HOMÉLIES SLR LE CANTIQUE DES CANTIQUES IMPRIMI potest : Chcvctogne, die 15· ocl. 1953. Thomas Becquet, O. S. B. prior. IMPRIMATUR : Parisiis, dic 2· dcc, 1953 . M. Potbvin vic. gen. Ce volume a été publié avec le concours de Mgr Lagier, Directeur de Γ Œuvre d’Orient. S SOURCES CHRÉTIENNES Collection dirigée par JJ. de Lubac, S. J., et J. Daniélou, S. J. Secrétariat de direction : C. Mondésert, S. J. No 37 ORIGÈNE HOMÉLIES SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES INTRODUCTION, TRADUCTION ET NOTES DE Dom O. ROUSSEAU, O. S. B. LES ÉDITIONS DU CERF, 29, bd de la Tour-Mavdouko, PARIS 1■ L*4· Q vu k i 7I R \ 1 «11 I Z-A *> INTRODUCTION Note préliminaire Le Seigneur a regardé sa servante, le Roi a embrassé la pauvresse, l’Éternel, en assumant la chair, a racheté la créature mortelle ; car le Roi Jésus-Christ a pris l’Église — c’est-à-dire le Verbe de Dieu, l’âme — pour Épouse. Aponius, In Cant.1 L’idée des noces du Christ et de l'Église, la plus profonde peut-être de toute l’ecclésiologie, a été suggérée aux com­ mentateurs du Cantique des Cantiques par l’idylle champêtre que ce poème met en scène entre un roi pasteur et une bergère vertueuse. Elle a suscité les plus sublimes élans dans la littérature chrétienne. Nombreux furent les Pères et les auteurs spirituels qui appliquèrent les ressources de leur génie à l’intelligence de ce livre pour exalter la magni­ ficence de l’amour de Dieu envers les hommes. De ce courant, Origène peut être considéré comme le père. Saint Jérôme a dit de lui que si, dans ses autres livres, il avait dépassé les autres écrivains sacrés, en commentant le Cantique, *il s’était dépassé lui-même ; et il ne serait que le premier d’une série, à se grandir ainsi. Nous trouvons dans la littérature sacrée quatre appli1. « Quæ immensa potentia... ut Dominus ancillam· ut Rex pauperculam· ut tetemux mortalem per assumptionem carnis. Rex Dominus Jesus Christus Ecclesiam (i. e. Dei Sermo anlrnam) sibi sub conjugis titulo copularet ·. Aponius, In Canticum Canticorum explanatio. Éd. Bottino et Martini, Rome, 1M3, p. 4. 8 INTRODUCTION .· cations symboliques du Cantique des Cantiques. La pre­ mière, familière aux Juifs, y voyait l’alliance de Jahvé avec le peuple élu. La seconde, qui se trouve chez les pre­ miers auteurs du christianisme et n’est en somme qu’une transposition de la précédente, en fait l’application au Christ et à l’Église. La troisième y voit l’union de l’âme et du Verbe. La quatrième enfin, plus tardive, et dont nous n’aurons pas à nous occuper ici, attribuera à Marie, Épouse parfaite et parfaite image de l’Église, tout ce qui a été dit de l’Épouse. Il importe de situer l’œuvre d’Origène sur le Cantique dans les étapes de ce symbolisme. * ♦ · Saint Jérôme nous apprend quOrigène avait commenté toute l’Écriturc trois fois1 : en scolies explicatives des pas­ sages obscurs, en homélies pour le peuple, et en tqjjloi ou commentaires développés. Scs scolies sur le Cantique, répu* tées œuvre de jeunesse, ont péri ; seul un court fragment nous en a été conservé dans la Philocalie de saint Basile et de saint. Grégoire de Nazianzc12. Nous possédons les deux homélies sur le Cantique dans une version latine de saint Jérôme, dont le texte et la traduction française sont donnés ci-après. Quant au grand commentaire, il existe, en partie du moins, dans une traduction de Rufin, complétée par certains fragments de chaînes grecques dont on n’a pas encore fini d’établir le texte3. D’après les historiens, la composition du grand commen­ taire d’Origène sur le Cantique des Cantiques aurait été commencée vers 240, et les deux homélies prononcées dans 1. Prae/, inA'IV Homillas in Ezech. Origenis. Éd. IJsehrens, I. VIII, p. 318. 2. "Ov i'v îfi νιόττ.τ·. ίγρζφιν 'θρ-.γένης, dit Ja Philocalie, P. G., 13. 36. 3. Le grand commentaire au dire d’Eusèbe, comprenait dix livres. Les cinq premiers auraient été composes à Athènes, les cinq autres à CésanM (Hist. Ecd.. VI, 32, 2, Éd. Schwartz t. II. p. 380). On a cru par erreur qu’une partie du texte grec de ce commentaire avait été retrouvée récemment û Touni (Cf. de Gdeixinck, Patrisîique et Moyen Age, il, p. 325). 11 s'agit de fragments in Rom. NOTE PHÉï.l ΜΙΝΛΙ RE 9 les années qui suivirent, avant 244 L Elles s’appuieraient donc sur l'œuvre principale, qu’elles dépassent de beaucoup en valeur littéraire, bien que le Commentaire soit plus abon­ dant, plus riche, et d’une doctrine beaucoup plus profonde. Origènc devait avoir au-delà de'cinquante-cinq ans quand 11 prononça les homélies. Il était dans toute sa maturité. Nous ne possédons ni l’un ni l’autre de ces ouvrages en leur langue originale, et il se peut que les traducteurs aient pris quelque liberté. Rufin, dont on connaît la manière souvent un peu lâche de rendre un texte, de le paraphascr, de le modifier au besoin, inspire moins de confiance que saint Jérôme. Celui-ci semble s’être particulièrement attaché ici à son sujet et à son auteur1 2. Léprologue de la première homélie, notamment, où est exposée l’échelle des cantiques dont nous reparlerons plus loin, est une pièce littéraire in­ comparable, parmi les plus belles pages de toute la patristique. Elle dépasse de loin, pour la forme tout au moins, l’exposé gradué de ces mêmes cantiques dans le grand com­ mentaire, où la phrase est filandreuse et peu châtiée. Saint Jérôme aurait-il cédé ici à la tentation du littérateur ? 11 s’en est défendu. Il s’est appliqué, nous dit-il, à traduire ces homélies fideliter magis quam ornate 3, et le fideliter de Jérôme se sent à travers toutes ces pages. Il les avait en telle estime qu’il a voulu en conserver la rigueur dans une version pres­ que littérale et hiératique, où l’enchevêtrement des textes de l’Écriture et du commentaire est soigneusement reproduit. La présente traduction française a gardé intentionnelle­ ment ce caractère : l'élégance y a été souvent sacrifiée à l’exactitude. Saint Jérôme a traduit ces homélies vers 383 pour le pape saint Damasc. La traduction de Rufin, restée inachevée, 1. Bardenhewer, Geschlchte der altchristlichcn LUcrahir, t. Il (1914), p. 142. 2. Sur Rtiiln imducteur, cf. H. de Lubac, Histoire et Esprit, L'intelli­ gence de l'Écriture d'après Origine, Paris 1950, p. 40 sq. Voir aussi A. Siegmund, Die Ueberlieferuiig der gricchischen ckristl. Litcralur in der latcinischen Kirche bis z. XII, Jahrhundrrt, Munich. 1949. 3. Prologue au Pape, saint Damase, Èd. Bæhrcns, t. VIII, p. 26. Cf. les re­ marques de Bfclircns sur le Cursus de ces homélies : toc. cit. p. XX. (Dans tout Je présent ouvrage, les renvois à l’édition de Bæhrcns se réfèrent au t. VII1). 10 INTRODUCTION est généralement datée de la fin de sa vie, en 410x. L’expli­ cation du Cantique des Cantiques est donc entrée dans les lettres latines par les deux homélies plus de vingt-cinq ans avant que ne pût se propager le texte de Rufin. Cette priorité, non moins que la brièveté des homélies, leur a conquis la préférence des Latins, comme on le verra dans la suite. I JLa Tradition spirituelle du Cantique avant Origène Chez les Juifs, comme chez les chré­ tiens, toute tentative d’explication ra­ tionaliste du Cantique a toujours été sévèrement réprouvée par les croyants3. Non seulement il n’était pas permis de le rabaisser à une pastorale d’amours légères ou môme à la simple union conjugale : il fallait, conformément à la tradition, l’interpréter spirituellement. Les rabbins tannaïtes ont protesté contre toute interpré­ tation exclusivement littérale, indigne d’un poème aussi L La Tradition juive.123 1. Bahdenhkwkr, loc. cil., t. III (1923), p. 553. Cf. J. Bkochet, Saint Jérôme et ses ennemis, Paris, 1905, p. 379 sv. 2. On sait que seule une petite partie du Livre des Proverbes remonte à Salomon. I/Ecctésiaste n’a été attribué au grand roi que par fiction litté­ raire. De mime le Cantique, des Cantiques, qui daterait, d’après les critiques le» plus sérieux, du v* siècle avant J.-C. 3. Au IV· siècle, saint Philastre, évêque de Brixia, écrit tout un chapitre sur · l’hérésie concernant le Cantique des Cantiques ». Il y attaque ceux qui ne veulent y voir qu’un récit propre ù exciter les voluptés humaines et expli­ que que lo Christ, voulant nous manifester l’amour de son Père et nous attirer à lui, s’est montré à la fols père, pasteur et roi pour réaliser en lui la prophétie du Cantique (Lib. de Hartsibus, 135 ; P. L., 12, 1267-68). Un siècle plus tard, Théodore de Mopsueste, qui avait expliqué le Cantique dans un sens littéral et avait mis en doute sa canonicité, fut condamné par le II· concile de Constantinople. Sur les nuances à apporter à la position de Théo­ dore, cf. R. Dkvrrbsse, Essai sur Théodore de Mopsueste, Home, 1918, p. 34. LE CANTIQUE AVANT OKIGÊNE 11 élevé. L’un d’eux, parmi les plus célèbres du n« siècle de notre ère, Rabbi Aqiba (f 135), a défendu la tradition avec énergie contre certains exégètes, ses contemporains, qui auraient retranché le Cantique du canon des Saintes Écri­ tures. « Personne en Israël, disait-il, n'a contesté que le Cantique ne soit un livre divin ; car le inonde entier ne vaut pas le jour où le Cantique des Cantiques fut donné à Israël. Tous les livres de l’Écriture sont saints, mais le Cantique est sacro-saint1 ». En effet l’interprétation juive classique appliquait le poème à la nation élue, présentée, à partir d’une certaine époque, comme l’épouse de son Dieu. C’est sur ce fondement scripturaire que s’est établie l’allégorie du Cantique. Osée semble avoir été le premier à appeler Israël la fiancée de Dieu : « .Je te fiancerai à moi pour toujours » (2, 18)1 2. Isaïe dit de même, à propos de .Jérusalem comparée à une épouse : « Ton Époux, c’est ton Créateur » (54,5) ; et encore : < On ne te nommera plus délaissée... mais on t’appellera mon plaisir en elle, et ta terre Épousée... Comme la fiancée fait la joie du fiancé, ainsi tu seras la joie de ton Dieu » (62, 4-6). Jérémie emploie de semblables expressions : « Je me suis souvenu de ta piété, de ta jeunesse, de tes amours au temps de tes fiançailles » (2, 2). 11 faut mentionner aussi le psaume 44, Eructavit, que son titre présente comme < Chant d’amour », et, dans les Septante, « Chant sur le BienAimé »(Ώώη ύπερ τού άγαπητού), et qui avait été interprété comme exprimant l'union mystique de Dieu avec son peuple 3. Les objections de certains critiques modernes contre l’interprétation nuptiale d’Israël dans le Cantique ont fait récemment l’objet d'une réfutation nouvelle de la part d'auteurs catholiques4. Selon ces derniers, le Cantique ap1. Jadatm, ni, 5. 2. Cf. G. Quell et E. Stauffer, Άγαχίω, dans Kittel, Theologisches WMerbuch t. N. T·, I, p. 30 $v. 3. Sur les caractères tardifs de ce psaume, cf. Poorchahd, Notes sur les psaumes. duns Zte&ue biblique, 1923, p. 28 sv. 4. D. Buzy, L'allegoric matrimoniale de Jahvt et d* Israel, duns Vivre el Penser, 1915, p. 78-79. De même tout récemment, quoique avec des diffé­ rences pour l'explication du livre, M. A. Robert, Le Cantique des Cantiques (Bible de Jérusalem), Paris, 1951, p. 8 sv., et A. Feuillet, Le Cantique des Cantiques (Ledio divina, 10>, Paris, 1953. 12 INTRODUCTION particndrait à la période post-exilienne, et aurait été inséré dans la littérature sacrée au moment, où, par l’enseignement des prophètes, la notion d’ « Israël fiancée de Dieu » avait pris place définitivement dans la tradition. Dès lors, on peut considérer à bon droit — et c’est aussi l’opinion des histo­ riens de l’exégèse rabbinique — que les applications qui sont faites du Cantique dans la littérature juive au moment de l’avènement du christianisme, sont l’aboutissement d’une exégèse déjà ancienne, malheureusement presque entière­ ment perdue pour nous. Les rabbins tannaïtes, plus tardifs, voyaient, dans l’Épousc du Cantique, Israël s’opposant aux autres peuples : « Mon bicn-aimé est à moi et je suis à lui ; tu n’as aucune part avec lui », disaient-ils de la Gcntilité1. On a quelquefois revendiqué jadis pour Rabbi Aqiba le patronage de l’application de l’Épousc du Cantique à Israël. Il semble bien, aujourd’hui, que celui-ci n’ait pas imposé ses vues propres à scs adversaires, mais qu’il ait simple­ ment maintenu contre eux la manière traditionnelle1 23 . A une étude attentive, l’interprétation des rabbins tan­ naïtes se révèle maladroite, manquant d’unité. Tandis que pour les interprètes chrétiens, l'application mystique à l’Église et à l’âme conférait au saint texte une nouvelle har­ monie, chez les rabbins, au contraire, l’amour qui unit Dieu à son peuple et qui devrait apparaître comme le thème prin­ cipal du Cantique, semble éclipsé par des applications excen­ triques peu marquantes. Peut-être l’interprétation des doc­ teurs juifs postchrétiens ne dépassait-elle plus une routine de convenance, perpétuellement en lutte contre des ten­ dances rationalistes, une scolastique décadente et tièdes. Le IVe livre à’Esdras, apocalypse juive de la fin du 1er siècle, très tôt utilisé dans le christianisme à l’égal d’un livre inspiré, contient aussi des allusions au Cantique sous forme de réminiscences : 1. R. Aqiba, dans Mekh. Ex., 12, 2; et. Kittri., I. c., t. I, p. 652, 14. 2. J. Bonsirvrn, Exigtse rabbinique cl tx&jtee paulinicnnet Paris, 1939» p. 21 G. 3. Le P. Bonsirven a relu tout le TarffUm et La Mi. Les symboles, selon lui. n’y ont plus guère de vie et sont réduits à · des rapprochements tout mécaniques, matériels I.Λ TRADITION CHRÉTIENNE 13 Et j'ai dit : Seigneur Dominateur ! De toute la forêt de la terre et de tous scs arbres tu as choisi une oigne unique ; — ... et de toutes les fleurs de l'univers tu t’es choisi un lis ; — et de tous les volatiles parmi les créatures tu en as appelé un pour toi : une colombe. La vigne, le lis, la colombe : autant de motifs provenant du Cantique1. La tradition juive à partir du retour de l’exil, jusque dans les écrits postchrétiens, a donc toujours connu la même in­ terprétation du Cantique : Dieu Époux d’Israël . * Les écrits du Nouveau Testament ne IL La tradition contiennent pas une seule citation for­ chrétienne. melle du Cantique des Cantiques. On ne peut pourtant nier les allusions cachées qui y sont répandues. Le Christ se dit l’Époux, et les disciples du Christ sont appelés r. les amis de l’Époux » (Matth., 9, 15)8. Il parle de ses noces : < Le royaume des deux est semblable à un roi qui faisait les noces de son fils ■· (ib., 22, 2) ; « à dix vierges qui ayant pris leurs lampes, s’en allèrent au devant de l’Époux » (ib., 25, 1) ; Jean-Baptiste est appelé ό φίλο; του νυμφίου (Jean, 3, 29), Γαηιί de l’Époux, nom que la tradition transformera en « paranymphe », l’ami de l’Époux par excellence, celui qui le conduit aux noces. Les vierges sont fiancées par saint Paul « à un époux unique (II Cor., 11, 2). Les deux derniers chapitres de l’Apocalypse contiennent des indications pro­ phétiques précises. La Jérusalem nouvelle, l’Épouse, transet extrinsèques, sous lesquels disparaît le sens profond do l’allégorie nup­ tiale » (l. c.t p. 217). En eflet, les rabbins de cette époque votent encore dans le Cantique · l'amour de Dieu pour Israël et d’Israël pour son Dieu · ; ils y voient aussi le récit symbolique de la sortie d’Êgyptc, la naissance d’Israël comme peuple de Dieu, et appliquent le va-et-vient et les paroles de l'Kpoux soit A la première rédemption, soit A la marche dans le désert, soit au don de la loi au SlnaT. Mais on est loin des expressions vigoureuses de ΓAncien Tes­ tament lui-mèmc, et surtout des applications grandioses qu’en feront les Pères de l’Églisc. 1. IV lisdrax, 5, 25-26. Ci. A. Millkh, Vas Hohe Lied, dans la Bonn. Ht. Schri/t, vi, p. 6. 2. M. A. Robert a montré, comme personne ne l’avait fait encore jusqu’il présent, les allusions scripturaires que contient le Cantique lui-même. < Le livre, dit-il, est biblique au superlatif · (1. c. p. 13). Cf. aussi A. Feuillet» l. c., p. 38 sv. 3. Littéralement, comme le donne saint Matthieu d’après une formule hébraïque· des üls de la chambre nuptiale » : *o jioi τού vu άφωνος. 14 INTRODUCTION formée, purifiée, parée pour son Époux, vient d'en-haut, descendens de coelo a Deo (21, 2). C’est d’elle qu’il est dit au Voyant : « Viens, je te montrerai la nouvelle mariée, l’Épouse de l’Agneau » (ib., 9). Or cette épouse est bien l’Église, car « la muraille de la ville, est-il dit d’elle, a douze pierres fon­ damentales, sur lesquelles sont douze noms, ceux des douze apôtres de l’Agneau » (ib. 1-4), fondements de cette Église. Si l’on ne peut affirmer que l’auteur inspiré se réfère ici aux personnages du Cantique, il est clair cependant qu’il rejoint la tradition juive de l’Époux et de l’Épouse. Mais le véritable Israël, l’héritier de la promesse, ce sont les disciples du Christ. Depuis le refus d’Israël, les rôles sont changés : « Les enfants de la délaissée sont plus nombreux que les enfants de celle qui avait l’Époux » (Isaïe, 54, 1). Saint Paul fait l’application de cette parole dans un sens très précis au peuple chrétien (Gai., 4, 27). Désormais, l’Épouse n’est plus l'Israël de l’attente, mais le corps de ceux qui vivent de la foi au Christ : c’est l’Église. Et l’ancienne allégorie juive, transformée, va reprendre chez les chrétiens une vitalité nouvelle. Le Christ est la tête, le chef de l’Église son Épouse (Éph., 5, 22 sv.). « Ce mystère est grand, dira saint Paul en parlant de l’union de l’homme et de la femme, εί; Χρίστον καί εί; την εκκλησίαν, dans le Christ et dans l’Église ». Il va de l’union du premier homme avec la pre­ mière femme, qui en était déjà le symbole, jusqu’à la grande réalité sacramentelle. Certains auteurs n’hésitent pas à reconnaître dans beau­ coup d’autres expressions du Nouveau Testament, de saint Jean notamment, de subtiles réminiscences des images du poème sacré vivant dans les mémoires juives. On a vu par exemple des allusions à Cant., 2, 16 : « Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui », dans les versets de Jean « demeure en moi et moi en lui » (Jean, 6, 56) ; « si vous ne demeurez en moi » (ib., 15, 4) ; « qu’ils soient un comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous » (ib. 17, 23). D’autres rapprochent le « J’attirerai tous les hommes à moi » πάντας ελκύσω (Jean, 12,32), de Γεΐλκυσάνσε de la version grecque du Cantique 1,4 ; « la voix de l’Époux » (ή φωνή του νυμφίου) que l’ami de l’Époux écoute (Jean, 3, 29), de « la voix du bien- LA TRADITION CHRÉTIENNE 15 aimé » ; (v. φωνή άοελφιδοΰ μου, Cant., 2, 8) ; la parabole du Bon Pasteur, des pâturages du Cantique 1,7 (που ποιμαίνεις, des Septante), etc.1 Ces allusions, si elles existent, sont en tout cas très voilées. •♦* La Secunda Clementis (in· siècle), de date incertaine, mais que l’on considère comme une des premières homélies chré­ tiennes et que certaines Églises avaient mise au rang des Écritures, contient une allusion manifeste à l’Églisc-Épouse : < Vous n’ignorez pas, je pense, que l’Église vivante est le Corps du Christ (Éph., 1, 22-23), car l’Écriture dit : Dieu fit Γhumanité homme et femme (Gen., 1, 27) ; l’homme c’est le Christ, la femme c’est l’Église »12. C’est au moins aussi clair que saint Paul, mais ce n’est pas encore une citation du Can­ tique. Les écrits postérieurs dans lesquels nous retrouvons la mémo idée appartiennent pour la plupart à la lutte antimarcionite. Les livres de l’Ancien Testament prennent dès lors contre l’hérésiarque qui en était l’ennemi, un relief nouveau. Reprenant l’idée juive, les docteurs chrétiens l’adaptent et l’appliquent au nouvel Israël ; ils découvrent peu à peu dans le Cantique l’amour réciproque de Dieu et des hommes, l'amour du Christ pour son Église. Ils iront plus loin, et cet amour deviendra chez eux celui du Verbe et de l’âme qui s’approche de lui dans un élan total et un don de soi absolu. Cependant si l’idée des noces mystiques entre le Christ et l’Église se retrouve en allusions fréquentes dans la littérature primitive (notamment à propos d’Éph., 5, 25), le texte même du Cantique, dont l’usage, à partir d’un certain moment, sera constant, ne s’est frayé une voie que lentement dans les lettres chrétiennes. Faut-il voir dans l’inscription d’Abercius, qui date de la fin du π· siècle, et où le « disciple du chaste pasteur » fait paître « les troupeaux des brebis dans les mon­ tagnes et dans les champs3 », une allusion aux termes simi1. Cf. A. Erukxrt, L e., p. 50 sv. 2. Clément de Home, 11, trad. Hrmmba et Lbjay, p. 156 sv. 3. Enchiridion Palrisllcum, n° 187. 16 INTRODUCTION laircs du Cantique ? On n’oserait l’affirmer. On ne pourrait pas non plus faire appel ici à certaines Passions de vierges martyres, où se retrouvent les expressions de bien-aimé, Époux, noces, etc. ; au surplus, ces Actes sont généralement de rédaction trop tardive pour pouvoir constituer un témoi­ gnage de la période pré-origénienne. Avec Hippolyte apparaissent tout à coup les citations explicites. Hippolyte, est, par son Commentaire sur le Livre de Daniel, le premier commentateur connu de l’Écriture. Il a expliqué aussi le Cantique des Cantiques, en l’interprétant comme une allégorie de l’amour du Christ et de l’Églisc. On ignore la date exacte de la composition do cet ouvrage, qui fut utilisé par des commentateurs postérieurs, notamment par saint Ambroise. Il se pourrait qu’Origène, qui entendit Hippolyte à Rome en 212, ait eu connaissance de son com­ mentaire, ou tout au moins de ses idées maîtresses : chez tous deux l'application au Christ et à l'Église est cons­ tante r. Cependant, chez. Origène, l’application à l'âme fidèle est inséparable de la typologie de l’Église. Adamavit cum (le Verbe) sive anima quae ad imaginem ejus facta est, sive Eccle­ sia, dit-il dès le début du grand commentaire3. De même à la fin du prologue de la première homélie : Cum universa (cantica) transieris, ad altiora conscende, ut possis, anima decora, cum sponso et hoc canere canticum canticorum3. Et 1. Tertullien nous a paru être le seul auteur contemporain d’Hlppolyte qui cite le Cantique dans ses œuvres dans une allusion nette aux noces du Christ et de l'Église : · Veni, sponsa de Libano; hanc sponsam Christus slbl etiam per Salomonem cx vocatione gentium acccrsit » (Ado. Mareion., ιν. 11, P. L.,2,411). LcmOme Tertullien est du reste un de ceux qui ont le plus insisté sur le caractère nuptial de l’Église : « Conjugent vos in ecclesia virgine, unius Christi unica sponsa » (De monotjam., vin, P. I„ 2,993). En deux en­ droits des Lettres du Pseudo-Ignace, le Cantique est cité ou tout mi moins suggéré. Mais cette œuvre est tardive, puisqu’on la date généralement de 362 au plus tôt. Cf. F. X. Funk, Patres A pastoiici, n, p. XII (pour les textes cf. ibid., p. 126). D’autre part, un auteur comme Méthode d’OIympc (t 31 ï> postérieur à Origène ( dont il fut l’adversaire) d’un demi-siècle environ, cite le Cantique plus de vingt fols dans scs œuvres, ce qui prouve qu’à ce moment il avait totalement pris place dans la littérature. (Êd. Bonwetsch, p. 527). 2. Êd. Bæhrens, l. c. p. 61, 8. Cf. H. de Luuac, Histoire et Esprit, Paris, 1956, p. 165 sv. 3. Ibid., p. 28, 17 ; cf. plus loin, p. 61. PRÉAMBULES DOCTRINAUX 17 un peu plus loin dans la même homélie : Christum sponsum intelligç, Ecclesiam sponsam sine macula et ruga1. On a observé chez Hippolyte u çà et là quelques allusions fugitives aux dispositions de l'âme individuelle », dont la foi serait représentée par Marie-Madeleine au tombeau du Christ2. Et en cfTet, à propos du verset : « Je l’ai cherché et je ne l’ai point trouvé » (Cant., 3, 1), Hippolyto se réfère à celles qui viennent au tombeau dès le matin de Pâques « et ne le trouvèrent point » (Luc, 24, 22). Mais ce sont là plutôt des allusions dues à des similitudes de textes. On ne peut y voir réellement une intention déterminée de signifier cha­ que âme fidèle. D’autant plus que ces saintes femmes ont été comparées dans la tradition à l’Église elle-même3. II Préambules doctrinaux à l'intelligence des Homélies Le commentaire d’Hippolyte sur le Cantique a disparu de la tradition, et n’a été retrouvé que récemment dans des versions géorgienne et slave. C’est donc Origène qui est l’ancêtre de tous les commentateurs. Son interprétation ne fait en somme que condenser les données éparses de la tra­ dition antérieure, mais c’est déjà toute la théologie spiri­ tuelle de l’Églisc et du Christ, de l’âme et du Verbe qu’il ex­ pose dans le dialogue des personnages du Cantique. Ces personnages représentent diverses catégories de fidèles plus ou moins avancés dans la gnose. Toutes les ressources de la philosophie grecque de l’amour, toutes les subtilités de l’allégorie alexandrine appliquées aux divers sens de l’Écriture sont mises à profit autour de la typologie exis­ tante. Il en résultera une doctrine très riche, exubérante, 1. Ibid. Cf. J. Danièlov» Bible et Liturgie. Paris, 1951, p. 260. 2. F. Cavallera, Art. Cantique Cantiques dans le Diclionn. de Spiri­ tualité. col. 91. 3. Cf. Origène, In Cant.. L. u, Éd. Bfehrens, p. 166. origène 2. 18 INTRODUCTION dont les théologiens postérieurs s’empareront et qui de­ viendra classique dans la tradition de l'Ëglise. Les ouvrages parus ces dernières années sur l’exégèse, la théologie et la mystique d’Origène vont nous dispenser ici de nous étendre en de longs développements. Quelques no­ tions sont cependant à rappeler, faute de quoi la lecture des homélies manquerait de lumière. Elles seront aussi brèves que possible. Il importe surtout d’attirer l’attention du lecteur sur la doctrine des sens spirituels par lesquels doivent être saisis les mystères du Cantique ; et à cette lin un court préambule sur la double conception du monde et de l’homme est requise. On a eu tort de ne voir dans la mé­ I. Les deux Mondes thode alexandrine chrétienne qu’une réplique du néo-platonisme. Plus que et FÉcriture. toute autre religion, le christianisme est essentiellement anagogique. Le Christ a pris place dans l’éon futur ; remonté vers le ciel où il a placé son royaume, il est devenu l'objet de notre contemplation : Quae sursum sunt quaerimus. C’est de là qu’il faut partir pour comprendre Origène. Comme on l’a fait remarquer récemment, il y a un abîme « entre Origène marqué à fond par le christianisme et ces Grecs auxquels on l’assimile parfois»1. Sans doute, la dualité entre les mondes visible et invisible, qui se manifeste dans toute la philosophie alexandrine, apparaît aussi dans la théologie mystique qui y est apparentée. Mais, si Origène semble s’attacher en beau­ coup d’endroits de ses œuvres à la création visible, image de l’invisible, il donne une valeur beaucoup plus grande dans sa théologie aux réalités de ce monde touchées par l’Écri·^ ture : ce ne sont finalement que celles-ci auxquelles il s’at­ tache1 2. C'est dans la Bible qu’il ira chercher les explications de tout. Sa pensée va d’un texte à l’autre à travers tous les saints Livres, utilisant les moindres allusions verbales. Le pasteur, l’agneau, le temple, l’eau, le miel, l’huile, les sacri1. U. de I.»:bac, Histoire et Esprit, p. 278 · L’ciïort d’Origène eût été inconcevable à une intelligence hellénique ·, ci. aussi p. 286. 2. Origène, In Cant., I. c., p. 208. LES DEUX HOMMES 19 iiccs, le Tabernacle, le Saint, des Saints, les demeures du dé­ sert, le serpent d’airain, toutes choses prédestinées comme autant de prophéties retiennent son attention et le font s’é­ lever vers de mystérieux archétypes. Une foule d’objets de la création matérielle — ceux qui ont été touchés par la Pa­ role — sont ainsi repris pour entrer, comme autant de pierres précieuses, dans ce qu’il entrevoit comme la construction éternelle de Dieu. Tout l’Ancien Testament est le reflet du Christ, trésor caché, et de scs mystères, cl. le rôle de l’exégète sera de l’y découvrir. Dieu qui est ΓAuteur du Livre a établi à l’intérieur du texte une harmonie profonde ; et l’intelli­ gence du croyant qu’est Origène se laisse ravir par la trans­ figuration des éléments créés qui s’opère dans le prisme de la parole inspirée. Mais les facultés sensibles de l’homme char­ nel seront inopérantes ici. Seul h l’homme spirituel n pourra percevoir les réalités transcendantes touchées par la Parole divine1. On connaît le double récit de la créa­ tion de l’homme aux premiers chapitres de la Genèse, récil qui deviendrait chez les alexandrins la ·> double création ». Philon l’avait déjà expliqué ainsi dans un sens tout platonicien ; à propos de Gcn., 2, 7, dans son Commentaire allégorique des saintes Lois ®.1 2 II. Les deux Hommes. 1. · Un homme exercé dons celte musique divine, sage en paroles et en œuvres, véritable David aux mains habiles, suivant l’étymologie de ce nom, saura exécuter cette symphonie (entre les deux Testaments) en tendant à propos tantôt les cordes «le la Loi, tantôt celles de l’Évungilc qui résonnent à l'unisson ; tantôt celles des Prophètes et celles des Apôtres, qui s’accordent également. Car toute l’Êcriture est un divin instrument parfaitement réglé, dont les sons différents forment un merveilleux concert » Philocal.. vi, 2. P. G., 13, 823. Sur l’Êcriture et le Cosmos chez Origène, ci. H. de Lubac, l. c. p. 350 sv. 2. · il y a deux genres d’hommes, l'homme céleste et l’homme terrestre. L'homme céleste, en tant que né à l’image de Dieu, n’a pas de part à une substance corruptible et en général terrestre : l'homme terrestre est issu d'une matière éparse, qu'il a appelée une motte ; aussi il dit que l’homme céleste u été non pas façonné, mais formé à l’image de Dieu, et que l'homme terrestre est un être façonné, mais non pas engendré par l'artiste. Mais il faut réfléchir que l'homme de la terre c’est l’intelligence au moment où elle s'introduit dans le corps ..... c’est · celle qui est née de la terre et amie du corps et que Dieu a jugée digue «l’un souffle divin » et non « l’intelligence née à sa ressemblance et à son image ·. Commentaire allégorique des Saintes Lois, Êd. Bréhicr, p. 23-21. 20 INTRODUCTION Chez lui, « l’homme céleste » dépendant de la première créa­ tion est un être immatériel et transcendant, correspondant à l’idée platonicienne de l’homme. Origène interprétera l’Écriturc dans un sens très différent et plus direct. Il intériorise les deux hommes, et explique la double création par les données paulinicnnes. II dit dans son prologue au grand Commen­ taire du Cantique : « Au commencement même des discours de Moïse, là où il est question des origines du monde, nous voyons qu’il est parlé de deux hommes, le premier « qui a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu ", le second « tiré du limon de la terre ». C’est instruit et éclairé dans cette connaissance que l’apôtre Paul a écrit qu'il y a deux hommes en chacun de nous, car il est dit : « Lors même que notre hom­ me extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (II Cor., 4, 16), et de même : « Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur » (Rom., 7, 22) et d’autres choses semblables. D’où je pense qu’il n’y a doute pour personne que Moïse ait écrit de la création de deux hommes dans la Genèse, puisque l’Apôtre, qui compre­ nait mieux que nous ce que Moïse a écrit, parle de ces deux hommes1. De l’un, c’est-à-dire l’homme intérieur, il dit qu’il « se renouvelle chaque jour », de l’autre, c’est-à-dire de l’hom­ me extérieur, dans les saints du moins, comme l’était saint Paul, il témoigne qu’il π se corrompt » et se « débilite »1 2. Ori­ gène s’étend longuement sur cette idée. Sur ces deux hom­ mes il établira comme deux structures et deux vies, l’une charnelle, l’autre spirituelle ; deux intelligences ύυγή etvouç, deux amours ερω? et άγάπη ; il trouvera encore des sens char­ nels et des sens spirituels, une nourriture charnelle et une nourriture spirituelle, un cantique selon la chair et un can­ tique selon l’esprit, etc. Toute la gamme des opérations hu­ maines subira chez lui cette loi du dédoublement, qui sera comme un écho de la théologie du visible et de l’invisible. 1. U Entretien avec Héraclidt récemment découvert (Ci. Scherer, Entre· tien d'Origène avec Heraclide, Le Caire, 1949, p. 146)» nous montre d’une manière plus claire encore La pensée d’Origènc sur cc sujet : « L’Écriture dit que l'homme est deux hommes · etc. Cf. J. Mouroux, Inexpérience chrétienne* Paris, 1952» p. 282. 2. In Cantic.* Éd. Bæhrens, p. 63-64. Sc rappeler aussi ce que dit saint Paulf I Cor., 15» 44) sur le · corps animal » et le « corps .spirituel ». SENS CORPORELS ET SPIRITUELS 21 Nous aurons l’occasion de parler des deux amours έρως et αγάπη quand il sera question directement du Cantique. Mais il nous faut parler ici des sens spirituels. rT. o . Il n .est pas toujours facile dordonIII. Sens corporels ‘ , . , ner, citez Origène, les notions que * I on est arrivé à saisir et que I on croit pouvoir embrancher1. Ceci se manifeste particulièrement quand on aborde le problème des deux ordres de sensations : sens corporels, sens spirituels. Bien qu’aucune systémati­ sation ne soit possible ici, la doctrine des sens spirituels, doctrine spécifiquement mystique qui est devenue classique chez, les écrivains plus tardifs, est déjà esquissée par Origène. En nous référant au dédoublement du monde et de l’homme qui a été exposé, plus haut, nous pouvons cependant déga­ ger ce qui suit. Nos sensations matérielles nous apparaissent comme des ombres d’une saisie plus élevée d’objets transcendants, appar­ tenant au monde des mystères révélés, du Christ et des Per­ sonnes divines. Dès lors, les textes de l’Êcriture qui font allusion au e goût » et à la « suavité » du Seigneur, à la bonne odeur et au parfum, aux étreintes et aux baisers divins prennent toute leur signification. Ce ne sont pas des infé­ rences approximatives et inadéquates, mais des expressions d’une vive intensité, qui peuvent aller jusqu’à l’ivresse de l’âme. Origène nous reporte à Salomon « qui savait déjà, dit-il, qu’il y a en nous deux sortes de sens : l’un mortel, corruptible, humain ; l’autre immortel, spirituel, divin » (Prov., 2, 5)12. Et commentant la même pensée : « De ce sens divin, dit-il encore, il y a différentes espèces : une vue pour contempler les objets supracorporeis, comme c’est manifes1. ■ Dans les six premiers Siècles de la littérature chrétienne, le · mysticis­ me est partout et nulle part ». Chez Origène en particulier · là oû nous croyons le saisir (ce mysticisme) sous une forme plus ou moins fluide, moins lâche, il n'est Jamais pur mais combiné avec de la spéculation, de l'allégorie, des exhortations morales, certaines interprétations Inspirées de l’Êcriture, bref, imprégnant une spiritualité diffuse ». H. Ch. Pi KCH, Un livre récent sur la Mystique d'Origène, dans Revue d’Hisloire et de Philosophie religieuse, 1933, p. 513. 