N1UI1. OBSTAT. Locogiaci, die 24a παν. 19-17 fr. G. LEFEBVRE, cens. dep. iMPnnn potest Partilis, die 9» julit 1948 7 fr. Joannes OLPHE-GALLIARD. abbas Sanet» Mariae IMPRIMATUR ! Parisiis, die 19ft noo. 1950 PETRUS BROT vic. gen. SOURCES CHRÉTIENNES Collection dirigée par H. de Lubac, S. J., el J. Daniélou, S. J. Secrétariat de direction : C. Mondésert, S. J. GRÉGOIRE LE GRAND MORALES SUR JOR LIVRES 1 ET 2 INTRODUCTION ET NOTES DE Dom Robert GILLET, O. S. B. TRADUCTION DE Dom André de GAUDEMARIS, O. S. B. LES ÉDITIONS DU CERE, 29, bd de la Touh-Maubouro, PARIS Μ (ΰθ A )\?ί Sacramentorum codicem, mystico calame rescribens, veterum Patrum instituta pos­ teris transmisit. (Répons bénédictin de la fête de suint Grégoire.) 2775 0CT19’55 INTRODUCTION I Saint Grégoire et l'œuvre des « Morales » sur Job On pourrait classer les Pères de Γ Église d’après leur aptitude à la spéculation. Saint Augustin, à l’aise dans les plus hauts problèmes de la pensée, nous offre un bel exemple de mystique métaphysicien. Bien des Grecs partagent avec lui cette qualité, saint Grégoire de Nysse entre autres, quelques Latins seulement, tel, plus tard, saint Anselme. Toute différente est la manière de Grégoire le Grand : non spéculative, mais psychologique. Il sc contente de vivre et de prêcher aux autres ce qu’il a une fois perçu, et n’a pas le souci de ces tableaux d’ensemble dans lesquels les Pères grecs se plaisaient à retracer l’économie de la Rédemption. Saint Grégoire, c’est la doctrine chrétienne orientée vers la pratique. L’analyse psychologique le détourne des vastes synthèses, et la lecture des Morales comporte un risque : celui d’un exclusif regard sur soi, au détriment de la contemplation de Dieu et des réalités surnaturelles. De telles différences n’ont pas comme seule explication l’infinie variété des dons de la grâce, l’équilibre divers de l'intelligence pratique et de l'intelligence spéculative. 8 INTRODUCTION Il en est une autre plus à notre portée : la formation intellectuelle. Instruit, Grégoire l’est autant qu’il peut l’être, mais le milieu où il a grandi et où il pense fait qu’il ne peut pas l’être plus. Sa personnalité se détache sur un arrière-plan de décadence. La Rome de son temps n’est plus celle de Cicéron ou de Virgile, ni même celle qu’ont connue saint Jérôme et saint Augustin. Si la Ville continue à jouir d’une partie des privilèges que la Rome de la République s’élitit acquis par le fer et par le sang en conquérant le monde, ce n’est que par la grâce de ses maîtres de Ravenue ou de Byzance : dès la fin du ni· siècle, elle n’est plus pratiquement la capitale de l’Empire. et ce rôle s’est de plus en plus vidé de réalité : au vic siècle, il ne reste à Rome que le Pape. L’époque de saint Grégoire est. l’un de ces moments clima­ tériques où se décident les mondes : ce n’est plus l’antiquité, ce n’est pas encore le moyen âge occidental, c'est cette période éphémère de l’Italie que l’on peut appeler byzantine. Et, paradoxe de l’histoire, dans l’Italie que domine Byzance, l'hellénisme est mort, alors qu’il s’était mis à revivre magni­ fiquement dans l’Italie gothique du début du siècle. C'est que la guerre de reconquête des Grecs sur les Goths a achevé de ruiner et de désorganiser la péninsule. Saint Augustin, lui non plus, n’avait pas profité, dans son enfance, d’une forte culture hellénique : sa formation grecque, en tous points comparable à celle que peut acquérir un médiocre élève de nos jours, n’aurait pu soutenir la comparaison avec celle d’un Hilaire de Poitiers, d’un Ambroise ou d’un Jérôme. Mais il avait pu s’abreuver aux sources de l’antiquité, toutes réunies pour lui dans Cicéron et dans Virgile. Surtout, les dernières vagues du classicisme, amorties, étaient encore vivantes. Pour rejoindre les richesses de la culture latine, il n’était que de se plonger dans un passé tout proche. SAINT GRÉGOIRE ET LES :: MORALES » SUR JOB 9 Au temps de saint Grégoire, on ne le retrouvait, ce passé de Rome, qu'au delà du gouffre d’une irrémédiable déca­ dence, et ni Grégoire, ni scs contemporains n’ont eu le moyen de le franchir. A sa naissance, vers 540, les hommes qui avaient contribué au magnifique renouveau des études antiques sous Théodoric, qui avaient rouvert les trésors de l’hellénisme, Boècc et son beau-père Symmaque, étaient, morts depuis quelque vingt ans et les rares survivants, ou se mouraient comme Denys le Petit ou, comme Cassiodore, étaient déjà des vieillards. Mais, s’il ne met pas en œuvre les richesses de la culture classique, Grégoire est cependant le dernier représentant de la méthode théologique des Pères grecs et latins, toute fondée sur l’explication des textes sacrés. « C’est le cœur < qui est pris à parti dans ce langage si éloigné des formes « dialectiques, et le cœur de l’homme n’est pas toujours « insensible1 «. L’œuvre de Grégoire contient de magnifiques passages, qui valent d’ailleurs plus par la finesse du détail, la beauté de l’expression, que par l’ampleur de la pensée. Quant à l’originalité, elle apparaît à qui la cherche, profonde sous sa forme simple. Si le regard parcourt, il passe sans s’accrocher à rien de remarquable. Mais qu’il s’arrête ! et la beauté surgit. Elle ne se révèle qu’au lecteur attentif et peu pressé, qualités rares dans le monde moderne. Il faut lire lentement, en savourant. L’occasion des En 5'9» aPrfcs ciniI ans au Plus passés « Morales » ; dans son monastère du Cœlius, Grégoire leur caractère. cs{ or(jonné diacre par le Pape Pélage II et envoyé comme apocrisiaire (nonce) à Constantinople. C’est là, de 579 à 585 environ, que les trente-cinq livres des 1. V. EÈVRB, Élude des Morales de saint Grégoire le Grand sur Job, p. 2C. 10 INTRODUCTION Morales virent le jour. Dans la lettre dédicatoire à Léandre, évêque de Séville, venu en mission à Constantinople en même temps que lui, Grégoire expose l’occasion, la méthode et le but de son ouvrage. Nous ne pouvons mieux faire que d’y renvoyer le lecteur. Homélies prononcées à Constantinople devant des moines, les propres frères de Grégoire, et sur leur demande, les Morales sont avant tout des conférences monastiques. Elles ne veulent pas résoudre un problème spéculatif de quelque ampleur, comme, par exemple, la Cité de. Dieu, mais seule­ ment aider à mieux vivre des chrétiens qui, par leur vocation, se trouvent avoir un accès plus facile à la vie mystique. Grégoire continua à travailler ce qui n’avait été au début qu’un commentaire oral. Les dernières retouches datent de son pontificat. Commentant les paroles de Job : e II a aussi inondé les bords de la mer », » Le Seigneur, écrit-il, vient d’amener à la foi les confins mêmes du monde. Voici que déjà il a pénétré dans le cœur d’à peu près tous les païens ; voici qu’il a groupé dans la même foi les extrémités de l’Orient et de l'Occident ; voici que le parler de Bretagne, jusqu'à maintenant grondement barbare, publie aujourd'hui les louanges divines et fait écho à V Alleluia des Hébreux1 ». Il n’a pu faire à Constantinople cette allusion à la seconde conquête chrétienne de l’Angleterre par le moine Augustin et ses compagnons, puisque cette expédition missionnaire date de l’année 596 s. Dès le début du premier livre, on entrevoit le caractère de l’exégèse de saint Grégoire. Il prend chaque verset, et par d'ingénieuses allégories, y rattache tout ce qui lui semble1 2 1. Mor., 27. 21. 2. La Chronique anglo-saxonne note, pour l’unnéc 596 : · Celte année, Grégoire pape envoya Augustin en Bretagne avec beaucoup de moines pour prêcher la parole de Dieu aux Angles ». SAINT GRÉGOIRE ET LES « MORALES » SUR JOB 11 pouvoir y être rattaché. Ne cherchons pas dans les Morales une explication de textes au sens que nous donnons à cette expression. Il ignore, et en cela il est bien de son temps, l’analyse littéraire, ce qui ne l’empêche pas d’en réaliser quelques rares, mais fort beaux modèles. C’est ainsi que dans son commentaire de l’annonce, par messagers successifs, de tous les malheurs qui ont fondu sur Job, il est parvenu à nous rendre compte de toutes les intentions littéraires de l’écrivain sacré. La seule finesse de son sens psycholo­ gique lui a tenu lieu, en cet endroit, de nos modernes méthodes. Mais enfin, le fait reste exceptionnel. De nos jours, un critique commencerait, au stade le plus élémen­ taire, par distinguer dans le livre de Job un prologue, plu­ sieurs parties comprenant chacune des cycles de discours de forme poétique, un épilogue en prose. De tout cela, saint Grégoire n’a cure. Il parcourra le livre entier sans faire la moindre remarque sur la composition et le caractère de l’œuvre. Pour lui, avant tout moraliste et psychologue, commenter le livre de Job, c’est répandre à profusion les flots de la doctrine morale chrétienne1. Les quatorze premiers paragraphes sont consacrés à l’explication « histo­ rique o, mais déjà s’y glissent maintes considérations morales. Les quatorze paragraphes suivants exposent le sens allé­ gorique de ces memes versets, et les paragraphes 31 à 56, le sens moral. Au sens allégorique, Job est en même temps la figure du Christ et de son Église. Du Christ d’abord, considéré comme chef du magistère qui nous enseigne cc que nous devons croire ; de ΓÉglise ensuite, réunion orga­ nique des membres du Christ. Au sens moral, Job est l’occa­ sion pour Grégoire de montrer à ses auditeurs comment la foi doit, se manifester dans les œuvres. 1. Afor., Épttre dédicatoire, 2, Ewald-Hartmann, t. 1, p. 355, 33 et sulv — P. I.., 75, 513. — Cl-desiOUS, p. 117-118. 12 INTRODUCTION Ce plan tripartite annoncé (littéral, allégorique, moral), Grégoire n’y reste pas longtemps fidèle. 11 a posé en principe l’importance du sens littéral, que l’on ne doit jamais négliger. En pratique, il est loin de s’en tenir à cctlc règle. Dès le quatrième livre, le schéma primitif n’est plus guère percep­ tible. Il passe de plus en plus rapidement sur le sens littéral et, à partir du cinquième, le sens allégorique et le sens mystique sont presque exclusivement développés, sans qu’il soit possible de les distinguer l’un de l'autre, tant ils contribuent à l’élaboration d’un sens spirituel, où morale et mystique occupent une place éminente. Dans sa lettre à Léandre, saint Grégoire revendique d'ailleurs cette liberté, la justifiant par l’impossibilité d’entendre à la lettre cer­ tains passages et par le désir d’en venir plus vile aux sens cachés1. Ce qui l'intéresse d’abord, et il le dit, c’est le progrès spirituel des lecteurs. Il insistera donc davantage sur les questions relatives à la vie contemplative et à la morale. Cette exégèse, qui admet comme également fondés une multitude de sens tout-ù-fait différents, était traditionnelle dans l’Église. Saint Grégoire Pamplifie au point que des passages considérables de scs œuvres ne nous donnent nullement l’impression d’un commentaire d’Écriture, mais bien plutôt d’un traité de théologie. Faut-il penser avec Dom Butler, qu'on ne doit pas voir dans les Morales un commentaire du texte de Job, ni dans les Homélies un commentaire d’Ézcchiel ? Avec Dudden, le bénédictin anglais appelle ces ouvrages « le trésor pour le vx° siècle de la théologie et de la morale1 2 » et il estime qu’il faudrait 1. Mor., Ëpttre d&tlcatoln, 4, Ewai.d-Hartmaxn, t. 1, p. 35C, 14-44 ; P.L.,75,513-514. 2. II. Dudden, Gregory the great, his place in history and in thought, I, p. 194 ; C. Rutlhm, Benedictine Monaehism, p. 113 (Trad. Grollcau, p. 120). SAINT GRÉGOIRE ET LES « MORALES » SUR JOB 13 les lire sans y chercher une relation quelconque avec le texte sacré, niais comme un exposé des devoirs et des privilèges de la vie vraiment chrétienne. Cependant, il faut remarquer que certains passages, certaines expressions, ne peuvent être pleinement compris qu’en liaison avec le livre inspiré. Cet aperçu de la méthode de saint Grégoire nous fait déjà saisir que, pas plus qu’un commentaire exégétique au sens moderne du mot, il ne faudra espérer trouver dans son œuvre un exposé systématique de théologie mystique. Toute tentative de systématisation lui est étrangère, comme d’ailleurs à toute l’antiquité. Ses idées ne trouvent pas leur place dans une théorie fortement charpentée, mais se développent au fur et à mesure que les lui suggère le texte qu’il médite. Grégoire le Grand, s’il a le regard fixé sur Dieu, consi­ dère de façon plus immédiate l’âme se débattant dans les difficultés propres à chaque âge de la vie spirituelle. Mais son originalité, c’est que toutes ces considérations viennent à propos d’un texte de l’Écriture. Avant lui, certes, suivant une méthode dérivant des écoles païennes, bien des auteurs avaient pratiqué l’exégèse allégorique, — avant lui, avaient été écrits bien des traités de vie spirituelle. Jamais ils n’avaient atteint pareille ampleur et ne s’étaient trouvés liés de façon suivie à un texte sacré aussi long que celui de Job. La doctrine très traditionnelle dont il est pénétré, il la traite avec la plus grande liberté. Un lecteur quelque peu familiarisé avec la patristique éprouve constamment l’impression de choses déjà entendues. Mais cherche-t-il la source de ce qu’il vient de lire ? Le plus souvent, toute possibilité de comparaison précise lui échappe. H se trouve seulement en présence d’une vaste communauté d’atmos­ phère. La parenté, évidente, avec la pensée de saint Augustin 14 INTRODUCTION et certaines conceptions de Cassien, n’est ni étroite ni servile. Nous la préciserons dans la suite. Grégoire est donc bien un écrivain original. Il l’était au regard de scs contemporains. Si, aux modernes, il le paraît peu, c’est que sa grande figure a dominé tout le moyen âge, et que les thèmes grégoriens ont imbibé profondément toute la spiritualité de la chrétienté occidentale. Dans le domaine de la mystique, par exemple, son influence sur saint Anselme1 est indéniable. Gerson lui a beaucoup emprunté. Bossuet lui doit quelques-uns de ses beaux mouve­ ments d’éloquence, Fénelon un peu de sa psychologie et Ni­ cole le meilleur de ses analyses morales « soit qu’il le tra­ duise littéralement, soit qu’il fonde habilement scs pensées dans les siennes1 2 ». Nous vivons sans le savoir sur ses idées et ses expériences, aussi ne nous semblent-elles plus neuves. Signalons encore un trait commun à Grégoire et aux théologiens de l'antiquité chrétienne et du haut moyen âge ; l’absence d’organisation de leur savoir Lhéologique. L’idée ne serait alors venue à personne de compartimenter la théologie en dogme et en morale. La raison en est sa dépen­ dance étroite vis-à-vis de la Sainte Écriture. La doctrine morale formait avec le dogme un tout harmonieux et indi­ visible. La morale s'insérait dans la dogmatique, notamment à propos de la doctrine de la grâce. Elle était le chapitre traitant de la vie chrétienne. C’est sous cet angle qu’on envisageait toutes les manifestations de la vie surnaturelle : depuis l’état des commençants dont la vie comporte un mélange habituel de vertus et de péchés, jusqu'aux degrés les plus élevés de l’union «à Dieu. 1. Voir Λ. Stolz, Das Proslogian des M. Anselm, dans Remit bénédictine, 47 (1935), p. 331-347. 2. V. FfcviŒ, op. cit., p. 1Û6. Les Essais de Morale, le Traité de ta Prière de Nicole, ont partout dans leurs inurges le nom de Grégoire le Grand. SAINT GRÉGOIRE ET LES « MORALES » SUR JOB 15 Les mystiques, comme les philo­ sophes, partent d’une intuition qui commande non seulement la doctrine, mais la vie entière, car toute intuition profonde est non seulement vision, mais vie. L’intuition première du mys­ tique est l'expérience de la transcendance divine communi­ quant sa force toute-puissante à une faiblesse, la nôtre. Chez saint Augustin, cette force, c’est la grâce qui, d’un homme misérable, en proie à ses passions, a fait le chrétien fervent qui se domine pour l’amour du Christ, l’évêque qui préside à la vie des autres. Mais, alors que pour un tempé­ rament aussi métaphysique, apparaîtra davantage le point de vue d’une transcendance infinie, — pour un esprit concret comme celui de Grégoire, la meme expérience sera ressentie dans une sensibilité qu’auront aiguisée les diffi­ cultés de chaque jour, l’infirmité du corps, la misère de l’homme constatée en soi et dans les autres, toute la pos­ térité, en un mol, du péché d'origine. Qu’il suffise de dire que, du jour où il fut tiré de son monastère de Saint-André pour devenir apocrisiairc à la cour de Constantinople, sa vie fut. une longue souffrance, celle du mystique parmi les agitations du monde et les obligations du gouvernement ; souffrance de celui qui a vu et dont la vie sera désormais l’ardente nostalgie de cette vision que lui dérobent le plus souvent les soucis terrestres . * L’élévation au souverain pontificat ne fut pas pour le soula­ ger. Il chercha bien à se dérober au fardeau, mais il était promis par la sainteté de sa vie à tous les tracas de l’action et du gouvernement. Pas un instant il ne faillit à son devoir, mais ce fut au prix d’un déchirement intérieur, qui s’exhala Caractère de l’homme. 1. P. BatifVOL, Saint Griaoirc le Grand, p. 55, lettres nu Patrice Narsèi, Λ Léandro ; p. 221, Λ Ruslichuia. — Ewaï.d-Ηλπτμανν, t. 1, p. 7, p. 56 ; t. 2, p. 391. 16 INTRODUCTION plus d'une fois en des plaintes dont l’humanité nous étonne autant qu’elle nous émeut. » La vie me dégoûte » ira-t-il jusqu’il dire au peuple de Borne, dans sa dernière homélie sur Ézéchiel1. C’est qu’étant un saint, Grégoire fut un homme, dans toute l’acception du mot, une âme vivante, souffrante, pleine du sentiment de sa faiblesse, mais sachant trouver en Dieu le secret de sa force. ■■ Cum infirmor, tunc potens sum 1 2 ». On comprend que le saint homme Job ait pu l’attirer. Gré­ goire est, du livre sacré, une sorte de commentaire vivant3. Son idéal absolu reste l’union de l’action et de la contem­ plation. Il n’en demeure pas moins que son idéal propre, si le choix lui en avait été laissé par Dieu, aurait été la seule contemplation. Cet homme qui, toute sa vie, administra, prêcha, entraîna, n’était pas fait pour l’action, mais pour ce qu’on pourrait appeler le ministère de l’union divine. Cet ancien « Præfectus Urbis » devenu homme d’Églisc, redevenu homme public, unit donc la vie contemplative à la vie active, ce qui est le caractère commun de tous les grands évêques et presque la définition de leur genre de vertu. Mais Grégoire le Grand n’arriva jamais, comme avant lui l’avaient fait spontanément un Athanase ou un Ambroise, à la conviction vécue d’un accord profond entre les deux vocations. Bien plutôt, il était de la lignée de ces évêquesmoines, Jean Chrysostome, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nyssc, pour qui l’épiscopal reste le fardeau aimé qui fait souffrir. Grégoire fut un « homme n, il fut aussi un malade et son âme souffrit constamment des limites que lui imposa sans 1. In Es., 2, 10, 24, Grégoire fait tienne la parole de Job, 10,1. P. L., 76, 1072. 2. II Cor., 12,10. 3. Λ/or., Lfllre didicaloirc, 5, Ewamj-HaTjtmann, t. 1, p. 357, 23. P. T.., 75, 515 C. SAINT GRÉGOIRE ET LES MORALES » SUR JOB 17 trêve un corps languissant1. Il n’était pas de ces gens dont l'activité nette et brillante, sous l'impulsion de la volonté admirablement transmise, fait penser à une mer­ veilleuse machine d’acier chromé. Son organisme avait des « ratés ■ et oscillait souvent entre des nécessités contraires. 11 saisissait ainsi sur le vif que la vie spirituelle de l’homme est vécue avec l’être tout entier, avec, en une certaine manière, le concours de l’organisme même. Car sa spiritualité, toute pénétrée delà grâce divine, attacher à Dieu, principe, sou­ tien, lumière, règle de toute vie, n'en est pas moins humaine. Il y gagna de comprendre à un degré rare la misère de l’homme et la nécessité de la discretion entendue au sens de juste mesure, de discernement exact dans la conduite de la vie spirituelle. Déjà la juste mesure était l’âme de toute la philosophie de Platon ; le μέτρων, perfection, ordre, harmonie, se retrouvait dans chaque art, dans chaque discipline. De même, l’équilibre des facultés, l’adoption en toutes choses d’un tempérament exact, l’achèvement de ce qu’il y a en nous de vraiment humain formaient le type moral d’Aristote. En une acception moins large, peut-être plus profonde, à coup sûr plus religieuse, la juste mesure, qui ne faisait pas défaut aux Pères des déserts d’Orient, fut, par saint Benoît, réin­ tégrée en toute première place dans la spiritualité occi­ dentale. * Ne quid nimis », ce vieux proverbe qu’il a fait sien pourrait caractériser la règle qu’il donna aux moines. Grégoire, disciple à la fois de Benoît et de Cassien, ne pouvait négliger cet enseignement. Bien ne peut mieux nous le dire que ce passage des Morales si caractéristique de sa manière et des hauteurs vraiment pascaliennes auxquelles il peut L Cf. P. Batiffol. op. cil., p. 71. 7G. 220. 222, passages de lettres et même d'homélies au peuple de Rome, dans lesquelles Grégoire parle du délabrement de sa sauté. Job. & 18 INTRODUCTION s’élever dans les moments privilégiés où souille l’esprit, — que l’on remarque à cet égard le coup de fouet de la fin —; « Se tairait-on sur les douleurs de l’homme.et les fièvres ■ qui l’épuisent, il resterait encore, meme dans ce qu'oi « appelle la santé, un être oppressé comme par une sorte d< < malaise. Se reposer l'étiole, travailler l'épuise. Cesse-t-il ♦: de se nourrir ? Le voilà qui défaille, et, pour ne pas périr, < Ce que nous 1. Mor., 5, 62. Cf. Conf., 7. 17. 23 : ■ Mats cette puissance elle-même se reconnaissant sujette au changement, s'éleva à l'intelligence d’cllc-mtmc ». 2. Grégoire de Nysse voyait dans l'instabilité foncière de toute nature créée ce qui la différencie de Dieu. · nature incréée · qui · n’admet pas le mouvement ». Discours catêchitique, 0 ; P. G., 45, 28 C. — Plotin, déjà, avait remarqué que In contemplation surintclligiblc est nécessairement immobile (Enn., 5, 9, 7) parce qu'elle est édifiée en l'Un (ibid.. 6, 9, 7). 3. Mor., 5, 62. Cf. Saint Αυβυ$τΐΝ, Con/.. 7. 11). 16 : ■ lucem incommuta­ bilem ·. · Cf. Mor.,20,63; 16,54 et 55 (P. L., 73,1147 D) où se trouve cette formule de Victorinus Afcr et d'Augustin : « Est unum quod semper esse est ». 4. Mor., 5, 62. 28 INTRODUCTION connaissons de Dieu est vrai seulement lorsque nous avons le sentiment de ne pouvoir rien connaître de lui parfaitement Augustin, citant Ambroise, avait déjà dit : · Quand on Je croit absent, on le voit : quand il est présent, on le ne voit pas2 ». « Quand l’esprit (animus), qui est accoutumé aux choses corporelles, veut penser à cette substance invisible, il est tra­ vaillé par les phantasmes d’images variées. Mais, lorsque par le moyen de son discernement, il les chasse de devant les yeux de son attention, en mettant à l’arrière-plan de cette essence divine toute autre pensée, il l'aperçoit déjà en quelque manière. Et s’il n'appréhende pas encore ce qu’clle est, du moins sait-il ce qu'elle n’est pas3 ». Cette incapacité de l'esprit humain à concevoir positive­ ment et exactement la réalité divine est une des raisons de l’incarnation du Fils de Dieu : u Demeurer ferme n’appartient donc qu'au seul Créateur. Par lui qui ne passe pas passent toutes choses, cl quelquesunes d'entre elles se maintiennent en lui pour ne point passer. C’est pourquoi notre Rédempteur, voyant que l'esprit de l'homme était incapable de concevoir le caractère stable de sa divinité, a voulu nous la manifester comme en passant, lorsqu’il est venu à nous, créé, né, mort, enseveli, ressusci­ tant, retournant au ciel * ». 1. Mor., 5, G6. 2. Saint Λι nt sus, fJpitrc I 17" « Pauline,· De videndo Dca. 12. 29 ; P. 33. 609. 3. Mor., 5, 62 : « (Jure dum ab Intentionis suie nculis abigit manu discre­ tionis... postponens ei omnia ». Je crois qii'ici le mot « discretio · n'est pas à prendre au sens, technique en spiritualité, de discernement exact appliqué à la conduite, juste estimation, mesure, prudence, mais dans son sens étymo­ logique de discernement, de séparation par le regard. L'opération Λ laquelle il est fait allusion ici ressemble h cet acte d'attention qui fait apparaître une figure sur un fond, qui fait surgir certaines lignes, en les accusant. 4. Alor., 5, 63. Voir la même pensée dans saint Augustin, De libero arbitrio, 3. 10, 30 ; P. L., 32, 1280. et le parallèle que nous établissons p. 87. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 29 Grégoire regarde comme un empêcheSaint Grégoire incnl naturel à la pleine vision de et saint Augustin. Qjeu> je que nous vivons dans un corps de chair. Celui-ci nous empêche d’arriver à la spiritualisation complète, indispensable pour saisir celui qui est pur Esprit. L’homme, tant qu’il est dans son corps mortel, ne peut échapper à un certain amour de la chair et. des délectations de cette vie. Cela le coupe infailli­ blement, quoi qu'il fasse, de la transcendante pureté de Dieu. Cet amour du monde nous est coessentiel. L’homme, sur cette terre, ne peut donc absolument pas saisir l’essence divine, — outre sa condition de créature, qui déjà l’empêche d’appréhender Dieu tel qu’il se voit lui-même. Car, fussionsnous purifiés, Dieu nous reste inconnaissable. Grégoire, même s’il ne s’exprime pas d'une manière explicite, pense que si l’on ne peut atteindre l’Être comme tel, ce n’est pas uniquement en raison de la défaillance morale de l’humanité en Adam, mais au fond parce que l’Èlre est l’Être. Sur la question de la limite supérieure de la contemplation dans la vie présente, l’attitude de Grégoire est donc nette : pour marquer l'impossibilité de voir en cette vie l’essence divine, il accumule les négations. Seuls deux textes de son œuvre contredisent sa doctrine habituelle, l’un dans les Morales, l’autre dans les Dialogues1. Mais alors que le passage des Dialogues, parlant sans ambages de voir le Créateur ou la lumière divine, apparaît comme vraiment exceptionnel dans l’œuvre grégorienne, la page des Morales, dans laquelle Saint Grégoire se départit de son ordinaire fermeté, commence, la chose est à remarquer, par le rappel de sa doctrine habituelle3. Dans un premier paragraphe, Grégoire déclare que les1 2 1. Λίοι·., 18, 88 et 89. 2. Mor., 1S.88. Dial., 2, 35. INTRODUCTION 30 patriarches et les prophètes qui «lisent avoir vu Dieu, n'ont pas eu la perception de l'essence divine. Ni Job, ni Isaïe, ni Michéc, ni Jacob, ni Moïse, ne sont un démenti à la parole de saint Jean : Jamais personne n'a vu Dieu l, car ils n’ont vu Dieu que par l'intermédiaire d'images interposées ou d’êtres angéliques. Et la parole de Moïse au Seigneur, alors qu’ils s’entretenaient face à face, telle du moins que la donne la version suivie par saint Grégoire : Montrc-toi toimême à moi1 2, n’exprime chez le conducteur d'Israël que l’ardent désir de saisir Dieu tel qu’il est en lui-même. A l’inverse d’Augustin, Grégoire ne dit pas que ce désir ait été exaucé. C’est dans le second paragraphe3 qu’il manifeste quelque incertitude ; il ne croit pas que l'intuition de l’essence divine soit possible ici-bas, mais il a comme conscience d’être en face d’une question disputée : et, de fait, saint Augustin ne repoussait pas la possibilité d’une aussi haute expérience ... Donc si, malgré tout, au sommet d’expériences privilégiées (quodam contemplationis acumine), certains hommes avalent pu voir l’essence divine elle-même ?... Alors apparaît la vraie préoccupation de Grégoire, plus soucieux d’accorder entre eux les textes de l’Ecriture que de savoirs! Moïse et saint Paul ont aperçu l’essence même de Dieu45. 11 explique que pareille expérience, fût-elle réalisable, ne serait pas pour autant en contradiction avec les affirmations «tu texte sacré, en parti­ culier du Seigneur dans l’Exode : Tu ne pourras voir ma face, l’homme ne peut me voir et vivre3. Car ces paroles peuvent s’entendre en un sens moral ; sans doute, vision spirituelle 1. 2. 3. •I. 5. Un, 1,12. Ex., 33,13. Mor., 18, 89. Ex., 3; Il Cor., 12,2-4. Ex., 33, 20. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 31 de Dieu et vie charnelle s’excluent, niais la totale mort au monde peut être une condition suffisante à la vision de Dieu. Ces voyants de Dieu qui n’étaient pas morts scion la chair, l’étaient pleinement selon l’esprit. Grégoire explique le verset de l'épître aux Galates : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde », comme signifiant le total détache * ment de l’Apôtre : du monde à lui, il n’y avait plus la moindre attirance. Ainsi donc, Paul, malgré sa chair mortelle et par la force de sa contemplation, aurait pénétré jusque dans la lumière éternelle de Dieu. Un peu plus loin1 2, Grégoire commente dans le même esprit la parole de l’épître ù Timothée : Dieu habite une lumière inaccessible que nul homme n'a pu voir et ne peut voir 3. Dieu reste inaccessible à qui ne conçoit et ne désire que les jouissances humaines et charnelles, mais nous verrons Dieu si nous méritons, par une vie presque céleste à force d’être sainte, d’etre élevés au-dessus des hommes. Faut-il voir dans le passage des Morales l'influence de saint Augustin? Dom Butler1 l’a pensé, et avec vraisem­ blance. La position d’Augustin se réduit, en effet, ù quelques affirmations fort simples : 1° La vision de l’essence divine par les yeux du corps est impossible. 2° Quand Dieu se montre dès cette vie (cas des patriarches et des prophètes), il se rend perceptible par l’intermédiaire d’une forme humaine, angélique (l’Ange de lahvé) ou autre ; mais il n’est pas alors perçu dans son 1. 2. 3. I. Gai., C>. 14. Mor.. 18. 92. 1 Tint., 6, 10. U’m/wh Mysticism, p. 129. 32 INTRODUCTION essence. 3° La vision de 1’essence divine par les yeux d l'âme, n’est possible qu'aux cœurs purs dans l’autre vic ■1° Cependant, dans l'épîlre 147e à Pauline, De Didendo Dca et dans le X1T° livre du De Genesi ad litteram1, un Ion; passage s’essaie à pénétrer la pensée de saint Ambroise et l’interprète comme favorable à la vision de la natur, même de Dieu par Moïse au Sinaï, par saint Paul ravi ai troisième ciel : On peut croire que certains saints ont él gratifiés d’une aussi haute révélation (excellentia revela tionis)1 2 ». Pour lever alors l’embarras que lui cause la parole d Dieu à Moïse3 : L’homme ne peut me voir et vivre, à défaut d la mort réelle, Augustin fait appel à la mort virtuelle d, l’extase qui ravit, de cette vie à la vie des anges, l’âmi dont la purification morale se trouve ainsi poussée à sa plu extrême perfection. L'extase, en effet, est un « état dan lequel l’attention de l’esprit est complètement détourné, et arrachée des sens du corps4 >, nous dirions aujourd’hui polarisée sur l'invisible. Le troisième ciel de l’Apôtre est alors « celui que voi « l’âme lorsqu'elle est séparée, mise à part, complètemcn « ravie aux sens de la chair, et purifiée ; alors elle peut avoil u et entendre incfïablcmcnt, dans la charité de l’Esprit « Saint, tout ce qui, dans ce troisième ciel, est la subslanci même de Dieu, et le Verbe-Dieu par qui tout a été fait 5 Avec assez de raison, on peut penser que l’Apôtre a été rav 1. ïzpilrc. 147’. cliap. IJ. K 31 et 32 ; ;·. 2... 33, 610-iill. — Le texte d» De Genesi ai! litteram, liv. 12. chap. 27, S 55 in line {P. L., 34, 477). nppliqui l'cxtusc purificatrice à Moise ; chap. 28, ij 56 et 57, col. 178, ii saint Paul 2. Allusion probable ü II Cor.. 12, 7. 3. Ex., 33, 20I. De Genesi ad litteram, 12, 12, 25 ; P. 34, 403, 5. Jx, 3, 5. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 33 < à cette hauteur et que là, peut-être, se trouve le Paradis, < et, si l’on petit ainsi parler : le Paradis des Paradis1 ». De pareils textes, même isolés (cl c’est le cas), ne sauraient laisser de doute sur la pensée du grand Docteur, d’autant que, selon la remarque de Dont Butler,1 2 on chercherait en vain dans les Rétractations, d’une douzaine d'années postérieu­ res, le moindre repentir. Ht cependant ni dans l’épître 148e, contemporaine de l’épître à Pauline et du XIIe livre du De Genesi ad litteram qui tous deux datent de 413-415, ni dans les deux premiers livres du De Trinitate, bien antérieurs à 415, ni dans les Traités sur l’Evangile de Saint Jean (416417), ni dans certains sermons, ni dans le dernier livre du De. Civitate, écrit, dans les années de vieillesse, tous ouvrages qui appelaient le sujet qui nous occupe, saint Augustin n’effleure la question. On dirait que, n’étant pas sûr de la solution du problème, il éprouve toujours quelque soulage­ ment à le laisser dormir. Peut-on dès lors maintenir avec Dom Butler une opposi­ tion tranchée entre la doctrine de saint Augustin et celle de saint Grégoire3 ? Il ne le semble pas. On devine chez l’un et l’autre la même sorte d’embarras. Les textes d’Augustin positivement favorables à la possibilité de la vision, ne présentent pas une fréquence relative supérieure à ceux de Grégoire. Il nous paraît seulement que celui-ci, de façon générale, s’avance dans la négation plus nettement et avec moins de prudence. Il nie constamment, à l’exception des deux passages signalés, que la nature même de Dieu puisse être saisie par l’homme dans la vie présente, tandis que, toujours, Augustin se 1. De Genesi ad litteram, 12, 34, 67 ; F. L.. 34.483. 2. Wfslrrn Mysticism, p. 81. n. 1. 3. W’wtern Mysticism, p. 125. Job. 3. 3Ί INTRODUCTION réserve : il garde, dirait-on, une position toute prête pour d’ultérieurs développements. Dom Butler croit constater entre les deux Docteurs une opposition d’un autre genre. Grégoire et. c’est normal, adapte à son propre tempérament les lumières qu’Augustin a pu lui apporter ; mais si saint Augustin est toujours le grand esprit disposé à voir toutes choses sous leur aspect le plus élevé, saint Grégoire reste le moraliste attentif aux conditions ménagées par l’homme à l’action de Dieu. « Quand « on compare, dit Dom Butler, ce passage de saint Grégoire à e ceux dans lesquels saint Augustin donne libre cours à ses c spéculations, on ne peut que constater avec regret l’abaisse « ment du niveau de la pensée, spécialement pour le sent « donné à cette « mort au monde i que tous deux posent « comme condition d’une telle contemplation. Pour Augustin, a c’est l’extase la plus haute qui puisse jamais être accordée a à un homme : le cas de saint Paul, qui ne savait s’il Mai « sans son corps ou hors de son corps. Pour Grégoire, ce «n’est rien de plus que le lieu commun de spiritualité «mourir à l’amour et aux plaisirs du monde1 ». Ainsi donc nos deux Docteurs envisagent de points de vui divers la mort virtuelle nécessaire & la réalisation de la plus haute expérience religieuse. Pour le Docteur de la grâce c’est une mort mystique au sens fort, une extase comportan l’aliénation absolue de l’âme hors du sensible. Pour Grégoire c’est une mort ascétique réalisée par le parfait détachement de tout le créé. On comprend, dans celle perspective, l'interprétation que donne saint Grégoire de la vision de saint Benoît dans les Dialogues. Celui-ci nous est montré voyant « le momk entier comme ramassé sous un seul rayon de soleil ■ ■ avec I. Western Mffslieism, p. 132. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 35 cette explication : « Pour l'âme qui voit le Créateur, toute créature devient petite. Si peu en effet qu’elle ait aperçu de la lumière du Créateur, tout ce qui est créé s’amoindrit à ses yeux1. » Il est donc clair que. pour saint Grégoire, le < vénérable Père Benoît « a au moins entrevu la divinité, a vu Dieu au sens que l’auteur des Morales prèle toujours au mot voir quand l’objet de la vision est Dieu. Or saint Thomas d’Aquin, plus tard, remarquera que l’aliénation des sens chez saint Benoît n’était pas complète, qu’il n’était pas, autrement dit, en extase, puisqu’il appela le diacre Servandus «jusqu’à deux et trois fois, en criant très fort «. Si donc Grégoire pense que saint Benoît « a vu le Créateur », c’est qu’il regarde la totale mort ascétique comme une disposition suffisant à l’obtention d’un tel privilège. En réalité, même de ce point de vue, les positions de Grégoire et d’Augustin diffèrent moins que ne le pensait Dom Butler. C’est, en spiritualité, une affirmation cons­ tante que le renoncement total est une façon parfaite de réaliser la sortie de soi que procure l’extase. Le détachement absolu de saint Benoît, résultat d’une obscure et longue patience, est certes moins dramatique et spectaculaire 1. Dialogues, 2, 35. Saint Grégoire repoussant dans les Morales, 18, 90, la distinction entre · duritas Dei » et · natum Dei ». formulée autrefois par TuÉODORKT, Dialogue, 1 (P. G. S3, 52 A), lu · lux creatoris * des Dialogues semble donc devoir être identifiée avec In nature même de Dieu. Cf. .1. .Maréchal, Etudes sur la psychologie des mystiques, t. 2, p. 96-97. Reprenant un axiome que suppose tout le truité de VicroniNUs aveu, Adoersus Arium, P. L., 8, 1039-1138 ; cf. spécialement : liv. 1, g 19, 26, 27, 30, 31, 32, 34, 41, 59 ; — liv. 2, $ 3 ; — llv. 3. § 4. 6, 7, etc... ; — liv. 4, § 18, 24, 26, etc.), Grégoire affirmera que · Dieu est ce qu’il a ·, < Deus hoc est quod habet ·. « 11 u l'éternité, mais c'est lui-même qui est éternité. Il a la lumière, mais c’est lui-même qui est sa propre lumière. Il a la clarté.mais c'est lui-même qui est sa propre clarté. Etre en lui, n'est pas une chose, et avoir, une autre ». JWor., 16, 54 : - cf. 17, 46. — Voir, dans un ordre voisin do pensée, Saint Augustin, De. du. De.i, liv. 8. chap. 6. cl De. Trin., liv. 8, pramium. 1 ; P. /.., 42, 917. 36 INTRODUCTION que l’extase. 11 n’en est pas moins une mort mystique de haute qualité, mais vue par un moraliste. Mais n’oublions pas que, chez saint Grégoire, l’accès à la vision de Dieu n’est qu’exceptionnellement départi à la mort virtuelle d'ordre ascético-mystique. Il y faut, d’habitude, la mort réelle, celle que connaissent tous les fils d’Adam. Retenons donc que notre condition de créature, de même que l’immensité de Dieu, a pour effet de poser des bornes à la portée de notre contemplation1. En cette chair, l’homme peut être appelé à saisir la nature divine, mais seulement par images interposées : Jacob, Abraham ne virent Dieu que par l’entremise des anges1 2. Le voir sans intermédiaire n’appartient qu’à l’au-delà. Moïse, saint Paul, saint Benoît, semblent ouvrir la porte à des exceptions, mais il reste qu’aucune intelligence créée, fût-ce dans la lumière de l’éternité, ne peut saisir pleinement l’essence de Dieu, ni jamais le contempler aussi parfaitement qu’il se connaît lui-même : «Nec tamen videbimus sicut videt ipse scipsum3 ». 2) L'acte de contemplation < Qu’appelle-t-il « traces de Dieu » sinon sa bonté à nous « visiter ? Elles nous incitent à marcher vers les réalités « célestes lorsque nous nous trouvons touchés par le souille σ de son Esprit : soulevés hors des étroites limites de notre e chair, par l’amour nous connaissons l’objet de notre conlcm« plation : l’Être même de notre Créateur. Suivons-lc. » j Suivons aussi dans scs précisions la pensée de Grégoire qui dès le début caractérise admirablement l’acte de contem­ plation. Celui-ci est vraiment une grâce. Sans industrie de 1. Mor., 31,101. 2. A for., 1«, 88. 3. Ator., 18, 92. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 37 notre part nous nous trouvons soulevés (sublevati) par une force toute-puissante. Tout en nous est passivité sous le souffle divin ; tout est passif comme les verbes qu’emploie Grégoire, sauf le désir et l’aspiration. Voici que l’âme est élevée au-dessus de sa fonction d’animatrice du corps, l’intelligence au dessus de ses modes habituels de connaître. L'âme sort d’elle-même ; l’intelligence qui n’est qu’un de ses aspects, elle aussi se transcende. Nous contemplons la beauté de notre Créateur dans une connaissance d’amour — « per amorem agnoscimus ». — L’expression de « connaissance affective » n’est pas une bâtarde : elle a ici ses lettres de noblesse. « Car l'amour de la patrie spirituelle qui enflamme notre « âme indique, pour ainsi dire, le chemin à ceux qui suivent, « et Dieu, foulant le sol de notre cœur, y imprime comme les « traces de sa marche et guide ainsi les pas de nos pensées « pour les maintenir sur les routes de la vie . » Mais cette phase mystique comporte un état préalable de recherche intellectuelle, de » vie active » suivant l’expression de Grégoire, ascétique comme nous dirions de nos jours. > En effet, celui que nous ne voyons pas encore, il reste, « c’est le seul moyen, à le suivie à la trace de son amour, « en sorte qu’il arrive un jour à l’âme de rencontrer et même « de pouvoir contempler Celui que, maintenant, elle pour< suit de dos, si l’on peut dire, en le guettant par ses saints « désirs. Les traces de notre Créateur, le psahniste savait « bien les suivre quand il disait : « .Mon âme s’est attachée à « ta suite1 ». Et, dans sa recherche, elle voulait aussi arriver « à le voir dans sa sublimité, (usque ad visionem suæ celsitu« dinis), lorsqu’elle disait : ■> Mon âme a soif du Dieu vivant ; « quand irai-je et quand me présenterai-je devant la face de 1. Ps., 62, 9. 38 INTRODUCTION e Dieu1 ? h Car alors (tune), « pour que notre pensée trouve c a découvert le Dieu Tout-Puissant, il faut que la corrup« tion de notre nature mortelle soit complètement foulée « aux pieds, et que Dieu, nous tirant à Lui, se montre dans « la clarté de sa divinité ». De nouveau, saint Grégoire revient aux termes de passivité qui marquent toute vie mystique. Sa description, équilibrée et complète, ne néglige pas pour autant de marquer les efforts de l’âme, ses déceptions, la transcendance de la divine liberté. u Mais pour l’instant (nunc autem), la grâce provenant de o l’Esprit qui nous est infusé, soulève l’âme au-dessus de « toute pensée charnelle et Yélève jusqu’au mépris des choses « transitoires. Et tout ce que l’âme désirait parmi les choses « d’en bas, elle le méprise ; elle s’enflamme jusqu’aux désirs « d’en haut, et se trouve élevée par la force de sa contcmplao tion hors de sa chair, elle qui s’y trouve encore retenue par « le poids de sa corruption. Elle s’efforce de regarder l’éclat c de la lumière illimitée et ne le peut pas. Cet éclat, l’âme, «accablée sous son infirmité, ne peut y pénétrer en aucune « façon. Elle s’en trouve repoussée (repulsus) et pourtant « elle l’aime. Car, déjà, le Créateur manifeste de lui ce qui « peut le faire aimer, mais il se soustrait à la claire vue de « ceux qui l’aiment (visionis suæ speciem amantibus sub« trahit). Donc, c’est en voyant ses traces que nous marchons, « c’est sur la manifestation de ses dons que nous le suivons, « mais sans le voir encore. Et ces traces mêmes ne peuvent « être complètement saisies, puisque l’on ne sait ni d’où, « ni en quel lieu, ni de quelle manière viennent les dons de » son Esprit. La vérité l’atteste qui dit : « L'Esprit souflÛ « où il veut, et tu entends sa voix, et tu ne sais ni d’où il vient « ni où il va2. » 1. Fs., Il, 3. 2. Jn, 3. 8. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 39 Enfin Grégoire fixe la limite supérieure de la contemplation de l’homme sur cette terre : ■ Au sommet de la récompense, le Tout-Puissant peut ■ être trouvé par la claire vue de la contemplation (per « contemplationis speciem) encore qu’il ne le puisse être « parfaitement, parce que si nous pouvons alors le regarder « dans sa clarté, nous ne pouvons cependant contempler « pleinement son essence. En effet, l'esprit de l’ange, comme « l’esprit de l’homme, a beau aspirer à la lumière illimitée, « par sa nature même d’être créé, il se resserre en lui-même. « A la vérité, il peut bien s’étirer, se gonfler au delà de scs « possibilités, cette dilatation elle-même ne le rend pas « capable d'appréhender l’éclat de celte lumière qui trans« Cendant, portant, remplissant toutes choses, les renferme « en elle-même 1 ». Nous avons là un exemple des textes nombreux où Grégoire s’explique sur l’acte de contemplation. Tous se ramènent à quelques idées maîtresses : De même que notre vie de grâce est dans la continuité de notre vie de péché, (car celle-ci, même abandonnée, ne peut être reniée, et influe pour la gêner jusque sur notre prière la plus fervente), de même notre vie dans la gloire ne différera pas essentiellement de notre contemplation d’icibas, mais sera cette vie de contemplation même, élevée à l’état de perfection. L’une se trouve être le prolongement de l’autre, dans le rapport de l’imparfait au parfait sans doute, mais sans qu’il y ait d’autre différence que celle de la vision obscure à la claire vision. Différence de degré, non de nature : la lumière divine dans laquelle s’exerce notre Anticipation, imitation, déchirement. 1. Afor., 10, 13. 40 l.XTHODÜCTlOX contemplation sur terre est celle même de l'éternelle béatitude. L'homme purifié jouit dès ici-bas d’une faiblepartie des joies célestes qui doivent le combler après la; mort1. Bien qu’il y ait une différence entre connaître Dieu par la; foi (per [idem), et le connaître intuitivement par le regard (per speciem), entre le trouver par la créance (per creduli­ tatem), et le trouver par la contemplation (per contempla· tionem), au sens de vision béalifique, nous avons déjà sur cette terre une vraie connaissance de Dieu, autrement nous ne l’aimerions pas2. En somme, si la vie contemplative corn mence ici-bas, c’est pour quelle soit consommée dans la patrie céleste3. Anticipation de la vie des élus, cette contemplation est aussi une imitation de la vie de Dieu. Notre manière de voir. Dieu ou de nous reposer en lui participe de la manière dont Dieu se voit et se repose en lui-même. L’aile de la prière nous élève jusqu’au bonheur de voir le Créateur. Nous sommes ravis par les élans de notre cœur et par la douceur de la contemplation. Nous allons en quelque sorte de nous à lui. Ce mouvement de l’âme semble être le contraire du repos cependant, aller à Dieu, c’est se reposer parfaitement parce qu’on le voit4. Repos qu’il ne faut pas égaler toutefois ai 1. Afor., 24, 34. 2. Afor., IC. 33 et 5, 58 : · Nec tamen ardenter diligeret, nisi nliquatenul videret ». Comparer avec saint Augustin. parlant de la beata tâta dans la Confessions, 10,20,29 : < Neqiiccnlm amaremus «un, nisi nossemus ·. Ilemai quer les quelques termes caractéristiques de la pensée grégorienne : l’opposl lion ftdes-species, réminiscence de II Cor-, 5, 7 ; celsitudo, et l'alliance • speciem tua? celsitudinis ·. Ils ont permis à Dom Capellc d’attribuer au grand pape la belle collecte de l'Épiphanie : «... ut qui jam le ex fide cognos­ cimus, usque ad contemplandam speciem tuas celsitudinis perducamur ». — 13. Capellf., l.a main de saint Grégoire dans le sacramentaire grtyoricn, dan /leone bénédictine, 49 (1937). p. 13. 3. Saint Grégoire, cite par saint Thomas, Sum. Theol., 2 a, 2 a?, qu. 180, art. 8, ad 1. Voir .J. Marûcual, op. cit., t. ?.. p. 226. 4. « Et perfecta ergo requies est, quia Deus cernitur. » Ι.Λ DOCTRINE SPIRITUELLE 41 repos des divines personnes, puisque Dieu ne sort pas de lui-même pour aller dans un autre chercher son repos. Notre repos et celui de Dieu sont donc à la fois semblables et différents: le nôtre n'est qu’une imitation de celui de Dieu ’. La contemplation du ciel (tune) se trouve donc clairement distinguée de celle qui est la nôtre en cette vic (nunc). Expé­ rience brève, connaissance obscure, cette prégustation des biens éternels ne saurait être confondue avec la vision béatiflque. Elle n’est qu'un effort momentané pour atteindre le ciel sans avoir souffert la mort du corps1 2. La vie bienheureuse que nous promettent ces humbles commence­ ments, nous ne l’atteindrons que lorsque sera dépouillée la corruptibilité de notre corps et allégé pour l’éternité le poids qui nous opprime. Alors, rien ne s'opposera plus à notre appréhension plénière de Dieu, alors cessera le tiraillement qui nous déchire entre deux forces opposées, celle de Dieu et celle de la chair. L’âme humaine, en effet, est le théâtre d'une lutte entre ce qui est d’en bas et ce qui est d’en haut3. Elle se trouve tirée vers le bas comme par un poids : le poids de la corrup­ tion du corps qu’elle anime, le poids dont parle ce verset du Livre de la Sagesse, que Grégoire comme Augustin ont toujours devant les yeux, quand ils parlent de la contempla­ tion : Le corps, sujet à la corruption, appesantit l’âme *. 1. A/or., 18, 93. Tout ce passage repose obscurément sur un principe néoplatonicien : L'un ne cesse pas d'être en soi-même lout en sortant de soi. Voir Pi.oTix, Ennêades, (!, 9, 5 : καί αύτοΰ ή φύν.ς τοιαύτη, ώς ττηγήν των άοΐστοιν είναι καί όύναμιν γεννώσαν τί όντα μένουσαν έν ίαυττ, ν.ϊ·. ουκ έλαττοομένην ούό’έν τοϊς γινομένοις νΐίαύτξ; ούσαν... Nous citons d’après le texte établi par M. Emile Uréhler, éd. « Les Belles lettres », Paris. 1038. 2. Λ/or., 4, 45. 3. Λ/or., 5,57. I. .Snj., 9. 15, Le sentiment qu'exprime ce verset accompagne tout ertort vers lu pureté. De uns jours, André Gide, (Œuvres complètes, N. R. F., t. 1, Les cahiers d’André Walter), l’a prêté à l’un de ses personnages : « Deux 42 INTRODUCTION « Corruptionis nostrae pondus »: pour exprimer la lourdeur de ce fardeau, les termes se pressent sous la plume de Grégoire : l’âme, retenue prisonnière dans la chair, en est accablée, écrasée* *. Elle essaie de résister à cette traction vers le bas : elle est tirée vers le haut par une force opposée, la force de Dieu qui veut l'amener à la contemplation de sa lumière. Cette force agit sans cesse, mais le poids de notre nature déchue est tel, que, recevant toujours les moyens d’y échapper, nous ne parvenons pas, en fait, à ne jamais nous laisser entraîner par lui. Ces défaillances ne proviennent pas d’un abandon de Dieu, mais de la faiblesse de la chair qui, de temps en temps, nous surprend. Inhérente à notre nature, Dim lui-même ne pourrait pas y remédier complètement sans porter atteinte à notre condition de créature déchue. Notre élan vers lui se trouve comme brisé : nous sommes renvoyés, repoussés (repulsus, reverberat us2) parla lumière de gloire. Mais, même rejetés, nous pouvons continuer par l’amour, à rester dans Γessentielle union. Notre amour subsiste si nous le voulons, même quami Dieu semble n’en plus vouloir : « et tamen repulsus, amat3. » Il suffit de rapprocher ce passage, qui a beaucoup de frères dans l’œuvre de saint Grégoire, de tel paragraphe d’un sermon de saint Augustin, pour voir où en a été puisée l’inspiration. Nettement elle est auguslinienne. On retrouve trait pour trait, dans le langage mystique de Grégoire, les expressions d’Augustin. acteurs : l’Ange et la Bête, adversaires — l’ilmc et la chair... > (p. 91. note). • Corps et âme, c’est l’Hommc même. L’àxue tend â monter, le corps pèse ·. (p. 95, note). Voir dans Saint Augustin, Confessions, 13, 7, 8, un beau développement. 1. Mor., 10, 13 : pressus, premitur, in carne retinetur... 2. Mor., 10, 13. 3. Mor.. 10. 13. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 43 « Peut-être quelqu’un d’entre nous, frappé connue d’un « éclair dans son intelligence par l’éclat de la vérité, peut-il « s’écrier : · « Voici comment je me représente celui qui dit ces mots : il * élève son âme vers Dieu, il la répand, cette âme, par dessus « lui-même quand il s’entend dire chaque jour : « Où est a ton Dieu ? » 11 atteint dans un contact spirituel, l’immuable « lumière, ruais sa faible vue ne peut la supporter, il retombe « donc dans ce qu’on peut appeler sa misère et sa langueur. « A elle il se compare et a le sentiment qu’il ne peut adapter « le regard de son esprit à la lumière de la Sagesse divine. Tout « cela s’est fait dans une extase qui l'a arraché à ses sens « corporels et ravi en Dieu ; là, ramené de Dieu à sa condi« tion mortelle, il s’écrie : » Dans mon extase, j'ai parlé. » e Dans mon extase j’ai eu je ne sais qu’elle vision que je n’ai « pu supporter longtemps, et, ramené à ces membres mor« tels, à ces pensées innombrables des hommes mortels par « un corps qui alourdit l’âme, j’ai dit ... Quoi donc ? « — J'ai dit : J'ai été rejeté de devant tes yeux : tu es trop a haut, mon Dieu, et moi je suis trop bas2 ». C’est là du pur saint Grégoire, tellement qu’il manque même à cette page, ce qui, presque toujours, fait defaut à l’auteur des Morales, et caractérise habituellement la pensée d’Augustin : l’indication de l’adhésion finale au Bien et au Vrai. Toujours Grégoire se contente, comme le fait ici saint Augustin exceptionnellement, d’indiquer que, dans la contemplation, nous sommes devant la face de Dieu, que Dieu se montre à nous dans la clarté de sa divinité, que nous nous efforçons de regarder l’éclat de la lumière illimitée ; toutes ces expressions, d’un contenu conceptuel assez vague, 1. Ps., 30, 25. 