IMPRIMI POTEST : Clervaux, le 22 décembre 195(5 Fr. Petrus SALMON Abb. Admin. SS. Mauritii & Mauri Imprimatur : Paris, le 12 février 1957 t Jacobus LE CORDIE! v. g. SOURCES CHRÉTIENNES Collection dirigée pur II. de Lubac, S. J., et J. Daniélou, S. J. Secrétariat de Direction : C. Mondésert, S. J. N’ 49 LEON LE GRAND SERMONS TOME H TRADUCTION ET NOTES DE Dom RENÉ DOLLE MAINE |>K CI.RRVAV* LES ÉDITIONS DU GERE, 29. uo 1957 delà Tour-Maibourg, PARIS /1247 ΛΡ323Έ AVERTISSEMENT Ce volume fait suite au premier volume des Sermons de saint. Léon le Grand publié en 1949 (n° 22 de S. C.) et qui contenait les homélies pour .Noël et l’Épiphanie. L’édition complète des serinons prévoyait alors trois volumes. Il est apparu depuis que la matière se répartirait plus commodément en quatre volumes de dimension moyenne. On a donc modifié le plan primitif de publication en sorte que le second volume comprenne les homélies pour le carême et le troisième celles du temps pascal (Passion, Pâques, Ascension, Pentecôte). On a cependant adjoint les sermons pour les collectes aux sermons de carême : cela se justifiait par la parenté des sujets traités, une des pratiques essentielles du carême étant l’aumône. Ainsi resteront pour le quatrième volume les sermons pour les Quatre-Temps, ceux en l’honneur des saints et ceux pro­ noncés par le pape pour l'anniversaire de son élection. Une nouvelle table de concordance entre l’édition Ballerini-Migne et la présente édition figure h la lin de ce volume. Pour les traductions de ce second volume, on s’est efforcé de tenir compte des observations recueillies à l'occasion de la publication du premier, et cela surtout en serrant de plus près le texte, sans pourtant, nous l’es­ pérons du moins, trop nuire à l’élégance. La traduction d’un auteur comme saint Léon présente à la fois une facilité et un écueil : d’une part la beauté de son style et son tour oratoire aident à retrouver en français quelque chose du 8 AVERTISSEMENT rythme de sa période et de l’heureux équilibre de sa phrase, mais, d’autre part, on risque de se laisser entraîner par la recherche ainsi encouragée de l'élégance et de dépasser la fidélité au texte, trahissant ainsi l’auteur : comme on l’a dit, un traducteur ne doit pas substituer une éloquence à une autre éloquence. Une traduction n'est jamais terminée... Toute impari faite que soit celle-ci, nous voulons espérer qu'elle ne sera pas sans utilité pour attirer des lecteurs à une fré­ quentation plus assidue des textes qui nous restent du saint Docteur *. 1. Nous exprimons notre gratitude au R. P. Lournxs. j.,qui a bien voulu lire lu traduction des semions contenus dans w tntne II et nous signaler ce qui devait être corrigé et ce qui pouvait être amélioré. TEXTE ET TRADUCTION SERMONES 20 (VI) DE COLLECTIS SERMO I Multis divinarum Scripturarum testimoniis edo­ cemur quantum eleemosynarum meritum et quanta) sit virtus. Certum est enim unumquemque nostrum animæ suæ benefacere, quoties misericordia sua inopiæ succurrit alienæ'. Prompta ergo, dilectissimi, et facilis apud nos largitas esse debet, si credimus id sibi unumquemque præslare quod indigentibus tri­ buit. Thesaurum enim suum condit in cælo qui Chri­ stum pascit in paupere 12. Benignitatem itaque in hoc 3* et dispensationem divinæ pietatis * agnosce. Idcirco enim te abundare voluit, ut per te alius non egeret, et per ministerium operis tui pauperem ab egestatis labore, teque a peccatorum multitudine liberaret5. 0 1. Cf.Prov., XI. 7. 2. Cf. Luc, XII, 33; Matth., XIX, 21. Lc texte ile saint Luc cité par saint Leon et qui s'applique â l'abandon des richesses et ü l'aumône se trouve aussi dans saint Matthieu, niais à propos île In «justice·. C'est à l'évangéliste de la pauvreté volontaire et de la miséricorde que saint Léon l'a emprunté à l'appui de son appel à l’aumône. 3. Quitte & imiter Bossuet, nous ajoutons ici le mot · chrétien · à l’apos­ trophe adressée sans transition par saint Léon â un auditeur qu'il ne nomme pas. Dans le premier sermon pour lu Nativité, 3, on lil : · Agnosce,oChris­ tiane, dignitatem liiarn. · •1. Le mol · pii-tus ■, que nous rencontrerons plus d'une fols encore, est appliqué tel Λ Dieu dans le sons de bonté compatissante. Pour l'analyse sémantique du mot chez saint Léon, on pourra se reporter à Gcillaumb, Jeûne et charité. Paris. 1951. p. Cû-72. Il se trouve â la Collecte du XI' Dl- SERMONS 20 (VI) PREMIER SERMON SUR LES COLLECTES SoMMAifiP. — Grandeur et. utilité de l'aumône ; invitation à donner. Les divines Écritures, en de multiples témoignages, nous apprennent combien grand est le mérite des au­ mônes et combien grande leur efficacité. 11 est, en effet, certain que chacun de nous fait du bien à son âme toutes les fois que, par sa miséricorde, il vient en aide à l’indigence d’autrui La libéralité doit donc être chez nous, bien-aimés, prompte et facile si nous croyons que chacun se donne à lui-mème ce qu’il accorde aux pauvres. 11 place en effet son trésor dans le ciel, celui qui nourrit le Christ dans le pauvre 2. Reconnais donc en cela, chrétien 3, la bienveillance qui préside au gouvernement de la divine tendresse4 : car elle a voulu que tu aies des biens en abondance pour que, grâce à toi, un autre échappe au besoin, et pour pouvoir, par le moyen de tes bonnes actions, délivrer le nécessiteux du souci de l’indigence et toiméme de la multitude de tes péchésO admirable manche apres la Pentecôte avec le sens que nous lui rencontrons ici : · Omni* potens sempiterne Dens, De même dans la Collecte du VI* Dimnnche après la Pen­ tecôte : · Deux virtutum..., præsta... ut quæ sunt bona, nutrias, ac, pietatis studio, quae sunt nutrita. custodias. · L'expression pietatis studio, appliquée à Dieu, et que nous traduirions · par une attention de votre bonté ». est assez caractéristique de saint Léon ; l'oraison ne se trouve cependant pas dans le sacrarncntaire léonlcn. 5. Cf. I Pierre, IV, 8. - ■ Prov., X, 12. — Sag. Sir.. III, 33. d'après LXX. — Dan., IV, 24. 11 DE COLLECTIS SERMO II mira providentia et bonitas Creatoris, ut uno facto duobus vellet esse succursum 1 1 Ventura igitur Dominica dies, collectarum futura est. Hortor et moneo sanctitatem vestram, ut singuli quique et pauperum memineritis ct vestri, et pro possibilitate virium vestrarum intelligatis in egen­ tibus Christum, qui tantum nobis pauperes commen­ davit, ut se in ipsis vestiri ac suscipi testaretur, et pasci Christus Dominus noster2, qui cum Patre, et sancto Spiritu vivit et regnat in sæcula saxulorum. Arnen. 21 (VII) DE COLLECTIS SERMO II Notum vobis, dilectissimi, et familiare mandatum pastorali prædicamus hortatu, ut in opere miseri­ cordia studeatis esse devoti3. Quod etiam si numquam a vestra sanctitate negligitur, nunc tamen promptius est et impensius exsequendum : quia primus collectarum dies saluberrime a sanctis Pa­ tribus4 institutus hoc exigit ut unusquisque, prout 1. Nous retrouverons plus d'une fois cette idée que l'inégalité des for­ tunes fait partie de la structure de la société humaine telle que la veut lo Créateur ; clic est bonne parce qu’elle permet aux riches et aux pauvres d’ac­ quérir la charité qui est le bien essentiel, les premiers par la libéralité qui s'adresse à Dieu par-dessus le pauvre, les seconds par la reconnaissance qui voit Dieu dans le bienfaiteur ; il faut évidemment que les uns et les autres comprennent le rôle qu’ils ont ή Jouer dans le plan de la Providence. Λ noter que cette inégalité des fortunes était encore beaucoup plus criante au v* siècle que de nos Jours. Sur cette question, cf. Gvii.uvme, op. cil., p. 125-127. 2. Cf. Mutth., XXV, 37-1Ü. SECOND SERMON SUR LES COLLECTES 11 providence et bonté du Créateur qui a voulu qu’un seul acte fût un secours pour deux 1 ! Le dimanche qui vient sera donc un jour de col­ lectes. J'exhorte et j’engage votre Sainteté à se sou­ venir chacun des pauvres et de soi-même et, pour autant que le permettent ses ressources, à reconnaître le Christ dans les indigents ; il nous a, en effet, tel­ lement recommandé les pauvres que c’est lui-même, déclare-t-il, qui est vêtu, recueilli et nourri en eux2, lui le Christ notre Seigneur qui, avec le Père et le saint Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 21 (VII) SECOND SERMON SUR LES COLLECTES $OMmaiku. — Appel à la charité ; son efficacité pour remettre les péchés. Le précepte que nous vous prêchons, bien-aimés, et auquel nous vous exhortons comme votre pasteur, vous est connu et familier, à savoir que vous vous appliquiez à être tout à Dieu 3 dans l’exercice de la miséricorde. Même si votre Sainteté ne néglige jamais de le faire, c’est cependant maintenant qu’il faut vous en acquitter avec plus de promptitude et de générorosité : car le premier jour des collectes, institution des plus salutaires qui remonte aux saints Pères 4, 3. Nous traduisons ainsi le mot devoti que nous retrouverons encore plus d’une fois et qui. dans la langue de saint Léon, signifie une disposition delà volonté attachée à Dieu et décidée à faire en toutes choses ce qui lui plaît : l’union de volonté des spirituels. Sur le sens du mot, cf. Guillaume, Jeûne. et charité dan» la liturgie du Carême, duns .V. K. Th., J9Ô4, p. 247-248. 4. Saint Léon fuit remonter l'institution de collectes organisées aux «saints Pères », sans nu! doute jusqu’à saint Paul quêtant, dans (es églises 12 DE COLLECTIS SERMO III votivum atque possibile est, in usus atque alimoniam pauperum dc vestris facultatibus conferatis ; scientes prætcr illud regenerationis lavacrum, in quo univer­ sorum ablutæ sunt maculæ peccatorum, hoc remedium infirmitati humanæ divinitus esse donatum, ut si quid culparum in hac terrena habitatione contrahitur, eleemosynis deleatur. Eleemosyna· enim opera cari­ tatis sunt, et scimus quod caritas operit multitudinem peccatorum Proinde, dilectissimi, in secundam fe­ riam spontaneas collectas vestras sollicite præparate, ut quidquid vobis de temporalibus substantiis desumpseritis, id multiplicatum in æterna retri­ butione sumatis. 22 (VIII) j DE COLLECTIS SERMO HI Christianæ pietatis est, dilectissimi, ut quæ apostolicis sunt traditionibus instituta, perseveranti devo­ tione serventur. Nam illi beatissimi discipuli veri­ tatis. hoc divinitus inspirata commendavere doctrina, ut quoties cæcitas paganorum superstitionibus suis esset intentior, tunc praecipue populus Dei oratio­ nibus et operibus pietatis instaret. Quoniam immundi qu'il avait fondées, pour les fidèles de Jerusalem (Cf. I Cor., XVI, 1-14; II Con, VIΠ). Λ sa suite, les évêques organisèrent In charité au gré des circonstances. Lire à ce sujet l’article Litfraliiés des fidèles dans DACL, IX, 490-191. L’expression · sancti patres · se retrouve sous la plume de saint Mon au 5* sermon sur le jeûne du dixième mois, 2 (P. L.. LIV, col. 177) . et, par comparaison avec d’autre» passages (Sermon V de Collectis, Sermo I TROISIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 12 exige que chacun, pour autant qu’il l’a promis et que ce lui est possible, affecte de ses ressources aux besoins et â la nourriture des pauvres ; vous le savez, outre le baptême de régénération, où sont lavées toutes les souillures du poché, ce remède à la faiblesse humaine nous a été divinement accordé: toute faute contractée en ce terrestre séjour est effacée par les aumônes. Les aumônes, en effet, sont des œuvres de charité, et nous savons que « la charité couvre une multitude de péchés»1. Par conséquent, bienaimés, préparez soigneusement pour lundi prochain vos dons volontaires, afin que tout ce dont vous vous serez dépouillés dans vos biens temporels, vous le retrouviez multiplié dans la vie éternelle. 22 (VIII) TROISIÈME SERMON SUR LES COLLECTES SoMWAinn. — Raison de l'institution des Collectes. Invitation ù donner; dans quel esprit le faire. C’est le propre de la piété chrétienne, bien-aimés, de garder avec une fidèle dévotion les institutions que nous tenons de la tradition des Apôtres. Car ces bienheureux disciples de la Vérité, enseignant sous l’inspiration divine, ont recommandé que le peuple de Dieu fasse une particulière instance par la prière et les œuvres de charité chaque fois que l’aveuglement des païens s'adonnerait avec plus d’ardeur à ses de jej. Pentec., 1. Sermo 1 de jej. X· mentis, 4, etc.) on voit qu'elle désigne les Apôtres. Dans le sermon suivant, saint Léon va d'ailleurs invoquer la tradition apostolique en faveur de l'institution des collectes. 1. J Pierre. IV, 8. Pour les textes tirés du Nouveau Testament, nous emprunterons la traduction du chanoine Osty, chaque fois qu'il n'y aura pas de raison «le s’en écarter. 13 DE COLLECTIS SERMO III spiritus, quantum gentilium errore laetantur, tantum veræ religionis observantia atteruntur, et augmenta justitiae urunt impietatis auctorem ‘. Cujus impia et profana commenta, ne sacratis Deo vero cordibus aliquid pollutionis inferrent, beatus magister gen­ tium praecavebat, cum voce apostolica diceret : λ’οlite jugum cum infidelibus ducere. Quæ enim partici­ patio justiliæ cum iniquitate? aut qua· societas luci ad tenebras2 ? Et deinde vocem prophetici spiritus addidit, dicens : Exite, exite de medio eorum, et sepa­ ramini, dicit Dominus, et immundum ne tetigeritiss. Unde quoniam ad destruendas antiqui hostis insidias in die quo impii sub idolorum suorum nomine diabolo serviebant4, providentissime in sancta Ec­ clesia prima est instituta collectio : volumus di­ lectionem vestram tertia feria per omnes regionum 8 vestrarum Ecclesias cum voluntariis oblationibus eleemosynarum convenire. In quo opere et si non est omnium æqualis facultas, debet esse par pietas6 : 1. Nous retrouverons celte idée abondamment développée dans les ser­ mons sur le carême. 2. Π Cor., VI. 14. 3. Ibid.. 17. — I».. LU, 11. •1. Saint Leon fait sans doute allusion tel et dans les deux sonnons sui­ vants aux jeux qui s'étalent célébrés chaque année dans la Rome païenne du O au 12 juillet en l'honneur d'Apollon. Cette institution, dont il ne restait plus que le souvenir au v« siècle — la dernière mention qu’on en possède so trouve au catalogue philoealien en 354 — avait été inaugurée après le dé­ sastre de Cannes pour obtenir la protection de la Ville ; le peuple y con­ tribuait par des offrandes volontaires. Sur les l.udi apûtlinares, et. Daremberg et Sagi.io, Diet. Ant. grecques et rom., Ill, 1376. C'est une doc­ trine traditionnelle chez h-s Pères que le culte qu'on rend aux Idoles est rendu aux démons ; on lu trouve chez Tertullien, et. à sa suite, chez saint Augustin ; elle dérive de saint Paul, I Cor.. X. 20 et ss. (Cf., entre autres, Ti iiTia.i.ir.s, De speclaeulit ; P. L.. I. 630, 062 ; Saint Augustin, De civi­ tate Det, VIII. c. 21 ; P. L., XLI, 250 ss. ; pour Tertullien, le culte des idoles et toutes les manifestations idolfttrique-s dans In cité païenne, spécialement au théâtre, constituent la pompa diaboli ; ci. Waszinx, · Pompa diaboli », dans Vigilia·. Christiana, I, 1917, p. 13-41). 5. Les scpl · régions . ecclésiastiques en lesquelles, depuis le pape Fabien (236-250), était divisée la ville de Rome. Ce pape les avait instituées et TROISIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 13 superstitions. Autant les esprits impurs, en effet, se réjouissent de l’erreur des gentils, autant ils sont abattus par la pratique de la vraie religion, et les progrès de la justice consument fauteur de l'impiété ’. C'est contre les inventions impies et sacrilèges de ce dernier que le bienheureux Docteur des nations mettait en garde, voulant qu’elles n’apportent aucune souillure â des cœurs consacrés à Dieu, lorsqu’il disait en son langage apostolique : « Ne formez pas avec les incroyants d’attelage disparate. Car quelle association se peut-il entre la justice et l'iniquité? Quelle union entre la lumière et les ténèbres?»»2. Et il ajoutait ensuite, usant des mots du prophète inspiré : « Sortez du milieu de ces gens-là et tenez-vous à l’écart, dit le Seigneur, et ne touchez rien d’impur »3. C’est donc par une intention providentielle que, pour détruire les embûches de l’antique ennemi, la première collecte a été instituée dans la sainte Église le jour même où les impies servaient le diable sous le nom de leurs idoles 1 : nous voulons donc que votre Charité se réunisse mardi dans toutes les églises de vos régions chacun apportant l’offrande spon­ tanée de ses aumônes. Même si, en cette œuvre, les possibilités de tous ne sont pas égales, que leur bonté soit sans différence " : la générosité des fidèles, en limitées à sept au lieu des quatorze régions civiles établies par Auguste, et les avaient réparties entre le* sept diacres. Elles subsistèrent longtemps encore après saint Léon. Cf. DACL, XIV, col. 2191. ♦>. Non* avons rencontre plus haut Je mot pictas appliqué â Dieu lui-même dans Je sens de bonté Compatissante. Ici nous le trouvons appliqué aux hommes avec la mémo acception : c’est, en effet, a l’imitation du Père céleste, selon Luc. Vf, 36, que la créature raisonnable doit exercer la miséricorde à l'égard de son semblable ; nuits trouverons plusieurs fols dans les sermons suivants cette idée que l’homme est. au moyen des bleus matériels mis ΰ sa disposition, le ministre de la bouté de Dieu. Enfin nous rencontrerons aussi, quoique rarement, le mut pte/as dm» son sens moderne de piété de l’homme envers Dieu. Il est remarquable que saint Léon se sert du même mot pour désigner les rajtports de l’homme avec Dieu et avec son semblable : In double commandement d'aimer Dieu et d'anner son prochain n’en est en elTet qu'un seul. Comme le fait remarquer M. l'abbé Guillaume, Jtùne et charité, p. 71, « sera pfws celui qui, par amour de Dieu, pensera à son Père dans la prière et se dévouera à ses frères ; en réalité, c’est duns un unique mouvement «Je charité que le chrétien réalise ce double objectif ·. -1!>. Léon le Grain!. 2 14 DE COLLECTIS SERMO IV quoniam fidelium largitas non de muneris pensatur pondere, sed de benevolentiae quantitate1. Habeant ergo in hoc misericordi» commercio etiam pauperes lucrum, et ad sustentationem egentium de quantacumque substantia aliquid quod eos non contristet excerpant. Sit dives munere copiosior, dum pauper animo non sit inferior. Quamvis enim major speretur redditus de majore semente, potest tamen etiam de exigua satione multus fructus provenire justitiæ. Justus enim est judex noster et verax, qui neminem fraudat mercede meritorum. Et ideo nos curam pau­ perum vult habere, ut in futur» retributionis examine, misericordibus, quam promisit, misericordiam lar­ giatur Christus Deus noster1 2, qui cum Patre et Spi­ ritu sancto vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen. 23 (IX) DE COLLECTIS SERMO IV 1. Misericordia, dilectissimi, et justitia Dei formai retributionum suarum a mundi constitutione dispe sitam, per doctrinam Domini nostri Jesu Christ benignissima nobis expositione reseravit, ut accepti rerum significationibus, quæ futura credimus, jai quasi gesta nosceremus. Sciebat enim Kcdempto 1. Saint Léon oppose le pandus, de xa nature limiti··, des dons en monnal ou en produits de la terre et de Finduxlrlc, à la quantitus, du bon désir, qu est sans autre limite qui· celle que nous lui imposons nous-niônics. 2. Cf. Matth.. V, 7. QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES . 14 effet, ne sc mesure pas au poids du don, mais à l’in­ tensité de la bonne volonté *. Que les pauvres aussi retirent donc un gain de cet échange de miséricorde et qu’ils choisissent dans le peu qu’ils ont quelque chose qui subvienne aux indigents sans les contrister eux-mêmes. Que le riche soit plus abondant dans son don, sans que le pauvre soit inférieur dans son inten­ tion. S’il est vrai, en effet, qu’on espère un rendement plus élevé d’une semence plus abondante, il peut cependant résulter d'un faible ensemencement de nombreux fruits de justice. Car notre juge est juste et véridique, lui qui ne prive personne de la récom­ pense due aux mérites. Aussi veut-il que nous ayons soin des pauvres, afin que, lorsqu’il décidera de la rétribution finale, le Christ notre Dieu accorde la miséricorde promise aux miséricordieux 2, lui qui, avec le Père et le saint Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 23 (IX) QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES Sommaike. — I. Les ruses du démon. — 2. I.r* jugement futur; exercer ici bas la miséricorde. — 3. La collecte ; les pauvres honteux ; le Christ dans les pauvres.— 4. Contre les manichéens. 1. Notre Dieu miséricordieux et juste, bien-aimés, nous a dévoilé et. expliqué dans sa grande bonté, par l’enseignement de notre Seigneur Jésus-Christ, quelles récompenses il avait, depuis la création du monde, décidé d’attribuer ; de la sorte, une fois montrées les choses que nous croyons devoir arriver, nous les connaissons désormais comme déjà accomplies. Notre Rédempteur et Sauveur savait, en effet, quelles 15 DE COLLECTIS SERMO IV noster atque Servator quantos fallacia diaboli per totum mundum sparsisset errores, et quam mul­ tis superstitionibus maximam sibi partem humani generis subdidisset. Sed ne ultra per ignorantiam veri­ tatis creatura ad imaginem Dei condita in præcipitia perpetuæ mortis ageretur, evangel icis paginis judicii sui inseruit qualitatem, quæ omnem homi­ nem a callidissimi hostis revocaret insidiis : cum jam nulli esset incognitum quæ bonis speranda pnemia, et quæ malis essent timenda supplicia. Incentor namque ille auctorque peccati primum superbus ut caderet, deinde invidus ut noceret, quia in veritate non stetitl, totam vim suam in mendacio collocavit, omniaque deceptionum genera de hoc venenatissimo artis suæ fonte produxit : ut ab illo bono, quod ipse propria elatione perdiderat, spem humanæ devotionis excluderet, cosque in consortium damnationis suæ traheret, ad quorum ipse reconciliationem pertinere non posset3. Quisquis igitur hominum quibuslibet impietatibus Deum hesit, hujus fraude traductus, hujus est nequitia depravatus. Facile enim in omnia flagitia impulit, quos religione decepit. Sciens autem Deum non solum verbis, sed etiam factis negari, multis quibus auferre non potuit fidem, sustulit caritatem ; et agro cordis ipsorum avaritiæ radicibus occupato, spoliavit fructu operum quos non privavit confessione labiorum. 2. Propter has ergo, dilectissimi, versutias hostis antiqui, scire nos voluit ineffabilis benignitas Christi, quid in die retributionis de universitate hominum! esset decernendum, ut dum in hoc tempore legiti­ morum remediorum medicina præbetur, dum elisis12 1. Jean. VIII. 44. 2. J-a réconciliation des hommes avec Dieu. opéré·· par le Christ. QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 15 erreurs la fausseté du diable avait semées à travers le monde et quelle part, la plus grande, du genre humain il avait soumise à de multiples superstitions. Mais pour que la créature formée à l'image de Dieu ne fût pas plus longtemps, par ignorance de la vérité, poussée dans les abîmes de la mort étemelle, il inséra dans les pages de l’Evangile le mode de son jugement, afin de détourner par là tout homme des pièges du plus rusé des ennemis : car personne n’igno­ rerait désormais et les récompenses que pouvaient espérer les bons et les supplices que devaient craindre les méchants. Cet instigateur et père du péché, assez orgueilleux d'abord pour tomber, assez envieux ensuite pour nuire, n’ayant pas persévéré dans la vérité l, a mis toute sa force dans le mensonge et fait sortir de cette source empoisonnée de ses artifices tous les genres de duperies : il a voulu ainsi interdire à la piété humaine tout espoir d’un bien que son propre orgueil lui a fait perdre, et entraîner dans une commune damnation ceux dont il ne pouvait partager la réconciliation2. Si donc un homme, quel qu'il soit, offense Dieu par n’importe quelle impiété, c’est qu’il a été entraîné par la ruse de cet ennemi et per­ verti par sa malice. Il lui est facile, en effet, de pousser à toutes les turpitudes ceux qu’il a trompés sous couleur de religion. Sachant, bien que Dieu peut être renié non seulement en paroles, mais encore en actes, il a enlevé la charité à beaucoup de ceux chez qui il n’a pu supprimer la foi ; et dès lors que le champ de leur cœur a été. envahi par les racines de l’avarice, il a dépouillé du fruit des oeuvres ceux qu’il n’a pu priver de la confession de leur foi. 2. En raison donc de ces artifices de l’antique ennemi, bien-aimés, l’ineffable bonté du Christ a voulu que nous sachions comment serait jugée l’hu­ manité entière au jour de la rétribution ; cependant qu'il offre dans le temps présent les remèdes légitimes, qu’il ne refuse pas de relever ceux qui étaient brisés et leur permet, de stériles qu'ils étaient depuis long­ temps, de devenir féconds, il met ainsi à même de prévenir l’examen décrété de sa justice et de ne 16 DE COLLECTIS SERMO IV reparatio non negatur, et qui diu fuerunt steriles, possunt tandem esse fecundi, praeveniatur disposita censura justitiæ, et numquam a coniis oculis divinae discretionis imago discedat. Veniet enim in majes-. tatis sure gloria Dominus, sicut ipse prædixit1, aderitque cum eo radians in splendoribus suis innu­ merabilis angelicarum multitudo legionum. Congre­ gabuntur ante thronum potentia? ejus omnium gen­ tium populi ; et quidquid hominum universis sæculis toto orbe terrarum progenitum est, in conspectu judicantis astabit. Separabuntur ab injustis justi, a nocentibus innocentes ; et cum p nepa ratum sibi regnum, recensitis miscricordiæ operibus, filii pie­ tatis acceperint, exprobrabitur duritia sterilitatis injustis; et nihil habentes sinistri commune cum dextris, in ignem ad diaboli et angelorum ejus tor­ menta dispositum, omnipotentis judicis damnatione mittentur, cum illo habituri pænæ communionem,·, cujus elegerunt, facere voluntatem. Quis igitur istam· sortem aeternorum cruciatuum non pavescat ? Quis mala numquam finienda non timeat ? Sed cum ideo denuntiata sit severitas, ut miseri­ cordia quaereretur, in diebus pnesentibus cum mise­ ricordiae est largitate vivendum, ut homini post periculosam negligentiam, ad pietatis opera rever­ tenti, possibile sit ab hac sententia liberari. Hoc enim agit potentia judicis, hoc gratia Servatoris, ut relinquat impius vias suas 2, et ab iniquitatis sua? consuetudine peccator abscedat. Misereantur pauperum, qui sibi volunt parcere Christum. Faciles sint in alimenta miserorum, qui cupiunt ad societatem pervenire felicium < Non sit vilis homini homo, nec in quo1. Matth.. XXV. 31. 2. Cf. Is.. LV, 7. QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 16 jamais laisser l’image du jugement divin s'éloigner des regards du cœur. Le Seigneur, en cfïct, viendra dans la gloire de sa majesté, comme il l’a annoncé lui-même et une multitude innombrable de légions angéliques raccompagnera, brillante de splendeur. Les peuples de toutes nations seront rassemblés devant le trône de sa puissance et tout être humain né dans tous les siècles et sur toute la surface de la terre se tiendra en présence du juge. Les justes seront séparés des injustes, les innocents des coupables; les enfants de miséricorde recevront le royaume préparé pour eux, le compte de leurs bonnes œuvres étant fait, tandis qu’on reprochera aux mauvais leur stérile dureté ; ceux de la gauche, séparés à jamais de ceux de la droite, seront, par la condamnation du juge tout-puissant, envoyés au feu préparé pour le supplice du diable et de ses anges : ils seront associés à la peine de celui dont ils auront choisi de faire la volonté. Qui donc ne tremblerait d’avoir ainsi en part d’éternels tourments ? Qui ne craindrait des maux qui ne finiront pas ? Mais la sévérité une fois annoncée pour faire rechercher la miséricorde, c’est à nous, dans les jours présents, d’exercer cette miséricorde avec générosité pour que chacun, revenant à la pratique des bonnes œuvres après une dangereuse négligence, puisse se mettre à l'abri d’une telle sentence. Car c’est un effet de la puissance du juge, un effet de la grâce du libé­ rateur que l’impie abandonne scs voies 2 et que le pêcheur s’écarte des habitudes de son iniquité. Qu’ils aient pitié, des pauvres, ceux qui veulent pour eux le pardon du Christ. Qu’ils soient prompts â nourrir les miséreux, ceux qui désirent arriver à la société des bienheureux 3. Que l’homme ne soit pas vil aux yeux de l'homme, et qu’en personne on ne méprise cette nature que le Créateur a faite sienne. A quel I 3. On remarquera le rythme et les assonances de ces deux phrases, auxquelles saint Lion a donne la forme de dictons faciles à retenir. On en retrou­ vera d'autres un peu plus loin. Chaque fois que l’orateur parle de sujets qui lui tiemirnl ù cœur, l'expression de sa pensée prend spontanément un tour rythmé. 17 DE COLLECTIS SERMO IV quam despiciatur illa natura, quam rerum conditor suam fecit. Cui enim laborantium licet negare quod Christus sibi profitetur impendi ? Juvatur conservus, ct gratiam refert Dominus. Cibus egeni, regni cælcstis est pretium ; et largitor temporalium hæres efficitur aeternorum. Unde autem exigua ista impendia tanta æstimari taxatione meruerunt, nisi quia pondera operum caritatis lance pensantur, et cum amatur ab homine quod Deus diligit, merito in ejus ascen­ ditur regnum, in cujus transitur affectum ? 3. Ad horum ergo operum, dilectissimi, piam curam dies nos apostolicæ institutionis invitat, in quo sanc­ tarum collationum prima collectio est prudenter a Patribus ct utiliter ordinata : ut quia in hoc tempore gentilis quondam populus superstitiosius dæmonibus serviebat, contra profanas hostias impiorum, sacra­ tissima nostrarum eleemosynarum celebraretur obla­ tio’. Quod quia incrementis Ecclesiæ fructuosissi­ mum fuit, placuit esse perpetuum. Unde hortamur sanctitatem vestram ut per Ecclesias regionum vestrarum quarta feria de facultatibus vestris, quantum suadet possibilitas et voluntas, ad expensas misericordias conferatis, ut possitis illam bcatitudinem promereri, in qua sine fine gaudebit qui inlelligii super egenum et pauperem 2, Ad quem inlelligendum, dilectissimi, sollicita benignitate vigi­ landum est, ut quem modestia tegit, ct verecundia præpcdit, invenire possimus. Sunt enim qui palam l. Pour saint Leon, l'aumône est un acte de culte : l’offrande sacrée (sacra-î (tssima oblalio) des aumônes est · célébrée ■ â l’instar d'un xarriiicc offert à Dieu, ct on l'oppoM· aux sacrifices que les païen* offraient aux faux dieux : c'est en effet au Seigneur présent dans les pnuvres qui· les aumônes sont] données. C'est là la religion de l'aumône, que nous aurions besoin de réap-'i prendre en notre temps oû la bienfaisance est étatisée ou inspirée par un·;· vague philanthropie. QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 17 nécessiteux est-il permis de refuser ce dont le Christ assure qu’on le donne à lui-même ? On aide son compagnon de service, et c’est le Seigneur qui dit merci. La nourriture donnée à l’indigent achète le royaume des cieux et celui qui distribue les choses temporelles devient héritier des éternelles. Et d’où vient que ces modestes secours aient mérité d’être estimés un si haut prix, sinon parce que le poids des œuvres est pesé dans la balance de la charité et que, lorsque l’homme aime ce que Dieu chérit, il mérite de s'élever au royaume de celui dont il épouse les senti­ ments ? 3. C’est donc à de telles œuvres, bien-aimés, que l'institution apostolique appelle notre pieuse sollici­ tude en ce jour où la première de ces saintes collectes fut opportunément instituée par la prudence des Pères : parce qu'autrefois les peuples païens s’adon­ naient à pareille époque à un culte plus superstitieux envers les démons, ils voulurent que se dressât face aux victimes impures des impies le culte rendu par la très sainte offrande de nos aumônes L Cette pra­ tique s’étant révélée des plus profitables aux pro­ grès de l’Église, il parut bon d’en faire une institu­ tion. Aussi exhortons-nous votre Sainteté à apporter mercredi prochain aux églises de vos régions ce que vous pourrez et voudrez vous laisser persuader de prendre sur vos ressources pour le budget de la misé­ ricorde ; ainsi pourrez-vous mériter la béatitude dont jouira sans fin «celui qui devine l’indigent et le pauvre»2. Et, pour le deviner, bien-aimés, il faut veiller avec une charité sans repos, afin de pouvoir découvrir celui que cache sa modestie ou que retient sa honte. 