Cri ouvrage a clé public avec le concours du Centre National de la Becherche Scientifique el de Monseigneur LaGIEN, Directeur de l’Œuvre df Orient SOURCES CHRÉTIENNES Collection dirigée par H. de I.ubac, s. j. et J. Daniélou. s. j. Secrétariat de direction : C. Mondésert, s. j. A DIOGNÉTE INTRODUCTION, ÉDITION CRITIQUE, TRADUCTION ET COMMENTAIRE DE Henri Irénée MARROU PROFESSEUR A LA SORBONNE ÉDITIONS DU CERF, 29, Bd de Latour-Maubouro, PARIS 1951 15013 SlP24’56 INTRODUCTION I Le manuscrit de Strasbourg Beaucoup de mystère entoure ce petit écrit dont l’auteur, la date, l’origine, le caractère meme sont encore l’objet de vives discussions. Ce mystère irritant explique, autant que l'intérêt intrinsèque de son étude, les soins nombreux dont la Lettre à Diognèk a été l’objet de la part des savants modernes. Depuis V editio princeps, Henri Estienne, Paris, MDXCIT, notre texte n’a pas été réédité ou réimprimé, en tout ou partie, moins de soixante cinq fois ; sa bibliographie dépasse deux cent cinquante numéros. Cette popularité contraste avec le silence total de la littérature patristique et byzantine : la Lettre â Diognèle ne s’y trouve nulle part citée* ; elle est ignorée de nos infor­ mateurs habituels en matière d'ancienne littérature chré­ tienne, Eusèbe, saint Jérôme, Gennade, Photius. Nous ne pouvons rien savoir sur elle, sinon ce que nous apprend l’unique manuscrit qui nous l’avait transmise. De ce manuscrit (nous le désignerons par le sigle F, qui I. Nous signalerons bien quelques rencontres textuelles avec saint Irênêe, Hippolyte de Rome, Clément d’Alexandrie, Y Apocalypse d'ÉU>\ Antipater de Bostra et les Acte· de saint Eustralios; mais ces contacts, limités à du brèves expressions, sont toujours de signifi­ cation historique douteuse. ; 6 INTRODUCTION lui est attribué par Otto1 dans son Corpus Apologelarutn), il est devenu possible aujourd'hui12 de reconstituer avec assez de probabilité l'histoire, d’ailleurs romanesque et mouvementée. ï! se trouvait, au début du xv® siècle à Constantinople, où il fut découvert, vers 1436, dans une poissonnerie, parmi un tas de papiers d'emballage, et acheté Λ vil prix, par un jeune clerc latin, Thomas d’Arczzo3, venu étudier le grec dans la capitale byzantine. Plus tard, ce jeune humaniste entendit l’appel de la perfection : décidé à tout abandonner et à accompagner trois frères mineurs en mission chez les Musulmans, pour rechercher avec eux la palme du martyre, il céda ce manuscrit au théologien dominicain et futur cardinal Jean Stojkovic de Raguse, qui se trouvait à Constantinople, pendant ces mêmes années 1435-1437, en qualité de légal du concile de Bâle. Ce prélat lettré, qui avait réuni une belle collection de 1. I. C. Th. von Otto, Corpus Apulogelarum Christianorum saeculi secundi, v. Ill, S. luslini philosophi cl martyris opera, I. II, cd. tertio, lena, 1879, p. vu et suiv., spécialement p. χχ-χχνι. 2. Grâce à deux études, indépendantes l’une de l’autre, dont les conclusions se confirment et se complètent mutuellement : P. Thom­ sen, Verlorene llund,schri/len von Justins Werken und Murc-Aurcls Selbstbelrachtungen, dans : Mélanges Poland, c. 111-112 (= Philologische Wochenschrift, t. 111, 1932, n*· 35-38, c. 1055-1056) ; et : Card. G. Mercati, Da incunaboli a codici, 1. Di duc ou Ire rari codici greet del cardinale Giovanni da llagusa (f 1413J, dans : M isce.llanea Bibliografica in memoria di don Tommaso Accurli a cura di Lamberto Donali {— Sloria c Letleralura, N. 15). Borne, 1917, p. 3-26. 3. L’identification du personnage est du moins proposée, sous toutes réserves, par le card. Mercati (art. cil., p. 13-16); il ne se désigne lui-même que par l’expression vague : primae lonsurae secalaris clericus dans l’opuscule Tractatus de martyrio sanctorum où il raconte la découverte et la cession du manuscrit, f° 36’ (sic.· e iüj); cf. f° 50’. Cet incunable anonyme, petit in-4·, sans indication d’édi­ teur, de lieu, ni de date (Bâle? vers 1492?) était connu depuis longtemps et dûment catalogué par les bibliographes (L. H AIN, Repertorium bibliographicum, t. II, I, p. 370, *10864, etc.), mais l’intérêt de son témoignage n’a été révélé que par les extraits qu'en a publiés G. Golubovich, Biblioleca bin-bibliograflea della Terra- r 7 LE MANUSCRIT DE STRASBOURG manuscrits grecs et latins1, ramena avec lui notre document en Occident et plus précisément à Bâle. Des Dominicains et des Chartreux de cette ville, à qui le cardinal Stojkovic, mort en 1443, avait légué sa bibliothèque, l’humaniste Jean Reuchlin de Pforzheim acquit à son tour la propriété de ce manuscrit2. Après la mort de Reuchlin, survenue en 1522, il parvint, en 1560 ou, peut-être, seulement en 15803, à l'abbaye alsacienne de Marmouticr (arr. de Saverne, Bas-Rhin). De là, entre 1793 et 1795, il entra à la Biblio­ thèque municipale de Strasbourg (Ms. Grec IX), où il ( ; Sonia e delT Oriente francetcano, I. V, Quuracchi, 1927, p. 295 et 293. L’existence d’une deuxième édition (Leipzig, apud Wol/gangum Monacensem, 1196 : Ilain *10865; repose sur une méprise : j’ai pu vérifier l’exactitude de l’hypothèse suggérée par le P. Accurtl au Card. Mercati (arl. cil., p. 4, η. 1) ; l'un des trois exemplaires de notre Traclalus que possède la Bibliothèque Nationale (cote actuelle : fiés. D. 4746; a été relié au χνιιι" siècle avec trois autres opuscules dont le second, le Traclalus oplimtis de animabus exutis u corporibus du chartreux Jacques de .lüterbogk, porte en guise de colophon : Impressus esl isle tractatus Lyptzick per Bacfcalarlum woifgangum Monacensem, 1496. Le doreur, trompé par la similitude des litres (Traclalus..:) a inscrit au dos : TRACT / DE I MARTI R / I.IPSIE / 1496, et Hain a endossé son erreur. En fait les deux opuscules sont de type très différent et le Traclalus de martyrio ne so distingue on rien des autres exemplaires connus (ainsi, toujours A la B. N.. liés. D 4747-4748). I. R. Beer, Eine Hundschriflenschenkung aux dent Jahrc 1443 (Johannes de Ragusio's Bibliolhek), dans : Séria Harleliana (Mélanges Von Martel), Wicn, 1896, p. 270-271 ; B. Autaxer, Zur Gcschichle der llandschriftensanunlung Kardinals Johannes von JRagusa, dans : Hislorischcs Jahrbuch, t. 47, 1927, p. 730-732. 2. On lisait en effet, à l’intérieur de la reliure de F, la note suivante, que nous a conservée la copie h, f->51 a : Liber Graecus Joannis Heuchlin phorcensix (= de Pforzheim), emptus a pdicalorib. ex consensu carthusiensium ibidem. Le texte parait incomplet : ibidem renvoie à Bâle, et non à Pforzheim : sur les Iraetations entre Reuchlin et les héritiers du cardinal ragusain, cf. K. Christ, Die Ribliothek lleuchlins in Pforzheim, dans : Zcnlralbtalt fur Dibliolhekwaten, L 52, Bcihcfl, 1924, p. 62-66. 3. F portait une secunde indication : Ex libb. abb. Mauriinonust. H60. Mais une note do M. Crusius sur la copie h semble établir que 1 I 8 INTRODUCTION fut détruit, avec tant d’autres trésors, le 24 août 1870, dans l’incendie allumé par le bombardement de l'artillerie prussienne. Heureusement, le texte qu’il renfermait de la Lettre à Diognètc avait été collationné avec soin en 1842 par le théologien strasbourgeois Ed. Cunitz, pour le compte d’Otto, qui préparait sa grande édition des Opera de saint Justin, t. 11 (1843). Mieux encore, en 1861, un autre savant alsacien, Ed. Reuss, avait très consciencieusement comparé au manuscrit le texte de la seconde édition d’Otto (1849) et avait adressé à celui-ci le résultat de sa révision, en l’accompagnant d’observations paléographiques et critiques d’une extrême minutie, dont Otto a tenu le plus grand compte et qu’il a largement reproduites dans les notes de sa dernière édition (1879). Nous possédons ainsi, dans celle-ci1 un véritable subs­ titut du manuscrit perdu. On peut sans doute confronter ses données avec celles de trois documents du xvi® siècle : (h) une copie de notre texte avait été faite, sur le ms. F, en 1579 semble-t-il, par Bernard Ilaus pour le compte de Martin Crusius : on l’a retrouvée à la Bibliothèque Univer­ sitaire de Tubingue, où elle est conservée dans le ms. M. b. 27 2. (st) nous possédons d’autre part la copie prise par Henri Esticnnc en 1586 en vue de l’édition qu’il devait publier en 1592 ; après avoir appartenu à Isaac Voss, elle le manuscrit se trouvait à Dorlach pu 1579 ; la date de 1560 serait-elle, sur Γβχ-libris, une erreur pour 1580? Cf. à ce sujet : A. Harnack, Die Uebcrlieferung tier griechischen Apologden des zweiten -Jahrhunderls in der allen Kirche and im Millelalter, dans : Texte und Untcrsuchungen sur Geschichtc der allchristlichen Liferalur, I. B.. II. 1-2, Leipzig, 1883, p. 80, n. 192. 1. lustini... opera, t. II*. p. 158-211 (texte grec, traduction latine et commentaire). 2. C. I. Neumann en a signalé le premier l’existence dans sa note : üeber cine den Brief an Diognd enthaltende Tûbinger llandschrift Pseudo-./listin'*, dans : Zeitschrift fûr Kirchengeschichte, t. IV, 1881, p. 284-287. LE MANUSCRIT DE STRASBOURG 9 est passée à la Bibliothèque Académique de Lcyde, où elle se trouve sous la cote Cod. Gr. Voss. 4^30.3^ marges sont couvertes de notes de lecture et d’essais de corrections. (b) une troisième copie, du même ms. F, avait été exécutée, entre 1586 et 1592 par (ou pour) l’humaniste J.-J. Beurer qui y avait porté, lui aussi ses remarques et scs conjectures. Cette copie est perdue, mais Beurer l'avait communiquée à U. Esticnnc et ù F. Sylburg, qui ont repro­ duit une partie de ces annotations, le premier à la suite de sa propre édition (p. 98-106), le second dans les notes critiques de la sienne (p. 432-433). Mais ces trois documents, très intéressants par les conjectures de leurs auteurs, ne nous apportent pratique­ ment rien de vraiment utile à la reconstitution du texte de F’. Une confrontation précise entre leurs lectures et les recensions de Cunitz el de Reuss pose cependant un problème curieux, qu’il est malheureusement difficile de résoudre, maintenant que le manuscrit original est perdu : en plusieurs endroits, les copies anciennes, et notamment h et st, signalent de courtes lacunes que les observations du XIXe siècle ont trouvées comblées et parfaitement lisibles12. fl a semblé à Reuss qu’une main récente (c’est peut-être celle de Beurer lui-même), avait retouché le manuscrit ; 1. Tout au plu» le texte de deux scholics se trouve-t-il mieux conservé dans la copie h (f® 59' ad 111, 4 ; f® 64r ad XI, 2), exécutée alors quo les marges du ms. F n’avaient pas encore été détériorées par la dent des rongeurs. 2. Ainsi II, 10 : τύ * λέγε’.ν st ; το (τά h) πλείω λέγειν Fbh. 111,5: των ’ τά st 1ι ; των είς τά Fb. IV, 1 : ούδέν st; ούδενός Fbh. IV 4 : ;ζαρτύρ st ; μαρτύριον Fb ; μαρτυρίων h. IV, 5 : μ * st; μηνών Fbh ; V, 7 : άλλ’ *· st; άλλ’ ού Fbh. VIII, 2 : μέν πϋρ st; μέν πώρ bh ; μέν τινες πϋρ F. Cf. von Gebhardt dans : O. de Gebhardt, Λ. Harnack, Th. Zahn, Patrum Apostolicorum Opera, fasc. I, p. 2, cd. altera, Leipzig, 1878, p. 146, n. 2, et, pour l'attribution à Beurer, déjà : Otto, Corp. Apulog., p. 16, n. 3; 164, n. 13; 167, n. 24 ; 178, n. 10; J. Donaldson, A critical history of Christian Literature, I. II, Londres, 1866, p. 141, avait eu l'attention attirée par ces faits, mais sans en avoir aperçu la portée. 10 INTRODUCTION Reuss a cru pouvoir constater que, le plus souvent, ces retouches n’étaient que des restaurations, utilisant avec beaucoup de soin les traces encore plus ou moins visi­ bles de la première main. Il faut évidemment regretter qu’il soit devenu impossible de vérifier si c’était bien, et toujours, le cas. II Nature du manuscrit F Puisque le témoin F est seul à nous renseigner, il convient de l’interroger avec soin et de lui arracher toutes les indica­ tions qu’il peut fournir sur l’histoire de notre texte. Or, après tant de travaux consacrés à la Lettre ά Diognète, une étude réellement approfondie de F n’a jusqu'ici jamais été tentée. Nous devons bien à Harnack un mémoire de trois cents pages sur La tradition manuscrite des apologistes grecs du second siècle dans /’Église ancienne et au moyen âge1 et celle de notre texte relevait bien de son sujet (la Lettre à Diognèle se présente dans le manuscrit F comme attribuée «à saint Justin, philosophe et martyr», à la suite d’une série de quatre opuscules attribués également au même Justin). Mais cette étude, si volumineuse et en apparence si minutieuse, est en réalité déparée par de fâcheuses lacunes12. Harnack s’y occupe bien de F,3 et scs observa- 1. Déjà cité, ci-dessus, p. B. 2. Cf. en dernier lieu le jugement sévère du J. de Ghellinck, Patrieliquc d .Moyen Age, t. III, Compléments à l'élude de la Palrislique, Bruxelles-Paris, 1948, p. 17. 3. El pour cause : toute la tradition manuscrite des œuvres, authentiques ou supposées, de l’apologiste Justin repose en dernière analyse sur trois témoins : A (le célèbre manuscrit Paris, Gr. 451, copié pour l’archevêque Aréthas de Cësarée en 914), F (notre Argcnloralcnsis) el C (Paris. Gr. 150, daté de 1364). NATURE DU MANUSCRIT 1I lions1, comme toujours, sont précieuses à recueillir1 2, mais elles ne concernent qu’une bien petite partie du contenu du manuscrit et de son histoire. Bien entendu, il faudra toujours regretter qu’une telle étude n'ait pas été entreprise avant 1870, alors que le manuscrit était encore accessible ; cependant, même dans les conditions décourageantes où nous l’entreprenons aujourd’hui, elle mérite encore d’être tentée. Le manuscrit F était un petit in-folio de papier, comp­ tant 260 pages, écrit à l’encre noire (les titres, les initiales et les scholies marginales, en rouge), en une minuscule régulière et soignée, comportant beaucoup de ligatures et d’abréviations. Otto l’a daté, de façon très vague, u du XIIIe siècle (ou du xiv®?)»34 5; nous ne disposons plus aujourd'hui pour vérifier ce jugement que du bref fac­ simile que le même érudit a joint à son édition1 ; obtenu sans doute grâce à un calque, ce fac-similé n’a pas la précision que permettent aujourd’hui d’obtenir nos procédés de reproduction photo-mécaniques ; dans la mesure où ce document si imparfait autorise une hypothèse, nous serions portés à reserrer la période indiquée par Otto : c'est au xive siècle, semble-t-il® et peut-être au xiv® siècle avancé, plutôt qu'au xm®, qu’il convient d’attribuer notre manuscrit. De son contenu, nos prédécesseurs n'ont guère retenu 1. Mémoire Cité, Texte und Unlcrsuehungen, I, p. 69, 79-86, 89, 161-163, 190-193. 2. Nous en ferons plus loin notre profit, p. 25. 3. Justini... Opera, l. IP, p. x:v. 4. Ibid., hurs-texle ad p. xm, le litre cl les quatre premières lignes du Discours aux Grecs, le quatrième des opuscules pseudojustiniens qui précèdent notre A Diognilt; de celui-ci, Otto no reproduit qu’une petite vignette en forme de croix qui se trouvait au milieu de la première ligne du texte. 5. Je remercie MM. Dain et Astruc qui ont bien voulu se prêter à une expertise de ce document et nous faire profiter de leur compé­ tence paléographique. 12 INTRODUCTION que les cinq opuscules pseudo-justinicns qui se lisaient en tête ; ils n’ont pas vu l’intérêt que présentait une étude systématique de l’ensemble. Heureusement, pour nous, la copie de Tubingue (h) a conservé, f° 51rv, une table de F, copiée ou dressée par B. Haus’. Nous pouvons ainsi nous rendre compte que ce manuscrit était un recueil complexe de vingt-deux titres. Il contenait d’abord les cinq textes que nous venons de rappeler : ( I) De saint Justin philosophe et martyr, Sur la monarchie divine (éd. Otto, Corp. Apologetarum, vol. TH3 ~ t. II), p. 126-158). (II) Du même, Exhortation aux Grecs (Ibid., p. 18-126). (III) Du même, Exposition de la foi orthodoxe ou Sur la Trinité (Ibid., t. IV, p. 2-66). (IV) Du même, Aux Grecs (éd. Harnack, Silzungsberichle de l’Acad. des Sc. de Berlin, 1896, p. 634-637). (V) Du même, A Diognète : notre texte. Puis venaient : (VI) Vers de la Sibylle Erythrée : il s’agissait évidem­ ment, d'après le titre, de quelque extrait des Oracles Sibyllins, que les auteurs chrétiens aimaient à attribuer spécialement à la plus célèbre d’entre les Sibylles, celle d’Érythrées en Ionie123. IL Estienne en avait pris une copie, comme nous l’apprend une note qu'il a portée sur le manus­ crit st, à la suite du texte de noire A Diognète: sequitur in altéra pagina quae est in altéra parle Σιβύλλης ’ Ερυθραίας ίερείας ’ Απόλλωνος quae, scripsi alibi3. 1. Elio a été publiée par K. .1. Neumann, art. cité, Zeilscliri/l für Kirchcngeschichle, t. IV, 18-81, p. 285-286. 2. Ainsi : LaCTance, Insl. div., T, G, 14; De ira Dei, 22, 5; PS. Constantin, Discours <> l'assemblée des saints, 21 (= Oracula Sibijll., éd. Geffcken, p. 233, fr. 8}; saint Augustin, Cité de Dieu, XV111. 23, 1 ; Theosophia, éd. Erbse (ci-dessous), p. 195, -1 ; 199, 17; 188, 1. 3. Ms. st, P 50’, 1. 1-3. NATURE DU MANUSCRIT 13 Celle copie est malheureusement perdue. (VII) Oracles des dieux grecs. Nous sommes ici plus favorisés grâce, celte fois, au manuscrit de Tubingue (h) qui nous a conservé ce texte, copié à la suite des η08 IV et V1 : c’est un curieux recueil rassemblant des témoignage païens (ou supposés tels), oracles, citations de poêles et de philosophes, vers sibyllins1 2, et qui cherche à montrer l'accord existant entre la sagesse grecque ou égyptienne et l’enseignement des Saintes Écritures. L’introduction nous apprend qu'il s’agit là d’un extrait d’un grand ouvrage apologétique intitulé Theosophia, dont l’auteur nous reste inconnu3, mais dont la composition se situe à une date assez précise, entre 474 et 5014. (VIII) D’Alhénagore d’Athènes, Supplique au sujet des Chrétiens. philosophe chrétien. (IX) Du même, Sur la Insurrection: deux œuvres 1. 11. Ehhsk, Fragmente griechischer Theosophien, herausgegtben und quellenkrilisch untersucht {Hamburger Arheiten zur Allcrtiimstvissenscha/l, B. 4), Hambourg, 1941, p. 167-201. Cette édition et l’étude qui la précédé surclassent et remplacent lotis les travaux antérieurs sur la question. De très nombreux manuscrits (Erbse, p. 165) nous ont conservé par ailleurs soit des morceaux de la même collection, soit des collections de typo analogue. 2. U n’est pas impossible que le texto n° VI ait été extrait, lui aussi, du même recueil ; c’csl du moins l'hypothèse que suggère une autre note do la main d’Henri Estienne, écrite sur le même feuillet du ms. st, dans la marge gauche, â la suite de l’indication ci-dessus citée; note malheureusement difficile â déchiffrer et à interpréter : σε (σημείωσαν ?) vocata fuisse / hue θεοσοφίαν / et juxta l·/.... / θεο­ σοφίας ' hic..... εκλογάς / meas ex bibl. παλαι(οϊς). 3. A. Brinkmann {Die Thcosophie des Arislokrilos, ap. Hhcinisches Museum für Philologie, t. 51, 1896, p. 273-280) avait proposé de l'identifier avec la Théosophie d'Arislokrilos, œuvre manichéenne mentionnée par une formule grecque d'abjuration du ιχ· siècle. {P. G., t. 1, e. 1468Λ); mais Erbse n'accepte pas celte hypothèse, qui ne repose que sur la communauté de titre. t. 11. EnasK, op. cil., p. 1-3. 14 INTRODUCTION authentiques de l'apologiste contemporain de Marc-Aurèle, conservées d’autre part par le manuscrit A et ses dérivés1. (X) Copie des lettres écrites par Cyrille, évêque d’Alexan­ drie, à Neslorius: les œuvres authentiques de saint Cyrille contiennent en effet plusieurs lettres adressées à l'héré­ siarque1 2. (XI) Extrait de la vie de notre^ainl Père. Théodore, évêque d’Édesse, écrite par son neveu lïasileios, évêque d'Èmèse. il s’agit ici encore d’un texte bien connu3, datant de la première moitié du ixe siècle, et intéressant On particulier pour les rapports entre les Chrétiens de la région d’Édesse et leurs maîtres musulmans. (XII) De saint Cyrille sur la foi. Ce titre abrégé ne permet pas d'identifier le texte : il doit s'agir d’un des trois discours de saint Cyrille Sur la foi orthodoxe, adressés respectivement à l’empereur Théodose II, aux princesses Arcadie et Marine, aux impératrices Pulchérie et Eudocie4. (XIII) Discours invedif contre les Arméniens. (XIV) Contre, les erreurs et les opinions des Arméniens. Co8 indications encore plus vagues ne nous aident guère à nous orienter à travers les écrivains assez nombreux qui, pendant l'ère byzantine, ont polémiqué avec les Arméniens monophysites : on pourrait penser ά Nicétas de Byzance, le philosophe, un jeune contemporain de Photius5, ou à des 1. Pour la Supplique, voir en dernier lieu l'introduction et la Traduction de G. Bardy, Sources Chrétiennes, 3, Paris, 1913. 2. St. Cyrille, Ep., 11, IV, XVII (ap. Ed. Schwartz, Acta Conciliorum Œcumenicorum, t. 1, vol. 1, pars 1, p. 23-25, 25-28, 33-42! ; VI-VH (connues seulement par une traduction arabe, ap. P. G., t. 77, c. 57-60). 3. Ed. J. Pomialovski, Petersbourg, 1892; cf. K. Khcmraciibr, Geschichle der byzanlinischen Literalur, p. 152, § 62, 3. ■I. En voir le texte ap. Schwahtz, .4. C. Œ., I, i, I, p. 12-72; I, i, 5, p. 26-61, 62-118. 5. P. G., t. 105, c. 588-665; cf. Krtimbacher, p. 79, § 19. NATURE l)U MANI-SCIUT 15 auteurs plus tardifs, Nicetas Stetathos1, au milieu du IXe siècle, Isaac1 2 on Théorianos3*, dans la seconde moitié du xne. (XV) Réfutation parfaite, des Ismaélites* et de la vanité de leurs croyances. Même observation : il s’agit cette fois de polémique contre les Musulmans, et ici encore la litté­ rature byzantine nous offre un vaste choix : ainsi au temps de l’hotius, Barthélemy d’Édesse5*et le même Nicetas de Byzance’ ; mais le thème est repris de siècle en siècle jusqu’aux Paléologues7. (XVI) Confession (si toutefois c'est bien ainsi qu’il faut traduire Έξομολόγηβις) de saint Cyrille: on ne connaît pus d’œuvre authentique de saint Cyrille d’Alexandrie portant ce titre ; faute d’une meilleure hypothèse, on pourrait peut-être songer à identifier notre texte avec un sermon apocryphe, sur la Pénitence, ’εξομολόγησις, attribué à saint Cyrille et publié dans les Mélanges de la Faculté orientale de Beyrouth, t. VI, 1913, p. -193-526. (XVII) De l'évêque Athanase d l'empereur Jovie.n sur la foi orthodoxe: il s’agit d'une lettre bien connue, de saint Athanase d'Alexandrie, P. G., t. 26, c. 813-820. (XVIII) Interrogation de Sévère8 le .Jacobite ; il s’agit évidemment du grand Sévère, patriarche monophysite d'Anliorhc d·· .>!? ù 538. 1. Krurnbâcher, p. 155, § 64, I. 2. P. G., t. 132, c. 1156-1265; Krtimbacher, p. 89, § 23, 4. 3. P. G., t. 133, C. 120-297; Krtimbacher, p. 88-89, $ 23 (sic). •I. Corr. en Ίσμαηλίτων Γ'Ισμαλή-των du ms. h 5. P. G., t. 10t. c.138-1-1457; cf. Krtimbacher, p. 78, § 18, 3. ti. P. G., t. 105, c. 669-841 ; cf. Krtimbacher, p. 79. § 19. 7. CL Krumbacher, p. 81, 106, 111. 8. Le ms. h a Σεβϊηριανοΰ : il faut évidemment lire Σίδηρου ; on ne peut corr. en Σεβηριανοΰ, car on ne connaît pas de jaenbite de ce nom : il n’est pas possible de songer ici au gnostique Sévérien ni à Sévérien de Gabales. 1C> INTRODUCTION (XIX) Des Séuériens ou Jacobites, Réfutation de la foi orthodoxe ; il pourrait s'agir ici comme là de deux écrits du même Sévère : la Réfutation du tome de Julien d’Ilalicarnasse, et la Réfutation des propositions, dont la traduction syriaque nous a été conservée par divers manuscrits (éd. A. Sanda, Beyrouth 1931). (XX) Du bienheureux Théodore, éuêque de Carrhes*, Sur de nombreuses questions physiques. Théodore Abû Qurra (vers 740-820), évoque mclkitc de Carrhcs (llarràn) en Haute-Mésopotamie, est un disciple de saint Jean Damas­ cene qui a écrit en arabe et syriaque aussi bien qu’en grec12. Nous possédons dans cette langue un ensemble de quarante trois petits textes3, de caractère généralement apologétique, mais dont certains peuvent justifier le litre ici adopté456. (XXI) De Pholius, Sur Adam. C’était encore un des opuscules de l'évêque de Carrhcs, qui traite de la passibilité du corps d’Adam : F a ici abrégé le litre complet que les manuscrits de Théodore présentent sous la forme : Extrait du même Théodore, évêque de Carrhes, sur Adam, de Pholius3, c’est-à-dire sans doute, « extrait par Photius » d’une œuvre plus étendue de Théodore : cette brève note de cinq lignes a bien le caractère d’un excerptum. (XXII) Lettre de Maxime au sage Salomon, Sur de nombreuses questions, en particulier astronomiques* : je n’ai 1. Καρών h; lire Κα££ών : mais la premiere forme est également attestée dans les manuscrits des opuscules grecs de notre Théodore : Cf. A. Mai, ap. P. G., t. 97. c. 1456. 2. Cf. G. Ghaf, en dernier lieu dans : Gcschichtc der chrislUchcn arabischcn Lileratur, t. 11, Sludi e Tesli de la Bibi. Vaticane, 1. 133, Vatican, 1917, p. 7-16; cf. 16-23. 3. Édition J. Grctscr reproduite up. P. G., t. 97. c. 1161-1610; Cf. I. 91, c. 1595-1597. 4. Par exemple l'opuscule XXXIV, «sur le Temps», P. G., t. 97, c. 1855 BD. 5. Opusc., XL, ibid., c. 1598 B. 6. Ms. h : Μχζιμος τώ σοφώ σολομώντι xaipetv πβρί τών πολλών χαΐ Αστρονομικών. NATURE DU MANUSCRIT 17 pas réussi à identifier ce texte. Il faut peut-être l’attribuer à un certain « philosophe » Maxime, auteur d'un traité d’astronomie d’inspiration chrétienne, dont un fragment nous a été conservé par un manuscrit astrologique de Munich1. Si imparfaites que soient les identifications que, sur le vu de ces titres, nous puissions proposer2, elles permettent de se faire une idée assez précise du caractère de F : ce recueil groupait, on le voit, un ensemble complexe d’œuvres diverses dont la date s’échelonne du second siècle ( VIIIIX) à la seconde moitié du ix® (XXI), sinon même à la fin du xue, ou plus tard encore (X/1I-XV). Qui donc, disons entre le ixe (xii®) siècle, et le xiv®, a pu être amené à compiler un tel ensemble? La question peut et doit être posée3, car, tel qu’il nous apparaît, grâce à cette table, le ms. F n’était pas un recueil de Miscellanea, rassemblant de façon artificielle des pièces sans rapport les unes avec les autres. Lue même inspiration apologétique anime ces divers documents : polémique contre les païens (I-IX), contre les hérétiques de tout genre : Ariens (XVII), Nestoriens (X, XII, XVI), Monophysites syriens (XVIII, XIX) ou arméniens (XIII, XIV), et enfin contre les Musulmans (X, XV). ΠΙ Origine du manuscrit F Du coup, notre collection prend un sens et vient s’insérer à sa place dans toute une tradition. La veine ). Cala!, cod. axlrûl. Grace., t. VII, p. 13, Munich, 7, i" 35. 2. Je tiens à remercier le R. P. du Manoir de Juayc, M. JL Ch. Puech, le R. P. A. J. Kestugièrc et Mr. S. Weinstock dont les précieux avis m’ont aidé dans cette téclio. 3. L. Thorndike, The problem of the composite manuscript, dans Miscellanea Giovanni Mercati, vol. VI {Slttdi c Testi, t. CXXVI), 18 INTRODUCTION apologétique, inaugurée par les écrivains du second siècle, n'a plus cessé, après eux, d'être activement exploitée par la littérature chrétienne ; de siècle en siècle, de génération en génération, la polémique contre les adversaires de la vraie foi, d’où qu’ils vinssent, s’est développée sans rien laisser perdre de l’apport des devanciers. \ Byzance en particulier, tout un important secteur de l'activité litté­ raire1 est consacré à la défense de l’orthodoxie contre ses ennemis du dedans et du dehors, hérétiques et infidèles, anciens ou nouveaux, qu’il s’agisse du paganisme et des Juifs ou de l'Islâm. Cette activité a donné le jour à des œuvres de plan toujours plus ambitieux et de dimensions toujours plus considérables. Vers 1100, un moine de Constantinople, Euthymios Zigabènos rédige, à la demande de l’empereur Alexis 1er, sa grande Panoplie dogmatique en XXVIII « titres », véritable Somme d’apologétique générale2. Son plan et sa méthode présentent avec le contenu de notre manuscrit F d’intéressants points de contact. Les titres I-VII, qui correspondent en gros à des traités de Deo uno, trino, creatore, incarnato... se présentent comme une tenta­ tive d’apologie contre le paganisme grec : « Lorsqu’il s'agit de discuter avec quelque représentant des idées hellènes... », lisons-nous à la première ligne3. Comme chez les plus Vatican, l'.IIG, p. 93-104, a inunLré (à propus des manuscrits scienti­ fiques latins de la fin du moyen âge} qu’il n’était pas vain de recher­ cher la valeur de témoignage que peuvent posséder des recueils en apparence désordonnés. 1. Voir l'importante section que Kruinbacher lui consacre duns sa Gcschichlc der by:anlint$chcn Lilerolur, p. 46-122. 2. Elle remplit le tome CXXX de la Palrologie Grecque de Migne. Sur l'œuvre et son auteur, cf. In notice de M. Jugte, s. v. Eulhyniius Zigabéne ou Zigadhie, ap. Diclionn. de Thiol. calIt., I. V. 2. c. 15771582. 3. T. I, P. G., t. CXXX, c. 3 G : "Οταν πρός τινα των έλληνιζόντων διάλεξις ^... ; l'auteur a sans doute en vue Michel Psellos et son école. ORIGINE DU MANUSCRIT 19 ancien? Apologètes, et, on le verra, comme notre Lettre à Diognèlc, la polémique contra Paganos est intimement associée à celle contre les .Juifs1, qui font cependant l'objet, plus tard d'un traitement spécial12. Successivement défilent, à commencer par Simon le Magicien3, toutes les grandes hérésies ; nous y relevons tous les thèmes représentés d’autre part dans la collection F : Euthymios polémique lui aussi contre les Ariens4, les Ncstoriens5*les Monophysites®, les Arméniens78 9* et pour finir les Sarrasins, entendez les Musulmans, qu'il désigne aussi, comme F, ΧΓ, et comme on faisait souvent, du terme biblique d'Zsmaè/ttac*. Sa méthode consiste à présenter, juxtaposés sans autre artifice, une série de textes découpés dans les œuvres des Pères et autres représentants autorisés de la tradition. Sans doute beaucoup de ces citations sont de seconde main11 ; il n’en reste pas moins que la préparation de cet énorme recueil a exigé un effort de documentation considérable. Euthymios a dû rassembler ces textes, empruntés ù des auteurs fort divers, et qui n’étaient pas tous de lecture courante à son époque ; les rassembler et sans doute, pour des raisons pratiques, les faire copier. On est ainsi conduit à imaginer, au point de départ de sa composition, l’établisse­ ment d’un dossier de textes apologétiques, tout à fait analogue, comme contenu, à notre recueil F. 1. T. I, c. 3GC, 12AB... 2. T. VIII, c. 257D sq. 3. T. IX, c. 305C sq. 4. T. XI, c. 332A s<|. 5. T. XV, c. 932 sq. G. T. XV1-XVIII, c. 1U12A sq. 7. T. XXIII, c. 1173D sq. 8. T. XXVIII, c. I332D sq. 9. C'est le cas en particulier pour celles qu'il donne dns auteurs les plus anciens : Euthymios cite. t, XVIII, c. 1097/AC, trois passages de saint Ignace d'Antioche, Jules de Borne et Mélilun de Sardes : il les a trouvés dans VHodégos d’Anastase le Sinatte, apologiste de la lin du vu· siècle ; et. encore un extrait d'Ignace d’Antioche, I. XI, c. 480A : il provient celle fuis de saint Alhanaso. Epis!, de synodis. 20 INTRODUCTION La Panoplie cite parfois non seulement les mêmes auteurs, mais très précisément les memes textes que nous trouvons par ailleurs rassemblés dans F : ainsi le Discours sur la foi qu'Euthymios attribue, comme le manuscrit de Strasbourg (F, 111) à «Justin, philosophe et martyr»’ ; ainsi encore, de saint Cyrille, une Lettre à A'cslorius123 et le Discours aux princesses3. Mais ne concluons pas de ces curieux rapprochements, que nous possédons, dans F, le propre dossier constitué par Euthymios : en fait, la Pano­ plie ne révèle nulle part de dépendance à l’égard de notre collection4 ; d’autre part, elle est de deux siècles au moins antérieure au manuscrit de Strasbourg et, si notre concep­ tion est exacte, on n’imagine pas qu’un tel dossier ait pu être utilement recopié à nouveau après un si long temps. Mais l’œuvre d'Euthymios Zigabènos n'est pas demeurée isolée : un siècle plus tard56 , vers 1204-1210, Nicétas Acominatos compile lui aussi une somme apologétique en XXVI livres, le Trésor de 1’Orlhodoxie*. Lui aussi sait profiter de ses devanciers, à commencer par la Panoplie, qu’il imite de très près et dont il s’approprie la documenta­ 1. T. XVl, c. 1080Λ. 2. T. XV, c. 984D ; T. XVIII, c. 1O97A. 3. T. XV, c. 99A. 4. Euthymios a pu connaître tous les textes qu'il cite pur une voie distincte de celle qui passe par F : ainsi le Discours sur la l'ai du Ps. Justin nous a été conservé, outre F, par 23 manuscrits (Otto, Corp. Apologet., I. IV, 3‘ éd., p. vn-xxi). F». Sans parler de la ’Ιερά ΌπλοΟηκή d'Andronic Eamatéros, rédigée vers 1170-1175, qui imite déjà Zigabènc (et jusque dans son titre), niais sur un plan moins vaste (polémique contre les Latins et les Monophysites) : cf. A. Palmieri, dans Diclionn. de TMol. calhol., I. Il, 2, c. 1432-1433; V. Lâchent, «Inns Eysunlion, t. VI, 1931, p. 261. 6. Ce grand ouvrage n’est malheureusement pas facile à étudier : cf. Krumbacher, p. 91-92, § 26; F. Cavai.i.era, Le Trésor de la Foi Orthodoxe. de Nicélas Acominalox Choniûte, dans Huttclin de Littérature Ecclésiastique, 1913, p. 124-137. Du texte grec, seuls des fragments ont été édités ; la traduction latine de P. Moreau n’intéresse ORIGINE DU MANUSCRIT 21 tion* ; non qu’il s’en contente : le Trésor n’cst pas un simple démarquage de la Panoplie; il en reprend le sujet à frais nouveaux et sur un plan élargi. Au lieu d’une anthologie d’autorités surtout patristiques, Nicetas s'astreint à fournir d'abord un exposé de la doctrine de chacune des « hérésies » qu’il combat, puis une réfutation en forme. Sa curiosité s’étend : les hérésies pré-ariennes, sommairement expédiées par Euthymios8, sont maintenant l’objet d'une longue élude remarquablement documentée : de Simon le Magicien et Basilide, au schisme mélécien, Nicétas n'examine pas moins de quarante-quatre «hérésies»8. Il développe pareillement la discussion des erreurs du paganisme, ù qui que les livres 1-V. Montfancon a publié dans sa Palaeographia Graeca, p. 3*27-334 (d’oû : P. G., t. CXXX1X, c. 1093C-1096B) l'intéressante table analytique que présentait en tête du traité le ms. Paris. Gr. 1234 (celui-ci no conserve plus aujourd’hui,. f° 7rr, que le sommaire des I,. 1-V 111}. Λ. M. Bandini a dressé d'autre part, d’après lo ms. Medic. Pial. IX, xxiv, un index des auteurs cités par Nicélas, dans : Cata­ logus codic. mannscr. Ribl. Medic. Laurent, varia continens opera Graecorum Patrum, Florence, 1764, p. 430b-434a, ou. plus commodément, ap. P. G., t. CXL, c. 285-292. La dépendance de cette œuvre Λ l'égard de colle d'Euthymios est évidente ; elle est soulignée dans le ms. Paris. 1234, f° 8’, par le titre (ajouté par Théodore Skntariotès?), Panoplie dogmatique. 1. Ainsi, c’est d'Euthymios que proviennent toutes les citations que Nicêtas fait des auteurs dont il a été question plus haut : Ignace d'Antioche, Jules de Home, Cyrille, Contre Nestori us, Méliton : mêmes citations, dans le même ordre et la même perspective antithéopnschite (ms. Paris 1234, f1'201', dorn. 1., 201T, 1. 1-3); Ps. Justin, Sur la foi: même texte, même contexte antimonophysitc '1° 192 bis', 3 dern. I.). Il faut ici rectifier le jugement erroné de Krumbacher, pour qui ces citations attestent l’étendue de l’information de Nicétas, qu’il oppose à l’ignorance où Euthymios Serait des Prénicéens (Geschichle, p. 91 et 83} : c’est louer le geai des plumes du paon ! 11 s’agit en fait d'une érudition de troisième main, puisque ces textes proviennent en définitive d’Anastase le Sinuïle. 2. Panoplie, t. IX, P. G., t. CXXX, c. 305C sq. 3. Trésor de l'orthodoxie, I. IV (texte grec : Ms. Paris. Gr., 1234, P 66M04'; trad, latine : P. G., t. CXXXIX, c. 1241B-I360C). 22 INTRODUCTION la Renaissance classique du temps des Comnëncs restituait une vitalité dangereuse1 ; chemin faisant, il est ainsi amené à se pencher sur des problèmes de physique et d’astrono­ mie2, exactement comme le fera notre compilateur (F, XX, XXII). A la fin du xm® siècle, nous retrouvons le Trésor entre les mains d'un autre écrivain, Théodore Skulariotès, du clergé de Gyzique3, qui lui aussi, ne se satisfait pas des travaux de scs prédécesseurs, ainsi qu'en témoignent les scholia marginaux et autres additions dont il garnit son exemplaire personnel4 : peut-être avait-il songé à en 1. On retiendra l’important chapitre, qu’à l'imitation de saint Jean Darnascènc {De Ilaeres., 94, P. G., t. XCIV, c. 757) Nicétas consacre aux Ethnophrones, •ceux qui imitent les coutumes nt les superstitions des Gentils ·, notamment en matière de divination astrologique ou autre : IV, 42; ms. Paris., f° 99s.; trad. Lat., c. 1343Bs. H ne s'agit pas d’une imitation livresque : bien que Nicétas classe ses Ethnophrones parmi les - hérésies · pré-ariennes, il polé­ miqua visiblement contre la faveur que rencontraient chez tant de ses contemporains l’astrologie, la sorcellerie et la magie : cf. Ιλ-dessus, en français, L. (Economos, f.a vie religieuse dans l'empire byzantin au temps des Comnènes cl des Anges, thèse de Paris, 1918, p. 65-102, et notamment p. 83 sq., sur le magicien Sikidilàs, dont Nicétas Acominatos a longuement parlé dans son Histoire et au !.. XXVII du Trésor de l'orthodoxie (fragments du texte grec édités par Th. Uspens* kij, St. Petersbourg, 1892). 2. L. I, c. 7-28, et notamment c. 19; IV, 42... 3. Voir sur ce personnage : A. Heisexuehg, Analecta, MilleHungen aus Italienischen Handschriftcn byzantinischer Chronographen (thèse do Würzburg), Munich, 1901, p. 16-18 : Théodore, prêtre (mais non comme on l'avait prétendu archevêque; de Cyzique, serait né vers 1230 et mort au début du xiv« siècle. ■I. Il s’agit du ms. Paris. Gr. 1234, déjà cité, qui porte son ex-librls. Une étude précise serait nécessaire pour préciser retendue et lu portée des notes personnelles ajoutées par Théodore (cf. Cavai.i.kka. art. cil., p. 123-124}. P. Moreau (préface de sa trad, latine, ap. P. G., t. GXXXIX, c. 1089-1090} lui attribue tel scholinn ou appendix (voir sa traduction lutine, up. P. G., I. CXXX1X, c. 1255D, 1314C) ; dans sa préface {ibid., c. 1089-1090) il lui fait également honneur des I. 25-2G, mais certainement à tort, car ces deux derniers livres sont ORIGINE DU MANUSCRIT 23 préparer une refonte1. Mais cela importe peu à notre sujet : en évoquant cette remarquable continuité de la tradition apologétique à Byzance, j'ai voulu simplement rendre intelligible la compilation d’un recueil comme celui que constitue notre manuscrit F : je propose de voir dans celui-ci un dossier d’apologétique générale, analogue a ce que suppose la rédaction de la Panoplie ou du Trésor, constitué par quelque héritier des auteurs que nous venons de citer4. Il n'esl pas nécessaire d'attribuer à son auteur le projet arrêté de rédiger à son tour une Somme contre les ennemis de la vraie fui ; il suffit d’imaginer quelque lettré, curieux d'apologétique, qui, non content des traités exis­ tants, ait voulu avoir sous la main une documentation directe, appuyée sur des sources originales. Je ne crois pas qu'il soit possible de préciser davantage : le silence du consacrés à la discussion de deux problèmes dogmatiques soulevés du vivant dû Nicetas (cf. !.. Œconomos, op. cil., p. 58-63, 84-86, n.}. 1. Théodore Skuturiotês était un auteur : A. Heisenberg (up. cil, p. 7-15} lui u restitué la paternité de la Synopsis, une chronique universelle, d'Adam à l'an 1260. éditée comme anonyme par K. N. Sathas d'après le ms. Marcianus 407, qui porte la signature, et non pas seulement l'ex-libris, de Théodore. ·?. Il convient en effet de considérer comme un tout l’ensemble de ces XX11 textes. Je n’ignore pas que Cunilz a cru pouvoir attribuer les n°' V-Vll el X sq. à «une autre main, plus récente» (Otto, luslini opera, t. IP. p. xivj. Le cardinal Mercati (Mélanges Accurli, p. 21, n. 40} a déjà été amené à se demander «se la diversité delle date c la distribuzione delle muni erano vere >. Changement de main '1 Certainement : la chose saule toujours aux yeux. Diversité de date ? Je ne crois pas : le ms. F a été découvert vers 1436 dans un état de vétusté avancée : lu manus recentior ne pouvait pas être recentisximal La partie que Cunitz croyait plus ancienne ne remonte pas, au mieux, avant 1300 et pourrait bien être plus récente : la marge chronologique ne permet guère deux périodes de rédaction. Il est plus économique d’imaginer une compilation réalisée on même temps, encore que confiée Λ plusieurs scribes ; un changement de main, surtout s’il s'accompagne d'un changement dans la qualité du papier peut facilement donner l'impression d’un changement d’époque : voir par ex. dans le Me. Paris. 1231, les f0· 37-53. 21 INTRODUCTION manuscrit ne permet pas de remonter à son premier possesseur ; d’autre part, il devait exister dans le monde byzantin du temps des Paléologues un bon nombre de lettrés qu'un manuscrit comme F aurait intéressés : le xivc siècle nous a légué plusieurs manuscrits des anciens Apologètes1 et des recueils complexes qui témoignent d’une curiosité analogue à celle dont nous percevons ici l’effet8 : notre hypothèse gagne ainsi en convenance ce qu’elle peut perdre en précision. IV A la recherche de l’archétype Le problème qui se pose maintenant est de savoir comment la Lettre à Diognète est venue entre les mains de notre compilateur. Elle sc présente, on l’a vu, an cinquième rang, dans sa collection, à la suite de quatre opuscules attribués pareillement, et aux yeux de la critique moderne pareillement à tort, h l’apologiste Justin le martyr. Cette série forme bien un tout, comme le souligne le libellé, progressivement résumé, des Litres123*. Le scribe s'est d’abord astreint à reproduire tout au long la même formule : (I) De saint Justin philosophe et martyr, sur la Manar­ chie. 1. Voir la liste drossée par Harnack, mémoire cité, Texte and Untersachungen, t. I. p. 69. 2. C’est le cas par exemple du ms. 13 de la Bibl. Angelica à Home (xiv’ Siècle), qui contient, avec toute une série do textes patristiques analogue à la nôtre, des extraits de VHodigos d’Anastase le Sinaïle et une riche collection de t'erô- Sibyllins cl iTOraclcs païens (cf. F, VI-V11} : cf. l'analyse de G. Muccio, dans Sludi Ilaliani di Filologla classica, t. IV, 1896, p. 84-92. C’est le cas encore du ms. Paris., R. N., f. grec. 1335 : cf. l'inventaire sommaire de 11. ümont, t. II, p. 14-16. 3. Reportons-nous ici, non plus aux titres abrégés de la table de F publiée d’après h par Neumann, mais aux titres mêmes qui précé­ daient chaque texte : Otto, lustini... opera, t. Il’, p. xiv. A LA RECHERCHE DE L’ARCHÉTYPE 25 (il) De saint Justin philosophe, et martyr, Discours d'exhortation aux Grecs. Parvenu au n° III, il commence à se lasser et écrit plus brièvement : De Justin philosophe cl martyr, Exposé de la foi conformé­ ment à l’orthodoxie, ou sur la Trinité. Ensuite, estimant la référence implicite assez claire, il se contentera de dire : (IV) Du même, /1 ux Grecs. (V) Du même,, A Diognèle. Fort ingénieusement, Harnack nous invite1 à considérer cet ensemble comme la deuxième moitié d’un Corpus des œuvres de Justin, —disons d’une editio aucta el amplissima où, comme dans celles des Patrologies de Migne étaient groupés en Appendix les dubia et les spuria. Harnack, en effet, a bien établi qu’entre le iv” et le Xe siècle l’œuvre de Justin fut élolïée d’un nombre croissant d'opuscules supplémentaires, d’attribution incertaine : son catalogue finit par atteindre trente et un numéros,sur lesquels neuf ou douze seulement sont, ou ont chance d’être, authentiques1 2. Par comparaison3, on peut dire que l’auteur de la collection que nous retrouvons en F a fait preuve d’un certain discer­ nement critique : il n’a accueilli aucune des œuvres très tardives que d'autres admettent sans sourciller, comme la Réfutation d’Aristote ou la Lettre à Zenas. Seule V Exposition de la vraie foi (III) est postérieure au ive siècle : on paraît d’accord pour y voir aujourd’hui une œuvre de jeunesse de Théodoret, écrite avant 4314. Les autres opuscules 1. Ap. Texte und Unlersuchungen, t. I, p. 85; GeschicMe der aHchristlichen (.iterator, lî. Chronologie, I. I, p. 51.3. 2. T. U., I. 1, p. 190-193. 3. Notamment avec la notice consacrée à Justin par Photius, Bibliothèque, cod. 125, et avec la table des Ada Calht· rinae une autre Apologie ancienne, celle, pensait-il, de Quadratus; son argumentation n’a pas résisté aux coups que lui portèrent J. Arm. Robinson et E. Klostermanu-E. Seeberg. Mais l’existence dans ces /tria d'un noyau apologétique remontant au vi«-vne siècle n’est pas contestée. 3. B11G1, 646 : P. G., t. CXVI, c. 468B-505D. Voir H. Dklehayr, en dernier lieu ap. ΛΛ. SS., Propyl. Dee., p. 580-581, n. 2; D. Mallardo, Storia antica della chiesa di Napoli, p. 100-103; 11 calendario marmoreo di Napoli, dans Ephemerides lilurgicae, t. I.X, 1946, p. 252-253; 254. 4. Voir ci-dessous, Commentaire. p. 122-124. 5. Cf. à ce sujet A. Ehrharo, op. cil., I. I, 2 (T. U., t. Ll), p. 526; 697 : on trouve le texte grec do ces .4cfa dans un bon nombre de collections hagiographiques pré-métaphrastiques, dont il existe des manuscrits qui remontent ou peuvent remonter au ix· siècle {Id., t. 1, I, T. U., t. L, p. 510, § 16; p. 279, § 79, etc.}. Une des deux A LA RECHERCHE HE L’ARCHETYPE 29 Quoi qu’il en soit de la date de ces textes hagiographiques, toujours difficile à établir, l’analyse du stock de citations qu’ils utilisent1 conduit à situer le rassemblement de ces documents apologétiques vers le vie siècle : c’est Malalas en effet qui en est le premier témoin2, sinon la source à pro­ prement parler3. II doit s’être produit vers cette épo­ que, vie (vu®) siècle, — renonçons prudemment à vouloir trop la préciser4 —, un renouveau d’intérêt pour la polé­ mique adversus Paganos, entraînant un effort pour réunir les matériaux que pouvait offrir, dans ce domaine, la tradi­ tion ancienne. Ne pourrait-on pas faire remonter jusqu'à cette date le ■ très vieux modèle n sur lequel a travaillé le copiste du manuscrit de Strasbourg ? 11 est sans doute délicat de scruter la portée de l’expression banale ’αντίγραφο; παλαιότατος dont celui-ci s’est servi pour le caractériser; on peut toutefois se demander si cet aspect « très ancien » n'était pas dû, autant qu’à l'usure des siècles, à l'archaïsme de sa graphie : un manuscrit du vie-vnft siècle devait être encore traductions latines que nous en possédons (BHL, 2778) a été faite à Naples entre 872 et 875. Pour la seconde, cf. BHL, 2778b ; il existe aussi un texte arménien (BHO, 300) cl nous savons que saint Euthyme l'Hagiorite en avait donné une en géorgien {Analeda Bollandiana, I. XXXVI-XXXV1I, 1917-1919, p. 35, 1. 31). 1. Celles surtout des poètes puions, des oracles et des vers Sibyllins qui leur servent notamment Λ cautionner l'evhémérisme (ce type d’argumentation, absent de ΓΛ Diognile joue un grand rôle dans les opuscules I, Il et IV de la collection F; cf. bien entendu aussi les textes VI et VII). 2. L'intérêt de ce témoignage, a été signalé pour la première fois par .1. Binez, dans la Byeantinischc Zeitschrift, t. XI, 1902, p. 388-394. 3. Car Malalas lui-même nous renvoie (II, p. 76, Dindorf) à la compilation d'un certain Timothée (cf.· J. Arm. Robinson dans Journal o/ Theological Studies, t. XXV, 1924, p. 253) ; les citations d'oracles païens peuvent dériver, sans avoir à passer pur Malalas, de la Théosophic (F ,VI1) ou des recueils apparentés. 4. Les critiques les plus prudents parlent de façon estompée • de quelque compilation du νι· ou du vnc siècle » (ainsi 11. Dkj.hhayk, dans les Analeda Bollandiana, t. XLV, 1927, p. 152). 30 INTRODUCTION écrit en onciale, et par là attirer l’attention d’un copiste du xive habitué à l’usage de la minuscule1. Bien ne suggère d’autre part de remonter plus haut : l’ciTort dépensé par Kihn pour situer l’archétype de F dans la période 370-431 l’a été en pure perte8. Je proposerai donc d'admettre que le copiste de F a eu entre les mains un a très vieux manus­ crit », appelons-lc φ, datant du vie (vne) siècle, contenant nos textes l-V, peut-être même 1-1X3 : l’association de textes païens (VII) ou supposés tels (VI) aux apologies chrétiennes du Ps.-Justin (IV) et d'Athénagore (VIII-IX) n’aurait rien que de naturel. Ce manuscrit aurait été cons­ titué, disons au temps de Justinien, comme F devait l’être 1. Sur la translittération d'unciale en minuscule, cf. les remarques de A. Dain, Histoire du texte d'Elien te Tacticien, Paris, 1946, p. 119 8. 2. H. Kihn, Dec Ursprung des Brie/es an Diogncl, p. 11-14 : son induction repose non sur le texte même do F, mais sur certaines des notes marginales, qu'il voudrait faire remonter à l'archétype : rien n'est moins vraisemblable (deux de ces notes, on l'a vu. relatives à l'état mutile de φ sont évidemment l'œuvre du copiste de F ; rien ne permet de distinguer ces notes en deux couches chronologiquement différentes). Kihn en relève deux [ad VIII, 9 el XII, 2 : voir à l’apparat critique de notre édition) où il croit retrouver un écho carac­ téristique de l’enseignement de Diodore de Tarse et de Théodore de Mopsueste : c’est forcer la portée ; : si nous ne disposions, pour les vers cités par le De. Monarchia, d'autres témoins, qui mirait deviné la lacune qui se dissimulait dans le texte de F *? 2 -1 40 INTRODUCTION retouches diverses, ducs notamment à Maran (dont la traduction a été reprise par Gallandi et Aligne) et Hefcle (reproduit par Hurter). La tradition a été continuée par Otto, Funk1 et Colombo; la version d’Otto est particulière­ ment notable : sa précision lui donne la valeur d’un véritable commentaire1 2. Je connais l’existence de seize traductions allemandes34, de onze traductions anglaises*, de cinq en italien56, sans parler d'autres en néerlandais, russe, danois et grec moderne®. En français, on n’a publié que trois traductions complètes : la première, duc à l’oratorien Antoine Le Gras7 est en réalité une paraphrase qui délaie en 32 pages nos douze petits chapitres, non sans omettre pourtant tel ou tel passage d’interprétation embarrassante. La seconde, duc A l’abbé (puis Mgr) A. E. de Gcnoude8 est plus précise et souvent élégante ; mais nous sommes devenus plus scrupuleux et clic nous paraît s'éloigner encore trop du texte ; d’autre part, elle s’appuie sur le texte de l’édition Maran que les progrès de la critique ont, 1. Editio major seulement; elle n'a pas été reprise par K. Bihlmeyer. • 2. De même quo Bunsen cl Créditer ont publié des éditions isolées des ch. ΧΙ-ΧΙΓ, P. Roasenda en a donné une traduction latine duns: Aevum, t. IX, 1935. p. 248-250. 3. La dernière en date est celle de J. Geftcken, dans: E. IlENNBGKB, .\'culeslame.ntliche. Apnkryphen, 2‘ éd., Tubingue. 1924, p. 619-623. 4. En dernier lieu : J. A. KlbiSt, The Didache, the Epistle of Barnabas, ... the Epistle to Diognetus (coll. Ancient Christian Writers, 6), Westminster (Maryland), 1948, p. 127-147; 210-211; et H. G. Meecmam, The epistle to Diognelus, Manchester, 1919, p. 75-91. 5. En dernier lieu : C. La Vespa, La Lcltera a Diogndo (coll. Baccolla di Sltidi di Leltcratura Cristiana Antica, n. 7’. p. 67-106. 6. Cf. Otto, Justini opera, t. IP, p. i.iv-i.vn. 7. A. Lb Gras, Épitre à Diognile dans laquelle fauteur sur les ruines de. Tidolàlrie et du Judaïsme établit les plus solides fondements de la religion chrétienne. Outrage du let siècle, traduit de l’original grec, Paris, 1725. 8. Les Pires de fÉglise, traduits en français, ouvrage publié par M. de Gcnoude, t. 11, Paris, 1838, p. 184-195. LES TRADUCTIONS 41 entre temps, souvent amélioré. La dernière est celle du R. P. M. A. Genevois1, faite sur le texte de Funk12 ; elle pèche par l’excès contraire : elle s’est astreint à une litté­ ralité si minutieuse qu’elle en est devenue pratiquement illisible. Du moins elle assume par là une position nette et courageuse sur tous les points de sens controversé. J’ai pu connaître encore deux autres traductions fran­ çaises : l'une, due à l’abbé R. Aigrain a connu une diffusion limitée, grâce à un petit fascicule autographié de G. Duret : Les Chrétiens d’après deux textes anciens, série préparatoire aux Cahiers pour les professeurs catholiques de France, II 1,2, Toussaint 1919 ; l'autre préparée par M. A. Grenet est demeurée jusqu’ici inédite, mais je dois à la courtoisie de son auteur d'en avoir eu communication et d’avoir pu la confronter avec la mienne. Signalons d’autre part cinq traductions partielles : celle de M. N. S. Guillon2 se présente comme une a condensation j> de l’ensemble de la Lettre à Diognel (sic), ce que nous appelons aujourd’hui un « digeste » ; l'auteur a eu la coquet­ terie d’enchâsser dans son texte une traduction de IX, 3-5 due à Bossuet3. Celle de A. Kayser45contient les ch. VII-X et prend, elle aussi, bien des libertés avec le texte, qu’elle coupe ou résume par endroits.La troisième, concernant les chapitres essentiels, IV-VI, a été insérée par E. Renan dans son Marc-Aurèle1, et a dû à cette plume prestigieuse d’être 1. Dans La vie spirituelle, ascitique el mystique, t. Ll, 1937, p. 276285 (ch. I-X seulement). 2. Bibliothèque choisie des Pères de l'Église grecque cl Mine ou Cours d'éloquence sacrée, I’· partie, t. I, Paris, 1824, p. 318-323. 3. Bossuet l’a citée au moins trois fois (dans le Discours sur ΓHistoire universelle et dans deux Sermons), preuve de l'intérêt qu’il portait il notre texte. 4. Dans T. Cot.ani, Bevue de théologie cl de philosophie chrétienne, t. XIII, Strasbourg, 1856, p. 266 s. 5. Histoire des origines du christianisme, t. VII, Marr.-Aurèlc el la fin du monde antique, Paris, 1881, p. 424-428. 42 INTRODUCTION souvent, relue et citée1 : c'est sur ces quelques pages que repose la connaissance que le public français a d’ordinaire de notre texte. Enfin on peut, extraire du mémoire que Dom P. Andriessen a consacré à V épilogue de, l’ÊpUre à Diognèle* une traduction très précise des difficiles ch. XI-XII, et tout récemment de Brouwer s’est essayé à son tour de donner une traduction nouvelle des ch. V-X123. Je ne chercherai pas. pour finir, à excuser l'insuffisance de ma propre tentative, étant trop persuadé qu'un texte, à mesure qu'il est plus profondément travaillé et mieux compris, devient progressivement intraduisible ; mais ici, j'imagine, l’humaniste m’accusera de succomber à un préjugé d’historien ! Il ne parait pas nécessaire d'écraser un texte si bref sous une trop longue Introduction : le plus simple est de demander au lecteur de le lire sans plus attendre, avant d’en reprendre l'étude dans le Commentaire. 