à la copie et à l'ornementation des livres. Son maître est Virgile, mais surtout Ovide; d'ailleurs il nous ren­ seigne lui-même sur scs lectures dans la pièce intitu­ lée : De libris quos legere solebam. P. L.. col. 331. L’évêque avait élégamment résolu pour son compte personnel le cas de conscience de la fréquentation des auteurs païens, qui inquiétera encore bien de scs con­ temporains. Plusieurs de ses poèmes sont de simples jeux d'esprit : telle la description d’un combat d’olscaux dans la région de Toulouse. A la fin de sa vie, il pleurera la tristesse de son sort à la manière d’Ovide déplorant son exil : un beau poème, autour duquel de gracieuses légendes se sont formées, date de celte époque, le Gloria, taux, passé dans la liturgie du dimanche des Hameaux. Théodulfe écrit en ven sur les sujets les plus variés avec une étonnante facilité. Mais beaucoup de ces poèmes, comme on peut s’y attendre de la part d’un évêque, ont un intérêt parénétique : Ils exhortent, ils prêchent, par exemple le récit en vers qu’il nous donne de sa mission dans le midi de la Gaule et qui s’intitule : Parentsis ad fudices, cf. G. Monod, dans Revue historique. 1887. Il y a dans ce récit, du pittoresque, de la vie, mais il est surtout une exhortation aux juges pour qu’ils soient Intègres. Nous avons une Parenesis semblable ad episcopos, un long parallèle des vertus cl des vices, une description des arts libéraux. On ne pourrait conn dire l’évêque d’Orléans sans avoir lu scs poèmes, c’est là assurément qu’il a mis le meilleur de lui même : théologien quand il l’a fallu, Théodulfe a été essentiellement un évêque cl par surcroît un humaniste. 1· Texte. — Le premier érudit qui nlt port Λ %e< recherches sur l’évêque Théodulfe semble itv.»lr etê Sitniond. Dès 1629, au 1.11 des Concilia antiqua Gai lac, il public les Capi­ tula, P. L·., col. 191. Eu 1616 paraissent u Paris chez Crainoisy les Tticoduip Aurelianensis episcopi opera; ce recueil contient les Capitula déjà publics, le Dr ordine baptismi, le De Spiritu Sancto, les Carmina dlvlM** en b livm. Cette édit ion n été considérablement augmentée d m·, les Sirmondl Opera, t. n, Paris, 1696 Mignv. dans p. / . ’ < «Ι··μ»γ les textes publies pai Sinnond, augmentes des ti »u\ lUIr» d? Baluze et de Mabillon. En outre, nous avons signals plu­ sieurs textes édité» par Ch. Cuissard a la lin de sou ouviagc. 2· Études. — Baunard, l lu^niulp, Mque d'Orléans et abbé de F leurg-sur· Loire, Orleans, 18· U; Ch. Culxsurd, Théodulfe, évéque (TOrléans, sa vie cl aca ιγιηήι, (itleans, 1892; Chanoine G. Chonesscau, L*abbayc dr l leurg a Subit· Benoit-sur-Ivoire. Paris, 1931. Pour les ouvrages généraux, *e rrjjorter aux articles : Haba.n-Mavh, Hadiieht, Hatha.mnk, Smahaoul· IL PhLTtEn. 1. THÉOGNOSTE, théologien d'Alexandrie à la fin du m· siècle. — Nous ne coniiulsMmx rhn de la vie de Théognostc. que ne signalent ni Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique, ni saint Jérôme dans le De viris illustribus. Philippe de Side, dans le fragment conservé pur le cod. Bodl. Barocc. IU » »l. 2I*·. assure qu’il fut le chef de Pécule rutéchéliquv d \k x.uidric el le place à la suite de Dcnys et de i'iérius, m us avant 335 THÉOGNOSTE Sérapion cl Pierre. La notice de Philippe, on le sait par ailleurs, ne mérite qu’une confiance très relative; elle est remplie d’erreurs flagrantes et d'anachro­ nismes. Dans le cas de Tin ognosle, elle sc trompe pro­ bablement en le plaçant à la suite de Piérius. Nous savons que celui-ci était prêtre sous l'épiscopat de Théonas (281-300) cl qu'après la grande persécution il passa à Home le reste de sa vie. D'autre part, saint Denys fut élevé â l'épiscopal en 217-218 et il dut, à ce moment, abandonner la direction de l’école. Il ne peul donc guère avoir eu Piérius pour successeur immé­ diat à l’école et il est vraisemblable que l’activité de Théognoste est â placer sous l'épiscopat de Denys et de scs successeurs, entre 247 et 280 environ. Saint Alhanase qui cite son témoignage le range parmi les anciens, παλαιοί άνδρες. Episl. ad Scrap., iv, 11. Dans le De decretis Nicanac synodi, c. xxv, il le mentionne comme un habile homme, λόγιος άνηρ, avant saint Denys. Après saint Athanase, saint Grégoire de Nysse, Stéphane Gobar, Photius, puis, au xn· siècle, Georges de Corcyre sont seuls à rappeler le souvenir du vieux théologien. Des ouvrages de Théognoste, nous connaissons d’abord quatre fragments : deux d'entre eux ont été conservés par Alhanase aux deux endroits déjà cités; un troisième figure dans le Contra Eunomium, 1. III, c. lit, de Grégoire de Nysse; un quatrième a été publié par Fr. Diekamp en 1902. Mais c’est Photius, Bitdioth., cod. 106, qui nous renseigne le mieux sur son activité littéraire. Il nous apprend en effet que Théognoste avait écrit un grand ouvrage en sept livres intitulé llypotyposes et il indique approximativement le con­ tenu de chacun de ces livres : le premier devait traiter du Père, le deuxième du Fils, le troisième de l'EspritSaint, le quatrième des anges el des dénions, le cin­ quième et le sixième de l'incarnation, le septième de la création. Photius donne le litre du septième livre : De l'activité créatrice de Dieu, ce qu'il ne fait pas pour les autres livres. Diekamp a cru pouvoir conclure de ce fait et aussi de l'affirmation que le 1. VII était plus orthodoxe que les autres, spécialement en ce qui concerne la christologie, que ce livre constituait une sorte de rétractation des précédents. Après avoir systémati­ quement exprimé sa pensée sur tous les dogmes chré­ tiens, Théognoste aurait été amené à revoir son œuvre, à la coniger ou a la compléter sur des points spéciaux et l’occasion de celle revision aurait pu lui être fournie par la controverse des deux Denys et les reproches adressés à l’évêque d'Alexandrie par saint Denys de Home. Cette hypothèse est malheureusement aussi aventureuse que séduisante et nous ne saurions la retenir. 11 peut être surprenant de trouver le traité do la création après celui de l’incarnation et même après celui des anges el des démons; mais nous savons que l’ordre des matières suivi par les théologiens anciens était assez different du nôtre : dans le De principiis, Origène, après avoir parlé de Dieu, puis du monde el de l’homme, ne consacre-t-il pas ses deux derniers livres à la liberté humaine et a l'interprétation de l’Écriturc sainte? La doctrine de Théognoste semblait assez cho­ quante à Photius, qui en critique plusieurs points, et déjà a saint Grégoire de Nysse, qui la rapproche de celle d’Eunomius. De même le calénlste auquel est dû le fragment publié par Diekamp écrit : « A re­ marquer qu’en plusieurs autres passages, cet auteur émrt des blasphèmes sur le Fils de Dieu et sur le SaintEsprit. » En réalité, le s leux théologien d’Alexandrie se montre le disciple fidèle d’Origène et ses enseigne­ ments s’apparentent de près à ceux de saint Deny s. Pour su part, saint Athanasc ne voyait pas de diffic allé à se couvrir de l'autorité de ce savant homme, 33t tout en déclarant qu’il parlait parfois pur numUn d'exercice avant d'exprimer sa véritable pensée : n I πρότερα ώς έν γύμνασή έξετάσας. ύστερον την δόξαν τιΟείς. De decret. Nie. syn., c. xxv, p. G., t. xxv, col. 460. Scion Photius, Théognoste enseignait que le Père doit nécessairement avoir un Fils. Peut-être faut-il entendre par lù que Dieu est obligé pour se révéler d'avoir recours à un médiateur. On se souvient que, pour Origène, Dieu est de même la vérité el la bonté absolues et qu’il se manifeste aux hommes pur le moyen du Verbe qui est seulement vrai et bon. Plus grave, nous semble t-U, est le reproche, encore adressé par Photius à Théognoste, d'avoir donné au Fils le nom de créature, χτίσμα. I n reproche sembla­ ble a été fuit â Origène et à saint Denys d'Alexandrie. Mais on sait qu'au in· siècle encore le mot χτίσμα était loin d’avoir un sens aussi nettement déterminé que celui qu’il a de nos jours et que son emploi dan* h christologie était Justifié par le célèbre verset de Prov., vin, 22, où la Sagesse parle de sa création par le Sei­ gneur. D'ailleurs, saint Athanasc, De decret. Nie. syn., c. xxv, cite un passage de Théognoste où cclui-d enseigne clairement que le Fils est de l'ousie du Père, έκ της ούσίας του Πατρός, comme le rayonnement de la lumière ou la vapeur de Peau. · Le rayonnement n'est pas le soleil, la vapeur n'est pas l’eau; mais iis ne sont pas étrangers au soleil ou a l’eau. De même, l'ousie du Fils n’est pas le Père el elle n’est pas étran­ gère à lui, mais elle est une émanation de l’ousie du Père, sans que celle-ci ait à souffrir une division. > Ail­ leurs, dans le nouveau fragment publié par Diekamp, Théognoste écrit : « Les Écritures donnent au Fils les noms de Verbe et de Sagesse, il est appelé Verbe parce qu'il procède de l'esprit du Père de l'univers, car il est clair que le Verbe est la plus noble expression de l’esprit. Mais le Verbe est également une image, car le Verbe seul traduit d'une manière convenable les pen­ sées qui existent dans l'esprit. Pourtant nos paroles humaines ne sont qu'une Indication partielle des cho­ ses qui sont susceptibles d'être dites et elles laissent de côté bien des choses ineffables qui restent dans l'esprit seul. Mais le Verbe vivant de Dieu (interprète tout l’esprit de Dieu)... Les Écritures disent encore que dans le Fils habite la plénitude de toute la divi­ nité. Elles signifient non pas qu'il est une chose et que la divinité est une autre chose distincte qui entrerait en lui et le remplirait, mais qu’il est semblable au Père, que son ousie est pleine, comme l’ousie du Père, de tout ce qui constitue Dieu. Il possède ainsi la ressem­ blance du Père selon l'ousie..., une ressemblance en­ tière et exacte. > Ce langage est Jugé correct par le caténiste. 11 nous surprend un peu. parce qu'il y est question de l’ousie du Fils et de celle du Père, alors que le symbole de Nicée dé< lare expressément que le Fil* est consubstantiel, όμοούσιος. au Père et qu’il ensei­ gne l'unité d’ousic en Dieu. Mais il ne faut pas s’arrêter aux mots; ici encore, Théognoste s’exprime comme Denys d'Alexandrie, en évitant soigneusement toute* les expressions qui pourraient favoriser l’hérésie sabel· tienne. On peut ajouter que, selon Photius, Théognoste limite l'action du Fils aux seuls êtres raisonnables, των λογικών μόνον έταστατεϊν. Une idée semblable est attribuée à Origene par saint Jérôme, Episl., cxxiv, ad Avid., c. 2, et par Justinien, Episl. ad Me nam, Mansi, Concit., t. ix, col. 524; ci. P. Kœlschau, Origenes De principiis, 1, in, 5, p. 55-56, et elle s'explique par le fait que le Fils est essentiellement la raison de Dieu. 11 faudrait d'ailleurs connaître exactement le texte auquel sc réfère Photius pour être capable d'apprécier la vraie pensée de Théognoste. 337 THÉOGNOSTE A propos du Saint-Esprit, saint Athanasc nous a conservé, Episl. ad Scrap, iv, 11, deux passages de Théognoste relatifs au péché contre le Saint-Esprit. Sérapion avait consulté l'évêque d'Alexandrie a ce sujet et celui-ci s'était immédiatement référé aux écrits d’Orlgène cl de Théognoste pour répondre à son cor­ respondant, marquant ainsi la haute opinion qu'il avait de çes écrits. Théognoste, ajoute-t-il, distingue trois catégories de péchés : ceux qui ont commis les péchés de la première ou de la deuxième catégorie, c'est-à-dire, ceux qui ont trahi les enseignements rela­ tifs au Père et au Fils, doivent être châtiés moins sévèrement; mais ceux qui ont péché contre Γ EspritSaint ne sont pas dignes de pardon. « Le Sauveur daigne converser avec ceux qui ne peuvent pas encore recevoir l'enseignement parfait et condescend û leur faiblesse, tandis que l'Espnt-Saint réside dans ceux qui sont parfaits, συγγίνεται τοίς τελαουμένοις (c'est-ù-diie dans les baptisés). Pourtant renseigne­ ment du Saint-Esprit nu peut pas être regardé comme supérieur à l’enseignement du Fils. Nous pouvons seu­ lement dire que le Fils condescend aux imparfaits, tandis que l’Esprit est le sceau de ceux qui sont par­ faits. Ainsi ce n’est pas une preuve de la supériorité de l’Esprit sur le Fils que le blasphème contre l'Esprit soit irrémissible. > Dans tout ce passage, on le voit, Théognoste ne se préoccupe pas de marquer la place du Saint-Esprit dans la Trinité et nous ne savons pas précisément ce qu'il pensait à ce sujet. 11 s'intéresse seulement an péché irrémissible, que seuls, dit-il, peu­ vent commettre les baptisés en qui le Saint-Esprit réside. C'est à cause de cette résidence que la faute des baptisés ne mérite pas le pardon. Il n’est pas impos­ sible d'ailleurs qu’il ait admis une certaine subordina­ tion du Saint-Esprit au Père et au Fils, mais ce point reste obscur. Dans l'ensemble, pour autant que nous sommes capables de la connaître, la théologie de Théognoste ne présente pas d’éléments originaux. Elle s’apparente de très près à celle d’Orlgène et de saint Dcnys, c’està-dire qu'elle se tient dans la ligne de pensée tradi­ tionnelle dans l’école d'Alexandrie. Si Grégoire de Nysse et surtout Photius trouvent à la critiquer, Atha­ nase ne sc montre pas aussi rigoureux; il cite au con­ traire le vieux maître comme une autorité digne de vénérai ion. Les fragment s de Théognoste sont réunis dans P. G., t. x, col. 235-215, et mieux dans Routh* Miquia' sacra·, 2· éd., p. 407-122. Un fragment nouveau a été édité par Er. Diekamp, Ein nrues Fragment aus den Hypolyposcn des Alexandrlner Theagnost, dans Thcologische QuartalschrilL t. lxxxiv, 1902, p. 481-491; voir aussi Photius, IJlbliothcca, codex 106; A. von Harnack, Dit Hgpotgposen des Theognost, dans Texte und Untrrsuchungcn, t. xxiv, 1903, fuse. 3, p. 7392; L.-B. Had ford. Three teachers o/ Alexandria, Thevgnos· tus, Plerius and Petrus, Cambridge, 1908. G. Barov· 2 TH ÎOGNO8TE, moine bvzanlin du ιχ· siè cle,— Parmi les personnages qui jouèrent un rôle im­ portant dans l'affaire de Photius, se trouve le moine byzantin Théognoste, ami fidèle du patriarche Ignace et défenseur dévoué de sa cause. Ce fut lui qui rédigea et jMirta à Home, au péril de sa vie, l’appel d'Ignace uu Saint-Siège contre la sentence do déposition dont l’avait frappé le concile de Constantinople en 861 avec la complicité des légats romains Kodoald de Porto et Zacharie d’Anagnl. Cf. art, Photius, t xn, col. 1564. Théognoste était alors un des personnages les plus mar­ quants du clergé régulier de Constantinople. Non seulement il était archimandrite d’un couvent de la capitale, mais encore le patriarche lui avait confié le poste de confiance d’exarque, c’est-à-dire de légat patriarcal auprès des monastères stavropégiaques de plusieurs provinces ecclésiastiques. Pour éviter les 338 représailles de Photius, il fut contraint de rester à Home Jusqu’en août 868, époque à laquelle il put re­ prendre le chemin de Constantinople, porteur d'un courrier pontifical pour le basileus et le patriarche Ignace, rétabli sur son trône. Dans sa lettre à l’empe­ reur. le pape Hadrien II fait de Théognoste le plus grand éloge et le recommande à la bienveillance du souverain. Hardouln, Acta conciliorum, t. v, col. 86Ô. Mêmes paroles flatteuses dans la lettre û Ignace. J bid., col. 862. Celui-ci n'oubliait pas les services ren­ dus par l'archimandrite. Aussi lui confia-t-il, à snn retour, la direction du monastère de Pégé, l’un des plus importants de la capitplc. el le nomma, en même temps, skévophylax ou trésorier de la Grande Église. Nous Ignorons s'il assista au VIII· concile œcuménique de 869-870. La Vita Hadriani II nous apprend seule­ ment qu’il alla, avec le protospathaire Slsinnius, à la rencontre des légats romains, à Sélymbrie, en septem­ bre 869. et qu'il les accompagna de là jusqu’à Constan­ tinople. Vita Hadriani H, P. L., t. αχ, col. 1387. Après le concile, ce fut lui que choisit Ignace pour s'acquitter, auprès d’Hadrien II. de la mission délicate d’obtenir une mitigation de la sentence portée par l'assemblée œcuménique contre les clercs ordonnes par Photius. Mais Théognoste eut beau plaider avec zèle la cause dont on l’avait chargé : Hadrien H maintint, dans toute leur rigueur, les décisions du pape Nicolas el du concile contre le clergé photien. Cet échec dut lui être particulièrement sensible, d'autant plus que le pape lui conservait toute sa confiance et toute son affection. Voir la réponse du pape à l’empereur et à Ignace sur cette affaire : Mansi, ConciL, t. xvi, col. 207. Après quoi on le perd de vue. Resta-t-il à Rome? Re­ tourna-t-il à Constantinople? Nous l'ignorons. Il dut mourir dans les dernières années du ix· siècle. De Théognoste, la P. G., donne deux pièces seule­ ment : 1° Un Panégyrique de tous les saints : Έγκώμιον είς τούς άγιους πάντας. P. G., t. cv, col. 849-862, édition princeps de Mingarclli, Græci codices manus­ cript! apud Nanios asservati, Cologne, 1784, p. 144; 2° Le Libellus ad Nicolaum papam, coi. 856 sq., qui n’csl autre que la lettre d’appel du patriarche Ignace dont nous avons parlé plus haut, rédigée à l'issue du concile photien des Saints-Apôtrès en 861. Dans le litre même de ce document, Théognoste proclame sa foi en la primauté romaine, appelant le pape : · le pré­ sident et le patriarche de tous les sièges, le successeur du Coryphée, le pape œcuménique : τω μακαρ·.ωτάτω προέδρω καί πατριάρχη πάντων των θρόνων καί τού Κορυφαίου &αδόχψ καί οικουμενικό Νιχολάω πάπα. A cet héritage littéraire, il faut ajouter une courte homélie pour la fête de la Dormition de la sainte Vierge, que nous avons publiée dans lu Patrologia orientalis de Gruffln-Nau, t. xvi, p. 457-462, d'après le cod. 763 de la Bibliothèque nationale de Purls, du x· siècle : Θεογνώστου μοναχού έγκώμιον είς την κοίμησιντης ύπεραγίαςΘεοτόκου. Théognoste enseigne, à la fois, très clairement et l’immaculée conception de la Mère de Dieu a primo instanti (voir son beau témoignage sur ce dogme à l’art. Immaculés concep­ tion DANS L’ÉOLISE GRECQUE APRÈS LE CONCILE d’Éphèse, t. vn, col. 927) et son assornption glorieuse en corps el en âme, P. ü., t. cit., p. 460. Il a seulement le tort de trop s’inspirer du récit légendaire de Jean de Thcssalonique sur la Dormition. Le* source* ont été indiquée* uu cour» de Fartlcle; M. Jugic, La vie et les ceurrcs du moine Théognoste f/Jt· s.J, .Son témoignage sur ΓImmaculée Conception, dim* le lïessa· rione, t. xxxv, 1919. M. J VOIE. 3. THÉOQNO0TE, tuteur spirituel byzantin (X!v* s.). — Π a laissé un acrostiche spirituel en soixante-quinze chapitres : Περί πράςεως καί θεωρίας 339 THÉOGNOSTE — THÉOLEPTE καί περί Ιεροσύνης, dédié « aux très saints Pères Lazare et Barlaam ». Le c. xxvi est une interpolation empruntée à la Centurie de Jean de Carpat lins aux moines de l’Inde (P. G., t. lxxxv. col. 1812-1843, n. 23 de la traduction de Pontanus, ibid., col. 795 C796 A). Les cinq dernières lettres de l’acrostiche man­ quent. L’âge du plus ancien et seul manuscrit complet, fin xiv· siècle (Lavra, M, 04, fol. 855-869). celui des extraits, tous postérieurs au xiv* siècle, l’inspira­ tion mêlér de la doctrine nous portent à dater le fac­ tum du x:v· siècle. La critique interne révèle d’assez nombreux emprunts allant au moins jusqu’à saint Jean Damascène, L’opuscule est formé de considéra­ tions peu liées sur les vies active et contemplative et sur le sacerdoce (13-21, 49-60, 70-74). Le vocabulaire est assez recherché. Le style l’est beaucoup moins. A noter, parmi les traits les plus suggestifs de l’ou­ vrage, la place donnée à la πληροφορία, sentiment vif de la grâce cl de la prédestination bienheureuse, l’im­ portance du facteur sacramentel dans la vie spiri­ tuelle, la modération relative des principes concernant l’apathie cl la contemplation. La pièce n’est pas indi­ gne d’être rendue plus accessible. Le texte de l’acrostiche dans la Φιλοχα/χ τών ιερών νηπτικών, Venise, 1782. p. 499-511; Athènes, 1893, t. i, p. 355-365. Il faisait partie du t. clxii de la P, G. Pour plus de détails, cf. J. Gouillard. L*acrostiche spirituel de Thfognoste (XIV· sUcle), dans Æc/km d'Orient, t. XXXIX, 1940. J, Gouillahd. THÉO LEPTE j métropolite de Philadelphie, auteur spirituel byzantin (vers 1250-1321/1326). — Né à Nlcée autour de l'année 1250, il était diacre récem­ ment marié quand fut conclue l’union des Églises à Lyon (1274). Il quitta sa femme pour aller se joindre à des moines en un lieu retiré que certains identifient avec le Mont-Athos (Athonskij Palerik, IIe partie, 6* édit., Moscou, 1890. p. 109 : un passage de Philothéc Kokkinos, Éloge de Gregoire Palamas, P, G., t. eu, col. 561 A, admet une interprétation de ce genre). Il y trouva un mystique éminent pour lui ensei­ gner 1rs secrets de la praxis, de la theoria et de la nèpsis; cf. Choumnos, Éloge funèbre de Théolepte, p. 201203. 11 s’agit d’un certain moine Nicéphore qui nous a laissé un opuscule Sur la nèpsis et ta garde du cceur (Philoealie de Nicodème l’hagiorite, Venise, 1782, p. 869; Athènes, 1893, t. n, p. 236-241) et u joué un rôle intéressant dans la renaissance hésychaste des xhi*-xiv« siècles ;cf. le texte Important de Gr. Palamas publié par D. Staniloae, Anuarul Academia tco logice • Andreiane · din Sibiu, 1932-1933, p. 8-10 ct Viola si tnvûtatura sf. Gr. Palama, Sibiu. 1938. p. 51-57, résumé dans M. J agir, Note sur le moine hésychaste Nicéphore, dans Échos d'Orient, t. xxxv, 1936, p. 109. Vigoureux ascète. Théolepte fut aussi, entre beau­ coup de congénères, un des adversaires les plus décidés de la politique unioniste de Michel V1IL Cité pour ce motif devant l’empereur, il sc défendit si bien qu’on l’emprisonna après l’avoir copieusement battu. Libéré peu après, il transporta sa solitude près de sa ville natale, écarta définitivement ct non sans peine sa jeune femme et toucha enfin, à la faveur des revire­ ments politiques, la récompense des services qu’il avait rendus à l’orthodoxie. En 1285, en cITel, il signe au second synode des Blachernes comme « archevêque de la métropole de Philadelphie ». Un court traité contre les partisans non ralliés de Veccos, qu'il écrivit vers celte époque. Περί του φεύγειν τούς άποσχςζομένους των ύρΟοβόξων, nous est un bon garant de son zèle. Désormais le crédit dont II jouit et l’ardeur de son tempérament vont le mêler à toutes les alïalres. Après l’avoir signé avec tant d’autres, il s’inscrira contre le Tome de Grégoire IL patriarche de Constantinople; 340 voir ici Gnitaoins de Chyphe. Il tiendra bonne place (ό τα πάντα κυκών Θεόληπτος, Parhymèrc. Andronicus Palaiologos, ii, 10) dans lu coalition qui réclama u démission. Il se retournera ensuite contre l’un de ut partenaires dans cette lutte, Jean Cheilas d'Éphèie. Ibid., iv, 10. Une autre fols, son altitude conciliante dans une question de protocole entre le basileus et le sultan d’Égypte le mit violemment aux prises avec l’évêque de Dyrrachium, ibid., ni, 23. Mais, où il fut le moins heureux, ce fut en prêtant la main à une Insurrection militaire contre le commandant des forces d'Asie Mineure, Jean Tarchaniole (1297) : il eut le des­ sous. 11 dut cependant se remetire assez vite du coup porté à sa réputation. En 1303, Λ en croire son pané­ gyriste, cf. Ghoumnos, op. cit., p. 230-233, son prestige aurait suffi à faire lever le siège que les 'Lures mettaient devant Philadelphie. Grégoras, lui, a soin de doubler l’ascendant de l’évêque de l’autorité de l’épée catalane. Byzant. hist., VII, u» 3, P. G., t. cxlviii, col. 380-381. Androïde II utilisera plus d'une fois encore scs ser­ vices : en 1321, on le volt successivement figurer au tribunal chargé de Juger Andronic III, cf. Canlacuzène, Hist., I, xiv, P. G., t. CLiii, coi. 129 C, et être dépêché en ambassadeur auprès de celui-ci à Andrinople. Gré­ goras, op. cit., VIII, vi, 8, P. G., I. cxlviii, col. 500B; Cantacuzène, Hist., I, xïx, t. cliii,co1. 161 AB. A par­ tir de cette date, nous perdons sa trace. Son pané­ gyriste, N. Ghoumnos, étant mort le 18 janvier 1327, on est fondé à croire que Théolepte est décédé avant 11 tin de 1326. Les historiens s'accordent à souligner le crédit cl l’activité du métropolite. Scs relations avec des per­ sonnages importants de la société contemporaine, Théodore Métochitès, Nicéphore Ghoumnos, N. Gré­ goras, Michel Gabras, Grégoire Akyndinos, confir­ ment leur témoignage. Ghoumnos assure que Théo­ lepte était gratifié du charisme de l'enseignement. Op. cil., p. 219 sq. Ses œuvres valent l’examen. On a déjà nommé l'opuscule Inédit Contre les schismatiques, Otlob. gr. 418, xv-xvi* s., fol. 80-89. Des hymnes par lui composées, nous connaissons un « canon de com­ ponction » en neuf odes sur le jugement dernier, texte latin seul dans P. G., t. cxliii. col. 403-406 d'après la Biblioth. PP. Lugd.. I. xxn, un canon sur N.-S. J.-G., Athon. 4658, fol. 7, une poésie alphabétique, Padoo. Unio. 1722, fol. 78-86, un idloinèle sur Dieu, Ainhr. 1 /. fol, 317. Mais Théolepte est surtout pasteur ct directeur. Il entretint jusqu’à sa mort des rapports suivis avec le monastère du · Sauveur Philanthrope », à Constan­ tinople; Il dirigeait sa supérieure, Irène Choumnos, devenue sœur Eulogic, ct au moins certaines de scs religieuses. Il eut souvent l’occasion de s’adresser à elles dans des letlres, des homélies, de petits traités; sur ces rapports, se reporter à V. Laurent, Une prin­ cesse byzantine au cloître, Irène-Eulogie Choumnos PaPologine dans Échos d'Oricnt, t. xxix, 1930, p. 29 sq. Otlob. gr. 105, xiv· s., est sans doute le manuscrit le plus ancien (il a pu appartenir à Eulo­ gic) qui nous ait gardé la somme de cette activité. Il forme la partie essentielle de l’œuvre du métropolite. En attendant la publication de ccs pièces nous en don­ nons les titres, sur la foi de la table liminaire de rottob. 405. On pourra utilement confronter celui-ci avec le ms. 131 (allas 126, 184), du xiv· siècle aussi, de la bibliothèque patriarcale d’Alexandrie, d’ordre un peu difïérent mais de contenu identique, décrit dans Εκκλησιαστικός Φάρος, l. χχνιι, 1930. p. 354 sq., 416. 1. Lettre à Irèno-Eulogle. 2. Traité sur l'nctlvllo cachée dans le Christ et la Un de la vocation monastique. Il est également adressé a Irène, Il u été édité en grande partie par Nfcodème ΙΊ laglorite. 341 THÉOLEPTE — THÉOLOGIE Phi local le, Venise, 1782, p. 855; Athènes 1803, t. n, p. 227-232; P. G·, t. cxliii, col. 381-100, Il ne manque â l'édition QUO l'équivalent de* feuillets 8 r-9 y, 3· ligne. 3. Traité sur lu « nèpsis · ot l'orulwn (r.poa υχτ,)· sainte < dyade · ct mère des vertus. L Renouvellement symbolique des miracle* d'Égypte dans les ascètes (Λ une religieuse). 5. Symbolisme du mlmclo de in guérison de la femme courbée. 6. Catéchèse pour lu fête de lu Transfiguration. 7. Traité sur lu qulétudect l'oraison (ησυχίας, προσευχής). 8. Sur la soumission à la supérieure. 9. Leçon sur la conduite modèle dos moines vivant en communauté. 10. Les passions confondues par la discrétion (aux reli­ gieuses). IL Du silence (σιωπής). 12. Sur le Jeûne (pour le dimanche de la tyropiiaglc). 13. Sur le Jeûne. 14. Naissance du Christ et vie religieuse (aux religieuses)· 15. Sur rhumlüté et les vertu* 16. De la charité (aux religieuses). 17. Sans titre (του αύτοΰ). 18-23. Homélies pour chacun des dimanches de Pâques a la Pentecôte inclusivement (aux religieuses). 24. Memento détaillé des enseignements de Théolepte h Eulogie et a son assistante, Agathonicc. 25-28. Quatre lettres à Eulogie. La dernière a été écrite durant la dernière maladie de Théolepte : « Il n'en a pas envoyé d'autre, parce qu'il s’en est allé chez le Seigneur » (à la fin de l'index de VOttob. 406), 11 est prématuré de porter un jugement sur la pensée de Théolepte. Ce que nous avons pu en lire n'atteste pas un esprit original. Il peut cependant éclairer cer­ tains aspects de la vie monastique au xiv· siècle. On devra aussi relever attentivement les traits qui l’ap­ parentent à l'école hésychaste. Il a été l'élève du même Nicéphore dont Grégoire Palamas sc réclamera, voir plus haut, ct a conseillé ce dernier encore dans le monde; cf. Philothée, Éloge de Palamas, P. G., I.cli, col. 561 A. On devra donc tenter une confrontation des doctrines. Notons seulement l’insistance sur la nèpsis, la proseuché, la prière du cœur (assez souvent, mais semble-t-il, sans la technique physiologique de cer­ tains hésychastes). Sources biographiques. — Nicéphore Choumnos, Éloge funèbre de Théolepte, édité par J.-Fr. Bolssonade, Anrcdota grteca, t. v, Paris, 1833, p. 183-239, ct qui constitue l’une des principales sources de cette notice; Mathieu d’Éphêsc, Oraison funèbre Inédite, Vindob. theol. or. 1T4, fol. 131-135; les historiens cités; les correspondants de Théolepte : N. Choumnos, éd. Bohsonude, Anrcdota gr. noua, n. 88, 89, 96, 128; N. Grégoras, éd. Guilhind, Correspondance de NM· phorc Grégoras, Paris, 1927, p. 17; Michel G abras, Marcian. gr. 446, lettre 52, 96; G. Akyndinos, Marc. gr. 165, fol. 34. Pour l'œuvre nous n'nvons pu vérifier si le morceau publié par la P. G., t. cxliii, col. 399-101 appartient vrai­ ment nu groupe du codex Otlob. gr. 405. A signaler aussi Fabricius, HibUoth. gr., lr· éd., t. x, p. 138. 546-547; A. Ehrhard, dans K. Krumbacher, Gesch. der bgzant. Llteratur, 2· éd., p. 99. La notice utile de H. Gui Hand, op. cit., p. 379-382 devra être soigneusement contrôlée sur V, Laurent, Échos d'Orlent, t. xxvi, 1927, p. 1 16, 359-360. Govillahd. THÉOLOGIE. — Discours sur Dieu. 11 sera question ici de la théologie chrétienne, catholique. On peut la définir provisoirement : une discipline où, à partir de la Kévélalion et sous sa lumière, les vérités de la religion chrétienne sc trouvent interprétées, éla­ borées ct ordonnées en un corps de connaissances. Après une section consacrée au nom. cet article com­ portera un exposé historique, col. 316, et une étude spéculative, col. 447. J. mot.— Comme beau­ coup de mots de la langue ecclésiastique, le mot théologie est passé tel quel, par simple transposition, du grec ct du latin dans les langues modernes. Avant 1. INTRODUCTION i LE 342 de i*y fixer dans son iens actuel, le mot θεολογία. tout comme les mots θεολόγος cl θεολογείν. a connu des usages assez divers, qu’il n'est pas commode de rame­ ner à quelques lignes simples. On se référera au Thé­ saurus de Sulcer et aux excellentes études de Petau, Dogmata theologica, 1.1, Proleg., c. i; de Matlès, art. Théologie, dans le Diet, encyclopéd. de la théol. calh. de Wetzer et Wclte, trad. Goschler, t. xxm, p. 310 sq.; de F. Kattenbusch, art. Théologie, dans la Healencyklopûdte de Hauck, t. xxi, p. 901 sq.; de J. Sliglmayr, Mannigfache Pe.deutung non « Théologie » und « Théo· loqen », dans Théologie und Glaube, t. xi. 1919, p. 296309; de P. Batiffol, Theologia, theologi, dans Ephem. theol. lovan., t. v, 1928, p. 205-220; de F. Katten­ busch, Die Enlstehung einer christlichen Théologie. Zur Geschichte der Ausdrûcke θεολογία, θεολογεί·?. θεολόγος, dans Zeitsch. f. Theol. u. Kirche, nouv. série, l. xi, 1930, p. 161-205. I. Dans le paganisme. — Le mot θεολογία n’a que rarement, dans l'antiquité païenne, le sens qu’il prendra dans le christianisme de doctrine sur bleu. Les païens n'envisagent la divinité que du point de vue d’une explication des choses de ce monde: ils appel­ lent théologiens les poètes du passé qui, comme Orphée. Homère ct Hésiode, ont composé des théogonies, ou encore les prosateurs qui ont formulé des spéculations sur l’origine du monde. Aristote oppose à ces · théolo­ giens >. qui donnaient du monde une explication my­ thologique, les « philosophes » comme Thalès ou Anaxi­ mander et les « physiologues », qui cherchaient l’expli­ cation des choses dans les choses elles-mêmes et dans les éléments physiques. Platon, qui emploie lui-même une fols le mot θεολογία pour désigner la mythologie en sa valeur éducative profonde, Rép., 379 a, sera classé par les néoplatoniciens, ct même par certains Pères de l’Église, parmi les < théologiens ». Stiglm iyr, art. cité, p. 296-297; Kattenbusch, art. cité, p. 163. Aristote, en un passage fameux. Mei.. VI, i, 1025 a, 19, distingue trois parties dans la philosophie « théo­ rique » : lu mathématique, la physique et la théologie; celle-ci, qui est évidemment la plus digne des trois, est identique à la « philosophie première », c’est-à-dire à la métaphysique. De fait, Aristote nous a livré, dans le livre XII de la Métaphysique, une doctrine philo­ sophique sur Dieu qui a une réelle valeur de science, t’n énoncé semblable concernant les trois sciences théoriques se trouve ù MeE, XI, vin, 1061 b, 2; le pas­ sage est peut-être inauthentique. Il est certain que. dans le reste de son œuvre, Aristote emploie θεολογία ct les mots apparentés pour désigner la mythologie, ct non plus la métaphysique. Kattenbusch. art. cité, р. 167. L’emploi du mot au sens de doctrine concernant Dieu est donc, sinon douteux, du moins exceptionnel avant les stoïciens. Zenon divisait la philosophie en logique, éthique et physique, et Cléanthe, son suc­ cesseur. subdivisant chacune de ces espèces en deux, distinguait dans la dernière la physique et la théolo­ gie. Vers la fin du u® siècle avant Jésus-Christ, Punétius de Hbodes distinguera trois sortes de théologie : du moins semble-t-il être l'auteur de cette distinction qu’on retrouvera chez son disciple Indirect, Varron, dans un texte auquel fuit allusion TcrtuUien, Adtf. nat., π. 1 et 2. ct que nous a conservé saint Augustin : Tria genera thcologix dicit esse, id est rationis quie de diis explicatur, eoriimque unum mythicon appellari, alterum physicum, tertium civile..., De civ. Dei, 1. VI, с. v, P. L., t. xll col. 180; cf. 1. IV, c. xxvn, et 1. VI, c. xîl Ainsi les stoïciens ont-ils connu un emploi du mot theologia comme désignant, d’après l'équivalent que donne saint Augustin, la ratio qusr de diis explica­ tur, l’explication qu’on donne des dieux, laquelle peut être prise de trois points de vue : du point de vue 343 THÉOLOGIE. LE MOT 344 poétique, qui correspond à la mythologie, du point de ployé, en parlant de Dieu ou du Christ, pour signifier: vue rituel, c’est-à-dire quant au culte essentiellement reconnaître, proclamer et confesser comme Dieu, un politique des cités païennes, enfin du point de vue des peu dans le sens où les païens parlaient de la divinisa­ théories que les philosophes ont élaborées, qui revien­ tion de César. Batiffol, art. cité, p. 213-217. Chez Eunent à donner une valeur et une formulation ration­ sèbe de Césaréc, la décantation dt s mots et leur accep­ nelles à la religion poético-mythologique et au culte tion chrétienne sont chose acquise : il appelle saint public des cités et que Vairon appelle theologia natu­ Jean « le théologue » parce que son évangile est émi­ ralis, parce que cette théologie consiste à faire des nemment une doctrine sur Dieu, De ecclesiastica theo­ logia, I, xx; II, xir ; il connaît l’usage païen du mot dieux des personnifications des forces de la nature. On saisit là ce qui caractérise toute « théologie » païenne, théologie, mais il donne aussi délibérément à ce mol où la divinité est toujours considérée comme une un sens proprement chrétien : « Je vais commencer transposition ou une explication des choses de ce par une manière plus sublime et plus excellente que monde et non dans son mystère personnel ou sa na­ tout ce qui est selon l’homme, c’est à savoir l’économie ture intime : on n'obtient ainsi, remarque saint .Augus­ et la théologie selon le Christ. » //. E., I, i, 7; cf. II. tin, qu’une physiologia, et non une theologia. De ciu. prol. Cela signifie : traiter du Christ comme Dieu. Dei, 1. VI, c. vin, col. 186; comparer Contra Faus­ • La théologie est pour Eusèbe si exclusivement la tum, 1. XII, c. XL, t. xlii, col. 275. science du vrai Dieu et du Christ, que l’on ne saurait Parmi d’autres acceptions plus particulières des plus appliquer le mot aux faux dieux sans lui donner mots θεολόγος, θεολογία, Οεολογεϊν, celle qui se rap­ une épithète qui exprime que pareille théologie est une fausse théologie... Cet emploi constant par Eusèbe porte au culte public devait, sous FEmplre, connaître un emploi considérable et qui se rapproche de certains de θεολογία et Οεολογείν, au sens de science du vrai Dieu et du Christ, prépare une innovation qui va être emplois chrétiens.Ces mots sc réfèrent alors nu culte impérial et signifient : attribuer la qualité de dieu (à d’Eusèbe lui-même, dans un de ses tout derniers écrits César), reconnaître pour dieu, louer et honorer comme (337 ou 338) qu’il intitulera ΙΙερΙ της έκκλησιασπχζς dieu. Stiglmayr, art. cité, p. 299; Kattenbusch, art. θεολογίας. Eusèbe a consacré là le terme que lepscudocité, p. 201. Aréopagile reprendra à son compte dans son Περί II. Dans le christianismb. — Les chrétiens ont μυστικής θεολογίας. » P. Batiffol, art. cité, p. 218-219. une révélation portant sur le mystère de Dieu : celle Quant à Denys, s’il reste dans la ligne d'un emploi du Père, du Fils et du Saint-Esprit; aussi eussent-ils des mots θεολογία, θεολόγος, fréquent chez les Pères été portés, normalement, à entendre par théologie le grecs, pour désigner l’Écriture sainte el les auteurs fait de parler de Dieu en lui-même, s’ils n’avaient inspirés de Γ Écriture, il crée cette expression célèbre de · théologie mystique » et formule la distinction été plus ou moins longtemps gênés par les emplois païens du mot. Ceci est très sensible chez un Clément classique entre « une théologie cachée, mystique, sym­ d’Alexandrie ou un saint Augustin, où le mot est tout | bolique et qui unit à Dieu, l’autre manifeste, plu* connue, philosophique et démonstrative ». Epist.. ix. proche de prendre son sens ecclésiastique définitif, Il ne s’agit pas là de différentes parties de ce que nous mais se trouve encore déterminé par les emplois païens d'hier. 11 est notable d’ailleurs que les Pères grecs se appelons la théologie, mais de diverses manières de considérer et d'aborder son mystère. Dcnys est encore sont dégagés plus vite que les latins de cette espèce de prescription païenne. célèbre en méthodologie théologique par sa notion de Ie Les Pères grecs. — Clément d’Alexandrie parle 1 < théologie négative ». Mais, plus encore qu’une posi­ des · vieux théologiens ■ : ce sont Orphée, Linus, tion de méthode, cette notion représente une position Musée, I lomère, I léslode et autres · sages ». Ils ont pris doctrinale liée à toute la synthèse de l’Aréopagilc. leur sagesse aux prophètes, en l’enveloppant d’allé­ Dès lors, l'acception chrétienne de · doctrine gorie, et ont ainsi appris auprès de ces prophètes την véritable sur le vrai Dieu » est acquise pour les Pères θεολογίαν, Strom.. v, 4, éd. Stâhlin, p. 340. Ici, grecs. Une certaine spécialisation du mol va s’opérer θεολογία est pris absolument, pour signifier la connais­ cependant, chez quelques-uns d’entre eux (/Xthanase, sance des choses divines. Clément croit que les philo­ Grégoire de Nazianze), du fait des luttes trinitnires. sophes ont voulu réaliser une science de Dieu qui serait Athanasc emploie cinq fols le mot θεολογία, et tou­ • la vraie théologie ». Strom., v, 9, p. 364. · La philoso­ jours au sens de sacra doctrina de Trinitate. Aussi trou­ phie, soit barbare, soit hellénique, a fait de la vérité vons-nous le mot, chez saint Basile, De spir, sanclo, étemelle une parcelle, non de la mythologie de Diony­ 1845, pour désigner la divinité commune aux trois sos, mais de la théologie du Verbe éternellement exis­ personnes. Stiglmayr, art. cité, p. 303. Grégoire de tant. · Strom., i, 13, p. 36. « On voit comment, pour Nazianze, survivant aux grands champions de l’ortho­ Clément, de l’acception païenne du mot théologie se doxie trinilairc, leur donnera le nom de « théologiens » dégage une acception abstraite qui pourrait s’appli­ Ibid., p. 304. C'est chez ces Pères de la fin du ιν· siècle quer à la connaissance chrétienne de Dieu. Mais l’ac­ que se fixe la distinction, demeurée classique dans la ception païenne est encore In seule reçue, et c’est ainsi théologie byzantine, entre la « théologie », ou doctrine que le théologien par excellence est pour les pythago­ portant sur la divinité des trois personnes au sein de riciens Orphée. Strom., v, 8, p. 360. » P. Batiffol, la Trinité, cl 1' · économie », ou doctrine portant sur le art. cité. p. 213. Orlgènc, lui, parle bien des « vieux i Verbe dans le mystère de son incarnation. théologiens des Grecs », comme aussi de « la théologie Le mol θεολογία prendra un sens spécial chez les des Perses ». etc.; les théologiens sont pour lui les moines et les écrivains mystiques; il désignera une auteurs païens qui ont traité de religion et dont la doc­ connaissance de Dieu, la forme la plus haute de la trine s’appelle théologie. Mais, si Origène n’emploie pas < gnose » ou de cette illumination de l'Amc par le θεολόγος dans un sens chrétien, il commence a puri­ Saint-Esprit qui est, plus que l'effet, la substance fier l’acception des mots θεολογία, Οεολογείν, et il en même de sa divinisation ou transformation déiforme. connaît un emploi chrétien : dans le Contra Celsum, Chez Évagre le Pontique, suivi par Maxime le ContesVI. 18, éd. Kœtschau, p. 89, et le Comm. in Joan., i seur et d’autres, lu θεολογία est le troisième et le plus n, 34. éd. Preuschcn, p. 92. la théologie est une doc­ élevé des degrés de la vie, c'est-à-dire cette connaistrine véritable sur Dieu; puis, plus spécialement, une J sauce parfaite de Dieu qui s’identifie avec le sommet doctrine sur le Christ Sauveur, où celui-ci est vraiment I de la prière; cf. M. Vider, Aux sources de la spiritualité considéré comme Dieu. Comm, in Joan., i, 24, p. 30. de saint Maxime, dans Heuue d'ascétique et de mystique, Quant au verbe Οεολογείν, il est très fermement em­ I 1939, p. 164-165, 247 sq., 254. 345 THÉOLOGIE. ÉTUDE HISTORIQUE Chez Dindoque te chez les Pères. — Aristote intervient rela­ ti veine» ’ peu chez les Pères; ceux-ci le soupçonne­ raient plutôt d’inspirer des hérésies. Si l’on sc place au point de vue de la méthode, son influence sc montra plus considérable, mais elle fut plutôt tardive. La méthode aristotélicienne du problema et de Vaporie s'imposa et eut une Influence dans le néoplatonisme des premier» siècles chrétiens avant d’en avoir une dans la patristlque proprement dite des vr· et vu· siè­ cles; dès lors. Aristote Joue un rôle, cri technique théologique, dans In pensée des Pères orientaux : ainsi 358 chez Léonce de Byzance, chez qui l'on trouve non seulement la technique de la « question » aristotéli­ cienne, mais une utilisation, d’ailleurs nullement ser­ vile, des catégories philosophiques du Stagirite dans l’approfondissement de la christologie. Cf. M. Richard, Léonce et Pamphile, dans Revue des sciences philos, et IhéoL, t. xxvit. 1938, p. 27-52. Mais c’est surtout chez saint Jean Damascene que cette double influence d'Aristote, méthodologique et Idéologique, est remarquable. On a pu faire, entre Jean Damascène et les scolastiques, des rapproche­ ments qui ne sont pas tout extérieurs. De fait, la Source de la connaissance représente un exposé synthé­ tique de la doctrine chrétienne. Mais il est encore plus notable que Jean Damascène commence par des κεφάλαια φιλοσοφικά, des chapitres philosophiques, qui groupent, à titre d’introduction à l’exposé des dogmes, des définitions philosophiques empruntées aux philosophes, surtout à Aristote et à Porphyre, ainsi qu’aux Pères de l'Égiise. Par ce souci de précision technique, par l’usage fait de la philosophie d’Aristote en plusieurs questions théologiques, par exemple en morale, par une certaine élaboration du traité métho­ dologique De nominibus Dei, Jean Damascène a exercé une réelle influence sur le développement de la théo­ logie. influence d'ailleurs assez tardive pour ce qui est de l’Occident, puisque notre docteur n’y fut connu que vers le milieu du xn· siècle. Sur Aristote chez les Pères : P. d’Hérouville, Quelques traces (Γaristotélisme chez saint Grégoire de Xazianze, dans Rech. de science relig., 1918. p. 395-398; G. Bardy, Paul de Samosate, Paris, 1923, p. 292 sq.; P. Hendrix, De A texandrijnsche ! hrrest arch ILuilidrs..., Dordrecht, 1926, p. 114117; V. Valdenbcrg. La philosophie byzantine aux /F· et F· siècles, dans Hyzantion. t. n, 1929, p. 237-268; J. de Ghcilinck, Quelques appréciations de la dialectique if Aris­ tote durant les conflits trinllaircs du 1 F· siecle, dans Revue d'hist. ecclés., 1930, p. 5-42; G. Bardy, Origène et Γaristoté­ lisme, dans Mélanges Glolz, Parts. 1932. t. I. p. 75-83; Λ.-Μ. Fcstuglèrr, L*idéal religieux des Grecs et Γ Évangile, Paris, 1932, p. 221-263; B. Amou, Lnité numérique et unité de nature chez les Pères apres le concile de .\icée, dans (rregorianum, 1931, p. 212-254. 2. Introduction d'Aristote en Occident par Boèce. — On ne sait exactement si Boèce (f vers 525) traduisit l’œuvre entière d’Aristote, mais il est bien certain que seules furent connues du Moyen Age les œuvres logi­ ques du Philosophe dans la traduction de Boèce : à savoir les Categories et le Périherménéias, à quoi il faut ajouter une traduction revue par Boèce sur celle de Marius Victorinas de Vlsagogè de Porphyre : le tout formant la Logica vetus en attendant qu’une traduc­ tion des Analytica priora et posteriora, des Topiques, des Sophistici elenchi donne, entre 1120 et 1160, la Logica nova. C’est donc comme un maître de penser qu’Aristotc est reçu par le haut Moyen Age; plus pré­ cisément d’abord comme un maître de grammaire, ensuite comme un maître de raisonnement, en atten­ dant qu’il le soit, au xni· siècle, comme un maître dans la connaissance de l’homme et du monde. Boèce apportait encore au Moyen Age, outre un exemple d’application des catégories rationnelles aux dogmes chrétiens, qui aura une grande influence, une classification des sciences inspirée d’Aristote, qui dis­ tinguait. dans la philosophie, tres speculativa partes, naturalis, mathematica et theologica, et. De Trinitate, c. ir, P. L., t. lxîv, col. 1250; comp. In Porphyr., t. lxîît, col. 11 B. Cette division sera adoptée d’une façon courante nu xn· siècle : on la retrouse chez Gcrbcrt, Hugues de Saint-Victor. Raoul Ardent, Ciarcmbald d’Arras, etc. Mais il n’y a là qu’une division de la philosophie, et la < théologie » n’y est nullement considérée comme une élaboration systématique du révélé, mais comme une partie de la philosophie 359 THÉOLOGIE. D’ALCUIN AU ΧΙΙθ SIÈCLE 360 jouissant d'un degré défini d'abstraction et de spiri­ tienne non plus comme un maître de raisonnement tualité. Clarembald d’Arras, éd. Jansen, p. 29· sq.. mais comme un maître en la connaissance de l'homme Identifie formellement lheologizarc et philosophari de et du monde; il apporte une métaphysique, une pw Deo, sans d'ailleurs qu'on doive introduire dans un chologie, une éthique. La théologie se constitue alors, tel texte notre actuelle distinction entre philosophie du moins avec Albert le Grand et saint Thomas, loot le régime de la philosophie. Nous verrons quels pro­ et théologie. blèmes un semblable apport ne pouvait manquer de J. Mnrlétan, Problème de la classification des sciences poser. Du jour où Aristote apportait une philosophie l. thomiste, t. xiv, Paris, 1930, p. 6778; A. Stolz. Zur Théologie Anselms im Proslogion, dim Catholica, t. n. 1933, p. 1-21; · \ ere esse · Im Proslogion da hl. Anselm, dans Scholastik, t. ix, 1931, p. 400-109; É. Gil­ son, Sens et nature de l'argument de saint Anselme, dam Archives d'hist. docte, et lillér. du Moyen Age, l. xx, 1951, p. 5-51 ; A. Stolz. Einleitung, dans Anselm von Can­ terbury, Munich, 1938, p. 30-42. — Après la reduction de cotte partie du présent article, sont parus ; G. Sôbngon.Die Einheit der Théologie in Anselms Proslogion, Brnuiisberg. 1938; A. Koiping. Anselms Proslogion-Peutels der Exislen: Gotlcs. 1m Zusammcnhiuig seines spekulaliven Progranum bides quaerens intellectum, Bonn. 1939. V. La Renaissance du χιι· siècle. La tiiéolooib SOUS LE néOIME DE LA DIALECTIQUE. ---- 1° L* ÉCCk dt Sur le débat pour ou contre la dialectique·—M. von Bôck, Dfr slcbm Irelen KOnsle toi elltcn Jahrhundert, Donuu^Orlh. 1M7 ; Prantl, Geichtchte der Loglk, t. Il, p.73 tq.; J.-A. En­ dres l)(e Dialektlker und thrr Gegner loi 11. Jahrhundert, dans Philos. Jahrbuch, t, xix, 1006, p. 2O«33; Th. Beltz, Essai htstor. sur les rapports de la philosophie cl de la/ot de Laon et Abélard. — Les recherches récentes ont mieux mis en lumière le rôle de ΓÉcole de Laon dans le mou­ vement théologique. Il est bien certain que beaucoup des maîtres qui vont marquer le plus au χιι· siècle étaient passés à l'école d’Anselme de Laon, lui-même élève de saint Anselme à l'abbaye du Bec. Au point de vue de la notion et de la constitution de la théolo­ gie, Anselme de Laon a une double importance. D’abord parce que, dans les Sententin* éditées partiel­ lement en 1919 par Er. Blicmetzrleder, dans Heilràge, l. xviiï, fasc. 2-3, un cCTort est fait dans le sons de la systématisation, le vocable de Sentent ne recouvrant dès lors moins une sorte de florilège, qu’une œuvre construite, dans le sens que reprendront, au delà des Sentences du Lombard, les Sommes. La théologie prend ainsi plus complètement possession de son objet. Par ailleurs si, dans celle œuvre systématique, An­ selme ne semble pas être un véritable initiateur au point de vue méthodologique, se contentant de donner un enseignement qui est surtout une explication des textes au moyen de gloses et de commentaires, on ren­ contre aussi chez lui un début d’application du pro­ cédé de la quu’slio. c’esl-a dire du débat dialectique. Essai timide encore, cl qui ne satisfera pas Abélard· Celui-ci, venu à l’école de Laon, trouvera devant lui un homme « très fort pour ceux qui ne venaient que l’écouter», mais inexistant devant qui lui posait vrai­ ment des questions. On commit la scène qui décida du départ d Abélard : celui-ci, interrogé par le maître ■i 365 ISS \ NCE Dl stir ce qu’il pensait de divinorum lectione librorum, lui qui n’avait étudié que in physicis (ou in philosophicis), cl répondant qu’une telle élude pouvait bien être des plus salutaires, mais qu’il ne voyait pas comment 11 y avait besoin d’un commentaire cl d’un enseignement pour comprendre 1rs écrits ou les gloses des Pères. Et Abélard, mis en demeure d’expliquer les textes sacrés sans le secours des commentaires et des maîtres, commençant à Laon, par les moyens de son propre ingenium, une explication qu’il devait continuer ù Paris. Abélard. Historia calamitatum ou Epist,, !, 3, P. L·,, l. clxxviii, col. 123-125. Telle fut la manière dont Abélard aborda la théologie. Bien qu’il n’eût (ait. dès lors, que gloser l’Écrlture, il l’entreprenait avec les ressources de son propre esprit. Quelque six uns plus lard, à Sainl-Dcnys, il pousse plus loin l’inno­ vation et l’emploi de In raison naturelle. « Il arriva alors, raconte-t-il, que je m’appliquai ù disserter sur les fondements de notre foi ù l’aide de comparaisons fournies par la raison humaine et que je composai, sur l’unité et la trinlté divines un traité de théologie ù l’usage de mes disciples. Ceux-ci, en effet, récla­ maient des raisons humaines et philosophiques et il leur fallait des explications intelligibles plus que des affirmations. Ils disaient qu’il est inutile de parler si l’on ne donne pas l'intelligence de ses propos, qu’on ne peut croire cc que l’on n’a pas d’abord compris et qu’il est dérisoire d'enseigner aux autres ce dont ni sol ni ceux qu’on enseigne n’ont l’intelligence. · Hist, catam.,9, col. 140-143. 1. La théologie chez Abélard. — Cc n’est pas d’hier qu’on a commencé ù mieux apprécier le « rationalisme » d’Abélard, mais on s’est fait une idée beaucoup plus exacte de sa position depuis qu’on a dans les mains, pour l’interpréter, les textes logiques récemment édités par B. Beyer, Peter Abaelards philosophische Schri/ten, dans Heitrâqe, t. xxi. Munster, 1919-1933. Abélard est plus dialecticien et logicien que philosophe. Aussi est-ce dans sa position de logicien que nous compren­ drons sa position «le théologien, et dans son · nomina­ lisme » la vraie nature de son « rationalisme ». Nous avons vu Abélard requis par scs étudiants de ne pas énoncer des paroles que n'accompagnerait pus une intelligentia : l’œuvre théologique est précisément d’aboutir à cette intelligence. Mais de quoi s'agit-il? De pénétrer et de démontrer les mystères par la seule raison, une raison antérieure Λ la foi et indépendante d’elle? Nullement. A quelque état de son expression que l’on considère la pensée d'Abélard, on ne rencontre pas chez lui l’affirmation que le travail théologique sc poursuivrait par les seules forces de la raison et sans prendre appui sur la Révélation. Voir tout le prologue de Vlntroductio et Cottiaux, art. cités in/ra, p. 272 sq. Ce n’est pas pour se donner les objets de la fol que la raison intervient dans le travail thcologiquc, c’est pour constituer une explication critique de leurs énoncés. Abélard est moins un philosophe s’intéressant au fond des choses cl. par exemple, ù la réalité ou à l’irréalité des universaux, qu’un grammairien-logicien s'intéressant à une étude critique des propositions et de leurs rapports. H dit lui-même que la vocum pro­ prietas et recta impositio est à considérer magis quam rerum essentia. Dialectica, pars 111, éd. Cousin, p. 349. Il faut Interpréter sa théologie en fonction de sa logique. Dès lors, quand Abélard donne comme fonc­ tion Λ la théologie d’« assigner les causes des noms di­ vins ·. Tract, de unitate et de trinitate divina, éd. Stûlzle, 1891. p. 4; Theologia, I. 1, c. n. P. L., t. clxxviii, col. 1126, il faut bien voir qu’il ne s'agit nullement d’apporter la raison objective des mystères, mais seu­ lement de fournir une justification logique des énoncés de la fol, de montrer que les propositions dogmatiques sont conformes aux lois de la prédicabililé. 366 Abélard, b vrai dire, ne se contente pas de pour­ suivre un commentaire critico-logique des énonces doctrinaux; il apporte aussi des raisons en faveur des­ objets mêmes de la foi. du mystère I finit aire en par­ ticulier. Quelle était, à scs yeux, la valeur de ces rai­ sons? Celle d’une vraisemblance. aliqtud verisimile atque human* rationi vicinum, nec sacrer fidei contra­ rium : soit qu’il vise un usage apologéique de la rai­ son, advenus eos qui humanis rationibus fidem st impu­ gnare gloriantur; soit qu’il applique la raison à une théologie constructive en s’efforçant de définir, par des raisons de vraisemblance et de convenance, ce qui peut faire question à l’esprit. Quelle qu’ait été la prétention d’Abélard à une démonstration de la Tri­ nité, voilà où il arrête consciemment sa pensée sur le travail théologique. 2. Le .sic HT 50jr. — Dès l’époque carolingienne on avait éprouvé le besoin d’accorder des textes faisant autorité et qui. sur une même question, sc présentaient comme discordants. L’élaboration des règles pour cc travail d’interprétation et d’accord a été, au cours du xi· siècle, l’œuvre des canonistes. On n'a plus le traité où Hincmar de Keims a fixé scs critères d'interpréta­ tion, mais la substance semble bien en être passée chez Bcrnold de Constance (t H 10). qui, dans ses écrits théologico-canoniques. P. L.. t. cxlvhi, donne des règles précises. Chez lui cl chez les canonistes qui le suivent, Yves de Chartres en particulier, c’est toute une jurisprudence d'interprétation des · autorités » qui sc formule. Abélard, dans son Sic et non. introduit le problème de l’accord des autorités au cœur de Ir méthode théologique et lui donne une forme technique d’une rigueur nouvelle. Le point de vue d’un develop· pernent historique reste, en somme, étranger aux règles d’interprétation qu’il propose, mais il a le sen­ timent du sens authentique d’un texte et scs critères, dans l’ensemble, restent orientés vers la détermina­ tion du sens genuine. Par quoi il prépare la méthode d’interprétation et de réduction des oppositions tex­ tuelles qui sera employée dans la scolastique. Chez Abélard, non seulement le problème de l'ac­ cord des autorités opposées devient un problème pro­ prement théologique, mai* il devient une pièce tech­ nique de la méthode; le sic et non est érigé en système, s’intégrant au procédé dialectique que nous allons voir dès lors prendre corps dans la qiurstio et devenir l’ar­ mature du travail théologique de la scolastique. Abélard occupe une place considérable dans le déve­ loppement de la théologie cl de sa méthode. Il a, dans les trois livres de V Introductio, dans la Theologia Chris­ tiana cl dans V Epitome, donné l’exemple d’une élabo­ ration théologique qui n’est plus le commentaire d’un texte, mais une construction systématiquement distribuée. Avec lui, on est passé de la Sacra pagina a la Theologia. La théologie s’achemine vers sa consti­ tution véritablement scientifique. De fait, un écrit comme le 1. Ill de Vlntroductio, malheureusement peu développé, s'approche de la manière qui sera plus tard celle de suint Thomas: la méthode de ïaquirstio. fondée dans les Analytiques d'Aristote, Celui-ci y est appelé dialecticorum princeps, P. L.. t. CLXxvm, col. 1112 B. De fait, Abélard commence à introduire dans ses commentaires textuels eux-mêmes, des quarsttones : c’est une initiative tout à fait notable, et qui fera souche. Avec son Sic et non, Abélard est près · 1935, p. 12-lo. 2. Saint Thomas a transformé le rendement du travail rationnel en théologie.— Aussi bien la raison qu’il y emploie connaît une nature des choses; elle a une phi­ losophie. On ne peut nier qu’Alberl le Grand et Tho­ mas d'Aquin apparaissent comme des novateurs au xin* siècle. Ce qui les met à part, c’est qu’ils ont une philosophie, c’est-à-dire un système rationnel du monde qui. dans son ordre, a sa consistance et se suffit. Mgr Grabmann a très heureusement souligné, dans Die Gcrrresgcsetlschalt und der Wissenschaltsbegriff, Cologne, 1934. p. 8· sq., la formation scientifique aris­ totélicienne de Thomas cl de ses maîtres; les premiers écrits du Jeune dominicain seront un De ente et un De principiis natunr. Tandis que Bonaventure, d’après son propre témoignage, débutera par une expérience d'Aristote beaucoup plus négative, à savoir l'expé­ rience d’un maître d’erreurs. Collât, de decrm praecep­ tis, coll, n, n. 28, éd. Quaracchi, t. v, p. 515, saint Thomas est mis d’emblée ù l’école d'Aristote comme à celle d’un maître en la connaissance rationnelle du monde. Aussi relève-t-on bien des traits de relations amicales entre Thomas d’Aquin cl les professeurs de la Faculté des Arts. Inversement pour les philosophes de la Faculté des Arts, saint Thomas était l’un d’eux. Finalement, il sera englobé avec plusieurs d’entre eux dans les condamnations des années 1270 et 1277, qui visent pour une bonne part des positions philosophi­ ques. Voir art Fempieh, ci-dessus, col. 99 sq. Au vrai, qu'ont fait Albert el Thomas d’Aquin? Quel est l’objet du débat qui s’est institué entre eux el les augustiniens? Quand Bonaventure, Kilwardby, Peckham cl d’autres s’opposent à Albert le Grand el à saint Thomas, que veulent-ils et pourquoi agissent-ils? Il faut y regarder de près. D’une part, en effet, ces opposants sont loin de rejeter la philosophie cl ils sont aussi philosophes que ceux qu’ils combattent; d'au­ tre part, il est clair que ni Thomas ni Albert ne refu­ sent de subordonner la philosophie à la théologie; lu formule ancilla theologi» est commune aux deux écoles. Et pourtant, il y a bien deux écoles. Pourquoi? A la suite d’Augustin, les augustiniens considèrent toutes choses dans leur rapport à la tin dernière. I ne connaissance purement speculative des choses n’a pas d’intérêt pour le chrétien. Connaître les choses, c’est les connaître en référence ù Dieu, qui est leur lin; les connaître vraiment, pour nous, c'est les référer nousmêmes à Dieu, par la charité. Aussi, dans la per- T. — XV. — 13. 387 THÉOLOGIE. SAINT THOMAS spectîve ougustinfennc, consîdércra-t-on les choses non dans leur pure essence, mais dans leur référence à la fin dernière, dons leur état concret, dans l’usage qu'en fait l’homme du point de vue de son retour à Dieu; ainsi la nature ne sera-t-elle pas distinguée de son état concret d'impuissance à l'égard du bien el d’incerti­ tude à l'égard du vrai, dont les chrétiens ont l’expé­ rience. De même, si « connaître les choses, c’est déter­ miner l’intention de leur premier agent, qui est Dieu », on considérera les choses dans leur relation au vouloir de Dieu, qui les fait ce qu’il veut el en use comme il veut. Du point de vue de la connaissance du monde, le miracle est aussi vrai cl aussi normal qu’un ordre naturel : en un sens, lout est signe et tout est miracle. Chez les auguslinicns nominalistes, nous retrouverons, dans celte ligne, un développement de la considération de la potentia absoluta qui entrera dans leur critique de la théologie de saint Thomas. Pour celui-ci, au contraire, et pour Albert le Grand son maître, s’il est vrai de dire que toute chose a rap­ port à la fin dernière, c’est-à-dire à Dieu, c’est sous le rapport de la cause finale, sous celui de la causalité exemplaire, c'est-à-dire d’une cause formelle extrin­ sèque; ce n’est pas sous le rapport de la forme même par laquelle l’être, proprement, existe. Les choses ont leur nature propre qui ne consiste pas dans leur réfé­ rence ou leur ordre à Dieu. Ainsi, s’attachant à ce que les choses sont en elles-mêmes, on considérera en elles la nature, le quid, en distinguant cette forme du mode ou de l’état concret ou encore de l’usage ou de la réfé­ rence à une fin. Les choses, dans celle perspective, et singulièrement la nature humaine, restent ce qu’elles sont sous les différents états qu’elles revêtent el, pur exemple, sous le régime de la chute comme en régime chrétien. A la considération de ce que sont les choses, répond la distinction thomiste entre les principia noturæ et le status; cf. In //u® Sent., dist. XX, q. i, a. 1; Sum. theol., b-II·, q. lxxxv, a. 1 et 2. Ce n’est pas que des auguslinicns comme saint Bonaventure méconnaissent la distinction entre la nature et son état, mais ils se refusent à traiter comme une connais­ sance valide celle de la nature pure, en soi, et à théologiser sur de pures formes, dégagées de leur étal con­ cret. Chez saint Thomas.au lieu d’une considération plus ou moins globale des choses du point de vue de la cause première et de la fin ultime, on aura une consi­ dération formelle cl propre, du point de vue des choses elles-mêmes. C’est à l'égard de celle nature des choses qu’on définira le miracle, l’usage miraculeux des êtres créés par Dieu n’ayant plus à entrer en considération du point de vue d’une connaissance de cette nature des choses. On aura, non plus une dialectique des inter­ ventions de Dieu et de la potentia absoluta, mais une contemplation de la hiérarchie des formes sous la sagesse ordonnée de Dieu. Si l’on se place au point de vue de la connaissance, dans la ligne augustlnlcnnc, la connaissance vraie des choses spirituelles est aussi amour et union. De plus, la vérité de la connaissance vraie ne lui vient pas de l’expérience et de la connaissance sensible, qui n’attclnt que des reflets, mais d’une réception directe de lumière venant du monde spirituel, c’est-à-dire de Dieu. C’est la théorie de l’illuminai ion. Or. cela est très important pour la notion de théologie, pour la distinction entre philosophie et théologie et pour l’usage du savoir · naturel », en science sacrée. Dans cette perspective, entre l’illumination de la connais­ sance naturelle et celle de la fol il y a approfondisse­ ment dans le don de Dieu et secours nécessaire, mais aussi quelque continuité. Une théorie de l'illumination invite à supprimer pratiquement toute barrière entre la philosophie et la théologie et à ne concevoir la pre­ mière que comme une préparation relative à la se­ 388 conde. Cette liaison entre ces diverses positions fob. serve tout au cours de l’histoire des rapports entre h raison et la foi; cf. Th. Heilz, Essai historiqueturla rapports de la philosophie et de la foi de lErtnqu dt Tours à saint Thomas d'Aquin. Paris, 1909. p. xi, 22, 23, 38, 41, 62. 82. 83. 87. 108 sq., 120 sq. [ Saint Thomas travaille sous le régime, spécifiquement aristotélicien, de la distinction entre l'ordre dt !'exercice et celui de la spécification. Pour lui, In choses sont l’objet légitime d’un connaître purement spéculatif. Le connaître vise les choses en elles-mêmes chacune pour ce qu'elle est; et c’est des sens qui reçoit son contenu, étant capable de capter ce que, par eux. les choses présentent d'intelligible, grâce 1 une lumière qui. donnée par Dieu, ne Inisse pas d’être vraiment nôtre et de se trouver en nous comme une puissance permanente. Cf. S. Thomas. Quasi, disp, dt spiritualibus erraturis, a. 10. ad 8u®. Ce texte ed célèbre; mais on n’a pas encore remarqué que le traité de méthodologie de Γ/n iïocl. de Trinitate commet, q. i. a. 1. par un article où saint Thomas met au point la question de l’illumination, en précisant les condi· { lions différentes de la lumière Infuse de la fui et de h lumière naturelle, et la manière dont l’une et l’autre doit être référée à Dieu. Ainsi, dans la perspective I albertino-lhomiste, la lumière naturelle cl la lumière surnaturelle n’étant pas considérées seulement par rapport à une source unique, mais par rapport à une nature définie, leur distinction est beaucoup plot ferme et beaucoup plus effective. Cf. C. l-eckes, IVùsen, Glauben und Glaubensuussenschaft nach Albert dem Grossen, dans Zeitsch. f. kathol. Theol., I. uv, 1930, p. 1-39. Enfin, si nous considérons l‘utilisation en théologie des sciences et de la philosophie, nous voyons qu'en régime augustInien leur statut suit le statut des choses elles-mêmes. Comme celles-ci ne valent que dans leur rapport à Dieu, les sciences n'apporteront pas à la sagesse chrétienne une connaissance de la nature des choses en elle-même, mais des exemplesel des illustrations; elles ont une valeur symbolique pour aider à l'intelligence de la vraie révélai ion, laquelle vient d’en haut et est spirituelle. Ceci nous fail cam· I prendre encore en quel sens les auguslinicns parleront t de la philosophie ancilla theologia: : les si ienccs n’exis· | tent que pour servir et on ne leur demande que de j servir, non d’apporter quelque vérité en leur nom I propre. Tel est bien le sens de l’expression, par exem­ ple, dans les lettres de Grégoire IX cl d Alexandre l\ 1 à l’université de Paris. Charlular. unto. Paris., 1.1, ' p. 111-116. 1 13 1 I I. 313. I Pour Albert le Grand el saint Thomas, les sciences représentent une véritable connaissance du monde cl 1 de la nature des choses, qui ont leur consistance cl leur I intelliglbililé propres, el celle connaissance est valable ! même dans l’économie chrétienne. Aussi les sciences I ont-elles, dans leur ordre, une véritable autonomie | d'objet et de méthode, comme elles comportent, dims leur ordre, leur vérité. Dans celte perspective, l’eX· I pression A'ancilla theologia:, que saint Thomas emploie lui aussi, .Sum. thcol.. h, q. i, a. 5. ad 2*m, a un sens assez différent de son sens primitif auguslinien. car « pour mieux s’assurer les services de son esclave, la théologie vient de commencer par l’affranchir ». Gil­ son, Ét. de philos, med., p. 1 I L I Pour l’ensemble do ce paragraphe : G. Gilson, Pourquoi S. T/iomcu a entiguâ S. AngtiUin dans Arch, tl'hiit. duclr. rl Idtâr. du Sioijen Agr. I. i, 1926, p. 3.|2Γ; Λ. Gardai!, S. Ί humus cl l illuminhmr au juaiiiim. dans llrutit de philo·., 1927. p. 108-180*. J.-M. IHxten. 1/rxrniphirhnir dioin irlnn S. Hmiuornlure, Path. PJ29. E. (iihon. Eludrs philosophie niédlcuulr, Slnisbouig, 1921. p. 1-211· 3O-3U; 7U-121; A. l urol, La structure niclaphgiique du concrtl I 389 THÉOLOGIE. SAINT THOMAS selon S. Thomas d'Aquin, Path, 1931, p. 6-10; M.-J Congar, La déification dims lu tradition spirituelle de l'Orieni, dan» Vie spirituelle, ni.il 1935, suppl., p. 91-108; F., Gilson, Hétlesluns sur la controverse S. 7/loniat-.S'. Augustin, dans Mélanges Mandonnt l, t. t, Paris, 1930, p. 371-383; M. De Cork*. L'anthropologie platonicienne et l'anthropologie aristo­ télicienne, (Lins Éludes carméltlainrs, I. xxv, 1938, p. 51-98; M.-D. Chenu. The revolutionary intellectualism o/ St. Albert the Greed, duns Black triors, 1938, p. 5-15. 390 mesure que progresse T application de la technique rationnelle et philo ophlquc dan* le domaine théolo­ gique, le besoin s'affirme de tirer au clair la question de la légitimité d’une attribution à Dieu de nos con­ cepts et de nos vocables créés. Le souci en est mani­ feste chez les théologiens de la fin du xiP siècle et du commencement du xiii·, comme le montre E. Schlcnker, Die Lehrc von den gÔUlichen Samen in der Summa Alexanders von Hales, Fribourg-en-B.. 1938. Cf. Pierre Nous comprenons mieux, maintenant, le sens de de Poitiers, Sent., L I. c. in-vii, xu, xvin, etc., P. L·, cette démarche par laquelle Albert et saint Thomas se t. ccxi, col. 791-812, 831-810, 866, Pieire de Cupoue, mettent à l'école d’Aristote, cherchant en lui non pas Summa ( Vat. tat. 4296), c. v, vî, vin, ιχ, xxvn, xxviri, seulement un maître de raisonnement, mais un maître voir Grabmnnn, Gesch. d. schol. Meth., l. n. p. 533, dans la connaissance de la nature des choses, du monde η. 1 ; Pré vos Un, qui n de multiples questions sur ce et de l’homme lui-même. Certes, saint Thomas sujet, Summa, 1. I, voir G. Lacombe, La vie et les n’ignore pas plus que saint Bonaventure que toutes oeuvres de Priooslin, t. i, Paris, 1027, p. 168-169; choses doivent être rapportées ù Dieu. Mais, à côté de Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, I. I. De nomini­ cette référence à Dieu dans l’ordre de l’usage, il recon­ bus Dei: de iliis qiur dicuntur de Deo sine comparatione naît une bonté inconditionnée à la connaissance spécu­ ad creaturas. Chez saint Thomas, celle justification du lative de ce que sont les choses, œuvre de la sagesse discours rationne] en théologie est proposée avec une de Dieu. Il s’agit de .('construire* spéculativement l’or­ conscience parfaitement lucide. Elle repose sur une dre des formes, des rationes, mis dans les choses et dans conception de la nature et de la grâce qu’on peut les mystères du salut eux-mêmes, par la sagesse de considérer comme classique dans le catholici*me. Voir Dieu. Un tel programme ne peut se réaliser que par In Boetium de Trin., q. n, ad 3am : une connaissance des formes et des natures en ellesDona gratiarum hoc modo natunr adduntur quod earn mêmes, et c’est pourquoi l’aristotélisme de saint Tho­ non tollunt, sod magis perficiunt... quamvis autem lumen mas n’est pas extérieur ύ sa sagesse théologique et à mentis humanae sit insullicien» ad manifestationem eorum la conception même qu’il s’est faite de celle-ci. quae per fidem manifestantur, tamen Impatibile ot quod El voici comment le rendement de la raison en ea qux per Udem nobis traduntur divinitus, sint contraria théologie vn en être transformé. Les éléments du tra­ hi* qu» per naturam nobis sunt indita : oportet enim alte­ vail théologique sont fournis par la philosophie d’Aris­ rum esse falsum, et cum ulmmque sit nobis a Deo, Deus tote, non sans correction et purification d'ailleurs. c**cl nobis auctor fahilatb, quod est hnpotlbilc; sed magis Toutes les notions de cause, d’essence, de substance, cum imperfecti* inveniatur aliqua similitudo perfectorum, quamvis imperfecta, in hi* quæ per rationem naturalem de puissance, de mouvement, d’habitus, viennent cognoscuntur, sunt quaedam stmiUtudiues eorum qus per d’Aristote. Et non seulement dans l’ordre des sciences fidem tradita Mini. de la nature, mais dans celui de l’anthropologie et de l’éthique : notions d’intellect agent, de volonté libre, 1 La justification de la théologie comme expression du mystère de Dieu repose tout aussi bien sur une de lin, de vertu, de justice, etc. Certes, d’autres que saint Thomas, et les · auguslinicns » eux-mêmes, utili­ théorie de l’analogie et une étude en tique des < noms divins ». Saint Thomas \ est revenu mainte* fois, mais sent et citent Aristote. Dans la seconde moitié du xiii· siècle, à quelques exceptions près peut-être, tous plu* particulièrement, par oidrc chronologique : In h* Sent., (list. XX11; Conf. Gent., I. I, c. xxix sq.; In /«® pensent en terme* aristoté.iciens. Mais il faut bien prendre garde et ne pas croire que, sous cette termi­ Sent., did. IL a. 3, qui représenterait une question dis­ putée à Rome et ultérieurement insérée à cet endroit; nologie, ce soient vraiment la pensée d’Aristote et sa Q. disp, de patentia, q. vit; Sum. theot., 1‘, q. xui. conception des choses (pii se trouvent réellement. Sous b) Si le problème de la Lhvologie chez saint 'I homas une unité littéraire et peut-être psychologique, les écoles gardent une profonde diversité de pensée phi­ engageait des présupposés qui sont, en somme, ceux losophique et de système du monde, et cela a l’inté­ de toute théologie, cette position n’allait pas. cepen­ dant. sans poser de très sérieuses questions, qui sont de rieur d’un même ordre icllgieux. par exemple, dont on nature à nous faire pressentir, dans la théologie du (ciait volontiers une école unique. Les catégories de xiii* siècle, de* possibilités de crise. matière el de forme et de composition hylémorphique, Le procédé consistant à abstraire quelque chose de par exemple, recouvrent chez les divers auteurs des • formel » en le dégageant de ses modes, puis d'appli­ notions fort diverses, et l’on pourrait multiplier les exemples. A saint Thomas, par coiFrc, au delà d’un quer ce formel aux mystères de ht fol sous le bénéfice de l’analogie, repose tout entier sur la distinction cadre purement formel de pensée, Aristote a apporté une vue rationnelle du monde qui desint, dans la entre une ratio cl son mode et sur la conviction qu’une ratio ne change pas en scs lois essentielles lorsqu'elle pensée du docteur chrétien, l’instrument d’élaboration de ce double humain de la science de Dieu, que nous est réalisée sous de* modes dînèrent*. Bref, une théo­ avons \u être l’idéal de sa théologie. Aristote a ap­ logie rationnelle repose tout entière sur la conviction porté au xme siècle et spécialement à saint Thomas que, dans lu transposition d’une notion à un plan de une nature, la science d'un ordre de natures. El c’est réalités transcendantes, dont le mode positif nous cela qui, sans modi lier dans sa structure formelle la échappe, Vemincntcr ne détruit pas le /ormoliter. Par conception du rapport de la raison à la fol, a modifié exemple, on sait très bien que la manière dont le le rendement de la raison et a transforme la théolo­ Christ influe cl agit sur les hommes est quelque chose gie. Avec saint Thoma*, nous avons vraiment un sys­ d’éminent et d’unique: ou encore que la procession du tème théologique. ( f. ici, t. 1, col. 778-779; I hlarin Verbe en Dieu se réalise d’une manière éminente, (Felder), Histoire des études dans l'ordre de S. Fran­ unique cl inaccessible à l’esprit. Mais l’un sait aussi que, çois, tiad. pnr Eusèbe de Bar-lc-Dur, Paris, 1908, ù condition de purifier ces notions et d’atteindre à la p. 162 sq.; E. Gilson, Études de philos, méd., p. 29. conception de pures rationes formelles, il est possible 3. Présupposes cl questions engages par cette position. et légitime d’appliquer à Taction du Christ la méta­ — a) La théologie qui entrait dans celle voie était physique de la causalllv el à lu procession du Verbe forcée de ju.lilkr sa démarche par une théorie de la philosophie de la génération cl de Tintellection. l’analogie el des « noms divins ». Historiquement, à Or, un tel procédé pose une sérieuse question. Ne 391 THÉOLOGIE. LA LIGNE A UGUSTI NIE N NE risquc-l-on pas d’être amené à considérer les choses chrétiennes par le côté qui leur est commun avec les choses naturelles et d’en faire un simple cas de lois plus générales qui Ica engloberaient comme les variétés d’une espece? Et,dès lors, nc risquc-t-on pas d’oublicr le caractère de · tout · unique et original qui revient à l’ordre de la foi, pour transférer ce caractère à la métaphysique ct à une explication rationnelle des choses dont l’ordre chrétien ne serait plus qu’un cas? Si, par exemple, je construis la partie de la théologie qui me parle de l'homme selon les categories anthro­ pologiques de la philosophie, en termes de matière et de forme, essence et facultés, etc., ne risquè-je pas de trahir l’anthropologie révélée que inc livre la Bible, saint Paul par exemple : anthropologie si caractérisée, avec les catégories de l’homme intérieur et extérieur, de la chair et de l’esprit, etc. Et, si les catégories anthropologiques que j’utilise nc sont pas même celles de Platon, mais celles d’Aristote... Or, il suffît de voir comment procède saint Thomas pour apercevoir le danger. 1! fait tellement confiance aux catégories des sciences philosophiques ct aux enchaînements rationnels, que non seulement il les introduit dans l'élaboration de l’objet de la foi, mais qu’il leur fait diriger en quelque façon celte élabora­ tion. Deux exemples de celte méthode : 1. Sum. theol., 1·-ΙΙ·, q. lxxiii, a. 1, saint 'Thomas se demande si les péchés ct les vices sont connexes. Or, l'Écriture pré­ sente un texte qui sc réfère, semble-t-il, à ce sujet : Quicumque lotam legem servaverit, offendat autem in uno, lacïus est omnium reus. Jac., n, 10. Il semble que le théologien n’ait, en celle question, qu’à commenter ce texte ct à en tirer les conséquences. Saint Thomas, lui, ne procède pas ainsi; il construit sa réponse sur une analyse psychologique de la condition du ver­ tueux cl de celle du pécheur, c’est-à-dire sur l'anthro­ pologie, et il ramène le texte de saint Jacques dans la première objection, se réservant de le gloser d'une manière critique, en fonction de sa théologie générale du péché. — 2. Sc demandant, Ill*, q. xm, a. 2, si le Christ a eu la toute-puissance par rapport aux change­ ments qui peuvent affecter les créatures, saint Thomas se trouve devant le texte de Matth., xxvm, 18 : • loute puissance m’a été donnée au ciel ct sur la terre. » Là encore, on s'attendrait à ce que saint Tho­ mas fît de ce texte le pivot de son article. Or, il le cite seulement, en première objection, et construit la théo­ logie du cas en appliquant, en trois conclusions, deux distinctions fondamentales dont les catégories sont empruntées à sa philosophie générale. La rançon d’une telle continuée en la raison ne serat-elle pas un danger de perdre le sens du caractère unique, original et transcendant des réalités chré­ tiennes? La question qui sc pose, c’est de savoir si, dans la ligne de la distinction introduite par saint Thomas, par exemple, entre l’acte charnel considéré en soi, qui est bon, ct sa modalité pécheresse en état de nature déchue, nous ne trouverons pas l’affîrmation de la bonté de l’acte charnel en lui-même tel qu’il est concrètement. Pour avoir donné consistance aux na­ tures, à l’ordre des causes secondes, bref à une nature constituée par l'ensemble organisé des natures, n'aboutirons-nous pas à perdre le sens de la nouveauté du christianisme, de son originalité ct de sa souverai­ neté sur la nature elle-même? Telle sera toujours, contre le naturalisme des aristotéliciens, la crainte ct la protestation des nugustinlens : saint Bernard, saint Bonaventure, Pascal, Luther lui-même. Nous pensons que saint Thomas a réellement sur­ monté le danger que nous signalons. En effet, chez lui : a) ce n’est pas Aristote qui commande, mais bien le donné de fol. Saint Thomas a noté lui-même qu’on pourrait user indûment de la philosophie en doctrine 392 sacrée, d’une double façon : soit en appliquant ur.e ' philosophie erronée, soit en ramenant la foi aux mt sures de la philosophie, alors que c’est la philosopha qui doit être soumise aux mesures de In fol. Ariittft n’intervient que pour fournir à la foi un moyen Λκ construire rationnellement en liaison avec le savoir naturel de l’homme. Qu’on applique nu Christ la phi losophie de l’homme, au vice ct :m péché I'analy* philosophique de l’acte humain et des élément* d* la moralité, il est clair que c’est le donné chrétien qui commande ct qui « mène », l’apport philosophlqu* jouant un rôle de moyen. Chaque fois qu’on y regarde de près on voit que, dans cette utilisation, Aridoh est dépassé ou corrigé. Ce qûi eût été grave, ç’tùl été de laisser Aristote, à supposer qu’il représentât ! philosophie, en dehors de l’élaboration de la fol. rai ç’eût été introduire entre le christianisme d’une part, la raison et la culture, d’autre part, une scission de plus dangereuses ; cf. Cbarlier, Essai sur If pro­ blème thénlogique, p. 86. — β) La pensée théoloqiquc de saint Thomas, comme du Moyen Age, au molrn jusqu’à son temps, est essentiellement à base biblique ct traditionnelle. On n'insistera jamais assez sur i< fait que le statut de l’enseignement théologique était alors profondément biblique. La leçon ordinaire du maître était consacrée au commentaire de l'Ecriluic c'est ainsi que les commentaires scripturaires de saint Thomas représentent son enseignement public ordl naire comme maître. //. LA LIGNE AUGUSTIN! ENN K. — 1° La tradition augustiritenne des hommes d'Église. — Il n’est guère d< période dans la vie de l’Église où l’on saisisse mieux h différence d’attitude entre les hommes de science, qui représentent les initiatives de la pensée, et les homme» (l’Église, qui représentent la tradition ct tiennent dn positions ordonnées à l’édification des Ames. Au xnr siècle, tradition et positions des hommes d ‘Église sont d’inspiration nettement aiigustinlenne. Elles peu­ vent se résumer ainsi : La raison est competente pour les choses terrestres, dont la possession n’interessc pas le chrétien, mais non pour les choses spiri­ tuelles et éternelles. D'où une constante distinction entre deux plans, deux orientations ct deux puissances de l’esprit, deux manières de penser. Aussi, quand s’opère T « entree » d’Aristote dans h pensée chiétienne, ces hommes d’Église augustinicn' réagissent. Ils ne peuvent permettre ni que des gens de la Faculté des arts traitent des sujets qui nc sont pas de leur compétence, c’est-à-dire qui dépassent non pus tant l'objet de la raison que scs forces; ni que ceux de la Faculté de théologie empruntent aux sciences de» choses créées un vocabulaire cl des catégories de pensée pour concevoir et exprimer les choses de Dieu Tels sont très expressément les deux thèmes de la réaction augustinienne contre la crue de Tarislotélisme. Cette réaction s’en prit d’abord aux théologiens qui introduisaient dans la doctrine sacrée les catégories de pensée ct le vocabulaire des philosophes. C’est l’objet des récriminations, par exemple, du domini­ cain .Ivan do S dnl Gllh 1231), cf. M M. Davy, / sermons unioersÎtaires parisiens de 1230-1231, Paris. 1931, ou d’Odon de ChAlcauroux, en diverses occa sions, cf. Haurénu, Xoticrs et rrtraits de quelques nianuscrits lutins de la llibl, nat., I. vi, 1‘arls, 1893, p. 215; Chartul. univ. Paris., t. i. n. 176, p. 207 (21 déccmbn 1217). (/est l’objet, surtout, des avertissements Ir plus véhéments des papes s’adressant aux maîtres dt la Faculté de théologie à H niwrsité de Paris. Gré­ goire IX écrit,le 13 avril 1231 : Arc philosophos seostfntent... sed de illis tantum in scolis quaestionibus dispu­ tent, quæ per libros theologicos et sanctorum patrum trac­ tatus valeant terminari. Chartul. unio. Paris., t. i, 393 Til fiOLOG I E. SAI XT BONAVENTURE n. 79, p. 138. Cependant, la crue aristotélicienne sc poursuivant, les protestations et les avertissements continuent·, cf Mandonnct, Siger de lirabant, 2· éd., t. î, p. 33 36. 95-98, 213. 298-300, texte ct notes; A. Callebant. Jean Pecham,(>. F. M., et t'augudinisme, dans Archio. franche. hist., t. xvm, 1925, p. -141-472. Dans lu seconde moitié du xm· siècle, les maîtres de la Faculté des arts, trouvant dans Aristote toute une Interprétation purement rationnelle du monde et de l'homme lui-même, prétendront proposer sur ces choses une doctrine indépendante et qui se suffise, soit qu’ils aient tenté de traiter par une pure appli­ cation de la philosophie, les questions de théologie, cf. ChartuL, t, 1, n. 441, p. 499, soit que, faisant de la philosophie une science non seulement indépendante, mais souveraine, ils en aient théoriquement ou pra­ tiquement déclaré la suffisance, dogmatisant en son nom sur la destinée de l’homme, la règle de sa vie, etc. Cette tendance, nette déjà chez Jean de Meung, André le Chapelain, se trouve a son paroxysme dans le De üi(a philosophi de Boècc de Dacic édité par M. Grabmann, Arch, d’hist. docte, el litter, du Moyen Age, t. vi, 1931, p. 297-307. C'est ce dangereux courant, allié Λ l’averroïsme latin, que vise la condamnation portée en 1277 par Étienne Tempier, laquelle, dès scs premières lignes, déclare : Nonnulli Pansius studentes in artibus, proprie facultatis limites excedentes... Charlui., t. i, n. 473. p. 543. Voir Jules d’AIbi, Saint Bonaventure et les luttes doc­ trinales de 1267-1277, Tontines et Paris, 1923; M.Grabmann, Eine für Examinarzwecke abgcfasste Qun-stionensammlung der Pariser Artistenfakulldl aus der ersten H fil/le des 13. Jahrhundcrts. dans Revue néoscol. de philos,, t. xxxvi, 1934, p. 211 229, surtout p. 225. Quand on pense que cette réaction atteignait l'cf· fort d'Albert le Grand cl de saint Thomas, tel que nous avons cru le comprendre, on sera tout disposé à inter­ préter. avec le P. Mandonnct, la canonisation de saint Thomas, survenue en 1323. comme la consécration de son hégémonie doctrinale et. tout d'abord, de sa position en méthodologie théologique; cf. P. Mandon­ nct, La canonisation de saint Thomas, dans Mélanges thomistes, Paris, 1923, p. 1-48. De fait, cette position de saint Thomas inspire maintenant renseignement de la théologie dans l’Église catholique et la division de cet enseignement en philosophie ct théologie érige, en quelque sorte, en institution celte méthodologie thomiste. 2° Position générale des maîtres augustiniens. — Les principaux maîtres augustiniens, outre saint Bonn* venture, sont Alexandre de H niés. Fishacre. Kilwaidby, d’une part. Robert Grossetête cl Boger Bacon, d’autre part : cinq anglais. Alexandre de Halés (f 1215), Fishacrc, qui rédige vers 1238-1248. et Kllwardby, vers 1248-1261, s’accor­ dent pour le fond. La théologie est pour eux une con­ naissance Inspirée par le Saint-Esprit, d'ordre affectif et moral. Elle concerne le vrai sous l'aspect de bien : Alexandre, Sum. theol., I. I. tract, introd., q. i,c.i,sol. et c. IV, a. 2, sol. et ad 2··; Kllwardby, éd. Stegmüller, Munster, 1935. p. 27 sq. On peut bien l’appeler science, mais en un sens qui n’est pas celui d’Aristote; c’est d'abord une science qui n’arrive ù l'intelligence qu’â partir de la foi. Alexandre, ibid., c. i, ad 3··, ct même à partir de la foi vive, opérant par la charité, ibid., ad 1um; c’est ensuite une science de mode non pas rationnel ut démonstratif, mais affectif, moral, expé­ rimental ct religieux, Alexandre, ibid., c. n, obj. f et resp. ad obj.; c. iv, a. 1, sol. et ad 2um; Kllwardby, p. 27 sq. et 11 sq.; c’est enfin une science dont la cer­ titude nc lient pas à une inférence rationnelle â partir de principes évidents, mais à la lumière du SaintEsprit dont l’homme spirituel a l'expérience inté­ 39 Ί rieure. Alexandre, ibid., c. iv, a. 2; Kllwardby, p. 31. Kllwardby reprend, éd. citée, p. 26, l’idée augusti· nicnne que toute science est dans l’Écriture. Bacon et Grossetête apparaissent comme les protagonistes d’une théologie strictement scripturaire. La théologie, dit Bacon, a, comme toute faculté, son texte et son activité doit consister, comme celle de toute faculté, à commenter ce texte : la Bible. On peut, en effet, trou­ ver dans le texte sacré l'occa’lon de poser les ques­ tions de tous les traités de la théologie. Celle-ci doit donc être ramenée au texte, duquel on ne doit pas, comme on le fait depuis cinquante ans, isoler les « questions »; cf. Opus minus, éd. J.-S. Brewer, Lon­ dres, 1859, p 329-330. Pour cette théologie du texte. Bacon préconisait la connaissance des langues an­ ciennes, grec et hébreu, et celle des sciences ou de la philosophie. Opus tertium, c. xxiv. éd. Brewer, p. 82. L’Écriture, en effet, qui est le trésor de la Révélation et donc le lieu suprême de l’illumination, renferme toute vérité. En elle sont contenues ct la théologie et la philosophie, celle-ci n’étant que le contenu ou l’as­ pect physique de la Bévélation, comme celle-là est la vérité ou la dimension mystique des connaissances scientifiques que rassemble la philosophie. D’où il suit que les deux connaissances ne sont pus extérieures l’une à l’autre. La philosophie n’a toute sa vérité que m usu Scriptune, de même que l'Écriture n’a toute son explication que dans la connaissance des science» dont l’ensemble constitue la philosophie; d’où le pro­ gramme réformiste de Bacon. Unité de la sagesse chrétienne (Bacon n'emploie pas ce mot) dont le fon­ dement, comme l’ont souligné R. Carton cl Wait, est la théorie de l’illumination. C'était de bonne tradition augustinlenne, scion la­ quelle les sciences et la philosophie n’ont à entrer dans l'élaboration theologique qu’au litre de propudeutique, pour aiguiser ou former l’esprit, ct aussi d’illustra­ tion. pour expliquer les symboles bibliques empruntés au monde créé : cf. en ce sens les textes de Jean de la Rochelle, O. F. M.. Jean de Saint-Gilles, O. P., dans Hilarin (Felder), Hist, des études, p. 475, n. 4 et 5, et p. 476* 3° Saint Bonaventure. — L’art. Bonwfxtlhl m pariant pas de la notion bonavenluricnnc de la théolo­ gie, il faut nous v arrêter quelque peu. Les principaux textes où Bonaventure nous livre cette notion '•ont : In /em Sent., proœin., éd. Quaracchi, t. L p. 1-15 (1218); Hreviloquium, prol., t. v, p. 201-208 (avant 1257); Itinerarium mentis in Deum. t. v, p. 295-313 (octobre 1259); De reductione artium ad theologiam, t. \, p. 319-325 (d'après Glorieux. 1268); Collai, de donis Spiritus Sancti, surtout coll, iv et vm, t. v, p. 173 sq. et 493 sq. (1268); les Collai, in Hexaemeron, coll. l-iil et xïx, t. v, p. 329-348 et 420 sq. (1273); Sermo Christus unus omnium magister, L v, p. 567-574. De même que chez saint Thomas, on ne remarque pas d’évolution véritable chez saint Bonaventure. Il sem­ ble bien, cependant, que Bonaventure, avec le temps, prit mieux conscience de l’inspiration vrai­ ment propre de sa doctrine. Pour saint Bonaventure, la théologie est une pro­ motion de la grâce; elle est ù considérer dans la suite des communications que Dieu nous fait de lui-même. Bien que la théologie se situe, pour saint Bonaventure comme pour saint Anselme, inter fidem et speciem, peut-être la formule bonaventurienne de la théologie serait-elle moins Fides quterens intellectum, qui con­ vient encore à saint Thomas, qu’un texte du genre de In imaginem transformamur a claritate in claritatem, tanquam a Domini Spiritu, II Cor., m, 18 ; Bonaven­ ture ne fait pas de ce texte la devise de la théologie, qu’il distingue de la foi, mais il le cite fréquemment; cf. Opera, éd. Quaracchi, t. x. p. 253. 395 I i Mf J «I . Il I ; I ; I L II II I I« ’! {« J! I: Iy j: I" ‘il ’îi îI *r I I THÉOLOGIE. SAINT BONWENTl HE La première lumière reçue de Dieu est celle de la raison. Seulement, lorsqu’il envisage non plus la dis­ tinction de droit, mais les possibilités concrètes de la raison, il en marque sévèrement les limites : car, en son étal actuel, l’homme ne peut, par la seule raison, connaître les vérités supérieure*. Aussi Bona­ venture a-t-il, de la façon la plus explicite, marqué son refus d’une philosophie séparée, d’une efficacité de la raison au regard des vérités spirituelles : ce fut là son motif d'opposition au* naturalisme d’Albert » et de Tho­ mas d’Aquin. Cela n’empêche pas que la philosophie ne soit le premier pas vers la sagesse. Le désir de la sagesse qui la suscite ne pourra être satisfait que par la grâce et la foi, mais l’homme ne doit pas pour cela manquer d’y répondre et d’aller, dans sa recherche, aussi loin qu’il lui sera possible. Dans l’ordre de la grâce et de la sagesse chrétienne, le mouvement vers la possession parfaite de la sagesse, c’est-à-dire vers l’union parfaite avec Dieu cl vers la paix, est marqué par trois étapes ou degrés : le degré des vertus, ou la foi nous ouvre les yeux pour nous faire retrouver Dieu en tout, le degré des dons et enfin celui des béatitudes. Or, les actes des vertus, des dons et des béatitudes sont respectivement définis par : Credere, intetligcre credita, videre intellecta. Brevil., part. V, c. ïv, t. v, p. 256; Sermo IV de rebus theol., η. I et 15, t. v, p. 567 et 571; In l//■“ Sent., dist. XXXIV, p. 1, a. 1, q. î, t. ni, p. 737. Il y a donc, sur 1« base de la foi et tendant à un état d’union et de connaissance parfaites, une activité à’intelligere qui relève de l’illumination des dons, plus spécialement des dons de science et d’intelligence. Cette Intelligence des mystères, objet de la théologic, est donc pour Bonaventure une étape informédiairc entre le simple assentiment de la foi et la vision. Elle s'applique à l’objet de la foi, mais en y ajoutant quelque chose; clic concerne, en effet, le credibile prout transit in rationem intelligibilis per additionem rationis. Sent., proœmf, q. i, sol., t. i, p. 7; ad 5·« et 6utn, p. 8; cf. Brevil., part. I, c. î, t. v, p. 210. Aussi cette intelligence des mystères, fruit du don d’intelligence et, subsidiairement, du don de science, suit-elle un mode rationnel, cognitio collativa. Sermo IV de rebus theol., n. 1, t. v, p. 568; modus ratiocinativus sive inquisitivus, In Sent., proœm., q. n, sol., t. î, p. 11; per discursum et inquisitionem. In ///’® Sent., dist. XXXIV, p. I, a. 2, q. m, t. ni. p. 751. Bonaventure dit du don d’intelligence que multis laboribus habetur. In llexaem., coll, in, n. 1, t. v. p.343; ' H affirme qu’on s’y dispose et que la nature et l’cxpérience y collaborent avec l’illumination divine. De donis Spir. Sancti, coll, vin, η. 1 sq. et 12 sq., t. v, p- 493 sq. Mais, si la nature y collabore, son développement ne s’opère cependant pas selon les lois des autres sciences, Breuil., prol., t. v, p. 201; c’est une science qui est le fruit, en nous, d’une illumination surnaturelle : Theologia, lanquam scientia supra /idem /undatu et per Spiritum Sanctum revelata... ibid., et ξ 3, p. 205; scientia philosophica et theologica est donum Dei, De donis Spir. Sancti, coll, ιν, η. 1, t. v, p. 474 (à propos du don de science). La théologie, pour saint Bonaventure, est un don de Dieu : un don de lumière. certes, descendant du Père des lumières, mais non un don purement intellectuel : elle suppose non la foi nue, mais la foi vive, la prière, l’exercice des vertus, la tendance à une union de charité avec Dieu. Nous touchons là à un point essentiel, où la théo­ logie de Bonaventure et celle de Thomas d'Aquin se distinguent nettement. Pour celui-ci, la théologie est le rayonnement, dans la raison humaine comme telle, des convictions de la fol et la construction de ces convictions par la raison du croyant, scion le mode qui e%t connaturel a cette raison. Elle sc fait, comme 39C toute chose, sous la motion de Dieu et elle a racine la foi surnaturelle; mais, par elle-même, est une activité de la raison. La sagesse qu'est la théologie sc distingue du don infus de sagesse, lequc fonde une connaissance de mode experimental g affectif; elle est une sagesse Intellectuelle, acquise p l’effort, qui s’attache Λ comprendre et à recomtruirt Intellectuellement l’ordre des œuvres et des myiUm de Dieu, en les rattachant au mystère de Dieu lu même. Pour Bonaventure, la matière de cette sagesse peat bien être la même; le sens du mouvement c*t diflérenL La théologie comporte bien aussi une synthèse dyna­ mique de la foi et de la raison; mais plutôt qu’ün» expression de la fol dans la raison, de la lumière révé­ lée dans l’intellect humain, elle est une réintégration progressive de l’homme intelligent et de tout l’unlvcn connu de lui dans l’unité de Dieu, par amour d pour l’amour. Elle est une réalisation, plus parfaite que celles qui précèdent, moins parfaite que celle â laquelle Pâme aspire encore, de la lumière et de h grâce de Dieu. Sans éliminer l’activité et l’effort de l’homme, elle s’identifie aux dons infus du Salnl-Esprit. Il ne s’agit plus tant de reconstruire par l’esprit l’ordre de la sagesse de Dieu, que de reconnaître ccl ordre, afin de s’en servir pour monter à Dieu et, plutôt que de le connaître, de le réaJscr en soi. Cf. plus par· ticulièrcmcnt Itiner., c. m, n. 3 et 7, t. v, p. 304-306; c. ïv, n. 4 et 8, p. 307 et 308; c. vu, n. 6, p. 313. Dès lors, on peut s’attendre à ce que la connaissance des créatures qui entre dans la constitution de la théo­ logie ne soit pas considérée et requise de la même manière chez Bonaventure et chez Thomas d’Aquin. Pour celui-ci, c’est hi connaissance scientifique et philosophique des lois et de la nature des choses, à base d’expérience sensible, qui entre dans la construction objective elle-même de la théologie. Pour Bonaven­ ture, notre connaissance de 1 )icu n’est pas dépendante, en sa source, de la connaissance des créatures parles sens; elle n’a besoin de celle-ci que pour s’étoffer et pour ainsi dire, sc nourrir, en demandant aux créaturcs simplement une occasion de lui rappeler Dieu et un moyen d’en mieux réaliser la révélation intime, ('.’est pourquoi, bien que la théologie se constitue grâce aux deux dons de science et d’intelligence, ccpend.mt elle réside principalement dans l’usage du don d’intclligence, (pu regarde vers le haut, et moins (tens l’usage du don de science, qui regarde les créatures sensibles. Le domaine propre de la théologie n’est pa* l’inlelligenre des choses spirituelles qu’On peut avoir par la connaissance des choses sensibles qui en senties symboles ou pal celle de la nature des choses, objet de la philosophie, à quoi est ordonne le don de science. In ///u» Sent., dht. XXXV, η. 1, q. îh, ad 1··, t. tn, p. 778; son domaine propre est l’intelligence des choses icu de ce qu'il a répandu de lumière jusqu'aux extrêmes franges du ///. POatTlCDDi ET PÈBAT9 D'ÉCOLE. — Il serait vain vêtement de In création : Sic Scripturasacra, per Spiri- ; de consncrcr à In méthodologie théologique^de chaque turn Sanctum data, assumit librum creatura?, re/erendo m théologien du xni* siècle et du début du xiv«, une sorte finem, IJrevit., procem., § 1, t. v, p. 206. de monographie, si brève soit-elle. Aussi, avant Comme pour saint Thomas, on pourrait retrouver la d'aborder le monde en partie nouveau Inauguré par notion de théologie de saint Bonaventure dans ses dis­ Scot et les nominalistes, voulons-nous grouper ici ciples : Mat thieu d'Aquasparta, Jean PccJiam, Roger quelques renseignements sur les points les plus dispu­ Marston; ultérieurement, sans qu'il soit disciple immé­ tés de la notion de théologie. Nous suivrons l'ordre des quatre causes, comme les scolastiques eux-mêmes ai­ diat et en lui reconnaissant son originalité propre, maient à le faire. dans Ray moud Bulle. Matthieu d’Aquasparta suit saint 1° La cause elfictente, qui est le Saint-Esprit lorsqu'il Bonaventure de très près et, au delà de lui, saint Au­ gustin, saint Anselme, les Victorius. Si Matthieu repré­ s'agit de l'Écriture, et. pour chaque ouvrage, celui qui l’a écrit, ne pose pas de question particulière, ainsi que sente, de saint Bonaventure, le côté le plus positif, Pechain représente surtout le côté de réaction augus- le remarquent eux-mêmes 1 lervé Nédcllec et Alphonse Vargas. tiniste contre le naturalisme philosophique de saint 2° La cause formelle d le mode propre, c'est-à-dire le Thomas et de ses disciples dominicains. C'est lui qui, en 1286, inculpaiI Richard Clapwcll d’hérésie pour statut interne de la théologie, de quoi dépend su spé­ cification. Le débat, nu xnr siècle, s’imlilue sur cette différentes thèses dont la onzième (au moins dans la rédaction primitive, le texte définitif n’ayant que question : la théologie est-elle une science? Saint Thomas peut donner à celte question une réponse affir­ huit thèses) est : Se non tenen in his quæ sunt fidei, mative. Non qu’il soit pour cela nécessaire que la théo­ aticujus auctoritate, Augustini vel Gregorii seu papa?, logie démontre, à partir de la foi, des conclusions aut rujuscumque magistri, excepta auctoritate canonis objectivement nouvelles, mais en ce sens qu’elle Ifibliie vel necessaria ratione, subjicere sensum suum. s'applique à une construction, de mode rationnel et Revue thomiste, 1927, p. 279. scientifique, de tout ce qui tombe sous la lumière de M.-O. Biorbaum, Zur Methodik der Théologie des ht. Honala Révélation (revelabile). Ainsi la théologie vérifleventura. dans Der Kathollk, η· M$r., t. xl, 1909, p. 31-52; t-cllc la qualité d’un habitus scientifique accjuls, étant E. Longprc, La Ihéulagix mystique de S. Honaoenture, dans bien entendu qu’elle rentre dans la catégorie, prévue et Arch. fnuirisc. hist., I. xiv, 1921, p. 36-108; B. Trlmolé* définie par Aristote, des sciences subalternées. Dculung und Hrdciilung der Sdirlfl · De reductione artium cd Maints débats eurent lieu sur la question de savoir theologiam · des ht. Doiuwenlura, dans Franz isk. Studien, si la théologie était vraiment une science au sens t. vin, 1921, p. 172-189; autre étude du même auteur cl de aristotélicien. Non, disaient un grand nombre, puis­ même titre dans Fünjlc Lektarcnkonferenz d. deutsehen Franziskuncr /. P/if/os. u. TheoL, Sigrnaringcn-Gorlioim, qu’elle n’apporte aucune évidence. A quoi les paitîsans 1930, p. 98-121; H. Guardlni, Dus argumentum ex pietate de la théologie-science répondaient : la théologie n’ap­ brim ht. Ihmaocnlura und Anselmus Dczenzbewcis, dans Throporte aucune évidence sur les mystères dont elle parle, logir und (Haube, t. xiv, 1922, p. 156-165; B. Küscmnôller, mais, la fol étant supposée, elle apporte l’évideucc for­ Wigiôse Erkennlnts nach DonaiHntura, dans lleitrdge..., melle du rattachement de ses conclusions à leur prin­ t. XXV, 3-1, Munster. 1925. E. Gilson, La philosophie de cipes : Non est scientia consequentium, sed est scientia S. Homwenlure, Parts. 1921; J.-M. Blsscn, L*exemplarisme consequentiarum. Cette distinction a rencontre de divin selon S. llonancnlure, Paris, 1929; J.-b’r. Bonnofoy, l.e Saint Esprit d scs dans selon S. Honavcntiire, Paris, 1929; fortes objections de Godefroid de Fontaines, Qitodl., D. Seraph. S. Honaucntiine Prolegomena ad sacrum theolo­ IN, q. XX, éd. J. Hoffmans, Louvain. 1928, p. 282 sq.; giam, ex operibus rfu* collecta, ml. Th. Soiron, Bonn, 1932; Gérant de Sienne. Thomas de Strasbourg. I conçois de Th. Soiron, l'uni Gciste der Théologie IJonaœnttiras, dans May runis. Alphonse \ argas. etc. C.f. E. Krebs. Théo­ \V tssrnschalt und Wchhdl, t. I, 1931. p. 28-38; G. Solingen, logie und II isscnscha/L.., Munster. 1912, p. 32· sq.; Honaoenlurn ah Ktassikcr der analogia fidet, ibid., t. n, J. Kfirzingcr. Al/onsus Vargas Tolelanus..., Munster, 1935, p. 97-111 ; Tli. Soiron. 1 Litige Théologie. GrundsÛtzllch? Darlegungen, Rallsbonne, 1935; F. Ttnivclla. Dr impos­ 1930, p. 161 sq. sibili sapienti* adeptione in philosophia pagana juxta Do Idles discussions n’étaient pas sans attirer l’at­ Collationes in Hexaemeron S, IIon unent une, dans Artfoniatention sur les conclusions théologiques. De fait, chez mun, t. xi, 1930. p. 27-5o. 135-186, 277-318; P. lainsbarg. les auteurs du début du xiv* siècle, la notion et l’ex­ La philosophic d'une experience mystique. L' Itinerarium, pression de conclusion théologique piennent un relief dans La Vir spirit., mai 1937, suppi., p. 71-85; E. Saner, qui est nouveau: on les rcncontie dès lors fréquem­ Die rcliqiÔse II celling der H rll in Honaventuras Itinerarium ment : ainsi chez Jacques de Therincs, Quodl., I, q. xv π, mentis ad Deum, Worl-ln-XV., 1937; E. lamgpré. art. IlonaVenture dans lo Diet, de spiritualité, t. 1, Pm is, 1937, col. Jean de Basoliis, disciple immédiat (et indépen­ 1768 m|. dant) de Scot. Pierre Auriol, Hervé Nédellcc, enfin Pour les disciples de saint Bonaventure, cf. Matlh/ri ab Alphonse Vargas (t 1366); cf. E. Krcbs, op. cil., Aqua^parla Qmcsliones disputat* selecta*, t. i, Q. de fldc et p. 29·-30* (Jean de Basoliis), p. 3 I· (Auriol), p. 36* et cognitione, Quamcchl, 1903; M. Gmhmann, Die philoso47· (Hervé); Kürzinger, op. cit., p. 136 et 139 (Var­ phhche und Ihrotoghehe Erkenntnhlehre des Kardinals gas), p. 161 (Jean de Basoliis), etc. Mattluriiy ab Aquaspurta. Lin Hcitrag zur Geschichlr des Au total, la plupart des maîtres donnent à la théo­ VcrhAllnissrs zwhchcn Auguslintsmus und Arisloldismus im mill< Lille rlichcn Denken, Xiciuic, 1906; Fr. Hogeri .Marston logie le titre de science, mais entendent par là des (JU/ritioncs dispulultv, éd. Quaracchi, 1932; Fr. Pvlslcr, choses assez diverses. Peu lui dénient purement et Huger Marston, (J. F. M.,ein enghschcr Vextrdcr des Augiissimplement la qualité de science : cc sera le cas d’Al­ tuihmiii. dans Scbntaslik. t. m, 1928, p. 526 556; Er. Unie, phonse X argas. augustinlcn assez Influencé, sembleJohn Pechiim ùber dru K uni pl des Augudlnhmus und des t-il, par Durand de Sûint-Pourçain. La majorité tient Arid lelismus in der ziortten llalpe des 13. J dirhundcrts. que la théologie est science, soit en un sens large, soit dans /eltsch /. kalhid. ThroL, t. xm, 1889, p. 172 sq.; en un sens propre mais d'une manière imparfaite. A. Cttllcbaut, Jean Péchant, O. F. M„ et l'augustinisme. 399 THÉOLOGIE. POSITIONS D’ÉCOLE Il est clair qu’à moltts de turc de la théologie une dialectique purement fonnclc et d'aller jusqu'à ad­ metire, comme on le fera plus tard, qu'il peut y avoir théologie sans la foi, ou ne pouvait soutenir sa qua­ lité de science qu’en marquant fortement sa Jonction à la science de Dieu et des bienheureux, c’est-à-dire en affirmant son caractère de science wbaltcmée. Plus tard. CujéUm soulignera cette exigence de continuatio moyennant quoi la science des théologiens ne sc réduit pa> a scire illationes tantum : Com. in /·“. q. i, a. 2, n. 12;cf Bafttr.,Com. in /am,q. i.a. 2, cd.de 1931, p. 20; Jt.m de Saint-Thomas, etc. Cette qualité de science subalU rm c, attaquée par Duns Scot, Op. Oxon., I. 111, ilist \\ l\ , q. unie., n. 2-4, est critiquée par beaucoup de théologiens du début du xtv· siècle et n’est admise par eux que dans un sens large et impropre. Parmi les docteurs de la fin du xm* siècle, Henri de Gond demeure assez Isolé dans sa position quant à la cause formelle de la théologie et plus précisément quant à sa lumière. Elle consiste à admettre, entre la foi et la vision, une lumière intermédiaire spéciale, infusée par Dieu, illustratio specialis, lumen supernaturale, qui serait la réalité propre de la science théoloKiqur. 3® Cause matérielle. — C’est la question, maintes fois agitée et sur laquelle tout théologien devait bien prendre parti, du sujet de la théologie, c'est-à-dire : de qui ou de quoi parle t-on en théologie? Lo question est posée en référence aux classifications d’Aristote, Anal Post., I. I. c. vu et x. Nous ne pouvons ici que classer les opinions d'une manière documentaire. On peut, scmble-l il, en dénombrer sept, que nous énumérerons sans souci de classement selon la chronologie ou selon la valeur : 1. Christus lotus ou Christus integer. — Position at­ tribuée à Cassiodore, In Psalmos, præf., c. m, P. L., t. i.xx, col. 15, cl qui eût pu se réclamer aussi de saint Augustin. Elle est partagée par Ilober» de Melun, Sentcntù», I. I. part. 1, c. vin (Cod. Rrugen. 191, fol. 11», cité par Alersch, art. cité infra, p. 137); Roland de Crémone (cf E. Filthnut, Poland non Cremona, O. P., und die Anjange der Scholastik im Predigerorden. \ édita, 1936, p. 122); Kilwardby, De natura theologia9, éd. Stegrnûllcr, p. 13sq.; Odon Bigaud, dans ses Qiuvslionts theol., q. ni, cité dans Archiv. francise, hist., 1936; Guillaume de Méliton, Quivst, theol., q. iv, η. 1 ; Robert G rosse lé te, Hexaemeron, in princ., texte édité par J. G. Phelan, An unedited text o/ Robert Grosse­ teste on the subject-mutter of theology, dans Revue néoscol de philos., t. xxxvi, 1931. p. 172-179; plus tard enfin, pur Gabriel Biel el Pierre d’Ailly. Cf. E. Mcrsch, L'objet de ta théologie et le « Christus totus ·, dans Rech, de science relig., l. xxvi, 1936, p. 129-157. 2. Res et signa. — C’est la division techniquement augustinirnne. Augustin, De doctr. christ., 1. I, c. n. n 2, P L., t. XXXIV. col. 19, reprise par Pierre Lom­ bard. 3. Opera conditionis et reparationis. — C’est la divi­ sion «I HugucvdeSaint-Mctor.de Pierre le Mangeur.de ceux qui dépendent de l'un cl de l'autre. Hugues, De sacrum, christ, fidei. prol., c. il, P. L., I. cxxxvi, col. 183; De Scripturis, c. n, P. L.. t. clxxv, col. 11 ; Pxcerp. prior.. I. II. c. I, P. L., t. clxxvii, col. 203. L De us inquantum est aurait facilement IA un vice dc ’•fir g 409 \ IT I! ÉCIATION SI Η LA SCOLASTIQLE méthode, un danger d’on venir Λ pratiquer la théolo­ gie d'une manière purement dialectique et déductive, les textes bibliques ne venant plus qu’à litre décoratif, d’une façon accident elle. On pourrait faire des remarques semblables au sujet de l’usage des écrits des Pères. Alors que les grands scolastiques des xu» et xm* siècles lisaient souvent les Pères dans le texte ou la traduction latine, origi­ naliat on en arrive, nu cours des xiv· cl xv» siècles, à ne lire que des extraits ct à revenir au régime des ex­ cerpta ou des deflorationes. D’où un regret table déve­ loppement d’une méthode dont In meilleure scolasti­ que n’avait pas été totalement exemple et dont la scolastique de nos jours ne s'est pas encore complète­ ment guérie et qui consiste à citer, à l’appui d’une thèse systématique développée pour elle-même et par des procédés purement logiques, un ou deux textes fragmentaires, extraits d’extraits, empruntés ù des auteurs de contexte historique fort divers et qui, traités ainsi, ne représentent qu’une caricature du donné positif. Rappelons-nous comment les théologiens de la fln du xme siècle fondaient le caractère scientifique dc la théologie en disant qu’elle est une scientia conse­ quentiarum, et non une scientia consequentium, c’està-dire une perception de la vérité non des choses ellesmêmes, mais de la démonstration des conclusions. Position, à coup sûr, irréprochable dans la mesure où on demeurait fidèle à un contact sans cesse enrichi ct renouvelé avec le donne positif, scripturaire et patrio­ tique. Au cours des xiv· et xv» siècles, ce contact sc faisant moins actif, le danger s’accusait en proportion de s’attacher plus à la construction systématique cl à son appareil dialectique qu’à la perception des mys­ tères dont doit vivre la foi. I.'objet dc la sacra doctrina risque ainsi dc devenir non plus les choses essentielle­ ment religieuses, mais les propositions plus ou moins rationnelles. C’est essentiellement contre cela quest* fera, d’abord, la réaction dc l’humanisme et même celle dc Luther. Aussi peut-on dire que le défaut ou la déviation que nous venons de signaler, dans la mesure où ils furent effectifs, constituent la responsabilité de la scolastique dans les grandes déchirures du xvi» siè­ cle. 2e Danger de subtilité inutile. — La méthode dialec­ tique dc la questio était sans aucun doute un grand progrès. Elle offrait cependant un risque, celui de sc développer pour soi même et d’envahir tout le champ du travail théologique· En effet, tout peut être mis en < question » et, une question résolue, on peut en soule­ ver quantité d’autres sur chacun de ses éléments et ainsi à perte dc vue. Que Ton arrive, à partir d’une con­ sideration fruste et globale, à analyserions les aspects ct à envisager toutes les dilllcultcs d’un sujet par la méthode dialectique dc la quivslio, il y a là un bienfait. Mais la méthode risque de continuer à fonctionner pour elle-même. Historiquement, ce danger s’est pré­ senté après chaque progrès de la méthode dialectique : ainsi, au xn· siècle, où Jean de Salisbury donne un très sûr diagnostic du mal. M. Grabmann, Gesch. d. schol. Meth.i t. il, p. 112 sq., 516 et 522-523. Mais les • Comlflcicns · ont survécu ct sc renouvellent d’âge en âge. C’est contre ceux de leur temps que réagiront surtout les humanistes ou les théologiens soucieux dc faire droit Λ leurs plaintes, par exemple Cano, De locis Ilicol., I. IX, c. vu ; L XII, c. v. Si l’excès de sens historique a scs inconvénients, l’érudition fin en soi ct l’hlslorlcismc, l’absence de sens historique a aussi les siens. Dans la scolastique médiévale, les dilllcultés que pouvaient soulever les textes, ceux des · autorités · en particulier, ont été trop fréquemment résolues, non par le recours au « contexto », avec le relativisme qu’implique, en vérité, celte loyale méthode, mais par 410 des distinctions s’établissant à un plan Idéologique Intemporel. Les grands théologiens médiévaux ont généralement évité de s'engager dans la vole d’une application intempérante dc la méthode dialectique ct du procède de la qurr.stio. .Mais le risque dc vainc curiosité et dc subtilité dialectique n'était pas imaginaire, comme le montrent des avertissement tels que celui-ci, formulé, par le chapitre général des frères prêcheurs de 1230 : Monemus quod tectores et magistri et fratres alii guirstiambus theologicis et moralibus potius quam philoso­ phicis et curiosis intendant. Acta capit, gen., éd. Rei­ chert, t. i, p. 209. 3° Danger de cristallisation en systèmes pétrifiés. — Ce danger découle du précédent. Chez les grands sco­ lastiques, le système vil des grandes intuitions généra­ trices. comme l’appareil dialectique est au service de problèmes réels. Mais les maîtres font école et il se trouve, parmi leurs disciples, ceux qui s’appliquent surtout à exploiter cl plus encore a fixer, gloser et défendre leurs conclusions· Il y a < scolastique · au sens étroit et péjoratif du mol. quand, au lieu de sentir quel est le sens profond des problèmes, on traite ceux-ci d’une façon purement académique: quand, au lieu de vivre des principes pour son propre compte, on discute pour les conclusions d’un autre, pour les conclusions tenues dans un groupe, avec l’âpreté et l’étroitesse, le formalisme et l’impuis­ sance à assimiler, qui sont en tout ordre el l'Évangile. il peut être reconnu comme k père de lu · théologie dialectique , animée par le rejet de toute analogia entis et de tout surnaturel » (pii ne soit pas Dieu, i’Incréé, lui-même. Au point de vue «le l'évolution ultérieure de la théo­ logie catholique, le rejet par Luther de toute norme de la théologie autre que l'Écriture incitation question jusqu’en ses fondements la science theologlque cl de­ vait amener celle-ci, nous le venons, à créer toute une défense el toute une méthodologie critique de fondements : traités de la Tradition, des lieux thcok- 417 THEOLOGIE. CONTINUATION DI glqucs cl justification apologétique tant de la fol que de l’Ég’Ise et de son magistère. Sur la notion do théologie chez Luther : A. Humbert, op. dh; Ch. Gœrung, La théologie d'après Erasme el Luther, Paris, 1913; P. Vlgnaux, Luther commentateur des Sentences, Parts, 1035; H. Gngncbct, art. ri// supra.— Sur In theologia cruels et la theologia gloria·, cf. les thèse* 19 ot 22 de la Disputatio lleidclbcrgir habita, 1518, et W. von Lxewcnlch, Luthers Theologia cruels, 2· éd., 1933, p. 11-20. 3° Continuation et développement de ta scolastique médiévale.— Des théologiens, dont plusieurs comptent panni les trè* grands, continuent, non seulement quant aux principes, mais quant aux problèmes et à la méthode, la théologie de lu scolastique médiévale. Ce sont des commentateurs qui, s’attachant àla doctrine d’un maître, la fixent par le fait même dans une tra­ dition d’école. Incontestablement, l’autorité de saint Thomas, depuis sa canonisation, s’affirme et s’étend d’une manière exceptionnelle; on peut mesurer ses progrès au cours des xiv* et xv* siècles. Cette faveur accordée à saint 'Thomas aura une grande répercussion sur la conception même de la théologie : d’abord par elle-même, par le développement de la tradition issue de saint Thomas; puis, d’une façon indirecte, par l’élimination qui s’opéra, dans la pensée ecclésiastique, d’une autre tradition, de ligne augustinienne, surtout à la suite de la Héforme et du jansénisme, crises où cette tradition joua un certain role. Cf. É. Baudin, dans Hante des sciences religieuses, 1923. p. 233 sq., 328 sq., et surtout 508 sq. Les commentateurs se sont d’abord attachés aux Sentences : ainsi Capréohis. Vers la fin du xv* siècle, la Somme théologique commence à supplanter les Sen­ tences, et les grands commentaires deviennent des commentaires de la Somme; cf. ici. art. Erêhes-Piiécm.i ns, t. vi. col. 9(16 sq.; A. Micbelitsch, K ommentatoren zur Summa theologiæ des ht. Thomas von Aquin, Graz et Vienne, 1921 (répertoire bibliographique des commentaires et commentateurs); H. WVnw.Cajétan und Kœllin, dans Angelicum, 1931, p. 568-592. Étant donnée celte prééminence de la tradition tho­ miste, nous nous en tiendrons à elle pour marquer les étapes de ce développement de la scolastique médiévale qui sa jusqu’au xvm· siècle. Ses étapes sont jalonnées par les grands noms de Capréolus (f 1 I I I), Cajétan (f 1531), Banez (f 1604), Jean de Saint-Thomas (t 1611), des carmes de Salamanque (entre 1637 et le début du xvm· siècle), enfin, comme types d’une tra­ dition désormais fixée, de Gond (t 1681) et de Billuarl (t 1757). Le développement de la tradition scola&tlque thomiste est caractérisé, en cc qui concerne la notion de théologie, par l'application de plus en plus forte de la notion aristotélicienne «le science et par la défini­ tion de plus en plus déterminée de la conclusion théo­ logique. L’ensemble de cette hb foire a été esquissée par le 1‘. I . Charlier, Essai sur te problème théologique, Thuillics, 1938. p. 11-31; cf. H.-M. Schultes. Intro­ ductio in historiam dogmatum, Paris, 1923, p. 106 sq. Le débat des écoles s’était vite fixé sur la question de savoir si la théologie était une science. Les disciples de saint Thomas, qui tenaient pour Taffirmalive, avaient été amenés à définir lu théologle-scicnce par référence à ses conclusions, comme science des conclu­ sions ou scientia consequentiarum; cf. supra, col. 398. L’attention se portail dès lors principalement, et par­ fois exclusivement, sur les conclusions de la science théologique. La qualité scientifique de la théologie est définie ainsi par Capréohis : Aon est scientia articulo­ rum fidei, sed conclusionum quir sequuntur ex illis. Q. i, a. 1,5· cond.. p. L Après avoir défendu la qualité Scientifique de la théologie, il défend sa qualité .spécu­ lative, puis on unité comme science, enfin l’assigna­ tion de Dieu comme son sujet et son objet formel quod DICT. DE THÉOL. CATHOL. LA SCOLASTIQUE Î18 principal et direct. Cependant, s'il insiste sur 1rs con­ clusions comme objet de la théologie-science, il ne définit pas celle-ci par le revelabite entendu comme médintement ou virtuellement révélé. Ccttc précision n’est pas encore exprimée chez Cajétan. Selon lui, la théologie se distingue de la foi, Λ l’intérieur du même enseignement révélé, en ce qu’elle a pour objet les conclusion*, tandis que la fol a pour objet les articles ou 1rs dogmes, qui sont comme des principes. In J** partem, q. i, a. 2, n. xn. Les principes ou vérités révélées contiennent les conclu­ sions virtualités; ainsi, tandis que les principe* font l’objet d’une adhésion de fol immédiate et simple, les conclusions déduites d'eux font l’objet d’une adhésion proprement scientifique : d’une science, certes, dtrino lumine /algens, a. 3, n. îv, où la lumière révélée des principe* sc communique aux conclusions; mai* celle lumière n’est que dérivée, assadinius conclusionibus propter articulos, et dérivée par un raisonnement hu­ main. A. 2, n. xn. Cajétan nous semble, dans un voca­ bulaire plus évolué, bien rendre la pensée de saint Thomas. Il a bien vu le sens de sacra doctrina, η. 1, et que, quand saint Thomas sc demande si la sacra doctrina est une science, il se demande en réalité si l’enseignement révélé, par le côté où il comporte une déduction de conclusions, vérifie la qualité de science. A. 2, n. i. Comme saint Thoma* encore.il n’cnvisagr nulle part expressément que les conclusions de la science théologique soient des vérités nouvelles, c’està-dire non-révélécs : H suffit que, dans renseignement révélé, elles a’ent une fonction et une valeur de vérité déduite ex principiis; il semble bien que, pour lui, la théologie n’ait pas formellement pour objet le « vir­ tuellement révélé », mais simplement les vérité* qui, dans l’enseignement chrétien, sont fondées en d'autres vérités comme dans leur principe. Enfin Cajétan, pas plus que saint Thomas, ne paile expressément de pré­ misses de raison concourant, avec une prémisse de foi, pour produire la conclusion théologique; comme saint Thomas d'ailleurs, il n’en exclut pas la possibi­ lité, cf. a. 8. n. îv, comparé à n. vi-viîi. Le cardinal Tolet (+ 1596). suit en tout ceci Cajétan; cf. Charlier. op. cit., p. 19, n. 10. Banez est le disciple «le Melchior Cano; s’il défend la méthode scolastique contre le* attaques humanis­ tes, il écrit un latin soigné et il a développé son com­ mentaire de la !*· question, a. 8, en un petit De locis theologicis : Scholastica commentaria tn / intrinsèquement transformées, elles sont, dans l’usage actuel qu’on en fait, assumées, corrigées, mesu­ rées, approuvées par le principe de foi avec lequel on 420 les construit: avec lui, elles font un seul medium de démonstration qui n’est pas une chose de foi et qui n'est plus une chose de pure raison, mais très pro­ prement un medium théologique, engendrant unt scibilitas théologique. Par 1Λ Jean de Saint-Thomas se rattache Λ la ligne suivie par Bartez, selon laquelle h théologie la plus scientifique se construit dans la loi et, malgré l’intervention désormais très accusée dn principes philosophiques dans sa construct Ion, n'ajoute objectivement rien au donné de la foi. La position de Jean de Saint-Thomas est celle qui est passée chez les thomistes postérieurs : Gond, Clgpeus theologiiv thomistiav, Disp, proaanialls; 110luart, Summa S. Thomiv..., I* pars, dissert, proorniiil· lis, qui définit la théologie : Doctrina rerum divinarum ex principiis fidei immediate revelatis conclusiones dedu­ cens. Ni Suarez, ni les carmes de Salamanque n’ont com­ menté la lre question de la Somme, Leur pensée sur la théologie est à chercher partie dans les écrits phi­ losophiques auxquels ils se réfèrent, partie dans leur traité de la foi. A cet endroit sont envisagées en par­ ticulier la notion de révélé formel et de révélé virtuel et la question de la délliiibiîité de l’un et de l’autre. Void comment le P. Charlier, op. cil,, p. 21, en note, résume leur pensée : Suarez distingue nettement l’os.scnsi/s theologicus de Vassensus fidei, Celui-ci a pour objet le révélé forme), celui-là, le révélé virtuel. Le révélé virtuel, nu sens strict, s’entend d’une conclusion déduite d’une propo­ sition de foi virtute et adminiculo alienjus principii naturalis, ut quando colligitur una proprietas naturalis ex altera revelata. De fide, disp. VI, sect. 4, n. x. La révélation virtuelle sc dit respectu proprietatis qiue nullo modo continetur formaliter in re dicta, sed tantum in radice, ut est in exemplo de risibilitate cl similibui. De fide, disp. HI, sect. 11, n. v. Dans ce cas, !'assensus theologicus s'appuie sur le raisonnement proprement dit comme sur sa cause propre et formelle. La conclu­ sion théologique stricte n’est pas, de soi, objet de foi; car elle s'appuie sur un motif formel distinct du motif formel de la foi. Elle ne devient objet de foi que dans le cas d'une définition de l’Eglisc, qui la propose alors, non comme virtuellement révélée, mais comme révélée formellement, immédiatement et en soi. J bid,, η. XI. Les Salman licenses diront, à leur tour, qu'une con­ clusion déduite d'un principe de foi et d’un principe de raison par voie de démonstration n’est pas une proposition de foi, mais une conclusion théologlque. fide, disp. I, dub. 4, n. 121. Quant ù la vérité déduite rigoureusement de deux prémisses formellement révé­ lées, il y a lieu de distinguer : cette vérité peut être considérée : 1. sous sa modalité de vérité déduite et, comme telle, elle est conclusion théologique; 2. elle peut être envisagée en elle-même, au point de vue spé­ cifique, en tant que vérité et. comme telle, elle est proposition de foi. Ibid., n. 127. Il est Inutile de poursuivre plus loin celte enquête sur les commentateurs de saint Thomas qui, aux xvr et XVIIe siècles, prolongent la ligne de la scolastique médiévale. Produit des activités d’école, création, le plus sou­ vent, de religieux défendant la tradition de leur ordre, représentant enfin la spécialité d’un monde à port, cette scolastique est, beaucoup plus que celle du xinr siècle, polémique. La division et le développe­ ment des questions y sont, infiniment plus que chcs saint Thomas ou saint Bonaventure, commandés par la controverse d’école. Cette scolastique est aussi appliquée exclusivement à développer le côté systema tique de la tradition théologique où elle s’insère. Elle se définit elle-même comme « scolastique », par un traitement dialectique et métaphysique des problèmes 421 THÉOLOGIE. FORMES NOUVELLES 422 fournis par In tradition de l'Écolc, en s'attachant à les chrétienté la tradition d’une scolastique renouvelée : traiter per parles avec les ressources et selon les exi­ Tolet A Borne, Grégoire de Valence Λ Ingolstadt. Ro­ gences de la dialectique et de la métaphysique. drigue d'Arriaga à Prague. MgrGrabmann remarque, à propos de Capreolus que, I.’œuvre de Cano, le De locis theologias, édition des trois lignes suivies par saint Ί hornas, la ligne posthume en 1563, a été analysée à l'art. Lieux spéculative, la ligne historico-posillvc et la ligne mys­ 'Théologîques, t. IX, col. 712 sq. Cano est un théolo­ tique, Il n'a prolongé que la première. Johannes Ca­ gien de formation scolastique, mais qui veut tenir preolus, dans Jahrbuch /(ïr Philos, u. spekul. TheoL, compte de l’humanisme et de ses conquêtes : l'hbt. xsl. 1902. p. 281. De fait, cette scolastique n'n guère tolrc, l’édition et l'appréciation des textes, etc. Cano, profité des acquisitions nouvelles permises par l'bumaa, par bien des côtés, une sensibilité et une mentalité nisme; l’apport du donné scripturaire et patristique y humanistes : psychologiquement, il est un moderne, est souvent médiocre; même chez un Cajétan, l’effort et il veut fonder une théologie tempori aptior. L. XII, exégétlque est resté, en somme, extrinsèque à l'activité c. xi. C’est cette mentalité humaniste qui le porte à spéculative. Par contre, dans les belles questions mettre au premier plan, dans la théologie elle-même, spéculatives, abondamment développées, l'interpré­ l'appréciation critique de la valeur d’une position tation et la construction philosophiques sont poussées déterminée et à déterminer celle-ci en faisant appel extrêmement loin. Chez Jean de Saint-Thomas, plu­ au donné positif. Ce n’est pas que Cano nie la vali­ sieurs grandes questions sont précédées de Pnrnotadité du raisonnement; il apprécie sévèrement toute mina philosophica fort considérables. Do plus, et dans attitude fldéiste, 1. II. c. xvm; 11 critique ceux qui leur exposé mémo de la notion de théologie, comme voudraient en rester à la lettre de l’Écritüre, comme déjà Gabriel Biol l'avait fait, ces théologiens renvoient Érasme, et il justifie l'usage de la raison en théo­ volontiers à des traités de philosophie. C’est que l’ef­ logie. L. VIII. c. n; 1. IX, c. iv. Classiquement, »1 assigne à la théologie scolastique trois buts : déduction fort de la scolastique a abouti Λ une élaboration très forte des notions philosophiques engagées dans la de conclusions, défense de la foi, illustration et confir­ mation du dogme à l'aide des sciences humaines. théologie spéculative; il s'est constitué ainsi une L. VIII, c. il. Mais, comme tout élève de \itoria. il «philosophie chrétienne» scolastique, dont les notions avalent été, pour ainsi dire, faites sur mesure pour leur sait les abus qui ont discrédité la théologie ration­ usage théologique. Et maintenant, la théologie n'avait nelle, et il les dénonce. L. VIII, c. i. Il préconise une guère qu'à recourir, pour chacun deses problèmes pro­ réforme profonde : la ratio qui déduit les conclusions est bonne, mais on ne peut rien savoir de plus dans les pres. Λ cet arsenal qu’elle avait formé. C’est l’existence d'une « philosophie chrétienne » scolastique qui ex­ conclusions que ce que donnent les principes, ni rien qui dépasse en certitude et en valeur la certitude et plique et justifie failure extrêmement philosophique de bien des traités de la scolastique des xvi* et xvn· siè­ la valeur des principes; bref, la théologie rationnelle cles. ne lire sa valeur que du donné positif, c'est-à-dire Mais il n'empêche que ce sera toujours une tenta­ de ï'aucloritas. L. XII. c. n. Le théologien ne sera donc un véritable savant, digne de ce nom, que s’il apprécie tion, pour cette scolastique, de ne concevoir le travail de la théologie spéculative que comme une applica­ critlquement les données desquelles il part : cf. textes tion à un donné spécial, tenu par ailleurs, de catégo­ dans A. Lang, Die (oci, p. 187. Cano réagit contre une théologie qui ne serait que raisonnement, et il affirme ries philosophiques. Quand Jean de Saint-Thomas, très fortement que la théologie, comme toute autre qui était certes un contemplatif de haut vol. exprime science, vit d’un donné, d'un point de départ positif, la fonction de la théologie-science en res termes : Res supcrnaturalcs ad mod uni mctaphysicœ scient iir qui est tel ou tel. et qu’aucun raisonnement ne peut créer. Cf. De locis, I. 11, c. iv, 2e partie du chapitre ; I. X11. tractata.', et discursu naturali collatic... Op. cil., disp. H. c. m. Tout son effort porte donc sur une élude systé­ a. 8, n. 6, p. 386, il dénonce, au sein d’une fonction matique et critique dc^ différentes sources où le théo­ magnifique et Λ coup sûr légitime, une menace de logien doit prendre sa matière de travail et qu’il ap­ déviation. Le danger existe de ne voir le rôle de la fol pelle des « lieux ». C’est à déterminer la valeur propre, dans la théologie quo comme un rôle préalable, néccssaiic pour fournir le point de départ, mais en somme les critères, les conditions d’appréciation cl d'utilisa­ liminaire et extrinsèque, le travail théologique sc fai­ tion de ces lieux qu’il s’attache d’une manière presque sant ensuite par la simple application de la métaphy­ exclusive. On le voit bien quand, à la fin du 1. XII. il donne lui-même trois exemples de sa méthode. Ces sique à ce donné tenu pour vrai. Comment, dès lors, exemples vérifient tout à fait ce que dit. après le tout en construisant une Intel prêtât ion rationnelle, garder au donné chrétien sa spécificité, son caractère P. Mandonnet. art. Cano, ici, t. n, col. 1539, le P. Jacde tout et de réalité originale? quin, Melchior Cano et la théologie moderne, dans Revue 4° Formes nouvelles dans la théologie catholique. — des sciences philos, et théol., 1920. p. 121-141. l. Effort d'intégration des exigences modernes. Melchior On peut se demander si la théologie spéculative, lu Cano. — Le mouvement humaniste, d’une part, les theologia schola, reste bien chez Cano ce qu’elle était nécessités de la controverse protestante, d'autre part, I chez saint Thomas. Cano abandonne le procédé de la vont susciter dans l’Églisc un ensemble de questions qua stio et la manière dont il parle de la quaestio theolo­ et un effort aboutissant à créer une théologie fonda­ gica. I. XII. c. v, laisse entendre qu’elle est. pour lui, mentale où les sources, les conditions, la certitude et non plus un instrument de science, mais un procédé de la méthode de la pensée religieuse seraient étudiées pedagogic et de discussion. De même la manière dont critlquement. Lang. Dic Loci theologici..., p. Il sq.; il parle soit de la conclusion thcologlquc, soit de lu P. Polmnn, L'élément historique.... p. 284. Cet effort fonction d’explication et d'illustration, I. VIII, c. il, fut le fait de l’école de Salamanque et singulièrement semble ne se référer qu'à l’explication de ce qui se de Melchior Cano. Le renouvellement de la scolastique trouve tel quel dans les lieux principaux, Écriture et qui s’est opéré A Salamanque au xvr· siècle est dû à Tradition, travail où l'argumentation ne serait guère François de \ itoria, lequel avait. Λ Paris, reçu l’in­ qu’un procédé d’explication parmi les autres et non fluence de Pierre Crocknerl et. par lui, celle du milieu pas celte assomption des ressources authentiques de humaniste de Louvain. Comme les deux Soto, Cano la raison dans la construction de l’objet chrétien fut son élève puis, devenu maître A son tour, il fut le qu elle était pour saint Thomas. Cependant il serait professeur de Medina et de Battez. De Salamanque injuste de rendre Cano responsable des excès ou des partent aussi des maîtres qui porteront dans toute la déviations que son initiative aurait pu permettre. Une 423 THÉOLOGIE. LES SPÉCIALISATIONS lignée de disciples authentiques procède aussi de lui; Il n créé le traité scientifique et critique de la métho­ dologie théologique, et tous les De locis sont tribu­ taires du sien : cf. A. Lang, Die loci..., p. 228, η. I, et p. 243; M.