2. Saint Augustin, Sermon 52, 6, 16 ; P. I··, 38, 360. 44 INTRODUCTION n’ont pas la précision intellectuelle de celles des Confession ou du de Trinitate surtout1. Dans ces écrits, Dieu est conru connue Vérité1 2, comme Bien3, et, toute connaissance se réa lisant dans une union amoureuse, comme Amour45 *78, comini Beauté4. Ces attributs de Dieu sont saisis dans un mouvement d’introversion, dans le recueillement, dans cescommeiicementi du Bien, du Vrai, du Beau que nous saisissons en nous-mémei et qui ne sont que les reflets des absolus de Bien, de Vrai cl de Beau. Nous voyons des yeux de l’esprit, dans l'étemelll Vérité, le Vrai, le Bien et le Beau®. Si l’on objecte quecett< attitude réflexive est aussi bien le fait d’un philosophe comme Maine de Biran ou Jules Lagneau que d’un mystique, - sans doute, peut-on répondre, mais la démarche augustinienne se fait dans l’atmosphère de charité qui la met d’emblée au nfi veau du surnaturel. L’amour, certes, se trouve chez Augustin mais il n’est pas isolé de l’activité intellectuelle qui est partie constitutive de la contemplation. Et si la lumière dont il est toujours question dans les passages mystiques de saint Gré] goire’s’identifle à coup sûr à la Vérité ’, il n’en reste pas moins que saint Grégoire explicite assez rarement cette identification. Reprenons, dans l’ensemble, la doctrine grégorienne sur la vision de Dieu. Cette vision est lointaine, imprécise, ineew tainc par conséquent*. Nous nous représentons bien la 1. Con/., 7,17. 23 ; et De Trin., 8,1,2 in (Inc ; P. 7... 42, 948. 2. De Trin., 8, 2, 3 ; P. L.. 42. 948-949. 3. De Trin., 8. 3, § 4 et 5 ; P. /... 42. 949-930. 4. De Trin.. 8. 8,12 : P. 42, 958. 5. De Trin., 9, 6. 11 ; 1‘. L., 42, 967. 0. De Trin.. 9. 7, 12 ; P. Z... 42, 967. 7. Afor., 5, 66, col. 716 Λ : · Incircumscripta! veritatis saporem ·. Le terraa lumière se trouve remplacé par le mot vérité ; mais l’adjectif linbitucllemeaQ appliqué ü lumière donne l’idée d’une vérité que notre esprll ne peut solde complètement. Et cette vérité u une saveur. 8. Afor., 31,101 * de longe ·. Afor., 31, 101 : · Cum vero longius aciem tendimus, sub incerto viso caligamus · ; — 23, 39 : « sub incerta imagina' tione caligamus ·. Imaginationem est identifié à iusm.v : Vimaginatio est le résultat du visus, la représentation. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 45 nature divine à travers quelque image,1 mais celle représen­ tation est ellc-mcme incertaine, d’une incertitude qui nous presse, nous accable, nous écrase comme sous un brouillard12. Et pour comble d’inforlune, l'image que nous nous formons de Dieu — image que Grégoire assimile à la nuée3 — nous empêche de le voir. Enfin, comme Dieu est senti plutôt que vu, la perception de l'essence divine ne peut être que difiicilement exprimée par des paroles4. L’âme a bien conscience de ne pas voir la vérité telle qu’elle est. Mais qu’elle se console, celte constatation est l’indice, justement, d’une grande lumière56 . Toutes ces descriptions se résument pour Grégoire dans l'idée de vision nocturne. L'appréhension de Dieu, dit-il, se fait dans la nuit. Il use volontiers de termes nocturnes, pour indiquer l’imprécision de ce que nous saisissons par rapport à la divine réalité. On dirait même que chaque fois qu’il rencontre dans le texte sacré les termes de » nuit », de « nocturne », il est amené à penser à l’appréhension des réalités surnaturelles par l’âme °. Mais ce n’est pas sur ces 1. Afor., 23, 39 : « Saudi omnes quuntdiu in hac vita sunt divina! natune secreta quasi sub quadam imaginatione conspiciunt *. 2. Afor., 23, 30 ; · Ail vldcmluin Dominurn quadam sc premi caligine sentiebat ». 3. Afor.. 5, 53 : ■ Adhuc sub cujusdam caligine imagiuutlunis conspicit ». I. Afor , 10, 13 ; 5, 60 ; 5, 50 : < Vol ccrtc hac ipsa atilatlo Sancti Spiritus absconditum verbum esi, quia sentiri potest, sed strepitu locutionis exprimi non potest ». 5. Afor.,2-1, tl : « Veritatem senllemhi, videt quin quanta est ipsa veritas, non videt (elle voit qu'elle ne voit pas la grandeur de la vérité elle-même). Cul veritati tanlo mugis se longe existimat, quanto mugis appropinquat, quia nisi illam utcumque conspiceret, nequaquam eam conspicere sc non posse sentiret » ; — 5, 58 ct 07. — In septeni psalm. paenil. expositio, psalm. 3,11 ; P. L., 79, 571 — Cette doctrine des plus traditionnelles se retrouve par exemple dans saint GnfiOOinK de Nysse, Contemplation sur ta oie Comparer avec Grégoire de Nyssc, cité par J. Danielou, dans son introduction à la · Contemplation sur la nie de tfofse ·, p. 17, éd. « Sources Chrétiennes ». 1. .Afor.,5, 5t. 2. Mor., 5, 5U : · Sermo Spiritus in aure cordis silenter sonat ». 3. Mor., 5, 52 : · per rimas contemplationis ·. 4. Afor., 5, 51. 52, 05. 5. Mor., 5, 50. 6. Mor., 5, 66: · Cum saporem incircumscripta; veritatis contemplatione subita subtiliter degustamus ». Ce paragraphe synthétise de façon remar­ quable la doctrine des sens spirituels, à laquelle la mystique grégorienne se référé constamment. Cf. note 3, p. 76. I.A DOCTRINE SPIRITUELLE 47 y atteindre, doit se dépasser elle-même, ce qu'elle ne peut que par la faveur divine. Elle est alors comme emportée, ravie au delà d’ellc-mêmc : « ultra se rapta, ultra se evecta l. » Lorsque .Job dit : « Oh ! qui me donnera de connaître Dieu, et de le. trouver et d’arriver jusqu’à son trône- ? » Grégoire applique d’abord cette parole à la vision béatitique, qui est, pour lui, une contemplation permanente : ° Que sou­ haite donc celui qui demande d'arriver au trône de Dieu, sinon de se joindre à la société des esprits angéliques ? Alors, il n'aura plus â supporter la précarité des instants temporels, mais il s'élèvera, dans la contemplation de l’éternité, jusqu’à la gloire permanente123 ». C’est comme sens second seulement qu’il voit dans la contemplation dont il est question ici, celle que les justes pratiquent sur cette terre : « Ces paroles conviennent aussi aux justes fixés dans cette vie : ils arrivent au trône de Dieu quand, par les yeux de la foi, ils contemplent le Créateur de toutes choses4 ». La contemplation dans la foi n’est donc, que le prélude en ce monde de la vraie contemplation du ciel5. Le juste en cette vie voit la lumière parce qu’il fixe son regard spirituel sur les rayons du soleil éternel. Mais si la contem­ plation que nous vivons ici-bas est de même nature que l’éternelle béatitude, elle n’en est pas moins précaire et su­ jette â des vicissitudes, car la nature humaine comporte un corps, dont les nécessités multiples s’opposent à l'obtention de la totale béatitude. L’âme souffre de façon inexprimable de se trouver à la 1. 2. 3. 4. 5. Mot.. 24, 11. Job. 23, 3. Mor., 16. 32 et 33. Mot.. 16, 31. Mot.. 24, 34. 48 INTRODUCTION fois attirée par l’Esprit et entraînée par la chair, invitée par l’amour d’une vie nouvelle et retenue par ses mauvaises habitudes, désirant la patrie céleste cl soumise aux mouve­ ments de la convoitisel. Ce douloureux conflit, ne se résoudra en lumière qu’à la mort corporelle, car l’humanité ensevelie dans les ténèbres est incapable, quelque effort qu’elle fasse de jamais pénétrer dans la lumière éternelle. a Actuellement, cette lumière que nous voyons de nos >· yeux charnels est proprement la lumière des mourants mais aspirer à la lumière de l’au-delà, à la lumière de la via véritable, c’est déjà la connaître et y participer : Ceux-là « sont éclairés de la lumière des vivants qui, méprisant cette « lumière temporelle, n'aspirent qu’a la splendeur île la ■ clarté intérieure, à ce bienheureux état où la lumière n’esl « pas différente delà vie, où cette lumière éternelle nous envi« ronne de telle sorte au dehors, qu’elle nous pénètre et nou « remplit aussi au dedans, qu’elle nous environne aussi au o dehors sans qu’elle-même puisse jamais être environnée dé ·: rien qui la borne1 2 ». Une vie toute tendue par la prière vers Désir la jouissance de Dieu amène donc peu à de la mort. peu l’âme du juste au désir de la mort. Mais ce désir ne s’établit dans l'âme qu'au fur et ù mesuré des progrès de la charité. En un premier stade, l’âme recherche les souffrances de cette vie avec autant d’ardeui qu’elle en mettait autrefois, dans sa faiblesse, à les fuir·; en un second état, elle se fixe comme but la vie de l’esprit,i fût-ce au prix de souffrances corporelles. Enfin, pour obtenir cette vie en toute plénitude, elle accepte de passer par la mort, elle en a même l’ardent, le positif désir3. 1. Mor., 24, 26. 2. Λ/or., 21, 35. 3. Ifor., 7, 18 ; et aussi : In Et.. 2, 1. $ 16 et 18 ; 2, 2, 8 ; In Ευ.. 37, 1. 49 LA DOCTRINE SPIRITUELLE Mais toutes les descriptions de saint Grégoire ne visent pas ce haut état de perfection. Çà et là, dans les Morales, s’exprime, à l’opposé, un autre sentiment d’une humanité profonde : devant cette mort qui serait le soulagement de tant de maux, Grégoire le Grand semble parfois esquisser un recul *. C’est que dans son œuvre, il nous décrit toutes les phases de la vie spirituelle, à la différence d'une sainte Thérèse d* AVila qui nous parle uniquement du désir du ciel parce que, sur ce point, elle s’en lient aux plus hauts degrés de l’union mystique, sans jamais revenir à des sentiments plus près de la commune humanité2. Avant l’auteur des Morales, saint Ambroise, volontiers se laissait aller à dire que le propre du chrétien, c’est de redouter si peu la mort qu’il en vienne à l’aimer3, car elle est un som­ meil dont Dieu tire ceux qui viennent de s’endormir4. Ce sont là des tendresses étrangères à Grégoire, comme d’ailleurs ces arguments qui, chez l’évêque de Milan, venaient en droite ligne de l’ancien paganisme, à savoir qu’il ne faut pas craindre la mort puisque, quand on vit, on n’en souffre pas, et qu’une fois mort, on n’en souffre pas davantages. Il ne partage pas avec les Sages de l’antiquité ce mépris pour la redoutable visiteuse. Moins sophistiquement, il pense non pas à l’avant ni à l’après, mais au précis et redoutable passage. Il voudrait être abîmé en Dieu, entrer dans le sanctuaire de cette lumière intérieure, se trouver mêlé au chœur des anges, 1. Jlfor., 4, 45 et 46. Suint Paul a un sentiment tout semblable : Il Cor.. 5,2-4. Saint Grégoire cite l'un do ces versets. 2. Saut une fois dans sa Vic par elle-mime, chap. 38, où elle mentionne, et encore en passant, son ancienne crainte de la mort. Cf- aussi chap. 21, circa medium. 3. Snint Ambroise, De bono mortis, 2, g 3 et 6 ; P. I.., 14, 541 et 542. De Interpellatione Job et David, 2. 2. § 6 : P. L., 14. 814. 4. Saint Ambroise, De bono mortis, 8. 34 ; P. 14, 550. 5. Saint Ambroise, De bono mortis, 7, 30 ; P. I.., 14, 554. Cf. R. Τπαμιν. Saint Ambroise et la morale chrétienne au iv» siècle, Paris, 1895, p. 337-338. — Saint Ambroise fait siennes les vues de Cicéron, Tusculana, 1, 16 et 82. Job. 4. 1 50 INTRODUCTION sans passer par la mort corporelle. Il le désire d’autant plus que l’âme — il l’a constaté —, lorsqu’elle foule aux pieds les pensées charnelles, se trouve ravie en Dieu. Pourquoi ce ravissement ne pourrait-il être durable ? Hélas I toujours le même motif : le poids de la chair corruptible, l’aveuglement de la première faute. Notre nature infirme n’en sera délivrée qu’en payant de sa mort la peine à laquelle elle fut condamnée.1. Ici, il faut mentionner une phase importante de l’acte de contemplation, celle par laquelle brutalement il s’achève. L’âme du contemplatif s’est élevée vers Dieu. Elle l’a touché, pour ainsi dire, à travers le nuage de sa connais­ sance imparfaite. La lumière ainsi entrevue suffit ù l’éblouir, à la blesser, à la faire retomber sur elle-même1 2, bien plus, la disproportion est trop grande entre l’âme et l’objet divin qu’elle atteint dans un éclair ; elle se trouve comme foudroyée. Cette vive lumière qui s’est réfléchie sur elle la rejette en arrière, la repousse3. Nous sommes ici en face d’une des expressions les plus constantes de Grégoire, quand il décrit la phase terminale de la contemplation : l’âme est « reverberata », à la fois éblouie et refoulée4. Elle rentre en elle-même, fatiguée de la recherche d’un objet qu'elle reconnaît être infiniment au-dessus d’elle ; elle considère la condition mortelle de la nature humaine et constate qu’elle est indigne de voir Celui qui ne connaît pas la mort. L’acte de contemplation est court par essence : il correspond Reverbcratio. ! , J i j 1. Mor., 1, 15 et 46. 2. Afor., 21. 11 et 12. 3. Afor., 5, 58 : « Neque In suavitate contemplationis intimœ diu mens ] figitur, quin nd semelipsam immensitate luminis reverberata revocatur ·. J ■I. Nous citons presque au hasard : Afbr., 5, 58 ; 16, 38 ; 24, 11 cl 12, très expressif ; 28, 44, etc. — In Es., 2, 2, 12, etc. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 51 à ce silence d’une demi-heure dont il est question dims l’Apo­ *. calypse L’âme se trouve donc ainsi repoussée du fait de son infir­ mité, mais il en est une autre plus douloureuse pour elle : celle qui provient de son indignité12; elle peut être, en effet, refoulée sur elle-même par la tentation34 , lorsque la componc­ tion ou la contemplation (qui ont donc des effets bien voi­ sins) l’élèvent jusqu’à Dieu ; elle retombe aussi sur ellemême quand, par exemple, le souvenir de ses impuretés passées viendra l'obséder *. La pureté infinie de Dieu ne pouvant coexister avec ces pensées, même involontaires, l’âme se trouve repoussée. Saint Grégoire ne s’astreint d’ailleurs pas à l’emploi constant du mot « reverberare ». On trouve aussi « repellere», a diverberare56», Quelquefois, au lieu de dire que l’âme est refoulée par l’immensité de la lumière, il préfère montrer que c’est l’infirmité de la chair < qui la tire en arrière, — alors qu’elle était en train de se dépasser —, pour la ramener, soupirante, à penser aux choses vulgaires, basses et nécessai­ res ». L’âme, liée à un corps corruptible, se trouve alourdie par lui : Le corps sujet à la corruption, appesantit l'âme e. Elle ne peut donc adhérer longtemps à la lumière et ne fait que la voir à la hâte (raptim), au cours d’élévations brèves 7. Ce vocabulaire et cette dialectique ne sont pas d’ailleurs la création de Grégoire. Il les a empruntés à saint Augustin : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Apoc., S, 1. Afor., 30, 33 ; Zn Ez., 2. 2, 1 1. Cf. Saint Augustin, Con/. 7, 17, 23 et 10, to. 65. In Ez., 2, 2, 3Mor., 10, 17. « repclicrc » : Λ/or.. 23, 43, etc. ; — · diverberare · : 8, 10 ; 9, 57, etc Sag., 9.15. Mor., 8, 50- INTRODUCTION 52 on retrouve chez celui-ci tous les termes qu’emploie l’auteur des Morales pour marquer le rejet violent de l’âme par la clarté de l'infinie lumière, en particulier dans les Confess sions : « Par la puissance de votre irradiation, vous éblouissez mes faibles regards’ ». Et dans un autre passage: ... * Je n’y pus fixer mon regard, ma faiblesse se sentit refoulée, je retombai à mon ordinaire12 ». Toutes les phases du rejet sont clairement indiquées, de meme que ces élévations brèves (raptim) si fréquemment mentionnées par saintGrégoire. Celui-ci n’a eu qu’à reprendre un vocabulaire existant. Pareillement, saint Augustin avait déjà indiqué les mêmes causes de rejet que saint Grégoire : « Je me sentais, dit-il, « entraîné vers vous par votre Beauté, mais bientôt mon « propre poids m’arrachait de vous et je retombai sur le sol » en gémissant. Ce poids, c’étaient mes habitudes charnelles... a Je ne doutais absolument plus qu’il n’y eût un être auquel a je dusse m’attacher, sans que je fusse encore capable de m’y « attacher, parce que ce corps, qui est corruptible, appcsantü « l'âme3. Cet habitacle de limon déprime l'esprit qui s’égare « en mille pensées... La puissance rationnelle entraîna mai « pensée loin de la tyrannie de l’habitude, elle se déroba à « l’essaim des fantômes avec leurs suggestions contradici « toires... elle parvint enfin dans l’éclair d’un regard « frémissant (in ictu trepidantis aspectus) à 1’être lufl « même4. » « Nous montions, méditant, célébrant, admirant vos « oeuvres au dedans de nous-mêmes. Nous parvînmes jusqu’à 1. 2. 3. I. Saint Augustin, Conj., 7, 10, IG. Saint Augustin, Con/., 7, 17, 23. Voir aussi : ibld., 10, 41, 06. Sag., 9, 15. Saint Augustin, Conj., 7, 17, 23. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 53 • nos âmes et nous les dépassâmes... nous touchâmes 1 à « cette sagesse un moment dans un suprême élan de nos « cœurs. El puis nous soupirâmes et, laissant là attachées « ces prémices de l’esprit2, nous redescendîmes (remeavimus) « à ce vain bruit de nos lèvres, à la parole qui commence et < qui Unit3 ». Ainsi donc l’âme sortie d’clle-inème, se dépassant, se transcendant jusqu’à la connaissance amoureuse de son Créateur, se trouve vite rappelée par la faiblesse de la chair à 1. Nous touchâmes : attingimus, marque mu· atteinte trt» légère : « arriver à toucher », presque « effleurer ·. C’est le mol qu'emploiera Grégoire pour marquer *l« effleurement · pur l’âme des plus hautes réalités surnaturelles : voir Mor., 4, 45 : « joternam vitam... attingat ; attingere lucis intimæ secre­ tum ·. 2. Rom., 8, 23. 3. Suint Augustin, Conf., 9, 10, 24. — Nous maintenons la traduction de P. de I.abriollc, ù l’exception des derniers mots, bien qu’elle ait été critiquée par F. Cavallera, La contemplation d'Oslic, dans Revue . .Mor., 2. 38 : 4. 18 ; 9, 44 ; 13. 38. — In Eu., 16. 1. col. 1135 B : « Certe Iniquorum omnium caput dinbolus est, et hujus capitis membra sunt omnes iniqui ». 6. Saint Augustin, Enarrationes in psalm., 139, 7 (P. I... 37, 1807) : • Sicut enim bnnorum caput ChriMus est, sic illorum caput diabolus ». Cfdans De elo. Dei, 14, 13, 1. in fine, les deux cités et leur chef respectif, dont le parallèle évident, mais non textuel, est Mor., 34, 56. 7. Mor., Ilv. 2, § IG, 19. 21, 68, 70 et 74. Cf. Dial., 3, 21. — Cassiiw, Coll., Ί. 22 ; P. L·., 49, 699. INTRODUCTION 56 ligne de Cassien qui se préoccupait d’accroître la confiance de l'athlète en scs moyens de défense, que dans celle d’Évagre qui regardait la puissance des dénions comme à peu près coextensive au champ d'influence des passions1. 11 croit fermement en la liberté d’exercice de la volonté humaine. Inutile ici de citer des textes : le monument des Morales en témoigne d'un bout à l’autre. A plusieurs reprises, saint Grégoire départagera avec netteté, dans la tentation, la part du Seigneur et la part du démon. Si la permission de tenter vient de Dieu1 2, l’intention perverse est du diable. En fin de compte, l’unique responsable sera la volonté de l’homme. Notre corps est lui-même une cause de tentations qui agit indépendamment de toute intervention positive du démon. A lui seul, il est capable de troubler notre âme par les o mouvements obscènes et illicites des pensées3 ». Le corps reste pour l’âme, même quand elle mérite de toucher, du fait de son humilité et de scs larmes, au sommet de la contem­ plation, a un vêtement abominable45 ». Dieu fait passer les élus de la trisfesse à la joie, dit saint Grégoire, en trois périodes de leur vie : au moment de la conversion, après les tentations qui suivent, enfin un peu avant la mort 6. Les premières douceurs consolent les élus, les amertumes qui viennent ensuite les réveillent et les Triple alternance. 1. M. Olpuiî-Galuamu, La pureté de cœur d'après Cassirn, dans Keuue d’ascétique et de mystique, 17 (1936), p. 49. 2. Mor. 2, 17 ; 14, 46 et 18, 4. 3. Mot., 9, 57 in fine 4. Afor., 9, 58. — Dans la mentalité des chrétiens modernes, le démon n’occupc pas la placo qu'il tient chez saint Grégoire. Assez facilement, nous nous passons de lui, parce que les tendances mauvaises de notre nature nous paraissent être un principe suffisant d'explication. Considérer la volonté permissive de Dieu dans tous les nuiux qui nous arrivent nous paraît aussi plus utile, pour les bien accepter, que d’y voir la méchanceté du démon. 5. Afor., 24, 25-34. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 57 exercent, et les satisfactions dont ils sont comblés après les dernières angoisses morales les confirment entièrement. Retenons, dans la description de ia vie spirituelle, celte triple alternance de 1’épreuve et du soulagement. Elle y Introduit un rythme favorable à l’espoir, à la vigilance, à la reprise. A la purification aussi, puisque l’angoisse morale joue le rôle d’un purgatoire préventif où le juste se lave de ses fautes1. Retenons aussi que 1’épreuve qui affecte les âmes sur le point de quitter leur corps (urgente solutione carnis) consiste normalement en une vive appréhension du jugement de Dieu : « Fit tanto timor acrior quanto et retri­ butio ajtcrna vicinior ». Cet ultime combat, le Christ, en qui ses membres trouvent un modèle parfait et une reproduction fidèle mais infiniment magnifiée de leurs épreuves, lui aussi, au moment de l’agonie eut à le soutenir : « factus in agonia, ccepit prolixius orare12 ». Utilité de la tentation, La tentation est utile3 : tous les maîtres de la vie spirituelle rediront cette vérité jusqu’à la rendre banale. La doctrine de saint Grégoire, comme celle de Cassien, ne s’en lient pas en effet à l’ascétisme, fùt-il le plus héroïque. La purification par la tentation (tentation-épreuve) y est considérée comme absolument nécessaire pour introduire à la vie contemplative, dont le point culminant est la vue de Dieu. La tentation, étant l’occasion d’actes de vertu, enracine celle-ci plus profondément4. Elle est donc une sécurité pour l’avenir : l’affermissement que produit en nous la tempête 1. 2. 3. 4. Mot., 24, 31. Moi·., 24. 32 ; ci. Le, 22. 44. Λίοτ.. liv. 2. § 78. 79. 83 ; 23, 50-51. Afor., 10, 33 : » Virtutis renovatio in tentatlonc ». 58 INTRODUCTION nous permettra d’éviter des fautes que nous eussions été amenés à commettre. Elle est aussi une expiation pour le passé, en même temps qu’une purification1 : elle arrache peu à peu les racines de péché qu’avaient laissées en nous nos consentements passés. Elle purifie à la fois par la lutte à laquelle elle entraîne, et par le chagrin consumant qu’elle cause (exurente tristitia1 2). Dans tous les cas, elle vient à bout de cet écran, de ce nuage (caligo) qu’interposent entre le regard de notre âme et Dieu nos péchés et le mal inhérent à notre nature. Cette brûlante tristesse dissipe la nuée du mal qui se trouvait offusquer l’acuité du regard intérieur, de ce regard qui illumine la fine pointe de l’âme (mentis acies). Et c’est pourquoi seule connaît vraiment Dieu l'âme dont le regard contemplatif a été lavé par les tentations. Que celles-ci opèrent vraiment une purification, saint Grégoire, pour l’assurer, se fonde comme toujours, moins sur des considérations théoriques que sur des faits qui consti­ tuent, nous pouvons le croire, son expérience personnelle. « Il arrive cependant, par une remarquable disposition « du Dieu Tout-Puissant, que, lorsqu'on ce monde l’âme u du juste souffre davantage de l’adversité, elle a le plus soif « de contempler le visage de son Créateur 3 ». «Après les difficiles combats de la contemplation, après a les remous des tentations, l’âme se trouve souvent suspen» due dans l’extase pour contempler une connaissance de » la présence divine, de cette présence qu’elle peut éprouver « mais qu’elle ne peut pas exprimer. Fort bien, le texte de 1. A/or.» 16. 52. 2. Moi*., 24, 11. Cf. Îvaghe, 5· centurie, chap. 5. éd. Frankenbcrg. Berli 1912, p. 321. < Deux grands moyens purifient le παθητικόν de l’âme : l'accomplissement des commandements, l’humilité do l’âme et In tristesse ». apud Keuue d’ascétique et de mystique, 11 (1930), p. 175. 3. Afor., 16, 32. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 59 « Job dit ici que l'homme tenté, après tant de difficultés, n contemplera plein d’allégresse le visage de Dieu1 ». Mais quelquefois l’ordre s’inverse : alors que, tout à l’heure, la tentation précédait la faveur de la contemplation, il peut arriver qu’après avoir goûté les douceurs de Dieu, l’âine se trouve en proie à la tentation et même tombe dans le péché. C’est qu’il lui faut éviter de se prévaloir des grâces reçues, et l’un des moyens dont Dieu se sert pour humilier, c’est la chute12 ou les apparences de chute que l’âme inter­ prétera souvent dans le sens le plus défavorable à elle-même, ce qui achève de l’ancrer dans l’humilité3. Voilà pourquoi Dieu ne préserve pas nécessairement scs élus des vices de la chair : l’orgueil est un plus grand péché que la luxure45 *. Il est parfois moins grave de tomber dans l’impureté (minus in corporis corruptionem cadere) que de commettre en pensée un péché d’orgueil délibéré (quam cogitatione tacita ex deliberata elatione peccare). Et moins l’on croit à la gravité de l’orgueil, moins on l’évite3. La tentation par le démon est donc pour Dieu un dessein de miséricorde·, un moyen de garder scs élus pour le royaume éternel7. A coup sûr le démon ne verrait pas lui échapper des hommes qui tireraient orgueil de la sainteté de leur vie8 : ·> Elatos autem in sanctitate viros non amitteret, nisi tentarct ». 11 les tente. Ils tombent. La chute les humilie profon­ 1. Afor., 24, 12. 2. Afor., 10, 19. 3. Afor., 2. 79 et 83. 4. Mnr., 33, 25. Cf. saint Jcnn CJimaquc, plus jeune que saint Grégoire d’une génération, auteur de L’échelU sainte : « II vaut mieux avoir à combattre la corruption du corps que relèvement de l’esprit »./4° degré, P. G., 88, 709 C). 5. Afor., 33, 25 : · Cum minus turpis superbia creditur, minue vltntur ». 0. Afor.. 2, 68 ct 79. 7. Afor., 33. 26. 8. Afor., 33, 26. 60 INTRODUCTION dément. A ce moment, ils sont sauvés pour Dieu, perdus pour le démon1. Au premier temps de la conversion, le cceur ressent une joie immense1 2. Mais la sécurité dont il jouit pourrait le faire tomber dans la tiédeur : aussi après la consolation des débuts vient le dur labeur qui doit nous permettre de faire nos preuves3. Cette alternance d'amer chagrin et d’immense joie4 est caractéristique de la pédagogie divine. C’est ce que Jésus a voulu figurer dans sa conduite lorsqu’il permit que le diable ne le tentât qu’après son baptême. 11 nous traça ainsi une image de notre future conversion. C’est une fois engagés dans la voie qui mène à Dieu que les disciples du Christ doivent éprouver les assauts les plus rudes5 ». Si les tentations sont souvent plus fortes après la conver­ sion qu’avant6, ce n’est pas parce que l’âme était meilleure (ainsi qu’elle se le figurera presque toujours) : la racine des tentations (radix tentationum) s’y trouvait déjà, mais elle n’apparaissait pas. Avant de s’appliquer à Dieu, en effet, l’esprit humain était dispersé entre une infinité de pensées, et n’avait pas alors le loisir de se connaître. Mais une fois faite l’unité sur Dieu, une fois retranchée toute cette foule de pensées inutiles qui l’embarrassaient, alors, il commence à découvrir tous les rejetons que pousse dans sa chair cette funeste racine7. Ces tentations ne sont aussi que la prolifération de nos péchés passés : notre conversion ne nous coupe pas de notre vie antérieure : nos actes nous suivent. L’âme humaine, 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. A/or., 33, 25-29. Afor., 24, 26. Afor., 24, 29. AZor.,24,31. A/or., 24. 27. A/or., 24, 29. A/or., 24, 30. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 61 avant la chute, se. trouvait dans un état stable et permanent, celui de l’éternité. Elle s’est abandonnée à la fluidité du temps et au courant des choses mortelles. Une fois revenue à Dieu et à elle-même, elle trouvera sa punition dans les choses mêmes où elle avait puisé son plaisir1. Elle se voit obligée de combattre avec beaucoup de peine et de fatigue ce qui auparavant était l’objet de ses délices. Et c’est pourquoi il arrive assez souvent qu'après s’être converti à Dieu, on ressent des tentations plus fortes «pic l’on n’en avait souffert auparavant La tentation est la condition de l’homme sur la terre.1 23. Aucun âge n’en est exempt, mais pour saint Grégoire, comme autrefois pour saint Ambroise4, la jeunesse reste l’âge du péché : « Vulva enim pravæ cogitationis adolescentia est5*». Moïse d’ailleurs l’avait bien dit : « Les sentiments et les pensées du cœur de l’homme sont inclinés au mat dès sa jeu­ *. nesse » Aussi bien la mort spirituelle nous guette-t-elle de tous côtés. Par chacun de nos sens elle peut entrer : Elle est montée par nos fenêtres, dit le Prophète : Ascendit mors per fenestras nostras7. Un son, une odeur, un regard, et les tentations qui nous assiègent profitent de la moindre brèche pour faire irruption dans la place. Et Grégoire de citer le Violence de la tentation, 1. Mor.. 24, 32 : · Inde quippe punita est unde delectata ·. 2. Mor., 24,29. 3. Mar., 8. 8-10. CL suint AcnosTiN, Con/cwions, 10,28,30 ; et 10.32. 48 : La vio est une tentation continuelle. I. Saint Ambroisi., De interpellatione Job e David, I, 7. 21 ; P. L.. 14.809. 5. Λ/or., 28, 43. β. Gen., 8,21. 7. Jiln., 0, 20, cité dans Mor., 21, 4 ; — par salut Ambroise dans le De luga sKCuli, 1, 3 ; P. L., 14, 570 ; et par saint Gnrtc.oiHE DB Nysse dans la 5· Homélie sur l'Oraison dominicale ; P. G„ 44, HS5 B-HSS C. 62 INTRODUCTION récit de la chute : e La femme vit que le fruit de l’arbre était « bon à manger1. En désirant ce que l’on voit, on perd les « vertus qu’on ne voit pas : Concupiscendo enim visibilia, «invisibiles virtutes amisll1 2 ». Saint Ambroise, aussi, rappelle la chute de nos premiers parents : « Adam lui-même ne serait pas tombé du Paradis, s’il ne s’était laissé prendre au plaisir3* 5». Et il est sûr que si l'aspect redoutable du juge et la terreur du tourment éternel ne nous enserraient dans les étroites limites de la crainte, depuis longtemps, notre édifice spirituel serait par terre, ruiné jusqu'au fondement. Les Ilots de la mer le battent de toute part. Quelle est cette mer dont parle Job ? Bien d’autre que le cœur humain, siège des passions : « furore turbidum, rixis amarum, elatione superbiæ tumidum, fraude inalitiæ obscurum·1 ». Tout ce passage mérite d’être lu pour la violence expressive de la description. Sans la grâce divine (que personne ne s’at­ tribue à lui-même la victoire! ), le cœur humain6, c'est-à-dire/ la mer déchaînée des passions, aurait vite fait de dévaster la terre de l’âme15 sous les bourrasques des tentations7, de la vouer à la stérilité par la salure des Ilots: les voluptés ter­ ribles de la chair. Aucun stade non plus de la vie spirituelle n’en est préservé. D'accord avec la tradition ascétique de: toute l’antiquité8, Grégoire croit que plus la vie spirituelle 1. fien., 3. 6. 2. Moi·., 21. 4. 3. De /uya sirr.uli. 1.3 : P. L-, 14. 571. •I. Mot., 28. 13. 5. « Cor ·. β. « Terram hunuinæ mentis ·. 7. « Tentntionum procellis ». 8. Pour Ëvitgre, aucune étape de la vie spirituelle n’était exempte de tentations, même et surtout les plus élevées. Cf. Practices, 2, 59 ; P. fi., 40. 1248. — Aux médiocres, Georges Bernanos, de nos Jours, n rappelé ce pri­ vilège des ûmes saintes : · Le monstre vous regarde en riant, mais 11 n’a pas mis sur vous sa serre... 11 est cependant... Il est dons l’ondson du soil- LA DOCTRINE SPIRITUELLE 63 progresse, plus elle prend un caractère accusé de conflit avec Satan. Souvent, quand l'âme est touchée de componc­ tion ou se trouve élevée par sa contemplation au delà d’elle-même, immédiatement la tentation suit, pour que l’âme ne tire pas vanité des hauteurs auxquelles elle vient d’être ravie1. Alors qu’elle aspire aux secrets les plus intimes de la divinité, alors qu’elle fixe attentivement les seuls objets célestes, l’âme tout à coup, frappée d’une délec­ tation charnelle, brutalement coupée d’elle-même, gît à terre: elle, qui se réjouissait d’être venue à bout des misères résultant de sa faiblesse, maintenant, renversée par une blessure imprévue et soudaine, elle gémit* 12. Elle est toujours assaillie de vices graves ou légers. Quand elle est venue à bout des plus grands, les vices légers ne lui laissent pas de quartier. · Souvent, une âme victorieuse de défauts nombreux « et graves ne peut, malgré toute son application, détruire < l’un d’eux, et quelquefois le plus petit3 ». « Israël est instruit par les Nations... quand la vanité que « nous pourrions tirer de noire vertu est réprimée par d’in« Ames imperfections : par ces petits qui lui résistent, l’âme « apprend que ce n’est pas par elle-même qu’elle a subjugué ■ les grands 4». Il y a ainsi concomitance de l’épreuve et de la contem­ plation : la tentation sévit lourdement sur le contemplatif taire, dims son Jeûne et sa pénitence, au creux de la plus profonde extase, et dans le silence du cœur... Sa haine s'est réservé les saints. · (Soi» le sole.il de Satan, Itaris, 192G. p. 133). 1. In Et., 2, 2. 3. 2. Afor.,5, 69. 3. Mor., 4, 43 et 44. I. Λ/or., 4, 44. avec citation de Jug., 3. 1. Cf. le passage parallèle des Dialogues, 3, 14 In line, et Cassikn, Coll., 4, 6, avec la môme citation de Jug. ; P. /... 49, 590. 64 INTRODUCTION pour qu’il n’ait pas sujet de s’enorgueillir. La contemplation l’élève pour que, tenté, il ne soit pas submergé par le déses­ poir1. 4) Conditions de la contemplation Circonspection Le γνώθ·. isjutôv socratique avait dérivé et connaissance peu peu vers mystique. Plotin de soi. parlait de « revenir à soi ». Les Pères de l'Églisc, dès avant saint Grégoire, avaient achevé la transposition1 2. Pour saint Augustin, l’âme, en explorant la mémoire et la pensée qui s’y trouve contenue, y retrou­ vait l’image divine et, par là, Dieu même. Et c’est en sai­ sissant l’image de Dieu qui réside principalement in mente, dans la pensée, que l’àme sc connaissait elle-même. Grégoire, naturellement, ne s’élève pas aux considérations de son grand prédécesseur. Il reste plus immédiatement pratique, au ras de terre de la psychologie pénétrée par la grâce, ce qui n’est déjà pas si bas. Il ne se préoccupe pas non plus, à la manière d’un Maine de Biran, d’analyser ses états d’âme pour eux-mêmes, en vue d’une élude désintéressée de la vie psychologique. Son idéal n’est pas l’idéal du psycho­ logue. Il ne cherche à sc bien connaître que pour bien agir, c’est-à-dire en conformité à la loi du Christ. Les textes précis où il recommande en termes exprès la connaissance de soi, on le conçoit donc, sont rares, comme d’ailleurs sont rares sur ce point les textes de saint Augustin 3. En réalité, le γνώΟι σεαυτβν, sans être mentionné, est partout sous-jacent, mais par le biais du regard constant sur soi-même, de la circonspection, on pourrait dire : de 1. Λ/or., liv. 2. § GS, 79.83: liv. 12. 8 2 et 3 ; In Et., 2. 2, 3. 2. Cf. J. Daniélou, Platonisme el théologie mystique, Paris, 1941, p. 225. 3. Cf. par exemple : De Trinitate, liv. in. chap. 9, g 12 et 13 ; P. I,., 42,980. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 65 la méfiance>. Car Grégoire est très pessimiste sur la nature de l’homme : il sait qu'à chaque instant le mal se mêle au bien le plus pur en apparence12, à tel point que celte spiritualité tout analytique et si pleine de finesses, risquerait, mal comprise, d’engendrer le découragement. Ainsi bien déterminée la portée de l’écho qu’éveille chez l’auteur des Morales l'antique précepte du « Connais-toi toi-même », on peut dire que Grégoire, s’engageant dans cette étude de l’homme que les saints ont toujours regardée comme primordiale, ne reste étranger à la spéculation que pour pénétrer plus profondément dans celte connais­ sance concrète où l'avait précédé saint Ambroise, où le suivra saint François de Sales. Il préconise l’examen de conscience qui, plus qu’en un exercice découpé dans le temps, consiste pour lui en une circonspection de tous les instants, en la surveillance de chacune de nos actions. Mais il reconnaît que « les prières donnent mieux o le sens de la vertu que les examens de conscience... o que l’oraison nous le fait découvrir avec plus d’exac­ titude que la recherche3 ». La connaissance de Dieu nous ai. .<3 : 23, 13 ; 35, 5 et G. etc. — Saint Ambroise avait etc plus abondant en textes précis : hi Px. I IS, srrmo 2, 13-14, P. 15, 1211 ; — serrn. 10,10-1G, P. L., 15. 1332-1335. — Liber tic Isaac et anima, 4, 13-16, P. 1.., 1-1,5(13-509. - Hexaemeron, 6. 6, 39, p. I... 1 1. 256 ; 6, S, 50-53, P. L., 14, 262-261. 2. Mor.. 1, 46-54, 3. Mot.. 1, 17 bis. 4. Afor., 5, 67. 5. Afor., 35, 3, 5 et 6 ; In Ex., I, S, |7. Job. 5. 66 INTRODUCTION Lc premier bénéfice de cette connaissance, s’il est bien vrai que toute faute d’orgueil procède d’une erreur de jugement, c’est l’humilité. C’est aussi la première condition requise pour contempler. > Quand le Seigneur donna sa Loi, o ... La seconde sorte de compontion naît de l’appréhcn« sion des châtiments mérités par le péché ; l’âme coupable « songe à la sentence qui sera portée au dernier jour, et toute « tremblante se demande où elle sera, ubi erit. Saint Paul 1. Afor., 23, 41. CL Afor., 5, 51, où se retrouve une classification équi­ valente. Pour cet exposé des quatre degrés dccomponctlon chez saint Grégoire, nous ne pouvons mieux taire que de citer Dont Morin, L'idéal monastique et la vie chrétienne des premiers jours, 3« éd., Paris-Maredsous, 1921, p. 15-20. Etant donné le caractère de l’ouvrage (instructions de retraite), nous avons été amenés Λ apporter quelques légères modifications que nous signalons par des crochets. 2. Le, 18. 13. 3. Saint BRNOtr, Rèple, 4. 74 INTRODUCTION < lui-même, le grand Apôtre élevé jusqu’au troisième ciel, « ... a connu cette salutaire terreur ; il exprime quelque « part la crainte d’être réprouvé, ne forte aliis prœdicons ipse « reprobus efficiar1... C'est ce que veut do nous [saint Benoît] : ail le dit clairement, et dans son prologue, et dans toute a la suite de sa Règle, mais spécialement dans le chapitre «4°, où il nous met entre les mains les trois instruments ■ dont l’action combinée produira naturellement en nous a celte seconde sorte de componction : Mortem cotidie ante » oculos suspectam habere. Diem judicii timere. Gehennam a expavescere. a La troisième espèce de componction naît de la considé« ration des maux sans nombre de la vio présente : elle fait a sentir à l’âme la condition misérable où elle se trouve ici« bas, ubi est. C’est celle qu’éprouvait Job, lorsqu’il s’écriait : « Oui, toute la vie de l’homme sur la terre n’est qu’une « épreuve continuelle, Tcntatio est vita hominis super ter« ram- », celle qui arrachait à David des accents comme ■ ceux-ci : a Universa vanitas omnis homo vivens... In terra « deserta et invia et inaquosa1 23». Sous l’impression de ces sentic ments, l’âme se rend un compte exact de tout ce qu’il y a en a elle-même de ruines et de ténèbres, de révoltes et de a luttes... » a ...De cette expérience de sa misère, l’âme en vient tout « naturellement à désirer le séjour bienheureux d’où elle est a encore absente, ubi non est, mais où elle espère parvenir a avec le secours d’en-haut. Ce désir enflammé devient pour « elle une nouvelle et quatrième source de componction, et < c’est de loin la plus abondante, et d’ailleurs la plus douce... c C'est l’ardeur aimante de Madeleine, qui s’obstine à cher1. I Cor.. 9. 27. 2. Job., 7, 1. 3. P»., 38. G. et Ps.. 62.3. I.Λ DOCTRINE SPIRITUELLE 75 « cher son Maître, sans sc donner de repos qu’elle ne l’ait t trouvé ; c’est cette faim de voir la face de Dieu, qui rédui« sait David à se nourrir nuit et jour du pain des larmes, et « lui arrachait ce cri d'exilé : · Hélas, que les jours de mon « pèlerinage se font longs1 I » Quelle que soit l’élévation que » supposent de tels sentiments, saint Benoît a voulu que ses « moines pussent se les approprier. Il n’admet à son école que « des chrétiens avides d'arriver à la vie éternelle..., capables « de la désirer de toute l'ardeur d’un désir spirituel12... » Dans chacun de ces quatre degrés, la componction pro­ cède d’un sentiment pénible. Mais ailleurs saint Grégoire distingue une componction de tristesse et une componction de joie3. Dans le premier cas, l'âme est terrifiée à la vue.du mal qu'elle a commis et des maux qu’elle doit subir45 6. Dans le second, considérant les joies d’en-haut, elle se trouve confirmée en espérance et en sécurité. La première componc­ tion provoque les larmes de Γ affliction, la seconde les larmes de la joie (lætas lacrymas). La première est une componction de tristesse, la seconde non plus seulement une componc­ tion d’amour comme dans la classification examinée à l’instant, mais une componction de joie. C’est à celle-ci que fait allusion le texte du livre de Job commenté dans les Morales : Il contemple sa face dans l'allégresse (in jubilo) *·. In jubilo : le mot est très fort® et exprime, conformément à son étymologie et ù son emploi biblique, ·: une joie spiri1. Ps., no, s. 2. Saint Benoît. Rigle, . ........ quibus nd vitam internam gradiendi emor incumbit >; -!,· Vitam æternam omni concupiscentia spirituali desiderare ». 3. Λ/or., 2-1, 10. Voir passages parallèles dans Dial., 3, 34 ci In E:., 2. 10, §20 et 21. •I. Λ/or.. 24, 10 : « Aliter quisque compungitur cum, interna ini nens, malorum suorum pavore tenetur ». 5. Job, 33, 26, apud Λ/or.. 24,10. 6. Λ/or., 24, 10 : < Jnbllum namque dicitur quando ineffabile gaudium mente concipitur ». — Cf. le passage parallele en Λ/or., 8, 88. 76 INTRODUCTION tuellc qui ne pouvant s’exprimer en paroles ni se contenir » * éclate en cris de joie et en chants, telles dans la messe les vocalises de Γ Alleluia qui portent elles-mêmes le nom de jubilas1. Et cette joie se tourne en nostalgie de l’au-delà : « La componction, langue invisible, parle silencieusement « aux hommes qui cherchent Dieu. Pour eux, le chant céleste « ne dort pas, parce que leur esprit connaît la suavité de la « louange d’en-haut et tend, pour la percevoir, l’oreille de « l’amour. Intérieurement, en effet, ils entendent ce qu’ils « convoitent, le désir de Dieu leur découvre les biens célestes « qui seront leur récompense. La vie présente, qu’elle soit « contraire ou propice, ils la supportent avec peine. Tout « ce qui se voit leur est à charge, du moment qu’ils se « trouvent séparés de ce qu’ils entendent à l’intérieur d’eux< mêmes. Tout ce qui se présente à eux, ils l’estiment un « fardeau, parce que ce n’est pas à cela qu’ils aspirent. Sans « cesse leur âme, lassée des labeurs de ce monde, s’élève, pour « se refaire, jusqu’à celle joie céleste, pendant que le chant du u ciel qui fait irruption en eux par l’oreille du cœur123, leur « fait désirer chaque jour la compagnie des citoyens d’en a haut4 ». La componction est donc aussi cela, nostalgie qui accom­ pagne les plus pures joies de la contemplation. De plus, 1. Mor., 24. 10 : · Quod nec abscondi possit, nec sermonibus aperiri ·. 2. Voir Pie RéOAMEY, La componction du aritr dans La Vie spirituelle, 44 (1935). p. [76’, note. 3. Cette expression se rattache à la doctrine des cinq sens spirituels. In Ev., 1. 15, 2, sont mentionnées les oreilles du cœur. Ailleurs, il est parlé tics yeux du cœur, des yeux de l’esprit : in Ez., 2,1,16-18. CI. note C, p. 46. Le 1». Karl Rahner, dans Le début d'une doctrine des cinq sens spirituels chez Origine, Revue d’Ascétique et de mystique, 13 (1932), p- 144 et note 238, n’a pas apprécié à sa juste valeur le développement de cette doctrine chez saint Grégoire le Grand. En fait, dans son œuvre, elle se trouve partout. 4. Afor., 30, 20. Texte cité en partie par P. Batiffol, op. cil., p. 108. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 77 comme la contemplation, elle élève1. Elle est, va jusqu’à dire saint Grégoire, la « machine » qui soulève l’esprit (mens) et lui permet de juger de haut, et par conséquent avec plus de profondeur, ses actions passées ou futures-. L’amour de charité lui aussi, est une machine qui porte l’âme en haut123, et bien qu’il s’agisse, dans le cas de la componction et dans le cas de l’amour, de la même réalité à élever, bien que celle-ci s’exprime par le même mot : mens, cependant, la componction aurait ici un rôle d’éclai­ rage plutôt intellectuel sur des problèmes de conduite : savoir ce qu’il faut faire, comment le faire, qualifier morale­ ment les actes que l’on pose45, tandis que l’amour nous donne force et courage pour parvenir à la lumière de Dieu. La componction projette une lumière surnaturelle sur notre comportement, et serait, à la limite, cette lumière elle-même. L’amour, lui, nous conduit vers la lumière par excellence qui est Dieu. Du fait que l’amour et la componction ont sur l’âme des effets si voisins, on pourrait soupçonner la componction d'être déjà l’amour. Elle en diffère cependant. Sur l’autel de l’oraison où elle intervient, le feu de l'amour brûle nos impuretés, mais la componction doit les arroser de ses larmes, ce que figure la prescription de l’ancienne Loi enjoignant au prêtre de laver les intestins qui sont pleins d’excréments6. Componction encore, l’effort qui, chez l’âme parfaite, secoue toutes les imaginations charnelles et inso­ lentes qui autrement s'imposeraient à clic ; componction, 1. 2. 3. 4. 5. Afor-, 9.58. Mor., 1, 17 bis. Afor.. C. 58. Cf. Mor.. 2. 81 : · Ces pleurs font croître notre discernement ·. LA·., t. 9 et 13. — Mor., 9.81. 78 INTBODUCTION rattention qui plante le regard du cœur dans l’éclat de la lumière infinie1. En pratique, les efiets de la componction se ramènent donc à ceux de la contemplation, et l’identité des efiets amènerait facilement à poser l’identité des causes. Leurs caractéristiques sont d’ailleurs si voisines que componction et contemplation semblent à certains moments se con­ fondre dans la pensée de Grégoire. En réalité, elles restent distinctes. Leur confusion vient de ce que la componction se trouve liée, sous l’une ou l'autre de ses formes et mémo sous plusieurs à la fois, aux diverses phases de l’acte de contemplation, avec prédominance dans la période termi­ nale du sentiment de la misérable condition d’ici-bas (ubi est) et du désir du ciel (ubi non est). De ce qui précède, il résulte que la componction est un don de Dieu. C’est Dieu qui suscite en nous la douleur en faisant apparaître aux yeux de notre âme les fautes que nous avons commises. C’est lui qui, par la main miséricor­ dieuse de sa grâce (pia manu gratiæ), rompt les entraves qui empêchaient notre cœur de se livrer en toute liberté â la pénitence et à l’amour1 2. Incontestablement, il faut sa gratuite intervention pour nous amener à pleurer contn nous-mêmes les tendances les plus enracinées de notn nature ; il faut le souille de l'Esprit du Rédempteur pou brûler notre cœur des flammes de la componction, et le purifier de tout ce qui s’y trouve d’illicite3. Purifier : tel est le résultat de la componction, puisque par définition, elle est accompagnée d’une humilité vrai· et d’un sincère repentir. Il y a en effet des larmes qui 1. Afor.,23,42;cL 2,81. 2. Afor., 9,56 ; 24. 10 ; mnls surtout : ». 94. 3. Mor.. 3. 59. LA DOCTRINE SPIRITUELLE 79 expriment non l’humilité, niais l’orgueil et l’amour-propre1. Pour saint Grégoire, comme pour Cassien et saint Benoît, la componction est inséparable de l’humilité. Cette doctrine sera résumée d'une ligne par saint Isidore de Séville : « Compunctio coniis est humilitas mentis cum lacrymis12. « Les larmes, à condition qu’elles soient selon Dieu, ne nous purifient pas seulement : elles sont aussi une protection efficace contre les vices ; ies attaques de ceux-ci se heurtent, sans pouvoir l’entamer, au cœur en proie à la componction et se brisent sur lui3. Et les mauvaises pensées ne peuvent s’y faire entendre4. On comprend que le démon s’efforce de tarir la source des larmes puisqu'elles seules peuvent éteindre la flamme de ses suggestions. Et cette source, c'est la prière, premier moyen de salut dans le conflit inévitable de l’homme avec Satan5*. L’âme, dans sa marche vers Dieu, doit jalonner sa route d’actes positifs de vertu. Sans eux, il n'est pas de progrès * possible 1. L’idée fondamentale reste pourtant chez saint Grégoire l’accession à l'amour par les degrés de la crainte et de la fidélité (per incrementa)7, par le total détachement de soi-même89 . L’itinéraire est toujours le même : après avoir, à l’origine, méprisé les avances divines, il arrive un temps où l’âme mol de côté et le mépris et la crainte, pour s’unir à Dieu sans partage par l’amour·. 1. A/or.,Û.BÜ. 2. Saint Isinoini, Sentent i,mini liber, 2, 12 ; P. 83. 613. 3. Mor.. 3, 67. 4. Afor.,3,69. 5. Afor.. 33. 68. <·. Afor., 22, 10, et surtout 50 et 51. 7. Afor., 22. 46-51. 8. Afor., 22, 46 : · Tunc vero in Deo proficimus cum a nobis Ipsis funditu» defecerimus » ; — cf. : 5, 60. 9. Afor., 22, 48 et 50. 80 INTRODUCTION Mais l’amour n’est pas seulement terme et sommet de la vie spirituelle, il est aussi, pour Grégoire comme pour Augustin, le moteur de l’âme (machina mentis) : c’est l’amour qui rend tout facile, fait tout supporter, fait tout aimer, les souffrances et la mort même1. Et c’est pourquoi il est une question préjudicielle que l’âme doit se poser avant de s’engager dans les voies spirituelles : <> prius subtiliter interroget quantum amat ». Question importante, car si l’amour n’est pas suffisant pour soulever l’âme contempla­ tive, celle-ci a tôt fait de sombrer dans la torpeur ; la crainte aussi doit apporter son concours et donner la pondération requise ; autrement, la sensibilité devient source d’illusions (per inania) et d’erreurs (nebulam erroris)12. 11 faut ici remarquer la chasteté des expressions de l’amour chez Grégoire le Grand. Jamais il ne fait appel pour exprimer l'amour mystique aux comparaisons de l'amour humain. Avant lui, la tendresse de saint Ambroise s’en accommodai! et ne reculait même pas devant des comparaisons audacieuses : de même que le baiser tient attaches les amants l’un à l’autre et fait pénétrer doucement une âme dans une âme, de même les baisers du Christ nous emplissent et nous illuminent34 . Mais déjà, remarquons-Ie, le baiser du Verbe s’identifiait pour saint Ambroise â une infusion de connais­ sance : <: Avoir la lumière de la connaissance, c’est avoir la perfection de la charité·1 ». Grégoire ne retiendra que cet aboutissement, et c’est pourquoi il exprimera toujours l’amour mystique en termes de connaissance. Pour l’âme, connaître Dieu n’est, autre chose que l’aimer, parce qu’en ce cas, c’est l’amour qui connaît. Mais la doctrine grég< 1. 2. 3. 4. Mon, 7, 1S. Λ ion, C, 58. Saint Ambroise, De Isaac, et anima, 3. 8 ; J*. L., 14, 5D6 15. Ibid., S, cl 23 (col. 51!). 81 LES SOURCES DES « MORALES » riennc ne parvient a cette netteté d’expression que dans les Homélies sur l'Évangile ou sur Ézéchiel. On la chercherait en vain dans les Morales. Sans doute y trouve-t-on les for­ mules citées plus haut, déjà frappantes en elles-mêmes : « Per amorem agnoscimus1 ». Mais il faut attendre les Homélies sur l’Évangile pour avoir la formule des formules : » Amor ipso notitia est2 » : c’est l'amour qui est connaissance. On comprend alors facilement que la mesure de la connais­ sance soit la mesure de l’amour3. III Les Sources des « Morales » On ne peut entreprendre ici une étude approfondie des sources, mais seulement donner quelques aperçus. Le domaine de l'enquête se trouve limité par le fait que Grégoire ignorait le grec, comme d’ailleurs, à cette époque, toute la chrétienté occidentale4. Devenu pape, il dira luimême plusieurs fois dans scs lettres quelle gêne il éprouve à ignorer la langue d’une des parties importantes de l’Êglisc. Les mot s grecs qui apparaissent çà et là dans les Morales ne doivent pas faire illusion : les esprits cultivés, en tout temps, ont emprunté quelques termes aux civilisations voisines, 1. .Mor., 10,13. 2. In Ev., 27. 4 ; ci. 11.4. 3. In Et., 2, 9. 10 : · Mensura amoris minor est nili adhuc mensura minor est cognitionis... aliquatenus anlcmus ubi de illo aliquid contemplamur: sed ibi pleno ardcbinins, ubi illum pleno videbimus quem amamus ». 