11 en est, en effet, qui rougissent de solli­ citer publiquement ce dont ils ont besoin et qui pré­ fèrent souffrir en silence de leur dénuement plutôt que d’être confondus par une requête ouverte. Ceuxlà, il faut donc les deviner, et les soulager dans leurs nécessités secretes, afin qu'ils aient d'autant plus de 2. Ps. XL. i. 18 DE COLLECTIS SERMO IV poscere ea quibus indigent erubescunt; et malunt miseria lacitæ egestatis affligi quam publica petitione confundi. Intelligendi ergo isti sunt, et ab occulta ne­ cessitate sublevandi, ut hoc ipso amplius gaudeant, cum et paupertati eorum consultum fuerit, et pudori. Recte autem in egeno et paupere ipsius Jesu Christi Domini nostri persona sentitur, (pii cum esset dives, sicut ait beatus apostolus, pauper factus est, ut nos sua paupertate ditaret Et ne deessc nobis sua præsentia videretur, ita humilitatis et gloriae suae temperavit mysterium, ut quem Regem et Dominum in majestate Patris adoramus, eumdem in suis pauperibus pasce­ remus, liberandi ob hoc in dic mala 2 a damnatione perpetua, et pro intellecti pauperis cura, regni cælestis consortiis inserendi. 4. Ut autem in omnibus, dilectissimi, placeat Domino vestra devotio, etiam ad hanc vos hortamur industriam, ut Manichæos ubicumque latentes vestris presbyteris publicetis. Magna est enim pietas 3 pro­ dere latebras impiorum, et ipsum in cis, cui serviunt, diabolum debellare. Contra istos enim, dilectissimi, omnem quidem orbem terrarum, et totam ubique Ecclesiam decet fidei arma arripere ; sed vestra in hoc opere devotio debet excellere, qui in progenitoribus vestris Evangelium crucis Christi ab ipso beatis­ simorum apostolorum Petri et Pauli ore didicistis. Non sinantur latere homines, qui legem per Mosen datam, in qua Deus universitatis conditor osten­ ditur \ recipiendam esse non credunt; prophetis, 1. II Cor., VIII, 9. 2. Ps. XL. 2. 3. Encon· l<· mol /lictas. Notts l’avons rencontre, même dans ce sernion (§ 2 : « præparntnnt slbl regnum... filii pietatis acceperint ·>, avec le sen» d'empressement charitable envers les pauvres. Ici, In pirns va consister à livrer les manichéens, parce que, ce faisant, on cnrnbat h-iiiiilil<· qu'ils servent. Que conclure, sinon que la pictas est csscnticlleruenl une disposition de l’âme QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 18 joie qu’on aura eu égard à la fois à leur pauvreté et à leur pudeur. Mais nous aurons raison de reconnaître dans l’in­ digent et le pauvre la personne meme de notre Sei­ gneur Jésus-Christ, qui, comme le dit le bienheureux Apôtre, « de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous afin de nous enrichir de sa pauvreté » *. Et pour que sa présence ne paraisse pas nous manquer, il a si bien accommode le mystère de son humilité et de sa gloire, que nous puissions le nourrir dans ses pauvres, lui que nous adorons comme Roi et Sei­ gneur dans la majesté de son Père : cela nous procu­ rera au jour mauvais2 la délivrance de l’éternelle damnation, et, pour le soin donné au pauvre que nous aurons deviné, nous serons admis au partage du royaume céleste. Ί. Mais pour que, de toutes manières, bien-aimés, votre dévotion plaise au Seigneur, nous vous exhortons aussi à user d’industrie pour faire connaître à vos prêtres les manichéens, où qu’ils se tiennent cachés. C’est faire preuve d’une grande piété 3 que de dévoiler les retraites des impies et de combattre en eux le diable lui-même qu’ils servent. Il faut en vérité, bien-aimés, que la terre entière, et toute l’Église répandue partout, saisisse contre eux les armes de la foi ; mais votre dévouement à Dieu doit se sur­ passer dans cette entreprise, à vous qui, en la per­ sonne de vos ancêtres, avez appris l’évangile de la croix du Christ de la bouche même des bienheureux apôtres Pierre et Paul. Qu’on ne laisse pas se cacher des hommes dont la croyance refuse d’accepter la loi donnée par Moïse, dans laquelle Dieu est montré auteur de l’univers 4 ; ils sont en opposition avec les ii l’égard de Dieu, qui s'exprimera vis-û-vlx du prochain parce qu'il est sauvé par Dieu, et d'une nature que le Sauveur ;i fuit·· .demie, vis-à-vis «les héré­ tiques parce qu'ils servent l'ennemi de Dieu ? Ce sens est proche de celui de devotio et se confond souvent avec lui dans le passage que nous analysons : il convient de dénoncer les hérétiques « ut in omnibus placeat Domino devotio vestra · ; et · in hoc opere (dénoncer ks manichéens), devotio vestra dehet exccllen· ·. i- Les manichéens rejetaient l'Ancien Testament comme étant J'œuvre du diable : « C'est à Satan qu'on doit attribuer les enseignements de la Loi 19 DE COLLECTIS SERMO IV et sancto Spiritui contradicunt, psalmos Davidicos, qui per universalem Ecclesiam cum omni pietate cantantur, damnabili impietate ausi sunt refutare ; Christi Domini nativitatem secundum carnem ne­ gant 1 ; passionem et resurrectionem ejus simulatam dicunt fuisse, non veram2 ; baptismum regenera­ tionis totius gratia?. virtute dispoliant. Nihil est apud eos sanctum, nihil integrum, nihil verum, ('.avendi sunt, ne cuiquam noceant ; prodendi sunt, nc in aliqua civitatis nostræ parte consistant. Vobis, dilectissimi, ante tribunal Domini proderit, quod indicimus3, quod rogamus. Dignum est enim, ut eleemosynarum sacrificio etiam hujus operis palma jungatur, auxiliante vobis per omnia Domino Jcsu Christo, qui vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen et des prophètes ; c'est lui qui a parlé pur l'intermédiaire de ces derniers », disent les Acta Archelai, XV, il; édition C, 11. Beeson (dans p. 24. Us se rencontraient ainsi avec Marclon ; mais, tandis que celui-ci se bornait à expurger ('Ancien Testament, Muni le rejetait en Idoc. 1. Selon le principe manichéen que la matière, et en particulier la chair, est mauvaise, le Fils de Dieu n'avall pu prendre un corps véritable : · Je me garderai bien d'admettre que notre Seigneur soit descendu dans le sein d’une femme... il y a quantité de témoignages qui montrent qu'il est venu parmi nous sans naître comme nous... i.e Fils de Dieu est descendu tout formé et s'est complètement transformé en homme. Comme dit Paul, il s'est trouvé extérieurement -semblable a un homme. · (Act. Arch., LIV, 11 ; édit. Bee­ son, p. 80 et 86). Comme ou le voit, ces hérétiques abusaient du texte de Phil., il, 7. en faveur de leur thèse. 2. Evumvss i>'Uza>.a cite ainsi VEpttre du Fondement de Muni (De Fide contra Manichaeos, 23; P. I... Xl.lll, 1147 et CSEL. XXV h. p. 964) : • L'ennemi espérait bien avoir mis en croix le Sauveur, Père des justes, mais QUATRIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 19 prophètes et avec l’Esprit-Saint ; ils osent rejeter par une condamnable impiété les psaumes de David que chante pieusement l’Église entière ; ils nient la naissance du Christ Seigneur selon la chair 1 ; ils disent que sa passion et sa résurrection ont été simulées et ne sont pas véritables2; ils dépouillent de toute grâce et de toute efficacité le baptême de régénération. Rien chez eux n’est saint, rien n’est pur, rien n'est vrai. Il faut les éviter pour qu’ils ne puissent nuire à personne ; il faut les livrer pour qu’ils ne puissent subsister nulle part dans notre cité. Ce que nous ordonnons 3, ce que nous demandons, vous profitera, bien-aimés, au tribunal du Seigneur. Il est, en effet, digne qu'à l’offrande des aumônes se joigne aussi la palme de cette bonne œuvre ; avec, en toutes choses, l’aide du Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen 4. ce fut lui qui se trouva crucifié. En cette circonstance, autre fut l'apparence, notre In rtulité. · Le corps du Seigneur n’étant pas véritable, comment aurait-)] pu être réellement mis en croix ? Mani se tirait de la difficulté en faisant crucifier à sa place un suppôt du diable. 3. C’est une excommunication en forme qui est Ici fulminée par Je Pape, et les manichéens sont déclarés vitandi. •1. Ιλ vigoureuse attaque déclanchée Ici par saint Léon contre les mani­ chéens permet de dater ce sermon avec vraisemblance. C'est, en effet, en octobre413qu'il a fait aux hérétiques de Rome le procès dont on trouvera le récit au sermon XVI (5· sermon pour les quatre-temps de dieembre) ; il continua sa campagne contre eux pendant les premiers mois de 441 ; on peut donc penser que le présent sermon a été prononcé en juillet de ta mémo année. Cette allusion aux manichéens est la dernière que l'on trouve dims les Sermons ; l'initiative prise ici d'armer les fidèles contre les hérétiques, jointe Λ l'action du pouvoir civil (Constitution de Valentinien fil en juin 4-15) semble donc avoir été décisive. Cf. la note au sermon 4 du tome 1 (Léon le Guano. Sermons, · Sources Chrétiennes ·, 22, p. 106 et 107). 20 DE COLLECTIS SERMO V 24 (X) DE COLLECTIS SERMO V 1. Apostolicæ traditionis, dilectissimi, instituta ser­ vantes, pastorali vos sollicitudine cohortamur, ut diem quem illi ab impiorum superstitione purgatum misericordiæ operibus consecrarunt, devotione’ religiosæ consuetudinis celebremus, ostendentes apud nos auctoritatem Patrum vivere, corumque doctrinam in nostra obedientia permanere. Quoniam sancta tantæ constitutionis utilitas, non præterito tantum tempori, sed etiam nostræ prospexit ætati, ut quod illis ad destructionem profuit vanitatum, hoc nobis proficeret ad incrementa virtutum. Quid autem tam aptum fidei, quid tam conveniens pietati, quam egentium juvare pauperiem, infirmorum curam reci­ pere, fraternis necessitatibus subvenire, et condi­ tionis propriæ in aliorum labore meminisse ? In quo opere, quantum quis possit, quantumque non possit, solus veraciter ille discernit, qui novit quid quibusque contulerit. .Non solum enim spiritales opes et dona cæleslia Deo donante capiuntur, sed etiam terrenæ et corporcæ facultates ex ipsius largitate proveniunt, ut merito rationem eorum quæsiturus sit, quæ non magis possidenda tradidit, quam dispensanda comt. lui · drvntlo » dont il s’agit ici n’est nuire chose que l'exercice, pour l'iiniour de Dieu, des œuvres charitables qui vont t'tre recommandées plus loin. Cf. (H JLi.AVME, art.cilf, dans .V. H. Th., LXXVI (1054). p. 247. Le mot se retrouvera avec la même acception à la On du sermon. CINQUIÈME SERMON SL'R LES COLLECTES 20 24 (X) CINQUIÈME SERMON SUR LES COLLECTES Sommaire. — 1. L'institution des Collectes : le rôle de la richesse. — 2. Responsabilités et devoirs des riches. Nulle vertu valable sans la charité; celle-ci critère unique du jugement. Semer en celte vie par les bonnes œuvres pour récolter dans l'autre. 1. Fidclcs à l’institution que nous tenons «le la tradition des Apôtres, bicn-aimés, nous vous exhor­ tons avec la sollicitude du pasteur à célébrer, par une bienfaisance1 conforme ù une religieuse coutume, le jour qu’ils ont purifie d’une superstition impie et consacré par les œuvres de miséricorde : nous mon­ trerons ainsi que l’autorité des Pères vit encore parmi nous et que leur enseignement persévère dans notre obéissance. Une telle institution, en effet, ne fut pas seulement utile pour pourvoir saintement aux besoins d'une époque révolue, mais elle continue de l’être de même pour notre temps : elle a servi alors à détruire les vaines croyances, elle sert maintenant à accroître nos vertus. Car existe-t-il rien d’aussi profitable à la foi, rien qui convienne mieux à la piété que d’aider les indigents dans leurs besoins, de se charger du soin des malades, de subvenir aux nécessités des frères et de nous souvenir de notre propre condition en regardant aux difficultés des autres ? Dans celte œuvre, ce que chacun peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, seul le connaît vérita­ blement celui qui sait ce qu’il a donné et à qui. Non seulement, en effet, nous ne tenons biens spirituels et dons célestes que parce que Dieu les donne, mais même les richesses terrestres et corporelles nous viennent de sa munificence : aussi sera-t-il en droit de demander raison de ces biens qu'il nous a moins 21 DE COLLECTIS SERMO V misit. Muneribus igitur Dei juste et sapienter utendum est, ne materia boni operis fiat causa peccati. Nam divitiae, quod ad ipsas species carum atque substantias pertinet, honæ sunt, et humanæ societati plurimum prosunt, cum a benevolis habentur et largis, nec illas aut luxuriosus prodigit, aut avarus abstrudit, ut tam pereant male conditæ, quam insipienter expensa.: 2. Quamvis autem laudabile sit intemperantiam, fugere, et turpium voluptatum damna vitare, mul­ tique magnifici facultates suas dedignentur occu-: Iere, et in copia affluentes vilem atque sordentem horreant parcitatem, non est tamen talium aut felix abundantia, aut probanda frugalitas, si ipsis tan­ tum propria* opes serviunt ; si eorum bonis nulli juvantur pauperes, nulli foventur infirmi ; si de magnarum abundantia facultatum non captivus redemptionem, non peregrinus solatium, non exsul sentit auxilium. I lujusmodi divites egent iores omnibus sunt egenis. Perdunt enim illos redditus quos possent habere perpetuos, et dum brevi nec semper libero incubant usui, nullo justitiæ cibo, nulla miseri­ cordias suavitate pascuntur ; foris splendidi, intus obscuri ; abundantes temporalium, inopes ælernorum: quia ipsi animas suas fame affleiunt et nuditate deho­ nestant, qui de iis quæ terrenis horreis commendarunt, nihil thesauris caelestibus intulerunt. Sed forte sunt aliqui divitum qui, licet nullis lar­ gitionibus pauperes Ecclesiæ soleant adjuvare, alia tamen Dei mandata custodiunt, et inter diversa fidei et probitatis merita, veniabiliter sibi æstimant unam' deesse virtutem. Verum hæc tanta est, ut sine illa cæteræ, etsi sunt, prodesse non possint. Quamvis enim quis fidelis sit, et castus, et sobrius, et aliis majoribus ornatus insignibus ; si misericors tamen CINQUIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 21 remis pour les posséder que confiés pour les distribuer. Il faut donc user des dons de Dieu avec justice et sagesse, de peur que la matière des bonnes œuvres ne devienne cause de péché. Les richesses, en effet, considérées aussi bien de l’extérieur qu’en ellesmêmes, sont bonnes et grandement utiles à la société humaine, lorsqu'elles sont en des mains bienveillantes et généreuses et que ce n’est pas un débauché qui les prodigue ou un avare qui les dissimule, pour les faire ainsi disparaître aussi bien en les cachant mal à propos qu’en les dépensant stupidement. 2. Il est certes louable de fuir l’intempérance et d’éviter les maux que causent les voluptés honteuses ; par ailleurs beaucoup de grands personnages dé­ daignent de cacher leurs biens et, nageant dans la fortune, ont en horreur une économie vile et sordide ; cependant l’abondance de ces derniers n’est pas heu­ reuse, ni digne d’approbation la frugalité des autres, si leurs biens ne servent qu'à eux seuls, si, par leurs richesses, nul pauvre n’est secouru, nul malade réchauffé, si, par l’abondance de ces grandes pos­ sessions, le prisonnier ne goûte pas la délivrance, ni l’étranger le réconfort, ni l’exilé le secours. Les riches de cette sorte sont, plus misérables que tous les misé­ rables. Ils les perdent, en effet, ces revenus qu’ils pourraient rendre éternels, et, pendant qu’ils s’ap­ pliquent à une jouissance brève et pas toujours libre, nulle justice ne les nourrit, nulle miséricorde ne les réjouit ; resplendissants au dehors, ils sont ténèbres au dedans ; pourvus en abondance des choses tempo­ relles, ils sont pauvres des éternelles : ils affament, en effet, leur propre âme et la déshonorent par la nudité, car ils n’ont rien placé dans les trésors célestes de ce qu’ils ont confié aux greniers de la terre. Mais peut-être se trouve-t-il des riches qui, bien que n’ayant pas l’habitude de soulager de leurs lar­ gesses les pauvres de l’église, observent cependant les autres commandements de Dieu, et, parmi les divers mérites de leur foi et de leur honnêteté, estiment qu'il leur sera facilement pardonné de manquer d’une seule vertu. Pourtant celle-ci est si grande que, sans •19. Ldori Je Grand. 3 22 DE COLLECTIS SERMO V non est. misericordiam non meretur : ait enim Dominus : Head misericordes, quoniam ipsorum mise­ rebitur Deus Cum autem venerit Filius hominis in majestate sua, et sederit in throno glorine suæ, et congregatis omnibus gentibus, honorum et malorum fuerit facta discretio2, in quo laudabuntur qui ad dexteram stabunt, nisi in operibus benevolenti® et caritatis officiis, quæ Jesus Christus sibi impensa reputabit ? Quoniam qui naturam hominis suam fecit, in nullo se ab humana humilitate discrevit. Sinistris vero quid objicietur, nisi neglectus dilec­ tionis. duritia inhumanitatis, et pauperibus miseri­ cordia denegata ? quasi nec alias virtutes dextri, nec alias offensiones habeant sinistri. Sed illo magno summoque judicio tanti aestimabitur vel largitatis benignitas, vel tenacitatis impietas, ut pro plenitu­ dine omnium virtutum, et pro sumina omnium com­ missorum, et per unum bonum isti introducantui in regnum, et per unum malum illi in ignem mittantui æternum. Nemo igitur, dilectissimi, de ullis sibi bonæ vit® meritis blandiatur, si illi defuerint opera caritatis* nec de sui corporis puritate securus sit, qui nulli eleemosynarum purificatione mundatur3. Eleemo­ syna? enim peccata delent, mortem perimunt, et pænam perpetui ignis exstinguunt Sed qui ab earum fructu fuerit vacuus, erit ab indulgentia retrif* buentis alienus, dicente Salomone : Qui obturat aures ne audiat imbecillum, et ipse vocabit Dominum, et non erit qui exaudiat eum 5. Unde et Tobias filiu-3 1. 2. 3. 4. Matth., V, 7. cite librer.... >l. Ci. Mai lb.. XXV. 31, 32. Allusion ù Luc, XI. 4L Cf. Toble. IV. 11 ; X [i. y. CINQUIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 22 elle, toutes les autres, même réelles, ne peuvent être utiles. Quelqu’un a beau être plein de foi, et chaste, et sobre, et parc d’autres ornements plus importants, si cependant il n’est pas miséricordieux, il ne mérite pas miséricorde ; le Seigneur a dit en effet : « Heureux les miséricordieux, parce que Dieu leur fera miséri­ corde Lors donc que le Fils de l’homme viendra dans sa majesté, qu’il prendra place sur son trône de gloire, et que, toutes les nations assemblées, aura lieu la séparation des bons d’avec les méchants 2, pour quel motif ceux de la droite seront-ils félicites, sinon pour leurs œuvres de bonté et leurs services de cha­ rité, que Jésus-Christ regardera comme rendus à luimême ? Lui, en effet, qui a fait sienne la nature de l’homme, ne s’est en rien distingué de l’humble condition humaine. Mais que reprochera-t-il à ceux de la gauche, sinon d’avoir néglige l’amour, de s’ètrc montrés durement inhumains et d’avoir refusé la miséricorde aux pauvres ? Tout comme si à droite il n’y avait pas d’autre vertu, à gauche pas d’autre faute. Λ l'heure de ce grand et suprême jugement, on estimera à un tel prix et la bonté de qui répand ses biens et l’impiété de qui les garde jalousement que, l'une étant tenue pour la plénitude de toutes les vertus et l'autre pour la somme de toutes les fautes, les uns seront introduits dans le royaume à cause de cet unique bien et les autres envoyés dans le feu éternel à cause de cet unique mal. Que nul donc, bien-aimés, ne se flatte des mérites d’une bonne vie, s’il lui manque les œuvres de la charité ; que la pureté de son corps ne le rassure pas non plus, s’il ne se lave par les aumônes qui purifient3. Les aumônes, en effet, effacent les péchés, tuent la mort et éteignent la peine du feu éternel4. Mais celui qui sera vide de leur fruit, restera étranger à l’indul­ gence de la rétribution, selon la parole de Salomon : a Celui qui ferine l’oreille à l’appel du faible, celui-là appellera le Seigneur, et personne ne lui répondra » Aussi Tobie disait-il à son fils en lui enseignant les préceptes de la piété : « Fais l'aumône de ton bien, et ne détourne ton visage d’aucun pauvre : il arri·· 23 DE COLLECTIS SERMO V suum præceptis pietatis instituens : Ex substantia,! inquit, tua fac eleemosynam, et noli avertere facieml tuam ab ullo paupere : ita fiet ut nec a le avertatur facies | Dei Hæc virtus omnes facit utiles esse virtutes»! quæ ipsam quoque fidem, ex qua justus vivit2, et quæ sine operibus mortua nominatur3, sui admix-· tionc vivificat : quia sicut in fide est. operum ratio, ! ita in operibus fidei fortitudo. Dum ergo tempus ’■ habemus, sicut ait Apostolus, operemur quod bonum est ad omnes, maxime autem ad domesticos fidei4. Bonum autem facientes non deficiamus, tempore enim suo metemusPræsens itaque vita tempus est sationis, et dies retributionis tempus est messis, 1 quando unusquisque seminum fructus secundum sationis suæ percipiet quantitatem. De proventu autem istius segetis nemo falletur, quia animorum ibi magis quam impendiorum mensura laxabitur; et tantum reddent exigua de exiguis, quantum magna de magnis °. Et ideo, dilectissimi, satisfiat apostolicis insti­ tutis. Et quia die Dominica prima est futura collectio,^· omnes vos devotioni vohintariæ praeparate, ut unus­ quisque secundum sufficientiam suam habeat in sacratissima oblatione consortium. Exorabunt pro vobis et ipsæ eleemosynæ ·, et ii qui vestris mune­ ribus juvabuntur ; ut ad omne opus bonum idonei semper esse possitis x, in Christo Jcsu Domino nostro,» qui vivit et regnat per infinita sæcula sæculorum; Amen. CINQUIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 23 vera ainsi que le visage de Dieu ne se détournera point de toi » x. Cette vertu rend utiles toutes les autres ; son alliance vivifie même la foi, dont vit le juste 12, et qui, sans les œuvres, est appelée morte34 : car, s’il est. vrai que les œuvres trouvent leur raison dans la foi, la foi manifeste sa force par les œuvres. « Ainsi donc, comme le dit Γ Apôtre, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, principa­ lement à nos frères dans la foi » *. Ne nous lassons pas de faire le bien ; le moment venu, nous récolterons 567. La vie présente est donc le temps des semailles, et le jour de la rétribution celui de la récolte, lorsque chacun recevra les fruits du grain selon la quantité qu’il en aura semée. Que per­ sonne ne s’illusionne sur le rendement de cette moisson, car on y tiendra compte de la mesure des intentions, plutôt que de celle des dépenses ; et l’on rendra peu pour peu comme beaucoup pour beau­ coup Aussi, bicn-aimés, plions-nous aux institutions des Apôtres. Dimanche sera le premier jour de la col­ lecte ; préparez-vous donc tous à une générosité spontanée, afin que chacun prenne part à l’offrande sacrée selon ses possibilités. Vos aumônes aussi prieront pour vous T, et tous ceux que vous aiderez de vos largesses, en sorte que toujours vous puissiez être prêts à toute bonne œuvre * dans le Christ Jésus notre Seigneur, qui vit et règne dans l’infinité des siècles. Amen. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. S. Tobic, IV. 7. 1 tabac.. 11. 1 ; Rom., I. 17. .Iiicqncs, II, 17, 26. Gnlal., VI, 10. Ibid., H. Ci. I! Cor., IX. β. Cf. Sag. Sir.. XXIX, 15. Cf. Titc. III. 1. 24 DE COLLECTIS SERMO VI 25 (XI) DE COLLECTIS SERMO VI 1. Et divinis præceptis, dilectissimi, et apostolici didicimus institutis *, omni homini inter vitæ huju discrimina constituto, misericordiam Dei miserend esse quærendam. Nam quæ lapsos spes erigeret quæ vulneratos medicina sanaret, nisi eleemosyni solverent culpas, et necessitates pauperum fieren remedia delictorum ? Unde quia dixerat Dominus Beati misericordes, quia ipsorum miserebitur Deus2 omne illud examen quo majestate præsenti uni versum judicaturus est mundum, sub hac ostendi æquitatc librandum, ut sola erga inopes operum qua­ litate discussa, et impiis ardere cum diabolo, et benignis paratum sit regnare cum Christo. Quæ ibi in medium facta non venient ? quæ occulta non det gentur ? quæ conscientiæ non patebunt ? ubi ve nemo gloriabitur castum se habere cor, aut mundu se esse a peccato Sed quoniam exaltabitur sup judicium misericordia1, et omnem retributione justitiae transcendent dona clementias omnis vi mortalium, et cunctarum diversitas actionum si unius regula* conditione taxabitur, ut nulla ibi coi memoratio cuj usquam facienda sit criminis, i confessione Creatoris opera fuerint inventa pietat 1. C'est rtnstitiiUim des collectes, comme un Γη vu dans les senn precedents. 2. Mattb.» V. 7. 3. CL Prov.» XX, y. -1. .lac., (I, 13. SIXIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 21 25 (XI) SIXIÈME SERMON SUR LES COLLECTES SojtNAiiiE. — 1. Le jugement dernier; le critère de la miséricorde. Applications pratiques. 2. La Collecte. 1. Les divins commandements, bicn-aimcs, aussi bien que l’institution apostolique.l, nous ont appris que tout homme placé parmi les périls de cette vie doit chercher par l’exercice de la miséricorde la miséricorde de Dieu. Quelle espérance, en effet, pour­ rait relever ceux qui sont tombés, quel remède guérir les blessés, si les aumônes ne déliaient les fautes, et si les besoins des pauvres ne devenaient l'antidote des péchés ? Le Seigneur avait dit : « Heureux les miséricordieux, parce que Dieu leur fera miséri­ corde»2; or il a montré suivant quelle règle de jus­ tice se fera tout cet examen par lequel, sa majesté présente, il doit juger le monde : une fois élucidée la seule question de la qualité de nos œuvres au regard des pauvres, tout sera prêt, pour que les impies aillent brûler avec le diable et les bons régner avec le Christ. Quelles actions ne mettra-t-on pas alors sous les yeux de tons ? Quels secrets ne dévoilera-t-on pas ? Quelles consciences pourront rester cachées ? Nul alors ne se glorifiera d’avoir le cœur chaste ou d’être pur de péché3. Mais, parce que la miséricorde sera élevée au-dessus du jugement1 et que les dons inspires par la clémence primeront toute rétribution exigée par la justice, la vie entière des mortels et leurs actes les plus divers seront estimes d’après une règle unique, à savoir que nulle mention de la moindre faute ne sera faite là où, de l’aveu du Créateur, se seront trouvées des œuvres de bonté, ('eux qui seront mis à gauche n’auront donc pas fait que ce qu'on leur repro­ chera, et ce n’est pas parce qu'on les montrera alors 25 DE COLLECTIS SERMO VI Non ergo solum quod eis exprobrabitur fecerunt sinistri, nec quia humanitatis docebuntur extranei, aliorum peccatorum invenientur alieni ; sed in multis rei ob hoc maxime damnabuntur, quod crimina sua nullis eleemosynis redemerunt. Cum enim durissimi cordis sil quacumque laborantium miseria non moveri, et habens auxiliandi copiam tam iniquus sit qui non juvit afflictum, quam qui oppressit infirmum, quæ spes superest peccatori, qui nec ideo miseretur, ut misericordiam consequatur ? Primitus itaque, dilectissimi, sibi malus est, qui alteri bonus non est, et animæ nocet suæ, qui ut potest non succurrerit alicnæ '. Una est divitum paupe­ rumque natura, et inter cætera fragilitatis humanæ, nulla est sanitatis tuta felicitas, quia quod aliqui possunt incidere, non est qui debeat non timere. Agnoscat se in quibuscumque hominibus mutabilis et caduca mortalitas, et pro conditione communi socialem 2 generi suo reddat affectum ; llcat cum flen­ tibus 3. et cum dolentium gemitibus ingemiscat; communicet cum indigentibus copias suas; bene valente corporis ministerio, ad male jacentem inclinet se ægrotum : inter cibos suos numeret esurientium portionem, et in pallenti trementium nuditate se credat algere. Qui enim relevat temporalem miseriam laborantis, evadit æternum supplicium peccatoris. 2. Providenter igitur, dilectissimi, a sanctis Patribus pieque dispositum est, ut in diversis temporibus quidam essent dies qui devotionem fidelis populi 1. Ainsi saint Aduustin : < Quid verius, Quid just ins, ul qui dure detrectat sc fraudet ipse ? » (Sermon CCVI, in Quuàraÿesimu, 11, 2. P. I,., XXXVIII, 1041). 2- Nous traduisons ainsi le mot «jcidiù qui. dans le latin classique, ex­ primait surtout l’idée d'alliance, soit entre époux, soit entre peuples, devenu# compagnons et associes par une decision prise de concert : ainsi les hommes, SIXIÈME SERMON SUR LES COLLECTES 25 étrangers aux actes d’humanité qu’ils seront trouvés exempts d'autres péchés ; mais, coupables en beau­ coup de choses, ils seront surtout condamnés pour n’avoir pas racheté leurs crimes par une seule aumône. Car c'est le fait d’un cœur très dur de n’êtrc pas ému par la misère, quelle qu’elle soit, de ceux qui souf­ frent, et celui qui, ayant le moyen de soulager, ne secourt pas l’aflligé, est aussi injuste que s’il opprimait le faible ; quel espoir des lors restera-t-il au pécheur s'il ne fait miséricorde afin de recevoir lui-même misé­ ricorde ? C’est pourquoi, bien-aimés, celui qui n’est pas bon pour les autres, est d'abord méchant pour soi-même, et il nuit à sa propre âme en ne secourant pas celle d’autrui comme il le pourrait '. Riches et pauvres ont une nature identique ; or. entre autres consé­ quences de l’humaine fragilité, aucune bonne santé n’est assurée de durer, car il n’est personne qui ne doive craindre ce qui peut arriver à certains. Que notre être mortel, changeant et caduc, sc reconnaisse en tout homme, et, en raison de cette communauté de condition, manifeste â ceux de sa race l’amour d’un associé 2 ; qu’il pleure avec ceux qui pleurent3 et qu’il unisse ses gémissements aux gémissements de ceux qui souffrent; qu’il partage scs ressources avec les pauvres; qu’il use de son corps bien portant pour se pencher vers le malade qui gît sous l’effet de son mal; que. parmi ses mets, il prévoie la part de ceux qui ont faim. et. dans la blême nudité de ceux qui tremblent de froid, qu’il s’estime lui-même transi. Quiconque, en effet, soulage la misère temporelle du malheureux, échappe au supplice éternel du pécheur. 2, C’est donc avec sagesse et piété, bien-aimés, que les saints Pères ont réglé qu'à diverses époques de l'année, il y aurait des jours déterminés pour appeler la dévotion du peuple fidèle â une collecte publique ; partageant ici-bas, avec une nature commune, une condition commune, Sont vraiment associés comme des compugnom, engagés dans une destinée commun·*. C’est lit, pour saint Mon. le fondement naturel de l’amour que les hommes doivent so porter les uns aux autres. 3. Rom.. XII, 15. 26 DE QUADRAGESIMA SERMO I ad collationem publicam provocarent ; et quia ad ecclesiam maxime ab unoquoque opem quærente decurritur, lieret ex possibilitate multorum, volun­ taria et sancta collectio, quæ per præsidenlium curam necessariis serviret expensis. Ad cujus operis deside-. ratum vobis, ut credimus, fructum dies vos vicinus invitat ; accedentibus admonitionibus nostris, ut ad ecclesias regionum vestrarum sabbato proxime futuro misericordia* munera deferatis. Et quia hilarem datorem diligit Deus nemo sibi amplius quam sub­ stantia ejus permittit indicat, inter se et pauperem æquus quisque sit judex. Removeat diffidentiam læta et secura miseratio ; et qui egeno subvenit, Deo se impendere quod largitur inlelligat. De quibuslibet substantiis, quarum utique non una mensura est, potest esse par meritum, si inter diversas conferentium quantitates non sit minor cujusquam pictas quam facultas. Deus enim, apud quem non est acceptio personarum12, similiter recipit et divitis munus et pauperis : quoniam novit quid singulis dederit, quidve non dederit ; et in die retributionis non modus judicabitur censuum, sed qualitas voluntatum. Per Christum Dominum nostrum. 26 (XXXIX) DE QUADRAGESIMA SERMO I 1. Hebraeorum quondam populus et omnes Israeliticæ tribus, cum propter peccatorum suorum offen1. It Cor., IX, 7. 2. Êphés.. VJ,9;CoJ., 111.25. PREMIE» SERMON SLR LE CAREME 26 et puisque c’est surtout vers l’église que s’en vient quiconque est en quête de secours, ils ont voulu que, des ressources du grand nombre, on recueillît sponta­ nément. et saintement ce qui, par le soin des chefs d'églises, couvrirait les dépenses indispensables. Le jour est proche qui vous invite à cette œuvre fruc­ tueuse et. croyons-nous, désirée par vous ; nous y ajoutons nos exhortations pour que, samedi pro­ chain, vous apportiez aux églises de vos régions les dons de la miséricorde. Et, parce que « c’est celui qui donne avec joie que Dieu aime » ’, que personne ne se prescrive Λ lui-mème de donner plus que ne lui permet sa fortune. Que chacun soit un juge équi­ table entre les pauvres et lui-mème. Qu’une commisé­ ration joyeuse et à l’abri du besoin écarte tout manque de confiance ; ct que celui qui vient en aide à l’indigent comprenne qu’il donne à Dieu l’aumône qu’il distribue. Toutes les fortunes, dont la mesure certes n’est pas uniforme, peuvent avoir un mérite égal, si, en dépit des dons inégaux, l’amour n’est pas inférieur aux ressources. Dieu en effet, qui ne fait pas acception des personnes12, reçoit pareillement et le don du riche ct celui du pauvre : il sait ce qu’il a donné à chacun, et ce qu’il n’a pas donné ; au jour de la récompense, ce ne sera pas la mesure des richesses qui sera jugée, mais la qualité des intentions. Par le Christ notre Seigneur. 