-J. Schcebcn, La dogmatique, trad. fr.. t. i, p. 1L 2. Désagrégation de rancien ne unité de la théologie. Les spécialisations nouvelles. — ('.liez beaucoup, l'ef­ fort de réponse aux requêtes nouvelles sc fait non dans le sens du maintien de l’unité, mais dans celui d’une spécialisation et d’un morcellement. Le fait est général et caractéristique de l’époque moderne Λ la fin du xv* siècle : la désagrégation de la synthèse médiévale. Mais tout n’est pas < désagrégation » dans le processus que nous allons analyser et le fait de spé­ cialisation qui s’y manifeste est, pour une grande part, la conséquence normale et bienfaisante des nouvelles acquisitions qui constituent le progrès. Très tôt, le travail théologique perd son unité et se morcelle en spécialités. Cf. A. Humbert, op. cil., p. 3. Certes, la tradition de l’Écoïc continue : on rédige des Cursus; non seulement on commente la Somme de saint Thomas, mais, jusqu’en plein xvn* siècle, on commente encore les Sentences : ainsi listi us (t 1613). Mais, la plupart du temps, les traités qu’on publie por­ tent diverses épithètes, qui accusent la spécialisation des objets ou des méthodes : theologia biblica, catholica, Christiana, dogmatica, fundamentalis, moralis, mystica, naturalis, polemica, positiva, practica, scholastica, speculativa..., etc. Cf. une liste plus complète dans O. Ritschl, Lilerarhistorische Beobachtungen dbrr die Nomenklalur der theologischen Disziplinen im 17. Jahr· hunderl, dans Studien z. systematischen Théologie, Festgabe Th. von Haring, Tubinguc, 1918, p. 76-85. Pour ne prendre que cet exemple, le jésuite T. Lohner publiera, en 1679, des Institutiones quintuplicis theo- I logiæ, et ces cinq théologies seront : positiva, ascetica, polemica, speculativa, moratis. Nous nous en tiendrons ici aux trois divisions de la théologie caractéristiques I de la théologie moderne, en scolastique et mystique, dogmatique et morale, enfin et surtout scolastique et positive. a) Théologie scolastique et théologie mystique. — Chez un saint Thomas, un saint Bonaventure, la mys­ tique est intégrée à la théologie; dans un état de la théologie où celle-ci remplit toutes les obligations de sa fonction de sagesse, une théologie mystique ou spi­ rituelle n’avait pas A sc constituer à part. C’est cepen­ dant ce qui arriva à partir surtout du xv· siècle. Cf. A. Stolz, Anselm von Canterbury, 1938, p. 37-38. | Vers la fin du xvi· siècle apparaîtront les Exercices de saint Ignace, puis un peu plus tard les écrits du Carmel réforme, puis ceux de saint François de Sales, types d’ouvrages spirituels qui sont des chefs-d’œuvre, mais qui n’émanent pas de la théologie spéculative classique comme de leur source immédiatement Inspi­ ratrice et dont la valeur, semble-t-il, déborde de beau­ coup la valeur de leurs auteurs comme théologiens proprement dits. Cf. J. Wchrlé, Le doctorat de saint Jean de la Croix, dans Hevue apologétique, t. xlvh, 1928, p. 5-22. Significatif est le fait que, dans leurs Tabula· /ontium traditionis Christiana, les PP. Creuscn et Van Even aient éprouvé le besoin, à partir du xv* siècle, d’ouvrir une nouvelle colonne pour y classer les écrits sous la rubrique de Theologia ascetica et mystica. Une spécialité nouvelle se crée dans la théo­ logie et, serait-on tenté de dire, se sépare de la théo­ logie : A la théologie scolastique va s’opposer une théo­ logie mystique ou affective qui aura ses docteurs, ses uu\rages, ses sources et son style. Le vocable de « théologie mystique », patronné par Denys, est courant depuis longtemps; dans son opposition à « scolastique », il se réclame surtout de 424 Gerson, comme on le voit, par exemple, dans le Ltxi· con theologicum de Jean Altenstalg, Anvers, 1576. s. v. Les expressions théologie ascétique ou théologie ipiriluelle sont plus tardives. Cf. J. de Guibcrt, La plut ancienne « Théologie ascétique », dans Hevue d'asdl el de myst., t. xvm, 1937, p. 404-408. Chez les dominicains, un effort fut tenté pouriatkfaire aux requêtes du mouvement spirituel tout ta conservant A la théologie son unité. L’Intention dt parer A une disjonction entre une spéculation scolas­ tique subtile et desséchée, d’une part, une spiritua­ lité pure, d’autre part, est très nette chez Contemn qui veut, dans sa Theologia mentis et cordis, rendre à la théologie dont on se détourne parce qu’elle ne nourrit pas l’âme, sa valeur spirituelle : cf. op. cit., 1. I, dKs. I c. i, specui. 1, appendix n. Massoullé, qui achèvera l’œuvre interrompue de Contenson, sera plus forte­ ment encore soucieux de réintégrer dans la théologie la matière de la vie spirituelle. Quelques années avant Contenson, L. Bail avait publié la Théologie affective ou saint Thomas en méditations, Paris, 1651, cl quel­ ques années auparavant encore, Louis Chardon avait donné sa Croix de Jésus, 1617; cf. l'introduction écrite par le P. Fr. Florand pour la réédition de La Croix de Jésus, Paris. 1937. p. lxxiî sq., et, du même, l’introduction aux Méditations de Massoullé, Paris, 193 1, p. 94. Théologie · affective » s’entend ici non plus d’une théologie expérimentale des choses de Dieu, mais d’une théologie dogmatique traitée dans un esprit de piété et d'édification. En réalité, nous tenons, avec le chef-d’œuvre de Chardon, un type intermédiaire de théologie. Certes, il s'agit pour lui de puiser dam l'étude contemplative des mystères l'explication et la régulation des choses de la vie spirituelle. Mais le choix des mystères contemplés, le choix des « thèmes» de la contemplation et l’orientation de l’étude viennent chez Chardon, non du donné théologique tel quel, prb dans son objectivité, en soi et selon sa pure vérité d’objet; ils viennent de l'expérience spirituelle ou de la connaissance des Ames acquises par le directeur spirituel. C'est une théologie dont le « lieu theologi­ que » finalement décisif est l’expérience des < Ames suintes », et non la pure vérité révélée, objectivement contenue dans les lieux théologiques classiques Cf. J.-M. Congnr, La Croix de Jésus du P. Chardon. dans la Vie spir., avril 1937, suppl., p. 42-57. Signalons ici d’un mot la position méthodologique de Contenson dans sa Theologia mentis el cordis. U dépend de la tradition de Salamanque et cite Solo, Medina, Cano. Conformément à celte tradition, il souligne fortement la liaison de la théologie Λ sev sources et son homogénéité à la foi; il mêle nu raison­ nement des citations de l'Écrlture et des Pères. Mah son intention propre est de réintégrer A la scolastique, dans une unique théologie, les éléments spirituels d les valeurs mystiques. Il définit l’objet formel quo de la théologie par la revelatio victualis. L. 1, diss, i, c. i, spccul. 3. Il souligne si fortement l’homogénéité dt la théologie à la foi que le raisonnement hri semble être une pure condition d’application des prémisses de foi, en sorte que l’assentiment final ne relève, comme de sa cause véritable, que des vérités de foi. ibid., c. n, spccul. 3; position qui sera reprise par Schæzlcr, et, A sa suite, par le P. A. (iardeil. IJnfin, Contenson, isolé en ceci, veut que la théologie soit un habitus entitativc supernaturalis, acquis cependant, ibid., opinion A laquelle il est entraîné par celte vue très aiguë qu’il a de la continuité objective entre la théo­ logie et la foi. b) Dogmatique et morale. — On signale souvent la rupture qui s’est introduite, dans la théologie posttridcntinc, entre le dogme et la morale. H n’est pas 425 THÉOLOGIE. LES SPÉCIALISATIONS 426 aisé (le préciser quand cl comment est intervenue ccttc même; la morale devient une spécialité parmi les dis­ coupure. Le Moyen Age avait connu ccttc distinction. ciplines qu’on enseigne et sur lesquelles on écrit. Il C’est ainsi que, dans sa fameuse Summa Abel, Pierre le s’agit d’une discipline particulière qui aura sa méthode Chantre dit : Theologia duplex est : superior sive codescl scs données propres. On aura un traité de In fin lis, qua divinorum notitiam spondet..., inferior sive dernière séparé du traité de Dieu, un truité des sacre­ subcalestis, qua morum informationem docet. Grab* ments séparé du traité du Christ... Aussi les nouvelles manu. Gesch. d. Scholas!. Methode, l. if, p. 483, n. 3. On productions de théologie morale seront-elles, de soi, retrouve une distinction semblable chez Guillaume exposées au danger de subir, à la place de celle du d’Auxerre, ibid., p. 484; Robert de Courçon, p. 494; dogme, l’influence de la philosophie. Déjà Vasqûez ne Jean de La Rochelle, p. 495 el 501; Pierre de Poitiers, volt, dans toute l’analyse de la moralité et des espèces p. 503, n. 2 el 504, et auparavant chez Yves de Char­ de vertus et de péchés, que pure philosophie cl, pour tres, op. cit., t. i. p. 242. Cependant, cette division, au ce motif, considère la partie morale de la théologie Moyen Age, était d’ordre purement pragmatique; elle comme subaltcrnéc à la philosophie morale ou mieux s'entendait à l’intérieur d’une même discipline el il ne comme appartenant à la philosophie. In part. Sum. venait pas à l’esprit d’en faire une séparation. Dans theol., I* pars, disp. VII, c. v; cf. disp. XII, c. m. On peut suivre, dans J. Diebolt, Zxi théologie morale catho­ le dernier quart du xvi· siècle, au contraire, la morale lique en Allemagne au temps du phtlosophisme et de la devient, chez un grand nombre d’auteurs, un domaine Restauration, 1T&0-1&S0, Strasbourg. 1926, ce proces­ à part, soustrait à l'influence directe et constante du dogme. sus auquel l’élude du Droit naturel, à la suite de Quelles causes assigner ή ce fait? Faute des études Grotius, a donné une forte impulsion, cl qui tendrait de detail indispensables, il est malaisé de le dire. Le à laïciser, si l’on ose dire, la théologie morale. c) Scolastique et positive. — Grégoire de Valence, P. A. Palmieri suggère en ccd une influence protes­ tante, mais il ne donne, en ce sens, aucun fait, aucune dans ses Commentam theologici parus en 1591. parle de justification. Acta Academuv Velehradensis, t. vin, la division de la théologie en scolastique el positive 1912, p. 157. La chose n’est pas impossible; de fait, comme d’une division courante. Disp. L q. i, punct. I. l’ouvrage du calviniste Lambert Dancau, Ethica Chris­ Vers le même moment. Louis Carbonia dit aussi : Theologia Christiana dividi solet in scholasticam el posi­ tiana libri 1res..,, 1577, est sans doute un des premiers tivam. Introductio in sacram theologiam, Venise» 1589. traités de théologie morale séparée. Fr. Tillmann, Kath Siltenlehre, t. ni, p. 33, souligne l’influence des pres­ I. I, c. vin. L’n peu auparavant, le maître général do frères-prêcheur». Sixte Fabri, dans une ordonnance du criptions du concile de Trente relatives à la confession détaillée des péchés sur l’afllux des ouvrages de ca­ 30 octobre 1583, prescrit qu’au couvent de Pérouse, suistique que l’on remarque alors. On peut remarquer prater lectionem theologia scotaslica habeatur quoque lectio theologia; positiva!..., cité par Ed. Hugon, De la enfin que les auteurs d’ouvrages de théologie morale division de la théologie en spéculative, positive, histori­ séparée sont presque tous des jésuites, el des jésuites que, dans Revue thomiste, 1910, p. 652-656 (p. 653). espagnols : Jean Azor, S. J., Institutiones morales, 1600, très nombreuses éditions; IL Henriquez, S. J., L’expression doit être courante, puisqu’elle est em­ ployée sans explication dans un document ofllciel. Theologia morali·; summa, 1591; Th. Sanchez, S. J., Cependant, elle est sans doute alors assez récente, car Opus morale in pracepta Decalogi, 1G13; L. Mendoza, Jean Allenstaig, dans son Lexicon theologicum, Anvers, O. C., Summa totius theologia moralis, Madrid, 1598, 1576, ne la mentionne pas ; Carlo pas davantage, etc., pour ne citer (pie les principaux parmi les pre­ miers spécimens d’une littérature qui fut très abon­ bien qu’il connaisse formellement la réalité qu’elle recouvre el qu’il parle deux fois de ponere principia. De dante. Ces ouvrages comportent généralement un locis, I. Il, C. iv ; duas esse eujusque disciplina! partes... traité de la fin dernière et de la moralité des actes unam in qua principia ipsa tanquam fundamenta poni­ humains, un traité des sacrements, un traité de la loi mus, statuimus, firmamus, alteram in qua principiis naturelle et positive (Décalogue, lois de l’Égllse), un positis, ad ea quœ sunt inde consequentia proficiscimur; traité des sanctions de droit ccclési asti que, enfin un vi. 1. XIL c. in, mod. : Nulla enim omnino disci­ traité des sanctions ou fins dernières. plina sua principia ratiocinatione probat, sed ponit : Ces auteurs n’ont ni l'intention ni la conscience idcirco enim positiones seu petitiones nuncupantur. d’innover. Cependant, la différence est grande entre On trouve la division en théologie positive et sco­ cette théologie morale séparée et l'ancienne partie lastique dans les règles d’orthodoxie ajoutées par saint morale de la théologie. Auparavant, il y avait, d’une Ignace de Loyola (t 1556), à la fln des Exercices, part une étude scientifique de l’action humaine, abou­ tissant à une science théologique do cette action capa­ reg. xi : « Louer la théologie positive et scolastique, car, comme c’est particulièrement le propre des doc­ ble de la diriger, et, d’autre part, des manuels pratiques fort résumés à l'usage des confesseurs. La nouvelle teurs positifs, tels que saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire et les autres, d’exciter les affections et théologie morale reprend la ligne de ces manuels, mais elle veut y introduire la matière des traités théologi­ de porter les hommes à aimer cl à servir de tout leur pouvoir Dieu, notre Seigneur, ainsi le but principal ques; elle veut aussi mettre à la disposition des confes­ seurs non plus seulement un aide-memoire complé­ des scolastiques tels que saint Thomas, saint Bona­ tant les traités scientifiques de la théologie morale, venture, le Maître des Sentences et ceux qui les ont mais un manuel complet, se suffisant à lui-même, où la suivis, est de définir et d’expliquer, selon le besoin des matière de ces traités scientifiques soit intégrée au temps modernes, les choses nécessaires au salut éter­ nel, d’attaquer el de manifester clairement toutes les titre de principes immédiatement applicables aux décisions pratiques; le nouveau genre prend la succes­ erreurs el les faux raisonnements des ennemis de sion des manuels de casibus et il y absorbe, avec la l'Égllse. > On le voit, dans ce texte de saint Ignace, la matière dont clic traitait, la partie morale de la science théologie positive et la théologie scolastique répon­ théologique. Cf l’art. Proiiabilisme, col. 188 sq.; I dent moins à deux fonctions qu’à deux finalités, ou Fr. Wcmcr, Gesch. der kathol. Théologie seil dem Trienplutôt à deux genres et comme ù deux formes de la ter Concil., 1859, p. 50 sq. Les anciennes Sommes ou théologie. manuels pour les confesseurs étalent des répertoires On peut remonter au delà de saint Ignace cl, jus­ assez brefs et essentiellement pratiques, le plus sou­ qu’à nouvel ordre, nous considérerons comme le pre­ vent disposés par ordre alphabétique. On aura désor­ mier usage du terme celui que fait Jean Mair dans son mais un ensemble systématique qui se suflira ù lui- commentaire sur les Sentences publié à Paris en 1509 ftn THÉOLOGIE. LES SPÉCIALISATIONS et réédité en 1512, 1516, 1521. Jean Mair désapprouve ceux qui prolixe in theologia quæsliones mutiles ex artibus inserunt ad longum, opiniones frivolas verborum prodigalitate impugnant... Quocirca, statui pro viribus materias theologicas /cerne totaliter in hoc quarto nunc potilior, nunc scholastice prosequi, in I V“m Sent., 1509, fol. 1-2, cité dans R.-G. Valloslada, Un teologo ovlidado : Juan Mair, dans Esludios eclesiasticos, t. xv, 1936, p. 97 cl 109. Ce texte est remarquable, et il nous met sur la voie d'un sens du mot « positif » qui pour­ rait bien être le sens originel. Le mot désigne, chez Jean Mair, à la fois une matière et une méthode. Il indique un exposé bref, un exposé religieux, dépouillé tant des questions inutiles que des questions princi­ palement philosophiques réservées au point de vue • scolastique », un exposé apportant, non des choses problématiques ou controversées, mais des données fermes; il s'agit enfin d’un exposé portant sur une matière chrétienne, sur des vérités de fait, non déduc­ tibles par des raisons. A partir de la, il semble bien que le même mol ait recouvert deux notions qui, pour sc relier ά une origine commune, n’en sont pas moins notablement diffé­ rentes. Il y a une conception littéraire, selon laquelle la théologie positive représente une certaine manière de faire œuvre de théologie, cl une conception métho­ dologique, selon laquelle la positive est une certaine fonction de la théologie. La première conception, qui peut sc rattacher au texte de saint Ignace et même à celui de Jean Mair, sera longtemps la plus répandue : il semble bien que ce soit celle que le mot « positif » portail alors le plus spontanément avec soi; la seconde conception représente un développement interne de la notion de théologie qui s’est amorcée chez Cano et qui aurait pu se dérouler ensuite, sans se couvrir du nom de « positive », mais qui s'est finalement pré­ sentée sous cette enseigne. Dans la ligne de Cano, la théologie positive désignera celte partie ou celle fonction par laquelle la théologie établit ses principes et s'occupe de ses fondements, de son donné. Partie ou fonction qui concerne donc prin­ cipalement l’Écriture et les Pères et qui vise, non à élaborer le contenu de leurs assertions, mais Λ le saisir tel quel en sa teneur positive; par conséquent,partie ou fonction qui suit non une méthode d’argumentation dialectique mais une méthode d'exposition plutôt exégétique et simplement explicative. Par ce biais, la théologie positive ainsi entendue rejoint la théologie positive entendue au sens littéraire que nous allons voir : car elle se distingue de la théologie scolastique par la« manière » cl finalement, par le style lui-même. Aussi, comme nous le verrons, un assez grand nombre d’auteurs mêleront ou juxtaposeront les deux notions. Les auteurs el les textes suivants se rattachent à cette manière d’entendre la distinction entre scolas­ tique et positive : «8 nendo sensum Scriptura? et theses conclusionesque theologi­ cos sino argument is convincent Ibus. Theologia scolastlai «I scientia ex principiis fidei educens dcmomtmtive conclu­ siones do Deo rebusquo divinis... J. Polmnn, Urruiarlum theologicum, Lyon, 1696, p. I. Positiva illa dicitur quæ conclusiones suas probat tum cx Sacra? Scriptura· auctoritate, tum traditionibus, Ium definitionibus conciliorum, tum denique sanet æ Eccledr et pontificum determinationibus, theologorum ve unanimi sententia... J.-V. Zambaldi, Dissertationes theologiae ichotaitlco-dogniatiae, Padoue, 1728, q. i. La conception de la théologie positive prise du point de vue littéraire est déjà celle qui est sous-ja­ cente au texte de saint Ignace cité col. 126. Elle fat, ct de beaucoup, la plus commune au xvn· cl nu début du xvm· siècle. Pelait lui-même, bien qu’il soit eflectivement le père de la théologie positive au sens moderne du mot, lequel reprend la ligne de Cano, ne définit pas la théologie positive autrement. On trouve celte notion dans les textes suivants: ...Non illam (theologiam) contentiosam ac subtilem, quæ aliquot abhinc orta sæculis jam sola pene scholas occupavit, a quibus et scholastica proprium sibi nomen ascivit; verum clegantiorcm et uberiorem alleram.,. Dogm. theot., prulcg·, c. i, n. 1 ; cf. c. Ill, n. 1 cl surtout c. ix, n. 9, où son nom est donné À celle autre théolo­ gie : Alterum genus est theologiæ quod positivum vulgo nuncupant, quod majori parti blanditur hominum eorum qui politis delectantur artibus et abhorrere ab omni bar­ barie præ se jerunt. Voir aussi Billuart, Cursus theolo­ gia', diss. procem., a. 1 : Ex parte modi dividitur in positivam et scholasticam. Positiva est quæ versatur circa S. Scripturas, traditiones, concilia, canones, SS. Pontificum decreta, SS. Patrum opera, antiquitatis facta historica ct praxim, ea expendendo, penetrando, vera a falsis discernendo, sensum legitimum explicando, mysteria fidet et veritates revelatas ex eis eruendo, et ex veritatibus revelatis alias deducendo; cl hire omnia stylo fusiori, eleganliori ct quasi oratorio, atque reguli» dialecticis minus accomodate... On pourrait enfin citer E. du Pin el ceux qui dépendent de lui : du Pin, Méthode pour étudier la théologie, Paris, 1716, c. it (éd. de 1768, p. 30 sq.); de La Chambre (f 1753). Introduction à la théologie, diss. I, art. 6, dans Migne, Thcol. cursus com­ pletus, t. xxvi, col. 1070. Si étrange que cela puisse paraître, ces différents auteurs définissent la théologie positive comme la forme plus élégante cl moins rigou­ reuse de la théologie tout court, dont la scolastique est la forme exacte cl plus sévère. Comme Billuarl l’indi­ que nettement, la théologie positive est représentée, en somme, par les auteurs ecclésiastiques antérieurs à saint Jean Damascene pour lOrlcnt, à Pierre Lombard pour l’Occidcnl. Mais, chez nombre de scolastiques, l'apport historique et textuel demeurera extrinsèque au développement de la pensée; ils s’y résoudront comme à une exigence du temps, mais sans croire à sa fécondité cl à sa valeur. Billuart lui-même ajoutera bien ù son commentaire des développements histori­ Secunda (divhio) oritur ox differentia quadam methodi ques, mais ce sont, selon sa propre terminologie, des qua utitur in oa lldol explicatione... In positivam ct scholas­ digressiones, cl il ne les ajoute, dans une Somme qu’il ticam. Qulba* appel hit Ion Ibus unus etiam et Idem habitus significatur, prout «iiverso modo venatur In suo munere proclame hodiernis moribus accomodata. que parce que explicandi el confirmandi Qdem. Positiva enim theologia usas prævaluit; cf. la Præfatio auctoris à sa Summa. dicitur, quatenus occupatur potissimum In explicando Ipso Beaucoup, d’ailleurs, accolent la notion épistémolo­ Scripture sacre sensu, ud cumque eliciendum, tum aliis gique héritée de Cano cl la notion littéraire ou huma­ idmlniculls, turn pnecipue auctoritate sanctorum Patrum nist c. Il y a quelque chose de cela chez Billuart luiutitur. Quo Ipso quasi principia llrmu aliarum conclusionum même, el plus encore chez Phili ppc de la Trinité. theologicarum ponit; ct Idoo positiva videtur dicta, «pila C’est au maximum le cas de Tournely (t 1729), Prirscilicet ponit atque statuit cx Scriptura principia theologia* firma. Scholastica vero theologia vocatur prout explicat el lectiones theologica* de Deo cl divinis attributis,.., disp. confirmat ac defendit uberius et accuratius fidei senten­ prævia, q. i. a. 2, Venise, 1731, p. I, et de Berli, De tiam. subtiliter Ii* ellam rebus animadversis, qu» vel ex theologicis disciplinis, l. i, Venise, 1776, p. 2. fldr consequentes sunt vel ftdcl repugnant... Grégoire de Il n'empêche que c’esl bien à I époque où nous som­ VaUnce. Co/nmrnforti I/iroL, bourg, 1926 : on trouvera dans cet ouvrage, en parti­ dem concilii catechismo exposita... Noël Alexandre, culier p. 263, n. 3 et 266, n. 12, la bibliographie afférente à Theologia dogmatica et moralis, 1693, t. i, præf. Le mot la question dol'anafyiü fldrl; P. Schütt.Das Verhdltnts von VrrnunftigkcU und Gôttllchkell des Glaubens bd Suarez, I est encore employé en dlsl inet ion avec moralis, mais 11 Wurrndorf, 1929; F. Schlugenhcufen, Die GlaubensgcivUsprend un sens très net de doctrine commune dans heit und ihre lirgrûndung in der Neuscholastik, dans '/.dlsch. ΓEglise, telle que, évitant les disputes d’école, elle se t. kaihoL Theol., t. lvi, 1932, p. 313-374, 530-595; F. do fonde immédiatement dans les document s du magistère. B. Vizinanos, La apologetica de los escolastlcos poslridentlnos, Cette idée d’une théologie « dogmatique » est liée, à dans Zùfud. ec/tiiajf., 1934, p. 418-440 (bibliographie p. 422, cette époque, à tout un mouvement de pensée concer­ n. 8). nant la notion de dogme ct les lieux thcologiqucs. On VIII. Coup d’œil slr la théologie du xvh· siè­ trouve fréquemment, dans les auteurs de cette époque, cle a nos Jot ns. — Après avoir vu les problèmes nou­ des précisions nouvelles ct passablement compliquées veaux posés devant la théologie à l’époque moderne, sur le dogme et scs dliTércntcs variétés. La division puis l’effet de dissociation ct de spécialisation causé faite par le P. Annat dans son Apparatus ad positivam par ces problèmes, il reste à esquisser les vicissitudes theologiam methodicus, I. I, a. 7, Paris, 1700 (2· éd., de la notion de théologie du xvu· siècle à nos jours : 17b5, p. 31 : nombreuses éditions), entre dogma impe­ 1 La forme de théologie déterminée par les attitudes ratum, liberum d. toleratum, est acceptée par les au­ nouvelles; 2. Le marasme de la théologie au temps du teurs. Gotli, Theol. scholastico dogmatica, tract. I, philosophisme; 3. Le renouveau de la théologie au q. 1, dub. vi, § 1; Gautier, Prodromus ad theol. dogxïx· siècle et à l’époque contemporaine. I matico-scholasticam, Cologne, 1756, diss. II, c. i, a. 2. '•33 THÉOLOGIE. AU TE MPS DU PHILOSOPHISME Les mêmes auteurs apportent beaucoup de soin à distinguer différentes espèces et divers degrés de con­ clusions théologiques : cf. Goltl, dub. ni, § 3; Gautier, diss. 11, c. i ; de même, iis développent un De locis assez élaboré et iis consacrent une grande place A définir les dlITérentes notes tbiologiques. Pour toutes ces choses, le Prodromus de Gautier est typique ct très complet. C’est celle ligne de la theologia dogmatica qui abou­ tira aux Dogmatiques modernes, c’est-à-dire ù des exposés de la doctrine catholique se présentant non comme une élaboration extrême systématique et dia­ lectique, à la manière des Sommes du Moyen /\gc, mais comme une sorte de < doctrine chrétienne » déve­ loppée, ou une explication du donné de fol poursuivie très au contact avec les sources et les expressions positives de celles-ci. Cf. O. Kilschl. Literarhiitorische Beobachtungen (Iber die Nomenklatur der lheotogischcn Diszipttnen im 17. Jahrhunderl, dans Studien zursyslematischcn Théologie, Fcstgabe Th. von Haring, Tu lon­ gue, 1918, p. 83 sq.; H. Keller, dans Theoloyische vue, 1938, col. 301. Les cours et manuels de l’époque qui suit 1G80 por­ tent fréquemment dans leur titre les mots · dogmalicoscol as tique ». Ainsi C.-V. Gotti, J.-B. Gcuer, 17671777, Tournély, 1755, etc. Ce titre indique l’intention de marier l’élément positif et l'élément rationnel, l’explication de la foi et l’interprétation d’école. Cela est très net, par exemple, dans l’œuvre d'un Martin Gcrbcrt, voir ici, t. vi, col. 1295 ct cf. ici, art. Gotti, l. vi, col. 1505-150G. Cette intention commande une méthode. On a abandonné la technique de la quiestio ct on adopte, ù la place, un schème d’exposé qui commence d’apparallrc déjà dans la scolastique du xiv* siècle et qui était déjà, en somme, celui de Cano; il suit non un ordre dialectique d’invention ct de preuve, mais un ordre pédagogique d'explication et comporte les étapes suivantes : thèse, status quirstionis, c’est-à-dire exposé des opinions, preuves positives d’autorité, preuves de raison théologique, solution des difficultés, corollaires, et en particulier corollaires pour la vie et la piété. Ce schéma est devenu celui de la presque totalité de nos manuels. 2° La tendance à se constituer en · système ». — Vers le milieu du xvm· siècle, la théologie subit, surtout en Allemagne, l'in fluence de la philosophie de Wolf. Celle influence est sensible au point de vue du con­ tenu. ct plus encore peut-être au point de vue de la méthode. Wolf accentue la tendance de scs inspira­ teurs, Spinoza, avec son more geometrico, Leibniz avec son Systema thcotogiir (publié seulement en 1819), pour aboutir à ce qu’on appellera le systema ou la methodus scienti fica : méthode de type géométrique caractérisée par la recherche d’un ordre déductif rattachant tous les éléments à un unique principe. O. lUtschl a étudié le développement de l’idée de · système » ct de procédé • systématique ■ dans la théologie, principalement dans la théologie protestante, depuis le début du xvu* siècle jusqu’au milieu du xvm* : System und systematische Methode in der Geschichte des ivissenscha/tlichen Sprachgebrauchs und der phtlosuphischen Méthodologie, Bonn. 1906, surtout p. 10-51. 11 est fort probable que l’exemple de la théologie protestante qui, très tôt, a Juxtaposé à l'Écriture un « système » plus construit que les anciennes Sommes scolastiques, a Influé sur la théologie catholique. Dans la seconde moitié du xvm* siècle, la théolo­ gie catholique recherche volontiers de se constituer en « système ». en suivant la methodus scienti [Ica de l’école île Wolf. Des exemples types oe telles théologies sont fournis par l’œuvre de B. Stattler, S. J.; cf. C. Oherndorfcr, O. S B.. Systema theologicohistoricu-criticum, Augsbonig, 1762; B.-J. Herwis, O. Pracm., Epitome dogmatica, Prague, 1766, traité 434 apologétique de l’Église selon la méthode mathémati­ que; J.-A. Brandmeyer, Principia catholica introductio­ nis in universam theologiam Christianam, Rastadt, 1783; M. Gazzaniga, O. P., Theologia dogmatica in systema redacta, Ingolstadt, 1786; M. Dobinaycr, Theologia dogmatica, seu Systema theologite dogmatics, 1807 (posthume). 3® //organisation pédagogique de la théologie en • Encyclopédies ». — En même temps, la théologie du xvm· siècle est friande de traités méthodologiques. Les Introductiones, les Apparatus, les De locis sc mul­ tiplient. I.a vieille idée de rassembler toutes les con­ naissances en un corpus où clics soient distribuées ct ordonnées, réapparaît cl anime le mous ement des encyclopédies. Vers la fin du xvm· siècle ct au début du xïx*, l’idée de réunir ct d’organiser en un ensemble les diverses branches relevant de la théologie, prend corps dans un grand nombre d' < Encyclopédies » ou < Méthodologies ». Ces deux mots répondent à la fols à l’ancien De sacra doctrina, au De locis ct au besoin nouveau de distribuer systématiquement les diffé­ rentes branches, parfois divisées et subdivisées à l’ex­ cès, de la théologie : par cette idée de distribution sys­ tématique et d'ordre déduit d’un seul principe. 1’ « en­ cyclopédie » sc rattache au · système », comme on le sent jusque dans le litre d’une des plus célèbres pro­ ductions de ce genre, du côté catholique. VEncyklopàdie der theologischen Wissenscha/len als System der gesammten Théologie, de E.-A. Staudcnmaier, 1834. Ces Encyclopédies ou Méthodologies sont innom­ brables. On trouvera sur elles une abondante docu­ mentation dans Part. Encyklopâdie de la Protest. Bealencyklopâdie. 3e éd. I. v, p. 351 sq., dans les art. Ency­ klopâdie et Théologie du h'trchenlextknn, 2* éd., t. iv, col. 497-501 el l. xi, col. 1565-1569; dans le Systematisch geordactes Repertorium der katholisch-theologischen Littéralur de Gla, t. i, Paderborn, 1895, p. 6 sq.; enfin dans l’art. Théologie du Diet, encyclopédique de la théologie catholique de Wctzer ct Welle, trad. fr. par Goschlcr, t. xxm, p. 313-321 : ce dernier article donne les plans proposés par Dobmayer, 1807: Drcy, 1819; Klec, 1822 et Staudcnmaier, 1834. Cf. aussi G. Kabcau, Introd. à Tctude de la théologie. Paris, 1926, p. 369 sq. II. LE MARASME DE LA THÉOLOO/E Aü TEMPS DU PHrLOSOI'il l SME.— La théologie pénétrée par l’esprit du philosophisme est caractérisée par la méconnais­ sance du christianisme en tant qu’il apporte à l’esprit, au delà des possibilités cl des initiatives propres de celui-ci, un ordre nouveau d’objets, qui sont des mys­ tères. inaccessibles à toute decouverte rationnelle, mais donnant lieu, une fols révélés et reçus dims la fol, à l’activité contemplative nous elle d’une intellect mi­ lité surnaturelle. La Vernunltthcologie, au temps de VAu/kldrung et du philosophisme, reprend l’intention de l’apologétique qui s’est développée depuis le xvu· siècle, contre les < libertins » : elle veut refaire l’unité des esprits dans le christianisme, au sein d’un monde où la foi d’un côté, la science et la culture de l’autre, forment deux terres séparées; elle veut opérer le passage de la raison à la religion, de la science au christianisme, par les ressources de la raison et de la science. G. Hermès (f 1831) donne à cette intention une forme savante, dont l’appareil est en grande partie emprunté à Kant corrigé par Eichte. Einleitung in die christkatholische Théologie, l. Philosophische Einleitung, Munster. 1819; n. Positive Einleitung. Munster, 1829. Il définit la foi en termes purement intellectuels, comme l’étal de l’esprit qui, parti du doute positif ct absolu, arrive à nc plus pouvoir douter. Cf. ici, art. Hermès, t. vi, col. 2290 sq. La grâce intervient bien pour rendre efficacement salutaire la • foi » ainsi obtenue; mais tout le contenu Intellectuel 435 THÉOLOGIE. RENOUVEAU DU XIX© SIÈCLE 436 de cette foi. tout ce que l'esprit reçoit de l'objet et dont connexion interne des disciplines théologiques dam il fait sa vie d’esprit, était, chez Hermès, une chose de sa Kurze Einlet lung m das Studium der Theolofa la raison. Il n'a pas vu qu'entre la raison d’une part I Tuhingue, 1819. Grâce à ce sens vital cl organique,d« préparant l’accès à la foi par la démonstration des dissociations déjà accréditées sont dénoncées. Il al prtrambula fidei et celle de la crédibilité générale du extrêmement frappant de voir l’élimination du ratio­ dogme et, d’autre part, la raison retrouvant une acti­ nalisme entraîner, comme une requête immédiate, U vité dans la foi et sur les objets de la foi par la théolo­ réunion de la morale et du dogme : ainsi chez Drcy, gie. s’intercalait un acte surnaturel dans lequel l’esprit Gengler, Staudcninaier. G. Biegler, J.-A. St apt, etc.; était élevé à un nouvel ordre d’objets. cf. J. Diebolt, La théologie morale catholique tn AileHermès montre ainsi le danger d’une apologétique magne..., p. 285, 290, 307, 172 et 179; Fr. Tillmann, conçue comme une démonstration du dogme telle Katholische Sittenlehre, t. ni, p. 38 sq. En même tempi qu’une théologie pourrait lui faire suite sans rupture la volonté s’accuse de faire cesser la séparation entre de continuité. Dès que, dans les diverses analysis la théologie d’une part, le monde el la culture d’autre fidei, on cherchait pour l’acte de foi lui-même, et non part. Le programme dressé par Drcy cl inspirateur de seulement pour scs préparations rationnelles, une réso­ l’école de Tuhingue répond à celte intention; en lution en une évidence donnée dans la conscience, France, celui de Lamennais. n’était-on pas porté dans le sens d’une foi philosophi­ Enfin, le romantisme apporte en théologie le sens du que et d’une Vernunftlheologie? vital et, pour ainsi dire, du vécu. Il reprend la requête Le philosophisme agit sur la théologie assez diffé­ sans cesse renouvelée au cours des âges : celle d’une remment en France et en Allemagne. En France, la théologie liée à la vie, voire d’une théologie où s’ex­ philosophie était étroitement laïque; elle excluait le prime la vie. Que la théologie soit liée au don fait par christianisme. En Allemagne, Fichte, Schelling et Dieu à l’homme d’une vie nouvelle, surnaturelle, Hegel assumaient dans leur système une sorte de qu’elle poursuive son travail dans une ambiance de fol double idéologique du christianisme, d’allure beau­ et de piété, qu’elle inspire à son tour la vie! Mais, dans coup plus religieuse. Aussi voyons-nous des théolo­ l’école romantique de Tuhingue, insuffisamment af­ giens (aire de la théologie une explication hégélienne franchie de l’idéalisme philosophique et théologique ou schcllingiennc des grands dogmes du christianisme. allemand, la théologie apparaît comme trop référée à Dans cette théologie, tout le côté idéologique et spé­ la foi vécue de l’Église; les sources et les critères objec­ culatif, la nécessité interne el l'enchaînement des mys­ tifs de la théologie n’y sont ni assez dégagés, ni assez tères, semblent ne relever que du système philoso­ mis en relief. Certes, jamais la théologie n’y a été phique, qui apporte la connaissance de 1’ · Absolu »; le définie, comme dans le protestantisme libéral issu de positif du christianisme semble n’apporter qu’un élé­ Schiciermachcr, comme une analyse et une descrip­ ment de fait qui ne comporte, comme tel, aucune tion de l’expérience religieuse; la pensée des plus intelligibilité originale. Les écrits d’A. Genglcr, U cher grands parmi les Tubingiens est foncièrement ortho­ das Vcrhûllnis der Théologie zur Philosophie, Landshut, doxe. Mais la théologie est, chez eux, trop conçue 1826, et Die Ideate der Wissenscha/l oder Encyklopâdie comme une réalisation intellectuelle de ce qu'a reçu et der Théologie, Bamberg, 1834, malgré leur réelle va­ de ce dont vil l’Église el le théologien dans l’Église, leur, reflètent quelque chose de cette tendance ; pas assez comme une construction humaine d’une fol cf. J. Dicboll, La théologie morale catholique..., relevant d’un donné objectivement établi et de cri­ p. 288 sq. tères objectifs. La théologie, en un mot, est trop, pour eux, une science de la foi, pas assez une science delà J.-B. SSgmÜller, Wtssenschalt und Glaube in der kirchli· Révélation. chm Au/kldrung, Essen, 1910; A. Ite.itz, HeforniDersuche in der katholischen Do gmat ik Deutschlands :u Reginn des Mattès, dan· le Diet, encyclopêd. de la théologie cathol. de 19. Jahrhunderls. Mayence, 1917; Cl. Scherer, Gcschichte XVelzer el Welle, trad. Goschler, l. xxm, p. 315 sq.; Ed. und Klrchengeschlchle an den dcutschcn Universilülcn im J.-A. Môhler et l’école catholique de 'liibingut Zellalter des llumanismus, Fribout g-en-B., 1927; sur Her­ Vennell, (1316-1840/, Paris, 1913. surtout p. 32-38, 66-78, 115-136; nié», voir K. EscliwelDr, Die zivci Wcge der neueren Théolo­ J. Gehclinann, Die G laubcnsudssenschult der kalholuchtn gie..., Augsbourg, 1926, p. 81 sq.Ill. Tûbingcr Schule und ihre Grundlrgung durch J. Seb. non Ill. LE RENC1UVEAO bE LA THEOLOGIE AU XIX9 3fÈ- 1 Dreg, dans 1 ûbinger Quartalschrili, t. ortnnt des documents de celte époque, a été repris dans les lettres sur les études ecclésiastiques, Paris, 1908; J Brucker, La ré/orme des études dans les grands séminaires, dans Études, t. xcn, 1902, p. 597-615 el 7 12-751; Mgr d'Ilulst, Mélanges philo­ sophiques, Paris, 1903; A. Baudiillart, Le renouveau intel­ lectuel du clergé de Trance au Λ/Λ'· siècle, Paris, 1903; F. Klein, Quelques motifs d'espérer, 3· éd., 190-1, p. 77-111; P. Batiffol, Questions d'enseignement supérieur ecclésiastique, Paris, 1907 (c’est, avec celui de Mgr Mignot elle plus haut, l’ouvrage le plus Important de celte liste); H. SchrOrs, Gedanken il ber zeitmassige Erziehung u. Hitdung der Geistllchen, Pndorbom, 1910; B. de Solages, La crise moderniste et les éludes ecclésiastiques, dans Heuuc apologétique, t. 1.1, 1930, p. 5-30. Écrits oü s’exprime la notion moderniste de la Révélation et de la théologie : A. Lolsy, L'Évangile et T Église, Paris, 1902; Autour d'un petit livre, 1903; Mémoires, surtout t. 1, p. 501, 567 el t. n. p. 38; Ed. Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907; G. Tyrrell, The relation oj Theology to Devotion, dans The Faith of the Millions, 1.1, 1901 ; Théologisme, dans lirviie apologétique, t. IV, 1907, p. 499-526 ; Through Scylla and Charybdis or the Old Theology and the Xeu>, 1907 ; Medievalism, Londres, 1908, trad, franç. : Suis-je catholi­ que? Paris, 1909; L. LabcrlhOnnlvrc, Essais de philosophic religieuse, Paris, 1903; Le réalisme chrétien et l'idéalisme grec, 1901; Fr. von I lugel : voir expose el bibliographie dans M. Nédoncello, La pensée religieuse de Friedrich von Hùgrl, Paris. 1935. Critiques orthodoxes de la notion moderniste de Révéla­ tion et de théologie : J. Le breton, La fol et la théologie d'après M, Tyrrell dans Itevue apologétique, t. m, 1907, p. 512-550 ; Catholicisme, ibid., t. IV, 1907, p. 527-518; A. Gnrdeil, /.c donné révélé et la théologie, Paris, 1910; R. Garrlgou-Lagrango, sens commun, la philosophie de Titre et les formules dogmatiques, Paris, 1909; M.-D. Chenu, sens et les leçons d'une crise religieuse, dans la Vfe intel­ lectuelle, 10 décembre 1931, p. 356-380. 5e Les synthèses dans le sens de la tradition. — Un nouvel cl fécond effort de méthodologie théologique fut le fruit de la réaction catholique d’abord devant VAufklûrung et h· semi-rationalisme, ensuite devant le modernisme. Dans l’élimination de ΓAufklâriing, puis du semirationalisme de Günlher, en même temps que dans l’effort de restauration de la scolastique, il faut men­ tionner Clemens, cf. bibliographie, H.-J. Dcnzlngcr (t 1883), auteur de Vier HQchcr von der religion Erkcnnlnis, 2 vol.. 1856-1857. niais plus connu pour son Enchiridion; J. Kleulgcn, S. J. (t 1893), avec sa Théologie der Vorzeil, 5 vol., 1853-1860 el sa Philoso­ phie der Vorzeit, 2 vol., 1860-1863. De même direction 442 que KIcutgcn et, comme lui. sc reliant Λ la scolastique tant post-tri dentine (de Lugo, Suarez, Cann, Pclau) que médiévale (*ainl Thoma*) c*t Constantin von Schæzler (t 1880), dont le P. Es ter a édité 1 Introductio in S. theologiam dogmaticam ad mentem I). Thoma Aq., Ratisbonnc, 1882. Le pontificat de Ple IX fut orienté, contre le ratio­ nalisme et le naturalisme, dans le sens d’une affirma­ tion : L de l’ordre surnaturel el, pour ce qui est de la pensée, des choses de la fol; 2. des rapports de subor­ dination et d’harmonie entre la raison cl la fol, l’in­ telligence humaine et le magistère divin. Ces affirma­ tions, promulguées nu concile du Vatican, devaient assurer à la théologie un statut conforme à sa vraie nature et à ce qu’elle avait été dans la tradition catho­ lique. C'est dans cette perspective que sc placent Franzelin (t 1885), collaborateur direct du concile du Vatican; M.-J. Schcebcn (t 1888): en France J.-B. Au­ bry (t 1882) qui suit Franzelin. J. Didiot (t 1903); C. Lobcyric, qui suit Schcebcn et Didiot, etc. Tous ces auteurs s'appliquent à reprendre la grande tradition théologique, à retrouver, enrichie des exigences el des apports modernes, une synthèse du type cl de l’inspi­ ration de la synthèse palristiquc cl médiévale : un étal de choses où la raison ne soit pas séparée de la foi, mais organiquement reliée à elle, où les diflérenlcs parties de la théologie se regroupent et s’articulent dans une unité vivante. Chez ces auteurs, comme pour le concile du Vatican, l'intelligence de ce qu’est la théologie est cherchée du côté de la foi, laquelle fait face au révélé, ù la Parole de Dieu. Ceci est particulièrement vrai de M.-J. Schvcben. C’est dans une vue très riche et très lucide de la sur­ naturalité de la foi que cet auteur a puisé sa notion de la théologie. Su notion de la fol elle-même est intégrée ù sa théologie de la surnature, du nouvel être que la grAcc donne aux enfants de Dieu : c’v't bien la Fgne traditionnelle du Fides quaerens intellectum. La théo­ logie est une connaissance qui procède de ce don de lumière, de ce regard nouveau ouvert sur le monde des objets surnaturels, que constitue la foi. Son ordre propre est celui de la foi. Aussi n’esl-elle · que la connaissance développée de la foi ». Dogmatique, n. 957. Son premier rôle est d'amener lu foi, en l’exprima it et en l'expliquant dans l'intelligence de l’homme, à un étal plus ferme, plus lumineux, plus intime et plus personnel. Ibid., n. 852, 907. 910; Mtjstenen des Christentums, § 107, n. 3. La première activité de la théolo­ gie et le premier stade de son développement, c'est l’approfondissement de la foi par Vintelligcnce que nous en prenons; tout le développement ultérieur de la théologie en une science de la foi dépend de ce pre­ mier intellectus, toute l'intelligibilité de la science théo­ logique lui vient de l’intelligence du révélé. Mijsterien, § 105. n. 3. La science de la foi se constitue principa­ lement par un effort pour découvrir et organiser en un corps doctrinal les connexions que h." mystères révélés ont entre eux el avec les vérités du monde naturel. Schcebcn insiste beaucoup sur ce point, par quoi la théologie lui paraît mériter le nom de science; cf. Mysterien, § 101, n. 1; $ 105, n. 3; Dogmatique, n. 877 sq., 915, etc. Celte recherche des connexions et celte pénétration dans la logique interne des mystères est une œuvre de la raison cherchant cur res sit vel esse debeat ; possibi­ lité interne et externe du mystère, pourquoi de sa réalisation; cf. Mysterien, § 106. Dans ce travail, la raison assume et met en ceuvre les connaissances natu­ relles et les analogies empruntées ά notre monde. Si Schcebcn n’exclut pas. d’ailleurs, toute possibilité de conclusion théologique au sens moderne du mot, il ne fait pas. de la déduction de conclusions, l’objet prin­ cipal et propre du travail thcologique; Il voit cet 443 THÉOLOGIE. PROBLÈMES D’AUJOURD’HUI objet, bien plutôt, dans l'interprétation du révélé et sa construction en un corps organisé. Enfin, pour sc constituer ainsi en science de la foi, la théologie doit avoir une certaine activité visant à établir les propositions de foi. Par cette fonction, la théologie cherche à établir : t. que les enseignements dogmatiques proposés par l’Église sont véritablement renfermés dans les sources divines de la Révélation; 2. que la proposition qu'en fait l’Église repose réelle­ ment sur une mission divine. C’est la fonction dogma­ tique, positive ou apologétique de la théologie. Dog­ matique, n. 926 sq. La théologie positive est donc cette activité par laquelle la théologie établit l’accord de renseignement ecclésiastique, qui est son donné immé­ diat, Dogmatique, n. 763 sq., avec les sources dans les­ quelles la Révélation nous est présentée et transmise; cf. Mqstcrien, § 105, n. 2; Dogmatique, n. 3, 926 sq., 16 δφ, 940. Au point de vue de la méthodologie théologique, c’est aussi une synthèse, et d’une inspiration semblable Λ celle de Schceben. qu’apporta le P. A. Gardeil, avec Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910, 2® éd., 1932. Bien au delà d’une polémique ou d'une apologétique liées aux difficultés du moment, le P. Gardeil remon­ tait aux principes propres de la connaissance reli­ gieuse, dogmatique et théologique. Sur les points vraiment structuraux, le Donné révélé rétablissait la théologie dans son vrai statut : homogénéité relative du travail théologique au révélé, unité de la théologie qu’intègrent les deux grandes fonctions positive et spéculative, définition de la positive comme une fonc­ tion théologique et un travail sur les principes mené sous la régulation de la foi, distinction de la science et des sytèmes théologiques, pleine valeur rationnelle et pleine valeur religieuse du travail théologique, etc. Plusieurs des travaux contemporains les plus notables de méthodologie théologique procèdent de l'ouvrage du P. A. Gardeil : c’est le cas en particulier de J.évo­ lution homogène du dogme catholique, du P. Marin-Sola, qui développe et systématise, au regard du problème du développement du dogme cl de la conclusion théo­ logique, l’idée maîtresse du P. Gardeil sur l’homogé­ néité de la théologie au dogme et du dogme au révélé primitif. Fr.-J. Clemens. Dr scolasticorum sententia: Philosophia est ancilla theologia*. Munster, 1860; Die Wahrhclt in déni Stérile Ûber Philosophie und Théologie, Munster, 1860 (contre Kuhn); Fr. Lakner, Klrutgen und die ktrchliche Wissenschaft Deutschland* im 19. Jahrhundert,dan* Zriheh. /. kalhol. Theol., t. ivn, 1933, p. 161-211; .1.-13. Aubry, Essai sur la méthode des études ecclésiastiques, Lille, 189U sq., ■ 2 vol.; J. Dldiot, Cours de théologie catholique. Logique sur­ naturelle subjective. Logique surnaturelle obirctive, Lille, 1892 *q.; C. Dibeyrlc, La science de la foi, La ChapelleMontllgeon, 1903; .1.-14. Franzelln, Tractatus dr divina Tra­ ditione et Scriptura, Roinc-TutIn, 1870.— M.-.L Schceben, Mgsterien drs Chrisltnlums, c. xt : Die Wisscnschall vun den Mgsterien des Christenlums oder die Théologie, 1865; llandbuch der katholischen Dogmatik, Fribourg-cn-B., 1873, tmd. (r. P. Be let. Paris, 1877 m|m t. I, 2· partie, p. 117 sq.; art. Glaube, dans te Kirchenlexikon, 2· éd., t.v.col. 616-67 4; sur Schceben, cL K. &ch* cilcr. Die uve i Wepe der ncucren Théologie, Augsbourg, 1926, p. 131 sq.; M. Schmaus, Die Stellung Matthias-Joseph Schcrbms in der Théologie des 19. Jahrhnnderts, cl M. Grabmann, Matthias-Joseph Schce­ ben* Auflassung vom Wescn und Wert der thrologischen Wisscnschall, dans le recueil publie pour le centenaire de la nuisance de Schceben : Matthias-Joseph Schceben, der Erneuercr katholischer (ilaubcnsivlsscnsehull, Mayence, 1933, respectivement p. 31-54 cl 37-108. — A. Gaidcll, La réIorme de la théologie catholique, dans llevue thomiste, 1903, p. 5-19, 197-213, 428-137, 633-619. et 1901, p. 18-76; /x· donné révélé et la théologie, Paris, 1910; sur l’œuvre du P. Gardeil, cf. Bulletin thomiste. Notes et Communications, octobre 1931. — Fr. Marin-Sola, La rnotuclôn homogmea del dogma ealôlLcn, Madrid et V alence, 1923, trad. tr. en 2 vol.. L'évo­ 444 lution homogène du dogme catholique, Fribourg-en-Sulne 1921. 6° Les problèmes, les tendances cl les tâches d'aujour­ d'hui. — Depuis une quarantaine d’années, la théolo­ gie, plus que jamais, s’interroge sur elle-même, sur son objet, ses méthodes, ses possibilités, sa place parmi les autres disciplines. Cet effort semble pouvoir être caractérisé ainsi : après une période de mise en ques­ tion et de tâtonnements, la théologie cherche, au delà des dissociations introduites par le nominalisme, la Réforme, la théologie du xvn* siècle, le rationalisme et le modernisme, une unité semblable â celle qu'elle a connue dans son âge d'or médiéval, mais enrichie par l’apport des données, des questions, des méthodes nouvelles, par la mise en œuvre et l’assimilation des disciplines auxiliaires nées depuis Je Moyen Age. En même temps, la théologie réalise davantage sa dépen­ dance à l'égard de la communauté et du magistère ecclésiastiques. La crise par laquelle commence l'effort de réflexion de la théologie sur elle-même, a eu deux points d’ap­ plication principaux : la question de la valeur scienti­ fique de la théologie et celle du statut de la théologie positive. Il était fatal que depuis le xv® siècle on ait été amené à dénoncer la valeur scientifique de la théologie. La crise n’intervint pourtant que quand des chrétiens, et non pas seulement des incrédules, posèrent la question de savoir si une discipline inféodée à une foi et à une orthodoxie pouvait encore être comptée parmi les sciences et faire, comme telle, l’objet d’un enseigne­ ment dans les universités. C'est en Allemagne et dam le protestantisme que la question fut posée par le livre fameux de C.-A. Bcrnouilli, Die udssenschaltlichf und die kirchliche Methode in der Théologie, Fribourgen-B., 1897, auquel Overbeck, Lagarde, Duhm et Wellhauscn donnèrent leur suffrage. Bcrnouilli vou­ lait que l’on distinguât deux théologies : l’une affran­ chie de tout contrôle ecclésiastique, libre de sa recher­ che et digne du nom de science, l’autre adaptée à la finalité pratique de l'éducation des clercs et sous la dépendance des Églises. Le problème ainsi posé ne pouvait pas ne pas émouvoir les théologiens catholi­ ques. Aussi ont-ils eu, dans ces quarante dernières années, le souci de justifier la qualité scientifique de leur discipline, de défendre la spécificité et la valeur de la connaissance religieuse, de trouver un statut pour la théologie dans l’ensemble des disciplines scientifi­ ques. Sur ce dernier point, Lun des efforts les plus ori­ ginaux et les plus réussis est sans doute celui de G. Rabcau qui, utilisant la théorie de la · collocation» proposée par Stuart Mill, a pu justifier l’existence et définir le statut, l’objet et la méthode de la théo­ logie comme science d’un ordre de faits ayant sa spéci­ ficité ontologique et épistémologique. Cependant, le problème du statut de la théologie a surtout été traité, ces quarante dernières années, à propos de la théologie positive. La nécessité de faire plus grande In place du donné et des résultats consi­ dérables acquis par le xix® siècle dans le domaine positif a déterminé, entre 1898 et 1910 environ, tout un débat sur la nature de la théologie positive, sa place dans la théologie, la nécessaire réforme de celleci, la place à garder à la théologie scolastique. Chez beaucoup d'auteurs le problème était de mettre doré­ navant la théologie sous le '•igné de la positive, comme elle avait été jusque là sous celui de la scolastique. Plusieurs des études versées alors au débat sur la posi­ tive sont surtout des défenses de la scolastique, mé­ connue el rejetée par certains comme l’encombrant héritage d’un siècle révolu Mais ce dont il s’agissait . chez d’autres, c’était du statut et de la méthode de l'enquête positive au regard du travail théologique. 445 THÉOLOGIE. PROBLÈMES D’AUJOURD’HUI Ceux qui étaient formés aux disciplines historiques étaient tentés d'appeler théologie positive la simple enquête historique portant sur les doctrines et les institutions chrétiennes; c’est ainsi que Mgr BatiiTol croyait suffisant de répondre aux objections du P. Lnberthonnière : « Nos éludes, qui sont historiques par leur méthode, sont théologiques par leur objet ·, dans Questions d'enseignement supérieur, p. 119. C’était donner à la théologie positive un lumen sub quo et donc une méthode d'ordre purement historique et naturel: aussi appelait-on la nouvelle discipline ■ théologie historique » ou · théologie patristique ·, ou • histoire des dogmes », sans bien discerner sous ces divers vocables des genres de connaissance différents. C’est l’intervention des Pères Lemonnyer et A. Gar­ deil qui contribua le plus alors à faire discerner les exigences d’un point de vue formellement théologique dans la définition de l’objet et de la méthode de la théologie positive en tant que distincte d’une histoire des dogmes. Parallèlement, le P. Gardeil proposait l’idée d’une « méthode régressive » comme caractéris­ tique de la théologie positive. Cet cfTort de réflexion, tant sur le statut de la théo­ logie comme science, que sur les exigences propres d'une théologie positive, est allé de pair, dans la théo­ logie contemporaine, avec une accentuation de la liaison essentielle qui existe entre la théologie et le magistère de l’Église. Cela semble avoir été l'un des bénéfices des discussions récentes, que de mieux faire comprendre l'implication du magistère ecclésiastique dans le travail de la théologie positive. C’est dans ce sens que, déjà chez un I ranzelin, De divina Traditione et Scriptura, Home, 1870, puis dans le travail de ces trente dernières années, la théologie positive a de mieux en mieux pris conscience du caractère ecclésias­ tique de sa méthode. Voir Mgr Mignot, Préface aux Lettres sur tes études ecclésiastiques, Paris, 1908; J.-B. Aubry, Essai sur la méthode des études ecclésias­ tiques, t. n, p. 232 sq., 286 sq.; J. Didlot, Logique surnaturelle subjective, 2* éd., 1891, théor. xxviî, p. 91 sq., théor. xxxv, p. I 10 sq., et toute la partie qui traite des lieux théologiques; Laforèt, Jacquin, Schwalm, Durst, Landgraf. Ranft. Simonin, Dragnet, Charlier, Wyser, cités plus loin; M. Schmaus, Katholische Doqmatik, t. 1, Munich, 1938, p. 18 sq., etc. Cette accentuation du rapport de la doctrina sacra, en sn fonction positive, au magistère de l’Église, a été ren­ forcée, dans les années 1930 et suivantes, par les études concernant la notion de tradition qui ont res­ litué en celle matière l’ancien sens ecclésiastique, si bien compris, au début du xix· siècle, par un Mühler : le donné de la théologie, c’est la tradition, c'est-à-dire ce que livre à chaque génération la prédication apos­ tolique, et le trésor constitué par cette prédication dans son développement à travers l’espace et le temps. Mais le Irait le plus notable de l’idée actuelle de théologie tient à l’effort fait pour surmonter les dis­ sociations survenues depuis le xv· siècle et pour inté­ grer à l’œuvre théologique les acquisitions des techni­ ques positives. Les deux grandes dissociations sont, d’une part, celle que le nomina isme et la Réforme ont favorisée entre la connaissance humaine et la foi et, d’autre part, celle que la théologie du xvn· siècle a instaurée entre théologie et morale, théologie et mys­ tique ou vie spirituelle. Elles procèdent l’une et l’autre d’une compréhension insuflHante de la vraie nature de la foi. C'est seulement quand on a compris la vraie na­ ture contemplative de la fol, que l’on peut faire d’elle le principe d’un nouveau régime de connaissance à l’inté­ rieur duquel s’inscrit la théologie; que l’on peut intégrer dans la théologie la direction de la vie humaine et l’étude de la vie spirituelle dans toute retendue de son développement, que l’on peut enfin comprendre lu jonc­ 446 tion de la fonction positive et de la fonction spécula­ tive de la théologie et fonder, dans les conditions de notre foi, Je statut social et ecclésiastique de la posi­ tive. Chez quelques-uns, la tendance à restaurer la liaison de la théologie aux valeur* de la foi et de la vie dans l’Église a tendance à dévier vers une théologie Immé­ diatement et Intrinsèquement liée à la vie. inspiratrice de la vie. La tendance a toujours été très forte, en Allemagne, d’unir et presque de fusionner vie et théo­ logie, connaissance et expérience. Elle a repris une vigueur nouvelle, ces dernières années, dans le courant de la Lebenslheologie ou même dans celui qui, en liaison avec le mouvement liturgique, préconise le retour aux Pères et à une forme de théologie qui soit contempla­ tion vécue autant que spéculation intellectuelle; ce qui se joint à la tendance à concevoir davantage le dépôt ne la foi comme immanent à la vie de la com­ munauté chrétienne cl le travail théologique comme sc référant au Christ et lié à la vita in Christo. Enfin l'une des tâches de la théologie contempo­ raine est d’assumer, sans déroger à son unité cl aux lois de son travail, les données des sciences auxiliaires et en particulier des techniques documentaires et posi­ tives : exégèse, archéologie, épi graphie, histoire des dogmes et des institutions, science des religions, phi­ losophie de la religion, psychologie, etc. Il y a encore beaucoup à faire à cet égard, et les exigences formu­ lées en celte matière au cours de la crise moderniste n’ont pas encore reçu, en ce qu’elles avaient de juste, une satisfaction complète. Cf. Draguet, dans Revue catholique des idées et des laits, 11 février 1936, p. 1617; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 153 sq. Sur la question de la qualité scientifique de la théologie. I- Chez les protestants, — C.-Λ Bernoulli!, Diewissenschaftllsche und die kirchliche Methode in der Théologie, Fribourg-en· B., 1897; sur In polémique qui a suivi, F. Katlenbusch, art. Théologie, oans la Protest. Reale negklopddie, t. XX!, 1908. p. 907 sq.; Ε.-ΙΙ. 1 l.ienssler, Die K ris is der theotogischtn Eakultdt, Zurich, 1929. La réaction dogmatique cl confessionnelle inspirée surtout par la « théologie dialec­ tique » prend aujourd’hui le contrepicd de Bernoulli! et d’Ovcrbeck, et ailinne fortement le cam 1ère essentielle­ ment ecclésiastique de la théologie, laquelle est science de la fol : cf. E. Pfennigsdorf, Das Problem des theotogischen Dcnkens, Eine Ein/dhrung in die Eragcn, Aufgaben und Methoden der gegenuxirligen Théologie, Leipzig· 1925; K. Barth, Die kirchliche Dogmatik, l. i, 1·· partie, Munich, 1932. dont le titre est déjà significatif et qui, dès la p. 1, declare : Théologie 1st eine Eunklion der Kirche, 2* Chez les catholiques. — G. von llertling, Dos Prinzip des Kalhotizismus und die utissenschdfl. Grundsdtzliche ErMerung aus Anlass einer Tagesfrage, Fribourg-en-B., 1899; abbê Frémont, La religion catholique peut-elle être une science? Pa Is, 1899; P. von Sellant, ht die Théologie eine Wlssenschafl? Stuttgart et Vienne, 1900: Chr. Pcsch. Dos kirchliche Lchraml und dit Ercihcit der theotogischen IVBirnschajl, Fribourg-en-B.. 1900; Die Aufgaben der katholischen Doqmatik im 20, lahrhunderl, daiïs /.eilsch. f. kalhol, Theol., 1901, p. 269-285; F.-M. Schindler, Die Stcllimg der theologischcn Eakultûl im Organismus der l niversitat, Vienne, 1901; J. Donat, Die Frclhclt der Wlssenschuft, Inspruck. 1910; S. Weber, Théologie ah frêle WIsscnscnafl, Fi ibourg-cn-B., 1912; K. Adam, Glaubc und Glaubensuâssenschajt im Katholizismus. Vortrdge and Au/utlzr, 2· éd., Hottenburg. 1923; G. I lafele. Dit Hcrtchllgung der theotogischen Eakultûl im Or· ganhmus der l ' niuer^itat. Fi i bourg (Sui*sc»t 1932; B. Pose hmanu, Der Wisscnschiflscharakter der katholischen Théo­ logie, Breslau, 1932; G. Habeau, Introduction d l'étude de la théologie, Paris, 1926; P. Wy%ei, Théologie als Wissenschaft, Salzbourg, 1938. Sur la liquidation qui sc fait des dissociations indûment Introduites entre théologie et monde, théologie et mystique· fonction speeulailve et fonction positive : A. Gaideil, Le donné révélé et la néologie. Pa is. 1910; toute Pœuvre du P. H. GarrlgOU-Lagrangu et la revue La uie spirituelle: K. Eschweilor, Die zu>el Wege der neuenn t héologie, Aug»· THÉOLOGIE 447 INDICATIONS DH MAGISTÈHE bourg, 1020, et on particulier lo | 2 du c. iv; G. Rnbeau, Introduction 4 l'étude de ta thénl., on particulier la 2· part., c. f; M.-ll. Chenu· Podllon dr ta théologie, (Lui* Hruur dr.< eeitnert phtlaa, et thrvl., t, xxi*, 1935, p. 232·257; J.-A. Jungmiinn, Die l· roh baltehaft und uiuerr Gtaubciuoerklln· dtgung, Buthboiinr, 1930. Comme signe* d’une réintégration de In morulo dan» l'unité do In théologie, cf. Ici, art. Ρποιιαιιπ.ιαμι , I. XIII, col. hl5*q.; Mgr (·,·!.. Wuffeleert, Dr methodo ecu modo pro· rrdendl f/ι Ihrologla murati, dam Ephrm, theol. tAjvan., I. i, 1921, p. 9Ί4; I>11111111 cl Merkclhnch recensé* dan* llultrlin thcunGtr, avril 1932, p. 191 sq.; Ir. Tillmann, Handbuclt der kathntUchrn SUtmhhrr, Dusseldorf, 1931 sq. Sur la tendance îi fusionner théologie ot vio rt sur la Isbrndheologle : E. Krebs, Dlr Wrrtprobbme und ihrr llrhandlunq tn der kathotUchm Daginatik, l'rilMuirg-rn-B., 1917; A. Rademacher, Hrligton und !.rbm, 2· éd., 1928; Th. Solron, Helllqc Théologie, 1935; A. Stolz, Charlama· lltrhe 7hroloylr, dan* Der kalhullâche (trdanke, 1938, p. 187· 199; L Bopp, Théologie al» I.rbrni-und Volktdlriul, 1935; K, Vdarn, Von drm angebllehm /.Irkrl lin kathotlachru l^hrtyitrm odrr von drm rlnrm Weg drr Thrologle, dani WUtrnichall und Wetodielt, 1939, p, 1-25, et on général celte revue fondée on 1931 par loi franciscains allemands ; !.. Manch,clté luira, col. 158; (i. Kd'pken, Die (inoili drt Chrbtmtum*, Sal/.bourg et Leipzig, 1939. Pour une critique do la Lrbrtuthculoglr, cf. .M. Koster, dans Thrologltchc Hr· vue, 1939,col. Il sq.; comparer le n· de juillet 1935 do la Hetrue thoadatr, Intitulé · Théologie et action ». III. LA NOTION spéculative. DE THÉOLOGIE. PARTIE I Donnù* d Indication* du ma gist ère. Il Idée ct dr finition de la théologie (col. 118). Ill Problème* de structure cl de méthode (col. 462). IV. L’habitus de théologie ct le point de vue du sujet (col. 483). V. Les division* ct les partie* de la théo logic (col. 102). VI. Lu théologie ct le* autre* sciences (col. 406). I. DoNNél * HT INDICATIONS DU MAOISTÊItl'.. — Il y a. sur la théologie, ses ha· es, sa régie, sn loi ou sa mé­ thode, un certain en· oigne tuent du magistère de iT.glbc. Nous nous en tiendrons, < anime le font ΓΛ’ηchlrldlon qjmboturum de Drnzlngrr cl I'Enchiridion clericorum (le 1938, aux actes des grand conciles et surtout A ceux du Siège apostolique. Leurs interven­ tions se r· B rent a trois grandes crise* de la pensée religion c : l‘Introduction de la philosophie aristoté­ licienne au début du xnr lèclr, lettre Ab ÆtjypliD de Grégoire IX. en 1228, Denz.. 11. 112 sq.; le «emlr.itionalhmc du xtx* siècle, condamnation de Hermès, GOnther cl Frmduimmer; lettre de Pic IX A Par rhevêque de Munich, concile du Vatican. Denz., il B» 18 soslllvo (conimr on dit); h partir dr |/i, en assumant égnlrinrnl de* vérité* cl dr* principe* rationnels· on aboutit (deducitur/ λ une certaine intelligence analogique des choses connue» par U Révélation et dr ce qu'elles sont on ellrs-mèfiics J ildn quirren» Intellectum, et c'cat la théologie spéculative. Ban» celte discipline, c'r*l le sens des dogmes tel qu'il te trouve dons lu Révélation et que l'Itgliso Ir déclare, qui ml la nonne de ce travail de pur mention rt d'amenulmnenl (rep'dlmdn·) que doivent mblr 1rs notion* philosophique* pour être appliquées ù collr intelligence dr* niyitér», comme l'ont toujours pratiqué le* Pères ot les llièologkiu catholiques; ce n'est pus, h l'inverse, nux notions purement mit tir cl h * dota philosophie qu'on accommoderait un senide· dogme* différent de celui qui se trouve dan» la Révélation telle «pic l'I'^dhr In comprend cl In propose, (’.'est pourquoi Il est dit «pin · dans 1rs chose* do lit religion, la raison humaine rt ln philosophie no doivent pas régner, mah servir ·. C’est pourquoi encore on 11 écrit, afin d'éviter une biu*so Interprétation «lu décret... Mansl-l’etlt· Condf.,t.L col 81*85; Th. Gnindcrath, ComUtiillonee dogmal, 5. or coarlllt Vaticani..., 1 rilxnirg-nn-Hr., 1892, p, IM). Dan* le* documents récents on souligne lu néccsdU d'une préparation philo «qddquc soignée, pour la théologie, rt le rôk qui ont appelés A Jouer, dan* la constitution de cette théologie elle-même, les dUd· pllm philosophiques cf ur le premier potaU Enchir. der., n. 180 (Léon XIII), 805 et 810 fPaî rrndi), 1126 (Berndt XV). 1155. 1190 (Pic XI), MO (Cmr htorinle). pour le second point. n. 404 (Léon XIII, 7 irrnl Pairl»), 1130 (Benoit XV ). 1156 (Pic XI). Il Idi » 1 I DI* FINITION DI LA THÉOLOGIE.—J. 01 va 9 at ;> f'mtr?, m t.s τη/ ήαηηk i pjiiLosurntr, PDI /1 τηΡουιαικ. II nous faut situer la théologie d m·. IVconnmlr générale d< I.» conn ibsnnrc de Dieu· coimabumci divine, ronn.il m< hurmiinv el con· nai ano thé mdriqm Dieu < t connaissable de deux m.inb r. don *on mode .1 lui et -< hm nolre mode A ί49 GENESE nom, choque rmturt ayant son mode propre de e de l'ordre dr la création cl de la science dr Dieu dan* le · livre de la nature ·, non* en recevons une autre connaissance dan» lu Révélation ft laquelle non- adhérons pur lu foi. Or, celle fol c*t celle d’un homme dont la raison porte dans le* objet» qui lui sont proposé» de légitime* exigence* d’intelli­ gibilité cl d’ordre. Lu fol n’est pu* de hi compétence de la pure raison, moi», de quelque manière qti'll lu reçoive, lorsque l'homme s'y c*t ouvert, rllc réclame de lut lu soumission de tout lui-même ct occupe jusqu'à su raison, (.elle-ci ne peut donc réfuter de l'accepter rt, puisqu'elle ne peut davantage abdiquer le* exigen- T — 15. 451 THÉOLOGIE. ACTIVITÉ DE LA RAISON 452 activité rationnelle s'appliquant au donné dc la fol, ccs , de la grâce, de l’hommc-image de Dieu et de tout son équipe­ ment de vertus théologales ou morales ct dc dons ou dc charismes, enfin des sacrement*, dc la prédestina­ tion, dc la filiation adoptive, du jugement..., cela, évidemment, importe grandement a l’intelligence que le croyant peut prendre dc ce mystère et de tous les autres. Cette mise en rapports des mystères les uns avec les outres donne ù la théologie un de ^c* procédés les plus féconds dc développement ct d’élaboration des doctrines. On comprend enfin que le concile ait fait une men­ tion spéciale du rapport des mystères à la fin dernière dc l’homme. Car ce rapport Intéresse immédiatement la place dc telle doctrine particulière dans l'économie dc la Bévclation. Il y a des choses, dit saint Thomas, qui sont matière à révélation, et donc objet quod de la foi cl principes de la théologie, principaliter, secundum se, proprie ct per se, directe, en raison même dc leur contenu, ct d’autres qui ne le sont que in ordine ad aha, par le rapport d’application ou d'illustration qu’elles ont aux précédente’». Or, les choses qui tom­ bent sous la Révélation divine ct intéressent la foi directement sc resument, d’après saint Thomas, en id per quod homo beatus efficitur, à savoir le double mystère ou la double économie : le mystère neces­ saire dc la l\n,quorum risione perfruemur in vitauderna. et le mystère libre des moyens, per quar ducimur in vitam ιιternam. Sum. (heol., IB-II·, q. i. a. 6, ad 1··; a. 8, corp.; q. n, a. 5, corp.; a. 7, corp. Doctrine pro­ fonde, qui fait de notre béatitude, delà xéritésui notre destinée totale, l’objet direct de la Bévclation et donc de la foi. du dogme et de la théologie ct. |>ourrionsnous ajouter, de la compétence du ministère ecclésiasti­ que. Traduction technique, mais si fidèle, dc la défini* tion paullnienne de la fol comme substantia rerum spe­ randarum. Nous pressentons ici déjà combien peu la théologie consiste en une pure application dc la philosophie ù un donné nouveau; elle est vraiment une science reli­ gieuse », ayant un objet qui. techniquement et dans sa condition épistémologique même, se réfère à notre destinée. D’où cc titre spécial d’inlelligibiiité qui re­ vient à celle science, au témoignage du concile du X’aliean, d’une considération de chaque doctrine dans son rapport à la lin dernière de l’homme. Dans cette pénétration et cette construction intel­ lectuelles des mystères, tant à partir de ce que le monde de notre connaissance naturelle peut nous fournir d’analogies, que par une mise en valeur des rapports que ces mystères ont entre eux cl avec la fin dernière de l’homme, les interventions de la raison peuvent prendre différentes formes, qu’on peut, sem­ ble-t-il, ramener à trois ; la simple explication du révélé, la raison de convenance, la déduction de con­ clusions nouvelles. 455 THÉOLOGIE. SON OBJET a) La simple explication du révélé. — C’est une fonction très fréquente de la raison en théologie. Cette explication peut être cherchée Intrinsèquement ou extrinsèquement au révélé lui-même. a. Explication intrinsèque. — Elle consiste surtout A donner, des réalités révélées, une notion plus pré­ cise, parfois même une définition répondant aux exi­ gences d’une logique rigoureuse. Exemples : le dogme énonce que le Christ est assis A la droite du Père; il revient A la théologie d’expliquer, en raisonnant le cas, | ce que signifie cette « session A la droite », voir par exemple, Sum. theol., III·, q. lvih. Dans des cas de ce genre, le travail théologiquc est assez proche de la théologie biblique et de la catéchèse; il est bien cependant dans son rôle de sacra doctrina et nombre de questions, dans la Somme de saint Thomas, répon­ dent A cette fonction. Autre exemple, où l’élaboration scientifique est plus nette : la théologie de la primauté ct de l’infaillibilité pontificales, en tant qu’explication j des textes bibliques qui les énoncent, Matth., xvi. 15-20; Luc., xxn, 31-32; Joa., xxi, 15-17, ou des formules du magistère. Dans les cas majeurs, l’expli­ cation ira Jusqu’à donner de la réalité révélée une définition techniquement rigoureuse. j b. Explications extrinsèques. — Il revient aussi à la théologie, sc tenant en cela très près de la catéchèse, de fournir, dans des analogies prises de notre monde, des explications qui sont moins une formule élaborée du révélé qu’une manuductio, un adjuvant pédagogique suggérant au fidèle l’intelligence du dogme. Cet usage pédagogique des analogies naturelles est à distinguer de l'usage précédent ct des usages qu'on va dire : dans le premier, en ciTct, les analogies seront utilisées ( pour leur contenu intrinsèque de vérité, même si cette vérité n’est pas entièrement adéquate; les analogies j pédagogiques, elles, sont des auxiliaires du dehors ct leur rôle est relativement indépendant de leur valeur Intrinsèque. C’est pourquoi, d’une part, nous conti- j nuOns, en théologie, à employer de vieilles manuduc(iones comme celles qui sont empruntées à la cosmo­ logie ancienne, par exemple à l'idée de lumière comme milieu physique, tandis que, d’autre part, nous pou­ vons en emprunter de toutes nouvelles qui, n’ayant pas encore fait suffisamment leurs preuves de vérité, 1 ne sauraient être Introduites comme élément d’ex­ plication dans la science théologique elle-même. b) Arguments de convenance. — Ils forment, ct de beaucoup, la part la plus importante des arguments de la théologie et comme le domaine approprié de cette science. Ils consistent, en effet, à exploiter l’accord qu'un fait chrétien surnaturel connu par révélation, possède avec la marche générale, les lois et les struc­ tures de notre monde A nous. Cet accord est susccp- , tiblc de degrés fort divers, l'élément qui nous est naturellement accessible ne représentant parfois qu’un écho lointain de la réalité ou du fait révélés, mais 1 pouvant représenter aussi une donnée si homogène aux choses chrétiennes qu'on tient presque, dans la loi ou l’essence naturellement connues, une explication véritable de la donnée révélée. De toute façon, la raison ou l’analogie apportées ne sont pas une preuve directe du fait surnaturel; elles donnent seulement des motifs de penser que ce fait est vrai ct, à ce titre, doi­ vent être rangées dans la catégorie du · probable »; cf. S. Thomas, Cont. Gent., I. I, c. ix; Sum. theol , 11·-11·, q. I, a. 5, ad 2“·; clics offrent, comme il est dit encore, t Aid., et Cant. Genl., I.I,c. vin, veras similitu­ dines, rationes verisimiles, qui nous permettent, le fait surnature) nous étant donné, de le concevoir de quelque façon. On peut noter à ce sujet que le vocabulaire des Pères et des grands scolastiques ne doit pas nous tromper et que souvent ce pour quoi ils parlent de necessarium, nectsse est, patet, etc., n’engage que la 456 convenance. Quand saint Thomas, pour rendre théologiquement compte du fait de l'incarmition rédemp­ trice, fait appel à la métaphysique du bonum vum sui, Sum. theol., III·, q. i, n. 1, il ri’entcnd p.u prouver le fait de l'incarnation et sait très bien que l’application de ce principe dans le monde surnaturel est soumise à la libre initiative de Dieu, /n dlst. XXIV, q. î, a. 3, ad 2um; mais, dans la mesure où un principe si élevé s’applique à la vie même de Dieu, on peut légitimement lui demander de nom manifester ce que le mystère recèle d’intelligibilité : l'analyse ne rend pas raison du fait; garantie parla sagesse de Dieu qui accorde toutes choses dans un monde fait par elle A deux étages, clic tend A rendre raison de ce qu'il y a d’intelligible dans le fait. Le procédé rendra pleinement dans les ras où l’ac­ cord entre le fait chrétien ct la loi naturellement con­ nue viendra en réalité d’une communauté essentielle de structure ct donc d’une réelle unité de loi. Le cas se présente quand on atteint par la raison naturelle à la connaissance d’une forme et de scs lois essentielle, qui resteront telles sous les divers modes où celte forme pourra être réalisée. C’est le cas de notre con­ naissance de la nature humaine, en sorte qu’il faut nous attendre A trouver de telles explications destruc­ ture dans les différentes questions que pose, même en régime chrétien, cette nature : anthropologie, morale, christologie, voire expérience mystique. c) /foisonnement théologique deducti/. — L’explica­ tion du révélé prend souvent la forme d’un raisonne­ ment par lequel l’esprit dégage le contenu plus ou moins enveloppé de l'enseignement chrétien : elle devient une explicitation. U arrive qu’on explicite ainsi des vérités qui étaient réellement, bien que non manifestement, révélées. Il arrive encore, et c’est le cas le plus fréquent, que l’on se donne, par un détour ra­ tionnel. une vérité qui était révélée par ailleurs, mal· sans que cette révélation fit connaître ses connexions logiques ou sa raison métaphysique. Ainsi dans le syl­ logisme suivant : Ce qui est spirituel n’est pas dans un lieu. Or Dieu est spirituel. Donc Dieu n’est pas dans un lieu. Il arrive aussi, surtout quand on introduit dans le raisonnement une prémisse de raison naturelle, quon obtienne une vérité nouvelle quSm ne saurait préten­ dre révélée. Soit ce raisonnement, Inspiré de saint Thomas, Sum. theol., III·, q. xvn. a. *2 : L’être est attribué à la personne. Or, dans le Christ, il y a unité de personne. Donc, dans le Christ, il y a unité d’être. La conclusion est une acquisition nouvelle, qui fait si peu partie du donné de la foi que les théologiens ne s’entendent pas A son sujet. Elle est obtenue non seu­ lement grâce A un raisonnement formel, mais grâce à l’intervention, dans la constitution même de l’objet finalement connu, d’une quantité rationnelle, d’une certaine philosophie de l’esse ct de la personne, laquelle est bien assumée pour son contenu ct selon son con­ tenu intrinsèque de vérité. Cette fonction déductive de la théologie avec assumption de vérités naturelles entrant dans la constitution d’un scibile propre, pose des questions particulières; aussi en ferons-nous plus loin un examen spécial. ///. OBJET · QUOD . ET · SUJET · DF. Τ.Λ TllfoLOGIS. — Le sujet d’une science, c’est la réalité dont on traite dans celte discipline, plus exactement encore, d’après Aristote, Il Anal., I. I, c. vu, 75 b 1 et c. x, /6 b 15, la réalité dont on démontre des passions ou des propriétés. Si l’on considère le sujet d’une science for­ mellement, c est-A-dire sous l’aspect selon lequel Is réalité est considérée dans cette science, l'unité de 457 THÉOLOGIE. SON OBJET sujet est aussi essentielle à l’unité de la science que l’unité de lumière ou d’objet formel quo. Aussi Ai Is to te ct saint Thomas disent-ils que les deux choses se répon­ dent ct que l’unité d’une science exige l'unité de son genus subjectum comme celle de son genus scibile. In II Anal., I. I. Icet. 15 ct 11 D’où le souci de saint Thomas, Sum. theol., 1*, q. î, a. 3, ad lem ct a. 7, de montrer l’unité du sujet de la sacra doctrina, l’rnité de In réalité dont on y traite. Cette réalité, en théologie, est Dieu lui-même. C’est de lui cl finalement de lui seul qu’on traite dans cette science qui c4 un · discours sur Dieu », sur Dieu consi­ déré non pas dans sa causalité, où on ne le connaît que d’une manière relative, non tanquam subjectum scien­ tia:, sed tanquam principium subjecti, In Mod. de Trin., q. v, a. 4; Cont. Gent., 1. II, c. iv, mais sur Dieu considéré en lui-même, dans son absolu, tel qu’il appa­ raît à son propre regard ct tel qu'il ne peut être connu à d’autres que par révélation surnaturelle. La théo­ logie a pour sujet la même réalité qui est le principe de notre béatitude, ce que la parole de Dieu nous révèle cl à quoi adhère notre foi, ilia quorum visione per/ruemur in vita æterna. Cependant, objectera-t-on, eJlc traite également des anges, de la sainte Vierge, des hommes ct de leur vie morale, de l’Églisc, des sacrements, etc. C’est vrai, el ces différentes réalités font, dans l’enseignement théo­ logique, l'objet d’autant de < traités » particuliers. Mais, comme le remarque saint Thomas, elle ne traite de ces réalités que sub ratione Dei, quia habent ordinem ad Deum ut ad principium ct finem. Sum. theol., 1·, q. I, a. 7. La théologie n'est nullement faite d'une anthropologie, d’une angélologic, d’une étude des réa­ lités sacramcntaires poursuivies pour elles-mêmes. Elle est el elle est uniquement une étude de Dieu en tant que Dieu, sub ratione Dei. Mais, comme le monde entier n ordre à Dieu, ordre de procession comme à sa cause efficiente ct exemplaire, ordre de retour comme à sa cause finale, la théologie considère aussi toutes choses en tant qu’elles vérifient à quelque degré la ratio Del, en tant que Dieu est impliqué ct comme investi en elles. C’est le programme qu’a rempli saint Thomas, lais­ sant cette idée toute simple organiser sa synthèse en ce plan de la Somme que le prologue de la IB pars, q. n. énonce en termes si sobres. De même que par la chai lié nous aimons dans les créatures raisonnables le bien divin qu’elles possèdent ou dont elles sont capables, ainsi par la Hévélation ct dans la fol d’abord, puis d’une manière rationnelle dans la théologie, nous con­ naissons Dieu en lui-même ct toutes choses en tant qu’elles ont rapport au mystère de Dieu ct que, pour la béatitude des élus, clics sont associées à ce mys­ tère. Ainsi, en traitant des anges, des sacrements, etc., la théologie garde-t-elle son caractère objectivement théologal. C’est à cette constitution théologale de la théologie, science des objets de la foi, que sc rattache la vue très profonde de saint Thomas, récemment remise en lumière, sur l’unité el l’ordre des dogmes ou articuli fidei; cf. L. Charlier, Essai sur le problème théologique, p. 123 136. La tradition théologique donnait une grande attention au texte de l'épltre aux Hébreux sur la nécessité de croire « que Dieu existe cl qu’il est rémunérateur de ceux qui le cherchent ·. Hebr., xi, G. Saint Thomas donne de celte définition de saint Paul l’équivalent déjà noté : quorum visione per/rucmur in vita irterna d per quiv ducimur ad vitam ndernam. Pour lui, toute la Hévélation, toute la foi, ct donc toute la théologie sc réfèrent à ce double objet : Dieu béatiliant, l'économie divine des moyens de la béatitude, c’est-à-dire encore nu double mystère de Dieu ; le mystère nécessaire de sa vie trini taire cl le ! I ; , | 458 mystère libre de notre salut par l’incarnation rédemp­ trice. Tous les autres dogmes sc ramènent à ces deux credenda essentiels. Les autres articles de foi ne sont, pour saint Thomas, que des applications ou des expli­ cations de ces deux articles essentiels De verit., q. xiv, a. 1 L C'est ainsi qu’il y n, dans la Hévélation et donc dans la théologie, une hiérarchie, un ordre, où se manifeste l'unité du sujet dont on y traite. Nous ver­ rons bientôt l'intérêt de cette vue pour la notion de la théologie comme science. Au début du xix* siècle, plusieurs théologiens, héri­ tant de la tendance à construire le donné dogmatique en · système », mais animant cette tendance par l’ins­ piration romantique du vital ou de l’organique, et par le point de vue philosophique d’une < Idée » qui se développe dynamiquement, ont donné pour principe organisateur à la dogmatique, non pas le mystère de Dieu, mais la notion de Royaume de Dieu : ainsi J.-S. Drey, J. Hirschcr, B. Galura, le cardinal KaUchthallcr, etc. Cf. J. Klcutgcn, Die Théologie der Vorzeit, t. ï, n. 152 sq.; t. v, n. 297 sq.; K. Wemer, Ge­ schichte der kathol. Theol. sell dem Trienter Concit, 1SGG, p. 258 sq.; J. Dicbolt, La théologie morale cathol. en Allemagne, p. 181 sq.; J. Hanft, Die Slellung der Lehre von der Kirche im dogmatischen System, Aschaffcnbourg, 1927, p. 3 et 113; F. Lakner, dans Zdlsch. /. kathol. Theol., 1933, p. 172 ct 179; enfin, pour une critique, cf. H. Klee, Katholische Dogmatik, 3· éd., Mayence, 1844, t. i, p. 384. L’idée a été reprise de nos jours par L. Bopp, Théologie als Lebens-und Volksdienst, 1935. Ces idées procèdent plus d'un point de vue descriptif cl d’une organisation empirique des éléments de la dogmatique, que d’un point de vue véritablement formel : Attendentes ea quæ tradantur in ista scientia, d non ad rationem secundum quam consi­ derantur. Sum. theol., IB, q. 1, a. 7. Tout en se défendant de toucher à la question du subjectum de la théologie, le P. E. Mersch, S. J., a récemment repris une position très voisine de celle qui assignait pour objet à la théologie le Christus totus. Voir Le Christ mystique centre de la théologie comme science, dans Nouo. revue théol., t. lxî, 1931, p. 449475; L'objet de la théologie et le « Christus totus », dans Recherches de science relig,, t. xxvi, 1936, p. 129-157; cf. J.-A. Jungmann. S. J., Die Erohbolschajt und unsere GlaubensverKûndigung, Hatisbonne, 1936, p. 20-27. Le P. Mcrsch convient que Dieu en sa déité est le sujet de la théologie cl le principe d’intelligibilité en sol de tout le révélé; mais il pose lu question de savoir quel est le mystère qui est pour nous le moyen d’accès el le principe d’intelligibilité de tous les autres, quelle est la doctrine qui. pour nous, fait l'unité de toute la dogmatique el représente le · premier intelligible » par rapport auquel tout le reste nous est accessible el systématisable : et H répond que c’est la doctrine du Christ mystique, Christus totus. 11 n'a pas de peine à montrer que les autres mystères ont tous rapport uu mystère du Christ mystique, qui est bien le mystère central. Il est vrai qu’au point de vue d’une union effective et d’une assimilation vitale à ces mystères, la Trinité ct lu grâce ne nous sont accessibles que par le Christ el dans le Christ. Dans cet ordre de l’union de charité et de vie, dans l’ordre de la perception des mystères par la voie mystique, il est bien vrai que la · réduction au Christ » est moyen cl mesure; mais c’est lâ un autre point de vue que celui de la science théologique, la­ quelle regarde les mystères et le Christ lui-même par mode intellectuel, notionnel, spéculatif, et non par mode affectif et vital. Il ne serait pas difficile de mon­ trer que. dans la thèse du P. Mersch, il y a un blocage, parfaitement conscient, semble-t-il, des deux points de vue : cf. scs p. 454 ct 471-475. Si donc l'on ne veut 459 THÉOLOGIE. SON CAHACTÉBE DE SCIENCE signifier ainsi qu’une différence dans le mode d’ensei­ ! gnement et la distribution pédagogique des doctrines, nous serons parfaitement d’accord avec l’auteur. Mais, si Ton entendait par là qu'il y aurait vraiment, dans l’ordre même des objets et de leur économie intelli­ gible, deux théologies, alors nous refuserions notre suf­ frage et penserions que la tradition ne va pas dans ce sens; cf. pour saint Augustin, Rech. de théol. ancienne et médiévale, t. n, 1930, p. 410-119, cl pour saint Tho­ mas, Bull. thomiste, Notes et communie., janvier 1931, p. 5·-7·. C’est vraiment Dieu, et les autres mystères sub ratione Dei, qui est le sujet de la sacra doctrina en ses différents états d’enseignement révélé, de caté­ chèse ou de prédication et de science théologique. /F. la théologie SCIENCE. — La théologie est la forme rationnelle et scientifique de renseignement chrétien, Vérifie-t-elle la qualité de science et com­ ment, elle qui dépend entièrement de la foi surnatu­ relle pour la possession de son objet? La réponse à cette question dépend de la notion qu’on sc fait de la science. Aussi faut-il l’envisager d’abord au point de vue de la notion de science empruntée à Aristote, qui fut celle de saint Thomas, puis du point de vue d’une notion de la science que l’on puisse considérer comme assez communément admise de nos jours. 1° La théologie science au point de vue scolastique, — Il y a science, selon Aristote cl les scolastiques, quand on connaît une réalité dans une autre qui est sa raison, et donc quand on connaît une chose par la cause pour laquelle elle est et ne saurait être autrement qu’elle n'est. S. Thomas, // Anal., 1. I, lect. 4. La science est connaissance dans la cause, dans le principe, in prin­ cipio. Chez nous, cette connaissance n’est pas intui­ tive, mais discursive; nous ne voyons pas les consé­ quences dans leur principe, les propriétés dans leur sujet essentiel, mais nous avons à les en déduire ou à les y rattacher par un raisonnement proprement dit qui est le raisonnement démonstratif : la science, pour nous, n’est pas seulement connaissance in principiis, mais ex principiis. Sum. theol., 1·, q. lxxxv, a. 5. La démarche idéale de la science se construisant par raisonnement démonstratif part de la définition du sujet, c’est-à-dire de la réalité dont on traite, et se sert de cette définition pour démontrer l’apparte­ nance à ce sujet de telle ou telle propriété. S. Thomas, II Anal., I. I, lect. 2. Ainsi la lumière de la définition initiale sc communique aux conclusions et, selon que les définitions, postulats ou principes initiaux sont | connus dans telle lumière, elle-même déterminée ou caractérisée par tel degré d’abstraction, on obtient des conclusions d’une certaine qualité scientifique. Ainsi l’idée ancienne de science est-elle de reconstruire par l'esprit, uu moyen du raisonnement, les enchaîne­ ments ontologiques selon lesquels ce qui est dérivé ou subséquent, dans les choses, sc fonde et trouve sa raison explicative en cc qui est premier et principal. S. Thomas, ibid., lect. 4L Quand saint Thomas, se demandant si l’enseigne­ ment chrétien, sacra doctrina, vérifie la qualité dc science, répond affirmativement, il est à présumer qu’il entend la science à la manière d’Aristote, pour autant du moins que cette manière peut s’appliquer a la théologie. Il ne s’agit pas, pour saint Thomas, d’identifier purement et simplement la théologie avec une science, avec une science répondant de tous points au schéma aristotélicien; et peut-être ses commenta­ teurs ont-ils trop exclusivement affirmé ccttc identi­ fication. La manière dont saint Thomas introduit la question qui nous occupe. In Roet. de Trin., q. il, a. 2 el Sum. theol., I·, q. J, a. 2, signifie ceci : est-ce que, dons son éminence, l'enseignement chrétien vérifie, parmi d'autres, la fonction et la qualité de science? Or, h théologie, sc fondant sur la Révélation, répond 460 aux deux exigences de la science. D’abord, l'rnscignement chrétien nous présente des vérités qui sont effec­ tivement le fondement d’autres vérités. Certes, lai·»:, qui a pour motif formel unique et direct le témoignée de Dieu proposé par l’Église, adhère aussi immédiatement aux unes qu'aux autres; mais, quand nous es­ sayons de retrouver les valeurs et les rapports Intel­ ligibles réels entre les vérités de renseignement chré­ tien, alors ces vérités se construisent selon un ordre d’intelligibilité où celles qui expriment des réalités secondes et dérivées sont rattachées, comme des con­ clusions à leur principe, des effets à leur cause, d» propriétés à leur essence, à celles qui expriment des réalités premières et principales. C’est ainsi, par exem­ ple, que l’enseignement chrétien me livre cl l’idée de l’omniprésence divine, et celle de l’oninicausalllé divine; mais il ne me dit pas, par lui-même, que l’om­ niprésence soit fondée dans l’omnicausalilé : il me le dit si peu que certains théologiens, comme Suarez, fondent l’omniprésence de Dieu dans son immensité, elle aussi enseignée par la foi. On voit comment le éléments mêmes de l’enseignement chrétien sur le mystère de Dieu peuvent faire l'objet d'une considéra­ tion scientifique dans laquelle on s’efforce de « retrou­ ver en quelque aspect de l'essence de Dieu la raison d'être d'autres aspects qui leur sont intelligiblement postérieurs, et la raison d’etre de tout ce qu’il fait ». B. Gagncbcl. dans Revue thomiste, 1938, p. 219. Selon saint Thomas, il y a science quand exaliqulhu notis alia ignotiora cognoscuntur, et l’enseignement chrétien prend une forme de science quand ex his que fide capimus primai veritati inlurrcndo, venimus in cognitionem aliorum secundum modum nostrum, sciitcet discurrendo de principiis ad conclusiones. In IM. dc Trin., q. n, a. 2. Notre science à nous est discursive et procède par raisonnement; mais, sur la base dc ce que Dieu nous a communiqué de sa science de lui-même, à quoi nous adhérons par la foi, nous nous efforçons de rattacher les ignotiora aux notis et finalement toutes choses, hiérarchiquement, au mystère unique et a la lumière seule première de Dieu. In Boel. de Trin., q. il, a. 2. La théologie est science, et clic tend même à imiter, modo humano, la science dc Dieu : impressio divina' scient hr, va jusqu'à dire saint Tho­ mas, Sum. theol., I·, q. i, a. 3, ad 2um; cf. in IM.dc Trim, q. m, a. I, ad 4U“. Ceci n'est pas une formule éloquente, mais une expression techniquement pré­ cise dc ce qu’est la théologie pour saint Thonua. Ainsi la théologie nous apparait-cllc comme un effort, de la part de l’être rationnel croyant, pour repenser la réalité comme Dieu la pense, non plus au plan delà simple adhésion de la foi. mais au plan, avec les res­ sources et par les voles dc la connaissance discursive cl rationnelle. Elle est un « double » de la fol, dc mode rationnel et scientifique. 2° La théologie science au point dc vue moderne. — Les théologiens modernes ne s’intéressent plus guère à la notion aristotélicienne dc science, sauf par tra­ dition d’école cl la question de savoir si la théologie est une science est pour eux assez peu urgente. Mais, même si l’on demeure étranger à la concepi ion an­ cienne dc la science, il demeure intéressant de sc de­ mander si. pour un moderne, la théologie peut justi­ fier la qualité de science. Seulement, les modernes n’ont pas une notion de la science de même type el de même portée que celle d’Arlslotc. La notion mo­ derne de science, pour autant qu’il en existe une, c’est-à-dire l’ensemble des conditions auxquelles tout savant dira qu’il y a science, est beaucoup plus exté­ rieure et plus relative. Sera science toute discipline qui pourra Justifier d’un objet et d’une méthode propres et aboutir à des certitudes d’un certain type qui soient communicables à d’autres esprits. A ce prix. 461 THÉOLOGIE. PROBLÈMES DE STRUCTURE l’histoire et la sociologie, par exemple, seront considé­ rées comme des sciences. Celte notion de science pourra s’appliquer à la théo­ logie par vole de comparaison et le résultat sera favo­ rable si la théologie peut se présenter comme étant semblable à d’autres disciplines que nui n'hésite à qualifier de sciences. Les esprits modernes jugeront donc de la théologie d’après l’objet du savoir et la méthode employée; ce point de vue méthodologique les amènera généralement à considérer les différentes méthodes particulières dont on use en théologie comme justifiant l’existence d’autant dc sciences spé­ ciales : théologie biblique, théologie historique, etc., assimilées aux sciences historiques ou sociales pro­ fanes. Quelle sera, dans cette perspective, la situation de la théologie proprement dite, c'cst-à-dire dc la théo­ logie spéculative? Considérée comme système dc pensée, système de représentations, ccttc théologie serait, à coup sûr et pour le moins, une matière pour la science historique; mais, considérée comme traite­ ment philosophique de certaines convict ions qui relè­ vent de la foi, elle semble bien s’occuper, elle aussi, d’un objet propre et selon une méthode propre et pouvoir dès lors trouver une place dans le monde des sciences. Dans son Introduction à l'étude de lu théologie, Paris, 1926, G. Babeau a tenté de justifier, même aux yeux des philosophes incroyants, l’existence dc la théologie comme science et de déterminer sa place dans une classification des sciences (pii répondit aux exigences dc la logique moderne. La théologie, dit-il, a droit dc cité parmi les sciences, car : 1. elle a un objet scienti­ fiquement fondé, puisqu’il y a un problème spéculatif dc la religion qui est posé par la science et qu’il y a un problème pratique de la religion qui est posé par la vie; 2. elle a dc fait une méthode qu’il suilli d'analyser et de situer parmi les autres méthodes scientifiques; 3. elle utilise enfin, pour mettre en valeur son objet, toutes les sciences modernes en harmonie avec son but. Elle mérite donc d'être classée parmi les sciences. Comment ce classement pourra-t-il s’opérer et sc jus­ tifier? L’auteur propose de mettre en œuvre, en celte question, la théorie des < collocations » formulée par Stuart Mill. Il y a des sciences complexes, dont le sta­ tut n’est pas défini par l’existence de leurs éléments, mais par le fait de la coexistence de ceux-ci : par exemple, c'est la rencontre des fossiles et des terrains qui permet dc synthétiser le donné straligraphique cl le donné paléontologique dans la géologie. Dc même la .théologie n’esf-clle pas définie par scs éléments, histoire ou scolastique, textes ou déductions, mais par le fait (te leur coexistence, par un lait dc synthèse, une collocation. Or, ce qui met l’histoire et les faits en rapport avec le dogme ou la pensée religieuse, c’est la fol; de même que la stratigraphie cl la paléontologie sont unifiées par le fait que tels fossiles gisent dans tels terrains, ainsi l’histoire el la spéculation théolo­ gique trouvent leur unité dans la fol des croyants, celle des Individus el surtout celle dc l’Église totale, (allo­ cation humaine qui définit la t héologle comme science originale, et au delà de laquelle on peut d’ailleurs trouver, dans la science même dc Dieu, une collocation suprême qui justifie souverainement la précédente. Voir l’appréciation de retic idée par A. Gordcil, dans Revue des sciences philos, et théol,, 1926, p. 601. Sur la conception nrIstotéliclcnne dc la science : 0.1 hunelin, l.c sgslt-mr d'Arhtole, publ. par L. Itobln, Paris, 1920; A. /Knlwoilvr, Der Hrgrifl dtr Wissciischiijt bei Aristoteles, Bonn,I93U. Sur l'application do colto notion a In théologie dans In scolastique : M. Gmbmann, Der Wissenschaltsbcgrifl des ht, Thomas von Aquin, dans le Vertinschri/l de la Gorrcsgcsrllschatt pour 1931, p. 7*-Ι·Ι·; P. Simon, Erkenntnisthcorie un«l Wissenschaltsbcgrifl InderScholastlk, 1927 ;Fr. MaiinSo|u,L'éix)/u/ïon homogène du dogme catholique, t. i,p. 65 sq.; K. Gngncbet, Im nature de la théologie spéculative, dans JGuue thomiste, 1938, p. 211-210; cl. aussi, 1939, p. 122 »q.; L. Charlier, Essai sur le problème théologique, Thulllles, 1938, p. 26 sq.; P. Wyier, Théologie als Wiacnsehalt, Salzbourg et Leipzig, 1938 (sur quoi, cf. L. Kfaters Théo· logic all IV Issenschap, d*ins Schblast Ik, 1939, p. 231-210). Sur In notion dc science qui semble as*ez commune pour le» esprits moderne» : P. Simon, Der U isscnschaltsbegrtf] sell Hcginn der Xrirelt. dan» le Jahreibericht dr la Garres· gescllschaft pour 1932-1933, p. Ι5·-6|·; Qu*est-ce que la science? (Cahier» de la Nouvelle Journée); Science et loi, V· semaine do Synthèse; L'orientation actuelle de» *rirnees, Paris. 111. Les phoulLmls of. structure et de méthOdk. — Ces problèmes sont au nombre dc trois, se référant respectivement, d’une part, aux deux composantes de la théologie, a savoir l’élément dc donné positif et l’élément rationnel de concepts philosophiques et dc raisonnement; d’autre part, au produit du travail théologique qui, en sa forme la plus poussée, est la conclusion théologique. Ainsi avons-nous à examiner: 1. Le problème du donné et de la théologie positive; 2. Le problème dc l’apport rationnel et du raisonne­ ment t h éo logique; 3. Le problème de la conclusion théologique et de l’homogénéité de la science théolo­ gique au dogme. /. ΛΑ· PIWDLflME no DOlfXÊ ET DE LA TüEOLOOiE POSITIVE.— On s’accorde, en somme, à envisager la théologie positive comme visant à établir l’apparte­ nance d’une vérité à l’enseignement chrétien. Nous avons vu plus haut, col. 44 I, que celle preuve, conçue d’abord comme se faisant par l’appel aux textes de l’Êcriture et aux monuments de la tradition, a été davantage conçue, depuis quelques générations, comme guidée par l'enseignement actuel de l’Eglise et ne pouvant sc faire que dans sa lumière. 1° liaison d'etre et notion de la théologie positive. — La positive est la fonction par laquelle la théologie prend possession de son donné. Toute science ration­ nelle met en œuvre la lumière naturelle de l'intelli­ gence; mais elle doit recevoir du dehors, et finalement par les sens, sa matière particulière. La théologie est science de la foi; sa lumière existe donc en tout homme fidèle qui a, par la foi, un principe de connaissance des mystères surnaturels et, dans sa raison, la possibilité d’une élaboration et d’une construction scientifique dc ces mystères. Encore faut-il que la fui, pure possi­ bilité de connaissance, rencontre la détermination de ses objets. Ces objets étant surnaturels, leur déter­ mination ne peut se faire que par une révélation divine. Certes, celte révélation pourrait être intérieure à chaque fidèle, comme elle le fut pour les prophètes cl les apôtres. Mais le plan de Dieu n’a pas etc tel. Dieu prend les hommes comme ils sont, engagés comme parties dans un tout en une unité spécifique et en des communautés sociales. 11 traite l’humanité comme une seule espèce, comme un seul peuple, comme une seule Église, cl il lui adresse une révélation unique» sociale et collective. Aussi la détermination des objets de la fol, determinatio en drndorum, s'opèret-ellc non par une expérience indépendante et person­ nelle, mais par une révélation cl par un magistère sur­ naturels. S. 'Thomas In Hoct. de Trin., q. ni, a. 1, ad lu“. C’est parce que la lumière surnaturelle don­ née à chacun dans la toi est trop faible pour procurer ù chacun, pour son propre compte, la connaissance el le discernement des objets de la foi, qu’il y a. dans l’ordre surnaturel, un magistère el que l’Église possède un véritable pouvoir d’enseignement. Toute l’explicilation de la foi est dès lors liée à la Bévelalion transmise, proposée, conservée et expli­ quée par la prédication apostolique vivant dans l’Église. Cf. S. Thomas, Sum. theol.. Ι1·-11·, q. v. a. 3, corp, cl ad 3U® ; q. vr, a. 1 ; In III"* Sent.,dï$l. XXill. 463 THÉOLOGIE. LA THÉOLOGIE POSITIVI·: '.04 q. nr, a. 2. ad l-°. 2-“ et 4um; dist. XXV, q. i. a. 1, ment scientifique ou rationnelle : c'est vraiment une qu. 1, ad !·■: /n / Vu®, dist. IV, q.n, a. 2. sol. 3, ad lom, œuvre de théologie, comme nous allons le marquer qui n celle formule si simple : Fides principaliter cat bientôt en distinguant théologie positive cl histoire ex in/usione : ci quantum ad hoc per baptismum datur; des doctrines chrétiennes; et, d’autre part, cette sed quantum ad determinationem suam est ex auditu : jonction n’est pas une œuvre de pure fol, étrangère et sic homo ad fidem per catechismum instruitur. à toute rationalité ; mais, tout comme la raison Cf. aussi Fr. Marin-Sofa, Évolution homogène du s'applique à l’intérieur de la foi pour en chercher un dogme cathol., t. i, p. 202 sq. intellectus, elle s’applique également à l’intérieur de Mais le catéchisme, qui suffît au fidèle pour l’expllla foi, avec toutes scs ressources, pour s’en procurer cllatlon de sa foi. suffîra-t-il au théologien pour cons­ un auditus aussi riche, aussi précis, aussi critique que truire rationnellement sa foi? il est bien clair qu’en possible. écoulant la simple prédication de l’Églisc, le théolo­ Il reste a préciser celle notion de la théologie pougien reçoit l'essentiel de scs principes. Et c'est pour­ live en déterminant successivement son objet found quoi on a dit souvent que l’enqi été positive n'était quod, son objet tornicl quo et sa méthode. pour lui qu’une question de bene esse et que, s'il ne 2° Objet formel · quod » de la théologie positive, peut y avoir de théologie sans spéculation, il peut y Tandis que l’objet formel de la théologie spéculatif en avoir une sans enquête spéciale sur le donné. Cette est l’intelligibilité rationnelle et scientifique du révélé remarque, où il y a du juste, a poussé parfois certains ou de renseignement chrétien reçu dans la foi, la théo­ théologiens à concevoir la théologie positive comme logie positive concerne la réception même dé ce révélé ou de cet enseignement chrétien. En tant que positive, une sorte d'ornement ajouté du dehors à la théologie, mais ne faisant point partie de son activité essentielle elle regarde le révélé, pour le recevoir et le connaître, et représentant plutôt une concession au goût du jour, dans son étal de chose transmise ci offerte à l'adhésion et à la contemplation de la raison croyante, cl elle use ou une opération purement apologétique, ou encore une sorte d’alibi pour ceux qui, ayant perdu le sens pour cela des ressources que la raison présente pour saisir un donné, plus précisément pour découvrir ce de la contemplation théologique, sc réfugieraient dans I' « érudition ». donné particulier qu'est la foi et I enseignement oe En réalité, la théologie positive sc situe au cœur l’Églisc. L'objet de la théologie positivi est donc la même de la théologie tout court. Elle est essentielle­ connaissance de ce que l’Églisc enseigne cl livre à ment un acte ou une fonction de la théologie et pro­ notre foi : autant dire qu’elle a pour objet la tradition, cède, à double titre, de la même nécessité que la théo­ dans le sens que des études récentes ont restitué à ce logie spéculative : 1. elle est nécessaire à la théologie mot. Quand le traité De divina traditione s’csl constitué spéculative, qui emprunte sa matière même à un comme un traité spécial, au xvr siècle, il ..’est orienté, donné positif. Il est exact que ce donné peut être tenu, en fonction de la polémique protestante, dans le sens dans ses grandes lignes, par le simple auditus fidei qui d’une distinct ion, dans les objets de la fol ou les dogmes, correspond, en tout fidèle, à la catéchèse chrétienne. Mais une théologie spéculative qui en resterait là n’ob­ entre des dogmes contenus dans l’Écritüre et des dog­ mes contenus dans · la tradition ». et dans le sens d’une tiendrait jamais sa plénitude dans l’ordre même de la spéculation. A moins de devenir une sorte de philo­ justification de la tradition ainsi entendue. Ainsi étaiton porté à concevoir celle-ci : l. comme désignant sophie des choses chrétiennes, elle devrait se limiter un certain ordre d'objets, 2. comme distincte de à des questions rudimentaires et ne serait pas nourrie l’Écritüre et 3. comme constituée par des textes et de toute sa sève. Elle serait incapable de se constituer pleinement en son état de science. — 2. Non seule­ des documents anciens. C'est en somme cette idée de la théologie post-trident inc qui inspire encore, dans ment la positive est nécessaire à la théologie spécula­ nos manuels de théologie, le fameux schème du Protive, mais elle répond, à sa manière, au besoin qu'a la balur ex Scriptura, ex traditione... fol de sc constituer à un état rationnel et scientifique Or, des monographies récentes ont montré que la par l’assomption des ressources propres à la raison et conception ancienne et authentique de la tradition à la science. A la double face, à la double activité de était un peu différente. Le sens premier du mot la foi répond, dans la raison croyante qui devient, par < tradition » est celui d'enseignement ou de prédica­ là, théologienne, une double fonction; l'une et l'autre ont besoin de se constituer en un état vraiment ration­ tion doctrinale, soit au sens objectif, ce qui est enseigné ou transmis, soit au sens actif d’action ne transmettre nel et scientifique, en assumant les exigences et les ou d'enseigner. Mais le sens le plus ancien, Jusqu’à instruments de la raison; ensemble, elles constituent saint Irénée inclus, est le sens objectif . la tradition le total développement de la foi dans la raison, sa est renseignement, l’objet transmis par le Christ et les pleine promotion en science. Apôtres, puis, d’âge en âge, par l’Églisc. Cf. B. A ce que la foi comporte de contemplation de son ders, Paradosis. l.e progrès d· P idée de tradition jus· objet répond, comme sa promotion rationnelle et scientifique, la théologie spéculative; à ce qu'elle com­ qu’à saint Irénée, dans Recherches de théol. ancienne et médiévale, t. v, 1933, p. 155-191 ; D. van «en b’yude, porte de soumission à la révélation de Dieu transmise Les normes de renseignement chrétien dans la littéra­ par l’Églisc répond, comme sa promotion rationnelle ture palrbdique des trois premiers siècles, Paris, 1933. et scientifique, la théologie positive. La première est Cet enseignement comprend à la fois l’Écritüre avec l'étal scientifique de V intellectus fidel; la seconde l’état scientifique de V auditus fidei. Saint Augustin com­ son contenu et les vérités non contenues dans l’Écrimentait la fameuse formule, Nisi credideritis, non ! turc et que l’on peut appeler * traditions » au sens intelligetis, en disant que les deux éléments s'en dis­ étroit du mol. En un sens secondaire, on désignera par tribuaient entre l'autorité et la raison : Quad intetlitradition les monuments ou témoignages que l’Ègllse gimus debemus rationi, quod credimus debemus auc­ constitue et laisse de son enseignement au cours des toritati. De util. errd., c. xi, n. 25, P.L., t. XUI, coi. 83. âges el qui nous restent dans certains documents : Mais il est clair que la fol est à la racine de V Intellectus écrits des papes, des Pères, des théologiens, textes et que la raison trouve une application dans la sou­ des conciles, liturgie, Inscriptions, etc. Cf. A. Dcacffc, mission même qui s'adresse à V aucton tas pour donner op. rit, infra; cl ci-dessous l’art. Tkaüition. à la référence du théologien, à scs sources cl à scs auto­ La Bévélalion est un dépôt; l’Églisc pourra bien rités, un état, lui aussi, scientifique. Ainsi, d’une part, prendre une conscience progressive de ce dépôt et en la jonction de la théologie à scs sources n’est pas pure­ réaliser un développement progressif; elle n'y ajoutera 465 TH É0LOG 1 E. LA THEOLOGIE POSITIVE rien qui lui soit objectivement étranger. S’il y a, dans l’Églisc et tout au cours de son histoire, des « révé­ lations », celles-ci n'ajoutent objectivement rien n la connaissance du mystère de Dieu; elles sont ou bien mie lumière donnée soit à la hiérarchie, soit aux Pi res, soit à l’Églisc dans son ensemble, pour une intelligence nouvelle et plus profonde de l’enseignement révélé, ou bien des « revelations privées » concernant la vie de l’Église, l'orientation de la piété, les fondations ou la conduite des .Ames. Cf. J. de Ghclllnck, Pour Γhistoire du mot « revelare », dans Recherches de science relig., 1916, p. 149-157; J. van l.cc. Les idées d'An­ selme de Havelberg sur le développement du dogme, dans Analecta Pnrmonstralensia, t. xiv, 1938, p. 5-35; J. Ternus, Vom Gemeinschafhglauben der Kirche, dans Scholastik, l. x. 1935, p. 1-30; M.-J. Congar, La crédi­ bilité des révélations privées, dans Vie spir., octobre 1937, Suppl., p. 29-48. C’est pourquoi, dans la continuité de la «tradition », entendue au sens d’enseignement révélé transmis par l’Églisc, il y a lieu de faire une distinction entre la traditio constitutiva, qui est l'enseignement-révêlai ion des prophètes, du Christ et des apôtres, la traditio continuation, enfin ajouterons-nous dans toute la me­ sure que réclame le fait du développement doctrinal, la traditio explicativa, qui est la proposition, la conserva­ tion, l'explication et le développement par l’Eglisc ou dépôt primitif. La traditio constitutiva étant formée par l’apport révélateur des prophètes, du Christ et des apôtres, sans préjudice des suie scripto traditiones, est laite principalement de l’Ecritüre sainte de la­ quelle les Pères anciens faisaient dériver toute la sub­ stance doctrinale de la Paradosis ecclesiastique. Quant à la traditio continuatiua et à V explication, elles consistent dans la proposition fidèle et l’explication progressive du dépôt, telles qu’elles sc sont produites dans l’Eglisc animée cl dirigée par l’EsprIL du Christ, depuis la Pentecôte jusqu’à nous. C’est ce témoignage social, selon toute sa réalité concrète et son développement successif, qui est l'objet ou la matière de la théologie positive. B.-M. Schwalm. Les deux théologies : ta sco­ lastique et la positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. ir. 1908, p. 671-703; cf. M. Blondel. Histoire cl dogme, dans La Quinzaine, 16 janvier, 1er février et 15 février 1901. L’objet de la positive, c’est donc la tradition, c’està-dire renseignement transmis depuis le Christ et les apôtres Jusqu’à nous par l’Eglisc et qui s’est déve­ loppé, quant à scs expressions et quant à l’intelligence que l’humanité croyante en a prise, petit à petit, jus­ qu’à nous, et (pii est vivant dans l’enseignement de l’Églisc actuelle : id quod traditum est, id quod traditur. La théologie positive, c’est la sacra doctrina en tant qu’elle prend conscience de son contenu acquis. Elle trouve son objet dans les expressions, d’abord de l’Églisc actuelle, puis de l’Église totale en la conti nulté vivante de son développement (traditio conti­ nuation et explication I, enfin dans les sources qui, expression de la traditio constitutiva, sont la règle intérieure de la Paradosis ecclésiastique. Ainsi l’objet quod de la positive, c’est le témoignage total sur le mystère de Dieu, tel que, porté par les prophètes, le Christ et h’s apôtres. Il existe, est conservé, interprété, développé et proposé dans et par l’Eglisc du Christ et des apôtres, dans cl par l’Églisc une cl apostolique. 3° L'objet formel « quo » ou la lumière de la théologie positive. — Connaissance d’un enseignement révélé, la positive est théologie; connaissance scientifique de cet enseignement, non dans le pur auditus fidei, mais dans une recherche et une Interprétation des docu­ ments de la tradition ecclésiastique, la théologie posi­ tive est une œuvre rationnelle. Seulement, la raison (pd est ici associée à la foi n’est plus proprement la 466 raison spécula’ivc : c’est la raison qui fait face aux documents bibliques et historiques où s’exprime la tra­ dit Ion ecclésiastique. La lumière de la positive est donc Ihcologlquc, c’est-à-dire la lumière de la Bévélatlon en tant que, au delà de la simple adhésion de la foi, elle rayonne dans la raison humaine, en utilise l'acti­ vité eu vue de procurer un état humain, rationnel et proprement scientifique de V auditus fidei. Celte no­ tion, de sol fort simple, peut s'expliciter en ces trois pro post! ions : 1. La positive est une théologie, non une histoire. — L’histoire des doctrines bibliques et celle des doctrines chrétiennes ont matériellement le même objet que la théologie positive, mais elles regardent cl atteignent cet objet sous une lumière et selon des critères dînè­ rent s. Nous pouvons avoir, du donné chrétien, une connaissance formellement naturelle et historique ; histoire du peuple d'Israel, histoire des doctrines bibli­ ques, histoire des doctrines chrétiennes. Ce n’est pas une telle connaissance, formellement rationnelle et historique, du donné, qui peut fournir à la théologie scs principes. Car, dans ce cas, Il y aurait, entre le révélé et la théologie qui doit en être une interpréta­ tion rationnelle, une rupture de continuité : au point de vue noétique ou épistémologique, on changerait de genre; cf. A. Gardcil, Le donné révélé et la théologie. p. 197 sq., 210-211. La théologie doit, [jour rester la science de Dieu révélé, s'aboucher â son donné et con­ naître ses principes dans une lumière formellement théologique, avec des critères théologiques. C’est pour­ quoi ht théologie positive est formellement differente de l’histoire des doctrines chrétiennes. Cf. A. Lemon· nyer, Théologie positive et théologie historique, dans Revue du clergé français, mars 1903. p. 5-18 ; Comment s'organise la théologie catholique? ibid., octobre 1903, p. 225-2 12; M. Jacquin. Question de mots : histoire des dogmes, histoire des doctrines, théologie positive, dans Revue des sciences philos, et théol., t. i, 1907, p. 99-101, et cf. ibid., p. 341 sq. ; B.-M. Schwalm, art. cité; A. Gardcil. Donné révélé, p, 207 sq., 288 sq.: G. Babeau, Introduction à l'étude de la théologie. p. 153 sq. 2. La théologie positive, étant théologie, s'élabore en dépendance du magistère de Tllglise. — Il s’agit, en effet, pour elle, de trouver et l de mauvaise nu'thode théologiquc. Car la théologie n'est pas la philosophie qui raisonne sur In foi, c’est, comme l’a dit le P. Chenu, la foi qui cherche ù ■ s’cinmembrer de raison », le donne qui < s'invertébré par l’intérieur et sous sa propre pression ». Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et thêot., I. xxiv, 1935, p. 232-257 (p. 232 el 212). Au point de vue du contenu objectif, c’c^t d’un bout A l’autre la foi qui commande en théologie. C’est uniquement pour prendre son développement dans une intelligence humaine selon le mode connut urcl A cette intelligence, qu’elle s'annexe el sc subordonne des notions philosophiques. Elle n’en reçoit aucun apport objectif propre, mais seulement une explicita­ tion plus complète en assumant les ressources et les voles de celte raison. Aussi, dans celte a**oinption. les notions philosophiques sont-elles vérifiées, amenui­ sées, purifiées pai la fol de manière à répondre au ser­ vice que celle-ci réclame d’elles. Ce travail est évident 475 THÉOLOGIE. L’APPORT RATIONNEL don·* la théologie scolastique; qu’on pense seulement à la reprise des notions de personne. de relation, de conversion substantielle, de subsistence, de verbe mental : les deux dernières, qui sont d'authentiques notions philosophiques, n'ont été dégagées, au béné­ fice de la philosophie, que sous la pression du travail théologique et pour ses besoins; quant à la première, on sait quelles rectifications cl quelles précisions elle doit à sa destination théologique. De telles reprises seraient un scandale pour le philosophe qui voudrait n’êtrc que philosophe; elles sont, en théologie, la con­ séquence de la souveraineté de la fol. Pour le dire en passant, c’est à ce rôle de la foi vis-à-vis de la philoso­ phie, que nous devons en grande partie la « philosophie chrétienne », nu sens où cette expression désigne un certain nombre de problèmes, d'attitudes, de concepts et de certitudes qui ont été acquises à la philosophie. Les textes du magistère catholique ont souvent insisté sur ce bénéfice de certitude et cette plus-value de précision que la raison humaine reçoit de ce service de In fol. Nous pouvons maintenant répondre aux difficultés qui représentent la forme classique de notre problème. Il n'y a pas subalternatlon de la théologie à la phi­ losophie car, dans la théologie de forme rationnelle, ce qui est donné de foi juge et mesure ce qui est em­ prunt philosophique et. loin de >c subordonner à lui, se le subordonne à soi-même. S. Thomas, Sum, thcol., I·, q. !, a. 5, ad 2um; a. 6, ad I·® et 2am; In Roct. de Trin., q. n, a. 3. D’autre part, la théologie reste une science une, caractérisée par un medium demonstrationis un. Les prémisses du raisonnement théologique, en effet, sont coordonnées l’une à l’autre pour inférer la conclu­ sion. I n notion analogique de raison a en effet été prise, travaillée, mesurée et finalement approuvée et adoptée par la notion analogique de foi. De la sorte on n’a pas, dans l’argument théologique, un terme de fol, un terme de raison et un produit théologique, mais un terme de foi assumant vitalement et assimi­ lant du vrai rationnel pour porter, grâce à lui, l’ana­ logie révélée à un état rationnel et scientifique et I constituer avec lui un unique analogué de foi. Ainsi : 1. il n’y a pas quatre termes dans l’argument théolo­ gique; 2. les deux prémisses de cet argument forment i un unique medium de démonstration dans lequel toute la détermination vient de la foi et qui est donc, comme Je dit Cajétan, divino lumine fulgens, cf. In /·», q. i, a. 3, n. iv; la conclusion du raisonnement théolo­ gique se résoud dans Punique causalité de ce medium que sont les prémisses organisées et coordonnées pour son inférence; toute la lumière lui vient de la prémisse de foi. La théologie est vraiment le développement scientifique de la foi, la science de la foi. Tout ceci a été exposé par Jean de Saint-Thomas, In pariem, q. i, disp. II. a. 6, n. 1, 10-17, 22-24 (éd. de Solesmes, p. 369-374); a. 7, n. 18 sq. (p. 381 ); i a. 9. n. G. 11-13 (p. 391, 393); cf. Logica, II* pars, q. xxv, a. 1. ad 3,éd. Keiser, p.777 ; rf.ici l’art. DqomaTIQt · . t. IV. < ni. 1525 1 526. 3’ Conséquences. — Ces conséquences vont toutes à assurer effectivement la primauté du donne de fol et le rôle instrumental de l’apport rationnel. Notons les quatre points suivants : L Le théologien devra avoir une conscience très vive du fait qu’il n’y a réellement qu’un monde de pensée comme un seul monde de réalité et que la foi se subsume le savoir rationnel, comme l'être surnaturel le fait pour ce <|ui est des réalités naturelles. Fol et raison, surnature et nature sont distinctes, mais pas néanmoins comme deux quantités de meme genre et exlcricurv^ l'une à l’autre. Le monde de la foi est le «tout »du momie de la raison; Il l’englobe et le déborde, k. Eschuelkr, Die zioei Wtge, p. 37 sq., 238; L. Char­ 476 lier, Essai sur le problème Ihéol., p. 81 sq. C’est pour­ quoi il ne faut pas prendre les choses et les vérités de la foi pour de simples cas, de simples applications des lois générales du monde naturel, qui trouveraient dans ces lois leur explication. 2. Au delà de toute construction, si satisfaisante soit-elle, le théologien devra garder un sens très aigu de la transcendance et du mystère. Nos Idées humaines peuvent bien nous aider à mieux nous représenter ce que c’est, pour le Christ, que d’être roi, par exemple; mais le mode propre et positif dont il est loi nous échappe en son unité indivisible, et demeure un mys­ tère. Ainsi la théologie peut-elle, comme science humaine de la foi, prendre de la réalité mystérieuse révélée une vue qui tend à être de plus en plus pré­ cise; mais ce qui fait le point le plus propre du mys­ tère lui échappe et se refuse à être élucidé par l’emploi des analogies humaines. On définit avec précision le lieu du mystère, mais on n’éclaircit pas celui-ci. Ici encore, saint Augustin représente, pour le théo­ logien, un exemple digne d’être médité : lui qui n écrit (pie si Ton parle en Dieu de trois personnes, · c'est moins pour dire quelque chose (pic pour ne pas ne rien dire », De Trim, L V, c. ix, P. L., t. xi,n, col. 918; lui qui a écrit également que ce qu’on a déjà trouvé cl compris de Dieu invite à une nouvelle et perpétuelle recherche. Ibid., 1. XV, c. n, col. 1057-1058. Sur ce sens du mystère chez le théologien, cf. A. Garde!), Le donné révélé, p. 1 11-150; R. Garrigou-Lagrange, Le sens du mystère et le clair obscur intellectuel, Paris, 1931; La théologie et la vie de la foi, dans Revue thomiste, 1935, p. 192-51 I; L. Charlier, Essai sur le problème théolo­ gique, p. 153-158. 3. En théologie, le donné est totalement régulateur. Le théologien ne construit pas à partir de ses concepts un monde où l’esprit n’est arrêté par rien qui soit étranger à son propre jeu et aux déterminations Idéo­ logiques nécessaires, mais il se réfère à un donné reçu du dehors. Cette dépendance exige du théologien une attitude de totale soumission et de radicale pauvreté; cf. M.-J. Congar. Saint Thomas serviteur de la vérité, dans Vie spir., mars 1937, p. 259-279. Elle implique qu'en chacune de scs démarches, le système idéologi­ que que le théologien construit, soit cri’lqué et assou­ pli en référence à tous les éléments du donné, euxmêmes appréciés selon leur valeur respective. En cer­ taines questions surtout, comme en matière sacra­ mentelle, qui sont autant des · institutions » que des dogmes, la référence au fait doit être constante, le plus petit fait devant être respecté et engageant Λ assouplir la théorie si celle-ci s'avère trop étroite ou trop rigide pour en rendre compte. Sur cette docilité du « construit » à l’égard du · donné », cf. M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue des sciences philos, et Ihéol., 1935, p. 213-215, et, sur le sens de l’Église et du magistère qui en est la condition, I.. Charlier, op. cil., p. 158-164. 4. Enfin, il sera encore de l’humilité et de la soumis­ sion de la science théologique d’accepter un donné dont tous les éléments sont loin d'être de niveau avec les exigences de l’esprit en fait de précision con­ ceptuelle. La Révélation est faite en un style imagé, dont M. Penido a précisé, si Ton peut dire, le statut épistémologique sous le nom d’ « analogie métapho­ rique » ou « analogie de proportionna.ité impropre ». Le rôle de l'analogie en théologie dogmatique, p. 42 sq., 99 sq. C’est ainsi que le Christ nous est révélé comme ■ agneau de Dieu », ou « tête de l’Église », que l’Église elle-même l'est comme · épouse du Christ », « vigne du Seigneur », etc. La perfection commune aux deux ter­ mes métaphoriquement analogiques n’est pas formel­ lement en tous les analogues, l'analogie métaphorique exprime une équivalence d’etteU, non pas directement ill THÉOLOGIE. LA CONCLUSION TIIÉOLOGIQUE 478 In forme d'é/re ou la définition essentielle, mais In pro­ que c'est dans rc contexte que s’est produite l’insis­ portion entre deux manières d’agir. Aussi, comme tance des thomistes à donner pour objet à la théologie, Dieu, dans la Révélation qu’il nous adresse, veut ainsi distinguée de la fol, les conclusions théologiques. plus nous dire ce qu’il est pour nous et ce qu’il fait La position qu’on attribue aux nominalistes, favo­ pour nous que ce qu’il est en lui-même, on comprend rable à l’inclusion, parmi les vérités de fol, des conclu­ très bien, indépendamment du molli général de sions déduites bona et necessaria consequentia, serait s’adresser en Images à des hommes qui sont des êtres aussi, nu xvi* siècle, celle de Cajétan (?), Pierre Soto, sensibles, que la Révélation soit remplie de métaphores. M. Cano, Tolct, Molina, cités par Schultes, p. 116. Mais De la sorte, en même temps que le théologien s'efforcera la position la plus notable à celte époque dans la ques­ de traduire ces notions métaphoriques en analogies de tion qui nous occupe est celle de Vasqucz et de Suarez. proportionnalité plus rigoureusement définies, il devra Ccs auteurs ont apporté en effet dans ce problème cependant, parce qu’elles sont du donné révélé, des une distinction qui '’est transmise après eux cl est analogies de fol, soumettre des concepts philosophi­ passée dans un grand nombre d’ouvrages. Ils distin­ quement plus satisfaisants à l'approbation de ces guent, au regard d’une conclusion théologique néces­ métaphores. Ainsi, d’un côté, il traduira en concepts saire, deux assentiments : celui qu’on donne à la con­ plus précis le sens affirmé par les similitudes de la tête clusion en tant qu'on la voit inférée par le raisonne­ et de la vigne, mais, d’autre part, le théologien devra ment, et cet assentiment reste théologique ; celui qu’on soumettre le matériel conceptuel, emprunté aux scien­ donne à la vérité telle quelle que présente la conclusion ces philosophiques, au jugement et ή la mesure de ccs en tant que, dégagée pour l’esprit par un raisonne­ grandioses mais imprécises images de la tète ou de la ment, elle apparaît comme objectivement et réelle­ vigne, etc. Car ccs métaphores sont du donné révélé ment contenue dans la proposition révélée. Ce second et leur contenu doit passer dans la constitution de la assentiment, qui va à une vérité vue comme contenue théologie. Ce serait une erreur de méthode que de ne dans une autre vérité révélée, relève de la foi; pour constituer une ccclésiologie, par exemple, qu'avec les marquer, cependant, ce qui la distingue de l’assenti­ notions humainement claires et rigoureuses, plus pro­ ment donné aux vérités révélées» explicitement propo­ ches de la philosophie, de société, de pouvoir, de loi, sées par l’Église comme des dogmes. Suarez parle, etc., et de négliger les grandes Images bibliques dont dans ce dernier cas, de foi catholique et, dans le pre­ heureusement des traités comme les Theses de Ecclesia mier, de simple foi divine ou « foi théologiquc s dlsde Franzelin ou le Corpus Christi quod est Ecclesia du j Unction, elle aussi, extrêmement répandue depuis lors et à laquelle on peut d’ailleurs donner un sens accep­ P. Tromp, ont fait leur profit. Sur cet usage el celte valeur des métaphores en théologie, cf. S. Thomas, table. Cf. Vasqucz, In partem D. Thonur, q. î, a. 2, Sum. theoL, |\ q. î. a. 9. disp. \ , c. in, éd. Venise, 1608. p. 19; Suarez, De fide, disp. HI, sect, xi, n. 5, Opera omnia, éd. Vivès, t. xn, Ul. LE PROBLÈME DE LA CONCLUSION THÉOLOGIQUE p. 97; cf. d'autres références dans Marin-Sol a. Évo­ ET DE ^HOMOGÉNÉITÉ DE LA SCIENCE THÉOLDO QUE lution homogène, n. 85, t. î, p. 99 sq.; n. 144 sq., AU dogme. — Si le raisonnement théologique vérifie les conditions d’un raisonnement nécessaire et si ibid., p. 210 sq.; n. 388, t. n, p. 157. Le grand principe de discernement sera cclui-ci : l’apport de la raison y est à ce point assumé et réglé par la fol, ne doit-on pas reconnaître à la conclusion toute adhésion dépend de ce par quoi elle est motivée. Si mon adhésion repose sur le témoignage de Dieu théologique, à ce scibile divino lumine fulgens dont parle Cajétan, une certaine homogénéité avec le révélé proposé dans la prédication apostolique, elle sera de foi théologale; si elle repose sur ce que je sois, par lui-même, objet de notre fol? Dans le cas où une conclusion découlerait d’une façon nécessaire et évi­ l’industrie de mon esprit, dans le témoignage de Dieu, dente, soit de deux prémisses de foi, soit d'une pré­ elle restera humaine ou plutôt humano-divinc, c’est-àmisse de foi et d’une autre de raison évidente, la con­ dire théologiquc. Cf. Marin-Sola, op. cit.. n. 135 sq.. t. î, p. 202 sq. clusion pourrait-elle faire l’objet d’une adhésion de foi, Ce principe, cependant, n’est pas toujours d’une et sa négation l’objet d'un péché d'hérésie, avant toute définition de cette vérité par l’Église? l’ne telle con­ application commode. Le plus simple auditus fidei engage toujours une certaine activité de notre esprit, clusion peut-elle être définie pur l’Église comme vérité ne serait-ce que pour comprendre le sens des mots. de foi et, si oui. comment justifier cette définition? L’intention même de la foi ne peut se contenter Enfin, après sa définition, une telle vérité relève-t-elle d’une reception purement passive de la parole de de la foi théologale, ou bien d’une adhésion spéciale Dieu; elle essaie de pénétrer le plus possible son sens distincte tant de lu fol théologale que de la foi hu­ et. pour cela, tout en étant dans la disposition d’être maine? telles sont les questions que pose la conclusion rectifiée par le sens de l’Église et les déclarations du théologique· Cf. A. Gnrdeil. Le donné révélé, p. 163-186. magistère, elle s’engage à ses propres risques dans une 1° Adhésion à une conclusion théologique avant sa définition. — Les grands théologiens du xm* siècle certaine activité d’interprétation; elle cherche à voir admettent bien un accroissement des formulaires dog­ tout ce que veut dire l’énoncé sacré. Dira-t-on qu’un matiques par la canonisation de propositions conse­ chrétien ne peut adhérer de foi théologale au sens quentia ad articulos; mais ccs propositions sont pour qu’il volt être celui de tel passage de l’Écriturc dont eux des vérités révélées secondaires quant Λ leur con­ l’Égiise ne lui donne par ailleurs aucune interpretation tenu, el non des conclusions théologiques; cf. R.