2. De Princip., i, 1, 9, Éd. Kœtschau, t. IV, p. 27, 9. Cf. J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique, Paris, 1948, p. 238. 22 INTRODUCTION tement le cas pour les chérubins et les séraphins ; une ouïe capable de distinguer des voix qui ne retentissent pas dans l’air ; un goût pour savourer le pain vivant qui est descendu du ciel pour donner la vie au inonde (J., 6, 33) ; de même un odorat qui perçoit les réalités qui ont porté Paul à dire « la bonne odeur du Christ » (II Cor., 2, 15) ; un toucher que possédait Jean lorsqu’il nous dit qu’il a palpé de ses mains le Verbe de vie ·■ (I J., I, l)1. D’après certains, la doctrine des sens spirituels chez Origène, dans son rapport avec ses autres théories psychologiques, trouverait son fondement dans la distinction néoplatonicienne entre la ύυγή et le νους12. La vie contemplative, la θεωρία, le λογιστικόν, la gnose, sont du domaine du νους ; la πράξις, la ττίστις, la vie active du do­ maine de la ύνχή. L’âme, ύυγη, par le moyen du νους (image du Verbe en elle) doit devenir l’Épouse du Verbe. Γη parallèle s’établit entre l’Église et Fâme. L’Église, qui est d’abord Israël sc libérant de l’esclavage, remporte victoire sur victoire avant de s’établir dans la terre promise, et peut ainsi, lavée et rachetée, aspirer aux noces avec le Christ et devenir Épou­ se. L’âme, après tout le travail de la vie active, — combat des passions et des vices de la ψυγτ' par la pratique constante des vertus jusqu’à son plus haut degré, Γάπάθεια —3, peut devenir, entièrement purifiée, Épouse du Verbe. Alors seu­ lement, la perception des sens spirituels se manifeste. Elle n’acquiert sa plénitude, que chez le. « parfait », le τέλειος, qui possède l’usage des cinq sens spirituels. Avant cet état de perfection, l’un et l’autre de ces sens tout au plus peut se révéler dans la saisie de quelque objet, et acheminer pro­ gressivement l’âme vers son terme de contemplation. Les 1. Contra Cels., i, 48. Éd. Kœtschau, t. I, p. 08, 12. Cf. Daniélou, l. c, UP. de Lubac résume ainsi la pensée d’Origène : » seuls purent jamais « voir ·, c’est-à-dire pénétrer la signification mystique de la Loi et de l'histoire du peuple élu, les rares privilégiés qui, à la façon de l’apôtre Paul et des bienheu­ reux, furent doués de véritables sens spirituels (Lév., H. 3, 8); car «ce n’est pas par des moyens humains, mais par des moyens divins qu'ils reçurent In science des mystères · (Gen., II. 3, 12) (Histoire et Esprit, p. 263264). On peut parler ainsi sans doute, mais h condition de ne pas limiter cette grâce à de très rares personnages. Origène invite maintes fois dans ses œuvres les fidèles à aspirer à ces dons. 2. Cf. K. llAHNKH, Ia-s débuts d'une doctrine des cinq sens spirituels cher Origine, dans Keouc d’Ascétique et de Mystique, 1932, p. 126. 3. Ibid., p. 128. l'expérience des choses divines 23 a sens spirituels » sont donc les facultés supérieures du voü; ; grâce à eux, le fidèle, libéré par l’ascèse de l’emprise delà chair, saisit les réalités de l’esprit. Cette doctrine se révèle une des clefs de la mystique d’Origène et ses disciples comme Évagre ou le pseudo-Macaire la développeront abondamment *. , . . Origène est le premier à avoir ainsi . experience ex os^ ja d0ctrine des sens spirituels, des choses divines. . . . .... et I on note que chez lui la vie mys­ tique apparaît déjà « comme une certaine connaissance expé­ rimentale des choses divines1 2 ». L’âme saisie par l’odeur des parfums du Verbe, est entraînée à sa suite, a Que fera-t-elle lorsque le Verbe de Dieu occupera aussi son ouïe, sa vue, son toucher, son goût, en sorte que l’œil, s’il peut contempler la gloire du Fils de Dieu, ne voudra plus voir autre chose ni l’ouïe entendre autre chose que le Verbe de Vie et de Salut ? Et celui dont la main aura touché le Verbe de Vie ne tou­ chera désormais plus rien de caduc et de périssable. Son goût, lorsqu’il aura goûté le Verbe de Vie, sa chair et le pain qui descend du ciel, ne supportera plus après cela de rien goûter... C’est pourquoi, ajoute-t-il, nous prions ceux qui entendent ces choses de mortifier leurs sens charnels, pour ne pas recevoir les impulsions qui viennent d’eux, mais de montrer ces sens divins de l'homme intérieur pour saisir ces choses, selon le mot de Salomon disant : « Tu trouveras le sens divin o3. L’ o homme intérieur » : Ici encore nous retrouvons 1’ « in­ tériorisation ». Comme on l’a très bien fait remarquer, c’est dans l’union au Λογος par l’intérieur même de fâme 4 que s’ac1. Ibid., p. 140. 2. J. Daniélov. Origène, Paris, 1918, p. 299. — W. VOLKER, Das Voithommcnheilsidcal des Origines, (Tubingue, 1931, p. 104), a très bien montré comment, chez Origène, la terminologie thcologiquc elle-même appliquée au Cantique révèle pour Ja première fois une connaissance expérimentale des réalités spirituelles. Cf. aussi F. Bektkano, Mystique de Jésus chez Origène, Paris, 1951, passim. 3. In Cantic., Êd. Bcehrens, p. 103-105. Cf. D. A. Stolz, Théologie de la Mystique (Chcvetognc, 1939, p. 31), a vu dans cette doctrine une restauration de la connaissance d'Adam au paradis. Origène dit en effet (I. c. p. 104) : « Propter quod el in Eden positum dicitur ». 4. A. Lieske, Die Théologie der Logosmyslik bei Origenes, Münster, 1938 p. 120 sv. 24 INTRODUCTION complit la montée. La théologie de V image est utilisée ici. L’Homme que Dieu a créé à son image, c’est « Ic Sauveur qui est l'image de Dieu, et à la ressemblance duquel l’homme a été fait1 ». « Tous ceux, dit Origène, qui viennent à lui et s’efforcent d’avoir part à l’image raisonnable (λογικόν), sont, par leur progrès, renouvelés chaque jour selon l’homme intérieur (II Cor., 4, 16) à l’image de celui qui les a faits12 ». C'est dans la mesure où l'homme retrouve sa conformité avec le Verbe qu’il peut s’unir à lui et pénétrer ainsi, par l'in­ térieur d’une image imprimée en lui, dans ce monde du Verbe auquel il s’unit. Et c’est alors aussi que « ses sens (spirituels) feront leurs délices du Verbe de Dieu »34 . Remarquons encore qu’en introduisant la doctrine des sens spirituels, Origène «intériorise » également tout un mon­ de. Ce ne sont pas seulement des objets de « l’intelligence « à la manière dont nous comprendrions cela aujourd’hui, qui appartiennent à l’ordre du voû; et finalement à l’ordre du ΐογος, mais toute une transposition, dans le domaine spirituel, des objets corporels de nos sens. Les « sens spirituels » en effet disent tout cela : il est bien clair que, parce que spiri­ tuels, ils atteignent des objets spirituels, qui à leur tour, ap­ partiennent à l’ordre du voo;. Nous retrouvons donc ici une idée chère au moyen platonisme : « Creuse à l’intérieur, di­ sait Marc-Aurèle, c'est à l’intérieur qu’est la source de tout bien, et elle peut jaillir sans cesse si tu y creuses toujours1 ». C’est de découverte en découverte en effet qu’ira l’âme ainsi conduite. .Mais, comme nous l’avons déjà dit, ce sont les sensibilia « spirituels » de l’Écriture qui guideront Origène dans cette recherche intérieure. « Tente donc, dit Origène, 1. Origène, Homélie l sur la Genèse, Êd. 'Sources chrétiennes·, Paris, 1914, p. 82-83. 2. Ibid., p. 83. CI. H. df. LvbaC, Histoire et Esprit, p. 346 8v. 3. Origène, In Cant., fid. Bæhrens, p. 105. D'après Vdlker (I. c. p. 08), la mystique du Λόγος ne serait pas encore pour Origène le degré supérieur de l’union ; il finit la distinguer de In « mystique » de 'Dieu, «pii en constitue le sommet. La mystique du \όγος n’est qu’un Intermédiaire, mais un intermé­ diaire durable (ibid., p. 110). La christologied’Origene et sa notion de l'union de l'âme du Christ et du Λόγος doivent intervenir ici (ibid., p. 116) mais ceci est hors de notre objet. Le P. Licske (l. c.) a cru devoir souligner, contre Vôlker, l'importance de la mystique du Verbe chez Origène. 4. "Ενδον σχάπΐ;. Ινδόν ή wifrt ιού ’Αγαθού, και ά«; άνα£/.ύί·.ν δυναοίνη, êàv àeç σκαπτής. Pensées 7, 59 (fidit. Budé, pp. 7, 8). PRÉPARATION AU CHANT DU CANTIQUE 25 d’avoir ton propre puits et ta propre fontaine, pour que toi aussi, lorsque tu prends le livre des Écritures, tu te mettes à tirer de ton propre fonds quelque intelligence...»1 Ailleurs il en fait l’application au cosmos : n Tu verras qu’en toi se trouve tout ce qu’il y a dans le monde 12 ». Et c’est ainsi que tous les éléments matériels qui entrent dans la composition du Cantique appartiennent en même temps au inonde cor­ porel et au monde spirituel. Ils seront saisis par l’homme spi­ rituel, au moyen des sens spirituels, et peupleront l’intel­ ligence du gnostique s’avançant de plus en plus dans les ré­ gions intérieures de l’dme, où sont cachés les divins mystères. Ill La préparation au chant du Cantique Les Homélies et le Commentaire d'Origène sur le Cantique des Cantiques font, penser au Banquet de Platon. De part et d’autre, c’est une élévation progressive vers un idéal, et de part et d’autre aussi c’est vers l’idéal le plus sublime de l’amour qu’on tend. Qu’Orlgène ait eu l’intention de suggé­ rer autour du saint Livre une réplique chrétienne — quoique lointaine du Banquet platonicien, cela ne manque pas de vraisemblance. Très différent toutefois est son procédé. Tandis que le Philosophe n’avait à se proposer, somme toute, que des expériences humaines à partir desquelles il eut le grand mérite de s'élever au-delà de ce qui avait jamais été pensé avant lui, Origène part d’un livre inspiré, le Cantique des Cantiques qui, situé au milieu de la Bible, soutient à son altitude la grande image fondamentale qui va des pre­ miers chapitres de la Genèse aux dernières pages de l’Apo­ calypse : l'humanité devenue l’Épouse de Dieu 3. Quoi d’éton1. Horn. 12 in Gcn.9 5. 2. Select. in P$.> 1, 4. (P. G.. 13, 1081 ;cf. H. drLubac, L c. p. 350-352). 3. · Inter propheta* autem numeratur et Adiun, qui magnum mysterium prophetavit in Christo ot in Ecclesia dicens : Propter quod relinquet homo paircmsuum etc. » (Origèxr, In Cunt.. Êd. Bæhrensp. 157, 24). Saint Thomas dira de mCmc : · Hoc apostolus (licit sacramentum magnum cssc in Christo et in Ecclesia (Ephes., 5, 32), quod quidem sacramentum non est credibile primum hominem ignorasse » (S. T.f IIII®, q. 2, 7). 26 INTRODUCTION nant, dès lors, si le Cantique des Cantiques fut ensuite in­ terprété par toute la tradition comme le mystérieux dialo­ gue de l’amour entre cet Époux et cette Épouse ? On com­ prend que cette réalité de l’Amour, dont la philosophie grec­ que avait déjà si noblement parlé, soit au centre des mys­ tères, et que le Cantique des Cantiques soit devenu dans la théologie, du moins à partir d’Origènc, le sommet de toutes les aspirations. L’Écriture servira ici à projeter, dans la pers­ pective du croyant, cette Église éternelle, l’Êpouse de l’Agneau venant d’en haut, transfigurée par l’amour, et faisant en quelque sorte la jonction entre le cosmos renouvelé et la cité céleste, entre Dieu et l’humanité, entre le Verbe et l’âme, ’l'ont ce qui a jamais été dit de beau sur l’Amour, Origène le condense autour de ce livre. De ce chef, le Can­ tique des Cantiques prend dans son œuvre une importance considérable ; il est pour ainsi dire le nœud qui relie ineffablement la créature au Créateur. Nous allons retrouver ici encore l’ap­ plication transfigurée du dualisme néo­ platonicien. L’amour dont il est ques­ tion dans le Cantique relève en effet de l’homme spirituel, et Origène sera ici à l’extrême droite de tous les commenta­ teurs. Se référant à la tradition des rabbins, il ne veut pas qu’on mette entre les mains de tous le saint Cantique. Il en réserve la lecture et son commentaire à ceux qui sont spi­ rituellement dans un âge avancé, en mesure de comprendre ce qu’est l’amour spirituel. Si le Cantique était mis entre les mains de ceux qui ne sont pas capables de s’élever spi­ rituellement, sa lecture, au lieu de leur être avantageuse leur serait nuisible, car, dit-il, u ils pourraient comprendre d’une manière charnelle et favorable au vice ce qui est écrit pour un entendement tout spirituel1 ». Il y a, en effet, deux amours, continue-t-il : l’un charnel qui, suivant l’expression de saint Paul, « sème en la chair » (Gai., 6, 8), et que les Grecs ont applée Erôs (le Cupidon des Latins), et il y a un amour spirituel, suivant lequel l’homme I. L’Amour spirituel. 1. In Canttc., Êd. Bœhrens» p. 63, 26. l’amour spirituel 27 intérieur, arrivé spirituellement à l’âge d’homme « sème dans l’esprit » (Gai., 6, 8), et est mû par le désir des choses célestes. C’est de cet amour-là, Agapè, qu’il est question dans le Cantique, quoique sous des images souvent empruntées à l’amour charnel ; et c’est de cet amour que l’âme a été blessée par la flèche du Verbe, dont la beauté l’a conquise1. Au moment où elle le voit, c’est-à-dire parvenue au terme de la dernière étape, il lui apparaît subitement dans sa splen­ deur, et elle peut dialoguer avec lui le Cantique de l’amour. « C’est cet amour qui est en cause dans le Cantique, dit Ori­ gène, c’est enflammée par lui que l’âme bienheureuse brûle d’amour pour le Verbe de Dieu «, et c’est par lui « que l’Église s’unit étroitement à son céleste Époux, le Christ, désirant se mêler à lui par le Verbe, pour concevoir de lui, et pouvoir être sauvée ainsi par une chaste génération de fils1 2 ». Origène fait l’application du Cantique à l’âme fidèle con­ sidérée comme Épouse du Verbe. Comme il avait intériorisé les deux hommes. Origène intériorise les deux amours. On a remarqué que la spiritualisation va dans le sens de l’inté­ riorité : « Qui dit spirituel, dit aussi intérieur34», vérité que saint Thomas formulait en disant : « Quanto aliquid est ma­ gis spirituale, tanto magis csl intrinsecum 1 ». Origène voit dans l’Époux et l’Épouse du Cantique tout d’abord le Christ et l’Église, nouvel Israël, prolongement de l’allégorie ju­ daïque, fondée sur maints textes de saint Paul ; puis, se basant sur d’autres textes encore, ceux de saint Jean notam­ ment et des passages concernant les vierges, il se tourne vers l'âme fidèle. Ascète, animé du désir de la perfection in­ térieure, aspirant au martyre, il ne pouvait que s’enthou­ siasmer pour la lutte contre le vieil homme et la victoire de l’homme nouveau. Il n’est, certes, pas déplacé de croire que, 1. Ibid., p. 67, 5. Ct. II. db Lubac, l. c. p. 235 et suiv. 2. Ibid., p. 74, 11. · Ergo quant videris animam, dira dans le mime sens «tint Bernard, relictis omnibus. Verbo votis omnibus adhærere, Verito vivere, Verbo se regere, de Verbo concipere quod pariat Verbo ; quw possit dicere » Mihi vivere Christus est et mori lucrum > puta conjugem. Verboque maritatam ·. In cantic., Serm. 85, P. L. 183, 1194. Cf. D. Marmiox, .Sponsa Verbi, Mttredsous, 1024, p. 11. 3. H. de Lubac, Sens spirituel, dans Recherches de Sc. relig., 1919, p. 553 4. In Joann., vi. 4, 8. 28 INTRODUCTION dans cette application à l'âme, Origène se soit fondé aussi sur sa propre expérience. Les applications mystiques d’Origène ont eu sans doute comme déterminant principal les illuminations de sa vie intérieure. La spéculation joannique du Λόγο; avait conquis son esprit prédisposé à la compren­ dre, et il a déclaré du IVe Évangile qu'il était « les prémices de tous les autres », et que nul n’ en avait perçu le sens pro­ fond » s’il η’ κ avait reposé sur le sein de Jésus1 ». Le zèle qu’Origènc devait mettre à communiquer à ses frères ce goût de l’union à Dieu nous laisse entrevoir qu’il y avait été lui-même initié, qu’il avait, lui aussi, « reposé sur la poitrine » par la grâce 1 23 . Quoiqu’elle soit encore en marche vers II. L’Ascension sa perfection, l’Église-Épouse est à mê­ mystique. me déjà de chanter le Cantique des Cantiques. Cependant Dieu avait préparé son ascension vers les noces, par l’histoire d’Israël, pré-Église, qui devait con­ quérir la terre promise dans l’aridité du désert et par la lutte contre les puissances du mal. Ceci va servir de type à la mon­ tée de l’âme. L’âme en effet n’arrivera à son terme que par un laborieux effort, par une ascension pénible qui 1a mènera progressivement vers la gnose. Cette transformation est l’ob­ jet de toutes les attentions d’Origènc ; il l’énonce de beau­ coup de manières dans ses œuvres. Si nous retrouvons ici encore une parenté avec la mystique néoplatonicienne, qui voulait conduire le myste à la contemplation divinisantes, c'est cependant bien l’aspect chrétien de la gnose qui est à l’état fort dans sa doctrine. 11 faut parler ici de la thèse développée par A. Nygren dans son Erôs el Agapè, ouvrage qui, malgré son caractère trop absolu, contient des pages parmi les plus belles qu'on ait écrites sur la charité chrétienne. Il y oppose la conception païenne, même la plus élevée, de l’amour — Erôs, qui est 1. In Joann. Praef. Éd. l’reuscben, iv, p. 8, 16-17. 2. Sur la valeur d’Origènc mystique, cf. .1. Lebreton, La Source et le caractère de la mystique d'Origène, dans les Afltangcs P. Peeler.*, t. I. (Analecta Bollandiana. t. LXVII, 1951), p. 55 sv. (contre M. Jonas). 3. D. A. Stolz, l. c., p. 83. l’ascension mystique 29 avant tout une avance, une ascension de la créature vers Dieu, fondée finalement sur un épanouissement et un re­ cherche de soi, à la conception révélée du christianisme d’une charité essentiellement « don de soi », Λ gapè, abaissement par amour : « Lorsque vous rencontrez, dit Nygren, l’échelle de l'ascension de l’âme qui progresse par degrés successifs, c’est un signe que nous sommes sur le terrain de ï’Erôs. L’image de l’échelle est une des figures les plus employées pour ex­ primer celui-ci1 ». Or, Origène affectionne particulièrement toutes les montées ; dès qu’il peut établir une échelle, il s’at­ tarde à tous les degrés, et se complaît dans la description de chacun d'eux. La montée vers Dieu se fait par étapes. Plus il trouvera de manières de présenter ces étapes, plus il croira aider les âmes. Non seulement les trois sciences des Grecs, éthique, physique et théorique correspondent aux trois livres de Salomon (Proverbes, Ecclesiaste et Cantique) et signi­ fient les degrés de la vie spirituelle, mais encore les quarantedeux demeures du désert trouveront dans la célèbre homélie XXVII sur le Livre des Nombres leur illustration magni­ fique1 2. Dans ses commentaires sur le Cantique, il établit de même une échelle des cantiques tirés de l’Écriturc et en fait le centre de toute sa théologie ascétique et mystique. Loin de donner raison à Nygren, la théologie d’Origènc allie excellem­ ment VÊrôs et V Agapè. Dans le grand commentaire sur le Cantique des Cantiques, Origène explique comme un exem­ ple de vraie charité, Agapè, le cas du bon Samaritain qui, oublieux de lui-même, ne songe qu’à panser les plaies du ma­ lade. < Le Sauveur, dit-il, réfute un interlocuteur qui croyait qu’une âme juste (en l’espèce le prêtre et le lévite) ne doit pas respecter les droits du prochain à l’égard d’une âme qui est plongée dans les iniquités (le voyageur laissé à demimort)... Il désapprouve le prêtre et le lévite, mais il approuve le Samaritain de l’avoir traité avec compassion ; par sa ré­ ponse de celui qui avait soulevé le problème, il assura que 1. A. Nyghen, Erôs et Agapt, t. !.. Paris. 1944. p. 247. Cf. A. Feuillet. I. c.9 p. 120 sv. 2. « Les paliers succosslfr du livre des Nombres ». Cf. Méuat. 1. Trad, du Livre des Nombre* d’Origènc. Éd. «Sources chrétiennes », p. 21. 30 INTRODUCTION le Samaritain avait été le proche (de la victime) : « Va, dit-il, et fais de même1 ». La vraie charité est là : Agapâ. On pourrait multiplier ces exemples. A n’en pas douter, Origène, dont la vie fut à ce point de vue un modèle, a pro­ fondément compris et enseigné VAgapè évangélique. Il faut donc tempérer la remarque de Nygren concernant l’ascen­ sion en degrés. Il y a certes chez Origène une certaine parenté avec la mystique néoplatonicienne et avec la philosophie alexandrine très attentive aux processions cosmiques et au retour des êtres vers leur source : ceux-ci remontent par étapes, et, s’il s’agit des âmes, c’est bien de degrés de divi­ nisation qu’il faut parler. Mais l’/j'rôs est ici complété et dépassé par VAgapè. Dans le christianisme et la morale de Γ Évangile, il faut nécessairement aller jusqu’à cet extrême, et, plus que tout autre, Origène l’a fait. Nous sommes donc ici en présence d’une mystique d’ascension, ou plutôt d’« assomption », qui s’opère par le renoncement total. Avec le Christ, le chrétien descend par l’humilité de sa vie, et monte vers Dieu. Ce n’est plus, pour employer une autre expres­ sion de Nygren, la e gnose égocentrique », mais par le Christ et avec lui, la transformation de celle-ci en « Agapè théo­ centrique1 23 ». Pour arriver graduellement au Can­ III. L’échcllc tique des Cantiques, les principaux can­ des Cantiques. tiques de l’Ancicn Testament seront mis en harmonie avec les diverses grandes étapes de l’histoire d’Israël, qui signifieront à leur tour les étapes de l’ascension de l’Église (Synagogue) et de l’âme (siuc Ecclesia, sive anima). Sept cantiques sont énumérés. Ce nombre sept est cer­ tainement voulu. Le septième cantique, le Cantique des Can­ tiques étant le cantique du repos, les six premiers constitue­ ront les étapes laborieuses de la vie : adhuc longe es..., habcs 1. In Canlic., Prolog., Éd. Ræhrcns, p. 70. 2. L. e. p. 155. Il faut rapprocher de l’attitude d'Origène celle de saint Bernard telle qu’elle a été esquissée jadis par 1’. Rousselot, Pour l’histoire du problème de l'Amour au moyen âge, Munster, 1908. Cf. cependant les pertinentes remarques de E. Gilson, La théologie mystique de saint Bernard, Paris, 1931, p. 150 sv. l'échelle des cantiques 31 necessarium ut milites ; rappel évident des sept jours de la création1. L’échelle d’Origène est un hexaméron typologi­ que. Voici ces cantiques : 1. Exode, 15, 1 suiv. : Cantemus Domino. 2. Nombres, 21, 17-18 : Ascendat puteus. 3. Deutéronome, 32, 1 suiv. : Audite cæli quæ loquor. •1. Juges, 5, 2 suiv. : Cantique de Débora. 5. Il Bois, 22, 2 suiv. : Dominus firmamentum (Cantique de David). 6. Isaïe, 5, 1 suiv. : Cantabo canticum dilecto vineæ meœ. 7. Cantique des Cantiques de Salomon. Nous avons exposé ailleurs le problème historique et li­ turgique que pose la série de ces cantiques12. Notre but ici est d’étudier la pensée origénienne au point de vue spirituel. Une chose paraît claire : Israël, fiancée de Dieu, préparation et préfigure de l’Église et de l’âme, s’approche par degrés de son Époux. La rencontre ne se fera qu’en la septième et der­ nière étape, au Cantique des Cantiques, qui chante effecti­ vement les noces de l’Époux et de l’Épouse ; mais toute la vie spirituelle, même au milieu des plus dures épreuves, est une joie constante, la joie du martyre, et ù chaque étape, il faut chanter. Comme aux jours de la création, après chaque œuvre. Dieu se disait à lui-même : El erant cuncta valde bona, ainsi, après chaque étape de sa vie spirituelle, le chrétien chante. Cette joie profonde qui lui fait célébrer comme une fête chaque degré de son ascension, est une caractéristique de la mystique origénienne. On a fait remarquer que cette 1. Cf. l’opinion rapportée par Papias, I-'ragm. VI. De Interpretatione Hexaemeron, aux anciens interprètes chrétiens concernant l’œuvre des six jours, à entendre du Christ et de l’Église. 2. La plus ancienne liste des cantiques liturgiques tirés de Γ Écriture dans IMi. de Sc. rel., 1018 ,p. 120 sv. 32 introduction mystique ne connaissait pas d’obscurité, pas de nuée1. Si à ce point de vue Origène est différent de ses successeurs, comme Grégoire de Nysse, le pscudo-Denys, Maxime-leConfesseur, chez lesquels la ténèbre et l’apophatisme jouent J un rôle primordial, on peut dire que ce qui est chez lui pri­ vatif ou négatif est absorbé par la kénose, est lié à la passion du Christ, au triomphe de la Rédemption et de l'amour. La mystique d’Ongène, essentiellement lumineuse, est marquée I d’un optimisme foncier. Le rôle de la prière et celui de la grâce y sont cependant prédominants. Toutes les illumina­ tions s’obtiennent par la prière : c’est en les demandant avec instance qu’on les reçoit. Fréquemment même, il s’ar­ rête pour demander à Dieu la lumière et le don de pénétrer les Saintes Écritures. Dès les premières pages de son com­ mentaire sur le Cantique, il invite son lecteur à la prière : « Si quelqu’un médite jour et nuit, il pourra approfondir ses connaissances, pourvu qu’il le demande avec instance à Dieu : si tamen recte quæsierit, et quærcns pulsaverit ostium sapien­ tia, petens a J)eo...12 ». On aimerait pouvoir citer ici le texte de chacun des autres commentaires ou homélies d’Origène où les six cantiques préparatoires sont expliqués en détail. Ce serait d’un grand profit pour l’intelligence de sa pensée. Malheureusement nous ne possédons plus que trois de ces explications : celle sur le Cantique que Moïse chanta avec le peuple et Marie avec les i femmes (VIe homélie sur Γ Exode), celle sur le Puits et son can- · tique (XIIe homélie sur le livre des Nombres), et celle sur le Cantique que chanta Débora (VIe homélie sur le Livre des Juges). Mais elles nous suffisent déjà pour nous I révéler l’essentiel de sa doctrine sur l’ascension des Can- j tiques. 1. Cf. .1. Dakiélou, Les sources bibliques de la mystique d’Orlgine dan» Rev. (FAsc. et de Myst.. 1917 p. 131. Voir aussi I. Hausuek», Lc.v Orientaux connaissent-ils les « nuits · de saint Jean de la Croix ? dans Orient, christ, period., 19-16, p. 1 sv. — Dans Ja théologie d’Origène, l’ascension du Sinaï ne tient aucune place. Cf. J. Daniéi.ou, Origine, p. 291. 2. /n Confie.. Prolog., É. H.-Ch. Puegu. L c.» p. 520. 3. Proi. in CanL. Ed. Brchrens, t. VIII» p. 81. 4. Hom. VI in Jud., Ed. Bæhrens, t. VII» p. 498» 6. LES SEPT ÉTAPES 35 ble : c’est au miel à présent que peut recourir le mystique1. Tel est le sens de la quatrième étape. En la cinquième étape, l’âme a remporté la victoire sur tous ses ennemis, c’est-à-dire sur tous les vices, symbolisés par les huit populations indigènes que Dieu avait enjoint à Moïse d’exterminer de la terre sainte1 2. Nous sommes ainsi arrivés au livre des Bois, au cantique que chanta David lors­ que, ayant échappé aux mains de tous ses ennemis et à la main de Saül, il dit : Dominus firmamentum meum. Ori­ gène ne fait que citer ici le titre même du psaume. Ce n'est qu’après avoir vaincu tous les démons et toutes scs mauvaises tendances que l'âme, affermie en Dieu, peut apercevoir, en cette cinquième étape, l’union des épousailles. Et en effet, bientôt translucide et découvrant l’Époux qui se cachait en elle, elle pourra annoncer que c’est son bien-aimé qu’elle chante. C’est le sens du sixième cantique tiré d’Isaïe : Cantabo canticum dilecto in'neie mete34 . Parvenue à ce sommet, l’âme, toute purifiée de ses péchés et de ses vices, rendue consciente de ses noces avec l’Époux et consciente aussi du mystère qui s'accomplit en elle, se met à chanter avec le Bien-Aimé le dernier canti­ que : ut possis, anima decora, cum sponso et hoc canere canti­ cum canticorum *. En cette septième étape, celle du repos, suprême degré de la vie mystique, l’Époux dialogue avec l’Épouse. Celle-ci le voit, l’entend, lui parle, le sent et le touche. Au IV® livre du grand commentaire, Origène s’exprime ainsi : <> L’âme n’est 1. Chez Porphyre, Je miel signifiait déjà tout principe de purification de l’âme (Oc antro nympharum* 15-1 C, Éd. Nauck, 1889, p. 67). 2. Cf. I. Haushicrr, L'origine de la théologie orientale des huit péchés capi­ taux, dans Orient, christ., xxx, p. 164 sv. 3. Notons ici une différence entre les homélies et le grand commentaire. Tandis que les premières s’en tiennent au cantique d’Isaïe dont il vient d’être question, dans l’autre, antérieure de quelques années, Origène note comme sixième cantique celui de* Parai jpomènes : Laudate Dominum et confitemini. Toutefois, il permet à celui qui en aurait la dévotion» de chanter le cantique d’Isaïe. « licet non valde convenienter videatur, quoique cela paraisse peu indiqué, dit-il, car le Cantique de* Cantiques, qui est le dernier do la série, est bien antérieur à celui d’Isaîo > (Éd. Bæhrens, p. 83, 37). Dans les homélies, arrivé à un âge plus avancé, et Λ une intelligence plus profonde des choses spiri­ tuelles, cette raison d’anachronisme ne l’arrête plus» et il opte décidément lui-même sans umbage pour le cantique d’Isaïe qui entrevoit l’Époux. 4. Hom. 1, ibid.. Ct. plus loin, p. 61. 36 INTBODUCTION' pas unie au Verbe de Dieu avant que tout l’hiver des passions et la tempête des vices ne soient dissipés, et que désormais elle ne soit plus agitée et portée ici et là par tout vent de doc­ trine. Quand toutes ces choses se seront retirées de l'âme et que la tempête des désirs l’aura quittée, alors les fleurs des vertus commenceront à fleurir en elle, alors le roucoulement de la colombe se fera entendre, c’est-à-dire cette sagesse dont celui qui dispense le Verbe parle parmi les parfaits, sagesse du Dieu très haut qui est caché dans le mystère1 ». C’est toute la théologie du Cantique qui est ici énoncée. Elle se rap­ porte à cette étape suprême où Vâmc, entièrement libérée de ses ennemis, vit ici-bas sa vie d’épouse. Nous la suivrons pas à pas en en lisant le texte. IV Lo Cantique expliqué par les Homélies La doctrine spirituelle des Homélies est enchâssée dans le drame même que suggère le Cantique des Cantiques. Ori­ gène distingue comme personnages de ce drame, outre l’Époux et l’Épouse, les jeunes filles qui suivent l’Épouse, et les compagnons de l’Époux. Ceux qui, tout en étant fidèles, « n’ont reçu le salut qu’avec mesure1 2 » sont représentés par les jeunes filles ; quant à ceux qui sont plus avancés et « sont arrivés à l’étape d'homme parfait », ils sont figurés par les compagnons de l’Époux. Et l’âme est invitée à chanter le Cantique soit avec l’Épouse dialoguant avec l’Époux, soit, si elle ne le peut, en s’associant à l’un des deux chœurs. Quoique tout le Cantique soit objet de la perception des sens spirituels et ne convienne au fond qu'aux parfaits, Origène consent à en donner dans ses homélies quelques explications pour les débutants, réservant pour les autres son grand commentaire. I. Les auditeurs d’Origène et le thème des Homélies. 1. In Can/., p. 224, 9. 