26 (XXXIX) PREMIER SERMON SUR LE CARÊME SoMMAinE. — 1. Exemple tire de l’Ecritnre sainte. — 2. I.e combat intérieur. — 3. Utilité de la tentation. — 4. Les armes spirituelles. — 5. Vices et vertus. — 6. Le pardon des injuros. 1. L’histoire sacrée rapporte que, jadis, le peuple hébreu et toutes les tribus d’Israël, accables à cause 27 DE QUADRAGESIMA SERMO I siones gravi Philistinorum dominatione premerentur, ut superare hostes suos possent, sicut sacra mani­ festat historia, vires animi et corporis indicto sibi reparavere jejunio ‘. Intellexerant enim duram et miseram illam subjectionem neglectu se mandatorum Dei et morum corruptione meruisse, frustraque se armis certare, nisi prius vitiis répugnassent 2. Absti­ nentes ergo a cibo et potu severa sibi castigationis adhibuere censuram ; et ut hostes suos vincerent, gulæ illecebram in seipsis ante vicerunt. Factumque est hoc modo ut sævi adversarii et graves domini esurientibus cederent, quos sibi saturos subjugarant. Et nos itaque, dilectissimi, inter multas adversi­ tates et praelia constituti, si similibus remediis uti cupimus, simili observatione curemur. Eadem enim propemodum causa nostra est quæ illorum fuit : quoniam sicut illi a carnalibus adversariis, ita et nos a spiritalibus maxime impugnamur inimicis. Qui si donata nobis per Dei gratiam morum correctione’ vincantur, etiam corporeorum nobis hostium fortitudo succumbet ; et emendatione nostra infirmabuntur, quos graves nobis, non ipsorum merita, sed nostra delicta fecerunt *. 2. Quapropter, dilectissimi, ut omnes hostes nostros 1. Cf. I Sam., VII, G. 2. On retrouve la nn'nic idée dans plusieurs oraisons du missel romain, oü il faut sans doute voir l'influence, sinon la main, de saint Léon. Ainsi la dernière oraison I-a Collecte du samedi des quatre-temps de septembre demande à Dieu : « Üt, abstinendo, cunctis efficiamur hostilius fortlores. · L'idée de combat est très marquée dans les sermons sur le carême, et nous aurons l'occasion do la retrouver plus d'une fois. 3. Il y a ici un elTet voulu de parallélisme : saint Léon a (lit plus haut que les Hébreux avalent mérité, à cause de leur morum corruptio, d’être soumit k PREMIER SERMON SUR LE CARÊME 27 de leurs péchés sous la lourde oppression des Phi­ listins, s’astreignirent, pour pouvoir vaincre leurs ennemis, à un jeûne qui renouvela à la fois les forces de leur âme et celles de leur corps *. Ils avaient, en effet, compris que le mépris des commandements de Dieu et leurs mœurs corrompues leur avaient mérité cette dure et misérable servitude et qu’ils combattraient en vain les armes à la main s’ils ne commençaient par faire la guerre aux vices2. Ils s’imposèrent donc la punition d'une sévère pénitence en s’abstenant de manger et de boire ; et, afin de triompher de leurs ennemis, ils triomphèrent d’abord en eux-mêmes des appels de la gloutonnerie. Ainsi arri­ va-t-il que des adversaires redoutables et des maîtres impitoyables prirent la fuite devant des hommes affamés qu’ils avaient soumis, rassasiés, à leur joug. Nous aussi, bien-aimés, avons à faire face à mille adversités et à mille combats : si nous voulons re­ courir à semblables remèdes, nous serons guéris par semblable discipline. Notre situation est à peu de chose près celle qui fut la leur : ils subissaient les vio­ lentes attaques d’adversaires charnels, comme nous subissons les violentes attaques d’ennemis spirituels. Si la réforme de nos mœurs 3, obtenue par l’aide de Dieu, nous fait triompher de ces derniers. la force aussi de nos ennemis visibles succombera ; ils seront affaiblis par notre amendement même, car, s’ils avaient acquis quelque pouvoir sur nous, c’était grâce à nos fautes et non par leurs mérites 4. 2. Dans ces conditions, bien-aimés, afin d’être leurs ennemis ; ces mêmes ennemis leur seront soumis grâce à leur moriun correctio, obtenue uvcc l’aide de Dieu. •I. Qui sont ces ennemis visibles que saint Léon mentionne après les ennemis invisibles et spirituels connus de tout Chrétien ? I) finit y voir, à n'en pas douter, les Barbares toujours menaçants pour la Home du v· siècle. Peut-on aller plus loin et voir ici l'allusion à un événement précis qui per· mettrnit de dater ce sermon ? On songe à la menace des Vandales de Genséric qui aboutit à la prise et au sac de Rome en juin 455, ou à l'avance d'Attila que lit reculer l’intervention personnelle du pape dans les premiers mois de 452. C'est cette dernière hypothèse qui a les préférences de Mgr Callewaebt; et. Saint i.fott le Grand et les textes du Monicn (exl mit de Sacris erudiri, 1918), ρ. 83. 28 DE QUADRAGESIMA SERMO I superare valeamus ’, per observantiam caelestium mandatorum divinum quæramus auxilium, scientes non aliter nos praevalere posse adversariis nostris, nisi praevaluerimus et nobis. Sunt enim intra nosmetipsos multa certamina, et aliud caro adversus spi­ ritum, aliud adversus carnem spiritus concupiscit2. In qua dissensione si cupiditates corporis fuerint for­ tiores, turpiter animus amittet propriam dignitatem, et perniciosissimum erit eum servire quem decuerat imperare. Si autem mens rectori suo subdita, et supernis muneribus delectata, terrenae voluptatis incitamenta calcaverit, et in suo mortali corpore regnare peccatum non siverit3, ordinatissimum tenebit ratio principatum, et munitiones ejus nulla spiri­ talium nequitiarum 1 labefactabit illusio : quia tunc est vera pax homini et vera libertas, quando et caro animo judice regitur, et animus Deo præside gu bernatur 6. Hæc autem præparatio, dilectissimi, licet omni tempore salubriter assumatur, ut pervigiles hostes incessabili superentur industria, nunc tamen solli­ citius expetenda est, et studiosius instruenda, quando et ipsi subtilissimi adversarii acriori insidiantur astutia. Scientes enim adesse sacratissimos Quadra­ gesima» dies, in quorum observantia omnes præteritæ desidiæ castigantur, omnes negligent!» diluuntur, ad hoc utique totam vim suæ malignitatis intendunt, ut celebraturi sanctum Pascha Domini in aliquo 1. Aussi bion les visibles que 1rs Invisibles, comme il vient d'être dit. Sur les sens du mot qui suit, observantia, dnns saint l.éon, cf. Ign. Carton, Notes sur l'emploi dit mol · observantia · duttx les liomitlex de saint dnns VigiUK Christiarwe, VIII, 1-2. Janv.-avr. 5t. p. 101-1 1 1. Les sens du mot sont variés; souvent il désigne le jeûne : c'est le cas ici. avec une référence à l'ensemble de l'nscêse quudragésiinalc. 2. cr. Gat., V, 17. 3. Cf. Rom.. VI, 12. PREMIER SERMON SUR LE CARÊME 28 assez forts pour vaincre tous nos ennemis \ recher­ chons le secours divin en obéissant aux comman­ dements célestes, et sachons bien que nous ne pour­ rons prévaloir sur nos adversaires qu’après avoir prévalu sur nous-mêmes. Il se livre, en effet, en nous bien des combats : autres sont les visées de la chair sur l’esprit, autres celles de l’esprit sur la chair2. Que, dans cette lutte, les convoitises du corps soient les plus fortes, et la volonté raisonnable perdra hon­ teusement la dignité qui lui est propre, et, pour son plus grand malheur, deviendra l’esclave de celui qu’elle était faite pour commander. Si, au contraire, l’esprit soumis à son souverain et prenant plaisir aux faveurs célestes foule aux pieds les provocations des voluptés terrestres et ne permet pas au péché de régner dans son corps mortel 3, la raison alors gar­ dera le rang qui lui convient par excellence, le premier, et aucune illusion des esprits de malice 1 n’ébranlera ses défenses : car il n’y a pour l’homme de vraie paix et de vraie liberté, que lorsque son corps est soumis à l’âme comme à son juge, et l’âme conduite par Dieu comme par son supérieur 5. Sans doute un tel entraînement, bicn-aimcs, est-il salutaire en tout temps, afin que nos ennemis tou­ jours en éveil soient tenus en sujétion par une appli­ cation sans trêve ; pourtant c’est maintenant qu’il nous faut le rechercher avec plus d’ardeur et nous y consacrer avec plus de soin, à l’heure où nos adver­ saires les plus subtils redoublent eux-mêmes de four­ berie pour nous tendre des pièges. Ils savent que les saints jours du carême sont arrivés, dont l’observance amende toutes les lâchetés passées, efface toutes les négligences ; toute la force de leur perversité tend donc à ce seul but : faire que ceux qui vont célébrer ■1. Cf. Éph., VI. 12. 5. L'imago est empruntée à la langue judiciaire : l'Amc est comparée au juge qui n'agit que sous la direction du préskient du tribunal. Lorsqu'elle yest docile, elle est établie dans In paix et dnns la vraie liberté qui ré-sultcnt pour elle de sa coopération Λ la grâce. Voir, pour l'exégèse de ce passage, l’nrliclc du 11. P. Hi.itvi’ i>r. L'Incarnation, La grdcc dans Vctuvre de saint Lfon le Grand, dnns ticch. de Théo!. une. et méd., 1955. p. 201. 29 DE QUADRAGESIMA SERMO I inveniantur immundi ; et unde eis obtinenda erat propitiatio, inde contrahatur offensio. 3. Accedentes ergo, dilectissimi, ad Quadragesima» initium, id est, ad diligentiorem Domini servitutem] quia quasi ad quemdam agonem sancti operis in­ troimus, ad pugnas tentationum animas præparemus ; et intclligamus quanto studiosiores pro nostra salute fuerimus, tanto nos vehementius ab adver­ sariis impetendos. Sed fortior est qui in nobis est quam qui adversum nos est ct per ipsum validi sumus, in cujus virtute confidimus : quia ob hoc Dominus se tentari a ten ta tore permisit, ut cujus munimur auxilio, ejusdem erudiremur exemplo. Vicit enim adversarium, ut audistis 1 2, testimoniis legis, non potes­ tate virtutis ; ut hoc ipso et hominem plus honoraret, ct adversarium plus puniret, cum hostis generis humani non quasi a Deo jam, sed quasi ab homine vinceretur. Pugnavit ergo ille tunc, ut et nos postea pugnaremus ; vicit ille, ut et nos similiter vinceremus. Nulla sunt enim, dilectissimi, sine tentationum expe­ rimentis opera virtutis, nulla sine probationibus fides, nullum sine hoste certamen, nulla sine con­ gressione victoria. Vita hæc nostra in medio insi­ diarum, in medio præliorum est. Si nolumus decipi, vigilandum est ; si volumus superare, pugnandum est. Et ideo sapientissimus Salomon, Fili, inquit, accedens ad servitutem Dei, præpara animam tuam ad tenlationem 3. Vir enim sapientia Dei plenus, sciens studium religionis laborem habere certaminis, cum praevideret pugnae periculum, ante admonuit pugnaturum : ne 1. Ci. I Jean. IV. 4. 2. Lecture de 1'cvungile «lu I" dimanche de carême contenant le récit «le In tentation «lu Seigneur, .Maith., IV, 1-11. Du temps de saint Léon, ce dimanche était aussi le premier Jour du carême, ct. comme on ne jeûnait pas les dimanches. Je jeûne ne commençait que le lendemain. Cf. C. Gau-R· PREMIER SERMON SUR LE CARÊME 29 Ja sainte Pâque du Seigneur se trouvent souillés de quelque impureté et rencontrent une occasion de faute dans ce qui aurait dû leur être une source de pardon. 3. Λ cette heure donc, bien-aimés, où nous abordons le début du carême, c'est-à-dire un service plus empressé du Seigneur, puisque nous nous engageons en quelque sorte dans une espèce de compétition de saintes œuvres, préparons nos âmes aux luttes des tentations. Comprenons bien que, plus nous appor­ terons de soin à notre salut, plus violentes seront les attaques de l’ennemi. Mais celui qui est en nous est plus fort que celui qui est contre nous 1 ; et c'est par lui que nous sommes affermis si nous nous confions en sa force : le Seigneur, en effet, en consentant à subir les sollicitations du tentateur, a voulu aussi nous instruire par son exemple, lui qui nous fortifie par son secours. Car il a vaincu l’ennemi, comme vous l’avez entendu lire 2, en faisant appel aux arguments de la Loi, non en usant de sa puissance ; ainsi hono­ rait-il davantage l’homme et châtiait-il davantage l’adversaire, puisque l’ennemi du genre humain subis­ sait la défaite qu’il lui infligeait non pas en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Lui donc a combattu alors pour que nous aussi puissions ensuite com­ battre ; lui a remporté la victoire pour que nous aussi remportions semblable victoire. Car, bien-aimés, il n’est pasd’œuvre de vertu qui n’expérimente la tentation,pas de foi sans épreuves, pas de combat sans ennemi, pas de victoire sans engagement. Notre vie ici-bas se passe au milieu des embûches, au milieu des batailles ; si nous ne voulons pas être surpris, il nous faut veiller ; si nous voulons vaincre, il nous faut combattre. C’est pourquoi le très sage Salomon déclare : « Mon fils, en entrant au service de Dieu, prépare ton âme à la tentation»3. Cet homme, en effet, rempli de la sagesse de Dieu, savait que le zèle religieux comporte Waj.kt, /xi durée el la caractère du Carême ancien dans Γ Eglise Inline, Bruges. »13. 3. Sag. Sir., II. 1. 49. Léon le Grand. 4 30 DE QUADRAGESIMA SERMO I forte si ad ignorantem tcntator accederet, impara­ tum citius vulneraret. 4. Nos itaque, dilectissimi, qui divinis eruditio­ nibus instituti, ad agonem praesentis certaminis scienter accedimus, audiamus dicentem Apostolum : Non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principes et potestates, adversus mundi rectores tenebrarum harum, contra spiritalia nequilisty in coelestibus ’ ; et non ignoremus quod hi hostes nostri contra se geri omnia sentiunt, quæcumque nos pro nostra salute agere tentamus ; el hoc ipso quod boni aliquid appetimus, adversarios provocamus. Ilæc enim inter nos atque illos per diabolic» invidi» fomitem inveterata dissensio est, ut quia illi ab his bonis exciderunt, ad quæ nos Beo auxiliante prove­ himur, nostris justificationibus torqueantur. Si ergo nos erigimur, illi corruunt; si nos convalescimus, illi infirmantur. Remedia nostra plagie ipsorum sunt, quia curatione nostrorum vulnerum vulnerantur. State ergo, dilectissimi, ut Apostolus ait, succincti lumbos mentis vestrae in veritate, et calceati pedes in præparatione Euangelii pacis, in omnibus sumentes scutum fidei, in quo possitis omnia tela maligni ignea exstin­ guere, et galeam salutis assumite, et gladium spiritus, quod est verbum Dei12. Videte, dilectissimi, quam potentibus nos telis, quam insuperabilibus muni­ mentis dux multis insignis triumphis, et invictus Christian» militi» magister3 armaverit. Succinxit lumbos balteo castitatis calceavit pedes vinculis 1. Ephfa,. VI. 12. 2- Ibid.. 11. 3. L'Image est prise à la vie des camps. Le M«{/i*ter militia’ Malt ce qi* nous appellerions aujourd'hui un général. •1. Le battent castitatis est un Heu commun de la littérature patristlqtM^ Ainsi saint J&rôme, In Jœl, l : « Saccrdox accingatur bn I leo castitatSH PREMIER SERMON SUR LE CARÊME 30 de pénibles combats ; prévoyant les incertitudes de la bataille, il prévient à l’avance qu’il faudra ba­ tailler ; car, si le tentateur s’en prend à des âmes non averties, il est à craindre qu’il ne blesse plus promp­ tement celles qui ne sont pas préparées. 4. Instruits par l’enseignement divin, bien-aimés, nous entrons donc en connaissance de cause dans l’arène pour cette lutte ; écoutons l’Apôtre qui nous dit : « Ce n’est pas contre la chair et le sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Dominations, contre les Souverains de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du mal répandus dans les airs » ’. Ne nous faisons d’ailleurs pas illusion : ces ennemis qui veulent nous perdre comprennent bien que c’est contre eux qu'est fait tout ce que nous tentons d’accomplir pour notre salut ; par cela seul que nous désirons quelque bien, nous provoquons l’adversaire. Il y a, entre eux et nous, fomentée par la jalousie diabolique, une opposition invétérée, telle que, déchus comme ils sont de ces biens auxquels la grâce de Dieu nous élève, notre justification fait leur torture. Quand donc nous nous relevons, ils s’effondrent ; quand nous retrouvons nos forces, ils perdent les leurs ; nos remèdes leur sont des coups, car la guérison de nos blessures les blesse. « Donc, debout, bien-aimés ! — c’est l’Apôtre qui le dit — avec la vérité pour ceinture de vos âmes, et pour chaussures le zèle â propager l’évangile de la paix ; tenez toujours en main le bouclier de la foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais ; prenez aussi le casque du salut et le glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu » 2. Voyez, bien-aimés, de quels traits puissants, de quelles défenses insurmontables nous munit ce chef qu’ont illustré de multiples triomphes, ce maître invincible de la milice chrétienne 3 ! Il a mis autour de nos reins le ceinturon de la chasteté 4, chaussé nos pieds des (P. !... XXV. 958); id. Epist. 61, 22 : « Sacrato balteo cingimur.· (CSEL, J.IV, p. 613); saint Augustin, Epis!. 220,3 : «Accinctus balteo casUsidmæ continentia·. » (CSEL, LVII, p. 433); saint PIERRE Cimvso- 31 DE QUADRAGESIMA SERMO I pacis : quia et discinctus miles cito ab impudicitiæ incentore vincitur, ct non calceatus facile a serpente mordetur. Scutum fidei ad protectionem totius cor­ poris dedit, capiti galeam salutis imposuit, dexteram gladio, id est verbo veritatis, instruxit : ut spiritalis: præliator non solum sit tutus a vulnere, sed et repu­ gnantem valeat vulnerare. 5. His igitur, dilectissimi, freti armis, impigre, atque intrepide propositum nobis certamen ineamus : ut in isto jejuniorum stadio, non eo tantum simus line contenti, ut solam ciborum abstinentiam putemus esse sectandam. Parum enim est si carnis substantia tenuatur, et animæ fortitudo non alitur. Afflicta paululum exteriore homine, reficiatur interior ; et subtracta carni saturitate corporea, spiritalibus mens deliciis roboretur ’. Circumspiciat se omnis anima Christiana, et severo examine cordis sui interna dis­ cutiat. Videat ne quid ibi discordia? inhæscrit, ne quid cupiditatis insederit. Castitas incontinentiam procul pellat, tenebras simulationis lux abigat veri­ tatis. Detumescat superbia, resipiscat iracundia, comminuantur jacula noxarum, et obtrectatio liuguæ frenetur. Cessent vindictæ, et oblivioni mandentur injuriae. Omnis postremo plantatio quam non piam tauit Pater cætestis, radicitus auferatur 2. Tunc enim, in nobis bene virtutum semina nutriuntur, quando de agro cordis nostri omne germen externum evellitur. Si quis ergo in quempiam ita cupiditate ultionis Sermo 22 : · Cincti castitatis balteo, quod est insigne militiæ chriM tiante. · (/*. L.. LII, 261). On aura noté la mention dans ce texte de 1M < milice chrétienne ·, comme un peu plus haut dans saint Léon : la parenté des deux textes apparaît encore par la suite du développement chez l’évéquo , de Ravcnnc : · Nescit vincere vitia corporis virtutis cingulum qui deponit. »1 Une dépendance est ici possible de saint Léon à l’égard de son contemporain (mort en 450-151), ou d’un modèle commun. i.ogve. PREMIER SERMON SUR LE CARÊME 31 courroies de la paix : un soldat qui ne s’est pas ceint les reins est, en effet, bientôt vaincu par l’instigateur de l’impureté, et celui qui n’a pas de chaussure est facilement mordu par le serpent. Il nous a donné le bouclier de la foi pour nous protéger le corps tout entier, a placé sur notre tête le casque du salut, a mis dans notre main le glaive, c’est-à-dire la parole de vérité : ainsi le héros des luttes de l’esprit n’est pas seulement à l’abri des blessures, mais il peut aussi blesser qui l’attaque. 5. Confiants donc en ces armes, bien-aimés, abor­ dons sans paresse et sans crainte la lutte qui nous est proposée, et, dans ce stade où l’on combat par le jeûne, ne nous croyons pas quittes en nous contentant de nous abstenir de nourriture. Ce serait peu que d’affaiblir la force du corps, si l’on n'alimentait la vigueur de l’âme. Mortifions quelque peu l’homme extérieur, et que l’intérieur se restaure ; retranchons à la chair un rassasiement corporel, et que l'esprit puise des forces aux délices spirituelles Que toute âme chrétienne s’observe de toutes parts elle-même; par un sévère examen, qu’elle scrute le fond de son cœur ; qu’elle veille à ce que nul soupçon de dis­ corde n’y demeure, nulle trace de convoitise ne s’y installe. Que la chasteté chasse bien loin l’inconti­ nence, que la lumière de la vérité dissipe les ténèbres du mensonge ; que l’orgueil désenfle, que la colère vienne à résipiscence, que se brisent les traits qui portent préjudice, que l’on mette un frein au déni­ grement de la langue. Que cessent les vengeances, et que les injures soient abandonnées à l’oubli ; bref, « que tout plant que n’a pas planté le Père céleste soit arraché »12 ! C’est, en effet, lorsque tous les germes étrangers sont enlevés du champ de notre cœur que les semences des vertus peuvent être con­ venablement nourries en nous. Si donc quelqu'un, 1. Ci. la collecte du samedi des quatre-temps de septembre : « Ut, jeju­ nando, tua gratia saliemur. ■ De même la Collecte du mardi de lu 1” semaine de carême : ■ Praesta ni upud te mens nostra tuo desiderio fulgeat, quæ se camis maceratione castigat. » 2. .Matth,, XV, 13. 32 DE QUADRAGESIMA SERMO I exarsit, ut eum aut carccri tradiderit, aut vinculis illigaverit, absolutionem non solum insontis, sed etiam ejus qui pæna dignus videtur acceleret : ut illa Dominicæ orationis regula fidenter utatur, dicens : Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.1. Quam partem petitionum ita Dominus speciali insinuatione commendat, quasi totius orationis effectus in hac conditione consistat : Si enim, inquit, dimiseritis hominibus peccata eorum, dimittet et Pater vester vobis, qui in cælis est. Si autem non dimiseritis hominibus, nec Pater vester dimittet vobis peccata vestra s. 6. Proinde, dilectissimi, memores infirmitatis nostræ, quia facile in quaelibet delicta prolabimur, hoc potissimum remedium, et istam eificacissimam vul­ nerum nostrorum curationem nullatenus negligamus. Remittamus, ut remittatur nobis, demus veniam, quam rogamus ; et non studeamus vindicari, qui nobis precamur ignosci. Pauperum gemitus surdo non transeamus auditu, et misericordiam indigentibus prompta benignitate præstemus, ut misericordia] in judicio mereamur invenire. Ad quam perfectionen qui studium suum gratia Dei adjutus intenderit, hi< sanctuin jejunium fideliter peraget, hic a fermenti malitiæ veteris alienus, in azymis sinceritatis et veritatis 123*ad beatum Pascha perveniet, et per novi­ tatem vitæ 1 digne Retabitur in sacramento reforma­ tionis humanæ : per Christum Dominum nostra qui cum Patre et Spiritu sancto vivit et regnat in saecula sæculorum. Arnen 5. 1. 2. 3. •1. Malth-, vi, 12. Zfeid., H. Ct. I Cor., V. 8. Ci. Rom.. VI. I. PREMIER SERMON SUR LE CARÊME 32 enflammé contre un autre du désir de se venger, l’a fait jeter en prison ou chargé de chaînes, qu’il se hâte de le libérer, non seulement s’il est innocent, mais même s’il paraît mériter le châtiment ; c’est ainsi qu’il suivra sans crainte la règle de la prière du Seigneur : « Remeltez-nous nos dettes comme nousmêmes remettons à nos débiteurs » Article de nos demandes que le Seigneur souligne par cette ins­ truction spéciale, comme si la condition de Γ efficacité de toute prière s’y trouvait enfermée : «Si, en effet, vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne les pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos offenses » 2. f». Par conséquent, bien-aimés, nous souvenant de notre faiblesse qui nous fait facilement tomber dans toutes sortes de fautes, gardons-nous de négliger ce remède primordial et ce moyen très efficace de guérir nos blessures ; remettons pour qu'on nous remette, accordons la grâce que nous-mêmes de­ mandons ; ne cherchons pas à nous venger, nous qui supplions qu'on nous pardonne. Ne passons pas près du pauvre en demeurant sourds à ses plaintes, accordons avec une bienveillance empressée la ‘misé­ ricorde aux indigents, pour mériter nous-mêmes de trouver miséricorde lors du jugement. Celui qui, aidé de la grâce de Dieu, tendra de tout son cœur à cette perfection, celui-là s'acquittera parfaitement du saint jeûne; étranger au levain de son ancienne malice, il parviendra à la bienheureuse Pâque avec des azymes de pureté et de vérité 3 ; vivant de la vie nouvelle 4, il méritera de goûter la joie dans le mys­ tère de l’humaine régénération ; par le Christ notre Seigneur, qui, avec le Père et 1’Esprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen 5. 5. On aura remarqué dans cc sermon la part que saint Léon tait au démon dans les luttes de la vie morale. Certes, pour lui, le démon est un être bien réel, le · tentateur ·, avec qui il faut compter. En cela, notre Docteur est dans la ligne de toute une tradition qui prend son appui dans l'Écriture, ot en particulier dans l'Évanglle. Ailleurs il discernera l'action diabolique dans les vices, doctrine qut remonte aux Pères du désert (et. 7‘ sermon pour Noil, 33 DE QUADRAGESIMA SERMO Π 27 (XL) DE QUADRAGESIMA SERMO II 1. Licet nobis, dilectissimi, appropinquante festi­ vitate paschali1 jejunium quadragesimale ipse legi­ timi temporis recursus indicat, cohortatio tamen etiam nostri sermonis adhibenda est, quæ, auxiliante Domino, nec inutilis sit pigris, nec onerosa devotis. Nam cum omnem observantiam nostram ratio istorum dierum poscat augeri, nemo est (ut confido) de vobis, qui se ad opus bonum non gau­ deat incitari. Natura enim nostra, manente adhuc mortalitate, mutabilis, etiamsi ad summa quæque virtutum studia provehatur, semper tamen sicut 3 ; « Sources Chrétiennes ·, 22. p. 141 ; 2" sermon pour le carême. 2. Infra), dans les persécutions exercées par les païens contre les chrétiens, idée qu’on trouve déjà chez Origéne et Tertullien (ci. 6- sermon pour VEpiphanie, 2 ; • Sources Chrétiennes >, id., p. 240) ; 11 verra dans les manichéens des · ser­ viteurs · du diable (ci. 4* sermon pour le carême. 4. Infra) ; enfin, Λ In suite de saint Augustin et de toute une série d'auteurs dont le premier est saint Irénéc, il reconnaîtra un véritable · droit > au démon sur l’humanité par suite île lu transgression originelle (ci. surtout le 2* sermon pour Noil, 3-4, • Sources Chrétiennes » id., p. XI-S3 ; sur le développement historique de la théorie du droit du démon, ci. J. Hiviêrr, Le dogme de la Rédemption, Essai d’étude historique, p. 373-186). Le démon est en outre un des thèmes de la liturgie du carême, d'oü une nouvelle raison pour saint Léon d'hislster sur son rôle au début de la sainte quarantaine : il apparaît, en effet, en premier lieu dans l’évangile du 1·' dimanche, celui de la tentation du Seigneur, qui est comme un programme pour ce temps liturgique ; on le retrouve aux évan­ giles du mercredi «les quatre-temps (Je démon chassé qui revient avec sept autres), du jeudi de la première semaine (Hile possédée de la Chananécnne), du 3'dimanche (délivrance d’un possédé muet, et reprisede lu ieçondu démon chassé et qui revient en force), du Jeudi de la troisième semaine (délivrance de possédés), du mardi de la quatrième et du dimanche de la Passion (le Seigneur accusé d'avoir un démon). Cette insistance n'est pas DEUXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 33 27 (XL) DEUXIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. 1. Exhortation à la poursuite de la perfection. — 2. Les attaques du démon redoublent au temps du carême. — 3. Scs assauts contre notre Seigneur Jésus-Christ. — 'i. La pratique de la charité. — 5. Les antres vertus ; la miséricorde à l'exemple des empereurs. 1. Aux approches des célébrations pascales1, bienaiinés, le retour régulier du temps prescrit devrait suffire à nous rappeler le jeûne du carême ; pour­ tant nous devons y joindre encore notre exhortation, pensant qu'avec l’aide du Seigneur, elle ne sera pas inutile aux tièdes, ni fastidieuse aux fervents. Ces jours ont pour dessein d’obtenir un accroissement de toute notre pratique religieuse ; il n’est donc per­ sonne parmi vous, j’en suis persuadé, qui ne se réjouisse d’être stimulé aux bonnes œuvres. Aussi longtemps que nous demeurons mortels, notre nature est sujette au changement ; aussi, même si elle s’élève jusqu’au plus haut degré de zèle dans la pour­ suite des vertus, elle peut cependant toujours ren­ contrer une occasion de chute aussi bien qu’une l’elTet du hasard, mais veut insinuer que le carême est un temps de lutte par­ ticulièrement active contre le démon, à l’exemple du Sauveur au désert : saint Léon J’ti bien compris. Sur la question du démon dans la Tradition, on peut se reporter A l’article · Démon ■ dans le Dictionnaire de spiritualité, surtout J. Daniiïlou, Le démon dan» ta littérature ecclésiastique jusqu'à Ori­ gine, A. et Cl. Gvillaumoxt, Le démon dans la plus ancienne littérature ecclé­ siastique. Fr. Vaxdexbrovcke, En Occident, la période palrislique ; sur le démon dans la doctrine manichéenne, et. H. C. Pvecii, l.e prince des ténèbres en son rotiaianc, dans · Satan · p. 136-174. fondes carmititaines, 1948. 1. Dnns la langue de saint Léon, la festivitas paschalis comprend non seu­ lement lu fêle de Pâques proprement dite, mais encore les célébrations de la Semaine sainte ; on le verra à propos «les serinons sur la Passion. 34 DE QUADRAGESIMA SERMO II potest habere quo recidat, ita potest habere quo crescat. Et hæc est perfectorum vera justitia, ut nuin­ quam præsumant se esse perfectos, ne ab itineris nondum finiti intentione cessantes, ibi incidant defi­ ciendi periculum, ubi proficiendi deposuerint appe­ titum. Quia ergo nemo nostrum, dilectissimi, tam per­ fectus et sanctus est, ut perfectior sanctiorque esse non possit, omnes simul sine differentia graduum, sine discretione meritorum, ab iis in quæ perve­ nimus, in ea quæ nondum apprehendimus, pia avidi­ tate curramus, et ad mensuram consuetudinis nostræ necessariis aliquid addamus augmentis. Parum enim religiosus alio tempore demonstratur, qui in his diebus non religiosior invenitur. 2. Unde opportune auribus nostris lectio apostolicæ prædicationis insonuit, dicens : Eccc nunc tempus acceptum, ecce nunc dies salutis ‘. Quid enim acceptius hoc tempore, quid salubrius his diebus, in quibus vitiis bellum indicitur, et omnium virtutum profectus augetur ? Semper quidem tibi, o anima Christiana, vigilandum contra salutis tuæ adver­ sarium fuit, ne ullus pateret locus tentatoris insidiis ; sed modo tibi major cautio et sollicitior est adhi-. benda prudentia, quando idem hostis tuus acriori sævit invidia *. Nunc enim in toto mundo potestas ei antiquæ dominationis aufertur, et innumera illi captivitatis vasa rapiuntur3. Renuntiatur atrocis1. Il Cor., VI. 2. 2. Traditionnellement la jalousie est le propre du démon. Cette opinion s'appuie sur le texte de lu Sagesse, II, 24 : « Invidia diaboli mors Introivit 1 In orbem terrarum. · On la trouve exprimée dés les origines du christia­ nisme: Tertuixiun qualifie le démon d'avnuliM (De Pa-nitcntia. 5 ; P.L., 1,1 1235); saint Ambroise l'appelle invidus el humani generis adversarius (In‘ Ps. XXXV11 enarrat., 21 ; P. L., XIV, 1019) ; saint Augustin enfin écrit d « Duobus malis, superbia et invidentia, diabolus est. · (De sancta virginitate, XXXI, 31 ; P. L., XL. 413). DEUXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 34 occasion de progrès. Et telle est la vraie justice des parfaits qu'ils n’oscnt jamais se croire parfaits, de peur qu’abandonnant leur résolution de poursuivre Je chemin avant d’être au but, ils ne succombent au danger de défaillir au moment même où ils per­ draient le désir d'avancer. Nul parmi nous, bienaimés, n’est si parfait et si saint qu’il ne puisse être encore plus parfait et plus saint : tous ensemble, par conséquent, sans différence de dignité, sans dis­ tinction de mérites, courons avec une pieuse avidité du point auquel nous sommes parvenus vers celui que nous n’avons pas encore atteint, et, à ce qui est la mesure de notre comportement habituel, ajoutons encore quelque chose comme un complément réel­ lement indispensable. Car il révèle avoir bien peu de piété en d’autres temps, celui qu’en ces jours-ci on ne voit pas en redoubler. 