-M. officielle explicite? Et de même ne pourra-t-il adhérer Schultes, Introductio in historiam dogmatum, Paris, (ie foi théologale à ce qu’il verra avec évidence appar­ tenir à un dogme, mais dont l’Église n’aura pas encore 1923, p. 71-78. D’après la documentation que présente cct auteur, p. 78-85, il semble que ce soient les théolo­ fait une définition explicite? 11 semble qu’on puisse dire ceci : quand l’activité de giens nominalistes et scotistes qui aient appliqué aux l’esprit se tient dans les limites d'une intelligence des conclusions théologiques ce qu’Albcrt le Grand et saint Bonaventure disaient des vérités révélées secon­ énoncés révélés tels quels, une adhésion de foi est pos­ sible à ce que l’on verra avec évidence appartenir au daires, admettant parmi les vérités « catholiques ■ ; ver dates omnes et singular quee concluduntur ex praemis­ révélé ou être le sens de ces énoncés. A la limite, il sis veritatibus in consequentia certa in lumine fidei sive semble que la même adhésion de foi pourra être don­ née à ce qu'on verra avec évidence être lié de telle in evidenti lumine naturali, quamvis non in propria lorma verborum illic habeantur. Gejson, cité p. 82; pour sorte aux énoncés de la fol que, si on niait cela, on serait amené nécessairement à pervertir le sens offlScot, cf. p. 81. Le P. Schultes semble suggérer, p. 83, 479 THÉOLOGIE. LA CONCLUSION THÉOLOGIQUE cicllement déclaré desdits énoncés. Telle est du moins la position de saint Thomas, à propos des - notions divines, in /·■ Sent., dist. XXXIII, q. i, n. 5; Sum. | theol., I·, q. xxxii, a. 1 ; cf. ΙΙ·-ΙΙ·, q. xî, a. 2. On pour­ rait, dit saint Thomas, pécher contre la foi, si on niait la doctrine des notions divines. Non pas que celle-ci soit explicitement de foi; mais elle intéresse la foi indirectement, indirecte ad fidem pertinet. On peut commettre un péché d’hérésie non en niant directe­ ment une vérité de foi, mais en tenant une position telle que le sens orthodoxe de la foi nc puisse être gardé· il nc semble pas, d’ailleurs, (pic saint Thomas élargirait beaucoup le champ de ces appartenances indirectes de la fol et que, par exemple, il y ferait rentrer une doctrine comme celle de l’unité d’être dans le Christ. Sum. theol., III·, q. xvu. C'est pourquoi celle position ne revient nullement à considérer, avant toute définition dogmatique, toute conclusion théolo­ gique certaine comme relevant, pour le théologien, de la foi. Il faut au contraire, à la suite de Jean de SaintThomas, in /·“. q. i, (dsp. Il, η. I, éd. de Solcsmcs, p. 357 sq., et du Γ. Schultes, bien distinguer du cas précédent celui de la conclusion théologique propre­ ment dite, laquelle relève de ce que Schultes appelle le virtuel illatlf. Dans ce cas, nous ne sommes plus en présence d’une activité de l’esprit s’efforçant de com­ prendre aussi totalement que possible et de traduire simplement en valeurs techniques l’énoncé tel quel de lu foi. mais d’une activité s’efforçant de dégager, par l’introduction d’un élément étranger au révélé formel, un objet de pensée qui nc procède (pie médiatement des énonces de la foi; nous sommes dans l’ordre du médiatement révélé: l’activité de l’esprit n’intervient pas seulement pour permettre au sujet de comprendre ce qui est expressément révéle, mais pour constituer un objet dont l’appartenance au révélé n’est que mé­ diate. Il nc peut être question de donner au terme ainsi dégagé une adhésion de fol, le motif de celle-ci n’étant nihil aliud quam veritas prima. Sum. theol., II*-II·, q. î. a. 1. Il faut donc bien distinguer, comme le fait Jean de Saint-Thomas, deux usages du raisonnement : le cas où II nc s'agit que de disposer ct d'habiliter l’esprit du croyant à comprendre aussi totalement que possi­ ble ce qui est vraiment révélé; le cas où il s’agit de dégager, par l'usage d'un moyen terme nouveau, des virtualités qui ne «e rattacheront au révélé que d’une façon médiate. Il semble que la distinction de Suarez et de Vasques ne puisse valoir pour ce second cas et qu'on ne puisse, dans un raisonnement théologique I proprement dit, une fois la conclusion obtenue par le raisonnement, laisser de côté le moyen d’inférence qui a servi à la dégager ct en contempler la vérité telle quelle, comme objectivement contenue dans la pré­ initie révélée. (Le qui est vrai du tî avail par lequel le théologien prend conscience du contenu du révélé formel, ne l’est plus du travail par lequel il dégagerait le · révéle virtuel ·, qui relèvera toujours d’une adhé­ sion où la raison intervient, Einalemcnt d’ailleurs, ce qu’on croyait à un moment donné ne représenter que du révélé virtuel sera peut-être un jour défini pur l’Église. On reconnaîtra alors que c’était bel et bien, dès le début, du révélé formel. Mais on n'en savait rien alors. C’est pourquoi le théologien doit conduire stm travail dan* un parfait esprit de docilité envers le magistère de l’Église. 2· Apres la définition par l* Église. — La question de savoir quel assentiment donner à la conclusion théo­ logique définie par l’Église après sa définition n'a plus d'urgence si l’on adopte la Lhèse de Schulte-s. Celuici, d’ailleurs, tnlrod., p. 130-131, a critiqué vivement ta < fol eedésiastique », c’est-à-dire une foi qui ne 480 serait ni la foi théologale, ni une foi humaine inspirée par la foi divine et s’adressant ù l’autorité de l’Église comme telle. Le P. Marin-Soin, Évolution homogène, t. I, n. 225-297, a critiqué plus à fond encore la « foi ecclésiastique »; il montre bien que, par la définition de l’Église, un nouveau motif d’adhésion, qui relève de la foi théologale, est substitué à celui du savoir théologique; il résout dans le sens esquissé plus haut, col. 113, la question de la (’(impossibilité de l’adhé ion de foi et de l’adhésion théologique, sous différents aspects, à la même vérité matériellement prise. 3° Dogme et théologie, — Au ter me de cette étude des problèmes de structure que pose la théologie, ct finale­ ment la question de son homogénéité à son donné ini­ tial, il peut être utile de marquer nettement la dis­ tinction de la théologie ct du dogme, puis d’expliquer et de determiner le rôle, ù l’intérieur de la théologie elle-même, d’une pluralité de constructions intellec­ tuelles. La théologie se distingue du dogme, où sc trouve défini l’objet de la foi. en ce qu’elle implique un travail humain de l’intelligence qui reste, précisément, un travail purement humain. La foi est une pure adhésion à la Parole de Dieu, pour le motif même de l’autorité souveraine de Dieu révélant. Si l’homme a sa part dans l’expression de cette révélation divine, les énoncés humains de la Bévélation ne laissent pas d’être garan­ tis comme pure Parole de Dieu par le charisme de l’ins­ piration. La pari de l’homme est plus notable dans la formulation proprement dogmatique de l’objet de la foi, car le dogme, expression plus élaborée de la Bévé­ lation, est l’œuvre de l’Église. laquelle n’est pas ins­ pirée dans ce travail, mais seulement assistée ne errd. Le dogme est, à cet égard, de facture humaine; aussi ses formules nc sont-elles pas sans rapport avec l’état intellectuel du temps qui les voit naître. Cependant, le dogme n’est qu'une fixation officielle des vérités contenues dans la Bévélation ct déjà proposées par l’Église qui nous transmet avec autorité et l’Ecriture et les traditions. Le dogme nc fait qu’expliquer et expliciter le contenu réel de la Parole révélée, sans y rien ajouter. Aussi le travail humain peut-il être not able dans l’explication du donné primitif ct l'éla­ boration des formules dogmatiques; il n’enlrc cepen­ dant en rien dans la constitution intrinsèque de l’objet de l’adhésion religieuse. Cet objet demeure, sous une forme plus élaborée ct plus précise, Identiquement ce qu’il était, comme objet, dans la Bévélation prophé­ tique, évangélique cl apostolique. Non seulement on n’ajoute rien à son contenu, mais on ne change rien û ce qu’il est comme objet d’adhésion. La théologie, elle, s'efforcera bien de demeurer, pour l'expliquer intellectuellement et le construire scientifiquement, a l’intérieur du contenu des asser­ tions révélées : ainsi, Λ l'assertion de lu présence réelle du Christ vivant dans l'eucharistie, elle n'ajoutera pas une autre assertion; elle s'efforcera seulement de péné­ trer intellectuellement cl de construire scientifique­ ment la réalité affirmée. Mais ce qu’elle percevra cl affirmera dans l’objet révélé sera perçu et vu par elle grâce à un effort humain ct par l’emploi de moyens épistémologiques humains, pour qui ne valent ni l’as­ sistance dont bénéficie l’Église, ni ù plus forte raison l’inspiration qui est donnée au · prophète ». Dans la vision du théologien comme tel, le moyen humain, laissé à lui-même, Intervient comme principe même de connaissance; l’objet comme objet, c’est-à-dire comme terme de connaissance, est constitué par le mélange de deux lumières bien inégales en qualité et en certitude, celle de la vérité révélée cl celle de la raison humaine du croyant : deux lumières sc composant ensemble pour determiner un genre nouveau d’adhésion, celui du savoir théologlquc. Sur l'ensemble de la question et la 481 THÉOLOGIE. LA CONCLUSION THÉOLOGIQUE distinction entre dogme et théologie, ci, A. Gnrdcil, Le donné révélé ct la théologie, Paris, 1910; II. Pinard, art. Dogme, dans le Diet, apologét., t. i, col. 11 I 1 1 I 18 ct 1183. Cette distinction entre le dogme ct la théologie a toujours été, sous une forme ou sous une autre, recon­ nue et surtout pratiquée dans l’Église : ct ccd même lorsque, n’ayant pas encore nettement défini la théo­ logie comme une activité rationnelle ct scientifique du croyant, on ne laissait pas de distinguer entre ce qui est tenu unanimement par l’Église cl s’impose à la foi do tous, et ce qui est la manière de voir d’un individu proposant telle affirmation sous sa responsabilité personnelle, ou encore entre la simple affirmation des faits chrétiens, objet de la prédication ecclésiastique, ct l’cxp ication du comment ct du pourquoi, à laquelle s’efforce la prédication des docteurs. Orlgènc en avait déjà fait la remarque au début du De principiis. La distinction entre dogme et théologie n’a cepen­ dant pas toujours été assez présente à la pensée des théologiens et de ceux qui, sans l’être, ont touché au domaine de la théologie. Plusieurs des difficultés sou­ levées par les modernistes contre le dogme viennent d’un manque de distinction entre le dogme de l’Église cl les systèmes ou même la science théologiques. Ainsi de M. Ed. Le Roy dans son fameux article Qu’est-ce qu’un dogme? repris avec des éclaircissements dans Dogme et critique, Paris, 1907; ainsi encore de G. Tyr­ rell, cf. supra, col. 110. Ce fut donc l'un des bénéfices de la crise moderniste que de faire mieux distinguer du dogme la théologie, la science théologlquc ct les sys­ tèmes particuliers de théologie. Les éclaircissements donnés alors n’ont cependant pas suffi et l'on a vu. récemment, soulever contre le catholicisme des diffi­ cultés qui, arguant de la présence dans le dogme d’élé­ ments philosophiques périmés, reposaient pour une part sur la vieille méprise ct sur le manque de distinc­ tion entre dogme ct systèmes théologiques. Sur la dis­ tinction entre dogme et théologie, au moment du modernisme, cf. les interventions des PP. Scrtillangcs ct Allô dans le débat soulevé par M. Ed. Le Roy (bibliographie dans J. Rivière, Le modernisme dans l’Église, Paris, 1929, p. 250 sq.); A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910; L. de Grandmaison, Le dogme chrétien, sa nature, ses formules, son dévelop­ pement, Paris, 3· éd., 1928; H. Pinard, art. Dogme, dans le Did. apologet., t. i, col. 11 IG-11 18; R. Garri· gou-Lagrange, Le sens commun, la philosophie de l’être d les formules dogmatiques, Paris, 1909. C’est dans hi perspective de ce qui vient d’être dit sur dogme ct théologie qu’il faut comprendre la diffé­ rence entre la science théologiquo et les systèmes théo­ logiques et l’inévitable diversité de ces systèmes dans l’Église. Il y a la foi catholique,qui s’impose à tous les croyants, parce qu’elle n’est point particularisée dans la pensée d’un seul homme, mais qu’elle est le bien de rÉg.lse comme telle cl il y a l’élaboration humaine de cette fol, qu’est la théologie. Par le fait même que celte élaboration est l'œuvre de cioyants particuliers ct qu’elle s’opère par l’adjonction organique au dogme d’éléments empruntés à la connaissance rationnelle, son produit, la théologie, est nécessairement inadé­ quat à la fides catholica cl, un peu comme l’inadéqua­ tion des biens particuliers au bien universellement voulu fonde la liberté de choix, cette inadéquation justi Ile et. en quelque mesure, entraîne une certaine diversité de théologies. Cette diversité proviendra de trois sources principales : L La théologie, pas plus que la philosophie, n’est une œuvre absolument impersonnelle, une sorte de construction purement logique nu regard de laquelle In réalité concrète de l’homme pensant, son tempéra­ ment, son histoire, son expérience extérieure ct inle- | DICT. DE THÉOL. CATIIOL. 482 rie tire, pourraient être considérés comme amorphes. En philosophie, par exemple, ces choses, au contraire, orientent vers certaines attitudes qui commandent elles-mêmes les options inspiratrices du système. El certes la théologie a pour règle un donné proposé par un magistère ecclésiastique, comme la philosophie a pour règle le donné rait un grand rôle : ce serait la science de l’homme pru­ dent comme tel, du praticien, du directeur spirituel. Des théologiens ont agréé cette manière de voir. Ils ont pensé que la distinction proposée était de na­ ture à donner son statut A une «théologie ·ρΐπΙηοΙΙί », distincte de la théologie morale telle que la réalise la Somme de saint Thomas, laquelle ne serait qu'une élude spéculative de l'agir chrétien : ainsi A. Lcmonnycr. La théologie spirituelle comme science particu­ lière, dans la Vie spir., man 1932. Suppl., p. 158-166. fi semble bien que cette catégorie de théologie spiri­ tuelle » réponde a quelque chose : d’abord à un genre littéraire, celui des auteurs spirituel· >; ensuite à une utilité, voire à une nécessité pédagogique, car on ne peut bien enseigner les voies de la perfection chré­ tienne qu’en en faisant une étude spéciale; enfin à une certaine réalité psychologique, A cet état particulier que prend le savoir théologique chez le théologien vraiment animé par le zèle et le goût des âme*· Mais i il n'y a en tout cela rien qui justifie qu'on reconnaisse 1 à la théologie spirituelle la qualité d’une théologie spéciale, distincte comme savoir de In théologie en sa fonction pratique. A la critique, ce savoir interme­ diaire semble bien *e distribuer *ur les deux connais­ I sances morales, celle de la science théologique et celle de la prudence, à condition que l’on restitue ù celte dernière tout ce qui lui revient de connaissance et à la prcmièic la plénitude de son caractère pratique el la nécessaire information qu’elle reçoit de l'expé­ rience. celle d'autrui et la nôtre propre. Moyennant quoi la théologie spirituelle » ne serait que l’une des fonctions pralicpics de la théologie, dont il sciait légi­ time, pour le* raisons reconnue* plus haut et d’un point de vue pragmatique, de faire en quelque sorte une spécialité. C’est en ce sens que concluent les PP. Périncilc. Deman. Mennessier, Régamey; cf. la bibliographie. Sur la question de la science pratique et de la - théologie spirituelle · : J. Manlain, .Suint Juin de ta Croix praticien de la content plut ion, dans Études carinélitainei, avril 1931, p. 62-109; \ . Simon, Zlé/Texioo» sur la connut stance pratique, dans Ilevue de philos., 1932, p. 119-173; J. Maritain, Distin­ guer pour unir ou les degrés du savoir, Pari*, 1932, c. vm cl app. vit ; \. Lemonnyer, La théologie spirituelle comme science particulière, dans In Vie spir., mar 1932, Suppl·, p. 158-166, repris dan* Aolre cie divine, Ihiri*. 1936. p. 403•117; Y, Simon, Im critique dt la connaÎManct morale. Pari*. 1931; Th. Deman. Sur l'organisation du savoir moral, dan* Revue des sciences philos, tl thévl., 1931, p. 258-230; J. Périnolle, ibid., 1935. p. 731-737; J. Marilaln, Science el sagesse, Paris, 1935; L Mennessier,dans In Vie spir., juillet 19X5. Suppl., p. 56-02 et juillet 1936, p. 57-61; Th. Demon, Ques­ tions disputées de science morale, dans Hrvue des sciences philos, et théol., 1937, p. 278-306; M. Labourdette, ('onnaissance spéculative et connaissance pratique, dans Hevuc tho­ miste, 193S. p. .561-568: P. Hégamcy, Inflexions sur la ‘ théologie spirituelle, dan.* la Vfc spir., décembre 1938, Suppl., p. 151-166, el janvier 1939, p. 21-32. 2° l.a théologie est sagesse. — Dans la question de la Somme, comme saint Thomas s'était demandé, à Pari. 2, si renseignement chrétien vérifie la qualité de science, il sc demande, à Part. 6, s’il vérifie celle de sagesse; et. In Sent., prol,, a. 3. sol. 1; in Ι1Ι9Λ Sent,, dist. XXXV, q. il. a. 3, sol. 1 ; In Boet.de Trin., q, n, a. 2. ad luM. Comme il le fait toujours dans le* articles de ce type, saint Thomas rappelle quelles sont les conditions de la sagesse, puis en esquisse l'appli­ cation à la sacra doctrina. Dans chaque ordre de choses, dit-il. le sage est celui qui détient le principe de l’ordre, lequel donne à tout le reste son sens el sa Justification. G’esl pourquoi le savoir qui a pour objet la cause première et univer­ I selle, le principe souverain de toutes choses, sera la sagesse suprême, la sagesse pure et simple. C’est le eu* 487 THÉOLOGIE. CONDITIONS DE TRAVAIL de la sacra doctrina ou enseignement chrétien, dont la théologie est la forme scientifique. La théologie est vraiment un critère dernier cl universel; elle est reine ; ct dominatrice de tout savoir; on peut lui appliquer le mot dc saint Paul : Spiritualis judicat omnia. De là découlent les conséquences suivantes : L La théologie étant sagesse, c'est-à-dire science suprême, n’a rien au dessus d’elle. Dans l’échelle des sciences, chaque discipline prouve ses propres conclu­ sions. mais laisse à une discipline supérieure le soin de défendre ses principes; mais la science suprême assure elle-même la défense de scs propres principes ct des principes communs de toutes les autres sciences. C’est ainsi que la métaphysique sc développe en < critique » pour défendre la valeur des principes premiers de la raison ct la validité de la connaissance elle-même. De même la théologie doit-elle défendre scs principes, qui sont les vérités révélées proposées par l’Eglise. Elle le fait en sc développant en une partie critique qu’on appelle apologétique ou encore théologie fondamen­ tale, sans préjudice dc la défense particulière dc tel ou tel point que la théologie assure dans scs différents traités, cf. ici. art. Dogmatique, t. iv, col. 1528, et supra, col. 130. Ccttc idée dc l’apologétique conçue comme critique théologique et comme partie de la théologie nous paraît la plus satisfaisante; c’est celle qu’appuient les textes dc saint Thomas, Sum. thcoL, b, q. f. a. 8. ct b-II·, q. lvii, a. 2. ad 2um; c’csl celle qui est défendue ici ή l’art. Apologétique par M. Mai- ‘ sonneuve et à l'art. Crédibilité du P. A. Gardcil, ainsi que dans La crédibilité d l'apologétique, du même auteur, 2· éd., Paris, 1912, par J. Didiot. Logique surnaturelle objective, p. v-vi et 4, par le P. Garrigou-Lagrangc, De revelatione, t. i. 3· éd.. Borne, 1931, p. 3 sq.. 13 sq., 52 sq., L'apologétique dirigée par la foi, dans Revue thomiste, 1919. p. 193-213 ct L'apologétique d la théologie fondamentale, dans llevue des sciences philos, d IhéoL, 1920, p. 352-359. 2. Lu théologie est apte à utiliser pour sa propre fin toutes les autres sciences; elle est fondée également, dans les conditions qu'on précisera plus loin, à exercer à l’égard de toutes autres sciences une certaine fonc­ tion dc règle ct de contrôle. Cc qui, d’ailleurs, com­ porte pour ccs sciences un bénéfice de sécurité ct de vérité. 3. D’un côté par le fait qu’elle utilise le service de nombreuses sciences auxiliaires, d’autre part en raison de l’ampleur ct de la richesse de son objet, la théologie a une diversité dc (onctions et dc parties, telle qu’aucune science purement rationnelle n’en présente de pareille. 4. La théologie tient de sa qualité dc sagesse su­ prême, ct donc de modératrice des autres savoirs, un rôle d’accomplissement, d’unification ct d’organisa­ tion à l’égard des acquis spirituels de l’homme. C’est grâce à elle ct soit à son service, soit sous sa direction, que les diverses acquisitions dc l'intelligence peuvent être orientées vers Dieu ct tournées à son service, non pas seulement du point dc vue de l’exercice et dc l'usus. mais selon leur contenu et leur richesse intrin­ sèque eux-mêmes. C’est pourquoi la théologie, comme sagesse, apparaît comme le principe nécessaire, sinon â tel ou tel individu, du moins à la communauté comme telle, d’un humanisme chrétien et d’un état chrétien dc la culture. Un siècle laïcisé veut nécessai­ rement qu’on supprime les facultés de théologie ou qu'on en nie la raison d’être, cf. supra col. III. Le danger de la théologie serait ici dans son point de vue supérieur lui-même, qui pourrait tourner en men­ talité théologique simpliste; si c’est une erreur de n’admettre que des causes immédiates ct de rester ainsi dans les limites d’un point de vue étroitement technique, ç’en est une autre de ne s’attacher qu’à l’explication transcendante, par la cause efficiente et 488 finale dernière, en négligeant les causes iinmcdlatei. Ccttc mentalité aboutirait à des résultats parfois désastreux : en politique, à un régime Ihéocratiqucqui pouralt bien dégénérer en cléricalisme, en mystique à un faux surnaturalisme, en apologétique ù un concordismc facile, parfois malhonnête, où la vérité, au lieu d’être recherchée et servie, serait utilisée cl tru­ quée, etc. 3° L'habitus de théologie est-il surnaturel? — On con­ naît la position de Contenson, Theologia mentis et cor­ dis. 1. I. præl. I. c. π. specui. 3, éd. Vivès. 1875.1.1, p. 11 sq. Se fondant sur le fait, admis par tous les tho­ mistes, que la théologie est surnaturelle radicaliter, originative, en sa source ou racine qui est la foi. il veut qu’elle soit aussi surnaturelle enlitative : car 1. son objet et sa lumière sont surnaturels, dépassant toute adhésion humainement possible; 2. le motif de l’assen­ timent donné aux conclusions n’est pas le discours humain, mais la vérité de la foi que le discours ne fait qu’appliquer; 3. la théologie a des caractères tels qu’ils ne peuvent appartenir qu’à un habitus surnaturel, tels que d’être subalternée à une science proprement sur­ naturelle, d’être plus certaine que tout savoir natu­ rel. etc. L’intention de Contenson est de marquer fortement l’homogénéité objective de la théologie à l’ordre de la foi. Mais Contenson admet que la théologie est un habitus acquis, dont le rôle est de disposer les facultés, non de donner la puissance elle-même. Il est donc fort éloigné de l’opinion apparen ce à celle d’Henri dc Gand ct curieusement soutenue de nos jours par J. Di­ diot, Logique surnaturelle subjective, théor. xxn. 2e éd., d’un habitus theologicus infus. On ne peut ce­ pendant pas tenir avec hii pour un habitus intrinsè­ quement surnaturel : car l’objet de la théologie n’est pas purement et simplement surnaturel, non plus que sa lumière, non plus que sa certitude : objet, lumière ou motif d’adhésion, certitude, sont bien d’origine surnaturelle et participent dc la quali’é surnaturelle de leur racine, la foi; mais objet, lumière et certitude sont intrinsèquement modifiés par le fait qu’ils sont considérés par la théologie dans le rayonnement qu’ils prennent par l’activité rationnelle dc l’homme croyant, laquelle peut bien être dirigée, fortifiée cl surélevée par la fol, mais non formellement prise en charge ct qualifiée par elle. L’objet qui finalise, ter­ mine et qualifie le travail théologique n’est pas pure­ ment ct simplement surnal urcl, mais bien cc qui est vu par la raison erogante dans l’objet surnaturel de la fol. //. coxntTtoxs nu travail et du progrès th£oMGiqüES. — 1° Théologie et vie spirituelle. — Il y a Heu d’abord dc montrer comment la vie religieuse cl la spéculation théologique s’unissent ct cc qu’elles reçoivent l’une dc l’autre. 1. Ce que la théologie apporte ù ta vie religieuse. — Elle est, pour la vie spirituelle, une sauvegarde ct un aliment; elle l’empêche dc s’égarer, clic la préserve du subjectivisme sous toutes ses formes ct du particula­ risme mal éclairé; cf. Garrigou-Lagrange, La théologie d la vie de la foi, dans Revue thomiste, 1935, p. 492 sq.; De Dco uno, p. 30 sq. Elle lui permet dc rayonner plus complètement dans l’homme, car elle étend le règne lumineux de la fol sur un plus grand nombre dc convic­ tions, de conséquences et d’aspects. Enfin, la théologie est une œuvre éminente de fol et de charité, un culte très élevé rendu à Dieu, car elle lui consacre notre raison comme telle, achevant la consécration que la foi lui avait faite de notre entendement comme tel. Pour saint I hoinas, l’œuvre théologique représente une consécration de la raison humaine comme raison, en scs acquisitions, scs procédés, son efllcaclté. Elle procède d une fol fervente et en augmente le mérite, I Sum. theol., lb-Il·, q. n, n. l0; clle rëal|sc k pf0. 489 THÉOLOGIE. CONDITIONS DE TRAVAIL 490 gramme tracé par saint Paul : In captivitatem redi gen2® La vie du théologien dans Γ Église. — 1. Le théolo­ les omnem intellectum in obsequium Christi. II Cor., x, gien doit vivre dans l'Église. — Cela lui est nécessaire 5. Sc vouer à l’étude théologique est une œuvre émi­ a plusieurs titres : a/ du fait que la théologie est nente de la foi et dc la charité et peut, à cc titre, deve­ science, elle suppose collaboration ; or, Il s’agit d'abord nir une matière spéciale dc religion et la fonction dc de la collaboration des autres croyants, soucieux de choix d'un ordre religieux. S. Ί homos, Sum. theol., porter leur foi à un état rationnel et scientifique, par II·-!J·, q. cixxxvm, a. 5; Contra impugnantes Del où nous voyons que le théologien ne peut s’isoler de la communauté des croyants qui est l’Eglise. — b) La cultum, c. xi. 2. Ce que la vie spirituelle peut ct doit apporter à la théologie est dépendante, dans son développement, du théologie. — Tout d’abord, la grâce de la foi est cons­ développement dc la foi. Or, d’après saint Paul, titutionnellement nécessaire à la théologie, cf. supra, Eph,, IV, 13; Phil., i. 9. etc., le développement de la coi. 151 sq. Chez le théologien qui viendrait Zi perdre foi en connaissance, γνώσις. est lié à notre croissance la foi, l’habitus de théologie disparaîtrait ; il s’y substi- i dan- le corps mystique, comme membre dc ce corps. tuerait un habitus opinatif qui n'aurait plus aucun — c) La condition d’une connaissance orthodoxe des rapport avec cette science de Dieu ct des bienheureux objets dc la fol est la communion dans l'Église catho­ ù laquelle la théologie s’appuie ct en laquelle elle tend lique, car la droite vue dc ccs objets est donnée par le à sc résoudre. Il convient pourtant de noter que la Saint-Esprit, lequel ne dévoile la vérité qu’à ceux qui théologie n’est pas liée à la charité du point de vue dc vivent dans la communion dc l'amour ;cf. M.-J.Congar, sa structure noélique; comme nous l’avons vu, col. 185, L’esprit des Pères d’après Môhler, dans la Vie spir., avril 1938, Suppl., p. 1-25, ct dans L'Église est une. le mode de son union à son objet est intentionnel ct intellectuel, non réel ct affectif : ce qui est dc nature â Hommage à MOhler. Paris, 1939. p. 255-269. — d) Le mettre au point certaines formes dc Lebenslheologie, critère dernier ct finalement seul efficace dc ccttc con­ voir supra, col. 446, 117, ct l'augustinisme bonavennaissance orthodoxe est l’Église enseignante : car lurien tel que le présente le P. Th. Soiron. Heilige l’Église ne peut vivre comme corps ct ecclésiastique­ ment dans l’unité dc la vérité, que grâce à un critère Théologie, Paderborn, 1935, p. G5 sq., 68, 76 sq. Il faut cependant bien voir tout cc qui manquerait ecclésiastique d’unité ct dc croyance. M.-J. Congar, Chrétiens désunis, p. 105 ct 166. C’est pourquoi, tant à à la théologie d’un théologien qui aurait perdu l’état propos de Vauditus fidei ct de la théologie positive, de grâce. 11 lui manquerait d'abord le moteur religieux qu’à propos de Vinielleetus fidei et dc la théologie spé­ dc sa recherche ct les conditions sans lesquelles il n’aura plus dc goût pour la théologie; il n’aura pas le culative, nous avons marqué plus haut la nécessite, pour le théologien, dc sc référer sans cesse à l’ensei­ goût de tirer de ses principes les conclusions pratiques qui intéressent la vie, non plus que de contempler les gnement de l’Église, d’avoir le sens dc l’Église ct le sens du magistère. mystères qui sont liés aux attitudes les plus délicates La théologie sans doute est une science, mais c’est dc l’âme : les vérités concernant la vie spirituelle, les un fait que les Pères ct les plus grands théologiens ont anges, la sainte \ ierge, le péché et la pénitence, etc. orienté leur travail vers la satisfaction des besoins dc bref, toutes les choses qui accompagnent ce qu’on l’Église à un moment donné : défense de la foi, besoins appelle l’esprit de foi. spirituels des âmes, exigences ou amélioration de la Mais la charité, le goût et une certaine expérience formation des clercs, réponse à des formes nouvelles personnelle des choses dc Dieu sont nécessaires surtout pour que le théologien traite les mystères et parle de la pensée ou à des acquisitions nouvelles de l’intel­ ligence. Si l’on soustrayait dc la théologie les œuvres d’eux de la manière qui leur convient. Bien que l’objet qui répondent à ces dix ers appels pour ne garder que dc la théologie soit de l'intellectuel et du scientifique, il est surnaturel par sa racine ct essentiellement reli­ celles dont le seul souci du savoir a été l’inspirateur, on gieux par son contenu, ea quorum visione per/ruemur rayerait la plupart des plus grands chefs-d’œuvre. Toutefois cc serait un danger d’accentuer ou de déve­ in vita irlcrna et per quir ducimur in vitam (clernam. La connaissance de foi, qui donne à la théologie ses prin­ lopper. aux dépens d’un équilibre authentique «le la doctrine cl parfois même aux dépens de la vérité tout cipes, ne se termine pas à des énoncés, à des formules, court, les thèmes qui « rendent » à un moment ou dans mais Zi des réalités qui sont les mystères de la vie de un milieu donnés. Le théologien ne doit pas sc refuser Dieu ct de notre salut; et nous avons vu plus haut, col. 176. combien la foi tendait à la perception surna­ à travailler pour le service de l’Église; mais, pour éviter turelle des réalités divines. Il conviendra donc que le ce danger qui. scientifiquement, ressemblerait à l’ama­ teurisme, il doit aussi entourer son travail des condi­ théologien mène une vie pure, sainte, mortifiée, tions qui sont dc rigueur pour tout travail scientifique : priante. Son travail ne peut bien se f; ire qu’avec le des exigences critiques, un certain recul par rapport secours de grâces actuelles et sur la base d’un certain potentiel religieux. Et si. d’après saint Thomas» les à l’actualité immédiate, une atmosphère de désinté­ ressement ct dc contemplation, une part dc loisir, de dons d’intelligence ct de sagesse sont nécessaires au dépouillement et de solitude. fidèle pour percevoir droitement le sens des énoncé? dc 2. L’Église doit laisser ou procurer au théologien les la foi, on peut penser (pie le théologien ne saurait se conditions de liberté qui sont nécessaires à son travail. — passer de leur secours. Sur la nécessité de conditions Non que l’on veuille en aucune manière réclamer la momies pour la connaissance des choses spirituelles, liberté de l’erreur ou le droit à l’erreur. Mais 11 s’agit nombreuses références aux auteurs anciens dans simplement de tirer une conséquence nécessaire de la M. Schmaus, Die psycholoqische Trinitâlslehre des ht. Augustinus, Munster, 1927, p. 171, η. I. Plus spécifi­ distinction, expliquée plus haut, col. 480, entre dogme quement sur les conditions spirituelles du travail théo­ ct théologie. L’Église enseignante propose et interprète la foi avec l’autorité souveraine du magistère aposto­ logique el l'influence dc la vie religieuse : Scbeeben, lique. Mais, à l’intérieur de cette unité de la foi dont elle Dogmatique, t. i, n. 997-1010; Mijsterien des Christenest gardienne cl Juge. U y a place pour une recherche dc turns, S 108; J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, type scientifique, que le théologien mènera sous sa tliéor. lxxxi sq., 2· éd., 1894, p. 503 sq.; J. Bilz, propre responsabilité et pour laquelle vaudra l’axiome : Ein/ûhrung in die Théologie, Fribourg-cn-Br., 1935, /n necessariis unitas, in dubiis libertas. p. 73 sq.; Fr. Diekamp. Theologia? dogmatica· manuale, Ainsi cette distinction entre le dogme ct la science 1.1, Paris, 1933, p. 86; R. Garrigou-Lagrange, La théo­ théologique correspond-elle à une différenciation fort logie et la vie de la foi, dans Revue thomiste, 1935. importante, au sein dc l'Église. dans les fonctions relap. 492 sq.; De Deo uno, Paris, 1938, p. 30 sq., etc. 491 THÉOLOGIE. SES DIVISIONS lives a la sacra doctrina, à la vérité sacrée. Le service de cette vérité sc fait en effet selon deux modes qu’on ne saurait bloquer sans dommage, La question propre­ ment dogmatique est une fonction de conservation el de continuité; elle doit transmettre à chaque généra­ tion ce qui a été depuis toujours transmis; il ne lui revient pas de f.iire a proprement parler progresser la connaissance intellectuelle, mais de garder le dépôt, d’en déclarer le sens d’une manière authentique; cf. Denz.. n. 786, 1636, el surtout 1800. C'est le rôle du magistère hiérarchique. La fonction scientifique el proprement théologique, par contre, est mie fonction d'initiative cl de progrès : non pas, proprement, une fonction de conservation, mais une fonction de recher­ che, voire d’invention. Car, si la théologie travaille sur un donné immuable ct auquel on ne peut ajouter, elle est elle-même une activité d’explication grâce à l’intervention active de ressources rationnelles; aussi lui arrive-t-il de dépasser, à ses propres risques, les affirmations du dogme à un moment donné, tentant des synthèses là où celui-ci ne donne que des éléments, abordant des problèmes pour lesquels celui-ci ne four­ nil qu'un point de départ plus ou moins lointain, bref exerçant la fonction d'initiative et de recherche qui est celle de la science. B. Poschmann, Der Wissenschaftscharakterderkathol. Theol., Breslau, 1932, p. II15; A.-D. Serlillangcs. Le miracle de T église, Paris, P‘33, p. 91. Aussi le travail théologique, comme tout travail scientifique, demande-t-il, par le côté où il est recher­ che el non tradition, une certaine liberté. 11 est en effet rigoureusement impossible à la théologie de remplir sa (onction propre, si on lui ferme la possibilité d'essais, d'hypothèses, de questions cl de solutions qu’on met en circulation non pour les imposer comme des choses oéQnies et définitives, mais pour leur faire subir l’épreuve de la critique ct faire jouer, à leur profit comme au profit de tous, la coopération du monde qui pense et qui travaille. Se refuser, dans ce domaine, à courir le moindre risque, vouloir que le théologien ne fasse que répéter ce qui a été dit avant lui et n’énonce que des choses certainement irréprochables ct inacces­ sibles à la critique serait méconnaître le statut propre de la théologie et par là préparer sa décadence. Comme Benoit XV le déclarait, le 17 février 1915, au P. Lcdoebowski, S. J., il faut laisser, dans les matières qui ne sont pas de la Hévélation, la liberté de discus­ sion : Timere se potius ne hac Ubertate pnccidenda ala· simul ingeniorum inciderentur cum damno profun­ dioris studii theologici. Revue du clergé français, 15 juin 1918. p. 116; Rev. apol., t. xxxvi, 1926, p. 307. C’est ce droit à proposer, en matière non définie, pourvu que ce soit dims le respect de la fol, des opi­ nions ct des interprétations diverses, que réclamait, par exemple, au xni» siècle, un Bernard de 'Vrilla : cf. le texte de son Mémoire justificatif, publié par P. Glorieux, dans Revue des sciences philos, ct théol., 1928, p. U2 el 121. Aussi bien le Moyen Age connut-il précisément, eu ce domaine, un régime de liberté qui permit la pleine floraison de la théologie. 3° Le progrès de la théologie. — Que la théologie pro­ gresse, c’est bien évident, puisque la connaissance dog­ matique elle-même progresse cl, pour une grande part, grâce a la théologie. On peut, semble-t-il. analyser les conditions du progrès de la théologie selon ces divers aspects. Le progrès atteint d’abord la théologie au titre général de science. Elle se développe dans un régime d< collaboration ct par le commerce des spécialistes, grâce aux organes normaux d’un tel commerce : univ mités, Instituts de recherche, congrès, collections, revues avec leur partie de critique bibliographique. Par ce côté, le progrès de la théologie est, au moins en 492 partie, solidaire du progrès dans les autres sciences ; sciences historiques, philologiques, liturgiques, socio­ logiques, etc. Par ce côté aussi, la théologie suivra en quelque mesure la loi de tout progrès qui se fait par spécialisation. Il appartiendra au théologien vraiment soucieux de la vitalité et du progrès de sa discipline de s'informer du progrès de toutes ces sciences dont 11 peut faire des auxiliaires de son travail. Et en effet, le progrès atteint encore la théologie comme science d'un donné. Si progresser, pour tout être, c’est tendre à son principe, le progrès de la théo­ logie consistera dans l'intelligence du donné tel quel de la prédication apostolique plus encore que dans le raffinement de la systématisation. Aussi la loi qui est celle de tout progrès vaut-elle d’une façon plus rigou­ reuse pour la théologie, qu'il n'y a de progrès véritable ct de renouvellement fécond que dans la tradition. La nouveauté ct le progrès, en théologie, ne sont pas dans un changement affectant les principes ou le donné, mais d’abord dans une prise de conscience plus riche ou plus précise de ce donné lui-même. Plusieurs ques­ tions de théologie peuvent être reprises, parfois révi­ sées ou orientées d’une manière plus heureuse, par une élude plus critique du donné qui les concerne. C’est le cas, par exemple, de la notion de tradition, cf. supra, col. 161; ce pourrait être le cas, sans doute, pour plus d’une notion d'ccclésiologie ou de théologie sacramentaire. Cf., pour l’ensemble de la question du progrès en théologie, J. Kleutgcn, Die Théologie der Vorzeit vertheidigt, l v, 2’ éd.. Munster, 1871, p. 132-190; M.-.J. Schechen, Dogmatique, t. I, n. 1011-1020, trad, franç., p. 610 sq. V. Divisions ou parties de la théologie. — La création progressive des diverses spécialités dans la théologie ne représente pas qu’un processus de désagrégation ou de décadence, mais bien aussi un processus normal de développement. Le progrès en­ gage généralement une certaine spécialisation et donc une certaine division. Dans la partie historique de cet article, nous avons assisté à des spécialisations suc­ cessives au sein de la science sacrée : division de l’en­ seignement en lectio et quœstio, en commentaire de l’Ecriturc et disputes dialectiques, naissance d’une théologie positive cl d’une théologie biblique, spéciali­ sation d'une théologie morale, d’une théologie ascé­ tique ou mystique séparées de la dogmatique, création d’une apologétique, développement séparé de la théo­ logie polémique.·· Dans les tendances de restauration ct de rénovation religieuses du début du XIXe siècle, s’est formée une · théologie pastorale ». Nous avons vu aussi comment, vers la fin du xviu· siècle, tout un mouvement s'était développé dans le sens d’une réintégration des différentes parties ainsi divi­ sées dans un ensemble organique, dans un < sys­ tème » dont les différentes parties seraient comme le développement d une idée unique. C’esl alors qu’on écrivit, surtout en Allemagne, des Encyclopédies dont l’objet était une distribution logique des sciences sacrées selon leurs articulations naturelles, cf. supra, vol. 131. On trouvera un tableau de la distribution des disciplines théologiques telle que la proposaient Dobmaier, Drey, Klee ct Staudcnmaicr, dans l'ar­ ticle Théologie du Diet, encyclopédique de la théo­ logie catholique de Goschlcr, traduction de la Ie* éd. du Kirchenlexikon de Wctzer et Welle, t. xxm, p. 31 I sq.; cf. aussi l'article Encyklopüdie de la Prol. I RealencyklopOdte, 3* éd., t. v, p. 351-361. Les auteurs modernes d’introductions à la théologie présentent aussi, en la Justifiant, une distribution de la théologie selon ses diverses parties ou sciences auxiliaires. Voici, par exemple, comment J. Bilz, qui semble s’inspirer un peu de Drcy, divise et organise la théologie, soit dans son Einführung in die Théologie, Fribourg-cn-B., THKOLOC.il 493 SES DIVISIONS 1935. p. 49 sq., soil dans Particle Théologie du Lexikon fût Theol. u. Kirche, 1938, col. 71 $q. : Disciplines auxiliairi s : Philologie biblique. herméneutique, géographie, chrono­ logie ct archéologie bibliques; paléographie, épigruphie, diplomatique, chronologie, geographic, philologie. Théologie ιπιοιήι ment dite : Apologétique, pu h Introduction à la théologie ou Ency­ clopédie. . Introduction. hist. biblique Exégèse \ * Théologie biblique. Théol. historique . f hbt.de . , , « "Eglise i’ du dehors . . , i du dedans (les Idées). : nombreuses subdivi­ sions. .a I positive ogmn que ( sp^cll|llt jvo (branches i spéciales; symbolique, Théol. doctrinale ’ étude des confessions j chrétiennes). ' Morale (dogmata morum/, plus ou moins pratique, avec l'ascétique et la mystique. Droit canon (avec spécialités : droit des religieux, etc.). (magistère) : homl. létique, catechisti...... . . ’ que. ' Théol. pastorale:- (saccrdoce) . lltur. * gique. (gouvernement) : théologie pastorale proprement dite, avec, comme scien­ ces auxiliaires, lu pédagogie, la méde­ cine, la psychlAtric. S Une rapide réflexion critique montre qu’il n’y a pas, dans ces diverses disciplines, différentes théologies mais une distribution d'une unique théologie, faite d’un point de vue pédagogique. C’est en réalité une division ct une distribution de la matière complexe de renseignement ecclésiastique dans les universités el les séminaires. Il en est de même de l’énumération (pic présentent un certain nombre de documents officiels concernant les études des clercs.' Voici les principaux, où sc trouve généralement une distribution de la théo­ logie en dogmatique, morale (avec annexion du Droit canonique cl de la sociologie). Écriture sainte (divisée en Introduction générale ct exégèse), histoire ecclésias­ tique; cf. lettre de la Congrégation du Consistoire, Le visite apostoliche, aux évêques d’Italie, IG juillet 1912, dans Enchiridion clericorum, Borne, 1938, n. 871 sq.; Codex juris canonici, can. 1365; lettre de la Congrégation des universités et séminaires. Ordina· menlo dei seminari, 26 avril 1920, aux évêques d’Ita­ lie, dans Enchir. clcr., n. 1106. 1111; lettre Vixdum hire Sacra Congregatio de la même Congrégation aux évêques d’Allemagne. 9 octobre 1921, ibid·, n. 11311139; constitution Deus scientiarum Dominus sur les universités ct facultés d’études ecclésiastiques, du 21 mai 1931 ct règlement annexe, dans Acta apost. Sedis, t. xxiii, 1931, p. 211-262, trad, française dans Documentation cathol., 15 août 1931, col. 195 221. Ces documents donnent, sur l’objet, la méthode, l’impor­ tance ct l’esprit de la théologie, des indications assez nettes ct extrêmement précieuses. Mais que rémuné­ ration qui est faite IA des matières principales, auxi­ liaires cl spéciales (telle est In division adoptée) ne prétende à aucune portée spéculative, on le voit assez soil par le but ct la qualité de ce document, soit par ce 494 qu’il déclare lui-même, soit par la manière dont des membres qualifiés des grands corps enseignants catho­ liques ont glosé ce dispositif ; cf. Ch. Boyer, dans les Études, 5 octobre 1931, p. 16; Gregorianum, 1936, p. 159-175; J. de Ghellinck, dans Nouvelle revue théol., novembre 1931, p. 777. Il n’y a donc pas lieu de chercher dans ces docu­ ments une division scientifique de la théologie en ses parties nécessaires, mais bien une organisation et une distribution de l’enseignement des sciences ecclésias­ tiques. Quand la lettre Ordinamento, op. cil., n. 1110, la lettre Vixdum hæc, op. cil., n. 1135 cl la constitu­ tion Deus scientiarum parlent de théologie a.scéticomystique comme d’un complément de la morale, elles n’entendent nullement prononcer que ces disciplines ont un statut épistémologique séparé, mais simple­ ment donner une direction pour un enseignement com­ plet de la morale. De même, quand le Code, can. 1365, § 3 ct Pie XI, dans la lettre Officiorum omnium du 1er août 1922, Enchir. cler., n. 1157, parlent de théo­ logie pastorale, ils ont en vue de promouvoir une réalité pédagogique cl non de définir une spécialité épistémologique. Et ainsi du reste. La voie est donc libre pour concevoir, selon l’idée qu’on sc fait de la théologie, l’unité de celle-ci et la distinction de ses parties. La théologie, en elle-même, est une, clic a un unique objet formel quod ct quo, à savoir le mystère de Dieu révélé, en tant qu’il est atteint par l’activité de la raison à partir de la foi. Celte définition, en même temps qu’elle exprime l’unité essentielle de la théolo­ gie. nous fait pressentir la complexité de ses éléments et des apports qui l’intègrent : donné positif extrême­ ment complexe et dont une connaissance vraiment scientifique engage bien des disciplines, apport ration­ nel, possibilités considérables de développements et d’applications. La théologie, étant une sagesse, sc subordonnera normalement une pluralité de méthodes el de données, les orientant vers son service tout en leur laissant leur autonomie. Parce qu’elle utilise ainsi ù son service une pluralité de sciences, tout en res­ pectant les conditions propres de leur travail, la théo­ logie aura donc, à l'intérieur de son activité à elle, plusieurs actes ou méthodes partiels qui joueront leur rôle dans sa constitution intégrale. Celle assomption d’instruments, de disciplines el de methodes auxi­ liaires sc fera en théologie, plus particulièrement, à deux moments : quand elle recueille son donné el quand elle pousse l’application de ses principes dans les différents domaines de l’activité proprement reli­ gieuse. C’est pourquoi deux auteurs récents, qui se rattachent à la tradition thomiste, G. Habeau el J. Brinklrinc, ont distribué les parties auxiliaires de la théologie selon ces deux moments : la préparation el l’application ou exécution du travail de la théologie. Voici comment G. Bnbeau résume sa pensée, Introd. à l'étude de la théol., p. 235 : Sciences Instrumentales préparatoires : _______________ I_______________ Philologie sacrée Histoire sacrée Théologie biblique et histoire des dogmes i i i j langues Archéo- de In de Γ sacrées logie Hévélation Eglise Théologie spéculative Sciences instrumentales exécutoires : I . . ' . . I dans la sic en général dans le culte dans l'enseignement Droit canon Liturgie Théologie pastorale 495 THÉOLOGIE ET AUTKES SCIENCES 496 El \oici comment J. Brinktrine schématise sa divi­ dérer comme parties potentielles de la théologie In sion. Zur Einteilung der Théologie und zur Gruppicusages différent s et inégaux qui y sont faits de la raison rung der einzelnen Disziplinen, dans Théologie und théologique, c’est-à-dire de la raison habitée, éclairée Glaubc, 1934. p. 569-575 et dans Of/enbarung und | cl positivement dirigée par la foi. C’est pourquoi le Kirche. Eundamental-iheotogische Vorlesungen, t. i, P. Gardeil faisait de l’apologétique une partie poten­ Paderborn, 1938. p. 26 : tielle de la théologie, ordonnée à un aspect secondaire de l’oblet de celle-ci, la crédibilité naturelle, cl n’usant Rubric istlque pour sc fonder que des ressources de la raison critique de laquelle relève celte crédibilité naturelle. Repue il·* Catéch Istiquc Droit ca nonique J k sciences philos, el theol., 1920, p. 652. Mais, si l’on con­ Théologie pastorale Homilétiquc sidérait l'apologétique comme un traité spécial étu­ A A diant Dieu révélant, comme un De revelatione, on h _______ 1 1_______ rangerait à cet égard parmi les parties intégrantes, et c’est ce (pie fait le P. Garrigou-Lagrange, De revelatione, Église t. i, p. 66. Peut-être pourrait-on de même considérer Théol. mystique -<-----comme des parties potentielles ces disciplines instru­ Dons du S.-E. mentales auxiliaires que G. Babeau appelle > sciences i----- ► Théol. casuistique préparatoires » : l’exégèse, l’histoire des dogmes cl des Péchés institutions, la philologie sacrée, etc. Non pas que ces Théol. liturgique <------------ ; sciences ou parties de sciences, considérées en ellesReligion mêmes, soient proprement de la théologie : I histoire |----------- ► Théol. ascétique des dogmes est formellement de l'histoire cl la philo­ Vertus logie sacrée de la philologie; mais, si l’on considère ces I Théologie disciplines dans l’usage qu’en fait la théologie cl en dogmatique tant qu’elles se subordonnent à elle el obéissent à sa morale direction pour le service de sa fin, alors elles devien­ fondamentale nent comme des appartenances de la théologie; elles Théol. biblique a a Théol. historique peuvent alors être considérées comme se trouvant dans une situation semblable à celle de l'apologétique, dis­ (l'ordre logique do Ioctlire est de bas en haut) cipline où la raison théologique ne sc produit que selon une partie de sa vertu, n’usant que de ressources Nous ne nous attarderons pas ici à définir chacune des purement rationnelles, mais sous la direction de la fol, disciplines particulières qui interviennent en théologie, non plus que chacune des parties de la science théolo­ et atteignant l'objet de la théologie selon quelque aspect secondaire de celui-ci. Car c’est bien l’objet gique. Voir l’exposé très compétent de G. Babeau, sacré» en tant que sc trouvant dans telle ou telle condi­ op. cit., p. 231-327 et ici, aux mots : Apologétique, tion semblable aux conditions des documents histo­ Archéologie chrétienne, Ascétique, Casuistique, Catéchisme, Dogmatique, Droit canonique, Exé­ riques, que ces disciplines considèrent, el cela les fait relever de la théologie à un titre spécial. A ce compte, gèse, Fondamentale, Interprétation de l’Écri­ les sciences auxiliaires préparatoires, telles que l’exé­ ture, Liturgie, Morale. Mystique, Pères (t. xn, gèse. l’histoire des doctrines el des institutions, etc., col. 1199 sq., sur Patristique, Pathologie, etc.). pourraient être envisagées comme des parties poten­ Philosophie, etc. Nous préférons donner rapidement, tielles de la théologie; mais on pourrait aussi les consi­ d’un point de vue spéculatif, un classement des parties de la théologie. dérer comme des sciences indépendantes dont la théo­ logie utilise les services, comme elle le fait aussi de la On peut distinguer un tout du point de vue de scs parties intégrantes ou du point de vue de ses parties philosophie. potentielles. G. Babeau, Introduction à Véludc de la théologie, Paris, Les parties Intégrantes sont celles qui font l’intégrité 1926, III· partie; .1. Bilz, Einfûlirung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935, p. 19-63; J. Brinktrine, Zur Elnltidu tout, comme les membres font celle du corps. A cet lung drr Théologie und zur Gruppierung der einzelnen DUxfégard, les parties de la théologie sont : 1. du point de vue de sa méthode ou de son objet formel quo, les plinrn, dans Théologie und Glaubc, 1931, p. 369-575; Zur Einteilung und zur Stcllung der LUurgik innerhalb drr deux actes qui intègrent son travail, à savoir Vauditus Théologie, ibid., 1936, p. 388-599; Welches ist die AuIgabc fidei porté à un état rationnel et scienti lique dans sa und die Stcllung der Apologrtik innerhalb der Theologici fonction positive, et Vintellectus fidei porté à son état Ibid., 1937, p. 31 I sq. — Sur l'apologétique, cf. aussi supra, rationnel et scientifique dans sa fonction spéculative. col. 130 ot A. de l’oulphpiet, Apologétique el théologie, dans Hcuue des sciences philos, el théol., I. v, 1911, p. 71)8-734; — 2. Du point de vue de sa matière ou de son objet formel quod, les différents traités par lesquels elle con­ supra, art. Dogmatiqi i , t. iv.col. 1522; Diet. apologéi., 1.1, sidère son objet selon tous scs aspects : De Dco uno, de col. 241-217. VL La théologie et les autres sciences. — Deo trino, de Deo creante, etc. Ce sont aussi les diffé­ Nous ne ferons ici que proposer très brièvement quel­ rentes disciplines par lesquelles la théologie prend ques conclusions concernant le rapport de la théologie toute son extension pratique et qui ne sont qu’un non plus avec ses propres parties, mais avec les scien­ développement de certains éléments étudiés dans les différents traités, comme on le volt bien dans le ta­ ces profanes. 1° Distinction de la théologie d'avec les sciences qui, bleau de J. Brinktrine reproduit plus haut : ascétique, au moins partiellement, ont nu'nu objet matériel qu'elle. pastorale, etc. La théologie est distincte : 1 De la philosophie, Les parties potentielles sont celles en qui le tout est même en la partie de celle ci qui traite de Dieu; présent selon toute son essence, mais ne réalise pas saint Thomas. Sum. theol., 1% q. i, a. 1, ad 2vm; Dontoute sa vertu; partie et tout son pris ici dans l’ordre d’une virtus qui sc distribue inégalement en diverses zinger, n. 1795. 2. De la psychologie religieuse, d’une analyse ou fonctions : ainsi les diverses puissances de l’Ame, Intel­ ligence et volonté, ou, dans la théologie de saint Tho­ d’une description de l'expérience religieuse, car la mas, les vertus qui considèrent un aspect secondaire théologie est l’élaboration intellectuelle scientifique dans l’objet d’une autre vertu, comme la religion ou la des enseignements de la Bcvclation objective; Bêvépiété, par rapport à la justice. On pourrait donc consi­ latlon à laquelle fait bien face, dans h s fidèles, la grâce J 697 THEOLOGIE ET AUTRES SCIENCES 698 Inférieure de la fol, mais qui est essentiellement cons­ marches propres; son Intervention à leur égard n’est pas intrinsèque, concernant leur travail interne de tituée en son contenu par un donné objectif dont la conservation. la proposition et l'interprétation relè­ recherche et de preuve; clic ne change pas intrinsèque­ ment et dans sa substance leur régime épistémologi­ vent d’un magistère hiérarchique prolongeant celui des apôtres. La théologie catholique est tout autre que : et ceci est vrai non seulement des sciences phy­ siques ou mathématiques, mais des sciences philoso­ chose que cette description de l’expérience religieuse phiques ou historiques que la théologie emploie immé­ en tenues intellectuels que le libéralisme protestant donnait pour lâche à la dogmatique, cf. Ici, Exré- diatement à son service. Même alors, en effet, la iuknce iiKUOiEUSE, t. v, col. 1786 sq. valeur, la certitude el l’évidence des données histori­ 3. De l'histoire des dogmes, et ceci pour les mêmes ques ou philosophiques employées restent intrinsè­ raisons. SI la théologie se nourrit, par sa fonction quement ce qu’elles sont dans leur science respective, positive, de ce qui a été pensé dans l’Église, elle ne selon les critères propres de cette science. s'identifie pas plus avec l’histoire de cette pensée que 2. Elle intervient de Γextérieur dans leur travail. — la philosophie ne s'identifie avec l’histoire des idées; La théologie étant, en face des sciences, d’une vérité elle est une contemplation rationnelle d’un donné, plus haute cl plus certaine, le rapport de conformité non l’histoire des idées religieuses. ou de répugnance que les énoncés des sciences auront 1. De la science des religions et de la philosophie de à l'égard de ceux de la théologie, rapport qui s’expri­ la religion. On distingue assez généralement la science mera, le cas échéant, dans l’approbation ou la désap­ des religions ou histoire des religions, qui s’attache à probation que celle-ci leur témoignera, interviendra du dehors dans le travail des sciences et pourra ainsi le décrire en leur genèse, leurs formes, leur contenu cl leur développement les différentes religions, à l’a de régir, le changer et, dans l’hypothèse favorable, en des ressources de la méthode historique; la psychologie augmenter même la certitude. Soit par exemple la théorie cartésienne de la matière identifiée à la subs­ religieuse, qui a pour objet les diverses manifestations tance-étendue. Cette théorie se heurte aux énoncés de du fait religieux dans les Individus et dans les groupes, et pour méthode celle de la psychologie; enfin la phi­ la foi et de la théologie concernant les espèces eucharislosophie de la religion, qui étudie l’csscncc de la reli­ I tiques (noter que si la théologie parle d’ « accidents », gion, les bases du fait religieux dans la nature de le dogme, lui, évite ce mot philosophique). Il sc passe l'homme, les critères rationnels de vérité en matière alors ce que saint Thomas énonce ainsi : Ad (sacram) de religion. L’ensemble de ces trois disciplines forme scientiam non perlinet probare principia aliarum scien­ ce qu’on appelle en Allemagne la Heligionsivisscnschajt. tiarum, sed solum judicare de eis : quidquid enim in La théologie ne peut être assimilée à ces sciences ni aliis scientiis invenitur veritati hujus scient ier repu­ gnans, totum condemnalur ut falsum. Sum. theol., 1·, par son objet, qui est le mystère de Dieu tel qu’il est q. i, a. 6, ad 2··. La théorie de la substance-étendue connu dans la Révélation judéo-chrétienne proposée sera jugée cl désapprouvée par la théologie et ainsi par l’Église, ni par sa méthode, qui n'est nullement d’enquête et d’explication historiques ou psycholo­ sera condamnée aux yeux du philosophe croyant. Si celui-ci Lavait tenu· jusqu’alors pour certaines raisons giques, non plus que de démonstration philosophique, philosophiques, il remettra en question scs raisons et mais qui met en œuvre des ressources de la raison scs évidences; il cherchera une autre vole, par des historique et philosophique à l'intérieur d’une foi moyens proprement philosophiques cl ainsi la théo­ s’adressant à une Révélation, sous la direction positive logie, sans intervenir dans la trame Intente de sa et constante de cette foi. pensée, sans modifier intrinsèquement le régime épis­ 2° Principes généraux concernant les rapports de la témologique de sa discipline, représente pour le savant théologie et des sciences profanes. — Les principaux un critère extrinsèque, une norme négative. Son inter­ textes du magistère sur cette question ont été apportés ici, art. Dogmatique, l. iv, col. 1529 sq. Sur les rap­ vention est. pour le savant comme pour la science de ports de la philosophie et de la théologie, on se repor­ celui-ci, un bienfait, car elle leur évite des erreurs, des fausses voies, elle les garantit contre l'illusion et les tera surtout à l'encyclique Æterni Patris du I août libère du mensonge; cf. Denz.. n. 1656. 1671, 1681, 1879. On peut formuler en trois énoncés la pensée de 1711, 1799, 2085. Les documents officiels sont à cet l’Église en cette matière : 1. entre la foi et donc ulté­ égard soucieux d'exclure la distinction que certains rieurement la théologie, d’une part, les sciences qui faisaient entre le philosophe et la philosophie et d’af­ sont vraiment telles d’autre part, il ne peut y avoir de contradiction réelle, cf. Dcnz., n. 1797 sq,, 1878 sq. | firmer la souveraineté de la théologie non seulement — 2. Les sciences ont, en face de la foi et de la théo­ sur le premier, mais sur la seconde. Denz., n. 1674, logie, leur objet propre et leur méthode propre, et 1682,1716. Soit maintenant une théorie philosophique, comme donc une autonomie épistémologique. Dcnz., n. 1670, celle de la subsistence, que la théologie emploie au 1G7I, 1799. — 3. La théologie, science de la foi. est cependant, de soi, supérieure à toutes les autres cœur même de ses traités les plus importants, dans sciences en lumière el en certitude. Denz., n. 1656, la construction intellectuelle des mystères de la Tri2085, etc. nité et de l’incarnation. L’utilisant dans les condi­ 3® Ce que la théologie est pour les sciences. - On a tions que l’on a dit plus haut être celles des principes déjà Indiqué plus haut, col. 186, que la théologie, de raison dans le travail théologique, la science sacrée comme sagesse suprême, était le couronnement de approuve la théorie de la subsistence; elle ne la trans­ toutes les sciences et devrait être le principe d’un forme pas intrinsèquement ou épistémologiquement, ordre chrétien de la culture cl du savoir. Comme sa- i et cette théorie restera, en philosophie, ce qu’elle était auparavant, valant ce que valent les raisons qui la gesse suprême, la théologie domine cl juge les sciences. fondent ; mais elle recevra, aux yeux du philosophe Elle utilise leurs services pour son propre but, comme nous l’avons déjà remarqué, et elle a, à l'égard de tou­ croyant ou du philosophe théologien, une plus-value tes. un certain rôle de critère, rôle qui peut s’exprimer extrinsèque de certitude du fait de son approbation par la science de la foi qui, pour ainsi dire, l’homologue ainsi : la théologie ne prouve pas les conclusions des autres sciences, mais, dans la mesure où des conclu­ et la garantit. C’est pourquoi, dans de nombreux docu­ ments et en particulier dans l'encyclique Æterni Pa­ sions l'intéressent elle-même, elle les approuve ou les tris, le magistère ecclésiastique a souligné, au delà désapprouve, et ainsi intervient dans leur travail, L La théologie ne prouve pas tes conclusions des au­ d’une défense et d’une protection contre l’erreur, le tres sciences; elle leur laisse l’autonomie de leurs dé­ bénéfice positif de certitude que la raison philosophi- 499 THÉOLOGIE que retire de sa subordination à la foi par In théologie, cf. Denz., 1799. où le concile du Vatican dit de la foi que rationem multiplici cognitione instruit. C’est le fait de ce bénéfice reçu par la philosophie du contact qu’elle a avec la théologie qui a porté M. Gilson, puls M. Maritali) el ceux qui les ont suivis, ù parler de « philosophie chrétienne ·. En Allemagne, vers le même temps, d’une manière peut-être moins • formelle >, on parlait de sciences et de philosophie catholiques, cf. infra, bibliographie. Dans un sens un peu dlfiércnl, M. Blondel avait, depuis quelque temps, parlé de < philosophie catholique ·. Un certain nombre de théologiens se sont montrés rebelles à cette nou­ velle catégorie de philosophie chrétienne, voulant avant tout maintenir la distinction entre la théologie cl la philosophie, prise de leur objet formel ou de leur lumière, aux termes de quoi toute pensée réglée par la fol ou dépendante de la foi serait théologie, toute valeur rationnelle, dût-elle son origine au christia­ nisme. ne pouvant recevoir aucune qualification in­ trinsèque autre que celle de philosophique. Cette opposition souligne bien que, au point de vue des défi­ nitions essentielles et des motifs formels qui en sont le principe, il n’y a pas de tertium quid entre la philoso­ phie cl la théologie. Mais, ceci accordé, il parait légi­ time de sc placer au point de vue de la genèse, de l’histoire, des conditions d’exercice et de l’étal con­ cret des formes historiques de la pensée. Alors il semble bien qu’il y ail une pensée inspirée ou suscitée par la foi, mais de contexture épistémologique comme de valeur purement philosophiques, que la raison déve­ loppe et poursuit par ses propres moyens et pour sa propre fin, laquelle est le vrai pur et simple. I lisloriquement, ce développement des notions philosophi­ ques grâce à la foi chrétienne s’esl souvent opéré par la recherche de Vintellectus fidei, de l'intelligibilité de la foi. c’est-à-dire par l'effort proprement théologique. Inversement il est arrivé aussi chez un saint Augustin par exemple, que l'enrichissement philosophique ail été obtenu hors d’une référence directe à Vintellectus fidei, dans une véritable contemplation philosophique poursuivie pour elle-même et par les voies propres de la raison, mais dont le donné de la fol avait été l'oc­ casion, le christianisme exerçant ici l’une de scs vertus qui est de rendre l’homme à lui-même et ù la raison son propre bien de raison. Ouverte par la foi. la médi­ tation philosophique sc développe dès lors selon ses propres exigences. En sorte que, par ces deux voies, celle des besoins rationnels de la contemplation théolo­ gique, celle des possibilités rendues par la fol à la con­ templation philosophique elle-même, il s’esl déve­ loppé, tout au long de l’histoire chrétienne, un savoir qui, purement philosophique au point de vue de son objet, de ses démarches, de sa trame épistémologique, n’en doll pas moins être qualifié de chrétien au point de vue de tout ce qui l’a rendu concrétement possible : choc initiateur ou point de départ, conditions et sou­ tiens de la réflexion. P Ce que les sciences sont pour la théologie. — Les sciences sont pour la théologie des auxiliaires néces­ saires, puisqu’elles lui fournissent cet apport rationnel sans lequel celle-ci ne pourrait se consi Huer pleine­ ment. Ce que nous avons vu plus haut des conditions de cet apport justifie, au sens qui a déjà été expliqué, l'appellation de · servantes de la théologie · qui a été traditionnellement donné aux sciences. Toutefois, dans la mesure où les sciences n’apportent pas seulement à la théologie des illustrations extrinsèques ou de simples préparations subjectives, mais où elles lui fournissent véritablement un donné entrant dans l'élaboration de son objet, elles Influencent sa constitution, son orien­ tation. son progrès. Non que la théologie devienne ainsi subordonnée ou suballernée aux sciences : elle ne 500 reçoit d'elles que ce qu’elle admet comme conforme à ses principes et convenable n son but. Mais la théologie sc règle et se développe elle-même en faisant usage de sriemes qui ont leurs accroissements el leur dévelop peinent propres; et ainsi le progrès de la science sacrée est-il en quelque manière fonction de l’élal des scien­ ces. H est clair que le développement de la psychologie ou de la sociologie pourra, dans une certaine mesure, modifier celui de la théologie en certaines de ses par­ ties, comme le développement de la métaphysique au χπιβ siècle, celui de l'histoire au xvn· cl celui des sciences bibliques au xix· ont déjà pu in finer sur son développement dans le passé. Certains ont, dans cette perspective, préconisé un renouvellement de la théologie, soit en sa méthode, soit en quelqu'une de ses parties, comme le traité de l’eucharistie, par l’assomption en elle de techniques de pensées nouvelles, comme la logistique, ou de don­ nées scientifiques nouvelles, par exemple en physique et en chimie, cf. infra, bibliographie. L'idée n’est pas fausse a priori et au plan des raisons de principe; structuralement, méthodologiquement, rien ne s’op­ pose à ce qu’elle porte fruit; c'est une question d’es­ pèce el il est bien clair qu’on ne s’engagera pas dans cette voie à la légère, sans une très sérieuse mise à l'épreuve des ferments nouveaux qu’il s’agirait d’as­ similer. Pour ce qui est des cas concrétement propo­ sés, il ne semble pas qu’on se trouve en présence de disciplines suffisamment mûres ou d’une valeur, d’une portée, d’une fécondité suffisamment indiscutables. C’est sans doute du progrès des études bibliques cl historiques, de celles qui Intéressent la prise de pos­ session exacte et riche de son donné, que la théologie serait présentement en droit d’attendre le plus pour son renouvellement ou son progrès. I/hhtoire dos rapport·» de la théologie avec les science* n été écrite, dans un esprit prévenu, par A. White, A history of the Warefare of Science with Theology in Christendom, New-York, 1903, qui s'attache h montrer que la théologie s’est toujours montrée hostile a la science. Sur les rapports entre théologie et sciences en général î Petau, Théol. dogmata, prolog., c. lll-v; J. Klcutgcn, Die Theologis der Voneit, t. v, 2· éd., Munster, 1871, p. 293333; J. Bidlot, Logique surnaturelle subjectior, théor. LX11lxv, 2· éd., 1891, p. 273-318; K. Iledde, Delations des scien­ ces profanes aucc la philosophie cl la théologie, dans lieuue thomiste, janvier 1901. p. 650-000 et mai 1901, p. 187-206; .1. Bilz, Einfùhrung in die Théologie, 1935, p. 80-Va; II. Baudoux. Philosophia ancilla thcologiir, dans Antonianum, 1937, p. 293-326. Sur la distinction entre la théologie, l'apologétique et toute philosophie de la religion, on aura profil à lire 1rs articles du pasteur L. Dallière, Examen de T idéalisme, dans Etudes théolog. et rrlig., 1931 ; de même, sur les rapports de la théologie cl de la psychologie ou de la philosophie de la religion, l'article do D.-S. Xdain dans V Encyclopedia o/ llrligiun and Ethics do J. I lasting*, t. xn, 1921, p. 293 sq.; B. lleigl, iieligionsgeschichlliche Méthode and Théologie, Munster, 1926. Sur la » Philosophie chrétienne ·, on trouvera une biblio­ graphie complète el cilliquomcnl analysée dans La philo· Sophie chrétieune. Journée d'études de la Société thomiste, l. il, Juvisy, 1931, puis, pour la suite du débat, dans le IJultctin thomiste, octobre 1931, p. 311-318, et juillet 1937, p. 230-235. Les ouvrages essentiels sont E. Gilson, L'esprit de la philo· \ophle médiévale, 2 vol., Paris, 1932; Christianisme et philo· .ujphle. Pads, 1936; J. Mailtain. De la philosophie chrétienne, Paiis, 1933. Élude* préconisant une application nouvelle de science* modernes a la théologie. Pour la logistique : La pensée catholique et la logique moderne (Congres polonais de philo­ sophici. Cnicovlo. 1937 ; 11. Schol/, Die mathrmatische Logik und die Metaphyslk, dans Philos, Jahrbuch, 1938, p. 257291. - Pour les théorie* physique* et chimiques : A. Millerot. Dos Hlngen der altrn StofJ-Torm-Metaphysik mit der heutlgrn StofpPhyslk, Inspruck, 1933; Wesensartusandel und Artensgstem dtr phgslkatischen Kôrperwelt, Bressanone, 1936; Projiuiudsseiuclialt als IHlIswUxenschaft der Théologie, 501 THÉOLOGIE 502 der kathedischen Théologie, hr*g. von der Munchcner Ihrolog. itui» Zrlhch. I. kalhol. Theol., 1930, p. 2-11-211; J. Tvrnu*, l 'akultat, 1921 ; M. d'Herblgny» 1m théologie du révélé, 1921 ; • DugmalEchc Ph'hik · in der Lehrc uom Alttinakramenlï G. Bnbrau, Introduction à l'étude de la théologie, Paris, 1926; dans Stirninen der Zeit, juillet 1937, p. 220 Fr. VnlerJ. Engert» Studlen zur IhetdogUchen Erkfnntnislehre, Kaliskirchnr» Zu r/niyrn Problcmen dtr Eueharistlelrhre, Ins­ honne, 1926; B. Baur, Um Weten und Weisen der Théologie, pruck, 1938. Ixj philosophe et apologiste catholique K. Iscndan» Benediktin, hdonatschri/t, t. tx, 1927, p. 187-189; krahe (t 1921) a donné lo titre do Exprrlmcnlellr Thrulogle J.-Chr. Gspiinn, Linfuhrung in die kathedische Dogmntik, a un ouvrage publié en 1919, ou il cherche, en Usant des Batlibonnc, 1928; Λ.-Μ. Pirotte,De methodologia thrologùr ressources des sciences exactes, à fournir des preuve’* ma­ scholastiar, dans Ephrm. Iheul, Looan., t. vi, 1929, p. 105thématique' el sclentlllqucs de l’existence de Dieu el à 438; Humili* a Genun, De theologia" objecto scholastica dis­ Imiter des faits préternaturels. quisitio. dans Ettudls 1 ranciscans, t. xu, 1929v p. M7-458; BiiiLiofiiiAPiiir of nûhai.e. - La bibliographie' arrêtée De sacrir thealogltr scirntijica natura, ibid., t. xt.ti, 1930, en murs 1939, a été Indiquée à mesure· selon les époque* et p. 165-180; Est ne larra thrtdogia spéculai i oa an practical les sujet*. On se content»· donc Ici de quelques Indications, ibid., t. xlïii, 1931, p. 151-168; F. itninstad. Théologie ah par modo de rappel ou do complément. D’autre part, les Problem, Bostok, 1930; E. CarrelH» lm propedrutica alia histoires générales de In théologie, rare» d’ailleurs, ne sc s. 7 rologia, Bologne, 1931 ; G. SO hngrn. Die katholirche placent guère au point de vue méthodologique. Hurler, Ί hcologtc als Wissenscha/t und Wcisheit, d.ins Calholica, 1.1, Vo/nrndiifor Hfrrar/ttf, est une hbtoirc presque purement 1932, p. 19-69, 126-1 15; A. dans sen*, Jnlriding tot de Thrulittéraire. Il y a a prendre dans les très érudit* travaux de logic, Anver*, 1931; J. Bilz, Ein/iihrung in die Théologie, K. Werner, Geschlchte der apologe tischen und polcrnhehen Fribourg-en-B.9 1935. — On ajoutera Io articles Théologie Llltralur der chrlstlichcn Théologie, vol.. SchafTousc, 1861des différents dictionnaire^ : Kirchenlnikon; Healencyklo1867; Thomas non Aquin, 3 vol., Batlsbonne, 1858; Die padie I. protest. Throl.; Diet, de théologie de Bcrglcr, dr Schaladik des xpAtcrcn Millclaltcrs, 5 vol.. Vienne, 1881Goschler; l^ejrikon fur Théologie und Hirchc; Die Heligion 1887; Erant Suarez und die Scholas! ik der Irlzten Jahrhun· in (irschichte und Gt genu art (protestant, dans le I. v de la dcrlc, Itatishonne, 1361 ; Geschichte der katholischcn Théolo­ 2· éd.» co qui concerne la théologie catholique est rédigé, gie Deutsddands uitdem Trirnlrr Conzil, Munich, 1866. De col. 1121-1128, par J. Koch), rtc. même dans J. Klcutgcn, Die Théologie der Vurzcit, t. iv, Les livres ou élude* le* meilleurs sur l’objet et la méthode 2· éd., Munster, 1873, qui contient, plus encore qu’une his­ de la théologie restent, outre les grands classique*, de saint toire, une défense et illustration de la scolastique; de même Thomas a Schecben : C. von Scltfïzlcr, Jntrwluctto tn sacram encore dans l’esquisse historique que donne Scheebcn h la theologiam; A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie. Pari*. lin du t. t de sa Dogmatique, M. Grabmann, Geschichte der 1910; M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Heuuc des kalholischrn Théologie seit dem Ausgang der Vulcrzrit, Frlsciences philos, et théol., t. xxiv, 1933, p. 232-257; IL Gagnebourg-en-B., 1933, n’est guère qu’une nomenclature, dont bet, La nature de la théologie spéculalive, dans Beuue tho­ les classements et les appréciations procèdent souvent de miste, 1938, p. 1-39 el 213-253; P. \Vy*cr, Théologie ab Scheebcn; mats la Geschichte der scholastichcn Methode du Wissenschafl, Sakbourg cl Leipzig, 1938. mémo auteur, 2 vol., 1913, c.d une mine précieuse pour M.-J. Cosgar, l’histoire do la notion et de la méthode de la théologie. — THÉOLOGIE DITE DE CHALONS, Les articles de M. B. Dragnet, .Méthodes théologiques d'hier œuvre du séculier Louis Habert, voir t. vi, col. 2013et d'aujourd'hui, dans Heuuc cathol. des idées et des laits, 2016. un des manuels les plus considérables que le 10 janvier, 7 février et 1 I février 1936, bien que dépouillés de toute référence documentaire, présentent une vue d’en­ commencement du xvnr siècle vil surgir, mais que semble fort suggestive des phases historiques de la methode scs tendances jansénistes firent beaucoup discuter. Il théologiquc, surtout dans son rapport au donné. fut supplanté par Tounicly. Sur les rapports do la raison et de la foi au Moyen Age, question qui déborde celle de la théologie et lui est en A. Dogert, Histoire des séminaires français jusqu'il la somme préalable : G. Brunhes, La fol chrétienne el la philo· Involution, Paris, 1912, l. n. p. 213-230. Sophie au temps de la Renaissance carolingienne, Paris, 1963; J. Rivière. Th. Holtz, Essai historique sur les rapports de la philosophie THÉOLOGIE DITE DE CLERMONT, el de la loi de Bérenger de Tours d saint Thomas d'Aquin, appellation d'urigine sous laquelle fut bientôt el reste Paris, 1909; J.-M. Vorwoycn, Philosophie und Théologie im encore usuellement désigné un manuel qui tint une Mlllelaltcr, Bonn, 1911 ; E. Baudin, Les rapports de la raison place importante, pendant la seconde moitié du et de la loi, du Moyen Age d nos fours, dans Ht une des sciences rtlig,, t. in, 1923, p. 233-255» 323-357, 508-537; M. Grab­ xixe siècle, dans l'enseignement des séminaires tant mann, De quteslione Utrum aliquid /mssit esse simul creditum en France qu'à l’étranger. cl scitum inter scholas augustinismi et aristoteHço-thomismi Sous sa forme primitive» il est dû au sulpiden Arsène Medii .Eui agitata, dans /tela hebdum, augustiniamr-lho- I Vincent (1813-1869)- qui avait déjà publié un Troctambtica·, Turin, 1931, p. 110-137; VV. Bnlzendftrfcr» Glaubcn tus de pera religione, Paris, 1858, puis un Tractatus de and IVfisen bci den grossen Denkcrn des Mittclalters, Got lui, ocra Ecclesia Christi, Paris, 1862 — et s’intitulait Com­ 1931; Λ.-.Ι. Macdonald, Authority and Beason In the early pendium universa theologia*. Lyon et Paris. 1867-1869, Middle Ages (llulscan Lectures 1931-1932), Oxford, 1933. Éludes sur la notion do théologie n’ayant pas ligure dans 6 vol. In-12. Écris ant pro junioribus clericis, l’auteur les bibliographie^ ou ayant été peu citées nu cours de l'ar­ s’y préoccupe surtout de logique cl de simplicité. 11 ticle : X.-J. La forêt, Dissertatio historico-dogmatira de me­ avoue n’avoir pas craint de faire ù ses devanciers des thodo theologiae, Louvain, 1819; IL Kilhcr, Principia theolo­ J emprunts qui vont parfois jusqu’à la transcription de gica (Theologia Wirccburgcnsls, I. i), Paris, 1852; Bou τ­ rerbo ad verbum, t. i, p. vm; mais il revendique le ίμια rd, Essai sur la méthode dans les sciences théologiqut s, mérite de la nouveauté (ibid., p. vi B) pour une notice Paris, I860; J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, 2· éd.» relative aux opérations de Bourse cl pour la création Munster, 5 vol.» 1867-1871, et un vol. do Beilagen : defense de lu scolastique contre Hennés, GOnther et Herscher, les d’un traite spécial De beata Virgine, t. ι-m représentent une sorte de cour* de théologie» les Devenu la propriété du grand séminaire de Cler­ t, iv cl v une histoire do la théologie et un exposé de la mont -Ferrand, ce premier Compendium allait être notion do théologie el tie sa méthode; Cl. Schrader, Dr successivement retouché par les professeurs de la theologia generat im, Poitiers, 187 1; C. von SchÜzIor, Intro­ maison, t ne 2* edition en fui préparée (1875) par ductio fn s. Theologiam dogmaticam, éd. Th. Essor, 1882; Auguste Thibaut (1810 1895) pour le dogme, avec le G. Kihn, Enzyklopadir und Méthodologie der Théologie, concours, pour la morale, de Nicolas Dvjardins (1806 1892; G. Krieg, Enzyklopddir dtr thrologischrn W losenicha/· ten, 1899; J.-B. I hiring, Ein/ùhrung in dtu Studium der 1889). qui l'enrichit d’un Supplementum ad tractatus de Théologie, Graz, 1911 ; le mémo» Dos Lchraintderkatholischcn habitibus, de pnrceptts Decalogi et de sacramento matri­ Théologie, Graz, 1926; B. Martin, Principes de la théologie monii. Λ partir de la 3e (1882-1883), où l’ouvrage fut et liens théologiques, dan* Brunt thomiste, 1912, p 499-507; désormais intitulé t heologia dogmatica et moralis, deux K. Zle*che» Ueber kathtdlschr Théologie, Paderborn, 1919; nouveaux collaborateurs prennent part à l’œuvre G. Gavlcloll, /lopïmm /ifo allô studio delb xclrnze trologice, commune, le premier pour la série dogmatique, le Turin, 1929; St. Szydehkl, Droitgomena in theologiam sa­ second j>our la pari le morale, savoir les frères Jeancram, Léoptd, 2 sol., 1920 *q.; Eln/ûhrung in das Studium 503 THÉOLOGIE 504 Blaise Ferry’ (1816-1896) el Blaise-Antoine Ferry Salnt-Sulplcc, revus par les deux jésuites Latour cl (1833-1898). S'abritant derrière saint Thomas et saint Salton. De bonne heure, il connut assez de rayonneAlphonse de Liguori. ea mente, déclaraient-ils modes­ ment pour avoir, en quelques années (1717, 1723,1729. tement. opus aggressi sumus ut nitui /ere in eo nostrum i 1731, 1753), plusieurs éditions qui le portèrent bientôt esset. Ils n’en croyaient pas moins devoir offrir aux élu- t à cinq volumes, puis à six : dans la dernière, il s'était diantsun re/ectum opus, dans le double but de mieux se accru notamment d’un bref De religione joint au traité conformer à la doctrine scolastique recommandée par De Ecclesia. En 1758, sur l’ordre de M. de La Marthol'encycliqueÆterni Patris de Léon XIII et d’orienter nie de Caussade, second successeur de M. de La Poype, plus efficacement les jeunes clercs vers les études supé­ il fut considérablement élargi, surtout pour l’apologé­ rieures dont la restauration des facultés de théologie tique et la morale, par le sulpiden Louis-Joseph Sccatholique faisait naître à la fois le besoin et l’espoir. grelier. Mais, au témoignage de son confrère J.-B. DeJusquc-ΙΛ pourtant, bien que passablement remanié nans (lettre du 25 juillet 1758), ces additions n'allaient et largement augmenté, le manuel était toujours censé pas sans « un vice bien déshonorant pour Saint-Sull’œuvre d’A. Vinrent. Le nom de celui-ci ne disparut pice », savoir le plagiat; car · on y a copié servilement du frontispice qu'avec la 4e édition (1886), sans que, et bassement la petite morale de Collet », Dès lors, du reste, scs derniers réviseurs — pas plus que les pre­ • que diront ceux qui s’en apercevront? Et il est im­ possible qu’on ne s’en aperçoive pas ». Réimprimé sous miers — aient consenti à y inscrire le leur. Tout au contraire, ils avaient à cœur d'assurer que les modifi­ cette forme en 1767. 1772 cl 1778, il sc répandit de cations introduites dans la forme respectaient l’iden­ plus en plus, au point que, d’après les Nouvelles ecclé­ siastiques, 1756. j). 68. il aurait pénétré dans la majo­ tité du fond : ..In multis abbreviatum [opus|, in gui busdam auctum, sed tamen vere integrum et idem. En même rité des séminaires français et, peu de temps après, 1763. p. 7, dans la plupart. Ce qui, d’ailleurs, pourrait temps que de nouvelles retouches, la 5· édition (1889) accusait un progrès matériel appréciable, en ajoutant bien être excessif. Son inspiration doctrinale était résolument opposée des références précises à la Patrologie de Migne pour aux jansénistes. Aussi la secte lui voua-t-elle une tous les textes anciens. Mais elle sc donnait aussi grande hostilité, qui, outre maints entrefilets des Nou­ comme le type définitif, qui. de fait, n’a plus varié velles ecclésiastiques, se traduisit par un libelle agressif: que sur de minimes détails. Lettre à Tévcque de Plots, 1737, et par un gros livre de Dans sa lettre d’approbation (8 décembre 1888), Mgr Boyer faisait allusion à la celerrima operis divulga­ l’oratorien Maille : Examen critique de la théologie du tio et il en donnait pour preuve que son manuel diocé­ séminaire de Poitiers, 1765. Par contre, on y soutenait sain, reçu de bonne heure in pnccipuis Gatliic semi­ l'anli-probabilisme le plus vigoureux et le gallicanisme y était à l’ordre du jour, au moins depuis que, dénoncé nariis, avait réussi, dans l’intervalle de cinq ans, non seulement à gagner un grand nombre d’autres sémi­ au chancelier de Ponlchartrain comme · combattant de front les saintes libertés de l’Églisc gallicane », il naires parmi nous, mais à pénétrer en Amérique et en avait été soumis à la censure d’Ellies du Pin et « purgé Afrique aussi bien qu’en Pologne et en Portugal. par ce célèbre docteur de l’ultramontanisme dont il Succès que les multiples éditions de l’ouvrage dans les dernières années du xixe siècle et les premières du xx· était infecté ». Nouvelles ecclésiastiques, 1737, p. 21. Après la Révolution, cet antique manuel gardait (9* édit., 1901-1905) allaient prolonger en le confir­ encore assez de prestige pour qu'un certain nombre mant. C’est dire combien la Theologia Claromontensis d’évêques aient exprimé à la Compagnie de Salntest un témoin précieux pour mesurer le niveau moyen Sulplcc le désir d’en avoir une réédition corrigée et de l'enseignement théologique pendant ces deux ou mise au point. Celle entreprise fut confiée au toulou­ trois générations. sain Bcnoîl-Hippolytc Vieussc (1784-1857), qui s’était L. Bertrand, Bibliothèque sulplcicnne ou Histoire littéraire déjà fait connaître par un Tractatus de religione, Tou­ de lu Compagnie de Satnl-Sulpice, t. il, Paris, 1900, p. 303louse. 1816. L'ouvrage garda son ancien litre, nanti 306 (M. Vincent), 163-405 (M. Dejardhu), 522-321 (M. Thi­ baut), 527-528 et 532-333 (MM. Ferry). seulement de la mention secunda edilio, et parut à louJ. Rivière. I louse en 1828 (6 vol. in-12), sans nom d’aulcur. avec THÉOLOGIE DITE DE LYON, œuvre de la collaboration de M. Berger, vicaire général du lieu, l'oratorien Joseph Valla, manuel publié en 1780 sous pour les deux traités de la Justice cl des Contrats. les auspices de l’archevêque Antoine de Montazet, Ainsi la Théologie de Toulouse se substituait à la Théo­ voir ici t. x, col. 2370-2373. au service du jansénisme le logie de Poitiers. moins déguisé, avec le gallicanisme et l’anti probabi­ Une trentaine d’années plus tard, l’ouvrage allait lisme qui en étaient alors l'obligatoire accompagne­ une dernière fois changer de mains. M. A. Bonal, éga­ ment. De ce chef, il souleva de vives oppositions et, lement professeur de dogme au grand séminaire de après avoir connu — principalement hors de la France Toulouse, en achevait, en effet, la 7* édition (1856), — un certain succès, finit par être mis à l’Ind x(1792). qui s’intitulait auctior et correctior et justifiait cette 11 n'y survécut pas. In de scs mérites les plus durables rubrique au moins par certaines modifications dans était de faire précéder les traités dogmatiques d’un l’ordonnance des matières. Aidé pour la morale par De vera religione assez étendu, à l’instar de l’abrégé de son confrère Joseph-Justin Malet (1820-1881), il pour­ Tournely rédigé par Collet (1751). voyait de même à la 8e edition (1862). Mais la 9* (1867), fut son œuvre exclusive ut le litre en était changé pour Λ. Degert, Histoire des séminaires français jusqu’à lu tléoalution, Pari», 1912, t. n, p. 267-272 cl 281-287. la circonstance en Institutiones theologiae. Enfin la 10· J. B ! vi ère. (1869) était ostensiblement revêtue de la signature du THÉOLOGIE DITE DE POITIERS, dernier auteur, que l’ouvrage a toujours portée de­ PUIS DE TOULOUSE, manuel scolaire qui puis. Une dizaine de nouvelles éditions qui sc sont suc­ a traversé brillamment le xvnt· siècle pour connaître cédé jusqu’au début du xx· siècle en attestent la popuencore, tout le cours du xix·, dans les séminaires sul- I larité. plclens en particulier, une fortune assez analogue à L. Bertrand, Hiblhdlugih nutpiciennr, Paris, 1900, t. I, celle de la Theologia Claromontensis. 113-415 (M. Doniuu), 170-171 (M. Srmetiei), l. n,p. 231Il vit le jour à Poitiers (Compendiosa· institutiones p. 236 (M. VIctUMS), 4OMO3 (M. Malûi); Degerl, Hhtoin theologica·, I vol. in-12, 1708-1709) par les soins de dt> téminairrs français jusqu’à la K.wduhon, Pails. 1912, t. n, p. 212-214, 237-243 cl 283-284. l’évêque de Γendroll, Claude de La Poype de Vcrtricu,, qui passe pour y avoir utilisé ses propres cahiers de J. Rivière. 505 THÉOPASCHITE (CONTROVERSE) 506 THÉOPASCHITE (controverse). — Con- I la pensée profonde ne se mettait pas assez en garde traverse théologlque relative â la légitimité de l’ex­ contre l’apollinarisme, s'érigeait en défenseur des for­ pression : Unus de Trinitate passus est. Il en a été mules en question. Pour lui des expressions comme question Ici au vocable Monophysisme, t. x. col. 2237Théotocos, Deus natus, Deus passus, Deus mortuus 2211, du point de vue de la théologie cl, du point de allaient de sol. Son sens théologique lui faisait cepen­ vue de l’histoire, aux articles Hormishas, Jean II el dant ajouter à ces vocables le mot carne. Ainsi dans Scythes (Moines). On en montrera surtout ici le le xii· analhémaLlsme : Si guis non confitetur Dei développement historique. — I. La controverse avant Verbum passum carne et crucifixum carne ei mortem 533. II. Les décisions de l’autorité civile et de l’Église carne qustassc, παΟύντα αιρΛ, ίατανρωμίκν σαρκί, romaine. zal θανάτου γευσάμενον σαρκί. Celte précaution même I. La controverse avant 533. — < Lalssez-mol, dit ne le mil pas â l’abri des critiques des théologiens Ignace aux Romains, être l’imitateur de la passion de d'Antioche. C’est dans des termes de ce genre que des mon Dieu, μιμητήν είναι του πάθους του Θεού μου. > docteurs comme Théodorct ou André de Samosatc Rom., νι, 3, et ailleurs il parle « du sang de Dieu ·. virent la preuve de · l’apollinarisme * de Cyrille. La Eph., i, L C'est l’expression spontanée du théopaschl- lutte qui scdéclenche, ù l’hiver de 130, entre Alexandrie tisme; elle sc justi Ile par un syllogisme des plus sim­ el Antioche, qui atteindra son acuité extrême au dou­ ble concile d’Éphèse de 431 et se terminera par l’Acle ples : Jésus a souffert. il est mort; Jésus est Dieu; Dieu a souffert el est mort. On retrouverait des ex­ d’union de 433 est, à tout prendre, la lutte autour des pressions analogues, justi lices somme toute de la formules théopaschite*, en entendant ce dernier mot même manière, dans les productions populaires de dans toute son ampleur : la naissance est aussi une l’ancienne littérature chrétienne, tout spécialement passio. En dépit des concessions mutuelles que sc sont dans les Actes apocryphes des apôtres. Chose curieuse, faites les deux partis en 433, il reste que l'opposition au Deus passus demeurera la caractéristique de la dans leur contexte ces mots nous choquent à peine; il faut un effort de la réflexion pour que l’un remarque théologie antiochiennc, que l’adoption de Ια formule Verbum Dei passum deviendra pour l’école cyrillienne l’inconvenance, le caractère paradoxal, pour ne pas une tessère d’orthodoxie. En d’autres termes on sera dire impensable d’une phrase comme celle-ci : · Dieu suspect de · nestorianisme > pour refuser la formule; a souffert, il est mort. > C'est que, dès le principe, le langage chrétien a appliqué, sans le savoir, la règle suspect de « monophysisme · pour s'en faire le défen­ delà communicat ion des idiomes, relative à l’être et aux seur. D’ailleurs la formule contestée va prendre, peu après, opérations de l’Homme-Dieu. Ce qui est dit de l'une des natures peut être attribué, comme ù son sujet der­ une allure différente. Le Verbe divin étant l’un de la Trinité, l’on dira : Unus de Trinitate passus. C’est du nier, à l'unique personne. C'est en vertu de la même Tome aux Arméniens de Proclus, que dérive l’expres­ règle que l’on dit (pie Marie est la mère de Dieu, non sion. On y confessait que le Verbe-Dieu, l’un de la pas évidemment dans le sens qu’elle aurait donné Trinité, s’ctail incarné : όμολογούντες τύν Θεάν Λόγον, l'être ù la divinité, proposition absurde, mais parce qu’elle a enfanté cet homme auquel est substantielle- 1 τδν ένα της Τριάδας, σεσζρκώσΟχι, ce qui était on ne peut plus correct. Les milieux qui sympathisaient avec ment uni le Verbe divin. Quand survint la réflexion théologique, certains le monophysisme en tirèrent la conséquence : on peut penseurs chrétiens « réalisèrent » avec plus d’acuité les donc dire aussi : « L’un de la Trinité a souffert et est mort. » Pour revenir au même que l’expression Verbum problèmes que soulevaient les expressions en question. L'École d’Antioche, en particulier, après avoir beau­ passum, la formule ne laissait pas d’avoir une allure plus paradoxale; en attirant l'attention sur l’apparte­ coup insisté sur la distinction des deux natures dans l’Homme-Dieu, insista plus fortement encore sur la nance du Verbe â la Trinité, elle donnait un peu l’im­ pression que la · passibilité» était installée au sein de nécessité de rapporter les opérations et les actions du l'immuable et bienheureuse Trinité. Au fait c’est bien Christ à celle des deux natures qui en était le sujet une manifestation qu’ente id i faire Pierre le Foulon, immédiat : la naissance, la passion, la mort étaient le fait de l’humanité; il y avait inconvenance à les attri­ quand d ajoutait à la formule du Trisagion les mots Qui crucifixus es pro nobis. Voir ici, t. x. col. 2238, et buer Λ la divinité. Ce fut un des points essentiels de remarquer que les mots du Trisagion, dans la pensée l’enseignement de Théodore de Mopsueste; celui-ci des monophysilcs, se rapportent exclusivement à la l'nfllrma avec d’autant plus de force que son grand seconde personne de la Trinité. Quoi qu’il en soit, adversaire, Apollinaire de Laodicéc soutenait l’opinion d’ailleurs, s’il voulait provoquer un scandale, le Foulon contraire. Étant données, en effet, ses idées sur la y réussit pleinement; l’addition théopaschite au Tri· constitution du Christ, l’apollinarisme ne voyait nul sagton fut regardée dans les milieux chalcédoniens. inconvénient à nommer Dieu, tout court, le Christ de comme une intolérable provocation. l’histoire, celui que nous appelons l’Homme-Dieu. De fait, quand triompha à Constantinople, sous l’in­ Pour lui, le Christ n'était pas autre que le Verbe divin, fluence d’Acacc, la politique de » concessions au mono­ passant au milieu de nous sans loucher a l’humanité physisme qui atteint son apogée dans THénotique de sinon d’une manière apparente, un peu comme il s’était Zenon (voir l’article t. vi, col. 2153), la formule de manifesté dans les théophanies de l’Ancien Testament. VOnus de Trinitate fait son apparition dans les textes Dans celte école on ne voyait nulle difficulté à parler ofllclels. On n’a pas assez remarqué, pensons-nous, que sans plus du Verbe qui était né. avait souffert, était mort. C’est bien la formule du théopaschltlsnlc pre­ c’est de VHénotigue, si sévèrement condamné par le Siège apostolique, que viennent en droiture des tessèrvs mière manière. Or, c’est contre des formules de ce genre, qu’elles d’orthodoxie ultérieurement promulguées par Justi­ nien et le Vr concile. Au nombre de celles-ci ligure fussent spontanées à Constantinople ou d’importation apollinariste, que manifeste bruyamment Neslorius l’afllrmation sans nuance qu'il faut rapporter à un dès son arrivée dans la capitale. L’opposition qu’il a seul et même Fils unique de Dieu el les miracles el les souffrances qu’il a de son plein gré endurées dans sa faite à l’emploi du mot théotocos, pour parler de Marie, a fait un peu oublier les critiques qu’il a exprimées sur | chair, comme aussi l’expressioa unus de Trinitate : unius enim dicimus Unigeniti i'itii Dei et miracula et le DeUs passus, le Deus mortuus. Ces critiques pourtant aident A comprendre les premières el À leur don­ passiones quit sponte carne perpessus est. Eos autem qui dioidunt aut confundunt aut phantasiam introdu­ ner leur signification véritable. A l’inverse, Cyrille cunt, omnino non recipimus, quoniam sine peccato ex d'Alexandrie, dont la terminologie cl peut-être même 507 TII ÉO P ASC H I TE (CONTROVERSE) Dti genetrice secundum veritatem incarnatio augmen­ tum filii non fecit. Mansit enim Trinitas trinitas et incarnato uno de Trinitate Deo Verbo. Traduction de Liberatus, Breviarium, c. xvn; texte grec dans Evagre, //. E., ni, 1 I, P. G., t. lxxxvi b, coi. 2620. En joignant les deux membres de la formule, on arrive bien à l’expression : Unus de Trinitate passus. L'Wnotique, on le sait, fut le point de départ d’un schisme entre Rome et Constantinople qui dura près de quarante ans. Pourtant, en dépit dc la pression gouvernementale, la formule théopaschitc acquérait difficilement droit dc cité dans la capitale dc l’Orient. Quand, en 512, le patriarche Timothée donna l’ordre à toutes les églises de la ville de chanter le Trisagion avec l’addition ό σταυρωθείς δι* ημάς dans les diversos fonctions liturgiques, il y eut une véritable émeute dans Constantinople. Cf. Grumel, Hegcstes du patriar­ cat. n. 200. Ce fut un des nombreux avertissements qui décidèrent l'empereur Anastase Λ entrer en rap­ ports avec le pape Hormisdas pour le rétablissement de l’union avec Home et de l’orthodoxie chalcédonicnne. Cf. art. Hormisdas, t. vu. col. 161. Cc réta­ blissement ne se ill d’ailleurs qu’après la mort d'Anas­ tase (9 juillet 618), au début du règne dc Justin. Le retour â la foi de Chalcédoine permit à certains mi­ lieux dyophysites — c’est surtout au couvent des acémètcs qu’on les rencontrait — d'afficher plus ou moins ouvertement leur attachement aux vieux An(iochiens, leur réprobation .Μονογενής» dans Échos d'Orlent, l. xxn, p. 404-109. É. Amann. successeur de Jean II. Agapet, renouvellement de la | 1. THÉOPHANE LE CLIMAQUE, moine profession de foi en question fut demandé au nouveau byzantin, auteur d’une < Échelle des divines grâces » titulaire du Siège apostolique. Celui-ci ne put que (date inconnue). — Cette « Échelle » de soixante-qua­ s’exécuter, en louant la piété du prince, son zèle à torze vers (avec le litre) dodécasyllabiqucs, qu’on promouvoir la foi orthodoxe, à assurer l'unité de l’Église et à ramener les dissidents. Tout au plus lais­ trouvera dans la Φιλοκαλία των Ιερών νηπτικών, Venise, Ι782, p. 549-550; Athènes. I893, t. î, p. 391sait-il entendre que ce n’était pas le rôle des laïques 392, el qui était réservée au t. clxii de la P. G., com­ d'entrer en ccs questions : non quia laïc is auctori talem prn dicationis admittimus; du moins donnait-il aux for­ porte dix degrés : prière pure, chaleur du cœur, sainte opération (ένέργεια). larmes du cœur, paix des pen­ mules imposées par le basileus une approbation sans réserve, et confirmait-il la sentence de son prédéces­ sées (λογισμών), purification du cœur, contemplation des mystères (θεωρία), illumination admirable (ξένη seur contre les acémètes. Lettre du 18 mars 536, έλλαμψις), illumination (φωτισμός) du cœur, perfec­ Jaffé, n. 898, dans la Collectio Avellana, n. 91, p.342 sq. Vigile à son tour devra reconnaître les mêmes formu­ tion. Celte distribution rappelle étonnamment le début du sermon 9 d’Isaac de Ninive, Ίου όσιου laires. Cf. art. Tiiois-Ciiapithes. Telle fut la fin de la controverse théopaschitc. Sous πατρός ημών ’Ισαάκ... τα εύρεθέντα ασκητικά, édit. N. Theotokou, Leipzig, 1770, p. 59-60; M. J. Bouttde la pression du pouvoir civil, Home adoptait, en fin de J ou m cl, Enchiridion asceticum, 1936, n. 100I. Cer­ compte, une terminologie qui, dans le principe, avait semble au pape llormisdas avoir un relent de mono­ tains indices trahissent une époque plus récente. L’emploi des termes ξένος (quaire fois), καρίίζ, physisme. Pour sauvegarder le dogme de l’unique καρδιακά (trois fols) est significatif. Notre morceau personne, qu’on lui représentait comme en péril, le dont les témoins manuscrits les plus anciens ne dépas­ Siège apostolique se ralliait à la formule de l’unique sent pas le xvnie siècle (Lavra, K 110=3 1397, fol. subsistence (de l’unique hypostase) du Verbe incarné 109 v°) ne semble pas antérieur au XIVe siècle. dont le Tome de Léon n’avait point parlé et qui s’était introduite timidement dans la définition de ChalcéOn connaît un Théophane te Jeune le Philosophe, auteur doinc. C’est qu’aussi bien la théologie byzantine, sous ιΓ Instructions sur le décalogue, dans Monon, yr. 36r2bu\oét la plume de Léonce, achevait à ce moment de se cons­ 1598). Nous sommes dans Hmpossibllitô de tenter non plu* tituer. Au fv* siècle les Grecs avaient fini par imposer «fne d’exclure un rapprochement avec le Climaque· J. Gouillaiip. en théologie trinilaire le terme ιΓύπόστασις comme 2. THÉOPHANE ill DE JÉRUSALEM, synonyme de personne, en dépit des répugnances des patriarche de celte ville (1606-15 décembre 1611) cl Latins. Unifiant maintenant le vocabulaire trinilaire et polémiste antilalin. — Son long patriarcal fut marqué le vocabulaire christologlquc, ils imposaient le terme principalement par scs luttes contre les catholiques, métaphysique d’hyposlase comme équivalent absolu du terme plus psychologique et plus juridique de per­ d’abord pour revendiquer ou défendre les Lleux-Sainl> avec l'appui des Turcs et ensuite pour combattre sonne. De cette identification ils tiraient aussitôt les conséquences : à l'une des trois hypostases de la Tri­ l’union des Orientaux avec Home. Ces deux objets l'amenèrent souvent à Constantinople. 11 y était dès nité on subjoignait la nature ένυπόστατος qu’avait 1609 et assistait au synode que le patriarche Néo­ créée, en se l’unissant, la deuxième hypostase divine. phyte réunit pour régler la question des degrés de Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et ne pas déclarer parenté en vue du mariage; cf. Bhalll et Potli, que cette hypostase du Verbe, à /ταγμα των Ιερών κανόνων, t. v, p. 159. En 1619, la nature humaine était l’un de la Trinité? Tout cela était on ne peut plus logique. Mais cela n’allait pas il se rendit en Bussie et y séjourna près de deux ans, non plus sans quelque inconvénient. Celui d’abord de occupé surtout Λ combattre I L’nion de Brest-Litovsk en Ukraine, parcourant le pays, sacrant des évêques rendre suspect de · nestorianisme » tous les anciens docteurs qui n’avaient pas prévu un tel développe­ el ressuscitant des Églises. Les Grecs, après scs deux successeurs Nectaire el Dosilhéc, prétendent que ce ment de la pensée théologique. Les vieux Antiochlens fui lui qui sacra Pierre Moghlla. La preuve est faite et leurs disciples ne pourraient plus désormais éviter aujourd'hui qu’il n'en est rien; cf. A. Malvy cl une condamnation; la controverse théopaschitc est M. Viller, La Confession orthodoxe de Pierre Moghila, ainsi le prélude de la querelle des Trois-Chapitres. Par dans Orientalia Christiana, t. x, n. 39, p. xm cl note3. ailleurs on faisait au monophysisme une concession Ses luttes Incessantes pour les Lieux-Saints lui coûtè­ au moins apparente. Un des grands reproches faits à Pierre le Foulon par les chalcédoniens c’était l'intro­ rent beaucoup d’argent et le mirent plusieurs fois au bord de la ruine. De là de fréquents voyages de quête duction dans le Trisagion des mots 8ι’ ημάς έσταυρωμένος. Or. voici que l'expression était maintenant im­ dont il profilait d ailleurs pour combattre les mis­ sions catholiques, comme il lit en Géorgie en 1635. posée par l'autorité impériale et pontificaleI N’y avaitL’année précédente, le votévode Vasile de Moldovail pas là de quoi scandaliser? lachlc lui avait donné d'un seul coup la somme de Et voilà comment le fait pour Jean 11 d'avoir cédé 50 000 florins. Il mourut à Constantinople le 15 dé­ aux exigences de Justinien est gros de conséquences. A la doctrine antlochienne de I Homo assumptus qui, cembre 164 I cl fut enterré, aux frais des princes de Moldavie, dans l'église de la Panaghia de HalkL reconnue dans l’Aclc d’union de 433, avait triomphé a Chalcédoine, se substituait la théologie byzantine de 1 hvopbane fut en relations avec les protestants par l'intermédiaire de l’ambassad.· dis Pays-Bas ù Conv i’t’nus de Trinitate incarnatus qui s’exprimera au 513 THÉOPHANE DE JÉRUSALEM — THÉOPHANE DE NICÉE lanllnoplc et surtout par le pasteur Antoine Léger, aumônier de celle ambassade. Il recourut plusieurs fols ù lui, soit pour soutenir Cyrille Lucaris, soit pour s’en faire aider dans ses tract allons avec les Turcs au sujet des Lieux-Saints. Il fut un partisan convaincu de Cyrille Lucaris, surtout dans sa lutte contre l’Église catholique. Aussi quand les Bulhènes. émus de la confession de foi nettement calviniste du patriarche de Constantinople» envoyèrent a Théophane une dépu­ tation à Jassy pour lui demander si son collègue était vraiment tombé dans l’apostasie, il répondit que ( ’était ΙΛ une infâme calomnie ( 1630). Voir art. Li < ah, L ix, col. 1015-1016. Il composa même à leur inten­ tion un traité en seize chapitres afin de prouver que Cyrille Lucaris était complètement innocent des accu­ sations portées contre lui. Un de scs successeurs, Dosi­ thée (1669-1707), a transcrit le premier chapitre de cet ouvrage dans la préface de sa Confession de foi (1699). E. Legrand, Bibliographie hellénique du χν/p siècle, t. ht, p. 71-72. 11 est intitulé : 8τι ή άνατολική έκκλησίχ της των Λουτέρων καί Καλβίνων αίρέσεως ού μετέχει. Sa réfutai ion est des plus simples. Tout ce qu’on dit contre Cyrille est une invention des La­ tins. Cyrille honore les images comme tous les ortho­ doxes: il admet le libre arbitre puisqu’il dit que la semence de tout bien vient de Dieu et que c’est à nous à l’arroser par le choix que nous faisons du bien et du mal; il croit que le pain et le vin sont changés au corps et au sang du Sauveur â la messe; il n’est pas en com­ munion de fol avec les luthériens et les calvinistes, tout en entretenant de bonnes relations avec leurs ambassadeurs. S’ils constatent la faillite de l’Église romaine, peut-on les en empêcher? Peut-on aussi s’empêcher de voir que la source de toutes ces héré­ sies soit le pape? Et c’est lui qui accuse d’athéisme les orthodoxes qui suivent fidèlement les Pères! Théophane était-il sincère en disculpant Cyrille Lucaris? C’est possible, quoique très douteux. 11 n’ignorait certes pas l’intimité qui existait entre le patriarche de Constantinople et le pasteur Léger, avec qui il entre­ tenait lui-même des relations, aussi peut-on se de­ mander s’il n’était pas au courant des tractations secrètes entre ces deux personnages. Dans ce cas, il aurait préféré donner le change à ses correspondants en niant purement et simplement les faits. D’après Dosithée de Jérusalem, llcpl των έν Ίεροσολύμοις πατριαρχευσάντων p. 1180, col. L Théophane a également composé un traité contre les Latins au sujet de la procession du Saint-Esprit : Συνταγμάτιονπερίέκπορεύσεως του 'Αγίου Πνεύματος, qui ne semble pus avoir été publié. Chr. Papadopoulos,* Ιστορία τής Ίεροσολυμιτικής 'Εκκλη­ σίας, p. 187-520; E.-G. Pantélakès, au mot Ηεο^ανης, dans Μεγάλη *E/> vtzr, 'I puziozaiLii, t. xit. p. 510; A.-C. Dôrnôtrncopoulos, *< Ιρόοδοξος Ί λλάς,ρ. 155. H. Janin. 3. THÉOPHANE III DE NICÉE. théologien byzantin, métropolite de la ville au xiv® siècle, mort entre juin 1380 cl mai 1381. I. Vie. IL Œuvres. I. Vie. — De la vie du personnage nous connaissons fort peu de chose. Sa première mention comme évêque de Nicée date de 1360 : signature au bas d’un acte publié en 1927 dans la revue grecque ΈπετηρΙς έταιρείας βυζαντινών σπουδών. I. ιν, p. 218. En 1369, nous le voyons dans l’entourage de l’cx-cmpcrcur Jean VI Cantacuzcnc, devenu moine sous le nom de Joasaph (f 15 juin 1383). Paul, patriarche latin de Constantinople, préoccupé de procurer l’union des Églises, veut se renseigner sur la controverse palamite. qui fait rage depuis une vingtaine d’années et divise les Byzantins en deux factions rivales. Il s’adresse, dans ce but, Λ l’ex-empcreur, grand protecteur des palamiles, par une lettre, que Jean a traduite en grec niCT. DK TIIÉOL. CATIIOL. et a insérée dans un recueil de documents encore iné­ dits. Cf. les ms·» Vaticani qrtrei 673 et 674, datés de 1371, et les mss Paris. 1241 cl /242, qui sont sans doute des autographes. Craignant sans doute de se compro­ mettre, le moine Joasaph ne répondit pas directement au prélat lutin. Il chargea l'évêque de Nicée, Théophanc, de le faire à sa place. Cette réponse nous est parvenue dans plusieurs manuscrits et nous en repar­ lerons tout à l'heure. Elle nous montre en Théophane un disciple fidèle de Palamas, soucieux pourtant d’évi­ ter certaines outrances de la terminologie palamite. Évêque de Nicée, Théophane ne put prendre posses­ sion de son siège, sinon durant tout son épiscopat, du moins pendant plusieurs années, les Turcs ayant occupé la ville dès 1330. Le pasteur en fut réduit à en­ voyer des lettres à ses ouailles. Il séjourna habituel­ lement à Constantinople, prenant part au synode permanent. Nous le voyons paraître au synode du 21 janvier 1370, sous le patriarche Dosithée, où 11 signe : < évêque de Nicée et exarque de toute la Bithy­ nie », Miklosich et Millier, Acta patriarchates Constantinopolitani, t. î, Vienne, 1860. p. 531; à celui du 9 mai 1371, cf. P. G., t. eut, col. 1441 C; à celui de juin 1380, Miklosich et Müller, op. cit., t. ri, p. 7. A partir de cette date, l'histoire le perd de vue. Nous savons seulement qu'en mai 1381 il avait pour suc­ cesseur sur le siège de Nicée un certain Alexis. /bid., p. 25, 27. 11 est donc mort, ou a démissionné, entre juin 1380 et mai 1381. II. Œuvres. — 1® Œuvres pastorales. — L'héritage littéraire de Théophane est assez considérable mais presque entièrement inédit. Il ligure dans la P. G. par trois de scs mandements à scs ouailles, que publia pour la première fols, à Borne, en 1590, Gonzalve Ponce de Léon, en présentant leur auteur comme identique à saint Théophane Graptos, surnommé le Confesseur, mort évêque de Nicée en 815, maigre la mention ex­ presse de l’hérésie de Barlaam et d'Acyndine dans le premier document : Theophanis archiepiscopi Nicxni qinv exstant opera nunc primum ex bibliotheca oaticana gnree et latine edita. D. Consalvo Ponce de Leon inter­ prete, qui annotationes etiam addidit et carias lectiones ex alterius codicis collatione, Borne, 1590, reproduit dans P. G., t. cl, col. 279-350. Ces mandements sont & la fols édifiants et doctrinaux. Les deux premiers sont adressés à tous les fidèles en général; le troisième est destiné spécialement aux membres du clergé et constitue un petit résumé de théologie avec des consi­ dérations sur le sacerdoce. Le premier fut écrit aussitôt après la nomination de Théophane. avant son ordi­ nation, alors qu’il était encore υποψήφιος. Le pré­ lat exhorte ses ouailles à mener une vie vraiment chrétienne et les met en garde contre la nouvelle hérésie de Barlaam cl d’Acindyne. Le second est une longue exhortation à I? patience et à la longa­ nimité. 2® Œuvres polémiques. — En dehors de ccs mande­ ments, Théophane a laissé surtout des traités de polé­ mique religieuse. 11 a bataillé à la fois contre les Juifs, contre les antipalamitcs el contre les Latins. 1. Contre les Jui/s : Πραγματεία κατά * Ιουδαίων bs τμήμασι τρισΐ καί λόγοις θ', ouvrage inédit con­ tenu en entier dans le Vatic, grue. 372, contemporain de l’auteur. L’ouvrage est divisé en trois parties : les deux premières parties comprennent chacune quatre λόγοι ou traités ; la troisième partie est divisée en 25 chapitres. C'est d'après celte division du manus­ crit Vatican qu’il faut corriger les données contradic toires fournies tant par les catalogues des manuscrits que par les historiens de la littérature byzantine sur le nombre des traités de l’ouvrage, Eabricius-Harlès, Bibliotheca grtrea, t. xr, Hambourg. 1808. p. 221, signale une traduction latine de cet ouvrage faite par T. — XV. — 17. 515 THÉOPHANE François Torrès, S. J., ct conservée manuscrite an Collège romain. 2. Contre les barlaamites et les acindynistes. — Théophane a laissé un ouvrage en cinq livres sur la lumière lhaborique, contenu dans plusieurs manuscrits, no­ tamment dans le Pansinus 1219 (xv· s.), fol. 26-112. D’après le litre du 1. I dans ce ms., nous aurions dans cet ouvrage un développement delà Réponse aux ques­ tions posées à Jean Cantacuzènc par le patriarche latin de Constantinople Paul, mort avant le 10 février 1371. Cette Réponse à Paul porte le titre suivant dans les mss : Επιστολή έν έπιτόμω δηλούσα τίνα δόξαν ίχει ή καθ’ημάς 'Εκκλησία περί των παρά τού Παύλου προενηνεγμένων ζητήσεων συγγραφείσα παρά Νεοφα­ νούς, έπισκόπου Νικαίας ως έκ προσώπου τού βασιλέως, dans le Paris, græc. 1249, fol. 20-25, le Panleleim. Athonensis 179, du xvi· siècle, fol. 108 sq. Théophanc est encore l’auteur du dialogue antipalamilc Intitulé : Διάλεξις ορθοδόξου μετά βαρλααμίτου κατά μέρος άνασκευάζουσα την βαρλααμιτίδα πλάνην. Cf. S. Lambros, Catalogue oj the Creek ma­ nuscripts on Mount Athos, I. i, Cambridge, 1895, p. 358. C’est par erreur qu'A. Ehrhard, dans Krum­ bacher, Gesch. der byzant. Literatur, 2e éd., p. 105, lui a attribué le dialogue intitulé Θεοφάνης ή περί Οεότητος καί τού κατ'αύτην άμεΟέκτου τε καί μεΟεκτού, qui appartient Λ Grégoire Palamas : édition de Matthæi dans le t. xi des Lectiones Mosquenscs, reproduite dans la P. G., t. cl. col. 909-960. 3. Contre les Latins, c'est-à-dire spécialement contre la doctrine de la procession du Saint-Esprit a Filio, les manuscrits signalent de notre théologien un traité en 3 livres. Voir, en particulier, le Cod. Raroccianus i Oxoniensis 193, du xiv* siècle, fol. 88-251; ct. Henri O. Coxc, Catalogi codd. mss bibliothecæ Rodleianæ pars I recensionem codd. græcorum continens. Oxford, 1853, p. 327 (Coxc date, par erreur, le ms, du xvi· s.). Le ms. 246 de la bibliothèque synodale de Moscou (xvi* s.) parle d'un quatrième livre contre les La­ tins, commençant par les mots : Τοϊς προεστηκόσι καί ύπεραγωνιζομένοις της κατ’ ευσέβειαν άληΟείας, fol. 261-264. Cf. Vladimir, archimandrite, Description systématique des manuscrits de lu bibliothèque synodale de Moscou, t. i, Manuscrits grecs (en russe), Moscou. 1891. p. 329. On trouve le mémo petit traité dans le Cod. Marcianus Vendus '06, qualifié de Sermo dogma­ ticus par M. Zaneltl, Græca D. Marci bibliotheca codd. mss per titulos digesta, Venise, 1710, p. 271. De plus, le Raroccianus Oxoniensis 193, fol. 82 \°-87 v°. contient un court Traité sur la Trinité. Cf. Coxc, op. cit.,p. 327 : Inclplt : Τοϊς πρδ μικρού σταλεΐσι της σης συνέσεως γράμμασι. Cela ferait donc en tout un ouvrage en trois livres et deux autres petits traités que Théophanc aurait écrit sur la procession du Saint-Esprit, car nous soupçonnons que l’opuscule sur la Trinité se rapporte aussi Λ ce sujet. Mais tout cela aurait besoin d'être contrôlé de près. Il pourrait se faire que les deux petits traités en question ne soient que des extraits de l’ou­ vrage en trois livres. Ce qui est sûr, c’est que ces λόγοι sur la procession du Saint-Esprit n’étaient pas du premier venu : Georges Scholarios, au siècle suivant, en faisait le plus grand cas et les plaçait à côté du grand ouvrage de Nil Cabasilas, où les adversaires du Filioque, au concile de Florence, allaient surtout pui­ ser leurs arguments; cf. Scholarios, Premier traité sur la procession du Saint-Esprit, dans Œuvres complètes, t. n, ParK, 1929. p. 3. Voir aussi : Troisième traité sur la procession du Saint-Esprit, ibid., p. 485. 4. Traité philosophico-théologique sur l'éternité du monde. Intitulé dans les manuscrits : Άπόδειξις έπ;βολών τννων άυαγκχίων νσμιζομένων, ότι έδύνατο έξ άιδίσυ γεγενησΟαι τα όντα... καί ανατροπή ταύτης καί έλεγχος της απάτης της δοκούσης έκ των επιχειρη­ DE NICÉE 516 μάτων ανάγκης; cf. le Paris, græc. 1249 (xv· s.), fol, j. 19. Par le litre on voit que Théophanc soutient la thèse diamétralement opposée à celle de suint Thomai dans la Somme théologique cl l’opuscule De ælernilalt mundi. Il y a même tout û parier que l’évêque de Nicéc réfute directement ce dernier opuscule, que Prochoros, le frère de Démétrlus Cydonès venait de traduire en grec. Cf. G. Mercali, Notizte di Procorot Demetrio Cidone, Manuele Caleca c Teodoro Mehleniota ed altri appunti per ta storia della teologia e della telleratura bizanlina del sccolo xtv. Home, 1931, p. 33, n. 2. 3° Œuvres liturgiques, — Notre auteur a laissé quel­ ques compositions liturgiques, qu’il faut se garder de confondre avec celles de son illustre homonyme cl prédécesseur sur le siège de Nicéc. saint 'l’héophane Graplos, un des plus célèbres mélodcs byzantins. 11 faut signaler tout «l'abord 1’Oratio eucharistica ad Dominum nostrum Jesum Christum pro liberatione pestis et mortis, éditée par Ponce de Léon avec les trois mandements aux fidèles de Nicéc : Εύχή εύχαριστήριος είς τον Κύριον ημών Ίησούν Χριστόν ^ηΟεϊσα ύπέρ άπαλλαγης λοιμού καί θανάτου, P. G., I. cl, col. 351-356. Elle parait authentique. Le Rarberinus græc. 351 ancien (111-70) porte au compte de notre auteur quatre canons : t. In Eudocium; 2. In Thcophglaclurn, episcopum Nicomediæ; 3. In Sophronium, patriarcham Hierosolymitanum; 4. In Theophanem. Ce dernier canon en l’honneur de saint l’héophane Grap­ tos, patron de notre Théophanc, fait bien augurer de l’authenticité des trois autres. 4° Traité sur la médiation universelle de la Mère de Dieu. — Le meilleur des écrits théologiques de Théophane, composé en dehors de toute préoccupation polémique, est sans doute ce long discours ou traité sur les grandeurs de la Mcrc de Dieu qui n’était connu jusqu’à ces dernières années que par le seul litre donné par deux mss ct que nous avons publié en 1935 sous le titre : Theophanes Nicænus. Sermo in sanctissimam Deiparam. Texlus græcus cum interpretatione latina, introductione et criticis animadversionibus, Rome, 1935 (dans Lateranum, nouv. scr., an. i. n. I), d’après le cod. Raroccianus Oxoniensis 193, du xivr siècle. Le titre donné par l’auteur à son œuvre en indique bien la thèse fondamentale : Discours sur Notre-Dame la Mère de Dieu tout immaculée et toute sainte, célébrant de diverses manières, tout au long, ses grandeurs ineIJa blés ct dignes de Dieu, montrant que le mystère de l'incar­ nation de Dieu le Verbe est la rencontre et l'union de Dieu ct de toute la création : ce qui constitue le bien suprême et la cause finale des êtres. Ce discours, sans être un traité complet de mariologlc. encore moins un traité complet du mystère de l’incarnation, louche à la fois à ces deux sujets. C'est une vue d’ensemble sur tout le plan de Dieu dans ses œuvres ad extra, une sorte de conception du inonde illuminée par les don­ nées de la fol. La thèse fondamentale est celle-ci : dans le plan divin conçu de toute éternité, la création de l’univers entier est subordonnée Λ l’incarnation du Verbe.de telle manière que, si le Verbe n'avait pas dû s’incarner, le monde n'aurait pas été créé. Sans l’incarnation, la création aurait été une œuvre inutile et vaine, parce qu’elle aurait été imparfaite. En voici la raison : dans la réalisation «lu plan divin de la créa­ tion, il faut distinguer deux étapes. Dans la première, qu’on peut appeler la création première, Dieu lire les êtres du néant ct leur donne la simple existence, τό απλώς είναι. Dans la seconde, il leur confère, par l’in­ termédiaire du Verbe incarné ct «le sa Mère, l’existence heureuse, la vie parfaite, le vrai bien être, τδ εύ είναι. A quoi eût servi la simple existence aux créatures Intellectuelles, si celles ci n’avaient pas dû parvenir û l'existence heureuse? D’elles on aurait pu dire ce que le Sauveur a «lit «lu traître : Ronum erat ei si natus non 517 TIIÉOPHANE DE NICÉE fuissd. L'existence heureuse, la seconde création, n'est pas autre chose que la déincation, ή Οέωσις, par la grâce, des créatures intellectuelles, anges cl hommes ct, d'après le plan divin, celle déification est un effet, un fruit de l’incarnation du Verbe. Pourquoi? Parce que, dans sa bonté et afin d'être tout en tous, Dieu s’csl uni hyposlatIqucmcnt la création tout entière en la personne de son Verbe fait homme. L'homme, en effet, csl un microcosme, un petit momie résumant lout l’univers, réunissant en lui le monde sensible ct le inonde spirituel, la matière cl l'esprit. En s’unissant à une nature humaine complète, le Verbe s’csl uni, par le fait même, à la création tout entière. Toutes les créatures ont ainsi contribué, pour leur part, à la formation du chef-d'œuvre de Dieu ad extra, à la cons­ titution de l'Homme-Dleu. Dieu ne s'est pas uni à une nature angélique, parce que l’ange, quoique supérieur à l'homme par la perfection de son être, n’est pas, comme lui,le · nœud delà création *, suivant l’expres­ sion du Damascene. Devant s'incarner, le \ erbe avait besoin d’une mère. Il convenait qu’il choisit pour celte dignité celle d'entre toutes les créatures Intellectuelles, anges ou hommes, qui s’en montrerait le plus digne par sa correspondance ft la grâce. Par sa prescience, Dieu a vu que celte créature était la Vierge Marie. Si le Verbe n’avait pas dû s’incarner, celle-ci aurait oc­ cupé le premier rang parmi les séraphins. Mère du Verbe fait homme, Marie tient la première place dans la hiérarchie des êtres créés ct vient immédiatement après ΓΙ lomme-Dicu, son Fils. Son rôle est celui de médiatrice universelle après et lout ft côté du Média­ teur universel. Cette médiation est à la fois d’ordre physique, par le fait même de la maternité divine, et d’ordre spirituel et surnaturel, parce que Jésus, source première des biens divins, les distribue ft la fois aux anges cl aux hommes par l'intermédiaire de sa Mère, qui est le second réservoir dans lequel se déverse la plénitude de ta divinité, le cou du corps mystique du Christ constitué par les anges ct les hommes. Nulle grâce, nulle in fluence vitale de la tête, qui csl le Christ, sur les membres de ce corps, qui ne passe par elle. C’est bien la thèse de la médial ion universelle de la Mère de Dieu telle que l'entendent les théologiens catholiques de nos jours. C’est aussi la thèse scolisle sur le motif de l'incarnation développée dans toute son ampleur. 11 ne semble pas, du reste, que Théo· phane, soit tributaire, en quoi que ce soit, de la théo­ logie occidentale. Pour établir sa théorie, il n’en ap­ pelle qu’â l’autorité de Maxime le Confesseur et du Damascène. Il cite aussi souvent le Pseudo-Denys l’Aréopagitc, dont il emprunte fréquemment le voca­ bulaire étrange. Par contre, il nc fait aucune allusion aux magnifiques passages des épîtres aux Éphésiens et aux Colossicus sur la primauté du Christ, qui au­ raient pu étayer utilement sa conception. A un endroit de son discours (J 13, p. 72 de l’édi­ tion), Théophanc enseigne explicitement que les anges n’ont obtenu la déification complète, la vraie béati­ tude, la connaissance parfaite du mystère de I I lommeDicu que postérieurement à l’incarnation. Ils ont sans doute été initiés en quelque façon ft ce mystère avant sa réalisation dans le temps; mais la connaissance qu’ils en ont eue n'a guère dépassé celle des patriar­ ches cl des prophètes. Nous avons rassemblé, dans l'introduction Λ notre édi­ tion du discours sur la Vierge, ce qu’on peut savoir actuel­ lement do la vie et dos œuvres «le Theophano avec l’indi­ cation des sources. Sur la médiation universelle de Marie d’après ce discours, voir le travail du P. Pierre Aubron, /x discours dt Théophanc de λ fn'e sur la très sainte Mère de Dieu, dans Hedi. dr science rd., I. XXVii, p. 257271. M. J VOIE. THÉ0PH1LANTHR0PIE THÉOPHILANTHROPIQUE 518 (CULTE). Culte des omit de Dieu d des hommes, ce culte est la dernière de ces créations Λ caractère plus ou moins religieux dont sc servit la Dévolution pour saper les disciplines de l’Église catholique cl substituer ft son culte proscrit une religion civile. Toutes tentatives qui devaient échouer, condamnées d’avance comme le sont toutes les violences faites Λ l’histoire, A la race, à la fol d'un peuple. Après le schisme de la Constitution civile du clergé (voir l’article) établi par la Constituante pour rompre tous les liens d’autorité et de juridiction qui rattachaient l’Église de France ft son chef suprême; après l'institution par la Convention du calendrier républicain, essai public de divinisation de la Nature, suivi du Culte de la liaison, glorification matérielle des théories philosophiques du xvm» siècle; après la ten­ tative théiste de Robespierre faisant décréter par cette même Convention le culte de l’Élre suprême (18 floréal an II) ct s'en sacrant lui-même le grand pontife; comme pour corriger sous une forme nouvelle les erreurs ct l’insuccès de ces téméraires entreprises de déchristianisation, parut sous le Directoire, ver» la fin de 1796, un nouveau culte procédant lui-même de la Religion naturelle si vantée par les philosophes de celle époque. Ce fut la Théophilanlhropie ou culte des théophilanthropes ou théoandropbilcs. L’esprit de Voltaire en fut le principal inspirateur, comme celui de Rousseau avait inspire Robespierre dans la créa­ tion du culte de l’Élre suprême. I. Origines et fondateurs. — En nommant Vol­ taire, nous évoquons l’origine étrangère de ce nouveau culte. L’auteur des Lettres philosophiques en avait importé l’idée d’Angleterre. 11 avait clarifié, formulé, popularisé en France la conception d’un culte exclusif de toute mystique et indépendant de toute révélation, principes qui deviendront la base de la Théophilanthroplc des Anglais. Les Anglais reprirent ft leur compte la religion naturelle de Voltaire pour en es­ sayer l’application. C’est ainsi qu'en 1776 on vit David Williams, auteur «l’une liturgie fondée sur les prin­ cipes universels de religion et de morale, reunir les Free Thinkers ou libres penseurs anglais dans un temple ft Londres pour y adorer Dieu cl s’y encourager ft l'amour des hommes. Celle lentatise ft laquelle Voltaire devait applaudir, comme le grand Frédéric, n’obtint guère qu’un succès de curiosité. Mais elle (ut, comme on dit, montée en épingle dans les milieux phi­ losophiques, où l’on se plut ft recommander une reli­ gion dégagée de toute dogmatique et une morale que l’on déclarait · admise de tout temps par les honnêtes gens ». Les Lettres philosophiques de Voltaire, connues encore sous le titre de Lettres aux Anglais, contribuè­ rent particulièrement ft la diffusion de sa religion naturelle. Elles ne pouvaient qu’inspirer les précur seurs immédiats de la theophdanthropie : Thomas, Plaine. Daubcrmesnil, Sobry, dont les Etudes ct leçons de M. Aulard (l. n, p. LIS) sauveront peut-être les noms d’un complet oubli. L’un d'eux. Sobry, avait publié une brochure intitulée :/ appel du peuple fran­ çais à la sagesse rt aux principes de la morale I n annonçant col écrit dans son numéro du 13 ventôse, an IV, le journal L'Ami des Lois devait préciser par avance les tendances de la nouvelle religion et son caractère exclusivement rationaliste : « Nous dernan dons, disait-il, depuis huit mois, ft mains jointes qu’on veuille bien nous donner la morale avec laquelle nous pourrions redevenir l’honneur et l'admiration de l'Eu­ rope, cl nous passer du catholicisme, du mahométanisme, du protestantisme et autres cultes fabriqués par la main des hommes cl présentés sous une enve loppe céleste. Nous avons prié tous les bons citoyens de s’occuper de cet important ouvrage cl d’apporter 51 » T1IÉ0PHILANTHR0PIE chacun une pierre pour l’édifice du théisme cl de la philanthropie. · Daubermesnll, député ù la Conven­ tion, avait répondu Λ ce vœu en créant l’association des théoandrophilcs, berceau de la théophllanthrople. Mais la pierre angulaire de l’édifice fut apportée par Chemin, professeur, littérateur et libraire, que l’on peut regarder comme le véritable fondateur du culte qu’il exerça sous le Directoire. Il rédigea le Manuel des théophilanthropes dont Γ Année religieuse développa les principes. Il fut aidé dans celte œuvre par quatre collaborateurs : Moreau, Mandar, Jeanne cl Haûy, qui devinrent, avec Chemin, les chefs de la nouvelle socle. De ces quatre collaborateurs l'histoire n'a retenu que le nom de Valentin Haûy, le fameux éducateur des aveugles. IL La doctrine tiiéophilanthropique.—La théo­ philanthropie s'apparente aux autres croyances reli­ gieuses par sa reconnaissance de l’existence de Dieu ct de l’immortalité de l’âme; elle s’en distingue par son refus d’admettre aucune révélation surnaturelle ct aucun dogme mystique, qu’elle remplace par une pro­ fession de foi en la fraternité et en l’humanité. Scs adeptes poussent même le libéralisme jusqu'à admet­ tre dans leurs assemblées des athées comme Sylvain Maréchal. Le fait est moins contradictoire qu'il ne parait, puisque certains d’entre eux, dans le Doubs, en particulier, s’intitulent seulement philanthropes. Cependant le groupe dans son ensemble est déiste. Le Dieu auquel il fait profession de croire est le Dieu de Voltaire ou < Dieu de la raison »et, pour quelques-uns même, le Dieu élargi de Diderot dans le culte de i’éternc’lc ct universelle nature. Ce déisme préconisé par les philosophes était alors la forme la plus populaire de la Libre pensée. Deux, traits sont â signaler dans ce qu'on pourrait appeler la doctrine théophilanthropique : 1° son esprit de tolérance; 2° son caractère avant tout pragma­ tique. 1° Les théophilanthropes ne doivent proscrire, ni condamner, ni attaquer aucune autre religion. « Ils les respectent, disent-ils, cl les honorent toutes, évitent toute controverse de propagande. » Telle est la leçon qui leur vient de leur fondateur : « Loin de chercher, dit Chemin, à renverser les autels d’aucun culte, vous devez même modérer le zèle qui pourrait vous porter à faire des prosélytes nu nôtre. Professez-le modeste­ ment ct attendez en paix que ceux à (pii sa simplicité convient sc joignent à vous... Soyez circonspects... Ne cherchez pas à foire des prosélytes... Ne vousoccupant. dans vos fêles, que de la religion et de la morale, il ne doit par conséquent y être jamais rien avancé qui ne convienne à tous les temps, à tous les pays, à tous les cultes, â tous les gouvernements. » On verra plus loin que ces conseils ne furent pas longtemps ceux qui gui­ dèrent l’action des adeptes de la théophilanthropie. 