CENTURIES SUR LA CHARITÉ NIHIL OBSTAT : Lyon, 8 avril 1943 J. du BOUCHET, s. j. Præp. Prov. Ludg. IMPRIMATUR : Lyon, 10 avril 1943 ‘ A. ROUCHE v. g. SOURCES CHRÉTIENNES Collection dirigée par U. de Lubac, S. .J., el J. llanic.lou, S. .J. $ I MAXIME LE CONFESSEUR CENTURIES SUR LA CHARITÉ INTRODUCTION ET TRADUCTION DE Joseph PEGON, S. J. ÉDITIONS DU CERF, 29, bd de la Tôvr-Mauûouhc, -PARIS ÉDITIONS DE L'ABEILLE, 9, bue Mulri·. :: :: :: :: LYON i INTRODUCTION L'Auteur. Le moine byzantin Maxime, dont le martyrologe romain rappelle la mort, au 13 août, eut la singulière fortune, lors de la crise monothélitc du vn° siècle, de donner le ton à l’opinion orthodoxe et. de mourir sinon martyr, du moins en exil, victime des mauvais traitements et de muti­ lations atroces que lui avaient, infligés les adversaires de la foi romaine. Quatre documents contemporains, de pre­ mière valeur, nous renseignent sur le grand combat qui couronna sa vie : une lettre de sa main à son disciple cl. fidèle compagnon Anastase, où il raconte une entrevue orageuse avec le patriarche Pierre de Constantinople ; deux pièces émanant du même Anastase : le procès-verbal de l’interrogatoire subi par le saint devant le tribunal du palais impérial et le compte rendu des conversations qu’il soutint, pendant son premier exil, contre un évêque chargé de le gagner à l’hérésie ; enfin une lettre d'un autre Anastase, l’apocrisiaire, également ami de Maxime, et qui donne à Théodore, évêque de Gangres, quelques détails sur les dernières souffrances et la mort du « Con­ fesseur ». Ces pièces et plusieurs autres, rassemblées dans le dossier des Ac/es de saint Maxime, ont servi à son premier biographe, le panégyriste anonyme de la Sancti Maximi vita ac certamen. l. Dans les Analecta Bollan1 M. G. »0, 68-221. 6 INTRODUCTION diaria de 1928. R. Devrccsc en a fail, une critique minu­ tieuse et qu’un peut dire définitive l. Ses conclusions précisent, sans les infirmer, celles d'une étude rien attentif et averti n’a pas grand peine à retrouver partout sa trace. Même saint Barsanuphe, après l’avoir catégoriquement mis à l'index, finit par concéder à l’un de ses novices la lecture d’Evagre, à condition de ne choisir que ce qui profite à l’âme et. de laisser de côté la question brûlante de la « gnose »12. Quant, à son disciple saint Dorothée, il <( montre, par la façon dont il le cite, que la doctrine d’Evagre est pour lui traditionnelle»3. S'il n'adopte pas cette doctrine, il la connaît et reste obsédé par ses for­ mules nettes et son organisation puissante. Autre fait significatif, noté par I. Ilausherr : l’œuvre spirituelle du 1. Evaorioxxltidien, Tubingen, 1923. 2. M. G. 86, 892'898. La curiosité ot l’insistance du disciple sont fort piquantes et Instructives : . Mais comment sc fnlt-il que tels et tels de nos Pères approuvent ces écrits, et des Pères que nous regardons comme de bons moines ? · 3. M. Vuxer, art. cité, p. 2GG. / LE MILIEU 19 syrien Philoxène, évêque monophysile de Mabboug el mort en 523, apparaît, coupée en deux par un brusque tournant de pensée : « Ses Discours sur la manière d'arri­ ver à Γamour spirituel d'où naît la perfection, (fui veulent cependant être un traité systématique, ignorent, encore la tendance explicite à la contemplation comme but de la vie spirituelle. Quelque vingt ans plus tard, le même docteur aura adopté dans ses grandes lignes la doctrine d’Evagre ». Bien plus : alors que chez les Gréés l’œuvre mystique d’Evagre — Centuries, Gnostique, Lettres ■ enveloppée sans doute dans la condamnation de l’origénisine au deuxième concile de Constantinople, a cessé d’être lue au grand jour et, non rééditée, s’est, perdue, les • Syriens l’ont adoptée, traduite et conservée pour la pos­ térité. Et c’est ainsi que dans tout le monde monastique d’Orient, au vie siècle, l’influence d’Evagre semble avoir pénétré. Ces notes d’histoire n’ont qu’un but : permettre au lec­ teur d’imaginer avec quelque exactitude le milieu qui a produit et. recueilli nos Centuries sur la Charité. Milieu monastique, et donc un peu fermé, avec ses traditions, ses habitudes, son langage souvent inintelligible au pro­ fane. Milieu vivant cependant, el dont l'influence reste prépondérante sur le développement, non seulement de la théologie et de la spiritualité chrétienne, mais des ins­ titutions et de la civilisation r.ième. Sans doute, l’âge est passé où le rude effort des Pères du désert jetait, à la face d’une société chrétienne trop raffinée, une nouvelle et paradoxale affirmation de l'idéal évangélique : heu­ reux les simples, heureux les pauvres! Au cours des v® et vie siècles, le monachisme a peut-être perdu un peu de sa spontanéité puissante. Au lieu de renier brutalement, le monde, il tend à s’en rapprocher, pour le pénétrer et le 20 INTRODUCTION transformer. A l'ermite a succédé le cénobite. A côté du travail manuel, peut-être avant lui parfois, l’étude a repris sa place. La vie s’est uniformisée sous une admi­ nistration plus rigide. Après la simple pratique, la réflexion apparaît. L’attention se concentre sur cette expérience indicible que le moine trouve, dans sa solitude. Comme toujours, chacun voit, à sa façon, partiellement, le but unique de la vie spirituelle : mais maintenant, parce qu’on en prend conscience, on tend à mettre en formules, puis à ériger en loi sa propre représentation. Evagre d’abord, puis, beaucoup plus discrètement, le PseudoDenys, aident à la constitution d’une théorie... Libre à qui voudra de préférer les moines de V Histoire Lausiaque. Rappelons-nous seulement que ceux de Constantinople au vu® siècle gardaient un rayonnement assez vif pour qu’en pleine jeunesse, jouissant d'une situation unique, à l’heure même où sous l’impulsion d’Héraclius l’empire commençait un splendide redressement politique et mili­ taire, Maxime ait tout quitté pour venir leur demander, dit-il, quelque chose d’incomparablement plus beau 1. La date. Si les Centuries sur la Charité ont vu le jour dans un monastère byzantin, elles seraient un des premiers ou­ vrages de saint Maxime. Au printemps de 626, en effet, l’armée perse de Schahrbaraz arrivait sur les détroits et, replié sur l’Afrique avec une partie de sa communauté, il ne devait revenir à Constantinople que vingt-sept ans 1. Lettre 12, à Jean le Cubicuiairc, M. G. 91, 505. LA DATE 21 plus tard, escorté par les gendarmes de l’empereur, pour être aussitôt exilé en Thrace. Il faudrait donc que les Centuries aie ut été écrites entre 618 — quelques années au moins après l’entrée au noviciat — et 625. Elles seraient l’œuvre d’un débutant, déjà en vue. puisqu’elles lui ont été demandées par un de scs confrères, mais débutant quand même. Cette hypothèse cadrerait fort bien avec les indications récemment fournies par II. von Balthasar sur la chrono­ logie des œuvres de Maxime 1. Et d'abord, le combat contre le monophysisme, puis le monothélisme, qui com­ mence pour lui dès sa rencontre avec Sophrone (632) et, à partir de l’union d’Alexandrie (633), domine son exis­ tence, n’a laissé aucune trace dans les Centuries sur la Charité. Sans doute, cela seul ne suffirait pas à prouver qu'elles lui sont antérieures : dans un ouvrage de spiri­ tualité, traitant de l’amour et de la connaissance de Dieu, Maxime a fort bic.. pu omettre toute allusion aux contro­ verses théologiques en cours, pour la seule raison que cela n’avait rien à voir avec son sujet. Mais voici plus grave : les années 632-634 marquent un tournant dans l’œuvre de Maxime, non seulement parce qu’il rencontre alors l’hérésie dont la Providence l’a destiné à être l’adversaire, mais parce que sa pensée même, en son développement intime, subit, au contact d’Origènc, une crise décisive “. Or. dans nos Centuries, l’influence d’Origène est très peu marquée. La théologie du Logos n’apparaît pas ; la grande histoire de l’image divine imprimée dans l’humanité à la création, déformée par le péché, restaurée par la vie active et contemplative, ne joue presque aucun rôle; le12 1. If. von Balthasar, Die < Gnostischen Centurien ·..., pp. 149-156 ; Kosmische Liturgie, pp. 41-43. 2. Id., Die. · Gnostisehen Cc-turfai ·, passim, surtout pp. 146-149, 22 INTRODUCTION Christ avec sa volonté humaine entièrement subordonnée à sa volonté divine n’y est nulle part, donné comme la cause et le modèle de la sainteté humaine. Bref, les « fon­ dements dogmatiques » de la spiritualité maximienne n’y semblent pas fermement posés *. Tout nous invite donc à dater J’œuvre d’avant 632 et il semble même que nous puissions préciser davantage. En effet, la seconde partie des Ambigua, celle qui est adressée à Jean de Gyzique, se place selon toute vraisemblance vers 630, et peu avant les Questions à Thalassios. Or, entre les Centuries sur la charité cl ces deux derniers ouvrages, une comparaison même rapide indique un net progrès doctrinal. Sans doute, l'auteur des Centuries connaît déjà bien Evagre, Denys, Grégoire de Nazianze ; il a même pratiqué un peu Origène. Mais il ne dit mot de ’a connaissance de Dieu par négation. Sa théorie de la prière supérieure, nous le ver­ rons plus en détail, n’est guère au point : compromis curieux entre la «sortie de soi », l’efatosu dionysienne, et la « sortie par ses lectures curieuses, et qui ne cherche pas uniquement le « profit spirituel » perdra son temps dans les Cent uries. Leurs capita sont faits pour cire appris par cœur et répétés, longuement. au rythme de la méditation qui procède non par succession L OUVRAGE J f| ι 31 logique, mais par associations d’idées parfois assez loin­ taines. « Appliquez-vous de toutes vos forces à chacun d’eux, car tous ne sont, pas, je crois, clairs pour toqs. La plupart, exigent une longue réflexion, même si la lettre parait fort simple. Peut-être alors quelque sens caché (ignoré de l'auteur, sans doute ’) utile pour l’âme. se revélera-t-il. Mais ce sera par un pur don de Dieu » 1. L’ouvrage s’éclairera donc, et sans grand labeur, pour le moine « intérieur » qui, au lieu de s’agiter dans les mul­ ti pjps actes d’une réflexion tout humaine, se laisse impré­ gner par les termes de ces sentences, attendant humble­ ment l’heure de grâce où, au contact d’une expérience intime, elles révéleront tout, à coup leur plénitude de sens caché. Paroles des « Pères ». paroles de Γ Église, elles sont, elles aussi, à leur manière, esprit et vie. Ces mots affreuse­ ment techniques parfois, cauchemar des traducteurs, importent peu. Pauvre instrument, sans plus, pour expri­ mer les divers aspects ’d’une meme réalité, simple et sur­ humaine : l’union de l’âme avec son Dieu. Parfois la puissance du mouvement intérieur fait éclater la gangue du langage, et la plénitude de l'expression jette d’emblée le lecteur face à face avec l’éternelle expérience des saints. Le cas n’est pas rare chez Maxime, mais souvent aussi un effort sera nécessaire pour retrouver sous le document historique le témoignage chrétien que les mots ne livrent pas d’eux-mêmes. Qu’on soit du moins assuré de la récom­ pense. quand, les sentences ayant livré leur secret, l’âme y découvrira, et en mieux, ses aspirations les plus pro­ fondes : un peu comme l’artiste voyant soudain s’animer les traits du buste reconnaîtrait, embelli, le visage de ses vingt ans. I 1. Ctnturies sur la charM, prologue. INTRODUCTION 32 La technique. Origène avait doté la spiritualité chrétienne d’une ar­ mature intellectuelle. Ce fut le mérite d’Evagre de déga­ ger, définir el fixer cette armature en des notions claires et un langage technique. Nous avons vu que, bien ou mal accueillie, cel*G technique s’imposa dans les’milieux mo­ nastiques, si bien que, deux siècles et demi plus tard, .Maxime la maniait encore avec aisance el sans crainte de rester incompris. Mais elle déconcerte le lecteur mo­ derne. Tâchons donc d’abord d’en pénétrer le secret. Les analyses des philosophes grecs distinguaient jusqu’à les séparer, dans l’être humain, le corps sensible et l’âme intelligente (σώμα αισθητικόν, ψυχή νοερά), ou bien les trois fonctions-tendances qui leur semblaient se partager le champ de la conscience : l’esprit ou intelli­ gence (νσϋ;), la colère ou « tempérament » (θυμό;), et enfin, à un degré inferieur de spiritualité, la convoitise (επιθυμία). Ce que les moralistes populaires tradui­ saient : le cerveau, la poitrine, le ventre. Le danger de ces schèmes dicho- ou trichotomisles, c’était de dissocier l’unité de l’homme, de considerer son élément spirituel comme emprisonné dans l’élément matériel, et, conséquence mo­ rale inévitable, de donner pour idéal à l’effort philoso­ phique la complète libération de cet élément spirituel. Les Pères de l’Église héritèrent de ce langage ; ils ne surent pas toujours, d’abord, se dégager du spiritualisme outra li­ cier qu’il exprimait : on le vil bien lorsqu’Origène enseigna la chute de l'âme dans le corps à la suite du péché. Mais et Îe>nSÎ I.Λ TECHNIQUE 33 à réppqùe de Maxime, cl depuis longtemps; les progrès de la reflexion ne permettent plus d’hésiter sur l’afiirmation de Γηηιίβ du composé humain. Une âme intelligente, un corps sensible, mais unis, selon le schéma aristotéli­ cien qui commence à apparaître chez Maxime, comme matière et forme. Trois « puissances » (5υνάμ£ΐς) : concupiscible, irascible, raisonnable, mais qui ne repré­ sentent que trois étages, si l’on peut dire, dans la spiritua­ lité d’un seul el même être. Corps et âme ; raison et sen­ sibilité, esprit, colère, convoitise... les mots n’ont pas changé depuis Platon, ni les réalités psychologiques qu’ils désignent : mais leur contenu moral et spirituel s’est merveilleusement enrichi 1. Ainsi, le vcü; est devenu en nous ce saint des saints où se conserve l’image divine, ce lieu où s’accomplira l’union déifiante, à peu près comme le mariage spirituel s’accomplit, pour saint Jean de lu Croix, au « centre de l’âme » et, pour saint François de Sales, ù la « fine pointe de l’esprit ». Cotte union déifiante apparaît, comme dans toute la tradition alexandrine, sous les traits d’une con­ naissance et d’une contemplation supérieures (γνώσις, Οίωρίχ). Elle survient à mesure que l’esprit, ou la raison (νβδς, λόγος) échappe à l’influence des fonctions infé­ rieures, d’ailleurs diversement désignées’: colère et con­ voitise, ou .bien : puissance de passion (παθητική ούναμις), sensibilité, parfois même simplement ύ·ζ/ή, l’âme infé­ rieure. Mais cette libération ne ressemble qu'assez peu à celle des philosophes : elle est don de Dieu, et non pas conquête de la volonté; elle résulte d’un renoncement 1. Questions à Thalaisios, 63 : M. G. 90, -112 C. ■ Ibid.. 71 ; MG. 90.630 B. — Lettre 15 : M. G. 91,552-553. Tout Ceci no veut nullement dire, du reste, que Maxime ail été le premier ύ surmonter Je dualisme platonicien cl gnostique ; encore moins, que ce soit Aristote qui. par su doctrine du comjwsé humain, lui en ait found le moyen. 9. Maxime le Confesseur. 3 34 INTRODUCTION moral, et non pas d’un effort, intellectuel ; elle se définit enfin comme un état où les passions sont maîtrisées, et non pas comme une évasion de l’intelligence hors des remous de la sensibilité. Il reste qu’à première vue esprit semble synonyme de vertu et de bien, tandis qu’une lourde méfiance s’attache aux deux facultés inférieures, comme à la « chair » et à la « sensibilité » ’. Est-ce à dire que, appli­ quant. à l'homme de Platon une conception vaguement manichéenne, les Pères Alexandrins, et. Maxime à leur suite, auraient distingué en lui deux principes, deux classes de puissances, les unes essentiellement, bonnes et les autres essentiellement mauvaises ? Il n’en est rien. Mais, chez Maxime du moins, nous voyons la trichotomie pla­ tonicienne se prêter à une théorie nouvelle cl profonde du mal, originel cl actuel. « En organisant, la nature humaine, Dieu n’impression­ na sa sensibilité ni dans le sens du plaisir ni dans le sens de la douleur. Mais il doua son esprit d’une puissance de plaisir qui le rendait capable de jouir incffablcmenl de Lui. Or, celte puissance (l’élan naturel de l’espri- vers Dieu), le premier homme, dès sa venue à l’existence, la livra à la sensibilité. Et du coup il se trouva orienté, contrairement à sa nature, vers le sensible, par le plaisir agissant en lui. Mais, face à cette force, l’auteur de notre salut dressa la puissance vengeresse de la douleur, qui implanta dans la nature humaine la loi de la mort, loi toute sage, limitant l’élan contre nature qui jette au sensible l’esprit en folie » 12. Cette description de la faute d’Adam revient très sou­ vent. sous la plume de Maxime, et en des termes presque identiques. Λ l’origine de l’homme, elle place une « nature 1. Pour In traduction des noms des facultés humaines, voir nos notes expli­ catives aux sentences I. 10 et 51. 2. Qtiexliuns à Thalassiox, Cl. M. C». 90, 62R. I.Λ TECHNIQUE 35 incorruptible el. sans passion », incapable donc de pécher en cédant à une sollicitation des objets extérieurs. Mais celte nature n’est pas fixée dans la béatitude. Son état de perfection reste dynamique. Il lui incombe de tendre vers une « déification » qui la dépasse, mais que Dieu lui accordera si elle reste fidèle à sa loi propre. Pour cette marche vers l'union divine, elle possède un instrument admirable, un élan foncier (εφεσι?, ορμή), un désir et un amour ardent (ζόθ;ς z« ίρως) pour le Créateur qui l'a faite à son image et à sa ressemblance h Cet élan, force qui constitue le centre de gravité de la personne hu­ maine, trouve pour ainsi dire son point d’insertion au sommet de cette personne : dans l’esprit. Mais il a beau procéder purement de l’esprit et ne tendre qu’à l’Esprit, du moment qu’il porte la personne au delà d’elle-même, il ne va pas sans un certain danger 2. On le voit bien dès que cette merveilleuse créature humaine est livrée à l’existence (άμά τω γενέσΟαι) : son centre de gravité se déplace ; son élan foncier vers Dieu tombe de l’esprit dans la sensibilité, et se détourne vers les objet s matériels. On pourrait croire à un dérèglement quasi automatique. En fait, Maxime rattache cette catastrophe à une faute volontaire et personnelle du premier homme. Suivant la Genèse et saint Paul, il maintient, à la racine du pêche, une transgression de la loi divine et une chute à partir d'un état meilleur. Quoi qu’il en soit, ce dérèglement initial, ôtant à l'esprit son rôle unificateur et directeur, a intro­ duit le mal dans l’homme et dans le monde. Voyons s’en développer les conséquences. 1. Amblfjua, M. G. 91. 1361 Λ ; Questionsà Thalassios,<10; M.G. 90, 395 A. 2. lui nature spirituelle, disait Grégoire de Nysse, se déliait connue · tou­ jours au delà d'ellr-mème - (ά«; >γ^λότ<ΐος- ϊαυτοϋ). Sur ce caractère· exta­ tique · île l’esprit, dans la tradition grecque, cf. 11, vox Balthasak, Le Mus· trrion d'Origine, dan» Recherches de science religieuse, 1936. pp. 519-523. 36 INTRODUCTION lit d’abord, au sein de la sensibilité, une force nouvelle se déchaîne, redoutable : le plaisir, qui réussit à orienter vers les réalités matérielles, par le moyen du sens, l'es­ prit. fait pour Dieu. L’élan naturel vers Dieu, pervert·, a changé d’objet. La sensibilité, violemment entraînée, n’agit plus « selon la raison n, ou, ce qui revient au même, « selon 1a nature ». Bien plus, elle est agie, elle subit l'im­ pulsion d’un désir aveugle, excessif, anormal. Ce désir qui affecte l’âme et la meut, alors qu’elle devrait se mouvoir d'elle-même, c’est, d'un mot dont l’étymologie même indique l’esclavage imposé à la nature, la passion (πάθος), ce que l’on subit. La passion, fait central de la psycholo­ gie et de l’ascèse monastique : car le mal moral, note Maxime à la suite des Pères du désert, ne se trouve nulle­ ment dans les choses, mais bien dans un abus (πασάχσησις) que l’esprit fait d’elles ou de leurs représentations (λογισ­ μοί, νοήματα). Alors que le mondain, vivant au milieu des objets, s’attache à eux directement, le moine, lui, s’attache aux représentations. Par la mémoire, monte jusqu’à l'esprit une « pensée passionnée » (λογισμός εμπα­ θής;, composé hybride d’une représentation intellec­ tuelle pure (νόημα ψιλόν) et de passion. Cette pensée naturellement séjourne, « s’attarde » en lui, tourne par un progrès insensible à la suggestion-désir, et l’engage sur cette pente qu’est le péché : fléchissement du vouloir d’abord, et c’est le péché de pensée, Je vrai péché, dont l’acte ne sera qu’un complément presque inévitable. Puis l'habitude suivra (ίςις) le règne incontesté des passions. « Le plaisir, a fort justement noté M,ne Lol-Borodine, apparaît comme l'indice d’un état anormal, pervers, où l’homme n’agit plus selon la nature. La passion, qui implique nécessairement de désir, se présente donc tou­ jours comme un mouvement violent de la sensibilité, con­ I.Λ TECHNIQUE 37 traire à la raison. L n abus, voire un désordre inconnu in statu naturae integrae, car la nature créée reste bonne tant que règne l'ordre prescrit, tant que l’échelle des valeurs n'est pas renversée b1. Ajoutons que celle psy­ chologie du péché, dont un peu de réflexion montrera aisément la profondeur, ne réduit nullement fa vie morale à une morne bataille d'instincts, où la faculté supérieure s'efforcerait, avec plus ou moins de succès, de rétablir l’ordre. Au fond de la scène, actionnant en maître ce méca­ nisme, le diable est toujours là : comme il a trompé Adam à l’origine, aujourd’hui encore il intervient pour suggérer à l'ascète les pensées de luxure, de tristesse, de vainc gloire. Sans cesse réintroduisant et entretenant la divi­ sion, en chaque âme au sein du vouloir (γνωμή) et entre les frères d’une même comunauté, l’action mystérieuse du « malin », du « diviseur » (οιάίολος) anime tout ce jeu psychologique d'une redout able signification surnaturelle2. Avec le mal moral, le dérèglement originel des facultés rend compte aussi du mal physique, ou, si l’on veut, de la douleur (£&>·?ή). Face au plaisir, elle surgit en adver­ saire. Elle résulte de l’impossibilité pour le désir passionné, à la poursuite du bien sensible, de se satisfaire jamais 3. Elle s’explique comme un empoisonnement de la source même de la vie, empoisonnement qu’entretiennent et pro­ longent les nourritures terrestres ·. Mais, si elle est çhâ1. Article cité, Rev. Hist. re.l., 1932, p. 557. 2. Inversement, les bons anges interviennent directement pour porter i’fimc au bien et lui communiquer leurs · connaissances spirituelles . 3. Ambigua, M. G. 91,115G. « Quand le venin mortel du serpent eut péné­ tré en lui (Adam), il n'eut pas même, comme il le désirait, In jouissance de la sensibilité. » •1. Ibid. « S'il (Adam) s'était nourri de l'arbre de vie, il n'aunüt pas perdu l'immortalité... (mais) il l'aurait entretenue par une communion continuelle Λ la vie, puisque toute vie s'entretient par une nourriture appropriée. Cf. Quest. Thaï. Avant-Propos, M. G. 90,258 C : « L’arbre de la science du bien et du mal, c'est la créature visible. · 38 intkoduction timent, elle est surtout remède. Comme celle des anges, en effet, la chute de l’homme aurait pu cire irréparable. Par bonheur, la douleur et ses conséquences : peine et mort, viennent limiter les dégâts en brisant à temps l’élan dévoyé de la nature l. La réparation devient pos­ sible : mais elle sera douloureuse : depuis le sacrifice du Christ jusqu'à la dure pénitence du moine, l’effort de res­ tauration s’ordonne à procurer à la nature une nouvelle naissance-existence (γενεσι:). La première débutait sous le signe du (υ,ίΟσόσί) et de degrés : la pratique, champ des vertus (χρεται) ou des comman­ dements (έντσλαί) ; la gnostique. champ des enseigne­ ments (δόγματα), des contemplations (θεωρία·.), et qui se subdivise souvent en deux degrés nouveaux : contempla­ tion naturelle (φυσική 0·ι.>ρία), où Pâme perçoit comme la structure spirituelle du monde créé, les « raisons des êtres », (τούς των σντων λόγους) — et « théologie », contemplation suprême dont l’objet est Dieu en personne. Cette classification, avec le jargon qui l’exprime, a passé telle quelle dans l’œuvre de Maxime. Et, beaucoup plus I. 31. 1jjt-Bqkodi.se, art. cité, R. H. R„ 1932, p. 529. 40 INTRODUCTION explicitement que chez Evagre, elle y est. rapprochée des degrés d’initiation aux mystères païens : ailleurs que dans les Centuries sur la charité, Maxime n’hésite pas à. dire : « mystagogie théologique » pour « théologie » ’. Le paganisme n’étant plus, à son époque, qu’un vieux souvenir, il avait moins à craindre les confusions ou les comparaisons fâcheuses. La vie pratique apparaît très netVie pratique lenient caractérisée par son Lut et par et impassibilité. un certain nombre de phénomènes psychologiques et moraux facilement observables. Le but, c’est, selon Evagre lui-mème « de purifier l'esprit et de le délivrer des passions » 2. Idéal de pureté et de liberté intérieure qui s’exprime dans le mot célèbre, emprunté aux stoïciens, d’ « impassibilité » (άχάθίΐα). Les faits caractéristiques de la montée vers Côt idéal portent le nom de « vertus » ; d’observation des préceptes ; de lutte contre les démons, les passions et la volonté mauvaise ; de bon usage, suivant la droite raison, ou l’esprit, ou la nature, des choses et de leurs représenta­ tions... bref, une série de noms évoquant l’activité volon­ taire, l’entraînement (ίσζησις) de l’athlète pour les luttes du stade, Tout cela ressemble assez à la phase des purifications actives de saint Jean de la Croix, par exemple. Néanmoins, le théologien ne devra pas se pres­ ser trop d’en tirer argument, en faveur de la distinction des trois voies : purgative, illuminative, unitive. Car, en meme temps que purification, la ou πρακτική μεΟοοός est développement de la foi et montée dans l’échelle des vertus. La foi au Christ en est le principe; 1. Ambhjuu, M. G. 91. 1285 Λ. 2. Cité par Viller. loc. cit„ p. 168. Ι.Λ technique 41 elle produit la crainte de Dieu : la crainte de Dieu donne naissance à la maîtrise de soi, cette « vertu-gardienne », la maîtrise de soi, à la patience courageuse, la patience à l'espoir en Dieu, et l’espoir en Dieu, enfin, à l’impassi­ bilité. Cette échelle des vertus n'est pas un programme d’effort méthodique sur soi-même, d’examen particulier ordonné à la conquête successive de certaines habitudes morales : c’est un procédé, traditionnel depuis Clément d’Alexandrie cl. qui remonte peut-être à saint Paul, pour distinguer les étapes d’un progrès continu dans l’élimi­ nation des passions et la soumission de la « puissance pathétique » à l’esprit *. Développement surnaturel, œuvre de grâce, à partir de la foi. Mais, au regard de la conscience psychologique, le travail de la volonté reste plus apparent que celui de la grâce. Les passions une fois définies et cataloguées, une seule attitude est. de mise à leur égard : la maîtrise de soi. vertu gardienne, c’est-à-dire l’esprit montant la garde, non pour interdire l’accès de l’âme aux pensées passionnées —- il ne le peut — mais pour empêcher ces pensées de s’at tarder, de durer en elle. Moyens de diversion ordinaires: les occupations monas­ tiques, prière, chant des psaumes, travail, mortification, pratique des commandements, et par-dessus tout l'exer­ cice de la charité. Le mal consistant dans l’abus, l’usage déraisonnable des choses et de leurs représentations, qui produit « l'intempérance, la haine et l’ignorance », il n’est que de rétablir l'usage raisonnable pour que la grâce fasse fructifier en l’âme «la chasteté, la charité, la connaissance». Au terme, ce sera le calme souverain de l’impassibilité. 