4. Cf. Ewalu-Hartmann, t. 1. p. 470, 1 : « quamvis græcæ lingua nescius · ; t. 2. p. 258. 27 ; ibid., p. 330. 6 : « nam nos nec grace novimus nec aliquod opus aliquando grace conscripsimus ·. Cf. Ibid., t. 1. p. 41, 20. Job. 6. 82 INTRODUCTION et Grégoire, au cours des six années passées à Constantinople, a tout de même entretenu d’étroites relations avec le monde byzantin. Citations explicites Parmi les sources de saint Grégoire, et auteurs on ne peut omettre de mentionner mentionnes. l’Écriture, dont les livres sont d'ailleurs, très inégalement utilisés par lui. Les évangiles viennent en tête, avec 19 % du total des citations. Saint Matthieu l'emporte avec 8 %. Luc, puis Jean, suivent d’assez loin, environ 5 % chacun. Marc est à peine utilisé. Le groupe imposant des citations pauliniennes, 17 %, donne la priorité ù la première épître aux Corinthiens, 4%, contre 3% à i’épître aux Romains, et 2 % à la seconde aux Corinthiens. Les psaumes viennent après, dans la proportion de IG % ; puis tous les prophetes, 14 %, avec prédominance d’Isaïe, 7 %, et de Jérémie, 2 %. J.es petits prophètes ne sont pour ainsi dire pas cités. Les Sapientiaux viennent alors, 10 %, — Proverbes en tête, 5 %. Du Pentateuque, 9 %, la Genèse et l’Exode sont seuls assez fréquemment cités : 5 et 2 %. L’Apocalypse et les Actes atteignent respectivement 3 et 2 % du total des citations. Chose étrange, Grégoire cite très peu les livres d’écriture qu’il a commentés. Dans les Morales, Ézéchiel ne paraît pas souvent, mais, dans le Pastoral, il tient un bon rang. Le livre de Job et le Cantique, sauf dans leur propre commen­ taire, sont aussi peu cités l’un que l’autre. Les livres histo­ riques, relativement à leur étendue, moins encore. En résumé, les citations de l’Ancien Testament sont sensiblement plus nombreuses que celles du Nouveau, dans la proportion de 8 contre 6. En dehors des textes d’écriture, les Morales contiennent- LES SOURCES DES « MORALES » 83 elles des citations explicites ? Non. Même pas une mention d’écrivain chrétien, seulement l’énoncé anonyme de quelques opinions1. Pas une mention d’auteur païen, sauf Hésiode, Aratos et Callimaque, coupables de s’être laissés prendre à quelques fantaisies astrologiques1 2. Dans ce silence, rien qui doive nous étonner. L’absence de citations explicites est un trait assez général de la littéra­ ture antique. Depuis Isocrate, le grand inspirateur de toute la culture rhétorique, on ne citait pas de noms propres ou le moins possible. Le Registre, des Lettres nous livre quelques noms : Ignace d’Antioche, Cyprien, Hilaire, Basile, Grégoire de Nazianzc, dont il semble que Grégoire le Grand ait lu le Discours apologétique, Épiphane, Ambroise, Jérôme, Augustin, Léon le Grand, Philastre3, auteur d’un Liber de hœrcsibus. Mais Grégoire n’a pas lu Eusèbe dont il a cherché en vain les ouvrages dans la bibliothèque et les archives du Latran4. Les Homélies sur Ézéchiel font allusion à une opinion de saint Jérôme, le nomment même une fois5. Les Homélies 1. Afor., préface. 1. 2. Afor.,9,12. 3. Pour tous ces noms, nous renvoyons aux tailles, excellentes, de l’édi­ tion Ewald-1 lartmann ; voir spécialement, pour saint Augustin, 2, p- 251,30 : • Si vous désirez vous engraisser d’une délicieuse pAture, lisez les œuvres du bienheureux Augustin votre compatriote. Alors que vous disposez de son froment, ne vous mettez pas en peine de notre son ». — Pour saint Ambroise et saint Augustin, voir la lettre à Marinien, accompagnant l’envoi des Homilies sur Ezichiel. P. I... 76, 7X5, (— Ewalv-IIartmann. t. 2. p. 363), dans laquelle Grégoire utilise un cliché de saint Jérôme, précisément pour opposer son eau fade â l'eau de source des bienheureux Pères Ambroise et Augustin. 4. Ewald-I Ιλητμλνν, t. 2, p. 29. 5. Il se sait redevable à la science de saint Jérôme, soil qu'il en profite. In Ex., 1, 7,23, - soit qu'il s'en écarte : In Ez., 2,9. 9 : « Hune locum quidam exposuit....... Ce < quidam · n’est autre «pic saint Jérôme, commentant Ézéchiel : Comm, in Et., 12, in cap. -lu ; P. 25, 389-391. 8'1 INTRODUCTION sur {'Évangile citent nommément Denys l’Aréopagite, mais par ouï-dire1. a) Anciens Commentaires. — Dans son 6PÎtre dédicatoire à Léandre, Grégoire insinue que le livre de Job, « celte œuvre obscure », attend encore son commentaire1 2. Saint Hilaire avait cependant écrit sur ce sujet un recueil d’homélies, saint Ambroise quatre livres intitulés De Inter­ pellatione Job et David, saint Augustin des Adnolationes in Job, etc., sans compter les Grecs : Origène, saint Jean Chrysostome, et bien d’autres. Mais, outre que plusieurs ; de ces œuvres n’ont rien d’un commentaire, ni l’esprit ni la brièveté de celles qui méritent ce nom ne les appa- , tentent au livre des Morales. Grégoire, s’il les a connues, a dû, finalement, les juger de peu d’utilité pour l’ouvrage qu’il méditait. Les Morales ne sont pourtant pas sans lien avec ce que les Pères avaient pu dire de Job. Nous y retrouvons de vieilles idées familières : Job est la figure du Christ, ses·-· amis, la figure des hérétiques. En particulier, bien des traits épars dans l’œuvre de saint Ambroise sc retrouvent dans les Morales. Mais Grégoire a pu les prendre ailleurs que chez l’évêque de Milan, car celui-ci drainait une part impor- . tante de la tradition gréco-latine. Ainsi déjà, Hilaire de Poitiers avait écrit que Job était inculpabilis3. La parti­ culière affection d’Ambroise pour le saint homme Job l’avait de même porté à le justifier toujours de paroles' parfois fort vives, à le considérer comme un modèle de pa­ Citations implicites. 1. Saint Grégoire n’n pas eu connaissance directe des écrits du pseudoArtopagite, traduits seulement nu 9· siècle par Jean Scot-Êrigènc. 2. « Hoc opere atque ante nos hactenus indiscuxso », Ewald-Hautmann, t. 1, p. 355. 6. 3. Saint Hilaire, Tradalux super Psalmos, 52, 9 ; J>. g, 32s. LES SOURCES DES « MORALES » 85 tience, à prendre occasion delui pour faire valoir cette thèse stoïcienne que les pires calamités ne troublent pas le bonheur du sage1. Grégoire qui, pour tout le reste, pense comme l'évêque de Milan12, est bien trop humain pour faire sien ee dernier point de vue3. Mentionnons aussi, dans les Morales, l’interprétation du nom des amis de Job : comme celle des autres noms hébreux, elle est tirée du Lexique de saint Jérôme4. Baldad, • vetustas sola » ; Eliphaz, « Dei contemptus » ; Sophar, « dissipatio spccuke vel speculationem dissipans », — tout y est, même pour le nom de Sophar, l'hésitation du Docteur de Bethléem 5* . Le tome 23e de la Patrologie Latine® contient quelques fragments d’un Commentaire sur Job attribué à saint Jérôme, en réalité extrait des Morales. On ne peut penser à une source des Morales, parce que ces fragments se trouvent trop bien en contexte dans l’œuvre de saint Grégoire. Le Commentaire. sur Job du prêtre Philippe7, disciple de saint Jérôme, soulève de semblables questions. Un texte 1. Saint Ambroise. De ofllciis, 2. 5, 19 ; P. L„ 16, 108. 2. En particulier touchant la patience de Job. Voir notamment Mor., préface. 8. 3. Mor., 2, 28, et la note. ■I. Par exemple, Lazarus >= adjutus (Saint Jérôme, Liber de nominibus hebraieis ; P. 1... 23, 814), traduction reproduite dans Mor., 25, 31. 5. Mor., préface, 16. Saint Jéuômk, Liber de nominibus hebraieis ; P. L., 23. 838. C. Col. 1469-1480. 7. Le prêtre Philippe fut probablement des auditeurs do saint Jérôme à Bethléem. D’après la notice de Gennade, sa mort se placerait entre Juillet 455 et octobre 156. — Vallarsi, Sanet l Hieronymi Opera, 1735, t. 3, p. 825832, reproduit dans P. L., 23, 1401 et suiv. — Drsidrrii.'S Franses, O. F. M., Het Job-Commentar van Philippus presbyter, dans De Kalholiek, 157 (1920), p. 378-386, Utrecht et Lcyde- — A. Vaccari, S. J.. Un commento a Giobbedi Giuliano dl liclano, Hoiiki, P. Istltuto Bibllco, 1915. — Scripsitnc Ueda commentarium in Job ? dans Hiblica, 5 (1924), p. 369-373. — A. Wilmaiit, O. S. B., Cadre du Commentaire sur Job du prflrc Philippe, dans Studi e Tetti, 59, Analecta Rcglncnsla, p. 315-322, Roma, 1933. 86 INTRODUCTION de cet ouvrage fut publié par l’humaniste Sichardus en 1527 \ puis, suivant une autre tradition, en 1563, mais cette fois parmi les œuvres de Bède12. On en retrouve une recension postérieure à celle qu’édita Sichardus au tome 26e de la Patrologie Latine, parmi les Spuria de saint Jérôme3. Tous ces textes sont plus ou moins interpolés. Aussi, les passages assez nombreux qui rappellent indubitablement les .Morales sur Job peuvent être une source de saint Grégoire comme ils peuvent avoir été introduits tardivement, notam­ ment par Bède le Vénérable. La solution du problème dépend d’une édition critique. b) Sainl Augustin. — L’influence de saint Augustin, qui marque si fortement, nous l’avons vu, le vocabulaire mystique de saint Grégoire, s’étend à toute son œuvre. Nous nous bornerons à quelques parallèles, puisque le caractère augustinien de la théologie de saint Grégoire est univer­ sellement reconnu. Au sujet de la Rédemption, saint Grégoire, à plusieurs reprises, reproduit presque textuellement un principe posé par saint Augustin dans le De Trinitate : S. Augustin, De Trin., 4, 13,17, col. 899 : Quam (panam) propterea Dominus indebitam reddit ut nobis debita non noceret. Serm. 114, 3 : Suscepit pro nobis quod non debebat, ut nos a debito liberaret. S. Grégoire, Mor., 17,47 B: Dominus ergo noster pro nobls mortem solvit indebitam, ut nobis mors debita non noceret. Mor., 3, 27 B : Sed si ipse inde­ bitam non susciperet, numquam nos a debita morte liberaret. ,-| In Eo. hom., 39, 8 : Qui enim pro nobis mortem carnis inde­ bitam reddidit nos a debita animæ morte liberavit. 1. Philippi presbyteri longe eruditissimi in historiam Job Commentarium, Bile, 1527. 2. Au tome 4 des Œuvres de IMxle (BAle, 1563 ; Cologne. 1612 et 1688). ; 3. P. L., 26. 619-802. — Cf. en P. I.., 23, 1107-1470, une Expositio interlincaris de Job, extraite du Commentaire de Philippe par un anonyme. LES SOURCES UES « MORALES » In Joan., 79, 2 in fine : mor­ tem sine debito soluturus et nos a morte debita redempturus. Ipsa namque viliorum regina superbia 1 ». Mais l'orgueil, pour être un super-vice, n’en est pas moins un vice, et le total de huit se trouve donc, en réalité, chez saint Grégoire. Horace Épitres, 1,1, 33-38 avaritia laudis amor invidus iracundus iners vinosus amator S. Grégoire Afor., 31,87 Cassien Inst., 5,1 inanis gloria invidia \ ira superbia tristitia I avaritia ■ ventris ingluvies luxuria gastrimargia fornicatio fllargyria ira tristitia acedia cenodoxia superbia On constate que Grégoire renonce aux termes savants que Cassien tenait de la tradition grecque d’Évagrc.2 Cassien regardait l’envie comme un vice secondaire en dépendance de la superbe ; Grégoire, sachant peut-être quelle impor­ tance saint Augustin lui accordait3, la met au nombre des vices capitaux, et, ce faisant, se place dans la ligne d'Horace. Cassien, pénétré du caractère spécial — technique, pourraiton dire — de la spiritualité du désert, avait tracé de Vacedia un tableau clinique4 qui provoque aujourd'hui l’admiratioi 1. Afar.. 31. 87. 2. Λ notre connaissance, il n’emploie dans les Aforafes le mot renodoxus qu’une seule fols (Mor., 31. 17. col. 599 D) ; gastrimar/jia que dans l'un des textes cités ci-dessous : Mûr., 31, 48. l-'ilargyrio, acedia. ne se trouvent pas dans les Morales, mais dans le Commentaire sur le premier livre des liais. Sur la question d’authcnticitc posée par ce dernier ouvrage, voir In démons­ tration brève, mais décisive du I». de la Taille, Recherches de Science Kelil/ieuse, 6 (1916), p. 472 et 18 (1928), p. 323. 3. Si la superbe, pour saint Augustin, est · amor exccllentlic propriæ » l’envie, sa suivante, est « odium (cllciùitis .dicn.i· (De Genr.sl ad litteram 11, 14, 18 ; P. 31, 136). Voir aussi Enarratio in psalmum 100, P. L., 37, 1290. Sermo 333. 2. 1 ; P. L., 39. 1561. De sancta Virginitate, 31 ; P. L.. 40, 413. De Disciplina Christiana, 7 ; P. I-, 40, 673. I. Cassien, Inst., 10, De spiritu acedia. LES SOURCES DES a MORALES » 91 des spécialistes, psychologues et médecins’ ; Grégoire ne la mentionne pas, soit qu’il ne l’ait pas clairement distin­ guée d’avec la tristesse, soit qu’au contraire, en ayant parfaitement saisi le caractère morbide, il l’ait considérée comme échappant, de ce fait, au domaine de la morale. Cassien et Grégoire prétendent chacun, en propres termes1 2, que leur liste respective exprime l’ordre de filiation des vices. Or, chose curieuse, l’ordre de génération indiqué par Cassien ne se retrouve chez Grégoire que de la gour­ mandise à la luxure, et de la colère à la tristesse. Dans leur ensemble, les deux listes sont établies à l’inverse l’une de l'autre. C’est que le point de vue est différent : chez Cassien, ordre de combat, causalité de bas en haut ; chez Grégoire, ordre hiérarchique, causalité de haut en bas. Le désordre des appétits inférieurs est causé par un désordre supérieur antécédent ; mais en pratique, le désordre infé­ rieur commande et amène à l’acte le désordre supérieur qui, au fond, est cause. Le point de vue de saint Grégoire, moins pragmatique, est ici plus profond. Saint Grégoire, partant des mêmes éléments que Cassien, a remis en vogue une antique classification qui supplantera la série orientale transmise par Cassien au christianisme latin. La parenté de Grégoire et de Cassien s'affirme dans la liste des vices secondaires, issus des vices capitaux : Cassien, Coll., 5, 16 : de gastrimargia namque nas­ cuntur comesationcs, ebrietates, de fornicatione turpiloquia, scurrilitas, ludicra ac stulti­ loquia. de fllargyria mendacium, frau­ datio, furta, perjuria, turpis S. GnÉOOlRE, Mor., 31, 88: Nani de inani gloria, inobedienlia, jactantia, hypocrisis, contentiones, pertinaciae, dis­ cordiae, et nopllatum praesump­ tiones oriuntur. l)c invidia, odiurn, susurratio, detractio, exsultatio in aciver- 1. Voir, par exemple, la remarquable étude de P. Au>uani>6ry, De quelques documents médiévaux relatifs à des états psychasthéniques, dans Journal de Psychologie normale et pathologique, 26 (1929) p. 763-787. 2. Cassien, Coll., 5, 10. — Saint Gkéooirk, Mor., 31, 89. 92 INTRODUCTION lucri adpetitus, falsa testi­ monia. violentiae, inhumanitas, ac rapacitas, de ira homicidia, clamor cl indignatio, dc tristitia rancor, pusilla­ nimitas, amaritudo, desperatio. de acedia otiositas, somno­ lentia, inportunilas. inquietudo, pervagatio, instabilitas mentis et corporis, verbositas, curiositas, de ccilodoxia contentiones, hæreses, jactantia ac pnesumplio novitatum, dc superbia contemptus, in­ vidia, inobcdienlia, blasphe.mia, murmuratio, dctraclalio... Si autem et illas inumerabiles hostium catervas spiritalibus oculis contempleris quas beatus apostolus enumerat dicens... sis proximi, afflictio autem in prosperis nascitur. De ira, rixae, tumor mentis, contumeliae, clamor, indignatio, blasphemiae proferuntur. De tristitia, malitia, rancor, pusillanimitas, desperatio, torpor circa praecepta, vagatio mentis erga illicita nascitur. Dc avaritia, proditio, fraus, fallacia, perjuria, inquietudo, violentïœ, et contra misericor­ diam obdurationes cordis oriun­ tur. De ventris ingluvie, inepta lætitia, scurrilitas, immunditia, multiloquium, hebetudo sensus circa intelligcntiam pro­ pagantur. Dc, luxuria, cæcilas mentis,inconsidcratio. inconstantia, præcipilallo, amor sui, odium Dei, affectus præsentis sæculi, horror autem vel desperatio futuri gene­ rantur. Quia ergo septem principalia vitia tantam dc se vitiorum multitudinem proferunt, cum ad cor veniunt, quasi subse­ quent is exercitus catervas tra­ hunt. Ex quibus videlicet septem quinque spiritalia, duoque car­ nalia sunt. Comme Grégoire voit dans la superbia la mère des sept prin­ cipaux vices, H est amené à répartir les épigones dc celle-ci antre la vaine gloire, l'envie et la colère dc sa liste à lui. Il retouche les autres filiations établies par Cassien : il remplace l’homicide, fils de la colère, par les rixæ, moins exceptionnelles. II retranche à la luxure, pour la transférer à la veniris ingluvies, la scurrilitas ou bouffonnerie. D’autres modifications accusent, chez nos deux auteurs, la différence des points de vue : parmi les rejetons dc la fornication, Cassien place les propos obscènes comme chef LES SOURCES DES « MORALES u 93 de file ; Grégoire lui, la excitas mentis, privation complète de pénétration spirituelle. C’est que Cassien considère davantage la manifestation des vices et Grégoire leurs méfaits intérieurs. β) Orgueil et humilité. — Si maintenant nous considérons chacun des vices isolément, nous ne trouvons de parallèle que pour l’orgueil, la gourmandise et la colère. Pour saint Grégoire, chacun des vices ne porte atteinte qu’à une vertu, mais l’orgueil, qui les met au service de la vaine gloire, s’attaque à leur ensemble. C’est un tyran qui fait sentir son joug à la ville qu’il a investie en proportion même de la richesse qui s’y trouve. Ces considérations imagées sont communes à Grégoire et à Cassien : Cassif.n, Inst., 12,3: Nullum est igitur vilium aliud quod Ila omnes virtutes exhauriat, cunctaque justitia ct sanctitate homi­ nem spoliet ac denudet, ut superbiae malum : tamquam generalis quidam ac pestifer morbus, non unum membrum partemve ejus debilitaro con­ tentas, sed solidum corpus lethali corrumpit exitio, et in virtutum jam fastigio collocatos gravis­ sima ruina dejicere ac trucidare conatur. Omne namque vitium suis est terminis et line conten­ tum ; ct licet contristet alias quoque virtutes contra unam tamen principaliter tendit, eamque specialiter opprimit et im­ pugnat. Et ut hoc ipsum quod diximus clarius possit intclHgi, gaslrimargia, id est, appetitus ventris, seu concupiscentia gulæ, temperentiæ rigorem corrumpit, castitatem libido contaminat, ira patientiam vastat, ut non­ numquam uni quis deditus vitio aliis virtutibus non penitus S. Grégoire, Mor., 34, 48 : Alia quippe vitia eas solummodo virtutes impetunt quibus ipsa destruuntur, ut videlicet ira patientium, gaslrimargia abs­ tinentiam, libido continentiam expugnet. Superbia autem, quam vitiorum radicem dixi­ mus, nequaquam unius virtutis exstinctione contenta, contra cuncta anima: membra se erigit, ct quasi generalis ac pestifer morbus corpus omne corrumpit, ut quidquid illa invadente agi­ tur, etiam si esse virtus os­ tenditur, non per hoc Deo, sed soli vana· gloria: serviatur. Qua­ si enim tyrannus quidam obses­ sam civitatem intercipit, cum mentem superbia irrumpit : ct quo ditiorem quemque ceperit eo in dominio durior exsurgit, quia quo amplius res virtutis sine humilitate agitur, eo latius ista dominatur. 94 INTRODUCTION destituatur, sed illa tantum virtute truncata, quæ e diverso æinulo sibi vitio repugnante subcumbit reliquas possit vel ex parte retinere. Hæc vero cum infelicem pos­ sederit mentem nt quidam sae­ vissimus tyrannus... civitatem diruit atque subvertit... quantoque ceperit ditiorem, tanto graviori servitutis jugo... dcprivdationc nudabit. Le texte de saint. Grégoire manifeste un indéniable souci de simplification et de clarté. Le développement s’y trouve res­ serré, mieux composé, mais au détriment d'images fort inté­ ressantes que les Morales abandonnent ou ne suggèrent plus que d’un seul mot, telle cette idée des Institutions, si délicate, que tout vice « contriste o en quelque mesure les autres vertus, sans pour autant les faire disparaître. En un autre passage des Morales sur l’orgueil, Grégoire garde le mouvement du texte de Cassien, mais l’amplifie au point de le rendre oratoire. Cassien emploie 17 textes scripturaires, Grégoire 25, et sur ces 25, 10 sont pris à Cassien. Opposés deux à deux, ils sont quelquefois énoncés dans le même ordre. Grégoire, extrêmement minutieux, corrige souvent, au moyen des versions dont il dispose, les citations scripturaires de Cassien. Celui-ci, par exemple, bloquait en une seule deux citations de l’Évangile, prises aux chapitres 5° et 14e de saint Jean. Grégoire prend soin de les distinguer, et le <(7 rursum » qu’il intercale entre elles, est bien caractéristique de sa minutie scrupuleuse. Il restitue de même en sa teneur exacte la citation approximative, tirée par Cassien du récit de la tentation du Christ. Le proverbe médical qui ouvre le développement des Inslitutions n’est pas reproduit dans le passage parallèle des Mora­ les, mais en un autre endroit du même ouvrage et dans la 32· ; 95 LES SOURCES DES a MORALES » homélie sur l’Évangile. Nous reproduisons en tête ces deux derniers parallèles, parce qu’il est intéressant de constater la diiTusion d’un dicton que saint Jérôme rapporte ù I lippocratc1. Cassien, Inst., 12, 8 : Ideoque universitatis creator et medicus Deus, causam principiumque morborum superbiam esse co­ gnoscens, contrariis sanare con­ traria procuravit, ut ea sci­ licet quæ per superbiam cor­ ruerant, per humilitatem resur­ gerent. Ille namque dicit : < In coelum conscendam » (Is., 11,13); hic dicit : « Humiliata est in terra anima mea · (Ps., 43, 25). Ille dicit : « Et ero similis Allissimo » (Is., 14, 14) ; hic: « Cum esset in forma lici, exi­ nanivit semelipsum formam servi accipiens, humiliavitque se fac­ tus obediens usque ad mortem · (Phil.. 2, 6) Ille dicit : « Super astra Dei exaIla to solium meum >. (Is., 14, 13), iste dicit : « Discite a me quia mitis sum et humilis corde » (Ma. :n., 11, 29). S. GnfzooinE, Mor., 24, 2 : Mos medicina est ut aliquando similia similibus, aliquando con­ traria contrariis curet. Hom. in Et'., 32, 1 : Sed cælestis medicus singulis qui­ busque vitiis obviantia adhibet medicamenta. Nam sicut arte calida frigidis, fri­ gida calidis curantur, ita Domi­ nus noster contraria opposuit praedicamenta peccatis, ut lu­ bricis continentiam... elatis pr:cciperet humilitatem. Mor., 34,55: Ille namque ait : < In cadum ascendam ■ (Is., 14, 13) ; iste autem per Prophe­ tam dicit : · Repleta est malis anima mea et vita mea inferno appropinquavit > (Ps., 87, 4). Ille dicit : « Supra astra cœli exaltabo solium meum » (Is., 14, 13) ; iste humano generi a paradisi sedibus expulso dicit : • Ecce venio cito, et habitabo in medio lui » (Zac.h., 2, 10). Ille dicit : ■ Sedebo in monte tes­ tamenti, in lateribus Aquilonis » (Is., I I, 13) ; iste dicit : « Ego sum vermis et non homo, opprobrium hominum et ab­ jectio plebis » (Ps., 21, 7). Ille dicit : · Ascendam super altitudinem nubium, similis ero Allissimo » (Is., 14, 14) ; iste : medicina » Cum non esse in forma Dei esset, rapinam arbitratus est se æqualcm Deo, sed semelipsum exinanivit, formam servi accipiens · (Phil., 2, G) ; et per membra sua loquitur dicens : « Domine, quis similis 1. Saint JérAmb, Epistola 121 ad Algaxiain, pref., in fine ; C. S. E. L., 56, p. 4,10 ; P. 22,1007. 96 INTRODUCTION Ille dicit : « Nescio Domitium, et Israhel non dimitto » (Ex., 5, 2) ; iste dicit : « Si dixero quia non novi eum, ero similis vobis mendax : sed novi eum et mandata ejus servo » (Jn., 8, 55). Ille dicit : « Mea sunt flumina et ego feci ea > (Éz., 29. 9) : iste dicit : « Non possum ego a me ipso facere quicquam, sed Paler meus in me manens ipse facit opera » (Jn., 5, 30 et 1-1, 10). Ille dicit : « Mea sunt omnia regna mundi et gloria eorum, et cui voluero do ea · (Cf. Le., I, 6)· tibi ? . (Ps. 34, 10). Ille per membra sua loquitur dicens : « Nescio Dominum et Israel non dimittam » (Ex.. 5, 2). Iste per semetipsum dicit : · Si dixero quia non novi cum, ero similis vobis mendax ; sed novi eum, et sermonem ejus servo » (Jn., 8, 55). Ille dicit : « Mea sunt flumina, et ego feci ea » (Éz., 29. 9) ; iste dicit : < Non possum a meipso facere quidquam » (Jn., 5, 30). et rursum : « Paler meus in me manens, ipse facit opera ■ (Jn.. 14. 10). Ille regna omnia ostendens dicit : < Tibi dabo potestatem hanc univer­ sam et gloriam illorum, quia mihi tradita sunt, et cui volo do illa . (Lc., 4, 6). Grégoire imite aussi de très près la description de l’or­ gueilleux faite par Cassien : Cassibn, Inst., 12, 29 : De exterioris namque sicut prædiximus hominis motu sta­ tus interioris agnoscitur. His igitur indiciis carnalis ista quam præfati sumus superbia decla­ ratur. Incst primitus in loquella ejus clamor, in taciturnitate amaritudo, excelsus et effu­ sus in lætitia risus, inrationalis in serietate tristitia, in res­ ponsione rancor, facilitas in sermone, verba passim sine ulla cordis gravitate erumpentia. Expers patientiæ est, cari­ tatis aliena, audax ad contu­ S. GnÉaoïKii, Afor., 34, 51 : Quos bene ab intimis prodimus, si paucis in exterioribus osten­ damus. 52. Cunctis namque superba apud se cogitatione tumentibus inest clamor in locutione, u/naritudo in silentio, dissolutio in hilaritate, furor in tristitia, inhonestas in actione, honestas in imagine, erectio in incessu, rancor in responsione. Horum mens semper est ad irrogandas contumelias valida, ad tolerandas infirma, ad obediendum pigra, ad lacessendos alios importuna... melias irrogandas, ad tolerandas pusillanimis, ab oboediendum dif­ ficilis, nisi in quo eam deside­ rium suum voluntasque prae­ venerit... Enfin, Cassien cl Grégoire regardent l'humilité comme le LES SOURCES DES « MORALES » 97 fondement, la mère et la maîtresse de toutes les vertus. Saint Benoît et Cassien lui-même donnaient ces titres à la discrétion Cassien. Coll., 15, 7, 2 : Humilitas ergo est omnium magistra virtutum, ipsa esi cae­ lestis ædi tic.il firmissimum fun­ damentum. Coli.. 19, 2, 1 : j humilitatem] quie cum sit virtutum omnium mater ac lotius spiritalis struetunc solidissimum fundamen­ tum. Inst., 12, 32 : veræ humilitatis iu nostro corde fundamina. Coli., 9, 3 : profunda. * humili­ tatis incuncussa fundamina. S. Grégoire, Mor., 23, 2-1, col.265 QiHumilifatem namque, quæ magistra est omnium matergue virtutum. Mor., 34. 51, coi. 717 A : humilitatem quæ virtutum mater est... per fundamenti fortitu­ dinem... humilitas fundamina... y) Gourmandise. Le second ensemble de parallèles, moins important que le précédent, est relatif à la gour­ mandise. Grégoire el Cassien réclament, comme condition préalable de la lutte spirituelle, la victoire sur la concupis­ cence de la bouche, car, disent-ils, le combat spirituel com­ porte un ordre et une discipline (ordo, disciplina cer­ taminis z). Cassien, Inst., 5, 16 : Quod si hoc fuerimus superati cer­ tamine, velut servi carnalis concupiscentia? conprobatl et per hoc nec libertatis nee roboris insignia præferentes a spiritalium congressionum con­ flictu, ut indigni servique, non sine confusionis nota protinus S. Grégoire, Mor., 30, 58 : Mens quoque ipsa certantis sub gravi confusionis dedecore a spiritalis certaminis congres­ sione. repellitur, quando infirma in carnis pnvlio, gula.· gladiis confossa superatur... repellemur... 1. Cassies, Coll., 2, 4 : · omnium namque virtutum generatrix ». — Saint Benoît, Mgle, 64 : · discretionis matris virtutum ·. ‘2. Mor., 30, 59. — Inst., 5, 12 passim cl dernière phrase. Job. 98 INTRODUCTION Nous saisissons sur le vif, dans un parallèle beaucoup plus intéressant, comment Grégoire remanie complètement le texte qu’il imite : Cassi en, Inst., 5, 17 : Vis audire verum athletam Christi legitimo agonis jure certantem ? • Ego, inquit, sic curro non quasi in incertum, sic pugno non quasi acrem verberans, sed castigo corpus meum et servituti subjicio, ne aliis prscdicans ipse reprobus efficiar » (1 Cor., 9, 26-27). Vides ut in semetipso, id est in carne sua conluctationum summam velut in base quadam firmissima statuerit et proven­ tum pugna * in sola castiga­ tione carnis et subjectione sui corporis conlocarit 7 ego ita­ que « sic curro non quasi in incertum ». Non currit in incer­ tum quia cadestcm Hierusa­ lem conspiciens defixum habet, quo sibi cordis sui inde flexi­ bilis sit dirigenda pernicitas... Inst., 5, 14 : ... atque ita fornacem corporis nostri, quæ rege Babylonio oc­ casiones peccatorum et vitia nobis jugiter subministrante suc­ cenditur, quibus napht.n' et picis vice acrius exuramur. S. Gkégoihe, Alor., 30, 59 : Unde et de Nabuchodonosor vincente scribitur : « Princeps coquorum destruxit muros Je­ rusalem · (Cf. II Bois, 25, 3 et J6n., 52, 14). Quid enim per muros Jerusalem significans Scriptura exprimit, nisi virtutes *, anima * qua ad pacis visionem tendit ? Aut quis coquorum princeps, nisi venter accipitur, cui diligentissima a coquentibus cura servitur ? Muros igitur Jerusalem princeps coquorum destruit, quia virtutes anima: dum non restringitur venter, perdit. Hinc est quod Paulus contra Jerusalem mcenia decertanti vires coquorum principi sub­ trahebat, cum diceret : « Cas­ tigo corpus meum, et servi­ tuti subjicio, ne forte alliis pnedicans, ipse reprobus effi­ ciar · (l Cor., 9. 27). Hinc etiam præmisit, dicens : « Sic curro, non quasi in incertum ; sic i pugno, non quasi utrem ver- I berans . (ibid., 26). Quia cum carnem restringimus, ipsis abs- ! tinenthe nostræ ictibus non ærern, sed immundos spiritus verberamus ; et cum hoc quod . est intra nos subjicimus, extra J positis adversariis pugnos ’ damus. Hinc est quod cum rex Baby- j lanis succendi fornacem jubet (l)an., 3), naphllue, stuppæ, picis et malleoli ministrari con- J geriem præcepit ; sed tamen abs- I linentes pueros hoc igne minime consumit, quia antiquus hostis I LES SOURCES DES « MORALES ubertate lacrimarum et iletu cordis poterimus extinguere, donee Dei gratia, spiritu roris sui in cordibus nostris insibi­ lante, astus carnalis concu­ piscentia penitus valeant conso­ piri. d 99 licet innumeras ciborum concu­ piscentias nostris obtutibus op­ ponat. quibus libidinis ignis crescat, bonis tamen mentibus superni Spiritus gratia insibilat, ut a carnalis concupiscentia astibus illæsæ perdurent, ut et si usque ad tentationem cordis flamina ardeat, usque ad con­ sensum tamen tentatio non exurat. Tous deux citent la P® épître aux Corinthiens, mais, toujours exact. Grégoire se reporte aux versions de Γ fieri turc qu'il a en main et ajoute l’adverbe forte : /te forte aliis prœdicans. Puis il allègue un verset du 2e livre des Rois : Le. chef des cuisiniers a détruit les murs de Jérusalem. Sans doute, d’autres versions disent-elles avec plus de vrai­ semblance : « le chef de l'armée », mais comme le mot « cui­ siniers rattache fort à propos celte citation à tout le déve­ loppement sur la gourmandise dans lequel Grégoire se trouve engagé, il n’a garde de laisser échapper pareille aubaine. 11 fait ensuite allusion à la fournaise des trois I lébreux mention­ née dans le passage des institutions. Le parallèle textuel est évident. Grégoire enfin distingue cinq sortes de gourmandises qui s'inspirent des trois observées par Cassien ’, et cite, mais d’après une autre version, le même texte d'Ézéchiel que son prédécesseur 2. Viennent en dernier lieu, comme dans les Institutions, quelques paragraphes sur la nécessité de la discrétion très personnels, et qui se résument dans cette phrase remarquable, reprise plus tard par saint Bernard : « Il faut garder la tempérance de façon à tuer non la chair, mais les vices de la chair : quatenus non carnem, sed vitia carnis occidat 4. » 1. Afor., 30. 60. — Inst., 5, 23. 2. tl·/.., 16, 19. apud //«/., 5, 6. 3. Afor., 30, 61-63. — fast., 5, 5-9. 4. Afor.. 30, 63. 100 INTRODUCTION o) Colère. — Sur la colère, Grégoire et Cassicn ont. à quelques nuances près, la même position. Sans doute, Cassicn pense qu’on ne doit même pas se fâcher pour répri­ mander qui le mérite 1, tandis que Grégoire admet ce que l’on pourrait appeler une sainte colère, mais si étroitement surveillée, si exactement maintenue dans les limites de la justice 1 23qu’on se demande s’il s’agit encore d'une vraie colère, comme de celle d’ailleurs que Cassicn recommande aux moines contre les suggestions perverses de leur propre cœur a. Cassien. Inst., 8, 1 : Nec sapientiæ participes effici, ta­ metsi sapientes omnium pro­ nuntiari opinione videamur, « quia ira in sinu insipientium requiescit · (EccL, 7, 10),sed ne vilain quidem immortalitatis consequi poterimus, quamvis prudentes videamur definitione hominum judicari, quia < ira perdit etiam prudentes · (Prov., 15, 1). Nec justitiiv- moderamina perspicaci discretione cordis va­ lebimus obtinere, licet perfecti sanctiquc cunctorum opina­ tionibus aestimemur. quia ira viri justitiam Dei non operatur · (Jac., 1, 20). ipsam quoque honestatis gravitatem, qu:c etiam viris sæculi hujus solet fami­ liaris existere... 1. Inst., 8. 2 ct 5. 2. Mon, 5, 82. 3. Inst.. 8, 7-9. S. Grégoire, Mor., 5. 78 : Per iram sapientia perditur, ut quid quove ordine agendum sit omnino nesciatur, sicut scrip­ tum est : < Ira in sinu stulti requiescit · (EccL, Ί, 10) ; quia nimirum intcHigentiæ lucem subtrahit, cum mentem permo­ vendo confundit. Per iram vita amittitur, etsi sapientia teneri videatur, sicut scriptum est : • Ira perdit etiam prudentes » (Prov., 15, 1); quia scilicet . confusus animus nequaquam explet, etiam si quid intelligere prudenter valet. Per iram jus­ titia relinquitur, sicut scriptum est : ·■ Ira viri justitiam Dei non operatur · (Jac., 1,20), quia dum perturbata mens judicium snæ rationis exasperat, omne quod furor suggerit, rectum putat. Per iram gratia vita socialis amittitur, sicut scriptum est : . « Noli esse assiduus cum homine iracundo, ne discas semitas ejus, et sumas scandalum ani­ ma· lu;v * {Prov., 22, 21-25). Et idem : « Quis poterit habitare LES SOURCES DES « MORALES » ... quia c vir animosus pari! rixas, vir autem iracundus c//odit pcccala » (Prov., 29, 22). 101 cum homine cujus spiritus faci­ lis est ad Irascendum ? · (Prov,, 18, 11). Quid qui se ex humana ex ratione non temperat, neccsse est ut bcstialiter solus vivat. Per Iram concordia rumpitur, sicut scripturn est : « Vir animo­ sus parit rixas. Et vir iracundas exodii peccata · (Prov., 29, 22). I.c texte des Morales a beaucoup plus d’étoffe et de richesse que celui des Institutions ; il débute par cette idée que l'apaisement des mouvements de notre âme nous ramène à la similitude de notre créateur. H est intéressant de rapprocher de ceux de Cassicn les remèdes que Grégoire prescrit ;ï la colère : iis témoignent de deux esprits. L’auteur des Institutions cénobitiqnes a la très vive conscience que ce vice nous fait perdre de grands biens : lumière de la discrétion, fermeté du conseil... ; notre âme ne saurait plus être le temple du Saint-Esprit, nous manquons de la liberté nécessaire pour faire oraison 1. Les remèdes de Grégoire témoignent, nous semble-t-il, d'une profondeur religieuse encore plus grande : quand la colère est près de nous attaquer, songeons, dit-il, aux souffrances de notre Rédempteur, et. rappelons-nous nos péchés 1 2. -.) Le point où Grégoire, sc détache de Cassicn. — Nous saisissons ici les préoccupations de Cassicn, entièrement orientées vers la réalisation parfaite d'un genre de vie très particulier. Grégoire le Grand, pourtant si attaché à son monastère de Saint-André, ne semble pas goûter cette spécia­ lisation. C’est un fait que les Morales, primitivement confé­ rences faites â des moines, ne font aucunement état de l’idéal monastique comme tel. L’aspiration qui, â chaque 1. Inst,, 8, 22. 2. Uor.. 5, 81. 102 INTRODUCTION instant, sc fait sentir vers la plus élevée des formes de per­ fection, ne vise pas explicitement l’idéal monastique, mais la plénitude spirituelle qui devrait être celle du tout vrai chrétien. L’idéal de Cassicn est une sorte d’apalheia sans défaillance, celui de Grégoire une vertu chrétienne qui seul encore les coups, — comme celle du Christ ’. Ces dernières remarques nous disent peut-être pourquoi, après comparaison minutieuse de chacun des termes de leur classification, nous n’avons pas trouvé de parallèle textuel pour la luxure, l’avarice, la tristesse, la vainc gloire. Si saint Grégoire, dans scs descriptions si expressives, n’a pas réussi à utiliser Cassicn, c’est que Cassien envisage ces vices trop uniquement sous le rapport de l’état monastique. Dans le monachisme occidental, la technique spirituelle ne paraît pas aussi spécialisée que dans les déserts égyptiens ; aussi Grégoire, même quand il s’adresse à des moines, se détache du détail pour des vues plus générales et par conséquent plus largement humaines. Nous sommes loin d’avoir énuméré tous les points de contact de nos deux auteurs : la division de Cassicn en vita actualis et vita (hcorica se retrouve chez Grégoire sous la forme vita activa, vita contemplativa ; tous deux voient aussi dans le renoncement une forme du martyre 1 2, etc. Saint Grégoire n’a pas assimilé l’apport des auteurs païens qui ont contribué certainement, fût-ce dans une mesure restreinte, à sa formation intellectuelle. Sa mentalité reste curieusement étrangère à la leur. La meilleure explication, sans doute, en est le milieu social auquel appar­ Influences profanes. 1. Mor., 2, 28. 2. Inst., 4, 34. — In Ev., 27. 9 in fine, et 35, 7. LES SOURCES DES o MORALES ■· 103 tenait sa famille. Famille sacerdotale, s’il en fut, puisque le trisaïeul de Grégoire fut prêtre du titre « de fasciola », son bisaïeul pape de 483 à 492 sous le nom de Félix III , * son grand-père appelé aux ordres sacrés, et deux de ses tantes religieuses, — tout ce monde, sans oublier son père et sa mère, ayant vécu dans une grande sainteté. Or les cercles ascétiques et dévots éprouvaient de la mé­ fiance à l’égard de la culture profane. Même sous le règne de Théodoric, en pleine renaissance de l’hellénisme, ils étaient restés fermés aux influences orientales, pourtant chrétiennes, répandues à Home par le très savant Denys le Petit. Λ plus forte raison, en une époque où l’activité intellectuelle s’était bien ralentie, se montraient-ils indifférents, sinon hostiles, aux écrivains du paganisme. Dans toute l'œuvre de Grégoire, nulle citation explicite d’auteurs païens, sauf Sénèque, une fois, dans la corres­ pondance *. Ni pour réfuter ni pour le suivre, il ne cite Cicéron comme l'avaient tant fait saint Ambroise ou saint Jérôme. Il n’y a pas trace avouée de Virgile, auquel pourtant l’enseignement de cette époque, au témoignage de Fortunat, continuait de réserver une certaine place. Cependant, Grégoire est versé dans l’art d’écrire tel qu’on le concevait depuis l’auteur de De Oratore. Nous n’en voulons pour preuve que son sens du mètre et du rythme pro­ saïques, qui suivent souvent, mais d’assez loin, ceux de Cicéron 3. L’allure mesurée du texte contribue à l’élégance 1. Devrait se nommer Félix II, le successeur du pape Libère (352-366) l’antipape Félix, ne pouvant être regardé comme légitime. 2. Sénûque, *3 Lettre d Lucilius : · Tu vero omnia cmn amico delibera, sed de ipso prius ·. — Grégoire i.k Guano, éd. Ewnld-I Inrtmann, t. 1, p. 47, in : · Ut tibi aliquid siccularis auctoris loquar : cum amicis omnia tractanda sunt, sed prius de ipsis ». 3. Lorsqu’il saisit confusément le rythme qui résulte de la place des accents, il ne tient pas toujours compte de la quantité, il manifeste une certaine préférence pour le cursus trispondaîquc avec accent secondaire au 101 INTRODUCTION d’une langue évidemment très éloignée de la pureté classique, mais qui, fluide et musicale, témoigne de la bonne formation reçue par Grégoire. Dans le domaine de la morale, le stoïcisme semble avoir exercé quelque influence sur Grégoire. Stoïcisme banal, notons-le, et devenu depuis longtemps le bien commun du christianisme. On connaît l'histoire de ces anachrorètes qui, faisant retraite au désert, emportaient deux livres : la Bible et le Manuel d’Épiclète ; ils disposaient même, pour celui-ci, d’une édition christianisée attribuée à saint Nil, et dans laquelle les dieux étaient devenus le Dieu unique et trans­ cendant des chrétiens. Saint Ambroise, par son De Officiis surtout, se trouvait au point de pénétration de la doctrine stoïcienne dans le christianisme latin. Par Grégoire le Grand, quelques-uns des éléments de celle morale, dégagés des termes propres à la philosophie antique, allaient connaître le plus grand succès. C’est ainsi qu’il contribuera à répandre la distinction des quatre vertus de prudence, de justice, de force et do tempérance, auxquelles saint Ambroise fut peut-être le premier à donner le nom de vertus cardinales 1. Cette dis­ milieu, (ce qui est très harmonieux et rappelle, quant à l’accent, l’rsje videatur clcéronien), et pour les thiales dispondaiques mais préparées par un dactyle d’accent. L’allure mesurée, soit par la quantité avec intervention subsidiaire de l’accent, soit uniquement par les accents, est dans 1'ensemblè assez régulière, mats avec, dans les clnusulc-s» quelques négligences résultant de ce qu'il regardait probablement comme longues les syllabes accentuées. Le mouvement régulier des finales se fait sentir aussi duns le Pastoral, dans les Homélies sur ΓEvangile et sur Eztchiel. Il n’y a d’exception que pour les Dialogues, de caractère plus populaire, et pour les lettres familières. Une autre caractéristique de son style est son affection pour la rime, que l’ftgo classique bannissait avec rigueur. 11 emploie continuellement la plus mauvaise de toutes aux yeux des puristes, celle qui s’établit entre deux verbes. Saint Augustin, déjà, avait donné l'exemple de cette prédilection. 1. Saint Ambroise, RrposrVio in Ev. sec. Lucam, 5. -10 et 62; P. L., 15, ■ 1649 et 1653. Cf. Dictionnaire de théologie catholique, art. Cardinales f Vertus f, col. 1714. LES SOURCES DES « MORALES » 105 Unction, dont on aurait quelque peine à démontrer le bienfondé philosophique, trouvait pour Platon sa justitication dans la structure même » lui doit la version française des Af^dîtafionr métaphysiques «te Descartes (1647). un des ebefs-d'œuvre de notre prose. 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B. — La vision de saint Benoit dans l'interprétation des théologiens scolastiques, dans Mélanges Bénédictins, publiés par les moines de l’Abbaye SaintJérôme de Home, Éditions de Fontenelle. Abbaye de Saint-Wandrille, 1947, p. |143]-|201]. D. Norberg. in registrum Gregarii Magni studia critica, dans Uppsala Universilels Ârsskrifl (Recueils de travaux publiés par l’Université d’Uppsala), I. 1937 cl H, 1939. J.-F. O'Donnell. — The vocabulary of the letters of saint Gregory the Great. Washington, 1935/ L. Pingaud. — La politique de saint Grégoire le Grand. Paris. 1872. O. C. Porcf.l. — La docirina manaslica de San Gregorio Magno y la Regula monachorum. Madrid, 1950. P. Régamey, Ο. P. — La componction du cœur, dans le Supplément à l.a Vie Spirituelle, XI.IV, juillet-août 1935, p. |1]-[I6] et (65]-(83J. M. Roger. — L'enseignement des lettres classiques d’Ausone à Alcuin. Paris, 1905. Doni Ph. Schmitz, O. S. B. — Histoire de V Ordre de saint Benoit, t. I et II. Maredsous, 1912. 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Dudum te, frater beatissime, in Constantinopo litana urbe cognoscens, cum me illic sedis apostolica responsa constringerent ct te illuc iniuncta pro causi: fidei Wisigotharum legatio perduxisset, omne in tui: auribus, quod mihi de me displicebat, exposui, quoniam diu longeque conversionis gratiam distuli et postquam cælcsti sum desiderio afflatus, sæculari habitu contegi melius putavi. Aperiebatur enim mihi iam de aeternitatis amore quid quaererem, sed inolita me consuetudo devin­ xerat, ne exteriorem cultum mularem2. Cumque adhuc me cogeret animus præsenti mundo quasi specie tenus deservire, coeperunt multa contra me ex eiusdem mundi cura succrescere, ut in eo iam non specie, sed, quod est gravius, mente retinerer. Quæ tandem cuncta sollicit fugiens portum monasterii petii et relictis quæ mund sunt, ut frustra tunc credidi, ex huius vita· naufragi nudus evasi3. Quia enim plerumque navem incaute reli1 1. Une formule équivalant ά Servus senorum Dei se trouve dans satat Augustin et dans saint Césairc d’Arles ; voir par exemple, pour le premier, In suscription des Lettres 130 et 217, P. L., 33, -193 ct 97S. Grégoire, simple diacre, l’emploie dans l’acte du 28 déc. 587 cri s'adressant aux moines de Saint-André. Il n'esl pas attesté qu’il en ait introduit l’usage dans la cltancellcrie pontificale. D'autres que les papes ont, longtemps après, employé la même formule. — Léandrc était frère de saint Isidore qui lui succéda sur le siège de Séville, ct neveu du roi des Wisigoths, l’arien Léovigilde. Ce dernier mit à mort, en 585, I lerménégildc son propre tUs, converti par IZ-andre nu catholicisme. Cf. saint GratooiHB, Dialogues, 3, 31. MORALES SUR JOB LETTRE-DÉDICACE Gregoire, serviteur des serviteurs de Dieu, à sou très révérend et très saint frère Léandre, son collègue dans l’épiscopat *. 1. Il y a déjà longtemps, mon bienheureux frère, que faisant votre connaissance à Constantinople, — c’était le moment où les intérêts du siège apostolique me retenaient là-bas, et où l’obligation d’intervenir à propos de la foi des Wisigoths vous avait conduit —, je vous exposai de vive voix, tout ce qui, en moi, m’était à charge. Longtemps, indéfiniment, je retardai la grâce de la conversion, et meme après avoir ressenti le désir du ciel, je crus préférable de garder l’habit du siècle. Dès ce temps, m’apparaissait ce que je cherchais de l’amour éternel, mais les chaînes d’habitudes enracinées m’empêchaient de changer ma manière de vivre2. Mon esprit s'efforçait encore de ne servir le monde présent que du dehors, mais la sollicitude de ce même monde peu à peu fit grandir mille soucis contraires à mon bien, au point de me retenir non plus seulement par le dehors, mais ce qui était plus grave, par l’âme. Enfin fuyant après réflexion tous ces embarras, je gagnai le havre d’un monastère, et ayant abandonné pour toujours, je le croyais du moins, les soins du monde, nu, je m’échap­ pai du naufrage de la vie3. 2. L’idée sc retrouve quelquefois dans les Con/tsxtons de saint Augustin (par exemple : 7, 17, 23 ; 8, 5. ni). non les termes eux-mêmes. 3. Ces images maritimes ct celles qui suivront sont fréquentes à l'époque. Cf. Fauste i»h Riez, Sermon 21, C. S. E. L., t. 21, p. 319. I-i mer. c’est le monde ; le monastère, c'est le port oû le vrai moine doit fixer son ancre à 115 MORALES SUR JOB gatani etiam de sinu tutissimi lituris unda excutit, cum tempestas excrescit, repente me sub prætextu ecclesiastici ordinis*1 in causarum sæcularium pelago repperi et quie­ tem monasterii, quia habendo non fortiter tenui, quam stricte tenenda fuerit, perdendo cognovi. Nam cum mihi ad percipiendum sacri altaris ministerium oboedien­ tia? virtus opponitur, hoc sub ecclesiæ colore susceptum est, quod, si inulte liceat, iterum fugiendo deflectatur. Postque hoc nolenti mihi atque renitenti, cum grave esset altaris ministerium, etiam pondus est curæ pasto­ ralis iniunctum. Quod tanto nunc durius tolero, quanto me ei imparem sentiens in nulla fiduciae consolatione respiro. Quia enim mundi iam tempora malis crebrescen­ tibus termino propinquante turba la sunt, ipsi nos, qui interius mysteriis deservire credimur, curis exterioribus implicamur ; sicut eo quoque tempore quo ad minis­ terium altaris accessi, hoc de me ignorante me actum est, ut sacri ordinis pondus acciperem, quatenus in ter­ reno palatio licentius excubarem ; ubi me scilicet multi ex monasterio fratres mei germana vincti caritate secuti sunt. Quod divina factum dispensatione conspicio, ut eorum semper exemplo ad orationis placidum litus quasi anchoræ fune restringerer, cum causarum sæcularium incessabili impulsu fluctuarem. Ad illorum quippe consor­ tium velut ad tutissimi portus sinum terreni actus volumina fluctusque fugiebam, et licet illud me minis- jtunnls. - - En 544, le sous-diacre Arator dédiait ainsi son poème De actibu. apostolorum nu pape Vigile : ■ Échappé au naufrage, je quitte In cour pou: l’Église, je déserte le navire qui fait voile sur la mer perfide du monde j’entre dans la blanche bergerie de Pierre exempte d’orages, et je jouis la tranquillité longtemps désirée du ix>rl ». P. 7>-, 68, 76. 1. Au diaconnt, sans doute par le pape Pékige II. Le · ministère do l’autel dont 11 est parlé dons tout ce passage doit s’entendre de la charge de diacre LETTRE-DÉDICACE 115 Comme il arrive souvent aux flots d’arracher un navire mal amarré, même de. la baie la mieux abritée, quand la tempête se déchaîne, ainsi, brusquement, sous le prétexte de mon ordination’, je fus rejeté sur l’océan des affaires temporelles. Pour avoir conservé sans vigueur la paix du cloître, ce n’est qu’en la perdant que je compris combien j’aurais dû m’y attacher. Comme, pour m’engager dans le ministère du saint autel, on m’opposa la vertu d’obéissance, j'acceptai sous couleur de mieux servir l’Église : à cette heure, si je le pouvais sans pécher, je m’en libérerais par la fuite. Plus tard, quelque résis­ tance que j’aie pu faire, à ce ministère déjà lourd, on a ajouté le fardeau de la charge pastorale. Je le supporte d’autant plus difficilement maintenant que, ne me sentant pas à la hauteur de ma tâche, nulle confiance ne me console, ne me permet de respirer. En ces temps troublés où le monde est tout près de sa fin, les maux se multiplient, et nous-mêmes, que l’on croit absorbés par les mystères de la vie intérieure, nous sommes accaparés par les soucis extérieurs. Et de plus, en ce temps où j’accédai au ministère de l'autel, si l’on me fit accepter le fardeau de l’ordre sacré, c’était un moyen, (et je ne m'en rendais pas compte), pour me permettre de monter plus librement la garde dans un palais terrestre. Naturellement, plusieurs de mes frères en religion, qui m’étaient unis par des liens d'étroite charité fraternelle, m’y suivirent. Ceci arriva, je le vois, par un effet de la divine Providence ; celle-ci, par le moyen de leurs exemples, me fixa comme par la chaîne d'une ancre aux bords tranquilles de l’oraison, alors que je flottais, sans cesse ballotté par les affaires du siècle. C’est auprès d’eux, comme dans l’anse d’un port très abrité que je me réfugiais loin des vagues et des tour­ billons des distractions mondaines. Cette charge, après m’avoir fait sortir du monastère, avait comme exter­ miné en moi sous le glaive des affaires la vie paisible d’autrefois ; au milieu de mes frères, sous l’influence d’une lecture attentive, des sentiments de componction me réconfortaient chaque jour. 116 .MOBALES SUR JOR terium ex monasterio abstractum a pristi næ quietis vita mucrone suæ occupationis extinxerat, inter eos tamen per studiosæ lectionis alloquium cotidianæ me aspiratio compunctionis animabat. Tunc eisdem fratribus etiam cogente te placuit, sicut ipse meministi, ut librum beati lob exponere importuna me petitione compellerent et, prout veritas vires infunderet, eis mysteria tantæ profunditatis aperirem. Qui hoc quoque mihi in onere suæ petitionis addiderunt, ut non solum verba historice per allegoriarum sensus excuterem, sed allegoriarum sensus protinus in exercitium moralitatis inclinarem, adhuc aliquid gravius adiungentes, ut intellecta quæque testimoniis cingerem et prolata testimonia, si implicita fortasse viderentur interpositione superadditæ exposi­ tionis enodarem. 2. Mox vero ut in obscuro hoc opere atque ante nos hactenus indiscusso ad tanta me pertrahi ac talia cognovi, solo auditus pondere victus, fateor, lassatusque. succubui. Sed repente inter formidinem devotionemque depre­ hensus, cum in largitorem munerum oculos mentis attollerem cunctatione postposita ilico certus attendi, quia impossibile esse non poterat, quod de fraternis mihi cordibus caritas imperabat. Fore quippe idoneum me ad ista desperavi, sed ipsa mei desperatione robustior ad illum spem protinus erexi, per quem aperta est lingua mulorum, qui linguas infantium facit disertas1, qui immensos brutosque asinæ ruditus12 per sensatos 1. Cf. Sag., 10, 21. 