2. C’est donc bien à propos qu’a retenti à nos oreilles la leçon tirée de renseignement de l’Apôtre : « Voici maintenant le temps favorable, voici main­ tenant les jours du salut » '. Est-il, en effet, un temps plus favorable que celui-ci, des jours plus propres au salut que ceux-ci, où la guerre est déclarée aux vices, où s’accroît le progrès de toutes les vertus ? En tout temps, il est vrai, ô âme chrétienne, tu devais te tenir en garde contre l’adversaire de ton salut, afin que le tentateur ne trouve nulle brèche ouverte à ses ruses ; mais, en ce moment, il te faut plus de pré­ cautions et une prudence plus attentive, alors que ton ennemi, toujours le même, redouble scs attaques, sous reflet d’une jalousie plus agressive2 : main­ tenant, en effet, dans le monde entier, le pouvoir lui est enlevé qui lui assurait une domination séculaire, et les armes innombrables de ses captures lui sont ravies3. Des foules de toutes nations et de toutes 3. Que sont ces vasa caplMlatix dont l'expression est empruntée au texte évangélique de Matth. (ΧΓΙ, 29) et de Mare (III, 27), oit il est question des Data (ortis Ί On peut les comprendre soit comme les proies du démon qui lui sont enlevées («objets · de captivité), ainsi que va l'expliciter la phrase sui­ vante, soit comme les < instruments · do ses captures (Luc. XI, 22, a arma ou lieu do ixtsa). On songe uu paganisme et au culte des Idoles, alors en 3θ DE QUADRAGESIMA SERMO II simo prædoni a populis omnium nationum, omniumque linguarum, et nullum jam genus hominum repo ritur, quod non tyrannicis legibus reluctetur, dum per omnes fines terrarum regeneranda in Christo mul­ torum millium millia præparantur ; et appropin­ quante novæ creaturæ 1 ortu, spiritalis nequitia ab iis quos possidebat extruditur. Fremit ergo exspo­ liati hostis impius furor, et novum quærit lucrum, quia jus perdidit antiquum2. Captat indefessus et pervigil, si quas reperiat oves a sacris gregibus negligentius evagantes, quas per procliva voluptatum et per devexa luxuriæ in diversoria mortis inducat. Inflammat itaque iras, nutrit odia, acuit cupiditates, irridet continentiam, incitat gulam. 3. Quem enim lentare non audeat, qui nec ab ipso Domino nostro Jcsu Christo conatus suæ fraudis abstinuit ? Nam, sicut evangel ica patefecit historia3, pleine dëcadcncc, cl dans lesquels la tradition unanime a vu les armes du démon (ci. noie 4 du 3« sermon sur les collectes, supra). A remarquer que Luc, «pii a le mol urmu au lieu de vasa, n misai le verbe anferet, plus proche du terme rapiuntur de saint Léon que le diripiet de Mat th. ct de Marc. Saint Léon u pu combiner les deux textes en prenant le mot de ces «leux derniers avec le sens du premier. Il a déjà utilisé le même texte duns le 2· sermon pour Noil, 4 (· Sources Chrétiennes ». 22, p. 82) : « Ligato mundi principe, capti­ vitatis vasa rapiuntur. » 1. Cf. Gui., VL 15. 2. Il s’agit du droit que le démon avait acquis sur le genre humain par suite «le la soumission que le premier homme lui avait faite en péchan Mais,parsuitedelaRédemption.lediablen’aplusdc droit (jus) sur l'hommi il ne peut avoir que des gains partiels ct temporaires (luira). C’est là une idd familière a saint Mon, et qu'on a déjà eu l’occasion «le rencontrer (cf. su) tout le 2* sermon pour Noil, 3-1, réf. supra, p. 80 et ss.). C’est de saint Augu gustin que notre Docteur a reçu la théorie du « droit du démon » : le caractèi populaire de sa prédication, la tournure juridique de son esprit, sa conceptio réaliste «lu rôle du démon (cf. supra 1·* sermon sur le carême, note 5, p. 3! tout l'incitait à se l’approprier et à lui donner une forme absolue. Non en trouvons ici un rappel, mais il ne sera pas inutile «le citer quelques tcxti de saint Augustin qui mettront en lumière la dépendance de saint Léon à son égard. Voici «l’abord. d'après l’évéquc d'IUppone, le fondement do f* droit ; c'est la victoire du diable sur nos premiers parents : · Fcminn «leccp' ct dejecto per feminam viro. omnem prolem primi hominis tnnquum peco DEUXIÈME SERMON SUR LE CAREME 35 langues renoncent au plus cruel des pirates ; et il n’est désormais pas une seule race d’hommes qui ne se rebelle contre ses lois tyranniques, puisque sur toute la surface de la terre des millions d’hommes se préparent â leur régénération dans le Christ ; l’avè­ nement de la création nouvelle 1 approche, ct l’esprit de malice est expulsé de ceux qu’il possédait. L’en­ nemi évincé frémit d’une fureur impie et recherche quelque gain nouveau puisqu’il a perdu son droit ancien 2. Sans se lasser, il tend des pièges, toujours en éveil, en quête de quelque brebis qui, insou­ ciante, s’écarterait du troupeau sacré : par la pente des voluptés et le chemin déclive de la luxure, il la mènerait dans les auberges de la mort. Voilà pourquoi il enflamme la colère, alimente la haine, aiguise la cupi­ dité, ridiculise la continence, excite la gourmandise. 3. Qui n’oserait-il pas tenter, lui qui n’a pas même écarté de notre Seigneur Jésus-Christ les entreprises de sa ruse ? Comme le récit évangélique nous l’a révélé3, notre Sauveur, qui était véritablement tricem. legibus mortis, malitiosa quidem nocendi cupiditate, sed tamen ut arquissimo jure victoriæ, vindicabat. > (De libero arbitrio, III. 10. § 31 ; P. Z... XXXII, 1286). Ce droit ôtait, certes, soumis au bon vouloir divin, mais pourtant très réel : "Quodam justitia Dei in potestatem diaboli tra­ ditum est genus hmmmmn. · (/Je Trinitale, XIII, 12, § 16; P. L„ XLII, 1026); c’est pourquoi Dieu a voulu en tenir Compte quand il a entrepris de détruire l'empire du diable, ct il a préféré rester sur le terrain de la justice plutôt que d’exercer sa toute-puissance. « nihil el extorquens violento domi­ natu, sed superans cum lege justitiæ · (De libero arbitrio, ibid.) ; ct encore : • A Christo justitia diabolus vincitur, non potentia; ex infirmitate quippe quam suscepit in carne mortali, non ex immortali potentia crucifixus est Christus. · (De Trinitate, Ibid., $ IX). Celte victoire, en elTet, Dieu Γη rem­ portée en opposant au diable un homme né sans péché ; car Je diable a eu le droit de jouir de son pouvoir < donec Interficeret justum, in quo nihil dignum morte posset ostendere, non solum quia sine crimine occisus est, sed etiam quin sine libidine nutus. »(Dc libero arbitrio, ibid.). Sur celui qui ne lui devait rien, l’ennemi a prétendu exercer son droit universel, ct cela par lu mort, et ainsi il l’a perdu vis-ft-vis . Tout ce qui, dans cet ensemble, a été con­ cédé à l’homme pour sa nourriture et sa boisson est saint et pur, avec les qualités propres à son espèce. Que si une chose est prise avec une avidité immo­ dérée, c’est l’excès qui déshonore les gloutons et les ivrognes, ce n’est pas la nature de la nourriture et du breuvage qui les souille, car « tout est pur pour ceux qui sont purs, dit l’Apôtre, mais pour les êtres souillés et les incroyants, rien n’est pur ; loin de là, leur esprit même et leur conscience sont souillés »2. 5. Quant à vous, bien-aimés, sainte descendance de notre mère catholique, vous que l’Esprit de Dieu a instruits à l’école de la vérité, réglez votre liberté suivant une juste règle, car vous savez qu’il est bon de s’abstenir même des choses permises, et, lors­ qu’il faut vivre avec plus de mortification, de faire un choix parmi les aliments pour en écarter l’usage, non pour en condamner la nature. Ne vous laissez donc en rien contaminer par l’erreur de ceux que souille surtout leur observance, qui « servent la créa­ ture au lieu du Créateur »3*, et vouent une folle abstinence aux astres du ciel : ils ont en effet choisi le premier et le second jour de la semaine 1 pour jcùner en l’honneur du soleil et de la lune, étant ainsi, par un seul acte de leur perversion, doublement impies, doublement sacrilèges, puisqu'ils ont ins­ titué leur jeûne à la fois pour honorer les astres et pour mépriser la résurrection du Seigneur5. Ils se retranchent, en effet, du mystère du salut des hommes et ne croient pas que c’est dans la véritable chair de notre nature que le Christ notre Seigneur est né véri3. Rom., I, 25. ■I. C'est-à-dire Je dimanche et le lundi. 5. La célébration du dimanche rappelle et honore la résurrection du Christ. 49 DE QUADRAGESIMA SERMO IV sepultum et vere suscitatum esse non credunt1. Et ob hoc diem nostræ lætitiæ, jejunii sui mærore condemnant. Cumque ad tegendam infidelitatem suam nostris audeant interesse conventibus, ita in sacramentorum communione se temperant, ut interdum, ne penitus latere non possint, ore indigno Christi corpus accipiant, sanguinem autem redem­ ptionis nostræ haurire omnino declinent1 2. Quod ideo vestræ notum facimus sanctitati, ut vobis hujusce­ modi homines et his manifestentur indiciis, et quorum deprehensa fuerit sacrilega simulatio, a sanctorum societate sacerdotali auctoritate pellantur. De talibus enim beatus Paulus apostolus Ecclesiam Dei provide monet, dicens : Rogamus autem vos, fratres, ut observetis e.os qui dissensiones et offendi­ cula præter doctrinam quam didicistis faciunt, et declinate ab illis. Hujuscemodi enim Christo Domino non serviunt, sed suo ventri; et per dulces sermones et benedictiones seducunt corda innocentium 3. 6. His ergo, dilectissimi, admonitionibus nostris, quas auribus vestris contra exsecrandum errorem frequenter ingessimus, sufficienter instructi, sanctos Quadragesimæ dies pia devotione suscipite, et ad promerendam misericordiam Dei per opera vos misericordiæ præparate. Iram exstinguite, odia delete, unitatem diligite, et sincera vos humilitatis officiis invicem prævenite 4. Servis et his qui vobis subjecti sunt cum æquitate dominamini, nullus eorum aut claustris crucietur aut vinculis. Cessent vindictæ, 1. C’est le docétisme manichéen qui est dénoncé ; cl. références citée* dans les notes du ■!· wmon pour les collectes, supra, p. 19, note 1. 2. Les manichéens s'abstenaient, en cflet. de vin. Saint Augustin lo rappelle dans le De moribus manichaeorum, XIII, 27-29; P. XXXII, 13561357. Cependant il leur était permis de prendre du vin mêlé de miel (mulsum), du vin doux réduit par lu cuisson (carenum) ou des jus de fruit, · vint spccicm QUATRIÈME SERMON SUR LE CARÊME 49 tablement, a véritablement souffert, a véritablement été enseveli, est véritablement ressuscité >. C’est pourquoi, par l’affliction de leur jeûne, ils con­ damnent le jour qui est celui de notre joie ; et comme, pour dissimuler leur incroyance, ils ont l’audace de se mêler à nos assemblées, voici comment ils se com­ portent dans la participation aux sacrements : de temps en temps, de crainte de ne pouvoir demeurer entièrement cachés, ils reçoivent d’une bouche indigne le corps du Christ, mais refusent absolument de boire le sang de notre rédemption 2. Nous en informons votre Sainteté pour que ces marques vous révèlent clairement de tels hommes et que, d’autre part, une fois découverte leur simulation sacrilège, ils soient chassés de la société des saints par l’auto­ rité hiérarchique. C’est au sujet de tels hommes que le bienheureux apôtre Paul avertit sagement l’Église de Dieu en ces termes : « Nous vous en prions, frères, gardez-vous de ceux qui suscitent divisions et scan­ dales en s’écartant de l’enseignement que vous avez reçu ; évitcz-les, car ces gens-là ne servent pas le Christ notre Seigneur, mais leur ventre ; par leurs propos édifiants ct flatteurs, ils séduisent le cœur des simples »3. 6. Bicn-aimés, nous avons souvent fait entendre à vos oreilles ces avertissements contre une erreur détestable : c’est aiin que, suffisamment instruits, vous abordiez les saints jours du carême avec une pieuse dévotion et que vous vous prépariez par vos œuvres de miséricorde à mériter la miséricorde de Dieu, Éteignez en vous la colère, effacez les haines, aimez l’union et prévenez-vous les uns les autres par les bons offices d’une sincère humilité 4. Commandez équitablement à vos esclaves et à vos subordonnés, que nul d’entre eux ne soit tourmenté dans les pri­ sa Us imitantes, atque id etiam suavitate vincentes », dont chacun, remarque ironiquement l’évêque (l’IIippOnC, pouvait boire «non quantum sitit, sed quantum libet. · 3. Rom., XVI, 17. ■1. Ibid., XII, 10. 50 DE QUADRAGESIMA SERMO V remittantur offensæ ; severitas lenitate, indignatio | mansuetudine, discordia pace mutetur. Omnes nos I modestos, omnes placidos, omnes experiantur béni- I gnos ; ut jejunia nostra accepta sint Deo. Cui ita 1 demum sacrificium veræ abstinentiæ et veræ pietatis 1 offerimus, si nos ab omni malitia contineamus : 1 auxiliante nobis per omnia Deo omnipotente, cui 1 cum Filio el Spiritu sancto una est Deitas, una 1 majestas in sæcula sæculorum. Amen ’. 30 (XLIII) DE QUADRAGESIMA SERMO V 1. Apostolica, dilectissimi, doctrina nos admonet, ut deponentes veterem hominem cum actibus suis12, de die in diem sancta conversatione renovemur3, Si enim templum Dei sumus, et mentium nostrarum Spiritus sanctus habitator est, dicente Apostolo : Vos estis templum Dei vivi *, multa nobis vigilantia j 1 j | j I 1. L’attaque vigoureuse contre les manichéens permet «le dater ce sermon du carême de 444. C'eM, en eflet, en 4-43, et sans doute à la tin de l'année, ® que, selon Prosper d'Aquitaine, saint Léon institua un procès contre ccs ·.■ hérétiques à la suite d’un scandale retentissant (ct. Prosperi Citron., ad an. -a 443, dans Mon. Germ. Hist. Aucl. antiquis. IX, 479); dans la lettre VII ■ (P. L., LIV, 620-621) adressée aux évêques d’Italie, il intima l’exécution de f la sentence rendue à l'égard des hérétiques qui s'étaient enfuis de Rome pour se cacher dans Jn péninsule- Le présent sermon est un épisode de In répression entreprise contre ceux qui étaient restés dans In Ville et se «lissimulaient en assistant aux assemblées chrétiennes. Nous avons emprunté cette mise au point au mémoire Inédit du R. P. Lauras, S. J.. Recherches sur le mant· > théisme à Rome sous le pontificat de Léon le Grand (440-161). On sait que 4 Mgr Callewaort s'est appuyé sur le fait do la campagne menée par saint ï-éon contre les manichéens, campagne qui a laissé sa trace surtout dans les Ser- · CINQUIÈME SERMON SUR LE CARÊME 50 sons ou dans les chaînes. Que cessent les vengeances, que les offenses soient pardonnées ; changez la sévé­ rité en douceur, l’indignation en bienveillance, la dis­ corde en paix. Que tous trouvent en nous des hommes modestes, calmes, bons : ainsi nos jeûnes seront agréés de Dieu. Enfin nous lui offrirons le sacrifice d’une véritable abstinence et d’une sincère piété si nous savons nous retenir de toute malice ; aidés en tout par le secours du Dieu tout-puissant à qui appartient, avec le Fils et l’Esprit-Saint, une seule divinité, une seule majesté dans les siècles des siècles. Amen '. 30 (XLIII) CINQUIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. — I. Les tentations do la vie présente. — 2. Même sujet. —-3. Utilité du carême pour tous. — 4. Pratique des vertus, surtout de lu charité. 1. L’enseignement de ΓApôtre nous avertit, bienaimés, de « dépouiller le vieil homme avec ses pra­ tiques»2 et de nous renouveler de jour en jour par une sainte manière de vivre3. Si, en effet, nous sommes le temple de Dieu et si l’Esprit-Saint est l’hôte de nos âmes, suivant cette parole de Γ Apôtre : « Vous êtes le temple du Dieu vivant » 4, il nous faut mous, pour attribuer fi ce pape plusieurs pièces du Sacramentaire Léonlen. Cf. Saini Mon fc dram! et les textes du Léonten, p. 85 et ss. Une oraison du missel conviendrait bien aussi Λ la situation décrite dans les sermons en queslion, bien qu’elle ne se trouve pas dans le Léonten ; c’est la Collecte du XVII* dimanche après la Pentecôte : « Da, quæsumus, Domine, populo tuo diabolica vitare contagia ; ct te solum Deum pura mente sectari. » 2. Colos., Ill, 9. 3. Cf. ibid., 10, et II Cor., IV, 16. La sancta conversatio est la conversatio in ι-whs de Phil., Ill, 201. II Cor., VI, 16. 51 DE QUADRAGESIMA SERMO V laborandum est ut cordis nostri receptaculum tanto hospite non sit indignum. Et sicut in domibus manufactis laudabili diligentia providetur ut si quid aut infusione imbrium, aut turbine procellarum, vel ipsa fuerit antiquitate corruptum, cita in integrum cura restituat ; ita jugi oportet sollicitudine praecaveri ne quid in nostris animis incompositum, ne quid inve­ niatur immundum. Quamvis enim aedificium nostrum sine ope sui non subsistat artificis, ncc fabrica nostra possit cssc incolumis, nisi ei protectio præfucrit con­ ditoris, tamen quia rationabiles lapides sumus et viva materies, sic nos auctoris nostri exstruxit manus, ut cum opifice suo etiam is qui reparatur, ope­ retur. Gratiæ igitur Dei obedienlia se humana non subtrahat, nec ab illo bono, sine quo non potest bona esse, deficiat : ac si quid sibi impossibile aut. arduum in mandatorum effectibus experitur, non in se remaneat, sed ad jubentem recurrat : qui ideo dat praeceptum, ut excitet desiderium et præstet auxi­ lium, dicente propheta : Jacta in Deum cogitationem tuam, et ipse te enutriet L An forte quisquam ita inso­ lenter superbit, et ita se illaesum, ita immaculatum esse praesumit, ut nullius jam renovationis indigeat? Fallitur prorsus ista persuasio, et nimia vanitate vete­ rascit quicumquc inter ten lationes hujus vitæ ab omni se vulnere credit immunem. Plena omnia periculis, plena sunt laqueis. Incitant cupiditates, insidiantur illecebrae, blandiuntur lucra, damna deter­ rent, amare sunt obloquentium linguæ ; ncc semper 1. Ps. LIV, 23. Saint Léon énonce ici avec précision et Justesse le prin­ cipe de la double action de Dieu et de l'homme dans l’œuvre île notre sanc­ tification. A son époque, les controverses qui avaient agité les esprits au sujet de lu grâce pendant l’épiscopat de suint Augustin et les dix années qui suivirent su mort étaient apaisées ; saint Léon a contribué, par son génie clair et pratique, ù fixer sur ce point la doctrine qui devait devenir tradition- CINQUIÈME SERMON SUR LE CARÊME 51 travailler avec une extrême vigilance à ce que l’asile de notre cœur ne soit pas indigne d’un tel habitant. Dans les maisons faites de main d’homme, on loue le zèle qui pourvoit à remettre en état sans retard ce qui a pu être endommagé soit par l’infiltration des pluies, soit par l’ébranlement des tempêtes, soit seulement par la vétusté ; de la même manière il faut apporter une sollicitude constante à ce que rien de désordonné, rien de souillé ne se rencontre en nos âmes. Sans doute l'édifice que nous sommes ne sub­ siste pas sans le secours de son architecte, et notre construction ne peut rester intacte si la vigilance de son auteur n’y préside pas ; mais, pierres raison­ nables et matériaux vivants, nous avons été assemblés de telle manière par la main de notre Créateur que même celui qui est restauré travaille avec son maître d’œuvre. Que l’obéissance de l’homme ne se dérobe donc pas à la grâce de Dieu, et qu’elle ne renonce pas à ce bien sans lequel elle ne saurait être bonne : si, dans l’accomplissement des préceptes, elle se heurte à quelque chose d’impossible ou de difficile, qu’elle ne demeure pas en elle-même, mais recourre à celui qui commande, car celui-ci ne donne le précepte que pour exciter le désir et accorder l’aide, selon le mot du Prophète : « Jette en Dieu ton souci et il te nourrira»1. Y aurait-il quelqu’un qui soit d’un orgueil si démesuré, qui s’estime si indemne de bles­ sures, si exempt de souillures qu’il n’ait nul besoin d’être rénové ? Une telle opinion s’abuse du tout au tout, et quiconque se croit à l’abri de toute atteinte parmi les tentations de la vie présente se perd par une excessive vanité. Tout est plein de périls, tout est plein d'embûches. Nous sommes exposés aux provo­ cations des convoitises, aux pièges des séductions, à l’attrait captieux du gain, à la crainte des pertes; amère est la langue des détracteurs et les bouches prodigues en louanges ne sont pas toujours sincères : nellc. Cf. sur ce sujet l'article déjà cité du R. P. Hervé dp. L'Incarnation, O. C. I). 1m grâce dans l’ccuvrcdc saint Liante Grand, p. 17-55 et 193-212 ; le passage qui nous occupe cet commenté p. 195. 52 DE QUADRAGESIMA SERMO V veracia sunt ora laudantium : inde sævit odium, hinc decipit mendax officium, ut facilius sit vitare dis­ cordem, quam declinare fallacem. 2. In ipsis autem virtutibus obtinendis tarn dubius modus et tam incerta discretio est, ut si quisquam inter bonorum malorumque confinia, subtilissimi discriminis potuerit servare mensuras, difficile sit ut bene sibi consciam probitatem obtrectantium lingua non mordeat, et iniquorum evadat opprobria, cui est amica justitia. .Jam cum ad ipsas rerum tem­ poralium varietates cogitatio humana convertitur, quantæ se opponunt caligines, quanti pravarum opi­ nionum oboriuntur errores, ut de objectu contra­ riorum sumatur materia querelarum. Nam licet omnium fidelium corda non dubitent nullis hujus mundi partibus, nullisque temporibus providentiam abesse divinam, nec de stellarum potestate, quæ nulla est, sæcularium negotiorum pendere proventus, sed æquissimo et clementissimo summi Regis arbitrio cuncta disponi : quoniam, sicut scriptum est, Uni­ versal vix Domini misericordia et veritas ‘, tamen cum quaedam non secundum desideria nostra pro­ cedunt, et sub humani judicii errore superior est plerumque iniqui causa quam justi, vicinum nimis atque contiguum est, ut etiam magnos animos ista concutiant et in aliquod illicitæ causationis murmur impellant. Siquidem istis varietatibus etiam excel­ lentissimus propheta David usque ad periculum se turbatum profitetur, et dicit : Mei autem pane moti sunt pedes, pxne effusi sunt gressus mei, quia zelavi in peccatoribus, pacem peccatorum videns2. Unde quia paucorum est tam solida fortitudo, ut nulla inæqua-1 1. Ps. XXIV, 10. CINQUIÈME SERMON SUR LE CARÊME 52 d’un côté, c’est la haine qui se donne libre cours, de l'autre, c’est une civilité mensongère qui trompe, tellement qu’il est plus facile d’éviter un contra­ dicteur que de s’écarter d’un menteur. 2. Dans la poursuite même des vertus, le juste milieu est si imprécis et si incertain le discernement, que, si quelqu’un, placé aux limites du bien et du mal, arrive à garder la mesure dans le plus subtil des jugements, il est difficile que la langue des détracteurs ne s’en prenne pas au sentiment qu’il a de sa droi­ ture, et que, ami de la justice, il échappe aux injures des méchants. Mais, si l’homme tourne sa réflexion vers les vicissitudes des choses temporelles, com­ bien d’obscurités vont se dresser, combien d’erreurs s’élever, fruits d’opinions perverses, à qui la con­ frontation des contraires fournira matière à querelles. Par exemple, aucune âme fidèle ne met en doute qu’aucune partie de ce monde et aucun temps n’échappent à la Providence divine, que la réussite des affaires séculières ne dépende pas du pouvoir des astres, qui n’est rien, mais que tout soit réglé par la très juste et très clémente décision du sou­ verain Boi, puisqu’il est écrit : «Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité » ’. Pourtant, lorsque certaines choses n’arrivent pas selon nos désirs et que l'erreur de la justice humaine favorise trop souvent la cause du méchant plutôt que celle du juste, les grandes âmes elles-mêmes ne sont pas loin et sont même très près d’en être ébranlées et de tomber dans les murmures de quelque critique cou­ pable. Car David lui-même, le plus excellent des prophètes, reconnaît que ces vicissitudes l’ont troublé jusqu’à le mettre en danger, et il dit : « Un peu plus, mon pied bronchait, un rien, et mes pas glissaient, envieux que j’étais des insensés en voyant le bienêtre des impies » 2. Si donc il en est peu qui possèdent une force assez assurée pour que nul trouble pro­ venant des inégalités ne puisse les ébranler, et si beaucoup de fidèles se laissent corrompre non seu2. i’s. 1.XXII, 2-3, traduction de la Bible de Jérusalem. I 53 DE QUADRAGESIMA SERMO V litatum perturbatione quatiantur, et multos fidelium : non adversa tantum, sed etiam secunda corrumpant, 1 sanandis vulneribus quibus humana infirmitas sau­ ciatur, diligens est adhibenda curalio. Ideo enim de periculis quibus mundus hic plenus est quædam bre-J viter percurri, ut dicente Scriptura : Quis gloriabitur castum se habere, cor, aut mundum se esse a peccato 1 ? omnes sibi intelligent delictorum indulgentiam et reparationis necessariam esse medicinam. 3. Quando autem opportunius, dilectissimi, ad remedia divina decurrimus, quam cum ipsa nobis sacramenta redemptionis nostræ temporum lege referuntur ? Quæ ut dignius celebremus, saluberrime nos quadraginta dierum jejunio præparemus. Non enim ii tantum qui per mortis Christi resurrcctionisque mysterium in novam vitam baptismo sunt regenerante venturi, sed etiam omnes populi rena-1 torum, utiliter sibi et necessarie præsidium hujus sanctificationis assumunt : illi, ut quæ nondum habent, accipiant ; isti, ut accepta custodiant. Dicente namque Apostolo : Qui stat videat ne. cadat1 2, nemo est tanta firmitate suffultus, ut de stabilitate sua debeat esse securus. Utamur igitur, dilcctissi: saluberrimi3 temporis venerabilibus institutis, et sollicitiore cura cordis nostri specula tergamus. Quan­ ta mlibet enim caste ct sobrie mortalis hæc viti ducatur, quodam tamen pulvere terrenæ conversa­ tionis aspergitur, et nitor mentium ad Dei imaginem conditarum non ita a fumo totius vanitatis alienus est, ut nulla possit sorde fuscari, ct non semper 1. Prov.. XX, 9. 2. I Cor., X. 12. 3. Le carême est. selon le mot (saluberrimus) employé deux fois par saint Léon dims k· mime paragraphe, un temps de cure spirituelle destinée à renouveler In santé de l'Anie. La collecte du samedi après les Cendres dit de CINQUIÈME SERMON SUR LE CARÊME 53 lement par les épreuves, mais encore par les succès, il faut nous appliquer avec diligence à traiter et à guérir ces blessures qui meurtrissent l’humaine fai­ blesse. C’est pourquoi j’ai brièvement rappelé quel­ ques-uns des périls dont le monde présent est rempli, afin que tous comprennent qu’ils ont besoin d’indul­ gence pour leurs fautes et de remède pour leur gué­ rison, puisque l’Écriture dit : a Qui osera se glorifier d’avoir le cœur chaste, ou d’être pur de péché ? » *. 3. Quel moment serait plus opportun, bien-aimés, pour recourir aux divins remèdes, que celui où la loi même des saisons ramène à nous les mystères de notre rédemption ? Pour les célébrer plus dignement, il nous sera très salutaire de nous y préparer par un jeûne de quarante jours. Le secours d’une telle sanc­ tification n’est pas seulement utile et nécessaire à ceux qui, grâce à la régénération du baptême, doivent passer à une vie nouvelle par le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ; elle l’est aussi à tout le peuple des régénérés : les premiers en ont besoin pour recevoir ce qu’ils ne possèdent pas encore, les seconds pour conserver ce qu’ils ont reçu. L’Apôtre dit en effet : « Que celui qui se flatte d’être debout prenne garde de tomber»2. Personne par conséquent n’est si fermement soutenu qu’il doive être assuré de sa stabilité. Usons donc, bien-aimés, des insti­ tutions vénérables du plus favorable3 des temps, et polissons le miroir de notre cœur avec un soin plus attentif. Quelque chastement, en effet, et sobrement que nous menions cette vie mortelle, celle-ci ne laisse pourtant pas de se couvrir légè­ rement de la poussière de notre condition terrestre ; et l’éclat des âmes créées à l’image de Dieu n’est pas tellement préservé de la fumée de toutes les vanités qu’aucune tache ne puisse l’obscurcir et qu’il n’ait pas sans cesse besoin d’être ravivé. Et si cela est nécessaire aux âmes les plus délicates, combien davanrnéme du jeûne quadrugésitunl : · Hoc solemnc jejunium, quod aniniabus corporibusque curandis salubriter Institutum est... ■ Lu première oraison pour lu bénédiction «les Cendres emploie lu même expression : · Cineres, ut sint remedium salubre... » 49. Léon te Grand. 7 54 DE QUADRAGESIMA SERMO V indigeat expoliri. Quod si etiam cautissimis animis necessarium est, quanto illis amplius est expetendum, qui tota fere anni spatia aut securius aut forte negligentius transierunt ? Quos caritate debita commo­ nemus, ut non ideo sibimet blandiantur, quia nobis conscientiae singulorum patere non possunt, cum oculos Dei simul universa cernentis, non abdita locorum, non parietum septa secludant ; nec solum ei acta et cogitata, verum et agenda et cogitanda sint cognita. Ista ergo scientia summi judicis, iste est tremendus aspectus, cui pervium est omne solidum, et apertum omne secretum ; cui obscura clarent, muta respondent, silentium confitetur, et sine voce mens loquitur. Nemo patientiam bonitatis Dei1 de peccatorum suorum impunitate contemnat ; nec ideo illum æslimet non offensum, quia necdum est expertus iratum. Non sunt longæ vitæ mortalis induciæ, nec diu­ turna est licentia insipientium voluntatum in aeterna­ rum dolorem transitura pænarum, si dum justitia» sen­ tentia suspenditur, pænitentiæ medicina non quæritur. 4. Confugiamus igitur ad praesentem ubique mise­ ricordiam Dei, et ut sanctum Pascha Domini digna observantia celebretur, cunctorum se fidelium corda sanctificent. Mitescat sævitia, mansuescat iracundia, remittant sibi omnes culpas invicem suas, nec exactor sil vindictæ, qui petitor est veniæ. Dicentes enim : Dimitte nobis flebita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris2 ; durissimis nos vinculis illi­ gamus, nisi quod profitemur impicamus. Unde si orationis hujus sacratissimum pactum 3 non tota sui 1. Cf. Rom., II, 4. 2. Mnth., VI, 12. 3. La prière du · Pater » est un pacte que nous, concluons avec Dieu : nous mettons une condition à l'exaucement de notre demande do pardon. C'est que nous pardonnions nous-mêmes. Faute d’exécuter notre engagement, ; I I I CINQUIÈME SERMON SUR LE CARÊME 54 tage doivent le rechercher celles qui ont passé presque tout le temps de l’année avec plus de confiance en elles-mêmes ou peut-être plus de négligence ? Nous les en avertissons, par le devoir de charité qui nous incombe : qu’elles n’aillent pas se flatter de ce que nous ne pouvons connaître toutes les consciences, puisque ni le secret des lieux, ni les enclos des murs n’arrêtent la vue de Dieu, qui voit tout en même temps; il connaît non seulement ce que nous avons fait et pensé, niais encore ce que nous ferons et penserons. Telle est la connaissance du Souverain Juge, tel son regard redoutable : l’opacité lui est transparente cl tout secret lui est découvert ; les choses obscures s’illuminent pour lui, les muettes lui répondent, le silence le proclame et l’esprit lui parle sans voix. Que personne donc, parce que scs péchés sont restés impunis, ne méprise la patience dont fait preuve la bonté de Dieu *. Que l’on n’aille pas penser, parce qu’on n’a pas encore éprouvé l’effet de sa colère, qu’il n’est pas offensé. Le sursis de cette vie mortelle n’est pas long, ni ne dure longtemps la licence laissée aux volontés folles; elle fera place à la douleur des peines éternelles, si l’on n’a pas recherché le remède de la pénitence tandis que la justice suspendait sa sentence. 4. Réfugions-nous donc dans la miséricorde de Dieu, partout présente, et que les cœurs de tous les fidèles se sanctifient pour célébrer par une digne observance la sainte Pâque du Seigneur. Que la rigueur s’apaise, que l’emportement s’adoucisse, que tous se remettent mutuellement leurs fautes et que. celui qui sollicite le pardon n’exige pas lui-même une vengeance. Si nous disons, en effet : « Remetlez-nous nos dettes, comme nous remettons nous-mêmes à nos débiteurs»2, nous nous enchaînons nous-mêmes des liens les plus rigoureux si nous n’accomplissons pas ce que nous déclarons. C’est pourquoi, si l’on n’a pas parfaitement observé les clauses de l’engagement sacré pris dans celle prière 3, que maintenant du nous serons Justement privés de l'exécution de celui que nous demandons à Dieu de prendre : « Lu» sentence du juge dépendra de la bonté du sup- 55 DE QUADRAGESIMA SERMO V conditione servatum est, nunc saltem conscientiam suam unusquisque cognoscat, et alienis ignoscendo delictis, abolitionem suorum obtineat peccatorum. Dicente namque Domino : Si dimiseritis hominibus peccata eorum, dimittet et vobis Pater vester, qui in cselis est, delicia vestra 1 : non longe est ab unoquoque quod poscit, cum de benignitate supplicis sententia pendeat judicantis : qui humanarum precum misericors et justus auditor, æquitati suæ de nostra leni­ tate præscripsit, ut non haberet in eos jus severitatis, quos non invenisset cupidos ultionis. Clementes autem et mites animos etiam largitas decet. Nihil est enim dignius quam ut homo sit sui auctoris imitator, et secundum modum propriæ facultatis, divini sit operis exsecutor. Nam cum aluntur esurientes, vestiuntur nudi, foventur infirmi, nonne auxilium Dei manus explet ministri, et benignitas servi munus est Domini ? Qui cum ad effectus misericordi» suæ adjutore non egeat, ita suam omnipotentiam temperavit, ut laboribus hominum per homines subveniret. Et merito Deo gratiæ referuntur de pietatis officiis, cujus opera videntur in famulis. Propter quod ipse Dominus discipulis ait : Sic luceat lumen vestrum coram hominibus, ut videant opera vestra bona, et magnificent Patrem vestrum, (pii est in cælis 2 ; qui cum eodem Patre et Spiritu sancto vivit et regnat Deus in sæcula sæculorum. Amen. pliant. » Tous les termes de ce passage sont empruntés In langue du droit que tes auditeurs romains de saint Léon étaient habitués Λ entendre. Do même saint Augustin : · Quidquid parti nunc ista concupiscentia, si non slnt tilt partus qui non solum peccata, verum etiam crimina nuncupantur, pacto illo quotidinnæ orationis ubi dicimus : Dimitte nobis peccata nostra, sicut i j I j ? ? I I I ·] CINQUIÈME SERMON SUR LE CAREME 55 moins chacun reconnaisse ce que lui dicte sa con­ science, et, en pardonnantes manquements des autres, obtienne la remise de ses propres péchés. Le Seigneur a dit : « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi »'1 ; chacun n'a donc pas loin de lui ce qu’il demande, puisque c’est de la bonté du suppliant que dépend la sentence du juge : lui qui écoute avec miséricorde et justice les prières des hommes, s’est fixé comme règle d’équité notre propre douceur, en sorte qu’il n’ait pas à user de la rigueur du droit contre ceux qu’il n’aurait pas trouvés avides de se venger. Mais aux âmes clémentes et douces convient aussi la libéralité. Rien n'est plus digne de l’homme que d’imiter son Créateur et d’être, dans la mesure de ses possibilités, le mandataire de l’œuvre divine. Car, lorsqu’on nourrit les affamés, lorsqu’on habille ceux qui sont nus, lorsqu’on prend soin des malades, n’est-ce pas que la main du ministre apporte le secours de Dieu, et la bonté de l’esclave n’cst-clle pas un don du Maître ? Lui qui n’a pas besoin d’aide pour exercer sa miséricorde, a réglé en telle manière l’exer­ cice de sa toute-puissance que ce soit par des hommes qu’elle vienne en aide aux peines des hommes. Et c’est à bon droit que l’on rend grâces à Dieu pour les secours de charité, car ce sont scs œuvres qui appa­ raissent dans ses serviteurs. Aussi le Seigneur luimême dit-il à ses disciples : « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cicux »2 ; lui qui, avec le même Père et l’Esprit-Saint, vit et règne comme Dieu dans les siècles des siècles. Amen. dimittimus, et eleemosynarum sinceritate mundantur. · (Contra duas epi­ stolas Pelagianortim, 1, 14. § 28 ; P. L·., XI.IV, 563, ou CSEL, IX, p. 446117). 