1. Ainsi par A. Pubch, Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. II, p. 220-221. 2. Dans Recherches de. théologie ancienne et médiévale, t. XIV, 1917, p. 132, 131, 138. 141. 143, 145, 14«, 119. 3. Dans Esprit cl Vie, octobre 1948, p. 414-420. BIBLIOGRAPHIE Elie est trop abondante pour qu'il soit possible de la dresser ici ; on en trouvera les éléments dans : J. G. Th. von Otto, Epistula ad Diognelum, luslini philosophi et martyris nomen prae, se ferens (thèse d'Iéna, 1845), 2e édition. Leipzig, 1852 (bibliographie de 1592 à 1852). Du même, Corpus apologelaruin Christianorum saeculi secundi, vol. III. luslini philosophi et martyris opera, t. Il, 3° édition, léna, 1879, p. xl-xi.iv, liv-lvii, lxi-lxiii (bibliographie de 1853 à 1877 ; cf. parallèlement : O. de Gebhardt, Patrum aposlolicorum opera, t. 1, fasc. 2, 2®-3e édition, Leipzig, 1878, bibliographie de 1825 à 1877). On glanera quelques références supplémentaires dans les notes de : F. X. Funk, Patres aposlotici, t. 1,2e édition, Tubingen, 1901, p. cxin-cxvn (jusqu'en 1900) ; E. Molland, Die titeratur- and dogmengeschichtliche Siellung des Diognelbriefes, dans Zeitschrift für die neuleslamentliche. Wissensehafl, t. 33, 1934, p. 289-312 {jusqu'en 1932). Enfin on trouvera une a select bibliography » dans : 11. G. Meecham, The epistle to Diognelus, Manchester, 1949, p. 09-73. Je compléterai les indications qui précèdent en donnant une liste de travaux récents ; il s'agit surtout de travaux italiens, trop souvent et bien injustement négligés par les bibliographies germaniques ou britanniques : M. Fermi, L’apologia di Aristide e la lellera a Diognelo, dans Iticerche religiose, t. 1, 1925, p. 541-547. P. Roasenda, In epistulae ad Diognelum XI-XII capita adnotalio, dans /teau/n, t. IX. 1935, p. 248-253. 44 INTRODUCTION Du même, Il pensiero paolino neti’epistola a Diognelo, ibid., p. 468-473. P. Pantaleo, Dogma e disciplina (scil. dans Justin et l’épltre à Diognète), dans Religio, t. IX (de la série commencée par les Riccrche religiose), 1935, p. 231-238. A. Casamassa, I Padri aposlolici, Rome, 1938, p. 217232. F. Ogara, Aristidis el epistolae ad Diognelum cum Théophile Antiocheno cognatio, dans Grcgorianum, t. XXV, 1944, p. 74-102 (et la note critique de Dojn B. Botte, dans Bulletin de théologie ancienne et médiévale, t. V, 1947, n°383). P. Andriessen, L'apologie de Quadratus conservée sous le titre d’Épiire à Diognète, dans Recherches de théologie ancienne el médiévale, t. XIII, 1946, p. 5-39. Du même, Id., II, Les données de l’histoire sur Quadratus el son apologie, ibid., p. 125-149. Du même, Id., Ill, Les données de l'hisloire sur l’empereur Hadrien, ibid., p. 237-260. Du même, L’épilogue de l’épîlre â Diognèle, ibid., t. XIV, 1947, p. 121-156. Du meme, Quadratus a-t-il été en Asie Mineure? dans Sacris erudiri, Jaarboek voor Godsdienshvelenschappen, t. II, 1919, p. 44-54. Du même, Un prophète du Nouveau Testament, dans Bijdragen uitgegeven door de philos, en theol. Faculleiten der N. en S. Nederlandse Jezuielen, 1950, p. 140-150. L. Alfonsi, It π Prolrellico » di Clemente Alessandrino e Γepistola a Diognelo, dans Aevum, t. XX, 1946, p. 100-108. Du meme : Spunli protrellici e (ilosofici nell’ « Epistola a Diognelo », dans Rivista di filosofia neo-scolaslica, L. XXXIX, 1947, p. 239-241. C. La Vespa, La lellera a Diognelo (thèse de Catane), Raccolln di Sludi di Lelleralura cristiana anltca, t. VII, Catane, s. d. (1947). BIBLIOGRAPHIE 45 M. Pellegrino, Siudi su Γ antica apologetica, Rome, 1947, p. 58-61. Du même, Gli apologeli greci del II. secolo, Rome, 1947, p. 240-249. Pour être complet, il faudrait joindre aux travaux indépendants les notices ou articles consacrés à Diognète (Lettre, ou Epilre, ά·) par la plupart des grandes encyclo­ pédies, générales ou spécialisées, les traités ou manuels concernant l'histoire du christianisme ou des dogmes, la littérature grecque, la pensée chrétienne, la patristique... Dans cette catégorie, consulter en dernier lieu : J. Quasten, Patrology, t. I, Utrecht, 1950, p. 248-253. B. Altaner, Patrologie, 3e édition, Fribourg en Br., 1951, p. 102-103. E. Peterson, dans Encyclopedia callolica, t. IV, Rome, s. d. [1951], e. 1660, s. v. Diognelo, epistola a —. On ne dépouille pas cet énorme ensemble sans quelque lassitude : une trop grande partie de ces travaux est consacrée à formuler, défendre, puis démolir d’innom­ brables hypothèses sur la date et l’auteur. Travail de Pénélope qui n’a pas fait avancer autant qu’on eût pu l’espérer la connaissance du contenu réel de notre texte. Il faut surtout relire : D’abord les études d’Orro : sa thèse, ci-dessus citée, et l’admirable commentaire, historique autant que critique, dont il a accompagné son édition et sa traduction latine, au vol. III, de son Corpus apologelarum (3e édition, léna, 1879, p. 158-211 ) ; puis les commentaires de : L. B. Radford, The epislle lo Diognetus (collection Early Church classics), Londres, 1908. F. Gepfcken, Der Brief an Diognelos (coll. Kommeniierle griechische mid laleinische Texte), Heidelberg, 1928 ; avec les études antérieures du même auteur, notamment 46 INTRODUCTION dans Zwei griechische Apologeten, Leipzig-Berlin, 1907, p. xli s., 273 s., cl Der Uriel an Diognelos, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, t. XLil, 1924, p. 348-350. Enfin Γexcellent mémoire de Molland, cité ci-dessus, et surtout : H. G. Meecham, The epistle to Diognelus, the Greek text, with introduction, translation and notes (thèse de Manchester), Manchester, 1949. C’est le travail le plus considérable, après celui d’Otto, et de tous le plus poussé, qui ait été consacré à l'.4 Diognèle. Je suis heureux d’avoir pu l'utiliser et d’y renvoyer aujourd’hui le lecteur1 : le commentaire, extrêmement précis et détaillé, est d'ordre surtout linguistique et litté­ raire (ci. de même dans V Introduction, p. 9-19, 65-66, l'étude du vocabulaire, de la grammaire et du style) ; il complète utilement l’étude que nous présentons ici et qui a cherche à être une étude historique et doctrinale. I. En même temps qu’au compte-rendu, bref mais dense, qu'en a donné G. Quispei., dans Vigiliae Christianae, I. V, 1951, p. 187. TEXTE ET TRADUCTION ABRÉVIATIONS 1. Manuscrits F : Strasbourg, Bibliothèque municipale, Codex Graecus IX, détruit (reconstitue d’après les collations et commen­ taires de Cunitz et de Reuss, ap. Otto). b : Notes de J. J. Beurer, perdues (d’après les renseigne­ ments fournis par Estienne, p. 98-104, et Sylburg, p. 432 a-433 a). h : Copie de B. Haus, Tübingen, Bibliothèque universitaire, M. b. 27, d’après la recension de Funk’. st : Copie de H. Estienne, Leyde, Bibliothèque académique, Codex Graecus Vossianus 4° 30, d'après la recension de J. Geel12, ap. Otto. 2. Editions et études critiques Andriessen : Dom Paul Andricsscn a bien voulu nous communiquer les leçons nouvelles que contiendra son édition en voie de préparation. Blakeney : E. H. Blakeney, The, epistle lo Diognetus, Londres, 1943. Boehl : G. Boehl, Opuscula Patrum selecta, P. I, Berlin, 1826. 1. Lea vérifications auxquelles a bien voulu faire procéder pour moi M. R. Goegler ont toujours confirmé les lectures de Funk. 2. L'examen du manuscrit, que m’a facilité l’amicale obligeance de .M. J. H. Waszink, ne m'a procuré de neuf que les notes (jusqu’ici, à ma connaissance, inédites) du f° 50», relatives aux * Vers de la Sibylle Erythrée ·, citées ci-dessus, p. 12 et 13. 50 TEXTE ET TRADUCTION Bunsen : G. G. ,1. Bunsen, Christianity and Mankind, t. V (Analecta Anle.-Nicaena, t. I), Londres, 1854. Credner : C. A. Credner, Geschichte des neatest. Kanon, éd. par G. Volkmar, Berlin, 1860. Cunitz : ap. Otto. Eslienne : II. Eslienne, Justini philosophi cl martyris Epistula ad Diognetum cl Oratio ad Graecos, Paris, 1592. Funk : F. X. Funk, Paires aposlolici, t. I, 2e éd., Tubingen, 1901. Gebhardt : O. de Gebhardt, A. Harnack, Th. Zahn, Patrum aposlolicorurn opera, P. II, fasc. I, 2e éd., Leipzig, 1878. Gcffcken : J. Gelfcken, Der Brief an Diognetos, Heidelberg, 1928. Gildersleeve : B. L. Gildersleeve, Justinus Martyr, The apologies, New York, 1877. Hanner : J. B. Lightfoot, J. R. Harmer, The apostolic fathers (éd. minor), 2e éd.. Londres, 1893-1898. Hefele : C. .1. Hefele, Patres Aposlolici, 4e éd., Tubingen, 1855. Hengel : Van Hengel, ap. Otto. Hilgenfeld : A. Hilgenfeld, Der Brief un Diognetos, ap. Zeitschrift fur toissensch. Théologie, t. XVI, 1873, p. 270 s. Hoffmann : Hoffmann. Justinus des Mârlyrers Brief an Diognetns, Neisse, 1851. Hollenberg : \V. A. Hollenberg, Der Brief an Diognet, Berlin, 1853. Krenkel : M. Krenkel. Epistola ad Diognetum, Leipzig, 1860. Kühner : ap. Otto. Lachmann : ap. Bunsen. Lange : ap. Ruhr, Krit. Pred. Bibliolh., t. 25, 1814, fasc. 6, p. 998. Lindner : G. B. Lindner, Bibliotheca Patrum eccles. seleclissima, t. I, Leipzig, 1857. ABRÉVIATIONS 51 Maran : boni P. Maran, 5. lusiini opera, Paris, 1752. Murray : G. Murray, ap. Blakeney. Nock : A. D. Nock. Λ noie on Ep. ad Diognetum X, § lf ap. Journal of lheol. studies, t. 29, 1927-28, p. 40. Nolle : .1. 11. Nolte, ap. Schcincr, Zcilschrifl fur kathol. Theol., 1854. reproduit par Migne, P. G.. t. Π. col. 1301-1304. Otto ou Otto3 : I. G. Th. de Otto. Corpus apologeiarum Christianorum saec. sec., vol. III, lusiini philosophi et martyris opera, t. Il, 3e éd., léna, 1879; on renvoie également à lu lr® éd., 1843 (Otto1), à la seconde. 1849 (Otto2), ainsi qu’à l'édition isolée, Episl. ad Diognetum lusiini phil. et mari. nom. prae se. ferens, 2e éd., Leipzig, 1852 (Otto, 1852}. Keuss : ap. Otto. Scheibe : C. Scheibe, 7.ur Kritik des Epistola ad Diognetum, ap. Theol. Siudien und Kriliken, Gotha, t. 35, 1862, p. 576-578. Sylburg : F. Sylburg. S. lusiini philosophi et martyris opera, Heidelberg, 1593. 3. Sigles <...... > : mots ajoutés, changés ou corrigés. [...... j : mots à supprimer “ * : lacune Pour la commodité du lecteur, on a évité d'introduire les siglcs critiques à l’intérieur des mots; ainsi, en IX, 2, lisant ελεών là où le rns. F donne λέγων, on imprime <ελεών > et non <έ>λε[γ]ών. ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ I. Επειδή όρώ, κράτιστε Διόγνητε, ύπερεσπουδακότα σε τήν θεοσέβειαν των Χριστιανών μαθεϊν καί πάνυ σαφώς καί έπιμελώς πυνθανόμενον περί αυτών, “τίνι τε Θεω πεποιθότες 'και πώς Ορησκεύοντες αύτόν c τε κόσμον ύπερορώσι πάντες dxal θανάτου καταφρονούσα 'καί ούτε τούς νομιζομένους υπό τών Ελλήνων θεούς λογίζονται Γούτε την ’Ιουδαίων δεισιδαιμονίαν φυλάσσουσι, ’καί τίνα τήν φιλοστοργίαν εχουσι πρός άλλήλους, "καί τί δήποτε καινόν τούτο γένος ή επιτήδευμα είσήλθεν είς τον βίον νύν καί ού πρότερον. 2 .Αποδέχομαι γε τής προθυμίας σε ταύτης, καί παρά τού Θεού — τού καί τό λέγειν καί τό άκούειν ήμϊν χορηγουντος — αίτούμαι δοΟήναι έμοί μέν είπεϊν ούτως ώς μάλιστα αν <άκούσαντά > σε βελτίω γενέσθαι, σοί τε ούτως άκοΰσαι ώς μή λυπηθήναι τόν είπόντα. II. *Αγε δή, καθάρας σαυτον άπό πάντων τών προκατεχόντων σου τήν διάνοιαν λογισμών, καί τήν άπατώσάν I, 1 αυτόν τόν τε κόσμον Lachmann : αύτόν τε κόσμον F αύτόν κόσμον τε Kronkcl. 2 άν άκούσαντά σε Estienne : αν άκοΰσαί σε F τω άκοΰσαί σε Lindner άν τον άκούσαντα [om. σε) Schoibe τόν άκούσαντα (ο/n. δν et σε) Otto. 1. Méliton de Sardes avait placé en tête de ses Έκλογαί une lettre-dédicace qui s’ouvre par un exorde (conservé par Eusèub, Ilisl. ccclis., IV. 26, 13) d'un mouvement analogue: ’Επειδή πολλάκις ήξίωσας, σπουδή..., « Méliton à son frère Onésime, salut. Ton zèle pour la doctrine t'a fait souvent désirer d’avoir des extraits de la Loi et des Prophètes...; tu as souhaité aussi savoir avec précision quels sont, etc. ·. A DIOGNÈTE Les questions de Diognète 1. Je vois1, Excellent Diognète, le zè)e pousse à t’instruire sur la religion des Chrétiens, la clarté et la précision des questions que tu poses à leur sujet : aà quel Dieu s’adresse leur foi2? ’'Quel culte lui rendent-ils ? 'D’où vient leur dédain unanime du monde det leur mépris de la mort? «Pourquoi ne font-ils aucun cas des dieux reconnus par les Grecs fet n’observentils pas les superstitions3 judaïques? BQuel est ce grand amour qu’ils ont les uns pour les autres? hEnfin pourquoi ce peuple nouveau — ce nouveau mode de vie — n’est-il venu à l’existence que de nos jours et non plus tôt? Préparation 2 Je te félicite de cette ardeur et spirituel!» je prie Dieu, de qui nous vient le don et de parler et d’entendre, qu’il m’accorde le langage le plus propre ù te rendre meilleur, toi qui m'écoutes, et qu’il te donne de m’écouter de manière à ne pas être un sujet de tristesse pour moi qui te parle. II. Quand donc tu auras purifie ton esprit de tous les préjugés qui l’assiègent, quand tu te seras dépouillé des habitudes trompeuses, quand tu seras devenu un homme 2. Pour la commodité du commentaire, notre traduction décom­ pose en propositions parallèles une période complexe dont les éléments sont en grec subtilement subordonnés les uns aux autres : C’est parce que telle est leur foi et tel leur culte qu’ils dédaignent le monde, méprisent la mort, etc. 3. Cf. .1. P. Kobts, Δεισιδαιμονία, a contribution lo lhe knoudedge of the religious terminology in Greek, thèse d'Utrecht, 1929, p. 66-67 : appliqué péjorativement ou judaïsme le mot ne se rencontrerait qu’ici (et plus bas IV, 1) et sous la plume d’OniGÈNB, Contra Celsum, VII, .11, p. 192, 6, Kôtschau ; cf. 11. 2, p. 129, I. 16; in Num., 23, 5. 54 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΠΤΟΝ σε συνήθειαν άποσκευασάμενος, και γενόμενος ώσπερ έξ αρχής καινός άνθρωπος, ώς άν καί λόγου καινού, καΟάπερ καί αύτός ώμολόγησας, ακροατής έσόμενος ' ιδε μή μόνον, τοίς όφΟαλμοίς, αλλά καί τή φρονήσει, τίνος ύποστάσεως ή τίνος είδους τυγχάνουσιν ούς έρεϊτε καί νομίζετε θεούς. 2 Ούχ ό μέν τις λίθος έστίν όμοιος τώ πατουμένω, ό δ’ έστί χαλκός ού κρείσσων των εις τήν χρήσιν ήμιν κεχαλκευμένων σκευών, ό δέ ξύλον ήδη καί σεσηπός, ό δέ άργυρος χρήζων άνθρώπου του φυλάξαντος ινα μή κλαπή, ό δέ σίδηρος ύπό ίου διεφθαρμένος, ό δέ όστρακον, ούδέν τοϋ κατασκευασμένου προς την άτιμοτάτην ύπηρεσίαν εύπρεπέστερον ; 3 ού φθαρτής ύλης ταϋτα πάντα ; ούχ ύπό σιδήρου καί πυρός κεχαλκευμένα ; ούχ δ μέν αύτών λιθοξόος δ δέ χαλκεύς δ δέ άργυροκόπος δ δέ κεραμεύς έπλασεν ; ού πριν ή ταις τέχναις τούτων εις τήν μορφήν τούτων έκτυπωθήναι ήν < έκαστον > αύτών έκάστω έτι καί νυν μεταμεμορφωμένον ; ού τά νυν, έκ της αύτής ύλης οντα σκεύη γένοιτ’ άν, εί τύχοι των αύτών τεχνιτών, όμοια τοιούτοις ; 4 Ού ταϋτα πάλιν τά νυν ύφ’ <ύμών> προσκυνούμενα δύναιτ* άν ύπό ανθρώπων σκεύη όμοια γενέσθαι τοΐς λοιπούς ; ού κωφά πάντα, ού τυφλά, ούκ άψυχα, ούκ 11,3 έκαστον Μ a ran : έκαστος F •1 ύμών Esticnne : ημών F 1. Expression paulinienne : Ëph., 1, 22-24, on mieux peut-être Col., 3, 10. 2. Le grec dit plus vaguement « tel qu'à l'origine », ce qui pourrait s’entendre d'Adam avant, la chute, mais l'allusion eût-elle été acces­ sible au lecteur païen ? 11 est plus probable qu’il y a là un écho de Jn. 3, 3-7. 3. En parlant des Chrétiens comme d'un peuple nouveau. ■1. Ou bien, ironiquement, «lu réalité objective et la forme appa­ rente ·. r>. Noter le passage de la 2e personne du singulier à celle du pluriel, à laquelle va se tenir la suite du ch. II. 6. Deui., 4, 28; cf. Is., 44, 9-20; Jcr., 10. 3-5 : Stiff., 13, 16; 15, 7. A DIOGNÈTE 55 nouveau* semblable à celui qui vient de naître®, - puisque c’est un langage nouveau, tu en conviens toi-même3, que lu t’apprêtes à entendre —, considère non seulement avec les yeux, mais aussi par la raison quelle est la substance ou la forme4 d·· ceux que vous5 appelez et reconnaissez dieux. Contre 2 Ι/un n'est-il pas une pierre l'idolâtrie semblable à celles qu’on foule aux pieds6? L’autre du bronze, sans plus de valeur que les ustensiles’ fondus pour notre usage? Cet autre du bois, et déjà pourri, ou de l’argent — il a besoin d’un homme posté à sa garde de crainte des voleurs8 —, ou du fer ronge par la rouille9, ou de la terre-cuite, sans plus d’apprêt que celle dont on se sert pour le plus vil usage10? 3 Tous ne sontils pas fait de matière corruptible? Façonnés par le fer et par le feu? N’est-ce pas un sculpteur qui a fait celui-ci? Un fondeur celui-là? Un orfèvre? Un potier*1? Avant d’avoir été façonnés en forme de dieux par ces techniques, est-ce que chacun de ces matériaux n’avait pas déjà changé de forme sous la main de son artisan et ne le peut-il pas encore maintenant*2? Les ustensiles actuels, faits de la même matière qu'eux, ne pourraient-ils pas devenir eux aussi des dieux, s’ils rencontraient le même artisan? 4 Inversement, ces dieux que vous adorez en ce moment ne pourraient-ils pas être transformés par la main des hommes en ustensiles pareils aux autres? Ne sont-ils pas tous sourds, aveugles, inanimés, insensibles, incapables de 7. Ep. Jtr. (Bar., 6), 58. 8. Id., 17; 56. 9. Id., J1 ; 19. 10. Cf. Sag., 13, Il d. 11. Jtr., 10, 3-5; Hab., 2, 18-19; Ép. Jcr. (Bar., 6), 7-29; 44-58. 12. I.e grec s’exprime de façon beaucoup plus vague: » Avant d'avoir été façonné par les techniques dé ceux-ci (les artisans) en forme de ceux-ci (les dieux), chacun (de ces matériaux) avait été transformé par chacun (de CCS artisans), comme encore maintenant ». Pour l’idée, cf. Λοηι., 9, 21 ; II. Tim., 2, 20. 56 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ αναίσθητα, ούκ άκίνητα ; ού πάντα σηπόμενα, ού πάντα φθειρόμενα ; 5 ταύτα θεούς καλεϊτε, τούτοις δουλεύετε, τούτοις προσκυνεϊτε ’ τέλεον δ’ αύτοις έξομοιούσθε. β Διά τοϋτο μισείτε Χριστιανούς, ότι τούτους ούχ ηγούνται θεούς. 7 Υμείς γάρ οί νυν νομίζοντες καί οίόμενοι, ού πολύ πλέον αύτών καταφρονείτε ; ού πολύ μάλλον αυτούς χλευάζετε καί ύβρίζετε, τούς μεν λίθινους καί όστρακίνους σέοοντες αφυλάκτους, τούς δε άργυρέους καί χρυσούς έγκλείοντες ταϊς νυξί, καί ταϊς ήμέραις φύλακας παρακαθιστάντες, ϊνα μή κλαπώσιν ; 8 αίς δέ δοκείτε τιμαϊς προσφέρειν, εί μέν αισθάνονται, κολάζετε μάλλον αύτούς · εί δέ άναισθητούσιν, έλέγχοντες αίματι καί κνίσαις αύτούς θρησκεύετε. 9 ΤαύΟ* ύμών τις ύπομεινάτω, ταύτα άνασχέσθω τις έαυτω γενέσθαι. ’Αλλά άνθρωπος μέν ούδέ εις ταύτης της κολάσεως έκών άνέξεται, αίσθησιν γάρ έχει καί λογισμόν ' ’> δέ λίθος ανέχεται, αναίσθητε! γάρ * ούκούν την αίσθησιν αύτού έλέγχετε. 10 Περί μέν ούν τού μή δεδουλώσθαι Χριστιανούς τοιούτοις Οεοίς πολλά μέν καί άλλα είπεΐν έχοιμι * εί δέ τινι μή δοκοίη καν ταύτα Ικανά, περισσόν ηγούμαι καί το πλείω λέγειν. III. Έξης δέ περί τού μή κατά τά αυτά Ίουδαίοις θεοσε6εϊν αύτούς οίμαί σε μάλιστα ποθειν άκούσαι. 2 ’Ιουδαίοι τοίνυν, εί μέν άπέχονται ταύτης της προειρημένης λατ7 άφυλάκτους F (teste. Beuss) Esticnne : -τως b h Cunitz (qui non intellexerunt scripturae compendium). 1. P$., 113B (LXX), 4-8 = /»«'., 134. 15-18: ci. Sag., là, 15. 2. Ép. Jtr. {Bar., fi), 17. 3. ’Ελέγχω, ici et plus bas (II, 9), peut signifier aussi bien • reprocher, faire honte de- ·, que · réfuter, démontrer ». •1. Passage désespéré pour lequel on a déjà proposé quatorze essais de reconstitution ; nous nous sommes risqués à en suggérer une quinzième (supposant, comme déjà Sylburg, que elç θεόν ένα... appelle nécessairement πιστεύειν et que la corruption du texte de ’Λ A OIOGNÈTE 57 se mouvoir? Ne sont-ils pas tous sujets à la corruption, à la pourriture? 5 Voilà ce que vous appelez des dieux, ce que vous adorez et à quoi vous finissez par devenir sem­ blables1 1 6 C’est pour cela que vous haïssez les Chré­ tiens : parce qu’ils ne les considèrent pas comme des dieux. 7 Pourtant, vous qui les croyez et estimez tels, ne les méprisez-vous pas bien davantage que ne le font les Chré­ tiens? Bien plus qu’eux vous les raillez, les outragez : les idoles de pierre ou d’argile, vous les adorez sans leur donner de gardes ; celles d’argent et d’or, vous les tenez sous clef pendant la nuit et le jour vous postez des gardiens à côté d'elles, de peur qu’on ne les dérobe2 ! Contre ica θ Et lcs honneurs que vous croyez sacrificos sanglants leur rendre sont plutôt pour ces dieux un désagrément, s'ils sont doués de sentiment ; qu'ils ne sentent rien, vous le faites bien voir3 par le sang et la graisse fumante de vos sacrifices ! 9 Qui de vous endurerait, qui tolérerait qu’on lui rende de tels honneurs? Il n'y aura personne pour supporter de bon gré un tel désagrément, car l’homme est doué de sentiment et de raison. La pierre, elle, le supporte car elle ne sent rien : vous faites donc bien voir qu'elle est insensible. 10 Sur le refus des Chrétiens d'adorer de tels dieux, j’aurais encore beaucoup à dire, mais si ce qui précède ne paraît pas suffisant, je juge inutile d’en dire davantage. Contre les ΠΙ. J’en viens à ce qui distingue sacrifices îles Juifs |e culte chrétien de celui des Juifs : c’est, je crois, ce que tu désires surtout apprendre. 2 Quand les Juifs s’abstiennent de l’idolâtrie dont je viens de parler, ils ont certes bien raison de croire en un Dieu unique et de le vénérer comme maître de l’univers·*. F est due, ici encore, à une lacuno do son modèle φ ; nous adoptons pour le dernier mot la correction hardie mais heureuse de Lachrnann), — non sans avoir hésité ii adopter le texte de Lindner qui nècessi- 58 ΠΡΟΣ Δ1ΟΓΝΠΤΟΝ ρείας, καί εις θεόν ένα <πιστεύε·.ν καί τούτον > των πάντων σέβειν [καί] δεσπότην, άξιοΰσι <φρονίμως> · εί δέ τοΐς προειρημένοις όμοιοτρόπως τήν θρησκείαν προσάγουσιν αύτω ταύτην, διαμαρτάνουσιν. 3 *Α γάρ τοΐς άναισΟητοις καί κωφοΐς προσφέροντες οί "Ελληνες αφροσύνης δείγμα παρέχουσι, ταΰΟ* ούτοι, καθάπερ προσδεομένω τω Οεω λογιζόμενοι παρέχειν, μωρίαν ε’.κδς μάλλον ήγοΐντ’ άν, ού θεοσέβειαν. 4 Ό γάρ ποιήσας τον ουρανόν καί την γην καί πάντα τά έν αύτοϊς καί πασιν ήμΐν χορηγών, ών προσδεόμεΟα, ούδενδς άν αύτδς προσδέοιτο τούτων ών τοΐς οίομένοις διδόναι παρέχει αύτός. 5 Οί δέ γε Ουσίας αύτω δι* αίματος καί κνίσης καί ολοκαυτωμάτων έπιτελεϊν οιόμενοι και ταύταις ταις τιμαΐς αύτδν γεραίρειν, ούδέν μοι δοκούσι διαφέρειν των εις τά κωφά την αύτην <ένδεικνυμένων» φιλοτιμίαν, <τά> μή <δυνάμενα> της τιμής μεταλαμοάνειν. Τδ δέ δοκεΐν τινά παρέχειν τω μηδενδς προσδεομένω < ’ * * > ili, 2 καί εις 1·’ : καί εί Eslienne -Nolte Hoffmann Lindner Seheibe Geffcken καί ώς Otto* Otto* καί (om. είς) Gildersleeve καί κτίστην Bunsen κτίστην Lachmann καλώς llilgcnfcld cjx πιστεύειν καί τούτον nos (lacunam suspicantes) : ένα F τδν £να Lange £να καί Krenkel σέοειν F : κτίστην σέοειν Esticnnc δημιουργόν πιστεύειν τούτον τε μόνον σέδειν Sylburg εύσεόεϊν διδάσκουσιν (vel παραγγέλλουσιν) Krenkel σέβονται Lindner σέοεσΟαι Scheibe Gildersleeve Otto* καί del. nus superius Iranspusilum : om. Lange Nolle Lindner Krenkel Schreibe Gildersleeve Otto* άξιοΰσι F : άξίως (cvl άξιώ Lindner; Krenkel φρονίμως Lachinann : φρονεϊν F om. .Nolte φρονουσιν Otto* όρΟώς δοκοΰσι φρονεϊν Geffcken. 4 in marg. : δτι ô 6εδς άπροσδεης έστι καί ούίενδς ών προσφέρομεν αύτω δέεται ’ ώς καί αυτός είρηκέ που · τίς γάρ έκ των χειρών ύμών έζήτησε ταΰτα Ii (ftwiiis glossematis texlum, quem in margine muribus grauiler corrosa mutilatum praebet I·', restituere audacter conaltts est Ot to). 5 ένδεικ*Λ>μένων b : — voi F — voie Estienne τά μή δυνάμενα Eslienne : των μή δυναμένων F των μέν μή δυναμένων Lachmann των μέν μή δυναμένοις Gebhardt αύτών (scii. των κοφών) μή δυναμένων Kübner Λ DTOGNÊTE 59 Mais, quand, suivant l’exemple des païens dont je viens de parler, ils lui rendent le même genre de culte, ils sont dans l’erreur. 3 En faisant de telles offrandes à des idoles insensibles et sourdes, les Grecs manquent de bon sens ; les Juifs, qui les présentent à Dieu en s’imaginant qu’il en a besoin, devraient bien plutôt penser que c’est là extra­ vagance et non piété. 4 Car « celui qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment qui nous donne gracieusement à tous ce dont nous avons besoin, ne saurait lui-même avoir besoin2 de ces biens qu’il accorde lui-même à ceux qui s’imaginent les lui donner. 5 A coup sûr, ceux qui s’imaginent lui rendre un culte par le sang, la graisse fumante et les holo­ caustes et Γ honorer par de t elles cérémonies, ne me parais­ sent en rien différer de ceux qui déploient la même ’ibéralité à l’égard d’idoles sourdes qui ne peuvent prendre part à ces honneurs. S’imaginer faire des présents à Celui qui n’a besoin de rien3 ! Τύ 8c δοκεΐν... προσδεομένω I· (eMlatnalivc inlelligendum ccnsuil Murray): haec verba ut glossam del. Otto τω δέ δοκεΐν... Manin τω γε δοκεΐν Hefele* τω δή δοκεΐν Otto (1852) δοκούντες γ« Lange των δέ δοκούντων (ο/η. τινα) Lachmann. ' ’ " lacunant indicavimus, quam suspicatus est Sylburg ct explere voluit, add. πάμπαν έστίν ηλίθιον. ferait moins de corrections matérielles, mais qui nous a paru donner à la phrase une construction platement, symétrique ct banale : • (Quand les Juifs...) ct quand ils vénèrent un Dieu unique comme maître do l'univers, ils pensent juste. (Mais quami, etc., ... ils se trompent) ». 1. Ps., 145, 6 (LXX); cf. .le/., 14, 14; Ex., 20. 11. On lit en marge la note : · Quo Dieu se suffit ά lui-même et n’a besoin d’aucune des choses qui lui sont offertes, comme lui-même l’a dit quelque part (scil. /$., 1, 12 c} : Qui a réclamé cela de vos mains ? ». 2. Ad., 17, 21-25; Ps., 49, 8-14 ; /. Sam., 15, 22. 3. Suivant la suggestion de Gilbert Murray (dans E. II. Blakeney, The epistle lo Diognclus, p. 42), nous traduisons le texto du ms. F. GO ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΝΤΟΝ IV. ’Αλλά μήν τό γε περί τάς βρώσεις αύτών ψοφοδεές, και την περί τά σάβδατα δεισιδαιμονίαν, και την της περι­ τομής αλαζονείαν, καί την της νηστείας και νουμηνίας ειρωνείαν, καταγέλαστα και ούδενδς άξια λόγου, <ού> νομίζω σε χρήζειν παρ’ έμοΰ μαΟεϊν. 2 Τό τε γάρ των ύπδ του Θεού κτισθέντων εις χρήσιν ανθρώπων ά μέν ως καλώς κτισΟέντα παραδέχεσθαι, ά δ’ ώς άχρηστα καί περισσά παραιτεΐσθαι, πώς <ούν> Οέμις έστί ; 3 τδ δέ καταψεύδεσΟαι Θεού ώς κωλύοντας έν τη των σαβυάτων ημέρα καλόν τι ποιεϊν, πώς ούκ άσεβές ; 4 τδ δέ καί την μείωσιν της σαρκδς μαρτύριαν εκλογής άλαζονεύεσθαι ώς διά τούτο έξαιρέτως ήγαπη μένους ύπδ Θεού, πώς ού χλεύης άξιον ; 5 τδ δέ παρεδρεύοντας αύτούς άστροις καί σελήνη την παρατηρησίν τών μηνών και των ημερών ποιεϊσΟαι, και τάς οικονομίας Θεού καί τάς τών καιρών άλλαγάς <καταδιαιρεϊν > προς τάς αύτών όρμάς, άς μέν εις έορτάς, ας δέ είς πένθη · τίς άν θεοσεβείας καί ούκ αφροσύνης πολύ πλέον ήγήσετα·. τδ δείγμα ; 6 της μέν οΰν κοινής είκαιότητος καί άπάτης καί της Ιουδαίων —ολυπραγμοσύνης καί άλαζονείας <ώς> δρθώς άπέχονται Χριστιανοί, αρκούντως <σε > νομίζω μεμαΟηκέναι. Τδ δέ της ιδίας αύτών Οεοσεοείας μυστήριον μη προσδοκήσης δύνασθαι παρά άνθρώπων μαΟεϊν. IV, 1 ού add. Estienne : am. F. 2 οδν Οέμις έστί Ο Ito : ού Οέμις έστί F Οέμις (om. ού) έστί vel a'jy. άΟέμιτόν έστι Esticnnc ούκ αθέμιστον (οσι. έστι) Gebhardt ού μέθης έστίν l.achninnn. 5 in mary.: : ότι παρήδρευον ‘Εδραίοι άστροις καί σελήνη καί τάς παρατηρήσεις αύτών έφύλαττον καταδιαιρεϊν b : καταδ*···εΐν 1·’ καταρρυθμίζειν Esticnnc κατανέμειν vel κατατάττειν Sylburg κατασκοπεΐν Roehl ήγήσεται τό F : ήγήσηται τδ Esticnnc ήγήσαιτο h Lachmann (le^hini ms. F servare maluimus; dt usu futuri indicat, curn iv. cf. Otto, Corpus Apologclarum v. II*. p. 340, n. 8). 6 ώς Bunsen : om. (sine lacuna) F δτι b. σε Estienne : τε F alia manu (Stephani?) in σε corredum. en le comprenant comme une exclamation ; mais il est très probable que In phrase est interrompue, par suite d'une mutilation du modèle φ. \ DIOGNÈTE 61 Contre le IV. Quant à Icurcraintc scrupuleuse ritualisme juif concernant la nourriture, leur supersti­ tion au sujet du sabbat, l'orgueil qu’ils tirent de la circon­ cision, la fausse humilité1 de leur jeûne et des néoménies, choses ridicules et indignes de mention, je suppose que tu n’as pas besoin que je t’en instruise. 2 En effet, parmi les créatures que Dieu a faites pour l’usage des hommes, accueillir les unes comme réussies, rejeter les autres comme inutiles et superllues, comment cela pcub-il être permis? 3 Accuser Dieu de défendre d’accomplir une bonne action, n’cst-ce pas impie1 2? 4 l irer vanité d’une mutilation charnelle comme d’un signe d’élection, comme si cela les faisait tout particulièrement aimer de Dieu, n’est-ce pas ridicule? 5 Quant à surveiller le cours des astres et de la lune pour régler l’observance des mois et des jours3*, quant à distribuer selon leurs propres désirs les plans divins et les vicissitudes des temps en jours de fêtes et jours de pénitence, est-ce faire preuve de piété? N’est-ce pas bien plutôt de la sottise ? 6 C’est donc bien avec raison que les Chrétiens s'abstiennent de la légèreté et de l’erreur générales* comme du ritualisme indiscret et de l’orgueil des Juifs. Je suppose l’en avoir assez appris là-dessus. Mais ce qu’est leur religion à eux, c’est un mystère : n'cspëre pas pouvoir jamais l'apprendre d'un homme5. 1. Le choix du mot ειρωνεία (proprement · affectation de fai­ blesse >} s'explique par le désir d’établir une antithèse avec άλαζονεία, • jactance », qui précède : ce sont là, d’après Aristote, les deux extrêmes opposés au juste milieu qui consiste à être véridique (£/Λ. A7c., II, 7, 1108 a, 19-23). Cf. Col., 2, 23 (pour l’idée) et II. Mac., 13, 3 {pour l’emploi du mot εΙρωνεία). 2. Cf. Luc, fi, 9; 13, 14-16; 14, 3-5; G. QuiSPBL songe ici à Clément Al., Slrorn., 1, 13, I. 3. Cf. Gai., 4, 10. F.n marge : «Que les Hébreux surveillaient les astres et lu lune et suivaient leurs indications». I. C'est-à-dire, celles à la fois des Païens et des Juifs. 5. Cf. Gai., 1, 12. 62 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΉΤΟΝ V. Χριστιανοί γάρ ούτε γη ούτε φωνή ούτε έσΟεσι δια­ κεκριμένοι των λοιπών είσιν άνΟρώπων. 2 Ούτε γάρ που πόλεις Ιδίας κατοικοΰσιν ούτε διαλέκτω τινί παρηλλαγμένη χρώνται ούτε βίον παράσημον άσκουσιν. 3 Ού μην έπινοία τινί καί φροντίδι πολυπραγμόνων άνΟρώπων <μάθημα> τουτ’ αύτοϊς έστίν εύρημένον, ούδέ δόγματος άνθρωπίνου προεστάσιν ώσπερ ένιοι. 4 Κατοικοΰντες δέ πόλεις Έλληνίδας τε καί βαρβάρους ώς έκαστος έκληρώΟη, <καί> τοϊς έγχωρίοις εΟεσιν άκολουΟοΰντες εν τε έσΟήτι καί διαίτη καί τω λοιπω βίω, θαυμαστήν καί όμολογουμένως παράδοξον ένδείκνυνται τήν κατάστασιν της εαυτών πολιτείας. 5 Πατρίδας οικοΰσιν ιδίας, άλλ’ ώς πάροικοι ' μετέχουσι πάντων ώς πολίται, και πανΟ* ύπομένουσιν ώς ξένοι " πάσα ξένη πατρίς έστίν αύτών, καί πασα πατρίς ξένη. 6 Γαμοΰσιν ώς πάντες, τεκνογονοΰσιν ’ άλλ’ ού ρίπτουσι τά γεννώ μένα. 7 Τράπεζαν κοινήν παρατίθενται, άλλ’ ού <κοίτην >. 8 Έν σαρκί τυγχάνουσιν, άλλ* ού κατά σάρκα ζώσιν. 9 Επί γης διατρίοουσιν, άλλ’ έν ούρανώ πολι- V, 1 in marg. : ένθεν περί Χριστιανών άρχεται. έοθεσι F (in marg.: ίματίοις) : εΟεσι Estienne. 3 μάθημα τούτ’ Ιι : μαΟήμαπ τούτ’ I·' μάθημά τι τουτ’ b μάθημά τι (οιη. τουτ’) Krcnkei μάθημα τωούτ’ Ilcngoi in f. in marg. : fa, δόγματός ά<νθρώπου> ol Χριστιανοί ούκ Αντιλαμβάνονται, άλλα < Χριστού». Ούδέ γάρ, φησίν ό απόστολος Παύλος, παρά ανθρώπου παρέλαουν αύτό F. •1 καί Otto : ht F del. Sylburg (cl infra ante διαίτη ponendum cenxiiit) και l·/ Boehl. 7 κοίτην Maron : κοινήν I’. 1. I.e copiste a écrit dans la marge : · Ici commence l’exposé con­ sacré aux Chrétiens ». 2. En marge encore : » Que les Chrétiens ne s'attachent pas â une doctrine humaine mais ft celle du Christ. Car. dit l'Apôtre, ce n'est pas d’un homme que je l’ai reçue» (Gal., 1, 12). 3. Cf. Phil., 3, 20 : «Car notre société (πολίτευμα et non, comme ici, πολιτεία) est dans les cieux ». On peut toutefois se demander s'il ne faut pus plutôt comprendre (car πολιτεία a souvent aussi ce sens) : le caractère (merveilleux et paradoxal) de leur manière de vivre. Λ OIOGNÈTE 63 Le mystère V. Car les Chrétiens1 ne se distinchrétîen guent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. 2 Ils n'habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. 3 Ce n’est pas à l'imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine2. 4 Ils se répartis­ sent dans les cites grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle3. 5 Us résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés4. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers5. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère4. 6 Us se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n'aban­ donnent pas leurs nouveau-nés. 7 Ils partagent tous la même table, mais non la même couche7. 8 Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair8. 9 Ils passent leur vie sur la terre, mais sont •1. Êph., 2. 19; Héb., 11, 13-16; //. Pierre, 2, 11. 5. I.ittéralcmcnt : · ils participent Γι tout commo dos citoyens ot supportent tout comme des étrangers ». L’accès des honneurs muni­ cipaux était réservé, dans chaque ville do l'empire, aux seuls citoyens ; les « étrangers · n'avaient pas â subir par ailleurs de vexations particulières ; le sens paraît donc : * Les Chrétiens ne se dérobent pas au devoir civique, mais l'accomplissent avec détache­ ment ». 6. Pasteur d'HBRMAS, Sim., 1, I ; Clément d'Alexandrie, Péda­ gogue, III, 8, 1. 7. En acceptant la correction de D. Maran; le texte de F donne­ rait : · Us prennent place â une table commune, mais non commune ». 8. Cf. il Cor., 10, 3; Rom., 8, 12-13. 3 64 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΙΙΤΟΝ τεύονται. 10 Πείθονται τοϊς ώρισμένοις νόμοις, καί τοϊς ίδίοις βίοις νικώσι τούς νόμους. 11 Άγαπώσι πάντας, καί ύπδ πάντων διώκονται. 12 ’Αγνοούνται, καί κατακρίνονται * θανατοΰνται, καί ζωοποιούνται. 13 I ίτωχεύουσι, και πλουτίζουσι πολλούς ' πάντων ύστεροϋνται, καί έν πασι περισσεύουσιν. 14 Άτιμούνται, καί έν ταϊς άτιμίαις δοξά­ ζονται ’ βλασφημουντά ι, καί δικαιούνται. 15 Λοιδορούνται καί εύλογούσιν · ύβρίζονται, καί τιμώσιν. 16 ΆγαΟοποιούντες ώς κακοί κολάζονται ' κολαζόμενοι χαίρουσιν ως ζωοποιούμενοι. 1? Γπό Ιουδαίων ώς αλλόφυλοι πολεμούνται, καί ύπο Ελλήνων διώκονται, καί τήν αιτίαν της εχΟρας είπεϊν οί μισοΰντες ούκ εχουσιν. VI. Απλώς δ’ είπεϊν, όπερ έστίν έν σώματι ψυχή, τούτ’ είσίν έν κόσμω Χριστιανοί. 2 Έσπαρται κατά πάντων των τού σώματος μελών ή ψυχή, καί Χριστιανοί κατά τάς τού κόσμου πόλεις. 3 Οικεϊ μέν έν τω σώματι ψυχή, ούκ εστι δέ έκ τού σώματος ' καί Χριστιανοί έν κόσμω οίκοϋσιν, ούκ είσί δέ έκ τού κόσμου. 4 Αόρατος ή ψυχή έν όρατω φρουρεϊται τω σώματι ’ καί Χριστιανοί γινώσκονται <μέν δντες> έν τω κοσμώ, αόρατος δέ α.ύτών ή θεοσέβεια μένει. 5 Μισεί τήν ψυχήν ή σαρξ καί πολεμεϊ μηδέν άδικουμένη, δίοτι ταϊς ήδοναϊς κωλύεται χρήσθαι ’ μισεί καί Χριστιανούς ο κόσμος μηδέν αδικούμενος, οτι ταϊς ήδοναϊς αντιτάσσονται. 6 ‘H ψυχή την μισούσαν VI, 4 μέν δντες Retienne : μένοντας F. 1. Cf. toujours Phil., 3, ‘20; liib., 13. 14. 2. Hom., 13, I ; Tit.. 3. I ; Pierre, ‘2, 13. 3. Littéralement : · ils vainquent les lois ■. ■1. U. Cor.. 6. 9-10. 5. /. Cor., 4. 10, 12, 13. 6. IL Cor., G, 9-10. 7. Étrangers, et ennemis du Peuple de Dieu : on pourrait presque traduire par · Philistins », selon le sens reçu d’’Αλλόφυλοι dans les Septante. A DIOGNÊTB 65 citoyens «lu ciel1. 10 Ils obéissent aux lois établies2 et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois3. 11 Us aiment tous les hommes et tous les persécutent. 12 On les méconnaît, on les condamne ; on les tue et par là ils gagnent la vie. 13 Us sont pauvres et enrichis­ sent un grand nombre. Us manquent «le tout et ils surabondent en toutes choses4. 14 On les méprise et dans ce mépris ils trouvent leur gloire. On les calomnie et ils sont justifies. 15 On les insulte et ils bénissent5. On les outrage et ils honorent. 16 Ne faisant que le bien, ils sont châtiés comme «les scélérats. Châtiés, ils sont dans la joie8* comme s'ils naissaient à la vie. 17 Les Juifs leur font la guerre comme à «les étrangers7 ; ils sont persécutés par les Grecs et ceux qui les détestent ne sauraient dire la cause de leur haine. L Ame du monde VI. En un mot, ce que l’âme est ]e corpS| ]cs Chrétiens le sont dans le monde. 2 L’âme est répandue8 dans tous les membres du corps comme les Chrétiens dans les cités du momie. 3 L'âme habite dans le corps et pourtant elle n’est pas du corps, comme les Chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde·. 4 Invisible, l’âme est retenue prisonnière dans un corps visible : ainsi les Chrétiens, on voit bien qu’ils sont dans le monde, mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure invisible. 5 La chair déteste l’âme et lui fait la guerre1011 , sans en avoir reçu de tort, parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs : de même le monde déteste les Chrétiens” qui ne lui font aucun tort, parce qu’ils s’opposent à ses plaisirs. 6 L’âme aime cette ι 8. > Répandue » —· comme une semence, si on garde au verbe grec son acception première : cf. I rénée, Adv. haeres., Ill, 11. Il Harvey. 9. Jn., 15, 19; 17, 11-16. 10. Gai., 5, 17. 11. Jn., 15, 18-19; /. Jn., 3, 13. 66 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ άγαπα σάρκα καί τά [χέλη * και Χριστιανοί τούς μισοΰντας άγαπώσιν. 7 Έγκέκλεισται μέν ή ψυχή τω σώματι, συνέχει δέ αύτή τδ σώμα ’ καί Χριστιανοί κατέχονται μέν ώς έν φρουρά τω κόσμω, αυτοί δέ συνέχουσι τδν κόσμον. 8 Αθά­ νατος ή ψυχή έν Ονητω σκηνώματί κατοικεί * καί Χριστιανοί παροικοΰσιν έν φθαρτοΐς, τήν έν ούρανοΐς αφθαρσίαν προσδεχόμενοι. 9 Κακουργουμένη σιτίοις καί ποτοϊς ή ψυχή βελτιοϋται * καί Χριστιανοί κολαζόμενοι καθ’ ημέραν πλεονάζουσι μάλλον. 10 Εις τοσαύτην αύτούς τάξιν έΟετο ό Θεός, ήν ού θεμιτόν αύτοίς παραιτήσασΟαι. VII. Ού γάρ επίγειον, ώς έφην, εύρημα τοϋτ’ αύτοίς παρεδόΟη, ουδέ θνητήν επίνοιαν φυλάσσειν ούτως άξιούσιν έπιμελώς, ούδέ άνθρωπίνων οικονομίαν μυστηρίων πεπίστευνται. 2 *Αλλ’ αυτός άληθώς ό παντοκράτωρ καί παντοκτίστης καί αόρατος Θεός, αυτός άπ* ούρανών τήν ’Αλήθειαν καί τον Λόγον τον άγιον καί άπερινόητον άνθρώποις ένίδρυσε καί έγκατεστήριξε ταϊς καρδίαις αύτών, ού καθάπερ άν τις είκάσειεν άνθρώποις υπηρέτην τινά πέμψας ή άγγελον ή άρχοντα ή τινα των διεπόντων τά έπίγεια ή τινα των πεπιστευμένων τάς έν ούρανοΐς διοικήσεις, άλλ’ αύτόν τον τεχνίτην καί δημιουργόν των όλων, ω τούς ουρανούς έκτισεν, ω τήν 1. Mallh., 5, 44 ; Luc, 6, 27. 2. Cf. Platon, Phaedr., 62b (situation do l’âino dans le monde) ; Ps, Plat., Axiochos, 365 e; Cicéhon, Tune., 1, 30 (situation de l'ûmo dans le corps}. 3. IL Pierre, 1, 13; et. II Cor., 5, 1. 4. /. Cor., 15, 50. 5. Ou · croissent » (scil. en sainteté plutôt qu’en nombre) ; mais ce sens est moins vraisemblable. 6. En V, 3. 7. (If. encore Cal., I, 12; le mot έπίγειον vient de Jac., 3, 15. 8. Cf. pour le rapprochement des mots · dispensation » et « mys­ tère », Ëph.. 3, y ; /. Cor.. 4, l ; « dispensation · et « confler ·, /. Cor., 9, 17. 9. Παντοκράτωρ : il. Cor., 6, 18; Apoc., I, 8, etc. 10. Παντοκτίστης : ce mot est, semble-t-il, un hapax, le seul qu'on ait Λ signaler dans l’.i DingnMe : l’auteur l’aura forgé, sur le modèle Γ Λ DIOGNÈTE 67 chair qui la déteste, et ses membres, comme les Chrétiens aiment ceux qui les détestent1. 7 L’âme est enfermée dans le corps : c'est elle pourtant qui maintient le corps ; les Chrétiens sont comme détenus dans la prison du monde2 : ce sont eux pourtant qui maintiennent le monde. 8 Immortelle, l’âme habite une tente mortelle3 : ainsi les Chrétiens campent dans le corruptible, en attendant l’incorruptibilité céleste4. 9 L’âme devient meilleure en se mortifiant par la faim et la soif : persécutés, les Chrétiens de jour en jour gc multiplient5 toujours plus. 10 Si noble est le poste que Dieu leur a assigné, qu'il ne leur est pas permis de déserter. Lo Christianismo VII. Comme je l’ai dit plus haut®, comme révélation |cur tradition n'a pas une origine ter­ restre’, ce qu’ils professent conserver avec tant de soin n’est pas l’invention d'un mortel, ni ce qui est confié à leur foi une dispensation8 de mystères humains. 2 Mais c’est en vérité le Tout-Puissant® lui-même, le Créateur de tou­ tes choses10, l’invisible, Dieu lui-même qui l'envoyant du haut des cieux, a établi chez les hommes la Vérité11, le Verbe saint12 el. incompréhensible et l’a affermi dans leurs cœurs. Non, comme certains pourraient Lo Verbe sauveur |’jmagjnCr| qU’j| envoyé aux hommes quelque subordonné, ange ou archonte, un des esprits chargés des affaires terrestres, ou de ceux à qui est confié le gouvernement du ciel, mais bien l'Artisan et l’Organisateur13 de l’univers : c’est par lui que Dieu a créé du mot précédent, à partir de l'expression biblique ό πάντων κτίστης (Π. Afocc., 1, 2-1 ; cf. Sag. Sir., 24, 8). 11. Jη., 14, 6. 12. Apec., 3, 7. 13. Cf. les deux mêmes titres, pareillement rapprochés, mais appliqués à Dieu, Hib., 11, 10. 68 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΊΙΤΟΝ θάλασσαν ίδίοις οροις ένέκλεισεν, ου τά μυστήρια πιστώς πάντα φυλάσσει τά στοιχεία, παρ’ ου τά μέτρα των της ημέρας δρόμων < ήλιος > είληφε φυλάσσειν, ώ πειθαρχεί σελήνη νυκτί φαίνειν κελεύοντι, ώ πειθαρχεί τά άστρα τω της σελήνης άκολουθοϋντα δρόμω, ω πάντα διατέτακται καί διώρισται και ύποτέτακται, ούρανοί καί τά έν ούρανοίς, γή καί τά,έν τη γή, θάλασσα καί τά έν τή θαλάσση, πυρ, άήρ, άβυσσος, τά έν ύψεσι, τα έν βάθεσι, τά έν τω μεταξύ * τούτον προς αύτούς άπέστειλεν. 3 ΤΑρά γε, ώς ανθρώπων άν τις λογισαιτο, επί τυραννίδι καί φόοω καί καταπλήξει ; 4 ού μένουν · άλλ’ έν έπιεικεία <καί> πραύτητι ώς βασιλεύς πέμπων υιόν βασιλέα έπεμψεν, ώς Οεον έπεμψεν, ώς προς άνθρώπους έπεμψεν, ώς σώζων έπεμψεν, ώς πείθων, ού βιαζόμενος ' βία γάρ ού πρόσεστι τω Θεω. 5 ‘Έπεμψεν ώς καλών, ού διώκων · έπεμψεν ώς άγαπών, ού κρίνων. 6 ΙΙέμψει γάρ αύτον κρίνοντα, καί τίς αυτού την παρουσίαν ύποστήσεται ; ............ ........................................................ Ί <Ούχ όρας>παραοαλλομένσυς θηρίοις, ίνα άρνήσωνται τύν Κύριον, καί μη VII, 2 ήλιος Bunsen : om. F ό ήλιος Hefelc. 3 καί πραύτητι Gildcrslecve : πραύτητι F. 6 in marg. : ούτως καί έν τω αντιγράφω εύρον εγκοπήν. παλαιοτάτου δντος F. 7 ούχ όρας suppi. Estiennc. — 1. Ps., 103, 9; Prou., 8, 27-29; Job, 26, 10 ; 38, 8-11 ; /. Clem., 33, 3. 2. «Hiérarchie» veut traduire ύποτέτακται, littéralement «(par qui tout! a etc soumis. » : soumis, mais à qui? An Verbe lui-même pensait II. Estienne (cf. en ce sens 1. Cor.. 15, 27. source de notre passage), aux hommes propose Otto (cf. infra, X, 2) : respectons l'ambiguïté et la généralité de l'expression. 3. Les deux mots sont souvent associés, ainsi : II. Cor., 10, 1 ; J. Clem., 30, 8; de même chez Plutarque ou Philon. ■1. Allusion â la parabole des vignerons homicides (Mallh., 21, 37, el paraît.) ? 5. Cf. Ihîinêk, Ado. huer., V, 1, 1, Harvey : ... secundum suadelam quemadmodum decebat Deum suadentem el non vim inferentem; lOrigène], Selecta in Ps., P. G., t. XII, c. 1133B. I 5. Λ DIOGNÈTE 69 les cieux, par lui qu'il a enfermé la mer dans ses limites1 ; c’est lui dont tous les éléments cosmiques observent fidèlement les lois mystérieuses ; lui de qui le soleil a reçu la règle qu’il doit observer dans scs courses journalières; lui à qui obéit la lune, brillant pendant la nuit ; lui à qui obéissent les astres qui accompagnent la lune dans son cours ; c'est de lui que toutes choses ont reçu disposition, limites et hiérarchie2 : les cieux et tout ce qui est dans les cieux ; la terre et tout ce qui est sur la terre, la mer et tout ce qui est dans la mer, le feu, l'air, l’abîme, le monde d’en haut, celui d’en bas, les régions intermédiaires : c'est lui que Dieu a envoyé aux hommes. 3 Non certes, comme une intelligence humaine pourrait le penser, pour la tyrannie, la terreur et l'épouvante ; 4 nullement, mais en toute clémence et douceur3, comme un roi envoie le roi son fils1, Il l'a envoyé comme le dieu qu'il était, il l’a envoyé comme il convenait qu'il le fût pour les hommes, — pour les sauver, par la persuasion5, non par la violence : il n'y a pas de violence en Dieu’. 5 II l'a envoyé pour nous appeler à lui, non pour nous accuser : il l’a envoyé parce qu’il nous aimait, non pour nous juger7. 6 Un jour viendra où il l'enverra pour juger, et qui alors soutiendra son avènement8?...................... .9 Preuve 7 Ne vois-tu pas qu’on jette les par les martyrs Chrétiens aux bêtes pour leur faire renier le Seigneur et qu'ils ne se laissent pas vaincre? 8 6. Il y a ici aussi une rencontre remarquable avec un texte de saint IrAnéb, Adv. haer.. IV. 59 H. : βία Θεω ού πρόσεστιν. · la violence ne se rencontre pas en Dieu · (niais le contexte est différent : il s’agit de la liberté humaine que Dieu ne veut pas violenter) ; cf. encore, ibid.. IV. 60, 1 lin; IV, 6|, 3. 7. Cf. Jn., 3, 17. 8. L'idée est dans Mnl„ 3, 2, mais les mois (dans les I.XX) sont différents. 9. La lacune est commentée par une note marginale : · C'est ainsi que j'ai trouvé aussi une coupure dans le modèle, qui était très vieux ·. 11ΡΟΣ ΔΙΟΓΝΙΙΤΟΝ 70 νικωμένους ; 8 ούχ όράς οσω πλείονες κολάζονται, τοσούτω πλεονάζοντας άλλους ; 9 ταϋτα ανθρώπου ού δοκεϊ τά έργα, ταϋτα δύναμίς έστι Θεοϋ ' ταϋτα της παρουσίας αύτοΰ <δείγματα. > VI Π. Τίς γάρ ολως ανθρώπων ήπίστατο τί ποτ’ έστι Θεός, πριν αύτόν έλΟεϊν ; 2 ή τούς κενούς καί ληρώδεις εκείνων λόγους άποδέχη των άξιοπίστων φιλοσόφων ; ών οί μέν τινες πυρ έφασαν είναι τόν θεόν — ού μέλλουσι χωρήσειν αύτοί, τούτο καλοϋσι θεόν — οι δέ ύδωρ, οί δ’ άλλο τι των στοιχείων των έκτισμένων ύπό Θεού. 3 Καίτοι γε, ει τις τούτων των λόγων άποδεκτός έστι. δύναιτ* άν καί των λοιπών κτισμάτων έν έκαστον ομοίως άποφαίνεσθαι Θεόν. 4 Άλλα ταϋτα μέν τερατεία καί πλάνη των γοήτων έστίν. 5 ’Ανθρώπων δέ ούδείς ούτε <ε?δεν> ούτε έγνώρισεν αυτός δέ εαυτόν έπέδειξεν. 6 Έπέδειξε δέ διά πίστεως, ή μόνη Θεόν ίδεϊν συγκεχώρηται. 7 Ό γάρ δεσπότης καί δημιουρ­ γός των όλων Θεός, ό ποιήσας τά πάντα καί κατά τάξιν διακρίνας, ού μόνον φιλάνθρωπος έγένετο άλλα καί μακρόθυ­ μος. 8 Άλλ* οΰτος ήν μέν άεί τοιοϋτος, καί έστι, καί έσται ' χρηστός καί άγαΟός καί άόργητος καί αληθής, καί μόνος άγαΟός έστιν. 9 Έννοήσας δέ μεγάλην καί άφραστον έννοιαν <άνεκοινώσατο > μόνω τω παιδί. 10 Έν όσω μέν 9 δείγματα Estienne : δόγματα F. VIII, 5 ειδευ Estienne : είπεν F. 9 άνεκοινώσατο Bunsen : ήν έκοινώσατο I·' παιδί F : lacunam pati hac verbum suspicatus esi Estienne indicavit K renkel in /. in marg.: ότι έκρύπτετο τοσούτους χρόνους τδ μυστήριον της άγιας Τριάδας, μέχρι τοϋ βαπτίσματος του έν Ίορδάνω !·’. 1. I.e grec présente le môme mot παρουσία (traduit par «avène­ ment «) aux §§ 6 et 9 : il faut évidemment l’entendre là de la Pnrousie cschalologique, ici de la Présence actuelle de Dieu parmi les Chrétiens. 2. Héraciite. 3. Cf. infra, X, 8. 4. Thalès. A DIOGNÈTK 71 Ne vois-tu pas que plus on fait de martyrs, plus les Chré­ tiens sc multiplient par ailleurs? 9 De tels exploits ne peuvent passer pour l’œuvre de l'homme : ils sont les effets de la puissance de Dieu, ils sont la preuve manifeste de son avènement1. Impuissance VIII. Car y eut-il jamais, parmi de la philosophie |es hommes, quelqu’un qui ait su ce qu'est Dieu, avant qu'il ne fût venu lui-même? 2 A moins d’accepter les vanités cl les sottises de ces beauxparleurs de philosophes ! Les uns2 ont enseigné que Dieu c’était le feu, — ils appellent dieu ce feu auquel ils sont destinés3!- Pour d’autres4, c’est l’eau ou quclqu’autrc des éléments créés par Dieu. 3 Cependant, si l'une de ces doctrines était recevable, chacune des autres créatures pourrait au même titre être proclamée Dieu. 4 Mais tout cela n'est que fable et mensonge de ces charlatans. 5 Nul d’entre les hommes ne l’a vu ni connu5*: c’est lui-même qui s’est manifesté89. 6 Et il s’est manifesté dans la foi qui seule a reçu le privilège de voir7 Dieu. Car le Maître et Créateur de l’uni­ vers, Dieu, qui a fait toutes choses et les a disposées avec ordre, s’est montré pour les hommes non seulement plein d'amour mais aussi de patience*. 8 Lui a toujours été tel qu’il est. et sera : secourable, bon, doux, véridique ; lui seul est bon’. 9 Mais, ayant conçu un dessein d’une grandeur ineffable, il ne l’a communiqué L'économie du salut 5. KL non pas « fait connaître · ; cf. Le., 10, 22 ; -/n., 1, 18. fi. Cf. Rom., 3, 25-26. 7. Il faut noter ici aussi une rencontre avec un fragment (malheu­ reusement limité ù ces seuls mots) d'Antipater de Bostra, conservé par les Parallela Rupejacald., dérivés des Sacra de saint Jean Damascène, /’. G., t. XCVI, c. 533 D : -(στις ή μόνη δέδοται Θεόν είδεναι. «la Foi à qui seule il a été donné de connaître Dieu »; voir aussi Irénée, Adu. hacr., IV, 34, 6, Harvey. 8. Cf. Rom., 2, 4, etc. 9. Mallh., 19, 17; Mc., 10, 18; Le., 18, 19. 3-1 72 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ ούν κατεϊχεν έν μυστηρίω καί διετήρει την σοφήν αυτού βουλήν, άμελείν ημών καί άφροντιστειν έδόκει. 11 ΈπεΙ δέ άπεκάλυψε διά του άγαπητου παιδός καί έφανέρωσε τά έξ αρχής ήτοιμασμένα, πάνθ’ άμα παρέσχεν ήμίν, καί μετασχεϊν τών εύεργεσιών αύτου και ίδείν καί <νοήσαι, ά> τίς άν πώποτε προσεδόκησεν ημών ; IX. Πάντ’ ούν <ήδη > παρ’ έαυτώ σύν τώ παιδί <οίκονομηκώς>, μέχρι μέν [ούν] τού πρόσθεν χρόνου είασεν ημάς ώς έβουλόμεθα άτάκτοις φοραϊς φέρεσθαι, ήδοναϊς καί επιθυμίαις άπαγομένους, ού πάντως έφηδό μένος τοϊς άμαρτήμασιν ημών, άλλ’ ανεχόμενος, ούδέ τώ τότε τής αδικίας καιρώ συνευδοκών, αλλά τον <νΰν > της δικαιοσύνης δημιουργών, ινα έν τω τότε χρόνω έλεγχΟέντες έκ τών Ιδίων έργων ανάξιοι ζωής, νυν ύπό τής τού Θεού χρηστότητος άξιωΟώμεν, καί τύ καθ’ έαυτούς φανερώσαντες αδύνατον είσελΟεϊν εις τήν βασιλείαν τού Θεού τή δυνάμει τού Θεού δυνατοί γενηΟώμεν. 2 ΈπεΙ δέ πεπλήρωτο μέν ή ήμετέρα αδικία, καί τελείως πεφανέρωτο οτι ό μισθός αύτής κόλασις καί θάνατος προσεδοκάτο, ήλθε δέ ό καιρός δν Θεός προέΟετο 11 νοήσαι â l.achmann : ποίησα·. F άκουσαι â Eslientie είσαΟρήσα·. πόσα τε καί πηλίκα έστι & vel κατανοήσαι τήν αύτοϋ μεγαλειό­ τητα 5 Sylburg κατανοήσαι Maran φηλαφήσαι αύτόν ταΰτα Boehl ποΟησαι Hilgenfeld. IX. I ήδη I.achmann : ήδει F οίκονομηκώς Lachniann : — μικω; F ούν del. Lachniann νυν Hefele : w>v F. 1. Estienne et Krenkel supposent l'existence d'une lacune après ces mots. 2. En marge : « Que pondant si longtemps était demeuré caché le mystère de la sainte Trinité, jusqu'au baptême (de Jésus) dans le Jourdain ». Celte scholie ne s’applique pas au § 10, qui concerne le « mystère » du salut, et non celui de la Trinité, mais plutôt au § 11 : cf. XI, 5 et le commentaire ud loc. 3. Mallh., 3, 17; 17, 5 (υιός ό αγαπητός et nun παϊς). A DIOGNETE 73 qu'à son Enfant*. 10 Tant qu'il maintenait dans le mystère et réservait son sage projet, il paraissait nous négliger et ne pas sc soucier de nous2. 11 Mais quand il eut dévoilé parson Enfant bien aimé3 et manifesté ce qu’il avait préparé dès l’origine *, il nous offrit tout à la fois4 56 : et de participer à ses bienfaits, et de voir, et de comprendre ; qui de nous s'y serait jamais attendu ? . IX. Dieu avait donc déjà tout . r, . , disposé eu lui-mcmc avec son Enfant, mais jusqu'à ces derniers temps·, il a souffert (pic nous nous laissions emporter à notre gré par des mouvements désordonnés, séduits par les voluptés et les passions7, nullement parce qu'il éprouvait un malin plaisir à nous voir pécher ; seulement il tolérait, non qu’il l'approuvât, ce règne de l’iniquité. Bien au contraire, il préparait le règne actuel de la justice89 , afin que, ayant bien prouvé, dans cette première phase, (pie nos propres œuvres nous rendaient indignes de la vie, nous en devenions maintenant dignes par l’effet de la bonté divine’, et que, nous étant montrés incapables d’accéder par nous-mêmes au royaume de Dieu10, la puissance de Dieu nous en rende maintenant capables. 2 Lorsque notre perversité fut à son comble et qu’il fut devenu pleinement manifeste (pie la récompense qu’on en pouvait attendre était le supplice et la mort, alors arriva le Λ Pourquoi si tard? 4. Éph., 3, 9 ; Gai., 4, 4-5. 5. Rom., S, 32. fi. Ad., 14, 15; 17, 30. 7. Tit., 3, 3. 8. « Le règne actuel de lu justice » : correction de IlefelC ; le texte de F signifierait : « il créait le sens do In justice », ce que la traduction de Kayser paraphrase : « il formait la conscience », mais la correction proposée fournit une antithèse harmonieuse : τότε ... νυν, qui parait bien préférable. 9. Sous une autre forme, c’est l’idée exprimée par saint Paul, Rom., 3, 25-25. 10. Cf. .In., 3, 5 et, pour le mouvement général du S, Ijiénêe, Pràiic. apost., 31. 71 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ λοιπόν φανερώσαι την εαυτού χρηστότητα καί δύναμιν — <ώ>τής ύπερβαλλούσης φιλανθρωπίας <καΙ αγάπης> τού Θεού · — ούκ έμίσησεν ημάς ούδέ άπούσατο ούδέ έμνησικάκησεν, άλλα έμακροΟύμησεν, ήνέσχετο, <έλεών> αυτός τάς ήμετέρας αμαρτίας άνεδέξατο, αύτός τόν ίδιον υιόν άπέδοτο λύτρον ύπέρ ημών, τόν άγιον υπέρ <τών> άνομων, τόν άκακον ύπέρ των κακών, τόν δίκαιον ύπέρ τών άδίκων, τόν άφΟαρτον ύπέρ τών φθαρτών, τόν άΟάνατον ύπέρ τών θνητών. 3 Τί γάρ άλλο τάς αμαρτίας ημών ήδυνηθη καλύψαι ή εκείνου δικαιοσύνη ; 4 έν τίνι δικαιωθήναι δυνατόν τούς άνόμους ημάς καί άσεβεις ή έν μόνφ τω υίω τού Θεού ; 5 ώ της γλυκείας ανταλλαγής, ώ της άνεξιχνιάστου δημιουργίας, ώ τών άπρυσδοκήτων εύεργεσιών · ίνα ανομία μέν πολλών έν δικαίω ένΐ κρυοή, δικαιοσύνη δέ ενός πολλούς άνόμους δικαίωση. 6 Έλέγξας ούν έν μέν τω πρόσθεν χρόνφ τό αδύνατον της ήμετέρας φύσεως εις τό τυχεϊν ζωής, νύν δέ τόν σωτήρα δείξας δυνατόν σώζειν καί τά άδύνατα, έξ άμφοτέρων έβουλήθη πιστεύειν ημάς τή χρηστότητι αύτού, αύτόν ήγεισθαι τροφέα, πατέρα, διδάσκαλον, σύμβουλον, ιατρόν, νουν, φώς, τιμήν, δόξαν, ίσχύν. ζωήν, περί ένδύσεως καί τροφής μη μεριμνάν. 2 ώ Lange : ώς F ώς ύπό Eslienne ώς ή έξ Sylburg ώ Maran {sed cf. IX, 5). καί αγάπης Eslienne : μία αγάπη F οϊα άγάπη Moran μία αγάπη εσωσεν ημάς Boehl μίας άγάπης And Hessen. ήνέσχετο... άνεδέξατο : glossema esse suspicatus est Sylburg, del. Otto. έλεών Lachmann : λίγων F wn. Hefele έκών uct έθέλων Nolte λέγω Andricsscn. τών add. Otto : am 1·'. 1. Gel., 4, L 2. · Désormais · : λοιπόν pourrait aussi s igni fl or · finalement ·. 3. TU., 3, 4. 