2. L’alluxlon :*i l’âncssc dc Balaam (Nombr., 22, 28J revient maintes fois dans la littérature de cell·· époque décadente. Grégoire de Tours, contemporain de Grégoire le Grand, se laisse persuader d’écrire les miracles de saint Martin, en souhaitant que Dieu, qui a ouvert la bouche de l’âncssc, ouvre aussi les lèvres d’un ignorant tel que lui (Liber de oirtutibus Sancti Martini, prie!., p. 586, 13, éd. Arndt et Krusch). Cf. Max Bonnet, Le latin de Grégoire de Tours, Paris, 1890, p. 77. LETTRE-DÉDICACE 116 Ce fut alors, vous vous en souvenez, qu’il plut à ces mômes frères, et sur vos instances, de me harceler de demandes importunes pour que je commente le livre de Job, et pour que je leur découvre, dans la mesure où la Vérité m’en rendrait capable, des mystères d’une telle profondeur. Ils aggravèrent leur demande en réclamant non seulement l'interprétation allégorique de Γ histoire, mais ses applications morales ; enfin, chose plus difficile encore, ils voulurent des textes à l’appui, textes que je dus élucider par de nouvelles explications quand ils étaient peu clairs. 2. Bientôt, devant ce livre obscur, et jamais encore avant nous commenté, je me vis entraîné dans de si graves et de si multiples difficultés, qu’accablé par la vue dc ce travail, je l’avoue, je succombai dc lassitude. Mais soudain, partagé entre la crainte et le dévouement, j’élevai les yeux de mon âme vers le Donateur dc (tous) biens, et mettant dc côté mes hésitations, j’acquis sur le champ la certitude que ce que me commandait l’affec­ tion de cœurs fraternels ne pouvait m’être impossible. Sans doute je n’espérai pas être jamais capable de le bien accomplir, mais rendu plus fort par cette défiance même, j’élevai aussitôt ma confiance jusqu’à Celui qui a délié la langue des muets, rend éloquente celle des enfants1, et qui, dans les braiements interminables et stupides d’une ânesse-, a fait percevoir les articulations intelligentes de l'humaine conversation. Dans ces circonstances, quoi d’étonnant à ce qu’il donne l’intelligence à un homme borné, lui qui a fait, selon son bon plaisir, annoncer sa vérité par les bêtes dc somme ? Fort de cette considération, je me suis donc appliqué, malgré ma propre sécheresse, à sonder une source si profonde, et bien que la vie de ceux qui m’obligeaient à ce commentaire surpassât de loin la mienne, je ne crus pas cependant nuisible qu’une conduite de plomb amenât aux hommes l’eau dont ils usent. C’est ainsi que bientôt, en présence des frères, j’exposai le début du texte sacré â livre ouvert, puis, ayant eu un peu de temps, je fis de la suite un commentaire en forme. ri 117 MORALES SUR JOB humani colloquii distinxit modos. Quid igitur mirum, si intellectum stulto homini praebeat, qui veritatem suam, cum voluerit, etiam per ora iumentorum narrat ? Huius ergo robore considerationis accinctus, ariditatem meam ad indagandum fontem tanta * profunditatis excitavi. Et quamvis eorum, quibus exponere compellebar, longe me vita transcenderet, iniuriosum tamen esse non credidi, si fluenta usibus hominum plumbi fistula minis­ traret. Unde mox eisdem coram positis fratribus priora libri sub oculis dixi et, quia tempus paulo vacantius repperi, posteriora tractando dictavi, cumque mihi spatia largiora suppeterent, multa augens pauca subtrahens atque ita, ut inventa sunt, nonnulla derelinquens ea, quæ me loquenle excepta sub oculis fuerant, per libros emendando composui, quia et cum postrema dictarem1, quo stilo prima dixeram, sollicite attendi. Egi ergo, ut et ea quæ locutus sum studiosa emendatione transcurrens quasi ad similitudinem dictatus erigerem et ea quæ dic­ taveram non longe a colloquentis sermone discreparent, quatenus, dum hoc tenditur, illud attrahitur, edita modo dissimili res non dissimilis formaretur ; quamvis tertiam huius operis partem, ut colloquendo protuli, paene ita dereliqui, quia, cum me fratres ad alia pertra­ hant, hanc suptilius emendari noluerunt. Quibus nimirum multa iubentibus dum parere modo per expositionis ministerium, modo per contemplationis ascensum, modo per moralitatis instrumentum volui2, opus hoc per triginta et quinque volumina extensum in sex codici­ bus explevi. Unde et in eo sæpc quasi postponere ordinem expositionis invenior et paulo diutius contemplationis latitudini ac moralitatis insudo. Sed tamen quisquis de Deo loquitur, curet nccesse est, ut quicquid audien­ tium mores instruit rimetur, et hunc rectum loquendi LETTRE-DÉDICACE 117 Quand j’eus plus de loisirs, j’ajoutai beaucoup, je retran­ chai un peu, je laissai certaines choses telles quelles : les notes qu’on avait prises lorsque je commentais en première lecture, je les amendai pour en faire un ouvrage bien composé ; à l'inverse, au moment où j’écrivais1 les derniers livres, je iis grande attention à me rapprocher du style des premiers. Je m’efforçai donc, par une révi­ sion attentive de mon commentaire oral, de lui donner l’allure plus soignée d’un commentaire écrit et de ne pas laisser mon commentaire écrit s’éloigner trop du ton d’un entretien. J’étoffai ainsi la premiere partie, je condensai la seconde afin que ce qui était hétérogène dans son origine en vînt à former un tout homogène. Cependant je laissai presque la troisième partie de l’ouvrage telle que je la livrai dans nos entretiens ; les frères m’entraînant à traiter d’autres sujets ne me permirent pas de la réviser plus à fond. C'est assurément pour me conformer à leurs multiples invitations, tantôt par une exégèse littérale, tantôt par l’interprétation plus élevée que donne la contemplation, tantôt par une leçon morale1 2, que j’ai achevé en six volumes cet ouvrage de trente-cinq livres. Dans ce commentaire, je puis paraître souvent sacrifier ce qui touche à l’exégèse littérale pour m’appliquer un peu plus longuement au vaste champ du sens moral et du sens mystique. Mais quiconque parle de Dieu, doit regarder comme nécessaire toute enquête qui rend meilleurs ceux qui l'écoutent, et donc celui-là peut estimer avoir bien ordonné son discours qui, lorsque le demande l’occasion du bien à faire, s’éloigner utilement de son premier sujet. Le commentateur de la parole sainte doit se comporter comme un fleuve : quand un fleuve, le long de son cours, 1. Didarc, ù cette époque, est synonyme de scribere. Dans le Liber in gtnria martyrum de Grégoire de Tours, un lecteur qui vient de copier une vie de saint · nocturno sub tempore, famulante lumine ·. s’entend apostro­ pher en ces termes par son évêque : · Te lure Juxta votum tuum dictasse manifestum est. (Ch. 63, p. 531, 12. éd. Arndt et Krusch) ap. Max Bonnet, op. cit., p. 00. 2. Sur ccttc distinction des trois sens dans l'Ecriturc Sainte, voir Intro­ duction. p. 11-12. 118 MORALES SUR JOB ordinem deputet, si, cum opportunitas ædificationis exigit, ab eo se, quod loqui cœperat, utiliter derivet. Sacri enim tractator eloquii morem fluminis debet imi­ tari. Fluvius quippe dum per alveum defluit, si valles concavas ex latere contingit, in eas protinus sui impetus cursum divertit, cumque illas sufficienter impleverit, repente sese in alveum refundit. Sic nimirum, sic divini verbi esse tractator debet, ut, cum de qualibet re disserit, si fortasse iuxta positam occasionem congruæ ædificationis invenerit, quasi ad vicinam vallem linguæ undas intorqueat et, cum subiunctæ instructionis campum sufficienter infuderit, ad sermonis propositi alveum recurrat *. 3. Sciendum vero est, quod quædam historica expo­ sitione transcurrimus et per allegoriam quædam typica investigatione perscrutamur, quædam per sola allego­ riae moralitatis instrumenta discutimus, nonnulla autem per cuncta simul sollicitius exquirentes tripliciter indaga­ mus. Nam primum quidem fundamenta historiæ poni­ mus ; deinde per significationem typicam in arcem fidei fabricam mentis erigimus ; ad extremum quoque per moralitatis gratiam, quasi superducto ædificium colore vestimus. Vel certe quid veritatis dicta nisi rcficiendæ mentis alimenta credenda sunt ? Quæ modis alternanti­ bus multipliciter disserendo ferculum ori offerimus, ut invitati lectoris quasi convivæ nostri fastidium repel­ lamus, qui, dum sibi multa oblata considerat, quod elegantius decernit, adsumat. Aliquando vero exponere aperta historiæ verba neglegimus, nc tardius ad obscura veniamus ; aliquando autem intelligi iuxta litteram neque­ unt, quia superficie tenus accepta nequaquam instruc­ tionem legentibus, sed errorem gignunt. Eccc etenim LETTRE-DÉDICACE 118 vient à côtoyer de basses vallées, il s’y précipite aussitôt avec impétuosité, et ce n’est qu'après les avoir emplies suffisamment qu’il revient soudain à son premier lit. Tel doit être, vraiment, tel doit être le commentateur de la parole divine : quel que soit le sujet qu’il traite, s’il vient à rencontrer sur sa route une bonne occasion d’édi­ fier, qu’il détourne en quelque sorte vers cette vallée voisine les Ilots de sa parole, et ne rentre dans le cours de son exposition qu’après s’être répandu suffisamment dans cette plaine adjacente1. 3. Il faut remarquer que nous passons rapidement sur certains passages avec un commentaire littéral ; que pour d’autres, nous examinons d’une façon appro­ fondie le sens typique par le moyen de l’allégorie ; que pour d’autres encore, nous n’en éclaircissons le sens que par les seuls procédés de la moralité allégorique ; qu’en certains passages enfin, nous scrutons avec grand soin chacun de ces trois sens. Car nous établissons d’abord les fondements du sens littéral ; ensuite, par le sens typique, nous faisons de l’architecture de notre âme une citadelle de la foi ; enfin, par l’agrément du sens moral, nous revêtons en quelque sorte l’édifice d’une couche de peinture. Et, en effet, que sont les paroles de la Vérité sinon des aliments pour fortifier nos âmes ? En alternant fréquem­ ment le mode fie notre exposé nous présentons les plats fie façon à chasser le dégoût du palais du lecteur invité, notre convive en quelque sorte. Examinant à loisir les nombreux mets qui lui sont présentés, il prend alors ce qu'il veut, mais en connaissance de cause. Il nous arrive parfois de négliger l’explication des passages clairs du récit, pour en venir plus vite aux passages obscurs. D’autres fois, les comprendre selon la lettre est impossible parce que les prendre seulement dans leur sens apparent jette le lecteur dans l’erreur au lieu de l’instruire. Ainsi par exemple (Job) dit que « sous Dieu sont courbés 1. Rapprocher cette comparaison de celle des Confessions de saint Augustin, 12,27, 37. 119 MORALES SUR JOB dicitur : Sub quo curvantur qui portant orbem ‘. Et dc tanto viro quis nesciat, quod nequaquam vanas poetarum fabulas sequitur, ut mundi molem subvehi giganteo sudore suspicetur ? Qui rursum pressus percussionibus dicit : Elegit suspendium anima mea et mortem ossa mea12. Et quis rectum sapiens credat virum tanti præconii, quem videlicet constat ab interno judice premia pro patientiæ virtute recipere, decrevisse inter verbera sus­ pendio vitam finire ? Aliquando etiam ne fortasse intel­ legi iuxta litteram debeant, ipsa se verba littera impu­ gnant. Ait namque : Pereat dies in qua natus sum et nox in qua dictum est : Conceptus est homo345. Et paulo post subicit : Occupet eam caligo et involvatur amaritu­ dine. Atque in eiusdem noctis maledictione subiungit : Sit nox illa solitaria . * Qui nimirum nativitatis dies ipso impulsu temporis evolutus stare non poterat. Quo igitur pacto hunc involvi caligine optabat ? Elapsus quippe iam non erat et tamen, si in rerum natura subsisteret, sentire amaritudinem nequaquam posset. Constat ergo, quod nullo modo de die insensibili dicitur, qui sensu percuti amaritudinis optatur. Et si conceptionis nox reliquis noctibus coniuncta discesserat, quo pacto hanc fieri solitariam exoptat ? Quæ ut a lapsu temporis figi non potuit, ita etiam nec a reliquarum noctium coniunctionc separari. Qui rursum dicit : Usqucquo non parcis mihi nec dimittis me, ut glutiam salivam meam6. Et tamen paulo superius dixerat : Quæ prius tangere nolebat anima mea. nunc præ angustia cibi mei sunt6. Quis autem nes1. 2. 3. 4. 5. 6. Job. 9, 13. Job, ", 15. Job, 3, 2. Job,'3, 5 et 7. Job,'"], 19. Job, 6,7. LETTRE-DÉDICACE 119 ceux qui portent le monde1 ». Qui pourrait ignorer que ce grand homme ne se rallie point aux vaincs fables des poètes, et qu’il ne croit pas la masse du monde supportée par l’effort d’un géant ? Il dit encore, accablé par ses malheurs : « J'ai, pour mon âme, choisi la pendaison et pour mes os la mort2 ». Quel esprit droit pourrait croire qu’un homme de pareille réputation, dont la patience s'est trouvée récompensée par celui qui juge les cœurs, ait décidé au milieu de ses épreuves, de mettre par la pendaison un terme à sa vie ? Quelquefois aussi pour ne pas risquer d’être prises à la lettre, les expressions lit­ térales elles-mêmes se contredisent. Ainsi lorsque Job dit : a Périsse le jour où je suis né, et la nuit en laquelle il fut dit : π Un homme a été conçu3 ». Et peu après il ajoute : « Que ce jour soit couvert de ténèbres et enveloppé d’amer­ tume ». Puis continuant à maudire cette même nuit : « Que cette nuit soit solitaire * ». Certes, le jour de sa naissance, emporté par le cours du temps, ne pouvait subsister : comment donc souhaitait-il qu’il fut enveloppé de ténèbres ? Une fois écoulé, dès lors, il n’était plus rien. Et quand bien même il eût encore subsisté parmi les choses créées il eût été absolument incapable d’éprouver un sentiment d’amertume. Il apparaît donc clairement que ce n’est en aucune façon le jour physique, insensible, que Job souhaite voir affligé d’un sentiment d’amertume. Et si la nuit où il fut conçu s’en était allée, unie aux autres nuits, comment peut-il désirer qu’elle devienne solitaire ? Pas plus qu’elle n’a pu être immobilisée par le temps qui s’enfuit, elle n’a pu être séparée du reste des nuits. Job dit encore : « Jusques à quand refuserez-vous de m'épargner et de me donner quelque relâche afin que je puisse avalcr ma salive5 ? » Or, un peu auparavant, il avait dit : « Ce qu’autrefois mon âme ne voulait même pas toucher, devient ma nourriture dans l’angoisse où je suis0 ». Or qui peut ignorer qu’il est bien plus facile d’avaler sa salive que de la nourriture ? Celui qui déclare prendre de la nourriture, il est tout à fait incroyable qu'en même temps il prétende ne pouvoir avaler sa salive. Il dit encore : « J’ai péché, que puis-je faire pour vous, 6 gardien 120 MORALES SUR JOB ciat salivam facilius posse glutiri, quam cibum ? Qui itaque se sumere cibum denuntiat, incredibile est valde, quo ordine glutire posse salivam negat. Atque iterum dicit : Peccavi, quid faciam libi, o custos hominum'? vel certe : Consumere me vis peccatis adolescenti# me#1 23? Et tamen alia responsione subiungit : Neque enim repre­ hendit me cor meum in omni vita mea9. Quo igitur pacto a corde suo minime in omni vita reprehenditur, qui peccasse se publica voce testatur ? Neque enim simul unquam conveniunt culpa operis et inreprehensibililas cordis. Sed nimirum verba lilteræ, dum collala sibi convenire nequeunt, aliud in se aliquid quod quæratur ostendunt, aesi quibusdam vocibus dicant : dum nostra nos conspicitis superlicie destrui, hoc in nobis quærite, quod ordinatum sibique congruens apud nos valeat intus inveniri4. 4. Aliquando autem (pii verba accipere historias iuxta litteram neglegit, oblatum sibi veritatis lumen abscondit, cumque laboriose invenire in eis aliud intrinsecus appetit, hoc, quod foris sine difficultate assequi poterat, amittit. Sanctus namque vir dicit : Si negavi quod volebant pauperibus el oculos viduæ expeclare feci ; .si comedi buccellam meam solus et non comedit pupillus ex ca ; si despexi pnetereuntem eo, quod non habuerit indumentum, et absque operimento pauperem ; si non benedixerunt mihi latera cius et de velleribus ovium mearum calefactus est9. Quæ videlicet si ad allegoriæ sensum violenter inflectimus, cuncta cius misericordiae facta vacuamus. Divinus etenim sermo sicut mysteriis prudentes exercet, sic plerumque superficie simplices refovet. Habet in pu1. Job, 7, 20. 2. Job, 13, 26. 3. Job, 27, 6. LETTRE-DEDICACE 120 des hommes1 ? » et tout aussi clairement : « Vous voulez me consumer pour les péchés de ma jeunesseI. 2 ? » Et néanmoins en une autre de ses réponses : « Mon cœur ne me reproche rien en toute ma vie'3 n. Comment son cœur peut-il ne lui rien reprocher de toute sa vie, lui qui vient publiquement de s’avouer pécheur ? Car on ne saurait faire marcher de pair actions coupables et cœur sans reproche. L’impossibilité d’accorder entre elles certaines expres­ sions de la lettre nous montre qu’il y faut chercher autre chose. C’est leur manière de nous dire : lorsque vous voyez que dans notre sens apparent nous perdons toute signifi­ cation, cherchez donc en nous un sens qui, sous l’écorce, puisse être découvert logique et cohérent4. 4. Quelquefois cependant, négliger de prendre à la lettre les expressions de l’histoire, c’est voiler la lumière de vérité qui s’offre ; et à vouloir trouver laborieusement dans ces textes autre chose de profond, on laisse échapper ce qu’on pouvait atteindre en surface sans difficulté. Par exemple le saint dit : « Si j'ai refusé aux pauvres ce qu'ils demandaient, et si j'ai fait languir les yeux de la veuve ; si j'ai mangé seul mon pain, et si l'orphelin ne l'a pas partagé ; si j'ai méprisé le passant parce qu'il était dévêtu, et le pauvre qui n'avait pas de quoi se couvrir, si ses flancs ne m'ont pas béni, et si je ne l'ai pas réchauffé avec, la toison de mes brebis5... o Vouloir à toutes forces ne voir dans ces paroles qu’une allégorie, c’est les vider de toute la réalité de ces œuvres de miséricorde. La parole divine a en effet de quoi exercer les gens cultivés par ses mystères et, souvent, de quoi réconforter les simples par de claires leçons. Dans son sens manifeste, elle présente de quoi nourrir les tout petits ; dans scs profondeurs, elle garde de quoi ravir d’admiration les esprits les plus élevés. On peut bien risquer la comparaison d’un fleuve, aux eaux tantôt I. Cette règle d'interprétation et celles qui suivent proviennent d’Origcne. Voir par exemple, F. PitAT, Origine, p. 184*186, Paris, 1(107. Très fréquemment exprimées par saint Augustin, elles seront reprises par Pascal. Voir aussi, pour l’interprétation spirituelle, Mor., 4,48 et 9,12. S. Job, 31, 10. 121 MORALES SUR JOB blico. unde parvulos nutriat, serval in secreto, unde men­ tes sublimium in admiratione suspendat. Quasi quidem quippe est fluvius, ut ita dixerim, planus ct altus, in quo et agnus ambulet et elephas natet1. Ut ergo unius­ cuiusque loci opportunitas postulat, ita se per studium expositionis ordo inmulat, quatenus tanto verius sensum divinæ locutionis inveniat, quanlo, ut res quieque exe­ gerit, per causarum species alternat. 5. Quam videlicet expositionem recensendam tuæ beatitudini, non quia vclut dignam debui, sed quia te petente memini promisisse, transmisi. In qua quicquid tua sanctitas tepidum incultumque reppcrcrit, tanto mihi celerrime indulgent, quanto hoc me ægmm dicere non ignorat. Nam dum molestia corpus atteritur, affecta mente etiam dicendi studia languescunt. Multa quippe annorum iam curricula devolvuntur, quod crebris vis­ cerum doloribus crucior, horis momentisque omnibus fracta stomachi virtute lassesco, lentis quidem, sed tamen continuis febribus anhelo. Intorque hæc dum sollicitus penso, quia scriptura teste : Omnis filius, qui a Deo recipitur, flagellatur2, quo malis præsenlibus durius deprimor, eo de æterna certius praesumptione respiro. Et fortasse hoc divinæ providentiae consilium fuit3, ut percussum lob percussus exponerem, et fla­ gellati mentem melius per flagella sentirem. Sed tamen recte considerantibus liquet, quia adversitate non modica laboris mei studiis in hoc molestia corporalis obsistit, quod carnis virtus cum locutionis ministerium exhibere vix sufficit, mens digne non potest intimare quod sentit. 1. Saint Amiihoise, Ep. 2, 3 ; P. !.. 16, 880 : « I-n Sainte Écriture est un océan qui contient des sens profonds et la hauteur des énigmes prophétiques». — On remarquera lu richesse d'imagination de suint Grégoire. Mor., I, 29 : LETTRE-DÉDICACE 121 guéables, tantôt profondes, tel qu'un agneau puisse y marcher et un éléphant y nager1. Ainsi, me conformant aux exigences de chaque passage, j'ai changé à dessein la manière de mon exposé. Je rends ainsi d'autant mieux le vrai sens de la divine parole que je passe d’un mode d'expression à un autre selon qu’il en est besoin. 5. J’envoie ce commentaire pour, que votre Béatitude en fasse la critique. Ce n’est pas là un cadeau digne (de vous), mais je me souviens l’avoir promis à vos instances. Votre Sainteté aura vite fait de m'excuser pour tout ce qu’elle y aura trouve d’insipide et de grossier : elle n’i­ gnore pas que ces défauts dénoncent mon état maladif. Quand le corps est usé par la soulTrance, l'intelligence affaiblie nuit même à la recherche de l’expression. Nombre d’années, déjà, ont déroulé leur cours, et je souffre (toujours) de fréquentes douleurs d’entrailles ; je suis accablé à toute heure, à tous moments, par mon estomac détraqué ; je. suis oppressé par une fièvre, lente sans doute, mais continuelle. Parmi ces infirmités, médi­ tant cette affirmation de l’Écriture : « Que Dieu châtie tout enfant qu'il reçoit 2 », plus je suis abattu avec dureté par les maux présents, plus je reprends haleine avec assurance dans l’espoir des biens éternels. Peut-être fut-ce le dessein de la divine Providence3 de me faire commenter dans la douleur l’histoire de Job dans la douleur ; et de me faire mieux comprendre dans l’épreuve l'âme d’un homme éprouve. Il n’en reste pas moins évident, pour les gens qui voient juste, que la souffrance physique combat notablement et entrave mon application au travail ; quand l'état de santé laisse à peine l’usage de la parole, l’âme ne peut exprimer comme il faut ce qu’elle ressent. Quelle est la fonction du corps, sinon l’Écriture est à la fols boisson que les esprits les plus simples avalent sans effort, et futin que la prédication doit rompre avant de le distribuer aux petits enfants ; - 17, 3Ô et 37 : le prédicateur doit savoir distiller goutte à goutte la science des choses divines et éviter d’en Inonder ses auditeurs. 2. Héb.. 12, G. 3. Cf. introduction, p. 106, Job. 9. 122 MORALES SUR JOB Quid namque est officium corporis nisi organum cordis1 ? Et quamlibet peritus sit cantandi artifex, explere artem non valet, nisi ad hanc sibi ct ministeria exteriora concor­ dent, quia nimirum canticum, quod docta manus imperat, quassata organa proprie non resultant nec artem flatus exprimit, si scissa rimis fistula stridet1 2. Quanto itaque gravius expositionis meæ qualitas premitur, in qua dicendi gratiam sic fractura organi dissi­ pat, ut hanc peritiæ ars nulla componat ’? Quæso autem, ut huius operis dicta percurrens in his verborum folia non requiras, quia per sacra eloquia ab eorum tracta­ toribus infructuosæ loquacitatis levitas studiose compes­ citur, dum in templo Dei nemus plantari prohibetur. Et cuncti procul dubio scimus quia, quotiens in foliis male lætæ segetis culmi proficiunt, minori plenitudine spi­ carum grana turgescunt. Unde ct ipsam loquendi artem, quam magisteria disciplina; exterioris34insinuant, servare despexi. Nam sicut huius quoque epistolæ tenor enuntiat, non metacismi1 collisionem fugio, non barbarismi confu­ sionem devito, situs modosque et praepositionum casus servare contemno, quia indignum vehementer existimo, ut verba caelestis oraculi restringam sub regulis Donati5. 1. Grégoire de Nysse, en plusieurs pages du Traité sur Ia création de l’homme qui rappellent ü In fui* Platon et Bergson, compare l'esprit à un musicien et les sens â des instruments dociles : chap. 6 ; P. G., 44, 140 A. — Chap. 10-11 ; ibid., 152 B-156 D. — « On dirait tout le corp* construit ù la manière d’un instrument de musique; ... l’esprit sc communique atout son instrument, ct atteint chaque organe selon un mode spirituel conforme i» sa nature » : chap. 12 ; ibid., 161 B. 2. Dan* Quiktiuen, Institution oratoire, 11, 3, 20, se trouvent quelques image* semblables. 3. La rhétorique. 4. « Métacisrae » est une création calquée sur le mot lutin du texte : metacismus. Mahtianus Capella, dan* son De nuptiis Philologue et Mercurii, 5,167, éd. Dick, l.cipzig, 1925, en donne la définition suivante : · Mytacismus est, cum verborum conjunctio M littera· assiduitate colliditur, ut, sl dicas : • Mammam ipsam amo quasi meam anbnam ». J’avoue n’avoir jamais été LETTRE-DÉDICACE 122 d'être l’instrument de l'intelligence1? Un musicien, quel que soit son talent, ne peut faire œuvre artistique s’il ne dispose aussi d’aides extérieures en harmonie avec elle. Car évidemment la mélodie qu’exécute une main habile ne peut retentir comme il convient sur des orgues dislo­ quées, et le souille (du berger) ne produit pas un son musical si la syrinx toute fendillée fait entendre un sifflement strident2. Aussi de quel poids la valeur de mon commentaire se trouve-t-elle grevée ! La cassure de l’instrument laisse échapper les grâces du style, et aucun art, aucun talent ne peut les rassembler. Je vous demande de ne pas chercher en parcourant les lignes de cet ouvrage, les frondaisons du discours. L’Écri­ ture sainte, en effet, réprime avec soin chez ses commenta­ teurs le verbiage sans consistance et sans fruit, lorsqu’elle défend de planter un bosquet dans le temple de Dieu. Et tous nous savons bien que, lorsque les chaumes de moissons aux promesses trompeuses se développent en feuilles, les épis sont moins gonflés de grains. J’ai donc dédaigné de m’astreindre à cet art de bien dire qu’enseigne les règles d’une discipline étrangère3. La teneur de cette lettre le montre déjà : je ne fuis pas le heurt du « mctacismc »4, je n’évite pas la confusion du barbarisme, je dédaigne d’observer l'ordre des mots, les modes des verbes, le cas des prépositions, car j’estime souverainement inconvenant d'assujettir les paroles de l’oracle céleste aux règles de Donat5. Le fait est que ces frappé d'un defaut de ce genre à la lecture de saint Grégoire. — La traduc­ tion de tout cc passage est d'ailleurs fort délicate. 5. Déclarations pareilles chez tous les Pères latins : Saint Ambroise, Expositio euangelica in Luc., 2, 42 ; P. L., 15, 1568. — Saint Jérôme, Trans­ latio Jiomiliarum Orlgenis in Jer. et Et., prolog. ; P. L., 25, 585 ; Com­ mentarium in E:., 5, prol. ; P. L., 25, 141 ; in Amos, 3, prol. ; P. L., 25, 1058. — Saint Augustin, De Doctrina Christiana, 3,3,1; P. L., 34, G8 : « J'aimerais mieux un barbarisme qu'une expression ambiguë qui serait plus latine ·. — Il est assez piquant de mettre en regard des déclarations de saint Grégoire, les protestations non conformistes de Rousseau : « ... La première régie de tous nos écrivains est d'écrire correctement, ct, comme ils disent de parler français... Ma première règle, à moi qui ne me soucie nulle­ ment de ce qu’on pensera de mou style, est de me faire entendre. Toutes les fols qu'à l’aide de dix solécismes je pourrai m’exprimer plus fortement ou 123 morat.es sc-r job Neque enim hæc ab nilis interpretibus in scripturæ sacræ auctoritate servata sunt. Ex qua nimirum quia nostra expositio oritur, dignum profecto est, ut quasi edita soboles speciem suæ matris imitetur. Novam vero translationem1 dissero ; sed cum probationis causa exigit, nunc novam nunc veterem per testimonia adsumo, ut, quia sedes apostolica cui Deo auctore praesideo utraque utitur, mei quoque labor studii ex ulraque fulciatur. plus clairement, je ne balancerai jamais ». J.-.J. Rousskau, Œuvres, t. 1, Paris, 1817, l.ettre sur une nouvelle réfutation de «on Discours sur les sciences ci les arts par un académicien de Dijon, p. 154, note. LETTRE-DÉDICACE 123 règles, aucun des interprètes s’autorisant de l’Écriture sainte ne les a observées ; et comme c’est d’elle que notre commentaire prend naissance, il est bien juste que l’en­ fant mis au monde garde cette ressemblance avec sa mère. J’explique le texte de la nouvelle versionmais quand il est besoin d’une preuve, je me sers du témoignage tantôt de la nouvelle, tantôt de l’ancienne ; comme le siège apostolique auquel je préside par la grâce de Dieu utilise l’une et l’autre, mon effort d’investigation lui aussi prend appui sur l’une et sur l’autre. I. La nouvelle version, c’est In Vulgate, mais suint Grégoire peut aussi servir de témoin pour les anciennes versions de {’Écriture. 124 MORALES SUR JOB PRÆFATIO 1, 1. Inter multos sæpe quæritur, quis libri beati .Job scriptor habeatur. Et alii quidem Moyseu, alii unum quemlibet ex Prophetis scriptorem hujus operis fuisse suspicantur. Quia enim in libro Gcncscos Jobab de stirpe Esau descendisse, et Bale filio Beor1 in regnum successisse describitur : hunc beatum Job longe ante Moysi tempora extitisse crediderunt, morem profecto sacri eloquii nescientes ; quia in superioribus suis partibus solet breviter longe post secutura perstringere, cum studet ad alia subtilius enumeranda properare. Unde et illic Jobab, priusquam reges in Israel existèrent, fuisse memoratur. Nequaquam ergo extitisse ante Legem cognoscitur, qui Israeliticorum Judicum tempore fuisse signatur. Quod dum quidam minus caute considerant, Moysen gestorum illius quasi longe antepositi scriptorem putant : ut videlicet is, qui potuit ad eruditionem nos­ tram Legis præcepta edere, ipse credatur etiam ex gentilis viri historia, virtutis ad nos exempla mandasse. Nonnulli vero, ut dictum est, scriptorem hujus operis unum quemlibet ex Prophetis arbitrantur : asserentes, quod nullus tam mystica Dei verba cognoscere potuit, nisi cujus mentem prophetiæ spiritus ad superna sublevavit. 2. Sed quis hæc scripserit, valde supervacue quæritur : cum tamen auctor libri Spiritus Sanctus fideliter credatur. PRÉFACE 124 PRÉFACE 1. On sc demande souvent qui a écrit le livre du bienheureux Job. Les uns pensent que ce fut Moïse, les autres l’un quelconque des prophètes. 'Prouvant dans le livre de la Genèse un Jobab descen­ dant d’Esaü et successeur du roi Béla, fils de Béor1, on a cru pouvoir faire vivre notre bienheureux Job longtemps avant Moïse. C’est méconnaître la manière (de parler) de la Sainte Écriture qui, souvent, au début, résume brièvement ce qui n’arrivera que plus tard, se hâtant d’en venir aux faits qu’elle doit décrire avec plus de précision. Et c’est pourquoi, dans ce texte, elle rappelle que Jobab vécut avant qu’il n’y eût des rois en Israël. Ce n’est donc point dire qu’il vécut avant la Loi, que de noter son existence au temps des Juges d’Israël. Certains, à la suite d’une étude insuffisante, pensent que Moïse écrivit l’histoire de Job comme d’un homme ayant vécu longtemps avant lui; ils veulent ainsi rapporter à celui qui fut en mesure de publier les préceptes de la Loi, le récit d’exemples de vertu, à nous destines, tirés justement de la vie d’un païen. Quelques-uns, ainsi que je viens de le dire, sont d’avis que l’un quelconque des prophètes a écrit cet ouvrage : personne d’autre qu’une âme soulevée jusqu'aux choses d’en-haut par l’esprit de prophétie, n’a pu connaître, affirment-ils, des paroles de Dieu si mystérieuses. 2. En fait, il est tout à fait oiseux de chercher à iden­ tifier l’écrivain, puisque nous savons par la foi que le Saint-Esprit est l’auteur du livre. Car l’auteur est 1. Cch., 30, 33. 125 MORALES SUR JOB Ipse igitur hæc scripsit, qui scribenda dictavit. Ipse scripsit, qui et in illius opere inspirator extitit, et per scribentis vocem imitanda ad nos ejus facta transmisit. Si magni cujusdam viri susceptis epistolis legeremus verba, sed quo calamo fuissent scripta, quaereremus ; ridiculum profecto esset, epistolarum auctorem scire sensumque cognoscere, sed quali calamo earum verba impressa fuerint, indagare. Cum ergo rem cognoscimus, ejusque rei Spiritum Sanctum auctorem tenemus, quia scriptorem quaerimus, quid aliud agimus, nisi legentes litteras, de calamo percontamur ? 3. Arbitrari tamen verius possumus, quod idem beatus Job, qui certamina spiritalis pugnæ sustinuit, etiam consummate suæ victoriæ gesta narravit. Nec movere debet quod in eodem libro dicitur, Dixit Job : vel, hæc atque illa pertulit Job. .Moris enim Scripturæ sacræ est, ut ipsi qui scribunt, sic de se in illa quasi de aliis loquantur. Hinc est enim quod Moyses ait : Erat Moyses vir mitissimus super omnes homines, qui morabantur in terra1. Hinc Johannes dicit : Discipulus ille, quem diligebat Jésus2. Hinc Lucas ait : Quod ambu­ larent duo ex discipulis in via, Clcophas et alius3 ; quem profecto alium, dum tam studiose tacuit, ut quidam dicunt, seipsum fuisse monstravit. Scriplores igitur sacri eloquii, quia impulsu Sancti Spiritus agitantur, sic de se in illo testimonium tanqumn de aliis proferunt. Ergo Sanctus Spiritus per Moysen locutus est de Moyse : Sanctus Spiritus per Johannem locutus est de Johanne. Paulus quoque quia non ex sc ipso loqueretur, insinuat dicens : An experimentum quærilis ejus qui in me loquitur Christus ? Hinc est quod Angelus, qui Moysi apparuisse * describitur, modo Angelus, modo Dominus memoratur : Angelus videlicet, propter hoc, quod exterius loquendo PRÉFACE 125 bien celui qui a dicté ce qu’il fallait écrire. L’auteur est bien celui qui fut l’inspirateur de cet ouvrage, et qui, par le truchement de l’écrivain, nous a donné ce récit en exemple. Si, ayant reçu la lettre d’un homme célèbre, nous la lisions, mais en nous demandant quelle plume l’écrivit, il serait certes ridicule de connaître l’auteur de la lettre, d'en savoir la teneur, et de rechercher en même temps quelle plume en a tracé les mois. Or, ici, nous connais­ sons l’ouvrage, nous professons que le Saint-Esprit en est l’auteur ; chercher qui l’a écrit, est-ce faire autre chose que lire une lettre en s’informant, de la plume ? 3. Nous croyons cependant pouvoir attribuer avec quelque vraisemblance au bienheureux Job, lui qui soutint les assauts de ce combat spirituel, la rédaction des épisodes de sa victoire. Dans ce livre, des expressions comme : « Job dit », « Job supporta telles et telles choses » ne doivent pas nous émouvoir. Car dans la Sainte Écri­ ture, il arrive souvent aux écrivains de parler d’euxmêmes à la troisième personne. Ainsi Moïse : « Moïse était le plus doux de tous les hommes qui habitaient sur la terre1 ». Ainsi Jean : ■ ■ Le disciple (pie Jésus aimait1 2 ». Ainsi Luc : · Or, deux disciples étaient en route, Cléophas et un autre34» ; le silence gardé avec tant de soin montre assez, on l’a remarqué, que cet a autre » est Luc lui-même. Les écrivains sacrés, sous la motion du Saint-Esprit, témoignent d’eux-mêmes comme ils le feraient d’un tiers. C’est donc le Saint-Esprit qui. par Moïse, a parlé de Moïse ; c’est le Saint-Esprit qui, par Jean, a parlé de Jean. Paul aussi nous laisse entendre qu’il ne parlait pas par ses propres lumières quand il dit : a Vous cherchez, n'esl-cc pas, une preuve que le Christ parle en moi1 ? » Aussi, l'ange que nous voyons apparaître à Moïse est-il appelé tantôt ange et tantôt Seigneur ; ange parce que, en se manifestant par la parole, il remplissait, les fonctions 1. 2. 3. 4. A'onrhr., 12, 3. Jn, 19, 20. Cf. Ix, 24, 13 cl 18· Il Cor.. 13, 3. 126 MORALES SUR JOB serviebat ; Dominus autem dicitur, quia interius præsidcns loquendi efficaciam ministrabat. Cum ergo loquens ab interiori regitur, ct per obsequium Angelus, et per inspirationem Dominus nominatur. Hinc David ait : Attendite popule meus legem meam : inclinate aurem vestram in verba oris mei1. Non enim lex David, aut populus David, sed personam ejus, ex quo loquebatur, assumens, ipsius auctoritate loquitur, cujus inspiratione replebatur. Hoc quotidie fieri in Ecclesia cernimus, si vigilanter intuemur. Nam stans in medio populi lector clamat : Ego sum Deus Abraham, Deus Isaac, ei Deus Jacob1 2. Et quod ipse Deus sit, vere profecto non dicit : nec tamen per hoc quod dicit, veritatis regulam deserit ; quia cui ministerium lectione, exhibet, ejus dominium voce prætcndit. Itaque scriptores sacri eloquii, quia repleti Sancto Spiritu super sc trahuntur, quasi extra semetipsos fiunt : et sic de se sententias, quasi de aliis, proferunt. Unde et beatus Job Sancto Spiritu afflatus, potuit sua gesta, quæ erant videlicet supernæ aspirationis dona, quasi non sua scribere : quia eo alterius erant quæ loquebatur, quo homo loquebatur quæ Dei sunt : ct eo alter quæ erant illius loquebatur, quo Spiritus Sanctus loquebatur quæ hominis sunt. II, 4. Sed jam debemus ista postponere, et ad consi­ deranda sacræ historiæ gesta properare. Omnis homo eo ipso quo homo est, suum intclligcrc debet auctorem ; cujus voluntati tanto magis serviat, quanto se quia dc se ipso nihil sit pensat. ; ecce autem conditi Deum consi­ derare negleximus. Adhibita sunt præcepta : præccptis quoque obtemperare noluimus. Adjunguntur exempla : 1. Ps„ 77. 2. 2. Ex.. 3. 6. PRÉFACE 126 d’un serviteur ; Seigneur parce (pie, régnant dans le cœur de Moïse, il donnait de l’efficacité à sa parole. Comme, lorsqu’il parle, il est commandé de l’intérieur, il est appelé ange en vertu de sa docilité, ct Seigneur en vertu de son inspiration. C’est pourquoi David dit : « Écoulez ma loi, ô mon peuple, et rendez vos oreilles attentives aux paroles de ma bouche1 ». Or, ni la Loi ni le peuple ne sont de David, mais David assume le rôle de Celui au nom de qui il parlait, et parle alors avec l’autorité même de Celui dont l’inspiration le remplissait. Nous pouvons constater, si nous y prenons garde, que pareille chose se pratique encore journellement dans l’Église; quand, sc tenant au milieu de l’assistance, le lecteur proclame :« C’est moi qui suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob2 », il ne prétend nullement pour cela être Dieu en personne ; en parlant ainsi, il ne manque pas à la vérité ; en lisant, il ne fait que servir d’organe à celui dont sa voix annonce la puissance. Et c’est pourquoi les écrivains sacrés, remplis de l’Esprit saint, se trouvant tirés au-dessus d’eux-mêmes, sortent pour ainsi dire d’eux-mêmes, si bien qu'ils parlent à leur propre sujet comme ils le feraient d’un autre. De là vient que le bienheureux Job inspiré par le Saint-Esprit, a pu écrire ses faits et gestes, véritables dons du ciel, comme s’ils n’étaient pas de lui : ils étaient bien d’un autre, les faits dont il parlait, puisque, homme, il parlait de l’action de Dieu ; et c’était bien quelqu'un d’autre qui parlait de scs actions à lui, puisque l’Esprit saint parlait des actions d’un homme. 4. Mais nous devons maintenant passer outre et nous hâter d’en venir à l’examen du récit sacré. Tout homme, du fait même qu’il est homme, doit reconnaître son Créateur. Il se soumettra à sa volonté d’autant plus complètement qu’il aura mieux évalué son propre néant. Malheureusement, toutes créatures que nous soyons, nous avons néglige de penser à Dieu. Alors, des commandements nous ont été donnés, nous avons refusé d’y obéir ; des exemples y sont joints, 127 MORALES SUR JOB ipsa quoque imitari exempla declinamus, quæ edidisse nobis positos sub Lege, conspicimus. Quiaenim Deusaperte quibusdam sub Lege positis locutus est : quasi alienos nos ab eisdem praeceptis aspicimus, quibus hæc specialiter locutus non est. Unde ad confutandam impudentiam nostram, gentilis homo ad exemplum deducitur ; ut quia obedire homo Legi sub Lege positus despicit, ejus saltem comparatione evigilet, qui sine Lege legaliter vixit. Erranti igitur homini data est Lex : erranti vero etiam sub Lege adducitur testimonium eorum, qui extra Legem sunt : ut quia conditionis nostra· ordinem servare noluimus, præceptis admoneremur : et quia præceptis obedire conlemsimus, exemplis confunderemur : nec, ut dictum est. eorum exemplis, quos Lex astringeret, sed quos Lex a peccato nulla cohiberet. 5. Circumscripsit nos divina providentia ’, circumvenit excusationem nostram : undique conclusus est aditus tergiversationis human®. Homo gentilis, homo sine Lege, ad medium adducitur : ut eorum, qui sub Lege sunt, pravitas confundatur. Quod bene per Prophetam ac breviter dicendo ostenditur : Erubesce. Sidon, ait mare2. In Sidone quippe figuratur stabilitas in Lege positorum : in mari autem, vita gentilium. Erubesce ergo Sidon, ait mare : quia ex vita Gentilium redarguitur vita sub Lege positorum ; atque cx actione sæcularium confundituractio religiosorum: dum illi etiam promittendo non servant, quæ in præceptis audiunt : ct isti vivendo ca custodiunt, in quibus nequaquam mandatis legalibus astringuntur3. Qua vero auctoritate liber iste sit præditus, ipsa sacrarum paginarum soliditas attestatur, dum per Ezcchielem prophetam dicitur, quod tres solummodo viri liberentur, Noe scilicet. Daniel et * . Job Nec immerito 1. Voir Inlradtidion, p. 10C. PRÉFACE 127 que des hommes soumis à la Loi ont accomplis pour noire édification, nous ne voulons pas les suivre. Sous prétexte que c’est à des hommes placés sous la Loi que Dieu a parlé de façon manifeste, nous ne nous jugeons pas intéres­ sés par des préceptes qui ne nous ont pas été adressés à titre personnel. Alors, pour confondre notre impudence, c’est l’exemple d’un Gentil qui nous est offert. Que l'homme soumis à la Loi, dédaigneux d'obéir à cette Loi, ouvre au moins les yeux à l'exemple de celui qui, sans la Loi, vécut scion la Loi. C’est à l’homme tombé que la Loi fut donnée. C’est à l’homme tombé ct soumis à la Loi qu’est apporté le témoignage de ceux qui sont en dehors de la Loi. Parce que nous n’avons pas voulu respecter les exigences de notre condition, des commandements nous sont donnés ; parce que nous avons méprise ces com­ mandements, des exemples nous confondent ; des exemples, dis-je, venant non de ceux que la Loi astreignait, mais de ceux qu’aucune Loi ne retenait de pécher. 5. La Providence divine1 nous a entourés de toutes parts, elle a circonscrit nos échappatoires, nulle issue n’a été laissée aux dérobades humaines. C’est un Gentil, un homme sans la Loi (pii est mis sous nos yeux pour confondre la perversité de ceux qui sont sous la Loi. Un prophète l’a montré en un mot : a Rougissez, Sidon, dit la mer - ». Sidon symbolise la stabilité de ceux qui sont places sous la Loi, et la mer la vie des païens. « Rougissez, Sidon, dit la mer », parce que la vie des païens peut convaincre d’erreur ceux qui sont soumis à la Loi, les œuvres des gens du monde confondre celles des religieux : quand ceux-ci n’observent pas les ordres entendus alors qu’ils l'ont promis, ct quand ceux-là gardent toute leur vie des pratiques auxquelles ils ne sont pas obligés3. Quant à l’autorité de ce livre, la Sainte Écriture elle-même nous l’atteste, Ézéchiel ayant écrit que trois hommes seulement seront sauvés : Noé, Daniel ct Job *. Ce n’est 2. Is., 23, 4. 3. CL Évaore, Sententhr : P. L., 20,1182 C, et P. G., 40, 1279 Λ : · Mieux vaut un doux séculier qu’un moine irascible et emporté ». 4. Êz., 14, 14. 128 MORALES SUR JOB inter Hebræorum vitas, in auctoritatis reverentiam vita justi gentilis adducitur : quia Redemtor noster, sicut ad redemtionem .Judæorum et Gentilium venit, ita se Judæorum et Gentilium prophetari vocibus voluit ; ut per utrumque populum diceretur, qui pro utroque populo quandoque pateretur. 6. Vir itaque iste summis viribus fultus, sibi notus erat et Deo : qui si non flagellaretur, a nobis nullatenus agnos­ ceretur. Virtus quippe etiam per quietem se exercuit : sed virtutis opinio commota per flagella fragravit. Et qui quietus in se ipso quod erat continuit, commotus ad notitiam omnium odorem suæ fortitudinis aspersit. Sicut enim unguenta latius redolere nesciunt nisi commota ; et sicut aromata fragrantiam suam non nisi cum incenduntur, expandunt : ita sancti viri omne, quod virtutibus redolent, in tribulationibus innotescunt. Unde et recte in Evangelio dicitur : Si habueritis fidem tanquam granum sinapis dicetis huic monti : Transi hinc, et transibit1. Granum quippe sinapis nisi conteratur, nequaquam vis virtutis ejus agnoscitur. Nam non contritum lene est : si vero conteratur, inardescit, et quod in se acerrimum latebat, ostendit. Sic unusquisque vir sanctus, cum non pulsatur, despicabilis ac lenis aspicitur : si qua vero illum tritura persecutionis opprimat, mox omne, quod calidum sapit, ostentat ; atque in fer­ vorem virtutis vertitur, quidquid in illo ante despicabile infirmumque videbatur ; quodque in se per tranquillitatis tempora libens operuerat, exagitatus tribulationibus coactus innotescit. Unde bene per Prophetam dicitur : In die mandavit Dominus misericordiam suam, et in nocte declaravit 2. Misericordia enim Domini in die manda1. Mattu., 17, 19. 2. Fs-, 41,9. PRÉFACE 128 pas sans raison que la vie d’un juste païen nous est proposée comme modèle à côte de la vie d’Israélites ; notre Sauveur, en venant pour la rédemption des Juifs et des Gentils, voulut aussi être prophétisé par la voix des Juifs et des Gentils, être annonce par les deux races pour lesquelles un jour il souffrirait. 6. Cet homme, donc, doué de tant d'admirables vertus, n’était connu que de soi-même et de Dieu. Sans ses épreuves, il nous serait reste inconnu. Sans doute, cette vertu s'exerça pendant sa vie tranquille, mais ce n’est qu’au choc de la souffrance que le parfum s'en répandit. Celui qui, dans la paix, garda pour lui seul ce qu’il était, dans le malheur rendit sensible à tous la bonne odeur de son courage. Comme un parfum ne peut être senti au loin s’il n’est agite, comme l’encens ne peut dégager son arôme s’il n’est consumé : ainsi le parfum qu’exhalent les vertus des saints ne se fait sentir que dans leurs tribulations. C’est pourquoi il est écrit dans l’Évangile : « Si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde, vous diriez à celle, montagne : « Transportez-vous d'ici, et elle se trans­ porterait1 ». Le. grain de moutarde ne rend sensible la violence de ses propriétés que si on l’écrase ; tant qu’il est intact, il est doux, mais broyé, il brûle et découvre toute l'àcrcté qui se cachait en lui. Ainsi juge-t-on modeste et sans valeur la conduite d’un saint tant que rien ne l’éprouve, mais dès qu’une persécution l’écrase et le broie, il manifeste aussitôt sa brûlante saveur ; tout ce qui en lui paraissait fragile faiblesse se change en ardente énergie ; tout ce que volontairement il avait celé en lui au temps de la tranquillité, les tribulations, en l’ébranlant, le forcent à le manifester. Aussi est-ce avec justesse que le prophète avait dit: a Pendant le jour, le Seigneur enverra sa miséricorde, mais c'est pendant la nuit qu’il la fera paraître2 ». Le Seigneur envoie sa misé­ ricorde pendant le jour parce que c’est dans le calme qu’on en prend conscience et qu’on la reçoit ; mais c’est pendant la nuit qu’elle apparaît clairement, parce que ce don reçu dans la paix se manifeste dans les tribulations. 129 MORALES SUR JOB tur, quia in tranquillo tempore cognoscendo percipitur : in nocte vero declaratur, quia donum, quod in tranquil­ litate sumitur, in tribulationibus manifestatur. III, 7. Sed subtilius perscrutandum est, cur tot flagella pertulit, qui tantam virtutum custodiam sine reprehensione servavit. Humilitatem quippe habuit, quia et ipse testatur : Si contemsi judicium subire cum servo meo, et ancilla mea, cum disceptarent adversum me.1. Hospitalitatem exhibuit, sicut ipse perhibet, dicens : Foris non mansit peregrinus, ostium meum viatori patuit1 2. Disciplinai vigorem tenuit, sicut ipse indicat dicens : Principes cessabant loqui, cl digitum superponebant ori suo3. Mansuetudinem in vigore custodivit, sicut ipse fatetur, dicens : Cumque sederem quasi rex, circumstante exercitu, eram tamen maerentium *consolator . Eleemosy­ narum largitatem amplexus est, sicut ipse insinuat dicens : Si comedi buccellam meam solus, ct non comedit pupillus ex eab. Cum igitur omnia virtutum mandata perficeret, unum ei deerat, ut etiam flagel­ latus agere gratias sciret. Notum erat, quia servire Deo inter dona noverat : sed dignum fuerat, ut districtio severitatis inquireret, utrum devotus Deo et inter flagella permaneret. Poena quippe interrogat, si quietus quis veraciter amat. Quem hostis quidem ut deficeret petiit, sed ut proficeret accepit. Fieri Dominus benigne permisit, quod diabolus inique postulavit. Nam cum idcirco illum expelisset hostis ut consumeret, Lentando egit ut ejus merita augeret. Scriptum quippe est : In omnibus his non peccavit Job labiis suis0. Et quidem quædam verba responsionum illius imperitis lectoribus 1. Job. 31. 13. 2. Job. 31, 32. 3. Job, 29. 9. PRÉFACE 129 7. Il faut examiner plus attentivement pourquoi de si nombreuses épreuves se sont abattues sur un homme qui avait veillé sans la moindre défaillance à la garde dc ses vertus. Certes, il avait pratiqué l’humilité, selon son témoi­ gnage : « Je n'ai pas dédaigné de rendre, raison à mon serviteur et à ma servante quand ils se plaignaient dc moi1 ». 11 avait exercé l'hospitalité : il le montre quand il dit : « Le voyageur n'est pas resté dehors cl ma porte s'est ouverte pour lui * ». Il avait fait respecter le bon ordre : il le déclare quand il dit : « Les princes se taisaient et mettaient leur doigt sur leur bouche3». Il avait observé la douceur dans sa fermeté : il le reconnaît quand il dit : « Lors même que j’étais assis comme un roi entouré de son armée, je ne lais­ sais pas d’être la consolation des affligés ‘ ». Il s’était adonné à dc généreuses aumônes : il nous en instruit quand il dit : h Je n’ai point été seul à manger mon pain, cl l'orphelin l’a partagé3 ». Après avoir pratique tout ce que lui impo­ saient ces vertus, une seule pouvait encore lui faire défaut : l’action de grâces, même dans la souffrance. On n’ignorait pas que, dans la prospérité, il savait servir Dieu ; il convenait qu’une rigueur sévère s’assurât que même dans l’épreuve, il resterait fidèle à Dieu. Le malheur est la pierre de touche de la sincérité de l’amour témoigné dans la prospérité. L’ennemi demanda Job pour le perdre. On le lui accorda, mais pour l'avancement (de Job). Le Seigneur permit par bonté ce que le diable demandait par malice : L’ennemi l'avait réclamé pour le réduire à rien ; en l’éprou­ vant, il ne fil qu’accroître scs mérites selon qu'il est écrit : n En tout cela, Job ne pécha point par ses lèvres1 ». Si dans ses réponses, certaines expressions paraissent un peu fortes à des lecteurs sans expérience, c’est qu’ils sont incapables d'interpréter les paroles des saints avec la piété qui les dicte. Ne sachant pas entrer dans les sentiments d’un juste malheureux, ils sont incapables de bien interpréter 4. Job. 29. 25. 5. Job. 31. 17. Est-ce que cet homme a péché ou ses parents, pour être né aveugle ? » répond dans l’Évangile : « Ni lui ni ses parents n'ont péché, mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui5 ». Dans cette manifestation, il ne peut s’agir que d’accroître par l'épreuve la valeur des mérites ; nulle souillure ancienne n’étant à effacer, la patience donne des forces nouvelles. 1. 2. 3. 4. 5. .Ιήκ., : Ne soyez pas des en­ fants pour ce qui est du jugement, mais pour la malice, soyez comme de petits enfants '· » ; et la Vérité en personne prescrit-elle à scs disciples : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes4 56 » : c’est dans un même précepte que les deux vertus sont jointes comme nécessaires : la prudence du serpent doit guider la sim­ plicité de la colombe ; et à son tour, la simplicité de la colombe modérer la prudence du serpent. Le SaintEsprit s’est manifesté aux hommes non seulement sous forme de colombe, mais aussi de feu7, signifiant la sim4. 5. 6. 7. Rom., 16, 19. I Cor.. 14. 20. Matth., 10, 16. zld., 2, 3. 144 MORALES SUR JOB ut contra culpas delinquentium etiam zelo rectitudinis accendantur. Sequitur : Timens Deum, et recedens a malo. III, 3. Deum timere est nulla, quæ facienda sunt, bona prælerire. Unde per Salomonem dicitur : Qui Deum limet, nihil negligil1. Sed quia nonnulli sic bona quædam faciunt, ut tamen a quibusdam malis minime suspendan­ tur : bene postquam timens Deum dicitur, recedens quoque a malo perhibetur. Scriptum quippe est : Declina a malo et fac, bonum123. Neque enim bona Deo accepta sunt, quæ ante ejus oculos malorum admixtione macu­ lantur. Hinc namque per Salomonem dicitur : Qui in uno offenderit, mulla bona *perdet'· . Hinc Jacobus attes­ tatur dicens : Quicumguc totam legem servaverit, offendat autem in uno, factus est omnium * . reus Hinc Paulus ait : Modicum fermentum totam massam corrumpit5. Beatus igitur Job, ut ostendatur quam mundus in bonis extitit, solerter indicatur quam alienus a malis fuit. 4. Mos vero esse narrantium solet, ut cum palæstræ certamen insinuant, prius luctantium membra describant, quam latum validumque sit pectus, quam sanum, quam pleni tumeant lacerti, quam subter positus venter nec mole gravet, nec extenuatione debilitet : ut cum prius aptos certamini arius ostenderint, tunc demum magnæ fortitudinis ictus narrent. Quia ergo athleta noster contra diabolum fuerat certaturus, quasi ante arenæ spectaculum, sacræ scriptor historiæ in athleta hoc spiritales virtutes enumerans, mentis membra describit, dicens : Erat vir ille simplex, et rectus, ac timens Deum, et recedens a malo, ut, dum membrorum positio magna 1. Eccl., 7, 19. 