2® 1) y a la morale et il y a la religion. Pour les théophilanthropes la religion est avant tout, sinon exclusivement, destinée à faciliter la pratique des devoirs que commande la morale et surtout l'amour de la patrie ct l'amour de lu république. La morale théophllnnthroplqur, dégagée des sanctions ct de l'obligation qu’apporte le christianisme, se borne à énoncer des principes généraux comme les suivants : • Le bien est tout cc qui tend à conserver l’homme ou ù le perfectionner. Le mal est tout ce qui tend à le détruire ou â le détériorer. El par ce mot : l’homme, • on n’entend pas un seul homme mais l’espèce hu• malnc en général ». La religion consistera surtout à t'a*M*mblcr soit dans la famille, soit dans le temple pour s'encourager à pratiquer la morale, D'ou le carac­ tère pragmatique que nous lui avons donné et qui res­ sort encore du fait que les théophilanthropes aspire­ ront plus tant à confondre toutes les religions dans une 520 sorte d’Institut de morale. Et ce sera la principale originalité de leur enseignement. III. Le culte. — Il n’y a pas de religion même rationaliste, mémo laïque, sans manifestations exté­ rieures, c’est-â-dirc sans culte. Les théophilanthropes définissent ainsi leur action : < Notre assemblée est culte el n’est pas culte. Elle est culte pour ceux qui n'en ont pas d’autre, elle est seulement société morale pour ceux qui ont un culte. » El cette distinction révèle des ten­ dances analogues à celles qui caractérisent la théowphlc telle qu elle se pratique de nos jours. Le culte théophilanlhropique eut donc ses temples, grâce à la haute protection de La Rcvclllère-Lcpeauxct du Direc­ toire qui favorisèrent les réunions de la secte comme étant « les écoles de la plus saine morale ». Les théo­ philanthropes n'occupaient d’abord que trois ou quatre temples. Mais, en vendémiaire an VII, ils s'étaient installés dans quinze églises de Paris où ils célébraient leur culte en cohabitation le plus sou­ vent avec les autres cultes, à des heures différentes. Grégoire rapporte dans son Histoire des Sectes que le Directoire paya aux théophilanthropes les frais de leur installation à Notre-Dame. Cette cohabitation des cultes sous le régime de la séparation ne se fit point de bonne grâce. C’est ainsi qu'en l’an VII, à Paris, la municipalité du IXr arrondissement s'étant réservé pour le culte décadaire le chœur et la nef de NotreDame et ayant relégué le culte catholique ct le culte théophilanthropique dans les bas-côtés, les catholi­ ques sc montrèrent très justement froissés de celle disgrâce. Les théophilanthropes exigèrent seulement qu'on leur remboursât cc que leur avait coûté l’érec­ tion de l'autel en plâtre qu’ils avaient érigé dans le chœur de l’antique basilique cl que les adeptes du culte décadaire avaient détruit. Comme les temples protestants, les temples des théophilanthropes doivent exclure toute décoration, toute pompe. Quelques inscriptions morales comme celle-ci : < Adorez Dieu, chérissez vos semblables, rendez-vous utiles à la Patrie ; un autel simple sur lequel ils déposent en signe de reconnaissance pour les bienfaits du Créateur quelques fleurs ou quelques fruits, suivant les saisons, une tribune enfin pour les lectures ou discours, voilà tout l’omcment du temple théophilanthropique. Les orateurs el lecteurs peuvent revêtir un costume spécial : habit bleu, ceinture rose, mais le costume n’est pas obligatoire. Les rites du culte, célébré d’abord le décadi, puis le dimanche, sc déroulent dans l'ordre suivant : les cérémonies commencent par une invocation au Père de la nature, à laquelle succèdent quelques minutes de silence où chacun fait tout bas son examen de cons­ cience. - Le chef de famille peut aider cet examen par diverses questions auxquelles chacun se répond ù lui-même tacitement. » On entend ensuite des dis­ cours, on chante des cantiques en langue française, on se met en face du Dieu de la nature. A l’occasion, on procède à la célébration des baptêmes, des mariages ct des funérailles. Ceux qui pour ces cérémonies fai­ saient fonction de prêtres (car la théophllanthrople n’en avait pas d’autres que scs adeptes) revêtaient une robe blanche assez semblable à une aube ct scrrécà la taille au moyen d’une ceinture tricolore. Un autre trait caractéristique du culte théophilanlhropique, c’est l’hommage rendu aux hommes qui ont honoré l’humanité t Socrate, saint Vincent de Paul. JeanJacques Rousseau, Washington, défilent tour à tour dans ce palmarès des hommes illustres. Ce culte rationaliste pouvait convenir à des libres penseurs, mais il était trop froid pour rallier la masse de la nation, habituée aux splendeurs et au symbo­ lisme du culte catholique. En vendémiaire an VII. les théophllanlhropcs s’étaient Installés, comme nous 521 TI1É0P HILANTIIHOPIE 522 Pavons vu, dans quinze églises de Paris. C'était trop Directoire un instrument de guerre contre l'Égllse pour leur nombre, ils ne purent fournir â chacun de catholique? C'est bien le fait qui résulte de l’ensemble de sa politique. leurs temples qu'un petit groupe d'adhérents. Leurs exercices qui, ή l’origine, avalent attiré beaucoup de La constitution volée par la Convention le 22 août curieux ne furent plus suivis bientôt que par les véri­ 1791 et dite Constitution de l'un III déclarait sans tables fidèles qui à chaque réunion devenaient plus doute (art. 354) que «Nid ne peut être empêché «l’exer­ rares. En frimaire an VI! (décembre 1798), le com­ cer en sc conformant aux lois le culte qu’il a choisi ». missaire du Directoire, Dupin, déclare qu’ils « sem­ Elle affirmait que < Nul ne peut être forcé de contri­ blent disparaître ». Il en donne celte raison : « Ceux qui buer aux dépenses d'un culte », qu’en fin · la Bépusuivaient leurs assemblées par civisme semblent pré­ bllque n’en salarie aucun ». Ges principes qui consti­ férer les fêtes décadaires et ceux qui y allaient pur tuaient le régime de l'État laïque, celui de la séparation curiosité n’éprouvent plus d'attrait. » En nivôse de l’Églisc ct de l'État n’avaient pas empêché la an VU, le meme commissaire relate : · Les théophi­ Convention de multiplier contre tous les ecclésiasti­ lanthropes existent encore, mais leur nombre ne s'ac­ ques, sans excepter les prêtres constitutionnels, des croît pas et leur existence est sans éclat. » La réduction décrets de terreur el de mort. Cet esprit de malveil­ résultant de cet abandon finit cependant par sc fixer lante intolérance ù l’endroit de l'Égllse catholique fut ct.cn germinal an VII. Dupin peut encore écrire sur le également l'esprit qui inspira la conduite du Direc­ même sujet : « Sans accroissement ni diminution », toire. Son parti pris d'hostilité sc manifesta en parti­ Paris pendant la réaction, t. v, p. 96, 172, 237, 273, culier dans une lettre, signée de trois de ses membres, 327, -179. La Hevellièrc-Lcpcaux, Barras ct Reubcll, qui fut Ce prétendu culte n'eut d’ailleurs quelque consis­ adressée nu général Bonaparte le 15 pluviôse an V tance qu’à Paris. Après moins de cinq ans d’existence (3 février 1797). Il y était dit ; · Le Directoire exécutif a cru s’apercevoir que le culte romain était celui dont il ne comptait plus qu’un petH noyau de fidèles, II faut reconnaître cependant, qu’à defaut du nombre, les ennemis de la liberté pouvaient faire d’ici long­ la théophilanthropie réussit à grouper une élite assez temps le plus dangereux usage... Il est sans doute variée dans sa composition. On y vit, rapporte M. Au- des moyens à employer dans l’intérieur pour anéan­ lard (Histoire politique de la /{évolution, p. 618), d’an­ tir insensiblement son influence soit par des voles légis­ ciens constituants. d'anciens conventionnels, d'anciens latives, soit par des Institutions qui cfTaccraicnt les ministres, des membres de l'institut entre autres anciennes Impressions en leur substituant des impres­ Creuzé, Lalouche, Goupil, de Prcfelne, Dupont (de sions nouvelles plus analogues à l’ordre de choses Nemours), Bernardin de Saint-Pierre qui fut parrain actuel, plus conformes à la raison dû la saine morale... » à Saint-Thomas d'Aquin, Marie-Joseph Chénier, An- Archives nat.» AImr20, n. 288. Un des moyens pouvant servir à cette fin, cl que révèlent presque tous les drleux, le peintre David, Scrvan, Rossignol. Sanlerrc, Lambert y. Ulrich, l’ex-abbé Parmi, l’ex-abbé Danactes politico-religieux du Directoire, était « de favo­ jou, la citoyenne Augercau, mère du général, etc. Mais riser le développement de cultes nouveaux à base la masse de la nation resta indilierente ù celte tenta­ rationaliste de manière à ce qu’ils supplantent peu à tive d’organisation de la religion naturelle. Les raille­ peu les cultes anciens à base mystique ». Aulard, ries de la foule ne manquèrent pas d’ailleurs aux op. cil., p. 643. Mais, pour éliminer ainsi progressive­ adeptes de la secte. I.’aversion qu'elle lui inspirait sc ment la religion catholique de la conscience natio­ traduisit même quelquefois par des actes regrettables. nale, en faisant Γ éducation de celte conscience par un C’est ainsi que. le 20 nivôse an ÎX (10 janvier 1801), système laïque d’instruction publique ct de fetes civi­ des perturbateurs entrèrent à Salnt-Gcrvals « temple ques, quel autre culte répondait mieux aux vues sec­ de la jeunesse », y démolirent l'autel des théophilan­ taires du Directoire que le culte théophllantropique? thropes et arrachèrent leurs décorations. Mais les On ne saurait donc s'étonner de la protection et des jours du culte théophilanlhropique étaient comptes faveurs que les théophilanthropcs ne cessèrent de ren­ comme ceux du culte décadaire, aux cérémonies du­ contrer, tantôt secrètement, tantôt publiquement, quel, lors de la mise en activité du Concordai, les auprès de ce gouvernement. Un de leurs adeptes fonctionnaires publics étaient presque seuls ù assister. inavoués, le directeur La Bevellière-Lepeaux reconnaît Cf. Scioul, Le Directoire, l. iv, p. li t. La participation dans scs Mémoires qu'il sc chargea de plaider luique plusieurs sectateurs de < la religion naturelle < même auprès de scs collègues la cause de l’Églisc crurent devoir apporter au coup d’Etat du 18 bru­ théophilanlhropique. « Le Directoire, dit-il. en jugea maire, comme l’approbation de l’acte de Bonaparte ainsi, et donna des ordres au ministre de la police. ne sauvèrent pas le culte théophilanlhropique. La secte Sot in, pour protéger les fondateurs de cette nouvelle perdit d’abord la protection du gouvernement, lors de institution et pour leur accorder, sur les fonds de la la réaction qui suivit la victoire de Marengo. Puis, police, les 1res modiques secours dont ils pouvaient sans attendre la publication du Concordat, le premier avoir besoin pour la célébration d’un culte aussi simple Consul, ennemi de tous les idéologues, supprima le et aussi peu dispendieux. Certes les fonds secrets des culte par son arrêté du 12 vendémiaire un X ( I octo­ gouvernements n’ont pas toujours un emploi aussi bre 1801), lequel enlevait aux théophilanthropes la honnête ni aussi utile. » Aux frais encore du gouverne­ jouissance des édifices nationaux. En vain sollicitè­ ment. les lliéophilnnthropes purent installer leur culte rent-ils l’autorisation de louer un local pour la célé­ ά Notre-Dame, concurremment avec le culte catho­ bration de leur culte. Leur pétition resta sans réponse. lique, et obtenir plus lard ù Paris la jouissance de Selon Grégoire, Histoire des sectes, 1.1, p. 15 f. Chemin, quatre, puis de quinze el enfin de dix-huit églises ou le fondateur de la secte aurait continué secrètement le chapelles. Le ministre de I'intérieur crut rendre enfin culte dans une école où il donnait des leçons de latin. • un grand service aux progrès de la morale · en en­ La théophllanthrople mirait gardé encore quelques voyant gratuitement, sous son seing, le Manuel de Chemin dans les départements. On fil plus, le jury fidèles en maintenant sa doctrine,à défaut deses rites, dans certaines familles. Mais on peut dire, qu'à partir d’instruction approuva officiellement le catéchisme des de l’arrêté du 12 vendémiaire an X, elle perdit toute théophilanthropcs qui devint un livre classique cl existence légale ct partant toute Importance histo­ devait servir dans la pensée du gouvernement comme contre poids à l'enseignement catholique. 11 y aura rique. IV. La TiiéopiHLANTiinopiE et l’Église catho­ même une tentative pour faire déclarer la théophi­ lanthropie religion d’Élal. « Ce fui, dit M. Aulard, lique. — La thvophilanlhropic fut-elle au service du 523 THÉOPHlLANTHKOPll·: l’objet du discours sur l'existence ct l'utilité d'une reli­ gion civile en France, prononcé par Leclercq de Mainect-Loirc à la tribune des Cinq-Cents, le 9 fructidor an V (26 août 1797). Mais la tentative n’aboutit pas. » La théophilûnlhropic compléta finalement la fail­ lite de toutes ccs entreprises de déchristianisation que l’on vil sc succéder sous la Révolution. Elle fut éphémère comme les persécutions elles-mêmes. A la fin du Directoire, près de 40 000 églises avalent déjà été rendues au clergé. Le Concordat devait achever le rétablissement officiel du culte catholique et per­ mettre à la religion héréditaire de conduire, dans la splendeur de ses autels relevés cl plus que jamais aimés, les funérailles de tous ces cultes rationalistes imposés de force à la France et destinés à détruire des croyances ancrées nu tréfonds de l’âme nationale. Λ Autant, Histoire politique dr la Révolution française ( 17S9-1S01), Paris, 1905; Gregoire, Histoire des sectes reli­ gieuses, depuis le commencement du siècle dernier jusqu'à l'époque actuelle, 1810-1818, 5 vol. hi-8·; Hipp. Carnot, Mémoires de Grégoire (écrits en 1808, publiés en 1910), 2 vol. tn-8·; La Hevcllièrc-Lcpcaux, Mémoires (écrits pen­ dant la Restauration, encore manuscrits en 1883); Chemin, Manuel des IhéophilanUiropcs, ΓAnnée religieuse des théo­ philanthropes, I vol. in-18; Dupin, Paris pendant la réac­ tion, 5 vol. in-8·; Ludovic Sciout. Le Directoire ù Paris pendant la réaction, 4 vol. in-8·; Annales 66; un sermon sur l'assistance à la messe dans le cod. 34 » des mss décrits par G. Graf, Catalogue de mss arabes chrétiens conserves au Caire, Studi e testi, t. Lxm, V atican, 1934. p. 127; un sermon sans titre dans le cod. JJS de la même collection, op. ciL, p. 166. — 8. G. Zarbhanalean, Calalogue des anciennes traduc­ tions arméniennes (siècles iv-xm), Venise, 1889 (en arménien), p. 474 sq., signale deux discours de Théo­ phile d’Alexandrie pour le milieu du carême, deux panégyriques des quarante marisrs de Sébaslc ct un discours sur le récit évangélique de la femme prosti­ tuée qui fut Justi liée par son onction. Deux discours de Théophile sur les larmes el la confession des péchés (en arménien) existent inédits dans le cod. Mechilar. \ indob. 364, fol. 150 \^-159 V; ct. J. Dashlan. Katalog der armcnischen Handschriften in der Mechitharisten Ribholhek zu H ien. Vienne, 1895 (en arménien), p.816. Le cod. Mcchitar. Vindob. 313, fol. 93 v°-96. offre une nuire recension du premier discours. Dashlan, op. cil., p. 745. Un troisième discours, sur le repentir el les larmes, est contenu dans le cod. Mechilar. Vindob. 324, fol. 104 vM08 Dashlan, op. cit., p. 995. M. F. Macler a signalé un extrait du discours de Théophile sur le figuier dans un manuscrit arménien de M. Simeon Mirzayantz. Revue des études arméniennes, l. n, 1922, p. 213. Ccs traductions arméniennes sont toutes iné­ dites. On ne remarquera pus sans inquiétude que ces sermons semblent tous inconnus des traditions grec­ que, syriaque, copte cl arabe. 4° Œuvres diverses. — L Du Canon pascal pour les années 380 479 seul le prologue nous reste; encore n’est il complet que dans une traduction lutine, qui nous a conservé également la lettre d’envol adressée ù l’empereur Théodose. L'édition de Aligne, P. G., t. lxv, col. 48-52, est insuffisante; il faut consulter THÉOPHILE D’ALEXANDRIE 528 lem ct sine sensu, sed totum corpus, totamque animam celle de Br. Krusch, Studien zur chrisUichmitte.lallerl. Chronologie, Leipzig» 1880, p. 220-226.— 2. Les réponses sibi socians perfectum in sc hominem demonstrant. Epist. pasch., 17, § 8, Hilberg, p. 191. Un long passage de Théophile au synode de Rufin (an. 391) sont citées en latin par le diacre Pélagc, In defensione trium capi­ de cette même lettre, J 4-8, s’attache à démontrer la tulorum, edit. B. Dcvrccssc, Studi e (esti, t. lvii, Vati­ présence dans le Christ d’une Ame humaine. Cette Ame, il ne l’a pas amenée du ciel; elle a été créée et can, 1932, p. 9-10; cf. P. G., t. cxxxvni, col. 152 Cl). assumée au moment de l’incarnat ion : in adsumptione — 3. De son pamphlet contre saint Jean Chrysostome, enim hominis et anima ejus adsumpta est. lbid.,]i. 193. écrit vers 401, le texte original est complètement Le Christ nous est donc parfaitement semblable, perdu. Facundus d’Hcrmianc, Pro defensione trium hormis le péché. P. G., t. lxv, col. 56 B. Pour que rien capitulorum, 1. VI, c. v, P. L.. t. lxvii, coi. 676-678, et le diacre Pélagc, op, cil., p. 70, citent quelques pas­ ne lui manque de cette ressemblance, il a voulu naître d’une femme; Théophile revient à plusieurs reprises sages de la version latine de saint Jérôme. D’après sur la possibilité el la haute convenance de la mater­ dom Baur, la prétendue lettre cxm de ce saint, edit, cil., p. 393 sq., serait en réalité le début de cette ver­ nité virginale, par exemple Epist. pasch., 5-6, ibid., col. 60. sion (cf. Hernie bénédictine, t. xxiii, 1906, p. 430 sq.). Le Christ est donc à la fois Dieu et homme, άμφω — 4. Décisions canoniques : les collections canoniques τυγχάνων Θεός τε καί άνθρωπος, δούλος δρώμενος xit byzantines attribuent à Théophile quatorze canons κύριος γνωριζόμενος. Ibid., col. 56 G. Seule son huma­ tirés de cinq écrits, édit. J.-B. Pitra, Juris ecclesiastici nité sc voyait; mais ses œuvres prouvaient qu’il était gnecorum hist, et monum., t. i, Borne, 1864. p. 646Dieu : άνθρωπος μέν φαινόμενος, ώς ημείς, κατά φ 649; P. G., t. lxv, col. 64 C et 33-45. Un texte inédit sur l’usage du fromage cl des œufs en carême n’est pas τού δούλου μορφήν, έκ δέ των έργων αποδεικνύμενος, ότι των άπάντων δημιουργός καί κύριός έστι πράττω·/ authentique. — 5. Apophtegmes : texte grec, P. G., έργα Θεού. Ibid., col. 60 B. Théophile prend encore t. lxv, col. 197-201 ; traduction latine, P. Z.., t. lxxiii, argument de l’eucharistie pour prouver que le Christ col. 771,801, 858 sq., 861. 872, 957 et 961. Il faut noter que les deux traditions ne coïncident pas exactement. — n'est ni un homme seul, ά'Χ)ρωπος ψιλός, ni Dieu nu, Θεός γυμνός, mais le Dieu Verbe Incarné. In mysticam 6. Les chaînes exégéliques grecques ont conservé quel­ cenam, P. G., t. lxxvii, col. 1028 sq. Il ne craint pas ques fragments de Théophile, extraits, semble-t-il, de cependant de l’appeler simplement Dieu, Fils du Dieu lettres et de sermons, édit. M. Richard, Les fragments vivant, et surtout, à la suite de 1’Apôtre (I Cor., n, 8), exégéliques de Théophile d'Alexandrie et de Théophile d'Antioche dans la Revue biblique, 1938, p. 387-397. — Seigneur de gloire : c’est Dieu qui pendait au haut delà croix, Horn, de cruce el latrone, Tischendorf, Anccdola 7. Le Tractatus contra Origcncrn de visione Isate, édité sacra et profana, p. 122 sq.; c’est le créateur qui. le par Dom Amelli, Mont-Cassln, 1911, sous le nom de soir de la cène, lavait les pieds des apôtres. In mysti­ saint Jérôme, semble être la traduction d’un ouvrage grec. Théophile, parmi d’autres, pourrait en être l’au­ cam cenam, P. G., t. lxxvii, col. 1024 sq. Cette appli­ cation si franche de la communication des idiomes teur; cf. Fr. Dickamp dans Li terar. Rundschau f(lr d. montre bien la foi de Théophile en l’unité du Christ : kathol. Deutschland, t. xxvu, 1901, p. 293 sq. il ne veut pas que l’on divise l’union : ...μή διαιροϋντες ΙΠ. Sa doctrine. — Théophile n’est pas un grand théologien : scs volte-face dans l’aflaire origcnisle, scs είς δύο πρόσωπα την Οείαν καί άδιάσπαστον καί πρός complaisances à l’égard des apollinaristes le prouvent γε τούτω άσύγχυτον 6νωσιν[του ένος] της παΉμου suffisamment. Toutefois il est intéressant comme té­ Τριάδος, In mysticam cenam, col. 1029 B; il ne connaît moin de l’enseignement doctrinal A Alexandrie au pas deux sauveurs. P. G., t. lxv, col. 56 B. début du v< siècle. Son témoignage est particulière­ 11 sait cependant distinguer ce qu’il faut distinguer: ment précieux en ce qui concerne : 1° la christologie; ! que l’on ne dise pas que l’ûmc du Christ et Dieu sont 2· l’cucharistic. d’une même nature, Epist. pasch., 17, § IL Hilberg, Ie Christologie. — Les erreurs des apollinaristes el p. 198; ni que celte Ame et le Fils sont un comme le celles d’Origène ont donné A Théophile l’occasion d’ex- ; Père ct le Fils : ή δέ ψυχή καί ό υΐύς έτίρα πρδς έτέραν poser à plusieurs reprises, avec une clarté suffisante, έστίν ούσία τε καί φύσις... ’Ό γάρ υιός καί ό πατήρ sa pensée sur ce mystère. C’est pour notre salut, pour &/, επειδή μή διάφοροι ποιότητες· ή δέ ψυχή καί ό nous faire participer à la nature divine, que le Verbe υιός, καί τη φύσει καί τη ούσία έτερον. P. G., t. lxv, vivant de Dieu est venu sur terre, que le Sauveur s’est col. 57 B. Aussi ne doit-on pas attribuer à la divinité fait homme. Epist. pasch., 17, § 4-5, Hilberg, p. 187 sq. les souffrances de la chair : Dominus gtoriæ in ipsa Sans que sa divinité subisse la moindre offense, il s’est passione monstratus est, impassibilis permanens majes­ fait entièrement semblable à nous : mirum in modum tate et carne passibilis. Epist. pasch., 19, § 11, Hilberg, capit esse, quod nos sumus, et non desivit esse, quod p. 221. La faim, la soif, la fatigue ne sont pas le fait fuerat, sic adsumens naturam nostrum, ut quod erat de la divinité, mais bien de l’humanité, ούκ ίδια της ipse non perderet. Ibid., p. 188. L’humanité assumée ne Οεότητος ήν, άλλά σωματικά γνωρίσματα; de même la s’est pas changée en divinité, ni la divinité en huma­ parole du Christ sur la croix : « Pourquoi m’as-tu aban­ nité : ούτε της ήμετέρας ύμοιώσεως, πρδς ήν κεκοιdonné? >. Cependant c'est au Sauveur qu’on l’attribue νώνηκεν. είς θεότητας φύσιν μεταβαλλομ/νης, ούτε avec raison, parce que le Sauveur a fait sienne la fai­ της θεότητας αύτού τρεπομένης είς την ήμετίραν blesse de son corps : ώκειούτο τού σώματος την ασθέ­ όμοίωσιν. Μένει γάρ ό ήν άπ* αρχής θεός- μένει καί την νειαν, μένων δύναμις καί σοφία Θεού, ότι μή άλλου ημών εν έαυτω παρασκευάζων ύπαρςιν. Epist. pasch. τινός ανθρώπου, ά)Λ’ αύτού τού σωτηρος ήν, οπερ έκ 16. 5 1, P. G., I. lxv, col. 56 1). Théophile revient sou- . Μαρίας ωκοδόμησεν έαυτφ σώμα Hom. in αίμορυούοαν, vent sur ces vérités essentielles; il s’en prend A ceux M.msi, t. x. < ·»Ι. 1092. qui veulent que le Verbe se soit transformé en chair ou I ne légère ombre Λ ce tableau : il semble que Théo­ en quoi que ce soit d’autre, Epist. pasch., 16, J 5; 17, phile ail partagé l’opinion, courante au ιν· siècle, qui J L Hilberg, p. 162 el 182, comme à ceux qui nient écartait de l'union hypostatique le corps du Christ la consubstantialité du Père et du Christ à cause de pendant son séjour au tombeau; cf. P. G., t. lxv, l'incarnation, /n mysticam cenam, P. G., t. lxxvii. col. 65 A. A ce point près la christologie du patriarche col. 1028 C. Mais il insiste beaucoup plus encore sur la nous apparaît remarquablement juste sinon très évo­ perfection de la nature assumée : Unde sciendum est luée. Elle coïncide presque exactement avec celle de quod... perfectam similitudinem nostrie condicionis Didymis cf. (,. Bardy, Dtdyme t'aveugle, Paris, 1910, adsumpserit nec carnem tantum, nec animam tnrationap. 110-129. On pourrait la comparer à un sauvageon, 529 THÉOPHILE D’ALEXANDRIE — THÉOPHILE D’ANTIOCHE 530 sur lequel se greffera aussi bien la théologie de Cyrille tory of the patriarchs o/ the eopt le Church of Alexandria, que celle de Chalcédolnc; et l’on comprend ainsi pour­ dans p. ()., t. i, p. 425-130; F. Hahse. Altchrisllirhe quoi du v« au vu® siècle deux camps opposes sc récla­ Klrchengeschlchte nach orientatUchen Queltm, Leipzig, 1925, p. 2 sq.; P. Ladeuze, Etude sur le cénobitisme pakhomlen, meront de son autorité. Louvain, 1898, p. 202; J.-P.-N. Land, Anecdota syriara, 2° Eucharistie. — Chaque fois qu’il aborde la ques­ t. nr, Ley dr, 1870, p. 156 sq.; ('». LnzzAtl, Teofi to d* Alessan­ tion de l'eucharistie, Théophile fait preuve du plus dria, Milan, 1935; 11. Lletzmunn, Apollinaris uon Laodicea franc réalisme : Θεού σώμα διαβίδοται... Θεού αίμα τό und seine Schute, Tubingrn, 1904, p. 36 sq. ct 76; ll.-G. Opltz, art. Throphllos von Alrxundrien dans Pauly-Wlsπόμα... Χριστού σώμα ή βρώσις, καί Χριστού αίμα ή πόοις. In mysticam cenam, l*. G., t. lxxvii, col. 1028 sq.; sosva, Heat-Encijctopddir der etas sisthen AllrrtumswUsenschatl. t. v A. 2, 1931. col. 2149-2165; M. lUcliard, Cnr cf. Epist. pasch., 16, § 11, 17 et 20, Hilberg, p. 169, homelie de Théophile d'Alexandrie sur l’institution de l’eu­ 177, 181 En revanche il ne semble pas s’être inquiété charistie dans la Itevue d*histolre ecclésiastique, t. xxxm, du problème de la conversion. Un seul texte fait allu­ 1937, p. 16-51 ; !>es écrits de Théophile d'Atexandrie dans Le sion à In sanctification des oblata par le Saint-Esprit : Muséon, t. i n, 1939, p. 33-50; A. Stnickmann. Die EuchaDicit enim [Ori genes] Spiritum sanctum non operari ea ristlelehre des heitiyrn Cyrill von Alrxandrien, Paderborn, 1910, p. 12 ct 130-138; S. Visrnara, l’n patriarca aiessanqiiæ inanimia sunt, nec ad inrationabilia pervenire. Quod adserens non recogitat aquas in baptismate mys­ drlna del V· sectdo dan* La Scuola cattolica. 1935, p. 513ticas adventu Spiritus consecrari panemque dominicum, 517; Ed. Welgl, Christologie num Tate des Athanasius bii Ausbruch des nettoritmischen Slreltcs, Mûnchmer Stuquo Salvatoris corpus ostenditur ct quem frangimus in sum dlen sur hist. Théologie, fuse. 4, Munich, 1925, p. 113-120. sanctificationem nostri, et sacrum culicem — qiur in R. DrxOBPxet M. Richaud. mensa ecclcsiœ con locantur et utique inanimia sunt — 2 THÉOPHILE D’ANTIOCHE (SAINT), per invocationem ct adventum Sancti Spiritus sanctifi­ cari. Epist. pasch., 17, § 14. Hilberg, p. 196. Théophile ; sixième évêque de celle ville, sous le règne de Marc insiste bien davantage sur les effets de notre partici­ Aurèlc. — I. Vie ct œuvres. 11. Doctrine. I. Vif. et œuvres. — La vie de saint Théophile nous pation aux saints mystères, la vie, l'immortalité, la joie, la rénovation de notre nature, la rémission des pé­ est Λ peu près inconnue. Nous savons seulement qu'il naquit près de l'Euphrate, ce qui ne l’cmpécha pas de chés. in mysticam cenam, P. G., t. lxxvii, col. 1020 C, recevoir une éducation grecque très soignée. Élevé 1021 AB, 1028 B, 1029 AB. Il met bien en relief le caractère sacrificiel de la cène, qu’il distingue du sacri­ dans le paganisme, il sc convertit au christianisme par la lecture de la Bible ct par le spectacle des vertus fice de la croix : φοβερόν τδ τελούμενον· ό μόσχος ο σιτευτός θυσιάζεται, ο αμνός τού Θεού ό αίρων την chrétiennes. Il fut nommé évêque d'Antioche en 169 d’après Eusèbe, dont la chronologie est d’ailleurs fort αμαρτίαν τού κόσμου σφαγιάζεται· ό πατήρ εύφραίνεται· ό υίός έχουσίως Ιερουργεϊται, ούκ ύπδ των douteuse : l’historien en effet place en 177, l’élection du θεομάχων σήμερον, άλλ’ ύφ* έαυτού, ϊνα δείζη εκούσιον successeur de Théophile, Sérapion, mais il se trompe entièrement, car Théophile lui-même parle dans son τό σωτήριον πάθος, ibid., col. 1017 A; cf. col. 1028 B, 1029 B. Cependant il existe un rapport entre l'eucha­ Apologie de la mort de Mare-Aurèle arrivée en 180. ristie cl le sacrifice du calvaire; si le Christ a été cru- , Ce que l’on peut dire de mieux, c’est que l'épiscopat de saint Théophile couvre une partie du règne de Marcci fié pour les démons, comme l'aurait enseigné Origène selon Théophile, ceux-ci ont droll comme nous de Aurèle cl qu’il dut s'achever assez peu de temps après participer au repas mystique : S/ enim et pro damoni- l'avènement de Commode. Eusèbe. Ihst. écrits., IV. xxiv, énumère plusieurs bus crucifigetur, ut novorum dogmatum adsertor adfir­ ouvrages de saint Théophile : mat, quod erit privilegium aut qutc ratio, ut soli homines 1° Trois livres à Autolycus.— Ils constituent pour corpori ejus sanguinique communicent et non dœmoncs nous tout l’héritage littéraire de leur auteur. A la dif­ quoque, pro quibus in passione sanguinem fuderit. férence de la plupart des autres apologies, ils ne sont Epist. pasch. 16, § 11. Hilberg, p. 169. Ce bref résumé pas adressés aux empereurs m à l’opinion publique montre, croyons-nous, que Théophile mériterait de retenir l’attention des historiens du sacrement de l’eu- ’ en général, mais à un pci sonnage, \rai ou fictif, du nom d’Autolycus. Le I. Ier s’efforce de refuter les objec­ charistic. tions du destinataire sur la nature de Dieu, la provi­ La littérature ancienne concernant Théophile est bien dence, la signi Beat ion du nom chrétien, la foi ù la connue. Aux publiait ions récentes citées dans Io corps de résurrection des morts. 11 s’achève par la démonstra­ l'article on peut ajouter les ouvrages suivants : O. Bartion de la folie du paganisme. Le I. H continue et com­ (lenhowrr, Geschichtc der allkirchlichen L( teratur, t. m, plète le L 1er : il oppose 5 la mythologie païenne ct aux Fribourg-cn-B., 1923, p. 115-117; K. Basset, Le synaxalrc arabe Jacobite, Patrol. Orient., t. ï, p. 315-347; A. Baumenseignements contradictoires des poètes cl des philo­ stark, Geschichtr der syrlschen Literalur, Bonn. 1922. p. 161; sophes grecs la doctrine des prophètes et les récits de Chr. Baur, Der heiligc Johannes Chrysostomus und seine la Genèse sur les origines du monde et de Γhumanité. Ml, t. n, Munich, 1929; F. Cavallcra, Saint JérCnic, sa Enfin le I. III est consacre 5 l’examen des griefs les oie et son leuvrc, Louvain, 1922. t. i, p. 193-286; l. n. p. 31plus habituellement opposés au christianisme par •13; \V. von Christ, Grlechlsche Litcraiurgeschlchte, t. n b, l’opinion publique, anthropophagie immoralité, etc. 6· éd. (O. Stnlilin), Munich, 1921, p. 1381 sq.; ChrysotIl s’achève par la démonstration de l’antériorité des tomos (archim.), ‘Λ/ ·(avÔcivà σημιω τζτα *U \)ιξανίριίας ΗιοφΟος dans I xx/η σι αστικός Φάρος» t. xxi, écrits mosaïques sur les ouvrages grecs les plus an­ p. 305-335; W.-E. Crum, Der Papyrus codex sa?c. 17-17/drr ciens : selon Théophile, Moïse doit avoir vécu de neuf Philippsbibliothck in Cheltenham, Koplische thcologische cents à mille ans avant la guerre de Troie. Les livres Schapen, mit clnem Beltrug von A. Eh rhard, dans Schri/ten saints des chrétiens sont donc bien plus vieux que der udssenschaftlichen Gesellschaft in Strassburg, iasc. 18, n’inqwrtc quel livre profane. Strasbourg, 1915; Dictionnaire d'histoire et de géographie 2° Contre l'hérésie d'Hcrmogène. — Cel I lermogènc eccléshutique, art. Alexandrie (J. l'alvio), t. n, col. 319 sq.; était un gnostique, différent, semble-t-il, de celui art. Anthropomorphlles (A. Lehnut), t. m, col. 537; l’.-J. contre qui écrivit Tertullien cl qui était peintre à Car­ Bolger, Antlkf und Chri&tcntum, t. ni. Munstcr-cn-W., 1932, p. 189 sq.; E. Drioton. Jai discussion et* un moine anthropothage. On ne voit pas ]>ourquoi l’évêque d’Antioche morphlir audicn avec le patriarche Théophile <1*Alexandrie aurait réfuté un hérétique africain. en l'année 399 dans la K· nue de l'Orient chrétien. Il· »er., 3U Contre Marcion. — I.oofs a essayé de démontrer t.X, 1915-1917. p. 92-100 cl 113-128; L. Duchesne, Le pape non seulement que l’ouvrage de saint Ί liéophile contre Strict et le siège de Dostra dans les Annales de philosophie Marclon aurait été connu ct utilisé par saint Ire née, chrétienne, t. CXJ, 1885, p. 200 sq.; Histoire ancienne de l'Egiise, t. n, p. 608 62b; t. 111, p. 38-106; IL Eveils. lits- | mais encore qu’il était possible, par les citations qu’en 531 THÉOPHILE a faites l'évêquc dc Lyon, dc le reconstituer, au moins dans scs grandes lignes. Cette hypothèse n’a généralement pas rencontré beaucoup dc crédit parmi les historiens. De fait, elle s'appuie sur des arguments fort ténus ct ne mérite pas confiance. Au plus, faut-il reconnaître que Loofs a eu le mérite de retenir l’atten­ tion *ur les sources de saint Irénée, aussi bien celles dc sa pensée que celles dc son ouvrage contre les hérésies. 4° Sur les histoires, Περί Ιστοριών. Cet ouvrage his­ torique serait particulièrement précieux â connaître. Peut-être était-il un essai dc chronologie, assez analo­ gue â celui que saint Hippolyte devait entreprendre au début du ni· siècle. 5° Des ouvrages de catéchise destinés à l’instruction des fidèles ou des catéchumènes. On songe naturelle­ ment ici Λ la Demonstration dc saint Irénée. Ici encore, la perte de ccs livres est regrettable, étant donné le très petit nombre d’ouvrages anciens de cc genre qui nous sont parvenus. 6° Des commentaires sur les Proverbes et sur les Évangiles, signalés par saint Jérome, De oir. HL. 25. Ces commentaires ont aussi complètement disparu. En 1575, Marguarin Patrologle, Paris. 1919. p. 58. Par contre, Puech Sc montre 1res sévère pour lui : « L’ouvrage de Théophile n’a qu’une médiocre valeur... Je ne me sens aucune tentation dc défendre cc bavard superficiel, chez qui le style ct le vocabulaire rivalisent de pau­ vreté avec la pensée... Cc Talien sans talent qu’est Théophile ne mérite en somme par lui-même que peu d’intérêt. » Les apologistes grecs, p. 210. La vérité semble bien être entre les deux extrêmes. Saint Théophile n’a pus l’ardeur, la verve, l'ironie d’un Talien, il n’a pas davantage la culture philosophique d’un saint Justin et ne s’intéresse guère aux grands problèmes métaphysiques. Sa culture générale est de seconde main. Il a consulté plus volontiers les flori­ lèges que les ouvrages originaux cl. lorsqu’il se mêle dc chronologie, il sc contente d’apporter, sans essai dc contrôle, les dates qu’il a trouvées ici ou là· D’ailleurs, il écrit mal et il ne sait pas composer un ouvrage. Il va un peu au hasard plutôt qu’il ne suit un plan déterminé; il sc laisse aller à des digressions cl la clarté est trop souvent chez lui la rançon dc l’inexacti­ tude· Mais il rachète en partie scs défauts par su bonne foi. par sa sincérité. 11 reconnaît lui-même. Ad Autol., it. 1, qu’il ne sait pas parler cl on peut l’en croire. Bien plus qu’un sophiste comme Talien, il est d’abord un croyant : aux argumentations subtiles de 1 inlelli- D’ANTIOCHE 532 gcncc, il préfère la rectitude de l’esprit cl ducœuret il n’hésite pas à parler longuement des exigences morales de la foi dans un passage où sa conviction l’élève presque à l’éloquence. Il faut ajouter, et ceded capital, que saint Théophile est un évêque. Seul dam le groupe des apologistes, il appartient A la hiérarchie ecclésiastique ct se trouve par là constitué gardien de la tradition apostolique. Nulle part, il ne se largue de son titre pour sc faire valoir. Ne sent-on pas la cons­ cience qu’il a dc ses fonctions dans la timidité dc telle ou telle formule, dans le soin avec lequel il fait appel aux sources de la foi? Nous n’avons pas à craindre dc le voir innover. Et lorsqu’il emploie des termes que l’on n’a pas encore rencontrés dans les écrivains anté­ rieurs, comme celui de Trinité, τριάς, sans se croire obligé de donner à leur sujet aucune explication, on peut penser qu’il ne les a pas inventés; c'est parce qu’il les a trouvés dans la tradition qu’il les utilise si volon­ tiers. Ce n’est pas à dire que son langage soit toujours correct ct que scs formules soient à l’abri dc toute erreur. Il ne faut pas oublier que saint Théophile vit à une époque où les grands problèmes doctrinaux n’ont pas encore été posés en termes définitifs ct qu’il est plus ou moins solidaire de ses devanciers. II n’a pas aussi vif que saint Irénée le sens de la tradition; il n’a pas surtout la vigueur intellectuelle du grand évêque dc Lyon. Peut-être aussi faut-il ajouter que, écrivant pour des païens et soucieux avant tout dc leur faire comprendre les enseignements de la foi chré­ tienne, il ne se soucie pas d’apporter dans scs exposés une précision qui leur aurait échappé. Quelques histo­ riens ont même évoqué à cc sujet la loi de l’arcane. Il ne semble pas qu’il soit besoin de faire appel à une dis­ cipline qui ne devait pas encore être rigoureusement observée vers la tin du il· siècle et qui ne s’est déve­ loppée que plus tard. Seulement, une apologie n’est pas une catéchèse : elle prépare de loin les esprits à la foi; elle n'explique pas, un par un, les articles du sym­ bole. Elle présente de son mieux les vérités générales sous une forme accessible et, lorsqu'il le faut, elle utilise des expressions usuelles qui ne sont pas à prendre en toute rigueur mais qui ont l’avantage d’être faciles à comprendre ou à retenir. Saint Théophile a suivi les lois du genre : peut-être si nous possédions scs autres ouvrages, en particulier celui qu’il a composé contre Marcion, n’y trouverions-nous pas les formules qui nous surprennent un peu dans les Discours à Autolycus. IL Doctrine. — Saint Théophile insiste avant tout sur la préparation morale sans laquelle il est impossi­ ble de parvenir à la connaissance de Dieu : « Si lu me dis Montre-moi quel est ton Dieu, je le dirai : Montremoi quel homme lu es et je le montrerai quel est mon Dieu. Montre-moi si les yeux de ton Ame voient clair et si les oreilles de ton cœur savent entendre... Dieu est aperçu par ceux qui sont capables de le voir, quand ils ont les yeux de l’ûnic ouverts. Tous les hommcs.cn effet, ont des yeux, mais il en est qui les ont troubles et aveugles, insensibles à la lumière du soleil; mais, parce qu’il y a des aveugles, il n’en résulte pas que la lumière du soleil ne brille pas. Que les aveugles s’accusent euxmêmes ct qu’ils ouvrent les yeux. Pareillement, ύ homme, tu as les yeux troublés par les fautes ct les actions mauvaises. Il faut avoir l’âme pure comme un miroir bien poli. S’il y a de la rouille sur le miroir il ne reproduit pas l’image dc l’homme. De même quand le péché est dans l’homme, le pécheur n’est pas capable de voir Dieu. · Ad Autol., i, 2. I| Un tel langage surprend un peu Antolycusel l’irrite. Le païen ne peut pas ou ne veut pas comprendre que lu pureté dc l’âme est nécessaire pour qui désire attein­ dre la connaissance dc Dieu. Théophile n’est pourtant pas le premier à dire ccs choses cl le Sauveur avait 533 THEOPHILE D’ANTIOCHE 534 déjà proclamé In béatitude des cœurs purs, parce qu'ils proféré cl Verbe intérieur, pour désigner les deux états verront Dieu. Mais il les dit avec une assurance et une du Verbe après ct avant la création. La doctrine ellemême n’est pas nouvelle; mais nul des apologistes clarté qui ne sauraient guère être dépassées. Où faut-il s’adresser pour trouver la vérité? Aux antérieurs, du moins dans les ouvrages que nous avons conservés, n'utilise ccs expressions qui étaient cou­ Livres saints qui ont été Inspirés par l'Esprit-Saint. ramment usitées dans la philosophie stoïcienne. Il est Saint Théophile sc phdt surtout à citer le témoignage dc l’Anclen Testament, des prophètes qui ont annoncé curieux que saint Théophile les adopte sans donner l’avenir, mais qui ont ûissi rappelé les grandeurs de aucune explication, cc qui permet de supposer que scs la création. Il parle ainsi de l’Écriturc sainte, dc l’Écri- lecteurs étaient à même dc les comprendre et même turc divine, dc Salomon le prophète, etc. Beaucoup que, dans l’Église d'Antioche, clics étaient déjà em­ plus rarement il fait appel au témoignage du Nouveau ployées. Testament : il cite une fois, Ad Autol., n, 22, le pro- * Quant à la doctrine que traduisent ces formules, loguc de saint Jean; en dehors dc là* les seules traces saint Théophile l’a reçue de ses devanciers. Avant la dc l’Évangilc que l’on relève chez lui sont une citation création, dc toute éternité, Dieu possède son Verbe du discours sur la montagne. Ad Autol., ni, 13-14, ct intérieur, sa raison. Puis, pour créer le monde, il le peut-être de saint Luc. xvm, 27. Ad Autol., n, 13. Par profère ct le Verbe devient parole. Peut-on dire que contre, il est important de souligner que, pour lui, le le Verbe intérieur possédait déjà la personnalité, ou Nouveau Testament est aussi bien Inspiré que l’An­ bien qu'il ne l’a acquise qu'en devenant Verbe pro­ cien. · Dc là vient, écrit-il, l’enseignement des saintes féré? Il est dinicllc de répondre à la question : « Saint Écritures et dc tous les inspirés, de Jean par exemple, Théophile décrit le Verbe intérieur comme le conseiller qui dit : Au commencement était le Verbe. » Ad Autol., de Dieu, mais il ajoute aussitôt qu’il était son intel­ n, 22. La parole de Paul, dit-il ailleurs, est aussi une ligence et sa prudence; puis il déclare : Quand Dieu parole divine, θειος λόγος. Ad Autol., m, 14. Personne voulut faire cc qu’il avait projeté, il engendra le Verbe avant lui n’avait affirmé avec la même clarté l’inspi­ en le proférant prcmicr-né dc toute la création. ration des livres du Nouveau Testament. Ainsi certaines expressions sauvegardent l'éternelle Les Écritures nous révèlent avant tout l’unité de personnalité du Verbe; d’autres la compromettent; Dieu. Dieu est éternel, tout puissant, créateur du ciel si on les presse, on sc représentera le Verbe dc Dieu cl de la terre : « Tout d’abord les prophètes nous ont comme étant d’abord son intelligence, sa prudence; enseigné d’un commun accord que Dieu a créé l’uni­ puis, quand Dieu veut créer, il l'engendre en le profé­ vers du néant. Car rien ne lui est contemporain, mais rant. Ccttc génération, intimement liée à la création, lui, qui est à lui-même son bien, qui n'a besoin dc rien, a comme elle le caractère d'un acte temporel ct libre. qui existe avant tous les siècles, a voulu créer l’homme 11 faut reconnaître dans tout cela beaucoup dcconfu­ pour être connu dc lui. » Ad Autol., n. 10. Saint Théo­ sion. » J. Lebrelon, Histoire du dogme de la Trinité, phile Insiste beaucoup sur l’idée que Dieu ne peut pas t. n, p. 511. être contenu dans un lieu, qu’il n’y a pas de lieu où 11 Il est difficile de mieux traduire l'impression que l’on sc promène ct où il se retire pour prendre son repos. éprouve en lisant les textes de Théophile. Évidemment Ad Autol., n. 22. Les anthropomorphismes de la Genèse l’apologiste ne s’est pas posé le problème dc la même l’obligent à cette insistance ct tout autant la nécessité manière que nous ct il n’a pas été par suite sensible aux de montrer à Autolycus la spiritualité de Dieu. difficultés que nous soulevons nous-mêmes. L’Évan­ Bien qu’il soit unique, Dieu est pourtant Trinité. gile de saint Jean fait du Verbe l’instrument dc la Saint Théophile, nous l’avons déjà remarqué, est le création. La Genèse montre l’efficacité dc la parole de premier à employer le mot de τριάς et il le fait sans Dieu. Il est naturel de conclure que le monde est créé nous prévenir, sans paraître y attacher d’importance, dès cpie Dieu profère la parole et par suite que Dieu comme la chose la plus naturelle du monde, cc qui nous n’a parlé que pour créer. D’ailleurs la parole de Dieu amène à conclure que cc mot était déjà usuel dans le subsiste avec lui : en la proférant. Dieu ne sc prive milieu antiochien : « Les trois jours qui ont vu lieu pas d’elle, mais il l’engendre ct la garde auprès de lui. Le Verbe, une fois proféré, est particulièrement l’ins­ avant les astres sont des images de la Trinité de Dieu, de son Verbe, de sa Sagesse. » Ad Autol., n. 15. trument de Dieu pour toutes ses œuvres extérieures. Sur Dieu, c’est-à-dire sur la première personne de la Cost lui, par exemple, qui « prend le rôle du Père et du sainte Trinité, Théophile n’insiste pas autrement. Il Seigneur de l’univers, c’est lui qui sc trouvait dans le développe au contraire, en commentant le récit de la paradis, y jouait le rôle dc Dieu ct s’y entretenait avec création, le rôle du Verbe : « Dieu donc, ayant son Adam. El en effet, l’Écriturc divine elle-même nous Verbe intérieur, Ενδιάθετον* en ses entrailles, l’u en­ enseigne qu’Adam dit qu’il entendit la voix. Or, une gendré avec sa Sagesse, le proférant avant l'univers. Il voix, qu’esl-ce autre chose que le Verbe de Dieu, qui se servit du Verbe comme d’un aide, ύπουργός, dans est aussi son Fils? » Ad Autol., n. 22. Dieu ne quitte les œuvres qu’il fit et c’est par lui qu’il n tout fait. Ce pas le ciel. Il ne sc manifeste pas dans un lieu. C’est le Verbe est dit principe, αρχή, parce qu’il est principe et Verbe qui parle à Adam et qui sc promène dans le Seigneur de toutes les choses qui ont été (ailes par lui. > paradis. Ad Autol., il, 10. C’est aussi le Verbe qui inspire les prophètes : * Ce Le Verbe est le Fils de Dieu : « Il n’est pas son Fils, Verbe donc, étant esprit de Dieu et principe ct sagesse au sens où les poètes et les mythographes racon lent et puissance du Très-Haut descendait dans les pro­ que les fils des dieux sont nés de rapports sexuels, mais phètes et par eux énonçait ce qui regarde la création scion que la vérité nous décrit le Verbe intérieur exis­ du monde et tout le reste. Car les prophètes n’étaient tant toujours dans le cœur de Dieu. Car, avant que rien pas quand le monde fut fait, mais seulement la Sa­ fût produit, il avait cc Verbe comme conseiller, lui qui gesse qui est en lui. la Sagesse de Dieu et son Verbe saint qui est toujours avec lui. > Ad Autol., n, 10. est son intelligence et sa pensée. Mais, quand Dieu Nous sommes aujourd’hui plus habitués à attribuer voulut faire cc qu’il avait projeté, Il engendra le Verbe en le proférant, premier-né dc toute la création. Par là, l’inspiration au Saint-Esprit. La pensée dc Théophile lui-même semble un peu hésitante, puisque dans le Dieu ne sc priva pas lui même dc son \ erbe, mais il passage que nous venons dc citer, il parle en même engendra son Verbe cl s’entretenait toujours avec temps du Verbe cl dc la Sagesse comme inspirateurs lui. » Ad Autol., n. 22. On peut d'abord relever ici l’emploi des termes tech­ des prophètes. Sous le nom de Sagesse en effet, l'évêque d’Antioche niques : λόγος προφορικός et λόγος Ενδιάθετος, \ erbe t 535 THÉOPHILE D’ANTIOCHE désigne habituellement le Saint-Esprit. Non seulement la Sagesse est le dernier terme de la sainte Trinité, dans le texte, Ad Autol., n, 15, que nous avons déjà cité, mais elle apparaît encore ailleurs avec le meme rôle : « Dieu a fait l’univers par son Verbe cl par sa Sagesse. » Ad Autol., t, 7. On ne saurait donc accuser saint Théophile d’avoir confondu le Verbe cl le SaintEsprit. La Sagesse, pour lui. est distincte du Verbe. Du moins en est-il ainsi quand il surveille son langage. Mais, parfois, il lui arrive de parler comme si la Sagesse ct le Verbe étaient une seule cl même personne. On peut rappeler à ce propos que saint Irénéc iden­ tifie lui aussi la Sagesse ct l'Esprit-Salnt, mais d une manière beaucoup plus régulière que suint Théophile. L’évêquc de Lyon a-t-il emprunte Λ l’évêque d’Anlio- , chc cette manière de s’exprimer? ou tous deux dépen­ dent-ils sur ce point d’une tradition commune? Le problème est loin d’être facile à résoudre, bien que l’hypothèse d’une tradition commune soit assez vrai­ semblable. Parmi les créatures, l’homme occupe la première place : < Quant à ce qui concerne la création de l’homme, c’cst une œuvre qui dépasse tout ce que l'homme en peut dire, bien que l’Écriturc sainte la décrive brièvement. Car, lorsque Dieu dit : « Faisons « l’homme à notre image et ressemblance », il signifie d’abord la dignité de l’homme. Car Dieu, qui a tout fait d’une parole, qui a regardé toutes les autres choses comme secondaires, a regardé la création de l’homme comme le seul ouvrage qui fût digne de scs mains. El l’on remarque encore que Dieu, comme s’il avait be­ soin d’un aide, dit :< Faisons l’homme à notre image et • ressemblance ». El il ne dit : · faisons » à personne autre qu’à son Verbe ct à sa Sagesse. · Ad Au toi., il, 18. La création de l'homme est donc quelque chose d’unique; elle suppose une sorte de délibération entre les trois personnes divines; ct il est remarquable de voir com­ ment saint Théophile interprète de la sorte le pluriel employé par le récit de la Genèse. Il faut ajouter que le monde a été créé pour l’homme qui en est le roi : · Dieu... a voulu créer l’homme pour être connu de lui; c’est donc pour lui qu’il prépara le monde. » Ad Autol., il, 1Û. L’homme est libre, ct il peut abuser de sa liberté pour faire le mal : nous savons déjà qu’en péchant il sc rend incapable oc connaître Dieu. Mais il y a plus. Si Théophile n’ignore pas que beau­ coup regardent l’âme comme Immortelle, il ne peut pas se contenter de celle doctrine philosophique et c’cst à la Bible qu’il demande la solution du problème. Voici cc qu’il y trouve : l’homme dès le principe, devait être immortel ou mortel suivant qu’il obéirait ou désobéirait à Dieu. Il a désobéi et est devenu mor­ tel. Mais Dieu, par miséricorde, lui offre encore la vie qu’il peut mériter en observant la loi. Ad Autol., n, 19, 27. Cette solution nous étonne un peu. On ne sau­ rait pourtant dire que Théophile est le seul à l’avoir adoptée. Il faut d’ailleurs remarquer qu’il parle de l’homme tout entier ct non pas seulement de l'âme. Sur les autres points ne la doctrine chrétienne, c'est à peine si nous trouvons quelques Indications dans l’ouvrage de Théophile. Nous sommes surtout étonnés du peu de place qu’y tiennent la personne ct l’œu­ vre du Sauveur. La réserve de l’évêque d'Antioche sur ce point lui est commune avec les autres apologis­ tes, à l’exception de saint Justin. Le genre apologé­ tique, tel qu’il était alors compris, suffit à l’expliquer. Avant de faire connaître le Sauveur aux païens, fi fal­ lait bien expliquer la doctrine chrétienne sur l’unité de Dieu, répondre à leurs difficultés à cc sujet et réfu­ ter les erreurs de l'idolâtrie: Il fallait aussi faire valoir lu sainteté des mœurs chrétiennes et montrer comment lot chrétiens, bien loin de sc rendre coupables <1 an thropophagie, d'incestes ct d’autres crimes sembla — THÉOPHYLACTE 536 blcs, se proposaient nu contraire la pratique des plu* belles vertus. Théophile remplit exactement cc pro­ gramme : il serait injuste de lui demander davantage. On aimerait connaître, avec quelque précision, les sources de la doctrine de Théophile ct mesurer l'éten­ due de son in fluence « On peut s’aider pour eda des Homélies clémentines : on y trouve l'identification de l’Esprit et de la Sagesse... Est-il téméraire de recon­ naître là des traces d’une tradition orientale, syrienne ou palestinienne, où Théophile et Irénée auraient puisé? On comprendrait d'ailleurs que, chez des chré liens de langue syriaque ou araméenne, l'identifica­ tion de l’Esprit et de la Sagesse ait été suggérée par la forme féminine des mots. » J. Lcbreton, op. cil., p. 570. Loofs a poursuivi ces recherches en dépit de leurs dif­ ficultés el avec un esprit de système que l’on ne sau­ rait méconnaître. 11 a cru pouvoir relever l’existence d’une tradition qui remonterait d’une part, sinon à saint Ignace d’Antioche, du moins à un théologien du milieu du n· siècle el qui. de l’autre aboutirait ù Paul de Samosale. Gelte reconstitution offre beaucoup de points faibles : die est surtout intéressante parce qu’elle pose un problème. Il semble de plus que Ter­ tullien a subi l’in fluence de Théophile : il y aurait lieu de rechercher comment celte Influence a pu s’exercer sur lui ct quels rapports pouvaient relier Antioche cl Carthage. Les livres à An toi yeus ont été édités par dom Moran, dont le texte est reproduit par P. G., t. vi. Ils figurent égale­ ment dans Otto, Corpus apologetarum, féna, 18G1, t. vm. A. Pucch, I^rs apologistes grecs du il· siècle. Pari», 1912, p. 207-227; J. Lcbreton. //üloirc du dogme de ta Trinité, Paris, 1928. t. il, p. 506-513; O. Gross. Die Weltcnbtfhungilehre des Theophilus, Mna, 1895; le même,/He Golleslehre da Theophilus, Chemnitz, 1896; A. Pommrich, Des A^logdtn Theophilus Goltes-und Logoslehrc, Dresde, 1902; J.GeiIcken, Zirri gricchische Apologeten, Leipzig, 1907; F. Loofs, Theo­ philus von Antlochien iind die anderen theologischcn Qudttn bri trendus, Leipzig, 1930; E. Kapisaida, Teofllo di Antio­ chia, Turin, 1937. G. Bakoy. THÉOPHYLACTE, archevêque de Bulgarie ct écrivain ecclesiastique du Xi· siècle. — On sait |>cii de chose sur sa vie. Originaire de l'Eubéo» où il naquit vers 1030, il fut à Constantinople l’élève du fameux Michel Psellos, avec qui il resta toujours lié d’une étroite amitié. Il était diacre de Sainte-Sophie cl pré­ dicateur de la Grande Église quand l’empereur Mi­ chel VII Ducas (1071-1078), lui confia l’éducation de son fils Constantin. En 1078, ou au plus tard en 1090, Théophylacte fut élevé au trône archiépiscopal de Bulgarie et fut dès lors obligé de résider dans la ville d’Orhrida en Macédoine occidentale. Ses lettres té moignenl du dégoût el du mépris qu’il éprouvait pour ses fidèles rustiques et malodorants. C'était une rude épreuve pour cc fin lettré el ce Byzantin raffiné que de vivre au milieu de gens encore à demi barbares. Aussi su dédommageait-il dans sa correspondance en daubant sur scs ouailles, il aurait bien voulu revenir à Constantinople cl y faire de longs séjours auprès de scs amis, mais on voit par scs lettres qu’il avait dans la capitale des ennemis très influents qui ne le lui permirent pas. On ne connaît pas exactement la date de sa mort, mais on la fixe cependant avec assez de vraisemblance à 1108. car on ne possède aucune lettre de lui postérieure à cette date. Théophylacte a beaucoup écrit. La plupart de ses ouvrages sont d'exégèse et embrassent une bonne partie des livres de l’Ancicn Testament el presque tous ceux du Nouveau. Plusieurs de ses traités furent composés à la demande de l’impératrice Marie, femme de Michel VII Duras Enc edition générale de scs œuvri publié! ci quatre volumes à Venise (1754-17i>3) par I c. l oscati, aidé de Bonaventure 537 TU ÉOPHYLACTE TH ÉOKIEN 538 Flncttl ct d’Antolno Bonglovnnnl. Elle est reproduite el surtout dans la liturgie. Quant au pain azyme, Il dans Migne, P. G., t. cxxui cxxvi, Ou y trouve leg pense que Notre-Scigneur ayant consacré après avoir comment aires sur cinq des petits prophètes : Osée, mangé la Pftque légale, l’a fall in azymo; H prétend Ifabacuc, Jonas, Nahum ct Mlchée, sur les quatre cependant qu'on ne peut l’imiter sur ce point parce évangiles, sur les Actes des apôtres, sur toutes les que l’azyme n’est pas un vrai pain, άρτος, que c’est épitres de saint Paul, sur les épitres catholiques* une nature morte, figure de ('Ancien Testament, qui Comme discours il y a une homélie sur l'adoration de n’a plus de place dans le Nouveau, puisque celui-ci est la Croix, une sur la Présentation de la Sainte Vierge, essentiellement vivant. M. Juglc, Theologia dogmatica des fragments du discours sur le onzième évangile du Christianorum orientalium, t. i, p. 285 286, 303-310, malin, un panégyrique des quinze martyrs mis à mort 318 320, 325 327. 348-351. sous Julien l'Apostat à Tlbérlopolis (Gumuldjina), Dans ses commentaires sur la sainte Écriture Théoun panégyrique d'Alexis Comnène écrit en 1092 ou phylaclc ne garde pas la modération qu’il montre dans peu auparavant. Cent trente lettres nous restent de son traité contre les erreurs des Latins. Quand il s’en Théophylacte. Elles sont généralement adressées à des prend aux mcssaliens, aux ariens, aux Historiens, aux correspondants de Constantinople très haut placés, arméniens ct aux Latins, le ton est violent cl finit comme le césar Jean Comnène, le césar Nicéphore par fatiguer le lecteur, de l’aveu même des Grecs. Sa Rrycnnios, le grand drongaire Grégoire Paconrianos, Παιδεία βασιλική s’inspire surtout de l’antiquité cl Grégoire le Taronite. Nicolas Colliclès, médecin ct c’est Xénophon, Platon, Polybe, Diogène Laêrcc, poète, ou à des collègues dans l'épiscopat, comme Synésius, surtout Dion Chrysoslomc ct T h ém istius Nlcétas, évêque de Serrés, Nicolas, métropolite de qu’il met A contribution; il fait même des emprunts Corfou, à des sullragants de Bulgarie, etc. L’édition à Julien l'Apostat. K. Prâchtcr, Anlike Quelle des des lettres par Migne a été reproduite, avec une tra­ Thecphylaklos i>on Bulgancn, dans Bgzant. Zeitschrift, duction bulgare par Syméon, métropolite de Varna, i I. I, 1892, p. 399-414. La partie la plus originale et la dans le Recueil de ΓAcadémie bulgare de* sciences, plus intéressante de son œuvre cc sont scs lettres. [1 l. xxvn (Classes d'hist. ct λη 'l‘Dr,· 'Αλήθεια, t. IV. p. 109-115, 135-138, 111-1 13; t. v, p.U13. Le commentaire sur les psaumes est encore inédit. vixt Ί'γχυχλοπχιοιία, t. xn, p. 548; B. Georgiadès, Μνηu!ri ά'Λ/Λυταtxτ»ϊ»ντοϊ θιοτνλάχτο^<1ιηι*Έ/ζληβιαστιχτ, On connaît do Théophylacte onze homélies sur la ;ΛλήΟιΐ3, I. IV, ρ. 109-116,135-138,111-143. et t. v. p. 11Résurrection du Sauveur ct deux poèmes en vers iam13; II. Engberdlng, art. Theophylakl dans Lexikon für blqucs intitulés ΕΙς συμφοράν έμζίσοντα τινά et Πρύς Théologie und Kirchc, t. x. col. 86; N. Adontz, L'archel'tgue πονηρόν άπόγνοντα, dans ’Εκκλησιαστική ’Αλήθεια, TMophgbKle cl te Taronite dans Byzantion, t. xi, 1936, I. tv, ρ. 142-1 13» Γη traité contre h s Juifs est inédit. p. 577-588; Alice Lcroy-Mollnghcm, Les lettres de ThéoLes vingt-cinq homélies publiées à Trieste en 1903 phylacte de Bulgarie d Grégoire Taronite, dans Byzantion, t. \i. 1936. p. 589-592; la mémo,Prolégomêftrsd une édition par Sophrone Lustral fades comme étant de Theophydes · Ixltrrx · prit de contention ou, si l’on veut, l’attachement aveugle ù la tradition maintenait le schisme. De cet esprit de contention Théorien, pour son compte, n’était pas b victime. 11 s’est conservé de lui une lettre — publiée seulement en partie — qu’il adressait à des moines byzantins, pour leur demander de traiter les Latin* comme des frères : · Ils sont orthodoxes, ils sont fils de l’Église catholique et apostolique. Les discussions (pie nous avons ensemble ne touchent pas à la foi. Ni chez eux, ni chez nous il n’y a rien dans les coutumes ecclésiastiques qui s’écarte du bien et de l'honnête. · Et Théoricn visait surtout l’usage des azymes, recon­ naissant volontiers que c’était là une question acces­ soire. Azyme ou fermenté, le pain île l’eucharistie est apte à devenir par la consécration et l’éplclèse le corps du Seigneur; de même que peu importe la couleur du vin employé à la messe, de même peu importe que le pain eucharistique soit ou non fermenté. Cette largeur de vues de Théorien ne se retrouvait pas malheureu­ sement chez beaucoup d'ecclésiastiques byzantins. L’opposition se monta contre Manuel Comnène; b mort du basileus (1180) fut suivie à Constantinople d’une vive réaction contre les tentatives d’union. Elle emporta les espérances que l’on avait fondées soit pour l’Oecident, soit pour l’Orienl. L’union avec l’Église arménienne, à laquelle avait travaillé Théo· rien, fut indéfiniment ajournée. Li première Disputatio publiée d’abord par Leunclavius Bâle, 1578, mais assez incomplète, l’a été une seconde fois p.ir A. .Mai dans Scriptor, ocler, noua collectio, t. vi. qui λ édité pour la première fois lu seconde. Le tout reproduit dans P. G., t. cxxxin, col. 120-297. La lettre aux ermites grecs n’a ôte publiée que fragmentai renient : on voir de* débris «Uns /*. G., I. cxxxiii, col. 297, note 13; t. xciv, col. 105-109 et col. 85-86 ou l’on trouvera le début, qui Indique 1« sujet de la lettre : les divergences entre Grecs cl Latins sur le jeûne du samedi, les azymes, le mariage des prêtres, le jx>rt de la barbe. Voir Eabricius-Harlcs, IJild, yrtrea, t. xi, p. 281; A. Ehrhard, dans Krumbacher, Gesc/i. der byz, Litcratur, 2* éd.·, p. 88. E. Amann. THÉOSOPHIE. — L Caractères généraux cl origines. IL Écoles théosophiques (col. M3). III. Les enseignements théosophiques et la doctrine chrétienne (col. 516). ■ L CAllACrfcRES GÉNÉRAUX ET ORIGINES. — 1° Géné- Sous le vocable de théosophlc. dérivé du grec Θεός, Dieu el σοφία, science, devons-nous cher­ cher une religion, comme l’afllrmc une de ses plus ferventes adeptes, Mme Annie Besant, Introduction à ta /ht osophie? Ou faut-il ne voir dans son enseignement qu'une spéculation philosophique, une étude des croyances religieuses comparées, selon l’opinion d'une non moins notable adepte de celte doctrine, Mme Bla­ vatsky, The Key to Theosophy? Ces deux opinions s’ac­ cordent dans le fond plutôt qu’elles ne s’excluent apparemment. · La théosophlc, nous dit le programme de la « Société théOMiphique ». peut être définie comme I ensemble des vérités qui forment la base de toutes les religions. » « Elle éedaire les Écritures sacrées de toutes les religions, en révèle le sens caché et les Justine aux yeux de la raison comme ù ceux de l’intuition. » Elle sc nihlt's. 541 THÉOSOPHIE 542 présente donc bien comme une xctcnce, une étude des savants et plus portés vers les Idées religieuses comme religions comparées. Mais In théosophlc va plus loin. Paracelse, Jacob Bœhm, Glchtcl. Saint-Martin, Si tous les membres de In · Société théosophique » doi­ Scheiblet, d'autres plus cultivés cl plus portés à la vent étudier ces vérités qui concernent Dieu et discussion comme Corneille Agrippa, Valentin Weigcl, l’homme, vérités sur lesquelles la théosophlc prétend Robert Fludt, Mercurius Van Uelrnont. Jean Amos. apporter un enseignement complet, ceux-là seuls, nous Le plus célèbre d'entre eux. Valentin Weigcl. laissera dit-on encore, sont «des theosophes, au véritable sens des ouvrages de théosophie qui tirent grand bruit dans du mol. qui les veulent vivre ». les xvî* et xvii* siècles. Cf. Diderot, Opinion des an­ Dans renseignement théosophique il faut donc voir ciens philosophes théosophes. Le même Diderot, dans autre chose qu’un syncrétisme, une synthèse des 1'Encyclopédie, cite l’exemple de Th. Morus qui passa croyances religieuses, où se trouvaient autrefois con­ successivement de l’aristotélisme au platonisme, du fondus l’enthousiasme et l’observation de la nature, platonisme au scepticisme, du scepticisme au quié­ la tradition et le raisonnement, l’alchimie et la théo­ tisme, du quiétisme à la théosophie et enfin à la kabale. logie, la métaphysique el la médecine, où, de nos Il nous apprend encore que l’application de la philoso­ jours, le spiritisme, la réincarnation et toutes les phie au Coran aurait engendré parmi les musulmans sciences dites occultes jouent un rôle de tout premier une espèce de théosophisme qu’il déclare « le plus ordre. Le but pratique et dernier de la spéculation détestable de tous les systèmes ». Opinion des anciens théosophique est de remplacer toute religion. Par philosophes : Sarrasins IJ. 2® Les sociétés théosophiques, — La théosophie a donc quels moyens opérer cette substitution? En ouvrant à la pensée, par un langage ordinairement symbolique, de lointains ancêtres, qui eux-mêmes auraient pu des horizons mystiques encore inexplorés, en fournis­ trouver des devanciers dans les pratiques théurgistes sant des règles nouvelles pour la conduite de la vie en honneur chez les derniers Alexandrins. Elle n’a « présentée sous un aspect éminemment grandiose », toutefois atteint son plein développement que dans la grâce à une adaptation plus ou moins diluée d'hin­ constitution de ces sociétés dites théosophiques que douisme et de bouddhisme au christianisme. l’on voit apparaître dans les dernières années du Et c’est ici que se révèle un nouveau caractère de xix* siècle cl produire, au siècle suivant, des rejetons cette prétentieuse doctrine : l’illuminisme, dont la dans toutes les parlies du monde. Une statistique du théosophlc n’est qu’une variété. Il y a en effet celte mouvement théosophique, donnée en 1908 par un de scs plus notables adhérents français, M. Edouard différence entre la théosophlc et la théologie que» dans celle-ci, l’homme cherche à connaître Dieu et que dans Schuré. auteur des Grands initiés, enregistrait les chiffres suivants : 10 000 membres, 500 branches ou celle-là celte connaissance lui vient par illumination. Voir Annie Basant, Le pouvoir de la pensée.: M. G., l.a sections el une vingtaine de revues. La section de l’Inde, qui sc recrutait suri out parmi les Hindous, s’éle­ lumière sur le sentier; H.-P. Blavatsky, La voix du vait à I 000 membres. L'Amérique du Nord en comp­ silence. En vertu de ce principe que l'entendement est le réceptacle de la lumière, l'illuminisme doit mettre tait 2 500. l'Angleterre 1 800. l'Allemagne 900. Mais ce dernier chiffre, grâce à l’in fluence du maître slyricn l’homme en communication avec le monde spirituel, en commerce avec les esprits et lui découvrir les mys­ Rudolf Steiner, était presque triplé en 1913. La société théosophique représentée en France par la tères les plus obscurs. H faut s’entendre toutefois sur les dons particuliers provenant de cette communica­ revue Le lotus bleu, que dirigeait le commandant tion avec la divinité ou avec les esprits. On nous Gourmes, ne compta tout d'abord qu’un très petit avertit prudemment que la lumière, ne venant pas de i nombre d’adhérents qui s’accrut sensiblement à la nous, n'est destinée qu'à celle minorité de croyants I suite des conférences fuites à Paris en 1907 par que ne peuvent plus rassasier les enseignements éso­ Mme Annie Basant el par le docteur Budolf Steiner. Le mouvement progressa surtout pendant et après la tériques de leur religion, elle n’est pas donnée à ceux guerre de 1911-1918 dans un monde intellectuel tou­ qui en sont pleinement satisfaits. Mais, comme le gnostique des premiers siècles de Père chrétienne, l’illu­ tefois assez restreint. C’est à Paris et à Nice, siège de la branche Agni, qu’il trouva peut-être, sous lu direc­ miné ne contemple pas ce qu’il voit, mais ce qu’il ne tion de la comtesse suédoise Prozor. sos plus fervents voit pas. 11 ne se doute pas qu’il n’est que la dupe d’une aberration de son propre esprit. adhérents. A quelles causes faut-il attribuer le développement La faveur (pie la théosophlc (levait trouver dans des doctrines théosophiques et des initiations qui se notre monde contemporain a fait croire à ses adeptes que celle doctrine se présentait à eux avec tout l’at­ pratiquaient dans les loges tenues par leurs adeptes? trait d’une nouveauté. Elle n’était en réalité qu’une Celle renaissance des erreurs gnostlques fondée sur une prétendue tradition ésotérique lient sans doute à réédition, une adaptation de théories très anciennes à une mentalité et à des aspirations ducs, comme nous une connaissance élargie des philosophies et des reli­ gions de l’Inde; tout autant à la grande influence exer­ le verrons plus loin, à des circonstances particulières. Dès les premiers temps de l’èrc chrétienne, le gnosti­ cée par des animateurs qui croyaient pouvoir adapter cisme sc présentait, de même que la théosophie, les mythes hindous à l’enseignement chrétien. Mais le comme un syncrétisme de doctrines philosophiques et succès de la propagande théosophique tient principa­ religieuses fondées sur une prétendue connaissance lement Λ l’ignorance religieuse d’un Irop grand nom­ supérieure et mystérieuse, pour conduire à la perfec­ bre de nos contemporains. Il répond à cet affaiblisse­ tion. La célèbre théorie gnoslique des Z?ons. êtres spiri­ ment des croyances el des pratiques religieuses qui fut tuels émanés du sein de Dieu, puis s’éloignant du foyer Pieuvre d’un scientisme anticlérical et de l’hyperdivin pour se matérialiser cl revenant enfin à leur cri tique moderniste. La théosophlc sc présentait point de départ pour le rétablissement de l'harmonie comme la synthèse de toutes les religions et implicite­ ment comme la plus haute religion, celle qui ne deman­ primitive, celte théorie n’évoquc-l-cllo pas toutes ces dait que l’adhésion à la fraternité humaine, laquelle vies successives de la réincarnation que les théosophes ont tirées des sources indiennes et grecques. Sans re­ supposait la mise en action d'un principe divin com­ mun à tous les hommes. Sa couleur très prononcée monter aussi loin, la théosophie trouve sa place dans d’orientalisme et d’hindouisme lui conférait le charme les spéculations religieuses et scienti tiques du xv* cl du XVI* siècle. On compte parmi ses adeptes de grands du mystère qui était en même temps celui du fruit défendu. La place importante faite d’autre part au esprits, dupes de leur imagination cl d’un sentiment spiritisme dans les loges théosophiques, avant el surreligieux mal compris cl mal dirigé, les uns moins 543 TU ÉOSOPHIE (out pendant la guerre de 191 1-1918, leur attira une foule d’adeptes meurtris par des deuils cruels et allé· chés par les consolations qu’ils comptaient retirer de leur commerce avec les esprits de leurs chers disparus. Cette illusion ou plutôt ce mensonge contribua dans une large mesure Λ la fortune des aberrations théosophiques. Notons toutefois que, sans nier la réalité des phénomènes spirites, certains théosophos reconnais­ sent que.· les prétendus rapports avec 1rs esprits sont sans contrôle ». M. A. de I*’., La Compagnie de Jésus fila Théosophie, Paris. I9<>6. IL Écoles tiiéosopiiiques. — Sous leur forme actuelle les sociétés théosophlques sont d’une époque récente et rappeler leur histoire c’est nd tacher leur ; fondation et leur développement A trois écoles ou pour mieux dira aux œuvres de deux femmes : Mmes Bla- ' vatsky et Annie Besant, complétées et rectifiées par le maître styricn Rudolf Steiner. 1® L'ceuore de Mme Plavatsky. — C’est A Hélène Petrovna de Hahn. veuve du général Nicéphore Bla­ vatsky, que l’on doit la fondation A New-York de la première société (héosophlque (17 novembre 1875). Initiée aux sciences occult es par (les maîtres indigènes, lors d’un voyage qu’elle fit aux Indes, douée de remarquables facultés de médium, elle ne tarda pas A conquérir en Amérique de nombreux adeptes au spi­ ritisme et à la société qu’elle avait fondée grâce au concours apporté par un journaliste américain, le colonel Olcott. Cette société fut comme une école de sciences occultes, où Mme Blavatsky s'employa avec une ardeur inlassable A faire prédominer l’essentiel des philosophies et des religions de l’Inde qui lui tenaient particulièrement A cœur. Elle en consacra et affermit le succès par la publication de nombreux volumes qui servirent de commentaires A sa doctrine. Tels furent : /.sis unveiled, 2 vol., 1875; The secret Doctrine, 6 vol.; The Key to Theosophy, 1 vol., 1889 (Publications Ihéo sophiques, Paris, 10. rue Saint-Lazare). Mais un coup cruel allait être porté A l’œuvre si Im­ prégnée d’hindouisme dont Hélène Blavatsky était l’Ame. Sous l’inspiration de sa présidente, la société théosophiquo de New-York crut devoir transporter A Adyar, dans l’Inde, le siège de son œuvre. C’était comme le sanctuaire où s’opéraient les merveilles des pratiques occultistes, merveilles dont nul n’aurait songé à nier la réalité. Mais une enquête scientifique dirigée sur place par la » Société des recherches scicn titiques de Londres » apporta bientôt la preuve qu’on était en présence de simples jongleries exécutées par d’habiles prestidigitateurs, Proceedings of the Society for psychical research, décembre 1881; Deport on pheno­ mena connected with Theosophy, p. 209 10!. cité par le B. P. L. tie Grandmaison. Il est des coups dont on se relève difficilement. Celui qui venait d’atteindre la Société théosophiquo fut encore aggravé, quand on apprit «pie l’un de scs vice présidents « fabriquait de toutes pièces les messages » que des adeptes trop con­ fiants attribuaient aux Mahatmas thibélalns, dépo­ sitaires prétendus de la sagesse antique ». L'œuvre de la Société, si Justement déconsidérée par cette pra­ tique déloyale, ne pouvait guère sc relever qu’en pas­ sant sous une autre direction. Une nuire femme sc présenta pour la sauver. C'était Mme Annie Besant. 2’ L'oeuvre de Mme Annie Pesant. — Celle qui re­ cueillit la succession de Mme Blavatsky, en devenant, en 1913, la présidente de la Société t héosophlque, était une femme d’une rare intelligence, qui portail en elle le besoin d’une activité toujours prêle A se renouveler cl trouvait sa force dans l’exaltation de ses sentiments, si variables furent-ils. Son évolution religieuse rap pelle par la volte-face de scs changements celle de Morus dont nous avons parlé précédemment. Élevée dans révangéllsmo le plus austère, qui loin d’étouffer son esprit lui permettait de s'élever Λ une sorte d’ex tasc, puis mariée A un ministre anglican d’un carne 1ère lout différent du sien, le Bev. Frank Iksunt, Annie Vood, épouse Besant. vit bientôt sa fol angli­ cane comme sa foi chrétienne chanceler, s’effondrer même, au point d’entraîner dans celte débâcle reli­ gieuse l’abandon de son foyer et de ses deux enfant». Ainsi dégagée de tous liens de famille cl de religion et de plus en plus exaltée, cette femme est mûre |x>ur toutes les aventures. De concert avec le célèbre athée Brudlangh. elle prêche le matérialisme et le rnalthu sionisme le plus effrontés el complète l’œuvre de vts tapageuses conférences par la publication d’un Manuel du libre penseur en deux volumes. Dix ans se passent dans cet apostolat antireligieux. Annie Besant finit par se lasser du matérialisme. Une rencontre avec Hélène Blavatsky qui, nous dit le B. P. de Grand maison, « la conquiert, la magnétise, l'initie », va achever el fixer son évolution religieuse. La théoiophlc n trouvé dans Annie Besant le génie qui dirigera cl intensifiera son action. La franc-maçonnerie ne la comptera pas moins parmi scs plus ferventes adeptes en élevant S.·. /\nnic A l’un de scs plus hauts grades. Après avoir recueilli la succession de Mme Bla vatsky A la présidence de la Société lhéosophlque, Mme Besant accrut le prestige de son influence en se fixant dans le sanctuaire d’Adyar. C'est de ce centre religieux, de celle · maison des Sages », que rayonne son action accrue par des tournées triomphales à travers I’Em ope et par de nombreux écrits comme La mort et Tau'delà; La réincarnation; Le pouvoir de la pensée; Des religions de l'Inde; Vers le temple, de. (Publications théosophiques, Paris, 10, ruo Saint’La­ zare, 1910). Moins exclusive toutefois que Mme Blavatsky qui avait dilué la figure de Jésus jusqu’A un effacement presque total devant celle de Bouddha, présenté comme l'initié supérieur et parfait, elle répare le silence am­ bigu de la fondatrice do In Société théosophiquo sur la personnalité du Christ et sur la videur intrinsèque du christianisme par la publication de son livre sur le Christianisme ésotérique. Le congrès t héosophlque tenu à Paris en 19(16 marque le couronnement do l’œuvre d’Annie Besant. complément de celle d’Hélène Bla­ vatsky, mais il en marque également le déclin qui sera la conséquence des fautes de celle dont le Congrès avait salué le triomphe. 3° Les fautes de Mme Pesant et la crise de la SoclM théosophlque. Sans parler i< i «le la concurrence qui lui vint du docteur styricn Hudolph Steiner, Annie Besant allait trouver dans ses propres fautes un dis­ credit personnel «fui fil un très grand tort au mouve­ ment théosophiquo que son action avait porté A ton apogée. C’est ici que prend place l’histoire d’une colossale supercherie» renouvelée des diableries de Léo Taxil, et dans laquelle sombra le prestige de la grande maî­ tresse t héosophi. Annie Bcsant, Karma, p. 15. Puisque l’homme crée sa destinée cl nul autre que lui (id., ibid.), puisque seul il est Partisan de son salut el que «le Divin n’est accessible à l’homme qu’en luimême ». la prière, la grâce, la rédemption sont exclues de la doctrine théosophique, parce que supplications et secours extérieurs sont inutiles. « Il n’existe pas dc Dieu vengeur qui punit ou récompense, il n’y a pas de damnation étemelle. · M. Prozor, Tanha, p. 30 (Édi­ tions de la Tortue, Carros, Alpes-Maritimes). Quelles sanctions interviendront alors pour récom­ penser la vertu et punir le crime? L’expérience dé­ montre chaque jour que les sanctions humaines sont souvent déficientes en celle vie. D’où la nécessité des sanctions ultra-terrestres, fondement de la morale chrétienne. Comment sont-elles remplacées dans la morale théosophique? 2. La réincarnation. — La théosophie prétend res­ tituer h Dieu sa justice et â l’homme son pouvoir par sa fameuse doctrine dc la réincarnation. Lorsqu'il meurt, affirment les théosophes, l’homme ne fait que quitter le vêlement corjmrel qu’il a revêtu temporai­ rement. pour en prendre un autre et poursuivre ainsi sa carrière, existence après existence, corps après corps, dans un immense cycle de naissances et dc morts. Jus­ qu’à ce qu’il ail atteint la perfection. C’est le Karma qui réglemente le nombre de ses vies successives. Après un stade de dissolution plus ou moins long, consécutif à une première mort, l’homme entrerait dans un état nommé le Dévachan, où, suivant le mol de l’Evangile, il récolterait ce qu’il aurait semé, c’està-dire subirait les conséquences physiques de ses bonnes el mauvaises actions. Celte métamorphose se produirait par une réincarnation nouvelle dans un état meilleur ou pire que Ια précédente existence, c’est-à-dire conditionné par la loi du Karma. Si la vie antérieure est lourde de fautes inexpiées. la réin­ carnation peut se produire dans une espèce uni male, voire même végétale ou minérale. On lit dans la bro­ chure intitulée Tanha, œuvre dc Mme Prozor, théoso­ phe de marque, qui nous confiait en 1925 qu’elle était • la réincarnation du pape Jules II », la déclaration qui suit : « Je suis identifiée à un chêne. Me voici bra­ vant la tempête. Λ côté un arbre géant est atteint par la foudre. Brisé, noirci lamentable, il tombe avec fracas. Mol Je suis indemne... Ce fut par ma force 551 TIJÊOSOPHIE — THÉRÈSE (SAINTE) que fut activé le germe qui, pourri dans le noir humus de en usage dans les loges théosophlques el contre dci la terre, engendra cette entité magnifique. J’en éprouve enseignements incompatibles avec sa propre doctrine. une Joie végétale qui ne ressemble à aucune autre. » Dans une audience plénière tenue le 1 1 Juillet 1919, Mme Prozor écrit encore : « Me voici sous terre, au à une époque où. grâce à une active propagande et centre d’un bloc de cristal. J’aide à la lente formation plus encore grâce à l’ignorance religieuse d’un trop de scs lignes de force, à sa croissance, à sa belle et sage grand nombre de nos contemporains, la théoiophle organisation intérieure. J’en ai une conscience obs­ bénéficiait, particulièrement en France, d’un crédit exceptionnel, qui lui venait de l'attrait de scs mysté­ cure, massive, un plaisir soutenu et mystérieux. Tanha, p. 61-63. Ces citations échappent à toute dis­ rieuses spéculations el île scs pratiques secrètes, h cussion. On ne voit pas d’ailleurs par quels arguments S. C. du Saint-OITlce intervint, à l’occasion d’une question qui lui fut proposée en ces termes: · Les doc­ elles pourraient établir leur véracité. Retenons encore cette autre affirmation d’une adhérente à la doctrine trines dites actuellement théosophlques sont-elles de la réincarnation, exprimant en notre présence, la conciliables avec la foi catholique? Est-il permis, en volonté de · devenir goutte d’eau ». conséquence de donner son nom aux sociétés lliéoMais ces incarnations rétrogrades dans des espèces sophiques, d’assister à leurs réunions, de lire les ou­ vrages, revues, Journaux el écrits théosophlques? » La inférieures n'excluent pas le retour dans la vie humaine, réponse fut d'une netteté qui levait tous les doutes: où le Karma peut s’alléger du salaire dû aux fautes des existences antérieures et, de progrès en progrès, mode­ « Non aux deux questions. » Celle décision, approuvée par le pape, fut promulguée le 17 du même mois de ler en lignes toujours plus belles la croissance du germe spirituel ct divin que l'homme porte en lui. Jusqu’à ce juillet ct publiée dans les Acta apostolicœ Sedis du 1er août 1919. On voit quelle conduite impose à ce qu’il atteigne enfin la stature de l’homme parfait. sujet la profession loyale du catholicisme. C'est alors que, pleinement évolue il s’absorbera, sc Rappelons, avant de clore celle étude, que les perdra dans l’essence universelle, c’est-à-dire dans la sociétés ou loges théosophlques ont été comprises dans Nirvana boudhique Mme Blavatsky, The Key to le decret de dissolution des sociétés secrètes, émane Theosophy, 'fout cc que nous avons dit du Karma du gouvernement que dirigeait le maréchal Pétain s’applique logiquement à la réincarnation qui exclut le pardon ct le salut apportés par la rédemption (13 août 1910). divine. De l’aveu des dirigeants théosophes, le sacrifice Sans qu’il y eût fusion entre les deux organismes théosophique el maçonnique, leurs principes philoso expiatoire de Jésus ne peut être admis par aucun de ceux qui voient la réhabilitation dans les améliora­ pbiques et leurs rites, sinon leurs inscrits politiques, les faisaient converger vers une action commune dont tions morales de vies successives et indéfinies. Telle est dans scs traits essentiels la doctrine de la le but plus ou moins occulte était la substitution d’une religion naturelle el purement civique à la religion réincarnation, fondement de toutes les religions de chrétienne, religion impliquant de ce fait la suppres­ l’Inde, ct enseignée par les philosophes grecs tels que Pylhagore, Platon, les néo platoniciens el les gnostision de tout surnaturel. Ainsi l’avait compris Mme An­ ques. Certains théosophes ont voulu voir des allusions nie Bcsant qui fut < l'àmc ct la voix de la Société theoà cette croyance dans certains textes évangéliques : sophique » ct n'attendit pas de succéder à la prés!· Malth., xvi, 13, 1 1; Marc., vin, 27-28; Luc., iv, 16-19; douce de Mme Blavatsky pour se faire initier à la Joa., n, 1-15. Ne vont-ils pas, comme la comtesse franc-maçonnerie. La revue La lumière maçonnique M. A. de F., dans sa brochure déjà citée, jusqu’à voir (septembre-octobre 1912, p. 173) inséra à ce sujet une dans saint Paul el scs épltrcs aux Corinthiens < le plus photographie avec cette légende : « La S.*. Annie qui convaincu cl le plus convaincant des théosophes ». est pincée au premier rang, au milieu, est la S.*. Annie Il faut une grande imagination pour trouver dansées Besanl 33e. A sa droite est la S.’. Francesca Arundnla, textes une justification quelconque de la réincarna­ 33e, etc. · L’exemple donné par Mme Bcsant eut de tion. que ni le christianisme, ni le Judaïsme, ni l’isla­ nombreux imitateurs dans le monde théosophique. misme n'ont Jamais comprise dans leurs enseigne­ I n document officiel, en date du 11 octobre 1911, rap­ ments. Le mot chrétien de résurrection, tel qu'il est porte que, ■ parmi les 50 000 adhérents actifs environ employé dans les évangiles, et qui signifie : « action des diverses obédiences de la franc-maçonncrlc, on par le Divin, vie éternelle », a un sens autrement positif trouve en général trois catégories », dont la première et actif que le Nirvana de la sagesse hindoue qui, désignée sous le vocable : les mystiques est formée malgré le sens transcendant que certains théosophes • des philosophes adonnés à la théosophlc, à l’occul­ sc plaisent à lui donner, aura toujours pour nos oreilles tisme el au spiritisme », c'est-à-dire à tout ce qui est le et nos âmes occidentales une couleur négative et pas­ propre d’une société secrète, Dix mille d’entre eux, sive par sa seule vertu étymologique, en sanscrit : selon certaines estimations, appartiennent à la Société « extinction « théosophique. Nous faut-il ajouter, pour ne laisser dans l’ombre Indépendamment do tous les ouvrages théosophique'. aucun point essentiel, que, en vue de donner une base plupart ouvrages de fond cités dans cotte élude, nous expérimentale à leurs hypothèses sur la réincarna­ la pouvons mentionner : d'Annie Besant, Lu théosophie tion, les partisans de cette doctrine ont voulu la jus­ ri son « uore dans le inonde; Lr.% lots fondamentales de In tifier par les capacités merveilleuses des enfants pro­ théosophie ; La réincarnation; Le Hhaqaua-tiita; de H.-P. diges tels que Pascal, Mozart, Hamilton? BornonsBhivntskl, Doctrine secréte et In Voix du silence; dcA.Sinnous à déclarer que le cas des enfants prodiges reste nett, l e liouddhisme ésotérique; Le déoeloppement de l'dmt; un des problèmes dont la science n'a pu encore appor­ avec Dieu, on ne peut · s’empêcher accordant « l’oraison de quiétude et quelquefois même de craindre. Ainsi, mes sœurs, que celle d’entre vous celle d’union ». Vie, c. iv, p. 72. Elle fut conduite qui se figurerait être le plus en sûreté, soit celle qui chez la célèbre empirique de Bécédas, qui devait, craigne davantage ». Château intérieur, Ί9 dem., c. iv, pensait-on, la guérir facilement. Le traitement dura t. vî, p. 305-306. Celle crainte était aussi motivée par trois mois et aggrava la maladie au lieu de la faire dis­ paraître. C’est ici le commencement de la grande crise la période d'infidélité qui suivit sa grande maladie. Elle était religieuse, dans le monastère de Γ Incarna­ qui se prolongea, avec des intermittences, pendant tion, depuis plusieurs années et cependant elle fut en « près de trois ans ». Vie, c. vi, p. 88. Le récit que fait grand danger d’offenser Dieu. Vie, c. vn. Même dans Thérèse de son entrée dans la vie religieuse cl de set la vie religieuse la sécurité n'est pas complète : · Quant deux premières années au couvent de l'incarnation, a la sécurité, n’y comptons pas en cette vie, disait nous laisse supposer qu'une profonde dépression ner­ Thérèse à scs sœurs; elle nous serait même très dan­ veuse s'était produite en elle. gereuse. » Chem, de la per/., c. xli, t. v, p. 301. Elle décrit avec précision ce qu'elle souffrit â Décé­ 2° La maladie du début. - Quelle est la nature de la das et après : < Mon séjour en ce Heu, dit-elle, fut de maladie dont souffrit Thérèse au début de sa vie reli­ trois mois. J’y endurai d’indicibles souffrances, le gieuse? — Pour essayer de la caractériser il faut tout traitement qu'on me lit suivre étant trop violent pour d'abord en examiner les causes et ensuite la décrire mon tempérament. Au bout de deux mois, â force de d’après les témoignages de la sainte. remèdes, on m’avait presque ôté la vie. Les douleurs Les circonstances qui précédèrent l’entrée de Thé­ causées par la maladie de cœur dont j’étais allée cher­ rèse au carmel de l’Incarnat ion, à Avila, semblent cher la guérison étaient devenues beaucoup plus in­ avoir été une épreuve pour sa santé. La précipitation tenses. Il me semblait par moments qu’on m’enfonçai! avec laquelle son père, inquiet de la « vie frivole » de dans le cœur des dents aiguës. On finit par craindre que sa fille, décida de l’envoyer comme pensionnaire au ce ne fût de la rage. A la faiblesse excessive — car un couvent des augustines d’Avlln l’impressionna. Elle dégoût extrême rue mettait dans l’impossibilité d’ava­ lui fit craindre d’avoir nui a sa réputation : « Les huit ler autre chose «pie des liquides — à une fièvre con­ premiers Jours, dit-elle, me furent très pénibles, beau­ tinue, ù l’épuisement cause par les médecines que coup moins par l’ennui de me trouver dans cette j'avais prises tous les jours durant près d'un mois, maison, que par la crainte de voir ma vaine conduite vint se joindre un feu intérieur si violent que mes nerfs mise au grand Jour. » Vie, c. », p. 56. Lorsque la pensée commencèrent à se contracter, mais avec des douleurs d’etre religieuse s’empara de son âme, ce fut durant si insupportables, que je ne pouvais trouver de repos trois mois un rude combat, qui altéra ses forces phy­ ni jour ni nuit. » Ajoutez à cela une tristesse profonde. siques, entre son « aversion pour l’état religieux » et < Voilà ce que j’avais gagné, lorsque mon père me les aspirations à cet état qui naissaient en elle. Quoique ramena chez lui. Les médecins me virent de nouveau. décidée a faire la volonté de Dieu, « pourtant, dit-elle, Tous me condamnèrent, disant qu'indépendamment Je redoutais encore lu vocation religieuse cl J’eusse des maux que Je viens de dire, j’étais atteinte de bien désiré que Dieu ne me la donnât point ». Vie, phtisie. Cet arrêt me laissa indifférente, absorbée que c. ni. p. 59. Durant celte lutte intérieure elle avait j’étais par 1«· sentiment des souffrances qui me tortu­ été ■ saisie de grandes défaillances, accompagnées de raient également des pieds Λ la tète. De l’aveu des fièvres ». Car sa santé « laissait toujours beaucoup à médecins, les douleurs de nerfs sont Intolérables el, sircr ». Ibid., p. 62. comme chez mol leur contraction était universelle, La décision prise, d’entrer dans la vie religieuse fut j endurais un cruel martyre. La souffrance, à ce degré exécutée par Thérèse avec une énergie et une fermeté d’intensité, ne dura pas plus de trois mois, me sembled’âme peu ordinaires. Mais la violence qu'elle dut se t-il; mais on n’aurait jamais cru qu’il fût possible de faire ne laissa pas d’avoir de profondes répercussions supporter tant de maux réunis. Aujourd’hui je m’en sur son être physique. Elle partit malgré son père étonne moi-même, et je regarde comme une grande opposé ύ sa vocation : · Quand je quittai la maison faveur de Dieu la patience qu'il m’accorda. » V/e, c. v, «Je mon père, écrit-elle. J’éprouvai une douleur si > p. 82-83. T excessive, que l’heure «le ma mort ne peut. Je pense, « La fêle de l’Assomption de Notre-Dame arriva. m'en réserver de plus cruelle. Il me semblait sentir mes Mes tortures duraient depuis le mois d’avril, plus os se détacher les uns des autres. Le sentiment de intenses cependant les trois «lenders mois. Je deman­ l'amour divin n'étant pas assez fort pour contrebalan­ dais instamment à me confesser... On crut que ce désir cer celui que Je portais à mon père et à mes proches. m’était inspiré par la frayeur de la mort, el mon père, J’étais obligée de me faire une incroyable violence et. pour ne pas m'alarmer, ne voulut pas le satisfaire. m Dieu ne fût venu à mou aide, toutes mes considéra­ ...Celle nuit-là même, j’eus une crise qui me laissa tions n’auraient pas été suffisantes pour me taire sans «onnaissama pendant près de quatre Jours. Je passer outre. Mais en ccl instant, il nu· donna le cou­ r» çus en cet étal l’extrême onction. Λ chaque heure, rage de me vaincre, rl Je vins à bout de mon entre­ à chaque moment, «m < ioyait me voir expirer, et l’on prise. · Vk, c. iv. p. 66. ne Cessait «le me «lin |c Credo, comme si j'eusse pu Thérèse fut heureuse pendant son noviciat. Elle « omprendre quelque chose. Parfois même on me crut déclare cependant avoir éprouvé · de grands trouble . morte, au point qu'on laissa couler sur mes paupières % 'Vi 557 ··* I TH ERI·: SE (SAINTE) de la cire que j’y trouvai ensuite. Mon père était au désespoir de ne m’avoir pas permis de me confesser... „ Dans mon monastère, la sépulture était ouverte depuis un jour et demi, attendant mon corps, et dans une , autre ville les religieux de notre ordre avaient déjà célébré à mon intention un service funèbre, quand le Scigàeur permit que je revinsse à moi. J bid., p. 81-85. «Au sortir de celle crise de quatre jours, Je me trou­ vais dans un étal lamentable. Dieu seul peut savoir ! les intolérables douleurs auxquelles j’étais en proie. J’avais la langue en lambeaux à force de l’avoir mor­ due, la gorge tellement resserrée par suite de l’absence d'aliments et de l’extrême faiblesse, que je suffoquais cl ne pouvais même avaler une goutte d’eau. Tout mon corps paraissait disloqué, ma tête livrée à un désordre étrange. Mes membres contractés étaient ramassés en peloton, par suite de la torture des jours précédents. A moins d’un secours étranger, j’étais aussi incapable de remuer les bras, les pieds, les mains, la tête, que si j’eusse été morte; j’avais seulement, me semble-t-il, la faculté de mouvoir un doigt de la main droite. On ne savait comment m’approcher, toutes les parties de mon corps étant tellement endolories que Je ne pouvais supporter le moindre contact. Pour me changer de position, il fallait se servir d'un drap que deux personnes tenaient, l’une d’un côté, l’autre de l’autre. < Cette situation se prolongea jusqu'à PâquesΠ curies (Dimanche des Hameaux] avec celle seule amélioration que souvent, lorsqu'on s’abstenait de me toucher, mes douleurs se calmaient. Un peu de répit, à mes yeux, c’était presque la santé. Je craignais que la patience ne m’échappât : aussi je fus charmée de voir les douleurs devenir moins aiguës cl moins continuelles. Pourtant, j’en éprouvais encore d’insup­ portables lorsque venaient à se produire les frissons d’une fièvre double-quarte très violente, qui m’était demeurée. Mon dégoût de la nourriture restait aussi accentué. • Il me tardait à tel point de retourner à mon monas­ tère, que je m’y ils transporter en cet état. On reçut donc en vie celle qu’on attendait morte, mais le corps en pire état que s’il eût été privé de vie; sa seule vue Inspirait la compassion. Impossible de dépeindre l’excès de mon épuisement : je n’avais que les os. Celle situation, je le répète, dura plus de huit mois. Quant à la contraction des membres, malgré une améliora­ tion progressive, elle se prolongea près de trois ans. Quand je commençai à me traîner à l’aide des genoux et des mains, j’en remerciai Dieu avec effusion. » Vie, c. vi, p. 87-88. Sa patience fut admirable : · Dieu aidant, dira-t-elle, j’endurais très patiemment de cruelles maladies. » Vie, c. xxxii, I. h. p. 6. Cette longue citation était nécessaire pour avoir sous les yeux tous les détails» donnés par Thérèse, sur sa maladie. Celle-ci est évidemment à forme nerveuse : contraction violente des membres du corps, spasmes du cœur, suppression apparente, et une fois prolongée, de la vie par la suspension de la sensibilité extérieure et «lu mouvement volontaire ou catalepsie. La forte crise fut précédée de « défaillances » physiques assez fré­ quentes cl même de perles de connaissance. Vie, c. IV, p. 69. Sainte Thérèse pandi convaincue de ce caractère nerveux. La cessation progressive de la para­ lysie et des autres malaises· sans emploi de remède, confirme celle conviction. Thérèse eut recours, il est vrai, à lu prière pour obtenir sa guérison. Vie, c. vi, p. 91. Thérèse n’obtint cependant pas une guérison subite mais plutôt lente. Voici son témoignage se rap­ portant aux années de sa vie qui suivirent la grande crise : « Bien remise de la terrible maladie dont j’ai parlé, J’en avals cl j’en al encore [des infirmités] de bien fâcheuses. Depuis peu. Il est vrai, elles ont dimi­ 558 nue d'intensité; cependant, j’en souffre de bien des manières. Durant vingt ans. en particulier, j’ai eu tou* les matins des vomissements... Il est très rare, ce me semble, que je n’éprouve à la fois des souffrances de diverses natures, et par moment bien intenses, celles du cœur par exemple. Seulement ce mal, qui autrefois était continuel, ne se fait plus sentir que de loin en loin. Quant a ccs rhumatismes aigus et à ces lièvres qui m'étalent si ordinaires, j’en suis délivrée depuis huit ans. » Vie» c. vn, p. 106. Sainte Thérèse écrivait ceci en 1565. une trentaine d’années après la grande maladie. On a cru pouvoir qualifier d’hystérique la grande maladie de Thérèse. Ce mol doit être écarté, car sa signification, même atténuée, reste péjorative. Il est synonyme de déséquilibre foncier, donc durable, à la fois physique et mental. Or. celte maladie qui vient d'être décrite ne tient pas de l’état constitutif de la sainte. Elle fut, dans la vie de Thérèse, un accident passager, bien localisé dans trois années de.sa vie et qui ne se reproduisit plus. Nous en avons discerné et énuméré les causes extérieures immédiates. Et d'ail­ leurs, d’après ce que nous savons du tempérament de la sainte, il n’y avait en lui aucune tare héréditaire chronique. Tous scs biographes font ressortir les qua­ lités naturelles de Thérèse. 11 y avait, en elle, écrit Ribera, « un naturel excellent si enclin de sol à [la] vertu, un entendement clair et fort capable, une grande prudence et quiétude, un courage pour entre­ prendre [de] grandes choses cl industrie et manière pour les accomplir, une persévérance et force pour ne s’y lasser point, cl une grande force et grande grâce en son parler, que si on l’eût laissée faire des discours de vertu, elle eût pu facilement gagner beaucoup d’âmes à Dieu. » Lu Vie de la Mère Térèse de Jésus, tr. fr., Paris, 1615,1. I. c. v. p. 12. Son ferme bon sens dans Γappréciation de toutes choses, ses qualités d’écrivain, la sagesse de sa mystique et son œuvre de réformatrice du Carmel et de fondatrice de monastères sont Incompatibles avec un temperament hystérique et une psychologie maladive comme celle des anor­ maux. Ce que nous savons de la constitution physique et mentale de la sainte cadre avec le caractère accidentel et passager de sa maladie nerveuse. Névrose, « étal de nervosisme grave ». 4 l’on veut, mais ne provenant pas d’une altération complète de l'être physique cl mental, comme le prouve surabondamment la vie de Thérèse postérieure Λ la crise. On peut comparer cette névrose à celle dont M. Olier souffrit pendant deux années. Le tempérament sanguin du fondateur de Saint-Sulpice ne le prédisposait pas. lui non plus, à celle névrose, bien circonscrite par ailleurs dans la durée el qui n’eut pas de suites Cf. P. Pourrai, Jean· Jacques Olier, Fondateur de Saint-Sulpice (Coll. Les Grands Cœurs), p. 80 sq. Les années postérieures à ces accidents de santé furent, pour sainte Thérèse et pour M. Olier, les plus actives cl les plus fécondes de leurs vies. L’hystérie, tare congénitale, ne saurait rien pro­ duire de semblable. Cf. A. b arges, Les phénomènes mys­ tiques distingués de leurs contrefaçons humaines et dia­ boliques. Paris, 1923.1. n. p. 192 sq.; J. de Tonquédec, Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques, c. m. L'hystérie. Paris, 1938. Dans le plan providentiel, ccs névroses fortuites sont, sans doute, des moyens dont Dieu se sert pour purifier Intensé­ ment les saintes âmes. Sainte Thérèse, parlant des puri­ fications préparatoires au mariage spirituel, s’ex­ prime ainsi: · Le Seigneur alors envole d’ordinaire de très grandes maladies. C’est là un tourment supérieur au précédent [les critiques el les moqueries], surtout si les douleurs qu'on éprouve sont aiguës, A mon avis, quand ccs douleurs se font sentir avec Intensité, c’est 559 THÉRÈSE (SAINTE) en quelque sorte le plus grand que l’on puisse endurer IcLbas : Je parle des tourments extérieurs et du cas où les douleurs atteignent un degré excessif. » Château, tr dem., e. î, t. vi, p. 171. Les peines intérieures sont, en effet, plus douloureuses encore. Thérèse fait allusion id a sa grande maladie cl semble la considérer comme une preparation aux étals mystiques. Cf. Grégoire de Saint-Joseph, La prétendue hystérie de sainte Thérèse, Lyon, 1895; Dr Goix, Les extases de sainte Thérèse, l dans Annales de philosophie chrétienne, mai-juin 1896; P. de San, Étude patholoyieo-théologique sur sainte Thérèse, Louvain, 1886. Les écrivains catholiques, qui croient pouvoir qua­ lifier d'hystériques certains phénomènes de la vie de sainte Thérèse nc rejettent pas pour cela l'authenticité de ses états mystiques. Cf. Guillaume Ilahn, Les phé­ nomènes hystériques et révélations de sainte Thérèse, dans Revue des questions scientifiques, Bruxelles, 1883, nds à ΓIndex le 1er décembre 1885. A tort ou à raison, ils croient possible la conciliation des deux, ce qui nous paraît toutefois impossible. Il n'en est pas de même pour ceux qui nient le caractère surnaturel et divin de tout étal mystique. Selon II. Delacroix, l'évolution mystique de sainte Thérèse est un produit de « son activité subconsciente », préparé par cet · état de nervosisme grave » que même les plus prévenus de scs biographes sont contraints de reconnaître ». Deux étapes dans cette évolution. Dans la première, celle de « l'excitation des images mentales », Thérèse arrive à croire Λ la présence du Dieu mystique en elle, présence rare d’abord, ensuite continue. Dieu prit ainsi pos­ session de tous les états » de son Ame et la dirigea par sa < parole intérieure ». Puis, il s'opéra en Thérèse « comme un dédoublement » — c’est la deuxième étape — · certaines images s'exaltèrent et s’extério­ risèrent : la parole intérieure s’objectiva, lui sembla venir d’un étranger... à qui elle 1rs rapportait. » Ce furent d'abord des paroles qui vinrent du dehors, ensuite les visions. « Ainsi, pendant que se déroulait l'évolution interne qui réalisait en elle le Dieu confus, le divin au-delà de toute forme, il s'organisait au , dehors le Dieu objectivé, le Dieu qui parle cl qu'on voit, le Dieu qui est le Dieu de l'Écriture, * Les grands mystiques chrétiens (Bibl. de phil. conlemp.), nouv. édit., 1938, p. 72-75. Vouloir expliquer les faits mys­ tiques par l’activité subconsciente, par < l'irruption des phénomènes subconscients dans la personnalité ordinaire », c'est faire preuve d'incompréhension, c'est I prendre pour des états qui peuvent être parfois mor­ bides les manifestations les plus hautes des com­ munications de Dieu avec l'âme humaine. Consé­ quence du préjugé rationaliste qui rejette la réalité objective du surnaturel et du divin. 3® L'oraison comme moyen de sanctification, - Sainte Thérèse est l’apôtre de l’oraison mentale, elle en est aussi, on peut dire, le docteur. Elle a retiré, la pre­ mière, les plus précieux avantages de cet exercice. Aussi csl-cc avec les accents d'une éloquence entraî­ nante qu'elle en recommande la pratique aux autres. Chez les augustines, elle récitait < beaucoup de prières vocales ». La lecture méditée des livres de piété lui fit comprendre, avant son entrée dans la vie ' religieuse. « la vanité de tout ce qui est ici-bas, le néant du monde, la rapidité avec laquelle tout passe ». ■ J'avais pris goût aux bons livres, dit-elle, ils me don­ nèrent la vie. Je lisais les épitres de saint Jérôme et j’y puisais tant de courage, que je me décidai à m’ou­ vrir à mon père dr ma vocation religieuse ». \ ie, i. in. p. 59. 62. L i vie d'oraison proprement dite de sainte Thérèse commença À son entrée nu monastère dr I Incarna­ tion d’Avila. La méthode qu’elle suivait alors et les fruits qu'elle retirait de cet exercice sont exposés 560 longuement dans la Vie, Elle sc servit d’un livre pendant près de vingt ans : Je n’osais, dit-elle, faire oraison sans un livre. L'aborder sans ce secours eau sait à mon âme autant d’effroi qu’un combat a soutenir contre une multitude ennemie. » Vie, c. iv, p. 71. Elle ne pouvait pas faire l’oraison discursive,car Dieu ne lui avait pas « donné le talent de discourir avec l'entendement », ni celui de se · servir utilement de l’imagination ». Ibid., p. 72. Aussi recommande-telle beaucoup l’usage d’un livre aux personnes qui souffrent de celte impuissance. Ibid., p. 73. Sainte Thérèse faisait ordinairement l'oraison affec­ tive où il y a peu de raisonnements. · Nc pouvant dis­ courir avec l'entendement, je cherchais à me repré­ senter Jésus-Christ au dedans de moi. Je me trouvais bien surtout de le considérer dans les circonstances où il a été le plus délaissé; il me semblait que, seul et affligé, il serait, par sa détresse même, plus disposée m'accueillir. » Vie, c. ix, p. 128. Le point capital de l’oraison n'est pas · le travail de l'entendement >. < L’avancement de l'âme nc consiste pas à penser beaucoup mais à aimer beaucoup. » fondations, c. v, t. m, p. 97-98. L'Impuissance à faire l'oraison discursive expose aux distractions et aux sécheresses. Les premières se combattent par l'usage du livre. Mais les autres doi­ vent être subies. Sainte Thérèse parle des « grandes sécheresses » que lui causait celle impuissance à dis­ courir ». Vie, c. IV. p. 73. A cause de cela « ct pendant des années, dit-elle, j’étais plus occupée du désir de voir la lin de l’heure que j’avais résolu de donner a l'oraison, plus attentive au son de l’horloge qu’à de pieuses considérations. » Elle devait vaincre sa répu­ gnance, parfois extrêmement vive, pour entrer à l’oratoire où elle faisait son oraison. Vie, c. vm, p. 122. Si elle insiste tant sur les difficultés qu'elle a rencon­ trées elle-même dans la pratique de l’oraison, c’est pour encourager ceux qui en souffriraient et les empê­ cher d'abandonner un exercice qui est « la porte par où pénètrent dans l'âme les grâces de choix ». Vie, c. vm, p. 12 L Elle n'hésite pas à dire que, pendant une année, clic abandonna l’oraison, afin de faire éviter ce malheur à d'autres. Elle était cependant appelée à une oraison sublime! Pendant les vingt années d’oraison difficile, elle fut gratifiée, en quelques circonstances, de « l’oraison de quiétude » ct « quelquefois même » de · celle d’union ». Vie, c. iv, p. 72. Il y eut donc, dans sa vie. une infidélité qui explique cet abandon. Cette circonstance de la vie de Thérèse est instruc­ tive et mérite d'être remarquée. Ce ne fut pas la vio­ lence qu’elle devait s’imposer pour sc recueillir malgré les distractions, les sécheresses et les aridités qui la détourna de l'oraison. Ce fut la dissipation dans la­ quelle (die vécut après sa grande maladie. La coexis­ tence dans une âme, disent les auteurs spirituels, de la pratique habituelle de l’oraison mentale ct d'une vie de péché est impossible. Ou bien l’âme sc conver­ tira ou bien elle laissera l’oraison. Il semble, en effet, qu’il y ait une contradiction Intolérable pour une âme que de se recueillir chaque jour en présence de Dieu pe ndant le temps de l'oraison, et de rester cependant toujours dans le péché. Sans doute, sainte Thérèse nc commit pas des péchés graves. Elle était portée à ks croire tels cependant : · J’en vins à m'exposer à do si grands périls et à livrer mon âme à de telles frivolités que j'avais honte de m’approcher de Dieu par cet intime commerce d’amitié qui s’appelle l’oraison. · Le démon put facilement . sous prétexte d’humilité » lui it le piègt· et lui persuader qu'une < personne qui méritad «I habiter avec les démons nc devait pas faire oraison mentale et entretenir des relations si intimes nve. Dieu .. Vie, e. vn, p. 97-98. La conviction delà 5G1 THÉRÈSE (SAINTE) sainte qu’elle péchait gravement fut ici nuisible â sa vie spirituelle. L’autre raison qu'elle donne de l'aban­ don de l’oraison csl bien secondaire : - Λ mesure que nies fautes augmentaient, je ne trouvais plus dans les choses de la piété le même goût, la même douceur. » Ibid., p. 97. Elle avait bien souvent déjà triomphé de ce dégoût. Elle en aurait sûrement triomphé encore s’il eût clé seul à la détourner de l'oraison. Sainte Thérèse reprit l’oraison après la mort de son père, grâce à l’exhortai ion d’un dominicain, le P. Ba­ ron. Désormais cet exercice va élever son âme aux som­ mets de la perfection. Dans la lutte qui se livra alors en elle-même entre Dieu cl l’esprit du monde, le rôle de l’oraison fut capital. Toujours la même alternative : ou abandonner l’oraison ou abandonner le monde : ■ La vie que je menais, dit-elle, était extraordinaire­ ment pénible, car l’oraison me faisait comprendre mes fautes. D’un côté, Dieu m’appelait; de l’autre je sui­ vais le monde. Je trouvais beaucoup de joie dans les choses de Dieu, et celles du monde me tenaient cap­ tive. Je voulais, ce semble, allier ces deux contraires, si ennemis l’un de l’autre : d’une part, la vie spiri­ tuelle avec ses consolations, de l’autre les divertisse­ ments cl les plaisirs des sens. Je souffrais beaucoup dans l’oraison, parce que l’esprit, au lieu d’être le maître, se trouvait esclave. Je ne pouvais me renfermer au-dedans de moi-même, ce qui était toute ma mé­ thode d’oraison, sans y renfermer en même temps mille futilités. Bien des années s’écoulèrent ainsi, et je m’étonne maintenant d’avoir pu supporter un pareil combat sans abandonner l’un ou l’autre. Mais, ce que je sais très bien, c’est qu’il n’était plus en mon pouvoir de renoncer à l’oraison, parce que Celui-là me retenait qui me voulait à lui afin de m’accorder de plus grandes faveurs. » Vie, c. vu, p. 111-112. Noire-Seigneur punissait à sa manière les fautes de Thérèse · par de souveraines délices ». ■ Avec ma na­ ture, dit-elle, il m’était incomparablement plus pé­ nible, quand J’étais tombée dans des fautes graves, de recevoir des faveurs que des châtiments; aussi je le dis avec assurance, une seule de ces faveurs m’accablait, me confondait, me désolait plus que bien dés maladies jointes à toutes sortes d’épreuves. » Ibid., p. 113. C’est ainsi (pie Dieu sanctifia Thérèse par l’oraison. Elle a voulu s’étendre sur ce récit ■ pour montrer quelle grâce Dieu accorde à une Ame, lorsqu’il met en elle la résolution bien arrêtée de s’appliquer à l’oraison, n’eûl-clle pas encore pour cela toutes les dispositions requises; c’est enfin pour montrer que. si l’âme persé­ vère malgré les péchés, malgré les tentations, malgré les chutes de toutes sortes où le démon l'entraîne. Dieu, j’en suis convaincue, finira par la conduire au port du salut, comme il m’y a, ce semble, conduite moi-même ». Vie, c. vm, p. 119. Aussi, quels éloges elle fait de l’oraison! Exercice • qui n’est autre chose qu’une amitié intime, un entre­ tien fréquent seul à seul avec Celui dont nous nous savons aimés ». Vie, c. vm, p. 120. Dieu hd « a fait trouver dans l’oraison le remède » A tous ses maux. P. 125. · La porte par où pénètrent dans l’âme les grâces de choix, comme celles que Dieu m’a faites, c’est l'oraison. » P. 121. < L’heureux sort des Ames qui $β déterminent â suivre, par le chemin de l’oraison. Celui qui nous a tant aimés », c’est de commencer « â être les esclaves de l’amour ». Vie, c. xi, p. 1 13. Enfin, dans son grand désir de voir pratiquer ce saint exer­ cice, Thérèse aux c. xii ct xm de la Vie exhorte for­ tement les commençants Λ faire les efforts nécessaires â l’oraison de méditation. Elle donne les conseils prati­ ques pour y réussir. Voir aussi Le chemin de la perfeelion, r. xx-xxm. t. v, p. 158 sq. IL La KÉiOiiMAiRici nu Carmix. Le 21 août 1562 fut établi à Avila le monastère de Saint-Joseph, | 562 le premier d’une réforme appelée à un succès si écla­ tant cl si durable. Comment sainte Thérèse fut-elle amenée ù entreprendre cette reforme ct comment l’opéra-l-elle? En 1562, clic avait quarante-sept ans. Depuis plu­ sieurs années clic était habituellement dans les orai­ sons mystiques. A la fin de 1559 ou au début de 1560, elle cul la célèbre vision de l’enfer. qui exerça sur son projet de réformer le Carmel une Influence décisive, semble-t-il. Dans la vision, sainte Thérèse ressentit effective­ ment les souffrances dont le spectacle était devant elle : · Il plut à Dieu, dit-elle, de me faire ressentir en esprit ces tourments cl ces peines, aussi véritablement que si je 1rs eusse soufferts en mon corps... Mon épou­ vante fut indicible. Au bout de six ans ct à l’heure où je trace ces lignes, ma terreur est encore si vive que mon sang sc glace dans mes veines. » Vie, c. xxxn, t. n, p. L Cette réalisation des souffrances des damné» lui a été, dit-elle, < d’une utilité immense ». Tout d'abora pour l’exciter · a remercier Dieu » de l'avoir • délivrée... de maux si terribles ct qui seront sans fin ». Ensuite pour l’aider à supporter les souffrances de cette vie : · Tout ce qu’on peut souffrir ici-bas n’est plus rien à mes yeux, disait-elle, ct il me semble en quelque sorte que nous nous plaignons sans sujet. · Enfin pour lui faire déplorer l’inexprimable malheur des âmes qui sc damnent. Ibid. Mais Thérèse nc sc contente pas d’éprouver « la mortelle douleur » que lui cause · la perte de cette multitude » qui se jette en enfer. Elle éprouve · d’im­ pétueux désirs d’être utile aux âmes ». Pour « en déli­ vrer une seule de si horribles tourments », volontiers elle endurerait · mille fois la mort ». Ibid. Elle ressen­ tait « un désir ardent » de faire, pour sauver les âmes, tout ce qui serait en son pouvoir · absolument tout ». Ibid., p. 6. En particulier · faire penitence ». C’est alors que la pensée d’un ordre plus sévère que le sien sc présenta â son esprit. Le monastère de l’incarnation où était Thérèse · comptait bon nombre de servantes de Dieu, ct Noire-Seigneur y était bien servi », mais la vie · y était trop douce ». Il suivait la règle mitigée en 1 131 par le pape Eugène IV. Il n’était pas soumis â la clôture, ce qui était nuisible â la sanctification des religieuses. Vie, c. vu, p. 99 sq. SI un particulier qui • fait de généreux efforts pour atteindre, avec l'aide de Dieu, la cime de la perfection...ne va jamais seul au ciel..., y mène à sa suite une troupe nombreuse », que sera-ce d’un ordre religieux qui, grâce â sa reforme, priera mieux et fera de plus nombreuses et de plus généreuses pénitences? Cf. Vie, c. xi, p. 146. C’est donc une pensée de zèle apostolique qui a été l’inspiratrice de la reforme du Carmel. Thérèse le redit avec precision au début du Chemin de la perfection. « J'appris, dit-elle, les calamités qui désolaient la Enmcc, les ravages qu’y avaient faits les malheureux luthériens, les accroissements rapides que prenait cette secte désastreuse. J’en éprouvai une douleur pro­ fonde... J’aurais. me sembhdt-il, donne mille vies pour sauver une seule des âmes qui se perdaient en si grand nombre dans ce pays: mais, je le voyais, j’étais femme et bien misérable... Je résolus dune de faire le peu qui dépendait de moi, c’est-â-dirc, de suivre les conseils évangéliques aver toute la perfecsjon dont je serais capable, cl de porter les quelques âmes qui sont Ici à faire de même. Enfin, il me semblait qu’en nous occu­ pant toutes â prier pour les déf-nscurs de l’Église, pour les prédicateurs et les théologiens (pii soutiennent sa cause, nous viendrions selon notre pouvoir, au secours de mon Maître bicn-aimé. » Chemin de la perfection, <·. i, t. v, p. 33 34. Thérèse cherchait à inspirer à ses carmélites « le zèle de l'avancement des Ames cl de l’exaltation de l’Église ». Celle Intention apostolique. 563 THÉRÈSE (SAINTE) catholique doit être préférée par elles à toute intention particulière de prier. Chemin de la prelection, c. i, l. v, p. 35; Fondations, c. I, t. ni. p. 58 sq. Les exceptionnelles qualités naturelles de sainte Thérèse se manifestent dans l’exécution de son projet de réforme du Carmel : h sûreté de coup d’œil qui pré­ voit les difficultés et les moyens d’en triompher, la promptitude à saisir toutes les occasions favorables, la patience qui sait s’arrêter lorsque l’opposition est violente, tout en gardant la ferme résolution de faire aboutir coûte que coûte l’œuvre commencée, l'habi­ leté à tourner l’obstacle, enfin le charme que ses sédui­ santes qualités de relation exerçaient même sur scs plus irréductibles adversaires. Sans doute, elle consul­ tait Dieu dans ses oraisons. Elle agissait cependant comme si tout eût dépendu d’elle. Aux c. xxxn-xxxvi de sa Vie, Thérèse raconte les curieuses péripéties de cette difficile réforme qui a consisté à rétablir la règle des carmes donnée par saint Albert en 1209 et ap­ prouvée en 1226 par le pape Honorius 111. Cette règle avait été révisée sur la demande de saint Simon Stock, général de l’ordre, par le pape Innocent IV en 1218, date du Bullalre des carmes. La règle ainsi révisée est celle qui s’observe dans toute la réforme de sainte Thé­ rèse. Elle « prescrit l'abstinence perpétuelle de viande, sauf le cas de nécessité, le jeûne huit mois de l’année la clôture la plus rigoureuse < et bien d’autres choses qu’on peut voir dans la règle primitive ». Vie, c. xxxvi, t. n, p. 86-87. Le premier monastère des carmes dé­ chaussés fut fondé en 1568 par sainte Thérèse et saint Jean de la Croix à D uni cio. Fondations, c. xm, t. m, p. 179 sq. Un point de la réforme causa quelques hésitations. Les monastères devaient-ils avoir des revenus ou vivre dans la plus stricte pauvreté, attendant leur subsistance uniquement des aumônes reçues? Saint Pierre d’Alcanlara, consulté par la sainte à ce sujet, sc prononça énergiquement en faveur de la pauvreté absolue. Vie, c. xxxv, t. n, p. 56. Thérèse adopt ait aussi celle manière de voir. Cependant son bon sens lui faisait craindre que la préoccupation de trouver les aumônes nécessaires aux monastères ne fût une cause de trouble pour les religieuses. Finalement, elle con­ sentit à créer des monastères avec des revenus, Fon­ dations, c. îx, et il y eut des monastères sans revenus el d'autres avec revenus. Les premiers ne devaient pas avoir plus de treize ou quatorze religieuses. « De nombreux avis, joints à ma propre expérience, dit Thérèse, m’ont appris que pour conserver l’esprit intérieur qui est le nôtre el vivre d’aumônes, sans faire de quête, il ne faut pas être davantage. » Vie, c. xxxvi, t. n, p. 88. Les monastères dotés de revenus peuvent avoir vingt religieuses, y compris les sœurs converses. Enfin, de même qu’elle avait obtenu de Rome l’auto­ risation de fonder des monastères sans revenus, elle obtint aussi que les monastères des carmélites fussent soumis à la juridiction des évêques. El ceci, comme dit saint Pierre d’Alcantara, pour mieux établir l’ob­ servance de la première règle du Carmel. Cf. Œuvres complètes de sainte Térhe, t. n, p. 423. Les carmes mitigés, s'ils eussent dirigé les cannois, auraient eu peu de zèle pour leur faire observer la règle primitive. III. La fondawce.— Sainte Thérèse, dit Ribera, n’eut pas tout d’abord l’intention « de faire un nouvel ordre et religion, mais seulement de perfectionner son ordre ancien de Notre-Dame du Mont-Carmel. De­ puis, considérant les grandes nécessités de l’Égllse, et désirant avec sa grande charité aider, en ce qu’elle pourrait, à ceux qui bataillent pour elle, elle éles a plus haut ses pensées ». Vie de ta Mire Ttrèsc de Jisus, I. II, c. I. Et d’ailleurs, n’étalt-ll pas plus facile de fonder des carmels selon la réforme que de réformer des canneis mitiges? Sainte Thérèse fut donc une fon­ 5b4 datrice. Son important ouvrage : Les fondations, montre un aspect nouveau de sa riche nature. Auui bien douée pour l’action que pour la contemplation, elle dut bien vile quitter le monastère réformé de Saint-Joseph d’Avila, où elle passa cinq années, < les plus douces de ma vie », dit-elle, Fondations, c. l, rl aller sur les roules de la Castille, de la Manche et de l’Andalousie répandre, dans tout le centre de l'&pa· gne, les Heurs du nouveau Carmel. Dans ses voyage, nous la voyons aux prises avec les difficultés cl les embarras de notre vie de chaque jour. Par sa patience, son entrain, sa gaîté et sa bonne humeur dans les Inci­ dents même les phis pénibles de la route, elle nous apparaît souvent héroïque. El quelle habileté à sc tirer d’affaires parfois 1res compliquées! La pieuse caravane se composait d’ordinaire de cinq ou six religieuses renfermées dans un lourd véhi­ cule à roues pleines, recouvert d’une toile et traîne par plusieurs paires de mules. Monastère ambulant où les religieuses vivent en carmélites, faisant tous les exercices de piété ordinaires, annoncés par une petite cloche. Mais beaucoup de chemins sont mauvais ou dangereux. 11 faut assez souvent descendre de voiture, faire un long trajet à pied sous lu pluie ou les ardeurs du soleil. Il y avait aussi des prêtres qui accompa­ gnaient les religieuses : des prêtres séculiers comme Julien d’Avila, des carmes reformés comme saint Jean de la Croix et Jérôme Graticn. Des laïques, gens de grande piété, montés sur des mules escortaient le véhicule des religieuses. Car il fallait veiller sur les carretcros ou conducteurs des chars · trop souvent maladroits el négligents » et sur les mozos de camino, jeunes gens a pied chargés de tirer les chars des mau­ vais pas, de les aider à franchir les passages périlleux, cl de les relever quand ils avalent versé, accident assez fréquent. Thérèse veillait sur tout ce monde, réconfor­ tant et égayant dans les moments difficiles, oubliant elle-même les souffrances que lui causait sa santé sou­ vent chancelante. Lorsqu’elle voyageait seule ou avec une compagne, c’était a dos de mulet ou d’Ane· Que dire des auberges ou ventas, où la pieuse troupe devait passer la nuit? Malpropreté, encombrement, cris, jurements, impossibilité de se ravitailler, c’est ce qu’on y trouvait le plus souvent. Un jour, en 1575, avant d’arriver à Cordoue. sous un soleil brûlant, Thérèse en proie à une forte fièvre fut contrainte de s’arrêter dans l’une de ces auberges. Elle eut · une petite chambre, ù simple toit sans plafond; il ne s’y trouvait pas de fenêtre, et dès qu’on ouvrait la porte, le soleil y pénétrait en plein... On me mit, dit-elle,dans un lit si singulièrement conditionné, que j’eusse bien préféré m’étendre à terre. Il était si haut d’un côté el si bas de l’autre que je ne savais quelle position prendre : je me serais cru sur des pierres pointues... Finalement, je crus plus sage de me lever et de me remettre en route avec mes compagnes, le soleil du dehors me paraissant plus tolérable que celui de celte pauvre chambre ». Fondations, c. xxiv, t. iv, p. 40. Julien d’Avila avait raison de dire qu’à peine avait-on franchi le seuil de ces hôtelleries qu’on ne songeait qu’à en sortir le plus vite possible. Sainte Thérèse commença scs voyages le 13 août 1567, à l’âge de cinquante-deux ans. Elle avait reçu du général di s cormes, le P. Jean-Baptiste Rossi, alors à Kvila, l’autorisation de fonder des monastères réfor­ més, Dans un espace de quatre ans (1567-1571), elle et ibllt neuf monastères, sept de religieuses : Medina del Campo, Malagan, \ illadolid, Tolède, Past Salamanque et Albe et d< i\ de religieux : Duruelo et - sir .ma. Son priorat d< rois ans au couvent del’In• .unniion d Avila (1671 1571) arrête pour un temps h x fondations mu seule < ( ptlon est faite pour Ségovic. Rendue à la liberte, elle reprend ses voyages cl 565 THÉH ÈSE (SAINTE) scs travaux. En moins d’un an (février 1575-janvlr.r 1576), elle donne trois nouveaux couvents de π IIgicuies Λ la réforme : Beas, Seville et Caravaco. Alors lu persécution sc déchaîne contre son œuvre cl la met Λ deux dolgls de sa ruine, foute fondation est sus­ pendue jusqu’en 1580. En revanche, les trois dernières années qu'elle passe sur terre (1580 1582) verront s’élever cinq nouveaux monastères : Villanueva de la Jara, Palencia, Soria, Grenade et Burgos. » Œuvres compl. de sainte Térèse, t. ill, p. 17. Le succès de la réforme de sainte Thérèse fui donc rapide cl éclatant. Des personnes appartenant aux plus illustres familles d'Espagne demandaient de fonder des monastères dans les villes où elles habitaient. D'autres fois ces demandes étaient faites par les évê­ ques. Cf. Fondations, c. ix, x. xx, xxvn, xxix, xxx. Des enfants de familles nobles quittaient le monde pour entrer au Carmel, ce qui produisait une grosse impression dans les populations espagnoles. Fonda­ tions, c. x, xi, xn, xxii. Enfin la réforme atteignit les carmes eux-mêmes. Fondations, c. xm, xiv, xvn. Tant de succès devaient amener la persécution. Elle ne vint cependant pas tout de suite. Au con­ traire, ce fut un heureux événement, précieux résultat du commencement de la réforme, qui arriva tout d’abord. Le P. Pierre Fernandez, O. P., avait été chargé par une bulle de saint Pie \ de travailler à la réforme du Carmel dans la province de Castille. 11 dut donc s’occuper du monastère mitige de ΓIncarnation d’Avila. Depuis que Thérèse l’avait quitté, le relâche­ ment n’avait fait qu'y grandir. Pour le réformer, le P. Fernandez décida d'y envoyer sainte Thérèse comme prieure. Le 6 octobre 1571, il conduisit au monastère la nouvelle prieure, qu’il lit accepter non sans peine aux religieuses, pour la plupart hostiles ù la reforme. Thérèse triompha des résistances par sa douceur el sa sagesse. Elle· fui bien aidée par saint Jean de la Croix qui devint aumônier de l’incarnation. Enfin les trois années du priorat écoulées, en février 1575, Thérèse reprit ses voyages. Elle dut les cesser en 1576 jusqu’en 1580. La persé­ cution violente se déchaîna contre la réforme cl faillit la ruiner. On connaît celle période douloureuse de l’histoire de l’ordre des cannes. Les supérieurs des couvents espagnols de carmes mitigés, et, A leur tête, le général Tost ado, s’assemblèrent en chapitre et ten­ tèrent de détruire la réforme en imposant à tous les carmes réformés l’obligation de vivre dans des cou­ vents mitigés. Libre à eux de suivre d’une manière privée leur règle plus sévère! Le P. Jérôme Gratien, si apprécié de sainte Thérèse, Fondations, c. xxm-xxiv, fut chargé de faire triumpher la cause de la réforme. Était-Il à lu hauteur de celte difficile tâche? Heureu­ sement le nonce, Mgr Nicolas Ormancto, et surtout Philippe II étaient favorables A l’entreprise. Les déci­ sions des carmes mitigés furent cassées et les dé­ chaussés gardèrent la possibilité de faire valoir leurs droits. Mais la mort de Mgr Ormancto, 18 juin 1577, aggrava la situation. Son successeur Λ la nonciature d’Espagne, Mgr Philippe Sega · semblait, dit sainte Thérèse, envoyé de Dieu pour nous exercer à la pa­ tience. 11 était un peu parent du pape [Gregoire XIII), cl nul doute qu'il ne fût serviteur de Dieu. Mais il prit fort A cœur la cause des mitigés et, se basant sur ce que ces pères lui disaient de nous, arrêta qu’il fallait empêcher les progrès de la réforme ». Fondations, c. xxvni, t. iv, p. 9G. Sainte Thérèse suivait avec soin tous ces événe­ ments. Elle écrivait aux pères déchaussés, chargés de défendre les Intérêts de la réforme, pour les conseiller cl les encourager. Sa correspondance avec le P. Gra­ ticn est particulièrement abondante dans ces années douloureuses. Elle n’hésita pas A s’adresser directe- 56G nient, le 18 septembre 1577, a Philippe Π pour le sup­ plier de prendre en main la cause des réformés : < Notre catholique monarque, don Philippe, dit-elle, Fondations, c. xxvni, fut instruit de ce qui se passait et comme il connaissait la vie 1res parfaite des dé­ chaussés, il prit en main notre cause. » Le 4 décembre 1577, elle écrivit de nouveau au roi pour lui demander de faire délivrer saint Jean de la Croix, incarcéré par les mitigés dans leur couvent de Tolède. Elle comprit, dès le début de la persécution, que la solution du conflit était dans la séparation des mitigés et des déchaussés. Elle écrivait au P. Graticn, vers le 2Û sep­ tembre 157b : < On m'a dit que vous avez formé le projet d'obtenir une province séparée par la voie de notre T. B. P. Général et d'employer pour cela tous les moyens en votre pouvoir; de fait, c'est une guerre intolérable que de lutter contre le supérieur de l’ordre.» Elle conseille un voyage â Borne a faire au plus tôt. < Si l'un ne pouvait rien obtenir du P. général, on trai­ terait avec le pape. » Ce conseil fut approuvé le 9 octobre 1578, au chapitre d'Almodovar, qui nomma le P. An­ toine de Jésus provincial cl envoya deux religieux à Home négocier en faveur d<· la réforme. Le nonce Séga, considérant ce chapitre comme un attentat à son auto­ rité, en cassa les actes, assujéttt les réformés aux miti­ ges cl fit emprisonner dans trois couvents de Madrid les PP. Gratien, Antoine de Jésus et Mariano de SaintBcnolt. Thérèse est traitée « de femme inquiète el vagabonde ». Sur la plainte de personnages de marque, Philippe II « ne voulut pas, dit Thérèse, que le nonce fût seul noire juge : il lui adjoignit quatre assesseurs, personnages graves, dont trois appartenaient à des ordres religieux ». Fondations, c. xxvni. Le P' avril 1579, le nonce dut retirer aux mitigés tout pouvoir sur les déchaussés. Ceux-ci eurent un vicaire general pour les gouverner et en mai deux pères de la reforme s’em­ barquèrent pour Borne afin de solliciter la séparation des déchaussés el des mitigés. Cette separation ne devait être faite qu’en 1593 par un bref du 20 décem­ bre du pape Clément VIII: chacune des deux obser­ vances aurait son supérieur général. Le 27 juin 1580, Grégoire XIII décida seulement que les réformés for­ meraient une province autonome sous l'autorité d'un provincial reformé qui fut le P. Graticn. Sainte Thé­ rèse put continuer scs fondations. Le couvent de Bur­ gos fut le dentier qu’elle créa, déjà bien malade. De Burgos elle se rendit à Albe où elle mourut le 4 octobre 1582. Malgré les angoisses causées par cette persécution, sainte Thérèse rédigea Γ/'crif sur lu visite des monas­ tères en août ou septembre 1576. Puis en octobre de la même année, elle reprit la composition du Livre des fondations. Et du 2 juin au 29 novembre 1577 elle écrivit le Château intérieur. En sainte Thérèse, l’écri­ vain n’est pas inférieur à la fondatrice. IV. Saint» Tm ni si: écrivain mystique.— L’ana­ lyse complète des états mystiques de sainte Thérèse, leur explication cl la solution des problèmes théolo­ giques qu’ils pourraient soulever sont réservées au Dictionnaire de spiritualité. Il su dira d’indiquer ici les qualités d’écrivain de la sainte. les circonstances où elle a composé scs ouvrages el d’énumérer, en les caractérisant brièvement, les degrés d’oraison aux­ quels elle a clé élevée. 1° Qualités de l'écrivain. — Ce qui se remarque tout d’abord en sainte Thérèse écrivain, c’est sa prodigieuse facilité Λ écrire : « Elle écrivait ses ouvrages, dit le P. Gratien, sans faire de ratures et avec une extrême vélocité. Son écriture était très nette et sa rapidité Λ écrire égalait celle des notaires publics. » Dllucidario dei verdadero spiritu..., Is pari., c. ». La promptitude de sa conception et la matt rise de son style lui per­ mettaient de composer rapidement scs ouvrages au 567 THÉRÈSE (SAINTE) milieu dc la correspondance et des démarches néces­ sitées par scs fondations. Elle écrivit, à Tolède, vingthuit chapitres du Livre des fondations, du début d’oc­ tobre 1576 au 14 novembre delà même année. El pen­ dant la persécution livrée par les mitigés â sa réforme, elle composa,du2juin au 29 novembre 1577,1c Château intérieur, ouvrage de haute mystique exigeant une réflexion soutenue. Cette facilité supposait une connaissance étendue de la langue espagnole. Les lectures des romans d’Amadls de Gaulect de sa considérable lignée servirent le talent de la sainte. Elle lut aussi beaucoup dc livres spiri­ tuels anciens traduits en castillan, ct de modernes com­ poses en ccttc langue. Cf. Morel-Eut lo, Les lectures de sainte Thérèse, dans le Bulletin hispanique, l. x, 1908. p. 17-67 ; Gaston Elchegoyen, L'amour divin, Essai sur les sources de sainte Thérèse, Bordeaux-Paris, 1923, p. 33 sq. Thérèse maniait la langue espagnole d’une manière géniale. .Avec les écrivains mystiques do son époque elle a forgé celte langue ct lui a fait parler • le langage des anges ». Sainte Thérèse, saint Jean dc la Croix, l'augustin Louis de Léon et d'autres encore eurent une part dans la formation de la langue espa­ gnole aussi grande peut-être que celle de Cer vantés, l’immortel auteur de Don Quichotte. Sainte Thérèse a un style image. Elle sait trouver les comparaisons expressives qui symbolisent toute une doctrine ou dépeignent des états d’âme. Ainsi les quatre manières d’arroser un jardin caractérisent les quatre degrés d’oraison dont elle parle dans le Livre de la oie. Son imagination est remplie d’images de chevalerie. Pour elle, comme pour saint Ignace dc Loyola, le Christ est un roi, un conquérant. Elle l’ap­ pelle « sa Majesté ». Sa vision de l’enfer rappelle les oubliettes des châteaux forts dont elle avait lu la des­ cription dans les romans. On sait que, pour les visions imaginatives, Dieu sc sert d’ordinaire des Images qui sont déjà dans l'imagination. Le Château intérieur est révélateur : < La veille de la fêle de la très sainte Trinlté (1577], dit Diego dc Yepez, tandis qu’elle était à se demander quelle serait l’idée fondamentale de ce traité. Dieu, qui dispose tout avec sagesse, exauça scs vœux ct lui fournit le plan de l’ouvrage. Il lui montra un magnifique globe dc cristal en forme de château, ayant sept demeures. Dans la septième, placée nu centre, se trouvait le Bol dc gloire, brillant d’un éclat merveilleux, dont toutes ces demeures jusqu’à l’en­ ceinte se trouvaient illuminées et embellies. Plus elles étaient proches du centre, plus elles participaient à cette lumière. Celle-ci ne dépassait pas l’enceinte : au delà il n’y avait que ténèbres cl immondices, des cra­ paud»· des vipères et autres animaux venimeux. » Œuvres complètes de sainte Thérèse, t. vi. p. C. Aux qualités de l’imagination s’ajoute une sensibi­ lité délicate, (pii sent vivement la valeur des dons divins ou la portée des événements providentiels et qui sait communiquer aux autres ses Impressions. Cet art de faire partager ses propres sentiments était per­ fectionne en sainte Thérèse par un abandon plein de simplicité cl dc charme. Elle écrit souvent comme l’on cause familièrement avec des intimes. Car elle n’écri­ vait pas pour le public, mais pour scs confesseurs qui voulaient connaître son âme ou pour ses carmélites qu’elle désirait initier à scs expériences religieuses. Enfin, un ferme bon sens maintient toutes ces qua­ lités dans la juste mesure. Bon sens tout viril. Si Thé­ rèse a la sensibilité féminine, elle a la malt ris»· de l’homme. Elle appréciait le bon sens des personnes avec lesquelles elle traitait les affaires de scs fonda­ tions. Fondations, c. xv. Elle sait éviter, dans l’expose dc scs étals mystiques, toute exagération. Imite rx pression outrée qui indiquerait que le sentiment a le pas sur la raison, ce qui n’est jamais en sainte Thérèse. 