2. Hom. I. Cf. plus loin, p. 62. LE THÈME DES HOMÉLIES 37 Il juge, en effet, comme on le verra dans le texte, que même si on ne peut encore trouver place que parmi « les jeunes filles qui sont dans les bonnes grâces de l’Épouse », on peut tout de même espérer entendre un jour ■ ce qui a été dit à l’Épouse », et dès lors y aspirer. Tel est même le thème sous-jacent aux deux homélies. Ori­ gène parle ici pour les moins parfaits ; il y a même des caté­ chumènes dans son auditoire : « Je crains, dit-il, que nous ne soyons beaucoup de jeunes filles » (p. 92). Il ne manque pas une occasion d’encourager les commençants, ceux qui sont encore, comme il le dit souvent, « à la mamelle », et parle volontiers de ceux qui n’ont pas encore « l’assurance de l’Épouse >(p. 69 sv.), symbole de l’humanité repentante qu’il oppose à la réprobation du peuple juif qui a perdu son titre de fiancée (p. 72). Il relève avec inquiétude les perspecti­ ves d’infidélité pour celui qui est avancé (p. 76), le danger de r. devenir bouc » (p. 77), et rappelle toujours avec joie le sommeil de l’Époux, symbole de sa passion pour nous (p. 81) et la foi de ceux qui veulent être sauvés par sa vigilance (p. 98). Dans une très belle page, qui prélude à ce que diront plus tard saint Augustin et les théologiens occidentaux, il invite à 1’ « ordonnance de la charité » et nous met en garde contre les inconséquences que nous y laissons subsister (p. 93). Il distingue entre les montagnes (les parfaits) et les col­ lines (les simples fidèles) : < Sois toi-même montagne d’Église... Si tu es montagne, le Verbe de Dieu saute sur toi ; si tu ne peux être montagne, mais si tu es colline, inférieure à la mon­ tagne, il te franchit » (p. 99). Et toujours, son âme aposto­ lique qui ne connaît point de relâche, « reprend, supplie, ré­ primande » (2 Tim., 4, 2) ses ouailles, afin qu’elles deviennent « dignes de l’Époux » (p. 103). Au demeurant, ce sera sans relâche aussi qu’Origène varie­ ra ses riches développements doctrinaux. Sans toujours citer formellement l’Êcriture, il en constelle tout son discours. Totus huius sermo, disait de lui Érasme, sacrorum voluminum sententiis undique se gemmeis emblematibus distinctus est (cf. p. 50), au point qu’il ne pense pas sans l’Êcriture. Il est très important de saisir les citations implicites de son style pour pénétrer sa pensée. Elles représentent vraiment 38 INTRODUCTION les paroles « sacrées », qui en constituent la trame essen­ tielle. Origène fait ainsi jaillir du texte sacré une doctrine spiri­ tuelle, d’où l’intelligence des mystères et la pratique de la vie chrétienne peuvent s’enrichir. Λ cette fin, il suscite au­ tour des paroles inspirées, par toutes les ressources de sa mé­ moire, les allusions idéologiques ou même quelquefois pure­ ment verbales contenues dans d’autres passages deTÉcriture; Cette manière spécifiquement alexandrine et qui serait renforcée encore au xu« siècle par saint Bernard —, lui per­ met de construire, par toutes sortes d’évocations inattendues, une série de petits ensembles doctrinaux que nous avons groupés sous différents titres. Rappelons ici l’importance de sa vision du monde : le mon­ de visible n’est que l’ombre fugitive d’un monde invisible dont la recherche doit nous prendre tout entier. L’Écriture doit nous servir de guide dans cette recherche : c'est là sa principale fonction. Mais il faut avoir la grâce de Dieu pour pénétrer dans cette intelligence supérieure des choses ; et de plus il faut être un « spirituel », un r. gnostique » ou au moins aspirer à le devenir. Le Cantique des Cantiques est donc es­ quissé et annoncé par les cantiques inférieurs qui y condui­ sent. Toutes les choses, éminemment spirituelles, qui y sont expliquées doivent être comprises d’une manière toute spiri­ tuelle, par l'homme spirituel, au moyen des sens spirituels, de l’amour spirituel. Comprises autrement, elles constitue­ raient un danger pour l’âme. L’Église est l'Épouse du Christ. L’âme sainte est l’Épouse du Verbe. Les apparences de jeux d’amour entre les deux per­ sonnages ne sont que différents aspects de la donation mu­ tuelle et totale de l’un à l’autre. Ce traité est donc à la fois une ecclésiologie et une théologie mystique. Les baisers, les parfums, les seins, le nom, l’appartement de l’Époux de­ viennent donc autant de choses sacrées ; les brebis et les boucs, les chars du Pharaon, les rehauts d’argent et d’or, le bouquet de myrrhe, la grappe de troène, les vignes d’Engaddi, des symboles de réalités toutes spirituelles ; les yeux de l’Épouse, la blessure d’amour, l’étreinte, les apparitions et les appels de l’Époux sont pareillement des allusions aux SCÉNARIO DES HOMÉLIES 39 merveilles de l’amour divin s’épanchant dans les âmes. Au­ tour de chacune de ces images, comme en autant, de petits tableaux raccourcis, ce sont les aspects de cet Amour iné­ puisable qu’il faut considérer, en se rappelant l’adage paulinicn : omnia munda mundis. Origène a déterminé, dans ses homé­ II. Scénario lies et son commentaire, la qualité du des Homélies. poème et l’a expliqué sous forme de drame — fabula. Nous donnons ci-après les deux chapi­ tres commentés du Cantique dans les homélies, en en dispo­ sant les versets d’après son interprétation. Quoiqu’il attache assez peu d’importance à la disposition du lieu et aux mou­ vements du drame, qu’il quitte constamment pour s’élever dans la doctrine, il n’est pas inutile de déterminer les phases du Cantique telles qu’elles apparaissent sous sa plume. Le décor champêtre de l’idylle va de la demeure de l’Époux dont on aperçoit l’appartement secret, à un cellier, voisin d’une vigne et adossé à un mur percé de fenêtres. On devine des pâturages où s’évade l’Époux. Les apparitions de l’Époux sont floues, fugitives et mystérieuses ; scs dis­ paritions le sont tout autant. L’Épouse a à sa suite un groupe de jeunes filles ; l’Époux un groupe de jeunes gens1. On peut diviser le drame (ou plutôt le fragment de drame, car seuls deux chapitres du Cantique sont commentés) en huit scènes1 2. Les deux chœurs sont souvent à l'arrière-plan de la scène ; ils n’apparaissent que de temps en temps. Les quatre premières scènes vont de l’arrivée de l’Époux au ter­ me du cortège qui aboutit à l’appartement nuptial. Après les premiers échanges de tendresses et un dialogue entre l’Époux et les jeunes Allés, l’Époux disparaît et l’Épouse, à sa recherche, dialogue avec la voix de l’Époux invisible et ca­ 1. Pour la valeur de l’interprétation littérale d’Origène vis-à-vis des conclusions des savants modernes, qui ne veulent voir dans le Cantique qu’une série de poèmes nuptiaux, on pourra se reporter à l’introduction que le P. Buzy a faite du Cantique dans Pirot, Ιλ Sainte Bible, t. VI, p. 287 $v. Id. A. HoftRRT, l. c„ p. 19 sv. 2. D. J. Leclercq fl. c., p. 432) a noté comme un fait curieux que les commentaires de Saint Bernard sur le Cantique n’ont pas été plus loin que ce qui nous a été transmis d’Origène. INTRODUCTION 40 ché, qui tantôt lui fait des reproches, tantôt la comble de pa­ roles douces. Ensuite, l’Époux repose, et durant son repos l'Épouse monologue sur les douceurs de son Époux (sc. V et VI). L’Époux reparaît mystérieusement en scène et, après un dialogue orchestré par le chœur, le cortège se dirige vers le cellier (sc. VII), où, à peine une première étreinte esquissée, l’Époux disparaît de nouveau. Il réapparaît, subitement der­ rière les barreaux de la fenêtre et invite l’Épouse en la com­ plimentant. Là s’arrête le récit commenté. Voici, disposé en huit scènes, l’énoncé dramatique du can­ tique tel qu’il ressort des homélies (le grand commentaire n’offre pas d’indications scéniques aussi précises). Il a paru utile de lui adjoindre en note la version latine du texte du poème faite par saint Jérôme au cours de son travail *. Elle diffère assez de celle que Hulin a donnée en traduisant le grand commentaire. Scènes du Cantique des Cantiques d’après Origène. I. L’Épouse, au terme de son attente., s’adressant de loin au Père de l’Époux : Qu’il me baise des baisers de sa bouche, II. L’Épouse, à l’Époux survenant enfin, dans une pre­ mière étreinte: Parce que tes seins sont meilleurs que le vin, et l’odeur de tes parfums est au-dessus de tous les aromates. Ton nom est un parfum répandu. Version Miae du texte du Cantique dans le commentaire d'Origènc seh saint Jérôme· I Osculetur run ab osculis oris sui, quoniam bonn ubera tua super vinui 2 et odor unguentorum tuorum super omnia aromata. Unguentum eftusu L De-cl de-là au cours des reprises des mêmes paroles, s'insèrent dans la traduction de Saint Jérôme d<· minimes variantes que nous avons délibé­ rément négligées. SCÉNARIO DES HOMÉLIES 41 III. Apparaissent les compagnes de Γ Épouse, restées dehors jusque là. L’Épouse, les considérant, les montre à l’Époux : C’esl pourquoi les jeunes filles t’ont aimé et t’ont attiré. Les Jeunes Filles : Après toi nous courrons dans l’odeur de tes parfums. Cortège. L’Époux et Γ Épouse, lui tenant la main, précèdent. Les jeunes filles suivent. IV. Devant l’appartement secret. Y entrent, l’Époux et l’Épotise. Les jeunes filles restent dehors. L’Épouse revenant ά l’extérieur annonce aux jeunes filles : Le Roi m’a introduite dans son appartement. L’Épouse rentre, et les jeunes filles chantent joyeu­ sement à l’Épouse: Nous exulterons et nous nous réjouirons en toi. Nous aimerons tes seins plus que le vin. (S’adressant à l’Époux:) La Droiture t'a aimé. L’Épouse revenant vers les jeunes filles : Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les tentes du Liban, comme les courtines de Salomon. Ne me regardez pas parce que je suis devenue noire, puisque le soleil m’a décolorée. Les fils de ma mère ont combattu contre moi. Ils m’ont mise de garde dans les vignes, je n’ai pas gardé ma propre vigne. V. Entretemps, l’Époux disparait. S’apercevant de sa dis­ parition, L’Épouse, affolée, lui crie à travers l’espace: Annonce-moi, toi qu’aime mon âme, où tu fais paître, où tu reposes à midi, de crainte que je ne devienne comme voilée devant les troupeaux de tes compagnons. nomen tuum. 3 Propterea juveneuke dilexcrunt te et attraxerunt te. Post te, in odorem unguentorum tuorum curremus. Introduxit me rex in cubi­ culum suum. Exultnbimus et læbibimur in te. Diligemus ubera tua super vi­ num. Aequitas dilexit te. 4 Nigra sum et speciosa, filia· Hierusalem, ut taber­ nacula Cedar, ut pelles Salomonis. 5 Ne Intueamini me. quia ego sum denlRrata, quoniam despexit me sol. Fillte matris me» pugnaverunt adversum me. Posuerunt me custodem in vincis. Vineam meam non custodivi. 0 Adnuntia mihi, quem diligit anima mea, ubi pascis, ubi cubas in meridie, 42 INTRODUCTION La voix de l’Époux, la menaçant : Si tu ne te connais toi-même, ô belle entre toutes les femmes, sors sur la trace de tes troupeaux, et fais paître tes boucs parmi les lentes de tes pasteurs. Puis ι.λ MÊME voix, se faisant plus douce: Je te compare à ma cavalerie au milieu des chars de Pharaon, toi ma toute proche. Tes joues sont d’une tourte­ relle, ton cou est un collier. (Ensuite le Roi, Γ Époux, entre dans son repos.) VI. L’Epouse, les compagnons de ΓÉpoux. Pendant que. I’Époux est endormi, ses compagnons s’approchent de I’Épouse pour la consoler, et lui disent: Nous ferons des imitations d’or, avec des rehauts d’argent... (Fin de la première homélie. Deuxième homélie:) ...Alors que le roi était en son repos. L'Épouse : Mon nard a donné son odeur. Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe ; il reposera entre mes seins. Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène dans les vignes d’Engaddi. VII. L’Époux et (’Épouse. A l'arrière, les jeunes gens et les jeunes filles. L'Époux, reprenant son discours: Que tu es belle, ma toute proche, que tu es belle, tes yeux sont des colombes. L’Épouse, répondant: Que tu es beau, mon bien-aimé, et gracieux ; notre lit est ombragé. ne quando fiam sicut cooperta super greges sodalium tuorum. 7 Si non cognoveris temetipsam. o pulchra in mulieribus, egredere tu (n vestigiis gregum, et pasce hœdo * tuos in tabernaculis pastorum. 8 Equitatui meo In curribus Pharao assimilavi te. d Genae tuæ ut turturis. Collus tuus monile. 10 Similitudines auri faciemus tibi cum stigmatibus argenti. 11 Dum rex in recublto nuo est, nardus mea dedit odorum suum. 12 Fasciculus guttæ fratruelis meus mihi. In medio uberum meorum demorabitur. 13 Botrus Cypri fratruelis mens mihi, in vincis Engaddi. 14 Ecce c * speciosa· proxima mea, ecce es speciosa ; oculi tui columbae. 15 Eccc est speciosus, fratruc- SCÉNARIO DES HOMÉLIES 43 Les jeunes gens, faisant écho à la parole de V Épouse : Les portes de nos maisons sont de cèdre et nos lam­ bris de cyprès. L’Époux : Je suis la (leur du champ et le lis des vallées. Comme un lis au milieu des épines, ainsi ma toute proche est au mi­ lieu des filles. L’Épouse : Comme un pommier dans les arbres de la forêt, ainsi mon bien-aimé au milieu des fils. J’ai désiré être à son ombre, et je me suis assise. Son fruit est doux à mon palais. L’Époux, demandant à ses suivants de l’introduire au cellier: Introduisez-moi dans la maison du vin. Ordonnczmoi la charité. Confirmez-moi dans les parfums. L’Épouse, leur parlant à son tour: Soutenez-moi par des pommes parce que je suis bles­ sée de charité. Sa main gauche est sous ma tête, et sa main droite m’étreindra. VIII. Disparition et réapparition de VÉpoux. Les mêmes. L’Épouse ά ses compagnes : Je vous conjure, filles de Jérusalem, par les vertus et les forces du champ, d’éveiller et de faire lever la charité jusqu’à ce qu’il le veuille I La voix de mon bien-aimé ! Le voici venir ! Sautant sur les montagnes, franchissant les col­ lines. Mon bien-aimé est semblable à un chevreuil, ou au petit du cerf, sur les montagnes de Béthel. S’apercevant du retour de son bien-aimé auprès d'elle et des jeunes filles, se tournant vers celles-ci, L'Épouse : lis meus, et quidem pulcher ; lectus noster umbrosus. 16 Trabes domorurn nostrarum cedri, et contignationes nostne cyparissi. Chapitre II. 1 Ego flos campi et lilium convallium. 2 Ut lilium In medio spinarum, sir. proxima mea in medio filiarum. 3 Ut mulum In lignis silvae, Ita fratruelis meus in medio nilorum. In umbra ejus concupivi et sedi, et fructus ejus dulcis in gutture meo. 4 Introducite me In domum vini, ordinate in me cari­ tatem. 5 Confirmate me in unguenta. Stipate me in malis quia vulnerata caritatis ego. Sinistra ejus sub capite meo, et dextera ejus complexabitur me. 6 .Adjuro vos filiae Hierusalem» in virtutibus et in viribus agri. 7 Si leva­ veritis et suscitaveritis caritatem quoadusque velit. 8 Vox fratruelis mei, 44 INTRODUCTION Le voici derrière notre mur, regardant par les fenêtres, et apparaissant par les filets. Mon bicn-aimé me répond et dit : L’Époux : Lève-toi et viens, ma toute proche, ma toute belle, ma colombe, parce que voici que l’hiver est passé, que la pluie s’en est allée et que les fleurs ont apparu. Le temps de la taille est arrivé. Le roucoulement de la colombe s'est fait entendre sur notre terre ; le figuier pousse ses figues vertes, les vignes sont en fleur et ont donné leur odeur. Lève-toi, viens, ma toute proche, ma toute belle, ma colombe, dans le creux du rocher, dans le lieu de l’avant-mur ; montre-moi ta face, fais-moi entendre ta voix, parce que ta voix est suave et ta face est belle. (Ici s’arrête le texte du Cantique, commenté par Ori­ gène dans les homélies). ecce hic venit saliens super montes, transiliens super colles. 9. Similis est fratruelis meus caprcrc aut hinnulo cervorum in montibus Bethel (super montes domus Domini). 10 licce hic retro post parietem nostrum» prospi­ ciens per fenestras, eminens per retia. 11 Respondet fratruelis meus et dicit mihi : Surge veni, proxima mea. speciosa mea, columba mea, quia ecce hlems transiit, pluvia abiit sibi, 12 flores visi sunt in terra. Tempus sectio­ nis adest, vox turturis audita est in terra nostra : 13 Ficus produxit grossos suos, vites floruescunt. et dederunt odorem suum. Surge veni, proxima mea, (speciosa mea), 14 columba mea, sub tegmine petra?» in tegmine antemuralis.' Ostende mild faciem tuam, audire me fac vocem tuam, quia vox tua suavis et adspectus tuus speciosus. V Manuscrits et éditions Comme l’a fait remarquer le P. Cavallera, le commentaire d’Origène sur le Cantique des Cantiques - et il faut en dire autant des Homélies — < est le commentaire essentiel qui a déterminé l’orientation de toute l’exégèse ultérieure en ce qui concerne l’interprétation spirituelle, et il reste l’un des plus riches en cette matière, et des plus utiles à consul­ I. Manuscrits, MANUSCRITS ET ÉDITIONS 45 ter1 ». C’est surtout dans le monde latin, grâce aux traduc­ tions de Rufin et de saint Jérôme, que le texte d’Origène fut connu. Chez les Grecs, la suspicion qui plana très tôt sur les écrits du grand docteur empêcha la propagation de scs œu­ vres et nous en sommes réduits, pour ce qui concerne le Can­ tique des Cantiques, comme pour beaucoup de commentaires d’Origène sur l’Écriturc, à des extraits sporadiques conser­ vés dans les chaînes. La tradition manuscrite latine des homélies et du grand commentaire les deux sont inséparables à ce point de vue — est révélatrice de l’influence qu’ils ont pu exercer l’un et l’autre sur la pensée théologique durant le moyen âge. Nous ne parlerons pas des chaînes et florilèges déjà nom­ breux — il faudrait le faire cependant pour être complet — et nous bornerons notre examen à la tradition manuscrite des deux œuvres12. Le travail de classement des manuscrits a été fait soigneu­ sement par Ba hrens3. Il n’y a pas lieu d'y revenir. Il nous faut seulement établir le rayonnement topographique des 1. · Sur In différence entre l’amour spirituel et l’amour charnel, sur le rôle des anges et de* démons dans notre vie spirituelle, sur les sens spirituels, sur le rôle de la doctrine et de la contemplation dans la perfection, sur les degrés de perfection, sur la supériorité de la connaissance du Christ assurée à l’ânw par le Nouveau Testament, sur 1rs dons du Saint-Esprit, sur l’ordre de la charité, sur les visites de Dieu l’Amc, rtc... · Art. Cantique des Cantiques dans Je Did. de Spirit., col. 95. 2. Origène avait Joui durant tout le moyen âge d’une très grande vogue. Dans beaucoup de lectionnaires, scs homélies (ou d’autres que Ton croyait de lui et qui figuraient sous son nom) étaient lues A l’office. Le seul catalogue des manuscrits liturgiques de la Bibliothèque Vaticane publié en 1897 par Ehrrnshcrger mentionne do lui 35 homélies se trouvant respectivement dans G lec liminaires du xi· siècle (Vat. 4222, 6450-51, 1267-68) deux lectlonnaires du xn· siècle (Vat. 8563· Rcg. 125). un passionnaire du xx· (Hcg. 542), un homélhiire du xi-xii* (Pal. 428) et 6 leetlonnaires du XV· (Pal. 432-33, 435, 436. 139, 477, Vat. 1276). Plusieurs de ces homélies se trouvaient dans l’Homéllaire de Charlemagne et étaient très répandues au moyen âge. 1X» plus célèbres d’entre elles ont été éditées au début du xvi· siècle par Merlin, et ont été reprises et étudiées à fond par Klosieumann et Benz, Zur Vrbvrlielcrunq (1er Matth.iuserKIarung des Origcncs (T. U. 47. 2, p. 108 sv.) et au t. XII (III) de l’édition d’Origène dans le Carpus de Berlin, p. 239. sv. Ce n’est qu’au temps de la Renaissance que l’on exclut de l’office les œuvres des écrivains non canonisés et que ces homélies disparurent de nos livres. - Ou peut se reporter avec utilité, pour la tradition manuscrite latine d’Origène, u l’article de D. Jean Leclekcq, Origène au xn· siècle, paru dans Irfnikan. 1951, p. 425 sv. 3. P. XIV sv. 46 INTRODUCTION deux œuvres origéniennes d’après les données fournies par les manuscrits. Il faudrait aussi, pour bien faire, replacer ces ouvrages dans l’histoire de la popularité des écrits d’Origènc au moyen âge. Force est de nous limiter à ce qui con­ cerne le Cantique1. M. Bæhrens voit dans une remarque naïve de Notker Balbulus, le célèbre moine de Saint-Gall, mort en 912, la preuve que le grand commentaire était très peu lu au moyen âge. In Cantica Canticorum, dit en effet Notker, interpretatur sanctus Hieronymus duas Homelias Adamantii, in quarum præfatione hoc praemisit: « Origenes, cum in caderis alios vice­ rit, in Canticis canticorum seipsum vicit >. Quam interpreta­ tionem, quia ipse morte pneventus, nobis transferre non potuit: hanc tibi vicissitudinem nostri laboris (il écrit à son disciple, l’évêque Salomon de Constance) et multimoda: servitutis im­ pono ut si aliquando, sumptibus abundaveris et alicujus homi­ nis latina et gra:ca lingua eruditi amicitia usus fueris, ab eo extorqueas ut explanationes latinis et barbaris pro maximo munere vel præda famosissima transferre non gravetur1 2. Notker ignore donc la traduction de Ru fin, et souhaite qu'on tra­ duise en latin le grand commentaire que saint Jérôme, sur­ pris par la mort, n’a pu entreprendre. Il conseille même a son disciple de trouver un traducteur pour faire à n’importe quel prix cette besogne. Tout ceci fourmille d’énormes inexac­ titudes. Il n’en faut chercher d’autre explication que dans l’ignorance de l’époque qui se manifeste ainsi fréquemment, même chez les gens les plus instruits. C’est un fait, en tout cas, que les homélies ont été beaucoup plus connues que le commentaire, Nous possédons d’elles un précieux manuscrit du début du vu® siècle, d’une valeur incomparable, conservé jadis à Saint-Germain-des-Prés à Paris et transporté par Doubrowsky à Saint-Péterbourg (où il porte la cote Q. v. I. n. 8). Certains ont cru qu’il venait de Corbie, mais on ne peut le prouver avec certitude. Outre celui-là, nous en trouvons une douzaine datant de la renais­ sance carolingienne (ix® siècle) et qui montrent par leur prove­ 1. Cf. D. J. Leclercq, L c. 2. P. L., 131, 996. Cf. Behrens, Z. c., p. XXVII. MANUSCRITS ET EDITIONS 47 nance la diffusion de cet écrit à l'abbaye de Murbach en Al­ sace, à Saint-Corbinien de Freising en Bavière et à Saint-Gall, plus d’autres conservés aujourd’hui repectivement dans les bibliothèques de Chartres, Tours, Munich, Berne, Berlin et au Vatican. Un autre est conservé à Laon, qui semble avoir été copié à Salzbourg, témoignant ainsi des relations de la Gaule et de la Germanie à cette époque. Ce sont donc les pays du nord qui manifestent le plus d’intérêt pour ces homé­ lies. L’Italie avait eu sa vogue antérieurement. On croit géné­ ralement, quoique cela ne soit point prouvé, que les arché­ types des homélies et du commentaire provenaient de la bibliothèque de Cassiodore à Vivarium, qui les possédait. Dès x° et xi« siècles, où le zèle littéraire était moins grand, nous ne possédons qu’une demi-douzaine de manuscrits : l’un provient d’Einsicdeln, deux sont conservés en Angle­ terre (Cambridge et Londres) un à Munich et les autres en Italie (Padouc et Vatican). Au xn« siècle surtout, les manus­ crits se multiplient en raison de la fondation des écoles et du goût pour les lettres. Les villes qui possédaient quelque abbaye de renom comme Chartres, Reims, Châlon-sur-Saône, Arras, Angers, Corbie, Béthaine, les centres intellectuels com­ me Paris nous gardent des manuscrits de cette époque. On en trouve en outre à Charlevillc (provenant de ΓAbbaye de Signy), à Munich et au Vatican. C’est la France qui semble en avoir compté alors le plus grand nombre. Mais c’est au xv· siècle surtout, à l’époque de la Renais­ sance, que les homélies d’Origène se répandent. L’Italie nous donne alors le spectacle d’une belle efflorescence : une quin­ zaine de manuscrits de ce siècle sont conservés au Vatican ; en plus on en compte deux à Florence, un à Padouc, un à Fiesole. Hors d’Italie on en retrouve un à Bâle et deux à Munich. Ce tableau est très révélateur de l’intérêt manlsfesté, à chaque reprise du goût des lettres, pour les Homélies d’Origène. Bæhrens en mentionne près de soixante-dix manuscrits latins. Pour le grand commentaire, on est beaucoup moins bien partagé. A peine en possède-t-on trente. Le plus ancien qui nous reste date peut-être de la fin du x® siècle et pro- 48 INTRODUCTION vient de l’abbaye de Saint-Quirin de Tegernsee. Ce n’est qu’ensuite qu'on le voit se répandre. Bæhrens se demande si sa propagation n’aurait pas pour origine un don, au x° siècle, du præcipuus Scotorum, Dungal, qui avait offert tren­ te manuscrits à la bibliothèque de Bobbio. On lit en effet dans un des catalogues de Bobbio : Item de libris quos Dungalus præcipuus Scottorum obtulit beatissimo Cotumbano. imprimis librum Origenis in genes. 1, in Canticis canticorum ejusdem librum I... L Un manuscrit du commentaire du xi® siècle est conservé à Munich, ainsi qu’un autre de la même époque provenant” de Saint-Rupert de Salzbourg. Au xne siècle, on en rencon­ tre un certain nombre, provenant respectivement de l’ab­ baye du Bec en Normandie, de Saint-Germain-dcs-Prés à Paris, de Withering (Autriche) et d'Aldersbach (Bavière). On en trouve également à Naples, à Florence, à Prague et à Charleville. L’Abbaye de Saint-Martin de Tulle en possé­ dait un du xiii° siècle : il est aujourd'hui à Paris où on en trouve un autre de la même époque. La bibliothèque ambrosicnnc à Milan en possède aussi du même siècle et un autre se trouve à Bruxelles. On en rencontre un du χιν« siè­ cle à Erfurt. Au XVe siècle, des copies en sont transcrites en Italie (Camaldoli, Vallombreuse, Fiesole) et on en retrou\-e de cette époque à Milan, Florence, et Mclk où ils sont partout indices de la Renaissance. Bæhrens, nous l’avons dit, n’en signale qu’une trentaine en tout, ce qui montre une popularité beau­ coup moins grande pour le Commentaire, long et diffus, que pour les Homélies. Dès les tout premiers temps de l’im­ primerie, certaines œuvres de saint Jé­ rôme furent éditées. Ses lettres notam­ ment, et divers de scs traités, parurent successivement à Rome en 1470, à Nuremberg en 1477, à Cologne en 1479 et à Venise en 1498. Ces éditions, très rares aujourd'hui, contenaient également les II. Incunables et anciennes éditions imprimées. 1. Bæhjikns, p. XXII. MANUSCRITS ET ÉDITIONS 49 deux homélies d’Origène sur le Cantique. Les premières édi­ tions des œuvres bibliques de saint Jérôme faites avant 1500 ne contenaient, il est vrai, ni les homélies, ni le commentaire. Mais il faut remarquer que depuis lors, jusqu’au jour où la critique vint apporter un peu de lumière aux éditeurs, le grand commentaire circulait divisé en « quatre homélies » attribuées quelquefois à saint Jérôme lui-même et qu’on trouve généralement sous cette forme, jusqu’à la fin du xvi® siècle, accolées la plupart du temps aux autres œuvres exégétiques du grand docteur latin avec les deux homélies1. Les éditions d’Origène font d'autre part le même doublet, en sorte que le Cantique, avec ses deux explications origéniennes, figure dans les volumes consacrés et à saint Jérôme et à Origëne2. La première édition latine un peu complète des œuvres d’Origène parut en 1512 à Paris, par les soins de Jacques Merlin, docteur de la faculté de théologie3. De saint Jérôme comme d’Origène, Érasme fut le grand éditeur. Les éditions des Pères faisaient partie de la renaissance des lettres chré­ tiennes et, en raison de leur zèle pour le retour aux sources, leurs protagonistes eurent quelquefois à subir les foudres des théologiens. Merlin fut persécuté pour son édition d’Origène. Un autre, Nicolas Béraud, ayant voulu imprimer une pré1. Hain. Repertorium bibltograpMcum. L II· p. 43. 2. Rrasme le premier s'était inquiété de cette situation : < Divus Hierony­ mus fatetur sc vertisse duas Origcncs homilias in Canticum canticorum, a commentario vero quem Origcncs scripsit in idem canticum, sublimitate mysteriorum el profunditate rerum atque sumptuum ac laborum magnitu­ dine fuisse deterritum quo minus aggrederetur. Inter opera vero Hieronymi ferebatur et hic commentarius quum nec Origcnis sit, ncc Hieronymi, sed hominis latine pulchre docti ac bene diserti. Grtrcum non fuisse vel hinc colli­ gas licebit, quæ in prologo citat gr.rcos velut alienos « quum apud græcos, inquit, qui eruditi ac sapientes videntur ·. Idem liquet ex interpretatione amoris, charitatis, dilectionis et cupidinis. Suspicor esse cujus extant libri dr vocatione gentium et commentarii in aliquot psalmos. Quoniam autem is ob modestiam suum nomen apponere noluit, librarii prœflxerunt nomen Ambrosii. Nec sunt homilias quemadmodum excessit duo cantici capita ». Ehasmi·:, Dc vita. phrasim docendi ratione et operibus Origcnis. cum singulorum librorum censuris. Èd. de Bâle, 1645, B’ et verso. Cc ne furent que les édi­ teurs postérieurs qui, mieux informés de la littérature, restituèrent à Butin la traduction du Commentaire. 3. Reproduits encore en 1519, 1522, 1530. Le Contra Celsum avait déjà paru à Borne en 1471. Cf. sur toutes ces éditions, D. Chillier, Hist. gfn. des auteurs sacris, t. II, p. 254 et $v. et t. VIII, p. 711 et sv. OIUGÈNE 4. 50 INTRODUCTION face aux œuvres de saint Jean Chrysostome, se vit refuser l’autorisation par la faculté ® parce qu’il dérogeait à la théo­ logie scolastique... attaquant la logique et la philoso­ phie A. Érasme et Origène. L’éloge que fait Érasme d’Origènc mérite d’être cité ici, car il représente le jugement d’un des connaisseurs les plus qualifiés de toute la littérature ancienne. C’est un « portrait » suivant les règles des classiques où il compare son héros aux plus grands des Pères de l’Église. Fidèlement dévoué à saint Jérôme, que l’on peut considérer comme son maître, Érasme n’hésite pas à porter sur Origène le jugement le meilleur ; il le préférera du reste aussi à saint Augustin. Plus me docet Christiana philosophia, écrivait-il à Eck en 1518, unica Origenis pagina guam decem Augustini2. Les lignes qui suivent méritent certainement de figurer dans un des volumes de cette collection consacrés à Origène, et il nous semble qu’elles ne sont pas trop déplacées en cet endroit, même si elles font un peu figure de hors-d’œuvre3. Étonnant, improvisateur, Origène parle toujours une langue très claire, même lorsque le sujet qu’il traite est obscur. 11 a l’art d’être court. Sa pensée, toujours prompte, ne s’alourdit pas de surcharges fatigantes pour l'oreille «. Jamais il ne chausse le cothurne, comme Jérôme le reprochait à Hilaire, que les gens simples ne pouvaient lire. Origène n’allonge pas son œuvre par des recherches de style, ainsi que le fait souvent Jérôme lui-même. 11 ne s’aventure pas non plus dans la plaisanterie à l’instar de Tcrtullien (ou de Jérôme lors­ qu'il cherche à imiter ce dernier). Mais, par le charme de sa parole, 1. P. Imbart or la Tour, Ιλ-s Origines de la Kftonne, t. III, p. 235. 2. Ibid., p. 79. n. 2. 3. Érasme introduit son portrait d’Origènc en pastichant le vers d'Horace : • Grabs Ingenium, Grails dedit ore rotundo Musa loqui, praeter laudem nullius avaris » (Art poet., v, 323-324) cn cos termes : Origcni ingenium, Origeni dedit ore rotundo, πνεΰαα loqui, prater Christum nullius avaro. Dans les lignes qui suivent, Érasme oppose Origène aux autres Pères, notamment aux Pères latins, dont il déprécie un peu la grandiloquence devant la simplicité du maître alexandrin. Les Pères grecs auront aussi leur rhétorique, mais c'est plutôt à saint Jean Chrysostome qu'il faut la faire commencer. 4. « Currit sententia ne se impedit verbis lassas onerantibus aures », rémi­ niscence d'i iorace (sat. r, x, 9-10 : · Ex brevitate opus ut curret sententia nec se impediat verbis lassas onerantibus aures >). ÉRASME ET ORIGÈNE 51 il tient admirablement son lecteur en éveil. Ni fleurs de rhétorique, ni subtilités, ni exclamations, comme Ambroise — autant que Jérôme — en avait conservé l'habitude depuis ses jeunes années. Pas davantage de mots nouveaux, comme Tertullien encore, ni de digressions constantes comme il s’en trouve chez Augustin. Aucune formalisme dans la structure du discours, nul souci de pé­ riodes ou d’incidentes, comme il arrive parfois à Grégoire, plutôt par habitude, il est vrai, que par affectation. Les όμοιύιψωτα et les όμο’.οτίλευτα d’Augustin ne se rencontrent pas non plus chez lui. Quoique parfaitement instruit de toute la littérature et de toutes les sciences humaines, Origène ne produit le témoignage des auteurs païens que lorsque son sujet le demande. Π n’en fait aucun déplai­ sant étalage, comme il s’en voit chez, maints scolastiques, férus à ce point de philosophie qu’ils en citent un texte toutes les trois lignes, tout en se référant très peu, et mal, à l’Écriture. La parole d’Origènc au contraire est émaillée de textes scriptu­ raires comme un mosaïque de perles fines. Elles y sont si bien serties et y viennent tellement à point qu’elles n’entravent pas l’allure du discours. On dirait non des citations, mais des formules sponta­ nément écloses. 11 ne s’interrompt pas à plaisir pour citer, sachant qu’une allusion discrète a plus de saveur qu’une citation explicite. Le peuple connaissait alors mieux qu’aujourd’hui les Livres Saints, car ouvriers et ouvrières s’y appliquaient avidement les jours de fête. Ils en lisaient dans leur langue le texte courant, et à l’Église ils comprenaient les saintes Lectures. Origène connaissait toute la Cible par cœur. Il l’avait étudiée à fond dès sa plus tendre enfance ; elle était devenue le prolonge­ ment de lui-même. Horace tolère qu’à longueur de tâche on s’en­ dorme. Que de volumes nous a donnés Origène, en dehors mime de ses homélies au peuple 1 Jamais pourtant, on a l’impression qu’il ait pu somnoler ou céder à la lassitude. Partout alerte et vivant, on le sent amoureux de son sujet, et c’est toujours une volupté que de parler de ce qu'on aime. D’où la perpétuelle alacrité de cet homme étonnant, et sa vigueur toujours entière. L’étendue des homélies nous révèle qu’il ne parlait jamais plus d’une heure. Souvent même il ne dépassait pas la demi-heure. Il savait que les laïcs s’ennuient facilement à l’église. Ce peut être un exploit et il le savait aussi — que d’arracher la foule aux bouffonneries et aux obcénités des histrions du théâtre, pour lui faire entendre le sermon d'un prêtre dissertant des choses célestes. Aussi, préférait-il parler peu, mais souvent. Quand il s’attaque aux moeurs, Origène est toujours modéré. Jamais il ne s’emporte ni ne se répand en exclamations. En pro­ nonçant ses homélies il tient au genre du diseur familier, et ne s’é­ rige pas en censeur sévère. S’il lui arrive d’être piquant, il n’est jamais amer. Quand l'objurgation se fait plus âpre, il s’assimile à ceux qu’il censure... 