2. Ps., 36, 27. 3. Eccl., 9, 18. LIVRE PREMIER 144 plicité par la colombe et le zèle par le feu ; il s’est mani­ festé sous ces deux aspects, parce que ceux qui sont remplis de lui, gardent une douceur empreinte de bon­ homie, tout en s’enflammant du zèle de la justice contre les fautes des coupables. Craignant Dieu et s'éloignant du mal. 3. Craindre Dieu, c’est ne rien omettre de tout le bien qu’on doit faire, selon le mot de Salomon : « Celui qui craint Dieu ne néglige rien1 ». Mais parce qu’il y a des hommes qui font du bien sans pourtant s’interdire le moins du monde certaines mauvaises actions, après avoir dit que Job craignait Dieu, Γ Écriture ajoute qu'il s’éloignait du mal, selon qu’il est écrit : a Eloignezvous du mal et faites le bieni. 2 ». Nos bonnes actions ne sont pas agréées de Dieu si, à ses yeux, le mal s’y mêle pour les souiller. Aussi Salomon disait : « Celui gui manque à un seul précepte perdra beaucoup de biens3 », et saint Jacques : « Quiconque observe toute la Loi, mais la viole en un point est responsable de *tout », et saint Paul : « Un peu de levain contamine toute la pâte3 ». C’est donc nous montrer la parfaite pureté du bienheureux Job dans la prospérité que de marquer avec soin son éloignement du mal. 4. Ceux qui racontent les combats de la palestre commencent d’ordinaire par décrire les lutteurs : largeur, puissance et belle santé de leur poitrine, muscles bien remplis et rebondis, ceinture abdominale que n’alourdit pas l’embonpoint et que ne débilite pas la maigreur. Ce n'est qu’après avoir montré la valeur combative qu’ils passent au récit des performances. Notre athlète, ici, va soutenir une lutte contre le démon ; le narrateur sacré, comme avant le spectacle de l’arène, nous détaille les capacités morales de l’athlète, nous décrit sa carrure spirituelle en disant : a Cet homme était simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal ». Nous i. JaC., 2, 10. 5. I Cor., 5, 6. 145 MORALES SUR JOB cognoscitur, ex hac ipsa jam forti positione subsequens etiam victoria praenoscatur. Sequitur : v. 2. Natique sunt ei septem filii et très filiæ. IV, 5. Sæpe ail avaritiam cor parentis illicit fecunditas prolis. Eo enimad ambitum congrcgandæ hereditatis accen­ ditur, quo multis heredibus fecundatur. Ut ergo beati Job quam sancta mens fuerit, ostendatur : et justus dicitur, et multæ prolis paler fuisse perhibetur. Qui in libri sui exordio devotus sacrificiis offerendis asseritur : promius autem largitatibus etiam post a semetipso memoratur. Pensemus ergo quanta fortitudine præditus extitit, quem ad hereditatis tenaciam nec tot heredum affectus inclinavit. Sequitur : v. 3. Et fuit possessio ejus septem millia ovium, et tria millia camelorum ; quingenta quoque juga boum, et quin­ gentae asinæ, ac familia multa nimis. V, 6. Scimus, quia ad majorem dolorem mentem commovent damna majora. Ut igitur ostendatur, quantæ virtutis extitit, multum fuisse dicitur, quod patienter amisit. Numquam quippe sine dolore amittitur, nisi quod sine amore possidetur. Itaque dum substantia magna describitur, et tamen paulo post patienter amissa perhibetur ; quam sine dolore perdidit, constat quia sine amore possedit. Notandum quoque est, quod prius cordis diviliæ, et post, opes corporis describuntur. Solet enim rerum abundantia tanto magis a divino timore mentem solvere, quanto magis hanc exigit diversa cogitare. Nam dum per multa spargitur, stare in intimis fixa prohibetur. Quod per semetipsam Veritas, cum parabolam seminantis exponeret, indicavit dicens : Qui seminatus est in spinis, hic est, qui verbum audit, et solli­ citudo sæculi istius, et fallacia divitiarum, suffocat verbum : et sine fructu efficitur ’. Ecce beatus Job et multa possidere LIVRE PREMIER 145 savons qu’il est bien bâti, sa force nous permet même de prévoir la victoire finale. Le texte poursuit : Il eut sept fils et trois filles. 5. Le grand nombre des enfants porte souvent à l'avarice le cœur des parents. Le désir d’augmenter leur héritage les consume proportionnellement au nombre de leurs héritiers. En témoignage de la sainteté de Job, on nous le dit à la fois juste et père d’une nombreuse famille. Dès le début du livre, on 1e. montre offrant pieuse­ ment des sacrifices, et dans la suite, il rappelle lui-même qu’il était prompt aux largesses. Nous pouvons mesurer par là la force d’âme d’un homme que l’affection pourtant d’héritiers ne put attacher à son patrimoine avec ténacité. Le texte poursuit : El son bien consistait en sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses, et une grande multitude de serviteurs. 6. Il est normal que des pertes plus grandes provoquent un plus grand chagrin ; pour nous faire comprendre la vertu de Job, on marque l’immensité de ce qu’il perdit avec patience. On ne peut perdre sans douleur que ce qu’on a possédé sans attachement. Il est écrit qu’il avait de grands biens, et, peu après, on montre sa patience quand il les perd : c’est donc qu’il les possédait avec détachement, puisqu’il les perdit sans grande douleur. Il faut aussi remarquer que les richesses du cœur sont décrites avant celles de la fortune. D’ordinaire l’abondance des biens détourne d’autant plus l’esprit de la crainte de Dieu qu’elle l’oblige à mille pensées diverses : se dispersant sur tant d’objets, il lui est impossible de demeurer fixé au plus intime de soi-même. C’est ce qu’indiquait la Vérité en personne, lorsqu’elle disait, expliquant la parabole du Semeur : « Le grain semé dans les épines, c'est celui qui entend la parole, mais la sollici­ tude du siècle et la séduction des richesses étouffent celte parole et font qu'elle demeure sans fruits1 ». Le bienheureux 1. Maith., 13, 22 ; ci. Le, 8. 7-8 ; Marc, 4, 7. Job. IX 146 MOK ALES SUK JOB dicitur: et paulo post divinis sacrificiis instanter deservire perhibetur. 7. Consideremus ergo, cujus sanctitatis iste vir fuerit, qui ad tam sedula Dei obsequia, et sic occupatus vacavit. Necdum præcepti virtus emicuerat, quæ omnia relinqui præciperet ; sed tamen beatus Job ejusdem jam præceptionis vim corde servabat : quia nimirum substantiam suam mente reliquerat, quam sine delectatione possidebat. Eratque vir ille magnus inter omnes Orientales. VI, 8. Orientales viros esse praedivites quis ignorat ? Magnus ergo inter Orientales e.xtitit, ac si aperte diceretur : quia et divitibus ditior fuit. v. 4. Et ibant filii ejus, et faciebant convivia per domos, unusquisque in die suo : et mittentes vocabant tres sorores suas, ut comederent et biberent cum eis. VII, 9. Solet inter fratres major substantia, discordi» fieri gravioris causa. 0 inaestimabilem paterna.· institu­ tionis laudem ! Et pater dives dicitur, et filii concordes asseruntur. Et dum dividenda inter eos substantia aderat, corda tamen omnium indivisa caritas replebat. v. 5. Cumque in orbem transissent dies convivii, mittebat ad eos Job, et sanctificabat illos, surgensque diluculo offerebat holocausta per singulos. VIII, 10. Cum dicitur : mittebat et sanctificabat illos, aperte demonstratur, quid districtionis erga illos præsens ageret, quibus absens sollicitudine non deesset. Sed hoc nobis est solerter intuendum, quod peractis diebus convi­ vii, purgatio per singulos adhibetur holocausti. Vir quippe sanctus noverat, quia celebrari convivia sine culpa vix possent. Noverat quia magna purgatione sacrificiorum diluendæ sunt epulæ conviviorum ; et quidquid in semetipsis filii convivantes inquinaverant, pater sacrificium immolando tergebat. Nonnulla quippe I U I : ( LIVRE PREMIER 146 Job que l’on nous dit très riche, nous est montre un peu plus loin offrant à Dieu ses sacrifices avec assiduité. 7. Réfléchissons à la sainteté de cet homme, dont les occupations multiples n’entravaient pas le zèle pour le culte divin. La force du conseil qui ordonnerait de tout quitter n’avait pas encore brillé ; déjà Job en observait toute la rigueur dans son àme, ayant abandonné en esprit les biens qu'il possédait sans attachement. Cet homme était grand parmi tous les orientaux. 8. L’extrême richesse des orientaux est bien connue ; dire que Job était grand parmi eux, c'est dire qu’il était riche entre les riches. Ses fils allaient les uns chez les autres et se donnaient des festins chacun à son tour : et ils faisaient inviter leurs trois sœurs à venir manger et boire avec eux. 9. La trop grande richesse est souvent cause d’une profonde désunion dans les familles ; quelle louange inestimable de l’éducation donnée par ce père ! Il est riche, et la concorde règne entre ses enfants I Un tel héritage à partager, cl dans leurs cœurs une/charité sans partage I Quand le cycle des jours de festins était clos, Job envoyait vers eux et les sanctifiait ; se levant de bon matin, il offrait un holocauste pour chacun d'eux. 10. En disant qu’il envoyait vers eux et les sanctifiait, l’Écriturc nous laisse entendre avec quelle exactitude, présent, il veillait sur eux, puisque même absent, sa sollicitude ne les abandonnait pas. Ne manquons pas de remarquer aussi que les jours de festins étant achevés, il offrait pour chacun de ses enfants la purification d’un holocauste. Ce saint homme savait fort bien que les longs repas ne vont pas sans quelques fautes ; il savait qu'on doit, par la grande purification des sacrifices, effacer les taches d’une trop bonne chère : toutes les souillures que ses enfants avaient pu contracter au cours de ces festins, lui, leur père, les effaçait en immolant un sacrifice. Il y a des défauts à peu près ou même tout à fait inséparables des banquets. La sensualité presque toujours y trouve place : tandis que le corps s’abandonne 147 MORALES SUH JOB sunt vitia, quæ a conviviis aut separari vix possunt, aut certe nequaquam possunt. Pene semper enim epulas I comitatur voluptas. Nam dum corpus in refectionis { delectatione resolvitur, cor ad inane gaudium relaxatur. Unde scriptum est : Sedit populos manducare et bibere, el surrexerunt ludere1. 11. Pene semper epulas loquacitas sequitur : cumque venter reficitur, lingua diffrenatur. Unde recte dives apud inferos aquam appetere describitur, dicens : Pater Abraham miserere mei, et mitte Lazarum, ut intingat extremum digiti sui in aquam, et regriferet linguam meam, quia crucior in hac flamma2. Prius epulatus quotidie spendide dicitur: ct post, aquam petere in lingua memo­ ratur. Quia enim, ut diximus, inter epulas valde diffluere loquacitas solet, ex pœna indicat culpam, cum eum, quem epulatum quotidie splendide Veritas dixerat, in lingua plus ardere perhibebat. Hi qui chordarum harmo­ niam temperant, tanta hanc arte dispensant, ut ple­ rumque, cum una tangitur, longe alia ac multis inter­ jacentibus posita chorda quatiatur : cumque ista soni­ tum reddit, illa, quæ in eodem cantu temperata est, aliis impercussis, tremit. Sic ergo in Scriptura sacra plerum­ que de virtutibus, sic de vitiis agitur : ut dum loquendo aliud insinuat, tacendo aliud innotescat. Nihil enim contra divitem de loquacitate memoratur ; sed dum pcena in lingua dicitur, quæ in convivio inter alias gra­ vior fuerit culpa monstratur. 12. Cum vero septem fratres per dies singulos convi­ via facere describuntur, et peractis diebus convivii, Job septem sacrificia offerre perhibetur ; aperte historia indicat, quod beatus Job octavo dic sacrificium offerens, mysterium resurrectionis colat. Dies namque, qui nunc | Dominicus dicitur, a morte Redemturis est tertius, sed LIVRE PREMIER 147 à la gourmandise, le cœur se laisse emporter par une gaîté sans motif, selon qu’il est écrit: « Le peuple, s'assit pour manger et pour boire, et il se leva pour jouer1 ». 11. Presque toujours, les vains propos accompagnent les festins : quand le ventre se restaure, la langue se déchaîne. Ce n’est pas sans raison que, dans l’Écriture, le riche tombé en enfer demande de l’eau : « Père Abraham, ayez pitié de moi, envoyez Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans un peu d'eau ct me rafraîchisse la langue, car je suis torturé dans cette flamme1 2 ». On dit d’abord qu’il faisait chaque jour splendide chère, et ensuite qu’il demandait une goutte d’eau sur sa langue : c’est, nous l’avons dit, que les excès de la langue sont habituels aux grands repas, et le châtiment caractérise la faute ; la Vérité nous l’avait montre festoyant chaque jour ; elle nous dit aussi que sa langue, cruellement, le brûle. Ceux qui accordent (un instrument), le font avec tant d’art que souvent, si l'on touche une corde, telle autre, bien que toute différente et séparée de la première par plusieurs autres, se met à vibrer aussi : quand l'une émet un son, l’autre ainsi accordée avec elle, entre à son tour en vibration, sans que les autres soient touchées. De même, fort souvent, dans la Sainte Écriture, il est question à la fois des vices et des vertus : le même texte donne un double enseignement, ct par ce qu'il dit, et par ce qu’il ne dit pas. Ici, aucune mention n’est faite, à la charge du riche, des excès dc son langage ; mais en disant que sa langue est punie, on fait comprendre quel a été au cours du festin son péché le plus grave. 12. En nous montrant les sept frères s’inviter mutuel­ lement chaque jour, et, ce cycle passé, Job offrir pour eux sept sacrifices, le récit nous marque clairement que, par cette offrande du huitième jour, il révérait le mystère de la Résurrection. Le jour qu’on appelle maintenant Dimanche est le troisième après le jour de la mort du Rédempteur, mais étant le premier dc la semaine, 1. Ex., 32, 62. Le, 1«. 24. 1 148 MORALES SUR JOB in ordine conditionis octavus, qui et primus in conditione est. Sed quia revolutus septimum sequitur, octavus recte numeratur. Quia ergo octavo dic offerre septem sacrificia dicitur, plenus septiformis gratiæ Spiritu pro spe resurrectionis Domino deservisse perhibetur. Unde et Psalmus pro octava praescribitur, in quo gaudium de resurrectione nuntiatur1. Sed quia beati Job filii tanta fuerant disciplina bonæ institutionis accincti, ut neque per facta in conviviis, neque per verba delin­ querent, aperte monstratur, cum subditur : Dicebat enim : Ne forte peccaverint filii mei, et bene­ dixerint Deo in cordibus suis. IX, 13. Perfectos quippe esse in opere et sermone docuerat, pro quibus de sola pater cogitatione metuebat. Quia vero de alienis cordibus judicare temere non debea­ mus, in sancti hujus viri verbis agnoscimus, qui non ait : Quia benedixerunt in cordibus suis, sed : Are forte benedixerint Deo in cordibus suis. Unde bene per Paulum dicitur : Nolite judicare ante tempus, quoadusque veniat Dominus, qui illuminabit abscondita tenebrarum, et mani­ festabit consilia cordium2. Quisquis enim in cogitatione a rectitudine exorbitat, in tenebris peccat. Nos ergo tanto minus debemus aliena corda audacter reprehendere, quanto scimus, quia visu nostro non possumus alienæ cogitationis tenebras illustrare. Sed hac solerter intuen­ dum est, quanta pater severitate potuit filiorum opera corrigere, qui tanta sollicitudine studuit corda mundare. Quid ad hæc rectores fidelium dicunt, qui discipulorum suorum et aperta opera nesciunt *? Quid in sua excusa­ tione cogitant, qui in commissis sibi nec vulnera actio­ num curant ? Ut vero hujus sancti operis etiam perseverantia demonstretur, recte subjungitur : Sic faciebat Job cunctis diebus. LIVRE PREMIER 148 il peut être dit huitième, puisqu’il suit le septième dans le cycle des jours. Job, dit-on, offrait sept sacrifices le huitième jour : c’est que, rempli des sept dons du SaintEsprit, il servait le Seigneur dans l’espoir de la Resurrec­ tion. C’est le sens de l’indication Pro octava du psaume où la joie de la résurrection est annoncée l. L’éducation des enfants de Job avait été telle, que ni en actes, ni en paroles ils ne commirent de péchés graves durant ces festins ; c’est ce que montre clairement la suite du texte : Car il se disait : « Peut-être mes enfants ont-ils péché et offensé Dieu dans leur cœur ». 13. Il leur avait enseigné une grande perfection en œuvres et en paroles, ce père qui n’avait de crainte que pour leurs fautes de pensée. Sa manière de parler nous apprend à ne pas juger témérairement les intentions d'autrui ; car il ne dit pas: Ils ont offensé Dieu dans leur cœur, mais : « Peut-être ont-ils offensé Dieu dans leur cœur». C’est le mot de saint Paul : « Ne jugez point avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur qui illuminera ce qui est caché dans les ténèbres et découvrira les desseins des cœurs1 2 ». Celui qui, dans ses pensées, se détourne de la droiture, pèche dans les ténèbres. Pour nous, nous devons accuser les intentions du prochain avec d'autant moins d’audace que nous constatons notre impuissance à percer du regard l'obscurité de ses pensées. .Mais notez bien avec quelle sévérité ce père corrigea les actions de ses enfants, lui qui mit tant de soin à puri­ fier leur cœur. Que répondront à cela les pasteurs insou­ ciants de ce que font, même ouvertement, leurs disciples ? Comment s’excuseront-ils, eux qui, ayant la charge du prochain, ne soignent pas les blessures qu’il se fait ? La suite indique bien la persévérance de Job dans le bien : Job agissait ainsi chaque jour. 1. CL P.<.. 6. 2. I Cor-, 4, 5. 149 mobai.es sub job X, 14. Scriptum quippe est : Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit1. In sacrificio igitur sancta actio, in cunctis autem diebus sacrificii, constantia sanctæ actionis ostenditur. Hæc breviter historiam sequendo transcurrimus : nunc ordo expositionis exigit, ut exor­ dium repetentes, allegoriarum jam secreta pandamus. v. 1. Vir erat in terra Ilus, nomine Job. XI, 15. Hæc per historiam facta credimus12, sed per allegoriam jam qualiter sint impleta, videamus. Job namque, ut diximus, interpretatur dolens : Hus vero consiliator. Quem ergo alium beatus Job suo nomine exprimit, nisi cum, de quo Propheta loquitur, dicens : Dolores nostros ipse portavit3? Qui Hus terram inhabitat, quia in corda populi consiliatoris regnat. Paulus quippe ait : Christum Dei virtutem, et Dei * . sapientiam Atque hæc ipsa Sapientia per Salomonem dicit : Ego sapientia habito in consilio, ct eruditis intersum cogitationibus5. Hus ergo terram inhabitat Job : quia Sapientia, quæ pro nobis passionis dolorem sustinuit, corda vitæ consiliis dedita sibimet habitationem fecit. Et erat vir ille simplex el rectus. XII, 16. In rectitudine justitia, in simplicitate autem mansuetudo signatur. Plerumque nos cum rectitudinem justitiæ excquimur, mansuetudinem relinquimus : et cum mansuetudinem servare cupimus, justitiæ recti­ tudinem declinamus. Incarnatus vero Dominus simpli­ citatem cum rectitudine tenuit : quia nec in mansuetu­ dine districtionem justitiæ, nec rursum in districtione justitiæ virtutem mansuetudinis amisit. Unde cum qui­ dam, deducta adultera, hunc tentare voluissent, ut in 1. Mattil, 10, 22 ; 24, 13 et Mc., 13, 13. 2. Précaution fréquente dans les écrits d'Origcnc. Cf. Mor., 1, 39. 3. Is., 53, 4. LIVRE PREMIER 149 14. Il est écrit : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé1 ». La sainteté de l’acte apparaît dans la mention du sacrifice ; la persévérance, dans sa pratique quotidienne. Nous avons effleure le sujet en suivant la lettre du récit. L’ordre de l’exposé exige maintenant que, reprenant le texte à son début, nous déployions les arcanes des allégories. Sens allégorique. H y avait au pays de Hus un homme qui s'appelait Job. 15. Nous ne doutons pas de la valeur historique du récit2, mais voyons comment, par l’interprétation allé­ gorique, il prend sa plénitude. Job, nous l’avons dit, signifie « le Souffrant » et Hus « le Conseiller ». De qui le bienheureux Job est-il par son nom la figure, sinon de celui dont un prophète a dit : » Il a lui-même parlé nos douleurs3 n ? 11 habite le pays de Hus, parce qu’il règne sur les cœurs du peuple « du Conseiller ». Saint Paul dit en effet : « Le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu1 », et, par la bouche de Salomon, cette Sagesse elle-même dit : ■■ Moi qui suis la Sagesse, j'habite dans le Conseil, et suis présente dans les pensées judicieuses3 ». Ainsi Job habite le pays de Hus, parce que la Sagesse, qui a pour nous souffert une passion douloureuse, a choisi pour demeure les cœurs qui se livrent aux conseils de vie. Il était simple et droit. 16. La droiture suppose la justice, et la simplicité, la douceur. 11 arrive souvent qu’à suivre la droiture de la justice on abandonne la douceur, et qu’à vouloir garder la douceur on quitte la droiture de la justice. Mais le Seigneur incarné a observé l’une et l'autre : rigoureusement juste dans une conduite pleine de dou­ ceur, doux dans la plus stricte justice. Quand certains, ayant conduit à lui une femme adultère, voulurent le I. I Cor., 1, 24. .·>. Prm>„ S. 12. 150 MOBALES SUR JOB culpam aut immansuetudinis aut injustitiæ laberetur, ad utraque respondit, dicens : Qui sine peccato esi vestrum, primus in illam lapidem mittat . * Dat simplicitatem man­ suetudinis : qui sine peccalo est vestrum ; dat zelum jus­ titiae: primus in illam lapidem mittat. Unde et ei Propheta dicit : Intende, prospere procede, et regna propter verita­ tem et mansuetudinem et justitiam2. Veritatem quippe exequens, mansuetudinem cum justitia conservavit : ut nec zelum rectitudinis in mansuetudinis pondere amitteret, ncc rursum pondus mansuetudinis zelo rec­ titudinis perturbaret. Sequitur : Timens Deum, et recedens a malo. XIII, 17. Scriptum est de illo : Et replevit eum spiritus timoris Domini2. Incarnatus enim Dominus in semetipso omne quod nobis inspiravit, ostendit : ut quod praecepto diceret, exemplo suaderet. Juxta humanitatis ergo naturam Redemtor noster Deum timuit ; quia, ut super­ bum hominem redimeret, mentem pro illo humilem sumsit. Cujus bene per hoc, quod recedere a malo Job dicitur, et actio designatur. Ipse quippe recessit a malo, non quod faciendo contigit, sed quod inveniendo reprobavit : quia vetustam, quam natus invenit, humanæ conversa­ tionis vitam deseruit : ct novam, quam sccum detulit, sequacium moribus impressit. v. 2. Natique sunt ei septem filii, et tres filiæ. XIV, 18. Quid in septenario numero, nisi summa perfectionis accipitur ? Ut enim humanæ rationis causas de septenario numero taceamus, quæ asserunt, quod idcirco perfectus sit, quia ex primo pari constat, et primo impari ; ex primo, qui dividi potest, et primo, qui dividi non potest : certissime scimus, quod septena­ rium numerum Scriptura sacra pro perfectione ponere LIVRE PREMIER 150 tenter et le faire tomber dans une faute contre la justice ou contre la douceur, il répondit à la double difficulté en disant : a Que celui de vous qui est sans péché, le premier lui jette la pierre1». Il présente la simplicité de la douceur : « Que celui de vous qui est sans péché » ; il présente le zèle de la justice : « le premier lui jette la pierre ». Et c’est pourquoi le prophète avait dit de lui : « Élance-toi, avance avec succès, et règne pour la vérité, la douceur et la justice12». En accomplissant la vérité, il a su garder la douceur et la justice sans perdre le zèle de la droiture dans sa dou­ ceur équilibrée, sans troubler l’équilibre de sa douceur par son zèle pour la droiture. Le texte poursuit : Craignant Dieu et s'éloignant du mal. 17. Il est écrit de lui : « L'esprit de ta crainte de Dieu l'a rempli3 » Le Seigneur incarné nous montre dans sa conduite tout ce qu'il nous a inspiré, recommandant ainsi par scs exemples, ce qu’il imposait par ses préceptes. Selon sa nature humaine, notre Rédempteur a connu la crainte de Dieu, puisque, pour racheter l’homme orgueilleux, il assuma une âme humble. Quand on nous dit ici que Job s’éloignait du mal, il s’agit bien encore de l’attitude du Rédempteur. Non pas que le Christ ait jamais pris dans ses actions contact avec le mal, mais il le condamnait quand il le rencontrait ; car, la vie du vieil homme, dans laquelle, à sa naissance, il trouva l’humanité engagée, il s’en dépouilla, et marqua du sceau de la vie de l’homme nouveau, qu’il apportait avec lui, les mœurs de scs disciples. Il eut sept fils et trois filles. 18. Que signifie le nombre de sept, sinon la suprême perfection ? Car, sans parler des considérations humaines sur ce nombre sept, qui déduisent sa perfection de ce qu’il est composé du premier nombre pair divisible, 4, et du premier nombre impair indivisible, 3, nous avons l’absolue certitude que l’Écriture a coutume 1. Jn.8,7. 2. P*., i l, 55. 3. Is., 11,3. 151 MORALES SUR JOB consuevit1. Unde et septimo die Dominum requievisse ab operibus asserit2. Hinc est etiam, quod septimus dies in requiem hominibus, id est, in sabbatum datus est. Hinc est quod jubiletis annus, in quo plenaria requies exprimitur, septem hebdomadibus consummatur, qui monade addita nostræ adunationis impletur. 19. Nati sunt ergo ei septem filii. Ad praedicandum scilicet viriliter incedentes Apostoli. Qui dum perfec­ tionis præcepla peragunt, quasi superioris sexus forti­ tudinem in conversatione tenuerunt. Hinc est enim, quod perfectione septiformis gratiae Spiritus implendi duodecim sunt electi. A septenario quippe numero in duodenarium surgitur. Nam septenarius suis in se par­ tibus multiplicatus, ad duodenarium tenditur. Sive enim quatuor per tria, sive per quatuor tria ducantur, septem in duodecim vertuntur. Unde sancti Apostoli, quia sanctam Trinitatem in quatuor partibus mundi prae­ dicare mittebantur,duodecim sunt electi ; ut etiam nume­ ro perfectionem ostenderent, quam vita et voce prædicarent. 20. Naim sunt ct 1res filix. Quid in filiabus, nisi infirmiores fidelium plebes accipimus. Quæ etsi ad per­ fectionem operis nequaquam forti virtute permanent, fidem tamen Trinitatis cognitam constanter tenent ? 1. u) A partir «le la remarque que les nombres se prêtent entre eux ù diverses combinaisons, on peut très simplement leur attribuer une signifi­ cation symbolique ; le procédé est d’ailleurs artificiel : la preuve en est qu’on aboutit ù des résultats divergents selon la voie suivie. (Il en est de même pour la signification symbolique des choses, les chameaux par exemple). Ainsi le nombre 42 n uno signification de plénitude ct de bonheur (les 42 générations dans saint Matthieu), en tant que 3 fois 14 qui est 2 fois 7 ; mais aussi une signification de déficience ct de malheur (les 12 mois dans l’Apocalypse) en tant que 6 (c’est-à-dire : 7 — 1) fois 7. Cf. E.-B. Allô, L’Apocalypse. Paris, 1921, p. 144-148 et 191. Saint Grégoire s’en lient ici à ce point de vue qui paraît, répétons-le. assez simple : il raisonne sur les nombres un peu comme sur les chameaux... LIVRE PREMIER 151 de l’employer pour marquer la perfection *. C’est pour cela que le Seigneur y est dit se reposer le septième jour2. De là vient aussi que le septième jour est donné aux hommes pour le repos, à savoir le sabbat. De là vient que l’année du jubilé, qui exprime le repos complet, se trouve au terme de sept semaines d’années, complétées par l’addition d’une unité pour signifier notre union. 19. Il eut donc sept fils. Ce sont les apôtres qui, virile­ ment, s'avancèrent pour prêcher. En observant les conseils de la perfection, ils gardèrent dans leur manière de vivre une mâle énergie. C’est parce que le SaintEsprit devait les remplir de sa grâce septiforme, qu’ils furent choisis au nombre de douze ; car 7 devient 12, si au lieu d’additionner, on multiplie ses composants l’un par l'autre : 4 multiplié par 3, ou 3 multiplié par 4 donne 12. Et c’est parce qu’ils devaient annoncer la Sainte Trinité aux quatre parties du monde que les saints apôtres furent choisis au nombre de douze, symbolisant par leur nombre même la perfection qu’ils prêchaient par leur parole et leur manière de vivre. 20. Il eut aussi trois filles. Nous pouvons voir dans ces trois filles, la foule des fidèles plus faibles qui, s’ils ne se maintiennent pas dans la perfection par un robuste courage, gardent du moins sans défaillance une foi avouée en la (Sainte) Trinité. b) Sans penser à une signification symbolique déterminée, on peut attacher une valeur soit conventionnelle soit sacrée (laquelle est d'ailleurs toujours conventionnelle), Λ certains nombres, lut Bible adopte souvent cette conception : videur conventionnelle de 40 ans pour une génération, valeur plus nu moins sacrée du nombre 7, etc... (Les 7 flls de .Job ont quelque chose «le conventionnel, comme saint Grégoire l’a bien vu). c) L'attribution aux nombres «l'uno valeur sacrée peut conduire à penser que les nombres, avec leurs combinaisons étonnantes, cachent un véritable mystère, ct même un mystère qui embrasse la vérité intégrale. Certains penseurs adoptent ce point de vue : n'est-ce pas le cas «1«· Pylhagore ? Pour saint Augustin, citons le rapprochement «le la sagesse avec la vérité «les nombres (De. libero arbitrio. 2. Il, 30 ; P. I... 32. 1257), et la note de P. J. Thonxard, sur Les nombres intelligibles, dans Œuvres de saint Augustin, vi. Dialogues philosophiques, de Magistro, de Libero Arbitrio, p. 50ar nos œuvres, il examine nos paroles pour nous inculper. S’il n’y trouve rien à reprendre, il s’efforce dc noircir nos intentions. Que nos œuvres bonnes ne soient pas faites dans un bon esprit, ct voilà qu’elles ne sauraient être considérées comme bonnes par notre Juge. Voyant les fruits de l’arbre garder au fort de la chaleur une fraîcheur persistante, il cherche, en quelque sorte, à placer son ver dans la racine en disant : « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas protégé de toutes parts, lui, sa maison, et tout ce qui lui appartient ? Tu as béni l’œuure de ses mains, et sa richesse a grandi sur la terre ». 15. Ce qui revient à dire : qu’y a-t-il d’étonnant qu’a­ yant reçu tant de biens en ce monde il ait en retour une conduite innocente ? Innocent, il le serait vraiment s’il demeurait bon dans l’adversité. Pourquoi déclarer grand celui dont la récompense, pour chacune de ses œuvres, est accompagnée d’une telle abondance ? L’astucieux adversaire, voyant que le saint s’était bien conduit dans la prospérité, s’empresse, par l’adversité, de le perdre aux yeux de son Juge. Aussi la voix de l’ange dit-elle avec justesse dans l’Apocalypse : « Il a été précipité, le délateur de nos frères, qui les accusait jour et nuit en la présence de notre Dieu1 ». La Sainte Écriture désigne la prospérité par le jour, et l’adversité par la nuit. Il ne cesse d’accuser ni jour ni nuit, parce qu’il s’efforce de montrer nos torts dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Il nous accuse pendant le jour, quand il rapporte que nous usons 193 MORALES SUR JOB noctem autem pro adversis ponere consuevit. In die ergo et nocte accusare non desinit : quia modo nos in prosperis, modo in adversis accusabiles ostendere conten­ dit. In dic accusat, cum prosperis male nos uti insinuat. In nocte accusat, cum in adversis nos non habere patien­ tiam demonstrat. Beatum ergo Job quia necdum flagella attigerant, quasi adhuc unde in nocte accusare posset, omnino non habebat. Quia vero in prosperis magna sanctitate viguerat, pro eisdem prosperis bona illum egisse simulabat : versuta assertione mentiens, quod non ad usum Domini substantiam possideret, sed ad usum substantiæ Dominum coleret. Sunt enim nonnulli, qui ut fruantur Deo, dispensatorie utuntur hoc sæculo. Et sunt nonnulli, qui ut fruantur hoc sæculo, transitorie uti volunt Deo. Cum igitur bona divini muneris narrat, putat quod facta fortis operarii leviget : ut cujus vitam reprehendere de operibus non valet, ejus mentem quasi ex cogitationibus addicat ; mentiens quod non amori Domini, sed temporalis prosperitatis appetitioni servierit omne, quod innocue exterius vixit. Vires ergo beati Job nesciens, sed tamen unumquemque adversis probari verius sciens, tentandum hunc expetit : ut qui per diem prosperitatis inoffenso gressu incesserat, saltem in nocte adversitatis impingeret, et ante laudatoris sui oculos offensione impatientiae prostratus jaceret. Unde subjungit : v. 11. Sed extende paululum manum luam, et tange cuncta, quæ possidet, nisi in faciem benedixerit tibi. X, 16. Cum sanctum virum Satan lentare appetit, et tamen Domino, ut manum suam extendere debeat, dicit ; valde notandum est, quia feriendi vires nec ipse sibi tribuit, qui contra auctorem omnium singulariter superbit. Scit namque diabolus, quia quodlibet agere ex 193 LIVRE SECOND mal de notre bonheur ; il nous accuse pendant la nuit, quand il montre que nous manquons de patience dans le malheur. L’épreuve n’ayant pas encore Louché le bienheureux Job, il n’avait rien qui pût lui permettre de l’accuser pendant la nuit. Parce qu’il avait, au sein du bonheur, grandi dans une haute sainteté, le démon affectait de croire qu’il n’avait bien vécu qu’en raison de ce bonheur, affirmant, par un adroit mensonge, qu’il n’usait pas de ses biens pour le service du Seigneur, mais qu’il servait le Seigneur pour avoir ces biens. Car il y a des gens qui, pour jouir de Dieu, usent de ce monde comme il faut, et il y en a d’autres qui, pour jouir de ce monde, veulent bien user de Dieu, mais en passant. Lors donc qu’il énonce les bienfaits de Dieu, il pense déprécier la conduite de ce courageux ouvrier. Impuissant à incriminer les œuvres de la vie, il condamne les intentions de l’âme, et il affirme faussement que ce n’est pas l’amour de Dieu, mais le seul désir du bonheur en ce monde, qui lui a fait mener une vie apparemment innocente. Il ignore donc la force du bienheureux Job, mais il sait que pour tous l’adversité est la pierre de touche. Aussi demande-t-il de tenter l’homme qui, dans le (plein) jour de la pros­ périté, avait marché sans achopper, pour qu’il trébuchât du moins dans la nuit du malheur, et pour qu’il succom­ bât, terrassé par l’impatience, sous le regard de Celui qui l’avait loué. Et le texte continue : « Mais étends an peu la main, touche à tout ce qu'il possède, et ta verras s'il ne te maudit pas en face ». 16. Quand Satan désire tenter le saint, c’est cependant au Seigneur qu’il dit d’étendre la main. Il est très remar­ quable qu’il ne s’attribue pas à lui-même la force de frapper, lui qui ne manque jamais d’afficher son orgueil contre l’auteur de toutes choses. Le diable sait que par lui-même il n’est capable de rien, n’existant pas même par soi en tant qu’esprit. C’est pour cette raison que, dans l’Évangile, la légion qui allait être chassée d’un homme disait : « Si tu nous chasses, cnvoic-nous dans ce troupeau Job. 18. 194 MORALES SUR JOB semetipso non sufficit : quia nec per semetipsum in eo quod est spiritus exislit. Hinc est quod in Evangelio expellenda de homine legio dicebat : Si ejicis nos, mille nos in gregem porcorum1. Qui enim per semetipsum ire in porcos non poterat, quid mirum si sine auctoris manu, sancti viri domum contingere non valebat ? 17. Sciendum vero est, quia Satanæ voluntas semper iniqua est, sed numquam potestas injusta : quia a seme­ tipso voluntatem habet, sed a Domino potestatem. Quod enim ipse facere inique appetit, hoc Deus fieri non nisi juste permittit. Unde bene in libris Regum dicitur : Spiritus Domini malus irruebat in * . Saul Ecce unus idemque spiritus, ct Domini appellatur, et malus : Domini videlicet per licentiam potestatis juslæ, malus autem per desiderium voluntatis injustæ. Formidari ergo non debet, qui nihil nisi permissus valet. Sola ergo vis illa timenda est, quæ cum hostem sævirc permiserit, ei ad usum justi judicii, et injusta illius voluntas servit. Paululum vero manum postulat extendi : quia exteriora sunt, quæ expetit conteri. Neque enim Satan facere se aliquid multum putat, nisi cum in anima sauciat ; ut ab illa patria feriens revocet, a qua ipse longe, telo suæ superbiæ prostratus jacet. 18. Sed quid est quod ait : Nisi in faciem benedixerii tibi ? Nos nempe quod amamus respicimus : quod vero aversari volumus, ab eo faciem declinamus. Quid itaque Dei facies, nisi respectus ejus gratiæ præbetur intelligi ? Ait ergo : Extende paululum manum tuam, et tange cuncta quæ possidet, nisi in faciem benedixerit libi. Ac si aperte dicat : Ea, quæ dedisti, subtrahe : nam si accepta perdi­ derit, respectum tuæ gratiæ, ablatis rebus temporalibus, non requiret. Si enim ea, in quibus delectatur, non habue­ rit, favorem tuum etiam maledicendo contemnet. Cujus LIVRE SECOND 194 de porcs1 ». Quoi d’étonnant que celui qui, par lui-même, ue pouvait entrer dans un troupeau de porcs, fût impuis­ sant, sans l’aide du Créateur, à toucher la maison du saint? 17. Il faut savoir que la volonté de Satan est toujours mauvaise, mais que son pouvoir n’est jamais illégitime. Car sa volonté vient de lui, mais son pouvoir vient de Dieu. Ce qu’il veut faire par méchanceté, Dieu, par justice, lui permet de l’accomplir. De là vient qu’avec justesse, il est dit au livre des Rois : a Un esprit mauvais du Seigneur s'emparait de Saül2 ». Voici qu’un seul et même esprit est appelé à la fois : « du Seigneur » ct « mauvais » : il est « du Seigneur » par le libre exercice d'un juste pouvoir, il est « mauvais » par le désir d’une volonté injuste. On ne doit pas craindre celui qui ne peut rien sans permission. Seule doit être crainte cette force qui, en permettant à l’ennemi de se déchaîner, fait servir à l’exécution de justes jugements une injuste volonté. Le diable demande seulement que la main soit étendue un peu car ce sont les biens matériels qu’il veut détruire. Satan n’estime pas faire grand’chose tant que ce n’est pas l’âme qu’il blesse : ce qu’il cherche, c’est à l’arracher de cette patrie dont il s’est lui-même exilé, terrassé sous le coup de son propre orgueil. 18. Mais que signifient ces paroles: « Et lu verras s’il ne te maudit pas en face·»? Pour nous, ce que nous aimons, nous le regardons, et ce que nous voulons repousser, nous en détournons le visage. Que signifie la face de Dieu, sinon le regard de sa grâce ? Satan dit : « Elcnds un peu la main, touche à tout ce qu’il possède, et tu verras s'il ne te maudit pas en face », c’est-à-dire : rctirc-Iui tes dons, car, s’il perd les biens reçus, à peine soustraites les 5 richesses, il ne se mettra plus en peine du regard de ta grâce ; s’il est privé de ce qui faisait ses délices, il méprisera ta faveur, et même blasphémera. La Vérité, provoquée par cette demande perfide, n’est nullement vaincue ; I 1. Μλγπι., 8, 31 ; cf. Mc. 5, 10 cl Le, 8, 32. 2. I Sam., 18, 10. 195 MORALES SUR JOB petitione callida nequaquam provocata Veritas vincitur, sed ad deceptionem suam hosti conceditur, quod fideli famulo ad augmentum muneris suffragetur. Unde mox subditur : v. 12. Eccc universa, quæ habet, in manu tua sunt tantum in eum nc extendas manum tuam. XI, 19. Consideranda est in verbis Domini dispen satio sanctæ pietatis, quomodo hostem nostrum permittit, et retinet, relaxat, et refrenat. Alia ad tentandum dat, sed ab aliis religat. Universa quæ habet, in manu tua sunt : tantum in eum ne extendas manum tuam. Substantiam prodit, sed tamen corpus ejus protegit, quod quidem postmodum tentatori traditurus est ; sed tamen non simul ad omnia relaxat hostem, nc undique feriens frangat civem. Mala enim cum multa electis eveniunt, mira conditoris gratia cx tempore dispensantur : ut quæ coacervata perimerent, possint divisa tolerari. Hinc Paulus ait : Fidelis Deus, qui non patietur vos tentari supra id quod potestis, sed faciet cum tentaliont etiam exitum, ut possitis sustinere1. Hinc David ait : Proba me Domine, et lenta * . me Ac si aperte dicat : Prius vires inspice, et tunc ut ferre valeo, tentari permitte. Hoc tamen quod dicitur : Ecce universa, quæ habet, in manu tua sunt : tantum in eum ne extendas manum tuam. Intclligi et aliter potest, quia fortem quidem pugnatorem suum Dominus noverat, sed tamen dividere ci certamina contra hostem volebat : ut quamvis robusto bellatori victoria in cunctis suppeteret, prius tamen de uno certamine hostis ad Dominum victus rediret : tuneque ei aliud iterum vincendo concederet, quatenus fidelis famulus eo mirabilius victor existeret, quo victus hosti: 1. I Cor., 10, 13. 2. Ps., 25, 2. LIVRE SECOND 195 et c’est pour tromper l’ennemi qu’elle lui accorde ce qui servira à accroître la récompense de son fidèle serviteur. Le texte continue : « Voici, tout ce qu'il a est en ton pouvoir, seulement ne porte pas la main sur lui ». 19. Considérons dans ces paroles du Seigneur l’éco­ nomie de sa sainte miséricorde : comment il donne certaines licences à notre ennemi et lui en refuse d’autres, comment il lui lâche la bride et comment il le retient. Il lui laisse pouvoir d’agir pour certaines tentations, mais l’enchaîne pour d’autres : « Tout ce qu'il a est en ton pouvoir, seulement ne porte pas la main sur lui ». Il livre les richesses, mais protège le corps que, dans la suite, il livrera lui aussi au tentateur ; mais il ne lui lâche pas la bride simultanément sur tous les points. Il craindrait que l’ennemi, frappant de tous côtés, ne brisât son homme-lige. Quand de nombreux malheurs tombent sur les élus, ils ne viennent qu’en leur temps par une grâce admirable du Créateur : tous ensemble, ils les auraient écrases, mais, les uns après les autres, on peut les supporter. C'est ce qui fait dire à saint Paul : « Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces ; avec la tentation, il ménagera le moyen d'en sortir, afin que vous puissiez la supporter1 », ct à David : « Éprouvez-moi Seigneur ct tentez-moi2 », c’est-à-dire : en premier lieu, examinez mes forces, et ne permettez la tentation que dans la mesure où je puis la supporter. Ces mêmes paroles : « Voici, tout ce qu'il a est en (on pouvoir, seulement ne porte pas la main sur lui » peuvent avoir un autre sens : Dieu connaissait la force de son champion, mais il voulait lui répartir dans le temps les combats qu’il aurait à soutenir contre l’ennemi. Accorder la victoire à ce robuste lutteur en chacun de ses combats, ce serait obliger l’ennemi, vaincu une première fois, à se représenter devant Dieu ; alors lui serait accordée une seconde rencontre, occasion, pour le serviteur fidèle, d’une victoire d’autant plus belle que l’ennemi vaincu aurait refait ses forces en vue d’une nouvelle lutte contre lui. 196 MORALES SUR JOB se contra ilium iterum ad nova bella repararet. Sequitur : Egressusque est Satan a facie Domini. XII, 20. Quid est quod Satan a facie Domini egressus dicitur ? Quo enim exitur ab eo qui ubique est ? Hinc namque ait : Cælum et terram ego impleo1. Hinc est, quod Sapientia illius dicit : Gyrum cseli circuwi *sola . Hinc de ejus Spiritu scriptum est : Spiritus Domini implevit orbem * . terrarum Hinc est, quod Dominus iterum dicit : Cælum mihi sedes est, terra autem scabellum pedum . meorum * Rursumquc de eo scriptum est : Cælum metitur palmo et omnem terram pugillo * . concludit Sedi quippe, cui præsidet, interior ct exterior manet. Cælum palmo metiens, et terram pugillo concludens ostenditur, quod ipse sit circumquaque cunctis rebus, quas creavit, exterior. Id namque quod interius concluditur, a concludente exterius continetur. Per sedem ergo, cui præsidet, intelligitur esse interius supraque ; per pugillum, quo continet, esse exterius subterque signatur. Quia enim ipse manet intra omnia, ipse extra omnia, ipse supra omnia, ipse infra omnia ; el superior est per potentiam, et inferior per sustentationem ; exterior per magnitudinem, et interior per subtilitatem : sursum regens, deorsum conti­ nens ; extra circumdans, interius penetrans 1 23456*8 : nec alia ex parte superior, alia inferior, aut alia cx parte exterior, atque cx alia manet interior : sed unus idemque totus ubique præsidendo sustinens, sustinendo praesidens, 1. Jén-, 23. 21. 2. Sag. Str., 24, 5. 3. Sag., 1.7. 4. Is.. C6,1. 5. Is.', 40, 12. 6. CL Mar., 16, 12 ct 38 ; In Ez., 1, 8, 16 ainsi que 2. 5, 10. Voir aussi saint Augustin, Conf. 1, 4. 4 et également : 7, 5, 7 : « De votre création, Je ils une grande masse unique... Cette masse, je me la représentai Immense... limitée pourtant de tous côtés. Et vous. Seigneur, vous l’entouriez, vous la LIVRE SECOND 196 Le texte poursuit : Et Satan se retira de devant la face du Seigneur. 20. Que veut dire : Satan se retira de devant la face du Seigneur ? Comment peut-on se retirer de devant celui qui est partout ? Il a dit en effet : « Je remplis le ciel et la terre 1 » ; et sa propre Sagesse : « Seule, j'ai parcouru le cercle du ciel2 u; et de son Esprit, il est écrit : « L'Esprit du Seigneur remplit l'univers3 » ; Le Seigneur dit encore : « Le ciel est mon trône, et la terre est l'escabeau de mes pieds4 », et de nouveau il est écrit de lui : a II mesure le ciel de sa paume, et il renferme toute la terre dans son poing3 ». Il demeure à l’intérieur et à l’extérieur du trône sur lequel il siège. En mesurant le ciel de sa paume et en renfermant toute la terre dans son poing, il fait bien voir qu'il environne de toutes parts tout ce qu’il a créé, car tout contenant enclôt en soi son contenu. Par le trône où il est assis, il donne à entendre qu’il est au dedans et au-dessus. Par le poing dans lequel il contient, qu’il est au dehors et au-dessous. Lui-même demeure donc au dedans de tout ; lui-même au dehors de tout ; lui-même au-dessus de tout, lui-même au-dessous de tout. Il est supérieur à tout par sa puissance, et inférieur par son soutien ; extérieur par sa grandeur, intérieur par sa subtilité. Il gouverne étant au-dessus, il contient étant au-dessous ; il entoure étant au dehors, il pénètre étant au dedans0. Et ce n’est pas par une partie qu’il est supérieur, et par une autre inférieur ; par une partie, extérieur, et par une autre, intérieur : mais c’est le même et l’unique qui, étant partout tout entier, soutient en gouvernant, gouverne en soutenant, pénètre en entourant, et entoure en pénétrant. Et parce qu’il est au-dessus pour gouverner, il est au-dessous pour pénétriez de toutes parts, mais en restant infini dans toutes les directions. C'était comme une mer qui, partout et de tous côtés, ne formerait qu’une mer unique, s’étendant infinie dans l'immensité, et qui contiendrait une éponge, grande autant qu’on voudra, mais de dimensions finies, et Imbibée, en toutes scs partie», de l'immense mer (Trad. P. de Jjibrlolle). — Saint Ambuoisr : De Fide, 1. 16. 106 ; P. !... 16, 553 : « Dieu remplissant tout, nullement confondu avec le reste, pénétrant tout, sans être lui-même pénétré par rien, partout tout entier, etc. · 197 MORALES SUR JOB circumdando penetrans, penetrando circumdans ; unde superius præsidens, inde inferius sustinens ; et unde exterius ambiens, inde interius replens ; sine inquietudine superius regens, sine labore inferius sustinens ; interius sine extenuatione penetrans, exterius sine extensione circumdans. Est itaque inferior et superior sine loco : est amplior sine latitudine, est subtilior sine extenuatione. 21. Quo igitur exitur ab eo, qui dum per molem cor­ poris nusquam est, per incircumscriptam substantiam nusquam deest ? Sed quamdiu Satan pressus majestatis potentia, appetitum suæ malitiæ exercere non valuit, quasi ante faciem Domini stetit. Λ facie autem Domini exiit : quia relaxatus divinitus ab in terme retentionis angustia, ad sui desiderii effectum venit. A facie Domini exiit : quia diu vinculis disciplinæ religata quandoque voluntas noxia ad opus processit. Cum enim, sicut dic­ tum est, id quod voluit, implere non valuit, quasi ante faciem Domini stetit ; quia illum ab effectu malitiæ superna dispensatio1 coarctavit. Sed a facie ejus exiit, quia potestatem tentationis accipiens, ad malitiæ suæ vota pervenit. Sequitur : v. 13, 14 et 15. Cum autem quadam die filii et filiie ejus comederent, et biberent vinum in domo fratris sui pri­ mogeniti, nuntius venit ad Job, qui diceret : Boves arabant, et asinæ pascebantur juxta eos, et irruerunt Sabæi, tulenintque omnia, et pueros percusserunt gladio, et evasi ego solus, uti nuntiarem tibi. XIII, 22. Notandum quæ tempora tentationibus congruant12. Tunc quippe diabolus tentandi tempus 1. Voir Introduction, p. 106. 2. Cf. pseudo-Origène, Comm, in Job, 1, 18 ; P. G., 17, 59 B. · Qui plu» est, celui qui complotait contre les entants, cherchait l’occasion de les perdre. S’il les avait trouvés lisant, il n'cùt pu toucher à leur maison, ni s’ingénier à LIVRE SECOND 197 soutenir ; et parce qu’il entoure étant au dehors, il remplit étant au dedans. Supérieur, il gouverne sans inquiétude, inférieur, il soutient sans efforts, intérieur, il pénètre sans s’amoindrir, extérieur, il entoure sans se dilater. Aussi cst-il supérieur et inférieur sans être loca­ lisable ; plus grand sans étendue, plus subtil sans diminution. 21. Où peut-on donc se retirer loin de celui qui n’est corporellement nulle part, mais dont la substance infinie n'est nulle part absente ? Tant que Satan, sous l’emprise de la puissance divine, ne pouvait réaliser ses désirs mauvais, il se tenait comme devant la face du Seigneur. Il se relira de devant la face du Seigneur quand, divine­ ment libéré de l’étreinte intérieure qui l’immobilisait, il mit à exécution ses désirs ; il se relira de devant la face du Seigneur, quand sa volonté cruelle, longtemps enchaînée par l’obéissance, passa aux actes. Donc, comme on vient de le dire, tant qu’il ne pouvait faire sa volonté, il se tenait comme devant la face du Seigneur, parce que la divine Providence1 suspendait les effets de sa rage. Mais il se retira de devant cette face, parce qu’ayant reçu le pouvoir de tenter, il en vint à ce que souhaitait sa méchanceté. Le texte poursuit : Or un jour que ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère aîné, un messager vint dire à Job : « Les bœufs étaient à labourer, et les ânesses paissaient autour d'eux ; tout à coup les Sabéens ont fait irruption et ont tout enlevé, ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer ». 22. Remarquons quels moments sont propices aux tentations. Le diable a choisi, pour tenter, celui où il a trouve les enfants de Job dans un festin2. L’ennemi les faire périr. S’il les avait trouvés en train de prier, il n’eût pu rien faire contre eux. Mais il rencontra une occasion favorable, et il eut le dessus. Quelle ôtait donc cette occasion ? L’ivresse, un banque! ». I.c pseudo * Origine est plus sévère que saint Grégoire. Il parle d’ivresse ; saint Grégoire mentionne seulement l’euphorie qui suit les bons repas (lætltia satietatis). Cf. Afor., 1, 48, l’interprétation » mystique · de ce mime passage. On jugera de l'originalité de Grégoire. 