568 Cf. B. Iloornaert, Sainte Thérèse écrioain, PartiBruges, 1922. Quelques defauts cependant déparent, fort légè­ rement d’ailleurs, de si riches qualités. La facilité d grande d’écrire a fait tomber Thérèse dans quelque» longueurs. Les digressions sont parfois trop abon­ dantes. Et sa mauvaise mémoire — dont clic sc plaint souvent — lui a fait commettre des contradiction», parfois assez notables pour qu’on puisse ne pas avoir, avec certitude, sa vraie pensée sur quelques points de la mystique. Sa chronologie est souvent défectueuse Elle écrivait longtemps après les événements et, comme elle ne pensait pas que ses écrits seraient pu­ blies. elle se préoccupait peu de l'exactitude des datt*. Bien petites ombres dans dc ravissants tableaux! 2° Caractères de la mystique thrrésicnne. — Signalons tout d’abord le don qu’a sainte Thérèse d'exposer ws états mystiques. Don d’introspection. Elle sait dis­ cerner ce qui se passe dans son âme avec une sûreté rare. Elle peut sans doute prendre pour des commu­ nicat ions surnaturelles de Dieu de pieux mouvements de son âme. Mais elle tient compte de ccttc possibilité qu’elle reconnaît. Aussi, malgré les révélations, elle n’entreprendra rien de tant soit peu important san» avoir l’as is de théologiens instruits et l’approbation de scs supérieurs. A cette sûreté de coup d’œil psycho­ logique s’ajoutait la facilité d’analyser finement ses | étals mystiques cl enfin le talent de les décrire clai­ rement et avec précision : « Recevoir de Dieu une faveur, disait-clic, est une première grâce, savoir en quoi elle consiste en est une seconde; enfin, ç'en est une troisième dc pouvoir en rendre compte et en don­ ner l’explication. » Vie, c. xvn, t. i, p. 213. < Dans la sublimité des choses qu'elle traite et dans la délica­ tesse et la clarté dont elle les déduit, disait Louis dt Léon, elle surpasse beaucoup d’esprits, cl dans la ma­ nière de les dire, dans la pureté ct facilité du style, dans la grâce ct l’agencement des paroles, ct dans une I élégance naïve (pii délecte au dernier point son lecteur. Je doute (pie dans toute notre langue (espagnole) Il y ait rien qu’on lui puisse comparer. » Lettre à la Mère Anne de Jésus, prieure du carmcl dc Madrid. La mystique dc sainte Thérèse n’est pas speculative mais pratique, en ce sens qu’elle consiste dans des ana­ lyses psychologiques de scs états mystiques. Saint Jean de la Croix nous montre scs expériences mysti­ ques au travers de théories théologiques. La mystique l hérésicnne, die, est dépourvue de théories. Elle sc trouve dans la description psychologique des faits mystiques vécus par la sainte. A peine, de loin en loin, contient elle des allusions aux explications des théo­ logiens. Aussi In mystique t hérésicnne est-elle très per­ sonnelle, puisqu’elle consiste dans les états par où la sainte a passé cl qu’elle décrit. Tous les mystiques ne suivent pas nécessairement In même voie qu'elle. Bien souvent elle le laisse entendre. Les écrits de sainte Thérèse sont ainsi son autobiographie mystique, mais leur lecture édifie tout le monde. -Jj Sur l’origine et les sources dc la rnyst ique t hérésicnne deux opinions sont en présence: celle des anciens bio­ graphes de sainte Thérèse et celle des écrivains mo­ dernes. Selon les anciens thérésiens, tout ce que suinte Thérèse a écrit vient de Dieu. Elle n’a rien appris dans 1· s livres. Elle a lu fort peu d’ouvrages spirituels; elle en a donné les litres, mais elle ne prend en eux aucune dl.itton. Sa mauvaise mémoire ne le lui aurait pas permis, du reste : · I ncorr, si Dieu m’avait donné un peu de capacité et de mémoire 1 dit-elle en gémissant. Je pourrais alors mettre a profil ce que j’ai lu ou en­ tendu Mais J’en suis aussi dépourvue que possible. Si • tour je dis que Ique chose dc bon. c’est que le Seigneur I l’aura ainsi voulu, pour en tirer quelque bien. · Vie, ■ c. x, (Lui res, t. î, p. 140, Théri sc ne devrait donc qu’A 5ΰ9 THÉRÈSE (SAINTE) 570 Dieu 11 doctrine qu'elle nous enseigne Diegodc Yepcz, vembre. Le Château inférieur devait remplacer le religieux hléronyinilc, puis évêque de Terrassonc Livre de la me dont le manuscrit était gardé par Ici dll Λ ce sujet : « Dieu vertu dans I’ Une de lu sainte Inquisiteurs. Lei Aids ct les Relations spirituelles sont Mère celle s igcsse admirable (de la théologie mys­ d'époques diverses qu’il est difficile de préciser. tique). Car étant si rude et si grossière. non seulement Cf. Œuvres complètes de sainte Thérèse* t. j, p, xxr-xxn. pour déclarer les Choses spirituelles, mais encore pour Les écrits therédrns sont une autobiographie de la les entendre, Notre Seigneur en fort peu de temps lui sainte, une description de son âme séraphique, une donna tant de lumière et d'intelligence des choses histoire du développement de états mystiques. surnaturelles ct divines que de grands théologiens en Thérèse, merveilleusement psychologue, w raconte plusieurs années d'étude n'eussent su parvenir jusque- elle même d'une façon captivante. là·,. Cette Intelligence cl science qu'elle eut de » choses 3rt /.r» diverses oraisons d'après sainte Thérèse. — divines fut presque soudaine ct tout à coup en On Nous avons deux classi fl« allons Ihérésfcnnrs des orai­ comme Infuse de Dieu. » Vit· de ta sainte Mère Thérèse sons ; relie du t.ivre de la oie ri celle du Livre du de Jésus, 2· part., r. xvm, trad, fr., Pari*, 1656. château intérieur. La première est symbolisée par la Celle manière de voir commence à sc modi Her, à la célèbre comparaison de l’arrosage d’un jardin (Vie, tulle d’études plus attentives des sources littéraires c. xi) ; l'oraison dc méditation, qui consiste à tirer auxquelles la sainte a pulsé. Thérèse n’a pas néglige l’eau du puits à force de bras pour arroser, cTst-à-dlre les moyens humains dc s’instruire des voles sumat u- à · travailler avec l'entendement » pour produire des relies. Elle savait interroget si s confesseurs ct les théo­ considérations; l’oraison de quiétude, où l’âme logiens. Elle a lu. souligné et annoté les livres spiri­ « touche au surnaturel » ct a moins dc peine, comme 1< tuels traduits en castillan. Les exemplaires (le ccs Jardinier qui arrose en se servant « d’une noria et de livres annotés dc sa main ont été conservés. Cc sont : godets mis en mouvement au moyen d’une manivelle ·; les Lettres de saint Jérôme (Vie, c. ni. xi; Château, l'oraison du sommeil des puissances, où 1rs puissances G· dem.. c. tx); les Morales sur le livre dc Job de saint dc l’âme, « sms être entièrement suspendues, ne com­ Grégoire le Grand ( Vie, c. v); Les Chartreux ou la Vita prennent point comment elles opèrent ». c'est l'arro­ Christi de Ludolphe le Chartreux ( Vie, c. xxxvm); sage par l'eau courante amenée d'une rivière ou d’un les Confessions de saint Augustin ( Vie, c. ix). Elle a ruisseau; enfin l’oraison d’union où Dieu agit pleine­ étudié trois écrivains espagnols franciscains ses con­ ment : l’âme n’a aucune peine, comme le jardinier qui temporains : Alonso de Madrid, auteur de l’ArZ de voit son Jardin arrosé par · une pluie abondante ». servir Dieu publié à Séville en 1521 ( Vie, c. xn), En 1577, quand elle composait le Château intérieur, Francisco do Osuna, qui a composé les Abécédaires. sainte Thérèse avait expérimenté un degré de plus dont sainte Thérèse a lu le troisième (Vie, c. iv; d’oraison mystique ; le mariage spirituel. Elle modifia cf. Un maître dc sainte Thérèse : le P, François d'Osuna, donc la classification du Livre de la Vie. En allant de parle P. Fidèle de Kos. Paris, 1927), enfin Bernardino l’extérieur à l’intérieur du Château, les trois premières de Laredo, à qui on doit La montée du Mont Sion. Cet demeures correspondent aux exercices des commen­ ouvrage rassura Thérèse au sujet de l'oraison de quié­ çants dans In vie spirituelle qui font l’oraison ordinaire tude et d’union auxquelles elle était arrivée et dont dc méditation. Cf. Chemin de la perfection, c. xxv. Les elle ignorait la nature. Vie, c. xxm. « Je consultai des quatre autres demeures concernent respectivement livres, dit-elle, afin de voir s’ils m'aideraient à m’ex­ l’oraison de recueillement, qui ne peut s’obtenir · par pliquer sur mon oraison. Dans un ouvrage intitulé : le travail de l’entendement... ni par celui dr l'imagi­ L'ascension (te la Montagne, à l'endroit où il est parlé nation s c’est Dieu qui produit cc rvcucilleincntCf. l ie. c. xiv-xv; Relations spirituelles, i, uv; de l’union de l’âme avec Dieu, je rencontrai toutes les marques dc ce que j‘éprouvais relativement à l'oraison de quiétude ou des goûts divins, où l’âme l'impuissance de réfléchir. El c'est précisément cette recueillie par Dieu jouit d’un parfait repos et goûte un suave plaisir. Cf. Vie, ibid.; Chemin de la perfection* impuissance que je signalai surtout â propos de ccttc oraison. Je marquai d’un trait les endroits en ques­ c. XXXI ; Relations. Liv; 1‘oraison d'union, avec ou tion. » Sainte Thérèse trouva aussi dans les livres la sans extase, où Dieu fait sentir soudainement ct Inten­ sément si présence dans l’âme. Cf. Vie, c. χνπι-χιχ; terminologie classique dont on se sert pour parler des Relations, liv; enfin le mariage spirituel. Château, divers degrés d’oraison et des faits mystiques. Les *P dem. Gf. K. I loormurt, le progrès de la pensée de images et les métaphores empruntées Λ la Bible, à la nature ou Λ la vie familiale et sociale lui furent aussi sainte Thérèse entre la « 1 k » cl le · Château », dans Revue des sciences phtl. et théoL. janvier 1924. révélées par eux. Elle reçut sans doute pour écrire Entre l’oraison d’union cl le mariage spirituel, des lumières spéciales de Dieu, mais elle ne négligea pas sainte Thérèse parle des préparations habituelles â cc l’étude personnelle. Les écrits de sainte Thérèse furent rédigés de 1562 mariage. L'oraison d’union est comme une « entrevue · à 1582, année de sa mort. Le Livre de ta vie fut écrit en de l’âme avec Noire Scignvtr. qui annonce d'ordi­ 1562, sur l’ordre de son confesseur, puis retouché cl naire, mais pas toujours, le mariage spirituel. Celui-ci est prépare par les purl Ileal ions passives. Vie. c. xxx complété en 1565 à Saint Joseph d’\vda. I.e Chemin xxm: Château, G* dem.. c. l it, 1rs ravissements, l'exde la perfection fut rédigé une première fois en 1565 au même monastère, puis une seconde fois, probable­ t ise. les vidons et les révélations. \ le, r. \x. xxn ment à Tolède, pendant les fondations, en 1569 ct XXIX, xxxii, xxxvH xi.; Château. 6· dem.. c. hi-xi; Fondations, c. vi, mu; Relations, i.iv. Sainte Thérèse 1570. Les Constitutions, destinées aux seules reli­ gieuses. furent composées Λ \vila, vers 1563. Les rapporte les visions Intellectuelles, Imaginatives et corporelles, dont elle fut favorisée. Elle analyse avec Reclamations, ou accents passionnés d’amour divin, précision Text ise ct le ravissement. Elle parle aussi de semblent écrites : d» Xfurisier, M maladie* du uillmrnt rctigtvux. 2· , prtrJs. 1903; W. James, The l ately of religions experience Loudon, 1904, trad. fr. L rjpèrii n· ,· religirttu , Hnrrr Janet, Auhmiatisme psychologique, I art*, 1889; L’état mental des hystériques, Paris 573 THÉIUNES (JACQUES DE) THESSALONICIENS (ÉPITRES AUX) terms common to the Macedonian inscriptions and the N. T., Chicago, 1913. p. 65 sq.; A. Wikcnhauscr, Die Λpostelgeschlchle und ihr Gachlchlsuiert, dans les Neatest· Abhandlungen, Munslcr-en-W., 1921, p. 347. Très bien située dans le golfe de Tbermé, au con­ fluent des grandes roules, en bordure surtout de la THÉRINES (Jacques de). -- Moine de Ghaalis, au diocèse de Senlis, puis abbé do ce monAstère, voie Égnat ferme qui reliait Rome A l’Oricnt, Thessaloniquc avait un commerce très prospère et son port de 1309 à 1317 et, de 1318 A 1321, abbé de Pontlgny, en faisait un des plus riches entrepôts de l’ancien au diocèse d’Auxerre, il appartint à l'ordre de Ctlcaux. 11 dut faire ses études théologiques A Paris, au col­ monde. Pour la moralité, elle ne le cédait en rien à la lège Saint-Bernard, à la fin du xm· siècle, car il appa­ voluptueuse Corinthe ou A Éphèsc, la sensuelle. Elle raît comme maître en 1305-1306; peut-être fut-il étu­ était une métropole religieuse et surtout juive, car, diant de Jean de Weerde, ou encore de Pierre d’Au­ A coté du panthéon grec, des temples romains et des divinités autochtones, le Dieu d’Israël, Jahvé, y comp­ vergne. 11 fut A son tour régent pendant trois ans sans tait aussi scs fidèles qui se réunissaient dans la syna­ doute (1306-1309). De scs œuvres, les seules qui aient été publiées con­ gogue. 2° La première chrétienté de Thessalonique. — Une cernent les plaidoyers qu’il soutint en faveur des cistelle cité ne devait-elle pas tenter l’Apôlrc des na­ 'terciens et de leurs privilèges : d'abord, au moment du tions qui venait de quitter l’Oricnt pour l’Europe? En concile de Vienne; c’est le Tractatus contra impugna· plus de sa juiverle, Thessalonique en effet possédait tores exemptorum, éd. Baronius-Raynaldi, Annales, t. xxiii, p. 530-511 ; le Compendium tractatus contra des avantages qui devaient retenir son attention, impugnantes exemptionem (en 1312) éd. citée, p. 526- étant l’une des escales les plus fréquentées de ΓArchi­ 530; une Hesponsio ad qmedam (pur petebant prit· pel. L’Évangile ne manquerait pas de profiler de ses relations commerciales : en prêchant sur le rivage de lati, éd. E. Muller, Dus Konzil von Vienne (1934), p. 698-700; et une Quœstio de exemptionibus, restée la mer Égée, Paul était sûr d’atteindre tout le bassin inédite. Puis, un nouvel écrit, adressé cette fois A de la Méditerranée. Dans le récit des Actes, saint Luc Jean XXII, avant le 11 juin 1318, éd. N. Valois, dans nous apprend dans quelles circonstances fut fondée la chrétienté de Thessalonique. Répondant A l’appel Full. École des Charles (1908), p. 359-368. De scs œuvres plus directement théologiques, on ne possède du Macédonien entendu pendant une nuit à Troas, Act., xv!, 9, Paul, accompagné de Silas, de Timo­ que deux Quodlibets, soutenus en 1306 el 1307 (Paris, thée el de Luc, cingle vers Samothrace, gagne Neapo­ Blbl. nat., lai. N 565, fol. 1-56 ν·);υηο de ses quest ions, lis, puis Philippes. Le c. xvi des Actes a raconté com­ il, 15, a clé éditée par Graf; cl sa réponse, jointe A ment Paul el Silas, après un apostolat de quelques celle des douze autres maîtres consultés, en avril 1318, sur les Quatre articles des frères mineurs de Provence. Jours en celte dernière ville, furent traduits devant les magistrats, fouettés, jetés en prison, et comment, A Son Influence ne paraît pas avoir été considérable, ni son originalité bien grande. Il mourut le 18 octobre la suite d’événements extraordinaires, ces mêmes magistrats vinrent le lendemain les prier de quitter 1321. leur ville. Les deux missionnaires se dirigèrent vers le N. Valois,dans HistAitt.de la France, Ι.χχχιν,ρ. 179-219; Sud-Ouest; près de 150 kilomètres séparent Philippes P. Glorieux, Répertoire des maîtres en théologie de Paris au de Thessalonique qu’unit la via Egnalia. Ils traver­ XttP siècle, notico 367 ; La littérature quodlibétique de sèrent Amphipolis, qui domine les rives du Strymon, 1260 d 1320, p. 211-213 T. Graf, Z>e subjecto psychico et Apollonic, près du lac Bolbé, cités aujourd'hui igno­ gratior et virtutum, 1935, t. n, p. 189-191 cl 26*-33*. rées et qui ne devaient pas alors posséder de juiverle P. Glohieux. importante; ils atteignirent Thessalonique. « où il THESSALON ICIENS (épitres AUX). — 1. Thessalonique et son évangélisation. II. Introduc­ y avait une synagogue de Juifs ». Act., xvn, 1. Paul s’y rend, suivant sa coutume. Ainsi a-t-il fait tion A la première épflre (col. 575). III. Introduction A la deuxième épflre (col. 581). IV. Doctrines (col.586). . à Salamine, à Antioche de Pisidie, A Iconium; ainsi 1. Thessalonique i:t son évangélisation. — i fera-t-il toujours, car les Juifs avaient droit aux pré­ mices de son apostolat. Dès le premier sabbat, il 1° La ville de Thessalonique au siècle. — Fondée par Cassandre, roi de Macédoine, vers 315 avant Jé­ aborde ses coreligionnaires et leur développé le thème habituel de sa prédication : il fallait que le Messie sus-Christ, Thessalonique fut ainsi appelée du nom de la reine Thessalonlkè. tille de Philippe et saur souffrit el ressuscitât, les prophéties des Écritures ayant trouvé leur pleine réalisation dans la passion et d’Alexandre le Grand, qui était née le jour même de la victoire de Thcssnlic (Οεσσαλή νική). Après la con­ la mort de Jésus, le vrai Messie. Le résultat fut celui (pie faisaient présager les précédentes missions : après quête de la Macédoine par les Romains, en 168. elle devint la capitale ct la métropole de toute la province trois semaines, les missionnaires axaient converti Impériale. Au temps de saint Paul, Thessalonique était quelques Juifs à peine, mais ils s’étaient agrégé une ville libre cl elle avait A sa tête des magistrals spé­ foule de prosélytes parmi lesquels un groupe de fem­ ciaux que saint Luc. z\cl , xvn, 6, nomme des poilmes nobles. Ainsi la première chrétienté do Thessa­ lonique comprit, A coté d’un petit noyau d’Israélites torques, πολιτάρχαι. Comme cc litre ne sc trouve qu’en ce passage el que tous les auteurs classiques l’ont un groupe compact d’anciens païens qui lui donnaient son caractère el sa physionomie propres. Ignoré, on a cru qu'il s’agissait des πολιάρχαι. Les Les lettres que Paul enverra plus tard de Corinthe découvertes récentes sont venues, une fois de plus, A sa première Église de Macédoine nous laissent montrer la valeur historique des Actes el la probité do deviner la merveilleuse activité de l’évangéliste, ses leur auteur : dix sept inscriptions au moins, cinq ou difllcultés, sa tendresse, sa séduction. Car FApôtre six pour Thessalonique même, cl sept ou huit pour vivait l’Évangile qu’il prêchait. Nuit el Jour, dit-il, il d’autres cités de la province» attestent l’exactitude cl la précision de l’historien· Réunis en collège, les a travaillé A son métier de tisseur de tentes, pour n’être polllnrques» six au maximum, formaient le pouvoir A charge A personne. Il sc faisait simple pour gagner les simples, prêt A donner sa sic pour sauver leurs exécutif; avec rassemblée du peuple cl un sénat. Ils âmes. Mais les obstacles que rencontrèrent les mis­ administraient la cité. Cf E.-D. Burton, The polilarchs in Macedonia and elsewhere, dans The Journal oj theo­ sionnaires A Thessalonique furent divers et pénibles. D’abord l’indigence qui les obligea A travailler pour ne logy, t. îi, 1918, p. 598 632; W. D. Ferguson, The legal 1892; Conférence sur une extatique, Pari·, 1901; Lcuba, Lu tendances londamentales du mystiques chrétiens, dans lieu, phil., t. i.iv. 1002; Psychologie du mysticisme religieux, (nul. fr.. Paris, 1925; Horrero, L9union mystique chez sainte Thérèse, Paris. 1905. P. PnuiniAT. 575 THESSALONICIENS ( Ire ÉPITRE AUX) pas grever cette communauté, pauvre sans doute. I Thés*., π. 3. Ils curent surtout à sc défendre des Juifs récalcitrants qui sc liguèrent contre eux et qui n'hésitèrent pas ù soudoyer de mauvais sujets, de ces gens qui ne vivent qil*en eau trouble et que Demos­ thene appelle des piliers d'agora, περιτρίμμα άγορϊς; Luc, lui, les appelle des αγοραίοι, terme que Milligan traduit par the lazzaroni oj the market-place et dont le français voyou rendrait assez bien l'étymologie. Ces gens~!à représentèrent les missionnaires comme des séditieux, des ennemis de César. Quand la fermenta­ tion fut jugée Λ point, les meneurs vinrent chez Ja­ son, un Juif de race, l'hôte de Paul. L’Apôtrc avait-il été prévenu? On ne le trouva pas. A son défaut, la populace se saisit de Jason qu’elle traîna devant les polit arques el qui ne fut relâché (pie sous caution : on exigea le départ des missionnaires. Ι/Apôtre ne voulut pas compromettre son hôte. Il décida de partir; mais comme les adversaires étalent encore capables d’un guet-apens, les frères firent sortir de nuit Paul et Silas cl sc hâtèrent de les conduire ô Béréc, où la bonne nouvelle (ut écoutée avec plus de faveur. Ces événements sc passaient durant le deuxième voyage apostolique de saint Paul que, avec la majorité des historiens et des exégètes, nous plaçons approxi­ mativement entre 50 et 52. C’est dans le courant de l’an 50, quelques mois apiès son départ de Jérusalem, que Paul dut évangéliser Thessalonique. IL Introduction λ la phemiLhe épitrb. 1° Etat de ta chrétienté de Thessalonique après te départ de saint Paul, — La tranquillité ne revint pas dans l’iigllse de Thessalonique avec le départ des mission­ naires. Saint Paul témoigne lui-même, 1 Thcss., n, 1 I, qu’elle ci l beaucoup Λ souffrir, car les Juils qui avaient poursuivi l’apôtre Jusqu’à Béréc. Act., χνιι, 13, retournèrent leur haine contre les néophytes. Les frères étalent-ils assez trempés dans la fol pour résister longtemps aux louches manœuvres des agitateurs? Leur instruction et leur organisation avaient été hâtives. Ces préoccupations ne laissèrent point de repos fi l’Apôtrc durant son séjour de plusieurs mois à Athènes. A deux reprises au moins, Il songea à retour­ ner à Thessalonique, mais les deux fois « Satan l’en empêcha ·. I Thess., n, 18. N'y tenant plus, il n’hésita pas ii lui envoyer son Jeune collaborateur Timothée, préférant s’exposer lui même aux inquiétudes et ô rabattement dans lesquels le plongeait toujours l’absence de scs chers compagnons. 1 Thess., m, 12. C'est à Corinthe que, sa mission accomplie, Timo­ thée rejoignit son maître. Act., χνπι, 5. Dans l’ensem­ ble les nouvelles qu’il lui rapportait de la chrétienté étaient excellentes. Les néophytes avaient résisté Λ la violence de l’attaque et même Ils s'étalent fortifiés dans la fol, l'espérance cl lu charité. Partout on faisait l’éloge de leurs vertus, et on pouvait les citer en exem­ ple à côté des saints de Judée, π, I L Autre consolation bien douce au cœur de l’Apôtrc: malgré les Insinuations malveillantes colportées contre lui, n. 3 12. leur affec­ tion restait Intacte e! son retour était vivement désiré. Iiî, 6. Il y avait cependant des ombres au tableau. Ces païens d’hier, vivant en cette capitale de luxure el de richesse, n’étaient peut être pas entièrement affran­ chis de leur anciennes habitudes. Mais surtout, quel­ ques freres étant morts depuis le départ des mission­ naires. les survivants s’affligeaient A leur sujet : les défunts ne scraient-lh pas privés des avantages du retour ou de la paroutlc du Christ? Et puis, a quoi bon travailler, a quoi bon s’adonner aux affaires, s'il n'y a plus que quelques jours à vivre? Plusieurs fidèles, pour drs raisons csvhatologiques, faisaient une grevé indécent·* de tout travail manuel, nu vu et nu su des païens, qui s’en prévalaient pour tourner en ridicule cet Évangile qui érigeait en vertu l’ohlveté. C'était un beau scandale. 2° Occasion et tait de la lettre. — Une telle déviation exigeait une correction immédiate. L’Apôtrc w mil aussitôt en devoir de dicter les réponses fermes qui devaient combler les lacunes d’un enseignement rudl ment aire el, tout d’abord, corriger celle fausse notion sur les désavantages des défunts au jour de la psrousic. Tel est sans doute le but principal de l’épllre Mais, avant d’aborder les points délicats, l'auteur, fin psychologue el surtout père affectueux, laisse débor­ der sa tendresse. Ces premières pages nous initient à la manière épistolaire de l’Apôtrc, qui écrit non vu lement avec son génie dogmatique, (fui est créateur, non seulement avec son zèle, qui est de feu, mais avec toute son Ame, où se pressent tous les sentiments hu­ mains cl d’où ils voudraient s’échapper tous Λ la fois 3° Lieu et date de composition. — Les exégètes s'ac­ cordent pour dire que celte première lettre fui écrite de Corinthe, peu après le retour de Timothée, lui iuv cription de certains manuscrits laisserait croire qu’elle fut envoyée d’Athènes. Plusieurs Pères cl quelques modernes, il est vrai, l’admettent, mais celle note finale provient d’une fausse interprétation de ni, 1, d’ailleurs il est bon de rappeler que ces susciiplloni sont l’œuvre de copistes plus ou moins Intelligents. Cf. Renue biblique, 1926, p. 161. Comme Timothée semble être revenu au début de la mission de Corinthe. Act., χνπι, 3, on fixera avec grande probabilité l'épltre à la fin de 50 ou nu début de 5L Notre chronologie est basée sur la célèbre in scrip lion de Delphes, publiée en 1905 par Bourgucl. I.llc établit que Gallion arriva ù Corinthe comme pro­ consul d’Achale la douzième année du règne de Claude, soit aux environs du printemps 52. La rencontre de Paul et du proconsul dut avoir lieu dès les premières semaines de son séjour, vers avril-mai. Et comme, u ccttc date, l’Apôtrc sc trouvait à Corinthe depuis déjà dix-huit mois. Ad., χνπι, 11, il y était arrivé ά la fln de 50. llcnnequln, Delphes ( Inscription de), dans Did. llibl., Suppl., I. n, col. 368-370. 4® Authenticité. - Si l’on excepte quelques rares cri tiques, les rationalistes extrêmes de l’école hollandaise (Naber, van Mancn, Pierson) et, en Allemagne, à la suite de C. Bauer, Holston et Steck (Suisse de langue allemande), l’nuthenliclté de celte epllrc ne fait pas de difficulté. Xujourd'hul nous pouvons dire que tous les Indépendants sont sur ce point d’accord avec les Catholiques. Citons Bornemann (1891), JOlIchcr (1891), Lightfoot, Zahn (1906), Wohlenberg (1909), Milligan, Moffatt. Eindlny et enfin brame (1912), qui dit qu'au* jourd hui on reconnaît l’authenticité de cette épttra; que seul ta contestera, qui se refuse à admettre l’exis­ tence même de saint Paul ou Λ croire qu'aucune de scs lettres ne lui ail survécu. The epistles o/ .S’. Paul Ιο the Thessalonians, dans The international critical Commentary, 1912. p. 37. 1. Témoignages externes. Il ne faudrait peut-être pas trop appuyer sur les citations Implicites de celte lettre (pie nous retrouvons dans les premiers écrits tels que la Didnrhé (xvi, 6, 4); saint Ignace (t 105), «tans Eph., x. 1; Rom., n. 1; saint Polycarpv, vers 110 151, dans Phil., n et ιν; Γ Epitre de llarnabè, entre 86 et 115 (15); le Pasteur d’Hcrmas, vers 150, dans Vis., ni, 9; car tout se réduit a deux ou trois dmilitudvs purement verbales, quelquefois même à des i approvements inexacts ». Toussaint, t. i, p. 98; pour une. confrontation plus rigoureuse des textes, Vo té, p, 31 33 Mais il faut rctenii 1rs tcmoign.i ges formels de plusieurs Pères : saint Irénée (180) qui cite une foh chiiremenl \pn\tolum... in prima epistola "d llu ru. Inr., V. vi, 1 ), Tertulllen, t.b in- nt <1 Mex.uidrk·, Origine, Eusèbe; l'héréslarene bll T II ESS A 1.0 N ICI E NS ( lrn ÊPITHE AUX) Morel on lui môme a, dans son catalogue des livres ca­ noniques, les deux épltres aux Thtssalonlclons. Enfin le canon de .Muratori porte : Ad Thtssaolenecinsls,., verum Corintheis et 7'hessaolecenslbut pro corrcbtione iteretur (lignes 53, 51, 55). Cette première épitre ôtait également reçue dans la vieille version lai Inc, la version copte et la Peschlltu. 2. Témoignages internes. Cette authenticité est confirmée par la critique interne. En ce qui concerne le vocabulaire, Milligan, St. Paul s epistles to the Thessalonians, 1908, Int rod., p. lu liv, a constaté que, sur les 160 mots que comprennent les deux épltros, il y a vingt sept άπας λεγάμενα du N. T., dix-sept pour la première, dix pour la seconde; soixante cinq expressions familières à saint Paul et qui se retrouvent duns les grandes épltres, Hom., Gal.. 1 et 11 Cor., dont l'authenticité n’est pas discutée . ainsi: ίν φιλήματί άγίω; περιπατεϊν άξίως του Θεού; είναι σύν Κυρ(ψ. Le même philologue signale vingt-sept autres mots qui ne sont employés que par saint Paul dans les autres épltros et il conclut en disant que le vocabulaire ne peut être plus paullnien. Le style ne l’est pas moins, à tel point qu'on a attribué cette lettre (p. ex. Baur) ù un plagiaire qui aurait fait ici un ccnton à l'aide des autres épltres. C’est bien le style à la fois torrentueux et plein de digressions, profond et imagé de saint Paul. · Les émotions intimes que trahit cette lettre, écrit Godet, les ehusions pleines de tendresse qui la caractérisent, ces réminiscences si vives d’un temps marqué par les faveurs du Ciel toutes extraor­ dinaires, ces expressions d’une sollicitude toute pater­ nelle pour de jeunes Églises exposées déjà à de si rudes épreuves de la paît de leurs compatriotes, ces recommandations si parfaitement appropriées à la situation d'une Église naissante, placée au milieu d’une grande cité païenne, commerçante cl corrompue, ces encouragements à la constance dans la fol, au milieu de la souffrance, ce sont là des accents inimi­ tables qu'il est impossible d’nltrlbucr à la plume d’un faussaire des temps postaposlollqucs. » Introduction au ,V. I. i. p. 179. 5° Caractères littéraires. — Pour bien comprendre les épltres aux Thcssalonlclens, il est nécessaire de rap­ peler que ce sont les premiers écrits de l’Apôtrc. Nous ne manquerons pas nu respect dû à ce grand génie et à ce grand cœur on disant que, visiblement, Paul sc fait la main el qu’il ne l’a pas encore entièrement faite. C’est déjà lui, mais moins parfaitement· Il n’est pas encore en pleine possession de son génie littéraire. Il tâtonne, il cherche ses formules et parfois il les trouve, mais on s’aperçoit que ce n’est pas sans effort. Il amorce ses développements; on les sent en élabo­ ration, prêts à venir, mais, sauf les remarquables exceptions de la parousie el de (’Adversaire, Il les esquive, ne sachant pas pro 111er de l'occasion offerte, ce (pii est toujours l'indlcc d’une Incomplète maturité d'esprit. Le génie est en pleine formation; les chefsd’œuvre sc pressentent. Celle constatation nous met A l’aise pour avouer certaine gaucherie de fond et de forme : manque de variété dans les transitions, fré­ quence des mêmes expressions el tournures, rappel uniforme des souvenirs. Elle nous permet suri ont de mieux entendre ces brèves allusions à une doctrine complexe et très belle qui sera dt vcloppée à souhait dans les épltres ultérieure s. Plus lard la phrase ne sera pas, ou à peine, davantage chargée, articulée, imbriquée; i) nous faut déjà user d’indulgence pour légitimer ces incorrections, et d'artilice pour les rendre le moins mal qtt’il sc peut en notre langue si exigeante. Et déjà ce langage magnifique sc pare d’une majesté el d’une redondance qui. au prix de nombreuses difficultés vaincues, est du plus bel effet. L'un de scs procédés habituels, auquel on n’a pas DICT. nr. τιιέου. catiiol. .‘»78 toujours prêté l'attention qu’il mérite, est la syno­ nymie des expressions, mieux encore la convergence de plusieurs membres de phrase, s’essayant h rendre une réalité complexe, ce que nous avons appelé en notre Commentaire, faute d’une expression plus adé­ quate. la loi de deux en un ou de trois en un, 1rs gram­ mairiens diraient hendiadis ou hendiatris. En voici quelques applications ; 1, n. 3 : · Au souvenir des œu­ vres de votre foi. des travaux de votre charité. · Pratiquement, les œuvres de la fol sc confondent .ivre les travaux de lu charité.-- iv, 16: « Le Seigneur rn per­ sonne, au signal donné, à la voix de l'archange, au von de la trompette divine, redescendra du ciel. · Ce % trois détails ont même signification : le signal divin est l’idée générale; il consistera en une voix d'archange, résonnant dan* une trompette (hendi (tris). — De même dans 11 These., I. 5 : « Indice du juste jugement de Dieu cl que vous ocrez jugés dignes du royaume de Dieu. » Les persécutions présagent le juste jugement de Dieu qui les récompensera un Jour, c’est la pensée générale; d'une manière plus précise, grâce à clics, les néophytes de Thessalonique seront jugés dignes du royaume de Dieu. — II, ni, C» : < Tenir à l’écart tout frère qui s’abandonne à la paresse, sans suivre la tra­ dition que vous avez reçue de nous. » La paresse se confond ici avec l'in fidélité û la tradition (hendiadis). Un autre procédé littéraire, bien paullnien aussi c’est Tenallage persona, figure qui consiste dans l’em­ ploi d’un temps, d'un mode, d'un nombre, d’un genre pour un autre. Elle résulte de celte tendance, habi­ tuelle aux orateurs cl prédicateurs populaires, à sc mettre en scène au lieu cl place de leurs auditeurs. L’exemple le plus célèbre est celui de I, ïv, 15, où l'au­ teur se met par figure nu nombre des survivants lors de la parousie : » Nous, les vivants, les survivants lors du retour du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont morts. » Mais, un peu plus loin. Il envisage l’hypo­ thèse contraire, toujours en sc mettant personnelle­ ment en scène, toujours à la première personne du pluriel : · Dieu ne nous a pas destinés à la colère, mais à l'acquisition du salut par Notre Seigneur JésusChrist, lui qui est mort pour nous, afin que, vivants ou morts, nous vivions ensemble avec lui. » v, 9-10. • Vivants ou morts », l’un ou l’autre au choix. 11 n’était donc pas tellement sûr d’être vivant ! Autres exem­ ples n trouve naturel que l’Apôtre répande toute sa ten­ dresse dans une première lettre, I Thess., t-m; mais prétendus oracles de i Esprit; tantôt ils colportaient de prétendues paroles de Γ Apôtre; peut-être même l’on comprend aussi que celle affection s’extériorise allèrent-ils Jusqu’à imaginer des faux qu’ils donnaient moins dans un second écrit, puisque le premier avait comme des messages authentiques de Paul. Il fallait déjà dit ce qu’il y avait à dire. faire taire ccs illuminés et couper court à leurs extra­ 1° Lieu et date de composition. Nous ne faisons vagances sous peine dc donner au monde païen le que mentionner, sans nous y arrêter, les indications scandale retentissant de toute une communauté soin de quelques manuscrits grecs ou de quelques auteurs brant dans la misère et se laissant mourir de faim par anciens qui assignent comme lieu de redaction dc cette illuminisme. C’est le but de celle seconde lettre. épllrc soit Athènes (A. B, L, P...), soit Antioche dc 2e Analyse. I/adresse est la même que jxjur Pisidlc. soit Borne (Eulhalius, (Ecurnenius). Celte I Thess. : Paul s'adjoint encore Sllvain et Timothée, deuxième épilrc est probablement partie de Corinthe, i, 1-2. Dans l’action de grâces liminaire. 3 12, l’Apôlrc car c’ost là seulement que Paul se trouve avec scs deux félicite scs néophytes de leurs progrès très marqués cosignataires, Silos el Timothée. La situation de Co­ dans la foi et la charité, 3 4; leur fermeté dans les rinthe, <|ui entretenait avec Thcssaloniquc des rela­ persécutions est une preuve rassurante qu’ils seront tions commerciales très actives, explique encore que jugés dignes du royaume de Dieu pour lequel ils les PApôtre ait pu recevoir de si frequentes nouvellesde sa jeune chrétienté. Enfin on n‘oubliera pus que cette endurent, 5 10; aussi les prières de l’Apôtre montentdeuxième lettre est le prolongement naturel de fa pre­ flles incessantes vers Dieu, 11-12. miere, qu'elle suppose les mêmes dispositions et les Les Thcssalonicicns souffrent d un double mal : d’une erreur Ihéo ique, la persuasion de la parousie mêmes besoins, autant d’indices établissant que les imminente, et d’une erreur pratique qui en découle, deux lettres sc sont suivies à quelques mois d’inter­ le désintéressement des affaires temporelles et du tra­ valle. L’inscription de Delphes, publiée par M. Bourvail. Paul va droit à l’erreur théorique, l out en main­ guet, nous ayant déjà permis de dater la première épîlrc dc la fin de 50 ou du début de 51, nous mettrions tenant ses premières positions relatives à lu parousie, II garantit qu’elle n'est pas imminente, n, 1-12. Pour celle-ci vers la On île 51 ou le début de 52. Les destina­ taires sont évidemment les mêmes Thessalonlcicns, imprévu et soudain que doive être le jour du Seigneur, 583 THESSALONICIENS (IIe ÉPITKE AUX) et non les néophytes de Béréc, conjecture de M. Goguel, 7?cp. de l'hist. des religions, t. lxxi, 1915, p. 248-272. & Authenticité. — C'est E.-C. Schmid qui, le premier, en 1804, après avoir d’abord sacrifié le bloc il, 1-12, comme étant une interpolation montaniste, nia l'au­ thenticité de cette deuxième lettre aux Thcssaloniciens. Il fut suivi par Kern, Tûbinger Zeitschr. /hr Théologie, 1839, el par les tenants de l'école de Tubingue : Baur (1845), Weizsâcker (1886). Schmiedel, von Soden (1905), Holtzmann (1911). Récemment M. Oskar Holtzmann affirmait que celle deuxième lettre ne sérail qu’une correction de la première. Dos Neue Testament nach dem Stuttgarter griechischen Text ûbersctzt und erklûrl, Giessen, 1925, p. 476. Actuellement l'authenticité de II Thcss. est vive­ ment contestée par la critique indépendante. Elle est cependant défendue par bon nombre de critiques : Rcilss, Renan, Sabatier, Weiss, Harnack, Jülicher, Clemen, Zahn, sans parler de l'unanimité des catholi­ ques. Nous enregistrons avec un plaisir particulier que tous les derniers commentateurs, à quelque école qu’ils appartiennent, Bornemann, Bousset, von Dobschûlz. Wohlcnbcrg, Milligan, Findlay, Frame, Vosté, Slclnmann, sont des partisans résolus de l'authenti­ cité. « II n'y a rien dans l'épltrc, écrivait naguère Goguel, qui oblige, ou même qui autorise à contester son origine paullniennc. » Introduction, t. îv a, p. 335. 1. Critères externes. — Les commentateurs n’ont pas de peine à montrer que l’épilre était, elle aussi, connue cl utilisée dès le u® siècle. On trouve des réminiscences chez saint Clément de Rome, 7 Cor., xxxvm, 4; cf. II Thcss., i,8, et saint Polycarpc, Phil., xi; cf. II Thcss., I, 4; n, 15; des citations implicites ct vraiment incontestables chez saint Justin, Dial., xxxu, qui mentionne « l’homme d’iniquité » ct dont le contexte montre nettement un emprunt à II Thess., h, 3. il faut surtout retenir les témoignages formels de saint Irénéc qui attribue à Paul deux textes de cette deuxième Épllre : De quo Apostolus in epistola, quœ est ad Thcssal. Il, sic ait : Quoniam nisi venerit absces­ sio prima... Cont. hire., V, xxv, I; cf. xxvin, 2; de Clément d’Alexandrie qui attribue à l'Apôlrc les paroles de II Thcss·, m, 2; ci. Strom., I. V, c. in. P. G., t. ix, col. 36; de Tertullien qui, à deux reprises au moins, cite des textes de l’épltrc qu’il attribue à Paul, cf. Scorp., xin el II Thess., i, 4; enfin le témoi­ gnage déjà invoqué du Canon de Muraturi ct le fait que cette épllre était reçue dans V A postolicon de Mardon; cf. Terlullien, Adv. Marc., v, 16. 2. Critères internes. — Toutes les objections formu­ lées contre l’authenticité proprement dite, au nom de la critique interne, se résolvent sans peine. a) De l’aveu des spécialistes, le vocabulaire de Il Thcss. est bien pauliidcn : des 250 termes qu'elle comprend, nous en retrouvons 222 dons les autres épttres et 1 16 dans I Thess. De même pour les tour­ nures et les expressions de saint Paul : 35 particula­ rités paullniennc* sc rencontrent Ici, ct 15 sont com­ munes avec I Thess. Mais, de cette ressemblance frappante avec la première épllre, n’allèguc-t-on pas (Kern) que celle deuxième lettre semblerait le fait d’un pscudcplgraphe, attentif à ne pas trahir sa fraude, plutôt que celui d’un auteur de génie disposant de tous scs moyens? — On répond que la ressemblance des deux épttres s'explique naturellement par l’iden­ tité des situations. L’idcntitédu vocabulaire défie toute hypothèse de pastiche cl plus encore, peut-être, cette loi des synonymes et de* propositions convergentes que nous avons appelées hendiadis ou hendlatris et que nous trouvons dans la seconde épltre non moins que dans la première; cf. H Thess., i, 5; iî, 13; ni. 6. b/ On ne remarque pas. dit-on encore, en celte Icil rc le sentiment de tendresse qui sc manifestait dans 584 l’épilre précédente. — Nous en avons déjà donné h raison. Quant Λ la familiarité, ce n'est guère le moment pour les supérieurs de s’appliquer à faire oublier la diiTérencc des conditions, lorsqu'ils doivent user de leur autorité : Paul avait cette fois plusieurs répri­ mandes à adresser à ses néophytes. c) On constate encore des divergences sur l’époque de la parousie : tandis que, dans la première lettre, l’Apôtre affirmait l’imminence du jour du Seigneur, dans la deuxième il l’ajourne à une époque Indéfinie. — Nous reviendrons plus loin sur celle question de la parousie. Qu’il nous suffise de signaler simplement que, dans cette deuxième lettre comme dans la pre­ mière, Paul maintient toujours la possibilité de l’évé­ nement. Ce qu’il conteste, c’est son imminence. Et à bon droit. d) Mais l’argument principal pour battre en brèche l’origine paullniennc de 11 Thess. sc tire du concept el de la description de Γ Adversaire (Kern. Baur, Holtzmann, Schmiedel). Ce portrait, disent ces criti­ ques, · n’a pu être tracé qu'en se servant de l’Apoca­ lypse de Jean, ou, tout au moins, des idées qui avaient cours, à ce moment-là, dans les communautés chré­ tiennes d’Asie Mineure. L’ < homme de péché » s'iden­ tifie ά merveille avec la · Bêle » du voyant de Palmos; c’est le A’ero redivivus dont on craignait le retour; le • Retenant » qui, pour un instant, l’empêche do repa­ raître est Galba, ou peut-être Vespasien et Titus. Mais bientôt l’obstacle sera renversé, et Néron, remontant sur le trône, reprendra son rôle de persécuteur, de messie de Satan. C’est alors que le Messie viendra le frapper et inaugurera, par cette victoire, les gloires et les joies du royaume messianique ». Toussaint, t. I, p. 114. Sur celte légende du Nero redivivus, d. Székely, Bibliotheca apocrypha, Fribourg, 1913, t. i, p. 59-60; Rigaux, IA Antéchrist, Paris, 1932, p. 350353; Allo, L*Apocalypse, 3® éd., Paris, 1933, excursui xxxvu, p. 286-289. Qu’il y ait des analogies et des points de contact entre l’eschatologie de saint Paul el celle de saint Jean dans l’Apocalypse, cela est hors de doute. Mai», outre l’hypothèse de la dépendance de Paul vis-à-vis de Jean, il en existe une autre que les critiques ne mctlcnt pas assez d’empressement à envisager : c’est celle qui fait dépendre Jean el Paul d’une source biblique commune, voire évangélique ct d’une même source orale. Nous sommes donc parfaitement auto­ rises à reconnaître Paul pour l’auteur de la seconde comme de la première épllre aux Thessaloniclcns. 6° ! (apport des deux épitres avec saint Matthieu. — Saint Paul serait-il donc dépendant de celte troisième eschatologie du Nouveau Testament qu’est le discours des lins dernières rapporté par saint Matthieu, xxivxxv? « Il semble, écrit Plummer, que le discourscscha tologique de saint Matthieu ait été familier à saint Paul, qu’il ait même été présent à son esprit quand II dictait ses deux épitres. » Commentary on 2 Thessalo· nicians, 1918. p. 46. Récemment, le P. Orchard, O. S. B., a présenté la synthèse des similitudes qui existent entre les parties apocalyptiques des deux épitres aux Thessaloniclcns el les discours cschalologiques de Matlh., xxiv-xxv, telle qu'elle résulte des travaux des exégètes anglais, surtout de Plummer, Lightfoot cl Kennedy (Saint PauTs conception of the last things), cf. Thessatonictans and the synoptic Gt»· pels, dans Hibhca, 1938, p. 19-42. Nous avons déjà souligné el apprécié I’cfTorl du P. Orchard dans une note des Hecherches dr science religieuse : Saint Paul et saint Matthieu, 1938, p. 473-179. Les rencontres verbales sont <1 autant plus frappantes qu'elles portent surdes mots et des expressions plus rares : σάλπιγξ, 1 Thess., '*» *Ma1lh·· xx,v·, 31 · άττάυτασις. 1 Thess., iv, 17 I ct Malth., xxv, 6; κλέπτης νυκτί, 1 Thess., v, 2 el t | I I J I t I | I I | 585 TH ESSALONICIENS (ÉPITRES AUX). DOCTRINE 586 .Malth.» XXIV, 12, 43; γρηγορεϊν. II Thcss., v, 0 ct dant d’aborder certains problèmes délicats de cette deuxième épllre, ceux de i'Advenairc ct de l’obstacle, Mat!h., XXIV, 42; δταν έλΟη ένδοξασΟηναι ct μετ’ αγγέλων δυνάμεως αύτού. Il I hess., ι, 7, 10 ct Maith., el d’en proposer une solution probable. xxiv, 30; χχν, 31; έπισυναγωγή, Η Thess., π, 1 et 7° Unité. — Elle n’est niée que par quelques rares .Maith., χχιν. 31; μηδέ ΟροείσΟαι, Il Thess., il, 2 et hypercritiques qui, d’ailleurs, ne s’entendent nulle­ Maith., χχιν, 6; παρουσία, H Thcss., n, 8 ct Matth., ment pour désigner les parties interpolées. Il est même xxiv, 27; σημεία, τέρατα ψεύδους, II Thcss., π, 9 et curieux de constater que la péricope n, 1-12 qui. Matth., χχιν, 2Ι;σω0ήναι, Il Thess., ir, lOel Matth., pour les uns, serait un bloc erratique, est au contraire, pour d’autres, la seule partie paullniennc de cette xxiv, 13. La rencontre des idées est plus surprenante encore, épllre. Il est Inutile d’insister. Notons que, dans cette puisqu'elle Intéresse bon nombre d’éléments du scé­ lettre, nous ne trouvons · aucune trace de suture au nario apocalyptique (pour une synopse, cf. notre note commencement ni à la fin des morceaux considérés p. 173· 177). Celte rencontre des idées sc remarque comme interpolés. » Goguel, Introduction, t. ινσ,ρ. 33L surtout lorsque les deux écrivains traitent des agisse­ IV. La doctrine des deux épitres. — 1® Les ments des suppôts de Satan ct de leurs résultats funes­ enseignements généraux. — l. La Trinité. — a) Dieu le tes, II Thess., n, 8-12 et Matth., xxiv, 11-12, 24; du Père. — Déjà ces deux brèves épitres nous donnent rôle des anges et de la trompette, I Thess., iv, 16 et les éléments essentiels de la doctrine paulinienne de Matth., xxiv. 31 ; de la résurrection générale des élus, Dieu le Père. I Thcss., IV, 16 ct Matth., xxiv, 31 ; du retour glorieux Par opposition aux idoles qu’adoraient autrefois les du Christ, 1 Thcss., n, 19 ct Matth., xxiv, 27; des Thessaloniclcns convertis, Dieu est vivant et vérita­ caractères de la parousie, I Thess., iv, 2-4 et Matth., ble. I, i, 9. C’est laisser clairement entendre que les xxiv, 27, 43-44, 8, 37-39; du jugement dernier cl de idoles ne sont ni vivantes, ni véritables, de pures la séparation des bons et des mauvais, les uns promis idoles, en grec, είδωλα, des figures de bois; en hébreu, ù la récompense, les autres voués au châtiment. pire encore, ’e/f/fni, des néants, des rien du tout. Quand II Thess., i, 5 12 ct Matth., xxiv, 45-51; xxv, 1-13; saint Paul ne parle pas •expressément de la Trinité, 14-30; 31 I I. Dieu est surtout Père et Dieu le Père. Il serait cependant exagéré de forcer ces parallèles. Il est Père. I. i, 1 ; ni, 11, 13; II, i, 1 ; n, 16. Dès le Parlant des fins dernières, saint Matthieu ct saint Paul premier verset de chaque épllre, l’Apôtre affirme celte ne sc placent pas au meme point de vue. L’évangéliste paternité en une formule de théologie mystique ct que rapporte un discours du Maître qui traite expressé­ souvent on ne rend pas suffisamment : « Paul. Silvain ment ct comme ex professo des événements eschatolocl Timothée, à l’Égiise des Thessaloniclcns en Dieu le giques, dans le dessein de nous instruire ct de nous Père. » Voilà qui métamorphose la banalité des adres­ prémunir; l’Apôtre n’envisage de ces perspectives ses officielles. Dès scs premiers mots, l’Apôtre nous tragiques que les éléments ayant trait aux préoccu­ plonge en pleine atmosphère divine. L’Église de Thespations de ses correspondants. Cette circonstance saloniquc est la partie d’un tout, elle vit ct se meut explique ù la fois les ressemblances ct les différences dans un milieu qui l’englobe : « C’est en lui (en Dieu des deux apocalypses. Traitant des mêmes événe­ le Père) que nous vivons, que nous nous mouvons, ments, il n’est pas étonnant que les deux écrivains et que nous sommes », a déjà dit saint Paul en son dis­ s’expriment partiellement dans la même langue; n’en cours d’Athènes. Act., xvii, 28. Dieu est non seule­ traitant pas pour les mêmes fins, il va de soi que leurs ment le principe de qui tout procède — c’est en ce descriptions ne coïncident ni dans leur objet ni dans sens restreint que la plupart des exégètes interprètent leurs proportions. L’apologiste occasionnel n'entend ces adresses paullniennc* — Il est encore et surtout le pas faire œuvre d’évangéliste. milieu en lequel tout vit. Et ce qui est vrai de la simple Ces constatations nous permettent d’apprécier à nature, sc vérifie à plus forte raison des réalités sur­ leur juste valeur les rapports de nos deux épttres et naturelles qui vivent en Dieu comme en leur unique du premier évangéliste. Nulle part Paul ne copie ct nécessaire élément : Dieu le Père les produit, les Matthieu; on n’y relève pas une citation, explicite ou conserve, les régit, les vivifie, les anime. les enveloppe. implicite, de Γ Évangile. 11 y a seulement rencontre Dieu et Père, deux vocables souvent unis dans la assez fréquente du vocabulaire, en des allusions, théologie paulinienne d’une manière émouvante par volontairement retenues, aux mêmes réalités mysté­ un meme article et un même pronom faisant enclave, rieuses. Pour expliquer ces ressemblances de fond cl ό Θεάς καί πατήρ ήμων, I, ι, 3; m, 11 : un Dieu bon de forme, il suffit de dire que saint Paul a eu connais­ au point d’être Pèrel Un Père puissant au point d’être sance du discours oral de Noire-Seigneur el qu’il s’en Dieu! Pour la divine providence du Père, ce n’est pas est servi. déchoir que de régler les plus humbles détails de la Et comment oublier que l’Apôtre puise ses éléments vie de ses enfants. Car, s’il est un milieu et un tout d’apocalypse h d’autres sources que le discours de enveloppant ce qu’il contient et embrasse, il est, sous saint Matthieu? Une fois, I Thess.. iv, 15, il allègue un autre aspect, également familier à saint Paul, un formellement une parole, c’est-à-dire une révélation, Père qui regarde ses enfants ct les aide puissamment du Seigneur, à savoir sur la priorité qu’auront les res­ dans leurs difficultés; nous sommes constamment· sous suscités dans le cortège parousiaque, el sans doute sur le regard de notre Dieu ct Père, έμπροσθεν τού Θεού καί l’organisation de ce cortège. Ibid.. 13-17. A juger pur le πατρδς ήμών ». 1.1, 3. Au Père céleste, en effet, revien­ ton décidé de sa seconde épllre sur l’imminence pré­ nent toutes les initiatives relatives au corps mystique, tendue de la parousie. n. 1 12, n’a-t-on pas égale­ qu’il s’agisse du chef ou des membres. Il est notre ment l’impression que l’Apôtre possède et utilise d’au­ Dieu. L n. 2; m. 9; IL i. 11. 12. Nous verrons plus loin les rapports du Père el du tres Informai ions personnelles? Ce qui est certain, nous Fils. Pour les membres, c’est lui qui a pris l’initiative le verrons, c’est que sa description de l’Advcrsairc s’inspire des données prophétiques d’Ézéchiel el de de lu prédestination avec tous les actes qu’elle inclut. Dans saint Paul, c’est toujours à Dieu le Père que la Daniel sur le roi de Tyr et sur Antiochus Epiphane. Pour toutes ers raisons, l'in fluence du premier prédestination est appropriée. C’est lui qui se réserve l’élection de ses fidèles ct leur vocation à la fol. évangéliste, encore une fols indéniable, ne doit pas être exagérée. Celle nuance tempérerait avantageuse­ I, i, 4; u, 12; II, i, II; n, 13. Les commentateurs se ment les dires de Plummer et l’exposé du P. Orchard. demandent si le mot élection, έκλογη, désigne l’acte La constatation de ces rapports nous permettra cepen­ éternel de Dieu par lequel il choisit el prédestine ses 587 TUESSAL0N1CIENS (ÉPITHES AUX). LE CHHIST 588 Ames à la reconnaissance de sa divinité. Jésus est en­ élus à la gloire, ou bien la vocation temporelle par core présenté avec son qualificatif de Messie ou laquelle les élus sont effectivement appelés à la fol, Christ : Jésus-Christ, ’ Ιησούς Χριστός, ou ChrhtJé Nous croyons qu’election n’est qu’un synonyme de sus. Χριστός ’Ιησούς vocation à la fol. Le P, Prat, t. i, p. 513, observe très Mais saint Paul ne sépare pas le l ils du Père. L’une justement que « élection (electio, έκλογη) est synonyme des particularités Ihéolngiques et mystiques de ΓΑρδde vocation avec une idée de preference et de choix tre est d’englober dans une même formule, gouvernée Bom., IX, 11; xi, 5, 7, 28. Le P. Voslr. avec plus de par une seule proposition, avec ou sans article, Dieu le subtilité. vocatio potius respicit terminum ad quem, Père et le Seigneur Jésus. La formule littéraire traduit electio terminum a quo... Eadem persons? dicuntur æque ainsi, du mieux qu’elle peut, l’unité de la nature divine vocata? ac elects?, vocatir ad Christum, electa? ex mundo. en la diversité des personnes. Le plus bd exemple ed P. 63. La synonymie est manifeste dans ce texte de en I. ill, I I . « Puisse notre Dieu cl Père en personne II Pet., i, 10 : « Efforcez-vous de rendre ferme votre el Notrc-Selgneur Jésus aplanir le chemin qui nous vocation ct élection, vestram vocationem ct electionem, [conduise) vers vous! Λυτός δέ ό Θεός καί πατήρ ήμώ·/ υμών την κλήσιν καί έκλογήν. C'est aussi, croyonsκαί ό Κύριος ήμών ’Ιησούς κατευΟύνα» την 48όν ημών nous. le sens du présent passage de saint Paul. Λ cause πρός υμάς. · Ce qui étonne le plus en cc verset, c’cst du contexte immédiat : · Nous savons, frères aimés de que ces deux substantifs. Dieu le Père et le Seigneur Dieu, comment se lit votre élection. Nous ne nous Jésus, gouvernent un verbe unique cl au singulier contentâmes pas de vous prêcher notre évangile en paroles seulement. » I, i, 4-5. Nous trouvons là cc pro­ (κατευΟύναι). On ne saurait mieux exprimer la subs­ tantielle unité du Père el du Fils. L’histoire a-t-elle cédé littéraire de l’A pâtre déjà mentionné, cette convergence de propositions subordonnées pour es­ enregistré une seule formule de protocole qui unisse sayer de traduire une réalité haute cl difficile. L’élec­ à ce point deux personnes, quelque étroitement appa­ rentées qu’on les suppose, un père cl un fils, un époux tion énonce le sujet en bloc; la proposition suivante et une épouse, un monarque et son ambassadeur? détaille les particularités de cette élection générale. Dans saint Paul et dans toute la théologie catholique, Donc élection ct vocation * la foi. œuvre du Père cette façon de parler est constante. « Que Noire-Selcéleste ; cf. II. i. il. gneur Jésus-Christ en personne el Dieu, notre Père... Le terme de cette vocation, c’est le royaume de console vos cœurs à tous ». IL h, 16· Celte invocation Dieu cl sa gloire. I, n, 12, car « Dieu nous a aimes et reproduit la précédente avec cette particularité que nous a donné la consolation éternelle el une heureuse espérance par sa grâce ». II. n, 16. Ces mots mysté­ Jésus-Christ est ici mentionné avant le Père. Quoi qu’il en soit de la raison, toujours est II que nous rieux, qui ne sont encore, à ce stade de la vie littéraire constatons une fois de plus cet échange d’offices cl de Paul, qu'une ébauche, seront éclaircis lorsque l'Apôtre aura expliqué les mystères de la grâce par d’honneurs qui se fait dans la théologie paulinicnne entre le Père cl le Fils; phénomène inexplicable, s'il l’incorporation au Christ, la filiation divine, la vision ne suppose l’égalité, voire l’unité de nature en la dua­ ct la possession de Dieu. Il sera évident alors que tous lité des personnes. Et non seulement le Fils prend par­ ces dons procèdent de l’amour. Les mystères d'amour fois la place de son Père dans les énumérations doc­ et d’intimité qui se préparent dès cette vie dans les âmes par la grâce sanctifiante recevront bientôt, dans trinales, mais il sc substitue entièrement à lui pour la production d'effets incontestablement réservés au le royaume ct dans la gloire, leur épanouissement splendide. Père. Il, ni. 5. C’est donc que le Fils, le Christ, le Sei­ Ce Dieu est le Dieu de la grâce ct de la paix. I, m, gneur Jésus est l’égal de son Père, Dieu lui-même. Les 11 ; v, 23; II, i, 13; m, 16. La foi est en Dieu. I. i, 8. fidèles sont indistinctement « les aimés de Dieu », I, I, L’Évangile est de Dieu. I, n, 2, 8, 9, 13. Dieu est té­ 4, et « les aimés du Seigneur ». il, il, 13. Dieu et le moin de nos actions; il sonde nos cœurs; il veut notre Seigneur Jésus sont dans la doctrine de saint Paul, et sanctification et notre pureté. 1, iv, 1,3. 7. et il venge déjà dès cette époque (vers 50), deux réalités inter­ toute faute commise contre celte vertu. changeables. Nous n'irons pas raffiner dès lors, comme Il éprouve Ici-bas ses apôtres ct ses élus avant de certains, sur des textes p^ur en tirer une affirmation leur confier son évangile, I. h. t : ϊείοκιμάσμεθα : ce nette de la divinité du Christ. C'est ainsi que dans verbe, très souple, dont Paul fait un emploi très fré­ II, t. 12 : « Scion la grâce de notre Dieu cl [Notre·) quent, a signifié à l’origine soumettre à l'épreuve, de Seigneur Jésus-Christ >. quelques exégètes, profilant préférence à une épreuve favorable : d'où le sens plus de l'absence du second pronom notre, traduisent : ordinaire d’approuver. C’est Dieu qui éprouve et • selon la grâce de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ», approuve ses apôtres, encore que l’approbation soit formule qui leur semble affirmer la divinité de Jésus. motivée par certaines dispositions. C’est Dieu aussi Ils oublient que les formules analogues abondent dans qui leur donne l'audace, celte assurance et cette con­ j saint Paul (I, i, 1, 3, 9; it, 1 1 ; ill. 1 I ; ιν, 1, etc,), où fiance pour annoncer l'évangile parmi bien des tracas. elles énoncent la distinction entre Dieu le Père cl I. n, 2. Ou plutôt, les missionnaires puisent en Dieu Jésus-Christ Quant à la divinité de Jésus, le dogme celte assurance, mieux encore, ils la puisent dans la en est assez bien établi au cours de ces deux épitres vie même de Dieu. pour n’avoir pas besoin d'une fragile base de gram­ Enfin à Dieu le Père revient l’initiative de notre maire : le Christ est Dieu, puisqu’il est associé au Père propre résurrection. C'est lui qui a ressuscité le Christ. en des formules d’unité, allant jusqu’à l’identité de I. j, 10. C’est lui qui nous ressuscitera el nous amènera nature. I, i, 1 ; ir. 14; I L J. 1 ; L m, 11 ; II, n, 16 ct avec Jésus glorieux. I, iv, 14. un peu partout. b) Jésus-Christ. — La double nature du Christ est Dès lors, nous redonnons ( gaiement toute leur plé­ nettement enseignée en ces deux épitres. La révélation nitude théologique à ces saints pauliniens · en Notrela plus Inattendue est celle de Noire-Seigneur Jésus Scigncur Jésus Christ : Jésus n’est pas seulement le Christ appelé avec constance Seigneur el Christ. Sei­ fondateur de l’Églisc de 'I hessaloniquc (Calmet), il gneur, 4 Κύριος. est le litre divin el impérial, vocable n’est pas seulement l'auteur du salut par le mérite de cher aux Juifs et aux gentils : aux Juifs pour qui il sa passion ( Esllus), cc qui équivaut à faire de in Christo, était l’équivalent d'AdonaT ou de Jahvé; aux gentils, une sorte d'ablatif causal; en réalité, Jésus, comme qui en avaient fait le qualificatif de la majesté divine Dieu le Père, es*, le milieu, l'atmosphère surnaturelle ct impériale. Le titre était parfaitement apte à expri­ qui enveloppe l’Égll%< de '1 h< ssalonlquc. La prépo­ mer la nat ire supérieure de Jésus, et à préparer les sition garde toute la force d’une indication locale. 589 390 Pour être pluH discrète. l’affirmation de l'humanité encore explicitement dégage sa pensée sur l’habitation du Christ n’en est pas moins prec ise. Il < our but dernier le avec laquelle Paul en parle publiquement comrric de salut; le Saint-Esprit qui sanctifie : έν άγιασμω faits historiques connus de tous, sur lesquels au surplus Πνεύματος; nous croyons qu’il s'agit ici non d’un gé­ il n’hésite pas à fonder la croyance en notre résurrec­ nitif d’objet (la sainteté étant reçue par notre esprit), tion personnelle : « Car si nous croyons que Jésus est mais d’un génitif d'efficlcence : la sainteté est causée mort et ressuscité, ainsi, ceux qui sont morts par par le Saint-Esprit ; cette interprétation est plus Jésus, Dieu les amènera-t-il avec lui... Ceux qui seront conforme à lu doctrine générale de l'Apôtre, qui attri­ morts dans le Christ ressusciteront en premier lieu. · bue la sainteté à l'EspriUSalnt; cf. Rom., v, 5. Enfin 1. iv, 1 1, IG. Nous avons déjà en germe dans ce texte le Fils rachète, et toutes ces grâces sc consomment le magni tique développement de théologie de I Cor.» dans la suprême gloire des fidèles unis au Christ. xv : dans la doctrine générale de l’Apôtre, c’est la 2. L'Eglise. — a) La constitution hiérarchique. — En vertu du Christ qui opère avec chacun de nous tout ces deux épitres, le terme « église » désigne la collecti­ cc que nous faisons; nous faisons toute chose avec lui vité des fidèles de Thessaloniquc, une communauté ct par lui; nous vivons par lui, nous mourons par lui, particulière; cf. Rom., xvi, 1 ; I Cor.. î, 2. Ce n'est que nous ressuscitons avec lui. car il est la cause exem­ plus tard que le sens d’èxz).r,cix s’élargira pour dési­ plaire. bien plus la cause efficiente de notre résurrec­ gner l’Églisc universelle, l'assemblée des fidèles qui tion. Le raisonnement, ici simplement amorce, sera participent à la vie du Christ. Eph., î, 22 sq. Mais, dès traité ex professo 1 Cor., xv . le Christ, chef du corps le début, saint Paul a-t-il eu à cœur d'organiser hiérar­ mystique, étant ressuscité, c’est une nécessité que les chiquement 1rs chrétientés qu’il fondait, ou bien, chrétiens, scs membres, ressuscitent aussi : les pré­ croyant a l'imminence de la parousle, s'est-il con­ mices appellent la moisson. tenté d’édicter quelques règles qui permettraient Car le Christ est notre Sauveur cl Rédempteur, d'attendre le retour du Christ? « Il ne semble pas, dit I. v, 9, 10; I. 10, et il s’apprête à un retour triomphant Goguel, que Paul sc soit préoccupé de donner une organisation aux Églises qu’il fondait. On n’y trouse qui punira les méchants el glori liera les bons. II. n. 1-12. aucun système ecclésiastique régulier. · Introduction, Il est cause de notre vie. · lui qui est mort pour nous, t. ιν, p. 2 LS. Un passage de notre première epttre nous afin que. vivants ou morts, nous vivions ensemble avec lui ». I, v, 10. Lu célèbre antithèse de la vie cl de montre cependant que Paul établissait des chefs dans ses nouvelles chrétientés : « Nous vous le demandons, la mort est déjà dans ce verset. Dès lors, il ne reste plus au chrétien qu’à · attendre du ciel son Fils qu’il frères, ayez des égards pour ceux qui travaillent parmi [le Père) a ressuscité des morts, Jesus qui nous sauve vous et sont à votre tête dans le Scipicur, pour vous de la colère qui vient ». L i, 10. C’est bien du ciel que donner des avis. Par charité, ayez-les en très haute Jésus va redescendre pour le retour triomphal, qu’an­ estime en raison de leurs fonctions. » I, v, 12-13. Ces personnes forment une seule catégorie, dont le rôle nonce l'Apôtre. I. iv, IG. Pour en redescendre, il doit y être monte; pour revenir sur terre. Il doit y être nous est présenté sous trois fonctions differentes : d’où venu; pour être tout-puissant. Il doit avoir été cons­ un seul article grec pour les trois participes qui décri­ titué dans la toute-puissance. Paul l’insinue — il vent leur ministère. Ces chefs de communauté » tra­ suffisait Ici d une Insinuation — en nous rappelant vaillent ». κοπιώντας. l’un des mots préférés de saint que Dieu a ressuscité son Fils d’entre les morts, cc Paul (t I fois) pour exprimer les labeurs apostoliques; I ils. notre Sauveur, · qui nous sauve de la colère qui • ils sont à la tête », προϊσταμένους, assurément des vient ». guides spirituels, chargés de conduire la jeune Église c) Le Saint Esprit, Γη ces deux premières lettres dans les doctrines ct les pratiques de la fol nouvelle, cf. de saint Paul, le Saint Esprit se dégage avec moins de I Tint,, v, 17; ils vous donnent les avis », νουΟετούντας. relief que Dieu le Père et que Jésus-Christ du mystère d’abord les remontrances, puis en general les avis, de la Trinité, mais on aperçoit sa personnalité dis­ peut-être les enseignements; cf. Col., 1, 28. Il est assu­ tincte, quand il donne aux ouv t iers apostoliques la joie rément regrettable que saint Paul n’ait pas cru devoir donner à scs néophytes des avis plus détaillés sur ces spirituelle. I. i. G; les charismes, I, v, 19; quand il nous est lui-même donné : · Celui qui méprise [ces chefs. Porce nous est de nous contenter de ces indices sommaires, souvent énigmatiques, en cherchant à les préceptes de pureté|, ne nu prise pas un homme, mais le Dieu, qui vous donne son Saint-Esprit :ούκ άνθρωπον éclairer par d’autres avis du même genre donnes en αθετεί άλλά τδν 0εδν τόν κβΐ διδόντα τό II νεύμα d’autres temps. Nous apprenons du moins par cette première lettre que l’Êglise de Thcssalonique, en cc αύτου τό άγιον είς ύμάς. » I. ιν, 8. Dans la doctrine milieu du i,r siècle, quelque vingt ans après la mort paulinicnne, il n’y a pas de doute que le Saint-Esprit ne soit une personne, la troisième de la sainte Trinité. du Christ, n’est pas livrée à l'anarchie ct qu'elle ne vit pas sous le régime égalitaire· Elle a des chefs, Paul a même un aperçu partie aller sur les rapports du Saint-Esprit ct de notre corps en matière de pu­ <|ul exerrent certaines fonctions définies; envers qui, reté; ci. 1 Cor., vi, 19-20. Toutefois, soit qu’il n’ait pas pour leur dignité ct leurs services, les fidèles ont des 591 TH ESSA LONICl E NS (ÉPITRES AUX). EXHORTATIONS devoirs. Il n’est pas téméraire d'identifier ces chefs avec les prrsbytrcs qui, dès avant cette époque, avaient été préposés aux Églises de Lystres, d*Ico­ nium cl d’Antioche de Pisldic. Act., χιν, 21. Concluons avec A. Pucch, que ce texte, I, v, 12-13 < indique claire­ ment que Paul donnait une organisation régulière aux Églises qu’il fondait ». Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. i, p. 205; cf. Médcbielle, art. Église, dans Suppléai, au Did. de la Bible, t. n, col. 656. b) Autorité de la tradition, — · Demeurez fermes et retenez les traditions que nous vous avons enseignées de vive voix ou par écrit. » II, n, 15. Verset important où saint Paul note que la tradition a la même valeur dogmatique que l’Écritüre. Ce texte est l’un des lieux classiques des Prolégomènes de la théologie : · Il est clair, disait saint Jean Chrysostomc, que tout ne nous a pas été transmis par écrit; il y a beaucoup de choses qui nous sont parvenues sans être écrites et qui sont dignes de foi. C’est pourquoi nous tenons pour égale­ ment digne de foi la tradition de l’Églisc. C'est la tra­ dition, il n’y a rien de plus à chercher. » P. G., t. i.xii, col. 488. Les docteurs des âges suivants ne pourront que souscrire à ces paroles. La tradition constitue un dépôt transmis et reçu. I, îv, 1-2. 3. 1m grâce. — Plusieurs fois déjà nous avons signalé dans ces deux lettres aux Thessaloniciens de brèves allusions à une doctrine complexe el très belle qui sera développée à souhait dans les épitres ultérieures. C’est la doctrine de la grâce. Les deux épitres s'ouvrent par un salut de grâce et de paix. I, i, 1 ; II, i, 2. La grâce, dans saint Paul, signi Ile tantôt la bienveillance toute gratuite que Dieu ou le Christ témoignent aux hom­ mes — donc au sens subjectif — tantôt reflet de celte bienveillance, c'est-à-dire la grâce sanctifiante cl son cortège de dons et de charismes — donc au sens ob­ jectif. En ces souhaits, le voisinage de la paix invite à préférer la seconde acception. Si récente que soit la conversion des Thessaloniciens, ils sont initiés à la doctrine de la grâce. Les épitres reHèlent clairement la prédication de Paul à Thcssalonique : elle a été un message de salut par la grâce. Cette grâce est celle de Dieu qui nous vient par Jésus-Christ, II, i, 2; pour la produire dans les âmes, il y a, au dehors, la parole de Dieu précitée par scs missionnaires, I, i, 6. 8; n, 13; II, m, 1, et, au-dedans, l'Esprit-Saint. I, I, 5, 6; v, 8, 19; cf. II, n, 13. Les néophytes, par l'accueil em­ pressé fait à la prédication de i'Évangilc, I, il, 13. et par l'action du Saint-Esprit en eux, 1, i, 5, peuvent s'estimer les enfants chéris de Dieu, I, i, 4; II, i, 12; il, 13; ni, 5, qui est leur Père. II, n, 16. C'est par sa grâce qu’il adonné une consolation éternelle, II. n, 16» et une sainteté parfaite, I, v, 23; II, ni, 16, avant-goût de cette gloire à laquelle ils sont tous appelés. 11, îi, 13, IL Cf. Bonnctaln, art. Grdce, dans Suppl, au Did. de la Bible, t. ni, col. 1004-1005. L Les vertus chrétiennes. — a) Les vertus théologales. — A deux reprises, en ces deux lettres, Paul unit les trois noms, loi, espérance, charité, comme si c'était là une formule reçue depuis longtemps : · Nous rendons grâces à Dieu... au souvenir des œuvres de votre fol, μνημονεύοντες ύμών του έργου της πίστεως, des t ravaux de votre charité, καί του κόπου της αγάπης, de votre constance à espérer, καί της ύπομονης της έλπίβος.» I, I, 2-3. Dans la deuxième formule, les trois mots sont encore plus serrés : · Soyez sobres, portant la cuirasse de la foi, ένδυσάμενοι θώρακα πίστεως, et de la charité, καί άγάπης, et le casque de l’espé­ rance du salut, καί περικεφαλαίαν έλπίδα σωτηρίας. · I, v, 8. Nous n'avons pas à rechercher l'origine de cette triade; cf. Allô, Première épltre aux Corinthiens, Paris, 1935, excursus xiv, p. 351-353. Mais une telle formule ne semble pouvoir s'expliquer que par un usage re­ montant aux tout premiers temps de l’Église; · c’est 592 peut-être le Seigneur lui-même qui l'avait Irappée ». Allô, p. 353. Les 1 hessaloniciens sc distinguent parla pratique des trois vertus théologales. La fol de saint Paul, cette vertu permanente par laquelle nous adhé­ rons à Dieu le Père par le Seigneur Jésus, est agissante; elle inspire el fait produire toutes les œuvres de la vie chrétienne. L’objet précis de l'espérance des néophytes est la parousic ou le retour glorieux de Notre-Sclgncur, dont la préoccupation domine ces deux épitres. Ixi sou (Trances endurées ne doivent pas entamer la fer­ meté des fidèles à espérer et à attendre le retour, si sou­ vent annoncé, du Seigneur Jésus. Le mol de charité est l’une des plus belles créations des Septante el du Nou­ veau Testament. La charité chrétienne ne rend poste mal pour le mal, I, v, 15, par quoi elle se distingue de la morale juive dont la loi du talion constituait le pre­ mier principe social. Au lieu du mal, ayez le bien en vue (ibid.), dit l’Apôtre avec une nuance expressive*, διώκετε, poursulvez-le, comme un chasseur sa proie, avec le vif désir de le forcer cl de le capturer, κατα­ λαμβάνει. Mais celte chasse du bien ne sc fera pas égoïstement, dans un étroit domaine de famille, de tribu ou de nation. La morale chrétienne est fran­ chement internationale et universelle; entre nous d’abord, mais ensuite envers tout le monde, είς πάντας. L’aspect négatif de la charité sera d’éviter le scandale. « Édifiez-vous les uns les autres, οίκοδομεϊτε », I, v. 11, nouvelle métaphore dont l’Apôtre tirera parti un jour. I Cor., vm, 8-13. 'fout chrétien, pour Paul, est un édifice en construction. I Cor., m, 9. Toute bonne œuvre est une pierre mise à sa place dans le mur qui monte. Non seulement chacun peut s’édifier soimême, I Cor., xiv, 4, mais chacun est de droit divin et de par sa vocal ion l’auxiliaire de scs frères dans l'œuvre de leur propre édifice : « édifiez-vous les uns les autres. » Mais malheur au scandale, c'est-à-dire à toute œuvre qui ébranle ou ruine l'édifice spirituel! Ici encore, nous pouvons nous scandaliser nous-mêmes el scandaliser les autres. b) Lu pureté. — La pureté sera toujours l’une des vertus sur lesquelles l’Apôtre insistera davantage dans ses lettres aux néophytes, venus pour la plupart du paganisme où le commerce impur était tenu pour licite ou indifférent. Mais l’Apôtre sait entamer à sa manière ce sujet délicat : « Ceci est la volonté de Dieu, le moyen pour vous de tendre à la sainteté ; que vous nous absteniez de toute impudicité, πορνεία; que chacun de vous sache garder son corps en toute sain­ teté et respect, sans se livrer aux passions déréglées comme les païens qui ne connaissent pas Dieu; et sans léser son frère en pareille matière par sa luxure. » I, îv, 3-6. La volonté divine, le moyen de sc sancti­ fier, c’est de s’abstenir de l’impudicité, πορνεία, en­ tendue au sens de fornication, I Cor., vi, 18; vu, 2, plutôt que d'adultère, μοιχεία, Maith., v, 32; xix, 3. C'est le sens à retenir et qui nous aide à comprendre ce passage discuté : Vas suum possidere, τό έαυπΛ σκεύος κτάσΟαι. 'l out bien pesé, nous traduisons : i · Que chacun de vous garde son propre corps. » Mais il y a une autre traduction. Bon nombre d’anciens (S, Augustin, Théodore de Mopsueste) cl de modernes (Lemonnycr, Toussaint, Bisping, Wohlenbcrg, Bornemann, Vosté, Sleinmann. Kenié) traduisent : « acquérir sa femme », prendre femme », se marier: t. parce que c’est le sens naturel de l'expression κτάσΟαι γυναίκα; 2. parce qu’on achetait sa femme; 3 parce que ΓΙηΠηΙΙΙί κτάσΟαι a exclusivement le s< ns d'acquérir, le sens de posséder étant réserve au pjriail κέκτημαι; I. parce que l'hébreu λ*li. corres­ pondant de σκεύος, a fréquemment le sens de femme. La traduction adverse, garder son corps, soutenue par S. Jean Chrysostome. Théodorct, l’Ambrosiaster, Théophylactc, Cajélan. Bengcl, Lightfoot, Milligan, 593 THESSALONICIENS (ÉPITKES AUX). ESCHATOLOGIE Lnyange (Rev. bibl,, 1917» p. 577, compte rendu du Conrncntaire du P. Vosté), fait valoir les raisons sui­ vante; : 1. chez les auteurs grecs, σκεύος désigne sou­ vent aussi le corps, qui est appelé le vase de l'âme, la lampe de l’âme; saint Paul lui même emploie le mol en ce sen· quand il dit : « nous avons ce trésor (la grâce du ministère apostolique) dans des vases d'argile, έν όστρακίνοις σκεύεσιν ». Il Cor., ιν. 7; 2, κτάσΟαι, à l’infinitif, a aussi le sens de posséder dans plusieurs textes des papyrus, ( 'cst-ù-dlre au moins dans le parler populaire (textes dans Milligan, p. 19); 3. il est remar­ quable que les auteurs grecs sus-mentionnés qui admettent pour σκεύος le sens de corps, n’hésitent pas non plus ù donner à κτάσΟαι celui de posséder, ce que fait aussi la Vulgate ; 4. si l’expression κτάσΟαιγυναίκα, prendre femme, est courante, on ne trouve jamais ailleurs κτάσΟαι σκεύος et, chez les rabbins, le sens de W/, épouse, ressort du contexte et non du mot tout seul; 5. en lin la formule < acquérir sa femme » pour dire « acquérir une femme qui soit sienne » resterait forcée. La traduction ■ garder son corps » nous parait la meilleure pour toutes ces raisons. Nous y ajoutons les motifs suivants : 1. Dans le style de l’Apôtre, nous l’avons déjà signalé, la phrase principale sc développe dans les phrases subordonnées par une sorte de pro­ grès intérieur, en profondeur plutôt qu’en extension. La proposition principale « s’abstenir de toute impu­ dicité » doit être développée dans les propositions sui­ vantes ; < garder son corps, sans le livrer aux passions déréglées. » 2. Constatation tirée de la doctrine géné­ rale de l’Apôtre ; celui-ci n’a jamais donné à l’ensemble de ses néophytes l’ordre ou le conseil de se marier. Au contraire, il les Voudrait tous comme lui dans la con­ tinence. I Cor., vu, 7. Cela ne favorise pas la traduc­ tion ; « que tout le monde se marie! · 3. La fornication, dans la doctrine générale de saint Paul, est spécifique­ ment le péché contre le corps du pécheur. I Cor., vi, 15, 18. 4. Enfin et surtout, toute celte péricope rap­ pelle singulièrement le passage correspondant de I Cor., vi, 12-20, qui traite de la fornication, avec cette seule différence que le premier jet (I Thess.) est tout bouillonnant et laborieux, tandis que la rédaction définitive sc présente avec des pensées plus mûres et une forme plus achevée. Donc « que chacun garde son corps en toute sainteté... sans léser son frère par sa luxure en pareille matière, έν τφ πράγματι ». Ces der­ niers mots divisent encore les exégètes. Saint Paul recommande de ne pas léser son prochain par ses con­ voitises; mais quelle est la matière de ces désirs cou­ pables? Une première explication, trop répandue, sc hâte de conclure que l’Apôtre, passant à un autre ordre d’idées, recommande la probité ou la modération dans les affaires (Lemonnycr. Wohlenbcrg, Bornemanu, Steinmann) : ne pas faire tort à son frère dans les relations sociales. Mais comment admettre de pareilles recommandations dans un contexte trai­ tant de pureté? Dans une seconde explication, qui est celle de S. Jérôme, S. Jean Chrysostomc, Estius, Milligan, Vosté, cl qui a nos préférences, l’Apôtre con­ tinue à parler de la pureté et de la pureté en général, plutôt que de l’adultère en particulier. Les raisons alléguées pour éloigner les fidèles de l’impureté sont au nombre de trois : « Le Seigneur tire vengeance de tous ces [désordres), comme nous l’avons déjà dit el attesté : Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté, mais ù la sainteté. Celui-là donc qui méprise [ces préceptes) ne méprise pas un homme, mais le Dieu qui nous donne son Saint Esprit. » Ibid,, 6-8. La première raison est que le Seigneur Jésus qui doit punir les infidèles, II, i, 8. tirera vengeance de ces désordres, conformément aux solennelles attestations, διεμαρτυρόμεΟα, déjà entendues par les néophytes. Deuxième 594 raison : noblesse oblige; la grâce de la divine vocation, cf. I. n, 12, implique et postule le triomphe de la pureté. Troisième raison, celle-ci exprimée avec em­ phase, c’est que, par l'impureté, nous méprisons Γ Es­ prit qui habite nos cœurs. Paul a un aperçu particulier sur les rapports du Saint-Esprit et de notre corps en matière de chasteté. Par la pureté, Γ Esprit habite en nous comme dans un sanctuaire, en un naos; l’impu­ reté est non seulement un mépris et une expulsion violente de Dieu; c’est un péché contre le Saint-Es­ prit, la profanation d’un temple, un sacrilège. I Cor., m, 16-17; vi, 10-20. Nous avons ici l’esquisse du dogme de l'inhabllatlon du Saint-Esprit. c) La conduite chrétienne, — I41 règle suprême de notre vic morale est le culte de la volonté de Dieu. I, îv, 3, 7. Par une vie sainte nous devons plaire à Dieu, 1, n, 15t avoir le souci de plaire à Dieu. Ces mots sont l’amorce de toute une spiritualité, qui sem­ ble avoir été particulièrement chère a saint Paul. Un missionnaire est toujours guidé par le souci de plaire à quelqu'un : s’il ne plaît à Dieu, ce sera aux hommes, ce qui, pour un messager de J’Évangile, est une inver­ sion et un crime. Le pire des châtiments serait que, en déplaisant à Dieu, on perdît en même temps les bonnes grâces des hommes, comme il est advenu aux Juifs de Judée, « devenus les ennemis de l’humanité entière ». I, n, 15. A scs néophytes, l’Apôtre recom­ mande surtout la joie, signe de l’envahissement de la grâce. ■ Soyez toujours joyeux. » L v, 16. De ce pre­ cept c, nouveau à l’égal de celui de l’amour — que Jésus avait donné à scs apôtres, Joa., xv, 11 ; xxn, 24; xvii, 13 — Paul fait un de scs mots d’ordre, qu’il répète avec Insistance dans toutes scs lettres. Mais autant que la joie, la prière doit être continuelle, 1, v, 17; et l’Apôtre nous en donne l’exemple. 1. 1, 25; n, 13. Il demande pour lui des prières, 1, v, 25; II, ni, 1, pour vaincre les obstacles qui contrarient sa prédication. Comme règle de foi, il indique la parole aposto­ lique, à laquelle il faut obéir, car clic n’est pas des hommes, mais de Dieu, I, 11. 13; elle est la parole du Seigneur Jésus, II, in, 1, l’Evangile de Dieu, I, 11, 2. 8. 9, l’Evangile du Christ. L m. 2; II, î, 8. 2° Les enseignements particuliers : l'eschatologie, — La doctrine cschalologique occupe dans les deux épîtres aux Thessaloniciens une place de choix par la description de la parouslc, I. iv, 13-18, cl des signes qui la précéderont. IL n, 1-12. 1. La paresse eschatologique, — A plusieurs reprises, au cours de ces deux lettres, saint Paul nous laisse soupçonner qu’une grave crise s’est déclarée dans sa jeune chrétienté et qu’elle paralyse son élan vers la perfection. Une crise de paresse, d’oisiveté : « Appllquez-vbus à vous tenir en paix, à vous occuper (cha­ cun] de vos affaires et à travailler de vos mains, comme nous vous l’avons prescrit. Ainsi vous com­ porterez-vous honnêtement aux yeux des gens du dehors et serez-vous à l’abri du besoin. » I, iv, 11-12. • Nous vous en prions, frères, reprenez les paresseux, encouragez les pusillanimes, soutenez les faibles, usez de patience envers tous. » 1, v, 14. Enfin, dans Il Thess., ces gens-là sont nettement démasqués et Invités ù se remetire au travail. Il, m, 6-16. Quelles cl nient donc la source et la nature de celte crise de paresse? Comment l’Apôtre la combat-il? Mais tout d’abord quelle est la signification exacte de ce qua­ lificatif que l'Apôlre adresse ù ces gens-là, à ces άτακτοι? a) Sens de άτακτος.— Saint Paul emploie le verbe άτακτώ, IL m, 7; l’adverbe άτάκτως, IL «n, 6, 11; l’adjectif άτακτος, I, v, 1 L “Ατακτος signifie d’abord le soldat qui ne garde pas son rang, celui qui sort de l’ordre, le désordonné cl le perturbateur de l’ordre. On s’en tenait Jusqu’à ces derniers temps ù celte vague 595 THESSAI.ONICIENS (ÉPÎTRES AUX). notion, en disant que 1rs néophytes de Thessnloniquc sortaient de l’ordre providentiel et le troublaient avec leur sotte espérance d'une parousic imminente et leur stupide cessation du travail. Nous sommes aujour­ d’hui en mesure dr préciser la pensée de l’Apôtre. Le verbe αταχτώ qui. dans le grec classique, signifiait • quitter le rang » (Xenophon l’emploie en parlant des soldats) ou même déjà · ne pas faire son devoir ·, a été trouvé dans les papyrus d’Oxyrhynque, The Oxyrhynchus papyri, Londres. 1898. avec le sens de « fainéan­ ter ». Pap. 275. 25; 725, 40. Dans un papyrus de l’an 66, il signifie ■ faire le paresseux > et. dans un autre de la fin du n* siècle, « ne pas travailler » (textes dans Milligan, note G, p. 152-151). C’est l’interprétation qui convient parfaitement à ccs passages obscurs de nos deux épîtres. b) Origine el nature de cette paresse, — Les néophytes de Thessaloniquc étaient pour la plupart des artisans vivant du travail de leurs mains. Depuis quelque temps c’est le rapport que fera Timothée au retour de sa mission spéciale — ccs ouvriers avaient l’air de négliger leurs affaires temporelles el leur travail pour se livrer à une singulière oisiveté, ce qui ne pouvait que les discréditer, eux el leur religion, aux yeux des païens. La religion du Christ serait-elle une religion de paresseux? L iv, 11-12. Cependant la première épllre ne nous permet guère de deviner l’état reel des néophytes, car les indications en sont très brèves. Heureusement, la seconde nous fournit un supplément d’information. Ces chrétiens n'étaient pas de vulgaires paresseux (Estius). ni des orant s pris subitement d’un goût excessif de la prière, ni des désenchantés qui se reliraient des affaires par lassitude ou découragement. Leur pratique bizarre s’inspirait d'une pensée qui ne l’était pas moins. Persuadés que la fin du monde était Imminente, ils se disaient qu'ils auraient toujours de quoi subsister jusque-là et qu’il était bien inutile de thésauriser pour si peu de jours. Pareille conduite cl pareille croyance cl aient ridicules aux yeux des païens; et l’Apôtre se soucie du bon renom des chré­ tiens : la meilleure apologétique, dit-il, est une vie sans reproche. Que les esprits se calment, que tous reprennent leurs affaires el leurs travaux manuels, que Thcssaloniquc ne devienne pas une Église de beso­ gneux ou d'illuminés. Par une vie de travail, vous ferez taire les « gens du dehors », les gentils par oppo­ sition aux Juifs, qui se moquent ou se scandalisent des chrétiens sottement oisifs et. vous-mêmes, vous vous mettrez â l’abri du besoin. 1. iv, 12. c) Développement de la crise. Saint Paul espérait, parce simple avertissement, mettre fin à cette grève indécente. Mais l’abus ne larda pas à empirer. Dans l’intervalle de la première à la seconde épllre, les préoccupations eschatologiqucs auront si fortement entamé la vie sociale des néophytes, qu'il sera néces­ saire de débrider l’abcès. Paul se montre sévère. 11 parle au nom du Seigneur Jésus, II. ni, 6. formule emphatique qui relève l’autorité de ces prescriptions : • Nous vous enjoignons de vous tenir à l’écart de tout frère qui s'abandonne à la paresse, sans suivre la tra­ dition que vous avez reçue de nous. » 11. m, 6. Paul prononce A l’adresse de ces oisifs une sorte d’excom­ munication. Ce sont des perturbateurs : qu’on les évite. Ce sont des predicants d’erreur : qu’on fasse le vide autour de leur chaire; de la sorte, on préserve les auditeurs et on ménage aux orateurs des loisirs pour de sages reflexi ms. Cet abus contre lequel l’Apôtre s'élève est une faute contre la tradition vivante don née par les premiers missionnaires qui ont toujours fourni un travail acharné. Saint Paul n’a pas été un paresseux parmi les Thcssaloniciens. Ce sera sa gloire d’avoir pourvu à sa subsistance par le travail de scs mains. L n. 7-9; IL m, 8; cf. 1 Cor., ix, 6-18. Pareille­ ESCHATOLOGIE 596 ment. l’Apôtre ne manque pas une occasion de rappe­ ler que c’eût été son droit, έξουσία, 11. ni. 9, d’ainou ccr l'Évangile aux frais de la chrétienté. Ce droit, il y a renoncé, pour donner l’exemple. I, t, 6. Dès que les premiers indices de cette paresse cschatologique s’étaient manifestés, il avait suffi aux missionnairesde rappeler le principe de bon sens : · si quelqu'un refuse de travailler, qu'il ne mange pas. · II. m, 10. Aujour­ d’hui que le mal a sensiblement empiré, il y faut em­ ployer les règles de la correction fraternelle : d’abord essayer de gagner les égares, ni, 12; si ce n’est pas pus sihle, cesser toute relation avec eux, ni, 1 1, sans ou­ blier toutefois de les traiter en frères, ni, 15. 2. Le retour du Christ ou parousic, — Le problème de la parousic domine les deux épîtres aux Thes&alonlcicns; problème qui, à juste litre, préoccupe l’exé­ gèse el la théologie. a) Le mot « parousic ». — Nous n’avons pas a re­ prendre en détail l’élude philologique de ce mot ; cf. Paiiousie. t. xi. col. 2013-2015, Happclons briève­ ment qu'il a souvent chez les classiques le sens de présence, et encore d’arrivée, de venue; saint Paul l’emploie également avec ces mêmes sens ; présence, I Cor., XVI, 17; PhiL, n. 12; arrivée, II Cor., vu, 6-7. C’est encore le terme technique, l’expression officielle pour désigner la visite d'un roi. d’un empereur, de per­ sonnages éminents : les papyrus, les ostraca et les inscriptions fournissent une ample documentation. Textes dans A. Deissmann, Lichl vom Osten, Tuhingue, 1909. p. 279-283. Dans le Nouveau Testament, le sens technique de parousic est le retour glorieux du Christ à la fin des temps. Nous avons déjà vu l’occasion de remorquer que parousic n’était pas une traduction, mais simple­ ment une transcription du terme grec παρουσία et nous avons proposé de traduire franchement par retour; cf. notre note des Recherches..., Les particula réduplicativcs du A’. 7’., 1937, p. 217-228, surtout p. 225-228. Évidemment celte traduction ne répond pas littéralement au vocable grec; avec notre goût moderne de précision et de logique, nous exigerions que, parlant de la seconde venue du Christ, le Sauveur et, après lui, les écrivains du Nouveau Test ament par­ lassent de retour et de revenir, alors qu’ils ne parlent que de venir el de venue. Mais ne faut-il pas mettre en cause l’indigence de la langue? Nous avons dans nos langues modernes les mots composés revenir, refour, qui sont aussi clairs et aussi légers que les mots simples venir et venue. Le grec de la Koinè el du Nouveau Testament eût été fort gêné pour traduire l’idée de « revenir » autrement qu'en accolant au verbe simple les lourds adverbes πάλιν ou έκ δευτέρου, peut-être les deux ensemble. Même Indigence d’ailleurs dans l’araméen : le substantif simple m'tilâ, la renue, de *athd, venir, servait à désigner la première, la deuxième, la troisième venue, laissant au contexte ou aux auditeurs le soin d’en spécifier le numéro, quand le besoin s'en faisait sentir. L'influence du texte original, jointe à la propre Indigence du grec, inclinait les traducteurs à rendre m'titâ par παρουσία, qui serait elle-même, selon les occurrences, la première ou la seconde venue. Notre deuxième épllre aux Thessaloniciens nous en donne un curieux exemple : le même vocable παρουσία désigne la première venue de l’ad­ versaire et la seconde venue de Jésus qui reviendra précisément détruire celui-ci du souille de sa bouche. II. n, 9 cl 8. Nous traduirons donc résolument par retour, chaque fols que le contexte nous indique qu’il s agit vlfcclivcment de la seconde venue de Jésus, sans nous Interdire d'ailleurs à l’occasion l’emploi du vo­ cable parousic. b) I/attitude des néophytes de Thcssalonique. — Les néophytes avaient écoulé avec un vif intérêt la catc- / 597 THESSALONICIENS (ÉPÎTRES AUX). ESCHATOLOGIE thèse de saint Paul et dr scs compagnons touchant le retour triomphal du divin Maître. Après le départ des missionnaires, leur imagination s’était occupée plus que de raison de ccs événements prodigieux. Comme il arrive en pareil cas, elle avait vile outrepasse les limites de la vérité. La communauté en était venue à croire Λ l’imminence du retour du Seigneur. La mort récente de quelques chrétiens laissa les survivants dans une tristesse et une désolation excessives. En quoi consistait précisément cet excès dans les regrets des survivants? a. — Le P. Lcmonnycr, après Schmlcdcl, pense que les Thessaloniciens n'avaient pas été instruits de la résurrection des morts. — Mais ces anciens juifs ou pro svlytes « ne devaient pas ignorer un mystère qui était l’une des plus chères espérances de la Synagogue ·. Magnien, Rev. bibl., 1907, p. 350-351. El puis, s'il faut juger de la question par la réponse, l’effort de l’Apôtre ne va pas ici à établir la croyance en la résurrection des morts, comme 1 Cor., xv; il insiste seulement sur le fait que, lors du retour de Jésus, les morts n’auront rien à envier aux vivants, ce qui suppose la résurrec­ tion universelle. h. — Le P. Magnien, op. cit., p. 352-353, après Henan, Fillion, Schaefer, Le Camus. Crampon, pense que les regrets procédaient de préoccupations millé­ naristes. Les fidèles s'attendaient à jouir ici bas. pen­ dant une période plus ou moins longue, de toutes les délices du royaume messianique. Mais, si la mort les .surprenait avant le retour, c’en était fait de ce bonheur tant désiré! Les frères endormis n'en seraient-ils pas à jamais frustrés? De là cette désolation qui semblait égaler le deuil de ceux qui n'ont point d'espérance. — La réponse est la même ; si les néophytes eussent été touchés de celte idée, nous le saurions par la refu­ tation de saint Paul. On trouve dans scs épîtres maintes assertions doctrinales incompatibles avec le millénarisme, jamais un argument direct. El Γοη sait que Paul n’avait pas coutume de passer Λ côté des er­ reurs ou des adversaires à combattre. c. — Λ en juger d’après l’exposé de l’Apôtre, noire unique moyen d’information, l’inquiétude des néo­ phytes venait de la fausse opinion que, le jour du retour, les morts seraient privés d’un avantage consi­ dérable, dont seuls bénéficieraient les vivants. Tandis que les vivants assisteraient et prendraient part à cc triomphe inouï, les morts ou bien arriveraient en re­ tard ou en seraient exclus. Cet état d’esprit suppose évidemment que les Thessaloniciens attachaient une importance exagérée au côté féerique de la paroaslc, peut-être au détriment de la vraie signification. qui sera la proclamation de la royauté universelle du Christ Jésus. L'Apôtre rétablit les faits en sa première lettre en traçant les lignes principales du programme authentiquement prevu pour cette solennité : vivants et morts seront également avantagés; personne ne manquera au triomphe. 1. iv, 13 18. 11 semble que ces explications autorisées aient calmé l’émotion factice de la Jeune communauté, mais sur un point seulement. Elles ne firent qu’accroître chez ces néophytes leur hantise de la parousic imminente. Trompés par de fallacieux arguments, ils pensaient que leur génération verrait le retour triomphal de Jésus. Les paresseux propagèrent sournoisement cette rumeur et, pour accréditer leurs dires ou se couvrir aux yeux des frères moins enthousiastes, ils recoururent aux moyens classiques des illuminés. II. il 1-2. Comment de telles idées en vinrent-elles à troubler ainsi les esprits? Cette persuasion que la fin du monde était prochaine, voire Imminente, persuasion que d’ailleurs les Thessaloniciens n’étaient pas seuls à partager, cf. II Pctr., in, 9. semble venir de certaines paroles du Christ et des apôtres qui, s’ils n'avaient pas prédit la '98 parousic comme prochaine, ne l’avalent tout de même pas déclarée éloignée, cf. Matth., xxiv, 34; le terme lui-même de parousic n'éveillait-II pas l’idée d'un re­ tour prochain du Christ (ττάρε’.μι)? c; La pensée de. saint Paul. — L'Apôtre partageait-il les illusions de scs néophytes sur la proximité de In parousic et espérait-il voir de scs yeux le retour triom­ phal du Christ? Certains textes mal interprétés ont pu le laisser croire, surtout I 'Lhess., iv, 15 : · Nous vous disons ceci sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, les survivants lors du retour du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sent morts, » Passage célèbre et difficile. La question, ardemment débat lue entre exégètes ce.s dernières années, concerne la signification exacte de ccs expressions < nous les vivants, les sur­ vivants ». L iv, 15 et 17. Plusieurs solutions ont été proposées. a. — Les critiques rationalistes y trouvent une affir­ mation catégorique de la parousic : Paul se sérail trompé. Rcuss, La Bible, Les épîtres pauliniennes, t. î, p. 54; Bovon, Théologie du Λ. Λ, I. n. p. 288295; Guignebert, Manuel d'histoire ancienne du chris­ tianisme. p. 317-350. Mais le système ne tient compte que de quelques textes isolés de leur contexte cl exagérés à plaisir. — b. — Par contre, quelques rares catholiques prétendent que, en aucune manière, la parousic ne serait envisagée comme prochaine : Romeo a soutenu récemment celte thèse : .Vos qui vivimus, qui residui sumus, dans Verbum Domini. 1929, p. 308-313; 339-318 ; 360-361 : Non tam parttas sortis, quæ a nemine same mentis denegabatur, quam potius concomitantia et unio /utura hic describitur, qux revera valida immo unica consolationis ratio esse poterat... Objectum formate totius pericopæ consolatoria' est /utura nostra gloriosa et littissima congregatio cum nostris mortuis in resur­ rectione mortuorum. Christo présente ac præeunte. p. 346-347. — Mais l’insistance nos qui vivimus, qui residui sumus ne se comprend que s’il s’agit de ceux que la parousic trouvera vivants, cl les deux classes des morts cl des vivants sont trop opposées pour rentrer l’une dans l’autre. Aussi une autre opinion rstimc-t-cllc que Paul serait tombé dans la même illu­ sion que scs néophytes; il aurait, du moins au début de sa vie missionnaire, présenté l’imminence de la parousie sinon comme certaine, du moins comme vrai­ semblable, à litre de probabilité, de conjecture per­ sonnelle, sans donner un enseignement formel. Jus­ qu'à ccs dernières années, un grand nombre d’exégètes catholiques soutenaient celte opinion : A. Maier, Kornni. nber den Brie/ an die Rônier, Fribourg, 1847, p. 387 sq.; Bisping. Exegetisches Handbuch, in I Thess., iv, 12 sq.; Corluy. Diction, apol. de Jaugey, art. Fin du monde, col. 1279 1281 ; La seconde venue du Christ, dans La science cath., 1887, p. 284-300, 337-346; Pesch. De inspiratione, Fribourg. 1906, p. 459, note 1 ; Le Camus. L'oeuvre des apôtres, Paris, 1905, t. il p. 313, note 5; Pral, La théologie de saint Paul, t. î. p. 89 sq ; Toussaint, t. î, p. 124 sq.; surtout Tillmann, Die \V iederkun/t Christi ; Magnien. dans Ken. bibl., 1907. p. 365; Lemonnyer, I. i, 4r éd., p. 10; Diction, apol. d’A d’Alès, art. Antéchrist, l. î, col. 1 49. cl art. Fin du monde, col. 1916-1920 La Commission biblique, en son décret du 18 juin 1915. a condamné cette explication comme contraire au dogme de l’inspiration et de l’inerrance biblique, en vertu duquel omne id quod hagiographus asserit, enuntiat, insinuat, retineri debet assertum, enuntiatum, insinuatum a Spiritu Sancto, et par conséquent sans qu’il soit permis de distinguer entre « expressions de sentiments humains sujets à l’erreur ou à l’illusion · et « affirmations garanties par l'inspiration ». On ne peut même pas dire, comme Tillmann (p. 47), qu’il ne s’agit pas en celle matière t aujourd'hui défini. Cc ne sera pas une défection politique, une rés oit c — sens du vocable chez les auteurs profanes de la basse époque — mais une vraie corruption, une vraie défection reli­ gieuse, sens habituel dans les Septante cl le Nouveau Testament. Apostats pour saint Paul, tous ceux qui, julls, païens ou chrétiens, sc séparent de l’Evangile el ESCHATOLOGIE 600 le repoussent. Malheureusement l’Apôlre ne nous fournit aucun des renseignements dont notre curiosité serait avide. Le divin Maître nous avait prévenus delà séduction qui serait exercée à la fin des tempi parles faux messies cl les faux prophètes. Elle mettra en péril le salut des hommes el sera même un danger pour les élus. Matth., xxîv, 11-24; Luc., xvin. 8. On cons­ tate de nouveau Ici l’accord entre Matthieu cl Paul. L'Ancien Testament, les apocryphes cl les écrit» rabblniqucs font également de l’apostasie un signe de h consommation du siècle. Strack-Bill., I. m, p. 637. Précédera-t-elle ou suivra-t-elle l’Adversaire? Confor­ mément au procédé habituel de saint Paul (hendiadis), les deux signes, apostasie el Adversaire, n’en font sans doute qu’un, en ce sens que l’apostasie sera causée par les agissements el les prestiges de l’AdvcrialreA l’époque de sa révélation. b. L9 Adversaire. — Le second signe précurseur du retour du Christ est l’apparition ou révélation de l’Adversaire, qui, on vient de le voir, sc joint au pre­ mier comme la cause à son effet. a) Le portrait de V Adversaire (t· 3d-5). — Les réminis­ cences bibliques qui se pressent en ces quelques lignes sont telles que, si l’ensemble de cette mystérieuse physionomie conserve un air d’originalité, la plupart des détails sont empruntés. Dans ce tableau, nous rele­ vons encore le procédé paulinien des éléments conver­ gents : trois traits suffisent à dessiner cc visage sinistre. a. Un quali/icati/ de nature : l’homme d’iniquité, ό άνθρωπος της άνομίας. Cette expression hébraïque ne signifie pas qu’il est né du péché, spurius, d’après cer­ taines traditions, mais que c’est un homme plongé À fond dans le péché, dont le péché est la note caracté­ ristique : in quo /ons omnium peccatorum (S. Jé­ rôme), car < le Nouveau Testament ct particulièrement saint Paul entend par άνομία l'état d’hostilité ά Dieu, dans lequel se trouve celui qui refuse les avances divines faites à l’humanité par le Christ ·. Blgaux, L’Antéchrist, 1932, p. 257. Cette expression « homme d’iniquité », mystérieuse et apocalyptique à souhait, est à rapprocher du fils de péché, b υΙός αμαρτίας, dont parle le ps. lxxxix. Elle suggère que le personnage s’élèvera contre la Loi el que, sans doute, il entraînera ses adeptes dans sa révolte. β. Un qualificatif de destinée : le /ils de la perdition, ό υΙός της απώλειας. 11 est l’homme qui entraîne les autres à leur perle, cl mieux, l’hqmmc qui, réunis­ sant la plénitude du mal, est voué à la damnation éter­ nelle, à la perdition (V. 8), comme le /ils de la mort (I Sam., XX. 31) est celui qui est voué à la mort. γ. Un quali/icati/ de caractère. : il est celui qui s'élève au-dessus de tout cc qui s’appelle Dieu ou objet de culte, jusqu’à s’asseoir en personne dans le temple de Dieu, se donnant lui-même comme Dieu... L’Adver­ saire (à άντικείμενος) est, avec le substantif l’Anféchrist, que saint Jean sera le premier à employer, I Joa., n, 18,22; iv, 3; Il Joa., 7, le qualificatif le plus expressif pour désigner le rôle de celui qui vient op­ poser au Christ prodiges contre prodiges, parousic contre parousic, troupeau d’égarés contre groupe de fidèles. Nous aurons à revenir sur le caractère compo­ site de ce tableau. Qu’on ne cherche pas de quel temple il s’agit (temple de Jérusalem. Eglise, temple du règne messianique), ni à quel événement l’Apôtrc fait allu­ sion (profanation d'Antiochus Epiphane, tentative de Cuhgula de faire adorer sa statue dans le temple de Jérusalem). Nous n’avons en ce verset que des em­ prunts bibliques cl ces paroles sont plutôt des méta­ phores concrètes d’un orgueil fou. Suivant le procédé littéraire de Paul (hendiadis), la session sur le trône cl doits k temple , P. G„ t. xm, coi. 1668; dira aux fidèles que tel monstre d'impiété et d’orgueil parlant des hérétiques : Hi sunt antichrisli et quicum est In révélation ultime et plénière de l’impie? > Ki- que post eos resurrexerint. Ibid., coi. 1669. Pour Tycogaux, p. 280-281. Le texte de saint Paul nous suggère nius (vers 380) ; · l’antéchrist est l’ensemble des pou­ une distinction capitale à établir entre les antéchrists voirs hostiles nu christianisme, qui vont sc condenser actuellement existants ou passes, agents du mal et dans un dernier roi de la cité du Diable, suscité par suppôts de Satan, mais livres à eux-mêmes, à leurs Satan »; cf. Alio, L'A pocalijpse. p. ccxxit. moyens, à leur malice, et les antéchrists de la lin, Cette interprétât on collective était connue de saint assistes de toute la puissance de Satan, jouissant par Augustin qui mentionne de l’antéchrist cette défini­ leurs prodiges d’un pouvoir effrayant de séduction. tion possible ou probable : une multitude d'homme Les premiers ne sont pas révéles; ceux de la On seront formant un corps sous la conduite d’un chef. P. L. révélés et feront leur parousie. Car le signe du retour t. xi.!, col. 685. Le saint docteur termine son exposé du Christ n’est pas l’existence ou la présence d’un ou par une déclaration qui «tonnerait le coup de grâce, plusieurs adversaires, c’est leur révélation au sens s’il en était besoin, h toute unanimité piétendue de lu défini» c’est leur parousie éclatante. tradition : Alius ergo sic. alius autem sic apostoli 3) Les analogies avec les Synoptiques et saint Jean. obscura verba conjectat. Ibid., col. 687. — Notre conclusion que l’Advcrsalrc désigne une col­ A la lumière de ces indications patristiques et de et lectivité concorde parfaitement avec les enseignements observations scripturaires, nous croyons être en droit apocalyptiques du divin Maître en saint Matthieu : de conclure que l’Adversaire est une série ininterrom­ • il surgira quantité de faux prophètes qui entraîne- j pue d’agents du mal qui s’opposent et s’opposeront ront dans l’erreur beaucoup de monde. Le déborde­ à la doctrine et à l’œuvre du Christ, depuis la fondation ment de l’iniquité refroidira la charité d’un grand de l’Église jusqu’au dernier jour. Tout ennemi de nombre. > Matth., xxiv, 11-12. Il se lèvera des faux Dieu, tout agent de Satan est. scriptural rement, un messies et des faux prophètes, qui feront des signes et adversaire, un antvehrist. Les mystiques ont raitun des prodiges éclatants, jusqu’il égarer les élus euxqtlnnd ils traitent d’antéchrist tel ou tel ennemi de h mêmes, si c’était possible. · Ibid., 2 L Ces mystérieux sainte Église. Ces appellations sont dans le style bibli­ personnages ne répondent-ils pas au signalement que que et elles ne sortent pas de l’authentique pensée des donne saint Paul de l’Adversaire? Même époque, mê­ auteurs d’apocalypse. mes moyens, mêmes sinistres effets au point de vue c. U identification de l’obstacle. — Si les auteurs religieux. Or, les faux messies et les faux prophètes anciens ignorent le nom de l’Adversaire, ih préten­ sont légion, et celte troupe est amorphe et acéphale. dent du moins connaître celui de l’obstacle, attendu Elle n’a pas de chef. La fidélité de l’Apôtre ;i la doc­ qu’ils présentent pour ce dernier des identification* trine de son Maître nous est une assurance, une certi­ assurées. tude que son Adversaire, eu dépit de certaines appa­ a) L'empire romain. — (/est l’hypothèse la plie rences, sera en réalité toute la foule des faux messies impressionnante tant à cause du nombre que de la et des faux prophètes prédits par le Christ. rpialité de ceux qui l’ont proposée; parmi les Pères: La concordance n’est pas moins satisfaisante avec Irénée, Tcrtullien, Hippolyte, Cyrille de Jérusalem, les enseignements de saint Jean : · Petits enfants, Jérôme, Jean Chrysostomc; parmi les moderne* c’est l’heure dernière. De même que vous avez entendu Bornemann. Wohlenbcrg, M l'igan, DobsdiOtz, bindqu’il vient un Antéchrist, maintenant aussi il y a beau­ lay, Gogin I, Bousset, Bovon, \ oste. Lontpic le P. coup d’antéchrists. > 1 Joa., n, LS. Beaucoup de Vosté a parle, avec réserve cependant, du tradition séducteurs ont paru dans le monde, qui ne confessent apostolique à propos de cette identification (p. 276 pas que Jésus-Christ est venu dans la cha’r; c’est a 277). le P Lagrange lui a représenté qu’une telle cela que sc reconnaissent le séducteur cl l’Antéchrist. » assertion « n’était pas sans de graves conséquences · Il Joa., 7,8; cf. I Joa., n, 22; iv, 3. Vous attendez un Peu. bibl.. 1917, p. 576. Mais comment n’êlrc pa\ Antéchrist? interroge saint Jean; vous n’avez pas frappé «le l’échec inflige à cette explication par Γ:η· tort; cl même vous avez plus de raison que vous ne vision des barbares et la chute de l’empire? pensez, car, au lieu d’un seul, vous en aurez une mul­ β) Les charismes et la grâce du Saint-Esprit (Théo­ titude. Tout négateur du Christ est un antéchrist. dore de MopNiicste, Théodorel). Saint Jean Ghrysos < Le nom semble déJgner une force collective plutôt tome mentionne, pour la rejeter, ccttc opinion, qu'une personne définie. * Bonsirven, Zip. de saint P. G., t. lxu, col. 185, car Je* charismes de* origine* Jean. p. 60. L’Apocalypse, nous Pavons dit. ne nous ont cessé et l’Antéchrist final n’est pas venu. présente (pie de·, symboles de collectivités. Jésus et γ) l’n décret divin ( Théodore de Mopsue*le cl son Jean se fussent-ils exprimés de In sorte, s’il ne devait disciple, 1 Inodore! de Gyr. P. G., t. i.xxxn, cul. 665 A). — Mais comment admettre qu’un décret divin y avoir historiquement qu'un Adversaire réservé à la tin des temps? L’antéchrist individuel n’est donc pas puisse être écarté ou mis de côté? 8) L idolâtrie ou t’incomplète diffusion de ΓÉvangile un personnage paulinieu, pas plus qu’il n'est un per­ sonnage évangélique ou johannique. (S, Éphrern, I héodoret, Calvin). — .Mais ce serait c) La tradition. — Nous pouvons affirmer qu’il n’y a là précisément un éhment favorable à la révélation pas de tradition sur le mystérieux sujet «pii nous de l’AdvviviTc plutôt qu’un obstacle. c) Il eu est de même de l'apostasie, proposée par occupe. C’e*l bien Inconsidérément que Suarez lançait l’anathème aux négateurs de l’antéchrist Individuel : saint Augustin, h quel disait cependant : Ego prorsm quid dixerit me lateor ignorare, p. t... t. xli, col. 686. Antichristum. . significare quemdam certum ac singu et par Est lus, larem hominem. . es/ res certissima et de fide. Éd. \ ives, ζ) Saint Michel. (a lie explication proposée park 1860, t. XIX, p. 1027, 2· col. Bien que la plupart des auteurs anciens, frappés du sens apparent de saint 1’ I rai, embh· actuellement jouir «l’une certain»· Paul, parlent «l’un Antéchrist au singulier. Il n’est pir» vogue. — Sans doute I ai change est-il l’adversaire traditionncl dv Satan, niai peut-on dire que saint Michel Impossible de relever des Indice* Intéressants d une .era un jour écarté, lu., c triomphateur de la première interprétation collective. 605 TH ESSA LO NICI ENS (ÉP1TRES AUX). ESCHATOLOGIE rébellion, lui. l’hivhidblr, pour donner libre passage à son ennemi des premiers temps? η) L'économie du salut (Tillmann). — Muis com­ ment l’économie du salut serait-elle elle-même écartée? 0) Récemment le P. Orchard, Hiblica. 1938, p. 3912, proposait une nouvelle hypothèse. Il distingue ό κατίχων et τύ κατέχον en <Ι’·ηΙΙ fiant ό κατέχων avec saint Michel, l’ange pi (docteur de Jérusalem, Il croit pouvoir retrouver τύ κατέχον dans la survivance pro­ visoire de la cité sainte, dont la ruine est annoncée. — Mills comment la parouste de l’adversaire n’a-t-clle pas Immédiatement suivi la disparition de l'obstacle? Curie texte et tout le pavage l’exigent. Or, le Temple n’est plus depuis l’an 70. Cf. notre note dans Redier· dies de sc. rel.9 1938. p. 177-178. i) Plutôt (pic de proposer des hypothèses sans fon­ dement, d'autres exégètes (Lagrange, Steinmann) finissent par s'abstenir en confessant leur ignorance, comme le faisaient noblement saint Augustin cl saint Thomas. C’est egalement par un aveu d’ignorance (pic le P. Rigaux conclut sa minutieuse étude, au risque d’encourir le reproche de décevoir scs lecteurs ·. Sans Imiter cette prudente ré-erse, essayons de poser les jalons qui nous permettront de nous orienter. Puisque ce c. n de la II Thess., sc rattache, nous l’avons dit, au genre apocalyptique, gardons-nous de le séparer des écrits similaires, spécialement de l’Apo­ calypse de saint Jean et de celle de Notre-Selgncur lu -mêinc en l’évangile de saint Matthieu, xxiv. Nous obtenons a.nsi un groupe de trois apocalypses qui peut-être .s'éclaireront l’une l’autre. De l’apocalypse paulinîennc nous retenons que l’obstacle empêche la révélation de !’Adversaire, tant qu’il exerce sa fonction de · retenant » et que. dès qu’il est écarté ou mis de côte. l'Advcrsaîrc, ne trou­ vant plus rien pour lui barrer la route, se révèle aussi­ tôt. Les deux autres apocalypses nous renseignentelles parallèlement sur les deux faits en question? Précisément, dans l’Apocalypse, les < deux témoins · jouent le rôle de « retenant » par rapport aux bêles «le la terre cl de la mer, xi, sy mbolc évident des adversalrcs. Ils sont doués d’une étonnante puissance de thaumaturges, analogue à celle tie Moïse el d’Élic, dont ils ‘.c servent pour se protéger contre leurs enne­ mis. xi, 5. Ce privilège de l'immunité leur est assure tant qu’ils n'auront pas complété leur témoignage ». xi, 7. Aussi ne soyons pas surpris que, de leur vivant, s’il est bien parlé d’ennemis, il ne soit pas néan­ moins question des « bêles ·, ni de leur apparition. Elles sont retenues cl empêchées de se produire. Dès que les deux témoins cessent de prêcher, la bête monte de l'abîme, leur déclare la guerre cl les met a mort. Ainsi les témoins s'opposent a la bêle exac­ tement comme l’obstacle h l’Adveraire; cl la bêle fait son apparition dès que les témoins sont écartés, exactement comme l’Advcrsaîrc, quand l’obstacle sera mis de côté. N’est-ce pas assez pour conclure à l'iden­ tification de l’obstacle et des deux témoins? Nous c-.t-ll possible de faire un pas de plus et de connaître la personnalité des deux témoins? « Γη courant d'interprétation, qui remonte au moins à Tyconius cl qui a été suivi par l’école Alca/ar-Bossuel, y volt des forces collectives de l'Égllse. · Allô, op. cil., p. 131. Bossuet y* reconnaissait les consola­ teurs de l'Égllse, pris dans le clergé ou dans le peuple ·. * D’une manière plus précise, iï cause du contexte, dit le P. Allô, nous pouvons dire qu’il s’agit de tous le·» bons prédicateurs de l’Évangilc, qui combattent l’in­ fluence de l’Antéchrist » Op. ci/., p. 132. L’obstacle ne serait donc autre que les prédicateurs de l’Évangilc à traver l< A| Suc cotte exégèse des deux témoins, cf. Alio, L'Apocalypse. p. exxx (Rev. bibl,9 1915, 606 p. 112), cxxix-cxxx (Rro. bibl.t 1915, p. M2-H 3) cl notre article des Recherches..,, p. 121 t qu’il y aura une mystérieuse ct même du feu du la coniidgration générale. Cahnct a toute puissante Intervention de Dieu. trouvé la juste foi mule : ■ C’est h symbole de la ven­ Le Seigneur redescend du ciel, où il sc trouve depuis geance et de la colère, ut même de la majesté de Dieu. · son uocnslon, Act., 1, 9-11, mais sans atteindre la I·. 331 Les prophètes nous ont habitués Λ ces maniterre, puisque les élus sc portent au-devont de lui tâtions .ymliol (pie., à ces < piphanlcs du Sinaï ou du dans le. an. L iv, 18. Tous ensemble, ressmeibs et dé urt. nu le (< u joue un role obi gé. Gcn. xv 17* Ex survivants, seront enlevés, enlèvement violent ct sou­ !U, 2, XIX, 16; Deut ,»v,36, Num.t ix, 15; 1S.’, lxxviu. fi09 THESSALOMCIEXS (EPITRES \EX) 11; cv, 39; h., x, 17; XXfX, Λ xxx, 27, 30; xlb, 15; i.xvi, 15; Mui., in. 2. 19. L’Apôln < conforme nu Jrii des figuret trndilloiinelh *. dans rrttr phrase où *c pressent le·, allusion* biblique* Le feu de Gamme nc •cru donc qu'une métaphore pour traduire l’éclatante épiphnnle du Seigneur Jé n<, Inquelh , répétons le avec saint Paul, sera aussi bien le châtiment de . méchants que le triomphe des Juste*.. c. La récompense de. saints, des justes sauvé , t, 10, •era de part iger la gloire de leur Maîth Le Christ lui-même retirera de cette parousle une gloir» Incom· mensurable, f. 21, cl le . ju te, seront glorifié* en lui, pur l'achèvement du corps mystique. Morts ou vi­ vants, nous aurons en partage In vie, ct la vie avec lui. I. v, 10. Lu vie, la gloire, la béatitude; ensemble, les deux catégories des morts et des vivants, 5 jamais réunis; avec lui, .Jésus, dont la vue ct In possession suffisent au bonheur de ceux qu’il aime et récompense. El c'est Dieu le Père qui fera tout par Noire-Seigneur Jésus-Christ. 1, v, 9. I. CoMMKNTAlRRS ANCli ns. - 1· Grecs. — S. Jean Chrysostomc, /*. G’., t. t.xn, col. 391-500; Théodore do Mopsiirstc, t. i.xvi, col. 931-930, et éd. Sweto, Cambridge, 1882, t. n, p. 1-05; Théodore! do Cyr, t. LXXXil, col. 628-673; S. Jean Dnmatcêno, t. xcv, col. 905-929; ( Ecume niui (x· siècle), t. exix, col. 57-133; Théophylacto (f 1107), t. cxxtv, col. 1280-1353; Eu thym lus Zlgabonus (t 1118), éd. Nie. Gdagenis, Athènes, 1887. 2· Lalfns. — Ambrosiattrr, /*. L., t. xvu. col. 112-102; Pélngo, parmi les œuvre* do S. Jérôme, t. xxx, col. 801-876, ct éd. Soûler, dans In collection Texts and Studies; Pritnasliis, qui réaumo parfaitement les écrits . Buzy, Epitres aux Thessalonicicns dans La Sainte Ulble (Picot), t. xii, 1930, p. 129-190. 2· Non catholiques. Lancina tin (1850-1878); W. Bornoni.iiin (1891); E. von Dobschul/ (7· éd. 1909) dans le Kri· tlsch-cxcgcllscher Nommentur iiber dos Λ. 73 dn Meyer, Gmt lingue; J. Milligan, S. ΡαιιΓι Epistles to the Thessa­ lonians, Cambridge, 1908; Buck! md, S. Paul's Epistles Io the Thessalonian^ Londres, 1908; J. Wohlenberg. Per reste mid :mfite I hrssalnnichtrbricl dans le Kotninrnlar :um V. T. de Hl /alm, GUtondoh, 1909; J. Motbit, «Ians The Expositor's Greek lestammlA iv, 1910; I‘indluy. «Ians Cambridge Greek Trdaimnt. 1911; J.-!% I nnno, .1 critical and rxegclical commentary Io the Epistles <>/ ·*»/ Paul to I r Thessalonians, ihuis The iiilcrnalianal critical commentary, DICT. DE TIlfOL. CATHOL. THIEL \ X Γ) R E (HO Edimbourg. 1912; O. 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Il, e-7y, dans Thrologischt Studitn und Kntikrn, t. xciil, 1920-1921 ; Von Hartl,’< 1 I// ΓΛ<ί·., //, 7}, dans Aeitschr. plr kalhol. Theol.,1. xi.n , 1921,p. 135475; Allô, L'apocalypse, Pari», 19X1, p. cxxi-cxxxvit; O. Cullmann. Ix caractère cschaioluçlque du devoir missionnaire ct de ta conscience aimstolique de saint Paul. Elude sur le χζτέχον (-<>»>) de 11 Thcss., U, é-7, dans la Keime d'histoire et de philosophie religieuses, dr Strasbourg· 1936, p. 210-213; dont Orchard, 1 he ss alan ion s and the synoptic Gospels, dans IHblica, 1933, p. 19-42, cf. notre note dans h » llech. de sc. rcl.. 1938, p. 173-179. D. Bviy et Λ. Βία 8OT. THIEL André, historien ccdésinsllquv, puis év( «pie allnn.mil (1826 1208}· - N6 à Lokau (ITtissi orientale), le 28 septembre 1826, ordonné prêtre en 1819, il devint, en 1853, professeur d'histoire « cclésias tique et de droit canonique au · lycée » «le Braunsbcrg. Chanoine titulaire en 1870, puis vicaire général du diocèse de Wurinle (ICrndand) en 1871. il vu devint évêque en 1885, cl y mourut le 17 Juillet 1908. Il est connu surtout comme éditeur des Epbloltr romunurum potdi/lcum genuitur, intelligences pures, y compris l’intellect agent, sont éternelles; mais, comme Dieu est ■ supcrétcrnel *, elles ne lui sont pas coélernellcs. Il en serait de même du inonde s’il avait été créé ub ivb rno, chose «pii d a’llcurs n’est pas Intrinsèquement impossible. Sur ce point, comme sur l’hylémorphlsme, Thierry rejoint saint Ί humas; et de même sur l’unité dc forme substantielle dans tout être composé. Par contre, il s’en écarte en niant la distinction réelle entre l’essence et l'existence dons les êtres créés; comme aus.M en attribuant le principe dc l’individuation non pas A la matière mais A la forme; si bien qu’il peut y avoir, même parmi le. esprits angéliques, pluralité d’m«b'vldiis sous une même espèce. 1)· intcll. et tntelligibili, p. 151· q. Au processus de la création par intermédiaires $c rattache toute la doctrine dc Thierry relative à h connaissance. Dans le descensus des êtres, en effet, l’intelligence supérieure en *c connaissant en engendre une autre : intclltgendo causant ca quæ sunt post, quia (alis eorum intelligentia non est passio et passiva, set nere actio et activa; ct ita est redundans in aliquid aliud extra se. De intcll. et intrllig,9 p. 129·. En sc con trmplant, rlîc connaît l'intelligence qu'elle engendre; ccllc-ei reçoit son être sous ccttc influence ct A son tour connaît le principe d’où elle dérive. Ccttc règle 613 THIERRY DE FREIBERG — THIERRY DE \ I E M Μi générale ·<* vérifie pour l'Ainc huma ne, dont le prin­ après l’évasion du pape (20-21 mars 1415), Thierry se cipe est l'intellect actif, pure Intelligence créée direc­ sépara bruyamment de < clui-cl. Sans avoir de place tement pur Dieu. Mais, à In différence des thèses aver· ollleiellc au concile, il ne laissa pas d’y jouer un rôle roîste·., cet intellect agent n’est pas unique pour le J considérable. S’il est bien, comme cela est tout Λ fait vraisemblable, l'auteur dc ΓInvectiva in difiugientcm e genre humain; il · c multiple comme les hommes. concilio Constantiensi Johannem xxtn (dans von der Il est en chacun d’eux cet abditum mentit, cette ahsIrusior profunditas nostra: memorize dont parle saint Hardi» Concilium Constantiense, t. u, part. 1 L p. 296330), il a beaucoup contribué aux mesures prises par Augustin. Et dans l’homme sc vérifie alors h principe général du processus des esprits. L’intellect agent rassemblée contre le pape contumace. Les écrits qu’il comprend l’intellect possible, produit par lui : se habet multiplie à celte époque témoignent qu'il s< rallie de ad ipsum tamquam ad principium activum rt proplus en plus à la théorie conciliaire, laquelle voit clans lluxivum sut, connu par lui mais le connaissant aussi. le concile le seul moyen dc rétablir l’unité dans l’Eglise Mais comme l’intellect agent, à son tour, ayant été | et d’aboutir â la reforme de celle-ci dans son chef ct produit d rcctemcnl par Dieu, le connaît et voit en dans scs membres. On retrouve Thierry comme cha­ lui toutes les rationes u:ternir, regulze zrtcrnze et incom­ noine de Macslricht en 1418; c'est là qu'il meurt le mutabilis veritas przes entes sunt abdito mentis, secun­ 22 mars 1418a dum Augustinum, quod est intellectus agens. De tribus La production littéraire dc Thierry de Nivm a été diflicil., p. 77*, Il sc fuit alors que, sc retournant sur considérable, encore que les critiques ne soient pas lui, à l'occasion des perceptions sensibles, l’intellect entièrement d’accord pour la de limiter; entre les deux possible découvre en lui ces raisons éternelles et ccs érudits qui l’ont spécialement étudiée, G. Erler e! idées de toutes choses : ratio rei splendet in intellectum IL Finkr, il reste encore de s divergences considérables possibilem ex suo principio intellectuali, quod est que les travaux plus récents ne sont pas jusqu’ici arris és intellectus agens immediatum. De intellectu et intcll., à réduire. Sous le bénéfice de cette remarque, voici les p. 203·. Par là. c'est toute une théorie qui s’amorce ouvrages qui lui ont été attribués, avec plus ou moins de notre connaissance dc Dieu dès ci-ba·. et de notre de certitude. - L Liber cancellable apostolicii. auquel connaissance des choses en celte lumière de la vérité il faut Joindre Stilus palatii abbreviatus, recueil dc for­ première l Dieu. Eckhart reprendra ct developmulaires de la chancêllerie apostolique, de taxes, etc.: pent ces thèmes dans m psychologie mystique. date des premiers temps du séjour à la (’.une. Public Thierry, lui, rattache encore à cela, comme son com­ par G. Erler, Der Liber cancellaris vont Jahre I S0 und plément logique et son épanouissement, le problème der Stilus palatii abbreviatus Dietrichs iron Nieheim, de la lumière dc gloire ct dc ht vision béatiflque. Cc Leipzig, 1888. — 2. Informatio fada cardinalibus in sera le retour parfait de l’âme à Dieu lorsque» le corps conclavi ante electionem papæ Johannis XXIII mo­ ayant cesse dc mettre obstacle à la claire vue de Pâme, derni, dc 1110, dans Erler. Dietrich ron Nieheim, Leip­ l'intellect agent, ceL élément divin en nous, pourra zig, 1877. Bedage, n. n, p. xxx-xli. — 3. De modis rcrnpl r toute sa fonction : ipse intellectus agens est uniendi ac reformandi Ecclesiam, a été attribué à Ger­ illud beatificum principium quo informati, id est son; mais a toutes chances d'être de Thierry, bien que quando luerit forma nobis, sumus beati per unionem d'autres noms aient été aussi proposés, celui 2-/2'>·'·).— Pour l’année académique 1252-1253. l’ordre dut nommer un bachelier A son studium generale du cousent de SaintJacques A Paris. Le maître général Jeun le Teutonique consulta sur cette question Albert, qui proposa fer­ mement Thomas d’Aquin en garantissant sa compé­ tence doctrinale et la probité de sa vie. Jean hésitait. 622 peut-être en raison de la Jeunesse du candidat ou du manque de quelque condition requise par les règle­ ments. Albert ne fléchit pas. Profitant de la présence en Allemagne du cardinal Hugues de Saint-Cher, légat pontifical, qui y rencontra maître Jean. Albert lui recommanda la candidature de Thomas et réussit A faire envoyer cclui-cl A Paris, Thomas se rendit A sa nouvelle résidence en passant probablement par Louvain. Depuis 1252 il enseigne au couvent de Saint-Jac­ ques comme bachelier dans l’école des étrangers, qui était parallèle A l’école des membres de la province de France. Au commencement de sa nouvelle tâche, le bachelier dut faire un principium, lecture solennelle sur l’Écriturc. Le bachelier expliquait, au cours d’une ou deux années, deux livres saints; après cet exercice Il se vouait pendant deux ans à la lecture des Sen­ tences de Pierre Lombard, sous la direction d’un maî­ tre, qui élalt alors (1248-1256), pour les étrangers, I Icllc Brunet de Bergerac en Provence. Ces débuts de l’enseignement de saint Thomas A l'université de Paris coïncident avec le commencement de la lutte des maîtres séculiers contre leurs collègues des ordres mendiants. Depuis longtemps la situation était tendue. L’instigateur des hostilités contre les réguliers, Guillaume de Saint-Amour, mettant à profil l'absence de Louis IX, avait beau Jeu de se dresser contre scs adversaires. Voir Saint-Amovh ( Guillaume de), t. xiv, col. 756. En février 1252 la faculté de théo­ logie réduit le nombre des professeurs réguliers et celui de leurs cours : Ils doivent sc contenter d’un seul maître et d’un seul cours. Au début les réguliers ne semblent pas avoir reconnu le statut rédigé sans eux. En 1253 les maîtres publièrent un autre décret obligeant A l’exécution des statuts universitaires sous peine d’exclusion. Les mineurs, sous Jean de Panne, cédèrent, mais pas les prêcheurs. Guillaume gagnait bien Innocent IV contre les réguliers, mais, le 22 fé­ vrier 1254, Alexandre IV restituait aux ordres leurs droits acquis. Guillaume ouvrit alors la lutte au point de vue doctrinal, en dénonçant Vintrod uctorius in Evangelium ndernum de Gérard de Borgo San Donnino, O. F. M. ct en dressant une liste des erreurs contenues dans cet ouvrage. Il prêcha aussi contre les réguliers. Le pape condamna V Introductorius ct les erreurs indi­ quées par les professeurs séculiers, mais favorisa les réguliers. Le 1er mars 1256, les dominicains sc met­ taient d’accord avec l’université : sans renoncer aux deux chaires, ils concédèrent que leurs candidats au collège des maîtres seraient acceptés par libre consen­ tement. Cet accord, stipulé sans le Saint-Siège, fut déclaré nul. Alexandre IV condamna l’écrit de Guil­ laume. De periculis novissimorum temporum, A Anagni, le 5 octobre 1256. Dans ce temps agité parurent les monographies de saint Bonaventure ct de saint Tho­ mas, Contra impugnantes Dei cultum, sur la raison d’être des ordres apostoliques cl mendiants qui se donnaient A l’étude, A l’enseignement ct A la prédi­ cation. Outre son cours d’exégèse, Thomas bachelier écrivit A cette époque son exposition des Sentences, probable­ ment le De ente el essentia et le De principiis naturn’. Il a dù participer aussi A quelques disputes. Dans renseignement il s’imposait par la force de sa dialec­ tique, la puissance de son esprit, la fidélité de sa mé­ moire ct son calme dans la manière de se présenter. Le chancelier Haymérlc qui concéda la licence A Thomas d’Aquin fut loué par lettre spéciale d’Alcximdre IV datée du 3 mars 1256. Le pape imposait même au chancelier de faire faire prochainement à son can­ didat le principium ou la leçon inaugurale de maltre. Une véritable obstruction sc produisit aussitôt contre l'ordre du pape. Mais devant le commandement formel 623 THOMAS D’AQUIN. \ I K du Saint-Siège, les maîtres en théologie de Paris du­ rent s’incliner. Ils ne voyaient pas d’un bon œil ce professeur si jeune et d’une telle compétence. Il était considéré comme un concurrent et un intrus. 7· MatIre en théologie. Enseignement à Paris de 1256 ά /2 îP. — Thomas ayant été admis malgré sa jeunesse, entre le mois de mars et de juin, par le chan­ celier Hayméric à la licence, donne sa leçon inaugurale en expliquant devant des membres de la faculté le texte : Rigans montes de superioribus suis (Ps., cm, 13). Bien qu'il fût maintenant docteur ou maître en théo­ logie, possédant une chaire académique avec le cours correspondant, l'incorporation au collège des doc­ teurs lui était encore refusée par l’hostilité de ceux qui ne voulaient pas le reconnaître. Saint Bonaventure sc trouvait dans une situation semblable depuis 1248. Alexandre IV, le 23 octobre 1256, imposa aux maîtres de Paris de recevoir parmi eux Thomas d’Aquin et Bonaventure. Ce qui sc fit le 15 août 1257. Dans l’entretemps Thomas avait commencé son enseignement ordinaire, publie et régulier au studium generale de Paris, à partir de septembre 1256. Comme texte scripturaire il commenta peut-être le livre d'Isaïe, mais sûrement l’évangile selon saint Matthieu distribué sur trois ans. Dans les disputes il traita aussi pendant trois ans les questions De veritate. Quand le maître tenait la dispute, toutes les classes de la fa­ culté vaquaient, les bacheliers et les étudiants de­ vaient être présents. Les autres professeurs pouvaient y assister. De fait on s’intéressait vivement ù ces dis­ putes; on y voyait venir des ecclésiastiques vivant à Paris ou de passage, tant était grand le renom du pro­ fesseur qui dirigeait cet exercice scolastique. Quant à l'obligation du maître de prêcher, un témoi­ gnage fournit la preuve, non seulement que saint Thomas satisfaisait à cette fonction, mais aussi que les hostilités envers les réguliers continuaient. Quand il donna, le 6 avril 1259, un sermon universitaire en latin, le bedeau de la nation de Picardie n'eut pas honte de distribuer parmi les clercs et les autres audi­ teurs un libelle diffamatoire contre l’évêque de Paris et les mendiants, bien que ce libelle eût été publique­ ment condamné par l'évêque. Le pape, le 21 juin 1259, décréta une punition exemplaire ù donner à ce bedeau et à son parti. En ces trois années, saint Thomas employa aussi son temps à écrire. En dehors de ses leçons et disputes, de ses sermons et des conseils qu'il donnait à ceux qui recouraient ïi lui, il acheva les commentaires du De Trinitate et du De hebdomadibus de Boèce, de la pre­ mière et la deuxième Décrétales du concile du Lntran de 1215, du De divinis nominibus du pseudo-Denys et commença, à la demande de saint Haymond de Penafort, à composer sa Summa contra Gentiles, Par son enseignement et ses vertus, Thomas gagnait beaucoup d'autorité dans les cercles universitaires et religieux. Son disciple, Nicolas de Marsillac, O. P., atteste particulièrement comment il pratiquait la pauvreté. Un autre de scs confrères, Haymond Severi, a laissé aussi une déposition sur les vertus du jeune professeur. Il a certainement eu des égards envers son bache­ lier qui, entre 1258-1260, était probablement Hannibald de Hannibaldis, et envers les collègues de son ordre: Florent de Hesdin (1255-1257), Hugues de Metz (1257-1258), Barthélemy de Tours (1258-1259); tout autant envers saint Bonaventure (1253-1257) et les professeurs du clergé séculier, quoique la lutte contre les réguliers ne fût pas encore terminée. 11 faut en outre signaler, parmi les religieux qu’il a certainement connus. Vincent de Beauvais, Pierre de Tarent» he, les provinciaux de France Thierry d’Auxerre et Guil­ laume de Séguin, le maître général Humbert de Ho­ 624 mans (1254-1263) qui avait d’abord été provincial de Paris (1211-1254). Dans la commission des études formée au chapitre général de Valenciennes, au commencement de juin de 1259, à côté du breton Bonhomme, du picard Florent, de l’allemand Albert, figuraient l'italien Thomn d'Aquin et le savoyard Pierre. Cette collaboration au règlement des études de l'ordre était une didlnction pour Thomas et un bienfait pour sa famille reli­ gieuse. 