1. CubiKxr »’Λι.ΕΧΛΝΓ>ηικ, SlromulCA, II. 6; M. G. 8. 963 B. · Le pre­ mier pas vers le saint, c'est la foi. Viennent ensuite la crainte, l'espérance, la pénitence, lu maîtrise de soi, et la patience qui, en sc développant, nous conduisent à In charité et à la connaissance. · 42 INTRODUCTION A coté de l’impassibilité, jouant à première vue le rôle d’une charnière entre vie pratique et vie gnostique, apparail la charité (ζγάπη). « Le commencement de la pra­ tique. dira Thalassios, disciple de Maxime, c’est la foi a” Christ ; son achèvement, c’est l’amour de Dieu ». CettZ charité se définit comme un état, une attitude profondément enracinée dans l'âme et « qui lui fait à toute chose préférer la connaissance de Dieu ». « Porte de la gnose », avait dit Evagrc. Et nous serions tentés de coinmonter : degré où l’âme, n’étant plus alTectée, mue par les objets sensibles et créés - - c’est le calme des passions, l’impassibilité,— est prête à se livrer tout entière à l’action directe de Dieu, patiens divina (Οΐία παθών) avait dit le Pscudo-Denys. Mais, comme ce concept de la charité fait le sujet même de nos Centuries et occupe dans l’esprit de Maxime une place importante, nous aurons à le préciser davantage, après avoir achevé l'inventaire technique du degré supé­ rieur de la vie spirituelle : la «gnostique», elle-même sub­ divisée en « contemplation naturelle » et « théologie ». Pas plus que nos trois voies puret'contemplation. ^ativ<>’ *Ruminative, unitive - la « gnose » ne désigne un état succédant à la pratique comme une étape-à une autre. On constate seulement, à un certain point de son progrès vers la déi­ fication; que lame est de plus en plus souple et passive sôjus une action de plus cil plus directe et forle de l’EspritSaint lui-mèmel D’un autre point de vue, on dirait que dans sa première phase la vie spirituelle s’ordonnait à res­ taurer la nature humaine, c’est-à-dire l'image divine en nous, déformée par le péché, et que Je mot d’ordre était : agir « selon la nature » (κατά φύσιν) ; tandis que main­ | j ù 1 îA j 1 J | A I.A TECHNIQUE 13 tenant, entrant dans le champ d'un idéal qui la dépasse — car la Οέωσι; est toujours dite « sur-naturelle » (ù—sp φύσιν) — la nature n'a plus qu’à se laisser façonner à la similitude de Dieu ’. Le but. c'est donc celte union ineffable si hardiment nommée : déification ; la voie, une série de purifications passives, allant de pair avec une merveilleuse illumina­ tion de l'esprit.. Purifications passives : par la pratique des commandements^ dit Maxime, l’esprit se purifiait clés pas­ sions : la contemplation spirituelle des choses visibles le purifie des représentations passionnées ; la connaissance des choses invisibles le purifie de la connaissance des choses visibles : de celle-ci enfin, il est purifié par la con­ naissance de la Sainte Trinité. Ou bien, reprenant presque textuellement une sentence d’Evagre : « Les vertus sé­ parent (l’esprit) des passions ; les contemplations spiri­ tuelles, des représentations simples ; la prière pure réta­ blit en Dieu meme » 3. Ne croirait-on pas entendre saint .Jean de la Croix décrivant, dans la j¥m7 obscure, l’efïacc1. Alors qu’en Occident lu · nature », distinguée do la ■ grâce · ou » sur­ nature -, désigne assez tôt un principe de vie et nue tendance fondamentale de l’étre humain plus ou moins « antisurnaturelle ·, lu spiritualité maxi­ mienne ne semble voir dans φνσ:; et ύπίρ φύβιν «pic deux phases d'un développement unkpie. La nature, pour lui comme pour lu pluparl des Pères grecs, c'est l'hommc-hnage de Dieu, c’est-à-dire lu nature abstraite «le nos théologiens, plus leurs · dons préternaturels ·. En consétpicnce. suivre la nature signifiera, dans l'ascésc occidentale, aller à l’encontre de la grâce ; mais, chez Maxime, travailler, dans le sens do lu grâce, à refaire l'image divine. Notre loi de lu nature est presque lu loi du péché ; pour Maxime, elle désigne â peu près nos exigences do la grâce. « Contre nature ·, dans la spiritualité grecque, s'applique à la passion et nu péché ; · scion la nature · est quasi synonyme dé · selon la raison -. · selon la loi >. Quant u la qualifi­ cation «le · surnaturel ·, elle est réservée ù ce qui touche directement à lu déification. Sur la distinction entre nature et grâce, voir Ambigua, 28. 61 : • (L’homme)... demeurant homme tout entier, âme et corps, par la natuw, et devenu tout entier Dieu, d/ne et corps, |>ar la grâce. · Nous touchons là l’un des aspects les plus hardis et les plus originaux d«· la pensée de Maxime. 2. Maxime, Centuries sur la charité, I. ; HI, -I I. 44 INTRODUCTION ment progressif des connaissances distinctes dans l'orai­ son supérieure ? La ressemblance est. assez frappante, mais elle ne doit pas nous faire conclure que les diverses « contemplations » distinguées par les moines grecs ré­ pondent. exactement à ce que nous appelons les états d’oraison mystique. Outre que, chez eux, la démarcation n’est pas toujours t rès nette entre la connaissance, fruit, de la spéculation philosophique et la connaissance, illumina­ tion de i’Esprit-Saint, les degrés divers qu’ils décrivent ne répondent exactement aux nôtres ni par leur objet ni par leurs traits distinctifs. Maxime, comme Evagre, après avoir divisé la gnose en contemplation — naturelle — des êtres cl. « contemplation de la Sainte Trinité » ou «théologie », subdivise la première en trois : connaissance des choses visibles (c’est-à-dire, indistinctement, vue plus pénétrante de ce que nous appellerions leur structure naturelle et surnaturelle) ; connaissance des êtres incorporels ; con­ naissance de Dieu, cette dernière ne consistant pas encore en des lumières spéciales sur la vie trinitairc, réservées à la « théologie », mais en l'intelligence du jugement et. de la providencé de Dieu sur les êtres. Evagre avait posé nettement la classification suivante : « Il y a cinq connais­ sances fondamentales qui renferment toutes les autres : la première est, au dire de» Pères, la connaissance de l’ado­ rable Trinité ; la deuxième et la troisième, celles des êtres incorporels et des êtres corporels ; la quatrième et la cin­ quième, celles du jugement et de la providence de Dieu ». Les divisions de Maxime sont loin d’être aussi claires ; et surtout, il ne semble pas se tenir à un Seul schème avec une fidélité rigoureuse L Quant à leurs modalités, ces cinq θεωρία*, sont encore 1. EvaORE, tant., III, 15. I.Λ TECHNIQUE 15 moins nettement caractérisées. Et d’abord, au point de départ, Maxime n'a pas pris soin de noter, comme saint Jean de la Croix dans les deux textes célèbres de la Montée du Carmel et de la A'uit obscure, les indices psy­ chologiques indiquant la présence en l'âme d’une contem­ plation non plus « naturelle », mais « infuse ». Sans doute ne faisait-il même pas cette différence entre le naturel et l’infus Bien plus, il se contente de mentionner sèchement les divers degrés sans jamais tenter de ces descriptions auxquelles nous ont habitués les mystiques latins. En cela, il suit toute la tradition grecque. « L’Orient monas­ tique, a fort bien noté Mme Lot-Borodine, plus métaphy­ sicien que psychologue, n’a jamais poussé l’analyse intros­ pective des états d’oraison aussi loin que l’Occident latin qui, après l’avoir imité d’abord, finit par le dépasser par la richesse de son trésor, indéfiniment accru. Mais cer­ taines formes supérieures de la prière - contemplation ont été creusées par les Grecs jusqu’à la racine de l’être orant 1 ». Appliquée à Maxime, cette seconde remarque vaut peut-être de ce sommet de l’oraison qu’il nomme a sortie » (εκίημία) ou « transport de la charité » (έρως τής αγάπης). La question mérite d’être examinée. 1° Sortie des êtres et prière pure. - - « Quand, dans le transport de la charité, l’esprit émigre vers Dieu, il ne con­ serve plus aucun sentiment, ni de lui-même, ni d’aucune réalité existante. Tout illuminé de la lumière infinie de Dieu, il devient insensible à tout ce qui «’existe que par elle. Ainsi l’œil cesse de voir les étoiles, quand le soleil sc lève. » Perte de la conscience sensible, dirait-on, en faveur d’une intuition ineffable qui, suivant la théorie alexandrine de la connaissance, consiste en une assimiI. Article cité, n. H. H., 1933. p. 9. 46 INTRODUCTION lation directe du sujet à l’objet. « Recevant les représen­ tations des choses, l’esprit se modèle naturellement sur chacune d’elles. Quand il les contemple spirituellement, il prend diverses manières d’être, suivant les divers objets de sa contemplation. Parvenu en Dieu, il devient com­ plètement sans forme et sans ligure, car, contemplant le simple Ijxovsswr;.·, il devient simple et tout lumière » '. Ainsi donc, ce fait mystérieux de la plus haute vie spiri­ tuelle, cet acte d’union auquel Maxime conserve le nom d’ixrrfpXx employé par Evagre, apparaît comme un phé­ nomène de simplification surhumaine, par une sorte de concentration de la conscience en sou sommet, l'esprit. La conscience « sensible », celle des phénomènes du monde extérieur cl du moi intime, s'abolit., se retire comme à l’entrée d’un objet plus excellent... 11 serait difficile de mieux caractériser pet le connaissance supérieure. Faut-il à présent la rapprocher de cet. autre fait, plu­ sieurs (ois signalé dans nos Centuries sous le nom de prière pure ou : oraison pure (zaOxpà προσευχή) ? Le cha­ pitre 11 de la série I nous y invite : « Pour le transport de l’amour divin, toutes les vertus concourent avec l’esprit, mais en premier lieu la prière pure : par elle l’esprit emporté vers Dieu comme sur des ailes s’échappe complètemcii· d’entre les créatures ». Mais d’autres traits nous montrent qu’il s’agit d’un état alors que Ι’έζίηρχ'α est on < homme spirituel » n’éprouvera-t-il pas cette méfiance instinctive qui a isolé Evagre l'origéniste, le moine-philosophe, dans l’histoire de la spiritualité grecque, puisque, seul de tous les grands « abbés » du désert, il n’a pas été proclamé saint ? Aujourd’hui, la thèse fondamentale de la théologie spi­ rituelle est que la perfection surnaturelle de l’homme se mesure à son amour au degré atteint en lui par la « carilas », première des vertus théologales. Cette allîr malion s’oppose d’abord, note le P. de Guibcrt dans sa Théologie spirituelle, à l’erreur gnostique, qui place la béatitude dans la contemplation et fait consister la perfection dans une « connaissance », une intelligence plus profonde de la vérité révélée ’. Bien entendu, la gnose des grands spiri­ tuels alexandrins n'est, ni condamnée ni condamnable : hommes de pensée, profondément conscients de tous les événements de leur vie intérieure, ils ont retenu surtout parmi les effets de la grâce montant en eux celle illumina­ tion auprès de quoi la science humaine ne compte plus. Illumination qui procède de l’amour, car l’amour seul peut rendre clairvoyant au sujet du divin, mais qui à son tour provoque l’amour, car Dieu mieux connu est aussi mieux aimé. Dans ce jeu d’influences réciproques, il n’est pas question de préséances : la « connaissance », effet de l’union divine, effet et cause à la fois de la charité, ne lui csl pas « supérieure », au sens où liez saint Thomas la caritas, unissant plus immédiatement l’âme i» Dieu con­ sidéré dans sa perfection intime, sera la reine des vertus. Mais cette question de préséances, écartée tant que l’on maintient l’unité et la continuité de la vie spirituelle, 1. J. DK Gcibert. Theologia ApiritaaUs, Rome, 1937, p. 47. LE SENS 53 réapparaît dès que Ton parle de « voies » et de « degrés ». Or, pour dresser une théorie, force est bien de distinguer ces voies et ces degrés. Le problème surgira donc fatalement. Et. pour peu qu’un savant ait l'idée de dissocier amour et connaissance, faisant de l'un l'idéal de la voie pratique par exemple, cl de l’autre l’idéal de la voie con­ templative, ce découpage provisoire et, artificiel deviendra vile un écueil sérieux à qui serait tenté de réificr ses con­ cepts. D’où le danger d’une œuvre comme celle d’Evagrc pour une Ame pauvre encore «l'expérience intérieure : les distinctions théoriques s’érigeant en lois, Je jeune moine dédaignant la voie pratique et s’engageant délibérément dans celle de la gnose, puis, surpris «le ne point trouver la lumièré promise, inventant de savantes méthodes de réflexion pour parvenir plus vite au but. Si un directeur d’ûmes comme saint Barsanuphe montre à l’endroit d’Evagrc l’hostilité que nous avons constatée, c’est qu'il avait vu sans doute de tels cas. Aussi n’était-ce peut-être pas une entreprise banale ou inutile, au vnc siècle, que de rendre à la notion de charité sa place centrale, et de sim­ plifier la doctrine spirituelle : serait-ce le dessein que, consciemment ou non, Maxime aurait réalisé ? Une première constatation, d’ordre général, nous invite à le penser : la charité tient, dans son œuvre et sa pensée, une place autrement importante que. dans l’œuvre et la pensée d’Evagrc. Bien d’étonnant à cela, d’ailleurs, chez nn commentateur de Denys pour qui la charité constitue, dans l’œuvre de la déification, la force par excellence qui nous unit à Dieu et nous fait semblables à lui. Loin de s’ordonner à une forme d’union supérieure qui serait connaissance, elle opère l’union par delà la connaissance, au seuil de « l’obscurité super-lumineuse » où l’on voit et connaît précisément « par une non-vue et. une non-con- naissance les textes abondent pour montrer que l'amour n’est pas lité qui embrasse lout , compleclen* omnia. Excellence, l’égoïsme a dispersées, union dans le Christ de tous les hommes... ee rêve grandiose, e'est I'histoiro même de la borne pas son action aux limites d'une conscience hu- 56 INTRODUCTION de Dieu, il n’y a rien ». « Il est normal que la connaissance traîne après soi la présomption et l'envie... La charité supprime tout cela. Au-dessus de toutes les vertus, est la charité... 1 ». Depuis la simple disposition d’âme «issue de la liberté intérieure », et qui nous fait préférer à tout la connaissance de Dieu, jusqu’au lien ontologique qui fait une seule chose de Dieu et de l'esprit humain, la même réalité de l’amour s'étend sans discontinuer. Aussi bien celte notion est-elle profondément traditionnelle. Depuis Clément d'Alexandrie, si les deux termes (Yà-'ir.q et de γνώσις se définissent l’un par l’autre, leurs rapports ne sont pas de moyen à lin, mais d’une causalité réciproque, où l'amour reste premier et déterminant. Même la célèbre formule évagrienne de l’amour « porte » de la connais­ sance — qui d’ailleurs n'a pas été reprise dans nos Cen­ turies, on ne saurait trop souligner ce fait 2 ne doit pas s’entendre comme si l’amour n’était qu’une étape, un moment dans la montée de l’âme vers la contemplai i<>n de la Sainte Trinité. Pour les Grecs, l’amour se trouve également au début et au terme, puisque seul il peut déi­ fier, puisque seul il produit la connaissance immédiate et supérieure de Dieu, et cela parce qu'il recrée l’unité ori­ ginelle de l'être humain et son union au Créateur par l’image et la ressemblance. Les controverses médiévales au sujet de la béatitude-amour bonaventurienne et de la béatitude-connaissance des thomistes nous obsèdent en­ core au point que nous saisissons fort mal comment, pour les Pères grecs, la .question ne se pose même pas. Leur théorie innéiste, qui fait, dériver la connaissance non des objets extérieurs, mais des idées immanentes et pose un esprit humain naturellement déiforme, les conduisait à 1. Centuries, I, t» IV, Cl. 2. Centuries, I, 2 et la note. LE SENS 57 cette conclusion que la charité, force unifiante, réalise seule l’adhésion de t out l’être à Dieu, d’où résulte la décou­ verte consciente de la vérité. Principe très simple, mais laissant sans objet bien des problèmes que les Centuries sur la charité ne peuvent manquer de poser à un Occiden­ tal formé par la scolastique. \eceptonS done, sous bénéfice d’inventaire, l'hypo­ thèse que l'originalité des Centuries consiste à replacer la charité au cœur d’un système qui tendait à réduire sa place au profit de la gnose. Elle va résoudre, croyons-nous, plusieurs questions délicates posées par le texte même. Et d’abord, elle peut expliquer la confusion déjà signa­ lée entre les conceptions évagrienne et dionysicnne du sommet de l’oraison. Pour· Evagrc, l’espril purifié « sort des êtres », reste face à face avec l’image de la Trinité selon laquelle il est. formé. Connaissance qui abolit les autres, d’où l’appellation d’ « ignorance infinie ». Pour Denys, après une série do purifications plus passives qu'actives, l’esprit emporté par son désir sort de lui-mème ; c’est l’^rfose, et Dieu connu dans la nuée obscure. Miroir, nuée, les deux comparaisons étaient déjà connues de Grégoire de Nysse et classiques ’. Or, chose étonnante, les Capita de Caritate ne les utilisent pas. Lorsqu’on passant, Maxime entreprend de décrire cette connaissance sublime, nous assistons à d’étranges compromis de ce genre : « Quand dans le transport de la charité l’esprit émigre vers Dieu, il ne conserve plus aucun sentiment, ni de lui-même, ni 1. G. lions, Le · miroir ·. la « nuée · : deux manières de voir Dieu d'après saint Grégoire de .Vyxse, Repue d'ascétique et de mastique, 1927, pp. 113-131, il rassemblé un certain nombre de textes assez, significatifs. Mais il n’en tire pas une signification technique, et pcul-étro Grégoire hii-méme ne Je faisait-il pas. I.a question, du reste, n'a pas grande importance pour Maxime : il appa­ raît bien que. s'il connaissait fort bien, pour l'avoir commenté, Grégoire de Naz.ianze, les deux autres Cappadociens n'ont pas eu grande influence sur sa pensée et sa doctrind spirituelle. 58 INTRODUCTION d’aucune réalité existante. Touché par la lumière infinie de Dieu, il s’illumine tout entier, et devient insensible à tout ce gui n'existe que par elle. Ainsi l’œil cesse de voir les étoiles, quand le soleil se lève » (1,10): ou bien : « L’esprit est parfait, quand, grâce à une foi véritable, il possède dans la super-ignorance la super-connaissance du super-inconnaissable: quand il saisit dans les créatures leurs raisons universelles : quand sur l’action en elles de la Providence et du jugement divin il a reçu de Dieu la connaissance qui comprend tout en soi »(3, 99). Le « trans­ port de la charité», l’inconscience : traits dionvsiens. Mais l’esprit qui « émigre » leur interpose le terme technique si particulier d’Evagre. L’illumination qui suit, familière aux Alexandrins, suggère une idée tout autre que la Ténèbre de Denys. Mais puisque c’est l’esprit qui s’illumine, com­ ment dans cette lumière môme devient-il inconscient ? Les traits semblent mêlés jusqu’à l’incohérence. Quant à la seconde sentence, malgré l’amphigouiis des termes en hyper-, elle semble exprimer une pensée tout évagrienne. Même le « super-inconnaissable », allusion loin­ taine à la fameuse connaissance de Dieu par négation, n’est pas absolument propre à Denys. Mais le mol « super­ ignorance » nous offre, sur toute la longueur des Centu­ ries, la seule allusion à Γ « ignorance infinie » d’Evagre, et cette allusion est faite en un terme tout à fait dionysicn : ύπεραγνωστώς, comme si les deux notions étaient équivalentes et les doctrines dont elles procèdent, con­ ciliables ! De tels assemblages se passent de commentaire. Comment n’ont-ils pas fait reculer Maxime ? On a déjà indiqué des cléments de réponse : âgé, riche d'expérience intérieure, il se soucierait moins de technique et «le théo­ rie. Ou bien, trompé par la similitude « ignorance-ténèbre ». il aurait cru voir en Evagre un continuateur de « saint · LE SENS i > , ‘ 59 Denys. Ne pourrait-on pas lout aussi bien parler d’une correction d’Evagre par Deilys ? L’extase, en effet, ne dit-elle pas l’union de Paine avec le Tout-Autre beaucoup mieux «pie la sortie des êtres qui laisse l’esprit seul en face de lui-même ? Ne se rapproche-t-elle pas davantage, par conséquent, du sujet central des Centuries, de l'idée chère de l'auteur : la charité, force unifiante ? Conscient donc de la différence des deux pensées, Maxime aurait pour­ tant meli· l'une à l’autre pour mieux rendre à l’amour sa place dans la doctrine spirituelle. El. formé cette hypo­ thèse, on voit nombre de formides s’éclairer d’un jour nouveau : l’ardent désir du Dieu transcendant et unique, la conversion des passions, et surtout maints petits faits de vocabulaire qu’on ne remarque pas assez : Evagre parle d’ « état spirituel »> : ζαταστάαις τοδ νου), de l’homme « qui s’est emparé de la connaissance « ; Maxime dira : « la oie de l’esprit » ; l’homme qui « a été jugé digne de la connaissance » et insistera sur la gratuité des dons divins, puisque la grâce est encore un lien d’amour. Second trait, remarquable, où Maxime semble affirmer son originalité : la fameuse « impassibilité » perd chez lui les derniers traits qu’elle pouvait garder encore du stoï­ cisme, pour apparaître sous l’aspect franchement chré­ tien de la liberté intérieure. Sans doute, conservant les cadres de la psychologie alexandrine, il continue de défi­ nir la passion comme un mouvement. contraire à la nature, des deux puissances inférieures de l’âme. Mais, nuance significative, ce mouvement n’est plus essentiellement mauvais. La passion devient ambivalente : louable ou blâmable, selon l’usage qu’en fait l’esprit. Aussi sera-t-il question, moins de refouler, de retrancher (έζζΐπτειν) comme chez Evagre, que d’affranchir, de libérer, de puri­ fier, et même de convertir (Ιζιστρέφέό). Le calme sou- 60 INTRODUCTION verain de l'impassibilité n’est pas une conquête de La volonté, après l’écrasement des instincts ; c’est une grâce, dont Dieu nous« juge dignes », el par laquelle notre « puis­ sance de passion se tourne tout entière vers lui ». Parce que 1 homme est. déchu, en lui la colère et le désir ne sont plus soumis à l’esprit, et la passion est dangereuse. Mais que l’ordre se rétablisse, et l’on verra ce merveilleux retournement : « Passion d’amour blâmable, celle qui donne à l’esprit pour objet le matériel ; passion d’amour louable, celle qui l’attache au divin. Car c’est la loi de l’esprit que, s’il s’arrête ù un objet, il s’y dilate et que là où il se dilate viennent converger ses désirs et. son amour : aussi bien vers les réalités divines et intelligibles, qui lui conviennent, que vers les réalités et. passions charnelles » (3, 71). « Conversion au divin >· - le mot est. de Maxime — qui laisse loin derrière elle, dans l’oubli complet, la résignation stoïcienne. « Si nous aimons sincè­ rement Dieu, notre amour même chasse nos passions » (3, 50). « Un moineau pris par la patte, s’il veut s’envoler, est retenu par son lien. Ainsi l’esprit qui n’a pas encore Γαραtheia, s’il tente de s’élancer vers la connaissance des réa­ lités célestes, retombe sur terre, entraîné par la force des passions. Mais, libre de toute passion, il s’élance sur la route sans t ourner la tète, vers la contemplation des êtres, et, au delà, vers la connaissance de la Sainte Trinité » ! 1, 85-86). Il sera même question de « cette passion bien­ heureuse de la sainte charité » (3, 67), tant il est vrai que la force qui nous pousse vers Dieu el vers le prochain pour ne faire avec eux, autant que possible, qu’une seule chose, n’est pas d’une autre nature psychologique que celle qui nous fait aimer (αγαπάν) l’argent et les plai­ sirs. On voit que le mot traditionnel « impassibilité », s’il rappelle mieux l’étymologie du grec απάθεια, n’exprime LE SENS 61 pas suffisamment le travail de sublimation opéré par la grâce, et. l’élan nouveau qu’il imprime à la vie spirituelle. « Liberté intérieure » semble plus heureux. Reste un troisième trait sur lequel nous sciions tentés de faire silence parce qu’il embarrasse notre, souci d’exactitude théologique, mais sur lequel Maxime insiste trop pour que nous puissions éviter de le regarder comme significatif. Evagrc notait expressément : « Il n’est pas possible d’aimer également tous les frères, mais il est possible de vivre avec tous sans passion. » Or, les Centu­ ries sur la charité répètent sur tous les tons que l’amour parfait est égal pour tous les hommes, justes ou pécheurs, amis ou ennemis. Comme Dieu aime d’un amour égal tous les hommes, œuvre de ses mains ; comme JésusChrist a prouvé son amour en souffrant pour l’humanité entière, donnant à tout le monde la possibilité de ressus­ citer un jour ; comme le Père veut que tous ses enfants soient Sauvés et viennent à la connaissance de la vérité... « Dieu, par nature bon et sans passion, dit le chapitre 25 de la première Centurie, aime d’un amour égal tous les hommes, œuvres de ses mains ; mais il glorifie le juste, uni intimement à lui par sa volonté, et dans sa bonté il a pitié du pécheur, qu’il cherche en cette vie à convertir par scs leçons. Ainsi l’homme dont la volonté est devenue bonne et libre des passions aime d’un amour égal tous les hommes, les justes pour leur nature et leur bonne volonté, les pécheurs pour leur nature, et par cette pitié compatis­ sante qu'on a pour un fou qui s’en va dans la nuit. » On admirera la précision de cette sentence : elle maintient ce que nous appelons l’ordre de la charité, en ce sens qu’on ne peut ni ne doit aimer le juste comme le pécheur. Le motif surnaturel et les modalités psychologiques de l'amour ne sont plus les mêmes dans l’un el dans l’autre 62 INTRODUCTION cas. Mais à cela près, semble dire Maxime sans craindre le paradoxe, la charité reste égale. Ses accidents changent, sa substance demeure, c’est-à-dire, ce lien universel et identique entre les hommes, et des hommes à Dieu : Punique image divine, constituant leur nature, et qui les fait tous part icipants, ou capables de participer à la même vie. L’ordre de la charité est sauf, dans les dispositions affectives du sujet qui aime, mais la charité, considérée, si l’on peut dire, dans sa structure ontologique, demeure égale. « La charité parfaite n’admet, entre les hommes qui ont tous même nature, aucune distinction basée sur la différence des caractères. Elle ne voit jamais que celte unique nature ; elle s’attache avec mie force égale à tous les hommes, aux bons à titre d'amis, aux méchants à titré d’ennemis, pour leur faire du bien, les supporter, endurer patiemment tout ce qu’on reçoit de leur part, refusant obstinément d’y voir de la malice, allant jusqu’à souffrir pour eux si l’occasion s’en présente L » Il ne s’agit pas, on le voit, d’un simple aspect de l’impassibibilité, d’une abolition stérile des préférences naturelles, mais d’un élargissement infini. Vues d’un sommet, les mai­ sons du village, dans la plaine, paraissent de niveau. Ainsi nos pauvres préférences humaines, quand l’amour divin envahit l’âme. Et .Maxime, moine contemplatif qu’on s’at­ tendrait à voir mettre au-dessus de tout la solitude et le silence, insiste longuement sur la pratique quotidienne de cette égalité d’amour. Trait remarquable : il va jusqu'à lui rattacher les vertus caractéristiques fie Γimpassibilité, patience et égalité d’âme dans l’épreuve. Jésus,en effet, a souffert pour accomplir le dessein de son Père, ramener 1. Centuries I, 25 et 71. Voici d’ailleurs les chapitres qui traitent de l'mnour universel et égal pour les hommes : I, 17, 24,25, 61, 62, 71, 71 ; II, 10, 30 IV, 90, 98. Voir .la note à J. 13. LE SENS 63 à l'unité les hommes que le péché a en tous sens divisés. Donc, refuser sa pari d’épreuve, c’est s’exclure volontai­ rement de cet, amour universel. Le prochain, déclare la lettre 2, c’est Dieu qui s’olïrè à nous pour que nous l’ai­ mions dès à présent, en pratique, à notre manière hu­ maine. Derrière lui apparaissent/très nets, les traits du Chrisl. Et les deux amours, du Christ et, du prochain, seront un élément nécessaire de la divine connaissance : « Si. ayant obtenu la grâce de la connaissance, on garde rancune à quelqu’un, c’est comme si I on se crevait les veux aux buissons. 