198 MORALES SUR JOB elegit, quando beati Job filios in convivio invenit. Neque enim solummodo intuetur hostis, quid faciat, sed etiam quando faciat. Nam quamvis potestatem acceperit, aptum tainen ad subversionem tempus exquisivit : ut videlicet nobis Deo dispensante1 proderetur, quia praenun­ tia tribulationis est lætitia satietatis. Intuendum vero est, quam callide ipsa damna, quæ illata sunt, nuntian­ tur. Non enim dicitur, boves a Sabæis ablati sunt : sed qui ablati sunt boves, arabant ; ut videlicet memorato fructu operis, causa crescat doloris. Unde et apud Græcos non solum asinæ, sed fetæ asinæ raptæ referuntur : ut dum minima animalia audientis animum minus ex sui qualitate percuterent, amplius ex fecunditate vul­ nerarent. Et quia eo magis adversa animum feriunt, quo, cum mulla sunt, etiam subita nuntiantur, aucta est mensura gemituum, etiam per particulas nuntiorum. Nam sequitur : v. 16. Cumque adhuc ille loqueretur, oenit alius, et dixit : Ignis Dei cecidit de cælo, el tactas oues puerosque consumsit, et effugi ego solus, ut nuntiarem tibi. XIV, 23. Ne rebus perditis minorem audienti dolorem moveat, ejus animum ad excedendum etiam ipsis nun­ tiorum verbis instigat. Intuendum quippe est, quam callide dicitur : Ignis Dei, ac si diceretur : Illius animad­ versionem sustines, quem tot hostiis placare voluisti ; illius iram toleras, cui quotidie serviens insudabas. Dum enim Deum, cui servierat, adversa intulisse indicat, læsum commemorat, in quo excedat : quatenus anteacta obsequia ad mentem reduceret, et frustra se servisse æstimans, in auctoris injuriam superbiret. Pia etenim mens, cum se adversa ab hominibus perpeti conspicit, in divinæ gratiæ consolatione, requiescit : cumque ten­ ta tionum procellas increscere extrinsecus viderit, secessum LIVRE SECOND 198 n'cst pas seulement attentif à ce qu’il fait, mais aussi au temps où il le fait. Quoiqu’il ait reçu le pouvoir de frapper, il a choisi cependant le moment propice à la catastrophe ; la Dispensation divine1 nous enseigne par là que la gaîté de la bonne chère est messagère de tribulation. Notons aussi avec quel art sont annoncés les dommages causés. On ne dit pas : les bœufs ont été pris par les Sabéens, mais : « les bœufs étaient à labourer » quand ils furent enlevés ; le rappel du fruit de leur travail augmente la cause du chagrin. Selon les Septante, on ne dit pas : les ânesses, mais, « les ânesses pleines » ont été enlevées ; si, en raison de leur qualité, la perte de bêtes sans valeur touchait peu son âme, en raison de leur fécondité, elle la touchait davantage. Enfin, parce que des malheurs multipliés, quand ils sont annoncés brusquement, frappent d’une manière plus sensible, l’emploi dc messagers successifs accroît encore la mesure de scs gémissements. Le texte poursuit en effet : Il parlait encore lorsqu’un autre arriva et dit : « Le feu de Dieu est tombé du ciel sur les brebis et les serviteurs et les a dévorés, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer ». 23. De peur que l’annonce des pertes subies n’affecte trop peu celui qui l’entend, le démon essaie de le faire sortir de ses gonds par le choix même des expressions qu’il emploie. Remarquons bien l’art qui lui fait dire : « le feu de Dieu » comme s’il disait : tu souffres du châ­ timent de celui que tu as voulu apaiser par tant dc sacri­ fices ; tu supportes la colère de celui au service de qui tu peinais tous les jours. Le diable, en effet, laisse entendre que Dieu, au service de qui Job s’était mis, l’a payé en épreuves. Il rappelle que Job se trouve dans une détresse où Dieu dépasse les bornes, tant et si bien que Job, pense-t-il, évoquera sa soumission passée, estimera avoir servi Dieu en vain, et se dressera orgueilleusement contre l’injustice de son Créateur. Quand une âme religieuse se voit en butte aux contra­ dictions des hommes, elle se repose dans les consolations 1. Voir Introduction. p. 1<ίβ, 199 MORALES SUR JOB spei Dominicæ appetens, intra conscientiae portum fugit. Ut vero versutus hostis uno eodemquc tempore sancti viri robustissimum pectus et humanis adversitatibus, et divina desperatione concuteret, et prius Sabæos irruisse intulit, et mox ignem Dei de cælo cecidisse nuntiavit : ut quasi omnem aditum consolationis excluderet ; dum ct ipsum adversantem ostenderet, qui consolari animum inter adversa potuisset : quatenus dum se tentatus undique destitui atque undique premi considerat, in contumeliam tanto audacius, quanto et desperatius errumpat. Sequitur : v. 17. Sed et illo adhuc loquente, ct venit alius ct dixit; Chaldiei fecerunt tres turmas, el invaserunt camelos, et tulerunt eos, necnon ct pueros percusserunt gladio, ct effugi ego solus, ut nuntiarem tibi. XV, 24. Ecce iterum, ne quid minus de humana adversitate doluisset, Chaldæorum turmas irruisse denun­ tiat : et ne illum minus desuper veniens adversitas fe­ riat, iteratam iram in acre demonstrat. Nam sequitur : v. 18 et 19. Loquebatur ille, el ecce alius intravit, ct dixit : Filiis tuis el filiabus vescentibus el bibentibus vinum in domo fratris sui primogeniti, repente ventus vehemens irruit a regione deserti, et concussit quatuor angulos domus, quæ corruens oppressit liberos tuos, ct mortui sunt, et effugi ego solus, ut nuntiarem tibi. XVI, 25. Qui uno vulnere non prosternitur, idcirco bis, terque percutitur, ut usque ad intima quandoque feriatur. Nuntiata itaque fuerat adversitas de Sabæis, nuntiata divina animadversio per ignem de cælo, nuntia­ tur ab hominibus iterum camelorum raptus, cædesque puerorum, et divinæ indignationis ira repetitur, dum ventus irruens concussisse domus angulos, atque extinxisse liberos indicatur. Quia enim notum est, quod absque LIVRE SECOND 199 de la grâce divine ; quand elle voit au dehors grossir la tempête des épreuves, elle désire se retirer dans l’espérance en Dieu, et se réfugie dans le havre de sa conscience. Aussi l'astucieux ennemi, pour accabler au même ins­ tant le cœur plein d’énergie du saint en le soumettant aux violences des hommes et en le faisant désespérer de Dieu, lui annonce-t-il d’abord l’irruption des Sabéens, ct, aussitôt après, le feu de Dieu tombé du ciel. Il fermait ainsi toute entrée à la consolation en lui présentant comme un adversaire celui qui précisément aurait pu consoler son âme au milieu de l’adversité: par là, il voulait que Job, ten­ té, se voyant privé de tout, ct en tout écrasé, s’emportât jusqu’aux outrages avec une détermination d’autant plus grande que son désespoir éclaterait avec plus de violence. Le texte poursuit : Il parlait encore lorsqu'un autre arriva et dit « : Les Chaldéens, partagés en trois bandes, se sont jetés sur les chameaux et les ont enlevés, ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer ». 24. De peur que la violence des hommes n’ait pas suffisamment éprouvé Job, voici que de nouveau (Satan) annonce l’irruption de bandes chaldéennes ; et de peur que l’hostilité d’en haut ne le frappe pas assez, (le diable) décrit une nouvelle colère de l’atmosphère. Il parlait encore lorsqu'un autre arriva et dit : « Tes fils el tes filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère aîné, et voilà qu'un vent violent s'est élevé de la région du désert, ct a ébranlé les quatre coins de la maison ; elle s’est écroulée sur les enfants, et ils sont morts écrasés, el je me suis échappé seul pour te l’annoncer ». 25. Quand quelqu’un ne tombe pas à la première blessure, on redouble, on triple les coups, cherchant à le percer au cœur. Après l’annonce de l’hostilité des Sabéens, après l’annonce du châtiment divin frappant par la foudre du ciel, vient l’annonce d’un nouveau mal­ heur cause par les hommes : la razzia des chameaux et le meurtre des serviteurs. Le courroux de Dieu se renouvelle lorsque le cyclone renverse la maison et fait périr les enfants. On sait que, sans un signe d’en-haut, 200 MORALES SUR JOB superno nutu moveri elementa non possint ; latenter infertur, quod ipse contra illum elementa moverit, qui moveri permisit ; quamvis Satan semel accepta a Domino potestate ad usum suæ nequitiæ etiam elementa concutere praevalet. Nec movere debet, si spiritus de summis pro­ jectus turbare in ventos aerem potuit : cum nimirum constet, quia et damnatis in metallum, ad usum aqua et ignis servit. Quæsitum est igitur, ut nuntiarentur mala : quæsitum, ut mulla : quæsitum, ut subita. Sed cum prius adversa nuntiavit, tranquillo adhuc pectori quasi sanis membris vulnus inflixit : cum vero percussum cor feriendo repetiit, ut ad impatientia» verba compelleret, super vulnera vulnus irrogavit. 26. Intuendum vero est, quam callide curavit hostis antiquus, non tam jactura rerum sancti viri patientiam rumpere, quam ipso ordine nuntiorum. Qui studens prius parva, ct post nuntiare majora, in extremo liliorum mortem intulit : ne vilia pater rei familiaris damna duce­ ret, si illa jam orbatus audiret ; et minus percuteret rerum amissio, præcognita morte filiorum : quia videlicet nulla esset hereditas, si illos prius subtraheret, qui ser­ vabantur, heredes. Sed a minimis incipiens, in ultimum graviora nuntiavit ; ut dum gradatim deteriora cognos­ ceret, in ejus corde doloris locum omne vulnus inveniret. Notandum quam callide tot malorum pondera, et divisa, et subita nuntiantur : ut et repente, et particulatim cres­ cens, in audientis corde sese dolor ipse non caperet ; et tanto ardentius in blasphemiam accenderet, quanto subitis ac multiplicibus nuntiis in se angustius æstuaret. 27. Sed neque hoc neglecte praetereundum puto, quod filii in majoris fratris domo convivabantur, cum pereunt. Dictum namque est superius, quod convivia peragi sine culpa vix possunt. Ut ergo nostra, non illo- LIVRE SECOND 200 les éléments ne peuvent se mouvoir; on suggère discrè­ tement que celui-là a mu contre Job les éléments, qui leur a permis de se mouvoir, quoique, bien entendu, Satan, une fois reçu de Dieu le pouvoir d’en user pour sa méchanceté, peut aussi les ébranler. Il ne faut pas s’étonner que le diable rejeté du ciel ail pu exciter des tempêtes dans l’atmosphère, quand nous voyons les condamnes aux mines garder l’usage de l’eau et du feu. Il a donc cherché à ce que des malheurs soient annoncés, à ce qu’ils soient nombreux, à ce qu’ils soient subits. La nouvelle de la première catastrophe blessa un cœur encore en paix, c’est-à-dire, en somme, un organisme sain ; tandis que la répétition des coups sur ce cœur maintenant blessé, infligea, pour l’amener à des paroles de révolte, blessure sur blessure. 26. Remarquons encore avec quel art l’antique ennemi s’appliqua à venir à bout de la patience du saint, non pas tant par la destruction de ses biens que par la progression des messages, s’étudiant à commencer par les moindres, annonçant ensuite les plus graves, en venant enfin à la mort des enfants : un père déjà en deuil, risquait de tenir pour négligeable la perte des biens de la famille ; il risquait d’être moins touche par la ruine, une fois connue la mort de ses enfants : car (ce bien de famille) n’eût plus été un héritage si (Satan) eût enlevé d’abord les héritiers (jusque là) préservés. Commençant par les pertes les plus supportables, Satan garda les plus douloureuses pour la fin ; tandis que Job apprenait par degré ses malheurs, chaque blessure trouva dans son cœur une place pour la douleur. Notons bien avec quel art la gravité, la succes­ sion et la soudaineté de ces épreuves sont annoncées : de la sorte, cette douleur imprévue, croissant par degré, ne pourra se renfermer dans l’âme de l’auditeur, et elle explosera en blasphèmes d'autant plus ardents que ces messages subits et multipliés auront mis en efferves­ cence un cœur toujours plus serré par l’angoisse. 27. Je ne crois pas devoir laisser passer sans réflexions ce fait que les enfants dînaient dans la maison de leur aîné quand ils périrent. Nous avons dit plus haut qu’il 201 MORALES SUH JOB rum loquamur : sciendum nobis est, quia quod a mino­ ribus voluptuose agitur, majorum disciplina cohibetur ; cum vero majores ipsi voluptati deserviunt, nimirum minoribus lasciviæ frena laxantur. Quis enim sub dis­ ciplinæ se constrictione retineat, quando ct ipsi, qui jus constrictionis accipiunt, sese voluptatibus relaxant ? Dum ergo in majoris fratris domo convivantur, pereunt : quia tunc contra nos hostis vehementius vires accipit, quando ct ipsos, qui pro custodia disciplinæ prælati sunt, lætitiæ servire cognoscit. Tanto enim licentius ad feriendum occupat, quanto et hi, qui intercedere pro culpis poterant, voluptati vacant. Absit autem ne tanti viri filios per conviviorum studia ingurgitando ventri vacasse suspicemur : sed tamen veraciter novimus, quia etsi per disciplinæ quisquis custodiam necessitatis metas edendo non transit, accensa tamen mentis intentio inter convivia torpescit ; ct minus in quanto sit tentationum bello consi­ derat, quæ se per securitatem relaxat. In die ergo primi fratris filios obruit : quia antiquus hostis in minorum morte subversionis aditum per negligentiam majorum quærit. Sed quia quantis nuntiorum jaculis sit percussus, agnovimus ; vir fortis noster, qualis inter vulnera consis­ tat, audiamus. Sequitur : v. 20. Tunc surrexit Job, et scidit vestimenta sua : et tonso capite corruens in terram adoravit. XVI, 28. Nonnulli magnæ constantiæ philosophiam putant, si disciplinæ asperitate correpti ictus verberum doloresque non sentiant1. Nonnulli vero tam nimis percus­ sionum flagella sentiunt, ut immoderato dolore commoti, etiam in excessum linguæ dilabantur. Sed quisquis veram tenere philosophiam nititur, nccesse est ut inter utraque gradiatur. Non est enim pondus veræ virtutis, insensibilitas cordis : quia et valde insana per stuporem LIVRE SECOND 201 est presque impossible que les repas se passent sans péché. Pour parler de nous, et non de ces enfants, nous devons savoir que la conduite sensuelle des inférieurs est contenue par la correction de vie des grands ; mais quand ce sont les grands qui s’adonnent aux plaisirs, il est normal que le libertinage des sujets ne connaisse plus de frein. Qui voudra se soumettre à la gène d'une règle, lorsque ceux qui ont le pouvoir de faire observer cette règle lâchent la bride à leurs passions ? C’est pen­ dant un festin dans la maison du fils aîné que meurent les enfants de Job, parce que l’ennemi voit grandir scs forces contre nous, quand il sait que les préposés au main­ tien de la bonne tenue vivent dans la futilité. Il est d’au­ tant plus libre pour frapper, que ceux qui pouvaient intercéder pour les fautes se livrent au plaisir. Non, certes, que nous soupçonnions les enfants d’un tel père de n’avoir recherché dans ces repas qu’à se bien remplir l’estomac ; mais il reste vrai que, même en se gardant, par souci de bonne tenue, de dépasser à table les bornes du nécessaire, l’attention, même éveillée, s’engourdit au cours des festins ; et il sous-estime la violence de la guerre aux tentations, celui qui se relâche, se croyant en sûreté. C’est au jour du frère aîné que l’antique ennemi écrase les enfants de Job, parce que, profitant de la négligence des supérieurs, il trouve, dans la mort des inférieurs, une possibilité de tout bouleverser. Nous savons de combien de traits notre héros a été frappé par les messagers, écoutons maintenant commen il se comporte sous ces blessures. Le texte poursuit : Alors Job se leua, il déchira son manteau, se rasa la tête, puis se jetant à terre, il adora. 28. Corrigés durement, certains jugent qu’il est d'une haute et sereine philosophie de ne pas sentir les meur­ trissures et la douleur des coups1 ; d’autres ressentent 1. Allusion â l'apatMa des stoïciens. La constantia du texte latin est l'équivalent cicéronlcn de l'apathela. CL Ctc&RON, Tusculanes, 4. •lob. 19. 202 MORALES SUR JOB membra sunt, quæ et incisa dolore nequaquam possunt. Rursus virtutis custodiam deserit, qui dolorem verberum ultra quam necesse est sentit : quia dum nimia afflictione cor tangitur, usque ad impatientiæ contumelias excitatur ; et qui per flagella corrigere malefacta debuerat, agit ut nequitia per flagellum crescat. Contra insensibilitatem quippe percussorum per Prophetam dicitur : Percussisti eos, nec doluerunt ; attrivisti eos, et renuerunt accipere disciplinam1. Contra pusillanimitatem percussorum per Psalmistam dicitur : In miseriis non subsistent12. In miseriis namque subsisterent, si æquanimiter adversa tolerarent. At postquam mente inter flagella corruunt, quasi inter illatas miserias subsistendi constantiam perdunt. 29. Beatus itaque Job, quia veræ philosophise regulam tenuit, contra utraque mira se æquitatis arte servavit3: ut nec dolorem non sentiens, flagella sperneret ; nec rursum ultra modum dolorem sentiens, contra judicium flagellantis insaniret. Cunctis enim rebus perditis, cunctis liberis amissis, surrexit, scidit vestimenta sua, et tonso capite corruens in terram, adoravit. Quod vestimenta scidit, quod tonso capite in terram corruit, monstrat nimirum, quia flagelli dolorem sensit. Quod vero adjicitur, Adoravit, aperte ostenditur, quia et in dolore positus contra flagellantis judicium non excessit. Nec omnino ergo non motus est, ne Deum ipsa insensibilitate contem­ neret : nec rursum omnino motus est, ne nimis dolendo peccaret. Sed quia duo sunt præcepta caritatis, Dei videlicet amor, et proximi ; ut dilectionem proximi exolvcret, impendit filiis luctum : ne dilectionem Dei 1. JÉK.. 5. 3. 2. Ps., 139, 11. 3. Cf. Introduction, p. 17 ct 102. LIVRE SECOND 202 si douloureusement le choc de l’épreuve, qu’ébranlés par l’excès de la souffrance, ils se laissent aller à des intempérances de langage. Quiconque s’efforce de rester dans la vraie philosophie, doit garder la voie moyenne. L'insensibilité du cœur n’est pas la mesure d’une véri­ table vertu ; ils sont bien malades et inertes, des membres qui ne sentent rien, même quand on les entaille. C’est en revanche manquer de vertu que d'être sensible, plus qu’il n’est nécessaire, à la douleur des coups : quand, en effet, un cœur se trouve atteint d’une excessive afflic­ tion, il s'emporte jusqu’aux invectives de l’impatience ; lui qui, par les épreuves, aurait dû redresser sa mauvaise conduite, agit de telle sorte que, par l’épreuve, sa méchan­ ceté grandit. Un prophète s'élève contre l'insensibilité dans le mal­ heur : « Vous les avez frappés, et ils n’ont pas eu de douleur ; vous les avez exterminés, et ils n'ont pas voulu accepter le châtiment1 ». Et le psalmistc, contre la pusillanimité dans le malheur : « Dans la détresse, ils ne subsisteront pas2 » ; ils subsisteraient dans la détresse s’ils suppor­ taient l’adversité avec constance ; mais leur âme ayant croulé sous l’épreuve, ils perdent, pour ainsi dire, la force de subsister au sein de la détresse qui les frappe. 29. Le bienheureux Job, observant la règle de la vraie philosophie, s’oppose constamment à l'un et l’autre excès avec un sens admirable de la mesure3. I) n’a pas méprisé les épreuves par insensibilité ; et, à l'inverse, ne s’est pas exaspéré par excès de sensibilité contre la sentence de celui qui l'éprouve. Après la perte de tous ses biens, après la mort de tous ses enfants, il se leva, déchira ses vêtements, et s’étant rasé les cheveux, prosterné, il adora. En déchirant ses vêtements, en se rasant la tête, en se prosternant, il témoigne assez res­ sentir la douleur de l’épreuve. Mais en ajoutant : « il adora », on nous montre clairement que dans cette douleur il ne s’est pas emporté contre la sentence de Celui qui le frappait. Par conséquent, il ne fut pas complètement sans émo­ tion, de peur de mépriser Dieu par cette insensibilité 203 MORALES SUR JOB desereret, explevit inter gemitus orationem. Solent nonnulli in prosperis Deum diligere, in adversis autem positi flagellantem minus amare. Beatus autem Job per hoc, quod motus exterius exhibuit, ostendit quia flagella patris agnovit : per hoc autem, quod adorando humilis mansit, ostendit quia amorem patris nec in dolore deseruit. Ne igitur superbus esset non sentiens, in percussione corruit : ne autem sc ferienti extraneum faceret, ad hoc corruit, ut adoraret. Mos autem veterum fuit, ut quisquis speciem sui corporis capillos nutriendo servaret, eos tempore afflictionis abscideret : et rursum, qui tranquillitatis tempore capillos abscideret, eos in ostensione afflictionis enutriret. Beatus itaque Job tranquillitatis tempore capillos servasse ostenditur, cum ad doloris usum caput totondisse memoratur : quatenus cum in cunctis eum rebus manus superna percuteret, etiam sponte illum pœnitentiæ species diversa fuscaret. Sed iste exutus rebus, filiis orbatus, qui vestimenta scidit, qui caput totondit, qui in terram corruit, quid dicat, audiamus. v. 21. Nudus egressus sum de utero matris mere, nudus revertar illuc. XVII, 30. O quam altæ sedi interni consilii præsidet iste, qui scissis vestibus in terra prostratus jacet I Quia enim judicante Domino, cuncta amiserat, pro servanda patientia illud tempus ad memoriam reduxit, quo necdum ista, quæ perdidit, habebat : ut dum intuetur quod aliquando illa non habuit, dolorem temperet quod amisit. Magna enim consolatio est in rerum amissione, illa tempora ad mentem reducere, quibus nos contingit res, quas perdidimus, non habuisse. Quia vero omnes nos terra genuit, hanc non immerito matrem vocamus. Unde scriptum est : Grave jugum super filios Adam a die LIVRE SECOND I • 203 même ; à J’inverse il ne céda pas complètement à l’émo­ tion, de peur de pécher par excès d’affliction. Et parce qu’il y a deux préceptes de charité, l’amour de Dieu et l'amour du prochain, — pour s’acquitter de l’amour du prochain il pleura scs enfants, — pour ne point abandonner l’amour de Dieu, il pria au milieu de ses larmes. C’est une réaction ordinaire chez plusieurs d’ai­ mer Dieu dans le bonheur, mais, dans le malheur, d’avoir moins d’amour pour Celui qui les châtie. Le bienheureux Job, en manifestant son émotion, montra qu’il ressentit les coups du Père ; par l’adoration, où il demeura avec humilité, il montra que même la douleur ne lui fit pas abandonner l'amour du Père. Pour n'être pas orgueilleux par insensibilité, il se prosterna sous la main qui le frappait, mais pour ne pas se séparer de celui qui le frap­ pait, c’est pour adorer qu'il se prosterna. Or l’usage des anciens était que quiconque prenait soin de sa personne en entretenant ses cheveux, sc les coupait au temps de l'affliction, et qu’en revanche celui qui se coupait les cheveux au temps de la vie pai­ sible sc les laissait pousser en signe d’affliction. On nous apprend donc que Job portait les cheveux longs au temps de la vie paisible puisqu’on nous rappelle que, pour porter le deuil, il s’est rasé la tête : tandis que la main de Dieu le frappait dans tous ses biens, lui, de son propre mouvement, changea son aspect extérieur pour se couvrir des sombres dehors de la pénitence. Dépouillé de ses richesses, privé de ses enfants, il déchira son manteau, se rasa la tête et se prosterna ; mais écou­ tons ce qu’il dit : « Nu, je suis sorti du sein de ma mère, et nu, j'y retournerai ». 30. O combien élevé sera le siège sur lequel, au conseil secret, trônera celui qui gît, vêtements déchirés, pros­ terné sur le sol ! Par le jugement du Seigneur, il avait tout perdu ; alors, pour conserver la patience, il se remit en mémoire le temps où, de tout ce dont il était dépouillé, il n'avait encore rien. En considérant le temps où il n’avait rien, il adoucit la souffrance qu’il éprouvait à 201 MORALES SUR JOB exitus de ventre matris eorum, usque in diem sepulturæ in matrem omnium1. Beatus igitur Job, ut patienter lugeat quod hic amisit, vigilanter attendit qualis huc venerit. Ad augmentum autem servandæ patientiae, adhuc solertius inspicit hinc qualis recedit, et dicit : Nudus egressus sum de utero matris me:e, nudus revertar illuc. Ac si dicat : Nudum me huc intrantem terra protulit, i nudum me hinc exeuntem terra recipiet. Qui ergo accepta, sed relinquenda perdidi, quid proprium amisi ? Quia vero consolatio non solum ex consideratione conditionis ‘ adhibenda est, sed etiam ex justitia conditoris, recte subjungit : Dominus dedit, Dominus abstulit, sicut Domino placuit, ita /actum est. XVIII, 31. Sanctus vir, tentante adversario, cuncta perdiderat ; sed tamen sciens, quia contra se Satan tentandi vires, nisi permittente Domino, non habebat, non ait : Dominus dedit, diabolus abstulit, sed. Dominus dedit. Dominus abstulit. Fortasse enim fuerat dolendum, si quod conditor dederat, hostis abstulisset : at postquam non abstulit nisi ipse qui dedit, sua recepit, non nostra abstulit. Si enim ab illo accipimus, quibus in hac vita utimur, cur doleat quod ipso judicante exigimur, quo largiente fœneramur ? Nec aliquando injustus est creditor, qui dum præfixo reddendi tempore non constringitur ; quando vult, exigit quod fceneratur. Ubi ct bene subjungitur : Sicut Domino placuit, ita factum est. Cum enim in hac vita ea quæ nolumus, patimur, necesse est ut ad eum, qui injustum velle nil potest, studia nostræ voluntatis inclinemus. Magna quippe est consolatio in eo quod displicet, quod illo ordinante erga nos agitur, 1. Sa : mais pour lui, s’être anéanti, c’est s’être rendu visible, privé de sa grandeur invisible, afin que la condition de serviteur cachât l’infinie pénétration qu’il avait de toutes choses par sa divinité. Pour Dieu, dire en figure à Satan : « As-tu remarqué mon serviteur Job ?» c’est lui montrer et lui opposer son Fils unique, admirable, sous la forme d’un esclave. Car justement, en manifestant les vertus merveilleuses de cet être de chair, c’était comme montrer à l’orgueil de l’adversaire un spectacle qui le ferait souffrir. Après lui avoir présenté ce bien à admirer, il reste, pour mater sa superbe, à énumérer ses vertus. Le texte poursuit : « C'est un homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal ». 43. Le Médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ, est venu parmi les hommes ; simple, pour donner aux hommes un exemple de vie ; droit pour combattre sans merci les esprits mauvais ; craignant Dieu, pour défaire complètement l’orgueil ; éloigné du mal, pour purifier de toute impureté la vie de ses élus. C’est 1. Phil., 2, n. 213 MORALES SUR JOB Domini'. Et ipse a malo singulariter recessit : quia facta imitari noluit, quæ in hominibus invenit, quoniam attestante Petro : Peccatum non jecit, nec dolus inventus est in ore ejus1 2. Sequitur : Respondens Satan ait: Numquid frustra Job timet Deum ? Nonne tu vallasti eum, ac domum ejus, universamque substantiam per circuitum ? Operibus manuum ejus benedixisti, et possessio illius crevit in terra. Antiquus hostis Redemtorem humani generis, debellatorem suum in mundum venisse cogno­ vit : unde et per obsessum hominem in Evangclio dicitur : Quid nobis, et tibi. Fili Dei ? Venisti huc ante tempus torquere nos3 2 Qui tamen prius cum hunc passibilem cerneret, cum posse mortalia perpeti humanitatis videret ; omne quod de ejus divinitate suspicatus est, ei fastu suæ superbiæ in dubium venit. Nil quippe nisi super­ bum sapiens, dum esse hunc humilem conspicit, Deum esse dubitavit. Unde et. ad tentationum sc argumenta convertit, dicens : Si Filius Dei es, dic ut lapides isti panes fiant1 ? Quia igitur passibilem vidit, non Deum natum, sed Dei gratia custoditum credidit. Unde et nunc inferre perhibetur : v. 10. Nonne tu vallasti eum, ac domum ejus, uni­ versamque substantiam ejus per circuitum ? Operibus manuum ejus benedixisti, et possessio ejus crevit in terra. XXV, 44. Eum quippe ac domum ejus a Deo vallatam dicit : quia tentando ejus conscientiam penetrare non potuit5 : Substantiam ejus vallatam asserit: quia electos ejus invadere non præsumit. Operibus manuum ejus benedixisse Deum, ct possessionem ejus excrevisse in terra queritur : quia scilicet tabescens videt, quod 1. Is., 11,3. 2. 1 P1UHHR, 2, 22. 3. Μλττη., 8. 29 ; cf. Lc, 8, 28 ct Mc, 5, 7. LIVRE SECOND 213 de lui surtout qu Isaïe * a écrit : « L'Esprit de la crainte du Seigneur le remplira1 ». Et lui-même s’est particulièrement éloigne du mal ; il n’a pas consenti à imiter ce qu’il trouvait dans l’homme au témoignage de saint Pierre : « Lui qui n'a point commis de pêché, et sur les lèvres duquel il ne s'est point trouvé de mensonge2 ». Le texte poursuit : Satan répondit : « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu ? Ne Vas-tu pas protégé de toutes parts, lui, sa mai­ son et tout ce qui lui appartient ? Tu as béni l’œuvre de ses mains, et sa richesse a grandi sur la terre ». L’antique ennemi savait bien que le Rédempteur du genre humain était venu dans le monde en vainqueur. Il fait dire à un possédé, dans l’Évangile : « Qu’avonsnous à faire avec toi, ό Fils de Dieu ? es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps 3 ? » Et cependant, au début, en le voyant susceptible de souffrir et d’endurer la mort comme tous les hommes, il en vint à douter, dans son prétentieux orgueil, de tout ce qu’il avait soupçonné de sa divinité. Ne pouvant éprouver que des sentiments d’orgueil, le voyant humble, il douta qu’il fût Dieu. Afin de s'en assurer, il recourut aux tentations : « Si tu es le Fils de Dieu, commande à ces pierres de devenir des pains * ». L’ayant vu soumis à la souffrance, il ne put croire qu’il fût Dieu par naissance, mais un homme que la grâce de Dieu protégeait, et c’est ce que marque notre texte : « jVe l'as-tu pas protégé de toutes parts, lui, sa maison et tout ce qui lui appartient ? Tu as béni l'œuvre de ses mains, et sa richesse a grandi sur la (erre ». 44. Lui et sa maison sont défendus par Dieu, dit Satan, voyant que par la tentation il ne pouvait pénétrer dans sa conscience5. Ses biens aussi sont défendus par Dieu, affirme Satan, qui n'a pas l’espérance de pouvoir écraser les élus de Dieu. Il se plaint que Dieu ait béni l’œuvre de ses mains et que sa richesse ait grandi sur I. Mattu., 4, 3 ; cf. Le. 4. 3. 5. Voir Inlrndfiction, p. 55. 214 MORALES SUR JOB fides ejus in notitiam hominum, prædicantibus Apostolis, multiplicatur. Possessio quippe ejus crescere dicitur, dum laborantibus prædica tori bus, fidelium quotidie numerus augetur. Hæc itaque Satan Deo dixisse est, talia invidendo sensisse. Hæc Satan Deo dixisse est, de his tabescendo doluisse. Sequitur : v. 11. Extende paululum manum tuam, et tange cuncta quæ possidet, nisi in faciem benedixerit tibi. XXVI, 45. Quem enim tranquillitatis tempore Dei gratia custoditum credidit, peccare posse per passionem putavit. Ac si aperte dicat : Interrogatus afflictionibus, homo ct peccator agnoscitur, qui in miraculis Deus putatur. Dixit ergo Dominus ad Salan : v. 12. Ecce universa quæ habet, in manu -tua sunt : tantum in eum ne. extendas manum tuam. XXVII, 46. Cum sacram historiam sub figurali intel­ lectu discutimus, Satanæ manus non potestas, sed tentatio debet intellegi. Universa itaque quæ habet, in manum tentantis dantur, et in eum tenlationis manus extendi prohibetur, quod tamen fieri substantia amissa conceditur : quia nimirum prius Judæa, quæ possessio ejus fuerat, in infidelitate sublata est, et post ejus caro patibulo crucis affixa. Qui igitur prius Judæam adversan­ tem pertulit, et postmodum usque ad crucem venit : quasi prius habita amisit, et post in semetipso adversantis nequitiam pertulit. Egressusque est Salan a facie Domini. XXVIII, 47. Sicut et superius dictum est, Satan a facie Domini exiit ; quia ad desiderii sui vota pervenit. Quasi enim ante ipsum erat, dum propter ipsum, quæ male sitiebat, implere non poterat. LIVRE SECOND 214 la terre, parce qu’il se consume en voyant le progrès de la foi dans les consciences par la prédication des apô­ tres. On dit que ses richesses grandissent quand, par le travail des prédicateurs, le nombre des fidèles augmente chaque jour. Pour que Satan ait dit pareilles choses à Dieu, c’est qu’il en a ressenti de la jalousie ; pour que Satan ait dit pareilles choses à Dieu, c’est qu’il en a été consumé de douleur. Le texte poursuit : « Étends un peu la main, louche à (oui ce qu'il possède, et tu verras s'il ne te maudit pas en face ». 45. Il croyait que, protégé par la grâce de Dieu au temps de la vie paisible, cet être pourrait succomber sous la souffrance. A s’exprimer ouvertement, il dirait : Cet homme éprouvé par la souffrance, apparaîtra pécheur, lui qui, grâce à scs miracles, passe pour être Dieu. Aussi le Seigneur répondit-il à Satan : « Voici, tout ce qu'il a est dans la main, mais sur lui ne porte pas la main ». 46. Puisque c’est le sens figuré de l’Écriture que nous examinons, il faut entendre par la main de Satan, non son pouvoir, mais les tentations. Tout ce qui appar­ tient à Job, se trouve livré aux mains du tentateur, mais il est défendu à Satan d’étendre sur sa personne la main de la tentation, ce qui, après la ruine, lui est pourtant permis. C’est qu’en effet, la Judée, qui avait été le fief du Seigneur, lui fut enlevée quand elle devint infidèle. Ce n’est qu’ensuite que la chair du Rédempteur a été clouée sur le gibet de la Croix. Lui donc, qui eut à souffrir d’abord l’opposition des Juifs et en arriva ensuite à la Croix, on peut dire qu’il a perdu ce qu’il possédait, avant d’avoir enduré, sur lui-même, la cruauté de l'ennemi. Et Satan se retira de devant la face de Dieu. 47. Comme nous l’avons dit plus haut, Satan se retira de devant la face de Dieu, quand il parvint à la réalisation de scs vœux ; il était en effet pour ainsi dire devant Dieu tant qu'il ne pouvait pas réaliser, à cause de Dieu, le mal dont il était altéré. 215 MORALES SUH JOB v. 13. Cum autem quadam die filii ejus et filiæ comederent et biberent vinum in domo jratris sui primogeniti. XXIX, 48. Beati Job filios et filias, vel Apostolorum ordinem, vel cunctorum fidelium multitudinem diximus designasse. Incarnatus autem Dominus prius ex Judæa ad fidem paucos elegit, et post sibi multitudinem populi gentilis aggregavit. Quis autem major Domini filius, nisi Judaicus accipi populus debet, qui ei dudum datæ Legis fuerat doctrina generatus : minor autem gentilis populus, qui et in mundi extremitate collectus est ? Quia igitur cum Satan utilitati hominum nesciens deser­ viret, et corruptis persecutorum cordibus licentiam Dominicæ passionis expeteret, sancti Apostoli necdum aggre­ gandam Deo gentilitatem noverant, et soli Judææ fidei arcana prædicabant : cum Satan exiisse a Domino dici­ tur, filii et filiæ in domo fratris primogeniti convivari referuntur. Dictum quippe eis fuerat : Jn viam Gentium ne abieritis1. Post mortem namque resurrectionemque Domini in Gentium prædicationem conversi sunt. Unde et in suis Actibus dicunt : Vobis oportebat loqui primum verbum Dei : sed quia repulistis illud, et indignos vos judicastis æternæ vilæ, ecce convertimur ad Gentes1 2. Hi itaque filii sponsi, dc quibus et ejusdem voce sponsi dicitur : Non jejunabunt filii sponsi, quamdiu cum illis est sponsus3, in domo fratris primogeniti convivantur : quia videlicet adhuc Apostoli sacræ Scripturæ deliciis in solius Judaici populi collectione vescebantur4. v. 14 et 15. Nuntius venit ad Job, qui diceret : Boves arabant, et asinæ pascebantur juxta eos, et irruerunt 1. Matth., 10, 5. 2. Aci., 13, 46. 3. Cf. Lc, 5, 34, Mc, 2, 10 ct Matth., 9, 15. LIVRE SECOND 215 « Or un jour que ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère aîné ». 48. Les fils et les filles du bienheureux Job figurent, nous l’avons dit, soit le collège apostolique, soit l’ensemble des fidèles. Le Seigneur incarné choisit d’abord et appela à la foi un petit nombre d'habitants de Judée, et ce fut après qu’il attira à lui la multitude des Gentils. Qui donc est le fils aîné du Seigneur, sinon le peuple juif, engendré, jadis, au Seigneur par la promulgation de la Loi ; et qui sont les cadets, sinon les païens rassemblés des extrémités du monde ? Quand Satan, servant sans le savoir au bien des hommes, cherchait à obtenir des cœurs corrompus des persécuteurs le moyen de faire souffrir au Christ sa Passion, les saints apôtres ignoraient encore qu’ils devaient amener ù Dieu la Gentilitc, et ne prêchaient qu’aux seuls Juifs les mystères dc la foi ; aussi, quand on nous dit que Satan se retira de devant Dieu, on rap­ porte que les fils et les filles de Job sont en train de banqueter dans la maison de leur frère aîné. Il avait été dit aux apôtres: «N’allez point dans les voies des Gentils1 ». Ce n’est qu’après la mort ct la résurrection du Seigneur qu’ils se sont tournés vers l’évangélisation des païens, selon ce qu'ils disent dans leurs Actes : « C'est à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu ; mais parce que vous l’avez repoussée, et que vous vous êtes jugés indignes de la vie éternelle, voici que nous nous tour­ nons vers les nations2 ». C’est pourquoi les enfants dc l'Époux, dont il est dit par la voix de l’Époux lui-même : » Les enfants de l’Époux ne jeûneront pas tant que l’Époux est parmi eux3 », font un repas dans la maison de leur frère aîné, puisque les apôtres se nourrissaient encore des délices de la Sainte Écriture au milieu du seul peuple d’Israël ’. Un messager vint dire à Job : » Les bœufs étaient à labourer, et les finesses paissaient autour d’eux ; tout à coup 1. Tout ce passage est extrêmement différent dc ce que l’on peut trouver chez le* Pères antérieurs, Origine entre autres. 216 MORALES SUR JOB Sabæi, tuleruntque omnia, et pueros percusserunt gladio, et evasi ego solus, ut nuntiarem libi. XXX, 49. Quid aliud per figuram boves, quam bene operantes: quid aliud asinas, quam quosdam simpliciter viventes accipimus ? Quæ bene juxta boves pasci refe­ runtur : quia mentes simplicium etiam cum alta capere non possunt, eo magis vicinæ sunt, quo et fraterna bona, sua per caritatem credunt : cumque invidere alienis sensibus nesciunt, quasi in pastu se minime dividunt. Simul ergo se asinæ cum bobus reficiunt : quia prudentibus conjuncti tardiores, eorum intelligentia pascuntur. Sabæi autem captivantes interpretantur. Et qui alii capti­ vantium nomine, nisi immundi spiritus designantur, qui cunctos, quos sibi subjiciunt, in infidelitatem captivos ducunt ? Qui et pueros gladio feriunt : quia eos tentationis suæ graviter jaculis vulnerant, quos necdum juvenilis constantia liberos vel robustos servat. Qui bene quidem bona incipiunt, sed in ipsa adhuc inchoationis suæ teneritudine captivantibus immundis spiritibus subster­ nuntur. Quos gladio hostis percutit, quia aeternitatis desperatione transfigit. 50. Quid est autem hoc quod nuntius venit, qui diceret : Evasi ego solus ? Quis est iste nuntius, qui aliis pereuntibus, solus evadit, nisi propheticus sermo, qui, dum fiunt omnia mala quæ prædixit, quasi sanus ad Dominum solus redit ? Dum enim vera dixisse de perditorum casu cognoscitur, quasi inter mortuos vixisse monstratur. Hinc est, quod ad Rebeccam in Isaac conjugio deducendam puer mittitur1 : quia videlicet ad desponsandam Ecclesiam Domino, interposita prophetia famulatur. Sabæis ergo irruentibus, solus puer qui nuntiaret evasit : quia malignis spiritibus infirmorum mentes in captivitatem ducentibus, sententia prophetiæ LIVRE SECOND 216 les Sabéens ont fait irruption et ont tout enlevé, ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer ». 49. Que sont les bœufs, sinon le symbole des bons ouvriers ; et les ânesses, sinon ceux qui vivent avec simplicité ? On nous dit bien qu’elles paissent auprès des premiers, car les esprits simples, même incapables de saisir les vérités élevées, en sont d’autant plus proches que, par charité, ils jugent leur le bien de leurs frères. Incapables d’envier les connaissances d’autrui, tout comme au pâturage, ils ne s’en séparent pas. Ensemble paissent les ânesses et les bœufs, parce que les esprits les plus lents, se joignant aux plus sages, se nourrissent de leur savoir. Le sens de a Sabéens » est « Ceux qui font captifs ». Quels autres sont désignés de ce nom : « Qui font captifs », sinon les esprits impurs qui emmènent en captivité tous ceux qui se sou­ mettent en leur faisant perdre la foi ? Ils passent les jeunes serviteurs au fil de l'épée en blessant gravement, par les traits de leurs tentations, ceux qu’une juvénile fermeté ne maintient pas encore dans la force et la liberté ; ils commencent, certes, à faire le bien, mais n’étant pas sortis de la fragilité de l’enfance, ils sont terrassés par les esprits immondes qui les retien­ nent prisonniers ; l’ennemi les passe au fd de l’épcc en les transperçant d'un éternel désespoir . 50. Que signifie le mot du messager : « Je me suis échappé seul ? » Quel est ce messager, sinon le discours prophétique qui seul échappe au massacre, qui seul, pour ainsi dire, revient indemne au Seigneur, quand arrivent les malheurs qu’il a prédits ? Quand on reconnaît l’exactitude de ses dires par l'avènement des malheurs, il apparaît comme ayant vécu au milieu des morts. De là vient qu’on envoie un servi­ teur chercher Rébecca pour en faire l’épouse d’Isaac1. Ainsi, pour les épousailles de l’Église avec le Seigneur, la prophétie sert d’intermédiaire. Lors de l’attaque des 1. Gen.. 24, 9. 217 MORALES SUR JOB convaluit, quæ eamdem captivitatem prænuntians dicit : Propterea captivus ductus est populus meus, quia non habuit scientiam1. Prophetia ergo quasi salvatur, dum captivitas, quam prædixit, ostenditur. Sequitur : v. 16. Cumque, adhuc ille loqueretur, venit alter, et dixit: Ignis Dei cecidit de cælo, et tactas oves, puerosque consurnsit, et effugi ego solus, ut nuntiarem tibi. XXXI, 51. Omnes, qui prædicationis officium in synagoga tenuerunt, cælum recte vocali sunt : quia nimirum sapere superna credebantur. Unde et Moyses, cum sacerdotes ac populum ad verba suæ admonitionis excita­ ret, dixit : Attende, cælum, et loquar ; <7 audiat terra verba ex ore. meo1 2 : per cælum videlicet signans praepositorum ordinem, per terram vero subditam plebem. Hoc igitur loco cælum, sacerdotes, vel Pharisæos. vel Legis doctores non inconvenienter accipimus, qui ante oculos hominum dum cælestibus officiis inservirent, quasi desuper lucere videbantur. Sed quia ipsi summopere in Redemtoris nostri adversitate commoti sunt, quasi ignis de cælo cecidit : dum ad decipiendum imperitum populum, ab his etiam qui vera docere putabantur, flamma invidi® exarsit. Teste quippe Evangelio novimus, quod doctrinæ veritatis invidentes, opportunitatem Dominicæ tradi­ tionis exquirebant ; sed metuentes populum, quæ molie­ bantur innotescere non audebant. Hinc etiam in eo scriptum est, quod dissuadendis populis dicunt : Numquid aliquis ex princibus credidit in eum. aut ex Pharisæis ? Sed turba hæc quæ non novit Legem, maledicti sunt3. Quid autem in ovibus atque in pueris, nisi innocentes quos­ que, sed tamen adhuc infirmos, accipimus ? qui dum 1. Is.. 5, 13. 2. Deut., 32, I. selon le* Septante. 3. Jn, 7, -18-19. LIVRE SECOND 217 Sabéens un seul serviteur s’échappa pour en porter la nouvelle ; car lorsque les malins esprits emmenèrent en captivité les âmes des faibles, la prophétie sc réalisa qui, prédisant cette même captivité, dit : « C’esf pourquoi mon peuple s'en est allé capti/, parce qu'il a manqué de sagesse1 » : la prophétie est comme sauvée quand sc réalise la captivité qu’elle avait prédite. Le texte poursuit : Il parlait encore lorsqu’un autre arriva et dit : « Le /eu de Dieu est tombé du ciel sur les brebis et les serviteurs et les a dévores, et je me suis échappé seul pour le Γ annoncer ». 51. Tous ceux qui, dans la Synagogue, remplissaient le ministère de l’enseignement étaient fort bien appelés a Ciel » puisqu’on les supposait particulièrement capables de goûter les choses du ciel. De là vient que Moïse, pour attirer l'attention des prêtres et du peuple sur les termes de son instruction, leur dit : « deux, écoutez-moi et je parlerai, et que la terre entende les paroles de ma bouche - ». Par le ciel il marque l’ordre sacerdotal, par la terre le peuple qui lui est soumis. Nous pouvons donc entendre ici par le ciel les prêtres, les pharisiens et les docteurs de la Loi qui, aux yeux des hommes, étaient occupés à des fonctions célestes, et paraissaient être comme des lumières d’en-haut. Mais parce qu’ils furent complè­ tement bouleversés en sc heurtant à notre Rédempteur, le feu tomba du ciel pour ainsi dire quand, trompant le peuple ignorant, la flamme de la jalousie fut allumée par ceux-là mêmes qui étaient censés enseigner la vérité. L'Évangile nous apprend en effet, que regardant de travers les doctrines de la Vérité, ils cherchaient l'occasion de s’emparer du Seigneur ; mais, par crainte du peuple, ils n'osaient faire connaître leurs machinations. Aussi y est-il écrit que voulant dissuader la foule, ils disaient : « Y a-t-il personne des chefs ou des pharisiens qui ait cru en lui ? Car cette populace qui ne sait ce qu'est la Loi, ce sont des maudits3 ». Par les brebis et par les serviteurs, qu’entendons-nous, sinon les âmes innocentes mais encore faibles, qui n’ont pas osé supporter l’opposition des pharisiens et des chefs et sc sont laissées dévorer par le feu de l'infidélité ? Job. 21. 218 mobat.es sun JOB adversitatem Pharisæorum ac prindpum tolerare timue- I runt, infidelitatis concrematione consumti sunt. Dicatur ergo : Ignis Dei cecidit de crelo, et tactas oves, puerosque consumsit, id est, a praepositorum cordibus flamma invidiæ corruit, et quidquid boni in plebibus oriebatur, incendit : quia dum mali pnepositi suum contra veritatem honorem 1 exigunt, ab omni rectitudine corda sequentium subver- I tunt. Ubi et bene adjungitur : Et effugi ego solus, ut nuntiarem tibi : quia dum impletur praedicta causa j malitiæ, fallaciæ interitum evadit sermo prophetiae, I qui ait : Et nunc ignis adversarios consumit1. Ac si I aperte dicat : Malos non solum ignis per vindictam post cruciat, sed nunc etiam per livorem cremat : quia qui post puniendi sunt retributionis supplicio, nunc semetipsos ’ afficiunt invidiæ tormento. Puer ergo solus fugiens remeat, et igne periissc oves puerosque denuntiat, dum prophetia. I Judaicum populum deserens, vera se dixisse manifestat, quæ ait : Zelus apprehendit populum ineruditum-. Ac si aperte dicat : Dum verba Prophetarum plebs discutere noluit, sed credulitatem suam verbis invidentium dedit, zeli igne periit : quia in alienæ invidiæ sc flamma concre­ mavit. Sequitur : v. 17. Sed et illo adhuc loquente, venit alius, et dixit : Chaldæi fecerunt 1res turmas, ct invaserunt camelos, et tulerunt eos, necnon pueros percusserunt gladio : et effugi ego solus, ut nuntiarem libi. XXXII, 52. Quia Chaldæos interpretari feroces novi­ mus, qui alii Chaldæorum nomine designantur, nisi perse­ cutionis auctores usque ad apertos clamores malitiæ prorumpentes, cum dicunt : Crucifige, crucifige3 ? Qui de semetipsis tres turmas faciunt, cum se ad propo1. ls.,26, 11. LIVRE SECOND 218 Que l’on dise donc : « Le feu de Dieu est tombé du ciel sur les brebis et les serviteurs, et les a dévorés », c’est-à-dire : du cœur des chefs a jailli la flamme de l’envie, et elle a dévoré tout le bien qui naissait dans le peuple ; quand de mauvais chefs exigent le respect à l’encontre de la vérité, ils pervertissent complètement le cœur de ceux qui les suivent. Ici, l’Écriture ajoute avec justesse : « Je me suis échappé seul pour te l’annoncer ». Quand en effet sc réalise la mau­ vaise prédiction, la prophétie échappe à la mort de l’er­ reur, clic qui dit : π Et maintenant le feu dévorera vos enne­ mis1 » ; en termes plus clairs : non seulement les méchants seront torturés plus tard par le feu de la vengeance, mais dès maintenant ils sont brûlés par l’envie, parce que ceux qui, dans la suite, doivent être punis d’un supplice mérité, s'infligent dès maintenant à eux-mêmes les tourments de la jalousie. Donc, seul un esclave s’échappe par la fuite et annonce que les brebis et les jeunes serviteurs ont péri par le feu, quand la prophétie, abandonnant le peuple juif, prouve la véracité de son dire par ces paroles: « La jalousie s’est emparée d'un peuple ignorant23», ce qui signifie claire­ ment : le peuple n'a pas voulu examiner les paroles des prophètes, il a fait confiance aux discours des envieux, et il a péri par la flamme de la jalousie, en prenant feu luimême au contact de la brûlante envie d’autrui. Le texte poursuit : Il parlait encore lorsqu'un autre arriva et dit : « Les Chaldéens, partagés en trois bandes, se sont jetés sur les chameaux et les ont enlevés, ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour le l’annoncer ». 52. Sachant que le mot a Chaldéens » signifie a féroces », qu’entendre par le nom de Chaldéens, sinon les auteurs de la persécution éclatant en clameurs d’une haine qui s’affiche quand ils disent : « Crucifiez-le, crucifiez-le2 » ? Ils se sont constitués en trois bandes quand, pour poser 2. On ne sait à quel texte 58. La Sainte Écriture dit de la parole de Dieu ou du Saint-Esprit a qu'ils tombent », pour exprimer leur arrivée inopinée. Ce qui fond ou tombe se porte d’un seul coup en bas. Pour le Médiateur, c’est en quelque sorte s’être jeté sur la terre que d’être venu aux nations inopinément, sans signes avant-coureurs. On dit avec justesse que se jetant à terre, il adora : parce que, quand il prit l'humilité de la chair, il infusa en ceux qui croient en lui les désirs qu’inspire l’humilité : car il fit ce qu’il a enseigné de faire, ainsi qu’il est dit de son Esprit : « L'Esprit lui-même demande pour nous en d'ineffables gémissements1 » : (l’Esprit), étant un égal, ne quémande pas ; si toutefois on dit qu’il demande, c’est qu’il porte ceux qu’il remplit à demander ; ct à vrai dire, notre Rédempteur, en sa propre personne, nous en a donné aussi un exemple, lui qui, à l’approche de sa Passion, a prié son Porc avec instance. Et faut-il s’étonner qu’ayant pris la condition d’un esclave il sc soit soumis à son Père dans une prière instante, lui qui a supporté les coups des pécheurs jusqu'à en mourir ? Le texte poursuit : « Nu, je suis sorti du sein de. ma mère, et nu, j'y retournerai ». , 59. La mère du Rédempteur selon la chair, c’est la Synagogue d’où il s’est avancé vers nous revêtu d’un corps qui le rendait visible. Elle l’a tenu caché sous le couvert de la lettre, en négligeant d’ouvrir les yeux de l'âme à l’intelligence spirituelle. Refusant devoir le Dieu qui se cachait sous la chair d’un corps humain, elle a comme dédaigné de considérer à nu sa divinité. Mais nu, du sein de sa mere, il est sorti : parce que, quittant le sein de la Synagogue, il est venu aux nations. C’est ce qu’avait bien figure la fuite de Joseph aban­ donnant son vêtement. Quand la femme adultère voulut abuser de lui, il se sauva en laissant son vêtement1 2 : la Synagogue, ne voyant en Jésus qu’un homme, voulut l'enlacer dans une étreinte adultère ; alors il lui laissa 1. Km. 8, 26. 2. Gcn., 39, 12. 225 MORALES SUR JOB se Gentibus præbuit. Unde et Paulus dixit : Usque hodie, dum legitur Moyses, velamen est super cor eorum1 : quia videlicet adultera mulier apud semetipsam pallium reti­ nuit, et quem male tenebat, nudum amisit. Qui ergo a Synagoga veniens, fidei Gentium conspicuus apparuit, ex utero matris nudus exivit. Sed numquid hanc omni­ modo deserit ? Et ubi est quod per Prophetam dicitur : Si fuerit numerus /diorum Israel quasi arena maris, reliquiæ salvæ fient- ? Ubi quod scriptum est : Donec plenitudo Gentium introiret, et sic omnis Israel salvus fiereP ? Erit ergo quando conspicuus etiam Synagogæ appareat. Erit in fine mundi procul dubio, quando gentis suæ reliquiis semetipsum, sicut est Deus, innotescat. Unde et bene hic dicitur : Nudus revertar illuc. Nudus quippe ad uterum matris revertitur, cum in mundi hujus termino is, qui in sæculo factus homo despicitur, Synagogæ suæ oculis, Deus ante sæcula declaratur. Sequitur : Dominus dedit, Dominus abstulit : sicut Domino placuit, ita factum est : si/ nomen Domini benedictum. XXXVII, 60. Redcmtor noster per hoc quod Deus est, cum Patre dat omnia : per hoc vero quod homo est, a Patre accipit inter omnia. Dicat igitur de Judæa, cum venturum incarnationis ejus mysterium crederet : Domi­ nus dedit. Dicat de Judæa, cum cxpcctalam incarna­ tionis ejus praesentiam contemsisset : Dominus abstulit. Data quippe est, cum per quosdam futura credidit : sed exigente merito suæ caecitatis ablata est, cum credita per quosdam venerari contemsit. 61. In se autem credentes edoceat, ut in flagellis posi-1 23 1. II Cor.. 3, 15. 2. Is.. 10. 22 et Rnm., 9, 27. 3. Λοπι., 11,23 cl 26. LIVRE SECOND 225 le manteau de la lettre sur les yeux, et s’offrit aux regards des païens pour leur faire connaître la puissance de sa divinité. De là le mot de saint Paul : « Aujourd'hui encore, quand on lit Moïse, ils onl un voile sur le cœur1 ». La femme adultère ne garda dans les mains que le vêlement et laissa échapper nu celui qu’elle avait saisi maladroitement. Lui donc, quittant la Synagogue et se manifestant à la foi des païens, est sorti nu du sein de sa mère. Mais l’a-t-il pour cela entièrement abandonnée ? D’où viendrait alors que le prophète a dit : a Quand bien même le nombre des cn/ants d'Israël serait comme le sable de la mer, un petit reste seulement sera sauvé2 » ? D'où viendrait qu’il est écrit : « Jusqu’à ce que soit entrée la masse des gentils, et que, de la sorte, Israël tout entier soit sauvé9 » ? Un jour viendra donc où il se fera pleinement reconnaître à la Synagogue elle-même : ce sera sans aucun doute à la fin du monde, quand luimême, au « reste » de sa race, se montrera tel qu’il est, Dieu. Et c’est très justement qu’il est dit ici : « Nu, j’y retournerai », car c’est nu qu’il revient au sein de sa mère quand, à la lin du monde, celui qui s’est fait homme dans le temps et se trouve méprisé, révélera à sa propre Synagogue qu’il était Dieu avant les siècles. Le texte poursuit : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, comme il a plu au Seigneur il est arrivé, que le nom du Seigneur soit béni ». 