1. Matth.. VI, 14. 2. Ibid., V, 16. 56 DE QUADRAGESIMA SERMO VI 31 (XLIV) DE QUADRAGESIMA SERMO VI 1. Semper quidem, dilectissimi, misericordia Domini plena esi terra 1 ; et unicuique fidelium ad colendum Deum ipsa rerum natura doctrina est, dum cælum et terra, mare et omnia quæ in eis sunt, bonitatem et omnipotentiam sui protestantur auctoris, et famu­ lantium elementorum mirabilis pulchritudo justam ab intellectuali creatura gratiarum exigit actionem. ! Sed cum ad istos recurritur dies, quos specialius reparationis humanae sacramenta signarunt, et qui vicino ordine atque contiguo festum paschale præ- ] cedunt, diligentius nobis præparalio religiosæ puri­ ficationis indicitur. Quamvis enim in quolibet tem­ pore innocens vita sit multorum, et plurimos Deo bonorum actuum consuetudo commendet, non adeo tamen de conscientiæ integritate fidendum est, ut humanam fragilitatem inter scandala tentât ionesque degentem nihil potuisse arbitremur, quod læderet eam, incidere ; cum propheta excellentissimus dicat : Quis gloriabitur casiam se habere cor, aut mundum se esse a peccato'2 ? Et iterum : Ab occultis meis munda me. Domine, et ab alienis parce servo tuo 3. Si autem,, quod experimentis probatur, talis conditio est eorum I qui concupiscentiis renituntur, qui iracundiæ motibus reluctantur, et ipsarum quoque cogitationum arcana 1. Ps. XXXI!, ύ 2. prov., XX, 9. SIXIÈME SERMON SUR LE CAREME 56 31 (XLIV) SIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. 1. Nécessité de sc purifier au temps du carême. — 2. Le jeûne spirituel, l'aumône. — 3. Exhortation à la pratique des vertus, particulièrement au pardon des injures. 1. « La terre est en tout temps remplie de la miséri­ corde de Dieu»1, bien-aimés, et tout fidèle trouve dans la nature même un enseignement qui lui apprend à honorer Dieu, puisque le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment proclament la bonté et la toute-puissance de leur Auteur et que l’admirable beauté des éléments mis à notre service réclame de la part de la créature intelligente une juste action de grâces. Cependant le retour des jours plus spécialement marqués par le mystère de la restauration humaine, jours qui précèdent immédiatement dans le temps la fête pascale, nous commande de nous préparer plus soigneusement par une religieuse purification. Sans doute la vie de beaucoup est, à toute époque, inno­ cente, et un très grand nombre sont agréables à Dieu par leur habitude des bonnes œuvres. Il ne faut tout de même pas se fier à tel point à l’intégrité de sa con­ science qu’on en vienne à penser qu’au milieu des scandales et des tentations dont est constamment entourée l’humaine fragilité, il ne se soit rien trouvé qui ait pu la blesser ; le plus excellent des prophètes ne dit-il pas en effet : « Qui pourra se glorifier d’avoir le cœur chaste ou d’être pur de péché »2 ? Et encore : « Purifiez-moi, Seigneur, de ce qui m’est caché et épargnez à votre serviteur ce qui lui est étranger » 3. 3. Ps. XVIII, 13-14. 57 DE QUADRAGESIMA SERMO VI castigant, ut et numquam possint in cordibus suis non invenire quod reprobent, et sæpc aut fallantur occultis, aut graventur alienis 1 ; considerandum est hoc in tempore attentius, quæ vitia, quæ ægritudines, quantaque sint vulnera, quibus austerior sit adhi­ benda medicina : ut illius sacramenti 3, per quod solvuntur opera diaboli, non inveniantur alieni. Pas­ chalis quippe festivitatis hoc proprium est, ut tota Ecclesia remissione gaudeat peccatorum, quæ non in eis tantum fiat qui sacro baptismate renascuntur, sed etiam in eis qui dudum in adoptivorum sorte numerantur. Quamvis enim principaliter novos ho­ mines faciat regenerationis ablutio, quia tamen superest omnibus contra rubiginem mortalitatis quo­ tidiana renovatio, et inter profectuum gradus nullus est qui non semper melior esse debeat, generaliter annitendum est ut in die redemptionis nemo inve­ niatur in vitiis vetustatis3. 2. Quod ergo, dilectissimi, in omni tempore unum­ quemque convenit facere Christianum, id nunc sollicitius est et devotius exsequendum, ut apostolica institutio quadraginta dierum jejuniis impleatur, 1. D'après l'interprétation traditionnelle des versets obscurs du Psaume XVIII, les occulta sont des fautes qui nous échappent par suite d'impulsions insuffisamment contrôlées et auxquelles nous n’attribuons pas l'importance qu’il faudrait ; les aliéna sont des fautes causée* pur l’intervention d'autrui. Ainsi saint Augustin : · Ab occultis meis munda me, Domine : a cupiditatibus in me latentibus munda me, Domine. Et ab alienis puree servo tua : ne seducor ab aliis ; neque enim alienis capitur qui est mundus a suis. · (En/ir. in Ps. XVIII. I. 14 ; P. I.., XXXVI, 156). Et encore : . Delicta mea Inquinant me, delicta aliena affligunt me : ab his munda me, ab illis parce. Tolle mihi ex corde malam cogitationem, repelle a me malum suasorem : hoc est. A· occultis meis munda me, et ab alienis parce serva luo. · (Ibid., II, 13 ; 162). 2. Les occulta et les aliena sont également des œuvres du «liable que détruit le « sacrement · pascal ; l'ascèse du carême doit leur être appliquée pour les guérir, afin que nous ne soyons pas étrangers à sa grâce de rénovation comme nous sommes étrangers aux influences qui nous viennent d’ailleurs. 3. Le mot veluslas est inspiré «le saint Paul (Rom., VII, 6) qui l'applique h la Loi ancienne décline, attachée â lu lettre, par opposition â la loi nou- SIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 57 L’expérience le prouve, la condition de ceux qui résistent à leurs convoitises, luttent contre les mou­ vements de la colère et vont jusqu’à mater leurs pensées secrètes elles-mêmes, est telle que, d’une part, ils ne peuvent, à aucun moment, examiner leur cœur sans y trouver quelque chose qu’ils ré­ prouvent, et que, de l’autre, ils sont souvent ou trompés par des fautes cachées ou alourdis par des péchés qui leur sont étrangers 1 ; il leur faut donc en ce temps-ci examiner plus attentivement quels sont les vices, quelles sont les maladies, quelles sont les blessures auxquels doit être appliqué un traitement plus sévère : ainsi ne seront-ils pas trouves étrangers à la grâce de ce sacrement2, dont l’effet est d’anéantir les œuvres du diable. Il est propre à la solennité pas­ cale, en effet, de faire que Γ Église entière se réjouisse du pardon des péchés, pardon qui ne se réalise pas seu­ lement en ceux qui renaissent par le saint baptême, mais aussi en ceux qui sont déjà comptés dans le lot des fils adoptifs. Sans doute c’cst principalement le bain de la régénération qui fait des hommes nouveaux ; mais il reste pour tous à se renouveler quotidiennement pour remédier à la rouille inhérente à la condition mortelle, et, sur le chemin de la perfection, il n’est personne qui ne doive toujours devenir meilleur; aussi tous ont à faire effort pour qu'au jour de la rédem­ ption nul ne se retrouve dans ses vices d'autrefois 2. Ce que chaque chrétien doit faire en tout temps, bien-aimés, il faut donc s’y consacrer maintenant avec plus de foi et d’amour ; ainsi satisferons-nous à cette obligation qui remonte aux Apôtres, de jeûner voile inspirée par l'Esprit. Cette loi ancienne était une loi de mort qui < agissait en nos membres pour leur faire porter des fruits de mort · (ibid., 5) ; c'est d’elle que relèvent les · vices d'autrefois ·, dont le fidèle régénéré doit sans cesse se défaire. Le mot se trouve dans plusieurs oraisons du mis­ sel, par exemple au mardi de la Semaine sainte (Or. super populum) : «Tua nos misericordin, Deus, et ab omni subreptione vetustatis expurget et capaces sanctu· novitatis efficiat » ; au Jeudi saint (Collecte) : · (Jésus Christus Dominus noster) nobis, ablato vetustatis errore, resurrectionis sua gratiam largiatur · ; au 1·» dimanche de carême (Postcom.) : «Tui nos, Domine, sacramenti libatio sancta restauret ; et a vetustate purgatos, in mysterii salutaris faciat transire consortium. · 58 DE QUADRAGESIMA SERMO VI non ciborum tantummodo parcitate, sed privatione maxime vitiorum. Nam cum ob hoc castigatio ista sumatur, ut carnalium desideriorum fomites subtra­ hantur, nullum magis sectandum est contincntiæ genus, quam ut semper simus ab injusta voluntate sobrii, et ab inhonesta actione jejuni. Quæ devotio non omittit ægros, non secernit invalidos : quia etiam in languido atque inutili corpore potest animi inte­ gritas reperiri, si ubi fuit sedes pravitatis, ibi confir­ mentur fundamenta virtutis. Et ideo infirmæ carnis ista sufficit ægritudo, quæ sæpc mensuram volun­ tariae afflictionis excedit, tantum ut mens offleii sui impleat partes, et quæ corporea epulatione non utitur, nulla iniquitate pascatur. Rationabilibus autem sanctisquc jejuniis nulla utilius quam eleemosynarum opera copulantur, quæ i uno misericordiae nomine multas laudabiles pietatis continent actiones, ut omnium fidelium pares animi esse possint etiam inter impares facultates. Dilectio enim quæ simul Deo hominique debetur, nullis umquam ita impeditur obstaculis, ut non ei semper bene velle sit liberum. Dicentibus quippe angelis : Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus bonæ voluntatis *, non solum virtute benevolentiæ, sed etiam pacis bono beatus efficitur, quicumque aliis quacumque miseria laborantibus caritate compa­ titur. Latissima enim sunt opera pietatis, quæ ipsa sui varietate id veris conferunt Christianis, ut in distributione eleemosynarum non solum divites et abundantes, sed etiam mediocres et pauperes, suas habeant portiones ; ct qui largitatis sunt viribus inæquales, mentis tamen affectione sint similes. 1. Lue, II. 11. SIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 58 pendant quarante jours, non seulement en réduisant notre nourriture, mais surtout en nous abstenant du péché. En effet, puisque cette mortification a pour fin de supprimer les foyers de désirs charnels, aucune espece d’abstinence n’est davantage à pratiquer que celle par laquelle nous serons toujours sobres de vou­ loirs injustes et jeûnerons d’actions déshonnêtes. Une telle dévotion ne laisse pas de côté les malades et ne tient pas les infirmes à part : car, même dans un corps alangui et inutile, se peut trouver une âme saine, si les fondements de la vertu s’affermissent là même où se tenait le siège du vice. Et cette maladie d’une chair infirme, maladie qui souvent dépasse la mesure d’une souffrance imposée volontairement, laisse du moins l'esprit tenir le rôle qui lui revient, et, alors qu’on ne peut recourir à aucun festin pour le corps, permet qu’on ne se repaisse d’aucune iniquité. Mais rien ne s’unit plus utilement aux jeûnes rai­ sonnables et saints que ces bonnes œuvres que sont les aumônes ; sous le seul nom d’œuvres de miséri­ corde, elles comprennent bien des actions louables de bonté, grâce auxquelles, malgré des ressources inégales, les âmes de tous les fidèles peuvent s’égaler entre elles. L’amour que l’on doit pareillement à Dieu et aux hommes ne se heurte, en effet, jamais â tant d’obstacles qu’on ne soit plus libre de toujours vou­ loir conformément au bien. Si les anges ont dit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » \ c’est que la vertu de bienveillance, mais aussi le bien de la paix rendent heureux quiconque, par sa charité, compatit à toute misère dont souffrent les autres. Les œuvres de la bonté sont infiniment étendues, et leur variété même donne aux vrais chrétiens d’avoir toute leur part dans la distribution des aumônes, qu’ils soient riches et dans l’abondance ou, au contraire, pauvres et peu à leur aise, en sorte que ceux qui sont inégaux dans leurs facultés de bienfaisance soient du moins sem­ blables par l’affection du cœur. Lorsque, sous les yeux du Seigneur, beaucoup mettaient dans le tré­ sor du temple de grosses sommes tirées de leur .59 DE QUADRAGESIMA SERMO VI Nam cum sub oculis Domini multi in gazophylacio ex opulentia sua multa conferrent, vidua quædam duos intulit nummos *, ct tali Jesu Christi testimonio meruit coronari, ut in tam parvo muneris modo omnium fuerit collationi digna præferri : quia inter magna eorum dona, quibus inulta residebant, illius quod fuit exiguum, fuit totum. Si vero aliquis tantæ paupertatis coarclatur angustiis, ut nec ad duo æra inopi impartienda sufliciat, habet in præceptis Domini unde impleat bonæ voluntatis officium. Siquidem qui sitienti pauperi calicem aquæ frigidæ minis­ trant, mcrcedem est sui operis adepturus2 : tanta servis suis Domino ad obtinendum regnum suum pra> parante compendia, ut etiam præbitio aquæ, cujus usus gratuitus atque communis est, præmio non careret. Quod ne ulla intercluderet difficultas, de aqua frigida forma est proposita pietatis, ne putaret se merccdc cariturum, cui de calefactione potus lignorum impendium defuisset. De quo tamen calice non frustra admonet Dominus ut in nomine ipsius præbeatur : quia hæc, quæ per se sunt vilia, fides efficit pretiosa, et quæ ab infidelibus ministrantur, etsi fuerint sumptu magna, omni tamen justificatione sunt vacua. 3. Celebraturi igitur Pascha Domini, dilectissimi, ita vos sanctis exercete jejuniis, ut ab omnibus per­ turbationibus liberi ad festa sacratissima veniatis. Superbiæ spiritus, de quo sunt omnia orta peccata, humilitatis amore pellatur ; et qui elatione tumuerant, mansuetudine mitigentur. Quorum vero animos aliqua exasperavit offensio, reconciliati sibimet in unitatem studeant redire concordia». Nemini malum pro malo reddentes, et donantes invicem vobis, sicut Christus donavit nobis 3, humanas inimicitias pace delete ; et SIXIÈMEfSERMON SUR LE CARÊME 59 opulence, une veuve y jeta deux pièces d’argent ’, et mérita d’être honorée du témoignage de JésusChrist, son don si minime étant préféré à l’offrande de tous les autres : car, en face des dons magnifiques de ceux à qui restait encore beaucoup, le sien, si petit qu’il fût, était tout son avoir. Si pourtant quel­ qu’un est réduit à une si étroite pauvreté qu’il ne puisse même pas donner deux as à un indigent, il trouve dans les préceptes du Seigneur comment remplir le devoir de la bienveillance. Car celui qui aura donné un verre d’eau froide à un pauvre assoiffé recevra la récompense de son geste 12 : quels raccourcis le Seigneur n'a-t-il pas préparés à ses serviteurs pour gagner son royaume, si même le don de l’eau, chose dont l'usage est gratuit et répandu, ne doit pas manquer de récompense ! Et, pour que nulle diffi­ culté ne puisse y mettre obstacle, c’est de l’eau froide qui est proposée en exemple de miséricorde, de peur que quelqu'un à qui manquerait le bois pour la faire chauffer ne pensât être frustré de récompense. Le Seigneur avertit pourtant, et non sans raison, que ce verre d’eau doit être donné en son nom, parce que c'est la foi qui rend précieuses ces choses viles en ellesmêmes et que les dons des infidèles, fussent-ils faits à grands frais, sont cependant vides de toute justice. 3. Vous donc, bien-aimés, qui vous disposez à célébrer la Pâque du Seigneur, exercez-vous par les saints jeûnes, de façon à arriver à la plus sainte de toutes les fêtes libres de toute passion. Que l’amour de l’humilité expulse l’esprit de superbe, source de tous les péchés, et que la mansuétude apaise ceux que l’orgueil avait enfles. Ceux dont quelque offense aurait exaspéré les âmes, que, réconciliés entre eux, ils cherchent à rentrer dans l’unité de la concorde. « Ne rendant à personne le mal pour le mal, mais vous pardonnant mutuellement comme le Christ nous a pardonné »3, effacez par la paix des inimitiés hu1. Cf. Luc, xxr, 2. 2. Cf. Mallh., X, 12. 3. Cf. Rom., XII, 17 et Col., III, 13. Suint Mon, citant sans doute de mémoire, combine lee deux texte». 60 DE QUADRAGESIMA SERMO VII si qui de subditis vestris aut claustra custodiae, aut vincula meruerunt, misericorditer relaxentur : ut qui quotidianæ indulgentiae remediis indigemus, non difficulter peccatis ignoscamus alienis. Dicentes enim ad Dominum Patrem nostrum : Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris certissimum est quod cum aliorum delictis veniam tribuimus, nobis divinam clementiam prae­ paramus. Per Dominum nostrum Jesum Christum, qui cum Patre ct Spiritu sancto vivit ct regnat in sæcula saeculorum. Anien. 32 (XLV) DE QUADRAGESIMA SERMO VII 1. Virtus, dilectissimi, ct sapientia fidei Christianae, amor Dei est, et amor proximi ; neque ullo caret pietatis officio, cui studium est colere Dominum, et juvare conservum. Harum autem affectionum duplex unitas omni quidem est tempore exercenda, ct pro­ ficienter augenda, sed nunc incrementis amplioribus dilatanda, ut quadraginta dierum jejunium,, quod festi paschalis est prævium, interiorem cordis auditum illius vocis instar moveat, qua verbis Isaiæ prophetæ Joannes Baptista dicebat : Parate viam Domini, rectas facile semitas ejus1 2. Sive enim illam partem populi cogitemus quæ dudum certamina evangelici 1. Matth., VI, 12. 2. Is.. XL. 3 : Luc. III. 4. SEPTIÈME SERMON SUR LE CARÊME 60 maincs ; et si quelques-uns de vos subordonnés ont mérité la prison ou les chaînes, relâchcz-les miséri­ cordieusement : nous qui, tous les jours, avons besoin des remèdes de l'indulgence, pardonnons sans diffi­ culté les fautes des autres. Si nous disons au Sei­ gneur notre Père : « Bemettcz-nous nos dettes comme nous-mêmes remettons à nos débiteurs » *, il est absolument certain qu’en accordant le pardon aux fautes des autres, nous nous préparons pour nousmêmes la divine clémence. Par notre Seigneur JésusChrist, qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 32 (XLV) SEPTIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaike. 1. Exhortation aux pratiques du temps de carême pour développer en nous la charité. — 2. Même exhortation en vue d'imiter üieu ; la charité et. la foi. — 3. Les recompenses de la charité. — 4. Les vertus à pratiquer. 1. La force ct la sagesse de la foi chrétienne, bienaimés, c’est l'amour de Dieu et l’amour du prochain ; on ne manque à aucun des devoirs de la piété si l’on a souci d’honorer le Seigneur et de venir en aide à quiconque le sert avec nous. Ce double amour, qui n’en est qu’un, il faut certes en tout temps l’exercer et l’augmenter par d’incessants progrès ; mais, à présent, c’est par de plus amples accroissements que nous avons à le dilater ; il faut, en effet, que l’annonce du jeûne des quarante jours, prélude de la fête pas­ cale, émeuve l’oreille de notre cœur à l’instar de la grande voix de Jean-Baptiste, qui, empruntant les paroles du prophète Isaïe, disait : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers! »12. Qu’il s’agisse, 61 DE QUADRAGESIMA SERMO VII agonis ingressa, per spiritalis stadii cursum indesi­ nenter tendit ad palmam ; sive illam quæ lethalium conscia peccatorum, per reconciliationis auxilium1 festinat ad veniam ; sive illam quæ sancti Spiritus regeneranda baptismate, vetustate Adam exui, et Christi cupit novitate vestiri, apte et utiliter omnibus dicitur : Parale viam Domini, redas facile semitas ejus. Quæ autem viæ Domini, quæve sint semitae, ejusdem prædicatoris cohortatione discamus, qui divinæ gratiæ opera et dona promittens, futurarum commutationum reserabat effectus, addens senten­ tiam prophetici sermonis, et dicens : Omnis vallis implebitur, et omnis mons et collis humiliabitur ; et erunt prava in directa, et aspera in vias planas 12. Vallis itaque mansuetudinem humilium, mons et collis ela­ tionem indicat superborum. Sed quia, sicut Veritas dicit, qui se humiliat, exaltabitur, et qui se exaltat, humiliabitur 3, merito et vallibus adimpletio, et mon­ tibus est annuntiatia depressio : ut et plana nihil offensionis, et directa nihil habeant pravitatis. Quam­ vis enim angusta et ardua sil via, quæ ducit ad vitam 45, non tamen in ea difficulter incedit, quern veritas confirmat et pietas ; nec caret delectatione gradiendi, cujus iter efficit virtutum petra solidum, non vitiorum arena succiduum. 2. Verum ut plenius noverimus per cujusmodi vias nobis sit ad Dei promissa tendendum, audiamus David prophetam quid doceat : Universæ viæ Domini, misericordia et veritas b. Forma igitur conversationis 1. Π s'agit de la réconciliation officielle des pénitents en usage dans l'Egllsc primitive et qui se faisait pendant le carême. 2. Is., XL, 4 ; Luc, III, 5. ~ 3. Luc, XIV, 11. 4. Mat th., VIÏ, 14, cité de mémoire. 5. I’s. XXIV, 10. SEPTIÈME SERMON SUR LE CARÊME 61 en effet, de cette portion du peuple qui, ayant déjà abordé les combats de l’arène évangélique, s’efforce sans relâche de conquérir la palme dans la course du stade spirituel, ou de celle qui, consciente de fautes mortelles, se hâte vers le pardon par le remède de la réconciliation *, ou de celle enfin qui, sur le point d'être régénérée par le baptême de ΓEsprit-Saint, aspire à se dépouiller de la vétusté d’Adam pour être revêtue de la nouveauté du Christ, à tous l’invi­ tation est utile et adaptée : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers ! » Quels sont donc les chemins du Seigneur et quels sont ses sentiers, apprenons-le de la prédication du même héraut, qui, en promettant les œuvres et les dons de la grâce divine, dévoilait quelles transformations allaient s’opérer, ajoutant ces mots empruntés aux paroles du prophète : « Toute vallée sera comblée, toute mon­ tagne et colline abaissée ; les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés»2. La vallée signifie donc la douceur des humbles, la montagne et la colline l’élèvement des superbes. Mais, selon la parole de la Vérité, «qui s’abaisse sera élevé et qui s’élève sera abaissé »3 ; c’est donc à bon droit que les vallées s’entendent dire qu’elles seront comblées et les montagnes qu’elles seront abaissées, en sorte que ce qui aura été aplani n’offre aucune occasion de chute et ce qui aura été redressé rien de tortueux. Car, bien qu’« elle soit étroite et ardue, la route qui conduit à la vie »4, celui-là pourtant n’y marche pas difficilement, que fortifient la vérité et la piété ; et la joie d’avancer ne manque pas à celui qui foule une route affermie par l'empierrement des vertus et non un chemin rendu mouvant par le sable des vices. 2. Mais pour apprendre plus complètement quelles sont les routes par lesquelles nous devons tendre aux biens promis par Dieu, écoutons l’enseignement du prophète David : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité »6. La norme selon laquelle les fidèles doivent se conduire vient donc de l’exemple des œuvres divines ; et, à bon droit, Dieu exige d’être •10. Léon le Grand. 8 62 DE QUADRAGESIMA SERMO VII fidelium ab exemplo venit operum divinorum : et merito Deus imitationem sui ab eis exigit quos ad imaginem et similitudinem suam fecit. Cujus utique gloriæ dignitate non aliter potiemur quam si in nobis et misericordia inveniatur et veritas. Per quæ enim ad salvandos Salvator advenit, per hæc ad salvantem debent properare salvati : ut nos et misericordia Dei misericordes, et veritas faciat esse veraces. Sicut itaque per viam veritatis mens justa, ita per viam misericordiæ ambulat mens benigna. Nec tamen umquain itinera ista divisa sunt, quasi horum bonorum singula diversis tramitibus expetantur, et aliud sit misericordia crescere, aliud veritate profi­ cere. Non est misericors, veritatis alienus ; nec jus­ titiae capax est, pietatis extraneus. Neutra virtute utitur, qui non utraque ditatur. Caritas robur fidei, fides fortitudo est caritatis. Et tunc verum nomen ac verus est fructus ambarum, cum insolubilis manet utriusque connexio. Ubi enim non simul fuerint, simul desunt, quia invicem sibi et juvamen et lumen sunt, donec desiderium credulitatis impleat remuneratio visionis, et incommutabiliter videatur et ametur, quod nunc et sine fide non diligitur, et sine dilectione non creditur. Quia ergo, sicut Apostolus ait, in Christo Jesu neque circumcisio aliquid valet, neque prae­ putium, sed fides, quæ per dilectionem operatur1, simul atque conjunctim et caritati studeamus et fidei. Hic est enim quidam cfficacissimus geminarum alarum volatus, quo ad promerendum et videndum Deum puritas mentis attollitur, ne onere curarum carnalium deprimatur2. Nam qui ait : Sine fide impos­ sibile esi placere Deo 3 ; idem dicit : Si habuero omnem 1. Gnl„ v. o. 2. Saint Augustin a souvent parlé des deux · ntles de la prière ·, qui sont soit le purdon des offenses et l'aumône (par exemple Sermo CCV in Quadra· SEPTIÈME SERMON SLR LE CARÊME 62 imité par ceux qu’il a faits à son image et ressem­ blance. En vérité, nous n’entrerons en possession de l’honneur de sa gloire que si l’on trouve en nous la miséricorde et la vérité. Par elles, en effet, le Sauveur est venu à ceux qu’il voulait sauver, par elles les sauvés doivent se hâter vers celui qui les sauve, de sorte que la miséricorde de Dieu nous rende miséri­ cordieux et que sa vérité nous rende vrais. Aussi, comme l’âme juste marche sur la roule de la vérité, ainsi l’âme bonne sur celle de la miséricorde. Pourtant ccs chemins ne se séparent jamais, comme si chacun de ccs biens devait être recherché par des sentiers différents, et comme si croître en miséricorde était une chose et progresser en vérité une autre. Celui qui est étranger à la vérité n’est pas miséricordieux, pas plus que celui qui ignore la bonté n’est capable de justice. Celui qui n’est pas riche de ces deux vertus ne pratique aucune d’elles. La charité est la vigueur de la foi, la foi est la force de la charité. Et toutes deux ne trouvent leur vrai nom et leur vrai fruit que lorsque leur union demeure indissoluble. Lorsqu’on effet elles ne sont pas ensemble, elles manquent en­ semble, car clics sont l'une pour l’autre et secours et lumière, jusqu’à ce que la récompense de la vision satisfasse le désir de la foi et que l’on voie et aime sans changement possible ce qui, aujourd’hui, ne peut être aimé sans la foi ni cru sans l’amour. Puisque, comme le dit l’Apôtre, « dans le Christ Jésus, ni cir­ concision, ni incirconcision n’ont de valeur, mais seulement la foi agissant par la charité » \ appliquonsnous donc en même temps et conjointement et à la charité et à la foi. C’est là, en effet, comme le vol très puissant de deux ailes, qui soulève l’âme pure jusqu’à lui mériter de voir Dieu, afin que le poids des soucis charnels ne l’entraîne pas en bas*. Car celui qui dit : « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu»3, dit aussi : «Quand j’aurais la plénitude de gesima, 3 ; P. L„ XXXVItf, 1040), soit l'aumône et le jeûne (Sermo CCV1, 2 et 3. ibid., 1041 : Sermo CC.VII, 3, 1044). L'image est appliquée ici à l'âme elle-même, que soulèvent vers Dieu foi et charité. 3, Héhr.. XI, G. 63 DE QUADRAGESIMA SERMO VII fidem, ita ut montes transferam, caritatem autem non habeam, nihil sum ’. Unde ut. sacramentorum pas­ chalium divina mysteria digno suscipiantur officio, duo hæc 1 2, in quibus omnium praeceptorum doctrina concurrit, studiosius appetantur, quibus singuli quique fidelium et sacrificium Deo efficiantur et templum. Instet fides sperare quod credit ; instet caritas pro­ pitiare quod diligit : utrumque amantis est, utrumque credentis. Et cui intelligent!® concessione subjicimur, eidem pietatis imitatione jungamur. Vox Dei est : Sancti estote, quia ego sanctus sum 3 ; et vox Domini est : Estote misericordes, sicut et Paler uester mise­ ricors est4. 3. Ac ne dubitemus Deo tribui quod impenditur indigenti, dispensatores eleemosynarum quie com­ mercia ineant audiamus, Domino dicente quæ futura sit judicii sui forma, cum dicet ad dexteram collo­ catis : Venite, benedicti Patris mei, possidete paratum vobis regnum a constitutione mundi. Esurivi enim, et dedistis mihi manducare. Sitivi, et dedistis mihi bibere. Peregrinus eram, et collegistis me. Nudus eram, et cooperuistis me. Infirmus, et visitastis me. In carccre eram, et venistis ad me 5. Quærentibus autem justis quando aut qualiter potuerint ista dependere, respondens Rex dicet illis : Amen, amen dico uobis, guamdiu fecistis hæc uni ex minimis fratribus meis, mihi fecistis °. Quid hoc opere fructuosius ? quid hac 1. 1 Cor., XIII, 2. 2. · Duo hæc » ; allusion aux « Tria hæc » de 1 Con, XIII, 133. Lev.. XIX, 2. •1. Luc, VI, 3ft. Saint Lion vient de développer en ternies presque lyriques le thème traditionnel de la connexion nécessaire de la loi et de la charité. En ce sens saint Augustin : « Cum quierit ur utrum quisque sit homo bonus, non qmeritur quid credat aut speret, sed quid amat. Nam qui recte amat, procul dubio recte credit et sperat ; qui vero non uniat, inaniter credit, etiamsi sint vera qua· credit. · (Enchiridion, CXVIi. 31 ; P. XL, 28Ô). SEPTIÈME SERMON SUR LE CARÊME 63 la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » *. Aussi, pour réserver aux mystères divins des solennités pascales l’hom­ mage qui leur est dû, recherchons avec plus d’appli­ cation ces deux choses2, dans lesquelles se retrouve l’enseignement de tous les préceptes, et par lesquelles chaque fidèle en particulier devient un sacrifice en même temps qu’un temple de Dieu. Que la foi s’ap­ plique à espérer ce qu’elle croit ; que la charité s’ap­ plique à se rendre favorable ce qu’elle aime : l’une et l'autre sont propres à celui qui aime, l’une et l’autre à celui qui croit. Unissons-nous par l’imitation de l’amour à celui à qui nous nous soumettons par l’hommage de l’intelligence. Cette parole est de Dieu : « Soyez saints, car je suis saint »8; et cette parole est du Seigneur : « Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux »4. 3. Pour que nous ne puissions pas douter que ce qui est prodigué au pauvre est donné à Dieu, appre­ nons à quels échanges se livrent les dispensateurs d’aumônes, en entendant le Seigneur déclarer quel principe guidera son jugement lorsqu’il parlera en ces termes à ceux qui seront placés à sa droite : « Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j’étais sans gîte, et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venu me voir » ·. Et, les justes demandant quand et comment ils auront pu s’acquitter de tout cela, le Roi leur donnera cette réponse : « En vérité, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait»·. Quoi de plus profitable qu’une telle œuvre? L’évêque d'Hippone voit dans la charité la robe nuptiale Indispensable pour être admis au festin des noces 0(1 la seule présence par la foi ne saurait suf­ fire, selon le texte de Gal., V, 6 que cite aussi saint Léon. (Sermo, XV, 5-8 ; P. XXXVIII. 561 ss.). 5. Matth., XXV, 34-36. 6. Ibid.. 40. 