11 faut absolument joindre connais­ sance yt charité. » « Puisque, selon le divin Apôtre, le Chrisl habite en nos cœurs par lu foi, et que d’autre part tous Ijes trésors de la sagesse cl de la connaissance sont en lui) cachés, tous les trésors de la sagesse et de la con­ naissance sont dans nos cœurs, mais cachés. Ils se ré­ vèlent au cœur dans la stricte mesure où l’on se purifie, chacun pour sa part,, en gardant les commandements » (4, 70). ♦ ♦ · Vous voilà donc ramenés, avec celle dernière sent ence, assez loin des finesses de l’analvse évagrienne : Dieu se révèle non plus à l’esprit, mais au cœur ; il se révèle non plus directement dans sa majesté unique, mais par son Vcrbè fait chair, Jésus-Christ : enfin purification et. illu­ mination vont, de pair : il n’est que de faire en soi place à la grâce. Ainsi, pour mieux s’exprimer, se mettre à portée de l'intelligence humaine, l’idéal de sainteté évan­ gélique emprunte à des philosophies leurs systèmes de notions. Dans sa nouveauté, ce langage découvre aux cont emporains les merveilleuses richesses de cette saint eté el les fixe en une doctrine raisonnée qui pourra se déve- 61 INTRODUCTION lopper par la suite. Puis, avec le temps, ces notions s’usent. Relisant aujourd’hui les Centuries sur la charité, nous sommes d’abord déconcertés par leur sécheresse, et l’idéal que nous y cherchions disparaît derrière cet écran sombre. Mais un effort, et l’écran se déchire : sous les concepts un peu hermétiques de gnose ou d’impassibilité, voici de nou­ veau qu’apparaissent désormais les formules évangéliques bien connues et enrichies cette fois de tout le contenu d’une tradition que notre réflexion féconde vient de rani­ mer soudain. Maxime lui-même a peut-être été l’un de ces réanima* teurs. Au système d’Evagre partout répandu, mais vieux de plus de deux siècles, il aurait rendu sa force agissante en y versant une expérience personnelle, donc riche et neuve, de la charité, force vivante assurant à la vie spi­ rituelle son unité et sa continuité. Unité et continuité, nons l’avons vu, que les découpages conceptuels pou­ vaient méconnaître et faire oublier. Mais pour les réta­ blir, il suffisait de se replonger dans la simple tradition. L’Eglise avait toujours, bien que plus ou moins claire­ ment, reconnu la charité comme la sève même de la vie de la grâce, le oincùlum perfectionis. Si, dans leur effort pour mieux définir la perfection, les Alexandrins avaient pu faire trop large la place à l’illumination de la connais­ sance, ils n’avaient jamais du moins prétendu que celte connaissance dût être le fruit d’une spéculation humaine, mais bien un don de Dieu, couronnant une purification morale à base de foi. Maxime reprend la technique d’Evagre. Mais, cette fois, la notion de charité en est bien l’âme vivante. D’une impassibilité un peu stoïcienne d’allure, elle fait la vraie liberté intérieure et d’une con­ templation dont 1’ «intellectualisme» a choqué certains, l’union à Dieu. Bien entendu, on ne trouvera nulle part ί.Ε SENS 65 sa définition claire, ni l'énumération complète de ses pro­ priétés. Sève, lumière, chaleur diffuse, avons-nous dit, elle est partout présente tout entière, animant et unifiant tout 1’itinéraire de l’âme vers la connaissance-union. Exa­ minées chapitre par chapitre, nos Centuries apparaissent découpées dans les œuvres des vieux auteurs. Mais on ne saurait les « expliquer » ainsi, ni même par l’influence combinée d’Evagre et de Denys. L’âme en est neuve. Elles sont mieux qu’une pure résultante ou que l’écho affaibli du grand combat livré deux cent cinquante ans plus tôt par les moines d’Evagre, dans l’arène brûlante du désert de Scété. f>. Mnximc le Confesseur. CENTURIES SUR LA CHARITÉ PROLOGUE Avec le Traité sur la aie ascétique, voici encore, Père Elpidios, un ouvrage sur la charité que j’envoie â votre Honneur, en quatre centuries : autant que d’évangiles. Il ne répondra peut-être pas à votre attente, j’ai du moins fait tout ce que j’ai pu. Du reste, que votre Sainteté le sache, ce n'est pas un pur fruit de ma pensée : 4’ai parcouru les œuvres des saints Pères, et recueilli des extraits qui ramènent l’esprit à mon sujet. Souvent, j’ai résumé en sentences brèves de longs développements, pour que, plus faciles à retenir, ils puissent être embrassés d’un seul coup d’œil. J’envoie ce livre à votre Sainteté, en lui demandant de le lire avec bienveillance, sans cher­ cher autre chose que le profit, d’oublier l’inélégance de mon style et de prier pour le pauvre homme que je suis, si dépourvu d’utilité spirituelle. Je vous prie, en outre, de ne pas croire que j’ai écrit cela pour vous rompre la tête : je n’ai fait qu’exécuter un ordre. (Si je vous parle ainsi, c’est qu’aujourd’hui nous sommes nombreux à nous rompre la tète à force de théorie ; mais à instruire les autres et à nous instruire nousmêmes par la pratique, fort rares.) Au contraire, appliquez-vous de toutes vos forces à chacune des 68 CENTURIES SUR LA CHARITÉ sentences. Car elle ne sont pas toutes, je crois, faciles à saisir pour tous ; mais la plupart ont bien souvent besoin d’une longue explication, même si l’expres­ sion paraît fort simple. Peut-être aussi vous révéle­ ront-elles quelque secret utile pour l’âme. Mais ce sera entièrement l’effet de la grâce de Dieu et d’une lecture pure de toute curiosité, pleine de· crainte de Dieu et de charité. Mais pour qui ne recherche pas l’utilité spirituelle, et qui au lieu de s’y efforcer comme je viens de dire ou d'une manière analogue, épluche les phrases dans le but de critiquer l’auteur et, par orgueil, d’établir une comparaison flatteuse pour son propre savoir, rien d’utile ne se manifestera jamais nulle part1. 1. Pour sc retrouver dons la variété des thèmes «pic Maxime enchevêtre parfois comme h plaisir, il n’y a pas lieu, semble-t-il. de chercher d’autre ill conducteur que celui qu'indique le titre même : la charité. Λ défaut d'autres arguments, le simple fait que le nom χγχκη ou le verbe άγχ-χν reviennent dans près de la moitié des chapitres sullirait à montrer que c’est bien d'elle avant tout qu’il s'agit, de son œuvre dans i'Ame humaine, de son rôle dans Ja vio spirituelle. Elle produit la connaissance, illuiniuatricc de l'esprit, non pas en vérité comme un moyen atteint son résultat, mats comme une force vivante se manifeste dans la conscience et dans le monde, par son action. Provoquant dans l’ftmc la décision fondamentale de préférer à tout le Dieu transcendant, elle ouvre la lutte contre les passions qui font obstacle, et de cette lutte résultera la publication ou libération nécessaire. A l’imitation de Dieu qui aime également tous les hommes, clic exige un amour du prochain absolument universel. Enfin, à l'esprit qui possède la connaissance, elle sc révèle, présente et agissante partout, dans l’ordre de l’univers et dans la marche de l’histoire Ce dernier point, à vrai dire. est moins net : les Cen­ turies n’étant qu'un florilège ordonné ü la pratique, on y trouvera surtout une abondance de conseils et diagnostics destinés ii aider le combat de la volonté contre les passions. Pourtant, lorsque .Maxime décrit en passant les sommets de la liberté intérieure ou lorsqu’il s’arrête à contempler Dieu créant cl ordonnant le monde, alors il laisse voir ce fond de sa pensée. Ini­ tiatrice du combat spirituel et de la montée vers la gnose, autrement dit, lien de l’homme source des relations fraternelles entre les hommes, autrement dit, lien de l’huinanité ; force d'union cosmique, h travers le temps et l’espace, autrement dit, lien de l'univers : telle apparaît la charité. PREMIÈRE CENTURIE 69 PREMIÈRE CENTURIE 1 1. La charité est une. disposition bonne de Fame, qui lui fait préférer à tout la connaissance de Dieu. Quant à parvenir à la possession habituelle de cette charité, c'est chose impossible tant qu’on garde une attache à quelque objet terrestre 2. 2. La charité naît de la liberté intérieure ; la liberté intérieure, de l'espoir en Dieu ; l'espoir, de la patience et de la longanimité : celles-ci, de la vigilante maîtrise de soi ; la maîtrise de soi, de la crainte de Dieu, et la crainte, de la foi au Christ 3. 1. Première centurie. — Une option généreuse et définitive par laquelle l’ibne place au-dessus de tout la connaissance de Dieu : voilà, dès le début, la charité définie par son acte. Quelques sentences, parmi les mieux frappées du recueil, font alors briller à nos yeux les beautés do celle connaissance (1-12). Le mouvement est donné, pour In libération del’espril par un détache­ ment continuel des créatures ou, si l’on veut, une élimination progressive des passions. Appliqué au prochain, ce détachement se définit comme un élar­ gissement de l'amour ù In mesure de l'humanité (13-30). Puis, jusqu'au fond do l’âme, la charité exercera son action purificatrice : par les diverses » œuvres · de lu vie monastique (31-15) qui · séparent ■ l'esprit d'avec les passions : vaine gloire (46-18), mouvements désordonnés du 'ώμος et de l'-r? th* *:x (46-52), notamment à l'égard du prochain immédiat (53-62). Quelques notations psychologiques sur le mécanisme de la tentation et le classement des passions, et nous rencontrons une série de sentences (68-76) qui. montrant le lien étroit de Vir.i ii·α et de la charité parfaite, résument toute cctto doctrine de la purification Intérieure. Les chapitres 77-81 nous ramènent à la pratique de quelques « vertus · et moyens très efilcaces de combattre les passions. Enfin, voici l'esprit libéré (85-100) débouchant dans les régions sereines oü la liberté Intérieure s’épanouit en connaissance. 2. Cf. Evagre, Centuries, I. 86 : · Lu charité, c'est l'état supérieur de l'àmo raisonnable dans lequel il est impossible d'aimer quelque chose au monde plus que la connaissance de Dieu » (trad. Viller). Maxime, au lieu d'un état (ζατάστββιί). dit : une disposition (o.z'Jîs·. ). 3. Cf. Evagrf, Lettre à Anatolios : · l.a fol. enfants, sefonde sur la crainte, celle de Dieu ; lu crainte ù son tour sur la maîtrise de soi ; celle-ci est affermie par la patience et l'espérance, dont naît la liberté intérieure, laquelle en­ gendre h» charité. 1A charité est la porte de lu connaissance naturelle, û 70 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 3. Qui croit au Seigneur craint le châtiment ; qui 1 craint le châtiment maîtrise ses passions; qui maî- I irise ses passions endure patiemment les afflictions ; ! qui endure patiemment les afflictions acquerra l’es­ poir en Dieu. Et l’espoir en Dieu sépare l’esprit de 1 toute attache terrestre ; et l’esprit, ainsi détaché, pos- < sédera l’amour pour Dieu. | 4. Qui aime Dieu, à toutes ses créatures préfère sa ' j connaissance et sans cesse, dans l’ardeur de son désir, s’efforce vers elle. 5. Si tout être n’a l’existence que par Dieu et pour [ Dieu, et si Dieu est au-dessus de scs créatures, l’homme qui abandonne Dieu, l’être incomparablement meil­ leur, pour s’attacher à des objets de moindre valeur, montre qu’il préfère à Dieu ses créatures. 6. Celui qui Lient son esprit solidement fixé dans l’amour de Dieu méprise tout le visible et son corps même, comme s’il appartenait à autrui. * 7. Si l’âme est meilleure que le corps, si incom- 1 parablement meilleur que le monde est Dieu qui l’a créé, celui qui préfère à l’âme le corps et à | Dieu le monde créé par lui ne diffère en rien des 1 idolâtres. |J 8. Détourner son esprit de l’amour pour Dieu et de l’attention assidue qu’il réclame, pour le tenir fixé j laquelle succède In connaissance de Dieu et la béatitude suprême. · Il semble que cette chaîne de vertus remonte à Clément d’Alexandrie, décrivant (Stromulfx. II, <>. 31) les étapes de l'ascension gnostique. Evagre a supprimé la pénitence et ajouté lu liberté intérieure. Maxime reprendra cette énumération (1,3 et 81). Elle était donc traditionnelle. Mais il ne fait pas ■.xpirvument déboucher la charité dans la gnose ; Clément, lui, disait simplement : * ... la maîtrise de soi et la patience qui, en se développant, nous mènent à la charité et à la connaissance. · f W I 1 PREMIERE CENTURIE 71 à quelque oj)jet sensible, c’est faire passer avant l’âme le corps, et avant Dieu le Créateur ce qui n’existe que grâce à Lui. 9. Si la vie de l’esprit, c’est l’illumination de la con­ naissance, et si cette illumination, c’est l’amour de Dieu qui la produit, on a raison de dire : « Au-dessus de l’amour de Dieu, il n’y a rien. » 10. Quand, dans le transport de la charité, l'esprit émigre vers Dieu, il ne conserve plus aucun senti­ ment, ni de lui-même, ni d’aucune réalité existante. Tout illuminé de la lumière infinie de Dieu, il devient insensible à tout ce qui n’existe que par lui. Ainsi l’œil cesse de voir les étoiles, quand le soleil se lève ’. 11. Toutes les vertus aident l’esprit à l’amour brû­ lant pour Dieu, mais,plus que les autres, l’oraison pure. Par elle l’esprit, emporte vers Dieu comme sur des ailes, s’échappe complètement d’entre les créatures12. 1. Unique exemple, dans nos Centuries, du phénomène appelé tf-u; τή; αγάπη; (transport de lu charité). I.’expression fait songer au Pscudo-Dcnys et l’on serait fortement tenté d'y voir le « sommet extatique · de Γάγάπη. En fait, le texte ne «lit pas que l’esprit sort de scs propres bornes et perd conscience, mais seulement qu’il émigre vers Dieu (fzor.oij) et devient insensible à l’égard des créatures. Or, Evagre lui-im'mc, dans son Traité de l’oraison, parle de l'insensibilité comme d'une des manpies de la vraie prière : · Heureux l’esprit qui, au temps «le l'oraison, a obtenu une parfaite insensibilité · (De Oratione, 120 ; M. G. 79, 1194). Quant au verbe izo/jus··? (émigre) qu'Evagre emploie pour désigner l'esprit sortant d'entre les êtres, Maxime ne le rcprcndr.i qu’une fois dans les Centuries (II, 26) cl une fois le nom έζδημία (III, 20). 2. C’est ici l'én».s tout court qui est placé sans conteste au sommet «le la vie spirituelle, puisque même l'oraison pure concourt à le produire, et que l’oraison pure s'identifie d'ordinaire avec ht theologia, au delà de laquelle il n’est pas de degré supérieur (cf. infra. H, 6 et 62, notes). On reconnaît l'influence de Dcnys (Noms divins, 4, 12-13, M. G. 3, 709-713). I.'érés revient assez souvent dans les Centuries (II, 6, S; III, G, 48). On trouve parfois πόθο; (I, 100), l'ardent désir, appliqué?» désigncrcc suprême élan de l'esprit purifié, nu sommet «le In connaissance. Ce sont les termes mêmes, notons-le, qui désignent ailleurs l’élan Imprimé par Dieu à la nature humaine, dès la 72 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 12. Quand par la charité la connaissance de Dieu ravit l’esprit, et que, échappé d’entre les créatures, cet esprit perçoit l’infinité divine, alors, comme le divin Isaïe, frappé de stupeur, il prend conscience de sa propre bassesse et répète avec conviction les paroles du prophète : « Malheur à moi ! Je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres souillées, j'habite au milieu d'un peuple aux lèvres souillées et j'ai vu de mes yeux le Roi Seigneur des armées 1 ! » 13. Qui aime Dieu ne peut pas ne pas aimer aussi chaque homme comme soi-même, tout choqué qu’il puisse être par les passions de ceux qui ne sont pas encore purifiés. Aussi bien, à les voir se convertir et réformer leur vie, il sent déborder en son âme une joie indicible 2. 11. Impure, l’âme passionnée : convoitises et aver­ sions la remplissent. 15. Qui constate en son cœur une trace d’inimitié envers quelqu’un, pour une offense quelconque, est création, élan qui lu rendait capable d’atteindre la béatitude surnaturelle, mais que le péché a brisé (ci. Introduction, p. 35). 1. Isaïe, VI, 5. 2. 13-30. L'amour universel des hommes. L’amour du prochain apparaît tantôt comme un aspect de la liberté intérieure, une victoire sur les passion* de la convoitise et de la colère, tantôt comme l'expression de l’unité du genre humain, créé à l'unique image de Dieu. L’un et l'autre thème seront très abondamment développés (I, 13-30, 53-62, 68-72 ; II, 9-10, 30, 19-50 ; III. 15, 51-55, 79. S9-91 ; IV, 16-22, 26-11, 81-84, 87-90, 92-95. 97-99). S'ils tiennent une place si importante, c’cst vraisemblablement parce que l’amour universel pour les hommes est â la fois l'aspect le plus obvie de l'unité que l’amour opère dans la création, et la meilleure manière pour les hommes d’imiter cet amour divin. Imitation, notons-le, qui n’est pas seulement d’ordre moral, mais recouvre une participation surnaturelle (cf. H. vos Balthasar, Kosmischc LUiirffle, pp. 349-350). Les chapitres 24-25 insistent sur la ressemblance avec Dieu opérée en l’homme par cette attitude. LcschoHaste inconnu des Centuries la rapproche expressément de la volonté sttlviflque universelle (M. G. 90, 1073, scholion 4). PREMIÈRE CENTURIE 73 complètement étranger à l’amour de Dieu. Amour pour Dieu et haine pour un homme sont de tout point incompatibles. 16. « Celui qui m'aime, dit le Seigneur, observera mes commandements. Or, mon commandement à moi, c’est que vous vous aimiez les luis les autres. » Celui ‘donc qui n’aime pas son prochain n’observe pas le commandement, et qui n’observe pas le commande­ ment ne saurait aimer le Maître 17. Heureux l’homme capable d’aimer tous les hommes également ! 18. Heureux l’homme qui ne s’attache à aucun objet périssable et éphémère ! 19. Heureux l’esprit qui a dépassé les créatures et jouit sans cesse de la beauté de Dieu ! 20. Celui qui prenant soin de sa chair, en excite les convoitises et qui, pour des biens d’un instant, garde rancune à son prochain, voilà celui qui adore la créa­ ture de préférence au Créateur2. 21. Qui garde son corps à l’abri du plaisir comme de la maladie s’en fait un auxiliaire au service des biens supérieurs. 22. Qui échappe à toutes les convoitises du monde devient inaccessible à toute tristesse du monde. 23. Qui aime Dieu aime aussi son prochain sans réserve. Bien incapable de garder ses richesses, il les dispense comme Dieu, fournissant à chacun ce dont il a besoin. 21. Celui qui, en faisant l’aumône, veut imiter I. Joan.. XIV. 15 ; XV, 12. 3. Rom., XIII, 14; I, 15. 74 CENTURIES SUR LA CHARITÉ Dieu, ne met aucune différence entre bon et méchant, honnête ou malhonnête homme, dès lors qu’ils sont dans la nécessité. Λ tous il donne de même, à chacun selon ses besoins, tout en préférant pour sa bonne volonté le bon au méchant. 25. Dieu, par nature bon et sans passion, aime éga­ lement tous les hommes, œuvres de ses mains, niais glorifie le juste, parce qu’il lui est intimement uni par la volonté, et dans sa bonté a pitié du pécheur, l’instruisant en cette vie pour le convertir. Ainsi l'homme bon et sans passion par volonté aime égale­ ment tous les hommes, les justes pour leur nature et leur volonté bonne, les pécheurs, pour leur nature et par cette pitié compatissante qu’on a pour un fou qui s’en va dans la nuit. 26. Donner largement de scs biens est signe de cha­ rité ; mais combien plus distribuer la parole de Dieu et servir les autres ! 27. Qui a franchement renoncé aux biens du monde et, sans arrière-pensée, par amour, s’est fait serviteur de son prochain, est bientôt délivré de toute passion et établi participant de l'amour et de la connaissance de Dieu. 28. Qui possède en soi l’amour de Dieu n’a plus de peine à suivre le Seigneur son Dieu, comme dit le divin Jérémie, mais supporte généreusement peines, critiques, violences, sans vouloir à personne le moindre mal. 29. Si quelqu’un t’a outragé, ou marqué quelque mépris, prends garde aux calculs de la colère, de peur que, à la faveur de ton amertume, ils ne te séparent PREMIÈRE CENTURIE 75 de la charité pour t'établir dans les régions de la haine. 30. Souffres-tu d'un outrage ou d'un manque d'égards ? Sache qu’il y a pour toi grand profit à ce que ta vanité soit ainsi chassée providentiellement par l’humiliation. 31. Le souvenir du feu ne réchauffe pas le corps. De même une foi sans charité n'opère pas dans l’âme l'illumination de la connaissance1. 32. La lumière du soleil attire à elle l’œil sain. De même la connaissance de Dieu attire naturellement à elle, par la charité, l’esprit purifié. 33. L’esprit est pur quand sorti de l'ignorance, il s’illumine sous la lumière divine. 34. L’âme est pure quand, délivrée des passions, l'amour de Dieu fait sa joie continuelle. 35. Une passion blâmable est un mouvement de ■ l’âme contre nature 1 2. 36. La liberté intérieure est un état de paix dans lequel l’àmc ne se porte plus au mal qu'avec diffitulté. 1. 31-32.. Ces deux sentences marquent un lien entre charité cl connaissance (comparer IV, 55-62, notes). Maxime ne fait Ici que reprendre la tradition alcxnndrinc, utilisant simplement une comparaison nouvelle, celle du soleil et do l’œil sain, pour marquer qu'il s’agit d'un épanouissement naturel· (φυσιζώ;). CI. Evagre, Cent., II, 34 : · La sainte connaissance attire l’esprit puriflé comme l'aimant, par une force naturelle qu'il possède, attire le 1er ». Plus bas (I, 90). il s'agira d’une attirance morale, celle de la beauté. 2. il semble bien, d'après les meilleurs manuscrits, que Maxime ait écrit : ιτάΟο; ψ:χτ«5ν. En III. 71. il opposera la passion d'amour (άγάπη) blâmable à la louable ( πχ·.νί το#). Est-ce lii une simple façon d’exprimer cette vérité que la concupiscence n'est pas de soi péché ; ou Maxime a-t-il voulu noter, plus profondément, l'ambivalence de la passion ? En tout cas, la passion est - contre nature ·, c’est-à-dire s’oppose à la restauration de l'image divine, qui defluit la nature humaine. Les sentences qui vont suivre traiteront du combat du moine contre la passion blâmable. Mais ce combat pour la liberté intérieure sera envisagé sous un angle tout empirique. 76 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 37. Qui est par scs efforts entré en possession des fruits de la charité ne les abandonne plus, dût-il souffrir mille maux. A preuve Étienne, disciple du Christ, et scs pareils, et le Sauveur lui-même priant son Père pour ses meurtriers : « Pardonne-leur : ils ne sauenl pas 1 ! » 38. Charité signifie longanimité et bonté. Donc s’irriter, se montrer méchant, c’est rompre avec la charité, et rompre avec la charité, c’est rompre avec Dieu, puisque Dieu esl charité2. 39. « .Ve dites pas, conseille le divin Jérémie : Nous sommes le Temple du Seigneur ! » — Et toi, ne va pas prétendre qu’à elle seule la foi en Jésus-Christ Notre-Seigneur peut te sauver : entreprise impos­ sible, si par les œuvres tu n’acquiers son amour. La foi toute seule... Mais les démons ont la foi et la crainte31» 40. Œuvres de la charité : bienfaisance cordiale envers le prochain, longanimité, patience, usage des choses selon la droite raison... 41. Qui aime Dieu ne contriste personne et ne s’attriste contre personne pour des motifs d’ordre temporel. Il n’inspire et ne ressent qu’une tristesse, mais salutaire, celle que ressentit saint Paul au sujet des Corinthiens, et qu’il leur inspira 4. 42. Qui aime Dieu mène sur terre une vie angé­ lique, dans le jeûne, les veilles, le chant des psaumes et la prière, jugeant bien de tout le monde. 1. 2. 3. 4. Luc, XXIV, 34. I Joan., IV. 8. Jcrcm., VII, 4 ; Jac., II, 19. 2 Cor., VII, 8. PREMIÈRE CENTURIE 77 43. Qui veut une chose lutte pour Γ acquérir. Or de tous les objets bons et désirables, Dieu est incom­ parablement le meilleur et le plus désirable. Quelle ardeur doit donc être la nôtre, pour acquérir ce bien en soi bon et désirable ! 44. Ne souille pas ta chair par des actes hon­ teux, ne salis pas ton âme par des pensées perverses, et la paix de Dieu viendra sur toi, porteuse de la charité. 45. Maltraite ta chair par le jeûne et les veilles, vaque sans relâche au chant des psaumes et à l’orai­ son, et la consécration de la chasteté viendra sur toi, porteuse de la charité. 46. Jugé digne de la divine connaissance et pourvu, grâce à la charité, de son illumination, jamais plus on ne se laissera emporter par l’esprit de la vaine gloire. Jusque là, on reste pour lui une proie facile. Si donc alors, en toutes les actions que Dieu nous donne d’accomplir, nous nous tournons vers Lui, comme fai­ sant tout à cause de Lui, avec son secours nous échap­ perons aisément à ce danger x. 47. Qui n’a pas encore obtenu la connaissance di­ vine, fruit de la charité, s’enorgueillit des actes qu’il accomplit selon Dieu. Mais lorsqu’il en a été jugé digne, c’est avec une conviction profonde qu’il redit les paroles du patriarche Abraham quand il fut gra1. tfi-is. Valût) gloire et humilité. Comparer I, 76 ; II, 38-40; III, 59-61. L’enseignement de Maxime n'a rien d'original. Même les industries qu'il conseille sont tirées du Practicas d’Evagre. — Le texte porte: ■ L'esprit de la vaine gloire» et non l'esprit de vainc gloire. Un manuscrit porte isiuwz au lieu de πνίύαα. En tout cas il n'est pas douteux que Maxime voit, der­ rière la passion, l'action personnelle d'un démon. 78 CENTURIES SUR LA CHARITÉ tifié de la manifestation divine : « Je ne suis, moi, que terre et cendre 1 ». 48. Qui craint Dieu a pour compagne assidue l’hu­ milité : grâce aux pensées qu’elle lui inspire, il par­ vient à l'amour et à la reconnaissance pour Dieu. Elle lui rappelle comment autrefois il a vécu selon le monde, les défaillances de toute sorte, les tentations éprouvées depuis sa jeunesse, comment le Seigneur l’a délivré de tout cela et l’a, d’une existence en proie aux passions, fait passer à une vie selon Dieu. Alors, avec la crainte, la charité le saisit, et il ne cesse, plein d’une humilité profonde, de rendre grâces au bienfaiteur et au guide de notre vie 1 23. 49. Garde-toi de souiller ton esprit en accueillant les pensées de convoitise et de colère. Sinon, de l’orai­ son pure, Lu tomberas dans la paresse spirituelle 3. 50. I) perd du coup toute familiarité avec Dieu, l’esprit qui devient coutumier de pensées mauvaises ou impures. 51. L’insensé, jouet de ses passions, quand sa co­ lère en mouvement le bouleverse, suit aveuglément l’impulsion de fuir ses frères ; au contraire, quand sa convoitise ranime son ardeur, il change du tout au tout et court à eux, plein de prévenances. La conduite 1. Genèse, XIX, 27. 2. Cf. Evagbe, Praclicos, I, 22 : « Souvicns-toi de ta vie d’autrefois, do tes chutes passées, et comment, alors que tu étais en proie aux passions, le Christ, dans sa miséricorde, t’a fail passer à l’état de liberté intérieure · (M, G. 40, 1228). 3. Ού;ιο; et cnîOvyt® sont habituellement traduits par: colère et convoi­ tise. Plus souvent, Maxime parle des trois puissances ou .parties de l’Anic : £π:0υ;χητ:ζ.ό'/, QyutZGv, λθγ«ζόν, qui seront traduits : puissance concupisciblc, irascible, raisonnable (cf. Introduction, p. 3-1). PREMIÈRE CENTURIE 79 du sage, dans la même alternative, est tout à l’op­ posé : du coté colère, il a supprimé, toute cause de trouble et se garde de toute amertume contre ses frères ; du coté convoitise, il maîtrise tout élan irrai­ sonné qui le porte vers eux \ . 