4. Il faut signaler ici une rencontre remarquable avec Clément d’Alexandrie, Prolreplique, IX, 82, 2, dans un contexte où cependant il est question de la pédagogie divine et non comme ici du salut : • O l’excessive philanthropie ! ·. ώ τής ύπερβαλλούσης φΛανΟρωπίας ’ Λ UIOGNÈTE 75 temps1 que Dieu avait marqué pour y manifester désormais2 sa bonté3 et sa puissance : quelle surabondance de la bonté pour les hommes et de l'amour divins4 ’ Mystère U ne nous a pas haïs, il ne nous a pas de la rédemption repoussés. ni tenu rancune, mais au contraire il a longtemps patienté, il nous a supportés. Nous prenant en pitié5, il a assumé lui-même nos propres péchés® ; il a livré lui-même son propre Fils en rançon pour nous7, livrant le saint pour les criminels, l’innocent pour les méchants, le juste pour les injustes8, l’incorruptible pour les corrompus, l’immortel pour les mortels. 3 Quoi d’autre aurait pu couvrir nos péchés9, sinon Sa justice? 4 En qui pouvions-nous être justifiés10, crimi­ nels et impies que nous étions, sinon par le seul Fils de Dieu? 5 O doux échange, opération impénétrable11, ô bienfaits inattendus : le crime du grand nombre est enseveli dans la justice d'un seul et la justice d’un seul justifie un grand nombre de criminels12 ! 6 II a d’abord, au cours du temps passé, convaincu notre nature de son impuissance ù obtenir la vie ; mainte­ nant il nous a montré le Sauveur qui a la puissance de sauver même ce qui ne pouvait l’être : par ce double moyen, il a voulu que nous eussions foi en sa bonté et que nous vissions en Lui13 nourricier, père, maître, conseiller, méde­ cin. intelligence, lumière, honneur, gloire, force, vie, — sans plus nous inquiéter du vêtement et de la nourriture ’1. 5. · Nous prenant en pitié » : correction heureuse, mais bien hardie, de Lachmann. 6. Is., 53, ! ! ; 53, 4. 7. Hom., 8, 32; I. Tim., 2, 6; Mollit., 20, 28; Mure, 10, 45. 8. I. Pierre, 3, 18. 9. Ps., 84 (LXX), 3, d’où I. Pierre, 4, 8 ; Jac., F», 20 ; I. Clem., 49, 5. 10. Rom., 3, 25, etc. 11. Mot paulinien : Rom., 11, 33; Êph., 3, 8. 12. Rom., 5, 17-19. 13. « Lui » : Dieu le Père, uu h· Sauveur ? Le pronom est ambigu : voir le commentaire, ad loe., p. 190-194. 14. Mallh., 6, 31 ; Le., 12, 29. 76 IIΙΌΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ X. Ταύτην καί σύ τήν πίστιν εάν ποΟήσης, καί λάοης πρώτον μέν <έπίγνώση πατέρα». 2 Ό γάρ Θεός τούς ανθρώπους ήγάπησε, 8ι’ οΰς έποίησε τον κόσμον, οΐς ύπέταξε πάντα τά έν <τή γη», οΐς λόγον έδωκεν, οΐς νουν, οΐς μόνοις <άνω > πρός ούρανον οράν έπέτρεψεν, οΰς έκ της ιδίας είκόνος έπλασε, προς οΰς άπέστειλε τον υιόν αυτού τόν μονογενή, οΐς τήν έν ούρανώ βασιλείαν έπηγγείλατο καί δώσει τοϊς άγαπήσασιν αύτόν. 3 Έπιγνούς δέ, τίνος οιει πληρωΟήσεσΟαι χαράς ; ή πώς άγαπήσεις τόν ούτως προαγαπήσαντά σε ; 4 άγαπήσας δέ μιμητής έση αύτου της χρηστότητας. Καί μή Οαυμάσης εί δύναται μιμητής άνθρω­ πος γένεσθαι Θεοϋ · δύναται, Οέλοντος αύτου. 5 Ού γάρ τό καταδυναστεύειν των πλησίον ουδέ τό πλέον εχειν βούλεσΟαι των άσΟενεστέρων ούδέ τό πλουτεΐν καί βιάζεσΟαι τούς ύποδεεστέρους εύδαίμονεϊν έστίν, ούδέ έν τούτοις δύναταί τις μιμήσασΟαι Θεόν, άλλα ταϋτα έκτός τής έκείνου μεγα­ λειότητας. 6 Άλλ’ οστις τό τού πλησίον άναδέχεται βάρος, δς έν ω κρείσσων έστίν έτερον τόν έλαττούμενον εύεργετειν X. 1 ποθήσης F : ποΟης Estienne έπιποΟήσα-.ς Lachmann καί λάδης F : καί λήψη Ollo καταλάδοις ôv Gildersleeve καί λάόοις Lachmann καν λά&κς Scheibe κατάλαδε Gebhardt έπιγνόση πατέρα Nock : έπίγνωσιν πρς (scii. πατρός; I·’ έπίγνωσον (τόν) πατέρα Estienne έπϊγνωσιν πατρός σοι παρέξει Sylburg έπίγνωσιν πρόσληψη vel πληρωΟήση της τού θεού χρηστότητας Boehl. 2 τή γή Estienne : lucunam praebel F in f. lineae &'μλ b : à“F àsl h. I. Le texte du ms. F n’est pas satisfaisant. La plupart des éditeurs corrigent les mots πυΟήσης καίλάβης do manière à comprendre :· si tu désires celle foi, lu recevras aussi », on bien : « — lu pourras recevoir ·, · — reçois ·, · — puisses-tu aussi recevoir », · puisses-tu désirer et recevoir (la connaissance du Père) » ! Nous préférons conserver les deux verbes parallèles ποΟήσης et λαβής, régissant le même complément πίστιν, et situer la corruption dn texte à la fin de la phrase. Nous avons accepté une correction, déjà entrevue par Henri Esliemw et formulée par Nock : le sens devient satisfaisant, mais l’hypothèse la plus probable est ici encore que nous avons affaire à un texte correct, mais interrompu par une lacune. 11 pourrait λ . I I j I Λ DIOGNÈTE 77 Appel X. θί toi aussi tu désires urdemà la conversion ment cette foi, et si Lu l'embrasses, tu commenceras à connaître le Père1. 2 Car Dieu a aime les hommes2 : cosmique pour eux il a créé le monde ; il leur a soumis tout ce qui est sur la terre3 ; il leur a donné la raison et l’intelligence ; à eux seuls il a permis d’élever les regards vers le ciel ; il les a formés à son image4 ; il leur a envoyé son Fils unique5 ; il leur a promis le royaume des cicux qu’il donnera à ceux qui l’auront aimé. Anthropocentrisme Dialectique θ Et quand Lu l'auras connu, quelle de la charité joie, songes-y, remplira ton cœur 1 Combien tu aimeras celui qui t’a ainsi aimé le premier® ! 4 En l’aimant, lu seras un imitateur de Sa bonté, et ne t'étonne pas qu’un homme puisse devenir un imitateur de Dieu7 : il le peut, Dieu le voulant8. 5 Tyranniser son prochain, vouloir l’emporter sur les plus faibles, être riche, user de violence à l’égard des inférieurs, là n’est pas le bonheur et ce n’est pas ainsi qu’on peut imiter Dieu ; bien au contraire, ces actes sont étrangers à la majesté divine. 6 Mais celui qui prend sur soi le fardeau de son prochain8 et qui, dans le domaine où il a quelque supériorité, veut en faire bénéficier un autre moins fortuné, celui qui donne libéralement à ceux qui en ont besoin les biens qu’il û la rigueur se comprendre tel quel, en supposant avec Meccham l'interruption voulue par l'auteur : on traduirait alors : « SI tu désires celte foi et commences â acquérir la connaissance du Père... ·. 2. Jn., 3, 16. 3. Gen., 1, 26-30. <1. Gen., 1, 26: I. Clem.. 33. 4. 5. Jn., 3, 16. 6. I. Jn., 4, 19. 7. Ëph., 5, I. 8. Le grec est ambigu : · lui le voulant ·, Dieu, pensons-nous, plutôt que l'homme. 9. Cf. Gai., 6. 2. 78 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ έθέλει, <δς ά> παρά του Θεού λαβών έχει, ταύτα τοις έπιδεομένοις χορηγών, θεός γίνεται των λαμβανόντων, ούτος μιμητής έστι Θεού. 7 Τότε θεάση τυγχάνων επί γης βτι Θεός έν ούρανοϊς πολιτεύεται, τότε μυστήρια Θεού λαλείν άρξη, τότε τούς κολαζομένους έπι τω μή θέλειν άρνήσασθαι Θεόν καί άγαπήσεις καί θαυμάσεις, τότε της απάτης τού κόσμου και τής πλάνης καταγνώση, όταν τό άληΟώς έν ούρανω ζην <έπιγνφς>, όταν τού δοκοϋντος ενθάδε θανάτου καταφρόνησης, όταν τον όντως θάνατον φοβηθής, δς φυλάσσεται τοΐς κατακριθησομένοις είς τό πυρ τό αιώνιον, δ τούς παραδοθέντας αύτω μέχρι τέλους κολάσει. 8 Τότε τούς ύπομένοντας ύπέρ δικαιοσύνης τό πυρ <τούτο> θαυμάσεις κάι μακαρίσεις, όταν εκείνο τό πΰρ έπιγνως. XI. Ού ζένα ομιλώ ούδέ παραλόγως ζητώ, άλλά άποστόλων γενόμενος μαθητής γίνομαι διδάσκαλος έθνών, τά παραδοθέντα <άξίως> ύπηρετώ γινομένοις αλήθειας μαθηταΐς. 2 Τίς γάρ όρθώς διδαχθείς καί λόγω προσφιλεί γεννηθείς ούκ επιζητεί σαφώς μαθεϊν τά διά λόγου δειχθέντα φανερώς μαθηταΐς ; οίς έφανέρωσεν ύ λόγος φανείς, παρ­ ρησία λαλών, υπό απίστων μή νοούμενος, μαθηταΐς δέ 6 δς S Hengel : όσα Ε. 7 έπιγνφς Bunsen : έπιγνώση F. 8 τοΰτο h Cunitz : το’ F dd. Esticnne τό πρόσκαιρον Otto’. in /. in margine: καί ώδε έγκοπήν είχε τό άντίγραφον F. XI, 1 άξίως Bunsen : άξίοις F. 2 in margine: ότι οί άγιοι δίνδρες έγνωσαν μυστήρια τοΰ Πατρός Ιι (eurndem leilum, mutilatum, praebet E, margine muribus corrosa). 1. «Régnant», plutôt, que «vivant», quo pourrait aussi signifier le mot πολιτεύεται (cf. Éph., 6, 9). 2. Cf. J. Cor., 14, 2. 3. La même expression, se retrouve dans Corp. Hermtlicum, XIII, 1, p. 200. Nock-Festugière. 4. Martyre de Polycarpe, 2, 2-3. 5. En marge : « Ici aussi le modèle présentait une coupure ». X DIOGNÈTE 79 détient pour les avoir reçus de Dieu, devenant ainsi un dieu pour ceux qui les reçoivent, celui-là est un imitateur de Dieu. 7 Alors, quoique séjournant, sur la terre, tu contempleras Dieu régnant dans la cité céleste1, tu commen­ ceras a parler des mystères de Dieu2, alors tu aimeras et admireras ceux qui sont torturés parce qu’ils ne veulent pas renier Dieu ; alors tu condamneras l’imposture et l’égarement du monde3, quand tu connaîtras ce qu’est vraiment vivre, quand tu mépriseras ce qu’ici-bas on appelle la mort, quand tu redouteras la véritable mort, réservée à ceux qui seront condamnés au feu éternel, châtiment définitif de ceux qui lui auront été livrés. 8 Alors tu admireras4 ceux qui endurent le feu d’ici pour la justice, et tu les proclameras bienheureux, quand tu auras appris à connaître cet autre feu......................................................................................................... * Le martyre et l’enfer XI. Je ne dis rien d’étrange, je ne recherche pas le paradoxe, mais docile aux leçons des Apôtres, je me fais le docteur des Nations. Je transmets exactement la tradition à ceux qui se font les disciples de la Vérité. 2 Qui, en effet, dûment instruit et engendré par la bienveillance du Verbe·, ne s’empresse pas d'apprendre pleinement tout ce que le Verbe a clairement enseigné ù ses disciples. Récapitulation De Verbe, se manifestant, le leur a manifesté, s’exprimant ouvertement’, incompris des incrédules, s’expliquant à ses disciples8 La révélation du Verbe C. D. P. Λ N Dm ESSEN (Rech. de Ihiol. anc. et mid., 1947, p. 134, n. 19) m’a encouragé ή rétablir le texte de F qu'on corrigeait généra­ lement, depuis D. P. Maran, de manière à comprendre : « devenu plein d’amour pour le Verbe» : cf. en effet /. Pierre, 1, 23: » régénérés que vous êtes... par le Verbe de Dieu ». 7. Passage difficile à ponctuer, et par là ambigu ; P. Roasknua, /tei-um, 1935, p. 249, traduit : «libere loquens — ab incredulis non intellectum, discipulis autem loquens qui ab ipso fidi habiti (dicta) intellexerunt — Patris declaravit mysteria ». 8. En marge : «Que les saints ont connu les mystères du.Père». 80 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΗΤΟΝ διηγούμενος, οι πιστοί λογισΟέντες ύπ’ αύτού έγνωσαν πατρύς μυστήρια. 3 ού χάριν άπέστειλε λόγον, ίνα κόσμω φανή, ος ύπδ λαού άτιμασθείς, διά αποστόλων κηρυχθείς, ύπό έθνών έπιστεύΟη. 4 Ούτος ό άπ’ αρχής, ό καινός φανείς καί παλαιός εύρεθείς καί πάντοτε νέος έν αγίων καρδίαις γεννώμενος. 5 Ούτος ό αεί, <ό> σήμερον υιός λογισΟείς, δι’ ού πλουτίζεται ή εκκλησία καί χάρις άπλουμένη έν άγίοις πληθύνεται, παρέχουσα νουν, φανεροΰσα μυστήρια, διαγγέλλουσα καιρούς, χαίρουσα επί πιστοΐς, έπιζητοΰσι δωρουμένη, οίς <ορκια> πίστεως ού Οραύεται ουδέ όρια πατέρων παρορίζεται. 6 Εϊτα φόβος νόμου αδεται καί προφητών χάρις γινώσκεται καί εύαγγελίων πίστις ίδρυται καί άποστόλων παράδοσις φυλάσσεται καί έκκλησίας χάρις σκιρτά. 7 *Ην χάριν μή λυπών έπιγνώση ά λόγος όμιλεϊ δι’ ών βούλεται, ότε θέλει. 8 "Οσα γάρ θελήματι τού κελεύοντος λόγου έκινήθημεν έζειπεϊν μετά πόνου, έξ άγάπης των άποκαλυφθέντων ήμΐν γινόμεΟα ύμίν κοινωνοί. XII. ΟΙς έντυχόντες καί άκούσαντες [ΐετά σπουδής εϊσεσΟε οσα παρέχει ό Θεός τοϊς άγαπώσιν όρΟώς, οί γενόμενοι παράδεισος τρυφής, πάγκαρπον ξύλον, εύΟαλοϋν, <άνατε(λαντες > έν έαυτοϊς, ποικίλοις καρποϊς κεκοσμημένοι. 2 Έν γάρ τούτο» τω χωρίω ξύλον γνωσεως καί ξύλον ζωής 5. ύ add. Lachmanu : oni. F. όρζια Lar.hmann : 3ρ·.α F. XII, 1 άνατείλαντες Eslienne : άνχτείλα|τε F (λα- in /. lineae, -τε in principio sequentis lineae: in marg. evanuisse potuit}. 1. Cf. Mari. Poltjc., 14, I. 2. Mémo mouvement dans /. Tim.. 3, 16. 3. /. Jn., 1, I ; 2, 13-14. 4. Acta Petri, 20, p. 345 Vouaux. 5. Cf. Ps„ 2, 7. 6. Le ms. F répété deux fois όρια : · les bornes do la foi, ... les bornes des Pères », ce qui paraît bien plat. Nous avons adopté la correction de l.achmann ; le texte ainsi obtenu trouve un parallèle chez saint Jérôme, Ep., 63, 2 : Scito nobis esse nihil antiquius quam Christi jura servare nec Patrum transferre terminos. La seconde A DIOGNÈTE 81 qui reconnus par lui comme ses fidèles reçurent la connais­ sance des mystères du Père1. 3 C’est pour cela que le Verbe a été envoyé : pour qu’il SC manifestât au inonde, Lui qui, méprisé par son peuple, a été prêché par les apôtres et cru par les nations2. 4 Lui qui était dès le commence­ ment3, il est apparu comme nouveau et fut trouvé ancien4 et il renaît toujours jeune dans le cœur des saints. 5 Éternel, il est aujourd’hui reconnu Fils5. La vie de *’ar ·”> l'Église s’enrichit, la grâce, l’Eglisc s’épanouissant, se multiplie dans les saints, conférant l’intelligence, dévoilant les mystères, révélant la répartition des temps ; elle se réjouit à cause des fidèles, elle s’offre à ceux qui la recherchent en respec­ tant les règles de la foi et en ne transgressant pas les bor­ nes® des Pères. 6 Et voici que la crainte de la Loi est chantée, la grâce des Prophètes reconnue, la foi dans les Évangiles affermie, la tradition des Apôtres conservée et que la grâce de l'Église bondit d'allégresse. 7 Cette grâce, ne la contriste pas, et tu connaîtras les secrets que le Verbe révèle par qui il veut, quand il lui plaît. 8 Tout ce que la volonté du Verbe nous ordonne, nous inspire de vous exposer avec zèle7, nous le partageons avec vous, par amour pour la révélation que nous avons reçue. XII. Approchez-vous, prêtez une oreille docile, et vous saurez tout ce que Dieu octroie à ceux qui l’aiment8 vérita­ blement. Ils deviennent un jardin de délices8 ; un arbre La Gnose chargé de fruits, à la sève vigoureuse, véritable grandit en eux et ils sont ornés des plus riches fruits. 2 Car c’est là10 le terrain où ont été plantés expression est une réminiscence de Pno., 22, 28 : · les bornes éter­ nelles que tes pères ont posées ». 7. ■ Avec zèle », ou · avec peine », < under stress (Meecham) ». 8. /. Cor., 2, 9. 9. Psaumes de Salomon, 11, 1-2 (cf. Gen., 3, 23 ; Joel, 2, 3). 10. L'âme du fidèle, ou l’Égliso ? Les deux sans doute. 82 ΠΡΟΣ Δ10ΓΝΗΤ0Ν πεφύτευται * άλλ’ ού τδ τής γνώσεως άναιρεϊ, άλλ* ή παρακοή αναιρεί. 3 Ούδέ γάρ άσημα τά γεγραμμένα·, ώς Θεός άπ* αρχής <ξύλον γνώσεως καί> ξύλον ζωής έν μέσω παραδείσου έφύτευσε, διά γνώσεως ζωήν έπιδεικνύς. ΊΙι μή καθαρώς χρησάμενοι οί απ’ αρχής πλάνη του οφεως γεγύμνωνται. 4 Ούδέ γάρ ζωή άνευ γνώσεως, ούδέ γνώσις ασφαλής άνευ ζωής αληθούς ' Διδ πλησίον έκάτερον πεφύτευται. 5 ΛΙΊν δύναμιν ένιδών ό απόστολος τήν τε άνευ αλήθειας προστάγματος εις ζωήν άσκουμένην γνώσιν μεμφόμενος λέγει * ή γνώσις φυσιοϊ, ή δέ αγάπη οίκοδομεϊ. 6 Ό γάρ νομίζων είδέναι τι άνευ γνώσεως αληθούς καί μαρτυρουμένης ύπδ της ζωής, ούκ εγνω · υπό τού οφεως πλανατα·., μή άγαπήσας το ζην. Ό δέ μετά φόβου έπιγνούς καί ζωήν έπιζητών έπ’ έλπίδι φυτεύει, καρπόν προσδοκών. 7 ‘Ήτω σοι καρδία γνώσις, ζωή δέ λόγος αληθής, χωρούμενος. 8 Ού ξύλον φέρων καί καρπόν <έρών> τρυγήσεις άεί τά παρά Θεώ ποΟούμενα, ών οφις ούχ άπτεται ούδέ πλάνη συγχρωτίζεται ' ούδέ Εύα φθείρεται, αλλά παρθένος πισ­ τεύεται. 9 Καί σωτήριον δείκνυται, καί απόστολοι συνετί- 3 ξύλον γνώσεως καί add. Bunsen : om. F. 8 έρών bh : *ρων F (lacuna unius lanium lillerae, supra quam εν secunda manus scripsit} έκπληρών Maran χωρών (uel συντηρών) Boehl φανερών Hefele εύρών Otto1 αίρών Otto* όρων Beiiss τηρών Andriessen. in manj.: ότι τήν Εναν, μή φΟειρομένην, παρθένον άποκαλει · φθαρεισαν δέ της παρακοής πάντως είσεδέξατο τό έπιτίμιον, δηλονότι. φΟαρεϊσαν F. 1. Gen., 2, 8-9. 2. Gen., 3, 7. 3. Encore un passage de construction incertaine : j’ai choisi le sens qui m’a paru le mieux s’accorder avec le § 6 qui suit et avec la référence implicite à Jfom., 7, 10. Mais on peut aussi comprendre, et plus d’un traducteur a compris, soit « la science qui s'exerce sans la vérité de la loi de vie», soit · que le serpent ne saurait atteindre m l’imposture infecter. Èvc n’est plus séduite, mais demeu­ rant vierge, proclame sa foi8. 9 Le salut se montre, les 4. I. Cor., 8, I. 5. Expression p&uliniennu : /ïom., 4, 18, etc. Γ». C'est là le passage le plus obscur de tout ΓΛ Diognète. Il a déjà provoqué l'étonnement, sinon le scandale, du copiste byzantin qui a noté en marge : · Pour l'auteur, Êve n’aurait pas été séduite ; il l’appelle vierge; mais séduite, elle l’a été, et a dûment reçu le châtiment de sa désobéissance; oui. séduite bel et bien ! ■. Lu cons­ truction est ambiguë : παρθένος est-il attribut ou sujet {ou du moins apposition au sujet)? Πιστεύεται est-il un passif ou un moyen? 84 ΠΡΟΣ ΔΙΟΓΝΙΙΤΟΝ ζονται, καί τό κυρίου πάσχα προέρχεται, καί <καιροί> συνάγονται καί μετά κόσμου αρμόζεται, καί διδάσκων άγιους ό λόγος ευφραίνεται, δι’ ου πατήρ δοξάζεται * ώ ή δόξα εις τούς αιώνας. ’Αμήν. 9 καιροί Sylburg : κηροί F (κηροί aine accentu, purum legibile, vidit b) χοροί -Maran πηραϊ Lachmann κλήρο·. Bnnsen κήποι Andriaasen. A DIOGNÈTE 85 Apôtres comprennent1, la Pâque du Seigneur approche, les temps3 s’accomplissent, l’ordre cosmique s’établit, le Verbe se plaît à enseigner les saints ; par Lui le Père est glorifié, â qui la gloire dans les siècles des siècles, ainsi soit-il. D’où au moins quatre sens possibles : · maintenant, mi là, soil, dans l'I'glise, Eve n'est plus séduite mais — est crue vierge, — une Vierge (Marie) est objet de foi, (Eve, toujours) vierge croit, une Vierge (Marie) croit ·; sans parier d'autres interprétations, moins probables, qui donneraient au verbe πιστεύεται un sens moins technique, comme · inspire confiance » (ainsi : Kleist duns le commentaire de sa traduction, coll. Ancient Christian writers, t. VI, p. 221 ; J. C. I’i.vmpe, Mater Ecclesia, coll. Studies in Christian antiquity, t. V, p. 27). Non sans avoir beaucoup hésité, nous avons choisi la troisième des solutions énumérées, qui peut invoquer, comme le montrera le commentaire, des textes parallèles «le Justin, 1rénée et Tertullien. Signalons ici, pour n’y pas revenir, un rapprochement avec Antipater de Bostra, Hom. sur l'incarnation, 10, P. G., t. LXXXV, c. 1781, qui souligne la convenance de l’incarnation, «afin que celui qui à l'origine avait été trompé par Ève fût sauve par in conception de la Vierge ». 1. Scil. «sont remplis d’intelligence» (cf. la même expression, appliquée aux Prophètes, dans Hippolyte, In Daniel., III, 2, 3), — plutôt que · sont compris » (Otto), · sont interprétés » (Radford). 2. En adoptant l'heureuse conjecture de Sylburg ; le texte de F donne : · les cierges sont apportés et (en lisant avec Beurer αρμόζονται au pluriel) sont disposés en bon ordre ». COMMENTAIRE Tel est. ce petit écrit, « plein de finesse et d'élégance en même temps que de sentiment1 » dont « le mérite rare »2 a inspiré à ses admirateurs tant de qualificatifs enthousiastes : ·■ perle n de l’apologétique du n« siècle, voire de l’antiquité chrétienne3 ; parmi « ce que les Chrétiens ont écrit de plus brillant en green4 ; nil n'y a pas d'œuvre chrétienne, en dehors du Nouveau Testament, qui touche autant le cœur du public moderne »a. Il ne faudrait pas toutefois surfaire scs mérites, au risque de provoquer, par reaction, des jugements assez défavora­ bles, comme ceux auxquels s’est par exemple® laissé entraîner J. Geflfcken qui refuse à son auteur toute origina- 1. A. PbECil, Histoire de lu lillêrulurc grecque chrétienne, l. Il, Paris. 1928. p. 217-218. 2. A. Pukch, l.es apologistes grecs du /7« siècle de notre ire, Paris, 1912, p. 263. 3. 1. M. Sailer, Der Brief an Diognelas, eine. Perle des chrisllichen Alterlhums, dans Brïefe ans allen Jahrhundcrten..., t. I, Munich, 1800, p. 37 ; W. Heinzelmann, Dec Brief an Diognel, die Perle des chrisllichen Allerlums, ühersel:l und geunïrdigt, Erfurt, 1896; J. DK Ghellinck, Palristique el moyen âge, t. Il, Bruxelles-Paris, 1947. p. 71 ; t. Ill, ibid., 1948, p. 125. 4. E. Norden, Die anlike K n nsiprosa, t. IIs, Leipzig-Berlin, 1909, p. 513, n. 2. 5. IL B. Swkte, Diognelus (Epistle lo·) dans Encyclopaedia Britannica", !.. VII, p. 395. 6. On pourrait aussi rapporter des appréciations assez, maussades sorties de la plunio d’A. Harnack, Geschichle der allchristlichen Lileratur, t. II, Chronologie, 1, Leipzig, 1897, p. 515 (apologétique pâle, rhétorique pateline); Die .Mission und Ausbreitung des Christentums*, Leipzig, 1921, t. I, p. 186, n. 2 {jugement discuté plus bas, p. 129, n. 1); de IL Lietzmann, Histoire de. Γ Église ancienne, t. IL trad, fr., p. 189 ; même pessimisme chez E. J. Goodspeed, .4 history of early christian literature, Chicago, 1942, p. 147-118. 90 COM.M ENTAI KE lité de pensée et va jusqu’à le traiter de journaliste super­ ficie!1, ou, avec moins d’anachronisme, de «■ vrai Sophiste chrétien »1 23 . Une certaine divergence d'appréciation s’explique : ce texte a pu plaire à des lecteurs différents pour des mérites divers et des raisons parfois opposées. Des lettrés ont pu être séduits par l’élégance et la simplicité de sa langue, par l'art très adroit qui utilise sans effort les ressources de la rhétorique traditionnelle et, pour tout dire, par la beauté du style : on comprend qu’un aussi bon juge que Wilamowitz l’ait retenu, comme un témoin de choix de l’hellénisme chrétien, pour son recueil de Lectures grecques2. L'humaniste pouvait lui savoir grc de présenter en quelques pages d’une lecture aisée un résumé des thèses fondamentales de l'ancienne apologétique chrétienne, alors que ce caractère sommaire et rapide lui vaudra les dédains de l’historien de la pensée chrétienne à qui cette lecture n’apprend, lui semble-t-il, rien de nouveau. Toutefois, cette première impression surmontée, il doit convenir qu'on trouve dans la Lettre à Diognète autre chose que des banalités : elle constitue un témoignage insigne de la foi ct de la mentalité du christianisme antique ; le théologien y relève, formulées avec une netteté ct un bonheur d'expression incomparables, quelques thèses capitales sur le r51e des Chrétiens dans l'économie cosmique et dans l’histoire : parcelles d’or pur qui, à elles seules, justifieraient le travail minutieux dépensé à l’étude de notre texte, à l’examen toujours repris du problème délicat de son auteur et de sa date. 1. J. Gevfckf.n, Zwci griechische Apvlogdrit, I.eiprig-Berlin, 1907, p. xi.i ; cf. p. 271. 2. In., Der Brief an biogneivt, Heidlcberg, 1928, p. vi. 3. U. von Wilamowïtz-Mokli.endohp, Griechixchts l.exebucii*, Berlin, 1926, II. p. 357-363; notes, p. 225-227. COM.Μ ΕΝΤΛΙ BE 91 Π convient d abord d en reconnaître ... . . . . . . et d en préciser la nature et le carac­ tère. On notera que le titre traditionnel, Lettre d Diognète, n’est dû qu'à l’initiative du premier éditeur Henri Estienne qui a pris sur lui d’ajouter le mot Lettre à l’intitulé du manuscrit qui portait simplement : du même (saint Justin, philosophi· et martyr) à Diognète. Initiative gratuite, et, semble-t-il, malheureuse : rien ne suggère qu’il s’agisse d’une lettre ; la présence à la première ligne, du vocatif Excellent Diognète, a la valeur d’une simple dédicace et ne possède pas le caractère d’une salutation épistolaire1. Rien n’est plus fréquent dans {’Antiquité que de voir la dédicace d’un traité ainsi intégrée à la première phrase de l’œuvre : qu’il suffise de rappeler aux origines de la littérature chrétienne, le début de VEvangile selon saint Luc (1,3: « Excellent Théophile n) et celui des Actes des A pâtres ( 1, 1 ). Le fait que notre auteur présente son exposé comme une réponse à des questions de Diognète ne suffit pas davantage à faire de son œuvre une lettre : le traité Du Christ et de l'Antéchrist d’Hippolyte, commence lui aussi par une référence aux demandes sur ce sujet par le dédicataire1 2 : personne ne juge nécessaire d’en conclure que ce traité est une Épttred Théophile. Si Henri Estienne avait voulu à toute force completer le titre du manuscrit de Strasbourg, il aurait été mieux avisé de choisir le mot rie Λόγος, « Discours «, comme il l’avait fait pour le Discours aux Grecs qui, dans le ms. F précède immédiatement notre texte, et qui est comme lui Le titre 1. L’aurait-clle, que cela ne suffirait pas Λ établir le caractère épistolaire de notre texte : cf. Théophile d’ANTiociie, A Autel., Ill, 1 : «Théophile ù Autolycus, salut I » Or ce livre 111 n’est certai­ nement pas une lettre, indépendante des 1. I-II de cette apologie. 2. Hippoi.yte, De anlichr., I, p. 3, Achelis : « Tu m'avais demandé, mon cher frère Théophile, de le donner des éclaircissements sur les propositions que je t’avais sommairement exposées... ». Cf. encore, Saint C.YPniRN, Ad Demclrianum, 1-2, p. 351-352 llartel. 92 COMMENTAMES intitulé elliptiquement « du même (toujours Justin) aux Grecs». Mais une telle addition était-elle nécessaire? Un titre de la forme A Diognète. n’avait rien de surpre­ nant pour le lecteur antique1 : des formules de ce genre apparaissent souvent employées, au moins depuis le iv*·· siècle avant Jésus-Christ1 2 ; pour ne pas nous éloigner du genre littéraire auquel, comme on va le voir, se rattache notre récit, rappelons les titres : .4 Autolycus de l’apologie en trois livres de Théophile d'Antioche, Ad Scapulani de Tertulücn, Ad Donatum, Ad Fortunatum, Ad Demelrianum de saint Cyprien34 . Discours ou traité, Λόγος, donc , , ,, . ‘ plutôt que lettre·* ; nous pouvons préciser davantage, comme aimait à le faire la critique littéraire antique qui disposait cette fin d'un vocabulaire d'une si remarquable technicité5 : nous avons ici un Λόγος _ À. . , Caractères généraux 1. C’est pourquoi, malgré P. Andnikssen, Itech. Thiol. Ane. d Mid., t. XIH, 1946, p. 237-238, je ne vois pas de raison de le suspecter : l’attribution, erronée, à Justin n’entralnc pas la condam­ nation de la seconde partie, si naturelle, du titre de F. 2. Voir par exemple dans la bibliographie d’Arislippe de Cyrène fournie par Diogène-Laércc, II, 85, les titres «A Lais», «A Poros », • Λ Socrate ». 3. Sur ces opuscules, cf. M. Pellegrino, Studi su l’antica apoloifdica, Rome, 1947, III, San Cipriano apologda, p. 107-149. 4. Cf. à l'appui de cette conclusion II. G. Mefxiiam, The episile lo Diognelus, p. 8 (emploi insistant de termes comme · dire · «entendre, écouler », λίγειν, άκούειν, etc. : I, 2; II, I; 10). N'en exagérons pas la portée : écrire une lettre en autorisant son desti­ nataire â la communiquer et adresser un ouvrage à un dédicataire, étaient, dans l'antiquité chrétienne, deux actes que ne séparait qu’une faible nuance : cf. à ce propos mon article La technique de l'édition ά l'époque palrishque, dans Vigiliae Christianae, t. Ill, 1949, p. 221-222. 5. Voir, par exemple, le titre du Remerciement à Origine de saint Grégoire le Thaumaturge, Εις Όριγένην προσφωνητικός καί πανηγυρικός λόγος, ou le sous-titre du Traité du Saint-Esprit de saint Basile, προσφωνητικώς προσερωτήσαντος. Cu.m mentaire 93 απολογητικός και παραινετικός1, une Apologie qui se développe et s’accomplit en une Exhortation. Sans préjuger de la solution qu’il conviendra d’apporter au problème controversé de sa date, notre écrit en effet, par son contenu et ses traits généraux, se laisse rattacher sans effort à un genre littéraire bien connu de l’ancienne littérature chré­ tienne : il n’est pas de lecteur tant soit peu familiarisé avec celle-ci qui n'aura relevé dès l’abord les points de contact étroits qui existent entre Γ.4 Diognète et la série des anciennes Apologies, qui commence vers les années 100-110 ou I201 avec la Prédication de Pierre1 23 et se continue à travers tout le second siècle par les écrits bien connus (s’ils ne sont pas tous intégralement conservés) de Quadratus, Aristide, Justin, Tatien, Miltiade, Apollinaire de Hiérapolis, Méliton de Sardes, Athénagore, Théophile d’Antioche, ou chez les Latins, de Minucius Felix et Tertullien, puis au m*-· siècle avec Clément d’Alexandrie, Origène, saint Cypricn, etc. Les memes thèmes sont repris à nouveau avec une ampleur sans cesse accrue, dans les siècles suivants, par Arnobc, Lactance, saint Athanase4, saint Jean Chry- 1. CL dans notre ms. F. n° II, le titre de V Exhortation aux Grecs. d ii Ps.-Justin, Λόγος παραινετικός πρός "Ελληνας ; on pourrait aussi proposer, en se référant notamment à Clément d’Alexandrie, Λόγος προτρεπτικός. 2. Pour la date, voir plus loin, p. 240, n. 2. 3. .le me permets de rappeler au lecteur qu’il ne faut pas confondre la · Prédication de Pierre », Κήρυγμα Πέτρου, apologie perdue du début du second siècle, connue par les fragments que nous en a conservés en particulier Clément d’Alexandrie, avec les «Prédications de Pierre », Κηρύγματα Πέτρου, écrit judéo-chrétien dont la critique moderne conjecture l'existence et qui serait à la source des Réco­ gnitions Clementines: voir il son sujet, en dernier lieu II. J. Schoeps, Théologie ttnd Gesehichle des Judenltims, Tübingen, 1949, et Aux /rühchrisllicher Ze.it, Tübingen, 1950, auteur dont la terminologie peut prêter â confusion. 1. Pour scs deux livres Contre les païens, écrits un peu avant 323 : cf. P. Th. Camelot, Sources Chrétiennes, t. XVI, p. 15-16. 94 COMMENTAIRE sostomc1, saint Cyrille d’Alexandrie, Macairc de Magnésie, Isidore de Péluse2 ou Théodoret de Cyr, pour ne rien dire des auteurs plus récents3. Une étude plus attentive ne fera que mettre davantage en évidence les rapports étroits de notre texte avec celte tradition littéraire, et, tout parti­ culièrement avec ses plus anciens représentants, ceux des années 120-200. Soulignons dès maintenant que l’association des deux thèmes deT Apologétique et de l’Exhortation appartient bien à cette tradition : chez tous les apologistes du il® siècle on peut relever le même souci de faire servir leur défense du Christianisme à la propagande de la vraie foi4, bien que chez aucun d’eux ce second thème ne reçoive la place d'honneur qu’elle occupe dans Γ/l Diognèle. La chose n’a, du point de vue psychologique, rien que de très naturel : quelle efficacité pratique pouvait-on espérer de ces écrits, évidemment destinés au public païen? Agir sur l’opinion publique et par contre-coup obtenir du pouvoir impérial un 1. Notamment avec sa Démonstration pour les Juifs et les Grecs que le Christ est Dieu, P. G., L 48, c. 813-838. 2. Il avait écrit trois livres, perdus, Contre les Grecs: cf. Ep., II, 137 et 288, P. G., t. 78, c. 580 et 661. 3. Cf. les indica lions fournies par notre Introduction sur la riche production de l’apologétique byzantine. •1. Voir à ce sujet M. Pellegrino, Sludi su l'anlica apologelica, II, L’clemento propagandislico e prolreUico negti apologetici greci del II. secolo, p. 1-G5 (remaniement d'un mémoire paru dans Hi vista di Filologia, t. LXIX, 1941, p. 1-18; 97-109). L'auteur, s’avançant dans la voie frayée d'abord par W.Jfiger et devenue chère à l'érudition italienne (E. Riguone, G. Lazzati, !.. Alfonsi, S. Mariulti), cherche à retrouver do plus dans nos textes chrétiens les < motifs > tradi­ tionnels de la littérature de propagando philosophique issue du Protrcplique. d'Aristote. Ses rapprochements ne paraissent pas tous convaincants, mais col aspect particulier de sa démonstration n’importe pas à notre, sujet. Concernant spécialement Γ.4 Diognclc, cf. ses pp. 58-61 ; 63-64; et depuis : L. Ai.foxsi, Spu ni i protrellici c fîlosoflci ne.ll’ Epistola a Diognelo, dans Pivixla di fllosofla neoscolasliea, t. XXXIX, 1947, p. 239-241. COMMENTAIRE 95 changement d'altitude? Peut-être. Mais combien moins incertain et plus immédiat devait être cet autre but : amener le lecteur à la religion chrétienne, après avoir réfuté les objections qui l’écartaient de la foi ! L’exhorta­ tion apparatt comme la contre-partie positive qu’appelle normalement l’argumentation défensive. En fait, on retrouve, brièvement esquissé, ce même appel à la conver­ sion dans la conclusion des Apologies d’Aristide1, de saint Justin1 2, de chacun des trois livres de Théophile3, — et. chez celui-ci, déjà, avec plus d’insistance ; le thème « protrcplique » s’affirme ensuite au premier plan chez. Clément d’Alexandrie. Mais il serait inexact de voir là le fruit d’un développe­ ment progressif et, pour Γ.4 Diognèle, l’indice nécessaire d’une date relativement récente, car dès le début du 11e siècle la Prédication de Pierre présentait les mêmes caractères. Il faut s'entendre en effet lorsqu’on place celle-ci en tête de la série de nos Apologies* : la Prédication de Pierre contenait bien, sans doute, l'essentiel des arguments qui seront inlassablement repris contre les païens et les Juifs, mais, dans la mesure où tes trop rares fragments conservés nous permettent de nous faire une idée de celte œuvre, il semble bien que l'apologétique défensive ne s'y présentait pas à l’étal isolé mais qu’elle y était comme enrobée dans un contexte a protrcplique », associée à une profession de foi positive que l’auteur, conscient de sa mission apostolique, proposait, d’un ton pathétique et pressant, à l’acceptation du lecteur45. 1. Ahistjue, Apol., 17, 6-8, cf. 15, 6. 2. Justin, // A pal., 15, 4-5, cf. /. Apol., 18, 2; I I, 13; 55, 8; 56, 3-4. 3. Théophile û'Antiociie, Ad AuloL, I. 14; II, 38; 111, 30. 4. J. N. Hkagan, The Preaching o/ Peter, the beginning o/ Christian apologetic, thèse . I. Cf. H. Dklbhayb, Les passions des martyrs el les genres lilléraires, p. 266-268. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 123 Tintée, puis celui d’Hésiode, Eustratc expose l'économie chrétienne du salut, ce qui le conduit à opposer la vie des chrétiens à celle des païens, ce qu’il fait d'une manière qui par moments, rappelle de très près celle de l’A Diognète. L'affabulation, le contexte cl l’enchaînement des idées sont cependant assez différents ; il s’agit, de deux traditions parallèles et on ne saurait penser à une dépendance mutuelle : Cf. A Diognile, Actes de S. Euslrale, c. 27' : V, 12 : {Les Chrétiens) sont mis â mort mois ils gagnent la vie. VI, 8 : Ils habitent dans le corruptible en attendant l'incor­ ruptibilité qui est dans les deux. Notre corps est vaincu, mais notre esprit est vainqueur ; nous succombons à la corruption, mais c'est en incorruptibilité que se transforme pour nous celte chute, — la mort. Nous nous détournons de votre genre «le vie, à vous qui vivez comme des brutes et nous aspirons à l'immortalité angélique. Nous ne tenons pas les yeux fixés vers la terre, comme les bêtes et nous no sommes pas semblables à ce bétail qui se dit humain, mais la têt© haute, nous con­ templons le ciel où se trouve notre cité. C'est à vivre comme là-bas que nous nous attachons, tandis que nous sommes encore dans le corps, et nous assumons déjà la citoyenneté spirituelle. Nous savons qu'entre notre âme et le corps, c’est une guerre implacable et continue; aussi, raisonnant avec sagesse, nous refusons d'être complices des passions de ce corps mortel et Ibid.: Immortelle, l’âme habite une lento mortelle. X, 2 : A eux seuls, Il a permis de redresser la vue jusqu’à Lui. V, 9 : Ils séjournent sur la terre, mais sont citoyens du ciel; cf. X, 2. V, 10 : Leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois (humaines). VI, 5 : La chair déteste l’âmo cl lui fait la guerre sans en avoir reçu de tort, parce qu’elle l'empêche «le jouir des plaisirs. I. P. G., t. CXV1, c. 500 AB et C ; cf. le texte latin, par endroits assez, différent, du grec (mais c’est sans doute ici le fait du traducteur qui tour à tour abrège ou paraphrase), Bib!. Casin.. Ill, Flor., p. 202 b. 124 COMMENTAIRE VI, 9 : L'âme devient meilleure en se mortifiant par la faim et la soif. par nos ferventes prières nous repoussons ses tentations et ses plaisirs. Nous nous exerçons sans cesse à élever notre pensée et à mortifier nos membres par la force d'âme et l'abstinence des plaisirs. Opposant, ensuite les vices des païens aux vertus chré­ tiennes, le saint est amené à conclure : X, 7 : Quand lu mépriseras ce qu'ici-bas on appelle la mort, quant tu redouteras la véritable mort réservée à ceux qui seront condamnés au feu éternel... Vous, vous connaîtrez non seulement la mort du corps mais aussi celle de l’âme; nous, nous avons appris de notre Seigneur Jésus-Christ que l'esprit animera de nouveau le corps, soumis pour tous à lu même corruption, et le rendra éternel. A i,éfaut de l’originalité (mais celleci n'est pas le seul mérite que puisse présenter une œuvre), nous pouvons du moins apprécier les valeurs intrinsèques de notre texte. La forme, pour com­ mencer : tout change, disions-nous, lorsqu’on atteint la fin du ch. IV, tout, — et d’abord le style. Un souille nouveau anime l’exposé : visiblement l’intérêt passe des mots aux choses, et pour le plus grand bien des mots. Le style devient plus simple1, les phrases cessent d’être complexes ou embarrassées : les propositions deviennent brèves, élémentaires, la coordonnation cède bientôt la place à la juxtaposition pure et simple. Non certes que dans cette simplicité l’art soit absent. Il y a là beaucoup de variété et d'habileté dans la disposition : le ch. V s’ouvre en guise de prélude par un groupe-de proposi­ tions négatives : « les Chrétiens ne sont pas... » (V, 1-3), Qualités du Style 1. El du coup la tradition manuscrite devient plus sûre : les copistes successifs, aidé·* par celte simplicité, et soutenus par l'intérêt du texte, paraissent l’avoir moins altéré ; comme le montre l'apparat critique, il n'y a d’hésitations que pour quelques détails. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 125 puis l’auteur pose sa these fondamentale, — le paradoxe de cette société spirituelle qui est dans le monde sans être du monde (V, 4) ; le développement, ou mieux, l’illustration qui suit, adopte tout naturellement un rythme antithé­ tique : « Les Chrétiens sont, ou font..., — mais non comme les autres hommes... ». D’où une longue série d'affirmations pareillement balancées, mais dans lesquelles l’auteur a su éviter toute monotonie : la série se déroule selon un tempo progressivement accéléré : les propositions se font plus brèves, le rythme plus haché, le ton change, se charge de lyrisme, atteint au pathétique, et nous conduit à la fin du ch. V à un paroxysme. Le début du ch. VI amène d’abord comme un apaisement : nous redescendons sur le plan doctrinal ; la pensée a fait un pas de plus et nous propose une expression positive de ce qui, jusque-là, n’était défini que comme paradoxe et mystère : d’où la célèbre formule : « ce que l’âme est dans le corps les Chrétiens le sont dans le monde ». Mais la mise en œuvre de ce thème réintroduit bientôt contrastes et anti­ nomies, et par suite, le recours à l’antithèse ; cependant, comme il s’agit d’une proportion à quatre termes et non plus d’un simple rapport, cette deuxième nappe de propo­ sitions antithétiques et d’une structure plus complexe et d’une expression plus raffinée que la première, elle se développe aussi largement, et conclut adroitement par une affirmation un peu imprévue, à la façon des cadences de Mozart, qui empêche la mémoire de se fixer sur ce rythme obsédant de l’opposition (VI, 10). Parlerons-nous ici à notre tour de rhétorique? Oui, si, comme il convient ά l’histoire, nous dépouillons ce mot des résonances péjoratives que l’inculture et la suffisance des modernes lui avaient associées1. La rhétorique n’est pas une maladie du style, mais une science positive que l’on 1. Sur ce procès à reprendre, voir nies réflexions ap. Saint Augustin et la fin de la culture antique, (II) Retractatio, Paris, 1949, p. 665 sq. 126 COMMENTAIRE doit compter, avec la géométrie pure et la théorie musicale, au nombre des plus remarquables conquêtes de l’esprit rationnel des anciens Grecs. Elle ne fait, après tout, qu’analyser et classer les procédés les plus efficaces de l’art littéraire : tout bon écrivain applique ses lois sans le savoir, ou, s'il l'a su, sans que sa sincérité et sa spontanéité en soient nécessairement diminuées. Il est naïf d'imaginer que la pensée puisse être saisie en deçà de ses moyens d’expression, et ceux-ci peuvent, toujours être repérés dans l’inventaire, si soigneusement classé, de l’ancienne rhéto­ rique. Nous pourrions poursuivre plus avant notre analyse, et comme s’y est attardé Geffcken1, relever, après les anti­ thèses, une paranomase en V, 7, une épanalepse en V, 16-17, comme plus loin des polyptotes en VII, 4-6, IX, 1,5, 6, des hypophores en VIT, 2 ou 3, IX, I. pour ne rien dire des figures de mots1 2. Qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! Mais, pédantisme mis à part, cet effort n’est pas beaucoup plus fécond que celui que poursuivent par exemple les théoriciens de la musique dodécaphonique lorsqu'ils dissèquent la plus innocente mélodie en « motifs » de deux ou trois notes : dans les deux cas l'analyse ne fait que mettre en évidence une structure élémentaire, inévita­ blement sous-jacente à toute expression organisée, qui n’aide en rien, ou si peu, à la compréhension du sens, qui seule importe. Mais déceler dans un texte une « figure de pensée », et lui attacher l'étiquette appropriée, laisse intact le problème que pose la pensée elle-même que cette figure peut avoir servi à exprimer : nous pouvons dénombrer, dans ces deux 1. Dans son commentaire : Der iJrief on Diognctos, j>. 18**, 19”, 21 ”, 25«, 21“, 25», 25«·; cf. 17“. 2. On pourrait aussi analyser le rythme, relever et classer les clausu les : cf. Gupfckkx, ibid., p. v et ap. Zeitschrift f. Kirchen· geschichle, t. 43, 1924, p. 349-350 ; P. Andribssen, ap. llech. de Thiol, one. el mid., 1946, p. 31-35. 127 LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE chapitres V-VI, trente-six antithèses : faut-il en conclure qu'il s’agit d’un procédé appliqué jusqu’à l’abus et ajouter une fiche au dossier de l’« asianisme »? Derrière les mots il y a les choses : si la présence des Chrétiens dans le monde était, bien de fait un « paradoxe » (V, 4), si l’opposition de deux pôles antinomiques était profondément inscrite dans le réel? Il est banal de rappeler que l’expression du mystère chrétien a toujours conduit scs interprètes, de saint Paul à saint Augustin, que dis-je. à Kirkegaard, à couler leurs formules dans un moule antithétique, à penser par anti­ thèse’ : l'J Diognète s’insère tout naturellement dans cette tradition. Filiation doctrinale et influences littéraires s’y rejoignent et conjuguent leurs effets. Notre auteur, c’est là un de ses caractères les plus frappants, a beaucoup pratiqué saint Paul : son style est comme tissé de réminiscences pauliniennes1 2. Ce caractère est particulièrement accusé ici lorsque, vers la lin du chapitre V (11-16), l’expression, ainsi que nous l’avons noté, tend vers un paroxysme lyrique : pour exprimer dans sa plénitude cette émotion religieuse, l'auteur, bien fidèle en cela à une tradition attestée par toute la littérature patristique3, se tourne vers l'Écrilure, en fait ici vers saint Paul, et lui emprunte ses formules : tout ce passage est rédigé au moyen d’expres­ sions extraites de II Cor, 6, 9-13, et de I Cor. 4, 10-13, appliquées au cas présent, avec la hardiesse habituelle aux Pères dans l’usage du sens accommodalice, car l'auteur entend du rôle des Chrétiens vis-à-vis du « monde > ce que saint Paul disait du ministère apostolique, et spécialement 1. Cf. par exemple, à propos do saint Paul, E. Norden, Die anlilce Kunslprosa*, l. 11, p. 507-508. 2. Nous l’avons déjà souligne plus haut, p. 102, n. 5; cf. en général l’utile relevé de P. Roasbnda, Il pensiero paolino nell'Epislola a Diognelo, duns Aevum, t. IX, 1935, p. 468-473. 3. Cf. par exemple mon Saint Augustin..., p. 498-503. 5 128 COMMENTAIRE du sien propre, en l’opposant à la vanité des Corin­ thiens1. Ici encore nous pouvons apprécier la maîtrise de notre auteur : ces emprunts, pour denses qu’ils soient, ne sont pas réalisés de façon mécanique, à la manière d'un centon ; très subtilement termes et expressions pauliniens sont assimilés au contexte et s’y fondent sans en rompre l’unité : .4 II. Cor., ch. 6 : Diognète, ch. V : I!. Ils aiment tous les hommes et tous les persécutent. 12. On les méconnaît, on les condamne ; on les lue et ils gagnent la vie1. 13. Ils sont pauvres et enri­ chissent un grand nombre; ils manquent de tout et ils sura­ bondent en toutes choses. 9. Comme méconnus et pour­ tant bien connus ; comme mou­ rants et voici que nous vivons ; comme châtiés et non mis à mort. IOh. Comme pauvres, mais enrichissant un grand nombre; comme n'ayant possédant tout. rien mais I. Cor., chap. 4 : 14. On les méprise et dans ce mépris ils trouvent leur gloire; on les calomnie et ils sont justi­ fiés. 15. On les insulte et ils bénis­ sent ; on les outrage cl ils hono­ rent. 10e. Vous pleins de gloire, nous méprisés. 13*. Étant calomniés, noue supplions. 12‘‘c. Étant insultés, nous bénissons; persécutés, nous sup­ portons. 16. Ne faisant que le bien, ils sont Châtiés comme des scélé­ rats ; châtiés, ils sont dans la joie comme s’ils naissaient â la vie. 9e. (Tenus) pour punis mais sans être mis à mort. 10». Pour affligés, mais tou­ jours dans la joie. II. Cor., chap, fi : 1. Et, accessoirement, il applique au mime objet ce que la /. Petri (cf. n. suivante) dit de la passion du Sauveur. 2. Le rapprochement antithétique de ces deux verbes est une réminiscence non plus de saint Paul mais de lu /. Épltre de Pierre, 3, 18 : (Christ) » mis â mûri quant à la chair, mais rendu ù la vie quant a l’esprit ». LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 129 Richesse Mais revenons an fond : à trop do la pensée s'attarder sur l’examen de ces procédés stylistiques, on courrait le risque de donner au lecteur l’impression que notre écrivain s’intéresse à l'agencement des mots plus qu'aux idées qu’il exprime. Rien de plus injuste qu’un tel jugement1. On pourrait l'admettre à la rigueur pour les chapitres 11-1V où, nous l'avons vu, il n'y a pas grand chose en effet en dehors d’un effort pour parer de quelque grâce l'expression d’une pensée assez indigente et d’ailleurs empruntée, que l’auteur ne se montre capable ni d'enrichir ni de renouveler. Dans les ch. V-VI. la situation est tout autre : le style, sobre et dépouillé, s’efface derrières les idées ; celles-ci passent au premier plan : elles jaillissent et se pressent, frémissantes, neuves, variées ; dans le moule uniforme et très élémentaire de l’antithèse, l’auteur jette successive­ ment, suivant un rythme rapide, les divers aspects selon lesquels se renouvelle son idée fondamentale. Ce ne sont pas seulement des variations autour d’un même thème, mais bien une série d'idées nouvelles dont chacune souligne J. Aussi no puis-je accepter les jugements péjoratifs formulés par Harnack et Geffcken (et cités au début de ce Commentaire) ; mais Harnack était un grand historien cl il savait expliciter scs postulats, au moment même où il cédait ù ses préjuges : la note de Mission und Ausbreiluny*, t. I, p. 186, n. 2, qui ose déclarer : « Le tableau si vanté des ch. V-VI de la Lettre ù Diognète est un beau morceau de rhétorique, mais pus grand chose de plus », souligne quo notre auteur a su faire la synthèse de trois thèmes distincts : le haut idéal moral du Christianisme, son éloignement du monde, son inté­ riorité, — qui lui permet de se plonger dans le monde sans s'y souiller, et elle conclut que pour faire un tissu cohérent de ces thèmes, « il faut ou bien être à la hauteur du IV® Évangile, — mais il est tout à fait impossible de situer aussi haut l'auteur de la Lettre —, ou bien ne prendre tout A fait, au sérieux aucun des points de vue envisagés ·. Voilà la question très nettement posée, mais j'y répondrai du façon opposée : à mes yeux, l'auteur do Γ/l Diognète prend ses idées tout à fait au sérieux et c'est pourquoi je n’hésite pas â conclure qu’il est un très profond penseur. 130 COMMENTAIRE un aspect de l’inépuisable mystère de la présence chrétienne dans le monde. Tout cela un peu en vrac, sans ordre ni plan systématique­ ment ordonné : que nous sommes loin du « sophiste » qu’on voudrait nous faire imaginer, d’un patient et méticuleux arrangeur de mots ! Mais non, c’est une pensée bouillon­ nante, toute proche encore du feu de l'inspiration et de la découverte, qu’une main fébrile cherche à noter; comme il arrive, tous les aspects convergents d’une thèse féconde se présentent ù la fois à l’esprit, et celui-ci, préoccupé avant tout de n’en rien laisser perdre, n’a pas le temps de classer et d'ordonner ses brèves notations. C’est pourquoi notre commentaire renoncera ici à suivre pas à pas le déroulement du texte ; pour faire l’inventaire de scs richesses, il convient de procéder à un regroupement de ses différents aspects et de les présenter maintenant selon une classification plus rigoureuse. Écartons d’abord ce qui relève de l’anticipation pure et simple : idées jetées en passant, parce qu'elles se sont présentées à l'esprit, mais que l'auteur, en fait, réserve à plus tard et développera dans un autre secteur de son plan : c’est le cas, en V, 3, pour la thèse de l’origine révélée et non humaine, de la doctrine chrétienne, qui sera reprise en détail au cours de la troisième partie (VII, 1-2, avec référence à notre anticipation; VIII, 1, 6); de même, en VI, 9, est suggérée l’idée bien connue : le sang des martyrs est une semence de Chrétiens1, idée qui devait réapparaître plus loin dans un développement dont, par suite d'une mutilation de l’archétype, nous ne possédons plus que la conclusion en VII, 7-9. Situation Quant à ce qui relève du sujet des chrétiens proprement traité par nos deux chapi­ tres, il semble qu'on puisse en faire deux parts corrcspon1. l’ouï· reprendre la formule de Tkîitülurn, Apol., 50, 13 : « semen est sanguis Christianorum ». LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 131 dant, en gros seulement, aux deux chapitres V et VI : les idées que nous grouperions dans la première consti­ tuent une analyse de ce que Péguy eût appelé la « situation faite » aux Chrétiens dans le monde, leur situation de fait, que tout observateur attentif pouvait constater, même du dehors. Dans ses questions Diognète avait parlé de « ce nouveau peuple», καινόν τούτο γένος; l'auteur proteste avec vigueur : au sein du monde (par ce mot évidemment il entend non l'univers au sens cosmique, le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, mais tour à tour soit Voekoumène, la terre habitée par les hommes, soif, le genre humain luimême, l’ensemble de l’humanité, même si, en fait, son horizon se limite à la société civilisée, représentée1 pour lui par l'Empire romain), les Chrétiens ne sont pas un n peuple », une race d’hommes particulière, comme étaient par exemple les Juifs, et que définirait une ethnographie plus ou moins pittoresque : langue, costume, habitat et coutumes spécifiques (V, 2-4}*. Il est intéressant de souligner avec quelle pénétration Γ/l Diognète traite ici un thème classique de l’ancienne apologétique. La Predication de. Pierre avait donné l’exemple de diviser l’humanité en trois « peuples » ou races η, γένη : à côté des doux « anciens peuples « grec et juif, les Chretiens objets de la « nouvelle » alliance prennent place, constituant une «troisième race», τρίτον γένος123. 1. Voir, pour lu premier aspect, V, 1-9 ; VI, 2-4 ; pour le second, V, 10-17 ; VI, 5 e. Un tel emploi du mot ne saurait surprendre sous la plume d’un auteur aussi familier que le nôtre avec le Nouveau Testament : cf. H. Sasse, dans G. Kittel, Theologitchu WCrier bn ch N. T., s. v. κόσμος, § Λ 7, C 3-4, t. III, p. 879, 887-896 ; cf. déjà Na.7., 10, 1, Adam père du « monde », πατέρα κόσμου. 2. On observera comment Γ« anticipation » notée en V, 3, inter­ rompt la continuité du présent développement. 3. Fragm. V {Clément d*AI., Strom., VI, 5, 41).· 132 COMMENTAIRE Aristide avait repris la notion1 et le mot, en donnant à celui-ci son acception la plus stricte; pour lui les Chrétiens forment véritablement un « peuple », une « race » d'hommes, qui fait descendre sa lignée généalogique à partir du Christ, ol δέ Χριστιανοί γενεαλογοΰνται απδ τού Κυρίου ’Ιησού Χριστού12, exactement comme les « Barbares » sont issus de Kronos et de Rhéa3, les Grecs d’Hellèn et les Juifs d'Abra­ ham4 ; l’idée pouvait être susceptible de recevoir une utilisation apologétique5, mais notre auteur, visant plus loin et plus profondément, la refuse ; il n'accepte pas de voir les Chrétiens isolés en quelque sorte par leur spécificité même, parqués en un ghetto ; leur religion est universelle ; les Chrétiens peuvent n’être, de fait, statistiquement, qu’une minorité dans la société humaine, dans le « monde » : ils n’en représentent pas moins de droit une société uni­ verselle, immanente à l’univers entier (comme il sera explicité en VI, 2) : c'est là un point dont l’importance et la fécondité nous apparaîtront bientôt. Les préoccupations apologétiques ne sont cepen­ dant pas en dehors de l’horizon de notre auteur : il se rattache visiblement à ce secteur apologétique de la litté­ rature du n® siècle, qui est avant tout une protestation indignée contre les persécutions : oui, les Chrétiens sont 1. Aiiistidr, A pal., 2 ; Aristide parait avoir cherché à perfectionner cette classification, mais les divers témoins de son texte se laissent difficilement accorder (cf. Gekpcken, Zwei yriech. A poloy., p. 4 3 s.) : selon le grec, il y a bien trois «genres » d'hommes : Chrétiens, Juifs et Païens, eux-mêmes subdivisés en Chaldéens, Grecs et Égyptiens ; selon l'arménien Cl le syriaque, il y en a quatre : Barbares, Grecs, Juifs et Chrétiens. 2. Apol., 15, 1. 3. Id., 3, 2 (textes arménien et syriaque:. ■t. Id., 8, 1. p. 10-11 ; 14, 1. p. 21-22. 5. Comme a bien su l'observer M. Simon, V’rrus Israel, p. 136 : si on reconnaît aux Chrétiens la qualité de · peuple », ils peuvent revendiquer le droit de vivre, comme chaque peuple, conformément à leurs lois propres, τά πάτρια. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 133 haïs, persécutés, mis à mort ; Païens et Juifs1 s’acharnent contre eux (V, 11, 12, IG, 17), — mais à tort. D’où, pour justifier les Chrétiens des accusations redoutables qui pesaient sur eux ces touches rapides posées d’un mot en passant, et si discrètement que l’une au moins a pu échapper à l'attention du copiste : V, 6, chez eux pas d'abandon d’enfants ; c’est là l'écho assourdi d’une argumentation a fortiori (ils sont donc incapables d’aller jusqu’au crime rituel) que nous retrouvons développée chez nombre d'apo­ logistes2 ; V, 7, leurs repas fraternels, ne connaissent pas d’orgies incestueuses3. Diognète sans doute ne s'était pas arrêté à ces imputations grossières, mais il s’était fait l’écho de l'accusation non moins répandue, nous l’avons rappelé, de a nisanthropie » : « Pourquoi dédaignent-ils le monde, le » I f i 1. Les Juifs (V, 17} comme les Grecs : texte à verser au dossier d’une question très discutée : quelle n été la part de responsabilité des Juifs dans tes persécutions des premiers siècles ? Mûs par une passion soit anti-, soit philosémite, les historiens l’ont tour à tour exagérée ou niée (voir en dernier lieu la bonne discussion do M. Simon, Verus Israël, p. 11-1-151}. Il est difficile d’utiliser notre texte soit dans un sens soit dans l'autre, car l'auteur peut avoir en vue le martyre de saint Étienne plus que tels événements précis de l’histoire postérieure, comme l’hostilité manifestée contre l’église de Judée par Har-Kochcba lors du soulèvement de 135 (cf. Justin, I. Apol., 31, 5-6). 2. Justin, I. Apol., 27, 1 ; AthAnacoru, Suppl., 35 ; Théophile, Ad Auto!., ill, 15, etc., jusqu’à TuêODOrbt, Grace, affeci, curalio, IX. 51 s., p. 131 Sylb. 3. Je n’nl pas hésité à adopter la correction de Dom Maran, κοιτήν pour κοίνην, ce qui donne, littéralement : « ils dressent une table commune, mais non une couche (commune) ». Le texte du ms. F signifie : · ils mangent comme tout le inonde, mais non comme tout le monde · ; on pourrait y voir une allusion aux idolothytos (cf. le texte parallèle d'AniSTiDE, Apol., 15, 5), plutôt qu’à l’eucha­ ristie (comme le suggérait A. Puf.ch, Hixl. de la lilt. grecque chrcl., t. II, p. 220, n. 1); mais Diognète aurait-il pu saisir une allusion aussi voilée et d'expression si platement paradoxale ? Bien de plus naturel au contraire que de penser aux « incestes d’Œdipe » après la référence de V, 6 aux « festins de Thyeste · : les deux accusations sont constamment associées. 134 COMMENTAIRE regardent-ils de haut», ύπερορώσιν (I, 1 c) : d'où l'intérêt qui s’attache pour l'auteur à bien souligner que les Chré­ tiens n’en remplissent pas moins leurs devoirs de citoyens (V, 5 b), qu'ils obéissent aux lois établies (V, 10) ; s'ils paraissent s’opposer aux coutumes généralement reçues autour d’eux, c’est seulement aux « plaisirs » (coupables, immoraux ou cruels) de la civilisation corrompue de l'Empirc qu'ils en ont (VI, 5). Mais quoi, les Chrétiens ne seraient donc rien d’autre qu’une catégorie d’innocents injustement persécutés? Puisque l’auteur leur a refusé l’originalité un peu facile que leur eût conférée la qualité de « peuple » particulier, il faut bien qu’ils en possèdent une autre de nature plus subtile : c’est en cela que réside le a mystère » annoncé (IV, 6), leur étonnant « paradoxe (V, 4). La situation des Chrétiens dans le monde implique une synthèse d’immanence cl de trans­ cendance. D'une part il est vrai que les Chrétiens sont présents au monde (VI, 2) ; à les voir, rien ne les distingue des autres hommes (V, I), mais ce qui fait d’eux les Chré­ tiens, leur religion, leur piété, le culte qu’ils rendent à Dieu, la relation spécifique qui s'établit entre eux et Lui, en un mot leur Οεοσεβεία, relève d’un autre ordre, celui de l'invi­ sible (VI, 4). Pour rendre ce mystère sensible à Diognète, l’auteur met en œuvre des notions empruntées à la structure politique, si complexe, du Haut Empire romain ; l’unification de l’état romain avait laissé subsister les cadres de la cité antique au sens étroit du mot ; l’homme qui quitte le municipe (ou la colonie) dans lequel il est inscrit pour aller s'établir dans un autre n’acquiert pas normalement, le droit de cité dans celui-ci : il continue à compter comme citoyen dans sa ville d’origine, et dans son nouveau domicile est considéré comme o étranger», πάροικος (V, 5), en latin incola. D’autre part, mis à part les Romani di Horna, les citoyens romains sont à la fois inscrits dans l'une des trente-cinq Iribus de la grande Rome et dans les registres 135 LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE de leur cité particulière, municipe ou colonie. Quelque chose d'analogue à une telle double appartenance se retrouve dans la situation des Chrétiens : ils relèvent bien des diverses cités terrestres où la naissance les a placés (V, 4), niais en même temps sont a citoyens du ciel » (V, 9)1. Bien entendu l'analogie n'est que partielle : il y a infini­ ment plus de distance entre le monde et la Cité de Dieu qu’entre deux municipes de l'Empire ou même entre l’un d’entre eux et la grande cité romaine, les deux plans ne sont pas comparables. Bien qu'ils se comportent en parfaits citoyens de lu cité terrestre, les Chrétiens s’y considèrent toujours comme étrangers de passage : la patrie terrestre n’est, pas leur vraie patrie (V, 5), leur Royaume n’est pas de cette terre (VI, 3). Dans une page éloquente et perfide2, Renan a cru pouvoir tirer de notre texte une justification de la persécution païenne : Quand une société d'homrnes prend une telle altitude an sein de la gronde société, quand elle devient dans l'Étnt une république ft part, fûUelle composée d'anges, elle est un fléau. Ce n’est pas sans raison qu'on les détestait, ces hommes en apparence si doux et si bienfaisants. Ils démolissaient, vraiment l'empire romain. Ils buvaient sa force ; ils enlevaient à ses fonctions, Λ l’armée surtout, les sujets d'élite. Bien ne sert, «le dire qu’on est bon citoyen, parce qu'on paye ses contributions, qu'on est aumônieux, rangé, quand on est en réalité citoyen du ciel et qu'on ne tient la pallie terrestre que pour une prison où l'on est enchaîné côte à côte avec des misérables*. Il y «i beaucoup d’outrance polémique dans cette indigna­ tion : des deux aspects du problème, Renan oublie, ou feint d'oublier, l’immanence : les Chrétiens, nous le savons, 1. Il y a peut-être ici un souvenir direct de Philon, De. confus, liny., 77-78, qui parle des « sages selon Moïse » dans les mêmes termes que Γ.-1 Diognilc, ici, des Chrétiens. 2. Marc-Attrilt cl la fia du monde antique, p. 428. 3. Renan semble introduire dans l’image de la « prison · une nuance étrangère Λ la pensée antique : si l'âme y rencontre des compagnons de chaîne, ce sont dc-s malheureux comme elle, des frères en infortune, non des «misérables» dont elle ait. ft rougir. 5-1 136 COMMENTAIRE ne s’isolent pas dans leur ghetto, au sein de la grande société ; l’.l Diognèle nous les a montré répandus dans toutes les cités entre lesquelles se distribue le monde (V, 4) et nous allons voir leur présence comparée à celle de la force vitale de l'âme diffusée dans toutes les parties du corps (VI, 2). Mais il reste l’autre aspect, la transcendance : il est vrai que les Chrétiens ne se reconnaissent pas comme définis avant tout parleur insertion dans la cité terrestre, cette demeure provisoire, tente ou prison (VI, 7-8). D’où le « paradoxe » de leur situation : comme ils règlent en fait leur conduite sur une antre table de valeurs que celle du monde (V, 9-10), le sort qui leur est réservé dans celui-ci ne compte pas à leurs yeux ; les formules paulinicnnes que nous avons vues adaptées en V, 11-16, prennent de la sorte une signification profonde : peu importe aux Chrétiens d’être mis à mort, privés de tout, méprisés, calomniés, maltraités ; rien de ce que le « monde » peut leur faire ne porte atteinte à ce qui importe vraiment pour eux, qui connaissent la vraie vie, les vraies richesses, la vraie gloire, la vraie justification, la vraie joie... Mais, et c'est par là que nous glissons insensiblement au second ordre de considérations que nous avons annoncé, il n’y a pas simplement juxtaposition antinomique du monde et des Chrétiens, de 1'apparence et de la réalité invisible mais bien synthèse entre immanence et transcendance, rapport étroit, interaction entre les deux plans. Le monde n’est pas seulement pour le Chrétien le lieu des fausses valeurs, il est aussi un instrument au service de l’acquisition des vraies. Avec beaucoup d’habileté (car sous le désordre apparent on découvre une progression, un approfondissement graduel de l'idée), cette notion est suggérée à partir de V, 14 ; aux antithèses pures et simples qui se succèdent avec régularité depuis V, 8, l’auteur substitue1 un rapport plus nuancé : 1. La précision n’est pas dans le texte de saint Paul qui lui sert de modèle : U. Cor., 6, 10 c. r LES CHRÉTIENS DANS I.E MONDE 137 « ils sont méprisés, mais c’est dans cc mépris qu’ils trouvent leur gloire » : les épreuves qu’on leur inflige sont pour eux une occasion, un moyen de conquérir le triomphe... L’idée s’exprime enfin ouvertement en VI, 9 grâce à la comparai­ son avec l’ascèse : de même que l’âme, en lutte avec un corps qui résiste â son inspiration supérieure, se perfectionne grâce aux macérations qu’elle lui impose, de même les Chrétiens profilent des persécutions que leur fait subir le monde où ils sont plongés, et bien entendu pas seulement pour s'accroître par le nombre. Ce rapport. d’interdépendance n’est * pas a sens unique : le monde n’est pas seulement utile aux Chrétiens ; ceux-ci, ont un rôle positif à y jouer : c’est là cc qui donne toute son ampleur au « mystère », chrétien, à la merveilleuse « disposition » de leur société spirituelle. Nous parvenons ici au centre même de la pensée de notre auteur, à cette thèse justement fameuse, vrai titre de gloire de notre petit écrit. Elle commence elle aussi par être très discrètement insinuée : nous pouvons saisir sa première apparition très exactement en V, 13b au cours du couplet antithétique inspiré des f'pîlres aux Corinthiens: et cette fois c’est une citation expresse de saint Paul qui va l’exprimer et, à la fois, la garantir ; l’auteur, comme déjà l'Apôtre, ne se contente pas d'opposer le dénûment apparent des Chrétiens à leur richesse spiri­ tuelle, il précise : » ils sont pauvres, mais ils enrichirsent un grand nombre ». On le voit, il ne s’agit plus ici seulement des Chrétiens eux-mêmes, de leur heureuse destinée, de leurs progrès, de leur manière d’utiliser leur insertion dans ce monde pervers pour le plus grand profit de leur intérêt transcendant, mais bien d’une fécondité pour les autres, pour le monde lui-même, de la présence, de l’action des chrétiens dans son sein. C’est là ce qui donne sa résonance profonde à la remarque finale (VI, 10) sur l’interdiction du suicide : être chrétien ce n'est pas seulement être occupé à faire son salut (comme dit trop souvent encore la piété t j L âme du monde 138 COMMENTAIRE moderne, si facilement oublieuse de ces perspectives grandioses), mais c'est jouer un rôle dans le monde, son rôle, celui qui revient au Chrétien, suivant la place, où Dieu l'y a appelé. L’idée s’exprime avec une netteté et une vigueur incom­ parables sous le voile d'une comparaison, dans la belle et solennelle formule qui ouvre le chapitre VI, où l’auteur a bien conscience d’avoir réussi à ramasser, dans une appré­ hension unique, toute une thèse aux multiples aspects : En un moi, ce que l’âme est dans le corps, c'esl cela que les Chrétiens sonl dans le monde... Le problème pour nous est de déterminer la signification exacte, la portée théologique d’une telle proposition. La difficulté est qu’elle se présente à nous comme un parallèle, une comparaison, et chacun sait, toute comparaison est boiteuse : jusqu'où doit-on pousser l’analogie entre les deux volets du diptyque? Nous pouvons du moins apprécier ce que cette figure évoquait dans l'esprit d’un lecteur antique : 1’auteur s’est appuyé sur un certain nombre de notions d’origine philosophique, devenues familières depuis de longs siècles à tous les lettrés. Ce tableau contrasté des rapports de l'âme et du corps, l’antithèse posée avec violence entre l'une et l'autre, le caractère irréductible de leur opposition, tout cela s’ali­ mente à la grande tradition platonicienne : la référence est même-quasi explicite : qui pouvait, qui peut ignorer que l’image du corps prison de l’âme (VI, 7) vient tout droit du Phédon1 et à travers Platon de la langue technique des mystères? : celle de la tente (VI, 8)8 n'était pas moins devenue familière à la même tradition123. Par contre la 1. Phédon, 62 b ; cf. Axiochos, 365 fi ; Philolaûs, fr. 15 | Diels, Vorsokraliker*, § 44); AthênaGORB, Suppl., 6; Corp, hcrm., VI11, 3, p. 88 Nock-Eestugière. 2. Que l'auteur, pour son compte, a emprunté au Nouveau Testa­ ment, 11. Pierre, 1. 13 (σκήνωμα), II. Cor.. 5. I (σκήνη) ; cf. Soÿ., 9, 15 (id.). 3. Axiochos, 366 a ; l’hnago avait derrière elle une longue histoire LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 139 description du rôle de l’âme nous renvoie plutôt à l'ensei­ gnement du stoïcisme : rien de plus stoïcien1 que celte manière d’évoquer la présence immanente de l’âme « répandue dans toutes les parties du corps » (VI, 2) ; mais les deux traditions se rejoignaient pour décrire la vie morale comme une lutte âpre et acharnée contre le corps et ses mauvais penchants (VI, 5 ; 6 ; 9). D’autre part, rien de plus naturel pour le public antique, que d’éclairer l'analyse du monde par un rapprochement avec les rapports de l’âme et du corps : l’homme n’csl-il pas comme un microcosme en rapports étroits avec le macrocosme, composé des mêmes éléments, réflétant sa structure comme un miroir fidèle, apte par suite à le symboliser ; la notion, sinon les mots, est déjà attestée chez les vieux philosophes du vi· siècle, Anaximandro, Héraclite cl Pythagore...2 ; c’est là une doctrine qui n’a cessé d’être présente à la pensée antique et qui constitue une de scs assises fondamentales. Par suite, tout naturellement, on devait venir à penser que cet univers conçu à notre image était lui aussi un organisme vivant, et qu’il devait, comme l’homme, posséder quelque chose comme une âme : c'est à Platon que revient d’avoir le premier formellement élaboré la théorie d’une « «âme du monde », et cette notion, un moment oblitérée dans l’Aristolélisme, reprend avec le Stoïcisme une vigueur que nous pouvons faire remonter jusqu'à Démociute, fr. 187 {Dihls, Vorsokraliker*, § 68}. !. Cf. E. Zhllrr, Die Philosophie der Gricchen, III, 1*, p, 197-203 ; cependant, au degré de généralité où se maintient notre auteur, cette description ne met en œuvre que des notions banales, communes à presque toutes les écoles philosophiques hellénistiques, et d’ailleurs issues de Platon lui-méme {Lois, X, 898 e) : cf. A. J. Festugiûhk, La Jliuilalion d'Hermis Trismtgisle, I. II, Le Dieu cosmique, Paris, 1949, p. 154, n. 1. 2. B. Allers, Microcosmus /rom Anaximandros lo Paracelsus, dans Traditio, t. Il, 1944, p. 318-407, et, sur cette question d'origine, spécialement p. 338-343. no COMMENTAIRE nouvelle1 ; elle aussi s’est imposée de façon comme naturelle à tous les hommes de l'antiquité, débordant bien au-delà des cercles proprement philosophiques, comme on peut le voir par les écrits hermétiques1 2 : son prestige fut assez grand pour s’imposer, malgré d’assez vives répugnances3, à la pensée des Pères de l’Eglisc; elle continuera à hanter plus ou moins celle du Moyen Age, avant de connaître à nouveau une grande faveur chez les penseurs de la Renais­ sance humaniste, — pour ne pas descendre jusqu'au Romantisme allemand. Nous touchons là encore à un des piliers sur lesquels reposait lu mentalité commune des hommes de l’époque hellénistique et romaine (les tenants de quelques sectes aberrantes, Épicuriens ou Sceptiques, mis à part), et on comprend que l’auteur de 1Ά Diognèle ait pensé à y appuyer à son tour l’expression de sa pensée. Mais il est un aspect du moins de celle-ci qui était de nature à surprendre et à étonner ses lecteurs. Si variées que fussent les philo­ sophies antiques, elles s'accordaient en général pour souli­ gner la parenté de nature qui unissait l'âme universelle et les âmes humaines, et à les mettre, de quelque manière, en rapport l’une et les autres avec un même principe divin. Pour les Stoïciens par exemple, c'est le même pneuma, souffle igné, matériel mais très subtil, et pour tout dire divin (on l’identifie à Z.cus), qui, d’une part, o répandu dans toutes les parties du corps» anime chaque homme, et d’autre part pénétrant par mélange intime dans toutes les parties du cosmos, a maintient, soutient », συνέχει, celui-ci. La doctrine, ou du moins le vocabulaire, est à peu près fixé à partir de Cléanthc d’Assos, bien que chacun des grands docteurs de l'époque lui imprime sa marque propre 1. Cf. eu général : J. Mokeau, L'âme du monde, de Platon aux Stoïciens, Paris, 1939. 2. Ainsi, Corp, hermelicum, X, 7, p. 116, Nock-Fostugiérû ; XI, 4-5, p. 118 s. ; Asclepius, 16-17, p. 315. 3. Cf. lot textes rassemblés par H. Ai.i.ehs, art. cil., p. 356. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 141 et bien des perfectionnements subtils1 ; mais sur le plan de la vulgarisation elle s'exprime par des déclarations simplistes, comme celles de Sénèque : « Ou’est-cc que Dieu? l'âme universelle »*. La place occupée dans l’univers par Dieu est celle-là même de l’âme chez l'homme, le rôle dévolu là à la matière l’étant ici au corps...123. Il importe peu à notre propos de rappeler comment chaque philosophie, dans sa perspective propre, offrait une doctrine plus ou moins parallèle : ainsi chez Plotin, le rôle d’Ame universelle au sein de laquelle n coexiste la variété infinie des âmes individuelles » sera dévolu à la troisième Hypostase, émanée de Nous, comme le Noûs de l’Un4. Il faut simple­ ment souligner avec quelle hardiesse l’auteur de 1Ά Diognèle invitait son lecteur païen à reconnaître à la commu­ nauté des Chrétiens ce meme rôle de conducteur, ηγεμονικόν, que la pensée traditionnelle s’accordait à reconnaître à Dieu, on du moins à un principe de nature divine. Transférer aux Chrétiens, c'est-à-dire à l’Église, tout ou partie du rôle de présence, d’animation, d’action de Dieu au sein du monde peut paraître chose toute naturelle à un théologien chrétien en possession de la doctrine du Corps mystique (ce qu’on dit du Christ peut, dans une certaine mesure, sous réserve des précisions nécessaires, s’entendre également «le son Corps), — et pouvait déjà être toute naturelle à un auteur comme le nôtre, que son style même nous montre profondément influencé et comme nourri par saint Paul ; mais il y avait là de quoi remplir de stupéfac­ tion un lecteur encore étranger à l'enseignement chrétien, à 1. G. VERiiKKK, L'évolution de la doctrine du Pneuma, du stoïcisme à S. Augustin, Paris-Louvain, 1945, p. 34-37 ; 55, G8, ete. Et du mémo : Klcanlhes van Assos, dans les Verhandelingen de (’Académie flamande de Belgique, Kl. d. Lett., t. XI, 9. Bruxelles, 1949. 2. Natur. Quaesi., 1, praef., 13. 3. Lettres à Lucilius, 65, 24. 4. Voir en dernier lieu F. Cvmont, Lux perpetua, Paris, 1919, p. 348-349. 142 COMMENTAIRE qui l'idée d’un tel transfert au profit d'une société concrète composée d’hommes réels était profondément étrangère. S’il est un texte païen qui mérite d’être mis en parallèle avec notre exposé, c’est bien un passage du fameux traité pseudo-aristotélicien Du Monde, ce précieux témoin du syncrétisme philosophique de l’époque romaine1 où se combinent la tradition d’Aristote et les infiltrations stoï­ ciennes ; au cours du beau développement consacré précisé­ ment à décrire l’action animatrice de Dieu sur le monde, l’auteur, après l’avoir successivement comparée à celle du roi Achéménide, de l'ingénieur, du montreur de marion­ nettes, du maître de chœur, du général d’armée, en vient à proposer une nouvelle similitude pour faire sentir la possibilité de cette action réelle quoique secrète : L'âme qui nous fait vivre ct habiter dans des maisons et des cités est elle aussi invisible et pourtant se révèle par ses œuvres, c’est par elle que loti! ce qui régie la uie a été découvert, ordonné ct sc trouve maintenu, συνέχεται, labour cl plantations, inventions techniques, pratique des lois, ordre de la cité, administration intérieure, guerre extérieure, paix. 11 faut en penser nutant de Dieu qui par sa force est le plus puissant, par sa beauté le plus noble, immortel quant ù la vie, suprême en vertu : invisible à toute nature mortelle il se révèle par ses œuvres, car tous les phénomènes qui sc passent dans l’air, sur la terre et dans l'eau sont bien les œuvres de Dieu maître du monde*. La comparaison des deux textes fait éclater le contraste : elle était bien en vérité un a étonnant paradoxe d (V, 4), cette doctrine de la présence chrétienne au sein du monde que l'auteur de l’.-l Diognète offrait à son lecteur. Raison de plus pour chercher à en pénétrer le « mystère d : comment se1 2 1. Cf. à son sujet A. .1. I-'estugièhe, La Révélation d'Hermès Trismégisle, I. II, Le Dieu cosmique, Paris, 1919, p. 190-518, ct notamment p. 479, pour la date (début du I»r siècle de notre ère ? En tout cas, au plus lard, début du IInd; mais tenir compte des réserves de P. UoYANCft, Revue des Ët. grecques, 1950, p. 308). 2. De mundo, 6, 399 b 14-25 (éd. W. L. Lorimer, Paris, 1933) ; cf. la traduction de FBSTUOiftnE, op. cil., p. 473. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 143 représentait-il effectivement ce rôle d’élément directeur, inspirateur, unificateur? II faut reconnaître qu’il est volontairement demeuré 1res discret sur ce point (IV, 6). et l'exégète doit avancer ici avec prudence et précaution. Une premiere interprétation se présente tout naturelle­ ment à l'esprit, et il faut d'abord en tenir compte, encore qu’elle soit exotérique et trop apologétique : on pourrait dire que les Chrétiens «animent» le inonde parce qu’ils représentent, au sein de la société humaine, un type supé­ rieur de moralité et de vertu. Par son enseignement ct sa discipline le Christianisme tend à former et à fournir au « monde » des soldats disciplinés, de bons citoyens, des maris et des femmes, des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs, des rois et des juges, (pie dis-je des contribuables et des percepteurs également irréprochables1. Je n’hésite pas, on le voit, à prendre le contre-pied de la thèse soutenue par Renan : celui-ci nous invite12 à comparer le u tableau de la république chrétienne » fourni par nos chapitres V-VI à « la description de la cité idéale de Lucien, liermoiune 22-24», — elle aussi composée de citoyens parfaitement sages, tous courageux, justes, tempé­ rants, etc. Mais il oublie de souligner que ce n’est pus au sein de la « république chrétienne », de leur πολιτεία céleste, que ces vertus trouvent à s’exercer, — mais bien dans la cité terrestre, et pour le plus grand avantage de celle-ci. Le détachement radical du chrétien vis-à-vis de sa patrie terrestre n'est pas comme celui du Cynique3 fait d’indifférence : si, en toute patrie, ils ne se considèrent que comme des hôtes de passage, iis n’y accomplissent pas moins tous leurs devoirs de citoyens, en assumant toutes les charges (V, 5). Le mot décisif est prononcé en V, 10 : ils obéissent aux lois établies, mieux encore par leur façon 1. Pour reprendre la pittoresque énumération de saint Augustin, Izp., 138, 2 {15) ; cf. déjà De moribus eccl. calh., 1, 30 {63). 2. Marc· Aurite, p. 424, n. 3. 3. Cf. Festugièrb, La Révélation d'iiermés, t. Il, p. 154, η. 1. 144 COMMENTAIRE de vivre ils l’emportent en perfection sur les lois ». De cette supériorité morale l’auteur nous cite plusieurs cas concrets: «iis rendent le bien pour le mal (V, 15), aiment ceux qui les détestent (VI, 6)», s’opposent par leur exemple à la corruption ambiante (VI, 5) ; sans parler du trait final : l’interdiction du suicide assimilé à une désertion (VI, 10)’. Il n’y a là rien de surprenant : le christianisme depuis scs origines s’est toujours présenté comme une religion de sainteté, impliquant un haut idéal de moralité personnelle et sociale12 et, comme il est naturel, l’ancienne apologétique n’avait pas manqué d’en tirer argument3. Mais nous n'en sommes toujours qu’à l’écorce : il est bien évident que, dans la pensée de l’auteur, le rôle des Chrétiens ne se limite pas à cette fécondité indirecte et en quelque sorte subor­ donnée. La comparaison avec le rôle de l'âme dans le corps est affirmée de façon trop absolue et trop générale, trop complaisamment développée (VI, 1-9), pour que nous ne cherchions pas à lui conférer la signification la plus profonde : les Chrétiens remplissent dans le monde une fonction analogue à celle qui, dans la pensée hellénistique, était couramment dévolue à l'âme cosmique. C’est ce 1. Non certes que l'idée fût étrangère à la pensée païenne : les termes mêmes dont se sert Ici l’autour nous renvoient à un texte célèbre de Platon {Apol., 2Ü a) ; mais, de fait, c’était bien là un des points où l'idéal moral des Chrétiens l’emportait sur les mœurs et la mentalité commune aux premiers siècles de notre ère. 2. Cf. A. Harnack, Die .Mission und Ausbreitung des Chrislentumi, I·, livre II, ch. V, «Die Religion des Ge.istes und der Kraft, des silllichen Ernsles und der lleiligkeit ·. 3. Ainsi, Justin, /. Apol., 12, 1-1; Tertullien, Apol., 45; Ad Scapul., 2 ; etc. On retiendra, comme particulièrement apparenté à l'argumentation de notre texte (V, 10), le témoignage de Clément d’Alexandrie, Prolrepliipie, X, 1U8, 4-5, et de Lactance, Divin. insl., VI. 23, 21 : « unus quisque igitur quantum potest formet se ad verecundiam, pudorem colat, castitatem conscientia et mente tueatur ; nec tantum legibus publicis pareat, sed sil supra omnes irges qui legem Dei sequitur ·. r LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 145 qu’exprime très nettement la formule si révélatrice de VJ, 7 : comme l’âme du corps, les chrétiens contiennent (au sens fort, étymologique), soutiennent, maintiennent, συνέχουσι, le monde, sont pour lui un principe de cohésion interne, d'unité, de permanence et de vie. Formule plus facile à paraphraser qu'à traduire, tant elle est chargée de sens* : elle suppose acquis tout l’apport de la pensée antique et particulièrement stoïcienne ; συνέχειν est en effet un terme technique de la philosophie du Portique, qui lui servait précisément à décrire l'action du pneuma divin animant le monde1 2. Mais si la doctrine est relativement claire dans la perspective matérialiste et moniste de la cosmologie stoïcienne, nous avons beaucoup plus de peine à concevoir comment un penseur chrétien pouvait réaliser la transposition inattendue qui, dans un « monde » créé par un Dieu transcendant et, au surplus, considéré avant tout en tant que composé d’hommes libres, confiait un rôle analogue à la présence immanente, au sein de cette huma­ nité, de la communauté chrétienne. L’auteur ici ne nous aide en rien à surmonter la difficulté que représente pour nous son mode d’expression méta­ phorique ; comment lire au-delà de la lettre de son texte? Plutôt que de faire usage du droit d’hypothèse reconnu à l'historien, il me parait indiqué d’essayer de confronter l’exposé trop mystérieux de notre A Diognèle avec les anciens textes chrétiens appartenant au milieu de culture qui a dû voir éclore le nôtre, et qui se trouvent exprimer, 1. Je ne puis m’associer à l’effort de Moecham (The epistle to Diognelus, p. 115, ad 7) pour affaiblir la portée de ce passage : il voudrait prendre συνέχει non dans son sens philosophique, mais dans l’acception matérielle · hold in charge, keep under arrest », Soil « détenir · comme un policier délient un malfaiteur arrêté (d’où sa traduction, à vrai dire, assez éloignée do ce sens propre : curbs, restrain, « maîtriser, réfréner ») : cette interprétation ne paraît s’accorder ni au contexte, ni aux parallèles que nous allons citer. 2. Voir par exemplo les textes de Chrysippe ap. H. von Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, l. 11, p. 144 sq., 439-4-19. 146 COMMENTAI BE sous une forme analogue, une doctrine plus ou moins apparentée. Doctrine Une Ldle confrontation avec la traditionnelle tradition répond d'ailleurs à une exigence plus générale pour un lecteur chrétien, car un texte comme le nôtre ne pose pas seulement des problèmes d’exégèse et d’histoire littéraire : comme à propos de tous les écrits transmis par l'antiquité chrétienne, il convient d’examiner si nous avons là une fantaisie individuelle, une boutade ou une esquisse jetée un jour par un penseur isolé, ou au contraire s'il a exprimé à sa manière une doc­ trine qui fait authentiquement partie du trésor de la pensée proprement chrétienne, de la tradition théologique de l’Églisc ; pour reprendre une distinction classique, ce texte qu’étudie l’histoire de l'a ancienne littérature chrétienne», doit-il être reconnu comme un témoin autorisé de la tradi­ tion « patristique » ? Le La réponse ne saurait faire de doute : Nouveau Testament sous une forme originale et hardie, c’est bien une thèse authentiquement chrétienne qui nous est ici proposée : en utilisant la double similitude de l’âme humaine et cosmique, l’auteur ne fait que transposer, dans des cadres familiers à la philosophie hellénistique, l’ensei­ gnement même du Seigneur tel qu’il s’exprime dans les paraboles fameuses du Sermon sur la Montagne: Vous êtes le sel de la terre. Si le sel s'affadit, avec quoi lui rendrat-on sa saveur ? Il n’est plus bon Λ rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde ; une ville située au sommet d'une montagne ne peut être cachée, et on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu’ainsi votre lumière brille devant les hommes afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux*. C’est bien évidemment la même idée, mais nous avons 1. Mallh., 5, 13-16. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE I 17 échange une comparaison contre une double parabole dont la portée véritable demande elle aussi à être définie avec précision. « Sel de la terre »? Il faut sans doute l'expliquer par un rapprochement1 avec la prescription rituelle du Léuilique, 2, 13’ : Tout ce quo Lu présenteras en oblation sera salé, tu ne laisseras pas le sel de l’alliance de ton Dieu manquer Λ ion oblation ; sur toutes les offrandes lu offriras du sel, cc qui donne à l’image une portée liturgique : les Chrétiens seraient ce par quoi la « terre n (équivalent du « monde > de notre texte) devient une offrande acceptable à Dieu, acquiert la qualité d'une oblation sacrificielle : leur rôle est en quelque sorte de caractère sacerdotal. Mais l'allusion suppose une familiarité avec l'ambiance paléotestamentaire qui, hors des milieux judéo-chrétiens, dut bientôt devenir exceptionnelle. En fait, saint Augustin, par exemple, ne songe plus qu'aux usages communs du sel, et par suite reconnaît aux Chrétiens le double rôle de v donner une saveur» et a d’empêcher la corruption » du monde, c'cst-àdire, comme il précise heureusement, des peuples de la terre, et cela en particulier par la prédication apostolique123. La présence des Chrétiens dans le monde lui donne une 1. Suggéré par le texte, plus ou moins parallèle de Marc, 9, -19-50 : < Car tous seront salés par le feu. C'est une bonne chose que le sel, mais si le sel devient Insipide, avec quoi lui rendra-t-on de la saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes et. vivez en paix les uns avec les autres » ; cf. aussi Luc, 14, 34-35. 2. Reprise par Etéchiel, 43, 24 ; cf. //. Rois, 2, 19-22 : c'est avec du sel qu'Élisée purifie les eaux malsaines de Jéricho. 3. De sermone Domini in monte, I. 6. 13-14, P. L., t. XXXIV, c. 1237 : <... vus per quos condiendi sunt quodammodo populi... Quomodo dixit superius sal terrae, sic nunc dicit lumen mundi. Nam neque superius islu terra accipienda est, quam pedibus corporeis calcamus, sed homines qui in terra habitant, vel etiam peccatores, quorum condiendis et exstinguendis putoribus apostoliciim salem Dominus misit. 148 COMMENTAIRE saveur, une signification, et d'autre part l'empêche de s’effondrer dans la pourriture... L'image de a la lumière du monde » est présentée avec plus de détails par Mathieu1, qui insiste sur la valeur édifiante du bon exemple donné par la vertu chrétienne : le commentaire serait ainsi aiguillé vers la notion de témoi­ gnage, el par là indirectement retrouverait celle de mission apostolique. Mais le lecteur spirituel qui se préoccupe moins de déterminer la portée propre de chacun des textes évangéliques que d’accueillir dans sa totalité le message de la Parole de Dieu, sera surtout frappé du rapprochement que suggère tout naturellement l’apparition, dans un contexte tout différent, de la même expression dans V Évangile de Jean, 8, 12, où Jésus dit de lui-même : Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dons les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Ainsi, d’un évangéliste à l’autre, c’est le même rôle de guide, rayonnant sur la création tout entière, qui est reconnu au Verbe incarné et à son Corps mystique : conclusion qui vient en quelque sorte justifier le geste hardi de notre Auclor ad Diogneliun, revendiquant, on l’a vu, pour les Chrétiens ce rôle animateur que la pensée antique reconnaissait au sein du cosmos à quelque principe divin. 11 serait facile de trouver ailleurs d'autres expressions, différentes quant aux termes mais convergentes quant au sens, de la même doctrine : il suffirait d’étendre l’enquête à tout le Nouveau Testament : les Epîires de saint Paul offriraient une belle moisson1 2 pour peu qu’on s'arrêtât à étudier les prolongements cosmiques de la sotériologie 1. Marc, 4, 21-23 cl Luc, 8, 16-18, n’aident guère à préciser la portée de la parabole. 2. Ainsi Phil., 2, 15-16 : «... enfants dn Dieu immaculés au sein d'une génération dévoyée el pervertie (Deul., 32, 5), d'un monde où vous brillez comme des foyers de lumière... ». LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 149 pauiinienne1. N’csl-cc pas encore, avec la même nuance liturgique, la même notion que nous présentent VApoca­ lypse12 et la Prima Pétri3, appliquant au peuple chrétien, véritable Israël, la promesse faite jadis par la bouche de Moïse au peuple élu : Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation do saints4. Mais si de la sorte nous pouvons vérifier l’enracinement de ΓΛ Diognète dans la Révélation, nous ne saisissons toujours que le point de départ de cette pensée : ces textes scripturaires sont eux-mêmes ambigus ou elliptiques et demandent à leur tour une explicitation. Pour trouver une expression plus précise el en quelque sorte un commentaire d·' notre texte, il faut descendre dans le temps et, traver­ sant Père des Pères apostoliques, en venir à cette série d’écrits apologétiques du second siècle où nous avons déjà trouvé tant de passages parallèles ou équivalents. Or déjà la plus ancienne des ApologjeSj ^ont |c nous ajt été inté­ gralement conservé56 , cell·· d’Aristide·,nous offre un paral- Parallèles chez les Apologistes 1. Commentés, dans la perspective théologique qui lui est propre, par M. Goguel, Le caractère et le rôle de l'élément cosmologique dan* la solériologie pauiinienne, dans la Revue d'Hisl. el de Philos, relig. ;de la Fac. de théol. protestante de Strasbourg), t. 15, 1935, p. 335359. 2. Apoc., 1, G : « 11 a fait de nous un royaume do prêtres (ni. à in. : • royaume, prêtres ») pour son Dieu et Père · ; de même, 5, 10 ; 20, 6. 3. 1. Pierre, 2, 9 : « Vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, uno nation sainte » ; cf. 2, 5. 4. Exode, 19, 6; cf. tsale, 61, 6. La pensée juive, bien entendu, n'a jamais cessé d’entendre ces textes nu sens littéral, comme con­ cernant le seul Israël < selon la chah ». Ainsi Philon, De Abr., 98. 5. Nous avons déjà mentionné la possibilité que le thème remonte â la Prédication de Pierre, cl-dessus, p. 121-122. 6. La date en reste discutée (cf. en dernier lieu : M. Peli.kcrino, Gli Apologeli greci del U. Secolo, Homo, 1947, p. 25-26) : 124-125, si on arrepte le témoignage d'Eusèbe (//. E., IV, 3 ; Chron., an. 2110) 150 COMMENTAIRE lèlc remarquable. Dans la dernière section de son Apologie l’auteur a voulu donner comme une contre-partie positive à la critique qu'il avait d'abord formulée des erreurs du paganisme et des Juifs : il exalte non seulement la vérité de la religion chrétienne mais la noblesse de sa morale, ce qui le conduit à tracer un tableau, précis et détaille, des mœurs et des vertus du peuple chrétien1 ; c’est ά la suite de cette évocation qu’il écrit : Connaissant Dieu ils lui adressent des prières qu'il peut exaucer et qu'ils peuvent obtenir, et c'est à cela qu’ils passent le temps de leur vio. Et parce qu'ils reconnaissent les bontés «le Dieu envers eux, voici qu'à cause d'eux se répandent les splendeurs qui existent dans le monde’... Et il continue : les Chrétiens sont les seuls ύ s’être appro­ chés de la connaissance de la Vérité, mais : les bonnes actions qu'ils accomplissent, ils ne les proclament pas aux oreilles de la multitude. Aristide développe ici le thème «lu « mystère « de la piété chrétienne et de sa présence invisible, si cher à Γ/l Diognète selon lequel l’Apologio a été présentée à l'empereur Hadrien pendant son séjour ù Athènes (mais Eusèbc n'aurait-il pas bloqué dans une même notice, elliptique ou ambiguë, tout ce qu'il savait ou croyait savoir des deux Apologies de Quadratus (présentée, elle, à Hadrien â Athènes} et d’Aristide ? Ou plutôt au contraire 138-161, et peutêtre plus précisément 138-139 (cf. Gkfegkkjc, Zwei gricch. Apologelen, p. 28-31), si on retient commo valable la deuxième partie du titre de la version syriaque. 1. Aristide, Apol., 15 ; on notera les rapprochements qu'il suggère avec l'évocation parallèle, mais plus brève de ΓΛ Diognèlc: 15, 4, pas d’adultère ni d’inceste, etc. (cf. /1 Diogti.. V, 6-7) ; 15, 5, ne mangent pas les idololhyles (/1 Diogn., V, 7. si on conservait le texte du ms. F); 15, 6, pureté dC-5 femmes chrétiennes, etc. (cf. A Diogn., VI, 5). 2. Aristide. Apol., 16, 1 s. : ce passage n'a pas été conservé en grec dans le roman de Rariaani et Joasaph; nous le lisons dans la version syriaque si heureusement retrouvée par J. Bendell Harris : cf. trad. all. de Geffckrn, p. 25-26, trad. angl. de Harris, Texis and Studies, 1, 1, p. 50-51 ; je dois â l’amitié d’Ant. Guillaumont d’avoir eu accès an texte syriaque, ibid., p. (25)-;2f’> . LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 151 (IV, 6) : les Chrétiens aspirent à une récompense eschalulogique dans l’autre monde ; puis, s’adressant à l'Empereur : C’est assez pour nous d’avoir brièvement exposé é Votre .Majesté le genre de vie et la vérité des Chrétiens, car en vérité leur doctrine apparaît grande et merveilleuse à qui veut bien l’examiner et la comprendre : vraiment c'est bien lé un nouveau peuple et il y a quelque chose de divin en lui. Enfin, après avoir renvoyé son auguste auditeur à l’étude des Écritures chrétiennes il conclut : Il n’y a aucun doute pour moi : c’est à cause de l’intercession (ou de la supplication) des Chrétiens que le monde subsiste1. Le parallélisme est frappant : c'est bien la même doctrine exprimée par d’autres mots parce qu’envisagée d’un autre point de vue, celui du monde, et non plus comme dans 1’4 Diognète celui des Chrétiens : la proposition qui là (VI, 7) s’énonçait : « Les Chrétiens maintiennent le monde » devient ici : « c’est grâce aux Chrétiens que le monde se tient n. Aristide dit mieux et très précisément : grâce à l'in­ tercession et aux prières des Chrétiens, les seules efficaces. Précision importante, car par là l’idée acquiert une portée concrète, et si on peut dire une rationalité, que l'expression purement imagée de 1’4 Diognète ne comportait pas ; on aura relevé dans le meme sens l’indication non moins importante : « c'est à de telles prières qu’ils consacrent leur vie » ; la fonction sacerdotale des Chrétiens1 2 apparaît bien essentielle, et nous sommes ramenés à l’enseignement révélé des textes invoqués plus haut de Évangile selon saint Matthieu, ou de V Apocalypse. 1. Syriaque : qoimo, besleht (Gelïcken), stands (Harris) : M. Guillaumont me suggère, pour l’original, (σταται. 2. Dès la fin du Ier siècle, la Lettre (1. Cor.) de Clément de Rome nous donne un exemple de telles prières : 59, 2-61. et notamment GO, I : les Chrétiens demandent la concorde et la paix pour eux et pour tous les habitants de la terre. Doctrine parallèle chez Philon, De spec, leg., Π, 167; 1. 97; bien mise en lumière par E. Peterson, Monothéismes, p. 23-21. 152 COM MENTAIRR Ala suite d’Aristide, tous les Apologistes reprennent plus ou moins nettement la même doctrine, à l’exception de Tatien chez qui je ne retrouve rien d'analogue1, et de Théophile d’Antioche qui exprime un sentiment en un sens diamétralement opposé (mais qui, bien entendu, n'en relève pas moins lui aussi de la tradition la plus authen­ tiquement chrétienne), celui qui se fait jour par exemple dan.s le discours de saint Pierre le jour de la Pentecôte suivant le récit des Actes (2, 40) («Sauvez-vous du milieu de cette génération perverse ») ou dans tel passage de saint Paul (Il Cor., 6, 17, citant Nombres 16, 21 : < Sortez du milieu d’eux et séparez-vous, dit le Seigneur»). Théo­ phile en effet, après avoir décrit les îles qui, en pleine mer, offrent un refuge aux marins surpris par la tempête, déclare : Ainsi Dieu a donné au inonde soulevé et ballotté par les Ilots des pêchés, les « synagogues » — entendez les saintes églises —, où se trouvent, comme dans les îles des ports abordables, les enseignements de la vérité, refuge pour ceux qui veulent le salut, pour ceux qui aiment la vérité et veulent échapper à la colère et au jugement de Dieu Par contre Justin rejoint tout à fait, encore que par des voies originales, les préoccupations de Γ.Ί Diognète ; ainsi dans la IIe Apologie: Si Dieu retarde encore le bouleversement et lu dissolution de l'univers qui anéantiront les méchants, — anges, démons et hommes, - c’est à cause de la race des Chrétiens qui à scs yeux sont respon­ sables de la nature*. 1. S'il y a chez Tatien une doctrine de l'àmo du monde, c’est en un sens banalement stoïcien : c. 12, « 11 y a donc du pneuma dans les astres, les anges, les plantes et les eaux, les hommes, tous les êtres vivants ; pneuma qui, tout en étant un, possède des différences en lui-même... » ; Tatien ne s’écarte du stoïcisme qu’en ce qu'il distingue ce pneuma cosmique du Pneurnu divin (c. 4). 2. Théophile d'ANTiociiE, Ad Autel., II. 11. 3. Vers 150 : il. Apol., Ί, l ; Pautigny, Justin, Apologies (coll. Hemmer-Lejay), p. 163, interprète les derniers mots (8tà ~b «nrlpptf I.ES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 153 Ou encore, dans le Dialogue avec Tryphon alors qu’il vient de rappeler la parole de Dieu au prophète Élie : « J’ai encore sept mille hommes qui n’ont pas encore ployé le genou devant Baal »* : De même qu'alors Dieu, à cause de ces sept mille, n’envoya pas son châtiment, de môine aujourd’hui il n'a pas exécuté ou n'exécute pas son jugement, sachant bien que chaque jour il y a des hommes qui, instruits an nom de son Christ, abandonnant la voie de l'erreur et reçoivent ses dons, chacun selon qu'il en est digne, illuminé ou non de ce Christ*. El déjà, cl avec plus de netteté encore, et à deux reprises dans la Irc Apologie: après avoir parlé du châtiment qui attend Satan, son année cl les hommes qui le suivent, Justin ajoute : Si Dieu retarde encore d'accomplir cela, c’est à cause du genre humain, car sa prescience sait que certains doivent se sauver par la pénitence, certains même qui ne sont pas encore nés. El plus loin : Dieu, le Père de l’univers, devait enlever le Christ au ciel après sa résurrection, et il doit l’y conserver... jusqu'à ce que soit accompli le nombre des prédestinés, des bons et des saints à cause desquels il n’a pas encore détruit le monde par le feu*. L’idée se présente ici suivant une autre transposition : clic n'est plus conçue du point de vue des Chrétiens ni du monde, mais bien de Dieu : les Chrétiens apparaissent comme les Justes qui ont manqué à Sodome (Gen. 18, 24-32). Par rapport à la posilion assumée par Γ.-1 Diognèle. cette représentation pourra paraître bien négative (le rôle des Chrétiens consiste essentiellement à retenir le bras du Dieu vengeur, à empêcher la catastrophe finale) τών χριστιανών δ γνώσκει έν τη φύσει δτι αίτιόν έστιν, «en qui il voit un motif do conserver le monde ». 1. 111. Hois, 19, 18; Cf. Hom., Il, 4. 2. Vers 160 : Tryph., 39. 2. 3. Vers 150 : I. .Apol., 28, 2 cl 45, I, en corrigeant mi έζπύρωσιν le έ-ικύρωσιν des mss, comme l’a proposé .1. Billis dès 15S5 (cf. II. Apol., 7. 3, ou se lit le même mol έκπύρωσίς). 151 COM.MENTAIllE mais elle comporte pourtant une contre-partie positive, nettement formulée dans les derniers textes où s'esquisse une philosophie de l’histoire des temps chrétiens (le retard de la Parousic lié aux délais qu'exige le recrutement du peuple des saints, la croissance du Corps Mystique), philo­ sophie de l’histoire elle aussi fortement enracinée dans la tradition la plus autorisée puisqu’elle ne lit que reprendre l'enseignement d'un texte fameux et particulièrement explicite de l'Apocalypse : Lorsque l'Agneau ouvrit le cinquième sceau, j’aperçus sous l'autel les âmes do ceux qui furent égorgés pour la parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient en eux. Ils se mirent à crier à toute force : · Jusques à quand, ô toi le Maître, le Saint et le Vrai, tarderastu à faire justice, à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre ». Alors on leur donna à chacun une robe blanche, en leur disant de patienter encore un peu, le temps que fussent au complet leurs compagnons de service et leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux*. Doctrine remarquable, qui plonge ses racines très avant dans la révélation de l’Ancicn Testament, comme le suggère Justin lui-même, et dont il serait facile de trouver le prolongement dans le Judaïsme rabbinique : le Talmud enseigne que le monde subsiste grâce au mérite, Zechulh, d’Israël, et plus précisément de trente-six justes dispersés dans le monde, à chaque génération, et qui « reçoivent quotidiennement la Schekhina n12. 1. Apoc., G, 9-11 (trad. Boismnrd; ; ajouter 11. Pierre, 3, 9. 2. Cf. b. Sanhédrin, 97 b ; b. Soucca -15 b ; un développement ultérieur de la légende a voulu que ces Justes fussent cachés et inconnus du reste des hommes : cf. The universal Jewish encyclopaedia, I. VI, p. 512-513, s. v. Lamed vau Zaddikim. On retrouve la même croyance dans les milieux mystiques de l’islâm : le soufisme rattache la conservation du monde à l’existence, à chaque génération, d'un nombre déterminé de justes ; dès que l'un d'eux meurt, Dieu lui suscite aussitôt un remplaçant : cf. Encyclopédie de l'Islam, t. II, p. 1233 ah, s. v. Kutb; t. IV, p. 718 b, § 5, b. s. v. Tasawwuf; p. 1168 b-1169 a, s. v. Walt : Suppl., p. 37 a b, s. v. Badal : I.. Massig.non, La passion d’AI-HalIat, Paris, 191-1-1921. p. 753-754; Essai LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 155 Les successeurs d’Aristide et de Justin reprennent à leur tour la thèse du rôle cosmique des Chrétiens, qui chez eux paraît également tour à tour défini parles deux théines de la prière efficace et du retard apporté à la Parousie ; mais plus on avance, plus les préoccupations purement apologétiques paraissent déformer la thèse en l’appauvrissant. Un des quelques fragments conservés’ de V Apologie adressée par Méliton de Sardes vers 172 à l’empereur Marc-Aurèle, l'exprime bien, mais restreint sa perspective à l’intérêt personnel de l’empereur auquel il s’adresse : il souligne l’heureuse coïncidence entre l’expansion du christianisme et l’éclat actuel de l’Empire et en tire un « bon augure » pour le propre règne de Marc-Aurèle : Car depuis, la grandeur, récta l et la puissance de Rome ont toujours grandi. Toi-même tu en fus l’héritier désiré ; tu le resteras avec ton fils si tu conserves la philosophie (i. e. la religion chrétienne) qui est née avec l’Empire, a commencé sous Auguste, et que Les ancêtres ont honorée avec les autres religions. C’est une très grande preuve de l'excellence de notre doctrine qu’elle se soit épanouie en même temps que l’heureuse institution de l’Empire, et que depuis lors, à partir du règne d’Auguste rien de regrettable ne soit arrivé, mais au contraire quo tout ait été brillant et glorieux selon les vœux de chacun...’. C’est là le point de vue d’une apologétique à courte vue puisque c’est d'un bénéfice surtout temporel que l’em­ pereur et le monde romain seraient redevables aux temps chrétiens mais l’idée ne pouvait pas ne pas sc présenter tout naturellement sous la plume d’un auteur chrétien s'adressant spécialement au pouvoir impérial : certains l’ont reprise en l’appliquant à des faits particuliers comme Apollinaire de Hiérapolis, pour qui le fameux «miracle de la pluie », pendant la guerre de Marc-Aurèle contre les Quades, serait dû aux « prières des nôtres », celles des #ur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, 1914-1922, p. 112-114. 1. t’ragm., I, 3, Otto, dans Euskbe, Hist. Eccl., IV, 26, 7-11. 2. ibid., IV, 26, 7-8 (trad. Grapin, t. I, p. 475). 156 COMMENTAIRE soldais chrétiens de la légion Fulminante1. Athénagore de meme, un peu plus tard (vers 177) pense recommander les Chrétiens à la bienveillance des corégents Marc-Aurèle et Commode en soulignant dans la conclusion de sa Sup­ plique: Quels hommes ont plus de droits â obtenir ce qu'ils demandent que nous qui prions pour votre autorité, αρχή; afin que vous receviez par succession, le Ills après le père, ainsi qu’il est parfaitement juste, l'empire; et que votre puissance reçoive accroissement et dilatation, tous les hommes étant soumis ù votre autorité ? Cela est aussi à notre avantage, afin que nous passions une vie calme et tranquille, et que nous accomplissions de bon cœur tout ce qui nous est commandé*. Ici apparaît une nouvelle déformation de la doctrine, toujours dans le sens utilitaire : l’intérêt bien entendu des Chrétiens rejoint celui de leurs souverains. On retrouve la même combinaison sous la plume de Tertullien qui, lui aussi reprend, et notamment dans son Apologeticum, écrit on 197, le thème de la prière efficace1234, et en particulier de la prière pour le salut des empereurs·1. Loin d'être la cause des malheurs de. l'empire56comme le prétendent les calomnies des païens, les chrétiens, par le jeûne, la conti­ nence, les mortifications et la pénitence, harcèlent littérale­ ment Dieu, le désarment et lui arrachent sa miséricorde®, au milieu des calamités qu’il envoie en punition des crimes humains. C’est un fait, estime-t-il, que ces catastrophes ont diminué d’intensité 1. Toujours clans Euskijk, ibid., V, 5, 1-4 : Apollinaire est le premier témoin en date de cet. épisode célèbre : il aurait écrit peu après l'événement, survenu en 172 : cf. J. Guey, Encore la pluie miraculeuse, dans la Reuue de Philologie, t. LXXIV, 1948, p. 17, n. 4. 2. Athônagorr, Supplique, 37 (trad. Bardy, p. 170·. 3. Tertullien, Apologeticum, 29, 5. 4. ibid., 30, 1 ; 30, 5 ; 39, 2 ; Ad Scapulam. 2, Oehler, t. T, p. 542. Cf. J. Clem., 60. 4-01, 2. 5. Apol., -10, 1 sq. ; Ad Nationes, 1, 9 {C. S. E. L., t. XX, p. 73). 6. Apol.. 40, 15 ; cf. 39, 2. I.ES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 157 depuis que Dieu a donné les Chrétiens au inonde : à partir de ce moment leur innocence a tempéré les iniquités du siècle cl il a com­ mencé à y avoir des intercesseurs auprès de Dieu*. Par là Tertullicn se rapproche très nettement de Γ.-Ι Diognète2 : comme notre auteur il est très préoccupé de montrer que les Chrétiens ne sont pas des ennemis du genre humain ; une phrase fameuse nous les montre présents à la société tout entière : .Nous ne sommes que d'hier et déjà nous avons rempli le inonde et tout ce qui est vôtre : ville1*V, », Iles, fortins, municipes, bourgades, l’armée, la politique, l’administration... Nous no vous avons laissé que les temples*. Les Chrétiens ne font pas bande à part ni ne se dressent, en ennemis de la société civilisée, dans un esprit de Séces­ sion hargneuse ; ils participent activement à la vie écono­ mique el sociale de leur temps4. Au thème de la prière cllicacc, Tertullicn associe celui du retard que la présence et l’intercession des Chrétiens impose à la Parousic eschatologique, mais chez lui la mise en perspective apologétique aboutit à une véritable caricature de la doctrine : C'est pour nous une nécessité plus pressante encore de prier pour les empereurs, pour la prospérité de l’empiro et do l’état romain. Nous savons en effet que la grando catastrophe qui va s’abattre sur l’univers et la terminaison du temps elle-même qui nous menaeo d'horribles calamités n’est retardée que par le répit accorde à l’empire romain. Comme nous n'avons pas envie d’en faire l’expérience nous prions pour qu’elle soit différée cl nous contribuons ainsi à la persis­ tance de Rome, Romanae diuturnitati fauemus*! 1. Ibid., 40, 13. 2. On trouvera une comparaison systématique de 1'4 Diognète cl de V Apologeticum dans Lipsius, ap. LU. Central-Blail, 1873, p. 1251 el J. Drâseke, Der Brief an Diognctos (extr. du Jahrb. f. protest. Théologie, 1881), Leipzig, 1881, p. 132-1 10. 3. Apol., 37, 4 ; cf. 1, 7; Ad Nationes, 1, 1, p. 59; I, 8, p. 72. 4. Ibid., 37, G; 42, 1-3 (très proche par moment d’/l Diognète, V, I, 2, 4 : < nous qui vivons avec vous, qui avons même nourriture, mêmes vêtements, même genre de vie, etc. ·). 5. Ibid., 32, I ; cf. 39, 2; 41, 3; Ad Scapulam, 2, p. 541 Oehler. 