52 INTRODUCTION Dans ses explications, il s’identifie souvent à celui qui cherche, feignant la peine, ic désespoir quelquefois, pour exciter l’auditeur à chercher avec lui ; il l'entraîne ainsi et il le captive. Quelquefois aussi, il demande à ses auditeurs de l’aider de leurs prières, et il leur donne l’espoir d’une solution difficile et élevée si leur attention ne faiblit pas. Il ne s’attarde pas en des exordes inutiles ; il se con­ tente de l’indispensable, pour plonger aussitôt l’auditeur en pleine question. Voici l’ordre qu’il suit : Exposition claire et brève du texte et de l’histoire s’il y a lieu ; recherche des sens allégoriques profonds ; applications morales. Il imite ainsi l’apôtre Paul qui, dans la première partie de ses épîtres, traite des sublimes mystères, et passe ensuite aux considérations plus pratiques de la morale et de la vie. Mais s’il arrive â Origène de se servir des allégories des philosophes, et du Talmud des Hébreux, ou de recourir ù ses propres élucubrations, c’est pour revenir aussitôt Λ l'Écriture et en con­ fronter les textes. Une allégorie lui semble-t-elle d'un abord difficile, il la prépare, et n’y insiste pas plus qu’il ne faut, pour éviter les longueurs fastidieuses. Lorsque Ç.hrysostomc fait la morale, il est interminable. Origène ne l'est jamais. Sa phrase est toujours vivante, bien ordonnée, lumineuse, revêche à l’ennui, et sa brièveté empêche tout dégoût ’. B. Éditions du XVIe siècle. En 1516, Érasme, aidé de Reuchlin et d’autres savants, fait imprimer à Bâle, chez Froeben, neuf volumes in-folio des œuvres de saint Jérôme, contenant également, comme chez beaucoup d’éditeurs postérieurs, les deux homélies d’Ori­ gène traduites par lui et le commentaire sous forme d’homé­ lies. L’édition d’Érasme fut reproduite à Lyon en 1530, à Paris en 1533 et 1546, à Baie en 1526, 1545, 1553, à Dillingcn en 1565, à Louvain en 1573. En 1565, Marianus Victorius en avait fait une édition nouvelle qu’il fit paraître, également en neuf volumes in-folio, à Rome en 1565 et 1576. C'est cette édition qui fut reproduite chez Plant in à Anvers en 1579 et à Paris en 1580. On connaît également une édition de Paris de 1609 où les lettres et d’autres écrits sont annotés par Gra­ vius et Fronton-lc-Duc ; deux autres encore à Paris en 1632 et 1643 et une à Cologne en 1648. Une dernière édition, celle 1. Érasmk, Préj. aux œuvres d'Origine, Êd. Froeben, Bâle, 1515, t. I. ÉDITIONS RÉCENTES 53 de Francfort, parut en 1684, avant celle des Mauristes qui fut faite par les soins de dom Martianay de 1693 à 1706. Elle fut reprise par Vallarsi et Maffei en 1768-72. Ce qui fait en tout plus de vingt éditions de saint Jérôme comprenant les homélies d’Origène sur le Cantique et souvent le grand com­ mentaire. L’Origêne latin fut édité, outre les éditions de Merlin déjà citées, par Érasme et Rhénanus à Venise en 1516 ; il le fut ensuite encore à Bâle en 1536, 1545, 1551, 1557 et 1571 ; une autre édition, beaucoup meilleure, duc au clunisicn Génébrard, parut à Paris en 1574. Reprise en 1604 et 1619 dans la même ville, elle le fut encore à Bâle en 1620. L’évêque d’Avranches, Daniel Huet, fit imprimer à Rouen en 1668 à peu près tout ce qui était connu en grec d’Origène — édité ou non — de son temps, et il le fit précéder de scs célèbres Origeniana, dissertations très remarquables, qui sont encore aujourd’hui, en beaucoup de points, ce qu’on a écrit de mieux sur le grand docteur alexandrin *. Depuis lors, la grande édition maurislc gréco-latine d’Origène, restée clas­ sique, a paru par les soins des deux PP. Charles et Vincent de la Rue, de 1733 à 1739. C’est celle qui est reproduite dans la Patrologie grecque. Au xvine siècle, une traduction latine avait paru encore à Würzbourg en 1780 (éd. Oberthun), et, depuis celle des de la Rue, celle de Lommatzsch (Berlin 183448), qui a encore sa célébrité. Ce qui fait en tout près d’une vingtaine d’éditions avant la collection de Migne. Nous cons­ tatons ainsi que les deux homélies sur le Cantique des Can­ tiques ont été imprimées environ quarante fois, dans la tra­ duction de saint Jérôme, soit dans les œuvres de ce saint, soit dans celles d’Origène. Peu d’ouvrages patristiques ont atteint ce chiffre. Le grand commentaire n’a pas été traduit en français jus­ qu’à présent. Les homélies le furent dans la traduction des œuvres complètes de saint Jérôme, faite par Bareille et pu­ bliée au siècle passé chez Vives à Paris. Mais cette traduction, 1. P. G.9 17, G33-1284. Cette édition n été reproduite en 1679 et ensuite à Francfort cri 1683. 54 INTRODUCTION qui n’est pas toujours très fidèle, a été complètement refaite icix. Quant à l'édition Koetschau, Prcuschen, Klostennann, Bæhrens, etc., qui n’est du reste pas encore entièrement ter­ minée, elle remporte de loin sur toutes les éditions anté­ rieures, — qu’on ne pourra cependant jamais totalement négliger par l’abondance des collations manuscrites, le détail des renseignements techniques et philologiques. Nous avons en tous points suivi le texte de saint Jérôme établi par Bæhrens dans notre traduction. Tout au plus avonsnous tiré profit de quelques variantes pour éclairer certains passages difficiles, et modifié parfois la ponctuation, assez déroutante pour un lecteur français. Conclusion sur l’infLuenco our ceux qui sont encore des enfants « qui lacte in Christo aluntur ·, mais pour ceux qui se nourrissent do · solidus cibus >. (ÉcL Bæhrcns, p. 02). Allusion à la parole de saint Paul : « Je vous ai donné du lait» non de la nourriture solide» car vous ne pouviez la supporter » (1 Cor., 3, 2). HOMILIA E IN CANTICUM CANTICORUM HOMHIA PRIMA In exordium Cantici Canticorum usque ad cum locum, in quo ait : « quoadusque rex in recubitu suo ». 1. Quomodo didicimus per Moysen esse quaedam non solum sancta, sed et «sancta sanctorum », et alia non tantum sabbata, sed et « sabbata sabbatorum », sic nunc quoque docemur scribente Solomone esse quaedam non solum cantica, sed et « cantica canticorum »a. Beatus quidem et is, qui ingreditur in sancta, sed multo ille beatior, qui ingreditur in « sancta sanctorum ». Beatus, qui sabbata sabbatizat, sed beatior, qui sabbatizat « sab­ bata sabbatorum ». Beatus similiter et is qui intelligit cantica et canit ea — nemo quippe nisi in sollemnitatibus q. LXX : τΑισμα άσιχάτων. ό ίστιυ τφ Σα/.ωμών. 1. Le grind Prêtre seul pouvait entrer une fois par an dans le Saint des Saints (Ilcbr., 9, 7). 2. 1-e Sabbat des Sabbats signifie l'année du grand Jubilé, qui arrivait tous les cinquante ans (Lev., 25. 8). Elle est ainsi appelé»· par les Septante, qui ont traduit littéralement ce que hi Vulgate a appelé « Sabbatum requie­ tionis > - sabbat veut dire repos par Σάββατα Σαββάτων. Cette expression HOMÉLIES SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES PREMIÈRE HOMÉLIE Depuis le début du Cantique jusqu’à l’endroit où il est dit : « Alors que le Roi était dans son repos ». 1. Nous avons appris par Moïse qu'il y a non seulement le Saint, mais aussi le » Saint des Saints », et non i>x„ 26, 34. seulement le Sabbat, mais aussi le « Sabbat des Sabbats ». u*., 16, 3t. De môme apprenons-nous par Salomon qu’il y a non seu- Caau (> h lement des cantiques, mais aussi le Cantique des Can­ tiques. Heureux sans doute celui qui entre dans le Saint, mais bien plus heureux celui qui entre dans le Saint des Saints \ Heureux celui qui célèbre le Sabbat, mais plus heureux celui qui célèbre le Sabbat des Sabbats2. Heureux éga­ lement celui qui comprend les cantiques et les chante — personne, en effet, ne chante qui ne soit en fête — mais Le Chant du Cantique a été également employée telle quelle par quelques Pères latins, se référant soit aux Septante. soit à d’anciennes versions latines du Lévitiquc, soit au texte même d’Origéne traduit par Saint Jérôme. Cf. par ex. saint Hilaire, JW. in Psalm.. (CSEL, xxn, p. 10-12) « In quinquagesima in quo est Sabbata Sabbatorum, secundum Jubilaei anni praeformat ionem, peccatorum remissio sit constituta ». (On a souvent considéré co commentaire de saint Hilaire sur les psaumes comme un arrangement de celui dOrigènc perdu). — Sur les formules it redoublement chez Origène, cf. II. DB Lubac, Histoire et Esprit. p. 310. 60 ΗΟΜΙΙ,ΪΛ PRIMA canit —, sed inulto beatior qui canit « cantica cantico­ rum ». Et sicut is, qui ingreditur in sancta, pluribus adhuc indiget, ut valeat introire in π sancta sanctorum », et qui sabbatum celebrat, quod a Deo populo constitutum est, multa adhuc necessaria habet, ut agat « sabbatum sab­ batorum », eodem modo difficile repperitur, qui omnia quae in scripturis continentur cantica peragrans, valeat adseendere ad « cantica canticorum ». Egredi te oportet « ex Aegypto » et « egressum » de terra Aegypti pertransire « mare rubrum », ut possis primum o canticum canere dicens » : « cantemus Domino; gloriose enim magnificatus est ». Licet autem primum dixeris canticum, adhuc longe es a « cantico canticorum ». Peram­ bula terram deserti spiritaliter, donec venias ad « puteum » quem « foderunt reges », ut ibi secundum « canticum » canas. Post haec veni ad viciniam sanctae terrae, ut super Iordanis ripam constitutus cantes « canticum » Moysi dicens : « attende caelum, et loquar ; et audiat terra verba oris mei ». Rursum habes necessarium ut milites sub lesu et terram sanctam hereditate possideas et apis tibi prophetet apisque te iudicet « Debbora » quippe 1. On peut rapprocher utilement l’ascension des cantiques exposce par Origène de l’apparition du « cantique nouveau « que Clément d’Alexandrie suscite au début de son Protrcptique (Éd. · Sources chrétiennes ·, II, p. 44 et sv.). et qui, chanté par le Verbe, éclipse par son éclat tous les chants païens : < 11 citante» non pas selon le mode de Téapandre, ou de Capion, encore moins selon les modes phrygien» ou lydien, ou doricn» mais selon le mode de la nouvelle harmonie ττ.< ν.αινςς Spuov!a<, qui porte le nom de Dieu, il chante le chant nouveau des Lévites (τύ ασυα τό χαινάν τό λευκιχον). » Cf. aussi îMd.» p. 48. 2. L'idée d’Origène est ici que, pour entrer dans le Saint, comme pour célébrer le sabbat» il suffît d’être Juif, de faire partie du peuple de Dieu; pour avoir part au grand jubilé, il faut atteindre le temps voulu, qui n’arrive que deux fois en un siècle, et pour entrer dans h· Saint des Suints, il faut être grand Prêtre. PREMIÈRE HOMÉLIE 60 bien plus heureux celui qui chante le Cantique des Can­ tiques *. Celui qui entre dans le Saint, il s’en faut de beaucoup pour qu’il soit en état de penetrer dans le Saint des Saints ; celui qui célèbre le Sabbat institué pourtant par le Sei­ gneur pour son peuple, a besoin de beaucoup encore pour célébrer le Sabbat des Sabbats ; pareillement il ne se trouvera pas sans peine, l’homme qui, se frayant un chemin à travers tous les cantiques que contiennent les Ecritures, aura la force de s’élever jusqu’au Cantique des Cantiques 2. 11 te faut sortir de l’Égypte4 et, BXi> 13> 3 g sorti de la terre d’Égypte, traverser 3 la mer rouge, pour pouvoir chanter le premier cantique en disant : « Chantons au Seigneur, car il a été glorieusement magnifié ». Quoique tu aies ex., 15, i. prononcé le premier cantique, tu es loin encore du Can­ tique des Cantiques. Chemine spirituellement sur la terre du désert, jusqu’à ce que tu arrives au puits qu’ont creusé des rois, pour y chanter le second cantique 5. Viens-en NOmb., 21, n. ensuite aux confins de la terre sainte, pour entonner, debout sur la rive du Jourdain, le cantique de Moïse, en disant : « Cieux, soyez attentifs et je parlerai, et que la 32, * >· terre entende les paroles de ma bouche ». Tu devras alors lutter sous les ordres de Jésus, fils de Navé °, et posséder en héritage la terre sainte ; il faudra que l’Abeille prophétise pour toi et te juge, — car Debbora signifie abeille — et L’Échelle des Cantiques 3- Sur Péchelle des cantiques, ci. Introd., p. 30 et sv. 4. · Sortir d’Ëgyptc > signifie à la fois quitter l'esclavage de Satan et entrer dans la vie mystique (cf. Introd., p. 33). Les termes employés par Origène < sortir · (egredi), · traverser » (pertransire), · cheminer > dans le désert (perambulare), · lutter ■ (militare), désignent des actes différents de la vie spirituelle, tous préparatoires au chant du Cantique des Cantiques. 5. Ce cantique des puits, parce qu’il est trop court, a dit Verecundus — de nos jours, cc serait l’inverso —. n’est pas utilisé dans la psalmodie, et est très peu connu des fidèles (Commentariorum super Cantica libri IX, Êd. Pi Ira, Spicilcg. solesm., t. VI, p. 1-2). H est au contraire très important pour Origène, qui l’a commenté abondamment dans son homélie XII sur les Nombres (cf. Introd., p. 31), lui qui avait une prédilection marquée pour les puits. Ci. II. de Lubac, Introduction aux homélies sur la Genèse d'Origène> Éd. « Sources chrétiennes >, p. 214, note. 6. Littéralement « avec Jésus »( Josué — Jésus). 61 Η0ΜΙΙ4Λ PRIMA apis interpretatur —, ut possis et illud carmen, quod in Indicum libro continetur, edicere. Ad Regnorum deinceps volumen adscen.dens veni ad « canticum », quando «David» fugit « de manu omnium inimicorum suorum et de manu Saul et dixit » : « Dominus, firmamentum meum et forti­ tudo mea et refugium meum et liberator meus ». Perve­ niendum tibi est ad Esaiam, ut cum illo dicas : «cantabo canticum dilecto vineae meae ». Et cum universa transieris, ad altiora conscende, ut possis anima decora cum sponsa et hoc canere canticum canticorum. Quod ex quot personis constet, incertus sum. Orantibus autem vobis et revelante Deo quattuor in his mihi videor invenire personas, virum et sponsam, cum sponsa adules­ centulas, cum sponso sodalium greges. Alia dicuntur a sponsa, alia a sponso, nonnulla a iuvenculis, quaedam a sodalibus sponsi. Congruum quippe est, ut in nuptiis adulescentularum sit multitudo cum sponsa, i u venum turba cum sponso. Haec omnia noli foris quaerere, noli extra eos qui « prae­ dicatione evangelii sunt salvati ». Christum sponsum intellige, « ecclesiam » sponsam « sine macula et ruga », de qua scriptum est : « ut exhiberet sibi gloriosam ecclesiam non habentem maculam neque rugam aut aliud quid eorum, sed ut sit sancta et immaculata ». Eos vero, qui, cum sint 1. Abeille est synonyme de diligence, de travail et de lutte. Après Ia tra­ versée du désert, le dégoût de l'aridité, la tentation du murmure < peram­ bula terram deserti spiritaliter » —, dans la terre promise, le fidèle deviendra combattant pour y exterminer des peuples, c'est-à-dire nos vices. C'est pour­ quoi l'abeille prophétise ici, cl réconforte le voyageur pur le suc de son miel. Cf. sur Deb bora-Abeille, l’homélie V sur le Livre des Juges (Èd. Bæhrens, t. VII, p. 493) PREMIÈRE HOMÉLIE 61 que tu puisses prononcer aussi ce cantique qui est contenu dans le Livre des Juges1. Après cela, tu monteras au Jug.. 5. 2. Livre des Rois, et tu en viendras au cantique où David échappe aux mains de tous ses ennemis et à la main de Saül, et dit : a Le Seigneur est mon soutien, ma force, H Roi$, 22, 2 mon refuge et mon libérateur ». Puis il faudra parvenir en Isaïe pour dire avec lui : « Je chanterai au Bien-Aimé le is., 5, 1. cantique de ma vigne ». Et lorsque tu les auras tous dépassés, tu monteras plus haut encore, afin que tu puisses, âme désormais rayonnante de beauté, chanter aussi avec l’Époux ce Cantique des Cantiques. Ce cantique, combien comporte<:f,Pe?jSOnna^CS t-il de rôles ? Cela ne m’apparaît pas u rame clairement2. Grâce à vos prières, et se-f Ion ce que Dieu me permet d’entrevoir, il me semble y dé­ couvrir quatre personnages : l’Époux et l’Épouse ; avec l’Épousc, des jeunes filles, avec l’Époux, un groupe de compagnons 3. Certaines paroles sont dites par l’Épousc, certaines par l’Époux ; quelques-unes par les jeunes filles, d’autres par les compagnons de l’Époux. Car il convient que, dans une noce, l’Épousc ait son cortège de jeunes filles, et l’Époux son entourage de jeunes gens. _ Application Tout ceci, ne va pas le chercher spirituelle des au dehors, hors de ceux qui ont été personnages sauvés par la prédication de l’Évangile. ! cor., 1, 21. Reconnais dans l’Époux, le Christ, dans l’Épouse sans tache ni ride, Γ Église de qui il a été écrit : « Pour la faire paraître devant Lui, cette Église, glorieuse, sans tache ni rides, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée ». Eph., 5. 27. Quant à ceux qui, bien que fidèles, ne sont pas encore 2. Origène, fait précéder de la prière toute Illumination de vérité. Cf. Jnlrod. p. 32. 3. Le mot greets, choquant ici au pluriel, se justifie peut-être par l'appli­ cation du ternie aux deux catégories (jeunes filles cl jeunes gens) dans lé texte grec. origène 5. 62 HOMILIA PRIMA fideles, non sunt tainen istiusmodi, quales senno praefatus est, sed iuxla modum quondam adepti videntur salutem, animas animadverte credentium et adulescentulas esse cum sponsa. Angelos vero et cos, qui « pervenerunt in virum perfectum », intellige viros esse cum sponso. Vide igitur mihi quattuor ordines, unum et unam, duos choros inter se concinentes, sponsam cancro cum juvenculis, sponsum canere cum sociis. Et cum haec intellexeris, audi «canticum canticorum» et festina intelligere illud et cum sponsa dicere ea, quae sponsa dicit, ut audias, quae audivit et sponsa. Si autem non potueris dicere cum sponsa, quae dixit sponsa, ut audias ea, quae dicta sunt sponsae, festina vel cum sponsi sodalibus fieri. Porro si et illis inferior es, esto cum adu­ lescentulis, quae in sponsae deliciis commorantur. Haec quippe in hoc libro, fabula pariter et epithalamio, sunt personae ; ex quo et gentiles sibi epithalamium vin­ dicarunt et istius generis carmen assumptum est, epitha­ lamium siquidem est canticum canticorum. 1. C’est-à-dire arrivés à l’état de perfection (anima décora), capables de chanter le Cantique «les Cantiques. 2. En grec χ:στ:κών s’opposant à γνωστικών. 3. Sur l’importance des anges dans la doctrine d’Origcnc, cf. J. Dani&.OV» Origène. 1918. h III, ch. n, Angélolngic. Du même : Les Anges et leur Mis­ sion. d’apres les Pères de l’Églisc. Chevetogne 1952, passim. Voir aussi S. Bette ncovkt, Doctrina ascetlca Oriyenis (Studia Anselmiana, XVI), passim. 4. Dans la tragédie grecque, le coryphée, outre son rôle de chef de chœur, remplissait aussi i'ofllcc de personnage, puisqu’il dialoguait avec la scène. L’Époux et l’Êpouse sont ιϊ la fois ici personnages et coryphées. 5. Le sens que nous donnons à cette phrase. assez obscure repose et sur le contexte et sur l'idée de beaucoup de Pères qui veulent voir dans la sagesse de Salomon ou même de Moise l'ancêtre de toutes les philosophies. Origène s’est exprime lui-même très clairement n ce sujet au prologue de son grand PREMIÈRE HOMÉLIE 62 tels que nous venons de le dire \ mais semblent avoir fait quelques progrès sur le chemin du salut, considère en eux les âmes des croyants 2, et identifie-les aux jeunes filles du cortège de l’Êpouse ; tandis que les anges 3 et ceux qui sont arrives à l’état d’homme parfait, vois-y Épb.. 4. 13. les jeunes hommes avec l’Époux. Quatre éléments du drame : les deux personnages, l’Époux et l’Êpouse, et deux chœurs harmonieusement accordés, l’Êpouse chan­ tant avec les jeunes filles, et l’Époux avec les compa­ gnons 4. Ceci compris, écoute le Cantique des Cantiques, et hâle-toi de le pénétrer et de répéter avec l’Êpouse ce que dit l’Êpouse, pour pouvoir entendre ce que l’Êpouse ellemême a entendu. Mais si tu ne peux dire avec elle ce qu’a dit l’Êpouse, préoccupé d’entendre ce qui lui a été dit, hàte-toi au moins de te joindre aux compagnons de l’Époux. Que si ces paroles te dépassent encore, tienstoi avec les jeunes filles qui sont dans les bonnes grâces de l’Êpouse. Tels sont les personnages en ce Scénario livre, à la fois drame scénique et épide l’Épithalamc thalamc. Depuis que les païens l'ont connu, ils ont adopté aussi l’Épithalame. c'est ici qu’ils l’ont emprunté — ; le Cantique des Cantiques est en effet l’épithalame (par excellence) 5. Cotnmenlnire (fai. Bæhrens, p. 75, 23 et sv.) : « Hæc ergo (à propos des trois sagesses), ut mihi videtur, sapientes quique Græcorum sumpta a Salomone, utpote qui aetate et tempore longe ante ipsos prior ea per Dei spiritum didi­ cisset, Umquiun propria inventa protulerunt >. Ci. pour la même idée, JosftPHE, ΓΙδύ<Έλ/.ηνχ<,π, 168,257; Τλπ en, Or. ad G.,6, 879);ThiU)ph. d'Antioche, A AuMychus. L. 111,16 (Éd. · Sources chrétiennes » p. 237 et sv.) ; Cliîment d'Alexandhiiî, Slromatcs 1 (fid. « Sources chrétiennes -, p. 173). L’fcpillinkime ou cantique nuptial, genre littéraire très répandu chez les anciens, était chanté à la porte des nouveaux époux. Plusieurs pièces célèbres de la littérature antique, comme le poème d'Hésiode sur les noces de Thétis et de Pelée, et celui de Théocrite pour Ménélas et Hélène, portent ce nom. Dans l'Êcriture, deux pièces, le ps. -14, Eructavit cor meum et le Cantique des Cantiques sont considérés comme des épithalames. 63 HOMILIA PRIMA Primum sponsa orat et statim in mediis precibus au­ ditur. Videt praesentem sponsum, videt adulescentulas suo comitatui copulatas. Deinde respondet ei sponsus et post sponsi eloquia, dum ille pro eius patitur salute, res­ pondent sodales, a donec sponsus sit in recubitu et a pas­ sione consurgat, se quaedam sponsae «ornamenta facturos. 2. Verum iam ipsa verba ponenda sunt, in quibus primum vox sponsae deprecanlis auditur. « Osculetur me ab osculis oris sui » ‘. Quorum iste sensus est : quousque mihi sponsus meus mittit « oscula » per Moyscn, mittit « oscula « per prophetas ? Iam ipsius cupio ora contin­ gere, ipse veniat, ipse descendat. Orat igitur sponsi pa­ trem et dicit ad cum : « osculetur me ab osculis oris sui ». Et quia talis est, ut compleatur super ea propheticum illud, in quo dicitur : « adhuc loquente te dicam, ccce adsum », sponsam sponsi pater exaudit, mittit filium suum. Videns illa eum, cuius deprecabatur adventum, orare desistit et ad ipsum cominus loquitur : «quoniam bona ubera tua super vinum, et odor unguentorum tuorum super omnia aromata»1 11. Sponsus igitur Christus missus a patre venit unctus ad sponsam et dicitur ad eum : « dilexisti iustitiam et odisti iniquitatem ; proterea unxit te Deus, Deus tuus, oleo exsultationis prae participibus tuis ». a. LXX : Φιλησάτω μβ ατό φιλημάτων στόματος χύτου, b. LXX : ότι αγαθοί μαστοί σου ύτίρ οίνον, χαΐ οσμή μύρων σου ύχίρ τάντα τα αρώματα. 1. 11 faut se rappeler ici coqui a été dit dans l’introduction (p. 18 sv.) sur l'homme spirituel et les sens spirituels. L’Êpousc, l’Ëglise, tout d’abord synagogue, n’a vu l’Époux qu’à travers un voile et par le moyen des pro- PREMIÈRE HOMÉLIE 63 C’est tout d’abord l’Épouse qui demande : et aussitôt, elle est entendue en pleine prière. Elle voit l’Époux en sa présence ; elle voit les jeunes filles qui se sont jointes à son propre cortège. Puis, c’est l’Époux qui lui répond : et après les paroles de l’Époux, pendant que celui-ci souffre pour la sauver, les compagnons de l’Époux ré­ pondent qu’ils vont préparer des parures pour l’Épouse, cani.,1,11. jusqu’à ce que l’Époux soit dans son repos, et jusqu’à ce qu’il relève de scs souffrances. 2. Mais citons ici les paroles mêmes J Risers ^ans lesquelles se fait entendre la de i Epoux première fois la voix de l’Épouse en prière. « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». En eut, i, 2. voici le sens. Jusqucs à quand mon Époux m’enverrat-il ses baisers par Moïse, m’enverra-t-il scs baisers par les prophètes ?1 Ce sont les lèvres mêmes de l’Époux que je désire atteindre; qu’il vienne lui-même, qu’il des­ cende lui-même. Elle prie donc le Père de l’Époux, et lui dit : a Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». Et parce qu’elle mérite de voir s’accomplir en elle cette parole prophétique : e Pendant que tu parles encore je dirai : « Me voici », le Père de l’Epoux exauce l’Épouse, i.,, 65, 24. il envoie son Fils. Et voyant celui dont elle demandait la venue, la voici qui cesse de prier et lui parle de tout près : « Parce que tes seins sont meilleurs que le vin et cant, 1. 2. l’odeur de tes parfums est au-dessus de tous les aromates s2. L’Époux donc, le Christ, envoyé par le Père, vient oint vers l’Épouse et s’entend dire : « Tu as aimé la justice et détesté l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a Ps., 44. 8. phetes. Maintenant, grâce à l’Incarnat ion du Verbe qui a supprimé tous les intermédiaires. (Hcbr.» 1» 1-2). elle peut entrer en communiait ion directe avec lui. 2. Ceux qui traduisent aujourd’hui do l’hébreu, traduisent « dôd > par • amour > et non par · seins > : · Ton amour est meilleur que le vin >. Origène» qui suit les Septante» dit ααστοί qu’on traduit généralement · mamelles ». Nous avons préféré Ici l’expression - seins > pour traduire ubera, a fin de la distinguer du terme mammie qui vient plus loin, et que nous traduirons • mamelles ». 64 ΙΙ0Μ1Ι.ΙΛ PRIMA Si me tetigerit sponsus, et ego « boni odoris b fio et ego linior « unguentis » et ad me usque eius « unguenta » perveniunt, ut possim cum Apostolis dicere : « Christi bonus odor sumus in omni loco ». Nos autem, cum haec audia­ mus, adhuc peccatis vitiisque foetemus, de quibus per prophetam paenitens loquitur : « computruerunt et cor­ ruptae sunt cicatrices meae a facie imprudentiae meae ». Peccatum odoris est putridi, virtus spirat « unguenta », quorum typos in Exodo relege. Invenies quippe et ibi « stacten », « onycha », « galbanen » et reliqua. Et haec quidem in « incensum » ; deinde ad « opus unguentarii d varia sumuntur unguenta, in quibus est « nardus » et «stacte». Et Deus, qui « caelum fecit ac terram », loquitur ad Moyseu dicens : « ego implevi eos spiritu sapientiae et intellectus, ut faciant opera artis unguentariae » et unguentarios Deus docet. Haec si non spiritaliter inielligantur, nonne fabulae sunt ? Nisi aliquid habeant secreti, nonne indigna sunt Deo ’? Necesse est igitur eum, qui audire scripturas spiri­ taliter novit aut certe qui non novit et desiderat nossc, omni labore contendere, ut non iuxta carnem et sangui­ nem conversetur, quo possit dignus spiritalium heri secre- 1. L'huile est citée dnns les Proverbes (27, 9) comme réjouissant Je cœur de rhommt% et les Septante la font figurer en cet endroit avec le vin et les parfums. 2. Λ propos des parfums de Γβροηχ et de l'Êpousc» cf. De principiis. π. 6, C, 7 : ■ De même que autre est l’odeur de l’onguent et autre sa substance, ainsi en est-il du Christ et de ceux qui participent de hu Kœtschau» v, p. 115-1 IG). 3. Cf. liom. xi sur lu Genèse ; « Ia? pêché est une chose qui sent mauvais. Les pécheurs sont compares à des porcs qui se roulent dons leurs péchés comme dans une ordure Infecte (II Pier., 2, 22). El David, parlant au nom du pécheur pénitent» dit : mes meurtrissures sont infectes et purulentes · (Éd. · Sources chrétiennes . p. 197). Une idée semblable est énoncée PHEMIÈHE HOMÉLIE 64 oint de l’huile de la joie, de préférence à tous tes com­ pagnons » *. Si l’Époux vient à me toucher, moi aussi je serai de bonne odeur et ointe de parfums et jusqu’à moi aussi se communiqueront ses parfums en sorte que je pourrai dire avec les Apôtres : a Nous sommes la bonne odeur du » c°r-. 2. 15. Christ en tout lieu »2. Mais nous, quoique nous enten­ dions ceci, nous sommes encore infectés de la mauvaise odeur des péchés et des vices, dont le pécheur repentant dit par la bouche du prophète : « Mes plaies se sont putré- ’’·■· 37· 6· fiées et corrompues en présence de ma folie » 3. Le péché a l’odeur de la pourriture ; la vertu exhale celle des parfums dont tu trouveras les types dans l’Exode. Tu y trouveras ex. JO. m. aussi ceux qu'on appelle la myrrhe, l’onyx, le galbanum et d’autres. Il est vrai qu’ils servent pour être brûlés ; mais ensuite, pour l’art du parfumeur, on prend divers onguents parfumés, parmi lesquels le nard et la myrrhe 4. Et Dieu, qui a fait le ciel et la terre, dit à Moïse : « Je les Gen.. 1. 1. ai remplis de l’esprit de sagesse, et d’intelligence pour e*., 31,3.11. exécuter les œuvres de l’art du parfumeur»5. Dieu instruit donc aussi les parfumeurs. Les Parfums de l’Épouse Autant de détails qui ne seraient que bavardages si on ne les compre­ nait d’une manière spirituelle. S’ils ne renferment pas quelque secret, ne sont-ils pas indignes de Dieu? Celui qui sait entendre spirituellement les Écritures — ou au moins qui, désire l’apprendre —, doit donc tendre de toutes ses forces à ne pas vivre selon la chair et le sang ; qu’il devienne digne des secrets spi­ rituels, et, pour me servir d’une expression plus audaL’Amour spirituel dans un sens très matériel par saint Jean de la Croix, à propos des personnes qui ont :1, 25. mais de la poitrine même *. Et lorsque l’Épouse s’adresse à l’Époux — c’est ici un cantique nuptial -, l’Écriturc ne parle ni du haut de la poitrine, comme dans le sacri­ fice, ni de la poitrine comme à propos de Jean le disciple, mais elle parle de seins : « Tes seins, dit-elle, sont meilleurs que le vin ». Sois en communion, comme l’Épousc, avec les sentiments de l’Époux, et tu sauras que de telles pensées enivrent et donnent la joie. Tout comme le calice enivrant du Seigneur est bon au-delà de toute expression, ps., 22. 5. de même les seins de l’Époux sont meilleurs que le vin, parce qu'il est dit : « Tes seins sont meilleurs que le vin »2. En pleine prière, elle adresse la parole à l’Époux : « Et l’odeur de tes parfums est au-dessus de tous les aromates ». Ce n’est pas d'un seul parfum, c’est de tous les parfums qu’est oint l’Époux quand il arrive. Et si l’Époux daigne venir aussi Application vers mon Ame devenue son épouse, à l’âme combien doit-elle être belle pour l’attirer à soi du haut du ciel, pour le faire descendre sur la terre, pour qu’il vienne auprès de l’aimée ? De conjugal. — CL Horn. VH, 7 in Le» it.. (fai. Bœhrcns, t. VI, p. 381, 10). Sur la poitrine <Ιι· Jésus. ci. F. BbktRand. ΛΙ/pfK/nr de Jésus cher Origène, p. 139. 2. Origène explique dans le grand Commentaire (Éd. Bæhreiu» t. VIil. p. 91) que le vin. qui est surpassé par les seins de l’Epoux. signifie Ja doctrine des anciens prophètes : · le vin , suivant •don du cantique d’Isaïe. Ce n’est plus de ce vin figuratif de l’Epoux. mais •de l’enivrement de son étreinte, que va se repaître désormais la bicn-aitncc. 67 HOMILIA PRIMA randa est, quali debet amore fervere, ut ea loquatur ad illam, quae ad perfectam locutus est sponsam, quia « cervix tua », quia « oculi tui », quia « genae tuae », quia « manus » tuae, quia « venter tuus », quia humeri tui, quia pedes tui ? De quibus, si concesseril Dominus, disputa­ bimus, quomodo sponsae membra varientur et singu­ larum partium laus diversa dicatur, ut post disputatio­ nem etiam ad nostram dici animam similiter laboremus. « Bona igitur ubera tua super vinum ». Si videris spon­ sum, tunc intclliges verum esse, quod dicitur : α quoniam bona ubera tua super vinum, et odor unguentorum tuo­ rum super omnia aromata ». Multi habuerunt « aromata ». « Regina Austri » detulit « aromata Solomoni » et plures alii « aromata » possederunt, sed habuerit quis quanta­ libet, non possunt Christi « odoribus » comparari, de. quo nunc sponsa ait : « odor unguentorum tuorum super omnia aromata ». Ego arbitror quia et Moyses habuerit « aro- , mata » et Aaron et singuli prophetarum, verum, si videro Christum et suavitatem ·■ unguentorum » eius odore per­ cepero, statim sententiam fero dicens : « odor unguen­ torum tuorum super omnia aromata ». 4. « Unguentum effusum nomen tuum » “. Propheticum sacramentum est. Tantummodo « nomen » lesu venit in mundum et « unguentum » praedicatur π effusum ». In Evangelio quoque α mulier accipiens alabastrum unguenti nardi pistici pretiosi caput » lesu « pedes » que « perfudit ». Diligenter observa, quae de duabus « super caput fuderit » a. LXX : μύρον cxxtwWv Gvoud σου. 1. Les orientaux ont développé toute une théologie du nom, et spéciale­ ment du nom de Jésus. — Ci. S. Boumukoff» Le Ciel sur la Terre, dons le Sonderheft · Die Ostkinche > de Una Sancta, nx (1927), p. 4G et $v. ; du même PREMIÈRE HOMÉLIE 67 quelle beauté doit-clic resplendir, quelle doit être l’ardeur de son amour, pour qu’il lui dise ce qu’il a dit à l’Épouse parfaite : l'on cou, tes yeux, tes joues, tes mains, Lon cant., i» 10 : ventre, tes épaules, tes pieds ? Au sujet de tout ceci, nous }· 7 , rechercherons, si le Seigneur nous l’accorde, comment il se fait qu’on énumère les divers membres de l’Épouse, qu’on fasse un éloge différent de chacune de ses parties. Ensuite, après l’exposé, nous chercherons comment notre âme pourrait recevoir le même éloge. « Tes seins sont donc meilleurs que le vin ». Quand tu verras l’Époux, tu comprendras qu’elle, dit vrai : « Parce que tes seins sont meilleurs que le vin, et l’odeur de tes parfums est au-dessus de tous les aromates ». Beaucoup ont eu des aromates : la Reine du Midi apporta des aro- ni rou. 10. mates à Salomon ; et plusieurs autres possédèrent des 2’ *0· aromates. Mais qu’on en ait tant qu’on voudra, jamais ils ne pourront être comparés aux parfums du Christ, dont l’Épouse dit ici : « L’odeur de tes parfums est audessus de tous les aromates ». Je crois que Moïse et Aaron et chacun des prophètes ont eu des aromates, mais quand je vois le Christ, et que je hume la douceur de scs parfums, je décide aussitôt : « L’odeur de tes parfums est au-des­ sus de tous les aromates ». Le Nom 4. * ^'on ^om CS^ un Par^um r<> cant., i. 3. de Tcsus pandu ». C’est là un mystère prophéc jesu tique. A peine le nom de Jésus vient-il dans le monde, qu’on proclame déjà le parfum « répandu P. Dans i’Évangilc, une femme prit un vase d’albâtre plein du parfum d’un nard véritable d’un très grand prix, et mc. m. 3,: le répandit sur la tête et sur les pieds de Jésus. Remarque u, 7. 38. //Orthodoxie, Paris, 1932» p. 205. — Et encore» avec plus de développement, en relation avec le palamisme : Un Moine de l’Êglise d’Orient, La Prière de Jésum Chevctogne» 1951. — Saint Bernard, qu’on a justement nommé (et c’c *t ft rappeler ici) doctor mellifluum s’est tait le propagateur de cette théolo­ gie» un peu édulcorée par lui il est vrai, dans le moyen ûgo latin. La fC-tc du Saint Nom de Jésus est un reliquat de celle doctrine. Les Pères avaient abondamment commenté le verset du Cantique : Oleum efl usum nomen (uum, comme le fait ici Origène. 68 HOM ILIA PRIMA Salvatoris, siquidem « peccatrix » super « pedes » et cah quae dicitur non fuisse « peccatrix ». « super caput cius fudisse » invenitur. Observa, inquam, et invenies in evangelica lectione non fabulas et narrationes ab evangelistis, sed mysteria esse conscripta. « Impleta est » itaque « odore unguenti domus ». Si quid « peccatrix » habuit, ad « pedes » referendum est, et si quid ea, quae non « peccatrix », ad « caput ». Nec mirum 1920, p. 159 cl sv.). — Notons que saint Jérôme PREMIÈRE HOMÉLIE 68 avec soin qui des deux a arrosé la tête du Sauveur : on raconte en effet que c’est une pécheresse qui a répandu le parfum sur les pieds. De celle qui le répandit sur la tète, on dit qu'elle n’était pas pécheresse Regarde bien et tu trouveras que dans le texte de (’Évangile, les évan­ gélistes n’ont pas écrit des histoires ni des récits, mais des mystères. La maison fut donc remplie de l’odeur du in, 12.3. parfum. Tout ce que la pécheresse avait, doit être rap­ porté aux pieds ; tout ce qu’avait celle qui n’était pas pécheresse, à la tête. Et il n’est pas étonnant que toute la maison ait été remplie de l’odeur, puisque, cette odeur a rempli le monde. Au même endroit, il est question de Simon le lépreux et de sa maison. .Je crois que le lépreux Mc, M, 3^ est le prince de ce monde, et qu'il s’appelle Simon, ce ,c’ 7' lépreux dont la demeure fut remplie d’une odeur suave â l'arrivée du Christ, alors que la pécheresse faisait péni­ tence, et que la sainte arrosait la tête de Jésus avec les odeurs du parfum. « Ton Nom est un parfum répandu ». Comme un par­ fum qui, par son effusion, répand tout à l’entour son odeur, le nom du Christ s’est répandu. Sur la terre en­ tière on nomme le Christ, dans le monde entier on publie mon Seigneur. Son nom est un parfum répandu. Ce n’est que maintenant qu’on entend le nom de Moïse, qui aupa­ ravant était enfermé dans les étroites limites de la Judée. Personne parmi les Grecs ne le mentionne, cl dans aucune histoire des Lettres nous ne trouvons rien qui ait été écrit à son sujet ou au sujet des autres. Mais à peine Jésus brille-t-il dans le monde, qu'il fait ressortir avec lui la Loi et les prophètes ; et vraiment cette parole pro­ phétique a été accomplie : « Ton Nom est un parfum répandu ». 