52. A l’heure de la tentation, ne quitte pas ton monastère, mais tiens bon, généreusement, sous la tempête des pensées, celles de tristesse et de découra­ ment surtout. Car, providentiellement éprouvé par ces afflictions, tu verras s’affermir ta confiance en Dieu. Mais si tu quittes la place, preuve est faite de ton insignifiance, de ta lâcheté, de ton inconstance. 53. Si tu veux garder la charité telle que Dieu l’a réglée, ne laisse pas ton frère se coucher avec un sen­ timent d’amertume envers toi et, de ton côté, ne te couche pas avec un sentiment d’amertume à son 1. Cf. Evac.h.!, Practices, I, 13: · Quand, s'appuyant sur un mauvais pré­ texte, la partie Irascible de notre âme se trouble ù fond (ίζτχιάξτ,ται), à ce moment précis les démons eux aussi nous conseillent la retraite comme une chose excellente, afin qu'au lieu de couper court aux causes de notre amer­ tume, nous les transformions en causes de trouble. Lorsque lu puissance concupiM’iblc s'échauffe (izOrouaivirat), alors les démons, an contraire, nous inspirent do l'amour pour les hommes, nous traitent de malpolis et «le sauvages, afin que, désirant les corps, nous rencontrions les corps. · Evagrc parle d'une action directe des démons, peut-être même sous uno forme cor­ porelle (-ils nous appellent les puissances Inférieures de l'âme. Maxime, qui ne fait pas intervenir les démons dans catte première Centurie (sauf peutêtre ch. 4G), s’arrête à la cause psychologique du trouble intérieur, qu'il caractér.se du reste par les mêmes mots que son devancier. La tentation du (Ιύαος porte :'i abandonner la vie de communauté, sous prétexte de · retraite · (χνανοφηβις), ajoute Evagrc : illusion très grave au temps do ce dernier, oti le cénobitisme n'était pas encore parfaitement posé en face do l'anacho­ rétisme. Maxime, n'ayant plus affaire â cette difficulté, a remplacé le terme technique par z;·>£!>. Ainsi, au chapitre suivant, reprenant encore un texte d’Evagre (Pract., I, 19), il remplace : « Ne quitte pas ta cellule ·, par : • Ne quitte pas ton monastère · Simple adaptation aux circonstances. Pour la tentation do la convoitise, Evagrc est plus brutal et suggère nettement une affection sensible fondée sur un attrait physique. 80 CENTURIES SUR LA CHARITÉ égard, mais va te réconcilier avec ton frère, cl tu vien­ dras offrir au Christ, avec une conscience pure et dans une oraison fervente, le don de la charité \ 54. Tous les dons du Saint-Esprit, sans la charité, ne servent de rien, selon le divin Apôtre. Aussi, de quel zèle devons-nous faire preuve pour l’acquérir 2 ! 55. La charité ne fait point de mal au prochain. Aussi envier son frère, s’attrister de sa bonne répu­ tation, éclabousser de traits d’esprit la bonne opinion qu’on a de lui, ou à l’occasion lui tendre un piège par malveillance, n’est-ce pas nécessairement s’exclure de la charité et tomber sous le coup du jugement étemel3 ? 56. La plénitude de la loi, c'est la charité. Aussi gar­ der rancune à son frère, lui dresser des embûches, lui souhaiter du mal et se réjouir de sa chute, n’cst-ce pas nécessairement aller contre ,1a loi et mériter le châ­ timent éternel4 ? 57. Celui (pii dénigre son frère et le juge, dénigre et juge la loi. Or, la loi du Christ, c’est la charité. N’est-il pas fatal, par conséquent, que le médisant s’exclue de l’amour du Christ et se prépare à lui-même le châti­ ment éternel5 ? 58. Ne rends pas ton oreille complice d’une mé­ chante langue, ni ta langue d’une oreille qui aime la médisance, en prenant plaisir à parler ou écouter à tort et à travers ; tu risquerais de L’exclure de l’amour divin et, pour la vie éternelle, d’être laissé dehors. 1. Matthieu, V, 24. 2. I Cor.. XIII, 1. 3. Hom.. XIII, 10. 4. Ibid. 5. Jacques, IV, 11. ‘ ' Ci L PREMIÈRE CENTl’RIE 81 59. Ne so U lire pas qu'on insulte ton père, et gardetoi d’encourager celui qui lui manque de respect, sous peine d’attirer la colère du Seigneur sur tes œuvres, et d’être exclu de la terre des vivants. 60. Ferme la bouche à qui médit à tes oreilles, sous peine de commettre avec lui un double péché : nourrir en toi-même une passion dangereuse, et le laisser, lui, parler inconsidérément de son prochain. 61. Et moi je vous dis : « Aimez dos ennemis, (ailes du bien à ceux qui nous haïssent, priez pour ceux qui nous calomnient. » Pourquoi ces préceptes du Sei­ gneur ? - Pour t'arracher à la haine, à l’amertume, à la colère, la rancune, pour te rendre digne de ce bien suprême qu'est l’amour parfait, bien qu’on ne saurait posséder tant qu'on n’aime pas également tous les hommes, à l’exemple de Dieu qui aime égale­ ment tous les hommes, veut leur salut à tous, et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité1. 62. El moi je vous dis de ne pas tenir télé au mé­ chant : à qui te frapperait sur la joue droite, tend l'autre aussi. A qui veut plaider pour prendre ta tu­ nique, abandonne jusqu'à ton manteau. A qui veut t'obliger à une marche de mille pas, tiens compagnie pendant deux mille. Pourquoi ces recommandations ? — C'est qu’il veut te préserver toujours, toi, de la colère, du trouble et de l'amertume, donner à l’autre 1. Matthieu. V, 44. Dans toute cette suite de chapitres, où Maxime suit de très près le Practices d’Evagrc, il est intéressant <16 rencontrer un point où il contredit son maître. Ce dernier avait écrit (practlcos II, 100 ; M. G. 40, 1252) : · Aimer tous les frères également (jn' ΐοης), cela n'est pas possible, mais on peut vivre avec tous sans passion (isiOro;), c’est-ü-dire exempt de rancune et de haine. · Maxime au contraire reprend ici son idée de l'amour égal et universel 9. Maxime le Confesseur. G 82 CENTURIES SUR LA CHARITE une leçon par le spectacle de ton inaltérable patience et vous amener ensemble, dans sa bonté, sous le joug de la charité *. 63. Quand un objet a fait impression sur nous, nous conservons de lui des images passionnées. Aussi, maî­ triser ces images passionnées, c’est du même coup in‘priser les objets dont elles viennent. Plus ardue, en effet, est la lutte contre les souvenirs que contre les objets, tout comme pécher en pensée est plus facile que pécher en acte 2. 64. Parmi les passions, on distingue celles du corps et celles de l’âme. Celles du corps prennent leur ori­ gine du corps lui-même ; celles de l’âme, des objets extérieurs. Elles sont éliminées par la charité et la maîtrise de soi, celles de l’âme par la charité, celles du corps par la maîtrise de soi 3. 65. Parmi les passions, les unes se rapportent à la partie irascible de l’âme, les autres à la concupiscible· 1. Matthieu, V, 39-11. 2. 63-67. (Rapprocher I, 8-1). Psychologie de la passion et de la tentation. La transcription du Practices continue, parfois mot pour mot. Evngre lui aussi distinguait pussions du corps et passions de l’ftine, d’après le même principe : lit diversité d’origine (άσσουη). Lui aussi, d'après le siège des pas­ sions, distinguait celles de la convoitise et celles de la colère, auxquelles s’opposent respectivement la maîtrise «le sol (ιγχοάτκα) et la charité (cf. Practlcos, I, 20, 21, 26 ; Ep. I.) 67. Un des rares exemples, dans nos Centuries, de la φαντασία ΐμπαΟη;, l’image passionnée. Ce qui montre que même l’imagination sensible n'est pas de sol mauvaise et passionnée (cf. aussi I, 89 et 91). D’ordinaire, Maxime emploie / ογ·σ;ιζ>; ou v r,ua, ce qui forme une expression plus paradoxale. 3. · Maîtrise de soi » semble meilleur, pour traduire ίγζρατίΐα, que • continence » qui, pris dans son Sens étymologique, pourrait passer, mais exprime en français tout autre chose que l’empire de l’esprit sur les passions de la convoitise. Parfois, le contexte invite & préférer · tempérance ·, au sens technique de la quatrième vertu cardinale. Pour Maxime, la maîtrise «le sol est d'abord la « vertu-gardienne ·. Depuis Clément d’Alexandrie, qui l'appelle » fondement de la gnose » (Slrom., 7. 12), elle avait conquis sa pince dans la psychologie de l'ascèse. PREMIÈRE CENTURIE i’ b / I J ·» f ; il 83 A toutes, ce sont les objets sensibles qui donnent le branle, ce qui se produit dans les périodes où charité et maîtrise de soi sont absentes de l'ànie. 66. Plus difficiles à combattre sont les passions de la partie irascible de l’âme, plus faciles celles de la partie concupiscible. C’est pourquoi aussi plus éner­ gique est le remède que le Seigneur a donné contre la colère : le précepte de la charité. 67. Toutes les autres passions affectent dans l’âme soit la partie irascible, soit la concupiscible, soit même (l’oubli et l’ignorance par exemple), la raisonnable. Mais la paresse spirituelle, qui s’attaque à toutes les puissances de l’âme, émeut à la fois presque toutes les passions ; et c’est pourquoi, entre toutes, elle est redoutable. Précieuse donc la parole du Maître, qui lui oppose le remède : « Par notre, patience,, gagnez nos âmes r. » 68. Garde-toi d’offenser aucun de tes frères. Car peut-être, incapable de supporter la peine, il s’en ira. Et lu n’échapperais plus alors aux reproches de ta conscience, qui toujours, au moment de l’oraison, t’apporteraient la tristesse, interdisant à ton esprit tout commerce familier avec Dieu 12. 69. Garde-toi d’accueillir soupçons ou personnes qui tendraient à te scandaliser au sujet de tel ou tel. Car ceux qui, de quelque façon que ce soit, se font un scandale des événements, voulus ou non, ne con­ 1. Luc, XX1, 19. 2. jr.o/'opr^r, ne signifie pas, vraisemblablement, que Je moine quittera son monastère et In vie religieuse, mais qu'il rompra avec In communauté. C'est probablement une allusion nu même incident qn'Evagre nomme ivr/ώοησ·.; dans le passage cite plus haut, note au ch. 51. 84 CENTURIES SUR LA CHARITÉ: naissent, pas la paix, celte roule qui par la charité mène à la connaissance de Dieu ceux qui en sont épris. 70. 11 n’a pas encore la charité parfaite, celui dont les dispositions changent au gré de celles d’autrui, qui par exemple aime celui-ci, déteste celui-là pour un oui ou pour un non, ou bien aujourd’hui aime, demain détestera la même personne pour les mêmes motifs. 71. La charité parfaite n’admet, entre les hommes qui ont tous même nature, aucune distinction basée sur la différence des caractères. Elle ne voit jamais que cette unique nature, elle aime egalement tous les hommes, les bons à titre d’amis, les méchants à titre d’ennemis, pour leur faire du bien, les supporter, endurer patiemment tout ce qu’on reçoit de leur part, refusant obstinément d’y voir la malice, allant jus­ qu’à souffrir pour eux si l'occasion s’en présente. Ainsi peut-être s’en fera-t-on des amis ; jamais du moins on ne sera-infidèle à soi-même, et sans cesse, à tous les hommes également, on montrera les fruits de la charité. Notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ a bien, lui, montré son amour en souffrant pour l'hu­ manité entière, et en donnant gratuitement à tout le monde la possibilité de ressusciter un jour, chacun restant maître de mériter la gloire ou le châtiment. 72. Ne pas mépriser gloire et obscurité, richesse et pauvreté, plaisir et douleur, c’est n’avoir pas encore la charité parfaite. La charité parfaite méprise non seulement tout cela, mais encore la vie temporelle et la mort. 73. Écoute ceux qui ont obtenu le don de la par­ PREMIÈRE CENTURIE 85 faite charité, quel langage ils tiennent : « Qui nous séparera de l'amour du. Christ ? La tribulation ? L'an­ goisse. ? La persécution ? La faim ? Le dénument ? Le danger ? L'épée ? (Il est bien écrit : à cause de toi tout le jour nous sommes mis à mort, on nous regarde comme des moulons de boucherie !) Mais dans toutes ces épreuves nous sommes plus que vainqueurs, grâce à celui qui nous a aimés. Oui, je suis bien sûr que ni mort, ni oie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni présent, ni avenir, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Noire Seigneur !1 » 71. Et sur l’amour du prochain, écoute aussi : « Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens pas, ma cons­ cience m'en rend témoignage par le Saint-Esprit : c'est pour moi une tristesse immense, un chagrin incessant dans mon cœur. Je souhaiterais d'être rejeté loin du Christ pour mes frères, ceux de ma race, de ma chair, ceux d’Israël! » et la suite... De même Moïse et les autres saints 2. 75. Sans mépriser gloire, plaisir et ce qui les entre­ tient et dont ils ont fait naître la passion : l’avarice, possible de couper court aux prétextes de la colère. Or, sans y couper court, impossible de trouver la cha­ rité parfaite. 76. L’humilité et la souffrance délivrent l'homme de tout péché, en supprimant, la première les pas­ sions de l’âme, l’autre celles du corps. C’est, semblet-il, l’exemple que nous donne le bienheureux David, 1. Rom., VIII, 35-39. 2. Ibid., IX, 1-3. 86 CENTURIES SUR LA CHARITÉ quand il dit dans sa prière : « Vois nia misère et ma peine et enlèue tous mes péchés L » 77. Les préceptes sont le moyen dont le Maître se sert pour amener à la liberté intérieure quiconque les pratique, et son enseignement divin, le moyen par lequel il accorde l’illumination de la connaissance. 78. Dans son ensemble, cet enseignement a un triple objet : 1° Dieu, 2° les êtres, visibles et invisibles, 3° l’action en eux de la Providence et du Jugement divins. 79. L’aumône est le traitement de la colère ; le jeûne, le remède de la convoitise ; l’oraison, elle, puri­ fie l'esprit et le prépare à la contemplation des êtres. Pour les facultés de l’âme le Maître nous a.également donné ses préceptes. 80. Sur la parole : « Apprenez de, moi (pie je suis doux et humble de cœur, etc... » La douceur garde à l’abri du trouble la partie irascible de l’âme, l’humi­ lité libère l’esprit de l’orgueil et de la vaine gloire 81. Il y a deux craintes de Dieu : l’une, qui naît en nous sous la menace du châtiment, et engendre tour à tour la maîtrise de soi, la confiance en Dieu, la liberté intérieure, mère de la charité ; l’autre, com­ pagne inséparable de la charité même, qui entretient sans cesse dans l’âme le respect, de peur que la fami­ liarité inhérente à l'amour ne dégénère en mésestime de Dieu. 82. La première sorte de crainte, la charité parfaite la chasse de l’âme qui, la possédant, ne craint plus le 1. Ps., XXIV. 18. 2. Malt.. XI. 29. PREMIÈRE CENTURIE <87 châtiment ; mais la seconde, comme je viens de le dire, se joint à elle et la garde toujours. A la première s’appliquent les textes : La crainte du Seigneur dé­ tourne toujours du mal. La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. Et à la seconde : La crainte du Seigneur est pure et demeure à jamais. Bien ne manque à ceux qui. le craignent1. 83. Faites mourir dos membres, ceux de la terre : fornication, impureté, passion, convoitise mauvaise, cupidité, etc... La terre désigne ici la prudence de la chair ; la fornication, l’acte même du péché ; l’impu­ reté, le consentement ; la passion, c’est la pensée passionnée ; la convoitise mauvaise, la simple accep­ tation de la pensée de la convoitise ; la cupidité, la matière première et l’aliment de toute passion. Et voilà tout ce que le divin Apôtre nous enjoint de mettre à mort, comme « membres » de la prudence de la chair2. 84. D’abord, la mémoire présente à l'esprit une pensée simple. Cette pensée dure, et la passion se met en branle, puis, si elle n’est écartée, elle pousse l'esprit à consentir. Ce consentement donné, la seule étape qui reste est le péché d’action. Aussi est-ce fort sage­ ment que l’Apôtre, dans une lettre à des chrétiens sortis du paganisme, leur prescrit de s’attaquer d’abord au péché d’action, et ensuite, méthodique­ ment, de remonter pas à pas vers la cause. Et cette cause, je l’ai dit, c’est quelque cupidité qui met en branle et entretient la passion, par exemple lagourman1. Proverbes. XV, 27 ; I, 7. - Ps.. XXXIII. 10. 2. Col.. III, 5. 88 CENTURIES SUR LA CHARITÉ dise qui engendre et entretient la luxure. La cupidité en effet est mauvaise non seulement quand elle a pour objet l’argent, mais aussi quand elle s’attache à la bonne chère ; et en revanche, la tempérance est bonne non seulement quand elle a pour objet la nour­ riture, mais aussi quand elle s'applique à l’argent. 85. Γη moineau pris par la patte, s’il veut s’envo­ ler, est retenu par son lien. Ainsi l’esprit qui n’a pas encore la liberté intérieure, s’il tente de s’élancer vers la connaissance des réalités célestes, retombe sur terre, entraîné par la force des passions \ 1. $5-100. Liberti intérieure el connaissance. Dans cette première centurie, Maxime ne distingue pas expressément Γ.',χξ'ί et γνώσις comme degrés de la vie spirituelle. Il semble «loue, ici, présenter lu contemplation comme un fruit naturel et un indice (88) de la liberté intérieure. Néanmoins, malgré la terminologie flottante, il est possible de dresser un tableau assez précis des degrés de vie spirituelle indiqués par ce groupe de chapitres. D'abord, l'es­ prit apparaît dépouillé des passions, parce qu'il s'est détaché des objets ; c’est le fruit de la pratique des commandements (85, 94). Puis ce sont les représentations mêmes qu’il a des choses qui deviennent simples, pures, sans passion ; l’esprit voit les êtres qui l’entourent selon leur vraie structure, leurs • raisons », leur · sens · ; d'où une singulière sûreté de jugement dans la con­ duite morale ; le discernement. Ce nouvel état corresiwnd à ce que Maxime appelle contemplation des êtres visibles, ou contemplation naturelle, parfois même · spirituelle », des itres (86, 86, 92, 94, 97). Degré curactérbdiquo de la pleine liberté Intérieure (88, 89,91. 92. 93) : c'est sur lui que tout ce pas­ sage parait centré. En troisième lieu, la connaissance ou contemplation de l’invisible ou du céleste (85, 90.94) attire l'esprit naturellement, comme le soleil attire l’œil sain, à une vue plus parfaite du monde et de l’action de Dieu en lui (90, 99). Au sommet apparaît la connaissance de la Sainte Tri­ nité (86, 94), connue non pas dans son essence, mais dam ses attributs et par son action dans l'univers (96, 100). Le scholiaste nous invite, mais sans le faire lui-même, à cc travail de classification (M. G. 90, 1076, schol. 13). Ailleurs (ci-dessus, 78 et plus bas III, 33), Maxime distingue cinq objets des enseignements, qui recouvrent exactement les cinq connaissances cata­ loguées par Evngrc : « 1) y a cinq connaissances fonda mentales qui renferment toutes les autres : la première est, au «lire des Pères, lu connaissance do l'adorable Trinité, lu seconde et In troisième sont la connaissance des êtres incorporeis et des êtres corporels, lu quatrième cl lu cinquième, la connais­ sance du jugement et la connaissance de la Providence de Dieu · (Cent., I. 27. trad. Viller). En rigueur, les deux tableaux de Maxime ne se recouvrent pas exactement : à la contemplation de l'invisible et du céleste, l’autre subs- l PREMIÈRE CENTURIE <39 <36. Mais, libre de. toute passion, il s’élance sur la route, sans tourner la tète, vers la contemplation des êtres et, au delà, vers la connaissance de la Sainte Trinité. <37. Devenu pur, l’esprit, dès qu'il perçoit les notions des êtres, passe à leur contemplation spirituelle. Rede­ venu impur par sa négligence, il se représente encore dans leur pureté les notions des autres objets, mais, s’il s’agit de choses humaines, elles lui inspirent des pensées viles et perverses ’. <88. Lorsque pendant l’oraison jamais aucun sou­ venir du monde ne vient te troubler l’esprit, sache alors que tu n'es plus hors du domaine de la liberté intérieure. <89. Lorsque l’âme prend conscience de sa bonne santé, ses imaginations, même dans le rêve, com­ mencent à lui apparaître pures et sans trouble 2. tltue la connaissance du jugement et de la providence. Maxime, dirait-on, préfère cette seconde classification : le jugement et la providence reviennent plus souvent que les réalités invisibles et célestes (cf. fl, -16, 66, 91. £6) ; IV, 16, 18 : Ambigua, M. G. 91. 1297 A, 1168 B-C ; Quest. Thaï., 44 ; M. G. 90. 72» C). Il semble qu’Origènc ait été le premier à distinguer les cinq contempla­ tions. Villcr, â la suite de Bousset, Indique plusieurs textes (art. cité, note 130), et notamment : « C’est un livre de Dieu que la connaissance des corps et des êtres incorporels, dans lequel, par la-gnose, l’esprit pur peut écrire. Dans ce livre est écrite aussi la science de la providence et du jugement. C’est par ce livre que Dieu est connu comme démiurge, comme sage, commo prévoyant cl comme juste... · (Selecta in psalmos. M. G.. 12, 1661 C). Depuis lors, la terminologie et la pensée se sont heureusement précisées. 1. Sur la contemplation < spirituelle ·, cf. IV, 15, Uotc. 2. Cet état de l'Amc, c’cst-à-dirc des deux puissances inférieures, par oppo­ sition au νοδς, correspond à celui ou l'esprit n’est plus troublé, dans la prière, par les représentations passionnées. Sa bonne santé, c'est donc la liberté intérieure. I.a pensée, sinon l'expression, est d'Evagre (Practices, I, 36, parle de la perception de son propre éclat. Comparer Centuries sur la charité, IV, 50, 79-50). Par ailleurs, Practices, II, 55-56, identifie la santé de l'Amc avec l'apatheia. 90 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 90. Comme les beautés visibles le sens de la vue, la connaissance de l’invisible attire l’esprit purifié. Par l'invisible, j’entends les êtres incorporels. 91. N ôtre plus attaché aux objets, c’est bien ; mais garder sa liberté intérieure devant leurs images, c’est beaucoup mieux. Aussi bien les démons nous font par nos pensées une guerre bien plus dure que par les objets mêmes. 92. Celui qui pratique à la perfection les vertus et a acquis le trésor de la connaissance voit désormais’ les choses selon leur nature et par conséquent agit et. pense toujours selon la droite raison, sans jamais se l rom per. Car c’est l’usage raisonnable ou déraison­ nable que nous faisons des choses qui nous fait ver­ tueux ou pervers. 93. Un indice de haute liberté intérieure, c’est que les représentations des objets surgissent dans l’âme en leur simplicité, dans la veille ou dans le rêve 94. Par la pratique des commandements l'esprit se dépouille des passions ; par la contemplation spiri­ tuelle des choses visibles, il quitte les représentations passionnées qu’il a des objets ; par la connaissance des réalités invisibles, il se dégage de la contemplation des choses visibles et de cette connaissance enfin, par celle de la Sainte Trinité. 95. Le soleil une fois levé éclaire le monde, rendant visible, avec lui, tout ce qu’il éclaire. Ainsi le soleil de justice, quand il se lève dans l’esprit purifié, se mani1. CL EvAGnE.Prcrclicos, I. 35-42 : indices de la liberté intérieure.· Signe de liberté intérieure : l’esprit commence ù voir son propre éclat, demeure en paix (ηττ/ο:) devant les apparitions du rêve et son regard glisse douce­ ment sur les objets · (36). PREMIÈRE CENTURIE 91 feste lui-même, et fait connaître les raisons de tout ce qui existe et existera par lui. 96. Nous ne connaissons pas Dieu dans son essence, mais-par la magnificence de sa création et l’action de sa Providence, qui nous présentent, comme en un miroir, le reflet de sa bonté, de sa sagesse et de sa puissance infinies. 97. L’esprit purifié ou bien a des représenta­ tions simples et pures des choses humaines, ou bien contemple naturellement les êtres, visibles ou invisibles, ou bien reçoit la lumière de la Sainte Trinité. 98. Parvenu à la contemplation des êtres visibles, l’esprit tantôt cherche leurs raisons naturelles, tantôt ce qu’ils signifient, tantôt leur cause elle-même. 99. S’il s’adonne à la contemplation des réalités invisibles, l’esprit cherche leurs raisons naturelles, la cause de leur existence, leurs conséquences et enfin faction sur elles de la Providence et du Jugement divins. 100. Mais, arrivé à Dieu, l’ardeur de son désir lui fait chercher d’abord ce qu’est l'essence divine, car il ne trouve de consolation en rien de ce qui lui res­ semble. Mais c’est une entreprise impossible et la , connaissance de l’essence de Dieu est également inac­ cessible à toute nature créée. Il se contente donc des attributs, c’est-à-dire, l’éternité, l’infinité, l’invisibi­ lité, la bonté, la sagesse, la puissance qui crée, gou, verne et juge les êtres. Cela seulement est en lui par­ faitement compréhensible : qu'il est infini, et le fait même de ne rien connaître est déjà une connaissance 92 CENTURIES SUR LA. CHARITÉ transcendante à l’esprit, comme l’ont montré les théologiens Grégoire et Denys DEUXIÈME CENTURIE - 1. Qui aime sincèrement Dieu prie aussi absolu­ ment sans distraction, et qui prie absolument sans 1. Sur le · théologien ·, voir II, 27. note ; sur la connaissance de Dieu par scs attributs, IV, 7-9. U est difficile d'indiquer avec précision le passage de Grégoire de Nazianze auquel Maxime entend se référer : aussi bien, nombreux sont les discours dans lequel* cette même pensée est développée. Voir notamment le quatrième Discours tMolmjique. 17 et 18. Quant au Pseudo-Dcnys, il s'agit plus probablement «lu chapitre I des Noms divin» (M. G. 3, 593) : · Le Rayon, par conséquent, qui est au delà de toute essence, doit transcender aussi toute connaissance · (trad. Gand illac). 2. Deuxième centurie. I41 première centurie formait un tout assez complet et caractérisé. La seconde et la troisième se distinguent moins licitement l’uno de l'autre, d'abord, parce que l'on a peine A découvrir entre elles une coupe véritable (la seconde s’achève sur une exégèse des premiers versets du psaume 22. qui continue au début de la troisième); ensuite, parce que dans l’une et dans l’autre c'est le thème du combat spirituel qui domine, Pourtant, la seconde introduit des éléments nouveaux et bien â elle : les démons, la prière sans distraction, la distinction entre pratique et gnose... De plus, l’idée même du combat spirituel, qui d'ailleurs n’est qu'un nouvel aspect de la purification-libération décrite dans la première centurie, appa­ raît ici sous «les traits plus accusés, plus « ascétiques · pourrait-on dire : derrière la passion, il y a un adversaire personnel, un démon ; l'esprit monte la garde pour empêcher les pensées de durer en lui ; l'âme et le corps s'ap­ pliquent intensément aux saintes occupations qui les séparent «les objets et des passions. C'est, en somme, la phase pratique de la lutte ; la troisième, centurie en présentera plutôt lu phase t/nosiique. En tout cas, les sept premières sentenccsfonne.nt un groupe bien particu­ lier : elles décrivent la prière · sans distraction » ou, car les deux expressions paraissent bien synonymes, l'oraison pure. Cette prière est le fait d'un esprit libéré ; elle n'en est pas moins sans cesse menacée, et voici une présentation, longue et détaillée, des ennemis à l’affût : passions et démons (8-22). Les chapitres 23-30 nous font do nouveau entrevoir la libération et les progrès dans la connaissance et, â partir de 31, nous assistons à la lutte méthodique contre les ennemis. Il est difficile, dans cet enchevêtrement de sentences dis­ parates, de distinguer des groupes et une suite logique. On peut toutefois indiquer : les importants chapitres 31-33 (psychologie de la tentation et du péché) ; 31-37 (l'intention droite) ; 38-10 (lutte contre lo démon de l'orgueil). Il semble qu'on puisse réunir 11-17 sous le titre : remèdes providentiels aux DEUXIÈME CENTURIE 93 distraction aime aussi sincèrement Dieu. Or, il ne prie pas sans distractions, l'homme qui garde son esprit rivé à quelque objet terrestre. Donc celui-là n’aime pas Dieu qui garde son esprit attaché â quelque objet terrestre *. passions. Vient ensuite une série de diagnostics sur la charité: amour du pro­ chain. union â Dieu dans lu prière, vertus diverses (48-58). 