158 COMMENTAIRE Soit. Mais on sc demande, dans cette ingénieuse présen­ tation, ce que devient l’espérance eschalologiquc et le Mârânâ Ihâ, « Oui, viens Seigneur Jésus ! h1. Ne nous hâtons pas cependant de charger le seul Tertullien et l’avocat trop ingénieux : le retour du Christ est aussi le «Jour de Yahvé », Dies irae, et sa venue s’accompagne de terribles épreuves : l'ambivalence de sa signification a toujours été bien retenue par la tradition ; c'est ainsi que quelques années après V Apologeticum. vers 202-204, nous entendons à deux reprises Hippolyte de Rome, dans son Commentaire à Daniel, faire allusion aux jours terribles de l’Antéchrist, il recommande : do prier afin que nous ne tombions pas en de tels temps*, pour que nous ne nous trouvions pas aux moments où cela arrivera, pour que, devenus lâches ù cause de la grande tribulation qui fondra sur le monde, aucun de nous no soit chassé de la vie éternelle’. Mais, à la différence de Tertullien, c'est en dehors de toute préoccupation naïvement intéressée qu’il évoque le rôle de la prière cosmique des Chrétiens : le diable, dit-il, fomente toute sorte de persécutions contre les saints pour les empêcher de lever dans la prière «leurs mains saintes» vers Dieu, car il sait que la prière des saints procure la paix au monde. De même quand, dans le désert, Moïse levait les mains, Israël l’emportait, et quand il les baissait, Amalec l'emportait1. L’idée· cependant, n’a pas chez lui un relief bien accusé ; c’est dans le milieu alexandrin que nous la voyons soudain reprendre vie, s'approfondir et s'exprimer en détail sous une forme explicite et nouvelle, et d’abord, à peu près vers le même temps où écrivait Hippolyte, sous la plume do Clément d’Alexandrie, dans sa belle homélie sur le Riche qui peut Clément et Origine 1. /. Cor., 16, 22; Apec., 22, 20. 2. Hippolyte, In Daniel., IV, 5, 4. 3. Ibid., IV, 12, 2. 4. Ibid., III, 24, 7-8. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 159 être sauvé; apres avoir évoque la splendeur des vertus chrétiennes, il précise : Ainsi donc tous les fidèles sont bons, saints et dignes du nom dont ils sont couronnés Comme d'un diadème. Cependant il y a dés maintenant parmi les élus quelques-uns qui sont plus particulière­ ment élus, et cela d'autant plus qu'ils sont moins extérieurement marqués : ils se tirent en quelque sorte hors des îlots agités du monde et se réfugient en sécurité ; ils no veulent pas paraître saints, — si on les appelle ainsi ils en ont honte —; ils cachent au fond de leur pensée les mystères ineffables et dédaignent que leur noblesse soit vue dans h· monde : c'est eux que le Verbe appelle · lumière du monde » et « sel de la terre ·. Ils sont la semonce, image et ressemblance de Dieu, son enfant véritable et son héritier, envoyé Ici-bas en mission conformément au plan grandiose et à l’analogie du Père. C’est pour eux qu'ont, été créés tous les êtres du monde, visibles et invisibles, les uns pour les servir, les autres pour les exercer, les autres pour les instruire. Aussi longtemps que cette semence demeure ici-bas, toutes choses sont, maintenues et lorsqu'elle aura été rassemblée, tontes choses aussitôt seront dissoutes1. Texte d’une densité et d’une richesse admirables dont il n’est pas question de donner ici le commentaire détaillé qu’il mérite. Nous y retrouvons, fortement affirmé en conclusion, le lien déjà si souvent proclamé par les prédé­ cesseurs de Clément, entre le rôle des Chrétiens cl la durée même du monde ; le lecteur aura relevé au passage la référence, explicite cette fois, aux versets évangéliques qui nous ont paru sons-tendre dès l’origine toutes les expres­ sions de notre thèse. Soulignons enfin l'apparition de deux traits originaux : pour la première fois, ce n’est pas h tous les chrétiens indistinctement, mais seulement à une élite de saints qu’est reconnue la fonction de « lumière du monde » et de « sel de la terre » : on pourra voir là un héritage de l’aristocratisme spirituel des Gnostiques1 2; 1. Quis dives salvetur, 36, 13. p. 183, Stâhlin (G C S, t. XVII); la notion de · semence à rassembler · vient des gnostiques Valen­ tiniens : cf. Clément, Excerpta ex Thcodoto, 26, 3, p. 112-113, Sagnard (Sources Chrétiennes, 23). 2. Pour qui ces deux métaphores évangéliques désignaient les « Pneumatiques . : Iiiéxée, I, I, II, p. 52 H. Faisons la part aussi o 160 COMMENTAIRE niais, comme si souvent chez Clément, les survivances formelles du Gnosticisme (si apparentes au demeurant ici avec la notion spécifiquement Valentinienne de semence rassemblée) peuvent avoir servi à exprimer une pensée d’un ordre bien différent ; en fait, comme le montrera le dévelop­ pement ultérieur de la tradition que nous analysons ici, ce texte est un de ceux qui nous permettent de saisir en germe ce qui deviendra aux siècles suivants, au sein de Γ Église, l’idéal monastique. D’autre part, il faut noter le lien étroit qu’établit la pensée de Clément entre le rôle cosmique des chrétiens et la structure même du cosmos. Si les Chrétiens sont faits pour le monde, le monde lui même est fail pour eux. Ici encore Clément reprend et adapte une notion traditionnelle : celle, si chère en particulier à la tradition stoïcienne, de la finalité anthropocentrique du cosmos; mais sa portée est ici bien différente : le monde n'est pas ordonné comme à sa fin au monde en tant que tel, ou du moins pas seule­ ment, pas principalement, à l'homme en tant que tel, mais bien au chrétien et particulièrement aux saints, aux ·■ plus particulièrement élus » : germe, cela encore de tout un fécond développement de la théologie postérieure. Clément d’ailleurs n’en est pas le premier témoin : le Pasteur d'IJcrmas, déjà, déclarait que Dieu « a créé les êtres du néant, les a fait se multiplier et croître en vue de sa sainte Église »* ; il fait apparaître celle-ci sous les traits d'une Femme âgée, « parce que l’Églisc a été créée la première de toutes choses : c’est pour elle que le monde a été disposé », κατηρτίσΟη2 ; | . 1 | 1 de l'héritage de la pensée philosophique païenne, qui n'était pas moins aristocratique : cf. le texte important de Maxime oe Tyh, | Diss., XI, fin, cité par J. Daniélou, Origine, p. 104 : · lu bien n'abonde pas parmi les hommes et. néanmoins, l’ensemblo est sauvé par ce peu de bien... ·. 1. Pasteur (THrrmaS, Vis., 1, 17. Cf. E. H. Biakkxhy, dons 3 | Journal of theological Studies, t. 42, 1941, p. 193. 2. Id., Vis., 2, 4, I : l'idée est susceptible d'une interprétation M ’ orthodoxe (l'Eglise des Prédestinés : cf. Ëph., 1, 4) aussi bien que 1 LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 161 et cet aspect de notre thèse a comme les précédents scs parallèles dans la spéculation juive : V Assomption de Moïse, par exemple, n'hésitait pas à enseigner que le monde a été créé pour Israël*. Après Clément, Origène à son tour reprend le même thème qui reçoit chez lui un relief particulier ; dans l’œuvre immense du grand docteur alexandrin, il serait facile de relever un grand nombre de textes où la thèse de Γ.4 Diognète réapparaît, sous des formes diverses et adaptées à des contextes différents : il suffira d'en rapporter ici quelques exemples particulièrement significatifs. Le grand traité apologétique Contre Celse est parti­ culièrement intéressant à relire à ce propos ; Origène n’y défend pas seulement., dans la ligne du texte précité de Clément, cette conception anthropocentrique du cosmos commune an christianisme et aux Stoïciens, que Celsc avait attaquée dans une page éloquente et justement célèbre de son Discours Véritable : Juifs et chrétiens me font l’effet d’une troupe «le chauves-souris, de fourmis sortant de leur trou, do grenouilles établies près d’un marais, ou de vers tenant assemblée dans le coin d’un bourbier et disputant ensemble qui d’entre eux sont les plus grands pécheurs. Ne croirait-on entendre ces bestioles dire entre elles : · C'est à nous que Dieu révèle et prédit toutes choses. Du reste du monde il n’a euro ; il laisse lescicux et la terre rouler à l'aventure pour ne s’occuper que de nous. Nous sommes les uniques êtres avec lesquels il commu­ nique par messagers, les seuls avec lesquels il désire lier commerce, car il nous a faits ά son image. Tout nous est subordonné, la terre, l'air, l'eau et les astres ; tout a été fait pour nous et destiné â notre office ; et c'est parce qu'il est arrivé à certains d'entre nous de pécher que Dieu viendra en personne on enverra son propre Fils pour brûler les méchants et nous faire jouir avec lui de la vie éternelle »*. d’une transposition gnostique (l'Éon Église : cf. F. Μ. M. Sagnahd, Lu Gnose Valentinienne, Paris, 1947, p. 302-303) ; elle s’exprime aussi dans la IL Clem., 14, 2-3. 1. Assomplion de Moïse, 1, 12, p. 58, Charles : Creavit enim orbem terrarum propter plebem suam. 2. OniGiiXE, C. Cels., IV, 23, p. 292-293 Koelschau (trad, de L. RouGtRR, Celse ou le conflit de la civilisation antique cl du c.hris- 162 COMMENTAIRE Mais ce ii'esl là que le cadre à l'intérieur duquel se met en place le point de doctrine très précis dont nous poursuivons l'analyse. Plus loin Origcne doit répliquer à Celsc qui soulève le problème du salut temporel, de la survie, de la postérité de l'empire et de cette civilisation romaine dont les Chrétiens eux-mêmes se trouvent, de fait solidaires1 : en face du péril barbare, Celse n'envisage pas sans clïroi ce qui adviendrait de l’empereur si tous les Romains, renon­ çant à leur patriotisme traditionnel, se ralliaient à la foi chrétienne ; à cela Origène rétorque, explicitant la réfé­ rence à la prière d'Abraham pour Sodome, sous-jacente déjà à la pensée chez Justin : .Mais si, suivant la supposition do Celso, tous les Romains adoptent lu foi chrétienne, ils triompheront par leurs prières du leurs ennemis, ou plutôt ils n’auront plus d'ennemis à combattre, se trouvant sous la garde de la puissance divine qui, pour cinquante justes promettait de sauver cinq villes entières : en effet les hommes de Dieu sont le sel qui conserve du monde terrestre, et les choses de la terre ne se maintiennent, συνϊστηκε, qu’autant que co sel ne se dénature pas, car si le sel perd sa saveur il n'est plus bon, ni pour la terre ni pour le fumier mais, jeté dehors, il sera foulé aux pieds par les hommes...*. Nous retrouvons, et presque dans scs termes mêmes, la doctrine de l’/l Diognèle, VI, 7 : « les Chrétiens main­ tiennent le monde ». Plus loin, dans les dernières pages de son grand ouvrage, Origcne s’explique en détails sur la manière dont, de fait, cette fonction est assumée, et cette fois c’est le thème de la prière efficace qui réapparaît : lianisme primitif, Paris, 1925, p. 377) ; on pourrait croire que la critique de Celsc s'attaque très précisément A notre thèse (le monde est fait pour les chrétiens), mais la réponse d’Origène (IV, 24 sq.) montre que l'idée est plus générale : c'est l’anthropocentrisme tout entier quo Celso a en vue. 1. OrigAnr, /bid., VIH, 68-69, p. 284-286, Koetsr.hau. 2. Ibid., VIH. 70, p. 287, citant librement Luc, 14, 35; la suite du passage n'est pas moins intéressante : Origène parle do · la paix que (dans l'intervalle entre les persécutions) goûtent paradoxalement les Chrétiens au sein d’un monde qui les hait » (ef. .4 Diogn., V, 16 ; VI, 5-6). LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 163 Celse nous exhorte ensuite « à soutenir le souverain de toutes nos forces, à partager ses justes travaux, s’il le faut ses combats et le commandement, de scs armées ». Il faut répondre à cela que nous soutenons nos souverains chaque fois qu'il le faut, d’un secours en quelque sorte divin, ayant revêtu l'armure λόγω)’. On le sent, Origènc a failli rencontrer 1Ά Diognète, mais au moment de conclure il a rejoint l’idée banale, héritée, nous l’avons vu, de la tradition païenne et que la seule référence du Verbe christianise, « c’est l’action de Dieu qui anime le monde » ; sans doute, Origène professe-t-il aussi, il nous l’a montré, que cette puissance divine se mani­ feste dans le monde par les Chrétiens ; il semblerait naturel qu’il conclut : donc les Chrétiens sont l’âme du monde ; il ne l’a pas fait, ni ici ni ailleurs. L’image des rapports de l’âme et du corps sera reprise vers 412 par saint Augustin, au début du vu® siècle par saint Maxime le Confesseur, mais ils l’appliqueront le premier au Saint-Esprit12 animant le Corps du Christ qu’est l’Église, le second à la consommation eschatologique du dessein de Dieu quand nous deviendrons comme les membres de son corps et qu’il s’unira à nous en esprit à la manière d’une âme au corps3. 1. Okigknk, De Principiis, 11, 1, 3, p. 108. KO tse h ou (GCS, t. 22). 2. Augustin, Sermon 267, 4 (4), P. L., t. XXXV! II, c. 1231 : Quo5 σώματος αύτυϋ, ψυχής τρόπον πρός σώμα, έν πνεύματί συναρμολογοϋντοςέαυτψ. La suite, c. 1100 AB, décrit en détail l’action du l’âme duns le corps, mais n’explicite pas l’application faite ù Dieu et aux hommes ; cf. 174 COMMENTAIRE L'originalité de Γ .Auctor ad Diognelum on le voit, demeure entière. Est-ce à dire que son mérite soit unique­ ment d’ordre littéraire? Sa formule n’est pas seulement heureuse, bien frappée, expressive, elle est encore féconde. Nous regrettions presque, en abordant son étude, que sa brièveté, d’un tour quasi gnomique rendit son exégèse incertaine : il faut voir par contraste qu’en choisissant pour exprimer sa doctrine, non point une série de propositions dogmatiques, mais une métaphore, — les Chrétiens sont l’âme du monde —, une image dont tout au long du cha­ pitre VI il décrit complaisamment les différents attributs et analyse, la convenance, l'auteur se trouvait adopter un procédé d’expression d’ordre proprement poétique : une formule prégnante, qui suggère plus qu’elle ne dit et qui s’offre à la méditation comme un thème capable de varia­ tions, de transpositions et de modulations indéfinies. C’était choisir là le parti qui offrait à la thèse le moyen de se présenter sous sa forme la plus ramassée et la plus générale. Nous avons suivi l’effort accompli par les Apolo­ gistes et les Alexandrins pour élaborer plus précisément notre doctrine, mais, on l'aura noté, dans la mesure où chacun la précise, il la mutile, la limite à tel de ses aspects, la fixe à tel niveau de ses applications possibles. Le grand Origène lui-même, qui a fait plus que tout autre pour creuser profondément le tuf doctrinal au sein duquel jaillit cette veine d’eau vive, ne nous offre qu’une série de formu­ lations particulières, d’aperçus isolés, que seule l’image étincelante de ΓΑ Diognèle permet à l'esprit de rassembler en une appréhension unique. Fonction sacerdotale des Chrétiens, prière efficace, notamment pour les secours attendus par la cité terrestre, exemple et modèle donnés par la vertu chrétienne, action missionnaire, sanctification du monde, achèvement de son plus haut, c. 1092 C, a propos de la résurrection : les liens de Pâma au corps deviendront indissolubles, · afin que Pâme soit au corps ce que Dieu est ù l’Ame >. LES CHRÉTIENS DANS LE MONDE 175 histoire, recrutement du peuple des élus, retard apj orté à la parousie ultime, ou mieux détermination do la durée utile du monde..., l'aphorisme de notre chapitre VI dit tout cela à la fois ; tout cela et plus encore, car la fécondité de sa doctrine ne se limite pas aux seules applications qu'en ont pu tirer les auteurs anciens : le théologien moderne, plus attentif que ses prédécesseurs à la signification spirituelle des valeurs proprement temporelles, se sentira tout naturel­ lement porté, raisonnant a majoribus ad minora, à étendre ce rôle animateur de la présence chrétienne au sein du monde au delà de la sphère proprement surnaturelle : qui ne mesure la fécondité visible ou secrète de l’apport de vérité, de santé, d’authenticité que le Chrétien, œuvrant dans le monde sur le plan purement terrestre, représente pour la civilisation et la cité où l’histoire le trouve inséré? C'est pourquoi le théologien d'aujourd’hui se trouve amené à prier pour que la grace du Seigneur multiplie dans l’Église non seulement ces grands contemplatifs, ces saints qui, en dernière analyse, donnent à la création sa pleine raison d’être, mais aussi un nombre toujours plus grand « d'hommes d’action intègres, droits, magnanimes » capa­ bles de faire rayonner la vérité la justice, la paix et l’arnour sur le plan de la technique et de la cité, car Sodome a besoin aussi de ces « justes livrés à l'action Il faut souligner enfin, je ne dirai pas un autre mérite, mais une cause profonde d'intérêt : le chapitre V prélude au chaut triomphal du suivant par une analyse du « paradoxe · et du «mystère» chrétien. Ces Chrétiens, qui vont nous apparaître comme l'équivalent d’une âme cosmique, sont ces quelques hommes, inconnus, méprisés ou dispersés dans un empire qui répond à leur appel par la haine et la persécution. Le contraste si fièrement souligné impose à l’attention du lecteur moderne une réflexion féconde. 1. Ch. Jolhnüt, Exigences chrétiennes e.n p. 426-427, « La prière d’Abrûham ». politique, Paris, 1945, 176 COMMENTAIRE Pour un spirituel du xin® ou du xtv® siècle vivant au sein d’une chrétienté a sacrale », unanime dans la foi ou peu s’en faut, dont les limites par ailleurs s'identifiaient pratique­ ment à celles de l’humanité connue, il pouvait paraître naturel de se représenter l’univers, et spécialement la société humaine comme un vaste organisme hiérarchisé qui reposait en dernière analyse sur ces « piliers » que sont les contemplatifs. De même que la nature inanimée est au service de l’homme1 de meme au sein de la société humaine tout conspirait, les institutions sociales comme les tech­ niques et les arts, à ordonner le « monde » û sa fin sur­ naturelle, à ordonner la Création pour la ramener au Créa­ teur ; il pouvait paraître naturel alors de conclure : omnia propter electos. Mais aujourd’hui, pour nous qui, au moins en Europe, voyons se fermer une parenthèse ouverte dans l'histoire avec la conversion de Constantin, pour nous qui nous retrouvons, pusillus grex, dispersés au sein d’un monde hostile ou indifferent, de jour en jour plus profondément déchristianisé, il est particulièrement utile d’entendre une voix venue d’aussi loin que celle de Γ.4 Diognète, proclamer I avec la tranquille audace que donne la sécurité de la foi, I et cela dans un contexte historique aussi rebelle à l'espé­ rance que le nôtre, du sein même des persécutions et d’un monde encore tout païen, que si « les Chrétiens ne se distin­ guent des autres hommes ni par leur pays ni par leur langage ni par leurs vêtements », ils n’en sont pas moins « dans le monde ce que l’âme est dans le corps. Ce sont eux qui soutiennent le monde... Si noble est le rôle que Dieu leur a confié, qu’il ne leur est pas permis de déserter... · (V, I ; VI, 7 ; 10). 1. Cf. Saint Thomas <Γ Aquin, Sumni. Ihcol., lu., q. 65, a. 2, in fin. : creaturae ignobiliores sunt propter nnhilinres, sicut creaturae quao sunt infra hominem sunt propter hominem, etc. in Initiation à la Foi chrétienne (ch. VII-IX) Nous allons pouvoir aller plus vite : celte troisième partie ne se prête guère à un commentaire utilement développé ; il faut regretter une fois de plus que les problèmes d’histoire littéraire concernant notre texte n’aient pu, comme il est de règle, cire résolus en prélimi­ naires. S’il était daté avec certitude et situé avec précision, ΓΛ Diognète serait un témoin remarquable de l’état atteint à tel moment et dans tel milieu par l'élaboration doctrinale de la foi ; malheureusement c’est au contraire à l’histoire des dogmes, telle qu’on a pu rétablir par ailleurs en dehors de lui qu’il faudra s'adresser pour fixer la situation chro­ nologique de notre texte. Cette troisième partie se présente, annoncions-nous, comme une catéchèse élémentaire : l’auteur, après avoir fait entrevoir à son auditeur païen les merveilles du mystère chrétien, cherche maintenant à lui exposer dans ses grandes lignes cette foi qu’il le pressera bientôt d’accepter (X, 1) ; les chapitres VIΓ-ΙΧ apportent une réponse à la première et à la plus fondamentale des questions posées au début (1, la) : « Quel est le Dieu des Chrétiens? » et, chemin faisant, aussi, à la question d (leur mépris de la mort : VU, 7-9), puis, avec une insistance particulière, à la question h (car tant sero? VIII,7-XI,2). La lacune L’ordonnance et la construction de en vin, 6-7 cet exposé sont difficiles à apprécier, car la continuité du texte est interrompue à la fin du §V11, G, par une lacune signalée dans une annotation margi­ nale par le copiste du manuscrit F qui la met sur le compte de la vétusté de son modèle. 11 faudrait pouvoir conjecturer 178 COMMENTAIRE au moins l’étendue de celte lacune ; malheureusement l'état de la suite des idées dans les parties qui l'encadrent ne facilite guère la reconstitution de l’ensemble mutilé : après avoir, an début du chapitre VU, repris le thème esquissé en V, 3 (la religion chrétienne a une origine sur­ naturelle, révélée), l'auteur en vient tout naturellement à parler de l’agent de celle révélation, le Verbe sauveur, et de sa mission sur la terre (VII, 2-5) : puis il passe à l'annonce de son second avènement et de la Parousie (VH, 6). C’est là que le texte s’interrompt ; quand il reprend c’est pour nous parler de la fermeté des martyrs, de la portée de leur témoignage (VII, 7-9), puis il prend un nouveau départ en VIH, 1, revenant pour la troisième fois sur l’origine sur­ naturelle du christianisme. Il est clair que les trois petits paragraphes consacrés aux martyrs représentent la lin d’un développement commencé au cours de la lacune, et qui cherchait à répondre en détail à la question 1,1*, développe­ ment qui pouvait occuper tout ou partie de cette lacune dont l’étendue demeure mystérieuse. Nous n’avons d'autre indication à son sujet que la brève note du manuscrit F : « C'est ainsi que j’ai trouvé aussi dans mon modèle, qui était très vieux, une interruption, (littéralement : une coupure, εγκοπήν) ». Les critiques se sont divisés sur la signification qu’on doit attribuer à cette indication ; de leurs hypothèses deux surtout méritent d’etre prises en considération1 : 1° Ou bien il s’agit d'un passage devenu illisible par suite de l’usure du manuscrit12 ; dans ce cas la lacune pourrait 1. La discussion approfondie à laquelle s’est livré Dom P. Andriessen à ce sujet nous dispense d’entrer dans plus de détails : L'apologie de Quadratus consente tous le litre cf £pitre à Diognète (I), dans Bccherches de Thtol.anc.el mid., t. XIli, 1946, p. 7 s.et surtout p. 19-24. 2. Il ne peut s'agir, comme le voulait Kihn (l)er Ursprung des Briefs un Diognet, p. 46-47), d’un blanc qui se serait déjà trouvé dans le modèle φ. car alors on ne s'expliquerait pas que F l’attribue au fait que φ «était très ancien » : cf. Andriessbn, art. cil., p. 20-21. INITIATION A LA KOI CHRÉTIENNE 179 être très brève : beaucoup l’ont pensé, sensibles en parti­ culier au fait que, de part et d'autre de la lacune, réappa­ raissait le même mot παρουσία ; mais ils ne prenaient pas garde1, que le mot, ici et là, n’avait pas le même sens, désignant en VH, G l'avènement eschatologique, le Juge­ ment dernier, en VII, 9, la « présence » continuée du Verbe dans son corps mystique ; certains, du coup, se sont risqués à la combler, comme déjà Sylburg2, ou plus près de nous Kihn3, pour qui la lacune originelle devait avoir exacte­ ment l'espace laisse blanc par le copiste de F. soit environ une ligne cl demie1 ; 2° Ou bien il s'agit d’une « coupure n au sens matériel du mot : une partie du parchemin ou du papier de ώ avait disparu ; ce ne peut être un simple fragment de page, car alors on devrait constater une lacune correspondante au recio ou au verso de ’.· même feuille, et située à une page exactement de distance ; or le copiste de F ne signale une nouvelle interruption de son modèle qu’en XI, soit 750 mots plus loin’1, cc qui suppose donc qu’un feuillet entier, sinon même plusieurs, ont sauté : la lacune aurait donc au mini- 1. Justes observations à ce sujet de Dom P. Andrikssen, ibid.. p. 9-11. 2. En S'inspirant-do Justin, Tryph., 110, il proposait : καί ναύτην δέ τήν παρουσίαν αύτοΰ άνενδοιάστως προσδοκώντας τούς κατά πάσαν τήν γην έπ’ αύτύν πβπιστευκότας ούδέν τό παράπαν έστι τύ έκφοβεΐν ή δουλαγωγεϊν δυνάμενον. Ούχ δράς γάρ πολλαχου κεφαλοτομουμένους TC καί σταυρουμένους καί παραβαλλόμενους κ.τ.λ. (cf. Otto*, p. 188, n. 20). 3. Der l’r.ipruny..., p, 162, n. I : οι γάρ άδικοι κατακριΟήσονται, ol δέ πίστεύοντες εις αυτόν τβύξονται ζωής. Διά τοϋτο οΐ χριστιανοί τυΰ θανάτου κατα-ρρονοΰσιν. Άλλ’ ούχ όρας παραβαλλόμενους κ.τ.λ. 4. Ibid., ρ. 45-48. 5. Je suis toujours Andriessen, art. cil., p. 23 (ces 750 mots repré­ senteraient bien le contenu d'environ 4 pages]. Cependant, il faudrait tenir compte de la possibilité d’autres lacunes, suggérées avec plus ou moins de vraisemblance par la critique interne (cf. Inlrod., p.26 n.) et qui pourraient avoir échappé au copiste de F). 180 COMMENTAIRE mum l’étendue de deux pages et il devient alors bien vain de chercher à la combler par conjecture. Avec Dont P. Andriesscn j’inclinerais volontiers pour la deuxième solution, qui respecte mieux le sens du mot εγκοπή (qui ne signifie pas à proprement parler lacune au sens philologique) el qui, d'autre part nous permet de supposer que des développements assez étendus se sont ainsi perdus : il faut en eiïet non seulement la place d’amorcer la discussion sur le cas des martyrs, mais peutêtre aussi une réponse à la question I, 1K sur l'amour mutuel des Chrétiens, à laquelle, dans le texte tel qu'il nous est parvenu, on ne trouve guère qu’une réponse, assez indirecte en X, 4-81, et surtout à la question c (le mépris du monde), à laquelle il est fait allusion mais non à proprement parler répondu, au cours des chapitres V et VI (cf. V, 5, 8-10; VI, 3, 5); peut-être aussi les pages disparues contenaient-elles autre chose encore, des motifs de crédi­ bilité pour la foi chrétienne, des « preuves manifestes », des « effets de la puissance de Dieu a (ci. VII, 9 )12. Dans ces conditions il faut se résigner à prendre tel qu’il est le contenu de nos chapitres VII-IX. Exposé au demeu­ rant qui renferme une matière assez riche : il y a là les éléments d’une « dogmatique à peu près complète »3, 1. Observation de Fr. Ovrrreck, Ueber den ps.-juslin. Brief an Diognet (Sludien Gesch. der allen Kirche, t. 1), p. 6-9. 2. Andriessen, art. cilé, p. 5 s., suggère qu'il pouvait y élrc parlé des miracles du Christ, mais celte suggestion s'explique par le besoin qu'a l'auteur d’insérer dans notre lacune le petit fragment de Quadratus conservé par Eusèbe, Hist. teel., IV, 3, 2, el cela en vertu de sa thèse : !'.·! Diognète est V Apologie de Quadratus; nous discuterons cette hypothèse plus loin et l'on verra les raisons, insur­ montables Λ notre avis, qui s’y opposent. 3. J’emprunte la formule à A. Kayser, La Mire à Diognète, dans T. Colam, Berne de théologie el de philosophie chrétienne, t. XIII, 1856, p. 268 ; cet article (ibid., p. 257 S.), bien oublié, mérite pourtant d'ètre relu, notamment, pour le sujet qui nous occupe ici, p. 268-276. Mais la meilleure des études qui aient été fuites de la théologie de Γ.Ι Diognète est celle de J. Donaldson, dans A critical history of INITIATION A LA FOI CHRÉTIENNE 181 surtout si on joint aux données de ces trois chapitres les allusions plus ou moins explicites aux articles de la foi qu’on peut glaner dans les autres parties de l'œuvre1. EÎTorçons-nous donc de regrouper l’ensemble de ces indica­ tions suivant un plan logique, tout en nous gardant (c’est un danger dont nos prédécesseurs n’onl pas toujours su se défendre) d’extrapoler, et de vouloir trop tirer des proposi­ tions formulées par notre auteur, souvent peu explicites dans leur banalité, ni de ses silences. Le Christianismo A *-rois reprises, en V, 3 déjà, puis en comme révélation VII, I au seuil de notre exposé théo­ logique, et enfin, avec une particulière instance en VIII, 1-5, l'auteur affirme le caractère surnaturel de la foi chrétienne, qui est une connaissance authentique de Dieu, parce qu'elle vient de Dieu lui-même par la révélation, et l’oppose victorieusement à l’impuissance radicale de la raison humaine incapable de s’élever à une appréhension valable de la nature divine. D’où ses sarcasmes contre les erreurs des philosophes (VII, 2-4'. Nous voici rejetés en pleine apologétique ; i’afgmnentation a sans doute une base théologique solide2, mais elle a ici pour rôle de rétorquer l’accusation familière aux païens, qui, de Celse à Julien l’Apostat, ont reproché aux Chrétiens d’être des illettrés prétentieux, ignorant la noble culture classique et sa tradition philosophique3. Christian literature and doctrine, t. II, Londres, 18G6, p. 127-134 ; cf. aussi L. B. Radford, The. epistle lo Dingnclus, Londres, 1908, p. 38-42 (pour la christologie). 1. On laissera pour le moment de côté l’apport des ch. XI-XI 1, dont l'authenticité a 61 é contestée cl qu'il convient par suite d'examincr â part. 2. Cf. .1. Lburf.ton, Histoire du dogme de la Trinité, t. Il, Paris, 1928, p. 413, à propos de la même doctrine chez Justin. 3. Cf. les matériaux rassemblés autour de Minutius Fbi.ix, 8, 4, par M. Pellegrino dans son édition commentée de l'Octauius, Turin, 1917, p. 88-89 (coll. Scriltori Mini commentati, t. CI.XXIII). 182 COMMENTAIRE Inutile d’insister sur le caractère naïvement élémentaire des allusions techniques du § VIII, 2 où notre auteur rappelle la définition du « premier principe o suivant Héraclite, Thaïes, etc. : sa science peut nous paraître aussi courte sur ce sujet que celle d'un bachelier d’aujourd’hui, mais il faut dire à sa décharge que la tradition doxographique n’équipait pas les lettrés antiques d’une documen­ tation beaucoup plus étoffée que la nôtre ! On sera peut-être tenté de taxer aussi de naïveté l’assi­ milation à la notion de Dieu de celle d’àp/ή, principe général de la nature des choses dans la philosophie ionienne. Mais ce n’est là que l’expression ramassée et rapide d’un thème devenu traditionnel et qui n’était pas sans quelque fonde­ ment raisonnable. Le judaïsme alexandrin depuis la Saÿe&te1 et, à son école, l’apologétique chrétienne depuis Aristide1 2 choisissaient volontiers comme point d'application de leur polémique contre a l’idolâtrie » le culte des éléments cosmiques et ce choix n'avait rien d'arbitraire : ils avaient le droit de voir là la forme la plus profonde et en quelque sorte l'essence du paganisme ; la propagande stoïcienne3 avait rendu familière à tous les contemporains l’interpréta­ tion physique des divinités du panthéon traditionnel (Héra, l'air ; Poséidon, l’eau, etc.) et on pouvait à bon droit voir là le résultat de l'effort le plus « scientifique » qui eût été tenté pour promouvoir sur le plan rationnel la vieille 1. Sag., 13, 2; on suit lu mémo tradition chez Philon, par ex., De decal., 52-55. 2. Aristide, Apol., 4-0 ; cf. l’ensemble des textes rassemblés par Gkffckrn, Zwei yne>:hischr Apologcten, p. 50 : Athénagore, Suppl., 16 ; 22 ; Clément d'Alex,. Prolrepl., V, 64-65 ; Ps.-Meliton, Or., 2 ; ARNORR, -Idu. nal., Ill, 35; Lactance, Div. inst., 11, 5; FirmÎCUS, De. errore prof, rd., 1-4 ; AthanaSE, C. Genl., I, 27 ; 29 ; Tiibodorbt, Grace. a(J. cur., III, 6 s., p. 39 Sylb. ; Prudence, C. Stjmm., I, 297 s. 3. Athénagore par ex., Suppl., 22, se référé expressément à renseignement des Stoïciens à ce sujet ; de mémo Lactance, Divin, inst., Il, 5, 7 s. ; ou, implicitement, Firmicus Maternus. De errore. I, p. 3, Ziegler (le feu comme summus deus). INITIATION Λ I.A FOI CHRÉTIENNE 183 religion païenne : c’était, comme l'équivalent d’une théo­ logie naturelle ; il était assez normal d’en faire remonter la paternité Λ ces vieux philosophes ioniens qui, les premiers, avaient reconnu à tel on tel de ces éléments un rôle pré­ pondérant dans la structure de l’univers. Pour qui vivait aux premiers siècles de l'ère chrétienne dans ce milieu culturel si imprégné de religiosité, et tout spécialement de religiosité cosmique1, cette interprétation religieuse de leur pensée pouvait apparaître comme une exégèse bien­ veillante et plénière, plus que comme une majoration ou une extrapolation illégitime. 11 est remarquable que le part i adopté par IMuctor ad Diognetum soit aussi celui d’apolo­ gistes aussi considérables qu'Athénagore ou Clément d'Ale­ xandrie1 23. .Apologétique, donc : nous retrouvons ici les caractères qu’avait- dégagés notre analyse des premiers chapitres (II-V) : même exposé rapide et sommaire, même style de pensée qui ne cherche pas ά s'approfondir en s’explicitant, même attitude hautaine et intransigeante, meme déchaîne­ ment de violence verbale, d’ironie cinglante et sarcastique : rêverie, imaginations (V, 3), humaines, trop humaines (VII, 1), vanité, sottise, fable, imposture, charlatanneries (VIII. 2; 4); la philosophie grecque n’est pas mieux traitée que n’avaient été l’idolâtrie ou le judaïsme ; cette intransigeance contraste avec l'attitude, en général beau­ coup plus nuancée et (Talion ou Hermias exceptés) au moins partiellement bienveillante, qu’assument les autres apologistes chrétiens en face de l’enseignement de la philosophie. .X’exagérons pas d'ailleurs la portée de cette fin, si absolue 1. Cf. Fkstcgière, La révélation d'Hermès Trismègisle, I. II, Le Dieu cosmique, Paris, 1940. 2. Athûnac.ork, Suppl., 22 (renvoie A Empéducl··) ; Clément, ProlrepL, V, p. 64, 1-2 (Thalès, Anaximàne, etc.) ; Ps.-Justin, Cohort, ad Gent., 3-1, notamment I, p. 30 C Otto : Thalès, Anaxi- mandre, etc., sont proclamés par les païens · maîtres de leur religion ·. 18-1 COMMENTAIRE de non-rcccvoir : notre auteur ne va pas jusqu’à nier formellement la possibilité d’une certaine connaissance de Dieu acquise par les forces propres de la raison humaine ; il affirme seulement, avec sa vigueur coutumière, que la révélation est indispensable pour donner accès à la connais­ sance authentique et complète, dont l'âme religieuse a besoin, et c’est IA, bien entendu, une exigence fondamentale du christianisme ; il est remarquable que, parmi les écri­ vains chrétiens de date assurée, le premier à l’avoir dégagée est précisément ce même Justin1 qui passe à bon droit pour le plus conciliant des anciens apologistes, et l’un des mieux disposés â l’égard de la pensée païenne1 2. Brièveté ou intransigeance, le bilan présente de cette philosophie dont la tradition classique tirait tant d’orgueil, est donc strictement négatif. .Mais il n’est pas interdit de trouver dans cette négation même une valeur proprement positive3 : à la lumière de la doctrine que nous trouverons pleinement explicitée à propos du retard de l’incarnation (IX, 1-2), nous pouvons interpréter cet échec de l'effort humain pour atteindre à Dieu comme une expérience de notre impuissance, une démonstration de l'insuffisance radicale de la raison, une vérification, en quelque sorte expérimentale, du caractère sans issue de toutes les voies proprement humaines ouvertes à notre connaissance, établissant par contraste le caractère nécessaire, inévitable, de l’intervention divine, de la Révélation. 1. Justin, Tryph., 4, 1 : · L'intelligence humaine pourra-t-elle jamais voir Dieu,si elle n'est revêtue du Saint-Esprit· (cf.zl Diognète, VIII, 1 ; 5 6). L'idée, bien entendu, est devenue après lui un bien, et un lieu, communs : ci. Hippolytk, Philosophoumena, X, 33, p. 121 Nautin (Hippolyte el Josipe.). 2. Pour Justin, /. Apol., 40, 3, ce même Héraclitn que l’.-l Diognète {VIII, 2} voue si allègrement au feu éternel, est un de ces sages qui, « ayant vécu avec le Verbe », ont été des chrétiens sans le savoir. ] 3. Je fais mienne ici une ingénieuse analyse de L. Alfonsi, dans son excellent petit livre Ermia fiioso/o, Brescia, 1947 (coll. Scrittorl Greci), p. 48-47 ; 118 : cf. 38 ; 8t. INITIATION \ LA FOI CHRÉTIENNE 185 Théologie : Ayant maintenant à analyser ce que le Père et le Fils p 4 Diognète nous apprend sur le contenu même de cette révélation, nous ne pouvons mieux faire que de la disposer selon le schéma classique si familier à tous les lecteurs des Pères grecs : théologie, économie. Par a théologie », au sens strict, on désigne la doctrine sur Dieu considéré en lui-même, sur son essence, et si on peut dire, sa structure intime ; nous ne pouvons dans le cas présent prononcer le mot de Trinité, car Γ.4 Diognète. qui contient un enseignement assez détaillé relatif aux deux premières Personnes divines, ne mentionne pas une seule fois le Saint-Esprit. 'allons pas interpréter ce silence comme un témoignage de quelque étape archaïque de l’élaboration du dogme, et parler à ce propos de a Binité » et de « binitarisme comme on l'a fait par exemple à propos du Pasteur d’Hermas qui paraît par moments identifier sans plus l’Esprit-Saint au Fils de Dieu, sinon même à l’archange Michel12.11 n’y a pas trace ici de telles spéculations : n’oublions pas que nous avons affaire à une Apologie, et non à un équivalent du Catéchisme du Concile de Trente ; Γ.4 Diognète ne prétend offrir à son lecteur qu'un premier aperçu des richesse de la foi (cf. X, 1) : il ne faut pas lui demander un commentaire de tous les articles du Credo. On n’oubliera pas d’autre part qu’il a fallu attendre l’épilogue de la crise arienne pour voir explicitement affirmée la divinité du Saint-Esprit et 1. Ce terme barbare a été mis en circulation par F. Loofs, Healencyklopadie f. protest. Theol. u. Kirche3, I. Ill, p. 2G, s. v. Christologie, et a connu une certaine diffusion chez les historiens du dogme (Harnack, Kirk). mais mérite d’être proscrit, car il est plus riche de confusions quo de lumière (cf. les justes observations de G. !.. Pres­ tige. God in patristic thought, Londres, 1936, p. xxn-xxiv). 2. Pasteur, Par. 5 et 8 ; mais ù un stade ultérieur de sa pensée. Hermas a rectifié sa théologie : Par. 9 (qu'il me suffise de renvoyer à ce propos à Lebreton, Hist. du dogme de la Trinité, t. 11, p. 370 s. ; 378; 383 $.}. 186 COMMENTAIRE son égalité avec les deux autres personnes1 : jusque-là, et peut-être même après, il est demeuré, sinon dans l’ombre, du moins dans la zone la plus secrète du mystère ; on comprend sans peine qu'il soit absent de cette catéchèse exotérique. Renonçons donc à trop scruter les silences de notre auteur et prenons tel qu’il se présente son enseignement avoué. Soit d’abord « Dieu » c’est-à-dire le Père (il ne sera formelle­ ment désigné comme tel qu’en X, 1 ; cf. déjà IX, 6), invisible (VII, 2) (cette épithète, fréquente on le sait1 2 chez les Anténicécns à partir d'Ignace d’Antioche exprime la qualité propre du Père qui ne peut être manifesté que par le Fils), éternel et immuable (VI11, 8) ; de son essence rien ne nous est formellement enseigné : qu'il soit un e pur esprit» est insinué en III, 4 (Dieu n’a besoin de rien) et VIII, 2-3 (Dieu ne saurait être comparé à aucun élément matériel créé). Considéré dans son rapport avec le monde il est proclamé Maître et Créateur de toutes choses (VII, 2 ; cf. III, 4 ; X, 2), Démiurge (VIII, 7), avec une insistance qui a évidemment, une arrière-pensée polémique, anlignostique ou antimarcionite ; par rapport aux hommes on le dira patient (VIII, 7), bon, doux, véridique (VIII, 8) sans tyrannie ni violence (VII, 3-4 ; IX, 6 ; X, 2). L’A Diognète ne prononce ni le nom de Jésus, ni celui de Christ, discrétion commune aux Apologistes, Justin seul excepté ; la seconde personne divine est tour à tour désignée comme Vérité et Verbe (VII, 2), et plus normale­ ment Fils, Γίός (IX, 4 : Fils de Dieu ; X. 2 : Fils Mono­ gène ; cf. Vil, 4) ou Γίαϊς (VIII, 9 ; Il : Fils bicn-aimé). 1. Voir dans cette même collection les introductions aux t. XV el XVII : Athanase, Lettres à Sfrapion (J. Lebon!, Basile, Traité du Saint-Esprit (B. Pruche). Λ qui s'étonnerait du silence Mal de notre texte au sujet du Saint-Esprit, je rappellerai des omissions, à première vue aussi surprenantes, sous la plume d’Irênéo (cr. LiîimP.rON. Trinité, l. 11, p. 548, contre Harnack, Dogmengeschichle*, L. I, p. 287, η. 1). 2. Cf. encore Lebueton, Trinité, I. I. p. 505, 544 ; t. Il, p. 283, il 3. 321-322. 402. INITIATION A LA KOI CHRÉTIENNE 187 Il ne faut pas chercher de distinction, les deux tenues ont visiblement la même valeur : on sait que dans le Nouveau Testament et les Pères Apostoliques Παϊςconserve souvent le sens de Serviteur de Yahvé qu’il avait dans la prophétie fameuse d'Isaïe (42, 1), telle qu'on la lisait dans les Sep­ tante1 ; mais très tôt2 on l'a également appliqué au Verbe en lui donnant la valeur de Ft7$ (l’usage classique du mot autorisait pleinement cette ambivalence3 et cet usage s’est rapidement généralisé sous la plume des Pores de l’Église à qui il fournissait un substitut commode de Υίός et permet­ tait de varier l'expression sans pour cela indiquer néces­ sairement une nuance de sens4. Il est saint (VII, 2 ; IX, 2)s, 1. A. Harnack, Die Bezcichnuny Jcsu als « Knecht Goiles · und ihre Geschichle in der allen Kirche, dans les Silzungsberichle de l’Acad. des Sc. de Berlin, 1926, 28, p. 212-238. Voir en dernier lieu O. Cijllmann, Jésus, serviteur de Dieu, dans Dieu Vivant, Case. 16. 1950, p. 19-34. 2. Dès le Martyre de Polycarpe, 14, 1 ; 20, 2. 3. Alors que l’hébreu Ebcd ne l'autorisait pas du tout ; le latin puer ne s'y prêtait pas aussi parfaitement (cf. Harnack, (bid., p. 237-23«, § 6). •I. La nuance, si nuance il y a, est difficilement discernable : de son enquête, très systématique, Harnack croyait pouvoir conclure {ibid., p. 237, § 4) que υιός appartenait plutôt à la langue tliéologique, παϊς ù celle do la liturgie et au style soutenu. La distinction que croit apercevoir P. Nautin, au sein des œuvres communément attribuées à Hippolyte, entre l'usage du vrai Hippolyte, qui réservi παϊς « au Verbe après son incarnation » et celui de l’auteur des Philosophoutneua qui l'emploicdu Verbe préexistant (H. Nautin, Hippolyte et Josipe. p. 49}, ne me parait pas tellement assurée (cf. Hippolyte, Ben. Jacob, 14, πρωτότοκος παϊς et (Ps. ?) Hippolyte, Philosoph., X, 34, πρωτόγονος παϊς ; cf. d'autre part les deux passages parallèles du Contre. Noël. H (p. 253, 11, Nautin' : (Λόγος) ... έ&ίκνοτο παϊς Θβοΰ, et 14 (p. 257, 3) : (Λόγος) υίος 8έ δείκνυται). Elle n'éclûirerait pas, de toute façon, l’emploi du mut dans Γ.4 Diognèlc: cf. E. Mol· i.ANn, dans Zeitschrift /. d. ne.utexl Wi$s.. t. XXXIII, 1934, p. 301, n. 38. 5. L’épithète vient d'Apvc., 3, 7, et non comme le pensait Gefïcken {Der Brief an Diogn., p. 21, I. 8) de la 1. Clem., 13, 3, où l’expression < le verbe saint» désigne ('Écriture et non le Fils. 188 COM.MENTAIIIE incompréhensible (Vil, 2)’, innocent, juste, incorruptible, immortel (IX, 2) : ces titres suggèrent assez que, dans la pensée de l’auteur, le Fils possède bien en commun avec Je Père l'essence divine. a Ni modalismc Peut-on préciser davantage et situer Ni subordinatianisine avec quelque chance de précision la I position de Γ-4 Diognèle dans l’éventail des théologies trinitaires? On ne manque pas d’être frappé dès la première lecture par l’insistance avec laquelle l’auteur s'efforce visiblement d'écarter toute idée d’une infériorité de nature du Fils par rapport au Père : « Non certes, comme certains pourraient l’imaginer, qu’il ail. envoyé aux hommes quelque subordonné n... etc. (VII, 2). Il semble bien que sa pensée j postule nettement l’égalité, et même l’identité de substance. ' Faut-il aller plus loin, et suspecter ΓΛ Diognèle d’incliner au modalismc et meme au monarchianisme? Certaines expressions, pour qui les considérerait isolé- , ment et les prendrait dans leur signification la plus pleine, I pourraient donner à le penser ; ainsi lorsque nous lisons : » Qui a su ce qu’était Dieu avant qu’il fut venu lui-même! » (VIII, 1), affirmation audacieuse devant laquelle avait | hésité Henri Estienne2. Ou, plus loin : « Nul ne l’a vu ni connu (il s’agit toujours de « Dieu », du Père) ; c’est luimême qui s’est manifesté » (VIII,5).On peut se demander | si l’auteur a ici une pleine conscience de ce que nous appe­ lons la personnalité divine. Par moment, le p verbe » dont il ! parle (le traducteur hésite un moment avant d’écrire « Verbe » avec la majuscule) menace de n'être plus qu'un attribut, une qualité abstraite ou une influence imper­ sonnelle de l'unique Dieu et Père ; ainsi en VII, 2 à propos de ce n Verbe saint et incompréhensible n qu’il « a établi J. Ce terme vient de Philon, De nuit, nam., 3 (15), p. Û80-58I * Mangey. ■2. Ç>ui proposait de traduire < avant que le Ills de Dieu ne fût venu lui-même >. INITIATION A I.A FOI CHRÉTIENNE 189 chez les hommes el affermi dans leurs cœurs j#1. Ailleurs on paraît glisser au patripassianisme avoué : « (Dieu) luimême a assumé nos propres péchés... » (IX, 2)1 2. Mais ce n’est là qu'apparence. De telles formules ne prennent leu;· relief qu’une fois énucléées de leur contexte : en fait, par exemple la dernière est aussitôt contrebalancée par ce qui lui fait suite : « 11 a assumé nos propres péchés : il a livré lui-même son propre Fils en rançon pour nous » etc.3. Et si plus loin on retrouve : « Qu’est-ce qui aurait pu couvrir nos péchés sinon sa justice » (le pronom est ambigu)4? ; c’est pour entendre immédiatement préciser : En qui pouvions-nous être justifiés sinon par le seul Fils de Dieu?» (IX, 3-4). On n’a pas de peine à préciser de même la vraie pensée de l’auteur pour chacune des phrases incriminées : le caractère impersonnel de la mission du Verbe en VII, 2,est heureuse ment corrigé par l’image de VII, 4 : a II l’a envoyé comme un roi envoie le roi son fils... n De même pour VIII, 5 : « Il s’est manifesté lui-même » : oui, mais, précise expressément la ligne suivante, « Il s'est manifesté par la foi » (VIII, 6), évidemment dans la révélation du Verbe incarné (cf. VIII, 11). Enfin la venue de « Dieu » dont parle le § VIII, 1 ne postule rien de plus que la consubstantialité : « Le Verbe était Dieu... el il a habité parmi nous » (./ο. I, 1 ; 14)5. 1. Cf. à ce sujet E. Holland, dans Zcilschri/l f. d. neulcsl. Wise., t. XXXIII, 193-1, p. 306. Je ne puis suivre Meecham (The. epistle to Diogncltis, p. 118), qui veut comprendre Λόγος au sens d’« ensei­ gnement ». 2. De Sylburg à Otto, celte proposition hardie a embarrassé bien des commentateurs : Otto s’est résigné au parti radical do l'expulser tout entière du texte comme une glose qui s'y serait introduite à tort... 3. Bonne mise au point de Donaldson, .4 critical history of Christian literature, t. 11, p. 128. ■I. Sa justice, εκείνου δικαιοσύνη : s’agit-il du la justice de Dieu, sujet des propositions précédentes, de cello du Fils de Dieu (mais le nom n’apparaît qu’aprés) ? 5. Cf. toujours ici Donaldson, op. cil., p. 129. . 190 COMMENTAIRE De même on ne peut manquer d’être frappé des termes équivalents et meme parfois identiques auxquels recourt l’auteur pour caractériser les attributs ou le rôle, soit du « Père » soit du Fils. On pourrait les mettre eu parallèle sur un tableau en deux colonnes : si les desseins de Dieu sont ineffables (VIII, 9), le Verbe est incompréhensible (VII, 2). Dieu est le créateur, (VU, 2), le Démiurge de l'univers, celui qui l’a «fait» (ό ποιήσας : VIII, 7) ; le Fils en est l’artisan (τεχνίτης) ct. lui aussi le Démiurge (VII, 2). Dieu est le maître ct l’ordonnateur du monde (VIII, 2) ; le Fils en est le législateur et le conducteur (VII, 2). L’un et l'autre sont Roi, sont Dieu (VII, 4). L’auteur puise dans le réper­ toire traditionnel des noms divins pour les appliquer tantôt à l’un, tantôt à l’autre, avec une telle indifférence pour leur appropriation plus ou moins spécifique que l’esprit du lecteur finit par ne plus savoir exactement à quoi s’en tenir, pour peu que la construction syntaxique se prèle à l’amphi- i bologic. C’est ce qui arrive dans la longue énumération des titres1 qui achève lyriquement l’exposé sotériologiquc ( IX, 6) « ... nous ayant montré le Sauveur... (Dieu a voulu nous donner foi dans sa bonté et nous montrer en lui nourricier, père, docteur, conseiller, médecin, intelligence, lumière, honneur, gloire, force, vie ■·. Les pronoms personnels αύτου, αυτόν, sont ici encore ambigus, et l'exégète hésite longuement I avant de savoir s’il doit les entendre du Père ou du Fils12 ; l’énumération elle-même nous laisse d'abord perplexes : Nourricier3, Père, paraissent peu convenables pour le Verbe 1. L'ancienne littérature chrétienne offre d'assez nombreux exemples de listes plus ou moins analogues : voir par ex. OiUGÈNt, Fr. in Matth., S3; 252; ln Jo., 1, 9 (11); I, 21-23 (23) (litres du Christ) ; Actes de Jean, 109 ; .Idc*· (Vcrccll.) de Pierre, 20 ; saint Basile, De Spir. sancto, 8 (17) ; cf. 8 (19). 2. Voir par ex. E. H. Blakeney, The epistle to Diwjn., p. 72-73. 3. Attribut de Dieu dans Baruch. 1, 8 (lui-même inspiré de A'u/n., 11. 12). INITIATION A LA FOI CHRÉTIENNE 191 incarné ; Docteur1, Conseiller12 par contre, paraîtraient exclure le Père... On ne sait d’abord que penser. Mais ne nous hâtons pus de conclure d’une apparente confusion de langage a je ne sais quelle confusion des personnes divines, à une confusion consciemment professée de ce que la théologie post-nicéenne appellera les deux premières personnes divines : il suffît pour être mis en garde contre cette conclusion trop hâtive de confronter les pas­ sages cités de Γ.-1 Diognète. avec l’usage de l’ensemble des anciens écrivains ecclésiastiques ; on constate facilement que toutes les équivalences dont use si librement notre auteur trouvent ailleurs des parallèles, ct qu’ici comme là, cette communauté d'attributs n’implique nullement une identification du Fils avec le Père, mais simplement que les opérations ad extra relèvent de l’action commune des Personnes divines, ce qui est dans la ligne de la plus classique orthodoxie34. Ainsi, pour commencer, du Litre de Démiurge : ce terme d'origine platonicienne qui fait une première et timide apparition dans le Nouveau Testament-*, est utilisé par Clément de Borne5, et surtout par les Apologistes et les Alexandrins : normalement on l’applique à Dieu », — au Père (le contraste est particulièrement net avec l'usage blasphématoire qu'en faisaient les Gnostiques) ; mais comme la Création est, par appropriation, volontiers 1. Διδάσκαλος, équivalent grec de Rab ou Rabbi, un des appellatifs les plus fréquemment employés ù propos de Jésus dons les récits évangéliques. 2. Un des titres conférés au Messie dans Isale, 9, 5 (LXX, texte des niss Sinall., Alex.} ; cf. Pasteur ü’Hbrmas, Sim., 9, 12, 2. 3. La doctrine apparaît déjà nettement formulée chez, saint Irénée, Adv. haer., IV, 34, 1, Harv. 4. Héb., 11,10(rien d’analogue dansFAncien Testament: II. Mac., 4, 1, ne l'applique pas à Dieu). 5. Voir les textes rassemblés par Lbbrbton, Hist, du dogme de la Trinité, t. Il, p. 261, η. 1 (Clément), n. 4 (Apologistes). 192 COMMENTAIRE considérée en fonction du Verbe1, on en vient tout naturel­ lement à l'appliquer parfois à celui-ci. L’usage de Γ/1 Diognèle peut trouver son correspondant dans celui par exemple d'un Clément d’Alexandrie2. La litanie finale de IX, 6 prête à des observations analogues : si curieux que soit, le fait, il n'est pas étonnant de voir le qualificatif de « père » applique au Fils3, de même Médecin4, Lumière5, Vie" apparaissent tout à tour appli­ qués ύ fune ou à l'autre personne et parfois sous la plume d’un même auteur. Les termes Honneur, Gloire, Force, ne se rencontrent pas ailleurs, à ma connaissance, employés comme noms divins ; je ne les trouve appliqués à Dieu qu'indirectement dans les doxologies du type a ...à Lui soient l’honneur, la gloire, la force, etc. » ; c’est certaine­ ment de telles formules que notre auteur les aura extraits, 1. Doctrine traditionnelle depuis VEp. de lïarnabi: ci. par ex. encore Lkurbton, op. cil., I. Il, p. 338 s., -162 s., 189, etc. 2. Cf. In Register de l’éd. StAhlin, CCS, I. XXXIX, p. 327 b, s. v. : 30 exemples du mol appliqué à * Dieu », -1 au Verbo. 3. · Père » est un dea titres du Messio dans Isaie, 9, 5 (· Père du siècle à venir » selon les LXX, l'hébreu dit même : ■ Père éternel » I), d’où : /Z. Clem., 1. 4 ; Origènr, in du.. 32, 30 (29), p. 476. 6; 31 (39), p. 478, 10; Hom. Clement., 3, 19 : le Christ a agi «comme un père pour scs enfants »; Synbsios, Hymne IX, Il ; 29; sans parler du gnostique Valentin, ap. Irtnie, I, 1. I, p. 9 Harvey. 4. Il serait long d’aligner la double 111c des textes (cf. Harnack, Mission und Ausbreilung*, t. 1, livre II, ch. 2) : elle commence, pour le Fils avec Ignace d'Antioche, Eph., 7, 2. pour le Père avec la /. Clem., 59, 4 (où on trouve l’idée exprimée par le verbe, ϊασαι) ; le nom Ιατρός chez Théophile ü’Antioche, Ad Auto!., 1, 7. 5. Cf. G. P. Wetter, ΦΩΣ, l.’psal, 1915; F. J. Dôi.ghr, en dernier lieu dans Lumen Christi, ap. Antike und Chrislenlum, t. V, 1936, p. 1-43 ; ici aussi, ne signalons que la tétc des deux lignes : Dieu, Z. Jn., I, 5 (cf. Sag., 7, 26) ; le Christ, Jn., 8, 12; il faut souligner aussi la portée de la formule fameuse lumen de. lumine, incluse dans le Symbole de Nicée mais qui lui est bien antérieure (Denys d’Alexan­ drie, milieu du in* siècle : cf. DAlgp.r, ap. Antike und Chrislenlum, t. I, 1929, p. 283-285). G. De même : pour Dieu, 1. Jn., 5, 20 : pour le Christ, Jn., 14, 6. INITIATION A LA KOI CHBÉTIEXXE 193 pour les hypostasicr en quelque sorte ; mais, là encore, ces termes apparaissent dans des doxologics adressées de façon équivalente soit au Père soit au Fils, soit à l’un et à l'autre1. L'usage du terme Νους, * intelligence, esprit » est pareille­ ment ambigu : Athénagore par exemple, l’applique à trois lignes d'intervalle au Fils, puis au Père1 2 ; l'emploi de ce nom divin présente d'ailleurs un caractère moins stricte­ ment ecclésiastique : il a été emprunté par les auteurs chrétiens3 à la tradition philosophique (d’Anaxagore à Plotin), à la langue religieuse des païens, celle notamment des écrits hermétiques, où le dieu Νους prend un relief particulier4, — et aussi à la langue des gnostiques ellemême tributaire de la précédente. Mais à ce niveau se retrouvent les mêmes variations de sens : tantôt, chez les Naasséniens par exemple56 , A'oûs est le nom du premier Principe d'où tout émane, tantôt ( et semble-t-il plus souvent) il apparaît au second rang seulement, comme première émanation (Basilide, Valentin, etc.)®, ce qui explique qu’on ait pu l’appliquer à la seconde personne de la Trinité7. De tels rapprochements sont instructifs : il ne faut pas traiter, et surtout à la date ancienne où se situe notre écrit, la langue chrétienne comme un monde clos, une 1. Voir par ex. les doxologies de l'Apoc., 5, 12 (au Fils); 7, 12 (au Père) ; 5, 13 (aux deux réunis). 