64 DE QUADRAGESIMA SERMO VII humanitate felicius ? quæ utique laude sua frau­ danda non esset, si propter ipsam naturæ commu­ nionem juvando homini ab homine præstarctur. Sed quia quod non ex fidei procedit fonte, ad præmia æterna non pervenit ; alia est conditio operum cælestium, alia terrenorum. Mundana benevolentia in iis quos adjuvat, habet finem; Christiana pietas in suum transit auctorem ; dum in ipsum dicimur benigni, quem in nobis confitemur operari, dicente Domino : Sic luceat lumen veslrum coram hominibus, ut videant opera vestra bona, et magnificent Patrem vestrum qui in cælis est 4. Gaude igitur, mens fidelium, et gloriam tuam in ejus gloria qui in te operatur agnoscens 2, de ipsa pas­ chali festivitate fervesce. Debiti enim tui est, ut ei qui pro omnibus passus est parata sis compati : quoniam pia vita sanctorum numquam aliena est crucis Christi, dum contincntiæ clavis desideria carnis configit, et corporeas cupiditates virtute Spi­ ritus in se habitantis interficit. Difficile est quem­ quam in se non habere quod perimat. Exstinguenda est iracundia, mortificanda est superbia, destruenda luxuria, radix quoque avaritiae altius persequenda est : ut omnium malorum germen excidi valeat, si eorum potuerit fomes evelli3. Cum autem hac dili­ gentia indesinenter sit animus excolendus, et utendum ita sit corpore, ut rectori suo necessarium præbeat natura inferior famulatum, nunc maxime frenis contincntiæ caro moderanda est, et quidquid subli­ mibus desideriis obviat, amputandum. Dum enim congruis purificationibus ad celebrandum Pascha Domini utraque substantia præparatur, profutura 1. Matth., V, 16. 2. Cf. I Cor.. I, 31 : · Qui gloriatur, in Domino glorlctur. » SEPTIÈME SERMON SUR LE CARÊME 64 Quoi de plus heureux qu’une telle humanité ? Elle ne serait déjà pas indigne de louange si l’homme l’exerçait pour aider un autre homme au titre de leur communauté de nature. Mais ce qui n’a pas sa source dans la foi n’obtient pas les éternelles récompenses ; autre est donc la condition des œuvres célestes, autre celle des œuvres terrestres. La bienveillance de ce monde a son terme dans ceux qu’elle aide ; la bonté chrétienne passe jusqu'à son Auteur, et nous sommes déclarés bons envers celui qui, nous le croyons, opère en nous, selon cette parole du Seigneur : « Qu’ainsi brille votre lumière aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux d L 4. Réjouis-toi donc, âme fidèle, et, reconnaissant ta gloire dans la gloire de celui qui agit en toi 2, que la fête pascale le soit un motif de ferveur ! Car il est de ton devoir d’être prête à souffrir avec celui qui a souffert pour tous. La vie pieuse des saints, en effet, n’est jamais étrangère à la croix du Christ, mais elle crucifie les désirs de la chair par les clous de la conti­ nence et extermine les cupidités du corps par la vertu de l’Esprit qui habite en eux. 11 est difficile à qui­ conque de ne pas avoir en soi quelque chose qu’il ne doive détruire. 11 faut éteindre la colère, mortifier la superbe, anéantir la luxure, rechercher aussi, en creusant plus profondément, la racine de l’avarice, afin de pouvoir supprimer le germe de tous les maux en réussissant à en anéantir le foyer 3. Il faut, sans doute, avoir habituellement cette application à cul­ tiver son âme, et user de son corps de telle façon que la nature inférieure fournisse à celui qui la gouverne un service indispensable ; mais c’est surtout main­ tenant que la chair doit être retenue par les rênes de la continence et qu’il importe de retrancher tout ce qui s’oppose aux aspirations élevées. Lorsqu’en effet les deux substances dont nous sommes faits se pré­ parent par des purifications convenables à célébrer la Pâque du Seigneur, on alimente alors en soi une 3. Cf. I Tim., VJ, 10. 65 DE QUADRAGESIMA SERMO VIII omni tempore consuetudo nutritur. Severa in sub­ ditos imperia detumescant, cesset vindicta peccati, et rei criminum ad hos dies pervenisse se gaudeant, in quibus sub sanctis piisque principibus etiam publi­ carum austeritas remittitur ultionum *. Aboleantur odia, deliciant simultates, pacis et benevolenti» multiplicetur affectus, et qui potuit malitia pollui, studeat benignitate purgari. Quoniam judicium Dei, sicut immitibus vehemens, ita erit misericordibus clemens ; et detrusis in ignem gehennæ propter inhu­ manitatem sinistris, dextros eleemosynarum pietate laudatos, æterna cælestis regni béatitude suscipiet. Per Dominum nostrum Jcsum Christum, qui cum Patre et Spiritu sancto vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen. 33 (XLVI) DE QUADRAGESIMA SERMO VIII 1. Devotionis quidem vestrae, dilectissimi, novimus hunc esse fervorem, ut in jejuniis, quæ Domini Pascha præcurrunt, multi nostros praeveniatis hor­ tatus. Sed quia utilitas contincntiæ non solum carnis castigationi, verum etiam mentis necessaria est puri­ tati, observantiam vestram sic cupimus esse per­ fectam, ut sicut a desideriis carnis reciditis volu­ ptates, ita ab animi sensibus excludatis errores. Nam 1. On a déjà trouvé au 2* sermon pour le carfmc l'allusion aux consti­ tutions impériales qui rendaient la liberté aux détenus le jour de Pâques (cf. note 1 p. 3S de ce sermon). HUITIÈME SERMON SUR LE CARÊME 65 habitude qui doit être utile en tout temps. Apaisons vis-à-vis de nos subordonnés la sévérité de nos com­ mandements, renonçons à nous venger d’une faute, que ceux qui sont coupables de crimes se réjouissent d'arriver à ces jours, où, sous l'autorité de princes saints et pieux, la rigueur même des sanctions publiques se relâche Que les haines soient abolies, que les rivalités s’apaisent, que l'amour de la paix et de la bienveillance se multiplie partout ; que celui enfin qui a pu se laisser souiller par la méchanceté s’applique à se purifier par la bonté. Le jugement de Dieu, en effet, sévère à ceux qui seront sans douceur, se montrera clément pour les miséricordieux ; tandis que les hommes de sa gauche seront jetés dans le feu de la géhenne pour leur manque d’humanité, le bonheur éternel du céleste royaume accueillera ceux de sa droite qui auront été félicités pour le don géné­ reux de leurs aumônes. Par notre Seigneur .JésusChrist qui, avec le Père ct ΓEsprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 33 (XLVI) HUITIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. -1. Une foi intègre est necessaire pour rendre fécondes les observances du carême. — 2. Vérité des deux natures en Jésus-Christ. — 3. Fortifier sa foi aux articles du Symbole. — 3. Vivre selon sa foi. 1. Nous connaissons assez, bien-aimés, la ferveur de votre dévotion pour savoir que, dans les jeûnes qui précèdent la Pâque du Seigneur, beaucoup d’entre vous préviennent nos exhortations. Mais une utile abstinence est nécessaire non seulement pour mater le corps, mais encore pour purifier l’âme ; aussi 66 DE QUADRAGESIMA SERMO VIII paschali festo, in quo omnia religionis nostræ sacramenta concurrunt, is vera et rationabili purifica­ tione se præparat, cujus cor nulla infidelitate pol­ luitur. Dicente enim Apostolo : Omne quod non est ex fide, peccatum est inutilia erunt et vana eorum jejunia quos illusionibus suis mendacii pater decipit, et vera Christi caro non pascit 2. Sicut ergo divinis mandatis sanæque doctrinæ toto corde famulandum est, ita omni prudentia ab impiis est sensibus absti­ nendum. Tunc enim mens sanctum agit atque spiri­ tale jejunium, cum erroris cibos atque venena abjicit falsitatis ; quæ dolosus ac versutus inimicus nunc insidiosius ingerit, quando ipso venerandae festivitatis recursu omnis Ecclesia ad intelligenda salutis suæ mysteria generaliter commonetur. Is enim resur­ rectionis Christi verus confessor et cultor est, qui et de passione ejus non confunditur, et de corporea nativitate non fallitur. Nam quidam erubescentes Evangelium crucis Christi3, ut audentius evacuarent4 susceptum pro mundi redemptione supplicium, ipsam veræ carnis in Domino negavere naturam5, non intelligentes impassibilem Dei Verbi atque incommu­ tabilem Deitatem, ita inclinatam ad humanam salutem, ut et potenter propria non amitteret, et 1. Rom., XIV, 23. Dans le contexte de l'Épîtrc, le mot fides ne désigne pas lu fol théologale, mais u le sens de contac/ion. Le sens adopté ici est accommo­ dat ici. 2. On verra par le contexte suivant qu'il ne .s'agit pas ici, du moins direc­ tement, de la présence réelle du corps du Christ dans le sacrement de l’Eucharistte, mais de la foi en la réalité de l'incarnation, fol qui est une nourri­ ture pour l’àmc, selon Jean, VI, 35. 3. Cf. Rom.. I, 16. 4. Cf. I Cor., I, 17. 5. Il s'agit des manichéens qui, renouvelant l'erreur des docèles, niaient la réalité de l'incarnation en vertu du principe que la matière est mauvaise et créée par le Démiurge mauvais, et la réalité de In passion du Seigneur, qui devenait un pur simulacre ; mais c’éliitt anéantir du coup la cause de la rédemption des hommes et de leur régénération divine. (Cf. supra, 4· sermon I | , . I HUITIÈME SERMON SUR LE CARÊME 66 desirons-nous de vous une observance si parfaite que vous sachiez aussi bien fermer les portes de votre esprit à l’erreur que refuser aux convoitises du corps les voluptés charnelles. A la fête de Pâques, en effet, cette fête vers laquelle convergent tous les mystères de notre vie religieuse, celui-là se prépare par une purification authentique et convenable, dont le cœur n’est souillé d’aucun sentiment contraire à la foi. Car. ΓApôtre le dit, « tout ce qui ne procède pas de la foi est péché»1; inutiles donc et vains seront les jeûnes de ceux que le père du mensonge a trompés par scs illusions et que ne nourrit pas la vraie chair du Christ Soumettons-nous par conséquent de tout notre cœur aux divins commandements et à la saine doctrine et, semblablement, abstenons-nous en toute prudence des opinions impies. L’âme, en effet, s’ac­ quitte d’un jeûne saint et spirituel lorsqu’elle rejette les aliments de l'erreur et les poisons du mensonge ; ces poisons, un ennemi rusé et hypocrite les admi­ nistre plus insidieusement en ce moment, à l’heure où, par le retour même de la solennité vénérable, Γ Église, dans son ensemble, est rappelée à l’intelli­ gence des mystères de son salut. Le véritable con­ fesseur et adorateur de la résurrection du Christ est, en effet, celui que ne déconcerte pas sa passion et qui ne se trompe pas au sujet de sa naissance char­ nelle. Car certains rougissent de l’évangile de la croix du Christ3, et, pour réduire à néant4 plus audacieusement le supplice subi pour la rédemption du monde, ils ont été jusqu’à nier dans le Seigneur la nature d’une chair authentique5. Ils n’ont pas compris que la divinité impassible et immuable du Verbe de Dieu, en s’abaissant pour le salut des hommes, n’a rien perdu, d’une part, par un effet de puissance, de ce qui lui est propre, et a pris, de l’autre, par un effet de miséricorde, ce qui nous appartient. C’est pourquoi il y a dans le Christ une seule per­ sonne avec une double nature, et le Fils de Dieu, luisur tes collectes, note J. p. 19 ; texte des · Actes de Les écritures manichéennes, II, p. 189-190). Jeon » duns P. Alfaiuc, 67 DE QUADRAGESIMA SERMO VIII misericorditer nostra susciperet. Duplicis itaque in Christo formæ una persona est, et Filius Dei, idemque filius hominis, unus est Dominus, conditionem ser­ vilem consilio pietatis recipiens, non lege necessi­ tatis incurrens : quia potestate factus est humilis, potestate passibilis, potestate mortalis ; ut ad des­ truendum peccati mortisque dominatum, et pænæ capax esset substantia infirmitatis, et nihil gloriae suæ perderet natura virtutis. 2. Curii itaque, dilectissimi, legentes vel audientes Evangelium, quaedam in Domino nostro Jcsu Christo cognoscitis subjecta injuriis, quædam illustrata miraculis, ita ut in eodem nunc humana appareant, nunc divina resplendeant ; nolite quidquam horum ascribere falsitati, tamquam in Christo aut sola sit humanitas, aut sola Divinitas ; sed ulrumque fideliter credite, utrumque humiliter adorate : ut in unitate Verbi et carnis non sit ulla divisio, nec quia mani­ festa fuerunt in Jesu signa divina, falsa videantur documenta corporea. Vera et copiosa sunt in ipso utriusque testimonia naturae, ad hoc ex divini consilii altitudine concurrentia, ut Verbo inviolabili non separato a carne passibili particeps per omnia intelligatur et Deitas carnis, et caro Deitatis. Mens igitur Christiana, fugax mendacii, discipula veritatis, cvangelica utere fidenter historia, et quae visibiliter sunt gesta per Dominum, tamquam ipsa cum apostolis aggregata, nunc spiritali intellectu, nunc corporeo discerne conspectu. Da homini quod de muliere puer nascitur ; da Deo quod nec con­ ceptu læditur virginitas materna, nec partu. Formam servi obvolutam pannis, jacentem in præsepio cognosce ; sed annuntiatam ab angelis, declaratam ab elementis, adoratam a magis formam Domini HUITIÈME SERMON SUR LE CAREME 67 même fils de l’homme, n’est qu’un seul Seigneur, qui prend la condition servile par une décision de bonté sans y être contraint par la loi d’une nécessité ; c’est, en effet, par puissance qu’il est devenu humble, par puissance qu'il est devenu passible, par puissance qu’il est devenu mortel : car, pour détruire l’empire du péché et de la mort, il fallait tout à la fois et que la substance par laquelle il était faible fût susceptible de souffrir, et que la nature par laquelle il était puis­ sant ne perdît rien de sa gloire. 2. Ainsi donc, bien-aimés, lisant ou entendant lire Γ Évangile, vous découvrez en notre Seigneur JésusChrist certains traits selon lesquels il a été en butte aux injures, et certains autres selon lesquels il a été glorifié par des miracles, en sorte que, dans le même homme, tantôt apparaissent des caractères humains, tantôt brillent des aspects divins ; gardez-vous alors d’imputer les uns ou les autres à une falsification, comme si, dans le Christ, il n’y avait que la seule humanité ou que la seule divinité ; mais croyez fidèlement l’une et l’autre, adorez humblement l’une et l’autre, reconnaissant que rien ne divise l’unité du Verbe et de la chair ; et, parce qu'il y eut en Jésus des signes manifestes de la Divinité, ne regardez pas comme faux les faits et paroles concernant son corps. Véritables et abondants sont les témoignages de l’une et l’autre natures en lui ; le conseil divin, dans sa profondeur, a voulu qu’ils concourussent à faire com­ prendre que la divinité dans la chair ct la chair dans la divinité participent en tout du Verbe impassible qui ne se sépare pas d’une chair passible. Ame chrétienne, toi qui fuis le mensonge pour te mettre à l’école de la vérité, tire donc profit avec foi de l’histoire évangélique : considère tantôt d’une intelligence spirituelle, tantôt d’un regard corporel les actions visibles du Seigneur, tout comme si tu te trouvais toi-même en la compagnie des Apôtres. Attribue à l'homme le fait qu’enfant il soit né d’une femme ; à Dieu celui que ni sa conception, ni sa naissance n’aient violé la virginité de sa mère. Reconnais la condition d’esclave enveloppée de 68 DE QUADRAGESIMA SERMO VIII confitere. Humanum intcllige, quod non declinavit nuptiale convivium ; divinum approba, quod aquam convertit in vinum. Nostra tibi innotescat affectio, cum mortuo amico fletus impenditur ; divina potentia sentiatur, cum idem post quatriduanam jam fætidus sepulturam, solo vocis imperio vivificatus erigitur. Lutum de sputo et terra fieri, corporei fuit operis ; sed illinc superlitos cæci oculos illuminari, non dubium est illius fuisse virtutis, quæ quod principiis naturæ non dederat, ad manifestationem sua? gloriæ rcservarat. Veri est hominis fatigationem corpoream somni quiete relevare ; sed veri Dei est, vim sævientium procellarum præcepti increpatione compescere. Cibos esurientibus apponere, humanæ benignitatis est, et socialis est animi ; sed quinque panibus et duobus piscibus quinque millia virorum, exceptis mulieribus et parvulis, satiare, quis negare audeat opus esse Deitatis ? quæ cooperantibus sccum veræ carnis officiis, et se homini, et hominem sibi inesse monstrabat : quia non aliter in humana natura sanari poterant originalis vulnera vetustatis, nisi de utero Virginis carnem sibi assumente Dei Verbo, in una eadcmque persona simul et caro nasceretur et Verbum. 3. Hanc, dilectissimi, incarnationis Dominicae fidem, per quam tota Ecclesia corpus est Christi, inconcusso corde servantes, ab omnibus haereticorum jejunate mendaciis, et ita vobis misericordiae opera credite profutura, ita fructuose habendam continentiae puri­ tatem, si mentes vestræ nulla pravarum opinionum contaminatione sorduerint. Abjicite exosa Domino sapientiae mundana? argumenta, per quam nemo ad cognitionem veritatis potuit pervenire, et hoc fixum habete in animo, quod dicitis in Symbolo. Credite consempitcrnum Patri Filium Dei, per quem facta HUITIÈME SERMON SUR LE CARÊME 68 langes, couchée dans une crèche ; mais confesse la condition de Seigneur annoncée par les anges, pro­ clamée par les éléments, adorée par les Mages. Com­ prends qu’il relève de l’homme de n’avoir pas refuse le repas nuptial ; admets qu’il est de Dieu d’y avoir changé l’eau en vin. Reconnais en lui nos sentiments quand il verse des larmes sur un ami défunt ; éprouve la puissance divine quand, par le seul commandement de sa voix, il relève vivant le même ami, sentant déjà après quatre jours de sépulture. Pour faire de la boue avec de la terre et de la salive, ce fut le corps qui travailla ; mais que les yeux d’un aveugle, oints de cette boue, aient été éclairés, nul doute que cela relève de cette puissance qui avait réservé à la manifestation de sa gloire ce qu’elle n’avait pas donné aux principes de la nature. Il est d’un homme véri­ table de soulager la fatigue du corps en se reposant par le sommeil ; mais il est d’un Dieu véritable d’apaiser d’un ordre impératif la violence des tem­ pêtes en furie. Donner à manger à des affamés est le fait de l’humaine bonté et d’un cœur soucieux d’autrui ; mais rassasier de cinq pains et de deux poissons cinq mille hommes, sans compter femmes et enfants, qui oserait nier que ce soit l’œuvre de la Divinité ? En faisant coopérer avec elle les ser­ vices d’une chair véritable, celle-ci montrait qu’elle était dans l’homme et que l’homme était en elle : car la nature humaine ne pouvait être guérie des blessures laissées en elle par l’ancienne faute origi­ nelle que si, le Verbe de Dieu prenant pour lui une chair du sein de la Vierge, naissaient en une seule et même personne et la chair et le Verbe. 3. Gardant d’un cœur inébranlable, bien-aimés, cette foi en l’incarnation du Seigneur, elle qui fait de l’Eglise entière le corps du Christ, soyez à jeun de tous les mensonges des hérétiques ; et croyez que les œuvres de miséricorde vous profiteront, que vous garderez utilement la pureté de l’abstinence, à cette condition que nulle opinion perverse ne contamine et ne souille vos âmes. Rejetez les arguments de la sagesse du monde : ils sont en horreur au Seigneur, 69 DE QUADRAGESIMA SERMO VIII sunt omnia, et sine quo factum est nihil, secundum carnem quoque in fine temporum generatum. Cre­ dite hunc corporaliter crucifixum, mortuum, susci­ tatum et super altitudines cælestium dominationum elevatum, in Patris dextera constitutum, ad judi­ candum vivos et mortuos in eadem carne, qua as­ cendit, venturum. Hoc enim universis fidelibus Apo­ stolus praedicat, dicens : Si consurrexistis cum Christo, quæ sursum sunt quaerite, ubi Christus est in dextera Dei sedens ; quæ sursum sunt sapite, non quæ super terram. Mortui enim estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo. Cum enim Christus appa­ ruerit vita vestra, tunc et vos apparebitis cum ipso in gloria 1. 4. Habentes ergo, dilectissimi, lantæ promissionis fiduciam, estote non solum spe, sed etiam conver­ satione cælcstes. Et quamvis omni tempore stu­ dendum sit sanctificationi et mentis et corporis, nunc tamen in istis quadraginta dierum jejuniis, sollici­ tioribus vos pietatis operibus expolite, non solum in distribuendis eleemosynis, quæ magnum habent emendationis effectum, sed etiam in remittendis offensionibus et peccatorum reatibus relaxandis : ut conditio quam inter se et hominem Deus posuit, non resistat orantibus. Dicentes enim, secundum doctrinam Domini : Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris, debemus toto corde implere quod dicimus. Tunc enim liet omnino quod in consequentibus postulamus, ut et in tentationem non inducamur, et a malis omnibus libe­ remur : per Dominum nostrum Jesum Christum, qui cum Patre et Spiritu sancto vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen. 1. Col., Ill, 1-4. HUITIÈME SERMON SUR LE CAREME 69 et personne n’a pu, par elle, parvenir à la connais­ sance de la vérité ; mais gardez solidement dans l’âme ce que vous dites dans le Symbole. Croyez au Fils de Dieu, coéterncl au Père, par qui tout a été fait et sans qui rien n'a été fait, engendré aussi selon la chair à la fin des temps. Croyez que, corporellement, il a été crucifié, qu'il est mort, qu’il est ressuscité, qu’il a été élevé plus haut que les célestes domi­ nations, qu’il a été établi à la droite du Père, qu’il viendra juger les vivants et les morts dans la même chair avec laquelle il est remonté. C'est ce que l’Apôtre prêche à tous les fidèles quand il dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les biens d’en haut, là où se trouve le Christ, siégeant à la droite de Dieu. Ayez le goût des biens d’en haut, non de ceux de la terre. Vous êtes morts, en effet, et votre vie demeure cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, votre vie, se manifestera au grand jour, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui dans la gloire » *. 4. Ayant donc, bien-aimés, la confiance que donne une telle promesse, soyez célestes, non seulement d’es­ pérance, mais encore de conduite. Et s’il faut en tout temps s’appliquer «â la sanctification de l’âme et du corps, c’est maintenant cependant, au cours de ces quarante jours de jeûne, qu’il faut vous rendre irré­ prochables par des œuvres de pieté plus empressées, non seulement en distribuant des aumônes — les­ quelles ont un grand pouvoir pour notre amen­ dement — mais aussi en pardonnant les offenses et en renonçant aux griefs ; ainsi la condition que Dieu a mise entre lui et l’homme ne pourra pas être opposée à ceux qui prient. Lorsqu’en effet nous disons, selon l’enseignement du Seigneur : « Bemctteznous nos dettes, comme nous-mêmes remettons à nos débiteurs », nous devons accomplir de tout cœur ce que nous disons. Alors se réalisera pleinement ce qui est l’objet des demandes suivantes : que nous ne soyons pas soumis à la tentation et que nous soyons délivrés de tout mal ; par notre Seigneur Jésus-Christ, qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 49. Léon le Grand. 9 70 DE QUADRAGESIMA SERMO IX 34 (XLVII) DE QUADRAGESIMA SERMO IX 1. In omnibus, dilectissimi, solemnitatibus Chris­ tianis non ignoramus paschale sacramentum esse praecipuum, cui condigne et congrue suscipiendo totius quidem nos temporis instituta praeformant ; sed devotionem nostram præsentes vel maxime dies exigunt, quos illi sublimissimo divinae misericordiae sacramento scimus esse contiguos. In quibus merito a sanctis apostolis per doctrinam Spiritus sancti majora sunt ordinata jejunia, ut per commune con­ sortium crucis Christi etiam nos aliquid in eo quod propter nos gessit ageremus, sicut Apostolus ait : Si compatimur, et conglorificabimur1. Certa atque secura est exspectatio promissæ beatitudinis, ubi est participatio Dominicae passionis. Nemo non est, dile­ ctissimi, cui per conditionem temporis societas hujus gloriæ denegetur, tamquam tranquillitas pacis vacua sit occasione virtutis. Apostolus enim praedicat, dicens : Omnes qui pie volunt vivere in Christo, perse­ cutionem patientur 2 ; et ideo numquam deest tribu­ latio persecutionis, si numquam desit observantia pietatis 3. Dominus ipse in exhortationibus suis dicit : Qui non accipi! crucem suam, et sequitur me, non est me dignus 4 ; nec dubitare debemus hanc vocem non 1. Cf. Hom., VIII, 17. 2. Il Tim., HI, 12. 3. Cf. supra, 1·' sermon pour le carinie, p. 28, la note renvoyant à l'article de fgn. Carton sur les sens du mot ubsenwitla chez saint Léon. Il désigne Ici la pratique générale de la religion. 4. Matlh-, X. 38. NEUVIÈME SERMON SUR LE CARÊME 70 34 (XLVII) NEUVIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. — 1. La vie présente est une tentation ; s’armer do la croix du Christ pour être victorieux. — 2. Prendre garde aux fausses doctrines touchant l'incarnation du Verbe. — 3. Exhor­ tation aux vertus, et surtout au pardon des injures. 1. Parmi toutes les solennités chrétiennes, bienaimés, nous n’ignorons pas que la première place revient au mystère pascal ; c’est à le recevoir digne­ ment et convenablement que nous disposent les institutions de l’année entière. Cependant les jours présents réclament, et au plus haut point, notre dévotion, car nous les savons très proches de ce sacrement infiniment sublime de la divine miséri­ corde. En ces jours donc, des jeûnes majeurs ont été à juste titre décrétés par les saints Apôtres sous l’inspiration du Saint-Esprit, afin que, prenant notre part de la croix du Christ, nous fassions, nous aussi, quelque chose dans ce qu’il a fait pour nous, selon ces paroles de l’Apôtre : « Si nous soutirons avec lui, nous serons aussi glorifiés avec lui »L Sûre et certaine est l’attente de la béatitude promise, là où l’on par­ ticipe à la passion du Seigneur. Il n’est personne, bien-aimés, que les conditions du temps où il vit empêchent d’avoir part à cette gloire, comme si la tranquillité de la paix était vide d’occasions de vertu. L’Apôtre, en effet, nous apprend que « tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution»2; et c’est pourquoi jamais ne manquera l’épreuve de la persécution, si jamais ne manque l’exercice de la piété3. Le Seigneur luimême nous exhorte en ces termes : « Qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi »4. Et, n’en doutons pas, cette parole s’adresse non seu- 71 DE QUADRAGESIMA SERMO IX solum ad discipulos Christi, sed ad cunctos fideles, totamquc Ecclesiam pertinere, quæ salutare suum in his qui aderant universaliter audiebat. Sicut ergo totius est temporis pie vivere, ita totius est temporis crucem ferre : quæ merito unicuique sua dicitur, quia propriis modis atque mensuris ab unoquoque toleratur. Unum nomen est persecutionis, sed non una est causa certaminis, et plus plerumque periculi est in insidiatore occulto quam in hoste manifesto. Beatus Job alternantibus bonis ac malis mundi hujus eruditus pie veraciterque dicebat : Nonne tentatio est vita hominis super terram * ? quoniam non solis doloribus corporis atque suppliciis anima fidelis impetitur, verum etiam salva incolumitate mem­ brorum, gravi inorbo urgetur, si carnis voluptate mollitur. Sed cum caro concupiscit adversus spi­ ritum, spiritus autem adversus carnem -, præsidio crucis Christi mens rationalis instruitur : nec cupi­ ditatibus noxiis illecta consentit, quoniam conti­ nentias clavis et Dei timore transfigitur. In bono ergo proposito constitutis inimicitia» dissimilium diabolo instigante non desunt, et facile in odia prorumpunt, quorum improbi mores detestabiliores fiunt compara­ tione rectorum. Iniquitas cum justitia non habet pacem 3, temperantiam odit ebrietas, falsitati nulla est cum veritate concordia ; non amat superbia man­ suetudinem, petulantia verecundiam, avaritia largi­ tatem : et tam pertinaces habet diversitas ista con­ flictus, ut etiamsi exterius conquiescat, ipsa tamen piorum cordium penetralia inquietare non desinat; ut verum sit quod qui voluerint in Christo pie vivere, 1. Job. vu. i. 2. cr. Gal., V. 17. 3. cr. 11 Cor.. VI, 15. NEUVIÈME SERMON SUR LE CARÊME 71 Icment aux disciples du Christ, mais à tous les fidèles et à l’Église universelle qui entendait alors tout entière en ceux qui étaient là présents les conditions de son salut. Comme il est donc de tous les temps de vivre pieusement, ainsi est-il de tous les temps de porter la croix, cette croix qu’à juste titre chacun peut dire sienne, car elle est portée par chacun sui­ vant des modes et des mesures qui lui sont propres. La persécution n'a qu’un nom, mais la cause du com­ bat est multiple, et, bien souvent, il y a plus de danger dans un traître caché que dans un ennemi manifeste. Le saint homme Job, instruit par la succession des biens et des maux en ce monde, disait en toute piété et vérité : « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une tentation ?»1 Ce n’est pas seulement, en cfTet, par les douleurs et les supplices du corps que fame fidèle est attaquée : mais aussi, sans que l’inté­ grité de scs membres soit entamée, une grave maladie la menace quand elle est amollie par la volupté de la chair. Cependant, lorsque la chair convoite contre l’esprit, l’esprit contre la chair 2, l’âme raisonnable est armée du secours de la croix du Christ ; et elle ne consent pas aux coupables désirs qui la sollicitent, parce qu’elle est transpercée des clous de la conti­ nence et de la crainte de Dieu. A ceux qui se sont établis dans un bon propos, le diable ne manque donc pas de susciter l’hostilité de ceux qui ne leur res­ semblent pas ; et facilement ces hommes déchaînent leur haine, dont les mœurs répréhensibles paraissent plus détestables encore, comparées à celles des justes. L'iniquité n’est jamais en paix avec la justice3, l’ivresse déteste la tempérance, le mensonge ne peut s’accorder avec la vérité ; l’orgueil n’aime pas la dou­ ceur, ni l’impudence la retenue, ni l’avarice la libéra­ lité : cette opposition donne naissance à des conflits si opiniâtres que, même si, extérieurement, elle laisse les choses en repos, elle ne cesse pourtant pas de jeter le trouble au plus profond des cœurs des fidèles ; ainsi est-il vrai que « tous ceux qui veulent vivre pieu­ sement dans le Christ souffriront persécution » ; ainsi est-il vrai aussi que la vie présente est tout 72 DE QUADRAGESIMA SERMO IX persecutionem patientur, et verum sit quod omnis hæc vita tcntatio est. Ipsis experimentis suis unus- i quisque fidelis edoctus, Christi cruce armetur, ut Christo dignus habeatur. 2. Per istum vero agonem, dilectissimi, ad præmia ælerna tendentibus, in eo maxime diaboli insidiatur astutia, ut quorum pervertere non potest probi­ tatem, subruat fidem. In aliam enim transfertur viam, quisquis a confessione veritatis abducitur, totusque ejus cursus abscessio est, ct tanto erit morti vicinior, quanto fuerit a catholica luce longinquior. Quod etiam in diebus nostris per suam patiuntur incuriam, qui de spiritu olim destructi erroris olimque damnati veterem isaniam conceperunt, qui geminam in Christo audent negare naturam, aut non suscepta carnis scilicet veritate, aut in carnem Deitate conversa ; ut aut secundum Manichæum nulla ejus sit resurrectio, cujus nulla est passio, aut secundum Apollinarem ipsa Deitas Verbi mutabilis, ipsa sit facta passibilis1. Hoc autem sentire, hoc auribus Chrislianæ plebis ingerere, quid aliud est, quam ipsa religionis nostræ fundamenta convellere, et quod verus Filius Dei, 1. L’opinion des opolllnaristes n’a pas encore été abordée pur saint Léon dans les sermons qui nous occupent : il en avail cependant parlé déjà dans le 4· sermon pour Xoii. 5 (· Sources Chrétiennes ». 22, p. 109). Cette hérésie dérive d’Apollinaire, évêque de Laodlcée vers 361. mort vers 390. Ardent défenseur du dogme de Nicée, il ne put concevoir cependant que l’humanité ct In divinité pussent, en s’unissant, (aire du Christ un être unique; il fut donc amené à mutiler en Jésus l’humanité, d’ubord en lui refusant une time, dont te Verbe divin aurait tenu lieu, ensuite en limitant cette substitution à l’âme spirituelle, le noûs, selon ht division trlchotomlste des anciens, il en résultait qu’il n’y avait en Jésus qu’une seule nature con­ crète, celle du Verbe, que son incarnation était entendue au sens le plus étroit, se bornant à la chair, et que la rédemption n’était que partielle ct limitée à la chair ct à l’âme sensible. Certains apollinaristcs poussèrent les doctrines du maître jusqu'à leurs plus extrêmes conséquences ; en parti­ culier, celle que prèle à celui-ci saint Léon n’a pas été professée par lui, à savoir que la divinité du Verbe aurait souffert dans la choir. Apollinaire fut condamné une première fois par un synode d'Alexandrie NEUVIÈME SERMON SUR LE CAREME 72 entière une tentation. Que le fidèle instruit par sa propre expérience s’arme donc de la croix du Christ afin d’être reconnu digne du Christ. 