5. « C'est pourquoi les jeunes fdles c* n‘» ’· 3 L’arrivée des t’aiment ». Parce que <> la charité de jeunes filles Dieu a été répandue dans nos cœurs traduit « quæ dicitur non fuisse peccatrix ·, et il est vraisemblable que ce fut l'opinion d'Origène. texte de Mure, 14» 3 oü est rapporté cet épisode» ne dit rien de la qualité de cette femme. Le sens serait donc plutôt : · dont il n’est pus dit qu’elle fût pécheresse ». 69 HOMÏLIA PRIMA congrue nomen effusionis inseritur : « unguentum effusum est nomen tuum ». Haec dicens sponsa « adulescentulas » conspicit. Quando illa sponsi patrem rogabat et ad ipsum sponsum cominus loquebatur, necdum « adulescentulae » aderant ; in mediis vero precibus ingreditur « iuvencularum » chorus ct sponsae laudatur eloquiis. « Proptcrea iuvcnculaedilexerunt te et attraxerunt te», adulescentulae­ que respondent : « post te in odorem unguentorum tuorum curremus » a. Quam pulchre sponsae pedissequae necdum habent fiduciam sponsae. Sponsa non post tergum sequitur, sed iuncto ingreditur latere, apprehendit dexteram sponsi ct manus eius sponsi dextera continetur, famulae vero in­ grediuntur post eum. « Sexaginta sunt reginae ct octoginta concubinae ct iuvenculae, quarum non est numerus ; una est columba mea, perfecta mea, una est matri suae, una est ei, quae concepit illam » : a post te » ergo « in odorem unguentorum tuorum curremus ». Cum omni honestate de amantibus dictum est : π post te in odorem unguentorum tuorum curremus » secundum illud : · sponsa respondet : «nigra sum et speciosa, filiae Hierusalem » — simulque discimus quia istae « adulescentulae » « filiae » sunt « Hie­ rusalem » —, « nigra sum » ergo « et speciosa, filiae Hieru­ salem, ut tabernacula Cedar, ut pelles Solornonis. Ne intu­ eamini me, quia ego sum denigra ta, quoniam despexit mc sol »*. « Speciosa » quidem est et possum invenire quomodo « speciosa » sit sponsa : quaerimus autem, quo­ modo « nigra » et sine candore sit « pulchra ». Paenitentiam egit a peccatis, speciem ei est largita conversio et ideo « speciosa » cantatur. Quia vero necdum omni peccatorum sorde purgata, necdum lota est in salutem, « nigra » dici­ tur, sed in atro colore non permanet ; fit et candida. Itaque quando ad maiora consurgit et ab humilibus incipit ad alta conscendere, dicitur de ea : « quae est ista, quae adseendit dealbata ? », Et quo manifestius perfecte mys­ terium describatur, non ait, ut in plerisque legitur : « in­ nixa super fratruelem suum », id est : « έπ’.ττηριζομένη », sed « έπιστηθιζομένη », id est : «super pectus eius recum­ bens » signi ficantcrque de anima sponsa et sermone dicitur sponso : « super pectus illius recumbens », quia ibi prin­ cipale cordis est nostri. Unde a carnalibus recedentes spi­ ritalia sentire debemus et intclligere multo melius esse sic amare quam ab amore desistere. « Adseendit » igitur a. LXX : Μίλχινά «tue καί κχλή, θυγατέρες Ιερουσαλήμ. ώς σκηνώματα Κηδχρ, ώς δ;ρρε·ς Σ χλωμών. Μή βλέψητί με, οτ: εγώ ε·μ·. μιμΛανωμβνη, δτ: ζαοέβλεψέν με ύ ήλιος * 1. Saint Jérôme emploie ici le mot Sermo, tonne qui servait, chez les an­ ciens Pères latins à traduire >4γος pour désigner lo Verbe. Tcrtullicn dit expressément que lu langue courante de l’Afrique du Nord traduisait λίγος par Sermo (Adv. Prax., S) · (Ch. Mohrmann, emprunts grecs dans la latinité chrétienne, duns Vigilia * chrlstianœ, oct. 1950, p. 20G). Dans le Cantique. saint Jérôme traduit λίγος tantôt par Verbum tantôt pur Scrmo, PREMIÈRE HOMÉLIE 71 β. A son tour, ΓÉpouse répond aux jeunes filles : « Je suis noire et toute cant., i, 5. belle, filles de Jérusalem », et nous apprenons du même coup que ces jeunes filles sont filles de Jérusalem. < Je suis noire, donc, et toute belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les courtines de Salomon. Ne regardez pas à ce que je sois devenue noire, puisque le soleil m’a décolorée ». Elle est vraiment toute belle et je trouverai facilement com­ ment l’Épouse est toute belle. Mais il nous faut rechercher comment étant noire, et sans blancheur, elle peut être belle. Elle a fait pénitence de ses péchés et sa conversion lui a donné sa beauté, c’est pourquoi on la chante toute belle. Mais parce qu’elle n’est pas encore purifiée de toute souillure des péchés, et n’a pas encore été lavée dans le bain du salut, on la dit noire, mais elle ne reste pas dans cette noirceur. Elle devient blanche. C’est pour­ quoi quand elle se lève vers de plus grandes choses, quand elle commence à monter de la bassesse de ce monde aux réalités plus élevées, il est dit d’elle : « Quelle est celle- cant., e. 5. ci qui monte revêtue de blancheur ?» Et pour expliquer davantage ce mystère. l’Écrilure ne dit pas, comme on le lit dans la plupart des manuscrits : « Appuyée sur son bien-aimé », έπιστηριζοιχενη, mais έπιστηΟι,ζοαένη, c’est-àdire « reposant sur sa poitrine »; c’est à dessein qu’on dit, de l’âme épouse et du Verbe Époux 1 : « reposant sur sa poitrine »2, parce que là réside la partie maîtresse qu’est notre cœur3. Nous éloignant donc des choses de la chair, nous devons goûter des choses spirituelles, et comprendre La noirceur de FÉpouse sans qu’on puisse toujours discerner la cause de son choix, comme c’est le cas ici. 2. Ia· sens parait être : c’est en croissant dans l’amour (elle monte repo­ sant sur sa poitrine), qu’elle se purifie, (devient blanche). 3. Principale cordis traduit d’ordinaire l’expression stoïcienne ήγςμονικόν (et H. de Lubac, Histoire et Esprit, p. 158). F. Bertrand croit déceler sous cette traduction, au moins en certains endroits le mot αρχηγός (L e.,p. 144). Λ en juger d’après les textes grecs d’Origène conservés» il semble plutôt que ήγεμο’Λχόν soit le mol habituel. Certains préfèrent traduire en français « partie princier© >. « faculté royale > (ef. H. Mi'jiat, Homélies sur les livres des Nombres (l'Ori'jïne, Éd. « Sources chrétiennes », p. 20, 72, 247). Nous avons préféré l’expression plus sobre : · partie maîtresse ». 72 HOMILIA PRIMA «recumbens super pectus fratruelis sui» et quae nunc in exordio cantici «nigra» ponitur, in epithalamii de ea fine cantatur : « quae est ista, quae adseendit dealbata ? » Intelleximus quomodo et « nigra » et « formosa » sit sponsa. Si autem et tu non egeris paenitentiam, cave, ne anima tua « nigra » dicatur et turpis et duplici foedi­ tate turperis « nigra » propter peccata praeterita, turpis propter hoc, quia in iisdem vitiis perseveres. Si vero paenitentiam egeris, « nigra » quidem erit anima tua propter antiqua delicta, propter paenitentiam vero ha­ bebit aliquid, ut ita dicam, Aethiopici decoris. Et quia semel Aethiopem nominavi, volo testem Scripturam et super hoc advocare sermone. « Aaron et Maria murmurant, quia Moyses Aethiopissam habeat uxorem ». Et nunc « Moyses Aethiopissam » ducit « uxorem », siquidem lex eius ad hanc nostram « Aethiopissam » transmigravit. « Murmuret » et « Aaron » sacerdotium ludaeorum, « mur­ muret » et « Maria » synagoga eorum, Moyses de mur­ muratione non curat, amat « Aethiopissam » suam, de qua et alibi dicitur per prophetam : « ab extremis flumi­ num Aethiopiae afferent hostias » et rursum : « Aethiopia praeveniet manus eius Deo ». Pulchre « praeveniet » ; quomodo enim in evangelio « mulier » illa, « quae san­ guine defluebat, archisynagogi filiam » curatione prae­ venit, sic et « Aethiopia n Istrahel aegrotante sanata est. « Illorum delicto salus gentibus facta est, ad aemulandum eos ». 1. La Loi est passée en l’éthiopienne du nouveau Moise, c'est-à-dire en PÊglise du Christ, rachetée de scs péchés et formée des Gentils. Ci. /fom., vi> 4, sur le Livre des Nombres : · Moysen. id est legem Domini, transisse ad! connubium Æthiopissæ huius, qua; ex Gentibus congregata est * (Éd. Bsehrens. PREMIÈRE HOMÉLIE 72 qu’il est beaucoup mieux d’aimer ainsi que de cesser d’aimer. Elle monte donc, reposant sur la poitrine de son bien-aimé, et celle qu'au début du cantique on procla­ mait noire, voici qu'on chante d’elle à la fin de l’épithalanie : « Quelle est celle-ci qui monte, revêtue de blan­ cheur ? » Cant., 8, 5. Application Nous avons compris comment l’Éà l’âme. pouse est à la fois noire et toute belle. L’Éthiopienne Mais si tu ne fais pénitence, prends garde qu’on ne dise de ton âme qu'elle est noire et laide, et que tu ne sois couvert de cette double honte, noire à cause de tes péchés passes, laide parce que tu persévères dans les memes vices. Si au contraire tu fais pénitence, ton âme sera noire à cause des fautes d’autrefois, niais à cause de ta pénitence, elle aura, pour ainsi dire, quelque chose d’une beauté éthiopienne. EL puisque j’ai prononcé le mot d'éthiopienne, je veux aussi évoquer le. témoignage de l’Écriture à cet égard. Aaron et Marie murmurent parce que Moïse a pris une épouse éthiopienne. Or le Nombr., 12. i. nouveau Moïse prend aussi une épouse éthiopienne ; sa Loi en effet est passée en notre Éthiopienne1. Murmure donc, Aaron, sacerdoce des Juifs, murmure aussi, Marie, leur synagogue ; Moïse ne se souvient pas de leurs mur­ mures ; il aime son Éthiopienne, dont il est dit ailleurs par le prophète : « Des parties les plus reculées des fleuves g·. & d’Éthiopie on apportera des offrandes », et encore : « L’É- soph.. ’ 3.” 10. thiopie devancera les mains d’Israël auprès de Dieu ». C’est bien dit : Devancera ; dans l’Évangile, en effet, cette femme qui avait un flux de sang devance, dans la guérison, la fille du chef de la synagogue ; de cette manière Mt- 9> 1S· l’Éthiopie est guérie tandis qu’ Israël est encore malade. ■. Par leurs crimes (d’Israël), a été opéré le salut des Gen­ tils, pour leur donner l’émulation ». Ron1- ’*· 1L t. VII, p. 36, 6). Dans son Hom. XI in Jercm., Origène applique ce verset ù l’ûmc : · Notre ûme est semblable aux Éthiopiens, etc. · (Êd. Klostermann, t. III, p. 8*1, 25). 73 HOM ILIA PRIMA n Nigra sum et speciosa, filiae Hierusalem ». Et tu. ecclesiastice, ad « filias Hierusalem » converte sermonem et dic : me plus amat sponsus ct magis diligit quam vos, quae multae estis : « filiae Hierusalem » ; vos foris statis ct sponsam « cubiculum » videtis intrantem. (Nemo dubitet nigram vocatam nigram esse formosam qui nos sumus, ut agnoscamus Deum, ut cantica cantici praedicemus, ut ab Aethiopiae finibus, ab extremo terrae venerimus sapientiam veri audire Solomonis.| Et quando Salvatoris vox intonantis auditur : « regina Austri veniet in indicium et condemnabit homines gene­ rationis huius, quia venit a finibus terrae audire sapien­ tiam Solomonis, ct ecce plus Solomone hic », audi mystice quae dicuntur. « Regina Austri venit a finibus terrae » ecclesia « ct condemnat homines generationis huius », id est ludaeos carni et sanguini deditos. « Venit a finibus terrae audire sapientiam » non « Solomonis » illius, qui in testamento veteri praedicatur, sed huius, qui in evangclio « Solomone maior » est. n Nigra sum et speciosa, filiae Hierusalem », « nigra ut tabernacula Cedar », « spe­ ciosa ut pelles Solomonis ». Ipsa quoque nomina cum sponsae decore conveniunt. Aiunt Hebraei « Cedar » interpretari tenebras. « Nigra sum » ergo « ut tabernacula Cedar », ut zlethiopcs, ut tentoria Aethiopica, « speciosa ut pelles Solomonis », quas eo tempore in tabernaculi ornamenta composuit, quando templum summo studio 1. L'application à l’Èglise, exaltation de l'humanité pécheresse, des paroles < Je suis noire mais belle » est aisée. La mémo application ù Marie, que fait pourtant la liturgie en disant d’elle les mêmes paroles, a tourmenté les théologiens. Cornélius à lapide, dans son riche commentaire sur le Cantique (Éd. Vivès, t. VII, p. 495) dit simplement : ■ B. Virgo nigra non fuit in se, sed in paire suo Adam, qui peccavit ct peccato totam suam poste­ ritatem (excepta B. Virgine) infecit ·. El il cite saint Ambroise (Scrm. II PREMIÈRE HOMÉLIE 73 . « Je suis noire et toute belle, filles à PéÏ10” c1c Jérusalem *· Et toi aussi» en tant â S se d’Église2, adresse tes paroles aux filles de Jérusalem et dis : L’Époux m’aime davantage, il inc chérit plus que vous, nombreuses filles de Jérusalem. Vous demeurez en dehors ct vous voyez l’Épouse entrer dans l’appartement. [Que personne ne doute que celle qui est appelée noire, ne soit la belle noire que nous sommes. Ne sommes-nous pas appelés à connaître Dieu, à chanter le Cantique des Cantiques, à venir du fond de l’Éthiopie et des extrémités de la terre pour entendre la sagesse du véritable Salomon ?] 3. Et lorsque sc fait entendre la voix retentissante du Sauveur : « La Reine du Midi comparaîtra au jugement et condamnera les hommes de cette génération, car elle vint des extrémités de la terre écouter le sagesse de Salo­ mon, ct voici qu’il y a plus ici que Salomon », entends Mc., 12. 42. le sens caché de ces mots. La Reine du Midi vint des extré­ mités de la terre — c'est ΓÉglise — et elle condamne les hommes de cette génération, c’est-à-dire les Juifs, asser­ vis à la chair et au sang. Elle vint des extrémités de la terre entendre la sagesse non du Salomon qui est nommé dans l’Ancien Testament, mais de celui qui, dans l’Évan­ gile, est plus grand que Salomon. « Je suis noire ct toute belle, filles de Jérusalem ; noire comme les tentes de Cédar, toute belle comme les courtines de Salomon ». Ces termes s’accordent également avec la beauté de l’Épouse. Suivant les Hébreux, Cédar a le sens de ténèbres. Je suis donc noire comme les tentes de Cédar, comme les Éthio­ piens, c’est-à-dire comme, les tentes des Éthiopiens, toute belle comme les courtines de Salomon, celles qu’il fit La Reine de Saba in px. 118) : · C«ro peccatrix quam relegavit Eva. recepit ex Virgine» suscepit ex Maria primaevam suam puritatem ct decorem ». 2. « en hint que d’Églisc · (ccclrsiastice) (ci. plus loin p. 77. note 2). 3. Selon Bæhrcn.% (h. 1. p. 37 ct sv.) se référant aux variantes des manus­ crits» la phrase mise entre crochets serait une glose. Il ponctue · formosam. Qui » ; le point nous paraît de trop. 74 HOMILIA ΡΙΠ.ΜΑ et labore fabricatus est. Dives quippe fuit Solomon et in omni sapientia illius nemo praecessit illum. « Nigra sum et speciosa, fdiae Hierusalem, ut taberna­ cula Cedar, ut pelles Solomonis. Ne intueamini me, quia ego sum denigrata . Satisfacit de nigrore suo et per pao· nitentiam ad meliora conversa adnuntiat se « filiabus Hierusalem nigram » quidem esse, sed pulchram b, secundum quod superius exposuimus, et dicit : « ne intueamini me, quia ego sum denigrata ». Ne, inquit, admiremini coloris esse me taetri, « sol despexit me ». Pleno quippe radio in me luminis sui fulgor illuxit ct cius sum calore « fuscata ». Neque enim, ita ut decuerat et solis dignitas expetebat, illius in me lumen excepi ; « delicto eorum salus gentibus facta est » et rursum : « incredulitate gentium scientia Istrahel ». Habes utrumque apud Apostolum. 7. « Filii matris meae pugnaverunt adversum me ». Considerandum, quomodo sponsa dicat: « filii matris meae pugnaverunt adversum me ** » ct quando « adversum » eam fratrum pugna surrexit. Vide mihi Paulum ecclesiae « persecutorem » ct intclliges quomodo « filius matris » eius » « pugnaverit contra » eam. Persecutores ecclesiae egerunt pacnitentiam et adversarii eius rursum ad sororis signa conversi « praedicaverunt fidem, quam ante des­ truebant ». Hoc prophetico spiritu sponsa nunc cantans ait : « dimicaverunt in me. posuerunt me custodem in vincis, vineam meam non custodivi »b. Ego ecclesia, ego sponsa, ego « sine macula », plurimarum « custos » a. LXX : uUl μου έμχχέσχντο l·» έμοί· b. LXX : ίβεντό με *φυλάκ .τ:χν χμΈβλωσιν άμζδ/.ώνχ έμύν out PREMIÈRE HOMÉLIE 74 faire en ce temps-là, pour orner le tabernacle, quand, avec m roî5. 5. 3. un très grand soin ct un immense travail, il lit ériger le Temple. Salomon était riche, en effet, et, dans toute sa sagesse, personne ne le surpassa. « Je suis noire et toute belle, fdles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les courtines de Salomon. Ne regardez pas à ce que je sois devenue noire». Elle s’excuse de sa noirceur, et, revenue par la repentance à un état meilleur, elle se déclare aux filles de Jérusalem noire mais belle, suivant notre exposé précédent, ct elle dit : « Ne regardez pas à ce que je sois devenue noire ». Ne vous étonnez pas de ma sombre couleur, le soleil m’a dédaignée ; car il a dardé sur moi ses feux à pleins rayons, et sa chaleur m’a brunie L Ce n’est point, en effet, comme il convenait, et comme l’exigeait la dignité du soleil que j’ai reçu sa lumière. « C’est de leur faute (des Juifs) qu’est Rom., h, ii. venu le salut aux Gentils », ct c’est d’autre part « de l’in- Rom., 11, 31. crédulité des Gentils que viendra la connaissance à Israël ». L'un et l’autre sont chez l’Apôtre. 7. « Les fils de ma mère ont com-car.t„ 1.6. Les ennemis battu contre moi ». Il faut considérer en quel sens l’Épouse dit : « Les fils de ma mère ont combattu contre moi ». Quand la querelle de ses frères s’éleva-t-elle contre elle ? Pour comprendre comment les (ils de sa mère ont combattu contre elle, il 1 >. *·>· faut considérer Paul persécuteur de l’Église 1 2. Les persé­ cuteurs de l’Église se sont repentis, et ses adversaires, revenus aux étendards de leur sœur, ont prêché la foi o»i, 1, 23. qu’ils avaient essayé de détruire. C’est ce que chante maintenant l’Église, dans un esprit prophétique : « Ils ont, dit-elle, combattu contre moi, ils m’ont placée comme Cam., 1. 6. 1. Origène s'expliquait autrement sur ceci clans son grand commentaire (Èd. Bæhrens, p. 125 ct sv.) < Non de nigredine corporis fleri sermonem, quod utique sol infuscare et denigrare solet cum respicit... Contrarii vero ordinis est anima· nigredo, nant neque adspeclu sed despectu solis inuritur >. 2. Les nombreuses allusions d’Origcuc au peuple juif s'expliquent par le fait qu’en son temps et dans son milieu judéo-hellénistique les discussions entre Juifs ct chrétiens étaient fréquentes, et ceux-ci avaient à établir, d’après les Saintes Ecritures, la valeur de leur témoignage. 75 HOM I LI A PRIMA sum posita « vinearum » a « filiis matris meae », qui « con­ tra me » aliquando « pugnaverant ». Qua sollicitudine curaque districta, dum plures « custodio vincas, meam vineam non servavi ». Intelligc mihi hoc de Paulo et alio quocumque sanctorum, qui pro omnium sit salute solli­ citus, et videbis, quomodo suam « vineam » a non custo­ diens » aliorum « vineta custodiat » ; quomodo, ut alios « lucrifaciat », ipse in quibusdam damna sustineat et, « cum fuerit liber ex omnibus, omnibus se ipsum servum fecerit, ut omnes lucrifaceret, factus infirmis infirmus, Judaeis Judaeus, his qui sub lege erant, quasi sub lege » et cetera, dicatque : « vineam meam non custo­ divi ». Deinde conspicit sponsum, qui conspectus abscedit. Et frequenter hoc in loto carmine facit, quod, nisi quis ipse pa­ tiatur, non potest intelligere. Saepe, Deus testis est, sponsum mihi adventare conspexi et mecum esse quam plurimum ; quo subito recedente, invenire non potui quod quaerebam. Rursum igitur desidero eius adventum et nonnumquam iterum venit ; et cum apparuerit meisque fuerit manibus comprehensus, rursus dabitur et, cum fuerit elapsus, a me rursus inquiritur et hoc crebro facit, donec illum vere teneam et adseendam « innixa super fratruelem meum ». 8. « Adnuntia mihi, quem delexit anima mea, ubi pascis, ubi cubas in meridie»-. Non quaero alia tempora, quando vespere, quando diluculo, quando in solis pascis occubitu ; illud tempus inquiro, quando florente die, n. l.XX : ΑπάγγίΜόν μοι, TcoO χοιτάζης ίν μεσημβρία. ΐ,γβπησεν η ψυχή μου, πού κο *.μαίν«κ, PREMIÈRE HOMÉLIE 75 garde dans les vignes, je n’ai pas gardé ma propre vigne ». Moi, l’Églisc, moi l’Épouse, moi sans tache, j’ai été établie Êpb.. s. 27. gardienne de plusieurs vignes par les fils de ma mère qui ont jadis combattu contre moi. Tiraillée par ces soins et ces inquiétudes, veillant sur plusieurs vignes, je n’ai point gardé la mienne. Applique ceci à Paul et à tous ces saints préoccupés du salut de tous, et tu verras comment, sans garder sa vigne, il a gardé celle des autres ; comment aussi pour en gagner d’autres, lui-même consentit à certaines pertes, et, libre qu’il était entre tous, il s’est fait serviteur i cor., 9,19.22. de tous pour les gagner tous, devenu faible avec les faibles, Juif avec les Juifs, pour ceux qui sont sous la loi comme l’étant lui-même, etc. Il pouvait dire : «Je n’ai pas gardé ma propre vigne ». Ensuite, elle cherche du regard l’Époux, qui, après s’être montré, a disparu. Cela arrive souvent, dans tout ce cantique, et seul peut le comprendre qui l’a lui-même éprouvé. Souvent, Dieu m’en est témoin, j'ai senti que l’Époux s’approchait de moi, et qu’il était autant qu’il se peut avec moi ; puis il s’en est allé soudain, et je n’ai pu trouver ce que je cherchais x. De nouveau je me prends à désirer sa venue, et parfois il revient ; et lorsqu’il m’est apparu, que je le tiens de mes mains, voici qu’une fois de plus il m’échappe et une fois évanoui, je me mets encore à le rechercher12. Il fait cela fréquemment, jusqu’à ce que je le tienne vraiment et que je monte appuyée sur mon Cant. 8. bicn-aimé. Disparition de l’Époux 5. 8. « Annonce-moi, toi qu’aime mon Cant- ’·7· âme, où tu fais paître, où tu reposes à midi ». Je ne cherche point d’autres moments, quand tu fais paître le soir, le matin ou au couLe repos du Midi 1. Cette phrase est un des rares endroits ou l’on rencontre, dans les écrits des Pères, la mention d’un phénomène mystique en référence à une expé­ rience personnelle. Elle ressemble étrangement aux relations des mystiques modernes (ci. A. Stolz, Théologie de la Mystique, 2· éd. p. XIII-X1V). 2. Cf. sur cette idée F. Bertrand, Mystique de Jésus chez Origène, p. 12G. 76 HO.MILIA PRIMA quando plena luce in maiestatis tuae splendore versaris. « Adnuntia mihi, quem dilexit anima mea, ubi pascis, ubi· cubas in meridie ». Diligenter observa, ubi « meridiem » legeris..Apud Joseph « meridie » fratres prandium cele­ brant, angeli « meridie » Abrahac suscipiuntur hospitio,, et cetera istiusmodi. Quaere et invenies scripturam divi­ nam non frustra et fortuitu unumquemque usurpare, sermonem. Quis putas est dignus e nobis, ut ad « meri­ diem » usque perveniat et videat, « ubi pascat, ubi cubet · sponsus « in meridie » ? Adnuntia mihi, quem dilcxil anima mea, ubi pascis, ubi cubas in meridie ». Nisi enim « mihi » tu · adnuntiaveris », incipio errabunda iactari et,dum te quaero, « in » aliorum « greges incurrere » et. quia alios erubesco, faciem meam atque ora contegere. Sum quippe sponsa « formosa » et alii nudam faciem non os­ tendo nisi tibi soli, quem iam pridem deosculata sum. « Adnuntia mihi, quem dilexit anima mea, ubi pascis, ubi cubas in meridie, ne quando fiam sicut cooperta super greges sodalium tuorum ». Ut ista non patiar, « ut non fiam cooperta », ut ora non contegam et ad alios usque perveniens incipiam forsitan et eos amare, quosï nescio, idcirco « adnuntia mihi, ubi » te quaeram et inve-3 niam « in meridie », « ne » forte « fiam quasi cooperta super greges sodalium tuorum »a. 9. Post haec verba sponsus ei comminatur et dicit : aut « cognosces temet ipsam », quoniam regis es sponsa et « formosa » et a me facta « formosa », ego siquidem « exhibui mihi gloriosam ecclesiam non habentem macu­ lam neque rugam » ; aut scito quia « si te non cognoveris » a. I.XX : •xf-'ί-ΐ γίνωμχ·. ώς «ταίρων σου. PREMIÈRE HOMÉLIE 76 cher du soleil. Je cherche ce temps-là, quand, dans la splendeur du jour, tu te trouves en pleine lumière dans 1 eclat de ta majeste. « Annonce-moi, toi qu'aime mon âme, où tu fais paître, où tu reposes à midi ». Remarque avec attention les endroits où tu lis: midi. Dans l'histoire de Joseph, c'est à midi que les frères prennent leur repas; Gcn..4 *.i «.2$. les anges reçoivent à midi l’hospitalité d'Abraham, etGen.,18, i. il y a d’autres mentions semblables1. Cherche et tu trou­ veras que la divine Écriture n’emploie pas chaque mot sans raison, au hasard. Qui, penses-tu, est digne parmi nous d’atteindre au midi pour voir où l’Époux fait paître et où il repose à midi ? « Dis-moi, ô toi qu’aime mon âme, où tu fais paître, où tu reposes à midi ». Si lu ne me l’an­ nonces, je vais errer de tous côtés et, te cherchant, je tomberai sur les troupeaux des autres pasteurs. Or, tout autre que toi me gêne, et je me voile le visage12. Car je suis une épouse très belle, et je ne montre point mon visage à découvert, sinon à toi seul, que j’ai baisé depuis longtemps. « Dis-moi, ô toi qu'aime mon âme, La Fidélité de où tu fais paître, où tu reposes à midi, l’Épouse de peur que je ne devienne comme c*nt., i 7. voilée devant les troupeaux de tes compagnons ». Pour m'éviter ce sort, pour que je ne sois point voilée, que je ne couvre point mon visage, et que, venant à d’autres peut-être, je ne commence d’aimer ceux que je ne connais point, dis-moi où je te chercherai, où je te trouverai à midi « de crainte que je ne devienne comme voilée devant les troupeaux de tes compagnons ». eant., i 7. θ· ccs m°ts, l’Époux la menace et lui dit : Ou bien tu te> connaîtras toi-meme, car tu es une épouse royale, toute belle, et c’est moi qui t'ai faite toute belle, puist „€.δ η * 1. Cf. Hom, III sur la Gcncsc : · Lut ne pouvait pa* recevoir la pleine lumière du midi, tandis qu*Abraham, lui, était capable de recevoir tout l’éclat de la lumière (plénum fulgorem lucis) ». Ed. « Sources chrétiennes», p. 125-126. 2. faciem et om, pléonasme en latin, le serait aussi en français : nous n’avons mis qu’un seul terme» · visage ·. 77 HOMILIA PRIMA et tuam nescieris dignitatem, patieris haec quae sequun­ tur. Quaenam ista sunt ? « Si non cognoveris temet ipsam, o pulchra in mulieribus, egredere tu in vestigiis gregum, et pasce » non greges ovium, non agnorum, sed « haedos tuos » Λ. « Statuet » quippe « oves a dextris et a sinistris haedos ». « Si non cognoveris temet ipsam, o pulchra in mulieribus, egredere tu in vestigiis gregum, et pasce haedos tuos in tabernaculis pastorum » 11. « In vestigiis » inquit « pastorum » novissima fies, non inter « oves », sed inter « haedos tuos », cum quibus habitans non poteris mecum, id est cum « bono » esse « pastore ». 10. « Equitatui meo in curribus Pharao assimila vi te »c. Si vis intclligcrc, o sponsa, quomodo «scire te» debeas,s cognosce cui te « comparaverim », et tunc videbis talem te esse, quae turpari non debeas, cum tuam speciem recognoveris. Quid est igitur : « equitatui meo in curribus Pharao assimilavi te » ? Scio ego equitem sponsum pro­ pheta dicente : « et equitatio eius salus ». « Assimilata es » ergo « equitatui meo in curribus Pharao ». Quanto differt «equitatus meus », qui sum Dominus ct «demergo in fluctibus Pharaonem et tristatas eius et adseensores eius et equos cius et currus cius » — quanto, inquam, differt « equitatus meus » ab equis « Pharao », tanto tu melior es omnibus filiabus, tu sponsa, tu ecclesiastica anima, omnibus animabus quae non sunt ecclesiasticae. Igitur si ecclesiastica anima cs, omnibus animabus es melior ; si non es melior, non es ecclesiastica. « Equitatui meo in curribus Pharao assimilavi te, proxima mea » '. η. LXX : Eiv μη yw; σ«αυτή·η ή ζάλη έν γυναιξίν, σύ ΐν ζτίρυακ των τοςμνίων b. LXX : ζα’. ποίμα·.·/« τάζ ερίφους “ου Η: σκηνώμασι τών ΐζοιμίνων. c. Ι.ΧΧ : τή ΐχποι μου ίν *άρμα ·. Φαραώ ώμοίωσά re, d. LXX : ή πλησίον μου. PREMIÈRE HOMÉLIE 77 que je me suis fait une Église glorieuse, sans tache Éph., 5, 27 ni ride, ou bien sache que, si tu ne te connais toimême, si tu ignores ta dignité, tu subiras ce qui suit h Quel est ce sort ? « Si tu ne te connais toi-même, ύ belle entre les femmes, sors sur les traces de tes troupeaux, cant., t, g. ct fais paître » non plus les troupeaux des brebis ct des agneaux, mais « tes boucs ». Il placera, en effet, les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. « Si tu ne te connais ml. 25. jj. toi-même, ô belle entre les femmes, sors sur les traces de tes troupeaux, ct fait paître tes boucs parmi les tentes des pasteurs ». Sur les traces des pasteurs, est-il dit, tu cant.. 1. g. deviendras la dernière, non pas avec les brebis, mais avec tes boucs. Demeurant avec eux, tu ne pourras être avec moi, c’est-à-dirc avec le bon Pasteur. Jn, 10, u. comPaiæe 11 ma cava“ lcric au milieu des chars de Pharaon ». cam.. 1. 9. . . . , Si tu veux comprendre, ύ mon Epouse, comme il faut te connaître, apprends à quoi je t’ai com­ parée ; alors tu verras que, connaissant ta beauté, tu ne dois point te souiller. Qu’est-ce donc : « Je t’ai com­ parée à ma cavalerie au milieu des chars de Pharaon d ? Je sais que l’Époux est un cavalier, puisque le prophète dit : « sa chevauchée est le salut ». Tu es donc comparée iiabac.. 3. s. ù ma cavalerie au milieu des chars de Pharaon. Autant l’emporte ma cavalerie à moi, qui suis le Seigneur — à moi qui plonge dans les flots Pharaon et ses capitaines, b»·, u, i. ses cavaliers, ses chevaux et ses chars —, autant dis-je, ma cavalerie J’emporte sur celle de Pharaon, autant tu dépasses toutes les filles, ô toi Épouse, ô toi âme ecclé­ siale 2, comparée à toutes celles qui ne le sont pas, corn- Les Chars ,de Pharaon 1. Il semble bien qu'il s’agisse ici d'une ignorance de soi qui équivaut à une infidélité ù la conscience. Origène parle en effet d’une certaine « intros­ pection » (πρός σ:αυτής έπιστρίψβιαζ γνώσιν) dans le texte du Grand Commentaire cité par Procope (Éd. Bæhrcns, vin, p. 142, 29). 2. Le terme έχχλησιαστςχός, quo saint Jérôme et Rufin traduisent litté­ ralement par ecclesiasticus, est très souvent employé par Origène pour dési­ gner des choses hiérarchiques (ordres, honneurs, fidèles) et mystagogiques (dogmes, mystères, ici · Ame »). Ce tonne s’oppose parfois ù hérétique (cf. A. PURCfl, Histoire de la littérature grecque. chrétienne, t. II, p. 384), ct signifie parfois aussi une appartenance plénière à l'ÉgUse, l’Épouse du Christ, et OHIGftNK 7. 78 HOM I LIA PRIMA Deinde pulchritudinem sponsae spiritali amore des * cribit. « Genae tuae ut turturis »a. Faciem illius laudat et « genarum » rubore succenditur. Pulchritudo quippe mulierum in genis dicitur esse quamplurima. Itaque et nos pulchritudinem animae intelligamus in «genis » ; labia vero eius et linguam intclligentiam praedicemus. « Collus tuus monile »b. Ut ornamentum, quod solet virginum pendere « collo « et nuncupatur όραίσκος, ita sine hoc decore tuus ipse (ci. le texte grec). (Voir dans le grand Commontaire·, Éd. Bæhrens, t. VIII, p. 153). Tortures serait plus conforme au grec, mais aucune variante ne le donne. b. LXX : τρί/7,/.«ίς cou ώς ορμίσκοι. c. LXX : ομοιώματα χρυσίου ζοιήσομίν co: μετά στιγμάτων του αργυρίου. aux choses de l’Époux. C’est dans ce sens qu’il est pris ici ; nous l’avons traduit par ecclésial, expression qui rend mieux que ecclésiastique la nuance qu’il comporte. Saint Athanase emploie aussi CO terme dans le même sens (ci. G. MuerxBft, Lexicon alhanasianum, i 452, qui traduit · ad ecclesiam rcligionemvc Christi pertinens ·). Saint Augustin l’emploie aussi également (De Sermone Domini in monte, 1. 1, η. 5. Cf. II. dk ï.uhac, Histoire et Esprit. p. 437. — Sur l’expression ecclesiasticus, anima ecclesiastica, et. Ibid., p. 62 et 317). j 1 I I 1 Ί '1 PREMIÈBE HOMÉLIE 78 parée à toutes celles qui n’appartiennent pas à l’Église. Donc si Lu es une âme ecclésiale, tu es meilleure que toutes les âmes ; si tu n’est pas meilleure, tu n’es pas âme ecclé­ siale. « Je te compare à ma cavalerie, au milieu des chars de Pharaon, toi ma toute proche ». cane, i. 9. . Il décrit ensuite, avec un amour cscnp ira spirituel, la beauté de son Épouse : c pouse o joues sont celles d’une tourte-cant., 1,10. relie ». 11 loue son visage, et s’enflamme à la rougeur de ses joues. C’est aux joues surtout qu’apparaît la beauté d’une femme. Entendons donc par les joues la beauté de l’âme ; dans les lèvres et la langue, nous pour­ rions voir l’intelligence. « Ton cou est un collier ». Pareil donc à cet ornement Canui. 10. suspendu d’ordinaire au cou des jeunes filles, et qu’on appelle όραίσκο; (petit collier), ainsi, sans cette parure, ton cou lui-même est un ornement. Après cela, l’Époux entre dans son Le Repos du Roi repos. Il repose comme le lion et s’en­ dort comme le lionceau, afin qu’il puisse entendre ensuite : « Qui le réveillera ? a1. Durant Nomb., 24,9. son sommeil, les compagnons de l’Époux, les anges, ap­ paraissent à l’Êpouse et la consolent en disant : Nous ne pouvons te faire des ornements d’or, nous ne sommes point aussi riches que ton Époux qui te donne un collier d’or. Nous ferons des imitations d’or, car nous n’avons Canui.n. point d’or. Il te faut pourtant te réjouir aussi de ce que nous te fassions des imitations d’or avec des rehauts d’ar­ gent. Nous te ferons donc « des imitations d’or avec des rehauts d’argent », mais pas toujours, seulement jusqu’à ce que ton Époux se lève de son repos. Lorsqu’il sera 1. Sur le lion et le lionceau, voir plus loin, p. 81, note 1. 