60. Notre Rédempteur, en tant que Dieu, donne toutes choses avec son Père, mais en tant qu’homme, il en reçoit certaines de son Père. Qu’il dise donc de la Judée quand elle croyait au mystère à venir de l’incarnation : «Le Seigneur a donné». Qu’il dise de la Judée quand clic eut méprisé la réalisation attendue de l’incarnation : « Le Seigneur a enlevé ». Elle fut donnée quand, en la personne de certains (de ses fils), elle crut aux événements à venir ; mais, comme le récla­ mait le châtiment de son aveuglement, elle fut enlevée, quand, par certains (de scs fils), elle négligea de révérer l'objet de sa croyance. 61. Que le Rédempteur, donc, instruise ceux qui Job. 22. 226 MORALES SUR JOB ti benedicere Domino sciant, cum subditur : Sicul Domino placuit, ita factum est : sit nomen Domini benedictum. Unde et teste Evangelio, cum propinquare passioni dicitur, accepto pane gratias egisse perhibetur’, Gratias itaque agit, qui flagella alicnæ iniquitatis suscipit. Et qui nihil dignum percussione exhibuit, humiliter in percussione benedicit : ut hinc videlicet ostendat quid unusquisque in flagello culpæ propriæ facere debeat, si ipse æquanimiter flagella culpæ portat alicnæ ; ut hinc ostendat, quid in correptione faciat subditus, si in flagello positus Patri gratias agit aequalis. Sequitur : v. 22. In omnibus his non peccavit Job, neque stultum aliquid contra Deum locutus est. XXXVIII, 62. Quod nec peccasse, nec stultum ali­ quid contra Deum locutus asseritur ; hoc de illo Petrus, sicut jam prædiximus-, aperte testatur, dicens : Qui peccatum non fecit, nec dolus inventus est in ore ejus3. Dolus quippe in ore, quanto apud homines prudentius callet, tanto apud Deum stultius desipit, Paulo attestante, qui ait : Sapientia hujus mundi, stultitia est apud Deum . * Quia ergo dolus in ore ejus non fuit, stultum procul dubio nihil dixit. Hunc contra Deum sacerdotes et principes locutum stulte, crediderunt, cum interrogatus passionis tempore, Dei sc Filium testaretur. Unde et conquirentes dicunt : Quid adhuc egemus testibus ? eccc ipsi audivimus . * blasphemiam Sed contra Deum stulte nihil dixit : quia vera loquens, hoc de se infidelibus etiam moriendo intulit, quod paulo post redemtis omnibus resurgendo monstravit. 1. I.c, 22, 19 ; - cf. Me, 14, 22 ; Mattii., 20, 26, ct 1 Cor., 11, 24. 2. Cf. Mor., 2, 43. 3. I Ρχκηηκ, 2, 22. LIVRE SECOND 226 croient en lui de sorte que, dans l’épreuve, ils sachent bénir Dieu. Aussi le texte poursuit : « Comme il a plu au Seigneur, il est arrivé, que le nom du Seigneur soil béni ». Et c’est pourquoi l’Évangile montre le Rédempteur à l'approche de la Passion prenant du pain et rendant grâces1. Il rend grâces, lui qui prend sur soi la peine de l’iniquité. Et lui qui, en aucune façon, n’a mérité d’être frappé, sous le coup, humblement, il bénit (Dieu) ; il nous montre ainsi ce que nous devons faire quand nous sommes punis pour nos propres péchés, lui qui d’une âme égale a supporté d’être puni pour les péchés d’autrui. Parla, il nous indique ce que l’inférieur doit faire quand il est corrigé, puisque, dans l’épreuve, celui qui est égal au Père rend grâces. Le texte poursuit : En tout cela Job ne pécha point et ne dit rien d'insensé contre Dieu. 62. On assure donc ici que Job n’a ni péché ni parle déraisonnablement contre Dieu. Pierre, nous l’avons dit2, affirme clairement la même chose de notre Rédemp­ teur : « Lui qui n'a point commis de pêché, et sur les lèvres duquel il ne s’est point trouvé de mensonge3». Et certes, plus le. mensonge sur les lèvres est rusé dans son habileté vis-à-vis des hommes, plus il est stupide dans son absurdité vis-à-vis de Dieu. Saint Paul en témoigne quand il dit : « La sagesse de ce monde est sottise vis-à-vis de Dieu1 ». Puisque, par conséquent, il n’eut pas de mensonge sur les lèvres, il est bien certain qu’il n’a rien dit de sot. Les prêtres ct leurs chefs crurent qu’il avait dit des sottises contre Dieu, quand, interrogé au moment de la Passion, il affirma être le Fils de Dieu ; et c’est pour­ quoi ceux qui le questionnent s’écrient: « Qu'avons-nous besoin de témoin ? nous venons d'entendre son blasphème5 ». En réalité, il n’avait pas proféré d’insanités contre Dieu, puisque, ne disant que la vérité, il affirma par sa mort aux infidèles eux-mêmes, ce que, peu après, il démontrait par sa résurrection à tous les rachetés. •L I Cor., 3, 19. 5. Mathl, 26, 65 ; Mc, 1-1, 63-6-1 ; cf. Le, 22, 71. 227 MOBALES SUR JOB 63. Hæc in significationem nostri capitis breviter tractata transcurrimus : nunc in ædificationem ejus cor­ poris, ea moraliter tractanda replicemus : ut quod actum foris narratur in opere, sciamus quomodo intus agatur in mente. Nam cum filii Dei assistunt coram Deo, inter cos quoque assistit et Satan : quia plerumque bonis nostris cogitationibus, quæ in corde nostro, adventu sancti Spiritus operante, seminantur, antiquus ille callide se interserit ct subjungit inimicus, ut bene cogitata perturbet, maleque perturbata dilaniet. Sed nequaquam nos in tentatione deserit, qui creavit. Nam hostem nos­ trum, qui se contra nos in insidiis contegit, illustratione sui luminis nobis deprehensibilem reddit : propter quod ci mox dicit : v. 7. Unde venis ? XXXIX, 64. Callidum namque hostem requirere, est ejus nobis insidias declarare : ut quo eum subintrare cor cernimus, forti contra illum circumspectione vigilemus. Qui respondens ait : Circuivi terram, et perambulavi eam. XL, 65. Satanæ terram circuirc, est carnalia corda perscrutari, ct unde occasionem accusationis invenire possit, exquirere. Terram circuit ; quia humana corda circumvenit, ut bona tollat, ut mala mentibus inserat, ut inserta cumulet, ut cumulata perficiat, ut. perfectos in iniquitatibus ad pœnam socios acquirat. Et notandum, quod non transvolasse, sed perambulasse se asserit : quia nimirum nequaquam quem Leniat, velociter deserit: sed ubi molle cor invenit, ibi pedem misera persuasionis figit, ut immorando actionis pravæ vestigia imprimat, et ex suæ iniquitatis similitudine, quos valet, reprobos reddat. Sed contra hunc beatus Job laudatur, et dicitur: LIVRE SECOND 227 Sens moral. 63. Nous avons expliqué rapidement ces versets en les appliquant à notre Chef ; maintenant, pour l’édifica­ tion de son corps, il faut les reprendre et les expliquer au sens moral, afin que le récit des actions extérieures nous apprenne ce qui se passe dans l’intérieur des âmes. Quand les fils de Dieu se présentent devant le Seigneur, Satan se présente aussi parmi eux parce que, souvent, parmi les bonnes pensées que sème dans notre cœur la venue du Saint-Esprit, l'antique ennemi se glisse et s’installe sournoisement pour les troubler, et une fois troublées par sa malice, les dissiper. Mais en aucune façon celui qui nous a créés ne nous abandonne dans la tentation : à la clarté de sa lumière, nous pouvons mettre la main sur l'ennemi qui nous guette. C’est pourquoi tout dc suite il lui demande : « D'où viens-tu ? » 64. Questionner cet adversaire habile, c’est nous dévoiler ses ruses ; une fois connues ses voies d’accès dans notre cœur, nous le surveillerons avec une grande circonspection. Satan répondit : « De. parcourir la terre et de m'y promener ». 65. Pour Satan, parcourir la terre, c’est sonder les cœurs charnels, à la recherche d’un prétexte pour les accuser. Il parcourt la terre parce qu’il circonvient les âmes pour en enlever le bien et y introduire le mal, — l’ayant intro­ duit, le multiplier, — l’ayant multiplié, le porter à son comble, afin de se donner comme compagnons de sup­ plice des hommes perdus d'iniquité. Notons qu’il ne dit pas être passé en votant, mais en se promenant, parce que, en aucun cas évidemment, il n'abandonne rapidement ceux qu’il tente : trouve-t-il un cœur sans énergie, il y pose le pied dc sa suggestion misérable; en s’y arrêtant, il imprime les traces dc son action mauvaise, et, â l’image de sa propre iniquité, il fait des réprouvés de tous ceux qu’il entraîne. 228 MORALES SUR JOB Numquid considerasti servum meum Job, quod non sit ei similis super terram : vir simplex, et rectus, ac timens Deum, et recedens a nudo ? XLI, 66. Quem divina inspiratio contra hostem robo­ rat, hunc quasi in Satanæ auribus Deus laudat. Laudare quippe ejus est, et prius bona concedere, et post concessa custodire. Sed antiquus hostis eo contra bonos gravius sævit, quo vallari eos divinæ protectionis munere conspi­ cit. Unde et subjungens dicit : v. 9 ct 10. Numquid frustra Job timet Deum ? Nonne tu vallasti eum, ac domum ejus, universamque substantiam per circuitum ? Operibus manuum ejus benedixisti, et possessio illius crevit in terra. XLII, 67. Ac si aperte dicat: Cur laudas quem prote­ gendo roboras ? Despecto enim me, dignus tuis laudibus homo esset, si suis contra me viribus staret. Unde mox et malitiose de homine expetit : quod tamen protector hominis benigne concedit. Nam subditur : v. 11. Sed extende paululum manuum tuam, el tange cuncta quæ possidet : nisi in faciem benedixerit libi. . ’ XLIII, 68. Plerumque enim, dum virtutum fructus fecunde reddimus, dum continua prosperitate pollemus, aliquantulum mens erigitur, ut a semetipsa sibi existera bona quæ habet, arbitretur. Quæ nimirum bona antiquus hostis malitiose attrectare appetit ; sed hæc tentari Deus nonnisi benigne permittit : ut dum mens tentatione pulsante, in bonis, de quibus gaudebat, concutitur, imbecillitatis suæ debilitate cognita, in spe divini adjutorii robustius solidetur. Fitque mira dispensatione pietatis/ ut unde malignus hostis cor tentât, ut interimat ; inde misericors conditor hoc erudiat, ut vivat. Unde et bene subjungitur : LIVRE SECOND 228 Mais, à son opposé, le bienheureux Job est couvert de louanges : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'a pas son pareil sur la terre, c'est un homme simple et droit, craignant Dieu et éloigné du mal n. 66. Celui que l’inspiration divine fortifie contre l'ennemi, celui-là, Dieu en fait,· d’une certaine façon, l’éloge aux oreilles de Satan. Car, pour Dieu, louer quelqu’un, c’est d’abord lui faire don de ce qui est bien, et ensuite lui conserver ce qu’il lui a donné. Mais l’an­ tique. ennemi sévit contre les bons avec d'autant plus de rage, qu’il les voit environnés du secours de la protec­ tion divine. Aussi poursuit-il : « Est-ce gratuitement (pic Job craint Dieu ? .Ve Γas-tu pas protégé de toutes parts, lui, sa maison et tout ce qui lui appartient ? Tu as béni l'œuvre de. ses mains, et sa richesse a grandi sur la terre n. 67. Il veut dire : Pourquoi louer celui que tu fortifies et que Lu protèges ? L’homme serait digne de tes éloges si, m’ayant méprisé, il me tenait tête par scs propres forces. De là vient, qu’aussitôt après, il demande par méchan­ ceté, relativement à l’homme, ce que le protecteur de l’homme lui accorde par bonté. « Mais étends- un peu la main, touche à tout ce qu'il possède, et tu verras s’il ne te maudit pas en face ». 68. Très souvent en effet, il arrive que, portant des fruits de vertus en abondance, favorisée d’un bonheur constant, notre âme s’élève quelque peu, se figurant être pour quelque chose dans les biens qu’elle possède. Par méchanceté, l’antique ennemi convoite évidemment de nous ravir ces biens, mais ce n’est que par bonté que Dieu lui permet d’y porter la main ; alors l’âme, secouée par la tentation, frappée dans les biens où elle mettait sa joie, ayant reconnu la fragilité de sa faiblesse, s’af­ fermit plus solidement dans l’espérance du secours divin. Alors, par une admirable dispensation de l’amour, ce que tente l’esprit malin contre le cœur pour le faire mourir, le Créateur plein de miséricorde en vient à l’uti- 229 MORALES SUR JOB v. 12. Ecce universa quæ habet, in manu tua sunt : tantum in eum ne extendas manum luam. XLIV, 69. Ac si aperte dicat : Electi uniuscujusque bona sic tibi tentanda exterius tribuo, ut tamen ipse noveris, quia perseverantem mibi illuni in mentis radice conservo *. Ubi et bene subditur : Egressusque est Satan a facie Domini. XLV, 70. Quia per hoc, quod usque ad defectum cordis prævalerc nequaquam permittitur, exclusus ab intimis, exterius vagatur. Qui etiam si virtutes mentis plerumque turbat ; eo ipso foris est, quo resistente Deo, usque ad interitum bonorum corda non vulnerat. Tantum quippe contra illa sævire permittitur, in quantum nccesse est ut tentalionibus erudita solidentur ; ne ea quæ agunt bona, suis viribus tribuant, ne in securitatis torpore se deserant, et a formidinis accinctione dissolvant : sed ad provectus sui custodiam tanto solertius invigilent, quanto se contra adversarium stare semper in acie ten la­ tionum vident. v. 13, 14 et 15. Cum autem quadam die filii et filiæ ejus comederent et biberent vinum in domo fratris sui primogeniti, nuntius venit ad Job, qui diceret : Boves arabant, et asinæ pascebantur juxta eos, et irruerunt Sabæi, lulerunique omnia, et pueros percusserunt gladio : et evasi ego solus, ut nuntiarem tibi. XLVI, 71. In electorum corde prior bonorum sequen­ tium sapientia nascitur, atque hæc per donum Spiritus quasi primogenita proles profertur. Quæ profecto sapien­ tia, nostra fides est, Propheta attestante, qui ait : Nisi credideritis, non intelligetis2. Tunc enim vere ad intelligendum sapimus, cum cunctis quæ conditor dicit, credulitatis nostræ fidem præbemus. In domo ergo fratris primogeniti 1. Voir Introduction, p. 55. LIVRE SECOND 229 liser pour l’instruire et le faire vivre. Avec justesse le texte poursuit : Dieu dit à Satan : « Voici que tout ce qu'il a est en ton pouvoir, seulement ne porte pas la main sur lui ». 69. C’est-à-dire : je t’accorde dc tenter chacun des élus dans scs biens extérieurs, mais sache que je me réserve leur persévérance au fond de leur cœur1. Et Satan se retira de devant la face de Dieu. 70. Comme il lui est absolument défendu de dominer jusqu’à défaillance du cœur, exclu du fond dc la cons­ cience, il vagabonde au dehors. El quoiqu’il trouble souvent les puissances de l'àme, il reste à l’extérieur, puisque l’opposition de Dieu l’empêche de blesser mor­ tellement le cœur des justes. Il ne lui est permis de se déchaîner contre eux que dans la mesure où les tentations sont nécessaires pour les instruire et les endurcir ; alors, ils n’attribueront pas à leurs propres forces le bien qu'ils font, ils ne s’abandonne­ ront pas à la torpeur de la sécurité et ne dénoueront pas la ceinture de la crainte ; mais ils veilleront à la garde de leurs progrès, avec d'autant plus d’attention qu'ils voient leur adversaire sans cesse dressé contre eux dans le combat des tentations. Or un four (pic ses fils et ses filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère aîné, un messager vint dire à Job : « Les bœufs étaient à labourer, et les ânesses paissaient autour d'eux ; tout à coup les Sabêens ont fait irruption et ont tout enlevé, ils onl passé les servi­ teurs au fil de l’épée, et je me suis échappé seul pour te l'annoncer n. 71. Dans le cœur des justes, la sagesse naît avant tous les autres biens, elle est apportée, telle un premier né, par un don du Saint-Esprit. Cette sagesse, sans aucun doute, c’est notre foi, au témoignage du prophète qui dit : a Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez comprendre2 ». Nous avons dc la sagesse pour comprendre, quand. 2. Is., 7, 9, selon les Septante. 230 MORALES SUR JOB convivantur filii, cum virtutes rcliquæ epulantur in fide. Quæ si non prima in corde nostro gignitur, reliqua quæquc esse bona non possunt, etiamsi bona videantur. In domo fratris primogeniti filii convivantur, dum virtutes nostra; in habitaculo fidei, sacri eloquii cibo satiantur. Scriptum quippe est : Sine fide impossibile esi placere Deo1. Tunc ergo virtutes noslræ veras vitæ epulas sumunt, cum nutriri fidei Sacramentis incipiunt. In domo fratris primogeniti convivantur lilii : quia nisi virtutes rcliquæ sapientiæ epulis replelæ, ea quæ appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt. 72. Sed cccc dum bona quæ agimus, sapientiæ epulis fideique pascuntur, hostis noster arantes boves, et pascentes asinas subtrahit, et pueros gladio occidit. Quid arantes boves, nisi graviores nostras cogitationes accipimus ? quæ dum cor studiosa exercitatione confi­ ciunt, uberes provectuum fructus reddunt. Quid pascentes intelligimus asinas, nisi simplices motus cordis ? quos dum studiose a duplicitatis errore compescimus, quasi in campo liberæ puritatis nutrimus. Sed plerumque hostis callidus, cum graves cogitationes in corde conspicit, eas subintroducta voluptatis delectatione corrumpit ; et dum motus cordis simplices videt, subtilia inventio- ' num acumina ostendit : ut dum laus de subtilitate quæritur, puritatis simplicitas amittatur : ct si usque ad opus pravum pertrahere non valet, tendando tamen bonorum cogitationibus subripiens nocet ; nt dum turbare bona mentis agnoscitur, ea quasi funditus abstulisse videatur. Possunt etiam per arantes boves, cogitationes caritatis accipi ; quibus prodesse aliis 1. Hit)., 11, 6. LIVRE SECOND 230 à tous les dires du Créateur, nous apportons la foi de notre croyance. Dans la maison de leur frère aîné mangent les enfants, quand les autres vertus se nourissent de la foi. Et si clic n’cst pas l’aînée dans notre cœur, aucune des autres ne peut être bonne, même si elle le paraît. Dans la maison de leur frère aîné mangent les enfants, quand nos vertus, dans la demeure de la foi, se nour­ rissent à satiété de la parole sacrée ; car il est écrit : n Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu1 ». Nos vertus prennent le véritable aliment de vie, quand elles commencent à se nourrir des mystères de la foi. Dans la maison de leur frère aîné mangent les enfants, parce que si les autres vertus ne sont pas nourries de sagesse pour faire avec prudence ce qu’elles désirent, elles ne peuvent être de vraies vertus. 72. Mais alors que nos bonnes actions se nourrissent aux festins de la foi et de la sagesse, voici que l’ennemi nous enlève les bœufs qui labouraient, les ànesses qui paissaient, ct passe les serviteurs au fil de l’épée. Que signifient les bœufs en train de labourer, sinon nos plus sérieuses pensées ? Façonnant et exerçant notre cœur avec diligence, elles lui font produire des fruits abondants de progrès. Que signifient les ànesses en train de paître, sinon la simplicité des mouvements du cœur ? Quand nous mettons nos soins à les parquer à l’abri de toute duplicité coupable, nous les faisons paître comme dans le champ d’une libre innocence. D’ordinaire, l’ennemi perfide, apercevant dans le cœur de sérieuses pensées, les corrompt en y mêlant subrep­ ticement la délectation du plaisir, et quand il voit la simplicité, des élans du cœur, il lui fait inventer les plus subtiles finesses : alors, en recherchant des éloges pour cette finesse, on perd la simplicité de l’innocence. Et s’il ne peut entraîner jusqu’à des actions perverses, du moins fait-il du mal en dérobant furtivement, par ses tenta­ tions, une partie des pensées des justes. Alors, on cons­ tate qu’il met le désordre dans les biens de l’àmc, on a l’impression qu'il les a arrachés jusqu’à la racine. 231 MORALES SUR JOB conamur, cum fraterni cordis duritiam prædicando scindere cupimus. Potest etiam per asinas, quæ nimirum sesc onerantibus nulla ferocitatis insania resistunt, patientiæ mansuetudo signari. Et sæpe hostis antiquus cum velle prodesse nos loquendo aliis conspicit, in quodam torpore otii mentem mergit ; ut aliis prodesse non libeat, etiam cum a propriis vacat. Arantes ergo boves subtrahit, cum cogitationes mentis fraternae utilitatis fructibus deditas, per submissum negligentiæ torporem frangit. Et quamvis electorum corda intra arcana suæ cogitationis invigilant, et quid a tentatorc sustineant, superantes pensant, eo tamen ipso malignus inimicus aliquid rapuisse sc gaudet, quo cogitationibus bonorum vel ad momentum prævalet. 73. Sæpe autem cum praeparatam mentem ad toleran­ tiam videt, quid ab ea maxime diligatur, exquirit, et ibi scandali laqueos inserit : ut quo magis res quæque diligitur, co per eam facilius patientia turbetur. Et quidem electorum corda ad se semper sollicite redeunt, et semetipsa graviter vel pro levi motu excessionis affligunt : et dum muta discunt quomodo stare debuerint, aliquando melius concussa solidantur. Sed antiquus hostis, durn tolerantiæ cogitationes vel ad momentum turbat, quasi abstulisse se ab agro cordis asinas exultât. In his autem quæ agere disponimus, rationabili custodia quid quibus rebus congruat, sollicite pensamus. Sed plerumque hostis, dum subita ad nos perturbatione tentationis irruit, circumspectiones coniis inopinate praeveniens, quasi ipsos custodes pueros gladio occidit. Sed tamen unus fugit, qui alia periisse nuntiet : quia in eo quod mens ab hoste patitur, rationis discretio semper ad animum redit ; et quasi solam se evassisse indicat, quæ apud semetipsam fortiter quidquid pertulerit, LIVRE SECOND 231 On peut voir aussi dans les bœufs qui labourent, les pensées charitables par lesquelles nous nous efforçons d’être utile à autrui en désirant fendre par la prédication la dureté de cœur de nos frères. L’on peut aussi entendre par les ânesses qui justement se prêtent au chargement sans réactions farouches et sans pétulance folle, la dou­ ceur de la patience. Souvent, l’antique ennemi, voyant notre volonté d’être utile aux autres par la parole, plonge noire intel­ ligence dans une sorte de torpeur paresseuse, de sorte qu’elle est incapable de se rendre utile à autrui, même quand elle est libre de toute préoccupation personnelle. Il enlève les bœufs qui labouraient lorsque, insinuant la nonchalance du laisser-aller, il brise des pensées vouées à produire des fruits d’utilité fraternelle. Bien que le cœur des élus veille dans les profondeurs de leur conscience, et considère, tout en remportant la vic­ toire, ce qu’ils ont à supporter du tentateur, l’ennemi malin se réjouit pourtant d’avoir dérobé quelque chose parce qu’il occupe, ne serait-ce qu’un instant, la pensée des justes. 73. Souvent, en voyant une âme disposée à la patience, il cherche ce qu’elle aime le plus, et c’est là qu’il place les pièges qui la feront tomber : car plus on aime quelque chose, plus vite à son sujet la patience est ébranlée. A la vérité, les élus rentrent toujours en leur cœur avec soin et s’affligent beaucoup de ses moindres mouvements déréglés : en apprenant par cette agitation comment ils auraient dû se tenir fermes, l’ébranlement parfois les rend plus solides ; mais l’antique ennemi, pour avoir troublé ne fût-ce qu’un instant cette patience, exulte, comme si, dans le pré du cœur, il avait enlevé les ânesses. Dans les actions que nous nous proposons, considérons avec soin, la raison aux aguets, ce qui leur est convenable. Mais souvent l’ennemi, en fondant sur nous par le trouble soudain qu’apporte la tentation, surprend ino­ pinément la vigilance de notre cœur, comme s’il passait au fil de l’épée tous les petits bergers. Un de ces serviteurs cependant s’échappe pour annoncer 232 MORALES SUR JOB pensat. Aliis ergo pereuntibus unus ad domum redit, dum turbatis in tentatione motibus discretio ad conscien­ tiam recurrit ; ut quod repentinis incursibus praeoccupata mens perdidisse sc pensat, hoc compunctionis studio afflicta recipiat. v. 16. Cumque adhuc ille loqueretur, uenit alter, et dixit : Ignis Dei cecidit de cælo, et tactas oves puerosque consumsit : ct effugi ego solus, ut nuntiarem tibi. XLVII, 74. Quid per oves, nisi cogitationum innocen­ tia, quid per oves, nisi bonorum cordium munditia desi­ gnatur ? Cælum vero aerium dici paulo ante jam diximus1 : unde ct aves cæli nominamus. Et scimus quod immundi spiritus, qui c cælo æthereo lapsi sunt, in hoc cæli tcrræque medio vagantur : qui tanto magis corda hominum ascendere ad caelestia invident, quanto se a cælestibus per elationis suæ immunditiam projectos vident. Quia ergo ab aereis potestatibus contra cogitationum nostra­ rum munditiam flamma livoris irruit, de cælo ignis ad oves venit. Sæpe enim mundas mentis nostræ cogitationes ardore libidinis accendunt ; et quasi igne oves concremant, dum castos motus animi, luxuriæ tentatione perturbant. Qui ignis Dei dicitur : quia etsi non faciente Deo, tamen permittente, generatur. Et quia impulsu subito ipsas nonnumquam circumspectiones mentis obruunt, quasi custodes pueros gladio occidunt. Sed tamen unus incolu­ mis fugit, dum omne quod mens patitur, perseverans discretio subtiliter respicit, solaque mortis periculum evadit ; quia etiam perturbatis cogitationibus, discretio non succumbit, ut damna sua animo renuntiet, ct quasi dominum ad lamentum revocet. v. 17. Sed ct illo adhuc loquente, uenil alius, et dixit : Chaldæi fecerunt 1res turmas, et inuaserunt camelos, et LIVRE SECOND 232 le désastre : malgré ce que l’âme peut endurer de la part de l’ennemi, toujours le discernement de la raison revient à l’esprit et annonce pour ainsi dire qu’il est le seul à s’être échappé, lui qui, par lui-même, mesure tout ce que l’âme a vaillament supporté. Tous les autres donc ayant péri, un seul rentre à la maison ; dans le trouble causé par les tentations, le discernement revient vite dans la conscience ; de la sorte, l’âme préoccupée médite sur ce qu’elle vient de perdre par ces attaques soudaines ; alors, pénétrée d'affliction par une ardente componction, elle le recouvre. Il parlait encore lorsqu'un autre arriva et dit : « Le feu de Dieu est tombé du ciel sur les brebis ct les serviteurs et les a dévorés, et je me suis échappé seul pour le Γannoncer ». 74. Que représentent les brebis, sinon l'innocence des pensées ? Que représentent les brebis, sinon la pureté de cœur des justes ? Quant au ciel, nous avons déjà dit un peu plus haut1 qu’il signifiait l’air, au sens où l'on dit : « les oiseaux du ciel ». Et nous savons que les esprits impurs, qui sont tombés du ciel éthéré, vagabon­ dent entre ciel et terre ; jalousant d’autant plus la montée des cœurs humains vers le ciel, qu’ils s’en voient eux-mêmes précipités par ce qu’a d’impur leur propre élévation. Quand donc la flamme de l’envie se précipite, provenant des puissances de l’air, contre l’innocence de nos pensées, le feu tombe du ciel sur les brebis. Souvent, en effet, (ces puissances de l’air) brûlent par l’ardeur de la sensualité la pureté de nos pensées. Et elles embrasent pour ainsi dire les brebis de leur feu, quand elles troublent d’une tentation de luxure nos chastes sentiments. On dit : « Le feu de Dieu », parce que, si ce n’est pas l’action de Dieu, c’est sa permission qui le fait naître. EL en écrasant par leur attaque brusquée la vigilance de l’âme, (les puissances de l’air) passent pour ainsi dire au fil de l’épée les esclaves chargés de garder les troupeaux. Cependant, un seul s’enfuit indemne, quand le discer­ nement qui nous reste examine avec minutie tout ce que 1. Cf. probablement Λ/or., 2, 25. 233 MORALES SUR JOB tulerunt eos, necnon et pueros percusserunt gladio : effugi ego solus, ut nuntiarem libi. XLVIII, 75. Per camelos, qui mundum aliquid habent dum ruminant, et immundum dum nequaquam ungulam findunt, supra jam diximus, bonas rerum temporalium dispensationes intelligi, in quibus quo est cura distensior, eo nobis multiplicius insidiatur inimicus. Omnis enim, qui dispensandis terrenis rebus præsidet, occulti hostis jaculis latius palet. Nonnulla enim providens agere niti­ tur, et sæpe dum cautus futura subtiliter prævidct, incautus damna praesentia nequaquam videt : sæpe dum praesentibus invigilat, ad instantia praevidenda dormitat : sæpe dum aliqua torpens agit, quæ vigilanter agenda sunt negligit : sæpe dum plus justo vigilantem se in actione exhibet, ipsa actionis suæ inquietudine rebus subditis pejus nocet. Aliquando autem linguæ modum ponere niti­ tur, sed onere dispensationis exigente, silere, prohibetur. Aliquando dum nimia se censura restringit, tacet etiam quæ loqui debuit. Aliquando ad inferenda necessaria dum se latius relaxat, dicit etiam quæ loqui non debuit. Plerumque autem tantis cogitationum voluminibus impli­ catur, ut ipse ferre vix valeat, quæ intra se providus versat : et cum nil opere faciat, sub magno cordis sui pondere vehementer insudat. Quia enim dura sunt quæ apud semetipsum intus patitur, quietus foris otiosusque lassatur. Plerumque enim quasi ventura animus conspicit, lolamque contra haec intentionem proponit ; magnusque ardor contentionis se inserit, sopor fugit, nox in diem vertitur : et cum quieta foris membra lec­ tulus teneat, intus magnis clamoribus in cordis foro litigatur. Et lit plerumque, ut nulla eveniant, quæ prae­ videntur : totaque illa cogitatio, quæ diu se plena inten­ tione paraverat, repente vacua quiescat. Tanto autem LIVRE SECOND 233 l’àmc endure, eL quand il échappe seul au mortel danger. Même dans le désordre des pensées, le discernement ne faiblit pas, et fait connaître à l’esprit ce qu’il a perdu, et porte en quelque sorte son maître à sc lamenter. Il parlait encore lorsqu'un autre arriva et dit : « Les Chaldéens, partagés en trois bandes, sc sont jetés sur les chameaux et les ont enlevés, ils ont passé les serviteurs au fil de l'épée, et je me suis échappé seul pour te l’annoncer ». 75. Par les chameaux, purs en ce qu’ils ruminent et impurs en ce qu’ils n’ont pas le sabot fendu, nous avons dit plus haut qu’il fallait entendre la bonne adminis­ tration temporelle ; plus le souci en est absorbant, plus l’ennemi nous y tend d’embûches. Qu’un homme préside à la gestion des biens terrestres, ct le voilà exposé aux traits de l’ennemi caché. On peut s’efforcer d’agir avec prévoyance, mais, souvent, en portant une minutieuse attention sur l'avenir, on néglige d’apercevoir les dommages immédiats. Souvent, tel qui est toute vigilance pour les biens présents, sommeille quand il faut prévoir l’avenir. Souvent, en traitant d’un esprit assoupi certaines questions, on laisse de côté ce qu’il faut traiter avec vigilance. Souvent, tel qui montre une vigilance exagérée dans l’action, nuit fâcheusement par son agitation aux affaires dont il a la charge. Quelquefois, il s’efforce de modérer l’usage de sa langue, mais l’obligation de sa charge lui interdit le silence. Quelquefois, en s’imposant une censure trop sévère, il tait même ce qu'il aurait dû dire. Quelquefois, en se laissant aller trop librement à rapporter les choses nécessaires, il dit aussi ce qu’il aurait dû taire. Et très souvent, tant de pensées l’assiègent qu’il peut à peine porter tout ce qu’il agite dans sa prévoyance ; alors sans rien réaliser, il peine vivement sous un cœur trop lourd. Et parce que, au dedans, il éprouve de dures souffrances, il est épuisé, bien qu’à l’extérieur, il soit dans le calme et la paix. Souvent, notre esprit s’hypnotise sur ce qui pourrait arriver, et là contre, mobilise toute son application ; un lourd et brûlant souci l’envahit, le sommeil fuit, Job. 23. 234 MORALES SUR JOB longius mens a necessariis ccssat, quanto inania latius cogitat. Quia igitur dispensationis curas maligni spiri­ tus modo torpenti vel præcipilata actione feriunt, modo pigra vel immoderata locutione confundunt, pene autem semper nimiis cogitationum molibus premunt ; Iribus turmis Chaldæi camelos rapiunt. Quasi enim 1res turmas contra camelos facere est, terrenarum dispensationum studia modo illicito opere, modo superflua locutione, modo inordinata cogitatione vastare : ut dum se ad administranda exterius mens efficaciter extendere nititur, a sui consideratione separetur ; et eo damna, quæ de semetipsa patitur, nesciat, quo erga aliena fortiori stu­ dio, quam decet, elaborat. Recta autem mens cum curas dispensationis suscipit, quid sibi, quid proximis debeat, attendit : et nec per alien® sollicitudinis immoderationem sua studia negligit, nec per suæ utilitatis vigilantiam aliena postponit. Sed tamen plerumque dum ad utraque mens solerter invigilat, dum magnis erga se, et ea quæ sibi commissa sunt, circumspectionibus vacat, repentino turbata cujuslibet causæ emergentis articulo, ita in præceps rapitur, ut ab ea subito cunctæ circumspectiones ejus obruantur. Unde et custodes camelorum pueros Chaldæi gladio feriunt. Sed tamen unus redit ; quia inter hæc discretionis ratio mentis nostræ oculis occurit, et sollicita sibimet anima quid subito impulsu tentationis intrinsecus amittat, intelligit. Sequitur : v. 18 et 19. Loquebatur ille, ct ecce alius intravit, et dixit : Filiis luis et filiabus vescentibus ct bibentibus vinum in domo fratris sui primogeniti, repente ventus vehemens irruit a regione deserti, et concussit quatuor angulos domus, quæ corruens oppressit liberos tuos, et mortui sunt : ct effugi ego solus, ut nuntiarem tibi. LI VUE SECOND 234 les nuits se changent en jours, le corps est au lit, apparem­ ment tranquille, mais en réalité, ce ne sont que cris ct disputes au tribunal de la conscience. Üe tout ce qu’on prévoit, bien souvent, rien n’arrive, et toute cette tension d’un esprit qui longtemps s’était tenu sur ses gardes, soudain s’apaise, faute d’objet. L'intelligence se concentre d’autant moins sur les questions nécessaires, qu’elle sc disperse sur les inutiles. Les esprits malins, donc, s’attaquent aux occupations de notre charge, tantôt par l’inertie ou la précipitation de notre activité, tantôt par la confusion qu’y apporte un langage sans énergie ou sans modération, mais presque toujours, c’est sous le poids excessif des préoccupations qu’ils nous écrasent ; ct ce sont trois bandes de Chaldécns qui razzient les chameaux. Former trois bandes contre les chameaux, c’est dévaster l’application aux affaires temporelles soit par des actes coupables, soit par un bavardage superflu, soit par le désordre des pensées. Aussi, quand l’esprit s’efforce de se porter utilement à la conduite des affaires tempo­ relles, il se trouve arraché à la considération de soi-meme, et ignore quel dommage il se cause en apportant un zèle excessif à travailler pour les autres. Mais quand un esprit droit assume les soucis de l’ad­ ministration, il considère à la fois scs devoirs envers lui-même ct ses devoirs â 1’égard du prochain ; il ne néglige pas scs intérêts par excès de sollicitude pour ceux d’autrui, ct nc laisse pas en arrière ceux d’autrui par souci de son propre bien. Mais très souvent, alors même que l'esprit veille avec soin à celte double obligation, ct qu’il s’occupe avec grande circonspection, et de lui-même, ct de ce qui lui est confié, il arrive que, secoué soudain à l’occasion d’un événement inattendu, il est entraîné dans un précipice ; alors, c'en est fait de toutes ses prudences. Ainsi les Chaldécns passent au fil de l'épée les petits serviteurs qui gardent les chameaux. Il en réchappe un cependant : parce qu’en l’occurrence, le juste discernement sc présente aux yeux de notre 235 MORALES SUR JOB XLIX, 76. Sicut supra jam diximus, regio deserti I est immundorum spirituum multitudo derelicta1 : quæ dum conditoris sui beatitudinem deseruit, quasi manum cultoris amisit ; a qua ventus vehemens venit, et domum I subruit, quia ab immundis spiritibus fortis tentatio subripit, et a tranquillitatis suæ statu conscientiam ever­ tit. In quatuor vero angidis domus ista consistit : quia nimirum solidum mentis nostræ aedificium, prudentia, I temperantia, fortitudo, justitia sustinet12. In quatuor 1 angulis domus ista subsistit : quia in his quatuor virtu­ tibus tota boni operis structura consurgit. Unde et qua­ tuor paradisi flumina terram irrigant : quia dum his quatuor virtutibus cor infunditur, ab omni desideriorum carnalium æstu temperatur. Sed nonnumquam dum menti ignavia subripit, prudentia frigescit : nam cum fessa torpet, ventura non providet. Nonnumquam dum nonnulla menti delectatio subripit, temperantia nostra marcescit : in quantum enim ad delectationem praesen­ tium ducimur, in tantum minus ab illicitis temperamus. Nonnumquam se limor cordi insinuat, et vires nostrae fortitudinis turbat ; ct eo minores contra adversa existimus, quo quædam perdere immoderatius dilecta for­ midamus. Nonnumquam vero amor suus se menti ingerit, eamque latenti motu a rectitudine justitiæ divertit : et quo se totam auctori reddere negligit. eo in se justitiae juri contradicit. Ventus ergo vehemens quatuor angulos domus concutit, dum fortis tentatio occultis motibus quatuor virtutes quatit ; et quasi quassatis angulis domus eruitur, dum pulsatis virtutibus conscientia turbatur. 1. cr. ,V/or.. 2, 33. 2. Voir /ntroduelion, p. lOi-105. LIVRE SECOND 235 esprit, ct que l’âme, attentive à elle-même, comprend ce qu’elle a intérieurement perdu d’un seul coup, sous le choc de la tentation. Le texte poursuit : Il parlait encore lorsqu'un autre arriva et dit : « Tes fils et les filles mangeaient et buvaient du vin dans la maison de leur frère aîné, et voilà qu'un vent violent s’est élevé de la région du désert ct a ébranlé les quatre coins de la maison ; elle s’est écroulée sur tes enfants et ils sont morts écrasés, ct je me suis échappé seul pour te l'annoncer ». 76. La région du désert c’est, nous l'avons dit plus haut, la foule des esprits impurs laissée à elle-même1; en abandonnant la béatitude de celui qui les avait créés, ils ont comme lâché la main de celui qui prenait soin d’eux. Du désert vient le vent violent qui ébranle la maison : provenant des esprits impurs, la forte tentation surprend la conscience, et l’arrache à son état de tranquillité. Or, c’est sur quatre coins qu’est établie celte maison ; d’autant que l'édifice de notre âme est bien construit si la prudence, la tempérance, la force et la justice le soutiennent2. Cette maison s’appuie sur quatre angles parce que, sur ces quatre vertus, se dresse toute la struc­ ture d’une œuvre bonne. De là vient que les quatre fleuves du Paradis arrosent la terre : un cœur baigné de ces quatre vertus n’est pas brûlé par l’ardeur des désirs charnels. Mais que la mollesse surprenne l’âme, la prudence se refroidit ; somnolente et lasse, elle ne sait plus prévoir ce qui peut arriver. Qu’un sentiment de plaisir la surprenne, ct notre temperance se flétrit ; dans la mesure où le plaisir des biens terrestres nous entraîne, nous nous écartons moins de ce qui est défendu. Que la crainte parfois s’insinue dans le cœur et trouble notre vertu de force, et nous sommes d’autant plus faibles dans l'adversité que nous tremblons avec plus d’excès de perdre des biens que nous chérissons. Que l'égoïsme parfois pénètre l'âme ct la détourne, insensiblement de la rectitude de la justice, alors, en négligeant de se 236 MORALES SUH JOB 77. Intra hos autem quatuor domus angulos filii convivantur : quia intra arcana mentis, quæ principaliter his quatuor virtutibus ad summæ rectitudinis culmen erigitur, virtutes cetcræ quasi quædam cordis soboles se invicem pascunt. Donum quippe Spiritus, quod in subjecta mente ante alia prudentiam, temperantiam, fortitudinem, justitiam format ; camdem mentem ut contra singula quæque lentainenta erudiat, in septem mox virtutibus temperat : ut contra stultitiam, sapien­ tiam ; contra hebetudinem, intellectum ; contra præcipitationem, consilium ; contra timorem, fortitudinem ; contra ignorantiam, scientiam ; contra duritiam, pie­ tatem ; contra superbiam det timorem1. 78. Sed nonnumquam, dum mens nostra tanti muneris plenitudine atque ubertate fulcitur, si continua in his securitate perfruitur, a quo sibi hæc sint obliviscitur ; seque a se habere putat, quod numquam sibi abesse consi­ derat. Unde fit, ut aliquando se haec eadem gratia utiliter subtrahat, et præsumenti menti, quantum in se infir­ matur, ostendat. Tunc enim vere cognoscimus bona nostra unde sunt, quando hæc quasi amittendo, sentimus quia a nobis servari non possunt. Ad hoc itaque intimandæ humilitatis magisterium, fit plerumque, ut irruente tenlationis articulo, tanta stultitia sapientiam nostram feriat, ut turbata mens, qualiter malis imminentibus 1. Il est clair qu'ici, les défauts sont choisis en référence à la nature et au nombre des dons du Saint-Esprit. Au début du xni· siècle, de* théolo­ giens légitimeront par ce texte un classement parallèle «les «Ions ct dc» blessures causées par le péché. · Ce paragraphe permet dc reconnaître dims ce que saint Grégoire appelle des dons, des sortes de dispositions vertueuses mises en nous par le Saint-Esprit, mais non des dons au sen* d'habitus permanents distincts des vertus tels «pic les conçoit saint Thomas, Sum. lheol, 1 a 2 æ. qu. G8. art. 1 ct 4. Sur ccttc question, voir J. dc BuC, Pour Vhistoire dc la théologie. des dons avant saint Thomas, dans Itevue Tascé­ tique et de mystique, 22 (1946), p. 148. — Cf. ci-dessous, 2, 89-92. LIVRE SECOND 236 donner tout entière à son Créateur, elle viole elle-même les droits dc la justice. Ainsi donc, un vent violent ébranle les quatre coins dc la maison quand une forte tentation, par d’imperccptibles commotions, ébranle les quatre vertus ; sapée aux angles, la maison s’écroule, pour ainsi dire, quand la conscience est bouleversée par l’ébranlement des vertus. 77. Entre ccs quatre coins dc la maison, festoient les enfants, parce que, dans le fond secret de Pâme que ccs quatre vertus surtout contribuent à élever au sommet de la plus haute sainteté, les autres vertus, véritables rejetons du cœur, se nourrissent réciproquement. Le don dc l'Esprit, qui, dans l’âme soumise, forme, avant toute autre vertu, la prudence, la tempérance, la force ct la justice, instruit cette même âme contre chacune des tentations en la modelant par les sept vertus. Contre la sottise, elle lui donne la sagesse ; contre la stupidité, l'intelligence ; contre l’impulsivité, le conseil ; contre la timidité, la force ; contre l’ignorance, la science ; contre l’insensibilité, la piété ; contre l’orgueil, la craintel. 78. Mais il peut arriver que notre âme, soutenue par la plénitude ct la richesse de ccs dons, risque d’oublier, à en jouir continuellement avec sécurité, de qui elle les tient. Elle croit tirer de son propre fond ce qu’elle constate ne lui faire jamais défaut. De là vient que, parfois, cette meme grâce se retire utilement, pour montrer sa grande faiblesse à l’âme présomptueuse. Alors, nous comprenons vraiment d’où nous vient ce que nous avons de bon, quand, en passe de le perdre, nous sentons que nous ne pouvons le conserver par nos propres forces. Aussi, pour nous mettre à l’école dc l’humilité, très souvent, à l'heure critique où la tentation nous assaille, notre sagesse se trouve frappée d’une telle stupidité, que l’âme, dans son trouble, ne sait plus comment obvier aux maux imminents, ou comment se prémunir contre la tentation. Mais cette stupidité même est formatrice pour le cœur. Manquer de sagesse un instant le rend, dans la suite, vraiment sage, en proportion de son humi- 237 MORALES SUR JOB obviet, vel contra tentationem quomodo se præparct, ignoret. Sed hac ipsa stultitia cor prudenter eruditur : quia unde ad momentum desipit, eo post verius, quo ct humilius, sapit ; et sapientia unde quasi amittitur, inde certius possidetur. Aliquando dum sublimia intolligendo in elatione se animus erigit, in rebus imis et vili­ bus gravi hebetudine pigrescit : ut repente sibi etiam ima clausa videat, qui pernix summa penetrabat. Sed hæc ipsa hebetudo intellectum nobis, dum subtrahit, servat : quia dum ad momentum cor humiliat, verius ad sublimia intelligenda confirmat. Aliquando dum cuncta nos agere consilii gravitate gaudemus, pulsante causæ emergentis articulo, praecipitatione subita rapimur; et qui nos semper disposite vixisse credidimus, repente intima confusione vastamur. Sed tamen ejusdem confu­ sionis eruditione discimus, ne nostris viribus consilia nostra tribuamus : et tanto maturius ad gravitatem restringimur, quanto ad hanc quasi amissam redimus. Aliquando dum mens fortiter adversa contemnit, subortis adversitatis eventibus, hanc metus vehemens percutit. Sed per hunc concussa discit, cui tribuat quod in qui­ busdam fortiter stetit ; ct tanto post validius fortitutinem retinet, quanto hanc repente, irruente formidine sibi jam quasi elapsam videt. Aliquando dum magna nos scire gaudemus, repentinæ ignorantiæ cæcitate torpescimus. Sed quo ignorantia mentis oculus ad momen­ tum clauditur, eo post ad scientiam verius aperitur : ut nimirum flagello suæ cæcitatis eruditus, ct scire ipsum a quo habeat sciat. Aliquando dum religiose cuncta disponimus, dum pietatis viscera plene nos habere gra-i tulamur, quadam mentis duritia irruente percutimur, i Sed quasi obdurati cognoscimus, cui pietatis habite bona tribuamus ; et pietas verius vclut cxtincta recipi- LIVRE SECOND 237 lité. Ayant failli perdre la sagesse, il la possède plus sûrement. Parfois, l'esprit qu'enorgueillit la profondeur de son intelligence, en vient à paresser stupidement sur des sujets vulgaires et bas ; il constate ainsi soudain que des matières ordinaires sont lettre close pour lui qui, avec promptitude, pénétrait les plus élevées. Mais cette stupidité même nous conserve l’intelligence en nous la soustrayant, puisque cette humiliation passagère affermit vraiment notre capacité de comprendre les plus hautes réalités. Parfois, alors que nous nous réjouissons d’agir en tout par grave conseil, sous le choc d’un événement inattendu, une subite impulsion nous emporte ; nous qui nous figurions avoir toujours vécu avec ordre et mesure, brusquement nous sommes bouleversés de confusion au plus profond de nous-mêmes. Mais, précisément, la leçon de cette confusion, nous apprend à ne plus attribuer à nos propres forces notre conseil ; nous nous astreignons d’autant plus complètement à la pondération, que c’est après l’avoir perdue que nous y revenons. Parfois, l'âme brave le malheur, mais quand il survient, elle est frappée d’une grande crainte. Cette secousse elle-même lui apprend à qui attribuer la force qu’elle a gardée en certaines circonstances ; et dans la suite, elle possède cette vertu d’autant plus fermement que, dans le saisissement imprévu de l’épouvante, elle la voit déjà près de disparaître. Parfois, nous réjouissant de nos hautes connaissances, nous sombrons dans l’aveuglement d’une ignorance soudaine. Mais, plus cette ignorance ferme pour un temps les yeux de notre âme, plus ils s’ouvrent, dans la suite, à la véritable science ; instruite par l’épreuve de cet aveuglement, elle sait de qui elle tient son savoir. Parfois, alors que nous réglons toutes choses dans un esprit religieux, ct que nous nous félicitons d’avoir le cœur débordant de piété, l’âme se trouve comme frappée d'insensibilité. Mais cette sorte d’endurcissement nous apprend à qui nous devons attribuer le bien de notre 238 MOBALES SUR JOB tur, dum quasi amissa amplius amatur. Aliquando dum subjectum se divinæ formidini animus gaudet, repente superbia tentante rigescit. Sed tamen valde mox timens quia non timet, ad humilitatem sc iterum festinus inflec­ tit ; ct tanto hanc solidius recipit, quanto ejus virtutis pondus quasi amittendo pensavit . * 79. Eversa igitur domo, moriuntur filii : quia turbata in tentatione conscientia, ad utilitatem propriæ cogni­ tionis raptim et in momento temporis obruuntur genitæ in corde virtutes12. Qui profecto filii intus per spiritum vivunt, dum exterius carne moriuntur : quia videlicet virtutes nostræ lentationis tempore etsi in momento turbatæ ab status sui incolumitate deficiunt, per inten­ tionis tamen perseverantiam integræ in mentis radice subsistunt. Cum quibus etiam tres sorores occumbunt : quia in corde nonnumquam per flagella turbatur caritas, per formidinem concutitur spes, per quæstiones pulsatur fides3. Sæpe enim quasi a conditoris amore torpescimus, dum ultra quam nobis congruere credimus, flagello fatigamur. Sæpe dum plus, (piam neccsse est, mens formidat, fiduciam sibimet spei debilitat. Sæpe dum immensis quaestionibus animus tenditur, perturbata fides quasi defectura fatigatur. Sed tamen vivunt filiæ, quæ domo concussa moriuntur : quia etsi intra conscienti­ am, spem, fidem, caritatemque pene occumbere pertur­ batio ipsa renuntiat ; has tamen ante Dei oculos vivas perseverantia rcctæ intentionis servat. Unde ct puer, qui hæc nuntiet, solus evadit : quia mentis discretio etiam inter tentamenta incolumis permanet. Agitque puer, ut Job filios flendo recipiat ; dum, discretione 1. Voir, pour ce paragraphe. Introduction, p. 57. 2. Voir Introduction, p. 58. 3. Voir Mon., 1, 38 ct 46. LIVRE SECOND 238 pieté passée ; la pieté qui semble éteinte, on la recouvre plus profonde puisque sa perle apparente la fait aimer davantage. Parfois, l’esprit qui se réjouit d'être soumis à la crainte de Dieu, sc raidit tout à coup, tenté d’orgueil. Mais bientôt, plein de crainte (en voyant) qu’il ne craint plus, il recourt de nouveau promptement à l’humilité ; il détient la vertu (de crainte) avec d'autant plus de fermeté que, sur le point de la perdre, il en a mesuré l'importance L 79. La maison renversée, les enfants succombent, parce que, dans le trouble causé à la conscience par la tentation, les vertus nées dans le cœur s’écroulent à l’improviste, en un instant, au profit de la connaissance de soi2. A coup sûr, les enfants vivent intérieurement par l’es­ prit lorsqu'ils meurent extérieurement dans leur chair : et nos vertus, au moment de la tentation, — même si, passagèrement troublées, elles défaillent de leur état de perfection, — subsistent entières au fond de l'âme par la persévérance de la volonté. Avec les fils, périssent aussi les trois sœurs, car, dans le cœur, c’est d’ordinaire par les épreuves qu’est troublée la charité, par la terreur qu’est blessée l’espérance, par les objections qu’est ébranlée la foi3. Souvent, nous semblons devenus insensibles à l’amour de notre Créateur quand nous sommes harcelés par l’épreuve au delà de ce qui paraît nous convenir. Souvent notre âme, sous l’excès de la crainte, affaiblit en elle-même la fermeté de son espérance. Souvent, quand les objec­ tions sans lin travaillent l'esprit, la foi se trouble et s’épuise, tout près de défaillir. Mais cependant les filles continuent à vivre, elles qui meurent dans l’écroulement de la maison : car si la tem­ pête proclame que, dans la conscience, la foi, l’espérance et la charité sont presque mortes, cependant, aux yeux de Dieu, la volonté droite, par sa persévérance, les garde vivantes. Aussi, le messager porteur de ces nouvelles s’échappe 239 MORALES SUR JOB nuntiante dolens animus, vires quas quasi amittere coeperat, poenitendo conservat. Mira autem hoc nobiscum dispensatione agitur1, ut mens nostra culpae nonnumquam pulsatione feriatur. Nam esse se magnarum virium homo crederet, si nullum umquam earumdem virium defectum mentis arcana sentiret. Sed dum tentatione irruente quatitur, et quasi ultra quam sufficit, fatigatur ; ei contra hostis sui insidias munimen humilitatis osten­ ditur : et unde se pertimescit enerviter cadere, inde acci­ pit fortiter slare. Tentatus autem, non solum vires a quo accipiat discit ; sed quanta eas vigilantia servet intclligit. Sæpe enim quem tentationis certamen superare non valuit, sua deterius securitas stravit. Nam dum lassum se quisque in otio remittit, dissolutam mentem corruptori prostituit : at si cum ex dispensatione supernæ pietatis1 2, tentatio non repente vehementer irruens sed temperato accessu erudiens pulsat ; nimirum ad insidias providendas evigilat, ut contra hostem sc in certamine cautus accingat. Unde et bene subjungitur : v. 20. Tunc surrexit Job. L, 80. Sedere enim quiescentis est ; assurgere, decer­ tantis. Auditis ergo adversis surgere, est expertis tentationibus mentem ad certamina robustius parare. Quibus nimirum tentationibus etiam discretio proficit : quia ut virtutes a vitiis subtilius distinguat, agnoscit3. Unde et bene subjungitur : Scidit vestimenta sua. LI, 81. Vestimenta scindimus, cum discernendo nostra opera retractamus. Si enim apud Deum nos opera nostra quasi vestimenta non tegerent, nequaquam voce angelica 1. Cf. Afor., 2, 83. 