2. Atiiùxagohe, Suppl,, 10, 2: Νους καί Λόγος τοΰ IΙατρόςό Υιός τοϋ Θεοΰ, et plus loin : ό Θεός, Νους άίδιος ών ; ibid., 24, 1 (appliqué au Fils). 3. El notamment Clément d’Alexandrie : cf. Bf.hm dans Kittel, The.nl. Wôrterbuch, t. IV, p. 958; et, ibid., p. 955 (Plotin, Hermès), 956 (Gnostiques). 4. Corp, hermetic., 1, 6, p. 8. Nock-Festugière (et la n. 4) ; etc. 5. Hymne conservé dans les Philosophoumena otlrib. à Hippolyte, V, 10, 2 (interprétation de Harnack, Dogmengeschichle1, l. 1, p. 257, n. 2). 6. I rénée, Ado. Huer., I, I, 1 (Valentin) ; I, 19, 1 (Basilide). 7. Actes de Thomas, 27 ; Actes de Philippe, 132. 194 COMMENTAIRE langue technique parfaitement différenciée. Une litanie comme la nôtre reflète les habitudes de langage de la pieté païenne : les écrits hermétiques associent, comme 1Ά Diognèle les noms divins de Nous, Vie, Lumière, Démiurge1. Et cette confrontation nous met sur la piste de remarques inattendues : si par exemple le titre de Nourricier, à en juger par les textes de l'Ancien Testament qui pouvaient en suggérer l’emploi à notre auteur, nous a paru devoir s’appliquer proprement à « Dieu », au Père, l'usage qu’en font les traités hermétiques montre que notre auteur pou­ vait très bien, comme eux, l’entendre du Sauveur1 2. Que conclure3? sinon que toutes les affirmations soidisant monarchianistes de notre texte s’expliquent sans scandale si notre auteur a simplement professé que le Verbe était Dieu : cela est d’autant plus raisonnable qu’on pour­ rait se livrer à l'expérience inverse et extraire symétrique­ ment du contexte des propositions qui pourraient paraître insinuer au contraire une inégalité, une infériorité foncière du Fils vis-à-vis du Père : n’apparaît-il pas en quelque sorte comme son instrument? C'est par lui (ώ...) qu’il a créé et qu’il dirige le monde (VH, 2), c’est lui qu'il envoie pour sauver (VII, 4), pour révéler (VII, 5, VIH. Il), pour juger (VII, 6). Mieux encore, lorsqu’on nous dit que «Dieu» conçut (en lui-même) un dessein ineffable et le communiqua à son Enfant (VIII, 9), la distinction des deux phrases ne glissc-t-elle pas au subordinatianisme ? Mais là encore cc serait forcer le sens obvie du texte ; il suffit de replacer ces propositions dans l'ensemble de l’exposé pour les vider de tout venin : VIII, 9 trouve sa 1. Corp, hermetic., I, 9, p. 9, Nock-Fostugière (et la n. 25). 2. hi., XVI, 12, p. 235. 3. En cc qui concerne l'interprétation de IX, fi, la construction paraît plus normale en comprenant αύτόν, comme αύτοϋ, du Père ; si les titres de Docteur eide Conseiller paraissent plus spécifiques du Fils, on peut admettre que le Père les reçoit par participation, à travers lui. INITIATION A LA FOI CHRÉTIENNE 195 contre-partie en IX, 1 : c’est de toute éternité et au sein de la divinité meme que s’est effectuée cette communication du Père et du Fils. C’est d’autre part forcer la valeur d’un datif « instrumental « que de voir une preuve de subordination dans le fait que l’action du Père dans et sur la création s'est exercée par le Verbe, — doctrine on ne peut plus classique, que la tradition théologique a trouvée déjà nettement formulée par saint Paul’ ; et si la notion de « mission » implique une certaine dépendance, disons même une infériorité, c’est à la kénosc du Verbe incarné qu’il convient de l’appliquer... N’accusons donc pas Γ/l Diognèle de préparer l’arianisme, quand nous venons de l’absoudre de tout soupçon de sabellianisme : sa position se situe tout simplement dans l'axe même où s’exercera l’effort d’élaboration technique de la théologie nicéenne et post-nicéennc : ces formules 1res générales et encore bien imprécises ne font que délimiter par avance la zone où s’insérera la claire définition de la consubstantialité. Mais tout cela demeure très vague, très élémentaire : il n’y a là pas grand chose qui puisse aider l’histoire à situer plus précisément notre texte dans le temps, l'évolution théologique et la diversité des écoles. La seule précision un peu technique qu’on ait pu relever est contenue dans le passage1 2 où l'auteur proclame que Dieu n’a pas envoyé aux hommes «un subordonné, un ange ou un archonte, ou l’un de ceux à qui est confié le gouvernement, l’administration des choses terrestres et célestes »... (VII, 2). Il y a là une pointe polémique visible­ ment dirigée contre un certain aspect des spéculations gnostiques. L’allusion est assez précise3 : le Sauveur n’est 1. 1. Cor., 8, C; Col., 1, 16; cf. Ilib., 1, 2. 2. Oui, littérairement, est une réminiscence d'Isalt, 63, 9 (LXX) : «Ce n’eet pas un envoyé ni un ange, c’est I.ui-niéine qui les n sauvés... ». 3. Bien que les ternies successifs, Serviteur, Ange, Archonte,... soient coordonnés par un disjonctif, ils sont en réalité placés sur le même plan : ce nu sont pas des hypothèses distinctes. 196 COMΜΕΝΤΛ1ΠΕ pas un de ces êtres qui, quoique surnaturels et supra­ humains, n’en seraient pas moins de beaucoup inférieurs au Dieu qui les aurait envoyés, un de ces anges à fonc- ’ tion cosmique auxquels on donnait volontiers le titre d’archontes, et à qui, dans la Weltanschauung des premiers siècles de notre ère (Païens mystiques, .Juifs et Chrétiens y participaient également) était dévolu le gouvernement des choses du monde, des royaumes de la terre comme des planètes et des astres1. L’auteur ne s’en prend pas ici à l’usage si répandu chez les Pères anténicéens de conférer au Verbe le titre d’Ange : cet usage qu'autorisaient certaines qualifications attribuées au Messie par les prophètes12, permettait de reconnaître déjà le meme Verbe, que l’Évangile révélera incarné, apparaissant pareillement envoyé en mission dans les Théophanies de l’Ancien Testament où intervient le mysté­ rieux Mal*ak Yahvé, l’« Ange du Seigneur»3. Ces applica­ tions ne prétendaient pas définir la nature, l’essence du Verbe, mais seulement sa fonction, officii, non naturae, vocabulo*. L’auteur a ici en vue autre chose ; un texte, heureusement très explicite de Terlullien nous permet de préciser l’allusion : dans son traité De carne Christi, dirigé contre le Docétisme gnostique, le docteur africain polémique contre les Valentiniens selon lesquels, dit-il. le Christ, dans 1. Cf. I. Cor., 2, 6-8 et les commentaires nd loc. 2. Isole, 9, 5 (Ange du Grand-Conseil), Matachie, 3. 1 (Ango de l’Allionce). 3. Cf. û ce sujet J. Raruei., Christo* Angelus (dan» la cnil. The»· phoneia dirig. par I·". J. DOIgcr et Th. Klauser, I. Ill;, Bonn, 1941, p. 34-180 ; ce type d’interprétation, utilisé dans un but polémique contre les païens, les marcionites et les sabellicns, se révéla dangereux par l’application qu’en Urent les Ariens ; d’où une réaction qui trouvera son point d’aboutissement chez saint Augustin (J. Lehrkton, / Christian lite­ rature, t. Il, p. 131) a cru pouvoir inférer que, dans tout le passage IX, 2-5, l’œuvre du File était de caractère purement moral, n’impliquant ni culpabilité ni châtiment : c’est faire bon marché du mot λύτρον, « rançon > qui est assez clair, et «les allusions, fort précises elles aussi au châtiment qui attend les pécheurs (IX, 2, etc.). Υπέρ a bien ici la valeur · en substitution de- » et non pas simplement « au profit de- ». 2. C.o mot, très régulièrement formé sur Ανταλλάσσω est pratique­ ment un hapax (le Nouveau Testament n’ofTre que le nom d’objet correspondant, Αντάλλαγμα : Marc, 8, 37 ; Matlh., 16, 26). ‘Ανταλλαγή n’est attesté par ailleurs que dans la langue technique du droit romano-byzantin, où il fait son apparition vers 500 ap. J.-C. (Code Justinien, I, 2, 17. I ; I, 2, 17, 3 : Anastase) ; mais il a été alors créé â nouveau, de façon indépendante, pour traduire le terme technique latin permutatio. 3. Cf. Matlh., 11, 27 ; Jn., 1, 18 ; 3, 11-13 ; 6, 46 ; 8, 19, etc. Puis : Ignace ü’Antiqche, Magn., 8, 2 ; Mart. Polyc., 1-1, 1 ; etc. INITIATION A LA FOI CHRÉTIENNE 201 ferait l’originalité de ΓΛ Diognète, c’est le rôle exclusif qu’il paraît reconnaître ici à l’enseignement du Christ : on pourrait croire qu’il exclut aussi bien la connaissance naturelle de Dieu que le rôle des prophètes et de tout l’Ancicn Testament ; mais le lecteur sait déjà dans quelles limites il faut maintenir la portée de ces silences1. Depuis la venue du Christ, une ère nouvelle a été inau­ gurée dans l’histoire de l'humanité : les Chrétiens vivent désormais dans ce que l’auteur ose appeler le Règne de la justice (IX, I), qui est déjà une participation au moins inchoative au Royaume de Dieu ; il faut, en lisant la conclusion de IX, 11, se souvenir de VI, 8, qui souligne heureusement l’aspect eschatologique de celte participa­ tion. C’est la foi qui rend celle-ci possible; c’est par la foi, et par la foi seule que nous connaissons Dieu d’une connais­ sance plénière et efficace (VIII, 6 ; IX, 6-X, 1) ; par elle1 2 c’est le Verbe lui-même qui vient habiter en nous (VII, 2) des effets merveilleux de cette présence, de cette Parousie, du Verbe, et donc de Dieu, dans le cœur des Chrétiens, l’auteur dans l'état mutilé où nous est parvenu son texte3, ne nous donne qu’un seul exemple, à scs yeux éclatant : celui des Martyrs. Reprenant un thème cher à juste titre à la tradition apologétique4, il montre que leur courage surhumain, la fécondité de leur sacrifice, ne peuvent s'expli­ quer que comme une manifestation de la puissance de Dieu, qui agit en eux et par eux (VII, 7-9). 1. Voir ci-dessus, p. 11-1-116, 184. 2. 11 convient de ne pas faire de contresens sur ce passage dilllcile : l’« insertion · du \/erbe dans les cœurs des hommes pourrait à première vue faire penser, dans la perspective chère à Justin (/. Apol., 46, 2 s. ; cf. 44, 10), â une participation au Verbe par la raison : de cela, un l'a vu, il est question en X, 2, mais ici (VII, 2) cette venue du Verbe dans l’Ame est subordonnée à sa · mission », — ά l'Incarnation. 3. Il est assez vraisemblable que ce thème devait être introduit plus explicitement à l’intérieur de la lacune signalée avant VII, 7. 4. De Justin {Tryph., 110, 4) et Tehtullien {Apol., 50, 13) à 1-ACTANCE {Diu. insl., V, 13, 11). 202 COM M ENTA I BE On notera à propos de ce passage combien les préoccupa­ tions apologétiques se sont atténuées progressivement dans l’esprit de l’auteur pour faire place à un enthousiasme h protreptique » : Diognète (c’est là le sens d'une de ses questions : I, Γ*) s’étonnait du mépris de la vie, de l’indifférence devant la mort dont témoignaient les martyrs ; il n’y a pas de doute que pour lui, comme pour les païens en général1, c’était là un scandale, quelque chose d’inexplicable ; notre auteur ne paraît pas soucieux de lui faciliter la compréhension de celte psychologie si nouvelle : loin d’excuser, d’expliquer le comportement des Chrétiens, il l’exalte lyriquement, et par une rétorsion de l'argument fait du scandale une preuve, sûr semble-t-il de l’adhésion de son lecteur. Le seul point sur lequel notre auteur (χ. i-6) s’étende de façon réellement explicite est celui que soulevait la dernière des questions posées par Diognète (I, lh) : Cur lam sero? Il y a là un développement intéressant, original et d’une réelle profondeur de pensée. Nous avons souligné toute l’importance, tout le sérieux du problème ainsi posé ; au cours du second siècle de notre ère, la contre-attaque païenne avait retourné contre le Christianisme ce qualificatif de nouveau que la première génération chrétienne, Gère d’avoir reçu et de transmettre la e Bonne Nouvelle », l'Évangile du salut, avait eu d’abord tendance à arborer comme un titre d’honneur1 2* . L’accusation pouvait se développer à deux niveaux ; on Pourquoi si tard ? 1. Cf. ci-dessus, p. 100, D. 2. Harnack, Mission und Ausbrcilung*, t. I, livre H, ch. VI, • le message du peuple nouveau et do la troisième race » : la notion fait son apparition dans VËpitre de linrnabt (5, 7 ; 7, 5) et constitue un des lieux communs de l’apologétique chrétienne depuis la Prédi­ cation de Pierre (fr. V Dobschütz : Clément d’AJ., Slrorn., VI, 5, 41). < Cf. K. Premm, Chrislenlum als Neuheilserlebnis, Fribourg, 1039 ; A. Casamassa, L'accusa di · hesterni » c gli scrillort cristiani del II. secuto, dans Angelicum, t. XX, 1913, p. 184-191. , INITIATION A LA KOI CHRÉTIENNE f ( I *i I I i I j I J I I I I 203 pouvait simplement reprocher aux Chrétiens d’innover en matière religieuse : dans celte civilisation classique si con­ servatrice, où l'antiquité devenait si facilement un critère de vérité, la nouveauté du Christianisme pouvait servir à lui contester toute autorité; d’où la peine que prendront tant d’apologistes pour établir l’antiquité de la religion chrétienne, en tant qu’héritière légitime de la vieille religion d'Israël ; cette antiquité établie, retournant 1'argument, ils chercheront, à montrer que c’est au contraire la sagesse païenne qui, plus jeune, a emprunté ce qu’elle possède de vérité à la tradition révélée de l’Ancien Testament : Platon a démarqué Moïse, etc.1. C'était là reprendre un thème déjà bien exploité par le Judaïsme hellénistique. L’autre aspect de l’accusation, plus théologique, touchait à la théodicée : Pourquoi ce Dieu bon a-t-il laissé si long­ temps l’humanité se fourvoyer dans la voie du péché? Comment s’expliquer qu’un Dieu éternel ait attendu si longtemps pour se révèler et sauver? En dernière analyse, c’est la notion même d’une οικονομία, d’une intervention de l’Éternel dans l’histoire de l'humanité, d'une théologie du temps et de l’histoire, notion essentielle à un christia­ nisme authentique, que la mentalité si profondément a-historique de l'antiquité se trouvait amenée à contester. C’est en ce sens très profond que l’zl Diognète a compris l’objection ; sa réponse se déploie en deux phases : d’une part elle souligne que si l’économie du salut s’est manifestée dans le temps, ce n’était là que la réalisation d’un dessein conçu de toute éternité et demeuré dans le secret de l’intimité des Personnes divines (VIII, 9) : par là est sauvegardée cette immutabilité dont la pensée antique avait, et à bon droit, fait un caractère essentiel del’Absolu. Du meme coup (c’est l’aspect a théodicée » de l’argument), 1. Voir entre autres textes Justin, /. Apol., 44, 8 s.; Tatien, 31 ; Théophile ù’Antjochk, Ad Aulol,, I, 14; II, 37-38; III, 16 s. 204 COMMENTAIRE Dieu est disculpé de tout reproche de méchanceté ou d'indifférence (VIII, 8). Mais on ne pouvait s’en tenir là sans laisser inentamé le cœur du débat : «Pourquoi si tard»? Pourquoi l’incar­ nation, la Révélation et la Rédemption ont-elles attendu le temps d'Auguste et de Tibère? Certains Apologistes du Christianisme, et parmi les plus grands, ont tenté d’évacuer la difficulté en niant le fait : Origène par exemple, et de façon analogue saint Augustin, en insistant sur l’éternité de l’Église, la montrent coextensive à la durée de l’humanité, à son histoire : puisque l’Église du Christ a commencé avec les Patriarches et les Prophètes, elle n’est pas une nou­ veauté, car la Vérité était déjà révélée aux hommes par l’Ancicn Testament et le salut accessible par l’appartenance au peuple élu1. Mais c’était là une position polémique qui minimisait l’apport original de l’incarnation et faisait bon marché des indications insistantes de saint Paul sur la « plénitude des temps »12. Que fallait-il entendre par ces mots? Saint Irénée3. Origène lui-même ailleurs et mieux inspiré45 , d'autres à leur suite6 en fournirent une interprétation optimiste par la fameuse thèse de la pédagogie divine : Dieu a attendu, pour communiquer aux hommes la plénitude de son message, qu'ils fussent devenus capables de la comprendre et d’en supporter les conséquences pratiques : l’histoire sainte du peuple d’Israël nous fait assister à l’éducation progressive d’une élite choisie au sein de l’humanité ; la lecture de l’Ancicn Testament nous montre la Révélation se faisant par 1. OiuGÈNE, C. Celt., IV, 7 ; Augustin, Ep., 102, 2 (8-15) ; cf. Arnobb, 11, 75. 2. Gai., 4, 4 ; Êph., 1, 10 ; cf. Mc., 1,15. 3. Cf. les textes rassemblés en dernier lieu par 11. de Luuac, Histoire et Esprit, Paris, 1950, p. 248. 4. Cf. H. Koch, Pronoia und Paideusts, Leipzig-Berlin, 1932, p. 61-62; de Lubac, op. cil., p. 254-257. 5. Ainsi Eusùbb, Hist, eccl., I, 2, 17 ; 21 s. j INITIATION A LA FOI CHRÉTIENNE 205 étapes, chaque fois plus précise et plus claire, et conduisant jusqu’au plein jour de la prédication évangélique. A cette thèse, bien alexandrine parson optimisme foncier et par l'accent qu'elle met sur l’aspect «révélation», Γ/1 Diognète en oppose une autre, qui insiste davantage sur le problème du salut et que, par contraste, nous pouvons qualifier de pessimiste ; solution originale et profonde, très solidement ancrée elle aussi sur la plus authentique tradition doctrinale. Faut-il se hâter de souligner que ces deux prises de position ne s’excluent pas l'une de l’autre, et que pessimisme et optimisme font également partie, chacun dans son registre, du concert de la tradition1. On voit très bien comment l’auteur a pu élaborer cette solution : elle est issue (et la chose ne saurait étonner de la part d’un homme que sa plume révèle si profondément imprégné de la lecture de ΓApôtre) d'une transposition de VÉpîIre aux Gâtâtes à la lumière de VÉpîIre aux Domains. Cette longue attente pendant laquelle est demeuré comme suspendu l’accomplissement du dessein de Dieu, ne signi­ fiait pas de la part de celui-ci abandon de l’humanité, indifférence à son égard (VIII, 7 ; 10) ; Dieu s’y est montré plein non seulement d’amour pour les hommes mais aussi de longanimité, de patience (VIII, 7 ; IX, 2) : le mot et l’idée viennent de saint Paul, et précisément de VÉplire aux Romains12 ; les délais que, dans la perspective de la révéla­ tion, les Actes, 17, 30, lui font appeler les « temps d'igno­ rance » apparaissent là à saint Paul, dans celle du salut, 1. Au point que nous trouvons, on passant, la thèse «pessimiste · chez l'optimiste saint Ihhnèe, Ado. haer., IV, 61, 1, p. 291 H; V, 3, 1, p. 325. Pour une discussion générale du problème, tel qu’il se présente ù la conscience chrétienne de notre temps, cf. P. Duuarle, Optimisme devant ce monde, Paris, 1949; et 11. I. Marrou, L’ambi­ valence du temps de l'histoire chez saint Augustin, Montréal-Paris, 1950 (Conférence Albert le Grand, 1950). 2. flom., 2, 4 (μακροΟυμία : ΓΛ Diogn. a en VIII, 7 l’adjectif, en IX, 2 le verbe correspondants). 206 COMMENTAIRE comme ceux de la « patience de Dieu »l. Dans la fresque grandiose qui ouvre VÉpîlre, il nous a dressé un double tableau de la situation de l’humanité : tous, .Juifs et Gentils sont également sous le joug du péché12 : le monde tout entier (c’est-à-dire, comme dans Γ/l Diognèle, l’humanité) est également sous le coup de la justice de Dieu3. C’est la doctrine même que reprend notre auteur, mais très finement il explicite la notion de développement que les raccourcis vigoureux de l’Apôtrc ne font que suggérer45 6: au cours des siècles antérieurs à la venue du Christ, l’huma­ nité s’est progressivement enfoncée, de plus en plus, dans l’abîme du péché, épuisant en quelque sorte les possibilités du mal ; dans la ligne où se maintiendra la théodicée classique, il a bien soin de préciser que Dieu ne saurait en aucune façon être considéré comme la cause du mal qu’il a seulement toléré (IX, 1) en vue d’une fin qui était bonne : celle qui consistait à démontrer, en quelque sorte par l’expérience, l’impossibilité radicale où se trouvait l’homme d’accéder par lui-même à la justification, et par contraste à faire apparaître l’impérieuse nécessité d’un salut procuré gratuitement par la miséricorde divine (IX, 1-2). Mais qu’est cela sinon, appliquée à l’ensemble du temps vécu par l’humanité, à son histoire, la doctrine que VÉptlre aux G a la les formulait par rapport au peuple juif à propos du temps vécu sous la Loi3 : Maie ΓÉcriture a tout enfermé sous le péché· alla quo pur la foi 1. Rom., 3, 25 La mémo notion de longanimité divine apparaît d’autre part dans la II. Pelri, 3, 9, mais dans une toute autre perspective : appliquée au temps de Γ Église et non plus de ΓAncien Testament, au retard de la Parousie eschatologique et non plus ft celui de l’incarnation. 2. Rom., 3, 9. 3. Rom., 3, 19. 4. Cf. Rom., 1, 21-22; 24 ; 25. 5. Gai., 3, 22-25. 6. Cf. de même Rom., 3, 9 : par cette formule s'effectue psycholo­ giquement le raccord et l’association des deux textes. INITIATION A I.A FOI CHRÉTIENNE 207 en Jesus-Christ ce qui avait été promis fût lionne à ceux qui croient. Avant que vînt la foi nous étions enfermés sous la garde de la Loi en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi la Loi a été notre péda­ gogue pour nous conduire au Christ, afin que nous fussions justifiés par la fol. Mais la foi étant venue, nous no sommes plus sous un pédagogue. Car vous êtes tous dis de Dieu, par la foi dans le Christ Jésus. Transposition légitime, car les deux doctrines répondent à la même fin, exaltant pareillement le rôle du salut par la foi en Jésus-Christ : C’est lui que Dieu a donné comme victime propitiatoire par son sang moyennant la foi, afin de manifester sa justice, ayant, au temps do sa patience laissé impunis les péchés précédents afin, dis-je, de manifester sa justice dans le temps présent de manière à être reconnu juste et juslillant celui qui croit en Jésus-Christ1. J. Rom., 3, 25-26. Cf. Ch. Journet, Introduction à la théologie, Paris, 1947, p. 233-234 : il est remarquable de voir un théologien moderne souligner, lui aussi, l’importance exceptionnelle que présente à ses yeux la conjonction doctrinale de ces deux Épîtres. IV L’exhortation finale (ch. X et XI-XII) La litanie sur laquelle s'achève le chapitre IX, 6 a presque le caractère d’une doxologie et marque bien une sorte de conclusion. Avec la phrase qui ouvre le chapitre X, 1 nous prenons un nouveau départ. Le changement brusque de ton qui passe de l’exposé doctrinal à l’exhortation pratique est souligné par le retour à l'interpellation directe du destinataire, à la seconde personne du singulier : tour­ nure qui avait pratiquement disparu de notre horizon depuis VII, 8 (elle n’apparaît, mais de façon peu signifi­ cative ct sans insistance qu’une seule fois au cours de la 111° partie, en VIII, 2). L’auteur abordc son nouveau thème d’un ton pressant : « Si (donc) toi aussi (comme nous déjà, Chrétiens), tu éprouves le désir de cette foi » — de cette foi dont nous avons appris à connaître la nécessité (VIII, 6) et la possi­ bilité (IX, 6)... La suite de la phrase est, dans l’état où nous la trouvons, difficile h interpréter, soit que le manuscrit F nous fournisse un texte lacunaire ou corrompu (une fois de plus on hésite entre les deux hypothèses), soit que l’auteur lui-même, imitateur intrépide de saint Paul1, ait eu recours à la figure hardie de 1’« aposiopesis» précisément pour donner un tour plus pathétique à son argumentation. Mais, qu’on accepte ou non de la corriger comme nous avons fait, la suite des idées est bien claire, si toutefois le lecteur attache suffisamment d'attention au jeu, assez subtilement entrecroise, des particules de liaison12. Dialectique de la conversion (X. 1-4) 1. CL par ex.. Rom., 5, 1*2-13 ; 9, 22-24. 2. Μέν... δέ.... établissent parallélisme et gradation entre εκϊ~ l’exhortation FINALE 209 Il semble qu’on puisse reconstituer ainsi la pensée de l’auteur, qui esquisse ici une analyse des progrès de la conversion. Il suppose au point de départ que son auditeur, persuadé par l’exposé théologique et dogmatique qui précède, éprouve maintenant le désir de la foi chrétienne : de quelque façon qu’on corrige ou comprenne les mots qui suivent, le sens est, à n'en pas douter, que si Diognète (ou le lecteur quel qu’il soit) désire vraiment la foi chrétienne, il ne peut manquer de l’obtenir : dans la perspective opti­ miste où se situe notre auteur, la chose est hors de doute : ce serait un anachronisme que d’évoquer ici les problèmes chers à ΓAugustinisme anti-pélagien sur l’élection et le petit nombre des élus. Supposant donc le pas fait, l’auteur se met immédiatement à décrire les progrès qui attendent Diognète ά l’intérieur de la voie chrétienne. Première étape : la foi l'introduira dans une connaissance plus profonde de Dieu, celle qui consiste très précisément à découvrir Dieu en tant que Père : ce titre introduit une première fois, de façon fugitive dans l’énumération litanique de IX, 6, est repris ici avec une particulière insis­ tance : tout le paragraphe X, 2 sert à l’expliquer. Père est pris ici non dans son sens proprement « Lhéologique » trinitaire, mais en relation avec l’homme : connaître le Père, c’est mesurer combien il a aimé les hommes. Ce point bien souligné, la suite se développe avec une logique parfaite : une fois connu l’amour de Dieu, la reconnaissance inspirera en retour un amour pour Dieu (X, 3) : cet amour nous conduira à l’imiter, en aimant à notre tour nos frères les hommes comme Lui-même nous a aimés (X, 4), et cette imitation de Dieu dans et par l'amour entraîne d’une certaine manière la divinisation du chrétien (X, 6). Anthropocentrisme Pour donner une image complète de cosmique (X, 2) α cc débordant amour de Dieu pour les hommes » (IX, 2), l’auteur est amené à reprendre et, chemin γνωσιν et έπιγνούς; γάρ... introduit X, 2 comme un commentaire du πρώτον de X, 1. 210 COMMENTAIRE faisant, à compléter dans une perspective nouvelle l’ensei­ gnement des chapitres précédents : nous savions que Dieu avait créé et ordonné le inonde (VII, 2; VIII, 7); on précise maintenant : c’est pour l’homme que le cosmos a été créé, c’est à l’homme qu'il est soumis. Corrigeant ce que l’allusion méprisante aux erreurs des philosophes avait d'humiliant pour la raison humaine, l’auteur maintenant exalte celle-ci. Il est ainsi amené à reprendre à son compte, comme l’ont fait également à propos de la même doctrine plusieurs des anciens Apologistes1, un certain nombre d’idées et même de formules empruntées à la tradition des philosophes païens : c’était une doctrine chère au Stoïcisme, et par lui enracinée dans la pensée antique, que celle d’un cosmos organisé en fonction de l’homme1 2 : pour exprimer l’idée que l’homme a été doté d’une pensée rationnelle qui lui permet d’atteindre à la connaissance de Dieu, l’auteur ne se contente pas de rappeler la doctrine proprement révélée de l’homme fait à l’image de Dieu, mais utilise la remarque classique : l’homme, seul d’entre les vivants, se tient, debout, et peut ainsi élever le regard vers le ciel, lieu commun attesté au moins depuis Xénophon dont la littérature « protreptique » des philosophes et, à leur école, celle de l'apologétique chrétienne, avaient fait l’usage le plus fréquent34. Ce rappel 1. Ainsi Pasteur (I'Hf.rmas, Mand., 14, 4, 2; Aristide, Apol., 1, 3; Justin, JL Apol., 5, 2; Tryph., 41, I ; Théophile, Ad Autel., 1,6; Lactancb, Div. inst., Vil, 5,3, etc. Et déjà chez les Juifs Apoc. de llaruch, 14, 18-19 ; IV. Esdras, 6, 55; 59. Voir E. H. Blakeney, .4 noie on the episllc to Diogiiclus X, 1, dans The journal oj lheol. studies, l. 42, 1941, p. 193-195 (ou, du même, The epistle to Diognelus, commentaire, p. 74-77). 2. Akius Didyiuc up. Eusîcue, Praep. evangel., XV, 15, 3-4, p. 817 d; ÉPiCTèTB, I, 6, 19. 3. Voir l’imposant dossier (la liste des références remplit une page) rassemblé par M. Pellegrino, Sludi su Tanliea apologetica, p. 22, η. 1 (Aristote), 2 (auteurs païens, à partir de Xé.nophon, Mim., I, 4, 11), 3 (auteurs chrétiens). I. EXHORTATION FINALE 211 n est pas d’ailleurs sans portée polémique : tous les anciens n'étaient pas d'accord pour accepter cet anthropocen­ trisme, et l'anti-apologétique païenne faisait parfois usage contre les Chrétiens de l’argumentation que ΓÉpicu­ risme avait déjà opposée à l'optimisme stoïcien : comment ne pas apercevoir dans ce rappel si rapide qu'il soit chez notre auteur une prise de position très ferme à l'égard d’objections du type de celles que nous avons rencontrées sous la plume de Celse1. ^*e 'ec^cur nc P^ut manquer d’être frappé par la différence de ton entre le présent chapitre X et l’exposé que contenaient, les deux précédents12. Nous avons fait un pas en avant et pénétré plus profondément à l’intérieur de la doctrine chrétienne : nous sommes passés de la notion de Dieu à la révélation du Père, de la « philanthropie » divine (VIII, 7 ; IX, 2) à la notion proprement chrétienne de l’amour, à agapè: le mot, sans doute, était déjà apparu sous la plume de notre auteur34, mais comme en passant ; ici au contraire cette notion devient centrale, et sur elle repose tout l’argument. Comme toujours, notre texte ne s’attarde pas en longs développements et ne prétend pas élaborer de précisions doctrinales: ne demandons pas à un exposé aussi rapide une prise de position à l’égard des problèmes délicats soulevés par exemple par l'étude bien connue et si profonde, encore qu’un peu faussée par l’emploi d’une terminologie trop systématique, d’Anders Nygren sur Agapè el Eros* : on L’« agapè » chrétienne 1. Cblsb, dans Ohigène, C. Cel.t., IV, 23, p. 292-293, Koetschnu, cité ci-dessus, p. 161. 2. Inutile par contre de souligner les parallèles : X, 2 reprend IX,- 2 (mission rédemptrice du Pilé), etc. 3. Juxtaposé Λ φιλανθρωπία : IX, 2 ; cf. le verbe αγαπάω : IV, 4 ; VII, 5. 4. Voir notamment la seconde partie de ce grand ouvrage, Stockholm, 1936 (traduction anglaise de Ph. S. Watson, Agape and 212 COMMENTAIRE aura observé que 1Ά Diognèle emploie άγάπη aussi bien pour décrire 1'amour descendant de Dieu sur l’homme (X,2) que l’amour ascendant que la reconnaissance inspire à l’homme pour Dieu (X, 3-4). Il est intéressant de noter comment l’auteur a été amené ά concevoir et à exprimer sa doctrine : une fois de plus il manifeste combien il est profondément imprégné de l’enseignement tout entier du Nouveau Testament, dont il combine avec une parfaite aisance l’apport des divers écrits. Il a emprunté sa notion fondamentale de l’imitation de Dieu à une tradition1 issue de saint Paul, Eph. 5, 1 (cf. I Cor. Il, 1), mais il l’explicite en y versant le contenu de la doctrine de la chanté telle que saint Jean l’a enseignée dans les textes bien connus de son Evangile (13,34-35) et de sa lre Épitre (3, 16; 4, 21). On notera d’ailleurs combien ces divers textes se prêtaient à l’opération, s’appelant en quelque sorte l’un l’autre : si, dans saint Jean, le Christ a dit : a ... aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimes », saint Paul d’autre part souligne symétriquement : a devenez donc des imitateurs de Dieu comme des enfants bien-aimés ». L’auteur semble prévoir une objection de la part de son public quand il souligne (X, 4) : « Ne t’étonne pas qu'un homme puisse imiter Dieu ». Non, semble-t-il, qu'un païen cultivé et d’esprit religieux pût être surpris, comme d’une révélation inattendue, par cette notion paulinienne de l’imitation de Dieu : l’idée, en effet, familière à la Iradi- Eros, Part II, The history of the Christian idea of loue, 2 vol., Londres, 1938). 1. Attestée en particulier par Ignace d’ANTiocue, Eph., 1, 1 ; Trait., 1,2; voir les textes rassemblés par T. Prf.iss, La mystique de l'imitation du Christ... cher Ignace d'Antioche, dans la fieuue d'his. et de philos, religieuse, t. XVIII, 1938, p. 197-2-11, et Ad. Heitmann, Imitatio Dei, die elhische Nachahmung Gotles nach der Valerlehre der :tvei ersten Jahrhunderle, Studia Anselmiana, I. X, Rome, 1940, p. 68 s. (et notamment, pour notre texte, p. 93-96). l’exhortation finale 213 tion apologétique juive1 aussi bien que chrétienne, parait bien avoir pénétré la mentalité païenne des premiers siècles de notre ère, notamment sous l’influence de l’ensei­ gnement stoïcien12. L'A Diognèle en répondant à l’objec­ tion : « oui il le peut, Dieu le voulant »3, veut plutôt mettre l’accent sur la certitude que la révélation chrétienne fournit sur la possibilité pratique de réaliser cette noble ambition. Le mot d'agapè n'est pas prononcé à nouveau pour décrire cette fois l'affection de l’homme envers l’homme, qui s’épanche de l’âme chrétienne sur son prochain, mais la description qui nous en est faite (X, 5-6)4 de l’imitation de Dieu ne laisse pas de doute : il s’agit bien pour l’homme chrétien d'aimer son prochain du même amour, de la même agapè faite do libéralité et de désintéressement, dont dieu a usé envers nous : nous devons donc, littéralement, nous comporter à la manière de Dieu, à la façon d’un dieu, ce qui paradoxalement réalise d’une certaine manière la déification de l’homme. Toute cette argumentation trouve des paral­ lèles dans l’ensemble de la littérature chrétienne des 11e et in0 siècles5 ; il est intéressant de souligner les rappro­ chements qui s’établissent entre notre passage et l’exhorta­ tion qui, conformément à la tradition apologétique, sert de conclusion à l'exposé dogmatique qui termine le texte, tel qu’il nous est parvenu, des Philosophoumena communé­ ment attribués à Hippolyte de Rome : 1. Cf. Heitmann, p. 47-64. 2. Heitmann, p. 32-47; cf. 65-66. 3. L’autre traduction possible « si l'homme le veut » moins satisfaisante grammaticalement, donne un sens beaucoup plus banal. 4. On aura noté au passage (X, 5) la remarque : « puissance et richesse ne font pas le bonheur * ; elle surcharge le raisonnement, dont elle compromet la ligne dialectique : c’est un héritage de la tradition littéraire du genre protreptique, dont elle constituait un des lieux-communs, dc>puis Aristote (fr. 59 Rose; R. Walzer, Aristo­ telis dialogorum fragmenta, fr. 10 a : Jamuliquk, Prolrept., 8, p. 47). 5. Ainsi Justin, 7. Apol., 10, I ; II. Apol., 4, 2; etc. 214 Cf. COMMENTAIRE A Diognète, VIII, 2 VII, 2 X, 3 X, 2 X, 7 X, 2 X, 3-4 X, 6 Philos., X, 341 Ne vous attachez pas aux sophismes d’habiles discours, ni aux vaines promesses d’hérétiques plagiaires, mais à l’auguste simplicité de la vérité sans emphase. Par cette connaissance· vous échap­ perez à la menace imminente du feu du Jugement, nu spectacle sans lumière du Tartare ténébreux... ... Tu obtiendras le royaume des cicux parce quo lu auras, vivant sur la terre, connu· le roi céleste, tu seras le familier de Dieu... Il rend nouveau l'homme ancien, l’ayant appelé image dès le commencement... Que si tu obéis à scs ordres et le fais l’imilaleur bon «le ce maître bon, tu lui seras semblable, récompensé par lui. car Dieu n’est pas pauvre, et il lo fora dieu pour sa gloire. Le Prolreplique de Clément d’Alexandrie, d’un ton sans doute plus personnel et d’une élaboration littéraire plus poussée, offre lui aussi, dans ses deux derniers chapitres, des points de comparaison qui ne sont pas moins précis1234 : Prolreplique, XI, Cf. A Diognète, 115, 1 : Recevons les lois de la vie, obéissons ft l’exhortation do Dieu, apprenons à le connaître... X, 1 ’.1 te donne... la terre,... l'eau, ... l’uir, ... le feu..., le monde... D’ict-bas, tu peux maintenant aller coloniser X, 2 jusque dans les deux. X, 7 ■1 : Surtout maintenant que (le disciple} est venu ft connaître le nom... de ce bon Père. X, 1 5 : 11 suit Dieu, il obéit ft son Père : ... il 1. Je reproduis, avec quelques retouches, la traduction de P. Nautin, Hippolyte et Josipe, Paris, 1947, p. 124-126. 2. Δι* ής έπιγνώσεως : cf. Λ Diognète., X, I et 3. 3. Έπιγνούς (P. Nautin traduit «reconnu ») : A Diognète, X, 3. 4. Cf. pour cette double série de rapprochements, le tableau dressé par P. Andriessen, dans Recherches de Ihéol, nnc. el mid., t. XIV, 1947, p. 127-128. l’exhortation finale l'a reconnu, il a aimé Dieu, il a ai­ mé le prochain. 116, 1 : ï.e dessein éternel de Dieu est de sauver le troupeau «les hommes. 117, 1 : O sainte et bienheureuse puissance qui fait de Dieu notre concitoyen I Il vaut donc mieux et il est prêtérable de devenir à la fois l'imitaleur elle serviteur du meilleur des êtres. XII, 118, 4 : Alors tu contempleras mon Dieu, tu seras initié à ces saints mystères, tu jouiras des biens secrets du ciel... 215 X, 4 X, 2 X, 7 X, 4 X, 7 On sait la place que la notion de déification du chrétien a tenue dans la théologie des Pères grecs1, surtout à partir de l’apologiste Théophile d’Antioche12, et avec quelle hardiesse ils l’ont parfois explicitée34 . Notre texte ne se permet aucune audace de ce genre : chez lui l’imitateur de Dieu n’est « un dieu »'* qu’en un sens tout à fait relatif et dérivé ; comme il est arrivé assez fréquemment aux écri­ vains chrétiens des trois premiers siècles5, et même, en 1. G. XV. Butterworth, The déification of man in Clcmcnl of Alexandria, dans The journal of theological studies, t. XVII, 19151916, p. 157-169 ; M. Lot-Borodine, La doctrine de la déification dans Γ Église grecque, ap. Revue de l'histoire des religions, 1932, t. CV, p. 5-13; t. CVI, p. 525-574 ; 1933, t. CVII, p. 8-55; J. Gross, La divinisation du chrétien d'après les Pères grecs {thèse de Strasbourg), Paris, 1938. 2. Théophile, Ad Aulol., II, 27. 3. Ainsi on lit ailleurs, dans le même passage des Phltosophoumena, X, 34, p. 125, Nautin : «car tu seras devenu un dieu... Tous les attributs divins, Dieu promet de te les accorder lorsque tu seras divinisé et devenu immortel ». 4. Lorsque θεός est de la sorte appliqué à l'homme, il ne faut pas le traduire par · Dieu », ni même par « dieu », mais de préférence par « un dieu » (cf. les justes remarques de Butterworth, arl. cili, p. 169). 5. Voir les textes rassemblés par Butterworth, ibid., p. 161-162, et Meecham, The epislle to Diognelus, note B, p. 143-145. 216 COMMENTAIRE plein iv®, sous la plume d'un auteur aussi fidèle au classi­ cisme que saint Grégoire de Nazianze1, il prend θεός, « dieu », non pas au sens univoque qu’aurait exigé le mono­ théisme jaloux de la foi, mais dans l’acception beaucoup plus « élastique », affaiblie par la décadence du sens reli­ gieux dans le monde hellénistique, que le mot avait reçu·· dans l’usage courant : on sait quelle extension pratiquement illimitée avait pris la notion d’héroïsation, donc de divinisation : on l’appliquait communément à tout homme éminent par quelque qualité physique (comme la beauté) ou morale, et en particulier aux « bienfaiteurs », aux evergètes, souverains ou particuliers12. Notre auteur s’en tient à l’ingénieux rapprochement que lui fournit ce commun usage ; ne lui reprochons pas d’éviter de pousser plus avant son analyse : dans tout ce chapitre il est visiblement orienté non vers la spéculation dogma­ tique, mais bien, ainsi qu’il convient à un discours protreptique, vers l’application pratique : il se préoccupe beaucoup plus de définir la conduite à tenir par le nouveau chrétien que d’analyser les modalités ultimes de sa transformation surnaturelle. Sans doute, de quelques touches discrètes, il évoque les progrès que, dès cette terre, le chrétien accomplira dans la connaissance de Dieu. Sa doctrine, si sobrement indiquée qu’elle soit, est d’ailleurs ici à la fois très sûre et très riche : si une première connaissance du Père par la foi est néces­ saire pour nous induire à bien vivre, la vie de charité à son tour nous introduit peu à peu dans une connaissance plus complète et plus profonde de Dieu (X, 7). L'enfer et le martyre Mais nous ne quittons pas le champ (X, 7-8) d’action immédiat qu'est la vie terrestre : les fins dernières ne sont évoquées que dans une 1. Or., 14, 26-27, P. G., t. XXXV, c. 892 C. 2. A. Harnack, Dogmengeschichle, t. IIP. p. 138-139, η. 1 ; A. D. Nock, Notes on ruler-cull, II, dans Journal o/ Hellenic studies. I. Xl.VIII, 1928, p. 31-33, et notamment les textes cités n. 51. l’exhortation finale 217 perspective lointaine, qu'il s’agisse de la promesse du Royaume, récompense de l’amour (X, 2) ou de la menace du châtiment (X, 7-8). On s’est parfois scandalisé de l’insistance avec laquelle dans cette exhortation qui vient couronner une omvrc animée d’un si confiant optimisme, le « feu éternel » est évoqué1 : mais les chrétiens d’autre­ fois n'éprouvaient pas à l’égard de l'enfer la pusillanimité dont témoigne l'apologétique moderne ; plus loyaux que n’est parfois celle-ci, ils ne dissimulaient rien des sévérités dogmatiques, estimant sans doute au contraire que la gravité de l’enjeu donnait à l’option chrétienne tout son sérieux12. De façon un peu inattendue pour un lecteur moderne, ces deux derniers paragraphes entrelacent au thème de l’exhortation un rappel des préoccupations qui s’étaient exprimées dans la lrc partie (cf. I-IV). Avec plus de détails qu’il ne l’avait fait au chapitre VII, 7-8 (à en juger du moins par ce qui reste du texte, mutilé à cet endroit), l’auteur cherche à répondre à la question formulée, on s’en souvient, par Diognète (I, ld) : d’où vient ce mépris de la mort qu’affi­ chent les martyrs? Très justement, il souligne que leur attitude n'a de sens que pour qui s’établit <1 l’intérieur de la perspective chré­ tienne : elle suppose la connaissance du vrai Dieu et des fins ultimes, de la vraie vie et de la « seconde » mort : alors, mais alors seulement, l’héroïsme des martyrs devient manifeste et l’étonnement scandalisé du païen cède place à l’admiration et à l’amour. Nous avons assez insisté sur ce que l’argumentation apologétique de notre auteur a parfois de naïf ou d’insuffisant pour ne pas le féliciter ici de la 1. E. 11. Bevan, dans E. H. Blakeney, The. epistle to Diognelus, p. 82. 2. Ainsi Justin, I. A pot., 18, 1-2; 68, 1-2 ; II. Apol., 2, 2; 8, I ; Théophile, Ad Aulol., I, 14 ; Ps.-Justin, Cohort., 35 ; voir déjà dans le Martyr. Polyc., 2, 2-3 : II. 2. le mémo rapprochement entre martyre et feu éternel. 218 COMMENTAI BE solidité et de la pertinence de l’argumentation dont il fait usage : comme dans le cas du mystère de la vie chrétienne (cf. V-VI), le problème du martyre ne peut trouver de solution aussi longtemps qu'on demeure en dehors du christianisme et de son système de vérités et de valeurs ; il est vain pour l’incroyant, de demander au chrétien une explication ; celle-ci n’est possible, mais devient alors d’une évidence immédiate, que pour celui qui s'est d’abord inséré dans l’Églisc. On peut s’étonner de voir traiter ici cette question qui aurait dû être vidée depuis longtemps ; mais c’est là un de ces exemples de disposition complexe où il ne faut pas se hâter de voir une négligence dans le plan et l’exécution ; la rhétorique antique, en quête d'effets inattendus y voyait comme un raffinement suprême et une preuve d’art1. Le texte SC trouve interrompu après la fin du § X, 8 par une nouvelle lacune que le copiste de F a signalée comme celle qu’il enregistrait après VII, G : un blanc d’une demi-ligne, et en marge une note à l’encre rouge : « Ici aussi le modèle présen­ tait une coupure », termes analogues à la note correspon­ dante du ch. VII et qui paraissent bien y faire allusion. Le problème se pose donc ici dans les mêmes termes que là, et, là comme ici, les commentateurs se sont divisés sur l’étendue de la lacune à combler, les uns la réduisant à quelques mots12, les autres au contraire l’estimant assez longue ; c'est le parti que pour notre part nous suivrions : si on accepte en effet la solution proposée pour la première lacune, à savoir la chute d’un ou plusieurs feuillets dans un La lacune entre X, 8 et IX, 1 1. Voir à cc sujet, mon Sainl Augustin..., (II) Retractatio, p. 665· 670. 2. H. Kihn, Der Unprung des Hricfes an Dioqnel, p. -18, supposant , comme il le fait aussi pour la lacune du ch. VII, que l’espace blanc ménagé par le copiste de F mesure exactement l'étendue de la partie mutilée de φ. évalue la lacune à une demi-ligne environ et se contente de restituer : Ταυτα οδν διδάσκων, · Enseignant donc de la sorte... ». l’exhortation finale 219 quaternion du modèle φ, nous devons supposer ici l’absence du ou des demi-feuillets correspondants ; la lacune qui s’ouvrait entre nos chapitres X et XI mesurerait au moins deux pages et il devient bien hasardeux de chercher à la combler1. L’authenticité Alors que les discussions soulevées à des ch. xi-xn propos de la lacune en Vil, 7-8 n'ont porté que sur les causes et l’étendue du dégât, et que personne n’a jamais suspecté l’authenticité des chapitres VII, 8-X, l’appartenance au reste de Γ/l Diognète des deux derniers chapitres, de 1’« épilogue », a été très généralement contestée : des premiers éditeurs, Estienne et Sylburg, suivis d'ailleurs par Tillcmont, aux plus récents, GeiTcken, Blakeney, Meecham, en passant par Otto, Funk, et Gebhardt-IIarnack, la très grande majorité des savants qui se sont occupé de notre texte ont estimé que ces chapitres XIXI I n'appartenaient pas originairement à la même œuvre que les dix premiers et ne se présentent aujourd'hui comme l’épilogue de notre Apologie que par suite de l’accident matériel qui, en mutilant φ, a démuni le copiste F de la 1. Eu particulier il faut tenir pour vaine la tentative de E. I. Karpathios, Συμπλήρωσις του χάσματος της πρός Δ«ογνητύν επιστολής, Γρηγόρίος ό Παλαμας (organe de la métropole orthodoxe de Thessalonique), t. IX, 1925, p. 117-129 : cet auteur a proposé de combler le vide existant entre nos ch. X et XI au moyen d’un texte publié, en traduction latine (d'après une version arabe jacobite, conservée par un ms. du Vatican, arab. 101) par A. Mai, Spicilegium Romanum, t. Ill, p. 704-706 ; il s’agit de deux fragments sur le Christ, attribués par le manuscrit au mythique « Hiérothée, disciple des Apôtres et évêque d’Athènes » (le prétendu maître du PseudoDenys), qui ne peuvent d’aucune façon être mis en rapport avec ΓΑ Diognète, ni pour le contenu, ni pour la doctrine (d’une précision dogmatique qui révéle une date bien plus récente), ni pour leur caractère (le premier fragment se présente comme la conclusion d’une homélie, déjà pourvue de sa doxologie propre : lesus Christus rex aeternus per saecula saeculorum, Arnen). Voir déjà E. Holland, dans Zeitschrift fQr die Neuleslamentliche Wissenschafl, t. XXXIII, 1934, p. 291, n. 15. 2’20 COMMENTAIRE conclusion authentique de l’zl Diognèle et du titre et du debut de cette Appendix1 : on l’attribue généralement2 à une date postérieure et à un auteur différent : le nom d'IIippolytc a été à ce propos souvent prononcé3. Il est certain que lorsqu’on lit pour la première fois ces deux chapitres à la suite des précédents on éprouve comme un choc, tant le sujet et le ton de ces dernières pages paraissent les opposer aux précédentes : on a bien entendu cherché à élaborer et à préciser cette impression initiale ; sans entrer dans trop de détails, nous rassemblerons les principales objections formulées contre l’authenticité des eh. XI et XII dans un tableau en partie double4 : 1. P. Roasenda, in Epistulae ad Diognetum XJ-X1I capita Adnotalio, dans Acuum, t. IX, 1935, p. 248-253, a formulé une hypothèse un peu différente : l'épilogue aurait été ajouté aux ch. l-X par une main différente qui les aurait composés pour ajouter une conclusion convenable à la « Lettre » proprement dite. 2. J. Quarry, dans Hermathena, t. IX, 1896, p. 318-357 (voir p. 320), et R. H. Connolly, dans Journal of theological studies, t. XXXVII, 1936, p. 2-15 ; t. XXXVI, 1935, p. 347-353, inclinent à attribuer I-X et XI-XII à un même auteur, à savoir Hippolyte, tout en maintenant que ces deux fragments appartenaient originai­ rement à deux œuvres distinctes. Cf. Harnack, Chronologie der ullchristlichen Lilcralur, t. II, p. 233. 3. L'hypothèse a été formulée pour la première fois par C. C. J. Bunsen, dans Hippolytus and his age, Londres, 1852, t. I, p. 414 sq. (nos ch. XI-X1I seraient la conclusion des Philosophoumena), reprise par J. Draesekk dans Zeitschrift für wissenxch. Théologie, 1902, p. 273 sq., et d'autres après lui : G. N. Bonwetsch, dans Goetling. Nachrichten (phil.-hisl. Klasse), 1902, p. 621 sq. ; 1923, p. 27 sq. ; Di Pauli, dans Theolog. Quartalschrifl, 1906. p. 28-36 ; Ed. Schwartz, dans les Sitzungsberichle de l’Académie des Sciences de .Munich, 1936, 3. p. 33, η. 1 ; 47, η. 1 ; voir en dernier lieu l’exposé de Meecham, The epistle to Diognelus, p. 66-68. 4. Cf. déjà L. B. Radford, The epistle lo Diognelus, p. 31 s. Tout en m’efforçant d'étre complet, j’ai éliminé les arguments par trop inconsistants, comme ceux de G. Bôiil, Opuscula patrum selecta, Berlin, 1826, I. 1, p. 115-123, auxquels F. X. Funk, a cm devoir faire un sort ap. Patres aposlolici, t. I’, p. cxvni-cxix. l'exhortation finale Les chapitres 7-Λ'; traitent, et épuisent, le pro­ gramme tracé en 1. 1 ; répondent à des questions pré­ cises; s'adressent au singulier à · Son Excellence Diognèle » ; constituent une Apologie ad (et adversus) Paganos, d’un tour très élémentaire, très exotérique de ton ; qui utilise l’Écriturc sans jamais la citer explicitement, ni la supposer connue ; évite l’exégèse spirituelle : altitude négative à l'égard du Judaïsme ; révélation objective de l'écono­ mie du salut ; théologie du Fils ; parle des Chrétiens ; aspect moral de la vie chré­ tienne ; dans un style simple, clair, direct, coulant ; Z,e.î 221 chapitres ΑΙ-ΛΊ1: sont sans rapport avec ce qui précède ; prédication de portée générale; parlent au pluriel Λ ceux · qui voulant se faire disciples de la Vérité » ; c’est la conclusion d'une Homélie' ad Catechumenos, doctrinalement assez poussée, employant la terminologie tech­ nique (tradition, apôtres, Égli­ se, évangiles, grâce, Pères, Pâque) ; cite 1. Cor., 8,1 : < L'Apôtre dit... évoque le récit des ch. 2-3 de la Genèse; altégorisc sur l'Arbre de la Science ; la Loi et les Prophètes sont associés aux Évangiles et à In tradtiion apostolique ; appel à la gnose subjective; théologie du Verbe ; parle de l’Église ; vie de la grâce ; pleins d'affectation, de recherche, expression vague, pénible ; Enfin on a pu relever une double série de mots et de tours syntaxiques qui, employés dans I-X, n’apparais­ sent pas dans XI-XII, et réciproquement1 2. 1. Homélie qu’on pourrait rattacher soit au temps de Pâques, soit au temps de l’Épiphanie : dans le premier sens, voir par exemple Radford, op. cil., p. 82; Ed. Schwartz., Zwti Prcdiglen Hippolgls dans les Sitzungsberichle de Γ Académie des Sc. do Munich, 1936, 3, p. 33, η. I ; dans le second P. Fruiistorfer, Weihnachls-Gedanken im Brief an Diognel, dans Theol.-prakl. Quartalschrifl, t. LXI, 1908, p. 762; K. Lakr, The apostolic Fathers, t. II, p. 349. 2. Qu'il me sufllse de renvoyer à l'enquête si minutieuse de H. G. Mbbcham, The epistle to Diognelus, p. 65-66. 222 COMMENTAIRE Le réquisitoire impressionne ; avouerai-je qu'à la réflexion, tous ces arguments, examinés un à un, m'ont paru bien vile perdre de leur apparente valeur? Il peut être utile de souligner que, si généralement acceptée qu’ait été la conclusion en faveur de l’inauthenticité de XI-XI1, il s’est toujours trouvé des auteurs pour la refuser : Dorner (1839), Birks (1880), Kihn (1882), Quarry (1896), Karpathios (1925), Connolly et Manucci (1936), Andriessen (1947)1 ont continué à attribuer l'a Épilogue » au même auteur et12 à la même œuvre que les ch. I-X, et cela avec des arguments qui méritent plus d’attention qu’on ne leur en a généralement accordé3. Pour ma part je trouve plus de raideur que de rigueur dans les difficultés formulées. Prenons pour commencer les objections qui paraissent les plus précises et les plus fortes, celles qui concernent le style et la langue. On oppose aux chapitres XI-XII les chapitres I-X considérés comme un bloc, sans donner une attention suffisante à la variété : d’élocution qui se manifeste déjà dans ces premières pages, où tant de sujets différents sont abordés tour à tour et 1. I. A. Dorner, Enlwicklungsgeschichle der Lehren von der Person Christi, t. I (2· éd., Stuttgart, 1846), p. 179-180, suite de la n. 32; E. B. Bikks, dans Smith and Wace, Dictionary of Christian biography, t. II, p. 164,166; H. Kihn, Der Ursprung des Briefes an Diognet, p. 4855 ; nous venons do citer Quarry, Karpathios et Connolly ; U. Mannucci, Istiluzioni di palrologia, t. I, Home, 1936, p. 45-46 ; P. Andriessbn, L'épilogue de l'Epitre ά Diognète, dans Recherches de théol. anc. et mid., t. XIV, 1947, p. 121-156. 2. Quarry cl Connolly mis à part comme on l’a vu ci-dessus. 3. Chez plusieurs de ces auteurs la défense de l’authenticité des ch. XI-XII est associée ii des hypothèses pour le moins aventureuses : ainsi chez Birks, l'auteur de 1Ά Diognète serait le mémo que celui do Γ Oratio ad Graecos psoudo-justinicnne, à savoir · Ambroise > ; chez Kihn, la datation fantaisiste de l'archétype do F et l’attribution ίι Aristide ; chez Dorner et Andricssen l'effort pour établir que Γ/l Diognète. a été prononcé devant l'empereur Hadrien nouvellement initié ù l?leusis, et «pie les ch. XI-XII sont pleins d’allusions à ces mystères. Mais, j'y insiste, il y a chez tous ces auteurs do fort bons arguments qui ne sont nullement liés à ces hypothèses. l'exhortation FINALE 223 traites chacun avec le ton et le style qui leur convient proprement. En fait, quand on y regarde de près, on constate que bien des observations consignées dans le tableau de gauche concernent moins l'ensemble de I-X que les seuls chapitres V-VI, ces pages d’or de notre petit écrit. Mais on pourrait tout aussi bien opposer leur ton, leur style, leur langue A tel ou tel autre groupe de chapitres ; avec autant d’apparente raison, on pourrait entreprendre de prouver que les ch. Il-IV, par exemple ne peuvent appar­ tenir â la même œuvre ou au même auteur que V-VI : on opposerait leur style, par moment si embarrassé, leur argumentation faiblarde, leur ton hargneux, leur apolo­ gétique à courte vue, à l’admirable évocation du mystère chrétien des ch. V-VI, d’un style si dépouillé, d’une langue si pure, d’une pensée si ferme et si généreuse, etc. M. Moecham a pris la peine de relever que sur les 698 mots du vocabulaire de 1’Λ Diognète, 93 n’apparaissent que dans XI-XII ; mais isolons de même deux autres chapitres, ceux par exemple qui ont trait au judaïsme (1II-IV), nous y relèverons de même toute une série de mots rares et caractéristiques que l'auteur n'a pas employés ailleurs, parce qu’il n’en avait pas l’occasion. L’objection soulevée revient à dire que les ch. XI-XII ne répètent pas les précédents ; parlant d’autre chose, ils en parlent autrement. Je ne trouve rien de significatif à ce que XI-XII n’emploie pas des mots comme ίδιος, λοιπός, Οεοσεβεία, alors que I-X par contre ignorent άπλόω, έξειπειν, συγγρωτίξω, συνετίζω... De même il n'y a rien d'étonnant à ce que l’évocation lyrique des splendeurs de la vie de l'Église de ces ch. XI-XII n’aie pas donné à l’auteur l’occasion d'employer l'opposition antithétique μέν... δέ... ou l'optatif avec àv ! Enfin une analyse plus scrupuleuse encore relèvera, dans la langue de ces deux groupes de chapitres autant de parallélismes que d’oppositions : aux I. H. G. Meecham, The epislle to DlognellU, p. 9. 