59-60 traitent de l’égoïsme ; 61-62 du sommet de l’oraison, puis, de nouveau, l'idée du combat affleure : après quelques notations sur h· péché et les raisons provi­ dentielles des tentations, nous sommes longuement prévenus contre les repré­ sentations on pensées passionnées (62-75). Les sentences suivantes annoncent la troisième centurie, en donnant le principe que le mal n'est jioint dans les choses, mais dans l’abus que nous en faisons (75-78, dont il convient de rap­ procher 82). Ensuite dominent les notations psychologiques : vertus <4 vices, hiérarchie des puissances, pensées passionnées, démons, tentations (78-93). Vient alors une explication, qui continuera dans la troisième centurie, des premiers versets du psaume 22 (94-99). Enfin la dernière sentence nous ramène â celles du début, â l'idée de la prière pure, fruit de la liberté inté­ rieure et de la contemplation des être». I. 1'6. Prière satin distraction et prière pure. Pcrfcctiohnant la classificalion «l'Origcnc (De Oratione, ch. 14, M. G. 11, 401), Evagre avait distingué la prière de demande (osr,?:;), · conversation de l’esprit avec Dieu, accompagnée de supplication dans laquelle se trouve une demande de secours pourle temps du combat »((.'«»/., Vil,311 ; la prière d'intercession (ίντ:υς·;) ■ demande faite à Dieu par les spirituels pour le salut des autres » (ibid., 33), enfin · la prière supérieure dans l’état de l'Amc le plus élevé > (nsose-jy»}), l'oraison proprement dite. Π no s’agit ici que de la προσ ^/τ^. Manifestement, Maxime entend décrire l'idéal de l’oraison, fruit de la charité, qu’il désigne, par deux expressions équivalentes, évoquant la liberté intérieure : oraison pure (xâOaçjt) et sans distraction (ïtîrtptosaoxwç), hérité d’Evagre et qui remonte pml-ètrc ft 1 Cor., 7. 35 : s’attacher au Seigneur sans tiraille­ ments ·. Les traits de la description sont nets : l'esprit n'éprouve plus de • distraction >, c'est-à-dire non seulement que nulle pensée importune ne vient détourner son attention du sujet de sa méditation, mais, plus profondé­ ment, qu'à l'état ordinaire toutes ses facultés, détournées des objets, qu’elles méprisent, et de leurs représentations, qui demeurent pures, sont orientées vers Dieu, fixées, établies en lui. Etat qui implique Ι'άπΐΟπα et la charité, cetto préférence résolue donnée à la connaissance «lu Dieu transcendant. État double, suivant qu’il se situe au sommet de la vie pratique ou de lu vie gnostique (6), S'il s’agit de la vie gnostique, il suppose un esprit totalement simplifié, ■ sans matière ni forme ■ et longuement façonné par les contempla­ tions spirituelles ·. Ce dernier trait pose le problème, qui sera traité plus bas, des rapports de l'oraison pure avec la (Ιεολογίχ ou connaissance de la Sainte Trinité. On pourra sc reporter au De Oratione d’Evagre, traduit et commenté par I. Hausiikhii, dans Revue d’Ascètique et de Mastique, tome XV, Janvier-avril 1934. 94 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 2. Si l’esprit s’arrête longuement sur un objet sen­ sible, c’est qu’une passion l’y retient attaché : con­ voitise, ou tristesse, ou colère, ou rancune. Et tant qu’il ne méprise pas cet objet, il ne peut s’affranchir de cette passion. 3. Les passions qui subjuguent l’esprit le lient aux objets matériels, le séparent de Dieu en l'occupant tout entier de ces objets. Mais si l’amour de Dieu prend le dessus, il le délivre de ces liens et lui fait mépriser non seulement les objets sensibles, mais même, notre vie temporelle. 1. L’effet des commandements, c’est de rendre simples les représentations des choses. Celui de la lec­ ture et de la contemplation, c’est de rendre l'esprit sans matière et sans forme. D’où résulte la prière sans distractions L 5. Pour délivrer l’esprit des passions si parfaitement qu'il puisse prier sans distraction, la voie active ne suffit pas, si elle n’est suivie de diverses contempla­ tions spirituelles. L’action en effet ne libère, l'esprit que du dérèglement et de. la haine ; les contemplations l'arrachent en outre à l'oubli et â l’ignorance. Ainsi délivré, il pourra prier comme il faut12. fi. Au sommet de l'oraison pure, on distingue deux états, l’un pour les actifs, l’autre pour les-contempla* 1. La distinction indiquée semble celle des pratiques et des gnostiques, sur laquelle Maxime reviendra souvent (et. infra, 55 et la note. Sur l'esprit sans matière ni tonne, voir 11, 61-02 et la note). 2. CL Evagrr, Pracllcos, 1, 50-51 : < Lu pratique est une voie spirituelle qui puriiie à tond la partie pathétique de Ι'Λιηο. Insulllsautc c»t l'activité des préceptes pour guérir parfaitement les puissances de l'Aiue.si des eorttcmplations ne leur succèdent, l'une après l'autre, dans l'esprit -.Maxime a gardé l'indéterminé : « diverses contemplations . DEUXIÈME CENTURIE I < . ’ « 95 I ifs. F.e premier est dans l’âme l’effet de la crainte de Dieu et de la bonne espérance ; le second, de l’ardeur de l’amour divin et de la purification totale. Indices du premier état : l’esprit se recueille, s’abstrait de toutes les pensées du inonde et, dans la pensée que Dieu est présent — et il l’est en effet — fait oraison sans distraction ni trouble. Indices du second : l’es­ prit est ravi, dans l'élan même de la prière, par l’infinie lumière de Dieu ; il perd tout sentiment et de lui-même et des autres êtres, excepté de Celui qui par la charité opère en lui cette illumination. Alors aussi, attiré par les propriétés de Dieu, il acquiert de lui des notions pures et pénétrantes 7. A ce qu’on aime on s’attache sans réserve, mé­ prisant tout obstacle, de peur d’en être prive. Qui aime Dieu s’applique à l’oraison pure, et toute pas­ sion qui lui fait obstacle, il la rejette. X. Rejette l'égoïsme, source des passions, et tu n'auras plus de peine, Dieu aidant, à écarter les aul res : colère, tristesse, rancune, etc... Mais cède à la première, et tu seras, malgré toi, blessé par la seconde. Par égoïsme, j’entends une passion dont l’objet est le corps. 1. Unique exemple, dans les Centuries sur la charité, d’une distinction entre deux états d'oraison pure (sur le tenue zarac :ac-.ç, étui, voir IV, 8G, note). Comme toute la doctrine spirituelle de Maxime, sur cc point lidèlc continuateur do l’alexandrinisme, subordonne la pratique ύ lu gnose, il est dllllcilo d’interpréter cc texte dans le sens do deux sommets, égaux mais indépendants, de lu perfection, nu sens oit certains modernes, par exemple, parlent d'une extuse de l'action, on face d’une extase contemplative. Ail­ leurs (Questit>n-v û Tlutlasslas, 25, AI. G. 90, 329, 33G), Maxime distingue l’oraison du pratique (la demande des vertus), celle du ■ physique · (la de­ mande de la connaissance des créatures), celle du théologien (le silence pro­ fond où l'esprit dépasse pensée et connaissance). Il semble que cette incohércnce de la terminologie soit duc a l’érudition même de l’auteur, qui mêle ses sources sans aucun souci de les faire concorder. 96 CENTURIES SUR I.Λ CHARITÉ • 9. Voici les cinq motifs, louables ou non, pour les­ quels un homme peut aiiner un autre homme : 1° pour l’amour de Dieu : ainsi le juste qui aime tout le momie, ou l’homme qui, sans être encore juste lui-même, aime les justes : 2° par un instinct naturel, comme les parents aiment leurs enfants, et réciproquement ; 3° par vanité : celui qui reçoit des louanges aime celui qui les donne ; 1° par cupidité : on aime le riche dont on reçoit de l’argent : 5° par amour du plaisir : cas de ceux qui ne pensent que bonne chère et plaisir sexuel. Le premier motif est bon, le second indiffé­ rent, les autres viciés par la passion. 10. Un tel, tu le détestes ; cet autre, tu ne l’aimes, ni ne le liais: celui-ci, lu l’aimes, mais très modéré­ ment ; celui-là, tu l'aimes intensément... A ces dif­ férences, reconnais que tu es loin de la charité par­ faite qui se propose d’aimer également tous les hommes. 11. Détourne-toi du mal, et fais le bien. Autrement dit : combats tes ennemis, les passions, pour les affai­ blir : puis pratique la tempérance, de peur qu’elles ne reprennent force. Ou bien : Lutte pour acquérir les vertus, puis sois tempérant afin de les garder. Voilà sans doute ce que c’est qu’agir et veiller. 12. Ceux à qui Dieu a permis de nous éprouver, tantôt excitent la puissance concnpiscible de l’âme, tantôt I roublent l'irascible, tantôt obscurcissent la rai­ son, ou bien ils accablent le corps de douleurs, ou ravissent nos biens matériels. 13. Les démons nous tentent soit par eux-mêmes, soit en armant contre nous des hommes sans crainte de Dieu. Par eux-mêmes, si nous vivons dans la DEUXIÈME CENTURIE 97 retraite, coin me le Maître au désert ; par les homines, si nous demeurons en leur société, comme le Maître parmi les Pharisiens. Mais nous, les yeux sur notre modèle, repoussons l’une et l’autre attaque. 1 1. L’esprit commence-t-il à progresser dans l’a­ mour de Dieu ? Le démon va chercher à le pousser au blasphème, lui suggérant des pensées qu’un homme ne saurait trouver par lui-même, et qui ne peuvent venir que du diable, leur porc. S’il en use ainsi, c’est que, jaloux de l’ami de Dieu, il veut qu’à la vue de telles pensées, il se désespère et n’ose plus, par sa prière accoutumée, s’envoler vers Dieu. Mais le destructeur n’en tire aucun avantage pour le but qu’il se propose : au contraire, il nous affermit davantage. Car après attaques et contre-attaques, nous retrou­ vons notre amour pour Dieu plus sûr, plus sincère. Que. son épée lui perce, le cœur, cl que ses flèches sc brisent1 ! 15. L'esprit, quand il s’applique aux objets vi­ sibles, les perçoit naturellement par l’intermédiaire des sens. L’esprit n’est pas de soi mauvais, ni celte perception naturelle, ni les objets, ni les sens : ce sont œuvres de Dieu. Où donc est le mal ? Évidemment dans la passion qui s’attache aux représentations na­ turelles et que l’esprit, s’il veille, peut fort bien écar­ ter de l'usage qu’il fait des représentations. 16. La passion est un mouvement de l’âme contre nature, par suite d'un amour sans raison, ou d'une aversion irréfléchie pour un objet sensible quelconque, 1. Ps., XXXVI, 15. y. Maxime 1c Confesseur. 7 98 CENTUKiES SIP. LA C.HABITÉ ou à cause de lui. Amour sans raison, par exemple, de la bonne chère, d’une femme, d’une fortune, d'une renommée (pii passe, de nimporle quel objet sen­ sible, on bien d'autre chose à cause de cet objet. Aversion aveugle, soit pour un de ces objets, soil pour un autre à cause de lui '. 17. Quant à la malice, elle esl dans le jugement faux porté sur les représentations el suivi de l'abus des choses. Ainsi, pour les relations avec les femmes, la régie du jugement, c’est qu'elles soient ordonnées à la procréation. Si donc on vise le plaisir, on juge mal, érigeant en bien ce qui n'en est pas un et, con­ séquence nécessaire, on abuse de la femme en s’unis­ sant à elle. De même pour n'importe quel objet ou représentation. 18. Quand les démons, attaquant, ton esprit sur le terrain de la chasteté, l’obsèdent de pensées de. luxure, alors, en gémissant, dis an Seigneur : « ils m'ont chassé cl me pressent de tous côtés ; ô ma joiei délivre-moi de ces assaillants! » et lu seras sauvé 1 2. 19. Bedoutable est le démon de la luxure. 11 s’a laque avec une force particulière à ceux qui luttent' contre la passion, surtout à la faveur de leur inatten­ tion à l’égard de leur nourriture, el des rencontre: qu'ils ont avec des femmes. A son insu, l’esprit si trouve envahi par la douce impression du plaisir, qui la mémoire lui rappelle ensuite, dans le calme de h 1. Maxime reprend ici sa definition de 1, 15 et explique 1.65. Voir égale nient III. 42. La formule esl traditionnelle depuis Clément d’Alcxnndrfi (Strumales, 11. 13) : « Un mouvement d’ôinc contre nature, dans le sens d’un désobéissance ή In raison, voilà h·* passions ·. 2. Ps.. XVI, Il : XXXI. 7. DEUXIÈME CENT! RI E 99 solitude. Et la chair s’échauffe, suscite en l’esprit des images de toute sorte, le sollicite à consentir au péché. Si tu ne veux pas que de telles pensées s’attardent en toi, insiste surle jeûne, le travail pénible, les veilles, la sainte vie de retraite dans une oraison continuelle. 20. Ceux qui sans cesse poursuivent notre âme pour la faire tomber dans le péché de pensée ou d'action utilisent les pensées passionnées. Mais devant un esprit qui refuse d'accueillir ces pensées, honteux, ils battront eu retraite : el devant un esprit occupé à la contemplation spirituelle, confondus, ils s’enfui­ ront, en déroute. 21. Il joue le rôle de diacre, celui qui oint son esprit pour les combats sacrés et en chasse les pensées pas­ sionnées : de prêtre, celui qui l'illumine pour la con­ naissance des êtres et chasse complètement la fausse connaissance : d’évêque, celui qui le perfectionne par la sainte onction qu’est la connaissance de l'adorable et sainte Trinité 22. La force des démons diminue, quand la pra­ tique des commandements affaiblit en nous les pas­ sions : elle est détruite, quand enfin, par l’effet de la liberté intérieure, ces passions ont disparu de l’âme. Car ils ne retrouvent plus en elle ces complicités qui servaient de bases à leurs attaques. El voilà sans 1. Allusion évidente à Dcnys. Hiérarchie ecclésiastique, 3, 3-7 (M. G. 3, SOI «qq.l. Omis le commentaire qu’il n donné <1® cet ouvrage, Maxime si ttpri>séincnt noté les fonctions des trois ordres : purifiante. llluminutrice, perfective. Denys loi-mémo, résumant lecontcnu des paragraphes précédents, écrit i*.itX Γ.) : ■ Nous avons montré que l'ordre des hiérarques est perfect if et ouvrier de perfection ; celui des prêtres, illnminateur et illuminant : celui des liturgos, purificateur et séparateur. · 100 CENTURIES SUR LA CHARITÉ doute le sens du verset : Ils perdront leur force, cl pe riront devant la face '. 23. 11 y a des hommes qui réfrènent leurs passio r par respect humain; d’autres, par vanité; d’autre par maîtrise de soi ; d’autres, qui en sont débarrassa par les jugements de Dieu. 21. Les paroles du Seigneur se répartissent c quatre groupes : préceptes, doctrine, menaces, pr· messes. Or, c’est à cause d'elles (pie nous nous soume tons à tous les genres de pénitence : jeûnes, veille coucher sur la dure, fatigues et peines dans l’exerci· de la bienfaisance, injures, mépris, supplices, mort, autres semblables. Pour les paroles de les lèvres, est écrit, j'ai suivi des rouies dures 12. 2,5. La récompense de la maîtrise de soi, c’est liberté intérieure. ; celle de la loi, la connaissance. ( de la liberté intérieure naît le discernement, et de connaissance l'amour de Dieu 3. 26. Marchant droit dans la voie de l’action, l’esp progresse vers la prudence : dans celle de la conte; plation, vers la connaissance. La première, en off conduit le lutteur au discernement du bien et du m; la seconde mène l’initié, a saisir les raisons des êt corporels et incorporels. Mais pour obtenir le don science, divine, il faudra, sur les ailes de la chari 1. Ps.. ix. i. 2. Pï..XVl,4. 3. Cf. Clément d'Alexandrie, Slromulcs, Vil, 10 : · Il est écrit : à « qui a on ajoutera encore ; A la foi. la connaissance ; à la connaissance, la rlté j à la Charité, l'héritage. · On assiste Ici fi un renversement «le l'c habituel : au lieu de naître «le In charité, la gnose la produit et semble donner A elle. Mais l'exemple de Clément montre que lu tradition, n alexandrine, autorisait Maxime à ce changement. DE IJXÏÈME CENTÜBIE 101 avoir dépassé tous les degrés qu’on vient d'énumérer, être en Dieu ; et alors, autant qu’il est possible à un esprit humain, par l’Esprit-Saint on pénétrera à fond la nature de ses attribuis divins l. 27. Au seuil fie la connaissance de Dieu, ne cherche pas à connaître, son essence : un esprit humain n’y saurait parvenir : personne ne la connaît que Dieu. Mais considère à fond, tant que tu peux, ses attributs, par exemple, son éternité, son infinité, son invisibiI. Il s'agit ici, pourrait-on dire, des effets intellectuels de l'action et de la contemplation. La voie pratique, mi lieu de SC terminer ü In charité ou à la liberté intérieure, s'achève en prudence (φϊόνησίί) ; la contemplation mène ü une connaissance déjà mentionnée (1, 85-101)). La prudence, toujours opposée soit à la sagesse, soit à la connaissance, serait la vertu du dlscertmment, nous dirions : finesse et rectitude de la conscience morale. Sagesse et connaissance désignent au contraircdcs perfect ionsde l'intelligence théorique. Les ailes de la charité. Ci-dcs-sous, reprenant lu même métaphore, Maxime dira que c'csl, non plus la charité, mais In connaissance, «pii donne à l'esprit des ailes pour émigrer vers Dieu (28). Formules en apparence Inconciliables. Pourtant, mime à le·» prendre en toute rigueur technique, Il semble qu'elles ne su contredisent pas. La première signifie que la charité, au lieu de simple degré de la vie spirituelle, intermédiaire entre la pratique et la gnose, est la force animatrice nécessaire, tout au long de la vie guostique, pour entraîner l'esprit jusqu'au sommet. C'est «lotir bien dans In phase gnostique — et ainsi la seconde formule se justifie mais par la charité, que l'esprit arrive à Dieu (ïv 0;ω γίνίσίαί). Maxime reprend ailleurs cette métaphore des ailes de la charité qui enlèvent l'esprit, au delà des contemplations diverses dont l'objet est fini, vers la · science divine > ou connaissance do la Sainte Trinité (ainsi I. U ; IV, 40). C’est par (διά) la charité que l'esprit monte de degré en degré ; par la charité aussi qu'au terme sc produit l’illumination. Si elle vient â manquer, la connaissance dispnniit, mi bien sc corrompt en corrompant l'Amc(lV,6f). l'aut-il donner à l'expression · emporté comme sur des aih-s un sens extatique ? Le contexte nous y Invite, puisque l'esprit est dit entraîné au delà des objets et du mode «le contemplation qui lui sont proportionnés. De plus, certains textes oü la mémo pensée est exprimée sous une autre forme (v. g., I. 10 ; II. 6) invoquent, en même temps que la • sortie · évagrienne. le ravissement dionysien (· dans l’élan même de la prière, l'esprit est ravi (âs^xvfvxt) par la lumière de Dieu ■). Certaines expressions d'Evugre sembleraient, à première vue, exclure ce rôle de la charité : ainsi Prae.litas, I, 56, met la charité, terme de la pratique, en paral­ lèle avec la théologie, terme de la gnose. En fait, pour lui aussi, le sommet de la prière consiste en un ravissement qui s’opère par la charité (cf. infra, IV, 86, note) 10— CENTURIES SI R LA CHARITÉ lité, sa bonté, sa sagesse, sa puissance qui crée, gou­ verne et juge les êtres. Car il mérite entre tous le nom de théologien, celui qui cherche ;i découvrir, si peu que ce soit, la vérité, de ces attribuis*. 28. Puissant, l'homme qui joint â l’action la con­ naissance : par la première, il réfrène la convoitise et apaise la colère, par la seconde, il donne â son esprit des ailes et émigre vers Dieu. 29. Par ces paroles : « Mon père cl moi nous sommes un ", le Seigneur désigne l’identité de l'essence. Par celles-ci : « Je suis en mon Père e! mon Pire en moi . il déclare que les Personnes sont inséparables, l.e: Trithéites, qui séparent Fils et Père, se jettent dont dans une impasse. Car de deux choses l une : s’il· maintiennent que le Fils est cocterncl au Père, toul 1. La · science divine ■ J,<· mot Οίολογια est fori rare dims les Centurie sur ta clmrité, ainsi que son équivalent (ίολογιχή /άο:; (unique exempt ci-dessus, 26) et le verbe y; v (unique exempta ici). Mais 'a formai qui semble donner sa «léllnitiou : connaissance, contemplation mi lumière d In Suinte Trinité, est fréquente (ainsi l.'.i l-'.ui; IV. 17,711). Définition incont plèlc «railleurs, car elle pourrait fnin penser seulement ή un savoir «Ion l’objet est la Sainte· 'I rinité, alors «pie pour toute la tradition dont Maxim est/héritier, elle est d'idiord un savoir dont la Trinité seule est la cause «lut l’âme Immainc, savoir qui vient «le Dieu seul, initiation, révélation privée i immédiate, ·ρι<· nous rangeons aujourd'hui parmi les grâces mystiques li plus caractérisées. Pour notre auteur lui-même. cette connaissance comport le degré d'oraison I·· plus élevé (cf. II. 61-62, note) ; elle est pur don de Die (HJ, lift). Mats surtout, et il y insiste a plusieurs reprises, elle n’est pas Visio «le Dieu dans son essence : iei même. la distinction est indiquée entre les ni suns · des créatures, objet direct «Ida · contemplation naturelle et les · ra sons «h· Dieu.On nccoimaitra que les raisons xJrôv.scs attributs, jmnal les raisons ζα?' αύϊον ici. IV, 7. 8; 111. 119). Dans le reste de «ton «nuvn Maxime reviendra souvent sur la thèse éviigriennc que seuls les · theologicus méritent strictement le litre «le parfaits, cm-seuls ils reproduisent la parfait image «le Dieu. Ainsi QtiexfiortS << ’JTtalawltis, 10, M. G. 90. 288 D, les oppd mix ■ craignants ■ dont Je psaume «lit pourtant «pie · rien ne leur manque Ceux «pii ont été jugés «lignes «le la science divine qui contemple dans mystère..., ceux qui (possèdent) de la beauté divine une image rumple qui porte sans déllcil aucun sa parfaite reproduction. voilà ceux qui· no appellerons aimants « x t- ôs:ec). DE CXJ ÙΜ E GENTI ' RIE 103 en les séparant l’un de l’autre, force leur est de nier que le Fils soit engendré par le Père, et donc de poser trois dieux, trois principes. Si au contraire ils af­ firment la génération, lout en maintenant la sépara­ tion. force leur est de nier que le Fils soit coéternel au Père, et de soumettre au temps le Maître du temps. Conclusion : avec l’illustre Grégoire, maintenons l’unité de Dieu en professant la Trinité des personnes, chacune avec ses traits distinctifs, car elles sont. « réalités distinctes, mais indivisible unité ; elles sont et sous le même rapport, à la fois unité et diversité ·. Dr sorte que chaque aspect, tant unité que diversité, reste incompréhensible. Sans quoi, où serait le mys­ tère, si le Fils et le Père étaient unis et distincts comme un homme et un autre homme, sans plus 1 ? 30. Celui qui, parvenu au sommet de la liberté intérieure, possède la charité parfaite, ne fait plus de différence entre soi et autrui, esclave et homme libre, homme et femme. Franchie la zone où régnent les passions, il ne voit plus dans les hommes que leur unique nature : tous, il les voit de niveau, pour tous il se sent le meme creur. Plus de Juif alors, ni de Grec, plus d'homme, ni de femme, plus d'esehme ni d'homme libre : le Christ esl tout en tous a. 31. Les passions cachées dans l’âme fournissent aux démons le point d’appui d'où ils poussent en nous les pensées passionnées. Puis, parces pensées, ils assaillent l’esprit et de vive force le poussent à une altitude de 1. .Irun, X, 30. 39. La référence n Grégoire semble v|*ei le Discours 39 iM. G. 36, 349 C-D) o(i 5:z:mvt5c apparaît dans un passage polémique. Mois Grégoire de Naxfanze reprend souvent cctto formule. 2. Main, III. 28. 104 CENTURIES SUR LA CHARITÉ soumission au péché. Une fois dominé, ils l’amènent au péché de pensée, puis, ce péché accompli, ils le précipitent, l’épée dans les reins, au péché d’action. Enfin, ayant par ces pensées, complètement dévasté l’âme, ils se retirent avec elles, et seul reste dans l'âme, dresse comme une idole, le péché. « Quand nous verrez, dit le Seigneur, l'abomination de la désolation dressée dans le lien saint... Que celui qui lit comprenne! » Le lieu saint, le temple de Dieu dans l'être humain, c’est l’esprit, où les démons, après avoir ravagé l’âme par les pensées passionnées, ont dressé l’idole du péché. Quant à son application historique, cette pré­ diction s’est déjà réalisée : la lecture de Josèphe, à mon avis, ne permet aucun doute. Certains pourtant disent que tout cela se reproduira aux jours de l'An­ téchrist l. 32. Trois forces nous meuvent au bien : les ten­ dances profondes de la nature, les bons anges, la volonté bonne. Le fonds de la nature, quand nous faisons à autrui ce que nous voudrions qu’on nous fît. ou que, voyant un homme dans une situation cri­ tique, nous éprouvons pour lui une pitié naturelle ; les bons anges, quand, prêts à une bonne action, nous sentons leur concours favorable et cheminons sans difficulté : la volonté bonne quand, discernant le bien et le mal, nous choisissons délibérément le bien 1, Matthieu, XXIV, 15. 2. Les tendances profondes delà nuliire ·5Χ-:>·*χτα), tpt’Evagre nommait nussi « semences de lu vertu ►, désignent l'imuge divine elle-même, dons In condition misérable ou l'a réduite le péché originel. Rien dans les Centuries sur la charité ne permet celte identification ; mais, dans le reste de l'œuvre de Maxime, l'ensemble des lextes relatifs tnt péché originel ne pern met guère d’hêsil et· : brisée, salie, perdue dans la poussière comme la drachme DEUXIÈME CENTUKIE 105 33. Inversement, trois forces nous poussent au mal : les passions, les démons, la volonté mauvaise. Les passions, quand nous sentons une convoitise dérai­ sonnable : manger à contretemps, sans nécessité ; jouir d'une femme, surtout si ce n’est pas la nôtre, en refusant de procréer des enfants : quand nous nous mettons en colère, que nous nous laissons aller outre mesure à l’amertume, contre un homme, par exemple, qui nous a manqué d’égards ou fait du tort ; les dé­ mons, quand par exemple, à un moment de négli­ gence, nous sommes tout d’un coup violemment assail­ lis comme par un adversaire à l’affût, qui bouleverse les passions dont nous venons de parler; la volonté mauvaise, quand, sachant où est le bien, nous choi­ sissons le mal. 34. Pour récompense, le dur effort de la vertu obtient la liberté intérieure et la connaissance. Ce sont elles qui introduisent au Royaume des Cieux, comme les passions et l’ignorance au châtiment éter­ nel. Mais si quelqu’un les désire pour la gloire hu­ maine et non pour le seul bien, qu’il écoute l’Écriture : « Vous demande: et nous n'obtenez pas, parce que nous demandez mal1. ·· 35. Bien des actions humaines, bonnes en ellesmêmes, peuvent cesser de l’être à cause de leur motif. Le jeûne, les veilles, l’oraison et le chant des psaumes, l’aumône, l'hospitalité sont en soi de bonnes actions ; faites par vanité, elles cessent de l’être. «le la veuve, elle garde cependant ses virtualités : les tendances profondes de In nature (et. Introduction, pp. 37-38). 1. Jacques, IV, 3. 106 C.ENTl R'ES SI R LA CHARI TÉ 36. En toutes nos actions, Dieu considere l’in ten lion : si nous agissons pour lui, ou pour un autre motif 37. Le mot de Γ Écriture : « Car lu rendras à chacun selon ses œuvres ··, signifie que Dieu récompense les bonnes actions ; non pas celles qui, paraissant bonnes sont faites contre l’intention droite: mais celles qui procèdent de l’intention droite, bien entendu. Car le jugement de Dieu ne porte pas sur l’acte même, mais sur l’intention l. 38. Le démon de l'orgueil a deux tactiques : ou i suggère au moine de s’attribuer à soi-même les bonne œuvres, au lieu de les rendre à Dieu, maître de tou bien, aide de tout succès, ou bien, si le moine fait 1; sourde oreille, il lui inspire du mépris pour ses frère encore, imparfaits. Et celte tentation-là, sans qu'o s’en doute, mène à refuser l'aide de Dieu, car méprise les autres comme n'ayant pas su bien agir, cela re vient à attribuer ses bonnes actions à ses propre forces. Erreur profonde, a dit le Maître : « Sans ma poils ne pouvez rien faire. )· Notre faiblesse, en elfe même si nous sommes orientés vers le bien, non empêche de pousser jusqu'au bout sans le concours d Guide des bonnes actions 2. 