2. Quant à ceux qui s’efforcent de parvenir par ce combat aux éternelles récompenses, bien-aimés, l’as­ tuce du démon leur dresse tout spécialement scs pièges dans le dessein de saper leur foi, puisqu’il ne peut corrompre leur vertu. Quiconque, en effet, est entraîné hors de la confession de la vérité se trouve déplacé sur une autre route et toute sa marche ne peut que l’éloigner davantage : il se rapprochera d’autant plus de la mort qu’il sera plus loin de la lumière catholique. Cela, même de nos jours, certains l’éprouvent par la faute de leur insouciance, qui, dans l’esprit d’une erreur autrefois détruite ct autrefois condamnée, ont conçu une doctrine insensée, quoique ancienne : ils osent nier la double nature du Christ, disant, soit qu’il n’aurait pas pris de chair véritable, soit que la divinité aurait été changée en chair : ainsi, ou bien, selon Mani, il n'y aurait pas eu résur­ rection de celui qui n’aurait pas subi de passion ; ou bien, selon Apollinaire, la divinité d’un Verbe chan­ geant serait devenue elle-même passible ’. Mais penser cela, le proposer aux oreilles du peuple chré­ tien, qu’cst-cc autre chose que renverser les bases mêmes de notre religion et nier que le vrai Fils de Dieu soit un vrai fils d'homme ? Or c’est sur cette en 362 ct. ensuite, par plusieurs conciles, dont le 2· de Constantinople en 381. Au Concile de Home de 377, le pape Dantase énonçait ainsi l'argument essentiel à opposer à sa doctrine : « Quod si utique imperfectus homo sus­ ceptus est. imperfectum Dei munus est, imperfecta nostra salus, quia non est totus homo salvatus. · (l)amaxi Episl., 11, fragm., II : P. XIII, 352). C'est ce qu'en termes plus concis, saint Grégoire de Nazlanze et saint Cyrille d'Alexandrie exprimaient presque identiquement : · Ce qui n’est pas assumé n’est pas guéri ■ (Grec.. Naz.. lettre Cf ά Clcdonius ; P. G., XXXVII, 181) ; • Co qui n'est pas assumé n'est pas sauvé · (Cyr. Alex. Commentaire de saint Jean, XII, 27 ; P. G., LXXIV, S9). Sur l’apollinarisine, cf. C. E. Ra­ ven, Apollinarianism, Cambridge, 1923; articles de G. Bakov dans l’en­ cyclopédie < Catholicisme », I, 706 sx. et de R. Aigrain dans le DltGE, 962-98. Dans les erreurs que saint laJon combat ici. tant celle des manichéens que celle des apollinaristcs, l'humanité du Sauveur était tronquée, incomplète, ct, par conséquent, fictive ; la rédemption humaine manquait de fondement. 73 DE QUADRAGESIMA SERMO IX verus sit filius hominis, denegare ? In quo solo est humani generis restitutio testificata per legem, promissa per Prophetas, et omnibus veteris Testa­ menti significationibus nuntiata : ut magnum illud et sæculis omnibus profuturum divinæ misericordiæ sacramentum, quod saepe et diu fuerat significatum, in præstituto tempore non dubitaretur impletum. Unde licet, ex quo Verbum caro factum est, ita in Christo Dei atque hominis una persona sit, ut in nullis actionibus fiat natura utriusquedivisio; studet tamen evangel ica veritas ipsum quem Dei Filium prædicat, sæpissime filium hominis profiteri : ut quamvis ea quæ disseruntur, alia sint humanitatis, alia Deitatis, sub nomine tamen filii hominis utraque memorentur : ne fides Dominum Jesum Christum natum ex Maria Virgine, Deum simul atque hominem creditura, cunctetur fateri aut in Deo humanitatem, aut in homine Deitatem ; ut et in Verbo suscepti hominis vera sit humilitas, et in carne suscipientis Dei vera majestas. 3. Hæc, dilectissimi, per occasionem paschalis festi, cui puritatem cordium præparare debemus, de incarnatione Verbi perstrinxisse sufficiat, quoniam aliquoties hinc instructos vos esse meministis. Nunc devotionem vestram de eo, quod tempus poscit, admoneo ut sanctum ac salubre jejunium operibus pietatis ornetis. Et quia pro indulgentia maxime labo­ randum est delictorum, indubitabilem vobis divinam misericordiam promittatis, si ipsi quoque circa sub­ ditos vestros omnem offensam transtuleritis ad veniam. Placidos enim atque concordes ad tantam festivitatem decet Dei populos convenire : ut seve­ ritas ultionum, quæ nunc etiam in publicis judiciis relaxatur, multo magis in Christianorum cordibus NEUVIÈME SERMON SUR LE CARÊME 73 seule vérité que repose la restauration du genre humain, attestée par la Loi, promise par les pro­ phètes et annoncée par tous les symboles de l’Ancien Testament : tellement que personne ne peut douter que ce grand mystère de la divine miséricorde, ap­ pelé à profiter à tous les siècles, après avoir été long­ temps et fréquemment préfiguré, ne se soit réalisé au temps fixé d’avance. Aussi, le Verbe s’étant fait chair, il n'y a dans le Christ qu’une seule personne, Dieu et homme, à tel point qu’en aucune action il n’y a division des deux natures ; cependant l’Évan­ gile de vérité prend bien soin d’appeler très souvent fils de l'homme celui-là même qu’il proclame Fils de Dieu : bien que, parmi les choses racontées, les unes soient propres à l’humanité, les autres à la divinité, il les rappelle pourtant toutes sous le nom du Fils de l'homme ; car on pouvait craindre qu’une foi tenue à croire que le Seigneur Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, est en même temps Dieu et homme, n’hé­ sitât à confesser soit l’humanité en Dieu, soit la divinité en l’homme, alors que se trouvent, et dans le Verbe, l’humilité vraie de l’humanité assumée, et dans la chair, la majesté vraie de Dieu qui l’as­ sume. 3. A l’occasion de la fête pascale, bien-aimés, en vue de laquelle nous devons purifier nos cœurs, nous avons ainsi abordé ces questions touchant l’incar­ nation du Verbe ; mais cela suffira, puisque vous n’oubliez pas l’instruction que vous avez reçue plusieurs fois à ce sujet. A présent, j’exhorte votre dévotion, comme ce temps le demande, à orner ce jeûne saint et salutaire des œuvres de la pieté. Et puisqu’il faut surtout travailler pour obtenir le pardon des fautes, promettez-vous à vous-mêmes, sans doute possible, la divine miséricorde, si, de votre côté, en ce qui concerne vos subordonnés, vous trans­ férez toute offense au crédit du pardon. Il convient, en effet, que les peuples de Dieu s’assemblent pour une si grande fête en paix et concorde ; si la sévérité des punitions se relâche à présent dans les jugements publics, combien plus doit-elle s’adoucir dans les 74 DE QUADRAGESIMA SERMO X mitigetur, quia ad hoc potius intenta debet esse cura sanctorum, ne ullus algeat, ne ullus esuriat, ne quis inopia deficiat, ne quis mærore tabescat, nc aliquem vincula obstrictum, ne aliquem habeat career in- I clusum. Quantælibet enim existant causæ offensionis, ab homine tamen in hominem, non tam delicti magnitudo quam naturæ est cogitanda communio ; ut de judicio quo alterum judicat, misericordiam Dei judicantis obtineat. Beati enim misericordes, quo­ niam ipsorum miserebitur Deus 1 : qui vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen. 35 (XLVIII) DE QUADRAGESIMA SERMO X 1. Inter omnes, dilectissimi, dies quos multis modis honorabiles habet Christiana devotio, nullus est excellentior festivitate paschali, per quam in Ecclesia Dei universarum solemnitatum dignitas consecratur. Siquidem etiam ipsa Domini ex matre generatio huic est impensa sacramento ; nec alia fuit Dei Filio causa nascendi, quam ut cruci posset affigi. In utero enim Virginis suscepta est caro mortalis ; in carne mortali completa est dispositio passionis ; effectumque est ineffabili consilio misericordia? Dei, ut esset nobis sacrificium redemptionis, abolitio peccati, et ad æternam vitam initium resurgendi. Considerantes 1. Matth., V. 7. DIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 74 cœurs chrétiens ; les saints, en effet, doivent avoir surtout souci que nul n'ait froid, que nul n’ait faim, que nul ne succombe de misère, que nul ne soit ac­ cablé de tristesse, que nul ne soit chargé de chaînes, que nul ne soit retenu en prison. Si forts que puissent être les griefs, ils ne sont jamais que d’homme à homme : ne pensons pas tant à la grandeur de la faute qu’à la communauté de nature ; ainsi chacun, selon le jugement dont il juge son prochain, trouvera miséricorde auprès de Dieu qui le jugera : « Heu­ reux, en effet, les miséricordieux, parce que Dieu aura pour eux miséricorde » Lui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 35 (XLVIII) DIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. — 1. Se preparer à la solennité pascale. — 2. Craindre les attaques du démon et de ses suppôts. — 3. Excellence de la charité par-dessus toutes les vertus. — 4. Le pardon des injures. — S. L’aumône. 1. Parmi tous les jours de l’année que la dévotion chrétienne honore de façons variées, il n’en est pas, bien-aimés, qui dépasse en excellence la fête pascale, car celle-ci consacre dans Γ Église de Dieu la dignité de toutes les solennités. Oui, même la naissance maternelle du Seigneur avait pour fin ce mystère ; et le Fils de Dieu n’eut pas d’autre raison de naître que celle de pouvoir être cloué sur la croix. Dans le sein de la Vierge, en effet, fut prise une chair mortelle ; dans celte chair mortelle fut réalisée l’économie de la passion ; et ainsi advint-il, par un dessein inef­ fable de la miséricorde de Dieu, que celle-ci fut pour 75 DE QUADRAGESIMA SERMO X autem quid per cruccm Domini adepta est univer­ sitas mundi, cognoscimus ad celebrandum Paschæ diem merito nos quadraginta dierum jejunio præparari, ut digni possimus divinis intéresse mys­ teriis. Non enim summos tantum antistites, autsecundi ordinis sacerdotes, nec solos sacramentorum mini­ stros *, sed omne corpus Ecclesiæ, universumque fidelium numerum, ab omnibus contaminationibus oportet esse purgatum, ut templum Dei, cui funda­ mentum est ipse fundator, in omnibus lapidibus spe­ ciosum, et in tota sui parte sit lucidum. Nam si regum ædes et sublimiorum prætoria potestatum omni ornatu rationabiliter excoluntur, ut excel­ lentiora sint eoruin domicilia quorum ampliora sunt merita, quanto opere ædificandum, quanto est ho­ nore decorandum Deitatis ipsius habitaculum ! Quod licet inchoari et perfici sine suo auctore non possit, habet tamen ab ædificante donatum, ut etiam labore proprio quærat augmentum2. Viva enim rationabilisque materies ad exstructionem templi hujus assumitur; et per spiritum gratiæ ut voluntarie in unam compagem congruat incitatur. Quæ ideo dilecta, ideo quæsita est, ut et ipsa ex non quærente quærens, et ex non diligente sit diligens, dicente beato Joanne apostolo : Nos ergo diligamus irwicem, quia Deus prior dilexit nos3. Cum igitur et omnes 1. Hiérarchie des évêques, des prêtres et des diacres ; l’énumération *0 retrouve presque dans les mêmes termes dans l'admonition du Pontifical romain avant l’ordination des prêtres : · Hac certe mira varietate Ecclesia sancta circumdatur, ornatur et regitur : cum alii in ea Pontifices, alii minoris ordinis Sacerdotes, Diaconi et Subdiaconi, diversorum ordinum viri conse­ crantur ; et ex multis, et alterna- dignitatis membris unum Corpus Christi cfllcitur. · Après la mention des différents ordres, l’évocation du corps du Christ suit naturellement dans ce texte, comme dans celui de saint Léon. Notons que les mots rappelés du Pontifical ne remontent qu’ù Durand de Mende, qui, au xtit· siècle, compila, comme on le sait, des documents litur­ giques très divers pour en composer un Pontifical à son usage; ce dernier DIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 75 nous sacrifice rédempteur, abolition du péché et prémices de résurrection pour l’éternelle vie. Or, si nous considérons ce que l’univers a reçu par la croix du Seigneur, nous reconnaîtrons que, pour célébrer Je jour de Pâques, il est juste de nous préparer par un jeûne de quarante jours, afin de pouvoir participer dignement aux divins mystères. Ce ne sont pas, en effet, seulement les pontifes de l’ordre le plus élevé, ou les prêtres de second rang, ou les seuls ministres des sacrements1, mais le corps entier de l’Église et funiversalité des fidèles qui doivent se purifier de toutes souillures, afin que le temple de Dieu, dont le fondement est son fondateur lui-même, soit beau dans toutes ses pierres et lumineux dans toutes scs parties. Car si l’on a raison d’orner de toutes les parures les palais des rois et les prétoires des chefs les plus élevés, en sorte que les plus méritants aient aussi les demeures les plus distinguées, avec quel soin ne faut-il pas édifier, avec quel honneur décorer le lieu où la Divi­ nité elle-même habite ! Sans doute ne peut-on ni entreprendre, ni achever cette demeure sans que son Auteur y concourra ; pourtant celui qui l’a édifiée lui a encore accordé de pouvoir rechercher son accrois­ sement par son propre travail2. C’est, en effet, d’un matériau vivant et raisonnable que l’on se sert pour la construction de ce temple, et c’est de l’Esprit de grâce qu’il est animé pour s’assembler volontairement en un seul tout ; matériau aimé, matériau recherché, pour qu’à son tour il cherche, lui qui ne cherchait pas, et qu’il aime, lui qui n’aimait pas, selon la parole du bienheureux apôtre Jean : « Quant à nous, aimons en retour, puisque Dieu nous a aimés le pre­ mier »3. Donc, puisque tous les fidèles ensemble et eut un grand succès et devint par la suite le Pontifical de l'Église romaine. Cf. Anüjueu, Le Pontifical Honialn au moyen âge. Cité du Vatican, 1940, I. III, Avant-propos et chap. ! de l’introduction. 2. Saint Léon décrit avec sa précision coutumière la collaboration de Dieu et de l'homme dans l’œuvre de notre sanctification. Cf. l'article déjà cité du R. P. Hervé de L’Incarnation, O. C. D., Im grâce dans l'œuvre de saint Léon le Grand, p. 195 ss. 3. I Jean, IV, 19. 76 DE QUADRAGESIMA SERMO X simul et singuli quique fidelium unum idemque Dei templum sint, sicut perfectum hoc in universis, ita perfectum debet esse in singulis : quia etsi non eadem est membrorum omnium pulchritudo, nec in tanta varietate partium meritorum potest esse parilitas, communionem tamen obtinet decoris, connexio cari­ tatis. In sancto enim amore consortes, etiamsi non iisdem utuntur gratiæ beneficiis, gaudent tamen invicem bonis suis, et non potest ab eis extraneum esse quod diligunt, quia incremento ditescunt pro­ prio, qui profectu lætantur alieno. 2. In hac, dilectissimi, unitate sanctorum, ubi idem amatur, idem diligitur, idemque sentitur, nec superbis locus est, ncc invidis, ncc avaris, et quidquid est illud quo aut vanitas gloriatur, aut ira sævit, aut luxuria lascivit, non in Christi foedere, sed in diaboli parte censetur, longeque a sedibus pietatis excluditur. Fre­ mit itaque innocentiae adversarius et pacis inimicus, et quia ipse in veritate non stetit ', totamque naturæ suæ gloriam, dum superbit, amisit, dolet hominem Dei misericordia reparari, et in ea bona quæ ipse perdidit introduci12. Ncc mirum si peccati auctor probitate recte agentium cruciatur, et eorum quos dejicere non potest stabilitate torquetur : quando­ quidem etiam inter homines reperiuntur qui opera hujus malignitatis imitentur. Multi enim, quod dolendum est. profectibus uruntur alienis ; et quia virtu­ tibus vitia displicere noverunt, armantur in eorum odium quorum non sequuntur exemplum. Servi autem Dei et discipuli veritatis etiam dissimiles sui 1. Cf. Jean, VIII, 44. 2. De mfcne Snlnt Amukojse : « Invidicc causa beatitudo hominis in para· diso positi, et Ideo quoninm ipse diabolus acceptam gratiam tenere non potuit, invidit homini, eo quod figuratus c limo, ut incola paradisi esset, DIXIÈME SERMON SUR LE CAREME 76 chacun en particulier sont un seul et même temple de Dieu, il faut que celui-ci soit parfait en chacun comme il doit être parfait dans l'ensemble ; car, même si la beauté n’cst pas égale dans tous les membres, ni les mérites pareils dans une si grande variété des parties, le lien de la charité obtient cependant la communion dans la beauté. Ceux qu’un saint amour associe, même s’ils ne participent pas aux mêmes dons de la grace, se réjouissent pourtant mutuellement de leurs biens, et ce qu’ils aiment ne peut leur être étranger, car c’est accroître ses propres richesses que de trouver sa joie dans le progrès des autres. 2. Bien-aimés, dans cette unité des saints, où tous sont épris de la même chose, tous aiment la même chose, tous ont le même sentiment, il n’y a place ni pour les superbes, ni pour les envieux, ni pour les avares ; tout ce dont la vanité peut se glorifier, ou la colère s’irriter, ou la luxure s’amuser, tout cela ne relève pas de l’alliance du Christ, mais du parti du diable, et est rejeté loin des demeures de la piété. Aussi l’adversaire de l’innocence et l’ennemi de la paix frémit-il de rage ; lui qui n’a pas persévéré dans la vérité et a perdu par son orgueil toute la gloire propre à sa nature, souffre de voir l’homme restauré par la miséricorde de Dieu et introduit dans ces biens que lui-même a perdus2. Et il n’est pas surprenant que l’auteur du péché soit torturé par la loyauté de ceux qui agissent avec rectitude et mis au supplice par la persévérance de ceux qu’il ne peut jeter bas, quand, même parmi les hommes, il s’en trouve pour imiter les œuvres de cette méchanceté. Beaucoup, en effet, chose lamentable, se consument de dépit en voyant les progrès des autres, et, sachant que les vices déplaisent aux vertus, s’arment de haine contre ceux dont ils ne suivent pas l’exemple. Mais les ser­ viteurs de Dieu et les disciples de la vérité aiment même ceux-là qui sont différents d’eux et c’est aux electus est. Considerabat mini diabolus quod Ipse qui fuisset superioris natura; in hæc sæcularia et inundunn deciderat, homo autem inferioris naturae sperabat aderna. » (in Ps. XXXVII enarrat, 21 : P. L., XIV, 1019). 77 DE QUADRAGESIMA SERMO X diligunt, et bellum vitiis potius quam hominibus indicunt, nulli malum pro malo reddentes', sed correc­ tionem peccantium semper optantes. Pulchrum enim valde est, et divinæ benevolentiae comparandum, sui quemque in altero meminisse, et amare propriam etiam in hoste naturam. Siquidem plurimos novimus in optimos mores transiisse de pessimis, ex ebriosis sobrios, ex crudelibus misericordes, ex rapacibus largos, ex incontinentibus castos, ex ferocibus factos esse tranquillos. Dicente autem Domino : Non oeni vocare justos, sed peccatores 1 2, nulli Christiano quem­ quam odisse permittitur, quia nemo nisi in remissione peccatorum salvatur ; et quos viles fecit carnalis sapientia, nescimus quam pretiosos spiritalis factura sit gratia. 3. Sit ergo sanctus Dei populus, sit benignus : sanctus, ut declinet prohibita ; benignus, ut faciat imperata. Quamvis enim magnum sit habere fidem rectam sanamque doctrinam, ct multa laude digna sit circumcisio gula?, lenitas mansuetudinis, puritas castitatis, nudæ sunt tamen omnes sine caritate vir­ tutes, nec potest dici in qualibet inorum excellentia fructuosum quod non dilectionis parius ediderit. Unde in Joannis Evangelio Dominus dicit : In hoc cognoscent omnes quia mei discipuli estis, si dilec­ tionem habueritis ad invicem3 et in ejusdem apostoli Epistola legitur : Carissimi, diligamus invicem, quo­ niam caritas ex Deo esi, et omnis qui diligit, ex Deo natus esi et cognoscit Deum : et qui non diligit, non novit Deum, quoniam Deus caritas est4. Discutiant ergo 1. 2. 3. 4. Cf. Rom., XII, 17. Mattl».. IX. 13. Jean, XIΠ. 3'». I Jean. IV. 7-8. 77 DIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME vices plutôt qu’aux hommes qu’ils déclarent la guerre, ne rendant à personne le mal pour le mal x, mais désirant toujours l’amendement des pécheurs. Il est très beau, en effet, et digne d’être comparé à la bonté de Dieu, de voir quelqu’un se souvenir de lui-même en autrui et aimer sa propre nature jusque dans un ennemi. Car nous en connaissons plusieurs qui sont passés d'une vie détestable à une conduite excel­ lente, qui, d’ivrognes, sont devenus sobres, de cruels miséricordieux, de rapaces généreux, d’incon­ tinents chastes, de féroces pacifiques. Si le Seigneur a dit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs»2, il n’est pas permis à un seul chrétien de haïr qui que ce soit, car personne ne trouve le salut que dans le pardon des péchés ; et ceux qu’une sagesse charnelle a rendus méprisables, nous ne savons pas jusqu’à quel point la grâce de l’Esprit peut les rendre précieux. 3. Que le peuple de Dieu soit donc saint, qu’il soit bon : saint pour fuir ce qui est défendu, bon pour faire ce qui est commande. C’est une grande chose, certes, d’avoir une foi correcte ct une saine doctrine, et il est très louable de circoncire la gloutonnerie, de montrer une tendre bonté et une chasteté pure ; pourtant toutes les vertus sont comme nues sans la charité et, dans une vie, si excellente soit-elle, on ne peut dire fécond ce que l’amour n’a pas enfanté. Aussi le Seigneur dit-il dans l’évangile de Jean : « C'est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples » 3 ; et, dans l’épître du même apôtre, on lit : « Mes bienaimés, aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu ; qui n’aime pas, n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour »4. Que les fidèles scrutent donc leur âme, et soumettent à un examen sincère les sen­ timents intimes de leur cœur : s’ils trouvent en bonne place dans leur conscience quelque chose qui vienne des fruits de la charité, qu’ils ne doutent pas que Dieu soit en eux, ct qu’ils se montrent plus larges encore dans les œuvres d’une persévérante misé49. Lion le Grand 10 78 DE QUADRAGESIMA SERMO X se fidelium mentes, et intimos sui cordis affectus vera examinatione dijudicent; ac si repositum aliquid in conscientiis suis de frudibus caritatis invenerint, Deum sibi inesse non dubitent, et ut magis magisque tanti hospitis sint capaces, liant perseverantis mise­ ricordia; operibus ampliores. Si enim dilectio Deus est, nullum habere debet terminum caritas, quia nullo potest claudi fine Divinitas. 4. Ad exercendum igitur, dilectissimi, caritatis bonum \ quamvis tempus omne sit congruum, præsentes tamen dies specialius cohortantur : ut qui Pascha Domini cupiunt cum animi et corporis san­ ctificatione suscipere, hanc maxime gratiam -conentur acquirere, qua et omnium continetur summa virtutum et multitudo tegitur peccatorum3. Et ideo cele­ braturi illud eminens super omnia sacramentum, quo iniquitates nostras Jesu Christi sanguis abo­ levit, misericordiæ primitus hostias præparemus ; ut quod nobis bonitas Dei contulit, nos quoque eis qui in nos peccavere præstemus. In oblivionem mit­ tantur injuriæ, supplicium jam nesciant culpæ, et a vindicte metu omnes subditorum absolvantur offensæ. Neminem teneant claustra pænalia, nec in custodiis tenebrosis tristes reorum gemitus perseverent4. Si quisquam tales pro aliquo delicio obnoxios tenet, peccatorem se esse non dubitet ; et ut indulgentiam ipse accipiat, gaudeat se invenisse cui parcat, ut cum secundum doctrinam Dei dicimus : Dimitte nobis debita nostra sicut ct nos dimittimus debitoribus nostris, non ambigamus per nostræ orationis formam, divinam nos obtinere clementiam. 1. Usant de la même expression, saint Benoit parlera dans sa Règle du donum oboedientia; (Reg. Mon.. cap. LXXI). 2. Nous traduisons ainsi le mot /jratla qui implique ici le sens do vertu rendant agréable à Dieu. DIXIÈME SERMON SUR LE CARÊME 78 ricorde, afin d'être de plus en plus aptes à recevoir un tel hôte. Si, en effet, Dieu est amour, l’amour ne peut avoir de bornes, puisqu’aucune limite ne peut enfermer la Divinité. 4. Tous les temps sont bons, il est vrai, bien-aimés, pour pratiquer le bien de la charité 1 ; pourtant les jours présents nous y invitent plus instamment : si nous aspirons à recevoir la Pâque du Seigneur avec une âme et un corps sanctifiés, efforçons-nous surtout d’acquérir cette perfection 2 qui tient uni l’ensemble de toutes les vertus et couvre la multitude des péchés 3. Sur le point donc de célébrer ce mystère qui dépasse tous les autres, par lequel le sang de JésusChrist a aboli nos iniquités, préparons en premier lieu des hosties de miséricorde : ce que la bonté de Dieu nous a octroyé, donnons-le à notre tour à ceux qui ont péché contre nous. Jetons dans l'oubli les injures, faisons que les fautes ignorent désormais tout sup­ plice et que les offenses de nos subordonnés soient libérées de la crainte du châtiment. Que personne ne soit retenu en détention pénale et que les inculpés cessent de gémir tristement en d’obscures prisons ’. Si quelqu’un détient de tels délinquants pour une faute, il ne peut mettre en doute sa propre qualité de pécheur ; et, pour recevoir lui-même son pardon, qu’il se réjouisse d’avoir trouvé quelqu’un à qui par­ donner. Car nous qui disons, comme Dieu nous l’a appris : « Rcmets-nous nos dettes comme nousmêmes avons remis à nos débiteurs n, ne doutons pas d’obtenir la clémence divine selon la mesure formulée par notre prière. 3. I Pierre, IV, 8. 4. Saint Léon a en vue les châtiments réserves aux esclaves délinquants. Scs sermons, maigre leur caractère de catéchèse populaire, s’adressaient à un auditoire composé suri mit d’hommes libres : on peut le déduire des expressions qu’il emploie d'habitude et qui ne visent que les devoirs des maîtres envers leurs esclaves; ainsi mi 4- sermon pour le carême, 6 : « Servis et Ids qui vobis subjecti sunt cum lequlfatc dominamini · ; au 6* sermon, 3 : « Si qui de subditis vestris aut claustra custodia* aut vincula meruerunt ·; au !)· sermon, 3 : « Si ipsi circa subditos vestros omnem oflensam transtuleritis ad veniam... » Cependant, au 2’ sermon, 5. on lit : · Si denique dominorum atque servorum tam ordinati sint mores, ut et illorum potestas mitior et istorum sit disciplina devotior. * DE QUADRAGESIMA SERMO XI 79 5. In pauperes quoque et diversis debilitatibus impeditos benignior nunc largitas excratur, ut gratiæ Deo multorum voce referantur1, et jejuniis nostris egentium refectio suffragetur. Nulla enim devotione fidelium magis Dominus delectatur, quam ista quæ pauperibus ejus impenditur, et ubi curam miseri­ cordiae invenit, ibi imaginem suæ pietatis agnoscit· Non timeatur in iis expensis defectio facultatum, quoniam ipsa benignitas magna substantia est, nec potest largitatis deesse materies, ubi Christus pascit et pascitur. In omni hoc opere illa intervenit manus quæ panem frangendo auget1 2, et erogando multi­ plicat. Securus et hilaris sit eleemosynæ distributor 3, quia tunc maximum lucrum habebit, quando sibi minimum reservaverit, dicente beato apostolo Paulo : Qui autem administrat semen seminanti, et panem ad manducandum pnestabit, et multiplicabit semen uestrum, et augebit incrementa frugum jusiitiæ uestræ4 ; in Christo Jesu Domino nostro, qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Arnen. 36 (XLIX) DE QUADRAGESIMA SERMO XI 1. In omnibus quidem, dilectissimi, diebus atque temporibus quædam nobis divinæ bonitatis signa præ· 1. 2. 3. 4. Cf. Il Cor.. IX. 12. Ct. Jean. VI, 1-13. Cf. II Cor., IX, 7. Ibid., 10. ONZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 79 5. Il faut aussi que maintenant notre libéralité se montre plus compatissante envers les pauvres et ceux qui souffrent de toutes sortes de faiblesses, afin que grâces soient rendues à Dieu par la voix de beau­ coup 1 et que la réfection des indigents seconde nos jeûnes. Nulle dévotion chez les fidèles n’est plus agréable à Dieu que celle qui se consacre «â ses pauvres; là où il trouve le souci de la miséricorde, il reconnaît l’image de sa propre bonté. Ne craignons pas d’épuiser nos ressources par ces dépenses, car la bonté ellemême est une grande richesse et la générosité ne saurait manquer de moyens lâ où c’est le Christ qui nourrit et qui est nourri : en toute cette œuvre intervient la main qui augmente le pain en le rom­ pant et le multiplie en le distribuant Que celui qui fait l’aumône soit tranquille et joyeux 3 : quand il ne se sera réservé que la plus petite part, c’est alors, en effet, qu’il aura gagné le plus, selon la parole du bienheureux apôtre Paul : « Celui qui fournit la semence au laboureur et le pain qui le nourrit, vous fournira la semence à vous aussi ; il la multipliera et fera croître les fruits de votre justice »4 ; dans le Christ Jésus notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. 36 (XLIX) ONZIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. — 1. Dangers de la vio présente pour notre salut. — 2. Les deux voies. — 3. La lutte contre lo diable. — 4. Examiner sa vie Λ la lumière des divins commandements. — 5. Le pardon des offenses. — G. L'aumône. 1. En tous temps et tous les jours, bien-aimés, des signes sont mis devant nos yeux, qui manifestent la 80 DE QUADRAGESIMA SERMO XI fixa sunt, ct nulla pars anni a sacris est aliena mys­ teriis, ut dum nobis ubique præsidia nostræ salutis occurunt, invitantem nos semper misericordiam Dei avidius expetamus. Sed quidquid illud est quod in diversis gratiæ operibus et donis reparationi huma­ narum confertur animarum, totum id nobis nunc evidentius et copiosius præsentatur, quando non particulatim quædam agenda, sed simul sunt omnia celebranda. Appropinquante enim festivitate pas­ chali, adest maximum sacralissimumquc jejunium quod observantiam sui universis fidelibus sine exce­ ptione denuntiat : quia nemo tarn sanctus est ut non sanctior, nemo tam devotus ut non debeat esse devotior. Quis enim in hujus vitæ constitutus incerto, aut immunis a ten Latione, aut liber inveniatur a culpa ? Quis est qui nihil virtutis sibi adjici, aut qui nihil vitii sibi optet auferri ? cum et adversa noceant et secunda corrumpant, nec minoris sit periculi carere desideratis quam abundare concessis. Insidiæ sunt in divitiarum amplitudine, insidiæ in pau­ pertatis angustiis, lllæ elevant ad superbiam, hæ incitant ad querelam. Tentât sanitas, tentât infir­ mitas, dum ct illa materia est negligentiæ, et hæc causa tristitiæ. Laqueus est in securitate, laqueus est in timore ; ncc interest utrum animus, qui terreno tenetur affectu, gaudiis occupetur an curis, cum par morbus sit vel sub vana delectatione languescere, vel sub anxia sollicitudine laborare '. 1. Dan* ces dernières phrases, comme dans les sections 1 et 2 du 5’ ser- . mon de carême (voir ci-dessus), saint Léon décrit en termes désabusés les périls qui menacent le salut do l’homme en cette vie. Faudrait-il donc purler du · pessimisme de saint Léon » ? La misère de la vie présente est un lieu commun des moralistes de tous les temps, ct, s’il en était besoin, suint Mon en aurait trouvé lu leçon dans saint Augustin : thème, en outre, qui prête à des développements oratoires. Mais suint Léon ne s’y compluit pas : la des- ONZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 80 bonté divine, et il n’est pas de période de l’année qui soit sans rapport avec les mystères sacrés : c’est afin que, voyant partout venir à notre rencontre des secours pour notre salut, nous recherchions plus avi­ dement la miséricorde de Dieu qui nous invite sans cesse. Pourtant, quoi que ce soit que la grâce apporte à la rénovation des âmes humaines par des œuvres et des faveurs diverses, l’ensemble nous en est main­ tenant présenté plus clairement et plus abondamment, alors qu’il ne s’agit plus de s’occuper de l’une ou de l’autre en particulier, mais de les célébrer toutes en­ semble. A l’approche de la fête de Pâques, voici, en effet, venir le plus grand et le plus saint des jeûnes ; il exige d’étre observé par tous les fidèles sans excep­ tion, car personne n’est si saint qu’il ne doive être plus saint encore, personne si dévôt qu’il ne doive être plus dévôt encore. Qui donc, en effet, placé dans l’incertain de cette vie, se trouvera exempt de ten­ tation ou libre de faute ? Qui donc ne souhaiterait de se voir ajouter quelque chose dans le domaine de la vertu ou retrancher quelque chose dans celui du péché ? Car l’adversité nuit et la prospérité cor­ rompt, ct il n’y a pas moins de péril à manquer de ce qu’on désire qu’à regorger de ce qu’on nous accorde. Des guet-apens sont cachés dans l’abondance des richesses, des guet-apens encore dans la gêne de la pauvreté : par celles-là, on est élevé ct rendu orgueil­ leux, par celle-ci, on est poussé aux plaintes. La santé est cause de tentation, la maladie cause de tentation, la première étant matière à négligence et la seconde sujet de tristesse. Un piège se dissimule dans la sécu­ rité, un piège dans la crainte, et il importe peu que l’âme possédée d’un amour terrestre soit absorbée par la joie ou par les soucis, puisque la maladie est la même, qu’on languisse sous l’effet d’une volupté vaine ou qu’on se fatigue sous l'effet d’une sollicitude inquiète cription qu'il fait de ces dangers, ainsi que celle de l’action diabolique dans le monde, ne servent chez lui qu'à exciter son peuple à la vigilance et à mettre en valeur la nécessité de la grâce divine. 