79 HOM Π. IA PRIMA pore, scd « donee » sponsus tuus consurgat a « cubitu a. Si enim ille surrexerit, ipse « tibi aurum », ipse « faciet argentum », ipse tuam mentem sensumque decorabit, et eris vere dives in sponsi domo sponsa « perfecta », « cui gloria in saecula saeculorum. Arnen ! » f PREMIÈRE HOMÉLIE 79 éveillé, il le fera, lui, de l’or, il te fera de l’argent ; c’est lui qui ornera ton esprit et ton entendement ; et tu seras vraiment riche, Épouse parfaite, dans la maison de l’É­ poux, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Amen. «ébr.. ia, ai. HOMILIA SECUNDA Ab co loco, in quo scriptuni est : « nardus mea dedit odo­ rem suum » : usque ad eum locum, in quo ait : « quia vox tua suavis, ct forma tua speciosa ». 1. Omnes animae motiones universitatis « conditor Deus » creavit ad bonum, sed pro usu nostro fit saepe, ut res, quae bonae sunt per naturam, dum male eis abu­ timur, nos ad peccata deducant. Unus de animae motibus amor est, quo bene utimur ad amandum, si sapientiam amemus ct veritatem ; quando vero amor noster in peiora corruerit, amamus carnem et sanguinem. Tu igitur, α ut spiritalis », audi spiritaliter amatoria verba cantari et disce motum animae tuae et naturalis amoris incendium ad meliora transferre secundum illud : « ama illam, et servabit te, circumda illam et exaltabit Lc ». » Viri, diligite uxores vestras » ait Apostolus, sed non stetit in eo, quod dixerat : « viri, diligite uxores vestras », verum sciens esse dilectionem virorum in propriis quoque uxoribus inhonestam, sciens esse et placentem Deo, docuit quomodo « viri uxores suas amare « deberent, inferens : c viri, diligite uxores vestras, sicut ct Christus ecclesiam ». Et haec quidem in prooemio eorum quae postea disse­ renda sunt, diximus. 1. Littéralement, δημωυργός, « constructeur ». 2. Sc reporter ù cc qui n été dit dans Γ Introduction sur les deux amours. On trouvera sur le terme anior employé par saint Jérôme pour traduire DEUXIÈME HOMÉLIE Depuis l’endroit où il est écrit : « Mon nard a donné son odeur », jusqu’à : «2 d’argent. C’était là, ta termes voilés», l’annonce de la passion de l’Époux. Aussi, la réponse de l’Épouse n’est pas déraisonnable. Comprenant elle aussi quelque chose à l’économie de la passion, k ce qu’elle a entendu : « Nous te ferons des imitations d'(>, avec des rehauts d'argent, tant que le Roi est dans son repos », elle répond : a Mon nard a donné son odeur. Mon bien-aimé est pour moi un cant. », «M3, bouquet de myrrhe ; il demeurera entre mes seins »3. Comment adapterons-nous donc à ce qui précédait : « Tant que le Roi est dans son repos », ce qui vient main­ tenant : « Mon nard a donné son odeur » ? I a nécheresse évangile dit que vint « une femme i . au vase d’albâtre plein du parfum d’un Mt./26. 6e ain e nard véritable d’un grand prix » ; ce n’est pas de la pécheresse, mais de la sainte que je parle 4. Je sais que Luc parle d’une pécheresse. Mais Matthieu, ia”-7· 37‘ &oit capable de faire lever le lion, l’Époux. C’est par amour pour elle qu’il s'est abaissé, qu’il s’est levé, a combattu ct a reposé. — Mais sa pensée va plus loin encore. L’Épousc a raison d’apporter des parfums, ■ lorsque le Roi (son Époux, le lion) est dans le repos », c’cst-à-dire dans sa mort. C’est l'embaumement du sépulcre qui est suggéré Ici, ct qui explique Ja suite du texte. 2. Littéralement « en d’autres termes », en tenues différents de · passion ». 3. Origène vient trop tôt dans la tradition pour qu'on puisse voir ici une allusion à une Field. Cependant, ce qu’il dit dans le paragraphe sui­ vant, et le nom qu’il met avec insistance, comme venant de Jean, sur la femme qui a répandu le parfum (« C’était Marie >), pourrait peut-être si­ gnifier la première ct lointaine relation entre l’Épousc du Cantique et la Vierge. — Notons à titre d’information, le profond article de S. Bulgakov, La Croix et la Afère de Dieu (en russe), dans le recueil BoQixdovskaju MysV (Paris. 1942), où sont cités les textes liturgiques relatifs à Ja par­ ticipation de Marie aux souffrances du Christ, dans la perspective même de notre remarque. 4. Sur la pécheresse et la non-pécheresse, voir cc qui a été dit plus haut (P· hom., p. 67). 82 HOMILIA SECUNDA et lohannem et Marcum non de « pec^^r*ce * dixisse. « Venit » ergo non « peccatrix» illa, sedsp|cta» cuius nomen quoque Iohannes inseruit — « Maria · φπρρβ erat —, et « habens alabastrum unguenti pistic pretiosi » « effudit super caput » Icsu. Deinde super hor/ indignantibus » non omnibus discipulis, sed « Inda » sc-0 et « dicente : potuit venumdari denariis trecentis et dari pauperibus » res­ pondit magister noster atque Salvator : c semper pau­ peres habetis vobiscum, me vero non semper habebitis vobiscum. Praeveniens quippe haec in diern sepulturae meae fecit. Ideo ubicumque praedicatum fuerit evangelium istud, dicetur et quod fecit haec, in memoriam cius ». In figuram ergo istius, quae nunc loquitur : « nardus mea dedit Odorem suum », illa « super caput » Domini « fudit unguentum ». Et tu igitur assume α nardum », ut, post­ quam « caput » Icsu suavi odore «perfuderis», possis au­ denter effari : « nardus mea dedit odorem suum » et Icsu reciprocum audire sermonem quia : « ubicumque prae­ dicatum fuerit cvangelium istud, dicetur et quod fecit haec, in memoriam eius », tuo quoque facto in universis gentibus praedicato. Quando autem hoc facies ? Si factus fueris ut Apostolus ct dixeris : « Christi bonus odor sumus in omni loco in his qui salvantur», bona opera tua «nardus» sunt. Si vero peccaveris, peccata tua taetro odore redo­ lebunt ; dicit quippe paenitens : « computruerunt et cor­ ruptae sunt cicatrices meae a facie insipientiae meae ». Non de « nardo » propositum est nunc sancto Spiritui di­ cere neque de hoc, quod oculis intuemur, evangelists scripsit « unguento », sed de « nardo » spiritali, dc « nardo », quae « dedit odorem suum ». SECONDE HOMÉLIE 82 Jean et Marc ne parlent pas d’une pécheresse. Elle vint ml, 26. donc — non la pécheresse, mais la sainte, celle dont Jean jn. 12. 3. . " a inséré le nom : c’était Marie. Elle avait un vase d’albây tre, plein du parfum véritable d’un grand prix, elle le Mc· ,4' répandit sur la tête de Jésus. Ensuite, alors que les disci­ ples s'indignaient (non pas tous, Judas seul s’indigna et Jn· 12· 4fut le seul à dire : « On aurait pu le vendre trois cents jn, 12, f. deniers et donner ceux-ci aux pauvres »), notre Maître et Sauveur répondit : « Vous aurez toujours des pauvres ml, 26. 11-13. avec vous, mais moi vous ne m’aurez pas toujours avec vous. Et c’est en prévision du jour de ma sépulture qu’elle a fait cela. Aussi partout où cet évangile sera prêche, ce qu’elle a fait sera raconté en mémoire d'elle ». C'est pour être la figure de celle qui dit ici1 : « Mon nard a donné son parfum », que Marie a répandu le parfum sur la tête du Seigneur. Toi aussi, donc, prends le nard, et après que tu l’auras répandu en suave odeur sur la tête de Jésus, tu pourras dire avec assurance : « Mon nard a répandu son odeur 0 ; et tu pourras entendre cette réponse de Jésus : que « partout où sera prêché cct évangile, on ml. 26. 13. dira, en sa mémoire, ce qu’elle a fait»; ton geste sera aussi proclamé à toutes les nations. Mais quand donc feras-tu cela ? Lorsque, devenant comme l’Apôtre, tu diras : « Nous sommes la bonne odeur du Christ en tous π cor.. 2, 1$. lieux pour ceux qui sont sauvés », c'est alors que tes bonnes œuvres seront un nard. Si tu pèches, au contraire, tes péchés exhaleront une odeur repoussante. Le pénitent dit en effet : « Mes cicatrices se sont putréfiées et corrom- p».. 37, 6. pues en présence de ma folie ». L’Esprit-Saint n’avait donc pas l’intention de parler ici du nard ; l’évangéliste n’a pas écrit non plus de ce parfum que nous pouvons voir de nos yeux, mais d’un nard spirituel, d’un nard qui a donné son odeur. 1. Saint Jérôme traduit : ht flpuram ; allusion» nous l’avons dit, à la sépulture du Christ et au tombeau aromatisé par les saintes femmes. Notons ici» à propos de Mûrie» que la tradition grecque n’a jamais identifié Marie de Magdala, comptée parmi les myrophorcs, avec la pécheresse dont les évangiles taisent le nom. Cette identification n’a été faite que dans la tradi­ tion latine, à la suite d’une interprétation peu fondée de saint Grégoire le Grand f/Zom. 33 in Εραηρ.» P. L.» 76, 1239). 83 HOM I LIA SECUNDA 3. « Fasciculus stactes » — id est guttae sive stillae — « fratruelis meus mihi ». « Guttam, unguem, casiam, galbanum » in Exodo legimus praecepto Dei in « thymia­ ma », in sacerdotale chrisma, confecta. Si ergo videris Salvatorem meum ad terrena et humilia descendentem, videbis, quomodo a virtute magna et maiestate divina ad nos modica quaedam « stilla » defluxerit. De hac « stilla » et propheta cecinit dicens : « et erit de stilla populi huius congregandus congregabitur lacob ». Et sicuti secundum alium sensum « lapis erat praecisus e monte sine manibus » nostri in carne Salvatoris adventus —, neque enim totus « mons » fuit, qui descendit ad terras nec poterat humana fragilitas totius « montis » magnitudinem capere, sed « lapis ex monte», «lapis offensionis, petra scandali» descendit in mundum —, sic secundum alium intellectum « stilla » nuncupatur. Oportebat quippe, ut, quia « omnes gentes in stillam situlae reputatae sunt », is qui pro omnium sa­ lute factus est omnia, etiam «stilla» ad eas fieret liberandas. Quid enim pro nostra salute non factus est ? Nos inanes et ille « exinanivit semet ipsum formam servi accipiens ». Nos « populus stultus et non sapiens », et ille factus est « stultitia praedicationis », ut «fatuum Dei sapientius fieret hominibus ». Nos infirmi, « infirmum Dei fortius hominibus factum est ». Quia igitur universae « gentes ut stilla situlae et ut momentum staterae reputatae sunt», idcirco factus est « stilla », ut per cum « a vestimentis » nostris odor « stillae » procederet iuxta illud: «myrrha et stilla et casia a vestimentis tuis, a domibus elephantinis, L · Goutte >. Saint Jérôme avait traduit : fasciculus stades, id est guttœ sive stillœ. Le mot στακτή (goutte de myrrhe) qn’Origène retrouvera dansl’Exodc (30, 34) oü il correspond à l'hébreu mieux qu'ici (l’expression σμύρντμ myrrhe, employée par Aquila est plus juste)» va servir avantageusement le com­ mentateur dans sa digression sur la · goutte » rédemptrice. Dans sa ira- SECONDE HOMÉLIE 83 _ . 3. « Mon bien-aimé est pour moi cane, i. u. de mUqUh un ^ouQuet (^e niyrrhc » c’est-à-dire yrr e “ goutte a1. Nous lisons dans l’Exode que, sur l’ordre de Dieu, on avait fait de myrrhe, d’onyx, ex.. jo. m. de casse et de galbanum un parfum à brûler et un chrême sacerdotal. Si tu vois donc mon Sauveur descendre jus­ qu’aux choses terrestres et humbles, tu verras aussi comment, d’une grande puissance et d’une grande ma­ jesté divine, une petite goutte s’est écoulée jusqu’à nous. C’est cette goutte qu'a chantée le prophète lorsqu’il a dit : a Et d’une goutte de ce peuple sera réuni Jacob, qui μϊλ.. 2. ιι-ιζ. doit être rassemblé «2. Suivant une autre interprétation, la pierre détachée de la montagne sans le secours d’au- Dan.. 2. w. cune main était l’avènement de notre Sauveur dans la chair, et ce ne fut pas toute la montagne qui descendit vers la terre, car la fragilité humaine ne pouvait pas con­ tenir la grandeur de la montagne tout entière ; seule une pierre de la montagne, une pierre d’achoppement, 1 Pfcr.. 2, 7. rocher de scandale, descendit dans le monde. Or, selon 8i i4. une autre interprétation, c’est ainsi qu’il faut enten­ dre la goutte. Puisque toutes les nations sont consi- 1».. 40. 15. dérées comme la goutte suspendue à un seau, il fallait donc que celui qui s’est fait tout à tous pour le salut de tous, se fasse egalement « goutte 0 pour que les nations soient libérées. Et en effet, que n’est-il pas devenu pour notre salut ? Nous sommes néant : il s’est anéanti lui- phîi.. 2, 7. même en prenant la condition de serviteur ; nous sommes un peuple fou et insensé : il s’est fait folie de la prédica­ tion, en sorte que ce qui était folie de Dieu soit plus sage 1 cor, 1, 21. que les hommes ; nous sommes faibles ; ce qui était fai- 1 cor., 1, 25. blesse de Dieu est devenu plus fort que les hommes. Ainsi ls- *>< is. donc, toutes les nations sont considérées comme la goutte du seau ; et comme ce qui fait pencher la balance, il s’est duction de ta Vulgate, saint Jérôme a employé * comme Aquita, le mot • myrrhe ». 2. Origène rapproche, à la ligne suivante, la goutte de ta petite pierre descendue de In montagne : toutes deux sont sorties d’une même masse homo­ gène. - Duns les Septante, Jacob sera rassemblé ix ττς σταγόνος τού λαού τούτου. de la goutte du peuple (Mich.. 2 * 11-12). 84 HOMILIA SECUNDA ex quibus laetificaverunt te filiae regum in honore tuo », quae in quadragesimo quarto psalmo dicuntur ad spon­ sam. « Fasciculus stillae fratruelis meus mihi ». Consideremus, quid sibi et « fratruelis » nomen velit. Ecclesia, quae haec loquitur, nos sumus de gentibus congregati ; Salvator noster sororis eius filius est, id est synagogae ; duae quippe sorores sunt, ecclesia et synagoga. Salvator ergo, ut diximus, filius synagogae sororis, vir ecclesiae, sponsus ecclesiae, « fratruelis » est sponsae suae. «Fasciculus stillae fratruelis meus mihi; in medio ube­ rum meorum commorabitur ». Quis ita beatus est, ut habeat hospitem in principali cordis, « in medio uberum », in pectore suo sermonem Dei ? Tale est quippe, quod canitur : « in medio uberum meorum commorabitur » ; « si non fuerint fractae mammae tuae », « in medio » carum habitabit sermo divinus. Decebat in carmine nuptiali « mammas » potius appellare quam pectus. Et perspi­ cuum est, cur ad expositionem eius rei, quae dicit : « in medio uberum meorum commorabitur » sit assumptum : « si non fractae fuerint mammae tuae » — « in medio ube­ rum tuorum commorabitur » sermo divinus, unde dixi : « si non fractae fuerint mammae tuae » — de Ezechicl. In eo quippe loco, ubi Hierusalem dominica voce corri­ pitur, inter cetera dicitur ad eam : « in Aegypto fractae sunt mammae tuae ». Castarum « ubera » non « franguntur » 1. Pour comprendre cet te expression, il faut se reporter aux versions grecques du Cantique. Les Septante ont traduit qu’Orlgène repro­ duit» ct qu’il interprète ici d’après le contexte» < neveu ». Saint Jérôme ft traduit fratruelis (cousin par la mère) et Hulin, fraternus. Symmaque a donné αγαπητός» dilectus, comme saint Jérôme l’a traduit dans la Vulgate, ce qui semble mieux répondre au sens do l’hébreu (Cf. P. (7., IG. 1575-1578). L’expression originale, Md recèle quelque ambiguïté ; Aqnlln l’:i traduite πατρχδ:/.φος, < frère du père ct clic a quelquefois ce sens (Cf. GesexïUS- SECONDE HOMÉLIE 84 fait goutte, et par lui l’odeur de la goutte s’exhale de nos vêtements, suivant cette parole : «La myrrhe ct la goutte Ps., et la casse s’exhalent de tes vêtements, de tes maisons d’ivoire, dont t’ont fait présent des filles de roi en ton honneur ». C’est ce qui est dit de l’Épouse dans le psaume quarante-quatre. « Mon bicn-aimé (neveu) est pour moi un bouquet de c*nu myrrhe ». Considérons ce que veut dire ici le nom de « ne­ veu » x. L’Église qui parle ainsi, c’est nous, qui avons été rassemblés de la gcnlilité. Notre Sauveur est le fils de la sœur de la gentilitc, c’est-à-dire de la synagogue : car elles sont deux sœurs, l’Églisc ct la synagogue 2. Notre Sau­ veur donc, comme nous l’avons dit, lui, mari de l’Églisc, Époux de l’Églisc, est, en tant que fils de la synagoguesœur, le « neveu » de son Épouse. 9-1 ' ? '· T1 cs oSeins . « Mon bien-airné est pour moi un * de l’É ouse bouquet de myrrhe ; il demeurera cm“·. ’· ”· p * entre mes seins ». Qui est à ce point heureux d’avoir pour hôte dans la partie maîtresse qu’est le cœur, entre les seins, dans sa poitrine, le Verbe de Dieu ? C’est bien cependant ce qu’on chante : « Il demeurera entre mes seins ». « Si tes mamelles ne se sont Ez., 23, 3. pas affaissées », au milieu d’elles habitera le Verbe divin. Dans un cantique nuptial, il était convenable de parler plutôt de mamelles que de poitrine. Et il est clair que c’est en vue d’expliquer « entre les seins il demeurera », qu’on dit : « Si tes mamelles ne se sont pas affaissées », le Verbe divin reposera entre tes seins. C’est ainsi que j’ai dit, d’après Ézéchiel : « Si tes mamelles ne se sont pas affais- t2·· 23· 3. secs ». En cet endroit, en effet, où Jérusalem est répri­ mandée par la voix du Seigneur, on lui dit entre autres : Kouinson» Hebrew and English texikon, 1907, p. 187). Bien que saint Jérôme ait traduit partout fratruelis, nous avons maintenu en français le terme bicn-aimé, le seul qui s’harmonise avec le discours. La version slave des Septante a élégamment traduit αοελφιδός brat, · frère >, qui peut se dire aussi d’un bien-aimé. C’était la meilleure solution. 2. Allusion à l’interprétât ion de saint Paul (Gai., 4, 21 et sv.). des fils d’Abraham par Agar (la Jérusalem terrestre» celle de la servitude) et par Sara (la Jérusalem céleste, notre mère, Γ Eglise). 85 HOMU.ÏA SECUNDA sed meretricum α mammae » laxis pellibus irrugantur. Pudicarum erecta sunt « ubera » et virginali rubore tu­ mentia. Suscipiunt sermonem sponsum et dicunt : « in medio uberum meorum commorabitur ». « Botrus cypri fratruelis meus mihi »*. Initium est sermonis in germine et initium « κυπρισαού » id est flori­ tionis, in Verbo, unde ait : « botrus cypri »— id est flori­ tionis «fratruelis meus mihi ». Non omnibus est «botrus cypri », sed his, qui eius flore sunt digni. Aliis uva varia est ; huic soli, quae et « nigra » est et « formosa », in floris decore se praebet. « Botrus cypri fratruelis meus mihi ». Non simpliciter ait : « botrus cypri fratruelis meus », sed cum additamento « mihi », ut doceret non omnibus eum esse « botrum cypri ». Videamus autem et in quibus regionibus « botrus » iste sit sponsae. « In vincis Engaddi »b. Quod interpre­ tatur oculus tentationis. In « vineis » igitur oculi tenta * tionis « botrus cypri fratruelis meus mihi ». Tentationis oculus in praesenti est, siquidem in » tentatione » moramur, hoc mundo, et « tentatio est vita hominis super terram ». Dum in hac luce versamur, « in vincis » sumus « Engaddi » ; si autem meruerimus postea transplantari, a nostro « agrin. I.XX : βότρυς τ?.ς χνπρου b. LXX : iv άμζβλωσχν Έγγχοδ:. μου ίμοί 1. Nous paraphrasons légèrement pour faire comprendre le texte, 'fout d’abord, la traduction n’est pas claire. Il semble qu’Origcnc ait voulu jouer sur le mot λύγο; .Srr/no, et sur le mot άρ/V. initium (ev ip'/% ήν ο Λ0γο<Κ pour en arriver au · commencement · de In floraison du Verbe dans l'Ame. Le mot χύπρος lui fait songer à χνπρισμύ; « floraison >. et il les applique tous les deux nu Verbe et à l’ftpousr. D'après Maurim.k i>r S. Mighke (Discours moral sur les Plantes de la Sainte écriture, Paris 16G7, p. 2G0), de cct arbre SECONDE HOMÉLIE 85 a En Égypte tes mamelles se sont affaissées ». Les seins des jeunes filles chastes ne s’affaissent pas, mais ce sont les mamelles des prostituées qui deviennent flasques sous une peau trop large. Les seins des jeunes filles pudiques sont tendus et gonflés par la pudeur virginale. Et ce sont elles qui reçoivent les paroles de l’Époux, et disent : « Entre mes seins il demeurera ». « Mon bien-aimé est pour moi une Cmh., i , grappe de troène ». C’est ici (troèneχύπρος) le commencement de la Parole, son germe ; le commencement de la floraison qui se dit κυπρ’.σαο;, de la floraison dans le Verbe \ d’où il est dit : « Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène », c’està-dire de floraison. Il n’est pas une grappe de troène pour tout le monde, mais seulement pour ceux qui sont dignes de sa fleur. Pour les autres, il y a d’autres grappes ; pour elle seule, qui est noire et toute belle, il se montre dans la beauté de sa fleur : « Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène ». Elle ne dit pas simplement : « Mon bien-aimé est une grappe de troène » mais avec l’addition a pour moi » ; afin de nous apprendre qu’il n’est pas une grappe de troène pour tout le monde. La grappe de troène Mais voyons encore dans quelles régions se trouve cette grappe de l’Epouse. « Dans les vignes d’En-cam.. gaddi », ce qui se traduit « œil de l’épreuve ». C’est dans les vignes de l’œil de l’épreuve que mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène. L’œil de l’épreuve est dans la vie présente, puisque nous demeurons dans l’épreuve (qu’est le monde) et (pie « la vie de l’homme Job. 7. sur la terre est une épreuve ». Lorsque nous sommes dans la lumière de ce monde, nous sommes dans les vignes d’Engaddi ; mais si nous méritons d’être ensuite trans- Les vignes d’Engaddi (cyprtig), dont les fleurs sont en tonne de grappe, (IMrtis cyprt), « le bouquet est si beau, si blanc cl si odoriférant que les Dûmes de la Syrie en mettent sur leur sein ·. C’est en niison de cette qualité qu’Origène le réserve exclu­ sivement A l'ËpouftC. OR1UKNE 8. 1. 14. 14. 86 HOMILIA SECUNDA cola » transferemur. Nec dubites quia possis de « Engaddi vineis » ad loca meliora transferri ; « agricola » noster ad « transferendam vineam » crebra meditatione iam cal­ luit. « Vincam ex Aegypto transtulisti, eiecisti gentes et plantasti eam. Operuit montes umbra eius, et arbusta eius cedros Dei ». Et haec quidem, quae exposuimus, locuta sit sponsa de sponso significans amorem suum et sponsi venientis hospitium, quomodo « in medio uberum » et sui cordis arcano sponsus veniens « commo­ retur ». 4. Rursum sponsi ad eam sermo dirigitur et dicit : e ecce es speciosa, proxima mea, cccc es speciosa ; oculi tui columbae »*. Illa sic dicit ad sponsum : « ecce es spe­ ciosus, fratruelis meus », non adiungit et : proximus meus. Hic autem, quando loquitur ad eam : « cccc es speciosa », adiungit et : α proxima mea ». Quare autem illa non dicit : α ecce es speciosus », proximus mihi, sed tantum : a ecce es speciosus » ? Quare ille non solum « speciosa es » dicit, sed «speciosa es, proxima mea »? Sponsa, si longe fuerit a sponso, non est « speciosa » ; tunc pulchra fit, quando Dei Verbo coniungitur. Et merito nunc docetur a sponso, ut « proxima » sit et a suo latere non recedat. « Ecce es spe­ ciosa, proxima mea, ecce es speciosa ». Incipis quidem esse « speciosa » ex eo, quod « proxima » mihi es ; post­ quam autem esse coeperis « speciosa », etiam sine addi­ tamento « proximae » absolute es « speciosa ». « Ecce spe­ ciosa proxima mea, ecce speciosa ». ii. LXX : Ίδοδ c* χαλή, ή πλησίον μου. :δού et χαλή· οφθαλμοί σου xtptctcpaL SECONDE HOMÉLIE 86 plantés ailleurs, c’est par notre vigneron que nous le se­ rons. Ne doute point donc que tu ne puisses être trans­ porté des vignes d’Engaddi dans des endroits meilleurs; jnfis, i. notre vigneron est du reste passé maître, par ses expé­ riences répétées, dans l’art de transférer sa vigne. « Vous avez transféré de l’Égypte une vigne, vous avez chassé p»., 79, 9-10. des nations et vous l’avez plantée. Son ombre a couvert les montagnes, et ses sarments les cèdres de Dieu ». Et ce que nous avons exposé, l’Épouse l’a dit de l’Époux, signi­ fiant son amour et signifiant aussi l’accueil qu’elle réserve à l’Époux qui vient, et comment l’Époux, qui s’avance, demeurera entre les seins et dans le secret de son cœur1. 4. L’Époux adresse encore la parole Beauté à l’Épouse, et lui dit: «Que tu es belle, Cant., 1, is. de l’Époux et de l’Épouse ma toute proche, que tu es belle, tes yeux sont des colombes ». Quant à elle, c’est ainsi qu’elle parle à l’Époux : « Que tu es beau, mon cant., 1, f6. bien-aimé », mais elle n’ajoute pas « mon tout proche ». Lui au contraire, quand il lui dit : « Que tu es belle », il ajoute «ma toute proche ». Pourquoi ne dit-elle pas : « Que tu es beau, mon tout proche », mais seulement : « Que tu es beau»? Et pourquoi lui dit-il non seulement: «Tu es belle», mais «Tu es belle, ma toute proche»? Si l’Épouse est loin de l’Époux, elle n’est pas belle ; mais elle le devient quand elle est unie au Verbe de Dieu. Et c’est à bon droit que l’Époux lui apprend maintenant à être toute proche, à ne pas s’écarter de ses côtés. « Que tu es belle, ma toute proche, que tu es belle ». Tu commences d’être belle quand tu m’es toute proche ; et alors, quand tu as commencé d’être belle, tu es belle, même sans qu’il faille y ajouter ma toute proche, tu l’es absolument. « Que tu es belle, ma toute proche, que tu es belle ». 1. La pensée d’Origène est ici que l’Epouse, îi cause de sa fidélité et de sa perfection, jouit déjà de l’amour de l’Epoux au milieu des épreuves de ce monde, cl qu'elle est prête ù être transplantée en une terre meilleure. Ainsi, puissions-nous aussi» en vivant dans cette terre d’épreuve, — mais sam être rebutés par l’épreuve - aspirer à être transplantés dans cette meil­ leure terre, pour jouir avec l’Epouse des tendresses de l’Epoux. 87 HOMILIA SECUNDA Videamus ct aliam laudem « speciosae », ut et nos aemulemur sponsae fieri. « Oculi tui columbae ». « Qui viderit mulierem ad concupiscendum » ct « moechatus eam fuerit in corde suo », e oculos» non habet « columbae ». Si quis vero « oculos » non habet « columbae », « domum fratris » sui ingreditur « infelix » non servans illud, quod in Proverbiis est praeceptum : α in domum autem fratris tui ne intres infelix» (pro eo quod Septuaginta « infelix » interpretati sunt, Aquila Hebraeam exprimens veritatem a άπορεώττα », id est stultum, posuit). Qui autem habet « oculos columbae », videt recta ct misericordiam prome­ retur ; videns quippe recta misericordiam consequetur. Porro, quis videt recta nisi qui casto conspectu et puris « oculis » intuetur ? Noli igitur mihi de his tantum carnis « oculis » intcliigcrc quae dicta sunt, licet et de his intel­ lexisse non inutile sit, sed ingrediens ad interiora cordis tui et alios « oculos » mente perquirens, qui ct a « Dei, mandato illuminantur » — « mandatum quippe Domini lucidum illuminans oculos » —, illud enitere, labora, con­ tende, ut sancte intelligas universa quae dicta sunt, et similia « spiritui, qui in specie descendit columbae », au­ dias, quia « oculi lui columbae ». Si intelligis legem spiritaliter, « oculi tui columbae » sunt; si intelligis cvangelium, ut se vult intelligi evangeliurn et praedicari, videns lesum » omnem languorem et infirmitatem » non solum eo tempore, quo carnaliter 1. Le texte ccs Septante porte όφΟαλμοί cov ttspioxepai. Colui de saint Jé­ rôme passe manifestement du pluriel au singulier: oculi (ui columba· (IcsLXX); oculos non habcl columba· (glose d’Origène). Il serait assez naturel dépenser que saint Jérôme s’est trouvé devant le même texte tantôt au nominatif et tantôt à l’accusatif π;ρ·.στ:ρ^ς) chaque fob au pluriel. Cela serait plus conforme à l’usage de récriture selon Origène. Nous avons cepen­ dant respecté le texte de saint Jérôme. (Dans la Vulgate il résoudra la ques­ tion en met tant columbarum). SECONDE HOMÉLIE 87 L Considérons aussi un autre éloge ct les colombes dc Λ toute belle pour quei nous aspirions egalement a devenir épouses. « Tes yeux sont des colombes ». Celui qui a jeté les yeux sur une femme pour la convoiter, et a déjà commis l’adul­ tère dans son cœur, n’a pas des yeux de colombe L Celui qui n’a pas des yeux de colombe, entre malheureux dans la maison de son frère, n’observant pas ce qui est prescrit dans le Livre des Proverbes : « N’entre pas malheureux p«> *·. 27. 10. dans la maison de ton frère »2. (Ce que les Septante ont traduit par malheureux, Aquila rendant l'exactitude de l’hébreu l’a traduit άπορεώντα, c’est-à-dire insensé)34 . Mais celui qui a des yeux de colombe voit juste ct mérite la miséricorde.« Car celui qui voit juste, recevra miséricorde». ps„ 106, 42. Qui donc voit juste, si ce n’est celui qui regarde d’un regard chaste ct avec des yeux purs ? Ne va donc pas comprendre ce dont il a été question exclusivement de ces yeux de chair, quoique ce ne soit pas inutile de le com­ prendre aussi de ces yeux-là. Pénètre à l’intérieur de ton cœur, rccherches-y avec ton esprit d’autres yeux *, ceuxlà qui sont illuminés par les commandements de Dieu. >< Le commandement de Dieu », en effet, « est lumineux p*., is, 9. et illumine les yeux ». El efforce-toi, travaille ct appliquetoi, afin de comprendre saintement tout ce qui a été dit, et, puisque tes yeux sont des colombes, d’entendre tout ce qui est semblable à cet esprit descendu sous la forme d’une colombe. Mc., 3, i6. Si tu comprends la Loi spirituellement, les yeux sont des colombes. De meme si tu comprends l'Évangilc comme l’Évangilc veut être compris ct prêché. Vois-y alors Jésus guérissant toute langueur et infirmité, non seulement au ml, 4, 23. 2. Sens : Celui que vise Origène est censé entrer dans une maison pour regarder une femme, d'où « il entre dans cette maison la maison de son frère — · malheureux ». 3. Cette parenthèse est ajoutée en marge dans beaucoup de manuscrits. Bæhrcns croit qu’elle est une note de saint Jérôme. 4. Cf. ce qui a été dit des sens spirituels dans l'introduction, p. 21. Dans la 2· Homélie sur P.zéchlel, Origène dit : < A1U quippe... oculi sunt meliores his quos habemus in corpore. Qui oculi aut Icsum Dominum vident... aut... aeci sunt. Si peccator sum» nihil video « (Êd. Bæhrcns, vin, 315, 3 $.). 88 HOMILIA SECUNDA facta sunt, fuisse medicatum, sed hodieque medicantem, et non tantum tunc ad homines descendisse, sed hodieque descendere et esse praesentem ; « ecce « enim «ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem saeculi». « Oculi lui columbae sunt. Eccc es speciosa, proxima mea, ecce es speciosa ; oculi tui columbae ». Has de se sponsa audiens laudes, sponso vicem in laudibus tribuit, non quo ci id, quod non habet, suo praeconio largiatur, sed intelligens decorem eius atque conspiciens ait : « ecce es speciosus fratruelis meus et quidem pulcher ; lectus noster umbrosus» . * Quaero « lectum», in quo sponsus cum sponsa requiescat ; et, nisi fallor, corpus humanum est, siquidem ille in evangelio « paralyticus », qui « iacebat in lecto » ct « abire in domum suam sublato grabato » voce iussus est Salvatoris, antequam sanaretur, super debile membrorum suorum corpus iacebat, quod postea Dei vir­ tute solidatum est. Sic ego intelligo : « tolle grabatum tuum et vade in domum tuam ». Neque enim ad hoc filius Dei de caelestibus ad terrena descenderat, ut de lectulis im­ peraret ct « consurgentem » ab aegrotatione sua sine lec­ tulo non pateretur abscedere « tolle » inquiens « grabatum tuum et vade in domum tuam ». Et tu igitur a Salvatore sanatus « tolle grabatum tuum et vade in domum tuam » et, cum ad te, sponsam suam, venerit sponsus el in eo tecum fuerit reclinatus, dicas : « cccc es speciosus fratrue­ lis meus et quidem pulcher ; acclinatio nostra umbrosa. Ecce es speciosus, fratruelis meus ». Ipse et « speciosus » a. LXX : !$ov z:. ήμών σύσκιος. ίοελφιοός μου. /r. γ= ωραίος τ.ρύς κλίνη * • Λ en juger par les I rad vet ions de Saint Jérôme ct de Rufin (Grand com­ mentaire» Êd. Bæhrens p. 174» 23 : cubile nostrum umbrosum), 11 semble bien quOrlgène ait compris κλίνη comme un nominatif» rl non pus, comme on rentend souvent* comme un datif (κλίντ,). Certains ms anciens des LXX omettent le κρός (cf. Swetc, p. 117). Peut-être Origène a-t-il In προ-σκλίνη» • acclinatio ·. SECONDE HOMÉLIE 88 temps où il a opéré ces guérisons selon la chair, mais encore aujourd’hui ; et vois-le non seulement descendu vers les hommes en ce temps-là ; vois-le qui descend encore au­ jourd’hui et y est présent, car «voici que je suis avec vous mc.. 28. 20. tous les jours jusqu’à la consommation des siècles ». « Tes yeux sont des colombes. Que Le lit ombragé tu es belle, ma toute proche, que tu es belle ; tes yeux sont des colombes ». L’Épouse entendant ces louanges, rend à son tour des hommages à l’Époux. Non pas qu’elle lui donne en éloges ce qu’il n’aurait déjà, mais, comprenant sa beauté, et la contemplant, elle dit : « Que tu es beau, mon bien-aimé, Ont.. 1. 16. et gracieux ; notre lit est ombragé ». Je cherche le lit pour qu’y reposent l’Époux avec l’Épouse. C’est, si je ne me trompe, le corps humain. En effet, ce paralytique qui gisait Mt.. 9, 2. sur son lit et à qui le Seigneur enjoignit de s’en aller dans Mt.. 9. 6. sa maison emportant son lit, gisait avant d’être guéri sur le faible assemblage de ses membres, qui furent affermis ensuite par la vertu divine. C’est ainsi que je comprends l’ordre: «Prends ton lit et va-t’en dans ta maison ». Car le Fils de Dieu n’était pas descendu du ciel sur la terre pour donner des ordres touchant des lits ; il n’était pas descendu non plus pour ne pas laisser s’en aller sans son lit celui qui relève de sa maladie, lorsqu’il dit : « Prends ton lit et va-t’en dans ta maison ». EL toi donc, guéri par le Sauveur, prends aussi ton lit et va-t’en dans ta maison, ct lorsque l’Époux viendra à toi, son épouse, et sera couché avec toi, tu lui diras : « Que tu es beau, mon bien-aimé, et gracieux, notre lit est ombrage. Que tu es beau, mon bien-aimé ». Il est beau, il est om­ bragé; « pendant le jour, en effet, le soleil ne te brûle pas p»., 120. «. ni la lune pendant la nuit»1. 1. L'idée maîtresse d’Origène est toujours d’expliquer à la fois la grandeur du don de Dieu et la misère de l'âme pécheresse. Le · lit > qui permet à Λ l’Épouse de reposer avec l’Époux, est, pour lui, un objet atteint par la grâce, ct que tous ne possèdent pas. Ce sera, en l’occurrence, le corp·* du paralytique, spirituellement le corps du poche qui est on nous guéri par l’œuvre du Christ, et notre âme purifiée, en laquelle viendra reposer l’Époux en notre compagnie. Arrivée à cet état, l’âme n’est plus sous les atteintes 89 HOM1LIA SECUNDA est et a umbrosus » ; « per diem » quippe « sol non urct te, neque luna per noctem ». 5. « Trabes domorum nostrarum cedri »", haec multi­ tudinis verba sunt. Videntur autem mihi viri hoc dicere, qui cum sponso sunt, de quibus superius sermo praefatus est, « domus cedrinis trabibus intextas et cyparissis con­ tignatas», siquidem « pro stibe adseendet cyparissus et pro coniza adseendet myrtus». Requirens igitur, cuius naturae ista sint ligna, et « cedrum » imputribile et «cyparissum » odoris optimi deprehendens labora et tu ita «contignare do­ mum tuam », ut de tc quoque possit dici : « trabes domuum nostrarum cedri et contignationes nostrae cyparissi *» ’. 