39. Qui connaît la faiblesse de la nature humait a acquis l’expérience de la force de Dieu. Avec ell tantôt il a bien agi, tantôt il s’est efforcé de bien agi mais sans jamais mépriser personne. Car il sait bk que l’aide divine qui l’a délivré de passions nor breuscs et tenaces peut tout aussi bien se prêter ai 1. Psaume, XLI. II. 2. .Jean. XV. S. DEUXIÈME CENTURIE 107 autres, quand Dieu le voudra, à ceux surtout qui pour lui sont en pleine bataille. Il peut ne pas les délivrer tout <1 un coup de leurs passions : il sait pour­ quoi, il prend son temps el. comme un médecin bon el charitable, applique à chacun de ces hommes de bonne volonté le traitement qui convient. 10. Quand les passions sommeillent, l’orgueil surt. tantôt de causes inconscientes, tantôt d’une at­ taque sournoise des démons. 11. Presque tous les péchés ont pour cause le plai­ sir el sont effacés par la souffrance et les peines inté­ rieures, volontaires ou non, par le repentir, par les peines que, suivant ses plans, la Providence nous envoie. « Si nous nous jugeons nous-mêmes, nous ne serons pus juges. Le Seigneur, lui, nous juge el nous châtie pour que nous ne soyons pas condamnes avec, le monde *. » 12. Quand l’épreuve arrive sur toi à l’improvistc, ne t’en prends pas à celui par qui elle te vient ; chcrches-en le but. el tu trouveras la façon d’en profiter. Quelle le soit venue d’ici ou de là, il (’auraiI fallu vider la coupe amère des décrets de Dieu. 1. Plaisir et douleur (cf. Introduci ion. p. 37). Celte doctrine du plaisir commando relie do ht douleur (jmt,) ou. si l’on veut, du mal physique. l-ι clé en est fournie par un texte «tes Ouations à Tlutlatsios sur le péché originel, cité dans l'introduction, p. 34. La douleur était d’abord une · con­ damnation de lu nature · ; le Christ l’a convertie en · condumnation «lu seul péch<· . D’nbord châtiment, elle est devenue remède (cf. sentence* sur les reaiedes provident iris aux [Missions). La chute de l'homme, comme celle des anges, aurait pu être irrémédiable. Elle ne h· sera pas, grâce à In douleur et a se» conséquences, h· .-.όνο; et la mort, qui limitent les dégâts en brisant à temps l'élan dévoyé «le la nature. La lutte plaisir-douleur se trouve donc au principe de l'asccso nmximicnne. Elle ne se limite d’ailleurs pas à l'âme : sa portée est universelle, cosmique. 10«S CENTURIES SUR LA CHARITÉ 43. Mauvais comme tu l es, accepte sans regimber la souffrance : elle t’humiliera, et tu vomiras ton orgueil. 1 1. Certaines tentations provoquent le plaisir ; d’autres,la tristesse; d’autres, les douleurs physiques. Car le médecin des âmes, par ses décrets adapte le remède à ce qui, dans l’âme, est racine des passions. 45. Les attaques de la tentation ont pour but, ici, la rémission des fautes passées ; là, celle des péchés du moment ; ailleurs, elles préviennent les fautes à venir. Sans compter celles qui ne sont que pour l’épreuve de la vertu, celles de .Job par exemple. 16. L'homme avisé, voyant dans les décrets divins la guérison, reçoit avec reconnaissance les malheurs qu’ils lui apportent : ils n'ont pas d’autre cause, se, dit-il, que ses péchés à lui. Mais l’insensé qui ne. sait rien de. la très sage providence de Dieu, lorsqu’il est puni pour ses péchés, s’en prend à Dieu ou à son pro-| chain des maux qu'il endure. 47. Certains remèdes immobilisent, les passions, les] empêchent de se mettre en branle et de s'intensifier ; d’autres les affaiblissent, les réduisent. Ainsi le jeûne,] les durs travaux, les veilles empêchent la convoitise] de prendre force : la solitude, la contemplation, lai prière, l'affaiblissent cl tendent, à la détruire. Del même pour la colère : la longanimité, l'oubli des] injures, la douceur l’immobilisent, l’empêchent de] prendre force ; la charité, l'aumône, la bonté, la] bienfaisance la réduisent peu à peu. 18. Chez l’homme dont l’esprit est tout entier] tourné vers Dieu, même la convoitise donne des] DEUXIÈME CENTURIE 109 forces à l'amour brûlant pour Dieu, même la puis­ sance irascible se porte d’une pièce vers la charité divine. C’est qu'à la longue la participation à l’illu­ mination divine l’a rendu tout lumineux lui-même : et concentrant en soi toute la force de ses puis­ sances inférieures, il l’a tournée vers un amour brû­ lant, insatiable, comme je viens de le dire, et une charité sans limite pour Dieu, la convertissant tota­ lement du terrestre au divin L Ί9. Ne garder ni envie, ni colère, ni rancune contre l'offenseur, ce n’est pas encore avoir pour lui la cha­ rité. On peut, sans charité aucune, éviter de rendre le mal pour le mal, parce que c’est la loi ; mais on n’ira pas, spontanément, rendre le bien pour le mal, car cette disposition de faire du bien à ceux qui nous délestent est propre au parfait amour spirituel. 50. Ne pas aimer quelqu’un, ce n’est pas pour au­ tant le haïr ; pas plus que ne pas le haïr, ce n’est pour autant l’aimer. On peut être à son égard comme entre deux : n’aimer ni ne haïr. Car l'amour habituel, il faut pour le produire une des cinq causes — bonnes, indifférentes, mauvaises — énumérées dans la présente centurie, sentence 9. 51. Si tu constates que ton esprit s’occupe avec plaisir d’objets matériels et s’attarde à considérer leurs représentations, reconnais que tu préfères ces objets à Dieu. « Où est ton trésor, là est ton cœur2. » 52. L’esprit uni à Dieu, et de manière habituelle, par la prière et la charité, acquiert sagesse, bonté, 1. Cf. III, 71, note. 2. Matthieu, VI, 21. 110 CENTURIES SI R LA CHARITÉ puissance, bienfaisance, libéralité, grandeur d’âme... bref, il porte en lui-même, pour ainsi dire, les attri­ buts de Dieu. Mais qu’il abandonne ces dispositions pour s’orienter vers les objets matériels, il deviendra vite un véritable animal, s’il ne cherche que son plai­ sir, et mémo un animal sauvage, si pour ces objets il entre en lutte avec les autres. 53. Le inonde, pour l’Écriture. c’est l’ensemble des objets matériels et les mondains, ceux dont l’esprit est accaparé par ces objets. A eux s’adressent ces objurgations : N'aimez pan le monde, ni ce qui oient du monde : la convoitise de la chair, la convoitise det yeux, l'ostentation du genre de nie. Cela nesl pas dt Dieu, mais du monde... et la suite ’. 54. Est moine celui qui a séparé son esprit du monde matériel pour s'attacher fermement à Dieu par h maîtrise de soi, la charité, le chant des psaumes l’oraison. 55. L’éleveur, au sens spirituel, c'est l'homme d'ac lion. Les vertus morales acquises, en effet, sont ligu rées par les bestiaux, et c’est pourquoi .Jacob disait « Tes enfants seront des éleveurs. Le berger, c’est 1 gnostiqiic. Car les pensées sont des moutons, gardés par l’esprit sur les montagnes de la contemplation ; e c’est pourquoi « tous les bergers sont objet d'horreur pour les Égyptiens -, autrement dit les puissances ennemies 12. 1. I Joan., IL 15. 2. Genrxi·, Xt.VH, 5 ; XLVI, :n. Sur la distinction entre le pratique et le «nostique, voir notamment 111,35, II. <>8, et l’Introduction, p. 10. Chacun n non seulement ses occupations propres, mais scs lenlnlions : les démo qui s’attaquent au pratique sont ceux qui président aux passions du cor| DEUXIÈME CENTURIE 111 56. Dépravé, l'esprit suit le corps que ses sens entraînent sur la pente de ses convoitises et de scs plaisirs propres; et il consent «à scs imaginations et impulsions. Vertueux, il garde la tempérance, résiste aux imaginations et impulsions passionnées; bien plus, il s’efforce de tourner au bien les mouvements de ce genre qu’il éprouve. 57. On distingue vertus du corps et vertus de l’âme. Du corps : jeûne, veilles, coucher sur la dure, service des autres, travail des mains pour n’êlre â charge à personne ou pour faire l’aumône, etc... De l’âme : charité, longanimité, douceur, tempérance, prière, etc. Si nu obstacle, l’état de notre corps, la fatigue ou autre chose nous rend une fois ou l’autre incapables de pratiquer les premières, le Seigneur, qui voit les causes, nous en tient quittes. Mais si nous ne prati­ quons pas celles de l'âme, nous sommes sans excuse, car elles ne connaissent aucun .obstacle. 58. I.'amour de Dieu, quand on le possède, porte au mépris de tout plaisir qui passe, de tout labeur, de tout chagrin. A preuve les saints, qui tous ont souf­ fert pour le Christ. 59. Evite l’égoïsme, père de tous les vices. Par égoïsme, j’entends un attachement déraisonnable au corps. C’est lui incontestablement qui engendre la cal ceux qui president aux passions de l'âme persévèrent jusqu'à In mort de l'homme. Celte doctrine est prise â Evagre (Frecficor, I. 25). Par ailleurs. Il est notable quo Maxime use fréquemment du mot γνωτΣ'.ζό:. avec une valeur sensiblement égale, i celle de : on trouve meme, ailleurs que dans Ii, Centuria sur la charité, au Heu de 'ΐ:··»ί:α Cet archaïsme, que Vilior attribue à l'érudition de l'auteur, le rapproche de Clément d'Alexandrie plus encore que des Cnppadocicns. dont l'un pourtant, Grégoire de Ntizian/.e, n exercé sur lui une profonde inllucnce V 112 ν CENTURIES SUR LA CHARITÉ folie des trois pensées passionnées premières et fonda­ mentales, celles de la gourmandise, de la cupidité, de la vaine gloire. Ce sont les exigences du corps qui les déchaînent, et d’elles naît tout le cortège des vices. C’est, je le répète, une nécessité et un devoir d’être sur scs gardes et de lutter contre cet égoïsme par une grande tempérance. Une fois éliminé, tous ses effets le sont avec lui. 60. Au moine la passion de l’égoïsme suggère d’avoir pitié de son corps, et peu à peu de le nourrir mieux qu’il ne convient. De là, sous prétexte de sage gouvernement de soi-même, par une lente déviation, elle le mène à la chute dans le gouffre de la volupté Au mondain, elle propose d’emblée de s'occuper d< ce corps en servant sa convoitise. 61. Le plus haut état d’oraison, dit-on, ces lorsque l’esprit sort de la chair et du monde et, dan: l’acte de la prière, perd toute matière et toute forme Se maintenir sans défaillance en cet état, c'est ei réalité prier sans cesse ’. 1. 61-62. Au sommet de l'oraison, l'esprit se simplifie. perd toute détei ruination, so dépouille, devient . nu ·, · meurt · en perdant le · mouvement que lui apportent d'ordinaire les représentations des choses. Tous ce» syn< nymes aident à saisir le sens des deux épithètes déjà rencontrées : orm'so pure et sons distraction. La doctrine est très développée chez. Evagre. · N te figure pas le divin en toi. quand lu pries ; ne laisse ton esprit subir l'en preintc d'nucunc forme, mais va immatériel à l'immatériel, et tu compret drus · (De Oratione, Ofi : M. G. 70, 1194). Kt encore : ■ Heureux l'esprit qi au temps de l’oraison a acquis une parfaite Indétermination, devient Inuni tériel et dénué de tout « (Ibid., 117,119 ; Havsükrk, op. rit., ad loc.) ; · l'c prit... s'élève à l’étut supérieur aux tonnes · τά έίδί, Cent., Vil, 23 Malgré une légère dlftércnco de vocabulaire (Maxime préfère itco; û jsooç: fa pensée des deux auteurs est la même. Evagre en effet distingue le» pensé qui laissent dans l'esprit une empreinte et celles · qui lui procurent seU ment lu connaissance, sans lui imprimer ni figure ni fonne ·. Exempt cités par 1. Hai siieiiii : « La phrase : Au commencement était le Verl et le Verbe était Dieu, dépose bien dans le cœur une pensée, mais ni ligi DEUXIÈME CENTURIE 113 62. De même que le corps en mourant se sépare de tous les biens de cette vie, de même l’esprit qui au sommet de l’oraison meurt lui aussi quitte toutes les représentations qu’il a du monde. Car sans mourir de cette mort-là, il ne saurait sc trouver et vivre avec Dieu. 63. Ne te laisse jamais persuader, ô moine, que tu peux faire ton salut si Lu es serviteur du plaisir et de la vaine gloire. 61. Le corps, entraîné au péché par les objets, a pour se corriger les vertus corporelles qui le rendront sage. Pareillement l’esprit, entraîné au péché par les pensées passionnées, a pour se corriger les vertus de l’âme, et la sagesse, pour lui, consiste à voir toute chose dans la simplicité et la liberté intérieure. 65. La nuit suit le jour, l’hiver suit l’été et, soit en cette vie soit en l'autre, chagrins et souffrances suivent la vanité et la sensualité. ni tonne. Le mot . ayant pris du pain ■ met une figure dans l'intelligence et lemol «briser «une forme. Ceci:· J'oi vu Je Seigneur assis sur un trône élevé et sublime · produit dans l’intelligence une forme, excepté les mots : j'ai vu le Seigneur ; lu lettre semble produire une forme, mais non pas le sens, car saint Jean a vu d’un œil prophétique la nature raisonnable, élevée par la praxis, recevoir en elle-même in gnose de Dieu · (op. cil., p. 115). Seul. Dieu est άνείδεο; et donc sa connaissance laisse l’esprit sans forme ni madère. Maxime, laissant tomber les mots σ’/ήμα et μορφή, a appliqué â l’esprit un terme (άνείδεο;) que.son maître appliquait plutôt à l’objet. Que ce degré d’oraison soit celui qui correspond à lu « science divine , cela ne fait, pas doute. Le principe même de la connaissance, par assimila­ tion du sujet ü l’objet, énoncé très clairement par Maxime ci-dessous, III, 97. entraîne comme conséquence que l'esprit ne devient tout simple que lorsqu'il contemple le Tout Simple, c’est-à-dire Dieu. Nombreux d'ailleurs sont les textes d'Evagrc dans lesquels θεολογία ou connaissance de la Sainte Trinité d’une part, cl d'autre part sommet de la prière, oraison pure, état de prière, etc.., sont pris l'un pour l’autre. La prière pure, c’est «l’état de l’ômc illuminée pur la seule lumière de la Sainte Trinité dans l’extase » (Cent., VII, 29. trail. Viller). Et surtout : · Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu es théologien · (De Oratione, COI. 9. Maxime le Confesseur. 8 111 CENTURIES SUR LA ÇHARITÊ 66. Le péché commis, le jugement viendra, iné­ luctable, à moins qu'ici-bas on ne s’impose des peines ou qu’on n’endure des afflictions. 67. On distingue cinq raisons pour lesquelles Dieu permet aux démons de nous attaquer : 1) pour qu'attaques et contre-attaques nous mènent au dis­ cernement du bien et du mal ; 2) pour que notre vertu maintenue dans l'effort et la lutte s’affermisse sur une assise inébranlable; 3) pour qu’avançant dans la vertu nous évitions la présomption et appre­ nions l'humilité ; 4) pour nous inspirer, par l’expé­ rience que nous en faisons alors, une haine sans réserve pour le mal; 5) et surtout, pour que, parvenus à la liberté intérieure, nous demeurions convaincus et de notre faiblesse. et de la force de Celui (pii nous a se­ courus. 68. L’esprit, chez un affamé, se représente du pain; chez un homme, (pii a soif, de l’eau ; chez un gourmand, des plats de toute sorte ; chez un voluptueux, de belles femmes; chez nn vaniteux, des compliments; chez nn avare, des bénéfices; chez un rancunier, une bonne vengeance contre, l'offenseur ; chez un envieux, le malheur de celui qu’il envie... et ainsi de toutes les passions car l’esprit tourmenté de passion accueille les pensées passionnées, qu’il veille ou qu’il rêve. 69. Lorsque la convoitise est excitée, l’esprit voit en rêve ce qui fait la matière du plaisir. Quand c'est la colère, il voit ce qui provoque la crainte. De plus, les démons impurs s’emploient à fortifier nos passions et, en s’appuyant sur notre négligence complice, il les DEUXIÈME CENTURIE 115 excitent. Les bons anges, au contraire, les apaisent et nous poussent à la pratique des vertus. 70. Si la puissance concupiscible de Lame est trop souvent excitée, elle crée en elle une propension habi­ tuelle au plaisir, dont on aura peine à sc défaire. Si l'irascible est constamment troublée, elle rend l'es­ prit peureux et lâche. Le remède, c’est dans le premier cas la pratique assidue du jeûne, des veilles, de la prière : dans le second la bonté, la bienfaisance, la charité et la miséricorde. 71. Les démons attaquent soit au moyen des objets eux-mêmes, soit au moyen des représentations pas­ sionnées qu’ils comportent; par les objets, ceux qui vivent au milieu des objets ; par les représentations ceux qui vivent séparés des objets L 72. Autant le péché de pensée est plus facile que le péché d'action, autant le combat contre les pen­ sées est plus dur que le renoncement aux objets. 73. Les objets sont extérieurs à l'esprit ; leurs représentations, elles, sont, dans l’esprit. C’est donc de l'esprit que dépend le bon ou le mauvais usage des objets ; car le mauvais usage des objets est consé­ quence du mauvais usage des représentations. 71. Trois voies donnent accès dans l’esprit aux pensées passionnées : la sensation, la complexion phy­ sique. la mémoire. La sensation, quand se présentent I (les objets qui nous passionnent, ce qui pousse l'esprit 1.7;-.' ?. Cf.Evacue, PraclicM, II, 18 : · Contre le» mondains, les démons lutlcnt au moyen des objets tcontre les moines,la plupart du temps.au moyen dm pensées, car. des objets, leur solitude les prive; et autant plus facile |mt le péché de pensée que le péché d’action, autant plus dur est le combat pl.ins la pensée que Je combat suscité par les objets. 116 CENTURIES SUR LA CHARITÉ aux pensées passionnées. La complexion physique, quand, par suite d’une vie peu réglée, ou de l’action des démons, ou d’une maladie, la santé du corps s’altère, inspirant, à l’esprit des pensées passionnées même contre la Providence. La mémoire enfin, quand· renaît le souvenir des objets qui nous passionnent, cej qui inspire également à l'esprit des pensées passion-’ nées l. 75. Les choses mises par Dieu à notre usage sont soit dans notre âme, soit dans notre corps, soit autour de notre corps. Ainsi, dans notre âme, ses facultés! dans notre corps, les organes des sens, les autre membres; autour de notre corps, la nourriture, Il fortune, etc... De toutes ces choses par conséquent et des accidents qui les modifient, l'usage que nofl faisons, s’il est bon, prouve notre vertu, s’il est niaiil vais, notre méchanceté. 76. De ces accidents qui modifient les choses, noml avons des exemples et dans le monde de l’âme, et| dans celui du corps, et dans celui qui entoure le corp#» Monde de l’âme ; oubli ou souvenir, amour ou hainw timidité ou audace, tristesse ou joie, etc. Monde (M corps : plaisir ou douleur, agilité ou infirmité, santH ou maladie, vie ou mort, et ainsi de suite... Monjfll extérieur : fécondité ou stérilité, richesse ou pauvrew célébrité ou obscurité, etc... De ces contraires, 1« hommes appellent l’un un bien, l’autre un mal : mw de soi, ils n’ont rien de mauvais : c'est l’usage qufl 1. Cf. Evagrr, De Oratione, 1-J-lG : < L'esprit a une terrible propensfoflH se laisser saccager par la mémoire nu temps de l'oraison. La folle du low serait plutôt la mi-inoirc que l'Imuginntlon. , DEUXIÈME CENTURIE 117 en fait qui les rend à proprement parler soit mauvais, soit bons. 77. La connaissance est un bien par nature. De même la santé. Pourtant, leurs contraires se sont, la plupart du temps, montré plus utiles qu’elles. C’est que dans un sujet dépravé la connaissance n’entraîne pas le bien, quoique, je le répété, elle soit par nature un bien. Et pas davantage la santé, la fortune, la joie. Un tel homme, en effet, ne sait pas s’en servir. Le contraire lui est plus utile. Aussi bien, ces contraires ne sont pas en soi mauvais, malgré l’apparence. 78. Garde-toi d'abuser de tes pensées, sinon tu en viendras fatalement â abuser aussi des choses : on ne pêcherait jamais en action, si on ne péchait d’abord en pensée. 79. L'image de l'homme terrestre, ce sont les vices fondamentaux, comme la sottise, la lâcheté, l’intem­ pérance, l’injustice. L’image de l'homme céleste, ce sont les vertus fondamentales, comme la prudence, la force, la tempérance, la justice. « Mais lout comme nous avons porté l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du céleste » L 80. Veux-tu trouver la route qui conduit à la vie ? Elle n'est autre que Celui qui déclare : « Je suis la route, la nie, la vérité. >· Cherche de cc côté, et Lu trouveras. Mais cherche bien, prends la peine, car « ils sont rares, ceux gui la trouvent ··, et tu risquerais, exclu de ce petit nombre, de rester dans la foule 2. 81. Cinq causes peuvent détourner l’âme du péché : 1. 1 Cor., XV. 19. 2. .Matlhir.it, VII, II. 11« CENTIRIES SUR LA CHARITÉ le respect humain, la crainte du jugement, l'espoir de i la récompense, l’amour de Dieu, enfin le remords de J la conscience. 82. Certains prétendent qu’il n y aurait pas de mal. j dans les êtres, sans une seconde. Puissance, qui de son j côté nous tire vers ce mal. En lait, cette « Puissance Λ n'est autre que notre négligence à l’égard de l’activité» naturelle de l’esprit. Ceux qui ont soin de celte acti- J vite se conduisent toujours bien, jamais mal. Si donc, ' lu veux, Loi aussi, secouer ta négligence, avec elle tu chasses la malice, c’est-à-dire le mauvais usage dffîj pensées, qui a pour conséquence le mauvais usage des | choses. 83. Il est dans la nature de notre partie raison® nable d’être soumise d'une part au Verbe divin, et I d’autre part de régler en nous la partie irraison nabi® Que cet ordre soit toujours respecté el il n’y aurâ| plus dans le monde ni mal, ni rien qui pousse au mal 81. On distingue les pensées simples cl les pensée! complexes. Simples, les pensées sans passion ; corni plexes, les pensées passionnées, composées de passioi et de représentation. Ainsi l’on peut constater qii( nombre de pensées simples font escorte aux pensée! complexes, dés le premier mouvement vers le. péclii de pensée. Ainsi, en matière d’argent : dans la mémoirt d’un tel surgit une pensée passionnée au sujet d’uni somme d’argent ; en imagination, il se porte au vol le péché est. consommé dans l'esprit. Au souvenir d l’argent faisaient escorte celui de la bourse, du coffra de l'appartement, que sais-je ? Le souvenir de l’ai? genl é.lail complexe : à lui s’attachait la passion! DEUXIÈME CENTURIE 119 tandis que celui de la bourse, du coffre el autres était simple, l’esprit n’ayant aucune passion pour ces objets. El ainsi de toute pensée : vaine gloire, femmes ou autres. Les pensées qui escortent la pensée pas­ sionnée ne sont pas pour autant passionnées, c’est trop clair. Et ceci nous permet de discerner de quelle nature sont les pensées passionnées et de quelle nature les pensées simples. 8Ô. Certains prétendent que les démons viennent loucher pendant le sommeil les parties honteuses, ce qui émeut les passions de luxure ; puis cette passion mise en branle suscite à travers la mémoire jusqu’en l'esprit une image de femme. Pour d'autres, ces mêmes démons apparaîtraient à l’esprit sous forme de femmes, toucheraient les parties honteuses pour pro­ voquer le désir : el ainsi surgiraient les images. Pour d’autres au contraire, c’est la passion propre du démon qui, lorsqu'il s’approche, excite la nôtre; et pendant qu’elle, suscite les images dans la mémoire, l’âme s’attache aux pensées. On pourrait en dire autant de toutes les images passionnées el expliquer leur appa­ rition de telle ou telle manière, l'ne chose est certaine : c’est qu’en aucun cas les démons n’acquièrent le pouvoir d'exciter une passion, qu’on dorme ou qu’on veille, si la charité et la maîtrise de soi résident dans l’âme *. 1. Voir sttpru, 11.31. Maxime parle mollis «les démons que son maître Evagrc. et leur action appnmtt en général plus intérieure, s'exerçant sur la mémoire et les puissances inférieures de l’âme. Cependant. l’idée d'une action par contact physique (o.vxçicx) revient au moins deux fols dans nos Centuries. Elle était commune aux Pères de VHistoire Lattsiaque. Evagrc, dons le De Oratione, y insiste beaucoup : les démons assaillent forant et le rouent de coups ; mais surtout. Ils lui font voir Dieu sous une apparence 120 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 86. Parmi les préceptes de la Loi, il en est dont nous devons garder et la lettre et l’esprit ; et d'autres, dont nous ne devons garder que l’esprit. Lettre et esprit : tu ne seras pas adultère, tu ne tueras pas, lu ne men­ tiras pas, et autres de ce genre (et l’observation spi­ rituelle est triple). Esprit seulement : la circoncision, le repos du sabbat, l'immolation de l'agneau, le repas de pains azymes et d’herbes amères, et autres du même genre. 87. On distingue trois étapes plus importantes du développement moral chez le moine : ne commettre aucun péché d’action ; ne s'attarder jamais à une pensée passionnée ; garder la paix de l’âme en face des représentations impures ou souvenirs d’offenses reçues qui se présentent à la pensée. 88. Le « pauvre » est celui qui a renoncé à tous ses biens pour ne garder sur terre absolument rien d’autre que son corps et qui, ayant brisé rattache­ ment même qu’on a pour ce corps, a confié à Dieu et aux hommes spirituels le gouvernement de sa per­ sonne. 89. Certains riches n’ont pas la passion de ce qu'ils possèdent. Aussi, même dépouillés, ils n’éprouvent aucun chagrin, témoins ces hommes qui ont accepté avec joie le pillage de leurs biens. Les autres ont cette passion. Aussi, menacés de ruine, ils s’allligent, comme le riche de l’Évangile, qui s’en alla tout triste. corporelle, en louchant et faisant palpiter les veines rt à Dieu, placés quasi sur Je mémo pied. Le reste revient sur le combat contre les passions, répétant à satiété des conseils déjà donnés, avec cette différence «pic les démons se sont presque complètement retirés de la scène et qu’un certain nombre de phénomènes intérieurs décèlent plutôt le gnostique «pie le pratique. Le début s’ordonne assez clairement : doctrine du mal 11-5) ; combat contre l’égoisme et la chair (6-12), contre In passion de l’argent (16-19) ; diagnostic sur les pensées passionnées (20). Ici se place le canevas signalé plus haut. Après quoi et Jusqu’il la lin, les sentences semblent jetées pèlr-méte. On peut distinguer quelques groupes plus caractéristiques : 121 CENTURIES SUB LA CHARITÉ connaissance : l'usage déraisonnable, la débauche, la haine et l’ignorance. 2. Tu as préparé devant moi une table, etc... La table désigne ici la vertu active, car c’est bien elle que le Christ nous a préparée à la face de ceux qui nous oppriment. L’huile qui oint l’esprit, c’est la contempla­ tion des créatures. La coupe divine, c’est la connais­ sance dont l'objet est Dieu. Sa miséricorde, c’est son Verbe, Dieu lui aussi : en effet ce Verbe, grâce à son incarnation, ne cesse de nous poursuivre tous les jours, jusqu’à ce qu’il ait atteint tous ceux qui seront sauvés. (Exemple : saint Paul.) Quant à la maison, c’est le Royaume, où doivent être ramenés tous les saints, et les longs jours, la vie éternelle *. une définition :α«·χ) : c'est, par opposition ii rintellection (νόησ·.;), la ■ passion et l'impression exprimable faite par quelque objet sensible » (M. G. 4, 201 A). 2. Ephésiens, V, 29; I Corinthiens, IX. 27. . TROISIÈME CENTURIE 127 faire tout ce qui lui plait ; si c'est la chair, on s'efforce d’accomplir tout ce qui la flatte. 11. Ce qui plaît à Dieu, c’est la charitéet la chasteté, la contemplation et l’oraison. Ce qui plaît à la chair, c’est la gourmandise, la débauche et ce qui les déve­ loppe. Voilà pourquoi ceux qui vivent dans la chair ne sauraient plaire à Dieu ; niais ceux (pii sont au Christ ont crucifie leur chair avec ses passions cl ses convoi­ tises ’. 12. S’il se tourne vers Dieu, l’esprit traite son corps en esclave et ne lui accorde que ce qu’il lui faut pour vivre ; s'il se tourne vers la chair, il devient l’esclave des passions et a sans cesse l’esprit tendu vers ses convoitises 2. 