8 224 C0MMENTA1KE relevés de Meecham j’opposerai ceux d’Andricsscn1, où l’on trouvera soulignées un grand nombre d’analogies en matière de syntaxe et de tours stylistiques. 11 faudrait de même nuancer bien des arguments formulés : déjà, dans la première partie, l'auteur avait quitté par moments la seconde personne du singulier pour s’adresser, au pluriel, à l'ensemble des païens (II, 1 ; 5-9) ; plus significatif encore12 est le retour du pluriel au vocatif singulier à deux reprises dans l’épilogue (XI, 7 ; XII, 7). On fait volontiers état du rythme qui se manifeste dans les passages lyriques (XII, 7-8, et aussi XI, 5-6) et qui fait penser à des a sortes de vers » irréguliers3, soulignés par des rimes intérieures4 ; et bien entendu si l’on met ces faits en rapport avec le développement ultérieur de la lyrique religieuse byzantine, on aura tendance à y voir un indice de date relativement récente ; mais il suffit de parler grec pour s’entendre : que sont ces quasi versus rythmiques, cette prose rimée, sinon des ισόκωλα δμοιοτέλευτα, des figures qui, au moins depuis le Sophiste Gorgias, appartiennent au répertoire normal des procédés de la rhétorique la plus authentiquement a antique » ! Et pourquoi faire de leur emploi un trait caractéristique de notre épilogue? Les chapitres V-VI nous ont offert eux aussi des envolées analogues de lyrisme qui se traduisent également par un rythme presque régulier de petits membres parallèles 1. P. Andiubssen, art. cité des Hech. de thiol, anc. et mid., 1947, p. 122-126. 2. Car, comme Io note J. A. Ki.eist, The Didache, etc., dans Ancient Christian writers, t. VI, p. 213, n. 6, dans le ch. II l'usage du vocatif pluriel peut n'être qu'une précaution oratoire : pour adoucir la crudité des reproches adressés à Diognète, l’auteur affecte de le confondre avec la masse anonyme des païens. 3. J. !.. JaCODI, Zur Geschichtc des griechischen Kirchenliedes, dans Zeitschrift ftlr Kirchengeschichlc, t. V, 1881-1882, p. 199-200. 4. W. .Meyer, Anfang und Ursprung der lateinischen und griechischcn rtjlhmischen Dichtung, dans les Abhandlungcn de ΓAcadémie des Sciences de .Munich (phil.-hisl. Classe), t. XVII, 1885, p. 378. L EXHORTATION FINALE 225 soulignés par des rimes : on s’étonne que Jacobi n'ait pas songé à faire pour V, 6-16 la même expérience qu’il a tentée seulement pour XI1, 6-8. Aussi bien l’un que l’autre, ces deux passages se prêtent à une disposition en lignes parallèles, constituant des espèces de « vers », et il y a autant de <■ rimes » en -ονται ou -ouvrai dans ce même fragment du ch. V, que celles en -εται ou -ονται que W. Meyer a soulignées comme caractéristiques en XI, 5-6 ou XII, 6-81. Prenons garde d’ailleurs de ne pas extrapoler : dans les ch. I1I-1V, l’opposition au judaïsme, à première vue si raide, si absolue, s'explique largement par la brièveté de l’exposé ; l’auteur y exprime ses critiques à l'égard du culte juif et ne prétend pas formuler dans toute sa généralité une prise de position théologique à l'égard de l’ancien Israël. Et, nous l’avons bien établi, il ne saurait être question de laire de notre auteur un disciple de Marcion ; dès lors, comme tout le christianisme orthodoxe il devait accepter dans son intégrité l’Ancien Testament, ct juxtaposer dans sa vénération la loi, les Prophètes, les évangiles et la tradition des Apôtres, comme le fait le passage incriminé de XI, 6. Mais allons à l’essentiel : on oppose en bloc aux chapitres IX-X11 les ch. 1-X sans accorder assez d’attention à tout ce que le ch. X apporte déjà de neuf et de bien différent. Comme nous l'avons rappelé au début de ce commentaire, il était normal qu’une apologie s’achevât par une exhorta­ tion, un a protreptique » ; c’était la loi du genre ; il était normal qu'après avoir mis en déroute les objections et les préjugés du lecteur païen, on l’invitât à s’engager sur le chemin de la conversion. Or, nous l’avons vu, cette seconde partie commence avec le ch. X et ce chapitre dont personne ne conteste l’authenticité1 2 présente déjà, au moins inchoati1. Voir encore IX, 2, ούκ έμίσησεν κ.τ.λ. : F. Probst (ap. Otto’, p. 195, n. 9) y voyait un fragment d’un hymne. 2. Et pour cause : pas de suture visible dans le manuscrit ; à trois lignes de distance, la notion de · foi · relie X, 1 et IX, 6. 226 COMMENTAIRE vemcnt, tous les caractères originaux qu’on a si volontiers soulignés dans les ch. XI-XI 1. Seul le rappel artificiel1 du théine des martyrs (X, 7-8) rattache ce ch. X aux questions posées par Diognète en 1,1 ; tout le restant est bien plus près de XI-XII que de I-IX ; c’est déjà le ton de la prédication, un appel à la pleine conversion ; la catéchèse se fait plus intérieure, plus tech­ nique ; la vie chrétienne est évoquée dans son progrès ; s’il n’est pas encore question de « gnose », on parle avec quelque insistance d'ércÎYvcoocç (X, I, 3, 7, 8 ; cf. XI, 7; XII, 6). De même pour le contenu et l’esprit de la doctrine : on estime volontiers la théologie de l’épilogue plus récente que celle de l'apologie ; on a souvent pensé à attribuer pour cela ces ch. XI-XII à Hippolyte ; mais a-t-on assez insisté sur le rapport évident qui se révèle déjà entre le ch. X et la dernière page conservée, d’un ton également « protreptique », des Philosophoumena123*! C. Bonner et Meecham ont souligné les points de contact qui s’établissent entre notre épilogue et V Homélie sur la Passion attribuée à Méliton de Sardes8 : nous avons signalé un rapprochement plus précis encore entre la première phrase de ΓΛ Diognète (I, I) et l’exorde d'une autre œuvre, certainement authentique, du même Méliton. On le voit, il ne reste pas grand chose à opposer aux partisans de l’authenticité. Un verdict définitif dépendra de la position assumée dans le problème, si disputé, de la date de notre A Diognète. Si on fait remonter la composition de I-X assez haut dans le ne siècle, il devient plus difficile d’adopter la même date pour XI-XII, à cause de leurs 1. Artificiel, encore qu’artistique, έντβχνος. 2. Sans parler de tons les autres rapprochements qu’on peut faire entre I-X et l’ensemble du corpus hippolylien : voir notre Index dos Locu parallela, en appendice. 3. C. Donner, The homily on lhe Passio by Melite, bishop of Sardis, p. 60-G2 ; H. G. Meecham, The episllc lo Diognclus, p. 66-68. l’exhortation finale 227 contacts si étroits avec Hippolyte, ou du moins son époque* : si par contre, et on va bientôt le voir, ce sera là notre conviction, Γ/l Diognèle appartient à une époque plus récente, on ne voit plus guère alors ce qui empêche d’attribuer l’épilogue au même temps, au même auteur et à la même œuvre que les ch. I-X. Naturellement, on ne pourra jamais « démontrer » que les ch. XI-XII ne peuvent pas constituer aussi bien la conclu­ sion d'un autre texte, V bis, inséré par le compilateur entre 1Ά Diognèle proprement dit (texte V) et les « Vers de la sibylle Érythrée » (VI), texte dont le début aurait disparu en même temps que la conclusion authentique de notre Apologie... Mais entia non sunl multiplicanda praeler necessitatem, et on pourra recommander la solution de l'authenticité comme étant à la fois aussi vraisemblable et plus économique. N’acceptons pour le moment cette solution qu’à titre d’hypothèse de travail : si la lacune existant entre X, 8 et XI, 1 s’explique comme celle du ch. VII par la chute d’un ou de plusieurs feuillets, il nous manque deux pages, sinon quatre ou six, et c’est assez pour que le changement de sujet, de ton, de style, déjà si nettement amorcé en X, nous ait amené à ce que nous constatons en XI-XII : dans une conclusion le mouvement a tendance à devenir plus rapide, l’exposé plus ramassé, l’élan plus vif, comme la slretle d’une fugue. Amplification A moins de se répéter de façon de l’exhortation monotone, l’auteur devait nécessaire­ ment, pour continuer son exhortation, l’amplifier progressi­ vement, et c’est bien cela que nous offrent les ch. XI-XII : une amplification oratoire du thème protreptique de X : I. D’où le caractère paradoxal do la position assumée par Dom P. Andhiessen, lot. cil., qui veut à la fois maintenir l’unité des XII chapitres do l’zt Dingnèle et, attribuant celui-ci à Quadratus, faire remonter l’ensemble à une date ausei haute que le printemps 125. 228 COMMENTAI KE le mime appel à la conversion, étolTé par l’évocation des merveilles qui attendent le converti ; d’où, comme déjà en X, une tendance à jalonner l’exposé de petits développe­ ments dogmatiques. Cet enseignement ne s’oppose jamais à celui des ch. I-X ; il ne le répète pas (comme il serait si facilement arrivé, si XI-XIT étaient, d’une autre main ou appartenaient à une œuvre différente), mais le complète dans le sens d’une précision, d'une intimité croissantes. L’épilogue se situe bien dans le prolongement du ch. X ; celui-ci, dès le début, supposait comme acquis le désir de la conversion ; il est naturel que XI-Xll traite dès lors en catéchumènes audi­ teurs ctlecteurs. Par deux fois (XI, 1 ; XII,2) on revient sur l’invitation de X, 1, sur la promesse que le désir affermi sera récompensé par l'acquisition d’une connaissance plus profonde et plus complète : XI, 2 reprend X, 1, έπιξητεϊ répondant à ποΟήσης, mais nous faisons un pas de plus : X, 1 ne faisait allusion qu’à un premier stade d’initiation, celui qui confère Γέπίγνωσις du Père ; ici nous atteignons la connaissance plénière, la Γνώσνς qui fait pénétrer dans n les secrets du Père d (XI, 2)x. S’il y a progrès, il y a aussi continuité. La terminologie le montre bien : ce titre de Père, qui apparaît ici (XI, 2) et dans la doxologie finale (XII, 9), avait été déjà employé, et avec quel relief, en X, 1 ; la seconde personne de la Trinité est encore appelée Vérité, en XI, 1 comme en VII, 2, I. Entre έπίγνωσις et γνώσις il y a une nuance de sens, assez difficile à préciser (cf. Bultmann, dans Kittel, Theol. Würlerbuch, t. I, p. 705-708) : les deux mots ne s’opposent pas à proprement parler, car ils ne se placent pas sur le même plan ; Γέπίγνωοις est une connaissance proprement religieuse, orientée vers le salut, — celle dirions-nous des vérités de foi, connaissance sans doute déjà plénière, dans son ordre ; γνώσις, c’est la < Gnose », la connaissance de l’ensemble des vérités les plus profondes sur tous les secrets du monde de l’invisible, sur la nature intime de Dieu (cf. J. Dupont, Gnosis, la connaissance religieuse dans les épîlres de saint Paul, Louvain, 1949; notamment p. 48, n. 3 ; 410-411). l’exhortation finale 229 Sauveur, en XII, 9 comme en IX, 6, Fils, en XI, 5 comme déjà en IX. 4 ou X, 2. Mais voici où se manifeste la difléronce : alors que dans tout l’exposé précédent ce titre de Verbe n’appa­ raissait qu'une seule fois, et dans un contexte, on s’en souvient, qui le rend presque ambigu, il devient maintenant d’un emploi régulier (jusqu’à six fois dans le ch. XI, et de nouveau dans la doxologie en XII, 9). Il y a moins cepen­ dant opposition entre les deux enseignements que déplace­ ment du foyer d'insistance. Plaçons-nous maintenant dans la perspective de l’écono­ mie : la mission du Verbe incarné a déjà fait l'objet d’un premier exposé en X, 2 ; le sujet est repris dans l’épi­ logue (XI, 3-5) mais on insiste cette fois moins sur le salut’ procuré par le fils de Dieu aux hommes que sur la plénitude de la révélation que leur a assurée son enseignement ; ici encore il n'y a pas contradiction mais précision complémen­ taire, car ce sont bien là deux aspects inséparables de l'œuvre accomplie par le Verbe incarne1 2. Nous retrouvons ici la doctrine, chère à l'auteur, de la connaissance de Dieu par la foi (comparer XI, 2 à VI, 1, 5 ; IX, 6 ; X, 1), mais c’est pour voir souligné que cette foi qui permet d’atteindre Dieu, nous est donnée par le Verbe : c’est son enseignement qui révêle, qui manifeste, en toute clarté3 et dans leur plénitude, les mystères de Dieu. Λ côté de cette analyse nouvelle de l’économie de l'incar­ nation, nous trouvons d’importantes précisions relatives à ce qu’on appellera proprement la théologie du Verbe : sa préexistence, son éternité, — donc implicitement sa Compléments à la théologie du Verbe 1. Bien que le titre de «Sauveur» soit, comme on l’a vu, tout naturellement appliqué au Verbe en XII, 9 comme déjà plus haut en IX, 6. 2. El l’aspect révélation n’était pas absent de l’exposé théologique des ch. VII-IX, comme nous l’avons souligné ci-dessus, p. 200. 3. Quatre fois φαίνω en XI, 2-5 ; plus φαντρώς en XI, 2. 230 COMMENTAIRE divinité —, sont l'objet à nouveau d'affirmations insis­ tantes {XI, 4-5). Comme plus haut, nous nous heurtons au mystère fondamental d’un Verbe éternel manifesté dans le temps. Ce mystère, l'auteur s’efforce sinon de l’exprimer, du moins de l’évoquer, en raffinant son langage, recourant toujours è des antithèses hardies et enchaînées : « lui qui a toujours été est apparu comme nouveau, —- et dans cette nouveauté s'est révélé « ancien »— ce qui ne l'empêche pas de renaître toujours jeune dans l’âme des Chrétiens »... C’est ici que la critique a trouvé «à s’exercer et a reproché à l'auteur de ces dernières pages un style embarrassé et obscur. Sans doute, il s’agit d’exprimer l’inexprimable, et en pareille matière la clarté est un trompe-l’œil. Il faut bien cependant accorder que l’une au moins de ces formules est pleine d’ambïguité doctrinale : «Éternel il est aujourd’hui reconnu comme Fils» (XI, 5). Si l’on prend l’expression isolément et en lui donnant toute sa force, nous retrouve­ rions là la doctrine communément attribuée à Hippolyte de Rome, selon laquelle le Verbe, le Logos, ne se manifeste comme « Fils » qu’avec et dans l’incarnation1 ; doctrine, pense-t-on, qui serait si caractéristique du docteur romain12 que sa présence ici équivaudrait à une signature. Mais on doit redoubler de prudence : il faudrait d'a­ bord être sûr que cette doctrine a, vraiment, été professée par Hippolyte lui-même3 ; ensuite établir que la formule 1. Hippolyte, Contre Noel, 4, p. 241, 26, éd. Nautin (passage difficile : cf. Nautin, p. 119) ; 14, p. 257, 3 (cl le passage parallèle, 11, p. 252, 11, où Πα'.ς remplace Υιός); cf. encore Dened. Jacob, 26; de Anlichristo, 8, et l’étude de D. B. Capelle, Le Logos, fils de Dieu chez Hippolyte, dans Recherches de Ihéol. une. el mid., t. IX, 1937, p. 109-124. 2. Doœ Capelle, art. cité, p. 122, n. 46, ne trouve pas d’autre texte que le nôtre ù rapprocher d’Hippolyte. 3. Dans son livre sur le Contra Noctum (Hippolyte, Contre les hérésies, fragment, élude et édition critique, Paris. 1949, p. 198-199), P. Nautin vient précisément de proposer une tonte autre interpré­ tation des formules d’Hippolyte : elles no concerneraient plus un devenir intérieur au Verbe, mais seulement renseignement relatif ι.’εχηοπτλτιον finale 231 relevée dans le présent, passage {X, 5) doit bien être inter­ prétée en ce sens « hippolyticn ». Or rien ne nous y oblige : Dom Andricssen a bien montré que la formule : « il est reconnu comme Fils aujourd’hui » peut s’entendre de façon beaucoup plus simple : il s’agit, non d'un devenir intérieur au Verbe, mais de la vie du Christ dans l’âme des fidèles*. A l’appui de cette interprétation, il verse au débat deux textes très significatifs, l’un de Justin2, l’autre de Méthode d'Olympe3, qui chacun à sa manière, tendent à exprimer la même idée : que le Fils est vraiment connu, reconnu, comme tel par les hommes au moment où il est enfanté dans leurs cœurs par la grâce du baptême. Si on relit tout le contexte, XI, 4-5, on ne pourra douter que cette interprétation bénigne ne soit celle qui s’impose ; c’est la seule qui respecte la suite des idées : le Verbe éternel, qui s’est manifesté une première fois dans toute la nouveauté de son Incarnation, « renaît toujours jeune dans le cœur des saints » dans le présent historique du temps vécu par l’Église {c'est là le sens du mot « aujourd'hui ») ; sans cesse de nouveaux chrétiens retrouvent en lui le Fils de Dieu, « â Jésus né de la Vierge, lequel est en effet l'objet immédiat proposé à l'intelligence chrétienne ». Interpretation orthodoxe, qui au fond rejoint celle qu'à la suite d'Andriessen nous allons adopter pour notre passage XI, 5 ; mais dans ce cas, la convergence entre nos doux auteurs n’a plus la mime portée, car il ne s’agit alors que d'une doctrine banale, directement issue de l'enseignement évangélique et de la tradition ecclésiastique. 1. P. Andbiessen, dans Rech. de Ihéol. anc. el méd., t. XIV, 1947, p. 135-136. 2. Justin, Tryph., 88, 8 {il s'agit du baptême de Jésus el de la voix proclamant du haut du ciel : « Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui ») : ■ Le Père déclarait qu’il était engendré pour les hommes au moment où on devait commencer à le connaître ». 3. Méthode, Symposion, VIII, 9, et notamment : «Celle qui enfante et a enfanté le Logos dans le cœur des croyants... c’est l’Église notre mère ». Je suppose que c’est ce rapprochement qui a suggéré à Harnack d'attribuer nos ch. XI-XI1 soit à Méthode luimême, soit à son entourage : Gcschichle der allchrisliichen I.ileralur, I, Ueberlieferung, p. 758; II, Chronologie, 1, p. 515. 8-1 232 COMMENTAIRE le reconnaissent comme tel, et par là l’Église s’enrichit de saints multipliés. Du coup disparaît une des raisons majeures qu’on pouvait avoir d'opposer XI-XII à I-X’ et d’attribuer à Hippolyte la paternité de cet épilogue ; l’ambiguïté de la formule n’a d’autre intérêt que d’attester à nouveau le caractère encore bien archaïque de la théologie trinitaire de notre auteur. Autre trait d’archaïsme : pas plus que les ch. I-X, notre épilogue ne fait mention du Saint-Esprit ; il a fallu beaucoup de bonne volonté à certains12 pour reconnaître quelque allusion à la Troisième personne dans la manière dont notre auteur parle de la Grâce qui « se réjouit », « se révèle », « s’attriste » (XII, 5-6). La vie de l’Eglise L'intérêt doctrinal de ces ch. XI-XI I (XI. 5-8) est ailleurs : dans la théologie de l’Église ; là réside leur apport proprement original. L’exposé des chapitres théologiques (VII-IX) ignorait en quelque sorte le fait de l’Église, mettant simplement en présence l’âme et Dieu, le Sauveur et la foi. Nous passons mainte­ nant sur le plan de la réalisation pratique, et l'auteur, envisageant quelle devra être la conduite à tenir de la part d’un futur catéchumène, est tout naturellement amené à souligner 1’importancc du rôle qui revient à l’Église. Il exprime de façon remarquable la continuité qui s’établit entre la mission du Verbe incarné et la mission présente de l’Église. Le Verbe, nous l’avons vu, est venu apporter aux hommes la révélation claire et complète des mystères de Dieu (XI, 2) : cet enseignement reçu par les premiers disciples se continue aujourd’hui au sein de l’Église ; de façon très explicite, l’auteur souligne les fondements doctrinaux d’un tel enseignement : c’est en 1. Car l'interprétation que nous venons d’écarter introduisait une contradiction radicule entre XI, 5 et renseignement des ch. VIIX, et notamment VIII, 9 et IX, 1 : dès le sein de l’éternité, la seconde Personne divine apparaît comme Enfant, Ιΐαϊς, terme que nous avons montré rigoureusement synonyme de Fils, ΥΙός. 2. Radford, up. cil., p. 41-42, suivi par Mbbciiam, id. eUte, p. 50. l'exhortatiou finale 233 tant qu’hériticr des Apôtres qu’il peut se faire l’évangéliste des païens ; il insiste sur sa fidélité rigoureuse à la tradition (XI, 1), explicitant l’aspect d’autorité qu’implique la notion de magistère : « règles de foi n, « limites fixées par les Pères » (XI, 5), — expression imagée et d’ailleurs traditionnelle de ce que nous appellerions o définitions dogmatiques » ; de cet enseignement il énumère les normes de façon précise et technique : la Loi, les Prophètes, les Évangiles, la tradition des Apôtres, l’Église (XI, 6). Cependant ce n’est pas l'aspect institutionnel, hiérar­ chique de l’Église qui l’intéresse : plutôt que la société organisée, il cherche à montrer en elle le lieu privilégié où se prolonge parmi les hommes l’action du Verbe, la Révéla­ tion et le Salut ; il nous fait sentir le mystère de cette pré­ sence continuée du Verbe, et donc de Dieu (XI, 7-XII, 1), cette présence toujours nouvelle, toujours rajeunie (XI, 4-5). C’est dans cette perspective ecclésiale qu’il reprend l'évocation de ce que doit être la vie de l’âme chrétienne. Il précise la doctrine de la foi sommairement suggérée en VIII, G et IX, 6-X, 1 : cette foi à laquelle aspire l’âme de bonne volonté, c’est dans l’Église qu'elle la trouvera en recevant l’enseignement hérité des Apôtres (XI, 1-2) ; bien que nous soyons toujours dans la perspective optimiste qui est caractéristique de ΓΛ Diognèle (la grâce de la foi s’offre à ceux qui la recherchent : XI, 5), la doctrine paulinienne de l’élection, donc implicitement de la prédestination, est soulignée en passant d’une note discrète et les devoirs envers la grâce sont rappelés : ne pas résister à la touche divine (IX, 7), rechercher la foi dans le cadre de l’Église (XI, 5), car c’est en s’intégrant à celle-ci que le fidèle participe â ces dons. Dans tout cet épilogue l'accent paraît mis sur la notion de progrès : progrès collectif réalisé par l’Église (XI, 5-6 ; XII, 9), progrès personnel ; la première partie de l’exhorta­ tion, au ch. X, avait un caractère isagogique : nous trou- 234 COMMENTAIRE viens le futur catéchumène au seuil de la foi ; on l'invitait à acquérir une première connaissance des mystères de Dieu (X, 1 ; 7) ; maintenant, avec plus d’insistance encore, on l’exhorte à pénétrer plus avant, à acquérir cette connais­ sance dans toute sa richesse et sa plénitude (XI, 2 ; 5 ; 7). Notre texte paraît bien distinguer deux étapes dans l’évolu­ tion chrétienne, deux catégories d’âmes : ceux qui sont seulement en voie de devenir les disciples du Verbe (XI, 1), et d’autre part les fidèles a confirmés » (XI, 2), les saints (XI, 4 ; 5 ; XII, 9) ; ne traduisons pas simplement les catéchumènes et les baptisés, ou du moins soulignons que dans la pensée de l’auteur, les vrais a fidèles n sont ceux qui, non contents d'ailcr jusqu’à l'initiation complète cherchent à tirer le parti maximum de ce don et poursuivent leur marche ascendante jusqu’à la perfection, la sainteté1. Dans l’image qu’il esquisse de cet (ΧΠ, 1-7) état, notre auteur met exclusivement l’accent sur l'aspect de connaissance. Ce que le Verbe, par la grâce confère à ses saints, c’est l'intelligence des mystères divins, les secrets de l’économie du salut12 (IX, 2 ; 5 ; 7) ; de même, on s’en souvient, c’est maintenant, l'aspect de « révélation o de la mission du Christ qui est particulière­ ment mis en lumière. Vraiment la notion de science, de Gnose, domine tout l’épilogue. Serait-il gnoslique pour cela? Il s’en faut : la distinction des deux degrés dans la connaissance chrétienne, l’invitation à pénétrer plus avant Une gnose orthodoxe 1. Soulignons toujours la continuité entre XI-XII et X : il me semble quo XI, 8-X1I, 1 se situent bien sur le prolongement de la « dialectique de Vagapi » telle quo nous l'avons analysée en X, 3-7 : Dieu nous a aimé le premier ; nous l’aimons ù notre tour, et voici comment il récompense cet amour par un surcroît de libéralité. 2. C’est la portée do la formule de XI, 5, · révélant la répartition des temps » oü le rnot καιροί a une acception technique, bien mise en valeur par O. Cullmann, Christ el le temps, éd. française, p. 27-31 : les « moments · de l’histoire auxquels la volonté do Dieu confère un rôle déterminé dans l'exécution de son plan du salut. l’exhortation finale 235 dans les mystères de la foi, tout cela vient tout droit de saint Paul, et de VÉpîlre aux Hébreux, — la « sagesse dont nous parlons parmi les parfaits »* cette a nourriture solide » que ne peuvent supporter les σ petits enfants dans le Christ » encore au régime du « lait spirituel »12. Non que le gnosticisme soit extérieur à l'horizon de l’épilogue : il semble que l’auteur l’ait eu très précisément en vue ; bien des précisions qu’il fournit ont une portée et sans doute une arrière-pensée de polémique anti-gnostique ; voyez le soin avec lequel il repousse tout soupçon d’ésoté­ risme, tant dans son enseignement personnel (XI, 1) que dans l’économie de la révélation (XI, 2; 7) : le christianisme n’a rien d’une doctrine secrète, absconse et jalousement réservée à une élite : reconnaître dans leur intégralité les mystères les plus secrets n’est qu’affaire de grâce, une grâce offerte libéralement (XI, 5), et de bonne volonté (XI, 7). Presque tout le dernier chapitre (XII, 1-8), où la notion et le mot même de gnose apparaissent au premier plan (le mot γνώσις y revient jusqu’à dix fois), est consacré à préciser la nature exacte et le rôle qu’il convient de lui attribuer dans une perspective authentiquement chrétienne. La doctrine est présentée avec un art consommé dans l’emploi du sens accommodatice, sous la forme d’une allégorie sur les deux arbres du Paradis. Suivant une tradition inaugurée par l’auteur juif (pharisien ou essénicn?) des Psaumes de Salomon3, il compare l’ôme des saints au « Jardin des Délices » où poussent l’arbre de science et l’arbre de vie (XII, I). L'arbre de science, et non comme dit le texte de la Genèse, l’« arbre du bien et du mal ». Cette transposition optimiste permet à notre auteur 1. /. Cor., 2, 6 ; ci. Phil., 3, 15. 2. J .Cor., 3, 1-2; Hebr., 5, 11-14. 3. Ps. Salomon, 14, 2 : « Lee saints du Seigneur vivront en lui pour toujours : le Paradis du Seigneur, les arbres de vie, eu sont ces saints ». Thème repris en particulier par saint Ikénée, V, 10, 1, p. 345 Harvey; V, 20, 2, p. 379; Pridie, aposl., 99. 2.36 COMMENTAIRE d’en tirer argument pour défendre et exalter la notion de gnose : ici encore il n’est pas un isolé ; la même adaptation et le même usage apparaissent dans des termes très analo­ gues, sous la plume de l’apologiste Théophile d’Antioche, suivi à son tour par toute une chaîne de tradition1 : L'arbre de la science était lui-même bon, son fruit aussi, ce n’est pas, comme l'imaginent certains, l’arbre qui contenait la mort, mais la désobéissance. Il n’y avait rien d’autre dans lo fruit que la seule science ; et la science c’est bien, du moment qu’on s’en sert comme il faut, mais par son âge réel Adam n’était encore qu’un enfant...*. Mais en même temps le rappel du récit de la Chute et l’exemple de nos premiers parents vient limiter cet optimisme : comme Théophile, notre texte introduit la notion féconde d'un bon ou d’un mauvais usage possible ; la science n’est plus un absolu, un principe qui se suffise et qu'on doive poursuivre pour lui-même : à la Gnose il faut joindre la vie : attentif à exploiter son allégorie, l’auteur juxtapose d'abord les deux notions, comme dans l’Eden les deux arbres voisins ; mais creusant son idée, il les montre bientôt si indissolublement liées l’une à l’autre (§4-6) que, pour finir, elles nous apparaissent plus ou moins confondues (§ 7). Tout cela ne va pas sans quelque obscurité ou confusion : un lecteur malveillant dira que notre auteur n’arrive pas à12 1. Voir Andriesskn, Rech. de thiol, anc. et mid., 1947, p. 144-146 (mais les textes d'Irénée, Clément d’Alex., Théodoret, auxquels il renvoie à la suite de Maran, concernent l’état d’enfance d’Adam, non l'interprétation de l’arbre do vie) : deux textes surtout sont à retenir : Grégoire de Nazianze, Or., 45, 8, P. G., t. XXXVI, c. 632 D : « D’après mon opinion cet arbre était la contemplation » ; saint Ambroise, Expositio Ps. 118, I, 2, p. 5, Pctschenig : » Il faut chercher la vie d’abord, la science (doctrinal ensuite », etc. Et pour finir, une formule littéralement équivalente à celle de notre § Xll, 4, «la perfection exige que lu ne possèdes ni la vie sans la connaissance, ni la connaissance sans la vie », ila ut... nec vita sine cognitione, nec cognitio sine vita sil. 2. Théophile d’ANTIOCHK, Ad Autolycum, II, 25, trad. Sender, p. 161. L’image était différente chez Justin, Tryph., 28, 3. l’exhortation finale 237 filer sa métaphore ; mais ces dernières phrases sont écrites d’une main nerveuse, enthousiaste, emportée par un mouvement rapide ; il importe plus à l’auteur de nous faire entrevoir le point de fuite où tout converge, et la Science et la Vie, et le cœur du Chrétien, et l’action féconde du Verbe ; on pourra l’excuser de perdre de vue l’allégorie, de s’y embarrasser quelque peu (le Chrétien en voie de perfection est un jardin comme l’Eden, mais qui semble-t-il ne contient qu’un arbre, etc.). Si l’expression est parfois maladroite, imprécise, il ne semble pas que la pensée, quant à sa ligne fondamentale puisse être mise en discussion. La notion de « Vie » est posée sans autre explicitation : c’est qu’ici comme dans tout Γ/t Diognète, l’usage de l’auteur implique une référence constante à la langue et aux concepts fondamentaux du Nouveau Testament. Cette « Vie » vient ici tout droit de saint Jean. Il ne s'agit pas de la vie quotidienne, empirique et naturelle, ni même de la vie morale : nulle part l’auteur ne précise que les fruits qu’il en attend (§ 1 ; 8) sont les vertus ou les bonnes œuvres ; non, la « Vie » c’est, ne disons pas meme, le mot est anachronique et encore trop étroit, la vie a surnaturelle », mais ce que saint Jean appelle la vie « éternelle », une Vie que l’auteur n’hésite pas à hyposLasier (§ 6 : « celui-là n'aime pas la Vie »), et pour finir à identifier avec la personne même du Verbe (§ 7), Celui qui est la Voie, la Vérité1, la Vie... L’ne fois explicité ce rapport, on se rend compte qu’il n’y a pas seulement un bon et un mauvais usage de la Science, mais bien une Gnose* sûre »(§4), « véritable » (§6), opposée à la fausse : l’idéal de l'auteur est bien la Science, Gnôsis, selon saint Paul12, comme le souligne heureusement 1. On aura noté l'emploi également hypostasié du mot ’Αλήθεια appliqué au Verbe en XI, 1 et, nous semble-t-il, en XII, 5, comme déjà en VII, 2. 2. Voir la belle étude de O. J. Dupont, Gnosis, la connaissance religieuse dans les Épilres de saint Paul, Louvain, 1949 ; si paulinlen que soit notre texte, il rend cependant un son bien personnel, par la 238 COMMENTAIRE la référence explicite au verset fameux de la Première aux Corinthiens, 8, 1, qui, reliant une foisde plus notrcépiloguc à l’exhortation du ch. X, rappelle que la sève qui anime la connaissance et la vie du chrétien, c'est Γ Amour. Ainsi cet exposé apparaît comme une revendication orthodoxe de la notion de Gnose, dégagée de scs deforma­ tions possibles et intégrée à l'ensemble de la saine théo­ logie ; la portée polémique d’une telle prise de position est évidente : notre auteur est un « gnostique » catholique passionnément attaché à ce mot prestigieux et h cet idéal, soucieux d’autre part de 1’arracher aux Gnostiqucs héré­ tiques, aux tenants d’une « gnose qui n’en mérite pas le nom », ψευδωνύμου γνώσεως1 ; par là ce texte apparaît comme tout proche de l’attitude assumée par les grands Alexandrins, Origène et, peut-être plus encore Clément avant lui. Mais l’intérêt de ce texte n’est pas (XII. 8-9) seulement historique ; moins riche peut-être en apport dogmatique que le noyau central des ch. V-VI, notre épilogue ne lui est pas inférieur en pathé­ tique, en valeur proprement religieuse, et aussi en mérite littéraire. Sans doute tout n’y est pas absolument clair, ni toujours soigneusement lié ; pour être par moments obscur, le style de l’auteur n’en est pas moins d’une rare puissance ; en contraste avec la simplicité attique, un peu nue et dépouillée des ch. V-VI, ces ch. XI-XII sont moins sobres peut-être, mais d’un ton tellement passionné ! J’ai prononcé le mot de « strette » : il s’agit bien d’un mouve­ ment final, emporté par un élan chaleureux qui, selon un tempo rapide, exprime sous une forme enveloppée tous les sentiments qui s'agitent encore dans le cœur de l’auteur, tout ce qu’il voudrait dire encore et qu’il désespère de pouvoir exprimer en clair par le détail. L’exhortation iinale synthèse qu’il opère, comme on vient de le voir entre la « gnose · de saint Paul cl la « Vie » selon saint Jean. 1. /. Tint., 6, 20. l’exhortation finale 239 Celte page n’a rien perdu de sa fralcheur et de sa portée : son message est de nous faire éprouver, dans sa splendeur et sa richesse indicibles, le mystère de la présence divine dans l’ôme des saints, l’effusion des grâces messianiques dans la vie de l’Églisc. Par deux fois nous retrouvons la qualité caractéristique des chapitres V-VI : une bouffée de lyrisme soulève l’éloquence de notre auteur, le rythme se précipite, l’expression se fait très directe, procédant par petits κώλα de construction symétrique juxtaposés sans subordination, ces « espèces de vers » soulignés par la rime, que nous signalions plus haut ; c’est d’abord, en XI, 5-6, l'hymne à la Grâce plein de tant de trouvailles heureuses, de traits d’une touche si légère : cette grâce qui a s’épanouit, se multiplie » et pour finir « bondit d’allégresse ». Ce sont enfin, el mieux encore, les dernières lignes, XII, 8-9, si denses, où les allusions très partiellement explicitées aux souvenirs des récits bibliques de la Chute et de l'Incartion constituent comme la trame du tissu, et où l’expression atteint à une plénitude, à une densité qui défient le com­ mentaire : le progrès mystérieux de la grâce dans le cœur du chrétien est suggéré par la métaphore de l'arbre, d'un arbre de la Science qui serait aussi l'arbre de la Vie, et dont la vie est le Verbe divin, — un arbre aux fruits éternels et immarcesciblcs. Mais, comme il convient à ce témoin des premiers siècles chrétiens, le sort de l’âme personnelle ne peut être envisagé â part de celui de la communauté. C’est l’Église qui devient un nouveau Paradis de délices, el au cœur de cette église de saints, où le séducteur ne saurait plus triompher, l’âme chrétienne n’imite plus l’Ève pécheresse, mais bien l’Ève nouvelle, la Vierge .Marie1, et avant la doxologie finale 1. Si du moins nous avons bien interprété l’allusion ; ce passage, obscur et ambigu à le considérer isolément, s’éclaire par une série do textes anciens qui associent et opposent la corruption d’Ève ή la virginité de Marie : Justin, Trjiph., 100, 5 : « Èvo était vierge, sans corruption ; en concevant la parolo du serpent, elle enfantait désobéissance et mort. Or la vierge Marie conçut foi et joio lorsque 240 COMMENTAIRE adressée au Père par le Fils1, i’êlan jaillissant s’achève par une gerbe d’images étincelantes qui réussissent à évoquer, dans son ambivalence et sa complexité, le mystère inex­ primable du présent de l’Église, déjà illuminé d’une aurore d’eschatologie. l'ange Gabriel lui annonça la bonne nouvelle... · ; I rénée, Adu. haer., Ill, 32, 1, p. 124 Harvey ; Tertum.ikn, Adu. Marcionem, 11, 4, p. 338 Kroymann ; De carne Christi, 17 (voir à ce sujet, en dernier lieu H. Koch, Virgo Eva, Virgo Maria, dans Hirsch-Lietzmann, Arbeiten zur Kirchengeschichle, t. XXV, Berlin, 1937, et ibid., p. 8, η. 1, la bibliographie antérieure et notamment les réactions catho­ liques ù son Adhuc Virgo, dans les Beilrdgc zur hislorischcn Théologie, 2, Tübingen, 1929). Mais on ne peut voir ici une simple profession de foi dans la virginité de Marie : en efTel (sans parler do ce qu’aurait d’un peu étrange la construction « Ève n’est plus séduite mais une Vierge est crue ·), cette affirmation catégorique viendrait rompre l'enchaînement des idées. Notre passage s'éclaire par une référence à saint Paul, II. Cor., Il, 2-3 : «car je vous ai fiancés Λ un époux unique : comine une vierge pure, jo vous ai présentés au Christ. .Mais j'ai grand'pcur qu'à l'exemple d'Èvo que séduisit l’astuce du serpent, vous ne laissiez vos pensées se corrompre ». Tout notre chapitre XII analyse la vie de l’ûmo chrétienne au sein de l’Église : là, ou alors (devenue parfaite), l'ftmc ne se laissera plus tenter par le serpent, comme Ève ; conservant sa virginité, elle affirmera sa foi, comme la Vierge Mario, modèle du chrétien et type de l’Église, a cru dans la parole de l’Ange ; l'allusion ù Marie est certaine, mais indirecto. 1. Voir le classement des divers types de doxologies proposé par E. C. E. Owen, ΔΟΞΑ and cognate words, § XIV, dans Journal of theological studies, t. XXXIII, 1932, p. 139-116. La nôtre appartient au type C* (doxologio adressée au Père par le Fils), qui, attesté dès le Nouveau Testament et Clément de Rome, connaît une fortune nouvelle à partir d'Ilippolyle : Tradition apostolique, 28, · Nous to louons, ô Dieu, par ton Enfant Jésus-Christ notre Seigneur, par qui à toi soit la gloire dans les siècles des siècles, ainsi soit-il » ; De Antichrislo, 67 : « en attendant la bienheureuse espérance cl la manifes­ tation do notre Dieu et Sauveur (scil, Jésus-Christ : TU., 2, 13), lors de laquelle, ayant ressuscité les saints, Il se réjouira avec eux, glori­ fiant le Père, à qui la gloire dans les siècles des siècles, ainsi soit-il ». On a souvent mis en parallèle cette conclusion du De Anlichrislo avec celle de ΙΆ Diognèle (cf. Harnack, Geschichle., Il, Chronologie, t. 11, p. 232) : il faut toutefois observer que le parallélisme n’est rigoureux que pour la dernière proposition, de soi peu caractéristique. V La date et l’auteur Pour mettre un terme à cette étude, il faut maintenant examiner le problème de l’origine et de 1’attribution de notre écrit. Le lecteur sait quelles difficultés nous attendent. Le problème de ï'Épître d Diognète occupe une place de choix parmi ceux que nous pose l’histoire littéraire de l’Antiquité, classique ou chrétienne : on a pu dire qu’il était aussi disputé que celui de la naissance d’Homère ; plus encore, puisque l’éventail des hypothèses s'étale ici sur quinze siècles bien comptés : plusieurs historiens n’ont pas hésité à dater l’/l Diognèle de la toute première génération chrétienne, on a même songé à A polios, le compagnon d’apostolat, et dans une certaine mesure le rival de saint Paul ; à l’autre extrémité il s’est trouvé au moins un érudit pour envisager, plus ou moins sérieusement, l’hypothèse d’un faux du xvie siècle, (prononçant même paradoxalement le nom du premier éditeur, Henri Estienne) ; entre les deux extrêmes, bien des solu­ tions intermédiaires ont été tour à tour essayées, comme en témoignera le tableau suivant, qui ne se flatte pas d’être complet. PROPOSÉS ΡΑΠ ---- (EN ---- ) AUTEUR DAT K (L'italique distingue les hypothèses ne concernant que l'Epilogue, ch. XI-XII) Avant 70 A polios Clément de Rome 98-117 Fin de l’ère apostolique Début il· siècle 110-125 110-135 110-150 117 117-180 117-138 120 120-130 125 133-135 134-136 Quadratus Marcion 135 135-150 Aristide 140 Apellea lu Marcionite Vers 150 150-160 Justin 150-200 150-175 150-310 150-200, ^peut-être m· e. tou 161-177 160-200 migonruui çi«73),' Hase (le Ambroise Γ Apologiste Million de Sardes 170-180 170-310 178-180 Vers 180 Après 180 Fin du h0 siècle Théophile d'Antioche Panline Fin ii’-début ni· siècle Fin du n· s., ου m· ιπ· s., ou fin du ii· ut” siècle Bonner (1940) Schoelten (1867) Harnack (1875) Keim (1873), Gildersleeve (1877* Renan (1881) Ogara (1944) I.ipslus (1873) Zeller (1845) Harmer (1891), Batiffol (1909) Bunsen (1812), Quarry (1896), Draeseke, Bunwelsch, Bardenhewer (1902), Di Pauli (1906), Connolly (1935, 1936}, Schwartz (1936) Lucien d’Antioche Jordan (1911) Harnack (1897) Jacobi (1881), Goodspeed (1942) Gcffcken (1907) Seeberg (1893) Zabn (1873) Chapman (1909) Méthode d’Oly/npc Harnack (1893) Un disciple de Clément ιν'-ν· siècles Après le v· siècle vm-ix· s., au plus tôt xii· siècle Fin xin*-début xiv· s. xv· siècle xvi· siècle ullanO (>034) Blrks (1880) Alton si (1946) Puech (1912) Hippolyte de Rome 250-300 250-310 257-311 Tillcmont (1694) Gallandi (1765) Baralicr (1740), Lumper (1783) .Moebler (1825), Hefole (1839), Pormaneder (1842), Alzog (1876) Boehl (1826) Langen (1875) Nitzsch (1870) Krueger (1895) Snoeck (1861), Niccoli (1931) Westcott (1881) Lightfoot (1889) Thoenissen, Slclkens (I860) I.uebkcrt (1854) Ewald (1859) Dorner (1845), Andriessen (1945) Otto (1852), Luthardt (1874) Bunsen (1852) Bunsen (1852), Buonaiuli (1921) Uhlhorn (1866) Heinzelmann (1896), Baljon (1900). Doulcct (1880), Kihn (1882), Krueger (1894) Crcdner (I860) Draeseke (1881) Semisch (1855), Bardenhewer (1902), Lightfoot (1935), Mecchnm (1949) Grossheim (1818), Tzschirner (1829). Cellier (1730), Kestner (1819), Hoffmann (1851), Otto (1852) Gass (1875) Radford (1908) Uhlhorn (1898) Pseudo-Hiêrothée* Nicéphore Callistc Un grec émigré Henri Estienne Overbeck (1872) Karpatbios (1925) Cotterill (1877) Thomsen (1930) Cot term (1879) Donaldson ( 1866) Donaldson (1866) 1. E. 1. Karpatiiios, dans Γρηγόριος ό Πβλαμας, 1925, p. 117, ne doute pas de I’historicilc de son « Hiérothée, disci­ ple des Apôtres et évêque d'Athènes », mais il est bien évident que l'idée de placer un texte sous le patronage de ce nom n‘a pu venir que postérieurement à la diffusion des écrits du Pseudo-Denys. O ■£ m S 3 244 COM M ENTAI KE Il y a là de quoi effarer ! En fait on peut déblayer rapide­ ment le terrain et resserrer considérablement le champ d'une discussion utile. Terminus a quo . 120 Le terminus a quo pour commencer, parajk établi aujourd’hui hors de toute contestation : l'immense labeur des modernes a projeté sur les origines de la littérature chrétienne une lumière dont ne pouvait disposer le bon Tillemont. Aucun des arguments, sur lesquels il s'appuyait1 pour faire remonter notre texte avant 70, ne résiste à l’examen, à commencer, par le plus spécieux : la critique des sacrifices judaïques au ch. III ; elle ne suppose pas le moins du monde l’existence du temple de Jérusalem, et donc que notre texte ait été écrit avant sa destruction par l’empereur Titus1 2 : le Judaïsme n’a jamais considéré aucune des prescriptions de la Torâ(h) comme abolie, même si les circonstances en rendaient l’observation pratiquement irréalisable ; le sacrifice en particulier n’est jamais sorti de son horizon : le Talmud le montre bien, qui consacre tout un traité, Pesahim (dans Moëd), au sacrifice pascal de l’agneau3, et un autre, Zebahim (dans Kodaschim), au sacrifice en général, cela en prévision de la restauration du Temple, au moins aux temps messianiques4 : de nos jours encore, l’éventualité de la reprise des sacrifices dans le Temple reconstruit a été sérieusement discutée dans les milieux orthodoxes du Sionisme5. La polémique de notre ch. III garde donc un sens même après 70 (ou 135). 1. .Mémoires pour servir à I'hisloirc ecclésiastique, t. II, Paris, 1694, 2« éd., 1701, p. 371-372 cl surtout 493-494, note 1. 2. Ni, comme d'autres l’ont pensé, autour de sa restauration par Bar-Kocheba, lors de la révolte de 132-134. 3. Rite qui d'ailleurs a continué d’être pratiqué, passant du culte otïlcicl au culte domestique : et M. Simon, Verus Israel, Paris, 1948, p. 376, n. 2 . 4. Voir encore Simon, op. cit., p. 25-27 et (sur la tentative de restauration esquissée par Julien 1* Apostat), 141-144. 5. M -J. Lagrange, L'évangile de Jésus-Christ, p. 468, η. 1. LA DATE ET L’AUTELR 245 Les autres arguments de Tillcmonl n’ont pas plus de portée : le thème du «peuple nouveau »(I, I1'), est, nous l’avons vu, un lieu commun de l’apologétique ancienne et concerne la nouveauté relative de la religion chrétienne vis-à-vis du Judaïsme et du Paganisme et non la date récente de son apparition. Enfin l’expression αποστόλων γενόμενος μαθητής, que nous lisons au début de l'épilogue (XI, 1), n’implique nullement que l’auteur soit1 ou se prétende1 2 un auditeur des premiers Apôtres : quiconque prend la parole au nom de l’Église, une, sainte, catholique, apostolique, peut revendiquer pour lui-même, en quelque siècle qu’il vive, le titre de a disciple des Apôtres ». Il n’y a d'ailleurs, ni là ni ailleurs, aucune raison sérieuse de rattacher Γ/l Diognète aux Pères Apostoliques3 : sans doute, et nous l’avons dûment relevé au cours de notre étude4, notre auteur n’est point sans quelques rapports avec eux, mais c’est là peu de chose, tandis que tout, le thème fondamental, le plan, l'argumentation, la doctrine, le vocabulaire apparente bien plus étroitement Γ/l Dio­ gnète à l’ensemble des écrits conservés dus aux Apolo­ gistes5. Or rien ne permet de penser qu'il soit le plus ancien témoin de cette tradition, si homogène : on s’accorde à placer en tète de la série le texte connu sous le titre de Prédication de Pierre,Κήρυγμα Πέρτου; 1Ά Diognète mani- 1. Comme l'évangéliste (et apologiste) Quadratus : Eusèdb, Hisl. cal., Ill, 37, ! ; Chron. (arm.) ann. Abraham 2140. 2. Comme le Ps. Hiérothée des fragments Karpathios, ou le Ps. Denys l’Aréopagito. 3. Comme éditeurs et historiens catholiques ont tendance à con­ server ΓΛ Diognète dans le corpus des PP. Apostoliques (Bihlmayer, Bosio, Casamassa), il est peut-être bon de rappeler que cette « tradi­ tion · ne remonte qu’à l’oratorien vénitien Andrea Gallandi (1765), dont Γ« autorité · n’est tout de même pas l'équivalent de celle d’un Papias I 4. Voir en Appendice notre index des Loca Parallela, § IV. 5. Ibid., § V, les articles correspondants. 246 COMMENTAIRE feste avec lui des contacts très étroits ; quelle que soit la manière dont on peut en rendre compte1, il ne viendra à l’esprit de personne, après avoir comparé l*zl Diognèle aux fragments conservés du Kèrygma, d’imaginer que celui-ci dépend de celui-là ; c’est de toute évidence le contraire qui est vrai ; Γ/l Diognèle est postérieur à la Prédication de Pierre, et par suite12 date, au mieux, du temps d’Hadrien, disons pour préciser, de 120 au plus tôt. Terminus ad quem : Passons au terminus ad quem: les au plus tard 310 résultats obtenus dans l'introduction au sujet de la transmission manuscrite de notre texte nous permettent de liquider rapidement un bon nombre d’hypo­ thèses fantaisistes : l’existence même du manuscrit F et sa date (xiv® siècle) font justice de l'insinuation ridicule de Donaldson3 : il ne peut s’agir d’un faux du xv® ou du xvi® siècle ! Un faux du χιιι®-χιν®4, ou du xn® alors? Pas 1. Comme on l’a vu, ΓΛ Diognèle peut dépendre du Kèrygma soit directement, soit à travers Aristide : la première solution est la plus probable : ci-dessus, p. 121 (cl J. N. Reagan, The Preaching of Peler, the. beginning of Christian apologetic, Chicago, 1923, p. 45-46). 2. La Prédication de Pierre date certainement du début du η* siècle : E. J. Goodspeed, A history of the early Christian literature, Chicago, 1942, p. 131, l'estimant déjà connue d'Ignace d’Antioche, remonte jusqu’en 100-110; Reagan (op. cil., p. 80) disait 100; d’autres la rapprochent le plus possible des Apologies conservées ; mais il no me semble pas qu’on puisse descendre au-dessous de 120125, comme le faisait Harnack, Ceschichle d. altch. Lileralur, II, Chronologie, 1, p. 472-473 : 100-130 (140) ou même 150. 3. Sans doute il ne la formule qu’avec circonspection, et pour la retirer aussitôt (/1 critical history of Christian literature and doctrine, t. li, Londres, 1866, p. 142) : c’est encore trop de la part d’un auteur qui écrivait à un moment ofi le manuscrit do Strasbourg, remis en lumière par Otto, était parfaitement accessible. 4. Je n’en discute (pie la possibilité a priori : l’hypothèse de J. M, Cotterill ne mérite pas d’être prise en considération (esquissée dans son article anonyme de la Church quarterly review, t. IV, 1877, p. 42-76, il l’a développée dans son livre Peregrinus Proteus, an investigation into certain relations, etc., Edimbourg, 1879) : il imagine LA DATE ET L’AUTEUR 247 davantage1 : nous connaissons les méthodes de travail des Apologistes byzantins du temps des Comnèncs2 ; ils sont beaucoup plus préoccupes de compiler, au besoin de seconde ou de troisième main, un dossier d'autorités reconnues que d'en imaginer de nouvelles ! Un faux plus ancien encore, entre le vin® et le ix® siècle? Mais ici encore nous savons comment travaillaient alors les faussaires, si faussaires il y a : loin de chercher à faire du pseudo-ancien eu composant des pastiches, ils fabriquaient du pseudo-neuf en inter­ calant du matériel apologétique ancien dans leurs composi­ tions « originales »3. Nous sommes ainsi ramenés à faire remonter la composi­ tion de l’A Diognèle plus haut encore que la copie de l’archétype φ,5θΐί, hors des temps byzantins, jusqu’à l’ère proprement patristique. Jusqu'où? La manière dont l’auteur parle des persécutions dont la menace est visible­ ment considérée comme actuelle (I, Id; V, 17 ; VII, 7 ; X, 8), la manière aussi dont il parle des chrétiens comme d’un bloc, sans distinguer le commun des fidèles d'avec ceux qui, dans le monachisme, font état de perfection·1, situent avec certitude Γ/l Diognèle antérieurement à la Paix de l’Église (312-313). Franz Ovcrbeck est le seul historien qui ait sérieusement envisagé de reporter notre écrit après Constantin ; mais Γ.4 Diognèle sorti de In main de Nicéphore Cnlliste Xanthopoulos (v. 1256—v. 1335), en compagnie de toute une série, hétéroclite, d’autres · faux » : les deux Êpllres de Clément de Borne, le De morte Peregrini de Lucien, V Evangile de Thomas, VAd Epigcnem de Galien, les ch. 29-30 du traité de ['Esprit Saint de Basile, etc. Λ l’appui de si étranges assertions, il n'invoque que do vagues rapprochements de vocabulaire ou d’expressions. 1. Cf. P. Thomsen, duns son compte rendu de l'éd. de Geffcken, ap. Philologische Wochenschrift, t. L, 1930, c. 561-563. 2. Ci-dessus, Introduction, p. 18-2-1. 3. Introduction, p. 27-29. 4. Cf. supra, dans notre commentaire des ch. V-VI, les p. 167168 et déjà 159-160. ‘248 COMMENTAIRE lorsqu'on lit attentivement son gros mémoire1 on constate non sans surprise que son argumentation ne porte pas direc­ tement sur ce point : il essaye simplement de montrer que Γ/l Diognèle ne peut pas avoir été écrit au 11e siècle ; cela considéré comme acquis, Overbeck, négligeant le mea, con­ clut en faveur des iv® ct v®, mais sans apporter de raison valable pour cela1 23 : quand il va jusqu'à prétendre que l'/l Diognèle est- plus près de la polémique adversus paganos d’Athanase, Chrysostome ou Théodoret que de celle des apologistes du ii° siècle, le théologien bûlois ne prouve guère que sa propre incompétence en matière patriotique ; il n’est personne qui, ayant lu l'ensemble de la littérature en question, ne conclue précisément en sens contraire4 ! Il paraît enfin impossible qu’un auteur du iv®-v® siècles qui se serait elTorcé de pasticher les Apologistes du n° n’ait pas laissé échapper, au cours de ces dix ou douze chapitres, une seule idée, une seule expression, voire un seul mot qui dénonçât la fraude et révélât l’époque où il écrivait vrai­ ment : or aucun anachronisme de cet ordre n’a pu être signalé5. 1. Ueber den pseudojuslinischen Brief an Diognel, dans Studien zur Geschichle der allen Kirche, T, Schloss-Chcmnitz, 1875, p. 1-92 (réirnpr., avec quelques additions, p. 75 8., d’un Programm de Bûle. 1872). 2. Il se contente d’écarter sommairement les rapprochements, si précis pourtant, qu'on peut établir avec Clément d’Alexandrie : ainsi p. 44-45, 51. 3. Op. cil., p. 58 et suiv. 4. D'autres rapprochements, plus précis, avec Eusèbe par ex., portent sur les lieux-communs de l'apologétique chrétienne, traits qui so maintiennent constants du ir· au v" siècle, et même, on l'a vu, à travers toute la tradition byzantine. Ayant relevé (en VIII, 6 ; XII, 8) deux parallèles assez inattendus avec Antipater de Bostra, jo me suis demandé un instant s'il n’y avait pas 1Λ une piste à suivre ; mais une lecture attentive des lieliquiae de cet auteur (2° moitié du iv" siècle) ne m’a rien apporté de plus : ces deux rencontres sont, par elles-mêmes trop banales pour être significatives. 5. I.e commentaire que nous avons donné de la théologie de l’zt Diognèle nous dispense de réfuter par le menu les insinuations I.A DATE ET l’auteur 249 Aussi tous les auteurs qui ont retenu l'argumentation d’Overbeck se sont-ils bien gardés de le suivre dans sa conclusion positive et ont pris soin de préciser qu'ils tenaient, contre lui, Γ.4 Diognète comme antérieur à 310. J’irai pour ma part beaucoup plus être du II· siècle |ojn . Lorsque Zahn1 ou Seebcrg2 déclarent placer l’/l Diognète dans la seconde moitié du inc siècle, lorsque, en 1875, Harnack fait descendre jusque en 300-310 le terminus ad quem possible3, ils n’agissent ainsi que sous l'influence d’Overbeck ; son argumentation, qui pouvait faire impression dans les années 1870-1880 me paraît avoir été ruinée, pour l’essentiel, par la découverte de V Apologie d'Aristide, si heureusement récupérée par J. Bendel Harris en 1891 : nous avons là un texte certaine­ ment antérieur à 161, et dont la polémique contre Juifs et païens si proche de celle de Γ/l Diognèle, présente à peu près tous les caractères dont se scandalisait Ovcrbeck et qu’il déclarait inconcevables sous la plume d’un auteur du il® siècle ! Certains sans doute ont continué à tenir pour le in0 siècle, mais iis se sont alors appuyés sur un raisonnement d’un autre type, d'ordre littéraire plus que proprement docL'A Diognète peut d’Overbeck (qui voyait par exemple, op. cil., p. 69, le point de vue de Vhomoousion nicécn reflété par la christologie du ch. VII). Je ne vois qu'un seul cas où l'on pourrait formuler l’accusation précise d’anachronisme : l’emploi du terme άνταλλαγή en IX, 5 ; ce mol n’apparatt ailleurs (comme je l'ai fait remarquer, ci-dessus, p. 200, n. 9), qu'aux alentours do 500 ; mais il me parait beaucoup plus probable qu’il s’agit d'une création originale de notre auteur, inspirée par Γάντάλλαγμα dos Synoptiques. 