2. Cf. Afor., 2, 33. 3. Voir Introduciion, p. 58 et 77, n. 4. LIVRE SECOND 239 seul : car le discernement spirituel au milieu même des tentations, demeure indemne. Ce messager fait que Job, par ses larmes, recouvre scs enfants : grâce à la nouvelle apportée, par le discernement, l'esprit affligé conserve par la pénitence les vertus qu’il était en train de perdre. C’est donc par une admirable dispensation de Dieu à notre égard1 que, parfois, notre âme est blessée par le choc de la faute ; l'homme croirait trop grandes ses forces si, dans le secret de son âme, il n’éprouvait jamais leur défaillance. Mais ébranlé par l’assaut de la tentation et lassé pour ainsi dire au delà du possible, l’humilité lui paraît être une sauvegarde contre les pièges de l’ennemi : la crainte même de tomber d’épuisement lui permet de se maintenir debout avec courage. Tenté, non seulement il comprend de qui lui viennent les forces, mais il se rend compte avec quelle vigilance il doit les préserver. Souvent, celui que la lutte de la tentation n'a pu vaincre, sa sécurité l’abat lamen­ tablement, car, lorsque par lassitude quelqu’un s'aban­ donne à l’oisiveté, il prostitue son âme veule au corrup­ teur ; cependant, si, en vertu de la miséricordieuse dis­ pensation2, la tentation qui le frappe ne fond pas soudain sur lui, mais s’accroît par degrés pour l’instruire, alors il se réveille pour parer aux embuscades, et s'arme prudem­ ment dans la lutte contre l'ennemi. Aussi est-ce avec justesse que le texte poursuit : Alors Job se leva. 80. Pour se reposer, on s’assied ; pour combattre, on se lève. Se lever à l’annonce des malheurs, c’est, grâce à l’entraînement que donnent les tentations, préparer son âme à combattre avec plus de courage. Grâce à ccs tentations, la faculté de discernement fait elle-même des progrès parce qu'elle a appris à dis­ tinguer plus subtilement les vertus des vices3. Aussi est-ce avec justesse que le texte poursuit : Il déchira son manteau. 81. Nous déchirons notre manteau, quand nous exa­ minons nos actions avec discernement. Si nos œuvres, 240 MORALES SUR JOB diceretur : Beatus qui vigilat, et custodit vestimenta sua, ne nudus ambulet, et videant turpitudinem ejus1. Turpitudo enim nostra tunc cernitur, cum vita reprehensibilis ante justorum oculos in judicio, nequaquam subsequentis boni operis tegmine velatur. Sed quia cum culpa lentamur, ad lamenta accendimur ; atque ipsis lamentis excitati, ad perspiciendam lucem justitiæ subtilius oculos men­ tis aperimus : quasi in dolore, vestimenta scindimus, quia cx fletu, discretione crescente1 2, cuncta quæ agimus, districtius irata manu judicamus. Tunc omnis nostra elatio corruit, tunc cuncta ab animo cogitationum superfluitas cadit. Unde et subditur : Et tonso capite corruens in terram adoravit. LII, 82. Nam quid moraliter per capillos, nisi defluen­ tes animi cogitationes accipimus ‘? Unde et alias Ecclcsiæ dicitur : Sicut vitta coccinea labia tua, sponsa, et elo­ quium tuum dulce3. Vitta quippe crines capitis astringit. Labia ergo sponsæ sicut vitta sunt. : quia exhortatione sanctæ Ecclcsiæ, cunctæ in auditorum mentibus diiïusæ cogitationes ligantur ; ne remissa» defluant, ne sese per illicita spargant, ne sparsæ cordis oculos deprimant : sed quasi ad unam se intentionem colligant, dum vitta eas sanctæ prædicationis ligat. Quam recte ct coccineam asserit : quia sanctorum prædicatio solo caritatis ardore flammescit. Quid vero per caput, nisi ea, quæ principale4 uniuscujusque actionis est, mens ipsa signatur ? Unde et alias dicitur : Et oleum de capite tuo non deficiat6. Oleum quippe in capite, est caritas in mente : et a capite deficit oleum, cum caritas a mente discedit. Caput ergo detondere, est cogitationes superfluas a mente 1. Apoc., 10,15. 2. Voir Introduction, p. 77. 3. Cant., 4, 3. LIVRE SECOND 240 en effet, ne nous couvraient comme d’un manteau aux yeux de Dieu, l’ange en aucune façon n’aurait dit : « Heureux celui qui veille et qui garde ses vêlements pour ne pas aller nu et ne pas laisser voir sa honte1 ». On voit notre honte quand notre vie coupable, soumise au regard et au jugement des justes, n’est nullement voilée par un vêtement d’œuvres bonnes accomplies dans la suite. Quand nous sommes tentés de pécher, nous nous excitons aux larmes : réveillés par ces larmes, nous ouvrons les yeux de l’esprit pour mieux apercevoir la lumière de la justice ; nous déchirons en quelque sorte notre, manteau dans la douleur, parce que ces pleurs font croître notre discernement2, et c’est d’une main sévère et avec plus de rigueur que nous jugeons tous nos actes. Alors tout notre élèvement tombe à terre, notre esprit se débarrasse de toutes ses pensées superflues. Le texte continue : El la tête rasée, se jetant à terre, il adora. 82. Au sens moral, que signifient les cheveux, sinon les rêvasseries de l’âme? C’est pourquoi il est dit à Γ Église dans un autre passage : « Tes lèvres sont comme un ruban couleur de jeu, mon Epouse, et ta parole est douce3 ». C’est avec un ruban que l’on noue les cheveux ; les lèvres de l’Épouse sont un ruban, parce que, par l’enseignement de la sainte Église, toutes les pensées flottantes sont lices dans l’esprit de ceux qui l’écoutent. Abandonnées à elles-mêmes, elles se dissiperaient, elles se répandraient sur des sujets défendus, affaiblissant ainsi les yeux du cœur. Mais elles se ramassent comme sur un seul objet, quand le ruban d’une prédication sainte les noue ensemble. Et ce ruban, nous dit-on, est couleur de feu, parce que la parole des saints flamboie de la seule ardeur de la charité. Que signifie la tête, sinon l’âme, principe (directeur)45 de toute action ? C’est pourquoi il est dit dans un autre passage : « Et que l'huile ne manque pas sur la tête.3 ». Cette huile sur la tête, c’cst l’amour dans l’âme ; l’huile manque sur la tête, quand la charité s’éloigne de l’âme. 4. · Principale », terme stoïcien. Cf. Introduction, p. 69. 5. Eccl., 9, 8. 241 .MOBALES SUR JOB resecare. Et detonso capite in terram corruit, qui repressis præsumtionis suæ cogitationibus, quam in semelipso infirmus sit humiliter agnoscit. 83. Difficile namque est magna agere, et apud semet­ ipsum quempiam de magnis actibus cogitationum fidu­ ciam non habere. Eo ipso enim, quo contra vitia fortiter vivitur, cogitationum præsumtio in corde generatur : et cum mens foras culpas valenter conterit, plerumque apud semetipsam latcnter intumescit ; jarnque se esse magni alicujus meriti æslimat, nec se peccare in cogi­ tatione suæ aestimationis putat. Ante districti autem judicis oculos tanto deterius delinquitur, quanto culpa quo occultius, eo pene incorrigibiliter perpetratur ; et tanto ad vorandum latius patet fovea, quanto de semetipsa elatius gloriatur vita. Unde, ut sæpe jam diximus, pia conditoris dispensatione agitur1, ut de se confidens anima, dispensatoria tenlatione pulsetur : quatenus infirmata, quid sit inveniat, et præsumtionis propriæ fastum deponat. Mox enim ut tentatio mentem pulsa­ verit, omnis cogitationum nostrarum præsumtio, tumul­ tusque conquiescit. 84. Mens enim cum se in elatione erigit, quasi in tyrannidem erumpit. Habet autem tyrannidis suæ satel­ lites, faventes sibimet cogitationes suas. Sed si super tyrannum hostis irruat, favor mox satellitum cessat. Intrante namque adversario, satellites fugiunt, cumque territi declinant, quem in pace positi callida adulatione laudabant. Subductis vero satellitibus, ante hostem solus remanet : quia recedentibus elatis cogitationibus, perturbatus animus se solummodo et tentationem videt Auditis ergo adversis caput detondetur, cum lentationibus vehementer irruentibus, a præsumtionis suæ cogitatio­ nibus mens nudatur. Quid est enim, quod Nazarei 241 LIVRE SECOND Se raser la tête, c’est retrancher de l’âme les pensées superflues ; après s’être rasé la tête, il se prosterne sur le sol, celui qui, ayant réprimé toute pensée de présomp­ tion, reconnaît humblement quelle faiblesse est la sienne. 83. 11 est difficile de faire de grandes choses, et de ne pas tirer de ses hauts faits quelque confiance en soi. Quand, dans sa vie, on mène une lutte énergique contre les vices, par le fait même, la présomption spirituelle prend naissance, dans le cœur ; l’âme qui, au dehors, brise avec énergie les péchés, souvent s’enfle d'orgueil en secret à l’intérieur d’elle-même ; estimant son mérite très grand déjà, elle oublie qu’elle pèche en se jugeant digne d’estime. Mais aux yeux du Juge rigoureux, on est d'autant plus gravement coupable, que la faute, plus cachée, est presque incorrigible ; plus orgueilleusement on se glorifie de la vie qu’on mène, et plus le gouffre se creuse profond, pour vous engloutir. Et c’est bien, comme nous l’avons déjà dit, grâce à la miséricordieuse providence du Créateur1, que l’âme qui met sa confiance en elle-même est attaquée par une tentation providentielle ; blessée, elle apprend ce qu’elle est, et met à terre sa morgue présomptueuse. Car dès que la tentation assaille l’esprit, toute la présomption et tout le tumulte de nos pensées s'apaisent. 84. L’esprit qui se dresse avec orgueil, explose pour ainsi dire en tyrannie. ; et pour courtiser sa tyrannie, scs pensées sont là qui le flattent. Mais si, contre le tyran, un ennemi surgit, la flatterie des courtisans s’interrompt aussitôt. Quand l’adversaire paraît, les courtisans s’en­ fuient ; épouvantés, ils abandonnent celui qu’ils com­ blaient d'ingénieuses adulations lorsqu’ils étaient en paix. Les courtisans envolés, le monarque demeure seul en face de l’ennemi : quand les pensées d’orgueil dispa­ raissent, l’âme bouleversée ne voit plus qu’elle-même et la tentation. La tête est rasée à la nouvelle des désastres, quand, sous l’assaut furieux des tentations, l’esprit se dépouille de toute suffisance. 1. Cf. Mor., 2, 79, ainsi que V Introduction, p. 59. Job. 24. 212 mohai.es SUR JO» capillos nutriunt ’, nisi quod per vitam magnæ continents præsumtionurn cogitationes crescunt ? Sed quid est, quod devotione completa, caput Nazaræus radere, capillosque in igne sacrificii ponere jubetur1 2 : nisi quod tunc ad perfectionis summam pertingimus, cum sic exteriora vitia vincimus, ut etiam cogitationes superlinas a mente resccemus ? Quas nimirum sacrificii igne concre­ mare, est flamma eas divini amoris incendere : ut totum cor in Dei amore ardeal, et cogitationes superfluas concremans, quasi Nazaræi capillos devotionis perfec­ tione consumat. Et notandum, quod in terram corruens adoravit. Ille enim veram Deo adorationem exhibet, qui semetipsum, quia pulvis sit, humiliter videt, qui nihil sibi virtutis tribuit, qui bona quæ agit, esse de misericordia conditoris agnoscit. Unde et competenter dicit : v. 21. Nudus egressus sum de utero matris mex : nudus revertar illuc. LIII, 85. Ac si tentatus animus ct in infirmitatis suæ inopia deprehensus dicat : Nudum me in fide prima gratia genuit, nudum eadem gratia in assumtione salva­ bit. Est namque magnum animi turbati solatium, ut pul­ satus vitiis, cum se quasi nudari virtutibus conspicit, ad solam rnisericordiæ spem recurrat : et eo se nudari non sinat, quo sc a virtutibus humiliter nudum putat : qui etsi fortasse aliqua virtute in tentatione detegitur, infirmi­ tatem tamen propriam agnoscens, ipsa melius humili­ tate vestitur : et valde robustius, quam steterat, jacet, cum sibi sine divino adjutorio cessat tribuere quod habet. 1. Nombr., β, 5. 2. Nombr.. G, 18. LIVRE SECOND 242 Pourquoi les Nazaréens laissent-ils croître leurs cheveuxl, sinon parce que les pensées dc présomption grandissent dans une vie très mortifiée ? Mais pourquoi le Nazaréen, son vœu accompli, reçoit-il l’ordre de se raser la tête et de jeter scs cheveux au feu du sacrifice2 ? Parce que nous atteignons la perfection quand nous vain­ quons si bien les défauts extérieurs, que nous retranchons de notre esprit jusqu'aux pensées superflues. Les réduire en cendres au feu d’un sacrifice, n’est autre chose que les jeter dans la flamme du divin amour, pour que, tout entier, le cœur brûle d’amour pour Dieu, et que, réduisant en cendres les pensées superflues, il consume par la perfection de sa dévotion les cheveux du Nazaréen. Et remarquons que, se jetant à terre, il adora ; car il présente à son Créateur une véritable adoration, celui qui reconnaît humblement n’ètre que poussière, qui ne s'attribue rien de sa vertu, et qui sait que tout le bien fait par lui vient dc la miséricorde du Créateur. Aussi dit-il à propos : « A’u, je suis sorti du sein de ma mère, et nu, j'y retournerai ». 85. L’esprit éprouvé, surpris dans son indigente faiblesse, s’écrie : nu, la première grâce m’a engendré dans la foi, et nu, cette même grâce me sauvera quand elle me relèvera. Et c’est en effet une grande consolation pour un esprit dans le trouble, — lorsque, assailli par les vices, il se voit comme dépouillé de vertus, — que de recourir à la miséricorde comme à son seul espoir. Alors, il ne se laisse pas dépouiller, parce qu’il se regarde, en toute humilité, comme, dénué de vertus. Et même s’il arrive que, durant la tentation, il se trouve comme mis à nu par la perte d’une vertu, pourtant, rien qu’en reconnais­ sant sa propre faiblesse, il est encore mieux revêtu par son humilité. Celui qui cesse de s’attribuer à lui-même ce qu’il possède sans tenir compte du secours divin, est plus fort lorsqu’il gît à terre que lorsqu’il était debout. 243 MORALES SUH JOB Unde ct manum mox largitoris et judicis humiliter agnos­ cit, dicens : Dominus dedit, Dominus abstulit. LIV, 86. Ecce tentationibus eruditus crevit, qui et in virtute habita largitatem dantis, ct in perturbatione fortitudinis, potestatem tollentis agnoscit. Quæ tamen fortitudo non tollitur, sed perturbata fatigatur : quatenus concussa mens, dum se hanc jamjamque quasi amittere trepidat, semper facta humilis numquam perdat. Sicut Domino placuit, ita factum est : sit nomen Domini benedictum. LV, 87. In hoc, quod interna perturbatione concuti­ mur, dignum est ut ad conditoris judicium recurramus ; ut inde cor nostrum adjutori suo majores laudes exhibeat, unde pulsatum verius imbecillitatem suæ infirmitatis pensat. Bene autem dicitur : v. 22. In omnibus his non peccavit Job, nec stultum aliquid contra Deum locutus est. LVI, 88. Quia solerti cura custodire dolens animus debet, ne cum se intus ten latio stimulat, in verbis foras illicilæ locutionis erumpat, ne de probatione murmuret : et ignis, qui hunc vclut aurum concremat, per excessum sermonis illiciti in paleæ favillam vertat. 89. Nihil vero obstat si hoc, quod de virtutibus dixi­ mus1, de his, quæ in ostensione virtutis dantur, donis sancti Spiritus sentiamus. Alii namque prophetiæ, alii genera linguarum, alii virtutes curationum dantur2. Sed quia hæc ipsa dona non semper in mente eodem modo sunt, liquido ostenditur, quod ne se mens in præsumtione elevet, aliquando utiliter subtrahuntur. Nam si prophetiæ spiritus Prophetis semper adesset, nimirum 1. Cf. Λ/or., 2, 78. 2. Cf. 1 Cor.. 12, 28 ; Bom., 12. 6. LIVRE SECOND 243 Et. bientôt, humblement, il reconnaît la main de son bienfaiteur et de son juge en disant : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ». 86. Instruit par les épreuves, il a progressé, celui qui, dans la vertu possédée, reconnaît la générosité de celui qui donne, et, dans la désorganisation de scs forces, la puissance de celui qui retire. D’ailleurs, la force ne (lui) est pas enlevée, mais se trouve affaiblie par la lassitude ; l’âme secouée avec violence, tremblant à tout instant de perdre, pour ainsi dire, ce qui fait sa vertu, devenue humble pour tou­ jours, ne la perdra plus jamais. « Comme il a plu au Seigneur il est arrivé, que le nom du Seigneur soit béni ». 87. Dès que nous sommes intérieurement frappés de trouble, il est bon de recourir au jugement de Dieu. Que notre cœur adresse à celui qui le soutient des louanges d’autant plus grandes, qu’il mesure plus exactement, dans l’épreuve qui le frappe, son impuissance et sa faiblesse. Le texte dit bien : En tout cela Job ne pécha point, et ne dit rien d'insensé contre Dieu. 88. Dans Γaffliction, l’esprit doit se garder avec grand soin, alors qu’intérieurement la tentation l’aiguillonne, de laisser échapper des paroles coupables et de murmurer de son épreuve. Le feu, qui le purifie comme de l'or, le changerait en cendres comme de la paille par ces coupables écarts de langage. 89. Mais rien n’empeche que ce que nous avons dit des vertus1, nous ne l'entendions des charismes du SaintEsprit, qui sont donnés pour les manifester. L’un reçoit l'esprit de prophétie, l'autre le don des langues, l’autre le pouvoir de guérir2. El comme ces charismes nc se trouvent pas toujours dans l’âme de la même manière, il est clair qu’ils lui sont parfois enlevés de peur que la présomption ne l’élève. Si l’esprit de prophétie avait assisté toujours les prophètes, certes, le prophète Élisée n’aurait pas dit : « Laissez-la, car son âme est dans l'amertume, et le Seigneur 244 MORALES SUR JOB Elisæus propheta non diceret : Dimitte eam, anima enim ejus in amaritudine est, ct Dominus celavit a me verbum1. Si prophetiæ spiritus Prophetis semper adesset, inquisitus Amos propheta non diceret : Non sum propheta, ubi et subdidit : Neque filius prophète ; sed armentarius ego sum, vellicans sycomoros-. Quomodo autem propheta non fuit, qui de futuris tot vera prædixit? Aut. quomodo propheta fuit, si de se in praesenti vera denegavit ? Sed quia eadem hora, qua requisitus est, prophetiæ sibi spiritum deesse sensit, de semetipso testimonium vera­ citer intulit, dicens : Non sum propheta. Qui tamen secu­ tus adjunxit : Et nunc audi verbum Domini. Hæc dicit Dominus : Uxor tua in civitate fornicabitur, ct filii tui et filiæ tuæ in gladio cadent, et humus tua funiculo metie­ tur : et tu in terra polluta morieris123. Quibus Prophet® verbis aperte ostenditur, quia dum de se illa loqueretur, impletus est : et mox habere prophetandi spiritum meruit, quia se prophetam non esse humiliter agnovit. Et si prophetiæ spiritus Prophetis semper adesset, David regi de templi sc constructione consulenti, nequaquam Nathan propheta concederet, quod post paululum negaret4. 90. Unde bene ct in Evangelio scriptum est : Super quem videris Spiritum descendentem, et manentem super eum, hic est qui baptizat2. In cunctis namque fidelibus Spiritus venit, sed in solo Mediatore singulariter perma­ net : quia ejus humanitatem numquam deseruit, ex cujus divinitate procedit9. In illo igitur manet, qui solus et omnia ct semper potest. Nam fideles, qui hunc accipiunt, cum signorum dona habere semper, ut volunt, 1. Il liais, t, 27. CL Dial., 2, 21. 2. Amos, 7, 14. 3. Amos, 7, 16-17. LIVRE SECOND 244 m'en a caché la raison1 ». Si l’esprit de prophétie avait assisté toujours les prophètes, le prophète Λ inos, interrogé, n’aurait pas répondu : » .Je ne suis pas prophète », ajoutant : « Je ne suis pas non plus fils de prophète, je suis bouvier, ct je cultive les sycomores- ». Comment ne fut-il pas pro­ phète celui qui, de l’avenir, prédit tant d’événements avec exactitude ? Mais, d’un autre côté, comment fut-il pro­ phète, s’il nia des vérités qui, dans le présent, concer­ naient sa personne ? Au moment où on l’interrogeait, il sentait bien ne pas avoir l’esprit de prophétie, aussi rendit-il de lui-même véridique témoignage, en disant : o Je ne suis pas prophète ». Il ajouta pourtant aussitôt après : « Et maintenant, écoutez la parole du Seigneur. Voici ce que dit le Seigneur : « Ta femme se prostituera dans la ville, tes fils et tes filles tomberont par l'épée, la terre sera partagée au cordeau, et toi, tu mourras sur une terre impure2 ». Ces paroles du prophète montrent de façon évidente qu’au moment où il parlait ainsi de lui-même, il fut rempli de l’esprit de prophétie, et qu’il mérita de le posséder aussitôt qu’humblement il reconnut n’être pas prophète. Si l’esprit de prophétie avait assisté toujours les prophètes, Nathan n’aurait nullement accordé au roi David, qui le consultait pour la construction du temple, ce qu’il lui refusa peu après45 6. 90. Aussi est-il justement écrit dans Γ Évangile : « Celui sur qui tu verras Γ Esprit descendre ct demeurer, c'est Lui qui baptise2 ». Le Saint-Esprit vient dans tous les fidèles, mais c’est seulement dans le Médiateur qu’il demeure à titre singu­ lier, car il n’a jamais abandonné l’humanité (du Rédemp­ teur) de la divinité duquel il procède °. Il demeure donc en celui-là qui seul peut tout ct le peut toujours. Les fidèles qui le reçoivent, parce qu'ils ne peuvent posséder toujours à volonté les charismes, 4. Il Sam., 7, 3. 5. Jn, 1, 33. 6. Sur cette ntlirniation de In procession du Saint Esprit, voir Λ/or., 1, 30 ct la note, p. J 00. 215 MORALES SUH JOB non possunt, hunc se accepisse quasi in transitus osten­ sione testantur. Sed cum rursum de eodem Spiritu Veritatis ore discipulis dicitur : Apud vos manebit, et in vobis erit1 : quid est, quod divina voce Mediatoris signum, hæc eadem Sancti Spiritus mansio declaratur, cum dicitur : Super quem videris Spiritum descendentem, et manentem super cum- ? Si igitur juxta magistri vocem et in discipulis manet : quomodo jam singulare signum erit, quod in Mediatore permanet ? Quod tamen citius cognoscimus, si dona ejusdem Spiritus discernamus. 91. Alia namque sunt dona illius, sine quibus ad vitam nequaquam pertingitur : alia, quibus vitæ sanctitas pro aliorum utilitate declaratur. Mansuetudo namque, humilitas, patientia, fides, spes, caritas, dona ejus sunt : sed ea, sine quibus ad vitam homines pervenire nequa­ quam possunt. Prophetiae autem, virtus curationum, genera linguarum, interpretatio sermonum, dona ejus sunt : sed quæ virtutis ejus præsentiam pro correc­ tione intuentium ostendunt. In his igitur donis, sine quibus ad vitam perveniri non potest, Sanctus Spiri­ tus sive in prædicatoribus suis, sive in electis omnibus semper manet : in illis autem, quibus per ostensionem illius non nostra vita servatur, sed aliorum quæritur, nequaquam semper in prædicatoribus permanet : quia semper quidem eorum cordi ad bene vivendum praesi­ det, nec tamen per cos virtutum signa semper ostendit : sed aliquando se cis a signorum ostensionibus subtrahit, ut eo humilius virtutes ejus habeantur, quo habitae teneri non possunt123. 92. Mediator autem Dei et hominum homo Christus 1. Jn, 14,17. 2. Jn, I, 33. 3. Saint Grégoire distingue deux catégories de dons : 1· les dons néccs- LIVRE SECOND 245 témoignent ne l’avoir reçu que comme en signe de son passage. Mais la bouche de Vérité parlant de ce même Esprit dit encore à ses disciples : « Il demeurera chez vous, et il sera en vous1 ». Comment, dès lors, la’ voix divine proclame-t-elle cette même demeure du Saint-Esprit comme la marque du Médiateur quand elle dit : « Celui sur qui lu verras l'Espril descendre et demeurer2 » ? Si, selon le mot du Maître, il demeure aussi dans les disciples, comment cette demeure sera-t-elle la marque particulière du Médiateur ? C’est cc que nous comprenons facilement par l’analyse des dons de cc même Esprit. 91. Il en est certains sans lesquels on ne peut atteindre la vie ; et il en est d’autres qui manifestent la sainteté de la vie pour futilité du prochain. La douceur, l'humilité, la patience, la foi, l’espérance, la charité, sont de ces dons du Saint-Esprit sans lesquels les hommes ne peuvent aucunement parvenir à la vie. Au contraire, la prophétie, le pouvoir de guérir, le don des langues et celui de les interpréter, sont de ces dons du Saint-Esprit, qui mani­ festent la présence de sa puissance pour la conversion de ceux qui en sont les témoins. Aussi, pour les dons nécessaires au salut, le Saint-Esprit demeure toujours dans ses prédicateurs aussi bien que dans tous les élus. Mais, pour les dons qui, en le manifestant, ne nous assurent pas le salut mais le procurent aux autres, le Saint-Esprit ne demeure nullement de manière habituelle dans les prédicateurs. Car s’il réside toujours en leur cœur pour les aider à bien vivre, il ne manifeste pas toujours par eux le pouvoir des miracles ; quelquefois, il leur retire scs charismes pour qu’ils détiennent avec d’autant plus d’humilité des pouvoirs que, par eux-mêmes, ils sont incapables de conserver3. 92. Mais le Médiateur entre Dieu et les hommes, l’IIommc Jésus-Christ, a toujours, continuellement, siiircs au salut, et 2e les charismes · qui ne sont Jamais stabilisés dans l'Am· qui en reçoit communication ». Voir sur cette question J. ne Blic, art. cil. p. 149-150. 246 MORALES SUR JOB Jesus, in cunctis eum ct semper et continue habet prae­ sentem : quia et ex illo isdem Spiritus per substantiam profertur1. Recte ergo ct cum in sanctis praedicatoribus manet, in Mediatore singulariter manere perhibetur : quia in istis per gratiam manet ad aliquid, in illo autem per substantiam manet ad cuncta. Sicut enim corpus nostrum sensum tantummodo tactus agnoscit, caput autem corporis, usum simul omnium quinque sensuum possidet, ut videat, audiat, gustet, odoretur, et tangat : ita membra superni capitis in quibusdam virtutibus emicant ; ipsum vero caput in cunctis virtutibus flagrat. Dissimiliter ergo Spiritus in illo manet, a quo per naturam numquam recedit. Dona vero ejus, quibus ad vitam tenditur, sine periculo amitti non possunt : dona autem, quibus vitæ sanctitas demonstratur, plerumque, ut dictum est, sine dispendio subtrahuntur. Illa ergo pro nostra eruditione tenenda sunt, hæc pro alienis provec­ tibus exquirenda. In illis nos terreat formido, ne pereant : in istis vero ad tempus aliquando sublatis consoletur humilitas ; quia ad elationem mentem fortasse sublevant. Cum igitur concessa nobis virtutum signa subtrahuntur, dicamus recte : Dominus dedit, Dominus abstulit ; sicut Domino placuit, ita factum est : sil nomen Domini bene­ dictum. Tunc enim vere ostendimus, quia accepta recte tenuimus, cum profecto aequanimiter ad momentum sublata toleramus. LIVRE SECOND 2-16 et en tout, le Saint-Esprit présent en lui, parce que c’est de lui que cet Esprit procède substantiellement1. Bien qu’il demeure dans tous les saints prédicateurs, on le montre donc avec exactitude demeurant dans le Médiateur à titre particulier: dans les prcmicrs.il demeure par la grâce en vue de telle ou telle mission, dans le second, il demeure substantiellement en vue de toutes ensemble. Notre corps ne connaît que le sens du tact ; notre tête a tout ensemble l’usage des cinq sens : de la vue, de l’ouïe, du goût, de l’odorat et du Loucher : ainsi, les membres du Chef mystique brillent par tel ou tel pouvoir, mais tous ces pouvoirs ensemble resplendissent dans le Chef. C’est à un titre différent que le Saint-Esprit demeure en celui dont, par nature, il ne se sépare jamais. Les dons par lesquels on tend à la vie, on ne peut les perdre sans péril : tandis que les dons qui manifestent la sainteté de la vie, sont fréquemment refusés sans inconvénient, nous l’avons dit. Nous devons conserver les premiers pour notre édification, et rechercher les seconds pour le profit d’autrui. Redoutons terriblement de perdre les premiers. Quant aux seconds, si parfois ils sont enlevés pour un temps, que l’humilité s’en console : peut-être portent-ils l’âme à l’orgueil. Quand donc les charismes qui nous ont été donnés disparaissent, disons, comme il se doit : « Le. Seigneur a donné, le Seigneur a enlevé, .selon qu'il a plu au Seigneur il est arrive, que le nom du Seigneur soit béni ! » Alors, nous montrons vraiment que nous possédions de la bonne manière les dons reçus, en supportant d’un cœur égal leur perte momentanée. 1. Voir Mor., 1, 30 et note, p. 1G0. INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES Les chiffres de la troisième colonne indiquent les pages du présent volume. Genèse 2, 3» 8, II. i8, 19, 24, 36, 37, 39, 49, 3 6 V 19 21 7 1 1 9 61 33 24 12 14-15 Nombres 151 62 176 222 61 187 182 182 216 153 124 178 224 156 3, 5, 13, 29, 30» 32, 33. 6 2 21 22 34 36 6 13 20 Deutéronome 30 126 96 223 178 177 177 147 30 30 i, 32 Juoeb 178 77 77 178 153 153 63 1 I Samuel i8, 10 4, 7, 194 II Samuel 5-6 171 244 3 I Rois 22, 19-22 22 Lévitique 6 9 13 3> 9 XI, 4 8 I. 153 153 153 154 154 217 3 7 8 22, 10 25, 4 32. 1 14, 3, Exode 242 242 125 116 5 18 12, 3 22, 28 6, 209 210 II Rois 4, 27 25, 8 244 98 II Chroniques 21 210 i8, INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES 248 Job I, 3, 4, 6, Ί> 9, i3, 23, 27, 29, 30, 3i, 33, 41, 42, 8 9-11 12 22 2 5 7 22 10-11 13 7 1 15 19 20 13 3 4 26 3 6 9 25 29 13 16 17 32 15 26 24 8 130 130 190 129 119 119 119 71 55 45 19 74 119 119 120 119 137 137 120 ■17 120 129 129 112 129 120 129 129 45 75 55 139 77, 83, 87, 119, 139, 141, ii, 9 21, 7 25, 2 30, 25 36, 27 37, 12 9 2 6-7 11 4 5 11 4 Proverbes 4, 7, 8, 9, 15, 15, 22, 29, 30, 172 154 149 139 100 184 100 101 67 23 22 12 1 1 3 24-25 22 28 Ecclésiaste 163 100 144 240 144 I, 18 7, 10 9, 19 8 18 2, 3, 4, 2 6 3 Cantique Psaumes 6, 8, 3 ΙΟ, 17 74 38 128 95 150 176 74 37 126 66 207 95 75 202 174 38, 6 41, 3 4i, 9 43, 25 44, 55 55, 7 62, 3 148 137 189 186 95 195 43 141 221 143 177 240 Sagesse I, 7 9, 15 10, 21 196 41 , 51 52 70 116 INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES Sagesse du siracide 54 164 178 196 204 1 14 16 24> 5 40, 1 2, Isaïe 155 159, 217 229 223 164 155, 213 95 95 127 218 196 149 159 140 137 196 I, 3 5, 13 7» 9 9, 8 II» 2 3 14, 13 14 23, •1 26, 11 40, 12 53» 4 55» 1 61, 7 10 66, 1 Jérémie 2, 8 5» 3 9» 20 il» 15 23, 24 41, 5-7 8 14 52> 220 202 61 221 196 171 175 98 Lamentations 1» 4» 5 4 173 158 ÉZÊCHIEL 222 5» 1 14 127 14» 152 20 99 16, 49 249 23, 20 29, 9 155 96 Daniel 3» 7» 10 98 182 A MOS 7» 14 16-17 244 244 Zacharie 2, 10 13, 7 95 221 Matthieu 4» 3 5» 28 8, 29 31 9, 15 10, 5 16 22 II» 28 29 13» 22 17, 19 18» 10 21, 7 22, 25 23» 15 24 24, 12 13 26, 26 65 27, 21 22-23 213 184 213 194 215 215 143 149 155 95, 155 145 128 182 155 155 219 219 155 153 181 149 226 226 153 218 Marc 2, 19 4, 7 215 145 250 INDEX DES 201, 202, 206, 207, 211, 215, 218, 219, 220, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 235, 236, 237, 238, 240, 241, 242, 243, 245 ; ager cordis 231 ; ara cor­ dis 176; arcana cordis 177; auris cordis 46 ; cordis soboles 236 ; in cordis foro litigatur 233 ; inreprchcnsibilitas cordis 120 ; insen­ sibilitas cordis 201 ; mun­ dorum spirituum corda 208 ; corpus-cor 147 ; cor­ dis diviti» - opes corporis 145 Corpus-Caput 11, 55, 136-137, 161, 227, 246 Corpus-Cor cf. Cor Corruptio (corporis) 59 Corruptor (= Satan) 239 Crainte 72-74 Creator 188, 220 256 TABLE ALPHABÉTIQUE Credulitas - Contemplatio 40 Crimen-Peccatum 87 Culex-Camelus 153 Culmen ad sumnue rectitu­ dinis culmen erigitur 236 ; cf. Ædiflcium Cultor-Conditor 235 Curricula Multa quippe an­ norum jam curricula devol­ vuntur 121 ; cf. Volumina Custodes pueri 231-232, 234 Custodia 129, 171, 172, 201, 202, 229, 231 ; cf. Cir­ cumspectio Damnati in metallum 200 Delectatio 172, 230, 235 Detondere (caput) 223, 240 Deus - - sine mutabilitate 208 ; Dei dextra, sinistra 209-210 ; Dei facies (= res­ pectus gratiæ) 194 ; Dei incommutabilitas 206-207 ; Deo auctore 123, 185 ; Deo dispensante 198 i non fa­ ciente Deo, tamen permit­ tente 232 (cf. 204) ; Deo regente 106 ; resistente Deo 229 Desideria - - carnalia 235 ; exteriora - - 68 Desiderium 162, 189, 194, 197 Désir spirituel 188-190 Diabolus 55, 129, 130, 132, 144,187,190-192,193,197, 204, 210 ; cf. Satan Dictare 117 Dies 119, 158, 168, 182, 192193, 206-207, 208, 210, 233 ; cf. Nox Dies prosperitatis - Nox ad­ versitatis 193 Dilectio Dei 202 Discretio 17, 28, 97, 99, 167, 169, 171, 231, 232, 234, 238, 239, 240 ; discretionis manus 28 Discussio ( = examen de cons­ cience) 65, 170, 176-179 ; cf. Consideratio (sui), Co­ gnitio (propria) Dispensatio 106, 115, 135, 136, 165, 195, 197, 198, 228, 239, 241 ; cf. Provi­ dentia Dispensationes ( = adminis­ tration) 165-166, 233-234 ; Dispensatio (même sons) 233-234 Dispensatoria tentatio 241 Dispensatorie 193 Diverberare 51 Doctores (legis) 217 Dominica persecutio 221 ; - traditio 217 ; spes - - 199 Dominus 126, 128, 129, 130, 137, 140, 150, 151, 153, 154, 155, 160, 161, 164, 171, 181, 182, 184, 185, 186, 192, 193, 194, 195, 196-197, 200,204,205, 206208,210,211,214,215, 216, 219, 222, 224 ; Domino permittente 204 Donati regulæ 122 Donum, Dona cf. Spiritus (sanctus) Droits du démon 211 Ecclesia 11, 115, 126, 136I 141,143.152-153, 156,161, 164, 177, 240 ; - - univer­ salis 139 ; cf. Corpus, Rebecca, Sponsa Ecclesiasticus ordo 115 Elatio 59, 161, 170, 232, 237 TABLE ALPHABÉTIQUE 240,241, 246 ; elatio super­ bia 62 Elatlo-Humilitas 153 Elephas cf. Agnus Eloquium (sacrum) 118, 121, 122, 124, 125, 126, 158159, 181, 207 ; = cibum 230 ; cf. Locutio, Scriptura Epula 146-147, 157-158, 230 ; cf. Convivium Error caligo erroris 66 ; nebula erroris 80 Erudire mentem - - 236 ; cor prudenter eruditur 237 ; flagello suæ cæcitatis eru­ ditus 237 ; cf. Tentatio Eruditio 246 Examen de conscience 65 ; cf. Discussio Exégèse 10-13, 117-118 Expositio 117, 118, 121, 122, 123,149,161,191,206; per expositionis ministerium, per contemplationis ascen­ sum, per moralitatis ins­ trumentum 117 ; cf. His­ torica expositio, Ordo Fabrica mentis 118 ; cf. Ædi­ flcium Facies (Dei) 194 ; - - Domini 197 ; - - Patris 184 Fideles 137, 138, 151-153, 154, 191, 214, 215, 221, 244 ; Fidelium rectores 148 Fides 116, 140, 151, 152, 153, 154, 156, 214, 215, 229230 ; arcana fidei 215 ; arx fidei 118 ; credulitatis nostræ fides 229 ; cognitio fidei 154, 156 ; fidei sacra­ menta 230 ; per fidem 40 ; ratio fidei 165 257 Fides-Species 40 Fides, Spes, Caritas 165, 169, 238 ; = dona Spiritus Sancti 245 Fiducia (certitudinis) 166 Figura 137 ; per figuram 136, 211, 212, 216 Finis mundi 140, 156, 225 Fistula 117, 122 Flagella 121, 128, 129, 130, 133, 135, 136, 193, 201, 202, 203, 206, 225, 226, 238 Flagellum 134, 135, 202, 226, 237, 238 Fluvius operis cx fonte cogi­ tationis 176 Follis ventris 186 Fons lucis, fons scientiæ 183 Fortitudo cf. Quatuor vir­ tutes Gentilis, Gentiles, Gentilitas 66, 124, 127-128, 142, 143, 152-156,215, 223 Gratia (prima) 242 Gubernatio 106 Guerrier (stvlc) 97, 125, 132133,191,195-196, 205, 239, 241 Hebraei 128, 153, 154 Haeretici 137-139 Hebraicus populus 155 ήγεγονικόν (τό) 69 ;cf. Principale Herodiani 219 Hiems 181 Historia (sacra) 11, 116, 118, 120, 124, 126, 141, 144, 147, 149, 159, 161, 165, 179, 206, 214, 219 ; radix historiæ - allegoriarum fructus 141 258 TABLE ALPHABÉTIQUE Historica expositio 118 Homo Christus Jesus 212, 245-246 Hostis 241 ;( = Satan) 23,129, 130, 133,172, 175, 176, 194, 195, 198, 199, 200, 201, 204, 205, 210, 211, 213, 216, 227, 228, 230, 231, 233, 239. Humanitas - Divinitas 157, 211-212, 244 Humilitas 58, 66-67, 78-79,9397, 129, 165, 180, 212, 224, 242, 245, 246 ; humilitatis magisterium 236-239 ; mu­ nimen humilitatis 239 Humilitas-Elatio 153 Imaginatio 44-45 Immansuetudo-Injustitia 150 Immutabilis-Mutabilis 206 Imperare canticum quod docta manus imperat 122 Incarnata Sapientia 210 Incarnatio (Domini) 136, 140, 161, 221-226 Incarnatus Dominus 149-150, 215 Incircumscripta substantia 197 Incircumscripte 212 Incircumscriptus Spiritus 183, 188,189 ; summus et incir­ cumscriptus spiritus 183 ; summus atque incircums­ criptus spiritus 186 In com mu tabi litas 207 Inculpabilis cf. Job Infirmitas (propria) 242-243 ; imbecillitatem suæ infir­ mitatis pensare 243 Inimicus (= Satan) 131, 227, 231, 233 Injustitia cf. Immansuetudo Innocentia 152, 190-191, 232 Insensibilitas cordis 201-203 Inspiratio 126 ; cf. Aspiratio Inspiration scripturaire 124126 Inspirator (= Spiritus Sanc­ tus) 125 Intellectus 158, 166, 170, 237 ; - - flguralis 214 ; - - tri­ plex 179 ; internus intel- ' lectus - exterior intelligentia 159 InteUigentia 158, 159, 216 ; - - spiritalis 179, 224 Intentio 138, 170-176, 192, 201, 238, 240 ; (= conten­ tion) 233 Interna 68, 75 ; interna-exteriora 68 ; internum consi­ lium 203 ; interna contem­ platio 183-184 ; internae locutiones 191 ; interna manus 221 ; interna proles 164 ; interni secreti sinus 189 Invidia 217-218 ; invidiae faces 192 Invisibilitatis suæ magnitudo 212 Irruens irruente formidine, mentis duritia 237 ; tentatio irruens 239 ; irruente tentatione 239 ; tentationibus irruentibus 241 ; cf. Articulus Israeliticum regnum 222 Job corruit 222-223 ; ver» philosophiae regulam tenuit 202 ; 132-133 ; arenæ spec­ taculum, palestræ certa- . men 144 ; athleta 144 ; TABLE ALPHABÉTIQUE bellator 195, 205 ; bonus etiam inter malos 142-143 ; dolens 138, 149, 162, 211, 212 ; inculpabilis 84, 129130, 191-192, 206, 226 ; inreprehensibilitas cordis 120 ; materia certaminis 130, 191 ; orator fortis 205 ; pugnator 195 ; Sanc­ to Spiritu afflatus 126 ; sanctitas 146 ; spiritales virtutes 144 ; uxor 132133 ; = Ecclesia 11, 136141 ; = Mediatoris passio, tribulationes Ecclesiæ 138 ; = Redemtor 11, 136-141, 223 Joie spirituelle 56 Jubilæi numerus 166 Jubilus 75-76 Judæa 155-156, 158-159, 181, 214, 215, 221-223, 225 Judæl 128, 140, 153, 155, 220 Judaicum sacerdotium 222223 Judaicus populus 155, 215, 218, 220, 223 Judicium extremum 188 Justitia 140, 149-150, 174 ; cf. Mansuetudo, Quatuor vir­ tutes Lætæ lacrymae 75 Lætæ segetes 122 Largitor munerum 116 Lex 124, 126-127, 152, 153, 154, 155, 166, 215, 219, 223 ; legis doctorcs 217 ; legis pabulum 155 ; pascuæ legis 152, 153 Liaison des vertus 105, 168169, 177 259 Libido 232 Linguæ undas intorquere 118 Littera, juxta litteram 11-12, 118, 119, 120, 155, 219, 224 ; ipsa se verba litteræ impugnant 118 Locutio (divina) 121 ; cf. Elo­ quium Lucifer (verus) (= Jesus Christus) 135-136 Lumen - -aeternitatis 23, 208 ; - - incircumscriptum 20, 44 ; - - veritatis 120 ; - - verum 170 ; luminis illustratio 227 ; immensitas luminis 50 Lux (= Deus) 206 ; - - incom­ mutabilis 27 ; - - invisi­ bilis, visibilis 68 ; lux justitiae 240 ; lux sapien­ ti» 210 ; lux - tenebræ 208, 223 ; cf. Natura Dei Luxuria 59, 154-155, 232 Machina compunctionis - 77, 170 ; - - mentis 80 ; - tentationum 131 Machinamenta - - obsidio­ num 132 ; - - tentationum 133 Mansuetudo 129, 143, 149150, 231 Mansuetudo-Justitia 149-150 Mater virtutum (= discretio, humilitas) 96-97 Mediator 138, 161, 210-212, 223, 224 , 244-246 ; omni­ moda Mediatoris scientia 161 Membra - - diaboli 55, 186 ; - - superni capitis 246 ; - - mentis 144 260 TABLE ALPHABÉTIQUE Mens 22, 23, 24, 25, 27, 50, 62, 64, 66, 69, 71, 75, 77, 79, 80, 121, 124, 130, 131, 132, 133,135, 138, 141, 144, 145, 146, 150, 153, 154, 158, 159, 160, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 178, 179, 180, 187, 188, 189, 190, 192, 193, 198, 201, 202, 203, 207, 209, 211, 216, 219, 220, 223, 224, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 246 ; arcana mentis 236, 239 ; dorsum mentis 153 ; fabrica mentis 118 ; mens et corpus 141 ; mentis membra 144 ; mentis oculi 116, 224 ; mentis radix 238 ; solidum mentis ædificium 235 ; terra human» mentis 62 ; cf. Machina Metacismi collisio 122 μέτριον (τό) 17 Ministerium (sacri altaris) 115 Misericordia - - Conditoris 242 ; - - Domini 128 ; cf. Pietas Misericors (Conditor) 230 Modi et pnepositionum casus 122 Moles (cogitationum) 234 ; cf. Volumina Mons, Montes 66, 71 Moralitas 11-12,116, 117,118; cf. Expositio Moraliter tractare 227 Motus - - admirationis 188 ; - - casti 232 ; - - interni 171 ; - - lascivientes 166 ; latens - - 235 ; - - occulti 188, 235 ; simplices motus cordis 230 ; stabilis - 187 ; tacitus cogitationum motus 205 ; turbatis in tentatione motibus 232 Mundi termino propinquante 115 Munditia-Immunditia, Mun­ dus-Immundus 232-233 ; cf. Innocentia Munus cf. Spiritus (sanctus) Mutabilis cf. Immutabilis Mysteria 115, 116, 120 ; in­ carnationis mystcria-passionis sacramenta 136 ; allcgoriæ mysteria 206, 210 Mysterium 207 ; - - incarna­ tionis 225 ; - - resurrec­ tionis 147 Natura - - angelica 183 ; - incomprehensibilis, incor­ porea, spiritalis 187 Natura Dei ( claritas Dei, lux Creatoris) 35 ; divina natura 45 ; (lumière de gloire 42) Nazareus 241-242 Nodus-Ansa cf. Ansa Nox 45, 119, 135, 136, 158, 170, 181-182, 193, 233 Nox-Dies 128-129, 158, 233 Nubis (columna) 223 Nombres (symbolisme des) 139,147-148, 150-152, 154, 156 ; Jubilæi numerus 166 Nunc-Tunc 38, 41 Oculi fidei 223 Oculus (oculi) cordis, mentis 116,162, 176,180,224,234, TABLE ALPHABÉTIQUE 237, 240 ; approbationis oculus 186 ; Dei oculi 178, 238 ; districti judicis oculi 241 ; oculi Veritatis 185 Oraculum cælcste 122 Ordo 219 ; - - apostolorum 215 ; - - certaminis 97 ; - expositionis 117, 121, 122, 149, 191 ; -- fidelium, prædicantium, præposltorum 152 ; - - præpositorum 217 ; - - tentationis 131 ; cf. Ecclesiasticus, Sacer Ordines regentium (tres) : sacerdotum, scribarum, se­ niorum populi 220 Organa quassata 122 Organum cordis 122 Oves 152, 153, 154, 217-218, 232 Paginas sacre 127 Palæstra 144 Paries corporis, linguæ janua 187 Parlicuke nuntiorum 198 Pascuæ 66, 71 ; Legis - - 152, 153 Passio Redemtoris nostri 215, 217-221,224,226 Pater (= Deus) 160, 161, 182, 203, 224, 225, 226 παθητικόν (τό) 58 Patientia 134, 136, 203, 231 ; f'. t'patientiæ mansuetudo 231 Patria (aeterna) 162, 163, 210 ; æternæ vit» patria 156 ; cælcstis patria 152 Pâturages cf. Pascuæ Peccatuin-Crimcn 87 Péché originel 21-23, 62 261 Pedem miseras persuasionis figere 227 Pedes lavare 160-161 Percussiones, Percussio 133135, 203 Perfectionis summa 242 Permittere 106 ; cf. Deus Pernix 237 Persona 140 Pharisæi 217, 218, 219, 220 Philosophia (vera) 201-202 Pietas 208, 209, 228, 237, 239 ; cf. Misericordia Poenitentia 175, 185, 203 Populus judalcus - populus gentilis 223 Praeconium (sponsi) 143 ; im­ mensi est præconii 142 Prædicantes, Praedicatores 138, 152, 156-158 (prædi­ catores apostoli 157), 160161, 214, 220, 221, 245, 246 Prædicatio 160, 217, 220, 240 Præpositi 152, 217-219 Præpositionum casus 122 Præsumens mens 236 Præsumtio 121, 241-243 ; præsumtionis cogitationes, cogitationum præsumtio 241 ; præsumtionum cogi­ tationes 242 ; cf. Æstimatio (sua) Principale 69, 240 ; cf. ήγεαονικόν (τό) Principes 226 Prophetia 216-218, 220, 245 ; cf. Sermo Prophetiæ spiritus 124, 243244 ; prophetandi spiri- 262 TABLE ALPHABÉTIQUE tus 244 ; propheticus spi­ ritus 174 Providentia 106 ; divina - 121, 127 ; - - circumspec­ tionis 178 ; cf. Dispensa­ tio Prudentia cf. Quatuor vir­ tutes Publicum in publico - in secreto 120-121 Puritas 230 ; puritatis sim­ plicitas 230 Pureté du cœur 67-72, 165-166 Purgationis gratia 160 Quatuor virtutes 104-105, 235238 Quo (igitur) pacto 119 (2 fois), 120 Radere (caput) 242 Radix mentis 238 Raptim 52, 51 Ratio 155, 167, 219. 231, 234 ; brutum animal... nulla ra­ tione 155 ; rationis dis­ cretio 231 ; rationabilis custodia 231 Rebecca ( Ecclesia) 153, 216 Rectitudo 143-144, 148, 164, 171, 174, 218-219 ; recti­ tudo justitiae 149, 235 ; suminæ rectitudinis cul­ men 236 Rcdcmtio communis 136 Redemtor 28, 135-138, 147, 155-157, 211, 219-225 ; Redemtoris dominium 156 ; Redemtor humani gene­ ris 135, 213, 221 ; Redem­ tor noster 28, 128, 136, 150, 157, 161, 217, 219, 220, 223, 224, 225 ; - Patrem exoravit 160, 224 ; Redemtoris mater juxta carnem Synagoga 224 Repellere 51 ; repulsus 38, j 42 ; cf. Reverberare Resurrectio 140-141, 147-148, 153, 188, 190, 215, 219 ; cf. 221 ; mysterium resur­ rectionis 147 ; resurrec­ tionis suæ solemnitas 207 Reverberare 51 ; reverberatus 42, 50 ; cf. Repellere Reverberatio 42, 50-54 Rhétorique ( disciplina exte­ rior) 122 Rimæ contemplationis 46 ; reprobationis rimæ 191 Rythme prosaïque 103-104 | Sacer ordo 115 Sacerdotes 217, 226 Sacerdotium (judaïcuin) 222223 Sacramenta fidei - - 230 ; - legis 223 ; passionis - - 136 ; sacramentorum subtilitas 222 Sadducæi 219 Salvans (= le Sauveur) 134 Samaritani 153-154, 219 Sanctorum animæ 141, 188190 Sapientia 169, 170, 182, 229, 230, 236, 237 ; (= Domi­ nus) 119, 196, 210, 219 Sapor (veritatis) 44, 46 Satan 54-56, 174, 184, 185186, 193, 194, 196, 197, 200, 208, 210, 211, 212, 214, 215, 227-229 ; nulla carnea natura vestitus 186; nihil nisi permissus valet TABLE ALPHABÉTIQUE 193-195, 197, 204, 229 ; quam callide mala nun­ tiantur 197-201 cf. Ten­ tatio ; mentes jure possedit 211 ; membra Satanæ 55, 186 ; cf. Adversarius, Hos­ tis, Inimicus, Spiritus Satellites 241 Scala 26 Scientia divina, angelica, nos­ tra 183 Scindere vestimenta 239-240 Scriptor (Scriptores) sacri elo­ quii 124-126 ; cf. Auctor Scriptura (sacra, divina) 1113,121, 123, 125, 147,150, 152, 154, 158, 171, 180, 181, 184, 192, 207, 208, 215, 224 ; cibus et potus 121, 158-159 ; speculum 180 ; cf. Eloquium, Trans­ latio (nova) Secretum cf. Publicum Securitas 201, 225, 229, 236, 239 Sedes apostolica 123 Sedere 239 Sens spirituels 44, 46, 76, 246 Sensus (quinque) 246 Serpens cf. Columba Septem virtutes 164, 168-169, 170-171, 236 ; cf. 168 ct 229 Septiformis gratia cf. Spiri­ tus (sanctus) Sermo - -divinus 120 ; - expositionis 206 ; - - prophetiæ 218 ; -- propheti­ cus 216, 220, 221 Simplicitas 143, 149, 154, 166, 230 ; simplicitas-rectitudo 164 263 Situs modosque verborum 122 Solemnitas resurrectionis 207 Sommeil spirituel 68-70 Species per speciem 40 ; per contemplationis speciem 39 ; repressa corporali spe­ cie 24 ; visionis species 38 ; cf. Causarum species, Eides Spes 116, 153, 162, 175, 180, 199, 228, 242 ; cf. Fides Spiritus-Caro 238 Spiritus (malignus) 171, 174, 176, 194, 210, 216, 234 ; - immundus 185, 208, 216, 220, 232, 235 ; - - fallaci» 210 ; fallax - - 209 ; apos­ tata - - 185 ; cf. Satan Spiritus mundi 208 ; electi 209 Spiritus (sanctus) 46,125,126, 143, 223-224, 227 ; pro­ cedit 160 ; donum, dona 126, 164, 168-171, 229, 236, 243-246 ; septiformis gratia 139, 148, 151, 168 ; tantum munus 236 ; auc­ tor 124-126 ; afflatio Sanc­ ti Spiritus 45 ; impulsu Spiritus Sancti 125 ; Sanc­ to Spiritu afflatus 126 ; mansio 244-246 ; cf. Incir­ cumscriptus Sponsa (= Ecclesia) 136-137, 143, 153, 177, 216, 240 Sponsus ( =n Dominus) 136137, 143, 215 ; cf. Prae­ conium Sponsus-Sponsa 136-137, 143, 177, 216 Stellæ 135-136 Structura (boni operis) 235 ; cf. Ædificium 264 TABLE ALPHABÉTIQUE Style guerrier cf. Guerrier Subditi 219 Substantia (reternitatis) 24, 25 ; per gratiam - per substantiam 246 Superbia 59, 62, 89-97, 135, 139, 185, 187, 194, 212, 238 ; cf. Elatio Superna 124,131,138,140,158, 162, 164, 168 ; supernum caput 246 ; superni cives 162 ; superna justitia 140 ; manus superna 203 ; super­ na nobilitas 164 ; super­ nus nutus 200 ; refectio su­ perna 158 ; superna requies 156 ; sapore superna 217 Synagoga 217, 220, 221, 224225 ; ( Redemtoris ma­ ter juxta carnem) 224 Tegmen - - boni operis 240 ; - - litterae 224 ; cf. Vela­ men Temperantia cf. Quatuor virtutes Temperare (chordarum har­ moniam) 147 Tcnebræ 21-23, 136, 118, 185 ; - - cæcitatis 23 ; humanæ mentis - - 160 ; - - noctis nostræ 135 ; tenebræ-lux 208 Tentamenta 236, 238 Tentatio 51, 62, 54-64, 131135, 152, 172-175, 180, 182,190-195,197-201,205206, 213-214, 216, 220, 227-243 ; radix tentationum 60 ; tentationc pul­ sante 228 ; tentationibus eruditus 229, 243 ; tentationum fluctus 152 ; ten- tationum procellæ 62 ; (= virtutis renovatio) 57 ; cf. Dispensatoria, Irruens, Machina Tcntator 134, 192, 195, 231 Terminus (mundi) 115 Tolerantia 136, 231 Tombeau 71 Translatio (nova) 123 Trinitas 151,165,166 Tristitia 90-91 ; exurente - - 58 Tunc-Nunc38, 41 Typus (haereticorum) 137 Typica investigatio, significatio 118 Tyrannus 241 Umbra-Vcritas 154 Uxor Job 132-133 Velamen 174, 175 ; cf.Tegmen Verbum Dei 224 ; mystica Dei verba 124 Verbum divinum 118 ; ver­ borum folia 122 ; cf. Elo­ quium Veritas 45, 46, 66, 185, 217 ; (= Dominus) 116, 118, 141, 143, 145, 147, 154, 155, 159, 178, 182, 185, 194, 195, 245 ; incircums­ criptae veritatis sapor 44 ; sapor incircumscriptae ve­ ritatis 46 ; veritatis doctri­ na 66 ; veritatis lux 162 ; lumen veritatis - tenebræ erroris 185 ; veritatis pabu­ lum 157, 158 ; veritatis regula 126 ; veritas-error 185 ; veritas-umbra 154 Vestigia 23, 36,211,227 Vestimenta scindere 221-222 Vigilantia 234, 239 . 1 · . TABLE ALPHABÉTIQUE Virtutes 164-166, 168-169, 172,177,178,180,212,228230, 235, 236, 238, 242, 243, 245, 246 ; concordes virtutes 166 ; virtutum signa 246 ; cf. Liaison des vertus, Quatuor virtutes, Septem virtutes Visio nocturna 45, 46 Visus, 24, 44 Vita activa 71 ; activa-con- 265 templativa, actualis-theorica 102 Vitia 89 ; pulsatus vitiis 242 Volumina cogitationum - 233 ,· sæculorum - - 206 ; terreni actus - - 115 ; (= partie d’un ouvrage) 117 ; cf. Curricula, Moles Voluntas 209 Voluptas 147, 200-201, 230 Vrai, Bien, Beau 44 TABLE DES MATIÈRES Introduction............................................................... I. Saint Grégoire ct J'Œuvre des « Morales » sur Job................................................................................. L’occasion des Morales ; leur caractère................... Caractère de l’homme............................................... II. La doctrine spirituelle.......................................... 1. Vision de Dieu ................................................... Nuances caractérisant la mystique de saint Grégoire......................................................... Impossibilité de connaître Dieu telqu'il est . — Voie de négation................................................. Saint Grégoire et saint Augustin...................... 2. L’acte de contemplation................................... Anticipation, imitation, déchirement.............. Désir de la mort................................................. Rcvcrbcratio ..................................................... 3. Tentations........................................................... Rôle du démon................................................... Triple alternance................................................. Utilité de la tentation......................................... Violence de la tentation..................................... 4. Conditions de la contemplation........................ Circonspection et connaissance de soi.............. Humilité ............................................................. Pureté du cœur................................................... Crainte et componction...................................... III. Les Sources des « Morales ».............................. Citations explicites et auteurs mentionnés.......... Citations implicites................................................. a) Anciens Commentaires .................................... b) Saint Augustin................................................. c) Cassien............................................................... Classification des vices.................................. 7 7 9 15 20 20 20 21 27 29 36 39 48 50 54 54 56 57 θΐ 94 64 68 57 72 32 34 84 89 268 TABLE DES MATIÈRES Orgueil ct humilité....................................... 93 Gourmandise................................................. 97 Colère................................................................ 100 Le point où Grégoire se détache de Cassien. 101 Influences profanes........................... 102 Bibliographie .............................................................. 110 Texte et traduction...................................................... 114 114 Lettre-Dédicace........................................................ Préface......................................................................... Livre premier.......................................................... Sens littéral......................................................... Sens allégorique................................................. Sens moral ......................................................... Livre second............................................................ Sens littéral......................................................... Sens allégorique................................................. Sens moral ............................................ 142 142 149 162 180 181 206 227 Index des citations bibliques ................................ 247 Table alphabétique................................................... 253