13. Veux-tu devenir maître de tes pensées? Sur­ veille (es passions, chasse-les constamment de ton esprit, loin de tes pensées. Ainsi, contre la luxure, jeûne, veille, fais des travaux pénibles, isole-toi ; contre l'irritai ion et la tristesse, méprise la gloire, l'obscurité, les objets matériels; contre le ressenti­ ment, prie pour celui qui t'a offensé, et tu seras délivré. 1-1. Xe le compare fias aux plus faibles, mais ef­ force-toi toujours plus à pratiquer le commandement de la charité. En te comparant aux plus faibles, lu tombes dans la présomption ; en t’efforçant d’obser­ ver le précepte, lu marches vers le sommet de l’hu­ milité. 15. Tu prétends observer sans réserve le précepte d’aimer ton prochain ? Alors, pourquoi cette amère 1. Romains, VIII, S; (ialalet, V, 21. 2. Romains. XIII, II. 128 CENTURIES SI R LA CHARITÉ rancune contre lei ou tel sourd-elle en loi ? N’est-ce] pas le signe qu’à la charité lu préfères des biens d’uni instant et luttes pour les posséder jusqu’à combattra ton frère ? 16. Si l’argent est recherché par les hommes, c’est] moins pour son utilité que parce que la plupart servent I par lui leurs plaisirs. 17. Trois raisons font aimer l’argent : le penchant] au plaisir, la vanité, le manque de foi. Le plus gravel des trois, c’est le manque de foi. 18. Le voluptueux aime l’argent pour le faire ser-l vir à ses jouissances, le vaniteux, pour acquérir pari lui la gloire, l’homme de peu de foi, pour le cacher eti| le garder par peur de la disette, de la vieillesse, de la maladie, de l'exil. El il espère plus en son argent qu’en Dieu créateur de l'univers, dont la Providence* s’étend jusqu’au dernier et au plus infime des vivants.! 19. Il y a quatre espèces d’hommes à mettre de. l’argent de côté : les trois que je viens d’énumérer, et ceux qui administrent des biens. Seuls ces derniers, ’ bien entendu, le font légitimement : car leur but est J d’être perpétuellement en mesure de subvenir aux I besoins de chacun. 20. En général, les pensées passionnées tantôt ex­ citent dans l’âme la partie concupiscible, tantôt bon- | leversenl l'irascible, tantôt obscurcissent la raison- ( nable. Le résultat, c’est l’aveuglement de l’esprit I pour la contemplation spirituelle et pour l’envol de la prière. C’est pourquoi le moine, et particulièrement le solitaire, doit surveiller exactement ses pensées pour , en reconnaître et supprimer les causes. Et voici coin- { THOISIÈME CENTCK1E 129 ment les reconnaître : quand des images de femmes, auxquelles se mêle la passion, excitent la puissance concupiscible. la cause en est Γintempérance dans le boire el le manger, jointe à de fréquentsentrctiens,que rien ne justifie, avec des femmes: la suppression de ces causes s'obtient par la faim, la soif, les veilles el la solitude. Quand la puissance irascible, à son tour, se trouble au souvenir passionné d'offenses reçues, la cause en est l'amour du plaisir, la vanité, l’ai lâche­ ment aux objets matériels. (Car ce qui afflige l'homme (pu n'a pas la liberté intérieure, c'est d'en être privé ou de ne pouvoir les atteindre.) La suppression de ccs causes s’obtient par le mépris — un mépris absolu de ces bagatelles, par amour pour Dieu. 21. Dieu se connaît lui-même ; il connaît aussi ses créatures. Les saints anges également connaissent Dieu et connaissent ses créatures. .Mais la connais­ sance que Dieu a de lui-même et de ses créatures ne ressemble guère à celle (pie les saints anges ont de Dieu et de scs créatures ·. I. Jf-.ï.J. nature raixnnnoble et s/iiriltirllr. Cet aperçu eosino-anthropologiqiir n'est pas, contrite on pourrait croire, une iligressiou inutile dans ua ouvrage ascétique, Cherchant a situer lu malice et 1«· pèche dans une visliiu oiviiinru e il·· î’nmvers. il définit par le fait tnéme .’<■» fondements spériilntils delà doctrine ascétique développée dans leresledu traité. Quant au.x sources on .1 puisé l'auteur car il y a bien des chances pour qui;, ici comme ailleurs. Il compose un llorilége le J’. Vjlk-r a indiqué deux sentences ^l'Kvngre imitées <·η 2S et .30. Mais, pour l’ensemble, la pensée et parfois les expressions rappellent étrangement h-s deux premier» lien·» du i)f /·ηηνίρϋχ d’Origêne. L'ordre suivi c»t d'ailleurs le même : les trois premières sentences derrisctil la connaissance angélique par comparaison avec la connaissance divine : h * : âge., nuits dit-on, connaissent par participation, ce qui entrainc un développement sur la façon dont la créature spirituelle peut participer â son i.ualeur. Maxime distingue alors participation naturelle (l'image) cl participation volontaire et acquise iln ressemblance! ; il en tire h· principe delà division des auges et des homines en bntis et méchante i2ti). Celte pos­ it. Maxime le C:>tifr.»seiir. 130 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 22. Dieu se connaît lui-même par son essence bien­ heureuse ; il connaît ses créatures au moyen de sa sagesse, en qui et par qui il a tout lait. .Mais les saints anges connaissent par participation Dieu, qui est audessus île toute participation : et ils connaissent scs creatures par la perception des idées qui sont en elles ’. 23. Les êtres sont extérieurs à l'esprit, qui n’a d’eux, en lui-même, qu’une représentation. Mais il un va tout autrement pour Dieu. Γ Éternel, l’infini, ΓInvisible, qui leur donne gratuitement l’être, le bien être, cl le toujours être. 21. I.a nature raisonnable et spirituelle participe du Dieu saint, par son être même, par son aptitude à bien être, (je veux dire par son aptitude à la bonté et à la sagesse), et par le don gratuit du toujours être. C’est par cette participation qu'elle connaît Dieu. Quant aux créatures, elle en a la connaissance, je le répète, par la perception de la Sagesse ordonnatrice, qu'elle contemple dans les créatures et qui se retrouve, sibilité de choisir h· mal s'explique par In création elle-même : une essence finie et distincte de Dieu admet des contraires (27-30), bien plus : si elle a en clic le principe de certains de ses mouvements (31*32), clic ne se possède pas entièrement elle-même. Il sc trouve mémo que les . très raisonnables dépendent les uns des autre» pour leurs progrès dans lu connaissance. I. Maxime semble attribuer aux anges une connaissance immédiate, mais acquise, des creatures. Percevoir les. idées · ou, plus exactement, les < objets de contemplation l'Ifi.i-.r^x·.») qui sont dans les êtres, c'est, semblo-t-U, la menu· chose que percevoir leurs ■ raisons ·. Les anges seraient donc natu­ rellement doués d’un nmd.· de connaître analogue ü la contemplation que possède l'esprit humain purillc : un put ce «pic saint Augustin décrira, dans le ciel, sous le nom de connaissance ve-sp(-ralc. I.a sentence 21 apportent quelques précisions : la ronnaissaiire, au sens; technique et spirituel «le γν<'·σΐζ, que l’être raisonnable et spirituel peut avoir des creatures, consiste ;i retrouver en elles, agissante cl déterminée, Itu Sagesse divine imprimée dans l’esprit humain. TROISIÈME CENTURIE 131 à l’état pur cl non sous forme de substance, dans l'esprit *. 25. En a mena ni à l'existence la nature raison­ nable et spirituelle, Dieu, par une suprême bonté, lui a communiqué quatre des propriétés divines par les­ quelles il maintient, garde et conserve les êtres : l'être cl le toujours être, la bonté et la sagesse. De ces dons, les deux premiers oui été attribués à Γes­ sence elle-même : les deux autres, bonté cl sagesse, â la volonté, afin que, ce qu’il esl lui-même par essence, sa créature le devînt par participation, (’. est pour­ quoi celle créature esl, dit-on, faite â l'image et â la ressemblance de Dieu : à Γimage d'abord, comme I. la» λογ·σ::ζ< χχ· voivi semble bien ici le rcpontlant exact île «·<· que le latin de Rufin, dans la traduction du lire· άο/ό,ν d'Origonc, nomme natura rationalis et intellectualis, qui comprend «1rs êtres corporels et des incorporels et dont il est dit (II, 1, 3) : · .X'ihil (ci) ulittd convenit nisi mue vel nosci ·. Le mot ■ spirituelle , pour traduire -zo.oâ, parait préfé­ rable à ‘intelligente ■, car il convient mieux aux anges et rappelle «lavantage qu'il s’agit «le lu créature portant, dans rc centre de son être qu’est l'esprit, l'image divine. La participation est ici fort nettement définie parson triple objet : être, bien «;tr«! et toujours être, autrement dit, les dons naturels et prctcrnntuivt» de nos théologiens. Le toujours être, en effet, c’est l'immortalité de l'i'une; l< bleu être i-<> -S . ), c'est l’aptitude fondamentale à être bon et . ·. Le l*. Disdiet a montré. on s'appuyant sur plusieurs lextt * signifi­ catifs et notamment .AntWjno. 1336 A, que la nature humaine, en Adam, c «si a-dii ç l'image divine selon laquelle l'Iiomtni· a etc lait, comporte le bien être il.es fondement» dogmatiques de ta spiritualité ne saint Maxime, Échos d'Ortent, 193(1, p. 303). Les conséquences «le ce principe sont impur tantes : l'objet principal de l'ascèse, on le conçoit, ne peut être que le retour a une telle nature; bien plus : ■ l'image adamlquc débordait la nature de t'.hnc pour s’étendre au corps lui-même, puisque l'image parfaite exige l’im innrtailti corporelle . Dans les Centuries sur la charité, Maxime entrevoit encore Λ peine ces perspectives : il ne parle qu'une fois, en passant, de lu restauration <άχοζ»·)·5:οιζτ«:. III. 2) des justes «Ions i'êt-at premier; encore ce passage a-t-il chance d'etre emprunté a Orlgênc. I) signalera aussi IV. ·!*»> que les ■ choses du corps sont bonnes en soi, mais sans songer à agréger le corps a)a synthèse spirituelle de l'univers racheté : l'âme et (<: corps, disent les Ambigua, seront déifies (voir Introduction, p. -13. mdc et 11. vos Uaithasau, Kosimschr Liturgie, pussim, notamment pp. 163 sqq.·. 132 CENTURIES SUR I.A CHARITÉ étant, de Celui qui est; comme étant toujours, de Celui qui e. I toujours, car. si elle n'est pas sans commence­ ment, du moins elle est sans fin. A la ressemblance ensuite, comme étant bonne, de Celui qui esl bon, comme étant sage, de Celui qui est sage, ressemblant ainsi, par grâce, à Celui qui esl bon et sage par nature. Ainsi tonte nature raisonnable est à l'image de Dieu : mais à sa ressemblance, seuls le sont les bons et les sages 26- L'ensemble de la nature raisonnable et spiri­ tuelle se divise en deux ordres : la nature, angélique et la nature humaine. A son tour, l'ensemble de la nature angélique se partage en deux grands partis et groupes : élus et maudits, bons anges et démons impuriliablcs. Enfin, l'ensemble de la nature humaine se partage en deux grands pari is seulement : pieux et impies. 27. Dieu, qui esl l'Etre même, la Bonte même, la 1. Image et ressemblance. Les Capita Iticoto'jica et teconomica, I. 13, dis* 1iii|'U>*nt le bien naturel de l'image et 1«· bien volontaire Ιγν'ομ z“■·■·;·.;) : Celui qui a fad étinceler miii esprit des retails que diffusent h- divines contemplations. pii a occupe sa raison ù offrir sans cesse au Créateur des touimges et qui a purifié sa sensibilité par des représentation» itrépivchabli·,. crtoi-ln ajimlr au bien de l'image qu'il posside do par sa nature lo bien volontaire de le ressemblance. Bien dis· Unctos · l'origine, chez les premiers alexandrins qui, en dépit de divergences Il de details, s'accordaient i les distinguer, l'image cl la ressemblance rutenti· plu-, ou moins confondues par la tradition postérhturc. Chez Maxime, laB distinction réapparaît. pcul-élrr sous l'jnt'uencc d'Origcne. De Principiis, I notamment III. G. 1 : · Hoc ergo qii«<î (Scriplliraf dixil. · ad ίπιαι/Ιικπι ZJcil fecit rum ·, . L’égoïsme, je l’ai dit bien souvent, est à la source de toutes les pensées passionnées. De lui naissent, en effet, les trois vices capitaux de la convoi­ tise : gourmandise, avarice, vaine gloire. Puis de la gourmandise naît la luxure, de l’avarice la cupidité, de la vainc gloire l’orgueil. Et tous les autres, sans exception, se rattachent à l’un des trois précédents : colère, tristesse, rancune, paresse, envie, médisance, etc... Passions qui toutes ensemble enchaînent l’es­ prit aux objets matériels, le retiennent sur la terre, pesant sur lui comme une masse de pierre. Sur lui, plus léger par nature et plus vif que le feu ! 1. Jean, \. 22; Mat/hieu, VU. 1 ; hue. VI. 37 ; I Corinthiens, IV, û 1 ilnntains, 11. I. 2. Zucharir, V. 7 ; P.uiiinu·, IV. 3. TROISIÈME CENTERIF. 1Π 57. Λ l’origine de I oule passion, l’égoïsme, et au lerme. l’orgueil. L’égoïsme. c’est l’aITection déraison­ nable pour le corps : qui le détruit, détruit du coup toutes les passions qui viennent de lui '. 58. Les parents restent vivement attachés aux corps qu’ils ont produits: et l'esprit, par nature, tientauxraisons qu'il découvre. Aux yeux des parents passionnés, des enfants difformes jusqu’au complet ridicule sont entre tous beaux cl bien bâtis ; et à un esprit qui manque de sens, ses raisons, même tout à fait absurdes, semblent les plus sensées du monde. Le sage. lui. ne tient pas à ses raisons. Se sent-il con­ vaincu de leur vérité et de leur excellence ? Raison de plus pour qu’il se défie de son jugement, et sou­ mette â d’autres hommes avisés ses raisons et ses pensées, crainte de courir et d'aaoir couru pour rien. l’.l c'est sur eux qu'il prend assurance I. 2. 59. Si tu as raison des passions plus honteuses : gourmandise, luxure, colère ou cupidité, tout de suite les pensées de la vaine gloire fondent sur toi; et si tu en triomphes, celles de l'orgueil prennent leur place. 60. Quand les passions honteuses dominent l'âme, elles en chassent les pensées de vaine gloire : ces pas­ sions vaincues, elles se déchaînent en elle. I. La φ·.λ«>τ;ι, sauvent nommer et définie, toujours comni·· une pas­ sion dont l'objet i .t le · corps · (jùiual, cl la mère de tous les vice» comme de toutes le* passions, nr correspond pas exactement ή notre égoïsme. Elle ·.·»!, plus profondément. Ce déséquilibre fondamental qui, de l'esprit, fait tomber le centre de gravité du coin|M>$é humain dan* sr> puissances inféiîcures cl sensibles. L'élan premier de ta nature était tourné vers Dieu, donc extatique ; il s’est replié sur soi. Le · corps ·, c'est Je moi en tant que lié Λ la matière. CL IL 8. 59, f>0; 111, S. Galates, IL 2. 112 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 61. La vaine gloire, qu'elle, soit détruite ou qu’elle demeure, produit l’orgueil, sous forme de présomption quami elle est détruite et. quand elle demeure, de jactance. 62. La vaine gloire est supprimée par l'action cachée : et l’orgueil, si l'on attribue à Dieu ses bonnes actions. 63. Quia mérité d'obtenir la connaissance de Dieu et jouit sincèrement du plaisir qu'elle donne, méprise tous les plaisirs issus de la puissance concupiscible. 61. Celui dont les désirs sc bornent aux choses de la terre convoite la bonne chère, le plaisir sexuel, la célébrité, la fort une et tout ce qu'elles entraînent. Si son esprit ne trouve aucun objet meilleur vers quoi tourner la convoitise, il restera à jamais incapable de mépriser ces objels-là. Combien plus excellente, sans comparaison, la connaissance de Dieu el des réalités divines ! 65. Le mépris des plaisirs provient, soit de la crainte, soit de l'espérance, soit de la connaissance, soit de l'amour de Dieu. 66. La connaissance sans passion des choses di­ vines ne mène pas elïectivemcnt l'esprit au mépris des objets matériels. Son action ressemble à celle de la pensée simple d'un objet sensible. Aussi le cas n'estil pas rare d'hommes qui. tout en ayant la connais­ sance. se vautrent, comme des porcs dans la bouc, parmi les passions charnelles. Ils ont d’abord, en effet, grâce à leur application, atteint une certaine pureté, et trouvé la connaissance ; puis ils se sont laissés aller, semblables à Saül, qui, d'abord jugé TROISIÈME CENTURIE 113 digne de régner, gouverna indignement et, par un redoutable effet de la colère divine, fut rejeté. 67. Pas plus que la simple pensée d’une chose hu­ maine ne mène forcément l’esprit au mépris des choses divines, la simple connaissance des choses divines ne le mène effectivement au mépris «les choses humaines, pane qu'ici-bas la vérité n'apparaît qu’en ombres et en ligures. C'est pourquoi il faut cette bienheureuse passion de la sainte charité pour al lâcher l’esprit aux objets de la contemplation spirituelle et lui faire pré­ férer. au matériel l’immatériel, au sensible, le spiri­ tuel et le divin *. 68. Avoir retranché scs passions et simplifié ses pensées, ce n’est pas pour aidant les avoir entièrcmenl tournées vers le divin. On n'esl plus al lâché à l’hu­ main, mais on ne l’est pas non plus au divin. C’est le cas de ceux qui ne sont qu’actifs, (pii n’ont pas encore mérité d’obtenir la connaissance, mais qui maîtrisent leurs passions par crainte du châtiment ou espérance du Royaume. 69. Sous marchons par la foi, non par la vue, et nous ne connaissons que dans un miroir et en énigmes. Aussi devons-nous nous appliquer très soigneusement à celle connaissance : c’est à force de. méditations et d’entretiens prolongés que nous la transformerons en l’habitude inébranlable de la contemplation 3. 1. Sur ce rôle de la chante, force animatrice de rascensimi gnosttquc. voir 11. 2fi et la note. L'expression : ■ bienheureuse passion de la sainte cha­ rité . roui ii fait paradoxale et inusitée chez Evagnj, à notre connais··;.nci-, est en h.inimnie avec 1« thème de In conversion des passions (voir ci-dessous’ 71). 2. 1! Corinthiens, V. 7. 144 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 70. Si nous nous adonnons à la contemplation spi­ rituelle tout en n'ayant que très imparfaitement extir­ pe les causes de nos passions, el si nous n'y persévé­ rons pas constamment en faisant d'elle notre occupa­ tion, bien vite nous nous orienterons de nouveau dans le sens des passions charnelles. El nous n’en aurons recueilli d’autre fruil qu'une connaissance aride, mêlée de présomption, qui peu à peu en viendra à s'obscur­ cir elle-même, tandis que l’esprit se tournera tout entier vers les réalités matérielles. 71. Passion d'amour blâmable, celle qui occupe l'esprit aux réalités matérielles : passion d'amour louable, celle qui rattache au divin. Car en général, lorsqu’il s’arrête à un objet, l'esprit est à l’aise et là où il est à l'aise viennent converger ses désirs el. son amour : soil vers les réalités divines et spirituelles <]ui lui conviennent en propre, soit vers les réalités et passions charnelles *. 72. C'est Dieu qui a créé le monde visible el l’in­ visible ; lui aussi, évidemment, qui a fail lui-même lame et le corps. Or si le monde visible est si beau, que doit donc être l'invisible ’. Et si l’invisible est préférable au visible, combien plus excellent encore Dieu qui les a fails tous deux ! Mais si le Créateur de l'univers surpasse en excellence tonies les creatures, comment expliquer que l’esprit délaisse le mieux pour s'attacher au pire : les passions charnelles? N'est-ce pas que, de naissance oriente vers elles, accoutumé à elles, il n'a jamais connu l’expérience vraie de l’exl. Sur <·<·ΐΐι· doctrine importante de la conwr.xioa <(<■$ passions, voir Intro­ duction, p. 6u. 115 troisième centurie ccllence suprême, du Transcendant ? Excrçons-le donc longuement â s'abstenir des plaisirs, à s’occuper an divin el. relire peu à peu de son étal, nous le verrons, au fur el à mesure de ses progrès dans les voies de Dieu, se trouver à l'aise et reconnaître sa véritable dignité ; en lin de quoi, tout son désir se tournera vers le divin. 73. Divulguer, sans céder â la passion, le pêché d'un frère, on le peul pour deux raisons : pour le corri­ ger, pour être utile à un autre. Hors ces deux cas, en parler soit à l’intéresse, soit à un autre, c’esl le blesser ou médire de lui. sans pouvoir échapper à la dere­ liction de Dieu : nous tomberons nous-mêmes dans la même faute ou dans une autre, el les reproches d’au­ trui, ses médisances sur notre compte, nous couvri­ ront de honte. 71. Pour un même péché d'action, il y a chez les pêcheurs non pas une seule, mais diverses attitudes «l'esprit possibles. Autre par exemple est le péché «l'habitude, autre le pêché de surprise. En ce dernier cas, ni avant ni apres la faute on n'en a la pleine advertanee, mais on regrette, el vivement, ce qui est arrivé. Pour le pêche d'habitude, au contraire : avant, on ne cessait de pécher en pensée : après l'acte, la dis­ position demeure la mémo. 75. Qui recherche les vertus par vaine gloire, pour­ suit aussi, bien entendu, la connaissance par vaine gloire. Rien chez un tel homme, c'est trop clair, ni actes ni propos, ne vise â l'édification: toujours,qu’on le regarde ou l’écoute, il est à fallut d'un compli­ ment. Mais où sa passion fait ses preuves, c’est lorsque 9. Maximo It· Confesseur. lu 146 CENTURIES SUR LA CHARITÉ tel ou tel trouve à redire à ses actes ou à ses propos : I alors le voilà tout triste, non de ce qu'il n’a pas édifié, | (il n’en avait cure), mais de ce qu’on ne fait point de cas de sa personne. 76. Indices certains de la passion d’avarice : rece­ voir avec joie, communiquer avec peine. Vu tel homme ne peut faire un dispensateur. 77. Voici pourquoi l’on souffre avec patience : pour l’amour de Dieu, par espoir de la récompense, par crainte du châtiment, par respect humain : par tem- ) péramcnl. pour un plaisir, pour un bénéfice, par vainc gloire, par nécessité. 78. Autre chose est d'être débarrassé des pensées, autre chose d'êlre délivre des passions. Souvent on I est debarrassé des pensées par l'absence des objets pour lesquels on a nue passion. Mais les passions restent cachées dans l'àmc : que réapparaissent, les objets, elles se révélent. D'où nécessité de surveiller l’esprit en présence des objets, et de discerner pour quoi il éprouve la passion. 79. Celui-là est un ami sincère, qui à l’heure de] l'épreuve supporte avec son prochain et fait siennes, sans trouble ni agitation, les afflictions, contraintes et infortunes venues des circonstances. <80. Garde-toi de faire fl de ta conscience, qui tou­ jours t’invite au mieux : elle te suggère les conseils dc| Dieu et des anges, elle te purifie des souillures cachée» île ton cœur et, à l’heure du départ, te confère la familiarité divine 1. One signifie au juste ce · départ · : In mort ou In « sortit1 des êtres |,j ntl sommet de l’oraison ? La mention <Ιι· la ce irtme-pnrlrr, celte.’ TROISIÈME CENTURIE 147 <81. Veux-tu posséder la connaissance et rester mo­ deste. sans être asservi par la.passion de présomption ? Cherche toujours dans les rires ce (pii échappe â la connaissance. Tu découvriras alors mille détails divers (pii l’échappaient ·. étonné de ton ignorance, tu en ra­ battras de les prétentions el, le, connaissant toiinéine. In comprendras bien des choses, el profondes, et merveilleuses. Croire (pie l'on sait, en effet, est un obstacle au progrès de la connaissance. <82. Celui-là veut vraiment être sauvé, (pii ne résiste pas au traitement du médecin. Or, ce traitement con­ siste dans les sou lira nées el tristesses qu'apportent tour â tour les circonstances. Celui (pii leur résiste ignore ce qui s’accomplit par elles, et quel prolit il en aurait tiré à l’heure de la mort. <83. Vaine gloire et avarice s’engendrent l’une l’autre : le vaniteux amasse de l’argent, le riche est vaniteux, mais dans le monde. Le moine, lui, s’il est pauvre, en lire encore plus vanité : s’il a de l’argent, il le cache, honteux de posséder un objet qui ne con­ vie ni pas à son étal. <81. La vaine gloire, pour le moine, consiste à tirer vanité de la vertu et de ce (pii s’y rapporte ; son or­ gueil particulier, à s’estimer pour ses bonnes actions, à mépriser autrui et à s'attribuer ccs actions à lui-même. <85. Vertu pour le mondain, vice pour le moine: vertu pour le moine, vice pour le mondain. Exemples : vertu pour le mondain : richesse, célébrité, influence, liberté d'allure en présence de Oku. où les Pères grecs voient une de* qualités fondamenliihs de la piété, nous invilcrnil ù interpreter t;oocomme dési­ gnant le sommet de l'oraison. 118 CENTURIES SUR LA CHARITÉ plaisir, sanie, nombreux enfants, et tout ce qui leur fait cortège... Que le moine y louche, et il est perdu. Xu contraire, vertu pour le moine : pauvreté, obscu­ rité, absence d’autorité, abstinence, mortification, cl. ainsi de suite... Qu'un mondain, â contre-c du recueil. qui parait expri mer en 1,ormes ilionj siens «me pensée tout évagrienne, voir Introduction, PP· 17-1!·. 57-5*1. 2. I Corinthien», XIII. 13. 3. {oadricrm· Ccnnir/c. Après les <1« uxicim· <·Ι I roisiêmc conlurii-s, In qua­ trième offre une physionomie beaucoup plu·· singulière. L'amour du prochain y lient une grande place. Des considera lions viennent, jamais encore rrnconlréi'. sinon en passant, sur In creation, les rapjmrls de In connaissance et .>. Plusieurs sentences reprennent simplement lu doctrine que nous avons vue (111, 21-33) empruntée â Origcne. Sur la création, l'essence divine et les dangers «l'une contempla lion cITréiiée (5), Grégoire de Nazlanze exprime à maintes reprises une pensée voisine de celle de Maxime, qui pourrait fort bien l'avoir inspiré (voir notamment Discourt. 45, M. G. 36. 625-632). QUATRIÈME CENTURIE 153 quand toujours sa bonté demeure ?»— Je te le répète : l’insaisissable sagesse de l'essence infinie échappe à la connaissance humaine. I. Lorsqu’il l’a voulu, le Créateur a pourvu d’une essence et d’une existence les êtres dont la connais­ sance préexistait en Lui de toute éternité. Il est absurde en cITct de douter que le Dieu tout-puissant soit capable, lorsqu'il le veut, de former une essence. 5. La raison pour laquelle Dieu a créé, cherche-la : c’est un objet de connaissance. Comment et pourquoi il a créé dans le temps, ne le cherche pas : cela dépasse ton esprit. Les décisions de Dieu sont, les unes com­ préhensibles, les autres incompréhensibles pour les hommes. Car une contemplation sans frein, a dit un saint, risquerait de conduire aux abîmes. G. Certains prétendent que les créatures coexistent à Dieu de toute éternité; ce qui est impossible, car comment des êtres de tout point tinis pourraient-ils exister de toute éternité, et que vomirait dire leur nom île créature, si «‘Iles étaient coéternelles au Créateur ? C’est pourtant la doctrine des Grecs, (pii nous ensei­ gnent que Dieu n'est à aucun litre créateur des es­ sences. mais seulement des qualités. Mais nous, qui savons Dieu tout-puissant, nous allirmons qu’il est créateur non seulement des qualités. mais des es­ sences créées. Et, s’il en est ainsi, les créatures ne sont pas de toute éternité coexistantes à Dieu. 7. Connaissable â un certain point de vue. incon­ naissable â d’autres, est Dieu, ainsi que le divin. Connaissable, par la contemplation de ses attributs : inconnaissable, par celle de son essence. 154 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 8. Ne va pas chercher, dans l’essence simple et. infinie de la Trinité sainte «les modalités ou propriétés· Te serait en faire un composé comme les créatures, conception de Dieu absurde cl sacrilège. 9. Seule simple, unique, sans qualité, pacifique et stable est l’essence infinie, toute-puissante, «pii a fail toutes choses. Quant aux créatures, elles sont tontes composées d'essencé et d’accidents et, n étant pas exemples du changement, dépendent sans cesse de la Providence divine. 