1. Th. Zahn, compte rendu du Programm d’Overbeck, dans Gôttingische gelehrlc Anseiger, 1873, p. 106-116. 2. R. Sbkukro, Die Apologie des Aristides, dans Th. Zahn, Forschungen sur Geschichle des ncutestamenttichen Fanons, t. V, 1893, p. 243. 3. Dans Gebhardt, Harnack, Zahn, Patrum aposlolicorum opera, II, 1 (2e éd., 1878), p. 119-152. 250 COM M ENTAI HE trina!1. Gelïcken a exprimé avec beaucoup d’insistance1 2 l’idée que IM Diognète ne pouvait pas être sorti de la plume d'un auteur chrétien du 11e siècle parce qu’il était trop bien écrit : ce style si « brillant », cette maîtrise si parfaite des procédés de la rhétorique, cette recherche visible de l’art, qui se manifeste notamment par les clausules métriques, tout cela nous reporterait à une époque plus tardive, celle d’un christianisme pleinement assimilé aux traditions de la culture « antique ». Il y aurait beaucoup à dire sur la pertinence d’un tel argument : encore une fois il ne faut pas exagérer les mérites littéraires de notre petit écrit qui, en dehors des admirables ch. V-VI (et de certains passages de l’épilogue), n’est pas toujours aussi < brillant » qu’on veut le dire ; d’autre part, si artistique que soit sa prose, elle n’a pas une couleur aussi « antique » que la langue néo-classique dont, à partir de Méthode d’Olympe tendront de plus en plus à faire usage les Pères grecs de l’àge d'or34 . Mais ici encore, le progrès de notre documentation permet aujourd’hui d'abréger le débat : la découverte de l’Homélie sur la Passion de l’apologiste Méliton de Sardes1, vide l’argument de 1. L'argument a été esquissé par Srrbf.ro, toc. cil., suivi par Harnack en 1897, Geschichlc der allchrisll. Lileratur, I, Chronologie, 1, p. 514-515 (l’usure de l’argumentation apologétique qui se manifeste dans les premiers chapitres de Γ/t Diognète nous place assez longtemps après Aristide : soit, mais de combien ?). Harnack, à la différence de Seeberg, a bien senti le coup porté par la découverte du texte d’Aristide. 2. J. Geffcken, Zwei griechische Apologcten, Leipzig-Berlin, 1907, p. xi.i-xi.ri ; 273-274 ; Der Brief an Diognelos, dans Zeitschrift fûr Kirchengeschichte, t. XLI11, 1924, p. 348-350; dans E. Hknneckr, Neutestamenlliche Apocryphen, 2* éd. Tubingue, 1924, p. 619 : Der Brief an Diognelos, Heidelberg, 1928, p. iv-vr. 3. Cf. les observations si justes de Chr. Mohrmann, dans la Rivista di storia della Chiesa in Italia, t. IV, 1950, p. 156. 4. Ed. C. Bonner, dans K. et S. Lake, Studies and Documents, t. XI1, The homily of the Passion by Metito, bishop of Sardis, Londres, 1940. LA DATE ET l’aüTEUK 251 GefTckcn de lout son poids : voici un texte qu'il faut bien placer1 entre 170 et 190 et dans lequel nous trouvons mises en oeuvre toutes les ressources de la a prose d’art », toutes les techniques de l’éloquence classique : voici un écrivain chrétien qui n'écrit pas avec moins de recherche et de compétence technique que ses contemporains païens, que Maxime de Tyr ou Favorinus d'Arles Is. Avons-nous en définitive quelques raisons d’opter pour le ni0 siècle plutôt que pour le second? L’/ί Diognète, j'y insiste, présente des points de contact très étroits et très nombreux avec tous les écrits parvenus jusqu'à nous des Apologistes du n° siècle, qu’il s’agisse de la Prédication de Pierre, d'Aristide, de Justin, de Méliton, d’Athénagore, de Théophile ou de Minucius Félix et de Tertullien, sans parler •le saint 1 rénée3 : on ne peut plus aujourd’hui opposer d’objections valables à la force de ces rapprochements : ce texte peut être du n° siècle. Terminus ad quem : Sans doute, nous relevons aussi des Clément d’Alexandrie contacts non moins précis avec des écrivains un peu plus récents qui nous font atteindre le début du m0 siècle : Hippolyte de Rome, Clément d’Ale­ xandrie et le Discours aux Grecs du Pseudo-Justin ; les rapprochements commencent à devenir beaucoup plus vagues et moins significatifs avec les auteurs plus récents, Origènc, saint Cyprien4, etc. Mais pour nous persuader de 1. P. Nautin, L'homélie de ■ Méliton > sur la Passion, dans lu Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1949, p. 429-138, ne m'a paru apporter aucune bonne raison de suspecter l'attribution à Méliton de Sardes. 2. C. Bonnkr, éd. citée, p. 20-27 ; A. Wifsthand, The homily of Metito on the Passion, dans Vigiliae Christianae, t. 11, 1948, p. 201-223. 3. Voir pour chacun des auteurs mentionnés, les indications fournies, en appendice, par notre index des Loca parallela. 4. J. Chapman, art. Diognelus (Epistle to-), dans Catholic Ency­ clopaedia, I. V, p. 9 a, estime que notre écrit ressemble moins aux Apologies · publiques · du second siècle qu'à l’Ad Donatum do 252 COMMENTAIRE placer de préférence la date de notre auteur à l’intérieur du 111e siècle, il faudrait apporter quelques raisons de poids ; c'est ce que Geffcken croyait pouvoir tenter : pour lui l'Xudor ad Diognelum était vis-à-vis de Clément d’Ale­ xandrie dans un rapport d’étroite dépendance, c’était un «satellite de l’astre Clément»1. Certes, on l'a vu, Γ/1 Diognèie offre bien des parentés avec ce dernier, et notam­ ment avec son Prolreplique, mais il s’en faut qu'on doive en conclure que Γ.4 Diognèie s’est inspiré de Clément : la solution inverse est au moins aussi vraisemblable ; logique­ ment une troisième est egalement possible : que ces deux écrits, indépendants, soient des témoins parallèles, et non plus affiliés, de la même tradition. Il faut donc voir les choses de plus près. Nous rencontrons au moins une coïncidence verbale : l’exclamation ώ της ύπερβαλ/<ούσης φιλανθρωπίας ’ se lit à la fois dans ΙΆ Diognèie (IX, 2) et le Prolreplique (IX, 82,2) ; rencontre remarquable où l’on peut hésiter à voir un hasard ; mais comment établir que c’est l’un qui l'a copiée dans l’autre et non inversement? Ce rapprochement n'a rien de décisif. Restent les analogies doctrinales : mais les idées exprimées par ΙΆ Diognèie sont, pour les huit dixièmes, soit des lieux communs de la tradition apologétique, soit un écho direct de l’enseignement le plus commun issu de la tradition aposto­ lique : à ces deux traditions nos deux auteurs peuvent avoir puisé de façon indépendante. Il n’y a qu’un secteur où l'zl Diognèie exprime une pensée d’un accent personnel, vigoureusement élaborée : saint Cyprien, adressée comme lui à «n · inquiring pagan » (d’où l’attribution proposée au martyr Lucien d’Antioche). Le jugement d’ensemble ne mérite pas discussion ; l’argument formulé néglige le cas de Théophile d'Antioche qui dès les années 180 dédie son apologie « A Autolycus », lui aussi un païen cultivé intéressé par la question chrétienne. 1. C’est par cette formule que Geffcken conclut sa note de la Zeilschri/l für Kirchengeschichte, t. XL11I, 192-1, p. 350. »... in der Hauptsache, glânzl er nur als Trabant des Stems Clemens ». I.A DATE ET L’AUTEUR 253 c’est la fameuse thèse sur le rôle cosmique des Chrétiens (cf. V-VI) ; là et là seulement une comparaison avec Clément peut être tentée avec quelque chance de succès ; que le lecteur se reporte à notre commentaire1 : alors que l’exposé de Γ.4 Diognèie se situe tout naturellement aux côtés ou à la suite des textes correspondants des Apologies du n® siècle, il est bien clair que le chapitre parallèle du Quis dives salvetur nous met en présence d'un état beaucoup plus évolué du même phylum doctrinal ; la pensée y fait plusieurs pas en avant, élabore des prolongements origi­ naux. Ces progrès, 1Ά Diognèie les ignore et nous présente la thèse traditionnelle sous une forme sans doute pleine d’éclat, mais à un stade de développement théorique beaucoup moins avancé. Dans ces conditions la chose est claire, il n’est pas possible de se représenter VAuclor ad Diognelum comme un « satellite » réfléchissant la lumière émanée du foyer que constitue la pensée de Clément. De deux choses l'une : ou notre Auclor est antérieur à celui-ci, ou il en est sensiblement contemporain, car le rayonnement de la pensée de Clément, bientôt relayée sur ce point par celle d'Origène, a été assez grand pour qu'un auteur écrivant après lui n’ait pu demeurer longtemps à l’écart de son influence. Postérieur à la Prédication de Pierre, au plus contemporain de Clément, Γ.4 Diognèie a été écrit entre 120 et 20Q-2101 2. C’est là une conclusion qu’on me permettra de tenir pour fortement établie ; proposer une date plus précise à l’inté­ rieur de ces limites est par contre une entreprise incertaine qui, dans l’état présent de notre documentation, ne peut prétendre qu’à des résultats hypothétiques. 1. Voir ci-dessus, p. 159-160. 2. I! est difficile de dater avec précision le Quis dives salvetur (voir Harnack, Geschichle, II, Chronologie, 2, p. 19), mais on paraît d'accord pour admettre que l'activité littéraire de Clément cesse avec son départ d’Alexandrie, vers 203 ; acceptons par hypothèse cette date-limite et accordons-nous quelques années de marge pour permettre la diffusion de ses écrits. 254 COMMENTAIRE Une fois écartée, comme indéfen­ dable1, l’attribution à Justin, suggérée par le manuscrit F, le seul indice précis qui aurait pu guider l’induction est la dédicace κράτιστε Διόγνητε. Mais peut-on identifier co personnage? Beaucoup l’ont pensé et ont proposé12 de reconnaître en lui ce Diognètc dont Marc-Aurclc parle avec une reconnaissance émue quand il évoque les maîtres qui ont contribué à sa forma­ tion morale3. L’hypothèse se présentait avec quelque apparence de vraisemblance tant que l’historien était réduit à s’appuyer avant tout sur la tradition littéraire : elle nous faisait connaître une vingtaine de personnages appelés Diognètc4; tous ont vécu avant l’ère chrétienne sauf le maître de MarcAurèle, et notre dédicataire : n’était-il pas tentant de les identifier? Mais depuis, les découvertes papyroiogiques qui sont allées se multipliant, nous ont appris que ce nom n’était pas si exceptionnel : nous connaissons aujourd’hui au moins deux autres Diognète ayant vécu en Égypte dans Qui est « Son Excellence Diognètc » ? 1. Tillemonl déjà u montré que ni le style ni la doctrine de Γ/l Diognète ne s’accordaient avec Justin ; Otto lui-même, qui avait consacré sa thèse à défendre cette attribution, y a formellement renoncé dans la troisième édition de son Corpus apologetarum, l. 111, léna, 1879, p. vu ; cf., s’il est nécessaire, le résumé de la discussion donné par Mbeciiam, The epistle to Diognelus, p. 61-62. 8. L'hypothèse u été formulée, semble-t-il, pour la première fois par P. Hai.i-oix, Illustrium ecclesiae orientalis scriptores, t. U, Douai, 1636, p. 281 et souvent reprise : cf. Otto, Epistola ad Diognelum, 2« éd., 1852, p. 52, n. 2, Otto lui-même, et après lui Drâsbke, op. ci!., р. 130-132, Holland, art. cil., p. 303-305, 11. Lirtzmann, Histoire de l'Église ancienne, t. II (trad, fr.), p. 189. 3. Marc-Aubèle, Pensées, I, 6; V Histoire auguste, Marc., 4, 9, croit de plus savoir que Diognètc avait été le professeur de peinture du futur empereur; mais que vaut ce témoignage ? 4. En 1845, Otto (De epistola ad Diognelum, p. 73-74), en énumérait vingt, outre celui de Marc-Aurèlo el le nôtre ; ajouter depuis les n"· 6, 7, 9, 14, 15, de l'article Diognelos du Pauly-Wissowa, t. V, 1, с. 784-786. LA DATE ET l'aüTEUJI 255 les premiers siècles de notre ère1, et il en a existé dans les autres provinces grecques de l’Empire, puisque nous rencontrons également ce nom sur une inscription d’Éphèse1 23 : dans ces conditions, toute identification qui s'appuierait sur le nom seul est vouée à l'échec. Du moins le titre de κράτιστος, « Excellence » oriente-t-il le choix : il no faut pas juxtaposer toutes les acceptions possibles que le mot peut recevoir au cours des siècles’ ; bien qu’à l’époque où nous sommes, d'Hadrien à ScptimeSévère, l'emploi honorifique de cette épithète soit suscep­ tible de quelque élasticité (en Égypte on l’applique volon­ tiers au a gouverneur », ήγεμών, le puissant Praefectus Aegypti, et quelquefois d’autre part à un simple centurion4). Il n’en reste pas moins bien établi qu'employé comme il est ici, c’est-à-dire accolé à un nom propre, l'usage normal en fait la traduction officielle du titre romain d* Egregius Vir, que portent les personnages appartenant aux échelons inférieurs de l’ordre équestre5 : il est infiniment probable que notre Diognète, quel qu’il soit, cet un procurator qui, 1. V. les matériaux rassemblés par Phkisigke, Namenbuch, c. 88. s. v. : un Diognète apparaît dans un document de l’an 77 ap. J.-C. (P. Oxtj., 263, 3 et 17-18} ; un autre, sur lequel nous reviendrons pour finir, est attesté entre 197 et 202-3. Nous avons d’autre part appris ù connaîtra au moins trois nouveaux Diognètc d’époque plolémalquc. 2. III, 6087. 3. Voir, s. v., Liddell-Scott (-Stuart Jones}, Greek-English lexicon, t. I, p. 991 b-992 a, et Prbisiokb, WMtrbuch der griechischen Papyrusurkunden, t. III, p. 192 a-193 a. 4. DGU, 390, 3 (début du ni· siècle) : ό κράτχστος έκατοντάρχος. 5. Je renvoie le lecteur au mémoire classique d'O. HirschfbU), Die Eanglilel der rbmischen Kaiserze.it, dans Kleine Schrijlen, Berlin, 1913, p. 640-681 (repris des Silzungsberichte do l’Acad. des Se. de Berlin, 1901, p. 579-610), surtout p. 651-654 ; mais l'usage du titre Egregius Vir remonte non seulement ù Antonin (HlMChfeld) mais bien déjà à Hadrien, comme l’a établi J. Carcopino en publiant la célèbre inscription d'Ain el Djemala, CJL, VI) I, 25943. 9 256 COMMENTAIRE dans la hiérarchie des fonctions administratives, n’est pas arrivé jusqu’aux hauts postes conférant le rang de Perfec­ tissime. Conclusion bien insuffisante. Nous sommes donc ramenés aux seuls indices d’ordre doctrinal ou littéraire, dont on sait combien ils sont vagues et d’interprétation incertaine. Le tableau que nous avons dressé atteste combien la critique est demeurée divisée : on a pratiquement proposé d’attribuer ΓΛ Diognèle à tous les Apologistes dont les œuvres ont été conservées1, mais il suffit de confronter ces diverses hypothèses pour les voir s'exclure mutuellement ; leurs auteurs ont chacun insisté unilatéralement sur les ressemblances qui pouvaient exister entre telle Apologie et et notre auteur, sans prendre garde que d’autres ressem­ blances, au moins aussi poussées, Γunissaient pareillement à d’autres écrits appartenant à la même catégorie ; sans prendre garde non plus aux différences non moins éclatantes qui protestaient contre l'assimilation pro­ posée12. On a pensé aussi à identifier ΓΑ Diognèle à l'une des Apologies perdues dont l'existence est attestée par l’histoire3 : reprenant une hypothèse envisagée un siècle plus tôt par Dorner4, Dom Andriessen a récemment proposé de l’attribuer à Quadratus d’Athènes qui. nous le savons par Eusèbe, dédia à l'empereur Hadrien une Apologie de la religion chrétienne, discours qu'il lui aurait adressé lors de 1. Athénagore seul, me semble-t-il, excepté. 2. CL le jugement sévère, mais justifié, de Dom B. Botte sur l'hypothèse ù'Ogara (Γ/l Diognèle serait do Théophile d’Antioche, dans Gregorianum, 1944, p. 74-102), ap. Bulletin de Ihéol. anc. et méd., t. V, n" 383. 3. On ne semble pas avoir songé aux autres auteurs de la môme catégorie : Miltiade, Apollinaire do Hiérapolis ou au martyr Apollo· nios qui prononça sous Commode une Apologie en présence du Sénat, — du moins selon Eusèbe, Hist, ecclès., V, 21, 2-5. 4. J. A. Dorner, Enlwicklungsqeschichlc der Lehre von der Person Christi, t. 1 (2· éd.), p. 178, n. 32. LA DATE ET l'aUTEUR 257 son séjour à Athènes au début de l'année 125*. Cette hypothèse a été présentée, mise au point et défendue avec beaucoup de soin et un grand accent de conviction12. Bien qu'il en coûte à l’amitié qui m’unit à son auteur, je suis forcé de constater que Dom Andriessen accumule des arguments qui pourraient venir renforcer sa position, si elle pouvait déjà être tenue comme acquise, mais qu'à aucun moment il n’a fourni la raison décisive qui pourrait conquérir l’adhésion3. En réalité il se trouve vis-à-vis de Quadratus dans la situation où se trouvaient Doucet et Kihn lorsqu’avant la découverte du texte authentique de VApologie d’Aristide ils essayaient de la reconnaître dans 1Ά Diognèle: ils ne manquaient pas de bons arguments, mais une fois le vrai Aristide retrouvé, on s’est aperçu qu'ils n'impliquaient qu’une chose, la parenté des deux textes, — non leur identité. 11 y a bien des chances pour que VApologie de Quadratus, si on la retrouve quelque jour, nous mette en 1. Sic et non 126 comme l’écrit par inadvertance Andriessen, Recherche# de thiol. anc. et mid., 1917, p. 131 ; j’accepte par contre l'identification, défendue par le même auteur contre les doutes de Harnack (suivi par G. Bardy, Mélange# II. Grégoire, t. 1, p. 75-86), entre le Quadratus «honoré de l’esprit de prophétie», dont parle Eusébe [Hist, ccclés., III, 37, I ; V, 17, 2-4), le Quadratus «évêque · d’Athènes (Id., IV, 23, 3) et le Quadratus auteur d’une Apologie adressée à Hadrien (Id., IV, 3, 1). 2. Dans lu série d’articles que nous avons énumérés dans notre Bibliographie, ci-dessus, p. 44) : Recherche# de thtol. anc. et mid., 1946, p. 5-39; 125-149; 237-260 ; 1917, p. 121-156; etc. 3. Il ne peut être question de discuter ici par le détail toute cette argumentation ; prenons par exemple le premier mémoire de U. Andriessen : on sait qu’Eusébe (Hist, eccli#., IV, 3, 2) nous a conservé un fragment de VApologie perdue de Quadratus ; D. Andries­ sen montre que ces quelques lignes pourraient trouver place dans la lacune de notre ch. VII, 6-7 ; rien de plus 1 Los inductions laborieuses tirées du contenu doctinal et du style (art. cil., 1946, p. 27-39) ne peuvent convaincre : la base sur laquelle on les asseoit est trop étroite : il s'agit d’un fragment qui, dans l’éd. Schwartz, ne compto en tout cl pour tout que cinq lignes et un mot I 9-1 258 COMMENTAIRE présence d’une situation analogue : Eusèbe nous dit en propres termes que V Apologie d’Aristide était « presque semblable » à celle de Quadratus1, — donc celle-ci l’était aussi à ΓΑ Diognète, si proche d’Aristide, comme on l’a vu. Mais il y a beaucoup plus : l’hypothèse de Dom Andriessen soulève une difficulté insurmontable, dont l’auteur ne paraît pas avoir mesuré la portée : il faudrait admettre que par les mots κράτιστε Διόγνητε * Quadratus s’adresse à l’empereur Hadrien ! 11 n'est pas d’historien, tant soit peu familier avec les usages si précis du protocole et de la titulature impériale du temps des Antonins, qui ne s’accordera avec moi pour déclarer la chose impossible1 2. Hadrien ne s’appelait pas Diognète, mais Imperator Caesar Traianus Hadrianus Augustus; ù supposer qu’une décou­ verte ultérieure permette un jour d’établir qu’il ait reçu, entre autres surnoms occasionnels, celui de Diognèios, on n’aurait jamais pu s’en servir comme ici à l'état isolé pour le désigner. D’autre part, s’adressant à un empereur dont le nom personnel eût bien été Diognète, aucun orateur du il® siècle ne se serait risqué à l’interpeller κράτιστε Διόγνητε ' il l’aurait appelé César, Maître, Seigneur, ou plus probable­ 1. Euskbe, Hist, ecclès., IV, 3, 3 ; les arguments les plus convain­ quants évoqués par Dom Andriessen (ainsi, art. cil., 19-16, p. 142 ou 144) ne postulent rien de plus que cette parenté, — et n’imposent pas l’identité. 2. Le troisième mémoire de Dom Andriessen, Rech., 1946, p. 237-260, s'efforce de montrer qu’on peut « entendre Diognète non pas comme un nom propre, mois comme le titre d'honneur par lequel Quadratus désignait l’empereur · ; mais tout ce qu’il dit est ou fantai­ siste ou invraisemblable ; ainsi (excursus, p. 253-260), c’est Hadrien que Marc-Aurèle aurait mentionné parmi ses éducateurs sous le nom de Diognète ; évidemment c'est possible de potentia Dei absoluta, mais pourquoi, s'il avait voulu manifester sa reconnaissance envers son aïeul par adoption, l’empereur-philosophe l’aurait-il désigné par ce sobriquet mystérieux, au lieu de l’appeler tout simplement par son nom, comme il fait pour son «grand-père Verus· (I, 1), ou par le lien do parenté qui l'unissait à lui, comme il fait pour son père selon le sang (I, 2), sa mère (I, 3), ou son bisaïeul (I, 4) ? LA DATE ET L’AUTEUR 259 ment, vu le caractère oratoire du texte, il aurait fait usage du terme littéraire de « Roi », ώ βασιλεύ · ’, — mais certaine­ ment pas de ce Litre ^'Excellence, qui aurait paru attenta­ toire à la majesté impériale1 2, équivalant en gros à quelque chose comme notre « Monsieur le Sous-Préfet »...3 Cette piste abandonnée, nous sommes conduits à chercher à préciser d'abord, non l'auteur, mais la date de notre écrit. Là encore l’hésitation est grande : pour ma part, au cours des six années qu’a duré la préparation de ce travail, j’ai bien longtemps oscillé à l’intérieur des limites fixées, tenté tour à tour par l’une puis par l’autre des solutions envisagées par mes prédécesseurs : je ne crois pas utile de reprendre en détail tous les aspects du débat, qui ont été successivement bien éclairées par l’immense labeur de mes devanciers ; on peut estimer la cause entendue et, comme le juge au moment de prononcer son arrêt, je me contenterai de résumer, avant de les apprécier, les faits essentiels dégagés par l’enquête. Date probable : autour de 200 1. Ci. pour ne pus citer les orateurs païens, Aristide, I, 1 (Βασιλεύ) ; Athî'.nagore, Supplique, I (μεγάλοι Βασιλέων). 2. On ne trouve jamais le titre de κράτιστε servant à interpeller un empereur de l'antiquité : la Lettre 365 de saint Basile {P. G., t. XXXII, c. 1109 AB) est un faux byzantin, de même que la Lettre 81 de Julien (= Basile, Ep., -10, ibid., c. 344 B) : of. M. Bessièrbs, La tradition manuscrite de la correspondance de S. Basile, Oxford, 1923, p. 161-162, 164 ; Sr. !.. DlNXBEN, Tilles of address in Christian greck epistolography, Washington, 1929 {Patristic studies, t. XVIII), p. 99. Tout au plus, mais c’est toute autre chose, trouve-t-on (et encore seulement dans des papyrus du vi· siècle) l’adjectif κράτιστος qualifiant un des termes désignant le souverain, comme ό κράτιστος καί καλλίνικος ημών Βασιλεύς (Ρ. Cairo Μ asp.. 67031, 9) ou κράτιστοι Δεσπόται (P. Mon., 1, 45). 3. Ce n’est là bien entendu qu'une plaisanterie, mais cet à peuprès me paraît préférable à la paraphrase étymologique d’Andriessen, art. cité, p. 239 : « Pour peu qu'on connaisse Hadrien, on ne sera pas étonné de voir Quadratus s’adresser à l’empereur en employant un 260 COMM ENTA IKE Il est certain que Γ/l Diognète présente une parente d’ensemble incontestable et des points de contact, partiels mais nombreux, avec l’ensemble de la littérature apolo­ gétique et protreptique des années 120-210, mais ces rapports sont particulièrement étroits avec les deux groupes extrêmes, c’est-à-dire d’une part avec les plus anciennes apologies conservées, fragment-s de la Prédication de Pierre et Aristide, et d’autre part avec les écrivains les plus tardifs de la période prise en considération, à savoir Hippolyte de Rome et Clément d’Alexandrie. Avec le premier groupe ce sont surtout nos chapitres proprement apologétiques (II-IV) qui présentent des analogies, souvent très précises : c’est la même polémique rapide, bloquant en un même exposé la réfutation des objections posées par les païens et par les .Juifs1 ; même argumentation sommaire où on ne trouve aucun des développements ou des précisions dont la tradition s’est progressivement enrichie entre Justin et Tertullien. Celui qui se laisserait trop uniquement attirer par ces contacts serait tenté de placer Γ/l Diognète à une date pas trop éloignée encore du Kérygma, et très voisine de celle d’Aristide, soit immédiatement avant, soit après. L’exposé des chapitres V-VI n’opposerait pas d’objection irréfra­ gable : la thèse « cosmique » est si fermement esquissée déjà dans Aristide (elle peut remonter à la Prédication de Pierre), qu’on imaginerait fort bien 1’auteur de 1Ά Diognèle travaillant sur cette base, et parvenant par un elïort original au résultat que l'on sait... Oui, mais il y a l’autre série de parallèles, avec Hippolyte et l’École d’Alexandrie : ils commencent déjà à se multi­ plier dans les chapitres catéchétiques de la IIIe partie litre honorifique : κράτιστε Διόγνητε, très puissant rejeton du Très-haut I ». 1. Il faudra attendre saint Jean Chrysostome (cf. ci-dessus, p. 94, η. 1) pour trouver cette double polémique traitée non seulement par un même autour (comme Justin ou Tertullien}, mais dans un môme ouvrage. LA DATE ET L’AUTEUR 261 (ch. VII-IX) ; à plusieurs reprises nous avons qualifié la théologie qui s’y exprime d’« archaïque », mais c'était là s’exprimer du point de vue des modernes : il s’agit d’une théologie qui ignore encore les précisions qu’apportera à l’élaboration du dogme la crise arienne et ses séquelles ; mais si archaïques qu’elle apparaisse, elle a cependant atteint un stade qui se comprend mieux à l’extrême fin du il® siècle que dans la première moitié. Pour ne rappeler que le cas le plus précis, la polémique contre la doctrine gnostique du Messie-Ange (Vil,2) ne nous offre de parallèle daté1 que le De carne Christi de Tertullien, ce qui nous rapporte aux années 208-211. Mais, plus nettement encore, c’est dans la partie propre­ ment protreptique que ces symptômes tardifs se mani­ festent ; laissons provisoirement de côté l’épilogue (XIXI I), dont personne ne conteste les attaches très étroites avec le temps d’Hippolyte et de Clément12 : le thème de l’exhortation, et avec lui les parallèles en question, appa­ raissent dès l’introduction (I, 2), avant de s’épanouir au ch. X : ici comme là les parallèles avec Hippolyte et Clément s’imposent avec une évidence presque obsédante... Or, si on y réfléchit bien, il s'en faut que les deux groupes de faits se présentent avec une force égale et en quelque sorte contradictoire. Les analogies entre Γ/i Diognète el les écrivains qui florissaient autour de l’année 2(X) ne sont pas seulement constituées par des idées ou des formules qu’un auteur aurait pu écrire deux ou trois générations plus haut et que ses héritiers auraient pu emprunter telles 1. Nous avons bien un parallèle, plus étroit encore, dans VApocalypse d'Êlie, mais la date de ce texte, conservé seulement en copte, est incertaine et on so retourne, pour la préciser, vers Γ.4 Dinynile (cf. cl-dessus, p. 198, η. 1 et, pour la date, l’éd. Steindorff. p. 19-20). 2. Sauf Andriesscn, mais c’est là, nous l'avons souligné, l'aspect le plus paradoxal de sa position : qui pourra admettre qu’on ait pu, en l’an 125, adresser à l’empereur lui-même un sermon chrétien, d’un ton si ecclésiastique et s’achevant par une doxologio I 262 COMMENTAIRE quelles, quilles à les mal interpréter1. Non, il s’agit aussi, et surtout, de parallèles ύ la fois moins précis et plus étendus, d’une analogie de conception, d’atmosphère spirituelle ou théologique, de mouvements de pensée ; il s’agit moins d’emprunts ou d’échos à proprement parler que d’une communauté d'atmosphère, d’une participation à un même Zeitgeist. L’hypothèse de beaucoup la plus simple consiste par suite à supposer que nous avons affaire à un auteur qui, reprenant à la fin du ii€ siècle le plan traditionnel des Apologies, aura voulu, pour faire bref, suivre de très près l’exemple vénérable de la Prédication de Pierre, livre que son ancienneté, le patronage apostolique sous lequel il était connu12 recommandaient comme un modèle, avant de développer sur un ton plus personnel et. plus actuel les points de vue qui lui importaient davantage ; cela est infiniment plus vraisemblable que de supposer un écrivain de la première moitié du siècle, prédécesseur ou contem­ porain d’Aristide, qui aurait, de manière vraiment miraculeuse, anticipé comine par hasard un grand nombre d’idées, de façons de penser et de sentir, voire esquissé des développements, destinés à attendre Hip­ polyte ou Clément pour trouver admirateurs et émules ! La première hypothèse rend compte tout naturellement du caractère qui, au cours de notre étude, nous a tant frappé : l’opposition entre le caractère impersonnel, superficiel, hâtif, de la partie proprement apologétique, dont l’auteur se débarrasse par acquit de conscience, pressé d’en venir â ce qui vraiment lui tient au cœur : 1. Comme le voudrait Andhiessen, art. cil., 1947, p. 136, n. 25 , à propos de la formule « le Verbe est aujourd’hui reconnu Fils » (XI, 5), dont nous avons souligné l’équivalent chez Hippolyte. 2. Clément d’Alexandrie ne doute toujours pas de son authen­ ticité : < Comme le dit Pierre dans la Prédication... » (Slrom., Il, 15, 68 ; VI, 5, 39 ; VI, 5, 13 ; VI, 7, 58 ; VI, 15, 128 ; Eclog. proph., 58) ; Origène sera plus clairvoyant : In Joh.. XIII, 17. LA DATE ET l'aUTEUR 263 l’évocation des mystères de l’Église, l’appel à la conversion. Dans ces conditions, et encore une fois tout bien pesé, je suis arrivé à la conviction mûrement réfléchie que Ι’Λ Diognète ne peut pas appartenir à la première partie du 11e siècle, et qu’il faut, pour expliquer naturellement tous ses caractères le reporter vers l’autre extrémité de la période envisagée1, autour de l’an 200 : l’auteur est chrono­ logiquement un contemporain d’Hippolyle et de Clément. Cette conclusion une fois admise, on constatera qu’elle résout tout naturellement le problème de l’épilogue et dispense de toute hypothèse particulière à son sujet : il n’y a plus maintenant de hiatus chronologique entre le groupe des chapitres I-X et celui des chapitres XI-XII ; puisque tant de bonnes raisons nous y invitaient et notamment l’examen du ch. X, il ne faut plus hésiter à considérer l’épilogue du ms. F comme la conclusion authen­ tique de l’/l Diognète, la discordance sensible à la lecture s’expliquant par l'étendue de la partie manquante, perdue par suite de la mutilation de l’archétype φ. Plus proche de Clément que d Hippolyte Oserai-je aller plus loin? Il est sans doute dangereux d'enchaîner hypo^hèse sur hypothèse (et surtout d’ima­ giner par là qu'elles se confirment mutuellement : en fait l’incertitude croît en proportion géométrique) ; toutefois étant conduit à proposer une conclusion hypothétique au lecteur, nous lui devons de chercher à la formuler avec la plus grande précision dont elle soit susceptible. L’Auctor ad Diognelum doit être, disons-nous, un contem­ porain d’Hippolyte et de Clément : il faut chercher à déterminer davantage le rapport qui l’unit à ces deux auteurs. Refaisons, cette fois avec Hippolyte, une confron1. L'élude des points de contact, si nombreux, on l'a vu (cf. Loca parallela, § VI), entre 1Ά Diognite. et Ikénéh conduit à lu mémo conclusion : Connolly, dons Journal of theological studies, 1935, p. 351-352. 2U COMMENTAIRE talion analogue à celle que nous avons tentée précédem­ ment avec Clément1 ; que le lecteur se reporte en particulier à l’anthologie que nous avons compilée des textes patristiques concernant la thèse caractéristique du rôle cosmique des Chrétiens. Alors que pour le reste les rapprochements avec le corpus hippolyticn sont aussi nombreux que ceux que l’/l Diognète offre d'autre part avec Clément, et qu’ils témoignent eux aussi à leur manière d’une certaine commu­ nauté d’esprit, ils deviennent sur ce terrain décisif beaucoup plus vagues. Hippolyte, nous l’avons observé12, n’accorde pas une attention particulière à la fameuse « thèse » qui, pour nous comme pour son auteur, représente bien Γάκμή de Γ/l Diognète; il la reçoit de la tradition, mais n'en fait pas l’objet d’un effort personnel d’élaboration et d’appro­ fondissement, analogue à celui de notre auteur, et dont témoignent par ailleurs Clément et Origcne. Sur ce point décisif, notre mystérieux auteur est donc beaucoup plus près de Clément que d'Hippolyte3 ; mainte­ nant que nous avons été, d'autre part, amenés à les rapprocher dans le temps, cette parenté conduit à poser des questions nouvelles : est-il vraisemblable qu’à la même époque il se soit trouvé, en dehors d'Alexandrie, un second foyer de pensée chrétien où, parallèlement, se soit ranimé un même intérêt pour celte vieille thèse traditionnelle? 1. Que le lecteur reprenne, une fois encore, les passages relevés dans notre index des Loca Parallela. 2. Ci-dessus, Commentaire, p. 158. 3. 11 est peut-être bon de souligner maintenant qu’aucun des parallèles relevés par tous ceux qui attribuaient A Hippolyte soit les ch. XI-XII (Bunsen, Draeseke, etc.), soit l'ensemble de l’œuvre (Quarry, Connolly) ne sont par eux-mêmes très significatifs : nous l’avons remarqué à propos de la doxologio (ci-dessus, p. 2-10, n. 1), qui avait donné lieu au rapprochement considéré comme le plus valable (au jugement de Harnack, Gcschichte. II, Chronologie, t. II, p. 232). I.A DATE ET l'auteur 265 Proche de Clément par le temps, proche par la pensée, VAuclor ad Diognelum doit en être proche aussi par le milieu. GeiTcken ici avait vu juste en décelant chez lui un accent a authen­ tiquement alexandrin »*. Mais cela nous amène à reprendre pour la préciser, notre conclusion chronologique. Si VAuclor ad Diognelum a vécu dans le même cercle que Clément, il n’a pu ignorer le Qu is diues saluelur dès le moment même où celui-ci a été publié ; puisqu'il n’a pas profité de son apport, c’est donc qu’il lui est antérieur. Le terminus ad quem de l’/l Diognète est donc fixé à 203 et, comme le Quis diues peut fort bien avoir été écrit sensiblement avant cette date limite, Γ/1 Diognète doit être daté (ne cherchons pas de précisions illusoires) des années 190-200. Je ferai remarquer ici qu’en somme, une fois liquidées les séquelles de la tentative malheureuse d'Overbeck, et une fois écartée l’hypothèse d’Andriessen, c’est bien vers une solution de ce genre qu’inclinait peu à peu le consensus omnium: la plupart des historiens les plus récents et les plus autorisés inclinaient, pour exprimer leur jugement, vers des formules de ce genre : « fin du n® siècle ou début du me », « premières années du me siècle ou à la rigueur fin du ne », etc12. Nous n’aurions fait, en précisant le rapport d’antériorité immédiate entre 1Ά Diognète et Clément, qu’achever la mise au point d’une solution déjà, quant à l’essentiel, très généralement reçue. Ecrit à Alexandrie vers 190-200 1. En dernier lieu, dans son éd. Der Brief an Diognelos, p. v-vi ; 20, I. 28, etc. On pourrait, comme toujours, orchestrer l'hypothèse en relevant avec soin maints autres « symptômes alexandrins · : l’antisémitisme implicite des ch. III-IV, l'affirmation rigoureuse de l’égalité du Père et du Fils : en pays de langue grecque, cette théologie déjà « nicéenne » est mieux à sa place en Égypte, etc. Mais il faut prendre garde à ne pas trop lire entre les lignes... 2. J'emprunte la remarque à Molland, dans Zeilschri/t für die neuleslamcntliche Wise., 1934, p. 290. 9-2 266 L auteur . Pantène ? COMMENTAIRE Nous pouvons tenter de faire encore un pag . dernier argument dont nous avons fait usage est à double entrée : s’ils ont vécu ensemble à Alexandrie dans les années 190, ni Clément ni notre mystérieux A uclor n’ont pu s'ignorer mutuellement ; ils appa­ raissent si proches qu’une influence directe de Γ/l Diognèie sur l’auteur du Prolreplique devient hautement vrai­ semblable1. L’Auclor ad Diognelum serait un des maîtres de Clément... Sans doute nous ne connaissons que bien imparfaitement ce milieu, alors si actif, d’Alexandrie, et il convient de réserver la possibilité qu'il s’agisse d’une personnalité jusqu’ici ignorée de nos sources1 2 ; mais s’il faut l’identifier avec un nom connu je n'hésiterai pas à prononcer ici celui de Pantène, l’illustre et mystérieux docteur auquel Clément a comme on le sait, rendu un si vibrant hommage, lorsque, au début des Stromales, il énumère les maîtres qui l’ont formé : « le dernier que je rencontrai, mais le premier par la puissance, je le découvris en Égypte où il était caché... C’était une véritable abeille de Sicile : il cueillait les fleurs dans la prairie des prophètes 1. Je tiens bien à souligner le caractère Un plus en plus hypothé­ tique que prennent ces suggestions ; ici, je ferai miennes les conclu­ sions, si prudentes et si nuancées, de L. Alfonsl, dans Aevum, 19-16, p. 108 : « Nous ne disposons pas d'arguments assez forts pour affirmer avec certitude que tel passage du Prolreplique. dépend de VÊptlre à Diognète, bien qu’il ne manque pas de concordances assez signifi­ catives pour justifier au moins le soupçon que Clément l’ait connue comme doit l’avoir connue Origène ». 2. Il s'en faut que l'histoire littéraire nous ait conservé le souvenir do tous les écrivains de l'antiquité chrétienne; de temps en temps des noms nouveaux nous sont révélés, ainsi celui do l’apologiste Ambroise fourni par un remaniement du Discours aux Grecs du Ps.-Justin (texte IV du ms. F}, conservé en traduction syriaque ; bien que la notice du manuscrit soit bien confuse (elle contamine son souvenir avec celui d’Apollonios}, il n’y a pas lieu de douter de l’existence de col auteur : c’est peut-être l’ami, disciple et mécène d’Origène : cf. Harnack, dans les Silzungsbcrichlc de l’Acad. des Sc. de Berlin, 1896, 27, p. 627-617, et notamment 612. LA DATE ET L’AUTEUR 267 et des apôtres et engendrait dans les âmes de ses auditeurs un pur miel de Gnose a1. Sa candidature a déjà été mise en avant par llarmer comme auteur possible des ch. XI-XII12, mais celui-ci, pour nous, n'est plus distinct de l’auteur de l’ensemble, et je no vois rien dans ce que la tradition, fondée essentiellement sur les souvenirs de Clément, nous rapporte de Pantène3 qui s’oppose à celte attribution. Enfin, toujours si notre texte a été écrit à Alexandrie dans les années 190-200, il devient possible de proposer avec quelque vrai­ semblance une identification de son destinataire : un groupe important de textes, cinq papyri et un ostrakon4, nous font connaître, précisément là et alors, un procurateur équestre, auquel les documents confèrent comme il se doit le titre de κράτιστος, du nom de Claudios Diognètos. Nous Le procurateur Claudios Diognètos 1. Clément d’Alexandrie, Stromales, I, I, 11 (reproduit en partie par Eusèbk, Hist, ecclès., V, 11, 4) : le nom de Pantène n’est pas prononcé ici, maie l’identification parait assurée. 2. [J. B. Lightfoot) — J. R. IIahmkh, The apostolic fathers (cd. minor), p. 188-489, qui invoque en particulier le témoignage ù'Anastask le Sinaitb, in Hexaemeron, VII, P. G., t. I.XXXIX, c. 962 A (Pantène est du nombre des anciens auteurs qui avaient interprété spirituellement, les entendant de l’Église, les récits do la Genèse concernant le Paradis : allusion à notre passage XII, 1-8 î). On pourrait ici encore multiplier les « convenances · : Pantène avait commencé par être un philosophe stoïcien, et les traces de stoïcisme sont bien apparentes dans Γ/l Diognèlc. L’hypothèse de llarmer a été acceptée par P. Batiffol, L'Église naissante cl le catholicisme, Paris, 1909, p. 213-216. 3. Voir le matériel rassemblé par Harnack, Geschichle der allchrisllichen Literatur, t. I, Ucberlieferung und Besland, p. 291-296. Le dernier état de la recherche est représenté par l'hypothèse d’A. W. Parsons selon laquelle Pantène descendrait d’ «une famille de philosophes d’Athènes » que nous a fait connaître l'épigraphle : Mélanges Th. L. Shear, Hesperia, Suppl. VI11, 1949, p. 268-272. 4. P. Paris, Wilcken, Chrest., 81 ; P. Flor. (II), 278 ; P. Giessen, 48, Wilcken, Chrest., 171 ; P. JIamb., 11 ; P. Oxg. (VIII), 1113; O. Aberdeen (I) 50. 268 COMMENTAIRE le trouvons en 197 a faisant fonction » de Grand Prêtre d'Égypte, avant qu'il ne devienne en 202 adjoint au rationalis Aegypti1. Dans cette métropole alexandrine où tant de cultes se développaient côte à côte, sous le règne de Septime-Sévere, pendant ce qu’on a voulu quelquefois appeler a la petite paix de l’Église », the minor peace of the Church, qu’y aurailil de surprenant à trouver un administrateur romain, que scs fonctions mêmes amenaient à se pencher sur les affaires religieuses123, qui fût assez curieux du christianisme pour s’informer à son sujet avec compétence et sympathie, et pour faire naître chez un ami chrétien l'espoir d’une conver­ sion? Quelques années plus tard, l’impératrice-mcre elle même, Julia Mammaea, devait faire appel, avec autant de curiosité, sinon de sympathie, à l'enseignement d'Origène’. 1. Sur la carrière de ce Diognète, voir E. Groag, A. Stein, Prosopographia Imperi Romani, 11’, p. 193, n° 852, et H. G. Pflaum, Corpus des cursus procuratoriens équestres, sous presse, notice n° 246. C'est peut-être le mémo personnage que nous retrouvons sur l’inscrip­ tion do Pergame déjà citée, CIL. HI, G087 : elle nous fournirait alors son nom complet, praenomen compris : Tiberios Claudios Diognetos. 2. L'Archiercus Aegypti était essentiellement chargé de l'adminis­ tration des biens du clergé et des temples païens d’Égypte, prise on charge, depuis Auguste, par l'empereur : cf. H. Stuart Jones, Fresh light on Roman administration, Oxford, 1920, p. 26-33; ce poste était volontiers confié à un lettré. 3. Eusèue, Hist, ecclis., VI, 21, 3-4 (Iulia Mammaea est la mère do l'empereur Sévère Alexandre) ; sur la correspondance ultérieure adressée par Origène ù l’empereur Philippe et à l'impératrice Olncilia Severa, cf. ibid., VI, 36, 3. LOCA PARALLEL A Cet Index ne rassemble pas tous les textes que le Commentaire s’est trouvé amené à citer mais ceux-là seulement qui présentent des points de contact précis, d'ordre littéraire ou doctrinal, avec l’zt Diognèle et qui peuvent servir à éclairer soit les méthodes de rédaction suivies par l'auteur, soit le milieu d’origine et la date de notre écrit. Pour compléter nos relevés, volontairement limités aux cas les plus probants, le lecteur aura intérêt à se reporter aux diverses études citées dans le Commentaire et auxquelles nous renvoyons ici en mentionnant le nom de leurs auteurs. Auteurs cités A Diognèle ch. et § Commentaire P- 1. ANCIEN TESTA Μ ENT (SEPTANTE) Genèse 1, 2, 3, 3, 26-30 8-9 23 7 10, 12, 12, 12, 2 3 1 3 235-236 Exode 20, Il 3, 4 Deutéronome 4, 28 2, 2 J. îlots (1. Samuel J 15, 22 3, 4 26, 10 38, 8-11 7, 2 7, 2 Job Psaumes (n° des LXX) 2, 7 49, 8-14 84, 3 U, 5 3, 4 9, 3 110 1. Lorsqu'aucun renvoi n'est fait au Commentaire, le lecteur est prié de se reporter aux notes accompagnant la traduction du passage visé. 270 INDEX 2 5 5 4 103, 9 113B, 4-8 134, 15-18 145, 6 7, 2, 2, 3, 8, 27-29 22, 28 7, 2 II, 5 7, 26 9, 15 13, 2 13, 10 s. 13, 11 d 13, 16 15, 7 15, 15 9, 6, 8, 2, 2, 2, 2, 2, Proverbes Sagesse 6 8 2 2 2 2 2 5 138 182 107 Ecclésiastique (Sag. Sir.) 24, 8 7, 2 2, 3 12, 1 2, 18-19 2, 3 3, 2 7, 6 9, 5 14, 9-20 53, 4 53, 11 63, 9 9, 2, 9, 9, 7, 10, 3-5 2, 2-3 4, 8 9, 6 Joél Habacuc Malachie Isaïe 6 2 2 2 2 191-192; 196 195 Jérémie Baruch Épllre de Jérémie (Baruch, 6) 7 8. 11 17 19 44 s. 56 58 2, 2, 2, 2, 2, 2, 2, 3 2 2; 2, 7 2 3 2 2 190 LOCA PARALLELA 271 II. M aeca bées 1, 24 13, 3 7, 2 4. 1 II. NOUVEAU TESTAMENT Matthieu 3, 17 5, 13-16 5, 44 6, 31 17, 5 19, 17 20, 28 21, 37 8, 11 5-6 6, 6 9, 6 8, 11 8, 8 9. 2 7, 4 146 Marc 10, 18 10, 45 . 8, 8 9, 2 Luc 1, 3 6, 9 6, 27 10, 22 12, 29 13, 14-16 14, 3-5 18. 19 1, 4, 6, 8, 9, 4, 4, 8, 1, 1 ; 14 1, 18 3, 3 3, 5 3, 16 3, 17 8, 12 14, 6 15, 18-19 15, 19 17, 11-16 8, 1 8, 3 2, 1 9, 1 10, 2 7, 5 9, 6 7, 2; 9, 6 6, 5 6, 3 6, 3 1 3 6 3 6 3 3 8 91 Jean 189 105 192 192 Actes des Apôtres b 1 14, 14 14, 15 17, 24-25 17, 30 1, 3, 9, 3, 9, 1 4 1 4 1 91 272 INDEX Domains 1, 21-26 2, 4 3, 9 3, 19 3, 25 3, 25-26 4, 18 5, 12-13 5, 17-19 7, 10 8, 12-13 8, 32 9, 21 9, 22-24 11, 33 12, 1 13, 1 9, 1 s. 8, 7 ; 9, 2 9, 1 s. 9, 1 s. 9, 1 s. 8, 5-6; 9, 1 12, 6 10, 1 9, 5 12, 5 5, 8 8, 11 ; 9, 2 2, 3 10, 1 9, 5 2, 8-9 5, 10 205 205 205 205 205 207 208 208 a 110 1. Corinthiens 2, 9 4, 1 4, 10 4, 12-13 8, 1 9, 17 14, 2 15, 27 15, 50 12, 1 7, 1 5, 14 5, 14-15 12, 5 7, 1 10, 7 7, 2 6, 8 128 128 238 II. Corinthiens 5, 1 6, 9-10 6, 13 6, 18 10, 1 10, 3 11, 2-3 6. 8 5, 11-13; 5, 16 5, 14 7, 2 7, 4 5, 8 12, 8 138 128; 136 128 Gulales 1, 3, 4, 4, 4, 5, 6 12 22-25 4 4-5 10 17 2 4, 6; 7, 1 9, 1 s. 9, 2 8, 11 4, 5 6, 5 10, 6 205-207 204 273 LOCA PARALLELA Ëphésicns 2, 3, 3, 4, 5, 6, 19 8 9 22-24 1 9 5, 5 9, 5 7, 1 ; 8, 11 2, 1 10, 4 10, 7 105 Philippiens 2, 15-16 3, 20 5-6 5, 4 ; 5, 9 148 Colossiens 2, 23 3, 10 I. Timothée 2, 6 3, 16 4. 1 2, 1 9, 2 11, 3 II. Timothée 2, 20 2, 3 3, 1 3, 3 3, 4 5, 10 9, 1 9, 2 Tite Hébreux 11, 10 11, 13-16 13, 14 Cf. Roasenda (cité p. 127) 7, 2; 8, 7 5, 5 5, 9 191 Jacques 3, 15 5, 20 7, 1 9, 3 /. Pierre 1, 2, 2, 3, •1, 23 5 13 18 8 11, 2 2, 8-9 5, 10 5, 12 ;[9, 2 9, 3 110 128 11. Pierre 1, 13 2, 11 6, 8 5, 5 1, i 1, 5 2, 13-14 H, 4 9, 6 11, 4 138 1. Jean 192 274 INDEX 3, 13 4, 19 5, 20 6, 5 10, 3 9, G 192 Apocalypse I. 3, 5, 7, 8 7 12-13 12 7, 7, 9, 9, 2 2; 9, 2 6 6 187 193 193 III. LITTÉRATURE JUIVE (NON-CÆNO.NIQUE) Apocalypse de Baruch 14; 18-19 10, 2 210 5-6 161 10, 2 210 12, 1 235 2, 8-9 110 U Ie 1, 1e 99-100 99-100 Assomption de Moïse 1. 12 IV. Esdras 6, 55 ; 59 Psaumes de Salomon 14, 1-2 Testament de I.évi 3, 6 Josèphe, Contre Apion 1, 34 2, 7 ; 14 ; 36 Philon, De Abraham 98 5-6 De confus, ling. 77-78 5, 9 135 52-55 8, 2 182 7, 2 188 6, 1 172 5-6 5-6 151 151 De decal. De mut. nom. 3 (15) De opif. mundi 53; 69 De spec, legibus I, 97 11, 167 LOCA PARALLELA 275 IV. PÈRES APOSTOLIQUES PS.-BARNABft, Ëpitre 9, 1 s. 202 7,4. 7, 2 10, 2 9, 3 9, 6 192 1. 1 7, 2 10, 4 9, 6 212 192 I. 2 10, 4 212 10, 7-8 8, 9; 11 217 200 10, 2 5, 5 5-6 210 5. 7; 7, 5 Ci.êmbnt de Rome, I. Clem. 30, 33, 33, 49, 59, 8 3 4 5 4 Ignace d’Antioche, Ëphisienf Tralliens Martyre de Polycarpe 2, 2-3; 11, 2 14, 1 Pasteur «I’Hkrmas Mand., 14, 4, 2 Sim., 1, 1 Vis., 1, 17; 2. 4 160 V. APOLOGISTES DU II· SIÈCLE Aristidb, Apologie 1, 3 2 2, 1 3, 2 4-6 13, 1-2 13, 4 14 15, I 15, 4 15, 5 15, 6 16. 1 s. 17, 6-8 CL 10, 2 1, 1”; 5, 1 s. I, 2 2, 7; 5, 2-4 8, 2 2, 2 8. 2, 8-10 1, lh; 3, 1 s. 1, lh ; 5, 1 8. 5, 6-7 5, 7 6, 5; 10-12 6, 7 10-12 210 132 104 106; 132 182 106 110 101 ; 110-112 132 150 150 95; 150 150 95 Robinson (p. 121. n. 1), Sekbf.ro (ibidJ, Meecham, Dp. cil., p. 29; 59-Rl. 276 INDEX AthéNAGORE, Supplique 6 10 13 15 16 17 22 24 26 27 32 35 37 6, 7 9, 6 2, 8-10 2, 2 8, 2 2, 2 s. 8, 2 9, 6 11, 3-4 2, 8-10 1, lp 5, 6 6 138 193 110 106 182 106 182-183 193 106; 108 110 101 133 156 2, 2 s. 2, 7 10, 4 s. 5, 10 2, 8-10 10, 7-8 5, 6 6 5, 17 10-12 6 2, 11 10-12 10-12 10, 7-8 106; 108 106 213 144 110 95; 217 133 153 10, 7-8 10, 4 s. 10, 2 6 10, 7-8 1. id 10-12 217 213 210 152 217 100 95 8, 1 5. 6 10, 2 184 153 210 Cf. Og aha (p. 4-1). Justin, /. Apologie 9, 1-3 9, 5 10, 1 12, 1-4 13, 1-2 18, 1-2 27, 1 28, 2 31, 5-6 44, 13 45, I 53, 1 55, 8 56, 3-1 68, 1-2 95 153 105 95 95 11. Apologie 2, 2 4, 2 5, 2 7, 1 8, 4 12, 1 15, 4-5 Dialogue avec Tryphon 4, 1 39, 2 41, 1 277 LOCA PARALLELA 88, 8 100, 5 110, 4 11, 5 12, 8 7, 7-9 231 239 201 Cf. Otto (p. 43 : thèse’, p. 9-11), .Meeciiam, p. 61-62. Kerygma Pelrou voir Prédication de Pierre. 226 Meliton de Sordes, Apologie, fragm. Otto I. 3 II e 2, 2 s. 1, 1 155 106 226 2 s. I' 2-4 IR lb 1e 2 s. 106 100 181 101 99 99 106 Eklogai Ct. Bonner (p. 226, n. 3), Meeciiam, p. 66-68 Minucius Felix, Octavius 3, I 8, 1 s. 8, i 9, 2 10, 2 12, 5. 23, 9 s. 2, 1, 7, 1, 1, 1, 2, Prédication de Pierre, fragm. Dobschütz II III IV V VI-VII 2, 2, 1, 1, 8-10; 10-12 2 s. ; 10-12 lb ; 3, 1; 10-12 1* ; 5, 1 s. ; 9, 1 s.; 10-12 10-12 95 96; 106; 107; 110 96; 101 ; 111 96; 131 ; 202 96 Cf. Robinson (p. 121), Reagan (p. 216), Meeciiam, p. 58-59. Tatien, Oratio ad Graecos 4 12 30 2, 2 s. 6, 1 2, 1 106 152 105 5-6 2, 2 s. 156-157 106 2, 8 ; 5, 10 110; 141; 156 12, 8 240 6, 2 2, 2 s. 2, 2 s. 6 157 106 106 156 Tertullien, Ad Nationes I. 1 ; 8; 9 I, 12 Ad Scapulam 2 Adv. Marcionem U, 4 Apologeticum 1. 1 ; 8 12, 2 29, 2; 4 29, 5 INDEX 278 30, 30, 32, 37, 37, 39, 39, 40, 41, 42, 45 50, 1 ; 5 6 1 4 6 2 7; 16 1 ; 13 ; 15 3 1-3 13 6 2, 8-10 6 6, 2 5 5-6 1, 1« 6 5-6 5 5, 10 7, 7-9 156 110 157 157 157 156 101 156-157 157 157 144 130; 201 7, 2 12, 8 197 240 2, 2 s. 106 De carne Christi 14 17 De idololatria 3 (ibid.). d'Antioche, Ad Autolycum Cf. Lipsivs (p. 157, 11. 2), ÜHAESBKE Théophile i. 1 I. 2 I, 6 I. 7 I, 10 I. H 11, 14 U, 2 II, 25 11, 27 11, 35 II, 38 111, 1 111, 15 III, 30 Cf. 2, 2 s. 1, i" ; 2, 1 10, 2 9, 6 2, 5 10-12 5-6 2, 2 s. 12, 1 10, 6 2, 2 3. 10-12 b 1 5, 6 10-12 106 99; 105 210 192 106 95; 217 152 106 236 215 106 95 91 133 95 Ogaba (p. 44) VI. AUTRES AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES PRÉ-NICÉENS Ada Pauli Passio, 9 Ada Petri 20 I, 1* Π, 4 99 LOCA PARALLELA 279 Acia Philippi 132 9, 6 193 9, 6 193 7, 2 198 Acia Thamae 27 Apocalypse d'Elie p. 68 Steindorff Arnoue, Adversus nationes I. 39 III, 35 VI, 8-21 VII, 3; 4; 17 2, 8. 2, 2, 2 S. 2 2 s. 8-10 106 18p 106 110 Clément d'Alexandrie, Prolreptiquc 1, 10, 2 2, 1 4, 46, 3-47, 1 2, 3-4 : 2, 7 4. 50-52 2, 2 S. 4. 51, 2 2, 8-9 5, 64-65 8, 2 9, 82, 2 9, 2 10, 97, 3 2, 2 s. 10, 108, 4-5 5, 10 11, 115, 1-5 ; 116, 1 ; 117, 1 10, 1-7 12. 118, 4 10, 1-7 105 106 106 111 182-183 106 144 214-215 215 PMayoyue 3, 8. 1 5, 5 Stromales 1. 13, 1 III, 5 4, 3 6, 1 172 5-6 159 Quis dives salvetur 36, 1-3 Meecham, p. 62-64. de Rome, II. Clem. Cf. Alfonsi (p. II), Ps.-Clémhnt 1, 4 11, 2-3 9, 6 5-6 192 Cyprien de Carthage, Ad Demelrianum 1, 1 2, 7 251 91 106 1, 2 8, 2 10, 7-8 104 183 217 1-2 14 Ps.-JusriN, 1 ■1 35 Cohortatio ad Graecos Cf. Birks (p. 222, η. I). 280 INDEX Hippolyte de Rome, De Anlichrislo 1 2 8 67 1, I 1, 2 11, 5 12, 9 91 104 230 240 11, 5 230 12, 9 5-6 5-6 5-6 158 158 158 11, 5 230 Bened. Jacob 26 /n Daniel. Ill, III, IV, IV, 2, 3 24, 7-8 5, 4 12, 2 Contra Noctum •1; 14 Philosophoumcna V, 10, 2 X, 33 X, 34 193 9, 6 184 8, 1 s. 7, 2; 8, 2; 10, 2-7 213-214 Connolly (p. 220, n. 2) Irénée de Lyon, Ada. Hacrescs (, appliqué au Fils 192 Persécutions 133, 135, 166-167 Platonisme 133, 138 πολιτεία 62, 143 Prédication de Pierre 93, 95, 107, 111, 121, 131, 149, 2-15-216 Prédications de Pierre 93 Protreptique 91, 104, 208, 210, 226 Religiosité seconde 105, 109 Renan 41-42, 135, 143 Rhétorique 97. 107-108, 118, 124-127, 130, 218, 224-225 Sacerdoce des chrétiens 147, 149, 151, 155, 158, 159, 168 Sacrifice sanglant 109-111, 244 Sel de la terre 146-147, 152, 162, 164 Sibylle Ënjthrée. 12, 29 Stoïcisme 139, 140-141, 142, 145, 152, 160, 182, 210, 213, 267 Suicide 144, 176 σύνεχω 142, 145, 173 Symf.on Métaphraste 28 στοιχεία 182 Stojkovic 6 Théodicée 203, 206 Théodore Skutnriotès 22 θεός au sens affaibli 215-216 Théosophic de Tubingue 13, 29 Thomas d'Aquin 169, 176 Tractatus de martyria sanctorum 6, 32 Translittération 30 τροφεύς 190, 194 Universalisme chrétien 132 1 TABLE DES MATIÈRES ρ*β« Introduction............................................................................... · Le manuscrit de Strasbourg.......................................... Nature du manuscrit F................................................... Origine du manuscrit F................................................. A la recherche de l’archétype..................................... V. L'état du texte................................................................... VI. Les éditions.......................................................................... VII. La présente édition........................................................... VIII. Les traductions................................................................... 5 10 17 I. II. III. IV. Bibliographie...,.......................................................................................... TEXTE ET TRADUCTION................................................................... 24 31 33 37 39 43 47 87 COMMENTAIRE........................................................................... Le titre. Caractères généraux. Contenu et plan. I. Apologie contre lesPaïene ot les Juifs (ch. I-IV).. .. 98 Les questions de Diognète (I, 1). Préparation spiri­ tuelle (I, 2-II, 1). Contre l’idolâtrie (II, 1-7). Contre les sacrifices (II, 8-10). Contre les sacrifices des Juifs (III, 1-5). Contre le ritualisme juif (IV, 1-5). Maladresse de l’apologétique. IL Les Chrétiens dnna lo monde (ch. V-VI)............................ 119 Le mystère chrétien (V, 1-6). Tradition littéraire. Qualités du style. Richesse de la pensée. Situation des chrétiens. L’âme du monde. Doctrine traditionnelle. Lo Nouveau Testament. Parallèles chez les Apologistes. Clément cl Origène. Persistance de la tradition. Origi­ nalité de Γ/1 Diognète. 111. Initiation à la fol chrétienne (ch. VII-IX)...................... La lacune en VII, 6-7. Le christianisme comme révélation. Théologie : le Père et le Fils. Ni modalismc, 177 288 TABLE DES MATIÈRES ni subordinatianisme. L'économie du salut. Pourquoi si tard ? (IX, 1-6). IV. L’exhortation finale (ch. X et Xl-Xll)............................... 208 Dialectique de la conversion (X, 1-4). Anthropomor­ phisme cosmique (X, 2). L'agapè chrétienne (X, 2-7). L'enfer et le martyre (X, 7-8). La lacune entre X, 8 et XI, 1. L’authenticité des ch. XI-XI1. Amplification de l’exhortation. Compléments à la théologie du Verbe (XI, 2-5). La vie de Γ Église (XI, 5-8). Une gnose ortho­ doxe (XII, 1-7). L’exhortation finale (XII, 8-9). V. La date et l’auteur.......................................................................... 241 Terminus a quo : 120. Terminus ad quoin : au plus lard 310. L’zi Diognète peut être du ιι· siècle. Terminus ad quem : Clément d’Alexandrie. Qui est · Son Excellence Diognète » ? Date probable : autour de 200. Plus proche de Clément que d’Hlppolyte. Écrit à Alexandrie vers 190-200. L'auteur : Pantène ? Le procurateur Claudios Diognètos. Index des Loca Pahallela................................................................. 269 Index 285 dks Sujets Traités...................................................................