8° Séjour en Italie (1260-1206). — Laissant ta chaire de Paris ù Guillaume d’Antona, saint Thomas regagna sa patrie ex certis causis (Ptolomée). Selon l’hypothèse du P. Mandonnet, il aurait été d’abord à la cour pontificale d'Anagni (1259-1261), puis a Orvicto (1261-1263). Le chapitre de la province romaine, tenu ù Naples le 29 septembre 1260, nomma Thomas prédicateur général pour rendre possible sa participation aux chapitres provinciaux. Ceux-ci se célébrèrent en 1261 à Orvicto, en 1263 à Rome, en 1264 à Viterbe, en 1265 à Anagni, en 1266 à Todi.cn 1267 à Lucques, en 1268 à Viterbe. A dater de son retour en Italie, il reçut comme compagnon et seaétaire le P. Reginald de Pipemo. De nouveaux devoirs lui étalent imposés par ses rapports immédiats avec Urbain IV qui le chargeait delà composition de l'office du Saint-Sacrement et de la réfutation des erreurs grecques, avec Clément IV, devant lequel, à Viterbe, il donna un sermon, avec des cardinaux (Hugues, Hannibald, etc.), avec des prélats, des princes et des érudits. Ces relations lui donnaient d'autre part la possi­ bilité de promouvoir le progrès des sciences. A la cour pontificale sc trouvait, de 1261 à 1263, Albert le Grand et, à partir de 1261, Guillaume de Moerbeke qui excellait comme traducteur d’Aristote et d’autres auteurs grecs. On s’explique ainsi que saint Thomas ait étudié de si près la doctrine aristotélicienne dans scs Commentaires sur le De anima, le De sensu el sensato, le De memoria et reminiscentia, la Métaphy­ sique, les Physiques· Il composa en outre la Calena aurea sur les évangiles, et de nombreux opuscules, acheva la Somme contre les Gentils et commença la Summa theologies, En 1265 il refusa le siège archiépis­ copal de Naples. Le chapitre provincial de 1265 pré­ posa Thomas d'Aquin à l’enseignement à Rome, où II professa au couvent de Sainte-Sabine depuis le mois de septembre, expliquant peut-être Isaïe et Jérémie. Il composa alors les questions De potentia, De anima cl De spiritualibus creaturis et quelques quodlibcts, il prêcha une fois â Sainte-Marie-Majeure ou à SaintPierre, où il guérit une femme qui suivit son bienfai­ teur jusqu'il Sainte-Sabine. Visitant le cardinal Ri­ chard d'I lannibaldi ù la Molara près de Rocca dl Papa, il y convertit deux juifs. Il a sans doute apprécié les marques d’estime papale pour son frère Aymon (12641267). Le 14 juillet 1267, Clément IV charge Thomas d’Aquin de désigner deux frères pour servir Gualtlcr de Calabre. O. P., évêque de Dachibleh en Syrie. Dans le même mois Thomas avait représenté sa province au chapitre général de Bologne pendant lequel on transféra solennellement le corps de saint Dominique. A partir de l'automne 1267, il enseigna à Viterbe. Entre temps de graves questions soulevées à Paris réclamaient une intervention du maître général qui s’adressa d’abord à Albert, le grand défenseur des mendiants et lu grande autorité anti-avcrrolste, à Anagni en 1259 Mais Albert crut devoir s'excuser. D ail h urs, le cas ne s’était pas encore présenté qu’un ancien professeur de Paris y remontât en chaire. Au Heu <1 Albert, I homas fut désigné pour Paris. Il reprit la route de la 1< rance. accompagné probablement par •’>25 Reginald de Pipemo et Nicolas Brunaccl. (L’est A cette époque que l'on place un sermon de saint Thomas devant l’université de Bologne (2 décembre 1208), l’exemple qu’il donna de sa grande humilité, lorsqu’il accompagna dans la même ville un frère cOnvers qui le priait de marcher plus vite, et un sermon à Milan (décembre). Quand le saint docteur arriva au mois de janvier sur les bords de la Seine, l’année académique était plus que commencée. 9° Deuxième enseignement à Paris f/269-/27 '). — De son exil, Guillaume de Saint-Amour continuait à soutenir l’hostilité contre les professeurs réguliers à Paris; sur place agissaient Gérard d’Abbeville et Ni­ colas de Lisieux. Saint Thomas leur opposa les opus­ cules De perfeet tone aille spiritualis et De pesti I era doctrina retrahentium homines a religionis ingressu. De plus il tenait des controverses purement scientifiques. Un exemple de la lutte doctrinale contre la tendance dite · augustlnienne » est la célèbre dispute entre Jean Pcch am, chef de l’école des franciscains et Thomas sur l’unité de la forme substantielle dans l’homme, tenue vers Pâques 1270. Pccham usant de verba ampullosa et tumida laissa parfaitement calme son adversaire qui s’imposait par la supériorité de sa doc­ trine et son attitude tranquille et forte. Dans la grande discussion sur l’aristotélisme soule­ vée depuis longtemps à Paris par des philosophes et par des théologiens comme Albert le Grand, en 1270, s’opposèrent surtout Thomas, représentant le péri patétisme chrétien avec son De unitate intellectus contra averroistas et Siger de Brabant qui écrivit le De anima intellectiva. Par une lettre de Gilles de Lcsslnes, O. P., a Albert le Grand on sait qu’à Paris on ne lut­ tait pas seulement contre les erreurs des aristotéli­ ciens averroïstes, mais aussi contre des thèses pure­ ment aristotéliciennes. Albert composa l'opuscule De quindecim problematibus, rejetant 13 thèses averrolstcs et soutenant deux propositions purement aristotéli­ ciennes. L’évêque de Paris condamna le 10 décembre 1270 les 13 propositions. Voir l’art. Tempieh, ci-dessus col. 99 En 1277 seront frappées aussi quelques thèses de saint Thomas, mais elles furent réhabilitées en 1324. « La précision qu’apportèrent les aimées 1270-1277 à l’interprétation du réalisme aristotélicien eut pour résultat l’établissement définitif de la synthèse chré­ tienne du thomisme. » L’introduction et le maintien du système aristotélicien dans l’enseignement univer­ sitaire fut le grand apport et une partie essentielle de la mission historique d’Albert le Grand et de Thomas d'Aquin, appelés par Siger pnreipui viri in philoso­ phia. Par leurs efforts la faculté des arts se transforma en faculté de philosophie proprement dite D’irsay, Hist, des universités, Paris, 1933, t. i, p. 167-170. Les philosophes en demeurèrent reconnaissants. IM erre d’Auvergne, toujours dévoué à saint Thomas, acheva deux de ses commentaires philosophiques. Et Siger devint un admirateur de saint Thomas. La victoire du saint docteur sur l’avcrroTsmc latin fut célébrée dans les trion/i de l’art italien médiésal A côté des grands problèmes on signale deux cas de conscience examines par le Maître : un cas de pro­ priété littéraire de Jean de Cologne, jugé par Thomas d’accord avec Bonhomme, Barthélemy de Tours, Pierre de Tarentaisc, Bcaudouin de Mallix et Gilbert van Eyen, et, d’autre part, le cas d’imprudence admi­ nistrative de Barthélemy de Tours, vicaire dominicain participant à la croisade, cas examiné sur l’ordre de Jean de Vcrceil par Thomas d’Aquin. Robert Kilwardby et Latino Orsini. Le chapitre général de Milan (1270) déposa Barthélemy de sa charge. Pour le saint roi Louis IX, saint Thomas n’était pas un inconnu. Pendant qu'il écrivait la Summa théo­ logie,ï\ fut invité une fois à la table royale où, absorbé 626 par le problème du mal et oubliant dans quel milieu il était, il trouva un argument décisif contre les mani­ chéens. Son bachelier dut être alors Romain de Roma­ nis. Parmi ses étudiants figurait l'élite de la jeunesse d’Europe, surtout des membres de son ordre, des augustins, comme Gilles de Rome et Augustin Trionfo, et aussi des laïcs comme Pierre Dubois. I ne prome­ nade à Saint-Denis, faite en compagnie d’étudiants, nous permet de connaître la valeur qu’il donnait aux choses de ce monde en comparaison des sources de la science sacrée : à la ville de Paris, en effet, i) préférait les homélies de Jean Chrysostomc sur l'évangile selon saint Matthieu. Les ouvrages qu’il composa à cette époque témoi­ gnent de sa vie intellectuelle et de son application au travail : commentaires sur saint Jean < t les épitres pauliniennes, sur les Éthiques,Météorologie, le Peri-Hermeneias, les Analytiques, le livre De eausis de Proclus; les questions disputées De malo, De virtutibus. De can­ tate, De correctione Iraterna, De spe, De unione Verbi incarnati; des quodlibeta (l-vi, xn), des réponses au lecteur de Venise et à Jean de Vcrceil, la continuation de la Somme thêologique, l’opuscule De aeternitate mundi contre les détracteurs d’Aristote. En 1269 et 1272 des concessions de fondations dominicaines à San Germano et à Saler sont faites par des prélats par amitié pour Thomas d’Aquin, et lui-même ne tarde pas à être rappelé en Italie. Dans l'agitation qui sc manifestait dans des cercles universitaires contre l’évêque de Paris, le saint fait tranquillement scs actes scolastiques avant Pâques. Pour la Pentecôte il se trouve déjà à Florence au cha­ pitre général de son ordre. Les · artistes » de Paris le prient de leur envoyer d'Italie, non seulement scs livres laissés Inachevés à Pans, mais aussi des écrits d’autres auteurs qui, étant connus là-bas, n’étaient pas encore arrivés sur les bords de la Seine. 10° Enseignement à Naples (I27z-l. r.J. — Le cha­ pitre provincial de la Province romaine, célébré à Flo­ rence après le chapitre général, chargea Thomas d’Aquin de la direction des études de la province. Il choisit Naples comme centre Chemin faisant il visita la Molara où lui même et Reginald prirent la fièvre. Il fut vite guéri et pour lu guérison de son compagnon il eut recours à l’imposition d’une relique de sainte Agnès. Au mois d’août il assista son beau frère, Roger d’Aquila, comte de Traetto. à ses derniers moments. Exécuteur testamentaire de Roger, Thomas dut, pour expédier cette affaire, recourir au roi Charles Ier, qui le reçut en audience à Capoue. Pour sa nièce, Fran­ çoise. comtesse de Ccccano, il obtint qu’elle pût ren­ trer dans le royaume. A Naples il retrouva les Pères Jean de San Giuliano, Guillaume de Tocco, Ptolomée de Lucques et autres. L’école du couvent de Naples, en 1272-1273, n’était pas un studium générale de l’Ordre. Cependant Thomas touchait un salaire royal pour son cours. Des services personnels lui furent rendus succosi veinent par les frères Bon fils et Jacques de Salcmc. En outre le P. Reginald de Pipemo l'assistait. Ses cours furent fréquentés par des prélats comme l’ar­ chevêque de Capoue et l’évêque de Saleme, par des confrères et autres religieux, par des clercs et des laïcs. Il expliqua dans ses leçons les Psaumes, com­ menta les livres De ai lo et mundo, le De generatione et corruptione et les Politiques, continua la grande Somme, composa le Compendium theologite dédié à son cher P. Reginald. Au carême de 1273 il prêchait — en napolitain — sur le Credo, le Pater, la Salutation angé­ lique et les commandements. La matière de ces sermons est conservée dans des opuscules de même titre. Ses prédications furent très fréquentées cl goûtées parles Napolitains. A la doctrine, il joignait Ponction qui 627 THOMAS D’AQUIN. VIE lui venait de la méditation, de la lecture spirituelle (Collations des Pères), de In prière affective ct de la liturgie. L'antienne Ne projicias nos le touchait jus­ qu'aux larmes. A beaucoup de personnes de toute classe qui re­ couraient Λ scs lumières il donnait des conseils. En 1273 il offrit aux etudiants un dîner pour la fête de sainte Agnès. Il secourait aussi les pauvres de mainte manière. Le 6 décembre, lorsqu’il célébra la messe dans la chapelle de Saint-Nicolas, un grand change­ ment se fit en lui. De cc moment il cessa d'enseigner, d’écrire ct de dicter. Il était convaincu de la fin pro­ chaine de sa vie terrestre. Pour quelques jours de vacance* il fut envoyé chez sa sœur, la comtesse Théo­ dore de San Severino près de Salcmc. Béginald l’y accompagna. 11° Conoocation au concile de Lyon; maladie ct mnrt. — Suivant un ordre du pape Grégoire X, Thomas dut se préparer ù assister comme théologien au concile de Lyon. Il se mit en route au commencement de 1271, emportant son opuscule Contra errores Grœcorum. En février, il arriva au château de Macnza de sa nièce Françoise de Ceccano. Tombé malade, il fut visité par les cisterciens de l’abbaye voisine de Fossanova. Le docteur Jean de Guidonc le soignait. L’état s’aggra­ vant, Thomas se rendit à dos d’âne à l’abbaye cister­ cienne, expliqua aux moines le Cantique, reçut avec grande piété le Saint-Sacrement ct le lendemain l’ex­ trême-onction. Dans la matinée du 7 mars, il rendit son âme à Dieu. Pour les obsèques sc joignirent aux moines les domi­ nicains ct les franciscains des couvents voisins, l’évê­ que de Tcrracina, des nobles de la Campanie ct des membres de sa famille. Le corps fut enseveli près de l’autel majeur de l’église. Béginald de Plpcmo impro­ visa une oraison funèbre, louant la pureté de vie ct l’humilité de son maître. Le deuil de l’ordre était grand. On ne connaît pas d’autres lettres de condoléance que celle rédigée par la faculté de philosophie de Paris. 12® L'homme, son esprit. — Maître Thomas d’Aquin était de haute taille, de forte corpulence, de droite stature. Il avait le teint couleur de froment ou bru­ nâtre, la tête grande cl un peu chauve. Ses traits régu­ liers, scs yeux tranquilles et sa bouche ferme et bonne laissaient entrevoir une âme puissamment spirituelle, paisible ct pure. Voué à la vie de l’esprit, il n’usa des biens terrestres que pour le strict nécessaire, il refusa toutes les digni­ tés, il n’eut d’autre ambition que de s’appliquer de mieux en mieux aux devoirs de sa vocation, remplis­ sant scs obligations de chrétien, de religieux, de prêtre et de docteur d’une man ere lumineuse, patiente ct magnanime. Évitant des conversations inutiles, il cultivait le silence pour vivre retiré dans son esprit. Homme de grande prière sous toutes scs formes, on le décrit comme miro modo contemplations (Tocco). D’une piété profonde envers Dieu et le Rédempteur, d’un rare recueillement dans la célébration de la messe, dévot aux saints, respectueux et charitable envers le prochain, il passait â cause de sa candeur d’âme, de son humilité et de sa charité, pour Ir buon Ira Tornmaso (Dante). Beaucoup de traits humains cl surna­ turel* de lui furent conservés par Béginald de Pl­ pcmo, Guillaume de Tocco et d’autres témoins de sa vie. mais 11 n’a pas eu un biographe comme le fut Eadmer pour saint Anselme. Après Touron, de> auteurs récents comme de Groot, Gamgou-Lagr.mgc, Marltain. Petitot. Démon, Tnurisano ont décrit la vie spirituelle de saint Ί bornas. Mgr Grabnuinn relève comme les traits essentiels de la spiritualité personnelle du docteur d’Aquin la sagesse, la charité et 1a paix. U dit aussi quelles furent les relations personnelles de saint l humas. 628 Fortement attaché ù Dieu, fin dernière dr toute science et de toute culture, Thomas allait à la recher­ che de In vérité, laissant de côté toute attache nibjeetive, pour saisir plus facilement cl plus sûrement le vrai dans toute son objectivité. Ferme dans tes prin­ cipes. clair ct vigoureux dans ses conclusions, il sup­ portait placidement les attaques personnelles dont il était l’objet. 1! s'effaça toujours devant la vérité qu'il recherchait pour elle-même. Scs procédés doctrinaux unissent constamment l’observation cl la spéculation, l’analyse et la synthèse. En pénétrant de plus en pim les problèmes pendant sa carrière professorale, il s’efforça d’atteindre et de donner des vues toujours plus cohérentes, plus universelles ct lucides, exprimées dans une langue sobre et objective, uniquement faite pour la pensée, le latino discreto, comme l’a appelé Dante. Il n’excellait cependant pas seulement comme logi­ cien et métaphysicien, mais il regardait d’un œil 1 attentif el critique les éléments positifs de la doctrine. Il a laissé même quelques observations sur la concep­ tion génétique de l’histoire. En allant aux sources ct aux grands auteurs,surtout Λ Aristote et aux Pères, ils se les assimile, les Inter| prête dans les passages difficiles d’une manière conci­ liante. ou marque, dans de rares cas. par des mots brefs ct précis le degré de sa désapprobation. Sa mémoire prodigieuse le servait admirablement dans l’emploi de la documentation positive. Ouvert aux problèmes doctrinaux de son temps, il sc rendit compte exacte­ ment de l’état des positions et des autorités passées et contemporaines ct ne craignit pas d’innover là où la pénétration des principes et le besoin d’une meil­ leure méthode lui en montrèrent la nécessité. « La nouveauté par excellence, préparée par quelques-uns de ses aînés, avant tout par Albert le Grand, mais dont l’accomplissement lui était réservé, c’était l'intégra­ tion d’Aristote â la pensée catholique » (Marltain). Il dégagea de l’Aristote historique une forme plus purement aristotéliciennequ’Aristote lui-mêmen’avait pas connue. Dans cette grande tâche sa conviction allait de pair avec son courage ct son humilité per­ sonnelles. Le fruit de son application consciencieuse et objec­ tive à la recherche et à renseignement sc manifeste dans le corps doctrinal contenu dans ses écrits d’une étendue extraordinaire ct d’une clarté admirable. Sa Summa theoloijiie ou sc fusionnent la puissance de l’esprit, l’élévation de l’âme, l’ordre le plus parfait, la propriété de termes et la simplicité supérieure qui est le propre des grands génies classiques, l’expression scienti lique ct le sens pédagogique, a eu un succès inouï Jusqu'à nos jours. Par le moyen de sa doctrine sûre ct profonde. Tho­ mas d’Aquin n’a pas cessé d'illuminer par scs doctrines les générations venues après lui et de féconder la vie scientifique ct spirituelle de la postérité. Jean de Saint Thomas (t 1644) a bien dit de lui : Majus aliquid in Thoma quam Thomas suscipitur ct defenditur. 13° La canonisation. Gloire posthume. — Une vie tellement noble et spirituelle avait déjà excité l'admi­ ration et la vénération de beaucoup de contemporains. Après la mort vint l’idée du culte De pieux confrères (Béginald. Jean del Gludicc, Albert de Brescia), des historiens (Ptoloméc, Guidonis) conservaient la mé­ moire du défunt Scs restes passaient pour des reli­ ques. Les cisti relent 1rs examinèrent à diverses re­ prises, en 1274, 12X1, 12X8. Le chapitre provincial dominicain tenu â Gaetv en 1317 sc préoccupait de la canonisation. Avec les informations nécessaires ct des lettres postulatoirvw, Bobcrt de San Valentino et Guillaume de Tocco sc rendirent â Avignon où Ji an XN1I les reçut en auditnce. La faveur religieuse 029 THOMAS D'AQUIN. VIE <•1 politique du pape pour celte cause du royaume de Naples était assurée. lino première enquête sur la vie et sur les miracles sc lit par une commission cardina· Hcc. Le 18 septembre 1318 fut nommée une commis­ sion d’enquête ù Naples où, le 21 juillet 1319, sc cons­ tituait le tribunal qui, dans les jours suivants, exami­ nait quarante-deux témoins choisi* parmi des domi­ nicains et des cisterciens, des clercs et des laïcs. Le procès-verbal fut porté à Avignon sur un ordre du pape, transmis aux juges par Guillaume de Tocco; une enquête supplémentaire eut lieu d’ailleurs n Fossanova, au mois de novembre 1321. I Pour cc qui concernait la doctrine du maître d’Aquin, les Concordant iir dictorum fratris Thomir, par Benoit d’Assignano, ont pu servir. Après les discus­ sions ct examens des témoignages contenus dans les procès, Jean XXII tint un consistoire le 14 juillet 1323, dans lequel l’ordre dominicain, divers prélats et le roi Robert de Naples présentèrent les dernières suppliques en vue de la canonisation. Elle fut célébrée solennellement le 18 juillet 1323 en présence du roi ct de la reine de Naples, d’une foule d’ecclésiastiques ct de réguliers, de nobles parmi lesquels Thomas de San Severino, neveu de saint Thomas, ct des fidèles de toute condition. La fête du saint fut fixée au 7 nuth, des indulgences accordées à sa célébration; par ordre d’Urbain V. le corps fut transféré en 13G8 ù Toulouse, où il repose à Saint-Semin depuis 13G9. Le 14 mai 1324 l’évêque de Paris, Étienne de Bourrel, annula la condamnation des articles proscrits par son prédécesseur en 1277, en tant qu’ils touchaient ou paraissaient toucher la doc­ trine de saint Thomas. Les peintres faisaient des por­ traits du saint Docteur, ou le représentaient dans leurs trionfî en des couvents, comme à Plsc ( ITaini), ù Florence (Bonaiuto) et ailleurs. Saint Thomas, qui depuis 1317 fut salué comme Docteur commun, fut de plus en plus appelé, ù partir du xve siècle. Docteur angélique. Saint Pie V, le 11 avril 1567, le proclama docteur de l’Église. Léon XIIL le I août 1879, dans l’vncycliqiic Æterni Patris, fit le plus grand éloge de sa doctrine; le 1 août 1880, il le constitua patron des écoles catholiques. Des attesta­ tions significatives de son prestige incomparable dans l’Églisc se trouvent dans les canons 589 et 1366 du Code de droit canonique, dans Tencyclique Studiorum ducem de Pie XI du 29 juin 1923 et dans la Constitu­ tion apostolique sur les étude* ecclésiastiques Deux scientiarum Dominus du 24 mai 1931, art. 29. L Sources. — Le* principales sources pour la vie de saint Thomas sont le* suivante* : I· Décisions ct nomina­ tions des chapitres dr Tordre <1· s frères prêcheurs, éd. Rei­ chert, dans Monumenta O. /*. hfjL, Rome, 1898, t. ni, et delà province romaine, éd KRppcli, dans Monunu niaordi­ nis priedIcatorum, t. xx, 19IL - 2* Ordres pontificaux» statuts ct actes universitaire*, dans Dcnltlo-Chételatn, Chartularium Unio. Paris., l. i, Paris, 1889. — 3· Vitae Pratrûm, par Gérard de Lrachel, O. P., vers 1260, témoi­ gnage de grande valeur, éd. Reichert, dims Mon. O. P. hlst., t. i, 1896. p. 201; cf. p. 359. -— 4· Thomas de Gantlmpré, O. P., Honuin universale, entre 1261 ct 1263, assexconfus, éd. Douai, 1597,1.« Haye, 1902 &*l*to|omév de Lucqucs, O. P., dans son Historia ecclesiastica, écrite de 1312 à 1317, éd. Mumtorl, Script. rrr. (tut., t. xi. 1727, col. 1151-1173, cl éd. Tüurisano, dansé». Tomma\od'Aquino, Miscellanea slorlcu-arlistlca, Rom»·, 1921, p. 183-185. — 6· Guillaume clr Tocco. O. P . Vila (éd. Tontes, cf. ni/fd). ÎI est bien Informé, mal* il donne nux récits historiques un style de légende ct embrouille les information* nu lieu de les raconter simplement. — 7· Le procès d'information de 1319 à Naples en vue de lu canonisation avec les trinolgfuigcs Importants dr l'abbo Nicolas do Fossunovu (n. 8, éd. i onics), d·» Ρι»τπ de Montesangloviuini (n 49), de Guillaume de Tocco (n. 58), de Bartholomy do Capouo (n. 76 sq,). Le procès .upptèmentaire de 1321 h l'ossaoova (éd. Pontes), —8* Bernard Guidonis, O. P.,historien exact. 630 Vita, entre 1319-1321 (éd Pontes). — 9· Pierre Calo, O. P„ compilateur· Vita, dans son Isgendarium. etilrr 1313-1332 (éd. Pontes), — 10· Huile de canonisation par Jean XXfi du 18 juillet 1323 (éd. 1 -'unies). Après les matériaux publie* par les bollandhtes dan* 1rs Aria sanctarum marin, t. i, p. 653-716, Paris-Rome, 1865, le P. Dominique Prûmmer, inspire pur le P D. mfle, a entrepris unr edition critique de* source* biographiques du Docteur angélique, donnée d'abord dans l'appendice dr la Hevue thomiste et puis séparément dan* de* fascicules inti­ tulé* Pontes vitir S. Tho mor Aquinatis, Toulouse, 1912-1928. Il reproduit le* vie* pur Pierre Calo (/ unies, p. 17-55), Guillaume de Tocco (ibid., p. 65-160), Bernard Guidonis (Ibid., p. 163-239, 203). Par erreur, a Cnlo, publie pour la première fols, on a attribué trop de credit. Apres U mort du i’. Prûmmer, le P. M.-l lyuclnthe Laurent a fait *uivr» en 193-1 ct 1937 trois fascicule* des Z-’oiilr», contenant le procès de Naples (p. 265*407), de Kostanova (p. 409-510), des récits sur la cnnonKitlon cl la bulle de canonisation (p. 511-532) et de* documents au nombre d» 59 (p. 532-677). La valeur dr* sources n été examiner spécialrmexit par Ir P. Mandonnet au cours de ses nombreuses études sur saint Thomas (voir plu* loin), par François Pchtrr, Die dlimn IHofjraphien des ht. Thomas t). Aquin, dan* Zeit*chrifl f. kalh. 7’hroloqlr, t. xxiî, 1920, p. 242-274. XlG-397; le rnêni*, Krittschc Sludirn zum Lcben und zu den Schriflcn Alberts des Grossen, Fr»Ixmrg-en-B , 1920, p, 68-79; le même, Jxt giooinezza di S. Tommaso, La fanilglia di S. Tommaso, / parenti prossbnt di S. 7 otnmaso, studio critico suile fontt, d.ms Cioiltd Catlnllca, 1923, t i, p?385-4Ü0; t- fi, p. 401410; t. ni, p. 299-303; par E. Janssen*, fxs premiers his­ toriens de la uie de saint Thomas d9Aquin, dan» Jirouc n6>ioda^tlque de philosophie, t. XXVI, 1925. p. 201-211, 325352, 152-176; par P. Ca*tngno1l, Kcgexta thomhtica, dans Diuus Thomas (Plaisance), t. xxx, 1927, n. 4, 1928, n. 1. 1929, n. 1. I. 5 Bibliographie des source* dans Mandonnrt-Desirez, Jliblingruphie thomiste, Lebaulcbolr, 1921, n. 1-16; bulletin Ihoniislc, Belle vue-Pans, 1921-1939. IL ÉTUDES ClUTIQl LS SUR LA IUOGRAPUIE. — J. Ecliard. dans les Scriptores O. P., Paris, 1719, t. i, p. 271-354. 662; Glanfnmcesco Bernardo de Rubcls (Rossi), De gcstU rt scriptis ac doctrina s. Thames Aquinatis dissertationes crllicu· d apologetictr, Venise, 1750, reproduites dans l’édition léonine, Rome, 1882, t 1, p. xîv-rrsvnlichen liczithungen des hL Thomas v. Aquin, dan* Hist. Jahrbuch, t. i.\n, 1937, p. 303-323; D -T. Lcccisotti, It Dut ture Angelico a Afonlectusüio, dan* Hiv. <11 plus, neo-scol., t. xxxn, 1940, p. 519-547; A. Walz. De Aquinatis e vita discessu, dans .Venία thomistlca, I. m, p. 41-55. On consultera en outre : M. Gnibmann, .Mlttrlailrrlicho Gristcslrbcn, t. 11. Munich. 1936. p. 103-137; le même, Thouuis von Aquin, 6· éd., Munich, 1936, traduit en sept langues; P. Glorieux. Îlêpertoirr dti matins en théologie de Ihtrls au XIII* siècl<. 1.1. Pan*. 19X1, p. 85-104; Mandoimrt, Sigcr de lirabant et Tai'crrulsme latin au S1/1·siècle, 2*6d., 2 vol., Louvain. 1908-1911; F. van Sternberglicii, 1rs auvrex cl la doctrine de Siger de Hraluuit, Bruxelles, 1938; Grahmann, Mger von lirabant und Ihuile, dans Dvutsch»s Dantc-Jahrbuch, t. xxi, p. 109-130, trad. Hal dan* Hiv. di filas, neo-scol., t. xxxn. 1910, p 123-137; h même, Gt schlchteder kalh. Thrologte, Triliourg-vn-r... 1933 (trud. ItoL, 2· éd-, Milan, 1939; trad, csjuigji., Madrid, 1940), passim; Giiyrv, Cordov.ini, Gilson, .Manser, Masnovo, H. Meyer, Pegues, Roll· t, Sertillange*. Szalh», De Wulf, tTober*rgGcycr, dans leur* expose* de* doctrines d< Saint Thomas. Pour le culte et la gloire posthume : Mundonnrt, Lu canonisation de saint Thomas d'Aquin, dan* .Melanges thu- THOMAS D’AQUIN. LE DOCTEUR 631 m1stes, Le Snulcholr, 1023, p. 1—18; P.-A. Walz, Historia civionisationis S. Thntna* dr Aquino, dans Xenia thomistica. t. m.p. 105-172, 173-188 (bulle);-L-J. Bert hier, S. Thomas Aquin·is, < doctor communis · Ecclcsin', t. ι : Testimonia Ecclesia*, Rome, 1911; L. JJivitud, S. Thomas · Guide des études ·, Paris, 1925; Walz, Studi domenicani, Home, 1939, p. 130-117; Β.-Η. Molkenbocr, S. Thomas ü, Aquino in dtr Schilderkumt, dans S. Thomas v. Aquino, éd. par A. von Winckrict F. von Goetheni, Gand-Louvain, 1927, p. 143228, avec 131 clichés. Voir Bibliographie thomiste de Mnn«lonnct-Dfstrcz, n. 87-138 et le Bulletin thomiste, 1924-1937. III. Biographies. — On retiendra surtout celles de A. Γοιιγοπ, Paria, 1711; B.-W. Vaughan, 2· êd., Londres, 1890; J.-V. de (iront, 2· éd., Utrecht, 1907; J .-A. Endres, Mayence, 1910; II. Petitot, Paris, 1923 (trad, en italien cl espagnol); P.-A. Wnlz, Delineatio uita.· S. Thoma* de Aquino, Rome, 1927; E. do Bruync, Bruxelles, 1928; A. Pucccttl, Turin, 1928; A.-C. d’Arcy, Londres, 1930; B. Diacchd, Rome, 1934; 1. Tnurisano, Turin, 1941; A. Toso, Rome, 194X Voir les articles dans The Catholic Encyclopedia, t. χιν, 1912, p. 603-670 (Kennedy); Enclclopcdia Universal lias· Irada Enropcu-Amrricana, t. i.xit, 1928, p. 574-583 (EspastiCalp< j; Encicloprdia Ilaliana, t. xxxm, 1937, p. 1013-1020 (Pelslcr, Gralunann); Ltxikon fur Théologie u. Kirche, t. x, î *38, c u. 112-121 (Grabuuum). J. Maritain, Le Docteur angélique, Paris; C.-K. Chester* ton, Londres, 1933 (trad, en cinq langues); J.-II.-E.-.L Iloogveld, Nimègue, 1931, et autres introduisent surtout à la personne cl aux doctrines de saint Thomas. , P.-A. Walz IL Le docteur et le saint. Caractéristiques générales. — Jusqu'à saint Thomas, la pensée chré­ tienne s’était développée le plus souvent dans la lumière supérieure de la sagesse mystique. La recher­ che rationnelle, visiblement animée par l’amour, sem­ blait toute orientée vers la satisfaction des tendances les plus hautes de l'âme religieuse. Le Docteur angélique semble au contraire sc placer sur un plan strictement intellectuel et son effort ne parait viser qu'à constituer par des procédés ration­ nels une science de Dieu tel qu’il s’est manifesté à nous par la Révélation. Depuis le Moyen Age cette attitude lui a valu bien des critiques. Luther, qui mettait en doute son salut, l’accusait d’avoir livré en pâture à la curiosité humaine les vérités que Dieu nous a enseignées pour nous sauver. Au temps du moder­ nisme, tel auteur ne voyait en lui qu’un sage de type aristotélicien, oublieux du caractère essentiel à toute pensée chrétienne qui doit être avant tout un instru­ ment de salut et de sainteté. Sans se porter à des jugements si excessifs, beau­ coup sont gênés par cet intellectualisme rigoureux. Il ne sera pas inutile, pour dissiper cette Impression, d’ex­ poser la conception propre à saint Thomas de sa mis­ sion doctrinale, et de caractériser sa sainteté dans scs rapports avec son office de docteur. Ce sera donner du personnage la connaissance indispensable à la bonne Interprétation de son œuvre. 1® Mission doctrinale. — Saint Thomas, dans son estime pour l’enseignement sacré, n’hésite pas à l’as­ signer comme fin spéciale à la forme la plus haute de vie religieuse IP-Il·, q. clxxxviii, a. G. Car il est un acte impéré par la charité dans son exercice, ibid,, a. 1, qui par sa nature dérive de la plénitude de la contemplation. Ibtd., a. G. Sans doute l’acte d’ensei­ gner, ordonné fi la perfection du prochain, appartient à la vie active, Ib-11·, q. clxxxi, a. 3, mais, pour connaître la · érité divine qui est son objet, il faut étudier, méditer et prier, afin d'obtenir de la voir dans la lumière de la contemplation. Ibid., a. G. Sa dignité suréminente est d’ajouter à la contempla­ tion, sans la diminuer en rien, ibid., q. clxxxiï, a 3, ad 3 , la communication de ses fruits au prochain : Majus est contemplata altis tradere quam solum con­ templari Ibid , q. clxxxviii, n. 1. Pour sentir com­ 632 bien nous sommes loin Ici du sage aristotélicien, Il suflira de noter comment la charité, qui est à l'origine de cet effort studieux tout pénétré de prière, l'oriente vers le bien commun de ΓEglise. Contra impugnotoru, c. u; Quodl., vu, n. 18; IP-Il·, q. clxxxin,a.2. L'étude sacrée ne s’intéresse aux créatures que pour mieux connaître Dieu, ib-II·, q. clxxx, a. 4; q. CLXXXVin, a. 5, ad 3” ; Cont. Genl.,\. II, c. n.ou pour mieux réfuter les erreurs qui le concernent. Ibid., c. in. Or, c’est l’amour de Dieu qui applique l’intelli­ gence à son étude : Et propter hoc Gregorius constituit vitam contemplativam in cantate Dei, in quantum scili­ cet aliquis ex dilectione Dei inardescit ad ejus pulchri­ tudinem conspiciendam. 1Ι·-1Ι·, q. clxxxviii, a. 1. L'amour ne se contente pas de vues superficielles sur la personne aimée, mais, occupé sans cesse à examiner intérieurement tous les détails qui la concernent, il veut pénétrer Jusqu'au plus intime d’cllc-mênic. Aussi l'Esprit qui est amour scrute-t-il les profondeur* de Dieu. I'-I1», q. xxvin, a. 2. Cette constante médita­ tion de l'esprit, toujours tourné vers le trésor du caur, chasse toute pensée étrangère, ibid., a. 3, mais elle exige aussi une purification de toutes les puissances réalisée par les vertus morales. II·-II·, q. clxxxviii, a. 2. Une âme ainsi possédée par l'amour de Dieu et pacifiée intérieurement, pourra appliquer son intelli­ gence à l’étude intense des choses divines qui est l’objet propre de la studiositc *. Ibid., q. clxvi, a. 1, ad 2ora. Cette vertu a pour but de rectifier l’appétit naturel de connaître pour le faire tendre vers sa fin qui est la connaissance de Dieu. Ibid., q. clxvii, a. i et 2. La charité est donc pour saint Thomas le motif qui applique le docteur fi l'étude des choses divines. Mais il importe de le remarquer, le docteur remplit dans l’Église une mission sociale. Cont. imp., c. n; Quodl.. vu, a. 18; II·-II·, q. clxxxiii, a. 2. Son office est de subvenir aux nécessités spirituelles du prochain en lui communiquant les connaissances spéculatives et pratiques dont il a besoin pour atteindre sa fin surnaturelle, soit par l’enseignement, soit par la pré­ dication. Sermon lUgans montes, éd. Mandonnct, t. iv, p. 494; Quodl., m, a. 9. Le devoir lui incombe égale­ ment de réfuter les erreurs (Higans montes) et d’écar­ ter les doutes qui mettraient la foi en péril. Serm. m, éd. de Parme, t. xxm, p. 228. L’usage de sa science à cette fin est une œuvre de miséricorde iinpérée parla charité, In /V *m Sent., dist. XLIX.q. v, a. 3, qu. 3, ad et 2U1 , plus méritoire que le ministère particu­ lier des finies, et qui aura comme récompense nu ciel une auréole spéciale. La charité, au principe de l’cfiort intellectuel du docteur, le pousse donc aussi A com­ muniquer sa science aux autres dans le désir de leur profit spirituel et du bien de l’Églisc. Ibid , q. m, a. 9. L'intellectualisme de saint Thomas parait lui-même commandé par sa mission doctrinale. Lorsqu’un con­ templatif comme Anselme se livre à l'étude,c’est.selon son expression, sub persona conantis erigere mentem suam ad contemplandum Deum Prosi. Dans une telle perspective, la méditation même théologique prend une allure aiTcctivc. Qu’un fils de saint François tel que saint Bonaventure s’installe sur la montagne de Sainte-Geneviève pour enseigner, il doit .subor­ donner l’efTort intellectuel fi l'esprit de sa!» t François. Le but de son activité scientifique sera donc : ut... hauriantur consolationes quœ sunt in unione sponsi d sponsa qum quidem fit per caritatem... De red. artium ad théol., éd. dc Qu.irracchi, t. v, n. 2G, p. 328. Mais saint I hornas est docteur par vocation, Cont. Gent., 1. I, c. n, et il appartient fi un ordre qui dès le début, fut un ordre dc docteurs et de prédicateurs. Cf. P.Mandonnct-M.-lL \ Icaire, Saint Dominique, l'homme, l die. l'ouvre. Paris, 1937, t. i, p. 76. La fin dc son (Unie n est plus dc subvenir aux besoins même les 633 THOMAS D’AQUIN. LE SAINT 634 plus élevés dc Son Aine. Le labeur théologique est et cet éloignement des relations extérieures non indis­ devenu pour lui l'acte pur lequel il doit servir Lieu pensables qui ont tant frappé ses contemporains. Ibid., p. 69, 74, 78, 122. Saint Thomas indique ces paramour et subvenir aux nécessités des membres du Christ-Jésus. Or, l'enseignement doctrinal qu’il se vertus comme des moyens nécessaires A qui veut par­ fasse dans In chaire du maître ou dans celle du prê­ venir A la science dans une lettre dc conseils A un jeune cheur. n'a pas pour but dc faire confidence aux audi­ frère. Op.. xuv, éd. Mandonnet, p. 534. teurs des sentiments que suscite dans l'âme du doc­ Grâce A ces vertus, saint Thomas peut appliquer teur la vérité contemplée, mai', il doit tendre A en toutes scs forces A l’accomplissement dc sa mission. donner une représentation objective le plus parfaite Tous les témoins dc sa vie ont été frappés dc sa pro­ possible. L’intelligence par son activité propre est digieuse activité. Guillaume dc Tocco en livre l’ex­ plication lorsqu'il montre Thomas toujours occupé à ordonnée A réaliser cette représentation objective du réel, capable de subvenir A tous l*s besoins les plus méditer ce qu'il devait écrire ou dicter. Ibid., p. 89. variés dc l’Églisc. Il fallait donc que le docteur com­ Cette absorption dans l’étude le prive dc l’usage dc ses mun dc l’Églisc, qui plus que tous avait mission d’en­ sens jusqu'à la table dc saint Louis tbld,. p. 116, ou en présence d’un cardinal. Ibid., p. 117. Dans cet état, seigner, acceptât, dans l'ordre dc la spécification, la finalité propre dc la recherche intellectuelle qui est la il peut dicter à quatre secrétaires A la fois. Ibid., p. 89. connaissance scientifique de Dieu. Avant Newton. Thomas d’Aquin applique A la per­ Toutefois il n’a garde d'oublier le rôle que doit y fection le grand moyen pour découvrir et pénétrer la vérité : il y pense toujours. jouer la prière, Rigans montes, p. 496, et il sait que le Mais ce moyen ne suffit pas. La vérité qu'étudie le Saint-Esprit aide scs docteurs par des grâces spéciales théologien est divine et elle excède les capacités de qu’il décrit. ΙΙ·-11·, q. clxxvii, a. L Mais sa vie nous tout esprit, fdt-il génial comme celui du Docteur le dira encore mieux que sa doctrine. angélique. Rigans montes, p. 496. Dans tous les actes 2° Le saint, — La note distinctive de la sainteté dc saint Thomas semble avoir été un effort constant pour scolaires Importants, G. dc Tocco, p. 79, 85, 95, soustraire son Ame A tout ce qui aurait pu nuire A la chaque fols qu'il sc met au travail, ibid., p. 105. ou qu'il rencontre une difficulté, ibid., p. 88, prolusus profondeur dc sa contemplation studieuse et une application continuelle dc toutes ses forces A l'amou­ orabat lacrymis pro divinis inveniendis secretis. Ibid.. reuse recherche dc la divine vérité et A sa communica­ p. 105. C'est à cette prière plus qu'à son étude qu’il tion aux autres par l’enseignement sous toutes ses attribue sa science. Bem. GuidonL, p. 183. Il a soin formes et par la prédication. Nous citons d’après les d’entretenir en lui la flamme de la dévotion par une Fontes vitiv Sancti Thomæ. édition D. l’rûmmer et lecture quotidienne dc Cassi en : Ego in hac lectione H. Laurent, cf. ci-dessus, col. 630. devotionem cotligo. ex qua facilius in speculationem Saint Thomas s'applique par les vertus morales A consurgo... G. dc Tocco, p. 95. Thomas ne séparait donc pas sa mission doctrinale dc sa vie dc piété et faciliter l'ascension dc son esprit vers Dieu. S'il ne pratique pas les macérations violentes en usage parmi cette dernière lui semblait indispensable pour s’ac­ ses frères, il a recours souvent A l’abstinence et au quitter dc sa charge. Ce que fut sa dévotion, ses deux messes quotidiennes, ibid., p. 103, scs larmes A l’autel, jeûne, Proc, can. Neap,, p, 326, 31G, et il donne A ce dernier une valeur impétratolre pour obtenir la lu­ et au chœur durant le chant du répons. Media vita, p. 101, scs longues nuits devant le Saint-Sacrement, mière dans ses difficultés. G. dc Tocco, p. 105. Par ce moyen, II·-!!*, q. cxlvii, a. 1, et par une chasteté par­ l’office composé en son honneur, ainsi que les prières qu’il nous a laissées, le disent éloquemment. faite excluant tout mouvement charnel (G. dc Tocco, A cette dévotion, le ciel répondit par une série dc p. 100-101), sa sensibilité toute spiritualisée, Ib-Il·, q. ci.xxx, a. 3, ad 3ir , n’entravait pas son applica­ faveurs extraordinaires, d’un caractère nettement intellectuel et en rapport le plus souvent avec les tion aux choses divines. Son humilité le libère dc toute vue intéressée capa­ besoins de son office. Chez lui. on ne trouve aucun phé­ ble dc troubler son regard dans la recherche dc la nomène de caractère purement affeci if. comme trans­ vérité, et elle le tient éloignée des charges et des hon­ verbération. échange dc cœurs, stigmatisation, mais neurs qui l’auraient ravi A l’étude. G. dc Tocco, par contre abondent les visions ordonnées A la mani­ festation de la vérité. Il reçoit du ciel le thème dc sa c. xxtv-xxvi. Le saint docteur avoue ne s’être jamais arrêté A un mouvement dc vainc gloire provoquée par leçon magistrale, ibid., p. 85. et par le ciel il est ins­ truit dc difficultés qui l'arrêtent dans les commentaires scs succès doctrinaux. Ibid., p. 97. Résistant A Jean de saint Paul et d’isafe Ibid., p. 88. Pccham qui attaque sa doctrine, il le fait avec une Il interroge son successeur A Paris, frère Romain, douceur confessée par son adversaire lui-même. Ibid.. qui lui apparaît, sur la persistance au ciel des sciences p. 99. Une âme ainsi détachée d'elle-même était prête dans sa recherche du vrai A sc soumettre toujours A la acquises. « Je vols Dieu, lui répond ce dernier, ne me pose pas pareille question. · Thomas dc répliquer : réalité objective et, A travers elle, A Dieu cause dc toute vérité. Il·-II·, q. ci.xii, a. 3, ad lur’. Elle ne sc • Mais le vois-tu par l'intermédiaire d’une espèce ou laisserait pas non plus distraire dc sa mission par l’at­ sans espèce. » Ibid., p. 119. La sainte Vierge vient le trait des honneurs. Toute sa vie, saint Thomas refusa rassurer sur son âme cl sa science. Ibid., p. 107. Deux obstinément les charges ecclésiastiques les plus honori­ fois, on le voit élevé dc terre et on entend Notre-Seigneur qu’il consulte sur sa doctrine (accidents eucha­ fiques, Torco, p. 115-116, et pria Dieu de mourir dans sa condition dc simple frère. Ibid., p. 137. A Paris, ristiques, Bem. Gui don ls, p. 190; Passion III·; cl. G. loin dc profiter de l’estime de saint Louis pour sc dc Tocco, p. 108) l’approuver : Rene scripsisti de me Thoma. Peut-être était-ce une coutume chez lui d’in­ mêler aux affaires séculières, Il s’en lient le plus éloigné terroger ainsi le Maître divin sur son enseignement; la possible. Ibid., p, 108-109« Le motif dominant dans cet éloignement semble être Somme parait dès lors le fruit dc son oraison et de sa contemplation autant que dc son étude et de sa spé­ le désir dc sc garder A sa studieuse contemplation. S’il ne veut pas < posséder la ville de Paris », c’est culation. L. Petitot, La vie intégrale de saint Thomas parce que les soucis de son gouvernement l’arrache­ • i'Aquin. Paris, 1923. 11· éd., p. 121. Dans l'accomplissement de sa charge, Thomas sc raient A sa mission et il lui préfère les homélies de dépense pour tous. Aux commençants est dédiée sa Jean Chrysostomc sur saint Matthieu. Ibid., p. 115. Ce souci de se concentrer dans sa méditation in pire Somme, proL; il sollicite un miracle pour ne pas man­ cet amour du silence et de lu solitude, cette tacituniilé quer un cours, G. de Tocco, p. 121; il répond A toutes H35 THOMAS D’AQUIN. les questioni qu’on lui pose par plusieurs opuscules, cl il n'omet pas le ministère de la prédication dans le­ quel lisait émouvoir et édifier le peuple. G. de Tocco, p. 122; Bern- Guidons, p. 195. Ce souci d’être utile aux Ames lui inspire un zèle profond dont sa vie compte beaucoup d’exemples. Ibid., p. 96, 109, 110. Par dessus tout, c’est son amour de Dieu qui fut l’âme de tout son elTort intellectuel, ainsi qu’il le confesse au moment de recevoir le viatique :Sumo te... pro cujus amore studui, vigilavi et laboravi, te pr.rdicavi et docui... Ibid.,p. 132. Depuis quatre mois cependant, le saint docteur avait abandonné toute activité doc­ trinale, A la suite d’une extase plus prolongée que les autres : Venit finis scripturit me/r. conliait-il à frère Réglnald, quia talia sunt mihi revelata quod ea guæ scripsi et docui, modica mihi videntur, et ex hoc spero in Deo quod sicut doctrine meie sic cito finis erit vihc meæ. Ibid., p. 120. Le grand docteur qui s'est tou­ jours ellacé derrière la vérité objective, sans rien con­ fier de scs expériences surnaturel les, ne s’est pas ex­ pliqué davantage sur lu nature de ces lumières. S’agitIl de cette vision intellectuelle de la Trinité ct de l’ex­ périence intime des attributs divins qui couronnent la vie des saints ici-bas? Alors leur langue ct leur plume comme celles de saint Thomas sc refusent ù dire ce qu’ils savent, non discens, sed patiens divina. En tout cas le plus intellectualiste des docteurs, qui laissa la Somme inachevée, commenta sur son lit de mort le Cantique des Cantiques. Cette brève exposition de sa conception du docteur ct de la façon dont il l'a réalisée, suffira, croyons-nous, A écarter toutes les critiques suscitées par l'allure Intellectuelle de sa doc­ trine. Elle ne sera pas nnn plus inutile pour comprendre son enseignement. Car 11 ne saurait être séparé de la personnalité de saint Thomas. P.-M.-R. Gaonebet. III. Écrits de saint Thomas. — Saint Thomas a laissé beaucoup d’écrits sur les matières les plus diver­ ses dans les dom.dm s de la philosophie el de la théo­ logie. Ces écrits sont en partie le fruit de ses leçons aca­ démiques (ainsi les Commentaires bibliques et le Com­ mentaire sur les Sentences), ou des disputes scolasti­ ques (ainsi les Questions disputées), et en partie le pro­ duit d’une composition libre, soit systématique (comme les Sommes), soit en réponse A des demandes ou néces­ sités d’explication (comme la plupart des Opuscules). Quelques-unes de scs œuvres ont été écrites de sa propre main ou ont été dictées par lui, d’autres au contraire furent « reportées » soit par des confrères soit par des étrangers. On possède encore des écrits de saint Thomas qui nous sont parvenus dans l’ori­ ginal en autographe, cf M. Grabmann, Die Autographe des hl. Thomas u. Aquin, dans Hist. Jahrbuch, t. XL, 1940, p. 511-537. D’autres nous ont été transmis dans des copie». Certaines œuvres authentiques ont disparu comme divers commentaires bibliques; les expositions du Cantique dans les Opera omnia ne sont pas de saint Thomas. Cf. Mandonnct, Écrits, p. 144 sq. Λ cause de l'interruption d’enseignement, soit à Paris, soit en Italie, ct pour d'autres raisons, le pro­ blème des écrits de saint Thomas a donné lieu à des graves discussions, surtout «plant à l’authenticité ou non-authcnticitc de l'un ou de l'autre ouvrage con­ servé sous son nom. DéJA les éditeurs de la Plana (1570) avalent marqué le caractère authentique ou au contraire douteux de certains écrits attribués au saint docteur. Dan» cette étude de la transmission «les œuvres «le saint Thomas et de rétablissement de leur authenticité «'est surtout distingué le P. Jacques Échard, dans les Scriptores Ord. Pried., Paris. 1719, t î, p. 283 sq., suivi, avec moins de précision par Ber­ ÉCRITS 636 nard de Rubeis, Thomas Soldat!, P. A. Uccelll et d’autre». De nos Jours, cc sont surtout le P. Pierre Mandonnct (t 1936) cl Mgr Martin Grabmann, deux savants qual i fiés, qui, en de nombreuses publica­ tions, ont contribué A la solution des problèmes d’au­ thenticité de la production littéraire du malin· d'Aquin. P. Mandonnct, dans son étude Des écrits authenti­ ques de saint Thomas d'Aquin, 2· éd., Fribourg, 1910, apporte A la discussion le critère nouveau du cata­ logue officiel, critère ou hypothèse dont M. Grabmann. Die Werke des heiligen 'Thomas von Aquin, 2· éd., Munster-cn-W , 1931, p. 53-75 montre toute In Iragillté Outre les érudits que nous venons de citer, la contro­ verse ct les recherches sur l'authenticité et la chrono­ logie des écrits de saint Thomas, ont mis en avant les savants éditeurs léonins et d’autres spécialistes, comme Dvnifle, Gilson, De Bruyne. Désirez, Synave, Chenu, Lotlin, Glorieux, Pelzer, Polster, Suermondt, Beltran de Heredia. KAppcll, Castagnoli, généralement dans les revues suivantes : Revue tho miste. Revue des sciences philosophiques et théologiques, Bulletin thomiste,Diuus Thomas (Fribourget Plaisance), Gregorianum, Scholastik, Angelicum, Cienda tomista, Ephemerides lheologicæ Lovanienses, Recherches de théologie ancienne ct médiévale. Signalons encore le» éludes du 1*. A. Baèic, Introductio compendiosa in opera S. Thomas Aquinatis, Rome, 1925, du P. J. de Gulbcrt. Les doublets de S. Thomas, Paris, 1926, et de J. Dcstrez, Éludes critiques sur les oeuvres de saint Thomas d'Aquin d'après la tradition manuscrite, t i, Paris, 1933. P. Mandonnct, Bibliographie thomiste, p. xii-xvu, distribue les écrits de la manière suivante : I. Philoso­ phie: 1° Commentaires sur Aristote (n. 1-13); 2° Œu­ vres diverses (n. 14-25). — II. Écriture sainte: 1« An­ cien Testament (n. 26-31); 2° Nouveau Testament (n. 32-42). — III. Théologie : 1° Théologie générale (n. 43-46); 2° Dogmatique (n. 47-49); 3e Morale (n.5062). — IV. Apologétique (n. 63-68). — V. Droit cano­ nique (n. 69-70). — VI. Parénétlquc (n. 71-74 bis). VII. Liturgie (n. 75). M. Grabmann, dans Die Werke..., classe les œuvres de saint Thomas selon les genres littéraires. La liste suivante s’inspire des travaux de Mandonnct, Grab­ mann, etc. Sur les éditions et traductions des textes des œuvres thomistes, voir Bulletin thomiste, 1924 sq.; surtout 1933, p. «0-81, 113-128; 1937, p. 61-79 el M. Grabmann, Thomas v. Aquin, 1935, p. 227-231. 1° Commentaires sur T Écriture sainte. — L In Job expositio (1261-1264), Mandonnct, 1269-1272. 2. In psalmos Davidis lectura, jusqu'au ps. Li inclu­ sivement (1272-1273). Importation par Reginald de Pipemo. In Cantica canticorum expositio, perdu; le texte Sonet vox tua est de Gilles «le Rome, l’autre Salomon inspiratus d’un auteur préthomiste. 3.In Isaiam prophetam expositio (1267-1269), Pclstcr, 1252-1253. 4. In Jeremiam prophetam expositio (1267-1269), Pclstcr, 1252-1253. 5. In Threnos Jtremiœ prophetae expositio (1267· 1268), Pclstcr. 1252-1253. ’ ■3g G. In euangelium Matthæi lectura, réportatlon par Pierre d’Andria ct Llgler de Besançon (1256-1259). 7. In euangelium Joannis expositio, c. i-v; lectura, du c. vi A la lin, réportatlon par Réginald de Pipemo (1269-1272). 8. Catena aurea (Glossa) continua super quattuor euangelia Super Matthœum, dédiée A Urbain IV (126112hl), Sup*r Marcum, dédiée au card. Hannibahi. (1265), Super Lucam (1266). Super Joannem (1267). 637 THOMAS D’AQUIN. ÉCRITS 9. /n S. Pauli epistulas expositio - Ad Romanos; I nd Corinthios. c. ι-x (1272-1273) [le texte de I Cor., vu, 1 4-x, perdu dans 1’ori ginni, est remplacé dans les éditions par le passage du commentaire de Pierre de TarcntaKv) ; lectura de Z Cor., xi â Hebr,, fin, répor­ tatlon par Béginald de Pipcmo (1259-1265). 2e Commentaires sur Aristote et le Liber de causis. — 1. In libros Péri Henneneias expositio, jusqu’au 1. II, lcd. 2 inclusivement (1269-1272), au prévôt de Louvain. Le reste suppléé par Cajélan. 2. In libros Posteriorum Analyticorum expositio (1269-1272). 3. In VIH libros Physicorum expositio (après 1268). 4. In libros De ado et mundo expositio, jusqu'au I. HI, lect. 8 (1272). Le reste par Pierre d’Auvergne. 5. In libros De generatione et corruptione expositio, jusqu’au I. L lect. 17 inclusivement (1272). Le reste par Thomas de Sutton. 6. In IV hbros Meteorologicorum. jusqu’au L II, lect. 10 Inclusivement (1269-1271). Le reste des livres II cl III par Pierre d’Auvergne, le IV* livre par un autre, peut-être par Jean Quidort. 7. In hbros De anima lectura in h b. I, réportatlon par Béginald de Pipcmo; expositio in lib. II et III (1266). 8. In libros De sensu et sensato expositio (1266-1272). 9. In librum De memoria et reminiscentia expositio (1268-1272). 10. In XII libros Metaphysicorum expositio (12681272). 11. In X hbros Ethicorum expositio (1269). 12. In IV libros Politicorum expositio, jusqu’au 1. Ill, lect. 6 inclusivement (vers 1269). Le reste par Pierre d’Auvergne. 13. In librum De causis expositio (1269-1273). 3° (Euvres systématiques. — 1. Scriptum (Commen­ tum) in IV hbros Sententiarum magistri Petri Lom­ bardi (1251-1256). Pclstcr, 1253-1255. 2. Summa contra Gentiles lib. J (1259), lib. II-IV (12G1-126I). 3. Summa theologice, jusqu'à IIP, q. xc inclusive­ ment, la b pars. 1266-1268, la P-Il*, 1269-1270, la IP-II*, 1271-1272, la lib. 1272-1273. Le reste, • Supplément », est pris des Sentences. 4. Quast tones disputahc : a) En strie n. De veritate (1256-1259). b. De potentia (12G5-1267), .Mandonnct, 1259-1263. c. De spiritualibus creaturis (1266-1268), Mandonnct, 1269. d. De anima (après 12G6), Mandonnct, 1269-1270. e. De malo (après 1269); Mandonnet 1263-1268. L De virtutibus in communi, de virtutibus cardinali­ bus (1269-127 2). fi. Decantate (1269-1272). h. De correctione /nitcrna (1269-1272). 1. De spe (1269-1272). j. De unione Verbi incarnati (1269-1272). b) Isolées De sensibus sacra Scriptura (1266); De opere manuali religiosorum (1256); De natura bcatitiidinis (1266), éd Mandonnct, dans Rev. thorn., t. χχιιι, 1918, p. 366-371; ci. Grabnmnn, Die Werke. p. 344; De pueris tn religionem admittendis (1271). 5. QuasHonrs quodhbchiles (de quolibet) ; 1-6 (12691272), 7-11 (1205-1267), 12 (1265-1267, probablement réportatlon). 6. Opuscules Les numéros entre parenthèses indi­ quent l’ordre dans la Piana. Sur la numérotation des opuscules, cf. I L-I). Simonin, dans Rev. thorn., t. x.xxv, 1930, Supplément; les ouvrages dont l’authenticité est discutée sont marqués d’un astérisque. 1. (1) Contra errores Cnecorum ad Urbanum IV pontificem maximum (1261-1264). 2. (2) Compendium theologia ad fratrem Reginaldum 63S socium suum carissimum; autres titres : De fide et spe. ou De fuie, spe et cantate, inachevé (1272-1273). 3. (3) De rationibus fidei contra Saracenos. Graeos et Armenos ad cantorem Antiochenum (1261-1264). 4. (4) (Collationes) De duobus praceptis cantatis el decem legis pra.eeplis (carême 1273), réportatlon par Pierre d’Andria. 5. (5) De articulis fidei el sacramentis Ecclesia ad | archiepiscopum Panormitanum (Léonard de Comiti­ bus) (1261*1268), 6. (6) Expositio super symbolum apostolorum, dite aussi : Collationes de Credo in Deum, carême 1273, , réportatlon par Pierre d’Andria. 7. (7) Expositio orationis dominica, dite aussi: Col­ lationes de Pater noster, carême 1273, réportatlon par Pierre d’Andria. 8. (8) Expositio super salutationem angelicam, dite aussi : Collationes de Ave .Maria, carême 1273, répud­ iation par Pierre d’Andria. 9. (9) Responsio ad /ratrem Joannem Vercellensem, generalem magistrum ordinis pradicutorum. de articu­ lis CVI1I sumptis ex opere Petri de Tarantasia; autre titre : Declaratio dubiorum, etc. (1265-1266). 10. (10) Responsio ad fratrem Joannem Vercellen­ sem. generalem magistrum ordinis prædicatorum. de articulis XL11, dite aussi : Declaratio XLII quxstionum (1271). IL (II) Responsio ad lectorem Venetum de articulis XXXVI, dite aussi : Declaratio XXXVI quaestionum, à Bassiano dc Lodi (1269 1271). 12. (12) Responsio ad lectorem Bisuntium de articulis VI. dite aussi : Declaratio VI qiurstionum. à Gérard dc Besançon (1271 ) 13. (15) De substantiis separatis seu de angelorum natura ad /ratrem Reginaldum socium suum carissi­ mum. inachevé (1272-1273). 14. (16) De unitate intellectus contra Averroistas ! (1270). 15. (17) Contra pesti/eram doctrinam retrahentium homines a religionis ingressu (1270). 16. (18) De perfectione vitæ spiritualis (1269). 17. (19) Contra impugnantes Dei cultum et religionem (1256). 18. (20) De regimine principum ad regem Cypri, jus­ qu’au I. II, c. iv, inclusivement. Λ Hugues II ou III, (1265-I2G6). Le reste par iTolomée dc Lucqucs. 19. (21) De regimine Judxorum ad ducissam Rrabantue (Alevdc), dit aussi : Ad comitissam Elandrtæ (1261-1272)4 20. (22) De forma absolutionis ad generalem magis­ trum Ordinis (1269-1272). 21. (.3) Expositio /· decretalis ad archidiaconum Tudcrtinum (1239-12G8). 22. (24) Expositio super ID* decretalem ad eundem i (1239 I2GS). 23. (25) De sortibus ad dominum Jacobum de Burgo (1269-1272). 24. (26) De judiciis astrorum ad /ratrem Reginaldum socium suum carissimum (1269-1272). 25. (27) De adernitate mundi contra murmurantes (1270). 26·. (29) De principio individualionis. 27. (30) De ente el essentia (1254-1256). 28. (31) Dr principio naturae ad /ratrem Silvestrum (1255). 29·. (32) De natura materiae et dimensionibus inter­ minatis (1252-1256). 30. (33) De mixtione elementorum ad magistrum Philippum (1273). 31. (31) De occultis operibus nat une ad quendam mili­ tem (121.9-1272). 32. (35) De motu cordis ad magistrum Philippum j (1273). THOMAS D’AQl IN. ÉCRITS 639 Essai chronologique des écrits de saint Commentaires bibliques phllosophitpics et théologiques d'aquin Questions disputées quodlibé tiques Sommes 1253/55 In IV libres Sententiarum Petri Lombardi 1256/59 1256/59 1257/58 In Boethium De veritate In De hebdomadibus Matt hauim In Boe tlilum Do Tri­ In Isaiain nitate 1259 Summa contra Gentiles liber 1 1261/61 Sum mn contra Gentiles I. II-IV 1261/61 1261 In Dionysium De divinis nomini­ In Job; Ca­ tena atirca bus super Mattbieum 1265 Cat. super Marcum 1266 1266/72 In III libros Cat. super De anima Lucam In librum De sensu 1267 et sensato Cat. super In librum De memo­ ria et reminiscentia Joanncm 1267/68 1268/72 In XII li­ In Tlirenos bros Mctaphysico1267/69 nim In Je re­ 1268 In VIII libros ndant Physicorum 1269 1η X libros Ethi­ 1269/72 In Joancorum nein In libros Meteorologlcomm 1269/73 In S. Pauli 1269/72 In libros Penllcrmcneias epistulas In I et II libros Pos­ teriorum Analyticorum In libros Politicorum In librum Do causis Thomas 640 1265/67 I2G5/07 De potentia Quod1266(7) libcta De anima Vll-XI 1266/68 De spiritua­ libus crea­ turis 1269/72 De malo De virtuti­ bus in com­ muni Do virtuti­ bus cardina­ libus De caritate Do correc­ tione ira ter­ na Do spe De unione 1272/73 1272 In libros De Verbi incar­ nati In psalmus cn*l<> et mundo In libros De generaDavidis tioncct corruptione 1269/72 Quodlibeta I-VI, XU 1266 Summa theologia*, 1269/70 Summa theologia· 1271/72 Summa theologia* II·-! I· 1272/73 Summa theologia·, IIP Pars « Princlplu , Opuscules, Sermoni 1250/56 Do onte ot essentia 1252 Principium (Dic est liber iiuuhU· torum) 1255 De principiis nat une 1251/56 De natura materi® et dimensioni­ bus interminatis 1256 Principium (Bigans montes) Contra impugnantes Dei cultum ct religionem 1259/68 Expositio in I decretalem Expositio in II decretalem 1269/68 De articulis fidei et Ecclesia· sacra· mentis 1261/72 De regimine Jndieonnn 1261/61 Contra errores Grsecorum 1262 De emptione et venditione 1261 De rationibus tide! contra Saracenos, Gnecos et Armenos 1266 De regimine principtim 1261 (Illicium Cor|M>ris Christi. Pi® precn. 1261/73 De forma absolutionis 1265/66 Bosponsio d<· articulis cvm ex Petro de Tar.mtnsia. 1268 De substantiis separatis 1269 Be>ponsio de articulis XXXVI De perfect Ione vita· spiritualis 1269/72 De occultis operationibus natur* Do sortibus De Judiciis astrorum 12711 De ælcrnitate mundi De unitate intellectus Contra doctrinam retrahentium a reli­ gione 1271 Desponsio de articulis VI 1272/73 Compendium theologi® 1273 Expositio orationis dominion Expositio super symbolum aposto­ lorum De duobus precept Is caritatis et de­ cem legis pnrceptls Expositio super salutationem angeli­ cam De mixtione elementorum De motu cordis 127 1 Hospomdo ad Bernardum ablmlrm / De instantibus * i De quattuor oppositis i D< propositionibus modalibus(l2ll7) L l De demonstratione s- / De fallaciis (1272/73?) \ De natura accidentis . I >c natura generis Q / Dr principio individiiationis U i Sermones varii Epistula dr modu studendi 641 THOMAS D’AQUIN. LE COMMENTATEUR f) ARISTOTE 64 2 33·. (36) /)<· instantibus (les n. 33-39 sont authenti­ 1rs traductions rxi tantes. Ce traducteur très fidèle que» selon Grabmann; h*» n. 36 sq, aussi selon Man- l’assista dan» la rédaction de se» commentaire., ce (iunnet). qui contribue à expliquer que Thomas possède une 34·, (37) De qindluor oppositis. connaissance profonde d’Aristote, très supérieure Λ 35·. (38) De demonstratione, celle d'Albert le Grand. Sur bien dr question* d'exé­ 36·. (39) De fallaciis ad quosdam nobiles art i stas. gèse, il reconnaît la doctrine authentique du Sta­ 37·. (40) De propositionibus modal!bus. girite. 38·. (41) De natura accidentis. Nous soulignons ici les jæinL capitaux de la doc­ 39 ·. (42) De natura generis. trine d'Aristote tels que les a compris saint ThOViK L 10. (57) Officium de /esto Corporis Christi ad manda­ Souvent dan» son Commentaire on rencontre le» tum Urbani IV papa: (1264). noms des commentateur grec d’Aristote : Porphyre, 11. (67) De emptione et venditione ad tempus, h Jac­ Tiicmistius, Simplicius, Alexandre d'Aphrodite, L se ques de Vitcrbc, lecteur 5 Florence (1262). montre en même temp* Irè» versé dans la philo ophie 42. (68) De modo acquirendi divinam sapientiam ad judéo-arabe et il a parfaitement discerné ce qu’elle a quendam Joan nem. dit aussi : Epistula de modo stu­ de Juste et de faux. Il paraît avoir apprécié Avicenne dendi. plus qu'Avcrroes. 43. (69) Expositio m librum Docthii de hebdomadibus Comme l’a noté M. be Wulf, à la paraphrase exten­ (1257-1258). sive d’Aristote, œuvre de vulgarisation, il substitue un 44. (70) Expositio super librum Boethii de Trinitate procédé plus critique, le commentaire littéral qui (1257-1258). serre le texte de près. Il le divise et le subdivi* e, pour 45. Expositio in Dionysium de divinis nominibus en voir la structure essentielle, dégager les assertions (1261). principales et expliquer les moindres parties. De plus 46. De secreto (1269), il a le grand avantage sur beaucoup de commentateurs 17. Responsio ad Bernardum abbatem Cassinensem anciens ou modernes de ne jamais perdre de vue en (Ayglier), carême 1274. chaque traité l’ensemble de la doctrine aristotéli­ 7. Sermons : Sermones (collationes) dominicales, cienne et surtout scs principes générateurs. Aussi plu­ festivi et quadragesimales (1254-1264). Cf. Grabmann. sieurs historien** reconnaissait que ce sont les com­ Die Werke, p. 32’2-342. mentaires le» plus pénétrants qui aient jamais été 8. Principia : Principium in Sacram Scripturam faits du philosophe grec. Comme le rappelle Mgr M. • Riccst /ihrr» (1252); principium [doctoratus] « Rigans Grabmann, S. Thomas d*Aquin, tr. fn. 192(1, p. 58, montes de superioribus 9 (1256), éd. G. Salvatore, les scolastiques (Gilles de Hume. Henri de Bate) ont Rome, 1912; Mandonnet, Op., t. iv, Paris, 1927, appelé Thoma» VExpositor, sans plus. Ch. Jourdain, p. 481 sq., 491 sq. Fr. Brcntano, G.-\. Hertling et d’autres ont apprécié Sur d'autres écrits plus ou moins authentiques ou hautement su manière de commenter. certainement apocryphes, cf. Mandonnet, Écrits, Ixs corrections apportées par lui à l’œuvre du Stagip. 147-156; Baèlc, Introductio, p. 118-122; Grabmann, ' rite, loin de diminuer la valeur de celle-ci. ont mieux Die Werke, p. 345-360. montré ce qu’il y avait de vrai en cette œuvre et ce ■ que contenaient virtuellement ses principes. Il est généralement assez facile de voir si saint Thomas I. éditions. — 1· Œuvres complètes. — 1. Anciennes. — L« plus célèbre est celle de suint Pie V (editio plana), accepte ou non ce que dit le texte qu’il explique, du Home, 1570; les autres sont celles de Venise, 1592; d’An­ moins quand on est familiarisé avec les œuvres per­ vers, 1612; de Paris, 1660; de Honic-Pudouc, 1666-1698; de sonnelles du saint docteur. Venise, annotée par B.-M. de lUibcis (llossl), 1745-1760. — Toutes les parties de l'œuvre d’Aristote ont été 2. Récentes. — Au xix· siècle, éd. de Panne, 1852-1873; l'objet de scs commentaires, bien que certains livres de Paris (Vives), 1871-1880 et 2· éd. 1889-1890. L’édition soient omis, cl que plusieurs de ccs commentaires critique nouvelle, dite édition léonine (entreprise sous le soient restés inachevés. patronage de Leon XIII), a commencé de paraître en 18X2; rllr comprend déjà 1I vol. : commentaires sur lu Logique 1® Z.ü logique. — De tout VOrganon, Thomas a ex­ el la Physique d’Aristote, l. ι-m; Somme théologiquc, t. ivplique les parties capitales De l'interprétation ou Pen Xii; Summa contra Gentiles, t. xiu-xiv. hcrmtnctas (1269-1271) et les Derniers Analytiques 2’ Œuvres isolées. — Il y a ou de nombreuses réimpres­ (vers 1268 ou après). Sont omis les Categories, les Pre­ sions dos doux Sommes, dont II serait trop long de faire miers Analytiques, les Topiques cl les Ré/idahons. Il l’énumération. Los ouvrages de P. Mandonnet et de nous fournit ainsi une élude des plus approfondie», du M. Grabmann, cités col. 636, donneront les indications sur point de vue logique, des trois opérations de l’esprit : les ouvrages récemment édités ou réédités. II. Traductions. — La Somme théologiquc fait l’objet conception, jugement, raisonnement, H montre quelle «l’une traduction française (dite tic la Revue «1rs Jeunes) est la nature du concept, comment il dépasse sans me­ depuis 1926; trad, allemande, Salzbourg, 1933 sq.; néer­ sure l’image sensible, parce qu’il contient ta raison landaise, Anvers, 1927 sq.; anglaise, Londres, 1911-1936; d'être qui rend intelligible ce qu’il représente. 11 subor­ espagnole, Madrid, 1880 sq.; tchèque, Olomouc, 1937-1912; donne les concepts selon leur universalité et fait saisir chinoise, Peiping et Shanghai, 1930; une tmd. italienne est leur rapport avec l’être, dont ils expriment les moda­ rn préparation. — lai Summa contra Gentiles n été aussi lites. il montre la nature intime du jugement, dont traduite rn anglais par les dominicains anglais, îxmdres, l'Ame est le verbe être, qui se trouve Λ In racine de tout 1923; dr mime le De potentia (On the power o/ God), Lon­ dres, 1932; tie même le ('outra pestiferam doctrinam (The autre verbe. Il fait voir ainsi le rapport intime de la upolofju for the religious Orders), par J. Procter, O. P.» logique d’Aristote avec sa métaphysique, avec sa doc­ Londres, 1902. - Les protestants ont aussi traduit en an­ trine de l’être, de la puissance et de l’acte. 11 nous glais In Cat Parménidc, au contraire, niait tout devenir en vertu du principe d’identité. Saint Thomas nous montre qu’Aristotc a trouvé l'unique solution du problème, qu’il n rendu le devenir intelligible en fonction de l’être, par la distinction de la puissance et de l’acte. Ce qui devient ne peut pro­ venir ni du néant, ni de l'être déjà en acte, déjà déterminé, mais de l'être en puissance ou indéter­ miné : la statue provient non pas de la statue déjà en acte, mais du bois qui peut être sculpté, la plante ct l’animal proviennent d’un germe, la science d’une intelligence qui aspire à la vérité. Cette distinction de GVi puissance ct d'acte, nécessaire pour rendre le devenir intelligible en fonction de l’être et du principe d’iden­ tité, n’est donc pas seulement pour Aristote et mint Thomas une admirable hypothèse ou un postulat; elle est à la base des preuves vraiment démonstrative! de l’existence de Dieu, Acte pur. Dès ce I. I«r de la Physique, saint Thomas fait voir comment de cette division de l’être en puissance et acte dérive la distinction «les quatre causes, néces­ saires pour expliquer le devenir : lu matière, la forme, l’agent ct la fin. il formule les principes corrélatifs de causalité efficiente, de finalité, de mutation et montre le rapport mutuel de la matière ct de la forme, de l’agent ct de la fin. Ces principes s’appliqueront en­ suite partout où interviendront les quatre causes, c'est-à-dire dans la production de tout cc qui devient dans l’ordre corporel ou spirituel. En traitant de la finalité, saint Thomas définit le hasard : la cause acci­ dentelle d’un effet qui arrive comme s’il avait été voulu; en creusant une tombe quelqu’un trouve accidentellement un trésor; mais la cause accidentelle suppose la cause non accidentelle qui par elle-même tend à son effet (par exemple à creuser une tombe) ct cela suffit à montrer que le hasard ne peut être la cause première de l’ordre du monde, puisqu’il est la rencontre accidentelle de deux causes ordonnées cha­ cune à son effet. Cette étude des quatre causes conduit à la définition de la nature, qui est en chaque être le principe de son activité ordonnée à une fin déterminée, comme on le volt dans la pierre, la plante, l’animal et l’homme. Cette notion de nature appliquée ensuite analogique­ ment à Dieu sc retrouvera constamment en théologie, ct s’appliquera à ce qui est l’essence même de In grâce et des vertus infuses. En scs différents traités saint Thomas renverra à ces chapitres du L II de la Phy­ sique d’Aristote, comme aux éléments philosophiques, semblables à ceux d’Euclide en géométrie. Il montre ensuite (1. ΠΙ-VI) que la définition du mouvement sc retrouve dans les différentes espèces de mouvement : local, qualitatif (Intensité croissante d’une qualité), quantitatif (ou d’augmentation), et comment tout continu (grandeur, mouvement et temps) est divisible à l’infini, mais non pus divisé à l’infini» comme le supposait Zénon en scs arguments apparemment insolubles. La Physique s’achève (L VII ct VIII) par l’exposé des deux principes qui prouvent l’existence de Dieu, premier moteur immobile : tout mouvement suppose un moteur et l’on ne peut procéder à l'infini dans la série des moteurs actuels qui sont nécessairement subordonnés. Il ne répugnerait pas de remonter à l'in­ fini dans la série des moteurs passés accidentelle­ ment subordonnés, comme la série des génération» humaines ou animales. Mais actuellement il faut un centre d’énergie, un premier moteur, sans quoi le mouvement lui-même est inexplicable. Nous disons de même aujourd’hui : le navire est porté par les flots, les flots par la terre, In terre par le soleil, mais on ne peut aller à l’infini, il faut actuellement un premier moteur immobile, qui ne doive son activité qu’à luimême, qui soit l’agir même, ct Acte pur, cnr l’agir suppose l’être, ct le mode d’agir par sol suppose l’Etrc par sol. Saint Thomas a commenté aussi les traités De gene­ ratione ct corruptione, les deux livres (1272-1273); De meteoris, les deux premiers livres (1269-1271); De c/rlo et mundo, les trois premiers livres (1272-1273). En lisant le De veto, I. I, c. vm (led. 17 de saint Thomas), on voit qu’Aristote avait déjà remarqué 1 accélération de la chute des corps, ct noté qu'ils tom­ bent <1 autant plus vite qu’ils sc rapprochent du centre de la terre Saint Ί homas en cet endroit de son corn- 645 THOMAS D’AQUIN. LE COMMENTATEUR D'ARISTOTE mcntalre formule ainsi cette loi qui sera précitée par Newton : Terra (net corpus grane) udocius movetur quanto magis descendit, en d'autres termes ; la vitesse do In chute des corps pesants est d'autant plus arande qu’ils tombent de plus haut. Comme le rappelle Mgr Grabmann (S. Thomas d'Aquin, 1920, p. 36), P. Duhcm, l’historien du sys­ tème copcmlclcn, fuit gloire û PAqulnate d'avoir sou tcnu(/)e ado d mundo, I II, lect. 17, cf. I·, q. χχχιι, n. 1, ad 2·®·), relativement Λ l’astronomie ptolémalque, que les hypothèses sur lesquelles s’appuient un sys­ tème astronomique ne se changent pas en vérités démontrées par le seul fait que leurs conséquences n’accordent avec l'observation. Cf. P. Duhcm : Essai sur la notion de théorie physique de Etalon à Galilée, Paris. 1908, p. h» .q. 3· La psychologie. — Thomas a expliqué le De anima, les trois livres (v. 1266); l'opuscule De sensu d sensato (1266);le De memoria (1266). Dans le De anima, il exa­ mine les opinions des prédécesseurs d’Aristote, surtout d’Empédocle, de Démucrltc, de Platon, ct comment se pose le problème de l’unité de l’âme par rapport à la variété de scs fonctions. L. I. Il montre ensuite, avec Aristote, que l’âme est le premier principe de la vie végétative, de la vie sensitive ct de la vie rationnelle, scion les diverses puissances qui dérivent d’elle. L. II, lect. 1-5. Ces puissances ou facultés doivent se définir par l’objet auquel elles sont essentiellement ordonnées. L. II, lect. 6. 11 étudie les fonctions de la vie végéta­ tive ct ensuite la sensation. On trouve ici une analyse pénétrante de la doctrine aristotélicienne sur les sen­ sibles propres (couleur, son, etc.), les sensibles com­ muns (étendue, figure, mouvement, etc.), les sensibles par accident (exemple la vie de l’homme qui vient vers nous). Ces sensibles par accident (que le langage mo­ derne appelle les perceptions acquises) fournissent l’explication des prétendues erreurs des sens. L. II, lect. 13. 1 Saint Thomas donne aussi, 1. Ill, lect. 2, une expli­ cation profonde de cc texte d’Aristote : « Comme l’ac­ tion du moteur est reçue dans le mobile, l’action de l’objet sensible, du son par exemple, est reçue dans le sujet sentant; c’est l’acte commun du senti ct du tentant » Saint Thomas l’entend ainsi : Sonatio d auditio sunt in sub/ecto sentiente, sonatio ut ab agente, auditio ut in patiente. Il en déduit comme Aristote, en faveur du réalisme, que la sensation n par sa nature même une relation au réel senti, au sensible propre correspondant, ct qu'elle ne peut exister sans le réel senti, tandis que l’hallucination peut exister sans lui, mais suppose des sensations préalables, comme l’écho suppose un véri­ table son. La comparaison est d’Aristote; on avait déjà remarqué que l’avcuglc-né n’a jamais d'hallu­ cinations visuelles. Le commentaire, L II, lect. 24, Insiste aussi beau­ coup sur ceci que « le connaissant dénient en quelque manière l’objet connu par la similitude qu’il en reçoit ». Par l'intelligence, l’âme connaît les principes néces­ saires ct universels et devient en quelque sorte tout le réel intelligible représenté en c'Ic : fit quodammodo omnia; cc qui suppose l’Immatérialité de la faculté intellectuelle. L. Ill, led. 4, 5, 7. Cela suppose aussi l’influence de l'intellect agent qui. comme une lumière immatérielle, éclaire ct actualise l’intelligible contenu en puissance dans les choses sensibles, lect. 10, ct qui l’imprime dans notre Intel­ ligence pour que celle-ci le saisisse par la première appréhension suivie du Jugement et du raisonnement. Lect. 11. C’est ce mystère de la connaissance natu­ relle que scrute saint Thomas dans son commentaire du I. Ill du De anima, où il précise, lect. 8, l’objet propre do l’intelligence humaine : l’être Intelligible des j 646 choses sensibles, dans le miroir desquelles nous con­ naissons 1rs choses spirituelles : Pâme elle-même et Dira. Comme l'intelligence est essentiellement distincte des sens, de la mémoire sensitive ct de l’imagination, puisqu’elle atteint le nécessaire et l’universel, il faut aussi distinguer essentiellement dr l’appétit sensitif, concuplscible ct Irascible, l’appétit rationnel ou la volonté, spécifiée parle bien uniscrscl.ct libre à l’égard du bien particulier. L. III, lect. 14. Au sujet de la spiritualité et de Γimmortalité de l'intelligence humaine ct de l’âme, il y a dans le De anima des textes qui paraissent la mettre en doute, 1. II, c. n; L III, c. v, d’autres plus nombreux qui l’affirment, I. I, c. iv; I. III, c. îs ; I. III, c. v, et qui sont décisifs, si l’intellect agent est, comme l'entend saint Thomas, une faculté de l’âme, à laquelle correspond l'intelli­ gence qui connaît le nécessaire et l’universel, et qui domine par suite l’espace ct le temps. Ces derniers textes s’éclairent du reste par celui de V Éthique à Nicomaque, L X, c. vu, qui parait exclure toute hési­ tation. 4® La métaphysique. — Le commentaire *ur la Méta­ physique, les douze premiers livres (1268), comprend trois parties principales : l’introduction à la métaphy­ sique (I. I â IV), l’ontologie (1. V à X) et la théologie naturelle (1. XI ct XII). Dans l'introduction, la métaphysique est conçue comme une sagesse ou science éminente; or. la science est la connaissance des choses par leur cause, la méta­ physique doit donc être la connaissance de toutes choses par leurs causes suprêmes. Après l'examen de cc qu’ont dit sur cc sujet les prédécesseurs d’Aristote, saint Thomas montre que la connaissance des choses par leurs causes suprêmes est possible, car on ne peut procéder à l'infini dans aucun genre de causalité. L’objet propre de la métaphysique est l'être en tant qu’être des choses et, de cc point de vue supérieur, elle considère plusieurs problèmes que la physique u con­ sidérés déjà au point de vue du devenir. Cette Introduction s’achève par une défense, contre les sophistes, de la valeur réelle de la raison et surtout du premier principe de la raison ct du réel : le principe de contradiction. L. IV, lect. 5 à 17. Nier la valeur réelle de ce principe, cc serait poser un Jugement qui sc détruirait, cc serait supprimer tout langage, toute substance, toute distinction panni les choses, toute vérité, toute pensée, même toute opinion, par suite tout désir, toute action; on ne pourrait plus même distinguer des degrés dans l’erreur; ce serait la des­ truction même du devenir, car il n’y aurait plus de distinction entre le point de départ ct le point d’ar­ rivée; de plus le devenir n'aurait aucune des quatre causes qui l’expliquent; il serait sans sujet qui de­ vienne. sans cause efficiente, sans fin et sans spécifi­ cation, il serait aussi bien attraction que répulsion, congélation que fusion. On n’a Jamais écrit une dé­ fense plus profonde de la valeur réelle du premier principe de la raison ct de la raison e’ie-inêmc. C’est avec la défense de la valeur de lu sensation ce qu’on peut appeler la métaphysique critique d’Aristote approfondie par saint Thomas; elle est « critique » non pas au sens kantien, mais au sens de κρίσχς, qui veut dire Jugement, el de xplvtiv, Juger de la valeur de la connaissance par réflexion sur elle-même pour s'assurer de l’objet auquel elle est essentiellement ordonnée; elle est ordonnée à connaître l’être intelligible, comme l’œil à la vue. l’oreille à l’audition, le pied à la marche, les ailes au vol. Ne pas l’admettre, c’est rendre l'in­ telligence tout à fait inintelligible à elle-même. Pour bien entendre le De veritate de saint Thomas, il faut avoir médité son commentaire sur le I. IV de la Méta­ physique. (i \ 7 THOMAS D’AQUIN. LE COMMENTATEUII Avec le L V commence cc qu’on peut appeler l’on­ tologie. Elle débute par le vocabulaire philosophique d'Aristote; saint Thomas l'explique en considérant, ù la lumière de l'être en tant qu'être, les principaux termes philosophiques» presque tous analogiques, de principe, de cause, des quatre causes, de nature, de nécessité, de contingence» d’unité soit nécessaire, soit accidentelle, de substance, d’identité, de priorité, de puissance, de qualité, de relation, etc. Ensuite il traite de l’être en tant qu’être des choses sensibles, et il considère ici la matière et la forme, non plus par rap­ port nu devenir, mais ύ l’être même des corps inanimés ou animés. L. VU et VIII. Enfin il montre toute la valeur de la distinction entre puissance et acte au |x>int de vue de l’être, en affirmant que, dans tous les ordres, la puissance est essentiellement ordonnée ù l'acte, d’où dérive la supériorité de l'acte par rapport d la puissance ordonnée à lui. En d’autres termes, l’im­ parfait est pour le parfait, comme le germe de la plante pour celle-ci, et le parfait ne peut être produit par l’imparfait comme par sa cause toute suffisante; il en provient sans doute comme de la cause matérielle, mais celle-ci ne passe de la puissance à l’acte que sous l’influence d’un acte antérieur et supérieur qui agit pour une fin supérieure proportionnée. Et donc seul le supérieur explique l'inférieur, autrement le plus proviendrait du moins, le plus parfait du moins par­ fait, contrairement aux principes de raison d’être, de causalité efficiente et de finalité. C’est la réfutation du matérialisme ou de l'évolutionnisme dans lequel chaque degré supérieur au précédent reste sans expli­ cation ou sans cause. L. IX. Le 1. X traite de l’unité et de l’identité, par là même du principe d’identité (forme affirmative de celui de contradiction) : < ce qui est, est », « tout être est un el le même ». Cc principe montre la contingence de tout ce qui manque d’identité parfaite, et donc la contingence de tout composé comme de tout mou­ vement. Tout composé en effet demande une cause, car des éléments de sol divers ne sont unis que par une cause qui les rapproche; l’union a sa cause en quelque chose de plus simple : l’unité. La troisième partie de la Métaphysique d’Aristote peut être appelée théologie naturelle. Saint Thomas n’en a commenté que deux livres (1. XI et XII), lais­ sant de côté les deux autres qui traitent des opinions des prédécesseurs d’Aristote. Le 1. XI est une récapi­ tulation de ce qui précède pour prouver l’existence de Dieu. Le I. XII établit l’existence de Dieu, Acte pur, parce que l’acte est supérieur à la puissance et que tout ce qui passe de la puissance à l’acte suppose en dernière Analyse une cause incauséc, qui soit pur Acte, sans aucun mélange de potentialité ou d’imper­ fection. Dieu est dès lors la Pensée de la pensée, non seulement l’P.tre même subsistant, mais 1’Intellection subsistante, ipsum intelligere subsistens. L’Acte pur, étant la plénitude de l’être, est aussi le Bien suprême qui attire tout à lui, dit Aristote. Contrairement à plusieurs historiens, saint Thomas voit dans cette « attirance » non seulement l’influx de la cause finale, mais celui de la cause efficiente, car tout agent agit pour une fin proportionnée, et seul l'agent suprême est proportionne A la fin suprême, la subordination des agents correspond à celle des fins. Plus on s’élève, plus l’agent et la fin sc rapprochent et finalement s’iden­ tifient. Dieu attire tout à sol, comme le principe et la fin de tout. Cf. L XII, lect. 7-12. Saint Thomas termine *on commentaire par ces mots : Et hoc est quad conclu· dit ( Philosophas ),quod est unus priHchps totius univt.miî, scilicet primum movens et primum intelligibile et primum bonum, quod supra dixit Deum, qui est benedicius in sœcula suculorum. Arnen. Mai* ce qu’on ne trouve pas chez Aristote, c'est D’ARISTOTE 648 l’idée explicite de création ex nihilo, même de création a b lelerno, a fortiori celle de création libre non al æterno. 5° La morale. — Parmi les ouvrages de philosophie morale et politique d’Aristote, saint Thomas a com­ menté l’Éthique a Nicomaque, les dix livres (1269), et le début de la Politique : 1.1,11 et III, c. i-vi (1269). Il n'a pas expliqué les Grandes morales, ni la Morale à Eudime. A la suite d’Aristote, saint Thomas montre ici que l’éthique est la science de l’agir humain, ou de l’acti­ vité de la personne humaine qui est libre, maître w de ses actes, mais qui ù titre d’être raisonnable, doit agir pour un bien rationnel, honnête, supérieur au bien sensible, soit délectable, soit utile. Dans cc bien supérieur l’homme trouvera le bonheur, la joie qui s’ajoute à l'activité normale et bien ordonnée comme à la jeunesse sa fleur. La conduite de l'homme doit donc être conforme à la droite raison et poursuivre le bien honnête ou rationnel, la perfection humaine où nous trouverons le bonheur, comme dans la fiat laquelle notre nature même est ordonnée. Éthique,!. I. Quels sont les moyens pour atteindre ccttc perfec­ tion humaine? Ce sont les vertus. La vertu est une bonne habitude d’agir librement de façon conforme à la droite raison. Elle s’acquiert par la répétition des actes volontaires bien ordonnés; elle est comme une seconde nature qui nous rend ces actes connaturcb. Éth., I. IL Certaines vertus ont pour but de régler les passions, non pas en les supprimant, mais en les modérant selon un juste milieu entre l’excès et le défaut; et juste milieu est en même temps un sommet Ainsi li force s'élève au dessus de la lâcheté et de la témérité; la tempérance au dessus de l’intempérance et de l’in­ sensibilité. L. 111. De même la libéralité tient le milieu entre la prodi­ galité et l'avarice : la magnificence, lorsqu'il faut faire de grandes dépenses, entre la mesquinerie et une sotte ostentation; la magnanimité entre la pusillanimité et une ambition démesurée; la douceur repousse le injures sans violence excessive comme sans faiblesse. L. IV. Mais il ne suffit pas de discipliner ses passions, il faut aussi régler les opérations extérieures à l’égard de autres personnes, en rendant à chacun cc qui lui «t dû. C’est l'objet de la justice. Il faut ici distinguer h justice commutative relative aux échanges, dont la règle est l'égalité ou l'équivalence des choses échan­ gées; nu dessus d’elle la justice distributive, qui pré­ side au partage des biens, des charges, des honneurs, non pas de façon égale, mais proportionnellement nu mérite de chacun. Au dessus encore il y a In justice légale qui fait observer les lois établies pour le bien commun de la société et enfin l’équité qui adoucit In rigueurs de la loi, lorsque, en certaines circonstances, elles seraient excessives. L. V. Ces vertus morales doivent être dirigées par la sa­ gesse et la prudence; la sagesse porte sur lu fin de toute la vie, la perfection humaine à réaliser, la pru­ dence porte sur les moyens; c’est elle qui, par la déli­ bération, détermine le juste milieu à garder dans le* différentes vertus. L. VL En certaines circonstances, comme lorsque la patrie est en danger, la vertu doit être héroïque. L. Vil. La justice est Indispensable à In vie sociale, mais celle-ci a besoin d’un complément qui est l’amltk Encore faut-il bien l'entendre, car il y a trois espèce d’amitié : l’une est fondée sur l’agréable, celle des jeunes gens qui s'associent pour sc divertir; la seconde est fondée sur 1 utile, celle des commerçants qui s’unis­ sent scion leurs intérêts; la troisième est fondée sur I le bien honnête, celle des vertueux qui s’unissent par 649 THOMAS D’AQUIN. LE COMMENTATEUR D’ARISTOTE exemple pour le bon ordre de In cité, pour le bien d'au­ trui. Cette dernière amitié, qui suppose la vertu, ne dépend pas «les Intérêts et des plaisirs qui passent, elle est solide comme la vertu; elle est le propre de ceux qui s'aident A devenir meilleurs; c'est une bien­ veillance et bienfaisance toujours active, qui travaille à maintenir la concorde malgré toutes les cames de divisum. I.. IX. Par la pratique de ces vertus l’homme peut arriver à une perfection supérieure qui sc trouve dans In vie contemplative et qui donne le vrai bonheur. La joie s’ajoute en effet normalement A l'acte bien ordonné, et surtout A l'acte supérieur de In plus haute faculté, l'intelligence, A l’égard du plus haut objet, c’cst-A-dire à la contemplation de la vérité suprême ou du suprême intelligible qui est Dieu. L. X. C'est surtout dans co I. X de l'Éthique, c. vu, que se trouvent les textes d’Aristote qui paraissent affirmer l'immortalité personnelle de l'Amc. Saint Thomas (leel. 10, 11) se plaît A en souligner l'importance. On Ht chez Aristote lui-même A propos de la contemplation de In vérité : « Elle constituera réellement le bonheur parfait, si elle sc prolonge pendant toute In durée de la vie. Une telle existence toutefois pourrait être nu dessus de In condition humaine. L'homme ne vit plus alors en tant qu’homme, mais en tant qu’il possède quelque caractère divin. Autant ce principe est au des­ sus du composé auquel il est joint, autant l’acte de ce principe est-il supérieur A tout autre acte. Or. si l'es­ prit est quelque chose de divin par rapport A l’homme, de même une telle vie. Il ne faut donc pas croire ceux qui conseillent A l'homme de ne songer qu'aux choses humaines et, sous prétexte que nous sommes mortels, de renoncer aux choses immortelles. Loin de IA, H faut que l'homme cherche A s’immortaliser autant qu’il est en lui, et qu’il fasse tout pour vivre selon la partie la plus excellente de lui-même. Ce principe est supé­ rieur A tout le reste et c’est l’esprit qui constitue essentiellement l'homme. · Beaucoup d’historiens de la philosophie ont noté ici, comme saint Thomas, que le Νους est bien dans cc texte une faculté humaine, une partie de l’Amc, une similitude participée de l’intelligence divine, mais qui n'en fait pas moins partie de la nature de l’homme. C'est bien A l'homme qu* Aristote recommande de se livrer A la contemplation et de s'immortaliser autant qu'il est possible. Il va même jusqu'à dire que ce ΝοΟς est chacun de nous. Cc simple résumé de Y Éthique telle que Γη comprise saint Thomas montre quel usage il a pu fain' de ccttc doctrine en théologie, pour expliquer la subordination des vertus acquises aux vertus infuses et pour appro­ fondir la nature de la charité, conçue comme une amitié surnaturelle entre le Juste et Dieu et entre les enfants de Dieu. Cf. A. Mansion, L'eudémonisme aris­ totélicien d la morale thomiste, dans Xenia thomistica, t. i. p. 429-449. De la Politique d'Aristote, saint Thomas a com­ menté les deux premiers livres, et les six premiers chapitres du 1. III; la suite du commentaire est de Pierre d'Auvergne. Cf. MgrGrabmann, Phil. Jahrbuch, 1915, p. 373-378. Dès le début de cet ouvrage on remarque ce qui dis­ tingue la politique d'Aristote de celle de Platon. Celuici construit a priori sa République Idéale, conçoit l’Êtat comme un être dont les citoyens sont les élé­ ments et les castes, les organes; et, pour supprimer l'égoïsme, il supprime In famille et la propriété. Aris­ tote, au contraire, procède par l’observation et l’ex­ périence, H étudie la première communauté humaine, la famille, constate que, pour le bien de la société do­ mestique, Je père de famille doit commander de façon différente A sa femme, A scs enfants, aux esclaves, peu 650 capables de réflexion et destinés ft obéir. Il remarque qu'il n’y a d'affection possible qu’entre des Individus déterminés et qu'on ne saurait donc supprimer la famille, que nul ne sc soucierait des enfants, qui, étant à tous, ne seraient à personne, de même qu on ne sc soucie point des propriétés commune*. : chacun trouve qu'il travaille trop, les autres pas assez. Aristote ne cherche pas A démontrer le droit de propriété; l'occu­ pation primitive, la conquête, le travail de la terre conquise lui paraissent des moyens légitimes d'ac­ quérir. Il tient aussi que l'homme de par sa nature mémo doit vivre en société, car il a besoin du concours de scs semblables pour se défendre, pour utiliser les biens extérieurs, pour l'acquisition des sciences les plus élémentaires, et le langage montre qu’il est fait pour vivre en société. Ainsi les familles sc réunissent dans une même cité, qui a pour fin le bien commun de tous, bien non pas seulement utile et délectable, mais honnête, car il doit être le bien d'êtres raisonnables, selon la justice et l’équité, vertus indispensables A la vie sociale. Telles sont les principales idées qu'expose Aristote dans les premier» livres de In Politique. Saint Thomas les commente avec profondeur; dans la Somme théologiquc, Ι·-ΙΙ·, q. xciv, a. 5, ad 3” , il fait les restrictions voulues nu sujet de l'esclavage: cf. Ib-II·, q. x, n. 10; q. civ, a. 5. Id 11 remarque qu'il convient que l'homme peu capable de se conduire se laisse diriger par celui qui est plus sage et qu’il tra­ vaille à son service. Dans le deuxième livre de In Politique, saint Thomas étudie à la suite d*Aristote les idées de Platon sur ce sujet et diverses constitutions de la Grèce. Il accepte les bases inductives du Stagirite, et H les utilisera dans son livre De regime prineipum comme on peut s’en rendre compte dès le c. î. C’est IA qu’il fonde sur la nature de l’homme l'origine et la nécessité d’une auto­ rité sociale, représentée A des degrés divers par le père de famille, par le chef dans la commune et le souverain dans le royaume. Dans le même ouvrage, avec Aristote. H distingue le bon et le mauvais gouvernement. Le bon gouverne­ ment peut être celui d’un «cul (monarchie), ou celui de quelques-uns (aristocratie), ou celui de plusieurs choisis par la multitude (démocratie au bon sens du mot); niais chacune de ces trois formes peut dégénérer soit en tyrannie, soit en oligarchie, soit en démagogie. Saint Thomas regarde comme In meilleure forme de gouvernement la monarchie, mais, pour prévenir In tyrannie, Il recommande une constitution mixte qui réserve, A côté du souverain, une place A l’élément aristocratique et démocratique dans l'adminUtration de la chose publique, b-ll·, q. cv, n. 1. Malgré cela, si Ια monarchie dégénère en tyrannie, il faut patienter pour éviter un plus grand nul. Si la tyrannie devient insupportable, le peuple peut intervenir, surtout s’il s'agit d'une monarchie élective, mais 11 n'est pas per­ mis de tuer le tyran. De regimine prine., t, 6; il finit s’en remettre au jugement de Dieu qui récompense ou punit selon son Infinie sagesse ceux qui gousemeut les peuples. Saint Thomas a de plus commenté le De causis attribué alors A Aristote et dont 11 montre l'origine néo-plntonlclcnne (1269), et un livre de Boèce. De hebdomadibus (vers 1257). Son commentaire sur te Timée de Platon ne nous a pas été conservé. Tous ces commentaires ont largement préparé par leur patiente analyse la synthèse personnelle dans la­ quelle saint Thomas reprend tous ces matériaux sous la double lumière de la Révélation et de In raison, par une connaissance plus b nu te cl plus universelle des principes qui les régissent, par une vue plus péné­ trante de la distinction de puissance et acte, de la supé­ riorité de l'acte, et de la primauté de Dieu. Acte pur. 651 THOMAS D’AQUIN. LE THÉOLOGIEN G52 Comm. in Peri Ilermeneias, in Post. Anal,, in Physicam, religieux mendiants : post hunc errorem, écrit-il —il (n libr. Dr cjxIo rl manda. De generatione (éd. léonine); in s’agit de celle des averrolstcs — pricdictus doctor daMtlaphaslaam, éd. Cat lutin, Turin, 1915; in De anima, De | truit alium de novo exortum. Ibid., p. 664 C. Le nom dr tenta cl sensaîa, in Ethicam, éd. PI rot ta, Turin, 1925-1934. Siger de Brabant s’est trouvé du même coup associé — Voir les études de Mgr M. Grabmann : Les commentaires à celui de Guillaume de Saint-Amour, dont la polé­ de S. Thomas d'Aquin sur les ouvrages d'Aristote (Annales mique et la condamnation étaient reculées jusqu’au de l'institut sup. de phll.l, Louvnin, 191*1, p. 231-281. Ce travail a etc refondu dans Die Aristutclcskonimentarc des ht. pontifical de Clément IV; cf. P. Mandonnct, Sigu dt Thomas u. Aquin, dans M it t Hallerlibelles Gelstcslrben, t. i, Brabant et Tavcrrotsme tatin, t. i, p. 69. En réalité 1 · .· . 266-313. saint Thomas a participé à la défense des ordres men­ D. Salman, Saint Thomas et les traductions latines des diants durant le cours de scs deux séjours à Pari» : Métaphysiques d'Aristote, dans Archives d'histoire doctrinale contre Guillaume de Saint-Amour, pendant son pre­ et littéraire du Moyen Ape, t.vn, 1932, p. 85-120; A. Dan­ mier enseignement (époque du Contra impugnantes), ti Une. O. P., Saint Thomas et les traductions latines d'Arts· contre Gérard d’Abbeville, Nicolas de Lisieux cl le tote, (Luis Bulletin thomiste. Notes et communications, P.K13, groupe des « Gcraldinos » durant son second séjour à p. 199-213; l-’r. Pelster, S. J., Die Uebcrsetzunycn fier aristo· tellschcn Mrtciphysik inden Werken des hl. Thomas v. Aquin, Taris. Cf. P. Glorieux, La polémique contra Ge/aldinos, (Lins Grcyorianum, t.xvi, 1935,p. 325-318,531-561, t. xvii, tes pièces du dossier, dans Rech. de théol. anc. et médié­ 1930, p. 377-100; A. Mansion, Pour Thistoire du coinnun· vale, t. vi, 1934, p. 5-41 ; Contra Geraldinos, l'enehalnttaire de Thomas sur la métaphysique d'Aristote, dans Revue ment des polémiques, ibid., t. vu, 1935, p. 129-155. néo-scolastique, t. xxvn, 1925, p. 280-295; E. Holfcs, In C’est l'époque où saint Thomas écrit le De per/tclioM expositionem S. Thomte super Mctaphys. XII, (Lins Xenia vitæ spiritualis (dans sa double rédaction), le Contra thumiitica, t. i, 1925, p, 389-410; De Gorle, Thém istius et retrahentes, le De ingressu puerorum in religione. saint Thomas, dans Arch. d'hlst. doctr. et lilt, dit Μ.·Α., t. mi, 1932, p. 47-84. Entre les deux ordres dominicain et franciscain, unis H. Gahiuoou-Laobange. dans une défense commune, existaient cependant de V. Signification histohiqüe de la théologie graves divergences sur la pauvreté et aussi sur l'éten­ de saint Thomas. — On ne donnera pas ici un exposé due de l'obéissance religieuse, objet de la consultation d’ensemble de la théologie du Docteur angélique. Cette De secreto, au chapitre général des prêcheurs de 1269; cf. l'opuscule du même nom de saint Thomas, éd. Mansynthèse sera esquissée â l’art. Thomisme. Comme donnet, Opusc. omnia, t. ïv, p. 497; sur la position chacun sait, elle a incorporé aux données générales franciscaine dans ce problème, cf. E. Longprê, Gau­ de la théologie de l'époque nombre de vues nouvelles thier de Bruges el l'augustinisme franciscain, dans Mis­ de saint Thomas. Ce sont précisément ces points de cellanea F. Ehrle, Rome» 1924, t. i, p. 201. vue nouveaux qui seront étudiés ici, en même temps que seront notées les résistances dont l’Ange do /. N. THOMAS El SIGER hE RRARANT. LA LUTTA COSTRK L'ARISTOTÉLISME OUTRÉ.— 1° Circonstances l’Écolc a dû triompher pour les faire prévaloir. Guillaume de Tocco a exalté la nouveauté de la doc­ historiques. — Il est certain que l’activité de saint trine de saint Thomas : nouns in sua lectione movens Thomas contre Guillaume de Saint-Amour précède de articulos, novum modum... determinandi inveniens, plus de dix ans sa polémique contre Siger. A-t-il néan­ novas reducens in determinationibus rationes. Vita moins été en contact, dès son premier enseignement S. Thomte Aquin., dans Acta sanet., t. i inartii, p. 661 E. parisien, avec un mouvement averroïste? Cf. A. Masnovo, I primi contatti di s. Tommaso con l’averroumo Triple originalité de doctrine, de méthode et jusque dans la position des problèmes, qui ne peut être appré­ latino, dans Hiv. di fil. neo scol., t. χνπι, 1926, p. 4355; M.-M. Gorce, La lutte contra Gentiles à Paris, dans ciée avec exactitude que par un long commerce avec les prédécesseurs et les contemporains de l’activité , Mélanges Mandonnct, Paris, 1930, t. 1, p. 59-63, qui littéraire du saint docteur, ceux qu’il lit, complète voit même dans les débuts de la lutte contre l’aver et corrige au besoin, par la connaissance également roïsme, l'occasion du Contra Gentiles. Les positions tout â fait négatives de Mandonnct (Siger..,, t. i, du milieu social et scolaire où il a vécu. Tâche im­ p. 59-63) ont été défendues par D. Salman, Albert le mense» dans laquelle la monographie spéciale précède Grand et t'averrolsmc latin, dans Heo. des sciences phil. et précédera sans doute encore longtemps la synthèse. Cf. O. Lottln, Pour un commentaire historique de la et théol., t. xxiv, 1935, p. 38-61 : le De unitate intellec­ morale de saint Thomas, dans Rech. de théol. anc. cl tus d’Albert (première rédaction, 1256) ne peut prou­ méd., t. xi, 1939, p. 270-285. ver l'existence d’un courant averroïste. Cependant • on trouve dès cette époque des doctrines hétérodoxes La nouveauté doctrinale du thomisme ne pouvait manquer de lui susciter, au sein même de la faculté de qui seront plus tard retenues par l’équipe des Siger théologie, une opposition considérable. Dans le tableau de Brabant et des Boècc de Dacie ». Salman, art. al., qu’il a tracé de l’activité doctrinale du saint docteur, p. 48. Mais ces doctrines no procèdent point de la Tocco a laissé, sans doute volontairement, ce point synthèse d’Averroès, elles dépendent plutôt d’Avi­ dans l’ombre. Aussi s’attache-t-il presque exclusive­ cenne ou d’Alexandre d’Aphrodise, dont l'entrée ment à montrer dans saint Thomas le défenseur de la dans le monde latin est bien antérieure à celle d’Aver­ vérité catholique, non pas seulement contre les Arabes roès . Cf. R. de Vaux, La première entrée d'Averroés et les Grecs, mais, par un étrange anachronisme, chez les Latins, dans Rev. des sciences phil. et théol., contre les fratrlccllcs. Saint Thomas devient ainsi le t. xxH, 1933, p. 193-213. _ précurseur de la miranda decretalis de Jean XXII. Au surplus, saint Thomas n’a pas eu l’initiative delà Loc. cit., p. 665 B. Tocco n’ignore pas sans doute le lutte contre l’averrolsme latin. Pendant le carême de rôle du saint dans la défense des religieux mendiants. 1267, bien avant le retour ù Paris de Thomas d'Aquin, Ibid., p. 604. Mais pour lui, saint Thomas est avant saint Bonaventure avait pris position, dans ses Colla­ tout l'adversaire d’Averroès et de la doctrine de tiones de X præceptis, contre les idées nouvelles; l’unité de l’êmc. L'opuscule De unitate intellectus prend cf. Opera omnia, Quarracchi, t. v, p. 514. Il y reviendra ainsi à scs yeux une importance qui lui fait placer l'année suivante avec toute la clarté désirable dans scs presque sur le rang des deux Sommes ce scriptum Collationes de donis. Coll, vin, t. v, p. 497. Dieu, ex­ mirabile. plique le saint docteur, est tout à la fois principe de Tar une erreur relevée depuis longtemps, Guillaume l’être, lumière de notre intelligence, ordre et rectitude de Tocco a assigné à la lutte de saint Thomas contre de l’action. A cette triple vérité, s’oppose la triple l’averrolsme latin, une date antérieure à la controverse erreur de l'éternité du monde, du déterminisme, de qui l'oppose aux maîtres séculiers pour la défense des | 1 unité <1 intellect· Liste plus complète d’erreurs en G53 THOMAS D’AQUIN : THÉOLOGIE ET ARISTOTÉLISME 654 blance, dam» les premiers mois de 1269. Les textes de 1273, dans les Collationes in H exameron, vis. 1, coll, i, report. Delorme» Quaraccbi, 1934, p. 59. Selon un la question De anima, comme d'ailleurs ceux du De procédé qui lui est familier (ci. Coil. I, 9, Opera omnia, spiritualibus creaturis, qui leur sont étroitement appa­ t. v, p. 330, cité par Gilson, La philosophie de saint rentés (et même postérieurs d’après Keeler), s'en Bonaventure, Paris, 1924, p. 36), Bonaventure réunit prennent avec quelque vivacité à la doctrine de l’unité dans une réprobation commune les maîtres séculiers, de l’âme; cf. De anima, a. 2, 3; De spir. creat., a. 3. Il adversaires de la vie religieuse et les < artistes », dis­ est à remarquer que cette thèse fameuse ne corres­ ciples du Stagirite. C’est d’ailleurs plutôt aux amis pond que de loin à l’averrolsme historique. Au Heu de de Guillaume de Saint-Amour qu’à ceux de Siger que deux substances séparées, intellect agent et intellect Bonaventure s’adresse lorsqu’il affirme que la dernière possible, dont l’union était conçue de façon purement heure de l’Église n’est point encore arrivée et que « la dynamique, la thèse d’/kverroès est devenue celle d’une âme humaine, unique et séparée, âme dont l’in­ religion est lillc chérie de l’Église », religio Ecclesiie tellect agent et l’intellect possible seraient les puis­ fdia specialis. Delorme, p. 59. Quant à l’intervention du Saint-Siège à laquelle il fait ici allusion (nisi Domi- sances. Cf. sur cette transformation capitale, D. Sal­ man, Note sur Γinfluence d*Averroès, dans Rev. néonus · spirilu oris sui » per sedem romanam aliquos percussisset imponendo silentium), le contexte Invite scolas tique, t. xl, 1937, p. 204; Hull, thomiste, t. v, 1939. p. 658-660. On s’explique du même coup la à y voir une allusion à la condamnation de Guillaume de Saint-Amour en 1256 plutôt qu’à un document position si nette de la question par saint Thomas : Utrum anima humana sit separata secundum esse? De pontillcal inconnu, dirigé contre les artistes, comme le veut E. Longpré, Diet. hist, et géogr. eccl., art. Bona­ anima, a. 2. Pour un exposé d’ensemble de la psycho­ logie de Siger de Brabant, cf. van SUenberghen. op. venture, t. ix, col. 777. cit., p. 146-158. Parti, dans scs Quxstiones super II La crise averroïste fut, selon le P. Mandonnct, le motif essentiel du retour de saint Thomas à Paris, en de anima, d’un monopsychisme radical, Siger abouti­ 1269; cf. P. Mandonnct, dans S. Thomas lecteur de la rait dans ses Quaestiones de anima (1274-1277), non au Curie romaine, dans Xenia thomistica, Borne, 1925, thomisme, mais « à un rapprochement vis-à-vis des t. m, p. 31-38. Ét. Gilson pense au contraire que l’in­ positions de saint Thomas en psychologie ». Van Stecntervention de saint Thomas contre Siger fut · précédée berghen, op. cit., p. 37. Il semble d’ailleurs qu’il faille par la violente discussion qui mit aux prises l’augus- être moins généreux pour Siger en ce qui concerne tinicn Jean Pecharn, le maître franciscain le plus l’éternité du mouvement et la thèse (néo-platonicienne cette fois) de l’unité necessaire de l’effet de l'action illustre de l’Université de Paris, et Thomas d’Aquin ». Im philosophie de saint Bonaventure, p. 29. De la divine : ab uno non procedit nisi unum; et. van Steensorte, si le Docteur angélique prend à partie le philo­ berghen, op. cit., p. 163-165. M. Dclhayc découvre de sophe brabançon, c’est afin de dégager sa propre posi­ même chez Siger deux erreurs essentielles en ce qui tion, sérieusement compromise. « 11 est en effet ccr- concerne la création : il a peine à en concevoir la ta‘n que, possédant en commun avec les averrolstcs liberté, il sc refuse à reconnaître que cet acte atteigne les principes philosophiques de l’aristotélisme, saint immédiatement tous scs effets. Siger de Brabant, Questions sur la Physique,dans Philosophes belges, L xv, Thomas devait éprouver vivement la nécessité de s’en Introd., p. 17. M. van Stccnberghen reconnaît égale­ distinguer ». Gilson, op. cil., p. 32. Du même coup, la ment que · la contingence véritable ne semble pas raison déterminante du retour de saint Thomas à Paris ne peut plus être la lutte contre les idées nou­ trouver place dans le système de Siger ». Op. cit., velles, mais bien plutôt la défense de son propre sys­ I p. 123. Sur la position de Siger Λ l’égard de la foi et de la théologie, cf. van Stccnbcrghcn, op. cit., p. 171-180 tème. 2° Les ouvrages qui s*y rapportent. — 1. Le « De et D. Salman. Bull. thomiste, t. v, 1939, p. 663-671. Mais en définitive, lo système de Siger est un aristo­ unitate intellectus ». — Il est exact que la composition télisme radical ou hétérodoxe, teinté parfois de néo­ de De unitate intellectus est postérieure à la dispute contre Pecharn. Le P. Mandonnct plaçait cette der­ platonisme, beaucoup plus qu’un avcrrolsme propre­ ment dit. Van Stccnbcrghcn» op. cit., p. 170. nière à Pâques 1270. Siger..., t. i, p. 99. Cette date est H. 3ΑΙΛΤ THOMAS hT L'ÊCOUI AUUCST/StHSXH. acceptée par le P. Callebnut, Jean Pecharn et l'augus­ LA LUTTK 1\H'R L'ARlSTOTfiLlSMR MODÉRÉ. — Le tinisme, dans Arch. /ranc. hislor., t. xviii, 1925, p. 447. Il semble par ailleurs que le De unitate est antérieur conflit de saint Thomas et de Siger de Brabant n’était qu’un épisode en comparaison d’une lutte plus pro­ aux condamnations du 10 décembre; cf. F. van Steenfonde et plus durable. Cette lutte, dont Tocco ne non.·» berghen. Les œuvres et la doctrine de Siger de Brabant, dans Mémoires de ΓAcadémie ruijale de Belgique, classe a pas souillé mot, Godefroid de Fontaines, dons son des Lettres, t. xxxix, faso, 3, 1938. p. 57-59. Un troi­ premier Quodlibct, en 1285, la décrit en Co termes bien connus : aliqui doctrinam non modicum /ructuosam sième point concernant le De unitate, c’est que, loin d’être une réponse au De anima intellccdiva de Siger» cujusdam Doctor is /amosi, cujus memoria cum laudibus esse debet, ut in pluribus impugnantes, vel deinde contra il le précède au contraire dans le temps. L'opinion du P. Chossnt, défendue pur M. van Stccnbcrghcn, op. cit., dicta sua procedentes ad di/Jamationem persona? pariter et doctrinae opprobria magis quam rationes inducere p. 65-73, est également admise par le P. Salman, Bull, thomiste, t. v, 1939, p. 655. On peut penser qu’elle consueverunt. Godefroid de Fontaines, Quodl. i, q. iv, ralliera désormais Punanimité des critiques. Dans le Dr éd. De Wulf-Pelzer, p. 7. C’est au cours du second séjour de saint Thomas à unitate, saint Thomas viserait donc, non pas un écrit déterminé de Siger, mais un ensemble de doctrines Paris que le conflit éclate avec violence. 11 se concré­ tise en quelque sorte dans la fameuse dispute de Tho­ enseignées oralement, de façon plus ou moins affichée, à la faculté de* arts. Si la finale s’en prend personnel­ mas avec Jean Pcchatn, seul épisode dont l’histoire nous ait conservé le souvenir grâce au témoignage de lement à Siger, clic peut cependant concerner, soit un Pecharn lui-même el aux déclarations de Barthélemy écrit, soit un enseignement oral. Peut-être s’agit-il do Cupoue. Cf. sur ce point A. Callebnut, Jean Péchant d’une réporLation. Cf. van Stccnbcrghcn, op. cit., p. 77. 2. Prise de postlion dans le · De anima ». L'unité de el l'augustinisme, dans Archiv. jranc. hist., t. xvin, l'âme el la doctrine authenlique d'Averroès. — Mais 1925, p. 141-472, et la réponse du P. Mandonnct, Hull, avant le De unitate et avant sa dispute contre Pechain, thomiste, 1926, p. 104. Quelle qu’ait pu être l’attitude saint Thomas était déjà entré en lice avec les ques­ plus ou moins conciliante de Pecharn et le sens qu’il tions De anima, qu’il dispute, selon toute vnilsem- faille attacher aux ampullosis verbis dont parle Bor- 655 THOMAS D’AQUIN E'I L’ÉCOLE A UGUST1MENNE 656 thélemy dc Capoue, fi paraît incontestable que derrière I dernière intervention ne nous est connue que par lt Pccham, il y avait saint Bonaventure, qui plus tard, témoignage peu suspect de Pccham, dans sa lettre du dans les Collationes in Hexameron, s'attaquera Λ la 7 décembre 1284 au chancelier ct aux maîtres dOx­ thèse thomiste de l'unité dc forme substantielle en ford : mandatum juisse dicitur eidem episcopo (Temtermes particulièrement vifs. Gilson. La philosophie de pier) per quosdam Bornante Curite dominos reverendos ut saint Bonaventure, p. 32. Sans doute, la « bataille » de de jacto illarum opinionum supersederet penitus. Deni flel'Héxaméron n’est pas avant tout une bataille contre Chatelain, t. i, p. 625; Laurent, Documenta, p. 634, le thomisme; cf. F. Tinivclla, De impossibili Sapien­ 2° Les débuts de l'école thomiste. — Si des interven­ tur adeptione in philosophia pagana juxta Collationes tions dc l’autorité ecclésiastique, nous passons â in llexameron S. Bonaventure, dans Antonianum, l'histoire littéraire, il nous faut noter d’abord l’adop­ t, xi, 1936, p. 154-163. Mais, en attaquant l’aristoté­ tion par le chapitre général dc l'ordre franciscain à lisme extrémiste dc la faculté dei arts, saint Bona­ Strasbourg en 1282 (cf. Laurent, Documenta, p. 624) venture entend bien englober dans une même répro­ du Corrcctorium Fr. Thonue de Guillaume de la Marc, bation ccttc concession dangereuse qu'était ù ses voir ici t. vin, col. 2467; cf. F. Pclster, Les Declaratio­ yeux la théorie dc l’unité dc forme substantielle dans nes ct les Quicstioncs de Guillaume de la Marc, dans le composé humain. La thèse thomiste sur la possibi­ Rcch dc théol. une. ct méd., t. ni, 1931, p. 397-411. Le lité d’un monde sans commencement, ne devait pas Correctoire de Guillaume (texte dans P. Glorieux, h sembler moins dangereuse au docteur franciscain.— On corrcctorium Corruptorii < Quare », Le Saulcholr, 1927) a insisté sur le caractère essentiellement religieux dc provoque une série de réponses, la littérature des Corccttc opposition au thomisme. Dans la thèse de l’illu­ rcctoircs (Correctoria corruptorii), qu'on désigne par mination intellectuelle ou des raisons séminales, il ne 1 'incipit de leur réponse au premier article du Correc­ s’agit point pour Bonaventure ct Pccham, d’une dis­ to ire de Guillaume : « Quare » d'origine anglaise, Ri­ cussion philosophique, mais « d’un dépôt sacré à la chard Klnpwell ou Guillaume dc Macklcfleld, éd. Glo­ sauvegarde duquel le sentiment religieux sc trouvait rieux, Le Saulcholr, 1927; « Circa », dc Jean Quidort dc Paris, éd. MÛller, Borne, 1941; « Sciendum » de passionément intéressé ». Ét. Gilson, La philosophie de Kobert dc Collctorto ou Tortocolle ; · Quiestione », ces saint Bonaventure, p. 372. Dans son grand ouvrage, Siger dc lirabant d'après ses oeuvres inédites, t. n, deux derniers inédits. On doit y joindre VApologdi· cum veritatis super Corruptorium, de Rambert de Louvain. 1942, F. van Steenbcrghen s'efforce d’atté­ Primndizzi de Bologne, sans doute antérieur à nuer l’opposition dc saint Thomas et de saint Bona­ • Quare ». Cf. sur les Correctoires, Ubenvcg-Geycr, venture cl l’antipathie du docteur franciscain pour Grundriss der Geschichte der Philosophie, die palrls.Aristote; ci. op, cil., p. 448-464, 713. C'est revenir dans tische und schol. Philosophie, 1928, p. 496-497, 764; une certaine mesure au concordismc des éditeurs de P. Glorieux, La littérature des Correctoires, dans Bev. Quaracchi. Le mémo auteur proteste contre lu déno­ thomiste, n. s., t. xi, 1928, p. 69-96; B. Creytens, .Au­ mination d'école « augustlnienne ■ appliquée depuis Ehrleet DcAVulf ù l'ensemble des adversaires du tho­ tour de la liltérature des Correctoires, dans Archio. misme. « Le conflit, écrit-il, ne sc produit pas entre F. F. Prn-d., t. xn, 1942, p. 313-340. Sensiblement postérieure à la littérature des Corl’aristotélisme ct une philosophie dc contenu augusrcctolrcs, puisqu’elle suppose définitivement consti­ tlnien, mais entre deux formes inégalement évoluées de l’aristotélisme. » Op. cil., p. 719. Il nous semble tuées les grandes collections quodlibéliques, se pré­ cependant que c’est au nom d’Augustin que Pccham sente in littérature des Impugnaliones, réponses tho mlstcs : ù Henri de Gand, par Bernard dcGannalou a attaque le thomisme et que l'école franciscaine, de Clermont (cf. Glorieux, Répertoire des malices en môme dc nos jours, n’a jamais cessé dc revendiquer le titre d’école augustlnienne. théol. dc Paris au .\np siècle, t. i, p. 172), par Robert 1® Thomisme et augustinisme après la mort dc dc Collctorto, ms. Vat. lut. 081, et Hervé Nédellcc,Dc saint Thomas d'Again. — La mort dc saint Thomas ne quattuor materiis: à Godefroid de Fontaines, eg de­ devait point arrêter cc conflit entre l’école dite augusment par Bernard de Gannat; à Gilles dc Rome, cf.les tinicnne et le thomisme naissant. Il suffît de rappeler anonymes Impugnationes contra Fr. Aegldium contra­ brièvement les principaux faits. Voir ci-dessus, art. dicentem Thomae «. fwn Sententiarum, éd. Bruni, Tbmpii h, col. 99 sq. L'ordre d’enquête de Jean XXI Borne, 1942; à Jacques de Viterbo (Bernard dc Gan­ nat). On sait que Capréolus utilkera largement Ber­ à Étienne Tcmpicr (lettre du 18 janvier 1277, dans Denifle-Chntelain, Chartularium Univers. Parisiensis, nard de Gannat, dont B reprend le procédé littéraire, t. i, p. 541) provoque de la part dc ce dernier In fa­ résumé du QuodlIbet incriminé, suivi de sa réfuta­ tion. Ces deux groupes d’écrits, Correctoires et Impu­ meuse condamnation du 7 mars 1277, Denillc-Chatelain. L i, p. 543-558, fait dominant dc l'histoire de l'uni­ gnationes, ne représentent d'ailletm qu’une partie de versité pendant toute la fin du xin· siècle. Plusieurs l'activité de l'école thomiste. Pour une vue d'ensem» thèses thomistes sont certainement visées. Quelques ble, consulter Ubcrweg-Gcyer, p. 529-543, 769-773; jours plu·» tard, le 18 mars, la thèse de l’unité de forme Grabmann, Geschichte der kalhol. Théologie, 1933, p. 95-102, 306-809; Glorieux, Répertoire..,, t. 1, p. 127substantielle chez l’homme était atteinte â son tour ά Oxford. Ibid., p. 558-559. Voir le récit des faits dans 205; pour le thomisme â Oxford, cf. A.-G. Little cl Mandonnet, Siger..,, t. i, p. 210-239, qui conjecture F. Pclster, Oxford Theology and Theologians c. A. I). 128 Fiddly Oxford, 1934; quelques compléments une entente entre Tcmpicr ct Kilwardby. Cf. égale­ ment P. Glorieux, Comment les thèses thomistes jurent bibliographiques dans Bull thomiste, t. ni, p. 958proscrites à Oxford, dims Beo. thomiste, n. h., t. x, 976; t. iv, 1936, p. 810-832. /Avec les premières années 1927, p. 260-29L Le mois suivant, 28 avril, nou­ du siècle suivant, à In lutte contre le vieil augustinisme se substitue la polémique contre Durand et contre velle Intervention de Jean XXI par sa bulle Flumen agua vivir, é frais de la démonstration. Cf. Fr. Pelstcr, Thomas d. Sutton, ein Oxforder Verfeidiger der durée éternelle, real lier ct actualller per suas naturas. thomislischen Lehre, dans Zeitschrift /. kathol Théologie, Une telle alllrmation revient A soutenir l'éternité des t. xlvi. 1922. p. 379-381 (promotion); p. 383-386 choses et par conséquent l'éternité du monde. Ldlt. (prescience divine, textes du Liber propu gnator tus); Glorieux. I.e Correctorium corruptorii..., p. 18. En outre. In présence physique des futurs, telle que saint Tho­ R. Martin, Pro tutela doctrina- Sancti Thoma Aq. de in fluxu causir primie (n causas secundas, dans Div. mas la conçoit, rendrait inutile les raisons ou « règles » Thomas, Fri bourg, 1923, p. 359-372; O. Lot tin, Tho­ drs choses dans l'intellect divin. Ibid., p. 19, Du mémo coup, la science divine ne serait plus cause des choses. mas de Sutton et te libre arbitre, dans llech de tMol Ne les connaissant point par ses Idées, mais seulement anc. et médiévale, t. ix. 1937, p. 282-283. Il est exact que saint Thomas, quand 11 veut établir parle regard intuitif qu'il porte sur elles. Dieu devrait recevoir de scs créatures et leur mendier en quelque In connaissance des futur» contingents en Dieu, in bte sur l’argument de la présence physique des futurs, ar­ sorte la certitude de son acte de connaissance. Si cnim gument qui lui fourni sali une réponse particulière­ (Deus) cognoscit aliter quam per rationes quas habet ment frappante. Mais le saint Docteur possédait dans apud se... ferendo intuitum sujicr ipsas res, hoc non potest tntetligl Del satiem fingi nisi per receptionem. son propre système tous 1rs éléments qui lui eussent permis de faire intervenir la causalité première. Pour­ Deum a idem cognoscere aliquid per receptionem, est quoi tels futurs plutôt que d'autres Ont-ils éternelle­ impossibile. Ibid., p. 20. On volt que Guillaume a compris la pensée de saint Thomas, comme la com­ ment présents devant le regard «le Dieu? Parce que la prendront les disciple·, de Scot et A leur suite un cer­ science divine, répondait saint Thomas, est cause des choses conjuncta voluntate 1·, q. χιν, a. 8. C'est donc tain nombre d historiens modernes, pour lesquels la ù In volonté divine que revient In détermination de* scolastique avant Scot n'a pas eu une claire conscience futurs · voluntati divi me non solum subjacet expletio du problème de la prescience des futurs contingents. effectus, sed etiam omnium causarum prn cedentium ordo Sous l’iniluence de saint Augustin et de Boèce, saint secundum illas conditiones quibus determinantur ad Tliornas est conduit A considérer la science des futurs en Dieu comme un regard exercé du sommet de l’éter­ effectum. In //* ’ Sent., «list. Χ1Λ II, q. t, it 2. ad 3*·. nité divine, regard qui renferme cl enveloppe tous tes Dant In Somme, saint Thomas exclura en termes for­ temps dans son absolue simplicité. C'était laisser mels ht thèse des décréta indifférents qui tireraient échapper le nœud du problème : comment expliquer des causes secondes le principe de leur détermination. In vérité intrinsèque du futur contingent en lui-même? I·, q. xix, a. 8. Los effets contingents sont tels non pas A raison de leur seule cause Immédiate, mais parce que comment en d’autres termes se résoud son indifférence Dieu n adapte telle cause contingente A tel effet qu'il ad utrundibet? Telle est l’opinion exposée dans ses différents ouvrages par le Dr Schwamm. Cf. H. voulait voir xe produire scion le mode de la contin­ Schwamm, Dus gôttliche Vorherivisscn bel Duns Seotus gence : quia voluit cos contingenter evenisse, contingen­ tes causas ad cos peerparavit. Cf. aussi Perl llerm., 1, und sclnm ersten Anhdnqcrn, Inspruck, 1934; voir In bibliographie du sujet dans hull, thomiste, t. ni, lect. 14. n 22 (éd. léonine). Quelle fut, sur ces questions, la position de l’an­ p. 976-982. Pour saint Thomas, selon le Dr Schwamm, cienne école thomiste? Sur la réponse de Itninbert do ni In saisie des futurs dans leur» causes prochaines, Bologne, dans .son Apologetlcus, ct. Grobllcki, op. cil , ni même leur table dans l’essence divine comme cause première, m· suffisent A fonder la connaissance infail­ p. 115-125. L'auteur du corrcctolre · Quare ». A la dif­ lible el certaine que Dieu en possède. D'où In néces­ férence de Rambert, n abandonné la thèse thomiste de sité de recourir A l'intuition de ces futurs in seipsis, la présence physique des futur» dam le medium de la connaissance étemelle. Il parait en effet réduire la dans l'étemel présent de la connaissance divine; cf. connaissance des futurs par Dieu à une simple présence Schwamm. op. cii., p. 91-99. 663 THOMAS D’AQUIN : L*ÉTÉ H N ITβ DU MONDE intentionnelle, semblable Λ la connaissance certaine que nous pouvons posséder d’un fait passé. Cf. Glo­ rieux, Ix corredorium Corruptoriis, p. 22, cf. p. 24. La pensée dc saint Thomas a été saisie d’une façon plus profonde par Jean Quidort, dans le Corrcctoirc • Circa ». La présence physique des choses dans l’éter­ nité ne signifie pas la même chose que l'étend té dc ccs choses, pas plus que la présence d'un dire quelcon­ que dans le temps ne sign! Ile su coexistence ù tous les instants du temps. Éd. Müller, p. 24. D'autre part, la présence des futurs dans l'étemel le durée ne rend pas les idées divines inutiles, pas plus que la présence phy­ sique de Socrate devant moi, ne supprime la nécessité de l'espèce sensible pour que je puisse le voir. Enfin, il n'est point vrai que la thèse de suint Thomas aboutisse à retirer à la science divine l'attribution dc la causalité universelle : scientia Dei causa rerum. La présence des futurs dans l’éternité n’est pas le présupposé dc la science divine, c'est au contraire cette science qui donne aux choses une telle présence : intelligil (Deux) de rebus quia sunt per rationes quas a rebus non accipit. Intelligil etiam de rebus quia erunt lune net (une, quia intuetur eas sibi praesentes in ætern itate, quam pnesenHorn etiam ipse dat rebus. Op. cit., p. 32. Sur les correctoires c Sciendum » et « Quæstione », cf. quelques remarques dans Groblicki, op. cit., p. 109-115,125-129. Jean Quidort nous apporte la preuve qu'aux environs de 1284. & Paris, on était fort loin de reconnaître dans les objections de Guillaume de la Marc l'interpréta­ tion authentique dc la pensée de saint Thomas sur cc difficile problème. A la Noël de 1284, Henri dc Gand aborde la question dam son Quodlibel vin et la résoud dans un sens nettement volontariste, qui en fait un précurseur de Scot. Schwamm, Das gôttliche Vorherwi&sen..., p. 99-108. Guillaume de la Marc a laissé de côté les divergences doctrinales qui concernent la théologie trinitaire. Cf. sur celles-ci M. Schmaus, Der Liber propugnatorius des Thomas Anglicus und die Lehrunterschiede zuuschen Thomas v. A. und Duns Scolus, i, dans Beitrâge..., t. xxix, 1930, surtout p. 391-482 (constitution des divines personnes par la relation ou par Vorigo). 2. L'éternité du monde et les erreurs des philosophes. — Saint Thomas a toujours admis que la contingence essentielle du monde et sa dépendance essentielle dims l’être par rapport ù Dieu étaient de sol séparables d'un commencement absolu des choses dans le temps. L'Idée d’une première cause de l'être peut en effet fain* l’objet d'une démonstration véritable, tandis que le commencement des choses est, selon saint Thomas, un < article de foi ». Cette thèse fameuse comporte ainsi deux parties qu'il distingue toujours avec soin : i .st-i1 possible de prouver l'éternité du monde et les < raisons » des philosophes sont-elles sur cc point démonstratives? (Sur le sens du terme, les < philoso­ phes », cf. M.-D. Chenu, Les « Philosophes » dans la philosophie chrétienne médiévale, dans Rev. des sc. phil. et théol., t. xxvi, 1937, p. 27-40). D'autre part est-il jK)s\ib!e, comme le prétendaient les théologiens d alors, dc prouver dc façon certaine le conunenceimnl des choses dans le temps? a) L'éternité du monde. — Dès son Commentaire des Sentences, saint Thomas a pensé qu’Aristotc était parvenu à concevoir la contingence radicule du monde et la causalité universelle du premier moteur; cf. Sent., dist. L q. i, a. 5, ad 1** in contrarium, éd. Mandonne tv p 38. Jamais l'attitude du saint ne variera or ce point et jamais II n’attribuera à Aristote ni h Platon V intolerabilis error, colle d’un inonde indé­ pendant dc Dieu dans son être. Tout au contraire : Plato ri Aridoteles pervenerunt ad coqnoscendum prin· cipium totius esse. Phys.,\. VIII, lect 2, n. 5, éd. léon. Mémo affirmations au cours du second enseignement 66'. parisien; cf. Contra murin., Mnndonnet, Opuscula omnia, t. t, p. 22 : philosophi confitentur et probant.,.; à Naples enfin, De subst. separ., Mandonnet, éd. cil., 1.1, p. 103 : non œstimandum est... Il convient dénoter cependant que la confiance de saint Thomas sur ce point prend source dans l'apocryphe Λ/et, A, 1,093ξ 20-27; cf. Phys., 1. VIII, lect. 2,’n. 4. Par contre, saint Thomas est non moins catégori­ que, lorsqu'il affirme que le Stagirite a enseigné comme une thèse certaine et non comme une simple hypothèse l'éternité du monde. Son opinion sur ce point est donc « fausse et hérétique », comme celle des autres philosophes. In Sent., loc. cit. Seulement, les « raisons » du Philosophe dans la Physique et le De cælo, ne sont point, de son propre avis, pleinement démonstratives. Top., A, 11, 104 b, 12-17; sur ce texte, cf. R. Jolivet. Aristote et la notion de création, dans Reo. se. phil. et théol., L xtx, 1930, p. 16. Telle est la solution de saint Thomas dans les Sentences, solu­ tion qui suit de très près Maimonide. Non debcmiu putare quod Aristoteles credidit rationes illas esse dt~ montrationes, écrivait le philosophe juif. Dux neutro­ rum, ii, 15, ms. Val. lut. 1124, P 53 ν’ a; S. Munck,Le guide des égarés, t. n, p. 28. Sur Thomas et Maimo­ nide, voir A. Rohner, Der Schôpfungsbegrifl bel Moses Maimonides, Albertus Magnus und Thomas von Aquin, dans Beitrâge, t. xi, fasc. 5, 1913; E. Koplowitz, Die Abhdngigkeit Thomas u. Aq. von Rabbi Mose ben Maimon. Wurtzbourg (diss.), 1935. Dans son Commentaire des Physiques (vers 1265), saint Thomas affirmera avec force qu’il est « frivole » dc penser, comme le font certains, qu’Aristotc n'a pas enseigné dc façon ferme l’éternité du monde. Phys., 1. VII1, lect. 2, éd. léon., 16. S'il en était ainsi, on ne comprendrait point qu'Aristote parte justement de l'éternité du mouvement pour établir l’existence du premier moteur. Ibid. Le même argument sera re­ pris par Slgcr dc Brabant : ex œtcrnitale motus probat IAristoteles] quod sunt substantial separata. Phys., VIII, q. vi, éd. P. Delhaye, Les philosophes belges, t, xv, p. 199. Seulement, saint Thomas continue à dis­ tinguer la thèse fermement enseignée par Aristote et les · raisons » du Stagirite dans la Physique et le. De cælo. Ces dernières ne sont efficaces que si le mouve­ ment avait dû commencer per modum nalurte. Phys., loc. cil., n. 17. Même position dans le Commentaire dc la Métaphysique, 1. XII, lect. 5, n. 2496-2497 (Cathala), où saint Thomas accorde aux arguments du Philosophe la valeur dc démonstrations ad hominem contre Empédoclo et Anaxagore. Même explication enfin dans le De cælo : Prædictæ rationes procedunt contra positionem ponentem mundum esse lactum per generationem, I. I, lect. 29, n. 12. Les « raisons » du Philosophe. — læs théologiens du Moyen-Age pouvaient lire dans Pierre Lombard une allusion aux erreurs d’?\ristotc sur le problème do la création. IIua Sent., «list. I, n. 3. On chercherait en vain cependant la question : utrum mundus sit æter· nus? chez les théologiens dc la vieille école, même après l’introduction des Physiques dans le monde occidental. Voir sur ce point A. Mansion, Les traduc­ tions arabo-tatines de la Physique d'Aristote dans ta tradition manuscrite, dans Reu. néo-scol. de philos., t. xxxvn, 1934, p. 202; De Wulf(Pelzer), Histoire de ta philosophie médiévale, 6· éd., t. n, p. 28, 38. Mais le problème pouvait s’introduire par un autre biais dans 1rs préoccupations des théologiens. Dans la Summa aurea de Guillaume d’Auxerre, on a lu tnrprlsc dele voir soulevé non point contre les philosophes, mais contre les manichéens : quærit Manichæus in quo « principio ». Nam, si in principio temporis, ante ergo otiosus erat [Deui). Summa aurea. I. II. tract, νιι,ο. 2, éd. Pigouchet, Paris, 1500, f° 52 r° b. SI Dieu, continue 665 THOMAS D’AQUIN : L’ÉTERNITÉ DU MONDI 666 l’objectant, pouvait créer le monde et qu'il ne l'ait qu’Aristotc n'a point admis une telle conclusion et qu’il a simplement voulu prouser, non pas que le pas fuit, c’est donc par malice on par envie qu’il a agi dc lu sorte : ai potuit d non voluit, invidus fuit. Il est monde n’a pu commencer, mais qu'il ne pouvait com­ mencer par manière dc mouvement. In H· · Sent.. peu probable que Guillaume d’Auxerre sc réfère ici aux manichéens de l'antiquité cccléalustlquet qui en­ dist. I, i, a. 1, q. n. Qu’en est-il en réalité, ajoute Bona­ seignaient dc fait l'éternité du monde, cf. arL Mani­ venture, je l'ignore, nescio. En 1269, Gérard d’Abbe­ ville, dans son Quodlibet xiv, dira comme Jadis Phi­ chéisme, t. ix, col. 1873. Il songe plutôt aux héréti­ ques de son temps. On retrouve en cflct déjà l'argu­ lippe : non probavit Aristoteles motus et temporis aterment de V invidia divine, dans Alain dc Lille, Contra nitatem, sed eoxternitatem. Ms. Vat. lat. 1015, p 131 r*b. Sur la pensée d’Albert le Grund, consulter A. Rohner, hier., i, 3, />. L., t. ccx, col. 309 B. Voir aussi Haynicr Sacconi, Somma de calharis, éd. Dondaine, dans Le Der Schôpfungsbegriff..., p. 45-92. Saint Thomas, n écrit M. le professeur Mansion, Liber de duobus principiis, Borne, 1939, p. 73. D'autre part, Guillaume d'Auxerre, dans les chapitres addi­ « avait à un degré inconnu de ses contemporains, le tionnels du I. Iw dc sa Summa aurea, discute bien les , souci dc la documentation directe et précise ». Les tra­ ductions arabo-latines. , dans Rev. néo-seoladlque, arguments des philosophes sur la création médiate t. xxxvii, 1934, p. 218. Dès son commentaire des Sen­ et parle même de Parménidc et dc Méllssos. Mai! Il ne souille mot d'Aristote et dc l'éternité du monde. Guil- I tences, lo saint Docteur au lieu d'une série dialectique anonyme, distingue soigneusement ce qui est d*Aris­ Jaunie d’Auvergne, De universo, 1, π, c. 8-11, Orléans, tote et cc qui revient A ses disciples arabes. Dans le 1674, t. i, p. 690-700, discute surtout les arguments texte capital du De potentia, q. in, a. 17, il explique d’Avicenne. qu’Aristotc avait simplement voulu établir que le Dans le Commentaire des Sentences d'Hugues dc monde n’a pu commencer par mode de mouvement. Saint-Cher, c'est bien contre Aristote qu'est soulevé Au contraire ses disciples (c.-à-d. Avicenne), ayant ccttc fois le problème dc l'éternité du monde. Ms. Vat. admis que le monde procède dc Dieu par l’acte de sa lat. 1098, p 45 v* b-46 r° a. Mais nu Heu d’exposer les arguments du Philosophe, Hugues sc contente de citer volonté et non par manière dc mouvement, se sont De gen., B, 10, 336 a, 27 : idem similiter omnino se habens, efforcés de prouver l'éternité du monde, en partant natum est omnino idem /acere. Les autres arguments, non pas du mouvement, mais de l’impossibilité d’un changement dans le vouloir de Dieu, per hoc quod vo­ empruntés A la théodicée, sont étrangers A Aristote : luntas (De ) non retardai facere quod intendit. ad hoc quod artifex exeat in actum, sufficiunt hxc tria : 11 est indispensable dc donner un aperçu rapide de scientia. potentia, voluntas. Sed hxc ab teterno fuerunt in Deo. Voir le même argument dans Alain dc Mlle, ces arguments. Pour ce qui concerne Aristote luiop. cil,, i, 5, P. L., t. ccx, col. 311. Il y a une infor­ même, saint Thomas expose : a) l'argument tiré del’in­ mation beaucoup plus précise dc la physique d’Aris­ corruptibilité dc la matière première; elle ne peut non plus être engendrée. Phys., A, 9. 