81 DE QUADRAGESIMA SERMO XI 2. Impletur itaque per omnia sententia Veritatis qua discimus angustam esse et arduam viam quæ ducit ad vitam 1 ; et cum latitudo itineris ad mortem trahentis multis frequentetur agminibus, in salutis semitis paucorum intrantium sunt rara vestigia. Unde autem populosior est via læva quam dextera, nisi quia ad mundana gaudia et corporalia bona mul­ titudo proclivis est ? Et quamvis caducum incer­ tumque sit quod cupitur, libentius tamen suscipitur labor pro desiderio voluptatis quam pro amore vir­ tutis. Ita cum innumeri sint qui visibilia concu­ piscant, vix inveniuntur qui temporalibus æterna præponant. Et ideo, dicente beato apostolo Paulo : Quæ videntur temporalia sunt, quæ autem non videntur æterna sunt1 2 : latet quodammodo et in abscondito est virtutum via, quoniam spe salvi facti sumus3, et fides vera id super omnia diligit, quod nullo sensu carnis attingit. Magni est ergo operis et laboris mobilitatem cordis ab omnibus continere peccatis, et cum undique innumeræ voluptatum illecebrae blandiantur, ad nulla contagia vigorem animi relaxare. Quis picem tangit, et non inquinatur ab ea 4 ? quis non infir­ matur in carne ? quis non sordescit in pulvere ? quis postremo est tantæ puritatis, ut iis non polluatur sine quibus vita non ducitur ? Jubet enim per Apo­ stolum doctrina divina, ut qui habent uxores, tamquam non habentes sint ; et qui flent, tamquam non flentes ; et qui gaudent, tamquam non gaudentes ; et qui emunt, tamquam non possidentes ; et qui utuntur hoc mundo, tamquam non utantur : præteril enim figura mundi hujus3. Beata igitur mens quæ peregrinationis suæ 1. CL Matth., VII. 14. 2. II Cor., IV, 18. 3. Rom., VIIΓ, 24. ONZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 81 2. En tout s’accomplit donc cette parole de la Vérité qui nous apprend qu’étroite et ardue est la voie qui mène à la vie *. Des foules nombreuses se pressent sur la route large qui entraîne à la mort, mais rares sont les pas de ceux qui s’engagent sur les chemins du salut. Pourquoi donc la voie de gauche est-elle plus fréquentée que celle de droite, sinon parce que la multitude est portée aux joies du monde et aux biens du corps ? En dépit de la caducité et de l’incertitude de l’objet convoité, on se met plus volontiers en peine pour l’appât de la volupté que pour l’amour de la vertu. Ainsi, tandis que ceux qui recherchent les choses visibles sont innombrables, à peine s’en trouve-t-il qui mettent les biens éternels au-dessus de ceux qui n’ont qu’un temps. Selon la parole de l’apôtre Paul, «les choses visibles n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles»2; aussi le chemin des vertus est-il en quelque façon caché et secret, car « ce n’est qu’en espérance que nous sommes sauvés »3, et la vraie foi aime par-dessus tout ce qui ne tombe pas sous le sens de la chair. C’est donc une grande œuvre et un grand travail que de garder de tout péché un cœur inconstant et de ne laisser atteindre la vigueur de son âme par aucune contamination, alors que les attraits sans nombre des voluptés la flattent de toutes parts. Qui ne manierait de la poix sans en être taché * ? Qui ne serait faible en cette chair ? Qui ne se salirait dans la poussière ? Qui enfin serait si pur qu’il ne soit pas souillé par les choses mêmes dont la vie ne peut se passer ? L’en­ seignement divin nous donne, en effet, cet ordre par la bouche de l’Apôtre : « Que ceux qui ont femme vivent comme s’ils n’en avaient pas ; ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas ; ceux qui sont dans la joie comme s’ils n’étaient pas dans la joie ; ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas ; ceux qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas ; car elle passe, la figure de ce monde » 4 5. Heureuse donc 4. Sag. Sir.. ΧΠΙ. 1. 5. 1 Cor., VII, 29-31. 82 DE QUADRAGESIMA SERMO XI tempora casta sobrietate transcurrit, et in iis per quæ necesse est eam ambulare non remanet, ut hospita magis quam domina terrenorum, nec affectibus desit humanis, et promissionibus sit innixa divinis. 3. Hanc autem fortitudinem, dilectissimi, nulli magis quam præsentes et exigunt et conferunt dies : quibus dum observantia specialis impenditur, con­ suetudo in qua perseveretur acquiritur. Notum enim vobis est hoc esse tempus quo per lotum mundum, saeviente diabolo, acies debet Christiana confligere ; et si quos aut desidia tepidos, aut sollicitudo habuit occupatos, nunc oportet armis spiritalibus instrui, et cælesti tuba ad ineundum certamen accendi : quoniam ille cujus invidia mors introivit in orbem terraruml, modo præcipuo livore uritur, modo maximo dolore cruciatur. Videt enim de omnium hominum genere, in adoptionem filiorum Dei novos populos introduci, et per virgincam Ecclesiæ fecun­ ditatem, partus regenerationis augeri. Videt se domi­ nationis suæ jure privatum, a cordibus eorum quos possidebat expelli ; eripi sibi in utroque sexu millia senum, millia juvenum, millia parvulorum ; nec obesse cuiquam vel proprium, vel originale peccatum, ubi justificatio non meritis retribuitur, sed sola gratiæ largitate donatur ; lapsos quoque et insi­ diarum suarum fraude deceptos, pænitentiæ lacrymis ablui, et portas misericordiae apostolica clave rese­ rante, ad remedia reconciliationis admitti. Sentit insuper diem Dominicæ passionis instare, et se illius crucis potestate conteri, quæ in Christo ab omni debito mortis alieno, redemptio fuit mundi, non pæna peccati. 4. Ut itaque malignitas frementis inimici nullos 1. Sagesse. II, 2-1. ONZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 82 l’âme qui emploie le temps de son pèlerinage dans une chaste sobriété et ne s’attarde pas aux choses par les­ quelles il lui faut marcher : hôtesse des biens ter­ restres plutôt que leur maîtresse, elle ne se dérobe pas aux affections humaines, tout en prenant appui sur les promesses divines. 3. Cette force d’âme, bien-aimés, il n’est pas de jours qui, â la fois, la réclament et la donnent comme ceux d’à présent : en y consacrant une attention toute spéciale, on y acquiert des habitudes durables. Vous savez, en effet, que c’est le temps où, par le monde entier, le diable exerçant ses ravages, l’armée chré­ tienne doit en venir aux mains, et, si la nonchalance en a refroidi quelques-uns ou les soucis accaparé, il faut maintenant qu'ils se revêtent des armes spiri­ tuelles et s’animent à l’appel de la trompette céleste pour engager la lutte : car celui dont la haine a fait entrer la mort dans le monde *, brûle en ce moment d’une jalousie sans égale, souffre en ce moment d’une douleur extrême. Il voit, en effet, de nouveaux peuples, venus de tout le genre humain, introduits dans l’adoption des fils de Dieu, il voit se multiplier, par la fécondité virginale de l’Église, l’enfantement des régénérés. II se voit privé du droit qui fondait son empire et chassé des cœurs qu’il possédait ; il se voit enlever, dans l’un et l’autre sexes, des milliers de vieillards, des milliers de jeunes gens, des milliers d’enfants ; il voit que ni le péché personnel, ni le péché originel ne sont un obstacle pour personne, puisque la justification n’est pas accordée aux mérites, mais concédée par la seule libéralité de la grâce. Mémo ceux qui étaient tombés, trompés par ses pièges et ses mensonges, il les voit se laver dans les larmes de la pénitence et être admis aux remèdes de la réconciliation, la clef apostolique leur ouvrant les portes du pardon. Il sent, de plus, l’approche du jour de la passion du Seigneur : il va être brisé par la puissance de cette croix qui, dans le Christ, exempt de toute dette envers la mort, fut non la peine du péché, mais la rédemption du monde. 4. Aussi, pour enlever à la méchanceté de ce furieux 83 DE QUADRAGESIMA SERMO XI habeat sui livoris effectus, ad exsequenda Domini mandata diligentior1 est assumenda devotio : ut tempus in quo omnia divinæ misericordiæ sacramenta concurrunt, cum præparatione et animorum susci­ piamus et corporum, implorantes regimen et adju­ torium Dei, ut sine quo nihil possumus facere, per ipsum omnia valeamus implere1 2. Ideo enim datur præceptum, ut præcipientis quæratur auxilium3. Nec se quisquam per occasionem infirmitatis excuset, cum qui praestitit velle, donet et posse, dicente beato apostolo Jacobo : Si quis vestrum indiget sapientia, postulet a Deo, qui dat omnibus affluenter et non impro­ perat, et dabitur ei ‘. Quis fidelium nesciat quibus virtutibus studere et quibus debeat vitiis repugnare ? Quis conscientiæ suæ aut tam gratiosus aut tam impe­ ritus est arbiter, qui ignoret quid a se auferri aut quid in se oporteat augeri ? Nemo quippe ita rationis est alienus qui aut conversationis suæ non intclligat qua­ litatem, aut cordis sui secreta non noverit. Non ergo per omnia sibi placeat, nec se secundum carnis oblec­ tamenta dijudicet, sed omnem consuetudinem suam in divinorum praeceptorum lance constituat : ubi cum alia jubeantur ut liant, alia interdicantur ut non fiant, justo se trutinabit examine, qui vitæ suæ mores ex utriusque ponderis comparatione pensaverit. Artifex enim misericordia Dei splendidissimum in mandatis suis condidit speculum, in quo homo faciem suæ mentis inspiceret, et quam conformis imagini Dei, aut quam dissimilis esset agnosceret : præcipue ut rejectis paululum carnalibus curis et occupationibus 1. La diligenti devotio est, au seni étymologique, un don de soi inspiré par l'amour. 2. Comparez la Collecte du VIH· Dimanche après la Pentecôte : < Ut qui sine to esse non possumus, secundum to vivere valeamus. · Ct Jean, XV, 5. ONZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 83 ennemi tous les fruits de sa jalousie, décidons-nous à obéir aux commandements de Dieu d’un cœur plus diligent1 : abordons ainsi, l’âme et le corps préparés, ce temps vers lequel convergent tous les sacrements de la divine miséricorde ; implorons la conduite et l’appui de Dieu, afin que nous qui, sans lui, ne pou­ vons rien faire, ayons, par lui, la force d’exécuter tout ce qui est commandé 2 : car, si l’on nous com­ mande, c’cst pour que nous recherchions l’aide de celui qui nous commande 3. Et que personne ne s’ex­ cuse sous prétexte de faiblesse, puisque celui qui a donné de vouloir, donne aussi de pouvoir, selon cette parole du bienheureux apôtre Jacques : « L’un de vous manque-t-il de sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous libéralement et sans en faire reproche, et elle lui sera donnée »4. Qui, parmi les fidèles, ne sait à quelles vertus il doit s’appliquer et contre quels vices lutter ? Qui sera de sa conscience un juge assez partial ou assez inexpérimenté pour ignorer ce qu’il faut arracher en lui et ce qu’il faut y développer ? Personne, certes, n’est assez déraisonnable pour ne pas reconnaître ce que vaut sa manière de vivre ou ne pas saisir les secrets de son cœur. Que nul donc ne regarde avec complaisance tout ce qui est en lui, ni ne se juge selon les attraits de la chair, mais qu’il place tout son comportement dans la balance des divins commandements : là, en face de ce qu’il est prescrit de faire et de ce qui est défendu et à ne pas faire, il pèsera sa conduite en la mettant en regard de ce double poids, recherchant dans un juste examen ce qu’en décide l’aiguille de la balance. L’industrieuse miséricorde de Dieu a établi dans ses préceptes un miroir extrêmement clair, dans lequel l’homme puisse contempler le visage de son âme et recon­ naître dans quelle mesure il est conforme à l’image de Dieu et dans quelle mesure il en diffère ; il arrivera surtout ainsi que, rejetant quelque peu les préoc­ cupations charnelles et les soins inquiets, nous nous 3. On pense ù la prière de saint Augustin : · Da quod jubes, cl jubé quod vis. · 4- Jacques, î, 5. 84 DE QUADRAGESIMA SERMO XI inquietis, saltem in diebus redemptionis et repara­ tionis nostrae a terrenis nos ad cælcstia conferamus. 5. Quia vero, sicut scriptum est, in mullis offen­ dimus omnes *, misericordiae primus concipiatur affe­ ctus, et alienorum in nos delictorum liat oblivio : ut illud piissimum pactum, cui nos in Dominica ora­ tione devinximus, nullo vindictae amore violemus : et dicentes : Dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris, non simus in remis­ sione difficiles : quia ad nos recurrit sive cupiditas ultionis, sive indulgentia lenitatis; magisque optan­ dum est homini, tentationum periculis semper expo­ sito, ut suas culpas habeat impunitas, quam ut plectat alienas. Quid autem convenientius fidei Christianae quam ut non solum in Ecclesia, sed etiam in omnium domibus liat remissio peccatorum ? Deponantur minæ ; vincula relaxentur, quibus se multo perniciosius, qui ea non solverit, religabit. Quod enim quisque in alterum statuit, hoc in semetipso sua lege decernit. Beati vero misericordes, quo­ niam ipsorum miserebitur Deus 4 : qui in judiciis suis et justus est et benignus; ad hoc quosdam sub aliorum esse potestate permittens, ut sub æqua moderatione servetur et utilitas disciplinae, et man­ suetudo clementiae ; ct nemo audeat alterius delictis veniam denegare, quam pro suis optat accipere. 6. Dicente autem Domino, Beati pacifici, quoniam filii Dei vocabuntur3, deponantur omnium discor­ diarum odiorumque certamina ; nec putet se quis­ quam in paschali festo habiturum esse consortium, qui fraternam pacem redintegrare neglexerit. Apud summum enim Patrem, qui non fuerit in caritate 1. Jacque», III, 2. ONZIÈME SERMON SUR LE CAREME 84 portions, au moins pendant les jours de notre ré­ demption et de notre rénovation, des choses de la terre à celles du ciel. 5. Il est vrai, comme il est écrit, « nous péchons tous en bien des manières »1 ; que notre premier sen­ timent soit donc de miséricorde, et oublions les offenses des autres à notre endroit : ainsi éviteronsnous de violer d’aucune façon par amour de la ven­ geance le pacte de suprême bonté auquel nous nous sommes liés dans l’Oraison dominicale ; après avoir dit : « Bemels-nous nos dettes, comme nous avons remis à nos débiteurs », ne nous montrons pas dif­ ficiles pour pardonner : car voilà, s’offrant à nous soit l’appétit de la vengeance, soit la douceur de l’indulgence ; et il est plus souhaitable à l’homme, toujours exposé au danger des tentations, de recevoir l'impunité pour ses fautes que de punir celles d’autrui. Quoi d’ailleurs de plus conforme à la foi chrétienne que d’accorder le pardon des offenses non seulement dans l’Église, mais aussi dans toutes les maisons ? Déposons les menaces, délions les entraves : on s’en enchaîne bien plus dangereusement en ne les défaisant pas. Ce que chacun, en effet, décide envers les autres, il le décrète envers lui-même par sa propre loi. Mais « heureux les miséricordieux, car Dieu leur fera misé­ ricorde » 2, lui qui est à la fois juste ct bon dans ses jugements : il permet que certains soient soumis au pouvoir d’autrui, afin que soient gardées dans une exacte mesure et l’utile discipline et la douce clé­ mence, et que nul n’ose refuser aux autres pour leurs fautes le pardon qu'il souhaite recevoirpour les siennes. 6. Le Seigneur a dit : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » 3. Laissons donc là les querelles qui naissent de toutes discordes et haines ; que nul ne pense avoir part à la fête pascale s’il néglige de réintégrer la paix fraternelle. Auprès du Père suprême, en effet, qui ne sera pas dans l’amour de ses frères ne sera pas compté au nombre 2. Matth., V, 7. 3. Ibid.. 9. 85 DE QUADRAGESIMA SERMO XII fratrum, non habebitur in numero liliorum. In dis­ tributione quoque eleemosynarum, et pauperum cura, pinguescant Christiana jejunia ; et quod suis quisque deliciis subtrahit, debilibus impendat et egenis. Detur opera ut omnes Deo uno ore benedicant, et qui aliquam dat portionem substantiae suæ, intelligat se ministrum esse misericordiae divinæ, qui partem pauperis in manu posuit largientis : ut peccata quæ aut baptismi aquis, aut pænitentiælacrymis abluuntur, etiam eleemosynis deleantur, dicente Scriptura : Sicut aqua exstinguit ignem, ita eleemosyna exstinguit peccatum Per Dominum nostrum Jesum Chris­ tum, qui cum Patre et Spiritu sancto vivit et regnat in sæcula saeculorum. Arnen. 37 (L) DE QUADRAGESIMA SERMO XII 1. Appropinquante, dilectissimi, solemnitate pas­ chali, adest præcurrentis consuetudo jejunii, quod nos quadraginta dierum numero ad sanctificationem corporis et mentis exerceat. Suscepturi enim fes­ torum omnium maximum festum, ea nos debemus observantia praeparare, ut in cujus sumus resurre­ ctione conresuscitati, in ipsius inveniamur passione commortui, dicente beato Paulo apostolo : Mortui enim estis, et vita vestra abscondita est cum Christo 4. Sag. Sir., I Π, 33. 85 DOUZIÈME SERMON SUR LE CARÊME des fils. Par la distribution des aumônes également et par le soin des pauvres, que les chrétiens, tout en jeûnant, s’engraissent ; et ce que chacun soustrait à scs plaisirs, qu’il le dépense en faveur des faibles et des indigents. Qu’on fasse en sorte que tous bé­ nissent Dieu d'une seule voix ; celui qui donne doit se savoir le ministre de la divine miséricorde qui a mis la part du pauvre dans la main de celui qui donne. Les péchés que lavent l’eau du baptême ou les larmes du repentir sont aussi effacés par l’aumône, selon la parole de l’Écriture : « Comme l’eau éteint le feu, ainsi l’aumône éteint le péché»1. Par notre Seigneur .Jésus-Christ, qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 37 (L) DOUZIÈME SERMON SUR LE CARÊME Sommaire. — 1. La pureté nécessaire. — 2. Utilité de la tempé­ rance. — 3. Le pardon des ullcnses. 1. A l’approche de la solennité pascale, voici qu’ar­ rive, bien-aimés, le jeûne qui a coutume de la pré­ céder, jeûne qui doit nous exercer pendant quarante jours, pour la sanctification de nos corps et de nos âmes. C’est, en effet, la plus grande de toutes les fêtes que nous allons accueillir ; il faut donc nous y pré­ parer par cette observance, afin de mourir dans sa passion avec celui en la résurrection de qui nous sommes aussi ressuscités, selon ces paroles du bien­ heureux apôtre Paul : « Vous êtes morts, en effet, et votre vie demeure cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, votre vie, se manifestera au grand jour, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui 49. Lion le Grand. 11 86 DE QUADRAGESIMA SERMO XII in Deo. Cum Christus apparuerit vita vestra, tunc et vos apparebitis cum ipso in gloria \ Quæ vero nobis est mortis cum Christo participatio, nisi ut desinamus esse quod fuimus ? aut quæ similitudo resurrectionis, nisi depositio vetustatis2 ? Unde qui sacramentum suæ reparationis intelligit, carnis se vitiis debet exuere, et omnes sordes abjicere peccatorum : ut intraturus nuptiale convivium, splendeat veste vir­ tutum 3. Quamvis enim benignitas sponsi cunctos ad communionem regiarum invitet epularum, stu­ dendum est tamen universis vocatis, ut sacrorum ciborum munere non inveniantur indigni. Abu­ tuntur autem quidam patientia Dei, et qui non sunt in conscientia liberi, fiunt de longa impunitate securi : cum ideo differatur ultio, ut tempus possit habere correctio. Misericordiam igitur Dei nostri, quæ non vult mortem peccatoris, sed lanium ut con­ vertatur et vivat ’, non ideo quisquam tardet amplecti, quia quod meruit non recepit. Neque enim quidquid differtur, aufertur ; aut condemnationem evasit, qui indulgentiam non quæsivit. Cujus quidem implo­ ra ndæ non una omnibus causa est : quia multis modis multisque mensuris et peccatum a peccato, et crimen distat a crimine. Sed quia universitas fidelium ad per­ fectam innocentiam et ad plenam debet tendere puritatem, ut eorum consortio mercatur ascribi, de quibus dicitur : Bcali mundo corde, quoniam ipsi Deum videbuntύ : omni instantia et virtute nitendum est, ut quidquid secretum conscienti» maculat, quid­ quid aciem mentis obscurat, diligentissimis emun­ dationibus deleatur. Quamvis enim scriptum sit : Quis gloriabitur castum se habere cor, aut mundum se 1. Colos., 111,3-1. DOUZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 86 dans la gloire » x. Mais comment participerons-nous à la mort du Christ, sinon en cessant d’être ce que nous fûmes ? Et quelle sera la ressemblance de sa résur­ rection, sinon l’abandon de notre ancienne vie2 3? Aussi celui qui comprend ce qu’est le mystère de sa rénovation doit se dépouiller des vices de la chair et rejeter toutes les souillures des péchés, afin d’entrer au festin nuptial resplendissant de la robe des vertus *. Sans doute, l’époux, dans sa bonté, invite-t-il tout le monde à prendre part à son banquet royal ; mais tous ceux qui sont appelés doivent s’appliquer à n’étre pas trouvés indignes de la faveur de partager les mets sacrés. Or il en est qui abusent de la patience de Dieu et, n’ayant pas la conscience libre, se ras­ surent sur leur longue impunité ; mais la punition n’est que différée, pour qu’à l'amendement le temps soit laissé. Que personne donc, sous prétexte qu’il n’a pas reçu ce qu’il méritait, ne tarde à embrasser la miséricorde de notre Dieu « qui ne veut pas la mort du pécheur, mais seulement qu’il se convertisse et vive »4. Ce qui est différé, en effet, n’est pas ôté ; et celui qui n’a pas recherché le pardon n’a pas pour autant évité la condamnation. Il est vrai, tous n’ont pas la mémo raison d’implorer ce pardon ; car, de mul­ tiples façons et en bien des mesures, le péché diffère du péché et le crime du crime. Mais l’ensemble des fidèles doit tendre à une parfaite innocence et à une complète pureté, afin de partager le sort de ceux dont il est dit : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu»5. Appliquons-nous donc en toute assiduité et vigueur à effacer par les purifications les plus soigneuses tout ce qui souille l’intime de notre conscience, tout ce qui obscurcit le regard de notre 2. Le mol vetustas, déjà rencontré, repris de saint Paul (cf. Éph., IV, 22 : Colos., Ill, 9) désigne les habitude* de l'homme charnel (le vieil homme) ; ces conséquences de lu déchéance originelle ne sont pas supprimées, comme l’est cette déchéance même, par la grâce rénovatrice du Christ. CL 6‘ sermon sur le carfme, supra, p. 57, note. 3. 3. CL Matth., XXII, 11-12. •I. Ezéch., XXXIII, 11. 6. Matth., V, 8. 87 DE QUADRAGESIMA SERMO XII esse a peccato ?* non tamen desperanda est appre­ hensio puritatis, quæ dum semper petitur, semper accipitur, nec remanet judicio condemnandum, quod fuerit confessione purgatum. 2. Hoc illud est, dilectissimi, quod orantes omnes filii Ecclesiæ ex doctrina Domini uniformiter dicunt : Dimitte nobis debita nostra sicut cl nos (limitiimus debitoribus nostris: quia nemo tam sanctus, nemo tam justus est, qui in tempore hujus vitæ, quæ tota lentatio est, cujuscumque peccati remissione non egeat. Circumstant undique pericula innumerabilium deli­ ctorum, et per licitos usus ad immoderatos transitur excessus, dum per curam salutis irrepit delectatio voluptatis, et non sufficit concupiscenti®, quod potest satis esse natur®. Hinc habendi amor numquain satiandus exoritur ; hinc cupiditas eminendi, quæ vel stirpi suæ innixa, vel soboli, nunc prolem habet superbiam, nunc parentem. His autem et aliis tentationibus, quarum multiplex est et infinita connexio, quæ rectius virtus quam continentia oppo­ nitur, quæ nutriendis atque servandis animi et cor­ poris bonis, et incrementa præbct et roborat ? Unde in cælestibus Ecclesiæ disciplinis multum utilitatis afferunt divinitus instituta jejunia 2 : ut dum conti­ nenti® legibus carnalis subjicitur appetitus, motus quoque interior temperetur, ac sicut corpus a cibis, ita mens ab iniquitate jejunet3. Dominus enim dicit : 1. Prov., XX, y. 2. Expressions identiques duns la Collecte du lundi de la 1" semaine de carême : · Ut nobis jejunium quadragcsimule proficiat, mentes nostras cælcstibus Instrue disciplinis. · 3. On Ht de môme dans In Collecte du lundi de la deuxieme semaine «le carême : · Ut familia Inn quas se, aflligcmlo carnem, ab alimentis abstinet, sectando justitiam, u culpa jejunet · ; cl dnns bi Secrète du premier dimanche de carême : «Ut, cum epularum restrictione carnalium, a noxiis quoque voluptatibus temperemus. > Plus proche encore du texte «le saint Léon celui de la Collecte du vendredi de la troisième semaine de carême : · Ut sicut ab DOUZIÈME SERMON SUR LE CAREME 87 âme. Encore qu’il soit écrit : « Qui pourra se glorifier d’avoir le cœur chaste ou d’être pur de péché ? »l, on ne doit pourtant pas désespérer d’atteindre à la pureté, qui, si on la demande toujours, est toujours obtenue ; et, d’autre part, ce qui a été purifié par un aveu cesse d’être sujet à la condamnation. 2. C’est bien ce que, dans leur prière, bien-aimés, tous les enfants de l’Églisc disent à l’unisson, comme ils l’ont appris du Seigneur : « Remettcz-nous nos dettes, comme nous-mêmes avons remis à nos débi­ teurs. » Personne, en effet, n’est si saint, personne si juste que, dans le temps que dure cette vie, toute de tentation, on n’ait besoin de se faire pardonner quelque péché. Le danger de tomber dans d’innom­ brables fautes nous environne de toutes parts, et, d’usages licites, on passe à des excès immodérés, particulièrement lorsque, à la faveur du soin de la santé, s’introduit la délectation du plaisir, et que notre convoitise ne se contente pas de ce qui peut suffire à la nature. De là naît un amour jamais rassasié de posséder ; de là un violent désir de se faire remarquer qui, s’appuyant soit sur ses ancêtres, soit sur ses des­ cendants, engendre tantôt l’orgueil et tantôt naît de lui. A ces tentations et à d’autres encore, qui s’enchaînent par des liens multiples et infinis, quelle vertu opposer plus à propos que l’abstinence, puis­ qu’elle donne et développe les forces pour nourrir et conserver les biens de l’âme et du corps ? Aussi, parmi les disciplines célestes de Γ Église, les jeûnes divinement institués présentent-ils beaucoup d’uti­ lité2 : tandis que l'appétit de la chair est soumis aux lois de la sobriété, les mouvements intérieurs sont aussi tempérés, et l’esprit jeûne d’injustice comme le corps de nourriture 3. Le Seigneur dit en effet : « Heualimcntis abstinemus in corpore. Un a vitiis jejunemus in mente · ; ou celui de la seconde Collecte du mercredi des quatre-temps de septembre : « Ut, dum a cibis corporalibus se abstinet, a vitiis quoque mente jejunet. » On pourrait citer encore d'autres oraisons qui s'inspirent de cette idée du jeûne spirituel répondant nu jeûne corporel et lui donnant sa signification : c’est là un theme traditionnel auquel saint Léon a donné une expression particu­ lièrement nette en même temps qu’heureuse. 88 DE QUADRAGESIMA SERMO XII Beali qui esuriunt et sitiunt justitiam, quoniam ipsi saturabuntur Habet ergo populus Dei spiritales epulas castaque delicias, quas salubriter expetit et laudabiliter concupiscit quoniam, laudante et dicente propheta : Gustate ct videte, quoniam suavis est Domi­ nus 2, quisquis dulcedinem justitiæ et misericordi» Dei, quibus omnis providentia ejus dispensatur, gustu cordis attigerit, ct nullo umquam minuenda fastidio experimenta supernorum hauserit gaudiorum, cor­ ruptibilia et temporalia bona æternorum admira­ tione despiciet : et in illo igne quem Dei accendit caritas, concalescet : ut algore in fervorem converso, ct in lucem nocte mutata, uno opere in animis fide­ lium Spiritus sanctus et tenebras abigat, et peccata consumat. 3. Unde quia tales fructus mater virtutum conti­ nentia parit, et jejunantes a vitiis ad ineffabilia oblectamenta perducit ; studiosiori nunc opere,dilec­ tissimi, exsequamur præcepta cælestia : et quia lotum paschale sacramentum, in remissionem est conditum peccatorum ; quod celebrare optamus, imitemur. Misericors enim et justus Dominus ita promittit indulgentiam suam, ut eam etiam quibus parcit, indicat. Exponens enim qua regula Deo Patri nos voluerit supplicare : Si dimiseritis, inquit, hominibus peccata eorum, dimittet vobis et Pater vester, qui in cælis est, peccata vestra. Si autem non remiseritis hominibus, nec Paler vester remittet vobis peccata vestra 3. Justa prorsus et benigna conditio, qua divinæ potenti» fit particeps homo, ut senten­ tiam Dei ex suo libret arbitrio, et eo sibi judicio obstringat Dominum, quo judicaverit ipse conser1. Mnltb., V, fi. DOUZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 88 reux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés»’. Le peuple de Dieu a donc ses fes­ tins spirituels et ses chastes délices, qu’il lui est salu­ taire de désirer et louable de convoiter, comme le Prophète nous y invite par ces paroles de louange : « Goûtez et voyez que le Seigneur est doux n2. Qui­ conque, en effet, aura goûté par le cœur la douceur de la justice ct de la miséricorde de Dieu, principe de toute sa providence, et bu, en une expérience à jamais préservée de toute satiété, les joies supérieures, mépri­ sera, pris d’admiration pour les biens éternels, ceux qui sont corruptibles et passagers ; il s’échauf­ fera à ce feu qu’allume la charité de Dieu : alors, le froid se changeant en ardeur ct la nuit tournant en lumière, Γ Esprit-Saint, par une seule et même action, chassera les ténèbres des âmes des fidèles en même temps qu’il consumera leurs péchés. 3. Donc, puisque l’abstinence, mère des vertus, engendre de tels fruits, puisqu’elle arrache aux vices ceux qui jeûnent pour les conduire à d’ineffables plaisirs, travaillons maintenant avec plus d’appli­ cation à obéir aux célestes commandements ; et, puisque tout le sacrement pascal a été institué pour la rémission des péchés, imitons ce que nous sou­ haitons célébrer. Car le Seigneur miséricordieux et juste, en nous promettant son pardon, indique en même temps à qui il le réserve. Lorsqu’il enseigne, en effet, suivant quelle règle il veut que nous priions le Père, il dit : « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne les pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos offenses »3. Condition parfaitement juste et bienveillante, qui fait participer l’homme à la puissance divine en réglant la sentence de Dieu sur sa propre décision et en liant envers lui le Seigneur par le jugement dont il aura jugé lui-même son compagnon de service. Aussi, qu’il s’agisse de nos subordonnés ou de nos 2. l’s. ΧΧΧΙΠ, 9. 3. Matth., VI, 14. 89 DE QUADRAGESIMA SERMO XII vum. Sive itaque circa subjectos, sive circa æquales, naturæ parilitas diligatur : et quia nemo non peccat, nemo non parcat; non difficulter praestemus quod gratulanter accepimus : ut sive largitate eleemosy­ narum, sive indulgentia peccatorum, quanto magis fuerimus misericordes, tanto simus perfectius inno­ centes. Per Dominum nostrum Jcsum Christum, qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in sæcula sæculorum. Amen. DOUZIÈME SERMON SUR LE CARÊME 89 égaux, aimons la nature qui nous est commune avec eux : ct, comme il n’est personne qui ne pèche, qu’il n’y ait personne qui ne pardonne : donnons sans dif­ ficulté ce que nous-mêmes avons reçu avec joie ; alors, plus nous aurons été, soit par l’abondance des aumônes, soit par l’oubli des fautes, miséricordieux, plus parfaitement serons-nous innocents. Par notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père ct l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. TABLE DE CONCORDANCE DE L'ÉDITION BALLERINI-MIGNE (BM) AVEC LA PRÉSENTE ÉDITION (PE) (L'astériquc ♦ indique les serinons qui figurent dans ce second volume.) UM PR I 11 III IV V VI· VII· VIII· IX· X· XI· XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX XXX XXXI XXXII 82 83 84 85 86 20 21 22 23 2-1 25 87 88 89 00 91 92 93 04 95 1 2 3 4 .1 6 7 « 9 10 12 13 UM XXXIII XXXIV XXXV xxxvi XXXVII XXXVIII XXXIX· XL· XLI· XLII· XLIII* XI.1V XLV· XLVI· XLV1I· XLVI II· XLIX’ L· LI LH LUI LIV LV LVI LVII LVI II LIX LX LXI LX1I LXIII LX1V PE BM PE 14 15 16 17 18 19 26 27 28 29 30 31 32 33 3-1 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 LXV LXVI LXVII LXVI II LX1X LXX LXXI LXX1I LXXIII LXX IV LXXV LXX VI I.XXV11 LX XVIII LXXIX LXXX LXX XI LXXX11 LXXXIII LXXX IV LXXXV LXXXVI LXXXVII LXXXVIII LXXX IX xc XC.I XCII XCIII XCIV xcv xevi 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 06 11 TABLE DES MATIÈRES Avertissement.............................................................. Texte des sermons 7 : Pour les collectes, 6 sermons (20-25)........... Pour le carême, 12 sermons (26-37)......... 10 26 Table de concordance de l’édition BalleriniMigne avec la présente édition............................. θΐ Une table des citations scripturaires sera publiée ù la fin du tome 1V. ACHEVÉ D1MPRIMER LE G MARS 1957 SUR LES PRESSES DE PROTAT FRÈRES, A MACON NUJIBHOS l/ORDRB î INPIItMRUR, 5"81 : KDtTKUR, 4.809 »ftPOT LÉGAL : 2· TRtMUSTHR 1957