10. La nature spirituelle el la nature sensible, lorsque Dieu les a produites à l'existence, «ml toutes deux reçu «le lui des capacités de percevoir les êtres : la spirituelle les intellections, la sensible les sensations. 11. Dieu est seulement participé : la créature, elle, participe et communique : participe à l'être, et au bien être, communique le bien être seulement, et la nature corporelle d'une manière, l’incorporelle d'une autre. 12. La nature incorporelle communique le bien être en parlant, en agissant, en étant contemplée ; la nat ure corporelle, en étant contemplée seulement 13. Toujours être ou ne pas être, pour la nature raisonnable et spirituelle, voilà «pii dépend du bon plaisir de Celui qui a fait toutes choses bonnes : être moralement bonnes on mauvaises, voilà qui dépem de la volonté des créatures. 11. Ce n’est pas dans T essence des créatures qu’on trouve le mal, mais dans leurs mouvements faux et déraisonnables. 15. Les mouvements de T à me sont raisonnables quand sa partie concupiseible est commandée par la Q UATRIÈ M E CE NT URIE 155 tempérance : quand sa partie irascible se fixe dans la charité, en s’écartant de la haine : quand sa partie raisonnable demeure auprès de Dieu par l'oraison et la contemplation spirituelle l. 1(5. Il ne possède pas encore la charité parfaite, ni la connaissance profonde de la providence divine, celui (pii. au moment de l'épreuve, s’écarte de la cha­ rité pour ses frères spirituels. 1. Antithèse-de l'abus (r.xzvyor?:;) qui constitue k· pêché, l'usagc rai­ sonnable de* pensées ri des chose* a etc souvent défini et mis ii l'honneur : c'est mu· des œuvres de la charité (I. Ki) ; comme la liberte intérieure, il si· forme en l'âiiie, a lu manière d'une faculté nouvelle, grâce à l'observation • les commandements ι IV. ‘Il : lu norme extérieure a pour but de façonner In norme intérieure) ; il produit l:i chasteté. la charité, la connaissance ι HI. ' I. En un mot. l'usage raisonnable est la marque de J.i /mtitn , car agir selon la nature c'esl agir selon l'image, et, si l'un veut préciser cette formule dan* le jargon de la psychologie, un dira que. l'image de Dieu dan- l'homme étant l'analogue du Verbe divin, il faut, pour que l'activité humaine devienne conforme à l'image, que le Verbe en devienne la norme et le régulateur. Or. In raison, d'une part fonction régulatrice de» faculté» inférieures. constitue d'autre part ce point de notre être par ou nous rencontrons Je Verbe pour nous Oiimellre à lui (II. S3 ; le grec Joue sur le mol λ',γο:, Verbe ri raison·. Ici, l'usage raisonnable est passe en habitude : il résulte de l'harmonie «les trois puissances, rétablie par 1rs trois vertus qui dois rut les régler : pour h. convoitise t ■ -·’.·ψ.'χ). la maîtrise de soi ou tempérance (ίγ/.-,χτ. ·χ) ; pour lu colère i d In charité : pour lu raison, l'oraison ou contemplation. Les notions se joignent avec la rigueur de signe, algébriques. Maxime parle de la contemplation spirituelle (-v-mPeut-être esl-rc un souvenir d'Evngrr, qui distinguait deux connaissances du momie : la pragmatique ■, 6 laquelle arrivent même les impies, et In · spirituelle , r< -rrvcc aux saints ? En fait, nous avons souvent rencontré h· mol zv.j;x. κος appliqué non aux hommes, mais a la charité till. 13, IV, 17, 25, il, 68), à la connaissance ou ft la contemplation (lit, 67. 70 ; I. Ή, II, 5, 2··. etc...). 1.·· sens est assez proche de noire · surnaturel , non pas qu'il désigne une prérogative qui dépasse les forces et exigences de lu nature on qui aille â rencontre de scs tendances — un tel sen* de < nature · est iaccmiii a Maxime, qui emploie indifféremment contemplation naturelle et contemplation spirituelle mais parce qu'il désigne une action directe de l'i’.sprtt-Saint. « Surnaturel ·, en rappelant les problèmes modernes attachés h celte notion, ferait un vrai contresens historique. C'esl pourquoi, sans cnumlrc la confusion avec vox, vofioj, ζοντ xo:, nous avons adopte le mot spirituel ·. <>n reconnaîtra facilement wi) χ::ζ λ. toujours réserve pour qualllier chanté, connaissance, contemplation ou objet do contemplation 1'iP.ipr.ux). 156 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 17. Unifier, par la foi vraie et l’amour spirituel, ceux que le vice a jetés dans de multiples divisions, voila le dessein de la Providence divine. C'est pour cela qu’a sou fieri le Sauveur, pour (pie. les enfants de Dieu qui avaient etc dispersés, il les ramenât à Γunité. Aussi ne pas endurer les incommodités, ne pas sup­ porter les chagrins, perdre patience sous les peines, c’est quitter la voie de l’amour divin et des intentions de la Providence ’. 1ablc de la science de Dieu et qui préfèreà cette connaissance l’ignorance, sera à bon lirait appelé mauvais · (Cent., 11 J, 53, trad. Hausherr). Parallèlement. les contemplations sont une montée, de connaissance en connaissance, vers une spiritualité de plus en plus haute, tandis que tout 9. Maxime le Confesseur. 11 1(52 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 47. Les commandements, la doctrine, la foi : voilà les trois objets de la philosophie du chrétien. Les commandements affranchissent l’esprit des passions: la doctrine le mène à la connaissance des êtres ; la foi, à la contemplation de la Sainte Trinité. 18. Parmi ceux (pii luttent, les uns se contentent de repousser les pensées passionnées, les autres re­ tranchent les passions elles-mêmes. Les pensées pas­ sionnées sont chassées par le chant des psaumes, l’orai­ son, l'élévation de l’âme, ou bien par quelque diver­ sion appropriée. On retranche les passions en mépri­ sant les objets vers lesquels elles nous inclinent. 49. Voici des objets pour lesquels nous éprouvons des passions : les femmes, la fortune, les présents et autres. Les femmes, on devient capable de n'en plus faire cas, lorsque, retiré dans la solitude, on macère son corps, comme il convient, par la mortification : la fortune, quand on se résout intérieurement à s'en tenir toujours au strict nécessaire ; la gloire, lorsqu'on se plaît à pratiquer la vertu dans le secret, aux yeux de Dieu seul, et ainsi du reste. Qui se conduit ainsi n’en vient jamais à détester qui que ce soit. 50. Qui a renoncé aux objets, femmes, fortune, etc., s'est fait moine pour l'extérieur, mais non pas encore pour l'intérieur. Qui a renoncé aux représen­ tations passionnées de ces objets s’est fait moine jus-| obscurcissement de l'esprit constitue une chute vers la matérialité, donc) une manière de péché, au sens d'aversio a Uco, non de transgressio legis divi­ nae. Maxime, mémo à l'époque des Centuries sur la charité, ne partage pas le ' spiritualisme et l'intellectualisme un peu outr.mciers d’Evagrc ; néanmoins,] une lourde méfiance s'attache ύ l'ignorance comme telle, à laquelle plusieurs! fois vient s'appliquer une mauvaise note morale (ainsi Ill, I). Q L’AIR IÈM E CENT ( JR IE 163 qu’à l’intérieur, c’est-à-dire à l’esprit. Pour l’exté­ rieur, il est facile de se faire moine : il suffit d’un acte de volonté ; mais pour se faire moine jusqu’à l’inté­ rieur, la lutte est dure. 51. Quel est, dans cette génération, celui qui, com­ plètement libéré des représentations passionnées, a été jugé digne de l'oraison pure et immatérielle, signe du moine intérieur ? 52. Bien des passions restent cachées dans notre âme. Que leurs objets paraissent, elles se révèlent. 53. On peut, en l’absence des objets, n’ètre point importuné par les passions et n’avoir qu’une liberté intérieure partielle. Que les objets paraissent, immé­ diatement les passions tiraillent l’esprit. 54. Ne t’imagine pas avoir la parfaite liberté inté­ rieure. tant que l’objet n'est pas là. Lorsqu’il paraît, si tu restes sans l'émouvoir, pour lui d’abord, et pour son souvenir ensuite, sache alors que tu as atteint ses frontières. Toutefois, même en ce cas, garde-toi des sentiments de mépris : car la vertu, si elle dure, tue les passions ; mais, négligée, elle les réveille. 55. Qui aime le Christ l’imite en tout tant qu’il peu I. Ainsi le Christ n’a cessé de faire du bien aux hommes ; devant l’ingratitude et le blasphème, il a gardé la longanimité; outragé et mis à mort, il est resté pa­ tient, sans jamais rejeter le mal sur personne. Voilà les trois grands actes de l’amour du prochain, sans les­ quels celui qui prétend aimer le Christ ou posséder son royaume est dans l’illusion : « Ce n'esl pas celui qui me dit : Maître, Maître, qui entrera dans mon royaume, mais celui qui jail la volonté de mon Père > ; 164 CENTURIES SUR LA CHARITÉ ou encore : « Celui qui m'aime gardera aussi nies com­ mandements » 56. Tout le but des préceptes du Sauveur, c'est d'arracher l'esprit au désordre et à la haine, pour le mener à son amour et à celui du prochain. D’où jail­ lit comme un éclair l'acte de la sainte connaissance.I 57. Si tu as reçu de Dieu une grâce de connais­ sance, bien que partielle, garde-toi de négliger la cha­ rité et la tempérance, car ce sont elles qui, en puri­ fiant à fond les puissances pathétiques de l’âme, tej fraient sans cesse le chemin de la connaissance. 58. Le chemin de la connaissance, c’est la liberté] intérieure et l'humilité. Sans elles, on ne verra jamais le Seigneur. 59. Puisque la connaissance enfle et que la charila édifie, joins connaissance et charité et, pur d'orgueil, vrai bâtisseur spirituel, tu t’édifieras toi-même et tous! ceux qui t’approcheront -. 60. La charité tient son pouvoir d’édification dd ce qu'elle n’est ni envieuse,,ni amère contre les envieux; de ce qu’elle ne fait pas montre de ce qu’on lui envie et ne pense même pas qu'elle l a déjà acquis, mais,] lorsqu'elle ne sait pas, avoue sans fausse honte son ignorance. Ainsi elle rend l’esprit exempt d’orgueil et le prépare sans cesse à progresser dans la connais­ sance. 61. 11 est en quelque sorte naturel que, surtout au début, la connaissance tire après soi la présomp­ tion et l’envie, la présomption à l'intérieur seulement, 1. Matthieu, Vil, 21 ; Jean, XIV. 15. 2. I Corinthiens, VIII, 1. QUATRIÈME CENTURIE 165 l’envie el â l'intérieur et à l’extérieur (à l’intérieur, contre ceux qui la possèdent, à l’extérieur, chez eux). La charité donc supprime ces trois défauts : la pré­ somption, puisqu'elle n'enfle pas -, l’envie intérieure, puisqu’elle n’es/ pas envieuse : l’envie à l’extérieur, puisqu’elle est patiente et bonne. Il est donc nécessaire à qui possède la connaissance d’avoir aussi la charité afin de garder toujours son esprit sans blessure ’. 62. Si, jugé digne de la connaissance, on garde contre un homme de l'amertume ou de la rancune, ou de l'aversion, c’est comme si l'on se blessait les yeux aux buissons et aux ronces. C’est pourquoi la con­ naissance a besoin nécessairement de charité *. 63. Ne consacre pas tout ton temps à discipliner la chair, mais fixe-lui un programme en rapport avec ses forces et, ton esprit tout entier, tourne-le vers l'intérieur. Car l’entraînement du corps est profitable pour un peu, mais la piété, profitable en tout... et la suite 3. 64. S’occuper sans discontinuer de son intérieur, c’est pratiquer la chasteté, la longanimité, la bonté, l’humilité, bien plus : la contemplation, la connais­ sance de Dieu, l’oraison. C’est le sens du mot de l'Apôtre : Marchez selon l'esprit, etc... 65. Celui qui ne sait pas marcher dans la voie spi­ rituelle, au lieu de prendre garde aux représentations 1. 1 Corinthien», Xlll. 2. Cf. Evagre, De Oratione, 64 : · Quiconque aspire à l’oralson véritable et s»· met en colère ou garde de la rancune, fait preuve de dérangement céré­ bral. C’est ressembler à un homme qui voudrait avoir la vue perçante et qui s’arracherait les yeux > (trad. Hausherr). 3. 1 Timothée, IV, 8. 4. Galates, V, IG. 160 CENTURIES SUR LA CHARITÉ passionnées, concentre tous scs efforts sur la chair el ainsi, ou bien se montre gourmand, libre de mœurs triste et colère, rancunier, et s'obscurcit ainsi l’esprit ou bien il exagère l’entraînement du corps et se trouble la pensée. 66. Rien de ce que Dieu a mis à notre usage n’est proscrit par Γ Écriture : elle se. contente de réprimer l’excès, de corriger le déraisonnable. Ainsi elle ne défend pas de manger, de procréer des enfants, d’avoir de la fortune et de l’administrer convenablement mais bien d’être gourmand, débauché et le reste... Pas davantage, elle n’interdit de penser à ces choses — elles sont faites pour qu’on y pense — mais d’y penser avec passion. 67. Nos actes agréables à Dieu sont les uns d’obli gation, les autres, non d’obligation mais, pourrait-on dire, d’offrande spontanée. Actes d’obligation : aime) Dieu et son prochain·, aimer scs ennemis, ne pas coin mettre d’adultère, ne pas tuer, etc... Ne pas les accom plir, c’est nous condamner. Actes non prescrits : vir ginité, célibat, pauvreté, solitude, etc. Ces actes sont un peu comme des cadeaux : si nous ne. pouvons, par faiblesse, pratiquer à fond certains préceptes, par ce: cadeaux nous forcerons la condescendance de noln bon Maître. 68. Qui garde le célibat ou la virginité doil néces sairement avoir les reins ceints et la lampe allumée les reins par la mortification, la lampe par l’oraison la contemplation, l’amour spirituel\ 1. Lac, XII, 35. QUATRIÈME CENTURIE 167 69. Certains frères se croient exclus des grâces du Saint-Esprit. C’est qu’ils ignorent, à cause de leur négligence à pratiquer les commandements, que qui­ conque garde très pure la foi au Christ, possède en soi, en bloc, tous les dons divins. Notre paresse nous tenant éloignés de l’amour effectif pour Lui, qui nous manifeste les trésors divins cachés en nous, il est nor­ mal que nous nous croyions exclus des dons divins l. 70. Puisque, selon le divin Apôtre, le Christ habite en nos cœurs par la foi, et que d’autre part tous les trésors de la sagesse et de la connaissance sont en lui cachés, tous les trésors de la sagesse el de la connais­ sance sont dans nos cœurs, mais cachés. Ils se révèlent au cœur dans la mesure de la purification que chacun a réalisée par l’observation des commandements 71. Voilà le trésor caché dans le champ de ton cœur, et que lu n’as pas trouvé à cause, de ta paresse. Si tu12 1. C9-SO. Connaissance'el inhabitation en nous du Christ. Définir la con­ naissance comme une prise «le conscience des trésors du Christ habitant en nous par la foi. c’est d’abord rendre au mystère «le notre incorporation au Christ sa place centrale dans la doctrine spirituelle, c'est ensuite poser le principe de ce qu'on appelle volontiers aujourd'hui une mystique d'intro­ version. On ne trouve plus Dieu an delà de soi-méme, mats en soi ; non plu·, dans le pur miroir du vqùç difforme, mais dans la personne du Christ dont nous sommes les temples. Maxime s'est-il rendu compte do ce qu'apportait de nouveau celte insertion de la christologie de l’Épitrc aux Éphésiens dans les Centuries sur ta charité ? II semble plutôt qu'il n'ait pas songé un instant à l'exploiter systématiquement. Dans les Capita theologica et oae.o· nomtea, IJ, loti (M. G. 90. 1172-1173), il écrit : « Celui qui par la vertu et la connaissance a mis Je corps en pleine harmonie avec l'âme est devenu In cithare, la flûte et le temple de Dieu. I.a cithare, parce qu’il gante parfaite­ ment l'harmonie des vertus ; la flûte, parce qu’il reçoit par les contempla­ tions divines l'inspiration de l'Esprit ; le temple, parce que par lapurctéde son esprit il est devenu l'habitation du Verbe · (cf. II. von Balthasah, Die Gnostischen Cenluricn · des Maximus Confessor, p. 92, qui en indique les sources évagrlennes). Mais l'habitation en nous du Verbe n'est p is donnée comme principe de connaissance et d’illumination mystique. 2. fiphfsiens, III. 17 ; Colossiens, II, 3. 16 Ils le verront, lui et les trésors qui sont en lui, quand par la charité et la tempérance, ils se purifieront, et d’autant mieux que plus énergique sera leur cITort de purification -. 73. Et voilà pourquoi il dit encore : « Vendez ce que nous avez, donnez-le en aumône, et voici que tout sera pur pour vous , s’adressant à ceux qui ne s’occupent plus de ce qui regarde le corps, mais dont l’efTort tend à purifier l’esprit (que le Maître appelle le cœur) de la haine et du désordre. Car c’est cela qui, souil­ lant le cœur, l’empêche de voir le Christ habitant en lui par la grâce du saint baptême 3. 74. Dans l’Écriture, les vertus sont appelées des chemins. Or, la reine des vertus, c’est la charité. D’où le mot de l’Apôlre : Je nous montre un chemin bien meilleur, un chemin qui fait tourner le dos aux objets matériels et empêche de préférer jamais le temporel â l’éternel 4. 75. L’amour de Dieu est l’adversaire de la convoi­ tise : c’est lui qui amène l'esprit à s’abstenir des plai­ sirs. L’amour du prochain, lui, s’oppose à la colère : c’est lui qui rend indifférent à la gloire et à la fortune. Voilà les deux deniers que le Sauveur a donné à l’hô1. 2. 3. I. Mallhieu, XIII, 44. Matthieu, V, 8. l ue, XII, 33 ; XI. 11. I Corinthiens, XII. 32. QUATRIÈME CENTURIE 169 tôlier pour qu'il te soigne. Mais veille à ne pas te montrer ingrat en t’associant aux brigands, sinon tu seras de nouveau assailli et laissé non plus à demi, mais tout à fait mort 1. 76. Purifie ton esprit de la colère, de la rancune et des pensées honteuses et lu pourras alors prendre connaissance de la présence en toi du Christ. 77. Qui t’a éclairé pour que tu croies à la Trinité sainte, consubstantielle et adorable ? Qui l’a fail connaître l’incarnation d’une des personnes de cette Trinité sainte ? Qui t’a appris les raisons des êtres incorporels, de l’origine et de la fin du monde visible, de la résurrection des morts et de la vie éternelle, de la gloire du royaume des deux et du jugement redou­ table ? Qui, sinon la grâce qui habite en toi, gage du Saint-Esprit ? Quoi de plus grand que cette grâce ? Quoi de plus excellent que celle sagesse et connais­ sance ? Quoi de plus beau que ces promesses ? Si nous restons inertes, paresseux, sans nous purifier nousmêmes de ce qui nous arrête, des passions qui obscur­ cissent notre esprit, pour devenir capables de voir, plus clair que le jour, la structure intime de ces réa­ lités, ne nous en prenons qu'à nous-mêmes, gardonsnous de nier la présence en nous de la grâce. 78. Dieu, qui t’a promis les biens éternels et a mis dans ton cœur le gage de ΓEsprit-Saint, l’a prescrit de veiller sur ta conduite, pour que l’homme intérieur, une fois libéré des passions, commence dès lors à jouir de ces biens. 1. J.uc, X, 35. 170 CENTURIES SUR LA CHARITÉ 79. Si lu as été jugé digne de contempler les plus hautes et divines réalités, pratique avec grand soin la charité et la tempérance, afin que, tes puissances de passion maintenues dans le câline, la lumière dans ton âme conserve, toujours égal, son éclat. 80. Par la charité mets un frein â la puissance iras­ cible de ton âme ; par la tempérance, mortifie la concupisciblc : par l’oraison donne l'essor à la raisonnable el la lumière de ton esprit ne s’obscurcira jamais. 81. Voici les dissolvants de la charité : la'détec­ tion, l'injustice, la calomnie en matière de foi ou de mœurs, les coups, blessures, etc.... que la personne même soit atteinte, ou bien quelqu'un de ses parents ou amis. Celui donc qui détruit la charité par un de ces actes ignore encore le but des commandements du Christ. 82. Fais tout ton possible pour aimer tout homme. Si tu n’en es pas encore capable, du moins ne hais personne. Mais de ceci même tu n’es pas capable, si tu ne méprises les choses du monde. 83. Un tel a calomnié. Ne va pas le détester, lui· mais sa calomnie, et le diable qui l'a porté à calom­ nier. Si tu détestes le calomniateur, tu délestes un homme, tu violes le commandement : ce qu'il a fait, lui, en paroles, tu le fais en action. Mais si tu gardes le commandement, remplis le devoir de la charité : aide-le, autant que tu le peux, pour le délivrer du mal. 81. Le Christ ne veut pas que lu gardes contre un homme aversion, amertume, colère ou rancune -.jamais, en aucune façon, pour aucun motif temporel. Voilà ce qu'à chaque page proclament les quatre évangiles. QUATRIÈME CENTURIE 171 «85. Nous sommes nombreux à parler, peu à agir. Plût à Dieu, du moins, que personne, par sa négli­ gence, ne falsifiât la parole de Dieu, mais que nous reconnaissions notre faiblesse et ne cachions pas la vérité de Dieu, sous peine de nous charger, outre la transgression des commandements, d'une mauvaise interprétation de la parole de Dieu. 86. La charité et la maîtrise de soi délivrent l’âme des passions : la lecture et la contemplation dégagent l'esprit de l’ignorance : l’état d’oraison l’établit en Dieu même 87. Les démons voient-ils que nous méprisons les choses du monde, crainte d’en venir, à cause d’elles, à haïr les hommes et à perdre la charité ? Ils pro­ voquent contre nous des calomnies, pour que, vain­ cus par la tristesse, nous haïssions les calomniateurs. 88. Il n’est pas pour l'âme de peine plus lourde que d’être calomniée, soit dans sa foi, soit dans sa conduite. Personne ne peut y rester indifférent, excep­ té celui qui, comme Suzanne, regarde vers Dieu, seul capable de l’arracher comme elle au péril, de décou­ vrir aux hommes, comme il l’a fait pour elle, la vérité et de consoler l’âme par l’espérance. 89. Autant tu pries de tout cœur pour qui l'a 1. Evagre définissait l'état d’oraison : · un habitus impassible (j$tç àrx'Jr,ç)<|ui par un amour suprême ravit sur les cimes intcllcctuellcsl'intelligence (voûç) éprise de sagesse spirituelle · (De Oratione, 52 ; trad. Htiushorr). Et ailleurs (Cent,, Suppl. 4) : · L'étal «le νοϋ{, c’est la cime intellectuelle sur laquelle, nu temps de l'oraison, resplendit la lumière «le la .Sainte Trini­ té ». Maxime parle souvent do l'é/af de prière, qui nous met « en Dieu ·, < au­ près de Dieu · (II, 6, 61 ; III, -11, 95, etc...). Un état (ζχζάιτασ:;) : c'est-àdire une manière d'étre nouvelle cl permanente : le mot revient, avec une forte saveur technique, toutes les fois qu'il s'agit de désigner quelque fruit spirituel. 172 CENTURIES SUR LA CHARITÉ calomnié, autant Dieu découvre la vérité à ceux qui avaient été scandalisés. 90. Dieu seul est bon par nature et, bon par volonté, le seul imitateur de Dieu, car son but est de réunir les méchants, pour qu'ils deviennent bons, à Celui qui est bon par nature. C’est pourquoi, outragé par eux, il les bénit : persécuté, il endure : calomnié, il inter­ cède pour eux ; mis à mort, il redouble de prières. Bref, il fait tout, pour ne pas s'écarter de l’idéal de la charité. 91. Les préceptes du Seigneur nous apprennent à user raisonnablement des choses indifférentes. Or, l'usage raisonnable des choses indifférentes établit l’âme dans la pureté, l étal de pureté produit le dis­ cernement, le discernement produit la liberté inté­ rieure, et la liberté intérieure l'amour parfait. 92. Il n'a pas encore la liberté intérieure, celui qui, lorsque survient, une tentai ion, ne peut fermer les yeux sur la faute de son ami, réelle ou apparente. Ce sont en effet le> passions tapies dans l'âme qui se soulèvent, obscurcissent le jugement, l'empêchent de se tourner vers les rayons de la vérité et de distinguer le meilleur du pire. Cet homme-là n’a donc pas la charité parfaite, celle qui bannit la crainte du jugement 93. Bien ne vaut un ami fidèle, car les malheurs de son ami, il les fait siens, et il les endure, souffrant avec lui, jusqu'à la mort 2. 94. Les amis sont légion, mais à l'heure de la pros1. I Jean, IV, 18. 2. Ecclésiastique, IV, 15. QUATRIÈME CENTURIE 173 périté. A l'heure de l'épreuve, à peine en trouverat-on un seul. 95. Il faut aimer tout homme de toute son âme, en Dieu seul placer son espérance, et l’honorer de toute sa force. Tant qu’il nous garde, en effet, tous les amis nous entourent d’égards el tous les ennemis ne peuvent rien contre nous. Mais qu’il nous délaisse, tous les amis nous tournent le dos, et tous les enne­ mis reprennent vigueur contre nous. 96. Il y a quatre principales sortes de déréliction divine : la première, qui est dans le plan Rédempteur, comme celle dont le Seigneur a été l'objet : cette dé­ réliction apparente a pour but le salut de ceux qu’elle atteint. La seconde est une épreuve, comme ce fut le cas de Job et de Joseph ; elle eut pour résultat de révéler, dans le premier, un héros de courage, dans le second, une colonne de chasteté. La troisième vise à la formation spirituelle, comme par exemple celle de ΓApôtre, dont Pellet fut de lui conserver, en l’hu­ miliant, scs grâces immenses. La quatrième, par aversion ; c’est le ras des juifs, que le châtiment devait courber sous le repentir. Tous salutaires sont ccs quatre modes de déréliction, et pleins de la bonté de Dieu el de son amour pour les hommes ’. 97. Seuls ceux (pii gardent avec soin les commande­ ments et les vrais initiés aux jugements divins n’abandonnent pas leurs amis quand, par permission de Dieu, ils sont éprouves. Mais ceux qui méprisent I.Lcs cinq sortes de déréliction sont distinguées ikifEvauiik, Gnosliqur, 132. Dans le De Oratione. 37. il recommande de prier pour être délivré des passions, de l’ignorance, de toute tentation et déréliction. 174 CENTURIES SUR LA CHARITÉ les commandements, les non-initiés aux jugements divins, lorsque leur ami est dans la prospérité jouissent avec lui ; mais lorsque, dans l’épreuve, il souffre, ils l’abandonnent, parfois même ils passent du côté de ses adversaires. 9X. Les amis du Christ aiment sincèrement tous les hommes, mais ne sont pas aimés de tous. Les amis du monde n'aiment pas tous les hommes et ne sont pas aimés de tous. Les amis du Christ persévèrent jus­ qu’au bout dans leur amour. Les amis du monde, tant qu’ils ne sont pas en désaccord sur les choses du monde. 99. Ami fidèle, protection efficace. Dans le succès, il fournit à son ami bons conseils et sympathie active ; dans le malheur, c’est un défenseur généreux et un allié profondément compatissant ’. 100. Beaucoup ont parlé de la charité, et abon­ damment. Mais si lu la cherches, elle, tu ne la trou­ veras que chez les disciples du Christ, les seuls qui aient pour maître en charité la Charité véritable, celle dont on a dit : « Quand j'aurais le don de prophé­ tie, que je contemplerais tous les mystères el posséderais toute, connaissance, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. « Aussi bien, qui possède la charité possède Dieu même, puisque Dieu est charité 2. A Lui gloire dans les siècles ! Amen. 1. Ecclesiastique, VI, 14. 2. I Corinthiens, XHI, 2 ; I Jean, IV, 16. TABLE DES MATIERES Introduction. L’auteur..................................................................... Le milieu................................................................... La date...................................................................... L’ouvrage.................................................................. La technique............................................................ Le sens..................................................................... -1 10 20 25 32 50 Traduction. Prologue.................................................................... Première Centurie....................................................... Deuxième Centurie ................................................. Troisième Centurie.................................................... Quatrième Centurie.................................................... 67 69 92 123 157 imprimerie frotat frères, maçon c. o. r„ 31.1998 SEPT. 1945 — CRNsrim paris n- 229 — dépôt légal 3« trimestre 1915 N* d'ordre chez l’imprimeur : 5262 — n« d'ordre chez l'éditeur : 1.281