192 a, 28; cf In I l·9 tote dans la Summa de bono du chancelier Philippe, Sent., dut. L q. i. a. 5, obj. 1; 1·. q. χιλι !. obj. 3. qui nous fournit un résumé substantiel des arguments du Stagirite. Summa de bono, ms. Vat. lat. 7669, L'affirmation est plus vraie encore des corps célestes, f° 6 r» b. Si le mouvement du premier mobile n'est soumis au seul mouvement de rotation circulaire. Si le ciel et la matière première sont inengendrés, ils sont pas étemel, il y n donc eu changement, soit du côté du donc sans commencement. In II** Sent., ibid., obj. 2; moteur, soit du côté du mobile. Or, le premier moteur Cont. Gent.. 1. II, c. xxxin, obj. 2; De potent., q. ut. ne peut être sujet au changement. D'autre part, le a. 17, obj. 2; I·, q. xi.vi, a. 1, obj. 2. — b) L’argument premier mobile n'est point sujet A la corruption et son mouvement circulaire et uniforme s'oppose à la dis­ du « nunc » ; dans le temps, seul l’instant est saisissablc; lui seul n une existence réelle. Or, l’instant est un tinction d’un repos et d’une mise en mouvement. Dc moyen terme entre un avant et un après. Nécessaire­ plus, la mise en branle du mobile suppose elle-même ment de part et d'autre dc l'instant, il y aura du un changement antérieur et ainsi de suite A l’infini· temps. Si l’on voulait assigner un instant qui marque­ Enfin, ccttc mise en mouvement du premier mobile sc rait le commencement du monde, H faudrait qu’avant produit dans le temps. Il y avait donc du temps avant celui qui est la mesure du premier mobile et par consé­ cc premier instant, il y ait du temps et par conséquent du mouvement. Phys. Θ, 1, 251 b, 19-26; cf. In //·■ quent du mouvement. Le jugement du chancelier (ou Sent., obj. 5; De pot., obj. 15; 1% obj. 7; Cont. Gent., dc son modèle, cf. P. Glorieux, La Summa duacensis, dans Rech. de théol. une. el méiL. t. xn, 1910, p. 104- I. II, c. xxxii!, obj. 5. — c) La mise en mous ement du mobile suppose un rapprochement et un contact entre 135) est particulièrement ferme dans i'appréciation des raisons, ici authentiques, du Philosophe : rationes celui-ci et le moteur. Or, la relation dc contact entre le quas ponit Aristoteles non sunt nisi ad probandum mun­ moteur et le mobile, comme tous les relatifs, suppose dum exsc perpetuum et non irternum. Ms. cit., f° 6 v· a. aussi l’action. Si le mouvement n’est pas étemel, Aristote, en d’autres termes, a seulement voulu comme le veut Empédoclc. c’est donc qin ni le mo­ prouver (pic le temps, le mouvement et le premier teur. ni le mobile n’étalent en état l’un dc mouvoir, mobile sont coextensifs dans In durée. Les arguments l’autre d’être mû. 11 leur faut donc acquérir cette du Philosophe ne prouvent donc rien dans un pro­ possibilité par un rapprochement qui ne peut s’opérer que par voie de mouvement et ici encore il y aura blème qui dépasse sa pensée, celui dc la production des choses dans l'être : non fuit autem de proprietate mouvement et temps avant le soi-disant premier mou voment. Phys., ibid., 251 b, 1-10; cf. Conf. Gent., illius philosophise investigare exitum primi mobilis in ibid., obj. 3; In //** Sent., obj. 8; 1\ obj. 5. esse. Ms., cit. f° 6 v° a. Odon Bigami, qui expose lui Saint Thomas reproduit souvent un argument aussi avec précision les arguments d’Aristote, aboutit ù la même conclusion : Philosophus in naturali philo­ • commun A tous les péripatéticicns arabes » (argu­ ment attribué faussement par Albert le Gnmd A sophia, ex naturalibus procedens, verum dixit : tempus Averroès, cf. In I/*m Sent., dist. L a. 10, Borgnet, et motum non incepisse, scilicet via naturx. Ms. Vat. t. xxvii, p. 26). Ce qui commence A être était antérieu­ lat. 5982, fo 79 r° b. Pourtant, la thèse d’Aristote, rement possible. Or, lo possible reside dans un sufet absolument parlant est fausse : le monde a commencé, et le sujet des possibles, c’est la matière. La matière mais par voie de création. Saint Bonaventure est plus sévère pour Aristote. Comme saint Thomas, il pense ! existait donc avant le monde, et par conséquent les que le Philosophe a vraiment enseigné l'éternité du formes, puisque la matière ne peut en être totalement monde, bien (pic certains modernes prétendent dénudée. Cf. Cont. Gent., I. 11, c. xxxiv, obj. 3; De 667 THOMAS D’AQUIN : L’ÉTERNITÉ pot., obj. 10; b, obj. 1 et surtout Comp. theol., c. xeix. — Λ la métaphysique d'Avicenne (tract, ix, c. 1). est emprunté l'argument : le Créateur précède le inonde d’une simple priorité de nature, ou d'une priorité dans la durée. Dans le premier cas, le monde est étemel. Dans le second, la postériorité du monde ne peut s'nfllrmer que dans un rapport temporel. Le temps existait donc avant li monde ct par conséquent le mouvement dont le temps est la mesure : hoc verbum · fuit » signi­ ficat id quod pnrteriit... prius igitur jam juif aliqua jac­ tura quir peerteriit antequam crearet (Deus) aliquam creaturam. Avicenne, hiet., tract, ix, 1, ms. Vat. tat. tt2S, f° 67 v° a; ct. In Ilaia Sent., obj. 7; De pol., q. in, a. 17, obj. 20; b, obj. 8 Plus délicates sont les objections empruntées à Averroès : a) Si Dieu a créé le monde, non par néces­ sité de nature, mais par un acte de sa volonté libre, pourquoi, demande Averroès, a-t-il tardé à produire son effet? A moins d’un obstacle ou d’une circonstance particulière qui l'oblige à différer (comme on attend le froid pour faire du feu), toute volonté passe île suite à l'exécution de son vouloir : non postponit jacere quod intendit nisi propter existentiam alicujus intentionis in re intenta quæ non erat in tempore voluntatis. Phys., vm, texte eo. 15, Venise, 1550, t. iv, f° 150 r° a. Si Dieu a attendu, il devait donc exister dans la créature quelque obstacle qui l'obligeait à attendre. Pour sup­ pléer à cc défaut, Dieu n dû intervenir par un mou­ vement antérieur à la création elle-même. Ainsi un changement nouveau ne procède d'une voluntas anti­ qua que par l’intermédiaire d’une action antérieure, mediante actione antiqua, principe reproduit textuel­ lement par saint Thomas, In Ihm Sent., obj. 14; Cont. Gent., I. Il, c. xxxn, obj. 4; Comp. theot., c. xcvni, rt directement visé par la prop. 39 de la condamnation de 1277. — b) L’agent volontaire dans lequel l'action succède au repos, doit au moins · imaginer » une suc­ cession temporelle entre ce repos ct cet agir; discer­ nendo tempus a quo vult agere a tempore a quo non vult, expliquera saint Thomas. In //«“ Sent., obj. 13. Or, imaginer du temps, disait assez obscurément Aver­ roès, est un changement qui suppose lui-même un autre changement : imaginari tempus est transmutatio sequens transmutationem, scilicet imaginari præsentiam ejus (toc. cit.). Imaginer une succession dans le temps, explique saint Thomas, suppose le changement soit dans l'acte même de l’imagination (ceci suppose deux actes successifs de la « phantalslc >) ou tout au moins un changement entre les deux termes de la succession imaginée. De toute manière, quand la volonté com­ mencera effectivement à agir, son action aura été précédée d’un autre mouvement du côté du terme ou de la chose imaginée, b, q. xlvi, a. 1, obj. 6. — A la fln iI de sa carrière, saint Thomas ajoutera encore à sa docu­ mentation les objections de Simplicius, qu’il utilise dans son propre commentaire du De calo,\. I, lect. G, n. 8, éd. léoa· Voici maintenant les solutions de saint Thomas. L’argument d’Aristote, tiré de la matière incorrup­ tible ct incngcndréc des corps célestes, prouve bien que le ciel n’a pu commencer par manière de mouve­ ment ct de génération, ex materia præexistenti. Il ne saurait prouver que le ciel et la matière première sub­ lunaire n’ont pu commencer de façon absolue, sans mouvement ct par voie de création ex nihilo. In //·”» Sent., od l*1, ad 2*ra; b. ad 3·*; Dead., L 1, lect. 6, n. 7. — Si les corps célestes ont la propriété d’une existence perpétuelle, liée à leur incorruptibilité, cette propriété ne concerne en réalité que le présent cl le futur, non le passé. Car un être possède en lui la pro­ priété de faire quelque chose, non de l’avoir fait. On ne peut donc conclure du présent au passé ct de Γin­ corruptibilité du ciel à son éternité. De pot., ad 2«». DU MONDE <>68 Ainsi se trouve écarté l'obstacle du principe aristotéli­ cien : τό γάρ έξ ανάγκης καί del άμα, Gen., B, II, 337 b, 35, obstacle infranchissable pour l'idée chré­ tienne de création selon Duhem, Le système du monde, t. iv, p. 187. Saint Thomas théologien proposera encore une autre solution du principe (l’Aristote. Ce qui ne renferme point en soi-même de principe intrin­ sèque de non-être peut cependant ne pus être par comparaison à la puissance active d’un autre sujet (aliena potentia), c’est-à-dire en l’espèce par compa­ raison à la toute puissance divine, qui peut le réduire au néant, b, q. ix, a. 2. — L'argument du nunc ol en réalité un cercle vicieux. In //·· Sent., ad 2··. Dire que, de part et d’autre de l’instant, il y a néces­ sairement du temps, c’est supposer la régression à l’infini du temps et par conséquent du mouvement. Or, c’est justement ce qui est en question. Rien n’em­ pêche au contraire de supposer un instant qui, au Heu d'être un intermédiaire entre un avant ct un après, serait le principe absolu du temps. Cont. Gent., I. 11, c. xxxvi, 5°. Néanmoins l’argument d’Aristote con­ serve sa valeur contre les Physiciens. De pot., ad 15··. Contre les philosophes arabes, on doit tenir que, si le mouvement était possible avant d’être, celte antério­ rité du possible n’impllqucraitpointcelle de lamatièrr. Il suffit que le monde soit possible dans la puissance active de Dieu ou même par la simple cohérence logi­ que des termes, De pot., ad 10,lra; Cont. Gent., 1. H, c. xxxvii, 3°; Comp. theol., c. xeix. Contre Avicenne, on peut faire observer que l’antériorité de Dieu dans la durée n’est point mesurée par le temps. In li­ sent., ad 5°·; De pot., ad 20·“"; b, ad 8“m. Contre Averroès, saint Thomas observe que, si Dieu n’a point créé de toute éternité, c'est parce que quelque chose manquait à l’objet de son vouloir, c’est-à-dire la pro­ portion du monde à sa fln qui n'est autre que cc vou­ loir même. Dieu a voulu que le monde commençât dims le temps. S'il l’avait créé ab aterno, cette propor­ tion du monde au vouloir divin lui ferait défaut In //«« Sent,ad 14un». Plus clairement dans le Contra Gentes, saint Thomas écrit qu’il n’y a pas à propre­ ment parler de retard ou d’attente dans lu volonté divine, ni dans l'œuvre créatrice. Car Dieu a créé au moment où il avait disposé de toute éternité que les choses seraient. Cont. Gent., I. II, c. xxxv, 4e. Reste enfin l’argument de la succession temporelle ou ima­ ginaire. Sur ce point saint Thomas réplique qu’il n’y a de succession · imaginée », ni du côté de l’intellect divin, qui saisit toute succession dans une indivisible unité, ni même du côté du monde, ex parte rei imaginatæ. Car avant le monde, le temps n’existait point et seule l’éternité précède les choses. In //"“ Sent., ad 13'*·. b) La création dans le temps est-elle démontrable? — Dans son Commentaire des Sentences (I. Il, dlsL I, i, a. 1, q. n), suint Bonaventure enseigne la possibilité d’une telle démonstration. Il y a en effet répugnance intrinsèque entre un monde créé par Dieu ct une durée étemelle. Au contraire, l’éternité du monde ne répugne point, si l'on pose un principe premier matériel, indé­ pendant de la création divine dans son être. Dans cette dernière hypothèse, l'éternité du monde est même plus vraisemblable qu'une matière informe étemelle ctsans influence du démiurge. Si l'on suppose ainsi une masse de sable sans commencement ct un pied humain éga­ lement étemel, le vestige de ce pied dans le sable serait coétemel à l’un ct à l’autre, allusion au texte fameux d’Augustin, De civ. Dei, I. X, c.xxxi, P. L., t. xli, col. 311. Saint Thomas, lorsqu’il cite cc texte, le réfère non à I’intolerabilis error d’un monde non créé par Dieu, mais à l'opinion des philosophes (Avicenne) qui admettent une véritable création avec dépendance totale dans 1 être, mais création ab eeterno. b, q. xlvi, 669 THOMAS D’AOl IN L’ÉTERNITÉ DU MONDE 670 n. 2, nd I··; Contra murmurantes, Mandonnct, Opus­ demonstration directe (propter quid) du commence­ ment des choses, mais seulement d’une réduction à cula omnia, t. î, p. 26. — Dans son Comment dre des Sentcnci s, Albert le Grand avait préludé avec pru­ l’absurde de l'opinion des philosophes. Glorieux, Is dence à la thèse de son disciple. Bien de plus · pro­ correctnrium Corruptorii..., p. 32. Les arguments essentiels des théologiens augustIbable % dit-il, infime selon la raison seule, que le monde niens peuvent sc réduire aux points suivants : ait commencé. In J!·** Sent., dist. I, a. 10, Borgmt, a. //impossibilité de V achèvement d'une série infinie t. xxvn, p, 28 a. Les arguments des théologie ns sont (infinita non est pertranstre). SI le monde est étemel, traités de m'a fortis, via fortior. Mais Albert >e garde une multitude Infinie de jours a précédé celui oü nous bien de parler de certitude. Même prudence, au coun de la crise de 1270 dans le De quindecim problematibus. vivons. Or, une série infinie est inépuisable, nous ne Texte dans Mandonnct, Siger de lirabant, t. ir, p. 39- serions donc jamais parvenu» au jour présent. Saint Bonaventure, In Π·· Sent., dist. I, i, a. 1, q. n, fund, •10. c; cf. Saint Thomas, In I/·· Sent., dist. I, q. r, a. 5, Dès le commentaire des Sentences, saint Thomas affirme au contraire que les arguments des théologiens sed cont. 3; Cont. Geni., I. II, c. xxxvni, 3°; I*, q. xlvi, a. 2, obj. 6. — Mais il s'agirait là, répond saint august iniens sont des · sophismes >. In //·“» Sent., Thomas, d’un infini successif ct non d'une infinité dist. I, q. î, a. 5. C’était le mot même de Maimonide en acte. Cc qui serait nombre dans cette multitude contre les Motecallemin : non sophisticate animam infinie ct successive serait nécessairement fini, ex ali­ meam ut viam illorum nominem demonstrationes. Ms. quo determinato ad hunc determinatum. Il n'en rédui­ Vat. lat. 1124, f° 51 r° b. Mnis saint Thomas n’a pas rait nullement I ’ ί raponi bi II lé d’une multitude infinie toujours expose sous la même forme l’argument de qui échapperait à la numération. D’autre part, le temps principe qu’il oppose à ces prétendues démonstrations. Dans les Sentences, il s'inspire presque littéralement serait, dans l'hypothèse, infini a parte ante, non a parte post, puisqu’il trouve un terme fixe dans le jour pré­ de Maimonide. On ne saurait, dit-il, décrire la genèse d’un être en partant de sa forme in esse perfecto. L’en­ sent. En sens inverse, le futur est fini a parte aide, mais Infini a parte post. La solution de saint Thomas fant nourri dans une île déserte consentirait-il à croire repose en définitive sur la distinction entre multitude qu’il est demeuré neuf mois dans le sein maternel? infinie et nombre infini. In //·* Sent., ad 3c. 1, p. 3-11 ; cf. P. L., t. lxîii, simultanée des contradictoires, répond saint Thomas, col. 1075-1078). Or, le De unitate a passé longtemps pour une oeuvre de Boècc. Il est encore cité sous le parce que le non-être ici signifie simplement ce que la créature serait, si elle était abandonnée à cl Ιο­ nom de ce dernier dans les Quirstiones de anima de même: esse/ nihil si sibi relinqueretur. Contra murmu­ Jean Pccham, éd. Spettmann, dans Ikitrâge, t. xïx. rantes, loc. cit. fasc. 5-6, p. 183. Pccham peut ainsi opposer l’autorité Une créature sans commencement ne serait d’ail­ du De unitate à l’authentique De duabus naturis qui leurs point l’égale de Dieu dans la durée, comme le semblait favoriser la thèse thomiste. Le Corrcctolrc croyait Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, i 11, de Guillaume de la Mare (Glorieux, Le correctorium..., tract, vu, c. 2, Pigouchct, ί° 52 r° b. Car aucune com­ p. 50) conserve la même attribution pour l’autorité : paraison n’est possible entre un temps, même illi­ aliud est simpliciter unum ut Deus, aliud simplicium mité, ct l’immuable possession de l’éternité. In 11™ : conjunctione... quorum unumquodque est unum conjunc­ Sent., ad 7*·; 1·, ad 5·“. I tione materie et /orme. Éd. Correns, p. 9. 11 y avait Dans lu condamnation de 1277, de nombreuses longtemps, à cette date, que saint Ί homas, dans son Quodl. ïx, q. xv, a. 2, ad 2tt' , ύ la fin de son premier propositions visent l’éternité du monde; cf. prop. 3, 5, 70-72, 80. 87-95, 99, 101, 107. Denlfle-Chatelaln, enseignement parisien, avait rejeté, pour des raisons Chartularium..., t. i, p. 544-549. A noter surtout In de critique interne l’autorité du pseudo-Boèce; cf. Dr prop. 99, qui vise Avicenne ct sa théorie de In créa­ spir. creat., a. 1, ad 21tom. tion ab eelemo non esse non prtrccssil esse duration?, Pour l’histoire du problème avant saint Thomas, sed natura tantum, mais qui. derrière Avicenne, attei­ consulter E. Klclneldam, /Ja< Problem der hiilomorphen gnait saint Thomas, lequel avait utilisé les textes du Zusammensdzung der geisligen Substanzen im MU. philosophe arabe. La thèse thomiste nc fut pas non Jahrhundcrtc bis Thomas v. Aquin (diss. Breslau, 1930) plus étrangère aux malheurs de Gilles de Home. Voir et les compléments de O. Lottin, La composition hylé­ Hocedcz. La eondamnution de Gilles de Home, dans morphique des substances spirituelles, les débuts de la Recherche» théol anc. et médiévale, t. iv, 1932, p. 14-47. controverse, dans Rev. néo-scolastique, t xxxiv, 1932, — On a vu plus haut que Bonaventure, dans scs p. 21-41 (reproduit dans l’ouvrage. Psychologie el Collationes de donis avait pris position contre la thèse , morale aux Λ//· et siècles, Louvain, 1942, p. 426thomiste, en 1268. L’année suivante, Gérard d’Abbe­ 160). Tandis que la composition hylémorphique était ville, dans son Quodl. xtv, q. x (Noël 1269), fait de rejetée par Guillaume d’Auvergne, cf. Kleincldam, même. Saint Thomas répondra en tenues fort vifs h p. 16-48, elle fait son apparition avec Itoland de Gré• cc hommes qui croient que la sagesse est née avec moue (Lottin, p. 24). A Hugues de Saint-Chcr revient eux · et qui aprrçoivint des répugnances métaphysi­ l’introduction dans le débat de la distinction porréques là ou salut Augustin n’en a point vu. ('ont. tainc entre quo est et quod est. On a en effet souvent murmurantes, Mandonnet, P· 25-26. Pccbam, en 1271, confondu la formule de Boècc : diversum est esse et id disputr lui aussi des questions sur cc sujet. Glorieux, quod est avec celle de Gilbert : aliud csl quod est rl quo Répertoire.. , t. n, p. 91 Dans son premier Quodlibct, J est. attribuant ainsi au premier ce qui était le bien de à la Nod de 1276, Henri de Gand â son tour aborde le ! son commenLitcur Hugues de Saint-Cher sc refuse 673 THOMAS ΙΓΛ^ΙΗΛ : d’ailleurs A identifier In composition de quo est et de quod est avec celle de matière ct de forme. Lottin, p.2426. Même distinction chez Philippe le Chancelier, qui Interprète cetlc distinction dans le sens du couple puissance active ct passive. Texte dans Lottin, p. 2730. Même position chez Jean de la Rochelle et dans les Gloses sur les Sentences du ms. Vat. lat. /;*>/, f” 57 v° b, qui rejettent toute composition quantitative ou de matière ct forme dans les substances spirituelles. Dans sa Summa de creaturis, saint Albert le Grand Interprète le quod est ct le quo est dans le sens de la distinction entre nature ct suppôt. La simplicité des substances spirituelles ira chez lui toujours en s'accentuant. Voir le texte du cours inédit sur l'Éthlque ô Nicomaque dans Lottin, p. 35. Odon Rigaud qui connaît la Summa de creaturis, se montre sévère pour la théorie de la matière universelle : opinio philosophandum, dit-il. Après avoir semblé n’ndmcttrc qu'une composition de quo est ct de quod est, Odon sc décide pour une matière » spirituelle », non sujette h la corruption ct substrat de la forme substantielle. Texte dans Lottin, p. 36-38. Sur saint Bonaventure, voir Gilson, La philo­ sophie de saint Bonaventure, p. 235-236. Pour lui le changement, la passivité, la multiplicité numérique, la composition de genre et de différence impliquent dans les natures angéliques une composition de matière etdc forme. In II™ Sent., dist. Ill, i, a. 1, q. t. L'argu­ ment tiré de l'action du feu de l'enfer sur les démons, argument sur lequel on insistera dix ans pins tard, sc trouve déjà indiqué loc. cit., fund, b, Quaracchi, ed. minore, p. 79 b. D’autre part (ct snint Bonaventure distingue soigneusement cette thèse de la précédente). Il existe une matière commune aux corps et aux es­ prits, matière qui ne tombe que sous le regard du métaphysicien. Loc. cit., q. n. Dans le monde des corps comme dans celui des esprits, on retrouve en effet, à côté de l'acte d'être conféré par la forme, la • stabilité » d’une existence par sol, stabilité qui pro­ vient non de la forme, mais du substratum de celle-ci, c’et-à-dlro de la matière. Bonaventure a-t-il cons­ cience de suivre Avlcébron? Il n'ignore pas sans doute la materia sustentatrix du philosophe juif, Pons oitir, v, 23, Baumkcr. p. 299. Mais il pense être également d'accord avec Vallissimus mctaphysicus que fut Au­ gustin ct, par ailleurs, l'apocryphe De mirabilibus sacra: Scriptune (cité fund, a, Quaracchi, ed. minore, p. 82) a sans doute exercé sur sa pensée une influence décisive. Dans Gauthier de Bruges, vers 1261-1265, sera mise en valeur l’autorité du De Genesi ad lit!., vu, 6, P. L., t. xxxiv, col. 359; cf. Longpré, Questions inédites du Comm. sur les Sent, du Bx Gauthier de Bruges, dans Archives d'hist. doct, litl. du Μ.-Λ., t. \ n, 1932, p. 266; voir aussi le Correctoirc de Guillaume de la Marc, Glorieux, Le correctorium.,., p. 50. Comme saint Bonaventure, salut Thomas, dès son Commentaire de / Sent., dist. VIII, q. v, a. 2 (anté­ rieur nu De ente, scion Roland-Gosselin, cf. Le De ente et essentia de Saint Thomas d'Aquin, dans Biblio­ thèque thomiste, t. vin, p. xxvi), distinguo la simple affirmation d'une matière spirituelle de celle de la matière universelle. Mais 11 rejette l’une ct l'autre au moyen des deux arguments qu'il considérera toujours comme décisifs : a) la séparation do la matière qu’im­ plique la connaissance Intellectuelle, oblige Λ penser que les natures capables d'une telle connaissance sont exemptes de matière (sur le terme immunes a materia, voir Klcineldam, op. cit,, p. 59-60). — b) D’autre part la matière première ne comporte comme telle aucune diversité. Il faut doue qu'à cette Indifférence primor­ diale réponde une détermination première dont In matière ne sera Jamais dépouillée (uni pcrfectibiU debetur una perfectio). Cette détermination première, ce sera la corporéité. Parler dès lors d’une matière DICT. DR Tllé.Ol. CA1IIOL. 67 ό incorporelle, c'est employer ce terme dans un sen* équivoque. L'ange et l'Ame humaine sont donc des formes < simples ». Il* ne peuvent cependant jouir de l'absolue simplicité de Dieu. On doit reconnaître en eux une certaine composition, celle de quiddité ct d’être. Il s’agit seulement de rapprocher cette distinc­ tion, fournie par Avicenne, de l’opposition entre quod est ct quo est, utilisée depuis longtemps par tous le* adversaires de l'hylémorphismc angélique. Dans tous les êtres composés de matière ct de forme, le quod est est identique au composé, cc qui est. Le quo est peut être entendu de trois manière; : de la forme, partie du tout; de l’acte d’être (esse); de la nature ou qulddité complète, constituée par l'union de la matière ct de la forme. Dans le texte In II** Sent., dist. XVII, q. i, a. 2, ad 5·*, saint Thomas indique un quatrième sens du quo est : l’action créatrice de Dieu qui confère l'être à la créature. Dan* les substances séparées, les sens 1 et 3 se trouvent éliminés, puisque l’absence de matière invite à identifier la nature et le quod est (ipsa quid ita s est hoc quod est) On sait en effet, que saint Thomas nc prendra clairement position sur la distinction entre le suppôt ct la quiddité chez les anges que tout à la fin de sa carrière, Quodl, iî, a. 4, cf. Ro­ land-Gosselin, op. cit., p. 192. Même chez l’ange cependant, la quiddité n’est point l’être (quo est) ct sc distingue de celui-ci comme la puissance se distin­ gue de l’acte, l'action de courir du coureur. 11 y a donc place dans les substances simples pour une composition véritable, celle de quiddité ct d’éfre. Tel est le point d’insertion de la célèbre discussion sur la dis­ tinction réelle. Voir un aperçu des plus récents travaux au point de vue historique dans J. Paulus, Henri de Gand, essai sur tes tendances de sa métaphysique, Paris, 1938, p. 260-284 et surtout Roland-Gosselin, Le « De ente ·, p. 135-205. Voir également E. Hocedez, Ægldit Romani theoremata » De esse et essentia », Louvain, 1930, p. 83. où l’on trouvera la liste de l’abondante littérature quodlibétique consacrée au sujet entre 1276 ct 1323. Hocedez reconnaît que « pour le fond », Gilles est d’accord avec saint Thomas, ibid, introd., p. 52. Mais, sous l'influence de Proclus, il aurait réifié à l’excès la distinction. 11 a eu d’ailleurs conscience très nette d’innover. Cependant, les trois voles suivies par Gilles (Theor., v, Hocedez, p. 24-25) sont empruntées ft saint Thomas et chez ce dernier la formule esse est a forma, loin de contredire la distinction réelle, la suppose nu contraire. Hocedez, op. cil., p. 45, n. L C’est bien Gilles pourtant et non pas saint Thomas, que viserait Henri de Gand dans sou Quodl. i (1276). Sur la ma­ nière dont les anciens thomistes ont compris saint Thomas, cf. Hocedez, loc. cit., introd. p. 110-116 ct surtout M. Grabmnnn, De doctrina sancti Thomie de distinctione reali inter essentiam ei esse ex documentis ineditis illustrata, dans Acta hebd. thomist., Rome, 1924, p. 131-190; Neuaufgefundene Quarstionen Si gens p. Brabant.,,, dans Miscellanea Ehrle, t. i, p. 125; Circa historiam distinctionis essentia· et esse. Quomodo philosophi artistic et aoerroistie... doctrinam sancti Thonur intellexerunt, dans Acta Ac. S. Thomic Aquin., Home, 1934, p. 60-76. Hubert de Polliaco... qmestio de esse et essentia..., dans Angelicum, t. xvn, 1940, p. 352369. Pour revenir Λ la composition de quod est ct de quo est, nous savons par Jean de Naples (dans sa fameuse question : Utrum licite doceri possit Parisius doctrina fr. Thomic quantum ad omnes conclusiones? éd. Jellouschek, Xenia (homistica, Rome, 1925, t m, p. 89) que saint Thomas fut accusé de nier la composition de quo est ct de quod est chez les anges et de tomber ainsi sous le coup de lu prop. 79 de la condamnation de 1277. Accusation étrange, pour qui n lu Cont, Gent., I. II, c. Ui ct 1», q. l, a. 2, ad mais qui 675 THOMAS D'AQUIN : SIMPLICITÉ DES ANGES ET DE L’AME repose sur une confusion de terminologie. Par le quo est et le quod est, on n'entendait plus le couple quidditéesse, mais le groupe : forme (quo est) et suppôt (quod est), à la manière dont la scolastique moderne utilise encore ces termes. Or, dans b, q. in, a. 3, saint Tho­ mas avait paru identifier suppôt el nature dans tous les êtres séparés dc la matière. II semblait donc pa­ tronner la proposition : quod substantiæ separate sunt sua essentia et quia in eis idem est quo est et quod est. Proposition dont Jean dc Naples offre d’ailleurs une exégèse singulièrement forcée, en entendant essentia à l’ablatif. La proposition viserait donc les « artistes » coupables d’affirmer que les substances séparées n’ont point besoin dc l’intervention dc la cause première pour exister : sunt per suam essentiam ita quoti non sint per causam primam, Jellouschek, loc. cit. Quoi qu’il en soit des hésitations dc saint Thomas sur la distinc­ tion du suppôt et dc la nature chez l’ange, toujours le saint Docteur a affirmé en celui-ci la distinction de quod est et de quo est dans le sens d’une distinction de quiddité et d’esse Dans le De ente et essentia, éd. Roland-Gosselin, p. 29-32, et dans In J Z·® Sent., dist. III, q. i, a. 1, nous retrouvons les mêmes arguments : immunité de matière des natures intellectuelles, répugnance Intrin­ sèque d’une matière incorporelle. Car l’unité pre­ mière du sujet perfectible, posée dans l’affirmation dc la matière universelle, infère celle d’une première per­ fection reçue dans l’universalité dc la matière, per­ fection qui n’est autre que la corporéitc : oportet quod tota materia sit vestita forma corporeitatis. Dans le Quodl. ix, q. îv, a. 2 (avant 1259), la discussion prend une allure plus théologique par la citation dc l’auto­ rité du pseudo-Augustln, De mirabilibus (obj. 1), auto­ rité dont saint Thomas ne nie point l’authenticité et qu’il s’efforce d’interpréter; ci. De spir. creaturis, a. 1, ad 4·®. L’argument tiré dc la répugnance intrinsèque d’une matière incorporelle est profondément trans­ formé. Au lieu de partir du principe : uni perfedibili debetur una perfectio et d’établir que la matière univer­ selle exige la quantité comme premier investissement avant toute réception des formes, spirituelles ou maté­ rielles, saint Thomas procédera désormais en partant des formes. Celles-ci, dit-il, ne peuvent être reçues que dans des parties diverses dc la matière, diversité qui exige la quantité et par conséquent la corporéité. Ce changement dans le mode d’exposition est lié à l’abandon dc la théorie des dimensiones interminate, théorie qui supposait dans la matière, « une ébauche tout au moins de déterminations accidentelles, anté­ rieures à la forme substantielle ». Roland-Gosselin, Le « De ente », p. 112. On sait que cette théorie, encore enseignée par saint Thomas dans son Commentaire du De Trinitate de Boèce (1256), est définitivement aban­ donnée dans le Contra Gentes. Roland-Gosselin, op. cit. p. 106-113. Dans ce dernier ouvrage, saint Thomas reproche à la théorie hylémorphlque dc renouveler l’erreur d’Empédoclc. Cont. Gent., 1. II, c. l, 4°; cf. I», q. L, a. 2, ad 2*®. Dans un intellect composé dc ma- i tlèrc et de forme, l’objet connu devrait être reçu ad modum recipientis. Il serait donc présent dans l’in­ tellect selon un mode d’être matériel, identique à celui qu’il possède dans la nature : ignem igne cognoscit anima, affirmait Empédoclc. Dans le Contra Gentes, saint Thomas insiste aussi sur la composition des natu­ res angéliques, composition dc quod est et d'esse (ou quo esi). Le saint docteur demeure Adèle à sa terminologie des Sentences; cf. Cont. Gent., 1. II. c. i.iv; 1·, q. i., a. 2, ad 3··. La Somme théologique. b, q. l, n. 2, met en relief l’origine psychologique dc la théorie d’Avlcébron. Ce philosophe a cru que tout ce qui est distinct par le concept de l’esprit, sc trouve également dis­ tinct a parte rei; ci. Fons vite, n, 16, éd. Bûumker, 676 р. 51 : quidquid compositorum intelligenlia dividit et resolvit in aliud est compositum ex illo in quod resolvitur. Avec les questions De spiritualibus creaturis et De anima, contemporaines du retour dc saint Thomas à Paris, la discussion prend un tour polémique accusé. Si, note saint Thomas, l’on tient absolument à parler de matière chez les anges, pourquoi ne pas appeler Ane une pierre? De spir. creat., a. 9, ad 9e®. Opinio falsa et improbabilis, écrit-il delà thèse hylémorphlque, dont il montre également la connexion avec la plura­ lité des formes, a. 1. ad 9um; ad 24·®. Pour établir sa propre position, saint Thomas a recours à une analyse approfondie du concept de matière. Celle-ci est ce qu’il y n de plus Imparfait, dc plus incomplet dans l’être. Elle ne saurait donc convenir aux substances angéliques, qui dans l’ordre de la création s'appro­ chent au plus haut degré de i’Aetc pur. Ibid.,a. L Dans le De anima, a. 6, le tour polémique est encore plus accusé : opinio frivola, impossibilis. La thèse d’Avicébron compromet l’unité du composé humain. Une âme constituée dc matière et dc forme serait déjà une nature complète, dont l’union avec le corps serait nécessairement accidentelle. Comment expliquer d’ail­ leurs l'union d’une telle âme avec un corps composé également dc matière et dc forme (allusion à la thèse pluraliste de la forma corporeitatis)^ D’où l'obligation de recourir Λ une « fabuleuse » union mediante luce, с. -à-d. à l’influence de l’cmpyréc; cf. C. Büumker, C. Witelo, dans Beitrûge..., t. m, fasc. 2, p. 372,402 455; Alexandre de Halés, Summa, Quaracchl, 1. 11, i, p. 327. Sur le Quodl. m, q. vin, a. 20 (Pâques 1270), voir Klcineidam, op. cit., p. 38-40, qui le compare au Quodlibet antérieur dc Gérard d’Abbeville. Quodl. xv, 3, Glorieux. Avec l’opusc. De substantiis separatis (éd. dc Rome, n. xv; dc Parme, n. xiv; éd. Mandonnet, n. vu), qui appartient à la période napolitaine, nous revenons à un exposé plus irénique. Saint Thomas reprend et développe tous les arguments exposés au cours dc sa carrière (c. v, Mandonnet, Opusc. omnia, 1.1, p. 85-92). Signalons enfin Comp. theol., c. i.xxiv, qui reprend l'argumentation du De spiritualibus crea­ turis, a. 1. Quelques conséquences de la thèse précédente. — a. L'action du feu de Γenfer· — Ce qui n’a point en soi dc matière ne peut souffrir ou pâtir. Comment dès lors expliquer l’action du feu infernal sur les esprits sépa­ rés, s’ils sont des natures simples? L'objection, déjà soulevée par saint Bonaventure, apparalt chez saint Thomas. De spir. creat., a. 1, obj. 20; De anima, a. 6, obj. 7. 11 y répond par sa théorie bien connue de l’alli­ gation : substantif spirituales non patiuntur ab igné corporeo per modum alterat ion is... sed per modum alligationis. De spir. creat., a. 1, ad 20’®. Le saint docteur revient longuement sur la question, De anima, a. 21; cf. Quodl. n, a. 13 (Noël 1269), Quodl. m, a. 23 (Pâques 1270). Le 10 décembre de la même année, Étienne Tempier condamne la proposition : quod anima non patitur ab igne corporeo. Prop. 8, DcnlffcChatelain, t. i, p. 487. Cette condamnation (reprise en 1277, prop. 19) sera opposée par Guillaume dc la Mare à la thèse thomiste; cf. Glorieux, Le corrcctorium..., p. 49, 110-111. Celle-ci, selon Guillaume, réduirait la peine des démons à une simple appréhension intel­ lectuelle ou imaginative, interprétation que saint Thomas dans les nombreux textes qu’il a écrits sur la question avait pris soin d’écarter. Cf. < Quare », Glorieux, p. 345. b. Impossibilité de Γexistence de deux anges de même espèce (b, q. t, a. 4), car une distinction purement numérique entre deux êtres ne peut provenir que dc la matière, Cant. Gent., 1. II, c. xcut, 2». Saint Thomas maintient cette thèse de la distinction spécifique, mime dans le cas, data non concesso, où l'on voudrait νπ THOMAS D’AQUIN : L’UNITÉ DE FORME admettre dans les anges une composition dc matière et dc forme. Cf. l'argument un peu schématique de , I», q. L, ft. 4, développé dans le Dé spir. créai., a. 8, l/indivlduation d’une matière spirituelle, ne pouvant être conditionnée par la quantité, devrait provenir d’une diversité dc - puissances ». Celle-ci introduirait dans la soi-disant matière spirituelle une diversité aussi grande que celle qui sépare la matière des corps célestes et celle du monde dc l’être corruptible. Guil­ laume de la Mare s’est effoxeé d’expliquer l'individua­ tion dc la matière spirituelle par une pure « multipli­ cité numérique », sicut unus punctus flt duo puncta (Glorieux, Le correctorium..., p. 61); cf. la réfutation dc , t Circa », éd. Müller, p. 161. En affirmant l’impossibi­ lité d’une multiplicité purement numérique A l'inté­ rieur de l’espèce angélique, saint Thomas avait-il voulu parler d’une impossibilité absolue? Serait-il possible à Dieu dc créer un nouvel ange d’espèce exac­ tement semblable à l’un des anges actuellement exis­ tants? Les expressions dc De spir. créât., a. 8 : impos· sibile est diam fingere..., ne favorisent point cette atténuation de la thèse thomiste. Quoi qu'il en soit de la pensée du saint docteur, Étienne Tcrnpier condam­ nait, le 7 mars 1277, la proposition : quia intelligentiæ non hubent materfam, Deus non potest facere plures ejusdem speciei. Prop. 81, Dcniffc-Chatclain, t. i, p. 548. Il semble certain que Tcrnpier a visé ici la doctrine thomiste, comme n’a pas manqué dc le relever Guillaume dc la Marc qui la juge < contraire à la foi ». Glorieux, Le correctorium..., p. 60. Les Corrcctoires < Quare » (p. 62) et « Circa » (p. 159) maintiennent la thèse d’une impossibilité, etiam de potentia absoluta Dei. Mais cette impossibilité n'introduit aucune limi­ tation dans la toute-puissance divine, elle provient uniquement dc l'objet, ex parte facti, objet qui n'admet pas une telle multiplication. Dieu ne peut non plus produire les contradictoires, non parce que sa puis­ sance est limitée, mais A cause de l'impuissance d'un tel objet à être produit par lui. Même réponse dans Robert dc Collctorto, ms. Vat. lat. 9S7, f° 13 v° b. Bernard de Gannat introduit une autre manière dc mettre frère Thomas en règle avec la proposition condamnée. En réalité, selon Bernard, saint Thomas n’aurait pas voulu exclure la possibilité absolue d’une multiplication numérique : Forte secundum ordinem nobis ignotum Deus posset hoc facere. Ms. Ottob. lat. 171, f° 114 v° a. Jean de Naples dans sa question : Utrum licite doceri Parisios...? groupe toutes ces Inter­ prétations. Jellouschek, p. 90. On sait que Capréolus (/n //am Sent., (list. Ill, q. i, éd. Pnban-Pégucs, t. ut, p. 251) reprendra l’exégèse dc Bernard dc Gannat et dc Jean de Naples. Cette manière dc voir s’appuie surtout sur le texte difficile du De unitate intellectus : valde rudder argumentantur..., éd. XV. Keel 1er, Home, 1936, p. 67-68. Sur cc texte, cf. C. Boyer, « Valde rudder argumentantur ». Num S. Thomas concedit actu per miraculum multiplicari posse sine potentia recep­ tiva? dans Acta Pont. Ace. Hom. S. Thomar Aquin., 1.i, 1935, p. 129-138. Même difllculté à propos dc l'Amc humaine. Une forme simple ne comporte aucun principe intrinsèque dc multiplicité. Si l'Amc n’est point composée dc ma­ tière et (lo forme, son individuation et sa multiplicité A l’intérieur de l'espèce dépendront uniquement du corps. Or, In suspension dc la cause doit operer celle dc l'effet. Après la mort. l'Amc séparée du corps ne peut conserver son individuation, condition même de sa multiplicité. On aboutit ainsi nécessairement A la thèse averroiste dc l’unité dc l’Arne humaine. Voir la formule de l’objection, In Ium Sent., dist. XIII, q. v, a. 2, obj. 6; I·, q. lxxvî, a. 2, obj. 2; De unitate intel­ lectus, c. 5, éd. Kcellcr, p. 67. L’objection est une heu­ reuse aubaine pour Guillaume de la Mare; cf. Glorieux, 678 Le correctorium, p. 45, 125. Mais l'individuation de l’Amc dépend du corps dans son principe, non dans son terme. L’individuation est acquise dans le corps, elle ne vient pas A proprement du corps (ex). Dans le De ente, c. v, saint Thomas déclarait emprunter cette solution A Avicenne. Cependant on ne la trouve point A la lettre chez le philosophe arabe; cf. Roland-Gos­ selin, Le « De ente », p. 66. Plus tard, dans ses ques­ tions De anima, a. 3, saint Thomas explique que l'âme humaine, n'étant pas en elle-même une nature com­ plète, doit être unie A un corps. C’est · l'ordre » à tel ou tel corps, quod sit unibilis huic vel illi, qui opère la multiplicité numérique des Ames A l’intérieur de l’es­ pèce. Mats, A la différence des forme* matérielles, l'Amc humaine ne dépend point du corps dans son être, qui peut subsister séparé dc la matière. Elle n'en dépendra pas davantage dans son unité ou sa multiplicité numérique. De an., a. 3; cf. De spir. créât., a. 9, ad 3··. Les diverses · unibilltés » qu'elles renfer­ ment continuent en effet à distinguer les Ames sépa­ rées : Sunt unibiles corporibus diversis. Comp, theol., c. lxxxv. En résumé, l’âme humaine est par nature ordonnée au corps humain et cette âme à cc corp-. Tandis que toute relation prédicamcntale disparaît avec son terme, la relation transcendentale demeure. c. Le lieu angélique. — Selon saint Thomas, l’ange n’est pas contenu dans un lieu, il le contient au con­ traire et le domine par son contact opératif, qui seul le « définit » comme présent. Cf. 1*, q. lu, a. 1. Guil­ laume dc la Mare s'efforce dc ramener cette position aux thèses condamnées dès 1241, prop. 4, Denifle-Chatclain, t. t, p. 170, et dc nouveau en 1277, prop. 204, p. 554. N’admettre qu’une présence par contact opératif, c’est nier toute localisation pour les esprits des hiérarchies supérieures, qui n'exercent aucune opération et s’appliquent A la pure contemplation. X'oir Glorieux, Le correctorium..., p. 394, et comparer les réponses de · Quare », ibid., p. 75-77, dc « Circa », éd. Müller, p. 83, et de Bernard dc Gannat contre Henri de Gand, Quodl. n, 9, ms. Ottob. lat. 17l. fo20r*a. Saint Thomas n’a pas voulu nier la présence substan­ tielle de l'ange dans un lieu, négation directement visée par les propositions condamnées. Cc qu’il nie c’est que l'ange soit présent dans le Heu formellement par sa substance même, sans le contact dc sa virtus opérative. 4. La pluralité des formes. — La thèse dc la pluralité des formes ne peut être confondue avec la doctrine platonicienne des trois âmes. Celle-ci brise en effet l’unité du composé humain, unité que les pluralistes entendent sauvegarder. Pour saint Bonaventure, comme pour saint Thomas. l’âme est · forme » du corps. In Z»· Sent., dist. VIII, p. il q. in. Même affirmation chez Jean Pccham; cf H. Spettmann, Die Psychologie des Johan. Pecham, dans iieilrâge, t. xx, fasc. 6, p. 22. Mais cette information par l’Amc ne supprime point la présence d’autres formes substan­ tielles inférieures, non per accumulationem, sed per quamdam complexionem, comme le dira Matthieu d’Aquasparta, cité par V. Doucet, Malt, d' A quasparta Quirstiones de gratia. Quaracchi, 1935, p. 263. Pour saint Thomas la forme substantielle est un acte simple et indivisible : non admittit magis et minus. Dans cet être complet et définitif qu’elle confère au sujet, les formes inférieures sont distinctes virtuellement, non en acte. La thèse pluraliste au contraire admet au des­ sous dc la forme complétive une série dc formes subs­ tantielles, incomplètes mais distinctes. Le triangle, dira saint Bonaventure, est contenu dans le tétragonc. Collationes in Hex., i, 1, Delorme, p. 53; cL Aristote, De an., B, 3, 414 b, 29. Tout ce qui advient A la forme substantielle est accident, selon la thèse thomiste. Non pas, répondent les pluralistes, s’il s’agit d’une 679 THOMAS D’AQUIN : L’UNITE DE FORME 680 forme substantielle partielle. On peut résumer la posi­ dre physique : génération ct corruption, par exemple ; tion de ces derniers en ces termes, à la suite de Robert De spir. créai., n. 3; d) celles enfin d'ordre psycholo­ Kihvardby : l nus homo unam habet formam quæ non gique : l’exercice intense d’une activité de l’âme met est una simplex, sed ex muttis composita, ordinem ad obstacle à ses autres activités. irwicem habentibus naturalem... quarum ultima comple­ Bien que sa pensée paraisse fixée dès le début de sa tiva et perfediva totius aggregati est intellectus. Lettre à carrière, In Sent., dist. VIII, q. v, a. 3 : anima Pierre de Conflans; ci. A. Birkenmayer, Vermischte comparatur ad corpus ut forma a qua totum corpus Untersuchungen zur Geschichte der mittelalt. Philoso­ habet esse, peut-être cependant saint Thomas « ne phie, dans Beitrdge, t. xx, fasc. 5, p. 63. Quant à la perçut-il pas du premier coup toutes les conséquences « base métaphysique > de la thèse pluraliste, les his­ de la théorie de l’unité de forme substantielle ». Ro­ toriens modernes sont unanimes à la chercher dans le land-Gosselin, Le « De ente », p. 112. L'évolution de réalisme d'Avicébron; cf. M. De Wulf, Le traité « De sa pensée est en effet manifeste dans deux questions unitate formæ » de Gilles de Lessines, Louvain, 1901, qui entretiennent avec cette thèse d’étroites relations ; dans les Philosophes belges, 1.1, p. 32. Selon Avicébron celle de la permanence des éléments dans le mixte et en effet, < à chaque perfection essentielle, à chaque celle des dimensions intermlnécs. Voir sur ces théories, détermination irréductible de l’être substantiel, doit Roland-Gosselin, op. cil., p. 111-112, 109-111 et 113correspondre une forme substantielle distincte ». Or, 115. De plus, dans In I*a Sent., dist. VIII, q. v, a.2, le pluralisme des théologiens n'affirme pas autre chose. saint Thomas, on l’a vu (col. 673) fait place à une D’autre part, l'opposition des thèses en présence forme de corporéité, qui se distingue difficilement de doit être rattachée aux divergences de vue sur le con­ la thèse pluraliste. Peut-être cependant n'a-t-ll voulu cept de matière. Saint Bonaventure. Pccham, Richard parler que d’une « priorité logique » de la corporéité de Mediavllla9 accordent Λ la matière une certaine à l’intérieur de l’unique forme substantielle; cf. Ro­ actualité. Du même coup l'unité foncière du composé land-Gosselin, op. cil., p. 104, n. 4. Quoi qu’il en soit, substantiel sc trouvait relâchée; cf. Hocedez, Richard dès In IIU* Sent., dist. XII, q. I, a. 4 ct dist. XVIII, q. i, a. 2, il n’en est plus question. Dans ces derniers de Middleton, Louvain, 1925, p. 201. Sur l'histoire du problème chez les théologiens, voir textes, la réfutation de la forma corporalis communis G. Théry, L'augustinisme médiéval et le problème de d'Avicébron, est empruntée à Avicenne. Selon celui-ci, l'unité de forme substantielle, dans Acta hebd. augusti· c’est par la même forme que le feu est feu ct qu'il est nianæ-thom., Rome. 1930, p. 140-200; O. Lottin, corps. Il est en outre impossible qu'un seul ct même La pluralité des formes avant saint Thomas d'Aquin, être soit déterminé par deux actes substantiels. Sur dans Rev. néo-scol., L xxxtv, 1932, p. 449-467; R. Mar­ Avicenne ct la pluralité des formes, cf. Roland-Gos­ tin, La question de l’unité des formes dans le premier selin, op. cit., p. 63, n. 2. Dans In II*m Sent., dist. collège dominicain d'Oxford, ibid., L xxn, 1920, p. 107- XVII1, q. i, a. 2, saint Thomas utilise de plus la théo­ 112. L'autorité d'Augustin est d’abord mise en avant rie avicennicnnc du tout générique, exposée déjà par par les partisans de l’unité de forme. On Invoque à cet lui dans le De ente (sur ccttc théorie, voir Rolandégard le De ecclesiasticis dogmatibus, le De spiritu et Gosselin, op. cit., p. 12-17). Le genre ne signifie point anima, acceptés l’un ct l'autre comme authentiques. dans l’être une forme partielle (il serait impossible de Lottin, p. 459. Voir les citations de saint Thomas : l'attribuer au tout comme prédicat). Il désigne au Coni. Gent.. L 11, c. lviii; De pot., q. ni, a. 9; b, contraire le tout, mais d'une manière indistincte ct q. Lxxvi, a. 3, sed cont. ; De spir. creat., a. 3, sed cont. 1 ; potentielle, tandis que la différence atteindra cc qu’il De anima, a. 11, sed cont. Surtout, la thèse de l’unité y a en lui de plus formel ct de déterminé. Enfin dans est aux yeux de saint Thomas un simple corollaire de scs questions In Boethium de Trin., q. iv, a. 3, ad 6W l'affirmation : anima et in toto tota est et in qualibet et In IVe® Sent, dist. XLIV, q. i, a. 1, qu. 1, ad4«»,saint parte efus tola, assertion du De Trinitate, reproduite Thomas écarte lu théorie avicennicnnc de la perma­ tout au long dans Pierre Lombard, 1 Sen!., dist. VII1, nence des éléments dans le mixte, théorie ù laquelle 11 Quaracchl, n. 85. C'est seulement, avec Pccham ct avait fait bon accueil dans In I/em Sent., dist. X11, q. 1, a. 4 : si sustinere volumus opinionem Λ vicennæ. Or, cette Guillaume de la Mare que saint Augustin devient théorie était inconciliable avec la thèse de l’unité de décidément le monopole des pluralistes; cf. Glorieux, forme. Si les éléments conservent en elfct dans le Le correclorium..., p. 131; Guillaume cite Retract., i, 58. En même temps la thèse de l'unité est présentée mixte leur forme substantielle (primum esse), tout en comme une opinion spécifiquement averroiste. · Sim­ perdant leurs qualités actives (secundum esse), le ple ruse de guerre », comme l'écrit M. De Wulf, op, cil., coqjs humain, qui est un mixte, renfermerait déjà par p. 46, ruse dont Pccham ct Guillaume de la Marc lui-même une pluralité de formes ct l’âme raisonnable eurent sans doute pleine conscience. Pour ce qui ne saurait dans ces conditions être la seule forme du concerne saint Bonaventure, s’il n'a point traité la composé (sur la théorie thomiste du mixte, cf. I·, question dans son Commentaire des Sentences q. lxxvi, a. 4, ad 4wm). Le De spir. créai., a. 3, offre (cf. Opera omnia, t. n, p. 322, scholion), il prendra en l’exposé le plus complet de la thèse thomiste, ratta­ revanche position avec toute la vigueur désirable dans chée à la doctrine aristotélicienne de la convertibilité ses Coll, in Hexam., où la thèse thomiste est quali liée de l’unité ct de l'être. SI être homme et avoir deux d’insanité (cf Ét. Gilson, La philosophie de S. Bona- pieds correspondait dans l'homme à deux formes centure, p. 32). Quant à saint Albert le Grand, M. De distinctes, celui-ci ne serait qu'un agrégat de deux Wulf estimait, en 1901, que sa thèse de la permanence êtres; cf. Met., H, 6, 1045 a, 14-20. La même auto­ des éléments dans le mixte empêche absolument de le rité d'Aristote sera opposé à Gérard d'Abbeville dans considérer comme un partisan de l’unité. Op. cit., son Quodl. xv (Pâques 1270); cf. ms. Vat. lat. 1013, p. 45. Cf sur ce point G. Meenemann, Die Einheit der t9 18 v· b : Ostendebatur quod sine medio, quia cx menschllehen Seele nach Albertus Magnus, dans Div. accidente el subjecto non fil unum per se sicut dicitur Thomas (Fribourg), 1932, p. 213-223. Voir dans De VIII 5fe/«, si homo esset animal per se et esset bipes per Wulf, op ed., p. 52-55, un aperçu substantiel des argu­ se, non esset unum per se. Ln thèse de l'unité est donc ments de la thèse thomiste : a) argument de l'unité I bien authentiquement aristotélicienne, tout au moins transcendentale : nihil simpliciter unum nisi per dans son fondement métaphysique ct non pas averformam unam; b) la substance ne peut recevoir par rolstc, comme le soutient encore Duhcm, Le système l’adjonction de formes nouvelles une perfection qu'elle du monde, t. iv, p. 540; t. v, p. 518. possède déjà comme telle; c) les considérations d'or­ Mais le débat porte moins sur la discussion pure- 681 THOMAS D’AQUIN : L’UNITÉ DE FORME ment philosophique de la thèse de l’unité de forme substantielle que sur scs conséquences théologiques, I surtout sur celles qui concerne l’identité du coqxs du Christ mort ct de son corps vivant. Dans le IIP livre des Seal., la question n’est pas traitée. Saint Thomas le borne A affirmer que le Christ mort n’est pas pure- I ment ct simplement homme. In Ill™ Sent., dist. XXII, q. x, a. 2. Même affirmation de pncdicatione iimpliciter actuali chez saint Bonaventure. In 111™ Seni.,dist. XXII, a. u. ,q. x. Saint Thomas aura l’occa­ sion de traiter plusieurs fols le problème nu cours de son second séjour A Paris. Cf. Quodl. xi, a. 1 (Noël 1269); Quodl. ni, a. 4 (PAques 1270); Quodl. xv, a. 8 (Pâques 1271); enfin HI%q.L,a. 5 (Naples). Le Quodl. | n, a. 1, marque la transition entre la question tradi­ tionnelle’. Utrum in triduo fuerit homo? et la question nouvelle, telle qu’elle sera posée par exemple dans la IIP : Utrum fuerit idem numero corpus Christi viventis d mortui? L’objectant demandait en effet si le Christ in triduo fut le même homme? La mort du Christ ré­ pond le maître, entraîne la séparation de l’Amc ct du corps, niais l’union hypostatlquc demeure pour l’une et pour l’autre. Quant à la personne, le Christ est donc numériquement le même; quant A la nature, puisque le Christ mort n’est plus purement ct simplement homme, H n’est pas non plus le même homme. Néan­ moins si on considère non plus la nature totale, mais les parties de celle-ci, on devra dire que l’âme du Christ est numériquement la même tandis que son corps, identique quant A la matière, n’est pas Identique quant â la forme: car il n’est plus informé par l’Ame raison­ nable. En définitive, il est donc impossible de dire que le Christ soit purement et simplement le même homme, toute différence substantielle excluant riden­ ti lé absolue. On ne peut dire non plus que le Christ soit purement ct simplement autre. On conclura donc qu’il est le même sous certains aspects et qu’il ne l’est point sous d’autres : Secundum quid idem, secundum quid non idem. Aristote a enseigné que l’œil du cadavre n’est tel que de nom, vcquwoce, De anima, B, 1, 412 b, 21, car la vision est de 1’essence de l’œil. On demande donc A saint Thomas si l’œil du Christ mort n’est un œil que de nom. Quodl. in, n. 4. La réponse de saint Thomas est affirmative. Car l’univoque ct l’équivoque sc disent par rapport A l’essence qu’exprime la définition. Or, la cessation de la vie s’oppose A l'identité spécifique aussi bien pour les parties que pour le corps entier. Jean Pccham devait traiter la môme question dans son Quodl. Rom., éd. Delorme, p. 29. Lui aussi admet que la chair morte n’est une chair que de nom, icquivoce, parce qu’elle n perdu sa forme spécifique qu’était la vie organique. On doit en dire autant de l’œil du Christ : Oculus dicit esse naturale et organicum, ideo oeulus Christi vivi et mortui fuit oculus æquivoce. De­ lorme, p. 33. En revanche, Pechuin sc sépare absolu­ ment de saint Thomas en cc qu’il maintient l’identité numérique du corps du Christ vivant ct de son corps mort, grâce à la forme de corporéité. Ibid., p. 29. Le Quodl. xv, n. 8, marquerait pour saint Thomas « un certain recul dans l’expression » de sa pensée. Théry, L'augustinisme médiéval..,, p. 181. Désormais, saint Thomas concède purement et simplement l’iden­ tité du corps du Christ sur la croix ct mis dans le tom­ beau. Le P. Théry pense que « dans le Quodl. ni, n. 4, tenu quelques mois avant la condamnation de 1270, saint Thomas raisonne en philosophe... Dans le Quodl. iv (PAques 1271), par contre, il raisonne en théologien et donne comme conclusion : Est idem numero corpus Christi... Ce n’est pas la condamnation du 10 décembre 1270 qui n occasionné ce changement d’orientation ». Théry, art. cit., p. 181, note. Car dans son Quodl. xn, a. 9 (Noël 1270), saint Thomas maintient son point de 682 vue sur la forme substantielle unique du composé humain (il n’est pas question dans cette très brève réponse du problème christologique ici examiné). Peut-être, pense le P. Théry, pourrait-on expliquer cc changement par l'influence d’Albert le Grand. La condamnation de 1270 ne dit rien de la pluralité des formes. Mais, A la veille de cette condamnation, Gilles de Lessines consulte Albert le Grand sur lu proposi­ tion : Quod corpus Christi jacens insepulchroet positum in cruce non est vel non idem fuit numero simpliciter. Il est impossible de savoir si cette proposition ct la sui­ vante, sur la composition des anges, faisaient primi­ tivement partie de la liste que les maîtres parisiens se proposaient de condamner ou bien si Gilles les a ajoutées de son propre mouvement. Toujours est-il que la thèse thomiste ne fut pas condamnée, pas plus qu’elle ne le sera en 1277, à Paris. Dans le De quinde­ cim problematibus, saint Albert répond d’ailleurs avec prudence à la question qui lui est posée : De corpore Christi loqui per philosophiam temerarium est. Mandonnet, Siger, t. xi, p. 51. — En réalité, la doctrine de saint Thomas, dans le Quodl. rv ne diffère point de celle du Quodl. xi. Il y a identité numérique du corps du Christ si Ton se place nu point de vue du suppôt, non identité si on considère la nature. Mais au Heu de juxtaposer deux aiflnnations partielles, secundum quid idem, secundum quid non idem, saint Thomas, par la logique de son propre système, est conduit à se de­ mander laquelle des deux doit avoir le pas sur l’autre. Prima unitas — celle du suppôt — major est quam secunda. Il faut donc dire — simpliciter, comme le pré­ cisera III·, q. L, a. 5 — que le corps du Christ sur la croix et dans le tombeau est numériquement le môme. Dire d’une chose qu’elle e*t telle purement et simple­ ment ne signi île d’ailleurs pas qu’elle soit telle sous tous les aspects possibles; cf. Top., B, 11, 115 b, 29. A partir du Quodl. nx, saint Thomas utilise également la distinction damascénicnnc entre un double sens de lu φθορά. De fide orlhod., 1. Ill, 28, P. G., t. xciv, col. 1099. Sur cc que saint Thomas dit de Julien d’Hali­ carnasse, des gafanltes ct du « sixième synode », voir quelques informations dans Backes, 1, Die Christologie i des hl. Thomas und die griechischen Kirchenvâter, Paderborn. 1931, p. 31-32, 236. ! Epargnée à Paris, la thèse de l’unité de forme subs: tanticlle était frappée à Oxford par Robert Kilwardby ! le 18 mars 1277 (prop. 26, 27), Dcnifle-Chatclaln, Chartularium, t. x, p. 588; Laurent, Documenta, I p. 616-617. Dix ans plus tard, la simple prohibition de Kilwardby devenait, sous l’épiscopat de Pccham, l’objet des condamnations les plus graves, lancées le 30 avril 1286 contre Richard Klapwcll. Texte dans Mansi, Concit., t. xxîv, col. 647; Hefelc-Leclercq, Histoire des Conciles, t. vi, p. 299-300. Toutes les con­ séquences théologiques de la thèse thomiste (christo­ logie, eucharistie, culte des reliques) sont relevées et frappées. Cependant cette activité de l’épiscopat an­ glais resta sans effet sur le continent; cf. E. Hocedez, La condamnation de Cilles de Rome, dans Rech. théol. anc. ct médiévale, t. xv, 1932, p. 39-40. témoignages de Henri de Gand ct de Godcfrold de Fontaines. Il ne semble point que la thèse de l’unité de forme substan­ tielle soit la cause de l’exclusion de la maîtrise pour Gilles de Rome. Jamais ccttc thèse ne fut prohibée A Paris. Toujours elle a pu être enseignée A titre d’opi­ nion, pro opinione. Peut-être cependant Gilles fut-il atteint parce qu’il prétendait censurer théologique­ ment la thèse opposée. Dès PAques 1270, alors que saint Thomas soutenait son Quodl. m, Gérard d’Abbeville avait pris position dans le débat. Quodl. xv, q. iv (Glorieux), cf. ms. Vat. lut., 1013, f° 18 v° b-19 r° a. L’Ame Intellectuelle ne peut être la forme du corps organisé parce qu’elle ne 683 THOMAS D’AQUIN : L’ILLUMINATION INTELLECTUELLE 684 • s'approprie » aucune de ses parties. Elle ne peut donc même. L'unité de forme substantielle est de plus lui être unie sine medio. Cc rôle de medium revient Λ déclarée inconciliable avec le culte des reliques : sequi­ la partie sensitive en relation aux parties organiques tur nullum corpus sancti totaliter vel partialiter in toto du corps, à In partie végétative revient d’unir la sen­ orbe exislerc, écrit Pecham dans sa lettre aux cardlsitive aux parties homogènes. Gérard conclut : Sicut I naux du 1« Janvier 1285, Dcniflc-Chatelain, t. i, alia est forma mixtionis, alia vero forma addita mix­ p. 626. Cf. les réponses de Godefroid de Fontaines, tioni, sic aha est forma carnis et ossis, alia est forma Quodl. n, q. 7 (De Wulf-Pelzcr, p. 131-132), de Tho­ nature· rationalis et per mulla media unitur carni et mas de Sutton, De pluralitate... (Mandonnet, p. 341). ossi. Sur la littérature du sujet après la mort de saint De plus la thèse de l'unité rend inintelligible la conver­ Thomas, voir un essai de chronologie dans E. Hocedez, sion eucharistique. S'il n'existe dans le Christ d’autre Richard de Middleton, p. 478-479. Il est établi que le forme substantielle que Filme raisonnable, la sub­ traite De unitate forma de Gilles de Lessines (éd. De stance du pain sera donc convertie en l'âme raison­ Wulf, Philosophes belges, t. I, 1901) est une réponse nable. Or, celle-ci n'est présente dans le sacrement que A la lettre fameuse de Robert Kilwnrdby A Pierre de par concomitance. L’objection avait déjà été résolue Conflans, éditée par Ehrlc» dans Arch, für Lit. u. Kirpar saint Thomas, III\ q. i.xxv, a. 6, ad 2°“. L’âme, chengesch., t. v, 1889, p. 614-632; la fin par Blrkcn- i dlsalt-il, est forme du corps; c'est elle qui lui donne son mayer, Vermischte Untcrsuchungen..., dans Rcilrâge, être corporel. La substance du pain est donc convertie l. xx, fasc. 5, p. 60-64. L’un ct l’autre sont donc posté- | en la forme du corps du Christ, en tant qu’elle confère rieurs aux condamnations de 1277, au sujet desquelles l'être corporel, non en tant que vivante ct animée. Kilwardby s’efforce de justifier son attitude. A cette Cf. les réponses de Gilles de Lessines, De unitate foniur, date Henri de Gand était déjà intervenu dans son pre­ éd. De Wulf, p. (87); Godefroid de Fontaines, Quodl. n, 7, De Wulf-Pelzcr, p. 132-133. Sur les vues assez mier Quodlibet. Sur la position de ce maître dans le présent débat, cf. Hocedez, op. cil., p. 469-473. Sur personnelles de Gilles de Rome en celte question, cf. les remarques de Hocedez, Richard de Middleton, Gilles de Rome, voir Hocedez, op. cit., p. 460-461, 473-477. Gilles sc serait d'abord montré hésitant ( p. 460. — Enfin la thèse thomiste ne peut expliquer la (Theoremata de corpore Christi). C’est seulement dans transmission du péché originel. La matière première son De gradu formarum, qu’il prend position en faveur est incapable d’action. Si l'âme raisonnable est unie de l’unité de forme substantielle. Ce traité serait, I immédiatement A la matière, comment expliquer son selon le P. Hocedez, antérieur A celui de Gilles de infection par le péché? Cf. Guillaume de la Marc, dans Lessines sur le même sujet. Plus tardive est l'interven­ Glorieux, Le correctorium..., p. 130; les réponses de tion de Bernard de Trilia dans son premier Quodlibet Gilles de Lessines, De unitate fornix, De Wulf, p. [89], (1281), texte édité par G.-S. André Les Quodlibet* de I du Corrcctorium ■ Quare >, p. 136-137; de 'Ihomas de Sutton, De pluralitate..., Mandonnet, p. 339. Un demi Hernard de Trilia, dans Gregorianum, t. n, 1921, p. 254-260. Le Correctoirc · Quare · s’attache A réfuter siècle plus tôt, l'auteur des questions anonymes, con­ les objections des pluralistes. Glorieux, Le correcto- tenues dans le ms. Douai 4J4, s'inspirant des doctrines rium..», p. 127-143. Plus loin, il s'attache à prouver la ; ansclmiennes, avait déjà reconnu que la corruption thèse de l’unité. Ibid., p. 197-208. Peut-être faut-il i chamelle n'agit point dans l’âme A la manière d’une cause efficiente, mais comme une cause prohibitive. restituer à Jean Quldortle traité Omnes homines natura scire desiderant..., imprimé panni les œuvres de Hervé I Cf. O. Lottln, Le traité du péché originel chez les pre­ Nédcllec (Glorieux, Répertoire, t. i, p. 192, cf. Müller, ! miers maîtres franciscains de Paris, dans Ephem. Der Tractatus < de formis · des Johannes Quidort v. theol. Lov., t. xvm, 1941, p. 30. De même, explique Paris, dans Div. Thomas, Fribourg, 1941, p. 195-210). saint Thomas, que la justice originelle aurait été trans­ On connaît enfin le De pluralitate formarum de Tho- ( mise avec la nature, de même l'inordinatlon qui cons­ mas de Sutton, qui a eu les honneurs de l’impression ! titue le péché originel est transmise avec elle. F-ll·, parmi les opuscules de saint Thomas. Mandonnet, t. v, i q. lxxxi, a. 2. Or, l’âme est la forme de cette nature humaine et contracte le péché de nature par son union p. 308 346. Λ Pâques 1286, Godefroid de Fontaines entre en scène dans son Quodl. n, q. vu, De Wulf· avec le corps. Pelzer, p. 114-123, où il critique le pluralisme ct la I 5. L'illumination intellectuelle. — Le problème de thèse hybride d’Henri de Gand (dualisme des formes l'illumination intellectuelle, a écrit M. Gilson, n'est dans le seul composé humain). Per modum saltem pro­ qu’un cas particulier de celui de l’efficace des causes babilis opinionis, conclut Godefroid, d ut mihi videtur secondes. EL Gilson, De quelques difficultés de Γillumi­ eis quae (Ide certa teneri oportet non repugnantis, potest nation augustinienne, dans Rev. néo-scol., t. xxxvi. teneri quod in homine non sit nisi una forma, aliam 1934, p. 321. On sait par les travaux du même his­ tamen positionrm non reprobando nec impossibilem vel torien comment l’influence d’Avicenne s’est ici com­ erroneam reputando. Loc. cit., p. 125. Dans son Quodl. binée avec celle de saint Augustin. Pourquoi saint m, q. v (Noël, 1286), on trouve une longue critique Thomas a critiqué saint Augustin, dans Archives d'his­ des condamnations portées par Pecham, le 30 avril toire docl. et litt. du M. A., t. i, 1926, p. Ί. Selon 1286 contre Richard Klapwell : Graviter videtur exce- Avicenne, la genèse d’une forme requiert trois élé­ disse, qui dixit illos articulos esse hæreses. De Wulf- ments, une matière, un agent qui dispose celle-ci, une Pelzcr, p. 207. Signalons encore les Impugnationes de intelligence, dator formarum. Il en est de même dans Be rnard de G annat contre Henri de Gand, Quodl. iv, l'ordre du connaître. L'âme humaine, n’atteint point a. 13, ms. Ollob. lut. 171, (° 48 r° b-50 v° b; Quodl. x, l’intelligible par la consideratio des choses sensibles, a 5, P 103 v· a-105 r° a; et celles de Robert de Colle- mais par l'action de la dernière intelligence des torto. Vat. lot. ÿs;, (· 3 v· b-4 r» b; 11 v° a-12 v° b; sphères. Cf. Gilson, Les sources qréco-arabes de l'augus­ 29 v» b-32 v* b; 90 v· a-92 v® a. Sur Henri de Gand ct tinisme avicennisant, dans Archives d'histoire docl. et adversaires, cf. P. Bayerschmidt, Die Seins und litt. du M. A., t. iv, 1929, p. 64-74. Pas de place dans hoemmetaphysik des Heinrich v. G., dans Deitrùge, un tel système pour un intellect agent individuel, t, xxxvi, fasc. 3-4, Munster-en-W., 1941, p. 19(4-254; puisque Γintelligence agente du globe terrestre en 287-330. tient lieu pour tous les êtres humains. On retrouve D uu ces diver, écrits, la discussion des consequen­ les mêmes idées chez Gondissalinus, ci. Gilson, Les ce* theologiques de lu thèse thomiste ne se limite pas sources gréco-arabes..., p. 83-92, dans l’apocryphe Dt à l'identité du corps du Christ, question déjà traitée intelllgentiis, éd. R. De Vaux, Notes et textes sur Caviavec toute l’ampleur désirable par saint Thomas lui- ccnnisme latin, 1934, p, 80-140. Guillaume d’Au 685 THOMAS D’AQUIN : L’ILLUMINATION INTELLECTUELLE vergnc, bien qu'il ait critiqué la cosmologie avlcennlcnnc, conserve la psychologie du philosophe arabe. Mais, pour la rendre assimilable, il transfère A Bleu les fonctions illuminatriccs de l'intelligence agente. Gilson, Pourquoi saint Thomas..., p. 52. L'Ame humaine, absolument simple, ne peut posséder en elle deux intellects. Il revient donc A Dieu, livre vivant ct miroir des intelligibles, d'imprimer dans notre esprit, les « signes i, c’est-à-dire les formes intelligibles des choses. Cependant Guillaume d'Auvergne ne semble point avoir dit en propres termes que Dieu soit l’in­ tellect agent de notre ûme. Gilson, op. cit., p. 80. A côté de cette forme extrême de la doctrine de l’illumination, M. Gilson en discerne une autre, qui, tout en maintenant la nécessité de l'illumination divine dans la connaissance des intelligibles purs, n'en attribue pas moins à l’âme humaine une lumière intérieure apte à connaître le monde matériel et les réalités spirituelles qui sont en nous. On fait, en un mot, tomber l’illumination augustino-avlccnnlcnne sur un intellect plus ou moins analogue à celui que nous attribue Aristote. Gilson, Op. cit., p. 90. On accorde cependant qu’en un certain sens l’expression d’intellect agent peut s'appliquer à Dieu : respectu horum intelligibilium quæ excedunt intellectum huma· num... dicitur Deus intellectus agens. Jean de la Ro­ chelle, cité par Gilson, ibid., p. 88. Tel est l’au gustinlsme « arlstotélisant », dont M. Gilson distingue l’augustinisme « aviccnnisant », celui de Pecham, de Roger Marston ct de Vital du Pour, qui admet bien en nous un intellect agent créé. Mais c’est à Dieu, lumière des esprits, qu’il convient d'abord d’attribuer la chose ct le mot; cf. Gilson, ibid., p. 102; ct Roger .Marston, un cas d’augustinisme aoicennisanl, dans Archives d’histoire doct. ct litt. du M. A., t. vin, 1933, p. 37-12. M. Gilson a souligné l'opposition qui existe entre le point de départ de la noétique de saint Thomas ct celui de la doctrine de l'illumination. Tandis que saint Thomas part de l’abstraction des concepts pour re­ monter au jugement ct à une doctrine de la certitude, attitude qui sera d’ailleurs également celle de Duns Scot, saint Bonaventure et ses disciples partent d’une théorie du jugement ct de la certitude, pour essayer de rejoindre la thèse de l’abstraction. Gilson, De quel­ ques difficultés..., p. 32G. A leur sens, l’intelligence ne saurait tirer du sensible aucune connaissance cer­ taine. Une telle connaissance doit être en efTet immunblc ct infaillible, double qualité (pie ne peut lui assurer le spectacle des choses. Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, p. 368-372. La connaissance certaine n’est donc possible que par une Intervention des rai­ sons étemelles, intervention qui prend dans la philo­ sophie de Bonaventure le nom do reductio. Gilson, op. cil., p. 379. Il s’agissait en somme de trouver une solution moyenne entre cc que nous nommons onto­ logisme (apcrccptlon directe des idées divines) ct le naturalisme aristotélicien, selon lequel l’homme serait capable d'achever par lui-même sa science sans un secours spécial de Dieu. Il y a, selon saint Bonaven­ ture, trois manières d’entendre que toute connaissance certaine s'opère dans la lumière des raisons étemelles. Ou bien la clarté évidente de la lumière divine est la raison entière ct unique du connaître, ou bien les rai­ sons étemelles sc bornent à une certaine « influence » qui reste en deçà de l’illumination proprement dite, ou bien encore les raisons éternelles exercent sur notre jugement une action régulatrice ct motrice. I.a pre­ mière explication ne convient qu'à la vision béutifique. La seconde est insuffisante, car les misons éternelles ne seraient plus la règle objective de notre esprit. Reste donc la troisième explication : Ad certitudinalcm cognitionem requiritur necessario ratio a terna ut regu­ ( i ' I 1 i [ j 686 lans el ratio motiva non quidem ut sola... sed cum ra­ tione creata et ut ex parte a nobis contuita. De scientia Christi, q. iv, Quaracchl, t. v, p. 23. Gérard d’Abbe­ ville enseignera lui aussi epic la certitude du jugement n’est possible que par la lumière incréée in qua est præsenlia omnium rationum intelligibilium sieul ars otoentium rationum a qua mentis ymago exprimitur el quæ el sola secundum substantiam Hiabitur. Quodl. xn, q. xn, ins. Vat. lat. 101', p» % \'a. Avec Jean Pecham, la théorie de l'illumination atteint son maximum de précision. La connaissance sensible, comme toute opération, procède de Dieu selon le mode de la causa­ lité efficiente : Secundum rationem potentia efficientis. Mnis dans le cas de la connaissance intellectuelle il y a quelque chose de plus. Dieu agit en nous secundum rationem lucis refulgentis. Cette Illumination objective est distinguée en termes explicites du don de l’intel­ lect agent, dans la question quodlibétique éditée par Doucet, Notulæ bibliographicæ de quibusdam operibus Jo. Pecham, dans Antonianum, t. vin, 1933, p. 458. Il s’agit donc bien d’une intervention llluminatrice de Dieu qui porte sur l’objet à connaître, non sur une simple mise en branle du sujet, ce qui nous ramènerait à l’ordre de la causalité efficiente. Comment dès Ion distinguer cette illumination divine des actes surna­ turels de la foi ct de la prophétie? Parce que ces der­ niers, répond Pecham, renferment un troisième mode de la causalité divine : Secundum rationem bonitatis declarantis. Cf. Quæstiones de anima, éd. Spettmann, dans Heitrüge, t. xix, fasc. 5-6, p. 67. — Sur la position d’Albert le Grand, cf. B. Geyer, De aristotelismo 13. Alberti M., dans Atli della setlimana Albertina, Rome, 1931, p. 75-79; J. Donné, Die Erkcnntnisslehre Alberts des G. mit besond. Berûeksichtigung des arabischcn Ncuplatonism, Bonn, 1935 (diss·)· Dans In //·“ Sent., dlst. XVII, q. xi, a. 1, saint Thomas dirige à la fois ses critiques contre les posi­ tions d’Avicenne ct d’Averroès. Sur la concession purement verbale faite ici à Avicenne, cf. Gilson, Pourquoi saint Thomas a critiqué..., p. 113; C. Boyer, I^’idée de vérité dans la philosophie de S. Augustin, 1921, p. 158. — Dans le De ver., q. x, a. 6, apparais­ sent toutes les positions essentielles de la noétique thomiste. Notre connaissance intellectuelle vient des sens, mais l’intcllcction du sensible nous conduit comme parla main Λ la connaissance des réalités supé­ rieures ct divines. J.oe. cit., ad 20B, Comment faire place dès lors aux « raisons étemelles » dont saint Augustin fait le principe de notre jugement du monde sensible? Ibid., obj. 6. Cc rôle de similitude de la vérité étemelle revient en nous aux principes premiers par lesquels nous jugeons de toute autre vérité. Ibid., ad 6·*·. Sur la manière dont nous connaissons les pre­ miers principes, saint Thomas écarte tout Innéisme. De ver., q. xi, a. 1, cf. De an., a. 5. La connaissance de Pâme par elle-même est expliquée dans le même esprit. De ver., q. x, a. 8. Saint Thomas distingue une saisie en quelque sorte existentielle de notre Ame (saisie qui répond A la question an est) et une connaissance quidditativc ct universelle, qui n’est évidemment possible que par l’abstraction. Mais lu connaissance en acte de notre âme individuelle ne s’opère elle non plus que dans nos actes de connaissance intellectuelle. Or, ceuxci supposent l’opération abstractive (loc. cit., nd 1 *a·)· Dans la I·, le problème de la connaissance dans les misons étemelles fait l’objet d’un article spécial, q. lxxxiv, a. 5. La réponse est pleinement affirmative : Anima humana omnia cognoscit in rationibus æternis. Seulement ccs raisons étemelles, pour saint Thomas, ne sont pas un objet connu ou une illumination qui sc tiendrait du côté de l’objet. L'irradiation de la lumière divine, c’est la lumière même de l’intellect agent qui en est une participation. Or, il est clair que 687 THOMAS D’AQUIN : INTELLECTUALISME, VOLONTARISME 688 cette lumière ne suffît point ù acquérir la science sans Bonaventure à propos de la permanence de la charité Γintervention de la connaissance sensible. — Dans le dans la patrie. In III" Sent., dist. XXXI, a. 3, q. î, De spiritualibus maturis, a. 10, obj. 8-10, saint Tho­ Quaracchi, t. ni, p. 689. La supériorité de la charité mas s< place directement au point de vue de saint Bo­ sur la foi et l’espérance est établie penes dignitatem naventure, celui du problème de la certitude du juge­ potentiarum. Pour Albert le Grand, cf. Sum. de crea­ ment et de la stabilité de la science. La science, dit-on, turis, I, tract, iv, q. xxxvin, Borgnet, t. xxxiv, est immuable et les choses sensibles essentiellement p. 550 a, autres textes dans I L Doms, Eivige Verklàchangeantes ne peuvent l’engendrer en nous. Le judi­ rung und eivige Venverjung nach dem hl. Albertus M., cium de veritate doit donc procéder d’une lumière plus dans Div. Thomas, Fribourg, 1932, p. 145 (277). Les haute et ne faudra-t-il pas que Dieu lui-même soit considérations générales sur l’amour qu’il introduit l’intellect agent de notre âme? Videtur quod intellectus dans son traité de la charité permettent à saint Tho­ agens sil Deus. Telle est, ponctuée de scs autorités mas d’aborder, d’un point de vue strictement philoso­ essentielles, la thèse de l’augustinisme. En face d’elle, phique, le problème du primat de l’intelligence In saint Thomas maintient sa propre position : dans l'or­ III" Sent., dist. XXVII, q. î, a. 4. Déjà se trouve dre naturel, point d’autre illumination divine que le formulée la distinction bien connue : s'il s'agit des don de l’intellect agent, cf. toc. cit., ad 1··. Mais l’au­ choses inférieures à nous, mieux vaut les connaître que les aimer, puisqu’elles se trouvent dans l’esprit torité d’Augustin, mise en avant par ses adversaires, oblige le saint docteur à confronter sa propre thèse selon un état plus noble, esse intelligibile, qu'elle ne avec le système de l’évêque d’Hippone. Saint Augus­ le sont en elles-mêmes. S’agit-il au contraire de choses tin, dit-il, a suivi Platon partout où la foi catholique supérieures à nous, mieux vaut les aimer que les con­ naître, puisque la réalité est meilleure que la ressem­ le lui permettait. Ibid., ad 8·®. Corrigeant Platon, il a remplacé les idées subsistantes par les « raisons blance; or, l'amour nous porte vers ces réalités supé­ étemelles » de l’intellect divin. C’est par ces raisons rieures telles qu'elles sont en elles-mêmes, tandis que éternelles que nous Jugeons de toute vérité, sans d’ail­ la connaissance n’atteint que leur similitude. Le De leurs avoir d’elles une vision directe. Les voles d’Aris­ veritate, q. xxn, a. 11, précise que la volonté et l’in­ tote sont différentes. Le stable et l’intelligible sont telligence peuvent être considérées d’une façon absolue pour lui renfermés dans le sensible, il s'agit seulement ou en relation à tel ou tel objet. Du premier point de vue, l’intelligence est supérieure à la volonté parce de le?» atteindre par l’abstraction. L’intellect agent remplace ainsi l’irradiation des idées séparées ou des qu'elle trouve sa perfection en elle-même par la seule présence de l'espèce intelligible, tandis que la volonté « raisons étemelles » qu'Augustin leur a substituée : Non multum refert dicere, conclut saint Thomas, quod ipsa doit en quelque sorte sortir d'cllc-mêmc pour rece­ intelligibilia participantur a Deo vel quod lumen jaciens voir sa perfection du bien tel qu’il est en soi. Or, il est intelligibilia participetur. De spir. creaturis, a. 10, préférable d’avoir en soi-même sa perfection que ad 8··. Saint Thomas ne veut pas dire que, du point d’être contraint de la chercher chez autrui. Les choses de vue philosophique, les deux systèmes enseignent à changent d’aspect si, au lieu de considérer nos deux peu près la même chose. H veut seulement affînner puissances absolument, on les réfère à tel ou tel objet. que, du point de vue de la joi (auquel il s’est placé pour Saint Thomas reprend alors sa distinction du Com­ apprécier la philosophie d’Augustin), l’un et l’autre mentaire des Sentences : primauté de la connaissance sont acceptables. En un mot l’aristotélisme thomiste des choses inférieures à nous, priorité de l’amour en est conciliable avec la foi, ce que niaient précisément face des choses divines, qui dépassent infiniment la les tenants du système adverse. Cf. l’interprétation de participation limitée que notre intellect en conçoit M. Gilsun, Pourquoi saint Thomas a critiqué..., p. 118- Le cas de la vision béatitique est exclu, puisqu’elle 119 et celle, nettement concordlstc, du P. Boyer, n’est point une connaissance par similitude. In IV*· Essais sur la doctrine de S. Augustin, 1931, p. 158- Sent., dist. XL1X, q. il, a. L 165. Voir la vaste bibliographie du sujet (Thomisme et Dans la I*, q. lxxxiii, a. 3, apparaît la démonstra­ Augustinisme), dans Ueberweg-Geyer, Grundriss..., tion définitive. L’intellect est supérieur à la volonté p. 747, et Hull, thomiste, t. mi, p. 187-192; t. iv, p. 200parce que son objet formel et premier est plus simple 201. — Quant à la certitude de la science, saint Tho­ et plus abstrait que celui de la volonté. Le bien, objet mas usait déjà expliqué qu’elle provient en nous, non de celle-ci, trouve en effet sa mesure dans l'intelli­ d’une illumination divine, mais des premiers principes. gence : Objectum intellectus est ipsa ratio boni appetibi­ 1·, q. lxxxv, a. 6. Or, la lumière des premiers prin­ lis. Saint Thomas dira en termes plus clair dans le De cipes n'est point un don immédiat de lu lumière in­ virtutibus, q. n, a. 3 ad 12 1,1 : Bonum intellectum esi criée· C’est l’intellect agent qui nous les fait atteindre, objectum voluntatis. Ce n’est pas n’importe quel bien pur voie d’abstraction a singularibus. De an., a 5. qui attire la volonté, mais le bien de nature intellec­ 11 est exact que le Corrcctolrc de Guillaume de la tuelle et, qui plus est, connu. La volonté et l’intelli­ Marc ne contient aucune allusion à la doctrine de l’il­ gence sont donc dans le rapport métaphysique de la lumination; cf. De Wulf, L’augustinisme avicennisant, ‘ chose mesurée et de sa mesure. Il peut se faire cepen­ dan* Rev. néo-sco last., t. xxxin, 1931, p. 29. Mais on dant que, per accidens, en relation à tel ou tel objet, a vu toute l'importance que lui donne Jean Pochant, l'amour dépasse la connaissance comme il peut se faire En 1289, Godefroid de Fontaines, dans son Quodl. vi. que l’audition de tel son soit supérieure à la vision de a. 15 (De Wulf-H off mans, p. 253), s'attache à réfuter telle couleur. C’est ainsi que l’amour de Dieu est pré­ Henri de Gand et son Quodl. ix, q. xv (Pâques 1286). férable à la connaissance imparfaite que nous en avons. Signalons les réfutations de Bernard de Gannat, ms. Voir encore 1*. q. cvm, a. 6, ad 3«®; De virtutibus, Ottob. lat. i ', f® 96 v* a-97 r a, et de Robert de Col- I q. n, a. 3, ad 13um. letorto, ms. V at. lai. ? S r, f° 88 r» b-S9 r* a. Signalons en­ Sans traiter la question ex projesso. Gauthier de core dans les Quirstiones de cognitione animm con­ Bruges défendait avant 1265 la thèse du primat de lu junct* de Bernard de Trilia (après 1284), la question ; volonté contre les assertions du De veritate; cf. E. ( trum anima conjuncta... possit per se aliquam oeritaLongpré, Gauthier de Bruges et l'augustinisme /rancistcm inteihgere sine superaddita illustratione? Cf. Grabcain, dan* Miscellanea Ehrle, t. î, p. 200. Même posi­ mann, Bernard ion Trilia u. seine Quasi. de cogni­ tion chez Matthieu d’Aquasparta, dans ses questions tione, dans Di». Thomas, Fribourg, 1935, p. 392. decognitione, vers 1275; cf. O. Lottin, Liberté humaine el 6 Intellectuniismt et volontarisme. — a) Le primat motion divine, dans Rech. de théol. anc. el méd., L vu, de la volonlé sur l’intelligence est affirmé par suint 1935, p. 166. A la Noël 1276, Henri de Gand traiU 689 THOMAS D’AQUIN : INTELLECTUALISME, VOLONTARISME longuement le problème dans le sens volontariste, Quodl. î, q. xiv. Le Corrcctoire de Guillaume de la Mare insistera longuement lui aussi sur cette thè»c. Glorieux, Le corredorium..., p. 161-167; 221-223. La remarque de saint Th ornai» · Objectum intellectus est ipsa ratio boni appetibilis, ne parait pas avoir été du tout vaisic par Guillaume de la Marc. Loc. cil., p. 103. En 1286, Godcfroid de Fontaines, dans son Quodl. vi, p. x, De Wulf-Hoiïmans, p. 182-218, prend la défense de la thèse thomiste. b) La béatitude. — Sur la thèse thomiste de la béa­ titude et ses relations avec l’aristotélisme, voir A. Mansion, L'eudémonisme aristotélicien et la morale thomiste, dans Xenia thomistica, 1.1, p. 440-144, Rome, 1925; Wittmann, Die Ethik des h. Thomas, Munich, 1933, p. 46-64. 11 s'agissait en substance, pour saint Thomas, de vérifier, dans le cas particulier de la béati­ tude céleste, le bien-fondé des positions d’Aristote sur le caractère essentiellement intellectuel de la béa­ titude. Elhic. Nie., K, 7, 1177 a, 12-22. Problème qui suppose la transmission, en fait tardive, du X· livre de Ethique à Nicomaque; cf. A. Pelzer, Les versions latines des ouvrages de morale, conservés sous le nom d'Aristote, dans Rev. néo-scol.,t. xxm, 1921, p. 316-341 ; 378-412. Albert le Grand, qui utilise pour la première (ois dans son Commentaire du IV· livre des Sentences la version gréco-latine intégrale de Robert Grossetêtc (cf. O. Lottin, Saint Albert le Grand d l'Éthique à Ni­ comaque, dans A us der Geisteswdt des MittelaUers, Munster-en-W., 1935, t. n, p. 621-622), décrit longue­ ment la félicité morale et la félicité spéculative, telles que les a conçues Aristote. Mais tout cela concerne la béatitude imparfaite d’icl-bas. Arrivé à la béatitude céleste, la pensée d’Albert toume court et abandonne Aristote pour Boècc : Bealitudo palriæ est inhærere Dco d in ipso habere omnia quæ appetuntur, se bornet-il à déclarer. In IV** Sent., dist. LIX, a. 6, Borgnet, t. xxx, p. 675 b. Albert sc rapproche davantage de l’aristotélisme théologiquc dans son Cours inédit sur Γ Éthique à Nicomaque (ms. Val. lat. f° 194 v® a); mais ce cours, on ne saurait l’oublier, est » aussi l’œu­ vre de saint Thomas, parce qu’il a mis de sa rédaction en reproduisant la parole du maître ». A. Pclzcr, Un cours inédit d'Albert le Grand sur la Morale à Nico­ maque, dans Rev. néo-scolastique, t. xxiv, 1922, p. 36. Sur la pensée de saint Bonaventure, voir Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, p. 450-151 ; M. Wittmann, Thomas v. A. u. Bonaventura in ihrer Glhckseligkeil mit einander verglichcn, dans A us der Geisleswelt..,, t. n, p. 749-758. Dans son Commentaire des Sentences, I. IV, dist. XL1X, q. i,n. l,qu. 1, et dans le Quodl. vin, a. 19, qui lui est étroitement apparenté (12587), saint Thomas prétend retrouver dans la béatitude céleste tout le fond de la doctrine intellectualiste d’Aristote. La béa­ titude el la lin ultime peuvent bien en effet être l’objet de la volonté, clics ne peuvent être son acte. Car l’objet premier de la volonté n’est point son acte même, ipsum velle, mais la fin ultime extérieure à elle (béatitude objective). Or, la saisie de cette lin exté­ rieure, de ce bien qui est Dieu ne peut être réalisée par l'acte même de la volonté, parce que le repos et la délectation dans la fin supposent la présence de celleci. C'est donc l'opération qui réalise immédiatement et en tout premier lieu cette conjonction avec la < fin ultime extérieure », qui constitue à proprement parler la · fin ultime intérieure », ce. que saint Thomas nom­ mera plus tard ■ béatitude formelle ». La vision de Dieu est ainsi l'essence même de la béatitude, tandis que la délectation de la volonté est son < Complément formel », comme la beauté est l’oniemcnt de la jeu­ nesse, Ethic Nie., K, 3, 117 I b. 33. Même doctrine dans le Cont. Genl., I. Ill, c. xxvi; l*-H·, q. m. a. 4; CAO Comp. thiol., c. cvn. L'évolution que Wittmann (Die Ethik..., p. 45) voudrait découvrir dans la pensée de saint Thomas vers une mitigation progressive de son intellectualisme, ne parait point devoir être retenue; ci. Bull. thomiste, L ni, p. 940. La première attaque contre cette thèse thomiste est ici encore sans doute celle de Gauthier de Bruges; cf. E. Longpré, Le Commentaire sur les Sentences du Bienheureux Gauthier de Bruges, dans Études d’hist. duel, cl litt. du λ ni* siècle, t. n, Ottawa, 1932, p. 22. Avant Duns Scot, Guillaume de la Mare objecte que la volonté peut atteindre et saisir la fin ultime, sinon par le désir et la fruition, du moins par l'amour. Glo­ rieux, Le corredorium..., p. 211. Saint Thomas avait déjà prévenu l'objection, Cont. Genl.,\. Ill, c. xxvi, 5·, comme le fait remarquer le Corrcctoire « Quare·, p. 219. Chez Jean Quidort, la thèse thomiste a subi de nota­ bles transformations. Éd. Müller, p. 240. Nous savons d’ailleurs que Jean Quidort eut quelques difficultés d'ordre doctrinal sur ce point; cf. Glorieux, Un mé­ moire justificatI/ de Bernard de Trilia, dans Rev. sc. phil. d théol., t. xvn, 1938, p. 411. Signalons enfin les questions de Pecham sur le sujet, éditées par Spcttmann, Quæstiones de anima, dans Beitrâge, t. xix, p. 5-6, 170-172; 178-180. La question De bea· titudine, éditée jadis par Mandonnet et attribuée par lui à saint Thomas, Rev. thomiste, 1918, p. 366-371, serait l’œuvre de Thomas de Sutton; cf. Bull, thomiste. Notes et communie., 1932, p. 118. Il y aurait lieu de la comparer avec la question quodlibétique soutenue par le même auteur en 1285, Quodl., n, a. 15, ms. Ottob. lat. 1 ’26, F 84 v· è-88 F» a. c} L'acte libre. — Dans le traité des actes humains, on a critique surtout la notion thomiste d'imperium. Sur les sources de ce traité, cf. O. Lottin, La psycho­ logie de l'ade humain chez S. Jean Damascène d les théologiens du xnp siède occidental, dans Rev. thomiste. n. s., t. xiv, 1931, p. 631-661. Selon saint Thomas, V imperium est un acte de la raison parce qu’il com­ porte essentiellement un ordre et une comparaison de la chose impéréc à son terme, la tin. Cet ordre de la raison suppose d’ailleurs nécessairement la motion de la volonté, puisqu'on ne peut ordonner un moyen à une tin sans la volition elficace de cette fin. In 1V*® Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, qu. 1, ad 3***; De ver., q. xxn, a. 12, ad 4·®; Quodl. ix, a. 12; b-II·, q. xvn, a. 1. Sur l'histoire du terme imperium rutionis, voir Lottin, art. cit., p. 648, n. 2. Cette thèse intellectua­ liste est prise à partie par Guillaume de la Mare, qui lui reproche do compromettre le libre arbitre. Si la raison commande à la volonté, celle-ci est donc serve et non maîtresse. Glorieux, Le corredorium..., p. 233. L’auteur du Corrcctoire ■ Quare » répond que le com­ mandement de la raison suppose la motion de la volonté. Glorieux, p. 234. La question sera reprise par Henri de Gand, Quodl. ix, q. vi (1286). A la conception intellectualiste de V imperium se rattache naturelle­ ment la définition thomiste de la loi, b-Il*. q- xc, a. 1 ; cf. O. Lottin, La définition classique de la loi, dans Rev. néo-scolastique, t. xxvi, 1925, p. 129-145. Sur les problèmes de la syndérèse et de la conscience, voir It. Hoffmann, Die Geioissenslehre des Walters v. Brilgge O. F. M. und die Entuùcktung der Geudssenslehre in der Hochscholastik, dans Beitrdge, t. xxvi, fSBC. 5-6, 1941. Mais le conllit entre intellectualisme et volonta­ risme porte surtout sur la détermination de l'acte libre par le dernier Jugement pratique. Cf. sur ccs pro­ blèmes, O. Lottin. La théorie du libre arbitre depuis S. Anselme jusqu'à S. Thomas d'Aquin, Louvain, 1929 (extr. de la Rev. thomiste); Liberté humaine el motion divine de S. Thomas d'Aquin à la condamnation de 1277, dans Rech. de théol. anc. et méd., L vu, 1935, 691 THOMAS D’AQUIN : INTELLECTUALISME, VOLONTARISME 092 p. 52-69, 156-173; Le libre arbitre au lendemain de la ple présentation de l'objet, précisera la b-Il·, q ix. condamnation de 1277, dans Rev. néo-scolastique, a. L C'est en effet la volonté elle-même qui est prindpt L xxxvni, 1935, p. 213-233; Le libre arbitre chez Gode- j de son propre mouvement quant à l'exercice de l'acte froid de Fontaines, ibid., t. xl, 1937, p. 213-241; Le La 7· objection du De malo est une allusion limpide thomisme de Godefroid de Fontaines en matière de libre aux condamnations du 10 décembre précédent. On arbitre, ibid., p. 554-573; Thomas de Sutton et le libre objecte le principe d’Aristote : la volonté est unt arbitre, dans Rech. de théol. ane. et médiév., t. ix, 1937, puissance passive (Dean., Γ, 10,433 b, 16), elle est donc p.281-312; refonte de l'ensemble dans Psychologie et mue nécessairement par le principe actif qui la met en morale aux xjp et xm· siècles, Louvain, 1912, p. 225branle. Saint Thomas répond que seule la plénitude 389. Selon saint Bonaventure, le jugement pratique, parfaite du bien peut mouvoir nécessairement la à la différence du jugement théorique (diclamen), volonté quoad specificationem, nd 7*·. Même dans ce n’c’t possible que par l'intervention de la volonté : cas, la liberté d'exercice est encore réservée. On a In eam partem terminatur definitivum judicium quam remarqué que saint Thomas, dans cc texte du De malo, preroptat voluntas. In ΙΙ*Λ Sent., dist. XXV, a. 1, q. vi, passe sous silence sa théorie du fondement Intellectuel ad 3ue. Si In volonté suit ce dernier jugement pratique, de la liberté et qu’il semble réduire sensiblement h en réalité elle n’obéi l qu'à elle-même : Potius actum portée du principe : Nihil votitum, nisi prœcognilum. alienum trahit ad proprium. Dans l'acte libre, le juge­ Il semblerait même écarter toute connexion nécessaire entre le dernier jugement pratique et l'élection. Mais ment de la raison n'est de la sorte qu'une disposition, une telle impression doit, croyons-nous, être dissipée d’ailleurs indispensable. L'élément principal et formel par les textes postérieurs de Ια IM1·. Dans la b-11·, de la liberté réside dans la seule volonté. Chez saint Thomas au contraire, la raison dans l'acte libre est cc q. xvn, a. 1, ad 2um est affirmé à nouveau le fonde­ ment Intellectuel de la liberté;cf. également,q. lxxvb, que le moteur est au mobile, l’agent au patient, P, a. 2. Quant à la connexion entre le dernier jugement q. lxxxii, a. 3, ad 2um. Patio causa libertatis, écrira-til dans la P-Il·, q. xvn, a. 1, ad 2-m, au plus fort de pratique et l'élection, elle doit s'entendre non seule­ ment dans l'ordre de spécification, mais encore dans la crise averroïste. Bien que l’acte essentiel du libre celui d'exercice. Car la raison précède et ordonne arbitre (electio) relève de la volonté, saint Thomas précise cependant, dès l'époque des Sentences, que l'élection. Q. xm, a. 1. Or, celle-ci ne porte pas seule­ ment sur la spécification de l’acte, mais encore sur son l'élection, pour êlrc libre, doit renfermer en elle une virtus rationnelle. In IIU* Sent., dist. XXIV, q. i, exercice. Dans son choix entre agir et ne pus agir, ici encore la volonté suit la raison : Potest homo retied a. 3. Le liberum judicium, l’arbitre, est ainsi non la non velle, agere el non agere, potest etiam velle hoc d liberté elle-même, mais la cause immédiate de la illud .· cujus ratio ex ipsa virtute rationis accipitur. liberté. In J7e» Sent., dist. XXV, expos, textus. Dans le De veritate, saint Thomas ne sc contentera point Quidquid autem ratio potest apprehendere ut bonum, in d’établir que la volonté est libre (q. xxn), il établit hoc voluntas tendere potest. Potest autem ratio apprehen encore que le jugement pratique qui précède immédia­ dere ut bonum, non solum hoc quod est velle aut agere, tement l’élection, est lui-même libre : Homo non est sed hoc etiam quod esi non velle et non agere. Q. xm, a. 6. Quant nux jugements de la raison pratique, 11* solum causa suiipsius in movendo, sed in judicando. Q. xxiv, a. L Avant 1269 et pendant le premier séjour sont nécessaires d’une nécessité simplement hypothéde saint Thomas en Italie, Gauthier de Bruges attaque tique, ibid., ad 2’·“, solution que Godefroid de Fon­ taines n’aura pas de peine à appliquer ù la connexion la thèse de la volonté puissance passive. La raison du dernier jugement pratique avec l'élection. Quodl. n'est pour la volonté qu’un conseiller dont elle peut écarter l'avis. Il peut donc y avoir dissentiment entre vi, q. xi, éd. De Wulf-HofTmans, p. 220. Dans son Quodl. i, en 1276, Henri de Gand profes­ le dernier jugement pratique et l'acte du vouloir. Cf. O. Lottin, Liberté humaine et motion divine.... sera un volontarisme radical : loin d'être le moteur ou p. 59. la cause de l’acte libre, la raison se borne â montrer â L'intervention de Gérard d’Abbeville en 1269 la volonté son chemin : Præjerendo lucernam de node (texte dan·* Lottin. Liberté humaine el motion divine..., ne dominus offendat. L'année suivante, la condamna­ tion du 7 mars, pouvait passer pour une < canonisation p. 157) annonce la condamnation de 1270. Nous savons en effet par Gérard que certains maîtres, exagérant implicite » de la thèse volontariste. Saint Thomas lo affirmations d’Aristote (De an., Γ, 10, 133 b, 16) était-il vraiment atteint comme l'ont cru les contem­ • talent arrivés à nier le libre arbitre, en soulignant porains? Non, si le De main écarte les positions essen­ à l’t xcèx le caractère passif de la volonté ». Lottin. tielles de l’intellectualisme du De veritate et de la I* Pars; oui, si ces positions essentielles sont maintenues. art. cil., p. 158. Nous ignorons d’ailleurs les noms de cri in .litres Le 10 décembre 1270, Ét. Tempter con­ Sans doute saint Thomas avait écarté toute Influence damnait la proposition : Quod liberum arbitrium est i efficiente de In raison, il ne parlait plus que de pré­ potentia pattiva non activa et quod necessitate movetur sentation ou de proposition de l'objet. Mais nvait-ll ab appetibili. Dcnlffc-Chatclain, t. i, p. 187. Cettc abandonné ses deux thèses essentielles : le fondement condamnation invite saint Thomas à Interrompre le Intellectuel de la liberté et la connexion nécessaire de cour normal de scs questions De malo, afin de préciser l'acte libre avec le dernier jugement pratique? Le doute su propre position. La négation du libre arbitre n’est créé par le silence du De malo, q. VI, est sur cc point pas « ulrment contraire ù la foi. elle est de plus la dissipé par les textes de la Ι·-1Ι·. Or, ces thèses sont • destruction de tous les principes de la philosophie certainement visées par les prop. 129, 163, 130, 131, morale ». Q. vi, a. u. A la double indétermination ex 158, 159 de la condamnation de Tempter. parte ados et ex parte objecti, dont le saint docteur Ce sont ces deux thèses essentielles, ratio causa liber­ wait établi l’existence dans le De veritate (q. xxn, tati» et rôle du jugement pratique, qui sont prises a a. 6), répond maintenant lu double liberté d’exercice partie par G. de la Marc. Glorieux, Le corrector turn..., rt de spécification; terminologie, mais non doctrine p. 106, 232. La pensée de saint Thomas n été repro­ nouvelle et qui ne saurait être un emprunt à Slgcr, duite plus justement par · Circa » (éd. Müller, p. 128. dont k Questions sur ta Physique ne peuvent être 261) que par · Quare » (Glorieux, p. 107). A la diffé­ antérieures û 1271; cf. Delhayc, Siger de Prabant, rence de cc dernier qui n'accorde à l'intelligence qu’une Question» sur la Physique. Introd., p. 17. Le De malo motion par mode de cause finale (sicut finis movd •rm Knr que la volonté est mue par l’intellect ex parte efficientem), Godefroid de Fontaines cl Thomas de cl·ledi, motion par mode de causalité formelle et sim­ Sutton admettront une véritable causalité efficiente. 693 THOMAS D’AQUIN. L’EXfcGÊTE Lottin, Le libre arbitre chez Godejroid de Fontaines, p. 219; Thomas de Sutton et le libre arbitre, p. 289. Go- , defrold de Fontaines enseigne en outre que le juge­ ment pratique dépend de la motion de la volonté, non seulement quant à l’exercice mais quant à la spéclffcatlon de l’acte ; Ex hoc quod per voluntatem fit aliquid, ratione cujus ipsum objectum sic vel aliter intellectum moveat. Quodl. vi, q. xl, Do Wulf-Hoffmans, p. 223. L'activité volontaire introduit en effet une conformité (eennaturalitas ) h l'égard de certains biens, d'où leur convenance pour l'appétit : Qualis est unusquisque, I talis /inis videtur ei. Ibid., p. 224; cf. Aristote, Ethic. Nic.,r, 7,1114(1, 32. Conclusion. — Le 18 Juillet 1323, Jean XXII cano­ nisait celui que Jean Pccbam avait accusé de remplir d’idoles la maison de Dieu. « L'inscription de saint Thomas au catalogue des saints fut encore plus efficace que les apologies des disciples du Docteur commun. » P. Mandonnct, La canonisation de saint Thomas d'Aquin, dans Mélanges thomistes. Le Saulchoir, 1923, p. 17. L’Égllse ne pouvait en effet proclamer la sain­ teté personnelle de Thomas d’Aquin, sans attester du même coup la vérité de sa doctrine et le succès de son entreprise. Les tenants de la vieille école augustinicnnc contestaient justement l’un et l'autre. Avec la cano­ nisation de saint Thomas, l’aristotélisme avait conquis droit de cité. Mais le problème de l'aristotélisme s'était posé de façon très différente pour saint Thomas et pour Siger. Celui-ci, philosophe et non théologien, commente d'abord Aristote, sans s'occuper des affir­ mations de sa fol personnelle. C'est peu à peu que sc manifeste à ses yeux le problème, très moderne, de la conciliation de son système philosophique et dosa foi. Le point de départ de saint Thomas est tout différent. 11 est maître en théologie et non pas maître ès arts. L’œuvre de sa vie, c’est une explication rationnelle de la veritas fidei dans laquelle l’aristotélisme aura sa place. Mais au lieu d’une simple utilisation d’un maté­ riel de citations au service du vieux fond de la théo­ logie augustinicnnc, d'ailleurs si fortement teintée d’aviccnnisme, nous assistons chez lui à une refonte complète. Saint Thomas repense les problèmes théo­ logiques à l’aide de l'aristotélisme. Un aristotélisme au service de la théologie, tel était le but qu’il lui fut donné d’atteindre, comme on pourra mieux s'en rendre compte par l'exposé de la synthèse thomiste; voir cidessous Λ l’art. Thomisme. Bibliooaapiiik. — On n’indlqncni que les travaux d'ordre général »ur le conflit entre l'nugustlnismc médiéval et le thomisme. Les tnivaux spéciaux Mtr tel ou tel point do doctrine, ont été signalés nu cour» dt l’article.— F. Ehrlc, Der Augiutlntsmus und der Aristote litmus in drr Scholastlk fjtgtn dem Ende des XII/. Jahrhnnderts, dans Archio. /. Ukraine u. Kirchengtsehichtc des AHllctaltcn. t. v, 1898. p. 093-635; P. Mandolinet, Slgcr de Brabant et Taixrixdsnir latin, Louvnln, 1911, t. i, p. 30-59; le même, Premiers Irapoux de polémique thomldc, dans llto. des sc. pliil. et théol., t. vn, 1913, j». 16-70, 215-232; F. Ehrlc, Dtr Kampf um die Lthre des hl. Thomas u. A. In der rnlrJl /tln/zlg Jahren nrich telnrni Tod, dans Zeitschrift f. kalhol. Théologie, t. x.xxvi, 1913, p. 266-313; le même, L'Agodinhmo et Γ Aritfolclhmo delta seulml Ica del secedo XI U. dans Xenia Ihimilsllca, Home, 1925, t. ill, p. 517-588; A. Callebant, Jean Perham el Tailgmllnisme, dans Archio, franc, hist., t. xvtn, 1925, p. 111172; P. Glorieux, Comment Us thèses thomistes furent pros· eriles Λ Orford, dans lieu, thomiste, η. *., I. x, 1927, p. 260271; lo même, La littérature des Correctoires, Ihld., t. xi, 1928, p. 09-96; K. Croyten», Autour de la littérature des Correefoires, dans Archiu. 11·. Prnrd., Home, t. xu, 1912. p. 313-310. On trouvera un expose d’ensemble et uno ample bibliographie de cos questions dans le grand ouvrage de F. van Strenberghen, paru deptih la rédaêtlon du present article : Siger de Brabant d'après «e< <> uurr· Inédites, t. Il, Ixmvaln, 1942 (Les Philosophes belges. t. xm;. I L.-B. Gillon. 694 VL Saint Thomas d'Aquin exîoête. — Pour porter un Jugement objectif sur les commentaires bibliques de saint Thomas d’Aquin, il faut les replacer dons leur contexte historique. Alors que toute l’exé­ gèse du haut Moyen-Age était aux fins d'édification, on discerne un triple courant dans l’interprétation de l'Écriturc au xir siècle : celui de l'exégèse savante, représentée par le commentaire sur les Psaumes de Pierre Lombard, VExpositio difficultatum suborienltum in expositione tabernaculi faderU de Richard de SaintVictor et la Glose ordinaire d’Anselme de Laon; puis un courant monastique, d’intention moralisante, avec les commentaires du Cantique des cantiques de saint Bernard et de Pierre de la Oellc» ou celui sur les Psau­ mes de Jean de Reims; enfin des travaux scripturaires orientés vers la prédication et représentés par Gilbert de la Porréc, la Glose interlinéaire et surtout les Dis­ tinctiones, ou nidc-mémoirc, comme celles de Pierre le Chantre et de Prévostin sur le Psautier, ou de Garnier de Rochefort, évêque de Langrcs. Il est notable que l'œuvre scripturaire de saint Thomas, à l’inverse de celle de scs contemporain» qui sc spécialisent dans un genre donné, relève de ces trois modes d’exposition. Le commentaire du Can­ tique des cantiques, et peut-être celui du Psautier, sont des ouvrage» de piété et c'est pourquoi ils por­ teront plus que d'autres l'empreinte de leur temps. La Catena aurea est un manuel pour les prédicateurs autant que pour les étudiants. Enfin tous les autres commentaires, notamment ceux sur l’évangile de saint Jean et les épltrcs de saint Paul sont des ouvra­ ges scientifiques, et plus précisément scolaires, donc théologiques. La plupart des grands commentaires bibliques du xm· siècle, en effet, ne sont pas autre chose que la rédaction des cour* officiels des maîtres en théologie durant leur carrière universitaire; cf. P. Mandonnet, Chronologie des écrits scripturaires de saint Thomas d'Aquin, extrait de la Revue thomiste, 1928-1929; et L'enseignement de la Bible < selon l'usage de Paris t, ibid., 1929, p. 189-519. Le texte sacré était la matière ordinaire des cours du maître en théologie qui l’ex­ pliquait section par section et d’un point de vue théo­ logiquc, comparant les textes entre eux, mettant en lumière les gloses des Pères, combattant les hérésies, établissant les vérités de la fol; exposé qu'il complé­ tait par les questions disputées et les disputes quodlibétique»; cf. H. Dcnifle. Quel livre servait de base à l'enseignement des maîtres en théologie ? dans Revue thomiste, 1894, p. 149-161. ! Mais, alors qu’au xn· siècle, avec Gilbert l’universel et Abélard, puis Robert de Melun, et encore au début du xm· siècle, les « questions » théologigucs ne sont introduites dans les commentaires de l’Ecriturc que d’une façon adventice, Λ l'occasion d’une citation patristique et en dépendance immédiate du texte, peu ù peu, sous l'influence du progrès philosophique, les Qutrsliones prennent une place de plus en plus pré­ pondérante dans la « leçon », cf. ci-dessus, col. 371 sq.; si bien que la théologie sc constitue en science auto­ nome cl que les Sentences de Pierre Lombard ou VHistoria scholastica de Pierre le Mangeur se substi­ tueront ici et ΙΛ Λ ia Bible comme texte de base· Finale­ ment l'interprétation de l'Écriturc qui faisait Jadis l’unique objet de renseignement demeure slaliurmaire et le» maîtres de Paris n’y consacreront plu*· que deux cour» par semaine, considérant le texte sacré surtout comme un prétexte ù discussions théologiques. C'est le < biblhtc ordinaire » qui deviendra le spécialiste de l'enseignement scripturaire; mais sa place demeurant subalterne — il > lit » la Bible · en courant », au moyen de gloses — l’enseignement devient de plus en plus élémentaire. 695 THOMAS D’AQUIN : TEXTE BIBLIQUE ADOPTÉ 696 De cc régime scolaire, deux observations sc déga­ l'ordre en 1256. Hugues de Suint-Cher, après 1241, gent Saint Thomas est l’un des témoins les plus nota­ composa à Rome un corrcctoire dont aucun manuscrit bles de cette distinction des ouvrages d’exégèse ct de ne nous est parvenu. Finalement les pères du couvent théologie biblique d’une part ct de théologie propre­ de Saint-Jacques éditèrent le célèbre corrcctoire connu ment dite ou rationnelle, d’autre part, dissociation qui sous le nom de < Bible des Jacobins de Paris > et qui est s'esquissait au xii· siècle. Si le xin· siècle est le grand contenu dans les mss latins J6 719-1G 722 (χιπ* i.) siècle scripturaire du Moyen Age, il le doit à l'élan de la Bibliothèque nationale. Les marges sont rem­ donné aux études bibliques un siècle plus tôt ct ù la plies de nombreuses variantes copiées de première multitude des grands esprits de la première moitié du main avec le texte. Celui-ci sc relie au texte d'Alcuin xiii· siècle; mais ceux-ci furent de plus en plus des (801) et, lorsqu’il s’en sépare, il concorde avec les théologiens ct, après saint Thomas, on ne relèvera manuscrits théodulphicns et italiens; cf. H.Quentin, guère d’œuvre exégétique marquante jusqu'aux PosMémoire sur rétablissement du texte de la Vulgate, Zil/es de Nicolas de Lyre, lesquelles, par leur esprit et Paris, 1922, p. 385-388. leur méthode, appartiennent davantage à la Renais­ Saint Thomas utilisa certainement pour ses com­ sance qu'au Moyen Age; on est dès lors autorisé à mentaires le texte nlcuinicn de l’université de Paris, voir dans les commentaires de saint Thomas sur saint A défaut d’une étude critique qui n’a jamais été faite, Jeun ct surtout sur saint Paul le fruit le plus mûr, la on peut présumer qu’il utilisa les corrections que réalisation la plus parfaite de l'exégèse médiévale Hugues de Saint-Cher y avait apportées ct plus vrai­ scolastique. semblablement qu'il eut en main une copie du corrccPar ailleurs, les commentaires bibliques de cc siècle toire de Saint-Jaeques, puisque c'était le couvent où sont des leçons de maîtres en théologie qui visent non il avait enseigné comme bachelier et comme maître, seulement à élucider le sens des textes, mais encore à et que l'ordre l’avait imposé à tous ses religieux. Acta y trouver la solution de problèmes dogmatiques ou capitulorum general. O. P.9 éd. B.-M. Reichert, L î, moraux, ct à y discerner les éléments de la systéma­ p. 9. C'est en outre cc que suggère la formulation des tisation théologique qu’ils élaborent. C’est la théologie, notes de critique textuelle dans les commentaires de science désonnais autonome, qui devient la clef de saint Thomas qui ne mentionne que très rarement voûte, le point de convergence de toutes les disciplines l’origine des variantes et sc contente de les men­ tionner comme la marge du susdit corrcctoire : alia annexes : grammaire, philologie, patristlque, exégèse. littera habet. Cette bible de l’université de Paris béné­ Le commentaire de saint Thomas sur Job est le type ficiait des améliorations que venait d’y introduire le le plus expressif de cette formule d’interprétation. chancelier Étienne Langton (t 1228) et qui devaient 1. Le texte biblique de saint Thomas. IL Son canon être adoptées par Hugues de Saint-Cher, les bibles biblique (col. 697). III. Sa documentation (col. 701). incunables et celle du concile de Trente. Jusqu’au IV. Saint Thomas ct la philologie biblique (col. 704). xiii· siècle, en eflet, les Livres saints étaient rangés V. Saint Thomas ct la critique textuelle (col, 708). dans l’ordre le plus variable. Étienne Langton mit nu VL Caractères généraux de son exégèse (col. 711). VIL Règles herméneutiques (col. 727). VI11. Conclu­ début de la Bible tous les livres historiques, à l’excep­ sion (col. 735). tion des Machabées, puis tous les Sapientiaux de Job à /. /.£ TBXTB BIBUQOE BB saint thomas. — Comme l’Ecclésiastique, enfin les Prophètes. Toutefois l’uni­ ses contemporains, saint Thomas ne possédait que le versité de Paris mit les épitres catholiques à la suite des Actes des apôtres, conformément à l’usage des texte de la Vulgate latine, document traditionnel manuscrits grecs, alors qu'Étienne Langton les avait Jouissant d’une autorité absolue. Sans doute ce texte était-il notablement corrompu, mais, quoi qu’on en ait placés après celles de saint Paul. Par ailleurs, la division en chapitres de la bible d'Al­ dit ct comme une lecture des commentaires en fait foi, il ne diflérait pas considérablement du nôtre; cf. les cuin était extrêmement inégale, ct fixée comme au variantes relevées par H. Wiesmann, Der Kommentar hasard. Ces distributions fantaisistes variaient en des ht. Thomas oon Aquin zu den Klageliedern des outre avec les copies ct parfois avec les auteurs; aussi Jcrcmias, dans Scholashk. 1929, p. 78 sq.; Λ. Vaccari, bien, Jusqu'à la fin du xn· siècle, l'usage de citer S. Alberto Magno e l'esegesi mcdicoale, dans Biblica, l’Écriturc avec une référence à un chapitre était-il 1932. p. 372-374. Au xn· siècle, le cardinal Nicolas presque entièrement inconnu; cf. A. Landgraf, Die Maniacoria et Étienne Harding, abbé de Clteaux, Scliri/lzitalc in der Scholastik um die Vende drs 12. avalent entrepris de réviser lu version hléronymienne zum /J. Jahrhunderl, dans Biblica, 1937, p. 74-94. d'après le grec ct l'hébreu, mais leurs travaux n’eurent Étienne Langton divisa, avant 1206, toute la Bible guère de diffusion. C’est l’un des manuscrits à la fois 1 en chapitres de longueur à peu près égale et, qui amendé et interpolé par la masse des commentateurs mieux est, de façon à comprendre dans chacune de ces que les libraires ct les · stationnaires » de Paris choisi­ sections une unité de sujet. SI Étienne Langton ne rent dès le début du xin«siècle et dont ils multiplièrent créa pas de toutes pièces la numérotation nouvelle, du les copies. Ce fut désormais le texte reçu et en quelque moins en fit-il adopter définitivement une ancienne. sort· ecclésiastique; les professeurs le commentèrent Ces nouveaux chapitres sont encore aujourd’hui en comme une version quasi-ofUciellc et. comme Paris grande partie les nôtres. était le centre intellectuel du monde, cette Bible de Après Robert de Courson ct avec Philippe le chan­ i université. plus exactement appelée Exemplaire celier, Hugues de Saint-Cher fut l'un des premiers Λ parisien de la Bible ou Bible de Paris, devint ΓExem­ employer la nouvelle capitulation dans scs Postules, plar vulgatum, le texte biblique moderne dont l’auto­ son Corrcctoire ct ses Concordances; mais il est remar­ rité devait être incontestée pendant trois siècles; quable que, dans les Postules ct le Corrcctoire, il y ait cf. H. Déni fie. Die Handschnllen der Bibel-Korrec- une coïncidence complète avec notre division actuelle, lorien do 13. Jahrhunderts, dans Archio für Literatur- même pour les sept livres historiques de l’Ancicn Tes­ and Kirchengeschichte des Ai. A., t. iv, 1888, p. 263- tament. C'est donc lui qui mit au point l’œuvre de 311. 467-601 ; P. Martin, Le texte parisien de la Vulgate Langton, et c’est cette édition ainsi parachevée que latine, dans Muséon, 1889, p. 444-466. suivra saint Thomas. Enfin, en 1218, Thomas Gallus Cette édition n'ayant aucune valeur critique, les complétait celte oeuvre en subdivisant pur les sept frères prêcheurs résolurent de l'amender. Un premier premières lettres de l’alphabet, a, b, c, ouitur veritas Evungclii. El loquitur in persona totius ICccIrxho n qua rooeptuni est hoc Evangelium... Notandum nutrin quod cum multi scriberent de culholiai 699 THOMAS D’AQUIN : CANON BIBLIQUE veritate, tuée est different ixi : quia fill qui scripserunt cano­ nicam scripturam, sicut Evangullstn' ct Apostoli ct alii hujusmodi9 iU constanter eam asserunt quod nihil duidtan­ ti um relinquunt. Et ideo dicit : ei scimus quia verum est testimonium efus; Si quis vobis coanqeltxaoerlt prader id quod accepistis, anathema sit (Gal., i, 9). Cujus ratio est, quia sola canonica scriptura est regula fidei. Alli autem sic edisserunt dc veritate, quod nolunt sibi eredi nisi in his quæ vera dicunt. In Joa., c. xxi, Icet. 6, éd. Mariotti, p. 517. Avec toute l’antiquité patristlquc ct médiévale, saint Thomas croit à l’authenticité salomoniennc des Proverbes, du Cantique des cantiques ct dc l’Ecclésiastc. Jn Cant., éd. Vivès, t. xvin, p. 609, ct que les titres des Psaumes ont été rédigés par Esdras, partim secundum ea quæ tunc agebantur, et partim secundum ca quæ contigerunt. In Ps., ibid., p. 252. Depuis six siècles, les commentateurs classaient les trois livres dc Salomon selon la triple division de la science grecque : physique, morale, contemplative. | D’où la distribution d’Étienne Langton. Or, saint Thomas l’ignore, mais il classe ces livres selon les trois degrés dc vertu énumérés par Plotin (cf. q, Lxi, a. 5) ct qu’il connaît par Macrobe : les Prover­ bes traitent des vertus politiques par lesquelles l’homme sc sert avec modération des choses dc cc monde ct vit avec les hommes; l’Ecclésiastc traite des vertus purifiantes par lesquelles l’homme sc détache du monde par le mépris; le Cantique a pour objet les vertus de l’âme purifiée, par lesquelles l'homme sc délecte dans la contemplation dc la seule Sagesse. Principium, cf. Fr. Salvatore, op. cit., p. 23-24. Quant au canon du Nouveau Testament, il ne sou­ lève guère dc difficultés. Saint Thomas cite expressé­ ment l’épîtrc de Jude comme canonique, In Joa., c. x, lect. 5, t. 20; cf. pseudo-Thomas, éd. Vivès, t. xxxi, p. 48, Il estime que l’évangile dc saint Jean est le dernier en date des écrits inspirés. Prol. in Joa., Marlctti, p. 7. L’un des principes qui ont présidé ù ce classement des livres dans le canon, c’est l’importance doctrinale des ouvrages. Saint Thomas répète ce principe affirmé depuis six siècles : « Les épltrcs dc Paul ne sont pas rangées selon l’ordre chronologique, caries épltres aux Corinthiens furent écrites avant l’épttrc aux Domains, ct celle-ci fut antérieure à la dernière épître à Timo­ thée, mais elle a été pincée la première à cause dc son sujet qui est le plus élevé. » In Philem., c. T, lect. 2, p 286; Prolog, in Epist. Paul., p. 3. Seule l’authenticité dc l’épîtrc aux Hébreux pose un problème. La glose sur Hebr. i expliquait les dif­ férences dc style entre cette épître et les autres par le (ait que celles-ci avalait été écrites en grec, idiome que F Apôtre connaissait par charisme, ct cclle-lù en hébreu, langue maternelle de Paul. Saint Thomas cite cette solution traditionnelle 1Ι·-Π·, q. clxxvt, a. 1, obj. 1 : Non este mirandum quod Epistola ad Hebræos maiore elucet facundia quam alite, cum naturale sit unicuique phis in sua quam in aliena lingua valere. Coderas enim Apostolus peregrino, id est græco, sermone composuit, hanc autem scripsit hebraica lingua. Dans le prologue dc son commentaire sur l’épîtrc aux Hé­ breux. saint Thomas s’explique plus nettement encore: Sciendum est quod ante synodum Nicænnm, quidam dubitaverunt an ista epistola esset Pauli. Et quod non, probant duobus argumenti*. Unum est, quia non tenet hunc modum qu«*m in aliis epistolis. Non enim pnrmlttit hic salutationem nec nomen suum. Aliud est, quia non saplt stylum ili.irum, imo habet elcgantiorrm, nec est aliqua Scriptura qwe sic onlinate procedat in ordine verborum ct seutentlts sicut ista- Unde dicebant Ipsam esso vel Luca? evangelists, vel Barnaba·. vel Clementis papæ. Ipse enim scripsit Atheniensibus quasi per omnia secundum stylum ■.13, Marietti, p. 76. Peut-être avait-il à sa disposition une vie des Pères, cf. Ad Thess. I, c. v, lect. 2 ,Marietti, p. 166, le De ecclesiasticis dogmatibus de Gcnnadc (?), cité In Joa., c. xix, lect. 5, >'. 30, p. 484 (cf. P. L., t. xlii, col. 1213 sq.), ct V Historia scholastica de Pierre le Man gcur. In Joa., c. xxi, lect. 5, i. 23, p. 516; In Is., éd. Vivès, t. xvin, p. 745. Mais les allusions au < Thaïmuth », In l Tim., c. iv, lect. 2, Marietti, p. 208; In TU., c. i, lect. 4, p. 265 ne peuvent venir du texte original brûlé en juin 1242; saint Thomas n’a pu connaître cet ouvrage que par les Excerpta talmudica, publiés en 1238 par Donin, juif converti de la Rochelle. En réalité, comme le Docteur angélique le déclare expressément dans la préface de la Catena aurea, sa documentation lui vient d’abord ct avant tout de la Glose ordinaire ct dc la Glose interlincairt, celle-ci étant une explication du texte sacré au moyen de courtes notes tirées des Pères ct insérées entre les lignes, interlincaris, celle-là un commentaire discon­ tinu du texte qui occupait le centre dc la page, cons­ titué par une suite d’interprétations empruntées à la tradition ecclésiastique ct encadrant le texte, margi­ nalis. Cette Glose, dont le manuscrit le plus ancien re­ monte au xii· siècle, n’est pas dc Walafrid Strabon, mais d’Anselme de Laon(t 1117);cf. B. Smalley,Gilbcrtus universalis, Bishop o/ London (n/S-Uu/) and the Problem o/ the « Glossa ordinaria », dans Recherches de théol. anc. et médiéo., 1935, p. 235-262; 1936, p. 24-69. Cet ouvrage, dont on a pu dire qu'il a été le pain quotidien des théologiens du Moyen Age · (S. Berger), d’où le nom de Glossa ordinaria, qu’il recevra en raison de sa diffusion dans les · écoles », était l’ins­ trument de travail, excellent entre tous, dont saint Thomas se servit toute sa vie depuis son enseignement comme Bibllcus ordinarius, où il devait enseigner le texte biblique avec glose, jus<|u’à celui de maître en théologie, dont il demeurait le manuel. Le texte bibli­ que dc la Glose semble bien avoir été le même que celui de Γexemplar parisiensc; le but de son exégèse n'était pas tant l'interprétation littérale de hi Bible que la théologie; elle constituait à elle seule toute une patro logic, servait de dictionnaire, de concordance, de bré­ viaire, de critique textuelle ct littéraire, fournissant une doctrine traditionnelle, sûre ct quasi encyclopé­ dique. C’est donc la Glose ordinaire qui constituait pour saint Thomas ce que nous nommerions de nos jours la bibliographie d’un sujet, l’avertissant des questions débattues, des points délicats, des opinions 703 THOMAS D’AQUIN : PHILOLOGIE BIBLIQUE traditionnelles et des éléments de solution. Quand on admire la façon dont notre .auteur, sur chaque verset Important cite une liste d’autorités discordantes ou de textes anciens et «typiques », c’est à la Glose qu’il doit cette érudition et cette « position de la question ». Il ne lui reste plus qu’à « déterminer » et à apporter son Jugement personnel. Très certainement saint Thomas dispose encore de Ia Major glossatura de Pierre Lombard sur le Psautier et les épftres de saint Paul, et de quelques glossaires; sinon le fameux Ansileube du vin* siècle, déjà vieilli (cf. Glossaria latina jussu Academite Britanniae edita, Paris, Les Belles Lettres, 1926; G. Goetz, G/oss/r latinogræcæ et græco-latinæ, Leipzig, 1888). du moins le Rudimentum de Papias (xi* s.), les Derivationes majores d’Huguccio (xn· s.) et le Liber interpretationis hebral· eorum nominum de Jérôme (P. L., t. xxur, col. 671), mais qui lui aussi était connaissable par la Glose. Peut-être a-t-il consulté pour ses commentaires d’Isaïe, de Job et des Psaumes, le glossaire hébreufrançais écrit en 1240 par Joseph ben Simon, très dé­ pendant des gloses de Raschi, qui · ordinairement... donne le mot biblique suivi du mot français qui lui correspond écrit en caractère hébreux... Quelquefois il explique le mot hébreu à l'aide d'une remarque grammaticale, d'un synonyme hébreu, d'une citation du Targum ou d'un autre verset. La glose pré­ cède ou suit l'explication; ces notes exégétiques... sont assez rares dans le Pentateuque, mais elles de­ viennent très nombreuses dans les Haglogrnphcs et les prophètes ». M. Lambert-L. Brandin, Glossaires hé­ breux-français du .xn/· siècle, Paris, 1905, p. ni. Il faut ajouter quelqu’une des nombreuses concordances que l’on éditait alors, soit une concordance réelle ou par parenté d’idées, reproduisant, sous un mot qui sert de titre, tous les passages scripturaires qui ont trait au sujet déterminé par ce titre, soit une concor­ dance verbale, sorte de dictionnaire de toutes les ex­ pressions bibliques permettant de préciser la signifi­ cation d'un mot par la comparaison avec tous les au­ tres emplois de ce mot dans l'Écriture. Dans le pre­ mier genre on peut émettre l'hypothèse que saint Thomas possédait le Benjamin minor de Richard de Saint-Victor ou les Concordantiæ morales S. S. Bibliæ faussement attribuées à saint Antoine de Padouc, voire celles de Robert Grossetête qui s’étendaient même aux textes patriotiques ; cf. S.-H. Thomson, Grosse­ teste topical Concordance oj the Bible and the Fathers, dans Speculum, 1931, p. 139-144; mais il est plus pro- | bable qu’il eut sous la main la première concordance verbale de la Bible composée par Hugues de SaintCher, durant son provincialat, de 1238 à 1240, avec le concours de nombreux religieux, les Concordantiæ , Sancti Jacobi, qu’ Albert le Grand avait déjà utilisées pendant son premier professorat à Paris (1245-1248). Les mots y sont rangés par ordre alphabétique. Au dessous de chacun est donné la liste de tous les en­ droits où ce mot est employé avec Indication du livre et du chapitre, selon la numérotation d’Étienne Langton. U est encore plus sûr qu’il sc servit des Con­ cordantia majores qui ajoutèrent à chaque indication de livre, de chapitre et de subdivision, le libellé de la phrase entière où chaque mot est employé, et qui sont le type définitif de nos concordances modernes. Ces grandes concordances furent achevées vers 1250 par trois dominicains anglais de Saint-Jacques : Jean de Berlington. Richard de Stavenesley, Hugues de Croy­ don, d’où encore leur nom de Concordantiæ anglicanir. Dans la bibliothèque de saint Thomas exégète, on doit encore placer l’une ou l’autre des nombreuses Distinctiones ou Répertoires alphabétiques, expliquant le* terme* equivoque* de la Bible; cf. P. Lehmann. .XitUdlafdnischc Verse in Distinctiones monastic* d 704 morales vom Anjang des 13. Jahrhunderts, dans Sit zungsberichle der bayer. Academie der Wissensch, phllos.-philolog. und hist. Klasse, 1922; A. Wilmart. Un répertoire d'exégèse composé en Angleterre vert ù début du xni* siècle, dans Mémorial Lagrange, Paris, 1940, p. 307-346. La première en date fut la · distinc­ tion » de Pierre le Chantre, la Summa Abd, repertoire long et sec dont la nomenclature habituellement alphabétique comprend plus de 600 articles; puis celle d'Alain de Lillc, P. L., t. ccx, col. 685-1012; I'Angelus attribué faussement à Raban Maur, P. L., t cxn, col. 849-1088, et qui serait peut-être de Gamier de Rochefort (t après 1216. cf. A. Wilmart, dans Reçut bénéd., 1920, p. 47-56); le plus volumineux de en ouvrages est V Alphabetum de Pierre de Capoue, doc­ teur à Paris jusqu’en 1218. Mais le meilleur et l’un des plus répandus est Ia Summa dictionum du franciscain Guillaume le Breton, composé au milieu du siècle, et qui sera taxé par l'université de Paris en 1304, sous le titre d'Expositio Bibliæ. Ce n’est plus précisément un recueil de distinctions, mais plutôt, selon le titre lui-même : Vocabularium ou De vocabulis Bibliee, un dictionnaire des termes de l'Écriture. A. Wilmart, dans Mémorial Lagrange, p. 335-336. 11 faut en effet compter parmi les ressources lexicographiques de saint Thomas quelque dictionnaire d’étymologie hébraïques, grecques et latines, soigneusement com­ pulsé, notre docteur ne manquant Jamais de recourir à la philologie pour préciser la pensée et la doctrine des auteurs inspirés. 7 F. BAIXT TU·) MAS ET LA PHILOLOGIE BIBLIQVE.— Saint Thomas n’a su aucune des langues originales des écrivains sacrés, donc ni l'hébreu ni le grec; ignorance à peine excusable, car s'il n’a pu prendre utilement connaissance de la grammaire grecque composée par Roger Bacon, et si celle que donnait Robert Grossetête dans son commentaire du pseudo-Denys lui était inaccessible, il aurait pu aisément s'instruire de cette langue à Paris et à Naples où il y avait de bons hellé­ nistes, notamment près de Guillaume de Mocrbccke, O. P., le futur archevêque de Corinthe, avec qui il fut en relations personnelles. « Avouons que si saint Thomas n'a pas su le grec, c'est qu'il n'a pas voulait savoir. » A. Gardeil, Les procédés exégétiques de saint Thomas, dans Revue thomiste, 1903, p. 428-157. Le même reproche peut être adressé, et plus vivement encore, au Docteur angélique pour son ignorance de l'hébreu, car, à l'inverse du grec, dont la connaissance était toute nouvelle au xm· siècle, celle de l’hébreu était assez répandue panni les théologiens depuis un siècle, comme 1' Ysagoge in theologiam, composée vers 1150, en fournit un excellent exemple. Cf. A. Lnndgraf. Ecrits théologiques de l'école d'Abélard, Louvain. 1931; J. Fischer, Die hebraischen Bibelzitate des scho­ las/ikers Odo, dans Biblica, 1934, p. 50-93; S. Berger. Quam notitiam linguæ hcbraicæ habuerunt christiam medii æol temporibus in Gallia, Nancy, 1893; H. Steinschneider, Christliche Hebraisten des Millelatters bis I »009 dans ZelUchr. fOr hebraische Bibliographie, 1896, p. 51 sq., 1901, p. 86 sq.; B. Altancr, Zur Kcnnlnisdcs hebraischen im M. A., dans Biblische Zeitschrift, 1933, p. 288-308. En 1240, le rabbin de Paris, Jcchlel, re­ marque encore que beaucoup de prêtres chrétiens sont forts en langue hébraïque; cf. S. Dubnow, W'eltgeschichte des jddischcn Volkes, trad. A. Steinberg, BerI lin, 1926, t. v, p. 43, et, quelques années plus tard, Roger Bacon publiait ses éléments de grammaire hé­ braïque pour débutants; cf. Ed. Nolan, S.-A. Hirsch. 7 he greek Grammar of Roger Bacon and a fragment of hishebrew grammar. Cambridge, 1902. Toutefois, dès le xn· siècle, ce mouvement linguistique avait une l orientation exclusivement apologétique, et tendait moins à l'intelligence du texte biblique qu’à répon 705 THOMAS D'AQUIN : PHILOLOGIE BIBIJQI E 706 Babel. Unde ad occultandum nomen» transposuit vocales, drr aux nécessités des controverses avec les juifs. C’étaient les théologiens npolugètes plus que 1rs exé­ ci immutavit consonantes in rts conjunctas, secundum consuetudinem hebrtronim qui docent pueros primani IIItrgètes qui apprenaient les langues anciennes. ram cum ultimo retrogradiendo dicere, et oaiuhun cum Or, au xm· siècle, la connaissance de l’hébreu est en penult ima, et %lc deinceps. Unde pro duplici brih, qua* est nette régression cher, les théologiens eux-mêmes. secundi» littera apud hebreo» posuit *in, bis, qu.r est pe­ D’une part, ce sont des philologues, déjà spécialistes en nult ima, et pro lamed posuit caph. qwe el secundum prunam leur matière, qui rappellent l’urgence d’une culture computationem conjungitur, /n Jcr., éd Vives, t. xix, linguistique, l’initiateur de cette campagne étant p, 155. Robert Grossetêtc, son champion le plus véhément le L’exemple était classique, < l devait se trouver dans franciscain Boger Bacon, le réalisateur le plus parfait tous les bons dictionnaires. Bacon le répète en ayant Raymond Martin; mais, à part Grossetêtc, aucun de ccvllnguistes ne publiera de travaux d’exégèse et leur l’air de l’avoir inventé. Opus minus, éd. Brewer, p. 350, mais saint Thomas fait allusion aux écoles érudition demeure une spécialité réservée. D'autre part, la connaissance des langues orientales se répandit juives. Or, les rabbins employaient couramment cette gematria, grâce à laquelle un mol peut en signi lier un avec le mouvement missionnaire des francise ains et des autre si l’on suppose que V aleph correspond au taph, dominicains; cf. K.-A. Neumann, l'eber orientalische Spnichstudien seit dan 13. Jahrhundert mil besonderer le belli au sin (système athbasch); ainsi le léb qâmdi Rùcksicht nul Wien, Vienne, 1899; B. Altaner, Die (cœur de ceux qui se soulèvent contre moi) deJer.,Li, jrtmihprachlichc Ausbildung der Dominikanermissio1, signifie kaidim, les Chxildécns ». J. Bonsirven, Ex/· gèse rabbinique et extgèse paulintenne, Paris, 1938, nare ivûhrcnd des 13. und 14. Jahrhunderts, dans Zeifschr. /Or Missionsaassensch.. 1933, p. 233-23-1. Jus­ р. 139. Saint Thomas savait encore qu’en hébreu les voyelles sont accidentelles par rapport aux consonnes : qu’à cette époque, quiconque voulait s’instruire des Dicitur hic Salim, quia apud Judiros lector pro volun­ langues hébraïques ou arabes allait prendre des leçons près d’un maître juif ou d’un esclave sarrasin. Désor­ tate uti potest vocalibus litteris in medio dictionum; unde sive dicatur Salim sive Sali m, non refert apud mais ces langues devinrent l’objet d’un enseignement Judaros. In Joa.. c. in, lect. 4, f. 23, Marietti. p. 107. officiel dans l’Église, et les généralats de Haymond de Ses nombreuses étymologies, plus souvent erronées Pfûafort (1238-1240) et d’Humbert de Homans (12541263) furent déterminants à cet égard, puisqu’ils ([ii’cxactes, sont toutes d'emprunt, ainsi celles d’J/odécrétèrent l’érection d’écoles de missionnaires prê­ sanna ; id est, salva obsecro, quasi dicant host, quod est salva, vt anna, quod est obsecro. Quoti secundum Augus­ cheurs, où l’on enseignerait l’hébreu et l’arabe selon tinum, non est verbum, "d interjectio deprecaniis, ibtd., une méthode pédagogique rationnelle et graduée. Il faut donc reconnaître ù la décharge de saint Tho­ с. xii, lect. 3, v. 13, p. 327; Lsrakl, interpretatur rectissimus. Alio modo, Israel interpretatur vir videns Deum, mas que n’étant ni missionnaire, ni philologue ou ibid., c. I, lect. 16, v. 47, p. 73; cette seconde traduc­ grammairien de profession, et théologien plus qu’exégète, il n’eut ni l’occasion ni le goût de s’initier aux tion venait d’Isidore de Séville(Etym., 1. \ II. 7, P. L., t. cxni, col. 1286). Ces étymologies, qui sont presque Ungues originales des écrits inspirés. Ce n’est pas dire toujours des à-peu-près, sont d’ailleurs variables, pour autant qu’il en méconnut l’utilité pour l’interpré­ tation de l’Écriture et, s’il puisa dans les glossaires comme celle de Bcthsaldc, interprétée tantôt par 1rs quelques rudiments de philologie indispensables à domus venatorum. In Joa., c. i. lect. 16, V. i l. p. 72, la lecture des écrits bibliques, on ne peut lui faire tantôt domus ovium. Ibid., c. v, lect. 1. ». 