6. Post haec sponsus loquitur : α ego flos campi et lilium convallium r». Propter me, qui in « valle » eram, descendit in « valle » et in « valle » veniens fit « lilium val­ lium » pro « ligno vitae quod, plantatum est in paradiso Dei », et totius « campi », id est totius mundi ct universae terrae, « flos » factus est. Quid enim sic potest esse « flos » mundi ut vocabulum Christi *? « Unguentum effusum nomen eius » ; aliter id ipsum dicitur : «ego flos campi et lilium convallium», et haec quidem de semetipso. Deinde sponsam laudans ait : « ut lilium in medio spinarum, sic proxima mea in medio filiarum »a. « Sicut lilium a. LXX : δοκοί οϊχων ήμών κέδροι, b. LXX : φαντωματα ημών χυπάρισσοι. c. LXX : ’Κγώ άνθος του πεδίου. κρίνον των κοιλάδων. cl. LXX : κρίνον £v μέσω άκανθων, ούτως η πλησίον μου ivi μέσον των θυγατέρων. des brûlures ni durant Je jour, ni durant la nuit. Elle est · ombragée ». — Sur la brûlure, voir la fln du paragraphe sur la Reine de Saba dans la première homélie, p. 74. SECONDE HOMÉLIE 89 poutres de nos maisons sont cam., i. 17. , 5. . «Les , , . ... ccc^re *· ^es Par°les sont "ltes Par plusieurs. 11 me semble que ce sont les hommes qui sont avec l’Époux et dont il a été parle plus haut qui les disent : « Nos maisons sont charpentées CanU k l7. de poutres de cèdre et ont des lambris de cyprès» car, «au lieu du nard sauvage, croîtra le cyprès, et, au lieu de la conyze, s’élèvera le myrte ». Recherche donc de quelle h. 55. 13. nature sont ces bois, et comprends que le cèdre ne pourrit pas, et que le cyprès est d’une très bonne odeur ; travaille toi aussi à charpenter ta maison, de façon que l’on puisse dire aussi de toi : « Les poutres de nos maisons sont de cèdre et nos lambris de cyprès »1. cane, 1, 17. _ . , Les poutres de cèdre 6. Après quoi, l’Époux déclare : c«nL, 2, 1. « Je suis la fleur. du champ » et. le lis . des . vallées ». C est a cause de moi qui étais dans la vallée, qu’il est descendu dans la vallée et que, venant dans la vallée, il devient le lis des vallées au lieu de l’arbre de vie qui avait été planté dans le paradis de apoc., 2, 7. Dieu ; et il est devenu la Heur de tout le champ, c’est-àdire du monde entier, de toute la terre 1 2. Qu’est-ce donc Lc lis ‘f et son parfum 1. Dans son grand Commentaire, Origène avait mis ces paroles dans lu bouche de l’Époux, répondant aux hommages de FÊpouse. Et la description des demeures était celle que fait le Christ de son Église, dont les poutres sont les prêtres et les lambris les évêques (Bæhrens, p. 176477). Les rubriques du Sinaiticux au contraire en font la continuation des paroles de l’Épousc. Dans son Homélie, Origène fait parler, non plus l’Époux lui-même, mais ceux qui sont avec lui, ses compagnons, sans doute à cause du pluriel : ■ I-cs poutres de nos maisons ». Il ne s’attarde pas . Le cèdre, le cyprès, le myrte : le ccdrc au lieu de bois ordinaire car « il ne pourrit pas · ; le cyprès» au lieu de nard sauvage, car · il est d’tmo très bonne odeur » ; et, an lieu de conyze, herbe vulgaire semblable à l'ortie, le myrte dont les anciens couronnaient la vertu. L’application est faite» non plus à l’Église, mais à chaque âme, qui doit « charpenter sa maison > suivant le modèle. 2. Le verset du ps., S3, 7 (hébr. · la vallée de Baca ». LXX:<ï; την κοιλάδα τού κλαυΰηώνος, Vulgate : In valle lacrimarum, qui a été popularisé dans l’Jn hac lacrimarum valle du Salve Regina) a généralement été interprété des misères de la terre présente, et la tradition patristique l’a opposé au paradis, d’oü nous sommes tombés, et vers lequel nous devons remonter (Origène, De Principiis, 11 ; 11,6, Èd. Kœtscbau, 190. Cf. D. A. Stolz, Théoî. de la Mystique, p. 25). Dans cette vallée, le Christ est la fleur qui embaume tout ; il est le lis, et son parfum embaume l’Épouse, que l’Époux déclare Ils à son tour, sur cette terre de péché, qui ne produit d’elle-même que ■ des épines et des ronces · (Gcn., 3, 18). 90 HOMILIA SECONDA spinis » non potest comparari, inter quas frequenter exoritur, eodem modo « proxima mea » super omnes α filias lilium » est « in medio spinarum ». Ista audiens sponsa vicem reddit sponso et sentiens illius etiam aliam suavitatem in vocem laudantis erumpit. « Unguentorum « quippe odor licet suaviter spiret et sensum odore demulceat, non tamen eiusmodi est, ut suave sit ad edendum. Est autem aliquid, quod optimi et saporis sit et odoris, id est et fauces dulcore delectet et spiritum mulceat odoratu : tale est «malum »et istiusmodi est naturae, ut in se utraque possideat. Idcirco volens non solum beneolentiam sermonis, sed et dulcorem eius sponsa laudare ait : « ut malum in lignis silvae, ita fratruelis meus un medio filiorum »“. Omnia « ligna », omnes ar­ bores ad comparationem sermonis Dei silvae inferaces existimantur, ad Christum saltus est omne quod dixeris, et infructuosa sunt omnia. Quae enim possunt dici, ad eum comparata, fructifera ? Etiam ea « ligna », quae videbantur fructibus incurvari, ad collationem adventus eius infructuosa monstrata sunt. Ideo : « ut malum in lignis silvae, ita fratruelis meus un medio filiorum : in umbra eius concupivi et sedi »b. Quam pulchre non ait : « in umbra illius » concupisco, sed : « in umbra eius con­ cupivi », et non : sedeo, sed : sedi. Siquidem in principio non possumus cum eo proprius conferre sermonem, verum in principio, ut ita dicam, quadam maiestatis illius « um­ bra » perfruiinur ; unde et in prophetis legitur : « Spiritus ii. LXX : μτ4Λ07 έν τοΓς ξύ/.οις τοί ορυμού. ivi μίτον των υιών!>. LXX : ίν τ?, τχ·,ί αύτοδ επιθύμησα, χαί ΙχάΟισα, μον SECONDE HOMÉLIE 90 qui peut être, autant que le nom du Christ, la fleur du monde ? a Ton nom est un parfum répandu », c’est cela cant., i. 3. même qui est exprimé ici en d’autres termes : « Je suis la fleur du champ et le lis des vallées », mais ici, il en fait l’application à lui-même. Louant ensuite l’Êpouse, il dit : « Comme un lis au milieu des épines, telle est Cam., 2. 2. ma toute proche au milieu des lilies ». On ne peut com­ parer le lis aux épines parmi lesquelles il s’élève fréquem­ ment, et ma toute proche au-dessus de toutes les filles, est un lis au milieu des épines. L’Épouse, entendant ces paroles, donne la réplique à l’Époux, et, sentant une nou­ velle suavité en lui, éclate en paroles de louanges. L’odeur des parfums, quoiqu’elle s’exhale avec suavité et flatte l’odo­ rat, n’est pas pour autant d’un goût suave L Mais il y a quelque chose qui est suave et à l’odorat et au goût, qui délecte le palais par sa saveur, et embaume l’air qu’on repire : c’est la pomme, qui, par nature, possède l’un et l’autre. C’est pourquoi, voulant louer non seule­ ment l’arome de sa parole, mais aussi sa saveur, l’Êpouse dit : « Comme la pomme parmi les arbres de la forêt, ainsi cent., 2. mon bien-aimé est au milieu des fils ». Tous les arbres sont forêts stériles en comparaison du Verbe de Dieu. Tout ce que tu pourrais imaginer ne sera que broussailles en comparaison du Christ ; devant lui tout est sans fruit12. Que peut-on appeler fécond devant lui ? Même ces arbres qui semblent ployer sous les fruits, en comparaison de sa venue manifestent leur stérilité. C’est pourquoi comme la pomme a parmi les arbres de la forêt, ainsi mon bienaimé est au milieu des fils ». « J’ai désiré être à son ombre et je me suis assise ». Elle ne dit pas —et elle fait bien Cant., 2. 3. « je désire être assise à son ombre», mais «j’ai désiré être La pomme et sa saveur 1. Remarquer le souci d’Origène de s’adresser à tous les sens. Il a été question de la vue plus haut (les yeux cl les colombes), l’ouïe est viscc dans tout le dialogue, les parfums ont charmé l’odorat ; voici maintenant le goût; le toucher viendra plus loin dans l’étreinte. Sur les sens spirituels, se reporter à l* Introduction. 2. Lignum et arbor font ici pléonasme, en latin comme en français. Nous n'avons retenu qu’une seule expression. 91 HOMILIA SECUNDA faciei nostrae Christus Dominus, cui diximus : in umbra eius vivemus in gentibus « et ab » umbra » ad « umbram » aliam transmigramus ; « sedentibus » enim α in regione et umbra mortis, lux orta est iis», ut transeamus ab « um­ bra mortis » ad umbram vitae. Semper istiusmodi sunt profectus, ut in exordio desi­ deret quispiam saltem in virtutum « umbra « consistere. Ego puto ideo ct nativitatem lesu ab « umbra » coepisse et non « in umbra », sed in veritate finitam ; «Spiritus» inquit « sanctus veniet super te, ct virtus altissimi obum­ brabit tibi ». Nativitas Christi ab « umbra » sumpsit exor­ dium ; non solum autem in Maria ab « umbra » eius nati­ vitas coepit, sed ct in tc, si dignus fueris, nascitur sermo Dei. Fac igitur, ut possis capere «umbram» eius et, cum « umbra » fueris dignus effectus, « veniet ad tc », ut ita dicam, corpus cius, cx quo « umbra » nascitur ; nam α in modico fidelis et in maioribus erit fidelis ». « In umbra eius concupivi et sedi ». Vides quia non semper « in umbra » steterit, sed inde ad meliora transie­ rit dicens : α et fructus eius dulcis in gutture meo ». Ego, inquit, "desideravi in umbra eius» requiescere, sed post­ quam sua me protexit « umbra », etiam « fructibus illius » saturatus sum et dico : « ct fructus cius dulcis in gutture meo »*. a. LXX : χα’ι χαρζύζ αύτοί γ/.υχύς iv Λίρυγγί μον- 1. Sens : l’Épouse est < assise ft son ornbre ». Si nous ne sommes pas encore capables d’être · assis à son ombre · ct de « Hcr conversation avec l’Époux », du moins pouvons-nous le désirer, comme l'a fait réponse avant de s’asseoir, ct être de ceux qui < vivront sous son ombre · (suivant te texte de Jérémie), et de « l’ombre de la mort » où nous étions assis (Isaïe), nous passerons à l’ombre SECONDE HOMÉLIE 91 assise à son ombre » ; et pas « je m’assieds », mais « je me suis assise». Si nous ne pouvons pas, dès le commencement, lier vraiment conversation avec lui, nous jouirons tout de même dès lors d’une certaine a ombre » dirai-je, de sa majesté. On lit, en effet, dans les Prophètes : « Le souffle de notre face, le Christ Seigneur, auquel nous disons : Lam., 4, 20. sous son ombre, nous vivrons au milieu des nations » ; et d’une ombre nous passons à une autre ombre ; car « pour is., 9, 1. ceux qui étaient assis dans la région et l’ombre de la mort, la lumière est apparue », de telle manière que nous pas­ sions de « l’ombre de la mort » à celle de la vie x. Les progrès vont toujours ainsi : au début, on désire au moins se tenir à l’ombre des vertus. C’est, je pense, la raison pour laquelle la naissance du Christ a commencé ù partir d'une ombre et s’est terminée, non pas à l’ombre, mais dans la vérité. « L’Esprit-Saint, est-il dit, viendra lc. 1. 35. sur toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son om­ bre ». La naissance du Christ a donc commencé par une ombre. Mais ce n’est pas seulement en Marie que cette naissance a commencé par une ombre ; le Verbe de Dieu naît aussi en toi si tu en es digne. Fais donc en sorte de pouvoir capter son ombre, et lorsque tu seras digne de l’ombre, son corps viendra à toi, pourrai-je dire, ce corps d’où naît l’ombre, car celui qui est lidèlc dans les petites u, 16, 10. choses le sera dans les grandes 2. « J’ai désiré être à son ombre et je m’y suis assise ». Tu vois qu’elle ne sera pas toujours à l’ombre, mais qu’elle passera à un état meilleur lorsqu’elle dit : « Et son fruit est doux à mon palais ». Moi, dit-elle, j’ai désiré reposer sous son ombre, mais à peine me protège-t-il de son ombre, que je suis rassasiée de ses fruits, ct je dis : « Et son fruit est doux à mon palais »3. Cant., 2, 3. de la vie, car la « lumière du Christ » a commencé par l’ombre de l'EspritSaint. 2. Ct. pour le développement de cette idée (maternité divine «lu fidèle) D. Λ. Stolz, L’zlxcrxe cMtienne, Chevotognc, 1948, p. 273. 3. Ce n’est que lorsqu'elle s’est assise auprès de l’Époux, que l’Épouse est admise à goûter de son fruit, cl à lo savourer. 92 HOM1LIA SECUNDA 7. « Introducite me in domum vini *». Foris stetit sponsus et ab sponsa susceptus est ; « in medio » quippe « uberum » eius requievit. Plurimae « iuvenculac » non sunt isliusmodi, ut sponsum hospitem habere mere­ antur ; « multitudini » foris « in parabolis loquitur o. Quam vereor, ne multae « adulescentulae » forte nos simus. « Introducite me in domum vini ». Cur tam diu foris ma­ nco ? « Ecce sto ante ostium ct pulso ; si quis mihi ape­ ruerit, ingrediar ad eum, et cenabo cum eo et ipse mecum ». — « Introducite me ». Et nunc eadem dicit sermo divinus ; ecce Christus loquitur: «introducite me». Vobis quoque catechumenis loquitur : « introducite me », non simpliciter « in domum », sed « in domum vini » : impleatur « vino laetitiae », vino Spiritus sancti, anima vestra et sic « introducite in domum » vestram sponsum, « Verbum », « sapientiam ». « veritatem ». Potest autem et ad eos dici, qui necdum perfecti sunt : « introducite me in domum vini ». 8. « Ordinate in me caritatem Eleganter locutus est : « ordinate » ; plurimorum quippe inordinata est « ca­ ritas » ; quod in primo loco debent diligere, diligunt in secundo ; quod in secundo, diligunt in primo ; et quod oportet amare quarto, amant tertio ; et rursum tertium in quarto, et est in plerisquc « caritatis » ordo perversus; Sanctorum vero « caritas ordinata » est. Volo ad intelligenduin hoc, quod dictum est : «ordinate in me caritatem», aliqua exempla replicare. n. LXX : Εισαγάγετε uc ε<< (τόν) olxov τού «!νου, b. LXX : τάξατε επ’ εμέ άγά-πην. 1. Il semble que ridée 1, j. Verbe, la Sagesse, la Vérité, dans votre maison. On peut ! cor’t l( donc dire, même à ceux qui ne sont pas encore parfaits : Jfti 14> n Introduisez-moi dans la maison du vin ». Le cellier de l’Épouse l’ordre θ’ * θΓ(^οηηβζ en m°î charité ». cant., 2, 4. de la Charité 11 a c^l0*si Cette expression : « Orx donnez », car, très souvent, la charité de bien des gens est désordonnée. Ce qu’il faut aimer en premier lieu, ils l’aiment en second, et ce qu’il leur faut aimer en second, ils l’aiment en premier, et ce qu’il leur faut aimer en quatrième, ils l’aiment en troisième, et de nouveau le troisième en quatrième, et ainsi l’ordre de la charité est bouleversé dans la plupart des gens. Mais la charité des saints est ordonnée. Je vais donner quelques exemples pour faire comprendre ce qui est dit ici : « Or­ donnez en moi la charité »2. témoigne le désir d’y être introduit. · La Maison du vin ». Le texte, reçu des Septante porte tîç οίκον mais la version hcxaplaire a l’article (P, G.t 16, 1578). La version de Syxnmaquc le comporte également (tlç τάν ο’.νωνα). C’est i'Èpouso qui reçoit l’ftpoux dans son cellier. 2. Sur l’ordre de la charité et l’importance de cette doctrine dans la litté­ ral tire patrEtique, cl. H. Pétké, l. c., p. 90 et sv. 93 HOMILIA SECUNDA Vult tc sermo divinus « diligere patrem, filium, filiam », vult tc sermo divinus « diligere » Christum nec dicit tibi, ne « diligas » liberos, ne parentibus « caritate » iungaris. Sed quid tibi dicit? Ne inordinatam habeas «caritatem », ne primum « patrem et matrem », deinde « me diligas », ne « filii et filiae » plus quam mei « caritate » tenearis. « Qui amat patrem et matrem super me, non est me di­ gnus ; qui amat filium aut filiam super me, non est me dignus ». Recole conscientiam luam de « patris, matris », fratris affectu, considera qualem circa sermonem Dei et lesu habeas « caritatem » ; statim deprehendes magis te « filium et filiam diligere » quam Verbum, magis te parentes « amare » quam Christum. Quis putas ita pro­ fecit e nobis, ut praecipuam et primam inter omnes ser­ monis Dei habeat « caritatem », qui in secundo loco liberos ponat ? luxta hunc modum ama et uxorem tuam. « Nullus quippe aliquando suam carnem odio habuit », sed amat ut « carnem » ; « erunt » inquit « duo » non in unum spiri­ tum, sed « erunt duo in carnem unam ». Ama et Deum, sed ama illum, non ut « carnem et sanguinem », sed ut « spiritum » ; α qui » enim « adhaeret Domino, unus spiritus . ( est ». Igitur « ordinata est caritas » in perfectis. Ut autem post Deum etiam inter nos ordo ponatur, primum man­ datum est, ut « diligamus » parentes, secundum ut filios, tertium ut domesticos nostros. Si autem filius malus est et domesticus bonus, domesticus in «caritate» filii col­ locetur. Et ita fiet, ut sanctorum « ordinata sit caritas ». Magister quoque noster et Dominus in Evangelio prae­ cepta de « caritate » constituens ad uniuscuiusque di­ lectionem proprium aliquid apposuit et dedit intclligentiam ordinis his qui possunt Scripturam audire dicentem « ordinate in me caritatem » ; « diliges Dominum Deum SECONDE HOMÉLIE 93 La Parole divine veut que tu aimes ton père, ton fils Mt., to, 37. et ta fille ; la Parole divine veut que tu aimes le Christ, et elle ne tc dit pas de ne pas aimer les enfants et de ne pas être uni aux parents par la charité. Mais que dit-elle ? N’aie pas de charité désordonnée, n’aime pas d’abord ton père et ta mère pour m'aimer ensuite, ne sois pas at­ taché par la charité à ton fils et à ta fille plus qu’à moi. Mt., 10. 37. « Celui tpii aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils et sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ». Repasse dans ta cons­ cience l’affection que lu as pour ton père, et ta mère, et ton frère, et considère la qualité de ta charité, eu égard à la Parole de Dieu et de Jésus. Aussitôt, tu reconnaîtras que tu aimes plus ton fils et ta fille que le Verbe, et tes parents plus que le Christ. Qui d’entre nous, pensestu, a fait assez de progrès pour avoir comme principale et première charité entre toutes, celle du Verbe de Dieu, et pour mettre ses enfants en second lieu ? De la même manière, tu aimeras aussi ta femme. « Personne, en effet, Éph., 5. 29. n’a eu son propre corps en haine », mais il l’aime comme Épb.. 5. 31. sa chair ; « ils seront deux », est-il dit, deux non en un esprit, mais « seront deux en une seule chair ». Aime Dieu aussi ; aime-lc non comme la chair et le sang, mais comme esprit : « Celui qui adhère au Seigneur est un seul esprit 1 Cor.» 6, 17. avec lui ». La charité est donc ordonnée dans les parfaits. Afin tpie, après Dieu, même entre nous, il y ait de l’ordre, le premier commandement est que nous aimions nos pa­ rents, le second nos enfants, le troisième nos serviteurs. Mais si le fils est mauvais et Je serviteur bon, le serviteur doit être mis à la place du fils, dans la charité. Et ainsi il se fera (pie la charité des saints sera ordonnée. Et notre Maître et Seigneur, établissant dans l’Évangile les pré­ ceptes de la charité, a mis une vertu propre à l'affection de chacun, et a donné l’intelligence de cette ordonnance à ceux (pii peuvent comprendre l’Écriture : « Ordonnez en moi la charité ». « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de Mt., 22, 37-39. tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit. Tu aimeras ton prochain comme toimême ». Il n’a pas dit : « Dieu comme toi-même, ton proOllIGÈNE 9. 94 HOM1L1A SECUNDA tuuin ex toto corde tuo, ct cx tota anima tua, et ex tota virtute Lua, ct cx tota mente tua. Diliges proximum tuum sicut te ipsum ». Non ait : Deum « ut temct ipsum », proxi­ mum « ex toto corde, ex tota anima, cx tota virtute, cx tota mente ». Rursus « diligite » inquit « inimicos vestros » ct non apposuit « ex toto corde ». Non est inordinatus sermo divinus nec impossibilia praecipit nec dicit : « dili­ gite inimicos vestros » ut vosmet ipsos, sed tantum :« dili­ gite inimicos vestros ». Sufficit eis quod eos « diligimus » et odio non habemus ; « proximum » vero « ut temct ipsum », porro « Deum cx toto corde, et ex tota anima, et cx tota mente, et ex tota virtute». Si haec intellexeris et intellecta compleveris, fecisti quod sponsi sermone prae­ cipitur : « Introducite mc in domum vini, ordinate in me caritatem ». Quis putas e nobis «caritatis» est «ordinatae»? « Confirmate me in unguentis »”. Unus de interpretibus posuit εν οίνάνΟν,. Haec autem sponsa loquitur. «Stipate me in malis »b. In quibus » malis »? π Ut malum in lignis silvae, ita fratruelis meus in medio fdiorum ». Idcirco « in malis cius stipate mc, quia vulnerata caritatis ego »c. Quam pulchrum est, quam decorum a « caritate » vulnus accipere ! Alius iaculum carnei amoris excepit, alius terreno cupidine «vulneratus» est ; tu nuda membra tua ct praebe te «iaculo electo », iaculo formoso, siquidem Deus sagittarius est. Audi Scripturam de hoc eodem « iaculo » n. LXX : Στηρίσατέ ut £v μύροις, b. LXX : στοιβίσατέ υε έν μήλοις, c. LXX : βτι τετρωμέντ4 άγάζης ίγώ 1. Origène tient ft celte place pour l’amour des ennemis dans la hiérarchie de la charité. Il renonce encore avec insistance dans son Homélie IX sur le livre des Nombres : « illas puto... primitias caritatis, ut diligam... Deum... ex loto corde meo et ex tota anima mea ct cx tota mente mea... quki est mitem, quod cx isto caritatis fructu secundo loco habere debeam ? Ut diligam SECONDE HOMÉLIE 94 chain de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ». De plus, il a dit : « Aimez vos Mt 5 u ennemis », sans ajouter de tout votre cœur. La Parole divine n’est donc pas désordonnée, ct clic n’imposc rien d’impossible, ni ne dit : Aimez vos ennemis comme vousmêmes, mais seulement : Aimez vos ennemis1. Il doit leur suffire que nous les aimions, et que nous ne les ayons point en haine ; mais le prochain comme toi-même et Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Si tu comprends cela, et si tu accom­ plis ce que tu as compris, tu auras fait ce qui est ordonne par la parole de l’Époux : « Introduisez-moi dans la maison du vin, ordonnez en moi la charité». Qui, penses-tu, sera parmi vous d’une charité ordonnée ? .ï « Confîrmez-moi dans les parfums ». cmt., 2. 5. d’ rncnTr 6 ^es traducteurs a mis εν οίνάνΟ/, *. amour Mais l’Épouse répond ceci : « Soutenezmoi avec des pommes 3 ». Quelles pommes ? a Comme la pomme au milieu des arbres de la forêt, ainsi mon bienaimé au milieu des fils ». C’est pourquoi : « Soutenez-moi donc avec scs pommes, parce que je suis blessée de cha­ rité ». Que c’est beau, que c’est noble de recevoir des blessures de la charité ! L’un reçoit les traits de l’amour charnel, un autre est blessé par une passion terrestre ; _ proximum meum sicut mcipsum... tertio loco habendum... ut diligam etiam inimicos meo * > (fal.Bæhrcns, vu, p.9L 19 et sv.). Dans le grand Commentaire cotte doctrine n’est pas encore aussi précise (Bœhrens, p. 188). 2. C’est-à-dire dans la fleur de la vigne. L’extrait d’Origènc cité par Procopc (cf. B.f.hrens, grand Commentaire» p. 191» 27) attribue cette traduc­ tion à Synumiqne. Le texte hcxnplsdre de Syinmaquc dit cv dvOec ; celui d'Aquila : στηρίσατέ ut ωνχνΟών (P, G., 17, 1576 A). Dans ce môme extrait, Origène donne encore une autre variante ; b άαύροις < dans les buissons sans odeur ·, ce qui lui permet de varier son interprétation. — Cf. l’interprétation de Hulin, (Bæhrcns, 192). 3. 11 est difficile de rendre en français cette image étrange. Les'hébralsants traduisent : ranimez-moi avec des pommes. (Buzy ct Robert) ; Les Septante ct Origène ont στοιβάσατέ ut b αήλοις (entassez-moi dans...), ce que saint Jérôme a traduit stipate mc malis ; Symmaquc avait traduit ζεριχυχλώσατε « enveloppez-moi. Nous avons préféré mettre une expression intermédiaire : < soutenez-moi », dans le sens de · soutenir en entourant ». 95 ΗΟΜΠ.ΙΛ SECUNDA ioquentem, immo, ut amplius admireris, audi ipsum « iaculum », quid loquatur : » posuit me ut sagittam elec­ tam, et in pharetra sua servavit me. Et dixit mihi : ma­ gnum tibi est hoc, vocari puerum meum ». Intellige « sagitta » quid dicat et quomodo a Domino sit « electa ». Quam beatum est hoc « iaculo »« vulnerari»! Hac «sagitta» fuerant « vulnerati » illi, qui inter se invicem conferebant dicentes : « nonne cor nostrum ardens erat in via, cum aperiret nobis scripturas ? » Si quis sermone nostro, si quis scripturae divinae magisterio «vulneratur» et potest dicere quia « vulnerata caritatis ego », hunc et illud for­ sitan sequitur. Quid forsitan dico ? Manifestam promo sententiam. 9. « Sinistra eius sub capite meo, et dextera eius com­ plexabitur me »x. Habet et « sinistram » et « dexteram » sermo Dei ; sapientia, cum pro intellectus varietate sit multiplex, in subiaccnti una est. Ipse Solomon de «laeva» et « dextera » sapientiae docuit dicens : « longitudo enim et anni vitae in dextera eius, in sinistra autem illius divi­ tiae et gloria ». Igitur «laeva cius sub capite meo», ut me a. LXX : Επώνυμος αύτου ύπά Try κεφοΑήν μου, καί ή δίξιά αύτου περύ.ήμψύτχ: μ *. 1. L’idée du « dénuement » (au sens actif), rapprochée souvent de celle de combat est fréquente dans la littérature ascétique ancienne. Porphyre la mentionne dans son De Abstinentia, I : · Il faut donc nous dépouiller de nombreuses tuniques. Tout d’abord nous devons abandonner cette tunique visible et charnelle. Ensuite nous devons quitter les tuniques dont nous avons été revêtus intérieurement, et qui viennent tout de suite après les tuniques de peau (curieux rappel, chez un païen, de Gcn., 3. 21), et, dépouillés de tout vêlement, entrons dans le stade pour y combattre les combats olympiques de t’Ame. Le commencement de la lutte est de se dévêtir, et il n’est permis de combattre que si l’on est nu ■ (Èd. Nauck, dans la Bibliotheca script. Grtec. et Boni. Teubneriana, 1886, p. 109). Cf. aussi sur la nudité de l'âme· du même, Lettre ad .Marceltam, Ibid., p. 295, SECONDE HOMÉLIE 95 quant à toi, dénude tes membres1, et. présente-toi à la flèche de choix, à la flèche tou le belle, car c’est Dieu qui en est l’archer2. Écoute l’Écriture qui te parle de cette même flèche; bien plus, émerveille-toi davantage; écoute ce que dit la flèche elle-même : « Il m’a posée comine une flèche de choix, et il m’a gardée dans son carquois. Et il u., 49,2, 6. m’a dit : C’est une grande chose que d’être appelé mon enfant» 3. Comprends ce que veut dire la flèche, et comment elle a été choisie par le Seigneur. Comme c’est heureux d’être blessé par cette flèche ! C’est par ccttc flèche qu’ont été blessés ceux qui s’entretenaient entre eux en disant : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de 1a 24, 32. nous, en chemin, lorsqu’il nous expliquait les Écritures ? » Si quelqu’un est blessé par notre parole, par l’enseigne­ ment de la divine Écriture, et s’il peut dire : Je suis blessé de charité, peut-être cela s’applique-t-il à lui. Mais pourquoi dis-je « peut-être » ? N’est-ce pas évident ? 9. «Sa main gauche est sous ma tête Cant., 2, 6. L’étreinte et sa main droite m’étreindra ». Le Verbe de Dieu a une main gauche et une main droite ; la Sagesse tout en étant multiple sa,.» 7. 27. suivant sa variété d’intelligence, est une en son fond. Salomon lui-même nous a instruits de la droite et de la gauche de la Sagesse quand il a dit : « La longueur et les Prov., 3. 16. années de vie sont dans sa droite, mais dans sa gauche 33). — Dans la littérature ascétique chrétienne» ce · dénuement » sera un rappel de lu préparation au martyre. 2. La · blessure d'amour ». point de départ d’un développement célèbre chez Icn auteurs mystkpies» est longuement expliquée par Origène au pro­ logue du grand Commentaire. · Sicut dicitur carnalis amor, quern ct Cupidi­ nem pcetœ appellarunt» secundum quem qui amat in carne seminat... ita est ct quidam spiritalis amor» secundum quem ille interior homo (cf. Introd., p. 23) amans» in spiritu seminat... Amore nutem ct cupidine cælesti agitur anima, cum perspecta pulchritudine ct decore Verbi Dei speciem cius ada­ maverit ct ex ipso telum quoddam ct vulnus amoris acceperit » p. 66-67. (Cf. aussi p. 194). Cf. aussi, sur FappUcation du gladius aculus à la blessure d'amour du Cantique, Comm. in Joann.. i. 32. (Ed. Prenschcn» iv, p. 41, 4 et $v). Sur la flèche» cf. Guégoirr dp. Nysse, Jn (.Vint Horn. 4 ; P. G. 44. 852-853, (cf. von Balthasar» Présence cl Pensée. Paris. 1912, p. 129). 3. Le missel romain (Introit du 24 juin), conformément à la tradition patristique» applique ce texte à saint Jean Baptiste, l’ami de l’Époux par excellence, qui le précède comme la flèche précède le chasseur. 96 IIOMILIA SECUNDA faciat requiescere, et bracchium sponsi fiat « cervical » meum et reclinetur animae principale super sermonem Dei. « Laeva eius sub capite meo ». Non tibi expedit ha­ bere « cervicalia », quae lamentatio sequitur. In Ezechiel scriptum est : u vae iis, quae consuunt cervicalia sub omni cubitu manus ! » Noli « consuere cervicalia », noli α capiti » aliunde requiem quaerere, habe sponsi » laevam sub capite tuo» ct dic : « laeva eius sub capite meo». Quam cum habu­ eris, omnia tibi, quae sunt « in laeva » tribuentur; dices quippe : «in sinistra autem cius divitiae et gloria ». «Et dextera eius complexabitur me ». Totum te sponsi « dex­ tera complectatur ». « Longitudo quippe et anni vitae in dextera eius » ct ob id «longae vitae et multorum dierum eris super terram bonam, quam Dominus Deus tuus dabit tibi ». « Adiuravi vos, filiæ Hierusalem, in virtutibus ct viri­ bus agri »*. Quid « adiurat » sponsa « filias Hierusa­ lem »? « Si levaveritis et suscitaveritis caritatem »''. Quamdiu « caritas » dormit in vobis, ο α filiae Hierusalem», o «adulescentulae», quae in me non dormit, quia «vulne­ rata sum caritatis» ? In vobis autem, quae et plures estis ct adulescentulae» et « filiae Hierusalem », dormit «caritas» sponsi. » Adiuravi » ergo « vos, filiae Hierusalem », « si levaveritis » et non solum α levaveritis », sed et « suscita­ veritis », quae in vobis est « caritatem ». Creator universia. LXX : "üpxiwt ύμίζ. θυγατέρες 'Ιερουσαλήμ, tv δυνίμεσι χβί εν lovvcect τού αγρού, b. LXX : ίάν έγςίρητι καί ίξιγεφητε τήν αγάχην. 1. Saint Irénée avait appliqué au Père, en parlant des personnes divines, la comparaison des « mains », pour le l’ils et l’Espril Saint. Cette idée qui lui est de venue très familière à partir du Livre IV do l’Ada. //arr.t. (Cf. les citations dans .1. Lebreton, H ivoire dit Do'imcdc la Trinité. if, p. 579). ct qu’on retrouve aussi dans la Demonstratio evangetica ainsi que dans les apocryphes clément ins, surtout dans les Homélies (cf. Ibid., p. 580, note), ne vise co- SECONDE HOMÉLIE 96 sont richesses et gloire » x. Donc sa main gauche est sous ma tête afin qu’elle me fasse reposer, que le bras de l’Époux devienne mon oreiller, et que la partie maîtresse de mon âme repose sur le Verbe de Dieu, a Sa main gauche est sous ma tête ». Il ne te sied pas d’avoir des oreillers qui te font soupirer. Il est écrit dans Ezéchiel : « Mal- et-, n, is· heur à ceux qui cousent des coussins sous toutes les cour­ bures de la main ». Ne couds pas des coussins, ne recherche pas ailleurs de repos à ta tète, aie la main gauche de l’Époux sous ta tête, et dis : « Sa main gauche est sous ma tête ». Lorsque tu l’auras ainsi, tout ce qui est dans la main gauche te sera accordé, et tu diras : a Dans sa main gauche sont richesses et gloire » 2. Et sa main droite m’é­ treindra. Que la droite de l’Époux t’étreigne tout entier. « La longueur ct les années de vie sont dans sa droite », Prov.. 3. «fi­ et c’est pourquoi tu auras une longue vie ct beaucoup de Ex.. 20. 12. jours, sur la bonne terre que le Seigneur ton Dieu te donnera 3. « .Je vous en conjure, filles de Jéru- Canc.,2, 7. Second repos salcm, par les vertus et les forces du de l’Époux champ ». De quoi l’Épouse conjuret-elle les filles de Jérusalem ? « D’éveiller ct de faire lever la charité ». Depuis combien de temps la charité dortelle en vous, ô filles de Jérusalem, ô jeunes filles ? Cette charité ne dort pas en moi, parce que je suis blessée de charité. Mais en vous, qui êtes filles de Jérusalem, qui êtes nombreuses et jeunes, la charité de l’Époux dort. Je vous en conjure, filles de Jérusalem, si vous avez éveillé, ct non seulement éveillé mais aussi fait lever la charité qui est en vous ! Le Créateur de toutes choses, lorsqu’il pendant que Taction créatrice de Dieu. Origène la verra dans une autre pers­ pective en rappliquant a l'étreinte de Pâme. 2. En commentant ailleurs ce même passage d’Ézéchiel (Horn., ni, 3» Êd. Bæhrens, vin, 351,7)· Origène Pinterprète plus clairement encore de l'amour îles voluptés terrestres : · cum aliquis... loquitur quæ vicina sunt voluptati, talis magister consuit cervicalia sub omni cubito manus ·. Ce ne sont point ccs voluptés, mais le bras de l’Époux, son étreinte, qui doit servir d’oreiller à Pâme fidèle. 3. La « longueur » de l’éternité, ct la · terre · du ciel, fruits du renoncement au choses de ce monde, et de l’union avec l’Époux. 97 H0M1L1A SECUNDA latis cum vos conderet, inseruit cordibus vestris semina « caritatis ». Nunc autem, sicuti alibi dicitur : « iustitia dormivit in ea », sic « dilectio dormitat in » vobis; iuxta quod et alibi : α sponsus requievit ut leo et ut catulus leonis ». Adhuc « in » infidelibus et his qui corde sunt dubio, a dormitat » sermo divinus, vigilat in sanctis ; « dor­ mit in » his qui tempestatibus fluctuant, suscitatur vero eorum vocibus, qui cupiunt sponso vigilante salvari. Statim iit eo vigilante « tranquillitas », statim undarum moles conquiescunt, spiritibus contrariis increpatur, fluc­ tuum rabies silet ; illo « dormiente » tempestas, mors et desperatio est. « Adiuro » ergo « vos, filiae Hierusalem, in virtutibus et in viribus agri ». Cuius agri ? Nempe illius, cuius o odor agri pleni, quem benedixit Dominus ». 