1. p. 145. grief d’avoir ajouté foi aux étymologies plus ou moins Ce qui est plus grave, c’est de traduire le nom grec de fantaisistes qu’il y recueillit, et qui étaient admises Philippe selon une racine hébraïque Os lampadis, ibid., par tous depuis un millénaire. c. xn. lect. I, f. 21, p. 330. el semblablement Python de Is., vin. 19 : hebralce os abyssi. Vivès. t. xvm, Au point de vue de l’hébreu, saint Thomas savait p. 729. Il est vrai que suint Thomas cite ici saint Jé­ certainement lire l’alphabet, avec le nom et dans l’or­ rôme dont le Liber interpretationis hebraicorum nomi­ dre des lettres, selon la prononciation séphnrdiquc alors en vogue en Italie, et qui était celle de saint num fait autorité; mais Bède qui avait d’abord accepté cette dérivation la corrige dans son Liber retractationis Jérôme. Il observe, en cfTct, sur le ps. n ; in Act. A post., χνι, 16. Bacon. Opus majus, édit. In lirbnvo, ptahnl secundum ordinem litterarum ordlBrewer, p. 86 sqM s’insurgea violemment contre cet nmtur, ut quotus sit psalmus slathn occurrat; nain in usage universellement répandu de faire dériver le grec primo e*! \lcpli, ad designandum quod sit primus, in se­ cundo est Beth, ut designatur quod sit secundus, in tertio du lutin ou l’hébreu du grec, et il faut reconnaître que •st Gimd.rl sic est in diis; quhi ergo Belli, qua· littera est suint Thomas est en général plus réserve que ses «ecundn in ordine alphabeti, ponitur In principio hujus contemporains qui n’hésitaient pas à décomposer ISalml, patet quod ost secundus piahnus /n /<«., éd. Vives, l’hébreu amen, en a privatif et le radical grec mene I Win, p. 231-245. (defectus), ou comme Paplas expliquaient parasceve par Notre auteur peut donc discerner la composition le latin paro et corna, d’où prtrparalio corner, comme alphabétique des Lamentations : lluguccio et Guillaume le Breton décomposaient ge­ henna en qe, terre, et cnnos « quoti est profundum ». H Notandum est qund In hchnro in singulis litteris per onll· iron incipiunt distinct Iones singula*, sicut Vocantur, sicut est vrai que suint Jérôme déduisait dogma de doceo, no* in illo hymno : X m»/h or/u canline. Ei secundum hujuset que les rabbins eux-mêmes aimaient parfois à rame­ • *rnodi hitcrprvtntlnnrni Iit lorarum, singula* Iit tene conso­ ner un mot hébreu à un mot grec. Cf. J. Bonsirven, nant sententlæ clausularum, qnibits praeponuntur. Μν· >, op. cil., p. 140. I. Xis. p. 200. Suint Thomas soupçonne d’après les traductions les Ce principe herméneutique d'après lequel la traduc­ nuances temporelles |>ositum. secundo excludit objectionem, 2° Exégèse dialectique. — Par quelle méthode saint ibi : Quid erjo dicemus... Cirta primum duo tacit. Primo Thomas va-t-il élucider le sens littéral? Roger Bacon ostendit quod per gratiam Christi liberamur n servitute a donné cette esquisse de l’exégèse contemporaine : logis, secundo ostendit utilitatem hujus liberationis, ibi : ut frucllflcenuis Deo... Circa primum tria facit. Primo pro­ « Pour ce qui regarde I’intcrprctatlon magi· traie du ponit documentum, ex (pio arguitur nd propositum osten­ texte, tout se réduit pour l’essentiel à trois choses : dendum, secundo manifestat ipsum, ilii : namque sub viro divisions en nombreux articles, comme font les artis­ est... tertio concludit ibi : itaque fratres mei... tes, concordances forcées à la manière des légistes ct consonances rythmiques à l’imitation des grammai­ Ce luxe de distinctions, cette minutie dans la décom­ riens. Ces trois points constituent le principal travail position d’un texte est parfois excessive, arbitraire, des plus habiles Interprètes de la Sainte Écriture. » voire irritante, mais il faut sc souvenir qu’il s'agit Opus minus, édit. Brewer, p. 323. d'une technique scolaire ct, si l’on peut être surpris Ces divisiones per membra varia sont l’une des notes puis lassé de la répétition constante des mêmes caté­ gories et des mêmes formules stéréotypées, les exé­ spécifiques de l’exégèse dialectique du xnp siècle. Les commentaires ne sont pas seulement théologiques gètes modernes ont souvent rendu Justice, quant au fond, à l'exactitude d · l'analyse et à son bénéfice comme au siècle précédent, mais de forme scolastique, sicui artiste laciunt, émiettant le texte en une multi­ pour l’intelligence de la pensée. Cf. par exemple : ln Joa.. c. n, lect. 1. v. 1, Marietti, p. 76; c. iv, lect. 5, tude de divisions, de subdivisions, de distinctions ct d’oppositions, mais reliant aussi entre elles les sec­ ï. 39-42, p. 137; c. vu, lect. 5, v. 35, p. 225; f. 15, tions et les péricopcs ainsi discernées, ct les interpré­ p. 228-229; c. ix, lect. 1, ÿ. 6, 7, p. 266; Ad Rom., c. i, 1, p. 4; lect. 2, f. 2, p. 5; lect. 6, 1.16, tant en fonction d’une idée dominante C’est que cha­ lect. 1, que livre sacré est envisagé comme un tout organique p D’ailleurs la valeur pédagogique du procédé est Λ l’instar d’un écrit d'ArLstote ct, dès lors, il doit avoir un plan doctrinal dont la charpente sera ordonnée évidente dans le gain de clarté ainsi obtenu. De plus, selon toutes les rigueurs de la logique ct d’une distri­ saint Thomas ne se contente pas de morceler, il sait bution rationnelle. On s’appliquera donc à dégager les construire une synthèse et rassembler les éléments ainsi discernés pour marquer l'enchaînement des idées principales, puis à marquer la progression du développement, les transitions d’un sujet à un autre, pensées. C’est même cette unité qui est le plus forte­ ment mise en relief, au point d’être souvent trop sys­ ct finalement la raison d’être de tel verset. Bien plus, l’écrivain inspiré est censé argumenter au sens tech­ tématique» ct de ne pas tenir assez compte du genre nique du terme, il déduit, il infère, il prouve. Jadis littéraire des écrits orientaux ou de la liberté de Honorius d’Autun avait discerné des syllogismes dans composition d’une lettre. On peut illustrer ces remar­ la Bible; à l’exégète de les reconstituer ct d· les mettre ques en lisant le plan doctrinal rigoureux des épîtres en forme. Aussi saint Thomas commente-t-il Hom., pauliniennes (Marietti, p. 3), ou en regardant le ta­ vm. 5, 6 comme constituant deux syllogismes rigou­ bleau détaillé» ct cependant non exhaustif, des divi­ reux : Probat (Apos/o/us] quod dixerat, et inducit duos sions du minuscule commentaire des Lamentations, syllogismus, unum quidem ex parte carnis qui est talis : lequel n’occupe pas moins de cinq pages du texte de II. Wicsmnn. Der Kommenlar des hl. Thomas von Quicumque sequuntur prudentiam carnis ducuntur ad mortem; sed quicumque sunt secundum carnem sequun­ Aquin zu dem Klagcliedem des Jeremias, dans ScholasHk, 1929, p. 82-86. Soit, par exemple, la mise en ordre tur prudentiam carnis; ergo quicumque sunt secundum carnem ducuntur ad mortem. Alium syllogismum ponit des pense es du prologue du IV· Évangile. La première ex parte spiritus, qui est (alis : quicumque sequuntur affirmation est celle de la divinité du Christ, mais, prudentiam spiritus consequuntur vitam el pacem; sed comme en toutes choses il faut considérer l’être ct quicumque sunt secundum spiritum sequuntur pruden­ l’opération, saint Jean traite d’abord de la nature tiam spiritus; ergo quicumque sunt secundum spiritum divine du Verbe, ct il en montre quatre aspects : sequuntur vitam et pacem (Marietti, p. 107), et notre i quand était-il le Verbe? au commencement; puis où commentateur de procéder à l'analyse de chaque pré­ était-il? près de Dieu; ce qu’il était? Dieu; comment? misse des syllogismes. il était nu commencement près de Dieu. Les deux pre­ Cette méthode d’analyse minutieuse introduite, mières précisions sc rapportent à la question an est, semble-t-il, dans l’exégèse par Hugues de Saint-Cher, les deux autres à la question quid est. In Joa., c. I, atteint un extrême degré de raffinement chez Albert lect. 1, ÿ. 1, p. 9. Grâce à cette rigueur d’analyse, le Grand, cf. J.-M. Vostc, dans Angelicum, 1932, saint Thomas peut expliquer la place ct le sens de la p. 263-269, ct saint Bonaventure. Opera omnia, troisième proposition : Deus erat Verbum.,, quœ quidem é De inst., P. L., t. i.xx. col. 1138. La réalisation la plus parfaite de cette conception est la confection de recueils d'ex­ traits patristiques tels que les Tabula originalium, et surtout la Glose continue des quatre Evangiles ou Catena aurea par saint Thomas (éd. Vives, t. xvi), plus justement appelée par celui-ci : Expositio continua in Malllurum, Marcum, Lucam, Joannem, commentaire uniquement composé à l’aide de textes des Pères et des docteurs de l'Égllse : Sollicite ex diversis dodorum libris precdicti (Matthiri) Evan gelii expositionem conti­ nuam compilavi. Le commentaire de saint Jean, qui est l’un des plus traditionnels de saint Thomas, suit pas à pas le* deux commentateurs par excellence de cet évangile, Jean Chrysostomc et Augustin. Voici, sauf erreur de notre part, la liste des citations explicites que l’on y relève, et qui ne tient compte ni des références erronées ni des citations implicites assez nombreuses : ; | | j , Cyprien, Léon le Grand, \n»rlnic, Alcuin, Piem* Comes­ tor, une fols chacun; Bède, 6 fois; Ambroise, 7 fois; Jérôme, 12 fols; In Glose linéaire d intertinêaîre, 20 fols; Hilaire, 28 foi’·: Grégolrc-Ic-Gnunï, surtout 1rs Afonifrs, 43 fois; 1rs Père* grec* sont peu utill*. 17); hoe anlrni (Orlgenls/ csl hrrtllcum et btiuphenuim (p. 20); ut deliravit Origenes (p. 21), etc. Mais Chrysos­ tomc rit cltô 199 fois, cl Augustin 334 fol*; dam» 97 cas, saint l'hoinas rapporte i’unc apres l'autre leurs opinions respective’*, rt il en souligne parfois l’ncconl I*, q. i, n. 10, ad 2°·'. On sait comment notre auteur l’a mile en pratique dans son usage des références biblique ct on peut lui annexer cet autre principe : < Soin le sens spirituel, il n'y a rien de nécessaire à la foi que la sainte Écriture ne livre ailleurs manifestement par un sens littéral. » I , q. 1, a. 10, ad 1°«; Quodl. vu, a. 14, ad IM,n, ad 3»m. 3° Le recours ά lu tradition. — Hugues de SaintVictor qui est presque le seul prédécesseur de saint Thomas à avoir formulé des règles d'herméneutique déclarait que c’est par la docilité aux Pères que l'on pouvait parvenir à l’intelligence des Écritures, ou plus exactement que l'on trouve une garantie d'orthodoxie. Erudit, didasc., P. L., t. clviii, coL 143. Mais saint Thomas précise théologiquement la nature et l'origine de cette autorité des commentaires patristiquo D'abord les Pères sont dans une plus grande proximité de la révélation ; ils ont donc eu de meilleures lumière^ que les modernes sur le sens de l’Écriture : < Ceux qui furent plus proches du Christ, soit avant, soit après sa venue, ont connu plus pleinement les mystères de la foi. » II*-H·, q. ix, a. 2. « Plus on voit de loin, ct molm on voit distinctement. C’est pourquoi ceux-là con­ nurent plus distinctement les biens espérés qui furent plus proches de l'avènement du Christ. » IP-II·, q. I, a. 7, ad L- · ; cf. ad 4“* ; Ad Horn., c. vm, lect. 4, i. 23; voir A. Lvmonnyer, Les apôtres comme docteurs de la /oi d'après saint Thomas, dans Mélanges thomistes, Le Saulchoir, 1923, p. 153-173. Par ailleurs, le·. Pères ont été assistés du Saint-Esprits Le Quodlibet xn, a. 26, pose en effet, la question de savoir si tout cc que le· saints docteurs ont dit vient de l'Esprit-Saint? Ix sed contra répond : Ad eumdcm pertinet /acere aliquid propter finem et perducere ad illum /inem. Sed finis Scriptunr, quœ est a Spiritu sancto, est eruditio homi­ num : Hnc autem eruditio hominum ex Scripturis non potest esse nisi per expositiones sanctorum. Ergo expo­ sitiones sanctorum sunt a Spiritu sancto, et Ic corps de Particle définit : Ab eodem Spiritu Scripturie sunt exposit/e et editir; unde dicitur I ad ('.or., // ( 11 ) : « Ani­ malis homo non percipit ea qua Dei sunt, spiritualis autem judicat omnia », et prœcipuc quantum ad ea qu* sunt fidei, quia fides est donum Dei, et ideo interpretatio sermonum numeratur inter alia dona Spiritus sancti. 1 ad Cor., A7/. Retenons que pour Thomas d’Aquin l’exégèse chrétienne relève d’un charisme qu’il iden­ tifie ù celui de 1' « interprétation des paroles ». 4® La confrontation de .loa.» xvm. 23 où Jésus pro­ teste contre le souillct qu'il vient de recevoir, avec Matth., v. 39 où il prescrivait de ne pas résister aux coups, donne à saint Thomas l’occasion de rappeler le principe herméneutique suivant : Selon Augustin, les paroles ct les préceptes de la Sainte Écriture peuvent être interprétés et compris d’après les actions des saints, car le même Esprit qui a inspiré les prophètes ct les autres auteurs de l’Écriture a mû les saints ή agir (cf. Il Pctr., i, 21 ; Rom., vin, 14). Ainsi In sainte Écriture doit être comprise ( LES 11E K Μ β N E U TIQ U E S 732 dont l'exégète doit être averti sous peine de contre­ biblique dispose-t-il de toutes les ressources de la rhé­ sens certains. Or. malgré son ignorance du grec et de torique, des formules métaphoriques : Huc sub meta­ l’hébreu, saint Thomas est l'un des médiévaux qui se phora dicuntur, In Job, éd. Vivès, t xvin, p. 78, 153, montre le plus soucieux de déterminer le sens précis 155, 193; loquitur metaphorice. In h., ibid., p. 728, des notions bibliques. L'exactitude de scs intuitions, 734; des métonymies, comme le ciel pour les anges et sinon de ses analyses, est remarquable. C’est ainsi que la terre pour les hommes, ibid., p. 675; des hyperboles: dans son commentaire de saint Jean, il remarque que Hrre hypcrbolice dicuntur, In Job, ibid., p. 215; cf. In dans l’Écriturc, · vrai » s’oppose à faux, figuré et parti­ Jer., t. xix. p. 140; In Lam., p. 222; figures qui, bien cipé, ce qui lui permet de «tonner une exégèse de Lux entendues, sont l’expression de la vérité : Sunt locu­ rera. Joa., î, 9, bien meilleure que celle de Chrysostomc tiones hyperbolictr, nec tamen /alsa? quia figurais, et d’Augustin, Marietti, p, 32; · monde » est pris tantôt quibus aliud dicitur et aliud significatur. In Lam., dans le sens de création, tantôt de perfection, tantôt de p. 221 ; cf. I·, q. i, a. 10, ad 3um ; · Conturbati sunt... » perversité. Ibid. La « colère de Dieu » s’entend du Glossa dicit quod loquitur hyperbolice. Sed contra. Ergo châtiment des méchants. C. m, 36, p. 116. Dans ΓAn­ excessit veritatem propheta. Et dicendum : Quod in cien Testament, la « vertu divine » désigne le plus aliquibus Scripturis sumitur per excessum veritatis souvent la puissance créatrice. C. v, 21, p. 159. L’usage simpliciter; in sacra Scriptura pro excessu veritatis de l’Écriturc est d’appeler « frères » les consanguins ou secundum opinionem hominum; quasi dicat : Contur­ les proches parents, c. n, 12; c. vu, 3, p. 83, 210, et batio erit ultra quam credi possit. Vel aliter : Hyperbole les brebis les fidèles, c. x, 1, p. 277; le loup désigne le est quidam tropus, et in tropicis locutionibus aliud dici­ diable, ou l’hérétique, ou le tyran, c. x, 12, p. 285; tur el aliud inteltigitur. Unde non est /alsitas quantum chacune de ces nuances est appuyée d’une citation. ad sensum quem intendit /acere, sicut etiam in meta­ Le commentaire étendu de la répétition Amen, phora. In Is., t. xvn, p. 708. Amen propre Λ saint Jean montre bien le bénéfice de Sur le dernier verset de saint Jean : « Le monde ces précisions pour l’intelligence de la pensée : entier ne pourrait contenir les livres qu’il faudrait écrire... », Saint Thomas, après avoir relevé l’hyper­ On doit noter que cette locution Amen est hébraïque. bole, cite la règle herméneutique d’Augustin : Le Christ en use fréquemment. Aussi par respect, aucun traducteur, ni chez les grecs, ni Chez les latins, n’a voulu la traduire. Parfois elle signifie : c’est vrai, ou : vraiment; parfois : qu’il en soit ainsi. Voilà pourquoi dans les Ps. lxxî, xxxvin, c\ i ou nous avons /bif, il y n dans l’hébreu : Amen, A mien. Or Jean est le seul évangéliste Λ répéter deux fois ce mot. Iji raison en est «pic les autres évangélistes relatent principalement ce qui relève de l'humanité du Christ, c’està-dire des choses facilement croyables qui n’ont pas besoin d’être affirmées avec force. Au contraire, Jean traite prin­ cipalement ce qui relève de la divinité du Christ, c’est-à-dire des choses cachées, éloignées de la connaissance humaine, cl qui ont besoin d’une affirmation renforcée. In Joa., c. m, lect. 1, f. 3, p. 94. La formulation de celte dernière raison ne laisset-elle pas entendre que le vocabulaire est propre à Γévangéliste qui ne traduit pas mot à mot, mais ad tension les paroles du Seigneur? Saint Thomas sait que, pour exprimer les qualités d’un individu, l’hébreu fait souvent précéder le nom exprimant cette qualité du mot « fils »; < Filius olei... » Proprietas hebralci sermonis est ut quilibet illius rei dicatur esse filius in quo abundat. In Is., éd Vivès, t. xvin, p. 702. Autres Idiotismes : · Dans les Écri­ tures, Dieu est dit venir vers l’homme lorsqu’il lui octroie ses bienfaits. » In Job, ibid., p. 62. « Dans Γ An­ cien Testament, on trouve cette tournure du langage : tout ce qui est député au culte divin est dit être sanc­ tifié. » In Joa., c. xvii, lect. 4, p. 17. Marietti, p. 449. L’hébreu exprime le superlatif en mettant le substan­ tif singulier en construction avec son pluriel, ainsi : « Cantique des Cantiques » : Consuevit enim genitivus pluraliter appositus nominativo denotare excellentium, ut Rex Regum et Dominus Dominantium, In Cant., éd. Vivès. t xvin, p. 609; Dicit autem « expectatio expectat », ut talis geminatio intensionem expectationis designet, secundum illud Ps Λ’λ'.Υ/X : « Expectant rxpcctavi Dominum ». Ad Rom., c. vtn, lect. 3, t. 19, Marii tti, p. h i. C’est dire que la parole «le Dieu s’adressant aux hommes s’adapte à leur entendement : Secundum opi­ nionem populi loquitur Scriptura. Ι·-Π·, q xcvin, a 3, ad 2»m. Cette loi, discernée par Jean Chrysostomc, est plusieurs fols reprise par saint Thomas : Conside­ randum est quod Moyses rudi populo loquebatur, quo­ rum imbecillitati condescendens, illa solum eis propo­ sui! que· manifeste sensui apparent* q. lxviii, a. 3; Moyses loquebatur rudi populo, qui nihil nisi corporalia potest capere. 1*, q. lxvii, a. I. Aussi bien le langage Sacra Scriptura utitur «[uibusdani OguratU locutionibus sicut Is., st, 1 : Vidi Dominum sedentem super salium excelsum et elevatum, et tamen non sunt falsu*; Un quando In sacra Scriptura est aliqua locutio hyperbolica. Non enim est Intentio dicentis ut credatur quod dicit, sed quod hitrndit significare, scilicet excessum operum Christ i. flue tamen non fit quando ali u ES 73g littéral aux faits de PAncien l’cslainrnl pourra être exposé selon les quatre sens indiqués. Puis viennent en second li/tt les choses qui 8o rapport eut ù l’état do l’Egllse prfantr; parmi ces choses, les premières sont celles qu! concernent la tête (le Christ), lesquelles ont rapport à ce qui itgnrdt les membres (les fidèles), car h· vrai corps du Christ lui· même et ce qui s’est produit en lui sont la figure da corp» mystique et do ce qui s’y passe, de telle sorte que nous devons prendre l'exemple de nos vies sur le Christ lui-nUm». Enfin dans le Christ nous est préfigurée la gloire future. Do tout cela, il résulte que ce qui est dit au sens littéral du Christ, notre tête, peut être Interprété et allégoriquement, en le référant ù son corps mystique, et moralcmcùi. en le référant à nos actes qui doivent être réformé, à son exemple, el nnftgogiquomcnt en tant que diuis lu personne duChrht nous est montré le chemin de la gloire. Au contraire, ce qui est dit de l'Égllse au sens littéral ne j»eut pas être expoU allégoriquement, à moins peut-être qu'on interprète ainn cc qui est dit de l’Egllse primitive, pour l'appliquer a l'état postérieur de l'Égllse actuelle. Mais on peut donner de cet faits une interprétation monde et muigogiqiic. D'nutre part, ce qui est présenté au sens littéral, connue apparte­ nant a la conduite morale n'est pas habituellement exposé autrement que selon lo sens allégorique. Enfin ce qui, au sens littéral, relève de l’état de gloire, ne s'expose d’otüinuire en aucun autre sens, pour cette raison qu’il n'est pis la figure d’une autre chose, mais qu'au contraire tout le reste le ligure. Quodl., vu, a. 15, ad 5··. Ainsi, et c’est une innovation considérable, on ne peut plus appliquer légitimement n’importe quel >cns spirituel à un texte de l’Écriturc. C’était fermer la voie aux débauches d'imagination de Ruban Maur et de ses successeurs. Même pour des fins spirituelles l’exégète devra s’astreindre à suivre une méthode rationnelle et demeurer fidèle aux exigences d’une technique scientifique. N’était-ce pas porter un coup fatal à l’exégèse allégorique? Le fait est qu’elle ne fera plus que décliner. D’autant plus que saint Thomas affirme que toute vérité enseignée par un sens spiri­ tuel sc trouve exposé ailleurs en clair par le sens lit­ téral : Nihil est quod occulte in aliquo loco sacra Scriplune tradatur quod non alibi manifeste exponatur, undt spiritualis expositio semper debet habere fulcimentum ab aliqua litterali expositione sacra Scriptura, el ita vitetur omnis erroris expositio, Quodl., vu, a. II, ad 3··. Dès lors, si l’exposé des sens spirituels de­ mande au préalable une critique du sens littéral, pourquoi ne pas s’attacher uniquement à celui-ci qui contient toute vérité et toute mystique, de la façon la plus claire, manifeste, et qu’une saine exégèse |η·γmettra d’assimiler en toute sécurité? VIIL Conclusion. — L’exégèse de saint Thomas d’Aquin est essentiellement celle d’un théologien qui cherche à dégager des texte* bibliques toute leur va· leur doctrinale possible. La place, à notre avis consi­ dérable, qu’il occupe dans 1 histoire de l’hcmiéncuUquv, tient moins à la méthode qu'il aurait employée et aux résultats auxquels il serait parvenu — encore que 1rs modernes le citent encore comme une autorité — qu'à sa parfaite mise au point des tendances cl de l’acquis de ses devanciers. Il a hérité du culte pour le sens littéral de l’école de Saint-Victor et aussi de saint Albert; il croit à la valeur profonde de l’interpré­ tation spirituelle, car jamais la meilleure exégèse uii»rr dans l'ordre du I nantur. Quodl., vu, a. 14. nd 5am. Mais le génie de tempi toff siyni/i? par rr qui le pr/eèitr, et <|r la vient que saint Thomas a été d’une part, de modérer l'exubé­ parfois dam la suinte Ecriturr.cc qui est dit nu sens littéral rance sans contrôle et finalement sans fruit des inter­ de ce qui précède peut s'exposer nu eeni spirituel dr ce qui pretations allégoriques en cs d'histoire doctrinale et litté­ raire du M. A., t. in, 1928,p.25-10-1 ; P.-Λ. UccollI.S. Thonue c*c*t-à-dlrc les textes des Pères, comme principes de Aquinatis doctorts angelici, ord. Prtrd., in Isalam prophe­ la théologie à partir desquels on pouvait argumenter. tam.intres psalmos David, Romo, 1880; le même, S. Thorns Et. en fait, la théologie du Moyen Age faisait même Aquinatis doetoris angelici super Is aiam prophetam qutr ex appel à d’autres < autorités · que celles des Pères et autographis supersunt, Milan, 1847 (?); XV. Vrode, Die beide des Écritures, notamment à celles des philosophes. dem hl. Thomas iron Aquin zugeschrlebencn Kommentare sum Mais elle lr faisait avec la conscience bien nette de Hohen Liede, Berlin, 1903. II. ExitaèsB. — V. Colunga, Et commentario de Sancto leur valeur respective... TomAs sobre Job, dans Clenefa tomista, 1917, p. 45-50; lo Sacra doctrina hujusmodi (c. à d. philosophorum) auc­ même, Los sentldos de tôt Salmos segun santo Tornâs, ibid., 1917, p. 353-362; le mémo, El método hlstôrico en el estudio toritatibus utitur quasi extraneis argumentis et proba­ bilibus. Auctoritatibus nutem caiionk» Scriptune utitur de ta Êscrltura segundo Tomâx, ibid., 1927, p. 30-51 ; A. For· proprie, ex necessitate argumentando. Auctoritatibus nnndez, Syttême exégélique de saint Thomax, dons Espaha alionnn doctorum l-xcicslir, quasi urguendo ex propriis, g America, Pr avril, Pr mai, !·< Juin, 1" sept. 1909; Dam. sed probabiliter. Innititur enim tides nostra rvve lationi Saul, Die Schrifigelehrsamkeit des hl. Thomas von Aquin. dans Théologie und (ïlaube, 1927, p. 258-264; (·. Sh gfru-.I, Ajxistolls et Prophetis facile, qui canonicos libros scripsenint; non autem revelationi, sl qua fuit aliis doctoribus Tftomas von Aquino aïs Ausleger des A. T.,» d««' facta. Sum. theol., I·, q. i, a. 8, ad 2**; cf. De dlv. nom., filr irlssenxchafillche Théologie, 1805. p. 603-620; A. Thofack. De Thoma Aquino et Ab*lardo S. Scripturn· interpre- c. i, Icct. 1. Dicr. DE THÉOL. CATHOL. XV. — 24. 739 THOMAS D’AQUIN : DOCUMENTATION PATRISTIQUE 740 La différence entre les argumenta propria et les lement des indications précieuses dans les ouvrages extranea est très nette. Au contraire les formules qui consacrés aux .sources doctrinales des contemporains énoncent la différence qui existe entre les deux caté- j de saint Thomas. Voir la bibliographie. L’élude dt gories des argumenta propria ne sont pas aussi claires. ceux-ci est d’une grande utilité pour l’élude de saint Utilisant la terminologie même de saint Thomas on Thomas lui-même. Quand les Indices patristics.· suj pourrait proposer le schéma suivant : les deux Sommes de saint Thomas auront puni, le travail de recherche, d'identification ct de compa­ Argumenta propria ex necessitate ■=» auctoritates Scrip­ raison des textes sera singulièrement facilité. Enfin, ture (lumen r(ovcl]at!onlsdlvinœ); il va sans dire qu’il faut entendre l’expression · Pères · — — probabiliter ■■ auctoritates docto­ rum; ou · texte patristique », dans un sens très large en y Argumenta probabilia quasi ex propriis · auctoritates incluant les textes des conciles, divers auteurs pré­ doctorum; scolastiques, des quidam, des anonymes, des Glosstc et — — extranea ■■ auctoritates philoso­ avant tout les pratiques et la liturgie des Églises. Il phorum (lumen rationis humafaut y ajouter les communiter dicta, les adagia ct tout n®). ce qui pouvait servir ù un auteur du milieu du En théologie les textes patristiques participent donc xiii· siècle pour construire son édifice théologique. â la fois aux propriétés ct aux privilèges des textes Comme premier résultat, simple affaire de statis­ canoniques; cc sont des argumenta propria; ils souf­ tique, on doit dire que les écrivains anténicéens n’ont frent cependant des déficiences propres aux textes guère été utilisés par saint Thomas, pas même Terdes philosophes : cc sont des argumenta probabilia. tullien ou Irénée, qu’on connaissait cependant encore Évidemment il faut entendre ces mots dans leur sens ù l’époque carolingienne· La seule exception qui vaille strictement technique et médiéval. Le sens de la for­ d’être signalée est Origène; encore faut-ll voir com­ mule lapidaire : ex propriis sed probabiliter, que saint ment Thomas a connu les quelques textes qu’il cite Thomas nous a laissée, mérite d’être étudié de plus ct qui parfois ne sont pas de lui. Cyprlcn, dont l’Oc­ près, car dans scs diverses œuvres sc rencontrent des cident connaissait une cinquantaine de manuscrits dizaines de textes, où l’on rencontre les expressions antérieurs au xni· siècle, n'est guère utilisé non plus; ex propriis el probabiliter, dans le sens : probabiliter, per ct c’est ù peine si le nom de l’évêque de Carthage est hocquod a sapientibus vel pluribus ita dicitur, I·, q. xn, cité dans le traite du baptême. Mais ces rares excep­ a. 7; per auctoritatem, vel quia ila communiter dicitur, tions mises à part, les Pères anténicéens ne représen­ De verit., q. vni, a. 2; Cont. Gent., 1. Ill, c. lv. Avec tent pas un groupe important dans la documentation patristique de l’Aquinate. Le P. de Ghcllinck avait Cicéron et Boècc, le Docteur angélique maintient que noté le même fait pour Pierre Lombard; voir ici t. xn, l’argument fondé sur l’autorité de la révélation divine col. 1989. De Pierre Lombard ù saint Thomas, le est un locus eflîcacissimus. L’autorité duc aux textes progrès dans l’utilisation des anténicéens n’a donc pas des Pères qui sc trouvent pour ainsi dire à mi-chemin été si grand qu’on eût pu l’attendre. Toutefois pour entre les textes canoniques ct ceux des philosophes, s’oriente toutefois ct sans aucun doute, vers les pre­ Origène et Cyprlcn nous rencontrons chez saint Bona­ miers; cela se déduit de la lettre même de saint Tho­ venture ct saint Thomas l’une ou l'autre citation qui mas, et la pratique constante de son œuvre littéraire leur sont propres el qui semblent témoigner d’un effort personnel pour enrichir leur documentation. Les re­ en établit le fait d’une façon péremptoire. Une preuve éclatante pour démontrer que les textes cherches ultérieures ct comparatives en révéleront des Pères sont une véritable source de la théologie sans doute l’originalité. 1° Les conciles et les pratiques liturgiques. — Dans nous est donnée dans Sum. theol., II·-II*, q. î, a. 9 ct 10, où saint Thomas nous expose comment ct pour­ l’ensemble des œuvres théologiques de saint Thomas, quoi la doctrina du p^eudo-Athanasc (l’auteur du Qui- nous trouvons mention d’un assez grand nombre de conciles, spécialement dans les questions De veritate, De cumque) doit être considérée comme un symbolum, une regula fidei. Voir plus loin la valeur de l’argument poleiîlia, dans quelques chapitres du Contra Gentes et dans la Somme théologique. Notons, pour le traité du patristique. Évidemment, il est ù peine besoin de le noter, les textes patristiques n'avalent pas tous la baptême : le premier concile de Nicéc (325), le IV· de même valeur du point de vue de leur autorité, ct il y a Carthage (398), celui d'Agde (506), le IV* de Tolède moyen et nécessité même de les classer dans diverses (633), celui de Mayence (818); pour la doctrine trinicatégories. Voir M.-D. Chenu, Authentica et Magistra- j taire : les conciles d’Éphèse (431), de Chalcédoine (451), lia, deux lieux théologiques aux XlP-XUJ* siècles, dans de Reims (1148), le IVe concile du Latran (1215); pour Divus Thomas, Plaisance, 1925, p. 257-285. la christologie : les conciles d’Éphèse, de Chalcédoine, /Z. LA UOCVMEXTATIOK PaTIUSTIQUE. --- A côté les 11· et III· conciles de Constantinople· Bon nombre de l’Écriturc canonique, saint Thomas a utilisé une de ces textes se trouvent déjà dans les collections immense quantité de textes patristiques, au cours de canoniques d’Yves de Chartres, de Grativn, ct d’au­ tous scs ouvrages théologiques. Seul le Compendium tres. L. Baur a noté, arl. eit., p. 703-704, que saint Iheotogiœ pourrait faire ici exception à la règle géné­ Thomas mettait sur le même pied Vauctoritas des rale. Les bibliothèques conventuelles médiévales sc Écritures canoniques et celle des conciles œcuméni­ faisaient une gloire de posséder des recueils de textes. ques et que, de ce fait, H s'est abstenu de toute critique 11 y a plus de trente ans déjà, Mgr Grabmann avait ù leur égard; cc qu’il n’a pas fait, bien au contraire, promis de consacrer le t. m de la Geschichte der scho- à l’égard des Pères, comme on verra plus loin. Cc qui lastlschen Methode à l’étude des sources patristiques de frappe parfois, cc n’est pas tant le nombre, relative­ saint Thomas ct de saint Bonaventure; ù défaut d’une ment grand, de textes d’un concile déterminé, que la étude d’ensemble, nous devons nous contenter de fidélité avec laquelle certains textes, que nous ne quelques rares monographies ou articles consacrés nu lisons pas chez d’autres auteurs du début du xm* siè­ sujet. On en trouvera l’énumération à la fln de l’ar­ cle, reviennent régulièrement chez saint Thomas, ce ticle. En dehors de ces publications nous nous sommes qui laisse supposer ù bon droit, que l’auteur a eu en servi de quelques études non publiées jusqu’ici sur main les actes même du concile en question. Ainsi en les sources patristiques latines de la christologie, sur cst-ll par exemple du concile d’Éphèse pour la doc­ les sources grecques ct latines de la doctrine trlni- trine trlnitaire. Cf. 1% q. xlïi, a. 2, ad lu«; cf. Catena tairc, sur les sources grecques ct lutines de la doctrine aurea in Εν. Joan., c. i; De potent., q. x, a. 4, ad 24··. sacramcntairc, et d’autres encore. On trouvera éga­ I Textes cités dans Schwartz, A. C. Ο., I, ni, p. 164, 741 THOMAS D’AQUIN : DOCUMENTATION PATRISTIQUE 702 rnas, écrivant en Italie ou à Paris, voire même en fai­ 32, 191. Évidemment tout cela doit faire l’objet de monographies ultérieures. Nous savon» aussi que, pour sant route d’une partie de l’Europe ù l'autre, n'avait pas toujours le même recueil de textes à sa disposition, la christologie, les textes du concile d’Éphèse cités par saint Thomas sc retrouvent pour la plupart des et certains traités ou certains exposés d'un même cas dans In Collectio Catinensis. La doctrine trlni- sujet s'en ressentent. Quant à l'authenticité des textes, tairc nous a amené ù la même conclusion. Mais c, s'élève dc 20 dans les Sen- est la liste des papes : Célestin Ir\ Léon le Grand, tenecs, â 120 dans la Somme théologique. Cf. 1. Backcs, Gélose Ier, l’étage Ier (cl non Pélagc II comme la op. cil., p. 122. Léonine le dit ù deux reprises), Grégoire le Grand, 3° Les Pères latins. — La connaissance de la patrisLéon IV, Nicolas l·*, Urbain II, Alexandre III, Inno­ tique latine chez Thomas d'Aquin n’accuse pas un cent III; ajoutons-y le IV· concile dc Carthage (en progrès comparable à celui qu’on doit constater pour réalité les Statuta Ecctesiœ antiqua), celui d’Agdc, It la patriotique grecque. Pour ne pas égaler saint ThoIV· de Tolède, celui de Mayence. Choix judicieux mas, scs contemporains Albert le Grand et Bonaven­ disons-nous, cc qui permet de dire que la christologie ture ne lui sont pas trop inférieurs dans leur connais­ dc saint Thomas est principalement une christologie sance dc la littérature latine chrétienne. Les quelques grecque, comme sa doctrine saenunentaire est avant rares études sur les sources d’Albert le Grand, parues tout la justification théorique des pratiques sccrajusqu’ici, semblent indiquer que c’est par lui que mentaires dc l'Occident latin; on devrait y ajouter Thomas a pris connaissance dc plus d'un texte. Il que la théologie trinitairc. par contre, est une doctrine convient dc souligner le fait qu’Albcrt a été, avant tatino-grccquc, où l’élément latin dominé par la doc­ Thomas, celui qui a le plus contribué Λ faire une utili- trine d’Augustin, dépasse de loin l'influence grecque sation plus grande dc la patristique latine. 11 ne faut Celle-ci d’ailleurs ne s’est guère exercée que par les pus oublier non plus la Somme inscrite sous le nom textes lus chez le Damascène, dont les œuvres sont le d’Alexandre de Halès, qui a été une grande pour­ résumé de la théologie grecque, et aussi grâce aux voyeuse dc textes. Voir les indications très sugges­ éléments grecs trouvés chez Hilaire et Augustin. 11 tives de l'édition léonine : t. vin, p. xxxi-xxxii; est remarquable que, pour la théologie trinitairc, saint L ix» p. xv-xvi; t. x, p. xxv-xxvn; t. xi, p. xxix- Thomas n’ait pas fait un appel plus répété à saint xlii; t. xn, p. xi-xv. Évidemment, il peut y avoir Basile. Dans la doctrine trinitairc dc la Somme, il ne dépendance d’une source commune, mais les cas cités, semble pus même connaître V Adversus Eunoniium, pus plus que Bonaventure (nonobstant la seule réfé­ surtout pour la doctrine sacramentaire, semblent rence, inexacte d’ailleurs, dc l’édition dc Quaracchl). indiquer une dépendance assez directe. Dans le Contra errores Grtrcorutn, qui sc pince chro­ Nous avons parlé plus haut des écrivains anténlcéens. Quant aux écrivains postniccens, toutes les nologiquement avant la Somme, saint Basile était cité environ 27 fois pour les questions trinitaircs. Le recul, générations et toutes les écoles sont représentées au dans la Somme, est donc assez significatif. Au con­ moins par leurs noms les plus illustres. Citons deux traire, dans la Somme, saint Hilaire est cité 36 fois, exemples : pour la christologie : Cyprlcn, 1 fois; Hilaire, H fois; Ambroise, 12 fols; Jérôme, 8 fois; et de saint Augustin, qui est cité 112 fols environ (avec 11 citations non-authentiques) sont alléguées 13 œu­ Augustin, 127 fois (auxquels il convient d’ajouter plus dc 20 textes qui figurent sous le nom de l'évêque vres, parmi lesquelles le De Trinitate revient 74 fois. d’Hippone, mais qui en réalité proviennent dc Gen- Comme on le volt, les œuvres théologiques du grand nade de Marseille, Fulgcncc de Ruspc, etc.); Léon le scolastique sont à plus d’un titre des répertoires sys­ Grand, 2 fois; Boèoe, 3 fois; le symbole Quicumque, tématiques dc patrologic. Cf. A. Gardell, La docu· 4 fois; Grégoire le Grand, 9 fois; Isidoro de Séville, mentation de saint Thomas, dans Ileoue thomiste, 1903, 3 fois; Bèdc, 1 fois; la Glose, 39 fois; Hugues de Saint- t. xi. p. 197-215. 4° Mentions anonymes des écrivains contemporains. Victor, 2 fols; Pierre Lombard, 4 fols; Alexandre IV, 1 fois; Innocent III, 1 fols; Rémi d'Auxerre, 1 fois; — Il faut dire un mot des nombreux contemporain? Dans la théologie trini taire, sont cités: Hilaire, 36 fols; qui sont cités sans la moindre indication personnelle. Ambroise, 5 fols; Jérôme, 5 fois (3 textes inauthenti­ Ils s’appellent le plus souvent les quidam; parfois aussi ils sont mentionnés par le mot magistri; quel­ ques); Augustin, 112 fois (11 textes Inauthentiques); Boècc, 24 fois; Anselme de Cantorbéry, 3 fois; Gré­ quefois ils sont indiqués comme étant les doctoru goire le Grand, 3 fols; Ruban Maur, 1 fols; Pierre moderni par opposition aux antiqui. Que signifie toute Lombard, 5 fols; Prévostin. 3 fols; Richard dc Saint- ccttc nomenclature? On n pu croire un instant que Victor, 2 fols; lu Glose, 5 fois. Ccs quelques statisti­ • l'expression : quidam était pour saint Thomas et ses ques suffisent pour donner une Idée générale. Parmi contemporains une formule vague employée pour les œuvres de saint Thomas, il en est certes où les cacher leur identité; et en fait c’est probablement le textes grecs sont en majorité, par exemple la Catena cas pour Étienne Langton (t 1228). Mais rien ne aurea (22 Pères latins, 57 Pères grecs), et autres; permet dc maintenir ccttc interprétation pour suint néanmoins cela s’explique par le but bien arrêté que 1 Thomas. Bien nu contraire. S’il n'a pas la coutume 1’Aquinate sc proposait en écrivant ces traités. Mais d’opposer son propre nom ù celui des quidam comme en général, la patristique latine est beaucoup mieux le faisait Simon dc Tournai, il n’a pas peur non plus connue par lui que la patristique grecque. Cc qu’il dc dire parfois : ego vero dico... le plus souvent cepen­ ne faut pas oublier non plus, c’est l’intention bien dant il préfère le fameux dicendum quod... Par la for­ arrêtée avec laquelle notre auteur a parfois démontré mule quidam, Thomas indique en règle générale scs que tel ou tel point dc sa doctrine était l’écho fidèle contemporains et scs prédécesseurs immédiats. Il y a d'un Père déterminé, par exemple d’Augustin, et à cependant des exception·* et parfois les opinions des ccttc intention il a parfois multiplié ou réuni plusieurs quidam remontent bien haut dans l’antiquité. Mais il textes de diflérentes œuvres exclusivement d'un même faut chercher d’ordinaire dans son entourage immé­ auteur. Voir III·, q. lxxx, a. 6, où sc retrouvent 8 diat. On peut dire, sous bénéfice do vérifient ion indi­ textes d’Augustin, empruntés ù 6 œuvres difTérentcs, viduelle pour chaque auteur, que l’activité littéraire dans le seul but de prouver que c’est la doctrine de de ccs quidam sc manifeste dans les dernières décades saint Augustin qui est reprise parl’autcurdc la Somme. qui précèdent l’auteur qui les cite. Mais 11 reste tou­ Insistons encore ici sur le choix que saint 3 homas a jours que 1 identification dc ccs auteurs anonymes est fait entre scs sources. Ainsi pour lu doctrine baptls- I extrêmement difficile. 745 THOMAS D’AQUIN : DOCUMENTATION PATRISTIQUE Ensuite, le mot quidam dénote parfois un seul au­ teur; ainsi faisait Albert le Grand pour Philippe le Chancelier. L'Identification de ers auteurs ne peut se faire que par une élude approfondie et comparative des contemporains. Et nous rencontrons très rare­ ment chez saint Thomas In mention explicite dc ceuxci; après lecture de scs divertes œuvres théologiques nous avons rencontré les noms d’Albert le Grand, dc Prévostln (t 1210), dc Pierre d'Hibcmlü, qui fut le professeur dc Thomas A Naples, dc maître Martin et de deux ou trois autres. Par ccttc référence aux quidam, saint Thomas mon­ tre par le fait même qu'il connaît les divers courants et les différentes écoles dc théologie dc son temps et, parmi les quidam. Il distingue parfois entre ceux qui suivent ou ne suivent pas tel ou tel des grands maîtres du siècle précédent, cc qui semble indiquer que réelle­ ment il parle d’une génération plus proche de lui. Ajoutons que, dans certains traités et certaines œu­ vres, ainsi le Commentaire sur les Sentences, les quidam reviennent à tout instant, tandis que, dans la Somme INologique, leur mention explicite est très souvent laissée dc côté et leurs opinions sont alléguées A la façon dc ccs citations implicites dont nous parlerons plus loin. Faut-Il en conclure que In valeur dc Vauc­ toritas qu’il avait cru voir dans leur texte s'en trouve diminuée ou appauvrie, en même temps que l'érudition du jeune maître a cédé la place A une science qui ne (ait plus état des opinions, comme c'était lo cas aupa­ ravant? Pour la signification des formules moderni et antiqui, voir M.-D. Chenu. Antiqui, Moderni, dans Reo. sc, phil, et théol., 1928, t. xvn, p. 82-94. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, il y a encore moyen dc distinguer des categories à l’intérieur même de ccs classifications; nous rencontrons des formules comme celles-ci : famosi magistri, magni dodorcs, nota auc­ toritas, tanta auctoritas; Thomas souligne de même l’autorité qui revient A un corps professoral comme celui dont l'université dc Paris Jouissait en son temps. Cf. De forma absolutionis, c. n; De malo, q. xvj, n. 4. 5° Citations implicites d adagio. — La recherche des quidam et des magistri nous amène très souvent A identifier les uns aux autres. Mais la lecture et l'étude comparative dc leur œuvre a encore l’avantage d'at­ tirer notre attention sur les citations implicites qui sont presque aussi nombreuses que les citations expli cites. Le Moyen Age n’a pas transcrit ses prédéces­ seur d’une manière servile, ce qui explique que les citations littérales soient assez rares. La forme exté­ rieure ne préoccupait guère les auteurs, mais l’idée. Cc qui ne veut pas dire qu’ils n’attachaient aucune importance A une étude de critique textuelle. L. Bnur, art. cit,, p. 701, i pu écrire que le Dr unitate intellectus contra Averroistas, est un chef-d’œuvre du genre. Etre cas n'est pas le seul. Mais enfin on ne se souciait que très peu dc la littera des sources. La transmission des textes dans les tabula originalium, les florilèges cl les chaînes, explique pour une bonne part la diffé­ rence que nous constatons entre le texte médiéval et son original Mais, en tout cas, le Moyen Age a créé du neuf, sinon dans la doctrine, du moins dans son expression et ses formules. Saint Thomas et ses con­ temporains usaient du passé avec une Indépendance parfois surprenante et toujours originale, selon les caractéristiques de leur personnalité, leurs allures scientifiques, les besoins théologiques, psychologiques ou historiques qui les poussaient. Ils ont vécu dans l’intimité de leurs textes, ils les décomposent, les morcellent, les combinent, copiant parfois intégrale­ ment, parfois partiellement, sautant de-cl dc-ΙΛ quel­ ques expressions qui semblent ne pas être A point, et ainsi plusieurs textes n'ont gardé chez eux que l'allure générale de leur état primitif. On n commenté 746 les textes et leurs commentaires, on les a citée de mémoire, on les a glosés, on n parfois repris unique­ ment l'idée d'une formule, pour frapper une formule nouvelle; et, ce faisant, l'auteur médiéval vénérait le passé à sa façon et 11 Inscrivait sa formule personnelle sous le nom dc tel ou tel Père, sans qu’il y ait lieu de songer h une pscudépigraphle. Dès lors i) n'y a qu'un pas à faire pour parler de citations implicites. Après la lecture assidue dc la lettre, après la collation des diverses traductions ou transmissions de vieux textes, In mémoire des auteurs était pleine dc formules dont l'idée était substantiellement exacte mais moins exactement retenue. Le Moyen Age s’est parfois « inspiré > dc scs sources. Il n’y a pas lieu de croire que l'on voulait taire le nom des prédécesseurs; mais la doctrine de ceux-ci était devenue un bien commun, que chacun exprimait A sa façon personnelle. Les cita­ tions Implicites sont particulièrement nombreuses dans la théologie sacramentalrc de saint Thomas, ce qui s’explique assez facilement si l'on songe au fait que cc sont précisément les auteurs des xn·et xni· siè­ cles qui ont élaboré ccttc doctrine. Dans l'abondance des opinions et des expressions on songeait à peine à la propriété littéraire. Pourtant c’est dc la solution dc ce difficile problème des citations implicites que dépend pour une large part le sens exact qu'il faut donner à telle ou telle doctrine d'un théologien déterminé. Évidemment, la doctrine comme telle n’est pas en jeu; pour celle-ci, le souci de se référer nommément aux textes choisis et authentiques est trop connu, surtout chez saint Thomas. Mais 11 s’agit plutôt des formules à l’aide desquelles on tâchait d’expliquer le dogme. Par respect et par vénération pour celui-ci, le scolastique du xm· siècle était content de réunir dans son esprit et sous su plume» tout cc qu’il savait dc plus apte, sans en indiquer la provenance. Sans doute. Il ne s'agit pas ici de quelque formule lapidaire devenue classique,comme la définition delà personne par Boècc ; et encore dans la plupart des cas, ces définitions et ccs formules lapidaires, étalent un élément patristique authentique; qu'on songe A la formule bonum diffusi· vum sui, du pseudo-Denys ou encore à la formule substantia continet unitatem, relatio multiplicat trini­ tatem, qui n été frappée par Boècc, De Trinitate, c. vi, mais où nous retrouvons l’idée d’Augustin. De Trini­ tate, L VIL c. vi, n. 12; cf. In Joan., tract, xxxtx, c. il, n. 4 ; ou encore Pater est principium totius deitatis. pour lequel saint Thomas renvoie parfois à saint Au­ gustin, Sum, theol., 1·, q. xxxm, a. 1 ; q. xxxix, n. 5; cf. De Trinitate, L IV, c. xx, n. 29, P. L., t. xtn, col. 908, et qui est du matériel grec authentique que nous lisons chez saint Cyrille, In Joan., \. I,c. i, et chez bien d’autres avant lut et après lui; et encore, panitere est dotere de pnderito, cavere de futuro, qui provient de In règle de saint Augustin; ou encore, satisfacere est peccatorum causas excidere et peccatis aditum non indulgcre, (pii provient dc Gvnnade dc Marseille, De ccd. dogmat., c. liv, etc. Ces citations implicites sc rencontrent partout, et 11 n’y a pas Jusqu’A la descrip­ tion de la théologie qui ne révèle une réminiscence. En écrivant : dicitur enim theologia quasi sermo de Deo, I*, q. i, a. 7, saint Thomas nous fait songer A un texte de Simon de Tournai (fin du xn· siècle) : Ubi Grxcl dicunt tkeos, nos dicimus nut’s; logos interpretatur sermo. Unde theologia quasi deologia, i. e. sermo de Deo vel de divinis, Summa, ms. Paris, lat. It fol. 1 r», cité dans G. Paré-A. Brunct-P Tremblay, La renaissance du v//*siècle, Paris, Ottawa, 1933. p. 310. Il y n Ici un travail immense A faire tant pour la partie morale que pour les traités dogmatiques de In Somme. Et, encore une fois, l'étude comparative des médiévaux rendra Ici dc très grands services. Parfois m THOMAS D’AQUIN : DOCUMENTATION PATRISTIQUE nous nous sommes trouvé devant une formule qu’à première vue nous croyions personnelle à saint Tho­ mas, alors que la lecture d’Alexandre de Halés, de Bonaventure, d’Albert et d’autres nous a appris que l’on sc trouvait devant une citation implicite de tel ou tel Père, de tel ou tel contemporain ou prédécesseur, qui eux citaient explicitement. Aux citations implicites il convient d’ajouter les adagia, c’est-à-dire cette espèce de proverbes théolo­ giques que nous rencontrons surtout dans le Com­ mentaire des Sentences. C’étaient pour ainsi dire des expressions prégnantes d’une idée. Exemples : omnis Christi actio nostra est instructio, que Bonaventure qualifiait communis auctoritas et qui sc trouve dans Γ Instructio sacerdotis, c. vi, du pseudo-Bemard, et dans le Sermo XXII de tempore d'Innocent III; voir Sum. theol., Ill·, q. xl, a. 1, ad 3em; In IV** Sent., dist. IV, q. ni, a. 1, qu. 2, obj. 1; dist. II, q. n, a. 3, sol. 1 ; dist. I, q. n, a. 5, qu. 3, obj. 1; ou encore, non sanat oculum quod sanat calcaneum, qui est la mise cn vers du pseudo-Jérôme, In Evang. Marci, ix, 28, P. L., t. xxx, col. 616, medicina cu/usque vulneris adhibenda est ei. Non sanat oculum quod calcaneo adhi­ betur; cf. S. Bonaventure, In /V·» Sent., 1. IV, dist. II, a. 1, q. ni. Cette coutume dc citer implicite- · ment va parfois si loin qu’on reprend les images mêmes qui expriment une idée, ainsi : gratia opponitur culpu*, sicut lux lenebrte; autre exemple ; gratia aufert culpam el con/ert gratiam, qui provient de la Glose, Bom. îv; baptismum corpus exterius lavat, sed animam interius format, qui est la mise en vers dc la prose dc Pierre Lombard, 1. IV, dist. Il, a. i. Il nous semble cependant que dims la Somme ces adages deviennent plus rares que dans les Sentences. Parfois la position même du problème est l'énoncé d’une citation implicite ou d’un adage. Ainsi, Utrum scientia Dei sit causa rerum, qui, scion saint Thomas, provient de Grégoire de Nazianze, cf. De substantiis separatis, c. xvî; Sum. theol., I·, q. lxi, a. 3, obj. 1; ou encore : utrum effectus baptismi sil incorporatio, illuminatio, /ecundatio, III·, q. lxix, a. 5, dont les trois mots proviennent respectivement d’un texte d’Au­ gustin, du pseudo-Denys et dc la Glose, cités dans l'article, et c’est à la Glose que la citation implicite a été empruntée. Car, si nous n’avons pas parlé spécia­ lement de cette source de saint Thomas qu’est la Glose, c’est que lu Glose doit être mise sur le même pied que les autres sources, c’est elle aussi qui a eu sa part dans la fabrication dc ccs adages théologiques. Cita­ tions implicites enfin, dans l’énoncé même de cer­ tains principes dont la provenance est parfois indi­ quée, mais pas toujours, par exemple : in Deo idem est quod est et esse, ut dicit Boetius et Dionysius. De veritate, q. x, n. 12. Il n’est pas rare que des principes philosophiques soient rappelés sous le patronage d’un Père, ainsi anima est tota in toto corpore et in qualibet parte ejus; cf. Sum. theol., 1·, q. lu, a. 2, obj. 1 ; De potentia, q. vi, a. 7, obj. 15. 6° Les matériaux inauthentiques. — L’étude du problème des sources cn pose plusieurs autres, parmi lesquels celui des matériaux inauthentiques que le Moyen Age a utilisés. C'est Roger Bacon qui a dit que le jugement et l’exposé de la doctrine chez les Pères, chex Augustin en particulier, aurait été tout autre, si les Pères avaient eu une connaissance plus approfon­ die et plus exacte des œuvres d’Aristote. Voir les textes dans 11. Felder, O. M Cap., Geschichtederivissenicha/Uicheo Studien im Franziskanerorden bis um die Mille des Z J. Jahrhunderts, Fribourg, 1904, p. 480483. Et saint Thomas, aristotélicien convaincu, n'a-til pas écrit : Dionysius /ere ubique sequitur Aristotelem, ut palet diligenter inspicienti libros ejus? In //”· Sent., di t XIV, q. i, u. 2. Sans doute, plus tard, il s’est repris lui-même dans la Dc malo, q. xvi, a. 1, ad 3« où il écrit -.Salis probabile est quod Dionysius, qui in plurimis fuit sectator sententim platonicæ, opinatus sit, etc. Le P. Mandonnct avait raison quand il écrivait dans son Siger dc Rrabant, t. 1, p. 45, note : ■ Croire que saint Thomas n'est pas conscient de sa méthode quand il tire les Pères à lui... serait un enfantillage. > Or, c’est un problème analogue qui se pose pour l’uti­ lisation des sources. Saint Thomas a sans doute, comme plusieurs de scs contemporains d’ailleurs, cité un certain nombre d'écrits pseudépigraphiques et dc matériaux inauthentiques. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, le De uera el jalsa pamitentia (voir ici t. xn, col. 734 et 795) dont il fait un usage assez régu­ lier pour sa doctrine pénitcntielle. Dans la Somme théo­ logique, il invoque l'autorité de cet opuscule cn plu­ sieurs arguments sed contra, III·, q. lxxxiv, a. 8 et a. 9; q. lxxxv, a. 3; q. lxxxvi, a. 3. Malheureusement nous ne savons pas encore quel est l’auteur dc cet opuscule qui apparaît soudain vers le milieu du xi· siè­ cle. L'authenticité dc cette œuvre n’est pas mise en doute par les scolastiques. Mais saint Thomas s'est plus d’une fols prononcé sur la valeur d'autres opus­ cules pseudépigraphiques et sur l’influence qu’il attendait d’eux du point de vue de 1'auctoritas. Le cas le plus clair est celui de l'écrit De Spiritu et anima, attribué à saint Augustin, lequel a été identifié parles mauristes comme un écrit du cistercien Alcher de Clairvaux, composé vers 1161 ; cf. G. Théry, L'au­ thenticité du t De SpirUn et anima », dans saint Thomas et Albert le Grand, dans Revue des sc. phil. et théol., 1921, p. 373-377. Nous avons relevé nous-mêmes les principaux endroits où 1'Aquinate parle de cet opus­ cule dont il connaissait déjà Γinauthenticité; 13 textes appartenant à six œuvres différentes : In Sent,; De veritate; Summa theol., I·; De anima; De spiritualibus creaturis; De virtutibus. Voici quelques expressions î liber ille non est authenticus; est apocryphus; non est Augustini; pro auctoritate habendus non est; cum non sit Augustini non imponit nobis necessitatem ut ejus auctoritatem recipiamus; auctoritatem non habet; eadem jacilitate contemnitur qua dicitur; non est magnet auctoritatis; non est necessarium verbis illius libri fidem adhibere; nec est multum curandum de his quæ in eo dicuntur, etc. Voir G. Geenen, Saint Thomas d'Aquin et ses sources pseudépigraphiques, dans Ephern. theol. Lovan., 1943. On pourrait citer d'autres expressions, à propos d'autres écrits inauthentiques, que saint Thomas a connus. Après tout cela on doit sc poser la question : quelle est la valeur d'une doctrine exposée selon la teneur dc sources pseudépigraphiques? On pourra objecter sans doute qu’une doctrine est recevable par elle-même, abstraction faite dc son origine historique et qu’un écrit ne doit pas nécessairement appartenir à la plus haute antiquité, ni être un écrit · authentique » pour contenir la vérité; qu'un auteur inconnu peut expri­ mer une doctrine conforme à la fol. Mais le problème n'est pas là. Le problème est celui-ci : la doctrine des scolastiques, de saint Thomas cn particulier, disons exactement, la doctrine pénitcntielle de la Somme, peut-elle être Jugée à sa juste valeur et être comprise selon sa teneur exacte sans faire appel aux auctoritates dont elle dépend en fait selon la volonté expresse de l’auteur même qui l'expose? Qu’on se rappelle ici cc que nous avons dit plus haut dc la théorie des sources. C’est donc tout le problème dc l'attitude envers les auctoritates qui est cn Jeu. Saint Thomas n dit expres­ sément que la théologie sc fait avec les autorités ' reconnues, et il fait une différence entre la valeur res­ pective de celles-ci. Certes, une source pscudéplgraphique n’est pas nécessairement sans aucune valeur dc doctrine; mais 11 reste que tel théologien médiéval, qui 749 THOMAS D’AQUIN : USAGE DES AUCTORITATES 750 η’α pas voulu Incorporer dans ses exposés doctrinaux la fol avec le vocabulaire dont ils disposaient Dès le une source pscudéplgraphlque précisément parce début du xir siècle on avait trouvé la formule dc conciliation : non sunt adversi sed diversi. qu’elle n’avait pas les titres requis par l'usage et la 2. Citations de pur ornement. — Par ce nom on est technique dc l’école, nous donnera un exposé qui sera plus ou moins différent de l’exposé d'un autre, lequel convenu d’indiquer les auctoritates qui pourraient être s'en servait comme d'une source proprement dite, omises sans que l'exposé dc la doctrine ou la cohé­ « propriis sed probabiliter. Ne faut-il pas respecter rence du sujet cn souffrît; citations conventionnelles, la lettre et les intentions expresses de quelqu'un qui, décoratives, qui illustrent heureusement, par un mot comme saint Thomas, a voulu établir sa doctrine théo­ ou une image, cc que l'auteur vient dc dire, sans y ajouter quoi que cc soit. G. Bardy, art. cit., p. 502, logique sur les auctoritates des Écritures canoniques et de ces doctores authentici officiellement reconnus les appelle des « références d’apparat », pour orner et comme tels? Le cas du symbole Quicumque, fausse­ embellir un exposé doctrinal. ment attribué à Athanasc, n'infirme cn rien cc que 3. Citations sources de doctrine. — On peut prendre nous venons de. dire. On n'a qu'à sc rappelci que cet aussi un texte patristlque comme base pour établir une doctrine. Et, chez saint Thomas, ce sera très souvent exposé, cette doctrina, comme saint Thomas l'appelle, est devenu un symbolum, et une regula fidei, non de dans le sed contra qu'on lira un tel texte. lx» rôle du sed contra était précisément dc faire entendre le premier sa propre autorité (évidemment le Moyen Age y reconnaît Vauctoritas d'Athanasc) mais uniquement son de la doctrine développée dans le corps de l'article par l’approbation des souverains pontifes. Dc cc fait et ainsi le texte patristlque fait jaillir la première étin­ celle de la lumière qui va être faite. Cependant la cita­ le cachet personnel inhérent à une autorité patristlque lui était enlevé, et le Moyen /\ge s’en rapportait ici tion source de doctrine, ne sc trouve pas uniquement à l’autorité non point d'Athanasc, mais dc l’Église. ou nécessairement dans le sed contra. La citationSum. theol., II*-II®, q. i, a. 10. source était déjà une donnée initiale que Ton devait analyser, expliquer, confirmer et au service dc laquelle ///. l'usage des auctoiutates. — Comment saint Thomas a-t-il utilisé sa documentation patristlque? on mettait les ressources dc la philosophie et d'une Quelle fut l'attitude adoptée par lui à l’égard des auc- saine dialectique. Enlever Vauctoritas cn question, cc toritates et quel usage lit-il de ces textes? serait faire périr le sens ou la valeur de l'expose doc­ trinal. G. von Hertling, art. cit., p. 549, la décrit Il faut avoir répondu à cette question pour mesurer comme une auctoritas qui donne le ton et la mesure l’influence qu’il a gardée de leur contact. La nature dc pour comprendre l’explication qui va suivre. la méthode scolastique cn sortira peut-être mieux L Citations preuves de la doctrine. — Élaborant sa éclairée et on verra cn tout cas en quoi précisément consistaient certains de scs procédés. Quand on a iden­ théorie des sources, exposée plus haut (col. 738), on tifié les auctoritates patristiques, on reste frappé dc a pu constater que saint Thomas regardait les auctori­ leur grand nombre et, plus encore, des principes mul­ tates patristiques comme des argumenta propria sed tiples selon lesquels on pourrait les classer; cnr il est probabiliter; c’est-à-dire que l’argument qu’on cn vraisemblable déjà à priori, et les faits le confirment pouvait tirer n'a pas dc sol une valeur apodictiquc et nécessaire. C’est avec cette réserve qu’on doit com­ à l'évidence, que l'utilisation de cc matériel abondant prendre ce que nous disons des citations preuves dc la et varié ne devait pas sc faire d’une manière uniforme pour tous les textes. On peut examiner chaque texte doctrine. Ainsi donc il n’est pas question ici de véri­ tables preuves, au sens que nous donnons à cc mot à part, mais il est possible de classer les citations selon des données objectives et dc les grouper ainsi en dif­ aujourd'hui. C’est surtout dans la doctrine sacramcntalre que férentes catégories selon les procédés employés. Qu'on sc rappelle une distinction à la fois élémentaire et saint Thomas fait usage dc ce genre. Pur la formule capitale. On choisit un texte dc préférence à un autre citation-preuve, on doit entendre une citation qui parce que la teneur du fragment choisi semble expri­ vient à point pour appuyer ou expliquer une pratique déjà existante; une doctrine déjà établie par ailleurs. mer cc dont on a besoin; le sens primitif dc cc texte Ainsi dans la III*, q. lxvi. a. 5, à propos de la formule et l’interprétation qu'il recevra par le fait qu’il est extrait dc son contexte ne sont pas une seule et même sacramentelle du baptême, on se demande si cette for­ mule est une forma conveniens? Le sed contra cite le chose. Pour tout cc qui suit nous renvoyons à notre article : L'usage des « Auctoritates ». Voir In bibliogra­ texte bien connu, Mattb., xxvm, 19, citation source phie. dc In doctrine. Saint Thomas ajoute cependant, dans 1° La présentation des textes. — On pourrait à la le corps dc l'article, deux autres textes. Epb., v, 26, rigueur procéder à priori, ainsi que L Backes l'a fait et un texte d'Augustin emprunté au De baptismo op. cit., p. 55-56. Il a relevé trois catégories : les cita­ contra donatistas, I. IV, c. xv, lequel doit expliquer le tions d’ornement, les citations sic et non, les citations texte dc saint Paul; bien plus, ce texte d Augustin sources dc doctrines. Il est préférable toutefois de doit servir comme preuve patristlque dc cc que ΓApô­ laisser parler les textes eux-mêmes. Saint Thomas et tre venait d’énoncer. 5. Citations confirmatives de la doctrine. — Les cita­ scs contemporains ont pris à leurs devanciers leurs tions de cette catégorie se rapprochent tout à la fois procédés dc travail, tout en les perfectionnant et cn des citations-preuves et des citations dc pur ornement. les adaptant aux progrès et aux nécessités des temps Elles sc distinguent cependant des unes et des autres, nouveaux. L Citations sources de difficultates ·.— Lorsque toutes d’une part parce que leur rôle n'est pus dc prouver une les auctoritates ne semblent pas dire la même chose à assertion quelconque, d’autre part parce qu'elles ap­ portent du neuf, et complètent ainsi l'exposé de la doc­ propos d'un sujet, on peut les opposer les unes nux trine ne fût-ce que par l’invocation d'une autorité autres. On ne concédera pas tout cc qui est affirmé bien connue, qui corrobore ce que l'on vient de dire, par un des textes et l'on ne refusera pas absolument par l’appui d’un grand nom. Elles aident singulière­ l'autorité d’un autre. L'expression de la vérité exige ment à nous donner une intelligence plus profonde et des nuances et la parole humaine est rarement d une exactitude absolue. Saint Thomas était rompu a la plus circonstanciée dc l'idée que l'auteur a voulu méthode nbélardlcnnc, et des expressions moins heu­ inculquer. 6. Citations explicatives. — Beaucoup dc difficultés reuses et apparemment contradictoires se trouyalen tiennent non pas aux choses mais à notre esprit mal chez les Pères, lesquels, chacun en temps i dans la doctrine pour saisir exactement In nature et la valeur de l’argu­ ment patristique. sur la procession du Saint-Esprit le Damascene avait m VA LEU H D’ Λ KG U Μ E NT P Λ T H 1ST IQUE 758 Saint Thomas enseigne donc que l’Écriturc, par que ment sur le même pied, et qu’ite expriment des rapport aux explications des Pères, suffit seule, parce voleurs concrètement Identiques au point de vue de qu’elle a déjà dit tout cc que les Pères diront plus V auctoritas. Les Pères étaient des norte-paroles dc la doctrine dc l'Église. Bien plus, l'Eglise avait parfois lard. Et l'enseignement de l’Écriturc, pris nu total, est suffisamment clair. Aussi pouvait-il répéter avec officiellement ct explicitement approuvé une doctrine Augustin dans le De doctrina Christiana : nihil est quod patriotique. C'est ce que saint Thomas suppose de occulte in aliquo loco saerx Scriptura tradatur, quod toute évidence pour la doctrine d'Augustin sur la grâce, non alibi manifeste exponatur. Quodl. iv, a. 14, ad 3*m; c’est cc qu’il note expressément pour la doctrine trini· Sum. theol,, P, q. t,n.9,ad 2··; a. 10, ad 1·“; II·-II·, taire du pseudo-A thanas c, auteur du Quicumque, et q. i.ii.9, ad 1*®. Le sens de l’Écriturc est si riche que ce qu'il semble insinuer pour la doctrine trinitaire de jamais l'intelligence humaine laissée à clic seule ne Pierre lombard approuvé au concile du Latran de parviendra à en saisir tout le contenu. Quodl. vu, 1215. Or, ce qu’Augustin ou le pseudo-Athanase a. I l, ad 5ae. Les catholici tractatores, les expositores avalent fait, les autres l'avaient fait eux aussi d'une Saerx Scripturx, n’ont donc aucune autorité si cc certaine façon, car Ils tiennent la même doctrine; ces n’est précisément et uniquement en fonction des autres se groupaient donc dc par la nature des choses Écritures ct par rapport à elles. sous l'approbation authentique de l'Église. Néanmoins, Selon saint Thomas l’autorité reconnue à un doctor puisque l’Église ne les avait pas approuvés tou* en par­ authenticus donnait à celui-ci ct quasi ipso facto la ticulier ou pour toutes leurs doctrines in specie, il était valeur d’un témoin dc la Tradition. Théoriquement ct loisible dc faire une classification entre les auctoritates parlant à priori, on devait distinguer Vauctoritas et selon des degrés divers et selon la technique de l'au­ Vauthenlicilas; mais pratiquement c'était presque la thenticité ou de l'autorité, au sens médiéval de ces même chose. « Sans être nullement synonymes en mots. Saint Thomas qui avait un esprit historique et théorie, dit J. de Ghcllinck, les deux genres d’argu- fort nuancé, devait faire ccs distinctions qui s’impo­ mmts (l’argument dc tradition ct celui d’autorité) se saient. Mais, d’autre part, cette conception explique confondaient concrètement... Mais cc n’était pas direc­ aussi que V auctoritas de ccs Pères était invoquée dans tement à la tradition qu'en appelait l’argumentation des matières qui étaient loin de la théologie propre­ technique, mais plutôt à une auctoritas prise sans ment dite, par exemple les théories sur la psychologie, doute à un représentant dc ccttc tradition, dont en cc l’astronomie, etc., ne fût-ce qu à cause du grand nom cas au moins il pouvait tirer sa valeur, mais qui, dès qui les patronnait. Pour employer une autre formule, lors.sc présentait beaucoup plus avec l'attitude d’un on pourrait dire que saint Thomas est nettement cons­ auteur authenticus, qui possède le robur auctoritatis; cient qu’aucune auctoritas digne de ce nom ne parie par suite, il est envisagé comme dépositaire des mêmes contre la foi, car il répétait avec saint Anselme : quod non est contrarium saerx Scriptura: veritas ejus est. In prérogatives que les autres auteurs admis au rang d’auctoritates. Il serait difficile de soutenir que, lors­ Sent., dist. XI, exp. text.; cf. De substantiis sepa­ qu’il s’agissait d’un dc ccs dicta sanctorum, l’autorité ratis, c. xvi, ct avec saint Ambroise il dira : omne de la tradition ne se reflétait pas indirectement nu verum a quocumque dicitur a Spiritu sancto est. Ainsi moins dans le respect qui s’attachait à ccs énoncés des avec les auctoritates patristiques, le théologien pouvait Patres orthodoxi des Patres catholici, implicitement argumenter ex propriis, parce qu’il y trouvait la doc­ approuvés et authentiqués ct entrés dans l'arsenal des trine dc l’Église interprète de* Écritures, mats seule­ arguments scolaires ». Art. cité dc Geistesivell des ment probabiliter,parce que les auctoritates ne pouvaient M. A., p 419. Voir également, G. Gecnen, dans JUjpas être mises sur le même pied que les Écritures. dragen, etc., p. 131-147, où l'on peut lire les textes et Il y a une continuité doctrinale ct historique entre quelques références pour tout ce qui suit. Ainsi l'épi­ les Écritures ct les écrits des Pères. La foi restait identique nonobstant les divergences des explications thète ex propriis sed probabiliter appliquée aux Pères résumait fort bien une théorie dont il faut faire entre­ patristiques, dont l’histoire témoignait. L’identité est voir quelques principes. Le témoin dc In foi comme tel dans les principes et garantie par ceux-ci, la divergence a dans une certaine mesure les prérogatives ct les pro­ sc trouve parfois dans l'explication des Pères, mais entre les deux, il y a la continuité surveillée et ga­ priétés, sinon de la doctrine, du moins de l'organe dont rantie par l’Église, interprète des Écritures ct déposi­ il contient le témoignage et pour lequel 11 témoigne. Saint Thomas nous dit constamment que les Pères ont taire de la tradition. 2° Pourquoi faut-il recourir aux Pères ? — « Le but écrit surtout coacti ab hxrclicis, pour enseigner ct pour dc l’Écriturc, répond saint Thomas, est renseigne­ défendre la foi de l’Église, c'est-à-dire In doctrine des Écritures. Certes ils l’ont fait modeste et reverenter, ment des hommes. Or, cet enseignement par l’Écriturc absque comprehendendi prxsumptione. Mnis la doc­ ne peut sc réaliser que par les explications, les exposi­ trine qu’ils enseignent et dont Ils témoignent n’est pas tions des Pères. » La raison en est que « c’est du même la leur propre, mais bien celle dc la gardienne de la fol, Esprit que provient ct la publication dc l’Écriturc et Interprète authentique des Écritures. Évidemment son exposition ». Quodl. xn. a. 26. « Il faut donc con­ l’Église n'avalt pas mis son sceau indistinctement sur server non seulement ce qui est fourni par l’Écriturc, mais encore cc qui a été dit par les saints docteurs qui tout cc que les Pères avalent dit, chacun pour son temps et dans son milieu et avec les multiples parti­ ont gardé l’Écriturc sans tache. » In Diu. nom., c. n, cularités qui sont propres Λ chacun, mais l’approba­ lect. 1. \oir des exemples concrets dans De veritate, q. xvm, a. 17; Sum. theol., I·, q. ct, a. 1; De potentia, tion globale que l’Église attachait Λ la doctrine dc ceux q. vin, a. 1. qui défendaient sa fol contre les hérétiques ou qui Ccttc nécessité de recourir aux Pères ne signifie pas l’exposaient aux croyants, garantissait d’une certaine cependant qu’on doive les suivre d une façon servile, façon le témoignage ct l’autorité dc ces expositores et car « dans les matières (pii ne sont pas de foi, les com­ de ccs tractatores. D’ailleurs saint Thomas a soin dc noter que tel ou tel auteur a été désapprouvé, par mentateurs (expositores ) ont dit bien des choses exemple Orlgènc, Bérenger, Joachim dc Flore et d’au­ d’après leur sentiment en quoi ils ont pu se tromper ». Quodl. xn, loc. cit. D'où la liberté que l'on peut prendre tres, ct que, en ccs points désapprouvés, Ils n’étnient par rapport à eux. pas les témoins de la doctrine dc l'Église gardienne dc La doctrine des Pères doit donc être conforme à la la vérité et Interprète des Écritures. doctrine des Écritures. Mais quel est le critère de celte On s'explique donc que les dicta sanctorum, les dicta doctorum, les expositiones Patrum, sc trouvent prati- conformité? Saint Thomas répond : Ille dicitur aliter 759 THOMAS D'AQUIN (SAINT) exponere Sacram Scripturam quam Spiritus Sanctus efflagitat qui ad hoc expositionem sacræ Scriptune in­ torquet quod contraria/ur ei quod est per Spiritum Sanctum revelatum. Sum. theol., II·-! I·, q. xr, a. 2, ad 2*·. Ce qui revient à dire que tout ce qui n’est pas contraire À l’Écriture peut être regardé comme con­ forme à son enseignement selon le mot de saint An­ selme cité plus Inuit. Car il est toujours utile de sc référer aux Pères, même pour des vérités que la raison humaine ne saurait suffisamment comprendre telle la pluralité des personnes dans l’unique nature divine; talis inquisitio non est inutilis, cum per eam elevetur animas ad aliquid veritatis capiendum quod sufficio! ad excludendos errores. De potentia, q. ix, a. 5. En somme, il faut tenir le juste milieu : mullorum opinio­ nem non est necesse esse veram simpliciter, sed secundum partem, In IV*m Sent., dist. XLIX, a. l,sol. 1. ad 1BB; mais, d’autre part, quod ab omnibus communder dici­ tur, impossibile est totaliter esse falsum. Cont. Gent., 1, II, c. xxxiv. II reste néanmoins que < là où il y a doute, il ne faut pas donner avec trop de facilité son assentiment ». Quodl. ni, a. 10. Comment faut-il dissiper ce doute et comment juger la valeur doctrinale des textes patristiques? Saint Thomas n’indique qu’un seul moyen : l’appel à l’autorité de l’Église interprète des Écritures et dépositaire de la Tradition. Quodl. ni, a. 9 et 10. La nature et la valeur de ï'auctontas ne s’expliquent qu’en fonction des sources proprement dites de la foi. quia et ipsa doctrina catholicorum doc­ torum ab Ecclesia auctoritatem habet : unde magis est standum consuetudini Eccles iic quam vel auctoritati Augustini vel Hieronymi vel cujuscumquc doctor is. Quodl. n, a. 7; Quodl. ix, a. 16; Sum. theol., II·-II·, q. x, a. 12 (qui est la reproduction presque textuelle du Quodl. it, a. 7). Or, saint Thomas identifiait ou à peu près l’autorité de l’Église à celle du pape, Sum theol., loc. cil., et q. xi, a. 2, ad 3”· : quœ quidem auctoritas (Ecclesia) principalis residet in summo pontifice... contra cujus auctoritatem nec Hieronymus, nec Augustinus nec aliquis sanctorum doctorum suam sententiam defendit. L<< Pères sont donc les interprètes de l’Écriture sous le contrôle de (’Église et puisque l’Église univer­ selle est infaillible, la doctrine des témoins de cette Église doit être regardée elle aussi, comme telle. II reste une difficulté : les contradictions vraies ou appa­ rentes des Pères. La réponse à cette difficulté ne pour rait que confirmer ce qu’on vient de lire. Voir textes et références dans notre article cité p. 143-145. Cf. In It* Sent., diet. XII, n. 2; dist. XIV, q. î, a. 2. i / . conclusion. — La documentation patristique dt saint Thomas d’Aquin dont on vient de retracer un aperçu général, occupe sans aucun doute une place considérable dans l’étude de ses doctrines. Et cet aperçu général sur l’ensemble de son œuvre théolo­ gique fait entrevoir l’intérêt des recherches historiques sur les sources de sa doctrine. Il est parfaitement inu­ tile d’insister sur telle ou telle conclusion qui sc dégage d’< Ih -même de l’exposé qu’on vient de lire. L’histoire d< In pensée de saint Thomas, son évolution, scs racines, sa portée, sa valeur, tout cela sera d’autant mieux connu que nous serons mieux renseignés sur sa documentation. Sans aucun doute, la doctrine elle même en sortira mieux éclairée. Si nous connaissions suffisamment la méthode des scolastiques, tout cela serait évidemment superflu. Mais précisément, pour connaître la méthode scolas­ tique il faut avoir pris contact avec les œuvres et la technique théologique des grands théologiens du Moyen Ac t. Nous devons dépister les traces que l'ancienne littérature chrétienne et le haut Moyen Age ont lait'ét < dans leurs travaux, grâce aux nombreuses 760 citations que nous trouvons chez les médiévaux. Mali il faut surtout retrouver la mentalité avec laquelle 1rs grands scolastiques ont travaillé. Il faut refaire leur œuvre, suivre leur labeur, repenser leurs idées. Seul un effort soutenu permettra d’arracher aux vieux textes la vie si riche et la pensée si originale qu’ils ont cachées trop longtemps. < Pour nous, hommes d’au­ jourd’hui, le nom de scolastique ne rend pas un son favorable. » C’est en rappelant ces mots de S. Kroger, que Mgr Grabmann commençait en 1909 son œuvre monumentale sur la méthode scolastique. Depuis cette date on a tiré du Moyen Age des renseignements inconnus, qui ont donné un démenti éclatant aux pré­ jugés de ceux qui n’avalent pas pénétré dans les se­ crets des œuvres ni vécu dans l’intimité des textes. Saint Thomas d’Aquin reste le prince des scolastiques, ù tout point de vue. Mais il faut lire toutes scs œu­ vres. sans en excepter aucune; et il faut étudier chaque œuvre à part et chaque traité et chaque matière en particulier. Et il faudra remettre le tout dans l’en­ semble. Et il faudra en plus l’étude comparative avec les contemporains. Car tout cela est une condition Indispensable et préliminaire pour avoir une vue exacte et complète sur son originalité en même temps que sur la valeur et la place exceptionnelle qu’on doit lui reconnaître. Dans ce but, on voudrait attirer spé­ cialement l’attention sur les études lexicographiqucs, car les mots sont les véhicules des idées. En second lieu, il faut exiger une connaissance parfaite du traité des modus significandi, car unc.saine dialectique—celte disciplina disciplinarum comme saint Augustin l’ap­ pelait — est indispensable pour saisir correctement le procédé et l’idée exacte des médiévaux. Eux-mêmes ont abordé les sources avec cet Instrument de travail Saint Thomas a eu une connaissance des Pères, qui. pour son époque apparaît assez détaillée. Il a repris la moelle de leur doctrine et de ce contact 11 lui est resté parfois quelques procédés techniques. Mais son originalité consiste dans le fait qu’il a donné une syn­ thèse de tout ce qui était durable dans l’œuvre théo· logique du passé. Le cardinal Cnjétan disait de lui : fundamentum auctoris esse solidum, peripateticum el consonum, non solum sibi, sed sacris doc/oribus. Quos quia summe veneratus est auctor, ideo intellectum om­ nium quodammodo sortitus est. In Summam theol., ΙΙ·-ΙΙ·, q. cxLViii, a. 4, fine. Ce Jugement ne doit pa< être revu par l’histoire. llenselgncnients Importants dans les ouvrages généraux sur les méthode· des scolastiques ou sur saint Thomns.Volr par exemple M. Gnibmann, Thomas von Aquin. Eine Elnfûhrung In seine Persônlichkeit und Gcdankcnivelt, Munich. 6· éd., 1935, surtout p. 32-60, 204-216; A. Landgraf, Lt» preuves scripturaire et patristique duns Tarffii men talion tldoloqlquc, dans Hru. sciences philos.ettheol., 1931» p. 287-292. et plusieurs articles parus dans le recueil Aus der Gtldcsidc II des M. /1.» entre autres : J. de Ghellinck, Patristique tl argument de tradition au bas Moyen Age, p. 403-126. L. Ihiur, Dir Form der misscnschafllichcn KriUk bel Thomas von Aquin, (bid., p. 688-709; voir aussi J. Vosté, De innatigandIs fontibus palristicis S. Thomo·, dans Angélteum, t. xiv, 1937, p. 417-13-1; A. Gardeil, Ln documentation dt saint Thomas, dans Hev. thomiste, t. XI, 1903, p. 197-215. Plus spéciaux : G. Gcencn, De opvatting en de houdlng van den h. Thomas van Aquino blj hel gebruiken drr bronnen zijnrr théologie, dans Bijdragen van de philos, en theol. fac· der Nedertandsche Jezuleten, t. IV, 1941, p. 112-147, 224254; e de la gemina prædestinatio. Et l’on trouve aussi chez lui telles positions sur les péchés, qui sont véniels ou mortels, selon qu’ils sont commis par un prédestine ou un non prédestiné, que Wyclcf lui T. — XV. — 25. 771 THOMAS BR P WAR DI NE empruntera. Sur tous ccs points Bradwardinc sc pré­ sente comme un précurseur. Et son originalité est manifeste dans l’ensemble de cette construction théologiquc qu’il entreprend et dans sa doctrine du déterminisme. Le tout est très personnel, encore que scs éléments aient pu être empruntés à divers auteurs. On n montré déjà les emprunts faits à saint Anselme, à saint Augustin, à Aristote. On doit y ajouter saint Thomas, Robert Grossctôtc, Duns Scot C'est même à ce dernier très probablement, ou du moins Λ scs disciples, qu’il a emprunté une des pièces maîtresses de son système, celle de la prédéter­ mination divine. Pour expliquer, en effet, la connais­ sance que Dieu possède des futurs contingents, ce n’est pas à la thèse de l'éternité divine présente à toutes les successions du temps, à laquelle surtout fait appel saint Thomas, que recourt Bradwardinc, mais, à l'exemple de Cowton, d’Alexandre d’Alexandrie, d’zkntoni Andreu, de François de Meyronnes, de Guil­ laume d'Alnwick, d'Anfred Gontlcr, c’est sur la théo­ rie scotistc des décrets déterminants et de la déter­ mination de l’acte humain par la volonté divine, qu'il se fonde. Voir H. Schwamm, Dus gOttliche Vorherwissen bel Duns Scelus und seinen erslen Anhângern. Son originalité toutefois demeure grande, dans la mesure surtout où il a poussé cette doctrine jusqu’à scs consé­ quences extrêmes. Sa thèse fit sensation, si lui-même ne fit pas école à strictement parler. De son influence témoignent deux documents très nets. L’un, du domaine litté­ raire : Chaucer, qui, dans ses Canterbury Talcs (vers 1386), ne peut s’empêcher de le mentionner et de ré­ sumer ses thèses (Nun’s Priest Tale). L’autre, d'ordre théologiquc : trois manuscrits parisiens delà Nationale, lat. 16 108, 16 409, 16 535, se font l’écho de discussions assez vives qui sc tinrent à Paris vers 1358, à ce qu'il semble, puis en 1374, et dont la doctrine de la causa­ lité divine, de la prédestination, de la liberté humaine sous l’action de Dieu font le principal objet. Brad­ wardinc y est cité, admiré ou combattu. On y peut relever, parmi scs partisans, un Jacques de Moret, un Étienne de Chaumont, un Simon Fréron, un bache­ lier des frères mineurs, sans parler de tout un traité semblable à celui que d’Argentré a cru devoir attri­ buer à Jean de Mirccourt, Collectio judiciorum, t. î, p. 345 sq. Ce dernier nom, comme celui de Nicolas d'Autrecourt, voir ici t. xi, col. 561-587, sont d'autres témoins de son influence profonde; car parmi les thèses qu’ils furent obligés de rétracter à Paris, le premier en 1347, Chartul. Unit). Paris., t. n, p. 610613, le second en novembre 1347, bien des proposi­ tions sont empruntées à Bradwardinc, par exemple, pour Jean de Mirccourt, les art. 9-17, 32-39; pour Nicolas, la proposition 14. On retrouve semblable Inspiration dans les thèses de l'augustin Gui (faut-il dire plutôt Gilles de Medonta?) condamnées le 16 mai 1354. Chartul. Unio. Paris., t. m, p. 21-23. Ceux qui s’inspirèrent de sa doctrine ne sc portèrent pas tous aux extrêmes comme ceux-là. On trouve en effet dans son entourage un Richard Fltz-Ralph, le futur primat d’Armagh; un Jean de Baconthorp, canne, son compatriote, contemporain et ami même, qui ne le suivit pas d’ailleurs en tous points; plus tard François de Pérouse, O. M.; et, chez les augustlns, Grégoire de Rlminl. Par contre Bokingham, Uugolln d'Orvlcto, Aston, Braquln, plus tard Jean de Ripa, Pierre Plaoust s’opposèrent vivement à ses thèses. Son rôle dans le mouvement des Idées se ramène surtout à deux points : Il n posé à nouveau, avec une acuité plus grande que Jamais, le difficile problème de la conciliation de la liberté humaine et de la toutepuissance divine. A partir du De causa Del, les dis­ cussions rebondissent et ne cessent plus guère. Il a 772 aussi et surtout frayé les voies aux solutions extrême*. Son augustinisme excessif, nu service duquel il a mil les ressources de toute sa dialectique cl de sa méta­ physique, sera repris par Wyclcf et plus tard par Lu­ ther. Le premier n'a pas dû suivre les cours du Doctor profundus puisque, quand il arriva à Oxford, vra 1340, Bradwardinc se trouvait sans doute sur le con­ tinent, pour revenir ensuite à Londres; mais il connut sa doctrine et bientôt son ouvrage. Il s'en est large­ ment inspiré pour tout ce qui était de scs thèses déter­ ministes. On sait que Wyclcf poussa plus loin, car selon lui le déterminisme affecte Dieu lui-même et, pour ce qui est des créatures, il prétend, sans aucune d« restrictions admises par Bradwardinc que le détennlnlsmc est universel : Omnia quæ eoeniunt, de necessi­ tate eoeniunt, thèse que le De causa Del rejetait comme hérétique. L. III, c. xn. Sur certains points, par con­ tre, Wyclcf est moins absolu que son modèle quand II reprend, par exemple, la possibilité du mérite de con­ gruo. Il ne se soucie guère non plus du problème de la justification par la fol. Par contre, il rejoint Bradwordinc dans la thèse que celui-ci avait énoncée sur le caractère mortel ou véniel des fautes, selon qu’elles émanent des réprouvés ou des prédestinés. Trialogus, 1. III. <·. v-vi. Quant à Luther c’est, semble-t-il, par le double canal de Wyclcf, d’une part, et de Grégoire de Rimini, de l'autre, qu'il peut sc rattacher à Bradwardinc. Scs relations avec Wyclcf n'ont pas été complètement élucidées encore; elles sc trahissent à certains aveux de Luther, comme en son Assertio de 1520, où 11 dit que nulli est in rnanu sua quippiam cogitare boni oui mali, sed omnia ut Viglephi articulus Constant ut dam­ natus recte docet, de necessitate absoluta eoeniunt. D’autre part, Grégoire de Rimini, le Doctor authenti­ cus, qui mourut en 1358 général des ermites de SaintAugustin, dut, entre tous les théologiens nugustinlcns, exercer une influence profonde sur Luther; d’autant plus profonde qu'au sein de l’ordre il avait moins à s’en méfler. On a vu comment Grégoire, contemporain de Bradwardinc, avait admis la thèse déterministe de celui-ci, encore que sur certains points il ait atténué les rigueurs de son augustinisme et fait des concessions nu semi-pélagianisme. Il est probable que, par cet intermédiaire, les doctrines de Thomas contribuèrent à l'élaboration des thèses de Luther, tout particu­ lièrement celle du serf arbitre. Leibniz plus tard citera Bradwardinc, mais pour le combattre : « Je suis très éloigné des sentiments de Bradwardinc, de Wyclcf, de Hobbes et de Spinosa qui enseignent, ce semble, cette nécessité toute mathéma­ tique que je crois avoir suffisamment réfutée et peutêtre plus clairement qu'on a coutume de faire. · Théo­ dicée, î, 67. H. Savile, Intend. à l'édition du De causa Del; XV.-T. Hook, Lives of the archbishops of Canterbury, Londrv*, 1865, t. iv, p. 81 sq.; G. Lechner, De Thoma UraduOrdino commentatio, Leipzig, 1865; K. Werner, Der AugustlnUnuu des spdtrrrn Mittrlaltm, Vienne, 1883, p, 282 sq.; XV, Ste­ phens, dans Diction, nf nut. blogr., t. VI, p. 188-100, Londrrt, 1886; S. Hahn, Thomas Hraduuirdlnus und seine Lchrr i*on der menschlichen WiUensfrelhell, Munster, 1005, dans Bel· trdge zur Gesch. der Philosophic des M.-A., t. v, fnsc. 2; E. Portallé, Augustinisme (Développement historique de Γ), Ici, t. !, col. 2536-2539; K. Michalski, Les courants philoso­ phique à Oxford et d Parts pendant le XtF· siècle, Cnicovie, 1922, p. 69; M. De Wulf, Histoire de la philosophie médU· vale, 1925, t. n, p. 220-222; .l.-F. Latin, Hccherches sur Thomas de üradivardin précurseur de Wlcllf, dans Revin d'hist. el de philos, religieuse, t. ix. 1929, p. 217-233; I. -.i. Churchill, Rraduxtrdlne (Thomas de J, dans Dlctlonn. d'hist. el dr q6qqc. ecclésiasliqur. 1937, t. ix, col. 345 sq.; IL Schwamm, hfagister Joann is de Hipa,.. doctrina de prs'· scientia divina, Rome, 1930; le même, Das gôttUche VorherI tolsscn bei Scotus und seinen crslen Anhangern, Inspmck, 773 THOMAS BHADWAHDINE — THOMAS GALLES 1934; B.-M. Xlbcrln, Iragmrnts d'una questio Inedita de Γο ηαι Hraduuirdin, dom Au* der GclstesunU des Mlllrlallrrt, t. n, p. 1169-1180; Unbcrwcgs-Gcyer, Grundrlss der GrichMitr dtr Philosophie, 1928» t. Il» p. 622 et 788. P. Gloiiikux. 6. THOMAS DE CHARMES. —Né A Charmevsur-Moselle en 1703, il entra chez les capucins de Lorraine et y exerça les fonctions de lecteur en théo­ logie, de définiteur et de custode général. Il mourut Λ Nancy le 3 janvier 1763. Théologien insigne, il publia un manuel célèbre : Theologia universa ad usum sacra thcologiæcandidatorum. Nancy, 1750, 6 vol. L'ouvrage» dédié à Benoît XIV, eut rapidement plusieurs édi­ tions, trois à Nancy, trois A Augsbourg et une à Venise. Thomas de Charmes donna ensuite un précis de son cours sous ce titre : Theologia redacta in compendium per interrogata et responsa ad usum examinandorum, Nancy, 1755. 2®éd. 1760. Les trois premières éditions de Nancy furent honorées de deux brefs apostoliques de Benoit XIV (1751, 1755) et d'une lettre de Clé­ ment XIII (1761). Ccs premières éditions seules con­ tiennent le texte authentique de Thomas de Charmes. Dans les éditions ultérieures, qui se sont multipliées en Allemagne, en Italie, en Espagne et en France, des modifications profondes ont été introduites selon les systèmes théologiques en faveur. La 4· édition d’Augsbourg (1780) sc présente comme corrigée juxta S. Au· gustini principia, ainsi que les éditions de Sienne, de Florence et de Macerata. Thomas de Charmes soute­ nait le molinisme; U adhère ici au bannésianisme intégral. Les éditions plus récentes ont de préférence modifié la théologie morale et Font ramenée aux prin­ cipes de saint Alphonse de Ligori; quant à la théologie fondamentale, elle a été refaite d’après Perrone. Cette recension nouvelle a été publiée A Paris en 1858 par M Albrand, supérieur du séminaire des Missions étrangères et rééditée par des professeurs du séminaire de Snint-Dié, Paris, 1872. puis par l'abbé Desorges, Paris, 1886. Le Compendium, également modifté, a été édité A Madrid en 1824 et ù Milan en 1872 par le P. Mariano de Novarin, O. M. C. Thomas de Charmes n’adhère rigoureusement A au­ cune école théologiquc, mais fait une grande place à saint Chômas. Si ses préférences vont au molinisme dans le problème de la grâce, « H prend soin de mon­ trer que l’école thomiste ne représente pus la pensée du Docteur angélique sur ce point ». En théodicée il admet l’idée innée de Dieu et accepte en substance l'argument de saint Anselme; il sc refuse A admettre la distinction formelle de Duns Scot. D’accord avec la plupart des théologiens franciscains de la seconde partie du xvin* siècle, il soutient avec insistance le probabil lorismc. Thomas de Charmes laisse entendre qu’il admet personnellement l’Infaillibilité du SaintSiège, mais il se borne A proposer la simple inerrance de fait. La Theologia universa n’offre donc point des thèses neuves mais une exposition théologique solide et claire, adaptée A l’enseignement, ce qui explique son rayonnement pendant près de deux siècles. F.-X.de Feller, Diet, historique, 8· éd.»Paris» 1836, t. xix. cul. 415; .Îenn-Mario do Hatlsbonnc, O. M. G.» Appendix ad bibliothecam nrrtptnrum capucclnorum, Home» 1852. p. 38; Hurler, Nomenclator, 3· éd.» t. v, col, 16; P. Mario-Benoît, <). M C.. vues, il ne voyait pas d’un bon œil Thomassin au séminaire Saint-Magloirc ; il l’engagea, sous le prétexte d'avoir plus de temps pour composer ses ouvrages, à aller demeurer à la maison de la rue Saint-Honoré; mais, à peine arrivé de quelques jours, Thomassin n’y voulut plus rester parce qu’il n’avait pas de jardin pour s’y promener selon son habitude; il vint donc à la · maison d’institution », aujourd’hui infirmerie Marie-Thérèse, où il demeura seize années de suite jusqu’en 1689, < avec une telle régularité ct tant d’édification qu’il la dédommagea amplement de la brèche faite à scs statuts pour lui faire avoir une place. C'était l’homme du monde le plus exact. Qui l’a vu un jour, l'a vu tous les jours de sa vie. Après l'oraison ct la messe il don­ nait quatre heures à l'étude, trois heures l'après-dlner. jamais davantage; jamais d’étude la nuit, ni à l'issue de scs repas ». Batterel, op. cit., p. 492. Il disait son office ct remplissait scs autres devoirs religieux tou­ jours à la même heure Nul n’élalt plus ménager de son temps ct ennemi des visites; c’est à cette régula­ rité que nous sommes redevables des nombreux ou­ vrages qu’il a composés ct qui, à peu près tous, ont été publiés pendant son séjour dans cette maison. Il ne devait la quitter en 1690 que pour retourner à Saint-Magloirc, où il mourait le 24 décembre 1G95 à l’âge de 76 ans; il en avait passé 63 dans la congréga­ tion . IL Les dogmes tiiéolooiques. — Bien que l'Ancienne et nouvelle discipline... ail été publiée en 1678, avant les Dogmata theologica, ct quelle soit regardée comme le chef-d'œuvre de Thomassin, il faut parler avant tout de ce grand ouvrage qu’il avait commencé trente ans auparavant à la demande de son supérieur général le P. Bourgoing. Le 1.1, De incarnatione aurait dû venir après le traité De Deo; mais Thomassin ra­ conte que, commencé plus tard, il avait été terminé le premier ct depuis vingt ans qu’il attendait « il était en danger de pourrir dans une armoire ou d’être mangé des vers ». Préface, n° 3. Dogmatum theologicorum prior prodit de Verbi incarnatione, tomus unicus, Paris. 1680, in-fol., 922 p. Le t. n. De Deo, Deique proprietatibus, Paris. 1681. in-fol.. commencé trente ans plus tôt. avait été plusieurs fols interrompu; le l. m. Paris, 1689 in-fol.· contient : 1. Prolegomena; 2. De Trini­ tate; 3. Consensus Scholar de gratin... Traduction latine des Mémoires. Dissertationes. L’ouvrage a paru en 2· édll., Venise, 1730, 3 vol. in-lol., et a été réimprimé par Vivès, Paris, 1867-1870, 6 vol. in-4®. plus un vo­ lume d’index. Ces deux éditions ont conservé la dis­ position primitive. 11 faut donc, pour avoir l’ordre logique, commencer par les Prolegomena, t. ni, revenir uu t. π, De Deo, ct continuer par le t. m» De sanctis­ sima Trinitate, achever par le t. i, De incarnatione Verbi ct lu fin du t. m. De consensu. Le P. Pclau, voir ici t. xn. col. 1313 sq.. avait donné un ouvrage consi­ dérable du même genre, 1641-1650. Loin d’en être gêné. Thomassin crut honorer la mémoire du savant jésuite en continuant son plan cl en suivant ses traces; la différence entre les deux c’est que « le premier a eu la gloire d’avoir traité cette mal 1ère importante en excellent historien, cl le second d’avoir pénétré heu­ reusement dans ce que les mystères ont de plus caché ct de plus sublime, surtout à l’égard de l'incarnation, a 791 THOMASSIN. LES DOGMES : PROLÉGOMÈNES 792 où Ton ne peut voir sans être ébloui les rapports, les celte parole est dure et quo tu ne la comprennes pu, convenances, les desseins, les vues et les autres mer­ qu’elle soit dure pour l'impie, mais qu'elle soit amollie veilles qu’il y découvre ». Gloyseault, op. ci/., p. 168. pour toi par la piété. » Enarr. in Psal., r/r, 23, cité Thomassin commence sa préface en faisant du P. Petau c. xv, 4. < Ce n'est donc pas l’ignorance qui fait l’bài un magnifique éloge : « Le premier dc tous, Denys tique, mais la défense obstinée de l'erreur »,c. xvn. 8, Petau, lumière incomparable dc la très illustre société l’auteur apporte pour le prouver dc très beaux textes dc Jésus, a commencé cc grand et très beau travail dc dc Facundus en particulier cl de Pierre lo Vénérable publier l’ancienne théologie des Pères dc l’Église et Ibid., n. 13. dc mettre en quelques volumes toute la richesse des 2. Cc qui vient d'être dit est la condition de la foi, saints Pères cl des conciles généraux. Seul Petau était qui s'appuie sur l'autorité des Écritures et dc la Tra­ capable dc concevoir, de commencer, dc perfectionner dition, mais avant tout cl directement sur celle de et d’achever ccttc œuvre si importante. » Préf., i, t. i. l’Église. Thomassin consacre les c. xi-xvi à l’Écrilure Avant eux Maldonat l'avait essayée. Voir ici, t. ix, | exempte d'erreur en elle-même, mais quelquefois mal col. 1772; quelques années avant Thomassin, le interprétée par les hérétiques. Il faut avec Augustin P. Jean Morin l’avait réalisée pour le sacrement dc la rapporter tout entière à Noire-Seigneur : « Rame· Pénitence. Voir ici, t. x, col. 2486. Après eux en 1700, nons-la toute au Christ, si nous voulons suivre le che­ le P. Annal, dc la doctrine chrétienne, devait la con­ min dc la droite intelligence; ne nous éloignons pas de tinuer dans Apparatus ad positivam theologiam metho­ la pierre angulaire, pour que notre intelligence ne dicus. Par la suite, les théologiens du xvm· siècle. tombe pas en ruine. » In Psal. xevi, 2, cité, c. xi,6. Tourncly, Billuart sc trouveront obligés de joindre des Elle suppose en nous la charité pour être bien com notions historiques à leurs démonstrations scolasti­ prise et elle la développe. C. xu. Les écrivains ecclésiastiques qui représentent h ques. Tombée dans l’oubli au cours du xix® siècle, la Tradition ont pu errer sans être hérétiques, parce méthode créée par ccs grands hommes reparaîtra aux dernières années du même siècle et sera assez forte qu’ils ont accepté les critiques des autres : Alhannsca corrigé Denys d'Alexandrie; saint Basile a fait de pour empêcher la crise moderniste dc faire le divorce même pour Grégoire le Thaumaturge, etc. C. xvn· entre la théologie et l’histoire. 1° Prolegomena (t. m : xlvi ch., 176 p.). — Pour Tho­ ΧΧΙΠ. Aussi appartient-il à l’Église d’interpréter les Écritures en dernier ressort, c’est à elle en définitive massin, la théologie est la science des choses divines, qu'il faut avoir recours. Tertullicn le constatait déjà. non pas la science acquise simplement par la raison, • A qui appartiennent les Écritures? et la fol, de qui estmais celle qui a pour principe la foi. Aussi demandeelle émanée, par qui, quand et ô qui a été donnée h t-elle des dispositions du cœur : sa théologie est ô la doctrine qui fait les chrétiens? » De pr&scrip., c. xvin fois Theologia mentis et cordis. 11 faut chercher Dieu et xix, cité c. xm, 5; Écriture et foi appartiennent a par la piété, non par la curiosité; si on le cherche, on l’Église romaine « fondée par les apôtres, mère de trouve; si l’on a soif, on boit; si l’on a faim, on le toutes les autres ». ibid., xx. C’est le principe qui goûte. Il faut commencer pur croire et l'on comprend ensuite : · La foi cherche et l’intelligence trouve... mais réglera les discussions. Par ailleurs, le consentement elle cherche dc nouveau celui qu'elle a trouvé. » unanime des Pères manifeste la vraie foi, quel’Église définit quand elle le croit opportun. Voir de nom S. Augustin, De Trin., 1. XV, c. n, n. 2, cité, c. !, 4. breux textes rassemblés, c. χιχ-χχιι, xxiv, xxvi, Mais plus encore la charité cherche et trouve : < Arrière donc l’obstination dans la contention; mais que soit XXVI!. 3. Quand l’Église déduit un nouveau dogme, elle ne présent le soin dc rechercher, l'humilité dc demander, la persévérance ù frapper ·. S. Augustin. De Gen. ad le crée pas, mais elle manifeste la tradition qu elle ne reproduit pas dans les memes termes, ni en terme» lilt.,1. X, c. xxiii, 39, cité, c. i, 4. immuables : < Bien que, écrit saint Irénée, il y ail dans 1. Ces sentences de saint Augustin forment comme l’argument des six premiers chapitres et sont corrobo­ le monde des manières différentes de parler, il existe cependant une seule puissance de tradition. » Conf. rées par un grand nombre de citations empruntées ù Augustin lui-même, aux Pères grecs et aux Pères hæres., I, x, cité c. xvm, 2. Cette force qui réside dans latins; parmi ces derniers, sont cités, entre autres. Jé­ l’Église désigne une connaissance toujours vivante : révélée d’abord par Jésus-Christ aux Apôtres et ré­ rôme. Grégoire le Grand, Cassien, saint Bernard,Pierre pandue par eux, elle est conservée par l’Église. U le Vénérable; parmi les Grecs : Clément d'Alexandrie, tradition est donc bien la vivante continuité du dogme Origène, Jean Ghrysostomc, Grégoire de Nazianze. gardée par l’Église : « Des Églises répandues sur toute A propos d'Épiphane, est faite cette remarque, qui la terre, saint Irénée enseigne qu'elles ont reçu la pré­ pourrait être répétée, que, dans toute intelligence bien disposée, la connaissance du dogme intéresse la vo­ dication et la foi qui leur est arrivée par la parole ou lonté : · Éplphane l'affirmait après en avoir fait l'expé­ par l’Écrilure depuis le Christ el les apôtres cl elles rience, la connaissance des dogmes divins ne doit pas l’ont conservée intacte par le consentement admirable être décharnée et aride mais parfumée d’une certaine dc tous, dc sorte que ceux qui ont un seul cœur, une suavité, si du moins elle découle de la fontaine dc la seule ûme, ont une même manière de parler. » C. xvm, théologie chrétienne ». C. v, 1. Tout sc ramène au mot 2. Voir les textes sur lesquels 11 s’appuie surtout dan» d’Augustin : < On ne pénètre dans la vérité que par ce chapitre; mais de xm à xxxiv, l’abondance suret l'amour. » Cont. Faustum, xxxn, 18, cité dans Con­ sujet est telle, le choix si judicieux qu’on peut les sensus, Prie/, n. 29, in fine. i considérer comme à peu près complets. Il répond par Par conséquent, l’hérésie provient de rattachement lù aux deux objections de l’immobilité de l’Église el à sa propre pensée, dc la trop grande confiance en sol, du changement. Voir De Deo, 1. IX, publié en 1684, et autrement dit dc l’orpucil; il n’y a point d’hérétiques Prolegomena, t. ni, publiés en 1689. qui s'appuient sur l’Ecrilure comme maîtresse de foi 4. Thomassin étudie ensuite le profit que la théologie el dc charité. C. xm-xv. Thomassin cite là-dessus peut tirer et a tiré en effet dc la philosophie, et surtout plusieurs textes d'Augustin, en particulier le com­ dc celle de Platon : saint Augustin y a appris ù mieux mentaire du Durus est hic sermo dc saint Jean et la parler du Verbe divin, des natures Incorporelles; il réponse de saint Pierre : · A qui irions-nous? N'avez- sen flamme pour la sagesse en lisant VHortensius do vous pas les paroles dc la vie éternelle? » : « 11 ne com­ t.icéron. C. xxxv, 4, 7. Lactance trouve Pluton prenait pas encore; mais il croyait pieusement que les omnium sapientissimus, c. xxxvi, 1 ; saint Ambroise paroles qu’il ne comprenait pas étalent bonnes. Si donc I méprise la philosophie, mais seulement < celle qui est 793 THOMASSIN. LES DOGMES : DIEU étrangère étrangère aux choses divines, qui se lie à la raison seule », n. 2; Claudlcn Mamcrt attribue à Platon une connaissance dc la Trinité, n. 4 ; Clément d’Alexandrie admire la philosophie platonicienne, pour avoir été l’éducatrice des païens et les avoir conduits au Christ comme la loi Juive lit des Hébreux, n. 6; d’autres au contraire comme Jean Ghrysostomc montrent plutôt la faiblesse dc la philosophie païenne, l’accusent d’avoir posé les principes des hérésies. Les arts libéraux servent aussi dc secours cl d’orne­ ment dans l’expose dc la théologie : les poètes, les orateurs, les philosophes, les historiens sont très utiles pour former les bonnes mœurs, c. xu, 1-2; Orlgènc les considérait comme un chemin qui conduit à la vérité. Saint Augustin s'est repenti dc les avoir culti­ vés avec trop de passion, mais il reconnaît en avoir beaucoup profité. C. xliiî, 1-4. Le but dc Thomassin est · de ne rien Ignorer dc ce qu'ont écrit dc vrai les philosophies étrangères au christianisme et dc les faire rentrer à cc titre dans la philosophie chrétienne ». Louis Ixscœur, La théodicée chrétienne, p. 311. La théologie scolastique s'est attachée davantage à Aristote d’une part cl aux Pères latins ensuite, plus spécialement à saint Augustin qui « est regardé avec raison comme le prince et le maître dc ceux qui ont traité de la théologie par l'expérience et la raison... Il n’a pas seulement rassemblé les témoignages des Pères, Il les a expliqués, leur a donné dc la vigueur, a réuni toute leur doctrine comme dans un compen­ dium ». C. xlv, 8. Thomassin connaît et cite parmi les philosophes païens, non seulement Platon, Anaximène, Thalès, Éplcurc, les stoïciens, mais ceux qui sont contemporains dc l’èrc chrétienne, Philon, Plotin, Pro­ clus, Jamblique. Il ne se borne pas à enregistrer leurs témoignages, cc qui serait contraire à toute philoso­ phie, mais il analyse et discute des textes innombra­ bles cl’ souvent obscurs : cartésien décidé, mais restant fidèle au respect dc la tradition, il comprend, à une époque où · le vrai seul est aimable », le grand rôle dc In sensibilité et même du mysticisme dans l'ordre des conceptions philosophiques et, pour lui, < toute science dc l'infini commence cl sc termine par un acte d’ado­ ration ». Lescœur, op. cit., p. 287. 2e De Deo Dcique proprietatibus. — G'est dans cc traité que Thomassin peut suivre plus complètement qu’aillcurs le programme qu'il s'est tracé de ne négli­ ger aucune lumière d’où qu’elle vienne, il montre comment et Λ quel degré les fondateurs de la philoso­ phie chrétienne ont accepté ou subi l'in fluence du platonisme, cc qu’lis en ont rejeté. 1. Le 1. Ier traite dc Γexistence de Dieu. — Pénétre des idées d'un siècle, qui croit Λ la matière moins qu’à l’esprit et ne donne aux sens qu'une autorité dou­ teuse, il expose la preuve psychologique et métaphy­ sique avant la preuve cosmologiquc. Il commence par citer un très grand nombre dc textes des Pères et particulièrement d'Augustin qui prouvent que nous avons tous une connaissance naturelle dc Dieu; cet enseignement, qui occupe une grande place chez saint Anselme et chez le grand nombre des docteurs anté­ rieurs au xm· siècle, n’est pas dans Petau. Thomassin paraît avoir voulu réparer cette omission et les huit premiers chapitres de son 1. Ier parlent ■ dc colle connaissance do Dieu innée ou naturelle dc tous les hommes ». Qu'en ont pensé les philosophes païens? Il clic Platon, Plotin, Maxime de Tyr, Simplicius, Sallustc et conclut avec eux : < Tout amour du bien, quel qu’il soit, n'est pas tant un amour nouveau que le réchauffement d’un amour très ancien pour le sou­ verain bien, qui couvait sous la cendre; ni une exhor­ tation ou une provocation à aimer cc souverain bien, mais comme un vestige el une étincelle survivante a l’incendie do ce souverain bien autrefois aimé. » !.. I, 794 c- if, 7. Les Pères dc l’Église le concluent de l'idée de la félicité première ; ainsi Boècc, Catsiodore, Grégoire le Grand, Augustin; de ce que, à travers des diversités dc détail, le genre humain a cru à l'existence d'un seul Dieu; dc cc que tous nous désirons le bonheur el cher­ chons la Justice : < De même qu'il est certain que nous voulons être heureux; dc même, il est certain que nous voulons être sages, parce que nul ne peut être heu­ reux sans la sagesse. » S. Augustin, De lib. arb., L II, c. ix, cité, c. v, 2. — Il le conclut du jugement par le­ quel nous discernons le Juste de l'injuste; de la loi naturelle inscrite dans tous les cœurs; de la parenté dc notre esprit avec Dieu : nous avons l'idée de l'infini, dc l'immense, dc l'étemel, du souverain pariait : c'est l'argument de saint Anselme. I-es textes occupent les c. i ά vni. La non existence de Dieu ne se comprend pas; l'athéisme, dit saint Anselme, c'est l’inintelligible. G. xvi, 2. Et même, malgré les nuages qu’assemblent nos passions, tous les hommes possèdent à des degrés divers la vision de Dieu; ils peuvent ne pas s'en rendre compte, mais la connaissance que nous avons dc Dieu est plus certaine, plus profonde et plus réelle que celle que nous avons de nos proches, parce qu'elle est sans intermédiaire. Il pense, avec Augustin, qu’entre notre esprit par lequel nous comprenons le Père et la vérité, c'est-à-dire la lumière intérieure par laquelle nous le comprenons, aucune créature n’est interposée. L. Ill, c. vu, 1. L'âme peut toutefois refuser de rentrer en elle-même : « Vous étiez au dedans et moi dehors et c'est là que je vous cherchais... vous étiez avec moi et Je n'étais pas avec vous. » Conf., 1. X, c. xxvii, cité, 1. I, c. xvn. Cependant, l'homme créé pour voir Dieu, y aspire constamment : « Vous nous avez fait pour vous et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne sc repose pas en vous. » Con/., 1. I, c. i, 1, cité, I. VI, c. vu, 4. Tout ce c. vn contient un grand nombre de citations sur ce sujet. Comment expliquer celle connaissance naturelle dc Dieu. 11 y a beaucoup dc moyens, et quatre sont cités : a) La réminiscence platonicienne obscurcie en nous par les fantômes des choses sensibles, mais Jamais clTacéc : l'œuvre dc la philosophie est dc la ré\ciller par l'admiration cl l’amour. — b) Les notions impri­ mées par Dieu en nous : « certaines idées qui sont Ins­ crites dans les âmes naissantes et qui passent de la main dc Dieu créateur dans lo corps. » L. I, c. xx. 1. Aussi l'auteur n'admet-il pas l'adage : Nihil esse in intellectu quod non prius fuerit in sensu. Il faut, dit-LL * abandonner tout à fait el rejeter dc l'esprit des théo­ logiens catholiques cc préjugé... » L. I, c. xiv. I. En effet, ajoute-t-il» « la connaissance dc Dieu est dans l’esprit dc tous avant aucune expérience des sens cor­ porels... soit que ccttc connaissance reste chez les chrétiens un souvenir de notre étal primitif avant le péché, soit qu’elle provienne de l'impression produite vn nos âmes par Dieu créateur, ou qu elle soit en nous la manifestation même dc Dieu. Quoi qu’il en soit, il est quelque chose dans l'intelligence qui n’est point passé par les sens ». Ibid. — c) La substance même de l’âme « qui, à sa façon, est essentiellement tout, qui en prenant conscience d elle-même et en secouant les libres dont clic est enveloppée, comprend tout l'intel­ ligible. » L. I, c. XX, L - d) Le rapport, l’union cons­ tante entre elle et l'absolu, car toujours l’absolu est présent à l’âme. Ibid. D’après cela, l'existence de Dieu n'aurait pas besoin d’être démontrée. Thomassin donne cependant la preuve cosmologique. L. I. c. xxi-xxv. — a) Aussi bien, depuis le péché, l’âme peregrinatur et scipsam fu­ git; par suite elle connaît Dieu au moyen du monde corporel plus que par elle-même; mais, au premier regard qu’elle jette sur cet univers si beau, elle com­ prend qu'il a été fait cl qu'il est administré par une sou- 795 THOMASSIN. LES DOGMES : vcralnc sagesse : textes de Minucius Félix, Lactance, Hilaire, Augustin, du pape Léon, de Boèce, de Paulin de Noie. — b) L’Ame s'élève du sensible nu dessus du sensible; elle comprend que ce qui est sensible est changeant; ce qui est changeant est caduc ct suppose l'existence de quelque chose d’immortel : · Voici le ciel ct la terre, ils crient qu’ils ont été créés; car ils sont sujets à changer. Or, tout ce qui est et qui n’a point été créé n’a rien en soi qui auparavant n’ait point été. » S. Augustin, Con/css.,\. XI, c. iv, cité, 1. I,c. xxn, 5.— c) Cette existence sc démontre encore par des règles immuables toujours évidentes A l'âme raisonnable ct qu'on appelle premiers principes des sciences : ils sont certains ct nous permettent de juger des choses, tandis que nous ne pouvons les juger eux-mêmes, ils nous dépassent de beaucoup ct ne sont autres que Dieu même. C. xxm. — d) L'Ame qui discerne ces vérités étemelles, immuables ne peut être elle-même qu’im­ mortelle. C. xxvi. En définitive, trois choses doi­ vent concourir à la recherche de la vérité : La raison ou profonde application de l'âme à s'étudier ellemême en s'isolant des sens; le sentiment qui s’exerce sur le monde extérieur, sur l’âme et sur Dieu ; l’amour, disait Platon, est un des signes du vrai philosophe; pour Thomassin, les idées Innées seraient bien mieux nommées des sentiments innés, « il vaut mieux par­ venir aux choses divines par l'amour que par la spécu­ lation »; enfin la tradition ou histoire de la philoso­ phie el de la théologie. 2. La nature de Dieu ne se connaît pas aussi bien que son existence. Nous « savons mieux qu'il est que ce qu'il est ». L. I, c. xvm. La vision surnaturelle seule peut nous faire connaître ce que Dieu est, autrement qu’en symbole et en énigme. Le 1. II est consacré à prouver l’unité ct la bonté de Dieu; · les mêmes arguments qui prouvent l’existence de Dieu établissent aussi son unité. Les Pères de l'Égiise, dont toute la philosophie fut une polémique contre les erreurs tant philosophiques que religieuses du monde païen, ont réuni tous les témoignages rendus par l’antiquité, même polythéiste, au dogme de l’unité divine ». L. Lcscœur, op. cit., p. 81. Malgré certaines apparences contraires, le monde a toujours admis l'unité de Dieu : ainsi pensent Tertullien, Cypricn, Minucius Félix. Lactance, etc. Avec des nuances diverses, ils disent avec Tertullien argumentant con­ tre Marclon : ■ Ou II faut admettre l'unité de Dieu, ou il faut admettre des dieux innombrables. Car le nom­ bre découle immédiatement de l’unité. » C. n, 7. Tho­ massin fait alors une longue ct minutieuse analyse des opinions des philosophes platoniciens sur 1'1 Jn, dernier terme de lu dialectique, sur l'Un supérieur A l'être ct à l'intelligence : < On ne peut trouver, dit-il, de preuve plus inébranlable de l’unité du vrai Dieu que de dé­ montrer epic Dieu est l’unité même ou l'Un absolu. » C. iî, 1. Il montre que les Pères ont su tirer de ces opinions des païens tout ce qui est compatible avec la saine philosophie ct avec la religion chrétienne. Il admet avec eux que, « si les Hébreux, instruits par les prophètes, étaient chargés par Dieu de préparer la fol du monde à l'humanité du Christ, les philosophes avaient reçu de Dieu la mission de préparer la croyance à sa divinité ». C. v, 5. L’infinité de la nature de Dieu en prouve l’unité et aussi la bonté; le c. vit a pour litre : · Dieu est le bien lui-même, le souverain bien, l'être un est l’être bon; il est au-dessus de l’être, au-dessus de l’intelligence. · Platon émet souvent cette Idée que le premier principe est le souverain bien, que le bien est le père de la vérité el de l'intelligence comme le soleil est le père de la lumière; mais II est à peine visible, ct l'on ne peut Γapercevoir que comme cause ct principe ct de la vérité qui est vue el de l'intelligence qui volt. C. vu, l. DIEU 796 Avec des nuances diverses, les Pères ont exprimé lt< mêmes pensées. Pour Augustin, < le nom propre de Dieu, c’est le bien absolu; tout ce que nous almon* dans les créatures, c'est le bien; mais il est manifeste que toutes les créatures n'ont pas le bien en soi, dln ne l'ont que par participation. Il n’y aurait pas de biens sujets au changement, s'il n'y avait un bien immuable. Si nous pouvions apercevoir ce bien mu lequel il n’y a point de bien particulier, ce bien uni limite cl sans terme, qui est la règle ct la mesure de tous les autres, nous apercevrions Dieu lui-même ». L. Lcscœur, op. cil., p. 96. C. vu, 6, 7, 8. Le mal n’est qu’une privation, il n'existe pas en sol, il ne peut exister que dans un sujet qui soit bon. Tout ce qui a vie, toute substance est donc bonne en quel· que chose; le mal n’est jamais à l’état pur, mais il ut toujours enveloppé dans le bien, enchaîné par lui comme un captif qui porterait des chaînes d’or. Le mal n'est qu’individuel, le bien est général. Dieu seul cd le bien pur. absolu, qui ne sc diminue point dans rapports avec les biens inférieurs toujours mébngês de mal. Si Thomassin passe du mal métaphysique au mal moral, c'est pour faire l'éloge de la liberté, » cette faculté qui aime à vivre dans la familiarité du bien, qui l’embrasse si étroitement, qui ne se plaît qu’au bien; qui rivalise en quelque sorte, par sa puissance propre avec la toute-puissance du souverain bien ». C. xn, 1. Vouloir la supprimer à cause du mal qui en résulte serait supprimer plus de bien que de mal. Et le vice, quel qu'il soit, est une fausse imitation du bien: l’or­ gueil est une ombre de la véritable liberté; la curioûté désire la connaissance; la volupté cherche le repos. La révolte contre le souverain bien tourne toujours à $s gloire; et le châtiment du méchant n’ôte rien à u bonté. 3. Dans le I. III, Thomassin considère Dieu comme l'être absolu; de tous les noms qu’on lui donne c’est le moins impropre, celui qu’il a révélé à Moïse, l-cs Pères grecs surtout sont unanimes â reconnaître que c’est 1.1 le premier et le principal attribut de Dieu ; il possèdeen lui, écrit l’Aéropagitc, < la totale plénitude de l’être », c. m, 5; il est la seule essence ou substance immuable. Les anges rebelles en s'éloignant de Dieu tendent sans fin el sans relâche au non-être; en tendant à Dieu au contraire, nous tendons constamment à être de plus en plus : « La vue de l’immutabilité, écrit suint Gré­ goire le Grand, nous élèvera au dessus de notre muta­ bilité, nous serons délivrés de toute corruption parla vue de l’incorruptible. » C. m, 15. Être de tous les êtres, Dieu est aussi la vérité abso­ lue, par conséquent le principe, le moyen ct la lin de notre intelligence; l'esprit en venant au inonde cherche la vérité comme l’œil cherche la lumière, il ne la trouve qu’en Dieu qui ■ rend les autres choses comprehend blés ». C. v, 12. Notre intelligence cependant garde son acte propre : · Thomassin trouve une heureuse expres­ sion pour résumer cette distinction importante des deux lumières qui président à toute opération Intellec­ tuelle; il appelle l'une lumen illuminans, c’est la lumière des idées en Dieu, l’autre lumen illuminatum, c’est la lumière de l’intelligence ou des idées en nous, lumière créée qui a sa fonction et son activité propre*. » L. Lcscœur, op. cil., p. 124. Il ne suffit pas de connaître Dieu, il faut s'élever à lui par l’amour parce qu’il est la beauté souveraine : < C’est l’étemel honneur de la philosophie platoni­ cienne de l’avoir pressenti, ct de la philosophie chré­ tienne de l’avoir mis en pratique... De même qu’il y a une première vérité par la participation de laquelle est vrai tout ce qui est vrai, il y a aussi une beauté premu re dont toute beauté n’est qu'une participation, toit par reflet, soit par image. > Ibid., p. 141. Suivent 797 THOMASSIN. LES DOGMES : DIEU pour l’expliquer et le prouver do belles citations du Phèdre, de la Hépublique ct du Banquet de Platon; de saint Augustin, de saint Grégoire de Nazianzc, du pscudo-Denys. Suprême beauté, Dieu est aussi l’amour souverain. Selon l’expression de saint Augustin, « les fidèles s'unissent ù lui dans l’amour... Que personne ne dise : Je ne sais qui aimer. Qu’il aime son frère cl il aimera l'amour même... Embrassez en Dieu l’arnour même et embrassez Dieu par l’amour. 11 est lui-même l'amour qui unit tous les bons anges ct tous les serviteurs de Dieu par le lien de la sainteté, qui les unit, eux avec nous ct nous avec eux, et nous soumet tous ù lui. » Paroles d’or, comme les appelle Thomassin, montrant bien que celui qui aime son prochain, non seulement aime Dieu, mais le comprend. C. xxm, 1. Ces considérations sc résument en ceci que Dieu est la vie absolue, < sans intermittence, sans défail­ lance et sans limites; cc que ΓÉcole exprime quand elle dit qu’il est acte pur». En disant cela, « on ne nie pas qu’il est une substance : il est à la fois substance et acte, Il est à la fois acte et substance ». C. xxvi, 8. Cette vie est féconde et. sans sortir de lui, Dieu engendre toujours la vie el il l’engendre dans l'intel­ ligence ct dans l’amour. 4. Si nous voulons pénétrer davantage dans la na­ ture de Dieu, nous ne pouvons procéder que par néga­ tion. — Thomassin consacre le 1. IV à l’aillrmcr à la suite de saint Anselme. — a) Quand nous parlons de la simplicité de Dieu, nous disons plutôt qu’il n'est < ni corps, ni corporel ». C. i. Saint Augustin fait honneur aux platoniciens d’avoir les premiers « dépassé tous les corps en cherchant Dieu ». D’autres mettaient le premier principe dans l’air, le feu, les atomes. Avec Augustin, « comprenons donc Dieu, si nous le pouvons cl autant que nous le pouvons, comme bon sans qua­ lité, grand sans quantité, comme étant partout sans être dans aucun Heu, éternel sans aucun temps ». C. m, 2. — b) Son omniprésence consiste en ceci, qu'il contient le monde; il n’est pas contenu par lui; il est en tout en cc sens que tout est en lui : « Dieu n’est pas tant partout qu'il n’est l’ubiquité même », 1. V, c. i, 10; il est présent substantiellement partout : < 11 est par­ tout ct remplit tout, comme l’unité, parce qu’il est le lien de toutes choses à lui-même el entre elles-mêmes; comme souverain bien en tant qu’il inspire à toutes choses l’amour du bien; comme l’être, puisqu’il pro­ duit ct conserve tout; comme la vérité en tant qu’il donne à tous les êtres l’objet de l’intelligence et aux esprits la lumière et les idées pour comprendre; comme beauté enfin, puisque toutes choses meuvent cl sont mues par l’amour de la souveraine beauté. » C. i, 9. Les Pères, spécialement Grégoire de Nysse ct Augustin, disent que Dieu est comme la main qui, après avoir tout créé, tient el conserve toutes choses. C. iv, 5, 8, 9. Mais il est plus présent dans les êtres raisonnables el dans l’âme des justes. Les anges, substances pure­ ment intellectuelles· ne marquent leur présence dans un lieu que par leur opération, mais ils ne peuvent agir qu’en un point à la fois, Dieu seul agit partout en même temps. C. v, 3. — c) L'immutabilité de Dieu, découle, scion les platoniciens, de son unité, mais cet attribut ne l’a pas empêché de créer dans le temps ni de traiter différemment les hommes : « Il n’est pas plus étonnant que l’immuable puisse faire tant de choses variables, qu'il puisse exister en tant de temps.» C. vi, 9. Ce (fui a été affirmé, soit par les philosophes, soit par les Pères de l’immutabilité divine a son fon­ dement dans J'Écritur© dont Thomassin cite les prin­ cipaux textes sur ce sujet. G. x, 19. Get le immutabi­ lité sc retrouve, quoique imparfaite, dans les œuvres de Dieu, dans l’âme qui est Immortelle, dans le corps lui-même qui ressuscitera incorruptible. · La chair 798 n’est pas seulement fiancée à l’esprit, mais elle lui est unie par une sorte de mariage indissoluble. » G. x, 17.— d) L’éternité, un des attributs que la philosophie ancienne a le mieux connu depuis Platon, est en dépen­ dance de son unité et de sa puissance infinie : · Dieu existe avant ct après tous les temps, non point par le temps, mais par l'éminence de sa puissance. » G. xi, 14. Elle diffère d’essence avec le temps, elle est tout à fait en dehors de lui; il y a entre eux une différence de nature non de degré : « Le temps c'est le nombre, l'éternité c'est l'unité; il est par rapport à l’éternité ce que la voix est pour l'intelligence. » C. xv, l. Boèce en donne cette définition toute platonicienne : Interminabitis vitre tota simul et perfecta possessio. 6. Le 1. VI, qui traite de la vision de Dieu, commence par poser la question du péché originel, entrevu par Platon, qui a déjà fort bien senti l’étrange ct visible anomalie de la situation de notre Ame vis-à-vis de notre corps et dont une chute primitive donne l'ex­ plication : « L’âme de l’homme a joui à son origine d’une vision claire de Dieu ct tel est l’enseignement de Platon. » C. i, arg. Et celte vue de Dieu, ou plutôt la contemplation de la vérité éternelle, est presque natu­ relle aux esprits éclairés ct aux âmes raisonnables. Thomassin le prouve par le rapport qui existe entre notre intelligence ct la vérité. G. n, L zKu moment de leur création, les anges ct les hommes ont reçu le don de la contemplation ct de la présence de Dieu si claire, si évidente qu’elle est appelée vision, jouissance, béati­ tude par les Pères. C. vi, 1. Ce qui en reste après le péché ressemble « au crépuscule qui termine un beau jour ou au point du jour qui annonce l'éternité; c’est pour cela que, même aujourd'hui, nous comprenons beaucoup de choses sans représentation imaginaire, sans le secours des sens ». C. xii, L 11 explique ainsi le ravissement en Dieu : l’âme reçoit alors une clarté rapide cl momentanée de la vision de Dieu. Les anges qui ont persévéré cl les âmes saintes qui ont dépouillé leur mortalité Jouissent de la vue do Dieu, «béatitude unique ct totale de la nature raisonnable », que lui confère lu possession du bien parfait. G. xiv, 1-2. Tou­ tefois, il y a des degrés dans la vision cl dans la jouis­ sance : les bienheureux voient tout en Dieu, dans le Verbe de Dieu; ils voient aussi les choses en ellesmêmes, les misères qui nous allligcnl, les tourments des damnés. C. xvn. Mais cette connaissance toujours négative équivaut à l’ignorance : « Dieu est au dessus de la vue, au-dessus de l'intelligence... Par conséquent, en voyant Dieu, nous ne le voyons pas. en le compre­ nant nous ne le comprenons pas. » C. xxi. 6. Voir aussi, 1. IV, c. vi, 7. avec la citation de saint Anselme el c. xn. 14. Sur la contradiction réelle ou apparente entre cc qui est dit ici sur la connaissance négative et certains textes où Thomassin semble admettre une connaissance positive de Dieu, voir E. Martin, Tho­ massin, dans Les grands théologiens, p. 56-412. 7. Dans le 1 \ II, consacré ù étudier lu science de Dieu, Thomassin commence par poser la question : • La science existe-t-elle en Dieu? * El il répond avec Augustin : la science de Dieu diffère tellement de la science humaine qu’il seruit ridicule de les comparu ; l’une et l’autre cependant s'ap]>clle science. » Ad Simplie., L II, q. il» 2, cité <·. i. 3; nous ne nom élevons de notre science à la science divine que par des néga­ tions, lui il est la Vérité même. Mais il ne faut pas st figurer · la première vérité comme quelque cbo.c d’oisif et de stérile, de languissant et de mort... Elle répand de tous côtés scs rayons el ses bienfaits, suit dans les choses, soit dans les intelligences ». C. i, G. Dieu ne cesse d’administrer toutes les natures qu’il a créées, il ne cesse donc pas de les connaître, d continue même de les créer. L’Écriture dit qu’il connaît les faits qui dépendent des êtres libres et les futur» contin- 799 THOMASSÎN. LES DOGMES : LA TRJN1TÜ gents; il sait beaucoup de choses qui ne sont point faites par lui : par exemple le péché ct, s'il prédestine, cc n’est pas à la faute, mais au châtiment, il fait le mal dc la peine, non du péché : · Tous les êtres viennent du souverain être ct tout cc qui existe, in quantum sunt, est bon ». C. vn, L Thomassin cite ΙΛ-dessus un grand nombre dc textes d'Augustin et d’Anselme. C. vin. Les volontés ne sont pas déterminées à consentir au mal; d’où la distinction admise par les Pères entre les actes que Dieu fait lui-même ct ceux qu’il permet : il est tout puissant parce qu’il donne toutes les forces, il ne donne pas les volontés, il n'est donc pas l'auteur du péché. C. ix-xiv. Il ne crée pas la volonté perverse mais il l'ordonne dans le sens d’ordinarc; pour le dire avec saint Augustin : « Dc même que Dieu est le créa­ teur excellent dc toutes les natures bonnes, il est l'or­ donnateur très juste, des mauvaises volontés. · De cio, Dei,\. XI, c. xvn, cité 1. VII, c. xv, I. Il le fait par des récompenses ou des châtiments ct sa volonté s'exécute toujours. Il convient d'ajouter avec le même Père que Dieu ne prévoit pas, il voit; il n'y a point pour lui, comme pour nous, d'avenir; sa science ct sa toute puissance sont compatibles avec notre liberté ct avec la contin­ gence des événements; mais, si les événements nous imposent des déceptions, ils ne peuvent en imposer à Dieu, l'ordre tel qu’il le veut sc réalise toujours : « 11 sait soumettre A l'ordre les âmes qui l'abandonnent ct, par les lois très bien adaptées ct très justes dc son admi­ rable providence, disposer les créatures qui, par leur juste misère, sont mises en état d'infériorité. » De cat. rud., c. xvm, 30, cité, c. xix, 12. Notre liberté ne dé­ range pas les plans dc Dieu : » Que les choses sc fassent ou qu'elles ne se fassent pas, elles tournent à la gloire dc Dieu ct rien n'est changé de l'ordre ct de la beauté de l’univers. » C. xx, 7. Elle n’est pas non plus amoin­ drie par scs desseins : < Il est de l'ordre ct c'est un effet dc sa bonté dc laisser toutes les natures agir selon leur propre génie ct d'y pourvoir de plusieurs façons selon leur diversité ». C. xxn, 9. Quant aux futurs simplement possibles ct qui ne seront jamais réalisés, ils ne sont pas l'objet dc la science dc Dieu : < Comment, dit saint Augustin, peuton appeler futur cc qui ne sera Jamais? » Epist., cxciv, ad Sixlum, 41, cité c. xxm, 1. Si l’Écriturc paraît attribuer celte science A Dieu, c’est que, s'adressant aux hommes, clic emploie un langage humain. Or « pour Dieu, il y a une très grande différence entre savoir ct parler; il sait pour lui-même, il parle pour nous; par conséquent sa science lui est appropriée, sa parole l’est à nous, il énonce des propositions, il expli­ que, il se sert dc métaphores. » C. xxm, 12. 3° Dc sanctissima Trinitate (t. m, après les Prole­ gomena). — 1. Démarqué préliminaire. — La raison pouvait avoir quelque chose A dire sur l'existence ct les propriétés de Dieu, la sainte Trinité est tout A fait au-dessus d’elle; elle la dépasse tellement que c’est folie dc vouloir la nier. Tant dc choses dans la nature qui ne sont pas des mystères restent inexpliquées, comment vouloir comprendre le divin? 11 ne faut pas prétendre en parler d’une façon pertinente : « Hare est l'Ame qui, si clic en parle, sache cc qu'elle dit ». S. Au­ gustin, Con/.,1. XIII, c. xi, cité c. m, 1. La difficulté de reconnaître trois personnes en un seul Dieu pro­ vient de ce qu’on sc fait une idée fausse de cette unité : « On dit un seul, non pas pour marquer le commence­ ment d’un nombre, mais parce qu'il est seul par son universalité; que seul il embrasse tout, seul il est tout, que par conséquent nul autre ne peut être Dieu et Père ». C. m, 8. Il est. dit Synésius, < la source des sources, le principe des principes, la racine des racines, l'unité des unités, le nombre des nombres », c. iv, 17; il convient d’en parler avec beaucoup de prudence. 800 car sur ccttc question. « toute notre théologie n’eU qu'un balbutiement ». C. xxix, H. Nom ne comprc nous pas, nous devons croire ct · par In foi atteindre l’impossible », comme dit Athanase. C. î, 3. «Cen'ed donc point par la dispute et la contention d’esprit, mais par la sainteté, la piété, la paix dc l’Ame, la modestie, la réserve qu'on en approche davantage, que la démonstration sc fait plus claire et plus évi­ dente... C'est A l’Ame qui 8'est éprouvée, qui fat exercée, qui s’est purifiée, que brillera plus clairement quelque chose dc ccttc très pure ct très divine lu­ mière. » C. m, 1, 2. Aussi bien, saint Basile et saint Jean Chrysostomc reprochent-ils aux hérétiques et en particulier A Eunomius dc considérer leur intelligence comme la mesure absolue do l'intelligible. C. î, 5-12. Or, Dieu est au-dessus de notre Intelligence ct les Pères, tant grecs que latins, sont unanimes à résener pour la foi l'étude ct la connaissance dc la Trinité C. ii-iv. 2. Notion. — Le point dc départ pour les écrivain! sacrés est celui-ci : Dieu est l'unité même, · mais celle unité ne nuit pas A sa fécondité puisqu'il est la plé­ nitude, ni A sa plénitude pour être divisée puisqu’il est l’unité. Le Fils ne reçoit pas en partie seulement la substance du Père parce que la propriété particu­ lière ct la nature dc cette substance c'est d’être la plénitude ct l'infinité ». C. v, 1. C'est là l'essence divine constituée avant tout dans une très opulente unité : « Mais 11 en résulte que ccttc unité excellemment sim­ ple se répand ou plutôt se dilate en trois personnes et en effet les personnes ne s'écoulent pas de l'essence divine, mais dc l'une d'elles en naissent deux ct de nouveau, il arrive, de ccttc unité dc principe, que et* trois personnes soient liées A cc Dieu un ct souverai­ nement un. » C. vu, 7. Saint Augustin est plus complet encore : < Il est dit du Père qu’il accomplit les œuvres parce qu'en lui est la source des œuvres dc qui les personnes qui coopèrent tiennent leur existence; parce que le Fils est né de lui et que le Saint-Esprit procède principalement de lui, dc qui est né le Fils ct avec qui le même Esprit lui est commun ». Serm. xi, Dc oerbis Domini, c. xvi, cité c. ix, 6. On ne peut pas dire que Dieu s'engendre lui-même, c. ix; il vaut mieux l'appeler Père que non engendré, c. x-xi; non seulement il n’est pas engendré, mais il est Père ct fécond dans son propre sein par qui tout est fécond. C. xn. Sans doute la raison ne peut trouver cela : « Mais, lorsque la religion n Insinué celte foi, que la piété, l'exercice, la méditation l’ont cultivée, sou vent alors une lumière «I intense, une clarté si brillante s'allume que désormais tout cc dogme ne s’appuie plus seulement sur la fol seule. » C. xm, 4. Les c. xiv-xviu sont consacrés A étudier les relations mutuelles des trois personnes : la seconde peut être appelée le Fil·, ct le Saint-Esprit procède dc l’un et de l’autre: le Père envole le Fils et tous les deux le Saint-Esprit. · Le Père est principe d’unité, le 1 ils principe d’égalité, le SaintEspiit principe d’union. » S. Augustin, Dr doctr. christ,, L L c. v, cité c. xxv, 3. 3. Essais d'explication (c. xvnr-xxxiî). — Thommsin pose ceci en principe : « Quelque lumière se lèvera pour expliquer In nature de la divinité de Dieu un cl trine, si nous en recherchons de splendides vestige* dans les êtres intellectuels d'abord, et ensuite dans lo choses matérielles. » C. xvin. î. Augustin en volt un symbole dans le fait d’être, de connaître ct de vou­ loir : « Ces trois choses ne font toutes trois ensemble qu’une même Ame, qu’une même vie ct une même nature Intelligente et raisonnable; et cependant il ne laisse pas d’y avoir entre elles de la distinction quoique cette distinction ne fasse pas qu’elles puissent jamais être séparées. » Con/., I. χίπ, c. xi, cité c. xvin, 1. Vivre, comprendre et vouloir ou aimer est 801 THOMASSIN. LES DOGMES : L’INCARNATION un autre symbole tout semblable; saint Ambroise relève In même similitude et ajoute que la mémoire sc rapporte au Père, l’intelligence au Fils, la volonté au Saint 1 > pi a. Ibid , 9. Autre comparaison : · Comme une fontaine qui déborde tout entière dans un fleuve, comme le soleil c