10. « Si levaveritis et suscitaveritis caritatem, quoad­ usque velit. Vox fratruelis mei ; ccce hic venit saliens super montes Haec adhuc loquitur ecclesia exhortons « adulescentulas » ut ad sponsi praeparentur adventum, si tamen venire voluerit et suum illis praebere colloquium. Adhuc igitur loqucnle ea advenit sponsus, quem digito monstrat et dicit : « ecce hic venit saliens super montes ». Intelligc sponsae animam beatam atque perfectam, quae citius videat, citius sermonis contempletur adventum, quae sibi sapientiam, sibi venisse sentiat « caritatem » et dicat non videntibus : « ecce hic venit ». Orate, ut et ego possim dicere : « ecce hic venit ». Si enim potuero Dei disserere sermonem, quodammodo et ego dico : « ecce hic venit ». Quo ? Non utique, ubi vallis, non ubi humilia loca. Quo venit *? « Saliens super montes, transiliens super colles »b. Si fueris * mons », « salit » in te sermo Dei; si a. LXX : 5ως ού Οελήσι;. Φωνή *μου ιδού b. LXX :6ια/.Λ0μ£70ς ίπί τούς βουνού;. πτ/,ών έζί τά ίρη SECONDE HOMÉLIE 97 vous créa, inséra dans vos cœurs des semences de charité. Mais à présent, de même qu’il est dit ailleurs : « La jus­ tice a dormi en elle », ainsi l'amour sommeille en vous ; u., i, 21. de même il est dit ailleurs encore : « L’Époux s’est reposé comme le lion et comme le lionceau ». Le Verbe de Dieu Nomb.. 24,9. sommeille encore dans les infidèles et en ceux qui ont le doute dans le cœur1. Il veille dans les saints. Il dort dans ceux qui sont ballottés par les tempêtes, mais il «<.,«, 23 »v. s’éveille aux cris de ceux qui veulent être sauvés par l’Époux éveillé. Quand il est éveillé, aussitôt la tranquil­ lité revient ; le tumulte des eaux s’apaise ; il commande aux vents contraires ; et la rage des flots fait silence. Quand il dort, c’est la tempête, la mort, le désespoir. « Je vous conjure donc, filles de Jérusalem, par les vertus et les forces du champ ». De quel champ ? De celui dont « l’o­ deur est d’un champ rempli, et que le Seigneur a béni ». Gcn., 27. 27. 10. « D éveiller et de faire lever la tant., 2.7-8. . . chante, jusqu a ce qu il le. veuille. La r apparai voix mon bien-aimé 1 Le voici venir sautant sur les montagnes ». C’est encore l’Église qui parle ainsi, exhortant les jeunes filles à se préparer à la venue de l’Époux, si toutefois il veut bien venir, et leur accorder son entretien. Elle parle encore quand l’Époux arrive ; elle le montre du doigt et dit : « Le voici venir, sautant sur les montagnes ». Entends ici l’âme de l’Épouse, bienheureuse et parfaite. Elle voit si vite, elle contemple si vite la venue du Verbe, elle sent que la Sa­ gesse est venue pour elle, que la charité est venue pour elle, et elle dit à celles qui ne voient point : « Le voici venir ». Priez pour que je puisse dire moi aussi : « Le voici venir ». Si j’ai pu exposer la parole de Dieu, moi aussi je dis d’une certaine manière : « Le voici venir ». Où ? Non point où se trouve une vallée, bien sûr, ni des en_ , 1. Il semble bien que le mot scrmo doive signifier ici le Verbe (cf. lf*Hom.» p. 71, note) qui sommeille dans les âmes, et qui s’éveille soudain pour ceux qui comme les disciples dans le passage auquel se réfère le texte (Mt., S, 25), crient vers le Seigneur : · Seigneur, sauvoz-nous. nous périssons >. 98 HOMILIA SECUNDA non valueris esse « mons », sed fueris « collis » secundus a « monte », « transilit super » tc. Quam vero pulchra et convenientia rebus vocabula 1 « Salit super montes », qui maiores sunt ; « transilit super colles », qui minores sunt. Non transilit super rnontes, non salit super colles : « ecce hic venit saliens super montes, transiliens super colles ». 11. « Similis est fratruelis meus capreae aut hinnulo cervorum in montibus Bethel *». Haec duo animalia in scripturis frequentius nominantur ct quo amplius admireris, saepius iuncla ponuntur. « Et haec sunt » ait « quae manducabis », post paululum inferens « capream » ct « cer­ vum ». In praesenti quoque libro pariter appellantur «cer­ vus » et caprea ». Quodammodo enim cognata sibi ct vicina sunt ista animalia. « Caprea », id est dorcas, acutis­ sime videt ; « cervus » interfector serpentum est. Quis putas est dignus e nobis, qui iuxta dignitatem loci atque mysterii plenam possit explicare rationem ? Oremus Deum, ut nobis gratiam largiatur « ad aperiendas scrip­ turas» et possimus dicere : quomodo «adaperiebat nobis» lesus « scripturas » ! Quid igitur ? Dicimus quia dorcas, hoc est « caprea », secundum eorum physiologiam, qui de naturis omnium animalium disputant, cx insita sibi vi nomen acceperit ; ab eo enim quod acutius videat, id a. !,XX : "Οαο:ός έστι άοελοώός ,αου t/, ίορκάοι, ή τά όρη Βα’,Οζ). έπΐ 1. Cette Idée avait déjà été exposée par Hippolyte, dans son Commentaire sur /r Cantique (Éd. Bonwetscii, Hippolytus Kommentar zum Hohenlied, dans Texte und Untersuchungen. 25, 2, C (1902). < Le Verbe saule du ciel dans le corps de la Vierge» de ce saint corps, il bondit sur l’arbre de la Croix, SECONDE HOMÉLIE 98 droits profonds1, a Sautant sur les montagnes, franchis­ sant les collines ». Si tu es montagne, le Verbe de Dieu saute sur toi ; si tu ne peux être une montagne, mais si tu es une colline, inférieure à la montagne, il te franchit. Comme ces mots sont beaux ct appropriés ! Il saute sur les montagnes, parce qu’elles sont plus hautes ; il franchit les collines parce qu’elles sont plus basses. Il ne franchit pas les montagnes, il ne saute pas sur les collines : « Le voici venir, sautant sur les montagnes, franchissant les collines ». Le cerf * ^on bien-aimé est semblable Cant, 2, 9. . .. à une gazelle ou au petit du cerf, sur et ia gazelle monUgnes de BéthcI # Ces dcux animaux sont fréquemment cites dans les Écritures, et ce qui est encore plus admirable, ils sont souvent cites ensemble. « Voici ce dont tu mangeras », est-il dit, et l’on Dcut., «4, 4. cite ensuite a la gazelle et le cerf ». Dans notre ouvrage également on rapproche le cerf ct la gazelle. Ces animaux sont en effet très apparentés ct voisins. La gazelle (δορκά;) a l’œil très perçant ; le cerf est tueur de serpents. Qui d’entre nous, est digne, penses-tu, de pouvoir expliquer ceci suivant la dignité de cc passage ct son mystère, d'en rendre pleinement raison ? Prions Dieu qu’il nous accorde la grâce d’ouvrir les Écritures, ct puissions-nous dire : Comme Jésus nous ouvrit les Écritures ! Quoi donc, alors ? Le, 24, 32. Nous disons que la gazelle, selon la physiologie de ceux qui dissertent de la nature de tous les animaux, a reçu son nom d’une faculté qui se trouve en clic. On l’appelle gazelle — δορκά; — en raison de sa grande acuité visuelle, de l’arbre il bondit dans les enfers» de là il rebondit de nouveau, reprenant sa chair humaine, sur la terre ·. Saint Ambroise l’a reprise : · Deus est Deus montium et non vullium. Ubi ergo salit ? Super montes salit. Si sis nions, salit super te... si non potes mons esse, nec prævalcs, esto vel collis, ut super te Christus ascendat, et si transilit· ita transiliat ut te transitus eius umbra custodiat · (Exp. in Ps. 1Î8, 6 ; P. L., 15, 137). D’autres Pères l’ont reprise encore, par exemple, saint Grégoire le Grand dans son Horn. 29 sur les Évangiles (P. L, ,70, 1219), passage qu’on lil nu bréviaire * romain en l’Octave de ΓAscension. Cf. également cc que dit Origène sur ce verset dans le Grand Commentaire (Bæhrens, p. 201 ct sv. et surtout In Joh.9 xm, 3 (Ed. Preuschcn, iv, p. 229, 3 cl sv. à propos du verset /ons saliens in uitani aelernam). — Voir aussi /n Rom.. vu, 11 (P. G., 11, 1132 C-D). 99 IfOMILIA SECUNDA est παρά το οξυδερκεστερον, dorcas appellata est. « Cervus » vero inimicus serpentum atque bellator est, ita ut spiritu narium eos extrahat de cavernis et superata pernicie veneni eorum pabulo delectetur. Forsitan Salvator meus « caprea » sit iuxta θεωρίαν, « cervus» iuxta opera. Quae­ nam ista sunt opera ? Interficit ipse serpentes, contrarias fortitudines iugulal, ideo dicam ei: «tu contrivisti capita draconum super aquam ; tu contrivisti capita draconis ». 12. « Similis est fratruelis meus capreae vel hinnulo cervorum super montes domus Dei ». « Bethel » quippe interpretatur domus Dei. Non omnes α montes » domus Dei sunt, sed hi qui « montes » ecclesiae sunt. Inveniuntur quippe et alii « montes » erecti et consur­ gentes « adversum scientiam Dei « montes » Aegypti et Allophylorum. Vis scire quia « similis sit fratruelis » eius « capreae aut hinnulo cervorum super montes Bethel » ? Esto « mons » ecclesiasticus, « mons » domus Dei, ct veniet ad te sponsus «similis capreae vel hinnulo cervorum super montes Bethel ». Cernit sponsum appropinquasse vicinius, qui ante « super montes » versabatur et « colles », assimilai cum « transilientem atque salientem ». Et post haec ad se ct ad alias « adulescentulas » advenisse cognoscens dicit : « ecce hic retro post parietem nostrum»". Si aedificaveris a. LXX : ‘Ιδού ούτος ϊστηχςν οπίσω τού τοίχον ημών 1. Saint Jérôme n’a pu mieux faire que de reproduire ici les mots grecs d’Origène avec leurs assonances (dorkas. derkes) pour expliquer cette éty­ mologie fantaisiste. On peut noter que la gazelle était chez les Hébreux l’image do la beauté ; c’est pourquoi elle est appliquée ici à l’Epoux (Cf. ViGouRovx, Dictionnaire de la Bible, t. II. col. 126). Quant au cerf, il est souvent l’image de l'homme spirituel (Cf. Pitka» Afdttonfo Ctavis, dans le Spicilegium solc&mrrisc, I. III. p. 68). — Dans son Commentaire sur saint Jean. Origène parle de l’acuité de vision à propos des yeux de la colombe, en se référant à Cant. 1,15 (In loann^ x, 28» Éd. Prcuschcn, iv. p. 201. 16). 2. Sur le Christ · tueur de Serpent » cf. Grégoire de Nysse, In Nat. SECONDE HOMÉLIE 99 c’est-à-dire παρά το οξυδερκέστερο'/1. Le. cerf, d’autre part, est l’ennemi ct le pourchasseur des serpents, car, par le souffle de ses narines, il les fait sortir des trous et, neutra­ lisant la malice de leur venin, il s’en repaît avec volupté2. Peut-être mon Sauveur est-il une gazelle selon la theoria, et un cerf selon les œuvres3. Quelles sont ces œuvres ? 11 tue les serpents, il étrangle les puissances ennemies, c’est pourquoi je lui dirai : « C’est toi qui as brisé les têtes des p$„ 73, 13. dragons dans les eaux ; c’est toi qui as brisé les têtes du dragon ». 12. « Mon bien-aimé est semblable cant., 2, 9. à une gazelle ou au petit du cerf sur les montagnes de la maison de Dieu ». Béthel en effet se traduit « maison de Dieu ». Toutes les montagnes ne sont pas des maisons de Dieu ; seules le sont les montagnes d’Église. On en trouve en effet qui sont des montagnes dressées ct érigées contre la science de Dieu, et qui lui sont contraires : ainsi les montagnes n Cor., 10, de l’Égypte et des Allophylcs 4. Veux-tu savoir que son bien-aimé est semblable à la gazelle ou au petit du cerf sur les montagnes de Béthel ? Sois toi-même montagne ecclésiale, montagne de la maison de Dieu, et l’Époux viendra à toi, semblable à la gazelle ou au petit du cerf sur les montagnes de Béthel 5. Elle voit que l’Époux s’est approché tout près, et lui, qui se trouvait auparavant sur les montagnes et sur les collines, elle le voit « sembla­ ble » franchissant et sautant. EL ensuite elle se rend compte «le ce qu’il est venu vers elle ct vers les autres La Maison Dieu .A Christi. P. G.. -16, 1133 (cf. H. von Balthasar, Présence et Pensée. Paris, 1942, p. 108). 3. Œuvres : praxis. L'application de ces termes de la vie spirituelle (Οίωρία-πράξις) au Christ lui-même, tout Λ fait conforme à la théologie cxcmplarisle d’Origène (Cf. VXBLKRR, Das VoUkommcnheitsideal des Oriçenes. 1931, p. 7C ct sv., 102 et sv.), oppose ici l'œuvre de la rédemption accomplie par le Christ, avec son combat sur la mort ct sur renter (cerf), à la vie du Verbe en Dieu et avec Dieu, modèle de toute contemplation (gazelle). Ceci est mis en parallèle avec la vie active et contemplative du chrétien, selon la manière des anciens Pères. 4. Les Allophyles sont, dans le langage des Septante, les Philistins. 5. Saint .Jérôme traduit d'abord nions ecdesite9 ensuite, nions ecctesiaslicus. Nous avons traduit comme plus haut · montagne ecclésiale ». 5. 100 1ΙΟΜΠ.ΙΛ SECUNDA « parietem » et feceris aedificationem Dei, venit « post parie­ tem » tuum. « Prospiciens per fenestras Una « fenestra » unus est sensus, α per hunc « prospicit » sponsus ; alia « fenestra » alius sensus, et « per » hunc sponsus sollicite « contuetur ». « Per » quos enim sensus non « prospicit » sermo Dei ? Quid sit autem « prospicere per fenestras » et quomodo « per » eas sponsus « adspiciat », sequens docebit exemplum. Ubi non » prospicit » sponsus, ibi « mors » invenitur « adseendens », ut legimus in Ilieremia : « ecce mors adseendit per fenestras vestras ». Quando «videris mulierem ad concupiscendum eam », « mors adseendit per fenestras vestras ». « Eminens per retia Λ « Intellige quia in medio laqueorum ambules et subtus machinas transeas immi­ nentes ». Omnia « retibus » plena sunt, diabolus « laqueis » cuncta complevit. Si autem venerit libi sermo Dei ct coeperit « eminere de retibus », dices : « anima nostra sicut passer erepta est de laqueo venantium : laqueus contritus est, et nos liberati sumus. Benedicti nos Domino, qui fecit caelum et terram ». « Eminet » igitur sponsus « per retia » ; viam tibi fecit Icsus, descendit ad terras, subiecit se « retibus » mundi ; videns magnum hominum gregem « retibus » impeditum nec ea ab alio nisi a se posse cons­ cindi, venit ad « retia », assumens corpus humanum quod inimicarum fortitudinum « laqueis » tenebatur, ea tibi disrupit et loqueris : « ecce. hic retro post parietem nostrum, prospiciens per fenestras, eminens per retia ». a. LXX : παρακύπτων διά :ων θυρίδων b. LXX : r/.χύζτων evi των δικτύων. SECONDE HOMÉLIE 100 jeunes filles, et elle dit : « Le voici derrière notre mur ». cent, 2, 9. Si tu construis un mur, ct si tu élèves l'édifice de Dieu, il viendra derrière ton mur. « Regardant par les fenêtres». Cant., 2. 9. Un de nos sens, c’est une fenêtre. Par lui l’Époux regarde. Tel autre sens sera une autre fenêtre, et par celui-là l’Époux considère L Par quels sens en effet le Verbe de Dieu ne regarde-t-il pas ? Qu’est-ce que regarder par les fenêtres ? Et comment l’Époux regarde-t-il par elles ? L’exemple suivant va te Je montrer. Là où l’Époux ne regarde pas, nous voyons la mort pénétrer, ainsi que nous le lisons dans Jérémie : « Voici que la mort pénètre par jér.. 9. 20. vos fenêtres ». Lorsque tu regardes une femme pour la mi.. 5. 28. convoiter, la mort pénètre par tes fenêtres. « Apparaissant par les filets »3. « Sache que tu marches c«nt, 2,9. au milieu des lacets, ct que tu passes sous des échafau- eccü., 9. 20. dages menaçants ». Tout est rempli de filets ; le diable a tout envahi par ses lacets. Si le Verbe de Dieu vient, ct s’il commence à apparaître par les filets, tu diras : <1 Mon âme a été comme un passereau, retirée du lacet *··· ,23· 7-8 des oiseleurs ; le lacet s’est rompu et nous avons été libé­ rés. Nous sommes bénis de Dieu, qui a fait le ciel ct la terre ». L’Époux apparaît donc par les filets. Jésus t’a frayé le chemin ; il est descendu vers la terre ; il s’est soumis aux filets du inonde ; en voyant un grand trou­ peau d’hommes embarrassés dans des filets, et voyant que ces filets ne pouvaient être rompus par aucun autre que par lui, il vint vers ces filets. 11 prit un corps humain, retenu par les liens des puissances ennemies, et il rompit ces liens 3. C’est pour toi qu'il l’a fait, et tu peux dire : « Le voici derrière notre mur, regardant par les fenêtres, et apparaissant par les filets ». 1. Dans le premier cas (regarder), porter une attention bienveillante *. dans le second (considerer), une attention malveillante. 2. Dans son De Oratione (29.9), Origène avait appliqué ce verset à l’âme prise nu filet de la tentation dont le Christ vient la libérer (fai. Kœlschau, n, p. 385. 21). 3. Dieu a délivré le Christ ■ des liens de la mort · (Act., 2, 2-1). 101 HOMILIA SECUNDA Cum « eminuerit », dices tibi : « respondet fratruelis meus et dicit : surge, veni, proxima mea »*, viam tibi fcci, conscidi « retia », sic « veni » ad me « proxima mea ». « Surge, veni, proxima mea, speciosa mea, columba mea Λ Cur ait : a surge. », cur « propera » '? Ego pro te sustinui rabiem tempestatum, ego fluctus, qui tibi debebantur, excepi ; « tristis est » facta « anima mea » propter te « usque ad mortem » ; « surrexi a mortuis » fractis « mortis aculeis » et inferni vinculis dissolutis. Ideo dico tibi : « surge, veni, proxima mea, speciosa mea, columba mea, quia ecce hiems transiit, pluvia abiit sibi, flores visi sunt in terra»r. Ego « a mortuis surgens » tempestate compressa « tran­ quillitatem » reddidi. Et quia secundum dispensationem carnis ex virgine et voluntate patris « crevi et sapientia atque aetate profeci », « flores visi sunt in terra, tempus sectionis adest » ‘. « Sectio » remissio peccatorum est. « Omnem » enim ait « ramum in me manentem et afferentem fructum pater meus mundat, ut fructus maiores afferat ». Habeto « fruc­ tus », et priora quae in te infructuosa sunt, «auferentur». « Tempus » quippe « sectionis adest, vox turturis audita est in terra nostra »”. Non sine causa in sacrificiis assu­ mitur « par turturum et duo pulli columbarum». Nam idem valent et numquam dictum est separatim « par » a. LXX : ’■Χκοζ,-κν'τα·. άδ2/.φ:όός μου χαί μθΐ· ’Ανάστα. έ/Λέ, r. π/.ητ'ον μου, b. LXX : xa/.ή j.gu. "ρστίρί μου, c. LXX : δτι ιδού ό χΐιμων ό ύ<τό< ίπτ,/Λ:ν. ζχορίύΟη ίαυτω·, τά α·Αη ώφΟη ίν τζ yr,, d. LXX : ΧΛ·.ρύς τή< τομχς ζφ6αχ;ν·. e. LXX : φωντ. τού τρυγδνος τ.κούσΟη τή yf, ημών. • Saint Jérôme abrège : abiit sibi, nn Heu de abiit at discessit sibi, plus littéral, que Rutln a conservé dans Io grand Commentaire (Éd. Bæhrcns· p. 225, 20). SECONDE HOMÉLIE 101 Lorsqu’il apparaîtra, tu tc diras : « Mon bien-aimé répond ; il dit : Lève- cant., 2. 10 toi, viens, ma toute proche » ; je t’ai frayé la voie, j’ai rompu les filets, viens donc à moi, ma toute proche. « Lève-toi, viens, ma toute proche, ma toute belle, ma colombe ». Pourquoi dit-il : « Lève-toi », pourquoi « hâte-toi1»? J’ai enduré pour toi la rage des tempêtes, ml, s. 2J. j’ai supporté les flots qui devaient t’assaillir ; mon âme est devenue triste jusqu’à la mort à cause de toi. Je suis ml, m, ressuscite des morts après avoir brisé l’aiguillon de la mort et dénoué les liens de l’enfer. C’est pourquoi je te dis : « Lève-toi et viens, ma toute proche, ma toute belle, ma colombe, parce que voici que l’hiver est passé, la cant., 2. 10. pluie s’en est allée, et les fleurs ont apparu sur la terre ». Ressuscité d’entre les morts, j'ai réprimé la tempête, et ramené la tranquillité2. Et parce que, dans l’ordre delà ml. 8, 24. chair, je suis né d’une vierge et de la volonté de mon Père, et parce que j’ai progressé en sagesse et en âge, u, 2. 52. a les fleurs ont apparu sur la terre, le temps de la taille ont., 2. 12. est arrivé ». La taille, c'est la rémission des péchés. Il est dit, e.n effet : « Tout rameau, qui demeure en moi et porte du Jn, 15. 2. fruit, mon Père le taille pour qu’il porte des fruits plus abondants ». Aie donc des fruits, et tout ce qui est infruc­ tueux en toi sera enlevé, a Le temps de la taille est arrivé, le roucoulement de la colombe s’est fait entendre sur Cant., 2, tx notre terre ». Ce n’esl pas sans raison que dans les sacri­ fices on prenait « une paire de tourterelles et deux petits uv, 5. 7. de colombe ». Ils s’équivalent, et jamais on n’énonce séparément une paire de colombes seulement, mais une L’appel de l’Époux 1. Saint Jérôme devance ici la traduction qu’l! Axera dans In Vulgate : ■ pro/nra ». Partout ailleurs, lui et les autres ont traduit du grec iW» par utni. 2. Cctto idée de la Résurrection du Christ préludant au réveil de la nature, a été fréquemment répétée dans la littérature chrétienne. Origène lui donne ici une forme beaucoup plus ample en l’appliquant ù toute l'histoire du salut. — Dans son Exhortation au Martyre, Origène avait appliqué cc verset Λ la gloire du martyr, qui suivait ses souffrances (ïïd. Kcetschau, i, p. 27, n. xxxi). ORIGÈNE 10. 102 HOM ILIA SECUNDA tantummodo « columbarum », sed « par turturum ct duo pullos columbarum ». « Columba » Spiritus sanctus est. Spiritus autem sanctus, quando de magnis et occultioribus sacramentis et quae multi capere non possunt, loquitur, in « turturis » appellatione signatur, id est in eius avis, quae semper in montium iugis et in arborum verticibus commoratur. In « vallibus » autem et his, quae ad homines usque perveniunt, « columba » assumitur. Denique Sal­ vator quia hominem est dignatus assumere ct venit ad terras multique tunc circa Iordanem peccatores erant, idcirco Spiritus sanctus non in « turturem » vertitur, sed « columba » fit et inter nos propter hominum multitudinem avis mansuetior conversatur. « Turtur » autem videtur, verbi gratia, Moysi et uni [quemlibet intelleget] prophe­ tarum recedentium in montes et deserta et ibi accipien­ tium sermones Dei. « Vox » ergo « turturis audita est in terra nostra ; ficus produxit grossos suos « A fico dis­ cite parabolam ; cum ramus eius tener factus fuerit et folia miserit, scitote quia iuxta est aestas ». Vult nobis Dei eloquium nuntiare post u hiemem », post procellas animarum appropinquasse messem et ait : « ficus protulit grossos suos, vites florescunt, dederunt odorem suum ; rumpuntur in « florem », « tempus adveniet » ct erunt uvae. 13. « Surge, veni, proxima mea, speciosa mea, columba mea 1» ' . Haec quae superius exposuimus, sponsa non au­ dientibus « adulescentulis » ct sola sponsum audiens lo­ quitur. Volumus autem ct ipsius iam audire sermonem n. LXX : r, οζή ίξ/.νιγζι·? ÀÀ-jvOo·,·; αύ-.ΐ.ς. b. LXX : . 103 HOMILIA SECUNDA Joquentis ad sponsam : « surge, veni, proxima mea » — non vocat « adulescentulas » neque dicit : surgite, sed : ■a surge, veni, proxima mea » - « speciosa mea, columba mea, et veni, columba mea, sub tegmine petrae » . Et Moyses « in tegmine petrae » ponitur, ut α videat poste­ riora Dei». «In tegmine antemuralis» . * Primum veni ad id, quod ante murum est, et postea poteris introire, ubi murus est « petrae ». « Ostende mihi faciem tuam »b. « Usque ad praesentem diem » similia dicuntur ad spon­ sam, necdum habebat fiduciam, ut «revelata facie glo­ riam Domini contemplaretur ». Quia vero iam ornata est atque composita, dicitur ei : « ostende mihi faciem tuam ». Nondum erat « vox » ipsius ita « suavis », ut mere­ retur ei dici : « audire me fac vocem tuam »* ’. Quando ergo didicit loqui — « tace » enim « et audi Istrahel » — et scit, quid loquatur, et « suavis » facta est sponso «vox» eius secundum illud propheticum: « suavis fiat ei dispu­ tatio mea », tunc ad eam sponsus elTatur : « et audire me fac vocem tuam, quia vox tua suavis est » '. Si aperueris os tuum Verbo Dei, dicet tibi sponsus : « vox tua suavis et adspcctus tuus speciosus Quapropter consurgentes dcprcccmur Deum, ut digni eiliciamur sponso, sermone, sapientia, Christo lesu, « cui est gloria et imperium in saecula saeculorum. Arnen ! ». a. b. c. d. e. I.XX : ev σχέκη τ/.ς «ή?ϊ< έχόμίυ» τοί πσοτηχίσμχτος, LXX : δϊίξόν μοι τ+,ν σου, και LXX : άκούτισόν μβ τί,ν υωνήν σου, Ι.ΧΧ : δτι t Φωνή σου ζ,ίεία LXX : καί τ, οψκ σου ύρα-χ. SECONDE HOMÉLIE 103 parle à l’Êpouse : « Lève-toi, viens, ma toute proche ». Il n’appelle pas les jeunes filles, et ne dit pas : « Levezvous », mais : « Lève-toi, viens, ma toute proche (ma toute belle) ’, ma colombe, et viens, ma colombe dans le cant.. 2, 14. creux du rocher ». Moïse aussi est placé dans le creux du Ex.. 33,32. rocher, pour voir Dieu par derrière â. a Dans le creux de l’avant-mur ». Viens d’abord à ce qui est « devant le mur », cant.,2,14. et ensuite tu pourras entrer là où est le mur du rocher lui-même. « Montre-moi ta face ». Jusqu’au jour présent, Cant.,2,14. de pareilles choses sont dites à l’Épousc, mais elle n’osait π c«·» 3> >*. pas encore contempler face à face la gloire du Seigneur. » c°r·. 3·18· Maintenant qu’elle est ornée et apprêtée, on lui dit : « Montre-moi ta face ». Sa voix n’était pas encore assez douce pour qu’elle mérite qu’on lui dise : « Fais-moi en- Cant- 2· ,4· tendre ta voix ». Mais quand elle a appris à parler — taistoi Israël, et écoute 3 — et qu’elle a quelque chose à dire, dcul, 27, 9. sa voix est devenue douce à l’Époux selon cette parole prophétique : « Que mon discours devienne doux ; ,03· 3< alors, l’Époux lui déclare : « Fais-moi entendre ta voix, parce que ta voix est douce ». Si tu ouvres la bouche pour le Verbe de Dieu, l’Époux te dira : « Ta voix est douce Cent, 2.14. et ta face est belle ». C’est pourquoi levez-vous, et prions Dieu qu’il nous fasse devenir dignes de l’Époux, Verbe, Sagesse, Christ-Jésus, à qui est la gloire et la royauté ,picf·· 4· *’· dans tous les siècles des siècles. Amen. 1. Bæhrens met encore crochets ccs mots qui figurent dans les Septante, (ή καλή μου) mais que beaucoup de ms. du texte de saint Jé­ rôme n’ont pas. 2. Allusion & la grande vision de Moïse sur le Sinaï, lorsque Dieu lui dît : « Quand ma gloire passent, je le met I nd dans le creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé » (Ex., 33, 22). 3. l.e sens semble être : à présent, c’est à l’église de parler ; Israël doit se taire, et écouter ce que dit l’église. INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES Genèse Psaumes 63, 64 76 97 76 i, 1 18, 1 27, 27 43, 16, 25 Exode 13, 15, 20, 26, 30, 31, 33, 3-8 1 12 34 34-35 3,11 32 60 60, 77 96 59 64, 83 64 101 Lévitique 5, 7 10, 14 16, 31 101 66 59 Nombres 12, 1 21, 17 24, 9 71 60 78, 81, 97 18, 9 22, 5 37, 6 44, 8 44, 9-10 67, 32 71, 8 73, 13 79, 9-10 103, 34 106, 42 117, 22 120, 6 123, 7-8 Proverbes 98 103 60 Juges 5, 2 61 II Rois 22, 2 61 III Rois 5. 3 10, 2, 10 74 67 JOB 7, 1 85 95, 96 80 65 87 3, 16 4, 6 4, 7 27, 10 Ecclésiaste 92 10, 19 Deutéronome 14, 4 27, 9 32, 1 87 66 64, 82 63 84 72 72 99 86 103 87 83 88 100 Cantique 1, 2 1. 4 1, 10 1,11 1, 12 1, 15 2, 1 2, 6 3, 5 5, 5 5, 14 6, 7-8 7, 2 8, 5 63, 90 58 67 63 51 67 89 65 74 73, 75 67 69 67 72, 75 71, INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES 106 Sagesse 95 7, 27 Ecclésiastique 100 9, 20 ISAIE 97 61 83 91 83 95 70 95 89 63 1,21 5, 1 8, 14 9, 1 40, 15 44, 2 45, 3 49, 2-6 55, 13 65, 24 JÉRÉMIE 9, 20 100 91 ÉZÉCHIEL 96 84 13, 18 23, 3 Daniel 83 2, 34 Michée 83 2, 11-1!2 Habacuc 77 3, 18 SOPHONIE 72 3, 10 Matthieu 3, 4, 5, 5, 5, 16 23 14 28 44 65 97, 101 101 88 88 72 93 73 92 68 93 102 65 77 81 82 82 101 88 Marc Lamentations 4, 20 6, 9 8, 23 8, 26 9, 2 9, 6 9, 18 10, 37 12, 42 13, 2-3 14, 3 22, 37-39 24, 32 24, 35 25, 33 26, 6 26, 7 26, 11-13 26, 38 28, 20 87 87 93 100 94 92 67, 68 82 4, 11 14,3 14, 5 Luc 91 101 68 81 67 91 95, 98 1, 35 2, 52 7, 36 7, 37 7, 38 16, 10 24, 32 Jean 1, 1 3, 29 10, 14 12, 3 12, 4 12, 5 13, 25 14, 6 15, 1 15, 2 92 69 77 68, 82 82 82 66 92 86 101 INDEX DES CITATIONS BIBLIQUES Romains 68 72 72,74 74 5, 5 9, 11 11, 11 11, 31 1, 1, 1, 3, 6, 9, 9, 21 25 30 1 17 12, 24 2, 15 3, 11 3, 14 3, 18 10, 5 I Corinthiens 61, 83 83 92 58. 80 93 22 75 69 II Corinthiens 64, 82 58 103 103 99 Galates Éphésie.ns 62 61, 69, 75, 77 93 93 Philippiens 2,7 83 COLOSSIENS 80 3, 19 I Timothée 1, 13 74 II Timothée 4,7 69 Hébreux 80 79 11, 10 13, 21 I Pierre 2, 7 4, 11 74 1, 23 4, 13 5, 27 5, 29 5, 31 107 83 103 Apocalypse 2,7 3, 20 89 92 PRINCIPAUX LIEUX PARALLÈLES D’ORIGÈNE Hom. in Jerem. Hom. in Gen. 24 22, 76 70 64 I III X XI Horn. in Levit. 102 22 66 II III VII Hom. in Ezcch. II in 87 96 Comment, in Joan. Præf. I 28 95 Hom. in Nam. 94 34 IX XII Hom. in Judic. V VI 1 Comment, in Cant. Prol. 20, 26, 27, 30, L. i 25, L. π 89, L. ni L. iv In Psalm. i, 4 61 34 62 23 74 94 36 72 XI De Princip. 21 64, 89 L. i L. π Contr. Cels. 22 L. i Phi local. L. VI 19 Héracl. 20 Fragm. Mercali. 25 58 INDEX ANALYTIQUE Abeille 60 Aine ecclésiale 77 Amour (charnel et spirituel) 64 Amour (bon et mauvais) 80 Amour des Époux 80 Amour (blessure d’) 94 Anges 62 Appartement du Roi 70 Arbres de la forêt 90 Archer 95 Argent (rehauts d’) 78, 81 Aromates 67 Boucs 77 Bouquet de myrrhe 83, 84 Brebis 76 Cantique des cantiques 59 Cellier 92 Cerf 98, 99 Chars de Pharaon 77 Charité répandue 67 Charité (ordre de la) 92 Cœur 71 Colline 98 Colombes 86, 87, 102 Courtines de Salomon 74 Course 69 Épi thalame 62 Épouse (beauté de F) 86 Épouse (membres de Γ) 67 Épouse (noirceur de F) 71 Épouse (seins de F) 84 Époux (baisers de F) 63 Époux (compagnons de F) 61 Époux (parfums de F) 64, 68 Époux (repos de F) 75, 96 Époux (seins de F) 66 Époux (sommeil de F) 97 Éthiopienne 72 Fenêtres 100 Filets 100 Flèche 95 Fleur des champs 89, 101 Folie de Dieu, 83 Gazelle 98 Goutte 83 Grappe de troène 85 Lambris de cyprès 89 Lion et lionceau 81 Lis des vallées 89 Lit ombragé 88 Main (droite et gauche) 95 Maison de Dieu 99 Maison du vin 92 Mamelles 84 Montagne 98 Mur 100 Odeur (mauvaise) 82 Œil de l’épreuve 85 Ombre 91 Or (imitations d’) 78, 81 Oreiller 96 Nom de Jésus 67, 90 Parfum d’un grand prix 90 Pécheresse 68, 81 Persécuteurs 74 Pierre de la montagne 83 Poitrine 71 11 0 INDEX ANALYTIQUE Pomme 90 Poutres de cèdres 89 Prochain 93, 94 Reine de Saba 73 Rocher (creux du) 103 Sabbat des sabbats 59 Saint des saints 59, 60 Serpent 99 Tentes de Cédar 73 Theoria-Praxis 99 Tourterelle 101 Troupeaux 76 Vigne 75 Vigne (d’Enggadi) 85, 86 Voix 101 INDEX DES AUTEURS CITÉS Abercius (Inscr.) 15. Ambroise (St) 16, 51, 73, 98. Aponius 7. Aqiba 11. Aquila 58, 83, 94. Augustin (St) 50, 51. Bæhrens W. A. 8, 45, 47, 54. Balthasar (H. von) 95, 99. Bardenhewer 0., 9,10. Bardy G. 32. Pareille 53. Basile (St) 8. Benoît d’Aniane (St) 55. Benz E. 45. Béraud N. 49. Bernard (St) 27, 30, 38,67. Bertrand F. 23, 66, 71, 75. Bettencourt S. 62. Bonsirven J. 12. Boulgakoft S. 67, 81. Brochet J. 10. Buzy D. 11, 39, 94. Cadiou A. 55. Cassiodore 47. Cavallera F. 17,44. Ceillier D. R. 49. Clément d’Alexandrie 60,62. 2a Clementis 15. Colomban (St) 48. Cornelius a Lapide 73. Damasc (St) 10, 58. Daniélou J. 17, 21 sv., 32 sv.» 62. De Brnyne D. D. 70. De Ghellinck J. 8. de la Rue C. et V. 53. de Lubac H. 9, 16, 18, sv. 59, 60, 71, 78. Devreesse R. 10. Doubrovsky 46. Dungal 48. Eck J. 50. Ehrcnsberger 45. Érasme 37, 49, 50 sv. Esdras IV 12. Feuillet A. il, 13, 15, 29. Fronton-le-Duc 52. Gilson E. 30. Gravius 52. Grégoire le Grand (St) 51, 82, 98. Grégoire de Nazianze (St) 8,55. Grégoire de Nysse (St) 95. Hain 49. Hausherr I 32, 35. Iléraclide 20. Hésiode 62. Hilaire (St) 50, 59. Hippolyte (St) 16, 17, 98. Huet D. 53. Horace 50, 51. Imbart de la Tour P. 50. Irénée (St) 96. Jean Chrysostome (St) 50. Jean de la Croix (St) 66. Jérôme (St) 7 sv., 45 sv., 58 sv. INDEX DES AUTEURS CITÉS Jonas Μ. 28. Josèphe 60. Klostemiann E. 45, 54. Kœtschau 54. Lagrange M. J. 68. Lebreton J. 28, 95. Leclercq D. J. 39, 46, 55. Licskc A. 23, 24. Lommatzsch 53. Maffei 53. Marc-Aurèle 24. Marians Victorius 52. Mannion D. C. 27. Martianay I). 52. Maurille de S. Michel 85. Méhat H. 29, 71. Mercati S. 58. Merlin J. 45, 49, 53. Méthode d’Olyinpc (St) 16. Migne, 53. Miller D. A. 13. Mohrmann Chr. 71. Mouroux J. 20. Müller G. 78. Notker 46 sv. Nygren A. 28 sv. Papias 31. Pélré H. 80, 92. Philastre 100. Philon 19. Pitra D. J.-B. 60, 99. Plantin 52. Platon 25. Podechard E. 11. 112 Prcuschen 54. Procope 77, 94. Pseudo-Ignace 16. Puech A. 77. Pucch II. C. 21, 34. Porphyre 35, 95. Quell J. 11. Rahner K. 22. Reuchlin 52. Rhenanus 53. Robert A. 11, 13, 39, 94. Rousselet P. 30. Rufin 8 sv. 46, 54, 58, 88 et passim. Salomon de Constance 46. Siegmund A. 9. Stauffer E. 11. Stolz D. A. 23, 28, 33, 75, 89, 91. Suidas 55. Symmaque 58, 84, 94. Tatien 62. Tertullicn 16, 50, 71. Theocrite 62. Théodore de Mopsueste 10. Théodotion 58. Théophile d’Antioche 62. Thomas d’Aquin (St) 25, 27. Vallarsi 53. Verecundus 60. Vigouroux 99. Vives 53. Vœlkcr XV. 23, 24, 99. TABLE DES MATIÈRES Pages Introduction .............................................................. Note préliminaire....................................................................... I. La Tradition spirituelle du Cantique avant Origène 1. La Tradition juive ....................................... 2. La Tradition chrétienne ............................... II. Préambules doctrinaux à l’intelligence des Homélies 1. 2. 3. 4. Les deux Mondes ct l’Écriture...................... Les deux Hommes ....................................... Sens corporel et sens spirituel....................... L’expérience des choses divines.................... III. La préparation au chant du Cantique d’après les Homélies............................................................................ 1. 2. 3. 4. L’Amour spirituel ......................................... L’Ascension mystique................................... L’Échelle des Cantiques ............................... Les sept étapes............................................... IV. Le Cantique expliqué dans les Homélies ................. 1. Les auditeurs d’Origène ............................... 2. Scénario des Homélies................................... 7 7 10 10 13 17 13 19 21 23 25 26 28 30 33 36 36 39 V. Manuscrits et éditions ..................................................... 44 1. Manuscrits...................................................... 2. Incunables et anciennes éditions imprimées. A. Érasme et Origène ................................... B. Édition du xvi,: siècle ......................... 3. Conclusion : Influence littéraire des écrits d’Origène sur le Cantique ........... 44 48 50 52 Bibliographie .............................................................................. 56 Texte et Traduction ................................................. 58 Prologue de saint Jérôme............................................. Première Homélie......................................................... Deuxième Homélie....................................................... 58 59 86 Index .............................................................................. 105 54 ACHEVÉ D’IMPRIMER LE 15 FÉVRIER 1954 SUR I.ES PRESSES DK l’imprimerik TARDY A BOURGES Dépôt légal I·' trimestre 1954 N4»